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Full text of "Dictionnaire de physiologie"

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COtï-i 


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http://www.archive.org/details/dictionnairedep01rich 


DICTIONNAIRE 


PHYSIOLOGIE 


TOME    PREMIER 


DICTIONNAIRE 


ni/,  unVTRuiY 


DE 


PHYSIOLOGIE 


CHARLES    RICHET 

PROFESSEUR   DE    PHYSIOLOGIE    A    LA    FACULTÉ    DE    MEDECINE    DE    PARIS 

AVEC     LA     COLLABORATION 

DE 

MM.    P.     LANGLOIS    ET     L.    LAPICQUE 

i:  T    D  E 

MIW.   E.  ABELOUS  -   ANDRÉ  —  P.  BLOCQ  —  E.  BOURQUELOT  —  CHARRIN 

A.  CHASSEVANT  —   CORIN  —   A.  DASTRE    ~    W.  ENGELMANN  —  X.  FRANCOTTE  —  L.  FREDERICQ 

J.    CAD    —   CELLE     —    N.    GRÉHANT    —    HÉDON    —    F.    HEIIVI 

P.  HENRIJEAN  —  J.  HÉRICOURT  —  F.  HEYWANS  —  P.  JANET  —  LAHOUSSE  —  E.  LAMBLING 

CH.   LIVON  —  E.  IWACÉ  —  E.  IVIEYER  ~  J.-P.  mORAT  —   J.-P.  NUEL 

F.  PLATEAU   —   G.  POUCHET  —    E.   REITERER   -   SÉBILEAU  —    TRIBOULET 

E.  TROUESSART  —  H.   DE  VARiGNY  —  E.  WERTHEIMER 


TOME    PREMIER 

A-B 

AVEC  GRAVURES  DANS  LE  TEXTE 


PARIS 

ANCIENNE     LIBRAIRIE     GERMER     BAILLIÈRE     ET     C 

FÉLIX   ALCAN,    ÉDITEUR 

i08,      BOULEVARD      SAINT-GERMAIN,      108 

1895 

Tous  droits  réservés. 


•M.  W,',^.    Il  .  I    ,; 


C^Yi  .1^ 


PRÉFACE 


Il  y  a  déjà  tant  de  dictionnaires,  et  certains  d'entre  eux  sont  si  bien  faits  et  si 
complets,  que  la  production  d'un  Dictionnaire  de  physiologie  pai-aîtra  au  premier 
abord  assez  inutile.  Nous  ne  le  croyons  pas,  et  nous  allons  essayer  de  prouver 
le  contraire. 

Nous  tâcherons  aussi  d'indiquer  le  plan  et  la  méthode  de  ce  nouveau  dic- 
tionnaire. 

Tout  d'abord  on  sait  qu'il  n'y  a  pas  encore  de  dictionnaire  spécial  pour  la 
physiologie.  Il  y  en  a  pour  la  chimie,  pour  l'électricité,  pour  la  botanique,  pour 
la  géographie,  pour  la  philosophie  ;  voire  même  pour  la  mythologie,  les  syno- 
nymes et  les  locutions  proverbiales.  Mais  nul  dictionnaire  de  physiologie 
n'existe  encore.  Cela  tient  sans  doute  à  ce  que  la  constitution  de  la  physiologie, 
comme  science  distincte,  est  de  date  assez  récente.  Au  milieu  de  ce  siècle, 
Magendie,  J.  Muller,  Plourens,  Claude  Bernard,  ont  pu,  par  leur  enseignement, 
leurs  écrits  et  leurs  expériences,  donner  à  la  science  physiologique  une  auto- 
nomie que  ni  Haller,  ni  Legallois  ne  lui  avaient  pu  apporter.  A  présent  il  n'est 
plus  permis  de  confondre  la  physiologie  avec  l'anatomie,  l'anthropologie,  l'em- 
bryogénie, la  chimie  et  la  physique.  Non  certes  que  ces  sciences  n'aient 
constamment  recours  à  la  physiologie,  et  que  de  son  côté  la  physiologie  ne 
fasse  de  fréquentes  incursions  dans  le  domaine  de  ces  sciences;  mais  la  sépa- 
ration est  faite;  les  physiologistes  se  sont  spécialisés,  et  un  traité  de  physiologie 
est  complètement  distinct  d'un  traité  de  chimie,  ou  d'histologie,  ou  d'embryo- 
logie. 

Il  est  vrai  que  tous  les  dictionnaires  de  médecine  font  avec  raison  une 
grande  part  à  la  physiologie.  On  pourrait  sans  peine  concevoir  un  abrégé  du 
beau  Dictionnaire  encyclopédique  des  sciences  médicales,  dans  lequel  on  ferait  choix 
des  articles  de  physiologie  y  contenus  pour  en  extraire  quelques  volumes  qui 
seraient  encore  assez  intéressants.  Il  semble  toutefois  que  ce  choix  serait  diffi- 
cile, et  qu'un  tel  abrégé  ne  répondrait  nullement  à  ce  que  nous  comptons  pré- 
senter au  public. 


D"aboi'd,  en  effet,  le  Dictionnaire  encyclopédique  des  sciences  médicales  et  le 
Dictionnaire  de  médecine  et  de  chirurgie  pratiques  commencent,  au  moins  pour  les 
premiers  volumes,  à  être  assez  anciens.  De  1864  à  1893,  il  s'est  écoulé,  si  je  ne 
me  trompe,  le  tiers  d'un  siècle.  Et,  pendant  cette  longue  durée,  la  science  phy- 
siologique a  été  tant  soit  peu  renouvelée.  Si  l'on  voulait,  en  fait  de  physiologie, 
s'en  tenir  à  ce  qui  se  trouve  dans  les  deux,  dictionnaires,  on  serait,  je  m'ima- 
gine, assez  en  arrière  de  la  science  actuelle  contemporaine. 

D'autre  part,  quoique  plusieurs  de  ces  articles  soient  fort  bons,  ils  ont,  en 
général,  été  rédigés  par  des  médecins,  et  pour  des  médecins,  de  sorte  que  l'élé- 
ment médical  de  la  physiologie  a  pris  le  pas  sur  l'élément  scientifique  propre- 
ment dit.  Par  conséquent  la  physiologie  qui  se  trouve  dans  ces  dictionnaires 
était  suffisante  pour  les  médecins  instruits  d'il  y  a  trente  ans;  mais  elle  est 
tout  à  fait  insuffisante  pour  les  médecins  d'aujourd'hui,  et,  à  bien  plus  forte 
raison,  pour  les  physiologistes. 

Il  m'a  paru  bon  de  confier  à  des  physiologistes  les  articles  de  physiologie; 
et  c'est  peut-être,  par  rapport  aux  Dictionnaires  que  nous  avons  vus  paraître 
jusqu'ici,  une  des  innovations  de  cet  ouvrage. 

Je  sais  bien  qu'on  répondra  en  disant  que  les  traités  de  physiologie  sont  là; 
et  que  nous  avons  d'assez  bons  traités  de  physiologie  pour  nous  dispenser  des 
dictionnaires.  Mais,  à  vrai  dire,  un  traité  et  un  dictionnaire  ne  rendent  pas  les 
mêmes  offices.  Quand  on  cherche  un  renseignement  précis,  sur  un  point  quel- 
conque, on  le  trouve  difficilement  dans  un  dictionnaire,  mais  on  ne  le  trouve 
jamais  dans  un  traité  dogmatique.  Et  cependant  combien  de  renseignements 
sont  à  chaque  instant  nécessaires!  Je  suppose  [que  je  veuille  savoir,  par 
exemple,  pour  telle  expérience  que  je  prépare,  la  dose  toxique  exacte  de 
strychnine  qui  doit  tuer  un  chien  ;  dans  quelle  partie  d'un  traité  de  physiolo- 
gie irai-je  chercher  cette  indication?  A  supposer  qu'elle  y  soit,  ce  qui  est  dou- 
teux, je  ne  la  trouverai  qu'après  de  longs  tâtonnements;  tout  au  plus,  en 
feuilletant  dans  la  table  des  matières  finale,  pourrai-je  voir  s'il  est  ou  non 
question  de  la  strychnine;  si  bien  que,  dans  les  bons  ouvrages  classiques, 
il  y  a  constamment  à  la  fin  du  volume  une  table  alphabétique  et  analytique  des 
matières,  table  qui  constitue  un  véritable  dictionnaire,  grâce  auquel  on  peut 
consulter  le  livre  lui-même. 

Ce  n'est  pas  tout.  Les  traités  de  physiologie  qui  ont  paru  en  France  sont, 
pour  des  raisons  diverses,  et  surtout  parce  que  les  livres  classiques  doivent  être 
courts  et  peu  coûteux,  insuffisamment  détaillés.  Même  l'admirable  livre  de 
M.  Beaunis  devrait,  pour  être  véritablement  scientifique  et  représenter  dans  son 
ensemble  l'état  actuel  de  la  science  physiologique,  comporter  une  étendue 
double.  L'excellent  Handbuch  der  Physiologie,' àoni  M.  H"ermann  a  entrepris  il  y  a 
une  quinzaine  d'années  la  publication,  est  plus  complet,  quoique  inférieur  à 
bien  des  points  de  vue.  Mais  il  est  écrit  en  allemand;  il  date  de  quinze  ans  ;  et 
certaines  parties  sont  manifestement  faibles.  Enfin,  par  suite  de  son  étendue,  il 
est  parfois  difficile  à  consulter,  et,  quand  on  y  cherche  un  document  précis, 
positif,  on  perd  beaucoup  de  temps  avant  de  pouvoir  le  trouver,  même  quand  on 
connaît  bien  le  livre. 


Il  est  donc  permis  de  supposer  qu'un  Dictionnaire  de  physiologie,  tel  que 
celui  que  nous  projetons,  mes  amis  et  moi,  tiendra  lieu  du  traité  complet  et 
détaillé  de  physiologie  qui  n'existe  pas  chez  nous,  et  qu'il  sera  plus  facile  à  con- 
sulter et  plus  utilisable  qu'un  traité  classique,  dont  l'ordre  n'est  pas  alphabétique, 
et  qui  par  cela  même  se  prête  mal  à  une  recherche  rapide. 

Quoique  un  des  grands  avantages  d'un  dictionnaire  soit  précisément  la  faci- 
lité des  recherches  par  le  fait  d'un  vocabulaire  détaillé,  nous  avons  la  prétention 
de  pouvoir  remplacer  les  traités  classiques  par  le  grand  développement  donné  à 
certains  articles.  Les  articles  Alcaloïdes,  —  Cerveau,  —  Cœur,  —  Glycogénie,  — 
Moelle,  —  Nerfs,  —  Reins,  —  Respiration,  constituent  de  véritables  monographies 
qui  suffiront  largement  à  l'enseignement  et  à  l'expérimentation  physiolo- 
giques. 

Ainsi,  d'une  part,  par  le  grand  nombre  d'articles  divers  et  la  nomenclature 
aussi  complète  que  possible  de  tout  ce  qui  touche  à  la  physiologie,  nous  faci- 
literons les  recherches  faites  en  vue  de  la  bibliographie  ou  de  l'expérimentation  ; 
d'autre  part  nous  développerons  certaines  questions  fondamentales,  de  manière 
à  en  faire  comme  les  chapitres  séparés  d'un  grand  traité  de  'physiologie  qui 
serait  disposé  par  ordre  alphabétique. 

Donc,  pour  résumer  les  raisons  qui  militent  en  faveur  de  l'utilité  d'un  pareil 
ouvrage,  nous  dirons  que  :  1°  un  dictionnaire  de  physiologie  n'existe  pas;  2°  les 
traités  classiques  de  physiologie  sont  trop  écourtés  ou  trop  anciens;  3°  les  trai- 
tés classiques,  si  parfaits  qu'ils  soient,  ne  peuvent  suppléer  à  un  dictionnaire. 

Pour  prendre  un  exemple  entre  mille,  quels  services  ne  rend  pas  chaque  jour 
le  Dictionnaire  de  Chimie  de  Wurtz?  et  cependant  il  y  a  peut-être  vingt-cinq  traités 
de  chimie  qui  sont  bien  faits,  et,  parmi  ces  vingt-cinq  traités  de  chimie,  il  en  est 
au  moins  cinq  ou  six  qui  sont  tout  à  fait  excellents.  Est-ce  que  leur  connaissance 
empêche  le  Dictionnaire  de  Chimie  d'être  d'un  usage  quotidien  et  perpétuel  dans 
un  laboratoire  quelconque,  de  chimie  ou  de  biologie? 

A  dire  vrai,  toutes  ces  raisons,  quelle  que  soit  leur  importance,  ne  seraient 
pas  suffisantes  pour  justifier  notre  entreprise,  si  nous  n'avions  pas  nettement  la 
pensée  que  la  physiologie  doit,  pour  être  complète,  sortir  des  limites  trop  étroi 
tes  où  on  la  tient  souvent  enchaînée,  et  envahir  des  domaines  qui  lui  étaient 
autrefois  interdits.  LaPhysique,  la  Bactériologie,  la  Médecine,  laChimie,laThéra- 
peutique,  la  Psychologie  doiventêtre,  en  maintes  parties,  traitées  aupointde  vue 
physiologique.  C'est  cela  qui  n'avait  pas  été  fait  encore  dans  un  ouvrage  d'en- 
semble, et  c'est  cela  que  nous  avons,  nous,  les  uns  et  les  autres,  physiologistes 
de  profession  qui  entreprenons  ce  dictionnaire,  la  prétention  d'essayer. 

Prenons  quelques  exemples  qui  rendront  cette  affirmation  plus  claire. 

Voici  l'article  Cocaïne,  par  exemple.  Il  est  clair  qu'un  médecin  et  un  chirur- 
gien peuvent  l'un  et  l'autre  très  bien  traiter  cette  question.  Mais  dans  quel  ouvrage 
ira-t-on  chercher  les  documents  physiologiques  nécessaires?  Les  mémoires  ori- 
ginaux, les  expériences  ingénieuses  ne  manquent  pas  assurément;  et  la  biblio- 


graphie  complète  de  tout  ce  qui  a  été  dit  sur  la  cocaïne,  comme  l'a  si  bien  fait 
notre  savant  collègue  M.  Dastre,  tiendrait  déjà  trois  ou  quatre  pages.  Mais  ce 
n'est  pas  tout  que  de  faire  la  bibliographie  de  la  cocaïne;  c'est  un  travail  qui  est 
à  la  portée  de  tout  homme  laborieux,  instruit,  et  connaissant  superficiellement 
l'anglais,  l'allemand  et  l'italien.  Il  faut  davantage;  il  faut  pouvoir  traiter  à  fond 
la  question,  choisir  dans  le  nombre  immense,  presque  inûni,  des  expériences 
réalisées,  celles  qui  valent  la  peine  d'être  mises  en  rehef,  négliger  les  autres, 
détacher  ce  qui  est  directement  applicable  à  l'art  de  guérir,  sans  passer  dédai- 
gneusement sous  silence  ce  qui  n'a,  pour  le  moment  présent  au  moins,  qu'un 
intérêt  physiologique,  non  thérapeutique.  En  un  mot  l'article  Cocaïne  doit  être 
traité  comme  un  chapitre  de  physiologie,  sans  qu'il  soit  besoin  d'insister  sur  les 
formules  de  potions  ou  de  liniments,  mais  de  façon  à  mettre  en  pleine  lumière 
les  effets  physiologiques,  et  par  conséquent  thérapeutiques,  de  cet  admirable 
médicament. 

Prenons  encore  un  autre  exemple  :  l'article  Hystérie.  Certes,  pour  que  l'hys- 
térie soit  complètement  étudiée,  il  faut  un  médecin.  L'étiologie,  la  symptoma- 
tologie,  avec  ses  formes  innombrables  et  changeantes,  le  diagnostic,  le  pronostic, 
le  traitement,  tout  cela  est  trop  complexe,  et  trop  embrouillé,  et  trop  riche  en 
détails  cliniques,  parfois  contradictoires,  pour  qu'un  savant,  enfermé  dans  son 
laboratoire,  puisse  avoir  l'extraordinaire  prétention  de  traiter  ex  professa  de 
l'hystérie.  Autant  vaudrait  demander  à  un  ingénieur  de  sculpter  une  statue,  ou 
à  un  sculpteur  de  construire  un  pont.  Mais,  dans  l'étude  de  l'hystérie,  il  y  atout 
un  élément  expérimental  qui  relève  absolument  de  la  physiologie,  et  pour 
lequel  l'explication  physiologique  est  nécessaire.  L'anesthésie,  par  exemple, 
peut-elle  être  bien  comprise  et  expliquée  si  l'on  ne  connaît  pas  très  bien  la  sen- 
sibilité cutanée  normale  et  ses  diverses  formes?  Les  contractures,  les  hémi- 
anopsies,  les  altérations  de  la  perception  des  couleurs,  les  troubles  de  la  volition, 
de  la  nutrition,  de  l'assimilation,  de  la  respiration,  comment  s'en  rendre  compte 
sans  partir  comme  point  de  départ  des  phénomènes  normaux  qui  ont  lieu  dans 
l'organisme  sain?  L'état  morbide  bizarre,  protéiforme,  des  hystériques  a  ses 
analogies  dans  les  phénomènes  que  nous  produisons  expérimentalement. 
Quoique  la  ressemblance  soit  souvent  lointaine  et  difficile  à  saisir,  elle  s'impose 
à  ce  point  que  tous  les  médecins  qui  traitent  de  l'hystérie  ne  se  contentent 
pas  d'en  décrire  les  symptômes,  mais  encore  essaient  [d'en  faire  la  physiolo- 
gie pathologique.  Souvent  même  ils  emploient  les  méthodes  expérimentales  en 
usage  dans  nos  laboratoires  :  méthode  graphique,  analyses  chimiques,  appa- 
reils électriques,  etc.;  or  n'est-il  pas  rationnel  de  considérer  comme  relevant 
de  la  physiologie  tout  ce  qui,  dans  les  sciences  de  la  vie,  est  acquis  par  l'inves- 
tigation expérimentale? 

Au  fond  la  Physiologie  et  la  Médecine  ne  sont  différentes  que  par  le  but 
différent  qu'elles  se  proposent.  La  médecine  se  propose  de  guérir,  et  la  phy- 
siologie de  savoir;  mais,  quand  le  médecin  chei'che  à  savoir,  et  essaie,  par  des 
méthodes  variées,  d'arriver  à  la  connaissance  des  choses  extérieures,  il  devient 
à  son  tour  physiologiste,  et  nous  n'avons  pas  le  droit  de  faire  fi  des  résultats 


qu'il  obtient;  car  ils  sont  au  moins  aussi  utiles  à  notre  science  que  nos  expé- 
riences de  laboratoire  sont  utiles  aux  médecins. 

Le  physiologiste  a-t-il  le  droit  d'ignorer  qu'il  y  a  une  atrophie  musculaire 
progressive,  avec  des  symptômes  admirablement  nets,  et  une  étonnante  disso- 
ciation des  fonctions  de  l'axe  gris  de  la  moelle?  L'aphasie  et  ses  différentes 
formes,  n'est-ce  pas  un  des  plus  curieux  et  instructifs  chapitres  de  la  physio- 
logie cérébrale?  La  sclérose,  la  syringomyélie,  et  les  autres  affections  de  la 
moelle  épinière  ne  donnent-elles  pas  sur  le  rôle  des  centres  nerveux  rachidiens 
des  indications  d'une  précision  et  d'une  variété  étonnantes? 

Si  nous  passons  à  la  Bactériologie,  cette  science  toute  jeune,  et  déjà  si  puis- 
sante, créée  tout  entière  par  le  génie  de  notre  grand  Pasteur,  nous  retrouvons 
dans  bien  des  cas  le  point  de  conctact  avec  la  physiologie.  A  vrai  dire  souvent 
la  bactériologie  n'est  que  de  la  physiologie. 

Certes  notre  intention  n'est  pas  de  traiter  la  bactériologie  avec  tous  les  détails 
que  comporterait  son  étude  méthodique;  mais  certaines  parties  relèvent  abso- 
lument de  notre  programme. 

Il  y  a  en  effet  dans  l'histoire  des  bactéries  un  élément  liiorphologique  qui  ne 
regarde  guère  la  phj^siologie.  Que  le  bacille  d'EBERTH  ou  le  Bactermm  coli  com- 
mune soient  identiques  ou  différents,  c'est  un  problème  très  intéressant  pour  le 
médecin,  mais  qui,  au  point  de  vue  de  la  physiologie,  est  bien  accessoire.  La  dose 
antiseptique  nécessaire  pour  stériliser  les  crachats  tuberculeux;  la  recherche  du 
bacille  de  la  fièvre  typhoïde  dans  les  eaux;  ou  l'analyse  minutieuse  des  micror- 
ganismes  du  pus,  tout  cela  n'a  rien  à  faire  avec  notre  programme.  Mais  il  n'est 
pas  permis  à  un  physiologiste  d'ignorer  les  phénomènes  de  l'infection,  de  l'in- 
cubation, de  la  vaccination,  de  l'atténuation,  de  l'antisepsie;  toutes  questions 
de  biologie  générale  qui,  pour  être  bien  traitées,  exigent  la  connaissance  d'in- 
nombrables expériences  disséminées  un  peu  partout,  non  réunies  encore  en  un 
corps  de  doctrines,  et  que  nous  espérons  pouvoir  dans  ce  dictionnaire  grouper 
systématiquement,  en  dégageant  l'élément  expérimental  de  l'élément  médical 
proprement  dit. 

La  physiologie  a,  sur  la  médecine,  ce  précieux  avantage  que  les  expériences 
qui  constituent  la  trame  même  de  la  science  de  la  vie  ne  passent  pas,  comme 
passent  les  théories  et  les  applications  médicales.  Que  i-estera-t-il  des  théories 
multiples,  rapidement  échafaudées,  de  l'immunité  et  de  la  vaccination?  Peu  de 
chose  peut-être,  dans  quelques  années,  tandis  que  la  mémorable  expérience  de 
Pasteur  sur  la  vaccination  (par  le  choléra  des  poules  atténué)  contre  le  choléra 
des  poules  virulent  restera  toujours  inébranlée  et  inébranlable,  au  milieu  des 
théories  qui  s'écroulent. 

La  physiologie  n'est  pas  seulement  la  science  des  fonctions  de  l'homme  ; 
c'est  encore  la  science  des  fonctions  de  tout  être  vivant.  A  ce  titre  les  microbes 
ont,  eux  aussi,  leur  physiologie.  Eh  bien  !  toute  cette  étude  de  l'immunité,  de 
l'infection,  de  la  vaccination,  si  c'est  la  pathologie  de  l'homme,  c'est  la  physiolo- 
gie du  microbe.  Est-ce  que  la  distinction  (faite  par  Pasteur)  des  êtres  vivants  en 
anaérobies  et  aérobies  ne  doit  pas  être  à  la  base  de  la  physiologie  générale?  Les 


fermentations  alcoolique,  lactique,  acétique,  butyrique,  sont  un  des  exemples 
les  plus  nets  des  phénomènes  chimiques  produits  par  des  êtres  vivants;  et, 
puisque  nous  étudions  l'urée  et  l'acide  carbonique,  résultant  de  la  désassimila- 
tion  organique  des  cellules  chez  les  vertébrés,  nous  devons  aussi  étudier  les 
ptomaïnes  qui  résultent  de  la  désassimilation  organique  des  microbes. 

Les  questions  de  bactériologie  seront  donc  dans  cet  ouvrage  traitées  au  point 
de  vue  non  de  la  pathologie  humaine,  mais  de  la  physiologie  générale,  et  je  crois 
que  personne  n'osera  en  conclure  que  ce  sera  inutile  pour  la  pathologie  humaine. 

La  Chimie  et  la  physiologie  sont  tellement  unies  que  vraiment  je  concevrais 
la  physiologie  comme  étant  un  des  chapitres  de  la  chimie.  C'est  dire  que  la 
chimie  prendra  dans  ce  dictionnaire  une  très  grande  place. 

On  sait  que  cette  chimie  physiologique  comporte  deux  parties  bien  diffé- 
rentes, et  aussi  importantes  l'une  que  l'autre  :  la  première,  c'est  l'étude  des 
changements  chimiques  des  tissus,  des  oxydations,  hydratations,  dédouble- 
ments produits  par  le  processus  vital.  Il  y  là  quantité  de  substances  diverses, 
bien  observées  par  les  chimistes,  et  dont  l'étude  est  tout  à  fait  à  sa  place  dans 
un  dictionnaire;  car  l'ordre  alphabétique  est  très  commode  pour  la  description 
de  ces  innombrables  substances,  et  nous  ne  croyons  pas  que  même  le  vocabu- 
laire en  ait  jamais  été  fait  d'une  manière  complète.  En  tout  cas,  comme  ce 
vocabulaire  s'accroît  incessamment,  les  anciens  dictionnaires  n'en  peuvent 
donner  qu'un  exposé  qui  est  insuffisant  aujourd'hui. 

Mais  la  chimie  physiologique  touche  aussi  à  la  toxicologie  ou  à  la  pharma- 
codynamique.  Aussi  presque  tous  les  mots  de  la  chimie  minérale  ou  organique 
auront-ils  leur  place  dans  notre  dictionnaire  :  il  y  aura  des  articles  pour  l'Ar- 
gent, l'Antimoine,  l'étain,  le  Plomb,  etc., pour  la  Benzine,  la  Naphtaline, la  Résor- 
cine,  la  Térébenthine,  etc.  Il  est  clair  que  le  côté  exclusivement  chimique  sera 
traité  sommairement,  et  que  ce  qui  sera  développé,  ce  sera  l'action  de  ces 
diverses  substances  sur  l'organisme  vivant;  spécialement  sur  les  êtres  supé- 
rieurs; car  l'étude  physiologique  complète  d'une  substance  chimique  est  la  base 
de  la  thérapeutique.  Personne  n'en  peut  concevoir  d'autre. 

Toutes  ces  considérations  montrent  que  le  Dictionnaire  de  physiologie  ne 
peut  faire  double  emploi  ni  avec  un  dictionnaire  de  chimie,  ni  avec  un  diction- 
naire de  médecine,  ni  avec  un  traité  de  bactériologie. 

De  même  pour  la  Zoologie,  la  Botanique  et  V Embryologie. 'Nous  devons  donner 
de  ces  sciences  ce  qu'il  y  a  de  plus  intéressant  en  fait  de  physiologie  :  or 
l'élément  purement  physiologique  de  ces  sciences  descriptives  n'est,  semble-t-il, 
présenté  méthodiquement  nulle  part.  Certes  nous  ne  tirerons  ces  documents 
que  des  livres  connus,  et  des  mémoires  déjà  publiés,  et  aucun  de  nos  collabo- 
rateurs n'aura  la  prétention  de  créer  la  physiologie  comparée  ;  mais  ce  sera  déjà 
une  œuvre  bien  importante  que  de  rassembler  les  données  éparses,  de  manière 
à  les  présenter  dans  leur  ensemble.  Les  articles  Oiseaux,  Reptiles,  Poissons,  ne 
peuvent  être  traités  dans  un  Dictionnaire  de  physiologie  comme  dans  un  traité 
de  zoologie,  et  nous  pensons  que  des  articles  de  cette  sorte  n'ont  pas  été  écrits 


encore.  Ils  seront,  croyons-nous,  d'une  extrême  utilité.  Toutes  les  études  sur 
les  venins  et  les  animaux  venimeux  (serpents,  insectes,  etc.),  sur  les  ani- 
maux électriques  et  lumineux,  relèvent  absolument  de  la  phj'siologie,  et  nous 
avons  l'intention  de  donner  à  ces  sujets  toute  l'importance  qu'ils  méritent,  en 
eux-mêmes  d'abord  et  ensuite  par  les  déductions  qu'on  en  peut  faire  pour  la 
physiologie  générale. 

Parlerai-je  de  la  Physique,  de  la  Psychologie  ?  il  me  semble  que  cela  est 
inutile,  puisque  aussi  bien  ce  serait  pour  redire  toujours  la  même  chose,  c'est- 
à-dire  que  nous  prendrons  dans  ces  belles  sciences  l'élément  physiologique  : 
nous  le  mettrons  en  lumière,  et' nous  espérons  que  le  physicien  et  le  psycho- 
logue pourront  en  faire  leur  profit. 

Je  dois  aussi  mentionner  V Histoire  de  la  physiologie,  qui  n'est  guère  traitée 
que  dans  les  dictionnaires  biographiques,  et  qui  doit  trouver  sa  place  ici.  Quand 
on  expose  la  circulation  ou  les  phénomènes  chimiques  de  la  respiration,  les  vies 
d'AfiisïOTE,  de  Galien,  de  Harvey,  de  Haller  feraient  une  digression  :  et  pourtant 
n'est-ce  pas  dans  tous  nos  livres  classiques  une  lacune  vraiment  regrettable  que 
cette  omission  de  l'histoire  des  hommes  qui  ont  rendu  tant  de  services  à  notre 
science.  Les  opinions  —  voire  même  les  erreurs  —  d'un  grand  savant  ont  tou- 
toujours  un  caractère  singulièrement  instructif,  et  je  ne  conçois  pas  qu'on 
attache  peu  de  prix  à  l'histoire  des  sciences.  N'y  a-t-il  pas  en  Angleterre  un 
traité  classique  de  physiologie,  tout  récent,  où  l'auteur,  pour  simplifier,  a  sup- 
primé les  noms  propres,  et  s'est  contenté  d'indiquer  les  faits,  sans  mentionner 
ceux  qui  les  ont  découverts?  Donc,  sans  nous  attarder  à  mentionner  les  noms 
de  tous  les  auteurs  qui  ont  écrit  sur  la  physiologie  —  tâche  assez  fastidieuse 
et  stérile,  en  somme,  —  nous  ferons  l'histoire,  parfois  assez  détaillée,  des 
principaux  maîtres  de  la  science;  essayant  de  dégager  les  faits  nouveaux  trou- 
vés par  eux,  de  justifier  les  théories  plus  ou  moins  fausses  qu'ils  ont  imaginées 
et  de  mettre  en  relief  les  services  rendus  au  patrimoine  commun. 

Nous  aurons  soin  de  donner  une  Bibliographie  exacte.  Sur  ce  point  il  faut 
être  intraitable.  De  bibliographie  complète,  il  n'y  en  a  pas,  et  il  ne  peut  y  en 
avoir.  Mais  au  moins  la  bibliographie  doit  être  consciencieuse  et  loyale,  c'est- 
à-dire  qu'on  ne  citera  un  auteur  que  quand  on  aura  tenu  en  main  le  livre  et  le 
mémoire  qu'on  cite.  Rien  n'est  plus  facile  que  d'entasser  des  titres  d'ouvrages 
ou  de  mémoires  se  rapportant  à  telle  ou  telle  question  particulière.  Il  suffit  le 
plus  souvent  de  copier  les  bibliographies  antérieures,  en  les  démarquant  plus 
ou  moins  ;  par  exemple,  de  puiser  dans  V Index  Catalogue  de  notre  savant  con- 
frère, M.  BiLLiNGS,  une  page  qu'on  reproduit  avec  beaucoup  de  fautes  d'impres- 
sion, d'y  incorporer  quelques  indications  cueillies  dans  la  Revue  des  sciences 
médicales  de  M.  Hayem,  pour  les  deux  ou  trois  dernières  années;  et  le  tour  est 
joué.  La  bibliographie  est  faite.  Mais  une  bibliographie  de  ce  genre  est  vraiment 
frauduleuse,  et  elle  ne  doit  être  en  aucun  cas  construite  ainsi.  Il  faut  avoir, 
sinon  lu,  au  moins  parcouru  le  mémoire  qu'on  cite,  ou  alors  ne  pas  donner  la 
citation. 


Il  existe  actuellement  tant  de  publications,  tant  de  niémoires,  tant  d'auteurs 
divers,  que  toute  énumération  sera  nécessairement  incomplète.  Mais  quelques 
lacunes  sont  sans  gravité,  et  on  ne  peut  avoir  la  prétention  de  ne  rien  omettre. 
11  faut  même,  dans  une  bibliographie  consciencieuse,  plus  souvent  éliminer 
qu'ajouter  :  en  effet  bien  des  mémoires  consultés  sont  sans  importance,  et 
n'ajoutent  rien  à  nos  connaissances.  Par  exemple,  la  bibliographie  de  l'article 
Cœur  pourrait  facilement  comprendre  dix  pages  de  notre  dictionnaire.  Vrai- 
ment cette  longue  hste  serait  tout  à  fait  superflue.  Nous  renvoyons  aux  livres 
où  la  bibliographie  est  faite  suffisamment,  et  nous  ne  mentionnons  que  les 
mémoires  fondamentaux,  ceux  qu'il  n'est  pas  permis  d'ignorer  ou  de  mécon- 
naître. Quand  tin  auteur  fait  une  étude  spéciale  sur  un  point  limité  de  la  science, 
il  doit  faire  lui-même  la  bibliographie  spéciale  qui  lui  est  nécessaire,  et  il  ne 
peut  espérer  trouver  dans  aucun  ouvrage,  quelque  complet  qu'il  puisse  être, 
la  bibliographie  dont  il  a  besoin.  Je  suppose,  par  exemple,  qu'un  physiologiste 
veuille  étudier  l'action  du  pneumo-gastrique  sur  le  cœur  chez  les  reptiles;  il 
lui  faudra  chercher  longtemps  et  lire  beaucoup  d'ouvrages  pour  savoir  tout  ce 
qui  a  été  tenté  sur  ce  sujet.  Une  bibliographie  ne  pourra  jamais  lui  donner 
que  certaines  indications,  qu'il  aura  le  devoir  de  compléter  par  lui-même. 

Ainsi  donc,  pour  simplifier  les  trop  longues  bibliographies,  voici  le  plan  que  je 
propose.  Le  premier  mémoire  indiqué,  et  indiqué  immédiatement  après  le  mot 
même,  sera  le  mémoire  fondamental,  oii  les  indications  bibliographiques  prin- 
cipales ont  été  déjà  données  avant  nous,  et  bien  données.  Les  indications  con- 
tenues dans  ce  mémoire,  nous  ne  les  répéterons  plus,  et  nous  nous  contenterons 
de  rapporter,  sans  autre  citation,  les  résultats  scientifiques  obtenus  par  les 
auteurs  qui  y  sont  cités;  mais,  pour  tout  le  reste,  il  y  aura  l'indication,  aussi 
exacte  que  possible,  des  sources  auxquelles  nous  avons  puisé;  car  l'Index  Cata- 
logue n'est  pas  toujours  à  la  disposition  de  tous  les  travailleurs,  et  dans  certains 
cas  il  sera  bon  de  répéter  quelques-unes  des  origines  qu'il  donne. 

D'ailleurs  chaque  collaborateur  aura  parfaitement  le  droit,  pour  l'article 
rédigé  par  lui,  de  donner  l'indication  des  mémoires  qui  lui  paraissent,  au  point 
de  vue  bibliographique,  les  meilleurs;  et  alors,  naturellement,  cette  citation  le 
dispensera  de  recommencer  les  citations  des  mémoires  secondaires  indiqués 
avec  détails  dans  le  mémoire  fondamental  qu'il  prend  pour  guide. 

En  un  mot  nous  ferons  en  sorte  qu'avec  notre  Dictionnaire  on  puisse  rapi- 
dement se  faire,  sur  une  question  quelconque,  une  bibliographie  complète,  sans 
cependant  qu'elle  soit  donnée  par  nous  complètement;  car  nous  prendrons  pour 
auxiliaires  les  excellents  livres  que  nous  avons  soin  d'indiquer. 

Si  l'on  a  eu  la  patience  de  suivre  les  ditlérents  points  que  nous  venons  de 
traiter,  tant  au  point  de  vue  de  la  Thérapeutique,  de  la  Médecine  et  de  la 
Zoologie  que  de  la  Bibliographie,  de  la  Chimie  et  de  l'Histoire,  on  comprendra 
que  le  plan  de  ce  Dictionnaire  de  physiologie  est  vraiment  nouveau,  et  que  son 
utilité  sera  considérable,  aussi  bien  pour  les  médecins  et  les  chimistes  que  pour 
les  physiologistes  proprement  dits. 

D'ailleurs,  pour  résumer  tout  ce- que  nous  venons  de  dire,  il  suffira  de  par- 


courir  même  superficiellement  la  liste  des  articles  traités.  Par  exemple,  en 
prenant  au  hasard,  je  trouve  :  Sueur,  Sugg'estion,  Sulfates,  Sulfonal,  Suppuration, 
Surmenage,  Surrénales,  Sympathique,  Synesthésie,  Syringomyélie,  Systole, 
Swammerdam.  Je  crois  que  tout  le  monde  sera  bien  vite  convaincu  de  la  variété 
de  notre  œuvre,  variété  qui  en  constitue  la  principale  difficulté. 

Il  est  évident  que  ce  dictionnaire  s'adresse  surtout  aux  physiologistes.  Nous 
avons  devant  les  yeux  un  certain  idéal;  c'est  pour  tout  laboratoire  de  physiolo- 
gie, l'emploi  perpétuel  de  ce  dictionnaire,  riche  en  renseignements  de  toutes 
sortes,  en  chiffres,  en  mesures,  en  formules,  en  sources  bibliographiques.  C'est  là 
notre  but,  et  nous  avons  voulu  avant  tout,  les  uns  et  les  autres,  en  faire  le  livre 
indispensable  à  la  bibliothèque  d'un  physiologiste  expérimentateur  ou  profes- 
seur. Quoique  jamais  la  réalité  ne  réponde  complètement  à  l'idéal  qu'on  s'est 
formé,  il  est  clair  que,  plus  ou  moins,  tous  les  physiologistes  de  profession,  soit 
en  France,  soit  à  l'étranger,  auront  besoin  de  consulter  ce  dictionnaire;  mais 
nous  avons  aussi  une  ambition  plus  haute.  En  effet,  de  toutes  les  sciences,  la 
physiologie  est  peut-être  celle  qui  touche  l'homme  de  plus  près.  Elle  confine, 
comme  nous  venons  de  le  montrer,  à  beaucoup  de  sciences;  à  la  médecine 
surtout,  puis  à  la  chimie,  à  la  psychologie,  à  l'histoire  naturelle.  Or,  pour  les 
médecins,  les  chimistes,  les  psychologues  et  les  naturalistes,  le  recours  aux 
traités  classiques  (et  à  plus  forte  raison  aux  mémoires  originaux)  est  souvent 
fort  difficile.  La  tâche  est  bien  simplifiée  par  le  dictionnaire,  qui  peut  donner, 
tout  de  suite  et  sans  grand  effort,  le  renseignement  voulu.  On  raconte  qu'EDisoN, 
le  célèbre  inventeur  américain,  a  une  bibliothèque  constituée  uniquement  par 
des  dictionnaires.  Gela  lui  épargne,  paraît-il,  beaucoup  de  temps;  et  il  peut 
ainsi  trouver  rapidement  l'information  dont  il  a  besoin.  Il  semble  que  tous  ceux 
qui  auront  besoin  d'un  document  physiologique  —  et  ils  sont  nombreux,  puisque 
ce  sont  les  médecins,  les  pharmaciens,  les  chimistes,  les  psychologues,  les 
naturalistes,  —  le  trouveront  sans  trop  de  peine  dans  notre  Dictionnaire,  alors 
qu'ils  le  chercheraient  longuement  ailleurs  souvent  sans  pouvoir  le  rencontrer. 

Ne  voyons-nous  pas  que  le  dictionnaire  de  Wurïz  (et  je  reviens  toujours  à 
cet  exemple,  car  j'espère  une  utilité  analogue)  n'est  pas  seulement  entre  les  mains 
de  tous  les  chimistes,  mais  qu'il  est  aussi  sans  cesse  consulté  et  feuilleté  par  les 
physiciens,  les  physiologistes,  les  photographes,  les  industriels,  par  tous  ceux  en 
un  mot  qui  font  indirectement  de  la  chimie.  Eh  bien  !  je  crois  que  tous  ceux  qui 
font  indirectement  de  la  physiologie  auront  besoin  de  ce  dictionnaire,  et  ne  pour 
ront  guère  s'imaginer  pourquoi,  pendant  si  longtemps,  il  n'y  avait  pas  à  leur  dis- 
position cet  utile  instrument  de  travail  qui  leur  économise  autantde  leur  temps. 

Enfin,  —  mais  c'est  peut-être  une  illusion  en  faveur  de  la  science  que  je  pré- 
fère, —  la  physiologie,  si  technique  qu'elle  soit  parfois,  est  une  des  sciences 
les  plus  faciles  à  comprendre  et  les  plus  attrayantes  à  étudier,  si  bien  que,  même 
pour  les  profanes,  des  chapitres  de  physiologie  ne  seront  pas  sans  quelque  inté- 
rêt. Mais,  à  vrai  dire,  si  nous  avons  tenté  Vextension  de  la  physiologie,  en  enva- 
hissant quelque  peu  la  chimie,  la  médecine,  l'histoire  naturelle  et  la  psycholo- 
gie, nous  n'avons  voulu  rien  faire  qui  ressemblât  à  de  la  vulgarisation,  et  nous 


avons  cherché,  tout  en  étant  aussi  compréhensible  qu'il  faut  l'être  quand  on 
écrit  dans  notre  belle  langue  française,  à  donner  l'exposé  complet  et  scientifique 
des  faits  connus  aujourd'hui. 

Abordons  un  autre  sujet;  le  procédé  de  composition  des  divers  articles. 

C'est  là  la  difficulté  réelle  d'un  dictionnaire.  Il  s'agit  de  limiter  chaque  arti- 
cle, et  de  préciser  ce  qui  revient  à  l'article  principal,  et  ce  qui  revient  aux  petits 
articles  accessoires.  Je  prends  un  exemple  dans  la  physiologie  des  muscles. 
Comment  faut-il  concevoir  l'article  Muscle?  Il  est  clair  que  l'article  Myographe 
ne  pourra  être  supprimé;  par  conséquent  il  faudra  mettre  dans  l'article  Myo- 
graphe  toute  la  technique  de  la  myographie.  Secousse  musculaire  doit  aussi 
fournir  un  article,  comme  Bruit  musculaire,  et  Onde  musculaire,  et  Contracture. 
Toutes  ces  parties  de  la  physiologie  du  muscle  devront  être  traitées  isolément; 
car  cette  dissémination  d'un  sujet,  c'est  le  vrai  but  d'un  dictionnaire.  Il  faut 
que,  pour  savoir  les  faits  connus  sur  le  bruit  musculaire,  je  les  cherche  à  l'article 
Bruit,  et  que  je  les  y  trouve. 

La  physiologie  du  muscle  se  trouve  ainsi  décomposée  en  ces  divers  éléments  ; 
mais  il  reste  encore  quantité  de  faits  qui  ne  pourraient  trouver  place  qu'à 
l'article  Muscle  :  car,  si  l'article  Muscle  est  plus  général  que  les  articles  :  Onde, 
Myographie,  Contracture  et  Bruit,  il  est  moins  général  que  les  articles  Sang  et 
Irritabilité;  de  sorte  qu'il  faudra  pour  l'étude  de  l'Irritabilité  renvoyer  à  l'article 
Muscle,  et  à  l'article  Nerfs  tout  en  traitant  de  l'Irritabilité  en  général. 

De  même  les  conclusions  d'un  article  sur  la  Myographie  et  l'Onde  et  le  Bruit 
musculaire,  quand  elles  comporteront  quelque  généralité,  seront  à  leur  place 
dans  l'article  Muscle. 

C'est  plutôt  d'ailleurs,  pour  ces  noms  divers,  une  question  de  tact  et  de 
mesure  que  de  principes.  En  principe,  c'est  l'article  le  plus  spécial  qui  compor- 
tera surtout  la  description.  Ainsi  on  ne  fera  pas  l'étude  du  cervelet  à  Encéphale. 
Mais  le  cervelet  fera  un  article  spécial,  et,  pour  l'étude  du  cervelet,  dans  l'article 
Encéphale,  on  renverra  au  mot  Cervelet.  L'article  Vision  ne  comprendra  pas 
toute  l'optique  physiologique  ;  car  c'est  un  mot  plus  général  qu'Accommodation, 
Iris,  Rétine.  Mais,  comme  il  faut  s'arrêter  dans  cette  spécialisation,  les  fonctions 
de  la  rétine  seront  décrites  à  Rétine  et  non  à  Tache  jaune. 

Toute  classification,  tout  arrangement  méthodique  est  essentiellement  arbi- 
traire; car  il  n'y  a  rien  dans  les  faits  eux-mêmes  qui  soit  disposé  pour  ces 
classements  artificiels  :  aussi  peut-t-on  dire  que  tout  système  est  bon,  pourvu 
qu'il  soit  appliqué  avec  modération,  sans  être  poussé  à  l'absurde.  Ainsi  l'histoire 
chimique  du  sang  ne  peut  vraiment  pas  être  dédoublée  dans  toutes  ses  parties. 
Certes  il  faudra  parler  de  la  coagulation  du  sang  aux  articles  Caillot,  Coagula- 
tion et  Fibrine;  mais  c'est  l'article  Sang  qui  aura  évidemment  le  plus  de  détails; 
car  on  ne  peut  isoler  la  coagulation  des  autres  fonctions  du  sang.  Ce  seront 
évidemment  des  redites,  des  répétitions,  mais  peut-on  les  éviter?  Même  dans 
un  traité  de  physiologie,  on  est  forcé  de  reprendre  en  un  chapitre  la  question 
qu'on  avait  traitée  en  partie  dans  le  chapitre  précédent.  A  plus  forte  raison  dans 
un  dictionnaire. 


Il  y  aura  donc,  pour  nous  résumer,  des  articles  généraux  et  des  articles 
spéciaux.  Tout  ce  qui  pourra,  sans  porter  dommage  à  l'unité  et  à  l'harmonie  de 
l'article  général,  être  traité  dans  un  article  spécial,  sera  réservé  à  cet  article 
spécial  (par  exemple,  le  vomissement  peut  être  traité  à  Vomissement,  sans  que, 
dans  les  articles  Estomac  et  Digestion,  on  insiste  sur  la  mécanique  du  vomisse- 
ment). Le  plus  souvent  donc  il  y  aura  des  articles  spéciaux. 

Mais  cette  spécialisation  ne  peut  aller  presque  à  la  mutilation  d'une  question 
qui  doit  être  prise  dans  son  ensemble;  et  alors  il  y  aura  un  article  général.  Il 
serait  absurde  de  faire  un  article  spécial  pour  Cordons  antérieurs  de  la  moelle  ; 
un  autre  pour  Cordons  postérieurs  et  un  autre  pour  Axe  gris-central.  Pour  le 
cerveau,  cette  spécialisation  est  déjà  plus  acceptable,  et  je  comprendrais  assez 
bien  qu'il  y  eût  les  articles  :  Corps  calleux,  Circonvolutions  cérébrales,  Corps 
opto-striés,  quoique,  assurément,  un  article  d'ensemble  sur  le  cerveau  soit 
nécessaire  et  peut-être  suffisant. 

Quanta  la  rédaction  des  aiiicles  eux-mêmes,  une  fois  le  plan  général  adopté 
et  convenu,  nous  n'avons  pas  eu  de  conseils  à- donner  à  nos  collaborateurs.  Sur 
ceux-là  nous  n'avons  rien  à  révéler  à  nos  lecteurs.  Il  est  évident  que  la  méthode 
expérimentale,  le  respect  du  fait,  respect  scrupuleux  et  presque  servile,  ont 
inspiré  tous  ceux  qui  ont  collaboré  à  ce  livre.  Peu  ou  point  de  théories;  car  les 
théories  vieillissent  et  sont  en  quelques  années  démodées;  tandis  que  les  faits 
restent  immuables,  et  sont  aussi  intéressants  au  bout  de  cent  ans,  que  l'année 
dernière. 

Surtout  les  chiffres,  les  mesures,  les  tableaux,  les  graphiques.  L'idéal  de  la 
Physiologie,  ce  serait  presque  l'absence  de  texte,  avec  des  tableaux  numériques, 
des  moyennes,  et  de  grands  graphiques,  méthodiquement  disposés.  C'est  ainsi 
qu'on  peut  supprimer  quantité  de  détails  inutiles,  et  faire  rapidement  compren- 
dre un  grand  nombre  de  vérités  qui  auraient  eu,  sans  cela,  besoin  de  longues  et 
fastidieuses  explications. 

On  pourrait  appliquer  aux  faits  de  notre  science  la  maxime  de  l'Ecclésiaste  : 
Omnia  in  numéro  et  pondère. 

Il  est  inutile  de  présentera  nos  lecteurs  les  physiologistes  distingués  qui  ont 
collaboré  à  cet  ouvrage.  D'ailleurs  on  jugera  de  leur  œuvre.  Je  dois  cependant 
les  remercier  publiquement  de  leur  abnégation;  il  faut  un  dévouement  pres- 
que héroïque  pour  passer  plusieurs  mois  de  travail  à  écrire  un  article  aussi  utile 
à  ceux  qui  le  lisent,  que  peu  glorieux  pour  celui  qui  l'a  composé  et  qui  s'est  ou- 
blié lui-même  en  faisant  une  œuvre  impersonnelle. 

Nous  n'ignorons  pas  l'imperfection  de  notre  œuvre;  mais,  si  imparfaite  qu'elle 
soit,  elle  nous  paraît  cependant  constituer  un  progrès. 

CHARLES    RICHET. 


ABREVIATIONS 

DES  INDICATIONS  BIBLIOGRAPHIQUES 


Annales  de  Chimie  et  de  Physique A.  C. 

Archives  de  Physiologie A.  P. 

Archives  italiennes  de  Biologie A.  B. 

Archiv  fiir  die  Gesammle  Physiologie  (Pflûger's) A.  Pf. 

Archiv  fur  Physiologie  (Du  Bois-Reymomd's) A.  Db. 

Archiv  fur  experimentelle  Pathologie  und  Pharmakologie  ...  A.  P.  P. 

Archiv  fiir  pathologische  Anatomie  und  Physiologie  (Vihchow).  A.  V. 

Bulletins  de  la  Société'  de  Biologie B.  B. 

Bulletins  de  la  Société  chimique  de  Paris B.  S.  C. 

Centralblatt  fiir  die  medicinischen  Wissenschaften CM''. 

Gentralblatt  fur  Physiologie C.  P. 

Comptes  rendus  de  l'Académie  des  Sciences  de  Paris C.  R. 

Dictionnaire  de  Chimie  de  Wurtz D.  W. 

Dictionnaire  encyclopédique  des  sciences  médicales  (Dechamdre).  D.  D. 

Hermann's  Handbuch  der  Physiologie H.  H. 

Index  Catalogue I.  C. 

Jahresbericht  ftir  Thierchemie  (Maly) J.  B. 

Jahresbericht  {tir  Physiologie  (Hermann) Jb.  P. 

Journal  of  Physiology J.  P. 

Revue  des  Sciences  médicales  (Hayem) R.  S.  M. 

Thèse  de  doctorat  de  la  faculté  de  Médecine  de  Paris D.  P. 

Traité  de  Physiologie  (Longet,  Beaunis,  Colin,  Béclard,  etc.)   .    .  T.  P. 

Zeitschrift  fur  Biologie Z.    B. 

Zeitschrift  fiir  Physiologische  Chemie Z.  P.  C. 


DICTIONNAIRE 

DE 

PHYSIOLOGIE 


A 


ABASIE-ASTASIE. — ■  L'abasie  (à  privatif  et  {iai:;,  marche)  est  la  perle 
plus  ou  moins  complète  de  la  faculté  de  marcher,  et  l'aslasie(à  privatif  et  a-cacj'.;,  station) 
la  perte  plus  ou  moins  complète  de  la  faculté  de  garder  la  station  verticale,  sans  trouble 
de  la  sensibilité,  delà  force  musculaire,  delà  coordination,  de  sorte  gue,  sauf  la  marche 
et  la  station  verticale,  'tous  les  mouvements  des  membres  inférieurs  s'exécutent  régu- 
lièrement. L'abasie  et  l'astasie  coexistent  d'ordinaire. 

Elles  se  rencontrent  chez  des  hystériques  et  constituent  un  phénomène  du  même 
ordre  que  la  paralysie  hystérique.  Les  causes  occasionnelles  sont  les  émotions  vives, 
les  traumatismes,  les  maladies  infectieuses.  On  peut  produire  expérimentalement  l'as-, 
tasie-abasie,  dans  l'hypnotisme,  en  suggérant  à  l'individu  hypnotisé  qu'il  ne  peut  plus 
se  tenir  debout  ou  marcher. 

Pour  expliquer  l'astasie-abasie,  il  faut  se  rappeler  que  la  station  et  la  marche  ne  s'ap- 
prennent qu'à  la  suite  d'un  long  apprentissage  :  les  centres  corticaux  qui  président  à  ces 
mouvements  doivent,  dans  les  débuts,  déployer  une  attention  incessante;  alors,  à  la 
Jongue,  ils  finiraient  par  créer  un  centre  spinal  agissant  d'une  façon  quasi  automatique,. 
à  la  suite  d'une  simple  impulsion  corticale.  On  peut,  avec  Blocq,  imaginer  que,  dans 
l'astasie-abasie,  il  s'agit  d'une  influence  d'arrêt,  portant  soit  sur  le  centre  cortical,  cas. 
dans  lequel  l'impulsion  initiale  fera  défaut,  soit  sur  le  centre  spinal,  et  alors  l'ordre 
donné  n'est  pas  exécuté. 

Bibliographie.  —  Bloco.  Sur  une  affection  caractérisée  par  de  l'astasie  et  de  l'abasie 
{Archives  de  Neurologie,  t.  xv,  1888).  —  Charcût.  Leçons  sur  le  système  nerveux  à  la  Salpé- 
trière,  mi-m^.  '  ^^^^^^   fRANCOTTE. 

ABCÈS.  —  Voir  Suppuration. 

ABEI  LLE.  —  Insecte  de  l'ordre  des  Hyménoptères,  sous  ordre  des  Porte-aiguillons 
(abdomen  pédicule,  un  aiguillon  venimeux  ou  tout  au  moins  des  glandes  anales  sécrétant  un 
liquide  acide  chez  les  femelles);  tribu  des  Apiens  (antennes  coudées,  lèvre  inférieure  et 
mâchoires  longues,  et  formant  par  leur  association  une  sorte  de  trompe;  pattes  posté-, 
rieures  des  femelles  conformées  pour  récolter  le  pollen, avec  jambe  (tibia)  élargie  creusée 
en  cuiller  sur  la  face  externe  et  premier  article  du  tarse  très  grand  en  palette  carrée  ou 
triangulaire)  ;  famille  des  Apides  ;  genre  A^ris. 

Le  genre  exclusivement  propre  à  l'ancien  continent  comprend  dix  ou  douze  espèces, 
dont  la  plus  connue  est  l'abeille  proprement  dite.  Apis  mellifica  Linn.,  probablement 
originaire  de  la  Grèce,  ou  de  l'Asie-Mineure.  Elle  oifre  une  variété  ou  i-ace  méridionale, 
Apis  ligustica  Spinala,  dite  vulgairement  abeille  italienne  ou  abeille  jaune. 

Pour  les  faits  physiologiques"  que  l'abeille  possède  en  conmiun  avec  tous  les  autres 

DICT.   DE  PHYSIOLOGIE.    —  TOME  I.  1 


2  ABEILLE. 

Arthropodes  ailés,  nous  renvoyons  à  l'article  Insectes;  nous  ne  parlerons  ici  que  de  ce  qui 
est  plus  ou  moins  spécial  à  l'abeille. 

Mœurs  en  généraL  —  Nous  résumons  brièvement  sous  ce  titre  la  vie  des  abeilles 
domestiques,  dont  les  particularités  curieuses  sont  aujourd'hui  connues  dans  les  plus 
petits  détails,  grâce  aux  travaux  de  Swammerdam,  Fr.  Huber,  Dzierzon,  etc.,  etc.,  et  de 
nombreux  apiculteurs.  Notre  guide  principal  a  été  l'excellente  monographie  de  JVIaurice 
Girard. 

Une  colonie  d'abeilles  se  compose  :  1°  d'une  seule  femelle  féconde,  ordinairement 
appelée  reine,  munie  d'un  aiguillon  et  qui  ne  sort  de  la  ruche  que  dans  deux  cas,  au 
moment  de  l'accouplement  et  lors  de  l'essaimage;  2°  d'innombrables  neutres  ou  ouvrières 
chargées  de  la  récolte  du  pollen  ainsi  que  de  la  production  du  miel  et  de  la  cire;  elles 
possèdent  aussi  un  aiguillon  et  doivent  être  considérées  comme  des  femelles  dont  l'appa- 
reil reproducteur  est  avorté  (découverte  due  àM"' Jurine);  3°  des  mâles  ou  faux-bour- 
dons privés  d'organes  vénénifiques  :  leur  existence  dans  la  colonie  n'a,  comme  nous  allons 
le  voir,  qu'une  durée  limitée;  4°  enfin,  accidentellement,  d'un  certain  nombre  d'ouvrières 
fertiles,  c'est-à-dire  d'individus  au  faciès  de  neutres  et  impropres  à  l'accouplement, 
mais  possédant  des  ovaires  développés.  Elles  pondent  irrégulièrement  des  œufs  parthé- 
nogénétiques  dont  nous  parlerons  plus  tard. 

Une  seule  ruche  contient  de  30  à  50  000  ouvrières  et  de  2  000  à  3  000  faux-bourdons. 
Quelques  jours  après  son  éclosion,  pendant  les  heures  les  plus  chaudes,  la  jeune 
reine  sort  de  la  ruche  et  est  bientôt  suivie  dans  ses  évolutions  aériennes  par  une  troupe 
de  mâles.  L'un  de  ceux-ci  l'ayant  atteinte,  l'accouplement  a  lieu,  soit  en  l'air  pendant  le 
vol,  soit,  dans  d'autres  cas,  durant  un  court  repos,  sur  la  tige  ou  les  feuilles  d'un  végétal. 
Pendant  cet  acte  qui  est  rapide,  le  pénis  du  mâle  se  retourne  comme  un  doigt  de  gant, 
elles  spermatozoïdes  sont  introduits  dans  les  organes  femelles,  réunis  en  un  spernuUo- 
phore  piriforme.  Lors  de  la  désagrégation  de  ce  dernier,  les  spermatozoïdes  devenus 
libres,  et  au  nombre  de  plusieurs  millions,  sont  accumulés  dans  un  réservoir  sphérique 
spermathèque  ou  receptaculum  seminis  annexé  au  vagin  de  la  femelle.  Celte  quantité  con- 
sidérable de  spermatozoïdes  explique  comment  un  seul  accouplement  suffit  pour  assurer 
la  fe'condation  de  tous  les  œufs  de  femelles  et  d'ouvrières  que  la  reine  pondra  durant 
toute  sa  vie,  qui  est  ordinairement  de  trois  années. 

Fécondée,  la  femelle  rentre  à  la  ruche  qu'elle  ne  quittera  plus  à  moins  d'essaimage, 
c'est-â-dire  de  départ  en  masse  d'une  partie  notable  de  la  population  à  la  recherche 
d'une  autre  habitation.  Ce  fait  a  lieu,  dans  les  ruches  de  faible  capacité,  lors  del'éclosion 
d'une  reine  nouvelle.  Ce  sont  donc,  la  vieille  reine,  un  grand  nombre  d'ouvrières  et  une 
certaine  quantité  de  faux-bourdons  qui  partent,  dans  le  double  but  de  faire  de  la  place 
au  logis  primitif  et  d'aller  ailleurs  créer  une  deuxième  colonie.  Si,  au  contraire,  l'es- 
pace habitable  est  très  grand,  comme  dans  certaines  ruches  sauvages  établies  dans  des 
arbres  creux,  dans  l'intervalle  entre  le  plafond  et  le  plancher  de  vieux  bâtiments,  etc., 
l'essaimage  ne  parait  pas  se  produire,  ce  qui  permet  de  croire  que  plusieurs  colonies 
vivent  alors   en  bons  termes  côte  à  côte. 

Ainsi  que  nous  le  disions  plus  haut,  l'existence  des  faux-bourdons  ou  mâles  est 
limitée;  elle  ne  dure  guère  que  deux  ou  trois  mois.  Lorsque  la  période  d'essaimage  et 
de  fécondation  des  jeunes  reines  est  passée,  les  mâles  impropres  au  travail  ne  sont  plus 
que  des  bouches  inutiles  qui  doivent  disparaître.  Les  ouvrières  les  chassent  de  la  ruche 
et  en  tuent  un  grand  nombre;  le  reste,  dispersé  de  tous  côtés,  meurt  de  faim. 

Architecture. —  Les  abeilles  ouvrières  emploient  pour  leurs  constructions  deux  subs- 
tances très  différentes  :  l^la  cire,  produit  spécial  de  glandes  cutanées  et  par  conséquent 
sécrété  par  elles;  2"  la  propolis,  matière  résineuse  d'origine  végétale  que  ces  insectes 
vont  récoller  sur  les  bourgeons  de  divers  arbres,  des  peupliers,  des  bouleaux,  des 
ormes,  des  saules,  etc. 

La  propolis  sert  à  boucher  les  fentes,  à  coller  à  la  voûte  les  premières  assises  des 
gâteaux,  à  envelopper  les  cadavres  d'animaux  introduits  dans  la  ruche  et  trop  volumi- 
neux pour  être  transportés  au  dehors. 

Les  gâteaux  de  cire  pendent  verticalement  comme  de  petites  murailles  et  sont  creusés 
sur  leurs- deux  faces  d'alvéoles  dont  il  faut  distinguer  trois  types  à  rôles  déterminés  : 
i"  les  alvéoles  d'ouvrières  destinées  au  couuawi  (larves  et  nymphes)  des  neutres,  ce  sont  les 


ABEILLE.  3 

plus  petites  (12  millimètres  de  profondeur)  et  de  beaucoup  les  plus  nombreuses;  2°  les 
alvéoles  de  mâles,  plus  grandes  (15  millimètres  de  profondeur);  3°  enfin,  quelques  cellules 
relativement  énormes,  ou  cellules  royales,  pour  les  larves  qui  vont  donner  naissance  aux 
femelles  fécondes. 

Les  alvéoles  des  deux  premières  catégories  ont  la  forme  de  prismes  hexagonaux 
ouverts  du  côté  externe  par  oti  se  fera  la  ponte  et  fermés  du  côté  interne  par  un  pointe- 
ment  à  trois  faces  composé  de  trois  losanges  égaux.  De  plus,  les  alvéoles  des  deux  faces - 
du  gâteau  ne  se  correspondent  pas;  les  parois  du  fond  pyramide  d'une  cellule  appar- 
tenant en  même  temps  aux  fonds  de  trois  cellules  de  la  face  opposée. 

On  a  mathématiquement  démontré  que  par  cette  forme  des  alvéoles  les  abeilles  sont 
arrivées  au  moindre  développement  de  la  surface  des  parois  et,  par  suite,  à  la  plus 
petite  dépense  possible  de  cire. 

Quant  aux  alvéoles,  royales,  elles  sont  ovoïdes,  à  parois  épaisses,  assez  irrégulières, 
comprenant  près  de  cent  fois  autant  de  cire  qu'une  cellule  d'ouvrière.  On  les  observe  près 
des  bords  des  gâteaux,  et  on  en  compte,  dans  une  ruche,  de  cinq  à  douze,  mais  quel- 
quefois beaucoup  plus. 

Toutes  les  cellules  ne  sont  pas  destinées  à  recevoir  des  œufs  et  à  contenir,  par  suite, 
des  larves,  puis  des  nymphes.  Un  certain  nombre  de  ces  loges  servent  simplement  de 
récipients  pour  l'excès  de  miel  et  de  pollen  apporté  par  les  ouvrières  pendant  la  belle 
saison  et  mis  en  réserve  en  vue  des  périodes  de  disette.  D'une  manière  générale,  ce  sont 
les  cellules  des  rangées  supérieures  de  chaque  gâteau.  Dès  qu'une  de  ces  alvéoles 
magasins  est  remplie,  des  ouvrières  la  ferment  avec  un  couvercle  de  cire. 

La  femelle  ou  reine  parcourt  la  surface  des  gâteaux  en  pondant  dans  chaque  alvéole 
vide  un  œuf  ovoïde  très  allongé,  œuf  qui,  dans  la  règle  ordinaire  et  pour  des  causes 
dont  il  sera  question  à  la  fm  de  cet  article,  donnera  lieu  à  un  insecte  d'un  sexe  appro- 
prié aux  dimensions  de  l'alvéole. 

D'après  des  observations  répétées,  une  reine  vigoureuse  peut  pondre  ainsi  journel- 
lement environ  3000  œufs. 

L'éclosion  a  lieu  le  quatrième  jour  après  la  ponte  et,  dés  que  la  larve  apode  s'est 
débarrassée  de  la  paroi  de  l'œuf,  les  ouvrières  lui  apportent  une  bouillie  formée  d'eau,  de 
pollen  et  de  miel.  La  composition  de  cette  nourriture  change  à  mesure  que  la  larve  se 
développe,  la  proportion  du  miel  pur  augmentant  progressivement.  La  larve  étant 
arrivée  au  terme  de  sa  croissance,  les  ouvrières  ferment  l'alvéole  par  un  couvercle  de 
cire  légèrement  convexe  :  puis,  après  une  phase  nymphale  dont  la  durée  varie  selon  le 
sexe,  l'insecte  parfait  coupe  à  l'aide  de  ses  mandibules  le  couvercle  de  sa  loge  et  entre 
dans  la  vie  active. 

Tel  est  le  tableau  forcément  écourté  de  ces  mœurs  assurément  dignes  d'exciter  le 
plus  vif  intérêt,  mais  qu'i,l  faut  se  garder  d'interpréter  avec  l'enthousiasme  irréfléchi  des 
littérateurs  et  des  poètes  qui  vont  jusqu'à  voir  dans  la  colonie  d'abeilles  le  modèle 
d'une  société  humaine  parfaite.  Société  cependant  bien  misérable,  si  l'on  remarque  : 
■1°  que  tous  les  actes  y  convergent  vers  un  seul  but,  la  reproduction;  2o  que  les  individus 
sont  absolument  sacrifiés  à  l'équilibre  de  l'ensemble;  3°  qu'il  n'y  existe  aucune  ten- 
dance au  progrès,  puisque,  sauf  de  petits  détails  résultant  de  l'action  de  l'homme,  les 
abeilles  travaillent  aujourd'hui  exactement  de  la  même  façon  qu'à  l'époque  où  les 
observait  Abistote. 

Cette  vie  en  commun  d'individus  nombreux  entre  lesquels  sont  réparties  d'une 
manière  presque  invariable  des  besognes  distinctes,  vie  en  commun  dont  l'équivalent 
se  retrouve  chez  des  Névroptères,  les  Termites,  et  chez  de  nombreux  Hyménoptères 
sociaux,  Mélipones,  Bourdons,  Guêpes  et  Fourmis,  représente  un  grand  degré  de  compli- 
cation se  traduisant  par  la  subdivision  du  travail. 

Quelques  exemples  feront  saisir  immédiatement  ce  principe  :  si  de  l'animal  mono- 
cellulaire  qui,  pour  se  reproduire,  n'a  qu'à  se  scinder  en  deux  moitiés,  nous  passons  à 
l'être  polycellulaire,  hermaphrodite  suffisant,  dont  la  reproduction  s'efl'ectue  a.  l'aide  de 
deux  groupes  de  cellules  différentes,  ovules  et  spermatozoïdes,  il  y  a  subdivision  du 
travail;  si,  après  l'animal  hermaphrodite,  nous  considérons,  par  exemple,  les  Hymé- 
noptères solitaires,  tels  que  les  Anthophores,  où  les  glandes  sexuelles  produisant  ovules 
et  spermatozoïdes  sont  portées  par  deux  individus;  l'un  femelle,  l'autre  mâle,  nouvelle 


4  ABEILLE. 

subdivision  du  travail;  et  si  enfin  de  l'Anthophore,  dont  la  femelle  à  elle  seule  effeolue 
les  multiples  opérations  de  la  construction  des  cellules,  de  la  ponte,  de  la  recherche  de 
la  nourriture,  etc.,  nous  arrivons  aux  Hyménoptères  sociaux  avec  mâles  destinés  à 
assurer  la  fécondation,  femelles  pondeuses,  neutres  constructeurs  et  nourriciers,  nous 
atteignons  le  plus  grand  degré  de  complication  dans  la  subdivision  du  travail  que  l'on 
puisse  constater  chez  les  Insectes. 

La  colonie  d'abeilles  n'est  donc  pas  un  modèle  de  société  humaine  parfaite;  s'il 
faut  une  comparaison,  nous  la  trouvons  dans  les  immenses  industries  modernes  où  la 
subdivision  du  travail  conduit  à  la  production  en  grand  à  bon  marché,  mais  oij,  hélas, 
l'ouvrier  qui,  isolé  autrefois  et  devant  alors  tout  faire,  pouvait  exercer  son  intelligence, 
n'est  plus  aujourd'hui  qu'un  automate  condamné  à  répéter  sans  cesse  le  même  mou- 
vement machinal. 

Prétendu  sens  de  la  direction.  —  Les  abeilles  ne  se  transportent  généralement 
pas  à  plus  de  2  kilomètres  de  la  ruche.  Cependant,  dans  certaines  circonstances  spéciales 
où  les  (leurs  mellifères  étaient  exceptionnellement  éloignées,  on  a  trouvé  ces  insectes 
butinant  à  o  et  même  7  kilomètres.  Ce  dernier  fait  et  la  sûreté  avec  laquelle  la  plupart 
des  individus  retournent  à  la  colonie  a  fait  admettre  pendant  longtemps  chez  l'Abeille 
et  chez  d'autres  Hyménoptères  un  prétendu  sens  de  direciion. 

i.  H.  Fabke,  en  partie  sur  les  conseils  de  Ch.  Darwin,  avait  effectué,  à  l'aide  de 
Chalicodomes,  des  expériences  consistant,  en  l'ésumé,  à  lâcher,  à  3  kilomètres  de  dis- 
tance de  leur  demeure,  des  individus  préalablement  marqués  et  qui  se  trouvaient  ren- 
fermés chacun  dans  un  cornet  de  papier  distinct.  Les  cornets  étaient  réunis  dans  une 
boite.  L'observateur,  pour  dérouter  les  Hyménoptères,  avait  pris  d'abord  une  direction 
opposée  à  celle  qu'il  voulait  suivre;  en  outre,  et  plus  tard,  au  lieu  du  lâcher,  il  avait 
imprimé  à  la  boite  de  rapides  mouvements  de  rotation. 

Un  certain  nombre  de  Chalicodomes  retrouvèrent  effectivement  leur  chemin,  mais, 
comme  le  remarque  Lubbock,  ces  essais  sont  loin  de  prouver  l'existence  d'un  sens  de 
direction.  En  effet,  la  proportion  des  retours  fut  faible,  puisque,  dans  l'ensemble  des 
6  expériences  effectuées  à  l'aide  de  144  insectes,  47  seulement  parvinrent  à  reconnaître 
leur  route,  et  97  se  perdirent. 

G.-J.  Romanes  expérimentant  à  son  tour  et,  cette  fois,  sur  des  abeilles  proprement 
dites,  put  démontrer  que  ces  animaux  ne  retrouvent  leur  ruche  que  si,  par  des  voyages 
de. plus  en  plus  longs  autour  de  la  colonie,  ils  ont  acquis  une  expérience  suffisante  de  la 
contrée.  Voici  la  façon  ingénieuse  dont  il  opéra  :  une  habitation  située  à  une  certaine 
distance  de  la  mer  se  trouvait  placée  entre  deux  grands  jardins  fleuris  placés  l'un  à 
droite,  l'autre  à  gauche.  Devant  l'habitation  et  jusqu'au  rivage,  uniquement  des  pelouses. 
Les  abeilles  partant  de  la  maison  avaient  donc  l'habitude  de  visiter  les  deux  jardins, 
mais  ne  fréquentaient  pas,  ou  bien  rarement,  les  pelouses  à  peu  |près  dénuées  de  fleurs. 

Ceci  constaté,  une  ruche  fut  mise  devant  une  fenêtre  ouverte,  dans  une  des  chambres 
du  rez-de-chaussée  ayant  vue  vers  la  mer.  Lorsque  les  abeilles  furent  bien  accoutumées, 
on  ferma  la  fenêtre  le  soir,  après  la  rentrée  de  toutes  les  travailleuses,  et  on  boucha 
l'orifice  de  la  ruche  au  moyen  d'une  plaque  de  verre.  Cette  disposition  permit  le  len- 
demain matin  de  ne  laisser  sortir  qu'un  certain  nombre  d'insectes  qui  furent  capturés 
et  enfermés  momentanément  dans  une  boîte.  La  ruche  resta  fex'mée  par  sa  plaque  de 
verre,  mais  une  planchette  abondamment  enduite,  de  glu  fut  placée  à  l'entrée.  La 
fenêtre  de  la  chambre  étant  de  nouveau  largement  ouverte,  on, comprend  que  toute 
abeille  lâchée  au  loin  et  revenant  à  la  ruche  devait  se  prendre  dans  la  glu  et  être  ainsi 
aisément  reconnue. 

Un  premier  lot  d'abeilles  mis  en  liberté  au  bord  de  la  mer  se  perdit  complètement: 
aucune  ne  retrouva  son  chemin.  Il  en  fut  de  même  d'un  second  lot  lâché  sur  les  pelouses 
en  un  point  intermédiaire  entre  la  plage  et  l'habitation;  aucune  abeille  ne  parvint  à 
rentrer,  quoique  la  distance  ne  fût  que  de  200  mètres.  Enfin,  à  titre  de  comparaison, 
un  troisième  groupe  d'abeilles  ayant  été  lâché  dans  l'un  des  jardins,  reconnut  admira- 
blement son  chemin;  tous  les  individus  se  collèrent  dans  la  glu,  bien  que,  par  suite 
de  l'étendue  du  parc,  la  .distance  à  parcourir  fût  supérieure  à  celle  où  la  deuxième 
expérience  sur  les  pelouses  avait  été  tentée. 

G.  W.  et  Eg.  Pbckham,  après  des  essais  variés  sur  des  guêpes,  mais  que  nous  ne 


ABEILLE.  3 

pouvons  détailler  ici,  sont  aussi  arrivés  à  la  conclusion  que  ces  Hyménoptères  sociaux 
ne  possèdent  aucun  sens  spécial  de  direction. 

Communications  et  rapports  entre  individus.  —  On  dit  communément  que  si, 
dans  ses  pérégrinations,  une  abeille  a  rencontré  une  provision  inespérée  de  nourriture, 
d'autres  abeilles,  en  nombre  de  plus  en  plus  considérable,  ne  tardent  pas  à  arriver  ù  la 
curée. 

Comme  Lubrock  le  fait  observer,  si,  après  son  retour  à  la  ruche,  l'insecte  qui  a  décou- 
vert le  trésor  est  simplement  suivi  par  ses  compagnes  lors,  d'un  second  voyage,  la 
chose  est  peu  importante,  puisque  les  abeilles  peuvent  avoir  été  averties  par  l'odeur 
qu'exhale  celle  qui  vient  de  rentrer.  Mais  si,  au  lieu  de  cela,  l'abeille  revenue  restant  à 
la  ruche,  des  émissaires  étaient  expédiés  de  la  tolonie  vers  l'objet  rencontré,  le  phéno- 
mène aurait  une  bien  autre  valeur  et  prouverait  l'existence  de  transmissions  de  véri- 
tables raisonnements  d'individu  à  individu. 

Afin  d'élucider  la  question,  Lubbock  a  effectué  de  nombreuses  expériences;  trans- 
portant une  abeille  marquée  au  bord  d'un  vase  plein  de  miel  où  elle  se  gorgeait  à 
plaisir  avant  de  s'envoler,  puis  attendant  patiemment  le  retour  de  l'insecte  et  l'arrivée 
possible  d'autres  individus.  Les  essais  ont  été  répétés  en  plein  air  et  aussi  dans  une 
chambre  où  une  ruche  spéciale  avait  été  placée. 

Or,  en  plein  air,  non  seulement  l'abeille,  instruite  cependant  de  la  présence  du  miel, 
n'y  retourne  presque  jamais  —  et  il  faut  se  livrer  à  une  véritable  éducation  progres- 
sive pour  l'amener  à  revenir,  —  mais,  de  plus,  aucune  autre  ne  l'accompagne. 

Dans  une  chambre,  une  éducation  semblable  est  encore  nécessaire  et  quoique  la  dis- 
tance à  parcourir  soit  bien  petite,  les  individus  accompagnant  les  abeilles  marquées  et 
dressées  sont  excessivement  rares;  parfois  durant  de  longues  heures  il  n'envient  aucun. 

L'opinion  courante  est  donc  probablement  une  de  ces  nombreuses  légendes  d'api- 
culteurs basées  sur  des  observations  défectueuses. 

On  répète  aussi  partout  que,  dans  une  ruche,  toutes  les  abeilles  se  reconnaissent  et 
que,  si  un  individu  provenant  d'une  autre  colonie  pénètre  dans  l'habitation,  il  est  immé- 
diatement découvert  et  attaqué. 

Ce  sont  encore  d'intéressantes  expériences  de  Lubbock  qui  infirment  absolument  ces 
prétendus  faits  de  reconnaissance  d'insectes  par  leurs  compagnons  de  travail.  Il  a  répété 
nombre  de  fois  l'essai  consistant  à  marquer  une  ou  plusieurs  abeilles  provenant  d'une 
ruche  donnée  et  à  les  placer  à  l'orifice  d'une  autre.  Or  les  étrangères  entraient  comme 
chez  elles,  restaient  plus  ou  moins  longtemps  à  l'intérieur,  sortaient,  volaient  quelque 
temps,  puis,  presque  toujours,  rentraient  dans  leur  nouvelle  demeure.  Pai-fois,  elles 
retournaient  pour  quelques  instants  à  l'ancienne  ruche. 

Enfin,  on  parle,  dans  les  ouvrages  sur  les  mœurs  des  animaux,  de  l'affection  des 
abeilles  pour  la  reine  ou  femelle  pondeuse.  Lubbock  aussi  a  montré  que  ce  prétendu 
attachement  est  bien  faible.  Désirant  substituer  dans  une  ruche  une  reine  italienne  ■ 
(var.  Ligustica)  à  une  reine  de  race  ordinaire,  il  enleva  cette  dernière  et  la  mit,  avec 
quelques  ouvrières,  dans  une  boite  munie  d'une  ouverture  et  contenant  un  rayon  de  mieL 
Revenu  d'une  absence  quelques  jours  après,  il  constata  que  la  reine  avait  été  complète- 
ment abandonnée.  Cette  même  reine  mise  ensuite  auprès  d'un  certain  nombre  d'abeilles 
n'attira  aucunement  leur  attention  et,  cependant,  dès  qu'elle  fut  réintroduite  dans  la 
ruche,  elle  se  vit  entourée  d'une  troupe  empressée  d'ouvrières.  Conclusion  :  les  rapports 
entre  les  neutres  et  la  femelle  ne  sont  donc  pas  réglés  par  des  associations  d'idées,  mais 
encore  une  fois  par  simple  instinct. 

Rappelons  que  tous  ces  désaccords  entre  les  croyances  vulgaires  et  les  résultats  de 
Romanes  et  de  Lubbock  proviennent  de  la  différence  énorme  existant  entre  l'observation 
superficielle  de  l'apiculteur  ou  de  l'amateur  et  l'expérimentation  sévère  et  ingénieuse 
du  vrai  naturaliste  qui  ne  se  contente  pas  des  seules  apparences. 

Production  du  miel.  —  L'abeille  qui  butine  récolte  deux  matières  principales,  le 
pollen,  dont  nous  ne  parlerons  pas  spécialement,  et  le  nectar. 

Pour  se  procurer  cette  dernière  substance,  elle  plonge,  dans  les  nectaires  des  corolles, 
une  espèce  de  trompe  formée  par  l'association .  en  faisceau  d'une  série  d'organes  buc- 
caux étroits  et  allongés  qui  sont:  au  milieu,  la,  languette,  prolongement  de  la  lèvre  infé- 
rieure, long,  strié  transversalement  et  garni  de  nombreuses  soies  ;  autour  de  la  languette. 


(i  ABEILLE. 

d'abord  les  palpes  labiaux,  puis,  plus  extérieurement  et  enveloppant  le  tout,  les  mâ- 
choires (les  mandibules  n'interviennent  pas  dans  la  récolte  des  liquides). 

L'animal  n'aspire  pas  les  sucs  à  la  façon  des  papillons,  il  lèche  en  quelque  sorte; 
c'est-à-dire  que  la  languette  velue  est  introduite  dans  le  liquide  visqueux  dont  elle  se 
recouvre  abondamment,  puis  est  soumise,  de  la  part  des  mâchoires,  à  des  pressions  qui 
font  refluer  la  liqueur  dans  la  bouche,  l'œsophage,  et  enfin  le  jabot. 

Les  abeilles  recherchent,  du  reste,  avidement,  toutes  les  matières  sucrées,  telles  que 
le  sucre  des  raffineries,  les  liquides  sucrés  qui  découlent  spontanément  de  certains 
végétaux,  et  ceux  enfin  que  sécrètent  beaucoup  de  pucerons. 

Le  jabot  non  seulement  joue  le  rôle  d'une  poche  de  dépôt,  mais  il  est,  en  outre,  le  siège 
de  phénomènes  chimiques  divers,  résultant,  peut-être,  de  l'action  du  liquide  sécrété  par 
une  des  trois  paires  de  glandes  salivaires  de  l'animal,  et,  très  certainement,  de  l'action 
de  liquides  digestifs  produits  par  la  paroi  de  l'intestin  moyen  ou  portion  élargie  du 
canal  qui  fait  suite  au  jabot;  liquides  qui  refluent  dans  cette  poche  d'arrière  eu  avant 
comme  chez  tous  les  insectes. 

Sous  l'influence  de  ces  liquides,  le  sucre  de  canne  ou  saccharose  que  le  nectar  ren- 
ferme toujours  en  quantité  assez  considérable  est  presque  entièrement  dédoublé  en  un 
mélange  de  dextrose  (sucre  de  raisin)  et  de  lévulose  (sucre  de  fruit  incristallisable). 

Le  miel  ainsi  formé  a  à  peu  près  la  composition  suivante,  variant  légèrement  suivant 
les  provenances  : 

Eau 19,21 

Dextrose 33,30 

Lévulose 40,00 

Saccharose 1,95 

Matières  non  sucrées 5,54 

100,00 

L'arome  du  miel  provient  des  substances  volatiles  odorantes  des  fleurs. 

C'est  donc  sous  cet  état  que  l'abeille  arrivée  à  la  ruche  dégorge  le  miel  dans  l'une 
des  cellules. 

La  totalité  du  miel  produit  par  l'insecte  n'est  naturellement  pas  destinée  à  la  com- 
munauté; une  certaine  partie  passe  dans  les  portions  du  tube  digestif  qui  suivent  le 
jabot;  là  elle  est  digérée,  et  sert  à  la  nutrition  des  tissus  ainsi  qu'à  la  production  de  la  cire. 

Production  de  la  cire.  —  La  cire  est  une  matière  grasse  dans  le  sens  vulgaire,  mais 
ce  n'est  pas  une  graisse  dans  le  sens  chimique.  Une  graisse  chimique  est,  en  eiîet,  tou- 
jours un  éther  glycérique,  c'est-à-dire  qu'elle  peut  être  obtenue  synthétiquement  par 
l'action  d'un  acide  riche  en  carbone  de  la  série  des  acides  gras  sur  un  alcool  triato- 
mique,  la  glycérine.  Tandis  que  la  cire  d'abeille  consiste  principalement  en  un  mélange 
d'acide  cérotinique  (14  p.  100)  et  de  palmitate  de  myricyle  (86  p.  100)  ou  éther  palmitique 
d'un  alcool  monoatomique,  l'alcool  myricyliqiie  (C™H^-0). 

En  traitant  la  cire  par  l'alcool  bouillant,  on  sépare  deux  principes  immédiats,:  l'un, 
soluble,  qui  a  porté  le  nom  de  cérine  (Lewy),  comprend  surtout  de  l'acide  cérotinique 
libre  (H-'C"*0-)  et  un  peu  d'acide  palmitique;  l'autre,  insoluble,  nommé  souvent  myri- 
cine  (Lewy)  est  constitué  par  l'éther  palmitique  de  l'alcool  myricylique  (autrefois 
mélissique)  plus  quelques  acides  gras  mal  définis  et  en  petite  quantité. 

On  crut  longtemps  que  la  cire  e'tait  ou  bien  récoltée  à  l'extérieur  parmi  les  matières 
cireuses  des  végétaux  (Swammerdam,  Maraldi),  ou  bien  dégorgée  par  l'insecte  à  la  façon 
du  miel  (Réaumdh).  Ce  n'est  qu'à  partir  de  1768,  époque  où  un  apicuUeur  de  la  Lusace 
découvrit  que  l'abeille  ouvrière  produit  la  cire  à  l'état  de  lamelles  sous  le  bord  infé- 
rieur de  certains  anneaux  de  l'abdomen,  et  de  1792,  date  de  la  publication  du  remar- 
quable mémoire  {Observations  on  Bées]  dans  lequel  J.  Hunter  signale  la  même  découverte, 
que  l'on  comprit  que  cette  substance  est  le  résultat  d'une  sécrétion  cutanée. 

Un  grand  nombre  d'insectes  sécrètent  des  matières  cireuses,  sinon  identiques  à  la 
cire  des  abeilles,  du  moins  très  voisines  ;  tantôt  à  l'état  de  granules  formant  alors  une 
sorte  de  poussière  [Libellula  depressa),  tantôt  à  l'état  de  filaments  (puceron  lanigère) 
tantôt  enfin  sous  l'aspect  de  lamelles  minces. 

Toujours  ces  exsudations  sont  produites  par  de  petites  glandes,  ordinairement  uni- 


ABEILLE.  7 

cellulaires,  dont  les  tubes  excréteurs  aboutissent  à  des  canaux  poreux  percés  dans  le 
revêtement  chitineux  de  la  peau. 

L'abeille  femelle  (féconde)  et  les  mâles  ne  sécrètent  pas  de  cire  ;  à  l'ouvrièi'e  ou  neutre 
seule  est  dévolue  cette  fonction.  Si  donc  on  examine  la  face  inférieure  de  l'abdomen 
d'une  ouvrière,  on  voit  que  les  anneaux  chevauchent  largement  l'un  sur  l'autre,  et  que, 
lorsqu'on  étire  artificiellement  cette  re'gion  du  corps,  on  met  facilement  à  nu  quatre 
paires  d'aires  membraneuses  à  peu  près  pentagonales  et  d'un  blanc  jaunâtre  situées  sur 
les  parties  habituellement  recouvertes  des  segments  2,  3,  4  et  5. 

C'est  à  la  surface  de  chacune  de  ces  aires  pentagonales  que  se  développe  une  mince 
lamelle  de  cire  à  structure  finement  fibreuse  ;  les  fibres  étant  perpendiculaires  à  la 
surface  sécrétante  (F.  Dujardin). 

L'examen  microscopique  d'une  aire  cirière  montre  d'innombrables  pores  auxquels 
répondent,  sous  la  couche  chitineuse,  ici  très  mince,  autant  de  délicates  glandules 
cylindriques.  Cette  disposition  anatomique  explique  immédiatement  la  texture  fibreuse 
de  la  lamelle  de  cire  exsudée. 

La  cire  étant  donc  incontestablement  sécrétée  par  l'animal,  il  restait  à  déterminer 
où  celui-ci  puise  les  matériaux  de  cette  sécrétion.  Les  expériences  de  F.  Hubeh  (1804), 
de  GuNDELACH  (1842),  enfin  de  J.-B.  Dumas  et  H.  Milne  Edwards  (1843)  démontrèrent 
qu'elle  a  pour  point  de  départ  le  miel  absorbé  et  digéré  par  l'abeille. 

Il  résulte,  en  effet,  de  ces  recherches  (faites  au  moyen  de  colonies  enfermées  dans  une 
chambre  dont  les  fenêtres  sont  garnies  d'un  treillis  métallique  et  auxquelles  on  ne 
donne  que  des  nourritures  spéciales),  que  les  abeilles  nourries  exclusivement  soit  au 
pollen,  soit  au  sucre,  sont  ou  absolument  incapables  de  produire  de  la  cire  ou  n'en 
forment  qu'une  quantité  fort  minime,  que  celles  seules  que  l'on  nourrit  au  miel  offrent 
leur  sécrétion  cireuse  normale  et  construisent  des  gâteaux. 

C'est  ainsi  que  Dumas  et  H.  Milne  Edwards,  tenant  compte  :  1°  de  la  petite  quantité  de 
matière  grasse  contenue  à  l'état  de  tissu  adipeux  dans  le  corps  des  insectes;  2°  d'une 
trace  de  cire  (8  dix-millièmes)  que  renfermait  le  miel,  constatèrent  qu'en  onze  jours  un 
essaim  d'ailleurs  faible,  —  car  il  ne  comptait  qu'un  peu  moins  de  2000  ouvrières, — ■ 
nourri  au  miel,  avait  formé  trois  gâteaux  contenant  H'''%45l   de  cire  pure. 

Sécrétion  venimeuse.  —  Les  Hyménoptères  porte-aiguillon  sont  presque  tous  pourvus 
d'un  appareil  venimeux  de  défense  se  composant  de  glandes  sécrétant  le  liquide  et  d'un 
aiguillon  mu  par  des  muscles.  La  piqûre  est  une  véritable  injection  hypodermique  de 
poison. 

L'aiguillon  est  tantôt  barbelé  (Xylocopes,  Chalicodomes,  Abeilles,  Bourdons,  Guêpes, 
Polistes),  tantôt  lisse  (Philanthes,  Pompiles,  etc.). 

Chez  l'abeille,  l'aiguillon  et  ses  glandes  manquent  aux  mâles  ou  faux-bourdons. 
Nous  laisserons  de  côté  les  détails  anatomiques  pour  parler  plus  spécialement  du 
venin. 

11  était  généralement  admis  que  celui-ci  se  compose  surtout  d'acide  formique  CH-0^ , 
mais  G.  Carlet  (1884-1888)  a  approfondi  la  question  et  montré  que  les  faits  sont  assez 
compliqués. 

D'après  lui,  le  venin  des  Hyménoptères  à  aiguillon  barbelé,  toujours  acide,  est  cons- 
titué par  le  mélange  de  deux- liquides,  l'un  fortement  acide,  l'autre  faiblement  alcalin. 
Ces  deux  liquides  différents  sont  sécrétés,  par  exemple  chez  l'abeille,  par  deux  glandes 
distinctes  :  le  liquide  acide  par  la  glande  tubuleuse  longue  et  bifide  aboutissant  au  fond 
d'un  réservoir  piriforme;  et  connu  depuis  longtemps;  le  liquide  alcalin  par  une  glande 
beaucoup  plus  petite,  appelée  faussement  glande  sébacée  par  certains  auteurs  et  insérée 
près  de  la  base  de  la  gaine  de  l'aiguillon. 

Ainsi  que  l'indiquent  les  expériences  ci-dessous,  le  concours  des  deux  liquides  serait 
indispensable  pour  déterminer  la  totalité  des  effets  de  la  piqûre  de  l'abeille  et  des  guê- 
pes :  1°  une  grosse  mouche  bleue  [CalUphora  vomiloria]  piquée  par  une  abeille  meurt 
comme  foudroyée;  2°  l'inoculation  d'un  seul  des  deux  liquides  à  une  mouche  de  la 
même  espèce  ne  détermine  pas  la  mort  ou  ne  la  détermine  que  lentement;  3°  au  con- 
traire, l'inoculation  successive  des  deux  liquides  amène  la  mort  du  Diptère  dès  que  le 
mélange  s'effectue. 

Il  est  probable  que  le  liquide  acide  seul  ne  produit  qu'une  action  stupéfiante  ;  en 


8  ABEILLE. 

effet  )a  plupart  des  Hyménoptères  à  aiguillon  lisse  chez  lesquels  la  glande  alcaline 
manque,  approvisionnent  leur  nid  d'Insectes  ou  d'Araclinides  vivants,  mais  rendus  immo- 
biles par  une  ou  plusieurs  piqûres  effectue'es  au  voisinage  des  ganglions  nerveux  thora- 
ciques. 

Parthénogenèse  et  Arrénotokie.  —  Nous  ne  referons  pas  l'historique,  fort  long  du 
reste,  de  cette  question  curieuse;  disons  seulement  qu'il  résulte  des  observations  et  des 
découvertes  successives  de  Dzierzon  (1843),  de  von  Berlepsch  (18o3-18b4),  de  Leuc- 
KART  (1853),  de  VON  Siebold  (1836)  et  de  quelques  autres,  que  la  femelle  ou  reine  pond 
en  réalité  des  œufs  tous  identiques,  mais  que,  suivant  les  circonstances,  elle  contracte 
par  [voie  réflexe  ou  ne  contracte  pas  la  tunique  musculaire  du  réceptacle  du  sperme, 
(plus  exactement  du  col  de  ce  réceptacle),  de  sorte  que  parmi  les  œufs  les  uns  ne  sont 
pas  fécondés,  tandis  que  les  autres  le  sont  au  contraire  à  l'instant  de  la  ponte. 

Les  œufs  fécondés  donnent  toujours  lieu  à  des  larves  de  femelles  (larves  de  reines  ou 
femelles  pondeuses  et  larves  d'ouvrières,  ou  femelles  à  ovaires  avortés).  Les  œufs  non 
fécondés,  non  seulement  donnent  lieu  à  des  embryons,  ce  qui  constitue  le  phénomène 
si  remarquable  de  la  'parthénogenèse,  mais,  de  plus,  ils  ne  produisent  jamais  que  des 
mâles,  parthénogenèse  spéciale  à  laquelle  on  donne  le  nom  à' Arrénotokie  (kir^i'/'i-ry/.itii , 
engendrer  un  mâle). 

Dans  l'acte  de  féconder  ou  de  ne  pas  féconder  les  œufs,  n'interviennent  ni  raisonne- 
ment ni  volonté.  Les  pontes  de  l'un  ou  de  l'autre  sexe  ont  généralement  lieu  à  des  épo- 
ques déterminées,  par  des  influences  purement  extérieures.  Ainsi,  à  une  grande  abon- 
dance de  fleurs  mellifères  et  à  une  forte  population  d'ouvrières,  répond  en  général  une 
ponte  de  mâles. 

A  ces  faits,  aujourd'hui  hors  de  doute,  s'en  ajoutent  d'autres  non  moins  intéressants 
concernant  la  production  de  femelles  fécondes  aux  dépens  d'œufs  qui,  dans  les  circon- 
stances ordinaires,  n'auraient  donné  que  des  ouvrières,  la  transformation  possible  d'ou- 
vrières en  pondeuses  et  la  reproduction  arrénotoque  de  ces  dernières. 

Lorsque,  pour  une  cause  ou  l'autre,  la  reine  ou  femelle  pondeuse  unique  vient  à  dis- 
paraître, les  abeilles,  comme  l'a  signalé  Schirach  dès  1771,  détruisent  les  cloisons  sépa- 
rant plusieurs  cellules  d'ouvrières,  et  forment  ainsi,  après  coup,  des  cellules  plus  grandes, 
dites  cellules  royales  artificielles  qu'elles  allongent  encore.  Elles  retirent  les  jeunes  larves 
qui  occupaient  les  anciennes  cellules  périphériques  du  groupe,  et  ne  conservent  que  la 
larve  centrale. 

Celle-ci,  au  lieu  d'être  nourrie  de  la  bouillie  ordinaire  servie  aux  larves  de  neutres 
et  de  mâles,  reçoit  en  abondance  la  bouillie  plus  nutritive  et  plus  riche  en  éléments 
azotés,  appelée  gelée  prolifique,  et  que  les  ouvrières  donnent  normalement  aux  larves  des 
cellules  royales  proprement  dites.  Sous  l'influence  de  cette  alimentation  abondante,  les 
ovaires  de  l'animal  qui,  dans  les  circonstances  ordinaires,  auraient  avorté,  se  déve- 
loppent complètement  et  à  l'éclosion  apparaît  une  femelle  fertile. 

Ce  cas  exceptionnel  explique  parfaitement  un  des  faits  ordinaires,  c'est-à-dire, 
comment  les  œufs  fécondés,  tous  identiques,  donnent  lieu  à  des  ouvrières  lorsqu'ils 
sont  pondus  dans  les  petites  alvéoles  et  à  des  reines  quand  ils  sont  déposés  dans  les 
cellules  royales  oii  les  travailleuses  viennent  déverser  instinctivement  une  alimentation 
plus  riche. 

Nous  avons  dit  que,  dans  la  ruche,  on  peut  observer  un  certain  nombre  d'ouvrières 
pondeuses,  impropres  à  l'accouplement  (surtout  par  l'état  rudimentaire  du  réceptacle 
du  sperme).  Ces  ouvi-ières  fertiles  ou  bourdonneuses  sont  inévitablement  arrénotoques; 
les  œufs  qu'elles  pondent  assez  irrégulièrement  ne  donnent  jamais  lieu  qu'à  des 
mâles. 

Relativement  rares  chez  les  abeilles,  les  ouvrières  fertiles  et  parthénogenétiques 
seraient,  au  contraire,  fréquentes  dans  d'autres  groupes  d'Hyménoptères  (Polistes, 
Guêpes,  Bourdons,  etc.)  (Ledckart,  von  Siebold). 

Enfin  l'ouvrière  stérile,  adulte,  peut  être  transformée  en  ouvrière  féconde  et  arréno- 
toque :  c'est  encore  par  l'action  d'une  alimentation  spécialement  nutritive  absorbée 
cette  fois  par  l'insecte  parfait.  Ce  phénomène  biologique  des  plus  curieux  vient  récem- 
ment d'être  prouvé  expérimentalement,  pour  les  guêpes,  par  Padl  Marchal  (iR.  S., 
pp.  223  et  33,  1893).  Il  vit,  dans  une  première  expérience,  1/3,  et,  dans  une  seconde,  1/6 


ABOULIE.  9 

des  ouvrières  devenir  fertiles,  sous  l'intluence  d'une  vie  sédentaire  et  d'une  nourriture 
consistant  principalement  en  miel  et  viande  crue. 

Biliographie  abrégée.  —  A.  Mœurs  et  Anatomie.  —  J.  Swammerdam  (observait  vers 
1680).  Biblia  nalurx,  t.  ii,  pp.  367  et  suiv.,  pi.  xvn  à  xxv,  Leyde,  1738.  —  Réaumur. 
Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  des  Insectes,  t.  v,  Mémoires  V  à  XIII  inclus.  Paris,  1740.  — 
Fr.  Hdber.  Nouvelles  observations  sur  les  Abeilles.  Genève,  1792  ;  et  2=  édition,  considéra- 
blement augmentée  en  deux  volumes.  Paris  et  Genève,  1814.  —  Maurice  Girard,  les 
Abeilles.  Paris,  1878.  —  Maurice  Girard.  Traité  élémentaire  d'entomoloijie,  t.  ii,  pp.  613  et 
suiv.  Paris,  1879. 

B.  Prétendu  sens  de  direction.  —  J.  H.  Fabre.  Nouveaux  souvenirs  entomologiques, 
pp.  99  et  suiv.  Paris,  1882.  —  G.  J.  Romanes.  Homing  faculty  of  Hymenoptera  {Nature,  vol. 
sxxii,  29  oct.  1885,  p.  630).  —  G.  W.  et  E.  G.  Peckiiam.  Some  observations  on  spécial  sensés 
of  Wasps  {Proceed.  nat.  histor.  Soc.  Wisconsin.  April,  1887).  —  Sir  JohiN'  Lubbock.  On  the 
Sensés,  Instinct  and  Intelligence  of  Animais  {International  scientific  séries),  p.  262.  Londo'n, 
1888. 

C.  Rapports  entre  individus.  —  Sir  John  Lubbock.  Ants,  Bées  and  Wasps  {International 
scientific  séries),  pp.  274-289.  London,  1882. 

D.  Composition  du  miel.  —  J.  Kônig.  Chemische  Zusammensetzung  der  menschlichen 
Nahrungs  und  Genussmiltel,  t.  i,  pp.  760  et  suiv.  Berlin,  1889. 

E.  Composition  et  production  de  la  cire.  —  K.  B.  Hofmann.  Lehrbuch  der  Zoochemie,  pp. 65 
et  suiv.  Wien,  1876.  —  F.  Dujardin.  Mémoire  sur  l'étude  microscopique  de  la  cire  {Atin. 
des  se.  nat.,  Zoologie,  série  m,  t.  xii,  p.  230,  1849).  —  Dumas  et  Milne  Edwards.  Note  sur  la 
production  de  la  cire  des  Abeilles  {Ann.  des  se.  nat..  Zoologie,  série  ir,  t.  xx,  p.  174,  1843). 

F.  Sécrétion  venimeuse.  —  G.  Carlet.  Sur  le  venin  des  Hyménoptères  et  ses  organes  excré- 
teurs (C.  R.,  t.  xcviii,  p.  15o0,  1884).  —  G.  Carlet.  Du  venin  des  Hyménoptères  à  aiguillon 
lisse  et  de  l'existence  d'une  chambre  à  venin  chez  les  Mellifères  {Ibid.,t.^cvi,ip.  1737,  1888). 

G.  Parthénogenèse  et  Arrénotokie.  —  C.  Th.  E.  von  Siebold.  Wahre  Varthenogenesis 
bei  Schmetterlingen  und  Bienen.  Leipzig,  18o6.  —  G.  Th.  E.  von  Siebold.  Beitràge  zur 
Parthenogenesis  der  Arthropoden.  Leipzig,  1871. 

F.     PLATEAU. 

ABIETINE.  —  Matière  cristallisable  neutre  extraite  de  la  térébenthine. 

ABIÉTIQUE  (Acide)  [C"H'='*Os].  —  Acide  cristallisable  bibasique  qu'on 
extrait  de  la  colophane  (Malt.  A.  C.  P.,  t.  cxxxii,  p.  249). 

ABIOGENESE.  —  Expression  employée  par  Huxley  {British  Association, 
Liverpool,  1870)  pour  exprimer  la  génération  spontanée.  —  Voir  Huizinga,  A.  Pf.,  t.  xii, 
p.  S49  et  t.  vni,  p.  o31  (Voy.  Génération). 

ABOULIE.  —  Le  mot  aboulie  (à,  |3ouXr],  volonté),  désigne  un  syndrome,  un 
ensemble  de  phénomènes  psychologiques  anormaux  qui  peut  être  observé  au  cours  d'un 
grand  nombre  de  maladies  mentales.  11  consiste  essentiellement  dans  une  altération  de 
tous  les  phénomènes  qui  dépendent  de  la  volonté,  les  résolutions,  les  actes  volontaires, 
les  efforts  d'attention.  Très  important  au  point  de  vue  pathologique,  il  n'est  pas  sans 
intérêt  pour  la  physiologie,  car  il  nous  présente  des  analyses,  de  véritables  expériences 
réalisées  par  la  maladie  sur  les  fonctions  encore  si  obscures  de  la  volonté.  Après  avoir 
décrit  sommairement  les  caractères  essentiels  de  l'aboulie  et  ses  principales  variétés, 
nous  montrerons  comment  son  étude  peut  nous  aider  à  comprendre  les  phénomènes 
psychologiques  normaux. 

I.  Description  de  l'aboulie.  —  La  volonté  semble  déterminer  deux  séries  de  phé- 
nomènes, en  apparence  différents,  quoique  en  réalité  très  voisins  l'un  de  l'autre  :,des 
mouvements  de  nos  membres,  c'est-à-dire  des  actes  ;  et  des  phénomènes  intellectuels  dont 
le  principal  est  l'attention.  L'aboulie  la  plus  simple,  la  plus  typique,  se  présentera  donc 
sous  deux  aspects  presque  toujours  réunis,  mais  que  la  description  peut  séparer  :  l'abou- 
lie motrice  et  l'aboulie  intellectuelle. 

L'aboulie  motrice  est  bien  nette  dans  un  grand  nombre  d'observations  célèbres  dont 


10  ABOULIE. 

es  premières  remontent  à  Pinel',  à  EsquirolS  à  Leuret '.  Billod,  en  1847,  résu- 
mait les  faits  qu'il  avait  observés  en  disant  :  «  Les  sujets  de  nos  observations,  jugeant 
comme  tout  le  monde  de  ce  qu'il  convient  de  faire,  le  désirant  même,  ne  peuvent  arri- 
ver à  l'accomplir  et  auront  la  conscience  d'en  être  empêchés  par  une  puissance  inté- 
rieure qu'ils  ne  peuvent  définir  et  comprendre,  car  il  n'existe  du  côté  des  fonctions 
d'exécution  aucun  empêchement  organique,  tel,  par  exemple,  qu'une  paralysie  du  mou- 
vement*. »  En  effet,  quand  on  propose  à  ces  malades  de  faire  un  mouvement, d'étendre 
la  main  pour  prendre  sur  la  table  un  objet  qu'on  leur  montre  ou  de  signer  un  papier, 
ils  semblent  comprendre  ce  qu'on  leur  demande,  et  même  y  consentir.  Ils  essayent  de 
faire  l'acte,  avancent  un  peu  la  main,  mais  immédiatement  ils  s'arrêtent,  reculent, 
recommencent  ou  restent  en  suspens,  et  en  définitive  ne  parviennent  que  très  difficile- 
ment, après  un  temps  fort  long,  ou  même  ne  parviennent  pas  du  tout  à  prendre  l'objet 
désigné.  Cette  hésitation  et  cette  impuissance  existent  dans  tous  leurs  actes  :  les  mala- 
des ne  peuvent  se  lever,  ni  s'habiller,  ni  marcher,  ni  même  parler;  tous  les  actes 
volontaires  deviennent  impossibles. 

Il  est  facile  de  reconnaître  que  ces  troubles  du  mouvement  ne  s'expliquent  par 
aucune  paralysie,  mais  il  est  quelquefois  difficile  de  distinguer  cette  aboulie  de  certains 
délires  qui  modifient  aussi  les  actes  les  plus  communs.  Le  délire  du  contact,  l'idée  fixe 
que  les  objets  sont  répugnants  ou  dangereux  provoque  souvent  des  hésitations  du  même 
genre.  On  remarquera  que  le  délire  du  contact  est  ordinairement  limité  (du  moins 
quand  il  est  primitif)  à  quelques  objets  qui  ont  frappé  l'imagination  [du  malade,  les 
boutons  de  porte  ou  les  objets  en  cuivre,  les  épingles,  un  meuble,  etc.,  tandis  que  l'hé- 
sitation des  abouliques  est  d'ordinaire  générale  et  s'applique  à  tous  les  objets  indistinc- 
tement. 

Une  petite  expérience  peut  encore  trancher  la  question;  dans  le  délire  du  contact,  le 
malade  non  seulement  ne  peut  toucher  lui-même  l'objet,  mais  encore  il  en  redoute  le 
contact,  si  on  l'approche  de  lui.  Les  abouliques  ne  redoutent  pas  le  contact  passif  des 
objets  que  l'on  approche  de  leurs  mains,  ils  ne  présentent  des  troubles  que  dans  le 
contact  actif,  c'est-à-dire  dans  les  mouvements  qu'ils  doivent  accomplir  eux-mêmes 
pour  toucher  un  objet.  L'altération  porte  essentiellement  sur  les  phénomènes  psycholo- 
giques qui  président  aux  mouvements.  L'aboulie  intellectuelle  joue  un  rôle  plus  considé- 
rable encore  dans  les  névroses  et  les  maladies  mentales.  La  difficulté  de  l'attention  était 
déjà  signalée  dans  les  plus  anciennes  observations  sur  l'aboulie.  Un  médecin  d'Amsterdam, 
GuGE  '',  ayant  observé  des- troubles  analogues  au  cours  de  certaines  afl'ections  nasales, 
leur  donna  le  nom  d'aprosexie  {k,  r.po(si-/jrj,  s'attacher  à,  être  attentif);  le  mol  a  paru 
juste,  et  a  été  appliqué  même  aux  troubles  de  l'attention  dans  les  névroses.  L'attention 
est  lente,  très  dificile  à  fixer,  elle  s'accompagne  de  toutes  sortes  de  souffrances,  elle  ne 
se  prolonge,  que  peu  de  temps  et  surtout  elle  ne  donne  que  des  résultats  incomplets  et 
insuffisants.  Ces  caractères  se  manifestent  bien  dans  un  fait  particulier,  celui  de  la 
lecture.  Le  malade  est  capable  de  lire  à  haute  voix;  il  a  donc  conservé  les  sensations; 
il  peut  même  réciter  d'une  façon  plus  ou  moins  complète  les  mots  qu'il  a  lus,  il  ne 
manque  donc  pas  de  mémoire,  et  cependant  il  ne  comprend  pas  le  sens  du  paragraphe 
qu'il  vient  de  lire  :  il  lit  du  français  comme  s'il  lisait  une  langue  étrangère,  il  comprend 
à  la  rigueur  chaque  mot  isolément,  mais  il  n'entend  rien  à  leur  ensemble. 

On  constate  donc  dans  l'aboulie  une  altération  des  actes  volontaires,  de  l'attention  et 
même  de  la  perception  qui  semble  considérable,  quoique  les  éléments  qui  entrent 
comme  parties  constituantes  dans  ces  phénomènes,  les  mouvements,  les  sensations  et 
les  images,  paraissent  être  restés  absolument  normaux. 

II.  "Variétés  cliniques  du  syndrome.  —  Ces  symptômes  essentiels  peuvent 
varier  de  bien  des  manières  :  ils  peuvent  d'abord  être  modifiés  dans  leur  intensité. 

1°  Quand  l'aboulie  est  faible,  comme  dans  certains  états  dits  neurasthéniques,  les 

1.  H.  PiNEL.  Traite'  me'dico-philosophigue  de  la  manie,  an  IX,  p.  80. 

2.  EsQuiROL.  Des  maladies  mentales,  183S,  t.  i,  p.  420. 

3.  Leuret.  Fragments  psychologiques  sur  lafolie,  1834,  p.  384. 

4.  Billod.  Maladies  de  la  volonté  [Annales  medico-psychologiques,  juillet  1847). 

5.  Biologisches  Centralblatt,  1"  janvier  1888.  —  Revue  de  laryngologie  etd'otologie,  1889,  p.  54. 


ABOULIE.  H 

actes  volontaires  sont  simplement  lents,  pénibles,  de  courte  durée,  entrecoupés  d'arrêts 
innombrables.  Les  malades  éprouvent  surtout  une  peine  énorme  à  prendre  une  réso- 
lution :  ils  s'arrêtent  au  plus  petit  obstacle  et  renoncent  à  tout  travail  prolongé.  L'at- 
tention n'est  pas  supprimée  totalement;  mais  elle  est  fort  difficile  et  de  courte  durée  et 
l'altération  porte  moins  sur  l'intelligence  des  choses  que  sur  la  conviction  et  la  croyance. 
Dans  quelques  cas,  le  délire  du  doute  est  une  véritable  idée  fixe,  qui  porte  uniquement 
sur  quelques  interrogations,  toujours  les  mêmes;  mais,  dans  d'autres  observations,  le 
délire  du  doute  est  un  état  général,  une  impuissance  constante,  sinon  à  comprendre, 
du  moins  à  croire,  qui  se  rattache  naturellement  à  l'aboulie. 

2°  Cet  état  maladif  peut,  au  contraire,  être  exagéré;  l'hésitation  augmente  et  porte 
sur  tous  les  actes  même  les  plus  simples,  les  plus  habituels,  et  le  malade  est  de  plus  en 
plus  réduit  à  l'immobilité.  Les  troubles  de  l'attention  et  de  l'intelligence  ne  portent 
plus  seulement  sur  la  lecture,  mais  sur  la  simple  perception  des  objets  extérieurs.  La 
parole  n'est  plus  comprise,  les  objets  ne  sont  plus  reconnus.  Les  états  décrits  sous  le 
nom  de  confusion  mentale,  de  stupeur,  ne  sont,  au  point  de  vue  purement  symplomatique, 
que  des  aboulies  parvenues  à  leur  plus  haut  degré. 

3°  Cette  altération  de  la  volonté  peut  ne  pas  être  toujours  égale  dans  toutes  les 
circonstances,  et  il  est  juste  de  distinguer  des  aboulies  systématisées,  des  impuissances 
de  la  volonté  portant  non  sur  l'ensemble  des  actions,  mais  sur  un  acte  particulier  ou  un 
système  d'actes  spéciaux.  Certains  malades  cessent  momentanément  de  pouvoir  parler, 
ou  manger,  ou  se  lever  de  leur  chaise,  ou  bien  ils  ne  peuvent  plus  se  décider  à  faire 
les  actes  de  leur  profession  (impuissance  professionnelle  de  Levillain).  Il  est  difficile  de 
distinguer  dans  ces  cas  si  l'altération  porte  sur  la  volonté  de  l'action  ou  sur  l'exécution 
de  cette  action,  s'il  s'agit  d'une  aboulie  systématisée  ou  d'une  amnésie  systématisée  de 
certains  mouvements.  C'est  le  sujet  de  la  querelle  entre  le  «  non-vouloir  et  le  non-pou- 
voir »  qui  a  partagé  en  deux  camps  les  auteurs  qui  ont  étudié  l'aboulie*.  Il  semble 
cependant  que  dans  certains  cas  l'aboulie  porte  plus  spécialement  sur  certaines  actions 
particulières. 

4°  Enfin  nous  signalerons  une  forme  particulière  de  l'aboulie,  c'est  le  délire  de  résis- 
tance :  dès  que  l'on  demande  au  malade  de  faire  une  action,  ou  même  dès  qu'il  désire 
spontanément  en  faire  une,  immédiatement  surgit  dans  son  esprit  la  pensée  opposée, 
l'idée  de  refuser,  de  faire  le  contraire.  «  Je  veux  et  ne  veux  pas,  dit-il  alors,  je  veux  et 
quelque  chose  s'y  oppose,  qui  me  défend  d'agir.  >>  Cette  forme  d'aboulie  semble  fort 
distincte  et  cependant  se  rattache  fort  étroitement  aux  précédentes. 

Cette  maladie  donne  naissance  à  des  troubles  psychologiques  très  variés  :  nous  signa- 
lerons seulement  la  conséquence  la  plus  importante.  La  volonté  est  aussi  bien  perdue 
comme  pouvoir  de  résistance  et  d'arrêt  que  comme  pouvoir  d'action.  Ces  malades  qui 
agissent  si  difficilement  ne  peuvent  plus  s'arrêter  quand  ils  ont  une  fois  commencé  une 
action,  ils  ne  peuvent  plus  se  débarrasser  d'une  idée  quand  ils  l'ont  une  fois  comprise. 
La  suggestibilité,  les  idées  fixes  et  tous  les  désordres  qu'elles  entraînent  peuvent  être 
considérés  bien  souvent  comme  des  conséquences  de  l'aboulie. 

La  docilité  de  certains  malades,  le  besoin  singulier  qu'ils  éprouvent  d'être  commandés 
et  dirigés,  des  troubles  des  sentiments,  des  altérations  de  la  mémoire,  en  particulier 
Vamnésie  continue  (voyez  Amnésie)  s'y  rattachent  également.  Enfin,  les  lésions  de  la  volonté, 
plus  que  tout  autre  trouble  psychologique,  s'accompagnent  d'altérations  dans  la  notion 
de  la  personnalité  -,  et  ne  tardent  pas  à  donner  lieu  à  des  délires  plus  ou  moins  com- 
plexes. 

III.  Interprétations  et  caractères  psychologiques.  —  Nous  ne  pouvons  signaler 
ici  qu'un  petit  nombre  des  théories  qui  ont  été  proposées  pour  interpréter  ces  phéno- 
mènes, chacune  envisage  une  partie  du  problème  :  i°  Beaucoup  d'aliénistes,  et  en  par- 
ticulier BiLLOD,  ont  montré  que  l'aboulie  dépendait  quelquefois  d'un  trouble  préexistant 
des  sentiments  ou  de  l'intelligence,  «  d'une  monomanie  de  la  peur  qui  déprime  la 
volonté  ^  ».  Cela  est  vrai,  et  toute  idée  fixe  qui  absorbe   l'esprit  du  malade  diminue  sa 

1.  J.  Rivière.  Contribution  à  l'étude  clinique  des  aboulies,  tS91,  p.  M. 

2.  J.  CoTARD.  Étude  sur  les  maladies  cérébrales  et  mentales,  1S91,  p.  370. 

3.  BiLLOD.  Op.  cit.,  p.  d93. 


12  ABOULIE. 

volonté  et  son  attention,  mais  eetle  remarque  ne  s'applique  qu'aux  aboulies  secon- 
daires, consécutives  à  un  autre  accident. 

2°  Pour  MM.  Magnan,  Legrain,  Dejerine,  il  n'y  a  aboulie  que  lorsque  le  malade  fait 
effort  pour  accomplir  un  acte  et  ne  peut  y  parvenir;  le  trouble  consiste  essentiellement 
dans  un  arrêt  :  c'est  nn  phénomène  inhibitoire  ' .  M.  Langle  caractérise  également  l'aboulie 
par  «  la  prédominance  de  l'élément  inhibitoire  sur  l'élément  impulsif  dans  l'acte  volon- 
taire ^  ».  Enfin  cette  théorie  a  été  très  complètement  analysée  et  défendue  par  M.  Raggi  ^ 
et  M.  Paulhan*  qui  rattachent  ces  phénomènes  à  la  prédominance  de  certaines  associa- 
tions par  contraste.  Au  moment  d'accomplir  un  acte  les  malades  auraient  dans  l'esprit, 
automatiquement,  l'idée  opposée  à  l'acte  qu'ils  veulent  faire,  et  cette  idée  arrêterait  leur 
action.  Cette  explication  s'applique  assez  bien  à  une  catégorie  d'aboulie  caractérisée 
parle  délire  de  résistance;  elle  ne  semble  pas  complète  dans  tous  les  cas. 

3°  M.  RiBOT  ajustement  observé  que  l'ardente  envie  d'agir  affirmée  par  ces  malades 
n'est  souvent  qu'une  simple  illusion  de  leur  conscience.  Ce  manque  d'activité  tiendrait 
au  contraire  à  ce  que  les  sensations,  les  sentiments,  les  passions,  en  un  mot  les  motifs 
d'agir  seraient  trop  faibles  pour  exercer  une  influence  efficace  sur  la  volonté^.  Il  est  vrai 
que  souvent  les  sentiments  sont  très  affaiblis  chez  les  abouliques,  et  cet  affaiblissement 
doit  contribuer  à  l'altération  de  leur  activité;  mais  il  n'en  est  pas  ainsi  toujours,  et  on 
peut,  dans  certains  cas,  considérer  cet  affaiblissement  des  sentiments,  non  comme  le 
principe,  mais  comme  la  conséquence  de  l'abouhe. 

4°  Nous  avons  essayé  nous-mème  de  compléter  un  peu  les  théories  précédentes  ^  : 
notre  explication  cherche  seulement  à  être  un  peu  plus  compréhensive  et  à  faire  entrer 
dans  la  formule  de  l'aboulie  quelques  faits  précis  et  intéressants  dont  on  n'avait  pas 
tenu,  à  notre  avis,  suffisamment  compte. 

Tous  les  actes  ne  sont  pas  également  supprimés  chez  l'abouliciue.  Déjà  Billod  remarquait 
que  H  les  mouvements  instinctifs  de  la  nature  de  ceux  qui  échappent  à  la  volonté  pro- 
prement dite  n'étaient  pas,  chez  les  malades,  entravés  comme  ceux  que  l'on  peut 
appeler  ordonnés'  ».  M.  Ribot  ajoutait  que  «  l'activité  automatique,  celle  qui  constitue 
la  routiue  ordinaire  de  la  vie,  persiste^  ».  Il  est  facile  de  constater  en  effet  que  tous  les 
actes  automatiques,  depuis  les  actes  instinctifs  et  habituels  jusqu'aux  impulsions  et  aux 
suggestions  les  plus  compliquées,  s'accomplissent  sans  aucune  des  difficultés  et  des 
hésitations  de  l'aboulie.  Quel  est  donc  le  caractère  essentiel  de  ces  actes  ainsi  conservés? 
C'est  d'abord  qu'ils  sont  des  actes  anciens  déjà  exécutés  autrefois,  qui  ne  sont  pas  voulus 
aujourd'hui  pour  la  première  fois;  ensuite  ce  sont  des  actes  qui  méritent  le  nom  de 
subconscients;  ils  sont  exécutés  à  i'insu  de  la  personne,  sans  que  le  malade  ait  la  con- 
science d'agir  lui-même.  Les  actes  qui  sont  perdus,  sav  lesquels  porte  l'aboulie,  ont  préci- 
sément les  deux  caractères  inverses  :  1°  Ils  sont  nouveaux,  au  moins  par  un  petit  détail 
ils  nécessitent  une  combinaison  nouvelle,  une  adaptation  des  phénomènes  psycholo- 
giques à  des  circonstances  nouvelles.  Dans  un  travail  récent,  MM.  Raymond  et  Arnaud 
vérifiaient  l'importance  de  ce  caractère  et  l'impossibilité  pour  les  abouliques  de  com- 
mencer un  acte,  de  comprendre  et  d'apprendre  quelque  chose  de  nouveau".  2°  Ces 
actes  que  le  malade  cherche  en  vain  à  accomplir  sont  des  actes  conscients  qui  devraient 
être  rattachés  à  sa  personnalité.  Dans  plusieurs  travaux,  M.  Séglas  constatait  aussi 
cette  perte  de  la  conscience  personnelle  des  actes  dans  l'aboulie'".  En  un  mot,  ces  actes 
sont  des  sijnthèses  psychologigues.  Ils  réunissent  en  un  tout  des  sensations,  des  souvenirs, 
des  images  motrices  et  l'idée  anciennement  formée  de  la  personnalité.  L'aboulie,  au 

1.  Magnan.  Leçons  cliniques  sur  tes  maladies  mentales,  1893,  p.  172. 

2.  Langle.  De  l'action  d'arrêt  ou  inhibition  dans  les  phénomènes  psychiques,  1886,  p.  lÔ. 

y.  Raggi.  Fenomejii  di  contrasto  psychico  in  una  alienata  [Arch.  liai.  p.  l.  mal.  nerv.,  1887). 

4.  Paulhan.  L'activité  mentale  el  les  éléments  de  l'esprit,  1889,  pp.  341-357. 

5.  Ribot.  Maladies  de  la  volonté',  1883,  p.  50. 

6.  Étude  sur  un  cas  d'aboulie  et  d'idées  fixes  {Revue  philosophique,  1891,  1. 1,  pp.  259,  382)  et 
Stigmates  mentaux  des  hystériques,  1893,  p.  122. 

7.  Billod.  Op.  cit.,  p.   182. 
S.  R.IBOT.  Op.  cit.,  p.  49. 

9.  Raymond  et  Arnaud.  Quelques  cas  d'aboulie  {Annales  médico-psychologiques,  1892,  t.  ii,  p.  74). 

10.  J.  Séglas.  Congrès  des  aliénistes  à  Blois  (Archives  de  neurologie,  1892,  t.  ii,  p.  321)  et  Trou- 
bles du  langage  chez  les  aliénés,  1892,  p.  28.  , 


ABSINTHE   (Essenced').  13 

contraire,  est  essentiellement  un  affaiblissement  de  l'esprit,  caractérisé  par  la  diminution  du 
pouvoir  de  synthèse.  A  propos  d'une  action  le  sujet  a  dans  l'esprit  une  foule  de  pensées 
qui  surgissent  par  le  jeu  automatique  des  associations  anciennement  formées,  et  en 
particulier  des  images  antagonistes  provoquées  par  le  contraste;  la  maladie  consiste  en 
ce  qu'il  ne  sait  plus  coordonner,  synthétiser  tous  ces  éléments  en  un  phénomène  nou- 
veau et  conscient,  l'acte  à  accomplir.  Cette  lésion  fondamentale  se  retrouve  dans  la 
sensibilité;  les  sensations  nouvelles  sont  mal  perçues  (voyez  Anesthésie),  dans  les  senti- 
ments, les  émotions  anciennes  persistent,  mais  des  émotions  nouvelles  ne  se  forment 
plus;  dans  la  mémoire,  les  souvenirs  anciens  sont  conservés,  tandis  que  les  souvenirs 
nouveaux  ne  peuvent  plus  être  évoqués  consciemment  (voyez  Amnésie  continue).  En 
un  mot,  ce  trouble  qui  existe  dans  les  actes  frappe  toutes  les  fonctions  psychologiques. 
L'étude  de  l'aboulie  est  donc  importante,  non  seulement  pour  comprendre  le  caractère 
essentiel  des  actes  volontaires,  mais  encore  pour  comprendre  le  mécanisme  de  beaucoup 
d'autres  phénomènes. 

Nous  n'insisterons  pas  sur  les  maladies  dans  lesquelles  on  peut  observer  des  phéno- 
mènes d'aboulie;  c'est  un  symptôme  extrêmement  commun  qui  se  trouve  au  point  de 
départ  de  la  plupart  des  aliénations.  L'impossibilité  de  diriger  la  volonté  et  l'attention 
était  déjà  signalée  par  Esquuiol  '  dans  la  manie  ;  on  la  retrouve  dans  les  diverses  intoxi- 
cations par  l'opium  ou  l'alcool  ^,  par  exemple,  et  même  dans  les  trauraatismes  du  crâne  '  ; 
on  la  constate  surtout  dans  les  diverses  mélancolies,  dans  la  période  dépressive  de  la 
folie  circulaire;  enfin  elle  joue  un  rôle  extrêmement  important  dans  les  états  neurasthé- 
niques ''et  dans  l'hystérie. 

Nous  ne  croyons  pas  nécessaire  de  répéter  la  bibliographie  des  études  sur  l'aboulie 
après  avoir  cité  déjà  la  plupart  des  travaux  récents.  Une  bibliographie  complète  des 
travaux  anciens  se  trouve  dans  la  thèse  de  doctorat  de  Paris  de  M.  Rivière,  Contribution 
à  l'étude  clinique  des  aboulies,  1891,  et  dans  celle  de  M.  H.  Hugonin,  Contribution  à  l'étude 
des  troubles  de  la  volonté  chez  les  aliénés,  1892. 

PIERRE   JANET. 

ABSINTHE  (Essence  d').  —  L'absinthe  est  une  plante  de  la  famille  des 
Synanthérées  ou  Composées,  du  genre  Armoise  [Artemisia]  présentant  quatre  espèces 
importantes  : 

1  "  La  grande  absinthe  {Artemisia  absinthium)  ; 

2"  La  petite  absinthe  (Art.  pontica); 

3°  L'absinthe  maritime  (Art.  maritima)  ; 

4°  L'absinthe  glaciale  (Art.  glacialis). 

La  seule  espèce  officinale  est  la  grande  absinthe,  qui  par  distillation  donne  une  essence 
verte  à  laquelle  la  plante  doit  ses  principales  propriétés. 

Caventou  et  LûcK  ont  étudié  en  outre  deux  principes  amers;  un  azoté,  Yabsinthine, 
(voy.  ce  mot)  et  l'autre  résineux,  qui  ne  paraissent  pas  avoir  une  grande  importance.  Nous 
aurons  pourtant  quelques  mots  à  dire  de  Tabsinthine. 

L'essence  d'absinthe  (C-''H'^0-)  bout  à  204°  et  a  une  densité  de  0,973  à  -|-  24°. 
Elle  possède  des  propriétés  toxiques  spéciales,  qui  ont  été  étudiées  surtout  par  Magnan, 
Cadéac  et  Meunier,  et  Laborde. 

Ces  effets  viennent  se  joindre  à  ceux  de  l'alcool  et  des  autres  essences  dans  l'intoxi- 
cation par  la  liqueur  d'absinthe,  liqueur  dont  nous  ne  nous  occupons  absolument  pas 
ici,  et  qui,  par  sa  complexité,  donne  naissance  à  des  phénomènes  très  compliqués  aussi. 

Plusieurs  voies  peuvent  être  employées  pour  étudier  l'action  physiologique  de  l'essence 
d'absinthe  :'  la  voie  stomacale  ;  la  voie  hypodermique;  la  voie  intra-veineuse,  et  même 
la  voie  respiratoire.  A  la  dose  près,-  les  résultats  sont  les  mêmes  ;  mais  la  méthode  qui 
permet  Je  mieux  d'apprécier  l'action  physiologique  de  la  substance  est  celle  des  injec- 
tions intra-veineuses. 

1.  EsQuiROL.  Maladies  mentales,  1838,  t.  i,  p.  21. 

2.  RiBOT.  Op.  cit.,  p.  42. 

3.  DuNiN.  Traumatische  Neurosen  (Deutsche  Arc hiv  f.  /clin.  Uedic,  t.  xlvii,  p.  .5^0). 

4.  RÉGIS.  Manuel  de  médecine  mentale,  t892,  p.  143. 


14       ^  ABSINTHE  (Essence  d'). 

A  quelle  dose  faut-il  administrer  l'essence  d'absinthe  pour  produire  les  effets  physio- 
logiques? 

En  parcourant  les  travaux  publiés  sur  ce  sujet,  on  voit  que  la  dose  varie,  mais  il  ne 
faut  pas  perdre  de  vue  que  toutes  les  essences  n'ont  pas  la  même  pureté  chimique  ; 
d'où  les  divergences  qui  existent  dans  les  résultats  obtenus. 

Naturellement  les  doses  varient  suivant  la  voie  de  pénétration.  Par  la  voie  stomacale 
Magnan  a  constaté  que  2b-', 50  pour  un  chien  de  S""', S  pour  un  autre  de  14  kilos,  étaient 
des  doses  qui  produisaient  l'intoxication  avec  son  cortège  de  symptômes.  Dans  des 
expériences  de  contrôle  je  suis  arrivé  au  même  résultat.  Mais  la  voie  stomacale  ne 
permet  pas  toujours  de  mesurer  exactement  la  dose  ingérée  ;  car  les  animaux  sont  pris 
très  rapidement  de  vomissements  et  on  ne  peut  faire  tolérer  la  substance  injectée  dans 
l'estomac  avec  la  sonde  œsophagienne,  qu'en  suspendant  un  certain  temps  l'animal  pour 
empêcher  l'effort  du  vomissement. 

Au  contraire,  par  la  voie  intra-veineuse,  on  peut  apprécier  exactement  la  dose  admi- 
nistrée. Ainsi  que  Laborde,  sur  des  chiens  de  12  à  15  kilogrammes,  je  suis  arrivé  à  déter- 
miner des  accidents  toxiques  avec  une  dose  maximum  de  vingt  centigrammes. 

Les  phénomènes  qui  ont  le  plus  frappé  les  premiers  expérimentateurs,  tels  que  Marge, 
E.  Decaisne,  etc.,  sont  les  convulsions  épileptiformcs  dont  sont  atteints  les  animaux 
auxquels  on  administre  de  l'essence  d'absinthe. 

Ces  phénomènes  ne  sont  pourtant  pas  les  seuls,  car  les  divers  systèmes  et  appareils 
de  l'organisme  sont  touchés  en  même  temps  que  le  système  neuro-musculaire. 

Appareil  digestif.  —  Si  l'on  en  croit  la  plupart  des  auteurs  qui  parlent  des  propriétés 
del'absinthe,  cette  substance  serait  pour  l'estomac  un  stimulant  et  un  tonique,  mais  il  ne 
faut  voir  dans  cet  effet  que  l'action  de  la  substance  amère  azotée  connue  sous  le  nom 
d'absinthine.  Car,  si  l'on  expérimente  avec  l'essence  d'absinthe,  on  constate  bien  vite  que 
celte  dernière  n'est  nullement  bienfaisante;  administrée  par  l'estomac,  elle  donne  assez 
rapidement  naissance  à  des  vomissements  alimentaires,  d'abord  glaireux  et  quelquefois 
sanguinolents;  ces  vomissements  persistent  un  certain  temps;  ils  se  produisent  aussi  de 
la  même  façon  avec  les  mêmes  caractères,  lorsque  l'essence  a  été  introduite  dans  l'orga- 
nisme par  la  voie  intra-veineuse.  C'est  un  fait  que  j'ai  constaté  comme  tous  ceux  qui  se 
sont  occupés  de  cette  question.  En  même  temps  les  animaux  sont  pris  de  selles  abon- 
dantes et  diarrhéiques  qui  indiquent  une  hypersécrétion  dans  le  tube  digestif. 

Appareil  circulatoire.  —  Pour  MM.  Gadéac  et  Meunier,  l'essence  d'absinthe  est  un 
sédatif  de  la  circulation.  Je  ne  crois  pas  qu'on  puisse  arriver  à  cette  conclusion  en  obser- 
vant les  désordres  qui  se  produisent  dans  la  circulation  sous  l'inlluence  des  injections 
intraveineuses  d'essence  d'absinthe.  Généralement  au  moment  de  l'injection  la  pression 
subit  une  chute  brusque,  c'est  ainsi  que  je  l'ai  souvent  vu  tomber  de  0™,t4  de  Hg  à  0,06 
ou  0,07;  mais  elle  ne  tarde  pas  à  revenir  à  son  point  normal  pour  le  dépasser  même 
pendant  les  accès  épileptiformes.  Quant  au  nombre  des  pulsations,  il  est  toujours  assez 
élevé  et  a  plutôt  de  la  tendance  à  augmenter.  Il  est  vrai  que,  lorsque  l'on  approche  de  la 
mort  par  intoxication  absinthique,  la  pression  baisse  peu  à  peu,  les  battements  du  cœur 
deviennent  très  irréguliers  et  moins  nombreux  jusqu'à  ce  que  le  cœur  s'arrête  définiti- 
vement. On  doit  distinguer  deux  ordres  de  troubles  dans  cette  série  de  phénomènes  : 
1°  ceux  dus  à  l'action  directe,  irritante,  de  la  substance  sur  la  paroi  interne  de  l'appareil 
circulatoire;  2"  ceux  dus  à  l'action  sur  les  centres  nerveux,  surtout  les  centrés  ganglion- 
naires du  cœur,  que  l'on  trouve  généralement  à  l'autopsie  distendu  par  des  caillots  noi- 
râtres. Du  reste,  sous  l'influence  de  cette  intoxication,  tous  les  tissus  sont  congestionnés 
par  suite  d'une  action  paralysante  qui  se  fait  sentir  sur  les  vaisseaux.  Le  fait  se  constate 
à  l'autopsie,  et  même  sur  le  vivant,  comme  je  le  dirai  à  propos  du  cerveau. 

Température.  —  La  température  ne  paraît  pas  subir  de  bien  grandes  variations. 
Quelques  dixièmes  en  plus  ou  en  moins  suivant  l'excilation  ou  le  repos  de  l'animal,  mais, 
dans  la  majorité  des  cas,  la  température  revient  assez  vite  au  chiffre  normal;  avec  les 
attaques  elle  peut  pourtant  s'élever  de  2°  (Magnan,  Cadéac  et  Meunier). 

Sécrétions.  —  L'action  sur  les  sécrétions  est  la  même,  quelle  que  soit  la  voie  de  péné- 
tration; elles  sont  généralement  augmentées,  nous  l'avons  déjà  signalé  pour  le  tube 
digestif  à  propos  des  selles  qui  indiquent  une  augmentation  de  sécrétion  de  suc  intesti- 
nal et  de  bile;  il  en  est  de  même  de  la  salive  et  des  larmes.  On  remarque  quelquefois  que 


ABSINTHE    (Essence  d').  15 

les  ui'ines  ont  pris  la  teinte  verdâtre  de  l'essence  (?).  Les  reins  participent  du  reste  à 
l'hyperhémie  générale  que  l'on  constate. 

L'essence  d'absinthe  serait  aussi  pour  Gadéac  et  Meunier  un  diaphorétique  puissant. 
Expérimentant  sur  un  cheval,  ces  auteurs  ont  constaté  une  sudation  abondante  inondant 
l'animal. 

Appareil  respiratoire.  — Les  modifications  propres  que  l'on  observe  du  côté  de  cet 
appareil  ne  sont  pas  bien  considérables,  elles  paraissent  n'être  que  le  contre-coup  de 
l'action  sur  la  circulation  et  sur  le  système  neuro-musculaire.  Je  ne  crois  pas  que  l'es- 
sence d'absinthe  soit,  comme  le  disent  Gadéac  et  Meunier,  un  sédatif  de  la  respiration, 
car,  d'une  façon  générale,  le  nombre  des  mouvements  respiratoires  est  plutôt  accéléré. 
Ce  n'est  que  vers  la  fin  de  l'intoxication  que,  comme  pour  le  cœur,  la  paralysie  bulbaire 
gagnant  peu  à  peu,  le  rythme  respiratoire  diminue  pour  s'arrêter  ensuite.  A  l'autopsie 
les  poumons  sont,  comme  tous  les  autres  organes,  congestionnés,  et  présentent  des 
marbrures  (Magnan). 

Système  neuro-musculaire.  —  C'est  celui  sur  lequel  l'essence  d'absinthe  agit  avec 
le  plus  d'énergie.  C'est  en  effet  par  de  violentes  convulsions  que  débute  l'empoisonne- 
ment chez  tous  les  animaux  sur  lesquels  les  expériences  ont  porté,  et,  chez  tous,  c'est  la 
partie  antérieure  du  corps  qui  a  été  la  première  atteinte,  tête,  cou,  membres  antérieurs; 
en  somme  la  région  qui  est  sous  l'intluence  de  la  portion  bulbo-cervicale  de  la  moelle. 
Les  convulsions  généralisées  arrivent  ensuite. 

Quand  on  observe  un  chien  qui  est  sous  l'influence  d'une  certaine  dose  d'essence 
d'absinthe,  il  n'est  pas  rare  de  constater  chez  lui  un  habitus  [indiquant  qu'il  est  en  proie 
à  des  hallucinations. 

Quand  l'intoxication  est  assez  profonde,  l'on  voit  survenir  des  accès  épileptiformes. 
Les  mouvements  convulsifs  sont  très  énergiques,  surtout  dans  la  face,  le  cou  et  les  mem- 
bres antérieurs.  L'intensité  des  secousses  fait  croire  à  un  empoisonnement  strychnique. 
Tous  les  membres  sont  agités  par  des  mouvements  convulsifs  violents  et  rapides;  souvent 
l'animal,  sous  l'influence  des  contractions  spasmodiques  des  muscles,  est  atteint  d'opi- 
sthotonos  ou  de  pleurosthotonos;  d'autres  fois  c'est  1-a  flexion  qui  prédomine.  Ces 
•attaques  épileptiformes  sont  très  intenses,  c'est  ce  qui  en  fait  la  gravité  plutôt  que  leur 
fréquence  :  aussi  les  animaux  ne  tardent-ils  pas  à  succomber  épuisés,  dans  une  adynamie 
profonde,  avec  paralysie  du  cœur  et  du  poumon. 

Ces  phénomènes  convulsifs  sont  les  mêmes  chez  tous  les  animaux  sur  lesquels  on  a 
expérimenté,  tels  que  chien,  chat,  lapin,  cochon  d'inde,  rat,  oiseaux. 

L'essence  d'absinthe  agit  sur  tout  le  système  cérébro-spinal  ;  c'est  ce  qui  ressort  des 
expériences  de  Magnan.  L'ablation  des  hémisphères  cérébraux,  en  effet,  n'empêche  nulle- 
ment la  production  de  l'attaque  épileptique  absinthique.  De  même,  en  sectionnant  la 
moelle  chez  le  chien,  de  manière  à  séparer  le  bulbe  de  la  moelle,  on  voit  survenir  sous 
l'influence  de  l'empoisonnement  absinthique,  tantôt  une  attaque  d'épilepsie  par  le  bulbe, 
tantôt  une  attaque  d'épilepsie  par  le  reste  de  la  moelle. 

Étudiant  l'action  de  l'absinthe  sur  le  cerveau,  Magnan  a  pu  constater,  en  examinant 
le  fond  de  l'œil,  que  le  début  de  la  période  convulsive  coïncidait  avec  une  forte  conges- 
tion cérébrale  et  une  dilatation  pupillaire  qui  persistent  pendant  toute  la  durée  des 
attaques.  Cette  congestion  du  cerveau,  dont  les  traces  sont  très  manifestes  à  l'autopsie, 
peut  aussi  se  constater  sur  le  vivant  au  moyen  d'une  trépanation,  qui  permet  de  suivre 
la  marche  de  la  congestion  des  circonvolutions. 

A  l'autopsie,  on  constate  une  forte  hyperémie  du  bulbe  et  de  la  portion  supérieure 
de  la  moelle,  quelquefois  même  des  hémorrhagies  dans  l'épaisseur  ou  à  la  surface  de 
la  pie-mère  de  cette  région. 

D'après  S.  Danillo,  l'évolution  des  effets  toniques  de  fessence  d'absinthe  serait  pour 
diviser  en  cinq  périodes  distinctes  et  successives  :  i"  période  tonique;  2°  période  clonique; 
3°  période  choréiforme;  4°  période  de  délire,  a»  période  de  résolution. 

Un  fait  important  à  signaler,  c'est  qu'une  injection  d'alcool,  à  raison  de  1  gramme  à 
2  grammes  par  kilo  du  poids  de  l'animal,  arrête  complètement  la  marche  de  l'empoi- 
sonnement dans  les  quatre  premières  périodes  :  il  en  est  de  môme  du  chloral.  Pourtant 
il  ne  faudrait  pas  considérer  ces  substances  comme  les  antagonistes  véritables  de  l'es- 
sence d'absinthe. 


16  ABSINTHE    (Hygiène). 

Pour  le  même  auteur,  sous  l'influence  de  petites  doses  d'essence  d'absinthe,  l'excita- 
bilité de  la  région  corticale,  de  même  que  la  réflectivité  médullaire,  sont  exaltées  consi- 
dérablement pendant  les  intervalles  des  convulsions  et  du  délire.  Dans  la  période  de 
résolution,  la  réaction  cérébro-musculaire  paraît  s'affaiblir  progressivement,  tandis  que 
l'excitabilité  neuro-musculaire  persiste  encore  au  degré  normal. 

D'ailleurs,  pour  plus  de  détails,  comme  les  effets  de  l'essence  d'absinthe  ne  diffèrent 
pas  fondamentalement  de  ceux  des  autres  essences,  nous  renvoyons  à  l'article 
Essence. 

L'absinthe  plante  s'emploie  en  thérapeutique  comme  stimulant,  tonique,  vermifuge, 
fébrifuge  et  emménagogue. 

Bibliographie.  —  L.  V.  Marge.  Sur  l'action  toxique  de  l'essence  d'absinthe  (C.  R., 
1864,  t.  Lviii,  p.  628).  — E.  Decaisne.  Étude  médicale  sur  les  buveurs  d'absinthe,  précédée  de 
quelques  considérations  sur  l'abus  des  alcooliques  {C .  R.,  1864,  t.  lix,  p.  229).  —  Lancereaux. 
De  l'absinthisme  aigu  {R.S.  M.,  1881,  t.  xvii,  p.  231). —  Lancereaux.  Absinthisme  chronique 
et  absinthisme  héréditaire  (R.  S.  M.,  1881,  t.  xviii,  p.  218).  —  Magnan.  Recherches  de  phy- 
siologie pathologique  avec  l'alcool  et  l'essence  d'absinthe  :  ÉjMepsie  (A.  P.,  1873,  t.  v,  p.  US). 

—  St.  Danillo.  Contribution  à  la  physiologie  pathologique  delarégion  corticale  du  cerveau  et 
delà  moelle,  dans  l'empoisonnement  par  l'alcool  éthylique  et  l'essence  d'absinthe  (A.  P.,  1882, 
2'  série,  t.  x,  p.  388).  —  L.  Gautier.  Étude  clinique  sur  l'absinthisme  chronique  {D.  P., 
1882,  fl.  S.  il/.,  1883,  t.  XXI,  p.  6o3). — -CADÉAcet  A.  Meunier.  Sur  les  propriétés  physiologiques 
de  l'essence  d'absinthe  {Lyon  médical,  1889,  t.  lxi,  p.  443).  —  J.  V.  Laborde.  Sur  un  tra- 
vail présenté  à  l'Académie  de  médecine  par  MM.  Cadéac  et  Albin  Meunier,  relatif  à  l'étude 
physiologique  de  la  liqueur  d'absinthe,  au  nom  d'une  commission  composée  de  MM.  Ollivier 
et  J.  V.  Laborde,  rapporteur  [Bullel.  Académie  de  Médecine,  1889,  3"=  série,  t.  xxii,  p.  270). 

—  Cadéac  et  A.  Meunier.  Contribution  à  l'Étude  de  la  liqueur  d'absinthe  {Lyon  médical, 
1889,  t.  Lxii,  p.  456). 

CH.   LIVON. 

ABSINTHE  (Hygiène.)  —  L'absinthe  ou  l'essence  qu'on  en  retire  forment 
la  base  d'une  série  de  préparations  alcooliques  dont  la  plus  usitée  est  la  liqueur  d'ab- 
sinthe. 

Celte  liqueur  d'absinthe  est  un  produit  complexe,  solution  alcoolique  d'un  certain 
nombre  d'essences,  parmi  lesquelles  se  trouve  celle  qui  lui  a  donné  son  nom. 

L'article  précédent  a  fait  connaître  les  propriétés  toxiques  de  l'essence  d'absinthe.  Les 
recherches  de  Laborde  et  de  Magnan  prouvent  avec  la  dernière  évidence  que  c'est  bien 
à  elle,  contrairement  à  l'opinion  de  Cadéac  et  Meunier,  que  la  liqueur  d'absinthe  doit  ses 
propriétés  principales.  Il  est,  en  effet,  démoutré,  que  l'abus  de  ce  produit  détermine  chez 
l'homme  des  accidents  en  tout  comparables  à  ceux  qu'occasionnent  chez  les  animaux 
en  expérience  l'ingestion  par  voie  stomacale  ou  l'injection  intra-veineuse  d'essence  d'ab- 
sinthe, accidents  caractérisés  surtout,  suivant  les  doses  employées,  par  une  véritable 
attaque  d'épilepsie  ou  un  état  épileptiforme  semblable  à  ce  qu'on  désigne  en  clinique 
sous  le  nom  depe/tJ  mal.  Ces  accidents  sont  même  si  particuliers  qu'on  leur  applique  avec 
raison  la  dénomination  à.' absinthisme  et  qu'on  en  fait  une  forme  bien  distincte  de  l'alcoo- 
lisme, bien  que  souvent,  en  fait,  les  effets  de  l'essence  et  de  l'alcool  se  mêlent  et  se  con- 
fondent. 

Pour  pouvoir  raisonner  sur  la  question  en  connaissance  de  cause,  il  est  nécessaire  de 
connaître  à  peu  près  la  composition  de  cette  liqueur. 

On  obtient  la  liqueur  d'absinthe  par  deux  procédés  différents,  par  la  distillation  de 
la  macération  dans  l'alcool  d'un  certain  nombre  de  plantes  fraîches  ou  par  l'addition  à 
l'alcool  d'un  mélange  de  différentes  essences  commerciales.  Le  premier  procédé,  assez  com- 
plexe et  assez  coûteux,  est  de  plus  en  plus  délaissé  pour  le  second,  beaucoup  plus  simple  à 
mettre  en  œuvre.  Le  produit  obtenu  dans  les  deux  cas  est  ensuite  coloré  de  diverses  ma- 
nières pour  obtenir  la  teinte  verte  qu'on  recherche.  Les  proportions  d'alcool  et  déplantes 
ou  d'essences  varient  suivant  la  qualité  et  par,  conséquent  le  prix  de  la  liqueur  à  obtenir; 
le  commerce  dislingue  d'habitude  quatre  sortes  de  liqueurs  d'absinthe  :  l'absinthe  ordi- 
naire, l'absinthe  demi-fine,  l'absinthe  fine  et  l'absinthe  suisse.  Ces  mêmes  proportions  et 
même  la  nature  des  composants  peuvent  également  dilférer  suivant  la  marque;  il  y  a 


600 

600 

600 

>, 

200 

125 

125 

125 

200 

100 

100 

25 

223 

■iOO 

800 

1000 

„ 

400 

225 

230 

830 

.) 

225 

225 

750 

12  000 

16  300 

500 

8  000 

4  000 

ABSINTHE  (Hygiène).  17 

presque  autant  de  formules  que  de  fabricants  et  beaucoup  font  de  celle  qu'ils  exploitent 
un  secret  industriel  pour  rendre  la  concurrence  moins  facile. 

La   formule   suivante    a  l'avantage  de  montrer   les  différences  qui   peuvent   exister 
entre  les  trois  sortes  d'absinthes  provenant  d'une  même  fabrication. 


N  o  1        Feuilles  et  flevirs  de  grande  absinUie  .    . 

Feuilles  de  petite  absinthe 

Citronelle 

Sommités  fleuries  d'Hysope 

Angélique  (racine) 

Ànis  vert 

Badiane 

Fenouil 

Coriandre 

Alcool  à  85° 11 

Eau 9 

On  fait  macérer  pendant  vingt-quatre  heures  les  plantes  incisées  dans  le  tiers  envi- 
ron de  la  quantité  d'alcool  et  d'eau,  on  distille  avec  précaution  pour  retirer  le  volume 
d'alcool  à  85°  employé  et  on  ajoute  le  restant  d'alcool  et  d'eau. 

Les  absinthes  suisses  ont  à  peu  près  la  même  constitution  que  l'absinthe  fine,  mais 
les  proportions  de  grande  absinthe  sont  plus  fortes  et  peuvent  atteindre  celles  de  l'anis. 
Certains  fabricants  disent  remplacer  dans  leurs  formules  tout  ou  partie  de  l'absinthe  par 
des  génipis,  plantes  voisines  des  absinthes  vraies;  la  chose  est  loin  d'être  prouvée.  L'alcool, 
en  outre,  est  à  un  degré  plus  élevé. 

L'obtention  de  liqueur  d'absinthe  au  moyen  des  essences  demande  moins  de  mani- 
pulations et  permet  d'éviter  l'emploi  de  certaines  plantes,  souvent  difficiles  à  se  procurer 
en  état  convenable  dans  quelques  régions.  La  formule  suivante  donne  un  produit  simi- 
laire de  l'absinthe  fine  obtenue  par  la  formule  n"  1  : 

N°  2      Essence  de  grande  absinthe.   .  30  grammes. 

—  de  petite  absinthe.   .    .  10  — 

—  d'hysope 6  — 

—  de  mélisse 6  — 

—  d'anis 100  — 

de  badiane 100  — 

—  de  fenouil 30  — 

—  de  coriandre 2  — 

Alcool  à  85° 80    litres. 

Eau 20        — 

Celle  que  Cadéac  et  Meunier  ont  pris  comme  type  dans  leur  travail,  qui  forme,  d'après 
eux,  une  sorte  de  moyenne  entre  un  grand  nombre  de  formules  fournies  par  divers 
fabricants,  a  une  teneur  en  essences  notablement  plus  forte;  la  voici  : 

Essence  d'anis 6    grammes. 

—  de  badiane 4  — 

—  de  fenouil 2  — 

—  d'absinthe.   .......  2         — 

—  de  coriandre 2         — 

—  d'hysope 1         — 

—  d'angélique 1         — 

—  de  mélisse 1         — 

—  d'origan 1  — 

Alcool  à  70° 1  litre. 

Il  est  rare  cependant  de  trouver  des  absinthes  où  la  proportion  d'essence  d'absinthe 
soit  si  faible  ;  par  contre,  ici,  les  doses  d'essence  d'anis  et  d'essence  de  badiane  sont 
exagérées. 

Deux  facteurs  entrent  enjeu  dans  la  nocivité  de  la  liqueur  d'absinthe  :  l'alcool  et  les 
essences. 

DICT.  DE  PHYSIOLOGIE.   —    TOME   I.  2 


18  ABSINTHE  (Hygiène).' 

Il  serait  injuste  de  méconnaître  complètement  les  eflfets  de  l'alcool  dans  l'intoxication 
par  l'absinthe  pour  tout  attribuer  aux  essences.  Certains  des  symptômes  sont  communs 
à  l'alcoolisme  proprement  dit  (voir  Alcoolisme);  le  fait  s'explique  ])ar  la  richesse  en  alcool 
de  ces  liqueurs  d'absinthe.  En  efïet,  tandis  que  30  centimètres  cubes  de  bonne  eau-de-vie 
de  Cognac  contiennent  au  plus  16  centimètres  cubes  d'alcool  pur,  la  même  quantité 
d'absinthe  fine  en  renferme  plus  de  20,  et  certaines  absinthes  suisses  jusqu'à  2b.  Un 
buveur  d'absinthe  absorbe  donc,  à  volume  égal,  notablement  plus  d'alcool  qu'un  buveur 
d'eau-de-vie. 

De  plus,  il  est  reconnu  que  les  absinthes,  surtout  de  qualité  inférieure,  sont  souvent 
fabriquées  avec  des  alcools  industriels  peu  ou  pas  rectifiés,  par  conséquent  riches  en 
alcools  supérieurs  réellement  toxiques;  on  en  a  même  rencontré  qui  étaient  faites  avec 
de  l'alcool  dénaturé  parla  régie.  L'odeur  et  la  saveur  des  essences  sont  assez  fortes  pour 
masquer  complètement  les  qualités  organoleptiques  de  ces  alcools  et  faire  passer  la 
fraude.  Dans  ces  conditions,  il  est  certain  qu'il  y  aura  plus  encore  à  redouter  les  effets 
de  l'alcool,  parce  que  certaines  impuretés  peuvent  lui  donner  des  propriétés  spéciales; 
l'aldéhyde  salicylique  et  le  furfurol,  par  exemple,  lui  confèrent  des  propriétés  épilepti- 
santes. 

Mais  l'action  des  essences  est  infiniment  plus  à  redouter  que  celle  de  l'alcool;  et 
parmi  elles,  il  y  a  des  différences  delà  plus  haute  importance. 

Les  premières  recherches  de  Magna.n  avaient  conclu  à  incriminer  exclusivement  l'es- 
sence d'absinthe,  qui  seule  pouvait  déterminer  chez  les  animaux  en  expérience  la  véri- 
table attaque  d'épilepsie  caractéristique  de  l'absinthisme  ;  elles  avaient  démontré,  en  parti- 
culier, que  les  essences  d'anis  vert  et  de  badiane  jouissaient  d'une  innocuité  assez  marquée, 
puisqu'on  pouvait  en  faire  absorber  20  et  22  grammes  à  un  chien,  par  voie  stomacale, 
sans  provoquer  de  symptômes  bien  notables,  alors  que,  par  le  même  procédé,  2à4  gram- 
mes d'essence  d'absinthe  déterminaient  les  accidents  violents  de  l'attaque  épileptique  et 
du  délire  hallucinatoire. 

Les  expériences  de  Cadéag  et  Meunier  semblaient  devoir  renverser  cette  opinion, 
admise  sans  conteste,  et  ne  tendaient  rien  moins  qu'à  incriminer  l'essence  d'anis  que 
Magnan  avait  trouvée  si  peu  nocive.  Ces  expérimentateurs  allaient  jusqu'à  proclamer  que 
l'essence  d'absinthe  ne  pouvait  avoir,  dans  le  mélange,  qu'une  action  véritablement  bien- 
faisante. 

Les  nouvelles  recherches  de  Labobde  et  Magnan  sont  venues  infirmer  ces  derniers  résul- 
tats et  appuyer  au  contraire  ceux  obtenus  dans  les  premières  expériences,  en  démontrant 
de  nouveau  la  réelle  toxicité  de  fessence  d'absinthe  et  les  effets  bien  moins  marqués  des 
autres  essences  qui  l'accompagnent  habituellement  dans  la  liqueur.  Ces  physiologistes 
ont  établi  que  10  à  ta  centigrammes,  20  centigrammes  au  plus  d'essence  d'absinthe,  déter- 
minent, chez  un  chien  de  112  à  15  kilogrammes,  une  attaque  épileptique  intense;  qu'on 
pouvait  même  arrriver  à  ce  résultat  chez  les  jeunes  animaux  avec  une  dose  de  o  centi- 
grammes. Ils  ont  montré  que  la  toxicité  du  mélange  des  essences  autres  que  l'essence 
d'absinthe  était  de  beaucoup  inférieure,  puisqu'on  pouvait  introduire  dans  l'estomac  d'un 
chien  (de  10  à  15  kilogrammes)  15  à  20  grammes  de  ce  mélange  sans  obtenir  de  réaction 
autre  qu'une  accélération  de  la  respiration  et  du  pouls,  et  en  tout  cas  jamais  de  convul- 
sions épileptiformes;  et  qu'il  ne  fallait  pas  moins  de  1  gramme  de  ce  mélange  en  injec- 
tion inlra-veineuse  pour  produire  des  phénomènes  toxiques  caractérisés  par  de  l'excitation 
et  du  tremblement  localisé,  phénomènes  qui  disparaissent  alors  en  quelques  minutes.  En 
ajoutant  au  mélange  la  proportion  d'essence  d'absinthe  indiquée  par  la  dernière  formule, 
un  gramme  du  mélange,  en  injection  inlra-veineuse  au  chien,  suffit  pour  faire  apparaître 
l'effet  spécial  à  cette  essence,  l'attaque  d'épilepsie.  Quant  à  l'essence  de  coriandre,  l'es- 
sence d'hysope,  l'essence  de  fenouil,  qui  avaient  été  accusées  par  Cadéac  et  Meunier,  les 
effets  qu'elles  produisent  se  bornent  à  une  excitation  passagère,  qu'accompagnent  parfois 
quelques  petites  secousses,  puis  à  une  somnolence  bien  marquée  qui  s'observe  fréquem- 
ment aussi  chez  les  buveurs  d'absinthe  à  un  certain  moment,  vraisemblablement  produite 
par  ces  essences.  Les  essences  d'angélique,  de  menthe,  de  mélisse  peuvent  être  considé- 
rées comme  indifférentes. 

En  résumé,  pour  adopter  les  conclusions  du  rapport  de  Laborde,  l'essence  d'absinthe 
vraie  est,  de  toutes  les  essences  qui  entrent  dans  la  composition  de  la  liqueur  d'absinthe,  la 


ABSINTHE  (Hygiène). 


19 


plus  toxique  et  conséquemmejit  la  plus  danger-euse;  elle  est  seule  capable  de  produire 
l'attaque  épileptique  vraie.  C'est  elle  qui  imprime  son  cachet  particulier  à  l'intoxication 
causée  par  l'abus  si  commun  de  ce  produit  et  justifie  sa  dénomination  spéciale,  l'absin- 
tliisme.  Cette  intoxication  a  des  signes  caractéristiques  certains,  qui  permettent  de  la 
différencier  nettement  de  l'alcoolisme  simple  et  doivent  la  faire  considérer  comme  une 
véritable  intoxication  absinthique;  ce  sont  l'attaque  épileptique,  le  vertige,  le  délire  hal- 
lucinatoire précoce,  symptômes  qu'on  retrouve  dans  l'expérimentation  avec  l'essence 
d'absinthe  aussi  bien  qu'au  cours  de  l'observation  clinique. 

Les  recherches  de  Cadéac  et  Meunier  ont  cependant  servi  à  montrer  qu'il  y  avait  des 
essences  d'absinthe  moins  nocives  que  les  autres;  il  semble  malheureusement  que  ce 
soient  les  moins  estimées  et  conséquemment  les  moins  employées  pour  la  fabrication 
des  liqueurs,  de  qualité  fine  au  moins.  Laborde  dit,  en  particulier,  qu'on  vend  eu  Algé- 
rie, sous  le  nom  d'essence  d'absinthe,  une  essence  retirée  des  bulbes  d'asphodèle,  qui  sert 
à  fabriquer  une  liqueur  d'absinthe  que  les  indigènes  et  les  soldats  consomment  en  grande 
quantité  à  cause  de  son  bas  prix. 

Cette  essence  d'Algérie  doit  avoir  des  effets  nocifs  peu  marqués,  car  les  buveurs 
n'éprouvent  que  les  effets  dus  ordinairement  à  l'ingestion  d'alcool,  alors  que  les  officiers 
qui  consomment  presque  exclusivement  de  l'absinthe  véritable  en  ressentent  les  incon- 
vénients spéciaux.  Rentrés  en  France,  l'habitude  perd  ceux  des  soldats  accoutumés  à 
beaucoup  boire  de  ce  produit  peu  offensif;  se  livrant  alors  à  une  consommation  abon- 
dante, ils  montrent  rapidement  les  accidents  caractéristiques  de  l'absintliisme. 

Malheureusement,  pour  l'absinthe,  peut-être  plus  que  pour  toute  autre  boisson  alcoo- 
lique, l'abus  suit  d'ordinaire  de  près  l'usage  modéré  qu'on  en  fait  au  début;  ceci  se  voit 
surtout  dans  les  pays  chauds  où  la  soif  est  grande.  De  plus,  l'habitude  qu'on  a  de  con- 
sommer cette  liqueur  à  jeun  alors  que  l'absorption  en  est  plus  rapide  et  plus  sûre,  favo- 
rise son  action.  Aussi  doit-on  être  persuadé  qu'elle  est  un  facteur  important  dans  le 
nombre  toujours  croissant  des  cas  d'épilepsie,  d'aliénation  mentale,  de  ces  névroses  pro- 
téiformes  qui  sont  si  répandues  à  notre  époque.  Enfin,  elle  ne  nuit  pas  seulement  à  l'in- 
dividu qu'elle  empoisonne  :  on  retrouve  ses  effets  délétères  sur  les  enfants  qu'il  engendre, 
auxqurls  elle  transmet  l'une  ou  l'autre  de  ces  tares  héréditaires,  faiblesse  congénitale, 
racliitisme,  épilepsie,  qui  encombrent  les  hôpitaux  d'enfants. 

La  liqueur  d'absinthe  n'est  pas  seule  à  contribuer  à  ce  triste  bilan.  On  retrouve  de 
l'essence  d'alisinthe  dans  une  série  de  produits  similaires,  qu'on  dénomme  faussement 
apéritifri,  parce  que  leur  absorption  à  jeun  provoque  des  tiraillements  d'estomac  pris  à  tort 
pour  de  la  faim.  Les  bitters,  vermouths,  amers,  ne  renferment,  il  est  vrai,  que  peu  d'ab- 
sinthe ou  d'essence  d'absinthe,  mais  contiennent  d'autres  produits  actifs,  entre  autres  du 
salicylate  de  méthyle  (essence  de  winter-green),  et  de  l'aldéhyde  salicylique,  tous  deux 
convulsivants  énergiques,  moins  actifs  que  l'essence  d'absinthe,  mais  agissant  dans  le 
môme  sens.  L'eau  d'arquebuse,  très  usitée  comme  vulnéraire  et  cordial  dans  certaines 
régions,  renferme  plus  de  4  grammes  par  litre  d'essences,  en  tête  desquelles  se  trouve 
l'essence  d'absinthe  et  l'essence  de  rue.  Ces  produits  ont  certainement  une  bonne  part, 
plus  grande  peut-être  que  celle  des  alcooliques  vrais,  dans  ces  manifestations  d'irritabi- 
lité, d'indo''ilité,  de  violence,  qui  se  produisent  un  peu  de  tous  côtés. 

Répartition,  par  espèces,  des  quantités  d'alcools  frappées  des  droits. 

{Le^  chiffres  du  .présent  tableau  représentent  des  hectoliti-es  d'alcool  pur.) 


ANNÉES. 

.,z,.. 

et 

B,„... 

:z... 

LIQUEURS. 

.'i  l'eau-cJe-vie 
et  ilivevs. 

....... 

1885.  .   .  . 

■1  138  623 

H4958 

30  214 

37  732 

74  051 

8  806 

1444  3S6 

1886 

U 33 037 

109  244 

29  887 

65  268 

71  954 

10  498 

1419  888 

1887 

1  161644 

112  862 

30  267 

74178 

75  738 

12941 

1467  630 

1888 

1  108  822 

158  340 

30  932 

81342 

74  513 

14  497 

1  468  446 

1889  .... 

1 142  044 

162  012 

34  706 

90  498 

75  536 

12131 

1  516  927 

1890 

1  253  857 

172112 

36  072 

105  238 

81990 

13  519 

1662  808 

1891 

1  248  222 

173  218 

40510 

110  598 

8i  818 

13  001 

1  669  367 

1892 

1282  684 

183  824 

39  445 

129  670 

82  923 

14  823 

1733  369 

20  ABSINTHINE    —    ABSI  NTH  ISWI  E. 

Ainsi  la  consommation  de  ce  véritable  poison,  qui  est  l'absinthe,  est  très  grande;  et, 
ce  qui  est  pire,  elle  augmente  tous  les  jours.  Alors  que  la  consommation  des  alcooliques 
vrais  croît,  mais  dans  des  proportions  assez  faibles,  celle  de  l'absinthe  monte  avec  une 
rapidité  inouïe,  comme  on  peut  s'en  rendre  compte  par  le  tableau  précédent,  établi  par 
la  régie  pour  la  période  de  huit  années  i888-1892. 

Et  encore  cette  statistique  est-elle,  pour  plusieurs  raisons,  au-dessous  de  la  réalité. 

Certes,  en  présence  de  semblables  résultats,  on  doit  comprendre  qu'il  y  a  là  un  point 
capital  pour  l'évolution  physique  et  morale  de  nos  races,  qu'il  y  a  lieu  de  considérer  de 
tels  poisons  comme  un  véritable  péril  social  et  de  chercher  à  protéger  la  société  contre 
leur  extension  envahissante;  mais  le  moyen  reste  encore  à  trouver. 

Bibliographie.  —  Dcplais.  Traité  de  la  fabrication  des  liqueurs  et  de  la  distillation 
des  alcools.  Paris,  Gauthiers-Villars.  —  Magnan.  Accidents  déterminés  par  l'abus  de  la 
liqueur  d'absinthe  {Union  médicale,  1864,  t.  xxui,  p.  258).  —  Conférences  cliniques  sur  l'alcool 
et  l'absinthe  {Gazette  des  hôpitaux,  1869)'.  —  Recherches  de  physiologie  pathologique  sur 
l'alcool  et  l'essence  d'absinthe;  épilcpsie  {A.  P.,  1873,  p.  127).  —  Action  respective 
de  l'alcool  et  de  l'absinthe  {Congrès  international  pour  l'étude  des  questions  rela- 
tives à  l'alcoolisme.  Paris,  1878).  —  Claude  (des  Vosges).  Rapport  au  Sénat  fait  au  nom  de 
la  commission  d'enquête  sur  la  consommation  de  l'alcool  en  France,  février  1889.  —  Lance- 
heaux.  Absinthisme  aigu,  absinthisme  chronique  et  absinthisme  héréditaire  {Bull.  Acad.  de 
médecine,  1880).  —  Hardy  et  Magnan.  Analyse  de  l'essence  d'absinthe,  étude  clinique  et  expé- 
rimentale. {B.R.,  1882).  —  Laborde  et  Magnan.  De  la  toxicité  des  alcools  dits  supérieurs  et 
des  bouquets  artificiels  {Revue  d'Hygiène,  1887).  —  Cadéag  et  Meunier.  Étude  physiologique 
de  la  liqueur  d'absinthe  :\  Mémoire  lu  à  l'Académie  de  médecine  dans  la  séance  du  10  sep- 
tembre 1889.  —  Laborde.  Étude  physiologique  de  la  liqueur  d'absinthe  {Rapport  sur  le 
mémoire  précédent).  Académie  de  médecine,  i"^  octobre  1891.  — Cadéag  et  Meunier.  Contri- 
bution à  l'étude  de  la  liqueur  d'absinthe  {Revue  d'Hygiène,  1889).  —  Magnan.  Des  prin- 
cipaux signes  cliniques  de  l'absinthisme  {Revue, d'Hygiène,  1890). 

E.  MACÉ. 


ABSINTHINE  (C^  H--  O»).  —  Principe  amer  de  l'absinthe  qui  se  présente 
sous  la  forme  de  cristaux  brillants,  prismatiques.  Très  soluble  dans  l'alcool,  un  peu 
moins  dans  l'éther,  peu  soluble  dans  l'eau.  Avec  l'iicide  sulfurique  concentré  elle  prend 
une  coloration  jaune  rougeâtre,  tournant  vile  au  bleu.  Avec  l'acide  chlorhjdrique  une 
coloration  rouge  acajou,  avec  l'acide  azotique  aucune  réaction. 

Expérimentée  par  Fern.  Roux,  l'absintbine  n'est  pas  toxique,  même  à  forte  dose 
(2  grammes  pour  une  poule).  Son  action  semble  se  localiser  sur  le  tube  digestif;  elle 
paraît  très  manifestement  favoriser  l'expulsion  des  matières  fécales,  sans  pour  cela 
occasionner  de  la  diarrhée.  D'après  une  communication  de  Terray  à  la  Société  de  méde- 
cine de  Buda-Pesth,  en  1891,  sur  l'action  des  amers  sur  les  mouvements  de  l'estomac, 
l'absintbine  diminuerait  ces  mouvements. 

Bibliographie.  —  Fernand  Roux.  Étude  sur  l'absinthine  {principe  amer  de  l'absinthe) 
{Bulletin  général  de  thérapeutique,  1884,  t.  ovn,  p.  438).  —  Terray.  Action  des  amers 
sur  les  mouvements  de  l'estomac  {Société  de  médecine  de  Buda-Pesth,  in  Tribune  médicale, 
28  mai  1891,  p.  341). 

ABSI  NTH  ISME.  —  On  donne  ce  nom  à  l'ensemble  des  symptômes  que  l'on 
rencontre  chez  ceux  qui  font  abus  de  la  liqueur  d'absinthe.  Si  cet  abus  est  isolé,  on  se 
trouve  en  présence  de  l'absinthisme  aigu;  s'il  est  le  résultat  d'un  usage  prolongé  et 
quotidien,  on  a  alors  la  forme  chronique  qui  constitue  le  véritable  absinthisme. 

L'alcool  étant  le  véhicule  des  essences  de  la  liqueur  d'absinthe,  on  peut  dire  que  l'absin- 
thisme ne  va  pas  sans  l'alcoolisme;  pourtant  ces  deux  états  se  présentent  avec  des  carac- 
tères tels  qu'il  n'est  pas  possible  de  les  confondre.  Les  caractères  de  l'alcoolisme  seront 
décrits  dans  un  article  spécial,  il  ne  sera  question  ici  que  de  ceux  qui  peuvent  être 
attribués  à  la  liqueur  d'absinthe. 

Il  ne  faut  pas  oublier  que  dans  cette  liqueur,  l'essence  d'absinthe  n'est  pas  la  seule 


ABSINTHISME.  '21 

coupable,  elle  se  trouve  mélangée  avec  d'autres  essences  telles  que  celles  d'aiiis,  de 
badiane,  de  fenouil,  d'hysope,  d'origan,  d'angélique,  de  menlhe,  de  mélisse,  qui  ont 
chacune  une  action  spéciale,  dont  il  sera  question  à  l'article  Essences.  Ce  mélange  rend 
donc  l'étude  physiologique  de  la  liqueur  d'absinthe  beaucoup  plus  complexe  qu'on  ne  le 
croit,  et  l'absinthisme  ne  peut  pas  être  considéré  comme  le  résultat  de  l'intoxication  par 
une  seule  substance,  car  dans  ce  cas  ce  qui  est  dit  àfpropos  de  l'action  physiologique  de 
l'essence  d'absinthe  serait  largement  suffisant.  L'absinthisme  est  le  fait  d'une  intoxication 
très  compliquée  à  symptômes  prédominants. 

L'absinthisme  aigu  constitue  un  véritable  empoisonnement  dû  à  la  saturation  des 
éléments  organiques  parte  poison.  C'est  l'ivresse  absinthique,  beaucoup  plus  intense  que 
l'ivresse  alcoolique,  beaucoup  plus  prolongée,  turbulente,  tapageuse,  agressive,  carac- 
térisée par  des  hallucinations  et  des  convulsions  épileptiformes  avec  évacuations  involon- 
taires, écume  aux  lèvres  et  respiration  stertoreuse.  Après  cette  période  caractéristique 
survient  un  accablement  très  marqué,  une  stupeur  profonde  qui  persiste  jusqu'à  l'élimi- 
nation du  poison.  Mais  celte  ivresse  peut  quelquefois  se  terminer  assez  rapidement  par 
la  mort  et  les  autopsies  démontrent  qu'elle  est  occasionnée  par  de  l'apoplexie  méningée. 
La  mort  peut  aussi  se  produire  subitement  par  sidération,  après  un  excès  isolé,  chez  des 
sujets  qui  n'ont  pas  l'habitude  de  boire. 

L'absinthisme  chronique  se  manifeste  chez  le  véritable  buveur  d'absinthe,  il  est  le 
résultat  de  lésions  organiques  qui  apparaissent  peu  à  peu  sous  l'influence  de  la  répé- 
tition de  l'excitant  artificiel.  Les  symptômes  de  l'intoxication  se  développent  assez  vite 
avec  leurs  caractères  propres,  mais  souvent  ils  sont  mélangés  aux  symptômes  de  l'alcoo- 
lisme. 

Au  commencement  de  l'intoxication,  on  constate,  surtout  aux  membres  inférieurs,  une 
hyperesthésie  particulière  :  ie  réflexe  plantaire  est  tellement  exagéré  que  le  plus  petit 
chatouillement  des  pieds  peut  déterminer  chez  le  malade  une  véritable  crise  hystéro- 
épileptique. 

Cette  hyperesthésie,  beaucoup  plus  marquée  à  l'extrémité  des  membres  qu'à  la  racine, 
finit  par  envahir  peu  à  peu  tout  le  corps. 

Lorsque  l'intoxication  est  plus  ancienne,  cette  hyperesthésie  peut  faire  place  à  de 
l'anesthésie,  sauf  sur  certaines  régions,  véritables  zones  hystérogènes,  comme  en  rap- 
porte un  cas  très  intéressant  M.  Vill.a.rd  dans  ses  leçons  sur  l'alcoolisme.  Ces  troubles 
de  la  sensibilité  peuvent  arriver  jusqu'à  une  anesthésie  absolue,  aussi  bien  de  la  peau  ■ 
que  de  certaines  muqueuses,  buccale,  oculaire,  nasale.  Avec  ces  troubles  de  sensibilité 
générale  arrivent  bientôt  les  vertiges,  les  hallucinations.  Ces  troubles  hallucinatoires 
attaquent  tous  les  sens.  Les  intoxiqués  entendent  des  menaces,  des  provocations,  des 
injures  ;  ils  voient  des  chiens,  des  chats,  des  rats,  des  animaux  de  toute  sorte,  des  flammes 
qui  les  environnent,  des  gens  armés  qui  se  jettent  sur  eux;  ils  perçoivent  des  odeurs  de 
soufre,  des  puanteurs  qui  les  suffoquent;  les  aliments  et  les  boissons  ont  les  saveurs 
les  plus  désagréables;  ils  sentent  la  lame  du  couteau  traverser  les  chairs,  des  serpents 
ramper  et  glisser  sur  la  peau  ou  pénétrer  profondément  (Magn.\n).  En  un  mot  tous  les 
sens  sont  désagréablement  impressionnés.  Ces  symptômes  se  rencontrent  aussi  dans 
l'alcoolisme,  mais  la  caractéristique  de  l'absinthisme  ne  larde  pas  à  se  manifester.  En 
effet,  au  milieu  de  ce  cortège  de  symptômes,  le  malade  pousse  tout  à  coup  un  cri;  il 
éprouve  un  véritable  aura  el  tombe  dans  un  accès  de  convulsions  épileptiformes  qui 
dure  plus  ou  moins  longtemps.  L'accès  passé,  le  malade  reste  un  moment  inconscient, 
et  présente  de  nouveau  le  délire  hallucinatoire  qui  a  précédé  la  crise. 

Les  malades  cités  par  Magxan  se  mordaient  même  profondément  la  langue,  et  avaient 
des  évacuations  involontaires  pendant  l'accès. 

On  peut  dire  par  conséquent  que  ce  qui  caractérise  l'absinthisme,  c'est  le  délire  hal- 
lucinatoire précoce,  l'attaque  convulsive  épileptiforme  et  le  délire  inconscient  qui  la  suit. 
Cette  rapidité  des  troubles  intellectuels  est  propre  à  l'absinthisme,  l'alcool  met  plus  de 
temps  à  produire  des  troubles  pareils,  il  a  besoin  en  quelque  sorte  de  préparer  le 
terrain. 

Cette  différence  provient  de  ce  que  l'absinthe  agit  d'abord  sur  la  région  bulbo-cer- 
vicale,  tandis  que  l'alcool  agit  sur  la  région  dorso-lombaire  de  la  moelle. 

Dans  quelques  cas,  on  rencontre  des  convulsions  à  forme  clonique,  celles-ci  relèvent 


22  ABSINTHISME. 

des  préparations  de  liqueur  d'absinthe  et  notamment  de  l'introduction  du  salicylate  de 
méthyle  opérée  par  certains  fabricants  (Magnan). 

L'appareil  musculaire  ne  reste  pas  indemne  au  milieu  de  ces  troubles  du  système 
nerveux;  il  présente  un  état  très  marqué  d'incertitude  et  d'indécision.  Les  malades 
éprouvent  des  sensations  musculaires  diverses,  de  la  pesanteur  et  de  l'engourdisse- 
ment. 

M.  Motet  a  signalé  le  cachet  spécial  d'hébétude  que  présentent  ces  malades,  la  tré- 
mulation  fibrillaire  des  lèvres,  de  la  langue  et  des  muscles  de  la  face  ;  le  regard  triste 
et  terne,  la  dyspepsie,  l'amaigrissement,  la  coloration  jaunâtre  de  la  peau,  la  teinte 
violacée  des  muqueuses,  la  perte  des  cheveux,  les  rides  et  tous  les  caractères  de  la 
caducité. 

Parallèlement  à  ces  troubles  de  la  motilité,  les  lésions  des  centres  nerveux  progres- 
sent continuellement,  le  sommeil  est  agité  ou  constamment  troublé  par  des  rêves 
pénibles,  des  cauchemars,  des  réveils  brusques;  les  hallucinations  ne  font  qu'augmenter 
en  nombre  et  en  horreur.  Il  y  a  de  la  céphalalgie,  du  délire,  et  peu  à  peu  se  dessine 
la  période  de  dépression;  la  parole  est' embarrassée,  l'intelligence  s'engourdit,  la  para- 
lysie générale  fait  de  rapides  progrès,  les  accidents  congestifs  ne  font  qu'augmenter 
les  convulsions  épileptiformes,  et  la  mort  arrive,  ou  par  hémorrhagie  cérébrale  ou  à  la 
suite  de  ramollissement  chronique. 

Le  tableau  qui  précède  indique  assez  combien  sont  graves  les  accidents  produits 
par  l'intoxication  absinthique.  Aussi  peut-on  justement  être  effrayé  en  jetant  les  yeux 
sur  la  progression  démesurément  croissante  de  la  consommation  de  la  liqueur  d'ab- 
sinthe. 

Comme  le  dit  Legrand  du  Saulle,  les  résultats  moraux  d'une  aussi  funeste  passion 
sont  pour  le  moins  aussi  désastreux  que  les  désordres  physiques  et  intellectuels  qu'elle 
amène  à  sa  suite  ;  car  ils  s'adressent  à  la  meilleure  partie  de  l'homme,  à  son  intelligence, 
à  son  cœur  et  à  sa  volonté.  L'intelligence  fait  place  à  l'hébétude,  l'affection  à  l'égoïsme 
brutal,  la  volonté  à  l'irrésistible  entraînement  vers  les  stupides  satisfactions  de  l'ivresse. 
Le  scandale  entre  dans  les  familles,  l'artisan,  sans  songer  au  pain  que  lui  demandent  sa 
femme  et  ses  enfants,  court  au  poison  et  la  misère  prend  à  son  foyer  la  place  qu'il  a 
désertée  pour  le  cabaret;  car  «il  faut  plus  d'argent  pour  nourrir  un  vice  que  pour  élever 
trois  enfants  »  (Franklin).  Non  seulement  le  buveur  enlève  à  ses  enfants  le  pain  de 
chaque  jour,  mais  il  leur  enlève  le  plus  précieux  de  tous  les  biens:  la  santé.  Car  le 
buveur  n'engage  pas  seulement  sa  personne,  mais  encore,  ce  qui  est  beaucoup  plus 
grave  au  point  de  vue  social,  sa  descendance  (La.nceheaux).  L'habitude  se  transmet 
alors,  et  prépare  des  populations  de  dégénérés.  Alors  l'intoxication  semble  répondre  à  un 
besoin  de  la  nature  de  l'homme.  Quoique  ce  besoin,  né  de  l'habitude,  ne  soit  qu'appa- 
rent, dans  bien  des  circonstances  il  existe  à  l'état  impérieux.  C'est  que  l'influence 
héréditaire  se  fait  sentir.  L'usage  de  certains  poisons  cérébraux,  comme  l'alcool  et 
l'absinthe,  se  perpétue  quelquefois  parla  descendance,  avec  cette  fatalité  lamentable  qui 
régit  toutes  les  lois  de  l'hérédité  (Legraix). 

On  doit  donc  considérer  l'absinthisme  comme  une  véritable  plaie  sociale,  et  l'on  peut 
dire  que  c'est  une  question  qui  doit  non  seulement  préoccuper  les  hygiénistes,  mais 
encore  ceux  que  touche  la  fierté  nationale. 

Uq  fait  que  les  statistiques  établissent,  c'est  le  nombre  toujours  croissant  des  épilep- 
tiques.  Ne  les  doit-on  pas  à  l'influence  de  l'absinthe  et  des  poisons  similaires  sur  la 
descendance? 

Quelle  triste  perspective  que  celle  qui  attend  le  buveur  d'absinthe!  Pour  lui,  la 
paralysie  générale,  les  congestions  ou  les  hémorrhagies  cérébrales,  le  ramollissement; 
pour  ses  enfants,  la  folie,  l'idiotie,  la  scrofule  et  l'épilepsie! 

On  ne  saurait  trop  placer  ce  tableau  devant  les  yeux  des  populations  et  les  législateurs 
eux-mêmes  devraient  bien  se  pénétrer  des  conséquences  désastreuses  à  tous  les  points 
de  vue  de  cette  funeste  habitude.  Malgré  tous  les  efforts  de  ceux  que  préoccupent  ces 
graves  conséquences,  le  seul  résultat  des  travaux  entrepris  sur  la  question  c'est,  par  la 
statistique,  de  constater  que  la  consommation  va  toujours  en  augmentant  et  que  l'ha- 
bitude devient  irrésistible.  Aussi  est-il  permis  de  dire  avec  Jolly  :  «  Et  qu'est-il  donc  de 
plus  triste,  de  plus  humiliant  pour  la  dignité  de  l'homme,  pour  l'honneur  de  l'humanité 


ABSORPTION.  23 

de  s'avouer  vaincu  devant  l'attrait  de  deux  poisons  (l'absintlie  et  le  tabac)  également 
funestes,  d'obéir  servilement  à  une  habitude  qui  est  à  la  fois  un  attentat  à  la  santé 
individuelle,  à  la  santé  publique,  à  l'ordre  social,  à  l'intelligence,  à  la  morale,  à  la 
virilité  d'une  nation!  »  En  présence  de  ce  fléau  a-t-on  pris  quelques  mesures  énergiques? 
Loin  de  là.  Les  débits  vont  sans  cesse  en  augmentant.  Ils  étaient,  au  l"^""  janvier  1886,  au 
nombre  de  422  303  en  France,  soit  un  par  90  habitants.  L'ouvrier  qui,  sa  journée  finie, 
rentre  dans  sa  famille,  est  invité  à  chaque  pas  à  se  laisser  aller  à  son  penchant.  Il  ne  ren- 
contre sur  sa  route  que  débits  ou  bars.  Quoi  d'étonnant  alors  qu'il  succombe  à  la  tenta- 
tion ! 

Les  malades  qui  peuplent  les  asiles  d'aliénés  vont  toujours  en  augmentant.  On  ne 
doit  pas  en  être  surpris,  lorsque,  connaissant  les  résultats  de  l'intoxication  absiiithique 
avec  ses  effets  directs  ou  héréditaires,  on  jette  les  yeux  sur  la  consommation  démesu- 
rément croissante  de  cette  liqueur.  Un  fait  acquis,  c'est  que  le  nombre  des  aliénés  para- 
lytiques suit  fidèlement  le  mouvement  de  consommation  de  l'absinthe. 

Voici  quelques  chiffres  d'une  éloquence  terrible,  tirés  du  relevé  du  service  des  con- 
tributions indirectes. 

En  1884,  les  droits  ont  été  appliqués  à  1  489  000  hectolitres  d'alcool  dont  oOOOO  hec- 
tolitres d'absinthes  et  similaires. 

En  1892,  c'est-à-dire  huit  ans  après,  les  droits  ont  été  appliqués  à  1  733  369  hectolitres 
d'alcool,  dont  129  670  hectolitres  d'absinthes  et  similaires. 

C'est-à-dire  que  dans  la  période  des  huit  années  écoulées  entre  1884  et  1890,  la  con- 
sommation de  l'absinthe  a  augmenté  de  plus  du  double,  et  que,  pour  une  augmentation 
d'alcool  de  160  000  hectolitres,  on  trouve  une  augmentation  de  80  000  hectolitres  d'ab- 
sinthe. Quel  est  le  résultat  moral  que  l'on  peut  tirer  de  ces  chift'res"?  C'est  que,  si  les 
législateurs  ne  prennent  une  mesure  radicale  pour  mettre  un  terme  à  cette  cause  de 
déchéance  humaine,  d'affaiblissement  moral,  physique  et  numérique  de  la  nation,  la 
seule  préoccupation  qu'ils  puissent  raisonnablement  avoir,  c'est  de  bâtir  de  vastes  éta- 
blissements de  de'générés  et  d'aliénés. 

Bibliographie.  —  Legrand  du  Saulle.  Les  buvew'S  d'absinthe  (Gazette  des  hôpi- 
taux, 1860).  —  Voisin.  Absinthisme  chronique  {B.  B.  1862).  —  Marcé.  Accidents  déterminés 
par  l'abus  de  la  liqueur  d'absinthe  {Union  médicale,  1864).  —  Challand.  Étude  expérimen- 
tale et  clinique  sur  l'absinthisme  et  l'alcoolisme.  Paris,  1871.  — Jolly.  L'absinthe  et  le  tabac 
{Académie  de  médecine,  1871).  —  Dastre.  L'alcooliwie  et  l'absinthisme  {Revue  des  deux 
Mondes,  1874).  —  Gourmet.  Alcool  et  absinthisme.  Thèse  de  Montpellier,  n"  91 ,  187S.  —  Lan- 
CEREADX.  De  l'absinthisme  aigu  {Académie  de  médecine,  2™"  série,  t.  ix,  1881).  — 
Lancereaux.  Absinthisme  chronique  et  absinthisme  héréditaire  (Académie  de  médecine, 
2"°  série,  t.  ix,  1881).  —  Gautier.  Étude  clinique  sur  l'absinthisme  chronique  (B.  P.,  1882). 

—  Al.  de  Foville.  La  France  économique,  1887.  —  Allas  de  statistique  financière, 
Ministère  des  finances,  1889.  —  Magnan.  Des  principaux  signes  cliniques  de  l'absinthisme 
(Revîte  d'hygiène,  1890).  —  Legrain.  Étude  sur  les  poisons  de  l'intelligence  .{Anncdes  médico- 
psychologiques,  t.  XIV,  1891).  —  Lancereaux.  Alcoolisme  et  absinthisme  héréditaires  (Bulletin 
médical,  1891.  Revue  scientifique  (2),   1892).  —  Villabd.   Leçons  sur  l'alcoolisme,   1892. 

—  Magnax.  Recherches  sur  les  Centres  nerveux  (alcoolisme,  folie  des  héréditaires  dégénérés, 
paralysie  générale  ;  médecine  légale),  2™"=  série,  Paris,  1893. 

CH.  LIVON. 

ABSORPTION.  —  On  entend  par  absorption  la  pénétration  des  substances 
solubles  jusque  dans  le  milieu  intérieur,  sang  ou  lymphe  des  vaisseaux  ou  des  tissus, 
sans  qu'il  y  ait  effraction  des  revêtements  organiques. 

Peau.  —  Personne  ne  met  en  doute  le  fait  que  des  gaz  peuvent  passer  au  travers  de 
la  peau;  qui  joue  ainsi  un  certain  rôle  dans  la  respiration.  Elle  absorbe  notamment 
une  certaine  quantité  d'oxygène.  Mais,  où  l'accord  cesse  d'exister,  c'est  lorsque  l'on 
étudie  l'influence  de  la  peau  au  point  de  vue  de  l'absorption  des  liquides  ou  des  sub- 
stances dissoutes.  De  nombreuses  expériences  ont  été  faites  pour  résoudre  cette  question, 
et  les  résultats  obtenus  ont  très  souvent  été  contradictoires.  Cette  contradiction  s'ob- 
serve d'ailleurs  pour  beaucoup  de  points  relatifs  à  l'absorption  en  général;  ce  qui 
est  une  preuve  que  les  facteurs  qui  interviennent  ne  sont  pas  uniquement  du  domaine 


24  ABSORPTION. 

de   la  physique,  comme  il  était  d'habitude  de  l'admettre  il  y  a  un  certain  nombre 
d'années. 

Les  procédés  employés  pour  étudier  la  résorption  par  la  peau  sont  de  trois  espèces  : 
i°  les  pesées  avant  et  après  un  bain  simple  ou  tenant  en  solution  certaines  substances; 
2°  l'étude  des  urines;  3°  l'examen  des  phénomènes  physiologiques  résultant  de  l'appli- 
cation de  certaines  substances  actives  à  la  surface  de  la  peau.  Il  va  de  soi  que,  dans 
toutes  ces  méthodes,  il  faut  rigoureusement  se  mettre  à  l'abri  des  causes  d'erreurs  et 
notamment  de  celles  qui  pourraient  résulter  de  l'introduction  des  substances  à  étudier 
par  des  solutions  de  continuité  de  la  peau,  ou  encore  par  la  bouche.  (Voir,  pour  la 
bibliographie  ancienne,  R.  H.  et  Dictionnaire  de  médecine  de  Dechambre,  art.  Peau  et 
Absorption.)  ^ 

La  méthode  des  pesées  est  très  défectueuse  :  aussi  Fleischer  a-t-il  tenté  de  la  rem- 
placer par  l'emploi  du  pléthysmographe  de  Mosso.  Les  résultats  obtenus  par  cette  der- 
nière méthode  ont  été  négatifs.  Il  semble,  à  première  vue,  que  l'étude  des  substances 
qui  traversent  l'organisme,  c'est-à-dire  l'étude  des  urines  et  du  sang,  soit  mieux  à  même 
de  renseigner  sur  le  rôle  de  la  peau  dans  l'absorption.  Mais  plusieurs  causes  d'erreur 
sont  inhérentes  à  celte  méthode;  en  effet,  s'il  s'agit  d'étudier  l'absorption  de  substances 
qui  font  partie  intégrante  de  l'organisme,  la  méthode  ne  peut  donner  de  résultats,  et, 
si  l'on  emploie  des  bains,  ceux-ci  peuvent  agir  sur  la  circulation  cutanée,  de  façon  à 
retarder  ou  accélérer  l'élimination  par  une  simple  action  vaso-motrice.  Si  l'on  utilise 
des  substances  qui  n'entrent  pas  dans  la  catégorie  des  composés  normaux  de  l'orga- 
nisme, la  contradiction  dans  les  résultats  obtenus  résulte  du  fait  que  plusieurs  d'entre  . 
celles  qui  ont  servi  aux  expériences  agissent  sur  la  peau  pour  la  ramollir,  la  cautériser, 
en  un  mot  pour  mettre  la  substance  en  contact  avec  le  derme  proprement  dit.  Les 
mêmes  objections  s'appliquent  naturellement  aux  expériences  durant  lesquelles  on  a 
recherché  l'action  physiologique  de  certaines  substances.  D'autres  causes  d'erreur  peu- 
vent encore  résulter  de  véritables  défauts  d'expérimentation  inhérents  à  la  méthode. 
RôHRiG  {Die  Physiologie  der  Haut.  Berlin,!  876)  pulvérisait  des  solutions  de  morphine,  de 
curare,  de  digitaline  sur  la  peau  de  lapins,  et  il  a,  de  cette  façon,  obtenu  des  empoi- 
sonnements, tandis  que  von  Wittich  {Mittheil.  a.  d.  physiol.  Laborat.  Kœnigsberg,  1878) 
obtenait  des  résultats  négatifs.  Il  faut  tenir  compte  de  la  nature  de  l'animal  employé 
et  aussi,  dans  certains  cas,  des  conditions  vraiment  extraordinaires  des  expériences.  Il 
n'y  a,  en  effet,  rien  d'étonnant  à  ce  que,  comme  cela  a  eu  lieu  dans  quelques  expériences, 
le  lapin,  fixé  plusieurs  heures  sur  une  planchette,  présente  du  coma,  des  paralysies,  dii 
ralentissement  du  cœur.  Enfin,  le  dissolvant  lui-même  a  une  grande  influence,  ainsi  que 
Pabisot  {C.R.,  t.  Lvu,  1863)  l'avait  déjà  établi  précédemment.  On  a  d'ailleurs  tenu  compte 
des  objections  précédentes  dans  plusieurs  des  travaux  effectués  en  ces  dernières  années; 
toutefois  elles  sont  encore  applicables  à  certains  d'entre  eux,  et  c'est  sans  doute  ce  qui 
explique  la  persistance  des  divergences  dans  les  résultats  avec  la  variation  possible  des 
facteurs  physiologiques  qui  interviennent  dans  la  résorption  et  dont  les  conditions  peu- 
vent varier  sous  l'influence  de  causes  qui  échappent  encore  aux  investigations  des  expé- 
rimentateurs. Quoi  qu'il  en  soit,  voici  l'opinion  des  auteurs  qui  se  sout  occupés  de  cette 
question.  L.  V.  Kopff  {Zur  Frage  ilber  die  Résorption  durch  die  Haut.  Przeglad  leckarski, 
1886,  43)  admet  que  la  peau  résorbe  les  solutions  de  sublimé  corrosif  de  1  à  2  p.  100; 
mais  la  quantité  résorbée  est  très  faible.  La  peau  dégraissée  résorberait  mieux,  natu- 
rellement, que  la  peau  recouverte  de  son  enduit  sébacé.  D'après  Paschris  et  F.  Obehmayer 
[Centralbîatt  f.  Uin.Medic.,t.  xn,  pp,  65-69);  le  lithium  étant  appliqué  sous  forme  de  pommade 
sur  le  dos,  ou  bien  des  solutions  de  chlorure  de  lithium  à  10  p.  100  pulvérisées  sous  forme 
de  spray,  retrouverait  le  lithium  à  l'examen  spectroscopique  dans  les  urines.  Muller 
[Arch.  f.  loissench.  u.pract.  Thierheilk,  t.  xvi,  p.  309)  prétend  que  le  mercure  appliqué  sur 
la  peau  se  retrouve  dans  les  urines  (par  électrolyse)  et  dans  les  matières  fécales.  Il  y 
aurait  également  absorption  du  plomb  appliqué  en  pommade,  tandis  que,  en  solution, 
en  bains  notamment,  il  ne  serait  pas  résorbé,  pas  plus  que  l'iodure  de  potassium 
quand  on  plonge  les  pieds  dans  une  solution  de  ce  sel.  L'acide  borique  en  application 
extérieure  ne  serait  pas  non  plus  résorbé;  l'iode,  au  contraire,  serait  déjà  reconnais- 
sable  dans  les  urines  après  deux  heures.  L'absorptinn  de  l'iodure  de  potassium  dans  les 
conditions  signalées  plus  haut  aurait  lieu  suivant  Kopff.  On  retrouverait  en  effet,  dans  ce 


ABSORPTION.  25 

cas,  dans  les  urines,  l'iodure  comme  tel,  ou  combiné  aux  substances  organiques  (Iîopff, 
Przelad  leharski,  n"  44,  43).  R.  Wimïernitz  {Arch.  f.  exp.  Pathol.  u.  PharmakoL,  t.  sxviii, 
1887,  p.  405)  s'est  occupé  de  l'absorption  par  la  peau  en  tenant  compte  de  l'influence  du 
dissolvant.  La  résorption  de  la  str5'chnine  parla  peau  du  lapin  se  fait  facilement  quand 
on  emploie  la  solution  chloroformique;  elle  est  moins  facile  an  contraire  avec  les  solu- 
tions éthérées  et  alcooliques.  Ou  n'observe  de  résorption  de  la  solution  aqueuse  que  si 
l'endroit  de  l'exjiérience  est  rasé  et  imbibé  de  chloroforme  (lo'à  20'),  d'étber  (5'  à  lo')ou 
d'alcool  (li)').  L'absorption  est  alors  la  plus  rapide  après  application  du  chloroforme  et 
la  moins  rapide  après  celle  de  l'alcool.  Dans  ces  conditions  mêmes  l'absorption  des 
solutions  aqueuses  ou  huileuses  est  très  restreinte.  La  peau  humaine,  qui  possède  un 
épidémie  plus  résistant  que  celui  du  lapin,  est  moins  susceptible  encore  de  résorber  les 
solutions  aqueuses  d'alcaloïdes,  par  exemple,  ou  de  sels  de  lithium  (employés  également 
par  Paschkis  et  Obermayer  :  voir  plus  haut).  Les  solutions  éthérées  permirent  seules  la 
résorption,  tandis  que  celle-ci  ne  s'observait  pas  avec  les  solutions  alcooliques  ou  chlo- 
roformiques.  Les  lavages  d'étber  permirent  également  seuls  la  résorption  des  solutions 
aqueuses,  tandis  que  le  chloroforme  et  l'alcool  demeuraient  sans  action.  —  Valentin 
JuHL  {Untersuchimgen  ûb.  das  Resorptionvermûgen  d.  menschl.  Haut  fur  zerstaùhte  Flussigk. 
I).  Arc/i./'.A/in.  i¥ed.,  t.  xsxv,  pp.  ol4-523)  qui  a  expérimenté  chez  l'homme  l'effet  des  pulvé- 
risations sur  la  peau,  pense  que  l'absorption  est  possible,  au  moins  pour  les  solutions  al- 
cooliques de  tanin,  de  salicylate  de  soude  ou  d'acide  salicylique.  Le  ferrocyanure  de 
potassium  en  solution  à  3  p.  100  se  trouve  en  quantité  minime  dans  les  urines,  déjà 
après  six  heures.  G.  M.aas  {Ueber  die  Résorption  fein  zerstaiibt.  Flitssigk.  d.  mensch. 
Haut.  Wtirzburg.  Dissert.,  1886)  et  Ritter  {Zur  Frage  der  Hautresorption.  B.  klin.  Woch., 
1886,  no  47)  qui  ont  essayé  l'effet  des  pulvérisations  de  solutions  d'iodure  de  potassium 
et  de  salicylate  de  soude  continuées  pendant  une  demi-heure  admettent  qu'il  n'y  a  pas 
la  moindre  résorption  cutanée.  L'emploi  de  l'acide  salicylique  a  donné  une  seule  fois 
un  résultat  positif;  mais  alors,  la  concentration  4  à  o  p.  100  était  telle  qu'il  se  produisit 
des  ulcérations  qui  favorisèrent  l'absorption  même  de  sels  indilïérents.  L'emploi  des 
onguents,  même  de  la  lanoline,  ont  donné  des  résultats  négatifs  à  Ritter  et  à  P?eiffer 
{Inaug.  Dissert.  Wtirzburg,  1886).  Ces  résultats  sont  très  différents,  on  le  voit,  de  ceux 
qu'a  obtenus  Champouillon  (C.  R.,  t.  Lxxsn,  pp.  lOM-1013)  qui  prétend  que  la  peau 
résorbe  le  fer  et  le  manganèse  des  eaux  minérales.  Guinabd  et  Bouret  {Lyon  médical, 
1891),  dans  leurs  recherches  sur  la  résorption  par  la  peau  des  substances  incorporées 
dans  la  graisse,  la  vaseline,  la  lanoline,  ont  admis  que,  même  après  plusieurs  heures 
d'application,  ni  l'iodure  de  potassium,  ni  la  strychnine,  ni  l'atropine,  ni  le  chlorure 
mercurique  ne  sont  absorbés,  et  cela,  pas  plus  chez  l'homme  que  chez  les  animaux,  tels 
que  le  chien,  le  bœuf,  le  lapin,  quand  on  prend  la  précaution  nécessaire  pour  qu'ils  ne 
puissent  lécher  le  médicament. 

L'absorption  d'iode  après  application  de  pommade  iodurée  doit  dépendre,  d'après 
ces  auteurs,  de  la  mise  en  liberté  d'iode.  Cette  mise  en  liberté  aurait  lieu  surtout  dans 
les  graisses,  puis  dans  la  lanoline,  enfin  dans  la  vaseline.  On  a  cru,  pendant  un  certain 
temps,  que  la  lanoline  favorisait  la  résorption  des  médicaments  par  la  peau.  Celte  idée 
est  abandonnée  aujourd'hui  (Guttmann.  Z.f.  klin.  Med.,  t.xn,  pp.  274,  289).  Des  travaux  plus 
récents,  tels  que  ceux  de  Schum  {Experiment.  Beiiriige  zur  Frage  der.  Resorpt.  v.  der  menschl. 
Haut.  Dissert.,  Wurzburg,  1892)  concluent  à  l'absorption  par  la  peau  de  l'acide  phénique, 
de  l'acide  salicylique,  du  salol  en  solutions  alcooliques  ou  aqueuses,  tandis  que  l'iodure 
de  potassium,  le  salicylate  de  soude,  le  tanin,  la  résorcine  ne  seraient  pas  résorbés. 
Les  premières  comprendraient  les  substances  oxydantes  et  kératolytiques,  les  secondes, 
les  substances  réductrices  et  kératoplastiques.  Bourget  {Ueber  die  Résorption  der  Sali- 
cylsâure  durch  d.  Haut.  Therap.  Monatshefte,  Nov.  1893)  a  employé  les  pommades  à 
l'acide  salicylique  dans  le  traitement  d'affections  rhumatismales,  et  il  conclut,  des 
résultats  obtenus  et  aussi  de  l'examen  des  urines,  à  la  résorption  du  principe  actif.  Ces 
conclusions  sont  d'ailleurs  les  suivantes  :  l'acide  salicylique  est  rapidement  et  active- 
ment résorbé  par  la  peau.  La  peau  des  individus  jeunes  résorbe  plus  activement  que 
celle  des  individus  âgés,  celle  des  blonds  mieux  que  celle  des  individus  à  cheveux  foncés. 
Le  véhicule  employé  a  une  grande  influence.  Le  véhicule  le  plus  favorable  est  la 
graisse  ordinaire;  avec  la  vaseline  ou  la  glycérine,  la  résorption  est  nulle  ou  très  faible. 


26  ABSORPTION. 

L'absorption  par  le  tissu  cellulaire  sous-cutané  est  journellement  démontrée  sur 
l'homme.  On  a  injecté  des  quantités  considérables  de  liquides  physiologiques,  de  sang  dé- 
fibriné  et  même  de  substances  graisseuses  tenant  en  solution  des  matières  médicamen- 
teuses. On  a  tenté,  notamment,  de  remplacer  le  liquide  perdu  par  une  hémorrhagie  au 
moyen  d'injection  sous-cutanée  de  liquides  physiologiques  ou  de  sang  déflbriné  (Pala- 
T>m\.  Gazzettamedica,  1883.  —  Bareggi.  Cf.  klin.Med.,  1884,  p.  216. — Arch.p.  lesci.  medic, 
vn,  f.  l.  —  V.  ZiEMssEN.  Arch.  f.  klin.  Med.,  188S.  —  Cantani,  Lyon  médical,  t.  xlviii,  1885, 
p.  165).  Sahli  a  proposé  de  faire  un  lavage  de  l'organisme  dans  le  cas  de  fièvre  typhoïde 
en  injectant  de  grandes  quantités  d'eau  dans  le  tissu  cellulaire  sous-cutané,  eau  qui, 
résorbée,  s'élimine  par  les  reins  [Sammlung  Klin.  Vortràge  de  Volkmann,  1889.  Therap. 
Monatshefte,  1890),  en  entraînant,  espérait-on,  les  toxines.  On  a  même  essayé  de  nourrir 
des  malades  par  la  méthode  des  injections  sous-cutanées.  Cette  méthode,  au  point  de 
vue  pratique,  donne  de  faibles  résultats  (Hoffmann.  Vorlesungen  ilb.  allgem.  Thérapie. 
Leipzig,  1892,  p.  189).  Pick,  dès  1879  (Ernàhrung  mittelst  subcutaner  Injection.  D.  med. 
Wochenschi'ift,  no  3)  avait  répété  les  expériences  de  Menzel  et  Perco,  1869,  de  Krueg, 
1875,  Whitïacker,  1876,  sur  cette  question.  Il  observe  l'absorption  des  huiles,  du  sang 
déflbriné,  de  divers  sels  de  fer,  d'albumine.  Mais  ce  sont  surtout,  parmi  les  albumines,  la 
peptone,  le  sang  déflbriné  et  le  sérum  qui  sont  les  mieux  absorbés  par  cette  voie.  — 
EicHHORN  {Zur  kCmstlichen  Ernàhrung  durch  subcut.  Injectionen,  Wiener  med.  Woch., 
1881,  pp.  32-33-34)  montre  que  l'albumine,  l'huile  d'olive,  l'huile  de  foie  de  morue,  l'huile 
d'amandes  douces,  la  peptone,  le  lait,  le  sucre,  le  sang  déflbriné  sont  bien  supportés  et 
sont  résorbés.  Le  blanc  d'œuf  ne  le  serait  pas.  G.  Daremberg  (B.  B.,  1888,  p.  702:  Sur 
les  injections  sous-cutanées  d'huile  chez  les  cobayes  et  les  lapins)  a  montré  que  ces 
injections  tuent  les  animaux  en  produisant  une  péritonite  localisée  surtout  autour  de 
la  rate  (périsplénite  graisseuse).  Une  observation  d'un  intérêt  tout  général  est  celle  qui 
a  été  faite  par  Asher  [Ein  Beitrag  zur  Résorption  durch  die  Blutgefâsse,Z.B.,l.  xxix,  p.  249). 
Cet  auteur  a  montré  que  les  capillaires  sanguins  résorbent  certains  sels,  l'iodure  de 
sodium  par  exemple.  Le  sang  cède  ensuite  ce  corps  à  la  lymphe  qui  finit  par  en  contenir 
plus  que  le  sang  lui-même.  Si  l'on  admet  la  diffusion  quand  il  s'agit  de  résorption,  le 
fait  du  contenu  plus  riche  delà  lymphe  en  sel  de  sodium  permet  difficilement  d'invoquer 
la  même  cause  pour  ce  phénomène.  Il  faudrait  donc  admettre  la  diffusion  dans  un  cas, 
non  dans  l'autre,  ce  qui  est  irrationnel.  D'ailleurs,  le  fait  que  la  fibre  musculaire  qui 
baigne  dans  la  lymphe  ne  contient  pas  d'iodure  sodique,  parle  aussi  contre  l'idée  d'une 
simple  diffusion.  La  résorption  continue  par  les  vaisseaux  sanguins  est  donc  une 
résorption  active. 

Conjonctive  oculaire.  —  L'absorption  par  la  conjonctive  est  admise  par  tous  les  au- 
teurs, et  la  clinique  fournit  journellement  l'occasion  d'expérimenter  sur  l'homme  à  ce 
sujet  (atropine).  Cependant  Bellarminoff  l'a  étudiée  en  détail  dans  ces  derniers  temps  {Die 
colorimetrische  Méthode  angew.  bei  der  Untersuchung  der  Resorpt.  in  dem  vorderen  Augen- 
hammer.  C.  W.,  1892,  p.  802).  Il  s'est  servi,  à  cet  effet,  de  fluorescéine.  Le  passage  de 
cette  substance  dans  la  chambre  antérieure  de  l'œil  d'animaux  récemment  tués  est  plus 
lent  que  pour  les  yeux  vivants  ;  la  section  du  sympathique  cervical  ou  de  son  ganglion 
supérieur  diminue  le  coefficient  de  résorption.  L'excitation  du  cordon  cervical  l'active 
au  contraire.  La  section  du  trijumeau,  au  début,  la  diminue  de  1  fois  et  demie  à  2  fois, 
puis,  plus  tard,  l'augmente,  pour  l'amener  en  24  heures  à  150  à  250  fois  ce  qu'elle  était 
au  début.  L'excitation  réflexe  du  trijumeau  par  la  nicotine  diminue  le  coefficient  de 
résorption  de  1  fois  et  demie  à  2  fois.  La  cocaïne  en  instillations,  les  processus  inflamma- 
toires de  la  cornée  avec  ramollissement  de  son  tissu,  l'enlèvement  de  la  couche  épithé- 
liale  superficielle  accélèrent  la  résorption  parla  conjonctive  oculaire. 

Muqueuses  de  l'appareil  digestif.  — La  résorption  par  la  muqueuse  du  canal  digestif 
commence  déjà  dans  la  cavité  buccale.  Les  sensations  gustatives,  à  elles  seules,  le  prouvent 
{H.  H.,  p.  265).  Mais  des  expériences  directes  montrent  également  qu'il  en  est  ainsi. 
Un  rat  trachéotomisé  auquel  on  a  lié  l'œsophage  avec  la  partie  supérieure  de  la  trachée 
meurt,  quand  on  place  sous  la  langue  un  fragment  de  cyanure  de  potassium.  La 
résorption  par  les  parties  supérieures  du  tube  digestif  est,  en  tous  cas,  très  lente,  mais 
elle  est  réelle.  Il  suffit  d'examiner  le  contenu  de  l'estomac  immédiatement  après  la 
déglutition  pour  s'en  convaincre.  La  résorption  se  fait  par  l'estomac  et  l'intestin;  le 


ABSORPTION.  27 

fait  est  incontestable  naturellement;  mais  cette  résorption  varie  avec  les  différents 
points  du  tube  digestif,  et  elle  n'est  pas  aussi  générale  qu'on  l'a  cru. 

Sans  parler  de  la  résorption  des  matières  alimentaires,  qui  sera  étudiée  ultérieu- 
rement, nous  passerons  en  revue  les  travaux  qui  ont  été  exécutés  dans  ces  dernières 
années  sur  cette  importante  question.  Pbntzold  et  A.  Faber  {Ueber  die  Résorption  sfahig- 
keit  d.  menschlichen  MageyiscIUeimh.  u.  ihre  diagn.  Verwerth.,  Beii.  Uin.  Wochensch., 
1882,  no  21),  étudiant  la  résorption  de  l'iodure  de  potassium  par  la  muqueuse  gastrique, 
trouvent  que  3  heures  après  la  digestion,  ce  sel  est  résorbé  après  6  à  11  minutes,  tandis 
qu'il  est  absorbé  seulement  après  20  à  37  minutes,  22  à  4o  minutes  immédiatement 
après  le  repas.  Dans  le  gros  intestin,  suivant  les  mêmes  auteurs,  l'iodure  commencerait 
déjà  à  être  absorbé  après  9  minutes.  Pour  Wolff  {Centr.  f.  Min.  Medic,  1882,  p.  29),  la 
résorption  commencerait  déjà  dans  l'estomac  après  6  minutes.  Mais  les  faits  ne  se  passent 
pas  ainsi,  dans  tous  les  cas,  quelle  que  soit  la  substance  ou  le  dissolvant.  Tappeïner  {Ueber 
Résorption  imMagen,Z.B.,  t. x\i, pp. i91-D01)  a.în\t  à  ce  sujet  des  expériences  très  intéres- 
santes. Cet  auteur  injecte,  chez  des  chiens  ou  des  chats  à  jeun  auxquels  il  a  lié  le  pylore, 
des  solutions  faciles  à  doser.  Voici  les  résultats  obtenus  : 

S'il  injecte  dans  l'estomac  d'un  chien  ainsi  préparé  ^ff^73  de  sucre  de  raisin,  après 
3  heures  et  demie,  il  relire  de  l'estomac  ls''63.  S'il  emploie  0S'',56o  de  sulfate  de  soude 
après  3  heures  et  demie  il  retire  encore  0S'',477.  Chez  le  chat,  quand  on  introduit  dans 
l'estomac  1E"',2o  de  sucre  de  raisin,  on  retire  la  même  quantité  après  3  heures,  avec  une 
injection  deOB"',670  de  taurine, après 3  heures,  on  retire  06^,394. 13  heures  après  l'injection 
à  un  chien  de  10s'',7  de  peptone,  on  trouve  encore  9'^',ë.  Le  sulfate  de  strychnine  qui  tue 
un  chat  en  8  minutes  demande  dans  les  conditions  qui  précèdent  1  h.  et  demie  à  3  heures 
pour  agir.  Il  en  est  tout  autrement,  si  l'on  remplace  les  solutions  aqueuses  par  des 
solutions  alcooliques  ;  la  strychnine,  par  exemple,  dissoute  dans  S  ce.  d'alcool  à  9'6°  et 
IScc.  d'eau  agirait  en  10  minutes.  Les  résultats  obtenus  avec  une  solution  légèrement 
alcoolisée  de  chloral  sont  identiques  à  ceux  que  l'on  obtiendrait  sur  un  animal  à  pylore 
non  lié,  tandis  qu'une  solution  aqueuse  de  même  concentration  n'agirait  pas  sur  un 
animal  à  pylore  lié.  Les  résultats  obtenus  par  von  Anrep  {Die  Aufsaugung  im  Magen  des 
Hundes.  A.D6., 1881,  pp.  o04-5l4)  sont  différents  des  précédents.  Il  est  bon  d'ajouter  que  le 
manuel  opératoire  est  différent.  Dans  les  expériences  de  ce  dernier  auteur  le  pylore  n'est 
pas  lié  ;  mais  on  le  ferme  au  moyen  d'un  ballon  que  l'on  introduit  dans  le  duodénum 
par  une  fistule  gastrique,  et  que  l'on  gonfle  après  son  introduction.  —  Voici  les  résul- 
tats obtenus  par  Anrep.  Diverses  solutions,  de  sucre  de  raisin  ont  perdu  36  p.  100, 
S4  p.  100,  61,  1  p.  100,78  p.  100  en  1  heure  et  demie  à  2  heures.  S'agit-il  dans  ce  cas,  se 
demande  l'auteur,  d'une  simple  osmose?  Mais  alors  on  devrait  retrouver  une  quantité 
déterminée  d'eau  dans  l'estomac,  et  il  n'en  est  rien  ;  pour  1  gramme  de  sucre  on  trouve  dans 
l'estomac  53,  42,  11,17  ce.  d'eau,  c'est-à-dire  des  quantités  fort  variables.  La  syntonine, 
les  peptones  disparaissent  du  contenu  de  l'estomac  dans  la  proportion  de  23,3  à  33,9, 
p.  100.  —  Segall  {Versuche  ùber  die  Résorption  d.  Zuckers  im  Magen.  C.  W.,  1889,  p. 610) 
pense  que  la  résorption  de  sucre  par  l'estomac  a  lieu,  mais  qu'elle  est  plus  active  pour 
les  solutions  alcooliques  que  pour  les  solutious  aqueuses.  Cette  question  de  la  résorption 
du  sucre  par  les  parois  de  l'estomac  a  d'ailleurs  été  l'objet  de  nombreux  travaux.  Déjà, 
en  1884,  Smithhead  {Die  Résorption  des  Zuckers  u.  des  Eiiveisses  im  Magen.  A.  Db.,  1884, 
p.  481)  a  démontré  que  chez  des  grenouilles  à  pylore  lié  la  résorption  du  sucre  à  l'état 
solide  est,  au  début,  plus  rapide  que  pour  les  solutions  et,  pour  ces  dernières,  que  la 
résorption  est  en  raison  du  degré  de  concentration!  Elle  est,  à  9  p.  100  près,  terminée 
dans  les  24  heures.  V.  Mering  {Ueber  die  Function  des  Magens.  Therap.  Monatshefte, 
mai  1893)  a  repris  en  détail  cette  question  de  la  résorption  par  les  parois  de  l'estomac. 
■ —  A  la  suite  de  l'observation  clinique  qui  nous  apprend  que  les  individus  atteints  de 
dilatation  d'estomac  souffrent  de  soif,  de  constipation,  d'oligurie  et  aussi  à  la  suite  de 
ce  fait  d'observation  que  les  estomacs  dilatés  gardent  longtemps  les  liquides  ingérés, 
l'auteur  s'est  demandé  s'il  y  a  résorption  dans  l'estomac,  et  dans  l'affirmative,  ce  qui  est 
résorbé.  Sur  un  grand  nombre  de  chiens,  il  pratique  la  section  du  duodénum  au-dessous 
du  pylore.  Les  deux  ouvertures  de  l'intestin  sont  alors  suturées  à  la  peau  de  façon  à  con- 
stituer deux  ouvertures  qui  conduisent,  l'une  dans  l'intestin  grêle,  l'autre  vers  le  pjdore. 
On  fait  boire  à   ces  animaux  une  assez   grande    quantité    d'eau;    déjà,   pendant    qu'ils 


28  ABSORPTION. 

boivent,  l'eau  s'écoule  par  saccades,  et,  si  l'on  met  le  doigt  dans  l'ouverture  pylorique, 
on  sent  très  nettement  qu'il  s'ouvre  et  se  ferme  rylhmiquemenl  deux  à  dix  fois  à  la 
minute.  Chaque  fois  il  sort  une  quantité  d'eau  correspondant  à  2  à  13  centimètres 
cubes. 

L'alcool  se  comporte  tout  différemment  de  l'eau  ;  on  introduit  par  exemple,  au  moj'en 
de  la  sonde,  dans  l'estomac  d'un  gros  chien  opéré  comme  il  est  dit  plus  haut, 
300  ce.  d'une  solution  d'alcool  à  23  p.  100.  11  s'écoule,  en  tout,  par  la  fistule  duodénale, 
496  ce.  de  liquide  contenant  en  totalité  28  ce.  d'alcool.  C'est-à-dire  que  47  ce.  d'alcool 
ont  été  résorbés.  Il  faut  remarquer  que  la  quantité  d'eau  éliminée  est  de  468  ce,  alors 
que  seulement  223  ce.  ont  été  administrés.  Ce  résultat,  confirmé  plusieurs  fois,  montre 
que  la  résorption  de  l'alcool  s'accompagne  d'une  forte  excrétion  d'eau.  Le  sucre,  suivant 
VON  Mehing,  serait  également  résorbé  par  l'estomac.  Dans  une  expérience  faite  au  moyen 
du  sucre  en  solution,  les  chiffres  obtenus  ont  été  les  suivants  :  SurlOO  grammes  de  sucre, 
20  sont  résorbés  dans  l'estomac,  350  ce.  d'eau  sont  introduits  et  337  sortent.  Avec  les 
peptones,  300  ce.  d'une  solution  à  20  p.  100  donnent  473  ce.  de  liquide  sorti  par  1 
fistule,  liquide  contenant  12  p.  100  de  peptones,  c'est-à-dire  que  3  grammes  seulement 
sont  absorbés.  7  grammes  sur  30  de  chlorure  sodique  sont  également  absorbés  dans 
l'estomac.  La  résorption  par  l'estomac,  dans  tous  ces  cas,  fait  penser  à  la  diffusion,  contrai- 
rement à  la  résorption  dans  l'intestin  grêle.  Ces  résultats  concordent  partiellement 
avec  ceux  de  Hirsch(C.  f.  Min.  Med.,  1892,  p.  18).  La  résorption  des  sels  par  festomac  est 
encore  admise  par  Janowsky  (Z.  B.,  t.  xix,  pp.  397-443.  Versuche  ïibcr  die  Résorption  derMittel- 
salze  im  menschl.  Magen).  Zweifel  (lleher  Resorptionsverhâlt.  der  menscM.  Magenschleim- 
haut  zu  diagnost.  Zwecken  u.  im  Fieber.  D.  Arch.  f.  klin.  Medic,  t.  xxxix.  p.  349)  admet  aussi  la 
résorption  d'iodure  de  potassium,  plus  rapide  quand  l'estomac  est  vide  que  lorsqu'il  est 
rempli.  C'estaussiune  opinion  semblable  queprofesseKuEHL(Z.B.,  t. xxni, pp. 460-479.  Kiin- 
nen  von  der  Schleimhaut  des  Magens  auch  Bromide  u.  lodide  zerlegt  werden).  Klempeber  et 
ScHEUERLEN  (Das  Verhalten  des  Fettes  im  Magen.  Zeitsch .  f.  Med. ,  p.  370,  t.  sv)  ont  pratiqué  aussi 
des  expériences  sur  des  chiens  à  pylore  lié;  70  p.  100  du  sucre  de  raisin  introduit  dans 
ces  conditions  sont  résorbés,  tandis  que  la  graisse  ne  l'est  nullement.  Il  faut,  dès 
maintenant,  faire  remarquer  que  les  expérimentateurs,  qui  admettent  cependant  la  ré- 
sorption d'une  substance,  ne  sont  nullement  d'accord  sur  la  façon  dont  cette  résorption 
se  fait.  Ainsi  Hofmeister  {Das  Verhalten  des  Pe-ptons  im  Mugenschleimhaut,  Z.  P.  C,  t.  vi, 
pp.  69-74)  pense  que  la  peptone  traverse  l'estomac  autrement  que  ne  le  ferait  un  liquide 
traversant  une  membrane  en  vertu  de  la  diffusion,  ce  qui  est  différent  de  la  manière  de 
voir  de  von  Mering  (Voir  plus  haut). 

La  résorption  par  la  muqueuse  de  l'intestin  a  été  l'objet  de  travaux  innombrables. 
C'est  surtout  dans  la  moitié  supérieure  de  l'intestin  grêle  que  se  fait  l'absorption 
(Lépine  et  L.vNNOis.iJ.  B.,1882),  à  cause  des  replis  transversaux  (valvules  conniventes)  et 
du  nombre  considérable  de  villosités  qui  les  tapissent.  Toutefois,  pour  la  résorp- 
tion de  l'eau  par  l'intestin,  quand  on  a  aboli  les  mouvements  péristaltiques  par  la  mor- 
phine ou  l'atropine,  le  gros  intestin  agirait  plus  activement.  L'intestin  grêle,  dans  la  par- 
tie antérieure,  résorberait  beaucoup  moins,  l'estomac  n'absorberait  presque  plus,  comme 
dans  les  expériences  de  von  Mering  (Edkins.  The  absorption  of  water  in  the  alimentary 
canal.  J.  P.  t.  v,  3,  p.  333).  La  résorption  des  sels  par  l'intestin  est  aussi  incontestable. 
Lehmann  [Notiz  ûber  die  Résorption  einiger  Salze  aus  dem  Darm..  A.  Pf.,  t.  xxxiii,  p.  188),  en 
opérant  sur  des  lapins,  des  chiens  et  des  chats  en  pleine  digestion,  démontre  que  des 
sels,  tels  que  l'iodure  de  potassium  et  le  sulfocyanure  d'ammonium,  sont  résorbés  par 
une  anse  intestinale  fermée  et  extraite  de  la  cavité  abdominale,  anse  dont  on  entretient 
les  fonctions  par  un  courant  d'eau  chaude.  Cette  résorption  se  ferait  également  par  les 
vaisseaux  sanguins  et  les  lymphatiques,  comme  le  prouve  l'examen  du  contenu  des  uns 
et  des  autres.  Leubuscher  [Versuche  ûber  die  Résorption  im  Darmcanal.  Chem.  Cenlrahl., 
t.  XVI,  p.  737)  conclut  de  ses  recherches  que  la  résorption  par  rintestiu  augmente  en  même 
temps  que  la  pression,  jusqu'à  100  millimètres  d'eau  ;  elle  diminue  avec  des  pressions 
supérieures  à  ce  chiffre.  Une  solution  de  chlorure  sodique  de  0,23  à  50  p.  100  est  plus 
rapidement  résorbée,  toutes  choses  égales,  que  de  l'eau  pure.  Les  solutions  de  sels 
sodiques  seraient,  selon  le  même  auteur,  plus  résorbables  que  les  solutions  de  sels  potas- 
siques, bien  que  la  diffusibilité  de  ceux-ci  soit  plus  grande.  La  résorption  serait  enfin  plus 


ABSORPTION.  29 

rapide  pendant  la  digestion,  peut-être  à  cause  de  .la  dilatation  plus  grande  des  vais- 
seaux. Suivant  Gumilewski  {Ueber  Résorption  ini  Dimndarm.  A.  PI".,  t.  xsxix,  p.  536),  si  l'on 
remplit,  sous  même  pression,  une  anse  intestinale  2  ou  3  fois  de  suite,  on  remarque  que 
la  résorption  augmente  chaque  fois.  Il  y  aurait,  en  même  temps  que  résorption,  sécré- 
tion par  les  parois  intestinales.  Comme  Leubuscher,  l'auteur  précédent  admet  que  la 
résorption  de  l'eau  augmente  quand  on  y  ajoute  2o  p.  100  de  chlorure  sodique;  avec 
0,6  p.  100  de  sel  marin  il  y  a  plus  de  sel  résorbé,  que  d'eau.  La  sécrétion  augmente 
avec  la  quantité  de  sel;  avec  10  p.  100  de  sel  marin,  la  sécrétion  dépassant  notable- 
ment la  résorption,  le  contenu  intestinal  augmente  au  lieu  de  diminuer.  Une  solution 
à  0,123  p.  100  de  sulfate  sodique  est  résorbée  presque  aussi  vite  que  de  l'eau.  La  quan- 
tité absolue  de  sel  de  Gl.^-UBER  résorbée  croît  avec  la  concentration  de  la  solution.  Le 
gros  intestin  lui-même  résorbe  les  sels,  ainsi  que  le  prouvent  les  expériences  de 
Backiewicz  [Pamietnik.  Warsz  Tow._  Leh.  vol.  lxsxviii,  t.  i,  p.  H2).  Heidenhain,  dans  un 
tout  récent  travail  (Arch.  f.  die  ges.  Physiologie,  t.  lvi,  1894.  Neite  Versuche  iibe'-  die 
Aufsaugung  im  Dunndarm),  étudie  à  nouveau  cette  question  de  la  résorption  des  sels  par 
l'intestin,  en  se  servant  de  l'appareil  de  Beoem-^nn,  employé  la  première  fois  par  Dreser 
{Arch.  f.  exp.  Pathol.  u.  Pharmuk.,  t.  xxix),  dans  un  but  physiologique.  L'appareil  sert 
à  déterminer  la  valeur  de  A  qui  représente  l'abaissement  du  point  de  coagulation 
d'une  solution.  Cette  valeur  varie  avec  le  degré  de  concentration.  Il  résulte  des  recher- 
ches faites  par  Heidenh.\in  que  la  résorption  de  solutions  salines  se  fait,  partiellement 
du  moins,  contrairement  aux  lois  de  l'osmose  et  de  la  diffusion.  Le  seul  fait  de  la 
résorption  des  sels  du  sérum  de  l'animal  en  expérience  par  l'intestin  suffit  pour  mon- 
trer qu'il  intervient  quelque  chose  d'autre  que  les  lois  physiques  de  l'osmose  et  de  la 
diffusion,  au  moins  telles  que  nous  les  connaissons  actuellement.  Évidemment,  pour 
l'absorption  d'une  partie  des  solutions  salines  employées,  il  faut  admettre  que  les  forces 
physiques  jouent  un  rôle. 

Avec  des  solutions  de  chlorure  sodique  les  résultats  sont  les  suivants  : 
1°  Lorsque  la  concentration  des  solutions  introduites  dans  l'intestin  augmente  (voir 
Manuel  opératoire  dans  le  [mémoire  original  de  Heidenh.\in),  les  quantités  absolues  et  re- 
latives d'eau  résorbée  diminuent. 

2°  Avec  des  degrés  de  concentrations  qui  augmentent,  la  quantité  absolue  de  sel 
résorbée  (S)  augmente,  tandis  que  la  quantité  relative  (S')  diminue.  Les  rapports  entre 
les  quantités  de  sel  et  d'eau  résorbées  varient  de  la  manière  suivante  :  la  quantité  rela- 
tive d'eau  résorbée  diminue  plus  rapidement  que  la  quantité  de  sel. 

Le  fluorure  sodique  ajouté  à  une  solution  de  chlorure  fait  baisser  le  chiffre  de  l'eau 
résorbée  plus  fortement  que  celui  du  sel.  L'iodure  de  potassium  en  lavements  ou  en  sup- 
positoires est  rapidement  absorbé,  et  cette  résorption  «st  moins  active  dans  le  cas  de  trou- 
bles circulatoires.  L'absorption  des  gaz,  déjà  connue  de  Nysten,  et  bien  établie  par 
Cl.  Bernard  en  1836,  par  des  expériences  classiques  sur  l'intluence  de  l'introduction 
d'hydrogène  sulfuré  dans  le  rectum,  a  été  fréquemment  confirmée  chez  l'homme  pendant 
ces  dernières  années,  lorsque  Bergeron  a  préconisé  le  traitement  de  la  tuberculose  pul- 
monaire par  les  lavements  gazeux.  Cette  résorption  peut  être  assez  active  dans  certains 
cas  pour  produire  la  mort  des  animaux  en  expériences,  contrairement  à  l'hypothèse  de 
Cl.  Bernard  (Peyron.  Bull.  Biologie,  1886,  p.  51o).  Lauder-Brunton  (Ueber  Absorption 
der  Gase  in  Darmkanal  und  Uber  die  Wirkung  der  Carminative.  Rer.  d.  d.  chem.  Ges.  t.  xxi). 
divise  les  gaz  en  deux  groupes;  ceux  qui  sont  difficilement  solubles  dans  l'eau  (H,  CH*) 
qui  sont  difficilement  absorbés,  et  ceux,  comme  CO-  et  H-S,  facilement  solubles  et 
absorbables.  Il  faudrait  de  nouvelles  recherches  pour  établir  l'action  des  différentes  par- 
ties de  l'intestin  sur  cette  résorption  gazeuse,  parfois  fort  peu  active. 

La  résorption  des  peptones  par  le  tube  digestif  a  été,  elle  aussi,  l'objet  de  nom- 
breuses recherches,  parce  que,  en  effet,  on  ne  trouve  dans  le  sang,  même  en  pleine  diges- 
tion, que  des  traces  insignifiantes  de  ce  corps  quand  on  en  trouve,  ce  qui  n'arrive  pas 
toujours.  Mas  Wassermann  n'en  a  pas  trouvé  dans  le  sang  de  la  veine-porte  pris  en  pleine 
digestion  (B.  B.,  p.  1883, 170)  contrairement  à  l'opinion  émise  par  Drosdoff(Z.  P.  C.,1877). 
ScHMiDT  MuELHEiM  n'en  a  d'ailleurs  rencontré  ni  dans  le  canal  thoracique,  ni  dans  le 
liquide  transsudé  dans  la  cavité  péritonéale  à  la  suite  de  la  ligature  du  canal  thoracique. 
Les  peptones  se  rencontrent  cependant  dans  le  sang,  comme  le  prouve  le  tableau  suivant 


30 


ABSORPTION. 


emprunté  à  F.  Hofmeister  {Zw  Lehre  voni  Pepton.  Die  Verbreitung  des  Peptons  im  Thier- 
Urper.  Z.  P.  C,  t.  si,  pp.  31-6S). 

Contenu  0/0  en  peptones  des  différents  organes. 


TEMPS    ÉCODLB 

INTESTIN 

GROS 

depuis  le  dernier  repas. 

SANG. 

ESTOMAC. 

RATE. 

PANCREAS. 

(en  heures.) 

grêle. 

intestin. 

2 

0,0.34 

Traces. 

0,070 

0 

0 

0 

A 

0 

0,130 

0,092 

0,070 

0 

0 

6 

0,029 

0,0.50 

0,.302 

0,032 

0 

0 

7 

0,05b 

0,109 

0,432 

0 

0 

0 

9 

0,048 

0,257 

0,139 

0,055 

0 

0 

12 

0,037 

0,068 

0,091 

0,052 

0 

0 

15 

0,026 

0,200 

0,100 

0,085 

0,295 

0,338 

120 

0 

0,016 

0,032 

0 

0 

0 

La  quantité  de  peptones  du  sang  est  bien  inférieure  à  celle  que  l'on  trouve  dans  l'es- 
tomac et  l'intestin.  Encore  que  le  calcul,  ainsi  établi,  ne  se  prête  pas  très  bien  à  des 
comparaisons,  le  fait  d'une  quantité  de  peptones  plus  grande  dans  la  cavité  digestive  que 
dans  le  sang  est  cependant  évident.  D'autres  expériences  le  prouvent  d'ailleurs.  Neumeister 
{Ueber  die  Einfûhrung  der  Albumosen  und  Peptone  in  dem  Organismus,  Z.B.,  t.  xsv,  p.  877) 
trouve  que  le  sang  du  lapin  ne  contient  pas  trace  de  peptones  après  introduction  de 
peptone  et  d'albumose  dans  l'intestin,  pas  plus  que  la  lymphe;  confirmant  en  cela  les 
données  de  Schmidt-Muelheim.  Hofmeister  {Vntersuchungen  iibei- Résorption  u.  Assimilation 
der  Ndhrstoffe,  Arch.  f.  exper.  Paihol.  u.  Pharmak.  133.,  t.  xxs,  pp.  29!,  303)  admet  qu'une 
partie  des  peptones  passe  dans  la  circulation  générale  par  absorption  dans  les  vaisseaux 
sanguins  exclusivement.  Tous  ces  faits  prouvent  qu'une  partie  de  la  peptone  disparait 
dans  l'épaisseur  même  delà  muqueuse  intestinale,  comme  elle  disparaît  dans  l'épaisseur 
de  la  muqueuse  gastrique  (Hofmeister.  Loc.  cit.).  Des  expériences  directes  de  Neumeister 
le  prouvent  d'ailleurs  :  si  l'on  ajoute  à  de  l'intestin  frais  du  sang  peptonisé,  une  grande 
quantité  disparaît,  sans  qu'on  puisse  la  retrouver  dans  les  fragments  de  tube  digestif.  Il 
en  est  de  même  quand  on  se  sert  d'albumose;  il  y  aurait  seulement,  dans  ce  cas,  trans- 
formation préalable  en  peptone.  Tous  les  intestins  d'animaux  examinés  et  le  foie  de 
lapin  (non  celui  du  chien)  jouiraient  de  la  même  propriété.  Les  reins,  les  muscles,  le 
sang  ne  la  posséderaient  pas.  Cette  action  de  la  paroi  intestinale  est  admise  par  Salvioli 
(A.  06,  1880.  Supplément,  p.  212).  La  transformation  des  peptones  se  ferait  vraisembla- 
blement sous  l'intluence  des  leucocytes  de  l'appareil  lymphatique  intestinal.  Il  y  a 
augmentation  considérable  de  ces  leucocytes  dans  le  tractus  pendant  la  digestion 
(RoHMANN.  Ueber  Résorption  u.  Assimilation  von  Ndhrstoffen.  A.  fur  exper.  Path.  u. 
Pharmak.,  t.  xxii,p.  306),  Cette  augmentation  s'observe  surtout  dans  le  tissu  qui  réunit  les 
glandes  gastriques,  les  glandes  de  Liberkûhn  et  les  follicules  clos  qui  renferment  beau- 
coup plus  de  cellules  pendant  la  digestion  que  pendant  l'inanition.  La  présence  de 
noyaux  en  voie  de  division  prouve  qu'une  partie  des  cellules  est  formée  sur  place,  vrai- 
semblablement sous  l'influence  d'une  excitation  provoquée  par  tes  produits  de  la  diges- 
tion. Il  faut  citer  ici  l'opinion  de  G.  Fano  [Sperimentale,  sett.,  ott'.,  1882)  qui  prétend 
avoir  découvert  une  nouvelle  fonction  des  globules  rouges,  grâce  à  laquelle  ils  résor- 
beraient les  peptones  et  les  céderaient  peu  à  peu  aux  tissus,  jouant  vis-à-vis  de 
ceux-ci  le  rôle  d'élément  de  réserre  alimentaire  (?),  quelque  chose  d'analogue  au  rôle 
que  ces  éléments  exercent  à  l'égard  de  l'oxygène  dans  la  respiration.  La  résorption  des 
peptones  a3'ant  cependant  lieu  en  partie,  c'est-à-dire  une  partie  passant  à  l'état  de  pep- 
tone dans  le  sang,  suivant  Hofmeister  (loc.  cit.),  l'auteur  s'est  demandé  par  quelle  voie  se 
faisait  cette  résorption.  Il  conclut  de  ses  recherches,  qu'à  côté  du  transport  par  les 
leucocytes,  il  y  a  une  résorption  directe  qui  se  fait  uniquement  par  les  vaisseaux  san- 
guins (opinion  de  Schuidt-Muelheim). 


ABSORPTION.  31 

L'absorption  des  graisses  par  l'inlestin  a  été  l'objet  de  travaux  plus  considérables 
encore  que  celle  des  substances  qui  précèdent.  On  a,  en  effet,  cherché  par  de  nom- 
breuses expériences  à  déterminer  sous  quelle  forme  la  graisse  était  absorbée,  et  aussi 
comment  elle  pénétrait  dans  la  circulation  générale.  Perowoznikoff  (cité  par  AVill.  A.  Pf., 
pp.  2oo,  262)  a  prétendu  que  les  graisses  sont  d'abord  détruites  dans  l'intestin,  puis  recon- 
stituées dans  l'épithélium  intestinal.  Will.  {loc.  cit),  expérimentant  sur  des  grenouilles 
auxquelles  il  injectait  dans  l'intestin  soit  de  l'huile  d'olive,  soit  de  l'acide  palmitique  et 
un  peu  de  glycérine,  soit  un  palinitate  alcalin  et  de  la  glycérine,  a  observé  que  l'absorp- 
tion était  nulle  avec  l'huile  d'ohve  seule,  tandis  que  les  autres  substances  donnaient  un 
résultat  positif.  L'hypothèse  de  Perowoznikoff  se  trouvait  donc  confirmée,  dans  ce  cas. 
EwALD  (  Uebei' Fetthildunq  durch  die  ùberlebende  Darmschleimhaut.  Arch.  f.  Anat.  u.  Physiol., 
1883,  p.  302,  311),  a  aussi  démontré  la  formation  de  graisse  neutre  par  la  muqueuse  intes- 
tinale vivante  au  moyen  de  savons  de  glycérine.  Munck  [Ueber  die  Résorption  der  Fettsàure 
und  ihre  Venuerlhung  im  Organismus  1879,  p.  371,  374)  nourrit  un  chien  dont  l'équilibre 
nutritif  est  établi  pour  la  graisse  et  les  matières  azotées,  en  remplaçant  la  graisse  par 
une  quantité  correspondante  d'acides  gras.  L'animal  reste  en  équilibre  ;  les  acides  gras 
s'émulsionnent,  d'ailleurs,  exactement  comme  les  graisses  avec  les  cai'bonates  alcalins. 
Dans  le  chyle  d'animaux  nourris  avec  des  acides  gras,  on  trouverait  des  traces  d'acides 
libres  et  beaucoup  de  graisses  neutres.  —  Walther  {Zur  Lehre  von  der  Fettresorplion 
A.Db.,  1889,  p.b29),  confirme  les  résultats  obtenus  par  Munck.  Il  est  certain,  dit-il,  que 
les  acides  gras  se  transforment  déjà  en  glycérides  (graisses  neutres)  dans  l'intestin.  Alors 
même  que  l'on  n'a  pas  donné  des  graisses  neutres  dans  la  nourriture,  si  l'on  tue  un 
animal  8  à  10  heures  après  un  repas  avec  acides  gras,  on  trouve  d'abondantes  goutte- 
lettes de  graisses  neutres  dans  l'intestin,  plus  ou  moins  d'acides  gras  libres  et  assez 
peu  de  savons.  La  quantité  de  graisse  que  l'on  retrouve  dans  l'estomac  et  l'intestin, 
plus  celle  qui  s'est  écoulée  par  une  fistule  du  canal  Ihoracique,  est  bien  inférieure  à 
celle  qui  a  été  donnée  en  nourriture.  Une  partie  des  acides  gras  doit  donc  avoir  suivi 
un  autre  chemin  :  lequel?  On  l'ignore.  Le  chyle  et  l'intestin  sont  dans  les  expériences  de 
Walther  plus  riches  en  lécithine  que  normalement.  Dans  un  travail  ultérieur  {Ueber  die 
Synthèse  der  Fettsàure  im  thierischen  Organismus.  Wratch  n°^  12,  14,  15,  1890.6'.  P.,  t.  iv,  p. 
19,  590-392),  il  revient  encore  sur  l'hypothèse  que  les  acides  gras  subissent  dans  l'intestin 
une  modification  encore  inconnue  qui  a  peut-être  un  certain  rapport  avec  la  lécithine. 
—  Il  était  très  important,  pensait-on,  de  déterminer  si  les  graisses  se  transforment  en 
savons  solubles;  la  muqueuse  intestinale  imprégnée  d'eau  est,  en  effet,  évidemment  peu 
favorable  à  la'  pénétration  des  graisses.  0.  Minkowski  {Zur  Lehre  von  der  Fettresorption. 
Berl.  kl.  Woc/iensc/tnf<,  1889,  p.  13)  conclut  des  recherches  à' Abeluann {Ueber  die Ausnùtzung 
der  Nahrungsstoffe  nach  Pankreasextirp.  besonderer  Berucksicht.  m.  der  Lehre  von  Fettre- 
sorption. Dissert.  Dorpat,  1889),  que,  à  l'état  normal,  les  graisses  ne  sont  pas  résorbées 
sous  forme  de  savons,  car  la  décomposition  en  acide  se  faisant  dans  l'intestin,  c'est-à- 
dire  en  milieu  alcalin,  les  conditions  étant  éminemment  favorables  à  leur  formation,  on 
devrait  certainement  en  rencontrer.  D'autre  part,  penser  qu'une  partie  seule  est  sapo- 
nifiée, et  que  le  savon  dissous  émulsionne  le  reste  de  la  graisse  pour  en  favoriser  la 
résorption,  ce  n'est  pas  non  plus  vraisemblable.  Les  conditions  sont  réalisées  dans  les 
expériences  d'AsELMANN,  sur  des  animaux  à  pancréas  enlevé  et  cependant  les  graisses 
ne  s'absorbent  pas.  Ce  fait  est,  soit  dit  en  passant,  de  nature  à  montrer  l'obscurité  qui 
plane  sur  cette  question,  encore  à  l'heure  actuelle.  En  effet  le  pancréas,  qui  favorise  la 
résorption  des  graisses  et  des  acides  gras,  agit,  pourrait-on  dire,  en  influençant  d'une 
manière  particulière  les  cellules  de  la  muqueuse  intestinale;  mais  Abelmann  a  démontré 
que  la  graisse  du  lait  est  absorbée  d'une  manière  relativement  facile,  même  chez  les 
chiens  à  pancréas  extirpé.  Il  n'est  pas  d'ailleurs  nécessaire  d'invoquer  pour  l'absorption 
des  graisses,  plus  que  pour  celle  des  peptones,  les  lois  simples  de  la  filtration  ou  de  la 
diffusion;  on  sait  aujourd'hui  positivement  que  le  phénomène  est  d'un  tout  autre  ordre; 
aussi  ne  reviendrons-nous  pas  sur  l'importance  plus  ou  moins  grande  que  le  suc  pan- 
créatique ou  la  bile  peuvent  exercer  sur  le  passage  des  graisses  à  travers  les  membranes. 

Nous  continuerons,  pour  le  moment,  à  constater  la  réalité  de  l'absorption  de  la  graisse, 
sa  rapidité  et  nous  aborderons  ensuite  l'étude  do  l'influence  exercée  sur  elle  par  la  bile 
ouïe  suc  pancréatique.  Chez  un  homme  porteur  d'une  fistule  lymphatique,  Munck  et  Ro- 


32  ABSORPTION. 

sENSTEiN  {Weiteres  ziir  Lehre  von  der  Spaltung  und  Résorption  der  Fette.  A.  Db.,  1889, p. 481) 
ont  observé  que  iS  p.  100  de  la  quantité  de  blanc  de  baleine,  administré  à  cet  homme,  se 
retrouvaient  après  13  heures  dans  la  lymphe,  mais  sous  forme  de  palmitine.  Il  y  a  donc 
eu  dédoublement  probable  en  alcool  cétylique  et  acide  palmitique,  transformé,  ensuite, 
en  palmitine.  L'oléate  amylique  passe  dans  le  chyle  à  l'état  d'oléine.  La  rapidité  et  l'im- 
portance de  la  résorption  des  graisses  varient  d'ailleurs  avec  le  point  de  fusion  de  celles-ci. 
LnûwiG  Arnschinck  {Versuche  ùber  die  Résorption  verschiedener  Fette  in  dem  Darmkanal, 
Z.  B.,  t.  XXVI,  pp.  434-431.  'Inaiigur.  Dissert.  Milnchen,  Zurich,  1890)  a  classé  les  graisses  au 
point  de  vue  de  la  quantité  résorbée  comme  suit  :  les  graisses  dont  le  point  de  fusion  est 
inférieur  à  la  température  du  corps  (graisses  de  porc,  d'oie,  huile  d'olives),  étaient 
résorbées  à  2  à  3  p.  100  près  par  l'intestin;  les  graisses  dont  le  point  de  fusion  est  un  peu 
supérieur  (graisses  de  mouton  et  mélange  de  graisse  liquide  et  stéarine)  laissent  une 
perte  de  7  à  11  p.  100;  cette  perte  est  de  86  à  91  p.  100,  pour  celles  dont  le  point  de 
fusion  est  plus  élevé  encore.  Les  substances  grasses  qui  apparaissent  alors  dans  les  selles 
sont  constituées;  pour  les  graisses  de  porc,  d'oie,  de  mouton,  de  2  tiers  à  3  quarts  d'acides 
graslibres  et  de  savon; pour  la  stéarine,  de  9  dixièmes  comme  telle,  de  1  vingtième  à  1  qua- 
torzième comme  savon.  Quand  à  la  rapidité  de  la  résorption,  J.  F.  Munck  et  A.  Rose.nstein 
{Ueber  Darmresoi'ption  nach Beobachtitngen  an einer  lymph.  Fistelbeim  Menschen.  A.  D6.,1889, 
p.  376)  ont  trouvé,  en  recueillant  la  lymphe  qui  s'écoulait  par  une  fistule,  lymphe  qui 
contenait  oo  à  60  p.  100  de  la  graisse  absorbée,  que,  pour  les  graisses  solides  (suif  de 
mouton),  le  maximum  de  résorption  se  produit  vers  la  7'-'  ou  8°  heure,  mais  pour  les 
liquides  déjà  à  la  '6'^"  heure.  La  graisse  du  chyle,  pour  la  couleur,  la  consistance,  le 
point  de  fusion,  correspondait  à  la  graisse  incorporée.  En  donnant  de  l'acide  érucique  le 
même  auteur  a  trouvé  dans  le  chyle  des  graisses  correspondantes  à  l'érucine.  Il  y  a 
donc,  pour  la  graisse,  des  transformations  dans  l'intestin  et  dans  la  paroi,  qui  peuvent  être 
rapprochées  de  celles  que  subissent  les  albumines.  L'absorption  des  graisses,  pour  cer- 
tains auteurs,  serait  très  lente  et  se  continuerait  régulièrement  pendant  très  longtemps. 
(Z.\wiLSKi,  Arbeiten  mis  der  physiol.'  Anstalt  zu  Leipzig,  t.  xi,  p.  147,  1876.  Voir  aussi  H.  H., 
pp.  290 et  suivantes),  et,  plus  récemment,  FRXfiCK{DieResorptiond.Fettesàuren  der  Nahrungs- 
fette  mit  Vmgehung  des  Brustganges  Arch.  f.  Physiol.,  1892-492.  —  Forlschritt.  d.  Medic, 
1893,  p.  3o6,  n°  9;,  expérimentant  surtout  au  moven  des  acides  gras,  trouve  que,  même  dans 
les  cas  où  il  y  a  peu  de  nourriture  dans  l'estomac,  il  faut  à  celui-ci  presque  24  heures 
pour  se  débarrasser  des  acides  gras.  Celte  évacuation  se  fait  régulièrement  pendant  la 
digestion  de  sorte  que  4  p.  100  des  acides  gras  abandonnent  en  moyenne  chaque  heure 
l'estomac.  La  quantité  trouvée  dans  l'intestin  grêle  est  constamment  en  moyenne  b,34 
p.  100  de  laquantité  absorbée.  Chaque  portion  de  graisse  séjourne  en  moyenne  une  heure 
dans  l'intestin  grêle. 

La  bile  et  le  suc  pancréatique  exercent  une  grande  influence  sur  l'absorption  des 
graisses.  Ce  que  nous  savons  du  rôle  du  suc  pancréatique  dans  la  digestion  nous  permet 
de  concevoir  cette  importance  en  ce  qui  concerne  ce  liquide.  Mais  déjà  depuis  longtemps 
le  rôle  de  la  bile  a  été  considéré  comme  très  important  (Voir  pour  la  bibliographie  ancienne 
H.  H.,  pp.  290  etsuivantes).  Quand  on  interrompt  le  cours  de  la  bile  dans  l'intestin  (Muel- 
LER,  Ueber  Fettresorplion,  1886,  p.  484),  la  résorption  des  graisses  se  modifie,  en  ce  sens  que 
les  acides  gras  des  selles  ont  un  point  de  fusion  moins  élevé.  Mdnck  {Ueber  die  Résorp- 
tion von  Fetten  an  festenFettesdurennach  AiisschlussderGalleamDarmkanul,  Virchow's  Arch. 
t.  cxxii,  p.  302)  dit  que  les  recherches  de  Bidder  et  ScHami,  deVoir  {Ueber  die  Bedeutung  der 
Galle  fur  die  Aufnahme  der  Nahrungsto/fe  im  Darmkanal,  A.  P/'.,t.xxxis,  deRoBMANN(iJeo6ac/r 
tungenauHundenmit  Gallenfistel,A.Pf.,  t.  xxix,  p.  o09,  o36)  de  MvELi,ER{Untersuchungenùb. 
Icterus,Z.f..K.lin  Medic,  t.xn,pp.  43,  113)  ont  établi  que  les  animaux  à  fistule  biliaire  ou  les 
individus  ictériques  ne  résorbent  que  30  à  60  p.  100  des  graisses  qu'ils  résorbent  normale- 
ment, de  plus,  que  7  huitièmes  à  9  dixièmes  se  retrouvent  dans  les  matières  fécales  sous 
forme  d'acides  gras.  Dans  les  recherches  que  cet  auteur  a  entreprises  avec  de  la  graisse 
de-  porc  à  la  dose  de  3e''5  par  kilogramme  d'animal,  67  p.  100  étaient  cependant 
résorbés,  malgré  l'absence  de  bile.  Les  acides  gras  étaient  mieux  assimilés  encore  (6  p.  100 
en  plus).  Comme  les  acides  gras  sont  mieux  résorbés  que  les  graisses,  et  que,  dans  le  cas 
d'administration  de  ces  dernières,  on  trouve  cependant  des  acides  gras  dans  les  selles,  il 
faut  admettre,  avec  Nencke,  que  les  graisses  neutres,  en  l'absence  de  bile,  se  dédoublent 


ABSORPTION.  33 

moins,  ou  moins  vite,  sous  l'influence  du  suc  pancréatique;  peut-être  même  une  partie 
ne  se  dédouble-t-elle  que  dans  le  gros  intestin,  c'est-à-dire  en  un  point  où  la  résorption 
des  graisses  est  réduite  à  un  minimum.  Dastre  (B.  B.,  t887,  pp.  782,  787)  a,  par  une  expé- 
rience très  élégante,  montré  que  la  bile  a  une  grande  importance  pour  l'absorption  des 
graisses.  Cl.  Bernabd  avait  depuis  longtemps  déjà  établi  que,  chez  le  lapin,  après  injec- 
tion de  graisse  dans  l'estomac,  on  ne  voit  apparaître  la  graisse  dans  les  vaisseaux 
cliylifères  que  beaucoup  en  dessous  de  l'ouverture  du  canal  hépatique  au  point  où  se 
déverse  le  suc  pancréatique.  Dastre,  en  faisant  déboucherie  conduit  biliaire  beaucoup  en 
dessous  du  canal  pancréatique  et  en  montrant  que  l'injection  des  lymphatiques  appa- 
raissait seulement  en  ce  point,  a  prouvé  l'importance  de  la  bile  pour  l'absorption  des 
graisses.  Dastre  {Étude  de  la  digestion  des  graisses,  Arch.  de  physiologie,  1892,  p.  186. 
Recherches  sur  l'utilisation  des  aliments  gras.  Ibid.,  p.  711)  a  ci"u  pouvoir  établir  de 
recherches  faites  sur  des  chiens  à  fistule  biliaire,  que  la  bile  est  plus  active  que  le  suc 
pancréatique  pour  la  résorption  des  graisses.  Mais  on  peut  faire  aux  expériences  de 
ce  savant  certaines  objections  qui  diminuent  leur  portée.  C'est  ainsi  que  les  graisses 
n'ont  pas  été  dosées  dans  le  lait  avant  les  expériences.  Nous  avons  parlé  plus  haut  du 
rôle  du  pancréas  d'après  les  expériences  d'AsELMANN. 

La  recherche  de  la  voie  par  laquelle  les  graisses  pénètrent  dans  l'intérieur  même  des 
tissus  a  donné  lieu  à  de  nombreux  travaux  dont  les  conclusions  ne  concordent  pas  tou- 
jours. La  plus  grande  partie  des  graisses  se  retrouve,  il  est  vrai,  dans  les  vaisseaux  lym- 
phatiques; mais  ce  n'est  pas  une  raison  suffisante  pour  admettre  que  ce  sont  là  les 
seules  voies  suivies  par  ces  substances.  Déjà  Zawilsky  en  1876  {lac.  cit.)  a  admis  la 
pénétration  des  graisses  par  une  autre  voie  que  les  chylifères  ;  Walther  ( A.  Db.,  1889, 
p.  329)  dit,  ainsi  que  nous  le  rappelions  plus  haut,  qu'une  partie  de  la  graisse  doit  avoir 
pris  une  autre  voie  que  les  chylifères,  pour  pénétrer  dans  l'organisme,  puisque  la  quan- 
tité de  graisse  recueillie  par  une  fistule  du  canal  thoracique  additionnée  de  celle  que 
l'on  retrouve  dans  l'estomac  et  l'intestin  est  inférieure  à  celle  de  la  nourriture.  Franck 
(A.  Db.,  1892)  dit,  comme  Zawilsky,  que  la  totalité  des  graisses  n'est  pas  résorbée  par  les 
lymphatiques  et,  selon  lui,  le  déficit  serait  supérieur  à  celui  admis  par  Zawilsky..  Quand 
on  lie  le  canal  thoracique,  dit-il,  et  qu'on  nourrit  l'animal  avec  beaucoup  d'acides 
gras,  la  plus  grande  partie  est  cependant  résorbée  ('?).  Comment  se  fait  la  pénétration 
de  la  graisse  dans  les  lymphatiques  ou  dans  les  vaisseaux  sanguins?  Vraisembla- 
blement par  les  cellules  cylindriques  des  villosités  de  l'intestin,  cellules  cylindriques 
dont  le  plateau  strié  ne  serait  pas  constitué  par  du  protoplasma  traversé  par  des  canaux, 
mais  bien  par  de  fins  prolongements  protoplasmiques  qui  se  détachent  sur  un  rebord 
cellulaire  entourant  la  base  de  la  cellule  (Th^nhoffek,  1876,  cité  par  Landois.  T.  P.,  §  191), 
ces  prolongements  saisiraient  les  globules  graisseux  qui  progresseraient  dans  l'inté- 
rieur, et  seraient  déversés  dans  les  espaces  lymphatiques  limités  par  les  prolongements 
de  la  cellule,  et  les  éléments  du  tissu  sous-jacent  avec  lesquels  ils  s'anastomosent.  Dans 
ces  espaces  se  trouvent  des  leucocytes  (Landois)  qui  peuvent  absorber  une  partie  de 
la  graisse  et  l'entraîner  ainsi  dans  la  circulation  lymphatique  ou  sanguine.  Suivant  cer- 
tains auteurs,  Schafer,  Zawarykin  [A.Pf.,  t.xssi,pp.231-240,  t.xxxv,  p.  Uo.j.Wiedersheim, 
Stôhr,  etc.,  les  cellules  mobiles  iraient  se  charger  de  granulations  graisseuses  en  péné- 
trant jusqu'entre  les  cellules  cylindriques,  puis  retourneraient  vers  le  centre  de  la 
villosité  où  se  trouve  le  chylifère  central.  Cependant  Wiener  Otto  [A.  Pf.,  t.  xxxiii, 
fasc.  12)  conclut  de  ses  recherches  que,  seules,  les  cellules  cylindriques  épithéliales 
jouent  un  rôle  actif  dans  la  résorption  des  graisses.  Cette  manière  de  voir  doit  être 
considérée  comme  trop  absolue.  Klug  (Beitrdge  zur  Kenntniss  der  Verdauung  der  Vôgel, 
insbesondere  der  Ganse.  Ber.  d.u  internat-ornithol.  Cong.  Buda  Pesth)  a  constaté  des  délabre- 
ments considérables  de  la  partie  antérieure  de  l'intestin  grêle;  tels  que  la  disparition 
complète  de  l'épithélium  cylindrique  chez  les  animaux  suralimentés,  et  cependant  la 
résorption  de  la  graisse  a  lieu.  Klug  admet,  comme  Hofmeister,  que  les  leucocytes  (très 
nombreux  dans  la  paroi  et  les  follicules  de  l'intestin)  jouent  un  grand  rôle  dans  l'ab- 
sorption des  granulations  graisseuses  (Voir  également.  J.  Pohl.  IJeber  Resorptionund  Assi- 
milation der  Ncihrstoffe.Arch.f.  exp.  Pathol.  u.  Pharmak,  t.  xxv,  pp.  31-50).  Sehrwald,  Zur 
Résorption  im  Darme  (Thuringer  Correspond,  blatt,  88-406)  a  réussi  à  empêcher,  dit-il,  la 

DICT.  DE  PHYSIOLOGIE.  —  TOME    I.  3 


U  ABSORPTION. 

réplétion  des  cellules  épithéliales  de  l'intestin  de  la  grenouille  par  la  graisse,  en  don- 
nant une  solution  saturée  de  quinine  avant  introduction  de  l'huile  d'olive.  Il  faut  rap- 
peler que  Perowoznikoff  (voir  plus  haut)  admet  que  l'huile  d'olive  seule  n'est  pas  résor- 
bée par  l'intestin  de  grenouilles.  Cassaet  (De  l'absorption  des  corps  solides.  Arch.  de  méd. 
expër.,t.  X,  p.  270)  dit  que,  partout  où  il  y  a  absorption  d'éléments  solides,  cette  absorption 
a  lieu  par  la  phagocytose,  sauf  toutefois  dans  l'intestin  grêle,  où  il  n'a  pu,  dit-il,  trouver 
de  motif  pour  admettre  que  l'absorption  des  graisses  se  fasse  ainsi.  L'absorption  de 
la  graisse  par  les  cellules  de  l'intestin  paraît  donc  démontrée;  il  faut  cependant  se 
demander  comment  la  graisse  seule  est  ainsi  absorbée  (Greenwood.  On  retructile  Cilia  in 
the  intestine  of  lumbricus  terrestris.  J.  P.,  t.  xiii,  p.  239)  et  comment  d'autres  liquides  ou 
solides  ne  suivent  pas  la  même  voie.  Les  hydrates  de  carbone  sont  également  absorbés 
dans  l'intestin  et  cette  résorption  serait  assez  lente.  Le  sucre  de  l'intestin  est  absorbé 
surtout  par  la  veine-porte.  Rôhmann  (Ueber  Sécrétion  u.  Résorption  im  Dùnndarm,  A. 
Vf.  t.  xLi,  pp.  411-462),  expérimentant  sur  des  chiens  à  fistules  intestinales  plus  ou  moins. 
élevées,  arrive  aux  conclusions  suivantes  : 

1"  Dans  l'intestin  grêle,  sous  l'influence  d'un  ferment  diastatique,  des  quantités  nota- 
bles d'amidon  sont  facilement  résorbées,  et  cela  en  plus  grande  quantité  dans  la  partie 
supérieure  que  dans  la  partie  inférieure  ; 

2°  Il  en  serait  de  même  pour  le  sucre  de  canne  (résorption),  Pour  le  sucre  de  raisin 
le  pouvoir  de  résorption  doit  être  le  même  partout,  ou  peu  s'en  faut; 

3°  La  résorption  de  la  peptone  serait  plus  lente  que  celle  du  sucre,  un  peu  plus 
rapide  dans  la  partie  supérieure  ; 

4°  Les  différentes  solutions  (sucre,  peptones)  excitent  en  même  temps  la  sécrétion 
par  les  parois  du  tube  digestif,  mais  celle-ci  est  toujours  moins  active  que  la  résorption. 

(V.  Mering.  Arch.  f.  Anat.  u.  Physiol.  1877,  394.  Voir  aussi:  T.  P.,  Landois,  Fhedericq, 
et  H.  H.)  L'intestin  résorbe  encore  des  sels  de  chaux  (Léopold  Perl.  Ueber  Résorption  der 
Kalkscdze.  Virchow's  Archiv.,  t. lxxiv,  p.  54.  — Forster.  Arch.  f.Hygiene,  t.  n,  p.  383),  les 
sels  de  fers  (Hamburger.  Ueber  d.  Auf.  des  Eisens.Z.  P.  C.,  t.  iir,  p.  191,  t.  iv,  p.  248).  —  Voir 
aussi  Nothnagel  et  Rossbacu. ÉUim.  Thérapeutique.  Paris,  1889.  Enfin  l'intestin  absorberait 
des  produits  de  fermentation  susceptibles  de  produire  des  troubles  graves  dans  l'orga- 
nisme (Bouchard.  Les  Auto-intoxications.  Savy,  Paris,  1887). 

Certaines  substances  ne  sont  pas  absorbées  par  la  muqueuse  gastro-intestinale,  comme 
le  virus  rabique,  le  poison  de  la  vipère.  D'autres,  le  curare,  notamment,  le  sont  fort 
peu.  Toutefois,  on  peut  empoisonner  un  animal  en  administrant  cette  substance  par  la 
voie  gastrique  si  l'on  prend  soin  de  retarder  l'élimination  de  façon  à  permettre  l'accu- 
mulation, dans  le  sang,  d'une  quantité  toxique  (Cl.  Bernard.  Revue  Scientifique,  188S). 

L'absorption  des  graisses  par  les  cellules  épithéliales  de  l'intestin  grêle,  telle  que 
nous  l'avons  vue  jusqu'à  présent,  doit  nous  faire  admettre,  tout  au  moins  théorique- 
ment, la  résorption  possible  de  certaines  substances  solides,  susceptibles  d'irriter  les  fila- 
ments protoplasmatiques  des  cellules  à  plateaux  striés.  Tomasini  (Sur  l'absorption  intes- 
tinale des  substances  insolubles.  Arch.  italiennes  de  Biologie,  t.  xix,  fasc.  1 ,  p.  176, 1873),  élève 
de  Marcacci,  qui  a  fait  des  recherches  analogues,  a  isolé  une  anse  de  l'intestin  grêle.  Il 
réunit  les  deux  bouts  de  façon  que  la  circulation  intestinale  continue,  il  lave  ensuite 
l'anse  isolée  avec  de  l'eau  à  40°,  ferme  une  des  extrémités  et  introduit  ensuite  de  l'ami- 
don ou  de  la  poudre  de  lycopode  ou  du  caiomel  par  l'extrémité  demeurée  ouverte.  II 
ferme  ensuite  l'ouverture  et  remet  le  tout  dans  la  cavité  peritonéale.  Après  24  heures  il 
examine,  et  il  trouve  alors  :  1°  que  l'amidon  s'absorbe  comme  tel  ;  on  retrouve  ses  grains, 
faciles  à  caractériser,  entre  l'épithélium  des  villosités,  les  glandes  de  Liherkûhn,  dans  les 
espaces  lymphatiques.  Pour  que  l'absorption  se  fasse,  il  faut  que  la  muqueuse  ne  soit 
pas  sèche. 

2°  Les  grains  de  lycopode  peuvent  traverser  différentes  couches  des  parois  intestinales, 
mais  ne  sont  pas  pris  par  les  villosités,  et  ne  sont  pas  transportés  dans  la  circulation  géné- 
rale. Peut-être,  dans  ce  cas,  le  passage  est-il  dû  à  de  petites  lésions  de  l'épithélium,  l'au- 
teur ayant,  en  effet,  constaté  l'existence  d'une  véritable  entérite. 

3°  L'absorption  du  caiomel  se  fait  également  comme  tel  sans  qu'il  y  ait  une  transfor- 
tion  préalable  en  chlorure  mercurique. 

Il  faut  vraisemblablement  rattacher  à  l'absorption  des  matières  solides,  en  se  rappe- 


ABSORPTION.  35 

lant  ce  qui  a  été  dit  du  rôle  des  leucocytes  et  de  leur  migration  jusqu'entre  les  épilhé- 
liums,  il  faut  rattacher,  dis-je,  le  fait,  signalé  par  plusieurs  auteurs,  d'une  tuberculose 
pulmonaire  primitive,  consécutivement  à  l'introduction  de  bacilles  par  les  voies  diges- 
tives  (Strauss  et  Gamaleïa). 

Mais,  même  dans  ces  cas,  on  ne  doit  pas  croire  à  une  propriété  banale  de  la  muqueuse 
intestinale.  Ce  qui  le  prouverait,  c'est  que  des  corps  gras  tels  que  la  lanoline  (combinaison 
d'acides  gras  avec  la  cholestérine)  retirée  du  suint  des  moutons  ne  serait  pas  résorbée 
(J.  MuNCK.  Ist  das  Lanolin  vom  Darmre  sorbirbm'?  Ther.  Monatshefte,  1888).  Il  semble  que,  pour 
les  graisses,  la  limite  pour  la  résorption  est  fixée  à  celles  qui  ont  un  point  de  fusion 
inférieur  à  53°. 

La  résorption  par  la  voie  pulmonaire  est  incontestable,  et  certains  travaux  ont  établi 
qu'elle  était  extraordinairement  rapide  (H.  H.,  266,  vol.  v.  Wasbietzky.  Ueber  die  Résorp- 
tion durch  die  Lunge.  Dissert.,  Kônigsberg,  1879).  L'absorption  des  substances  gazeuses  ou 
volatiles,  par  cette  voie,  est  incontestable  (chloroformisation,  intoxication  par  CO,  gaz 
d'éclairage,  gaz  des  égoûts,  etc.).  11  est  probable  que  des  bactéries  peuvent  pénétrer  dans 
l'orgauisme  parcelle  porte  d'entrée.  Des  expériences  directes  ont  d'ailleurs  prouvé  la  réa- 
lité de  cette  absorption,  même  pour  certaines  particules  solides.  Gohier,  Levi,  Colin, 
Sujalas,  Jousset  de  Beleyme,  Coupard,  Bouchard,  Pignol  (C.  R.  Sociélé  Biologie,  7  février, 
1891,  p.  81)  disent  que  l'on  peut  injecter  de  grandes  quantités  de  liquide  dans  les  voies 
pulmonaires  sans  grand  inconvénient.  Bouchard  pense  que  l'on  peut  aller  jusqu'à  650  ce. 
par  heure.  Pignol  donne  des  chiffres  plus  élevés  encore.  On  a  administré  de  la  sorte 
de  l'eau  oxygénée,  de  l'huile  de  foie  de  morue  créosotée,  de  l'eau  iodée,  du  sérum  de 
chien,  ce  dernier  à  d»s  lapins,  des  chiens,  des  hommes,  sans  aucun  accident.  La  réalité  de 
l'absorption  était,  ensuite,  expérimentalement  établie.  Peiper  {Ueber  die  Résorption  durch 
die  Lungen.  Zeittch.  f.  Klin.  Med.  t.  vni,  pp.  293,  301  )  a  laissé  couler  de  l'eau  et  des  solutions 
aqueuses  dans  les  poumons  de  chiens,  de  lapins.  Chaque  fois,  il  a  constaté  une  résorp- 
tion extraordinairement  rapide,  surtout  aveî  des  solutions  de  poisons.  Pour  la  strych- 
nine lo  à  80  secondes  suivant  la  quantité,  80  secondes  avec  OS"', 000123.  L'absorption  est 
plus  rapide  dans  la  position  verticale.  La  section  des  vagues,  des  phréniques,  des  sym- 
pathiques est  sans  influence,  aussi  bien  que  l'état  fébrile,  asphyxique  ou  rinflltralion 
pneumonique. — -Nous  ne  citons  ici  que  les  expériences  relativement  récentes,  nous  en 
rapportant  pour  les  recherches  anciennes  au  travail  de  Wasbietzky  et  à  l'article  du  Diction- 
naire de  Dechambre  écrit  par  Béclard  (Bibliographie). 

Les  séreuses  (plèvre,  péritoine,  cavité  vaginale  du  testicule)  sont  susceptibles  de 
résorber  très  rapidement  les  liquides  et  subtances  solubles  qu'ils  renferment.  C'est  ainsi 
que  déjà  Magendie  (Mémoire  sur  les  organes  d'absorption  chez  les  mammifères,  1809.  Paris), 
a  expérimenté  avec  des  solutions  des  strychines  qui  étaient  résorbées  par  la  plèvre  en 
6  minutes;  le  ferrocyanure  se  retrouve  dans  les  urines  après  10  à  12  minutes.  On  voit 
très  souvent  des  phénomènes  de  résorption  d'acide  phénique  (urines  noires)  consécuti- 
ment  au  lavage  des  cavités  séreuses  par  une  solution  phéniquée. 

Il  peut  y  avoir  pour  une  cause  locale  ou  générale  transsudation  de  liquide  dans  une 
cavité  séreuse.  Mais,  même  dans  ce  cas,  on  ne  peut  pas  affirmer  que  le  pouvoir  absorbant 
de  la  séreuse  soit  aboli. 

On  a  vu,  notamment,  le  contenu  d'un  tel  épanchement  devenir  plus  riche  en  albumine 
par  suite  de  la  résorption  d'eau.  Fubini  (S.  velocila  di  assorbimento  délia  cavita  peritoneale. 
Osservazioni  fatle  coWamigdalina  e  coll'cmulsitia.  Arch.  per  le  Scienze  mediche,  t.  xv,  p.  149) 
injecte  successivement  dans  la  cavité  péritonéale,  dans  le  but  de  rechercher  la  rapidité 
d'absorption,  des  solutions  aqueuses  d'émulsine  et  d'am3'gdaline,  et  de  noter  le  temps 
le  plus  court  pour  que  l'action  mortelle  de  l'acide  cyanhydrique  produit  par  l'action  de 
ces  corps  l'une  sur  l'autre  ne  s'observe  pas.  —  Pour  le  lapin,  le  cobaye  et  le  Mus  alexan- 
dricus  ce  temps  varie  entre  4  et  6  heures  (Voir  R.  Dubois  et  Remy.  Notions  anatomiques  et 
physiologiques  sur  l'absorption  par  le  péritoine.  Journal  de  l'anatomie  et  de  physiologie).  La 
méthode  des  injections  intrapéritonéales  de  sang  a  été  employée  quelque  temps  en  théra- 
peutique, démontrant  la  réalité  de  l'absorption  par  cette  voie,  chez  l'homme  (Ponfick. 
Berl.  klin.  Wochensch.,  1879,  n°  39.  Hayeu,  Revxie  Scientif.,  1884,  p.  407). 

La  question  de  l'absorption  par  la  muqueuse  vésicale  a  été  l'objet  de  nombreux  tra- 
vaux, qui,  tour  à  tour,  ont  admis  et  nié  la  perméabilité   de  cette  muqueuse.  Treskin 


36  ABSORPTION. 

(A.  tf.,  1872,  t.  V,  291)  admit  d'abord  que  la  muqueuse  vésicale  résorbait.  Ségalas 
(Dictionnaire  de  Dechambbe,  article  Vessie)  croit  aussi  à  la  résorption  de  substances  très 
actives.  Hache  pense  que,  dans  les  cas  où  il  y  a  résorption  c'est  que  la  muqueuse  a  été 
lésée.  —  Les  travaux  de  Kuss,  Susini,  Cazeneuve,  Livon,  (Dictionnaire  de  Dechambre)  con- 
cluent à  la  non-absorption  par  la  muqueuse  intacte.  Ceus  de  Kuss,  Guyon  et  Alling,  à 
l'absorption  irrégulière  par  la  muqueuse  altérée.  Mais  les  faits  n'ont  pas  cette  certitude, 
AsHDOwN  (On  absorption  from  the  mucous  membrane  of  the  urinary  blodder.  J.  of  anat.  and 
physiolog.,  t.  xxi,  p.  299)  constate,  au  contraire,  que  la  strychnine,  l'ésérine,  la  morphine, 
le  curare,  l'atropine,  l'éther,  le  chloroforme,  l'urée,  l'eau  sont  absorbés  par  la  muqueuse 
vésicale,  ce  qui  était  donc  douteux  jusqu'alors.  Suivant  le  même  (J.  of.  Anat.  and  Pliysiol., 
p.  298),  la  résorption  des  toxiques  est  d'autant  plus  active  que  la  vessie  est  plus  distendue 
par  la  solution.  Si  l'on  met  des  canules  dans  les  uretères  on  peut  constater  que  l'iodure 
de  potassium,  le  salicylate  de  soude  sont  résorbés.  Une  solution  d'urée  est  beaucoup  plus 
résorbée  (10  à  19  p.  100)  que  de  l'eau  pure  (3  à  4  p.  100)  ;  mais  cette  résorption  est  tou- 
jours très  peu  active.  Elle  serait  pour  Phelip  (Note  expérimentale  sur  le  pouvoir  absorbant 
de  l'urèthre  normal,  1888.  Lyon  médical,  1,  46, 124)  40  fois  moindre  dans  la  vessie  et  l'urèthre 
que  dans  le  tissu  cellulaire  sous-cutané. 

L'absorption  par  la  vésicule  biliaire  a  été  admise  en  se  basant  d'abord  sur  le  fait  que 
la  bile  qui  a  séjourné  un  certain  temps  dans  la  vésicule  biliaire  serait  plus  visqueuse 
que  celle  qui  s'écoule  directement  dans  l'intestin,  de  même,  disait-on,  que  l'urine  qui  a 
séjourné  dans  la  vessie  est  plus  riche  en  urée  par  suite  de  la  résorption  d'eau.  Rosen- 
BERG  (Zur  Résorption  von  der  Gallenblase.  Virchoiu's.  Archiv.,  t.  cxxiv,  p.  1T6)  croit,  d'ac- 
cord en  cela  avec  Virchovv,  que  la  muqueuse  de  la  vésicule  est  susceptible  de  résorber  la 
graisse,  en  quantité  très  limitée  il  est  vrai.  La  résorption  de  la  bile  à  la  suite  de  la 
ligature  du  canal  cholédoque  se  fait  uniquement  par  les  vaisseaux  lymphatiques,  ainsi 
que  le  prouvent  les  expériences  de  Vaughan  Harley  (Leber  ii.  Galle  wàhrend  dauernden 
Verschlusses  von  Gallenu.  Brustgang.  A.  Db.,  1893,  p.  294).  Déjà  Von  Fleischl  (Berichte  der 
Gesellschaft  der  Wissensck.in  Leipzig,  1874)  et  KiMKEL(i6i!(i.,  1873)  ont  démontré  que,  le  canal 
cholédoque  étantlié,  on  trouve  beaucoup  de  bile  dans  la  lymphe.  Kufferath  (A.  D6.,  1880), 
liant  en  même  temps  le  canal  thoracique,  ne  trouvait  pas  de  bile  dans  le  sang.  La  bile 
est  donc  bien  résorbée,  mais  par  les  lympliatiques  seulement.  Les  expériences  récentes 
de  Tobias,  dans  le  laboratoire  de  L.  Fredericq,  montrent  que  le  ferro-cyanure  et  l'iodure 
de  sodium,  ainsi  que  la  strychnine  et  l'atropine  résorbés  à  la  surface  des  voies  biliaires 
passent  directement  dans  les  vaisseaux  et  non  dans  les  lymphatiques. 

Après  avoir  étudié  ainsi  en  détail  les  différentes  voies  d'absorption  il  faut  se  demander 
quelles  forces  interviennent  pour  déterminer  la  pénétration  dans  le  milieu  intérieur 
des  différentes  substances  que  nous  avons  envisagées.  Ces  forces  sont,  suivant  beaucoup 
d'auteurs,  l'endosmose,  la  difiusion,  la  flitration.  Nous  n'avons  pas  à  étudier  ici  ces 
forces;  nous  renvoyons  pour  cela  à  ces  différents  mots,  mais  nous  devons  nous  demander 
jusqu'à  quel  point  elles  entrent  réellement  en  jeu.  Il  est  incontestable,  dit  Landois  (T.  P., 
p.  348),  qu'd  se  produit,  dans  le  tube  digestif,  des  phénomènes  d'endosmose  à  travers 
la  membrane  muqueuse  et  à  travers  les  parois  minces  des  capillaires  sanguins  et  lym- 
phatiques. D'un  côté  de  la  membrane,  dans  le  tube  digestif,  se  trouvent  des  solutions 
aqueuses  relativement  concentrées, de  sels,  de  sucre,  de  savon,  de  peptones,  qui  sont  très 
diffusibles;  de  l'autre  côté,  dans  les  vaisseaux,  le  sang  et  la  lymphe,  renfermant  des  ma- 
tières albuminoïdes  à  peine  diffusibles,  et,  surtout  à  jeun,  une  très  petite  quantité  de 
substances  qui  se  trouvent  dans  l'intestin.  —  La  flitration  a  lieu,  dit  le  même  auteur, 
pour  les  substances  dissoutes  dans  l'intestin  :  1°  quand  les  parois  de  l'intestin  se  con- 
tractent et  exercent,  par  suite,  une  pression  directe  sur  son  contenu,  mais  cette  action  est 
très  faible  ;  2"  quand  il  s'établit  une  pression  négative  dans  les  viUosités  (Briicke).  Lorsque 
les  viUosités  se  contractent,  le  contenu  de  leurs  vaisseaux  sanguins  et  chylifères  se  vide. 
Ces.  derniers  en  particulier  restent  vides,  en  raison  des  nombreuses  valvules  qu'ils  ren- 
ferment. Quand  les  viUosités  se  relâchent,  les  liquides  susceptibles  de  filtrer  pénètrent 
dans  leur  intérieur.  Mais,  outre  l'objection  de  Spée  et  Heidenhain,  que  les  contractions 
de  fibres  musculaires  des  viUosités  provoquent  la  dilatation  du  chylifère  central,  beaucoup 
d'autres  objections  encore  peuvent  être  formulées,  concernant  la  réalité  de  ces  phéno- 
mènes (Voir  H.  H.  et  T.  Phys.  de  Fredericq  et  Nuel,  etc.).  Ainsi,  tandis  que  Siuthhead 


ABSORPTION.  37 

(.4.  Dh.,  1884,  p.  481)  pense  que  la  résorption  des  albumines  doit  être  considérée  comme 
un  phénomène  de  diffusion,  beaucoup  de  savants  sont  d'une  opinion  toute  différente. 
L'auteui'  qui  précède  appuie  sa  manière  de  voir  sur  le  fait  que  la  résorption  est  tardive, 
ce  qui  est  nécessité  probablement  par  la  transformation  de  l'albumine  en  peptone; 
sur  le  passage  du  liquide  dans  l'estomac  (l'estomac  renferme  toujours  plus  de  liquide 
après  la  digestion  qu'avant,  dans  le  cas  de  pylore  lié),  enfin,  sur  la  structure  de  l'épi- 
thélium,  la  couche  de  mucus  qui  revêt  l'intérieur  de  l'estomac  pouvant  difficilement 
avoir  des  propriétés  vitales  particulières.  Le  seul  fait  de  la  possibilité  de  l'absorption 
d'une  certaine  quantité  d'albumine  non  transformée,  par  les  muqueuses  gastrique  ou 
intestinale,  est  déjà  une  preuve  que  le  phénomène  de  l'absorption  n'est  pas  aussi  simple. 
Enfin  ce  que  nous  avons  vu  de  la  transformation  des  peptones  dans  l'épaisseur  même 
des  muqueuses  gastrique  et  intestinale,  de  même  que  la  synthèse  des  graisses  au  moyen 
des  éléments  de  celle-ci  (Munck.  Loc.  cit.),  parlent  en  faveur  d'une  action  très  spéciale  des 
éléments  des  muqueuses  du  tube  digestif.  Mais  même  la  résorption  par  les  vaisseaux 
sanguins  ne  peut  être  considérée  comme  étant  simplement  un  phénomène  physique, 
tout  au  moins  si  nous  nous  rappelons  ce  qui  a  été  dit  plus  haut  de  l'absorption  de 
l'iodure  sodique  (Asher,  Loc.  cit.).  Mais,  pour  en  revenir  à  l'absorption  parles  voies 
digestives,  certains  auteurs  ont  cependant  soutenu  qu'il  s'agissait  principalement  de  dif- 
fusion, tout  au  moins  pour  les  phénomènes  de  résorption  se  passant  dans  la  cavité  de  la 
l'estomac  (Voir  V.  Mering.  Ther.  Monatsheft,  1893,  mai).  Mais  ce  n'est  certainement  pas 
le  facteur  principal  de  l'absorption  ;  le  fait  de  la  sélection  des  éléments  absorbés  par  les 
muqueuses  le  prouve.  Pour  ce  qui  est  de  l'intestin,  par  exemple,  une  simple  altération  de 
la  muqueuse  suffit  pour  provoquer  un  renversement  du  sens  du  courant  liquide  à  travers 
la  paroi.  LEaBuscHER(C/iem.  Centralbl.,  t.xvi,  p.  157)  n'a-t-il  pas  démontré  que  la  muqueuse 
intestinale  résorbe  plus  activement  les  sels  de  sodium  que  les  sels  de  potassium,  bien 
que  la  diffusibilité  de  ceux-ci  soit  plus  grande?  Rùhmann  dit  d'ailleurs  aussi  (A.  Pf.,t.  xli, 
p.  411),  que  ni  la  sécrétion,  ni  la  résorption  n'ont  lieu  suivant  des  lois  simples.  Des  solu- 
tions de  sucre  de  raisin  ou  de  sulfate  de  soude  ayant  à  peu  près  le  même  pouvoir  de  dif- 
fusion, sont  très  inégalement  résorbées.  A.  Spina  {Untersuchungen  ùber  die  Mechanik  der 
Darm u. Hautresorption.  Wiener Sitzbe)',  \88[,  Abthlg.,  t.  m,  p.  191)  adémontré  que  chez  les 
grenouilles  la  résorption  de  l'eau  est  plus  forte  quand  la  circulation  est  conservée  que 
lorsqu'elle  est  abolie.  Quand  on  paralyse  la  vessie  par  destruction  de  la  partie  infé- 
rieure de  la  moelle,  la  vessie  gonfle  considérablement  par  suite  de  la  résorption  d'eau. 
Ces  faits  prouvent  aussi  l'importance  de  l'intégrité  des  fonctions  physiologiques  pour  la 
résorption. 

Quoi  qu'il  en  soit  des  fonctions  physiologiques  des  épithéliums  ou  des  éléments  de 
parois  vasculaires  ou  autres,  la  possibilité  d'une  certaine  intluence  sur  l'absorption 
exercée  par  les  forces  physiques  dont  nous  avons  parlé  nous  oblige,  pour  être  complets, 
à  signaler  les  importants  travaux  qui  ont  été  faits  pour  élucider  cette  question.  Runeberg 
(Zur  Frage  der  FUtration  von  Eiweisslôsungen  durch  thier.  Membran.  Z.  P.  C,  6,  508)  a 
démontré  que,  lorsqu'on  emploie  l'uretère  humain  comme  membrane  de  filtration, 
la  perméabilité  de  cette  membrane  augmente  peu  à  peu  par  l'action  d'une  faible  pression 
ou  par  une  diminution  de  pression,  qu'elle  diminue,  au  contraire,  par  l'action  de  pressions 
plus  élevées.  Au  bout  d'un  certain  temps  d'action  d'une  pression  déterminée,  il  se  produit 
une  constante.  J.-C.  Van  Beck  {Sur  la  filtration  des  liquides  àtravers  les  membranes  poreuses. 
Arch.  néerlandaises  des  se.  natur.,  1884,  p.  241)  confirme  les  résultats  de  Runeberg  qui 
ont  amené  Heidenhein  à  conclure  que,  quand  on  filtre  des  solutions  albumineuses  à 
travers  des  membranes  animales,  le  contenu  pour  cent  en  albumine  du  filtrat  diminue, 
tandis  [que  la  quantité  absolue  d'albumine  augmente.  Il  confirme  en  outre,  avec 
Runeberg,  l'observation  de  EcivHardt  sur  la  diminution  progressive,  avec  le  temps,  de  la 
rapidité  de  filtration  des  solutions  salines  sous  pression  constante  et  sur  le  fait  que  cette 
membrane  se  remet,  en  quelque  sorte,  par  une  suspension  temporaire  de  cette  pression, 
et  cela,  d'autant  plus  complètement  que  la  pression  a  duré  moins  et  le  repos  plus 
longtemps.  V.  Bëgeczy  [Beitrdge  z.  Lehre  der  Diffusion  v.  Eiweisslôsungen,  A.  Pf.,  t.  xxxiv, 
p.  431)  a,  de  son  côté,  fait  des  recherches  qui  confirment  et  étendent  les  opinions 
anciennes  de  Graham,  von  Witiich  et  Bruegke.  Voici  les  conclusions  de  ce  travail  : 

A.  L'albumine  diffuse  plus  facilement  vers  des  solutions  salines  que  vers  l'eau  distillée. 


38  ABSORPTION    —    ACCLIMATATION. 

B.  Plus  la  solution  saline  est  concentrée,  plus  la  diffusion  de  l'albumine  est  active. 

C.  La  diffusion  de  l'albumine  commence  plus  facilement  pour  les  solutions  diluées 
que  pour  les  solutions  concentrées. 

B.  Si  les  sels  sont  mélangés  à  la  solution  albumineuse,  la  diffusion  vers  l'eau  distillée 
est  fortement  retardée. 

E.  Plus  grande  est  la  quantité  de  sels  de  la  solution  albumineuse,  plus  lente  est  la 
diffusion  de  celle-ci  vers  l'eau  distillée. 

F.  D'une  dissolution  d'albumine  mélangée  de  sels,  l'albumine  ne  commence  à. 
diffuser  qu'après  le  sel,  et  seulement  quand  la  différence  en  sels  des  deux  liquides 
séparés  par  la  membrane  est  descendue  en  dessous  d'un  certain  niveau. 

G.  Plus  serrée  et  plus  épaisse  est  la  membrane,  moins  grande  est  la  différence  de 
densité  qui  empêche  le  passage  de  l'albumine. 

H.  L'albumine  diffuse  à  travers  une  membrane  assez  serrée  et  assez  épaisse  pour 
que  l'albumine  ne  diffuse  pas  vis-à-vis  de  l'eau. 

Chittenden  et  Geo.  Amermann  (A  comparison  of  artificial  and  natural  gastric  digestion. 
J.  P.,  t.  XI,  p.  312)  ont  établi  que  les  albumoses  sont  diffusibles  inégalement.  Le  deutéro- 
albumose  diffuse  plus  rapidement  que  la  prolo-albumose.  Un  mélange  de  deutéro-albu- 
mose  et  de  proto-albumose  diffuse  plus  rapidement  que  la  proto-albumose  seule.  La 
peptone  pure  est  plus  diffusible  que  les  deux  substances  qui  précèdent.  Waymouth 
Reid.  J.  p.,  t.  xi)  a  montré  que,  dans  une  membrane  vivante,  il  faut  compter  avec  une 
force  absorbante  dépendant,  sans  aucun  doute,  de  l'activité  du  protoplasme  et  compa- 
rable à  la  force  d'excrétion  de  la  cellule.  De  plus,  dit  cet  auteur,  l'étonnant  pouvoir 
de  sélection  du  protoplasme  est  beaucoup  plus  grand  qu'on  ne  l'imagine.  Citons  enfin 
les  expériences  de  Tii.  Kaiser  {IJeher  den  Einfiuss  von  Alkohol.  u.  Gtycerin  auf  die  Yor- 
gànge  der  Diffusion.  Inaug.  Dissert.,  Marburg,  1891)  qui  sont  à  rapprocher  de  ce  que 
nous  avons  dit  plus  haut  du  rôle  de  l'alcool  sur  l'absorption.  Ces  substances  ajoutées  à 
des  solutions  salines  augmentent  la  rapidité  du  courant  endosmotique  salin  (iodure, 
ferrocyanure,  sulfocyanure  de  potassium,  bleu  de  méthylène).  La  rapidité  de  diffusion 
du  sucre  n'est  pas  augmentée  par  l'alcool,  mais  bien  par  la  glycérine.  L'auteur  a  fait  ses 
expériences  avec  la  paroi  intestinale  fraîche  de  bœuf. 

HENRIJEAN  et  CORIN. 

ABSORPTION  DES  GAZ.  —  Voyez  Solubilité. 
ABSORPTION  (Spectre  d')  —  Voyez    Spectroscope. 

ACCLIMATATION.  —  L'acclimatation,  terme  général  qui  se  doit  étendre 
à  tous  les  êtres  vivants,  de  l'homme  au  protozoaire  unicellulaire,  est  un  fait  sur  le  sens 
exact  duquel  on  se  méprend  souvent.  Tautôt  on  lui  donne  une  signification  trop  étendue, 
tantôt  on  restreint  celle  qu'il  lui  faut  accorder.  Dans  un  cas  on  en  fait  un  synonyme 
de  naturalisation,  dans  l'autre  il  n'a  guère  que  le  sens  de  domestication;  et  il  y  a  là  deux 
erreurs,  dont  la  première  est  incontestablement  la  plus  grave.  On  doit  dire  qu'il  y  a 
naturalisation  quand  une  espèce  animale  ou  végétale  introduite,  artificiellement  ou 
naturellement,  dans  une  contrée  où  elle  n'est  point  indigène  et  ne  se  trouve  point  à  l'état 
spontané,  y  devient  prospère  et  arrive  à  se  maintenir  et  à  propager,  malgré  ses  enne- 
mis naturels,  sans  l'intervention  de  l'homme,  sans  culture,  sans  soins  quelconques  de  la 
part  de  celui-ci.  Quelques  naturalistes  ont  nié  la  possibilité  de  la  naturalisation.  L'opi- 
nion semble  paradoxale  au  premier  abord,  mais  elle  peut  se  défendre'.  Pour  bien  mon- 
trer qu'une  espèce  animale  ou  végétale  introduite  dans  un  habitat  nouveau  s'y  natura- 
lise, il  faudrait  la  placer  dans  un  milieu  où  l'homme  n'existerait  point,  et  ne  pourrait  ni 

:.  Neumann  {Bull.  Soc.  Roy.  et  Centr.  d'Agriculture,  1845-6,  t.  i,  2»  série,  p.  256)  a  entre- 
pris, entre  autres,  de  «  démontrer  l'impossibilité  de  la  naturalisation  des  végétaux,  afin  de  désa- 
buser ceux  qui  espèrent  encore  d'après  cette  théorie  mal  fondée,  pouvoir  enrichir  notre  sol 
d'arbres  exotiques  que  la  nature  a  fait  naître  dans  des  climats  favorisés  d'une  plus  haute  tempé- 
rature moyenne  que  la  nôtre  «  [Notice  tendant  à  démontrer  que  la  naturalisation  des  végétaux  est 
impossible). 


ACCLllVIATATION.  39 

directement  ni  indirectement  en  favoriser  la  propagation,  et  ceci  est  difficile  à  réaliser. 
Il  existe  pourtant  des  cas  de  naturalisation  bien  nets  (par  exemple]  l'acclimatation  de 
Valose  de  l'Atlantique  dans  le  Pacifique),  mais  en  somme  ils  sont  plus  rares  qu'on  ne  le 
croirait  à  première  vue. 

L'acclimatation  est  en  somme  une  naturalisation  subordonnée,  à  des  degrés  qui 
varient,  à  l'intervention  permanente  de  l'homme.  L'animal,  ou  la  plante,  est  acclimaté 
quand  il  s'accommode  d'un  habitat  nouveau  et  s'y  reproduit  grâce  à  des  soins  plus  ou 
moins  intermittents  de  l'homme;  sans  l'bomme  il  disparaîtrait.  Cette  influence  de 
l'homme  peut  être  très  indirecte,  et  beaucoup  de  faits  qui  semblent  devoir  être  rangés 
parmi  les  cas  de  naturalisation  sont  en  définitive  des  cas  d'acclimatation.  Un  botaniste 
américain,  M.  Byron  D.  H-^lsted,  faisant  le  dénombrement  des  «  mauvaises  herbes  »  du 
New  Jersey,  en  trouve  un  nombre  total  de  26d;  mais  sur  ce  chiffre  130  espèces  sont 
d'origine  étrangère,  et  sur  les  20  plus  malfaisantes,  seize  sont  des  espèces  importées'. 
Beaucoup  de  cas  similaires  se  pourraient  rencontrer.  Il  y  aurait  quelque  témérité  à  voir 
là  des  exemples  de  naturalisation  :  ces  «  mauvaises  herbes  »,  en  effet,  vivent  dans  les 
cultures,  —  et  c'est  à  cela  qu'elles  doivent  leur  nom  —  elles  accompagnent  les  plantes 
cultivées  et  ne  se  propagent  pour  ainsi  dire  pas  en  dehors  des  champs.  Au  demeurant, 
elles  font  ce  que  font  beaucoup  de  plantes  indigènes  qu'on  ne  trouve  que  rarement  en 
dehors  des  cultures;  elles  appartiennent  à  ce  groupe  de  plantes  anthropophiles  formé 
par  la  flore  des  cultures,  la  flore  des  décombres,  la  flore  des  talus  de  chemin  de  fer,  et, 
sans  la  présence  de  l'homme  qui  indirectement  les  protège  et  soutient,  elles  disparaî- 
traient le  plus  souvent.  C'est  dire,  en  définitive,  qu'entre  l'acclimatation  et  la  natura- 
lisation il  y  a  des  accointances  intimes,  et,  dans  bien  des  cas,  en  cherchant  avec  sQin, 
on  s'apercevrait  que  tel  exemple  de  naturalisation  considéré  comme  particulièrement 
probant  n'est  à  tout  prendre  qu'un  cas  d'acclimatation  ;  et  encore  une  fois,  les  défini- 
tions étant  admises,  la  véritable  naturalisation  ne  pourrait  exister  que  là  où  n'existe 
point  l'homme,  que  là  où  ce  dernier  ne  peut,  le  sachant  ou  inconsciemment,  exercer  une 
influence  quelconque,  si  indirecte  puisse-t-elle  être.  Il  n'y  a  pas  à  entrer  ici  dans  cette 
étude,  mais  les  modes  d'action  à  distance  de  l'homme  sur  la  nature,  avec  répercus- 
sion inévitable  sur  tous  les  êtres,  sont  infiniment  variés  et  nombreux,  et  souvent  très 
détournés,  de  sorte  qu'on  ne  les  aperçoit  pas  toujours  à  première  vue.  C'est  en  raison 
de  la  multiplicité  de  ces  modes  qu'il  me  parait  sage  de  n'admettre  les  naturalisations 
qu'avec  une  extrême  réserve,  et  de  considérer  la  plupart  d'entre  elles  comme  des  cas 
d'acclimatation,  sauf,  bien  entendu,  quand  il  s'agit  de  naturalisations  dans  des  contrées 
où  l'action  de  l'homme  n'existe  point,  et  dans  la  mer  où  cette  action  peut  être  con- 
sidérée comme  affaiblie  ou  même  nulle. 

Le  rôle  de  l'homme  dans  l'acclimatation  est  constant,  mais  d'importance  très 
variable.  Telle  espèce  a  besoin  de  soins  plus  assidus  que  telle  autre  ;  mais  il  n'y  a  pas  a 
s'étendre  ici  sur  ce  côté  pratique  de  la  question  :  telle  espèce  s'acclimatera  facilement, 
telle  autre  difficilement.  Il  y  a  à  ces  différences  beaucoup  de  raisons,  sans  doute; 
mais  nous  nous  estimons  fort  heureux  d'en  apercevoir  seulement  deux  ou  trois. 

C'est  en  effet  chose  très  complexe  que  l'acclimatation.  Acclimater  c'est  habituera 
Vivre  dans  un  climat  nouveau''.  Mais  qu'est-ce  qu'un  climat?  La  plupart,  sans  chercher 
bien  loin,  se  contentent  de  le  définir  un  ensemble  de  conditions  physiques,  principale- 
ment thermométriques  et  météorologiques.  A.  P.  de  C.\ndolle  lui-même,  dans  sa  Théorie 
générale  des  naturalisations'-'  s'exprime  en  ce  sens  :  «  Comme  la  plupart  des  pays  ne 
diffèrent  pas  entre  eux  d'une  manière  importante  quant  à  l'action  de  la  lumière,  que 
ce  qui  tient  au  terrain  et  à  l'arrosement  présente  peu  de  difficultés,  toute  l'attention  des 
physiciens  et  des  cultivateurs  a  dû  naturellement  se  diriger  sur  ce  qui  a  rapport  à  la 
température  ».  Or,  il  est  bien  clair  que  la  question  ainsi  posée  demeure  très  incom- 
plète. Sans  doute  le  facteur  température  a  son  importance,  mais  qui  ne  voit  que,  d'une 

1.  Résumé  dans  Mechan's  Monthhj,  avril  1892,  p.  52. 

2.  N.  JoLY,  dans  son  Essai  de  Réponse  (à  la  question  de  la  possibilité  de  l'acclimatation),  dit  de 
l'acclimatation  que  «  c'est  habituer  peu  à  peu  une  plante  ou  un  animal  étranger  à  un  climat 
autre  que  celui  dans  lequel  ils  sont  nés;  c'est  en  obtenir  des  produits  de  plus  en  plus  aptes  à 
s'harmoniser  avec  les  circonstances   diverses  où  ils  se  trouvent  placés.  » 

3.  Page  1123  de  la  Physiologie  végétale,  t.  m,  Paris,  1832. 


^0  ACCLIMATATION. 

part  ce  facteur  dans  certaines  conditions  a  une  importance  des  plus  médiocres,  et  que 
d'autre  part  bien  d'autres  conditions  se  présentent  qui  peuvent  rendre  une  acclimatation 
impossible  ou  difficile,  quand  bien  même  la  température  serait  suffisante.  Dans  un 
même  océan,  par  exemple,  où  nous  savons  que  la  température  présente  beaucoup  moins 
de  variations  que  cela  n'a  lieu  sur  terre,  les  mêmes  animaux  ont  une  distribution  très 
spéciale,  qui  est  déterminée  par  des  facteurs  autres  que  celui  dont  parle  de  Candolle. 
Au  reste,  de  Caindolle  n'a  en  vue  que  l'acclimatation  sur  les  parties  fermes  du  globe  ; 
mais  n'est-il  pas  évident  que  la  question  est  plus  large  et  plus  générale,  et  qu'il  n'y  a 
nulle  raison  d'exclure  l'étude  de  l'acclimatation  en  milieu  liquide?  Cela  étant  admis  — 
et  je  ne  pense  pas  qu'il  y  ait  là  matière  à  discussion  —  il  y  a  lieu  d'étendre  la  significa- 
tion du  mot  climat,  ou  encore,  si  nous  définissons  l'acclimatation  l'accoutumance  à  un 
milieu  nouveau,  de  bien  définir  ce  qu'est  le  milieu. 

Autant  que  je  le  puis  voir,  il  y  a  trois  groupes  d'éléments  dans  tout  milieu  naturel, 
et  il  y  a  un  quatrième  groupe  qui  se  trouve  non  plus  dans  ce  milieu,  mais  dans  l'orga- 
nisme même,  et  dont  l'importance  est  elle  aussi  considérable.  Ici  nous  avons  la  physio- 
logie générale  de  l'espèce; là  nous  avons  le  milieu  extérieur  proprement  dit  dans  lequel 
il  y  a  lieu  de  reconnaître  les  trois  groupes  que  voici  :  le  milieu  physique,  le  milieu  chi- 
mique et  le  milieu  organique.  Tout  être  transporté  de  son  habitat  dans  un  autre  a  besoin 
de  s'adapter  à  ces  milieux,  s'ils  ne  se  trouvent  appropriés  à  lui.  Quelques  mots  au  sujet 
de  ces  trois  subdivisions  du  milieu  extérieur  ou  ambiant  sont  de  mise  ici. 

Le  milieu  i:>hijsique,  c'est  l'ensemble  des  éléments  physiques  :  tentpérature,  proportion 
d'humidité,  mouvement  de  l'atmosphère,  lumière,  pesanteur,  pression  atmosphé- 
rique, etc.  Nul  ne  contestera  l'influence  de  ces  différents  facteurs  :  chacun  d'eux:  a  son 
influence  sur  les  phénomènes  vitaux,  chacun  d'eux,  par  l'excès  ou  le  défaut,  peut  devenir 
et  devient  effectivement  une  cause  d'exclusion  à  l'égard  de  tels  ou  tels  organismes.  Nous 
savons  par  exemple  que  quelques  degrés  de  température  moyenne  de  plus  ou  de  moins 
rendent  l'acclimatation  de  beaucoup  d'organisme  impossible.  Voyez,  par  exemple,  com- 
bien la  limite  septentrionale  de  la  culture  de  l'olivier  est  nettement  accusée  dans  le  midi 
de  la  France  :  les  agriculteurs  savent  très  bien  qu'il  est  parfaitement  inutile  de  chercher 
à  cultiver  l'olivier  —  de  façon  industrielle,  cela  s'entend,  car  autrement  il  est  clair  qu'avec 
■des  serres  ou  des  chambres  froides  on  peut  théoriquement  tout  cultiver  en  tout  lieu  du 
globe  en  dehors  de  la  zone  où  il  se  trouve  actuellement  acclimaté  au  nord  d'une  ligne 
très  nettement  accusée. _Mème  fait  pour  la  vigne,  pour  l'oranger,  même  fait  pour  tous  les 
végétaux  cultivés,  en  un  mot,  et  l'on  a  pu  de  façon  générale,  en  prenant  la  carte  de 
répartition  des  principales  cultures,  montrer  la  concordance  des  lignes  limites  de  celles-ci 
avec  des  isothermes  déterminés.  Cela  est  de  connaissance  si  banale  qu'à  peine  y  a-t-il 
lieu  de  s'arrêter  sur  ce  point.  Il  serait  très  intéressant  de  pouvoir  entrer  dans  le  détail 
et  d'étudier  les  façons  différentes  par  lesquelles  la  température  s'oppose  à  l'acclima- 
tation de  tant  d'espèces,  d'analyser  tant  de  mécanismes  délicats  et  compliqués,  mais 
cela  nous  entraînerait  trop  loin  de  la  question  présente.  Je  me  contenterai  de  rappeler 
la  théorie  de  la  somme  de  températures  formulée  par  Bous-tngault,  de  Gasparin,  etc., 
théorie  basée  sur  'des  faits  nombreux,  et  d'où  il  ressort  qu'en  définitive  il  existe  une 
relation  nette  entre  la  somma  de  chaleur  mise  par  la  nature  à  la  disposition  de  toute 
plante  en  activité,  et  la  maturation  de  cette  dernière  nécessaire  à  la  propagation  de 
l'espèce,  ou  au  moins  à  la  fructification,  avec  cette  réserve  indispensable  que  cette 
somme  doit  être  la  somme  de  températures  qui  ne  dépassent  point  certaines  limites 
moyennes.  En  telle  localité,  si  l'on  additionne  la  température  moyenne  de  six  ou  huit 
mois  de  végétation  d'une  plante  qui  y  réussit  bien,  on  arrive  à  un  chiffre  n,  et  partout 
où  s'obtiendra  le  même  chiffre  pour  une  même  période,  sans  extrêmes  compensateurs,  la 
même  plante  pourra  vivre  :  ou,  si  elle  ne  vit  point,  il  faut  chercher  la  raison  ailleurs 
que  dans  une  question  de  température.  Et  chaque  plante  ayant  des  exigences  thermiques 
légèrement  ou  fortement  différentes,  il  résulte  que  la  température  seule  suffirait  déjà 
à  expliquer  certaines  différences  de  distribution. 

La.  température  est  un  facteur  puissant;  mais  ce  n'est  pas  le  seul  parmi  les  facteurs 
d'ordre  physique.  Les  différences  dépression  barométrique  rendent  impossibles  à  certains 
animaux  des  habitats  déterminés  :  la  pression  y  est  trop  faible,  ou  elle  est  trop  forte. 
Quand  bien  même  les  conditions  thermométriques  seraient  suffisantes,  ils  n'y  peuvent 


ACCLIMATATION.  41 

subsister.  Séménof,  dans  le  récit  de  son  voyage  aux  Itfonts-Célestes,  parle  des  millions  de 
carcasses  de  chevaux,  bœufs  et  chiens  qui  ont  péri  dans  les  hauteurs  par  le  mal  des  mon- 
tagnes; et  PoEPPiG,  dans  la  narration  de  son  voyage  au  Chili  et  au  Pérou,  rapporte  que  le 
bétail,  le  chat  et  la  poule  sontréfractaires  à  l'acclimatation  aux  grandes  hauteurs.  Le  chat 
en  particulier  est  très  sensible  :  d'après  Tschudi,  il  ne  peut  vivre  à  des  hauteurs  supé- 
rieures à  4  000  mètres  sans  être  pris  après  quelques  heures,  ou  jours,  de  convulsions  mor- 
telles. Le  chien,  par  contre,  est  peu  sensible,  et,  au  cours  de  l'expédition  de  Forsyth,  en 
1870,  dans  l'Asie  Centrale,  on  a  noté  la  présence  de  papillons  à  l'altitude  de  5  900  mètres, 
différents  oiseaux  s'élèvent  également  à  des  hauleurs  considérables. 

La  lumière  est  un  autre  facteur  :  nous  savons  son  importance  biologique,  son  action 
sur  les  organismes  :  elle  joue,  aussi  son  rôle.  Est-il  besoin  de  rappeler  l'importance 
de  la  proportion  d'eau,  de  rappeler  que  telle  espèce  veut  le  sec  et  telle  l'humide? 

Le  milieu  chimique,  c'est  la  composition  chimique  de  l'air,  de  l'eau,  du  sol,  et 
ce  sont  les  matières  alimentaires  ambiantes.  En  mettant  dans  la  même  catégorie  l'oxy- 
gène, les  sels  minéraux  de  l'eau  et  du  sol,  et  les  aliments  proprement  dits,  je  ne  pense 
point  commettre  de  grave  faute,  si  ce  n'est  peut-être  au  regard  des  vieilles  classifications: 
mais  alors  cela  est  sans  importance.  L'idée  d'aliment  n'est  qu'élargie,  sans  pourtant 
que  sa  précision  soit  diminuée.  La  composition  de  l'air  étant  identique  en  tous  points,  il 
n'y  a  point  là  de  facteur  pouvant  jouer  de  rôle  dans  l'acclimatation  :  mais  la  composi- 
tion des  eaux  salées  ou  douces  varie,  et  dès  lors  tel  milieu  peut  être  défavorable,  alors 
que  tel  autre,  qui  semble  identique,  est  favorable.  Est-il  besoin  de  rappeler  les  expé- 
riences de  Raulin  sur  l'Aspergillus,  celles  delVAEGELi  sur  les  SfArogyra,  et  tant  d'autres 
observations  dues  aux  microbiologistes?  La  composition  chimique  du  sol  n'a-t-elle  pas 
son  importance?  Ne  savons-nous  pas  qu'il  y  a  parmi  les  végétaux  des  préférences  mar- 
quées pour  telle  ou  telle  nature  de  sol,  et  que  dès  lors  telle  structure  géologique  exclut 
telle  flore  et  attire  telle  autre?  Et  enfin  chaque  espèce  n'a-t-elle  point  son  régime  alimen- 
taire plus  ou  moins  spécial,  et  n'en  est-il  pas  un  grand  nombre  qui  ne  vivent  que  d'une 
autre  espèce  déterminée? 

Le  milieu  organique,  trop  méconnu,  mériterait  une  longue  mention.  Mille  liens  réci- 
proques unissent  entre  eux  les  organismes  les  plus  disparates,  en  apparence  les  plus 
indépendants  :  et  pour  tout  être,  l'ensemble  des  autres  êtres  constitue  un  milieu  dont  il 
faut  tenir  compte.  Les  relations  sont  infiniment  nombreuses  et  variées,  souvent  à  tel 
point  lointaines  et  indirectes  qu'à  peine  les  imaginerait-on.  Ici,  c'est  tout  un  groupe  de 
plantes  dont  les  fleurs  ne  peuvent  être  fécondées  que  par  certains  insectes  :  si  vous 
voulez  acclimater  la  plante,  acclimatez  en  même  temps  l'insecte.  Là,  c'est  toute  la 
phalange  des  parasites,  temporaires  ou  permanents,  des  commensaux;  les  accliraatera- 
t-on  si  l'on  n'a  au  préalable  acclimaté  l'espèce  dont  ils  vivent  à  un  moment  de  leur 
existence,  si  ce  n'est  durant  toute  celle-ci?  Plus  loin,  ce  sont  certains  microbes,  par 
exemple  ceux  qui  forment  les  nodosités  des  racines  des  légumineuses  :  ne  faut-il  pas 
les  acclimater  en  même  temps  que  l'on  cherche  à  acclimater  celles-ci? Et  ainsi  de  suite. 
Et  qu'on  remarque  bien  aussi  que  ce  ne  sont  là  que  des  exemples  d'intervention  directe, 
de  relations  très  simples  :  il  en  est  de  bien  autrement  complexes  et  indirectes.  Songez 
par  exemple  à  tout  ce  qui  peut  venir  se  grouper  sous  cette  rubrique  «  préparation  ou 
modification  du  milieu  général  par  les  êtres  vivants  ».  De  combien  de  milliers  de 
manières  l'organisjne  ne  peut-il  pas  façonner  le  milieu,  le  rendant  par  là  propre  ou 
impropre,  selon  le  cas,  à  la  vie  d'autres  organismes?  Que  pouvaient  devenir,  sur  les  ri- 
vages de  Krakatao  desséché  et  brûlé,  les  graines  apportées  par  la  mer  ou  transportées 
par  les  oiseaux  ?  Germer  peut-être,  mais  non  pas  vivre  :  le  soleil  devait  les  dessécher, 
et  nulle  terre  n'était  prêle  à  les  recevoir.  Il  fallait  qu'au  préalable  des  espèces  végé- 
tales inférieures,  moins  difficiles,  mieux  adaptées  aux  conditions,  eussent  pris  pied,  et 
préparé  en  quelque  sorte  un  sol  capable  de  retenir  un  peu  d'eau,  et  comme  l'a  montré 
Melchior  Treub  qui  a  visité  Krakatao  en  188fi  (l'éruption  avait  eu  lieu  en  188.3)  et  re- 
laté sa  visite  dans  sa  Notice  sur  la  Nouvelle  Flore  de  Krakato',  et  ce  sont  sans  doute  des 
Algues,  des  Cyanophycées  qui  ont  accompli  cette  œuvre.  Ces  Algues,  des  genres  Toly- 
pothrix,  Anaboena,  Symploca  et  Lyngbrya  ont  formé  sur  la  pierre  ponce  une  couche  ver- 

1.  Annales  du  jardin  Botanique  de  Buitenzory,  t.  vu,  1888,  p.  213. 


42  ACCLIMATATION. 

dâtre,  gélatineuse,  hygroscopique,  où  les  spores  des  fougères  se  sont  beaucoup  dévelop- 
pées, formant  un  tapis  épais  (comme  à  Juan  Fernandez  et  à  l'Ascension), et  constituant 
ainsi  un  sol  organique  où  les  graiues  de  Phanérogames  apportées  par  les  oiseaux,  ou 
poussées  par  les  vagues,  ont  pu  germer  et  croître,  et  même  chasser  les  fougères  plus 
tard.  J'ai  fait  allusion  aux  cas  de  parasitisme  :  n'est-il  pas  évident  que  nombre  d'espèces 
sont  incapables  de  vivre  dans  un  milieu  en  apparence  très  favorable,  mais  où  manque 
la  plante  ou  l'animal  aux  dépens  duquel  ils  ont  coutume  de  vivre?  Que  peut  faire  ï'Oeci- 
dium  Berberidis  dans  une  région  sans  épine-vinette  et  sans  graminée  ?  Que  sert-il 
encore  de  chercher  à  acclimater  —  en  Nouvelle-Zélande* —  tel  ou  tel  poisson  européen, 
si  rustique  soit-il,  si  par  l'extermination  des  oiseaux  de  proie,  les  passereaux  sont  deve- 
nus à  tel  point  nombreux  que  les  insectes  ont  presque  totalement  disparu,  et  de  quoi 
se  nourrira  le  poisson?  Faire  des  plantations  d'arbres  est  chose  excellente;  mais  l'espèce 
la  mieux  adaptée  périra  si  l'on  n'en  protège  les  jeunes  plants  contre  le  bétail,  et  la  des- 
truction du  cheval  en  Amérique  s'explique  probablement  fort  bien  par  le  nombre  des 
pumas  (Hudsoin). 

Les  exemples  de  ce  genre  se  pourraient  multiplier  indéfiniment,  et  montreraient  de 
la  façon  la  plus  claire  l'importance  extrême  du  milieu  organique.  Il  n'a  guère  été  fait 
d'expériences  exactes  sur  cette  question  :  quelques  bactériologistes  cependant  ont  noté 
des  faits  intéressants  sur  l'antagonisme  existant  entre  espèces  microbiennes  différentes. 
Mais  ce  qui  est  plus  intéressant  que  ces  faits  d'antagonisme,  —  car  en  définitive  l'état 
dénature,  c'est  l'état  de  guerre,' — ce  sont  les  faits  d'association,  de  mutuelle  entente,  s'il 
est  permis  de  parler  ainsi.  Robert  Warington  -  a  fait  là  dessus,  voici  quelque  quarante 
ans,  des  expériences  très  simples  mais  d'une  réelle  portée.  Deux  poissons  rouges  furent 
placés  dans  un  aquarium  de  20  litres  de  capacité  environ,  au  fond  duquel  on  avait  mis 
un  peu  de  sable,  de  boue  et  de  cailloux.  Pour  éga3'er  la  prison,  et  aussi  pour  l'aérer,  il  y 
fut  joint  une  plante  de  Vallisnérie.  Tout  alla  bien  quelque  temps;  mais  les  vieilles  feuilles, 
en  se  décomposant,  menaçaient  de  corrompre  l'eau.  Alors  l'observateur  anglais  joignit 
aux  poissons  rouges  cinqou  six  Lymnées  qui  firent  fonction  d'agents  sanitaires.  Ils  détrui- 
sirent les  feuilles  mortes  en  s'en  nourrissant,  et  dès  lors  l'ordre  fut  rétabli,  si  bien  que 
la  Vallisnérie  produisit  38  plants  nouveaux,  tandis  que  les  Lymnées  se  livraient  à  la 
reproduction  d'une  façon  inusitée.  L'expérience  est  très  simple,  sans  doute,  mais  elle 
montre  bien  l'importance  du  milieu  organique.  Avant  de  connaître  le  travail  de  W.vr- 
KiNGTON,  qui  me  fut  révélé  par  le  hasard  d'un  dépouillement  de  collection,  j'avais 
observé  l'excellente  influence  des  Lymnées  sur  la  pureté  del'aquarium,  et,  pour  conserver 
l'eau  limpide  et  les  plantes  florissantes,  j'ajoutais  toujours  quelques  Lymnées.  Sans 
doutes  elles  broutèrent  bien  un  peu  l'herbe  verte,  mais  grâce  à  un  très  léger  sacrifice 
je  conservais  une  provision  centu|)le. 

Les  faits  qui  précèdent  sont  autant  de  types  de  cas  qui  se  rencontrent  par  milliers, 
mais,  malgré  l'intérêt  de  la  question,  nous  ne  pouvons  nous  y  arrêter  plus  longuement. 

Il  semblerait  découler  des  indications  précédentes  la  conclusion  que  l'acclimatation 
est  chose  à  peu  près  impossible.  Et  pourtant  les  faits  sont  là  pour  en  montrer  la  possi- 
bilité :  il  n'est  cheval  ni  porc,  oie  ni  dinde  qui  ne  la  proclament  :  la  basse-cour  et  le 
potager  n'ont  qu'une  voix  là-dessus. 

A  vrai  dire,  elle  est  souvent  difficile;  en  d'autres  [cas  elle  est  extraordinairement 
aisée.  En  certains  cas  l'échec  paraît  d'avance  vraisemblable  ;  en  d'autres  on  croit 
pouvoir  espérer  le  succès,  et  une  petite  circonstance  imprévue  vient  tout  bouleverser. 
Le  saumon  de  Californie  a  pu  s'acclimater  en  France  :  on  n'a  pu  encore  l'acclimater  dans 
l'Hudson.  Par  contre  l'alose  de  l'Atlantique  s'est  parfaitement  acclimatée  dans  le  Pacifique, 
de  la  Californie  à  l'Alaska,  et  l'on  prévoit  qu'elle  pourra  bientôt  gagner  les  côtes  voisines 
de  l'Asie.  Notons  d'ailleurs  que  les  cas  de  ce  genre  sont  des  meilleurs  d'entre  ceux  que 
l'on  peut  citer  comme  exemple  de  naturalisation,  car,  en  dehors  de  l'acte  initial  par 
lequel  l'homme  a  introduit  l'espèce  dans  un  milieu  jusque  là  inhabité  par  elle,  son 
intervention  est  nulle  :  l'animal  ne  doit  et  ne  peut  compter  que  sur  lui-même  et  sur  les 

i.  Science,  12  nov.  1886,  p.  426  :  Acclimatation  in  New  Zealand. 

2.  Voyez  entre  autres  ses  Observations  on  the  adjustement  of  the  relations  between  the animal 
and  vegetable  kinr/dom  by  lo/iich  the  vital  functions  of  hothare  permanently  maintained  {Zoologis t, 
1850,  p.  2868). 


ACCLIMATATION.  43 

circonstances  ambiantes  :  l'homme  ne  peut  travailler  ces  dernières  à  son  gré  en  vue  de 
favoriser  l'animal,  comme  cela  a  lieu  sur  la  terre.  En  certains  cas  la  cause  de  l'échec 
pourra  être  très'manifeste  :  l'une  de  ces  causes  du  moins.  Ici,  alTaire  de  milieu  physique,  de 
température  par  exemple  :  vous  ne  ferez  point  venir  l'olivier  à  Lyon  ni  l'eucalyptus  ou 
le  mandarinier  à  Valence  ou  à  Avignon  ;  là,  de  milieu  chimique  :  la  plupart  des  huîtres 
américaines,  d'eau  saumàtre,  ne  peuvent  vivre  à  l'eau  de  mer  pure;  là,  de  milieu  organi- 
que; parfois  la  cause  échappe,  comme  pour  le  saumon  de  Californie  qui  se  refuse  à  vivre 
dans  l'Hudson. 

Énumérer  ici  les  espèces  dont  l'homme  a  opéré  l'acclimatation,  celles  qu'il  a  en  quel- 
que sorte  domestiquées  et  dont  il  peut  se  faire  suivre  généralement  dans  ses  pérégrina- 
tions, serait  une  tâche  un  peu  longue  et  fastidieuse.  Il  ne  suffirait  pas,  en  effet,  d'exa- 
miner les  conquêtes  qui  nous  sont  familières,  et  de  dépouiller  la  liste  de  nos  potagers  et 
basses-cours  de  France  ou  de  l'Europe  méridionale  :  il  faudrait  parcourir  les  autres 
régions  du  globe  et  montrer  les  animaux  et  plantes  qui  ont  été  de  tel  ou  tel  habitat  ori- 
ginel transplantés  en  telles  ou  telles  contrées.  On  pourrait  presque  dire  qu'il  n'est  pas 
une  espèce  animale  ou  végétale  qui  n'ait  été  acclimatée  ou  naturalisée  quelque  part,  de 
propos  délibéré  ou  involontairement.  Pour  la  liste  des  espèces  qui  intéressent  le  plus 
directement  l'homme  je  renverrai  à  l'ouvrage  de  M.  Geoffroy  SAiNT-HiLAiREintitulé  :  Accli- 
matation et  domestication  des  animaux  utiles,  au  Bulletin  de  la  Société  d' Acclimata  lion  con- 
tinué par  la  Heime  des  Sciences  Naturelles  appliquées,  et  à  de  Candolle,  Origine  des  plantes 
cultivées.  Je  recommanderai  encore  d'une  façon  spéciale  le  Potager  d'un  curieux  par  Pail- 
LEux  et  Bois  :  on  trouvera  là  l'indication  de  plantes  utiles,  nouvelles  ou  peu  connues, 
qu'il  y  aurait  intérêt  à  acclimater  en  différents  climats.  Il  reste  beaucoup  à  faire  en  effet, 
non  pas  dans  nos  pays  de  vieille  civilisation,  peut-être  (et  encore  se  trouverait-il 
mainte  espèce  animale  ou  végétale  à  introduire),  mais  dans  les  pays  neufs  où  la 
race  blanche  n'a  pénétré  que  depuis  peu.  Dans  les  colonies  en  particulier  il  y  a  encore 
énormément  à  essayer  et  à  réussir.  Sur  110  000  espèces  de  Phanérogames,  il  n'y  en  a  pas 
1000  d'utilisées.  Il  y  a  des  régions  qui  n'ont  encore  fourni  que  peu  de  chose  :  l'Europe 
a  fourni  3  animaux  domestiques  (pigeon,  oie,  canard,  lapin,  abeille)  et  l'Asie,  douze  : 
mais  l'Afrique  n'en  a  donné  jusqu'ici  que  deux,  et  l'Amérique  trois.  L'acclimatation 
a  ses  degrés,  il  est  à  peine  besoin  de  le  rappeler.  Le  marronnier  d'Inde  est  bien 
près  de  la  naturalisation,  dans  certaines  parties  de  la  France  du  moins,  et  le  rici- 
nier,  plus  encore  (dans  la  mesure  où  la  vraie  naturalisation  est  possible);  la  pomme  de 
terre,  par  contre,  ne  durerait  pas  un  an  de  plus  sans  l'intervention  constante  de  l'homme. 

Un  autre  point  à  indiquer  en  passant,  est  ce  fait  que,  si  l'acclimatation  s'opère  par- 
fois sans  modifications  morphologiques  ou  physiologiques  appréciables,  elle  s'accom- 
pagne \b  plus  souvent  de  variations  de  l'un  ou  l'autre  ordre.  Gomment  d'ailleurs  n'en 
serait-il  pas  ainsi  ?  La  même  plante,  poussant  dans  les  lieux  humides  et  abrités  du  fond 
de  la  vallée,  diffère  comme  port,  dimensions,  épaisseur,  structure  de  feuilles,  etc.,  de 
celle  qui  vit  au  haut  de  la  colline;  celle  qui  vit  à  l'intérieur  des  terres  diffère  nettement 
de  celle  que  le  sort  a  placée  dans  les  terrains  salés.  Nous  savons  aussi  que  le  milieu  chi- 
mique intérieur  — mesuré  par  la  toxicité,  par  exemple  — varie  d'un  habitat  à  un  autre; 
nous  savons  que  par  la  simple  dépression  barométrique  il  se  produit  un  accroissement 
de  teneur  en  hémoglobine  dans  le  sang  :  à  passer  d'un  pays  dans  un  autre,  malgré  la 
similitude  apparente  des  différentes  conditions,  une  plante  ou  un  animal  changent  de 
milieu  à  un  degré  souvent  considérable,  et,  quand  bien  même  le  mécanisme  de  l'action 
exercée  par  le  changement  nous  échappe,  force  est  bien  de  reconnaître  qu'au  change- 
ment de  milieu  correspond  souvent  nn  changement  de  structure  ou  de  physiologie.  Je 
ne  veux  pas  m'appesantir  sur  les  faits  très  nombreux  et  bien  connus  de  cet  ordre. 
M.  G.  Faivre  en  a  donné  un  bon  résumé  dans  son  volume  sur  La  variabilité  des  espèces  et 
ses  limites  (1868);  j'ai  recueilli  quelques-uns  des  faits  plus  récents  dans  mon  Expérimen- 
tal Evolution  (1892);  M.  Cornevin,  dans  son  excellente  Zootechnie,  en  indique  beaucoup 
encore.  Il  est  difficile  de  dire  si  la  variation,  — quelle  qu'elle  soit  —  est  ime  condi- 
tion d'acclimatation  :  il  le  semblerait  dans  les  cas  ou  elle  est  univoque  et  cons- 
tante. 

Est-il  besoin,  encore,  de  rappeler  que  l'acclimatation  ne  peut,  dans  certains  cas,  s'opé- 
rer qu'à  la  condition  de  ménager  une  transition  graduelle  ?  On  sait,  par  exemple,  que  pour 


44  ACCLIMATATION. 

acclimater  beaucoup  de  plantes,  il  est  bon  d'apporter  quelques  plants  d'abord,  et  de 
les  laisser  fructifier  :  les  graines  de  ces  plants  réussiront  mieux  que  les  graines  des 
plantes  restées  dans  leur  milieu  originel.  C'est  ainsi  qu'on  procède  au  Jardin  Alpin  de 
Genève  :  on  livre  des  graines  de  plantes  alpines  élevées  en  plaine  (pour  le  cas  où  l'on 
désire  les  semer  en  plaine).  Pour  acclimater  des  animaux  dans  un  milieu  nouveau,  on  pré- 
férera choisir  des  individus  vivant  à  quelque  dislance  du  centre  principal,  ayant  déjà  été 
soumis  à  une  légère  différence  de  conditions  et  l'ayant  supportée  sans  dommage.  Rien  ne 
montre  mieux  l'importance  extrême  de  l'art  de  ménageries  transitions  que  les  expérien- 
ces sur  le  milieu  chimique.  L'animal  aquatique,  et  la  plupart  des  micro-organismes  sont 
très  sensibles  aux  variations  de  composition  chimique  de  leur  milieu  (encore  une  fois 
je  rappelle  les  si  belles  recherches  de  r^AECEu  sur  leSpirogyra)  :il  suffit  parfois  de  l'addi- 
tion de  traces  de  certaines  substances  pour  les  faire  périr.  Dans  ce  cas  il  n'y  a  rienàfaire,  ou 
à  peu  près  :  mais  dans  d'autres  on  peut  arriver  par  la  patience  à  des  résultats  intéressants. 
On  verra  par  exemple  que,  si  un  poisson,  un  têtard,  ou  un  invertébré  aquatique  est 
placé  d'emblée  dans  un  milieu  contenant  Ib  ou  20  grammes  de  tel  sel  par  litre,  il  meurt 
aussitôt;  mais,  si  on  l'habitue  peu  à  peu  en  ajoutant  le  sel  gramme  par  gramme  tous  les 
deux  ou  trois  jours,  il  résiste  admirablement.  Les  poissons  anadromes  semblent  ména- 
ger la  transition  à  l'époque  de  la  montée:  à  l'embouchure  de  la  rivière  Columbia,  on  les 
voit  s'arrêter  quelques  jours  ou  semaines  dans  les  eaux  saumàtres,  alors  qu'ils  arrivent 
de  la  mer,  avant  de  s'engager  dans  les  eaux  douces  pour  aller  se  reproduire.  Un  obser- 
vateur anglais  fort  patient,  Dallinger,  a  fait  pour  le  milieu  thermique  des  recherches  ana- 
logues à  celles  que  je  viens  d'indiquer  pour  le  milieu  chimique.  Il  a  pris  un  micro-orga- 
nisme commun  et  l'a  placé  dans  une  étuve  dont  il  a  élevé  la  température  très  lentement, 
à  intervalles  espacés.  L'expérience  à  duré  sept  ans,  mais  au  bout  de  ce  temps  ce  proto- 
zoaire, qui  vivait  entre  10°  et  20",  était  accoutumé,  acclimaté,  k  la  température  de  60°.  C'est 
par  un  mécanisme  analogue  probablement,  bien  que  moins  minutieusement  réglé,  et  gra- 
dué, qu'il  faut  s'expliquer  la  présence  de  conferves  et  de  formes  diverses  de  la  vie  ani- 
male et  de  la  vie  végétale  dans  les  sources  d'eau  chaude  de  toutes  les  contrées  du  globe. 
(Voyez  le  résumé  que  j'ai  donné  des  observations  faites  sur  ce  sujet  dans  la  Revue  Scienti- 
fique en  1893  :  Des  températures  extrêmes  compatibles  avec  la  vie  de  l'Espèce). 

11  n'est  personne  qui  n'ait  remarqué  que  de  tous  les  animaux  terrestres,  nul  n'est  plus 
apte  à  l'acclimatation  que  l'homme.  L'homme  s'est  répandu  d'un  pôle  à  l'autre,  et  en 
dehors  des  altitudes  extrêmes,  supérieures  à  4  000  mètres,  et  des  climats  également  ex- 
trêmes des  régions  polaires,  il  réussit  à  se  maintenir  à  peu  près  partout.  Sans  doute  les 
différentes  races  n'y  sont  pas  également  aptes  :  mais  qui  entreprendrait  de  considérer 
le  blanc  et  le  jaune  et  le  noir  comme  identiques  au  point  de  vue  physiologique  ou  chi- 
mique? Leur  pathologie  diffère,  leurs  aptitudes  morbides  varient,  et  leur  physiologie 
intime  ne  saurait  être  exactement  la  même.  Toutefois,  dans  l'ensemble,  l'espèce  humaine 
—  laissant  de  côté  les  différences  entre  races  —  est  celle  qui  s'accommode  le  mieux  des 
différences  de  milieu.  Cela  tient,  semble-t-il,  surtout  à  ce  que  l'espèce  humaine  est  celle 
qui  peut  le  mieux  transporter  avec  elle  son  milieu  accoutumé,  et  le  modifier  dans  la 
mesure  où  l'exigent  les  circonstances:  elle  peut  alors  réduire  au  minimum  la  différence 
de  milieu  qui  résulte  du  passage  d'une  contrée  dans  une  autre.  Elle  transporte  avec  elle 
une  grande  partie  de  ses  ressources  alimentaires  accoutumées,  elle  se  couvre  le  corps, 
ou  le  découvre  selon  les  besoins  et  à  volonté,  elle  se  protège  dans  la  mesure  où  il  est 
nécessaire  contre  la  chaleur  et  le  froid,  et  les  intempéries  en  général.  De  là  suit  que  les 
circonstances,  qui  pour  l'animal  ou  Ja  plante  seraient  des  obstacles  insurmontables,  ne 
seront  pour  lui  qu'inconvénients  médiocres  auxquels  il  pourra  parer  assez  aisément. 
Sans  doute,  il  y  a  des  réserves  à  faire:  l'habitant  des  zones  froides  s'accommodera  assez 
difficilement  de  la  zone  torride,  plus  diffiicile  encore  sera-t-il  à  l'habitant  de  l'équateur 
de  vivre  dans  les  froids  du  nord,  mais  au  total  l'homme  y  réussira  incomparablement 
mieux  que  la  bête  ou  la  plante  hors  d'état  de  parer  en  quelques  courtes  semaines  à  un 
changement  considérable  dans  les  conditions  thermiques  par  exemple. 

A  ceci  près,  il  n'y  a  pas  dans  l'acclimatation  de  l'homme  —  dans  l'acclimatement  qui 
est  le  résultat  de  son  acclimatation  —  d'autres  facteurs  à  considérer  que  dans  l'acclima- 
tation de  la  plante  ou  de  l'animal.  Dans  les  deux  cas,  la  question  est  une  question 
d'adaptation  de  la  physiologie  d'un  organisme  à  des  circonstances  ambiantes,  à  un  milieu. 


ACCLIMATATION    —    ACCOMMODATION.  iS 

Le  milieu  chimique  est  d'importance  nulle,  ou  peu  s'en  faut,  dans  une  grande  ma- 
jorité des  cas;  le  milieu  physique  joue  un  rôle  considérable  —  la  température  princi- 
palement —  et  le  milieu  organique  ne  compte  guère.  Ce  qui  a  le  plus  d'importance 
pour  l'homme,  avec  le  milieu  physique,  c'est  son  milieu  intérieur,  c'est  sa  personne 
organique,  ce  sont  ses  tissus  et  leurs  fonctions.  Dans  tel  [habitat,  ils  ont  acquis,  de  par 
l'influence  du  milieu  physique,  telle  façon  d'être  et  de  réagir;  si  l'habitat  cliange,  il  faut 
certains  changements  et  ils  sont  souvent  lents  à  s'établir  :  l'accoutumance  est  néces- 
saire. Il  est  très  nécessaire  aussi  de  ne  pas  transporter  intégralement  d'un  milieu  à 
l'autre  les  habitudes  prises' dans  le  premier;  salutaires  ici,  elles  deviennent  là  nuisibles 
ou  fatales:  il  faut  des  modifications  d'habitudes,  de  régime,  etc.  Sur  ce  point  je  renverrai 
en  particulier  à  l'article  Acclimatement  de  Bertillon,  dans  le  Dictionnaire  de  Dechajibre:  on 
y  trouvera  beaucoup  de  faits  intéressants  sur  lesquels  je  ne  puis  m'étendre  ici, où  l'accli- 
matation doit  être  surtout  envisagée  au  point  de  vue  de  l'histoire  naturelle  générale. 

HENRY  DE  VARIGNY. 

ACCOMMODATION.  —  L'accommodation  est  la  faculté  que  possède 
l'œil  de  voir  distinctement  les  objets  à  des  distances  variées.  Cependant  la  marche  des 
rayons  lumineux  est  soumise  dans  l'œil  aux  mêmes  lois  physiques  que  dans  un  système 
réfringent  inorganique  :  son  appareil  dioptrique  ne  donne  sur  un  écran  fixe  une  image 
nette  que  pour  une  seule  et  même  distance  de  l'objet.  Et,  puisque  dans  l'œil  normal  ou 
emmétrope  le  point  de  concours  des  rayons  lumineux  parallèles,  c'est-à-dire  venant  de 
l'inflni,  se  fait  sur  la  rétine,  ceux  qui  émanent  d'un  point  de  plus  en  plus  rapproché 
devront  se  réunir  de  plus  en  plus  loin  derrière  cette  membrane.  L'accommodation 
implique  donc  forcément  une  modification  quelconque  qui  maintienne  la  couche  sen- 
sible de  la  rétine  en  rapport  de  foyer  conjugué  avec  l'objet  :  cette  adaptation  toute 
spontanée  qui  se  proportionne  aux  distances  donne  à  l'œil  une  supériorité  marquée  sur 
les  systèmes  dioptriques  non  organisés. 

La  nécessité  d'une  modification  pour  l'adaptation  aux  distances  est  démontrée  par 
ce  fait  très  simple  que  si  de  deux  objets  inégalement  éloignés  nous  pouvons  voir  nette- 
ment tantôt  l'un,  tantôt  l'autre,  il  nous  est  impossible,  par  contre,  de  les  voir  en  même 
temps  distinctement. 

Que  l'on  ferme  l'un  des  yeux  et  qu'on  tienne  devant  l'autre  deux  épingles  plantées 
sur  une  règle  à  des  distances  différentes,  tant  que  l'une  sera  vue  distincte,  l'autre 
paraîtra  confuse  et  inversement  (expérience  de  Porterfield).  Si  entre  le  papier  sur  lequel 
on  vient  d'écrire  et  l'œil,  à  égale  distance  à  peu  près  de  l'un  et  de  l'autre,  on  interpose 
la  plume,  ou  verra  confusément  le  bec  de  la  plume  quand  les  caractères  de  l'écriture 
paraîtront  nets,  ou  bien  ceux-ci  se  brouilleront  quand  on  vise  la  pointe.  Les  expériences 
de  ce  genre  peuvent  être  variées  de  diverses  manières. 

Dans  tous  ces  cas,  l'un  des  objets  est  vu  nettement  parce  que  les  rayons  qui  en 
partent  vont  former  leur  foyer  conjugué  sur  la  rétine;  l'autre  paraît  trouble  parce  que 
son  foyer  se  trouvera,  suivant  les  conditions  de  l'expérience,  soit  en  avant,  soit  en 
arrière  de  cette  membrane.  11  est  facile  de  comprendre  pourquoi  il  en  est  ainsi.  Les 


rayons  émanant  d'un  point  lumineux  quand  ils  ont  pénétré  dans  l'œil,  forment  un  cône 
dont  la  base  a  la  forme  de  la  pupille  et  dont  le  sommet  est  dirigé  en  arrière.  Si  celui-ci 
se  trouve  exactement  à  la  surface  de  la  rétine,  il  n'éclaire  qu'un  seul  point  de  cette 
membrane  (fig.  1)  en  c. 

Mais  si  la  rétine  est  rencontrée  par  le  cône  lumineux,  soit  en  avant  (en  /'  /"'),  soit 


4() 


ACCOMMODATION. 


en  arrière  {g'  g")  du  point  de  convergence  des  rayons,  elle  n'est  plus  éclairée,  comme 
on  voit,  sur  un  point,  mais  suivant  un  cercle,  cercle  de  diffusion. 

Ce  qui  se  produit  pour  un  seul  point  se  produira  pour  tout  autre  point  de  l'objet 
situé  à  la  même  distance;  cliacun  d'eux  formera  un  cercle  de  diffusion;  un  même  élément 
de  la  rétine  étant  ainsi  impressionné  simultanément  par  des  rayons  venus  de  points 
différents  de  l'objet,  il  en  résultera  une  image  confuse. 

La  formation  des  cercles  de  diffusion  et  le  trouble  qu'ils  apportent  à  la  vision  de 
l'œil  non  accommodé  ressortent  encore  mieux  de  l'expérience  classique  de  Scheiner.  On 
place  tout  près  de  l'œil  un  diaphragme  percé  de  deux  trous  d'épingle  séparés  par  un 
intervalle  un  peu  moindre  que  le  diamètre  de  la  pupille.  A  travers  ces  deux  ouvertures, 
on  regarde  une  épingle  tenue  perpendiculairement  à  la  droite  qui  passe  par  les  deux 
ouvertures,  horizontalement  si  celles-ci  sont  superposées,  verticalement  si  elles  sont 
l'une  à  côté  de  l'autre;  l'épingle  est  placée  à  la  distance  à  laquelle  on  voit  nettement, 
à  la  distance  de  la  lecture,  par  exemple.  Si  on  la  fixe  du  regard,  elle  sera  vue  telle 
quelle,  c'est-à-dire,  simple,  mais  un  peu  plus  sombre.  Mais  si  on  vient  à  fixer  un  objet 
plus  rapproché  ou  plus  éloigné  l'épingle  sera  vue  double. 


Soient,  en  effet,  e  et  /'les  ouvertures  du  diaphragme,  a  un  point  de  l'objet.  Sans  le 
diaphragme,  un  cône  lumineux  aurait  pénétré  dans  l'œil  et  aurait  eu  son  sommet  au 
point  c.  Mais  le  diaphragme  intercepte  la  plus  grande  partie  de  la  lumière  et  ne  laisse 
arriver  dans  l'œil  que  les  rayons  qui  passent  à  travers  les  ouvertures  e  et  f.  Au  lieu  d'un 
seul  cône  lumineux  l'œil  en  reçoit  deux,  dont  les  bases  très  petites  correspondent  aux 
ouvertures  du  diaphragme,  mais  leur  point  de  concours  est  toujours  en  c.  Si  l'œil  est 
adapté  pour  le  point  a,  c  se  trouvera  sur  la  rétine  et  l'œil  verra  une  image  nette  de  a, 
seulement  un  peu  moins  lumineuse  qu'elle  ne  le  serait  sans  l'interposition  du  dia- 
phragme. 

Mais,  si  l'œil  est  adapté  pour  un  point  plus  éloigné  que  a,  les  rayons  partis  de  ce 
dernier  point  iront  concourir  en  arrière  de  la  réline  et  chacun  des  cônes  formera  sur 
la  membrane  un  petit  cercle  de  diffusion  p,  q. 

L'écran  rétinien  sera  donc  impressionné  en  deux  régions  différentes  par  des  rayons 
partis  d'un  même  point  de  l'objet,  et  celui-ci  sera  vu  double,  et  d'ailleurs  un  peu  confus: 
m  n  représente  dans  ce  cas  la  position  de  la  rétine  par  rapport  au  sommet  du  cône. 

Si,  au  contraire,  on  fixe  un  point  plus  rapproché  que  l'épingle,  c'est  en  avant  de 
la  rétine  que  les  rayons  vont  maintenant  se  réunir,  puis  continuant  leur  marche  en 
divergeant,  ils  formeront  encore  sur  cette  membrane,  qui  se  trouverait  dans  ce  cas  au 
plan  II,  deux  images  de  diffusion. 

Comme  les  images  rétiniennes  sont  projetées  en  dehors  en  sens  inverse,  il  est  facile 
de  voir,  si  nous  supposons  l'ouverture  e  à.  notre  droite  eif  à.  notre  gauche,  que  l'image  p 
sera  projetée  à  gauche  dans  la  direction  d'une  droite  passant  par  le  point  nodal  de 
l'œil  et  l'image  q  sera  projetée  à  droite  en  q  :  c'est  donc  l'image  gauche  p  qui  disparaîtra 
si  on  bouche  l'orilice  droit  e,  et  inversement  :  il  3'  a  diplopie  monoculaire  croisée.  Si  la 
rétine  est  ao  .contraire  en  II,  c'est  l'image  de  droite  qui  disparaîtra  si  on  bouche,  l'oriflce 
droit  e. 

Cette  expérience  de  Scheiner,  dont  la  valeur  a  cependant  été  contestée  par  PRoapt 
{De  l'expérience  de  Scheiner  envisagée  dans  ses  rapports  avec  la  théorie  de  l'accommodation: 
Association  française  pour  l'avancement  des  sciences,  1882,  p.  750),  s'ajoute  à  celles  qui  ont 
été  indiquées  plus  haut  pour  montrer  que  l'œil  ne  peut  fournir  une  image  nette  d'un 
objet  que  pour  la  distance  à  laquelle  il  est  adapté.  Si  cependant  la  vision  reste  nette. 


ACCOMMODATION.  47 

bien  que  l'objet  se  rapproche  ou  s'e'loigne,  il  faut  en  conclure  qu'un  mécanisme  parti- 
culier intervient  qui  modifie  l'œil,  soit  dans  sa  forme,  soit  dans  sa  puissance  réfrin- 
gente. 

Mécanisme  de  l'accommodation.  —  Historique.  —  Les  opinions  les  plus  diverses 
ont  été  émises  sur  la  nature  de  la  modification  qui  se  produit  dans  l'œil  pendant  l'ac- 
commodation. Nous  les  passerons  rapidement  en  revue  pour  nous  arrêter  à  l'explication 
que  l'expérience  et  le  calcul  ont  définitivement  établie. 

L'historique  de  la  question  nous  amènera  ainsi,  par  l'élimination  successive  des 
interprétations  inexactes,  à  étudier  le  mécanisme  vrai  de  l'accommodation.  ^ 

1°  La  nécessité  d'un  changement  dans  l'intérieur  de  l'œil  n'a  pas  été  admise  par  tous 
les  physiologistes.  Magendie  prétendit  s'être  convaincu  sur  des  yeux  de  lapins  albinos 
récemment  tués  que  l'image  rétinienne  vue  à  travers  la  sclérotique  était  également 
nette,  quelle  que  fût  la  distance  de  l'objet.  Du  Haldat,  de  ses  expériences  sur  des  cris- 
tallins isolés,  avait  conclu  aussi  à  l'invariabilité  du  foyer  de  la  lentille.  Engel  a  trouvé 
également  que  les  images  fournies  par  un  cristallin,  placé  dans  l'air,  ne  se  déplacent 
pas  sensiblement  pour  des  distances  comprises  entre  7  et  126  pouces. 

Treviranus  a  cherché  à  démontrer  mathématiquement  qu'une  lentille  dans  laquelle 
comme  dans  le  cristallin,  la  densité  croit  de  la  périphérie  au  centre,  suivant  une  cer- 
taine progression,  peut  avoir  une  distance  focale  invariable  pourvu  qu'un  diaphragme  à 
orifice  variable  change  le  rapport  des  rayons  marginaux  aux  rayons  centraux  d'après 
une  loi  qu'il  fit  connaître. 

La  prétendue  indépendance  des  positions  de  l'objet  de  l'image  a  du  moins  donné 
lieu  aux  beaux  travaux  du  géomètre  Stuhu  qui,  se  fondant  sur  les  mensurations  de 
courbure  des  surfaces  réfringentes  de  l'œil  se  crut  autorisé  à  ne  point  les  considérer 
comme  des  surfaces  de  révolution.  Cherchant  à  établir  ce  que  devient  dans  un  pareil 
système  le  faisceau  réfracté,  il  trouve  que  les  rayons  se  réunissent  alors,  non  plus  en 
un  seul  foyer,  mais  bien  en  deux  lignes  focales  perpendiculaires  entre  elles  et  séparées 
par  un  espace  appelé  intervalle  focal  qui  répond  au  maximum  de  concentration  des 
rayons  réfractés.  Stdrm  admet  que  dans  l'œil  la  section  du  faisceau  entre  les  deux  plans 
locaux  est  assez  petite  pour  donner  une  image  nette;  et  comme  dans  les  limites  de  la 
vision  distincte  la  rétine  rencontre  toujours  Tintervalle  focal,  l'ajustement  aux  différentes 
distances  se  trouve  ainsi  expliqué.  L'étude  de  Sturm  sur  les  foyers  des  ellipsoïdes  à 
trois  axes  inégaux  sert  encore  de  base  aujourd'hui  à  l'analyse  du  mécanisme  de  l'astig- 
matisme (voyez  ce  mot).  La  forme  qu'il  a  assignée  au  faisceau  réfracté  se  renconire,  en 
elfet,  mais  dans  les  seuls  cas  ofi  l'asymétrie  des  différents  méridiens  de  l'œil  est  extrê- 
mement prononcée  ou  bien  dans  les  yeux  privés  de  cristallin.  De  sorte  que,  comme  l'a 
dit  Giraud-Teulon  (art.  Accommodation  du  Dict.  de  Dechambre)  cette  belle  théorie  créée 
pour  démontrer  que  l'ajustement  de  l'œil  peut  avoir  lieu  indépendamment  du  cristallin 
ne  se  vérifie  elle-même  de  façon  saisissable  que  lors  de  l'absence  de  ce  même  cristallin. 

Du  resté,  les  faits  que  ces  théories  devaient  expliquer  ont  été  bientôt  reconnus 
inexacts.  Hueck,  Volkmann,  Gerling,  .en  examinant  l'image  rétinienne  dans  les  mêmes 
conditions  que  Magendie,  mais  avec  un  grossissement  suffisant,  ont  vu  que  la  netteté 
varie  avec  la  distance  de  l'objet.  Les  résultats  obtenus  par  dc  Haldat,  Engel,  ne  sont 
applicables  qu'au  cristallin  isolé  et  placé  dans  l'air  ;  sa  distance  focale  devient  excessi- 
vement courte,  tandis  qu'il  n'en  est  plus  de  même  pour  le  système  dioptrique  de  l'œil 
pris  dans  son  ensemble.  L'expérience  de  Scheiner  et  d'autres  du  même  genre  prouvent 
que  l'œil  se  comporte  comme  une  lentille  convexe. 

L'examen  ophtalmoscopique  permet  également  de  suivre  les  changements  qu'éprouve 
l'image  rétinienne  avec  la  distance.  Si  l'on  se  place  par  rapport  à  l'œil  observé  à  une 
distance  convenable  pour  que  l'image  de  la  flamme  de  la  lampe  ophtalmoscopique  se 
forme  avec  une  netteté  parfaite  sur  la  rétine,  puis  qu'on  appelle  ensuite  l'attention  du 
sujet  sur  un  objet  plus  rapproché  de  lui,  l'image  de  la  lumière  devient  confuse. 

On  doit  à  Giraud-Teulo.n  l'e.xpérience   suivante.  Sur  l'orifice  du  porte-objet  d'un 

'microscope,  on  place  un  œil  frais  dépouillé  de  sa  cornée,  le  cristallin  regardant  en  bas, 

la  face  postérieure  de  l'organe  regardant  en  haut  et  portant  une  petite  fenêtre   qui 

permet  de  voir  le  corps  vitré.  Sous  le  porte-objet,  un  miroir  plan  et  incliné  à  45°  sur 

l'horizon  envoie  vers  cet  œil  l'image  d'un  objet  très  éloigné.  Dans  une  certaine  position 


48  ACCOIVIIVIODATION. 

du  microscope  l'image  réfractée  de  l'objet  est  vue  nettement  à  travers  la  fenêtre  scléro- 
locale.  Si  l'on  interpose  alors  entre  le  porte-objet  et  le  miroir  une  lentille  dispersive,  de 
10  centimètres  environ  de  distance  focale,  l'image  première  devient  immédiatement 
confus.e  pour  l'observateur  qui  regarde  à  travers  l'oculaire.  En  effet,  en  interposant  la 
lentille,  c'est  comme  si  on  avait  rapproché  l'objet  à  10  centimètres  de  l'œil,  au  foyer  de 
la  lentille,  et  pour  que  l'image  redevienne  nette,  il  faut  remonter  le  microscope  de 
quelques  millimètres,  preuve  que,  dans  ces  nouvelles  conditions,  l'image  réfractée  par 
l'œil  a  reculé  de  cette  même  quantité.  Une  expérience  du  même  genre  avait  déjà  été 
faite  par  Cramer. 

2"  Puisque  dans  la  vision  des  objets  rapprochés  une  modification  dans  la  forme  de 
l'œil  ou  dans  sa  puissance  réfringente  s'impose,  deux  hypothèses  pourraient  être 
faites  :  ou  bien  l'écran  s'éloigne  de  l'appareil  dioptrique,  ou  bien  le  pouvoir  réfringent 
de  celui-ci  augmente.  Bien  que  cette  dernière  opinion  soit  la  seule  qui  ait  été  vérifiée 
par  l'expérimentation,  il  s'est  cependant  trouvé  de  nombreux  partisans  de  !a  première. 

On  a  admis  que  les  muscles  de  l'œil  pouvaient,  par  leur  pression,  allonger  le  globe 
oculaire  dans  le  sens  antéro-postérieur  et  écarter  ainsi  l'écran  de  la  lentille.  Young 
a  déjà  réfuté  cette  hypothèse  par  l'expérience  suivante  :  On  place  dans  l'angle  interne 
de  l'œil  un  anneau  de  clef  qu'on  appuie  fortement  contre  le  bord  interne  de  l'orbite. 
Cet  anneau  vient  s'appliquer  contre  le  bord  interne  de  la  cornée  pendant  que  l'œil 
porté  en  dedans  regarde  au  loin.  On  empêche  ainsi  le  globe  de  l'œil  de  se  porter  en 
avant  pendant  l'accommodation.  On  fait  pénétrer  alors  l'anneau  d'une  petite  clef 
jusqu'au  voisinage  du  pôle  postérieur  de  l'œil,  et  on  produit  par  pression  au  niveau  de 
la  tache  jaune  un  phosphène  qui  apparaît  dans  le  champ  visuel  en  avant  du  dos  du  nez 
et  qui  s'étend  jusqu'à  l'endroit  de  la  vision  la  plus  distincte.  En  accommodant  ensuite 
pour  un  objet  plus  rapproché,  on  constate  que  le  phosphène  ne  subit  aucune  modifi- 
cation, alors  qu'il  aurait  dû  augmenter  d'étendue  si,  par  suite  d'un  allongement  de 
l'œil,  la  partie  postérieure  avait  été  rei'oulée  avec  plus  de  force  contre  l'agent  de  com- 
pression. Helmholtz  a  répété  cette  expérience  avec  les  mêmes  résultats.  Il  fait  remar- 
quer en  outre  que  toute  augmentation  de  la  pression  hydrostatique  de  l'œ.il  diminue  la 
convexité  de  la  cornée  et  que  cette  modification,  si  elle  se  produisait,  serait  facile  à 
constater.  A  ces  arguments  on  peut  ajouter  les  faits  pathologiques  dans  lesquels  les 
muscles  de  l'œil  sont  paralysés  sans  que  l'accommodation  ait  à  souffrir,  et  inversement 
le  pouvoir  accommodateur  peut  être  supprimé  ou  surexcité  par  certains  agents,  alors 
que  la  mobilité  de  l'œil  reste  normale.  Cependant,  récemment  encore,  Schneller  a 
cherché  à  démontrer  que  l'axe  antéro-postérieur  de  l'œil  peut  s'allonger  sous  l'influence 
de  certains  mouvements  combinés  du  globe  oculaire;  mais  son  opinion  a  été  réfutée 
par  S.\TTLER  {Verhandl.  der  Ophtalm.  Gesellsch.  in  Heidelberg,  1887).  Dans  un  travail  plus 
récent,  Schneller  (Arch.  f.  Ophtalmol.,  t.  xxxv,  1889,  p.  HO)  maintient  l'exactitude  de 
son  opinion,  au  moins  en  ce  qui  concerne  les  jeunes  gens  et  les  myopes. 

Cependant,  on  peut  considérer  comme  démontré  qu'il  n'existe  dans  l'œil  aucun 
mécanisme  qui  éloigne  l'écran  rétinien  du  cristallin. 

Celui-ci  ne  s'éloigne  pas  davantage  de  la  rétine,  bien  que  cette  hypothèse,  émise 
d'abord  par  Kepler,  ait  été  soutenue  par  divers  physiologistes.  Ce  déplacement  a  été 
attribué  en  général  à  la  contraction  du  muscle  ciliaire  ou  à  celle  de  l'iris  :  et  pour 
qu'il  pût  s'opérer  malgré  la  présence  de  l'humeur  aqueuse  incompressible  on  a  dû 
supposer  que  celle-ci  s'échappait  dans  le  canal  de  Fontana  (Huecr)  ou  bien  qu'elle 
refoulait  elle-même  devant  elle  le  sang  des  procès  ciliaires.  Le  seul  argument  direct 
invoqué  à  l'appui  de  cette  hypothèse,  en  particulier  par  Weber,  c'est  que  l'iris  est  pro- 
jeté en  avant  pendant  la  vision  de  près. 

Le  fait  est  exact,  mais  il  reconnaît  comme  cause,  ainsi  qu'on  le  verra  plus  loin,  un 
changement,  non  pas  de  situation,  mais  de  forme, ]du  cristallin  dont  la  face  antérieure  se 
bombe.  D'autre  part,  par  suite  de  l'augmentation  de  courbure  de  cette  face  antérieure, 
l'image  catoptrique  qu'elle  fournit  diminue.  Des  calculs  de  Helmholtz  il  résulte  que,  si  cet 
effet  était  dû  à  un  déplacement  en  masse  de  la  lentille,  égal  au  mouvement  partiel  cons- 
taté dans  la  position  du  sommet  de  la  courbure,  l'image  ne  serait  pas  réduite  de  plus 
d'un  quarantième  de  sa  valeur  première,  modification  qui  serait  presque  inappréciable. 

Renversant  la  question,  Giraud-Teulon  a  recherché  quelle  étendue  il  faudrait  suppo- 


ACCOMMODATION.  i9 

ser  au  déplacement  du  cristallin  pour  produire  dans  cette  image  une  diminution  de 
4/9  environ,  qui  est  celle  qu'on  observe.  Or,  si  le  cristallin  était  venu  se  mettre  en  contact 
avec  la  cornée,  c'est-à-dire  s'il  s'était  rapproché  d'elle,  non  plus  de  4  dixièmes  de  milli- 
mètre mais  de  4  millimètres,  l'image  n'aurait  encore  diminué  que  d'un  quart.  Pour 
obtenir  la  réduction  des  4/9,  il  faudrait  que  la  chambre  antérieure  eût  une  étendue  double 
et  que  le  cristallin  en  eût  parcouru  toute  l'étendue. 

3°  On  a  attribué  encore  l'accommodation  aux  mouvements  de  la  pupille  qui  en  effet  se 
rétrécit  dans  la  vision  de  près  et  se  dilate  lorsque  l'œil  regarde  au  loin.  Treviranus  avait 
fait  intervenir  ces  mouvements  dans  sa  théorie.  De  même  Pouillet  qui,  regardant  le 
cristallin  comme  une  lentille  à  un  nombre  infini  de  foyers  différents  dans  lesquels  les 
faisceaux  lumineux  centraux  convergent  plus  près,  les  faisceaux  marginaux  plus  loin, 
admit  que  la  contraction  de  la  pupille,  arrêtant  ces  derniers,  accommode  l'œil  aux  petites 
distances;  que  sa  dilatation,  permettant  d'admettre  les  rayons  marginaux  qui  concourent 
plus  loin,  produit  l'ajustement  aux  grandes  distances. 

Ce  qui  est  vrai,  c'est  que  les  cercles  de  diffusion,  formés  sur  la  rétine  par  des  objets 
rapprochés,  diminuent  si  la  pupille  contractée  écarte  les  rayons  périphériques.  Mais  on 
démontre  facilement  que  l'accommodation  peut  se  passer  des  mouvements  pupillaires.  Si 
on  regarde  à  travers  un  orifice  percé  dans  une  carte  et  plus  étroit  que  la  pupille,  on  peut 
voir  aux  distances  les  plus  variées;  le  travail  d'accommodation  est  donc  indépendant  des 
mouvements  de  la  pupille,  puisque  l'ell'et  de  ces  derniers  est  annulé  par  l'interposition 
devant  l'œil  d'un  diaphragme  à  ouverture  invariable. 

4"  Il  ne  reste  donc  plus  qu'à  cherclier  dans  une  modification  de  la  force  réfringente 
de  l'œil  la  cause  de  la  faculté  d'adaptation.  Or  le  système  dioptrique  se  compose  de  quatre 
éléments  que  nous  pouvons  supposer  réduits  à  deux,  d'une  part  la  cornée  avec  l'humeur 
aqueuse,  d'autre  part  le  cristallin  et  l'humeur  vitrée.  Nous  pouvons  éliminer  immédiate- 
ment la  théorie  de  Vallée,  fondée  en  grande  partie  sur  une  prétendue  augmentation 
de  réfringence  des  diverses  couches  du  corps  vitré  depuis  le  cristallin  jusqu'à  la  rétine. 

D'anciens  observateurs  ont  cru  avoir  observé  des  changements  de  courbure  de  la 
cornée  pendant  l'accommodation.  Mais  Youmg  et  de  Hald.\t  ont  montré  que,  si  on  place 
l'œil  sous  l'eau  et  qu'on  annule  ainsi  les  effets  de  la  cornée  en  la  comprenant  entre  deux 
milieux  réfringents  de  valeur  égale,  l'accommodation  reste  intacte.  D'autre  part  la 
mensuration  des  images  catoptriques  formées  par  la  surface  antérieure  de  la  cornée  a 
fourni  la  preuve  convaincante  que  sa  courbure  ne  change  pas  dans  la  vision  aux  dilfé- 
rentes  distances.  Ce  fait,  déjà  aperçu  par  Burow,  Sexf  et  Valentin,  a  été  constaté  au  moyen 
de  méthodes  très  précises  par  Cramer  et  surtout  par  Helmholtz. 

Rôle  du  cristallin  dans  l'accommodation.  —  Nous  sommes  ainsi  arrivé  par  exclu- 
sion à  admettre  que  l'agent  de  l'accommodation,  c'est  le  cristallin. 

Cette  opinion,  émise  pour  la  première  fois  par  Descartes,  puis  soutenue  par  Young, 
PuRKiN.iE,  de  Graefe,  a  été  mise  hors  de  contestation  par  les  expériences  de  Langenbeck, 
Cramer  et  particulièrement  celles  de  Heluholtz. 

Une  observation  très  simple  permet  de  s'assurer  que,  dans  l'adaptation  de  l'œil  aux 
distances,  la  lentille  cristallinienne  change  de  forme  et  que  ses  courbes  se  modifient. 
Ces  variations  se  constatent  par  l'expérience  dite  des  trois  images.  On  sait  que  les 
miroirs  convexes  donnent  des  images  droites  et  diminuées  des  objets  placés  devant  eux, 
les  miroirs  concaves,  des  images  renversées  de  ces  mêmes  objets,  et  ces  images  seront 
d'autant  plus  petites  que  la  courbure  des  miroirs  est  plus  forte,  son  rayon  par  conséquent 
plus  petit. 

Or,  si  l'on  fait  tomber  sur  l'œil  les  rayons  d'une  flamme,  les  surfaces  de  séparation  des 
milieux  de  l'œil  agissent  comme  des  miroirs,  et  l'observateur  apercevra  dans  le  champ 
de  la  pupille  trois  images;  l'une  droite  et  ti'ès  lumineuse  due  aux  rayons  réfléchis  par  la 
cornée  :  l'autre,  droite  également,  un  peu  plus  grande  que  la  précédente,  mais  à  bords 
moins  nettement  limités,  et  formée  par  la  face  antérieure  du  cristallin  (image  cristalli- 
nienne antérieure)  ;  une  troisième  renversée,  plus  petite  que  les  deux  autres,  formée  par 
la  réflexion  sur  la  face  postérieure  du  cristallin  agissant  comme  miroir  concave,  elle 
oll're  l'aspect  d'un  petit  point  lumineux.  Elle  se  trouve  à  environ  1  millimètre  derrière 
la  pupille,  tandis  que  l'image  cristallinienne  antérieure  est  de  8  à  12  millimètres  derrière 
cet  orifice. 

mCT.    DE    PHYSIOLOGIE.    —   TOME    I.  4 


53 


ACCOMMODATION. 


Pour  bien  observer  ces  images  l'examen  se  fait  dans  une  pièce  obscure.  On  donne  à 

l'œil  du  sujet  une  direction  déterminée  en  lui  faisant  fixer  un  objet,  et  on  place  à  côté 

de  lui  une  lumière  assez  forte  de  telle  sorte  que  les  rayons  lumineux 

•  qui  tombent  sur  la  cornée  fassent  avec  l'axe  de  l'œil  un  angle  d'en- 
viron 30";  l'observateur  se  place  lui-même  par  rapport  à  l'axe  dans 
une  position  symétrique  de  celle  de  la  lampe.  Ou  aperçoit  alors  les 
images  ou  retlets  dits  de  Purkin.ie-Sanson,  parce  que  le  premier  les  a 
découverts  en  1828  et  que  le  second  les  a  employés  pour  diagnosti- 
quer la  cataracte. 
!       1^      j  Mais  c'est  Langenbeck  qui  a  eu  d'abord  l'idée  de  se  servir  de  ces 

C-    o     o  reflets  pour  vérifier  quels  sont  les  changements  de  forme  qui  se  pro- 

FiG.  3.  duisent  dans  la  surface  réfringente  de  l'œil  pendant  l'accommodation. 

Cramer  améliora  ensuite  la  méthode  d'observation  et  eut  recours  à  un 
instrument  qui  grossissait  les  images  10  à  20  fois  :  de  plus,  au  lieu  de  faire  regarder 
directement  le  sujet  dans  la  flamme,  comme  l'avait  fait  Langenbeck,  il  donna  à  l'expé- 
rience la  disposition  indiquée  plus  haut.  Indépendamment  des  auteurs  précédents, 
Helmholtz  était  arrivé  aux  même  résultats.  Il  était  réservé  à  l'illustre  physiologiste  de 
donner  la  démonstration  la  plus  rigoureuse  des  déformations  du  cristallin,  et  de  les 
mesurer  avec  une  précision  mathématique,  grâce  à  l'instrument  auquel  il  a  donné  le 
nom  d'ophtalmomètre. 

Ce  sont,  en  effet,  des  variations  éprouvées  par  les  images  de  Purkinje  qui  renseignent 
sur  les  changemements  de  courbure  du  cristalliu.  Si  la  mesure  de  ces  variations  exige  des 
instruments  spéciaux,  leur  existence  se  constate  facilement.  Le  sujet  regarde  d'abord 
un  objet  éloigné;  et  les  trois  images  auront  la  disposition  représentée  flg.  3.  Si  on  lui 
fait  fixer  alors  un  objet  voisin,  on  observe  :  1°  que  l'image  cornéenne  a  ne  change  ni 
de  grandeur  ni  de  position;  2°  que  l'image  cristallinienne  antérieure  h  diminue  sen- 
siblement de  grandeur  et  se  rapproche  de  l'image  a;  3°  que  l'image  cristallinienne 
postérieure  c  devient  également  un  peu  plus  petite  et  ne  semble  pas  changer  de 
place. 

Ces  modifications  se  constatent  encore  plus  facilement,  si,  au  lieu  d'une  simple  lampe, 
on  prend  comme  objets  deux  carrés  lumineux.  On  emploie  dans  ce  but  un  écran  portant 
l'une  au-dessus  de  l'autre  deux  ouvertures  fortement  éclairées  par  derrière.  Chaque 
surface  réfléchit  alors  deux  rectangles,  et  l'on  voit  ceux  qui  correspondent  à  la  face  anté- 
rieure du  cristallin  devenir  plus  pe- 
tits, se  rapprocher  l'un  de  l'autre 
en  même  temps  qu'ils  se  rappro- 
chent des  rectangles  lumineux  de 
la  cornée. 

Par  conséquent,  la  courbure  de 
la  face  antérieure  du  cristallin  aug- 
mente, celle  de  la  face  postérieure 
augmente    aussi   mais    fort    peu  ; 

quant  à  celle  de  la  cornée,  elle  ne  varie  pas.  La  surface  antérieure  du  cristallin  avance, 
sa  surface  postérieure  ne  parait  pas  changer  de  position,  la  lentille  devient  donc  un 
;peu  plus  épaisse  au  milieu,  et,  comme  elle  ne  peut  pas  changer  de  volume,  il  faut  que  le 
•diamètre  équatorial  diminue  pendant  que  l'antéro-postérieur  augmente.  La  figure  4 
montre,  sur  sa  moitié  droite,  le  changement  que  la  lentille  éprouve  en  s'accommodant 
pour  la  vision  des  objets  rapprochés. 

Les  variations  de  grandeur  des  images  ont  été  mesurées  exactement  par  Helmholtz, 
et  ont  permis  de  déterminer  celles  des  rayons  de  courbure  des  surfaces  considérées. 

Pour  mesurer  l'image  de  la  cornée  et  celle  de  la  surface  postérieure  du  cristallin, 
Helmholtz  s'est  servi  de  l'ophtalmomètre  (voyez  ce  mot).  Mais  l'image  cristallinienne 
antérieure  est  peu  lumineuse  à  cause  du  peu  de  différence  entre  l'indice  de  réfraction 
de  l'humeur  aqueuse  et  celui  des  couches  superficielles  du  cristallin  :  et  l'ophtalmo- 
mètre ne  permet  pas  de  les  mesurer  exactement,  du  moins  si  l'on  a  recours  à  la  lumière 
d'une  lampe.  Helmholtz  a  tourné  la  difficulté  en  produisant  à  côté  de  l'image  réfléchie 
par  la  surface  antérieure  du  cristallin  une  image  réfléchie  par  la  cornée,  qui,  elle,  est. 


ACCOMMODATION. 


SI 


FiG.  5.  (D'après  Helmholtz.) 


comme  on  sait,  très  lumineuse  et  dont  on  fait  alors  varier  la  grandeur  jusqu'à  ce  qu'elle 
soit  égale  à  celle  dé  l'image  cristallinienne. 

La  disposition  de  l'expérience  est  la  suivante.  0,  l'œil  en  observation  s'appliqut; 
immédiatement  derrière  un  miroir  métallique,  placé  horizontalement  sur  un  support. 
A  33  centimètres  en  avant  de  lui  se  trouvent  deux  'éci'ans  verticaux  6  et  c  présentant 
les  orifices  f  et  g.  Derrière  l'ouverture  f  se  trouve  une  petite  flamme,  derrière  g  une 
flamme  plus  grosse  et  plus  lumineuse. 

Le  miroir  A  a  pour  effet  de  faire  réfléchir  par  l'œil  une  double  image  de  chacun  des 
points  f  et  g  ;  la  grosse  flamme  g  sert  à  former  une  double  image  sur  la  face  antérieure 
du  cristallin,  et  la  petite  f  une  double  image  sur  g 

la  cornée.  L'œil  est  placé  de  telle  sorte  qu'il  voit  à 
la  fois  par-dessus  le  miroir  les  deux  points  lumi- 
neux f  et  g,  en  même  temps  que  dans  le  miroir 
leurs  images  dont  la  position  est  évidemment  sy- 
métrique de  celle  des  points  f  ti  g  par  rapport  au 
plan  du  miroir.  La  distance  comprise  entre  l'ori- 
fice /"et  son  image  représente  l'objet  par  rapport 
à  la  cornée;  appelons-la  ffi,  :  il  en  sera  de  môme 
de  la  distance  g  gi  par  rapport  au  cristallin.  La 
grandeur  de  chaque  objet  est  donc  donnée  par  le 
double  de  la  distance  de  chaque  orifice  au-dessus 
du  plan  du  miroir.  Une  règle  graduée  fixée  le  long 
des  écrans  permet  de  faire  la  lecture. 

Pour  donner  aux  écrans  la  position  convenable, 
on  trace  sur  le  support  la  ligne  horizontale  OB, 
puis  la  ligne  GH  qui  lui  est  perpendiculaire  et  avec  laquelle  devra  se  confondre  le  plan 
des  écrans. 

L'œil  en  observation  fixe  au  loin  un  point  E,  auquel  on  donne  une  position  telle  que 
les  images  cristalliniennes  apparaissent  au  centre  de  la  pupille  et  les  deux  petites  images 
cornéennes  immédiatement  à  côté.  L'œil  de  l'observateur  regarde  suivant  la  ligne  OF 
qui  forme  avec  OB  un  angle  égal  à  g  OB,  et  examine  les  images,  soit  à  l'œil  nu,  soit  au 
moyen  d'un  viseur.  11  ne  reste  plus  qu'à  élever  ou  abaisser  l'écran  b  qui  est  mobile, 
jusqu'à  ce  que  la  distance  des  deux  images  cornéennes  soit  égale  à  la  distance  des 
images  cristalliniennes. 

L'image   cornéenne  est  réfléchie  par  une  simple   surface  convexe  dont  la  distance 

focale  négative  est,  comme  on  sait,  égale  à  -;  R,  le  rayon  de  courbure,  est  connu.  Mais 

l'image  cristallinienne  antérieure  est  formée  par  un  système  complexe  analogue  à  une 
lentille  convexo-concave  (cornée  et  humeur  aqueuse)  dont  la  face  concave  serait  dou- 
blée d'une  surface  réfléchissante  (face  antérieure  du  cristallin).  La  distance  focale  de 
ce  système  dépend  à  la  fois  et  de  la  courbure  du  système  réfringent  et  de  celle  du 
miroir.  La  méthode  précédente  permet  de  l'évaluer. 

Les  images  que  des  systèmes  réfléchissants  donnent  des  objets  éloignés  sont  entre 
elles  comme  les  distances  focales  de  ces  systmies  ;  lorsque,  par  conséquent,  deux  sys- 
tèmes différents  donnent  des  images  égales  de  deux  objets  inégaux,  mais  également 
éloignés,  les  distances  focales  sont  inversement  proportionnelles  à  la  grandeur  des 
objets. 

Si  nous  appelons  en  effet  0  l'objet  réfléchi  par  la  cornée,  0'  l'objet  réfléchi  par  le 
cristallin,  I  l'image  de  même  grandeur  réfléchie  par  le  cristallin  et  la  cornée,  p  la  distance 


des  objets  aux  surfaces  considérées,  /"la  distance  focale  de  la  cornée  f  — 
focale  du  système  réfléchissant  complexe,  nous  aurons  : 
0      f  +  p.O'      q  +  p' 


q  la  distance 


.0'      . 
I  —     *     et-j-  =  - 

I        f       ï        g 

En  divisant  les  deux  égalités  l'une  par  l'autre  ou  a  : 

0'       f{q  +  p) 


52  ACCOMMODATION. 

Comme  f  et  q  sont  négligeables  par  rapporl  à  p,  on  a  : 

9.-1. 
0'       / 

0  est  le  double  de  la  distance  du  point  f,  soit  ffi,  au-dessus  du  plan  du  miroir  :  0'  est 

le  double  de  la  distance  du  point  g,  soit  ggi,  par  conséquent  g=  —■ ■ 

La  valeur  de  q  étant  ainsi  connue  sert  à  calculer  celle  du  rayon  de  courbure  de 
la  surface  antérieure  du  cristallin. 

Helmholtz  a  résumé  les  mensurations  que  lui-même  ou  d'autre.'  auteurs  ont  faites, 
d'après  les  méthodes  qu'il  a  instituées,  dans  le  tableau  suivant  qui  donne  comparati- 
vement les  valeurs  trouvées  pendant  l'adaptation  au  loin  et  la  vision  de  près  : 


DISTANCE 

DISTANCE 

RAYON 

RAYON 

CE   LA   SURFACE 

DE   LA    SURFACE 

DE  COURBURE 

DE   COURBURE 

RAYON 

antérieure 

postérieure 

de  la  surface 

de  la  surface 

du  cristallin 

du  cristallin 

antérieure 

postérieure 

de 

au  sommet 

de  la  cornée 

de  la  cornée 

du  cristallin 

du  cristallin 

coiirliui'e 

pendant 

pendant 

pendant 

pendant 

l'adaptation. 

l'adaptation. 

l'adaptation. 

l'adaptation. 

de  la 

— -~^^^~^»-^ — ■ 

— — — — — 

— -— — — 

. — -«,^.~ 

~— ' — ■ 

cornée. 

puDclum 

PDDClUID 

puQCtum 

punclum 

linDCtiira 

punclara 

punclsm 

pQDctam 

rcmotura. 

proiimum. 

rcmotum. 

proiitnum. 

remotUDi. 

proiimom. 

rcmalDm. 

proiilDMDl. 

I. 

7,338 

4,024 

3,664 

7,172 

7,172 

11,9 

8,6 

5,83 

Helmholtz  .   . 

II. 

7,646 

3,597 

3,1.57 

7,232 

7,232 

8,8 

5,9 

5,13 

III. 

8,154 

3,739 

" 

7,141 

7,141 

10,4 

» 

3,37 

IV. 

7,770a 

3,5924 

3,0343 

7,5127 

7,5127 

8,2972 

0,3213 

3,3546 

4,6383 

V. 

8,0303 

3,6073 

3,0533 

7,4568 

7,4568 

7,9459 

4,8865 

0,4867 

4,9536 

Knapp  .    .   .   .' 

VI. 

7,1653 

3,3774 

2,7295 

7,1534 

7,1534 

7,8600 

4,8076 

6,9012 

5,6098 

VII. 

7,2053 

3,4786 

2,8432 

7,1011 

7,1011 

9,04641 

3,0296 

6,4988 

5,0853 

VIII. 

7,2303 

3,9981 

3,29533 

7,200 

7,200 

9,77751 

8,21771 

6,06353 

4,6941 

-A-DAMUCK     et 

IX. 

7,15568 

3,23731 

2,98985 

7,200 

7,200 

10,2021 

8,5973 

6,2136 

5,0001 

WoiNOW    .     . 

X. 

6,85224 

2,8997 

2,4876 

6,8435 

6.8247 

9,1139 

7,3104 

7,6008 

6,3792 

1 

XI. 

7,17369 

3,6332 

3,07682 

7,200 

7,200 

10,543 

8,80103 

6,5331 

5,6293 

Mandelstamm 

XII. 

7,3408 

3,7097 

3,4606 

7,5780 

7,9048 

10,5409 

6,4881 

6,4088 

5,0494 

et    SCHOLER  . 

XIII. 

7,785 

3,. 539 

2,954 

7,1218 

6,803 

10,139 

6,496 

6,331 

5,664 

XIV. 

7,201 

3,654 

3,3924 

7,6474 

7,7817 

10,408 

5,9338 

6,5875 

4,9872 

Reich    .   .   .   . 

XV. 

7,4544 

3,708 

3,3234 

7,4164 

7,4879 

10,5650 

7,3822 

5,5373 

4,5825 

'XVI. 

7,7939 

3,6516 

3,2626 

7,4332 

7,5861 

11,197 

8,2045 

6,2229 

5,1976 

"WOINOW.     ,     . 

XVII 

8,00747 

3,6175 

3,0028 

7,200 

7,200       9,3785 

5,2304 

6,2480 

4,9714 

En  attribuant  aux  divers  éléments  dioptriques  (courbures,  indices,  distances  des 
dioptries)  d'un  œil  idéal,  la  moyenne  des  valeurs  trouvées  par  les  méthodes  ophtalmo- 
métriques, on  a  l'œil  schématique.  Les  valeurs  étant  fixées  pour  cet  œil  on  peut,  au 
moyen  des  constructions  et  des  formules  relatives  aux  systèmes  centrés,  déterminer  la 
position  des  points  focaux,  principaux  et  nodaux  du  système  dioptrique  oculaire. 

C'est  ce  qu'a  fait  Helmholtz  dans  le  tableau  suivant  qui  donne  les  constantes 
optiques  pour  les  deux  états  d'accommodation.  Ce  tableau  contient  à  la  fois,  d'après 
la  deuxième  édition  allemande  de  l'Optique  physiologique,  les  valeurs  anciennes,  tant 
mesurées  directement  que  calculées  d'après  l'œil  schématique,  telles  que  les  donnait  la 
première  édition  de  l'ouvrage  et,  d'autre  part,  ces  valeurs  corrigées  d'après  des  déter- 
minations nouvelles.  Ce  que  Heluholtz  désigne  par  lieu  des  divers  points  ou  surfaces, 


ACCOMMODATION. 


33 


c'est  leur  distance  au  sommet  de  la  cornée,  comptée  positivement  lorsqu'ils  sont  en 
arrière  d'elle  et  négativement  quand  ils  sont  en  avant. 
Les  longueurs  sont  données  en  millimètres. 


DÉTERMINATIONS   ANCIENNES. 

DÉTEEMINATIOr 

s   NOUVELLES. 

Accommodation  pour  : 

Accommoda 
Loin. 

tion  pour  : 
Près. 

Loin. 

Prés. 

Éléments  dioplriques  mesurés. 

Indice  de  l'humeur  aqueuse  et  du  corps 

103 

77 
16 
11 

103 
77 
16 
11 

1,3365 
1,4371 

1,3363 
1,4.371 

Indice  total  du  cristallin 

Rayon  de  courbure  de  cornée   .... 

8,0 

8,0 

7,829 

7,829 

Rayon  de  courbure  delaface  antérieure 

10,0 

6  0 

Rayon  de  courbure  de  laface  postérieure 

6,0 

3  3 

6  0 

3  3 

Lieu  de  la  face  antérieure  du  cristallin. 

3,6 

3,2 

3,6 

3.2 

Lieu  de  la  face  postérieure  du  cristallin. 

7,2 

7,2 

7,2 

7,2 

Éléments  dioptriqiœs  calculés. 

Distance  focale  antérieure  de  la  cornée. 

23,692 

23,692 

23,266 

23,266 

Distance  focale  postérieure  de  la  cornée. 

31,692 

31,692 

31,095 

31,093 

Distance  focale  du  cristallin 

43,707 

33,785 

50,617 

39,073 

Distance  de  la  face  antérieure  du  cristal- 

lin à  son  point  principal  antérieur   . 

2,1073 

1,9743 

2,126 

1,989 

Distance  de  laface  postérieure  du  cris- 

tallin à  son  point  principal  postérieur. 

—    1,2644 

—  1,8100 

—     1,276 

—     1,823 

Distance  mutuelle  des  deux  points  prin- 

cipaux du  ci-istallin 

0,2283 

0,2153 

0,198 

0,187 

Distance  focale  postérieure  de  l'œil.   . 

19,873 

17,7.36 

20,713 

18,698 

Distance  focale  antérieure  de  l'œil  .    . 

14,838 

13,274 

13,498 

13,990 

Lieu  du  premier  point  principal   .    .    . 

1,9403 

2,0330 

1,733 

1 ,858 

2,3563 

2,4919 

2,106 

2,2.37 

Lieu  du  premier  point  nodal 

6,9.37 

6,313 

6,968 

6,366 

Lieu  du  deuxième  point  nodal  .   .    .    . 

7,373 

6,974 

7,321 

6,963 

Lieu  du  foyer  antérieur 

—  12,918 

—  11,241 

—  13,745 

—  12,132 

Lieu  du  foyer  postérieur 

22,231 

20,248 

22,819 

20,9.33 

En  résumé,  dans  un  œil  qui  regarde  au  loin,  le  rayon  de  courbure  de  la  face  anté- 
rieure du  cristallin  est  de  10  millimètres,  celui  de  sa  face  postérieure  de  6  millimètres. 
La  distance  de  la  face  antérieure  du  cristallin  à  la  cornée  est  de  3,6  millimètres,  celle 
de  la  face  postérieure  à  la  cornée  de  7,2  millimètres. 

Lorsque  l'œil  est  accommodé  pour  la  vision  de  près,  les  valeurs  deviennent  les  sui- 
vantes :  le  rayon  de  la  face  antérieure  du  cristallin  est  de  6  millimètres,  celui  de  la 
face  postérieure  de  o,5  :  la  surface  antérieure  du  cristallin  se  rapproche  de  la  cornée 
de  0,4  millimètres,  la  postérieure  ne  change  pas  de  place  :  l'épaisseur  du  cristallin 
augmente  de  0,4  millimètres.  Les  points  principaux  sont  portés  légèrement  en  arrière, 
les  points  nodaux  légèrement  en  avant. 

On  s'est  demandé  si  dans  la  vision  de  prés  les  modifications  du  cristallin  suffisent 
à  elles  seules  pour  amener  le  point  de  concours  des  rayons  lumineux  sur  la  rétine. 
La  question  peut  se  poser  en  ces  termes  :  si  l'œil  schématique  est  emmétrope,  c'est- 
à-dire  si  son  foyer  principal  postérieur  se  trouve  sur  la  rétine,  à  22,819  millimètres 
de  la  cornée,  pour  quelle  distance  sera-t-il  adapté  quand  les  modifications  indiquées 
dans  le  tableau  ci-dessus  se  seront  produites  dans  les  milieux  réfringents,  ou  encore  à 


U  ACCOMMODATION. 

quelle  distance  du  point  principal  antérieur  devra  se  trouver  un  point  lumineux  p  pour 

que  son  image  se  fasse  sur  l'écran  dont  la  position  n'a  pas  changé. 

Fi        F-. 
Cette  distance  est  donnée  par  la  formule  classique  des  foyers  conjugués 1 — •"  =1 

dans  laquelle  Fi  et  F2  représentent  respectivement  la  distance  focale  antérieure  et  la 
distance  focale  postérieure  de  l'oeil  accommodé  pour  la  vision  de  près,  et  pi  la  dis- 
tance de  l'image  p,  c'est-à-dire  la  distance  de  la  rétine  au  deuxième  point  principal  : 
Pi  s'obtient  en  retranchant  de  la  distance  de  la  rétine  à  la  cornée,  pendant  la  vision 
au  loin,  la  distance  du  deuxième  point  principal  pendant  l'accommodation  ;  par  con- 
séquent, pi  =  22,819  —  2,257  =  20,S62.  D'autre  part  Fi   =  12,132  -|-    l,8b8  =  13,990 

F.  jJi 
e,t  Fo  =  20,9S5  — 2,257=18,698.  De  la  formule  précédente  on  tire  :  p=     _„^  c'est-à- 

,.       13,990x20,562       ^„,  _ 
^"•^  20,562-18,698^  ^^''^-- 

Par  conséquent,  lorsque  l'œil  schématique  de  l'emmétrope  a  mis  enjeu  tout  son  pou- 
voir accommodateur,  il  est  adapté  à  une  distance  de  154  millimètres  environ,  ce  qui  cor- 
respond bien  à  l'amplitude  normale  d'accommodation;  d'après  l'ancien  tableau  de 
Helmholtz,  on  trouve  que  cette  distance  est  de  132  millimètres. 

Knapp  a  prouvé  également  par  des  mensurations  directes  sur  quatre  sujets  dilTérents 
que  les  changements  de  courbure  du  cristallin  suffisent  pour  expliquer  toute  l'accom- 
modation dont  l'œil  est  susceptible. 

I,e  calcul,  basé  sur  les  mensurations  prises,  a  donné  pour  la  distance  du  point  fixé 
dans  la  vision  de  près  une  valeur  suffisamment  approchée  de  celle  qu'elle  avait  réelle- 
ment, comme  le  prouvent  les  chiffres  suivants  : 

MiUimètres. 

Distance  calculée  d'après  les  mensurations 168  •J14  105  97 

Distance  vraie 107  MO  115  87 

L'écart  entre  les  deux  chiffres  chez  l'un  des  sujets  serait  dû  à  ce  que  l'œil  n'était  pas 
accommodé  réellement  à  la  distance  de  107  millimètres.  Les  mensurations  de  Woinow, 
AD.41IUXK  et  Woinow,  Sthawuhidge  et  autres,  concordent  avec  celles  de  Knapp. 

Outre  les  changements  de  courbure  le  cristallin  subit  encore,  d'après  Tscherning 
(A.  P.,  1892,  p.  158)  un  déplacement  qu'il  a  le  premier  signalé.  Au  moment  de  l'ac- 
commodation, l'image  cristallinienne  postérieure  se  porte  toujours,  quelle  que  soit  la 
direction  du  regard,  dans  le  même  sens  :  en  haut,  dans  l'examen  à  l'image  renversée, 
c'est-à-dire  en  réalité,  en  bas.  Ce  déplacement  ne  peut  être  dû  ni  à  un  changement  de 
courbure  de  la  surface,  ni  à  un  mouvement  de  totalité  de  la  lentille  en  avant  ou  en 
arrière  :  ceux-ci  auraient  pour  effet  un  déplacement  de  l'image  qui  serait  toujours,  soit 
centripète,  soit  centrifuge. 

Il  ne  reste  donc  que  deux  changements  possibles  :  un  mouvement  de  bascule  du 
cristallin,  tel  que  sa  partie  supérieure  se  porte  en  bas,  ou  bien  un  déplacement  de  tota- 
litéen  bas.  Mais  dans  le  premier  cas,  l'image  cristallinienne  antérieure  devrait  se  dépla- 
cer en  sens  contraire  de  la  postérieure  :  dans  le  deuxième  cas,  elles  doivent  se  porter 
toutes  deux  dans  le  même  sens.  C'est  en   effet  ce  dernier  phénomène  que  l'on  observe. 

Comme  sur  l'œil  observé  par  Tsherning  le  centre  de  la  cornée  était  situé  à  environ 
0,23  millimètres  au-dessous  de  l'axe  du  cristallin,  ce  déplacement  de  la  lentille  avait 
pour  effet  de  centrer  l'oiil  :  mais  l'axe  du  cristallin  était  toujours  à  2°  au-dessous  de 
la-ligne  visuelle. 

De  tout  ce  qui  précède,  il  résulte  qu'en  l'absence  du  cristallin  la  faculté  d'accommo- 
dation doit  être  abolie.  C'est  en  effet  ce  que  Donders  {Die  Anomalien  der  Réfraction  und 
Accommodation,  1888,  p.  266)  a  démontré  par  les  expériences  suivantes,  faites  sur  de 
jeunes  sujets  dont  l'acuité  visuelle  était  parfaite,  et  qui  avaient  été  opérés  avec  succès 
d'une  cataracte  congénitale  double.  Dans  l'un  des  cas,  le  sujet  avec  des  verres  1/3", 
placés  à  5  lignes  en  avant  de  l'œil,  voyait  rond  et  parfaitement  net  un  point  lumineux 
situé  à  une  grande  distance.  Entre  l'un  des  deux  yeux  et  dans  la  direction  du  point 
lumineux  se  trouvait  un  point  de  mire  fixe.  Lorsque  le  jeune  homme  faisait  converger 
ses  lignes  visuelles  vers  le   point  de  mire,  l'un  des  yeux  étant  couvert  d'un  écran,  le 


ACCOMMODATION.  5S 

point  lumineux  ne  subissait  aucun  changement  ou  devenait  tout  au  plus  un  peu  plus 
pelit  et  un  peu  plus  net  (à  cause  du  rétrécissement  de  la  pupille)  :  Or,  on  sait  que  la 
convergence  implique  un  effort  accommodatif.  Mais  il  suffisait  d'éloigner  ou  de  rap- 
procher la  lentille  de  l'œil  de  1/4  de  ligne  pour  que  le  point  lumineux  cessât  d'être  vu 
distinctement  et  pour  qu'il  se  changeât  en  une  ligne,  à  cause  de  l'asymétrie  de  la  cornée  : 
lorsque  les  yeux  convergeaient  alors  sur  le  point  de  mire,  la  ligne  lumineuse  diminuait 
de  longueur,  mais  ne  pouvait  phis  être  vue  comme  un  point.  Le  même  essai  réussit  sur 
chacun  des  deux  yeux. 

Dans  un  second  cas  analogue,  l'absence  d'accommodation  fut  démontrée  de  la 
même  manière.  Dondehs  constata  en  plus  que,  lorsqu'un  point  lumineux  était  vu  à  une 
grande  distance  au  moyen  d'une  lentille  convexe,  l'addition  d'une  seconde  lentille  de 
+  1/180  ou  de  — 1/180  produisait  des  modifications  très  sensibles.  Avec  la  première  le 
point  lumineux  se  changeait  constamment  en  une  ligne  courte  verticale,  avec  la  seconde 
en  une  ligne  horizontale.  Par  contre,  la  convergence  des  lignes  visuelles  dans  les 
efforts  pourvoir  de  près  n'avait  aucune  inlluence.  De  plus,  lorsque  le  sujet  concentrait 
toute  son  attention  sur  le  point  de  mire,  si  l'on  mettait  inopinément  devant  son  œil  le 
verre  de  +  i/180  ou  de  — l/180,il  accusait  immédiatement  une  modification  de  l'image 
du  point  lumineux. 

+  1  —  I 

DoNDERs  est  arrivé  à  des  résultats  semblables  avec  des  verres  de  -^-—  ou  de  .^r-- . 

Par  conséquent,  l'œil  privé  de  cristallin  n'est  plus  en  état  de  modifier  son  pouvoir 
réfringent,  puisque,  malgré  tous  ses  efforts  pour  accommoder,  il  n'imprime  aucune 
modification  à  l'image  d'un  point  lumineux,  alors  que  l'addition  du  plus  faible  verre 
convexe  ou  concave  à  la  lentille  qui  neutralise  l'aphakie  ou,  ce  qui  revient  au  même, 
le  plus  faible  déplacement  de  cette  lentille  elle-même  suffit  pour  produire  cette  trans- 
formation. 

Cependant  un  certain  nombre  d'ophtalmologistes,  en  particulier  Foerster,  ont  sou- 
tenu que  l'accommodation  persistait  partiellement  en  l'absence  du  cristallin.  —  Pour  la 
bibliographie  voir  P.iUL  Silex  [Zur  Frage  der  Accommodation  des  aphakischeyi  Auges.  Arch. 
f.  Augenheilk.,  1888,  t.  xis,  fasc.  1,  p.  102).  —  L'expérience  de  Donders  et  d'autres  du 
même  genre  ne  donnent  pas  toujours  des  résultats  conformes  aux  précédents.  On  a 
attribué  cette  persistance  de  l'adaptation  soit  à  une  augmentation  de  courbure  de  la 
cornée  produite  par  le  muscle  ciliaire  ou  par  les  muscles  extrinsèques  de  l'œil,  soit  à 
une  modification  de  la  surface  antérieure  du  corps  vitré  due  à  ces  mêmes  muscles. 
Mais  les  mensurations  de  Woinow  et  celles  de  Silex  ont  montré  que,  dans  l'œil  aphake, 
pas  plus  que  dans  l'œil  normal,  la  courbure  de  la  cornée  ne  se  modifie.  Woinow  a  fait 
remarquer  aussi  que  ce  n'est  pas  une  augmentation  de  pouvoir  réfringent  du  corps 
vitré  qui  peut  être  en  cause;  en  raison  du  peu  de  dillërence  entre  son  indice  de  réfrac- 
tion et  celui  de  l'humeur  aqueuse,  la  plus  forte  courbure  de  la  surface  antérieure  du 
corps  vitré  ne  pourrait  donner  à  l'accommodation  la  valeur  qu'on  lui  trouve  ehez  cer- 
ains  sujets  privés  de  cristallin. 

Schneller  a  admis  pour  expliquer  ces  cas  un  allongement  de  l'axe  optique.  11  a  cru 
avoir  prouvé  que  si  sur  l'oiil  normal  on  paralyse  l'accommodation,  qu'il  appelle  interne, 
par  l'atropine,  le  punctum  proximum  est  plus  rapproché  de  l'œil  lorsque  dans  la  vision 
binoculaire  les  deux  yeux  se  portent  en  bas  et  en  dedans  que  lorsqu'un  seul  œil  regarde 
directement  en  avant  :  ce  surplus  d'accommodation  qu'il  a  appelé  l'accommodation 
externe  serait  dû  à  l'action  des  muscles  extrinsèques  qui  exécutent  le  mouvement  indi- 
qué. Il  a  cherché  à  démontrer  qu'il  en  était  de  même  pour  l'œil  aphake,  que  celui-ci  n'a 
plus  d'accommodation  lorsqu'il  regarde  directement  en  avant,  mais  qu'il  peut,  au  con- 
traii'e,  accommoder  lorsque  les  globes  oculaires  se  portent  en  dedans  et  en  bas.  Mais 
les  faits  qui  servent  de  base  à  cette  théorie  ont  été  réfutés  par  Sattler. 

Pour  la  plupart  des  ophtalmologistes,  la  persistance  de  l'accommodation,  en  l'ab- 
sence du  cristallin,  ne  serait  donc  qu'apparente  :  elle  s'expliquerait  par  certains  artifices 
auxquels  le  sujet  a  instinctivement  recours  et  qui  induisent  l'observateur  en  erreur  : 
c'est  ainsi,  par  exemple,  qu'il  regarderai  travers  la  partie  périphérique  du  verre,  c'est- 
à-dire  à  travers  une  partie  plus  éloignée  de  l'œil,  ce  qui  équivaut  à  l'addition  d'un 
faible  verre  convexe.  Quand  il  s'agit  d'essais  de  lecture,  on  peut  admettre  aussi  que 


56  ACCOMIVIODATION. 

certains  sujets    arrivent  par  l'habitude  à   déchiffrer  des  images  rétiniennes  diffuses. 
Cependant  des  auteurs  autorisés  soutiennent  que  la  faculté  d'accommodation  n'est 
pas  entièrement  perdue  dans  l'œil  aphake  :  si  vraiment  il  en  est  ainsi,  on  n'a  pas  encore 
déterminé  quel  est  l'élément  dioptrique  qui  subit  les  modifications  nécessaires. 

Outre  les  modifications  du  cristallin,  il  faut  encore  noter  celles  qui  se  produisent 
du  côté  de  l'iris.  La  pupille  se  rétrécit  pendant  l'accommodation  de  près  en  même  temps 
que  le  bord  pupillaire  se  porte  en  avant.  On  peut  ie  constater  en  se  plaçant  de  manière 
à  examiner  de  profil  et  d'arrière  en  avant  la  cornée  d'un  sujet,  de  sorte  que  la  moitié 

environ  de  la  pupille  soit  visible  en  avant 
du  bord  sclérotical  de  la  cornée.  Si  l'œil, 
sans  changer  de  direction,  fi.\e  un  objet 
plus  rapproché,  l'observateur  constate 
que  l'ovale  noir  de  la  pupille  tout  entier 
et  même  une  partie  du  bord  de  l'iris 
tourné  vers  lui  devient  visible  en  avant 
de  la  sclérotique.  Ce  déplacement  s'ob- 
serve plus  facilement  si  l'on  prend  comme 
point  de  repère  une  ligne  obscure  qui 
FiG.  6.  (D'après  Hklmholtz.)  apparaît  le  long  du  bord  de   la  cornée 

tourné  en  avant  et  qui  est  l'image  du 
bord  opposé  de  la  sclérotique  formée  par  réfraction  à  travers  la  cornée.  Dans  la 
vision  rapprochée  l'espace  clair  compris  entre  cette  ligne  obscure  et  le  noir  de  la 
pupille  se  rétrécit. 

Le  déplacement  de  la  pupille  a  été  trouvé  par  Helmholtz;  dans  un  cas,  de  0,44  milli- 
mètre, et,  dans  un  autre,  de  0,36  millimètre. 

De  ce  que  le  cristallin  bombe  en  avant,  il  doit  en  résulter  aussi  que  la  partie  péri- 
phérique de  l'iris  se  porte  en  arrière  :  en  effet,  comme  la  cornée  ne  change  pas  de  forme, 
l'humeur  aqueuse  incompressible  doit  retrouver  sur  les  côtés  l'espace  qu'elle  perd  au 
centre  :  ce  que  lui  permet  le  recul  des  parties  périphériques  de  l'iris. 

Cramer,  puis  Helmholtz,  ont  constaté  le  fait  objectivement.  Si  l'on  place  près  du  sujet  en 
observation  une  flamme,  assez  latéralement  pour  que  la  plus  grande  partie  de  l'iris  reste 
dans  l'ombre,  la  réfraction  propre  de  la  cornée  dessinera  dans  la  chambre  antérieure 
parallèlement  au  plan  de  l'iris  une  surface  caustique  dont  l'intersection  avec  la  partie 
restée  dans  l'ombre  se  décèle  par  un  reflet  mince  en  forme  de  croissant. 

Si  l'éclairage  latéral  est  disposé  de  telle  sorte  que  la  ligne  caustique  apparaisse  près 
du  bord  ciliaire  de  l'iris,  elle  se  rapproche  de  ce  bord,  lors  de  l'accommodation,  par- 
ce que  la  partie  du  plan  de  l'iris  qui  coupe  la  surface  caustique  se  meut  d'avant  en 
arrière,  et  s'éloigne  de  la  surface  réfringente. 

Agent  des  modifications  du  cristallin.  —  Puisque  dans  l'accommodation  il  y  a 
un  déplacement,  un  mouvement  produit  sous  l'influence  de  la  volonté,  on  peut  déjà  en 
inférer  que  l'instrument  de  ces  modifications  doit  être  un  muscle.  Il  est  inutile  de  réfuter 
aujourd'hui  l'opinion  de  Young,  qui  avait  doté  de  propriétés  contractiles  le  cristallinlui- 
même.DESGARTES  se  rapprochait  davantage  de  la  vérité  dans  le  passage  suivant:  «Plusieurs 
filets  noirs  qui  embrassent  tout  autour  l'humeur  cristalline  et  qui  semblent  autant  de 
petits  tendons  par  les  moyens  desquels  celte  humeur  devenant  tantôt  plus  voûtée,  tantôt 
plus  plate  '  selon  l'intention  qu'on  a  de  regarder  les  objets  proches  ou  éloignés,  change 
un  peu  toute  la  figure  du  corps  de  l'œil.  » 

Comme  les  muscles  extrinsèques  ne  peuvent  être  mis  en  cause,  ainsi  qu'il  a  été'  dit 
plus  haut,  c'est,  en  effet,  dans  les  muscles  intrinsèques  de  l'œil  qu'il  faut  chercher  l'or- 
gane chargé  de  réaliser  des  effets  observés.  Ce  ne  pourrait  être  que  les  fibres  muscu- 
laires de  l'iris  ou  bien  le  muscle  ciliaire. 

Cramer  avait  attribué  à  l'action  de  l'Iris  l'augmentation  de  courbure  du  cristallin.  Les 
fibres  circulaires  en  se  contractant  fourniraient  un  point  d'attache  fixe  aux  extrémités 
centrales  des  fibres  radiales,  et  celles-ci  exerceraient  alors  sur  le  bord  du  cristallin  et 
sur  le  corps  vitré  une  pression  à  laquelle  le  milieu  de  la  face  antérieure  de  la  lentille 
serait  seul  soustrait  :  celui-ci  tendrait  ainsi  à  faire  saillie  en  avant.  Mais  Helmholtz  a 
fait  remarquer  que,  si  ce  mécanisme  peut  rendre  compte  de  l'augmentation  de  courbure 


ACCOMMODATION.  57 

de  la  face  antérieure  du  cristallin,  il  ne  peut  expliquer  l'augmentation  d'épaisseur  de 
la  lentille,  parce  qu'une  pression  qui  agit  sur  les  bords  du  cristallin  et  sur  sa  partie  pos- 
térieure devrait  aplatir  la  face  postérieure,  si  elle  fait  bomber  l'antérieure. 

L'expérimentation  directe  a  du  reste  démontré  que  l'ablation  de  l'iris  chez  les  ani- 
maux n'empêche  pas  le  changement  de  forme  du  cristallin  (Hensen  et  Vœlckers,  Smith)  ; 
et  d'antre  part  chez  des  sujets  qui  étaient  atteints  d'une  paralysie  complète  de  l'iris 
{Helmholtz)  ou  chez  lesquels  existait  une  absence,  soit  congénitale  (Riiete,  Reuter),  soit 
accidentelle  (de  Graefe)  de  cette  membrane,  l'œil  n'avait  rien  perdu  de  sa  faculté 
d'accommodation. 

Mais  les  expériences  de  Cramer  faites  sur  l'œil  du  phoque  ou  sur  l'œil  de  quelques 
oiseaux  ont  du  moins  démontré  que  l'excitation  des  parties  antérieures  du  globe  produit 
des  changements  acoommodatifs  du  cristallin.  C'est  qu'en  effet  le  courant  électrique 
auquel  avait  recours  Cramer  excitait  le  véritable  agent  de  l'accommodation,  c'est-à-dire 
le  muscle  ciliaire. 

Rappelons  ici  la  disposition  de  ce  muscle  et  celle  des  parties  par  lesquelles  il  exerce 
son  action.  Le  muscle  ciliaire  s'insère  en  avant  à  la  jonction  de  la  sclérotique  avec  la 
cornée,  entre  le  bord  fibreux  du  canal  de  Schlemsi  et  l'insertion  de  l'iris  par  un  anneau 
tendineux  dit  anneau  de  Gerlach.  Il  a  la  forme  d'un  triangle  rectangle  dont  le  côté  le 
plus  court  est  tourné  en  avant  et  forme  avec  sa  face  externe  un  angle  droit.  Son  sommet 
est  dirigé  en  arrière  et  sa  face  interne  répond  à  la  couronne  ciliaire. 

Les  fibres  de  ce  muscle  peuvent  être  divisées  en  trois  couches.  La  couche  externe, 
la  plus  épaisse,  a  une  direction  méridienne  :  ses  faisceaux  se  portent  d'avant  en 
arrière  et  se  dissocient  dans  la  choroïde  en  se  terminant  dans  les  lamelles  conjonctives 
de  la  lamina  fitsca  qui  leur  servent  de  tendons;  d'après  Shoen  leurs  prolongements 
tendineux  pourraient  être  suivis  jusqu'à  la  gaine  du  nerf  optique.  Ces  fibres,  bien  dé- 
crites par  Brucke,  mais  dont  la  découverte  serait  due  à  William  Clay-Wallace,  ont  reçu 
le  nom  de  tenseur  de  la  choroïde. 

Les  fibres  de  la  deuxième  couche,  dites  radiées,  naissent  comme  les  précédentes,  de 
l'angle  externe  et  antérieur  du  muscle,  se  dirigent  en  ra3'onnant  vers  la  face  interne  du 
triangle  musculaire,  puis  se  terminent  en  partie  vers  son  sommet,  et  en  partie  se  conti- 
nuent en  ce  point  avec  les  fibres  de  la  couche  précédente. 

La  troisième  portion,  dite  muscle  de  Rouget  ou  de  Mulleb,  est  formée'de  fibres  circu- 
laires qui  constituent  par  leur  ensemble  un  anneau  parallèle  à  la  base  du  la  cornée:  elles 
occupent  le  petit  côté  du  triangle,  principalement  son  point  de  jonction  avec  le  bord 
interne.  Cette  couche  présente  les  plus  grandes  variations  individuelles  :  elle  manque 
souvent  chez  les  myopes,  tandis  qu'elle  est  très  développée  au  contraire  chez  les  hyper- 
métropes. 

A  la  face  interne  du  muscle  ciliaire  on  trouve  les  procès  ciliaires,  dont  il  faut  dire  ici 
un  mot,  puisqu'ils  sont  intéressés  dans  le  mécanisme  de  l'accommodation.  Ils  forment 
comme  une  couronne  de  plis  rayonnes,  dirigés  en  avant  vers  l'axe  de  l'œil.  C'est  dans 
l'anneau  formé  par  le  corps  ciliaire  que  se  trouve  suspendu  le  cristallin,  maintenu  eu 
place  par  la  zone  de  Zinn.  On  distingue  à  chaque  procès  ciliaire  une  racine  adhérente  au 
muscle  ciliaire,  et  un  bord  libre  qui  se  divise  en  deux  parties  ou  crêtes  :  l'une  antérieure 
plus  courte,  tournée  vers  la  face  postérieure  de  l'iris,  l'autre  postérieure,  plus  longue, 
soudée  avec  la  zonula.  Le  point  de  jonction  de  ces  deux  parties,  le  sommet  des  procès 
ciliaires,  n'est  pas  en  contact  direct  avec  le  cristallin,  il  en  reste  séparé  par  un  inter- 
valle de  0,5  millimètre;  il  ne  se  trouve  pas  non  plus  sur  le  même  plan  que  l'équateur 
de  la  lentille:  il  est  situé  un  peu  en  avant.  Aussi,  d'après  Henle,  si  on  prend  l'hémisphère 
antérieur  d'un  œil  récemment  extirpé,  on  peut,  en  r^ardant  d'arrière  en  avant,  voir  la 
face  postérieure  de  l'iris  entre  le  corps  ciliaire  et  le  bord  du  cristallin. 

Enfin,  c'est  par  l'intermédiaire  de  la  zone  de  Zinn  [Zonula,  ligament  suspenseur  du  cris- 
tallin) que  le  muscle  ciliaire  agit  sur  la  lentille.  Ce  ligament  a  été  très  diversement  décrit 
par  les  anatomistes.  Nous  nous  contenterons  de  reproduire  ici  la  description  qu'en  donne 
Landolt  [Traité  d'ophtalmologie,  t.  m,  p.  148).  Les  fibres  de  la  zone  de  Zinn  prennent  en 
partie  leur  origine  au  niveau  de  l'ora  serrata,  de  la  partie  ciliaire  de  la  rétine,  plus  par- 
ticulièrement de  la  membrane  limitante.  La  plupart  d'entre  elles  proviennent  cependant 
des  espaces  compris  entre  les  procès  ciliaires   et  quelquefois  des  procès  ciliaires  eux- 


38  ACCOMMODATION. 

mêmes.  Ces  fibres  de  la  zone  de  Zm'N  situées  le  plus  en  avant  se  dirigent  directement 
vers  la  face  antérieure  du  cristallin.  Les  plus  courtes  ont  toutes  une  direction  méridienne 
et  s'attachent  aux  deux  surfaces  du  cristallin  où  elles  se  confondent  avec  la  capsule. 
Mais,  à  l'exception  des  libres  les  plus  antérieures  qui  se  portent  en  droite  ligne  vers  la 
face  antérieure  et  des  fibres  postérieures  qui  se  rendent  directement  à  la  surface  posté- 
rieure du  cristallin,  elles  se  croisent  de  telle  sorte  que  celles  qui  reviennent  d'en  arrière 
s'attachent  à  la  surface  antérieure,  celles  qui  viennent  d'en  avant  à  la  surface  posté- 
rieure. On  voit  donc  d'après  cette  description  qu'il  n'y  a  pas  à  proprement  parler  de 
canal  de  Petit. 

Au  point  de  vue  du  mécanisme  de  l'accommodation  il  faut  surtout  remarquer  que 
la  zonula  présente  deux  parties  :  l'une  est  adhérente  au  corps  ciliaire,  et  s'étend  de 
l'ora  serrata  au  sommet  des  procès  ciliaires;  l'autre,  qui  va  de  ce  dernier  point  au  bord 
du  cristallin,  est  libre  et  regarde  la  face  postérieure  de  l'iris. 

Il  serait  trop  long  d'énumérer  en  détail  tontes  les  opinions  qui  ont  été  émises  sur  le 
mode  d'action  du  'muscle  ciliaire  (Voir  pour  une  partie  de  l'historique  :  Chrétien.  La 
choroïde  et  l'iris.  Th.  d'agrégation.  Paris,  1876).  Nous  ne  ferons  que  rappeler  les  princi- 
pales en  nous  arrêtant  particulièrement  lur  celle  qui  répond  le  mieux  à  l'ensemble  des 
faits  observés.  En  résumé,  elles  peuvent  se  diviser  en  deux  grandes  catégories  :  les  unes 
considèrent  la  déformation  du  cristallin  comme  due  à  une  pression  exercée  sur  la  len- 
tille par  le  muscle  ciliaire  soit  directement,  soit  par  l'intermédiaire  des  procès  ciliaires; 
une  autre  explication,  tout  à  fait  opposée  à  la  précédente,  admet  que  le  cristallin  est 
soumis  constamment  à  une  certaine  pression  et  que  lors  de  la  contraction  du  muscle 
ciliaire  il  reprend  la  forme  qui  lui  est  propre. 

A  la  première  manière  de  voir  se  rattachent  les  théories  de  Molleh,  Rouget,  Norton, 
FiCK.  On  a  supposé  d'abord  que  les  fibres  circulaires  du  muscle  ciliaire  pourraient  com- 
primer directement  le  bord  du  cristallin  et  augmenter  ainsi  l'épaisseur  de  la  lentille,  et, 
comme  les  fibres  longitudinales  comprimeraient  en  même  temps  le  corps  vitré  en  empê- 
chant ainsi  la  face  postérieure  du  cristallin  de  reculer,  toutes  les  modifications  porte- 
raient sur  sa  face  antérieure.  Dans  la  théorie  de  Muller,  la  pression  de  l'iris  sur  la  partie 
périphérique  de  la  face  antérieure  du  cristallin  venait  encore  ajouter  ses  effets  à  ceux  du 
muscle  ciliaire,  en  même  temps  que  le  relâchement  de  la  partie  antérieure  de  la  zone  de 
ZiNN,  provoqué  par  le  muscle,  favorisait  l'augmentation  d'épaisseur  du  cristallin. 

Rouget  fit  remarquer  que  le  muscle  ciliaire  n'embrasse  pas  exactement  le  cristallin 
sur  lequel  il  doit  agir,  qu'il  est  situé  sur  un  plan  plus  antérieur  et  séparé  de  lui  :  1"  par 
les  procès  ciliaires;  2°  par  un  certain  intervalle  existant  entre  ceux-ci  et  la  circonférence 
de  la  lentille.  Mais  les  procès  ciliaires  pourraient,  quand  ils  sont  remplis  et  distendus 
parle  sang,  transmettre  au  cristallin  la  compression  qu'ils  reçoivent  du  muscle  ciliaire. 

Au  moment  de  la  contraction  de  ce  muscle,  la  tension  du  sang  dans  les  procès 
ciliaires  devient  assez  considérable,  pour  leur  donner  la  rigidité  nécessaire  à  l'accom- 
plissement de  la  fonction  qui  leur  est  attribuée  :  Rouget  invoque  différentes  conditions 
anatomiques  qui  peuvent  amener  à  ce  résultat. 

Norton  a  émis  une  opinion  du  même  genre  en  insistant  particulièrement  sur  l'action 
adjuvante  de  l'iris  qui,  en  se  contractant,  comprimerait  le  coussinet  érectile  situé  en  arrière 
de  lui.  Signalons  encore  Fiok  qui  veut  au  contraire  que  dans  l'accommodation  de  près 
les  procès  ciliaires  se  dégorgent  dans  [esvasa  vorticosa  de  la  choroïde:  par  ce  passage  du 
sang  dans  la  partie  de  l'œil  située  en  arrière  de  la  cloison  formée  par  la  zonula  et  le  cris- 
tallin, la  pression  augmenterait  dans  la  partie  postérieure  de  l'œil  et  diminuerait  dans 
sa  partie  antérieure  :  le  centre  du  cristallin  serait  poussé  en  avant.  Cette  dernière  théorie 
peut  être  éliminée  immédiatement,  aucun  observateur  n'ayant  constaté  cette  déplétion 
des  procès  ciliaires  dont  il  est  question  :  elle  suppose  de  plus  un  aplatissement  de  la 
face  postérieure  du  cristallin  qui  n'existe  pas  davantage. 

En  ce  qui  concerne  l'opinion  de  Rouget,  et  toutes  celles  du  reste  qui  font  intervenir 
la  coopération  des  procès  ciliaires,  on  peut  leur  objecter:  fies  observations  mentionnées 
plus  loin  de  Coccius,  Becker,  etc.,  qui  ont  vu,  pendant  l'accommodation,  les  procès  ciliaires 
séparés  toujours  du  cristallin  par  un  intervalle  appréciable;  2°  les  expériences  faites  sur 
des  yeux  fraîchement  extirpés,  sur  lesquels  on  obtient,  en  excitant  les  nerfs  et  les  muscles 
de  l'accommodation,  les  modifications  ordinaires  des  images  de  Pdrkinje. 


ACCOMMODATION,  59 

La  théorie  de  Helmholtz,  non  seulement  ne  s'est  pas  heurtée  aux  mêmes  difficultés, 
mais  elle  a  encore  pour  elle  bon  nombre  de  faits  expérimentaux.  D'après  Helmholtz  le 
cristallin  à  l'état  de  repos  n'a  pas  la  forme  qui  répond  à  son  élasticité  ou  pour  mieux 
dire  k  l'élasticité  de  sa  capsule:  il  est  aplati  par  la  tension  de  la  zone  de  Zinn,  ce  qui  a 
pour  effet  de  réduire  l'épaisseur  de  la  lentille  et  de  diminuer  ses  courbures;  comme  les 
fibres  les  plus  épaisses,  les  plus  résistantes  de  la  zomda  s'insèrent  sur  la  périphérie  de 
la  capsule  cristallinienne  antérieure,  l'aplatissement  portera  surtout  sur  la  face  anté- 
rieure de  la  lentille,  dont  le  centre  se  trouve  ainsi  repoussé  en  arrière. 

La  zonula  étant  unie  au  dehors  aux  procès  ciliaires  et  par  conséquent  à  la  choroïde, 
la  lentille  forme  avec  ces  deux  membranes  un  espace  clos  entièrementrempli  par  le  corps 
vitré.  La  pression  de  l'humeur  vitrée  doit  maintenir  les  parois  de  cet  espace  dans  un  état 
de  tension  permanent. 

Lors  donc  que  le  muscle  ciliaire  se  contracte,  les  fibres  méridiennes  qui  se  terminent 
en  arrière  des  procès  ciliaires,  dans  le  tissu  de  la  choroïde,  font  avancer  l'extrémité  posté- 
rieure de  la  zonula  intimement  unie  en  ce  point  à  la  membrane  vasculaire  de  l'œil;  la 
zonula  est  mise  dans  le  relâchement,  le  cristallin  abandonné  à  son  élasticité  change  de 
forme,  diminue  de  diamètre  et  augmente  d'épaisseur;  par  suite,  la  courbure  de  ses  deux 
faces  devient  plus  marquée. 

Lorsque  Helmholtz  émit  pour  la  première  fois  cette  théorie  on  ne  connaissait  pas 
encore  les  fibres  circulaires  du  muscle  ciliaire.  La  découverte  de  ces  fibres  n'a  rien  enlevé 
à  la  valeur  de  l'interprétation  précédente  :  elles  viennent  au  contraire  en  aide  aux  fibres 
méridiennes.  En  se  contractant,  elles  ne  peuvent  que  rapprocher  l'angle  interne  du  corps 
ciliaire  des  bords  du  cristallin  et  contribuer  par  conséquent  à  relâcher  la  zone  de  Zinn. 
Leur  rôle  d'après  Helmholtz  serait  de  faire  suivre  à  la  partie  antérieure  des  procès  ciliaires 
les  mouvements  exécutés  par  la  lentille  et  la  zonula,  de  telle  sorte  qu'il  ne  puisse  se  pro- 
duire aucun  tiraillement  du  tissu  de  ces  derniers  organes  ni  aucune  traction  sur  la  partie 
antérieure  de  la  zonula,  de  nature  à  iniluer  sur  l'action  des  fibres  radiées.  La  contraction 
du  muscle  ciliaire  doit  aussi  faire  sentir  ses  effets  sur  son  insertion  antérieure, 
c'est-à-dire  sur  le  tissu  élastique  qui  borde  en  dedans  le  canal  de  Schleum  :  ce  tissu  est 
attiré  en  arrière  et  avec  lui  l'insertion  de  l'iris.  Le  déplacement  des  parties  périphé- 
riques de  cette  membrane  se  constate,  en  effet,  comme  il  a  été  dit,  pendant  l'accom- 
modation. 

A  l'appui  de  sa  théorie  Helmholtz  fait  remarquer  que  si  sur  un  œil  mort  on  découvre 
la  lentille  et  la  zonula,  on  peut  aplatir  le  cristallin  par  des  tractions  exercées  sur  deux 
points  diamétralement  opposés  de  la  membrane,  et  qu'il  reprend  sa  forme  arrondie  quand 
la  traction  cesse.  On  a  invoqué  aussi  le  fait  que  le  cristallin  mort,  isolé  de  ses  connexions 
avec  la  zone  de  Zlnn,  devient  plus  convexe.  Il  faut  ajouter  cependant,  comme  l'a  fait 
remarquer  Tscherning,  que  les  chiffres  obtenus,  sur  le  cristallin  mort  et  sur  le  cristallin 
vivant  au  repos,  ne  diffèrent  pas  sensiblement  entre  eux,  sauf  en  ce  qui  concerne 
l'épaisseur  de  la  lentille. 

L'opinon  de  Helmholtz  a  encore  été  confirmée  par  les  expériences  de  Hensen  et  Voel- 
CRERs  (Expérimental  XJntersuch.  il.  cl.  Mechanism.  cl.  Accommodation,  Kiel,  1868  et  Arcli.  f. 
Ophtalmol.,  1873,  t.  xrx,  i^"  partie,  p.  136),  pratiquées  d'abord  sur  le  chien,  plus  tard  sur 
le  chat  et  sur  des  yeux  humains  fraîchement  extirpés.  Ces  physiologistes  provoquent  des 
contractions  du  muscle  ciliaire  en  excitant  les  nerfs  qui  s'y  rendent,  et,  au  moyen  d'une 
petite  fenêtre  taillée  dans  la  sclérotique,  ils  voient  directement  le  déplacement  en  avant 
de  la  choroïde.  En  introduisant  une  fine  aiguille  à  travers  la  membrane  fibreuse  jusque 
dans  la  choroïde  au  niveau  de  l'équateur  de  l'œil,  ils  constatent  que  son  extrémité  libre 
se  porte  en  arrière,  mouvement  de  bascule  qui  indique  que  l'extrémité  interne  se  porte 
en  avant.  Les  mêmes  auteurs  ont  aussi  étudié  les  mouvements  de  la  zonula.  Par  une 
petite  fenêtre  scléroticale,  et  après  ablation  de  la  partie  correspondante  du  corps 
ciliaire,  ils  font  pénétrer  un  fil  de  verre  dont  une  extrémité  vient  s'appuyer  sur  le 
ligament  suspenseur  du  cristallin  :  l'extrémité  libre  du  léger  levier  faisait  une  excur- 
sion en  arrière  chaque  fois  que  les  nerfs  ciliaires  étaient  excités,  et  cependant  la  mem- 
brane ne  pouvait  être  mise  eu  mouvement  que  par  les  parties  du  muscle  ciliaire  restées 
intactes  de  chaque  côté  de  la  perte  de  susbtance.  Hense.\  et  Voelckers  se  sont  encore  assu- 
rés par  des  procédés  semblable  que  la  courbure  des  deux  faces  du  cristallin  augmente  à 


60  ACCOMMODATION. 

la  suite  de  l'ablation  des  nerfs  ciliaires  et  qu'il  en  est  de  même  pour  la  face  antérieure  du 
corps  vitré  après  l'ablation  du  cristallin. 

C'est  aussi  au  déplacement  de  la  choroïde  qu'il  faut  attribuer  le  phénomène  observé 
par  PuRKiNJE  et  que  Czerhak  a  appelé  le  phosphène  d'accommodation.  Si  dans  l'obscu- 
rité on  accommode  pour  la  vision  rapprochée  et  que  brusquement  on  relâche  l'accom- 
modation, on  remarque  à  la  périphérie  du  champ  visuel  un  cercle  lumineux,  cette  sen- 
sation entoptique  tient  à  un  tiraillement  des  parties  périphériques  de  la  rétine.  Qand  le 
muscle  ciliaire  se  relâche,  la  zone  de  Zinn  se  tend  de  nouveau  brusquement,  tandis  que  le 
cristallin  ne  cède  que  plus  lentement  à  la  traction  exercée  par  cette  membrane.  Le 
bord  de  la  rétine  intimement  unie  à  la  zone  ehoroïdienne  au  niveau  de  Voi'a  serrata  se 
trouve  ainsi  tiraillé  jusqu'à  ce  que  le  cristallin  ait  repris  sa  forme  aplatie.  Hensen  et 
VoELCKERS,  Berlin  se  sont  rangés  également  à  l'interprétation  de  Czermak.  Pour  Berlin 
toutefoisia  rétine  se  trouverait  tiraillée,  non  au  niveau  de  Vora  serrata,  mais  au  voisinage 
de  la  macula,  parce  qu'il  a  observé  par  lui-même  que  le  phosphène  de  Purrinje  n'occupe 
pas  la  périphérie  du  champ  visuel,  mais  une  région  plus  centrale  *. 

Les  observations  faites  par  Coccius  viennent  compléter  les  expérience  de  Hensen  et  de 
Voelckehs.  Chez  des  sujets  auxquels  une  large  iridectomie  avait  été  pratiquée,  Coccius 
a  pu  examiner  directement  les  modifications  subies  par  les  parties  situées  au  voisinage 
de  l'équateur  du  cristallin,  zonula  et  procès  ciliaire. 

L.A.1NDOLT  {loc.  cit.,  p.  153)  en  donne  la  description  suivante  d'après  les  détails  fournis 
par  Coccius  lui-même;  la  zonula  se  présente  sous  forme  d'une  série  de  bandelettes  alter- 
nativement claires  ou  obscures,  les  premières  correspondant  aux  fibres  situées  le  plus  en 
avant,  les  secondes  aux  plis  rentrants  qui  ne  sont  pas  éclairés.  Lorsque  l'œil  exécute  un 
effort  d'accommodation,  les  bandelettes  formées  par  la  zone  de  Zinn  s'allongent,  parce 
que  le  cristallin  diminue  dans  son  diamètre  équatorial  :  en  même  temps  les  stries  foncées 
deviennent  plus  larges.  Le  changement  de  forme  que  subit  l'équateur  du  cristallin  se 
manifeste  par  un  élargissement  du  cercle  foncé  qui  caractérise  ce  bord  et  qui  est  dû  à 
la  réflexion  totale  de  la  lumière. 

Ce  dernier  fait  avait  également  déjà  été  constaté  par  Becrer  sur  des  yeux  d'albinos  : 
mais,  tandis  que  pour  ce  dernier  les  procès  ciliaires  s'éloignent  de  l'axe  optique  dans  la 
vision  de  près,  et  s'en  rapprochent  au  contraire  dans  la  vision  au  loin,  Coccius  les  a  vus 
au  contraire  se  gonfler  et  s'avancer  vers  l'axe  pendant  l'effort  d'accommodation.  Toute- 
fois, les  deux  auteurs  sont  d'accord  sur  ce  point  que  l'équateur  du  cristallin  reste  toujours 
éloigné  des  procès  ciliaires  et  d'autant  plus,  d'après  Coccius,  que  l'accommodation  est  plus 
forte.  Il  ne  saurait  donc  être  question  d'une  compression  exercée  par  les  procès  ciliaires 
sur  les  bords  du  cristallin.  Coccius  pense  cependant  que  les  procès  ciliaires  par  leur 
avancement  et  l'augmentation  de  leur  volume  pressent  sur  la  partie  antérieure  du  corps 
vitré  qui  à  son  tour  peut  comprimer  l'équateur  du  cristallin. 

Hjort  de  Christiania,  Landolt  {loc.  cit., -p.  o21.  Klin.  Monatsh.f.  Augenheilk,'p'p.  205-222, 
cité  in  J.  P.,  1876)  a  vu  aussi  chez  un  homme  qui  avait  perdu  l'iris  en  totalité  le  bord 
sombre  du  cristallin  devenir  plus  large,  les  procès  ciliaires  se  rapprocher  de  l'axe  de  l'œil 
et  se  gonfler,  mais  contrairement  à  Coccius  il  n'a  constaté,  ni  dans  l'accommodation  vo- 
lontaire, ni  après  l'instillation  d'une  solution  de  fève  de  Calabar,  un  élargissement  de 
l'espace  compris  entre  le  bord  du  cristallin  et  les  procès  ciliaires.  Si  le  diamètre  de  cet 
espace  zonulaire  ne  se  modifle  pas,  c'est  que  pour  Hjort  l'avancement  des  procès  ciliaires 
est  toujours  proportionnel  à  la  rétraction  et  à  la  diminution  du  diamètre  de  l'équateur 
du  cristallin. 

Enfin  d'après  les  recherches  faites  également  sur  des  sujets  irideclomisés  ou  sur  des 
albinos,  Bauerein  [Zw  Accommodation  des  menschl.  Auges,  Wuzrburg,  1876)  d'accord  avec 
Coccius  et  Hjort  sur  le  sens  du  déplacement  des  procès  ciliaires,  soutient  par  contre  que 

1 .  Helmholtz,  Purkinje,  Czermak,  Landois  ont  encore  signalé  un  autre  phénomène  entop- 
tique qui  se  produit  dans  l'effort  d'accommodation,  l'œil  étant  dirigé  sur  une  surface  uniformé- 
ment éclairée.  Il  est  caractérisé  principalement  par  l'apparition  d'une  tache,  au  centre  du  champ 
visuel,  immédiatement  en  dehors  du  point  de  fixation.  Nagel,  qui  a  étudié  avec  détail  ce  «  nuage 
d'accommodation  »,  l'attribue  à  une  augmentation  de  pression  produite  par  la  contraction  du 
muscle  ciliaire  dans  le  segment  postérieur  de  l'œil  et  transmise  par  le  corps  vitré  jusqu'au  voi- 
sinage de  la  fovea  {Handb.  d.  gesammte  Augenheillc,  t.  vi,  p.  472). 


ACCOMMODATION,  61 

ceux-ci  ne  se  gonflent  pas  :  avec  Coccius  il  admet  que  l'espace  zonulaire  pendant  l'accom- 
modation s'élargit  parce  que  le  diamètre  de  la  lentille  se  rétracte  plus  que  les  procès 
ciliaires  n'avancent. 

Si  ces  observations  se  contredisent  sur  certains  points  de  détails,  elle  s'accordent  du 
moins  àreconnaître  :  1°  que  l'on  constate  directement  pendant  l'accommodation  le  relâ- 
chement de  la  zonula  et  la  diminution  du  diamètre  équatorial  du  cristallin';  2"  que  les 
procès  ciliaires  ne  peuvent  exercer  aucune  compression  sur  le  bord  de  la  lentille. 

La  théorie  de  Helmholtz  trouve  donc  dans  ces  recherches  une  nouvelle  confirmation, 
et,  si  Hjort  avait  raison  contre  Coccius  en  ce  qui  concerne  la  largeur  de  l'espace  zonulaire, 
les  faits  qu'il  a  observés  prouveraient  de  plus  que  le  mode  d'action  des  fibres  circulaires 
du  muscle  est  bien  celui  que  lui  a  attribué  Helmholtz  :  de  proportionner  les  déplacements 
de  la  partie  antérieure  des  procès  ciliaires  à  ceux  du  cristallin  et  de  la  zonula. 

Le  relâchement  total  de  la  zone  de  Zinn  pendant  l'effort  d'accommodation  est  aujour- 
d'hui un  fait  presque  universellement  accepté.  Cependant  nous  devons  mentionner 
l'opinion  de  Schoen  (Dec  Accommodations  Mechanismus  u.  ein  neues  Modell  zur  Démons- 
tration desselben.  A.Db.,  1887,  p.  224)  d'après  laquelle  le  feuillet  postérieur  de  la  zonula 
seul  se  relâche,  tandis  que  la  tension  du  feuillet  antérieur  persiste  et  même  augmente. 
A  l'état  de  repos  de  l'œil  les  deux  feuillets  sont  tendus,  des  deux  faces  de  la  lentille  à  l'an- 
gle interne  du  corps  ciliaire.  Par  suite  de  cette  tension  le  corps  vitré  est  refoulé  de 
la  périphérie  du  cristallin  et  tout  l'excès  de  pression  est  alors  supporté  par  la  face  posté- 
rieure de  la  lentille  qui  est  forcée  de  s'aplatir. 

Lors  de  l'accommodation,  la  contraction  des  fibres  circulaires  rétrécit  l'angle  interne 
du  corps  ciliaire  et  porte  en  arrière  et  en  dedans  les  insertions  postérieures  des  deux 
lamelles  de  la  zonule,  en  même  temps  que  la  contraction  des  fibres  méridiennes 
comprime  le  corps  vitré.  L'effet  total  de  l'action  musculaire  est  donc  de  rétrécir 
l'espace  circonscrit  par  la  choroïde  et  la  zonula  antérieure  et  occupé  par  le  corps  vitré 
et  le  cristallin.  Comme  le  contenu  de  cet  espace  reste  toujours  le  mèm.e,  la  pression  qui 
y  règne  doit  tout  au  moins  garder  la  même  valeur  ou  même  augmenter;  par  conséquent 
aucune  partie  de  cet  espace  ne  peut  être  mise  dans  le  relâchement,  pas  plus  la  zonula 
antérieure  que  tout  autre  point.  Seule,  la  zonula  postérieure  se  relâche  parce  que  la  con- 
traction des  fibres  circulaires  en  rétrécissant  l'anneau  ciliaire  rapproche  les  deux  points 
d'insertion  postérieurs  de  cette  lamelle  ;  par  suite  de  ce  relâchement,  l'humeur  vitrée  pénè- 
tre dans  les  espaces  situés  autour  de  l'équateur  du  cristallin,  et,  comme  la  lentille  subit  une 
pression  égale  partout,  que  son  pôle  postérieur  n'est  plus  comprimé,  elle  peut  s'épaissir. 

Enfin  le  rétrécissement  de  l'anneau  ciliaire  qui  rapproche  également  les  points  d'in- 
sertion postérieure  de  la  zonula  antérieure  permet  encore  à  ce  feuillet  de  se  porter  en 
avant  en  devenant  plus  convexe  tout  en  restant  toujours  tendu;  et  la  courbure  de  la 
lentille  s'accommode  à  celle  de  la  membrane. 

Dans  cette  théorie  le  rôle  important  revient  donc  au  muscle  annulaire  :  les  fibres 
méridiennes,  tant  externes  qu'internes,  lui  viennent  en  aide  en  comprimant  le  corps  vitré; 
de  plus  les  fibres  internes  qui  s'insèrent  en  avant,  à  l'angle  interne  du  corps  ciliaire  et 
qui  ont  là  un  point  d'insertion  relativement  mobile,  agiraient  sur  cet  angle  pour  le 
maintenir  à  sa  place  ou  même  le  porter  un  peu  en  arrière,  lorsque  l'augmentation  de 
pression  du  corps  vitré  tend  à  amener  un  déplacement  de  totalité  du  cristallin,  une  pro- 
pulsion en  avant. 

Enfin,  comme,  d'après  Schoen,  les  prolongements  tendineux  des  fibres  méridiennes 
pourraient  être  suivis  en  arrière  jusqu'à  la  gaine  du  nerf  optique,  les  efforts  répétés 
d'accommodation  auraient  comme  conséquence  des  altérations  mécaniques  de  cette 
gaine  et  en  particulier  l'excavation  physiologique  du  nerf  optique  leur  serait  imputable. 

Une  place  à  part  doit  être  faite  à  la  théorie  d'EuMERT  {Der  Mechanismus  der  Accommod. 
d.menschl.  Auges.  Arch.  f.  Augenheilk,  t..x,hsc.  .3,  pp.  342  et  407,  fasc.  4,  pp.  407-429  et 
dans  :  /.P.,  de  Hofmann  et  ScHW.\LBE,p.  378,  t.x,1883).Elle  s'éloigne  des  précédentes  en  ce 
qu'elle  admet  que  les  fibres  radiées  d'une  part  et  les  fibres  circulaires  d'autre  part,  au  lieu 
de  concourir  au  même  but,  ont  au  contraire  une  action  antagoniste.  Le  muscle  circulaire 
est  seul  en  état  de  relâcher  la  zonula  en  rapprochant  le  corps  ciliaire  du  cristallin  ; 
il  se  contracte  seul  dans  la  vision  de  près,  tandis  qu'au  même  moment  le  muscle  radié 
est  relâché. 


62  ACCOMMODATION. 

Celui-ci  à  son  tour  enLre  en  jeu  quand  on  regarde  au  loin,  il  attire  le  corps  ciliaire 
dans  la  direction  de  son  tendon  vers  le  sommet  de  la  cornée  et  tend  lazonula.  Le  relâ- 
chement du  muscle  annulaire  à  lui  seul  ne  suffirait  pas  pour  produire  cet  elfet.  C'est 
pour  vaincre  l'élasticité  du  cristallin  que  chez  l'emmétrope- les  libres  radiées  sont  plus 
développées  que  les  circulaires.  Le  myope  également  qui  s'etTorce  d'aplatir  constamment 
sa  lentille  pour  éloigner  son  punctum  remotum  a  un  muscle  radial  prépondérant  avec  dé- 
veloppement incomplet  du  muscle  annulaire. 

Chez  l'hypermétrope  au  contraire  les  fibres  circulaires  sont  très  développées,  plus 
développées  que  chez  l'emmétrope,  parce  qu'il  doit  constamment  maintenir  sa  lentille  à  un 
certain  degré  de  convexité,  tandis  que  la  couche  de  fibres  radiées  est  beaucoup  plus 
faible.  Les  fibres  méridiennes  dont  le  développement  est  en  rapport  avec  celui  des  fibres 
radiées  auraient  la  même  action  que  ces  dernières  et  servent  de  plus  à  maintenir  d'une 
façon  constante  la  choroïde  dans  un  certain  état  de  tension. 

One  opinion  tout  à  fait  analogue  et  basée  sur  des  considérations  semblables  avait  déjà 
été  émise  antérieurement  par  Arlt  (Die  Ursachen  uncl  die  Ensteh.  cler  Kurzsichtigkeit, 
Wien,  1876,  analysé  in  J.  P.,  de  Hofmann  et  Schwalbe,  t.  v,  p.  112). 

Ces  dernières  théories  se  rapprochent  encore  plus  ou  moins  de  celle  de  Helmholtz  : 
un  travail  de  TscHERNi.\G,paru  récemment  (janvier  1894;  dans  les  Archives  de  Physiologie, 
la  remet  entièrement  en  question.  Nous  reproduisons  en  grande  partie  les  observations 
et  les  idées  de  l'auteur. 

Pour  TsGHERNiNG  la  réfraction  augmente,  il  est  vrai,  mais  l'augmentation  n'est  pas  de 
grandeur  égale  dans  toute  l'étendue  de  l'espace  pupillaire  :1a  réfraction  des  parties  périphé- 
riques augmente  moins  que  celle  des  parties  centrales. 

Ce  fait  se  constate  au  moyen  de  l'instrument  que  Tschehnikg  a  appelé  aberroscope  :  il 
consiste  en  une  lentille  plan  conve.xe  de  4  dioptries,  sur  le  côté  plan  de  laquelle  est 
gravé  un  micromètre  en  forme  de  quadrillage  dont  les  intervalles  mesurent  un  milli- 
mètre. L'observateur  qui  doit  être  emmétrope  ou  rendu  tel  regarde  un  point  lumineux  éloi- 
gné à  travers  l'instrument  en  tenant  celui-ci  à  environ  10  centimètres  de  l'œil.  Le  point 
lumineux  forme  un  cercle  de  diffusion  dans  lequel  se  dessinent  les  lignes  du  quadrillage. 
Mais  celles-ci  ne  sont  vues  sans  déformation  que  par  un  œil  dont  la  réfraction  est  exac- 
tement la  même  dans  toute  retendue  de  l'espace  pupillaire.  La  plupart  des  sujets  voient 
le5  lignes  courbes  tournant  leur  convexité  vers  le  milieu  du  cercle  de  diffusion,  déforma- 
tion en  croissant,  ce  qui  indique  que  la  réfraction  augmente  vers  la  périphérie  (aber- 
ration de  sphéricité).  La  déformation  contraire  (en  barillet),  qui  indique  une  diminution 
de  réfraction  à  la  périphérie  (aberration  de  sphéricité  surcorrigée),  est  assez  i-are. 

Mais  au  moment  de -l'accommodation  il  a  produit  un  changement  qui,  au  moins  pour  un 
obsen'ateur  jeune,  est  très  frappant:  si  pendant  le  repos  il  voit  la  déformation  en  crois- 
sant, il  verra  la  ligne  se  redresser  et  devenir  droite  ou  même  légèrement  courbe  dans 
l'autre  sens  :  s'il  voit  au  contraire  pendant  le  repos  de  l'œil  les  lignes  droites  ou  déformées 
en  barillet,  il  verra  cette  dernière  déformation  très  prononcée  pendant  l'accommoda- 
tion. Le  changement  indique,  dans  tous  les  cas,  que  la  réfraction  augmente  plus  au  milieu 
de  la  pupille  que  vers  la  périphérie. 

D'autre  part  les  mensurations  que  Tscherning  a  faites  avec  son  ophtalmophakomètre 
lui  ont  donné  les  résultats  suivants  : 

ACCOMMODATION 

pour  : 

loin.  près. 

Rayon  de  la  surface  antérieure  du  cristallia 10,2  5,0 

—  —  postérieure  —         6,2  S, 6 

Lieu  de  la  surface  antérieure  du  cristallin 3,5  3,5 

—  —       postérieure  —  7,6  7,9 

Épaisseur  du   cristallin 4,1  4,4 

On  voit  dans  ce  tableau  qu'en  ce  qui  concerne  les  rayons  des  surfaces  les  résultats  de 
TscHER.NiNGSontconformesàceux  de  Heluholtz;  mais,  quant  aux  lieux  des  surfaces,  c'est- 
à-dire  de  la  distance  de  leur  sommet  au  sommet  de  la  cornée,  il  n'en  est  plus  de  même. 
TscHERN'iN'G  trouvc  quc  le  sommet  de  la  surface  antérieure  reste  à  sa  place,  tandis  que 
celui  de  la  surface  postérieure  recule. 


ACCOIVIIVIODATION.  63 

L'ophtalmopliakomètre  permet  encore  de  constater  que,  pendant  l'accommodation.  Je 
rayon  de  la  surface  antérieure  du  cristallin  augmente  très  notablement  vers  la  périplié- 
rie,qiie  celle-ci  s'aplatit,  tandis  que  le  centre  se  bombe.  Cet  aplatissement  cependant  ne 
correspond  pas  à  une  diminution  de  réfraction.  En  dessinant  la  figure,  on  voit  facilement 
qu'en  admettant  que  l'objet  se  trouve  sur  l'axe,  la  réfraction  en  un  point  dépend  non  du 
rayon  de  courbure  mais  de  la  portion  de  la  normale  comprise  entre  le  point  d'incidence 
et  l'axe.  A  1,7  millimètres  de  l'axe,  en  un  point  oii  le  rayon  de  courbure  mesure  encore 
10  millimètres  pendant  l'accommodation,  la  normale  n'est  que  de  6,3  millimètres  et  la 
réfraction  est  donc  à  ce  niveau  plus  grande  que  pendant  le  repos. 

Pendant  l'accommodation  la  réfraction  de  la  surface  augmente  donc  partout,  mais 
plus  au  milieu  que  vers  la  périphérie.  C'est  ce  qui  explique  les  phénomènes  observés  à 
l'aberroscope. 

Comme  la  partie  centrale  de  la  surface  reste  à  sa  place,  les  parties  périphériques 
doivent  reculer  en  s'aplatissant,  et,  puisque  le  sommet  de  la  surface  postérieure  se  porte 
aussi  en  arrière,  ainsi  qu'il  a  été  dit,  on  peut  en  conclure  que  le  cristallin  recule  en  totalité 
et  que  le  sommet  de  la  surface  antérieure  ne  reste  à  sa  Iplace  que  grâce  à  l'augmenta- 
tion d'épaisseur.  De  sorte  que  les  changements  accommodatifs  peuvent  se  résumer 
ainsi  :  1°  le  cristallin  recule  un  peu;  2°  la  courbure  des  parties  centrales  des  surfaces 
augmente,  celle  des  parties  périphériques  diminue;  la  partie  centrale  du  cristallin  aug- 
mente d'épaisseur,  aux  dépens  des  parties  périphériques  dont  l'épaisseur  diminue. 

Du  côté  de  l'uvée,  en  même  temps  que  la  pupille  se  contracte,  on  constate  que  la  par- 
tie centrale  de  l'iris  et  ses  parties  périphériques  restent  à  leur  place,  mais  qu'entre  elles 
il  se  forme  une  dépression  correspondant  au  pourtour  du  cristallin. 

TscHERNiNG  a  cherché  à  élucider  le  mécanisme  de  ces  déformations.  La  couche  super- 
ficielle du  cristallin  est  la  seule  qui  puisse  changer  de  forme,  le  noyau  du  cristallin  ne 
possède  pas  celte  faculté.  Ainsi,  si  l'on  vient  à  comprimer  la  lentille  par  le  bord,  la  pres- 
sion ne  se  communiquera  qu'aux  parties  voisines  decelles  sur  lesquelles  on  agit  directe- 
ment et  non  à  toute  la  masse.  Forcées  de  s'échapper,  ces  particules  vont  augmenter  l'épais- 
seur des  parties  périphériques  du  cristallin  de  manière  à  aplatir  les  surfaces,  tandis 
qu'on  croit  généralement  qu'une  telle  compression  doit  augmenter  la  courbure  de  leur 
partie  centrale. 

Si,  d'autre  part,  on  prend  deux  parties  opposées  de  la  zonule  entre  les  doigts,  et  si  l'on 
exerce  une  traction  sur  le  cristallin,  on  voit  son  diamètre  s'allonger  et  la  courbure  des 
surfaces  augmenter  au  sommet  tout  en  diminuant  vers  les  bords.  On  peut  observer  aussi, 
pendant  cette  traction,  qu'une  image  catoptrique  fournie  par  le  centre  de  la  lentille 
diminue,  tandis  que  près  du  bord  elle  augmente  de  diamètre  :  il  en  est  de  même  pour  la 
surface  postérieure.  Enfin,  si  un  quadrillage  est  placé  à  quelque  distance  d'un  cristallin  y 

extrait  de  l'œil,  la  lentille  en  donne  une  image  renversée  et  déformée  en  barillet,  mais, 
si  on  lire  sur  la  zonule,  l'image  diminue  et  les  lignes  se  redressenl,  quoique  incomplète- 
ment, c'est-à-dire  que,  comme  sur  le  cristallin  vivant,  il  se  produit:  l°une  augmentation 
de  réfraction;  2°  une  diminution  de  l'aberration  de  sphéricité. 

TscHERNI^'G  revient  donc  en  définitive  à  l'idée  que  l'accommodation  se  fait  non  par 
un  relâchement  de  la  zonula  mais  par  une  traction  exercée  sur  cette  membrane.  Le 
muscle  ciliaire  se  diviserait  en  deux  feuillets,  l'un  superficiel,  l'autre  profond;  en  arrière 
ils  se  perdent  tous  les  deux  dans  la  choroïde;  en  avant  le  superficiel  s'insère  à  la  scléro- 
tique près  du  canal  de  Schlemm,  tandis  que  le  profond  n'a  pas  à  ce  niveau  d'insertion  fixe, 
et  les  fibres  changent  de  direction  en  avant  pour  devenir  circulaires.  Quand  le  muscle 
se  contracte  «  l'extrémité  antérieure  du  feuillet  profond  recule  et  exerce  ainsi  une  traction 
en  dehors  et  en  arrière  sur  la  zonula.  Cette  traction  tend  d'un  côté  à  faire  reculer  le  cris- 
tallin, d'un  autre  côté  à  changerla  forme  de  ses  surfaces  en  rendant  les  parties  centrales 
plus  convexes.  L'extrémité  postérieure  de  tout  le  muscle  avance  et  tend  la  choroïde,  de 
sorte  qu'elle  puisse  soutenir  le  corps  vitré  et  empêcher  le  cristallin  de  reculer.  En  fixant 
le  cristallin,  cette  dernière  action  favorise  l'effet  de  la  traction  zonulaire  sur  la  forme  de 
ses  surfaces,  >> 

L'existence  d'une  traction  sur  la  zonula  serait  directement  prouvée  par  le  recul  du 
cristallin,  par  la  dépression  delà  partie  moyenne  de  l'iris  et  par  la  diminution  de  tension 
dans  la  chambre  antérieure  signalée  par  Foerster.  Cepen4ant  je  ferai  remarquer  que 


64  ACCOMMODATION. 

ScHOEN,  dans  son  travail  résumé  plus  haut,  considère  comme  démontré  que  cette  tension 
ne  varie  pas  pendant  l'accommodation.  Quoi  qu'il  en  soit,  cette  diminution  de  tension 
d'après  Tscherning  doit  exercer  son  effet  non  seulement  sur  la  chambre  antérieure,  mais 
surtout  ce  qui  est  situé  en  avant  du  cristallin  et  de  la  zonule  ;  par  suite,  les  sommets  des 
procès  ciliaires  se  gonflent  pour  remplir  le  vide  fait  par  le  recul  du  cristallin,  ce  qui 
explique  leur  avancement  vers  l'axe  de  l'œil. 

Restent  encore  à  expliquer  certaines  différences  entre  les  phénomènes  qui  accompa- 
gnent l'accommodation  et  les  résultats  des  expériences  rapportées  plus  haut.  Une  trac- 
tion directe  sur  la  zonula  allonge  le  diamètre  du  cristallin;  si  celui-ci  n'augmente  pas 
pendant  l'accommodation,  c'est  que  la  traction  exercée  par  le  muscle  ciliaire  ne  se  fait 
plus  directement  en  dehors,  mais  en  dehors  et  en  arrière.  Quand  à  la  diminution  du  dia- 
mètre observée  par  Coccins.TscHERNiNG  laconsidère  comme  une  illusion  d'optique  dont  il 
a  cherché  d'ailleurs  à  rendre  compte  :  c'est  aus.si  à  cause  de  l'obliquité  de  la  traction  que 
l'effet  porte  surtout  sur  la  face  antérieure. 

Enfm, dans  ce  même  travail,  Tscherning  attribue  le  mouvement  de  descente  du  cris- 
tallin, qu'il  avait  précédemment  signalé,  à  la  position  excentrique  de  ce  corps  par  rapport 
au  corps  ciliaire.  A  l'état  de  repos,  le  cristallin  serait  déplacé  un  peu  en  haut  de  sorte 
que  les  fibres  inférieures  de  la  zonula  se  tendent  plus  que  les  fibres  supérieures,  au 
moment  de  l'accommodation. 

Caractères  de  l'accommodation.  —  i°  Amjjlitude  d'accommodation.  —  L'accommoda- 
tion est  due,  comme  on  vient  de  le  voir,  à  une  action  musculaire  qui  augmente  le  pou- 
voir réfringent  de  l'œil.  A  l'état  de  repos,  celui-ci  est  à  son  minimum  :  le  point  pour 
lequel  l'œil  est  alors  adapté  s'appelle  le  punctum  remotum. 

L'œil  normal  est  naturellement  disposé  pour  la  vision  à  l'infini.  Si  après  avoir  long- 
temps fermé  les  3'eus  nous  les  ouvrons  brusquement,  nous  ne  voyons  d'abord  que  les  objets 
éloignés  :  de  même  ceux-ci  sont  seuls  vus  nettement,  si  on  paralyse  l'appareil  d'accom- 
modation par  l'atropine. 

D'autre  part,  il  arrive  un  moment  où  l'œil  a  atteint  son  maximun  de  force  re'fringente 
et  où  il  est  adapté  au  point  le  plus  rapproché  de  la  vision  distincte  :  c'est  le  punctum 
proximum.  Au  moment  de  son  maximum  d'accommodation,  l'œil  présente  la  plus  forte 
réfraction  dont  il  est  susceptible,  puisqu'il  augmente  sa  réfraction  statique  de  la  totalité 
de  sa  réfraction  dynamique.  La  totalité  de  la  réfraction  dynamique  ou  l'amplitude  d'accom- 
modation est  donc  égale  au  maximum  de  réfraction  de  l'œil,  moins  la  réfraction 
statique. 

La  mesure  de  l'état  de  réfraction  peut  être  exprimée  par  la  distance  focale  conjuguée 
antérieure,  c'est-à-dire  par  la  distance  à  laquelle  un  point  doit  se  trouver  pour  que  son 
image  se  forme  sur  la  rétine.  Elle  est  l'inverse  de  cette  distance  :  plus  ce  point  est  rap- 
proché de  l'œil,  plus  la  réfraction  est  forte.  Si  R  est  la  distance  du  i^wictum  remotum, 

l 
la  réfraction  à  l'état  de  repos  est  tt.  Si  P  est  la  distance  du  punctum  proximum,  la  réfrac- 

"  1 

tion  à  l'état  du  maximum  d'accommodation  est  p.  La  totalité  de  la  réfraction  dynamique 

11 
est  donc  -  —  ■^. 

1 

■rr  représente,  d'après  les  conventions  usitées  en  ophtalmologie,  le  pouvoir  dioptrique 

*^  1 

de  la  lentille  qui  correspond  à  l'état  de  repos  de  l'œil;  5  est  la  lentille  qui  lui  correspond 

quand  il  fixe  son  punctum  proximum.  Pour  obtenir  la  réfraction  en  dioptries,  il  suffit  de 

mesurer  la  distance  en  mètres;  si  l'œil  voit,  par  exemple,  un  objet  à  0,30  centimètres,  il 

1 
a  besoin  d'une  réfraction  de  -— -  =  2  dioptries.  INous  représenterons  ces  dioptries  par  p 

et  /•. 

Mais  le  changement  qui  a  lieu  pendant  l'accommodation  est  lui-même  équivalent  à 
l'addition  d'une  lentille  positive  à  l'œil.  L'effet  maximum  que  peut  produire  le  muscle  ci- 
liaire apour  mesure  le  pouvoir  dioptrique  d'une  lentille  convergente  qui  rend  la  vision  nette 
à  la  distance  du  punctum  proximum  sans  que  l'état  primitif  de  la  réfraction  des  milieux  de 
l'œil  ait  varié,  c'est-à-dire  alors  que  l'appareil  accommodateur  est  au  repos.  Cette  len- 
tille, si  nous  appelons  A  sa  distance  focale,  sera  exprimée,  comme  toujours,  par  l'inverse  de 


ACCOMMODATION.  (ib 

1 
celte  distance  —,  ou  également  en  dioptries  par  a  :  et,  puisqu'elle  équivaut  à  la  lotalilé 

111 
de  la  réfraction  dynamique  ou  à  l'amplitude  d'accommodation,  on  aura  t  =^  n  —  Tï  °"  *-"" 

dioptries  a  =  p  —  r. 

On  peut  encore  arriver  à  cette  formule  par  les  considérations  suivantes  :1a  lentille  qui 

satisfait  aux  conditions  précédentes  est  évidemment  celle  qui,  recevant  des  rayons  venus 

d'un  objet  situé  au  punctum  proximum,  leur  donne  après  réfraction  une  direction  telle  qu'ils 

vont  concourir  par  leurs  prolongements  au  pMnciumremofM»?,  ou  du  moins  leur  donne  la 


même  direction  que  s'ils  provenaient  de  ce  point,  de  sorte  que  l'œil  les-  réunira  sur  sa 
rétine  sans  que  son  accommodation  ait  à  intervenir.  En  d'autres  termes ,  le  punctum 
remotum  doit  être  le  foyer  conjugué  du  punctum  proximum  par  rapport  à  la  lentille 
cherchée,  et,  si  nous  appelons  A  sa  distance  focale,  nous  n'avons  qu'à  appliquer  la  formule 
classique  des  foyers  conjugués,  pour  les  cas  où  il  s'agit  d'obtenir  une  image  virtuelle, 

111  .  . 

—  =  -  —  îT'  l6  remolum  étant  dans  notre  hypothèse  une  image  virtuelle  formée  par  la 

lentille. 

Dans  l'œil  emmétrope  le  pouvoir  d'accommodation  est  doncL=:l _ 

11  A       "       "' 

est  à  l'infini,  c'est-à-dire—  =r=  ou  en  dioptries  a=^p. 
A       P 

Par  conséquent,  chez  l'emmétrope  la  distance  focale  de  la  lentille  conve.'se  qui  repré- 
sente l'amplitude  d'accommodation  et  la  distance  P  du  punctum  proximum  sont  égales. 
La  lentille  donne  en  effet  alors  aux  rayons  émanés  du  point  P  une  direction  parallèle 
comme  s'ils  venaient  de  l'infini,  c'est-à-dire  du  punctum  remotum  de  l'œil  emmétrope 
qui  pourra  les  réunir  sur  sa  rétine. 

1        1        1 
Chez  le  myope  r^=p — tt  ;  chez  l'hypermétrope  où  R  est  négatif,  situé  en  arrière 

1        1        /      1\  Il 

de  l'œi'' J=p  —  (  —  i^J'  c'est-à-dire  p  +  ^. 

La  lentille  qui  remplace  l'accommodation  devrait  être  placée  en  réalité  au  niveau  du 
premier  point  nodal.  Mais,  en  pratique,  on  compte  souvent  A,  P,  R,  soit  à  partir  du 
premier  point  principal  ou  de  la  cornée  qui  se  trouve  à  1,73  millimètres  en  avant  de  ce 
dernier,  soit  à  partir  du  foyer  antérieur  de  l'œil. 

Le  raisonnement  qui  nous  a  servi  à  mesurer  la  totalité  du  pouvoir  accommodatif  de 
l'œil  permet  d'évaluer  de  la  même  manière  la  fraction  du  pouvoir  accommodatif  qu'un 
œil  emploie  pour  voir  distinctement  à  une  distance  comprise  entre  celles  du  proximum 
et  du  remotum.  Dans  l'œil  emmétrope,  par  exemple,  la  lentille  qui  remplace  l'accom- 
modation devra,  pour  procurer  la  vision  nette  d'un  objet  placé  à  la  distance  D,  avoir 
précisément  une  longueur  focale  égale  à  D.  D'une  façon  générale,  dans  les  formules 
précédentes,  il  suffira  de  remplacer  la  distance  P  à\x  punctum  proximum  par  la  distance  D 
de  l'objet  qui  doit  être  vu  nettement. 

11  ne  faut  pas  confondre  l'amplitude  d'accommodation  avec  ce  qu'on  peut  appeler 
l'espace  ou  terrain  d'accommodation  qui  est  la  distance  comprise  entre  le  remotum  et 
le  proximum. 

Un  emmétrope  qui,  de  l'infini,  voit  jusqu'à  12,30  centimètres,  a  un  terrain  d'accommo- 
dation énorme  :  mais  son  amplitude  d'accommodation  est  --=— — — ,   c'est-à-dire  de 

A       12,50'^ 

S  dioptries. 

Un  myope  dont  le  punctum  remotum  est  à  20  centimètres,  un  myope  de  o  dioptries, 
et  qui  voit  jusqu'à  5  centimètres,  n'a  qu'un  terrain  d'accommodation  de  20 — S^^lb  cen- 

DICT.    DE   PHYSIOLOGIE.   —  TOME   I.  5 


(i(i  AC;COIVIMODATION. 

timètres;  mais  son  amplitude  d'accommodation  sera-——  —  ——  =  20—5,  c  est-a-dire 
'  "^  0,0o       0,iO 

de  15  dioptries. 

Amplitude  d'accommodation  :  i°  absolue;  i°  binoculaire;  3°  relative.  —  Dans  ce 
qui  précède,  il  n'a  été  question  que  de  l'amplitude  d'accommodation  évaluée  pendant 
la  vision  monoculaire.  Dans  ces  conditions  on  obtient  le  maximum  du  changement  de 
réfraction  que  l'œil  peut  subir  et  cela,  grâce  à  un  excès  de  convergence.  Si,  en  effet, 
on  couvre  un  œil  et  qu'on  fait  fixer  à  l'autre  un  point  de  plus  en  plus  rapproché 
jusqu'à  ce  qu'on  soit  arrivé  au  punctum  proximum,  et  si  on  découvre  alors  brusquement 
l'œil  exclu  de  la  vision,  le  sujet  accuse,  dans  les  premiers  moments,  de  la  diplopie.  Pour 
voir  l'objet  simple,  l'œil  primitivement  couvert  est  obligé  de  faire  un  léger  mouvement 
en  dehors  comme  s'il  avait  été  atteint  de  strabisme  convergent  pendant  que  l'autre 
était  adapté  au  punctum  proximum.  Il  n'était  donc  pas  dirigé  vers  un  point  de  fixation  : 
Les  lignes  de  regard  au  lieu  de  se  croiser  en  ce  point  se  croisaient  en  deçà.  La  conver- 
gence et  l'accommodation  sont  tellement  liées  l'une  à  l'autre  que  le  sujet  arrive  à  aug- 
menter l'effet  de  son  accommodation  en  faisant  un  effort  exagéré  de  convergence. 
L'amplitude  d'accommodation  monoculaire  est  donc  aussi  l'amplitude  absolue. 

L'amplitude  binoculaire,  déterminée  par  les  points  extrêmes  de  la  ligne  médiane 
que  les  deux  yeux  supposés  égaux  peuvent  voir  ensemble  avec  la  même  netteté  est  un 
peu  moindre  que  la  monoculaire.  Le  punctum  proximum  binoculaire  de  l'emmétrope 
est  un  peu  plus  éloigné  de  l'œil  que  le  proximum  absolu;  car  la  convergence  ne  devient 
pas  plus  forte  qu'il  ne  le  faut  pour  fixer  le  point  auquel  l'œil  s'accommode;  dans  la  vision 
binoculaire,  c'est  là  une  condition  indispensable  pour  que  l'objet  soit  vu  à  la  fois  simple 
et  distinct;  tandis  que  dans  la  détermination  du  proximum  absolu,  le  sujet  n'arrive  à 
la  vision  nette  qu'en  renonçant  en  réalité  à  la  vision  simple. 

S'il  existe  entre  l'accommodation  et  la  convergence  une  solidarité  assez  étroite  pour 
qu'on  ait  pu  la  croire  indissoluble,  les  expériences  de  Donders  ont  montré  cependant 
que  dans  une  certaine  mesure  les  deux  actes  peuvent  se  dissocier.  En  effet,  un  jeune 
emmétrope  voit  encore  nettement  un  point  éloigné,  malgré  des  lunettes  concaves  :  il  a  dû 
faire  pour  cela  un  effort  d'accommodation  plus  ou  moins  considérable,  tandis  que  la 
direction  des  lignes  visuelles  est  restée  la  même,  puisque  le  point  n'a  pas  changé  de 
place. 

Il  pourra  également,  avec  les  mêmes  résultats,  supporter  des  verres  convexes  faibles 
et  continuer  par  conséquent  à  voir  nettement,  tout  en  relâchant  son  accommodation. 
Les  verres  ne  doivent  pas  cependant  dépasser  un  certain  nombre  de  dioptries  parce 
que  l'indépendance  des  deux  actes  est  limitée. 

Donders  a  donné  le  nom  d'amplitude  d'accommodation  relative  aux  variations  d'ac- 
commodation dont  les  yeux  sont  susceptibles  pour  un  degré  donné  de  convergence.  Elle 
est  relative  à  ce  degré  de  convergence  et  exprime  le  maximum  et  le  minimum  d'accom- 
modation entre  lesquels  la  force  réfringente  de  l'œil  peut  varier  indépendamment  de 
la  convergence. 

Supposons  en  effet  un  objet  situé  sur  la  ligne  médiane  à  une  distance  de  33  centi- 
mètres ou,  suivant  la  convention  adoptée  par  les  ophtalmologistes,  à  une  distance  de 
3  dioptries.  L'emmétrope  qui  fixe  binoculairement  cet  objet  aura  besoin  également 
pour  le  voir  nettement  de  3  dioptries  d'accommodation.  Si  nous  plaçons  successivement 
devant  ses  yeux  des  verres  convexes  de  0,50,  1,  l,oO,  2  dioptries,  il  devra  nécessaire- 
ment relâcher  son  accommodation  d'une  quantité  équivalente  de  dioptries,  la  conver- 
gence restant  la  même.  Le  numéro  du  verre  le  plus  fort  avec  lequel  la  vision  reste  nette 
indique  donc  le  nombre  de  dioptries  dont  l'emmétrope,  soumis  à  l'expérience,  peut 
relâcher  son  accommodation  à  partir  de  3  dioptries  pour  la  convergence  à  33  centi- 

mètres,  ou  de -—^p;  =  3  angles  métriques,  suivant  1  expression  usitée  par  Nogel  pour 

la  mesure  de  l'angle  de  convergence. 

De  même,  le  numéro  du  verre  négatif  le  plus  fort  que  l'œil  peut  supporter,  sans  que 
la  vision  cesse  d'être  nette,  indique  le  nombre  de  dioptries  dont  l'emmétrope  peut  faire 
augmenter  son  accommodation  à  partir  de  3  dioptries,  et  pour  la  même  convergence 
à  33  centimètres. 


ACCOMMODATION. 


67 


Si,  par  exemple,  le  verre  positif  le  plus  fort  a  pour  numéro  2  dioptries  50,  le  verre 
négatif  le  plus  fort,  3  dioptries  50,  cela  veut  dire  que  pour  le  degré  de  convergence 
donnée,  soit  à  33  centimètres,  l'emmétrope  peut  relâcher  son  accommodation  de  2  diop- 
tries 50  et  la  réduire  à  3  —  2,50  =  0,50  dioptrie,  ou  bien  l'augmenter  de  3  dioptries  et  lui 
donner  la  valeur  de  3  +  3,50  =  6,50  dioptries.  L'emmétrope,  sous  la  convergence  à 
33  centimètres,  peut  donc  voir  nettement  depuis  0,50  dioptrie  ou 2 mètres  jusqu'à  6,50  dio- 
ptries ou  0™,t54.  Le  proximum  est  donc  à  0"',15i  et  le  remolum  à  2  mètres,  et  l'ampli- 
tude d'accommodation  u=p  —  r  sera  donc  de  6,50  —  50=  6  dioptries  pour  k  conver- 
gence donnée. 

On  a  ainsi  déterminé  l'amplitude  d'accommodation  pour  différents  degrés  de  conver- 
gence, et  DoNDERS  et  Nogel  ont  résumé  les  résultats  des  courbes  qui  mettent  bien  les 
faits  en  évidence. 

"Vitesse  de  raccommodation.  —  Volkmann  le  premier  s'est  occupé  de  savoir  com- 
bien de  fois,  en  un  temps  donné,  il  lui  était  possible  d'accommoder  successivement 
pour  deux  points  inégalement  distants  de  l'œil;  et  il  avait  conclu  de  ses  expériences  que 
les  modifications  se  produisaient  lentement  et  qu'elles  ne  pouvaient  être  attribuées  qu'à 
l'action  d'un  muscle  à  fibres  lisses.  Plus  tard,  Vierordt,  puis  Aeby,  ont  cherché  à  déter- 
miner s'il  existait  une  différence  entre  la  durée  de  temps  exigé  pour  l'accommodation, 
suivant  que  l'œil  s'adapte  d'un  point  éloigné  (R)  à  un  point  rapproché  (P)  ou  que  l'adap- 
tation se  fait  au  contraire  de  P  à  R.  Vierordt  a  trouvé  que  pour  adapter  de  18  mètres 
à  0™,fO  le  temps  nécessaire  était  en  moyenne  de  1  seconde  18  et  pour  le  relâchement 
correspondant  de  0,84;  en  faisant  varier  la  distance  du  point  de  fixation  par  rapport  à 
l'œil,  il  a  trouvé  que  la  différence  augmentait  lorsque  le  point  de  fixation  le  plus  rap- 
proché se  trouvait  plus  près  de  l'œil. 

Le  tableau  suivant  reproduit  en  partie  les  résultats  obtenus  par  Aeby  (Zeitschr.  f. 
rat.  Med.,  1861,  3«  sér.  t.  xi,  p.  300). 


DISTANCE 

DISTANCE 

ADAPTATION 

ADAPTATION 

DES  DEUX  POINTS  FIXES 

RESPECTIVE 

de  R  à  P. 

de  P  à  R. 

par  rapport  à  l'œil. 

des  deux  points. 

milUnièt'es. 

millimètres. 

secondes. 

secondes. 

430  —  270 

160 

0,340 

(0,220) 

270  —  190 

80 

0,544 

» 

190  —  130 

40 

0,547 

0,180 

150-130 

20 

0,523 

>i 

130  —  120 

10 

0,545 

0,179 

120  — H5 

5 

0,334 

" 

430  —  190 

240 

0,763 

(0,448) 

270-  130- 

120 

0,764 

1) 

19U  — 130 

60 

0,762 

0,288 

ISO  — 120 

30 

0,770 

» 

130  — M  j 

13 

0,767 

0,287 

430  —  150 

280 

0,864 

(0,611) 

270-130 

140 

0,877 

0,4.57 

190-  120 

70 

0,868 

0,473 

150  —  113 

33 

0,880 

0,453 

430  —  130 

300 

0,995 

(0,853) 

430  —  120 

310 

1,491 

1,067 

430  —  113 

313 

1,908 

1,234 

On  voit  que,  si  le  point  le  plus  éloigné  (R)  reste  fixe  à  430  millimètres,  tandis  que  le 
point  (P)  se  rapproche  de  l'œil,  de  telle  sorte  que  chaque  fois  le  parcours  d'accommo- 


68  ACCOMMODATION. 

dation  augmente,  le  temps  nécessaire  à  l'accommodation  augmente  également  :  ainsi, 
pour  un  intervalle  de  160  millimètres,  il  faut  0  seconde  340  pour  240  millimètres, 
0  seconde  763  pour  280  millimètres,  0  seconde  864,  etc. 

D'autre  part,  la  distance  respective  des  deux  points  entre  lesquels  l'œil  peut  accom- 
moder en  un  temps  donné  doit  être  d'autant  plus  petite  que  les  deux  points  de  fixation  sont 
plus  rapprochés  de  l'œil.  Ainsi,  en  une  demi-seconde  environ,  l'œil  pouvait  faire  varier  son 
adaptation  de  IfiO  millimètres  lorsque  le  point  primitivement  fixé  était  à  430  millimètres 
de  l'œil,  de  80  millimètres  lorsque  ce  point  était  à  270  millimètres,  de  40  millimètres  lors- 
qu'il était  à  190  millimètres,  de  20  millimètres  lorsqu'il  était  à  150  millimètres,  de  10  mil- 
limètres pour   130  millimètres  de  distance,  de   o  millimètres  pour  120  millimètres. 

Les  intervalles  parcourus  dans  des  temps  égaux  repi'ésentaient  donc,  depuis  le  point 
leplus  rapproché  jusqu'au  point  le  plus  éloigné,  une  progression  géométrique  ascendante 
avec  le  quotient  2.  On  voit  qu'il  en  est  de  même  pour  les  espaces  parcourus,  soit  en 
0  seconde  763  environ,  soit  en  0  seconde  864.  La  même  progression  s'observe  quand 
l'œil  s'adapte  du  point  P  au  point  R  :  dans  ce  dernier  cas  seulement  on  remarque 
chaque  fois  une  exception  pour  le  temps  nécessaire  au  parcours  du  dernier  intervalle 
d'accommodation  (chiffre  entre  parenthèses):  l'exception,  dit  Aeby, n'est  cependant  qu'ap- 
parente et  s'explique  parce  qu'à  la  distance  de  430  millimètres,  les  pointes  d'épingle  qui 
servaient  de  point  de  fixation  étant  quelque  peu  indislinctes,  il  fallait  un  peu  plus  de 
temps  pour  s'assurer  que  la  vision  en  était  réellement  nette. 

Les  chiffres  indiqués^  dans  le  tableau  ci-dessus  montrent  encore,  conformément  à 
ViERORDT,  que  lorsqu'on  accommode  pour  des  intervalles  déterminés,  les  temps  sont 
notablement  plus  couits  pour  passer  de  P  à  R  que  pour  adapter  de  R  à  P. 

Akgelidci  et  Acbert  (A.  Pf.,  t.  xxu,  p.  69,  1880)  ont  envisagé  la  question  à  un  point 
de  vue  nouveau: ils  ont  recherché  si  le  changement  de  forme  du  cristallin,  à  en  juger  par 
le  déplacement  de  l'image  cristallinienne  antérieure,  réclamait  plus  de  temps  pour  la 
vision  rapprochée  que  pour  la  vision  au  loin.  Dans  ce  but,  le  sujet  en  observation  mar- 
quait lui-même,  par  un  signal  électrique,  sur  un  cylindre  enregistreur,  le  moment  où  il 
commençait  à  accommoder  et  celui  oîi  il  apercevait  nettement  le  nouveau  point  fixe  : 
l'observateur  marquait  de  même  le  commencement  et  la  fin  du  déplacement  de  l'image 
cristallinienne  examinée,  au  moj'en  d'un  appareil  semblable  à  celui  de  Cr.4.mer;  le  point 
R  était  à  22  mètres  :  le  point  P  à  il   ou  à  22  centimètres. 

Ces  physiologistes  sont  arrivés  aux  résultats  suivants  :  le  temps  nécessaire  pour 
produire  l'accommodation,  c'est-à-dire  pour  passer  d'un  point  de  fixation  à  un  autre 
et  voir  nettement  ce  dernier,  est  très  différent  du  temps  qu'exige  le  déplacement  de 
l'image  cristallinienne.  Celui-ci  est  toujours  plus  court  que  le  premier,  il  n'est  soumis, 
contrairement  à  l'autre,  qu'à  de  faibles  variations. 

La  durée  la  plus  longue  pour  le  déplacement  de  l'image  catoptrique  a  été  de 
0  seconde  53,  la  plus  courte  de  0  seconde  21  ;  le  chiffre  moyen  de  toutes  les  expériences 
a  été  de  0  seconde  33.  La  seule  influence  qui  l'ait  fait  varier  a  été  le  rapprochement 
du  point  P;  lorsque  celui-ci  se  trouvait  près  du  punclum  proximum,  la  durée  était  un 
peu  plus  longue  que  quand  il  s'en  éloignait.  Pour  11  centimètres  d'éloignement  de  ce 
point  par   rapport  à   l'œil,  la  durée  était  de   0  seconde  37  :  pour  20  centimètres,    de 

0  seconde  31. 

Mais  le  fait  important  constaté  par  Angeliuci  et  Aubert,  c'est  qu'il  n'y  a  pas  de  diffé- 
rence sensible  dans  la  durée  du  déplacement  de  l'image  cristallinienne,  soit  que  l'œil 
passe  de  la  vision  d'un  point  rapproché  à  un  point  éloigné,  soit  qu'il  s'adapte  en  sens 
inverse.  Par  contre,  ils  ont  trouvé,  comme  Vierordt  et  Aeby,  que  l'accommodation  sub- 
jective se  comporte  tout  différemment  :  pour  passer  de  R  à  P  sa  durée  a  été  en  moyenne 
de  1  seconde  57  :  pour  passer  de  P  à  R  de  0  seconde  82.  Comme  les  auteurs  précé- 
dents, ils  ont  vu  également  que  sa  durée  augmentait  quand  le  point  P  se  rapprochait 
de  l'œil;  quand  il  en  était  distant  de  H  centimètres,  l'accommodation  de  R  àP  demandait 

1  seconde  75,  de  P  à  R,  0  seconde  82;  quand  il  se  trouvait  à  20  centimètres,  il  fallait, 
pour  passer  de  R  à  P,  0  seconde  93  ;  de  P  à  R,  0  seconde  62. 

.\ngeliuci  et  Aubert  se  sont  demandé  quelle  était  la  cause  de  la  différence  entre  la 
durée  de  l'accommodation  subjective  et  la  durée  du  déplacement  de  l'image  catoptrique, 
et  ils  ont  proposé  l'explication  suivante  : 


ACCOMMODATION.  69 

Le  sujet  qui  accommode  marque  immédiatement,  et  sans  temps  perdu  appréciable, 
le  moment  où  il  commence  à  accommoder  pour  le  nouveau  point  de  flxation  :  pour 
l'observateur  qui  inscrit  le  début  du  déplacement  observé  de  l'image  catoptrique,  il  y  a 
Ueu  de  tenir  compte,  au  contraire,  de  l'équation  personnelle  que  comporte  la  per- 
(cption  du  début.  Celui-ci  sera  donc  inscrit  avec  un  certain  retard.  Lorsque  le  sujet 
accommode  de  P  à  R,  ce  retard  équivaut  approximativement  à  la  différence  entre  la 
durée  de  l'accommodation  subjective  et  celle  de  la  variation  de  l'image. 

Mais  quand  le  sujet  accommode  pour  le  point  rapproché,  ce  retard  ne  suffit  plus 
pour  rendre  compte  de  l'écart  considérable  (0  seconde  79)  entre  le  chiffre  qui  exprime 
la  durée  de  l'accommodation  subjective  et  celui  qui  exprime  la  durée  du  déplacement 
de  l'image.  La  raison  de  cette  différence,  Angeliuci  et  Aubert  la  trouvent  dans  les  consi- 
dérations suivantes.  Dans  leurs  expériences,  le  point  de  flxation  étant  assez  éloigné  de 
l'œil  (22  mètres),  concordait  à  peu  près  avec  le  punctum  remotum  de  l'œil  emmétrope  : 
aussi  l'adaptation  pour  ce  point  devait-elle  se  faire  avec  un  relâchement  presque  com- 
plet du  muscle  ciliaire,  sans  que  le  mouvement  eût  besoin  d'être  corrigé  exactement. 
Mais  quand  il  s'agit  d'accommoder  pour  un  point  rapproché,  l'impulsion  volontaire  ne 
peut  être  assez  exactement  réglée  pour  que  la  vision  soit  d'emblée  tout  à  fait  distincte  : 
il  faut  une  correction  ultérieure  du  mouvement  pour  que  le  point  soit  vu  bien  nettement, 
et  elle  ne  se  fera  pour  ainsi  dire  que  par  tâtonnements.  Après  que  la  contraction  pre- 
mière n'aura  pas  encore  atteint  le  but,  il  se  produira  une  série  d'impulsions  volontaires 
qui  n'amèneront  que  de  faibles  déplacements  de  l'image,  assez  faibles  pour  échapper  à 
l'observation.  Il  3'  a  donc  une  première  mise  au  point,  grossière  et  approximative,  et 
une  autre  définitive  et  plus  délicate.  Ce  ne  sont  que  les  variations  grossières  de  l'image 
que  l'observateur  pourra  constater  et  non  les  très  légers  déplacements  qu'elle  présentera 
ensuite,  taudis  que  le  sujet  n'inscrira  la  fin  de  l'accommodation  qu'après  avoir  exécuté 
les  mouvements  de  correction  nécessaires. 

On  s'explique  aussi  de  même  la  différence  de  durée  de  l'accommodation  subjective 
suivant  que  l'œil  s'adapte  au  point  éloigné  ou  au  point  rapproché.  Plus,  en  effet,  celui-ci 
sera  près  de  l'œil,  plus  la  contraction  du  muscle  deviendra  pénible  et  plus  il  faudra 
de  temps  pour  les  derniers  mouvements  correcteurs. 

Quoi  qu'il  en  soit,  «  ce  n'est  pas  la  différence  de  durée  du  déplacement  de  l'image 
cristallinienne  qui  est  cause  de  la  différence  entre  la  durée  de  l'accommodation  pour  un 
point  rapproché  et  celle  de  l'adaptation  à  un  point  éloigné  ».  Autrement  dit,  la  modifi- 
cation du  cristallin  exige  à  peu  près  le  même  temps  dans  les  deux  cas. 

Dans  32  autres  observations,  les  auteurs  ont  comparé  la  durée  des  mouvements  de 
l'iris  à  celle  de  l'accommodation  subjective,  et  ils  ont  trouvé  les  chiffres  suivants  : 

Secondes. 
Moyenne  de  la  durée  pour  l'accommodation  subjective  de  R  à  P   .    .    .    .         1,705 

—  —  —  —         dePàR....         1,014 

—  —     pour  le  rétrécissement  de  la  pupille 0,90.3 

—  —     pour  la  dilatation  de  la  pupille l,oril 

Les  mouvements  de  l'iris  se  font  donc  à  peu  près  également  vite  que  l'œil  accommode, 
soit  pour  P,  soit  pour  R,  et  sa  durée  concorde  à  peu  près  avec  celle  qu'exige  l'accom- 
modation de  P  à  R.  Par  conséquent,  pendant  que  l'iris  accomplit  son  mouvement  en  une 
seconde  environ,  le  muscle  ciliaire  modifie  la  forme  du  cristallin  en  0  seconde  37  environ. 

ScHMmT  RiMPLER  a  déterminé  la  durée  de  l'accommodation  en  maintenant  les  yeux 
dans  un  état  égal  de  convergence,  et  en  modifiant  l'accommodation  par  des  verres. 

Le  point  de  convergence  étant  à  2o  centimètres,  l'effort  accommodateur  maximum 
produit  par  le  plus  fort  verre  concave  avec  lequel  la  vision  restât  nette,  a  demandé 
1  seconde  64;  le  retour  à  l'adaptation  primitive  0  seconde  78.  Le  relâchement  maximum 
de  l'accommodation  produit  par  le  verre  convexe  le  plus  fort  supporté  a  demandé 
1  seconde  66  :  le  retour  au  point  de  convergence  1  seconde  018.  Pour  la  convergence 
donnée,  la  totalité  de  l'effort  accommodateur,  c'est-à-dire  l'accommodation  du  remoium 
relatif  au  proximum  relatif,  a  donc  demandé  2  secondes  72  :  le  relâchement  du  proximum 
relatif  au  remotum  relatif  2  secondes  44. 

Pour  la  convergence  à  6  mètres,  l'effort  accommodatif  maximum  demande  1  se- 


70 


ACCOMMODATION. 


conde  46;  le  relâchement  consécutif  et  le  retour  au  point  de  convergence  0  seconde  92. 
Le  retour  de  l'accommodation  au  point  de  convergence  s'est  toujours  fait  plus  vite 
que  le  changement  d'accommodation,  que  celui-ci  se  fût  produit  dans'le  sens  négatif  ou 
positif  (Ja/ires6.  de  Virchow  et  Hirsch,  1879,  t.  ii,  p.  476). 

Lignes  d'accommodation.  —  11  faut  remarquer  maintenant  que  l'œil  n'est  jamais 
accommodé  pour  un  point  unique,  mais  pour  une  série  de  points  situés  l'un  derrière 
l'autre.  La  ligne  que  forment  ces  points  est  la  ligne  d'accommodation  de  Czermak  {Wiener 
Sitzber,  1854,  t.  xii,  p.  322).  Il  n'est  pas  indispensable  en  effet  pour  la  netteté  de  la  vision 
que  le  point  de  concours  des  rayons  lumineux  soit  un  point  mathématique.  II  suffit  que 
le  cercle  de  diffusion  ne  dépasse  pas  le  diamètre  de  l'élément  percepteur  :  tant  qu'il 
n'empiétera  pas  sur  l'élément  voisin,  il  donnera  la  sensation  d'un  point.  L'objet  pourra 

donc  se  rapprocher  ou  s'écarter  de  l'œil  sans 
cesser  d'être  vu  distinctement,  si  dans  les  li- 
mites où  il  se  déplace,  le  diamètre  des  cercles 
de  diffusion  que  chacun  de  ces  points  forme  sur 
la  rétine  est  inférieur  à  celui  des  éléments  réti- 
niens. Aussi  est-il  important,  sous  ce  rapport,  de 
déterminer  ce  diamètre  pour  des  distances  va- 
riables de  l'objet.  11  varie,  comme  on  sait,  avec 
les  dimensions  de  la  pupille,  et  aussi,  comme  il 
est  facile  de  le  voir,  avec  la  distance  du  sommet 
du  cône  lumineux  à  la  rétine. 
Si  sur  la  flg.  8  pp  représente  l'orifice   de  la  pupille  et   NN  la  rétine,  pp'c  le  cône 


lumineux,  on  aura 


PP  _; 


6c 


ou     ;z  = 


pp'  xbc. 


Listing  (voir  in  Aubërt)  Handb.  der  gesammt.  Augenheilli.  de  Graefe-Saemisch,  t.  ii,  1876, 
p.  438)  a  calculé  aussi  le  diamètre  des  cercles  de  diffusion  dans  l'œil  schématique  emmé- 
trope au  repos,  lorsque  le  point  lumineux  se  rapproche  de  l'œil  depuis  l'infini  jusqu'à  88  mil- 
limètres du  foyer  principal  antérieur.  Il  attribue  à  pp'  (ouverture  de  la  pupille)  un  dia- 
mètre invariable  de  4  millimètres.  La  distance  du  sommet  du  cône  lumineux  à  la  rétine 
(6c)  est  donnée  par  la  formule  des  foyers  conjugués  II'  ^  FiFo,  dans  laquelle  l  est  la  dis- 
tance du  point  lumineux  au  foyer  principal  antérieur,  l' la  distance  de  son  image  au  foyer 
principal  postérieur,  Fi  et  F»  les  deux  foyers  principaux,  par  conséquent  l'on  a  :  V  c'est-à-dire 

Fi  ¥•> 

bc  =  — j-^.  Pour  le  produit  Fi  F2  Listing  prend  en  chiffres  ronds  300  millimètres. 

Pour  ac  il  suffit  évidemment  d'ajouter  à  bc  la  distance  connue  de  la  pupille  à  la 
rétine  et  on  a  tous  les  éléments  pour  trouver  zi'. 

La  formule  de  Listing  exige  que  l'on  mesure  préalablement  le  diamètre  de  la  pupille 
ou  bien  qu'on  le  suppose  invariable. 

M.  Badal  (Soc.  de  Biologie,  1876,  pp.  119  et  136)  a  indiqué  un  procédé  qui  permet  de 
mesurer  les  cercles  de  diffusion  sans  avoir  à  se  préoccuper  du  diamètre  de  la  pupille.  Si 
l'on  place  devant  l'œil  deux  points  lumi- 
neux AA'  pour  lesquels  cet  œil  n'est  pas 
accommodé  il  se  formera  sur  la  rétine 
deux  cercles  de  diffusion  op,  oq  de 
même  grandeur  (fig.  9).  Si  les  deux 
points  lumineux  peuvent  se  rapprocher 
ou  s'écarter  l'un  de  l'autre,  il  y  aura 
nécessairement  un  certain  écartement 
de  ces  points  lumineux,  pour  lequel  ces 


-  -^,-  a! 


Fig.  9.  (D'après  Badal.) 


cercles  de  diffusion  arriveront  au  contact.  11  est  e'vident  que,  quand  les  cercles  sont  tan- 
gents, la  distance  de  leurs  centres  mesure  leurs  diamètres.  Dans  cette  situation,  les  axes 
secondaires,  joignant  chaque  point  lumineux  à  son  image,  la  ligne  qui  joint  les  deux 
points  lumineux  et  celle  qui  joint  les  centres  des  deux  cercles  de  diffusion  limitent  deux 
triangles  semblables  se  touchant  par  leur  sommet  au  centre  de  réfraction  de  l'œil  (points 
nodaux  supposés  fusionnés).  Soit  a  la  distance  qui  sépare  les  deux  points  lumineux,  g  la 
distance  de  ces  points  au  centre  de  réfraction,  y  la  distance  du  centre  de  réfraction  à  la 


ACCOMMODATION. 


71 


rétine,  valeurs  connues,  [3  le  diamètre  cherché  des  cercles  de  diffusion,  on  a  • 


■  d'où 


^  ^  a  -.  En  d'autres  termes  le  diamètre  des  cercles  de  diffusion  est  égal  à  l'écartemeut 

des  points  lumineux,  multiplié  par  le  rapport  -. 

D'ailleurs  il  est  facile  de  démontrer  que,  quelle  que  soit  la  distance  des  orifices  à  l'œil, 
quand  les  cercles  de  diffusion  sont  amenés  au  contact,  l'écartement  des  orifices  est  égal 
au  diamètre  de  la  pupille.  Cet  écartement  est  mesuré  au  moyen  du  pupillomètre  de 
Robert  Houdin.  Cet  instrument  se  compose  essentiellement  de  deux  écrans  qui  sont 
percés  de  petits  orifices  capillaires  et  dont  l'un  est  fixe  et  l'autre  mobile. 

Pour  éviter  que  le  sujet  s'accommode  pour  les  points  lumineux,  on  le  fait  accommoder 
d'un  œil  (dans  l'optomètre)  pour  une  distance  donnée,  et  devant  l'autre  œil  qui  accommode 
pour  cette  même  distance  on  place  les  deux  points  lumineux  à  telle  distance  que  l'on 
désire,  et  on  peut  déterminer  ainsi  la  grandeur  des  cercles  de  diffusion  qui  résulte  du 
déficit  correspondant  de  l'accommodation. 

Tout  récemment,  M.  Salzuann  (Bns  Sehen  in  Zerstreuungskreien,  Arch.  f.  OphtalmoL, 
1893,  t.  XXXIX,  21=  partie,  p.  83)  a  établi  très  complètement  la  théorie  des  cercles  de  diffusion, 
ainsi  que  la  formule  qui  permet  de  les  mesurer. 

Mais  le  tableau  suivant  de  Listing,  fondé  sur  les  calculs  indiqués  plus  haut,  suffit 
pour  faire  comprendre  tout  ce  qui  est  relatif  aux  lignes  d'accommodation. 


DISTANCE 

DISTANCE 

DIAMÈTRE 

DU   POINT   LUMINEUX 

du  cône  lumineux 

au  foyer 

au  foyer 

principaL  antérieur. 

principal  postérieur, 
(rétine). 

de  diffusion. 

mètres. 

nûIliiijcHres. 

milliinètres. 

8 

0 

Il 

65 

0,005 

0,0011 

25 

0,012 

0,0027 

12 

0,023 

0,0056 

6 

0,050 

0,0112 

3 

0,100 

0,0222 

l,.'iOO 

0,20 

0,0443 

n,7o0 

0,40 

0,0825 

0,375 

0,80 

0,1616 

0,188 

1,60 

0,3122 

0,094 

3,20 

0,3768 

0,088 

3,42 

0,6484 

Des  chiffres  de  Listing,  il  résulte  que  le  diamètre  des  cercles  de  diffusion  n'augmente 
d'abord  que  d'une  très  faible  quantité  quand  le  point  lumineux,  à  partir  de  l'infini,  se 
rapproche  de  l'œil,  mais  qu'il  croît  ensuite  beaucoup  plus  vite,  quand  il  est  arrivé  à 
proximité  de  la  cornée.  C'est  qu'en  effet,  dans  cet  énorme  parcours  du  point  lumineux 
entre  l'infini  et  d'à  mètres,  le  sommet  du  cône  pp'c  (fig.  9.)  ne  s'éloigne  de  la  rétine  que 
de  0,00o  millimètre,  tandis  qu'entre  118  et  94  millimètres  pour  un  parcours  de  24  milli- 
mètres, le  point  de  concours  des  rayons  lumineux  se  déplace  de  1,60  millimètres. 

On  voit  aussi,  d'après  le  tableau  précédent,  que  tant  que  le  point  lumineux  ne  se 
trouve  pas  à  moins  de  25  mètres  de  l'œil,  les  cercles  de  diffusion  sont  encore  assez 
petits  pour  qu'il  n'y  ait  pas  de  différence  appréciable  dans  la  netteté  des  images.  On 
peut  dire  qu'il  y  a  là  une  première  ligne  d'accommodation,  qui,  de  25  mètres  environ 
en  avant  de  l'œfi,  va  jusqu'à  l'infini.  D'une  façon  générale  des  cercles  de  diffusion  qui 
ne  différeront  pas  de  plus  0,002  millimètre  seront  équivalents  pour  les  éléments  sensibles 
de  la  rétine.  Si  par  conséquent  l'œil  est  accommodé  pour  373  millimètres  environ,  on 
trouverait  en  calculant  le  diamètre  des  cercles  de  diffusion  qu'il  l'est  également  pour 


ACCOMMODATION. 


379,4  millimètres  et  370,3  millimètres.  La  ligne  d'accommodation  sera  d'ailleurs  d'au- 
lant  plus  courte  que  le  point  fixé  est  plus  près  de  l'oeil. 

Un  procédé  très  simple  de  Czermak  permet  de  se  rendre  compte  de  l'existence  de 
ces  lignes  d'accommodation.  Si  l'on  tend  devant  l'œil  un  long  fil  dans  la  direction  de 
l'axe  optique  on  voit  le  fil  sous  sa  forme  linéaire  dans  une  certaine  étendue  ab 
de  chaque  côlé  du  point  fixé  e,  mais  en  deçà  et  au  delà  de  cette  ligne,  le  fil 
paraîtra  s'élargir  et  à  une  certaine  distance  descendra  indistinct.  La  ligne 
d'accommodation  ab  sera  d'autant  plus  longue  que  l'on  fixe  un  point  du  fil 
plus  éloigné,  d'autant  plus  courte  que  ce  point  est  plus  rapproché  de  l'œil. 
D'autre  part  le  point  fixé  e  ne  tomhera  pas  exactement  au  milieu  de  la  ligne 
d'accommodation;  il  sera  plus  près  de  b  parce  que  le  diamètre  des  cercles 
de  diffusion  des  points  rapprochés  augmente  plus  vite  que  celui  des  points 
éloignés,  c'est  pour  la  même  raison  qu'à  partir  de  6  le  fll  semblera  s'élargir 
davantage  qu'à  partir  de  a. 

Une  autre  expérience  instructive  de  Czermak  est  la  suivante.  On  mar- 
que sur  une  plaque  de  verre  un  point  noir  et  on  la  tient  devant  une  page 
d'impression.  Si  l'on  approche  l'œil  aussi  près  que  possible  de  la  plaque, 
sans  que  le  point  noir  cesse  d'être  vu  nettement,  on  peut  percevoir  distinc- 
tement le  point  ou  le  texte  d'imprimerie,  mais  jamais  les  deux  à  la  fois. 
Mais,  si  l'œil  s'éloigne  progressivement  de  la  plaque  de  verre,  on'arrive  à 
une  distance  telle  que  les  deux  objets  peuvent  être  vus  en  même  temps 
nettement.  Le  point  noir  et  le  texte  se  trouvent  alors  sur  une  ligne  d'accom- 
modation. 

Égalité  de  l'effort  d'accommodation  dans  les  deux  yeux.  — 
D'après  Donders  {Die  Anomalien  der  Refraction  und  Accommodation,  1888, 
p.  471), l'accommodation  est  toujours  égale  dans  les  deux  yeux,  de  sorte  que 
nous  ne  sommes  pas  capables  de  compenser  par  un  effort  du  muscle  ciliaire 
la  moindre  différence  de  réfraction  dans  les  deux  yeux.  Un  sujet  qui  a  les 
deux  yeux  égaux  peut  facilement  s'en  assurer  en  mettant  devant  l'un  d'eux 
un  verre  faiblement  convexe  ou  concave  et  en  fixant  un  objet  quelconque, 
par  exemple  de  fins  caractères  d'imprimerie.  Supposons,  en  effet,  qu'avec  un 
verre  convexe  de  1,23  dioptries  par  exemple  devant  un  œil  on  lise  des  carac- 
tères de  ce  genre  :  il  faudrait  que  l'effort  accommodatif  fût  inégal  dans  les 
deux  yeux  pour  que  la  vision  binoculaire  fût  nette  :  or  elle  ne  l'est  pas  mal- 
gré tous  les  efforts  du  lecteur.  Les  deux  yeux  sont  inégalement  adaptés,  ce 
dont  on  pourra  se  convaincre  en  fermant  alternativement  l'un  etl'autre. 
Donders  fait  remarquer  que  c'est  celui  dans  lequel  l'effort  acconmiodatif  doit  être 
le  moindre  qui  est  exactement  accommodé. 

Hering  (H.  H.,  t.  m,  1879,  p.  S2S),  a  confirmé  le  fait  par  l'expérience  suivante  :  il 
tient  très  près  des  yeux  une  épingle  qu'il  fixe  binoculairement  et  la  porte  sur  le  côté 
pour  qu'elle  soit  très  inégalement  distante  des  deux  yeux.  S'il  dédouble  ensuite  l'image 
simple  de  l'épingle  par  une  légère  déviation  des  axes  visuels  ou  par  un  prisme  à  arête 
horizontale,  les  deux  images  ne  sont  pas  également  nettes.  La  plus  nette  est  celle  de  l'œil 
le  plus  éloigné  de  l'objet.  S'il  ferme  ensuite  cet  œil,  il  lui  est  possible  de  voir  distinctement 
l'épingle  avec  l'autre  œil,  preuve  qu'elle  n'était  pas  en  dehors  des  limites  de  l'accommoda- 
tion. 

RuMPF  a  fait  beaucoup  d'essais  du  même  genre  avec  les  mêmes  résultats.  Comme 
objet  de  fixation,  il  prend  un  faisceau  de  fils  parallèles  laissant  entre  eux  des  inter- 
valles lumineux.  Lorsqu'il  disposait  le  faisceau  de  façon  à  ce  qu'il  fût  éloigné  de  30  cen- 
timètres de  l'un  des  yeux  et  de  34  centimètres  de  l'autre,  il  trouva  constamment  qu'un 
seul  des  deux  yeux  était  exactement  accommodé,  qu'il  déterminât  l'état  d'accommoda- 
tion, soit  en  couvrant  alternativement  les  deux  yeux,  soit  en  comparant  les  doubles  images 
produites  par  des  prismes.  Lorsque  l'objet  se  trouvait  à  égale  distance  des  deux  yeux  et 
qu'on  rendait  la  réfraction  inégale  au  moyen  de  verres  convexes  ou  concaves,  un  faible 
degré  d'anisométropie  artificielle  n'empêchait  pas  la  netteté  de  la  vision  binoculaire; 
mais,  si  on  dédoublait  l'image,  l'une  des  images  était  nette  et  l'autre  confuse. 

Enfin  RuMPF  a  fait  aussi  des  expériences  avec  le  stéréoscope.  On  présente  aux  deux 


FiG.  10. 

{D'après 

Gruenhagen 


ACCOMMODATION.  73 

yeux,  dans  le  stéréoscope,  deux  plaques  percées  de  Irous  très  fins  et  d'égal  diamètre. 
Pour  un  sujet  isométrope,  les  points  lumineux  paraissaient  égaux  et  également  nets  à 
droite  et  à  gauche,  lorsque  les  deux  plaques  étaient  à  la  même  distance  des  deux  yeux; 
inégaux,  lorsqu'une  d'elles  était  rapprochée  ou  écartée  de  l'œil  correspondant.  Inverse- 
ment les  deux  plaques  devaient  être  inégalement  éloignées  des  yeux  pour  que  les  trous 
parussent  égaux  et  également  nets,  si  le  sujet  était  naturellement  anisométrope  ou  rendu 
tel  par  des  verres.  Rumpf  en  conclut  donc  avec  Donders  et  Hering  que  l'effort  d'accommo- 
dation est  toujours  égal  dans  la  vision  binoculaire,  et  aussi  bien  chez  l'anisométrope  que 
chez  l'emmétrope. 

Cependant  des  faits  contradictoires  ont  été  produits  par  Schneller,  Woinow,  E.  Fick, 
{Ueb.  ungleiche  Accommodât. ,bei Gesiincl.und  Anisometropen.  Arch.f.  Augenheilk,  1888,  t.  xix, 
p.  123).  Ce  dernier  a  objecté  aux  expériences  précédentes  qu'elles  démontrent  seule- 
ment que  la  compensation  de  l'inégalité  de  réfraction  n'a  pas  eu  lieu  dans  les  cas 
considérés,  mais  qu'elles  ne  prouvent  pas  qu'elle  soit  impossible.  Pour  résoudre  la  ques- 
tion il  faut  non  seulement,  dit-il,  que  les  images  rétiniennes  de  chacun  des  deux  j'eux 
puissent  être  observées  séparément,  mais  aussi  qu'il  y  ait  pour  le  sujet  un  grand  intérêt 
à  les  fusionner  binoculairement.  Afin  de  réaliser  ce  but,  Fick  se  sert  du  stéréoscope  à 
prismes  et  soumet  le  sujet  à  une  épreuve  de  lecture  dans  les  conditions  suivantes.  On  prend 
deux  exemplaires  identiques  d'une  même  page  d'impression  qu'on  introduit  dans  le  sté- 
réoscope après  avoir  eu  soin  de  couvrir,  à  différents  intervalles,  avec  du  papier  blanc, 
une  partie  d'un  mot  sur  l'exemplaire  de  droite,  et  l'autre  partie  du  même  mot  sur 
l'exemplaire  de  gauche.  Si  l'on  choisit  convenablement  les  prismes,  le  sujet  fusionnera 
dans  le  stéréoscope  par  la  vision  binoculaire  les  deux  textes  en  un  seul  sur  lequel  les 
lacunes  auront  disparu.  Si  l'on  met  alors  devant  l'un  des  yeux  un  verre  concave  ou  con- 
vexe, le  sujet  ne  devra  plus  voir  nettement  que  d'un  seul  œil  les  mots  et  les  parties  de 
mots,  ou  même,  si  les  caractères  sont  assez  fins  et  suffisamment  éloignés,  il  ne  devra 
plus  pouvoir  lire  que  d'un  seul  œil  :  dans  les  deux  cas  de  nombreuses  lacunes  lui  appa- 
raîtront dans  le  texte,  à  moins  cependant  qu'un  effort  d'accommodation  inégal  ne  com- 
pense la  différence  de  réfraction.  En  réalité  Fick  trouve  que  l'on  peut  mettre  successive- 
ment devant  l'un  des  yeux  un  verre  convexe  de  0,15,  0,5,  0,75,  1,0  dioptrie  sans  que 
la  vision  binoculaire  cesse  d'être  nette.  Même  avec  un  verre  concave  de  —  1,0  devant 
l'un  des  yeu.ï  et  un  verre  convexe  de -i- 1,5  devant  l'autre,  le  sujet  réussirait  encore  à 
fusionner  les  deux  textes,  au  prix  d'un  grand  effort  toutefois.il  supporterait  donc  une  dif- 
férence de  réfraction  de  2,5  dioptries  et  avec  de  l'exercice  on  pourrait,  d'après  Fick,  par 
une  inégale  accommodation,  arriver  à  compenser  une  différence  de  3,25  dioptries. 

Pour  établir  que  les  résultats  obtenus  sont  bien  la  conséquence  d'une  inégalité  d'ac- 
commodation et  ne  tiennent  pas  à  ce  que  le  sujet  arrive  à  lire  malgré  les  cercles  de  dif- 
fusion, Fick  fait  la  contre-épreuve  suivante  :  il  cherche  quel  est  le  vice  de  réfraction  qui 
permet  à  un  œil  normal  de  lire  les  mêmes  caractères  typographiques  à  la  même  dis- 
tance que  dans  le  stéréoscope  (soit  50  centimètres)  sans  que  l'accommodation  puisse 
intervenir.  Dans  ce  but  l'un  des  yeux  étant  rendu  myope  par  un  verre  convexe  de 
2  dioptries,  on  porte  à  la  distance  de  son  punctum  remotum,  c'est-à-dire  à  50  centi- 
mètres, la  page  d'impression,  puis  on  renforce  successivemeni  le  verre  de  0,25,  0,50, 
0,75  dioptrie.  Dans  ces  conditions,  l'addition  de  0,50  dioptrie  rend  déjà  la  lecture  mo- 
noculaire presque  impossible. 

Lorsque  par  conséquent  le  sujet  supporte  dans  la  vision  binoculaire  au  stéréoscope 
une  différence  de  réfraction  de  2,5  dioptries  avec  un  verre  —  1,0  devant  l'œil  gauche  et 
un  verre  -1-1,5  devant  l'ceil  droit,  c'est  l'inégalité  d'accommodation  qui  a  compensé  1,5 
dioptries. 

Mais  Hess  {Vers.itb.  die  angenbliche  ungleiche  Accommodât., Arch.  f.  Ophtalmol.,  1889; 
t.  XXXV,  p.  157)  a  montré  qu'il  s'était  glissé  dans  les  expériences  de  Fick  différentes 
causes  d'erreurs.  En  réalité  ce  n'est  pas  une  inégalité  d'accommodation  qui  permet  la  lec- 
ture :  celle-ci  se  fait  avec  des  images  diffuses.  Il  constate  en  effet  que,  plus  les  caractères 
d'impression  employés  sont  fins,  plus  le  verre  supporté  doit  être  faible,  tandis  que  les 
dimensions  des  lettres  ne  devraient  avoir  aucune  influence,  si  vraiment  la  différence  d'ac- 
commodation intervenait.  Les  cercles  de  diffusion  au  contraire  permettent,  bien  que 
l'accommodation  soit  inexacte,  de  reconnaître  encore  les  gros  caractères  et  non  plus  les 


74 


ACCOMMODATION. 


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fins.  En  répétant  la  contre-épreuve  de  Fick  sur  l'œil  rendu  myope,  Hëss  trouve  que  la 
diflférence  de  réfraction  supportée  dans  ces  expériences  (0,5  dioptrie)  est  précisément 
de  la  valeur  de  celles  qui,  d'après  Fick  lui-même,  permettent  la  lecture  sans  accommo- 
dation. Il  fait  remarquer  aussi  que  la  différence  de  réfraction  qu'un  œil  peut  supporter 
est  moindre  dans  la  vision  monoculaire  que  dans  la  binoculaire,  parce  que,  dans  ce 
dernier  cas,  la  convergence  des  axes  visuels  et  l'éclairemenl  de  l'œil  opposé  amènent  un 
rétrécissement  plus  marqué  de  la  pupille,  ce  qui  réduit  le  diamètre  des  cercles  de  diffu- 
sion. D'autre  part,  dans  la  vision  binoculaire  au  stéréoscope,  lorsque  Tun  des  yeux  est 
muni  d'un  verre  il  arrive  involontairement  que  par  un  relâchement  ou  une  augmenta- 
tion très  faible  de  la  tension  accommodative,  les  yeux  accommodent  alternativement 
tantôt  pour  la  moitié  droite,  tantôt  pour  la  moitié  gauche  des  mots,  et  si  rapidement  que 
la  lecture  n'en  éprouve  pas  d'arrêt,  mais  à  un  examen  attentif,  on  s'aperçoit  qu'en 
même  temps  que  l'une  des  moitiés  du  mot  à  lacune  devient  nette,  l'autre  moitié  devient 
„     „  indistincte.  Knfin  l'expérience  suivante 

g    "s  démontre  très  clairement  que  ce  n'est 

pas  par  accommodation  inégale  que  le 
sujet  arrive  à  lire  dans  le  stéréoscope. 
On  tend  immédiatement  au  devant  des 
deux  pages  d'impression,  dans  une 
direction  horizontale,  deux  fils  très  fins 
de  cocon,  de  manière  à  ce  que  dans  la 
vision  binoculaire  on  les  voie  très  près 
l'un  de  l'autre  et  parallèles.  Il  suffit 
de  mettre  devant  l'un  des  yeux  un 
verre  de  0,2o  dioptrie  pour  que  l'un 
des  fils  devienne  indistinct,  ou  même, 
le  plus  souvent,  pour  qu'il  ne  soit  plus 
visible  ;  avec  un  verre  de  0,5  dioptrie, 
il  cesse  constamment  d'être  vu,  tandis 
que  la  lecture  des  caractères  d'impri- 
merie continue  à  être  très  facile. 

Influence  de  l'âge  sur  raccom- 
modation. —  Le  pouvoir  accomnioda- 
teur  diminue  avec  l'âge,  et  le  punc- 
lum.  proximuni  s'éloigne  graduellement 
de  l'œil.  La  figure  I  \  exprime  cettedimi- 
nution.  Sur  l'axe  horizontal  s'inscrivent 
les  années  :  sur  l'axe  vertical  les  dis- 
tances en  dioptries  comptées  en  avant  de  l'œil.  Sur  chacune  des  parallèles  à  l'axe  vertical 
menées  par  les  points  de  division  de  l'axe  horizontal,  on  a  marqué,  pour  chaque 
âge,  les  distances  en  dioptries  du  proximian  et  du  remolum  d'un  emmétrope  :  les 
distances  seront  comptées  au-dessus  ou  au-dessous  de  l'axe  horizontal,  suivant  que  les 
points  auxquels  elles  se  rapportent  sont  situés  en  avant  ou  en  arrière  d-e  l'œil. 

La  courbe  )•»■  représente  les  positions  successives  du  remotum,  la  courbe  pp  celles  du 
proximum.  On  voit  sur  la  courbe  qu'un  enfant  de  10  ans  peut,  en  mettant  en  jeu  toute 
sou  accommodation,  augmenter  la  force  réfringente  de  son  œil  de  14  dioptries.  A  partir 
de  ce  moment  la  courbe  pp  tombe  rapidement;  à  20  ans  le  punctiim  proximum  est  à 
10  dioptries  G", 10;  à  30  ans,  l'accommodation  n'est  plus  que  de  7  dioptries  et  a  par  con- 
séquent déjà  diminué  de  moitié  de  ce  qu'elle  était  à  10  ans.  Entre  fiO  et  65  ans,  la  courbe  pp 
arrive  à  la  ligne  zéro,  c'est-à-dire  que  le  pimctum  proximum  est  aussi  éloigné  que  l'était 
le  punctum  remotum  jusqu'à  53  ans.  La  force  réfringente  que  présente  l'œil  à  l'état  de 
maximum  d'accommodation  est  plus  faible  que  celle  qu'il  présentait  naguère  à  l'état  de 
repos.  A  73  ans  les  deux  courbes  se  confondent,  c'est-à-dire  que  \eremotum  etleproximum 
coïncident,  la  réfraction  n'est  plus  susceptible  d'aucun  changement;  il  n'y  a  plus  d'accom- 
modation, et  en  outre,  le  point  de  fusion  des  deux  points  étant  à  1,8  dioptries  au-dessous 
de  zéro,  la  force  réfringente  invariable  de  cet  œil  est  de  1,5  dioptries  plus  faible  qu'elle 
ne  l'était  dans  la  jeunesse. 


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FiG.  11.  (D'après  Imbert.) 


ACCOMMODATION.  75 

La  valeur  du  pouvoir  accommodatif  est  représentée  pour  chaque  âge  par  la  longueur 
de  l'ordonnée  correspondante  comprise  entre  les  deux  courbes  du  proximum  et  du  remo- 
tum.  11  suffit  de  jeter  un  coup  d'œil  sur  le  tableau  pour  voir  que  la  longueur  de  cette 
ordonnée  diminue  progressivement  et  pour  trouver,  en  dioptries,  l'amplitude  d'accom- 
modation relative  à  chaque  âge. 

Nous  n'avons  pas  à  nous  occuper  ici  des  causes  qui  modifient  la  position  du  pimctum 
remotum,  et  qui  rentrent  dans  l'étude  de  la  réfraction  statique.  Mais  nous  devons  dire 
un  mot  des  conditions  qui  avec  l'âge  afi'aiblissent  la  force  accommodatrice  et  éloignent  le 
punctitm  proximum  de  l'œil.  Elles  ne  peuvent  se  trouver  nécessairement  que  dans 
l'organe  actif  de  l'accommodation,  le  muscle  ciliaire,  ou  dans  l'agent  passif,  le  cristallin. 
Mais  il  n'est  pas  admissible  que  le  muscle  ciliaire  perde  de  sa  contractilité  à  partir  de 
l'âge  de  10  ans.  C'est  donc  l'élasticité  du  cristallin  qui  doit  être  en  cause.  En  effet  on  a 
observé  que  le  cristallin  change  de  consistance  dès  le  jeune  âge  et  devient  plus  rigide. 
Quelque  énergiques  que  soient  les  contractions  du  muscle  ciliaire,  la  lentille  n'est  plus 
susceptible  que  de  déformations  plus  faibles,  et  la  différence  entre  les  courbures  minima 
et  maxima  de  ces  faces  devient  de  moins  en  moins  grande  :  la  distance  en  dioptries 
ia  proximum  an  remotum,  c'est-à-dire  l'amplitude  d'accommodation,  diminue  donc  for- 
cément. 

Dans  un  âge  plus  avancé  le  muscle  ciliaire  doit  également  perdre  de  sa  force  et  cette 
cause  vient  s'ajouter  à  la  précédente  pour  réduire  de  plus  en  plus  le  pouvoir  accommo- 
datif. 

Mécanisme  de  raccommodation  dans  la  série  animale.  —  Nous  résumerons 
les  principales  données  que  nous  avons  pu  réunir  sur  l'accommodation  et  les  différentes 
espèces  animales. 

A.  Mammifères.  • — Chez  les  autres  mammifères,  les  agents  et  le  mécanisme  de  l'ac- 
commodation ne  diffèrent  guère  de  ce  qu'ils  sont  chez  l'homme.  Bon  nombre  de  faits 
que  nous  avons  déjà  exposés  ont  d'ailleurs  été  acquis  par  l'expérimentation  sur  les 
animaux  :  il  suffira  de  rappeler  les  expériences  de  HeiNSen  et  Voklckers  faites  sur  le 
singe,  le  chat,  le  chien,  de  citer  aussi  celles  de  Hocks  pratiquées  également  sur  le  chien. 

Les  seules  différences  à  noter,  c'est  que  l'homme  et  le  singe  possèdent  un  muscle 
ciliaire  plus  développé  que  tous  les  autres  mammifères,  d'après  Leuckart  (Handbuch  der 
gesammten  Augenheilk  de  Graefe-Saemisch,  t.  n,  p.  232)  et  que,  d'autre  part,  chez  la 
plupart  d'entre  eux,  les  fibres  circulaires  font  défaut;  ce  qui  tendrait  à  prouver  que  le 
rôle  le  plus  important  revient  aux  fibres  longitudinales. 

Une  autre  particularité  qui  a  son  intérêt  au  point  de  vue  de  l'accommodation,  c'est 
que  l'hypermétropie  est  très  répandue  dans  le  règne  animal;  chez  le  cheval,  en  parti- 
culier, elle  est  très  marquée.  Il  y  a  peut-être  quelque  avantage  à  ce  défaut  de  réfraction 
comme  l'a  fait  remarquer  Exner  (cité  par  Béer)  :  un  muscle  exécute  des  mouvements 
moins  correctement  lorsqu'il  passe  du  repos  complet  à  l'activité  que  lorsqu'il  se  trouve 
déjà  à  un  certain  degré  de  contraction.  Chez  beaucoup  d'animaux  qui  se  meuvent  rapi- 
dement, des  variations  très  fines  dans  l'accommodation  sont  nécessaires  pour  une  appré- 
ciation rapide  et  sûre  des  distances.  Le  muscle  ciliaire  les  réalisera  peut-être  mieux 
à  cause  de  cette  hypermétropie  qui  le  met  déjà  dans  un  état  de  moyenne  contraction, 
même  pour  la  vision  au  loin. 

B.  Oiseaux.  —  Le  mécanisme  de  l'accommodation  chez  les  oiseaux  a  été,  dans  ces 
derniers  temps,  étudié  complètement  par  Th.  Béer  {Studien  ùb.  die  Accommod.  des  Vogel- 
auges,  A.  Pf.,  1892,  t.  lui,  p.  173).  Dans  cette  classe  d'animaux  le  bord  périphérique 
de  la  cornée  forme  une  saillie  dirigée  en  dedans  et  en  arrière.  Cette  saillie  représente 
l'insertion  antérieure  d'une  grande  partie  du  muscle  ciliaire  qui  est  divisé  en  ce  point  en 
deux  faisceaux  :  l'externe  forme  le  muscle  de  Crampton  qui  se  dirige  en  arrière  et  en 
dehors  et  dont  les  fibres  deviennent  d'autant  plus  longues  qu'elles  sont  plus  rapprochées 
de  l'axe  antéro-postérieur  de  l'oeil.  L'extrémité  postérieure  du  muscle  de  Crampton 
s'insère  à  la  sclérotique  qui  représente  son  point  d'insertion  fixe  (h,  flg.  12).  La  contrac- 
tion du  muscle  ne  peut  faire  sentir  son  effet  que  sur  le  bord  de  la  cornée. 

Le  second  faisceau  du  muscle  ciliaire,  que  l'on  désigne  sous  le  nom  de  muscle  de 
MuLLER,  s'insère  en  avant  à  la  saillie  de  la  cornée,  comme  le  muscle  de  Crampton.  Mais 
en  arrière,  il  s'attache  sur  la  choroïde  (m,  flg.  12)  :  il  a  donc  deux  points  d'insertion 


76 


ACCOMMODATION. 


mobiles,  mais  le  plus  mobile  est  sans  Joute  la  cboroïde.  La  troisième  partie  du  muscle 
la  plus  postérieure,  appelée  muscle  de  Brucke,  a  aussi  son  insertion  mobile  principale  sur 
la  cboroïde  :  son  insertion  fixe  se  fait  en  avant  à  la  sclérotique  {at,  flg.  12)  :  elle  a  la 
plus  grande  analogie  avec  le  muscle  ciliaire  des  mammifères;  son  extrémité  antérieure 
est  située  en  dehors  de  l'insertion  postérieure  du  muscle  de  Muller  :  on  a  encore  ap- 
pelé le  muscle  de  Brucke  le  tenseur  externe  de  la  cboroïde.  Toutes  ces  fibres  sont 
striées  et  à  direction  longitudinale.  On  n'a  trouvé  de  fibres  circulaires  que  cbez  l'ara 
(Canfield). 

La  cornée  cbez  l'oiseau  est  formée  de  d;   x  lamoiles,  l'une   antérieure,  l'autre  pos- 
térieure, plus  mince  :  celle-ci  se  sépare  de  1  antérieure  vers  la  périphérie  et  est  direc- 
tement unie  au  muscle  de  Crampton  qui  s'insère  exclusivement  sur  elle.  Vers  le  centre 
de  la  cornée,  les  deux  lames  sont  intimement  fusion- 
nées :  une  couche  de  tissu  conjonctif  s'interpose  entre 
elles  vers  la  circonférence. 

La  région  de  la  zone  de  Zinn  diffère  beaucoup  de 
ce  qu'elle  est  cbez  les  mammifères  à  cause  de  l'union 
intime  des  procès  ciliaires  avec  le  cristallin.  Le  rôle 
important  dans  l'accommodation  est  d'ailleurs  joué 
par  le  ligament  pectine,  très  puissant,  dont  les  fais- 
ceaux s'insèrent  en  avant  à  la  saillie  de  la  cornée  et, 
traversant  l'espace  de  Fontana,  constituent  au  cristallin 
un  ligament  suspenseur  antérieur. 

Le  mécanisme  de  l'accommodation  chez  les  oiseaux 
a  aussi  donné  lieu  à  des  opinions  diverses.  Crampton 
pensait  que  le  muscle  auquel  il  a  donné  son  nom 
diminue  la  convexité  de  la  cornée  pour  ajuster  l'œil  à 
la  vision  éloignée  :  pour  Brucke,  tout  au  contraire,  il 
augmente  cette  convexité,  diminue  par  conséquent  le 
rayon  de  courbure  et  adapte  l'œil  à  la  vision  de  près. 
Milne-Edwards  dit  aussi  que  la  cornée  devient  plus 
convexe  lors  de  la  contraction  du  muscle  de  Crampton  : 
c<  Chez  les  oiseaux  de  proie  dont  la  vue  est  à  la  fois 
extrêmement  longue  et  fort  bonne,  à  courte  distance, 
celte  disposition  est  particulièrement  l'emarquable  et 
a  été  depuis  longtemps  considérée  comme  un  moyen 
puissant  d'accommodation.  »  Cramer,  par  contre,  a 
refusé  toute  action  au  muscle  de  CR.4.aPT0N. 

Pour  Muller,  chez  l'oiseau  comme  chez  le  mam- 
mifère, le  tenseur  de  la  choroïde  empêche  le  cristallin 
de  se  porter  en  arrière,  tandis  que  l'iris  comprime  la 
périphérie  de  la  lentille  par  l'intermédiaire  des  pi-ocès 
ciliaires.  Mais  Tbautvetter,  après  avoir  enlevé  l'iris  à 
des  oiseaux,  constata  que  les  images  cristalliniennes 
antérieures  se  modifient  encore  comme  chez  les  ani- 
maux non  opérés,  lorsque  le  muscle  ciliaire  se  con- 
tracte. 

Th.  Béer  a  pu  étudier  l'action  du  muscle  de  Cramp- 
ton par  la  méthode  graphique.  Il  incise  la  cornée  en  ne  laissant  que  sa  partie  périphé- 
rique sur  une  largeur  de  3  millimètres.  L'anneau  intact  de  la  membrane  est,  au  moyen 
d'une  serre  fine  et  d'un  fil,  rattaché  au  levier  d'un  tambour  récepteur  de  Marey,  lequel 
communique  lui-même  avec  un  tambour  enregistreur.  Les  électrodes  étant  introduites 
dans  l'anneau  osseux  de  la  sclérotique,  on  voyait  à  chaque  excitation  du  muscle  ciUaire 
la  courbe  s'abaisser  et  indiquer  ainsi  que  la  cornée  était  portée  en  dedans.  On  peut  du 
reste  constater  directement,  dans  ces  conditions,  que  la  circonférence  de  la  cornée 
exécute  un  mouvement  en  arrière  et  en  dedans  à  chaque  contraction  du  muscle. 

Pour  observer  les  modifications  subies  par  la  cornée  lorsqu'elle  est  restée  intacte  en 
totalité.  Béer  plante  dans  la  membrane,  à  2  millimètres  de  sa  circonférence,  une  longue 


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FiG.  12.  —  Schéma  de  l'appareil  acrom- 
modateur  des  oiseaux,  d'après  ExNER. 
L  représente  le  cristallin,  maintenu 
près  de  Téquateur  par  deux  liga- 
ments dont  l'antérieur  est  le  liga- 
ment pectine  et  le  postérieur  la  cho- 
roïde; SS,  sclérotique;  c,  lame  interne 
de  la  cornée;  hk,  muscle  de  Cramp- 
ton; ta,  tenseur  de  la  choroïde; 
m,  muscle  de  Muller.  La  pression 
intra-oculaire  agit  sur  la  lentille  et 
sur  les  ligaments  dans  la  direction 
des  flèches. 


ACCOMMODATION.  77 

aiguille,  de  telle  sorte  que  la  pointe  fasse  une  légère  saillie  dans  la  chambre  antérieure. 
On  voit,  an  moment  de  l'excitation  du  muscle,  l'extrémité  libre  de  l'aig-uille  s'incliner 
vers  l'axe  optique.  Ce  mouvement  devenait  d'autant  moins  prononcé  que  l'aiguille  était 
introduite  en  un  point  plus  voisin  du  centre.  Deux  aiguilles  implantées  de  la  même 
façon  dans  la  cornée  se  rapprochaient  par  leurs  extrémités  libres. 

Ces  mouvements  de  la  lamelle  interne  de  la  cornée,  la  seule  sur  laquelle  le  muscle 
de  Craupton  puisse  agir,  ont  été  observés  chez  tous  les  oiseaux  mis  en  expérience; 
c'est  donc  un  fait  général. 

L'examen  des  images  cornéennes  à  l'ophtalmomètre  donna  les  l'ésultats  suivants  : 
à  la  périphérie  de  la  cornée,  l'image  devenait  plus  grande  et  moins  nette  lors  de  la 
contraction  du  muscle  de  Crampton.  On  pouvait  constater  en  même  temps  directement 
l'aplatissement  de  la  cornée  à  la  circonférence.  C'est  que  la  traction  exercée  sur  la 
lamelle  interne  de  la  cornée  par  le  muscle  de  Crampton  doit  se  transmettre  à  la  lamelle 
externe  par  l'intermédiaire  du  tissu  conjonctif  interposé,  et  celle-ci  doit  s'aplatir. 
L'augmentation  du  diamètre  de  la  cornée  à  sa  périphérie  a  été  évaluée  à  1,72  milli- 
mètres sur  un  hibou.  Mais,  par  contre,  l'ophtalmomètre  démontre  qu'au  centre  de  la 
cornée  la  convexité  augmente.  Cette  modification,  toutefois,  ne  se  produit  pas  chez  tous 
les  oiseaux  :  c'est  ainsi  qu'elle  n'a  été  constatée  ni  chez  la  poule  ni  chez  le  pigeon. 

Par  conséquent,  l'aplatissement  de  la  partie  périphérique  de  la  cornée  est  réelle,  ce 
qui  confirme  en  partie  l'opinion  de  Crampton  :  mais  le  phénomène  est  peu  important 
au  point  de  vue  de  l'accommodation,  puisqu'il  porte  sur  la  circonférence  de  la  cornée, 
et  qu'en  même  temps  il  y  a  chez  certains  oiseaux  diminution  du  rayon  de  courbure  au 
centre,  ou  que  chez  certains  autres  le  sommet  de  la  cornée  ne  se  modifie  pas.  Chez  les 
oiseaux  de  proie,  toutefois,  l'augmentation  de  convexité  du  centre  de  la  cornée  est 
constante  et  doit  jouer  un  rôle  important  dans  faccommodation. 

Les  courbures  du  cristallin  se  modifient  d'ailleurs  pendant  l'accommodation  chez  les 
oiseaux  comme  chez  les  mammifères,  quoique  les  agents  présentent  des  dispositions 
différentes. 

ExNER  considère  au  cristallin  deux  ligaments  suspenseurs,  l'un  antérieur,  le  ligament 
pectine,  l'autre  postérieur,  représenté  par  la  partie  antérieure  de  la  choroïde,  laquelle 
est  simplement  en  ce  point  accolée  à  la  sclérotique  sans  lui  être  adhérente  (Voyez  le 
schéma  de  la  figure  12).  Ce  sont  ces  ligaments  qui,  par  leur  tension,  aplatissent  le 
cristallin  :  lorsqu'ils  se  relâchent  sous  l'influence  de  la  contraction  des  faisceaux  du 
muscle  ciliaire,  le  cristallin  devient  plus  convexe  :  c'est  la  théorie  de  Helmholtz  appli- 
quée aux  oiseaux. 

Béer  a  confirmé  l'opinion  d'ExNER,  du  moins  en  grande  partie,  par  l'expérience.  Il 
constate  que  la  surface  antérieure  du  cristallin,  ainsi  que  la  partie  centrale  de  l'iris, 
se  portent  en  avant,  soit  pendant  l'accommodation  spontanée,  soit  pendant  l'excitation 
électrique  de  la  région  ciliaire  :  l'examen  des  images  montre  que  la  convexité  de  la 
face  antérieure  du  cristallin  augmente.  Ainsi,  par  exemple,  on  trouve  chez  le  busard 
harpaye  (Circus  aeruginosus)  avant  l'excitation  du  muscle,  rayon  de  courbure  15,98  milli- 
mètres; pendant  l'excitation,  13,43,  soit  une  dilîérence  de  2,55  millimètres.  Cette  modi- 
fication est  due  principalement  au  muscle  de  Crampton  et  peut-être  aussi  en  partie  au 
muscle  de  Muller  qui  en  portant  en  arrière  la  lamelle  interne  de  la  cornée  à  laquelle 
s'insère  le  ligament  pectine  forcent  ce  dernier  à  se  relâcher. 

La  preuve  en  est  fournie  par  la  section  du  ligament  pectine  :  après  cette  opération 
la  courbure  de  la  face  antérieure  du  cristallin  augmente  très  sensiblement  parce  que 
le  cristallin  est  abandonné  à  son  élasticité  propre.  Ainsi,  chez  ï tiuloar  {Astur  pahmbarius) 
on  avait  avant  la  section  »•  ^18,50  millimètres;  après  la  section  13,47;  chez  le  busard 
harpaye  (Cî'rcîJS  aeruginosus]  a\'a.nt  la  section  r  =  15,98;  après  la  section  r^  9, 80;  les 
mensurations  ont  été  faites  à  l'ophtalmomètre. 

D'autre  part,  si  l'on  excite  le  muscle  ciliaire  après  avoir  sectionné  le  ligament  pec- 
tine, il  ne  se  produit  plus  aucune  modification  de  l'image  cristallinienne  antérieure. 
Quant  à  l'ablation  de  l'iris,  elle  n'a  aucune  influence,  à  moins  qu'on  n'ait  enlevé  en 
même  temps  le  ligament  pectine. 

D'après  Exner,  le  faisceau  de  Brucke  ou  tenseur  interne  de  la  choroïde  agirait  en 
portant  en  dedans  et  en  avant  la  partie  antérieure  de  la  choroïde,  pendant  que  la  fente 


78  ACCOMMODATION. 

entre  la  choroïde  et  la  sclérotique  s'élargirait,  ce  qui  faciliterait  encore  l'augmentation 
des  convexités  du  cristallin.  Mais  des  expériences  de  Béer,  il  résulte  que  le  rôle  de  ce 
muscle,  si  important  chez  les  mammifères,  serait  tout  à  fait  accessoire  chez  les  oiseaux  : 
ce  qui  le  prouve,  c'est  qu'après  la  section  du  ligament  pectine,  c'est-à-dire  quand  on 
a  réduit  le  muscle  de  Champtom  à  l'impuissance,  l'excitation  du  tenseur  de  la  choroïde 
ne  produit  plus  de  modification  sensible  dans  les  rayons  de  courbure  de  la  face  anté- 
rieure du  cristallin.  Ce  sont,  par  conséquent,  les  déplacements  de  la  lame  interne  de  la 
cornée  et  non  ceux  de  la  choroïde  qui  jouent  le  principal  rôle  dans  l'accommodation 
chez  les  oiseaux. 

La  disposition  et  la  structure  de  l'appareil  accommodateur  chez  les  oiseaux  per- 
mettent de  comprendre  pourquoi  les  modifications  accommodatives  sont  dans  cette 
classe  d'animaux  à  la  fois  si  étendues,  si  exactes  et  si  promptes.  L'amplitude  de  l'ac- 
commodation chez  eux,  dit  Berlin,  peut  se  déduire  du  développement  de  l'appareil 
musculaire  intrinsèque  de  l'œil  et  de  la  faible  consistance  de  la  masse  cristallinienne. 
Cette  dernière  propriété  a  encore  comme  conséquence  une  exactitude  plus  grande  des 
changements  de  forme  des  milieux  réfringents,  ce  à  quoi  contribuent  aussi  la  dispo- 
sition des  muscles  et  leur  nature.  Le  muscle  strié  travaille  avec  plus  de  «  virtuosité  » 
que  le  muscle  lisse.  Cette  virtuosité  se  manifeste  en  ce  qu'il  fournit  un  travail  plus 
délicat  et  qu'il  obéit  plus  rapidement  à  la  volonté. 

L'hirondelle  qui,  dans  son  vol  le  plus  rapide,  happe  avec  précision  une  mouche  au 
passage,  l'aigle  qui  s'abat  sur  un  poisson  nageant  à  la  surface  de  l'eau,  plus  vite  qu'un 
corps  tombant  librement  dans  l'espace,  a  évidemment  besoin  d'une  accommodation 
beaucoup  plus  rapide  que  celle  qui  est  attribuée  à  l'homme  par  les  expériences 
de  ViERonDT  et  d'AEBY  :  le  muscle  strié  la  leur  fournit. 

Béer  fait  ressortir  aussi  que  chez  la  plupart  des  oiseaux  la  vision  binoculaire  est 
très  restreinte  et  même  souvent  n'existe  pas.  De  sorte  que  l'appréciation  exacte  des 
distances  qui  chez  l'homme  et  d'autres  animaux  dépend  en  grande  partie  de  la  sen- 
sation de  convergence  des  lignes  de  regard  est  due  principalement  chez  les  oiseaux  aux 
sensations  d'accommodation. 

C.  Reptiles. — Je  ne  sache  pas  que  des  recherches  physiologiques  aient  été  faites  sur 
l'accommodation  dans  cette  classe,  Leuckart  dit  que  les  notions  même  que  l'on  possède 
sur  la  disposition  de  leur  appareil  accommodateur  sont  peu  nombreuses.  Ce  qui  est 
certain,  c'est  qu'ils  ont  un  muscle  ciliaire,  de  nature  striée,  très  analogue  à  celui  des 
oiseaux.  Plus  récemment,  Ferruccio  Mercanti  [Arch.  ital.  de  Biologie,  1885,  t.  iv,  p.  197) 
a  fait  à  ce  sujet  des  recherches  dont  voici  les  résultats  principaux  :  ce  sont  les  Croco- 
diliens  (Alligator)  qui  se  rapprochent  le  plus  des  oiseaux  :  on  trouve  chez  eux  trois 
muscles  dont  deux  correspondent  au  muscle  de  Cra.mpton  et  au  muscle  de  Bruckë, 
tandis  que  le  troisième  est  semblable  au  muscle  circulaire  des  mammifères.  H.  Muller 
avait,  chez  les  Sauriens  [Laceria  agiiia),  décrit  une  disposition  tout  à  fait  semblable  à 
celle  des  oiseaux. 

Chez  Lacerta  vindis,F.  Mercanti  a  trouvé  un  muscle  spécial  dont  les  deux  extrémités 
s'insèrent  sur  la  choroïde  :  mais  celle-ci  étant  unie  à  la  sclérotique  au  moyen  d'un 
faisceau  de  tissu  conjonctif  près  du  bord  externe  de  la  cornée,  c'est  en  ce  point  que 
doit  se  trouver  l'insertion  fixe  du  muscle. 

Chez  les  Chéloniens,  il  y  a  toujours  un  muscle  longitudinal  comparable  à  celui  de 
Bhucke,  parfois  il  s'y  ajoute  un  muscle  circulaire  ressemblant  à  celui  de  l'Alligator. 

Chez  les  Ophidiens,  parfois  cette  couche  de  fibres  circulaires  existe  seule,  parfois 
le  muscle  circulaire  lui-même  fait  entièrement  défaut. 

D.  Poissons.  —  Chez  les  poissons  un  muscle  spécial  compris  dans  un  renflement  coni- 
que, appelé  campanula  de  Haller,  s'insère  presque  perpendiculairement  à  la  partie  infé- 
rieure de  l'équateur  du  cristallin.  La  gaine  de  ce  muscle  est  un  prolongement  direct  du 
processus  falciforme  qui  chemine  sur  la  ligne  médiane  d'arrière  en  avant  à  la  face  interne 
du  segment  inférieur  du  globe  de  l'œil  et  amène  au  muscle  ses  vaisseaux  et  ses  nerfs. 
Lorsque  celui-ci  se  contracte,  il  modifiera  la  forme  et  la  position  de  la  lentille,  et,  comme 
il  se  dirige  en  haut  et  un  peu  en  avant,  il  doit,  quand  il  entre  en  activité,  tirer  en  bas  et 
un  peu  en  arrière  le  cristallin  :  celui-ci  s'aplatira  ou  se  rapprochera  de  la  rétine,  ou 
peut-être  même  subira  ces  deux  modifications  à  la  fois.  Dans  les  deux  cas, le  muscle  doit 


ACCOMMODATION.  79 

accommoder  l'œil  pour  la  vision  au  loin  :  et  il  faut  conclure  de  là  qu'à  l'état  de  repos,  con- 
trairement à  ce  qui  se  passe  chez  les  autres  vertébrés,  l'œil  est  adapté  pour  la  vision  de 
près  (Leuckart.)  - 

D'après  EmscmiEvtG  (Zw  Dioptrik  und  Ophtalmoskopie  der  Fisch  und  Ainphibien  Auçjen 
A.  Db.,  1882,  p.  493,)  qui  a  étudié  la  réfraction  chez  les  poissons  au  moyen  de  l'ophtalmo- 
scope,  l'œil  chez  cette  espèce,  lorsqu'il  est  examiné  sous  l'eau,  présente  normalement  une 
faible  mj'opie,  de  24  pouces  environ  (1,5  dioptries)  :  l'emmétropie  serait  inutile  aux  pois- 
sons, puisque  l'eau  la  plus  claire  cesse  d'être  transparente  sous  une  grande  épaisseur  : 
par  contre  une  myopie  d'un  si  faible  degré  n'enlève  rien  à  l'animal  de  ses  moyens  d'ac- 
tion dans  la  lutte  pour  la  vie. 

Quant  aux  modifications  accommodatives,  Hirschberg  ne  pense  pas  que  l'œil  du  pois- 
son en  soit  susceptible  à  cause  de  la  forme  sphérique  du  cristallin,  défavorable  par  con- 
séquent à  un  allongement  antéro-postérieur,  et  aussi  à  cause  de  sa  consistance  trop 
grande  qui  ne  lui  permet  pas  de  se  déformer  assez  rapidement.  Cependant,  ajoute-l-il, 
il  n'est  pas  impossible  qu'il  possède  une  sorte  d'accommodation  grâce  à  un  déplacement 
du  cristallin.  11  est  permis  de  supposer  en  efl'et  que,  s'il  n'en  était  pas  ainsi,  un  muscle 
spécial  inséré  sur  la  capsule  oristallinienne  n'aurait  pas  sa  raison  d'être. 

E.  Batraciens.  —  Hirschberg  dit  aussi  avoir  constaté  objectivement  par  l'ophtalmo- 
scope  que  l'œil  de  la  grenouille  ne  parait  pas  doué  de  la  faculté  d'accommodation.  L'examen 
direct  montre  que  la  réfraction  chez  cet  animal  reste  la  même  après  et  avant  l'instilla- 
tion d'atropine  ou  d'ésérine.  Chez  la  grenouille,  en  effet,  la  lentille  est  passablement 
dure,  presque  sphérique  et  occupe  la  plus  grande  partie  du  globe  de  l'œil. 

D'ailleurs  deux  facteurs,  l'un  dioptrique,  l'autre  anatomique,  interviennent,  qui  ren- 
dent l'accommodation  peu  nécessaire  à  la  grenouille  :  d'une  part  la  courte  distance 
focale  de  son  système  dioptrique  fait  que  pour  des  objets  dont  la  distance  au  punctum 
remotum  varie  notablement,  les  images  ne  se  déplacent  pas  d'une  façon  sensible  ;  d'autre 
part,  en  raison  de  la  largeur  des  éléments  de  la  rétine  qui  ont  jusqu'à?  |i.  des  cercles  de 
diffusion  d'un  diamètre  relativement  considérable  ne  rendront  pas  la  vision  indistincte. 

Une  raison  plus  péremptoire  encore,  c'est  que  la  grenouille  n'aurait  pas  de  muscle 
ciliaire  :  c'est  en  effet  ce  que  dit  Leuckart,  mais  à  tort. 

Cependant  on  peut  se  demander  ce  qui  advient  lorsque  la  grenouille,  les  amphibies 
en  général,  passent  de  l'air  dans  l'eau  ou  inversement.  Plateau  était  arrivé  sur  ce  point 
aux  conclusions  suivantes.  Les  amphibies  (comme  les  poissons  du  reste),  en  raison  de 
l'aplatissement  de  leur  cornée  et  de  la  sphéricité  du  cristallin,  voient  dans  l'air  aussi  bien 
que  dans  l'eau  :  seulement  leur  distance  de  vision  distincte  est  un  peu  plus  grande  dans 
ce  dernier  milieu,  «  les  amphibies  possèdent  également  la  faculté  de  voir  avec  netteté 
dans  l'air  et  dans  l'eau  et  à  peu  près  à  la  même  distance,  sans  que  pour  passer  d'un 
milieu  à  l'autre  ils  doivent  mettre  en  jeu  leur  pouvoir  d'accommodation  ». 

Ces  déductions  seraient  en  effet  exactes  si  la  cornée  représentait  une  surface  plane. 
Mais  d'après  Hirschberg  elles  ne  se  vérifient  ni  chez  le  poisson  ni  chez  la  grenouille.  Le 
poisson,  soit  dit  en  passant,  qui  est  faiblement  myope  dans  l'eau,  devient  fortement 
myope  dans  l'air  parce  que  le  pouvoir  réfringent  de  la  cornée  intervient  dans  ce  dernier 
milieu. 

Quant  à  la  grenouille,  sa  cornée  est  très  régulièrement  convexe  avec  un  rayon  de 
courbure  de  4  à  5  millimétrés  près  de  son  centre,  la  distance  focale  principale  antérieure 
du  dioptre  est  donc  de  3  x  4  ou  3  x  o  soit  12  à  la  millimètres. 

Si  la  grenouille  dans  l'air  était  emmétrope,  elle  deviendrait  dans  l'eau  fortement 
hypermétrope,  puisque  l'influence  de  la  cornée  est  supprimée  dans  ce  dernier  milieu  : 

Hirschberg  a  trouvé  que  dans  l'air  elle  présente  probablement  une  myopie  de  „   à  — ,  soit 
1        ,         1  **       ^ 

21(jmm      '^      133mm- 

Etant  donné  le  pouvoir  réfringent  de  la  cornée,  comparé  au  degré  de  myopie,  la  gre- 
nouille plongée  dans  l'eau  ne  deviendra  pas  seulement  moins  myope  mais  encore  forte- 
ment hypermétrope. 

L'examen  ophtalmoscopique  démontre  en  effet  que,  si  l'on  recouvre  la  cornée  de  la 
grenouille  de  quelques  gouttes  d'eau,  la  réfraction  de  l'œil  diminue  considérablement. 

Hirschberg  ajoute  que,  ne  voulant  pas  émettre  d'hypothèse,il  laisse  la  question  indécise 


80  ACCOMMODATION. 

de  savoir  si  un  appareil  accommodateur  quelconque  permet  à  l'animal  plongé  dans  l'eau 
d'obvier  à  l'hypermétropie  qui  se  produit  dans  ce  milieu,  si  par  exemple  une  pression 
des  paupières  ne  pourrait  pas  allonger  le  globe  oculaire  si  saillant  chez  la  grenouille. 

C'est  à  tort  cependant  que  Hirschberg  refuse,  d'après  les  traités  classiques,  un  muscle 
ciliaire  à  la  grenouille.  Ce  muscle  existe  :  H.  Virchow  (A.  D6.,  1883,  p.  571)  en  a  donné  la 
description  :  forme  de  fibres  lisses,  il  se  perd  en  arrière  sur  la  choroïde  et  en  avant  prend 
son  point  fixe  sur  la  sclérotique,  ce  muscle  n'est  sans  doute  pas  sans  action  sur  le  cris- 
tallin. 

F.  Invertébrés.  —  Dans  son  ouvrage  sur  les  yeux  composés  des  crustacés  et  des 
insectes,  ExN'ER  \Die  Physiologie  der  facettirten  Augen  von  Krebsen  u.  Insecten,  1891,  p.  d88) 
considère  comme  peu  vraisemblable  qu'ils  soient  doués  de  la  faculté  d'accommodation. 
On  n'y  rencontre  pas  d'appareil  approprié  à  ce  but  et  d'ailleurs  l'épaisseur  de  la  rétine 
rend  l'accommodation  inutile  :  l'image  peut  se  déplacer  en  avant  ou  en  arrière  dans  des 
limites  très  étendues  sans  cesser  de  se  trouver  sur  la  membrane. 

Nerfs  de  l'accommodation.  —  Le  nerf  qui  préside  à  l'accommodation  pour  la  vision 
de  près  est  l'oculo-moleur  commun.  Trautvetter  avait  trouvé  que  chez  les  oiseaux  l'image 
cristallinienne  antérieure  devient  plus  petite  lorsqu'on  excite  ce  nerf.  Chez  les  mammi- 
fères, il  n'était  arrivé, il  est  vrai,  qu'à  des  résultats  négatifs.  Mais  les  recherches  de  Hensen 
et  Vœlckers,  celles  de  Hock  ont  montré  que  dans  cette  classe,  c'est  aussi  le  nerf  de  la 
troisième  paire  qui  préside  à  l'activité  du  muscle  ciliaire.  Les  premiers  ont  constaté  que 
chez  les  chiens  les  filets  destinés  à  ce  muscle  cheminent  dans  les  faisceaux  antérieurs 
des  racines  de  l'oculo-moteur,  les  effets  observés  par  ces  expérimentateurs  pendant  l'ex- 
citation des  nerfs  ciliaires  ou  du  ganglion  optique  ont  déjà  été  rapportés  plus  haut  à 
propos  du  mécanisme  de  l'accommodation.  Hock  a  excité  isolément  la  branche  du  nerf 
qui  envoie  un  rameau  au  ganglion  ophtalmique,  eu  même  temps  qu'il  examinait  soit  les 
images  catoptriques,  soit  les  déplacements  de  la  choroïde,  d'après  le  procédé  des  épingles, 
et  ir  est  arrivé  aux  mêmes  résultats  que  Hensen  et  Vœlckers. 

Un  fait  intéressant  signalé  par  ces  derniers,  c'est  que,  si  l'on  agit  sur  un  seul  nerf 
ciliaire,  la  contraction  de  l'iris  et  du  muscle  ciliaire  ne  s'opère  que  sur  une  partie  isolée. 
On  comprend  donc  que,  si  elle  est  limitée  à  un  méridien,  elle  fera  relâcher  le  cristallin 
inégalement,  et  lui  fera  prendre  une  forme  plus  convexe  dans  ce  méridien  seulement. 
Se  fondant  sur  ce  fait,  Dobrowolski  a  admis  que  le  muscle  ciliaire  chez  les  individus 
astigmates  peut  se  contracter  iiTégulièrement  ;  il  en  résulte  alors  une  asymétrie  du  cris- 
tallin, orientée  de  telle  sorte  que  le  maximum  de  courbure  du  cristallin  corresponde  au 
minimum  de  courbure  de  la  cornée  et  l'astigmatisme  cornéen  est  ainsi  compensé  par 
l'astigmatisme  dynamique,  accommodatif(J AVAL.  Sur  la  théorie  de  l'accommodation.  Soc.  de 
Biologie,  1882,  p.  30)  du  cristallin;  le  premier  ne  devient  manifeste  que  si  on  paralyse 
l'accommodation  par  l'atropine.  De  même  R.  et  A.  Ahreks  ont  observé  que  cette  accom- 
modation anisomorphe,  comme  ils  l'appellent, peut,  chez  des  individus  non  astigmates, 
arriver  à  annuler,  par  l'exercice,  l'action  de  verres  cylindriques  de  1,73  dioptries. 

Le  centre  nerveux  des  mouvements  d'accommodation  doit  se  trouver  évidemment 
dans  le  noyau  d'origine  de  l'oculo-moteur  commun.  iMais  ce  noyau  n'est  pas  simple,  il 
se  compose  d'une  série  de  groupes  ganglionnaires  échelonnés  le  long  de  la  ligne  médiane 
de  l'aqueduc  de  Sylvius  sur  une  longueur  d'environ  20  millimètres.  Ces  différents  groupes 
constituent  autant  de  centres  distincts  pour  les  différents  muscles  animés  par  le  nerf. 
Hensen  et  Vœlckers,  puis  Kahler  et  PicK,sont  parvenus  à  exciter  isolément  chacun  de  ces 
centres  et  à  provoquer  aussi  isolément  la  contraction  des  muscles  correspondants. 
A  l'extrémité  antéro-supérieure  du  noyau  se  trouve  le  centre  destiné  aux  mouvements 
accommodatifs  ;  vient  ensuite  un  peu  plus  bas  celui  qui  préside  aux  contractions  de  la 
pupille;  en  troisième  rang  celui  qui  anime  le  droit  interne.  Plus  bas  encore  se  trouvent 
les  centres  pour  les  autres  muscles  animés  par  l'oculo-moteur  commun,  mais  dont  nous 
n'avons  pas  à  nous  occuper  ici.  Star,  en  cherchant  à  localiser  chezU'homme  le  siège  de 
ces  différents  noyaux  moteurs,  d'après  l'analyse  de  20  cas  dé  paralysie  partielle,  est  arrivé 
à  des  résultats  qui  concordent  sensiblement  avec  ceux  de  Hensen  et  Vœlckers.  Westphal 
(voir  Perlla.  Die  Anatomie  des  Oculo-m,otoriits  Cenlrums  beim  Menschen,  Arch.  f.  Ophialm., 
1891,  t.  XXXV,  4°  partie,  p.  287)  a  aussi  décrit  chez  l'homme  un  noyau  spécial  qu'il  con- 
sidère comme  le  centre  des  mouvements  de  l'iris  et  du  muscle  ciliaire  :  situé  sur  la  ligne 


ACCOMMODATION.  81 

médiane  de  forme  ovalaire,  et  dirigé  longitudinalement,  il  est  composé  de  cellules  plus 
petites  et  se  colorant  moins  fortement  que  celles  des  autres  groupes  ganglionnaires  de 
l'oculo-moteur.  Ce  qui  motive  l'opinion  de  Westphal,  c'est  qu'il  a  trouvé  ce  noyau 
intact  dans  un  cas  de  paralysie  des  muscles  extrinsèques  de  l'oeil,  alors  que  les  autres 
groupes  ganglionnaires  de  l'oculo-moteur  étaient  dégénérés.  C'est  là  le  noyau  médian  de 
Westphal  :  Édinger  le  décrit  également  chez  le  fœtus.  Cependant  Darkewitsch  attribue 
aux  mouvements  de  la  pupille  un  centre  situé  un  peu  plus  haut  et  un  peu  plus  sur  le 
côté  que  le  précédent.  Ce  noyau  recevrait  de  la  commissure  postérieure  du  cerveau  des 
■fibres  par  lesquelles  les  excitations  lumineuses  se  transmettent  de  la  rétine  au  noyau  de  la 
troisième  paire.  Enfin,  dans  un  travail  récent,  riche  en  indications  bibliographiques, 
SiEMERT.iNG  [Arch.  f.  PsyMatrie,  t.  xxii,  SuppL,  1890),  tout  en  mettant  en  garde  contre 
les  localisations  trop  précises,  reconnaît  cependant  qu'il  faut  chercher  les  centres  de 
l'accommodation  et  des  mouvements  de  la  pupille  dans  les  groupes  antérieurs  du  noyau 
de  l'oculo-moteur. 

Ces  dispositions  anatoraiques  permettent  de  comprendre  que  les  muscles  internes 
de  l'œil,  muscle  ciliaire  et  iris,  peuvent  être  paralysés  isolément  et  indépendamment  des 
muscles  extrinsèques  ;  c'est  à  ces  cas  que  Hutchinson  a  donné  le  nom  d'ophlalmoplégie 
interne,  mais  en  les  attribuant  à  tort  à  une  altération  du  ganglion  ophtalmique  ;  ce  sont  des 
paralysies  nucléaires.  D'autre  part,  dans  la  paralysie  bulbaire  les  mouvements  pupillaires 
et  l'accommodation  restent  habituellement  intacts,  même  quand  le  droit  interne  est 
paralysé  ;  ce  fait  est  dû  à  ce  que  la  partie  antérieure  du  noyau  de  l'oculo-moteur  com- 
mun constitue  un  territoire  vasculaire  isolé,  arrosé  par  une  artère  terminale  autre  que 
celle  qui  irrigue  la  partie  postérieure  du  noyau  (Heubner). 

Au  point  de  vue  de  la  physiologie  normale  le  rapprochement  des  noyaux,  d'une  part, 
et  leur  indépendance  respective,  d'autre  part,  expliquent  pourquoi  la  convergence, 
l'accommodation  et  le  rétrécissement  pupillaire  sont  si  étroitement  associés,  sans  que 
cependant  ces  mouvements  soient  indissolubles. 

On  a  déjà  vu  plus  haut,  en  effet,  que,  la  convergence  restant  la  même,  l'accommoda- 
tion peut  varier.  Même  sans  le  secours  de  verres,  on  arrive  par  l'exercice  à  faire  varier 
la  valeur  de  l'accommodation,  tout  en  maintenant  la  même  convergence,  inversement 
DoNDERs  a  montré  que,  si  l'on  place  devant  les  yeux  des  prismes  dont  le  sommet  sera  . 
dirigé  soit  vers  la  tempe  soit  vers  le  nez,  on  pourra  dans  le  premier  cas  diminuer,  dans 
le  second  cas  augmenter  la  convergence,  du  moins  jusqu'à  une  certaine  limite,  sans  que 
l'accommodation  varie.  Il  faut  ajouter  que,  si  la  disparité  entre  la  convergence  et  l'accom- 
modation est  dans  une  certaine  mesure  facultative  pour  l'emmétrope,  elle  devient  une 
nécessité  pour  l'amétrope.  Les  hypermétropes  arrivent  à  mettre  en  jeu  une  forte  accom- 
modation avec  une  faible  convergence  des  lignes  de  regard,  ce  qui  leur  est  nécessaire 
pour  le  maintien  delà  vision  binoculaire  et  simple.  Les  myopes,  par  contre,  sont  souvent 
doués  de  la  faculté  de  converger  vers  un  point  assez  rapproché  sans  que  leur  muscle 
ciliaire  se  contracte,  de  façon  à  produire  un  surcroit  de  réfraction  qui  nuirait  à  la  nettelé 
de  leur  image  rétinienne. 

Le  rapport  entre  les  deux  actes  a  donc  subi  une  modification  conforme  aux  exigences 
de  la  réfraction  statique.  Des  variations  anatomiques,  du  genre  de  celles  qu'a  décrites 
IvANOF,  interviennent  peut-être;  il  est  permis  aussi  de  supposer,  comme  le  dit  Landolt, 
que  chez  le  myope  l'excitation  des  muscles  préposés  à  la  convergence  ne  s'accompagne 
pas,  dès  le  début,  d'une  excitation  du  muscle  accommodateur  et  que  la  première  est  tou- 
jours plus  énergique  que  la  seconde.  Dans  l'hypermétropie,  c'est  l'impulsion  communi- 
quée au  muscle  ciliaire  qui  serait  prépondérante  sur  celle  du  droit  interne. 

Weber  s'est  demandé  si  les  mouvements  pupillaires  étaient  plus  particulièrement 
liés  à  l'accommodation  ou  à  la  convergence,  et,  comme  en  plaçant  devant  l'œil  des  verres 
concaves  ou  convexes  il  n'avait  pas  vu  le  diamètre  de  la  pupille  se  modifier,  il  s'était 
prononcé  pour  cette  dernière  alternative.  En  réalité,  comme  le  fait  remarquer  Hering,  ils 
suivent  aussi  bien  l'une  que  l'autre.  Donders  trouve  aussi  que,  si  au  moyen  de  verres  on 
modifie  l'accommodation  sans  que  la  convergence  varie,  la  pupille  ne  s'en  rétrécit  pas 
moins,  quand  l'effort  accommodatif  augmente  :  il  ajoute  qu'il  était  parvenu,  sans  verres, 
à  augmenter  ou  à  relâcher  son  accommodation  tout  en  fixant  un  point  invariable,  et 
que  chaque  augmentation  de  la  tension  accomniodalive  s'accompagnait  d'un  rétrécisse- 

DICT.    DE    PHYSIOLOGIE.    TOME   I.  6 


82  ACCOMMODATION. 

ment  de  la  pupille,  surtout  quand  le  point  de  fixation  était  assez  éloigné.  Au  moyen  de 
prismes  on  peut  démontrer  d'autre  part  qu'une  augmentation  de  convergence  rétrécit  la 
pupille  sans  que  l'accommodation  varie  {/oc.  cit.,  p.  484). 

Cependant  Plateau,  dans  ses  expériences  sur  l'amplitude  d'accommodation  et  de  con- 
vergence relative,  a  trouvé  que  les  mouvements  pupillaires  sont  en  connexion  plus  intime 
avec  ceux  du  muscle  ciliaire  qu'avec  ceux  des  muscles  préposés  à  la  convergence. 

Si  la  contraction  du  muscle  ciliaire  et  celle  du  sphincter  de  la  pupille  sont  associées 
sj'nergiquement  dans  l'accommodation,  on  sait  qu'elles  peuvent  cependant,  dans  d'autres 
conditions,  s'exercer  indépendamment  l'une  de  l'autre.  La  pupille,  en  effet,  se  resserre 
ou  se  dilate  sous  l'iniluence  des  variations  d'éclairage  sans  que  l'accommodation  subisse 
aucun  changement.  De  plus  dans  les  cas  pathologiques  le  mouvement  réflexe  de  l'iris 
peut  rester  intact  quand  le  muscle  ciliaire  est  paralysé,  ou  bien  la  pupille  peut  être 
immobile  sous  l'influence  de  la  lumière  aussi  bien  que  sous  celle  de  l'accommodation, 
alors  que  le  muscle  ciliaire  fonctionne  normalement.  Dans  l'ataxie  cependant,  les  pupilles 
ne  répondent  plus  aux  excitations  lumineuses,  mais  se  resserrent  encore  sous  l'influence 
de  l'accommodation  :  l'arc  réflexe  qui  unit  le  nerf  optique  au  noyau  de  l'oculo-moteur 
est  interrompu  :  la  synergie  normale  entre  le  muscle  ciliaire  et  le  sphincter  irien  persiste. 
On  a  presque  toujours  considéré  que  l'accommodation  pour  la  vision  de  près  est  seule 
un  phénomène  d'activité  et  que  l'adaptation  pour  la  vision  des  objets  éloignés  n'est  que 
le  retour  au  repos  du  muscle  ciliaire.  Volkmaan,  après  avoir  d'abord  admis  que  l'adapta- 
tion au  loin  est  également  un  phénomène  actif,  avait  plus  tard,  d'après  ses  expériences, 
renoncé  à  cette  opinion.  Weber  cependant  avait  cherché  à  la  réhabiliter;  mais  elle  n'a 
jamais  trouvé  grande  créance.  Des  recherches  récentes  de  Morat  et  Doyon  (A.  P.,  1891, 
p.  507)  semblent  cependant  démontrer  que  l'accommodation  au  loin  résulte  elle  aussi  d'un 
phénomène  d'activité  sinon  musculaire,  du  moins  nerveuse  et  placée  sous  la  dépendance  du 
grand  sympathique. 

Si,  après  avoir  instillé  dans  l'œil  un  myotique,  nicotine  ou  ésérine,  on  excite  ce  nerf, 
on  voit  l'image  cristallinienne  antérieure  grandir  en  même  temps  que  ses  bords  devien- 
nent moins  nets.  La  valeur  de  ce  grandissement  est  telle  qu'il  ne  peut  y  avoir  de  doute 
sur  son  existence  ;  le  sens  de  la  variation  est  d'ailleurs  constant.  Il  faut  donc  conclure  de  là 
que  la  surface  antérieure  du  cristallin  devient  moins  convexe  et  que  l'organe  s'aplatit. 
Cet  effet  s'expliquerait  par  une  inhibition  du  muscle  ciliaire. 

Pour  répondre  à  l'objection  que  ces  changements  de  courbure  sont  peut-être  indirects 
et  bés  aux  modifications  circulatoires  produites  par  l'excitation  du  sympathique,  Morat 
et  DoYON  font  valoir  que  les  effets  sont  les  mêmes  chez  le  lapin  chez  lequel  l'excitation  du 
nerf  s'accompagne  d'une  décoloration  de  la  rétine,  chez  le  chien  où  elle  produit  au  con- 
traire une  congestion  de  cette  membrane,  d'autre  part  la  modification  de  l'image  cris- 
tallinienne ne  s'en  produit  pas  moins  lorsqu'on  excite  le  nerf  vague  en  même  temps  que 
sympathique,  c'est-à-dire  quand  on  suspend  momentanément  la  circulation. 

Iessop  avait  déjà  prouvé  que  chez  les  mammifères  les  nerfs  ciliaires  courts  provoquent 
la  contraction,  et  les  nerfs  ciliaires  le  relâchement  du  muscle  ciliaire.  {The  intra  ocular 
muscles  of  mammals  and  birds.  Ahsti'act  of  hwiterian  Lectures.  Lecture  1,  Ophlalm.  Rev., 
pp.  123,  159  et  31o.  Analysé  in  J.  /'.  P.  de  Hofmann  et  Schivalbe,  1888,  p.  126.) 

Il  y  a  des  substances  qui  paralysent  l'appareil  accommodateur  en  même  temps  qu'elles 
dilatent  l'iris  :  ce  sont  l'atropine,  l'homatropine,  la  duboisine,  l'hyosciamine,  l'hyoscine. 
Il  en  est  d'autres  qui  déterminent  au  contraire  un  spasme  de  l'accommodation  et  un 
rétrécissement  de  l'iris;  ce  sont  les  alcaloïdes  de  la  fève  de  Calabar,  en  particulier  l'ésérine 
ou  physostigmine,  ainsi  que  la  nicotine,  la  pilocarpine  et  la  muscarine.  L'action  physio- 
logique de  ces  substances  sera  étudiée  dans  d'autres  articles  de  ce  dictionnaire. 

Bibliographie.  —  Les  ti'aités  généraux  qui  m'ont  particulièrement  servi  à  la  rédac- 
tion de  cet  article  sont  :  Helmholtz.  Optique  physiologique,  édition  française,  1867,  et 
édition  allemande  1886.  —  L.  de  Wecker  et  Landolt.  Traité  complet  d'ophtalmologie,  t.  ni, 
Paris,  1887.  —  Giraud-Teulo.n.  La  vision  et  ses  anomalies,  Paris,  1881.  — Imbert.  Les  ano- 
malies de  la  vision,  Paris,  1889.  —  De  Graefe  et  Saemisch.  Handbuch  der  ges.  Augenheilk. 
{Physiologische  Optik,  par  Aubert),  t.  m,  1876.  —  Gruenhagen.  Lehrbuch  der  Physiologie, 
t.  II,  1887. 

On  trouvera  dans  Helmholtz  la  bibliographie  complète  antérieure  à  1868,  et,   dans 


ACETALS    —    ACÉTANILIDE.  83 

l'index  Catalogue  toutes  les  indications  antérieures  à  1881,  qui  n'ont  pas  été  données  dans 
le  courant  de  l'article.  J'y  joins  celles  qui,  postérieures  à  1881,  sont  dans  le  même  cas  : 
JoRissENNE.  Les  mouvemciiU  de  l'iris  chez  l'homme  à  l'état  physiologique  {Annales  de  la 
Soc.  de  Médecine  de  Gand,  1881,  t.  lix,  p.  123).  —  Hocquard  et  Masso^j.  Études  sur  les  rap- 
ports, la  forme  et  le  mode  de  suspension  du  cristallin  à  l'état  physiologique  {Arch.  d'Ophtal- 
moL,  1883,  t.  m,  p.  97).  — Cohn.  Ein  Modell  des  Accommodations  Mechanismus  (Centralblatt 
f.  prakt.  Augenheilk.,  avril,  1883).  —  Kazarow.  Ub.  den.  FAnfl.  der  Accommod.  des  Auges 
aufVerând.  der  Grenzen  des  Gesichtsfeldes  (1883,  Wratsch  n"  2).  —  Mauthner.  Pupille  und 
Accommodât,  bei  Oculomotorius  Ldhmungen{Wien.  med.  Wochenschr.,  188b,  n"  8,  pp.  225,  264, 
293).  —  Frosh.  Supposed  power  of  accommod.  in  aphakiceye  (Lancet,  1885,  p.  156).  — 
Deeren.  Etude  sur  le  mécanisme  de  l'accommodation  (Rec.  d'ophtalmologie,  1885,  p.  611).  — 
Barret.  The  velodty  of  accommodât.  (J.  P.,  1885,  t.  vi,  p.  46).  —  Wuhdinger.  176.  die  ver- 
gleic/i  Anat.  des  Ciiilarmuskel.  (Zeit.  f.  vergleich.  Augenheilk.,  1886,  p.  121).  —  Furney, 
A  theory  of  the  mecanism  of  accommod.  [Americ  journal  of  ophtalmol,  1886,  t.  m,  p.  9).  — 
Randall.  The  mecanism  of  accommod.  and  a  model  for  ils  demonstr.  {Journ.  of  ophtalmol., 
1886,  t.  TU,  p.  91).  —  Zimmermann,  Nouveaux  éléments  à  la  théorie  musculaire  de  l'accom- 
modation {Loire  médicale,  1886,  t.  v,  p.  60).  ^—  GiRAUD-TEaLON.  Rapport  sur  le  mémoire  pré- 
cédent {Bullet.  de  l'Acad.  de  médecine,  t.  xv,  p.  440).  —  Howé.  On  apparatus  for  the  demonstr. 
of  accommod.  and  refraction  {Arch.  of  Ophtalmol,  1886,  t.  xv,  n"  3).  —  Collins.  Anargument 
in  favor  of  méridional  accomod.  iOpht.  Hosp.  Rep.  t.  xi,  p.  343).  —  Reymond.  Contribuz. 
ail.  stud  dM'innerv.per  l'accommod.  {Gior.  der.  Accad.  med.  di  Jorino,  t.  xxxv,  p.  63,  1887). 
—  Coccius.  £76.  die  vollstànd.  Wirkung  des  tensors  Choroidese  {Ber.  des  VII  internat. 
Ophtalm.  Congress  zu  Heidelberg,  1888,  p.  197). 

WERTHEIMER. 

ACETALS.  —  Nom  générique  sous  lequel  on  désigne  une  catégorie  de  corps 
dérivant  de  la  combinaison  d'une  aldéhyde  et  d'un  alcool  avec  élimination  d'eau. 
Citons  parmi  les  Acétals. 

l'm;/toc(?toZ  [CH3— CH<^  Q^*"]  qui  bout  à  104°. 

Le  Diméthylacétal  [CH-'— CH<^^™n  qui  bout  à  64°. 

Le  Méthylal[Œl- — CH<^    _         liquide  hypnotique  qui  bout  à  42°  (Voyez  ce  mot). 
Les  Acétals  ont  les  propriétés  physiologiques  générales  des  éthers  et  des  alcools. 

CH.   LIVON. 

ACÉTAMIDE  (C^H^OAzH^).  —  Masse  blanche  cristalline  qui  fond  à  78°  et 
bout  à  221°.  Par  un  refroidissement  lent  après  fusion,  elle  se  prend  en  beaux  cristaux 
déliquescents  à  saveur  un  peu  sucrée  et  fraîche. 

C'est  une  substance  neutre  qui  ne  se  combine  ni  avec  les  acides,  ni  avec  les  bases. 

En  faisant  bouillir  sa  dissolution  aqueuse,  elle  se  change  en  acide  acétique  et  eu 
ammoniaque  par  l'adjonction  d'un  équivalent  d'eau. 

Préparation.  —  Dans  un  flacon  fermé  on  fait  réagir  un  mélange  d'éther  acétique 
et  d'ammoniaque.  Les  deux  liquides  d'abord  séparés  ne  forment  plus  qu'une  masse 
homogène  lorsque  la  réaction  est  terminée.  On  obtient  l'acétamide  en  évaporant  le 
liquide  à  une  douce  température. 

L'acétamide  n'est  pas  employée.  Introduite  dans  l'organisme,  elle  est  éliminée  sans 
avoir  éprouvé  de  modification  (Nencki). 

CH.  LIVON. 

ACÉTANILIDE  ou  ANTIFÉBRINE  (CWAzO).  -  C'est  la  phény- 
lacétamide,  substance  découverte  en  1843  par  Gerhardt  et  dont  les  propriétés  thérapeu- 
tiques ont  été  étudiées  par  Cahn  et  Hepp.  C'est  de  l'ammoniaque  avec  substitution  d'un 
radical  phényle  et  d'un  radical  acétyle  à  deux  atomes  d'hydrogène.  EUe  se  présente  sous 
la  forme  d'une  poudre  blanche  cristalline  assez  légère,  peu  soluble  dans  l'eau,  1/18  p.  100  ; 


8i  ACETANILIDE. 

soluble  dans  l'alcool,  1  p.  3,3;  dans  l'éther,  1  p.  6;  dans  le  chloroforme,  1  p.  7  (Weill)  ; 
elle  fond  à  10o°  et  se  volatilise  à  292°.  A  chaud  les  alcalis  la  dédoublent  en  aniline  et 
acide  acétique. 

Tout  échantillon  qui  n'est  pas  absolument  blanc,  qui  présente  une  odeur  quelconque 
et  qui  donne  avec  l'hypobromite  de  soude  un  précipité  jaune  orangé,  doit  être  considéré 
comme  impur  et  renferme  de  l'aniline. 

Action  physiologique.  —  Sur  l'homme  sain,  à  la  dose  de  0,oO  à  1  gramme,  l'acé- 
tanilide  produit  peu  d'effet;  à  la  dose  de  2  à  3  grammes  il  se  produit  souvent  de  la  cya- 
nose (Lépine).  11  est  dangereux  d'en  administrer  jusqu'à  10  à  12  grammes  dans  les 
24  heures.  Son  administration  est  assez  difficile  à  cause  de  son  peu  de  solubilité  et  de 
son  action  locale  irritante.  Quand  on  l'injecte  dans  les  veines,  elle  a  une  action  locale 
sur  l'endocarde  qui  produit  une  syncope  probablement  réflexe  (Bonnot). 

Lorsque  l'on  en  injecte  dans  les  veines  d'un  animal  10  à  12  centigrammes  par  kilo  de 
l'animal,  il  se  produit  une  résolution  complète  (Bo.nnot)  et  une  salivation  abondante  (Lépine). 

Son  action  la  plus  importante  est  celle  qu'elle  a  sur  la  température  :  c'est  un  anti- 
thermique (Cahn  et  Hepp,  Lépine,  Weill,  Laborde).  Quand  on  en  administre  une  dose 
suffisante  à  un  homme  sain,  on  constate  un  refroidissement  périphérique  très  appré- 
ciable. Les  auteurs  qui  ont  étudié  cette  action  pensent  que  la  production  de  chaleur 
est  diminuée  et  que  la  déperdition  par  la  peau  est  peu  modifiée.  Cette  action  anti- 
thermique  a  été  utilisée  en  thérapeutique,  comme  nous  le  verrons  plus  loin. 

Circulation.  —  La  circulation  est  modifiée  par  l'acétanilide.  On  constate  de  l'accé- 
lération des  battements  du  cœur  avec  renforcement  de  leur  énergie  (Lépine).  La  pression 
intra-vasculaire  est  augmentée  de  0™,04  à  0™,06  de  Hg.  Si  l'on  administre  des  doses  toxi- 
ques, il  y  a  diminution  de  l'énergie  et  de  la  fréquence  des  battements,  ainsi  qu'un  abaisse- 
ment de  la  tension  artérielle.  Son  action  sur  les  vaso-moteurs  périphériques  est  encore 
douteuse.  Lépine  a  constaté  un  échauffement  passager  des  oreilles;  Weill,  un  resserre- 
ment des  vaisseaux  de  l'oreille.  Ce  dernier  fait  est  plus  en  rapport  avec  le  refroidisse- 
ment observé  par  Cahn,  Hepp,  Lépine,  Laborde. 

Sang.  —  Lépine  et  Aubert  ont  constaté  que  l'acétanilide  transforme  l'oxyhémo- 
globine  du  sang  en  méthémoglobine.  Ce  fait  a  été  confirmé  par  Henocque,  Weill, 
Herczel.  11  y  a  en  même  temps  une  diminution  de  l'activité  des  échanges.  Ces  phéno- 
mènes coïncident  avec  l'apparition  des  accidents  de  cyanose.  Pourtant,  pour  Bokai,  la 
cyanose  ne  serait  pas  le  résultat  de  la  formation  de  méthémoglobine  dans  le  sang,  mais 
de  l'asphyxie,  par  suite  de  la  paralysie  des  centres  vaso-moteurs. 

Sécrétions.  —  Les  sécrétions  présentent  sous  l'influence  de  l'acétanilide  les  modi- 
fications suivantes.  L'urine  est  généralement  augmentée  de  volume,  quoique  Chittenden 
prétende  que  cette  sécrétion  n'est  pas  modifiée  en  quantité;  sa  coloration  est  changée, 
mais  elle  diffère  de  celle  produite  par  le  phénol.  D'après  Mueller  on  ne  rencontrerait 
jamais  de  matière  colorante  du  sang.  Le  phosphore  éliminé  ne  varie  pas;  l'acide  urique 
excrété  diminue,  l'albumine  augmente  légèrement  (Chittenden).  On  constate  quelquefois 
une  augmentation  de  la  sécrétion  salivaire,  et  presque  toujours  des  sueurs  abondantes. 

Les  autres  sécrétions  n'ont  pas  été  étudiées. 

La  respiration  est  troublée  :  il  se  produit  de  la  dyspnée  avec  ralentissement  des 
mouvements  respiratoires  (Lépine).  Bonnot  a  constaté  de  la  dyspnée  avec  accélération. 
On  peut  attribuer  les  modifications  de  la  respiration  à  une  action  réflexe  dont  le  point 
de  départ  est  l'excitation  de  l'endocarde  (?) 

Système  nerveux.  —  C'est  sans  contredit  sur  l'ensemble  du  système  nerveux 
qu'agit  le  plus  l'acétanilide,  car  les  modifications  signalées  dans  les  divers  systèmes  ou 
appareils  peuvent  être  considérées  comme  d'origine  nerveuse. 

Quand  on  administre  cette  substance  à  doses  convenables  à  des  animaux,  ils  ne 
tardent  pas  à  tomber  dans  une  résolution  complète  et  dans  un  état  prolongé  de  somno- 
lence. On  constate  bien,  il  est  vrai,  quelques  convulsions  cloniques  partielles  chez  le  chien, 
ou  le  cobaye  (Lépine),  mais  ces  convulsions  ne  sont  pas  constantes. 

La  sensibilité  générale  est  très  atténuée,  mais  les  hémisphères  cérébraux  propre- 
ment dits  ne  semblent  pas  touchés.  La  partie  du  système  nerveux  la  plus  atteinte,  c'est 
l'axe  bulbo-médullaire  et  les  fonctions  qui  en  dépendent.  Les  réflexes  généraux  sont  di- 
minués (Weill). 


ACÉTANILIDE.  83 

Une  autre  action  physiologique  très  nette  de  l'acétanilide,  c'est  qu'elle  empêche 
les  convulsions  strychniques  et  nicotiniques  (Bon.not),  mais  surtout  les  convulsions  dues 
à  l'empoisonnement  par  la  nicotine.  Or  la  nicotine  est  un  poison  bulbaire,  tandis  que 
la  strychnine  agit  surtout  sur  la  moelle.  L'acétanilide  semble  donc  agir  de  préférence 
sur  la  portion  bulbaire  de  la  substance  grise  bulbo-médullaire. 

La  nutrition  générale  ne  semble  pas  modifiée  par  des  doses  ordinaires.  A  moins  de 
doses  toxiques,  on  ne  remarque  jamais  d'abaissement  dans  le  rapport  de  l'azote  de  l'urée 
à  l'azote  total.  Mais,  comme  l'acétanilide  diminue  les  échanges  qui  se  passent  dans  le 
sang  et  peut  amener  la  destruction  des  hématies,  son  action  doit  être  surveillée  atten- 
tivement, et  il  faut  suspendre  son  usage  lorsque  le  sang  descend  à  8  p.  100  d'oxyhémo- 
globine. 

Dans  l'organisme,  cette  substance  subit  des  transformations  qui  diffèrent  suivant  que 
l'animal  en  expérience  est  un  Carnivore  ou  un  herbivore  (Jaffé  et  P.  Hilbert). 

Chez  le  lapin  elle  est  éliminée  comme  para-amidophénol  par  l'oxydation  du  groupe 
acétyle. 

Chez  le  chien  on  ne  trouverait  que  peu  de  para-amidophénol;  il  se  formerait  un 
acide  oxyphénylcarbamique,  qui  ne  pouvant  exister  o  l'état  libre,  se  transforme  par  perte 
d'eau  en  anhydride,  l'ortho-oxycarbanile.  Chez  le  chien  et  chez  le  lapin  l'acétanilide 
serait  donc  décomposée  et  éliminée  sous  une  forme  un  peu  différente. 

Le  pouvoir  toxique  de  l'acétanilide  est  fort  discuté.  Pour  l'apprécier  il  faut  considé- 
rer son  influence  sur  le  sang  et  son  action  dépressive  sur  l'axe  spinal.  Pourtant  cette 
toxicité  paraît  dans  certains  cas  n'être  pour  ainsi  dire  que  mécanique,  puisque,  lorsque 
l'on  voit  les  petits  animaux  intoxiqués  par  cette  substance,  sur  le  point  de  mourir  de 
refroidissement,  il  suffit  de  les  réchauffer  pour  les  rappeler  à  la  vie  (Lépine,  Weill). 

Les  phénomènes  généraux  de  l'empoisonnement  par  l'acétanilide  sont  caractérisés 
par  des  vertiges,  de  la  cyanose,  une  profonde  sensation  de  froid  et  de  l'hypothermie. 
Quelquefois  l'on  constate  une  diarrhée  intense  avec  des  selles  gris  noirâtre,  quelquefois 
aussi  de  la  raideur  des  bras  et  des  jambes. 

C'est  par  les  urines  que  la  substance  s'élimine  en  grande  partie,  soit  à  l'état  d'acéta- 
nilide,  soit  à  l'état  d'aniline. 

L'acétanilide  n'a  qu'une  faible  action  antiseptique. 

Recherche  dans  les  liquides  de  l'organisme.  —  La  présence  de  l'acétanilide  dans 
les  liquides  de  l'organisme  n'est  pas  difficile  à  constater.  Deux  procédés  peuvent  être 
employés  :  1°  On  agite  le  liquide  à  analyser  avec  du  chloroforme,  et  l'on  décante;  on 
évapore  le  chloroforme  dans  une  capsule.  On  chauffe  le  résidu  avec  un  peu  de  proto- 
nitrate de  mercure  et  l'on  obtient  une  matière  verte  soluble  dans  l'alcool.  2°  On  agite 
le  liquide  avec  de  l'éther,  on  décante  et  l'on  évapore  l'éther  ;  le  résidu  obtenu  est  mé- 
langé avec  quelques  gouttes  d'acide  sulfurique  pur  et  un  cristal  de  bichromate  de 
potasse;  on  obtient  un  précipité  rose  caractéristique  (Yvon). 

Emploi  thérapeutique.  —  Le  pouvoir  antipyrétique  de  l'acétanilide  a  fait  de  cette 
substance  un  médicament  très  employé  dans  toutes  les  maladies  oiiilyaune  tempéra- 
ture élevée;  son  action  sur  le  système  nerveux  l'a  fait  prescrire  aussi  dans  les  maladies 
3ù  l'élément  douleur  occupe  une  grande  place. 

Les  deux  maladies  dans  lesquelles  on  l'a  le  plus  employée,  sont  la  fièvre  typhoïde  et 
le  rhumatisme. 

Dans  la  fièvre  typhoïde,  elle  produit  un  abaissement  de  température  très  marqué,  et 
un  effet  général  assez  bon  (Cahn,  Hepp,  Lépine,  ^YALTER,  Barb,  A.  Harre,  Ewans).  Ce 
résultat  ne  serait  pas  aussi  heureux,  d'après  G.  Sée  et  Dc.iardin-Beaumetz. 

Assurément  il  faut  songer  que,  chez  les  t3'phiques  traités  par  l'acétanilide,  il  y  a  des- 
truction plus  ou  moins  intense  des  globules  rouges;  il  faut  donc  savoir  s'arrêtera  temps. 
Du  reste  la  réparation  pendant  la  convalescence  se  fait  rapidement. 

Très  employée  dans  le  rhumatisme  articulaire  aigu  (Cah.\,  Hepp,  Lépine,  Dujardin- 
Beaumetz,  Weill,  Guttmann),  elle  égalerait  presque  l'antipyrine  et  le  salicylate  de  soude 
dans  toutes  les  formes  du  rhumatisme  articulaire,  musculaire,  névralgique. 

Elle  présente  le  grand  avantage  d'être  bien  tolérée  par  l'estomac.  Employée  dans 
toutes  les  maladies  inflammatoires  à  cause  de  son  action  antithermique,  elle  diminue  la 
température  centrale  et  réduit  la  production  de  chaleur.  Elle  atténue  et  fait  même  dis- 


86  ACÉTATES    —   ACÉTIQUE   (Acide). 

paraître  le  dicrotisme  du  pouls.  On  l'a  administrée,  avec  plus  ou  moins  de  succès,  dans  la 
pneumonie,  la  pleurésie,  la  fièvre  hectique,  la  gangrène  pulmonaire,  même  dans  les 
accès  paludéens  qu'elle  modère,  l'érysipèle,  la  pMhisie,  l'angine,  et  toutes  les  maladies 
présentant  de  la  fièvre. 

A  cause  de  son  action  sur  le  système  nerveux,  elle  a  été  considérée  comme  un  médi- 
cament nervin  précieux  pouvant  rendre  les  mêmes  services  que  l'antipyrine,  la  quinine  et 
même  pouvant  remplacer  la  morphine  (Demiéville).  Elle  ne  serait  pas  plus  dangereuse 
que  les  autres  nervins,  et  aurait  des  efi'ets  hypnotiques. 

Elle  est  pourtant  inférieure  à  l'antipyrine  pour  combattre  la  douleur  aiguë  récente, 
mais  elle  lui  est  supérieure  pour  calmer  les  douleurs  des  ataxiques,  des  rhumatismes  chro- 
niques et  des  névralgies  anciennes. 

On  l'a  conseillée  contre  l'épilepsie  (Faure),  mais  elle  est  inefficace.  Laborde  pourtant 
la  préconise  contre  l'épilepsie  vertigineuse.  Elle  peut  rendre  des  services  dans  les  états 
inflammatoires  qui  se  présentent  chez  les  aliénés.  Mais  elle  réussit  mieux  que  l'antipy- 
rine dans  les  excitations  motrices,  les  trépidations  épileptoïdes,  les  réflexes  exagérés,  les 
tremblements  et  les  tics  douloureux  de  la  face. 

On  peut  dire  d'une  manière  générale  que  l'abaissement  de  la  température  produit  par 
cette  substance  atténue  les  phénomènes  nerveux,  le  délire,  l'anxiété,  diminue  les  dou- 
leurs et  favorise  le  sommeil. 

A  cause  de  ses  propriétés  physiologiques,  on  ne  doit  pas  employer  l'acétanilide  chez 
les  malades  où  il  y  a  à  craindre  du  collapsus,  de  même  que  l'on  ne  doit  dépasser  cer- 
taines doses  au  delà  desquelles  les  phénomènes  d'empoisonnement  ne  tardent  pas  à  se 
développer. 

L'acétanilide  s'administre  à  des  doses  qui  varient  suivant  l'effet  et  la  susceptibilité  du 
sujet.  D'une  façon  générale  ou  la  donne  en  cachets  de  0,23  à  0,30  centigrammes, 
de  quatre  en  quatre  heures  jusqu'à  efîet,  en  surveillant  attentivement  l'administration 
du  remède,  de  façon  à  pouvoir  arrêter  à  temps.  On  peut  ainsi  en  donner  jusqu'à 
3  grammes  dans  les  vingt-quatre  heures  (Lépine),  mais  c'est  une  dose  qu'il  ne  faut  pas 
dépasser. 

Son  peu  de  solubilité  rend  son  administration  difficile  en  liquide.  Duiardin-Beaumetz 
conseille  de  la  donner  mélangée  à  l'élixir  de  Garus. 

Les  travaux  publiés  sur  l'acétanilide  sont  très  nombreux.  On  trouvera  une  bonne 
revue  générale  par  H.  Chouppe,  R.  S.  M.,  t.  xxx,  1887,  p.  726,  et  une  autre  par  Lépine, 
Arch.  de  méd.  exp.,  t.  ir,  pp.  4.ï0  et  533. 

CH.  LIVON. 

ACETATES.  —  Combinaisons  de  l'acide  acétique  avec  les  bases.  11  y  a  des 
acétates  neutres,  acides  ou  basiques. 

Sauf  les  acétates  d'argent  et  de  protoxyde  de  mercure,  ils  sont  tous  solubles  dans 
l'eau  et  dans  l'alcool,  et  présentent  presque  tous  l'odeur  caractéristique  de  l'acide  acé- 
tique. La  chaleur  rouge  les  décompose  en  produits  empj-reumatiques  et  en  carbures 
d'hydrogène.  Mais  si,  avant  d'être  chauffée,  l'acétate  est  mélangé  avec  un  excès  d'alcali, 
il  donne  seulement  du  gaz  des  marais  et  de  l'acide  carbonique  qui  reste  uni  à  l'alcali, 
dédoublement  intéressant.  Chauffés  avec  de  l'acide  sulfurique  en  présence  de  l'alcool, 
ils  donnent  de  l'éther  acétique. 

Leur  réaction  caractéristique  est  celle  que  produit  l'azotate  mercureux.  On  obtient 
un  précipité  blanc  décomposable  par  la  chaleur,  avec  formation  de  mercure  métallique. 

Les  acétates  s'obtiennent  en  faisant  agir  l'acide  acétique  directement  sur  les  bases 
ou  les  carbonates  ou  encore  par  double  décomposition. 

Plusieurs  acétates  sont  employés  en  médecine,  mais  leur  action  physiologique  est 
double,  elle  tient  de  l'acide  et  de  la  base.  Avec  certains,  c'est  surtout  l'action  de  l'acide 
acétique,  par  exemple  les  acétates  de  soude  ou  de  potasse;  avec  d'autres,  au  contraire, 
c'est  l'action  de  la  base  qui  domine,  comme  avec  les  acétates  de  mercure,  de 
plomb,  etc. 

CH.  L. 

ACÉTIQUE  (Acide).  —  C-H-O- ou C^H^O, oh,  hydrate  d'éthyle.  — L'acide 
acétique  est  le  résultat  de  l'oxydation  de  l'alcool,  qui,  sous  l'influence  d'un  ferment  spé- 


ACÉTIQUE   (Acide).  87 

cial,  le  Mycoderma  acetl,  donne  naissance  à  de  l'acide  acétique  et  à  de  l'eau.  On  peut 
aussi  l'obtenir  en  décomposant  par  la  chaleur  des  substances  végétales  comme  le 
bois.  Par  ces  différents  procédés  on  obtient  de  l'acide  impur  que  l'on  est  obligé  de 
purifier. 

Suivant  sa  provenance,  il  se  présente  sous  plusieurs  états  :  Vinaigre  ordinaire,  c'est 
de  l'acide  très  dilué  à  8  à  9  p.  100.  —  Vinaigre  distillé.  —  Vinaigre  radical  à  77  p.  100. 
—  Acide  pyroligneux,  21  à  42  p.  100.  —  Acide  acétique  cristallisable. 

Le  vinaigre  ordinaire  est  rouge  ou  blanc  suivant  le  vin  qui  a  servi  à  le  préparer.  On 
peut  aussi  préparer  du  vinaigre  par  le  procédé  indiqué  par  Pasteor.  Le  liquide  qui  doit 
par  cette  méthode  donner  de  l'acide  acétique  >st  de  l'eau  additionnée  de  2  p.  100 
d'alcool,  1  p.  100  de  vinaigre  et  d'une  petite  quantité  de  phosphate  de  potasse,  de  chaux, 
de  magnésie,  destinés  à  la  nutrition  du  mycoderma. 

L'acide  acétique  cristallisable,  au-dessous  de  17°,  se  présente  sous  forme  de  beaux 
cristaux  feuilletés  assez,  difficiles  à  déterminer.  Au-dessus  de  17°,  les  cristaux  fondent 
et  donnent  naissance  à  un  liquide  incolore,  à  odeur  forte  et  pénétrante,  impres- 
sionnant fortement  la  muqueuse  pituitaire,  donnant  naissance  à  des  réflexes  très  mar- 
qués. Sa  saveur  est  très  acide;  sa  densité  est  de  l,063o. 

Il  se  mélange  à  l'eau  en  toutes  proportions,  mais  en  donnant  naissance  à  des  liquides 
dont  la  densité  n'est  nullement  en  rapport  avec  le  degré  de  concentration.  Il  se  mélange 
très  bien  à  l'éther  et  à  un  grand  nombre  d'huiles  essentielles. 

L'acide  acétique  concentré  attire  l'humidité  de  l'air  et  à  mesure  diminue  de  volume 
ou  augmente  de  densité.  On  ne  peut  donc  se  servir  de  l'aréomètre  pour  apprécier  son 
degré  d*  concentration,  puisque  son  maximum  de  densité,  qui  est  de  1,073,  correspond  à 
77,2  d'acide  et  22,8  d'eau. 

Il  bout  à  120°,  sa  vapeur  s'enflamme  au  contact  d'une  bougie  et  brûle  avec  une 
flamme  bleue.  Si  on  le  fait  passer  dans  un  tube  chauffé  au  rouge,  une  partie  distille 
sans  modification,  l'autre  donne  de  l'acétone  et  des  hydrogènes  carbonés. 

Il  peut  servir  de  dissolvant  pour  un  certain  nombre  de  substances  animales  et  végé- 
tales, comme  le  blanc  d'œuf,  la  fibrine,  les  résines,  le  camphre,  le  gluten. 

Préparation.  —  On  le  prépare  au  moyen  des  liquides  qui  renferment  de  l'acide  acé- 
tique très  dilué  et  impur.  Pour  cela  on  commence  par  préparer  un  acétate,  soit  avec 
de  l'acide  pyroligneux,  soit  avec  du  vinaigre.  On  donne  la  préférence  à  l'acétate  de 
soude.  Après  saturation  par  la  soude,  on  évapore  la  liqueur  à  siccité  dans  une  bassine 
de  fonte,  en  chauffant  le  résidu  assez  fortement  pour  carboniser  les  matières  organiques 
qu'il  renferme  et  ne  poussant  pas  le  coup  de  feu  jusqu'à  la  fusion  qui  amènerait  la 
décomposition  de  l'acétate.  On  reprend  le  résidu  par  l'eau  et,  par  cristallisation,  on 
obtient  l'acétate  de  soude  qu'il  suffit  de  distiller  avec  de  l'acide  sulfurique  pour  obtenir 
l'acide  acétique  cristallisable. 

Le  liquide  ainsi  obtenu  est  soumis  à  la  congélation,  on  l'égoutte  soigneusement;  les 
cristaux  ainsi  obtenus  constituent  l'acide  acétique  cristallisable. 

Action  physiologique.  —  Action  locale.  —  L'acide  acétique  a  une  action  locale  assez 
forte,  suivant  la  durée  de  l'application.  Sur  la  peau,  il  produit  de  la  rubéfaction,  de  la 
vésication  ou  de  la  cautérisation.  Il  gonfle  les  tissus,  puis  les  dissout  et  les  désorganise. 
Sur  les  muqueuses,  l'application  locale,  très  douloureuse,  produit  les  mêmes  effets,  mais 
avec  plus  d'intensité.  Introduit  dans  l'estomac,  il  le  dépouille  de  son  épithélium,  fait 
naître  une  irritation  très  forte  avec  vomissements,  collapsus,  fièvre  et  enfin  la  mort 
survient,  comme  avec  tous  les  poisons  caustiques. 

Les  globules  sanguins  sont  dissous  par  l'acide  acétique  (Mitscherlich),  l'hémoglo- 
bine est  détruite  et  l'hématine  passant  dans  le  sérum  donne  au  sang  une  couleur 
laque. 

Si,  au  lieu  d'employer  l'acide  acétique  cristallisable,  on  se  sert  des  divers  vinaigres, 
les  effets  sont  les  mêmes,  mais  atténués  en  raison  de  la  dilution.  Sur  la  peau  on  cons- 
tate de  la  rubéfaction  seulement,  mais,  ingérés,  ils  produisent  des  effets  assez  énergiques, 
car  l'acide  acétique,  même  dilué,  dissout  les  épithéliums  protecteurs  des  muqueuses, 
ainsi  que  les  tissus  animaux. 

Très  étendu  et  mélangé  à  l'alimentation,  il  devient  eupeptique  et  stimule  la  sécré- 
tion gastrique. 


88  ACÉTIQUE    (Acide). 

Appliqué  sur  une  plaie,  il  agit  comme  styplique  et  resserre  les  vaisseaux,  ce  qui 
permet  parfois  de  l'employer  pour  arrêter  les  hémorrhagies. 

Ses  vapeurs  agissent  fortement  sur  les  muqueuses  nasales  et  oculaires. 
Action  générale.  —  Cette  action  ne  peut  se  manifester  que  lorsque  l'acide  est  em- 
ployé à  l'état  de  dilution,  car  s'il  est  concentré  on  observe  les  effets  locaux  signalés 
plus  haut. 

L'acide  acétique  introduit  dans  l'organisme  se  transforme  d'abord  au  contact  des 
carbonates  sodiques  du  sang,  en  acétate  de  soude,  puis  de  nouveau  par  oxydation  en 
bicarbonate  de  soude  que  l'on  rencontre  dans  l'urine  qui  devient  alcaline  (Gubler, 
Rabuteau  et  Massul.  C.  IL,  2  janvier  1872). 

Un  fait  intéressant  au  point  de  vue  physiologique,  c'est  que  l'acide  acétique  a  une 
actiou  semblable  à  celle  des  acétates  alcalins  qui  agissent  comme  les  bicarbonates 
alcalins,  seulement  ceux-ci  neutralisent  d'abord  le  suc  gastrique. 

Du  reste,  il  en  est  de  même  de  la  plupart  des  acides  organiques  des  fruits  ou  de  la 
série  grasse  (formiates  alcalins,  butyrates,  valérianates,  tartrates,  malates,  etc.)  qui  se 
transforment  dans  l'organisme  en  bicarbonates  alcalins  et  rendent  les  urines  alca- 
lines. 

Mallèvre  (C.  R.,  1'='  décembre  1890)  a  étudié  l'influence  de  l'acide  acétique  sur  les 
échanges  gazeux  respiratoires  chez  les  lapins.  Il  est  arrivé  aux  conclusions  suivantes  : 
en  injectant  dans  le  sang  une  solution  d'acétate  de  soude,  dès  le  début  de  l'injection 
on  constate  des  variations  dans  les  échanges  gazeux  de  la  respiration.  Une  demi-heure 
après,  ces  variations  cessent.  En  même  temps  l'urine,  acide  chez  l'animal  à  jeun  depuis 
deux  jours,  devient  alcaline,  et  l'alcalinité  du  sang  augmente  de  aO  p.  100. 

En  se  servant  de  la  calorimétrie  pour  interpréter  ces  modifications,  on  arrive  à 
constater  qu'une  partie  seulement  de  l'énergie  de  l'acétate  s'est  dégagée  au  profit  de 
l'organisme,  c'est-à-dire  a  exercé  une  action  d'épargne  sur  les  autres  éléments  nutritifs 
non  azotés. 

Les  vapeurs  d'acide  acétique  ont  une  action  antiseptique;  mais  pour  qu'elle  se  mani- 
feste, il  faut  un  certain  temps.  Ainsi,  13  minutes  au  minimum  pour  le  bacille  du  choléra; 
une  heure  et  demie  pour  le  bacille  du  charbon,  de  la  fièvre  typhoïde,  pour  le  Staphylo- 
coccus  pyogenes  aureus. 

Toxicologie.  — •  Quoiqu'on  ait  rarement  (J)servé  l'empoisonnement  par  l'acide 
acétique,  il  peut  se  produire  chez  l'homme,  et  les  effets  physiologiques  signalés  per- 
mettent de  conclure  qu'il  peut  être  toxique.  Les  symptômes  que  l'on  a  pu  constater 
jusqu'à  présent  sont  :  aspect  blanchâtre  des  muqueuses  buccales  et  pharyngiennes, 
sentiment  de  brûlure  dans  l'estomac  et  à  la  gorge,  vomissements,  diarrhée,  pouls  accé- 
léré, petit,  serré;  angoisses,  sueurs  froides  sur  tout  le  corps. 

On  a  pu,  sur  les  animaux,  après  avoir  observé  les  phénomènes  indiqués,  étudier  les 
lésions  de  cet  empoisonnement.  A  l'autopsie,  on  trouve  les  muqueuses  de  l'œsophage, 
de  l'estomac  et  de  l'intestin  ramollies,  enflammées  et  quelquefois  perforées.  On  constate 
sur  ces  membranes,  soit  par  places,  soit  sur  une  grande  étendue,  une  coloration  noirâtre 
ayant  de  l'analogie  avec  celle  produite  par  l'acide  sulfurique.  Cet  aspect  lient  à  l'action 
de  l'acide  sur  !e  sang  extravasé.  Le  traitement  à  opposer  est  le  même  que  celui  que  l'on 
emploie  pour  les  autres  acides. 

Recherche  de  l'acide.  —  Si  l'empoisonnement  a  été  produit  par  de  l'acide  dilué 
qui  aura  été  absorbé  quelque  temps  avant  la  mort,  il  sera  difficile  de  le  retrouver, 
puisque  dans  l'organisme  il  aura  eu  le  temps  de  se  transformer  en  carbonates  alcalins. 
Mais,  s'il  a  été  absorbé  à  dose  massive,  si  surtout  c'est  de  l'acide  concentré  qui  a  été 
ingéré,  il  en  restera  une  quantité  suffisante  pour  être  retrouvée  dans  le  tube  digestif. 

Pour  déceler  l'acide  acétique,  on  recueille  l'estomac  et  les  intestins,  ainsi  que  les 
liquides  qu'ils  contiennent;  les  tissus  sont  coupés  en  morceaux  et  le  tout  est  placé  dans 
un  appareil  à  distillation,  après  avoir  été  additionné  d'un  peu  d'eau  acidulée  avec  de 
l'acide  sulfurique,  pour  décomposer  les  acétates  qui  auraient  pu  se  produire.  On  chauffe 
et  l'on  recueille  les  produits  de  la  distillation  qui  renferment  l'acide  acétique,  que  l'on 
peut  obtenir  à  l'état  d'acide  cristallisable,  en  suivant  le  procédé  indiqué  plus  haut  pour 
sa  préparation.  Seulement  on  ne  doit  pas  perdre  de  vue  qu'il  ne  suffit  pas  de  trouver  de 
l'acide  acétique  pour  conclure  à  l'empoisonnement,  il  faut  tenir  compte  des  lésions 


ACÉTIQUE   (Acide).  89 

trouvées  à  l'autopsie  et  des  symptômes  observés  avant  la  mort,  car  l'acide  acétique 
existe  normalement  dans  les  liquides  de  l'estomac  et  de  l'intestin,  et  il  se  forme  très 
facilement  par  les  transformations  que  subissent  les  substances  organiques. 

Usages.  —  A  l'intérieur,  on  n'emploie  que  l'acide  très  dilué  sous  forme  de  vinaigre, 
soit  comme  condiment  pour  exciter  l'appétit,  soit  comme  boisson  tempérante,  ainsi  que 
la  plupart  des  acides  végétaux.  A  faible  dose,  son  utilité  peut  tenir  à  son  action  dissol- 
vante sur  les  albuminoïdes.  En  excès,  il  peut  causer  des  lésions  graves  de  la  muqueuse 
stomacale. 

C'est  surtout  à  l'extérieur  qu'il  est  employé.  L'action  de  ses  vapeurs  sur  la  muqueuse 
nasale  est  utilisée  pour  produire  une  action  vigoureuse  et,  par  le  réveil  de  réflexes,  tirer, 
les  personnes  de  l'état  syncopal.  Pour  cet  usage,  on  se  sert  généralement  de  petits  flacons 
que  l'on  remplit  de  cristaux  de  sulfate  de  potasse,  que  l'on  imbibe  d'acide  acétique  cris- 
tallisable. 

Les  lotions  vinaigrées  sont  employées  dans  les  fièvres  graves.  On  peut  aussi  se 
servir  d'irrigations  vinaigrées  pour  combattre  les  bémorrhagies  capillaires  et  même 
utérines.  On  a  mis  à  profit  son  pouvoir  caustique  pour  fsiire  disparaître  des  verrues, 
des  plaques  verruqueuses,  des  végétations  vulvaires.  Buck  et  Jansen  l'ont  conseillé  contre 
le  psoriasis.  On  l'a  employé  contre  les  tumeurs  de  toute  nature,  soit  en  applications 
directes,  soit  en  injections  interstitielles.  Broadbent,  dans  un  travail  paru  à  Londres 
en  186ti  {Cancer,  a  new  method  of  treatment],  a  le  premier  préconisé  les  injections 
interstitielles  d'acide  acétique  dans  le  traitement  du  cancer,  les  résultats  publiés  parais- 
sant bons,  et  d'autres  auteurs  ont  suivi  cette  méthode  (Moore,  Power,  Fauconnet,  etc.)  : 
L'acide  ne  doit  pas  être  employé  pur,  car  il  pourrait  être  trop  douloureux;  on  l'étend 
d'eau  par  parties  égales,  ou  bien  en  en  mettant  2,  3  ou  4  parties  d'eau. 

MÉPLAiN  a  fait  disparaître  un  polype  muqueux  de  la  voûte  palatine  en  en  injectant 
dans  la  tumeur  une  goutte,  puis  une  demi-goutte.  Un  cancer  de  la  face  fut  amélioré 
par  une  application  d'acide  au  cinquième  (Tillaux). 

Mais,  les  effets  obtenus  dans  le  traitement  des  tumeurs  n'ayant  pas  toujours  répondu 
aux  espérances,  le  procédé  a  été  abandonné. 

Contre  la  gal,e,  Lecœur,  de  Caen,  conseille  de  frictionner  trois  fois  par  jour  les 
parties  affectées  avec  une  éponge  un  peu  rude  imbibée  de  bon  vinaigre. 

On  a  conseillé  le  vinaigre  comme  désinfectant,  supérieur  d'après  Engelmann  à  l'acide 
phénique.  Mais  Sch.effer  est  arrivé  à  des  résultats  contraires,  puisqu'il  a  constaté  que 
l'acide  phénique  à  3  p.  100  est  210  fois  plus  énergique  que  l'acide  acétique  à  5  p.  100,  à 
l'égard  du  micro-organisme  de  la  suppuration. 

Dans  la  teigne  tondante  et  dans  quelques  autres  affections  cutanées,  l'acide  acétique 
paraît  avoir  été  employé  d'une  façon  très  favorable  (Monique.  T.  d.  P.,  1883). 

Pour  la  teigne  tondante  on  peut  se  servir  ou  d'acide  pyroligneux  à  6°  Beaumé,  ou 
d'une  solution  d'acide  cristallisable  à  30  p.  100.  On  frictionne  les  plaques  énergique- 
ment  avec  un  pinceau  rude,  imbibé  de  solution,  chaque  matin  pendant  trois  jours;  il  se 
produit  une  légère  dermite.  Il  y  a  exfoliation  des  gaines  bulbaires  imprégnées  de 
spores  et  quelquefois  la  guérison  s'obtient.  11  faut  pourtant  parfois  recommencer  le 
traitement  huit  ou  dix  fois,  mais  il  n'y  a  pas  d'alopécie  (Lailler). 

Dans  les  affections  non  parasitaires,  on  se  sert  de  solutions  plus  faibles  d'acide,  à 
4  p.  100  par  exemple,  dont  on  augmente  la  concentration,  si  elles  sont  bien  supportées. 
L'eczéma  sec,  l'eczéma  pilaire,  le  lupus  érythémateux  ont  été  très  avantageusement 
modifiés  par  ce  traitement. 

Enfin  dans  la  fièvre  de  foin  l'acide  acétique  cristallisable  a  été  employé  en  appli- 
cations sur  la  muqueuse  nasale  préalablement  insensibilisée  par  la  cocaïne.  Mais  ces 
applications  doivent  être  faites  avec  précautions  (E.  Sajous,  in  The  Universal  medic. 
Journ.,  sept.  1893). 

Histologie.  —  Ses  propriétés  sur  les  éléments  organiques  en  font  un  réactif  pré- 
cieux en  histologie.  Le  mélange  de  30  grammes  d'alcool,  additionné  d'une  dizaine  de 
gouttes  d'acide  acétique,  constitue  le  réactif  durcissant  de  Beale.  Comme  isolant  on 
l'emploie  seul  ou  dilué  dans  l'eau;  il  gonfle  les  fibres  connectives  et  les  fait  disparaître, 
tandis  que  les  fibres  élastiques  sont  respectées;  les  cellules  sont  rendues  plus  appa- 
rentes, car  il  en  fait  très  nettement  apparaître  les  noyaux,  il  est  très  utile  pour  faire 


90  ACÉTIQUE    (Fermentation). 

distinguer  les  fibres  musculaires  lisses  en  mettant  en  évidence  leur  noyau  en  semelle. 
C'est  encore  l'acide  acétique  cristallisable  qui  est  employé  pour  former  les  cristaux 
d'hémine  qui  servent  à  caractériser  les  taches  de  sang. 

CH.  LIVON. 

ACÉTIQUE  (Fermentation).  —  Les  liquides  alcooliques,  les  vins 
légers,  la  bière  principalement,  abandonnés  à  l'air,  deviennent  facilement  du  vinaigre, 
par  suite  de  la  transformation  de  la  totalité  ou  d'une  partie  de  leur  alcool  en  acide  acé- 
tique. C'est  le  processus  que  l'on  désigne  sous  le  nom  de  fermentation  acétique;  il  ne 
semble  se  produire  qu'aux  dépens  de  l'alcool  éthylique. 

La  présence  nécessaire  de  l'air  en  abondance  a  fait  regarder  depuis  longtemps  ce 
phénomène  comme  une  oxydation.  On  obtient,  en  effet,  la  même  transformation  en 
soumettant  l'alcool  à  l'action  d'agents  oxydants  énergiques.  C'est  en  outre  ce  que 
démontre  l'étude  chimique  de  la  réaction,  qui  fait  voir  que  l'alcool,  en  absorbant  de 
l'oxygène,  donne  simplement  de  l'eau  et  de  l'acide  acétique  : 

C2H60  +  02  =  C2  H4  0^  +H2  0 

Alcool.  .\cide  acétitjue.  ' 

On  doit  à  Pasteur  d'avoir  prouvé  que  la  transformation  observée  dans  la  nature  est 
due  au  développement,  dans  le  liquide  où  elle  se  produit,  d'un  être  organisé,  et  se  trouve 
en  rapport  intime  avec  sa  vie,  de  telle  sorte  que  la  fermentation  s'amoindrit  et  dispa- 
rait avec  elle. 

On  avait  bien  remarqué,  depuis  longtemps,  qu'à  la  surface  des  liquides  qui  s'acéti- 
fient,  se  développait  une  pellicule  souvent  très  mince,  fragile,  que  les  fabricants  de 
vinaigre  désignaient  sous  les  noms  de  fleurs  de  vinaigre,  mère  de  vinaigre;  on  savait 
même  qu'elle  jouait  un  rfiie  dans  la  transformation,  mais  on  était  loin  de  lui  attribuer 
son  importance  causale  mise  en  lumière  seulement  par  les  recherches  de  Pasteur.  Elles 
ont  démontré  que  la  fermentation  acétique,  la  transformation  en  vinaigre  des  liquides 
alcooliques,  était  toujours  produite  par  le  développement  de  bactéries  aérobies,  jouant 
le  rôle  de  ferment.  . 

Cette  curieuse  propriété,  très  utilisée  dans  l'industrie  et  l'économie  domestique,  et 
cela  depuis  une  haute  antiquité,  pour  l'obtention  du  vinaigre,  n'est  pas  dévolue  à  une 
seule  espèce  de  bactéries;  plusieurs  au  contraire  la  possèdent,  peut-être  à  des  degrés 
divers  et  peuvent  servir  au  même  usage.  Ces  différentes  espèces  présentent  ceci  de  par- 
ticulier sur  les  autres  bactéries,  qu'elles  vivent  et  se  développent  très  bien  dans  les 
milieux  acides  impropres  à  la  vie  de  la  plupart  des  autres.  Cependant  une  trop  forte 
proportion  d'acide  les  tue. 

Le  ferment  acétique  de  Pasteur,  qu'on  peut  désigner  sous  le  nom  de  Bacillus  nceli 
vrai,  est  formé  d'articles  en  bâtonnets  courts  et  gros,  mesurant  3  |jl  au  moins  de  long 
et  1,1.0  (x  de  large,  associés  en  grand  nombre  en  longs  chapelets  sinueux.  En  se  dévelop- 
pant à  la  surface  des  liquides  alcooliques,  naturels  ou  artificiels,  ils  y  produisent  un 
voile  uniforme  velouté,  dont  l'apparition  est  très  rapide;  en  vingt-quatres  heures,  une. 
étendue  d'un  mètre  carré  au  moins  peut  être  recouverte  d'une  pellicule  transparente, 
très  mince. 

Hansen,  décrit  sous  le  nom  de  Bacterium  Pasteurianum  un  ferment  acétique  bien 
voisin  de  celui  de  Pasteur,  qui  se  rencontrerait  fréquemment,  selon  lui,  dans  les  bières 
pauvres  en  alcool  et  riches  en  matières  extractives,  jamais,  par  contre,  dans  les  bières 
fortement  alcoolisées  et  dans  le  vin,  où  c'est  le  précédent  qui  se  développe.  11  ne  diffère 
pas  de  celui  de  Pasteur  par  sa  végétation  et  son  action  physiologique,  mais  seulement 
par  ce  fait  que  son  contenu  cellulaire  se  teint  en  bleu  par  l'iode,  ce  qui  est  dû  très 
probablement  à  la  présence  de  granulose. 

Le  Micrococcus  oblongus  de  Boutroux,  agent  de  la  fermentation  gluconique  dès  hydro- 
carbonés, cultivé  dans  les  liquides  alcooliques,  forme  aussi  de  l'acide  acétique  et  donne 
un  véritable  vinaigre  avec  le  vin  ou  la  bière. 

DucLAUx  décrit  un  autre  ferment  acétique  qui  forme  un  voile  sec,  fin,  ne  se  plissant 
pas,  mais  se  recouvrant  d'ondulations  croisées,  à  arêtes  vives,  qui  rappellent  la  surface 
d'un  gâteau  de  miel. 


ACÉTIQUE  (Fermentation).  91 

J'ai  obtenu,  de  mères  de  vinaigre  ménagères,  des  cultures  pures  d'un  autre  ferment 
acétique  qui  doit  être  distinct  des  précédents;  c'est  aussi  une  bactérie  en  bâtonnets. 

La  mère  de  cette  bactérie,  bien  développée,  est  une  peau  épaisse,  blanchâtre  ou  légè- 
rement rosée  lorsqu'on  la  cultive  dans  le  vin  ou  dans  les  jus  de  fruits  rouges,  jamais 
plissée,  atteignant  facilement  2  ou  3  millimètres  d'épaisseur;  elle  est  visqueuse  au  tou- 
cher et  présente  une  consistance  assez  forte,  presque  cartilagineuse.  Elle  se  compose 
de  très  nombreux  bâtonnets  de  2,3  p.  de  long  sur  0,6  [i  de  large,  noyés  dans  une  subs- 
tance fondamentale  incolore  ou  faiblement  granuleuse.  Dans  le  voile,  ces  articles  sont 
immobiles  et  réunis  le  plus  souvent  par  deux;  isolés  dans  le  liquide,  ils  présentent  un 
mouvement  lent.  Dans  les  vieilles  cultures,  ils  deviennent  plus  minces,  un  peu  courbés 
et  parfois  semblent  composés  d'une  série  de  renflements  ovoïdes  irréguliers  qui  peuvent 
être  pris  pour  des  chaînettes  de  coccus. 

Cultivée  dans  les  milieux  liquides,  cette  bactérie  forme  un  voile  épais  et  ferme.  Sur 
gélatine,  elle  donne  un  revêtement  large,  épais,  blanchâtre,  presque  transparent,  à  sur- 
face plissée;  la  consistance  en  est  dure,  presque  cartilagineuse;  le  milieu  ne  se  liquéfie 
pas  et  ne  dégage  aucune  odeur.  Sur  gélose,  la  culture  est  moins  résistante,  plus  jau- 
nâtre et  plus  unie  que  sur  gélatine.  En  transportant  une  parcelle  de  culture  pure  dans 
un  liquide  alcoolique  approprié,  il  se  développe  rapidement  un  voile  mince,  qui  pré- 
sente, au  bout  de  peu  de  temps,  des  points  blancs  opaques,  véritables  centres  de  crois- 
sance où  la  mère  s'épaissit;  par  suite  du  progrès,  le  voile  s'épaissit  régulièrement  sur 
toute  sa  surface. 

La  présence  d'alcool  est  loin  d'être  nécessaire  au  développement  de  ces  bactéries. 
Elles  croissent  très  bien  sur  les  milieux  nutritifs  ordinaires,  mais  ne  produisent  alors 
aucune  trace  d'acide  acétique.  L'alcool  peut  cependant  être  considéré  comme  un  aliment 
vrai  pour  elles,  mais  un  aliment  secondaire,  car  elles  ne  s'en  nourrissent  que  lorsqu'elles 
n'en  ont  pas  d'autre  à  leur  disposition;  elles' le  brûlent  alors  entièrement  en  le  trans- 
formant d'abord  en  acide  acétique,  puis,  s'attaquant  à  ce  produit,  le  détruisent  en 
acide  carbonique  et  eau.  Lorsque  la  fermentation  s'accomplit  régulièrement,  il  n'est 
guère  possible  de  regarder  l'oxydation  de  l'alcool  comme  un  acte  véritable  de  nutrition, 
la  quantité  de  produit  modifié  étant  par  trop  considérable  par  rapport  à  la  quantité  de 
ferment  vivant;  Duclaux  a  calculé  qu'un  poids  donné  de  ce  ferment  servait  d'agent  de 
transport  sur  l'alcool,  en  trente-six  heures,  d'au  moins  165  fois  son  poids  d'oxygène, 
la  quantité  d'acide  acétique  formé  étant  en  rapport  direct  avec  celle  d'alcool  brûlé.  Ce 
processus  de  fermentation  est  en  corrélation  intime  avec  la  nutrition,  mais  ne  peut  être 
considéré  comme  en  faisant  réellement  partie.  On  est  plutôt  porté  à  le  considérer 
comme  un  simple  phénomène  d'oxydation,  dépendant  d'une  propriété  spéciale  du 
protoplasma  de  ces  différentes  espèces  microbiennes,  propriété  qui  ne  se  manifeste  que 
dans  des  circonstances  bien  nettement  déterminées  et  qui  peut  rester  latente  lorsque  ne 
se  rencontrent  pas  les  conditions  particulières,  tout  en  laissant  le  développement  se 
poursuivre  d'une  façon  pour  ainsi  dire  normale.  Aussi,  l'on  a  fait  de  la  fermentation 
acétique  le  type  des  fermentations  par  oxydation  où  l'organisme  vivant,  le  ferment,  ne 
sert  pour  ainsi  dire  que  d'intermédiaire  entre  l'oxygène  de  l'air  et  la  matière  fermen- 
tescible,  tout  comme,  dans  l'expérience  de  Davy,  le  noir  de  platine  qui,  humecté  d'al- 
cool à  l'air,  devient  incandescent  et  pi-ovoque  la  combustion  de  l'alcool  qui  se  transforme 
aussi  en  acide  acétique. 

Il  y  a  même  plus  encore  ici.  Lorsque  la  matière  fermentescible,  l'alcool,  se  trouve 
en  proportions  un  peu  considérables,  elle  exerce  une  véritable  action  toxique  sur  le 
ferment,  le  paralyse  d'abord,  puis  le  lue  si  les  doses  s'élèvent  quelque  peu.  Ainsi,  pour 
que  la  fermentation  acétique  marche  régulièrement,  il  faut  que  l'alcool  ne  se  rencontre 
dans  le  liquide  qu'à  des  proportions  assez  faibles,  10  p.  100  environ.  Si  l'on  vient  à 
ajouter  une  quantité  plus  forte  d'alcool,  le  ferment  vivant  souffre,  la  fermentation  se 
trouble.  C'est  tout  d'abord  la  propriété  oxydante  qui  est  atteinte,  l'oxydation  est  incom- 
plète; il  se  forme  aux  dépens  de  l'alcool  des  produits  moins  riches  en  oxygène  que 
l'acide  acétique,  principalement  de  l'aldéhyde  à  odeur  suffocante  : 

cmso  4- 0  =  C^Ii-iO  +  H^O 

Alcool.  Aldéhyde. 


92  ACÉTONE. 

En  même  temps,  le  voile  s'altère,  devient  friable,  se  déchire  et  tombe  au  fond  du 
liquide. 

De  même,  lorsque  la  proportion  d'acide  acétique  formé  dépasse  certaines  limites, 
de  10  à  13  p.  100  selon  le  ferment,  le  développement  du  ferment  s'arrête,  et  la  fermen- 
tation cesse;  la  mort  de  la  bactérie  peut  même  survenir  si  l'action  toxique  se  prolonge. 

La  fermentation  s'établit  mieux  dans  les  liquides  qui  contiennent  déjà  une  petite 
quantité  d'acide  acétique,  1  à  2  p.  100  par  exemple. 

Lafar  a  isolé  d'une  bière  en  fermentation  acide  une  levure  capable  de  produire  une 
fermentation  acétique  vraie.  C'est  toutefois  un  ferment  acétique  assez  faible,  le  maximum 
d'acide  produit  dans  la  bière  stérilisée  n'étant  que  de  1,19  p.  100  de  liquide  de  culture. 

Ces  fermentations  acétiques  ont  surtout  deux  ennemis  acharnés  qui  leur  nuisent 
toujours  et  parviennent  souvent  à  les  suspendre.  L'un  est  un  petit  ver  rond,  l'Anguil- 
lule  du  vinaigre;  l'autre  une  sorte  de  levure,  très  commune  partout,  très  connue  sous 
le  nom  de  fleurs  de  vin,  le  Saccharomyas  mycoderma,  Mycoderma  vini  de  Pasteur. 

Les  Anguillules  se  rencontrent  surtout  dans  les  fermentations  en  grand  des  vinai- 
greries.  Très  avides  d'oxygène,  elles  se  concentrent  aux  bords  du  voile  où  elles  forment 
une  couche  spumeuse  légère  qui  en  contient  des  milliers.  Par  leurs  mouvements  très 
vifs,  elles  détachent  la  mère  des  bords  du  vase  et  en  provoquent  la  chute;  la  fermen- 
tation s'arrête  alors  jusqu'à  ce  qu'une  nouvelle  mère  se  forme,  qui  a  elle-même  bientôt 
le  sort  de  la  première. 

Les  fleurs  de  vin  envahissent  souvent  les  liquides  qui  commencent  à  s'acélifier.  Elles 
forment,  au-dessus  de  la  mère  de  vinaigre,  un  voile  blanc  mat,  épais,  ridé,  très  friable, 
dont  les  éléments  sont  ovoïdes,  elliptiques,  ou  même  cylindriques,  mesurant  de  6  à  20  ,u. 
de  long  sur  4  u.  de  large.  La  mère  de  vinaigre  étouffée  tombe  bientôt  au  fond  et  perd 
dès  lors  son  action  de  ferment.  De  plus,  le  mycoderme  parasite  brûle  complètement 
l'alcool  et  l'acide  acétique  que  peut  contenir  le  liquide  en  donnant  directement  de 
l'acide  carbonique  et  de  l'eau  pour  tous  produits. 

Les  ferments  acétiques  semblent  très  répandus  dans  la  nature  puisqu'il  suffit  d'ex- 
poser à  l'air  du  vin  ou  de  la  bière  pour  voir  s'y  développer  dans  la  majeure  partie  des 
cas  la  fermentation  qu'ils  occasionnent.  Duclaux  fait  jouer,  dans  leur  dissémination,  un 
grand  rôle  à  une  mouche  commune  partout,  Musca  cellaris,  la  Mouche  du  vinaigre,  qu'at- 
tire très  vite  l'odeur  de  ce  liquide;  elle  emporterait  après  elle  des  germes  des  milieux 
qu'elle  visite  et  pourrait  ainsi  les  répandre  au  loin. 

La  propriété  de  ces  ferments  est  utilisée  en  grand  dans  l'industrie  pour  la  fabrication 
du  vinaigre.  On  emploie,  dans  ce  but,  tous  les  liquides  de  faible  teneur  alcoolique, 
principalement  les  vins,  bières,  cidres  légers.  L'action  du  ferment  peut  s'exercer  dans 
des  cuves  peu  profondes,  munies  de  couvercles,  comme  le  recommande  Pasteur;  ou 
dans  des  tonneaux  de  contenance  moyenne,  comme  dans  le  procédé  dit  d'Orléans; 
ou  en  faisant  couler  lentement  le  liquide  sur  des  copeaux  de  hêtre  revêtus  de  ferment 
par  une  opération  précédente,  comme  dans  le  procédé  allemand.  Dans  tous  les  cas,  la 
première  partie  des  liquides  employés  doit  être  au  préalable  additionnée  d'une  certaine 
quantité  d'acide  acétique,  sous  forme  de  bon  vinaigre  le  plus  souvent,  pour  favoriser  le 
début  de  la  fermentation. 

Bibliographie.  —  Pasteur.  Mémoire  sur  la  fermentation  acétique  (Annales  scienti- 
fiques de  l'école  normale  supérieure,  t.  i,  1864).  —  Hansen.  Mycoderma  aceli  et  Mycoderma 
Pasteurianum  {C.  r.  du  laboratoire  de  Carlsberg,  t.  i,  1879).  —  Duclaux.  Microbiologie 
[Encyclopédie  chimique  de  Frémy,  1883).  —  Macé.  Traité  pratique  de  bactériologie,  1889 
et  1891.  —  Garnier.  Ferments  et  Fermentations,  1888.  —  Boorquelot.  Des  Fermenta- 
tions, 1889.  — Lafar.  Physiologische  Studien  ûber  Essiggcihrung  {Centralblatt  fur  Bakterio- 
logie,  1893,  t.  xni). 

E.  MACÉ. 

ACETONE  (C^H^O).  —  L'acétone  ordinaire,  ou  aldéhyde  isopropylique,  est 
un  liquide  incolore,  à  odeur  particulière,  se  rapprochant  un  peu  de  celle  du  chloroforme. 
Sa  densité  est  0,814;  son  point  d'ébullition  56°;  soluble  dans  presque  tous  les  liquides, 
tels  que  eau,  alcool,  éther,  etc.;  elle  brûle  à  l'air  avec  une  flamme  éclairante  et  dissout 
les  résines,  le  camphre,  le  colon  poudre.   . 


ACETONE.  93 

Quand  ou  traite  l'acétone  par  l'ammoniaque  et  qu'on  abandonne  le  mélange  à  l'éva- 
poration  spontanée,  on  obtient  un  véritable  alcaloïde,  Vacétonine  3  (C^H^)A;^.  Une  solu- 
tion aqueuse  d'acétone  traitée  par  l'amalgame  de  sodium  donne  de  l'alcool  isopropy- 
lique  (CH^O)  (Friedel). 

Préparation.  —  On  l'obtient  en  distillant  dans  une  cornue  de  grès,  à  sec,  de  l'acé- 
tate de  chaux  ou  encore  mieux  de  baryte.  On  reçoit  les  vapeurs  dans  un  récipient 
refroidi.  Il  se  forme  du  carbonate  de  calcium  ou  de  baryum,  et  l'acétone  distille.  On 
peut  la  considérer  comme  le  diméthylure  de  carbonyle  (GH')-CO. 

Connue  depuis  longtemps,  c'est  le  premier  type  de  corps  (acétones)  remplissant  une 
fonction  chimique  que  l'on  retrouve  dans  la  série  grasse  et  dans  la  série  aromatique. 

On  peut  en  général  considérer  une  acétone  comme  une  aldéhyde,  dans  laquelle  l'hy- 
drogène typique  a  été  déplacé  par  un  radical  alcoolique. 

Ces  corps  par  hydratation  donnent  des  alcools. 

On  trouve  de  l'acétone  ordinaire  dans  l'alcool  méthylique  provenant  de  la  distillation 
du  bois.  Mais  un  point  intéressant,  c'est  que  l'on  en  trouve  une  certaine  quantité  dans 
les  urines  et  dans  le  sang  des  diabétiques  (Markownikoff.  Deutsche  chem.  Gesettsch, 
t.  vin,  ix).  On  en  trouve  aussi  dans  les  urines  des  enfants  fébricitants  (Kien.  Gaz.méd.  de 
Strasbourg,  1878).  Elle  semble  se  développer  dans  certaines  conditions  dans  l'économie, 
par  la  fermentation  des  substances  organiques. 

Son  importance  biologique  ne  date  que  depuis  qu'on  l'a  rencontrée  en  assez  grande 
quantité  dans  les  urines  des  diabétiques. 

Pour  l'en  extraire,  voici,  d'après  Markownikoff,  la  façon  de  procéder  (A.  C,  t.  clxxxii). 
On  ajoute  un  peu  d'acide  tartrique  à  l'urine,  que  l'on  réduit  au  tiers  de  son  volume,  par 
une  distillation  méthodique.  Cette  distillation  se  fait  en  plusieurs  temps,  ajoutant  chaque 
fois  un  peu  de  sulfate  de  magnésie. 

On  traite  le  liquide  par  la  potasse  fondue,  et  l'on  a  de  l'acétone  impure.  On  distille 
au  bain-marie  au-dessous  de  60°,  et  l'on  obtient  alors  de  l'acétone  à  peu  près  pure;  on 
rectifie  sur  du  chlorure  de  calcium  pour  avoir  un  produit  absolument  pur. 

Action  physiologique.  —  Cette  action  a  été  établie  en  1879  par  Dcjardin-Beaumetz 
et  AuDiGÉ,  dans  leurs  recherches  expérimentales  sur  la  puissance  toxique  des  alcools. 
Déjà,  en  1874,  les  expériences  de  Kussmaul  avaient  établi  son  action  toxique  et  la  pro- 
duction du  coma  sous  l'influence  de  son  absorption. 

Sur  les  chiens,  3  grammes  par  kilogramme  du  poids  du  corps  de  l'animal  est  une 
dose  toxique.  A  2  ou  3  grammes  par  kilogramme,  l'animal  se  rétablit  assez  rapidement. 
A  dose  toxique,  l'animal  présente  d'abord  des  mouvements  convulsifs,  la  respiration 
est  irrégulière  par  suite  d'une  excitation  directe  du  centre  respiratoire,  la  pupille  est 
dilatée  et  l'animal  aboie  d'une  manière  continue.  Puis  survient  un  coma  profond,  la 
température  s'abaisse  de  13°  à  20°,  et  au  bout  de  quelques  heures  la  mort  survient. 

Tappeiner,  dont  les  expériences  ont  été  conduites  avec  toute  la  rigueur  scientifique 
désirable,  résume  ainsi  l'action  de  l'acétone  : 

«  L'action  de  l'acétone  sur  l'organisme  animal  présente  deux  phases  : 

«  La  première  phase  ou  phase  d'excitation  est  caractérisée  par  l'élévation  de  la 
pression  sanguine  et  par  une  fréquence  plus  grande  du  pouls  et  des  mouvements  res- 
piratoires. 

«  Pendant  la  deuxième  phase,  ou  phase  de  dépression,  survient  une  anesthésie  com- 
plète, de  la  faiblesse  musculaire  :  les  réflexes  sont  abolis,  la  pression  du  sang  s'abaisse, 
la  respiration  et  le  pouls  diminuent  de  fréquence,  et  la  température  baisse  d'une  façon 
continue  jusqu'à  la  mort  qui  arrive  par  paralysie  de  la  respiration.  « 

Mais  à  dose  modérée,  après  une  période  d'agitation,  le  coma  arrive  pour  faire  place 
ensuite  au  réveil. 

En  somme,  on  constate  des  phénomènes  semblables  à  ceux  que  produisent  la  plu- 
part des  anesthésiques,  chloroforme,  éther,  etc. 

Partant  de  ces  données  physiologiques,  depuis  que  l'on  a  constaté  la  présence  de 
l'acétone  dans  les  urines  el  le  sang  des  diabétiques  et  de  certains  malades,  bien  des 
auteurs  attribuent  à  un  excès  d'acétone  dans  le  sang,  les  phénomènes  comateux  que 
l'on  observe  chez  beaucoup  de  ces  malades.  C'est  ce  que  l'on  appelle  l'acétonurie  ou 
l'acétonémie.   Quant  aux  autres    acétones,    aux    acétones  mixtes,   par  exemple,   leur 


94  ACETONURIE. 

action  présente   une  grande   analogie  avec  celle  de  l'acétone   ordinaire  (Albanese  et 
-Barabini.  Arch.  Ital.  de  Biolog.,  t.  svn,  p.  231,  1892). 

Usages.  —  A  cause  de  ses  propriétés,  l'acétone  peut  être  employée  comme  anesthé- 
sique.  Mais  il  faut  avoir  soin  de  n'employer  qu'un  produit  absolument  pur.  Plusieurs 
Allemands,  et  Kidd  entre  autres,  la  préfèrent  au  chloroforme  à  cause  de  la  rapidité  de 
son  action.  Mais,  tout  considéré,  rien  ne  justifie  cette  préférence,  et  le  chloroforme  pur 
reste  encore  le  meilleur  anesthésique. 

CE.  LIVON. 

ACETONURIE  et  ACÉTONÉMIE. —  La  présence  de  l'acétone,  dans 
les  urines  et  le  sang  de  malades  présentant  certains  troubles  de  la  nutrition,  est 
un  fait  qui  n'est  plus  à  démontrer;  d'où  l'acétonurie  et  l'acétonémie,  deux  états  liés 
l'un  à  l'autre.  Connaissant  l'action  physiologique  de  l'acétone  et  son  pouvoir  toxique, 
nul  doute  que  cette  substance,  accumulée  dans  l'organisme,  ne  donne  naissance  à  des 
désordres  graves,  comme  le  coma,  par  exemple,  que  l'on  constate  chez  les  diabé- 
tiques, dont  les  urines  renferment  souvent  une  forte  proportion  d'acétone. 

C'est  en  1837  que  Petters  publia  la  première  étude  sur  le  coma  diabétique  et  l'acéto- 
némie; puis  en  1860  parut  le  travail  de  Kaulich  établissant  la  théorie  de  l'acétonémie 
et  la  production  de  l'acétone  dans  les  affections  des  organes  digestifs.  En  1874  Kussmaul 
rattacha  le  coma  diabétique  à  l'acétonurie,  en  se  basant  sur  l'expérimentation.  Il  cons- 
tata chez  les  diabétiques  comateux  des  phénomènes  respiratoires  particuliers,  tenant 
à  l'excitation  directe  du  centre  respiratoire  bulbaire. 

Cette  interprétation  ne  fut  pourtant  pas  acceptée  par  tout  le  monde.  Frerichs  entre 
autres,  en  1883,  ne  reconnut  pas  l'acétonémie;  pour  lui,  l'acétone  n'ayant  pas  de  pou- 
voir toxique,  le  coma  diabétique  est  dû  à  une  intoxication  diabétique.  Ce  sont  aussi  les 
conclusions  auxquelles  arrive  Jaccoud  dans  ses  leçons  cliniques. 

Mais  à  mesure  que  les  recherches  et  les  travaux  se  multiplient  sur  ce  sujet,  l'acéto- 
némie devient  un  fait  de  plus  en  plus  évident.  Vo.n  Jaksch  publie  une  série  de  travaux 
tendant  à  démontrer  l'acétonurie  physiologique  et  son  augmentation  dans  certaines 
maladies.  Penzoldt,  dans  un  travail  basé  sur  l'expérimentation,  établitl'origineacétoné- 
mique  du  coma,  mais  il  avance  pourtant  que  l'acétonurie  n'est  pas  un  phénomène 
constant  dans  les  fièvres  (17  fois  sur  28  cas),  et  qu'elle  est  assez  rare  dans  le  diabète  (4 
fois  sur  22  cas). 

Baginsky  publie  un  travail  sur  l'acétonurie  chez  les  enfants,  il  arrive  aux  mêmes 
conclusions  que  V.  Jaesch,  et  constate  l'apparition  de  l'acétone  dans  l'urine  des  enfants 
subitement  pris  de  convulsions.  Romme  constate  que  l'acétonurie  physiologique  n'existe 
pas,  mais  que  dans  les  maladies  fébriles,  à  38°  o  ou  39°,  l'acétone  apparaît  dans  les 
urines,  mais  que  l'acétonurie  disparaît  lorsque  la  température  baisse.  Pour  lui,  comme 
pour  DE  Ge.nnes,  et  la  plupart  des  auteurs  que  nous  avons  signalés,  le  coma  diabétique 
est  d'origine  acétonémique. 

L'acétonémie  n'est  donc  plus  mise  en  doute;  on  recherche  seulement  quels  sont  les 
états  pathologiques  dans  lesquels  on  la  rencontre,  et  quelles  sont  ses  origines.  On 
cherche  même  à  reproduire  expérimentalement  cet  état  pathologique. 

On  trouve  en  effet  de  l'acétone  dans  les  urines  de  bien  des  malades  présentant  de 
troubles  digestifs  d'origines  diverses,  on  en  trouve  aussi  alors  une  assez  grande  quan- 
tité dans  le  contenu  de  l'estomac  et  de  l'intestin  (Lorenz).  On  ne  doit  pourtant  pas 
perdre  de  vue  que  l'intoxication  pourrait  être  due  aussi  à  des  produits  moins  oxygénés 
que  l'acétone  et  l'acide  acétique,  produits  qui  doivent  varier  dans  leur  composition  et 
leur  activité. 

Dans  bien  des  affections  aiguës  fébriles,  on  peut  rencontrer  des  symptômes  qui 
semblent  devoir  être  attribués  à  l'intoxication  acétonémique,  car  ou  remarque  l'odeur 
acétonique  spéciale  de  l'haleine,  et  la  réaction  rouge  rubis  de  l'urine  au  contact  du  per- 
chlorure  de  fer.  C'est  ainsi  que  Talamon  a  observé  un  cas  d'aoétonémie  cérébrale  chez  un 
malade  atteint  de  rhumatisme  articulaire  aigu. 

Marro  a  constaté  de  l'acétone  en  assez  grande  quantité  dans  les  urines  des  aliénés 
atteints  d'hallucinations  terrifiantes.  La  quantité  d'acétone  était  en  rapport  avec  l'inten- 
sité de  la  peur.  Pour  l'auteur,  il   y  aurait  eu  là  action  spéciale  sur  le  plexus  cœliaque 


ACETONURIE.  95 

dont  l'extirpation  peut  produire  l'ar.étonurie  (Lustig).  On  a  rencontré  assez  souvent  de 
l'acétone  dans  les  urines  des  aliénés,  mais,  comme  le  fait  observer  Laillf;r,  ce  fait  est 
sans  valeur  au  point  de  vue  de  la  pathologie  mentale.  En  somme,  l'acétonémie  et,  comme 
conséquence,  l'acétonurie  se  présentent  assez  fréquemment. 

Peut-on  considérer  l'acétonémie  comme  étant  un  état  physiologique  qui  s'exagérerait 
suivant  les  états  morbides,  comme  le  pense  von  Jacksh?  Je  ne  le  crois  pas.  A  l'état  nor- 
mal, les  combustions  organiques  se  font  complètement,  et,  tant  qu'il  n'3'  a  pas  de  troubles 
de  nutrition,  l'acétone  ne  doit  se  rencontrer  ni  dans  le  sang,  ni  dans  les  urines.  Certains 
auteurs,  il  est  vrai,  l'ont  trouvée  à  l'état  physiologique.  Mais,  comme  les  quantités 
signalées  sont  très  minimes  et  que,  pour  les  mettre  en  évidence,  on  est  obligé  de  sou- 
mettre les  urines  à  une  distillation  prolongée,  il  est  permis  de  se  demander  si  la  présence 
de  l'acétone  dans  les  urines  à  l'état  physiologique  n'est  pas  le  fait  des  procédés  de 
recherches,  sans  compter  que  suivant  le  réactif  employé,  on  peut  confondre  la  réaction 
de  l'acétone  avec  celle  d'autres  substances  qui  peuvent  se  rencontrer  dans  les  urines, 
comme  je  l'indiquerai  plus  loin. 

A  l'état  pathologique,  au  contraire,  l'acétone  se  rencontre  très  souvent  dans  les 
urines,  surtout  pour  les  maladies  qui  s'accompagnent  de  troubles  graves  de  la  nutrition. 
Pourtant  jusqu'à  présent  aucune  règle  ne  semble  influencer  la  présence  et  la  quantité 
de  cette  substance.  Ainsi  chez  les  diabétiques,  qui  présentent  fréquemment  de  l'acétonu- 
rie, on  ne  peut  pas  dire  que  c'est  un  état  constant.  Sans  que  l'on  puisse  en  expliquer  la 
cause,  l'acétonurie  varie  grandement  chez  les  mêmes  sujets  d'un  moment  à  l'autre;  elle 
ne  correspond  pas  non  plus  aux  variations  du  sucre,  ni  du  pouvoir  spécifique  de  l'urine, 
elle  peut  même  disparaître  et  cela  au  moment  ou  se  développe  le  coma  que  bien  des 
auteurs  considèrent  comme  exclusivement  dû  à  l'acétonurie  (Samuel  West). 

Du  reste,  le  régime  a  de  l'inlluence  sur  l'acétonurie;  le  régime  carné,  par  exemple, 
augmente  très  rapidement  l'acétonurie  chez  les  diabétiques  et  chez  les  autres  malades, 
l'alimentation  pauvre  en  albuminoïdes,  riche  en  hydrocarbures,  fait  tomber  au  contraire 
la  quantité  d'acétone  (Engel). 

D'après  Romme,  l'acétonurie  se  présente  dans  les  pyrexies  aiguës  à  une  température 
de  38°'à  à  39°.  Mais,  quoique  la  présence  de  l'acétone  soit  à  peu  près  régulière  dans 
diverses  affections  fébriles,  il  n'y  a  aucune  relation  entre  l'acétonurie  et  l'élévation  ther- 
mique, et  il  peut  y  avoir  des  variations  très  grandes  dans  la  quantité  d'acétone  pour  une 
même  maladie  avec  de  l'hyperthermie. 

L'acétonurie  peut  encore  se  rencontrer  dans  certaines  intoxications,  comme  celles 
par  l'antipyrine,  la  morphine,  le  plomb.  Les  auto-intoxications  sont  aussi  causes  d'acéto- 
nurie. 

Enfin,  je  dois  ajouter  que  Devoto  a  constaté  la  présence  de  l'acétone  dans  la  sueur 
d'individus  sains  ou  malades  soumis  à  l'action  de  l'étuve  sèche  :  2  paludéens, 
1  typhique,  i  diabétique,  2  convalescents  soumis  à  un  régime  carné.  Il  a  aussi  trouvé  de 
l'acétone  dans  la  sueur  d'individus  soumis  au  régime  mixte. 

De  ce  qui  précède,  il  est  facile  de  conclure  que,  suivant  certains  processus  morbides, 
l'acétone  se  développera  dans  le  sang,  et  son  e'iimination  se  fera  en  même  temps  par  les 
urines.  Cette  acétonurie  en  somme,  continuera  tant  qu'existera  l'acétonémie.  Mais,  si  cette 
élimination  vient  à  s'arrêter,  la  substance  s'accumulera  dans  l'organisme  et  donnera  nais- 
sance à  une  intoxication. 

Or  les  recherches  d'ALBERiONi  et  Pisenti  ont  démontré  que  l'ingestion  journalière 
d'acétone  produisait  du  côté  des  reins  une  lésion  qu'ils  appellent  Nephritis  acetonica, 
caractérisée  par  des  altérations  notables  dans  la  subtance  corticale  et  surtout  dans 
l'épithélium  des  tubes  contournés. 

L'anatomie  pathologique  aussi  a  montré  que  chez  bien  des  acétonémiques  les  reins 
étaient  altérés  (Ebstein,  de  Gennes,  Collin-,  Tavlor). 

Par  conséquent,  tant  que  la  fonction  rénale  est  intacte,  l'organisme  se  débarrasse  des 
déchets  organiques  et  des  substances  toxiques,  et  l'acétonémique,  diabétique  ou  autre, 
élimine  l'acétone  que  produit  son  organisme;  mais,  le  jour  où  le  rein  est  altéré  dans  sa 
structure,  sa  fonction  est  diminuée,  puis  abolie,  il  y  a  accumulation  d'acétone  dans  l'or- 
ganisme, et  c'est  alors  que  commencent  les  symptômes  de  l'intoxication,  caractérisée  par 
une  grande  dépression  des  forces,  de  la  faiblesse  de  la  respiration,  du  resserrement  et 


96  ACETONURIE. 

de  l'immobilité  des  pupilles,  de  la  rétention  d'urine,  de  la  suspension  de  presque  toutes 
les  sécrétions,  du  ballonnement  du  ventre  et  une  odeur  spéciale,  acétonique,  de  l'haleine 
et  de  la  sueur.  Les  mouvements  du  cœur  et  les  pulsations  sont  d'abord  ralentis,  pour 
faire  place  ensuite,  lorsque  l'intoxication  fait  des  progrès,  à  une  accélération  et  à  une 
élévation  de  température  dues  à  la  paralysie  des  vaso-moteurs,  par  suite  d'une  action 
bulbaire  évidente.  Il  y  a  de  l'agitation,  de  l'angoisse,  de  la  dyspnée,  des  troubles  gastro- 
intestinaux, puis  du  collapsus.  Les  extrémités  se  refroidissent,  et  la  mort  ne  tarde  pas  à 
suivre  le  coma.  Ce  cortège  de  symptômes  se  déroule  généralement  entre  quelques  heures 
et  2  ou  Sjours. 

Quelle  est  la  cause  de  la  présence  de  l'acétone  dans  l'organisme? 

Pour  certains  auteurs,  Janicke,  Von  Jaksch,  Rosenfeld  et  Baginsky,  l'acétone  que  l'on 
rencontre  dans  les  urines  des  fébricitants  est  un  produit  de  décomposition  des  alburai- 
noïdes,  l'acétonémie  fébrile  provenant  de  la  combustion  énergique  des  albuminoïdes. 
L'acétone  que  l'on  trouve  dans  les  urines  peut  être  considérée  comme  le  résultat  de  la 
décomposition  des  substances  quaternaires. 

Pour  beaucoup,  l'acétone  provient  du  glycose.  Du  reste,  c'est  chez  les  diabétiques  que 
l'on  rencontre  le  plus  souvent  les  accidents  dus  à  l'acétonémie.  Il  se  produirait  une  véri- 
table fermentation  du  glycose.  Kaulich  prétend  que  cette  fermentation  est  due  à  la  Sar- 
cina  ventriculi,  la  Torulœa  cerevisi  ou  à  quelques  autres  micro-organismes.  C'est  aussi 
l'opinion  partagée  par  quelques  auteurs  (De  Gennes). 

Pour  BoucH.\RD,  les  intoxications  acétonémiques  seraient  produites  par  des  corps  se 
développant  dans  certaines  maladies,  même  non  infectieuses,  résultant  d'une  élaboration 
vicieuse  de  la  matière  par  l'organisme  humain;  substances  anomales,  non  engendrées 
par  des  microbes;  quelque  matière  peccante  élaborée  dans  l'intestin  dans  les  états  dys- 
peptiques graves,  dans  la  fièvre  typhoïde,  les  dilatations  de  l'estomac,  etc. 

Partant  de  ces  diverses  interprétations,  on  a  cherché  à  reproduire  expérimentalement 
l'acétonémie  et  l'acétonurie. 

Il  suffit  de  faire  respirer  ou  ingérer  de  l'acétone  à  des  animaux,  pour  provoquer  de 
l'acétonurie  et  donner  naissance,  si  l'action  se  prolonge,  à  tous  les  phénomènes  de  l'in- 
toxication acétonique  sur  la  moelle,  le  bulbe  et  la  protubérance  (André  et  Baglan).  Mais 
ce  n'est  là  qu'une  simple  intoxication,  n'éclairant  nullement  l'étiologie  de  l'acétonémie, 
car,  si  l'on  produit  de  l'acétonurie,  c'est  que  l'organisme  élimine  l'acétone  introduite 
expérimentalement.  L'acétonurie  expérimentale  peut  se  manifester  après  l'administra- 
tion de  la  pyridine,  agent  destructeur  du  sang  (Boesi).  C'est  là  une  expérience  plus  pro- 
bante en  faveur  de  la  théorie  qui  donne  comme  cause  de  l'acétonémie  les  troubles  de 
nutrition.  Mais  les  expériences  qui  semblent  le  mieux  démontrer  cette  étiologie  sont  celles 
qui  portentsur  le  sympathique,  le  grand  régulateur  des  fonctions  de  nutrition.  Lustig  en 
efTet  a  observé  chez  les  chiens  et  les  lapins  de  l'acétonémie,  ainsi  que  de  la  glycosurie, 
après  l'ablation  du  plexus  cœliaque.  11  en  serait  de  même  de  la  section  des  nerfs  splan- 
chniques  et  de  l'extirpation  du  plexus  aortique  abdominal.  Après  la  piqûre  du  plancher 
du  quatrième  ventricule,  Oddi  aurait  trouvé  de  l'acétonurie  durant  du  troisième  au  neu- 
vième jour. 

Viola  pourtant,  après  l'extirpation  complète  du  plexus  cœliaque,  n'aurait  trouvé  ni  gly- 
cosurie, ni  acétonurie,  ni  albuminurie. 

Assurément  la  question  est  loin  d'être  élucidée  au  point  de  vue  étiologique,  mais  de 
l'ensemble  des  faits  observés  et  de  l'expérimentation,  il  ressort  que  ce  sont  les  troubles 
de  la  nutrition  qui  engendrent  l'acétonémie  et  l'acétonurie,  que  ces  troubles  soient  d'ori- 
gine pathologique  (diabète,  troubles  gastro-intestinaux)  ou  d'origine  expérimentale 
(lésions  du  sympathique  ou  de  la  région  bulbo-protubérantielle). 

Moyens  de  reconnaître  l'acétone  dans  les  urines.  —  Plusieurs  réactifs  peuvent  être 
employés.  NousaHons  les  indiquer  en  faisant  voir  leurs  avantages  et  leurs  inconvénients. 

Réactif  de  Lieben.  —  On  ajoute  à  l'urine  quelques  gouttes  d'une  solution  iodurée 
d'iodure  de  potassium  et  un  excès  de  soude.  Si  l'urine  renferme  de  l'acétone,  il  se  forme 
un  précipité  d'iodoforme,  toujours  facile  à  reconnaître  à  l'odeur  caractéristique. 

Ce  réactif  est  d'une  très  grande  sensibilité  ;  mais  la  même  réaction  se  produit  avec 
19  corps,  parmi  lesquels  il  faut  compter  l'alcool  éthylique  et  l'acide  lactique.  On  peut 
donc  être  induit  en  eireur. 


ACETONURIE.  97 

Réactif  de  liCgal.  —  On  ajoute  quelquesgouttes  d'une  solution  de  nilro-prussiate  de 
soude,  puis  une  lessive  de  soude  concentrée.  S'il  y  a  de  l'acétone,  il  se  produit  une  colo- 
ration rouge  carmin  cjui  au  bout  de  quelques  temps  passe  au  jaune  vert. 

Si  l'on  ajoute  une  trace  d'acide  acétique,  la  coloration  ronge  carmin  reparaît,  pour 
disparaître  sous  l'influence  d'un  excès  d'acide. 

Si  alors  on  chauii'e  le  liquide,  on  obtient  un  précipité  de  bleu  de  Berlin. 

Ce  réactif  est  sensible  à  o/lOOO;  mais  alors  la  succession  des  teintes  est  peu  marquée. 

Réactif  de  Reynold.  — ■  On  verse  quelques  gouttes  de  chlorure  de  mercure  et  un 
excès  de  lessive  de  soude;  s'il  y  a  de  l'acétone,  il  se  produit  on  précipité  d'oxyde  de 
mercure. 

On  (litre  soigneusement  et  Ton  ajoute  au  liquide  limpide  du  sulfure  d'ammonium. 
Après  un  moment  de  repos,  on  distingue,  au  contact  des  deux  liquides,  un  anneau  noir 
de  sulfure  de  mercure. 

Ce  réactif  comme  le  précédent  est  sensible  au  S/1000,  mais  il  est  un  peu  compliqué. 

Réactif  de  Chautard.  — Dans  500  grammes  d'eau  on  dissont  0,23  de  fuchsine,  et  l'on 
fait  passer  un  courant  de  gaz  sulfureux  dans  la  solution.  On  obtient  un  liquide  décoloré, 
quelquefois  teinté  en  jaune  clair,  que  l'acide  sulfureux  eu  excès  ne  peut  modifier. 

Pour  rechercher  l'acétone,  dans  un  tube  à  essai  contenant  lo  à  20  ce.  d'urine,  on 
verse  quelques  gouttes  de  réactif.  S'il  y  a  de  l'acétone,  il  se  produit  une  coloration  vio- 
lette. Cette  teinte  varie  nécessairement  suivant  la  proportion  d'acétone.  Avec  une  solu- 
tion à  1/10  on  a  un  magnifique  violet,  à  1/400  un  violet  assez  intense,  à  1/1 000  une 
teinte  bien  sensible.  Lorsque  l'on  fait  agir  le  réactif  sur  les  produits  de  distillation  de 
l'urine,  on  peut  mettre  en  évidence  une  proportion  de  1/10  000  d'acétone.  Ce  réactif  est 
caractéristique  pour  l'acétone,  il  se  conserve  et  est  d'un  emploi  très  facile;  c'est  celui 
que  l'on  doit  employer  de  préférence.  Il  est  bon  d'ajouter  qu'il  ne  faut  pas,  dans  des 
recherches  de  ce  genre,  se  borner  à  un  seul  réactif;  d'un  autre  côté,  lorsque  l'examen 
direct  de  l'urine  n'a  rien  donné,  il  faut  soumettre  ce  liquide  à  une  distillation  conduite 
avec  précaution,  qui  permet  alors  de  déceler  des  quantités  extrêmement  minimes 
d'acétone. 

Bibliographie.  —  Petters  [Prager  Vierteljahrschrift,  18o7).  —  Kaulich.  Ueber  Aceton- 
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sence de  l'acétone  dans  la  sueur  {Riv.  Gêner,  ital.  di  clinica  medica,  n"  14,  p.  330,  1890).  — 
LoRENz.  L'acétonuric  et  en  particulier  sa  production  sous  l'influence  de  troubles  digestifs 
{Zeitsch.  fiir  klin.  Med.,  t.  xix,  p.  19).  — •  Kngel.  Variations  quantitatives  d'acétone  {Zeitsch. 
filr  klin.  Med.,  t.  xx,  p.  514-333).  —  G.  Viola.  Sur  la  prétendue  acetonurie  déterminée 
par  l'ablation  du  plexus  cœliaque  {Rivista  gêner.  Ital.  di  clin,  medica,  n"*  12,13,  p.  283, 1891). 
—  A.  LusTiG  et  B.  Oddi.Sm)'  quelques  récentes  recherches  touchant  l'acétonurie  et  la  glycosurie 

DICT.  DE   PHYSIOLOGIE.    —  TOME.    I.  7 


98  ACÉTYLÈNE    —    AC  H  RO  IVI  ATO  PSI  E. 

expérimentale  {Arch.  italien,  de  Biologie,  t.  xvii,  p.  121,  1892).  —  Talamon.  Acéfo/iucitf  céré- 
brale dans  un  cas  de  rhumatisme  articulaire  aigu  (Médecine  moderne,  t  avril  1891).  —  André 
et  Baglan.  Acétonurie  expérimentale  {Midi  médical,  juin  1892).  —  Lailler.  De  l'Acétonu- 
rie  chez  les  aliénés  à  propos  d'une  communication  à  laSociété  de  médecine  mentale  de  Belgique 
en  septembre  1891,  par  MM.  Boeck  et  Slosse  {Annales  médico-psychologiques,  mars- 
avril  1892.  —  BoEsi.  Recherches  cliriiques  et  expérimentales  sur  l'acétonémie  (Rivista  dl 
clinica  et  terapeutica,  1892). 

CH.   LIVON. 

ACETYLENE.  —  Carbure  d'iiydrogène  (C-H-).  Ou  ne  connaît  pas  ses  pro- 
priétés physiologiques.  On  suppose  cependant  qu'il  se  combine  à  l'hémoglobine  du 
sang  pour  produire  des  effets  analogues  à  ceux  de  J'oxyde  de  carbone. 

ACHILLEINE.  —  Matière  amère  qu'on  extrait  de  l'Ar-hillée  {.ichillea  mille- 
folium)  et  qui  fut  découverte  par  Zanon  (Zanon,  A.  C.  P.,  t.  lviii,  p.  31). 

ACHOLIE.  —  Suppression  de  la  sécrétion  biliaire.  Elle  peut  être  due  à 
diverses  causes;  il  y  a  l'acholie  de  cause  toxique,  l'aoholie  de  cause  mécanique  et  l'acho- 
lie  de  cause  physiologique,  due  à  une  perturbation  organique  du  foie  (Voyez  Bile). 

ACH  ROM  ATOPSIE.  — Un  sens  chromatique  normal  fournit  une  infinité 
de  sensations  visuelles,  différentes  par  leurs  teintes,  le  ton  de  la  couleur.  Le  daltonien 
n'a  que  deux  sensations  colorées;  l'une  jaune,  dans  la  moitié  la  moins  réfrangible  du 
spectre  ;  l'autre  bleue,  dans  la  moitié  la  plus  réfrangible  dn  sceptre.  Ces  deux  teintes 
peuvent  varier  d'intensité  lumineuse,  devenir  sombres;  elles  peuvent  se  mélanger  de 
blanc,  devenir  claires,  peu  saturées.  Mais  toujours  c'est  l'une  ou  l'autre  des  deux  cou- 
leurs, plus  ou  moins  lumineuse,  plus  ou  moins  saturée.  Le  daltonien  voit  aussi  du  blanc, 
avec  ses  nuances  grises;  de  plus,  il  a  des  sensations  visuelles  noires  (Voyez  Daltonisme). 

A  en  juger  d'après  ceitaines  observations,  il  pourrait  y  avoir  des  organes  visuels 
normaux  pour  le  reste,  mais  qui  depuis  la  naissance  ne  produiraient  que  des  sensations 
blanches,  et  leurs  nuances  grises;  ces  personnes  auraient  aussi  des  sensations  visuelles 
noires.  Le  blanc  et  le  noir  sont  donc  en  som?ne  les  deux  seules  qualités  de  la  sensation 
visuelle  que  ces  yeux  «  achromatopes  »  pourraient  produire.  Toutes  les  lumières,  sim- 
ples ou  composées,  font  sur  eux  l'impression  d'un  gris  ou  blanc  plus  ou  moins  intense. 
Les  sensations  visuelles  dans  «  l'achromatopsie  »  ne  diffèrent  entre  elles  que  par  leur 
intensité  lumineuse.  Entre  les  gravures  et  les  tableaux,  il  n'y  a  aucune  différence  lumi- 
neuse. Le  monde  extérieur  parait  à  ces  gens  comme  un  tlessin  unicolore  ou  une  photo- 
graphie. 

L'achromatopsie  totale  congénitale  est  excessivement  rare.  C'est  à  peine  si  les  publi- 
cations ophtalmologiques  signalent  une  vingtaine  de  cas  observés.  Si  néanmoins  on 
attache  un  intérêt  marqué  à  ces  observations,  c'est  en  vue  de  l'importance  théorique 
qu'on  leur  attribue.  On  espère  trouver  dans  leur  étude  la  clef  du  mystère  de  la  chroma- 
topsie  normale.  On  ne  manquejamais  de  rapprocher  l'achromatopsie  totale  et  le  dalto- 
nisme congénital  ;  on  veut  y  voir  un  degré  plus  prononcé  de  cette  dernière  anomalie. 
Il  y  a  lieu  toutefois  de  relever  tout  d'abord  une  différence  essentielle  entre  les  deux 
espèces  de  cas.  Dans  le  daltonisme,  l'acuité  visuelle  est  normale  ;  il  en  est  de  même  du 
sens  de  lumière,  ou  à  peu  près.  Le  champ  visuel  est  normal.  Dans  l'achromatopsie  totale 
congénitale  au  contraire,  l'acuité  visuelle,  le  sens  de  lumière,  et  le  champ  visuel  sont 
fortement  entamés,  tout  comme  dans  les  cas  d'achromatopsie  acquise  par  suite  de 
maladies  dans  les  conducteurs  périphériques  de  l'appareil  nerveux  visuel.  Cette  circon- 
stance tend  donc  à  faire  de  l'achromatopsie  congénitale  aussi  un  état  différent  par 
essence  du  daltonisme  congénital. 

Dans  l'immense  majorité  des  cas  d'achromatopsie  congénitale  publiés,  les  autres 
fonctions  rétiniennes  sont  profondément  atteintes.  Cela  est  vrai  notamment  des  trois  cas 
observés  par  Landolt,  dans  celui  de  Magnus  et  dans  celui  de  Dor.  L'acuité  visuelle  n'y 
était  que  de  un  à  deux  dizièmes  de  la  normale.  D'autres  auteurs  ne  parlent  pas  de 
troubles  de  l'acuité  visuelle  ;  on  peut  en  conclure  tout  au  plus  que  chez  leurs  sujets  elle 


ACHROM  ATOPSIE.  !)() 

n'était  pas  très  défectueuse.  Galezowski  qualifie  de  bonne  l'acuité  visuelle  de  son  cas.  Or 
il  y  signale  l'existence  du  nj'Stagmus.  Et  le  nystagnius  congénital  est  à  peu  près  toujours 
compliqué  d'un  degré  prononcé  d'amblyopie,  due  à  une  malformation  du  système  ner- 
veux optique.  Il  n'y  a  en  somme  que  l'observation  d'O.  Becker,  d'une  telle  achroma- 
topsie  bornée  à  un  seul  œil,  où  l'acuité  visuelle  se  soit  trouvée  absolument  normale. 

Le  sens  de  lumière  n'a  guère  été  examiné  systématiquement;  il  est  à  supposer  qu'il 
était  plus  ou  moins  défectueux  dans  tous  ces  cas.  Précisément  le  cas  d'O.  Becker,  avec 
acuité  visuelle  normale,  présentait  une  diminution  de  la  sensibilité  auxdilfe'rences  d'éclai- 
rage. Dans  un  cas  de  Landolt,  les  couleurs  spectrales  montraient  toutefois  les  mêmes 
clartés  relatives  que  pour  un  œil  normal. 

L'étendue  du  spectre  visible  n'a  guère  été  examinée  dans  l'achromatopsie  congéni- 
tale; il  est  à  supposer  que  le  spectre  est  rétréci  à  l'une  ou  l'autre  de  ses  extrémités,  peut- 
être  à  toutes  les  deux. 

Le  champ  visuel  était  irrégulièrement  rétréci  dans  un  cas  de  Landolt,  ce  qui  semble- 
rait dénoter  une  altération  de  la  rétine;  il  était  normal  dans  le  cas  d'O.  Bëoker.  Landolt 
renseigne  des  altérations  du  fond  de  l'œil,  tandis  que  d'autres  auteurs  n'ont  rien  trouvé 
d'anormal  à  l'examen  ophtalmoscopique.  Le  nystagmus  a  été  signalé  dans  la  plupart  des 
cas  ;  et  nous  avons  dit  que  le  nystagmus  congénital  s'accompagne  d'amblyopie;  il  repose 
sur  une  altération  profonde  de  l'appareil  nerveux  visuel. 

Ajoutons  enfin  qu'à  en  juger  d'après  les  quelques  cas  publiés,  l'achromatopsie  con- 
génitale atteint  ordinairement  les  deux  yeux  à  la  fois,  et  qu'elle  se  rencontre  souvent  chez 
plusieurs  membres  de  la  même  famille.  Le  cas  d'O.  Becker  fut  observé  dans  une  famille 
de  daltoniens.  L'aviteur  rappelle  que  l'achromatopsie  unilatérale  pourrait  très  bien  pas- 
ser inaperçue  si,  comme  on  le  fait  habituellement,  ou  explore  la  chromatopsie  des  deux 
yeux  à  la  fois. 

Avant  de  discuter  la  signification  physiologique  de  l'achromatopsie  congénitale,  il 
convient  d'examiner  les  circonstances  assez  nombreuses  où  un  œil  à  chromatopsie  nor- 
male peut  voir  incolores  des  lumières  généralement  colorées,  puis  de  rappeler  les  points 
essentiels  de  l'achromatopsie  pathologique,  consécutive  a.  des  maladies  de  l'organe 
visuel. 

1°  Un  organe  visuel  normal  voit  incolores  toutes  les  lumières,  simples  ou  composées, 
pourvu  que  leur  intensité  lumineuse  soit  assez  faible.  Il  faut  à  cet  effet  un  éclairage 
d'autant  plus  faible  que  la  surface  rétinienne  éclairée  est  plus  grande.  La  chromatopsie 
normale  est  eu  eiTet  fonction  et  de  l'éclairage,  et  de  la  grandeur  de  l'image  rétinienne. 

Il  y  a  d'ailleurs  sous  ce  rapport  de  grandes  différences  entre  les  différentes  couleurs  : 
une  lumière  verte  ou  rouge  par  exemple  est  incolore  à  un  éclairage  général  pour  lequel 
une  bleue  ou  jaune  produit  encore  sa  sensation  chromatique.  A  un  faible  éclairage,  la 
rétine  est  daltonienne,  puis  achromatope. 

2°  Le  contraste  lumineux  successif  (produisant  les  images  accidentelles  négatives)  peut 
faire  voir  incolore  une  lumière  généralement  colorée.  Une  couleur  peu  saturée  paraît 
grise  si  elle  tombe  sur  un  endroit  rétinien  préalablement  éclairé  par  une  lumière  ayant 
cette  teinte.  On  aime  à  dire  que  l'endroit  rétinien  eu  question  est  «  fatigué  »  pour  cette 
couleur. 

3°  Sur  la  périphérie  rétinienne,  nous  sommes  tous  achromatopes,  mais  achroma- 
topes  seulement  pour  une  certaine  intensité,  même  assez  forte,  de  n'importe  quelle  lu- 
mière. La  périphérie  rétinienne  est  apte  à  fournir  des  sensations  colorées,  pourvu  que 
la  lumière  soit  assez  intense  (Landolt).  —  L'inUuence  de  la  grandeur  de  l'image  léli- 
nienne  se  fait  sentir  dans  le  même  sens  que  l'éclairage.  Un  endroit  rétinien  intermé- 
diaire entre  le  centre  el  la  périphérie  fournit  encore  des  sensations  de  couleur,  pourvu 
que  la  lumière  éclaire  une  assez  grande  étendue  de  la  membrane  nerveuse.  —  Enfin, 
les  couleurs  qui  sont  perçues  avec  l'éclairage  le  plus  faible  (le  bleu  et  le  jaune)  sont 
aussi,  l'éclairage  étant  à  peu  près  le  même,  distinguées  le  plus  loin  sur  la  périphérie  ré- 
tinienne, et  sous  un  angle  plus  petit. 

4"  A  ces  exemples  d'achromatopsie  normale,  il  faut  ajouter  les  nombreux  cas  d'achro- 
matopsie  pathologique.  Dans  certaines  maladies  de  l'appareil  nerveux  optique,  surtout 
dans  les  processus  atrophiques  du  nerf  optique,  il  survient  une  achromatopsie  complète 
de  toute  la  rétine,  achromatopsie  qui  le  plus  souvent  précède  la  cécité  complète.  Et 


100  ACHROMATOPSIE. 

avant  d'aboutir  à  l'achromatopsie,  le  sens  visuel  passe  par  un  stade  où  certaines  couleurs 
sont  seules  perçues  comme  telles.  De  nouveau,  c'est  généralemant  le  jaune  et  le  bleu 
qui  persistent  en  dernier  lieu.  A  ce  moment,  l'œil  fait  en  somme  les  mêmes  confusions 
de  couleurs  que  dans  le  daltonisme  congénital.  Comme  dans  ce  dernier,  il  ne  persiste 
que  deux  couleurs,  la  jaune  dans  la  moitié  la  moins  réfrangible,  la  bleue  dans  la  partie 
la  plus  réfrangible  du  spectre.  11  se  présente  toutefois  des  cas  exceptionnels  ou  d'autres 
couleurs  semblent  persister  en  dernier  lieu. 

Avant  de  devenir  absolue,  l'achromatopsie  pathologique  n'est  que  relative,  c'est-à- 
dire  relative  à  l'éclairage  et  à  la  grandeur  de  l'image  rétinienne  ;  une  lumière  plus  in- 
tense, ou  l'éclairement  d'une  plus  grande  étendue  rétinienne,  peuvent  encore  provoquer 
une  sensation  chromatique,  colorée. 

L'achromatopsie  pathologique,  dans  les  dégénérescences  atrophiques  diffuses  du  nerf 
optique,  n'envahit  d'abord  qu'une  partie  périphérique  de  la  rétine.  Somme  toute, 
l'acliromatopsie  normale,  physiologique,  de  la  périphérie  rétinienne,  s'étend  peu  à  peu 
vers  le  centre  rétinien,  qu'elle  finit  par  envahir  lui-même.  Les  champs  de  couleurs 
normaux  (voyez  Périmétrie)  se  rétrécissent  tous,  deviennent  punctiformes,  et  s'éva- 
nouissent, à  commencer  par  ceux  qui  normalement  sont  les  moins  étendus,  par  le  rouge, 
le  vert  et  le  violet.  Encore  une  fois,  le  bleu  et  le  jaune  sont  les  derniers  à  s'éclipser  tota- 
lement. 

Dans  le  cours  de  ces  maladies,  il  arrive  que  l'acuité  visuelle  centrale  de  la  fovea  cen- 
tralis  soit  encore  normale  ou  à  peu  près,  alors  que  la  chromatopsie  est  déjà  très  réduite 
sur  le  restant  de  la  rétine.  On  peut  même  trouver  que  la  ehromatopsie  de  la  fovea  est 
réduite,  voire  même  abolie  pour  un  éclairage  moyen,  alors  que  l'acuité  visuelle  y  est 
encore  normale.  —  Sur  le  restant  de  la  rétine,  c'est-à-dire  sur  sa  plus  grande  étendue, 
la  chromatopsie  n'a  guère  été  trouvée  abolie  sans  que  le  sens  de  lumière  et  l'acuité 
visuelle  y  aient  été  plus  ou  moins  réduits  également. 

On  observe  aussi  des  cas  pathologiques  où  un  secteur  rétinien  bien  circonscrit  est 
seul  atteint  dans  sa  chromatopsie.  On  suppose  alors,  et  pour  certains  cas  la  chose  est 
prouvée,  une  dégénérescence  de  faisceaux  limités  du  nerf  optique. 

Un  exemple  de  ce  geure  qui  offre  un  certain  intérêt  théorique  est  celui  où  une  moitié 
latérale  d'un  champ  visuel,  où  même  les  deux  moitiés  homonymes  des  deux  champs 
visuels  sont  devenus  achromatopes.  On  a  même  soutenu  que  la  chromatopsie  peut  être 
abolie  dans  une  moitié  du  champ  visuel,  alors  que  l'acuité  visuelle,  et  le  sens  de 
lumière  y  étaient  conservés  intacts.  Ce  dernier  pointue  semble  pas  établi  à  toute  évidence. 

Un  cas  remarquable  est  celui  où,  par  suite  d'une  maladie  du  nerf  optique,  les  fonctions 
de  la  fovea  seule  (et  d'une  partie  avoisinante  de  la  macula  lutea)  sont  atteintes,  tandis 
que  le  restant  de  la  rétine  fonctionne  normalement.  Ce  sont  les  scotomes  centraux  par 
suite  d'intoxications  diverses  (par  l'alcool,  la  nicotine,  le  sulfure  de  carbone,  etc.).  La 
chromatopsie  diminue  dans  la  fovea;  elle  passe  par  un  stade  franchement  daltonien, 
et  peut  aboutir  à  l'achromatopsie  complète.  Dans  le  stade  daltonien,  l'acuité  visuelle 
est  déjà  entamée  ;  mais  elle  peut  être  encore  relativement  bonne.  Dans  le  stade  d'açhro- 
matopsie,  elle  est  toujours  fortement  réduite.  En  même  temps  le  sens  de  la  lumière  y  a 
baissé  ;  le  minimum  de  lumière  nécessaire  pour  provoquer  encore  une  sensation  lumi- 
neuse est  sensiblement  plus  élevé  qu'à  l'état  normal.  —  On  a  démontré  qu'il  s'agit  ici 
toujours  d'une  dégénérescence  des  fibres  du  nerf  optique  qui  innervent  la.  fovea  centralis. 

Si  donc  nous  faisons  une  certaine  réserve  pour  la  fovea  centralis,  nous  pouvons  dire 
que  lorsque,  par  suite  de  processus  pathologiques  dans  l'appareil  nerveux  optique  — 
et  il  s'agit  ordinairement,  sinon  toujours,  d'altérations  des  libres  du  nerf  —  la  chroma- 
topsie est  diminuée  sur  une  partie  de  la  rétine,  l'acuité  visuelle,  le  pouvoir  de  distinc- 
tion y  est  diminué  également.  Le  stade  de  l'achromatopsie  semble  même  dans  la  fovea 
être  toujours  compliqué  d'une  réduction  de  l'acuité  visuelle.  Le  sens  de  lumière  diminue 
dans  les  mêmes  circonstances,  soit  qu'on  le  mesure  à  l'aide  de  la  sensibilité  aux  diiïé- 
rences  d'éclairage,  soit  qu'on  l'évalue  en  déterminant  le  minimum  d'éclairage,  néces- 
saire (et  suffisant)  pour  provoquer  encore  une  sensation  lumineuse  simple. 

Les  processus  pathologiques  siégeant  dans  les  éléments  conducteurs  périphériques  de 
l'appareil  optique  y  diminuent  l'excitabilité,  le  travail  physiologique.  Au  point  de  vue  de 
l'etiet  sensoriel  de  l'excitation,  l'elfet  est  analogue  à  celui  d'une  diminution  de  l'éclairage. 


ACHROMATOPSIE.  101 

La  chromatopsie  esL  d'abord  diminuée  (stade  daltonien  dans  l'un  et  l'autre  cas),  puis 
elle  passe  à  Tachromatopsie  complète.  Pour  l'un  et  l'autre  cas,  la  cause  en  est  dans  la 
réduction  du  processus  qui  se  passe  dans  les  éléments  nerveux  optiques. 

On  explique  souvent  l'acliromatopsie  de  la  périphérie  rétinienne  aussi  par  une 
moindre  excitabilité  des  éléments  nerveux.  A  cela  on  objecte  que,  pour  produire  sur  la 
périphérie  rétinienne  une  impression  lumineuse  simple,  blanche,  il  ne  faut  pas  une  plus 
forte  intensité  lumineuse  que  pour  la  produire  dans  la  fovea.  L'objection  a  certainement 
sa  valeur.  Cependant  l'excitabilité  de  la  périphérie  rétinienne  semble  être  moindre,  en 
ce  sens  que  l'excitation  y  croit  moins  vite  avec  l'excitant  que  dans  le  centre  rétinien. 

Ceci  étant  donc  admis,  l'achromatopsie  de  la  périphérie  rétinienne,  celle  du  centre 
rétinien  à  un  faible  éclairage,  et  enlîn  l'achromatopsie  due  à  des  maladies  des  éléments 
nerveux  périphériques  de  l'organe  visuel,  peuvent  être  ramenées  à  un  seul  facteur,  à,  une 
moindre  énergie  du  processus  physiologique  qui  se  passe  dans  les  éléments  nerveux 
visuels. 

Dans  toutes  ces  circonstances,  les  autres  fonctions  rétiniennes,  le  sens  de  lumière  et 
l'acuité  visuelle  souffrent  plus  ou  moins,  en  même  temps  que  la  chromatopsie. 

Mais,  dit-on,  il  est  des  circonstances  où  l'une  de  ces  fonctions  rétiniennes  peut  être 
abaissée  reJativement  plus  que  les  autres.  Tel  est  le  cas  notamment  pour  la  périphérie 
rétinienne,  où  le  sens  de  lumière  est  aussi  exquis  que  dans  la  fovea,  etoii  la  chromatopsie 
et  l'acuité  visuelle  sont  presque  nulles.  Nous  avons  de  plus  signalé  des  cas  pathologiques 
oîi,  par  suite  d'altérations  diffuses  de  tout  le  nerf  optique,  l'acuité  visuelle  de  la  fovea  est 
à  peu  près  normale,  alors  que  la  chromatopsie  a  baissé  notablement  dans  le  restant  de 
]a  rétine,  voire  même  dans  la  fovea  elle-même.  L'hypothèse  d'un  moindre  travail  physio- 
logique n'explique  donc  pas  tous  les  phénomènes;  certains  auteurs  admettent  que 
Tacuité  visuelle  est  produite  par  des  éléments  nerveux  à  part,  différents  de  ceux  qui 
produisent  la  chromatopsie,  par  exemple,  et  qui  pourraient  fonctionner  encore,  alors 
que  les  autres  seraient  atteints  par  le  processus  dégénératif  ;  sur  la  périphérie  rétinienne 
ils  seraient  moins  développés   ou  moins  nombreux. 

Pour  ce  qui  regarde  la  fovea,  dont  l'acuité  visuelle  peut  être  intacte,  alors  que  la 
chromatopsie  est  diminuée,  surtout  dans  la  périphérie  rétinienne,  et  cela  dans  les  dégé- 
nérescences de  toutes  les  fibres  du  nerf  optique,  on  a  expliqué  les  observations  par 
toutes  sortes  d'hypothèses,  notamment  en  supposant  que  les  fibres  du  nerf  optique  qui 
se  rendent  à  la /'oiiea  seraient  moins  atteintes  par  le  processus  pathologique. 

Nous  pensons  que  la  cause  de  cette  exception  est  la  suivante.  D'après  toutes  les  appa- 
rences (voyez  Acuité  visuelle),  le  maximum  de  l'acuité  visuelle  observée  réellement  aux 
différents  endroits  de  la  rétine  est  déterminé  par  des  causes  différentes.  En  dehors  de 
la  fovea,  ce  maximum  est  dû  à  la  constitution  physiologique  de  la  rétine.  Dans  la  fovea, 
il  est  le  fait  des  imperfections  du  système  dioptrique  de  l'œil;  la  constitution  physiolo- 
gique de  la  fovea  y  admettrait  une  acviité  physiologique  beaucoup  plus  grande  que  celle 
qu'on  observe  réellement.  Une  diminution  des  propriétés  physiologiques  de  tous  les 
éléments  optiques  devra  donc^  diminuer  l'acuité  visuelle  sur  la  périphérie  rétinienne, 
mais  peut  laisser  normale  l'acuité  visuelle  de  la  fovea  centralis  —  aussi  longtemps  que 
l'acuité  visuelle  comme  fonction  nerveuse  est  encore  supérieure  à  cette  même  acuité 
comme  fonction  de  la  netteté  de  l'image  rétinienne.  La  chromatopsie  dans  la  fovea  n'est 
pas  plus  développée  que  dans  le  restant  de  la  rétine.  Elle  y  est  fonction  de  l'éclairage  et 
de  la  grandeur  de  fimage  rétinienne,  et  cela  dans  la  même  mesure  que  sur  la  péri- 
phérie rétinienne.  On  conçoit  donc  qu'elle  puisse  y  être  atteinte  dans  une  plus  forte 
mesure  que  l'acuité  visuelle,  même  dans  l'hypothèse  d'un  seul  élément  photo-sensible, 
produisant  et  la  chromatopsie,  et  l'acuité  visuelle. 

Pour  prouver  que  l'acuité  visuelle  est  le  fait  d'autres  éléments  corticaux  que  la  chro- 
matopsie, on  a  invoqué  l'achromatopsie  qui  se  présente  sous  forme  d'hémianopie,  et 
surtout  sous  celle  d'hémianopie  double  homonyme.  Au  dire  des  auteurs,  l'acuité  visuelle 
pourrait  être  normale  ou  à  peu  près  dans  la  partie  achromatope  du  champ  visuel 
(A.  Charpentier).  —  L'hémianopie  bomonyme  devant  être  mise  sur  le  compte  d'une 
altération  hémisphérique,  elle  tendrait  à  prouver  que  les  éléments  corticaux  percepteurs 
des  couleurs  sont  différents  de  ceux  qui  produisent  l'acuité  visuelle.  Les  observations  de 
ce  genre  sont  trop  peu  nombreuses  pour  qu'on  puisse  admettre  comme  chose  absolument 


102  ACHROODEXTRINES    —    ACIDES    (Milieux). 

prouvée  que  la  chromatopsie  puisse  être  abolie  dans   une  moitié  du  champ  visuel,  alors 
que  l'acuité  visuelle  y  est  normale.. 

Chaque  fois  donc  que  la  chromatopsie  se  réduit  et  disparaît,  elle  passe  d'abord  par 
un  stade  daltonien.  Il  est  dès  lors  assez  naturel  de  supposer  à  toutes  ces  diminutions  delà 
chromatopsie  une  cause  commune,  qui,  selon  qu'elle  serait  plus  ou  moins  prononcée, 
produirait  tantôt  l'achromatopsie  complète,  tantôt  l'achromatopsie  partielle,  dont  la 
forme  la  plus  fréquente  est  le  daltonisme.  Ce  facteur  commun  serait  la  diminution  du 
travail  physiologique,  soit  par  diminution  des  propriétés  physiologiques,  soit  par  dimu- 
tion  de  l'excitant  extérieur. 

Une  telle  hypothèse  s'applique  assez  bien  à  tous  les  cas,  sauf  au  daltonisme  congéni- 
tal. Pour  ce  qui  est  de  l'achromatopsie  congénitale,  l'examen  des  autres  fonctions  de 
l'appareil  optique  tend  à  la  rapprocher  de  l'achromatopsie  acquise  par  suite  de  proces- 
sus pathologiques  dans  la  périphérie  de  l'appareil  nerveux  visuel.  Elle  semble  découler 
d'une  diminution  de  l'excitabilité  des  éléments  nerveux  visuels  existant  déjà  à  la  nais- 
sance. La  probabilité  est  que  cette  diminution  serait  le  résultat  d'une  maladie  intra-uté- 
rine, peut-être  aussi  d'un  développement  anormal  des  parties  périphériques  de  l'appa- 
reil nerveux  visuel.  La  diminution  de  l'acuité  visuelle,  la  forme  du  champ  visuel,  le 
nystagmus,  etc.,  parlent  dans  ce  sens.  Il  n'y  a  en  somme  que  le  cas  d'O.  Becrer  dans 
lequel  toutes  les  autres  fonctions  rétiniennes  étaient  intactes.  C'est  trop  peu  pour  rap- 
procher du  daltonisme  congénital  la  classe  entière  de  l'achromatopsie  congénitale. 

Les  partisans  des  diverses  théories  émises  sur  le  mécanisme  physiologique  de  la  per- 
ception des  couleurs  essayent  d'expliquer  l'achromatopsie  à  leur  point  de  vue.  La  plus 
ancienne  en  date,  celle  de  Young  et  Helmholtz,  des  trois  énergies  spécifiques,  expli- 
que le  daltonisme  congénital  par  l'absence  d'une  des  trois  énergies.  L'achromatopsie 
serait  produite  par  l'absence  de  deux  de  ces  énergies;  chaque  lumière  suffisamment 
intense  devrait  produire  la  sensation  colorée  correspondante,  qui  serait  confondue  avec 
le  blanc  (ou  le  gris).  Parmi  les  nombreuses  difficultés  qu'elle  rencontre  pour  rendre 
cornpte  de  l'achromatopsie  congénitale,  citons  notamment  le  fait  quejl'achromatope  voit 
aux  divers  endroits  du  spectre  les  mêmes  intensités  lumineuses  relatives  qu'un  sens 
visuel  normal  (pour  la  chromatopsie). 

La  théorie  de  Hehkg  semble  se  prêter  mieux  à  une  explication  des  faits.  D'après  elle 
les  transformations  chimiques  d'une  substance  «  visuelle  »  produisant  les  seules  sensa- 
tions noires,  blanches  et  grises,  et  les  couleurs  proprement  dites  étant  le  fait  des  méta- 
morphoses chimiques  de  deux  autres  substances  «  visuelles  »,  il  suffit  de  supposer  que 
ces  deux  dernières  substances  font  défaut  dans  l'achromatopsie.  On  sait  que  l'absence 
de  l'une  de  ces  substances  suffit  pour  expliquer  assez  bien  le  daltonisme  congé- 
nital. 

11  n'y  aurait  guère  d'intérêt  physiologique  majeur  à  poursuivre  davantage  les  phéno- 
mènes d'achromatopsie  au  point  de  vue  de  ces  théories. 

Bibliographie.  —  0.  Becker  (Arch.  f.  Ophth.,  1879,  f.  2,  p.  204).  —  Donders  {Klin. 
Monatstil.  f.  Augenhellk.,  1871,  p.  470). —  T>or  [Rev.  génér.  d'opht.,  1883,  p.  433).  —  Favre 
{Gaz.  hebdom.,  1879,  p.  92  et  104;  1888,  p.  598).  —  Goubert.  De  Vachromatopsie,  Paris, 
1867,  p.  49.  —  Galezowski.  Chromatopsie  rétinienne,  1869.  —  Lanbolt.  Traité  complet 
d'opht.  de  De  Wecker  et  Laxdolt,  p.  366.  —  Un  cas  d'achromatopsie  totale  {Arc/i.  d'opht., 
1881,  p.  114).  —  Vnnouveau  cas  d' achromatoiiôie  totale  [Ibidem,  1891,  p.  202). 

NUEL. 

ACHROODEXTRINES.  —  Nom  créé  par  Brdcke  pour  désigner  les 
dextrines  dont  les  solutions  aqueuses  ne  sont  pas  colorées  par  l'eau  iodée  (Voir  Dextrines). 

ACIDES  (Milieux).  —  Les  êtres  organisés  ne  peuvent  vivre  et  se  développer 
que  dans  des  milieux  neutres  ou  à  peu  près  neutres,  et  les  deux  milieux  dans  lesquels 
nous  étudions  les  manifestations  les  plus  importantes  de  la  vie,  l'air  et  l'eau,  ont  ce 
caractère  de  neutralité.  Si  nous  créons  d'autr.es  milieux  artificiels  dans  lesquels  nous 
introduisons  un  acide  quelconque,  ces  milieux  deviennent  mortels.  Les  microbes 
ne  font  pas  exception  à  cette  loi;  les  bouillons  de  culture  doivent  être  neutres  ou  légè- 
rement alcalins;  et  ce  n'est  que  par  une  exception,  plutôt  apparente,  que  les  microbes 


ACIDES  (Milieux).  li!3 

qui  forment  les  ferments  acétiques,  butyriques,  lactiques,  vivent  dans  un  milieu  acide, 
car  ils  ne  survivent  qu'un  temps  très  court  à  la  formation  de  l'acide.  Quant  à  savoir  le 
moment  précis  où  la  fermentation  s'arrête,  autrement  dit  le  moment  précis  oii  les 
microbes  cessent  de  vivre  par  suite  de  la  trop  grande  acidité  du  liquide,  c'est  ce  qu'il  est 
difficile  de  déterminer  d'une  façon  absolue.  Pourtant,  Ch.  Richet  {Note  sur  la  fermen- 
tation lactique,  C.  R-,  1878,  t.  Lxxxvi,  p.  36  et  1879,  t.  lxxxviii,  p.  730)  a  montré  que  la 
fermentation  lactique  dans  le  lait  s'arrête  absolument  lorsque  la  quantité  d'acide  atteint 
15  grammes  par  litre. 

Dans  le  même  ordre  d'idées,  Wurtz  et  Mosing  (B.  B.,  27  janvier  1894)  ont  constaté  que 
le  pneumocoque  produit  de  l'acide  formique  qui  stérilise  les  cultures.  Dans  ce  cas,  la 
formation  d'acide  équivaut  à  la  production  d'une  substance  toxique.  Et  l'on  peut  dire  que 
tous  les  acides  agissent  sur  les  microbes  comme  des  substances  toxiques  :  c'est  cette  action 
qui  a  conduit  à  les  employer  comme  antiseptiques.  A  des  doses  qui  varient  suivant  leur 
nature,  les  acides  minéraux,  d'après  Miquel  (V.  Teouessart.  Thérapeutique  antiseptique, 
p.  239),  empêchent  la  putréfaction  aux  doses  de  2  à  .t  grammes  par  lilre;  les  acides 
organiques  aux  doses  de  3  à  K  grammes  par  litre.  Cette  propriété  antiseptique  des 
acides,  nous  la  trouvons  également  dans  un  liquide  de  l'organisme;  le  suc  gastrique. 
11  n'y  a  pas  très  longtemps  encore,  le  rôle  antiseptique  du  suc  gastrique  était  attribué  à 
la  pepsine.  C'est  Albertoni  qui,  en  1874,  montra  que  cette  action  était  due,  en  réa- 
lité, à  l'acide  chlorhydrique  du  suc  gastrique.  Ses  expériences  ont  été  vérifiées  par 
Ch.  Richet  {Suc  gastrique,  1878,  p.  113)  qui  prouva  que  quelques  gouttes  d'acide 
chlorhydrique  sont  plus  efficaces  pour  empêcher  la  putréfaction  que  de  grandes  quan- 
tités de  pepsine. 

Nous  devons  mentionner  ici  la  résistance  curieuse  des  champignons  aux  acides, 
résistance  qui  tout  d'abord  semblerait  en  contradiction  avec  la  loi  énoncée  au  début  de 
cet  article.  Alors  que  les  bactéries  ne  peuvent  vivre  dans  un  milieu  acide,  au  contraire, 
les  champignons  s'y  développent  normalement.  Mais  cette  acidité  ne  persiste  pas. 
A  mesure  que  les  champignons  se  développent,  ils  produisent  de  l'ammoniaque  qui, 
au  fur  et  à  mesure  de  sa  formation,  neutralise  l'acide  du  liquide.  Et,  en  effet,  il 
arrive  un  moment  où  le  liquide  est  complètement  neutre,  si  bien  que  les  bacté- 
ries peuvent  vivre  et  succéder  aux  champignons.  C'est  là  un  phénomène  qu'on  peut 
vérifier  par  exemple  sur  une  urine  très  acide.  On  verra  d'abord  le  développement 
progressif  des  champignons,  puis  on  constatera  la  neutralité  de  l'urine  et  alors 
seulement  l'apparition  des  bactéries. 

Voyous  maintenant  ce  qui  se  passe  lorsqu'un  animal  est  plongé  dans  un  milieu  acide. 
Ces  expériences  ont  été  faites  surtout  sur  les  poissons  et  les  écrevisses.  Ch.  Richet, 
en  étudiant  la  vie  des  écrevisses  dans  les  milieux  acides  ou  alcalins,  a  constaté  que  les 
liquides  acides  ou  basiques  ne  sont  pas  toxiques  en  raison  de  leur  acidité  ou  de  leur 
basicité.  Les  acides  minéraux  sont  beaucoup  plus  toxiques  que  les  acides  organiques. 
Ainsi,  l'acide  azotique  est  deux  fois  plus  toxique  que  les  acides  chlorhydrique  et 
sulfurique,  et  douze  fois  plus  toxique  que  l'acide  acétique  par  molécule  :  ce  qui,  en 
poids,  donne  à  l'acide  azotique  une  toxicité  cinq  fois  plus  grande  que  l'acide  sulfu- 
rique et  vingtcinq  fois  plus  grande  que  l'acide  acétique.  Avec  0k'',5  d'acide  azotique 
par  litre  une  écrevisse  meurt  en  deux  ou, trois  heures  (Ch.  Richet.  De  l'influence  des 
milieux  acides  et  alcalins  sur  la  vie  des  écrevisses.  C.  R.,  t.  xc,  p.  1166,  mai  1880). 

Ces  faits  ont  été  constatés  également  par  M.  Emile  Yung  {Mitth.  d.  Znol.  Station 
zu  Neapel,  1881,  p.  7)  sur  les  poissons,  et,  après  une  série  d'expériences,  il  a 
constaté  la  même  loi,  c'est-à-dire  que,  pour  une  acidité  égale,  dans  les  milieux  à 
acides  minéraux,  la  vie  durait  moins  longtemps  que  dans  les  milieux  à  acides  orga- 
niques. 

Acidité  de  quelques  liquides  de  l'organisme.  —  En  général,  les  liquides  de 
l'organisme  sont  neutres  ou  alcalins,  mais  il  y  a  des  exceptions  :  par  exemple,  le  suc 
gastrique,  l'urine  et  la  sécrétion  salivaire  chez  quelques  mollusques  (Voy.  Suc  gastrique 
et  Urine).  L'acidité  moyenne  du  suc  gastrique  chez  l'homme  est  de  2  grammes  par  lilre, 
mais  chez  les  poissons  elle  peut  atteindre  15  grammes  par  litre  L'acidité  du  suc 
gastrique  est  due,  nous  l'avons  dit,  et  cela  a  été  démontré  surabondamment,  à  l'acide 
chlorhydrique.  Pour  expliquer  la  formation  de  cet  acide  chlorhydrique  dans  l'estomac, 


104  ACONELLINE    —    ACONITINE. 

de  nombreuses  hypothèses  ont  été  éniises.  II  s'agit  évidemment  d'une  décomposition 
(lu  chlorure  de  sodium  qui  se  transforme  en  HCl,  restant  dans  l'estomac  et  en  iNa  qui 
est  éliminé. 

Pour  l'uiine,  son  acidité  moyenne  répond  à  0,8  de  soude  par  litre.  Cette  acidité  est 
due  à  l'acide  hippurique  libre,  et  peut-être  à  une  petite  quantité  d'acide  lactique  et 
aussi  d'acide  carbonique  existant  en  liberté  dans  l'urine.  L'acidité  de  l'urine  explique 
la  formation  des  calculs  d'acide  urique. 

Toxicité  des  acides  introduits  dans  l'organisme.  —  Les  expériences  sur  la 
toxicité  des  acides  introduits  dans  l'organisme  sont  peu  nombreuses.  Lehmann  {Arch.  de 
Pf.,  t.  XLir,  p.  284)  a  montré  que,  si  l'on  injecte  un  acide  dans  le  sang  d'un  animal,  la 
respiration  est  énormément  accélérée.  Avec  de  l'acide  phosphorique  et  de  l'acide  tar- 
trique,  il  a  obtenu  ce  résultat.  Inversement,  avec  de  la  soude,  il  a  vu  diminuer  les  mou- 
vements respiratoires.  Ch.  Richet  a  trouvé  que  la  dose  toxique  d'un  acide  injecté 
dans  le  sang  était  de  0,24  par  kilogramme  de  poids  vif  (Voy.  L.\i\glois  et  de  Vahigny. 
R.  S.  M.,  1889,  t.  x.Kxni,  p.  283). 

Enfin  ZuNTzet  Geppert,  d'après  leurs  expériences  (Arc/t.  de  Pf.,i.  xlii,  p.  189),  admet- 
tent que  par  l'effet  du  travail  musculaire  l'alcalinité  du  sang  diminue.  Aussi,  suivant 
eux,  l'accélération  du  mouvement  respiratoire  dans  le  travail  musculaire  violent  serait 
due  à  la  formation  d'un  acide  excitant  les  centres  repiratoires,  mais  la  nature  de  cet  acide 
est  inconnue. 

CH.  R. 

ACONELLINE.  —  En  1864,  T.  et  H.  Smith  trouvèrent  dans  l'extrait  d'aconit 
un  principe  cristallisable  qu'ils  appelèrent  aconelline;  ce  principe,  que  l'on  a  identifié 
avec  la  napelline  et  la  picro-aconitine,  pourrait  ne  pas  exister  à  l'état  naturel  et  n'être 
que  le  résultat  de  la  préparation;  mais  elle  diffère  de  la  napelline  qui  est  cristallisée, 
par  une  toxicité  moindre;  et  de  la  picro-aconitine,  en  ce  que  celle-ci  ne  cristallise  pas. 
Quoi  qu'il  en  soit,  les  cristaux  que  l'on  obtient  sous  le  nom  d'aconelline  sont  très  peu 
solubles  dans  l'eau  et  l'éther,  ils  le  sont  dans  l'alcool,  le  chloroforme  et  l'éther  acétique. 
Une  solution  alcoolique  d'aconelline  dévie  à  gauche  le  plan  de  la  lumière  polarisée. 
Comme  la  narcotine,  elle  donne  avec  l'acide  sulfurique  renfermant  une  petite  quantité 
d'acide  nitrique  une  coloration  rouge.  Elle  forme  des  sels  acides.  Son  chlorhydrate 
cristallisable  peut  fournir  un  chloroplatinate. 

Préparation.  — Voici  le  procédé  indiqué  par  Dupuy.  On  prépare  un  extrait  acide 
avec  le  suc  de  racines  d'aconit.  On  épuise  cet  extrait  par  l'alcool,  puis  on  mêle  la  liqueur 
avec  un  lait  de  chaux  (730  grammes  pour  2o  kilogrammes  de  racines  fraîches).  On 
ajoute  après  flitration  de  l'acide  sulfurique  jusqu'à  cessation  de  précipité.  La  liqueur 
filtrée  est  soumise  à  la  distillation  pour  retirer  l'alcool.  On  sépare  de  la  solution  aqueuse 
qui  reste  une  grande  quantilé  de  matière  grasse  verte  et  on  filtre.  Le  liquide  ainsi 
obtenu  est  fortement  acide,  ou  le  sature  peu  à  peu  avec  une  solution  de  carbonate  de 
soude,  mais  en  le  laissant  légèrement  acide.  Après  1  ou  2  jours  les  parois  du  vase  sont 
recouvertes  de  cristaux  d'aconelline. 

Action.  —  L'aconelline  ne  jouit  nullement  de  la  toxicité  de  l'aconitine,  elle  ne  paraît 
même  pas  toxique,  puisque  un  chat  a  pu  en  absorber  0,30  centigrammes  sans  en  être 
incommodé. 

Bibliographie.  —  T.  et  H.  Ssiith  {Pharmac.  Joiirn.,  1864,  v,  p.  319,  et  1867,  viit, 
p.  123).  —  Dupuy.   Traité  des  Alcaloïdes,  1889. 

CH.  LIVON. 

ACONITINE.  —  L'aconitine  est  l'un  des  produits  toxiques  retirés  de  l'.Aco- 
nilum  Napellus  {Delphinium  Napellus), ])\a.nle  de  la  famille  des  Renonculacées.  Ce  n'est 
pas  toutefois  l'unique  plante  dont  on  se  serve  pour  la  préparation  de  cet  alcaloïde.  On 
emploie  encore  fi'équemment  l'Aconit  féroce  [Aconitum  ferox.Wall)  (Dujardln-Be.u'uetz. 
Dlct.  de  Thér.,  1. 1,  p.  26.),  l'Aconit  hétérophile  {Aconitum  heterophyllum.  Wall),  l'Aconit 
athora  {Aconilum  alhora),  l'Aconit  tue-loup  [Aconitum  lycoctonum),  Y  Aconitum  Storkcanum, 
l'Aconitum  Variegatum,  VAconitum  Cammarum,  Y  Aconitum  paniculatum, 

Le  principe  actif  le  plus  important  est  l'aconitine  qui  aurait  pour  formule,  suivant 


ACONITINE.  105 

Ehbenbebg  etPuRFURST  {Journ.f.  prakt.  Chemie,  t.  43,  1892,  p.  604)C^-H"  i\'0".  C'est  cette 
substance  qui  a  été  étudiée  au  point  de  vue  pharmacodynamique  par  Robert  [Lehrhuch 
der  Into.dcationcn,  p.  633);  Groves  {Pharm.  Joiirn.  t.  vni,  p.  108)  donne  au  contraire 
comme  formule  probable:  G^'^  H"^  NO'-;  tandis  que  Duquesnel  (A.  C,  t.  xxv,  p.  131)  lui 
attribue  la  suivante  :  C^'  H*»  NO'». 

Cet  alcaloïde  se  transformerait  déjà  dans  la  plante  ou  dans  les  solutions  aqueuses, 
sous  l'influence  de  l'eau,  en  substances  moins  toxiques  ou  parfois  même  tout  à  fait 
inolïensives.  Les  transformations  s'effectuei'aient  suivant  les  formules  suivantes  : 

C32H"NOM  +  H2  0  =  C25H3<JNOii  +  C'H<'02 

Picro-aconitiiiG.    Acide  benzoïque. 

C"H3i'NOii  +  H2  0  =  C"H3-;NOi»  +  CH30H 

Napelline.        Alcool  méthylique. 

C2'.H3-NOio  +  H20  =  C22H35NOi'  +  C2Hi02 

Aconini-,         Acide  acétique. 

Richards  et  Roger  {The  Chemist  and  Dniggist,  t.  38,  1891,  p.  187,  203,  242,  568) 
admettent  l'existence  dans  la  plante  de  deux  isomères;  l'a  Aconitine,  et  la  p  Aconitine, 
dont  la  dernière  serait  six  fois  plus  toxique  que  la  première.  On  a  trouvé  dans  différentes 
espèces  d'aconit  une  substance  désignée  par  les  Allemands  sous  le  nom  de  Japaconitine, 
parce  qu'elle  a  été  retirée,  notamment  de  VAconitum  japanicum,  K.  Fr.  Mandelin 
[Arch.  der  Pharm.,  t.  23,  1883,  p.  97,  129,  161)  l'identifie  avec  l'Aconitine.  Lubbe  (Chem. 
pharm akologische  Untersuchungen  des  crystallisirten  Alcaloïdes  aus  den  Japanischen  Kusa 
uzu  Knollen.)  admet  aussi  que  la  japaconitine  est  chimiquement  et  physiologiquement 
analogue  à  l'aconitoxine  (aconitine  cristallisée).  Kobert  {loc.,cit.  p.  657.)  a  établi  également 
qu'il  n'existait  pas  de  différence  appréciable  entre  ces  deux  produits  (Voir  cet  auteur 
pour  la  bibliographie). 

L'aconitine  elle-même,  non  seulement  n'est  pas  définie  d'une  manière  positive,  mais 
les  différents  produits  livrés  au  commerce  sous  ce  nom  jouissent  d'une  activité  très 
,  différente.  C'est  vraisemblablement  à  cette  diversité  dans  les  produits  désignés  sous  un 
même  nom  qu'il  faut  attribuer  tant  de  divergence  dans  les  résultats  expérimentaux.  En 
effet  l'opinion  des  différents  auteurs  sur  l'activité  relative  des  différentes  aconitines  est 
extrêmement  variable. 

Anrep  {Versuche  ùber  die  physiologischeWirkungen  des  deutschen,  englischen  und  Duque- 
snel'schen  Aconitins.—Arch.  f.  Anat.  u.  Physiol.  1880.  SuppL,  t.  v,  p.  161)  admet  que  l'aco- 
nitine allemande  est  plus  active  que  l'aconitine  anglaise,  mais  que  toutes  deux  sont 
moins  toxiques  que  l'aconitine  française  cristallisée  de  Duquesnel.  Ainsi  pour  la  grenouille 
les  doses  toxiques  seraient  respectivement  :  0  milligr.  03,  0,2  et  0,03  pour  les  produits 
allemand,  anglais  et  français.  Buntzen  et  Modsen  (C.  R.  du  Congrès  de  sciences  médicales 
de  Copenhague,  1884)  sont  d'une  opinion  différente.  —  Harnacr  et  Menniore  {TJeber  die 
Wirksamkeit  verschiedener  Handelspreparate  des  Aconilins.  Berl.  klin.  Woch.,  t.  43,  647) 
admettent  après  leurs  expériences  que  l'aconitine  de  Merck  tuerait  les  grenouilles  à 
la  dose  de  1/30  de  milligramme  ;  une  autre  aconitine  extraite  de  l'Aconitum  Ferox  et  la 
japoconitine  exigeraient  des  doses  de  1/10  à  1/15  de  milligramme.  Une  ancienne  aco- 
nitine allemande  n'agirait  qu'à  des  doses  13,  20  fois  plus  fortes.  Une  autre  aconitine, 
préparée  également  par  Merck,  était  un  peu  plus  active  que  l'aconitine  de  Duquesnel;  elle 
agissait,  à  fortes  doses  notamment,  plus  rapidement  que  le  produit  français,  mais  les 
effets  de  ce  dernier  étaient  plus  persistants. 

Il  est  évident  que  la  diversité  des  produits  qui  ont  servi  aux  expériences  explique  en 
partie  les  divergences  dans  les  résultats  obtenus. 

En  France,  les  travaux  de  Laborde  et  Duquesnel  font  autorité  (Laborde  et  Duquesnel. 
Étude  chimique,  physiologique,  toxicologique  et  thérapeulic/ue  de  l'Aconitine,  Paris,  1881. — 
Voir  aussi:  Laborde.  L'Aconitine;  Tribune  médicale,  passim,  1892,  1893). 

Dans  leur  travail,  les  auteurs  précédents  concluent  que  l'aconitine  «  agit  d'une  façon 
prédominante  sur  la  portion  bulbaire  spinale  du  myélencéphale,  consécutivement  sur 
le  grand  sympatique,  et,  par  leur  intermédiaire,  exerce  une  influence  plus  ou  moins 
profonde  sur  les  principales  fonctions  de  l'économie.  »  Dans  son  dernier  travail,  Laborde 


10(î  ACONITINE. 

(Tribune  médicale,  J893,  p.  30)  classe  les  troubles  qui  résultent  de  l'intoxication  par  cet 
alcaloïde  de  la  manière  suivante  : 

I.  Troubles  des  fonctions  gastro-intestinales;  vomissements  persistants  devenant 
sanguinolents,  évacuations  diarrhéiques  sanglantes. 

IL  Troubles  cardio-respiratoires. 

a)  Modifications  du  cœur  et  de  la  circulation  en  général.  Le  rythme  du  cœur  est  altéré. 
Les  mouvements  du  cœur  sont  troublés  et  accélérés  au  point  de  produire  une  véritable 
ataxie,  une  sorte  de  tétanos  de  l'organe  qui  peut  ultérieurement  reprendre  la  régula- 
rité et  le  rythme  parfait  de 'ses  contractions. 

h)  La  pulsation  en  elle  même  est  modifiée  do  telle  façon  qu'elle  peut  avoir  une  ampli- 
tude augmentée  dans  des  proportions  doubles  de  l'étendue  normale.  L'accroissement 
de  l'amplitude  peut  survenir  d'emblée,  à  dose  physiologique,  sans  qu'il  y  ait  passage  par 
la  période  d'irrégularité,  d'ataxie  et  de  tétanisation.  Il  s'accompagne,  surtout  vers  la  fin 
de  l'intoxication  et  au  moment  de  l'épuisement  des  contractions  spontanées,  d'intermit- 
tences plus  ou  moins  longues  qui  finissent  par  aboutir  à  l'arrêt  du  cœur  sans  que  la  con- 
tractilité  de  la  fibre  musculaire  soit  éteinte. 

c)  La  contractilité  propre  de  la  fibre  musculaire  cardiaque  n'éprouve  pas  de  modifi- 
cation directe  de  la  part  de  l'aconitine.  Les  contractions  réapparaissent  après  l'arrêt 
du  cœur  par  l'excitation  électrique. 

d)  La  tension  sanguine  est  d'abord  augmentée  plus  ou  moins  passagèrement;  puis  il 
se  fait  finalement  un  abaissement  plus  ou  moins  rapide  après  certaines  oscillations 
coïncidant  avec  des  modifications  des  contractions  cardiaques. 

e)  La  température  offre  des  modifications  liées  aux  modifications  de  la  tension  san- 
guine; finalement  il  se  produit  un  abaissement  thermique  plus  ou  moins  grand. 

f)  Les  mouvements  respiratoires  sont  irréguliers  comme  rythme  et  comme  nombre  ; 
ce  qui  serait  dû  non  seulement  aux  modifications  de  la  fonction  hématosique,  mais 
encore  et  surtout  à  un  état  spasmodique  des  muscles  respiratoires.  Il  se  produit  une 
véritable  ataxie  de  ces  mouvements.  Il  se  fait,  comme  dans  la  mort  par  suffocation,  des 
ecchymoses  sous-pleurales. 

En  somme  la  mort  dans  l'empoisonnement  par  l'aconitine  se  fait  par  la  respiration, 
non  par  le  cœur. 

Makenzie  g.  lluNTER  [The  physiological  action  of  aconite  audits  alcaloïde  Practitioner, 
l'évr.  1879)  pense  que,  dans  l'empoisonnement  par  l'aconit,  le  cœur  continue  à  battre, 
après  cessation  de  la  respiration.  11  n'y  a  pas  d'action  directe  sur  le  cœur,  mais  les 
troubles  de  la  respiration  retentissent  sur  le  cœur.  —  Les  dilatations  vasculaires  ne 
dépendent  pas  d'une  paralysie  vasomotrice.  Il  n'y  a  pas  non  plus,  suivant  cet  auteur,  de 
paralysie  musculaire  déterminée  directement. 

Suivant  Anrep  {toc.  cit.)  avec  les  aconitines  anglaise  et  allemande,  il  se  produit  de  la 
stupeur,  de  la  dyspnée,  du  ralentissement  et  de  l'affaiblissement  du  cœur,  puis  des  arrêts 
de  respiration,  de  la  prostration  générale,  des  crampes  cloniques,  des  secousses  fîbril- 
laires  dans  les  muscles,  enfin  un  arrêt  diastolique  du  cœur.  Le  centre  respiratoire  serait 
le  plus  atteint  :  puis  le  cerveau  se  prend,  la  moelle  allongée,  le  cœur,  la  moelle,  les 
nerfs  sensibles  viennent  ensuite.  Les  nerfs  moteurs  seraient  moins  intoxiqués  et,  peut- 
être,  seulement  après  des  troubles  circulatoires.  Les  muscles  seraient  indemnes.  De 
fortes  doses  paralyseraient  dès  le  début  les  centres  moteurs  cardiaques;  les  doses 
moyennes  produiraient  cet  effet  seulement  après  une  excitation  préalable.  Celle-ci  exis- 
terait seule  après  l'administration  de  petites  doses.  Les  crampes  générales  dépendraient 
d'une  irritation  de  la  moelle  allongée.  Les  convulsions  musculaires,  constantes,  ont  une 
cause  centrale.  Les  différentes  aconitines,  suivant  Anrep,  n'agiraient  pas  d'une  manière 
identique  sur  la  pupille;  le  plus  souvent  toutefois  on  observe  de  la  dilatation.  — L'aco- 
nitine de  DuQUESNEL  se  différentierait  qualitativement  dans  les  effets  physiologiques,  en 
ce  que,  à  petite  dose,  elle  paralyse  les  ganglions  cardiaques  et,  à  forte  dose,  les  nerfs 
périphériques. 

Pflùgge  {Werkb.  van  het  Nederl.  Tydschr.  von  Oencesk,  t.  42,  p.  720)  pense  que  les 
symptômes  de  paralysie  générale  qui  s'observent  dans  l'intoxication  par  l'aconitine 
tiendraient  à  une  paralysie  des  filets  terminaux  des  nerfs.  Ce  serait  une  action  analogue 
à  celle  du  curare. 


ACONITINE.  i07 

D'après  Lewin  [Exp.  Unters.  ùher  die  Wirhimg  des  Aconitins  cnif  das  Herz.  Inaiig.  Dis- 
serl.,  Berlin,  (87b.  —  Lehrbuch  der  Toxikologie,  Wien,  i88o)  les  recherches  sur  les  animaux 
divers  doivent  donner  des  résultats  différents,  parfois  contradictoires.  Chez  la  grenouille, 
on  observe  un  abaissement  de  l'action  du  cœur  qui,  dans  certains  cas,  est  suivi  d'une 
courte  accélération  de  la  fréquence;  puis  apparaît  de  l'arythmie.  Chez  les  animaux  à  sang 
chaud,  l'action  sur  le  cœur  se  traduit  par  des  effets  quantitatifs  et  qualitatifs.  Les  ganglions 
du  cœur,  aussi  bien  que  les  terminaisons  du  vague,  sont  paralj'sés  après  une  excitation 
passagère.  Dans  les  derniers  stades,  il  y  a  presque  toujours  de  l'arythmie.  Celle-ci 
résulte,  peut-être,  d'une  action  irrégulière  et  inégale  sur  les  centres  cardiaques.  La  pres- 
sion sanguine  descend,  après  avoir  subi  une  ascension  passagère.  —  La  mort  survient 
par  paralysie  des  muscles  ou  des  centres  respiratoires.  Par  de  fortes  doses,  l'irritabilité 
des  nerfs  périphériques  moteurs  et  sensitifs  est  modifiée.  La  sécrétion  de  la  salive  est 
augmentée  ;  enfin  l'élimination  se  ferait  par  les  urines,  les  selles,  l'estomac  et  la  mu- 
queuse intestinale,  même  après  injection  sous-cutanée. 

E.  Harnack  et  Mennicke  (loc.  cit.)  concluent  de  leurs  expériences  que  la  japaconitine,  la 
pseudo-aconitine,  l'aconitine  agiraient  à  peu  prés  de  la  même  manière  sur  la  Hana  tem- 
2}orai'iaelsav\a.Rana  esculenta.  Peut-être  auraient-elles  un  peu  plusd'elTet  surla  dernière. 
Il  y  aurait  d'abord  paralysie  du  cerveau.  Ils  trouvent  qu'avec  de  fortes  doses  les  termi- 
naisons intra-musculaires  seraient  affectées  d'abord.  Mais  la  paralysie  musculaire  n'est 
jamais  le  symptôme  unique.  Il  y  aurait  ralentissement,  puis  paralysie  du  cœur,  précédée, 
quand  on  agit  avec  précaution,  d'accélération  et  d'irrégularités.  Ils  ne  déterminent  pas 
la  cause  de  cet  état  particulier  du  cœur. 

Wagner  [Beitr,  zur  Toxikolog.  d.  Aconit,  hiaug.  Bissert.  Dorpat)  dit  que  l'aconitine 
n'est  pas  un  poison  du  protoplasme.  Les  cils  vibratils  continuent  à  battre  plusieurs 
heures  dans  des  solutions  à  3  et  4  p.  100.  Le  Tœiiia  serrata  n'est  pas  influencé  par 
l'aconit.  Le  poison  exerce  d'autant  plus  d'effet  sur  un  animal,  qu'il  est  plus  élevé  dans  la 
série  des  êtres  organisés. 

La  dose  toxique  exprimée  en  milligrammes  est,  en  moyenne  (par  kil.  d'animal)  : 

Grenouille 0,33  à  0,40 

Pigeon.  Poule 0,12  à  0,2j 

Chauve-souris 0,2, 

Lapin 0,:j3 

Chat 0,25 

Chien 0,1 

Cheval 0,6 

Ce  même  auteur  confirme  l'opinion  de  Bôhm,  suivant  laquelle  la  dyspnée  est  la  con- 
séquence de  l'irritation  des  faisceaux  centripètes  des  vagues.  Il  y  a  amélioration  de 
la  dyspnée,  lorsque  les  centres  ne  sont  pas  encore  atteints,  par  la  section  des  vagues. 
La  mort  survient  par  l'asphyxie  qui  résulte  de  la  paralysie  du  centre  respiratoire.  Il  y 
a  d'abord  une  forte  irritation  de  l'appareil  nerveux  intra-cardiaque  d'arrêt  du  cœur, 
puis  il  y  a  paralysie.  Le  système  nerveux  central  est  d'abord  irrité,  puis  paralysé.  L'irri- 
tation atteint  d'abord  les  centres  nerveux  moteurs  du  cerveau  et  de  la  moelle;  puis  le 
centre  du  vomissement  et  successivement  ceux  des  mouvements  de  l'intestin,  delà  respi- 
tion  et  de  la  dilatation  pupillaire.  L'opinion  de  Lûbbe  est  celle  de  Wagner.  Cet  alcaloïde 
n'est  pas  un  poison  du  protoplasme  (mouvements  des  cils  vibratils  ou  des  globules 
blancs).  Il  est  sans  effet  sur  les  limaces,  les  ténias,  les  ascarides.  Les  grenouilles  suc- 
combent avec  l/7o  de  milligramme,  soit  environ  O^^jS  par  kilogramme;  les  chats  0™",13 
par  kilogr.;  les  chiens  0™™,067  par  kilogr.  La  respiration  artificielle  peut  retarder  la 
mort,  et  même  l'empêcher.  —  La  pression  sanguine  est  nettement  abaissée  au  début  par 
l'irritation  des  pneumogastriques  (diminution  simultanée  du  nombre  des  pulsations). 
Puis,  paralysie  du  vague,  accélération  du  pouls,  augmentation  de  pression.  Brusque- 
ment, arrêt  du  pouls  et  chute  au  zéro  par  paralysie  des  centres  vaso-moteurs. 

Les  cas  d'intoxication,  assez  fréquents  chez  l'homme,  ont  permis  d'observer  les  effets 
de  cette  substance  employée  à  dose  toxique.  Ce  sont  d'abord  des  fourmillements  dans  tout 
le  corps,  un  engourdissement  général,  des  picotements  dans  le  nez,  la  pointe  de  la 
langue,  une  altération  particulière  du  goût,  caractérisée  par  le  fait  que  le  sucre  est  mal 
goûté,  tandis  que  les  substances  amères  conservent  leur  saveur  particulière  ;  des  secousses 


108  ACORINE    —    ACRODYNIE. 

ressemblant  à  celle  que  provoque  la  décharge  électrique.  Puis,  la  diurèse  augmente  en 
même  temps  que  la  salivation.  Le  pouls  tombe;  la  température  est  normale,  mais  le 
malade  a  l'impression  de  froid;  la  respiration  se  ralentit,  la  faiblesse  rend  les  mouve- 
ments pénibles.  La  sensibilité  tactile  s'émousse;  la  vue  se  trouble;  la  torpeur  devient 
très  pénible;  la  peau  produit  une  impression  telle  que  le  malade  croit  être  serré  dans 
une  couche  de  nollodion  ou  une  bande  de  caoutchouc  (Gubleh)  surtout  dans  le  domaine 
innervé  par  le  trijumeau. 

La  prostration  augmente,  devient  extrême  ;  les  pupilles  se  dilatent  ;  le  malade  éprouve 
des  éblouissements,  des  bourdonnements  d'oreille  ;  la  sensibilité  disparait  ;  la  respira- 
tion et  le  pouls  s'abaissent  de  plus  en  plus,  de  môme  que  la  température.  Puis  l'asphyxie 
apparaît,  les  muscles  n'obéissent  plus,  la  paralysie  s'étend  peu  à  peu  au  cœur,  et  la 
mort  survient  par  asphyxie  ou  le  plus  souvent  par  syncope  (Dujardin-Beaumetz,  loc.cit., 
p.  32.) 

Bibliographie.  —  Nous  ne  reproduirons  pas  les  citations  données  dans  le  cours  de 
cet  article.  On  consultera  surtout  pour  la  bibliographie  plus  détaillée,  Kobert.  Lehrhuch 
der  Intoxicationen ;  Laborde  et  Duquesnel.  Étude  ehimique,  physiol.  etc.  sur  l'Aconitine, 
Paris,  1881. 

Quant  aux  cas  d'intoxication  sur  l'homme,  ils  sont  rapportés  dans  Index  Catalogue,  à 
l'article  Aco?!t<e.  Reichert  {Evv/ Ami).  {Contributioii  of  the  Stiidy  of  the  Toxicology  of  cardiac 
depressants;  Phil.   med.  Times,  nov.  1889,  p.   185)  réunit  les  cas  connus. 

HENRIJEAN. 


ACOPINE.  —  Substance  extraite  de  la  racine  d'acore  (C^'^H'^'O")  par  M.  Faust 
et  par  M.  Thoms;  elle  se  dédouble  par  l'ébuUition  en  présence  des  alcalis  ou  des  acides 
en  sucre,  en  un  carbure  et  en  acorétine,  qui  est  une  résine. 

ACRODYN  lE.  —  Ce  nom  a  été  donné  pour  la  première  fois  à  une  maladie  qui 
a  sévi  à  Paris,  et  dans  ses  environs,  sous  là  forme  épidémique,  en  1828-1829.  II  caracté- 
rise le  principal  symptôme  observé  dans  cette  maladie,  à  savoir  les  névralgies  fort  dou- 
loureuses des  extrémités,  mains  et  pieds.  Cette  singulière  maladie  a  été  rapprochée  de- 
l'ergotisme  par  Trousseau  et  Pidous,  et  de  la  pellagre  par  Rayer;  on  a  pu  la  comparer 
aussi  à  la  trichinose  (Le  Roy  de  Méricourt)  et  au  béribéri;  elle  offre  en  effet  une  certaine 
parenté  avec  toutes  les  intoxications  ou  infections  d'origine  alimentaire.  A.  Laveran 
avait  voulu  l'expliquer  par  la  présence  dans  les  eaux  d'alimentation  d'une  matière 
toxique;  mais  l'opinion  la  plus  généralement  acceptée  consiste  à  la  regarder  comme 
résultant  de  l'usage  du  blé  altéré.  Suivant  Costallvt,  il  y  aurait  eu  identité  entre 
l'acrodynie  de  1828  et  une  maladie  qu'il  observait  en  Espagne  sous  le  nom  de  mal  di 
monte,  et  qui  devrait  être  attribuée  à  la  consommation  de  blé  atteint  de  carie  [Uredo 
caries). 

Quoi  qu'il  en  soit,  on  observe  dans  l'acrodynie,  en  même  temps  que  les  douleurs 
caractéristiques  des  membres  inférieurs,  des  symptômes  gastro-intestinaux,  surtout  des 
vomissements,  des  iullammations  des  muqueuses,  des  érythèmes,  une  exfoliation  des 
extrémités,  une  coloration  brunâtre  de  toute  la  peau,  et  enfin  des  œdèmes  partiels,  qui 
différencient  cette  maladie  de  toutes  celles  que  nous  avons  nommées  plus  haut. 

D'autres  petites  épidémies  non  définies  ont  été  rapprochées  de  l'acrodynie  :  telle  est 
la  Chéiropodalgie  observée  à  Mantoue,  en  i  806,  sur  des  soldats  français  par  San  Micoletti  ; 
telle  est  aussi  l'épidémie  de  Burning  of  the  Feet  (brrtlure  des  pieds),  observée  par 
Campbell  et  Macpherson,  chez  les  Cipayes  de  l'Inde,  en  182b-1826,  et  dans  la  popula- 
tion indigène  de  la  presqu'île  de  Malacca;  cette  dernière  a  été  rapportée,  par  ses  obser- 
vateurs, à  l'usage  du  riz  altéré.  Elle  respectait  en  effet  les  Européens. 

En  somme  l'acrodynie  et  les  maladies  similaires  doivent  être  classées,  à  côté  de 
l'ergotisme  et  de  la  pellagre,  parmi  les  maladies  cérébrales,  c'est-à-dire  parmi  les  intoxi- 
cations d'origine  alimentaire  affectant  surtout  le  système  nerveux  périphérique  dont 
l'altération  est  marquée  par  des  troubles  variés  des  nerfs  de  la  sensibilité  cutanée  et  des 
vaso-moteurs  des  téguments  externes  (Voy.  Ergotlsme). 


ACROLÉINE    —    ACROMEGALIE.  109 

Eibliograpliie.  —  A.    Laveran.   Conlribulion  à  l'étude  de  l'Acrodynie  {Recueil  des 

mémoires  de  médecine  militaire,  1876,  p.    113).  —  Bodros.  Relation  d'une  petite  épidémie 

d'Acrodynie  {Même  Recueil,  1875,  p.  428).  —  Treille.  L'expédition   de  Kabylie  orientale, 

Paris,  1876.  —  Zuber  (7îetii(«  des  Sciences  médicales,  t.  vm,    1876,  p.  367).  —  L.  Colin. 

Traité  des  maladies   épidémiques.  Paris,  1879,  p.   727-733.  —  Roussel.    Traité  de  la  Pel- 

laqre,  Paris,  1866. 
■^     '  J.  H. 

ACROLEINE.  —  L'acroléine.  ou  aldéhyde  allylique  (C^H'*0)  se  produit 
chaque  fois  que  la  glycérine  ou  les  corps  gras  sont  soumis  à  une  forte  température.  — 
EUeesteneiTet  le  résultat  de  la  déshydratation  de  la  glycérine  (C-' H» 0' =  2H-0  +  O'H'>0). 
Pour  la  préparer  on  distille  dans  une  cornue  de  la  glycérine  avec  de  l'anhydride  phos- 
phorique  ou  du  bisulfate  de  potassium.  L'acroléine  est  un  liquide  incolore,  d'une  saveur 
brûlante,  d'une  odeur  qui  suffoque  en  irritant  vivement  les  organes  respiratoires  et 
provoquant  le  larmoiement.  U  suffit  d'en  répandre  quelques  gouttes  dans  une  pièce 
pour  en  rendre  l'atmosphère  insupportable.  Sa  densité  est  un  peu  moins  élevée  que 
celle  de  l'eau  ;  elle  se  dissout  dans  40  fois  son  poids  d'eau  :  elle  est  volatile,  et 
bout  vers  52°.  L'acroléine  pure  est  neuti'e  au  tournesol,  mais  elle  est  d'une  conserva- 
lion  difficile,  s'acidifiant  très  rapidement  par  oxydation.  Elle  présente  la  plupart  des 
caractères  communs  aux  aldéhydes.  L'hydrogène  naissant  la  transforme  en  alcool  ally- 
lique. Les  oxydants,  lorsqu'on  les  fait  agir  modérément,  la  transforment  en  acide 
acrylique.  Il  y  a  dédoublement  de  la  molécule  et  formation  d'acide  acétique  et  d'acide 
formique  par  une  oxydation  trop  violente.  On  connaît  mal  ses  effets  physiologiques; 
elle  est  probablement  très  toxique. 

ACROMEGALIE.  —  Le  terme  li'acromégalie  (â/.po;  extrémité,  [xsYa;  grand) 
a  été  proposé  en  1886  par  M.  Pierre  Marie'  pour  désigner  une  entité  morbide  nouvelle, 
distincte  selon  lui,  dont  l'autonomie  est  actuellement  confirmée,  et  caractérisée  par 
«  une  hypertrophie  singulière,  non  congénitale,  des  extrémités  supérieures,  inférieures 
et  céphal'ique  ».  Cette  affection  débute  dans  l'âge  adulte,  parfois  dans  l'adolescence,  et 
se  caractérise  par  une  augmentation  progressive  du  volume  de  la  face,  des  mains  et  des 
pieds.  Le  visage  présente  bientôt,  en  conséquence,  une  apparence  difforme  véritable- 
ment caractéristique  :  nez  énorme,  lèvre  inférieure  volumineuse  pendante,  menton 
proéminant  déterminant  du  prognathisme.  Aux  mains  :  épaississement  en  largeur  et  en 
grosseur,  sans  augmentation  de  longueur,  ((  mains  en  battoir»;  aux  pieds  mêmes  défor- 
mations, alors  que  les  autres  parties  des  membres  sont  respectées.  Il  existe,  eu  outre, 
une  déviation  de  la  colonne  vertébrale,  cyphose  supérieure,  qui  donne  au  sujet  une  atti- 
tude, penchée  en  avant,  particulière.  Ce  sont  là  presque  les  seuls  signes,  purement 
objectifs,  de  la  maladie;  les  sujets  ne  s'aperçoivent  guère  de  ces  transformations 
qu'à  l'étroitesse  des  vêtements  ou  des  bijoux  (dés  à  coudre,  bagues);  parfois  néanmoins 
il  existe  aussi  des  douleurs  de  tête  extrêmement  intenses,  et  des  troubles  visuels 
(hémianopsie)  qui  sont  en  rapport  avec  le  développement  excessif  que  prend,  toujours 
dans  ces  cas,  le  corps  pituitaire.  On  a  trouvé,  en  effet,  jusqu'ici,  constamment  dans 
les  autopsies  une  hypertrophie  considérable  de  la  glande  pituitaire  en  même  temps 
qu'une  diminution  de  volume  du  corps  thyroïde,  et  la  persistance  du  thymus.  Aussi  les 
auteurs  se  sont-ils  basés  sur  la  régularité  de  cette  coexistence,  pour  en  induire  l'exis- 
tence de  fonctions  trophiques  du  corps  pituitaire,  dont  la  suppression  suffirait  à 
entraîner  le  développement  de  l'acromégalie.  Bien  que  la  connaissance  de  certains  cas, 
—  dans  lesquels,  malgré  la  présence  de  volumineuses  tumeurs  ou  la  destruction  de  la 
glande  pituitaire  constatées  à  l'autopsie,  on  n'avait  pas  noté  de  signes  d'acromégalie 
pendant  la  vie,  —  fût  en  opposition  avec  cette  hypothèse,  divers  physiologistes  ont  tenté 
de  la  vérifier  expérimentalement.  Dastre  (1889)  a  fait  construire  un  instrument,  sorte  de 
trépan,  à  l'aide  duquel  il  a  cherché  à  atteindre  la  glande  pituitaire  par  la  voie  buccale. 
Dans  les  expériences  préliminaires,  les  animaux  ont  toujours  succombé.  Gley'^  a  également 

1.  P.  Marie.  Sur  deux  cas  d'acromégalie  (Revue  de  Médecine,  10  avril  18S6,  n°  47). 

2.  Gley  (fi.  B.,19  décembre  1891). 


110  ACROMÉLALGIE    —    ACROSONE. 

cherché  à  atteindre  la  glande  pituitaireparla  voie  crânienne.  Plus  réceramciit  Marinesch' 
a  entrepris  de  nouvelles  tentatives  sur  des  chats  à  l'Institut  physiologique  de  Reviin. 
Après  avoir  perforé,  à  l'aide  du  thermocautère,  la  voûte  palatine,  il  s'assure  avec  l'indi- 
cateur du  siège  des  deux  apophyses  ptérygoïdes,  et  au  milieu  de  l'espace  qu'elles  limitent, 
il  applique  une  couronne  de  trépan  de  o  millimètres  de  diamètre.  Il  fait  sauter  alors 
la  rondelle  osseuse  ,  et,  à  l'aide  d'une  baguette  de  fer  rougie  convenablement  et  recour- 
bée en  crochet,  il  arrive  à  détruire  directement  la  glande  pituitaire.  Sur  8  animaux  qui 
ont  servi  à  ses  expériences,  2  sont  morts  presque  immédiatement,  2  autres  sont  morts 
24  heures  après,  1  autre  a  survécu  4 jours;  le  septième,  Sjours;  le  dernier,  18 jours.  Chez  ces 
derniers  animaux,  la  mort  est  survenue  sans  qu'il  fût  possible  d'en  déterminer  la  cause. 
L'auteur  conclut  de  là  qu'il  est  possible  de  détruire  l'hypophyse  chez  le  chat  par  la  voie 
buccale  et  que  cette  mutilation  est  compatible  avec  une  survie  de  quelques  semaines. 
Ces  mêmes  expériences  ont  été  reproduites  sur  un  plus  grand  nombre  d'animaux  par 
MM.  Vassale  etSACCHi-.  La  destruction  du  corps  pituitaire  a  déterminé  de  l'apathie,  les 
animaux  restent  tranquilles,  indifférents  aux  excitations,  de  lapolydypsie  et  de  la  polyurie. 
De  même  qu'au  cours  des  expériences  de  Mahinesco  ,  la  mort  est  survenue  sans  cause 
appréciable  autre  que  la  mutilation.  On  n'a  pas  observé,  pendant  la  vie  .des  animaux , 
de  signes  d'hypertrophie  des  extrémités  analogues  à  ceux  de  l'acromégalie. 

PAULBLOCQ. 

ACROMELALGIE.  —  Ce  terme  (a/.oo;  pointe,  {xilo;  membre,  aA-,'o;  dou- 
leur) a  été  proposé  par  Gf.rhardt^  pour  désigner  un  ensemble  symptomatique  caracté- 
risé par  des  accès  de  douleurs  dans  les  orteils  et  les  doigts,  douleurs  accompagnées  de 
maux  de  tête  et  de  vomissements.  L'acromélalgie  représenterait  une  forme  de  l'érythro- 
mélalgie,  forme  intéressant  les  nerfs  de  la  sensibilité  en  particulier,  et  serait  il  ranger 
par  suite  à  côté  des  deux  autres  variétés  de  cette  maladie  que  représentent  les  formes 
angiospastique  et  angio-paralytique. 

P.  B. 

ACROPARESTHESIE.  —  Schultze''  a  proposé  de  désigner  sons  ce  nom 
une  affection  caractérisée  par  des  paresthésies  douloureuses  paroxisliques  des  extrémités. 
Il  s'est  basé  pour  décrire  ce  nouveau  type  morbide  sur  un  certain  nombre  de  travaux,  et 
sur  8  observations  personnelles.  On  ne  connaît  pas  encore  la  pathogénie  de  cette  affec- 
tion, qui  serait  plus  fréquente,  à  l'âge  adulte,  chez  les  femmes,  et  consisterait  surtout  en 
formications  siégeant  aux  membres  supérieurs,  survenant  plutôt  pendant  la  nuit,  et 
persistant  longtemps.  Des  cas  analogues  ont  été  depuis  rapportés  en  assez  grand 
nombre  par  d'autres  observateurs  sans  nous  éclairer  mieux  jusqu'ici  sur  la  nature  de 
l'affection. 

P.  B. 

ACROSE.  —  Sucre  synthétique,  de  formule  C^H'-O^,  qui  prendnaissance,  par 
polymérisation,  quand  on  fait  agir  les  alcalis  sur  l'adhéhyde  glycérique  ou  sur  le  bro- 
mure d'acroléine  (Fischer  et  Tafel). 

ACROSONE-  —  Sucre  synthétique,  de  formule  C^  H'"  0^,  qui  se  forme,  dans  le- 
mêmes  conditions  que  la  glucosone,  quand  on  traite  par  l'acide  chlorydrique  l'osazone  du 
sucre  précédent  (Fischer  et  Tafel). 

ACTINOM YCOSE.  —  L'actinomycose  est  une  affection  parasitaire  de 
l'homme  et  de  divers  animaux,  déterminée  par  un  champignon,  du  groupe  des  Hypho- 
mycétes  :  \' Aclinomyces  bovis,  dont  le  véritable  nom  doit  être  Oospora  bovis. 

1.  Marinesco.  Df  la  glande  pituitaire  chez  le  chat  (B.B.,  4  juin  1892). 

2.  Vassale  et    Sacchi.  Délia  desti-uzione  délia  ghiandula  piluitaria  (Rivista  sperira.  di  Fre- 
niatria,  fasc.  3,  et  4,  1892). 

3.  Société: de  médecine  interne  de  Berlin,  13  juin  1891.  in.  Berl.  Klin.  Woch. 
't.  Deutsche  Zeitschrift  fur  Nervenheilkunde,  1893,  t.  m,  p.  300. 


ACTINOMYCOSE.  111 

Cette  affection, ainsi  que  le  parasite  qui  la  produit,  est  particulièrement  intéressante 
pour  la  pathologie,  et  par  suite  la  physiologie  générale,  parce  qu'elle  réalise  le  type  de  la 
mycose  la  mieux  étudiée  jusqu'à  ce  jour. 

Nous  ne  devons  parler  ici  que  de  la  biologie  de  ce  parasite,  des  diverses  formes  qu'il 
peut  revêtir,  de  la  manière  dont  il  envahit  l'organisme,  et  de  la  réaction  de  ce  dernier  à 
l'invasion  parasitaire. 

Nous  laisserons  entièrement  de  côté  tout  ce  qui  regarde  la  marche  clinique  de  l'affec- 
tion, ses  localisations,  et  les  interventions  chirurgicales  qu'elle  peut  nécessiter. 

Historique.  —  Nous  ne  donnerons  ici  qu'un  aperçu  très  écourté  de  l'historique  de 
cette  intéressante  affection.  Les  lecteurs,  désireux  d'approfondir  ce  côté  de  la  question, 
devront  se  reporter  aux  divers  mémoires  cités  dans  cet  article,  et  surtout  à  ceux  de 
Israël,  Neue  Beobacht.  auf  dem  Gebiete  der  Mykoseii  des  Mcnschen  {Arch.  f.  palh.  Anat.  und 
Phys.,1.  Lxxiv,  1878)  ;  Neue  Beitr.  zu  den  mykot.  Erkvankungen  des  Menschen(ibid.,  t.  lxxviii, 
1879)  et  de  Ponfick,  Ueber  eine  ivahrscheinlich  mycotisnlie  Form  von  Wirbelcaries  {Berlin,  kl. 
Wochenschrift,  1879). 

Langenbegk  en  1843,  puis  Lebert  en  1837,  découvrirent  chacun,  dans  une  tumeur  de 
l'homme,  des  formes  radiées  que  Lebert  considéra  comme  des  concrétions  cristalloïdes. 

En  1850  Davaine,  et  en  1833  Laboulbène  étudient  des  tumeurs  indéterminées  qui  in- 
dubitablement se  rapportent  à  l'actinomycose. 

RivoLTA  en  1868  remarqua  des  productions  analogues  chez  le  bœuf,  et  les  considéra 
comme  des  cristaux. 

En  1871,  Ch.  Robin  parle  également  de  ces  productions. 

Ce  n'est  qu'à  partir  de  1873  qu'une  étude  approfondie  de  ces  productions  pathologiques 
fut  effectuée  par  PEUR0^'CIT0,  Bollin'ger  et  Habz.  C'est  à  ce  dernier  surtout  que  revient  le 
mérite  d'avoir  démontré  la  nature  cryptogamique  de  ces  productions  radiées,  qu'il  appela 
Actinomyces  (à/.T!'v,  rayon,  ;j.Û7.r);,  champignon),  Strahlenpilz  des  Allemands,  Ray-fungus 
des  Anglais. 

C'est  alors  qu'IsRAEL  crut  découvrir  une  nouvelle  mycose  de  l'homme,  qui  n'était,  ainsi 
que  le  montra  deux  années  plus  tard  Ponficr,  que  l'affection  précédemment  étudiée  par 
les  auteurs  déjà  cités. 

Ce  n'est  qu'eu  1883,  que  Johne  essaie  de  cultiver  le  parasite,  suivi  bientôt  dans  cette 
voie  par  de  nombreux  expérimentateurs.  Puis  Wolff  et  Israël  réussissent  à  inoculer  la 
maladie  à  des  animaux  sains.  En  même  temps  les  observations  cliniques  d'actinomycose 
des  divers  organes  se  multiplient  chaque  jour.  Ou  rencontre  l'affection  communément, 
d'abord  à  l'étranger,  puis  en  France.  Grâce  aux  efforts  des  vétérinaires,  la  connaissance 
des  lésions  déterminées  par  le  parasite,  la  marche  clinique  de  l'affection  sont  grande- 
ment précisées.  Enfin  ce  n'est  que  tout  récemment  que  le  problème  étiologique,  c'est  à 
dire  l'histoire  de  la  vie  sapi'ophyte  du  parasite,  se  pose,  et  que  la  médecine  vétérinaire 
indique  un  traitement  à  peu  près  infaillible  de  celte  mycose. 

Caractères  morphologiques  du  champignon  dans  les  tissus.  —  Le  parasite 
est  visible  à  l'œil  nu,  dans  le  pus  ou  le  liquide  puriforme,  qui  s'écoule  des  néoplasmes 
qu'il  provoque,  lorsque  ceux-ci  subissent  une  fonte  purulente. 

Il  apparaît  sous  forme  de  grains  jaunes,  d'un  jaune  soufré  ou  rougeâtre,  atteignant 
le  volume  d'une  spore  de  lycopode,  d'un  grain  de  millet  tout  au  plus,  c'est-à-dire  d'un 
diamètre  moyen  de  un  dixième  de  millimètre  à  1  millimètre.  Ils  donnent  assez  bien,  dans 
le  pus,  l'aspect  de  grains  de  sable  épars.  Parfois,  ils  se  trouvent  entourés  d'une  zone 
mucoïde,  où  ils  nagent  isolés. 

Ces  petits  grains  ont  l'aspect  de  sphérules  mùriformes.  Parfois,  elles  sont  calcifiées, 
mais  leur  structure  apparaît  alors  nettement,  après  action  de  l'acide  chlorhydrique 
étendu. 

Après  dissociation  ou  écrasement,  on  distingue  la  structure  suivante  :  une  zone  cen- 
trale, formée  d'un  feutrage  de  fibrilles  entrelacées,  qui  correspondent  aux  hyphes  du 
champignon. 

Ces  hyphes  rectilignes,  onduleux,  parfois  contournés  en  tire-bouchon,  se  dirigent 
tous  du  centre  vers  la  périphérie,  et  se  terminent  là  par  des  renflements  piriformes  ou 
en  massue,  des  plus  caractéristiques,  jaunâtres  et  très  réfringents,  d'aspect  homogène, 
d'une  longueur  de  4  à  12  |j.,  dune  largeur  de  1,3  à  4  [x.  Ces  massues  terminales  ne  sont 


112  ACTINOMYCOSE. 

pas  toujours  simples,  mais  quelquefois  bifurquées  ou  trifurquées  :  dans  ce  cas,  uu  fila- 
ment porte  simultanément  deux  ou  trois  renflements  divergents,  qui  paraissent  ainsi 
digités. 

Telle  est  la  description  classique  des  granules  actinomycosiques.  Mais  il  faut  savoir 
que  cette  forme,  pour  ainsi  dire,  n'est  pas  constamment  réalisée;  parfois  les  massues 
peuvent  être  totalement  absentes. 

Les  crosses  ne  se  colorent  pas  par  la  méthode  de  Gram,  tandis  que  les  filaments  se 
colorent  avec  intensité.  D'après  Bostrôm,  à  qui  l'on  doit  une  étude  des  plus  complètes 
du  parasite  et  des  lésions  qu'il  détermine  chez  l'homme.  Vntersuch.  ùber  die  Actinomy- 
kose  des  Menschen  [Beitr.  zur.  pathol.  Anat.  und  zur  allgemein.  Patholog.,  t.  ix,  léna, 
1890),  dans  l'axe  des  crosses,  se  trouverait  un  filament,  parfois  en  relation  avec  les  fila- 
ments du  centre  de  la  granulation.  Pour  lui,  ce  sont  des  organes  de  dégénérescence,  dus 
au  gonflement  de  la  paroi  du  filament,  et  non  pas,  comme  on  l'a  dit,  des  organes  de 
fructification  (Habz,  Cobnil  et  Babès),  des  gonidies,  pour  employer  le  terme  donné  par 
Hakz. 

Les  filaments  du  thalle  du  parasite  possèdent  des  rameaux  de  même  épaisseur  que 
l'axe  où  ils  s'insèrent,  ils  ne  sont  jamais  articulés.  Dans  certains  filaments,  le  protoplasma 
est  continu  sur  une  grande  longueur;  dans  d'autres,  il  présente  des  interruptions  cor- 
respondant à  la  membrane,  vide  de  protoplasma,  en  certains  points.  Ces  interruptions 
deviennent  de  plus  en  plus  larges,  vers  l'extrémité  des  filaments,  et  limitent  des  espaces 
pleins,  qui  seraient  d'abord  des  filaments,  puis  des  bâtonnets,  puis  des  granules,  sem- 
blables à  des  coccus,  ces  derniers  proviendraient  de  la  segmentation  des  précédents,  et 
auraient  la  valeur  de  spores. 

Ces  prétendues  spores  sortiraient  des  filaments  qui  les  renferment,  et  produiraient 
par  leur  accumulation  la  plus  grande  partie  des  corpuscules  semblables  à  des  coccus, 
qui  existent  au  centre  du  grain  et  entre  les  filaments. 

Il  est  extrêmement  intéressant  de  remarquer  que  la  forme  radiée  avec  capitules,  que 
prend  VActinomyces  dans  l'organisme  parasite,  ne  lui  est  pas  spéciale.  Un  autre  Hyphomy- 
cète  parasite  de  l'homme,  VAspergillus  fumigatus,  qui  détermine  par  sa  végétation  dans 
le  poumon  une  tuberculose  aspergillaire,  revêt  aussi,  dans  ces  conditions,  la  forme 
radiée.  Dans  les  tubercules  causés  par  ce  parasite,  le  mycélium  du  champignon  prend  une 
forme  en  éventail  ou  en  touffe,  ce  qui  le  fait  ressembler  dan?  l'ensemble  à  une  grosse 
mûre. 

Il  en  résulte  une  grande  similitude  d'aspect  avec  le  capitule  de  YActinom.yces  ;  mais  les 
clavules  terminales  de  ce  dernier  manquent  chez  VAspergillus.  Ces  figures  mycéliennes 
radiées  ont  été  bien  indiquées  par  Wheaton  {Brit.  Med.Journ.,  24  mai  1890),  par  Robebt 
BoYCfi  {Journ.of  Phy s.  and  Bacteriology,  oct,.  1892,  p.  165)  etparRÉNON  {Rech.clin.  et  expêrim. 
sur  la  pseudo-tubei'culose  aspergUlaire.  D.  P.,  1893,  pi.  II,  fig.  12).  Ces  masses  radiées  qui 
font  parfois  saillie  dans  les  alvéoles  pulmonaires,  dans  les  cas  de  tuberculose  expérimen- 
tale, présentent  la  plus  grande  analogie  avec  les  corps  radiés  vus  par  Ribbert  (Der  Vnter- 
gang  pathogener  Schimmelpilze  in  Kcirper ,  Bonn,  1887)  et  par  Lichtheim  [Berl.  Min. 
Wochenschr.,  1881,  p.  188,  n"  4o,  et  Bev.  de  Méd.,  juillet  1882)  et  regardés  par  eux 
comme  des  productions  avortées,  des  spores  n'arrivant  à  former  qu'un  mycélium  anor- 
mal, dans  leur  lutte  avec  les  leucocytes  qui  les  entourent. 

Lœsch  (3'  Congrès  des  Médecins  russes  à  Saint-Pétersboiirg ,  janvier  1889)  a  signalé  un 
cas  de  pseudo-actinomycose  du  poumon,  où  l'agent  pathogène  était  un  champignon  non 
ramifié,  à  «  glandes  «  plus  petites  que  celles  de  VActinomyces.  Par  ce  terme  «  glandes  » 
l'auteur  veut  certainement  désigner  les  clavules  périphériques  du  mycélium  en  capitule. 
S'agil-il  dans  ce  cas,  d'une  espèce  d'Hyphonij^cète,  voisine  dcl'Actinomyces  type,  la  chose 
est  difficile  à  élucider,  car  la  dimension  des  clavules  (forme  de  dégénérescence)  est-elle 
constante  dans  l'espèce  type,  et  peut-on  fonder  une  espèce  sur  les  dimensions  d'un  or- 
gane en  involulion?  Le  fait  est  intéressant  à  noter. 

Il  est  vrai  que  certains  auteurs  n'ont  voulu  voir  dans  ce  pseudo-Actinomyces  que  des 
cristaux  de  leucine. 

Méthodes  de  coloration.  —  Pour  bien  saisir  les  détails  de  structure  que  nous 
venons  d'exposer,  il  est  utile,  sinon  indispensable,  d'avoir  recours  à  des  méthodes  de  co- 
oiation.  11  en  existe  plusieurs,  dans  le  détail  desquelles   nous  n'avons  pas  à  entrer.  Le 


ACTINOM  YCOSE.  113 

lecteur  désireux  de  les  connaître  devra  se  reporter  aux  mémoires  de  Baranski,  Petrow, 
Basés,  Flormanin,  et  aux  thèses  de  Roussel  et  Bécue  (D.  P.,  1891  et  1892)  qui  ont  in- 
diqué aussi  un  procédé  particulier,  et  où  se  trouve  l'exposé  des  méthodes  des  auteurs 
précédents. 

Procèdes  de  culture.  —  ^!ous  ne  parlerons  pas  des  procédés  de  culture  de  VActino- 
myces.  Le  lecteur  désireux  de  les  connaître  devra  se  reporter  à  la  partie  technique 
desmémoiresde  Kischensry.  [Arcli.  f.  experiment.  Path.  u.  Pharm.,  1889.) — Afanassiew. 
{Petersburg  med.  Wochenschr.,  1888,  n"^  9  et  10.)  —  Bujwid.  (Centr.  f.  Bakt.,  t.  vi.  n°  23, 
p.  630.)  —  WoLFF  et  Israël.  [Soc.  de  Méd.  de  Berlin,  4  janvier  1890,  in  Berl.  Klin. 
Woch.)—  Roussel.  D.,  P.  1891.  —  Domec.  {Arch.  Méd.  experiment.  et  Anat.  path.,  1892, 
t.  IV,  p.  104.)  —  Sauvageau  et  Rabais.  (Ann.lnst.  Past.,  1892.) 

Le  milieu  le  plus  commode  pour  l'étude  morphologique  est  la  pomme  de  terre  (Kis- 
CHENSKY,  Bujwid,  Protopopoff,  Domec,  Sauvageau  et  Radais)  surtout  en  culture  anaéro- 
hie,  à  l'aide  de  l'acide  pyrogallique  (procédé  de  Buchner)  à  une  température  de  22°  à 
24° 

Au  bout  de  4  à  6  jours,  la  surface  de  la  pomme  de  terre  se  creuse,  comme  rongée 
par  la  prolitération  du  champignon. 

Au  bout  de  8  jours,  les  colonies  apparaissent  incolores,  à  surface  bosselée,  méandri- 
forme,  contournée,  puis  proéminente  fortement.  Vers  le  10  ou  12<=  jour,  la  culture  de- 
vient grisâtre,  puis  finalement  blanc-jaunàtre,  ou  même  jaune  verdàtre.  Celte  dernière 
coloration  se  développe  surtout,  lorsque  le  parasite  vit  à  la  lumière. 

n  est  à  remarquer  que  la  coloration  et  l'aspect  plus  ou  moins  lichénoïde  de  la  cul- 
ture, diffèrent  complètement  de  ceux  des  cultures  de  Bactéries. 

La  culture  sur  sérum  sanguin,  d'abord  employée  par  Johne,  ne  présente  pas  d'avan- 
tages sur  les  autres  milieux  de  culture. 

Caractères  morphologiques  du  champignon  dans  les  cultures.  —  Le  cham- 
pignon se  développe  bien  sur  bouillon.  Au  bout  d'un  mois  environ,  il  se  forme  uut 
mince  pellicule,  à  la  surface  du  bouillon,  veloutée,  blanche,  devenant  jaune  clair  pâle 
lors  de  la  formation  des  spores.  Les  colonies  nées  dans  la  profondeur  du  bouillon, 
restent  grisâtres,  et  sans  spores,  lorsqu'on  les  transporte  sur  gélose.  Un  ensemen- 
cement fait,  au  contraire,  avec  la  pellicule  superficielle,  reproduit  la  culture  typique 
sur  gélose. 

Les  touffes  prises  profondément  dans  le  bouillon  donnent  des  masses  volumineuses, 
proéminentes,  recouvertes  d'une  poussière  jaunâtre  pâle,  due  aux  spores;  la  partie  pro- 
fonde de  la  culture  devient  couleur  de  rouille. 

Les  cultures  sur  gélose  peuvent  rester  pendant  10  mois,  sous  forme  de  tubercules  gri- 
sâtres, pénétrant  dans  la  profondeur  du  substratum,  ne  donnant  jamais  de  spores,  et 
composés  de  filaments  ramifiés. 

On  peut  également  cultiver  le  champignon  sur.  gélatine,  sur  agar  ordinaire  ou  glycé- 
rine, même  légèrement  acide,  sur  pain,  sur  orge  humide,  dans  les  œufs. 

BosTRÔM,  qui  a  cultivé  l'Actinomyces  sur  divers  milieux,  a  observé  des  colonies,  formées, 
comme  dans  les  tumeurs,  de  filaments  ramifiés  avec  des  bâtonnets  et  des  coccus,  qu'il 
prend  pour  des  spores.  Cet  auteur  ne  semble  pas  d'ailleurs  avoir  su  établir  une  différence 
entre  ces  prétendues  spores,  et  les  véritables  spores,  nées  à  la  surface  des  cultures,  et 
qu'il  a  dû  observer,  car  il  parle  d'efflorescence  nuageuse,  à  la  surface  des  cultures  âgées, 
efUorescence  signalée  également  par  Macé  et  Doria,  et  dont  l'aspect  particulier  est  cer- 
,  tainement  dû  à  la  présence  des  spores. 

Il  y  a  un  désaccord  complet  entre  les  résultats  obtenus  par  Bostrôm  d'une  part,  par 
WoLFF  et  Israël  d'autre  part. 

Ces  derniers  ont  ensemencé  des  cultures,  dans  deux  cas  d'actinomycose  humaine. 

Sur  gélose,  les  éléments  les  plus  abondants  sont  des  bâtonnets  courts,  droits,  eu  vir- 
gule, ou  encore  plus  fortement  incurvés.  Dans  certaines  cultures,  les  filaments  sont  plus 
longs  et  plus  gi'èles,  avec  des  formes  intermédiaires,  parfois  l'une  des  extrémités  se 
rende. 

Ces  cultures,  suivies  pendant  plusieurs  mois,  n'ont  jamais  montré  autre  chose  que 
des  bâtonnets.  H  est  rare  que,  sur  gélose,  VActinomyccs  se  développe  en  filaments 
'  ondulés. 

DICT.  DE  PHYSIOLOGIE.  —  TOME  l.  8 


m  ACTINOMYCOSE. 

Les  bâtonnets  des  cultures  sur  gélose  se  colorent  en  bleu  pâle,  par  la  méthode  de 
Gram,  les  corpuscules,  semblables  à  des  coccus,  qu'ils  contiennent,  arrondis,  ovales,  ou 
anguleux  se  colorent  en  bleu  intense. 

Transportés  sur  œufs,  les  bâtonnets  courts  des  cultures  sur  agar  se  transforment  ra- 
pidement en  filaments  allongés,  et  réciproquement. 

La  forme  filamenteuse  qui  est  si  rarement  réalise'e  dans  les  cultures  sur  gélose,  est 
abondante  en  cultures  sur  œufs.  Dans  ces  filaments,  on  retrouve  la  segmentation  en  fila- 
ments courts,  bâtonnets  et  granules,  devenant  libres,  disent  ces  auteurs,  par  disparition 
de  la  paroi  du  filament.  Pour  eux,  ces  granulations  ne  peuvent  être  considérées  comme 
des  signes  de  dégénérescence,  car  on  les  trouve  dans  des  cultures,  datant  de  quarante- 
huit  heures,  ils  n'ont  donc  rien  à  faire  avec  le  vieillissement;  leur  forme  irrégulière, 
régulière  ou  anguleuse,  empêche  de  les  considérer  comme  des  spores,  mais  leur  nature 
n'apparaît  pas  clairement  à  ces  observateurs. 

Il  3'  a  évidemment  de  grandes  différences  entre  les  cultures  obtenues  par  Bostrou 
d'une  part,  Wolff  et  Israël  de  l'autre.  Le  désaccord  est  complet  entre  ces  auteurs,  quant 
«  à  l'aspect  microscopique  des  cultures,  à  la  rapidité  de  leur  développement,  à  la  diffé- 
rence d'énergie  dans  la  croissance  des  cultures  aérobies  et  anaérobies,  à  leur  aspect 
macroscopique,  dès  les  premiers  jours  de  leur  développement,  à  la  question  de  la  forma- 
tion des  spores,  et  surtout  aux  résultats  des  inoculations  aux  animaux  «. 

Aussi  ces  auteurs  se  sont-ils  accusés  mutuellement  de  ne  pas  avoir  obtenu  de  cultures 
pures. 

Dans  les  deux  cas,  le  point  de  départ  des  cultures  était  l'actinomycose  humaine. 

Peut-être  n'a-t-il  pas  été  tenu  compte  suffisamment  de  l'influence  des  milieux 
de  culture  sur  la  morphologie  des  êtres  qu'on  y  cultive.  Une  variation  pondérale, 
même  faible,  des  éléments  du  milieu  nutritif,  sufflt  à  déterminer  des  variations  mor- 
phologiques, parfois  notables.  Le  fait  est  aujourd'hui  établi,  aussi  bien  pour  les  bacté- 
ries que  pour  les  champignons. 

En  particulier,  la  tendance  à  la  filamentisation  est  certainement  fonction  du  milieu 
de  culture  et  de  la  température.  Le  fait  est  on  ne  peut  plus  net  pour  certains  bacilles 
et  pour  le  champignon  du  muguet.  La  prédominance  des  formes  filamenteuses  dans 
les  cultures  sur  œufs  pourrait  peut-être  s'expliquer  par  l'extension  de  cette  loi, 
prouvée  pour  le  champignon  du  muguet,  que  «  la  fllamentisation  est  d'autant  plus 
grande,  que  la  composition  chimique  du  milieu  est  plus  complexe  »  (Roux  et  Linossier). 

Pour  identifier  sûrement  deux  microphytes  voisins,  il  faut  opérer  dans  des  con- 
ditions absolument  identiques  de  milieu,  aussi  bien  conditions  physiques  que  chi- 
miques. 

Mais  en  dehors  de  cette  interprétation,  les  divergences  des  résultats  oblenus  dans 
la  culture  de  VActinomyce,^siT  les  divers  auteurs  peuvent  recevoir,  «priori, une  explication 
satisfaisante.  Divers  Oospora  voisins  peuvent  sans  doute  produire  chez  l'homme  et  les 
animaux  des  lésions  semblables,  revêtir  dans  les  tissus  la  forme  rayonnée,  et  reprendre 
dans  les  cultures  expérimentales  les  formes  et  les  propriétés  dues  à  leurs  différences 
spécifiques. 

De  même  qu'il  semble  bien  exister  plusieurs  tuberculoses,  il  y  aurait  plusieurs  acti- 
nomycoses.  Affections  voisines,  parce  que  les  êtres  qui  les  causent  sont  voisins,  et 
non  semblables  chimiquement,  parce  que  l'organisme  peut  réagir  d'une  façon  à  peu 
près  identique,  vis-à-vis  de  deux  parasites  différents.  (Ne  se  forme-t-il  pas  un  véritable 
tubercule  autour  du  cysticerque  d'un  ténia,  comme  autour  d'une  colonie  de  bacilles  de 

KOCH?) 

A  ce  propos,  nous  devons  indiquer  que  l'on  a  voulu  distinguer  plusieurs  Actinomyces, 
capables  d'envahir  chacune  respectivement  un  animal  différent.  Mais  les  A.  suis, 
A.  muscidorum  et  A.  bovis  ne  semblent  pas  devoir  être,  jusqu'à  plus  ample  information, 
séparés  spéciflquement  de  l'A.  hominis  (Johne).  Les  divers  auteurs  qui  ont  en  effet 
parlé  de  ces  espèces  :  Virchow,  Duncker,  Hertwig,  n'ont  observé  le  parasite  que  dans  des 
tissus,  et  leur  description  micrographique  semble  bien  cadrer  avec  celle  de  V Actinomyces 
de  l'homme  : 

KiscHENSKY  a  bien  figuré  les  diverses  formes  :  filaments,  bâtonnets,  corps  cocciforme, 
qu'il  a  oblenus  sur  gélatine  peptonisée,  sur  sérum  sanguin. 


ACTINOIVI YCOSE.  115 

Les  caractères  morpliologiques  du  tjenre  Oospora,  auquel  appartient,  nous  l'avons 
déjà  dit,  VActinomyces,  ont  été  particulièrement  bien  étudiés  par  Sauvageau  et  Rabais, 
surtout  sur  Oospora  Guignardi.  Nous  suivrons  ces  auteurs  dans  la  description  de  ces 
caractères,  qui  sont  de  nature  à  intéresser  tous  ceux  qui  s'occupent  de  la  physiologie 
et  de  la  culture  de  ces  hyphoniycètes. 

Si  l'on  étudie  une  parcelle  de  culture  d'Oospora,  colorée  par  la  méthode  de  Gram,  on 
voit  un  grand  nombre  de  filaments  ramifiés,  enchevêtrés,  fortement  colorés,  d'une  lar- 
geur de  0™,™3  environ. 

Les  filaments  principaux  se  ramifient  latéralement,  d'une  manière  irrégulière, 
tantôt  nombreux  et  rapprochés,  tantôt  rares  sur  certains  points. 

Ils  débutent  sous  forme  de  petits  tubercules,  qui  s'allongent  dans  une  direction 
perpendiculaire  à  celle  du  filament  principal,  leur  largeur  est  la  même  que  celle  de  ce 
dernier. 

Ils  s'inclinent  et  se  courbent  ensuite,  d'une  façon  variable,  le  plus  souvent  dans  la 
direction  de  croissance  de  la  colonie,  ils  acquièrent  une  ramification  plus  ou  moins 
accentuée.  Ces  hyphes  ne  sont  pas  homogènes  sur  toute  leur  longueur.  En  certains 
points  les  rameaux  latéraux  sont  en  continuité  directe  avec  le  filament  principal,  en 
d'autres,  ils  sont  fragmentés,  séparés  par  des  intervalles  qui  ne  se  colorent  pas  par  le 
Gram,  tantôt  larges,  tantôt  étroits,  donnant  l'illusion  d'une  cloison.  Selon  les  dimen- 
sions qu'atteignent  ces  fragments,  on  peut  les  comparer  à  des  Bacterium,  des  Bacillus, 
des  Coccus.  Cette  forme  figure  des  granulations  plus  ou  moins  régulières,  disposées  assez 
souvent  en  files  régulières,  surtout  dans  les  parties  âgées. 

Ces  fragments  sont  souvent  terminaux,  mais  parfois  intercalés  entre  des  portions 
filamenteuses,  à  structure  continue. 

La  fragmentation  n'est  pas  due  au  mode  de  préparation,  car, après  la  coloration  au 
Gram,  sans  dessèchement  ni  fixation  préalable,  le  fait  apparaître  également.  Comme 
elle  apparaît  dans  des  cultures  âgées  de  2  jours;  elle  ne  peut  être  attribuée  à  l'âge. 

La  coloration  directe  avec  la  solution  aqueuse  de  violet  de  gentiane,  ou  la  coloration 
après  dessiccation  et  fixation,  donne  un  aspect  tout  différent. 

Par  le  liquide  Gram,  on  colore  seulement  le  protoplasme  des  hyphes,  tandis  qu'avec 
cette  solution,  on  colore  également  la  membrane.  Aussi  les  filaments  sont-ils  plus  larges 
et  continus.  On  ne  voit  plus  de  formes  en  bâtonnets  ou  en  granulations  isolées-  si  la. 
coloration  est  intense,  les  hyphes  sont  homogènes;  si  elle  est  faible,  on  aperçoit  à  leur 
intérieur  les  mêmes  bâtonnets  de  granulations,  qui  paraissaient  libres,  dans  les  prépa- 
rations au  liquide  Gram. 

Fréquemment  de  vieilles  cultures  montrent,  par  la  préparation  au  Gram,  un  grand 
nombre  de  granulations  irrégulières,  disposées  sans  ordre,  et  paraissent  complètement 
indépendantes  des  filaments,  tandis  que  les  préparations,  au  violet  de  gentiane,  des 
mêmes  cultures  ne  montrent  que  des  filaments,  sans  granulations  isolées. 

La  fragmentatio])  du  contenu  des  hyphes  s'explique  facilement,  par  ce  que  l'on  sait 
des  mycéliums  des  champignons  de  plus  grandes  dimensions. 

En  règle  générale,  ces  mycéliums  présentent  des  lacunes  ou  vacuoles,  surtout  nom- 
breuses dans  les  parties  âgées,  allongées  souvent  suivant  l'un  des  filaments,  et  séparées 
par  des  ménisques  proloplasmiques,  qui  correspondent  vraisemblablement  aux  granula- 
tions des  Oospora. 

Les  fragments  mycéliens,  séparés  du  filament  principal,  sont  capables  d'accroisse- 
ment. On  ne  sait  pas  quelles  sont  les  dimensions  rainima  que  doivent  acquérir  ces 
fragments,  pour  être  en  état  de  s'accroître,  mais  assurément,  ces  dimensions  peuvent 
être  des  plus  réduites.  Cette  propriété  se  retrouve  d'ailleurs  chez  les  Mucorinées,  dont 
le  thalle  n'est  pas  cloisonné,  et  dont  chaque  fragment  est  susceptible  de  s'accroître  en 
un  thalle  nouveau. 

Les  hyphes  ne  semblent  pas  être  munis  de  cloisons  transversales,  soit  qu'on  les 
examine  sur  le  vivant,  soit  qu'on  observe  les  préparations. 

On  peut  faire  disparaître  le  contenu  protoplasmique,  en  laissant  séjourner  les  fila- 
ments entre  deux  lames  de  verre,  pendant  plusieurs  heures,  dans  une  solution  dépotasse 
caustique  à  1  p.  100,  ou  pendant  vingt-quatre  heures  dans  l'acide  chromique  à  3  p.  100, 
puis  coloration  par  le  violet  de  gentiane  ou  de  fuchsine  après  lavage  â  l'eau.  La  double 


116  ACTINOMYCOSE. 

paroi  des  tubes  mycéliens  est  alors  très  nette,  et  on  n'observe  pas  de  cloisons  trans- 
versales. 

La  paroi  des  hyphes  ne  se  colore  en  bleu  ni  par  l'iode,  ni  par  le  chloro-iodure  de 
zinc,  mais  se  teinte  légèrement  en  jaune. 

Les  filaments  sporifères  sont  droits  ou  courbés,  raides,  à  contenudense,  homogène,  au 
moins  deux  fois  plus  larges  que  les  filaments  végétatifs.  Les  premiers  rameaux  spori- 
fères naissent  toujours  au  centre  de  la  culture,  simples  ou  ramifiés,  toujours  courts, 
naissant  tantôt  directement  sur  des  filaments  grêles,  tantôt  prolongeant  directement  des 
rameaux  végétatifs  grêles,  isolés  ou  groupés  en  arbuscules. 

Ces  filaments  apparaissent  dans  la  culture  8  jours  après  l'ensemencement.  Le 
3=  jour,  la  segmentation  en  spores  commence,  soit  sur  toute  la  longueur  du  rameau 
sporifère,  soit  seulement  dans  sa  portion  terminale.  Toutes  les  conidies  se  forment 
simultanément  sur  un  même  rameau.  On  voit  une  série  d'étranglements  se  dessiner  à 
égale  distance  les  uns  des  autres,  puis  apparaissent  des  lignes  claires  transversales, 
indices  de  membranes  de  séparation.  Les  conidies  se  séparent  alors  les  unes  des  autres, 
au  moindre  choc;  leurs  faces  en  contact  sont  encore  aplaties.  Une  fois  séparées  les  unes 
des  autres,  les  spores  mûres  sont  arrondies  en  ovalaires.  Elles  se  colorent  facilement  par 
le  liquide  Gram,  et  sont  plus  larges  que  les  filaments  végétatifs. 

Sur  un  chapelet  de  spores,  toutes  n'arrivent  pas  à  maturité.  Les  spores  ainsi  avortées 
sont  indiquées  par  une  pénombre  périphérique,  violacée;  elles  semblent  privées  de 
contenu. 

Les  filaments  conidifères  sont  toujours  homogènes,  avant  leur  segmentation  en 
conidies,  on  n'y  voit  pas  de  parties  claires,  Iranchantsur  le  reste  du  contenu  du  filament; 
ce  n'est  que  lorsque  le  contour  des  spores  est  indiqué,  que  quelques-unes  d'entre  elles  se 
vident  au  profit  des  autres. 

La  spore  est  de  forme  spliérique  ou  légèrement  ovoïde,  un  peu  plus  grosse  que  le 
filament  qui  lui  a  donné  naissance.  Elle  se  colore  très  fortement  par  les  couleurs  d'ani- 
line. On  y  dislingue  une  très  fine  enveloppe  qui  se  colore  en  jaune  bleuâtre  par  le 
chloro-iodure  de  zinc,  ce  qui  semble  bien  indiquer  la  présence  d'une  fine  membrane  de 
cellulose. 

Spore.  —  La  spore  résiste  mieux  à  l'action  de  la  chaleur  humide  que  les  filaments  du 
thalle.  Elle  succombe  à  une  température  de  7S°,  mais  résista  à  une  température  supé- 
rieure à  60°,  pendant  5  minutes,  tandis  que,  dans  ces  mêmes  conditions,  le  thalle  est  tué. 
.  Le  peu  de  résistance  de  la  spore  à  la  chaleur,  son  affinité  pour  les  couleurs  d'aniline 
l'éloignent  des  spores  de  Bactèriacées  et  la  rapproche  de  celles  des  Mucédinées. 

Les  spores  se  gonflent  ou  germent  Jusqu'à  doubler  de  volume,  elles  ne  possèdent 
probablement  pas  une  exospore  et  une  endospore,  car  on  ne  voit  pas  de  déclairure  à 
l'enveloppe  de  la  spore.  D'autre  part,  le  tube  germinatif  est  parfois  plus  étroit  que  la 
spore,  comme  s'il  sortait  d'un  pore,  tandis  que  parfois  le  diamètre  de  ce  filament  est 
aussi  considérable  que  celui  de  la  spore. 

Germination  de  la  spore.  —  La  spore  donne  naissance  à  un,  ou  plus  souvent  deux 
filaments,  faisant  entre  eux  un  angle  obtus,  toujours  à  peu  près  le  même.  Ces  filaments 
se  ramifient  rapidement.  Les  ramifications  secondaires  produisent  des  ramifications 
tertiaires,  et  ainsi  de  suite,  de  sorte  que,  au  bout  de  30  à  40  heures,  le  feutrage  inextri- 
cable de  mycélium  empêche  de  voir  la  spore,  point  d'origine  de  la  colonie.  Les  filaments 
issus  directement  de  la  spore,  ainsi  que  les  premières  ramifications,  sont  régulièrement 
segmentés.  , 

Toujours  la  spore  donne  naissance  à  des  filaments,  et  jamais  elle  ne  se  scinde  en 
deux  corpuscules.  La  spore  ne  peut  donc,  en  aucune  façon,  en  imposer  pour  des  formes 
bactériennes,  coccoïdes,  ni  pour  des  formes  involutives. 

Les  figures  données  par  Douec  correspondent  à  celles  de  Protopopoff  et  H.\mmer,  mais 
représentent  des  stades  plus  avancés,  plus  ramifiés. 

Le  plus  souvent,  la  germination  de  la  spore  est  unilatérale,  elle  n'émet  qu'un  fila- 
ment; d'autres  fois,  elle  en  émet  deux  :  tantôt  juxtaposés,  tantôt  opposés  aux  deux 
pôles  de  la  spore.  Le  ou  les  filaments  germinatifs  se  ramifient  dans  toutes  les  directions, 
de  sorte  que  le  thalle  prend  une  forme  étoilée,  analogue  à  celle  qu'affecte  le  thalle  des 
Mucor   dans  les  cultures.  En  se  ramifiant,  les  filaments  ont   une  tendance  à  s'ados- 


ACTINOMYCOSE.  117 

sei' les  uns  aux  autres,  ce  qui  les  ferait  croire  d'un  volume  douille  à  leur  volume  réel, 
au  tnoius  sur  certaines  portions  de  leur  longueur.  En  réalité,  il  n'y  a  jamais  de  véri- 
tables anastomoses;  Les  filaments  sont  d'abord  homogènes,  mais,  à  leur  intérieur,  ils 
ne  tardent  pas  à  se  dillerencier  des  granulations  dont  nous  avons  parlé,  et,  au  bout  de 
48  heures,  on,  voit  apparaître  toutes  les  formes  :  en  filaments  courts  ou  longs,  en 
bâtonnets,  en  coccus. 

Des  fragments  isolés  du  Ihalle  reproduisent,  en  cultures,  un  thalle  nouveau,  de  même 
aspect  que  le  thalle  issu  de  la  spore,  bien  que  moins  régulier  au  début  de  sa  formation. 
Certains  Oospora,  tels  que  0.  Metachnikowi,  dans  certaines  conditions  de  culture  qui  ne 
sont  pas  favorables  à  la  sporulation,  ne  produisent  sur  leur  thalle  que  des  rameaux 
raides,  épais,  seaiblables  aux  rameaux  sporifères  d'O.  Guignardi.  Avani  la  dilférenciatiou 
des  spores,  ces  rameaux  forment,  à  la  surface  de  la  culture,  une  couche  blanche  qui 
reste  stérile. 

Le  genre  Oospora,  défini  par  les  caractères  que  nous  venons  d'indiquer,  se  place  parmi 
ce  groupe  hétérogène  de  formes  imparfaites,  désigné  sous  le  nom  de  Mucédinées,  et  qui 
vraisemblablement  ne  repésentent  toutes  que  des  stades  d'évolution  de  champignons 
supérieurs  polymorphes,  dont  l'état  le  plus  parfait  est  encore  inconnu,  ou  déci'it  sous 
d'autres  noms. 

iNous  n'avons  pas  à  insister  ici  sur  ces  questions  d'ordre  purement  morphologique, 
et  nous  n'avons  pas  à  insister  sur  ce  fait,  que  VActinomyces  n'est  pas  une  liactériacée, 
comme  on  le  lépète  encore  fréquemmenL.  Les  caractères  indiqués  suffisent  à  jnontrer 
la  diUérence  pruloude  entre  ce  Champignon  et  les  Bactériacées. 

Parmi  les  7y  espèces,  actuellejnent  classées  dans  le  genre  Oospora,  ÏO.  bovis  n'est 
pas  la  seule  espèce  pathogène  :  le  larcin  des  bœufs,  étudié  par  Nogard,  est  causé  par 
rO.  f'arcinicu,  la  pseudo-tuberculose  expérimentale  d'EpriMGEH  (dite  à  tort  cladothry  tique) 
l'est  par  l'O.  astéroïdes.  L'O.  destructor  peut  vivre  en  parasite  sur  divers  iusecles,  en  parti- 
culier certains  charançons  [C'eonus],  les  larves  du  hanneton,  les  vers  à  soie. 

L'étude  des  propriétés  physiologiques  des  divers  Oosporti  présenterait  doucle  plus  grand 
intérêt,  tant  pour  la  pathologie  que  pour  la  physiologie  générale.  Mais  cette  étude  n'a 
guère  été  ébauchée,  que  pour  l'O.  bovis. 

Biologie.  —  L'Aclinoniycus  est  facultativement  anaérobie.  Un  a  pu  en  obtenir  des 
cultures  à  l'air  libre,  mais  la  culture  réussit  mieux  en  présence  d'une  quantité  d'air 
limitée,  dans  le  vide  ou  en  gaz  luerte.  Ou  peut  conserver  dans  l'hydrogène  des  cultures 
encore  actives  au  bout  d'un  au.  Le  parasite  disparaît  très  rapidement,  quand  on  permet 
l'accès  de  l'air  dans  une  culture  atiaérobie. 

Le  champignon  pullule  entre  3o°  et  31",  ce  qui  explique  sa  multiplication  dans  le 
corps  des  mammifères.  La  végétation  se  ralentit  à  40-41°,  elle  s'arrête  à  oi".  Une  tem- 
pérature de  70°  est  mortelle,  au  bout  de  10  minutes. 

il  serait  du  plus  haut  intérêt  de  faire  une  étude  comparative  du  chiinisrne  des  espèces 
pathogènes  ei  ues  espèces  inolfensives  :  l'O.  bovis  par  exemple  et  l'O.  Gaignardi ,  ainsi 
que  de  leurs  reactions,  tant  morphologiques  que  physiologiques,  aux  divers  agents 
physico-chuiiiques.  lioucHAKU  et  Charrin  ont  tout  récemment  comparé  à  ce  point  de  vue 
le  hacilie  pyocyanique  et  l'Oospora  Gaignardi,  dans  i'e;3pou-  de  découvrir  la  cause  du 
pouvoir  pathogène  du  premier  et  de  l'innocuité  du  second. 

Voici  les  conclusiona  de  ces  auteurs  :  l'Ouspora  est  plus  sensible  aux  antiseptiques, 
aux  agents  aimobphériques,  à  la  pression,  à  l'ozone,  à  la  lumière,  au  froid,  au  vent, 
par  conséquent,  il  y  aura  des  chances  puur  qu'il  soit  introduit  atténué  dans  l'orga- 
nisme. 

Ue  plus,  mis  en  concurrence  avec  les  bactéries,  l'O.  succombe. 

11  préfère  les  aliments  sucrés,  tandis  que  le  bacille  recherche  les  matières  protéiques 
qui  dominent  dans  les  tissus  animaux.  Le  bacille  se  développe  plus  abondamment  que 
le  champignon  dans  le  sérum;  il  prélère  le  rein  au  foie,  c'est  le  contraire  pour 
i'Oospora,  â  cause  du  glycogène  renfermé  dans  le  foie. 

Ln  dernier  lieu,  le  bacille  pyocyanique  a  achevé  son  évolution  en  lo  ou  20  jours, 
dans  un  Jiire  de  bouillon,  il  a  alors  fabriqué  ses  toxines.  Pour  arriver  au  même  point, 
le  champignon  exige  2  ou  3  mois. 

Les  causes   de  l'innocuité  de  ÏOospora  sont  donc  :  la  lenteur  de  la  pullulation,  de  la 


'18  ACTINOM  YCOSE. 

sécrétion  des  toxines,  le  peu  de  résistance  aux  agents  d'atténuation,  le  manque  d'appro- 
priation des  aliments,  qui  se  rencontrent  dans  l'économie. 

La  comparaison  est  certes  des  plus  intéi-essantes  entre  bacille  pathogène  et  Mucé- 
dinée  inoffensive,  mais  son  intérêt  serait  encore  bien  plus  grand,  au  point  de  vue  de  la 
physiologie  générale,  entre  deux  Mucédinées  voisines.  En  se  plaçant  au  point  de  vue 
évolutionniste,  on  pourrait  peut-être  saisir  les  raisons  de  l'adaptation  progressive  de 
telle  forme,  normalement  saprophyte,  à  la  vie  parasitaire,  et  apprécier  ensuite  la  nature 
du  cbimisme  particulier  imprimé  par  cette  vie  nouvelle.  Le  changement  dans  les  pro- 
priétés physiologiques  devant  retentir  sur  les  caractères  morphologiques,  on  pourrait 
acque'rir  de  précieuses  données,  sur  la  filiation  des  formes  parasitaires,  aux  dépens  des 
formes  saprophytes. 

De  même  que  nombre  de  parasites  des  végétaux  jouissent  d'une  susceptibilité  toute 
particulière,  à  l'égard  des  sels  de  cuivre,  d'autres  à  l'égard  du  soufre,  de  même  on 
possède  aujourd'hui  un  véritable  spécifique  de  l'actinomycose  dans  les  composés  iodés. 

L'iodure  de  potassium,  introduit  d'abord  dans  la  thérapeutique  de  l'affection  par  les 
vétérinaires,  a  réussi  également  dans  la  cure  de  l'actinomycose  humaine. 

Il  résulte  des  expériences  de  Thomassen  [Écho  vétérinaire  de  Liège,  1885)  et  de  Nocard 
[Notes  sur  l'Actinomycose  des  animaux,  Paris,  1892)  que  le  traitement  interne  par  l'iodure 
de  potassium  suffit  toujours  à  la  guérison  des  cas  d'actinomycose  chez  les  animaux. 
Maydl,  Van  Iterson,  Netter  et  nous-mêmes  ont  obtenu  les  meilleurs  résultats  de  l'emploi 
de  l'iodure  de  potassium  chez  l'homme,  dans  le  cas  d'ostéosarcome  maxillaire  et  d'acti- 
nomycose viscérale. 

Il  est  extrêmement  intéressant  d'élucider  le  mode  d'action  de  l'iodure  de  potassium. 
Nocard  s'est  livré  à  des  recherches  à  ce  sujet,  et  n'a  pas  obtenu  de  résultats,  sauf  celui- 
ci  «  qu'une  culture  d'Actinomycose  n'est  en  rien  modifiée,  quant  à  sa  richesse  ou  à  sa  rapi- 
dité, par  1  addition  de  fortes  proportions  d'iodure  de  potassium  à  la  gélose  glycérinée  ». 
D'après  des  recherches  personnelles,  en  cours  d'exécution,  nous  pouvons  présumer  que, 
dans  l'iodure  de  K,  c'est  surtout  l'iode  qui  agit.  Les  autres  iodures  alcalins  donnent  chez 
les  animaux,  et  chez  l'homme,  des  résultats  dans  la  cure  de  l'actinomycose  ;  on  peut  d'ail- 
leurs obtenir  une  guérison  radicale  de  l'actinomycose,  par  l'usage  à  l'intérieur  de  la  tein- 
ture d'iode.  C'est  donc  ce  métalloïde  qui  exerce  une  action  spécifique,  d'une  toxicité 
extrême  pour  l'Actinomyces,  de  même  que  l'argent  aune  toxicité  élective  pour  VAsper- 
gillus  niger.  Dans  un  cas  d'actinomycose  de  la  face,  D.arier  (Soc.  de  dermat.  et  de  Syphi- 
ligraphie.  Il  juin  1891)  a  obtenu  la  guérison  par  la  méthode  électrochimique  (injection 
d'iodure  de  potassium,  décomposé  par  un  courant  de  pile),  c'est  très  vraisemblablement, 
à  la  mise  en  liberté  d'iode  à  l'état  naissant,  que  cette  méthode  doit  son  efficacité. 

Nous  comparions  plus  haut  l'action  de  l'iode  sur  VActinomyces  à  celle  de  l'argent  sur 
l'Aspergitlus  niger.  Peut-être  ce  métal  jouit-il  aussi  de  propriétés  toxiques  énergiques 
sur  VActinomyces.  En  elTet,  'Koexitz  [Deutsch.  Med.  Wochenschr.,  3  sept.  1891)  en  cau- 
térisant avec  le  crayon  de  nitrate  d'argent,  les  trajets  fistuleux  d'un  ostéosarcome  du 
maxillaire  inférieur  ulcéré,  a  obtenu  un  résultat  merveilleux. 

La  maladie,  qui  durait  depuis  deux  ans  et  demi,  fut  radicalement  et  promptement 
guérie. 

C'est  à  BiLLROTH  que  revient  l'idée  originale  de  traiter  l'actinomycose  par  la  tubercu- 
line  de  Koch.  Cette  méthode  a  donné  entre  ses  mains  un  succès,  au  moins  momentané, 
(le  malade  n'a  pas  été  suivi  après  sa  soi-disant  guérison).  On  peut  se  demander  si  la 
tuberculine  a  une  action  élective  sur  le  tissu  actinomyco tique,  comme  sur  le  tissu  tuber- 
culeux, ou  bien  si,  dans  les  cas  oii  elle  agit,  il  y  a  coïncidence  d'actinomycose  et  de 
tuberculose.  Il  résulterait  des  expériences  de  M.  Wolff  (20"  Congrès  de  la  Soc.  allemande 
de  chirurgie)  que  les  injections  de  tuberculine  chez  les  animaux  actinomycotiques  provo- 
quent les  mêmes  phénomènes  que  chez  les  animaux  tuberculeux;  mais,  fait  curieux, 
une  injection  d'extrait  glycérine  de  culture  d'actinomycose,  chez  un  malade  porteur 
d'une  tumeur  actinomycotique,  ne  provoque  aucun  phénomène  appréciable.  D'autre 
part,  Makora  [Soc.  de  Méd.  de  Buda-Pest,  juin  1891)  a  rapporté  un  cas  da'ctinomycose 
des  maxillaires,  chez  l'homme,  où  les  injections  de  tuberculine  n'amenèrent  aucun 
résultat.  La  question  de  l'action  de  la  lymphe  de  Kocu  sur  les  sujets  atteints  d'actino- 
mycose reste  donc  en  entier  à  élucider. 


ACTINOMYCOSE.  H9 

L'action  locale  de  latuberculine,  au  niveau  des  lésions  actinomycoliques,  n'a  d'ailleurs 
pas  lieu  de  nous  étonner.  Bouchard  a  fait  remarquer  {les  Microbes  pathogènes,  p.  184) 
que  la  tuberculine  produit  la  dilatation  vasculaire,  l'exsudation  séreuse,  la  diapédèse  des 
leucocytes,  quand  l'irritation  locale  n'est  pas  de  nature  tuberculeuse,  par  exemple  au 
niveau  de  nodosités  lépreuses,  ou  de  lésions  simplement  inflammatoires,  bien  qu'avec 
moins  d'intensité,  que  dans  le  cas  de  lésions  réellement  tuberculeuses. 

11  serait  intéressant  de  comparer  à  la  réaction  provoquée  par  la  tuberculine,  celle 
que  provoqueraient  sans  doute  des  protéines  foui'nies  par  d'autres  bactéries;  mainte- 
nant que  nous  savons  par  les  recherches  de  Roemeb  (T\''ien.  klinisch.  "WocAensc/»'.,  1891, 
n"  43),  de  ;Bt]Chner  (Mùnch.  med.  Wochenschr.,  1891,  n"  49),  de  Klemperer  {Zeitschr.  /'.  klm. 
Med.,  t.  XX,  189^,  p.  75)  que  les  protéines  de  diverses  bactéries  sont  susceptibles  de  pro- 
duire les  mêmes  effets  locaux  que  la  tuberculine. 

Inoculation.  —  L'inoculation  de  l'affection,  à  l'aide  des  produits  pathologiques,  est 
facile  à  réussir.  On  contamine  le  lapin,  en  introduisant  dans  la  cavité  péritonéale  des 
fongosités  d'actinom}'cose  humaine  (Wolff  et  Israël).  Il  en  est  de  même  chez  le  veau 
(Ponfick),  chez  le  lapin  (Mosselman  et  Liéxadx),  la  chèvre,  le  rat,  le  mouton  (Manderead). 
La  contamination  de  ce  dernier  animal  est  remarquable,  car  on  n'a  jamais  signalé  d'acti- 
nomycose  spontanée  dans  l'espèce  ovine.  Le  chat,  le  chien  et  le  cobaye  se  montreraient 
réfractaires.  L'inoculation  à  l'aide  de  cultures  pures  a  réussi  entre  les  mains  de  Mosselmax 
et  Ltéxaux  de  Wolff  et  Israël,  de  Maxdereau. 

Étiologie. —  On  est  encore  aujourd'hui  réduit  à  des  hypothèses,  sur  l'étiologie  de 
l'affection.  Nous  ne  nous  attarderons  pas  à  l'influence  du  traumatisme.  Il  peut,  en  pro- 
duisant une  effraction  aux  barrières  épidermiques  ou  muqueuses,  ouvrir  une  porte  d'en- 
trée à  l'agent  pathogène.  Quant  à  son  action  sur  la  marche  de  la  maladie,  sur  l'impulsion 
qu'il  pourrait  donner  à  une  affection  actinomycosique  latente,  nous  ne  pourrions  rien 
apporter  de  précis,  et  la  question  se  pose,  d'une  façon  plus  générale,  à  propos  de  toutes 
les  maladies  infectieuses.  II  semble  néanmoins  que,  dans  nombre  de  cas,  la  porte  d'entrée 
a  été  dans  les  cavités  buccales  ou  pharyngées  (érosion  de  la  muqueuse,  carie  dentaire). 

Les  animaux,  surtout  l'espèce  bovine,  peuvent  contracter  spontanément  l'actinomycose, 
le  contact  avec  des  animaux  infestés,  et  l'inoculation  (par  une  voie  ou  une  autre)  du  pus 
actinomycotique  peut  être  invoquée  comme  cause  déterminante  dans  un  certain  nombre 
de  cas. 

Mais  l'homme  ne  peut-il  s'infecter  aux  mêmes  sources  que  le  bœuf,  directement  et 
sans  intermédiaire?  De  là  est  née  l'intéressante  question  de  l'infection  possible  par  les 
végétaux. 

Dans  cinq  cas  d'actinomycose  humaine,  Bostrôm  a  retrouvé  dans  .les  tissus  envahis 
des  fragments  d'orge.  11  croit  que  le  germe  pénètre  à  l'intérieur  des  grains  d'orge,  par 
des  orifices  (?)  qu'il  décrit,  que  l'homme  s'infecte  par  ingestion  des  grains  de  céréales  ou 
de  leurs  fragments.  Plusieurs  fois,  chez  l'homme,  des  épis  de  blé,  des  barbes  d'orge, 
ingérés  accidentellement,  ont  été  le  point  de  départ  de  l'infection  (mais  il  faut  faire  ici 
la  part  du  léger  traumatisme,  déterminé  par  ces  organes  piquants).  Chez  les  bestiaux,  la 
contamination  s'expliquerait  le  plus  souvent,  de  l'avis  de  nombreux  vétérinaires,  par  la 
consommation  de  débris  végétaux:  céréales,  pailles,  fourrages,  où  le  champignon  vivrait 
à  l'état  de  saprophyte;  ou  par  un  traumatisme  déterminé  sur  la  peau,  par  le  frottement 
aux  arbres  ou  aux  boiseries  des  étables.  Le  champignon  pourrait  donc  vivre  aussi  en 
saprophyte  sur  le  bois.  Chez  l'homme,  divers  cas  trouveraient  leur  origine  dans  une  con- 
tamination par  des  débris  de  bois  moisis,  dans  un  décubitus  prolongé  sur  de  la  paille 
fermentée,  par  la  pénétration  d'une  esquille  ligneuse  dans  les  téguments. 

Enfin  la  maladie  s'observe  presque  exclusivement  chez  lesherbivores  et  les  omnivores, 
elle  est  inconnue  chez  les  carnivores  (on  a  signalé  cependant  un  cas  d'actinom3-cose  chez 
le  chien).  Mais  en  réalité  le  chien  est  omnivore. 

Quant  aux  expériences,  faites  jusqu'à  ce  jour,  pour  obtenir  la  fructification  du  cham- 
pignon sur  les  céréales,  elles  n'ont  pas  été  conduites,  d'une  façon  capable  de  donner  des 
résultats  précis.  Reste  encore  la  question  de  la  contamination  par  les  substances  alimen- 
taires, d'origine  animale.  On  aurait  trouvé  YActinomyces  dans  des  œufs  de  poule,  sa  vie 
saprophyte  sur  la  paille  expliquerait,  dans  ce  cas,  sa  présence  accidentelle  dans  l'oviducte 
de  la  poule. 


120  ACTINOMYCOSE. 

Les  cas  d'actinomycose  intestinale  primitive  s'expliqueraient  bien  par  l'ingestion  de 
viande,  provenant  d'animaux  contaminés  :  porc  ou  bœuf.  La  viande  de  bœuf  est  souvent 
infectée,  surtout  en  Allemagne,  en  Angleterre  et  en  Russie.  On  a  voulu  incriminer  d'une 
façon  toute  particulière  les  viandes  américaines.  Mais  resterait  à  démontrer  que  les 
kystes  intramusculaires  actinomycotiques,  bien  étudiés  par  Duxcker  et  Virchow  et  dif- 
férenciés par  ce  dernier  des  kystes  de  trichine,  peuvent  expérimentalement  provoquer 
la  maladie.  La  vitalité  du  parasite  n'est-elle  pas  atteinte,  au  moins  dans  une  bonne 
partie  des  cas,  par  suite  de  l'infiltration  calcaire,  qui  envahit  le  kyste  formé  autour  de 
lui  par  inflammation  interstitielle"?  A  l'expérience  de  répondre. 

Concluons  que  l'hypothèse  de  la  vie  saprophytique  de  l'OospojYt  est  aussi  probable  que 
pour  les  Trichopkyton  et  Achorion,  et  le  champignon  du  muguet,  mais  que  la  démons- 
tration bien  probante,  comme  celle  qu'on  a  fournie  pour  VAspergillus  fumigatus,  demeure 
encore  à  faire. 

Réaction  de  rorganisme  vis-à-vis  du  parasite. — ■  Dès  que  le  parasite  a  pénétré 
dans  l'organisme  d'une  façon  quelconque,  une  lutte  s'établit  entre  lui  et  certaines 
cellules  de  l'organisme,  qui  tendent  à  l'englober  et  à  le  détruire.  Les  phénomènes  de 
phagocytose  dans  l'Actinomycose  ont  été  étudiés  avec  soin,  dans  un  récent  mémoire 
(Pawlowsky  etMAKSUTOFF,  in  Ann.  Inst.  Vasteur,.  189,3,  p.  544). 

Longtemps,  les  observateurs  n'avaient  pas  réussi  à  voir  le  parasite  au  sein  de  cellules, 
et  on  admettait  que  sa  propagation  s'effectuait  par  les  voies  sanguines  ou  lympha- 
tiques, sans  intervention  des  éléments  figurés.  Ce  n'est  que  récemment  que  Mar- 
GHAMD  [Eulenburg's  Real-Encyclopedie,  2°  éd.)  et  Bostrôm  {Ziegler  Baitr.  zur  pathol. 
Anatom.,  t.  ix,  1890)  virent  le  champignon  dans  les  leucocytes  et  les  cellules  géantes  de 
l'Actinomycose.  Ce  dernier  auteur  admet,  à  la  suite  de  ses  observations,  la  propagation 
parasitaire,  par  l'intermédiaire  des  leucocytes,  mais  seulement  dans  la  région  de  réac- 
tion inflammatoire;  il  n'admet  d'ailleurs  pas  cette  voie,  à  l'exclusion  des  autres.  Fischer 
admet  aussi  la  propagation  par  les  leucocytes,  d'après  ses  observations  concordant  avec 
celles  de  Babès  sur  la  présence  intracellulaire  des  filaments  du  champignon  (Virchoiv's 
Archiv.,  1886,  t.  cv). 

Sitôt  entré  dans  l'organisme,  le  champignon,  en  vertu  d'un  pouvoir  chimiotactique 
positif,  s'entoure  de  phagocytes,  ces  derniers  constitués  par  des  leucocytes  mononu- 
cléaires et  des  cellules  jeunes  du  tissu  conjonctif.  Ces  phagocytes  se  transforment,  sous 
l'influence  du  parasite  qu'elles  englobent,  en  grandes  cellules  épithélioïdes,  munies  d'un 
nucléole.  Le  filament  ainsi  contenu  dans  le  macrophage  se  développe  avec  lenteur,  jus- 
qu'à acquérir  la  forme  en  capitule  ou  radiée,  caractéristique.  L'hyphe  du  champignon 
subit  des  altérations  qui  témoignent  de  la  lutte  engagée  entre  lui  et  l'élément  phago- 
cytaire.  Si  ce  dernier  est  vaincu,  le  parasite  se  développe  et  produit  des  colonies  qui  le 
propagent.  La  cellule  vaincue  prend  un  aspect  granuleux,  une  coloration  plus  faible  du 
protoplasme,  une  modification  de  forme  du  nucléole,  ses  contours  deviennent  moins 
nets,  et,  peu  à  peu,  elle  se  résout  en  masses  protoplasmiques,  sans  nucléoles. 

Mais  aussitôt,  d'autres  cellules  épithélioïdes  entrent  en  lutte  avec  le  parasite,  vain- 
queur de  la  cellule  disparue,  les  portions  libres  des  filaments  ou  capitules  sont  englo- 
bées par  ces  cellules  épithélioïdes,  et  la  lutte  recommence,  favorable  ou  funeste  pour 
VActinoimjces. 

Plaçons-nous  dans  la  dernière  hypothèse.  Le  parasite  vaincu  prend  une  forme  de 
dégénérescence,  une  forme  d'involuLion.  Il  se  colore  peu  ou  mal,  tandis  que  le  macro- 
phage conserve  la  netteté  des  contours.  L'extrémité  des  filaments  mycéliens  se  renfle  en 
massue,  de  là  la  forme  si  caractéristique  du  parasite  dans  les  granules  du  pus  actino- 
mycotique.  On  trouve  alors  un  parasite  incolore,  contenu  dans  de  grandes  cellules,  puis 
il  se  trouve  disloqué  en  filaments,  en  granules,  en  renflements  isolés.  Le  contour  de  ces 
divers  éléments  devient  de  plus  en  plus  confus,  jusqu'à  confluer  avec  le  protoplasme  et 
à  devenir  invisible. 

Les  extrémités  en  massue  des  hyphes  mycéliens  finissent  par  se  détacher,  et  se  trans- 
forment alors  en  globules  hyalins.  Ce  sont  des  grains  ronds,  plus  ou  moins  nombreux, 
libres  ou  réunis  par  une  substance  intermédiaire,  de  taille  variable,  se  colorant  forte- 
ment comme  le  parasite,  par  la  méthode  de  Gram. 

Ces  globules  hyalins  sont  donc  comme  dans  le  rhinosclérome  (Pawlowsky.   Ver- 


ACTINOMYCOSE.  121 

handl.  des  X  internation.  Mcdicin.  Congress.,  Berlin,  1890,  t.  ii)  des  productions  parasi- 
taires, les  extrémités  dégénérées  du  thalle  radié  (forme  d'involution)  de  l'Actinomyces 
vaincu  dans  sa  lutte  avec  les  phagocytes. 

Parfois  cependant,  à  la  limite  d'un  capitule  en  voie  de  dégénérescence,  on  trouve 
quelques  filaments  en  voie  de  croissance.  Ces  filaments  peuvent  s'implanter  dans  des 
cellules  nouvelles,  et  devenir  le  centre  de  nouveaux  nodules  actinomycotiques. 

Parfois  aussi,  la  croissance  du  parasite  est  très  rapide,  et  avant  que  le  phagocyte  qui 
le  contient  ne  dégénère,  le  mycélium  dépasse  les  limites  de  ce  phagocyte,  et  peut  être 
transporté  eu  un  autre  point,  par  un  phagocyte  voisin.  Ce  dernier,  au  lieu  de  devenir 
migrateur,  peut  parfois  rester  au  contact  du  premier  phagocyte,  et  on  observe  alors  des 
connexions  persistantes,  entre  deux  portions  d'un  même  capitule,  englobées  par  deux 
phagocytes  différents. 

Des  couches  de  cellules  épithélioïdes  forment  une  véritable  barrière  tout  autour  des 
phagocytes  englobant  les  capitules  parasitaires.  L'ensemble  de  ces  cellules  forme  le 
nodule.  De  là  l'aspect  granuleux  de  ce  nodule,  qui  (lui  avait  valu  le  nom  de  granulose 
infectieux  (Cohnheim).  Ce  mot  est  impropre,  depuis  que  les  recherches  de  Joune  [Deutsche 
Zeitschr.  fur  Thier.  Medicin,\,.vu,  1882);  de  MooHBHUGGER(iieù?'.  z«r  KKn.  Chirurg.  Tubin- 
r/en,  1886)  ont  montré  que  les  nodules  ne  consistent  pas  seulement  en  granulations  pro- 
venant de  la  dégénérescence  des  leucocytes,  mais  que,  de  même  que  ces  derniers,  les 
cellules  fixes  du  tissu  de  néoformation  se  transforment  en  cellules  géantes  épithé- 
lioïdes. 

Il  n'est  pas  dépourvu  d'intérêt  de  comparer  le  nodule  aclinomycotique  au  tubercule.  La 
structure  de  ces  deux  néoformations  parasitaires  serait  assimilable  pour  nombre  d'auteurs. 
L'organisme  se  défend  donc  contre  les  attaques  de  l'hyphomycète,  par  la  formation 
d'un  véritable  néoplasme  parasitaire,  de  même  que  contre  les  attaques  du  bacille  de 
KocH.  Mais  l'évolution  de  l'actinomycose  diffère  de  celle  du  tubercule,  en  ce  que  ce  der- 
nier devient  caséeux,  tandis  qu'il  subit  une  dégénérescence  graisseuse  ou  puriforme, 
(selon  les  auteurs),  et  se  transforme  finalement  en  tissu  cicatriciel. 

Dès  les  premiers  signes  de  la  dégénérescence  des  nodules,  les  cellules  épithélioïdes 
qui  le  constituent  s'infiltrent  de  leucocytes  multinucléolés,  qui  amènent  rapidement  la 
dégénérescence  du  nodule,  ou  se  transforment  en  globules  de  pus.  Les  masses  dégéné- 
rées se  trouvent  finalement  noyées  dans  cette  infiltration  purulente. 

Nous  pouvons  ainsi  nous  expliquer  que  le  pus  aclinomycotique  contienne  des  cellules 
épithélioïdes  dégénérées,  des  capitules  morts  d'actinomyces,  avec  leurs  massues  si  carac- 
téristiques, des  corps  hyalins  résultant  de  la  dégénérescence  de  ces  massues,  et  des 
globules  du  pus,  multinucléoléaires,  avec  grains  libres  de  chromatine. 

L'infiltration  du  néoplasme  aclinomycotique  par  les  leucocytes  polynucléés  est  donc 
le  premier  terme  de  la  dégénérescence  du  nodule,  et  ne  représente  pas  sa  structure 
normale.  Les  filaments  mycéliens  ne  peuvent  alors  se  développer,  en  dehors  des  éléments 
figurés  de  l'organisme  parasité.  Ce  n'est  que  temporairement  qu'on  peut  les  rencontrer 
en  dehors  des  cellules  épithélioïdes.  Si  le  champignon  triomphe  de  ces  cellules  qui  l'ont 
englobé,  et  amène  leur  dégénérescence,  en  vertu  de  son  pouvoir  chimiotactique,  il  con- 
dense autour  de  lui  de  nouveaux  phagocytes,  qui  tendent  à  amener  sa  dégénérescence  par 
formation  des  corpuscules  hyalins  de  régression.  De  la  sorte  la  guérison  naturelle  tend 
toujours  à  s'établir. 

Il  serait  sans  intérêt  d'insister  ici  sur  les  diverses  formes  cliniques  de  l'actinomycose. 
Mais,  en  nous  plaçant  au  point  de  vue  de  la  réaction  de  l'organisme  contre  l'agent  infec- 
tieux, on  peut  ranger  toutes  les  lésions  actinomycotiques  en  deux  catégories  :  les 
lésions  locales,  et  les  lésions  généralisées  par  suite  de  la  formation  de  foyers  secondaires. 
Si  la  résistance  de  l'organisme  est  violente,  la  lutte  se  localise  au  point  d'inoculation,  où 
le  parasite  se  trouve  conllné  par  suite  de  l'établissement  d'une  barrière  de  phagocytes, 
qui  finissent  par  le  détruire.  Si  l'organisme  est  plus  vulnérable,  le  parasite  se  propage 
du  foyer  primitif  à  d'autres  foyers  secondaires.  On  ne  sait  pas  encore  positivement  si  la 
propagation  se  fait  par  l'intermédiaire  de  vaisseaux  sanguins  ou  du  système  lympha- 
tique. Mais  l'absence  ordinaire  d'infection  ganglionnaire  d'une  part,  et  la  localisation 
observée  parfois  dans  les  vaisseaux  sanguins,  de  l'autre,  permettent  de  supposer  que  le 
transport  du  parasite  se  fait  surtout  par  les  voies  sanguines. 


122  ACUITE    VISUELLE. 

C'est  peut-être  dans  ce  cas  que  se  forment  les  néoplasmes  actinomycotiques  limités, 
signalés  par  divers  auteurs. 

Associations  parasitaires  de  l'Actinomyces.  —  Il  est  très  rare  que  l'octino- 
mycose  affecte  une  marche  franchement  aiguë;  dans  ce  cas,  la  marche  de  l'affection  est 
probablement  le  résultat  de  la  présence  de  bactéries  dans  les  tissus  envahis  par  le 
champignon. 

L'Actino7nyces  se  développant  surtout  en  anaérobie,  si  l'on  en  pratique  le  premier  ense- 
mencement en  culture  anaérobie,  les  bactéries  du  pus  ne  se  développent  pas,  et  on 
obtient  le  champignon  à  l'état  de  pureté. 

Les  rapports  symbiotiques  entre  l'Actinomyces  et  les  Bactéries,  s'ils  existent,  sont 
loin  d'être  élucidés.  11  est  à  remarquer,  que  semblable  question  se  pose  pour  les  Tricho- 
phyton  des  teignes  de  l'homme  et  des  animaux;  car  presque  jamais,  dans  les  cheveux 
trichophyliques,  on  ue  trouve  les  Trkhophyton,  à  l'état  de  pureté;  d'autres  Mucédinées, 
très  variables,  se  joignent  à  eux;  mais  dans  cette  affection  encore,  il  est  impossible,  dans 
l'état  actuel  de  nos  connaissances,  de  rien  préjuger  sur  la  nature  des  rapports  existant 
entre  le  champignon,  essentiellement  pathogène,  et  les  autres  Mucédinées  ou  Bactéries,  qui 
l'accompagnent  dans  les  tissus  envahis. 

On  a  signalé  des  cas  d'infection  mixte  par  VActinomyces  et  d'autres  champignons 
(Obrozoff  et  Petroff.  Actinomycose  und  Schirmmelmycose.  Kasan  Russkaja  medicina,  1889, 
n"  29.  —  La>-ghans.  Corresp.  Blatt.  f.  Schxv.  Aerzte,  1888,  n"  12). 

A  l'examen  microscopique  du  pus  actinomycotique,  on  voit  parfois,  à  côté  de  l'Acthio- 
myces,  des  hyphes  mycéliensà  double  contour,  qui  offrent  la  plus  grande  analogie  avec  le 
mycélium  des  Mucor  et  des  Pénicillium.  Ces  champignons  ne  sont  guère  connus  que 
comme  saprophytes  (bien  que  certains  Muco7'  aient  été  regardés  comme  pathogènes)  ; 
sont-ils  capables  de  prêter  une  assistance  parasitaire  à  VActinomyces,  jusqu'à  quel  point 
pourrait-on  comparer  cette  vie  dans  le  même  milieu  à  la  symbiose,  ne  font-ils  que  profiter 
des  matières  organiques  provenant  de  la  destruction  des  tissus,  du  fait  de  VActino- 
myces? Autant  de  questions  qu'il  serait  du  plus  haut  intérêt  de  poursuivre. 

La  suppuration  est  presque  constante  dans  l'actinomycose.  Mais  l'intéressante  ques- 
tion de  savoir  si  VActinomyces  possède  par  lui-même  des  propriétés  pyogènes,  ou  si  la 
purulence  ne  se  déclare  qu'à  la  suite  d'une  infection  secondaire  bactérienne,  est  encore 
à  résoudre.  Israël  a  observé  des  amas  de  microcoques  dans  le  pus  actinomycotique, 
Babès  a  constaté  que  dans  les  parois  de  l'abcès,  dans  son  voisinage,  dans  les  vaisseaux 
sanguins,  se  trouvaient  des  bactéries.  Gottstein  {Forschr.  cler  Medicin,  1887)  a  trouvé 
par  la  méthode  des  cultures  deux  fois  les  staphylocoques  pyogènes.  Roussel  [D.  P. 
1891,  p.  20)  a  obtenu  avec  le  pus  actinomycotique  de  l'homme,  le  Staphylococcus  cereus 
albus. 

Certains  auteurs  tendraient  même  à  admettre,  que  la  guérison  spontanée  ou  aidée 
d'opérations  simples  (incision  et  grattage  des  foyers)  sérail  surtout  le  résultat  d'une 
concurrence  vitale,  entre  le  champignon  et  les  bactéries  venues  de  l'extérieur.  Ces  der- 
nières, en  produisant  une  infection  mixte,  détermineraient  la  guérison  spontanée  de  la 
maladie,  par  voie  de  suppuration,  et  l'établissement  de  flstules. 

On  pourrait,  il  est  vrai,  invoquer  a  priori  l'arrivée  de  l'air  dans  le  foyer  morbide,  et 
son  influence  néfaste  sur  le  champignon  qui  y  vit  en  anaérobie,  mais,  avant  d'adopter 
cette  dernière  hypothèse,  il  faut  se  rappeler  que  le  champignon  n'est  que  facultativement 
anaérobie,  bien  que  sa  végétation  s'effectue  plus  facilement  en  l'absence  d'oxygène. 

F.  HEIM. 

ACUITE  VISUELLE.  —  L'acuité  visuelle  est  le  pouvoir  de  distinction  de 
notre  œil;  réduite  à  sa  simplicité  élémentaire,  elle  est  le  pouvoir  que  possède  l'œil  de 
distinguer  deux  points  lumineux  voisins.  Cette  propriété  de  notre  œil,  sur  laquelle 
repose  toute  la  vision,  tout  jugement  porté  à  l'aide  de  nos  sensations  visuelles,  n'est 
pas  toujours  comprise  comme  elle  doit  l'être.  Ainsi  l'on  cite  à  tort  comme  des  exemples 
de  bonnes  acuités  visuelles  le  fait  que  tel  individu  a  reconnu  un  objet  ou  un  être  à  des 
distances  auxquelles  certainement  l'impression  rétinienne  doit  être  punctiforme.  A  ce 
titre,  l'acuité  visuelle  pour  les  astres  serait  presque  infiniment  grande.  Pour  ce  qui  est 


ACUITE    VISUELLE. 


123 


de  la  reconnaissance  d'objets  terrestres,  on  rappelle  que,  dans  les  Andes,  les  compagnons 
d'A.  HuMBOLDT  reconnurent  l'approche  d'une  personne  attendue,  à  la  distance  de  près 
de  4  milles  géographiques.  L'impression  rétinienne  était  certainement  punctiforme  ;  à 
cette  distance  la  personne  en  question  ne  se  présentait  que  sous  un  angle  (visuel)  de 
7  —  12  secondes. 

De  même  aussi  l'oiseau  de  proie  qui  d'une  hauteur  très  grande  aperçoit  une  proie 
relativement  petite  sur  le  sol,  et  se  précipite  sur  elle,  il  le  fait  en  vertu  d'une  autre  fonc- 
tion que  l'acuité  visuelle.  Dans  toutes  ces  circonstances,  la  connaissance  a  lieu  parce 
qu'un  point  lumineux  (ou  opaque)  se  meut  d'une  façon  spéciale,  ou  apparaît  en  un  endroit 
et  à  un  moment  où  pour  des  motifs  diversil  ne  peut  guère  être  produit  parun  autre  objet. 
Elle  n'a  pas  lieu  parce  que  la  forme,  les  traits,  ou  quelque  détail  dans  l'apparence 
auraient  été  reconnus.  Il  s'agit  là  de  la  perception  d'un  point  lumineux,  tandis  que  pour 
l'acuité  visuelle  il  s'agit  de  la  distinction  de  deux  points  plus  ou  moins  rapprochés. 
La  perception  d'un  point  lumineux  est  avant  tout  fonction  de  l'éclairage  de  ce  point, 
tandis  que  le  pouvoir  de  distinction,  l'acuité  visuelle  de  l'œil,  tout  en  étant,  dans  une 
certaine  limite,  fonction  de  cet  éclairage,  dépend  cependant  beaucoup  plus  de  plusieurs 
autres  facteurs,  notamment  de  l'indépendance  fonctionnelle  des  unités  rétiniennes  pho- 
tosensibles, et  beaucoup  plus  de  la  netteté  des  images  rétiniennes, 

La  perception  d'un  point  lumineux  dépend  du  «  sens  de  lumière  »  qu'il  ne  faut  pas 
confondre  avec  le  pouvoir  de  distinction.  Ainsi  que  nous  allons  le  voir,  la  perception 
lumineuse  peut  être  très  développée,  alors  que  l'acuité  visuelle  est  nulle  ou  à  peu  près. 

Le  sens  du  toucher  présente  deux  faces  comparables  aux  deux  facultés  visuelles  que 
nous  voulons  ditferencier  ici.  D'une  part  il  y  a  la  sensibilité  à  la  pression,  mesurée  par 
le  minimum  de  pression  perceptible,  et  d'autre  part  la  faculté  de  distinguer  deux  impres- 
sions tactiles  voisines.  Celle-ci  se  mesure  à  l'aide  du  compas  de  Weber;  elle  est  en  rai- 
son inverse  du  minimum  d'écart  des  deux  pointes  du  compas  qui  permet  encore  de  dis- 
tinguer les  deux  impressions  voisines. 

Soient  (fig.  13)  a  et  6  deux  points  lumineux  formant  sur  la  rétine  les  deux  images  a  et 
P,  qui  peuvent  dans  certaines  circonstances  être  perçues  comme  deux  points  distincts. 
Lorsque  la  distance  a  [3  entre  les  deux  images  rétiniennes  diminue  au  delà  d'une  cer- 


taine limite,  soit  parce  qu'on  diminue  l'écarteinent  des  deux  points  lumineux,  soit 
parce  qu'on  les  éloigne  de  l'œil,  ils  confluent  pour  notre  sens  intime,  ils  sont  perçus 
comme  un  seul  point.  Plus  la  distance  a  p  peut  devenir  petite  sans  que  les  deux  points 
confluent,  et  plus  aussi  le  pouvoir  de  distinction  de  l'œil,  c'est-à-dire  son  acuité  visuelle, 
sera  grand. 

Nous  ne  pouvons  pas  mesurer  la  grandeur  rétinienne  a  p,  mais  l'angle  visuel  ach 
(c'est  l'angle  délimilé  par  les  deux  lignes  droites  qui  relient  les  deux  points  lumineux 
au  centre  optique  de  l'œil)  sous  lequel  se  présentent  les  deux  points  lumineux,  angle  que 
nous  pouvons  mesurer,  constituer  une  espèce  de  compas  pour  les  mensurations  des  éten- 
dues rétiniennes,  car  il  est  proportionnel  à  la  grandeur  rétinienne  oc  [i.  Plus  l'écart  entre 
les  deux  images  rétiniennes  punctiformes  augmente  ou  diminue,  et  plus  aussi  aug- 
mente et  diminue  l'angle  visuel  :  l'une  grandeur  est  en  raison  directe  de  l'autre. 

Dès  lors,  nous  pouvons  substituer  l'une  à  l'autre,  et  dire  que  l'acuité  visuelle  est  en 


iU 


ACUITE    VISUELLE. 


raison  inverse  du  plus  petit  angle  visuel  qui  permet  encore  de  distinguer  deux  points. 
La  grandeur  de  l'image  rétinienne  (la  grandeur  a  p  étant  l'image  rétinienne  de  la 
grandeur  a  6  de  l'objet)  n'a  aucun  rapport  direct,  exclusif,  avec  la  grandeur  de  l'objet. 
D'abord,  si  nous  éloignons  de  l'œil  les  deux  points,  ils  se  présentent  sous  un  angle  visuel 
de  plus  en  plus  petit  (fig.  14).  Ensuite,  la  même  image  rétinienne  peut  être  produite  (fig.  o) 
par  des  objets  similaires  de  grandeurs  très  diverses,  pourvu  qu'ils  soient  placés  à  des 
distances  différentes.  Pour  que  dans  ce   cas  la  grandeur  rétinienne,   et  partant  l'angle 

visuel  reste  le  même,  il  faut  que  des  objets  2, 
3,  etc.  fois  plus  grands  soient  placés  à  des  dis- 
tances 2,  3,  etc.,  fois  plus  grandes. 

Pour  procéder  à  ces  expériences  on  se  sert 
de  deu.x   points  clairs   sur   fond   obscur  (ou 
noirs  sur  fond  clair).  Il  s'est  trouvé  que  la  gé- 
néralité des  bommes  distinguent  encore  deux 
points   sous    un  angle    limite    d'une   minute. 
Cette     valeur    a     été    adoptée    comme    une 
moyenne,   bien   que    chez  beaucoup  de  per- 
sonnes elle  descende  à  une  demi-minute,  et  exceptionnellement  encore  à  un  peu  moins, 
à  moins    de    30    secondes.  En  posant  égale  à  1   l'acuité   visuelle  normale,  correspon- 
dant à  un  angle  visuel  limite  d'une  minute,  un  œil  qui  ne  distingue  deux   points  que 

1     1 
sous  un  angle  2,  ,  etc.,  fois  plus  grand,   n'a  qu'une   acuité   visuelle  de-,  ^r  etc.,  de  la 

normale.  Au  contraire,  celui  dont  l'angle  limite  est  de  30  secondes  a  une  acuité  visuelle 
égale  à  2,  etc. 

Les  mêmes  expériences  ont  été  faites,  avec  des  résultats  en  somme  identiques,  en  se 
servant  de  fils  métalliques  minces,  de  fils  de   toile   d'araignée,  de  plaques  métalliques 
percées  de  trous,  etc.  Helmholtz 
a  condensé  en   un  tableau  sy-     '^ 
noptique  les  résultats  obtenus 
de  ces  diverses  façons. 

Les  astronomes  ont,  dans  le 
temps,  voulu  évaluer  le  pouvoir 
de  distinction  de  l'œil  en  déter- 
minant le  plus  petit  angle  sous 
lequel  on  peut  encore  distin- 
guer un  disque  noir  (sur  fond 
blanc)  ou  blanc  (sur  fond  noir). 
Nous  avons  relevé  plus  baut 
l'erreur  dans  laquelle  ils  ver- 
saient. Les  premiers  qui  appli- 
quèrent dans  cette  recbercbe 
le  vrai  principe  sont  l'astronome  Hooke  (Posthiunous  Works,  pp.  12  et  97,  ITOo),  et 
VoLKMANN.  Hooke  s'est  naturellement  évertué  à  faire  ces  constatations  sur  les  corps 
célestes;  il  dit  que,  lorsque  deux  étoiles  se  présentent  sous  un  angle  plus  petit  qu'une 
demi-minute,  elles  ne  peuvent  plus  guère  être  distinguées  par  aucun  œil.  Or,  comme 
M.4UTHNER  l'a  relevé,  c'est  là  une  erreur  qui  se  reproduit  de  citation  en  citation.  Le  fait 
est  que  deux  étoiles  ne  peuvent  guère  être  distinguées  par  un  œil  à  acuité  visuelle 
normale  que  sous  un  angle  de  b  minutes.  Il  serait  trop  long  d'énumérer  les  raisons  (fai- 
ble éclairage,  éclairage  inégal,  eic.)  faisant  que  notre  acuité  visuelle  est  moindre 
pour  les   corps   célestes  que  pour  des  objets  terrestres. 

On  cite  (consultez  Mauthner)  comme  des  curiosités  des  individus  dont  l'acuité  visuelle 
pour  les  corps  stellaires  était  notablement  supérieure,  qui  distinguaient  par  exemple  les 
satellites  de  Jupiter.  Il  est  la  plupart  du  temps  expressément  dit  que  ces  gens  voyaient 
les  étoiles  sous  forme  de  points  lumineux.  Cela  démontre  que  leur  acuité  visuelle  excep- 
tionnelle était  due  à  une  absence  presque  complète  d'astigmatisme  irrégulier  dans  leu'rs 
yeux  (Voyez  Astigmatisme  irrégulier). 

Dans  les  expériences  de  ce  genre,  la  détermination  directe  de  l'angle  visuel  serait 


ACUITE    VISUELLE.  125 

très  laborieuse.  On  lui  substitue  des  grandeurs  linéaires,  faeiles  à  mesurer,  et  avec 
lesquelles  il  a  un  rapport  de  proportionnalité. 

Un  angle  visuel  quelconque,  pourvu  qu'il  soit  suffisamment  petit,  est  en  raison 
directe  de  l'écart  des  deux  points,  et  en  raison  inverse  de  leur  distance  à  l'œil.  L'écart 
linéaire  a  b  (fig.  13)  des  deux  points  peut  être  envisagé  comme  la  grandeur  linéaire  G  de 
l'objet  visuel.  D  étant  la  distance  de  cet  objet  visuel  à  l'œil,  nous  avons  : 

Angle  visuel  =  ^. 

Cette  expression  servirait  au  besoin  à  calculer  la  distance  à  laquelle  un  objet  de 
grandeur  connue  se  présente  sous  un  angle  d'une  minute,  ou  bien  quelle  grandeur 
linéaire  se  présente  à  une  distance  donnée  sous  un  angle  d'une  minute'. 

Pour  comparer  aisément  entre  elles  des  acuités  Yisuelles  de  valeurs  différentes,  on 
procède  donc  de  la  manière  suivante  : 

Nous  avons  posé  plus  haut  que  l'acuité  visuelle  (V)  est  en  raison  inverse  du  plus  petit 
angle  visuel,  c'est-à-dire  de  l'angle  visuel  à  sa  limite  inférieure.  L'acuité  visuelle  est  donc 

r  w 

aussi  égale  à  la  valeur  inverse   de  ^r  à  sa  limite  inférieure,  c'est-à-dire  que  V^  jt(  à 

sa  limite  inférieure'),  c'est-à-dire  qu'elle  est  proportionnelle  à  la'distance  et  inversement 
proportionnel  à  la  grandeur  de  l'objet,  dans  le  cas  où  l'angle  visuel  est  arrivé  à  la  limite. 

En  pratique,  on  peut  éliminer  de  cette  formule  soit  D,  soit  G.  On  élimine  D  en  met- 
tant les  objets  visuels  toujours  à  la  même  distance,  et  en  faisant  varier  leur  grandeur; 
alors  l'amilé  visuelle  est  inversement  proportionnelle  à  la  limite  inférieure  de  la  grandeur 
de  l'objet  visuel,  qui  permet  encore  de  distinguer  ce  dernier.  On  élimine  G  en  se  servant 
toujours  de  la  même  grandeur  de  l'objet  visuel,  qu'on  éloigne  plus  ou  moins;  alors 
l'acuité  visuelle  est  directement  proportionnelle  à  la  limite  (maximale)  de  la  distance  où  cet 
objet  est  encore  distingué.  Par  exemple,  en  opérant  toujours  avec  le  même  écartement  des 
deux  points  lumineux,  si  l'une  fois  la  distance  limite  est  le  double,  le  triple,  le  quart,  etc., 
de  cette  même  distance  dans  un  autre  cas,  l'acuité  visuelle  sera  le  double,  le  triple,  le 
quart,  etc.,  de  celle  dans  le  cas  type. 

En  pratique  oculistique,  la  détermination  de  l'acuité  est  un  des  principaux  mo}'ens 
pour  juger  de  la  nature  et  de  la  marche  d'une  maladie  oculaire.  L'emploi  de  points  et  de 
lignes  parallèles  serait  à  cet  effet  peu  pratique;  on  préfère  se  servir  de  lettres,  de  mots 
et  de  phrases  imprimés,  d'après  les  principes  suivants.  Snellen  a  posé  qu'un  œil  à 
acuité  visuelle  normale,  qui  distingue  deux  points  sous  un  angle  d'une  minute,  peut 
distinguer  aussi  les  lettres  imprimées  sous  un  angle  limile  de  cinq  minutes.  En  moyenne, 
dit-on,  les  traits  des  lettres  imprimées  (qui  sont  plus  ou  moins  carrées)  représentent  le 
cinquième  de  la  hauteur  et  de  la  largeur  des  lettres.  Si  les  lettres  se  présentent  sous 
un  angle  visuel  de  cinq  minutes,  les  traits  se  présentent  sous  un  angle  d'une  minute. 

Ou  se  convaincra  aisément  que  les  lettres  imprimées  différent  beaucoup  pour  la  faci- 
lité avec  laquelle  on  les  reconnaît.  Néanmoins,  en  se  servant  de  séries  de  lettres,  on 
arrive  à  une  moyenne  dont  la  pratique  oculistique  se  trouve  très  bien.  Ce  qu'il  faut  ici,  ce 

1.  Théoriquement,  l'angle  visuel   n'est   pas  égal   à  — .  Mais  dans  les  conditions  de  nos  expé- 
riences,   c'est-à-dire  avec  un  angle  toujours 
très  petit,  cette  expression  est  suffisamment 

exacte.  -   est  en  réalité  la  tangente  de  l'angle 

visuel;  or  pour  des  angles  suffisamment  petits 

la  tangente   est  proportionnelle  à  l'angle.  — 

II  y  a  même  plus,  dans  la  figure  16,  où  a  et  h 

sont  les   deux   points  lumineux,  la  tangente 

.  at  ,  ab   ^        ,  .   , 

est  égale  a  —  ,  et  non  a  — .  Dans  le  cas  ou  la  _      ,. 

ac  ac  Fig-  1"  

ligne  visuelle  est  sensée  dirigée  sur  le  milieu  de  la  distance  entre  les  deux  points  et  non  sur  un  de 
ces  points,  comme  dans  la  figure  16,  p  est  en  réalité  égal  à  la  double  tangente  de  la  moitié  de 
l'angle   visuel. 

2.  Le  mot  limite  étant  pris  dans  le  sens  déterminé  plus  haut,  et  non  dans  celui  du  calcul 
infinité.simal. 


126  ACUITE    VISUELLE. 

n'est  pas  une  détermination  matliénialique,  mais  la  fixation  d'une  moyenne  qui  satis- 
fasse la  pratique.  En  fait,  l'angle  visuel  de  cinq  minutes  pour  une  lettre  est  même  trop, 
grand,  c'est-à-dire  correspond  à  une  acuité  visuelle  dépassée  par  celle  de  la  généralité 
des  hommes.  Elle  est  donc  plus  ou  moins  arbitraire.  Mais  la  fixation  d'une  moyenne 
réelle  serait  chose  à  peu  près  impossible. 

Les  échelles  visuelles  de  l'oculiste  se  composent  donc  de  lettres  et  de  mots  imprime's 
de  grandeurs  diverses.  Chaque  grandeur  porte  un  numéro  indiquant  en  mètres  la  dis- 
tance à  laquelle  ces  lettres  se  présentent  sous  un  angle  de  S  minutes,  autrement  dit 
la  distance  maxima  à  laquelle  ces  lettres  sont  reconnues  par  un  œil  à  acuité  visuelle 
normale  (ou  plutôt  moyenne).  Un  œil  à  acuité  visuelle  normale  distingue  les  numéros 
1,  2,  5,  etc.,  à  1,  2,  b,  etc.,  mètres.  Dn  œil  qui  ne  les  distingue  qu'à  une  distance  plus 
rapprochée  a  une  acuité  visuelle  au-dessous  de  la  moyenne.  Celui  qui  les  dislingue 
encore  plus  loin  est  doué  d'une  acuité  visuelle  au-dessus  de  la  normale. 

Dans  cette  comparaison  entre  différentes  acuités  visuelles,  on  opère  en  somme  avec 
une  grandeur  constante  de  l'objet  (avec  un  numéro  déterminé  des  échelles  visuelles), 
qu'on  place  à  des  distances  différentes.  Dans  ces  conditions,  d'après  ce  qui  précède,  les 
acuités  visuelles  sont  directement  proportionnelles  aux  distances  maxima  auxquelles 
les  lettres  sont  reconnues  par  les  yeux  comparés.  Dès  lors,  d  étant  la  distance  à  laquelle 
un  œil  à  examiner  voit  encore  un  numéro  des  échelles,  et  D  la  distance  à  laquelle  l'œil 
normal  (moyen)  distingue  encore  ces  lettres  (D  est  donc  le  numéro  de  la  grandeur  des 

lettres),  la  formule  v  ^  — Permet  d'exprimer  en  chiffres  la  valeur  de  toutes  les  acuités 

visuelles  qu'on  rencontre,  comparées  à  l'acuité  visuelle  normale'.  Un  œil  qui  ne  recon- 

3       1 
nait  le  numéro   6   qu'à  3  mètres  a  une   acuité  visuelle  de  ^  =  5.  Si  le  numéro  6  est 

9       3         i 
reconnu  encore  à  9  mètres,  t;  =:-==-  =  1  -;  l'acuité  visuelle  est  un  et  demi  de  la  nor- 
male. On  procède  de  même  avec  les  autres  numéros  des  échelles  visuelles,  car  l'acuité 
visuelle  peut  se  déterminer  à  toutes  les  distances  pour  lesquelles  on  possède  des  objets 
types  qui,  à  ces  distances,  se  présentent  sous  l'angle  limite. 

L'emploi  de  lettres,  de  mots  et  même  de  texte  courant,  imprimé,  pour  déterminer 
l'acuité  visuelle,  s'est  donc  imposé  à  la  pratique  oculistique,  tout  en  étant  un  moyen 
très  peu  rigoureux.  Pour  ce  qui  est  des  lettres,  nous  avons  déjà  dit  que  certaines 
d'entre  elles  sont  plus  compliquées,  et  partant,  plus  difficiles  à  reconnaître  que  d'autres 
sous  le  même  angle  visuel.  D'autre  part,  l'exercice,  l'habitude  acquise,  rendent  la  lecture 
plus  facile.  Cette  cause  d'erreur  est  surtout  importante  pour  la  lecture  de  texte  courant. 

La  lisibilité  d'un  texte  courant  dépend  en  grande  partie  d'une  part  de  la  conforma- 
tion du  texte,  et,  d'autre  pari,  du  sujet  examiné,  deux  conditions  qui  doivent  être 
exclues  dans  une  détermination  rigoureuse  de  l'acuité  visuelle,  mais  que  pour  diverses 
raisons  la  pratique  oculistique  peut  et  doit  négliger  plus  ou  moins. 

Pour  ce  qui  regarde  la  conformation  du  texte,  la  forme  des  lettres,  le  rapport  de  la 
hauteur  des  caractères  à  leur  largeur,  la  grandeur  des  interlignes  et  de  l'écart  entre 
les  lettres  d'une  rangée,  la  couleur  du  papier,  etc.,  sont  des  conditions  de  très  grande 
importance,  étudiées  parfaitement  par  Javal,  mais  dont  l'élucidation  n'a  qu'un  rapport 
indirect  avec  l'objet  de  notre  élude. 

Quant  au  sujet  en  expérience,  un  lettré  lira  un  texte  courant  d'une  petitesse  telle 
qu'une  personne  peu  habituée  à  lire  ne  peut  pas  le  déchiffrer,  tout  en  ayant  une  acuité 
visuelle  normale.  On  lit  plus  aisément  une  langue  qu'on  connaît  qu'une  autre  qu'on  ne 
possède  pas  ou  très  peu,  etc.,  etc.  C'est  que  la  lecture  est  dans  une  large  mesure  une 
opération  de  l'esprit.  On  'parcourt  rapidement  une  ligne,   trop  vite  pour  qu'on  ail  le 

i.  On  arrive  moins  directement  à  la  formule  y  =:  y-  de  la  manière  suivante.  Les  acuités  visuelles 

étant  proportionnelles  aux  distances  d  et  D  auxquelles  une  grandeur  de  lettres  est  encore  re- 
connue, V  étant  une  acuité  visuelle  à  déterminer,  et  V  étant  l'acuité  visuelle  normale,  nous  avons 

—  =  — .  En  posant  V^l,  nous  avons  d:=— 1  formule  qui  exprime  la  valeur  de  n'importe  quelle 

acuité  visuelle  comparativement  à  la  normale,  prise  comme  unité. 


ACUITÉ    VISUELLE.  127 

temps  de  bien  reconnaître  les  lettres.  On  devine  beaucoup  de  lettres;  on  devine  même 
des  mots  entiers.  L'acuité  visuelle  est  donc  reléguée  au  second  plan  dans  la  lecture. 

Landolt  et  Lemaire  ont  récemment  étudié  la  forme  des  mouvements  oculaires  dans 
la  lecture  et  sont  arrivés  à  des  résultats  sensiblement  concordants,  et  qui  ont  de  l'intérêt 
au  point  de  vue  physiologique.  On  nous  permettra  d'en  dire  un  mot,  attendu  que  cette 
question  a  quelques  rapports  avec  celle  de  l'acuité  visuelle,  bien  qu'elle  ressortisse 
plutôt  à  l'article  Vision. 

L'œil  qui  compte  un  certain  nombre  d'objets  similaires  alignés,  celui  qui  lit,  ne  suit 
pas  la  ligne  (d'impression  par  exemple)  en  avançant  uniformément,  mais  par  bonds, 
par  saccades.  Il  divise  donc  la  ligne  en  segments,  dont  chacun  est  déchiffré  avec  le  regard 
immobile,  puis  on  passe  à  un  autre  segment.  Chaque  saccade  a  un  minimum  d'excur- 
sion de  o  degrés  environ.  Mais  elle  ne  descend  à  cette  limite  que  lorsque  pour  l'une  ou 
l'autre  raison  le  texte  est  difficile  à  déchiffrer.  Toutes  choses  égales  d'ailleurs,  notam- 
ment la  distance  du  texte  à  l'œil,  les  segments  en  question  sont  plus  grands  dans  le 
cas  d'un  texte  facile  à  lire  ;  ils  deviennent  plus  petits  dans  le  cas  contraire.  L'œil  trouve 
donc  de  l'avantage  à  ne  pas  exécuter  de  mouvements  trop  petits.  En  moyenne,  et  pour 
un  texte  ordinaire,  ils  sont  plus  petits  que  les  longs  mots,  et  plus  grands  que  les  petits. 
L'ceil,  en  divisant  les  lignes  eu  segments,  ne  se  guide  pas,  ou  au  moins  pas  exclusive- 
ment sur  la  longueur  des  mots.  — On  pourrait  songer  à  mettre  l'excursion  de  ces  mou- 
vements en  rapport  avec  l'acuité  visuelle  du  centre  physiologique  de  la  rétine,  et  sup- 
poser que  le  minimum  d'excursion  a  pour  but  de  faire  tomber  chaque  segment  d'une 
ligne  sur  la  portion  de  la  fovea  centralls  dont  l'acuité  visuelle  est  un  maximum  (Voir 
plus  loin).  Il  ne  semble  pas  en  être  ainsi,  car  dans  cette  hypothèse  l'excursion  de  la  sac- 
cade devrait  rester  la  même  lorsqu'on  éloigne  le  livre.  Au  contraire,  cette  excursion 
(angulaire)  diminue  lorsqu'on  éloigne  le  texte  (Landolt).  Quelle  que  soit  la  distance  à 
laquelle  s'effectue  la  lecture  d'un  même  texte,  le  nombre  de  lettres  par  section  ne  varie 
guère,  ou  même  pas  du  tout  (Lemaibe).  Ce  fait  est  certainement  contraire  à  ce  qu'on 
aurait  supposé  a  priori.  Pour  en  pénétrer  la  raison,  voyons  ce  qui  se  passe  lorsqu'on 
essaye  de  compter  une  série  de  petits  objets  similaires  et  alignés.  Si  on  éloigne  de  plus 
en  plus  l'objet,  on  arrive  à  un  point  où  l'on  ne  peut  plus  les  compter,  alors  qu'ils 
demeurent  encore  parfaitement  visibles,  c'est-à-dire  distincts  l'un  de  l'autre.  La  raison 
principale,  à  notre  avis,  est  que  notre  faculté  de  compter  simultanément,  et  avec  le 
regard  fixe,  un  certain  nombre  d'objets  similaires  est  très  réduite,  rudimentaire  même, 
si  tous  sont  vus  distinctement.  Cette  numération  est  une  opération  de  l'esprit,  autant 
et  plus  qu'une  fonction  de  l'acuité  visuelle.  En  tant  que  dépendant  de  l'acuité  visuelle, 
elle  ne  nécessiterait  pas  une  diminution  de  l'excursion  des  saccades  de  l'œil  lorsque 
nous  éloignons  l'objet.  En  tant  qu'opération  de  l'esprit,  cette  diminution  se  comprend; 
elle  a  pour  effet  de  maintenir  dans  des  limites  restreintes  le  nombre  de  points  à  dis- 
tinguer dans  une  section.  Il  est  même  à  supposer  que  pour  faciliter  cette  opération  de 
l'esprit  nous  diminuerions,  dans  certaines  circonstances,  l'excursion  des  saccades  de 
l'œil  en  dessous  de  l'angle  de  o  minutes,  si  cette  limite  inférieure  n'était  pas  posée  par 
les  propriétés  physiologiques  des  muscles  oculaires,  les  mouvements  oculaires,  pour 
s'exécuter  facilement  et  avec  précision,  demandant  une  certaine  excursion  minima.  — 
Ces  considérations  sur  [la  numération  d'objets  alignés  s'appliquent  directement  à  la 
lecture. 

D'après  ce  qui  précède,  on  évalue  donc  l'acuité  visuelle  comme  proportionnelle  à 
une  grandeur  angulaire,  et  même  comme  proportionnelle  à  une  grandeur  linéaire. 
ViERORDT,  Javal,  CHARPENTIER  et  d'autres  ont  contesté  la  légitimité  de  cette  manière  de 
procéder.  Ils  ont  développé  diverses  raisons  pour  lesquelles,  à  leur  avis,  il  faudrait 
admettre  que  les  acuités  visuelles  sont  inversement  proportionnelles  à  la  surface  des 
images  rétiniennes,  c'est-à-dire  inversement  proportionnelles  au  carré  de  leur  diamètre 
et  non  pas  à  leur  simple  diamètre.  Il  semble  y  avoir  du  bien  fondé  dans  leur  manière 
de  voir  lorsqu'on  se  sert  dans  ces  déterminations  d'objets  à  deux  dimensions,  de  lettres. 
La  conclusion  s'impose  moins  lorsqu'on  se  sert  à  cet  effet  de  deux  points.  Les  re- 
marques de  Charpentier,  toutefois,  s'appliquent  aussi  à  ce  dernier  cas.  Ses  arguments 
sont  tirés  de  ce  fait  que  l'image  rétinienne  d'un  point  n'est  jamais  punctiforme. 

On  exprime  du  reste  en  valeurs  linéaires  les  grandeurs  des  images  fournies  par  les 


128  ACUITE    VISUELLE. 

instruments  d'optique.  La  pratique  oculistique,  elle,  n'exige  pas  une  expression  d'une 
exactitude  rigoureuse  pour  la  comparaison  des  acuités  visuelles.  Ce  qu'il  lui  faut,  c'est 
de  pouvoir  accoler  des  signes,  c'est-à-dire  des  nombres,  toujours  les  mêmes,  à  des  frac- 
tions ou  à  des  multiples  déterminés  de  l'acuité  visuelle  choisie  plus  ou  moins  arbitrai- 
rement comme  unité. 

Mais,  pour  l'élucidation  de  certaines  questious  théoriques,  il  nous  faudrait  une  com- 
paraison rigoureuse  des  diverses  acuités  visuelles.  Par  exemple,  l'acuité  visuelle  diminue 
du  centre  rétinien  vers  la  périphérie,  et  il  en  est  de  même  de  la  chromatopsie.  Une 
diminution  de  l'éclairage  a  les  mêmes  effets  sur  la  vision  dans  le  centre  rétinien.  On 
dit  souvent  que  l'acuité  visuelle  diminue  dans  telle  circonstance  plus  rapidement  que 
la  chromatopsie,  que,  par  exemple,  elle  n'est  que,  un  quart  de  la  normale,  alors  que  la 
chromatopsie  est  encore  la  moitié  de  la  normale.  On  conçoit  que,  pour  tirer  des  [conclu- 
sions de  telles  constatations,  il  faudrait  avoir  des  mesures  rigoureuses  rationnelles,  de 
ces  deus  fonctions. 

Facteurs  dont  dépend  l'acuité  visuelle.  —  Jusqu'ici,  nous  avons  envisagé 
l'acuité  visuelle  qu'on  pourrait  qualifier  de  «  globale  »  telle  qu'on  l'obtient  dans  les 
conditions  moyennes,  favorables,  en  fonction  seulement  de  l'angle  visuel  limite,  et  sans 
nous  préoccuper  autrement  des  divers  facteurs  qui  dans  l'œil  réputé  normal  intluent 
sur  elle,  souvent  dans  une  mesure  très  prononcée.  Ces  divers  facteurs  peuvent  se 
ranger  sous  les  rubriques  suivantes. 

L'acuité  visuelle  ou  la  limite  inférieure  de  l'angle  visuel  est  fonction  : 

1°  De  la  netteté  de  l'image  rétinienne; 

2°  De  la  grandeur  de  cette  image; 

3°  De  l'éclairage  de  l'objet;  - 

4"  Du  pouvoir  de  distinction  de  la  rétine. 

C'est  surtout  pour  arriver  à  évaluer  l'acuité  visuelle  comme  fonction  rétinienne  qu'il 
importe  d'étudier  l'influence  des  facteurs  autres  que  l'angle  visuel. 

Netteté  de  l'image  rétinienne.  —  Nous  avons,  dans  ce  qui  précède,  supposé  une 
image  rétinienne  nette.  A  cet  effet,  nous  supposions  l'objet  placé  dans  les  limites  du 
terrain  d'accommodation,  et  l'accommodation  exacte  pour  la  distance  de  l'objet.  Ces 
conditions  sont  réalisables,  au  besoin  en  munissant  l'œil  de  verres  correcteurs  appro- 
priés. Il  est  clair  que,  si  l'œil  n'est  pas  adapté  pour  la  distance  de  l'objet,  l'image  réti- 
nienne de  ce  dernier  sera  diffuse;  les  cercles  de  diffusion  des  divers  points  de  l'image 
diminuent  l'acuité  visuelle;  deux  points  voisins  confluent  pour  le  sens  intime,  sous  un 
angle  supérieur  à  un  angle  d'une  minute. 

Il  y  a  dans  l'œil  encore  d'autres  causes  rendant  les  images  rétiniennes  diffuses,  et  qui 
ne  sauraient  être  toutes  éliminées  par  l'accouimodalion  ni  par  le  port  de  lunettes  sphé- 
riques,  causes  plus  ou  moins  prononcées  d'un  œil  à  l'aulre.  Il  y  a  notamment  l'astig- 
matisme régulier,  qu'on  peut  corriger  par  des  verres  cylindriques  appropriés.  Puis  il 
y  a  l'astigmastisme  irrégulier,  qui  en  règle  générale  ne  peut  pas  être  éliminé,  corrigé. 
Lorsque  l'aligmastisme  irrégulier  dépasse  une  certaine  valeur,  il  diminue  sensiblement 
l'acuité  visuelle. 

Il  y  a  enfin  dans  chaque  œil  de  l'aberration  chromatique  et  de  l'aberration  sphérique. 
Sur  le  bord  pupillaire  il  se  produit  des  phénomènes  de  diffraction,  donnant  lieu  à  de 
l'interférence.  Ces  dernières  causes  d'imperfection  dioptriques  sont  en  somme  les  mêmes 
pour  chaque  œil.  La  pratique  oculistique  peut  donc  en  faire  abstraction;  mais  il  n'en 
■est  pas  de  même  lorsqu'on  veut  résoudre  certaines  questions  théoriques,  notamment 
lorsqu'on  envisage  l'acuité  visuelle  comme  fonction  rétinienne.  Leroy  a  fait  derniè- 
rement une  étude  théorique  approfondie  de  ces  causes  d'imperfection  dioptrique  dans 
l'œil.  On  pourra  voir  dans  son  travail  que  bien  que,  l'une  d'entre  elles  neutralise  plus  ou 
moins  une  autre,  leur  effet  global  est  cependant  de  donner  à  l'image  rétinienne  d'un 
point  la  forme  d'un  cercle  plus  ou  moins  grand,  à. dimensions  nullement  à  dédaigner, 
et  dont  l'exposé,  au  point  de  vue  de  la  vision,  incombe  à  l'article  Irradiation. 

Au  même  point  de  vue,  c'est-à-dire  à  celui  de  la  netteté  des  images  rétiniennes 
s'explique  en  partie  l'iiifluence  de  l'âge  sur  l'acuité  visuelle.  11  résulte  de  la  comparaison 
des  acuités  visuelles  prises  dans  des  conditions  identiques  d'éclairage  sur  un  grand  nom- 
bre d'yeux,  que  cette  acuité  diminue  avec  l'âge.  Un  tableau  de  Vroesom  de  E\.\y  porte 


ACUITE    VISUELLE.  1^29 

que  jusqu'à  40  ans,  l'acuité  visuelle  est  en  moyenne  un  peu  supérieure  à  1,  et  qu'à 
partir  de  là  elle  descend  en  dessous  de  cette  valeur.  A  60  aus,  elle  est  environ  de  ^'  et 

0 

à  80  à  peu  près  -.  —  La  cause  principale  de  cette  diminution  réside  dans  les  troubles  qui 

normalement  surgissent  dans  les  njilieux  transparents  desyeux  des  vieilles  geus,  notara- 
ment  dans  le  cristallin.  Le  racornissement  (normal)  de  ce  dernier  s'accompagne  d'une 
diminution  de  sa  limpidité;  chez  les  vieillards  notamment,  ou  peut  voir  la  face  antérieure 
du  cristallin,  preuve  que  celle-ci  devient  plus  irrégulière.  L'astigmatisme  irrégulier 
(cristallinien)  augmente  aussi  avec  l'âge. 

Par  contre,  la  faible  acuité  visuelle  des  nouveau-nés,  i^ui  semble  ressortir  des  recherches 
de  CuiGNET,  n'est  pas  due  à  une  imperfection  des  images  rétiniennes,  mais  à  un  déve- 
loppement encore  incomplet  de  l'appareil  nerv'eux  visuel.  Deux  mois  seulement  après 
la  naissance,  Cuigxet  a  pu  constater  chez  le  nouveau-né  des  symptômes  visuels  qu'on 
peut  interpréter  dans  le  sens  d'un  pouvoir  de  distinction  rudimentaire  de  l'œil. 

Grandeur  de  l'image  rétinienne.  —  Ce  que  nous  avons  dit  en  tête  de  cet  ar- 
ticle sur  la  grandeur  de  l'image  rétinienne  n'épuise  pas  le  sujet.  En  effet,  nous  avons 
supposé  que  dans  un  œil  emmétrope,  myope  ou  hypermétrope,  accommodant  ou  non, 
muni  ou  non  de  verres  correcteurs,  que  dans  toutes  ces  circonstances  à  des  angles  visuels 
égaux  correspondent  des  images  rétiniennes  égales.  Or,  il  est  loin  d'en  être  ainsi,  et  il 
importe  souvent  de  tenir  compte  de  ces  causes  d'erreurs  lorsqu'il  s'agit  d'évaluer  l'acuité 
visuelle  en  fonction  des  autres  facteurs  dont  elle  dépend  également. 

Ce  serait  un  travail  sans  utilité,  même  en  pratique  oculistique,  que  de  déterminer 
l'acuité  visuelle  en  dehors  des  limites  de  la  vision  distincte,  c'est-à-dire  en  deçà  ou  au 
delà  du  terrain  d'accommodation.  L'emploi  de  caractères,  d'objets  visuels  de  différentes 
grandeurs,  qu'on  peut  placer  à  des  distances  plus  ou  moins  rapprochées,  ne  suffit  pas 
pour  exclure  dans  tous  les  cas  l'adaptation  défectueuse  de  l'œil,  et  il  faut  recourir  à  des 
verres  correcteurs,  soit  pour  rapprocher,  soit  pour  éloigner  le  terrain  d'accommodation, 
autrement  dit  pour  pouvoir  placer  l'objet  à  la  distance  à  laquelle  il  se  présente  sous 
l'angle  visuel  limite.  Mais  l'emploi  de  verres  correcteurs  modifie  la  grandeur  des  images 
rétiniennes.  Un  œil  qui  regarde  un  objet,  une  fois  en  accommodant,  une  autre  fois°en 
regardant  à  travers  une  lentille  convexe  (remplaçant  l'accommodation),  a  dans  les  deux 
cas  des  images  rétiniennes  de  grandeurs  inégales.  La  grandeur  de  cette  image  dépend 
de  la  distance  qui  existe  entre  la  rétine  et  le  centre  optique  (plus  exactement  entre  la 
rétine  et  le  second  point  nodal).  L'accommodation  laisse  ce  centre  à  peu  près  à  sa  place, 
tandis  qu'un  verre  positif  (placé  au-devant  de  l'œil)  fait  avancer  le  centre  optique  dû 
système  combiné  «  œil  +  verre  positif  ».  L'acuité  visuelle  trouvée  dans  ce  dernier  cas 
est  donc  plus  grande  que  dans  le  premier. 

Inversement,  les  verres  négatifs  rapetissent  les  images  rétiniennes;  ils  refoulent  le 
centre  optique  vers  la  rétine. 

Les  ophtalmologistes  ont  calculé  avec  soin  l'influence  des  verres  correcteurs  sur  la 
grandeur  des  images  rétiniennes,  et  les  réductions  et  les  augmentations  néce.ssaires 
pour  éliminer  l'influence  des  verres  correcteurs  sur  l'acuité  visuelle.  Nous  renvoyons  à  ce 
propos  surtout  à  Landolt,  Acuité  visuelle,  dans  le  Traité  complet  d'ophtalmologie  de 
Wecker  et  Landolt. 

La  grandeur  de  l'image  rétinienne  produite  par  le  même  objet,  situé  toujours  à  la 
même  distance  de  l'œil,  varie  également  d'une  manière  très  sensible  selon  qu'on  expéri- 
mente sur  un  œil  emmétrope  ou  amétrope,  sans  corriger  celle-ci  par  un  verre  correcteur.  Par 
exemple  un  jeune  œil  emmétrope  et  un  œil  myope  peuvent  voir  nettement  un  objet  à 
10  centimètres.  En  fait,  le  centre  optique  de  l'œil  myope,  par  allongement  de  son  axe 
antérieur,  est  plus  loin  de  la  rétine  que  dans  l'œil  emmétrope.  L'image  rétinienne  dans 
l'œil  myope  est  donc  plus  grande  que  dans  l'œil  emmétrope  (Voyez  notamment  Landolt, 
loc.  cit.]. 

L'état  inverse  existe  dans  l'œil  hypermétrope  (trop  court),  comparativement  à  l'œil 
emmétrope. 

On  a  fait  entrer  ce  facteur  en  ligne  de  compte  pour  discuter  (mais  sans  grand  succès) 
le  point  de  savoir  si  l'œil    myope,    plus   grand',  que   l'œil    emmétrope,  reuferme  sur  la 

DICT.    DE    PHYSIOLOGIE.   —  TOME   I.  Cl 


130  ACUITE    VISUELLE. 

même  étendue  rétinienne  nii  plus  grand  nombce  d'unités  photosensibles  que  ce  dernier. 

GtR.iUD-TECLON  a  fait  la  remarque  importante  que,  si  on  corrige  l'amétropie  (axile, 
par  allongement  ou  raccourcissement  de  l'œil,  ce  qui  est  le  cas  habituel)  par  un  verre 
placé  dans  le  foyer  principal  antérieur  de  l'œil  (foyer  situé  à  13  mm.  environ  au-devant 
de  la  cornée),  les  images  rétiniennes  deviennent  égales  à  celles  de  l'œil  emmétrope.  Cette 
remarque  permet  donc  d'éliminer  en  majeure  partie  l'influence  des  facteurs  dont  il  est 
question  sous  la  rubrique  présente,  et  constitue  une  des  raisons  qui  engagent  à  déterminer 
l'acuité  visuelle  à  l'aide  d'objets  placés  à  distance. 

Influence  de  l'éclairage  sur  l'acuité  visuelle.  —  On  pourrait  s'attendre  à  trouver 
l'acuité  visuelle  indépendante  de  l'éclairage,  en  dedans  des  limites  de  la  visibilité  d'un 
point.  Du  moment  que  chaque  point,  pris  isolément,  est  visible,  du  moment  que  son 
éclairage  est  suffisaut  à  cet  elfet,  ou  suflisamment  supérieur  (ou  inférieur)  à  celui  de  son 
entourage  (conditions  étudiées  à  l'article  Sens  de  lumière),  il  faudrait  pouvoir  le  dis- 
tinguer de  son  voisin  sous  un  angle  limite  d'une  minute. 

Il  en  est  cependant  tout  autrement.  L'acuité  visuelle  augmente  avec  l'éclairage,  entre 
certaines  limites  d'intensité  de  ce  dernier'.  On  a  essayé,  mais  en  vain,  de  découvrir  une 
relation  siuiple  entre  l'acuité  visuelle  et  l'éclairage. 

D'après  Aubert,  le  maximum  de  l'acuité  visuelle  existe  à  la  clarté  du  grand  jour. 
D'après  Klein,  elle  s'accroît  encore,  bien  que  lentement,  avec  un  éclairage  plus  fort.  A 
partir  de  l'éclairage  du  grand  jour,  l'acuité  visuelle  diminue  avec  l'éclairage,  d'abord 
lentement,  puis  plus  vite.  Pour  que  la  détermination  des  acuités  visuelles  donne  des 
résultats  comparables  (autrement  qu'au  point  de  vue  de  l'éclairage),  il  faut  donc  savoir 
à  quel  éclairage  celle-ci  a  été  faite,  ou,  ce  qui  vaut  mieux,  procéder  toujours  avec  le 
même  éclairage  moyen.  A  cet  etfet,  il  est  à  peu  près  indispensable  de  se  servir  d'une 
lumière  artificielle.  L'idéal,  difficile  à  réaliser,  serait  de  n'éclairer  que  les  points  lumi- 
neux ou  les  lettres,  dans  une  chambre  absolument  obscure.  L'emploi  de  petites  ouvertures 
percées  dans  un  écran  opaque  est  exclu  à  cause  des  phénomènes  de  diffraction  et  d'interfé- 
rence auxquels  il  donne  lieu. 

Lorsqu'on  opère  avec  des  lettres,  on  peut  éclairer  celles-ci  directement,  ou  bien  par 
transparence  à  l'aide  de  lumières  placées  derrière  des  lettres  transparentes  ou  trans- 
lucides. 

Les  expériences  avec  un  éclairage  donnant  le  maximu'm  de  l'acuité  visuelle  sont  en 
somme  faciles  à  instituer.  Lorsqu'on  opère  avec  de  faibles  éclairages,  il  faut  notamment 
tenir  compte  de  l'adaptation  de  l'œil,  et  maintenir  l'œil  un  certain  temps  (de  10  minutes 
à  un  quart  d'heure)  dans  un  éclairage  tel  que  la  sensibilité  rétinienne  pour  cet  éclai- 
rage soit  un  maximum  (Vo3'ez  Sens  de  lumière). 

Sous  le  nom  de  photoptomètres  on  [a  décrit  des  dispositions  et  des  appareils  très 
divers  pouvant  servir  à  ces  expériences  (Voyez  Laxdolt,  loc.  cit.). 

A.  Ch.^rpe.ntier  a  fait  à  l'aide  d'un  photoptomètre  spécial  de  nombreuses  recherches 
se  rapportant  plus  ou  moins  à  la  question  de  l'acuité  visuelle.  Une  de  ses  conclusions 
originales  porte  que  le  travail  physiologique  servant  à  produire  l'acuité  visuelle,  le  pou- 
voir de  distinction  de  l'œil,  est  un  processus  sui  generis,  bien  à  distinguer  de  celui  qui 
produit  la  sensation  lumineuse  simple,  «  brute  »,  comme  il  dit.  Partant  de  cette  vérité 
■ncontestable  quej'image  rétinienne  d'un  point  est  toujours  un  disque  plus  ou  moins 
grand,  il  opère  ordinairement  avec  de  petits  cercles  éclairés,  plus  ou  moins  grands.  Soit 
un  certain  nombre  de  ces  points  ou  petits  disques  distincts,  de  manière  que  toutes  leurs 
images  tombent  encore  dans  la  fovea  centralis.  11  en  augmente  progressivement  l'éclai- 
rage à  partir  de  zéro,  et  arrive  ainsi  à  un  moment  où  les  points  donnent  une  sensation 
blanche  diffuse.  En  augmentant  encore  l'éclairage,  les  points  deviennent  distincts.  S'il 
opère  avec  deux  points  suffisamment  écartés  pour  que  l'un  forme  son  image  en  dehors 
de  la  fovea,  ils  sont  distingués  d'emblée,  dès  qu'ils  commencent  à  produire  une  sensa- 
tion. Si  les  points  forment  leur  image  sur  la  périphérie  rétinienne,  ils  passent  aussi  par 
le  stade  de  la  sensation  lumineuse  simple,  du  moment  qu'ils  sont  suffisamment  rappro- 
chés; s'ils  sont  plus  écartés,  ils  sont  distingués  d'emblée. 

Pour  expliquer  cette  sensation  lumineuse  «  brute  »  Charpentier  reprend  l'ancienne 
théorie  physiologique  de  l'irradiation.  L'impression  lumineuse  en  un  point  circonscrit 
de  la  rétine  diffuserait  dans  l'appareil  nerveux  visuel,  dans  toute  l'étendue  d'un  petit  tei-- 


ACUITÉ    VISUELLE.  131 

l'itoire  rétinien.  Ainsi  s'e.xpliquerait  le  fait  constate'  par  lui,  savoir  que,  dans  les  condi- 
tions indiquées,  la  perception  lumineuse  brute  e.\ige  toujours  la  môme  quantité  de 
lumière,  qu'elle  soit  éparpillée  sur  un  nombre  plus  ou  moins  grand  d'éléments  réti- 
niens. Par  exemple,  s'il  fait  tomber  les  images  de  trois  points  lumineux  sur  un  petit 
endroit  rétinien  occupé  précédemment  par  un  disque  plus  grand,  il  faut  une  quantité 
de  lumière  égale  à  celle  qui  tout  à  l'heure  était  éparpillée  sur  tout  le  disque;  chaque 
point  doit  avoir  un  éclairage  absolu  trois  fois  plus  fort  que  celui  du  disque,  dans  l'un 
et  l'autre  cas,  pour  produire  la  sensation  lumineuse  brute. 

Pour  provoquer  la  distinction  des  points,  il  faut  une  quantité  de  lumière  plus  forte 
que  pour  l'obtention  de  la  simple  sensation  lumineuse,  un  supplément  de  lumière  pro- 
duisant le  travail  physiologique  spécial  de  l'acuité  visuelle. 

Enfin,  toujours  d'après  Charpentier,  la  grandeur  de  l'intervalle  qui  sépare  plusieurs 
points  lumineux,  qui  tous  forment  leurs  images  dans  la.  fovea,  ne  modifie  pas  leur  visibilité. 
De  plus,  la  quantité  de  lumière  nécessaire  à  distinguer  un  point  de  ses  voisins  est 
constante,  que  chaque  point  soit  plus  ou  moins  grand. 

Leroy,  de  son  coté,  à  la  suite  d'une  étude  approfondie  des  diverses  causes  (diffraction 
sur  le  bord  pupillaire,  aberration  de  sphéricité  et  aberration  chromatique,  etc.)  qui  font  que 
l'image  rétinienne  d'un  point  n'est  jamais  un  point,  mais  un  disque  plus  ou  moins  grand, 
se  dégradant  vers  la  périphérie,  arrive  à  expliquer  par  la  diffusion  de  la  lumière  dans 
l'œil,  c'est-à-dire  par  la  répartition  de  la  lumière  objective  sur  la  rétine,  les  observations 
qui  ont  conduit  Charpentier  à  faire  de  l'acuité  visuelle  une  fonction  bien  distincte  de  la 
sensation  lumineuse  simple.  11  montre  qu'en  diminuant  l'éclairage  d'un  point,  l'éclat  du 
centre  de  son  image  rétinienne  diminue  dans  une  proportion  plus  grande  que  la  péri- 
phérie. Il  arrive  donc  un  moment  où,  étant  donnée  la  sensibilité  spéciale  de  la  rétine  à 
des  différences  d'éclairage  (voir  Sens  de  lumière),  le  point  reste  faiblement  sensible  sous 
forme  d'une  tache  plus  grande,  uniformément  éclairée,  et  qui  maintenant  se  confond 
avec  des  points  suffisamment  rapprochés,  sous  forme  d'une  tache  uniforme.  En  d'autres 
mots,  la  confluence  de  points  voisins  sous  un  faible  éclairage  serait  un  fait  physique 
avant  tout,  et  non  pas  physiologique,  au  moins  pas  dans  le  sens  admis  par  Charpe.xtier. 
Dès  lors  tomberait  aussi  la  distinction  physiologique  admise  parce  dernier  auteur  entre 
le  sens  de  lumière  et  l'acuité  visuelle. 

Enfin,  les  développements  de  Leroy  nous  semblent  aussi  renfermer  en  germe  l'expli- 
cation de  ce  fait  surprenant  que  l'acuité  visuelle  n'est  pas  indépendante  de  l'éclairage 
(entre  certaines  limites,  celles  de  la  vision  habituelle),  et  qu'au  contraire  elle  augmente 
avec  ce  dernier.  11  faut  en  effet  se  figurer  l'image  rétinienne  de  points  lumineux  non 
comme  des  points  mathématiques  éclairés,  alors  que  le  restant  de  la  rétine  ne  rece- 
vrait pas  de  lumière.  La  rétine  est  toujours  plus  ou  moins  éclairée  diffusément,  et  sur  cet 
éclairage  diffus  se  marquent  de  petits  disques  dont  le  centre  est  plus  clair,  et  qui  vont 
en  se  dégradant  vers  la  périphérie.  La  distinction  des  points  est  même  possible  lorsque 
les  disques  se  touchent  parleurs  bords.  Il  faut  seulement  que  la  clarté  du  centre  de 
chaque  disque  dépasse  suffisamment  la  périphérie.  Il  n'est  pas  besoin  d'entrer  dans  les 
détails  très  compliqués  des  phénomènes  pour  comprendre  que  de  cette  manière  l'éclat 
relatif  du  centre  et  de  la  périphérie  puisse  varier  avec  l'éclairage,  et  qu'à  un  fort 
éclairage  on  puisse  distinguer  deux  points  sous  uu  plus  petit  angle  qu'à  un  éclairage 
plus  faible.  Ces  questions  reviennent  à  l'article  Irradiation. 

Le  pouvoir  de  distinction  de  la  rétine.  —  Très  souvent  on  confond  l'acuité 
visuelle,  le  pouvoir  de  distinction  de  l'œil,  avec  le  pouvoir  de  distinction  de  la  rétine, 
ce  qui  est  une  grave  erreur.  L'acuité  visuelle  est  fonction  du  pouvoir  de  distinction  de 
la  rétine,  mais  de  plus,  elle  est  fonction  des  facteurs  énumérés  précédemment.  Nous 
allons  même  voir  que  la  limite  supérieure  de  l'acuité  visuelle  que  nous  avons  envi- 
sagée jusqu'ici,  celle  de  la  vision  directe,  est  à  peu  près  indépendante  du  pouvoir  de 
distinction  de  la  rétine;  les  facteurs  précédents,  surtout  la  netteté  des  images  réti- 
niennes, ont  sur  elles  une  influence  tellement  prépondérante  que  l'influence  du  pouvoir 
de  distinction  de  la  rétine  n'entre  que  secondairement  en  ligne  de  compte. 

Le  pouvoir  de  distinction  de  la  rétine  repose  sur  l'indépendance  fonctionnelle  de  ses 
éléments  photesthésiques.  Nous  pouvons  nous  figurer  une  rétine  théorique  dont  tous 
les  éléments  photesthésiques  soient  reliés  isolément  au  centre  de  perception  cérébrale. 


132  ACUITÉ    VISUELLE. 

disons  à  l'écorce  occipitale.  Plusieurs  éléments  photesthésiques  pourraient  aussi  être 
reliés  à  la  même  fibre  du  nerf  optique,  à  un  seul  conducteur  vers  l'écorce  occipitale. 
Dans  le  second  cas  le  pouvoir  de  distinction  serait  moindre,  malgré  un  même  nombre 
des  imités  plnotesthésiques.  Des  dilïe'rences  de  ce  genre  se  présentent  d'un  endroit  à 
l'autre  de  la  rétine. 

L'acuité  visuelle  décrite  dans  ce  qui  précède  se  rapporte  seulement  à  une  petite 
zone  de  l'espace  que  nous  fixons,  et  pas  à  tout  le  champ  visuel.  Nous  nommons  champ 
visuel  l'ensemble  de  points  de  l'espace  que  l'œil  immobile  peut  voir.  Cette  étendue 
comprend  à  peu  près  tout  l'hémisphère  situé  au  devant  de  nous  et  dont  le  milieu  est 
occupé  par  le  point  de  fixation.  Toutefois  le  point  de  fixation  est  placé  un  peu  excentri- 
quement  (vers  le  côté  nasal)  dans  le  champ  visuel  (Voyez  l'article  Périmétrie).  L'acuité 
visuelle  est  loin  d'être  la  même  dans  toute  l'étendue  du  champ  visuel.  Il  est  facile  de  se 
convaincre  qu'elle  n'est  très  grande  que  dans  une  zone  étroite  autour  du  point  de  fixa- 
tion. Que  l'on  fixe  une  lettre  de  ce  texte.jà  la  distance  de  23  centimètres  :  pendant  cette 
fixation,  on  verra  bien  que  la  page  est  couverte  au  loin  de  lignes  noires;  mais  quant  à 
reconnaître,  à  distinguer  les  lettres,  on  ne  le  pourra  que  pour  les  3,  4  lettres  avoisi- 
nantes  dans  toutes  les  directions;  le  restant  paraît  diffus,  et  même  à  la  limite  extrême, 
les  lignes  imprimées  se  présentent  sous  forme  de  bandes  obscures  continues. 

On  a  fait  des  recherches  plus  exactes  pour  déterminer  la  manière  dont  l'acuité 
visuelle  diminue  depuis  le  point  de  fixation  vers  la  périphérie  du  champ  visuel.  Les 
résultats  obtenus  par  Foehsteh,  Heuiholtz,  Volkmann,  Landolt,  Dor,  etc.,  tout  en  dif- 
férant quelquefois  sensiblement,  se  rapprochent  cependant  beaucoup.  La  limite  extrême 
du  champ  visuel  étant  à  90°  (et  même  plus)  du  point  de  fixation,  on  trouve  que,  dans 
une  zone  écartée  de  10°  du  point  de  fixation,  l'acuité  visuelle  n'est  que  de  0,07  (sept 
centièmes  de  la  normale);  vers  la"  d'écart,  elle  n'est  que  de  0,04b;  à  20°,  de  0,028,  et 
vers  30°  de  0,020.  A  40°  d'écart  du  point  de  fixation,  c'est  à  peine  si  on  compte  les 
doigts  contre  l'œil  ;  la  perception  des  formes,  c'est-à-dire  l'acuité  visuelle,  y  est  presque 
nulle.  Elle  est  certainement  nulle  aux  confins  du  champ  visuel.  En  plaçant  la  main  à  la 
limite  extrême  du  champ  visuel,  on  cesse  même  de  la  voir  si  elle  est  immobile,  mais  on 
l'aperçoit  encore  si  elle  remue.  Et  dans  ce  cas,  on  voit  quelque  chose,  sans  savoir  ce 
que  c'est,  sans  distinguer  de  détails.  Le  pouvoir  de  distinction,  l'acuité  visuelle  est 
absolument  nulle  en  cet  endroit.  Par  contre,  on  y  apprécie  les  variations  d'éclairage 
aussi  bien  et  même  mieux  que  contre  le  point  de  fixation.  Ce  qui  donc  nous  fait  dis- 
tinguer des  objets  dans  la  périphérie  du  champ  visuel,  ce  n'est  pas  le  pouvoir  de  dis- 
tinction, mais  le  sens  de  lumière,  qui  atteint  son  maximum  pour  des  variations  assez 
rapides  de  l'éclairage  (Voyez  l'article  Sens  de  lumière). 

Mais  quelle  est  l'étendue  rétinienne  dans  laquelle  l'acuité  visuelle  est  normale 
(d'après  ce  qui  précède),  ou  à  peu  près"?  En  fixant  avec  le  regard  immobile  les  carac- 
tères d'impression  sur  cette  page,  on  ne  reconnaît  les  lettres  que  dans  une  zone  étroite, 
entourant  le  point  de  fixation  d'une  étendue  de  3°  tout  au  plus.  Comme  étendue  réti- 
nienne, cela  embrasse  à  peine  toute  la  fovea  centralis. 

On  a  fait  remarquer  que  dans  ces  limites  restreintes  l'acuité  visuelle  n'est  pas  même 
égale  partout,  et  que  pour  bien  distinguer  les  caractères  il  faut  les  fixer  successivement 
et  même  laisser  errer  le  regard,  non  seulement  sur  chaque  lettre,  mais  même  sur 
chaque  jambage  d'une  lettre  (Javal,  Leroy).  A  un  éclairage  instantané,  excluant  tout 
déplacement  du  regard,  on  ne  reconnaît  que  les  lettres  les  plus  simples,  et  même  il  n'y 
a  de  véritablement  nette  que  la  partie  de  la  lettre  qui  est  fixée  (Landolt).  Il  semblerait 
donc  que  l'acuité  visuelle,  le  pouvoir  de  distinction  de  la  rétine,  diminue  dans  tous  les 
sens,  déjà  dans  la  fovea,  à  partir  d'un  point  à  peu  près  mathématique  qui,  dans  le 
champ  visuel,  constitue  le  point  de  fixation. 

Le  champ  visuel  monoculaire  ressemble  donc  à  un  tableau  dont  les  détails,  à  peine 
ébauchés  vers  la  périphérie,  seraient  de  mieux  en  mieux  indiqués  à  mesure  qu'on 
s'avance  vers  un  point  central;  et  ce  dernier  seul,  ou  son  entourage  immédiat,  serait 
fouillé  dans  ses  moindres  détails. 

On  distingue  ainsi  entre  la  vision  directe,  celle  qui  existe  dans  le  voisinage  immédiat 
du  point  de  fixation  du  champ  visuel,  et  la.  visio7i  [indû'ede,  dépendant  du  restant  du 
champ  visuel.  Celle-là  est  propre  à  la  fovea  centralis,  celle-ci  au  restant  de  la  rétine. 


ACUITE    VISUELLE.  \3S 

La  dernière,  quelque  imparfaite  qu'elle  soit  pour  distinguer  les  détails,  est  loin 
d'être  sans  importance;  un  individu  réduit  au  fonctionnement  de  sa  fovea  n'aurait 
qu'une  vision  défectueuse.  Par  la  vision  indirecte,  nous  apercevons  que  quelque  chose 
s'avance  dans  les  limites  du  champ  visuel,  et  cela  aussi  facilement  qu'avec  la  vision 
directe.  Vite  alors  nous  y  dirigeons  le  regard,  nous  faisons  en  sorte  que  l'objet  aperçu, 
mais  non  reconnu,  forme  son  ima.ge  sur  Isl  fovea  centratis,  àl'efîetde  le  «  voir))  réellement. 

La  ligne  visuelle,  ou  plutôt  la  ligne  de  regard,  est  comme  un  tentacule  d'une  sensi- 
bilité extrême  que  nous  promenons  à  la  surface  des  corps  pour  les  explorer.  Un  peu 
d'attention  nous  convaincra  que  nous  déplaçons  incessamment  le  regard  à  la  surface 
apparente  des  corps,  par  de  petits  mouvements  saccadés,  étudiés  plus  haut,  et  dont  le 
résultat  est  de  faire  tomber  sur  le  centre  physiologique  de  la  rétine,  doué  de  la  meil- 
leure acuité  visuelle,  successivement  les  images  des  points^les  plus  divers  de  l'objet  que 
nous  voulons  voir.  Cette  exploration  visuelle,  au  moyen  de  l'acuité  visuelle,  revient 
donc  à  associer  (psychiquement)  une  série  de  vues  obtenues  successivement  de  parties 
diverses  du  même  objet. 

La  périphérie  du  champ  visuel  ou  de  la  rétine  sert  surtout  à  1'  «  orientation  »,  le 
centre  du  champ  visuel,  la  fovea  centralis  sert  cà  «  distinguer  les  détails  »  des  objets.  Le 
champ  visuel  est  une  surface  de  sensibilité  visuelle  dont  les  diverses  parties  ont  des 
fonctions  différentes,  et  que  nous  promenons  sur  les  objets. 

Un  homme  qui  ne  dispose  que  de  la  vision  centrale  —  un  cas  qui  se  présente  dans 
certaines  maladies  de  l'appareil  visuel  —  peut  lire  les  caractères  les  plus  fins;  mais  il 
ne  remarque  pas  ce  qui  se  passe  autour  de  lui.  Il  ne  saurait  se  hasarder  dans  une  rue 
un  peu  fréquentée  sans  risquer  de  se  heurter  à  tout  et  d'être  écrasé.  Il  serait  compa- 
rable à  un  individu  se  promenant  en  regardant  à  travers  un  long  tube. 

L'état  opposé,  c'est-à-dire  l'absence  de  la  vision  centrale,  avec  intégrité  de  la  péri- 
phérie du  champ  visuel,  s'observe  également  —  dans  certaines  intoxications  (par  le 
tabac,  l'alcool,  le  sulfure  de  carbone,  etc.).  Un  tel  individij  ne  sait  plus  lire;  il  ne  dis- 
tingue ni  les  traits  ni  l'expression  de  visage  de  son  interlocuteur;  mais  il  s'oriente  par- 
faitement, évite  les  obstacles  dans  la  rue  la  plus  fréquentée,  etc. 

Selon  toutes  les  apparences,  c'est  plus  ou  moins  ri  ce  dernier  genre  de  vision  que  se 
réduit  celle  de  beaucoup  d'animaux,  même  de  la  plupart  des  mammifères  domestiques 
(Voir  l'article  Vision,  physiologie  comparée.) 

Que  c'est  bien  la  fovea  centralis  qui  correspond  au  point  de  fixation,  que  c'est  bien 
elle  qui  est  douée  du  pouvoir  de  distinction  le  plus  exquis,  cela  résulte  notamment  de 
ce  que,  lorscfu'à  l'examen  ophtalmoscopique  nous  disons  au  sujet  examiné  de  «  fixer  )> 
la  lumière  réfléchie  par  le  miroir  ophtalmoscopique,  nous  voyous  que  l'image  rétinienne 
de  cette  lumière  se  forme  dans  la  fovea,  ou  plutôt  au  milieu  de  la  macula  lutea.  Cela 
ressortira  au  surplus  avec  évidence  de  la  vision  entoptique  de  la  rétine,  comme  nous 
allons  le  développer. 

On  s'est  naturellement  demandé  à  quoi  peut  tenir  cette  imperfection  de  l'acuité 
visuelle  sur  la  périphérie  de  la  rétine.  Les  images  rétiniennes  sont,  il  est  vrai,  un  peu 
plus  diffuses  sur  la  périphérie  de  la  rétine,  mais  pas  à  un  degré  suffisant  pour  expliquer 
la  mauvaise  acuité  visuelle.  Sur  la  périphérie  rétinienne,  l'image  _d'un  objet  est  aussi 
un  peu  plus  petite  que  dans  le  centre.  Mais  l'acuité  visuelle  l'est  dans  une  proportion 
infiniment  plus  grande.  Au  surplus,  ces  variations  de  l'image  rétinienne  ne  pourraient 
être  invoquées  pour  expliquer  la  chute  si  rapide  de  l'acuité  visuelle  dans  le  voisinage 
immédiat  du  point  de  fixation. 

11  ne  reste  guère  de  doute  que  la  cause  de  ces  inégalités  réside  dans  l'appareil  ner- 
veux optique,  probablement  dans  la  constitution  de  la  rétine.  Chez  l'homme,  la  struc- 
ture du  centre  physiologique  de  la  rétine  diffère  sous  bien  des  rapports  de  celle  de  la 
périphérie  rétinienne.  La  fovea  centralis  ne  renferme,  dans  sa  couche  photesthésique, 
que  des  cônes.  Dans  la  macula  lutea  déjà,  les  bâtonnets  commencent  à  surgir  entre  les 
cônes.  Plus  périphériquement,  deux  cônes  voisins  sont  séparés  en  ligne  droite  par 
■i,  4  bâtonnets  et  plus.  On  pourrait  donc  soupçonner  que  les  cônes  seuls  servent  au 
pouvoir  de  distinction  de  la  rétine,  et  les  bâtonnets  seulement  à  la  perception  lumi- 
neuse qui,  elle,  est  aussi  développée  sur  la  périphérie  que  dans  le  centre  rétinien  (les 
cônes  devant  servir  aux  deux  fonctions).  Cette  hypothèse   pourrait  se  prévaloir  de  ce 


134  ACUITE    VISUELLE. 

que  des  mammifères  supérieurs  (lapins,  etc.),  dont  l'acuité  visuelle  semble  être  rudi- 
mentaire,  ont  une  grande  prédominance  des  bâtonnets  dans  la  rétine  et  sont  privés  de 
toute  disposition  comparable  à  la  fovea  ceniralis. 

L'acuité  visuelle,  avons-nous  dit,  peut  être  fonction  de  l'indépendance  fonctionnelle 
des  éléments  rétiniens  plioto-sensibles.  En  vue  de  cette  question,  on  a  notamment  fait 
la  numération  des  cônes  et  des  bâtonnets  d'une  part,  des  fibres  du  nerf  optique  d'autre 
part.  Salzer  (1880)  évalue  à  près  de  3  millions  et  demi  le  nombre  des  cônes  et  des 
bâtonnets  dans  la  rétine  humaine,  et  à  un  peu  moins  d'un  demi-million  seulement  celui 
des  fibres  du  nerf  optique.  Krause  trouve  uri  nombre  plus  considérable  de  fibres  ner- 
veuses, mais  toujours  de  beaucoup  inférieur  à  celui  des  cônes  et  des  bâtonnets.  L'indé- 
pendance fonctionnelle  de  tous  les  cônes  et  bâtonnets  serait  donc  chose  impossible,  en 
admettant,  comme  on  le  fait  généralement,  qu'une  fibre  nerveuse  ne  peut  conduire 
qu'un  seul  et  même  état  d'excitation  vers  le  cerveau.  Des  considérations  de  ce  genre 
n'ont  du  reste  de  valeur  que  pour  celui  qui  voit  dans  les  bâtonnets  aussi  bien  que  dans 
les  cônes  des  éléments  rétiniens  servant  au  pouvoir  de  distinction. 

Des  recherches  anatomiques  plus  directes  ont  jeté  quelque  lumière  sur  cette  ques- 
tion; Ramon  y  Cajal,  récemment,  a  montré  que  dans  la  périphérie  rétinienne  un  nombre 
considérable  de  cônes  et  de  bâtonnets  sont  reliés  à  une  seule  fibre  nerveuse  du  nerf  opti- 
que, et  que  dans  la  fovea  centralis  chaque  cône,  ou  à  peu  près,  a  sa  fibre  nerveuse  à  lui. 
On  conçoit  donc  que  les  impressions  lumineuses  dans  la  fovea  soient  plus  isolées  dans 
leur  transmission  vers  le  cerveau,  et  cela  même  dans  l'hypothèse  d'après  laquelle  les 
bâtonnets  eux  aussi  serviraient  à  produire  l'acuité  visuelle. 

Il  était  naturel  de  vouloir  rapprocher  d'une  part  le  minimum  de  l'écart  qui  permet 
encore  de  distinguer  deux  impressions  rétiniennes  punctiformes,  c'est-à-dire  le  maxi- 
mum de  l'acuité  visuelle,  et  d'autre  part  le  diamètre  des  éléments  rétiniens  photo- 
sensibles. En  prenant  pour  base  des  calculs  les  constantes  optiques  de  l'œil  schématique 
(distance  focale  postérieure,  1o  millimètres;  centre  optique  à  b  millimètres  en  arrière  de 
la  surface  cornéenne  antérieure  :  voyez  flg.  13),  on  trouve  qu'à  un  angle  d'une  minute 
correspond  une  étendue  rétinienne  de  3  à  4  micromilliraètres  (0,  004  mm.),  grandeur 
qui,  d'après  M.  Schultze,  est  sensiblement  celle  du  diamètre  d'un  cône  de  la  fovea  cen- 
tralis. Le  maximum  de  l'acuité  visuelle  s'expliquerait  donc  assez  bien  en  admettant 
que  les  cônes  sont  réellement  les  unités  physiologiques  photosensibles,  à  condition 
qu'on  passe  un  peu  cavalièrement  sur  l'observation,  rare  il  est  vrai,  d'un  angle  limite 
d'une  demi-minute.  —  A  ce  propos,  on  explique  aussi  que  les  deux  images  rétiniennes 
punctiformes,  pour  être  perçues  comme  distinctes,  doivent  avoir  au  minimum  un  écart 
d'une  unité  physiologique  photosensible.  Supposons  trois  de  ces  unités  juxtaposées, 
disons  trois  cônes,  et  que  deux  voisins  soient  éclairés  chacun  par  une  source  lumineuse 
différente.  Le  résultat  sensoriel  sera  évidemment  le  même  que  si  une  source  lumineuse 
d'intensité  double,  punctiforme,  éclairait  une  petite  zone  mitoyenne  entre  les  deux 
cônes;  les  cercles  de  diffusion,  inévitables  avec  les  imperfections  connues  de  l'appareil 
optique  de  l'œil,  tomberont  sur  les  deux  cônes  voisins  :  le  résultat  sensoriel  sera  le 
môme  que  dans  le  cas  précédent.  Pour  que  deux  impressions  rétiniennes  soient  donc 
perçues  comme  distinctes,  il  faudra  qu'elles  soient  séparées  par  au  moins  un  élément 
sensible  non  éclairé,  ou  moins  éclairé  que  les  deux  autres,  c'est-à-dire  précisément  par 
le  diamètre  d'un  cône.  —  L'acuité  visuelle  réellement  observée  passe  donc  habituelle- 
ment pour 'une  preuve  démontrant  que  les  cônes  de  la  rétine  sont,  dan.s  la  fovea  cen- 
iralis, les  unités  photesthésiques  irréductibles;  que  par  conséquent  c'est  la  constitution 
de  la  fovea  qui  s'oppose  à  ce  que    l'acuité  visuelle  n'y  soit  pas  plus  élevée. 

Pourtant,  si  on  consulte  le  travail  cité  de  Leroy,  on  trouve  que  la  difîusion  de  la 
lumière  dans  l'œil  normal  rend  l'image  rétinienne  d'un  point  tellement  diffuse  qu'elle 
doit  se  confondre  avec  une  voisine  éloignée  d'elle  seulement  de  3  à4  micromillimètres. 
LoîiMEL  et  Altmann  sont  arrivés  à  des  conclusions  identiques.  D'après  eux,  les  seuls  phé- 
nomènes de  diffraction  sur  le  bord  pupillaire,  et  ceux  d'interférence  qui  s'en  suivent, 
doivent  produire  des  cercles  de  diffusion  tels  que  (pour  des  raisons  dioptriques),  les 
images  de  deux  points  lumineux  vus  sous  un  angle  inférieur  à  une  demi-minute, 
doivent  être  absolument  confluentes.  A  cela  il  faut  ajouter  les  défectuosités  dioptriques 
dues  à  l'aberration  chromatique,  à  l'astigmatisme  régulier,   et  surtout    à  l'astigma- 


ACUITÉ    VISUELLE.  135 

tisme  irrégulier  de  tout  œil,  qui  augmentent  encore  très  sensiblement  l'angle  visuel 
limite  sous  lequel  il  est  encore  possible  de  distinguer  deux  points.  L'angle  limite 
minimal  d'une  demi-minute  réellement  observé  coïncide  donc  très  sensiblement  avec 
l'angle  limite  compatible  avec  les  diverses  imperfections  du  système  dioptrique  de 
l'œil.  Dès  lors,  l'angle  limite  en  question  ne  prouve  rien  dans  la  question  de  l'uriité 
photo-sensible  de  la  rétine,  puisqu'il  se  peut  très  bien  qu'il  soit  fonction  uniquement 
des  conditions  dioptriques  de  l'œil.  C'est  en  ce  sens  que  s'expriment  catégoriquement 
Leroy  et  Altmann. 

Mais  on  ne  possédait  toujours  pas  de  preuve  démontrant  positivement  que,  de  par  la 
constitution  de  la  rétine,  l'acuité  visuelle  centrale,  dans  la  fovea,  pourrait  être  supé- 
rieure à  celle  qu'on  observe  réellement.  Cette  preuve,  nous  croyons  l'avoir  tirée  de  cer- 
tains détails  de  vision  entoptique  de  la  macula  lutea  et  de  la  fovea  centralis. 

A  l'article  Vision  entoptique,  il  est  expliqué  comme  quoi,  en  mouvant  au-devant 
delà  pupille  (de  l'œil  regardant  une  surface  uniformément  éclairée),  une  fente  ou  un 
trou  pratiqués  dans  un  écran  opaque,  on  remarque  contre  le  point  de  fixation  une 
mosaïque  de  petits  cercles,  dont  chacun  correspond  à  l'aire  d'un  cône  de  la  fovea.  Dans 
des  circonstances  déterminées,  on  voit  les  petits  cercles  non  fermés  :  on  distingue  donc 
unesérie  dépeints  sur  la  circonférence  de  l'aire  d'un  cône.  Le  centre  du  cercle  est  clair, 
la  périphérie  obscure;  or  ce  cercle  obscur  peut  être  plus  ou  moins  large  :  on  distingue 
donc  aussi  plusieurs  points  suivant  le  rayon  du  petit  cercle.  Nous  avons  ainsi  évalué  à 
au  moins  12  à  20  le  nombre  des  points  qu'on  peut  distinguer  dans  l'aire  d'un  cône.  — 
L'ombre  périphérique  des  petits  cercles  doit  être  produite  par  des  particularités  de  struc- 
ture placées  au  contact  des  cônes,  probablement  par  les  grains  pigmentés  de  l'épi- 
thélium  rétinien  pigmenté.  Elle  est  donc  forme'e  dans  des  conditions  telles  qu'elle  est 
bornée  à  des  éléments  rétiniens  trop,  petits  pour  qu'ils  puissent  être  isolément  éclairés  (ou 
ombrés)  par  des  rayons  homocentriques  régulièrement  réfractés  par  les  niilieuxde  l'œil. 
Nous  concluons  donc  que,  si  les  cônes  de  la  fovea  sont  les  éléments  photo-sensibles 
de  la  rétine,  ils  ne  sont  cependant  pas  les  unités  photosensibles.  Celles-ci  sont  beaucoup 
plus  nombreuses,  et,  dans  certaines  conditions,  irréalisables  dans  la  vision  habituelle, 
l'état  d'excitation  de  ces  unités  peut  être  perçu  isolément.  —  Il  est  probable  que,  sur  la 
périphérie  de  la  rétine,  l'acuité  visuelle  défectueuse  tient  à  la  réduction'qui  s'opère  dans 
les  voies  d'innervation,  depuis  les  cônes  et  les  bâtonnets  jusqu'au  cerveau,  réduction  qui 
s'opère  déjà  dans  la  rétine.  Sur  cette  périphérie,  étant  données  les  conditions  dioptriques 
de  l'œil,  la  netteté  des  images  rétiniennes  admettrait  une  acuité  visuelle  supérieure  à 
celle  qu'on  observe  réellement. 

Au  contraire,  dansla  fovea,  la  constitution  de  la  rétine  admettrait  une  acuité  visuelle 
encore  beaucoup  supérieure  au  maximum  observé  réellement,  celui  d'un  angle  visuel 
limite  d'une  et  même  d'une  demi-minute,  pour  distinguer  deux  points.  Ici,  ce  sont  les 
autres  facteurs  dont  l'acuité  visuelle  est  également  fonction,  et  dont  résulte  la  netteté 
(les  images  rétiniennes,  en  d'autres  mots  ce  sont  les  conditions  dioptriques  de  l'œil, 
<[ui  mettent  une  limite  à  l'acuité  visuelle. 

La  grande  difficulté  est  de  trouver  des  dispositions  anatomiques  rendant  possible  ce 
grand  pouvoir  de  distinction,  postulé  par  nous.  Pour  ce  qui  est  des  cônes  eux-mêmes, 
peut-être  pourrait-on  invoquer  ici  le  système  flbrillaire  (Padenapparat)  décrit  par  Max 
ScHULTZE  dans  les  articles  internes.  Quant  aux  conducteurs  vers  le  cerveau,  on  se  trouve 
acculé  à  la  nécessité  d'admettre,  à  l'enconlre  d'un  axiome  de  la  physiologie  générale  des 
nerfs,  des  conductions  multiples  et  isolées  par  la  voie  d'une  seule  fibre  nerveuse.  Mais 
cela  ne  saurait  nous  empêcher  d'admettre  des  conclusions  tirées  d'expériences  physiolo- 
giques que  chacun   peut  aisément  contrôler. 

En  résumé  donc,  la  diminution  du  pouvoir  de  distinction  qu'on  constate  vers  la  péri- 
phérie du  champ  visuel  résulte  bien  d'une  diminution  dans  le  pouvoir  de  distinction  de 
la  rétine;  mais  la  limite  supérieure  de  l'acuité  visuelle  dans  le  centre  physiologique  de 
l'œil  est  une  conséquence  des  conditions  dioptriques  de  l'œil. 

Dans  la  périphérie  de  la  fovea  centralis,  et  surtout  sur  la  zone  interne  de  la  macula 
lutea,  la  mosaïque  entoptique  est  moins  nette,  quoique  visible  encore.  Le  pouvoir  de 
distinction,  c'est-à-dire  le  nombre  d'unités  photesthésiques  diminue-t-il  déjà  dans  ces 
limites  étroites? 


13(i  ADAPTATION.    —   ADDISON   (Maladie  d'). 

Bibliographie.  — On  trouvera  dans  Helmholtz.  Physiologie  optique,  1867,  p.  303,  l'énu- 
mérationdes  auteurs  anciens.  Un  ouvrage  à  consulter  pour  la  bibliograpliie  plus  récente 
estLANDOLT.  Traite  complet  cF ophtalmologie  de  de  WECKEaetLANDOLT,  1880,  t.  i,pp.  306  et  647. 
—  AuDERT.  Physiologie  der  Netzhaut,  1864, 1. 1,  p.  32  et  p.  187.  —  Altmaa'n  {Arch.  f.  Anal.  u. 
PhysioL,  1880,  p.  111).  —  A.  Charpentier.  Nouvelles  recherches  sur  la  sensibilité  rétinienne 
[Arch.  d'opht.,  mai-juin  1882).  —  Recherches  sur  la  distinction  de  points  lumineux  (Ibidem, 
juillet-août  1882).  —  Cuignet.  De  la  vision  chez  le  tout  jeune  enfant  [Ann.  d'Ocul.^  1871, 
p.  117).  —  Claude  Du  Bois-Keyuond.  Vber  die  Zahl  der  Empfindungskreise  in  der  Netzhuat- 
(jruhe.  Dissert.,  Berlin,  1881.  — Dokders.  Anomalies  de  la  réfr.  et  de  l'accommod.  (édit. 
anglaise,  1864,  édit.  allemande,  1866,  p.  8i  et  lo9).  —  Helmholtz.  PhysioL  optique  (édit. 
française),  1867,  p.  291. —  Hensen  [Arch.  f.  Anat.  u.  PhysioL  t.  xxxiv,  p.  401,  et  t.  xxxix, 
p.  478).  —  Javal.  Éludes  sur  la  physiologie  de  la  lecture  (Ann.  d'OcuL,  1878  et  1879).  — 
Klein.  De  l'influence  de  l'éclairage  sur  l'acuité  visuelle,  Paris,  1873.  —  G.  J.  A.  Leroy.  Mém^ 
d'optique  physiol.  {Arch.  d'opht.,  1882,  pp.  22,  328,  441  ;  1883,  p.  213).  —  Landolt.  Eidopto- 
mélrie,périoptométrie,  pholoptométrie  in  Traité  complet  d'ophtcdm.,  de  de  Wecker  et  Landolt, 
1880,  t.  I.  —  Des  fonctions  rétiniennes  {Arch.  d'opht.,  1881,  p.  193).  —  Nouvelles  recherches 
sur  la  physiol.  des  mouvem.  des  yeux  {Ibidem,  p.  383).  — Lamare.  Des  mouvements  des  yeux 
dans  la  lecture  {Bull.  Soc.  franc,  d'opht.,  1892,  p.  334).  —  Loumel  {Zeitschr.  f.  Mathem.  u. 
Phys.,  1889,  p.  29).  —  Mauthner.  Die  opt.  Fehler  des  Auges,  1872,  p.  117.  —  J.  P.  Nuel. 
De  la  vision  entoptique  de  la  fovea  centralis  {Arch.  de  Biol.  1884,  et  Ann.  d'OcuL,  mars- 
avril,  1884). — H.  SxELLEN.  Lettcrproeven  ter  Bepaling  der  Gesichtsscherpte,  1''°  édit., 
Utrecht,  1862.  —  Volkmaxn  {Arch.  f.  Anat.  u.  PhysioL,  1866,  p.  649).  —  Vrœsom  de  Haan 
(DoNDERs).  Onderzoek  naar  den  invloed  van  de  leftijd  op  de  gesichsscherple.  Diss.,  Utrecht, 
1862.  —  ViERORDT  {Arch.  f.  Ophthalm.  1863,  fasc.  3,  p.  219). 

NUEL. 

ADAPTATION.  —  Le  terme  «  adaptation  »  s'applique  à  deux  fonctions  dis- 
tinctes de  l'œil.  D'une  pari,  <'  adaptation  »  est  emploj'é  comme  synonyme  d'  «  accommo- 
dation »  (voyez  l'article  Accommodation),  d'autre  part,  ce  terme  désigne  des  modifi- 
cations spéciales  de  l'œil,  et  surtout  de  la  rétine,  sous  l'influence  d'une  variation  de 
l'éclairage  objectif.  A  un  fort  éclairage,  la  pupille  se  resserre;  l'éclairage  de  l'image 
rétinienne  reste  assez  grand  pour  que  I'omI  puisse  jouir  sans  inconvénient  des  avan- 
tages dioptriques  d'un  petit  diaphragme  iridien  (diminution  de  l'aberration  sphérique, 
neutralisation  de  l'astigmatisme,  etc.).  — A  un  faible  éclairage,  la  pupille  se  dilate; 
les  images  rétiniennes  deviennent  plus  diffuses;  par  contre,  la  clarté  absolue  de  l'image 
rétinienne  augmente  (Voyez  les  articles  Iris  et  Pupille).  L'augmentation  de  la  vision 
résultant  de  ce  dernier  chef  peut  compenser  l'influence  défavorable  que  le  flou  de  l'image 
rétinienne  exerce  sur  la  vision.  Toutefois  on  n'emploie  guère  le  terme  d'adaptation 
pour  désigner  la  variation  du  diamètre  pupil lai re  produite  par  les  variations  de  l'éclairage. 

La  rétine  subit  parallèlement  avec  les  variations  de  l'éclairage  objectif  des  modifi- 
cations comparables  à  celles  de  la  pupille,  quoique  imparfaitement  connues  dans  leur 
essence.  Avec  un  même  diamètre  pupillaire,  un  œil  resté  quelque  temps  dans  l'obscurité 
perçoit  des  intensités  lumineuses  que  ne  perçoit  pas  un  œil  qui  sort  d'une  clarté  rela- 
tivement forte.  Dans  les  mômes  circonstances,  un  œil  distingue  des  objets  sous  un 
éclairage  iusuflisant  pour  un  œil  sortant  d'une  forte  clarté.  Le  premier  est  «  adapté  » 
pour  ce  faible  éclairage,  le  second  ne  l'est  pas.  Inversement,  ce  dernier  est  «  adapté  » 
pour  un  fort  éclairage,  le  premier  ne  l'est  pas;  il  est  ébloui  par  la  forte  clarté,  et,  pour 
distinguer  les  objets  sous  le  fort  éclairage,  il  faut  qu'il  «  s'  adapte  »  pour  une  forte 
lumière,  ce  qui  prend  un  certain  temps.  Voyez  à  l'article  Sens  de  lumière  pour  les 
détails  de  l'adaptation  rétinienne  et  pour  son  mécanisme  présumé. 

NUEL. 

ADDISON  (Maladied'). —  En  1833  Addison,  dans  un  mémoire  remar- 
quable [On  the  constitutional  and  local  cffects  of  diseuse  of  the  suprarenal  capsules),  signala 
les  relations  qui  existaient  entre  une  maladie  désignée  sous  le  nom  de  peau  bronzée, 
{bronzed  shin),  de  cachexie  bronzée,  et  les  lésions  des  capsules  surrénales.  Vers  cette  épo- 
que de  nombieuses  observations  cliniques  (Burbows,  ÏHO.ysoN, Trodsseau,  Féréol,  Besnier) 


ADDISON  (Maladie  d').  IHT 

confirmèrent  les  conclusions  du  médecin  anglais,  et  Bhown-Séquard  (ISJiG),  'par  des 
recherches  expérimentales,  démontrait  l'importance  fonctionnelle  des  capsules  surré- 
nales. Nou3  n'avons  qu'à  rappeler  brièvement  ces  faits,  la  physiologie  des  capsules  sur- 
rénales devant  être  développée  à  ce  mot  (Surrénales). 

Symptômes.  —  La  maladie  d'ADoisoN  est  essentiellement  caractérisée  par  deux 
symptômes  :  Tastliénie,  la  pigmentation  de  la  peau.  L'asthénie  est  presque  toujours  le 
premier  symptôme;  longtemps  avant  que  l'on  puisse  constater  un  changement  dans  la 
coloration  des  téguments,  le  malade  accuse.une  lassitude  extrême;  il  peut  encore  —  et  c'est 
là  un  point  sur  lequel  nous  aurons  à  revenir,  —  faire  un  effort  d'une  certaine  énergie, 
mais  cet  effort  est  de  très  courte  durée,  l'épuisement  arrive  l'apidement.  En  même  temps, 
on  peut  constater  des  douleurs  occupant  l'épigastre,  les  membres,  les  lombes  :  ces  douleurs 
sont  du  reste  variables,  erratiques,  mal  définies,  souvent  peuvent  ne  pas  exister;  il  en  est 
de  même  des  nausées  et  des  vomissements.  Du  reste  les  troubles  gastro-intestinaux,  très 
inconstants  dans  leurs  effets  et  dans  leur  forme,  se  rattachent  très  souvent  aux  lésions 
concomitantes  des  différents  organes  voisins  et  non  aux  altérations  des  capsules  surré- 
nales (grand  sympathique,  plexus,  etc.). 

L'anorexie  que  l'on  constate  presque  constamment  au  moment  de  la  période  d'état 
de  la  maladie,  s'explique  facilement,  en  dehors  même  des  nausées  et  des  vomissements, 
par  l'asthénie  générale.  A  cette  période  en  effet,  la  lassitude  est  telle,  la  crainte  d'un 
effort  soutenu  si  grande,  que  le  patient  reste  immobile  dans  son  lit,  sans  faire  de  mou- 
vements, conservant  néanmoins  toute  son  intelligence,  mais  restant  presque  volontaire- 
ment dans  un  état  de  somnolence  pour  éviter  toute  contraction  musculaire  inutile  etqu'il 
redoute.  La  simple  appréhension  des  aliments  apparaît  comme  un  effort  réel,  et  il  devient 
difficile  de  faire  prendre  des  substances  solides.  Et  cependant  la  paralysie  n'existe  pas, 
ou  presque  jamais  (Martineao).  Cette  dernière  observation  a  son  importance,  car  elle 
semble  à  première  vue  ne  pouvoir  concorder  avec  l'hypothèse  soutenue  par  Abelous  et 
Langlois;  nous  verrons  plus  loin,  en  étudiant  la  pathogénie  de  cette  affection,  que  cette 
discordance  est  toute  superficielle.  Quant  à  l'amaigrissement,  il  est  graduel,  progressif; 
notons  également  la  sensibilité  extrême  au  froid.  La  mélanodermie,  qui  a  donné  son 
nom  à  la  maladie  et  qui  a  surtout  attiré  l'attention  des  premiers  observateurs,  n'est 
après  tout  qu'un  symptôme,  sinon  secondaire,  au  moins  beaucoup  moins  important  que 
l'asthénie.  Elle  peut  du  reste  manquer  totalement,  et,  en  tout  cas,  elle  ne  se  constate 
généralement  qu'à  un  certain  stade  de  la  maladie,  alors  que  la  lassitude  est  déjà  mani- 
feste; il  y  a  toutefois  des  exceptions,  et,  dans  quelques  cas,  la  pigmentation  des  muqueuses 
a  été  le  premier  symptôme  observé.  Cette  pigmentation  peut  être  généralisée  ou  par- 
tielle, et  ce  dernier  cas  est  le  plus  fréquent;  la  peau  prend  alors  une  teinte  d'abord  gris 
sale,  puis  sépia.  Les  régions  du  cou,  du  mamelon  et  du  scrotum  sont  des  sièges  d'élec- 
tion pour  les  téguments  cutanés,  la  muqueuse  de  la  région  sublinguale,  près  du  frein  de  la 
langue,  est  encore  très  souvent  prise;  nous  avons  presque  constamment  observé  des 
taches  pigmentées  de  ce  point  chez  les  addisoniens  que  nous  avons  pu  étudier.  Toutes 
les  ^causes  d'irritation  favorisent  la  pigmentation  au  point  indiqué,  les  traces  de  vési- 
catoires  et  de  pointes  de  feu,  notamment,  sont  remarquables  par  leur  coloration  bru- 
nâtre, et  le  fait  peut  s'observer  fréquemment,  ces  malades  ayant  presque  toujours  été  sou- 
mis à  des  traitements  révulsifs,  soit  pour  les  douleurs  lombaires,  soit  pour  des  lésions 
pulmonaires.  On  a  signalé  également  la  pigmentation  de  la  conjonctive,  des  cheveux  dont 
la  nuance  normale  est  accentuée  vers  le  noir,  des  ongles  (Corvan),  des  dents  (?)  (Grosnier). 

Pronostic.  — La  marche  de  la  maladie  d'ADDiso,\  varie  de  un  à  cinq  ans,  quelquefois 
on  observe  des  temps  d'arrêt  dans  le  développement  des  symptômes,  mais  la  mort  est 
toujours  fatale,  il  faut  ajouter  qu'aux  symptômes  décrits  viennent  presque  toujours  s'a- 
jouter ceux  des  affections  concomitantes,  dont  la  maladie  d'AnDisoN  n'est  le  plus  sou- 
vent qu'un  épiphénomène  :  tuberculose,  pulmonaire  ou  autre,  cancer  plus  ou  moins 
généralisé. 

Diagnostic.  —  Dans  la  période  de  début,  il  est  souvent  difficile  de  reconnaître  cette 
affection;  à  cette  époque  en  effet  la  mélanodermie  n'existe  pas  encore,  les  douleurs  lom- 
baires ou  épigastriques  peuvent  être  attribuées  à  d'autres  causes  pathologiques.  Quïintà  la 
lassitude,  elle  constitue  un  symptôme  bien  obscur  et  que  l'on  peut  expliquer  par  un 
affaiblissement  général  dû  aux  autres  lésions  dont  sont  souvent  porteurs  les  sujets. 


138 


ADDISON   (Wiaiadie  d'). 


notamment  la  tuberculose  pulmonaire.  La  pigmentation  elle-même,  quand  elle  com- 
mence, est  souvent  un  indice  insuffisant:  les  phtisiques  ont  fréquemment  une  coloration 
assez  intense  de  la  peau  (Boochut);  les  paludéens,  à  la  période  cachexique,  sont  souvent 

atteints  de  mélaiié- 
mie  cutanée  (il  est 
vrai  que,  dans  ce  cas, 
les  muqueuses  res- 
tentindenines(CHAR- 
cot);  la  mélanoder- 
mie  due  à  des  pa- 
rasites [m.  phtiriasi- 
que)  est  plus  superfi- 
cielle, épidermique  ; 
elle  siège  presque 
toujours  sur  le  tronc 
et  enfin  elle  cède  à 
un  traitement  dirigé 
contre  la  cause  pa- 
rasitaire. Oii  le  dia- 
gnostic est  encore 
plus  difficile,  c'est 
dans  le  diabète 
bronzé  (Haîs'OT, 
Chauffard,  Letulle, 
etc.);  danslacirrhose 
hypertrophique  pig- 
mentaire,  la  colora- 
tion est  identique, 
toutefois  ici  encore 
les  muqueuses  ne 
sont  pas  attteintes. 
Mais  l'état  général 
est  presque  identi- 
que à  celui  desaddi- 
soniens  vrais.  L'ana- 
lyse de  l'urine  peut 
donner  des  indica- 
tions utiles. 

Un  procédé  de 
diagnostic  que  nous 
avons  proposé  con- 
siste dans  l'examen 
du  malade  à  l'ergo- 
graphe  de  Mosso. 

Ce  qui  caracté- 
rise essentiellement 
l'addisonien  est 
moins  la  perte  d'é- 
nergie musculaire  à 
déployer  dans  un 
effort  unique  que  la 
"  disparition   plus  ou 

moins  complète  de  la  résistance  à  la  fatigue.  Si  l'on  soumet  dans  les  mêmes  conditions 
un  addisonien  et  un  autre  malade  présentant  un  e'tal  général  comparable,  tous  deux 
tuberculeux  au  même  degré  par  exemple,  à  l'exâmea  ergographique  on  voit  que  la 
courbe  de  la  fatigue  des  deux  sujets  est  bien  différente.  Alors  que  le  tuberculeux 
simple  peut  exercer  un  travail  soutenu  (soulever  un  poids  de  un  kilo  toutes  les  2  secondes) 


ADDISON  (Maladie  d'). 


■i;vj 


pendant  un  certain  temps,  l'addisonien,  qui  au  début  aura  soulevé  le  même  poids  à  la 
même  hauteur,  sera  vite  épuisé;  sa  courbe  indique  une  chute  rapide.  Nous  avons  pu 
recueillir  ainsi  une  série  de  tracés  des  plus  démonstratifs  (Abelous,  Chabrin  et  La?;glois. 
La  fatigue  chez  les  addisoniens.  A.  P.,  4892,  p.  721). 

On  voit  dans  ces  tracés  qu'avec  un  poids  de  1  kilo,  au  bout  d'une  minute  qua- 
rante secondes,  l'addisonien  s'arrête  épuisé  après  avoir  fourni  un  travail  de  750  gram- 
mètres,  alors  qu'un  tuberculeux  a  produit  dans  la  même  espace  de  temps  1115  gram- 
mètres  sans  subir  le  même  épuisement.  Avec  un  poids  de  2  kilogs,  le  travail  est  pour 
ainsi  dire  nul  chez  l'addisonien,  l'impuissance  se  produisant  après  quelques  contractions. 

Pathogénie.  —  La  pathogénie  de  la  maladie  d'ADDisoN  est  encore  fort  obscure,  les 
divergences  de  vues  tiennent,  sans  nul  doute,  à  l'erreur  faite  par  les  observateurs  de 
vouloir  réunir  sous 
une  même  étiologie 
des  affections  de  cau- 
ses difîérentes. 

Deux  théories  ont 
été  émises  :  la  théorie 
nerveuse  et  la  tliéorie 
glandulaire. 

Dans  son  premier 
mémoire,  Addison, 
après  avoir  énuméré 
l'ensemble  des  symp- 
tômes de  la  maladie  qui 
porte  aujourd'hui  sou 
nom,  concluait  que, 
lorsque  tous  ces  symp- 
tômes étaient  réunis, 
il  y  avait  tout  lieu  de 
supposer  une  affection 
maligne  et  incurable 
des  capsules  :  mais, 
après  trois  ans  d'ob- 
servations plus  atten- 
tives, et  multipliées,  il 
est  moins  afflrmatif. 
«  Tout  en  pensant  que, 

dans  certains  cas,  il  est  impossible  de  ne  pas  considérer  les  altérations  de  ces  couleurs 
subies  par  le  malade  comme  le  résultat  de  la  lésion  des  capsules,  et  probablement  de 
cette  lésion  seulement;  nous  savons  toutefois  que  ces  organes  sont  très  voisins  du  plexus 
solaire  et  des  ganglions  semi-lunaires  et  sont  même  en  contact  avec  ces  parties  qui  leur 
envoient  un  grand  nombre  de  nerfs;  qui  peut  dire  quelle  influence  le  contact  de  ces 
organes  malades  peut  avoir  sur  ces  grands  centres  nerveux  et  quelle  part  ces  effets 
secondaires  peuvent  prendre  dans  la  production  de  troubles  de  la  santé  générale  et 
des  autres  symptômes  observés?  » 

La  théorie  nerveuse,  que  nous  étudierons  tout  d'abord,  a  trouvé  dans  Jaccoud  un 
habile  défenseur  '.  Avant  lui,  et  après  Addison  qui,  ainsi  que  nous  le  disions  plus 
haut,  signalait  l'influence  possible  des  altérations  du  système  sympathique,  Haber- 
SHON,  Barlow,  Schmidt,  Mattei,  Martlxeau  attribuaient  aux  lésions  des  plexus  solaires 
et  des  ganglions  semi-lunaires  les  troubles  nerveux  observés.  Après  Jaccoud,  cette 
opinion  est  encore  partagée  par  Greenhow,  JanGEiNs,  von  Kahlden,  LA^'CEREAux,  Raymond, 
Brault.  Ces  auteurs  allèguent,  d'une  part  l'altération  des  capsules  surrénales  sans  que, 
pendant  la  vie,  le  sujet  présente  aucun  des  symptômes  attribués  à  la  maladie  d'Addison, 
et  de  l'autre  l'intégrité  des  capsules  chez  des  sujets  déclarés  addisoniens  avant  l'autopsie. 

Alezais  et  Arnaut,  dans  un  mémoire  très  complet,  ont  montré  que  si  dans  presque 


Fio.  18.  —Tracé 


'gographique  avec  2  kilogrî 
que  pour  la  figure  précède 


nés.  Mê 


ndicati< 


1.  Jaccoud.  Sur  les  maladies  IrromJes  [Gaz.  méd.,  1S64) 


HO  ADDISON  (Maladie  d'). 

tous  les  cas  de  maladie  d'AonisoN,  les  capsules  surrénales  sont  atteintes  de  tuberculose, 
la  réciproque  n'est  pas  vraie,  dans  la  moitié  des  faits  connus  de  tuberculose  capsulaire 
la  maladie  d'ÂDDxsoN  fait  défaut,  et  il  y  a  tout  lieu  de  supposer  que  bieu  souvent  les 
lésions  de  ces  organes  passent  inaperçues  quand  l'attention  n'a  pas  été  attirée  sur  elles 
par  l'observation  de  quelques  symptômes  pendant  la  vie. 

Jaccoud  défendait  la  théorie  en  s'appuyant  sur  trois  ordres  de  faits  :  les  symptômes 
observés,  les  lésions  reconnues  post  mortem,  la  structure  des  capsules  surrénales. 

Dans  les  symptômes  observés,  en  éliminant  tout  d'abord  la  mélanodermie,  les 
troubles  nerveux  sont  de  deux  sortes,  l'asthénie  croissante,  les  troubles  gastriques  ou 
nerveux.  Jaccocd  en  notant  ces  symptômes  ajoute  : 

«  Qu'on  songe  maintenant  que,  dans  les  cas  simples,  ces  symptômes  se  développent 
et  progressent  en  l'absence  de  toute  lésion  viscérale  importante,  sans  anémie,  sans  albu- 
minurie, sans  hémorrhagie,  sans  diarrhée,  et  l'on  y  verra  sans  doute  le  résultat  direct 
et  immédiat  d'une  perturbation  du  système  nerveux.  »  Nous  verrons  plus  loin  que  ces 
troubles  asthéniques  ne  peuvent  être  évoqués  comme  arguments  favorables  à  la  théorie 
nerveuse  et  que  la  théorie  capsulaire  trouve  dans  la  description  même  de  l'asthénie 
addisonienne,  si  magistralement  décrite  par  Jaccoud,  un  argument  majeur. 

Les  vomissements,  les  douleurs  épigastriques  et  lombaires  sont  certainement  en 
faveur  de  lésions  nerveuses;  il  est  facile  d'admettre  que  chez  les  individus  atteints  de 
maladies  bronzées,  le  voisinage  des  appareils  nerveux  du  grand  sympathique  explique 
les  troubles  moteurs  ou  sensitifs  observés.  Quant  à  la  structure  de  la  glande,  elle  ne  per- 
met d'émettre  aucune  opinion  exclusive.  S'il  est  vrai  que  les  capsules  surrénales  reçoi- 
vent un  grand  nombre  de  filets  nerveux  du  système  sympathique,  ainsi  que  l'ont 
montré  les  reclierclies  de  Nagel,  de  Bergmann,  de  Kolliker,  de  Henle,  qu'il  existe  dans  la 
couche  corticale  des  cellules  ganglionnaires  pouvant  constituer  des  centres  réflexes  : 
Mœrs,  Jœsten',  HoLit  ;  s'il  est  vrai  encore  que  l'excitation  des  capsules  surrénales  par  des 
courants  électriques  tend  à  inhiber  les  mouvements  des  intestins  et  à  retarder  l'excré- 
tion rénale,  ainsi  que  le  montrent  les  recherches  de  Jacobj',  il  faut  admettre  d'autre 
part  que  les  corps  surrénaux  ont  en  eux-mêmes  une  structure  iiettement  glandulaire,  et 
que  la  disposition  même  de  l'appareil  circulatoire,  presque  lacunaire  et  sans  paroi 
propre  (Pfaundler),  tend  à  prouver  que  ces  appareils  sont  destinés  à  jouer  un  rôle  glan- 
dulaire très  précis-. 

Le  grand  argument  de  la  théorie  nerveuse  réside,  il  nous  semble,  dans  ces  faits 
que  les  symptômes  de  la  maladie  bronzée  étaient  notés  sur  des  individus  porteurs  de 
capsules  surrénales  en  apparence  intactes.  Tels,  pour  ne  citer  que  les  castes  plus  récents, 
ceux  de  Raymond  et  de  Bradlt,  rapportés  dans  la  thèse  de  Gu.\y. 

Dans  le  premier  cas,  Jeanne  D...,  âgée  de  27  ans,  après  avoir  présenté  les  syndromes 
classiques  des  addisoniens  :  douleurs  épigastriques,  lassitude  extrême,  mélanodermie, 
amaigrissement,  gêne  respiratoire,  cachexie  progressive,  tombe  dans  le  coma  et  meurt. 
A  l'autopsie,  on  trouve  un  état  lymphadénomateux  généralisé,  une  sclérose  du  plexus 
solaire  englobé  dans  les  masses  ganglionnaires. 

La  plupart  des  cellules  nerveuses  sont  atrophiées  et  réduites  à  un  amas  pigmenté,  les  cap- 
sules surrénales  ne  présentaient  comme  lésion  qu'une  dilatation  irrégulière  des  capillaires. 

Le  cas  de  Brault  est  à  peu  prés  analogue  :  amaigrissement,  apathie  profonde,  asthé- 
nie, mélanodermie  étendue  à  presque  tout  le  tégument,  enfin  difficulté  respiratoire  et 
mort  dans  un  état  d'amaigrissement  profond. 

A  l'autopsie,  en  outre  des  lésions  pulmonaires  doubles,  on  trouve  dans  le  ganglion 
semi-lunaire  droit  une  masse  caséeuse  renfermant  une  grande  quantité  de  bacilles  tuber- 
culeux, toutefois  M.  Brault  ne  peut  se  prononcer  sur  le  degré  de  la  lésion  dont  il  est 
atteint,  ni  sur  les  dégénérescences  des  filets  nerveux  en  communication  avec  ce  ganglion. 
Les  capsules  étaient  intactes.  Alezais  et  Arnaud  déduisent  de  l'ensemble  des  observations 
recueillies  par  eux,  que  la  destruction  des  capsules  surrénales  ne  pouvait  à  elle  seule 
déterminer  la  maladie  bronzée.  La  région  centrale  peut  être  atteinte,  sans  que  la  mélano- 

1.  Jacobj.  Die  Beziehung  der  Nebenniere  zu  den  Darmbewegungen  lArch.  f.  exp.  Pathol.  und 
Pkarm.,  1891,  p.  190). 

2.  Pfaundler.  Zur  Anatom.  der  Nebenniere  (Sitzungsb.  derK.  Akad.  der  Wissench.  Vienne, 
1892,  f.  3,  p.  mS). 


ADDISON  (Maladie  d').  Ul 

deniiie  apparaisse,  mais,  d'après  eux,  l'altération  des  ganglions  nerveux  sympathiques 
compris  dans  l'enveloppe  fibreuse  des  capsules  surrénales  serait  seule  en  cause. 

Dans  une  de  leurs  observations  (Obs.  III),  le  malade  avait  présenté  tout  le  syndrome 
classique,  et  la  capsule  surrénale  gauche  était  intacte,  mais  on  constatait  une  infiltration 
tuberculeuse  du  tissu  vasculo-nerveux  vers  le  tiers  postérieur  cortical,  le  plexus  solaire 
et  les  gros  ganglions  sympathiques  n'étant  pas  altérés. 

La  question  de  la  pigmentation  est  encore  un  sujet  de  controverse.  On  peut  réunir 
sous  deux  groupes  les  théories  proposées  :  1°  Origine  glandulaire  :  Brown-Séquard,  Tes- 
TELiN,  DucLOs.  Les  capsules  suiTénales  ont  pour  fonction  de  détruire  des  matières  pignien- 
taires  qui  se  produisent  constamment  dans  l'organisme.  Après  la  destruction  de  ces  orga- 
nes, le  sang  se  charge  de  ces  pigments,  les  dépose  en  des  points  divers  sous  les  téguments. 

On  objecte  à  cette  opinion  l'impossibilité  observée  jusqu'ici  de  déterminer  expérimen- 
talement la  mélanodermie  par  la  destruction  des  capsules  surrénales.  Si  quelques  auteurs 
ont  signalé,  en  effet,  des  pigmentations,  les  cas  sont  bien  isolés  et  n'ont  pu  être  reproduits. 

D'autre  part,  Rokitansky  a  recueilli  plus  de  100  cas,  dans  lesquels  les  deux  capsules 
étaient  détruites  par  un  processus  pathologique  avec  un  seul  exemple  de  maladie  bronzée. 
La>'dois  cite  33  altérations  complètes  des  deux  capsules, sans  avoir  observé  de  coloration; 
Mallei,  16;  BuHL,  10,  etc. 

2°  Le  pigment  vient  du  sang,  mais  il  se  fixe  en  des  points  donnés  par  suite  de  la 
perturbation  fonctionnelle  du  sympathique.  D'après  l'opinion  de  Raymond  {A.  P.  1892) 
la  pigmentation  dans  la  maladie  d'ADuisoN  est  le  résultat  d'une  perturbation  apportée 
dans  la  formation  chromatique  par  une  irritation  du  sympathique  abdominal,  laquelle  re- 
tentit par  voie  réflexe  sur  les  centres  nerveux  disposés  à  la  régulation  de  cette  fonction. 

Théorie  glandulaire  ou  de  l'intoxicalion  addisonienne.  —  Les  recherches  de  Bhown- 
Séquabd,  postérieures  seulement  de  quelques  mois  au  mémoire  d'ADDisoK,  sont  em- 
preintes de  l'idée  qui  régnait  alors  :  prédominance  des  troubles  me'lanodermiques  dans 
la  maladie  bronzée.  Aussi,  tout  en  n'ayant  pu  constater  chez  les  animaux  privés  de  cap- 
sules surrénales  la  pigmentation  cutanée,  avait-il  déjà  signalé  dans  le  sang  de  nom- 
breuses granulations  pigmentaires.  Mais  ce  qui  ressortait  surtout  de  ses  recherches, 
c'est  l'importance  fonctionnelle  des  capsules  surrénales,  dont  le  rôle  avait  jusqu'alors 
échappé  aux  physiologistes. 

La  mort,  écrivait-il,  à  la  suite  de  l'ablation  de  ces  organes  est  précédée  d'un  affaiblis- 
sement graduel  allant  jusqu'à  la  paralysie  des  membres  postérieurs,  puis  des  antérieurs, 
enfin  des  muscles  respiratoires.  Parmi  les  troubles  observés,  on  note  encore  de  l'ano- 
rexie, l'arrêt  de  la  digestion,  assez  souvent  du  délire,  des  convulsions  tétaniformes  et 
épileptiformes,  enfin  un  abaissement  graduel  de  la  température.  Il  constate  encore  — et 
c'est  là  le  point  essentiel  de  son  travail,  point  qui,  par  suite  d'une  erreur  d'interpréta- 
tion, a  été  négligé,  et  négligé  par  lui-même,  —  que  le  sang  des  animaux  privés  de 
capsules  surrénales  est  toxique  Ipour  un  animal  récemment  opéré,  tandis  que  la  trans- 
fusion du  sang  d'un  animal  sain  à  un  animal  à  l'agonie  peut  le  rappeler  à  la  vie. 
Aussi  conclut-il  que  la  destruction  des  glandes  surrénales  est  suivie  de  l'accumulation 
dans  le  sang  d'une  substance  toxique  douée  de  la  propriété  de  se  transformer  en 
pigment.  Nous  verrons  plus  loin  combien  ces  vues  devaient  être  confirmées,  en  j^artie 
du  moins,  et  il  est  curieux  de  signaler  que  longtemps  après,  Brown-Séquard,  entraîné 
par  ses  idées  sur  les  phe'nomènes  d'inhibition,  semblait  abandonner  cette  conception  de 
l'auto-intoxication  pour  faire  intervenir  des  phénomènes  inhibiteurs.  Mais  il  revenait 
ensuite  à  son  opinion  primitive.  Il  n'y  a  nulle  contradiction  d'ailleurs  à  évoquer  des 
phénomènes  d'inhibition,  après  lésions  des  capsules,  étant  donné  leurs  connexions  ner- 
veuses, tout  en  soutenant  leur  rôle  important  comme  glande  à  sécrétions  internes. 

Depuis  1833  les  recherches  sur  les  capsules  surrénales  ont  été  nombreuses.  Les  con- 
clusions de  Brown-Séquard  ont  été  vivement  attaquées. 

Phiuppeaux,  Gratiolet,  Harley,  Berutti,  Martin-Magron,  contestèrent  le  rôle  essen- 
tiel des  capsules  surrénales,  soutenant,  contrairement  à  Brown-Séqdard,  que  leur  destruc- 
tion n'entraine  pas  nécessairement  la  mort. 

TizzoNi,  dans  de  nombreuses  recherches  poursuivies  de  1884  à  1889,  admet  également 
la  possibilité  de  la  survie,  après  la  destruction  des  deux  capsules;  mais  il  signale  en  même 
temps  la  possibilité  de  la  régénération  de  ces  organes,  quand  ils  ne  sont  pas   totale- 


U!2  ADDISON   (Maladie  d'). 

ment  détruits.  Il  signale  enfin  des  troubles  médullaires  tardifs  consécutifs  à  la  destruc- 
tion d'une  capsule. 

Stihling  montre  que,  dans  un  certain  nombre  de  cas,  la  survie,  après  destruction  suc- 
cessive des  deux  capsules,  s'explique  par  la  présence  de  capsules  accessoires. 

Alezais  et  Arnaud  attribuent  la  mort  à  des  dégénérations  ascendantes  gagnant  la 
moelle  par  la  voie  des  splanchniques. 

En  1891,  parurent  les  premières  reclierclies  d'ABELOUS  et  Langlois  ;  nous  n'insisterons 
pas  sur  ces  travaux  que  l'on  trouvera  développés  à  l'article  Capsules  surrénales. 

Abelous  et  Langlois  ayant  constaté  que  les  grenouilles  succombaient  d'autant  plus 
rapidement  que  les  animaux  étaient  plus  agiles,  plus  actifs,  résumèrent  leur  conclusion 
ainsi  : 

Les  capsules  surrénales  ont  pour  fonction  de  neutraliser  ou  de  détruire  des  substances  toxi- 
ques élaborées  au  cours  des  échanges  chimiques  et  spécialement  au  cours  du  travail  des  muscles. 

M.  Albanèse  confirmait  cette  manière  devoir,  en  montrant  que  les  animaux  acapsulés 
ne  pouvaient  supporter  la^faligue  '. 

Les  courbes  de  la  fatigue  étudiées  par  Adelous^  sur  les  animaux  privés  de  capsules 
sont  caractéristiques.  Elles  montrent  que  chez  ces  animaux  la  résistance  à  la  fatigue 
disparait  rapidement  et  que  cette  résistance  est  encore  réduite  si  l'on  injecte  à  ces  ani- 
maux de  l'extrait  alcoolique  de  muscles  de  grenouille  normale  tétanisée  ou  de  muscles  de 
grenouille  aeapsulée. 

Cette  auto-intoxication  due  à  des  produits  développés  pendant  le  travail  musculaire 
parait  être  le  fait  essentiel  dans  le  syndrome  des  animaux  privés  de  capsules  surrénales. 

Mais  quelle  est  cette  substance"?  Les  physiologistes  italiens  Albanèse^,  F.  et  S.  Mariino 

■Zucco*  pensent  qu'il  s'agit  de  la  névrine,  ils  ont  vu  en  effet  que  les  grenouilles  acapsulées 

étaient  rapidement  intoxiquées  par  cette  substance,  alors  qu'il  fallait  des  doses  beaucoup 

plus  considérables  pour  les  grenouilles  normales.  On  trouve  d'autre  part  laneurine  dans 

les  urines  des  addisoniens  (Mahino  Zucco). 

>fous  n'avons  pas  parlé  de  pigmentation;  les  recherches  de  laboratoires  sont  généra- 
lementinfructueuses  à  ce  sujet.  Les  auteurs  en  elîet  n'ont  presque  jamais  noté  de  pigmen- 
tation, à  la  suite  de  la  destruction  des  capsule?  surrénales. 

Marino-Zocco"  aj^ant  inoculé  dans  l'intérieur  des  capsules  surrénales  des  lapins  une 
culture  de  la  pseudo-tuberculose  de  PpEiFrERa  vu  se  développer  sur  la  peau  des  taches  de 
couleur  ardoisée  qui  grandirent  à  vue  d'œil  jusqu'à  recouvrir  tout   le  corps. 

Ces  résultats  si  intéressants  mériteraient  d'être  confirmés.  M.  Langlois  poursuit  actuel- 
lementdes  recherches  dans  le  même  sens  en  injectçint  dansia  capsule  surrénale  de  lapins 
et  de  rats  des  cultures  dn  Sli'eplococcus  pyogenes  aureus.Ce  procédé  de  destruction  de  l'or- 

■  gane  par  infection  microbienne  pourrait  conduire  à  des  déductions  physio-pathologiques 
fort  importantes,  car  il  nous  mettrait  dans  les  condjtions  ordinaires  des  lésions  que  nous 

■  observons  chez  les  malades  :  déjà  Charri.n  et  Carnqt^  ont  réussi  à  provoquer  le  diabète 
.  pancréatique  avec  tous  ses  symptômes  cliniques,  polyurie,  polydipsie,  glycosurie,  amaigris- 
sement, en  injectant  dans  le  conduit  pancréatique  des  cijltui'es  diluées  de  bacille  pyocyanique. 

Les  capsules  surrénales  ont  un  rôle  considérablq,  un  rôle  de  protection  de  l'orga- 
nisme contre  ses  propres  produits.  C'est  encore  ce  qu'ont  montré  d'une  façon  générale 
les  recherches  de  Charrin  et  de  Langlois  '.  Dans  le  cours  des  maladies  infectieuses,  les 
capsules  sont  congestionnées,  souvent  he'morrhagiéçs.  Les  cellules  centrales  sont  granu- 
leuses. Les  capsules  ont  essayé  de  former  une  barrière  contre  les  toxines. 

En  tuant  des  chiens  avec  le  toluylène-diamine,  Pilliet  avait  noté  des  troubles  analogues. 

Enfin  in-vitro,  le  tissu  capsulaire  se  montre  vis-à-vis  de  la  nicotine  aussi  actif  que  le 

i.  Albanèse.  La  fatigue  chez  les  animaux  prives  de  capsules  surrénales  {Arch.  italiennes  de  Bio- 
logie, avril  1892). 

2.  Abelous.   Des  rapports  de  la  fatigue  avec  les  fonctioiis  surre:nales  {A.  P.,  octobre    1893). 

3.  Albanèse.  Sur  les  fonctions  des  capsules surre'nales  (Arch.  italiennes  de  biologie,  sept.  1892). 

4.  F.  et  S.  Marino  Zucco.  Riforma  Medica,  t.  i,  1892. 

5.  Marino  Zucco.  Riforma  Medica,  t.  i,  1892. 

6.  CiiARRiN  et  Carnot.  Injections  pancréatiques  ascetidpnles  expérimentales  (B.B.,  26  mai  1894). 
1.  Langlols  et  CiiARRix.  Lésions  des  capsules  sur?-énales  dans  l'infection  [B.  B.,  i  août  1893). 

L'action  antitoxique  du  tissu  des  capsules  surrénales  [B.  B.,  mai  1894). 


ADDISON   (Maladie  d').  U3 

foie.  Pour  le  foie,  les  expériences  de  Schiff,  de  Heger,  de  Roger,  avaient  monlré  que 
cet  organe  mis  en  contact  avec  des  solutions  de  nicotine  détermine  une  diminution  du 
pouvoir  toxique  de  cette  solution  ainsi  traitée. 

Or  cette  propriété,  dont  le  mécanisme  intime  est  loin  d'être  démontré,  n'est  pas  pro- 
pre au  foie,  mais  elle  est  identique  pour  les  glandes  surrénales,  et  il  est  permis  de  sup- 
poser qu'il  en  est  de  même  des  tissus  des  glandes  à  sécrétions  internes.  Leurs  cellules 
possèdent,  tout  au  moins,  une  activité  fixatrice  importante. 

Si  nous  nous  sommes  étendus  un  peu  longuement  sur  les  recherches  physiologiques 
poursuivies  dans  ces  dernières  années  sur  les  fonctions  des  capsules  surrénales,  c'est 
qu'il  est  facile  d'en  extraire  toute  une  pathogénie  nouvelle,  non  pas  exclusive,  mais  tout 
au  moins  applicable  à  quelques-uns  des  cas  observés. 

Abelous  et  Langlois  qui  ont  poursuivi  ces  recherches  n'ont  jamais  eu  l'intention,  ainsi 
que  leur  attribue  bien  à  la  légère  M.  Guay  ',  de  considérer  les  capsules  surrénales  comme  des 
organes  exclusivement  vasculaires  ;  ils  tendraient  même  en  s'appuyant  sur  l'histologie,  l'em- 
bryologie et  même  sur  quelques  recherches  expérimentales  (Tizzoni-Jacoby)  à  se  ranger  à 
l'opinion  de  Kolliker  qui  attribue  à  ces  organes  un  double  rôle:  nerveux  et  glandulaire. 

Si  nous  éliminions  la  pigmentation,  que  jusqu'ici  les  physiologistes  n'ont  pu  repro- 
duire en  dehors  du  cas  de  Marino  Zucco,  ce  qui  domine  le  syndrome  clinique,  c'est  l'as- 
thénie. Nous  avons  dit  plus  haut  que  cette  asthénie  constituait  pour  Jaccodd  un  des  faits 
en  faveur  de  la  théorie  nerveuse.  Elle  parait  au  contraire  correspondre  rigoureusement 
à  la  théorie  glandulaire  telle  qu'elle  est  conçue  par  Aiîelous  et  Langlois. 

Les  capsules  surrénales,  quand  elles  sont  atteintes  dans  leurs  fonctions  anlitoxiques,ne 
détruisant  plus  ou  détruisant  moins  de  musculo-toxines  (ce  terme  étant  pris  dans  son 
sens  générique),  il  se  produit  une  curarisation  plus  ou  moins  prononcée  de  l'individu. 

L'objection  qu'asthénie  n'est  nullement  synonyme  de  paralysie^  ne  nous  parait  pas 
juste.  Chez  les  animaux  en  expériences,  il  ne  s'agit  pas  en  effet  de  paralysie  au  début, 
mais  d'une  grande  faiblesse,  et  enfin  d'une  susceptibilité  très  grande  à  la  fatigue.  Nous 
avons  signalé  à  propos  du  diagnostic  l'importance  de  l'examen  ergographique  chez  les 
addisoniens. 

Si  les  glandes  surrénales  exercent  nue  action  antitoxique,  détruisent  des  poisons  for- 
més par  l'organisme,  il  était  tout  indiqué  de  rechercher  quelle  influence  pouvaient  exer- 
cer soit  les  injections  de  liquide  extrait  des  capsules  surrénales,  soitla  greffe  de  ces  glandes. 

Les  expériences  poursuivies  sur  le  corps  thyroïde  avaient  montré  qu'on  pouvait  pro- 
longer la  survie  des  animaux  après  l'ablation  du  corps  thyroïde  par  des  injections  intra- 
veineuses d'extrait  aqueux  de  cette  glande  (Vassale,  Gley  •'). 

Abelous  et  Langlois  ont  obtenu  en  injectant  de  l'extrait  de  capsules  une  prolongation 
de  survie,  et,  chez  les  cobayes  opérés,  ils  ont  vu,  sous  l'influence  de  l'injection,  les 
convulsions  diminuer,  la  vie  se  prolonger.  Brown-Séquard  obtint  des  résultats  meilleurs 
encore,  mais  sans  pouvoir  prolonger  beaucoup  plus  longtemps  la  vie  des  opérés. 

L'extrait  alcoolique  de  capsules  surrénales  a  donné  récemment  à  Abelous  des  résultats 
véritablement  intéressants  et  qui  appellent  l'attention.  L'injection  de  3  centimètres  cubes 
de  la  solution  dans  l'eau  salée  (10  centimètres  cubes)  de  l'extrait  alcoolique  de  deux  cap- 
sules surrénales  de  chien,  à  des  grenouilles  acapsulées  récemment  a  déterminé  une  sur- 
vie de  plus  de  douze  jours  *.  On  conçoit  combien  il  serait  préférable  à  tous  égards  d'em- 
ployer un  extrait  alcoolique  forcément  aseptique  aux  extraits  aqueux  ou  même  glycérines 
toujours  plus  prompts  à  s'altérer. 

Les  injections  sous-cutanées  du  liquide  capsulaire,  en  admettant  qu'elles  peuvent  sup- 
pléer à  la  fonction  présente  de  l'organe  lésé  ou  détruit,  n'exercent  qu'une  action  passa- 
gère. L'idéal  serait  donc  de  rétablir  la  fonction  elle-même,  de  greifer  un  organe  sain, 
capable,  après  avoir  établi  ses  communications  vasculaires,  de  continuer  à  fournir  à  l'or- 
ganisme le  facteur  chimique  qui  joue  le  rôle  tutélaire  dans  la  défense  de  l'organisme 
contre  le  poison  curarisant. 

1.  Guay.  Essai  sur  la  patlioge'nie  de  la  maladie  d'Addison  {D.  P.,  1893,  p.  91). 

2.  Brault.  Traité  de  médecine  Charcot-Bouchard.  Maladie  d'Addison,  t.  v,  p.  892. 

3.  Vassale  {Rivista  sperimentale  di  frenialria,  1891,  p.  439).  —  Qimy.  Recherches  sur  les  fonc- 
tions de  la  (/lande  thyroïde  {A.  P.,  1892,  p.  25). 

4.  Abelous.  Des  rapports  de  la  fatigue  avec  les  fonctions  surrénales,  note  additionnelle,  p.  278, 


U4  ADDISON  (Maladie  d'). 

Abelous' a  réussi  à  greffer  la  capsule  surrénale  chez  la  grenouille  dans  la  région  iléo- 
coccygienne. 

Si,  après  avoir  pratiqué  cette  greffe,  ou  détruit  au  bout  d'une  vingtaine  de  jours  les 
deux  capsules  surrénales,  la  grenouille  résiste  à  cette  opération.  —  Si  on  détruit 
ensuite  la  greffe,  les  grenouilles,  qui  avaient  jusque  là  résisté,  meurent  avec  les  symp- 
tômes de  la  paralysie  décrite  par  Abeloos  et  LA>'GLOts. 

Il  reste  évidemment  à  pratiquer  celte  opération  chez  des  animaux  supérieurs.  Les 
expérieuces  tentées  jusqu'ici  par  Langlois  sur  les  chiens  n'ont  pas  réussi;  la  coque  fibro- 
celluleuse  qui  protège  la  capsule  empêche  en  effet  la  vascularisalion  superficielle.  On  peut 
espérer  cependant  que,  grâce  aux  dispositions  anatomiques  que  présentent  certains  ani- 
maux, cette  grelïe  pourra  être  tentée. 

Voici  une  tentative  de  greffe  qu'il  est  curieux  de  signaler,  au  moins  pour  mémoire. 

Observation  de  M.  Bébard,  interne  du  service  de  M.  Augagnedb-  : 

Enfant  de  14  ans.  —  Coxalgie  antérieure  et  synovite  de  la  gaine  des  extenseurs.  Simul- 
tanément il  s'était  produit  une  pigmentation  de  tous  les  téguments.  M.  Augagxel'r  a 
pratiqué  chez  le  malade  des  greffes  de  capsules  surrénales  de  chien.  Celles-ci  ont  été  insé- 
rées dans  le  tissu  cellulaire  sous-cutané  de  l'abdomen.  La  mort  est  survenue  le  troisième 
jour;  elle  fut  précédée  de  fièvre  et  de  coma.  A  l'autopsie  on  a  trouvé  un  semis  de  granu- 
lations très  récentes  sur  tous  les  organes  abdominaux  et  sur  la  face  inférieure  du  dia- 
phragme. La  capsule  surrénale  droite  présente  un  point  caséeux,  la  capsule  gauche  est 
entièrement  case'euse,  quelques  tubercules  au  sommet  des  poumons. 

La  théorie  glandulaire  nous  paraît  s'appuyer  sur  des  expériences  physiologiques  fort 
importantes,  et  Chauffard,  à  la  suite  des  deux  observations  citées  par  lui,  attire  l'atten- 
tion sur  cette  intoxication  addisonienne  si  bien  mise  en  lumière  par  la  physiologie. 

Est-ce  à  dire  cependant  que  cette  théorie  doit  être  exclusive,  que  tout  addisonien 
est  comparable  aux  animaux  opérés"?  Évidemment  non.  Les  nombreuses  observations  in- 
déniables de  sujets  atteints  de  la  maladie  bronzée  et  qui  n'avaient  aucune  altération 
apparente  des  capsules  surrénales  ne  permettent  pas  d'admettre  cette  théorie  exclu- 
sive, et  la  physiologie  s'associe  à  la  clinique  pour  dire  que  dans  cette  affection,  comme  dans 
beaucoup  d'autres,  le  système  nerveux,  lésé  ou  non  d'une  façon  apparente,  intervient,  soit 
sous  l'influence  d'une  excitation  d'origine  toxique,  soit  par  lésion  irritative  réelle  des 
filets  ou  des  ganglions  du  sympathique. 

Traitement.  —  Nous  exposerons  le  traitement  rationnel  de  l'intoxication  addisonienne. 
Il  faut  viser  trois  points  essentiels  : 

1°  Diminuer  la  formation  des  rausculo-toxines; 

2°  Favoriser  l'élimination  de  ces  toxines  curarisantes; 

3"  Chercher  à  suppléer  à  l'insuffisance  de  la  fonction  surrénale. 

Pour  diminue)'  la  formation  des  toxines,  il  n'existe  qu'une  méthode  :  le  repos  aussi 
complet  que  possible.  Les  observations  de  Chauffard,  de  Langlois,  démontrent  nettement 
l'influence  nocive  de  la  fatigue  musculaire. 

On  ne  peut,  cepemlant,  songer  au  repos  absolu.  Il  existe  même  souvent,  outre  les 
impossibilités  sociales,  des  indications  formelles  provenant  des  autres  lésions  que  présen- 
tent habituellement  les  malades  :  tuberculose  pulmonaire,  hépatique,  etc.  Ce  qu'il  faut 
éviter  principalement,  ce  sont  les  efl'orts  prolongés,  continus,  favorisant  l'accumulation 
dans  l'organisme  des  produits  de  décomposition. 

Favoriser  l'élimination  des  toxines.  I^es  indications  générales  qui  découlent  des 
données  acquises  désormais  grâce  aux  travaux  de  Bodch.ard  sur  les  auto-intoxications 
trouvent  ici  leur  place. 

Assurer  l'intégrité  des  fonctions  de  la  peau  par  des  bains  alcalins,  des  frictions  sèches 
au  gant  de  crin.  Favoriser  l'excrétion  cutanée  par  des  bains  de  vapeur  quand  l'état  du 
malade  le  permet,  mais  sur  ce  point  être  des  plus  prudents:  la  sudation  étant  souvent  moins 
éliminative  des  nuisances,  pour  employer  le  terme  des  hygiénistes  anglais,  que  la  sécrétion 
rénale.  C'est  surtout  le  rein  en  effet  qu'il  faut  compter  comme  puissant  éliminateur.  Nous 
avons  vu  que  Marixo  Zucco  a  trouvé  dans  les  urines  des    addisoniens  de  la  neurine, 

1.  Abelous.  Greffe  des  capsules  surrénales  ;B.  B.,   1893). 

2.  Société  des  sciences  médicales  de  Lyon,  28  déc.  1S91  ^Mercredi  médical,  1892,  p.  23). 


ADDITION.  lio 

précisément  l'agent  toxique  suspect.  Bien  que  la  toxicité  des  urines  u'ait  pas  encore 
été  sé^'ieusement  étudiée,  quelques  expériences  inédites  de  Langlqis  font  supposer  que 
le  coefficient  uro-toxique  est  augmenté. 

Le  lait  sera  recommandé  à  haute  dose,  sans  aller  toutefois,  à  moins  d'indications 
formelles,  jusqu'au  régime  lacté  absolu,  régime  difficile  à  appliquer  d'ailleurs  étant  donné 
l'état  anorexique.  On  peut,  dans  le  cas  de  refus  du  lait,  donner  du  lactose]  (40  grammes 
au  moins  par  litre). 

Pour  activer  la  fonction  éliminatrice  du  rein,  on  peut  emplo3'er  la  théobromine  à  la 
dose  de  un  à  deux  grammes  par  jour  pendant  4  à  o  jours,  suivi  d'un  repos  de  quelques 
jours.  Le  régime  lacté  mixte  avec  la  théobromine,  permet  d'obtenir  une  diurèse  de 
4  litres,  c'est  un  véritable  lavage  de  l'organisjue.  La  caféine  a  été  préconisée;  elle  paraît 
ne  pas  donner  d'excellents  effets;  il  faut  songer,  en  effet,  qu'en  augmentant  le  tonus  des 
muscles,  elle  favorise  dans  une  certaine  mesure  la  production  des  toxines.  Inutile  d'in- 
sister sur  la  nécessité  d'assurer  les  évacuations  intestinales  fréquentes. 

SuppUer  à  l'insuffisance  de  la  fonction  surrénale. 

Nous  ne  connaissons  pas  encore  par  quel  mécanisme  les  capsules  surrénales  annihi- 
lent les  substances  toxiques  produites  dans  le  cours  des  échanges  chimiques,  et  il  y  a 
tout  lieu  de  supposer  cependant  que  c'est  par  un  processus  d'oxydation.  Abelous  a 
montré  en  effet  que  le  résidu  de  l'extrait  alcoolique  des  muscles  de  grenouilles  aoapsulées 
ou  tétanisées  renferment  des  substances  réductives  (réduction  du  lerricyanure  de  potas- 
sium) et  que  si  on  les  oxyde  par  le  permanganate  de  potasse,  leur  toxicité  est  diminuée. 

Il  parait  donc  utile  de  déterminer  dans  l'organisme  des  oxydations  énergiques;  les 
inhalations  d'oxygène,  d'air  sous  pression,  trouvent  ici  leur  indication  ainsi  que  la  médi- 
cation alcaline. 

Enfin  l'injection  d'extrait  des  capsules  surrénales  est  nettement  indiquée.  Les  obser- 
vations faites  jusqu'ici  n'ont  pas  donné  des  résultais  bien  démonstratifs,  mais  il  faut 
songer  que,  chez  les  malades  hospitalisés,  les  lésions  pulmonaires  ou  hépatiques  sont 
telles,  l'état  cachexique  si  avancé,  qu'il  est  impossible  de  remonter  de  tels  individus. 
Dans  la  clientèle,  où  il  est  possible  d'attaquer  plus  facilement  à  son  début  l'affection,  on 
peut  songera  pallier  les  désordres  dus  à  l'altération  des  capsules  et  peut-être  (?)  à  per- 
mettre le  développement  des  capsules  accessoires  ou  supplémentaires  ou  même  la  régé- 
nération de  la  glande,  conception  admissible,  au  moins  étant  donné  les  observations  de 
ïizzoNi  sur  les  animaux.  Quoi  qu'il  en  soit,  on  peut  sans  aucun  inconvénient  tenter  ce 
traitement.  La  formule  suivante  est  indiquée  par  Langlqis'. 

Capsules  surrénales  de  Cobaye 0  gr,  SO 

Eau  bouillie 10  gr. 

Chlorure  de  sodium  )    . ,  „         „-, 

o   ,f  »     j  j  !  aa 0  o'r.  07 

Sulfate  de  soude        )  ° 

Triturez  et  laissez  macérer  24  heures,  puis  filtrez  sur  ouate  stérilisée,  i  à  '■'}  centimètres  cubes 

chez  les  addisoniens  asthéniques. 

La  formule  de  d'Arsonval  est  la  suivante  : 

Tissu  (capsules  surrénales) 10  grammes. 

Diviser  en  fragments  et  laisser  macérer  24  heiu'es  dans 

glycérine  à  30° 10        — 

On  ajoute  eau  à  25  gr.  par  litre  de  NaCl 5        — 

Laissez  macérer  une  demi-heure,  filtrez  sur  papier  et  stérilisez  au  moyen  de  l'acide 
carbonique  sous  pression.  Pour  les  injections  sous-cutanées,  diluez  le  liquide  d'une  quan- 
tité égale  d'eau  bouillie,  3  à  8  centimètres  cubes  comme  tonique  général  neurasthénique. 

L'extrait  alcoolique  de  capsule  surrénale  n'a  pas  encore  été  employé  sur  l'honime;  les 
récentes  expériences  d'ABELOus  citées  plus  haut  permettent  de  penser  qu'il  serai!  utilisé 
avec  avantage. 

P.  LANGLOIS. 

ADDITION.  —  Helmholtz,  en  étudiant  le  premier,  à  l'aide  du  myographe,  la 
forme  de  la  contraction  des  muscles  de  la  grenouille,  a  appelé  addition  le  phénomène 
de  la  superposition  de  deux  secousses  musculaires  (1834). 

1.  M.vuRAXGK  et  CA>ic\i.ox.  Formulaire  de  l'hijpodermie,  p.  14.     ■ 

DICÏ.    DE    PHYSIOLOGIE.    —    TOME    I.  10 


1  Ui 


ADDITION. 


Soit  une  secousse  musculaire  provoquée  par  l'électricité;  ejle  comprend,  comme  on 
sait,  trois  périodes  :  une  période  d'excitation  latente,  une  période  d'ascension,  et  une 
période  de  descente.  Supposons  la  première  excitation  suivie  d'une  seconde  exci- 
tation, égale  en  intensité  à  la  première  :  la  l'orme  de  la  secousse  sera  variable  seloii  le 
moment  de  cette  seconde  excitation  par  rapport  à  la  première.  Si  la  seconde  excitation 
a  lieu   pendant  la  période  de  descente,  l'ensemble  de  la  contraction  musculaire   sera 


19.  —  Périodi 


aVxcitabilité  croissante  et  décroissante.  Muscle  de  l'Ecrevisse. 
P^xcitations  rythmiques,  d'intensité  égale. 
A.    dixième  secousse,  maximum. 


caractérisé  par  une  courbe  avec  deux  descentes  et  deux  ascensions.  Si  le  même  rythme 
continue,  avec  une  troisième,  une  quatrième  excitation,  etc.,  le  tétanos  obtenu  sera  un 
tétanos  incomplet,  avec  dissociation  imparfaite  des  secousses  simples. 

Si  la  seconde  excitation  vient  frapper  le  muscle  pendant  la  période  d'ascension  due 
à  la  première  excitation,  alors  il  n'y  aura  plus  de  dissociation  des  deux  secousses, 
mais  une  addition  ou  une  fusion,  c'est-à-dire  que  les  deux  secousses  vont  s'ajouter  l'une 

à  l'autre,  de  manière  à  n'en  plus  former 
qu'une  seule,  et,  à  supposer  que  les  excita- 
tions continuent  avec  le  même  rythme,  le 
tétanos  obtenu  sera  un  tétanos  complet  avec 
fusion  totale  de  toutes  les  excitations,  qui, 
discontinues  en  réalité,  se  traduiront  dans 
le  muscle  par  une  contraction  continue,  non 
interrompue  ;  car  le  muscle,  par  son  élasti- 
cité et  son  inertie,  réagit  avec  plus  de  len- 
teur que  l'appareil  électrique  qui  l'excite. 

Voilà  comment  les  choses  ,  se  passent 
quand  il  y  a  variation  du  rythme,  et  les 
figures  données  par  tous  les  auteurs  qui  se 
sont  occupés  de  myographie  sont,  à  cet 
égard,  parfaitement  explicites  (Voy.  Myo- 
graphe)  ;  le  phénomène  étant  plus  facile  à 
comprendre  par  les  graphiques  que  par  les 
commentaires  explicatifs. 

Au  point  de  vue  de  l'intensité  de  l'excita- 
tion, si  l'excitation  première  est  maximale, 
c'est-à-dire  provoquant  une  secousse  mus- 
culaire maximum,  il  est  clair  que  la  fusion 
des  deux  secousses  ne  pourra  être  plus  forte 
que  la  secousse  unique.  Mais,  si  la  secousse 
première  est  faible,  la  secousse  seconde,  fu- 
sion de  la  première  et  de  la  seconde,  sera 
bien  plus  haute  même  que  le  serait  la 
simple  somme  des  deux  secousses  premières. 
Ou  peut  donc  dire  que  ce  n'est  pas  une  simple  addition;  mais  une  véritable  midtipli- 
cation,  pour  conserver  les  termes  arithmétiques,  comme  si,  par  le  fait  d'une  excitation 
première,  l'excitabilité  du  muscle  avait  été  énormément  augmentée.  Avec  les  muscles 
d'invertébrés,  et  en  particulier  avec  le  muscle  de  l'écrevisse,  le  phénomène  est  extrê- 
mement net  (Voy.  fig.  20  et  21). 

En  effet,  comme  il  faut  toujours  tendre  le  muscle  par  un  poids,  toujours  la  forme 
véritable  de  la  secousse  est  modifiée  par  ce  poids,  si  faible  qu'il  soit,  de  sorte  que  la 


eut  d'excitabilité. 
Addition  latente. 


ADDITION. 


In- 


forme véritable  de  la  secousse  musculaire  n'est  pas  donnée  exactement  par  le  myo- 
gramme obtenu.  La  descente  vraie  de  la  secousse  se  prolonge  bien  plus  que  ne  sem- 
blerait l'indiquer  le  myogramme,  et,  pendant  toute  cette  descente,  masquée,  que  j'ai 
proposé  d'appeler  secousse  latente,  l'excitabilité  du  muscle  reste  accrue;  de  sorte  qu'on 
voit  très  bien  les  secousses  croître  en  hauteur,  au  fur  et  à  mesure  qu'on  fait  agir  des 
excitations  successives,  égales  entre  elles.  Ces  secousses,  qui  croissent  en  intensité, 
paraissent  discontinues  :  en  réalité,  elles  ne  sont  pas  discontinues;  car  ces  secousses 
isolées  portent  sur  un  muscle  qui  ne  reviendrait  pas  à  la  ligne  de  repos  absolu,  s'il 
n'était  pas  tendu  par  un  poids  dont  l'effet  est  de  masquer  la  contraction  véritable  et  de 
faire  croire  que  le  muscle  est  revenu  à  son  état  de  repos  lorsque,  au  contraire,  il  est 
encore  ébranlé  par  l'excitation  précédente. 

En  tout  cas,   l'addition  peut  être  considérée  comme  un  phénomène  d'excitabilité 
croissante,  qui  croît  par  le  fait  des  excitations  successives.  Un  muscle  qui  n'est  pas 


e:icitations   éî^ales.  — 
toutes  deux  égales  : 


?  excitatu 
approchét 


A-,  effet   de  deux   ex 


revenu  à  son  repos  complet  et  qui  est  à  la  période  de  descente,  est  plus  excitable  qu'un 
muscle  qui  est  complètement  inerte. 

Ce  phénomène  de  l'addition,  ou  plutôt  de  la  multiplication  des  secousses,  j'ai  pu 
l'appliquer  à  un  cas  spécial  fort  intéressant,  c'est-à-dire  le  cas  où  la  première  exci- 
tation (A)  est  impuissante  à  déterminer  une  réaction  apparente  du  muscle;  et  je  l'ai 
appelé  Addition  latente  {Addition  latente  des  excitations  électriques  dans  les  nerfs  et  dans 
les  muscles.  Trav.  du  lab.  de  M.  Marey,  1877,  t.  m,  p.  97-lOb). 

Voici  comment  le  phénomène  se  produit,  et  il  senianifeste  avec  une  extrême  netteté 
dans  le  muscle  de  la  pince  de  l'écrevisse.  Si  l'on  fait  passer  par  ce  muscle  une  série  de 
courants  d'induction  rythmés  à  un  assez  long  intervalle  (de  deux  secondes,  par  exemple), 
en  graduant  l'intensité  du  courant,  on  peut  diminuer  l'intensité  de  telle  sorte  que  ces 
courants  seront  inefficaces,  mais  à  la  limite  précisément  de  leur  efficacité.  Après  avoir 
bien  constaté  que  le  muscle  ne  répond  pas  à  ces  excitations,  rythmées  à  intervalles  de 
deux  secondes,  on  change  seulement  le  rythme,  sans  modifier  l'intensité,  et  on  constate 
aussitôt  que  ces  mêmes  excitations  deviennent  efOc.ices  quand  le  rythme  est  plus  fré- 
quent; par  exemple,  de  dix  par  seconde.  La  conclusion  est  très  importante,  et  on  peut 
la  formuler  ainsi  : 

Des  excitations  qui,  isolées,  paraissent  impuissantes,  deviennent  efficaces  quand  elles  sont 
répétées;  car  elles  ont,  malgi'é  leur  inefficacité  apparente,  augmenté  l' excitabilité  du  muscle. 


148 


ADDITION. 


Ce  phénomène,  observé  d'abord  par  moi  en  1S77,  a  été  retrouvé  depuis  par  tous  les 
auteurs  qui  se  sont  occupés  de  la  contraction  musculaire.  On  pourra  consulter  les  nom- 
breu.'c  graphiques  que  j'ai  donnés  dans  ma  Physiologie  générale  des  muscles  et  des  nerfs 
(1882),  3°  leçon,  fig.  30,  32,  43,  46,  47,  49.  M.  dk  Varigny  {.Contraction  musculaire  des 
invertébrés.  Thèse  de  do  et.  de  la  Fac.  des  Se.  Paris,  t886)  a  constaté  que  l'addition  latente 
s'observe  bien  chez  les  Holothuries,  les  Crabes,  les  Méduses,  les  Poulpes.  M.  Goldscheider 
[Muskelcontractionund  Leitungsfàhigkeit  des  Nerven.  —Zeiisch.  fiirKIin.  med.,  t.  xix,  1890, 
fasc.  i  et  2)  l'a  très  bien  observé  sur  la  grenouille,  après  avoir,  il  est  vrai,  intoxiqué  le 
nerf  avec  des  vapeurs  d'alcool.  J'ai  constaté  aussi  que,  sur  un  muscle  fatigué  ou  intoxi- 
qué, le  phénomène  de  l'addition  latente  était  plus  facile  à  constater.  Citons  encore  un 
mémoire  de  M.  Bif.derman.x  {Innervation  der  lirebssckeere.  Ac.  des  Se.  de  Vienne,  Se.  médic. 
janv.  1887,  t.  xcv,  p.  l-40j  qui  donne  de  nombreux  grapbiques  où  on  trouvera  souvent 
l'addition  latente. 

Le  phénomène  de  l'addition  latente  peut  être  généralisé,  et  appliqué  non  seulement  au 


Fig  2-^  —  Tétanos  du  muscle  de  tortue.  —  Rythme   i 

[de  l'excitation  de  secousses  incomplètement  tusion 

g^  presque  complètement  fusionniies.  En  A  on  voit  le 


leiitique,  intensité  variable.  —  En  A,  intensité  faible 
ées.  Ku  B.  intensité  forte  de  rexcitatiou  et  secousses 
eti'ets  de  l'addition  latente. 


muscle,  mais  encore  à  tous  les  tissus  excitables,  nerfs  et  centres  nerveux.  J'ai  montré 
que  le  phénomène  était  identique  à  ce  que  Pfluger,  Gruenhagen,  Setchenoff,  Tarcha- 
NOFF,  Rosen'ïhal,  Sïirling,  Spiuo,  avaient  étudié  dans  la  moelle  épinière  sous  le  nom  de 
Summation  (Voir  les  indications  bibliographiques  dans  mon  mémoire  sur  l'addition 
latente,  loc.  cit.]  Ces  savants  avaient  en  effet  établi  que  des  excitations  répétées  et  fré- 
quentes agissent  sur  la  moelle  de  manière  à  provoquer  une  réponse  réflexe,  plus  effi- 
cacement que  si  elles  sont  isolées  et  séparées  par  un  long  intervalle,  l'intensité  restant 
la  même.  Tarchanoff  avait  aussi  montré  que,  dans  l'appareil  modérateur  du  cœur  (ter- 
minaisons du  pneumogastrique),  il  se  faisait  aussi  une  sommation,  ou  addition  latente 
des  excitalioos. 

En  étudiant  la  réaction  de  la  sensibilité  aux  excitations  électriques,  j'ai  retrouvé 
cette  même  loi.  Si  l'on  excite  la  peau  d'un  individu  par  un  courant  électrique,  j'ythmé 
à  1  par  seconde,  je  suppose,  et  gradué  en  intensité  de  manière  à  être  à  la  limite  même 
de  l'excitation,  on  constatera  que  le  courant  n'est  pas  perçu.  Mais,  si  l'on  répète  fré- 
quemment ce  même  courant,  on  pourra  arriver  à  le  rendre  efficace;  si  bien  qu'une 
excitation  rythmée  à  1  par  seconde  n'est  pas  perçue,  mais  que  celle  même  excitation, 
rythmée  à  20  par  seconde,  est  nettement  perçue  et  provoque  une  sensation  forte,  même 
douloureuse. 

Tout  se  passe  donc  comme  si  les  premières  excitations,  inefficaces  en  apparence, 
provoquaient  seulement  une  excitabilité  plus  gi'ande  (et  latente)  de  l'appareil  sensitif 


ADDITION.  l-i9 

central;  de  même  que  pour  le  muscle,  elles  ne  détermineni,  qu'une  moditlcaLion  lalcnle 
de  l'excitabilité. 

J'ai  donc  pu  en  conclure  cette  loi  très  générale  que  le  système  nerveux,  sensitit 
central  placé  à  la  terminaison  des  nerfs  sensitifs,  et  le  système  musculaire,  placé  à  l'ex- 
trémité des  nerfs  moteurs,  présentent,  par  leur  réaction  aux  excitations  périphériques, 
une  remarquable  analogie. 

L'addition  latente  semble  être  en  effet  un  phénomène  commun  à  toutes  les  cellules 
excitables.  Je  l'ai  constatée  nettement  par  l'excitation  directe  des  centres  nerveux 
(Ch.  RiCHET.  Circonvolutions  cérébrales.  Thèse  d'agrégat,  de  Paris,  1878).  J'avais  supposé 
qu'elle  était  spéciale  à  la  substance  grise  nerveuse  et  qu'on  ne  la  retrouvait  pas  dans  la 
substance  blanche;  mais  M.  Fr.  FR.\iN'CK  a  montré  {Fonctions  motrices  du  cerveau,  1887,  p.  52) 
que  la  substance  blanche  était,  elle  aussi,  capable  d'addition  latente.  A  la  vérité  le  remar- 
quable exemple  qu'il  donne  [loc.  cit.,  flg.  22,  p.  bl)  est  un  phénomène  d'excitation  latente 
de  la  substance  grise,  qui  paraît  décidément,  plus  que  la  substance  blanche,  susceptible  de 
présenter  le  phénomène  de  l'addition  latente,  quoique  la  substance  blanche  le  présente 
aussi.  De  même,  c'est  encore  la  substance  grise  qu'ont  excitée  MM.  Bubnoff  et  HEiDEiNiiAiN 
(Erregungs  und  Henimungsvorgdnge  in  den  motorischen  Hirncentren.  A.  Pf.,  1888,  t.  xvi); 
et  ils  y  ont  constaté  très  clairement  l'excitation  latente.  Ils  ont  même  donné  un  chiffre 
pour  indiquer  la  durée  maximum  pendant  laquelle  l'addition  latente  peut  se  faire,  soit 
environ  3  secondes.  Au  delà  de  3  secondes  d'intervalle  entre  les  excitations,  l'effet  est 
le  même,  soit  qu'on  les  laisse  à  cette  distance,  soit  qu'on  les  éloigne  encore  davantage. 

Un  cas  particulièrement  intéressant  de  cette  addition  latente,  c'est  l'addition  des 
excitations  lumineuses.  Dans  un  travail  fait  en  collaboration  avec  A.  Breguet,  en  1881, 
j'ai  montré  que,  si  une  lumière  très  faible  ne  vient  frapper  la  rétine  que  pendant  un 
espace  de  temps  très  court,-  elle  n'est  pas  perçue  [Trav.  du  laborat.,  t.  i,  p.  112).  On 
peut  considérer  cette  lumière  de  courte  durée  comme  durant  un  millième  de  seconde  et 
constituant  alors  une  excitation  unique,  comparable  au  point  de  vue  de  sa  durée  au 
moins,  à  une  excitation  électrique.  Cette  excitation,  si  elle  est  unique,  est  insuffisante  à 
provoquer  une  perception;  mais,  si  on  la  répète  plusieurs  fois  de  suite,  rapidement,  la 
perception  a  lieu.  Ainsi,  une  excitation  visuelle,  faible  et  très  courte,  si  elle  est  isolée, 
ne  provoque  pas  de  perception,  tandis  que  la  même  excitation  répétée  fréquemment 
est  nettement  perçue.  M.  Bloch  {B.  B.,  1885,  p.  494)  a  répété  cette  expérience  et  cons- 
taté qu'avec  une  vision  dont  la  durée  est  de  1/1119°  de  seconde,  un  papier  blanc  éclairé 
par  une  bougie  à  l™,6.ï  de  distance  est  invisible  quand  la  fente  par  laquelle  on  regarde 
est  de  1  demi-millimètre.  M.  Chaupentier  [B.  B.,  1887,  p.  3)  a  aussi  constaté  cette  même 
loi  de  l'addition  latente  des  excitations  lumineuses  à  l'aide  d'une  méthode  que  je  ne 
puis  décrire  ici.  Il  a  vu  que  pour  des  lumières  vues  pendant  plus  de  1  huitième  de 
seconde,  il  n'y  avait  plus  d'addition  latente,  et  que  les  lumières  de  cette  durée,  ou  d'une 
durée  plus  grande,  pouvaient  être  considérées  comme  des  lumières  fixes,  au  point  de 
vue  de  la  perception. 

Il  résume  son  intéressant  mémoire  en  disant  que  Vintensité  lumineuse  apparente  des 
lumières  de  courte  durée  est  proportionnelle  au  temps  pendant  lequel  elles  agissent  sur  la 
rétine. 

Il  est  probable  qu'il  en  serait  de  même  pour  les  perceptions  auditives;  mais  je  ne 
connais  pas  de  travaux  qui  ont  été  faits  à  ce  sujet. 

Il  est  certain  que,  de  toutes  les  cellules,  les  cellules  nerveuses  de  la  substance  gii=e 
sont  celles  sur  lesquelles  se  manifeste  ce  phénomène  avec  le  plus  de  netteté.  J'en  ai 
donné  un  exemple  remarquable  pour  les  ganglions  nerveux  de  l'écrevisse  (Fhys.  des 
muscles  et  des  nerfs,  fig.  91,  p.  86.)  On  peut  la  bien  observer  en  étudiant  les  réactions 
d'une  grenouille  intacte  à  l'excitant  électrique  appliqué  sur  la  peau.  Alors  on  voit  clai- 
rement que  les  excitations  isolées  sont  tout  à  fait  inefficaces  et  qu'il  faut  les  rendre 
extrêmement  fortes  pour  les  rendre  efficaces;  tandis  que  des  excitations  répétées  et  fré- 
quentes, même  assez  faibles,  provoquent  tout  de  suite  un  mouvement  de  fuite  et  de 
défense  de  la  grenouille  (Ch.  Hichet.  Des  mouvements  de  lu  grenouille.  Travaux  du  laborat., 
1893,  t.  1,  p.  96,  flg.  46).  On  pourra  aussi  consulter  sur  un  point  analogue  un  intéressant 
travail  de  MM.  Cad  et  Goldscheider  {Summation  von  Eautreizen.  A.  Db.,  1891,  p.  101),  qui 
montrent  que  la  sensation  électrique  douloureuse  est  bien   plus  susceptible  d'addition 


ISO 


ADDITION. 


-  Réaction  à  la  force  F  (sohén 


latente  que  la  perception  même  de  l'excitation  électrique.  Tout  se  passe  comme  si  les 
centres  nerveux  où  réside  la  douleur  ne  parvenaient  à  être  ébranlés  que  par  une  somme 
d'excitations  discontinues,  plutôt  que  par  une  excitation  unique,  si  forte  qu'elle  puisse  être. 
C'est  d'ailleurs  à  une  conclusion  analogue  que  j'étais  arrivé,  dans  mes  reciierches  sur 
la  sensibilité  [D.  P.,  1877,  p,  180  et  suiv.). 

Il  semble  que  le  phénomène  de  l'addition  latente  dépende  principalement  du  reten- 
tissement d'une  excitation  unique.  Si  l'ébranlement 
produit  par  cette  unique  excitation  (qu'elle  soit  forte 
ou  faible)  est  prolongé,  alors  les  excitations  d'un 
rythme  un  peu  fréquent  qui  succéderont  à  la  pre- 
mière pourront  frapper  le  tissu  avant  qu'il  soit  revenu 
à  sa  situation  initiale  de  repos;  et  l'addition  latente 
pourra  se  faire,  par  suite  précisément  de  l'accroisse- 
i).  ment  d'excitabilité,  qui  est  dans  toute  cellule  en  voie 
de  réponse  à  l'excitation.  J'ai  appelé  ce  retentisse- 
ment d'une  excitation  unique,  mûmoire  élémentaire,  et  j'en  ai  donné  quelques  exem- 
ples. On  peut  ainsi  rattacher,  au  moins  théoriquement,  le  fait  fondamental  de  la  mé- 
moire, propriété  des  centres  nerveux  intellectuels,  au  phénomène  beaucoup  plus  simple 
de  la  contraction  musculaire.  Le  fameux  axiome  :  sublatd  causa  tollUur  effectus,  est  abso- 
lument erroné,  et  l'effet  persiste  longtemps  après  que  la  cause  qui  l'a  provoqué  a  disparu. 
Une  cloche,  qu'un  coup  de  marteau  a  fait  vibrer,  continue  longtemps  sa  vibration,  après 
que  le  marteau  ne  la 
frappe  plus.  De  même, 
une  cellule  nerveuse,  et 
même  une  cellule  mus- 
culaire, continuent  à 
vibrer  longtemps  après 
que  la  cause  excitatrice 
est  éteinte.  La  seule 
différence  qui  existe  à 
ce  point  de  vue  entre 
les  divers  tissus,  c'est 
que  la  vibration  consé- 
cutive à  l'excitation  est  plus  ou  moins  prolongée;  très  courte  pour  le  muscle  et  le  nerf 
conducteur,  très  longue,  au  contraire,  pour  les  centres  nerveux  cellulaires. 

Le  fait  de  l'addition  latente  a  une  assez  grande  importance  théorique,  parce  qu'il 
nous  permet  de  nous  faire  quelque  opinion  sur  le  mode  de  réaction  des  cellules  à  l'exci- 
tation (Voy.  Ch.  RiCHET.  Psychologie  générale,  2"  édit.,  1891,  p.  18). 

On   doit  en  effet  admettre  qu'une  cellule   est  dans  un  certain  état  d'équilibre  que 

chaque  excitation,  faible 
ou  forte,  vient  déran- 
ger. Mais,  si  l'excitation 
est  faible,  elle  ne  pourra 
vaincre  l'inertie  cellu- 
laire. Supposons  que 
cette  inertie  cellulaire 
soit  égale  en  intensité 
à  AM  (fig.  23)  ;  tant  que 
la  force  excitatrice  sera  • 
inférieure  à  AM,  l'équi- 
libre cellulaire  ne  sera  pas  détruit,  et  il  n'y  aura  que  des  modifications  imperceptibles 
dans  l'état  de  la  cellule.  Si,  au  contraire,  la  force  excitatrice  a  une  intensité  AF,  l'équi- 
libre sera  vaincu,  il  y  aura  une  l'éponse  qui,  extérieurement,  aura  la  forme  de  la  courbe 
fiAa',  alors  qu'en  réalité  la  vraie  forme  de  la  courbe  sera  Ak't.  De  là  le  relard  Ma  de 
la  réponse;  de  là  la  possibilité  d'un  trouble  de  l'équilibre  plus  long  que  ne  semblerait 
l'indiquer  la  courbe  extérieure  du  mouvement. 

Si,  au  lieu  d'une  force  supérieure  à  AM,  nous  faisons  agir  une  force  plus  petite,  elle 


Fig.  24.  —  Réaction  à  deux  forces  successives  (schéma). 


latente)  (schéma). 


ADENINE.   —   AERATION.  151 

tléterrainera  une  vibration  latente,  mais  réelle;  et  l'addition  de  ces  forces  en  apparence 
inactives  va  déterminer  finalement  une  réponse.  Sur  le  schéma  que  nous  donnons 
(fig.  23),  les  trois  premières  excitations  ne  sont  pas  parvenues  à  vaincre  la  résistance  inté- 
rieure delà  cellule;  et  elles  n'ont  déterminé  aucun  mouvement, mais  en  M,  au  milieu  de 
la  quatrième  excitation,  l'inertie  cellulaire  est  enfin  vaincue,  et  il  en  résulte  une  courbe 
M'A""A""'a;  les  forces  excitatrices  isolées  F, F', F", F'",  etc.,  étant,  si  elles  sont  seules, 
insuffisantes  à  déterminer  une  réaction  quelconque  de  la  cellule,  par  suite  de  son 
inertie  propre. 

En  définitive,  le  phénomène  de  l'addition  latente  est  commun  à  toutes  les  cellules 
de  l'organisme,  et  il  éclaire  bien  des  faits  de  la  psychologie  et.de  la  physiologie  (Voir 
pour  plus  de  détails  les  articles  Muscles,  Myographie,  Psychologie). 

CH.  RICHET. 

ADENINE.  —  Base  organique  découverte  par  Kossel,  en  188o,  qui  étudiait 
les  produits  de  dédoublement  de  la  nuclcinc. 

Elle  a  pour  formule  C'Az-'H'  :  elle  est  peu  soluble  dans  l'eau  froide,  très  soluble 
dans  l'eau  chaude;  elle  forme  avec  les  acides  des  sels  bien  définis  qui  cristallisent  faci- 
lement. Elle  appartient  à  la  série  xanLhique  et  a  des  rapports  particulièrement  étroits 
avec  Vhypoxanthinc,  C^Az'>H*0.  L'étude  de  ses  dérivés  a  montré  qu'on  doit  la  consi- 
dérer comme  Vimide  d'un  radical  hypothétique,  C-'Az'*H'', AzH,  dont  l'hypoxanthine 
serait  l'oxyde.  Divers  processus  d'oxydation,  la  putréfaction,  l'action  de  l'acide  azoteux, 
la  transforment  en  hypoxanthine.  Au  contact  des  alcalis  caustiques  réagissant  à  haute 
température,  elle  donne  des  cyanurcf,  alcalins. 

Vadénine  a  été  retirée  d'abord  par  Kossel  d'une  préparation  de  pancréas  bouilli 
avec  de  l'acide  sulfurique  étendu;  on  l'obtient  de  même  de  tous  les  organes  animaux 
dont  les  tissus  sont  riches  en  cellules  jeunes,  c'est-à-dire  en  nucléine;  elle  y  accom- 
pagne la  guanine,  la  xanthine  et  l'hypoxanthine.  Kronecker  l'a  trouvée  dans  la  rate, 
les  ganglions  lymphatiques  et  les  reins  du  veau;  Schindler  dans  le  thymus  du  même 
animal, et  ici  en  très  grande  proportion  :  Stadthagen  dans  la  rate  et  le  foie  d'un  malade 
leucémique  (le  foie  de  l'adulte  sain  n'en  contiendrait  pas).  Elle  existe  aussi  dans  les 
plantes,  notamment  dans  les  feuilles  du  thé,  à  côté  de  la  caféine,  autre  base  xanthique. 
Dans  l'extrait  du  thé,  ïadéninc  existe  toute  formée;  dans  les  tissus  animaux,  il  est 
possible  qu'elle  se  forme  au  moins  en  grande  partie,  pendant  la  première  phase  de  la 
préparation. 

L'adénine  ne  paraît  pas  être  toxique. 

Bibliographie.  —  A.  Kossel.  Weitere  Bcitrûge  zur  Cheniie  des  Zellkerns  (Z.  P.  C, 
1886,  t.  X,  248).  —  Idem.,  Veber  das  Adenin  [ibid.,  1888,  t.  xn,  p.  241).  —  S.  Schindler, 
Beitràge  zûr  Kenntnitis  des  Adenins,  Guanins,und  ihrer  Derivate  {ibid.,  1889,  t.  xiii,  p.  4.33). 
—  Kno.^ECKER.  TJeber  die  Yerbreitiing  des  Adenins  in  den  thierischen  Organen  {A.  V.,  t.  cvii, 
p.  207).  —  Stadthagen.  Veber  das  Vorkommen  der  Harnsaùre  in  verschiedenen  thierischen 
Organen,  ihr  Verhalten  bel  Leukamie,  und  die  Frage  ihrer  EnUtehung  ans  denStlckstoffbascn 
(A.  V.,  t.  cix,  p.  390).  — Lambling,  art.  Adénine  (D.  W.,  2«suppl.). 

L.   L. 

ADONIDINE.  —  Glucoside  extrait  de  Z'Adomsvernaiis.  D'après  les  expériences 
de  Buiixow  (/i.  S.  M.,  t.  xiv,  p.  309),  l'extrait  aqueux  d'Adonis  vernalis  arrête  le  cœur  do 
la  grenouille  en  systole. 

L'opinion  des  médecins  qui  l'ont  expérimenté  ensuite  (Dujardin-Beaumetz,  Huchard) 
est  que  l'action  de  cette  substance  ressemble  à  celle  de  la  digitaline. 

AERATION.  —  Les  conditions  de  l'aération  ne  sont  qu'assez  indirectement 
afférentes  à  l'étude  physiologique.  En  effet,  comme  nous  allons  le  montrer,  les  prescrip- 
tions de  l'hygiène  et  les  enseignements  de  la  physiologie  expérimentale  ne  sont  pas  tout 
à  fait  d'accord  ;  mais  il  est  clair  que  ce  désaccord  n'est  qu'apparent. 

Si  l'on  cherche  à  préciser  combien  de  temps  un  animal  peut  vivre  dans  l'air  confiné, 
on  voit  qu'il  faut  une  diminution  de  plus  de  1  p.  100  d'oxygène  pour  qu'il  y  ait  malaise 
véritable,  et,  quant  à  l'acide  carbonique,  il  faut  au  moins  10  p.  100  de  ce  gaz  pour  qu'il 


lot!  AERATION. 

y  ait  quelque  gêne  respiratoire;  mais  il  ne  faut  pas  en  conclure  que  la  respiration  d'un 
air  confiné  où  il  n'y  a  plus  que  19  p.  100  d'oxygène  soit  inoffensive.  Au  contraire,  cet  air 
est  évidemment  très  malsain,  pour  des  raisons  que  nous  allons  développer. 

A  supposer  qu'un  homme  adulte  consomme  20  litres  d'oxygène  par  heure,  ce  qui  est 
un  chiffre  sensiblement  exact,  il  s'ensuivrait  que  10  mètres  cubes  seraient  absolument 
suffisants,  même  eu  admettant  que  le  renouvellement  par  les  fissures,  fenêtres  et  che- 
minées serait  tout  à  fait  nul.  Mais  ce  n'est  pas  le  cas,  et,  si  l'on  mettait  dans  un  espace 
hermétiquement  clos  de  100  mètres  cubes  dix  individus  pendant  une  heure,  l'air  devien- 
drait à  la  fin  absolument  irrespirable. 

C'est  qu'en  effet  d'autres  éléments  interviennent  que  la  consommation  d'oxygène  et  la 
production  d'acide  carbonique.  D'abord  la  transpiration  cutanée,  qui  produit  de  la  va- 
peur d'eau,  et  des  substances  odorantes  plus  ou  moins  fétides,  puis  la  transpiration  pul- 
monaire qui  produit  de  la  vapeur  d'eau,  et  peut-être  ce  subtil  poison  que  BROWN-SÉnuARD 
etd'ÂRSONVAL  admettent  dans  les  exhalations  pulmonaires;  puis  toutes  les  exhalations  ga- 
zeuses de  l'intestin.  Toutcet  ensemble  constitue  un  air  peu  respirable,  qui,  tout  en  n'étant 
pas  franchement  toxique,  est  au  moins  fort  peu  agréable  à  respirer.  Un  physiologiste 
allemand  a  même  prétendu  que  cet  air  confiné  agissait  par  son  odeur  même.  Il  serait  si 
désagréable  à  respirer  qu'il  empêcherait  les  grandes  inspirations,  efficaces  et  salutaires, 
et  alors  la  respiration  serait  empêchée,  par  une  sorte  de  retenue  involontaire  de  notre 
eff'ort  inspiratoire. 

Ce  ne  sont  donc  pas  les  études  physiologiques  sur  le  besoin  d'oxygène  et  la  toxicité  de 
l'acide  carbonique  qui  pourront  nous  donner  l'indication  de  la  quantité  d'air  qu'il  faudra 
donner  à  des  individus,et,  de  fait,  dans  des  salles  où  il  y  a  toujours  renouvellement  très 
abondant  de  l'air,  on  admet  comme  minima  des  chiffres  bien  supérieurs  à  ceux  que  la 
physiologie  expérimentale  nous  fournit  comme  suffisants. 

L'Assistance  publique,  d'après  Bouchardat  {Traité  d'hygiène,  p.  7'24)  exige  70  mètres 
cubes  d'air  par  heure  et  par  personne.  Dans  la  construction  des  casernes,  on  demande 
10  mètres  cubes  en  France  et  18  mètres  cubes  en  Allemagne;  le  conseil  de  salubrité  en 
demande  20. 

Il  semble  que  ces  chiffres  soient  encore  beaucoup  trop  faibles;  car  d'autres  causes  que 
la  respiration  contribuent  à  altérer  l'air  des  lieux  clos,  les  fermentations  qui  peuvent  se 
produire  par  la  présence  de  toute  matière  organique,  déjections,  aliments,  etc.,  émana- 
tions venant  du  plancher,  des  murs  ou  des  conduites  de  gaz,  fumées  venant  des  chemi- 
nées, des  poêles,  avec  quelquefois  des  gaz  toxiques,  poussières  de  toutes  sortes,  d'autant 
plus  abondantes  que  le  nombre  des  personnes  est  plus  grand  et  que  l'agitation  de  l'air 
est  plus  considérable,  voilà  bien  des  raisons  pour  que  l'air  confiné  soit  franchement  mal- 
sain. 

Pour  s'en  rendre  compte,  il  suffit  de  se  rappeler  quel  bien-être  on  éprouve  quand,  au 
sortir  d'une  salle  remplie  de  monde,  on  revient  à  l'air  frais  et  pur  du  dehors;  c'est  un 
air  vivifiant  qu'on  respire  à  pleins  poumons,  comme  on  dit,  et,  inversement,  quand  on 
pénètre  dans  une  salle  fermée,  une  chambrée  de  caserne  le  matin,  ou  une  salle  de  théâtre, 
vers  la  fin  du  spectacle,  on  a  quelque  peine  à  s'habituer  à  respirer  cet  air  pestilentiel. 

Ces  faits  sont  indéniables;  mais  l'explication  physiologique  rigoureuse  n'est  pas  fa- 
cile à  donner  ;  et  il  faut  de  toute  nécessité  admettre  qu'il  y  aune  cause  de  viciation  autre 
que  les  changements  de  proportion  de  l'oxygène  et  de  facide  carbonique. 

En  tout  cas,  au  point  de  vue  de  l'hygiène,  il  est  bien  évident  que  l'aération  des  lieux 
clos  est  indispensable,  et  que,  pour  la  parfaite  santé,  ce  n'est  pas  10  mètres  cubes,  mais 
plutôt  100  mètres  cubes  par  heure  et  par  personne  qui  seraient  nécessaires. 

Au  point  de  vue  de  l'aération,  les  microbes  jouent  aussi  un  certain  rôle.  Dans  des 
chambres  fermées,  surtout  s'il  y  a  réunion  de  plusieurs  personnes  qui  s'agitent,  et 
remuent  les  objets  divers,  les  microbes  des  poussières  volent  dans  fatmosphère.  Mais,  en 
tout  cas,  ce  ne  sont  pas  les  personnes  mêmes  qui  sont  l'origine  de  ces  microbes.  En  effet, 
il  est  bien  prouvé  que  la  respiration  à  travers  le  poumon,  au  lieu  d'augaienter  le  nombre 
des  microbes,  tend  au  contraire  à  les  diminuer,  et  pour  ainsi  dire  à  les  filtrer  et  tamiser, 
si  bien  que  l'air  sortant  du  poumon  est  à  peu  près  optiquement  pur. 

L'importance  d'une  aération  active  au  point  de  vue  de  la  santé  est  bien  prouvée  par 
ces  observations  de  quelques  médecins  qui  ont  recommandé  à  leurs  malades,  même  tu- 


AEROBIE   —   AEROTONOMETRE.  153 

berculeus,  découcher  avec  la  fenêtre  ouverte;  il  paraît  que  les  effets  en  ont  été  excellents. 
Pour  que  l'air  ne  soit  pas  trop  froid,  il  suffît  de  mettre  à  la  fenêtre  une  grille  métallique. 
La  grille  métallique,  tout  en  n'opposant  aucun  obstacle  au  passage  de  l'air,  empêche  le 
froid  de  pénétrer;  car,  par  suite  de  leur  très  faible  chaleur  spécifique,  les  gaz  de  l'air  se 
réchauffent  dès  qu'ils  passent  par  les  interstices  de  la  grille. 

Les  hygiénistes  distinguent  dans  la  ventilation  ou  aération  des  lieux  habités  la  ven- 
tilation natwelle  et  la  ventilation  artificielle.  La  ventilation  naturelle  peut  être  S'pon- 
lanée,  ou  provoquée,  suivant  que  la  volonté  intervient  ou  non  pour  le  renouvellement  de 
l'air. 

La  ventilation  spontanée  est  due  aux  maljoints  des  portes  et  fenêtres.  Elle  est  d'autant 
plus  active  qu'il  y  a  appel  d'air  par  une  cause  quelconque,  soit  une  diiïérence  de  tempé- 
rature entre  l'air  de  la  chambre  et  l'air  extérieur,  soit  par  l'instillation  d'une  chemi- 
née dans  laquelle  est  allumé  du  feu-  La  ventilation  est  provoquée  quand  les  fenêtres 
sont  ouvertes,  et  surtout  quand  il  y'a  plusieurs  fenêtres  ouvertes  dans  la  même  pièce. 
Alors  la  ventilation  est  maximum,  pour  ainsi  dire,  et  absolument  suffisante  dans  tous 
les  cas. 

Pour  la  ventilation  artificielle,  elle  est  rarement  utile  ou  nécessaire  aux  habitations 
bourgeoises.  C'est  surtout  dans  les  tunnels,  égoûts,  usines,  mines,  etc.,  que  ces  moyens 
doivent  être  employés.  Beaucoup  d'appareils  ont  été  imaginés;  mais  nous  n'avons  pas  à 
nous  en  occuper  ici.  On  les  trouvera  décrits  dans  ÏEncyclopëdie  d'hygiène,  par  M.  E.  Roch.^rd 
(t.  in,  p.  01)7). 

CH.  R. 

AEROBIE.  —  On  dit  d'un  être,  d'après  Pasteur,  qu'il  est  aérobie  quand  il  vit 
dans  l'air  libre,  ayant  besoin  d'air  ou  d'oxygène  libre  pour  vivre:  Cette  expression  s'ap- 
plique surtout  aux  organismes  microscopiques  qui  sont  tantôt  aérobies,  tantôt  anaéro- 
bies.  La  plupart  des  microbes  sont  aérobies  (Voyez  Fermentation). 

AEROTONOMETRE  (ir;p,  air;  -6\/oi,  pression;  tiE-pov,  mesure).  —  Appa- 
reil imaginé  par  Pfliigeb,  décrit  par  son  élève  Strassbuhger  {A.  Vf.  t.  vi,  p.  68,  1872)  et 
destiné  à  déterminer  la  valeur  de  la  tension  des  gaz  (0-,  C0-)  dans  le  sang  et  dans  les 
autres  liquides  de  l'économie. 

Le  principe  de  l'aérotonomètre  est  le  suivant:  lorsqu'un  liquide  se  trouve  en  contact 
avec  une  atmosphère  gazeuse  limitée,  il  tend  à  s'établir  pour  chaque  gaz  un  équilibre  de 
tension  entre  ce  gaz  dans  l'atmosphère  considérée  et  le  même  gaz  absorbé  par  le 
liquide.  Si  le  contact  est  suffisamment  prolongé,  l'équilibre  finira  par  être  atteint;  dans 
ce  cas,  la  pression  partielle  du  gaz  dans  l'atmosphère  limitée  indique  la  tension  du  gaz 
dans  le  liquide. 

L'appareil  se  compose  de  plusieurs  tubes  de  verre  verticaux  (de  60  centimètres  de 
long,  de  12  millimètres  de  diamètre  intérieur)  effilés  à  leurs  deux  extrémités  et  placés 
dans  un  bain  d'eau  maintenu  à  la  température  du  corps.  On  remplit  à  l'avance  chaque 
tube  avec  un  mélange  gazeux  de  composition  connue, puis  on  fait  arriver  par  leur  extré- 
mité supérieure  du  sang  sortant  directement  de  l'artère  ou  de  la  veine  d'un  animal 
vivant.  Le  sang  suinte  le  long  des  parois  du  tube,  et  tend  par  diffusion  à  se  mettre  en 
équilibre  de  tension  avec  les  gaz  contenus  dans  les  tubes.  On  laisse  couler  dans  chaque 
tube  environ  150  centimètres  cubes  de  sang  pendant  deux  à  trois  miimtes.  Le  sang 
s'écoule  par  l'extrémité  inférieure  de  chaque  tube,  extrémité  qui  plonge  sous  une  petite 
couche  de  mercure.  Après  l'expérience,  les  gaz  contenus  dans  les  tubes  sont  recueillis 
séparément  et  analysés. 

Exemple  (Exp.  III,  p.  73.  A.  Pf.,  vi)  :  Deux  tubes  de  l'aérotonomètre  sont  remplis  d'un 
mélange  d'azote  et  de  CO-,  l'un  A  contient  7,17  p.  100  CO -,  l'autre  B,  2, .36  p.  100  C0-. 
Après  le  passage  du  sang,  A  contient  2,91  p.  100  CO-  et  3,03  p.  100  0-;  B  contient 
2,68  p.  100  CO-  et  2,56  p.  100  0-.  La  tension  de  CO-  du  sang  était  donc  comprise  entre 
2,68  et  2,91  p.  100  d'une  atmosphère;  celle  de  l'oxygène  est  indéterminée,  mais  certai- 
nement supérieure  à  3  pour  100  d'une  atmosphère.  Deux  autres  tubes  A'  et  B'  contenant 
les  mêmes  mélanges  gazeux  avaient  été  en  même  temps  soumis  au  contact  du  sang  veineux 


ioi  AEROTONOMETRE. 

de  l'animal.  Après  l'expérience,  A'  contient  b,l3  p.  100  CO-  et  0,98  p.  100  0-,  B'  contient 
5,38  p.  100  CO-  et  1,74  p.  100  0-.  La  tension  de  CO-  du  sang  veineux  est  donc  voisine 
de  5,13  ou  0,38  p.  100  d'une  atmosphère,  celle  de  l'oxygène  est  supérieure  à  1,74  p.  100 
d'une  atmosphère. 

Strassburg  a  trouvé  comme  moyenne  (dix  expériences)  de  la  tension  de  CO-,  5,4  p.  100 
d'atmosphère  dans  le  sang  veineux  et  2,9  p.  100  d'atmosphère  dans  le  sang  artériel.  La 
tension  de  l'oxygène  était  au  moins  de  2,8  p.  100  d'une  atmosphère  dans  le  sang  vei- 
neux, au  moins  de  3,9  p.  100  d'une  atmosphère  dans  le  sang  artériel. 

La  coagulation  du  sang  s'accompagne  d'une  élévation  notable  de  la  tension  de  CO-, 
qui  monte  à  6  à  8  p.  100  d'atmosphère  pour  le  sang  veineux,  à  4  p.  100  d'atmosphère  pour 
le  sang  artériel. 

Strassburg  a  trouvé  pour  la  lymphe  du  canal  thoracique  ou  des  gros  troncs  lympha- 
tiques du  cou  une  tension  de  CO-,  inférieure  de  0,5  à  1  p.  100  à  celle  du  sang  veineux. 

La  tension  de  CO-  dans  les  produits  de  sécrétion  provenant  de  l'activité  cellulaire 
(bile,  urine)  ou  dans  les  cavités  tapissées  de  cellules  vivantes  a  été  trouvée  comprise 
entre  5  et  9  p.  100  d'une  atmosphère. 

Deux  autres  élèves  de  Pfluger,  Wolffbebg  (A.  Pf.  t.  vi,  p.  23,  1872)  et  Ndssbausi  {A. 
Pf.  1873,  t.  vu,  p.  296)  ont  fait,  par  le  procédé  de  l'aérolonomètre,  ou  par  des  procédés 
analogues,  de  nombreuses  déterminations  de  tension  de  CO-  dans  le  sang  veineux  du 
cœur  droit,  c'est-à-dire  dans  le  sang  qui  arrive  au  poumon  et  dans  le  sang  artériel, 
c'est-à-dire  dans  le  sang  qui  revient  du  poumon;  et  ils  ont  comparé  les  valeurs  trouvées 
avec  celles  de  la  tension  de  CO-  dans  l'air  qui  a  servi  à  la  respiration.  Ils  ont  constaté 
que,  chez  le  chien,  l'air  qui  revient  du  poumon  (dernières  portions  d'air  expiré)  présente 
sensiblement  la  même  tension  de  CO-  (2,8  p.  100  de  CO'-)  que  le  sang  artériel  qui  revient 
du  poumon  (2,8  p.  100  d'atmosphère).  Il  s'établit  donc,  en  vertu  des  lois  de  la  diffusion, 
un  équilibre  parfait  entre  la  tension  de  CO-  du  sang  et  de  l'air  au  niveau  des  alvéoles 
pulmonaires. 

L'absorption  par  les  capillaires  de  la  circulation  générale  du  CO-  formé  dans  les  tis- 
sus, son  exhalation  à  la  surface  du  poumon  et  son  élimination  dans  l'atmosphère  exté- 
rieure, s'expliquent  par  les  lois  de  la  diffusion  gazeuse,  qui  veulent  que  CO-  chemine  des 
endroits  à  tension  élevée,  vers  les  endroits  à  faible  tension.  En  effet  la  tension  de  CO^ 
peut  être  approximativement  représentée  chez  le  chien,  par  les  chiffres  suivants  : 

Tissus.  \  Sani:  veineux.  \        Air  îles  alvéùles.        \  Air  extérieur- 

(5  à  9  p.  tOO  At.)   /  (3,81  à. 5,4  p.  100  At.)    /    (2,8  p.  100  At.)     /  (0,03  p.  100  At.) 

Il  est 'donc  superflu  d'admettre,  comme  l'avaient  fait  C.  Ludwig,  Robin  et  Veudeil,  et 
d'autres, une  action  spécifique  du  tissu  pulmonaire  pour  expliquer  l'exhalation  de  CO-  à 
la  surface  du  poumon  ;  les  lois  physiques  de  la  diffusion  en  rendant  complètement  compte. 

Ajoutons  que  Wolffberg  et  iNussbaum  ont  constaté  que,  si  l'on  obstrue  une  bronchiole 
d'un  animal  vivant,  de  manière  à  empêcher  le  renouvellement  de  l'air  dans  une  portion 
du  poumon,  l'analyse  de  cet  air  confmé  montre  qu'il  présente  exactement  la  même  ten- 
sion de  CO-  que  le  sang  veineux,  soit  3,81  à  5,4  p.  100  d'une  atmosphère.  Ici  aussi  il  y 
a  établissement  d'un  équilibre  complet  de  tension  entre  l'air  des  alvéoles  et  le  sang. 

De  même,  l'absorption  d'oxygène  à  la  surface  pulmonaire  par  le  sang  veineux  et  son 
passage  à  travers  les  parois  des  capillaires  de  la  circulation  générale  pour  alimenter  le 
foyer  de  la  combustion  organique  et  de  la  production  de  CO^  s'expliquent  en  vertu  des 
lois  de  la  diffusion,  qui  veulent  que  l'oxygène  chemine  des  endroits  à  tension  forte  vers 
ceux  à  tension  faible  : 

Air  extérieur.  \      Air  des  alvéoles.      \  Sanï  artériel.  \  Tissus. 

(20,95  p.   100  At.)    /    (iSp.lOOAt.)    /    plus  de  3,9  p.  100  At.    /    tension  voisine   de    zéro. 

Il  semble,  d'après  les  chiffres  de  tension  d'oxygène  du  sang  artériel  trouvés  par 
Strassburg  (3,9  p.  100  d'atmosphère)  et  ceux  plus  récents  et  un  peu  plus  élevés  (10  p.  100 
d'atmosphère)  déterminés  également  au  moyen  de  l'aérolonomètre  par  Herter  {Zeits.  f. 
physiol.  Chemie,  1879,  t.  ni,  p.  98)  que  la  tension  de  l'oxygène  du  sang  artériel  est  infé- 
rieure à  celle  de  l'air  des  alvéoles  pulmonaires  et  que  l'équilibre  de  tension  de  l'oxygène 
est  loin  d'être  atteint  dans  le  poumon  entre  l'air  et  le  sang. 

Tel  était  l'état  de  la  question  lorsque  parurent  les  travaux  de  Bonn  {Skandin.  Arch. 


AEROTONOMÈTRE. 


f.  Phyaiol.  1891,  t.  ii,  p.  236;  C.  Ph.  1887,  t.  i.  et  1888,  t.  ii,  p.  437;  Sur  la  re^nration 
pulmonaire,  Bull.  acad.  royale  dan.  des  se.  et  des  kitrea,  2  nov.  1888,  p.  139).  Bohr  a  publié 
une  série  de  déterminations  de  tension  d'oxygène  et  de  CO-  dans  le  sang  artériel  du 
chien,  pour  montrer  que  souvent  la  tension  de  l'oxygène  y  est  pins  élevée  (plus  de  20 
p.  100  d'une  atmosphère)  et  celle  de  CO-plus  basse  (plusieurs  fois  tension  nulle  de  C0-) 
que  dans  l'air  des  alvéoles  pulmonaires.  Ici  donc  les  gaz  auraient  cheminé  dans  un  sens 
inverse  à  celui  que  demandaient  les  différences  de  tensions;  et  leur  transport  ne  pouvait 
plus  être  mis  sur  le  compte  de  la  diffusion,  comme  le  veut  la  théorie  de  Pflûger.  Bciim  s'ap- 
puie sur  ces  expériences  pour  assigner  au  tissu  du  poumon  un  rôle  actif  dans  l'absorption 
de  l'oxygène,  et  l'exhalation  de  CO-,  et  pour  comparer  la  fonction  respiratoire  de  l'épi- 
thélium  pulmonaire  à  la  fonction  secrétoire  des  épithéliums  glandulaires. 

Bohr  se  servit  pour  ses  expériences  de  chiens  dont  le  sang  était  rendu  incoagulable 
par  une  injection  intra-veineuse  de  peptone  ou  d'extrait  de  sangsue.  11  employa  comme 
aérotonomètre  une  forme  modifiée  du  grand  compteur  de  Ludin,  qu'il  appela  Hémato- 
aréomètre [Hâmatareometer  en  allemand).  Le  sang  arrivait  par  une  carotide  à  l'hémato- 
aréomètre,  s'y  met- 
tait en  contact  avec 
le  mélange  gazeux 
contenu  dans  l'ap- 
pareil, puis  retour- 
nait à  l'animal  par 
une  canule  fixée 
dans  un  autre  vais- 
seau, la  veine  fémo- 
rale par  exemple. 
La  persistance  de  la 
lluidité  du  sangper- 
metici  de  prolonger 
à  volonté  le  contact 
entre  la  minime  at- 
mosphère gazeuse 
de  l'appareil  et  le 
sang  qui  s'y  renou- 
velle constamment. 
Bohr  affirme  que  l'é- 
quilibre  entre  l'air  de 
r aérotonomètre  et  les 

gaz  du  sang  qui  y  afflue  s'établit  très  rapidement,  en  général  au  bout  de  quelques  minutes,  à 
cause  des  conditions  favorables  qui  facilitent  la  diffusion  (loc.  cit.,  p.  236)  ;  à  l'appui 
de  cette  assertion,  il  cite  un  certain  nombre  de  chiffres  fournis  aux  différents  moments 
d'une  même  expérience. 

Je  dois  avouer  que  l'examen  des  résultais  numériques  des  expériences  de  Bohr  me 
semble  au  contraire  indiquer  que  l'équilibre  de  tension  était  loin  d'être  atteint  à  la  fin 
de  chaque  expérience,  principalement  en  ce  qui  regarde  l'oxygène.  Ce  qui  me  frappe 
dans  ces  chiffres,  c'est  l'influence  considérable  exercée  sur  la  valeur  de  la  tension  trouvée 
dans  l'aérotonomètre  à  la  fin  do  Texpérience  (composition  finale  du  mélange  gazeux)  par 
latension  quiy  régnait  au  dcbut(composition  initiale  du  mélange  gazeux),  et  qui  avaitété 
choisie  arbitrairement  par  l'expérimentateur.  Tous  les  cas  où  la  tension  finale  de  CO^  fut 
trouvée  très  faible  (moins  de  l,o  p.  100  atmosphères)  sont  précisément  ceux  oii  cette 
tension  était  faible  au  début  de  l'expérience.  Les  deux  cas  où  cette  tension  finale  fut 
trouvée  =  0,  celui  oui  elle  était  presque  nulle  (0,14  p.  100  atmosphères)  correspondent 
à  trois  des  sis  expériences  où  la  tension  était  déjà  =  0  au  début.  Mêmes  remarques  pour 
les  valeurs  de  l'oxygène.  Le  graphique  ci-dessus  (fig.  26)  montre  nettement  la  relation 
existant  entre  les  valeurs  de  tension  de  l'oxygène  dans  l'atmosphère  de  l'aérotonomètre 
au  début  et  à  la  fin  de  chacune  des  expériences  de  Bohr. 

Cette  influence  ne  s'explique  qu'en  admettant  que  l'équilibre  de  tension  n'avait  pas 
eu  le  temps  d'être  atteint  pendant  la  durée  trop  courte  de  l'expérience. 


Fig.  26.  —  Courbes  roprcîsentant  les  tensions  d'oxygène  au  début  (trait  plein  mar- 
qué DL'hut]  et  à  la  ûa  (trait  interrompu  marqué  Fin)  des  expériences  de  Bohr. 
I,  H,  III.  etc.,  sont  les  numéros  d'ordre    des  expériences  (les   expériences   m, 
vin  et  XIV  n'ont  pas  fourni  de  valeur  d'oxygène). 
18',  i:V,  S',  durco  en  minutes  de  l'afflux  du  sang  dans  chaque  expérience. 

11,  12, 13  à  gauche,  échelle  de  la  tension  de  l'oxygène  en  centièmes  d'atmosphère. 


156 


AEROPLETHYSMOGRAPHE. 


J'ai  répété  les  expériences  de  Bohr  (CP/j.,  1893,  t.  vii,p.  33  et  1894,  t.  viii,  p.  34)  en  me 
servant  également  de  grands  chiens  dont  le  sang  avait  été  rendu  incoagulable  par  une 
injection  intra-veineuse  de  propeptone  (  0,2b  gr.  par  kilo  d'animal.)  Je  relie  la  carotide 
droite  et  la  jugulaire  du  même  côté  au  mo3'en  de  tubes  de  caoutchouc  d'un  demi-mètre 
de  long  avec  les  deux  extrémités  a  et  b  d'un  aérotonomètre  dont 
la  flg.  27  montre   la  disposition.  Le  sang   arrive   par  a,  suinte  à  la 
surface  du  tube  c,  se  rassemble  à  l'extrémité  inférieure  h  etretourne 
à  l'animal.  Le  tube  c  a  une  longueur  de  73  centimètres  et  une  con- 
tenance de  70  centimètres  cubes.  Il  est  rempli  au  début  d'un  mé- 
lange gazeux  de  composition  connue  (air  atmosphérique,  azote  pur, 
S     mélange  d'air  et  de  CO^,  mélange  d'azote  et  de  CO^,  etc.). 

R  est  un  réfrigérant  de  Liebig,  dans  lequel  on  fait  circuler  de 
l'eau  à  la  température  du  corps  de  l'animal  (+  39°).  Un  aide  tient 
l'appareil  à  une  hauteur  telle  (au-dessus  ou  au-dessous  de  l'animal)  que 
la  pression  intérieure  (le  tube  /  peut  servir  à  y  greffer  un  manomètre) 
correspond  sensiblement  à  la  pression  atmosphérique  extérieure;  il 
incline  l'appareil  et  lui  imprime  constamment  un  mouvement  lent 
^  cj  de  rotation  autour  de  son  axe  longitudinal,  afin  que  le  sang  qui  afflue 

par  a  se  répande  sur  toute  la  surface  intérieure  de  c  et  que  le  mé- 
lange gazeux  emprisonné  dans  l'appareil  soit  toujours  enveloppé 
d'une  couche  continue  de  sang  en  mouvement. 

On  prépare  deux  ou  trois  appareils  semblables  A,  B,  C,  chacun 
d'eux  devant  servir  à  une  expérience  d'une  heure  :  A  contient,  par 
exemple,  un  mélange  gazeux,  riche  en  CO-  et  pauvre  en  oxj'gène  ; 
B,  un  mélange  pauvre  en  oxygène  et  riche  en  CO-,  C  peut  contenir 
de  l'azote,  ou  de  l'air,  ou  tel  autre  mélange. 

J'ai  constaté  au  moyen  de  cet  appareil  que,  même  après  une  heure 
d'expérience  et  malgré  les  conditions  extrêmement  favorables  de 
mon  aérotonomètre  à  la  diffusion,  l'équilibre  de  tension  de  l'oxygène 
n'est  pas  atteint  complètement,  si  la  tension  initiale  de  l'oxygène 
dans  raérotonomètre  était  très  basse  (azote  pur)  ou  très  élevée  (air 
atmosphérique  avec  20,9  p.  100  atmosphères).  La  tension  de  l'oxygène 
du  sang  artériel  peptonisé  est  inférieure  de  plusieurs  centièmes  d'at- 
-i^  -^  mosphère  à  celle  de  l'air  des  alvéoles  pulmonaires.  Elle  oscille  en 

général  entre  10  et  Vi  p.  100  d'une  atmosphèie.  Celle  de  CO-  est  voi- 

FiG.  27.  —  Aérotono-       *"•  j      n  i  nn     i'  j.  i   '  t  j  '  >    ^ 

mètre deFEEDERicQ       ^'"®  de  3  p.  100  d  une  atmosphère  et  correspond   par  conséquent  a 

la  valeur  déterminée  par  les  élèves  de  PrLiiGER  pour  le  sang  normal 

et  à  celle  admise  par  Grandis  {A.Bh.,  1891,  p.  499)  pour  le  sang  artériel  peptonisé. 

Les  recherches  de  Bohr  ne  peuvent  donc  être  considérées  comme  constituant  une  réfu- 
tation des  travaux  des  élèves  de  Pfluger,  et,  jusqu'à  preuve  du  contraire,  on  est  autorisé 
à  admettre  avec  Pfluger  que  ces  échanges  gazeux  dont  le  poumon  est  le  siège  ne  relèvent 
que  des  lois  physiques  de  la  diffusion  des  gaz,  en  vertu  desquelles  tout  gaz  tend  à  che- 
miner des  endroits  à  forte  tension  vers  ceux  à  faible  tension. 

Bibliographie.  —  Pfluger.  Ueber  die  Diffusion  des  Sauerstoffs,  dcn  Ort  und  die 
Gesetze  dcr  O.cydatioyisprocesse  im  thierischen  Organismus.  A.  Vf.,  t.  vi,  p.  43.  —  Fleischl. 
V.  Marxow.  Die  Bedeutimçj  des  Herzschlagcs  fur  die  Athmung,  Stuttgart,  1887.  —  Zuntz. 
Ueber  die  Krafle,  welche  den  respiratorischen  Gasaustaysch  in  den  Lungen  und  in  den  Gewe- 
ben  des  liôrpcrs  vermiUeln.  A.  Pf.,  1888,  t.  XLii,p.  408,  et  les  mémoires  cités.  Voir  aussi 
pour  les  déterminations  de  tension  des  gaz  du  sang  par  d'autres  méthodes  que  celle  de 
l'aérotonométre  :  Holmgren.  Wiener  Sitz.ungsber.,  1863,  t.  xlviii,  2°  part.,  p.  640.  — 
Gaule.  A.  Db.,  1878,  p.  470.  —  Grandis.  A.  Db.,  1891,  p.  499.  —  G.  Hufner.  Zeit.  f.- 
physiol.  Chemic.  t.  xii,  p.  b68,  t.  xiii,  p.  283. 

LÉON  FREDERICQ. 


AEROPLETHYSMOGRAPHE  ('A.;?  air;  nXr,Oc;iJ.o; ,  accroissement, 
Ypaçï]',  écriture  ou  inscription  du  volume  respiratoire).  —  Pour  mettre  en  évidence 
les  changements  de  volume  du  Ihorax  pendant  la  respiration  chez  les  animaux  et  chez 


AEROPLETHYSMOCRAPHE.  137 

l'homme  suivant  son  étendue  et  sa  durée,  on  se  sert  de  l'aéropléthysmograpbe. 
Celui-ci  se  compose  d'une  boîte  rectangulaire  avec  p.arois  doubles.  Entre  les  parois 
doubles  il  y  a  de  l'eau  et  dans  l'intérieur  de  la  boîte  se  trouve  de  l'air.  Ici  s'abouche  au 
fond  ou  à  la  paroi  postérieure  un  tube  à  air.  Un  mince  couvercle  de  mica  dont  les  bords 
recourbés  plongent  dans  l'eau  et  qui  tourne  autour  d'un  axe  qui  se  trouve  au-dessus  de 
la  paroi  postérieure,  ferme  l'espace  d'air  en  haut. 

Si  l'on  souffle  et  si  l'on  aspire  alternativement  dans  le  tube  à  air,  le  couvercle  qui 
est  muni  sur  le  prolongement  d'un  de  ses  bords  longitudinaux  supérieurs  d'une  plume, 
se  soulève  ou  s'abaisse  suivant  le  cas,  et  de  cette  manière  peut  tracer  sur  un  cylindre 
enfumé  ses  mouvements.  Le  couvercle  doit  être  en  équilibre  dans  toutes  les  positions. 
Pour  arriver  à  ce  but  on  le  fait  de  mica  très  mince.  A  cause  de  ia  minceur  des  parois  du 
couvercle  le  volume  de  l'eau  déplacée  est  très  petit,  par  conséquent  son  soulèvement 
également  très  petit  et  les  changements  du  soulèvement  dans  diiféreiites  immersions  sont 
encore  plus  petits.  La  valeur  des  ordonnées  des  courbes  que  le  couvercle  trace  pendant 
son  mouvement  est  déterminée  empiriquement  en  centimètres  cubes.  Si  l'on  respiraitdirec- 
tement  par  le  tube  à  air  de  l'aéropléthysmographe,  la  ventilation  des  poumons  serait 
très  insuffisante  à  cause  de  la  petitesse  de  l'espace.  A  cause  de  cela  on  fait  respirer  l'ani- 
mal ou  l'homme  dans  un  récipient  correspondant  dans  lequel  on  renouvelle  l'air  durant 
les  intervalles  de  l'expérience  et  qui  est  mis  en  rapport  avec  le  tube  à  air  par  un  tube 
de  caoutchouc.  Dans  les  courbes  que  donne  ainsi  l'aéropléthysmographe  les  ascensions  si- 
gnifient les  expirations,  et  les  abaissements  les  inspirations. 

D'après  les  courbes  du  volume  qu'on  obtient  pendant  la  respiration  normale  d'un  homme 
sain,  on  voit  que  l'inspiration  s'elTectue  plus  rapidement  que  l'expiration;  la  première 
est  pendant  toute  sa  durée  égale,  tandis  que  l'expiration,  quoiqu'elle  commence  brus- 
quement, devient  de  plus  en  plus  superficielle.  A  la  fin  de  celle-ci  le  mouvement  aérien 
est  très  faibleou  nul,  et  onpeut  avec  justice  nommer  cette  phase  respiratoire  une  pause; 
pendant  la  respiration  normale,  dont  la  fréquence  chez  l'homme  est  de  16  par  minute, 
cette  pause  est  à  peine  marquée.  Lorsque  la  respiration  est  moins  fréquente,  par  exemple 
pendant  le  sommeil,  c'est  précisément  la  durée  de  la  pause  qui  augmente.  La  distance 
perpendiculaire  entre  les  sommets  et  les  dépressions  de  cette  courbe  mesure  la  grandeur 
dont  le  volume  du  thorax  à  la  fin  d'une  inspiration  normale  dépasse  le  volume  du  thorax 
à  la  fin  d'une  expiration  ordinaire;  et  on  nomme  cette  grandeur  air  respiratoire.  Elle  cor- 
respond de  SOO  à  700  centimètres  cubes. 

On  appelle  grmi.deur  respiratoire  la  quantité  d'air  qui  passe  dans  les  poumons  en 
une  unité  de  temps,  soit  une  minute;  elle  est  égale  au  produit  de  l'air  respiratoire 
par  le  nombre  de  respirations  et  représente  l'effet  utile  du  travail  respiratoire.  La 
courbe  respiratoire  donne  également  une  notion  de  la  grandeur  de  ce  travail.  Il  faut  consi- 
dérer qu'au  maximum  de  l'expiration  normale  le  thorax  ne  revient  pas  à  sa  position  d'équi- 
libre, maison  reste  écarté  dans  le  sens  de  l'inspiration.  Chez  l'animal  on  peut  s'en  convaincre 
de  la  façon  suivante  :  pendant  le  tracé  de  la  courbe  du  volume  respiratoire,  on  produit 
un  relâchement  brusque  de  tous  les  muscles  par  une  piqûre  du  bulbe.  La  courbe  respi- 
ratoire se  change  alors  brusquement  en  une  ligne  droite  qui  est  située  plus  haut  que 
les  sommets  expiratoires.  Dans  la  position  cadavérique  le  volume  du  thorax  est 
moindre  que  dans  le  maximum  de  l'expiration  normale;  le  travail  respiratoire  augmente 
par  conséquent  avec  l'étendue  et  la  durée  des  ampliations  thoraciques  et  peut  être 
mesuré  par  la  surface  que  limitent,  en  haut,  la  ligne  de  position  cadavérique,  en  bas, 
la  courbe  respiratoire.  La  valeur  absolue  de  cette  mesure  ne  peut  pas  être  évaluée, 
mais  on  peut  dire  que  le  travail  respiratoire  a  augmenté,  quand  la  surface  a  augmenté, 
soit  que  toute  la  courbe  respiratoire  ait  baissé,  soit  que  les  inspirations  soient  devenues 
plus  profondes  ou  bien  plus  prolongées.  L'augmentation  du  travail  respiratoire  peut 
coïncider  avec  l'augmentation  de  l'effet  utile  de  la  respiration,  mais  ce  n'est  pas  néces- 
saire. Ainsi,  par  exemple,  l'augmentation  de  la  durée  de  l'inspiration  augmente  l'etïort, 
et  non  pas  l'elfet  utile.  Le  rapport  entre  le  travail  et  l'effet  utile  est  une  mesure 
d'efficacité  du  type  respiratoire.  Si  on  fait  faire  à  l'homme  dont  on  prend  le  tracé  respi- 
ratoire une  inspiration  très  profonde,  suivie  immédiatement  d'une  très  profonde  expiration, 
on  obtient  dans  la  courbe  une  vallée  très  profonde  suivie  d'un  sommet  très  haut.  La 
distance  perpendiculaire   entre  vallée  et  sommet  mesure  le   degré    de  changement  du 


158  AGARICINE    —     AGARICIQUE    (Acide). 

volume  dont  le  thorax  est  capable  sans  l'intlueiice  de  la  volonté;  on  l'appelle  capacité 
vitale.  Elle  se  compose  de  trois  valeurs  :  1"  de  l'air  respiratoire  ;  2"  du  volume  dont  le 
thorax  est  capable  d'augmenter  à  la  fln  d'une  inspiration  ordinaire,  par  un  effort  inspi- 
ratoire  forcé,  appelé  air  complémentaire,  et  3»  du  volume  dont  le  thorax  est  capable  de 
diminuer  après  l'expiration  ordinaire  sous  rinflaence  d'une  expiration  forcée,  volume 
appelé  air  de  réserve.  Normalement  la  quantité  d'air  complémentaire  est  à  peu  près  égale 
à  la  quantité  d'air  de  réserve,  et  chacun  d'eux  comporte  environ  dSOO  à  2000  ce.  Si  les  deux 
valeurs  diffèrent,  alors  on  peut  tirer  de  leur  rapport  une  notion  de  la  distance  entre  la 
position  moyenne  inspiratoire  du  thorax  et  la  position  cadavérique;  cette  distance  est 
d'autant  plus  considérable  que  le  rapport  entre  l'air  de  réserve  et  l'air  complémentaire 
est  plus  grand. 

Pendant  l'expiration  la  plus  énergique  les  poumons  contiennent  encore  une  quantité 
notable  d'air,  l'air  résidual.  La  valeur  ne  peut  pas  être  évaluée  directement,  mais  l'aôro- 
pléthysmographe  donne  un  moyen  pour  la  détermination  de  l'air  résidual.  Le  récipient  de 
l'appareil  disposé  pour  l'homme  est  constitué  non  seulement  de  manière  à  pouvoir  être 
interposé  entre  la  bouche  ou  le  masque  respiratoire  et  l'appareil  inscripteur,  mais  le  sujet 
sur  lequel  ou  expérimente  peut  y  être  placé;  ce  dernier  respire  alors  de  l'air  libre  par  un 
tube  qui  se  trouve  dans  les  parois  du  récipient,  et  en  même  temps  une  quantité  d'air 
égale  à  la  quantité  d'air  inspiré  passe  du  récipient  dans  l'inscripteur  de  volume  et  sou- 
lève son  couvercle.  On  obtient  de  cette  façon  des  tracés  qui  sont  renversés,  de  sorte  que 
les  ascensions  indiquent  les  inspirations,  et  non  pas,  comme  dans  l'expérience  plus  haut 
décrite,  des  expirations. 

La  partie  du  tube  qui  sort  du  récipient,  et  par  laquelle  le  sujet  respire,  porte  un  tube 
latéral  qui  est  en  rapport  avec  un  manomètre  à  mercure  qui  porte  à  son  extrémité  un 
bout  de  tube  de  caoutcbouc.  A  la  surface  du  mercure  dans  la  branche  libre  du  mano- 
mètre se  trouve  un  flotteur  qui  porte  un  inscripteur,  si  bien  que  les  oscillations  manomé- 
triques  peuvent  s'inscrire  en  même  temps  que  la  courbe  respiratoire.  On  prend  d'abord 
une  partie  du  tracé  respiratoire  ordinaire,  puis  après  un  signal  sonore  on  pince  le  tube 
de  caoutchouc  à  l'extrémité  du  tube  à  respiration  et  le  sujet  fait  un  effort  inspiratoire, 
pendant  lequel  l'air  n'est  pas  aspiré  dans  le  poumon,  mais  au  contraire,  l'air  du  poumon 
est  dilaté  et  le  manomètre  marque  l'aspiration.  Les  deux  valeurs  correspondantes,  des 
changements  du  volume  et  de  la  pression,  qui  s'effectuent  simultanément  dans  lamême 
quantité  d'air  sont  ainsi  inscrites.  Si  nous  représentons  la  quantité  d'air  à  déterminer 
par  y,  la  pression  barométrique  par  B,  la  double  valeur  des  oscillations  de  l'inscripteur 
manométrique  par  d,  et  le  changement  de  volume  correspondant  dans  la  courbe  par  r,  on 
aura  : 

BV  =  (B-d)  (V  +  r) 

Pour  obtenir  la  valeur  de  l'air  résidual,  il  faut  soustraire  de  la  valeur  de  V  la  valeur 
en  volume  de  la  distance  perpendiculaire  de  la  courbe  depuis  l'effort  de  l'inspiration 
jusqu'au  maximum  de  l'expiration. 

En  général  l'air  résidual  d'après  cette  détermination  est  égal  à  peu  près  à  la  moitié  de 
la  capacité  vitale. 

J.  GAD. 

AGARICINE.  —  Le  nom  d'Agaricine  a  été  donné  :  1°  à  un  principe  retiré  de 
l'Agaric  tue-mouches  (  Amanita  muscaria  L.  ),  lequel  n'est  autre  chose  que  la  névrine  ou 
choline;  2o  à  une  matière  grasse  retirée  du  champignon  de  couche  (Gobley);  3°  enfin  à  un 
principe  immédiat  impur  de  l'Agaric  blanc  des  pharmacies  (Polyporus  offlcinalis  Villars) 
(Schoonbrodt).  Pour  éviter  toute  confusion,  il  convient  de  supprimer  ce  nom  et  de  dési- 
gner, avecFLEURY,  le  principe  de  l'Agaric  blanc  dont  il  vient  d'être  question  sous  le  nom 

d'acide  aqaricique.  Voir  :  Agariciaue  (Acide). 

EM.  BOURQUELOT. 

AGARICIQUE  (Acide).  —  Principe  actif  retiré  de  l'Agaric  blanc  des 
pharmacies  (Polyporus  officinalis  Villars)  par  Fleury  en  1870.  Il  avait  été  isolé  antérieu- 


AGONIE.  1S9 

rement  à  l'état  impur  par  Schoonbrodt  sous  le  nom  d'agaricine.  Il  a  été  étudié  de  nou- 
veau eu  1883  par  Jahxs  et  eu  1886  par  Schuieder.  D'après  Fleury,  l'Agaric  lilauc  en  ren- 
ferme environ  20  p.  100. 

I.  Préparation.  —  On  épuise  l'Agaric  pulvérisé  par  l'alcooi  à  90°  bouillant  qui 
dissout  toutes  les  matières  résineuses  parmi  lesquelles  se  trouve  l'acide  agaricique  (ré- 
sine p  de  ScHMiEDEn).  On  concentre  les  solutions  alcooliques,  ce  qui  amène  la  séparation 
des  résines  en  deux  groupes  :  les  résines  rouges  qui  restent  en  solution,  et  les  résines 
blanches,  dont  fait  partie  la  résine  jî,  qui  se  précipitent.  Eu  traitant  la  masse  résineuse 
blanche  par  l'alcool  à  60"  chaud,  on  dissout  la  résine  [i  et  on  l'obtient  dans  un  état  suffi- 
sant de  pureté. 

Pour  la  purifier  complètement  on  la  dissout  dans  l'alcool  bouillant,  puis  on  ajoute  au 
liquide  une  solution  alcoolique  d'hydrate  de  potasse.  L'acide  agaricique  ou  résine  |3  forme 
un  sel  de  potasse  insoluble  dans  l'alcool  qui  se  dépose,  tandis  qile  les  autres  résines  res- 
tent pour  la  majeure  partie  en  solution.  On  laisse  reposer  quelque  temps  et  on  sépare  le 
précipité  par  filtration.  On  traite  celui-ci  par  l'eau  qui  dissout  le  sel  de  potasse;  on 
ajoute  du  chlorure  de  baryum  à  la  solution,  ce  qui  donne  un  sel  de  baryte  insoluble 
qu'on  délaie  dans  de  l'alcool  à  30°  bouillant  et  qu'on  décompose  à  chaud  par  de  l'acide 
sulfurique  dilué.  —  On  jette  sur  un  filtre,  et  l'acide  agaricique  cristallise  par  refroidisse- 
ment dans  le  liquide  filtré. 

II.  Propriétés.  —  L'acide  agaricique  se  présente  sous  la  forme  d'une  poudré  blan- 
che, microcrislalline,  fusible  vers  138°  (Jahns),  à  peu  près  sans  odeur  ni  saveur. 

Il  est  très  peu  soluble  dans  l'eau  froide,  à  laquelle  il  communique  pourtant  une  réac- 
tion acide.  A  chaud  et  à  la  dose  de  1  ou  2  grammes  pour  100,  l'acide  se  gontle  d'abord 
en  donnant  un  liquide  gélatineux  qui  finit  par  se  transformer  en  une  solution  incolore, 
limpide,  moussant  fortement  par  l'agitation.  Par  refroidissement,  l'acide  cristallise  de 
nouveau  en  fines  aiguilles. 

I/acide  agaricique  se  dissout  dans  environ  130  parties  d'alcool  à  90"  froid  (13°)  et 
dans  10  parties  d'alcool  bouillant.  Il  se  dissout  à  peine  dans  l'éther  et  Je  chloroforme.  Il 
est  très  soluble  dans  l'ammoniaque  et  dans  les  lessives  alcalines  même  très  étendues. 

III.  Constitution  chimique.  —  La  composition  chimique  de  l'acide  agaricique 
répond  à  laformule  C'"H-^°0'H'-0.  H  renferme  une  molécule  d'eau  de  cristallisation  qu'il 
perd  à  80°.  C'est  un  acide  bibasique  et  triatomique,  analogue  par  conséquent  à  l'acide 
malique.  Sa  constitution  peut  être  exprimée  par  la  formule  suivante  : 

C'*H"(OH)<^°2|  +  H20. 

Parmi  les  sels  qu'il  forme  avec  les  bases,  le  plus  important  est  le  sel  de  potasse  carac- 
térisé par  sa  complète  insolubilité  dans  l'alcool  absolu. 

Essai.  — •  On  dissout  06'', I  d'acide  agaricique  dans  lo  ce.  d'alcool  absolu  et  on 
ajoute  quelques  gouttes  de  solution  alcoolique  de  potasse.  On  doit  obtenir  un  précipité 
blanc  complètement  soluble  dans  l'eau.  Cette  réaction  permet  de  s'assurer  de  l'absence 
des  autres  résines  du  Polypore. 

IV.  Propriétés  physiologiques.  —  L'acide  agaricique  est  employé  contre  les 
sueurs  profuses  des  phtisiques  et  aussi  contre  les  sueurs  déterminées  par  l'usage  de 
certains  médicaments  (antipyrine).  D'après  Seifert  et  Proebsting,  Oôi'jOI  d'acide  agari- 
cique équivaut  à  0k'',0005  d'atropine.  On  l'emploie  en  poudre  ou  en  pilules  à  la  dose  de 
OS', 03  pour  un  adulte  (Pharmacopée  suisse  de  1893);  les  injections  sous-cutanées  sont 
douloureuses. 

V.  Bibliographie.  —  Fleory  [Journ.  dePharm.  et  de  Chim.  [i],  t.  xi,  p.  202,  1870).—^ 
Schoonbrodt  (Journ.  de  médecine  de  Bruxelles,  1863).  —  Jahns  [Aixh.  der  Pharm.,  t.  xxi, 
1883).  —  ScHMiEDER.  Thèse  inaugurale  d'Erlangen,  1886.  —  Ber.n'.  Fischer.  Die  neueren 
Arzneimittel,  1893,  p.  287. 

EM.  BOURQUELOT. 

AGONIE  (du  grec  àfoivtç,  combat).  — L'agonie  a  été,  par  les  Grecs,  considérée 
comme  une  lutte  entre  lavie  et  lamort.  C'est  une  comparaison  plus  poétique  que  réelle, 
car,  en  général,  quand  l'agonie  survient,  les  forces  vitales  de  l'organisme  sont  épuisées; 


160  AGONIE. 

et  la  lutte  est  devenue  impossible.  De  fait  le  mot  agonie  signifie  les  'derniers  instants 
de  la  vie,  alors  que  tous  les  phe'nomènes  qui  caractérisent  la  vie  de  l'individu  sont  sur  le 
point  de  disparaître  définitivement. 

Les  médecins  ont  souvent  décrit  l'agonie,  et  la  description  qu'ils  en  donnent  est  par- 
faitement exacte.  Voici  ce  qu'en  dit  U.  Jaccoud  (Art.  Agoxie  du  Bict.  de  médcc.  et  de 
chir.prat.  1864,  1. 1,  p.  436).  «  Une  pâleur  mate  et  terreuse  remplace  la  lividité  cyanique; 
les  traits  s'afïaissent;  les  joues  retombent  flasques  et  déjà  sans  vie;  les  lèvres  s'amin- 
cissent, le  nez  s'allonge  et  s'effile,  les  yeux  sans  regard  apparaissent  à  travers  les  pau- 
pières ouvertes;  la  parole  n'est  plus  intelligible;  le  pharynx  a  perdu  son  action;  l'urine 
et  les  matières  fécales  s'échappent;  les  battements  du  cœur  deviennent  plus  faibles  et 
plus  i-ares;  le  pouls  est  petit,  fugitif,  et  comme  hésitant;  les  mouvements  inspiratoires, 
naguère  plus  fréquents,  se  ralentissent  à  leur  tour,  un  râle  trachéal  dénote  la  présence 
de  mucosités  abondantes  dans  les  voies  aériennes;  les  inspirations,  de  plus  en  plus 
brèves,  ne  se  font  plus  qu'à  de  rares  intervalles;  elles  sont  avortées  et  déterminent  à 
peine  un  léger  soulèvement  de  la  poitrine;  vient  enfin  un  intervalle  plus  long  que  tous 
les  autres;  le  moribond  se  raidit  dans  une  contraction  générale;  une  convulsion  dernière 
et  rapide  parcourt  le  visage...;  à  ce  moment  suprême  les  pupilles  se  dilatent  jusqu'au 
double  de  leur  diamètre  normal;  les  yeux  sont  entraînés  vers  la  partie  supérieure  de 
l'orbite  par  un  mouvement  convulsif;  ils  retombent  aussitôt  couverts  d'un  voile;  ce  mou- 
vement est  le  dernier;  l'œuvre  de  mort  est  consommée'.  » 

Si  l'on  envisage,  dans  leur  ensemble,  les  phénomènes  de  l'agonie,  on  peut  constater 
qu'ils  sont  liés  à  l'état  de  l'innervation.  Le  système  nerveux  qui  préside  à  l'intelligence, 
aux  mouvements,  à  la  sensibilité,  aux  réflexes,  à  la  respiration,  à  la  circulation,  est  pro- 
fondément atteint,  et  alors  les  diverses  fonctions  ne  peuvent  jplus  s'exercer.  En  somme 
l'agonie  est  caractérisée  par  une  profonde  dépression  du  système  nerveux,  et  spéciale- 
ment du  système  nerveux  central.  L'intelligence  a  disparu;  il  n'y  a  plus  ni  force  mus- 
culaire, ni  mouvements  musculaires  volontaires,  ni  sensibilité.  Les  réflexes  ne  sont  cepen- 
dant pas  abolis;  mais  l'innervation  cardiaque  est  affaiblie,  et  la  pression  artérielle  réduite 
au  minimum. 

De  là  un  cercle  vicieux  contre  lequel  toute  thérapeutique  est  impuissante.  La 
dépression  du  système  nerveux  retentit  sur  le  cœur,  qui  devient  de  plus  en  plus  faible;  et, 
d'autre  part,  la  faiblesse  du  cœur  entraine  l'affaiblissement  du  système  nerveux.  Les 
troubles  de  la  circulation  encéphalique  font  croître  l'impuissance  du  cœur,  dont  chaque 
contraction  est  de  plus  en  plus  faible.  Le  cœur  s'arrête  enfin,  et  cesse  d'envoyer  du  sang 
au  système  nerveux. 

C'est  là  le  moment  final;  car,  dès  que  la  circulation  a  cessé,  le  système  nerveux 
meurt.  Les  réflexes  disparaissent;  la  respiration  rythmée  s'arrête,  et  on  doit  alors 
regarder  la  mort  comme  définitive. 

En  cherchant  à  pénétrer  plus  profondément  la  nalure  de  ces  phénomènes. ultimes, . 
on  voit  que  l'affaiblissement  de  la  circulation  artérielle  a  pour  résultat  principal  une 
diminution  de  la  quantité  d'oxygène  qui  arrive  aux  centres  nerveux.  En  effet,  môme 
quand  on  laisse  le  cœur  se  contracter  régulièrement,  la  mort  n'en  survient  pas  moins 
avec  les  mêmes  apparences,  si  l'on  empêche  l'hématose  en  asphyxiant  l'animal,  de  sorte 
que  l'agonie  est,  avant  tout,  un  défaut  d'oxygène  (ou,  ce  qui  revient  au  même,  de  sang 
oxygéné)  dans  les  centres  nerveux.  Asphyxie,  anémie,  anoxhémie,  hémorrhagie,  tous 
ces  modes  de  mort  entraînent  l'agonie  de  la  même- manière,  et  presque  avec  des  symp- 
tômes identiques. 

On  peut  donc  résumer  le  processus  de  la  période  agonique  en  disant  que  c'est  une 
anoxhémie  bulbo-cérébrale,  entraînant  l'impuissance  du  cœur,  et  par  conséquent  déter- 
minant, par  le  fait  même  de  sa  continuation,  une  anoxhémie  croissante. 

L'agonie  commence  à  partir  du  moment  où  la  circulation  commence  à  devenir  inef- 
ficace. Alors  le  cercle  vicieux  s'établit;  car  l'anoxhémie  bulbo-cérébrale  entraîne  aussi- 
tôt une  circulation  de  moins  en  moins  efficace,  et  la  marche  des  accidents  ne  peut  plus 
être  enrayée. 

Par  exemple,  si  l'on  saigne  à  blanc  un  chien  ou  un  lapin,  on  verra  tous  les  phénomènes 

1.    Voyez  aussi  Decoux.  Quelques  considch-alions  sur  l'agonie,  [T.  D.  P.  JS70). 


AGONIE. 


161 


des  hémorrhagies  profuses  se  manifeste.-  régulièrement,  jusqu'au  moment,  caractérisé 
par  une  angoisse  croissante,  où  les  contractions  du  cœur  deviennent  trop  faibles  pour 
irnguer  convenablement  le  cerveau.  Alors  l'agonie  se  déclare,  et  elle  ne  cesse  que  quand 
le  cœur  a  cesse  de  battre.  ■'      4"*'"^ 

La  mort  est  définie  par  Vmrêt  de  la  circulation  centrale;  et  l'agonie  est  alors  Vinsuf- 
fisance  de  la  circulation.  ' 

De  fait,  presque  toujours,  quand  la  circulation  commence  à  devenir  ainsi  insuffisante 
flU  n  f  ^'"^"^^de  à  apporter;  car  la  cause  qui  a  déterminé  cette  insuffisance  circu- 
latoire pe  SIS  e.  Cependant  dans  quelques  cas  on  peut  dire  que  l'agonie  a  vraiment 
commence,  alors  qu'on  peut  encore  en  entraver  les  progrès  ;  par  exemple,  quand  il  y  a 
asphyxie,  par  la  respiration  artificielle;  ou,  quand  U  y  a  hémorrhagie,  par  la  transfu- 
s'alse  'h  W  1  r  'T  ''''  "'''^°'^^'^™^'^^^  exceptionnelles,  et,  le  plus  souvent,  qu'il 
débÛ  é  U  ni  "^'^'f '^^.""^  intoxication,  d'un  traumatisme,  une  fois  que.  l'agonie  a 
débute,  il  faut  que  le  dechn  du  cœur  -  et  par  conséquent  du  cerveau  dont  l'état  est  lié 
l'organe  "'        '^"'  ~  '''''''''''  progressivement  jusqu'à  la  mort  physiologique  de 

cefte^-ntfr'''"'  ^"^,"  '^^  l'o'-Sa^isme  n'est  autre  que  la  réaction  du  système  nerveux  à 

Tspl  V    e    ^^'wv  f  "."  '"■''"'  °''^'''''  ^^  '"'''  ^"^  l'^8°"'^  '^'  -  ^°™"-  une 

aspliyxie  lente  (Voyez  Asphyxie). 

brés°^  I^w"'f  .''"^'  '^"''  'f'°,?  "ï"'''  ''''^'^  '^'  ''''^^'^'  '^  ^^"S  «^haud.  ou  de  verté- 
Fe  cœLn  ?f  ;  ^''.^T''l  ^^  '^S°"^'  '"'"''^  différentes.  Si  sur  un  chien  on  arrête 
el  H?nl  tl  r  galvanisation  du  myocarde,  l'agonie  durera  une  demi-minute,  une  minute 
et  demie  tout  au  plus;  pendant  quelques  instants,  une  dizaine  de  secondes  à  peine,  les 
efets  paraîtront  nuls.  Mais  tout  d'un  coup  l'insuffisance  de  l'hématose  cérébrale  déter- 
minera des  cris  déchirants,  des  convulsions,  pais  des  inspirations  profondes,  puis  enfin 
la  cessation  complète  de  tout  mouvement.  Au  contraire,  si,  à  un  animal  à  sang  froid 

",5;'"°"  '  ^°'''""'  *°''"''  '"'P''^''  -  °"  ^"'^^^  1«  '"''"''  «'«^t  à  peine  si  l'on  verra 
pendai  t  les  premières  mmutes  un  phénomène  quelconque,  indiquant  la  perturbation 
des  autres  appareils  organiques.  La  mort  surviendra,  mais  lentement,  peu  à  peu,  sans 
lutte  et  pour  amsi  dire  sans  aucune  réaction  du  système  nerveux  anémié.  Par  consé- 
quent on  peut  dire  que,  chez  les  animaux  à  sang  froid,  il  n'y  a  pas  d'agonie,  à  propre- 
ment parler  ou  du  moins  une  agonie  tellement  lente  qu'on  ne  peut  guère  la  comparer 
a  1  agonie  des  vertèbres  a  sang  chaud,  dont  le  cerveau  a  besoin  d'être  constamment 
irrigue  par  du  sang  riche  en  oxygène. 

Nous  ne  pouvons  ici  demre  toutes  les  formes  de  l'agonie;  elles  sont  innombrables, 
et  aillèrent  avec  le  genre  de  mort.  Quand  une  maladie  ou  un  poison  a  débilité  graduel- 
lement 1  organisme,  l'agonie  est  calme  et  lente;  et  elle  ne  ressemble  guère  à  l'agonie 
rapide  et  bruyante  qui  succède  à  une  maladie  aiguë  ou  à  une  intoxication  foudroyante. 

Pendan  1  agonie,  que  devient  l'intelligence?  que  devient  la  conscience?  Problème 
redoutable!  difficile  à  résoudre  d'une  manière  définitive.  11  est  évident  que  le  plus 
souvent,  quand  I  agonie  a  commencé,  toute  trace  d'intelligence  a  disparu.  Parrot,  dans 
\MAgome  du  met.  E.  S.  M.,  t.  u,  p.  194,  définit  même  l'agonie  :  le  temps  pendant 
lequel  le  moribond  survit  à  la  mort  de  son  cerveau.  Presque  toujours  la  conscience  a 
disparu,  cette  fragile  conscience,  le  plus  délicat  de  tous  les  appareils  de  la  vie  oui  a 
besoin  pour  s  exercer  d'une  intégrité  organique  irréprochable.  Mais  qui  oserait  dire  que 
e  mourant  n  a  pas  quelquefois  conscience  de  ce  qui  l'entoure  ?  Alors  même  que  le  re-ard 
terne  est  déjà  obscurci  d'un  voile,  et  que  le  cœur  n'a  plus  que  quelques  faibles  batte- 
ments, parfois  il  y  a  encore  comme  une  trace  d'inteUigence;  un  léger  mouvement  des 
yeux,  une  faible  pression  de  la  main  suffisent  pour  indiquer  qu'il  comprend  encore  et 
qu  il  entend. 

Je  ne  voudrais  donc  pas  définir  l'agonie  par  la  fin  de  la  conscience  ;  et  je  dirais  plutôt 
quoique  toute  définition  soit  forcément  défectueuse,  que  l'agonie  est  la  période  pendant 
laquelle  la  circulation  cardiaque  est  devenue  inefficace  à  l'irrigation  cérébrale-  son 
mefficacité  pouvant  tenir  soit  à  la  qualité  du  sang  (empoisonnements,  asphyxie),  soit  à 
a  la  quantité  du  sang  (hémorrhagie),  soit  à  la  faiblesse  des  mouvements  du  cœur 

Une  fois  que  le  cœur  a  cessé  de  battre,  l'innervation  volontaire  a  disparu-  la  con- 
science elles  réOexes  ont  cessé,  et  il  n'y  a  plus  de  respiration  rythmée.  Mais,  quoique  la 

DICT.    DE    PHYSIOLOGIE.    —    TOME  I.  i. 


162  AGRAPHIE. 

conscience  soit  alors  vraiment  éteinte,  un  phénomène  presque  constant  se  produit,  que 
nous  devons  mentionner,  c'est  la  respiration  agonique 

Voici  en  effet  ce  qui  se  passe.  Au  moment  où  le  cœur  s'arrête,  la  respiration  rythmée 
s'arrête  aussi,  les  pupilles  se  dilatent;  une  contraction  générale  tonique  de  tous  les 
muscles  a  lieu  avec  constriction  des  intestins  et  expulsion  des  matières  fécales;  puis 
tout  cesse,  et  il  se  passe  quelques  secondes  d'immobilité  complète  pendant  lesquelles 
on  peut  croire  que  tout  est  flni.  Tout  n'est  pas  fini  cependant,  car  bientôt  survient  une 
grande  respiration  suivie  d'une  expiration  prolongée.  C'est  un  véritable  soupir,  générar 
lement  non  isolé;  car  il  est  suivi  de  deux  ou  trois  autres,  de  moins  en  moins  profonds, 
séparés  l'un  de  l'autre  par  une  dizaine  de  secondes  d'intervalles.  Ce  phénomène  remar- 
quable, qui  a  frappé  de  tout  temps,  dit  P.  Bert,  l'imagination  des  hommes,  a  reçu  le  nom 
de  dernier  soupir  (P.  Bert.  Leçons  sur  la  respiration,  1870,  p.  431,  voir  flg.  108  et  111). 
On  l'observe  avec  une  netteté  admirable  dans  certaines  asph3'xies,  et  surtout  dans  la 
mort  par  la  galvanisation  du  cœur.  Dans  ce  cas,  il  semble  bien  que  le  bulbe  qui  préside 
à  la  respiration  rythmique  normale  meure  dès  que  le  sang  cesse  de  l'irriguer;  mais,  phé- 
nomène surprenant,  cette  mort  n'est  pas  encore  tout  à  fait  complète,  et,  avant  la  cessa- 
tion définitive  de  son  activité,  les  cellules  nerveuses  qui  président  à  l'incitation  respira- 
toire sont  encore  capables  de  donner  deux  ou  trois  grandes  inspirations. 

On  peut  prouver  facilement  que  la  mort  du  bulbe  n'est  pas,  dans  ce  cas,  définitive  : 
en  effet,  si,  au  moment  oii  se  produisent  ces  derniers  soupirs,  on  pratique  vigoureuse- 
ment, sur  un  chien  qui  asphyxie,  la  respiration  artificielle,  on  voit  au  bout  d'une  on 
deux  minutes  reparaître  un  ou  deux  battements  du  cœur,  séparés  par  un  long  inter- 
valle; puis,  toujours  si  l'on  continue  la  respiration  artificielle,  de  nouveau  reparaissent 
quelques  battements  du  cœur,  et  enfin  la  respiration  spontanée  revient,  et  la  période 
agonique  cesse  par  le  retour  de  toutes  les  fonctions  physiologiques. 

Il  convient  d'ajouter  que,  dans  les  intoxications  lentes  et  les  maladies  chroniques,  se 
phénomène  du  dernier  soupir  ne  s'observe  pas;  et  la  respiration  qui  va  en  diminuant 
graduellement  ne  reparaît  plus  quand  les  petites  inspirations  insuffisantes  ont  fini  par 
devenir  imperceptibles. 

La  température,  au  moment  de  l'agonie,  diminue  ou  augmente  selon  la  cause  de  la 
mort.  Si  la  mort  est  lente  et  progressive,  comme  dans  les  maladies  chroniques  ou  les 
empoisonnements  lents,  la  température  va  en  s'abaissant  régulièrement;  mais,  s'il  s'agit 
d'une  fièvre  infectieuse,  avec  hyperthermie ,  ou  d'une  maladie  convulsive  comme  la 
méningite,  le  tétanos,  la  rage,  ou  d'un  empoisonnement  par  des  substances  tétanisantes, 
alors  la  température  va  en  croissant  jusqu'à  la  mort,  et  même  on  sait  qu'elle  continue 
à  croître  après  la  mort  (Voyez  Température). 

Nous  n'avons  pas  à  entrer  ici  dans  de  plus  grands  détails,  car  les  phénomènes  de 
l'asphyxie  se  confondent  avec  les  phénomènes  de  l'agonie  (Voyez  Asphyxie,  Mort).  Cela 
s'explique;  car  l'agonie  se  produit  dès  que  périclite  la  circulation  cérébrale  pour  une 
cause  ou  une  autre.  C'est  donc  l'asphyxie  cérébrale  qui  amène  le  cortège  des  symptômes 
agoniques. 

CH.  R. 

AGRAPHIE.  —  Le  terme  Agraphie  a  été  introduit  dans  la  science  par  Ogle 
pour  servir  à  désigner  l'aphasie  motrice  graphique. 

L'agraphie  est  donc  une  des  formes  simples  de  l'aphasie  (Voyez  Aphasie). 

On  sait  que,  selon  la  conception  fameuse  de  Charcot,  le  mot  n'est  pas  une  unité,  mais 
un  complexus  qui  comporte  l'organisation  suivante  ;  il  est  composé  d'une  image  audi- 
tive —  mot  entendu  —  et  d'une  image  motrice  d'articulation  —  mot  parlé.  Cette  der- 
nière ne  se  produit  qu'à  la  suite  et  sous  l'influence  de  la  première.  De  plus,  chez  les 
sujets  éduqués,  le  mot  offre,  en  outre,  une  image  visuelle  —  mot  lu  —  à  laquelle  est 
liée  une  image  motrice  graphique  —  mot  écrit. 

L'agraphie  est  précisément  la  perte  de  la  faculté  de  l'écriture,  et  elle  est  supposée  en 
rapport  causal  avec  l'altération  de  la  partie  dé  l'écorce  cérébrale  considérée  comme  le  cen- 
tre fonctionnel  des  images  motrices  graphiques  des  mots.  Elle  est  caractérisée  clinique- 
ment  par  l'abolition  plus  ou  moins  complète  de  l'écriture  en  toutes  ses  manifestations 
(volontaire,  sous  dictée,  copiée)  chez  un  sujet  dont  l'intelligence  est  conservée,  dont  les 


AGUEUSIE.    —    AIR.  Ki;-! 

organes  moteurs  (épaule,  bras,  main)  ne  sont  ni  paralysés  ni  incoordonnés,  et  qui  a 
gardé,  à  l'ordinaire,  la  faculté  d'articuler,  d'entendre,  de  comprendre,  et  parfois  même 
de  lire  les  mots  écrits.  Ce  trouble  est  variable  dans  son  intensité  :  tantôt  le  sujet  n'arrive, 
malgré  ses  efforts,  à  trouver  aucun  caractère  d'écriture,  tantôt  il  parvient  à  écrire  des 
traits  incohérents,  quelques  lettres,  un  mot  sans  signification,  et  assez  souvent  sa  signa- 
ture. On  a  distingué  de  plus  l'agraphie  littcrate  el  verbale,  selon  que  les  lettres  ou  seu- 
lement les  mots  ne  peuvent  être  écrits. 

L'agraphie  dépend-elle,  comme  toutes  les  autres  variétés  d'aphasie,  de  la  lésion  d'un 
centre  autonome  localisé  dans  l'écorce  cérébrale?  Le  fait  est  actuellement  encore  en  dis- 
cussion. WER>iicKE  avait  supposé  que,  l'acte  d'écrire  se  réduisant  toujours  à  une  copie  des 
images  optiques  des  lettres  et  des  mots,  il  n'e'tait  pas  prouvé  que  cet  acte  dépendit  d'un 
centre  spécial  et  autonome  qui  jouerait  pour  l'écriture  le  même  rôle  que  joue  la  circonvo- 
lution de  Broca  pour  le  langage  parlé;  la  destruction  de  la  mémoire  visuelle  verbale  suf- 
firait alors  pour  entraîner  l'agraphie.  M.  Déjerine  a  défendu  cette  dernière  manière  de 
voir,  en  se  fondant,  d'une  part  sur  ce  que  la  localisation  anatomique  de  l'agraphie  dans 
l'écorce,  dont  Exner  avait  placé  le  siège  au  niveau  du  pied  de  la  deuxième  circonvolu- 
tion frontale  du  cerveau,  n'est  pas  nettement  établie  par  des  autopsies  irréprochables,  et 
sur  ce  que,  d'autre  part,  lui-même  a  observé  des  cas  de  cécité  verbale,  qui  s'accompa- 
gnaient ou  non  d'agraphie,  selon  que  cette  cécité  verbale  dépendait  de  l'altération  du 
centre  de  la  vision  des  mots  (pli  courbe)  ou  seulement  des  fibres  faisant  communiquer 
celui-ci  avec  le  centre  visuel  général.  Â  son  avis,  il  n'existe  pas  de  centre  spécialisé  dans 
l'écorce  cérébrale  pour  l'écriture,  et  c'est  des  autres  centres  du  langage,  du  centre  de  la 
vision  verbale,  en  particulier,  que  cette  fonction  dépend. 

Si,  eu  réalité  le  fait  décisif  d'une  agraphie  pure  correspondant  à  une  lésion  exacte- 
ment et  uniquement  circonscrite  à  une  région  de  l'écorce  n'a  pas  encore  été  recueilli, 
on  connaît  par  contre  des  cas  de  cécité  verbale,  par  lésion  du  pli  courbe  sans  agraphie 
(Osler),  qui  n'en  contredisent  pas  moins  l'opinion  qui  rend  l'agraphie  exclusivement 
dépendante  du  centre  visuel  verbal.  De  plus,  la  pathologie  générale  de  l'agraphie  elle- 
même  montre  qu'il  s'agit  pour  l'exécution  des  mouvements  de  l'écriture  d'une  faculté 
spécifique,  puisque  cette  faculté  de  tracer  des  mouvements  spécialisés  peut  disparaître, 
sans  qu'il  existe  aucun  trouble  ni  des  mouvements  généraux,  ni  même  de  certains  mou- 
vements particuliers  (dessin)  du  bras  et  de  la  main.  Aussi  nous  paralt-il  nécessaire,  tant 
au  point  de  vue  pathologique  qu'au  point  de  vue  physiologique,  de  persister  à  admettre 
l'existence  d'un  centre  autonome  d'images  motrices  différencié  pour  l'éci'iture,  dont  des 
recherches  ultérieures  moins  discutables  préciseront  sans  doute  mieux  le  siège  anato- 
mique. 

PAULBLOCQ. 

AGUEUSIE.  — L'agueusie  est  l'abolition  des  sensations  gustatives  :  lorsqu'elle 
n'occupe  que  la  moitié  de  la  langue,  elle  est  dite  hémi-agueusie.  La  constatation  de 
l'agueusie  dans  la  paralysie  faciale  indique  le  rôle  que  joue,  dans  la  fonction  spéciale  de 
ce  nerf,  la  corde  du  tympan.  En  dehors  des  lésions  bulbaires  qui  la  provoquent  aussi 
en  intéressant  les  origines  du  nerf  glossopharyngien,  l'hémi-agueusie  est  surtout  fré- 
quente dans  l'hystérie,  où  elle  figure  au  même  titre  que  les  divers  troubles  autres  de  la 
sensibilité  (Voyez  Goût). 

P.  B. 

AIR.  —  L'étude  de  l'air  comporte  d'abord  l'analyse  du  mélange  gazeux  qui  le 
constitue  essentiellement; puis  celle  de  différents  gaz  dont  on  constate  la  présence  dans 
l'atmosphère  en  proportions  variables  selon  le  temps  et  les  lieux,  et  dont  l'existence 
constante  fait  qu'ils  doivent  être  considérés  comme  entrant  normalement  dans  sa  com- 
position, d'autant  que  leur  rôle,  notamment  au  point  de  vue  de  la  biologie,  est  d'une 
importance  capitale  ;  enfin  la  description  de  nombreuses  matières  solides  qui  s'y  trouvent 
à  l'état  de  suspension,  et  n'entrent  dans  sa  composition  que  d'une  façon  tout  à  fait  acci- 
dentelle, ne  remplissant  ainsi  aucune  fonction  essentielle. 

Composition  de  l'air.  —  La  démonstration  de  la  composition  de,  l'air  atmosphé- 
rique est  due  à  Lavoisier  (1775).  En  chauffant  un   volume   déterminé-d'air  au  contact 


K!^ 


AIR. 


du  mercure,  à  une  température  voisine  de  l'ébullition  de  ce  métal,  Lavoisiek  constata 
que  le  mercure  se  recouvrait  de  paillettes  rouges,  et  que  le  gaz  qui  restait  au-dessus 
de  ce  nouveau  corps  avait  perdu  la  propriété  d'entretenir  la  respiration  et  les  combus- 
tions. C'était  l'azote,  qui  ne  représentait  plus  approximativement  que  les  0/6  du  volume 
d'air  primitif.  En  chauffant  les  particules  rouges  recueillies  à  la  surface  du  mercure, 
Lavoisier  en  dégagea  un  gaz  qui  possédait  au  plus  haut  degré  [la  propriété  d'entretenir 
la  respiration  et  la  combustion,  et  qu'il  appela  air  vital.  C'était  l'oxygène,  et  le  volume 
de  gaz  ainsi  obtenu  représentait  assez  exactement  celui  qui  avait  disparu  lors  du  chauf- 
fao-e  du  mercure.  En  mélangeant  l'air  vital  à  l'azote,  Lavoisier  put  alors  reconstituer  un 
mélange  qui  avait  toutes  les  propriétés  de  l'air  atmosphérique. 

Depuis,  cette  méthode  d'analyse  a  été  perfectionnée  par  Gay-Lussac  et  Humboldt, 
puis  par  j'.-B.  Dumas  et  Boussingault,  et  par  Regnadlt;  mais  ces  analyses  plus  délicates 
n'ont  fait  qu'apporter  à  la  composition  de  l'air,  telle  qu'elle  avait  été  donnée  par  Lavoi- 
sier, une  plus  grande  précision,  sans  en  modifier  la  formule  générale. 

Actuellement  on  admet  que  l'air  est  un  mélange  de  21  volumes  d'oxygène  et  de 
79  volumes  d'azote  (exactement  20,93  d'O  et  79,07  d'Az).  En  poids  rapportés  à  100,  ces 
proportions  sont  représentées  sensiblement  par  23  d'oxygène  et  77  d'azote. 

Kous  devons  cependant  mentionner,  bien  qu'elle  n'ait  pas  encore  subi  la  sanction  du 
contrôle,la  découverte,  annoncée  par  deux  chimistes  anglais,  M.  Ramsay  et  Lord  Rayleigh, 
d'un  nouvel  élément  gazeux  de  l'air. 

C'est  au  Congrès  de  l'Association  britannique  pour  l'avancement  des  sciences  (août  1894) 
que  ces  deux  chimistes  annoncèrent  que  l'observation  qu'ils  avaient  précédemment  faite 
d'une  différence  de  densité  entre  l'azoté  atmosphérique  et  l'azote  extrait  des  composés 
nitrés,  les  avait  conduits  à  trouver  l'existence  dans  l'atmosphère  d'un  gaz  qui  n'est  ni 
l'oxygène,  ni  l'azote. 

Ce  gaz,  plus  inerte  encore  que  l'azote,  pourrait  être  isolé  par  deux  méthodes  que  les 
auteurs  ont  exposées  devant  la  section  de  chimie  du  Congrès. 

La  première  méthode  est  celle  employée  par  C.avendish  pour  la  démonstration  de  la 
composition  de  l'acide  nitrique.  De  l'air  est  soumis  à  l'action  d'étincelles  électriques  en 
présence  de  potasse  qui  absorbe  les  vapeurs  nitreuses,  tandis  qu'un  pyrogallate  alcalin 
absorbe  l'oxygène  en  excès.  Le  gaz  résiduel  n'est  ni  de  l'oxygène,  ni  de  l'azote,  ainsi  qu'on 
peut  en  juger  par  l'examen  de  son  spectre.  On  peut  l'obtenir  aussi  en  exposant  de  l'azote 
tiré  de  l'atmosphère  à  l'action  du  magnésium  chauffé;  on  produirait  ainsi  de  plus 
grandes  quantités  de  ce  gaz;  à  mesure  que  le  magnésium  absorbe  l'azote,  la  densité  du 
résidu  augmente,  passant  de  14,88  à  16,1  et  finalement  à  19,09.  A  ce  moment  l'absorp- 
tion paraît  avoir  atteint  sa  limite;  la  proportion  du  nouveau  gaz  serait  donc  de  1  p.  100 
de  l'azote  atmosphérique. 

Ce  gaz  donnerait  un  spectre  avec  une  ligue  bleue  unique  beaucoup  plus  intense  que 
celle  du  spectre  de  l'azote. 

Comme  toutes  les  découvertes,  celle-ci  a  rencontré  beaucoup  de  scepticisme;  et 
l'on  a  opposé  aux  inveiiteursque  leur  gaz  n'était  que  du  protoxyde  d'azote  ou  de  l'azote 
condensé,  ou  encore  qu'il  était  fabriqué  au  cours  des  manipulations  chimiques  et  ne 
préexistait  pas  dans  l'air  normal. 

Acide  carbonique  de  l'air.  —  Avec  l'oxygène  et  l'azote,  on  trouve  dans  l'atmo- 
sphère, constamment,  bien  qu'en  proportions  assez  variables,  de  l'acide  carbonique.  Ce  gaz 
se  forme  en  effet  lors  de  la  respiration  des  animaux  et  de  certaines  parties  des  plantes, 
et  il  est  versé  dans  l'atmosphère,  on  peut  le  dire,  à  jets  continus. 

Malgré  ces  sources  nombreuses  de  production,  la  quantité  de  CO'-  contenue  dans  l'air 
est  très  minime;  elle  oscille  entre  4  et  6  dix-millièmes  en  volume. 

La  raison  de  la  faiblesse  de  cette  proportion  est  dans  la  diffusion  rapide  des  gaz,  car 
dans  certaineslocalités,  notamment  dans  les  grandes  villes,  en  hiver,  la  production  d'acide 
carbonique  est  vraiment  considérable.  Ainsi  Boussingault  a  calculé,  il  y  a  déjà  cin- 
quante ans,  que  Paris  en  produisait,  chaque  jour,  tant  par  la  respiration  de  ses  habitants 
que  par  ses  divers  foyers  de  combustion,  2944600  mètres  cubes.  Et  cependant  la  propor- 
tion d'acide  carbonique,  le  jour,  étant  à  Paris  représentée  par  100,  elle  est  encore  repré- 
sentée par  92  à  la  campagne,  à  plusieurs  lieues  de  Paris.  Pour  100  mètres  cubes  d'air,  on 
trouve,  d'acide  carbonique:  34 lit. 3  en  Autriche;  44  à  49  litres  dans  le  désert  lybique; 


AIR.  l6o 

29  lit.  2  en  Floride;  28  litres  à  la  Martinique;  27.  lit  i  au  Cliili,  26  lit.  6  à  SanLa-Cruz. 
Dans  une  même  localité,  d'ailleurs,  les  variations  sont  souvent  très  marquées.  D'une 
façon  générale,  la  proportion  de  CO^  est  plus  forte  la  nuit  que  le  jour,  et  diminue  après 
la'pluie.  A  Paris,  d'après  J.-B.  Dumas,  cette  proportion  oscille  entre  28  et  35  litres  pour 
100  mètres  cubes  d'air.  Au  cap  Horn,  d'après  M.  Hyades,  elle  oscille  entre  2.3,1  et 
28  lit.  0. 

Ozone.  —  La  variabilité  de  la  proportion  d'ozone  contenue  dans  l'air  est  relativement 
plus  grande.  Le  poids  moyen  de  ce  gaz  est  de  1  milligr.  1  pour  100  mètres  cubes  d'air, 
mais  le  maximum  peut  atteindre  3,3  milligrammes,  tandis  que  cet  élément  disparait  à 
peu  près  complètement  dans  l'air  des  villes.  A  l'Observatoire  de  Montsouris,  d'après 
MiQUBL,  l'analyse  chimique  n'en  accuse  pas  les  moindres  traces  quand  les  vents  soufflent 
du  Nord,  c'est-à-dire  quand  l'air  a  traversé  Paris;  au  contraire,  par  les  vents  du  Sud, 
du  Sud-Est  et  du  Sud-Ouest,  il  fait  rarement  défaut.  Il  paraît  donc  probable  que  l'ozone, 
dû  aux  phénomènes  de  la  végétation,  se  détruit  en  oxydant  les  principes  volatils  divers 
qui  s'exhalent  des  vastes  agglomérations  urbaines. 

Azote  ammoniacaL  —  Les  travaux  de  Schlœsixg  ont  rendu  incontestable  la  pré- 
sence de  l'ammoniaque  dans  l'air.  A  Paris,  le  poids  de  ce  corps,  exprimé  en  azote,  oscille 
entre  quelques  dixièmes  de  milligrammes  et  3  milligrammes  pour  100  mètres  cubes  d'air. 
La  moyenne  est  de  2,2  milligrammes.  L'origine  de  cette  ammoniaque  est  sans  doute  dans 
la  décomposition  des  matières  végétales  et  animales,  ainsi  que  dans  l'électricité  atmo- 
sphérique; car  LiEBiG  a  constaté  depuis  longtemps  que  l'eau  des  pluies  d'orage  contient 
de  l'azotate  d'ammoniaque. 

Vapeur  d'eau.  —  L'élément  dont  la  proportion  varie  le  plus,  dans  une  région 
donnée,  au  sens  de  l'atmosphère,  est  assurément  la  vapeur  d'eau.  Selon  les  saisons,  la 
température,  l'altitude,  la  situation  géographique,  il  y  a  déjà  des  variations  constantes  ; 
il  y  en  a  en  outre  d'incessantes,  suivant  les  conditions  météorologiques  diurnes  de 
chaque  localité  prise  en  particulier.  On  trouve  dans  les  ouvrages  de  physique  des  tables 
qui  donnent  la  quantité  de  vapeur  aqueuse  à  saturation  contenue  dans  un  volume  déter- 
miné d'air  pour  les  diverses  températures.  Il  faut  retenir  que  l'état  hygrométrique  de 
l'air,  pour  une  température  déterminée,  est  le  rapport  entre  la  quantité  d'humidité  exis- 
tant réellement  dans  l'air  et  celle  qui  existerait  si  l'air  était  saturé  à  cette  même  tempé- 
rature. 

Iode,  particules  salines.  —  Comme  on  a  souvent  constaté  la  présence  de  l'iode 
dans  les  eaux  pluviales  (Bouis),  on  est  obligé  d'admettre  que  sa  présence  est  sinon  nor- 
male, du  moins  fréquente,  dans  l'air,  à  l'état  libre  ou  combiné,  de  même,  au  voisinage 
de  la  mer,  l'air  peut  véhiculer  des  particules  de  chlorure  de  sodium,  et  de  quelques  autres 
sels.  M.  Gernez,  ayant  établi  que  les  dissolutions  salines  sursaturées  ne  cristallisent  au 
contact  de  l'air  que  lorsque  celui-ci  contient  en  suspension  des  traces  du  sel  même  con- 
tenu dans  la  dissolution,  ou  d'un  sel  isomorphe,  a  été  amené  à  admettre  qu'il  existe 
aussi  fréquemment,  dans  l'atmosphère,  des  particules  en  suspension  de  sulfate  de 
soude. 

C  orpuscules  vivants  de  l'atmosphère.  —  Les  éléments  solides  que  l'atmosphère 
tient  en  suspension  sont  des  poussières  brutes  et  des  corpuscules  vivants. 

Les  travaux  de  M.  Pasteur  nous  ont  appris,  comme  on  sait,  à  voir  dans  ces  derniers 
la  cause  des  fermentations  et  celle  des  maladies  infectieuses  et  infeclo-contagieuses  ;  et 
d'autre  part  les  naturalistes  n'ont^réussi  à  expliquer  certaines  apparitions  inattendues  de 
végétaux  dans  des  localités  qui  en  avaient  toujours  été  dépourvus,  certains  phénomènes 
mystérieux  de  fécondation  végétale  à  grandes  distances,  que  par  le  transport  par  l'air 
de  pollens  et  de  spores. 

Tous  ces  éléments  animés  sont  aussi  très  inégalement  répartis  suivant  les  temps  et 
les  lieux  ;  leur  numération  a  fait  l'objet  d'études  longtemps  poursuivies  par  M.  Miquel, 
cjui  a  imaginé,  dans  ce  but,  des  appareils  ingénieux  et  des  méthodes  rigoureuses. 

Les  pollens,  fort  répandus  dans  l'air  au  printemps  et  en  été,  tendent  à  disparaître 
en  automne  et  surtout  en  hiver;  cependant  il  n'est  pas  rare  d'en  trouver  plusieurs  dans 
un  mètre  cube  d'air,  même  quand  la  neige  couvre  le  sol  depuis  près  d'un  mois.  A  Paris, 
le  chiffre  des  pollens  atmosphériques  est  parfois  assez  élevé,  et  atteint  communément,  en 
été,  de  5  000  à  10000  par  mètre  cube  d'air. 


16(5  AIR. 

Les  spores  cryptogamiques  y  sont  environ  vingt-cinq  fois  plus  nombreuses.  La  tem- 
pérature douce  qui  règne  presque  toujours  à  Paris  en  avril  et  en  mai  donne  à  cette 
végétation  cryptogamique  son  premier  essor.  C'est  en  juin  que  leur  foisonnement 
atteint  son  maximum,  et  peut  dépasser  le  nombre  de  33000  par  mètre  cube  d'air.  En 
décembre  et  janvier,  leur  nombre  oscille  autour  de  7000. 

L'expérience  par  laquelle  M.  Pasteur  a  démontré  l'existence  de  bactéries  vivantes  dans 
l'atmosphère  est  devenue  célèbre,  et  voici  comment  l'illustre  savant  la  décrit  lui-même  en 
peu  de  mots  :  «  Dans  une  série  de  ballons  de  2o0  centimètres  cubes  de  capacité,  j'introduis 
la  même  liqueur  putrescible  :  de  l'eau  albumineuse,  de  l'urine,  etc.,  de  manière  qu'elle 
occupe  le  tiers  environ  du  volume  total.  J'effile  les  cols  à  la  lampe  d'émailleur,  puis  je 
fais  bouillir  la  liqueur,  et  je  ferme  l'extrémité  effilée  pendant  l'ébullition.  Le  vide  se 
trouve  fait  dans  les  ballons;  alors  je  brise  leur  pointe  dans  un  lieu  déterminé  :  l'air  s'j" 
précipite  avec  violence,  entraînant  avec  lui  toutes  les  poussières  qu'il  tient  en  suspension 
et  tous  les  principes  connus  et  inconnus  qui  lui  sont  associés,  .le  referme  alors  immé- 
diatement les  ballons  par  un  trait  de  llamme,  et  je  les  transporte  dans  une  étuve  entre 
25°  et  30°,  c'est-à-dire  dans  les  meilleures  conditions  de  température  pour  le  développement 
des  animalcules  et  des  semences.  Le  plus  souvent,  en  très  peu  de  jours,  la  liqueur  s'altère, 
et  l'on  voit  naître  dans  les  ballons,  bien  qu'ils  soient  placés  dans  des  conditions  iden- 
tiques, les  êtres  les  plus  variés,  beaucoup  plus  variés  même  que  si  les  liqueurs  avaient 
été  exposées  à  l'air  ordinaire.  Mais,  d'autre  part,  il  arrive  fréquemment,  plusieurs  fois 
dans  chaque  série  d'essais,  que  la  liqueur  reste  absolument  intacte,  quelle  que  soit  la 
durée  de  son  exposition  à  l'étuve,  comme  si  elle  avait  reçu  de  l'air  calciné.  »  C'est 
qu'en  effet,  les  microbes,  surtout  dans  un  lieu  où  l'air  est  en  repos,  sont  beaucoup 
moins  nombreux  qu'on  ne  serait  tenté  de  le  croire. 

Au  centre  de  Paris,  au  mois  d'août,  on  en  trouve  environ  de  5  000  à  6  000  dans  un 
mètre  cube  d'air.  En  décembre  et  en  janvier,  leur  nombre  oscille  entre  2000  et  3000;  et 
la  moyenne  annuelle  est  de  4  000  environ.  Mais  à  Montsouris,  c'est-à-dire  dans  un  miheu 
tranquille,  bien  que  peu  éloigné  encore  de  l'agitation  du  centre  de  la  grande  ville,  la 
moyenne  varie  entre  300  et  400,  et  le  maximum  ne  dépasse  pas  700. 

D'autres  observations  ont  démontré  que,  pendant  les  saisons  humides  et  les  temps 
pluvieux,  le  chiffre  des  bactéries  devient  très  faible;  et  qu'il  s'élève  au  contraire  considé- 
rablement pendant  la  sécheresse. 

Les  analyses  hoi'aires,  faites  par  M.  Miquel,  établissent  de  même  que  le  nombre  des 
bactéries  atmosphériques  varie  sans  cesse,  et  passe  par  deux  maxima,  dont  l'un  se 
présente  vers  6  heures  du  matin  et  l'autre  vers  6  heures  du  soir,  les  minima  se  trou- 
vant généralement  compris  entre  2  et  3  heures  du  matin  et  2  et  3  heures  de  l'api'ès- 
midi. 

A  mesure  qu'on  s'élève  au-dessus  du  sol,  les  bactéries  apparaissent  moins  nombreuses. 
Au  sommet  du  Panthéon,  l'air  est  déjà  seize  fois  plus  pur  que  celui  qui  circule  dans  la 
rue  de  Rivoli,  et  sur  les  hautes  montagnes,  c'est  à  peine  si  l'on  rencontre  une  bactérie 
par  mètre  cube  d'air.  En  pleine  mer,  les  microbes  sont  encore  plus  rares,  et  parfois  l'on 
n'en  trouve  que  4  à  6  dans  10  mètres  cubes  d'air. 

Au  contraire,  dans  l'intérieur  des  habitations,  des  ateliers,  des  hôpitaux,  les  microbes 
sont  fort  nombreux,  et  atteignent  parfois  le  nombre  de  100  000  par  mètre  cube.  Mais  ce 
nombre  est  toujours  en  rapport  avec  les  causes  qui  tendent  à  soulever  les  poussières  du 
sol,  parquet  ou  tapis;  car,  dans  les  pièces  inhabitées,  l'air  se  purifie,  au  moins  au  point 
de  vue  bactériologique;  et  dans  les  égoûts,  dont  les  parois  sont  souvent  humides,  et  la 
ventilation  faible,  on  ne  trouve  que  fort  peu  de  microbes. 

Maintenant,  le  point  important  est  de  savoir  si  ces  nombreux  microbes  de  l'air  sont  dange- 
reux. Évidemment, pour  le  plus  grand  nombre,  ils  sont  inoffensifs,  et  il  en  est  des  microbes 
de  l'air  comme  des  microbes  des  eaux;  autrement  l'humanité  tout  entière  aurait  bien 
vite  disparu.  Mais  enfin  les  observations  épidémiologiques  mettent  hors  de  doute  ce  fait, 
que  la  plupart  des  maladies  microbiennes  sont  susceptibles  d'une  transmission  indirecte, 
c'est-à-dire  par  le  mécanisme  du  transport  des  germes  par  le  milieu  ambiant,  et  il  n'est 
pas  douteux  que  les  fièvres  éruptives,  la  diphtérie,  la  rougeole,  l'influenza,  l'impalu- 
disme,  la  fièvre  typhoïde,  le  typhus,  le  choléra,  la  tuberculose,  se  propagent  grâce  au 
transport  par  l'air,  à  une  plus  ou  moins  grande  distance,  de  leurs  germes  virulents,  et  à 


ALBINISME.  167 

l'absorption    de   ces  germes    par    des  individus   prédisposés,  chez  lesquels  se  trouvent 
ouvertes  des  portes  d'entrée  accidentelles  ou  anormales. 

Les  procédés  antiseptiques  d'abord,  puis  aseptiques,  de  la  chirurgie  ont  réussi  à  pré- 
server les  blessés  et  les  opérés  du  contact  de  ces  germes  nocifs;  la  protection  des  indi- 
vidus sains  contre  les  germes  des  maladies  épidémiques  qui  se  transmettent  par  l'air 
paraît  d'une  réalisation  bien  difficile,  et  l'on  ne  peut  guère  en  entrevoir  le  mécanisme 
hygiénique.  Aussi  voit-on  qu'en  dépit  des  magnifiques  acquisitions  de  la  science  dans 
les  vingt  dernières  années,  malgré  les  découvertes  géniales  de  Pasteur,  le  nombre  des 
décès  dus  aux  maladies  infectieuses  ne  varie  guère.  C'est  que  la  protection  de  l'atmo- 
sphère contre  les  germes  pathogènes  n'est  pas  encore  inventée,  et  que  les  faibles  barrières 
que  l'on  peut  élever  contre  ceux-ci,  par  les  quarantaines,  par  l'isolement  des  malades 
dangereux,  ne  sont  en  somme  qu'une  défense  bien  mince,  ^  l'on  réfléchit  au  nombre 
considérable  des  malades,  comme  les  tuberculeux,  qui  vont  semant  leurs  bacilles  par 
les  rues  en  toute  liberté,  ou  de  ceux  qui,  comme  les  diphtéritiques,  les  cholériques,  les 
typhiques,  atteints  de  maladies  atténuées,  véhiculent  leur  mal;  ils  sont  par  conséquent 
d'autant  plus  redoutables  qu'ils  sont  moins  gravement  atteints. 

Poussières  atmosphériques  brutes.  —  L'air  contient  enfin,  en  plus  des  germes 
vivants,  une  foule  de  particules  terreuses,  charbonneuses  et  ferrugineuses,  des  débris  de 
fibres  textiles,  de  parcelles  végétales  envoie  de  décomposition,  qui  peuvent  atteindre  des 
dimensions  susceptibles  de  les  rendre  visibles  à  l'œil  nu.  On  pourrait  aussi  dresser  une 
longue  liste  des  éléments  hétérogèties  provenant  des  animaux,  tels  que  le  duvet  des 
oiseaux,  les  écailles  des  papillons,  les  dépouilles  d'insectes  microscopiques,  et  parfois  aussi 
des  diatomées,  des  œufs  et  des  cadavres  d'infusoires, 

Ces  poussières  brutes  ne  sont  d'ailleurs  pas  inoffensives,  car  elles  agissent  comme  des 
irritants  mécaniques,  à  la  surface  de  nos  bronches  et  de  nos  poumons,  et  peuvent  ouvrir 
aux  microbes  dangereux  des  portes  d'entrée.  Dans  certaines  industries,  où  certaines 
poussières,  minérales,  végétales  ou  animales,  sont  produites  en  grande  quantité,  la 
mortalité  élevée  des  ouvriers  qui  respirent  une  atmosphère  chargée  de  ces  produits 
témoigne  de   leur  nocivité. 

Les  poussières  les  plus  nuisibles  sont  celles  qui,  en  raison  de  leurs  formes  irrégulières 
et  de  leur  déchirabilité,  forment  des  adhérences  avec  la  muqueuse.  Plus  elles  sont  fines 
et  légères,  mieux  elles  pénètrent  profondément  dans  les  voies  bronchiques,  et  plus  les 
effets  en  sont  nuisibles  et  intenses. 

L'irritation  produite  par  le  contact  d'un  corps  étranger  avec  la  muqueuse  provoque 
uu  effort  d'inpulsion,  une  toux.  Or,  s'il  est  des  poussières  (riz,  farine,  etc.)  qui  sont  assez 
facilement  expulsées  par  la  toux,  il  en  est  d'autres,  comme  les  poussières  métalliques, 
les  poussières  de  bois  et  de  diverses  substances  filamenteuses,  qui  s'incrustent  en  raison  de 
leur  forme  sur  les  organes  respiratoires  et  ne  peuvent  être  rejetées  aussi  facilement  par 
un  accès  de  toux.  De  plus,  dans  ces  cas,  il  y  a  blessure  de  la  muqueuse,  c'est-à-dire  une 
porte  ouverte  par  laquelle  entrent  plus  facilement  les  microbes  des  maladies  infec- 
tieuses. 

J.    HÉRICOURT. 

ALBINISME.  —  On  donne  le  nom  d'albinisme  à  un  état  de  décoloration  plus 
ou  moins  complet,  plus  ou  moins  étendu,  des  parties  superficielles  normalement  pigmen- 
tées. Il  s'observe  chez  les  végétaux  aussi  bien  que  chez  les  animaux  ;  dans  les  deux 
cas  il  reconnaît  la  même  cause:  le  manque  ou  la  diminution  du  pigment.  Quand  il  se 
produit  chez  les  feuilles,  il  détermine  ce  que  les  horticulteurs  appellent  les  panachureb, 
et  l'on  sait  que  cette  forme  d'albinisme  est  assez  recherchée  pour  l'ornementation  des 
jardins.  On  peut  dire  que  la  plupart  des  plantes  cultivées  ont  fourni  des  exemples  de 
panachures,  et  c'est  chez  elles  surtout  qu'il  les  faut  chercher  :  la  panachure  est  plus 
rare  à  l'état  sauvage.  La  culture  en  favorise  la  production,  comme  aussi  les  modifica- 
tions de  milieu,  la  transplantation,  et  sans  doute  aussi  des  causes  moins  accessibles  à 
notre  investigation.  On  a  vu  la  panachure  s'abattre  en  quelque  sorte  comme  une  épidé- 
mie sur  toute  une  culture,  et  ceci  indique  qu'il  devait  y  avoir  quelque  cause  générale, 
chimique  ou  physique,  dont  la  nature  nous  échappe.  On  a  souvent  considéré  les  plantes 
panachées    comme   moins  robustes  que  les  sujets  normaux,  mais  ce  semble  être  un 


168  ALBINISME. 

préjugé,  à  tout  prendre.  Chez  elles  l'albinisme  n'est  point  héréditaire  :  une  plante 
panachée  donne  des  graines  fournissant  presque  invariablement  des  sujets  normaux,  et, 
pour  multiplier  les  individus  panachés,  les  horticulteurs  ont  de  préférence  recours  à  la 
multiplication  sexuelle,  au  bouturage,  aux  gretfes,  etc.,  c'est-à-dire  aux  procédés  qui 
prolongent  l'individu,  s'il  est  permis  de  s'exprimer  ainsi.  Au  reste  cette  prolongation 
sans  intervention  de  la  reproduction  sexuelle  peut,  sans  doute,  s'opérer  durant  des 
années  et  des  siècles,  sans  inconvénients  pour  la  vigueur  des  individus  :  la  pomme  de 
terre,  le  bananier,  VElodea  canadensis,  la  canne  à  sucre,  etc.,  en  sont  des  exemples  familiers. 
L'albinisme  chez  les  végétaux  ne  se  localise  pas  aux  feuilles  :  il  peut  encore  envahir  la 
fleur,  le  fruit.  Les  plantes  à  fleurs  albines  ne  sont  pas  rares  :  la  corolle,  au  lieu  d'être 
rouge  ou  bleue,  par  exemple,  est  blanche,  et,  contrairement  à  ce  qui  se  passe  pour  les 
feuilles,  l'albinisme  de  la  tleur  se  transmet  volontiers  par  voie  sexuelle,  et  dès  lors  on 
possède  une  race  albine.  Les  fleurs  jaunes  sont  moins  sujettes  à  l'albinisme  que  les 
rouges  ou  les  bleues.  L'albinisme  des  fruits  est  également  héréditaire  :  on  connaît  les 
races  décolorées  de  fraisiers  et  de  framboisiers,  dont  les  fruits,  à  maturité,  sont  d'un 
blanc  jaunâtre.  Il  est  à  peine  besoin  de  faire  remarquer  que  l'albinisme  n'a  de  commun 
avec  la  chlorose  ou  l'étiolement  que  l'apparence  extérieure:  le  mécanisme,  la  cause  sont 
très  différents,  et  le  traitement  classique  de  la  chlorose  végétale  demeure  absolument 
sans  effet  sur  l'albinisme. 

Ceci  dit  sur  l'albinisme  chez  les  végétaux,  passons  aux  animaux.  Chez  eux  ausîi,  il 
est  d'observation  quotidienne,  et  dans  tous  les  groupes.  Chez  les  invertébrés  terrestres 
ou  aquatiques,  il  n'est  point  rare  :  de  tous  côtés  on  en  voit  signaler  des  exemples.  Les 
entomologistes  ou  les  malacologistes  en  particulier  en  ont  recueilli  beaucoup  de  cas, 
et  les  publications  spéciales  en  font  foi  (Pour  les  insectes  voir  en  particulier  VEntomo- 
logist's  Record  and  Journal  of  Varialion).  Parmi  les  vertébrés  il  en  va  de  même  :  les 
poissons  albins  ne  sont  pas  rares,  et  le  poisson  i-ouge  en  offre  de  nombreux  exemples. 
Les  batraciens  semblent  plus  réfractaires  ;  cependant  M.  Harti.xg  (J.-E.),  à  une  séance 
de  la  Linnean  Society,  en  1891,  a  présenté  une  Rana  temporaria  albine,  et  il  a 
remarqué  à  ce  propos  qu'il  n'a  pu  recueillir  dans  la  bibliographie  que  quatre  ou  cinq  cas 
analogues.  Peut-être  n'était-il  pas  bien  au  courant  des  travaux  faits  sur  le  continent, 
car  Fatio  a  signalé  un  Rombinator  igneus  albin  en  1892  ;  Lataste  a  observé  l'albi- 
nisme chez  une  grenouille  rousse  et  plusieurs  têtards  de  Pélodyle  ;  Héroî-'-Royer  l'a  vu 
chez  des  Alytes,  Pavési  chez  des  grenouilles  vertes,  et  Lesson  en  1881  chez  la  grenouille 
rousse.  Les  tritons  sont  parfois  atteints  d'albinisme,  et  chacun  sait  que  l'Axolotl  le  pré- 
sente aussi  :  il  existe  une  race  albine  due  à  Duméril  qui  a  opéré  là  une  intéressante  expé- 
rience de  sélection  ;  la  race  persiste  —  et  l'albinisme  aussi  —  et  se  reproduit  parfaitement. 
Peut-être  l'albinisme  est-il  rare  chez  les  reptiles.  En  tous  cas  nous  n'en  trouvons  guère 
d'exemples.  Chez  les  oiseaux,  par  contre,  ils  sont  nombreux.  Le  merle  blanc  existe 
ailleurs  que  dans  la  fable,  il  est  même  relativement  fréquent;  le  serin  blanc  existe  aussi, 
et  le  quartier  Latin  en  .possédait  un,  vers  1875,  qui  était  bien  connu  des  élèves  des  lycées 
dans  les  cours  desquels  il  se  montrait  volontiers;  le  corbeau  quitte  parfois  sa  parure 
de  jais  pour  un  costume  blanc  pur,  et  le  Zoologist  et  l'Essex  Natiiralist  renferment 
plusieurs  autres  exemples  de  ce  genre.  Chez  les  mammifères  enfin,  les  cas  sont  eu 
assez  grande  quantité  pour  qu'un  naturaliste  italien  ait  jugé  utile  d'en  dresser  le  cata- 
logue, et  la  Lùte  générale  des  mammifères  sujets  à  l'albinisme,  dressée  par  M.  Elvezio  Can- 
ton:, traduite  en  français  avec  additions  par  M.  Henri  Cadeau  de  Keryille,  complète  avan- 
tageusement les  indications  données  sur  ce  sujet  par  Godron  dans  son  livre  sur  l'Espèce. 
M.  Cantoni  a  relevé  79  espèces  présentant  l'albinisme  à  des  degrés  divers,  et  M.  Gadeau 
DE  Kerville  complète  sa  traduction  et  ses  annotations  par  une  note  publiée  en  1891  sur 
l'albinisme  chez  le  lapin  de  garenne  et  la  bécassine.  Bref  l'albinisme  s'observe  chez  beau- 
coup d'animaux,  aussi  bien  à  l'état  sauvage  qu'à  l'état  domestique.  A  l'état  sauvage  il 
existe  même  chez  quelques-uns  un  albinisme  périodique  intéressant.  Les  manmiifères 
et  oiseaux  des  régions  neigeuses,  au  nord  des  continents  américain  et  asiatique,  sont 
en  effet  vêtus  de  blanc  en  hiver,  et  en  été  leur  pelage  ou  plumage  est  coloré. 

L'albinisme  présente  des  degrés  chez  les  animaux  comme  chez  les  végétaux. 
G.  Frauenfeld  (Farbenabweichungen  bei  Tliieren,  dans  les  Verhandl.  d.  Zool.  Bot.  Vereins, 
Vienne,  18o.3)  a  tenté  de  classer  les  différents  types  observés,  et  voici  sa  classification  : 


ALBUMINE    DE   L'ŒUF.  169 

Lcucockroismc,  ou  albinisme  total;  la  plume  ou  le  poil,  ou  la  peau,  sont  entièrement 
décolorés,  et  l'œil,  chez  les  vertébrés,  a  l'iris  rouge,  dépourvu  de  pigment.  Chlorochroisme  : 
les  couleurs  sont  pâlies,  lavées,  sales.  Géraiochroisme  :  albinisme  par  les  progrès  de  l'âge  ; 
blanchissement  dû  à  la  vieillesse.  AUochroisme  ;  les  couleurs  sont  totalement  blanches, 
ou  en  partie  tapirées.  Climatochroîsme  :  albinisme  périodique  ou  saisonnier.  Cette  clas- 
sification a  l'inconvénient  de  reposer  sur  des  données  différentes.  N'est-il  pas  évident 
qu'il  y  a  leucochroîsme  par  climatochroîsme,  par  exemple.  Dans  un  cas  on  considère  le 
caractère  de  l'albinisme,  dans  l'autre  sa  cause  :  dès  lors  la  classification  est  boiteuse; 
mieux  vaut  s'en  tenir  pour  le  moment  à  la  vieille  classification  de  Geoffroy-Saint-Hilaire 
qui  ne  repose  que  sur  une  seule  donnée,  le  caractère  de  l'albinisme,  sans  tenir  compte 
de  sa  cause,  d'où  les  trois  divisions  que  voici  :  albinisme  complet,  ce  qui  n'a  pas  besoin  de 
définition;  albinisme  partiel,  où  la  décoloration  ne  porte  que  sur  une  partie  de  la  peau, 
du  poil  ou  des  plumes;  albinisme  incom.plet,  où  la  dépigmentation  est  partielle,  où  le 
pigment  est  afiaibli,  mais  non  aboli. 

Il  convient  d'ajouter  que,  comme  chacun  le  sait,  l'albinisme  ne  se  traduit  pas  seu- 
lement par  une  décoloration  de  la  peau  ou  de  ses  appendices  :  il  y  a  encore  décoloration 
de  l'iris  et  de  la  choroïde  dans  beaucoup  de  cas.  De  là  l'œil  albinos  bien  connu,  celui  des 
lapins  blancs,  par  exemple.  Le  pigment  manque  à  l'iris  et  à  la  choroïde,  et  la  lumière 
éclaire  vivement  des  parties  riches  en  vaisseaux,  et  naturellement  rouges.  L'iris  n'est 
pourtant  pas  invariablement  décoloré,  semble-t-il,  et  au  reste,  dans  bien  des  cas,  Fœil 
reste  normal,  l'albinisme  ne  portant  que  sur  le  tégument.  En  ce  cas  il  doit  être  classé 
comme  incomplel. 

Ce  qui  précède  s'applique  à  l'homme  aussi  bien  qu'aux  animaux.  L'homme  aussi 
est  sujet  à  l'albinisme.  Chez  les  albinos,  la  peau  est  fine,  d'un  blanc  qui  diffère  de  la 
couleur  que  nous  disons  blanche  de  la  peau  des  Caucasiques;  elle  est  très  délicate  et  sen- 
sible, et  manifestement  plus  vulnérable  que  la  peau  des  sujets  normaux.  Le  poil  est,  lui 
aussi,  tout  blanc,  dans  les  cas  d'albinisme  complet,  parfois  coloré  en  jaune,  rouge;  il 
est  plus  pauvre  en  fer  que  le  poil  normal.  La  vision  e.st  généralement  troublée  par  la 
dépigmentation  de  la  choroïde  :  il  y  a  photophobie  à  des  degrés  variables'.  On  a  sou- 
vent dit  que  les  albinos  sont  débiles,  lymphatiques  et  peu  intelligents.  Cette  opinion 
n'est  pas  confirmée  par  Fensemble  des  faits  connus,  bien  qu'assurément  elle  soit  fondée 
dans  certains  cas.  Mais  il  ne  faut  pas  généraliser;  toutefois  ils  ne  vivent  guère  vieux, 
et,  si  les  femelles  sont  fécondes,  les  mâles  ne  semblent  pas  l'être  autant  (Geoffroy  Saint- 
Hilaire).  On  ne  sait  trop  quel  produit  donnerait  l'union  de  deux  albinos  :  mais  l'albi-, 
nisme  d'un  seul  parent  ne  se  transmet  pas  nécessairement.  Le  produit  peut  être  normal, 
albinos,  ou  pie,  partiellement  albinos.  La  race  noire  est  beaucoup  plus  sujette  à  l'albi- 
nisme que  les  races  blanche  ou  jaune.  Il  y  a  bon  nombre  d'exemples  de  nègres  gris  ou 
même  blancs.  La  peau  est  blanche,  mais  la  race  se  reconnaît  aux  autres  caractères 
anthropologiques  qui  demeurent  intacts. 

L'albinisme  peut  diminuer  ou  disparaître  avec  l'âge.  Sa  cause  nous  échappe,  du  moins 
sa  raison  d'être;  et,  si  nous  en  connaissons  le  mécanisme,  si  nous  savons  qu'il  est  dû 
à  l'absence  du  pigment  normal,  nous  ignorons  comment  et  pourquoi  ce  pigment  manque. 
L'étude  du  vitiligo,  et  des  cas  où  la  canitie  se  produit  par  une  vive  émotion,  ne  nous 
apprennent  malheureusement  rien  à  cet  égard. 

HENRY   DE   VARIGNY. 

ALBUMINE  DE  L'ŒUF  ou  OVALBUMINE.  —  Pour  les  dif- 

férences  avec  l'albumine  du  sérum,  voir  ce  dernier  article. 

Préparation.  — •  On  peut  appliquer  au  blanc  d'œuf  le  procédé  de  préparation  de 
Denis-Hammahsten  qui  est  indiqué  à  propos  de  l'albumine  du  sérum.  Les  blancs  de 
plusieurs  œufs  sont  incisés  en  tous  sens  au  moyen  de  ciseaux  tranchants,  de  manière 
à  diviser  les  membranes,  puis  dilués  avec  de  l'eau,  passés  à  travers  une  mousseline  et 
saturés  de  MgSO*  à  +  20°.  La  globuline  (représentant  environ  la  vingtième  partie  de  l'al- 
bumine) se  précipite  :  on  la  sépare  par  flltration  ;  on  sature  à  la  même  température  le 

I.  Lord  Sherbrooke,  qui  était  albinos,  déclare  que  chez  lui  la  sensation  produite  par  la  lumière 
du  jour  n'allait  jamais  sans  une  certaine  douleur.  Voy.  Bril.  Médical  Journal,  13  mai  1893. 


170  ALBUMINE    DE    L'ŒUF. 

liquide  filtré,  au  moyen  de  >'a-SO*;  on  recueille  le  précipité  d'albumine;  on  le  purifie 
au  besoin  par  une  série  de  précipitations  (MgSO*  +  Na^SO^),  alternant  avec  des  dissolu- 
tions dans  l'eau.  On  élimine  finalement  les  sels  par  dialyse  et  l'on  évapore  à  sec  dans  le 
vide  à  une  température  ne  dépassant  pas  +  40°  à  +  30°  (Voir  Starke:  Bidrag,  etc.,  dans 
TJpsala  làkarefôrhandlingar,  t.  xvi,  analysé  dans  Maly's  Jahresb.,  1881,  t.  xi,  p.  17). 

On  pourrait  aussi  avoir  recours  au  procédé  de  Kavder-Hofmeister  :  Mélanger  le  blanc 
d'o?uf  avec  un  égal  volume  d'une  solution  saturée  de  sulfate  d'ammonium,  pour  précipi- 
ter la  globuline.  filtrer,  puis  achever  de  saturer  au  moyen  de  sulfate  d'ammonium,  et 
purifier  le  précipité  par  des  dissolutions  et  précipitations  successives.  Michailow  (Maly's 
Jahresb.,  i88o,  t.  xv,  p.lb7.)  précipite  les  albuminoïdes  en  bloc  par  le  sulfate  ammonique 
et  sépare  la  globuline  de  l'albumine  pardialj"se. 

On  ne  peut  songer  à  employer  ici,  comme  pour  l'albumine  du  sérum,  la  précipita- 
tion par  l'alcool,  car  l'albumine  de  l'œuf  passe  promptement  à  l'état  insoluble  au  contact 
de  ce  liquide. 

WufiTz  précipitait  le  blanc  d'œuf  par  le  sous-acétate  de  plomb,  en  évitant  d'employer 
un  excès  de  ce  sel,  puis  décomposait  le  précipité  par  un  courant  de  CO^.  Les  dernières 
traces  de  plomb  étaient  précipitées  par  un  courant  de  H-S  :  pour  'séparer  [le  plomb  il 
chauffait  doucement  au  bain-marie.  Les  premiers  flocons  d'albumine  coagulée  empri- 
sonnent le  sulfure  de  plomb.  Le  liquide  filtré  était  ensuite  évaporé  à  l'étuve.  Le  produit 
ainsi  obtenu  est  mélangé  de  globuline  CWurtz.  Traité  de  Chimie  biologique,  1880,  p.  77). 

A.  GADTiERet  ALEXA^'DR0W1TCH  {Bull.  Soc.chim.,  t. XXV,  i)  recommandent.de  faire  digérer 
le  blanc  d'œuf  étendu  de  deux  fois  son  volume  d'eau,  avec  de  l'hydrate  de  plomb,  tant 
que  celui-ci  se  dissout.  L'albuminate  de  plomb  qui  s'est  produit  est  précipité  par  addition 
d'une  solution  de  la  même  albumine,  et  le  précipité,  lavé  à  l'eau,  est  décomposé  par 
CO"-.  La  solution  albumineuse  ainsi  obtenue,  traitée  par  l'hydrogène  sulfuré  et  filtrée,  est 
débarrassée  du  sulfure  dé  plomb  qu'elle  tient  encore  en  dissolution,  par  digestion  de  la 
liqueur,  à  froid,  en  présence  du  noir  animal,  qui  absorbe  tout  le  plomb.  On  évite  ainsi 
la  coagulation  partielle  du  procédé  de  Wurtz. 

Haas  a  pareillement  cherché  à  purifier  l'albumine  de  l'œuf  en  la  précipitant  par  la 
baryte  et  en  décomposant  l'albuniiiiate  de  baryum  par  CO^. 

F.HoFiiEisTER  (t/eôer  die  Baratellung  von  krystallisirtem  Eiei'albumin  und  die  Krystalli- 
sirbarkeitcotloiderStoffe,Z. P. C.,i890,t.-Ki\, p. i6o.  Ueber  Zusammensetzung  des  krystallinis- 
chenEieralbumins,ibid.i892,l.xvi,pASl)  a  découvert  que  les  solutions  d'albumine  de  l'œuf 
dans  le  sulfate  d'ammonium,  lentement  évaporées,  peuvent  fournir  des  dépôts  de  globu- 
lites  et  de  sphérolites  formés  d'albumine  cristallisée.  Ces  cristaux  contiennent  une  pro- 
portion variable  de  sel,  ce  qui  indique  qu'il  ne  s'agit  pas  d'une  combinaison  chimique. 
S.  Gabriel  {Bemerkungen  iiber  Hofmeistei-'s  krystaUinischen  Eiercdbiimin.Z.P.C.,  1891,  t.sv, 
p.  456)  a  confirmé  ces  faits.  ' 

Purification  de  l'albumine  par  dialyse.  —  Graham  {Ann.  der  Chein.  u.  Pharm., 
1861,  t.cxxi,p.  1)  avait  admis  que  l'albumiue  peut  être  entièrement  privée  de  ses  sels  par 
la  dialyse,  ce  que  v.  Wittich,  Hoppe-Seyler  et  Kuhne  n'avaient  pu  confirmer.  Aronstein 
(Ueber  die  Darstellung  salzfreicr  Albuminldsungen  vermittelst  der  Diffusion.  A.  Pf.,  1873, 
t.  VIII,  p.  75)  affirma  de  nouveau  avoir  éliminé  tous  les  sels  du  sérum  ou  du  blanc  d'œuf  en 
se  servant  de  dialyseurs  formés  de  papier  parchemin  anglais.  Il  constata  que  l'albumine 
privée  de  sels  conserve  sa  solubilité  daus  l'eau  et  perd  la  propriété  de  se  coaguler  par 
la  chaleur  ou  par  l'alcool.  Si  l'on  ajoute  au  liquide  une  petite  quantité  d'un  sel  indif- 
férent, la  coagulabilité  reparaît.  Il  constata  aussi  que  l'albumine  de  l'œuf  exempte  de 
sels  n'est  plus  précipitée  par  l'éther,  tandis  que  l'albumine  du  sérum  qui  ne  l'est  pas 
dans  les  conditions  ordinaires,  le  devient  quand  on  l'a  soumise  à  une  dialyse  suffisam- 
ment prolongée.  A.  Schmidt  {Untersuchung  des  Eiereiweisses  und  Blutserwns  durch  Dia- 
lyse. BeHrage  der  Anatomie  und  Physiologie  als  Festgabe,  Cari  Ludwig  gewidmet.  Leipzig, 
1874,  t,  cLiv  et  Weitere  Untersuchung  en  des  Blutsencms,  Eiereiweisses  und  der  Mi  ich  durch 
Dialyse  mittelst  geleimten  Papiers.  A.  Pf.,  1873,  t.  xr,  p.  1)  arriva  au  même  résultat; 
tandis  que  Heynsids,  Huizinga,  Winogradoff,  Haas,  Laptschinsky,  et  d'autres  ne  purent 
obtenir  de  l'albumine  entièrement  privée  de  sels  (Voyez  Rollett  dans  Handbuch  de 
Hemiann,  1880,  t.  iv,  i,  Blut.,  p.  93). 

RosE.NBERG  [Vcrgleichende  Untersuchung  en  betreff.  das  Alkalialbuminat,  Acidalbumin  und 


ALBUMINE    DE    L'ŒUF.  171 

Albiimin.  Inaugur  Diss.,  Dorpat,  1883)  constata  que  les  solutions  d'albumine  (du  sérum 
ou  du  blanc  d'œuf),  prises  avec  leur  alcalinité  naturelle  ou  acidulées  passent  successi- 
vement par  trois  phases  au  cours  de  la  dialyse.  Au  début,  les  sels  diffusant  plus  vite 
que  l'alcali  ou  l'acide,  il  en  résulte  que,  si  l'on  fait  bouillir  le  liquide,  il  se  forme  faci- 
lement de  l'albumine  alcaline  ou  acide,  d'où  suppression  de  la  coagulation  par  la 
chaleur.  Plus  tard,  la  coagulation  reparaît  parce  que  le  liquide  s'est  trop  appauvri  en 
alcali  ou  en  acide  pour  que  la  transformation  par  la  chaleur  en  albumine  acide  ou 
alcaline  puisse  encore  se  faire.  Enfin,  si  la  dialyse  est  prolongée  pendant  fort  longtemps, 
on  atteint  le  stade  étudié  par  Abonstein  et  dans  lequel  la  coagulabilité  par  la  chaleur  ou 
par  l'alcool  est  définitivement  supprimée  (Voyez  D.  W.,  3'=  suppl.,  1892,  p.  124). 

Harnack  a  récemment  affirmé  avoir  obtenu,  par  décomposition  d'un  albuminate  de 
cuivre,  une  albumine  de  l'œuf  presque  exempte  de  sels,  fournissant  une  solution  qui 
n'est  coagulable  ni  par  la  chaleur,  ni  par  l'alcool,  l'éther,  le  phénol  ou  le  tanin 
(E.  Harnack  Ueber  die  Darstelhing  und  die  Eigenschaftenaschefreien  Albumins,D.chem.  G., 
1889,  t.  XXII,  n"  542,  p.  3046). 

Dosage.  —  Mêmes  procédés  que  pour  l'albumine  du  sérum.  D'après  H.  Dillner  (anal, 
dans  Maly's  Jahreab.,  1885,  t.  xv,  p.  31)  le  blanc  d'œuf  contient  en  moyenne  0,677  p.  100 
(0,5  à  0,8)  de  paraglobuline,  soit  en  moyenne  6,6  p.  100  de  la  masse  totale  des  albumi- 
noides,  qui  eux  constituent  de  9,95  à  11,97  p.  100  du  blanc  d'œuf  liquide. 

Propriétés.  —  Mêmes  remarques  que  pour  l'albumine  du  sérum.  Analyse  élémen- 
taire, d'après  Hammarsten  (Mrt/i/'s  Jakresb.  1881,  t.  xi,  p.  19)  C  b2,,2o;  H  6,9;  Az  15,25; 
S  1,96  p.  100;  d'après  Fr.  Hofmeister  [Ueber  die  Zusammensetzung  des  krystallinisnhen 
Eieralbiimins,Z:P.C.,  i%Q'2,  t.  xvi,  p.  187.)  C  53,36  et  53,21  p.  100;  H  7,31  et  7,21  p.  100;  Az 
15,06  p.  100;  S  1,01. 

Coagulation  par  la  chaleur. —  A.  Gautier  {BiUl  Soc.  c/wm.  t.  siv,  p.  177;  C.ii.,  t.Lxsix, 
p.  228)  admet  que  le  blanc  d'œuf  renferme  au  moins  deux  espèces  d'albumine;  lapremière, 
coagulable  à  63",  aurait  un  pouvoir  rotatoire  plus  faible  que  l'autre,  qui  se  coagule  à 
74°.  Ces  deux  corps  seraient  contenus  dans  le  blanc  d'œuf,  dans  le  rapport  de  1  :  5. 
D'après  Béchamp  (Bu//.  Soc.  chim.,  t.  xxi,  p.  368;  C.  R.,  t.  lxxvii,  p.  1558)  le  blanc  d'œuf 
contiendrait  au  moins  trois  albumines  qui  différeraient  par  leur  pouvoir  rotatoire. 

Gabriel  Corin  et  Eduard  Bérard  [Contribution  à  l'étude  des  incUières  ulbiiminoides  du  blanc 
d'œuf.  Bull.  Acad.  roy.  Belgique. 1888,  t.  xv;  Archives  de  Biologie  et  Travaux  du  laboratoire 
de  Léon  Fredericq)  ont  reconnu  par  la  méthode  des  coagulations  successives  que  le  blanc 
de  l'œuf  de  la  poule  contient  deux  globulines  prôcipitables  par  MgSO*  et  se  coagulant 
respectivement  à  o7°5  (ovoglobuline  a)  et  67°  (ovoglobuline  p)  et  trois  ovalbumines 
(«,  p.  Y,)  se  coagulant  respectivement  à  72°,  76°  et  .82°.  La  richesse  du  liquide  en  sels 
n'a  pas  une  grande  influence  sur  la  température  de  coagulation  :  plus  le  liquide  est 
riche  en  albumine,  plus  la  coagulation  se  produit  à  une  basse  température. 

Hoppe-Seyler  avait  assigné  à  l'albumine  de  l'œuf  un  pouvoir  rotatoire  de  —  35°. 
Gautier  attribua  aux  deux  albumines  admises  par  lui  dans  le  blanc  d'œuf  des  pouvoirs 
rotatoires  de  — •  43°, 2  (coag.  à  +  63°)  et  de —  26°  (coag.  à  +74°)  Haas  {Ueber  das  optische 
und  chemiscJie  Verhalten  einiger  Eiweisssubstanzen,  insbesondere  der  dialysirten  Albumine 
A.  Vf.,  t.  XII, p.  378)  trouva  —  38°, 08  comme  pouvoir  rotatoire  de  l'albumine  (contenant 
encore  un  peu  de  globuline.  Il  constate  que  ce  pouvoir  reste  le  même  quelle  que  soit 
la  teneur  du  liquide  en  sels  et  en  albumine. 

Starke  refit  la  même  détermination  en  se  servant  d'albumine  exempte  de  paraglobu- 
line et  trouva  a  (D)  =  —  38,1". 

Combinaisons  avec  les  métaux.  —  Lieberkubn  avait  étudié  plusieurs  combi- 
naisons de  l'albumine  avec  les  métaux  :  il  en  avait  déduit  une  formule  empirique  de 
l'albumine  :  C-i«Hi''!'Az-"S-0'"*.  Harnack  (Z.  P.  C,  i.y,p.\<è8,tiUeber  die  Darstelhmgund  die 
Eigenschaften  aschcfreien  Albumins.  Ber.d.deuls.  chem.  Ges.,  1889,  t.  xxii,  n°  542,  p.  3046) 
a  préparé  des  combinaisons  de  l'albumine  avec  le  cuivre,  le  plomb  et  le  zinc.  Les  combi- 
naisons cuivriques  contiennent  l'une  1,33  p.  100  de  cuivre  et  l'autre  sensiblement  le 
double  (2,64  p.  100  en  moyenne);  elles  répondent  aux  formules  empiriques  : 
C204H320j^232o66s>Cu  et  C^<»H'"SAz520'^«S-Cu^  (Voyez  aussi  Môhner dans  j1/«/!/'s  Ja/ires;-.,  1877, 
t.  vu,  p.  7;  Rittiiausen  et  R.  Pott.  Journ.  f.  prakt.  Chemie,  1873,  N.  F.,  t. vu, p.  361,  analysé 
dans  Maly's  Jahresb.,  1873,  t.  m,  p.  27). 


172  ALBUMINE    DU    SERUM. 

LoEw  {Ueher  Eiweiss  und  Pepton,  1883,  A.  Pf.,t.  xxxi,p.  393)  a  préparé  des  combinaisons 
argentiques  renfermant  l'une  2,28  p.  100,  l'autre  le  double  (4,31  p.  100)  d'argent  environ. 

Chittende'n  et  Whitehouse  {On  some  metallic  compounds  ofalbumin  and  myosin.  Studies 
froni  the  taboratory  of  physiological  chemistry,Yale  Unwe)'siï»/,New-Haven,1887,  t.  ii,  p.  95; 
voyez  Maly's  Jahresb,  1887,  t.  xvii,  p.  11),  ont  pareillement  préparé  et  analysé  un  grand 
nombre  de  combinaisons  d'albumine  de  l'œuf  avec  les  métaux  suivants  :  Cuivre,  Plomb, 
Fer,  Zinc,  Urane,  Mercure,  Argent. 

Variétés  d'albumine.  —  T.^rchanoff  {Ueber  die  Verschiedenheiten  des  Eieremeisses 
bei  befiedert  geborenen{Ne$tfluchter)  und  bel  nackt  geborenen  (Nesthôcker)  Vogeln.  A .  P/'.,1883, 
t.  sxxi,  p.  368;  et  A.  Pf.,  1884,  t.  xxxiii,  p.  303;  et  Weitere  Beitràge  zur  Prage  von  den 
Verschiedenheiten  zwischen  dem Eiereiweisse  der  Nesthocker  und  der Nestflûchter,  A.  Pf.,  1886, 
t.  xxxix,  p.  483)  a  signalé  des  différences  entre  l'albumine  de  l'œuf  de  poule  et  en  général 
des  oiseaux  qui  naissent  dans  un  état  de  développement  complet  (poules,  canards,  oies, 
dindons,  alouettes)  et  celle  de  l'œuf  des  oiseaux  dont  les  petits  naissent  nus  et  aveugles 
(moineaux,  hirondelles,  cot'beaux,  pies,  pigeons,  rossignols,  pinsons,  etc.).  Voir  aussi 
Fréuy  et  Valencienkes  {A.  C,  1837,  3°  sér.,  t.  l,  p.  138),  el  John  Davy  [Some  observations 
on  the  Eggs  of  Birds.  Edimburg  New  Philosophical  Journal,  oct.  1863). 

L'albumine  des  œufs  de  ces  derniers  (Tataetweiss)  se  coagule  à  une  température 
élevée  +  93°,  en  fournissant  un  produit  vitreux  qui  finit  par  se  dissoudre  dans  l'eau 
bouillante.  Pendant  l'incubation,  cette  albumine  se  transformerait  peu  à  peu  en  albu- 
mine ordinaire;  elle  présenterait  un  pouvoir  rotatoire  plus  faible  (de  1°)  que  l'albumine 
ordinaire. 

Si  l'on  plonge  dans  une  lessive  de  soude  ou  de  potasse  à  5 — 10  p.  100  des  œufs  de 
poule  entiers,  en  coquille,  on  constate  au  bout  de  quelques  jours  une  transformation 
du  blanc  qui  le  rapproche  du  Tataeiweiss.  Cette  albumine  tata  artificielle  serait  plus 
facile  à  digérer  que  le  blanc  d'œuf  ordinaire. 

Tarchanoff  [Sur  le  tata  blanc  ou  tata  albumine  naturel  et  artificiel  et  ses  applications 
à  la  nutrition.  C.  R.  Soc.  Biologie,  1889  (9),  t.  i,  p.  300). 

Filtration  de  l'albumine.  —  Gottw.\lt  {TJeber  die  Filtration  von  Eiweisslôsungen 
durch  thierische  membranen.  Z.P.C.,  1880,  t.  iv,  p.423),  et  Runeberg  (ZiJ»' Frage  der  Filtra- 
tion von  Eiweisslôsungen  durch  thierische  Membranen.  Zeits.  f.  physiol.  Chemie,  1882,  t.  vi, 
p.  308,  et  Arch.  d.  Hellkunde,t.  xvni,p.l)  ont  principalement  étudié  l'influence  de  la  pres- 
sion sur  la  filtration  de  l'albumine. 

A.  Lœvy  {Zeits.  f.  physiol  Chemie,  t.  ix,  p.  537)  a  constaté  que  l'albumine  filtre  plus 
rapidement  et  que  la  solution  est  plus  riche  en  albumine  lorsque  la  température  s'élève. 

G.  BoDLANDER  et  J.  Traube  {Ber.  d.  deuts.  chem.  Gesell.,  t.  x,  p.  1871)  ont  trouvé  que 
l'albumine  ne  modifie  que  très  peu  l'ascension  de  l'eau  dans  les  tubes  capillaires,  tandis 
que  la  caséine  et  surtout  les  peptones  exercent  une  action  marquée  de  la  constante 
capillaire. 

L'albumine  de  l'œufj  comme  les  autres  matières  albuminoïdes,  présente  dans  le 
spectre  de  l'ultra-violet  des  bandes  d'absorption  qui  ont  été  décrites  par  Hartley  (CAew. 
Soc,  1887.  t.  I,  p.  58)  et  par  Soret  {Sur  l'absorption  des  rayons  ultra-violets  par  les  sub- 
stances albuminoïdes,  C.  R.,  t.  xcvii,  p.  642). 

Bibliographie.  —  Maly  {Jahresber.  Thierchemie).  — ■  D.  W.,  et  Supplément. 

LÉON  FREDERICQ. 

ALBUMINE  DU  SÉRUM  (Serine  de  Denis).  —  L'albumine  du  sérum  se 
trouve  abondamment  (concurremment  avec  la  paraglobuline  ou  avec  la  paraglobuline 
et  le  fibrinogène)  dans  le  plasma  et  le  sérum  sanguin,  ainsi  que  dans  la  lymphe  et  les 
liquides  de  transsudation  des  vertébrés  et  existe  aussi  dans  d'autres  liquides  ou 
solides  de  l'organisme.  Elle  constitue  une  notable  partie  de  la  matière  albuminoïde  des 
urines  albumineuses. 

L'albumine  du  sérum  se  distingue  de  celle  de  l'œuf  par  un  pouvoir  rotatoire  plus 
élevé,  parce  que  le  précipité  qu'y  forme  l'acide  chlorhydrique  se  redissout  facilement 
dans  un  excès  d'acide,  parce  qu'elle  n'est  guère  altérée  par  les  acides  très  dilués,  parce 
qu'elle  supporte  beaucoup  plus  longtemps  le  contact  de  l'alcool  avant  d'être  coagulée;  et 
enfin  parce  qu'elle  se  comporte  autrement  dans  l'organisme.  L'albumine  de  l'œuf  que 


ALBUMINE    DU    SERUM.  173 

l'on  injecte  dans  les  veines  apparaît  bientôt  dans  les  urines,  tandis  qu'il  n'en  est  pas 
de  même  de  l'albumine  du  sérum.  Bernard  {Leçons  sur  les  propr.  physiol.  et  les  ait. 
path.  des  liquides  de  l'organisme,  t.  i,  p.  467  et  t.  n,  p.  4o9.  Paris,  18b7.  —  Stokvis. 
(C.  W.,  1864,  p.  597).  —  J.-C.  Lehmann  {Arch.  f.  path.  Anat.,  1864,  t.  sxx,  p.  598.)  — 
PoNFiGK  {Arch.  f.  path.  Anat.,  1874,  t.  lxii,  p.  273). —  Forster  (Z.  B.,  1875,  t.  xi,  p.  496). 
—  BÉCHAMP  et  Baltus  {C.  R.,  1878,  t.  lxxxvi,  p.  1448). 

EsBACH  {Bull.  gên.  de  thérapeutique,  1882)  et  Maurel  {L'année  médicale,  1883)  ont 
recommandé  respectivement  le  réactif  picrique  et  le  réactif  cupro-potassique  pour  dis- 
tinguer l'albumine  de  l'œuf  de  celle  du  sérum.  Gautier  [Maly's  Jahresb.,  1885,  t.  xv,  p.  31) 
préfère  employer  une  liqueur  composée  de  250  ce.  de  lessive  de  soude  d'une  densité 
de  0,7  (à  l'aréomètre  universel  de  Pixii),  50  ce.  d'une  solution  de  sulfate  de  cuivre  à 
3  p.  100  et  700  ce.  d'acide  acétique  glacial.  On  ajoute  10  ce.  du  réactif  à  2  ce.  du  liquide 
à  essayer.  L'albumine  de  l'œuf  se  précipite;  celle  du  sérum  reste  en  solution.  Le 
réactif  peut  être  employé  pour  constater  la  présence  d'albumine  dans  l'urine  des  chiens 
auxquels  on  a  injecté  du  blanc  d'œuf  dans  les  veines. 

Pendant  longtemps,  l'albumine  a  été  considérée  comme  la  seule'substance  protéique 
renfermée  dans  le  sérum  sanguin.  Panom  {Arch.  f.  pathol.  Anatomie,  1852,  t.  iv,  p.  17), 
Lehmann  {Lehrb.  d.  physiol.  Chemie,  Leipzig,  1853,  2,  Aufl.,  p.  359),  Denis  {Nouv.  études; 
Paris,  1856,  et  Mémoire  sur  le  sang,  Paris,  1859),  A.  Schmidt  {Arch.  f.  Anat.  u.  Physiologie, 
1862,  428),  KuHNE  {Lehrb.  der  physiol.  Chemie,  Leipzig,  1860,  168,  175)  et  d'autres  y 
décrivirent  sous  le  nom  de  Caséine  du  sérum,  Fibrine  dissoute,  Albuminate  alcalin,  Subs- 
tance fibrinoplastique,  Paraglobuline,  des  matières  albuminoïdes  que  l'on  considère  au- 
jourd'hui avec  Weyl  {Beitràge  z.  Kenntniss  der  thier.  u.  pflanz.  Eiweisskorper.  Inaug.  Diss. 
Strasbourg,  1877,  et  A. /-'/'■.  1876,t.xii,p.63b),et  Hammarsten  {TJeber  das  Paraglobidin,  A.  Pf. 
1878,  t.  XVII,  p.  459)  comme  une  seule  et  même  substance  appartenant  au  groupe  des  glo- 
bulines.  On  lui  donne  le  nom  de  6 lobuline  du  sérum  {Serumglobulin  des  Allemands)  ou  de 
Paraglobuline.  La  préparation  de  l'albumine  comporte  l'élimination  de  la  paraglobuline. 
Il  y  a  quelques  années,  on  précipitait  la  paraglobuline  en  diluant  le  liquide  de  quinze 
à  vingt  fois  son  volume  d'eau  distillée  et  en  l'acidulant  très  légèrement  par  l'acide 
acétique  et  l'acide  carbonique.  Ce  procédé  ne  précipite  qu'une  très  petite  partie  de  la 
paraglobuline.  Pour  séparer  complètement  la  paraglobuline,  il  faut  avoir  recours  à  la 
méthode  de  précipitation  par  les  sels  neutres  imaginée  par  Denis  {Nouvelles  recherches 
sur  les  matières  albuminoïdes.  Paris,  1836). 

Préparation.  —  1°  Procédé  de  Denis.  On  sature  le  sérum  de  bœuf  (voyez  Sérum)  au 
moyen  de  sulfate  de  magnésium  en  poudre  pour  précipiter  la  paraglobuline  (fibrine 
dissoute  de  Denis).  Hammarsten  recommande  d'opérer  la  saturation  à  la  température 
de  +  30°  et  d'opérer  la  flltration  à  la  môme  température.  Schâfer  et  Hallirurton  agitent 
le  sérum  pendant  plusieurs  heures  avec  des  cristaux  de  sulfate  de  magnésium.  Le 
liquide  clair  débarrassé  de  paraglobuline  par  flltration  est  saturé  à  +  50°  de  sulfate  de 
soude  en  poudre  «  Dès  que  le  liquide  a  pris  à  50°  tout  ce  qu'il  peut  dissoudre  de  sul- 
fate de  soude,  la  serine  se  précipite.  Il  suffit  de  filtrer  en  tenant  l'entonnoir  à  la  même 
température  pour  la  recueillir  sur  le  papier  sous  forme  d'une  couche  blanche  molle 
facile  à  ôter  avec  la  spatule  »  (Denis.  Mémoire  sur  le  sang,  Paris,  1859,  p.  39).  Starke 
(Voir  Maly's  Jahresber.  Thier-Chemie,  1881,f.xi,p.l7)  purifie  l'albumine  ainsi  obtenue  par 
des  dissolutions  et  précipitations  successives  au  moyen  des  mêmes  sels.  Enfin  la  solu- 
tion est  soumise  à  une  dialyse  énergique,  puis  précipitée  par  un  excès  d'alcool  fort.  11 
faut  immédiatement  filtrer  et  laver  à  l'éther  pour  chasser  l'alcool.  La  poudre  ainsi 
obtenue  est  remuée  dans  des  vases  plats  afin  d'éliminer  l'éther.  On  achève  la  dessiccation 
sur  l'acide  sulfurique.  Proportion  de  cendres,  0,37  à  1,84  p.  100. 

ScHAFER  {Notes  on  the  température  ofheat-coagulation  of  certain  of  theproteid  substances 
ofthe  blood.  J.  P.,  t.  m,  p.  181)  admet  qu'après  précipitation  successive  de  la  paraglobuline 
par  Mg  SO''  et  de  l'albumine  par  Na'''  SO*,  il  reste  encore  en  dissolution  dans  le  sérum 
une  petite  quantité  d'une  matière  albuminoïde  autre  que  l'albumine. 

Halliburton  {The  proleids  of  sérum,  J.  P.,  1884,  p.  152)  montra  que  l'action  de 
MgSO*  et  de  Na-SO*,  est  due  à  la  formation  du  sel  double  MgNa-  (SO*)"^  6H-0  et 
que  la  précipitation   de  l'albumine    peut  s'obtenir  à  la  température   ordinaire. 

Les   résultats    contradictoires   auxquels    Halliburton    {loc.   cit.),  Heynsius  {Over   de 


174  ALBUMINE    DU    SERUM. 

verhouding  der  Eiwitstoff'en  tcgenover  zouten  van  alkallèn  en  van  alkalischc  aardcn.  Ondrrz. 
P/i2/sioZ.ia6.Leiden,1884,t.vi,p.  177),  Lewith  {Arch.  f.cxp.Pathol.  ii.l'harmak.,  t.xxiv,  p.l) 
et  HoFMEisTER  (Ai'c/i.  f.  cxp.  Pathol.u.  Pliarmak.,  t.  xxiv,  p.  233)  sonlarrivés  ausujetdela 
précipitation  ou  la  non  précipitation  de  la  paraglobuline  et  de  l'albumine  par  Na-  SO", 
proviennent  d'après  C.  A.  Pekelharing  {Over  hct  neerslaan  van  clwitstoffen  door  natrlum- 
sulfaat.  Ondcrz  Physiol.  Laborat.  Utrecht,  t.  iv,  R.  ii,  1893)  de  la  température  différente 
à  laquelle  ces  auteurs  ont  opéré.  Le  maximum  de  solubilité  du  sulfate  de  sodium  dans 
l'eau  (oo  p.  100)  est  à  34°.  A  cette  température,  toutes  les  substances  albuminoïdes 
seraient  précipitées  intégralement  par  ce  sel.  Il  en  serait  de  même  de  l'albumose. 

2°  Procédé  de  HoFUEisTER-HAaMARSTEiN-JoHANSsoN.  — ■  (F.  HoFMEiSTER.  Zeits.  f.  anal. 
Chemie,  1887,  t.  xx,  p.  319.  —  Hammarsten.  Ueber  die  Amvendbarkeit  des  Magncsiumaid- 
fates  zur  Trenniing  und  quantitativen  Bestimmung  von  Serumalbumin  und  Globulincn. 
Zeits.  f.  physiol.  Chemie,  1884,  t.  vni.  p.  467.  —  J.  E.  Johansson.  Ueber  dus  Verhalten  des 
Serumalbumins  zu  Sâureti  und  Neutralsalzen  (Z.  P.  C,  188o,  t.  ix,  p.'3H.  Voir  aussi  Eich- 
WALD.  Beitrâge  zur  Chemie  der  gewebebildenden  Substanzen  und  ihrer  Abkommlinge. 
Berlin,  1873.) 

On  sature  le  sérum  au  moyen  de  sulfate  de  magnésium  à  la  température  de  30°  et 
l'on  filtre  à  la  même  température.  Le  filtrat  est  séparé  après  refroidissement  du  sulfate 
qui  a  cristallisé  et  additionné  de  1  p.  100  d'acide  acétique.  Le  précipité  est  recueilli  sur 
le  filtre,  exprimé,  puis  redissous  dans  l'eau,  neutralisé  par  un  alcali,  et  soumis  à  la 
dial}'se  pour  le  débarrasser  des  sels.  Le  liquide  dialyse  fournit  parévaporatiou  l'albumine 
à  l'état  solide.  On  peut  également  précipiter  par  l'alcool,  recueillir  sur  un  filtre,  et  laver 
rapidement  à  l'éther  et  laisser  sécber.  Il  faut  exécuter  rapidement  le  traitement  par 
l'alcool,  afin  d'éviter  la  coagulation  de  l'albumine. 

3°  Procédé  de  Hofmeister  —  Kauder  {Af.  ea;per.  Pa</to/.,1886,t.  xx,  p.  4H).  On  mélange 
le  sérum  avec  son  volume  d'une  solution  saturée  de  sulfate  d'ammonium  pour  précipiter 
la  paraglobuline.  On  filtre  et  l'on  achève  de  saturer  le  liquide  filtré  au  moyen  de  sulfate 
d'ammonium  en  substance.  L'albumine  se  précipite  :  on  la  recueille  sur  un  filtre.  On 
peut  la  purifier  en  renouvelant  plusieurs  fois  la  dissolution  dans  l'eau  et  la  précipitation' 
au  moyen  du  sulfate  d'ammoniaque.  On  achève  la  préparation  comme  dans  le  procédé 
précédent  :  dialyse  et  précipitation  par  l'alcool. 

MiCHAiLOw  (Voir  Maly's,  Jahrb.,iSSa,  t.  xv,  p.  137,)  a  proposé  de  précipiter  les  albumi- 
noïdes du  sérum  en  bloc  par  le  sulfate  d'ammoniaque,  de  les  redissoudre  dans  très  peu 
d'eau  et  de  soumettre  la  solution  à  la  dialyse.  La  paraglobuline  se  précipite,  l'albumine 
reste  en  solution.  D'après  Wurtz,  le  procédé  de  préparation  de  l'albumine  par  le  sous- 
acétate  de  plomb  n'est  pas  applicable  à  celle  du  sérum.  L'albumine  du  sérum  pro- 
venant de  la  décomposition  de  l'acétate  de  plomb  a  perdu  la  propriété  de  se  redissoudre 
dans  l'eau. 

Dosage.  —  Procédé  de  Hammarsten.  — ■  On  fait  bouillir,  s'il  y  a  lieu  après  addition 
d'un  peu  d'acide  acétique,  le  filtrat  provenant  de  la  séparation  de  la  paraglobuline. 
On  lave  le  coagulum  et  on  le  pèse  avec  les  précautions  d'usage. 

Il  vaut  encore  mieux  prendre  deux  portions  de  sérum  A  et  B,  faire  dans  A  un  dosage 
des  albuminoïdes  en  bloc  et  dans  B  un  dosage  de  paraglobuline  d'après  le  procédé  de 
Hammarsten  (Voir  Paraglobuline).  Le  poids  de  l'albumine  s'obtient  par  différence. 

2°  Procédé  de  rautcur.  —  On  prend  deux  portions  de  sérum  A  et  B;  B  sert  à  faire  un 
dosage  de  paraglobuline  par  le  polarimètre  (voir  Paraglobuline)  d'après  le  procédé 
de  l'auteur."  Si  le  sérum  est  très  clair,  on  peut  examiner  A  comme  tel  dans  le  polari- 
mètre et  déterminer  la  rotation  totale  due  à  l'albumine  et  à  la  paraglobine.  La  part 
de  rotation  due  à  la  paraglobuline  est  donnée  par  l'opération  B.  La  différence  entre 
A  et  B  indique  la  rotation  qui  revient  à  l'albumine.  Il  est  facile  d'en  déduire  la  pro- 
portion d'albumine,  connaissant  son  pouvoir  rotatoire  (Voir  plus  loin). 

Le  côté  faible  de  ce  procédé  provient  de  l'incertitude  du  pouvoir  rotatoire  de  l'albu- 
mine et  de  la  difficulté  d'obtenir  un  sérum  suffisamment  clair  pour  pouvoir  l'examiner 
comme  tel  au  polarimètre.     ■ 

Aussi  vaut-il  mieux  employer  l'échantillon  B  pour  faire  un  dosage  global  d'albumi- 
noïdes  par  coagulation  par  Talcool  (D'après  laméthode  de  Puls,  Ueber  quantitative  Eiweiss- 
beslimmungen  des  Blutserums  und  der  Milch.   A.  Pf.,  1876,  t.  xiii,  p.  176). 


ALBUMINE    DU    SERUM.  175 

Proportion  d'albumine  et  de  paraglobuline.  —  On  a  cru  pendant  longtemps 
que  la  paraglobuline  ne  constituait  qu'une  minime  fraction  des  albuminoïdes  du  sérum. 
On  sait  aujourd'hui  par  les  dosages  de  Hasimarsten  confirmés  par  ceux  de  l'auteur  que 
la  proportion  de  globuline  peut  dépasser  celle  d'albumine  dans  le  sérum  de  beaucoup 
d'animaux.  Voici  les  chiffres  trouvés  pour  l'homme,  le  chien,  le  bœuf,  le  cheval  et  le 
lapin  :  par  Olof  Hamuarsten  {Ueber  das  Paraglobulin,  A.  Pf.,  1878,  t.  xvii,  p.  413),  Gaetano 
SALViOLi(Dje  gcrinnharen  Ehoeisstoffe  im  Blutserum  und  in  der  Lymphe  des  Hundes,  A.  Dh., 
1881,  p.  269)  et  Léon  Fredericq  [Recherches  sur  les  substances  albuminoïdes  du  sérum  san- 
(juin.  Arch.  de  Biologie,  1880,  t.  i  et  1881,  t.  it,  aussi  C.  R.,  '6  sept.  1881). 


iChcTal.  7,257  4,5Go  2,677  0,591 

Bœuf.  7,499  4,169  3,330  0,842 

Homme.  7,620  3;i03  4;516  1,511 

Lapin.  6,225  1,788  4,436  2,5 

Salvioli  ....      Chien.  3,82  2,03  3,77  1,8 

Fredericq    .    .   .      Chien.  6,4  2,9  3,3  1,3 

Le    quotient  d'albumine  {Eiwcissquolicnt  de  Hammarsten),  c'est  le    rapport  entre    la 

quantité  d'albumine  et  de  globuline  =  —r-, — r — •  On  voit  qu'il  varie  considérablement 
^  globidine 

suivant  l'espèce  animale. 

Drivon  (cité  par  Hoffmann,  Firc/ioîo'sAî'c/au,  t.  lsxvhi,  1879),  Estelle  [Revue  mensuelle 
1880),  F.  A.  Hoffmann  [Globulinbestimmungen  in  Ascitesflilssigheiten.  Arch.f.  exp.  PathoL, 
1883,  t.  XVI,  p.  133),  ont  fait  des  déterminations  analogues  dans  le  sérum  du  sang  et 
dans  des  liquides  pathologiques  provenant  de  patients  humains.  Hoffmann  admet  que  les 
quotients  élevés,  dépassant  1,5  ne  se  trouvent  que  chez  les  individus  vigoureux.  Les 
quotients  faibles  (n'atteignant  pas  l'unité)  ont  toujours  été  trouvés  chez  des  malades 
dont  la  nutrition  était  profondément  atteinte.  La  valeur  du  quotient  du  liquide  de 
Tascite  varie  considérablement  :  minimum  0,65,  maximum  2,46. 

ïiEGEL  a  montré  que  chez  un  serpent  du  Japon  soumis  au  jeûne,  l'albumine  du  sang 
disparaît  et  que  la  paraglobuline  reste  la  seule  substance  du  sérum  sanguin.  Salvioli  n'a 
pu,  chez  le  chien  {A.Db.  1881,  p.  269),  constater  de  différence  constante  entre  la  propor- 
tion d'albumine  et  de  paraglobuline  suivant  que  l'animal  était  à  jeun  ou  en  digestion. 
BuRCE.nARDT,  au  contraire,  a  constaté  une  augmentation  de  la  proportion  absolue  et  re- 
lative de  la  paraglobuline,  une  diminution  de  l'albumine  dans  le  sérum  du  chien  sous 
l'influence  de  l'inanition.  L'influence  de  la  saignée  ne  se  manifeste  pas  clairement  (Bgr- 
CRHARDT.  Beitràge  zur  Chemie  und  Physiologie  des  Blutserums.  Arch.  f.  exper.  Pathol. 
Pharmac.  1883,  t.  xvi,  p.  322.) 

S.  ToRUP  [Recherches  expérimentales  sur  la  reproduction  des  matières  albuminoïdes  du 
sang.  B.  B.  28  avril  1888,  p.  413)  a  constaté  que,  chez  le  chien  à  l'état  d'inanition,  la  sai- 
gnée a  pour  effet  d'augmenter  la  proportion  absolue  tant  de  paraglobuline  (2,  1,6 
et  1,8  au  lieu  de  1,4,  1,01  et  1,1  p.  100)  que  d'albumine  (3,1,  3,  2,9  au  lieu  de  2,7,  2,4 
et  2,02  p.  100)  dans  le  sérum  sanguin. 

Propriétés.  —  L'albumine  du  sérum  est  une  poudre  blanclje  qui  gonfle  dans  l'eau 
et  s'y  dissout  en  toute  proportion  en  fournissant  une  solution  colloïde. 

Elle  présente  toutes  les  propriétés  générales  des  albuminoïdes  vraies,  et  spéciale- 
ment des  albumines  (Voir  article  Albumine). 

Nous  n'insisterons  que  sur  les  différentes  propriétés  par  lesquelles  elle  se  distingue 
des  autres  matières  albuminoïdes. 

Composition  centésimale.  —  Les  seules  analyses  élémentaires  exécutées  avec  de 
l'albumine  exempte  de  globuline  sont  dues  à  Hammarsten  (Voir  Starke,  dans  Maly's 
Jahresb.,  1881,  t.  xi,  p.  19)  (Voir  le  tableau  p.  176). 

Coagulation  par  la  chaleur.  —  Fredericq  (Arch.  Biol.,  1880),  Kauder  [A.  f.  exp. 
Path.,  1886,  t.  XX,  p.  411),  avaient  déjà  appelé  l'attention  sur  ce  fait  que  l'albumine  du  sérum 
parait  être  un  mélange  de  plusieurs  substances  se  coagulant  à  des  températures  diffé- 
rentes. Fredericq  [loc.  cit.)  avait  montré  que  le  pouvoir  rotatoire  de  l'albumine  du  chien 
est    différent  de    celui  de  l'albumine  du  bœuf,  du    cheval   et   du    lapin.  Hammarsten 


176 


ALBUMINE    DU    SERUM. 


{Mail/s  Jaliresb.,  1881,  t.  si,  p.  19)  avait  signalé  des  différences  dans  la  teneur  en  soufre 
de  l'albumine  de  l'homme  et  de  celle  du  cheval. 


C 

H 

Az 

S 

0 

Albumine  du  sérum  do  cheval.    . 
Albumine  d'un  exsudât  humain.    . 

a3,0o 
52,52 

6,85 
6,65 

16,04 
15,88 

1,82 

Moyenne  de 
2di^terminations. 

Moyenne  <ie 
3  déleraiinatioDS. 

22,26 
22,95 

Halliburton  [The  proteids  of  sérum,  3.  P.,  t.  v,  p.  132)  a  montré  qu'il  y  avait  lieu  de  dis- 
tinguer dans  le  sérum  trois  albumines  à  points  de  coagulation  ditférents  :  albumine  a 
se  coagulant  à  70"-72°;  (3,  à  77°;  et  y,  à  82-84°.  Le  sérum  des  Ongulés  ne  contiendrait 
que  les  albumines  p  (77")  et  y  (84°).  Enfui,  chez  les  animaux  à  sang  froid,  il  n'y  aurait  que 
l'albumine  «(Halliburton.  On  the  blood proteids  of  certain  lower  Vertébrales,  J.P.,  1886, 
t.  xn,  p.  319.) 

J.CoRiN  et  G.  Ansiaux  {Note  sur  la  coagulation  par  la  chaleur  des  albumines  du  sérum  du 
bœuf.  Bull.  acad.  roy.  Belg.,  1891,  t.  sxi,  p.  343)  ont  confirmé  le  fait  pour  le  sérum  du 
bœuf.  Comme  Halliburton,  ils  ont  constaté  que  l'albumine  p  devient  opalescente  vers  73° 
à  74°  et  se  coagule  en  flocons  à  une  température  voisine  de  77°,  que  l'albumine  y  devient 
opalescente  vers  79°  à  80°  et  fournit  des  flocons  vers  84°.  Mais  cette  différence  entre  le 
point  d'opalescence  et  celui  de  coagulation  disparait  si  on  élève  très  lentement  la 
température  du  liquide  et  si  on  la  maintient  longtemps  constante  au  point  d'opales- 
cence. L'albumine  finit  par  se  précipiter  en  flocons  à  la  température  d'opalescence.  L'al- 
bumine opalescente  se  précipite  lorsqu'on  sature  le  liquide  par  MgSO''  :  de  plus,  l'albu- 
mine coagulée  par  la  chaleur  se  redissout  en  entier  si  la  température  à  laquelle  le 
liquide  s'est  troublé  n'a  pas  été  maintenue  trop  longtemps.  Les  flocons  redissous  régé- 
nèrent complètement  la  solution  primitive. 

La  présence  des  sels,  la  réaction  acide  et  la  concentration  du  liquide  (teneur  en 
albumine)  ont  pour  effet  d'abaisser  notablement  le  point  de  coagulation  de  l'albumine. 

Cependant  Starre  a  constaté  qu'une  solution  d'albumine  pauvre  en  sels  se  coagule 
vers  +  30°  et  que  cette  température  s'élève  si  l'on  ajoute  NaCl  au  liquide.  Haas  avait 
fait  des  observations  analogues. 

D'après  AR0NSTELN,la  solution  d'albumine  entièrement  privée  de  sels  par  dialyse  ne 
se  coagule  ni  par  la  chaleur  ni  par  l'addition  d'alcool  (Voir  Albumine  de  l'œuf). 

Précipitation  par  les  sels  neutres.  — ■  Burckardt  avait  émis  des  doutes  sur  l'exacti- 
tude de  la  méthode  de  précipitation  par  MgSO*,  pour  séparer  la  paraglobuline  de  l'albu- 
mine du  sérum.  Hammarsten  s'est  efforcé  de  réfuter  les  objections  de  Borcsarut.  G.Kauder 
[Zur  Kennttiiss  der  Eiweisskorper  des  Blutserums.  Archiv.   f.  exp.    Fathol.  u.   Pharmakol. 

1886,  t.  XX,  p.  411)  a  montré  qu'une  solution  de  sulfate  ammonique  commençait  à  préci- 
piter la  paraglobuline  à  13  à  13  p.  100  et  que  la  précipitation  était  complète  quand  le  liquide 
contenait  19  à24  p.  100  du  sel.  Plus  le  liquide  contient  de  paraglobuline,  plus  vite  aussi 
commence  la  précipitation.  Pour  commencer  à  précipiter  l'albumine,  il  faut  33,33  p.  100 
de  sulfate  et  la  précipitation  est  complète  à  47,18  p.  100  de  sel.  Ces  limites  ne  varieraient 
pas  suivant  le  degré  plus  ou  moins  grand  de  concentration  de  l'albumine  dans  le 
liquide.  Comme  la  solution  saturée  à  froid  contient  32,42  grammes  p.  100  de  sulfate, 
on  voit  qu'une  solution  saturée  à  moitié  (contenant  26  p.  100  de  sel)  précipite  complète- 
ment la  paraglobuline,  sans  agir  sur  l'albumine. 

S.   Lewith  [Zur  Lehre  von  der  Wirkung  der  Salze.  Ai'chiv  f.  exp.  Pathol.  u.  Pharmak. 

1887,  XXIV,  p.  1)  a  confirmé  ces  données  et  a  montré  qu'une  solution  d'acétate  de  potas- 
sium précipitait  intégralement  la  paraglobuline  entre  17  p.  100  (début)  et  33  p.  100 
{fin)  de  sel,  tandis  que  l'albumine  commence  à  se  précipiter  à  64,6  p.  100  et  l'est  entiè- 
rement à  88  p.  100. 


ALBUMINOIDES.  177 

Quant  au  sulfate  de  magnésium,  il  précipite  intégralement  la  paraglobuline  (début  à 
16,9;  fin  à  2o,7). 

Voir  aux  art.  Albumine  de  l'oeuf  et  Paraglobuline  les  reclierches  de  Hofmeister  {Archiv 
f.  exp.  PathoL,  t.  xxiv,  p.  247). 

Halliburton  a  constaté  également  que  l'albumine  est  précipitée  sans  altération  de  ses 
solutions  si  on  les  sature  au  moyen  de  carbonate,  d'acétate  ou  de  phosphate  de  potas- 
sium ou  par  la  double  saturation  au  moyen  des  sulfates  de  magnésium  et  de  sodium, 
au  moyen  du  sulfate  de  magnésium  et  du  nitrate  de  sodium,  au  moyen  du  sulfate  de 
magnésium  et  de  l'alun  ammoniacal,  au,  moyen  du  sulfate  de  magnésium  et  de  l'iodure 
de  potassium  ou  enfin  au  moyen  du  chlorure  et  du  sulfate  de  sodium. 

Quant  au  chlorure  de  calcium,  il  précipite  l'albumine  sous  forme  insoluble. 

Pouvoir  rotatoire.  —  Le  pouvoir  rotatoire  de  l'albumine  du  sérum  a  été  déterminé 
par  Hoppe-Seyler  (Peftec  die  Bestimmung  des  Eiwcissgehaltcs  im  Urine,  Blutserum,  Trans- 
sudaten,  mittelst  des  Ventzke-Soleilschen  Polarisations  Apparûtes.  Virchoiv's  Archiv,  1857, 
t.  XII,  p.  552  et  Beitrâge  zur  Kenntniss  der  Albuminstoffe.  Zeits.f.  Chem.  u.  Pharmacie  de  Fre- 
senius,  1864,  t.  m,  p.  737),  Haas  (TJeher  dus  optiscke  und  chemische  Verhalten  einigcr  Eiweiss- 
substanzen,  insbesonderc  der  dialysirten  Albumine.  A.  Pf.,  1876,  t.  ii,  p.  378),  Léon  Frede- 
RicQ  {Rech.  sur  tes  subst.  alb.  du  sérum  sanguin.  Arch.  Biologie,  1880,  t.  i,  et  1881,  t.  ii,  et 
C.  i?.,osept.  1891),  et  Starke  [Bidrag  tillStudiet  af  Scrumalbumin.  Upsata  lâkarefûrenings 
fôrhandlingar,  t.  xyi:  Anal.  da.as  Maly' s  Jahresb.  1881,  t.  xi). 

Voici  les  chiffres  trouvés  :  Hoppe-Seyler  a  (D).  =  —  06°  (albumine  de  l'hoinme), 
Haas  :  —  35,  77°  et  —  62°  (albumine  de  l'homme)  ;  Léon  Fkedericq  :  —  57,  3°  (cheval,  bœuf), 
—  44°  (chien)  ;  Starke,  —  60,  Oo  (cheval).  Les  écliantillons  les  plus  purs  étaient  ceux 
examinés  par  Starke. 

Haas  a  constaté  que  le  pouvoir  rotatoire  restait  le  même,  quelle  que  fût  la  richesse  du 
liquide  en  albumine  ou  en  sels. 

LÉON    FREDERICQ. 

ALBUMINOIDES.  — -Historique.  —  On  décrit  sous  le  nom  de  matières 
albuminoïdes  un  certain  nombre  de  produits  azotés  de  nature  complexe,  se  rapprochant 
plus  ou  moins  par  leurs  propriétés  et  leur  composition  de  l'albumine  de  l'œuf  et  de  l'al- 
bumine du  sérum.  On  peut  dire  des  substances  albuminoïdes  ce  que  Huxley  a  dit  du 
protoplasma  :  elles  sont  la  base  physique  de  la  vie.  Elles  forment  en  effet  la  partie  fonda- 
mentale de  la  substance  végétale  ou  animale.  Le  rôle  prépondérant  qu'elles  jouent  dans 
les  phénomènes  de  la  vie  explique  le  très  grand  intérêt  qui  s'attache  à  leur  étude,  à  la 
connaissance  approfondie  de  leur  nature  et  de  leurs  transformations  qui  seule  peut  con- 
duire à  la  solution  des  problèmes  posés  par  la  biologie.  Malheureusement  cette  étude  est 
remplie  de  difficultés.  La  complexité  de  l'édifice  moléculaire  albuminoïde  est  si  grande 
qu'elle  a  longtemps  défié  les  recherches  les  plus  patientes  et  que  c'est  seulement  dans 
ces  dernières  années,  grâce  aux  admirables  travaux  de  M.  Schûtzenberger,  qu'on  a  pu 
acquérir  des  notions  un  peu  claires  sur  la  constitution  des  substances  albuminoïdes. 

Bien  que  les  matières  animales  azotées  soient  connues  depuis  longtemps,  ce  n'est 
guère  qu'au  xvm°  siècle  qu'on  a  isolé  les  substances  albuminoïdes  types.  Rouelle  en 
1771  et  FouRCROY  en  1789  ont  isolé  et  étudié  pour  la  première  fois  l'albumine  de  l'œuf; 
celle  du  sérum  a  été  aperçue  en  1793  par  Hunter.  La  fibrine  a  été  décrite  par  Rouelle 
sous  le  nom  de  matière  fibreuse  du  sang,  mais  c'est  Fourcroy  qui  eu  fit  l'étude  chimique. 
L'étude  de  la  caséine  remonte  aussi  à  cette  époque.  Braconnot  en  fit  le  premier  une 
étude  sérieuse. 

Pour  les  matières  albuminoïdes  végétales,  leur  connaissance  date  aussi  du  même 
temps.  BoERHAAVE  déjà,  en  1732,  avait  signalé  l'analogie  qui  existe  entre  les  composés 
animaux  et  végétaux.  Fourcroy  put  retirer  de  l'eau  de  lavage  de  la  pâte,  de  la  farine, 
du  blé,  une  substance  se  coagulant  par  la  chaleur  en  flocons  blancs,  présentant  tous  les 
caractères  de  l'albumine  animale.  Auparavant  Beccaria  avait  retiré  du  froment  le  gluten 
ou  glutineux. 

Les  analyses  de  Berthollet  (1773  et  1783)  établirent  que  les  matières  albuminoidps 
contiennent  en  outre  de  l'oxygène,  du  carbone  et  de  l'hydrogène,  de  l'azote  en  grande 

WCT.    DE    PHYSIOLOGIE.    —    TOME    I.  12 


178,  ALBUMINOIDES. 

quantité.  De  plus  les  recherches  de  Scheele  (1773),  de  Fourcroy  et  de  Berthollet  mon- 
trèrent que  souvent  des  phosphates  sont  unis  à  ces  substances  dans  les  tissus  solides  et 
dans  les  humeurs. 

La  conclusion  de  Fourcroy  est  que  «  ces  matières  sont  des  composés  au  moins  qua- 
ternaires formés  par  l'union  de  l'H,  du  C,  de  l'O  et  de  l'Az  auxquels  sont  souvent  unis  en 
proportions  très  variables  du  soufre,  du  phosphore,  du  calcium,  du  magnésium  et  du 
sodium.  Il  en  résulte  des  matières  faciles  à  décomposer,  très  altérables,  très  fétides  dans 
la  plupart  de  leurs  altérations,  très  disposées  à  prendre  le  caratère  h.uileus  et  à  fournir 
de  l'ammoniaque.  « 

Dans  le  cours  de  ce  siècle,  Mulder,  Scherer,  Jones,  Cahours  et  Dumas,  Boussingault, 
HoppE  Seyler,  Liebig,  Hey'nsius,  Wdriz,  etc.,  ont  fait  une  étude  beaucoup  plus  sérieuse  des 
substances  albuminoïdes  au  point  de  vue  de  leurs  préparations,  de  leurs  propriétés,  en  ont 
déterminé  exactement  la  composition  élémentaire  et  ont  considérablement  étendu  nos 
connaissances  sur  cette  partie  obscure  de  la  chimie.  Enfin  dans  la  période  contempo- 
raine de  nombreux  travaux  d'une  haute  importance,  parmi  lesquels  il  faut  citer  au  pre- 
mier rang  ceux  de  M.  Schutzemberger,  ont  jeté  une  très  vive  lumière  sur  la  nature  et  la 
constitution  des  substances  protéiques. 

Propriétés  physiques  et  caractères  généraux  des  albuminoïdes.  —  Les  ma- 
tières albuminoïdes  se  présentent  généralement  sous  l'aspect  de  matières  incolores  et 
amorphes.  Quelques-unes  cependant  se  rencontrent  à  l'état  de  cristaux  (hémoglobine, 
cristalloïdes  ou  cristaux  d'aleurone,  plaques  vitellines).  A  l'état  solide,  humides  et  fraî- 
chement précipitées,  elles  forment  des  masses  blanches,  floconneuses  ou  granuleuses, 
insipides  et  inodores.  A  l'état  sec  elles  sont  jaunes,  cornées,  plus  ou  moins  translucides, 

Les  unes  sont  solubles  dans  l'eau,  les  autres  insolubles  ;  mais  parmi  ces  dernières  plu- 
sieurs peuvent  se  dissoudre  en  présence  d'une  faible  quantité  de  sels  neutres,  des  acides 
ou  des  alcalis  étendus. 

Toutes  les  solutions  de  matières  albuminoïdes  dévient  à  gauche  le  plan  de  la  lumière 
"polarisée  (Bouchardat)  ;  voici  quelques  chiffres  indiquant  leur  pouvoir  rotatoire. 

Albumine  de  l'œuf..    .     — 33"  à  — 88»     1    Fibrinogène —  45° 

Sérum  albumine — o6"  Syntonine  de  myosine —  72° 

Sérum  globuline —  Ô9<>7   I    Caséine  dissoute  dans  SO+Mg.   .   .  —  86° 

Albuminoses  diverses.    ...  —  70°  à  80°. 

Ces  dissolutions  soumises  à  la  dialyse  laissent  passer  très  peu  de  substance  (à  l'excep- 
tion des  peptones).  Ce  sont  en  effet  des  substances  colloïdales,  suivant  la  conception  de 
Graham.  Cette  forme  colloïdale  serait,  d'après  Graham,  un  état  transitoire  instable  ou  dy- 
namique de  la  matière  dont  l'état  statique  est  la  forme  cristalline.  Ce  fait  que  l'albumine 
en  solution  ne  traverse  pas  une  membrane  végétale  ou  animale  nous  prouve  que  nous 
n'avons  pas  affaire  à  une  solution  parfaite.  Le  tableau  suivant,  qui  donne  le  temps  d'"égale 
diffusion  pour  quelques  corps  pris  dans  les  deux  classes  des  cristalloïdes  et  des  colloïdes, 
montre  le  peu  de  diCfusibilité  des  albuminoïdes. 

Acide  chlorhydi'ique 1 

Sucre  de  canne 7 

Sulfate   de  magnésie   ....  7 

Albumine 49 

Caramel ,    .  98 

Cet  état  de  dissolution  apparente  est  très  instable  :  sous  l'influence  d'un  certain 
nombre  de  facteurs,  température,  déshydratation,  réaction  acide  du  milieu,  présence  de 
certains  cristalloïdes,  les  albuminoïdes  tendent  à  devenir  insolubles  et  à  se  précipiter  sous 
forme  de  gelée,  de  caillots  ou  de  grumeaux.  Les  dissolutions  les  plus  concentrées  sont 
celles  qui  sont  le  plus  instables.  Enfin  pour  un  certain  nombre  de  matières  albuminoïdes, 
la  tendance  à  la  coagulation  est  si  marquée  qu'elles  se  précipitent,  se  coagulent  dès  que 
la  vie  cesse  dans  les  tissus  dont  elles  font  partie  (coagulation  du  sang,  rigidité  cadavé- 
rique). Le  coagulum  en  général  ne  peut  pas  faire  retour  à  la  matière  initiale,  mais  il 
peut  se  transformer  en  une  matière  protéique  de  nouveau  précipitable,  quoique  diffé- 
rente de  la  première.  C'est  ainsi  que  l'albumine  de  l'œuf  coagulée  par  la  chaleur  et  trai- 


ALBUMINOIDES. 


•179 


tée  par  les  acides  minéraux  étendus  se  transforme  en  acide  albumine  soluble  précipi- 
table  par  neutralisation  de  la  solution. 

Comme  le  fait  remarquer  A.  GinTiBR,  (c  ces  colloïdes  fluides  de  nature  neutre  et  fai- 
blement unis  à  une  grande  masse  d'eau,  ont  une  mollesse  qui  les  rend  propres,  aussi  bien 
que  l'eau  elle-même,  mais  moins  puissamment  et  moins  brutalement,  aux  phénomènes  de 
diffuUon.  Ils  sont  lentement  pénétrables  aux  réactifs  et  leurs  molécules  servent  d'inter- 
médiaires perpétuels  et  comme  d'amortisseurs  aux  plus  délicates  actions  physicochimi- 
ques... Le  temps  devient,  grâce  à  ces  propriétés,  l'une  des  conditions  des  réactions  qui  se 
produisent  dans  nos  tissus  et  nos  humeurs,  réactions  qui  se  continuent  sans  secousses, 
successivement,  lentement,  assurant  ainsi  au  fonctionnement  des  organes  une  progressive 
et  incessante  production  d'énergie  provenant  de  ces  réactions  aifaiblies,  mais  continues.  » 

Composition  des  albuminoïdes.  —  Toutes  les  matières  albuminoïdes  renferment 
du  carbone,  de  l'ox3'gène,  de  l'hydrogène,  de  l'azote.  Un  très  grand  nombre  contiennent 
en  outre  du  soufre  et  un  petit  nombre  du  phosphore  et  du  fer.  Leur  combustion  fournit 
des  cendres  composées  de  phosphates  de  calcium,  de  magnésium  et  d'un  peu  d'oxyde  de 
fer.  Ces  sels  semblent  bien  faire  en  réalité  partie  intégrante  des  matières  albuminoïdes; 
car  la  dialyse  la  plus  prolongée  ne  les  fait  jamais  disparaître  complètement.  Voici,  d'après 
Beaunis  (t.  p.  t.  I,  p.  160),  un  tableau  donnant  la  composition  centésimale  de  quelques 
matières  albuminoïdes. 


Albumine. 


Fibrine 

Caséine  (lait  de  femme) 
—      (lait  de  vache) 

Syntonine 

Peptone 

Substance  amyloïdc   .    , 
Substance  collagène  . 

Mucine 

Glutine 

Chondrine 

Elastine 

Kératine 


52,7 


6,9 

7,3 

7,0 

7,2 

7,4 

7,3 

6,95 

7,0 

6,7 

6,7 

6,7 

6,6 

7,4 

6,4 


13,4 
16,.5 
17,4 
14,6 
14,2 
16,1 
17,1 
15,5 
18,0 
9,6 
18,1 
14,4 
16,7 
16,2 


20,9 

23,3 

21,9 

25,7 

24,7 

21,5 

23,45 

22,5 

24,5 

34,2 

24,6 

29,0 

20,4 


2,0 
1,2 


1,1 
1,1 
1.3 
0,5 

0,5 
0,6 


Substances  albuminoïdes  végétales  (d'après  A.  Gautier). 


Albumine  végétale  (orge)  .   .   .   . 
Caséine  végétale  (noix  de  Para)  . 

Conglutine  (amandes) 

Légiimine  (pois) 

Gluten  caséine  (blé) 


52,86 
32.43 
30,21 
31,'i-8 
52,94 


7,33 
7,12 
6,81 
7,02 
7,04 


15,75 
18,10 
18,37 
16,77 
17,14 


22,98 
21,80 
24,13 
24,33 
21,91 


1,18 
0,33 
0,45 
0,40 
0,93 


3,6 
1,38 
2,66 
3,58 


trace 
0,82 
1,28 
3,10 
beaucoup 


La  composition  centésimale  des  substances  protéiques,  soit  végétales,  soit  animales, 
oscille  en  général  entre  les  limites  que  voici  : 

.      Carbone 50,0  à  -30,0  p.  100 

Hydrogène 6,3  à     7,3      — 

Azote 15,0  à  19,0      — 

Oxygène 19,0  à  24,5      — 

Soufre 0,4  à    4,0      — ■ 


180  ALBUMINOIDES. 

Quant  au  fer,  cet  élément  varie  de  0,33  à  0,39  p.  100. 

Réactions  et  décomposition  des  substances  albuminoïdes.  —  1°  Chaleur  {dis- 
tillation sèche). —  Les  substances  albuminoïdes  dégagent,  quand  on  les  chauffe,  une  odeur 
de  corne  brûlée  et  laissent  un  charbon  volumineux, fortement  azoté.  11  se  forme  les  pro- 
duits suivants  :  des  acides  gras  volatils  (acétique,  butyrique,  valérique,  caproïque,  etc.) 
combinés  à  l'ammoniaque;  du  sulfure,  du  cyanure  et  du  carbonate  d'ammonium;  des 
ammoniaques  composées  (méthylamine,  butylamine,  propylamine,  amylamine),  une 
partie  oléagineuse  complexe  (huile  animale  de  Dippel)  renfermant  des  hydrocarbonés  et 
d'autres  produits;  des  phénols;  des  bases  non  oxygénées  formant  deux  séries,  celles  de 
la  pyridine  C^H'Az  et  de  l'anihne  C^H'Az,  du  p5'rrol  C'H-'Az,  du  scatol  C'H^Az,  etc. 

2°  Action  de  l'eau.  —  Mulder,  sous  la  dénomination  de  trioxyde  de  protéide,  fit  con- 
naître un  composé  soluble  dans  l'eau,  insoluble  dans  l'alcool,  contenant  moins  de  carbone 
et  plus  d'oxygène  que  les  matières  d'oîi  il  provient,  produit  résultant  de  l'oxydation 
au  contact  de  l'air  et  de  l'hydratation  en  présence  de  l'eau  à  une  température  suffisam- 
ment élevée  de  l'albumine  ou  de  la  fibrine  longtemps  chauffée  dans  l'eau  bouillante.  Ce 
corps  paraît  être  de  nature  peptonique;  mais,  dans  l'état  actuel  de  nos  connaissances,  il 
est  difficile  de  se  prononcer  sur  sa  nature. 

Si  l'on  chauffe  dans  des  tubes  scellés  en  présence  de  l'eau,  de  130°  à  130°,  de  l'albu- 
mine, de  la  fibrine,  de  la  caséine  et  un  certain  nombre  d'autres  matières  albuminoïdes, 
les  matières  se  transforment  en  produits  solubles  qu'on  peut  regarder  comme  des  produits 
d'hydratation  commençante  :  on  retrouve  en  effet  dans  la  solution  de  la  leucine  et  de  la 
tyrosine  qui,  comme  no  us  le  verrons,  se  produisent  dans  l'hydratation  des  albuminoïdes, 
soit  sous  l'influence  des  acides,  soit  sous  l'influence  des  alcalis. 

De  même,  Lubavin,  en  chauffant  dans  une  marmite  de  Papin  un  liquide  d'ascite, 
obtint  une  liqueur  brunâtre  à  odeur  de  bouillon  et  contenant  de  la  leucine  et  de  la  tyro- 
sine. La  caséine  a  fourni  les  mêmes  produits. 

A  l'air  libre,  sous  l'influence  de  l'eau  bouillante  agissant  sur  les  albuminoïdes  coagulés, 
une  portion  de  la  masse  demeure  insoluble.  La  partie  soluble  renferme  des  gaz  sulfurés, 
un  produit  coagulable  par  les  acides,  des  corps  solubles  dans  l'alcool  et  l'éther,  en 
petite  quantité,  plus  divers  principes  non  étudiés,  précipitables  par  l'acétate  de  cuivre,  le 
sous-acétate  de  plomb,  le  bichlorure  de  mercure,  etc.  (Sterry  Hunt;  A.  Gautier). 

La  cartilagéine,  l'osséine,  naturellement  insolubles,  se  transforment  en  isomères 
solubles,  la  gélatine,  la  chondrine.  D'autres  substances  protéiques  comme  l'élastine  ne 
sont  pas  modifiées. 

3°  Action  des  acides.  —  Il  faut  distinguer  l'action  des  acides  faibles,  ou  moyennement 
étendus  ou  concentrés. 

A.  Action  des  acides  faibles.  Ils  séparent  d'abord  les  sels  et  les  bases  unis  aux  albu- 
minoïdes, puis  agissent  sur  la  substance  protéique  elle-même  et  le  transforment  en  iso- 
mères solubles  ou  insolubles. 

L'acide  sulfurique,  l'acide  chlorhydrique  à  1/2  ou  1  p.  100  gonflent  beaucoup  de  ma- 
tières insolubles  et  transforment  en  substances  solubles  d'autres  albuminoïdes  :  la  myo- 
sine  coagulée,  le  gluten,  certaines  fibrines  et  caséines  insolubles.  Par  cette  action  on 
obtient  des  substances  appelées  syntonines  ou  acide-albumines  qui  ont  la  même  composition 
apparente  et  le  même  pouvoir  lévogyre  que  la  matière  initiale.  Mais  en  enlevant  l'acide 
on  ne  peut  les  transformer  en  la  matière  primitive. 

B.  Action  des  acides  moyennement  étendus.  Quand  on  combine  cette  action  avec  celle 
de  la  chaleur,  les  matières  albuminoïdes  subissent  un  dédoublement. 

Si  on  fait  bouillir,  pendant  quelques  heures,  une  solution  d'acide  sulfurique  à  20 
pour  800  avec  100  grammes  d'albumine  sèche,  comme  l'a  fait  M.  Schïjtzenberger,  on 
obtient  d'une  part  une  substance  gélatineuse  insoluble  dans  l'eau,  l'alcool  et  l'éther,  se 
desséchant  en 'une  masse  grumeleuse,  amorphe,  fendillée,  jaunâtre  :  c'est  {'hémiprotéine, 
formant  à  peu  de  chose  près  la  moitié  de  l'albumine  employée  et  renfermant  indépen- 
damment d'une  petite  quantité  de  soufre  : 

(  C.    .    .       52,66  à  54,83  p.  100 
Hémiprotéine.      H.   .    .         7,01  à     7,31      — 
(  Az  .    .       14,22  à  15,08      — 


ALBUMINOIDES.  181 

et  d'autre  part  une  substance  amorphe,  soluble  dans  l'eau,  insoluble  dans  l'alcool,  légè- 
rement acide  :  c'est  V hémialbumine  dont  la  composition  est  la  suivante  : 


(  C  .    . 

.       50 

[émialbumine. 

H  .    . 

1 

(  A/,.   . 

.       15, 

répondant  à  la  formule  C-''H'»<'Az^Oi<'. 

En  outre  on  peut  extraire  de  la  solution  sulfurique  :  i"  une  petite  quantité  d'un  acide 
azoté  C-''H*''Az^O'';  2°  une  substance  analogue  à  la  sarcine;  3°  une  substance  réduisant 
énergiquement  la  liqueur  de  Fehling,  du  glucose  ou  un  corps  analogue  (fait  très  intéres- 
sant au  point  de  vue  physiologique). 

L'hémiproléine,  à  la  suite  d'une  ébullition  prolongée  avec  l'acide  sulfurique  étendu,  se 
dissout  lentement  et  se  transforme  en  hémiproiéidine  : 


(  C  .    .    . 

47,73 

45,70 

46,1 

Hémiprotéidine 

H.    .    . 

6,48 

6,6 

6.7 

(  Az    .    . 

14,5 

— 

13,0 

répondant  à  la  formule  C''H*-Az^O'-,H-0  et  qui  résulterait  de  l'oxydation  et  de  l'hydrata- 
tion de  l'hémialbumine. 

En  même  [temps   apparaissent    la  tyrosine,  la  leucine  et  ses  homologues.  On  peut 
résumer  de  la  façon  suivante  le  dédoublement  de  la  matièrejalbuminoïde  : 

Albuminoïde.. 


Hémiprotéine.         Hémialbumine.        Acide  azoté, 
(noyau  résistant)  /  subst.  analogues 


Hémiprotéidine. 


à  la  sarcine 
et  au  2:lucose. 


Tyrosine. 

Leucine  et  homologues. 

D'autre  part  Erlenmayer  et  Scuaefer,  par  l'ébullition  de  matières  albuminoïdes  avec 
de  l'acide  sulfurique  plus  concentré  (étendu  de  une  fois  et  demie  son  poids  d'eau),  ont 
obtenu  comme  produits  définitifs  de  dédoublement  les  quantités  de  leucine  et  de  tyrosine 
suivantes  : 


Pour  100  d'élastine 35  à  45  0,25 

—  fibrine 14  0,8 

—  syntonine   ....  18  1,0 

—  albumine  de  l'œuf  10  1,8 

—  tissus  cornés    .    .  10  3,6 

Enfin  RiTTHAUSEN  a  signalé  dans  les  mêmes  conditions  la  production  des  acides  aspar- 
tique  et  glutamique  aux  dépens  des  matières  albuminoïdes  végétales  et  Hlasiwetz  et 
Habermann  montrèrent  que  la  production  de  ces  acides  ne  caractérise  pas  exclusivement 
les  composés  protéiques  végétaux. 

i"  Action  des  cdcalis.  — ■  Sous  l'influence  des  alcalis  étendus  (1  à  2  p.  100  de  NaOH)  la 
plupart  des  matières  albuminoïdes  se  dissolvent  et  se  précipitent  par  la  neutralisation  de 
la  solution.  Ces  substances  ainsi  dissoutes  par  les  alcalis  portent  le  nom  de  syntonines 
d'alcalis  ou  alcalialbumines;  elles  doivent  être  rapprochées  des  acide  albumines.  Elles 
possèdent  beaucoup  des  propriétés  de  la  caséine  et  Lieberkuhn  les  avait  crues  identiques 
avec  ce  dernier  corps. 

En  présence  d'alcalis  plus  concentrés,  même  à  froid,  la  molécule  albuminoïde  est 
altérée;  une  partie  résiste,  une  se  peptonise,  une  autre  est  altérée;  il  se  fait  de  l'acide 
carbonique  et  peut-être  de  l'acide  oxalique  ;  le  soufre  est  séparé  à  l'état  de  sulfure  alcalin 
et  d'hyposulfite,  et  il  apparaît  une  substance,  soluble  dans  l'alcool,  précipitant  à  froid 


182  A  LBU  MI  NO  IDES. 

l'acétate  de  cuivre  et  faiblement  basique;  de  cette  liqueur  complexe,  on  précipite  par  la 
neutralisation  une  substance  qui  n'est  autre  que  cette  protéine  que  Molder  considérait 
comme  le  noyau  commun  des  albuminoïdes. 

Par  une  longue  ébullitiou  avec  de  la  potasse  concentrée  il  se  dégage  de  l'ammoniaque, 
et  dans  la  liqueur  (ne  précipitant  plus  par  les  acides)  on  retrouve  de  la  leucine  et  de  la 
tyrosine.  La  potasse  fondante  donne  de  même  de  la  leucine,  de  la  tyrosine,  et  des  sels 
alcalins  d'acides  gras  (formiate,  acétate,  butyrate,  valérate,  oxalate,  etc.);  en  même 
temps  que  de  la  butalanine,  de  l'ammoniaque,  des  ammoniaques  composées,  du  pyrrol, 
de  l'indol,  du  scatol  et  du  phénol. 

L'action  d'une  solution  de  baryte  à  une  température  élevée  a  été  particulièrement 
étudiée  par  M.  Schûtzenberger;  nous  y  reviendrons  quand  nous  étudierons  la  constitu- 
tion des  albuminoïdes. 

0°  Action  dts  réactifs  oxydants.  —  a.  En  oxydant  certaines  matières  albuminoïdes 
par  le  permanganate  de  potassium  en  solution  alcaline,  Béchamp  a  obtenu  de  l'urée.  Ce 
résultat  conflrmé  par  Ritter  a  été  contesté  par  Staedeler,  Lùw,  Tappeiner  et  Lossen. 
La  quantité  d'urée  n'est  d'ailleurs  pas  considérable. 

Par  l'oxydation  au  moyen  d'un  mélange  de  bioxyde  de  manganèse  ou  de  bichromate 
de  potasse  et  d'acide  sulfurique  étendu,  Guckelberg  a  obtenu  des  aldéhydes  (acétique, 
propionique,  butyrique,  benzoïque)  des  acides  (formique,  acétique,  propionique,  butyrique 
valérique,  caproique,  benzoïque),  du  formonitrile  (CAzH)  et  du  valéronitrile. 

b.  Acide  azotique.  —  L'acide  azotique  fumant  dissout  les  matières  albuminoïdes  eu 
formant  une  liqueur  jaune  que  l'eau  précipite.  Il  se  forme  de  Yacide  xantlwprolélque 
(nom  donné  par  Mulder),  produit  insoluble  dans  l'eau,  l'alcool,  l'éther,  soluble  dans  les 
acides  concentrés,  dans  les  alcalis,  l'eau  de  chaux,  de  baryte.  Cette  formation  d'acide 
xanthoprotéique  est  une  des  réactions  caractéristiques  des  albuminoïdes. 

c.  Eau  régale.  —  Les  matières  albuminoïdes  se  dissolvent  dans  l'eau  régale.  A  chaud  il 
se  produit  des  corps  oléagineux  volatils  (chlorazols),  des  acides  fumarique  et  oxalique, 
de  la  leucine,  de  la  tyrosine,  etc. 

Il  en  est  de  même  avec  les  hypochlorites  alcalins. 

d.  Chlore  et  Brome.  —  L'action  du  brome  en  présence  de  l'eau  a  été  bien  étudiée  par 
Hlasiwetz  et  Habermann  qui  ont  signalé  la  formation  des  produits  suivants  :  Bromo- 
forme,  acides  bromacélique,  oxalique,  aspartique,  caproïque;  un  isomère  de  l'acide 
aspartique;  de  la  leucinimide,  des  composés  peptoniques;  de  pe,tites  quantités  d'acides 
tribromo-amido-benzoïque  et  bromobenzoïque. 

L'action  de  l'ozone  a  été  étudiée  par  Gorup-Besanez;  elle  ne  donne  pas  lieu  à  la  for- 
mation de  corps  bien  caractérisés;  la  fibrine  et  la  gélatine  ne  paraissant  pas  être, 
attaquées. 

Poids  moléculaire  et  constitution  des  albuminoides.  —  H  y  a  une  soixantaine 
d'années,  Mulder,  traitant  des  matières  albuminoïdes  par  une  lessive  de  soude  moyenne- 
ment étendue,  à  une  température  élevée,  obtint  après  neutralisation  de  la  liqueur  un  pré- 
cipité gélatineux  présentant  toujours  selon  lui  la  même  composition,  quelle  que  fût  la  subs- 
tance albuminoïde  employée.  Le  soufre  et  le  phosphore  restaient  en  solution  dans  la  soude. 

Mulder  désigna  ce  produit  ainsi  obtenu  sous  le  nom  de  protéine  et  considéra  les 
matières  protéiques  comme  formées  par  l'union  de  ce  radical  avec  du  phosphore,  du 
soufre,  des  phosphates  et  d'autres  sels  en  proportions  différentes. 

Cette  théorie  n'a  plus  aujourd'hui  qu'un  intérêt  historique.  Nous  savons  en  effet, que- 
cette  protéine  de  ^Mulder  n'est  pas  une  substance  simpte,mais  un  mélange  de  substances 
protéiques  appauvries  en  soufre  et  d'amides  très  compiexes  dont  la  quantité  et  la 
nature  varient  si  on  les  chauffe  (A.  Gautier). 

J'en  dirai  de  même  de  la  théorie  de  Gerhardi  qui  admettait  que  les  substances  albu- 
minoïdes sont  identiques  par  leur  constitution  et  ne  diffèrent  que  par  la  nature  des  subs- 
tances minérales  qui  y  sont  combinées;  de  l'hypothèse  de  Sterry  Hunt  qui,  considérant 
que  le  soufre  peut  être  remplacé  par  de  Toxygène  dans  la  formule  de  l'albumine  pro- 
posée par  LieberkChn  supposait  qu'à  l'état  de  pureté  l'albumine  désulfurée  renferme 
les  éléments  de  la  cellulose  et  de  l'ammoniaque,  moins  ceux  de  l'eau.  L'albumine, 
d'après  cette  théorie,  aurait  correspondu  à  de  la  cellulose  azotée,  la  fibrine  et  la  caséine, 
à  de  la  dextrine  et  de  la  gomme,  et  la  gélatine  à  un  nitrile  du  glucose. 


ALBUIVIINOÏDES.  183 

En  1872,  dans  son  traité  élémentaire  de  cliimie,  BEninELOT  considérait  les  corps  albu- 
minoïdes  comme  formés  par  l'association  de  la  glycolamine,  de  la  leucine  et  de  la 
tjTosine  avec  certains  principes  oxyg-énés  appartenant  d'une  part  à  la  série  acétique 
et  de  l'autre  à  la  série  benzoique. 

11  faut  arriver  aux  mémorables  travaux  de  Schdtzenberger  pour  trouver  une  théorie 
de  la  constitution  des  albuminoïdes  basée  sur  l'analyse  exacte  des  produits  de  décom- 
position de  la  molécule  protéique.  La  grande  difficulté  de  ces  recherches  consiste  en  ce 
que,  comme  le  fait  remarquer  ScnnizENBERCEn  {La  conatitutimi  des  matières  proléiqucs. 
Conférence  de  la  société  chimique  in  Revue  Scientifique,  24  juillet  1887),  «  les  matières  pro- 
téiques  ne  possèdent  aucun  de  ces  caractères  physiques  et  chimiques  qui  font  le  bon- 
heur du  savant;  elles  ne  sont  ni  cristallisables,  ni  volatiles,  ni  aptes  à  se  prêtera  une 
série  de  réactions  nettes,  élégantes,  permettant  de  tirer  d'un  seul  produit  une  riche 
moisson  de  produits  nouveaux  ».  En  elTet,  comme  l'a  aussi  dit  Bcnge,  c'est  quand  on 
aura  obtenu  des  manières  albuminoïdes  cristallisées  qu'on  sera  sûr  d'avoir  affaire  à 
des  individus  chimiques  et  que  l'on  pourra  déterminer  la  composition  des  différentes 
matières  albuminoïdes  et  les  comparer  entre  elles. 

En  se  basant  sur  la  composition  de  l'albumlnate  obtenu  par  l'action  à  froid  de  la 
potasse  sur  des  solutions  concentrées  d'albumine  et  la  composition  des  sels  métalliques 
correspondants,  LiEBERKUHN  avait  donné  pour  l'albumine  la  formule  suivante  restée  long- 
temps classique  : 

C'2Hii2Azis022S  =  1612. 

Mais  en  réalité  cette  formule  doit  être  au  moins  triplée.  En  effet  Harnack,  analysant 
des  combinaisons  cuivriques  de  l'albumine  (obtenues  en  traitant  des  solutions  neutres 
d'albumine  de  l'œuf  par  un  sel  de  cuivre  soluble),  est  arrivé  à  la  formule  suivante  pour 
l'albumine  de  l'œuf  : 

C20iH322Aza2OGGS^  =  4618. 

De  même  Lœw  a  pu  obtenir  des  combinaisons  argentiques  dont  l'analyse  élémentaire 
conduit  à  une  formule  supérieure  à  celle  de  Lieberruhn.  D'autre  part  des  études  faites  avec 
les  globulines  cristallisées  qui  se  trouvent  dans  les  végétaux  (cristalloïdes  d'aleurone,  glo- 
bulines  de  la  noix  de  Para)  faites  par  Schmiedebebg,  Drechsel,  Grûbler  ont  conduit  à  des 
chiffes  très  élevés.  C'est  ainsi  que  la  formule  minima  pour  les  globulines  de  la  semence 
de  courge  sérail  d'après  Grubler  : 

029-2  H4S1  Az!>o  0S3  S^  =  6637, 

Enfin  l'analyse  des  diverses  oxyhémoglobines  a  fourni  des  résultats  précieux.  Connais- 
sant la  formule  de  l'hématine  et  les  rapports  du  soufre  au  fer  (2  atomes  dé  fer  pour  un 
atome  de  soufre)  la  formule  de  l'hémoglobine  est  : 

CU2Hii30Az2iiO2«FeS2. 

Si  l'on  retranche  la  formule  de  l'hématine  G'-  H'-Az*  O'-Fe,  on  obtient  pour  la  formule 
de  la  matière  albuminoïde  : 

C6SOHi»9SAz2ioo2ii  S=  =  16218. 

Pour  ScnûTzENBERGER  la  fomiule  de  l'albumine  de  l'œuf  serait  la  suivante  : 

C2  ■.0H392  Az65  0'^  S3  =  3478, 

et  pour  A.  Gautier  : 

C250H409  Az<5"  OS'  S'  =  5739. 

Ces  divers  chiffres  disent  assez  quelle  est  la  complexité  de  cette  molécule  albuminoïde. 
C'est  à  ce  groupement  si  complexe,  cet  édifice  moléculaire  colossal  que  Sceûtzenberger 
s'est  attaqué.  11  s'agissait  en  somme  de  briser,  de  cliver  cet  édifice  el  d'étudier  les  frag- 
ments de  constitution  plus  simple.  Sa  méthode  expérimentale  est  celle  qui  a  permis  à 
Chevredl  de  fixer  la  constitution  des  corps  gras  :  c'est  la  méthode  par  saponification 
ou  dédoublement  accompagné  d'hydratation.  Nous  ne  pouvons,  on  le  comprend,  présenter 
un  exposé  détaillé  des  recherches  de  l'éminent  chimiste  du  Collège  de  France;  nous 
nous  bornerons  à  l'exposé  de  leur  ensemble. 


184-  ALBUMINOIDES. 

C'est  par  l'action  de  la  baryte  en  solution  concentrée  et  à  température  élevée, 
(100  à  200°  et  chauffage  dans  un  autoclave  en  acier  fondu)  que  Schûtzenberger  a  In^draté 
et  dédoublé  les  albuminoïdes.  Comme  matière  protéique  il  a  étudié  d'abord  l'albumine 
de  l'œuf  coagulée  et  sécbée. 

Les  produits  de  dédoublement  par  hydratation  sont  ainsi  composés  : 

1°  De  l'ammoniaque  et  une  très  petite  quantité  de  produits  volatils  parmi  lesquels  le 
pyrrol  C''H''Az.  L'ammoniaque  représente  1/4  à  t/S  de  l'azote  total  16,5  p.  100. 

2°  Un  mélange  de  carbonate  et  d'oxalafe  de  baryum.  Les  quantités  d'acide  carbonique 
et  d'acide  oxalique  sont  pour  l'albumine  de  l'œuf  d'une  molécule  du  premier  pour  5  du 
second.  Pour  chaque  molécule  de  ces  deux  acides  il  se  produit  toujours  2  molécules 
d'ammoniaque,  c'est-à-dire  dans  les  proportions  nécessaires  pour  former  de  l'urée  et  de 
l'oxamide. 

3°  La  liqueur  filtrée,  séparée  de  l'ammoniaque  par  ébullition,  traitée  par  CO^  pour 
précipiter  l'excès  de  baryte,  puis  par  SO'H-  pour  séparer  le  baryte  unie  aux  acides  orga- 
niques, fournit  par  distillation  de  l'acide  acétique  libre.  Il  reste  un  résidu  fixe  brut  ainsi 
composé  : 

1°  De  la  tyrosine  C'H"AzO'  en  petite  quantité  (.3  p.  100  de  mat.  alb.  environ). 

2°  Des  acides  amidés  de  la  formule  générale  C^H-"  +  'AzO^  parmi  lesquels  prédo- 
mine la  leucine  ou  acide  amidocaproïque  C'H'^AzO-  : 

Alanine  (amido-propionique) C^H'AzO-. 

Butalanine  (acide  amido-butyrique).    .  C'^H^AzO-.' 

Acide  amido-valérique CôH'iAzO-. 

Leucine C^HnAzO^. 

Acide  amido-œnantliylique C'Hi»AzO-. 

3°  Des  composés  répondant  à  la  formule  C"H^°-*AzO-  désignés  sous  le  nom  générique 
de  leiicéines  et  pouvant  être  regardés  comme  des  acides  amidés  de  la  série  acrylique. 

Acide  amido-crotonique C'E^AzO-. 

Acide  amido-angélique CâH^AzO-, 

4°  Enfin  des  corps  diffe'rents  de  ceux  des  deux  groupes  précédents  et  répondant  a  la 
formule  C°H-''Az^O*(n  =  7,8,9,10,11,12).  Ces  corps  présentent  une  saveur  assez  fortement 
sucrée.  On  les  appelle  glucoprotéines,  substances  incolores,  solubles  dans  l'eau,  peu 
solubles  dans  l'alcool  absolu  bouillant. 

Par  un  chauffage  à  température  plus  élevée  la  proportion  de  glucoprotéines  est 
fortement  diminuée  et  les  produits  de  dédoublement  sont  surtout  formés  par  un  mélange 
de  leuclnes  et  de  leucéines  (C^H'^^n-'AzO-)  pouvant  être  envisagés  comme  des  anhydrides 
des  oxyacides  amidés  C"H^"+*AzO-'. 

0°  Des  composés  plus  riches  en  oxygène  du  type  C°H-"~'AzO*. 
Acide  aspartique  C'H'^AzO*;  acide  glutamique  C^H'AzO'*. 

6^  Un  acide  du  type  CH'^^-^AzO',  acide  glutimique  C^H'Azo^. 

1"  Enfin  un  produit  nouveau,  la  tyroleucinc  C"H-^Az'-0*  ;  de  petites  quantités  d'acides 
du  t3-pe  C"H2a— 'Az-0^  ;  des  traces  d'acides  lactique  et  succinique  et  une  faible  propor- 
tion de  matières  ternaires  neutres  analogues  à  ladextrine,  ce  dernier  fait  très  intéressant 
au  point  de  vue  physiologique.  - 

Voici  comment  M.  Schûtzenberger  résume  lui-même  les  conséquences  de  ses  tra- 
vaux : 

1°  La  matière  protéique  en  s'hydratant  sous  l'influence  de  la  bai-yte  à  une  tempéra- 
ture supérieure  à  100°  utilise  à  2Jeu  de  chose  près  autant  de  molécules  d'H^O  qu'elle  con- 
tient d'atomes  d'azote. 

2»  Une  fraction  de  l'azote  total,  fraction  variant  avec  la  nature  de  la  substance  em- 
ployée, de  1/4  à  1/S,  se  sépare  sous  forme  d'ammoniaque. 

On  constate  en  même  temps  la  mise  en  liberté  d'acides  oxalique  et  carbonique  en 
proportion  telle  que,  pour  2  molécules  2AzH^  d'ammoniaque  libre,  on  trouve  une  molé- 
cule d'acide  bibasique  (CO-  et  C-H-0'). 

3"  Les  autres  termes  de  la  décomposition  sont  tous  des  corps  amidés.  La  composi- 


ALBUMINOIDES.  185 

tion  élémentaire  de  leur  mélange  répond  assez  exactement  à  une  expression  de  la  forme 
C"ir-''Az-0*  avec  un  léger  excès  d'oxygène. 

4°  Le  mélange  est  formé  de  deux  séries  de  termes  les  uns  de  la  forme  C''H^*'+'AzO- 
(b  =  2,3,4,S,6)  sont  les  dérivés  amidés  (leucines)  des  acides  gras  CiH-^O- que  l'on  peut  obte- 
nir synthétiquement  par  l'action  des  dérivés  chlorés  des  acides  gras  sur  l'ammoniaque; 
les  autres  de  la  forme  C°H-'=-'AzO-  (C^  =  4,6)  peuvent  être  envisagés  comme  les  anhy- 
drides C"H-""-'AzO-  des  oxyaoides  amidés  C''H''"+'  AzO'. 

Une  matière  protéique  telle  que  l'albumine  peut  finalement  être  envisagée  dans  ses 
grandes  lignes  comme  formée  de 

C2H20-i  +  2AzH3  +  3(CmH2m  +  i  AzPa)  +  3(C"H3n-i  AzO^)  —  8H^0 
A.  oxalique  OU  CqH2qA2i50i2[q  =  3(m+  n)  ] 

=  C  q-l-sHSq-sAzsOs. 

En  posant  q  =  28,  la  formule  précédente  conduit  à  des  nombres  qui  se  rapprochent 
beaucoup  de  ceux  que  donne  l'analyse  élémentaire  de  l'albumine. 

En  tenant  compte  de  tous  les  produits  qui  prennent  naissance  par  le  dédoublement 
d'une  molécule  d'albumine  (à  l'exception  de  la  tyrosine  et  des  matières  dextriniques 
dont  la  quantité  est  minime),  M.  ScHiJTZEXBEnGER  arrive  à  considérer  cette  molécule 
comme  une  uréide  complexe,  une  diuréidc,  qui  fournirait  par  son  dédoublement  2  molé- 
cules d'urée,  de  l'acide  acétique  et  un  mélange  d'acides  amidés. 

M.  ScHtiTZENBERGEB  ne  s'est  pas  d'ailleurs  borné  à  étudier  l'albumine  de  l'œuf;  un 
grand  nombre  d'autres  matières  protéiques  ont  été  soumises  à  la  même  analyse,  et  leur 
dédoublement  en  présence  de  la  baryte  a  fourni  à  peu  de  chose  près  les  mêmes  pro- 
duits indiquant  ainsi  une  remarquable  analogie  de  structure  générale. 

La  conception  de  M.  A.  Gautier,  relativement  à  la  structure  de  la  molécule  albuminoïde 
et  à  la  nature  de  son  noyau  central  est  un  peu  différente.  Suivant  M.  Gautier  il  existe 
dans  tout  composé  albuminoïde,  ainsi  que  dans  la  plupart  des  composés  naturels  du 
groupe  urique,  une  chaîne  centrale,  un  noyau  constitué  par  un  groupement  dérivé  de 
CAzH  et  non  saturé,  tel  que  serait  le  groupe 

—  C  —  (AzH)"  —  C  —  (AzH)"  —  C  —  (AzH)"  — 

11  il  11 

formé  par  l'union  de  trois  molécules  d'acide  cyanhydrique  ayant  chacune  la  constitution 
suivante  : 

AzH  — 

I  ou                     —  C  — 

-C-  li 

I  .                            AzH 

Groupement  tétratomique.  Groupement  diatomique. 

A  ces  deux  noyaux  moléculaires  se  rattachent  des  groupements  diatomiques  ou 
mono-atomiques  oxygénés,  tels  que  CO,  et  OH  et  plus  généralement  des  restes  aldéhy- 
diques  qui  viennent  compléter  la  molécule. 

Exemple:     (OH)' —  C  —  (AzHV  —  H     et     (OH)  —  C  —  (AzH)"  —  H 
Il  '  1 

CH20  CO 

M.  A.  Gautier  a  en  effet  montré  le  rôle  considérable  que  joue  le  groupement  cyané 
(CAz)  dans  les  transformations  et  la  synthèse  des  composés  organiques  naturels.  Beau- 
coup de  ces  composés  ont  une  grande  tendance  à  se  polymériser.  En  se  soudant  à  lui- 
même,  CAzH  deviendrait  ainsi  le  squelette  des  matières  albuminoïdes.  Cette  conception 
explique  très  bien  la  formation  des  composés  du  groupe  urique.  D'ailleurs,  cette 
théorie  a  reçu  une  brillante  confirmation  expérimentale  par  la  découverte  que  fit  Kossel 
d'un  polymère  de  CAzH,  l'adénine  C^Az^H'''  qui  a  été  extraite  du  pancréas. 

Groupement  aromatique  dans  la  molécule  albuminoïde.  —  Nous  avons  vu  que 
parmi  les  produits  de  dédoublement  de  l'albumine  apparaissait  la  tyrosine  (C'H"AzO^), 


186  ALBUMINOIDES. 

corps  répondaixt  à  la  constitution  de  l'acide  amido-h3'drocoumariqQe  caractérisé  par  le 
groupement  aromatique  C'H''. 

(C^H=)/YÀzH3^ 

e6H4/  \  V        ) 

\(0H) 

L'existence  de  ce  groupement  aromatique  explique  la  réaction  de  Millon  commune 
aux  matières  albuminoïdes  et  aux  composés  aromatiques  comme  le  phénol.  De  même, 
nous  savons  que  les  matières  albuminoïdes  fournissent  des  bases  pyridiques  ethydropj'ri- 
diques.  Par  la  putréfaction  ces  substances  fournissent  des  bases  analogues.  L'ox3'dalion 
donne  de  la  tjTOsine  et  de  l'acide  benzoïque.  Quel  que  soit  le  genre  de  dédoublement 
auquel  on  soumet  les  matières  protéiques,  la  formation  des  dérivés  aromatiques  est 
constante.  C'est  de  ce  noyau  aromatique  que  dérivent  les  composés  aromatiques,  phénol, 
indol,  scatol,  qui  apparaissent  au  cours  de  la  décomposition  des  albuminoïdes  dans 
l'intestin. 

Noyau  hydrocarboné.  —  Enfui,  les  substances  protéiques  renferment  encore  Un 
un  noyau  hydrocarboné  représenté  soit  par  le  groupement  CH.  OHoaH.COH  (aldéhyde 
formique,)  soit  par  CH^  On  a  constaté  en  effet  que  sous  l'influence  de  l'hydrate  de 
baryte  les  matières  protéiques  se  dédoublaient  en  dérivés  amide's  des  acides  gras  ana- 
logues à  l'acide  lactique.  On  a  même  constaté  la  présence  de  l'alanine,  isomérique  avec 
la  lactamide.  Or,  quand  on  traite  les  matières  hydrocarbonées  par  la  potasse,  ces  ma- 
tières se  dédoublent  en  acide  lactique  qui  représente  à  peu  près  70  ou  80  p.  100  de  la 
substance  hydrocarbonée. 

D'ailleurs,  les  rapports  qui  existent  entre  les  matières  hydrocarbonées  et  les  matières 
albuminoïdes  sont  justifiés  par  le  fait  que  la  levure  de  bière  (comme  nous  le  verrons), 
se  développant  dans  un  milieu  composé  uniquement  de  sucre  et  de  sels  ammoniacaux 
doane  naissance  à  un  produit  ayant  les  caractères  des  matières  albuminoïdes.  Enfin 
nous  devons  nous  rappeler  que  parmi  les  produits  d'hydratation  des  substances  pro- 
téiques sous  l'influence  des  acides  minéraux  et  de  l'hydrate  de  baryte,  figurent  des 
composés  présentant  la  plus  grande  analogie  avec  la  glucose  et  la  dextrine. 

En  résumé,  la  molécule  albuminoïde  parait  foi'mée  par  trois  groupements  principaux  : 

un  azoté,  soit  CAzH,  soit  C0\-^^    j;  un  groupement  hydrocarboné  H.COH  ou  gras  CIl^ 

et  un  noyau  aromatique  CH'»  auxquels  viennent  s'adjoindre  d'autres  groupements 
accessoires  de  diverse  nature.  Ce  serait  peut-être  à  l'agencement  différent  de  ces  divers 
radicaux  que  seraient  dues  les  différences  que  présentent  au  point  de  vue  cliimique  et 
physiologique  des  matières  albuminoïdes  qui  ont,  à  peu  de  chose  près,  la  même  compo- 
sition centésimale. 

Essais  de  synthèse  des  albuminoïdes.  —  En  parlant  de  ses  recherches  analy- 
tiques, M.  ScHUTZENBERGER  a  fait  le  premier  essai  de  synthèse  des  matières  albuminoïdes. 

La  molécule  albuminoïde  pouvant  d'une  façon  générale  être  envisagée  comme 
résultant  de  l'union —  avec  perte  d'eau —  de  l'urée  (ou  de  l'oxamide)  avec  laleucine  et  les 
leucéines,  M.  Schutzenberger  a  d'abord  fait  la  synthèse  des  leucéines  par  l'action  des 
bromures  éthyléniques  sur  les  combinaisons  zinciques  des  acides  gi'as  amidés  CnH'-n+'AzO-. 
En  mélangeant  des  leucines  et  des  leucéines  avec  10  p.  100  d'urée  et  en  déshydratant 
le  mélange  par  l'anhydride  phosphorique  à  1250,  il  a  obtenu  un  produit  amorphe,  soluble 
dans  l'eau,  précipitable  par  l'alcool  en  grumeaux  blancs  caséeux  et  ressemblant  beaucoup 
aux  peptones.  Il  présente  la  plupart  des  réactions  des  peptones,  et,  calciné,  dégage  l'odeur 
caractéristique  de  corne  brûlée. 

D'autre  part,  M.  Gbimaux,  en  chauffant  à  une  température  de  12o°  à  130°  pendant 
deux  heures  l'anhydride  de  l'acide  aspartique  avec  la  moitié  de  son  poids  d'urée,  a 
obtenu  une  subsLance  C^''H''''Az"0-S  présentant  les  caractères  généraux  des  substances 
protéiques.  Il  a  pu  obtenir  aussi  un  colloïde  amidobenzolque  très  remarquable,  en 
chauffant  l'acide  amidobenzoïque  pendant  une  heure  avec  une  fois  et  demie  sou  poids 
de  perchlorure  de  phosphore  et  en  traitant  la  masse  par  l'eau  bouillante  jusqu'à  ce  que 
le  résidu  insoluble  présentât  l'aspect  d'une  poudre  blanche  et  friable.  Cette,  poudre  se 
dissout  totalement  à  chaud  dans  l'ammoniaque. 


ALBUMINOIDES.  187 

La  solution  obtenue,  évaporée  et  desséchée,  donne  des  plaques  jaunâtres  translucides 
ayant  une  grande  ressemblance  avec  l'albumine  du  sérum  desséchée.  Les  réactions 
générales  de  cette  substance  sont  tout  à  fait  compai'ables  à  celles  des  substances  albumi- 
noides. 

Albumine  morte  et  albumine  vivante.  — Ce  qui  complique  encore  l'étude  des 
substances  albuminoïdes  au  point  de  vue  de  la  chimie  biologique,  c'est  que  l'on  est 
conduit  à  se  demander  avec  Pfldger  si  la  substance  protéique  que  le  chimiste  étudie  est 
bien  la  même  que  celle  qui  est  le  siège  des  échanges  chimiques  chez  l'être  vivant. 

Pflugiîr,  puis  Lôw,  ont  en  effet  émis  l'idée  que  l'albumine  vivante  était  non  seulement 
physiologiquemenl,  mais  encore  chimiquement  différente  de  l'albumine  que  le  chimiste 
analyse,  de  l'albumine  des  éléments  de  nos  tissus  après  la  mort.  Il  faut  remarquer  que' 
l'albumine  morte  à  la  température  du  corps  est  à  peu  près  indifférente  aux  réactifs  chi- 
miques et  à  l'oxygène,  à  rencontre  de  l'albumine  vivante  qui  est  en  voie  de  mutations 
incessantes. 

D'un  autre  côté,  les  produits  de  décomposition  ne  seraient  pas  les  mêmes  :  les 
produits  ultimes  de  la  désassimilation  azotée  chez  le  vivant  sont  l'urée  '  et  l'acide 
urique;  les  produits  de  destruction  de  l'albumine  morte  contiennent  surtout  des  anides 
et  de  l'ammoniaque.  Ce  qui  établirait  la  différence,  d'après  Pfluger,  ce  serait  le  passage 
d'un  groupement  moléculaire  à  un  autre.  Pour  lui,  en  effet,  le  groupement  caracté- 
ristique de  la  matière  albuminoïde  vivante  est  le  noyau  CAzH.  La  mort  consisterait  dans 
le  passage  de  cet  état  à  l'état  ammoniacal  : 

CAzH  =  CAz.   ...  a 

CÀzH  =  CAz.   ...  H 

CAzH=C AzH 

AzH^ 

Low  -  a  étudié  l'action  des  sels  d'argent  sur  le  protoplasma  et  considère  comme 
caractéristique  de  l'albumine  vivante  la  propriété  de  réduire  les  solutions  alcalines  des 
sels  d'argent.  Cette  propriété  appartiendrait  au  groupement  aldéhydique  contenu  dans 
l'albumine  vivante.  A  ce  groupement  aldéhydique  s'ajouterait  un  groupement  amidé. 
La  mort  consisterait  dans  le  passage  du  groupement  amidé  à  l'état  iniidé  : 

I  I 

CH  —  AzH2  CH  —  AzH 

I  =  I 

C  — COH  CO— CHOH 

!l  11 

Groupement  amidé.  G-roupement  imidc. 

Enfin,  A.  iVIosso  a  essayé  d'établir  une  différence  en  se  basant  sur  la  manière  dont 
les  substances  albuminoïdes  se  comportent  en  présence  du  vert  de  méthyle. 

Le  protoplasma  vivant  repousse  en  effet  la  matière  colorante.  Si  un  simple  ralentis- 
sement vital  se  produit,  il  y  a  pénétration  d'un  peu  de  colorant  (couleur  violette);  si  le 
protoplasma  est  mort,  il  se  colore  en  vert. 

Réactions  caractéristiques;  reclierche  des  albuminoïdes.  —  A  l'exemple  de 
Lambling,  nous  diviserons  les  réactions  qui  permettent  de  reconnaître  la  présence  de 
matières  albuminoïdes  et  de  les  caractériser  en  deux  classes  :  1°  les  réactions  de  préci- 
pitation qui  permettent  de  séparer  les  matières  albuminoïdes,  des  liquides  dans  lesquels 
elles  sont  contenues  et  2»  les  réactions  de  coloration  qui  permettent  de  reconnaître  et 
de  caractériser  des  quantités  souvent  très  minimes  de  matières- protéiques. 

Réactions  de  précipitation.  —  Il  ne  faut  pas  confondre  la  précipitation  des  subs- 
tances albuminoïdes  avec  leur  coagulation.  La  précipitation  n'altère  pas,  au  moins  pour 
un  temps,  la  substance  précipitée  qui  peut  reprendre  son-  état  primitif;  la  coagulation 

1.  Il  faut  remarquer  que  l'urée  se  forme  dans  l'organisme,  principalement  aux  dépens  des 
composés  ammoniacaux  résultant  do  la  désintégration  de  la  molécule  albuminoïde.  Le  foie  parait 
être  l'organe  important  de  l'uropoièse.  La  différence  entre  l'albumine  morte  et  l'albumine  vivante 
ne  serait  donc  pas  aussi  grande  que  le  veut  Pfluger. 

2.  Ajoutons  que  A.  Gautier  considère  comme  dénuée  de  preuve  cette  théorie  de  Low. 


188  ALBUMINOIDES. 

modifie  au  contraire  plus  profondément  la  matière  albuminoïde.  Si,  par  exemple,  nous 
traitons  de  l'albumine  de  l'œuf  en  solution  par  du  sulfate  d'ammoniaque,  cette  albumine 
est  précipitée,  mais  le  précipité  peut  se  redissoudre  et  la  matière  revenir  à  son  état 
primitif,  si  nous  faisons  disparaître  l'agent  précipitant.  Si,  au  contraire,  nous  chauffons 
à  dOO°  une  solution  d'albumine,  celle-ci  est  coagulée  et  le  coagulum  reste  insoluble  dans 
l'eau  pure.  Parfois,  l'agent  précipitant  forme  une  combinaison  insoluble  avec  la  matière 
protéique  (précipitation  par  le  tanin),  parfois  aussi  c'est  une  nouvelle  matière  albumi- 
noïde qui  se  forme  sous  l'action  du  réactif  et  qui  se  précipite  parce  qu'elle  est  insoluble 
ou  qu'elle  forme  avec  le  réactif  une  combinaison  insoluble  dans  le  milieu  qui  a  provoqué 
la  transformation  (précipitation  de  l'albumine  de  l'œuf  par  l'acide  nitrique  à  chaud  sous 
la  forme  d'acide  albumine  nitrique,  insoluble  dans  un  excès  de  réactif). 

1°  Chaleur.  —  Certaines  matières  alhuminoïdes,  parfaitement  desséchées,  peuvent 
être  chauffées  à  100°  et  même  au  delà  sans  perdre  leur  solubilité  dans  l'eau.  Mais,  quand 
on  chauffe  leur  solution  aqueuse,  elles  se  coagulent.  La  température  de  la  coagulation 
varie  suivant  la  concentration  du  liquide  et  la  nature  de  la  substance  albuminoïde. 
Généralement,  la  température  de  coagulation  varie  de  60°  à  73°.  La  présence  d'alcalis, 
tels  que  la  potasse  et  la  soude,  peut  retarder  et  même  empêcher  la  coagulation;  au 
contraire  l'addition  de  petites  quantités  de  certains  sels  neutres,  d'acide  acétique, 
d'acide  phosphoriqus,  d'alcool,  favorise  la  coagulation. 

2°  Action  des  sels.  —  L'addition  en  plus  ou  moins  grand  excès  de  sels  alcalins  ou 
alcalino-terreux  précipite  les  alhuminoïdes.  Cette  action  a  été  observée  et  étudiée  d'abord 
par  Gannat^  DeiNis,  Hoppe-Seyler,  sur  quelques  matières  alhuminoïdes  du  sang.  Ce  sont 
les  globulines  qui  sont  précipitées  le  plus  facilement  et  par  le  plus  grand  nombre  de 
sels.  Le  sulfate  d'ammoniaque  est  un  excellent  agent  de  précipitation.  Par  la  saturation 
complète  de  la  solution  avec  ce  sel,  tous  les  alhuminoïdes  sont  précipités,  sauf  la  peptone. 

3°  Les  matières  alhuminoïdes  précipitent.  —  Par  les  acides  inéraux  concentrés,  en  par- 
ticulier par  l'acide  nitrique  et  l'acide  métaphosphorique,  non  par  l'acide  orthophospho- 
rique.  L'acide  nitrique  concentré  rend  sensible  1/20000=  d'albuminoïde. 

4°  —  Par  l'acide  acétique  en  présence  des  sels  alcalins  et  terreux  (les  peptones  et  la 
gélatine  ne  sont  pas  précipitées).  En  chauffant  à  l'ébullition  une  solution  d'albuminoïde 
avec  du  NaCl  et  de  l'acide  acétique  on  peut  déceler  la  présence  de  1/20000°  de  substance 
protéique. 

o°  —  Par  Y  acide  acétique  et  le  ferrocyanure  de  potassium.  Toutes  les  matières  alhumi- 
noïdes sont  précipitées,  sauf  les  peptones  et  la  gélatine.  Ce  réactif  rend  sensible  de 
1/30000°  à  1/90000°  d'albuminoïdes.  La  réaction  cesse  d'être  perçue  à  1/100000°. 

6°  —  Par  Vacide  phosphotungstique,  Vacide  phosphomolybdique  (en  présence  d'acides 
minéraux  libres).  Sensibilité  =  1/100000°  à  1/200000°. 

7°  —  Par  le  tanin  en  solution  acétique.  Sensibilité  =  1/100000°  à  1/200000°. 

8°  —  Par  l'alcool  fort  à  condition  que  la  solution  ne  soit  pas  trop  apauvrie  en  sels. 

9°  —  Par  le  phénol,  le  chloral,  Vaeide  taurochoUque,  Vacide  trichloracétlquc. 

10°  —  Par  Vacide  picrique  (en  présence  d'un  acide  organique.  Réactif  d'EsBACu). 

11°  —  Pur  Viodhydrargyrate  de  potassium;  Viodure  double  dé  potassium  et  de  bismuth  [en 
présence  de  l'acide  chlorhydrique).  Sensibilité  =  1/100000°  à  1/200000°. 

12°  —  Par  une  solution  alcoolique  d'acétate  ferrique  alcalinisée  par  de  l'hydrate  ferrique 
récemment  précipité  (Réaction  très  sensible  ;  sépare  les  moindi'es  traces  de  matière 
protéique). 

13°  — Par  une  solution  aqueuse  tiède  d'hydrate  d'oxyde  de  plomb  (surtout  en  pré- 
sence de  l'alcool). 

14°  — Parles  solutions  alcooliques  d'acétate  basique  de  cuivre;  d'acétate  ou  de  chlo- 
rure de  plomb. 

15°  — •  Par  un  très  grand  nombre  de  sels  de  métaux  lourds  (cuivre,  plomb,  argent, 
mercure,  urane)  (les  sels  de  cuivre  ne  précipitent  ni  les  peptones  ni  la  gélatine). 

16°  —  Par  l'hydrate  d'oxyde  de  cuivre  gélatineux. 

Toutes  ces  réactions  ne  présentent  pas  un  égal  degré  de  certitude  vis-à-vis  de  toutes 
les  matières  alhuminoïdes.  D'après  Drechsel,  les  seuls  agents  dont  on  puisse  dire  qu'ils 
précipitent  toutes  les  matières  protéiques  sont  le  tanin,  les  acides  phosphomolybdique 
et  phosphotungstique  et  les  iodures  doubles  de  potassium  et  de  mercure,  de  potassium 


ALBUMINOIDES.  189 

et  de  bismuth.  Il  faut  ajouter  que  des  substances  étrangères  peuvent  exercer  une  action 
notable,  surtout  quand  il  s'agit  de  de'celer  des  traces  de  matières  albuminoïdes. 

C'est  ainsi  que  N.  Kowalewski  a  montré  que  l'acide  métaphosphorique,  le  mélange 
de  ferrocyanure  de  potassium  et  l'acide  acétique  perdent  toute  leur  efficacité  en  pré- 
sence d'un  excès  de  sulfate  de  magnésium. 

Réactions  de  coloration.  — •  1°  La  dissolution  des  matières  albuminoïdes  dans 
l'acide  chlorhydrique  concentré  se  colore  en  bleu,  puis  en  violet  et  en  brun  sous  l'in- 
fluence de  la  chaleur  (Caventou).  11  est  boa  de  dégraisser  la  matière  séchée  par  l'alcool 
éthéré.  La  réaction  est  plus  nette  en  mélangeant  de  l'acide  chlorhydrique  ordinaire 
avec  le  10=  ou  le  3^  de  son  volume  d'acide  sulfurique  concentré  (Wurster).  Cette  réaction 
ne  réussit  pas  avec  l'hémoglobine,  la  chondrine  et  la  kératine  et  certaines  mucines. 

2°  Réaction  du  biurct  (ou  de  Piothowski).  —  Une  solution  de  matières  albuminoïdes 
donne  avec  le  sulfate  de  cuivre  un  précipité  que  redissolvent  les  alcalis  et  les  carbonates 
alcalins.  La  solution  prend  une  belle  coloration  violette.  Si  on  ajoute  d'abord  à  la 
solution  d'albuminoïdes  de  la  soude,  puis  goutte  à  goutte  une  solution  de  sulfate  de 
cuivre  à  1/20",  on  obtient  une  coloration  rose,  puis  violette.  Avec  les  peptones,  la  colo- 
ration est  pourpre.  Quand  il  s'agit  de  matières  albuminoïdes  coagulées,  on  les  fait 
séjourner  dans  la  solution  cuivrique,  puis,  après  lavage,  on  traite  par  de  la  soude 
étendue.  Les  matières  albuminoïdes  se  teintent  en  bleu. 

3°  Réaction  xanthoprothéique.  —  Si  l'on  chauffe  une  solution  d'albuminoïdes  avec  de 
l'acide  nitrique  concentré,  la  liqueur  se  colore  en  jaune  citron  et  le  précipité  formé  se 
dissout  entièrement  ou  en  partie.  Si  on  ajoute  un  alcali  la  coloration  jaune  vire  à  l'orangé. 
Les  albumines  et  les  peptones  donnent  cette  réaction  à  froid.  Sensibilité  =  l/lOOOOo. 

4"  Réaction  de  Millon  (nitrate  mercureux).  —  Le  réactif  de  Millon  donne  avec  les 
matières  albuminoïdes  une  coloration  rose  qui  passe  au  rouge  à  l'ébullition.  En  pré- 
sence d'une  grande  quantité  de  chlorures  (transformation  du  sel  mercureux  en  chlorure 
mercurique);  la  réaction  peut  faire  complètement  défaut.  Cette  réaction  est  caracté- 
ristique du  groupement  aromatique  (elle  est  en  effet  très  belle  avec  le  phénol).  Cette 
réaction  n'est  plus  sensible  au-dessous  de  1/2  500°  d'albumine. 

5°  Réaction  de  Raspail.  —  Par  l'acide  sulfurique  concentré  les  matières  albuminoïdes 
donnent  une  coloration  qui  passe  au  rouge  violacé  foncé  par  addition  de  quelques  gouttes 
de  sirop  de  sucre  très  concentré.  Cette  réaction  est  due  à  la  formation  de  furfurol  qui 
peut  être  mis  en  évidence  par  la  coloration  du  papier  à  l'acétate  de  xylidine.  La 
tyrosine,  le  phénol,  l'a  naphtol,  le  thymol,  la  vanilline,  la  salicine,  la  coniférine,  la  nar- 
cotine,  certaines  graisses  et  huiles  donnent  aussi  la  réaction  de  Raspail. 

6°  Réaction  de  Frôhde.  —  Par  l'acide  sulfurique  renfermant  1/100=  d'acide  molyb- 
dique,  on  obtient  une  coloration  bleu  intense. 

7"  Réaction  de  Krasser.  —  Une  solution  aqueuse  d'alloxane  colore  en  rouge  pourpre  au 
bout  de  quelques  minutes  les  substances  albuminoïdes,  ainsi  que  la  tyrosine,  l'acide  asparti- 
que  et  l'asparagine.  Il  faut  se  rappeler  que  la  solution  aqueuse  d'alloxane,  abandonnée 
au  contact  de  l'air,  se  colore  lentement  en  rouge,  surtout  en  présence  de  l'ammoniaque. 
8°  Réaction  d'AoAMKiEwicz.  —  On  dissout  la  matière  albuminoïde  dans  l'acide  acé- 
tique glacial  et  on  ajoute  de  l'acide  sulfurique  concentré,  il  se  produit  une  belle  colo- 
ration pourpre  présentant  une  faible  fluorescence.  La  gélatine  ne  donne  pas  cette 
réaction;  les  peptones  en  solution  un  peu  concentrée  seulement.  Elle  paraît  due  aux 
groupements  indoliques  et  scatolique  de  la  molécule. 

9°  Réaction  de  Reiohl.  —  On  ajoute  à  une  solution  albumineuse  2  ou  3  gouttes  d'une 
solution  alcoolique  d'aldéhyde  benzoïque,  pour  une  quantité  assez  grande  d'acide  sulfu- 
rique étendu  de  un  volume  d'eau  et  enfin  une  goutte  d'une  dissolution  de  sulfate  ferrique. 
Il  se  produit,  au  bout  d'un  certain  temps  à  froid,  et  immédiatement  à  chaud,  une  colo- 
ration bleu  foncé. 

10°  Réaction  de  Michailow.  —  On  additionne  de  sulfate  de  fer  une  solution  d'albumine  ou 
un  dérivé  de  cette  dernière  contenant  de  l'azote  et  du  soufre.  On  superpose  à  ce  mélange 
de  l'acide  sulfurique  concentré,  puis  on  ajoute  un  peu  d'acide  nitiique,  il  se  produit,  outre 
un  anneau  brun,  des  zones  rouge  sang. 

11°  Réaction  de  Wurster.  —  Une  solution  albumineuse  chauffée  avec  un  peu  de  qui- 
none  sèche  prend  une  coloration  rouge  rubis  foncé,  puis  le  liquide  devient  brun. 


■190  ALBUMINOIDES. 

iZ"  Réaction  de  Pétri.  —  Une  solution  d'albuminoïde  additionnée  d'acide  diazobenzo- 
sulfonique  prend  une  faible  coloration  jaune.  Après  sursaturation  par  un  alcali  fixe,  le 
liquide  devient,  suivant  la  concentration,  jaune  orangé  ou  brun  rouge  avec  une  mousse 
rouge.  Avec  l'ammoniaque  la  coloration  est  également  très  intense,  mais  d'un  jaune  pur. 
Additionné  de  poudre  de  zinc,  ou  d'amalgame  de  sodium,  ce  liquide  rouge  brun  prend  au 
contact  de  l'air  une  coloration  de  fuchsine;  neutralisé,  il  devient  jaune,  puis  de  nouveau 
rouge  en  présence  d'un  acide  minéral  en  excès  ;  mais  avec  une  nuance  différente. 

13°  Réaction  d'AxE.^'FELD.  —  Une  solution  d'albumine  additionnée  de  chlorure  d'or  au 
millième,  chauffée  et  mélangée  k  une  ou  deux  gouttes  d'acide  formique,  devient  rose, 
rouge  pourpre,  puis  bleue,  et  dépose  des  flocons  bleu  foncé.  La  coloration  rouge  est  seule 
caractéristique  des  albuminoïdes;  car  un  grand  nombre  de  substances  (glucose,  glyco- 
gène,  amidon,  leucine,  tyrosine,  acide  urique,  créatinine,  urée,  etc.)  donnent  également 
les  colorations  bleue  et  violette.  La  gélatine  pure  donne  une  coloration  brun  rouge  di- 
chroïque;  la  guanine,  une  belle  coloration  pourpre, mais  qui  passe  au  jaune  orangé  sous 
l'influence  des  alcalis  fixes. 

Cette  réaction  est  extrêmement  sensible  (1/2 000 000»  d'albumine);  le  chlorure  de 
sodium,  l'urée,  l'acide  urique,  le  glucose  n'en  retardent  l'apparition  qu'en  masse  consi- 
dérable. Il  faut  ajouter  alors  de  plus  grandes  quantités  de  réactif. 

Classifications  des   substances  albuminoïdes^. 

Classification  de  M.  Schûtzenberger  : 

I.  Matières  soluhles  dans  l'eau  pure  sans  le  concours  d'une  base,  d'un  acide  ou  d'un  sel  neu- 
tre ou  alcalin  et  coagulable  par  la  chaleur.  On  donne  à  ces  produits  le  nom  générique 
d'albumines  (Albumine  de  l'œuf,  albumine  du  sérum,  albumine  végétale). 

II.  Matières  insolubles  dans  l'eau  pure,  solubles  sans  altération  à  la  faveur  des  sels  neutres 
•des  alcalis  ou  des  acides  et  susceptibles  d'être  de  nouveau  précipitées  de  ces  solutions. 
A.  Globulines  (vitelline,  myosine,  substance  flbrinogène,  paraglobuline  ou  globuline  du 
sérum,  substance  fibrinoplastique)  ;  B.  Caséines  animales  du  lait,  du  sérum  ;  C.  Caséi- 
nes végétales  (gluten  caséine,  conglutine,  légumine);  D.  Premiers  termes  de  la  transfor- 
mation des  albuminoïdes  sous  l'influence  des  alcalis,  des  acides  et  des  ferments  solubles; 
Protéines,  albuminates,  acide  albumines,  syntonine,  hémiprotéine,  peptones). 

lU.  Substarices  insolubles  dans  l'eau  et  ne  pouvant  être  dissoutes  qu'avec  transformations; 
ne  iMuvant  être  séparées  sans  altération  de  leur  solution  dans  les  acides  et  les  alcalis  (fibri- 
nes  diverses,  gluten  flbriae,  gliadine  et  mucédine). 

IV.  Matières  albuminoïdes  coagulées  par  la  chaleur  (albumines  et  fîbrines  coagulées). 

V.  Matière  amylotde  (grains  de  protéine). 

VI.  Matières  collagènes  (tissu  cellulaire,  osséine  et  dérivés  :  gélatine.  —  Tissu  carti- 
lagineux :  chondrine  —  Tissu  élastique). 

Vil.  Matières  mucilagineuses  (mucine,  paralbumine,  colloïdine). 
Classification  de  A.  Gautier  : 

/  Matières  albuminoïdes  proprement  dites. 
3  grands  groupes.      Matières  collagènes. 

(  Matières  épidermiques  ou  cornées  corps  albumoïdes. 

6  familles  :  i°  Albumines;  2°  Caséines;  3°  Globulines  et  flbrines;  4°  Glutinogènes  ou 
collagènes;  o°  Matières  kératiniques  et  muqueuses  ou  corps  albumoïdes;  6°  Dérivés  im- 
médiats de  transformation  des  matières  albuminoïdes. 

1"  famille.  Albumines.  —  Matières  solubles  dans  l'eau  et  coagulables  par  la  chaleur  ou 
les  acides  minéraux  affaiblis,  comprenant  : 

.     ",■    ,,  ^„'   ^^"   ,,        .  I  Matières  albuminoïdes  solubles  :  leurs  solutions  ne  préci- 

Albumine  de  I  œuf  ou  ovalbumme.  1  ■.     »    ■         i          -j                                    ■    •          .  •     u 

_,  .        ,                       .            ,,        ■  V  pitentni  parles  acides  organiques  ou  mmeraux  très  eten- 

Serme  du  sang  ou  sérum  albumine.  »  '.          .    '^       ,         ,           ■            i         ir  .      j'              ■„„   „ 

°,       ,,        .  /  dus,  ni   par  le  sel  marin  ou  le   suUate    a  ammoniaque 

Musculo-albumine.  \  .   ^,,,,                      ,      ^          i       i    i         i    ■■"„  ■   -Te™ 

.        _.  i  en  excès.  Elles  se  coagulent  par  la  chaleur  de  oo»  a  75°. 

^     umme      ^e        .  i       EUes  précipitent  en  liqueur  légèrement  acide  par  le  chlo- 

Hemoslobme,   etc.  ,       ,     ■        .  i       i   .•  j         .       • 

.      =,         .'  \       rure  de  platine  et  par  le  platmo-cyanure  de  potassium. 

i.  Voir  aussi  la  classification  d'HopPE-SEYLER  {Traité d'analyse chimigue  appliquée  à  la  phy- 
siologie et  à  la  pathologie,  traduction  de  ScHLAGDENHAt;FFEN),  etLAiiBLiNc  (Encjciojoerfie  chimique 
de  Frémy,  t.  IX,  Chimie  biologique,  1892). 


ALBUMINOIDES.  \9l 

,   ^.        ,  ,  Ces  matières  coagulées  sont  insolubles   dans  l'HCl   ùten- 
b.  Dérives  par  coagtilation  des  ma-  ^^^  ^^  ^^^^  j^^  carbonates  alcalins.  Elles  ne  se  gonflent 
tières  précédentes  -  mêmes  espc-  )  j^^  ^^j^  ^^^^j^^^  ^^  ^^  ^^  ^^,^,.g^j  p^^p,^,.  y.^^^_ 
ces,  mais  substances  coagulées  par  >  g^^^»-^^  transforment  lentement  en  syntonines    et  pép- 
ia chaleur  ou  les  acides  minéraux.  (  ^^^^^  ^^^  ^^^  ^^.^^^  ^^^^^  ^^  1^  p^p^;„^^ 

■2"  famille.  Caséines.  —  Matières  insolubles  dans  l'eau,  mais  généralement  maintenues 
en  solution  dans  les  liquides  de  l'économie,  grâce  à  une  faible  proportion  de  carbonates 
et  de  phosphates  alcalins.  La  présure  coagule  ces  solutions  ;  mais  non  la  chaleur.  Elles  pré- 
cipitent par  les  acides  organiques  les  pi  us  faibles  et  se  redissolvent  dans  un  excès  d'acide. 
Elles  sont  solubles  dans  les  sels  dépotasse  ou  de  soude  à  réaction  alcaline,  en  particulier 
dans  les  carbonates  alcalins,  ce  qui  les  distingue  des  syntonines,  mais  elles  ne  se  dissol- 
vent pas  dans  les  sels  à  réaction  neutre,  ce  qui  les  distingue  des  globulines. 

.  /  Substances  précipitées  par  la  neutralisation  de  leur  solu- 

Caséines  végétales   et  animales.  ^j^^.  ^^^  ^^  ^^^^^  ^^  ^^j^  neutres,  spécialement  de  sol 

Gluten  casome.  \  ^jarin  ou  de  sulfate  de  magnésie.  Elles  sont  insolubles 

Legumine.  <  ^,^^^  y^^^  ^^  ^^^^  j^  ^^j  marin  à  5  et  10  p.  100.  Les  so- 

Long:lutme,  etc.  I  Iuqo^s  ^igs  caséinates  alcalins  ne  se  coagulent  pas  par 

Nucleoalbumme.  [  ^^  ^^^^^^^_ 

'i'^  famille.  Globulines  et  fibrines.  —  Insolubles  dans  l'eau,  mais  solubles,  partiellement 
ou  en  totalité,  dans  les  chlorures  alcalins,  quelques-unes  dans  les  carbonates  ou  phos- 
phates de  potasse  ou  de  soude.  Les  acides  organiques  faibles  et  la  chaleur  les  précipitent 
de  ces  solutions  et  ne  les  redissolvent  plus. 

a.  Globulines  proprement  dites  :  i    Albuminoïdes  insolubles,  se  dissolvant  dans  la  solution  an 

Vitelline;  [        3"  et  au  lO^  des  chlorures  alcalins  en  donnant  dos  solu- 

Myosinogène  et  myoglobuline  ;  i       tions  salines  coagulables  par  la   chaleur.  Elles  précipi- 

Substances  fibrinogènes  ;  <       tent  par  les  solutions  concentrées  de  chlorure  de  sodium, 

Globulines  du  cristallin;  j       de  sulfate  de  magnésium  et  de  sulfate  d'ammonium. 

Sérum  globuline  (hydropisine);  [    Les  globulines  sont   assez  solubles  dans  les  alcalis  affai- 

Conglutine,  globuline  végétale.  l       blis. 

!  Solutions  difficiles,  et  partielles  seulement,  dans  les  chlorures  alcalins  qui 
les  gonflent,  puis  les  dissolvent  lentement.  Substances  difficilement 
dissoutes  par  les  alcalis  à  2  p.  100  qui  les  changent  en  albuminose  et 
dans  l'HCl  au  millième  qui  les  change  peu  à  peu  en  syntonines.  Elles 
décomposent  l'eau  oxygénée. 

4=  famille.  Glutinogènes  ou  collagcnef:.  —  Substances  insolubles  dans  Teau  froide, 
mais  s'y  dissolvant  par  une  longue  ébullition,  surtout  au-dessus  de  100°,  pour  se  trans- 
former en  matières  collagènes  de  même  composition  ou  en  substances  solubles,  mais 
altérées.  Le  suc  gastrique  les  digère  lentement  et  les  change  en  peptones.  Elles  ne 
donnent  pas  de  tyrosine  parmi  les  produits  de  leur  dédoublement,  mais  bien  de  l'acide 
benzoïque.  Elles  ne  colorent  pas  le  réactif  de  Millon. 


a.  Osséine. 
Cartilagéine. 

b.  Gélatine. 
Chondrine. 

Elastine. 

Hyaline. 
e.  Gliadine. 
Mucédine. 


Corps  insolubles  devenant  peu  à  peu  solubles  dans  l'eau  à  100°. 
Corps  solubles  dérivés  des  précédents  par  l'action  de  Teau  bouillante. 
Gélatines  d'origine  végétale. 


5'^  famille.  '  Matières  kératiniques  et  muqueuses  ou  corps  albumoîdes.  —  Substances 
insolubles,  inattaquables  par  les  sucs  digestifs,  par  les  acides  étendus  et  les  carbonates 
alcalins;  ne  se  dissolvant  pas  dans  l'eau  par  une  longue  ébullition,  ni  dans  l'acide  acé- 
tique. 

a.  Kératines  de  l'épidermc,  de  la  corne,  etc. 

b.  Matière  collo'ide. 

c.  Matière  amyloide. 


192  ALBUMINOIDES. 

d.  Fibroïne,  séricine  de  la  soie. 

e.  Muciaes  et  matières  mucoïdes. 

(   Comprenant  :  la  spongine,  la  conchioline,  la  ooméine,  le  byssus,  etc., 
/.  Spongines.  !       substances  que  l'eau  bouillante  ne  dissout  qu'en  les  altérant  profon- 

(       dément. 

6'  famille.  Dérivés  immédiats  de  transformation  des  matières  albuminoides.  —  Com- 
prend les  principaux  termes  encore  albuminoides  provenant  des  transformations  que  les 
substances  précédentes  subissent  sous  l'influence  de  l'eau  aidée  des  alcalis  ou  des  acides 
faibles  et  sous  celle  des  ferments  digestifs.  Ces  substances,  appelées  quelquefois  à  tort 
albuminates,  sont  insolubles  dans  l'eau  pure  et  solubles  dans  les  acides  et  les  alcalis 
affaiblis.  Leurs  solutions  précipitent  par  les  sels  neutres  en  excès  (NaCl;  SO*Mg;  SO  * 
N-H*),  comme  le  font  les  globulines,  mais  elles  ne  sont  pas  coagulées  par  la  chaleur.  Cette 
famille  comprend  : 

a.  Albuminoses  ou  alcali-albumines.  —  Substances  insolubles  provenant  de  l'action  des 
alcalis  très  étendus  sur  les  corps  des  trois  premières  familles  ci-dessus.  Les  alcali-albu- 
mines sont  solubles  dans  les  alcalis  étendus  ou  l'eau  de  chaux,  d'oti  les  précipitent  les 
acides  étendus,  même  CO^  sans  les  redissoudre,  à  moins  qu'il  y  ait  excès  de  ces  acides. 
Les  albuminoses  sont  insolubles  dans  les  solutions  de  sels  à  réaction  neutre  ;  elles  se  dis- 
solvent dans  les  carbonates  et  souvent  les  phosphates  alcalins. 

b.  Syntonines  ou  acidalbumines.  —  Elles  résultent  de  l'action  des  acides  minéraux 
très  affaiblis  sur  les  substances  albuminoides.  Elles  sont  insolubles  dans  l'eau,  dans 
les  solutions  de  sels  neutres,  de  NaCl  en  particulier,  et  dans  les  solutions  de  carbonates 
et  phosphates  alcalins.  Elles  sont  fort  solubles  dans  les  acides  minéraux  très  dilués  et 
dans  les  alcalis  très  affaiblis,  d'où  les  précipitent  les  acides.  Elles  ne  mettent  pas  le  CO- 
des  carbonates  terreux  en  liberté. 

c.  Propeptones  ou  albumoses;  peptones.  —  Résultent  de  l'action  des  ferments  diges- 
tifs aidés  des  bases  ou  des  acides  sur  le  corps  des  4  familles  précédentes.  Elles  se  pro- 
duisent aussi  par  l'action  prolongée  des  alcalis  affaiblis  et  à  froid  sur  ces  mêmes  albu- 
minoides ou  en  faisant  agir  sur  ces  mêmes  substances  l'eau  surchauffée. 

Les  albumoses  et  les  peptones  ne  coagulent  ni  par  la  chaleur,  ni  par  l'alcool  qui  les 
précipite  s'il  est  concentré,  mais  sans  les  rendre  insolubles.  Les  propeptones  et  peptones 
sont  solubles  dans  l'eau  et  l'alcool  affaibli  à  30  ou  60  p.  100,  ainsi  que  dans  les  solutions 
de  sel  marin.  Elles  se  distinguent  en  propeptones  ou  albumoses,  précipitables  par 
l'acide  nitrique  à  froid  (précipité  soluble  à  chaud  ou  dans  un  excès  d'eau  reparaît  à 
froid)  par  le  sulfate  d'ammoniaque  à  saturation  et  par  le  ferrocyanure  de  potassium 
acidulé  d'acide  acétique.  Les  peptones  ne  précipitent  pas  par  l'un  ou  l'autre  de  ces  réac- 
tifs, ni  par  les  sels  métalliques,  sauf  ceux  de  mercure,  d'argent  et  de  platine.  Elles  préci- 
pitent par  le  tanin  et  par  l'acide  picrique,  surtout  en  présence  du  sel  marin.  Les  albu- 
moses et  les  peptones  s'unissent  à  la  fois  aux  acides  et  aux  bases. 

Une  classification  plus  générale  a  été  proposée  par  Hammarsten.  La  voici  reproduite 
d'après  Laubli.ng  : 

[   Albumines,  fibrines,  globulines,  matières  albumino'ides   coagulées, 
1°  Matières  albuminoides.     !       acide  et  alcalialbumines,    albumoses  ou  propeptones,  peptones, 
'       substance  amyloidc. 

2°  Protéides Hémoglobine  et  ses   dérivés,  nucléoalbumines  (caséines). 

3"  Albumoïdes Gélatine,  kératine,  élastine. 

Dans  les  deux  classifications  précédentes  se  trouvent  comprises  les  matières  albumi- 
noides végétales.  C'est  qu'en  effet  les  recherches  de  Cahodrs  et  Douas,  de  Liebig,  ont 
établi  que  les  matières  albuminoides  végétales  ont  la  même  composition  et  les  mêmes 
propriétés  que  celles  des  animaux.  Les  recherches  récentes  de  Brittneb,  celles  de  Weyl, 
ont  confirmé  ces  conclusions.  Mais,  s'il,  y  a  analogie  très  grande,  il  n'y  a  pas  pourtant 
identité,  comme  l'ont  montré  les  travaux  de  Ritthausen.  De  plus,  plusieurs  des  corps 
des  groupes  énumérés  n'ont  aucun  représentant  correspondant  d'origine  végétale. 
Aussi  peut-on  faire  une  classification  à  part  des  albuminoides  du  règne  végétal.  Voici 
une  classification  qui  est  empruntée  à  Lambling  : 


ALBUMINOIDES.  193 

1"  Albumines  végétales.  —  Solubles  dans  l'eau,  coagulables  par  la  chaleur. 

2»  Matières  albuminoîdes. — Insolubles  dans  l'eau  et  l'alcool  absolu,  mais  solubles  dans 
l'alcool  aqueux  (gluten  fibrine,  gliadine,  mucidine). 

3°  Caséines  végétales.  —  Insolubles  dans  l'eau  et  les  solutions  salines,  solubles  dans  les 
acides  et  alcalis  étendus,  coagulables  à  chaud  (gluten  caséine;  légumine). 

4°  Olobutines  végétales.  —  Correspondant  aux  globulines  animales;  mais  elles  se  dis- 
solvent sensiblement  dans  l'eau  pure.  Le  sel  marin  les  précipite  d'abord  de  cette  dissoln- 
tion,  mais  un  excès  les  redissout  facilement,  et  un  plus  fort  excès  les  précipite  de  nouveau 
(conglutines;  globulines  de  la  noix  de  Para,  des  courges,  du  ricin,  etc.). 

Quant  aux  dérivés  immédiats,  acide  et  alcali-albumines,  propeptones  et  peptoues 
végétales,  leur  étude  est  à  peine  ébauchée. 

Remarque.  —  Aux  diverses  classifications,  on  pourrait  faire  la  même  critique  que  celle 
que  M.  ScHùTzÈKBERGER  a  faite  de  celle  qu'il  a  proposée.  Elles  ne  sont  pas  absolument 
rationnelles;  c'est-à-dire  fondées  uniquement  sur  la  constitution  et  la  nature  des  dérivés 
provenant  des  dédoublements,  mais  les  matériaux  manquent  encore  pour  établir  une 
classification  véritablement  scientifique. 

Enfin  il  faudrait  aussi  rattacher  aux  diverses  substances  qui  font  partie  de  ces  classi- 
fications des  corps  dont  l'étude  est  a.  peine  ébauchée.  Nous  voulons  parler  des  toxalbu- 
mines  (Voyez  Toxalbumines  et  Venins).  Le  nature  albuminoïde  de  ces  poisons  paraît  établie 
d'après  les  rares  recherches  dont  ils  ont  été  l'objet  ou  point  de  vue  chimique.  Mais  il  faut 
bien  reconnaître  que,  si  nous  savons  quelque  chose  au  point  de  vue  physiologique,  au  point 
de  vue  chimique  nos  connaissances  sont  des  plus  rudimentaires,  d'où  l'impossibilité  de 
rattacher  ces  corps  avec  précision  à  tel  ou  tel  groupe  des  substances  ci-dessus  énumérées. 

Action  des  ferments  solubles  et  figurés  sur  les  substances  albumïnoides.  — 
1°  Actions  des  ferments  solubles.  —  Il  existe  dans  l'organisme  des  animaux  et  des  végé- 
taux des  agents  de  transformation  des  substances  albuminoîdes  qui  ont  reçu  le  nom  gé- 
nérique de  diastases  ou  mieux  de  ferments  solubles.  De  même  les  micro-organismes, 
champignons,  levures,  microbes,  élaborent  de  tels  ferments  solubles  grâce  auxquels  ils 
attaquent  les  matières  albuminoîdes  et  leur  font  subir  une  première  modification  dont 
nous  préciserons  la  nature.  L'étude  des  ferments  solubles  au  point  de  vue  de  leur  nature 
chimique  est  encore  très  obscure  à  cause  des  difficultés  qu'on  éprouve  à  préparer  ces 
substances  à  l'état  de  pureté.  Cependant  des  analyses  qui  ont  été  faites  par  comparaison 
avec  les  matières  albuminoîdes  proprement  dites,  il  ressort  que  les  ferments  solubles  ren- 
ferment beaucoup  moins  de  carbone  et  beaucoup  plus  d'oxygène  que  les  matériaux  cons- 
titutifs des  organismes  vivants;  on  pourrait  donc  les  considérer  comme  des  matières 
albuminoîdes  oxydées.  Toutefois  il  faut  remarquer  que  l'analyse  d'un  ferment  pepsique 
végétal,  la  papaîne,  a  donné  à  Wurtz  les  chiffres  suivants  : 

C o2,.3  à  52,9 

H -,)  à    7.3 

Az 16,4  à  16,0 

C'est,  comme  on  le  voit,  une  composition  très  voisine  de  celle  des  susbtances  albumi- 
noîdes. 

En  somme,  on  n'est  pas  bien  fixé  sur  la  nature  chimique  de  ces  ferments  non  figurés. 

Dans  l'organisme  animal  3  ferments  solubles  agissent  sur  les  matières  albuminoîdes  ; 
1°  la  pepsine  du  suc  gastric[ue;  2°  la  trypsine  du  suc  pancréatique;  3°  la  caséase  qui  dis- 
sout et  peptonifie  la  caséine  du  lait  et  que  l'on  trouve  dans  le  suc  pancréatique.  La 
pepsine  n'agit  qu'en  milieu  acide;  la  trypsine  et  la  caséase  en  milieu  neutre  ou  légère- 
ment alcalin.  On  ne  rencontre  pas  seulement  ces  ferments  dans  l'organisme  animal.  En 
effet,  on  les  trouve  aussi  dans  les  végétaux,  soit  adultes,  soit  embryonnaires,  et  c'est  grâce 
à  eux  que  la  plante  modifie  et  assimile  ses  réserves  albuminoîdes.  Gorl'p-Besaxez  et 
WiLL  ont  signalé  l'existence  d'un  ferment  peptonisant  dans  le  suc  des  outres  de  Nepenihes 
VAN  TiEGHEM  daus  Ics  fcuilles  cotjiédonaires  au  moment  de  la  germination;  on  les  a 
trouvés  dans  le  suc  des  droséras  et  des  dionées,  Wurtz  et  Boughut  dans  le  suc  du  carica 
papaîa  (papaîne),  enfin  dans  le  suc  laiteux  du  figuier.  D'autre  part,  chaque  fois  qu'une 
substance  albuminoïde  devient  la  proie  des  microbes,  ceux-ci  sécrètent  des  ferments 
peptonisants  en  quantité  notable. 

DICT.    DE    PHYSIOLOGIE.    —    TOME  I.  13 


19i  ALBUMINOIDES. 

Mais,  quelle  que  soit  l'origine  des  ferments  soluljles,  leur  action  sur  les  substances 
albuminoïcles  consiste  essentiellement  en  une  hydratation  de  la  matière  protéiquc. 

Le  résultat  est  la  formation  de  peptones  qui  sont  en  effet  des  produits  d'hydratation  ' 
des  albuminoïdes,  comme  l'ont  montré  les  recherches  de  Herth,  de  Damlewsky,  deMALY 
et  surtout  d'HENMiNCKR.  Les  peptones  diffèrent  de  la  matière  protéique  initiale  par  une 
teneur  plus  faible  en  C  et  en  Az.  On  peut  du  reste,  comme  l'ont  fait  Henmnger  et  Hof- 
51EISTER,  par  une  déshydratation  transformer  les  peptones  en  une  substance  se  rappro- 
chant beaucoup  de  la  matière  initiale:  ce  n'est  d'ailleurs  pas  d'emblée  que  les  matières 
albuminoïdes  sont  transformées  en  peptones;  elles  passent  par  une  phase  intermédiaire 
caractérisée  par  la  formation  d'albuminoses  ou  propeptones,  produits  d'une  hydratation 
moins  avancée. 

D'autre  part,  comme  l'a  montré  Kûhne,  la  trypsine  pancréatique  peut  conduire  la 
matière  albuminoïde  à  des  degrés  plus  avancés  d'hydratation  et  de  dédoublement.  On 
observe  en  effet  l'apparition  de  leucine,  de  tyrosiue,  d'acide  glutamique  et  d'acide  aspai'tique, 
et  cela  en  dehors  de  toute  intervention  bactérienne. 

Enfin  il  faut  signaler  aussi  l'existence  dans  l'organisme  animal  et  chez  certains  végé- 
taux, ainsi  que  dans  les  produits  de  l'activité  de  certains  microbes,  d'un  ferment  qui 
coagule  la  caséine  du  lait.  Ce  ferment,  dont  l'action  a  été  étudiée  en  détail  par  Duclau.x  et 
Hammabsten  et  plus  récemment  par  Arthus  et  PagI^s,  n'est  autre  que  la  présure  encore 
nommée  lab,  ferment  chymosine  ou  pesine. 

Action  des  ferments  figurés.  — Avec  les  ferments  figurés  nous  allons  assister  à  des 
transformations  plus  profondes  des  matières  albuminoïdes.  La  molécule  protéique  va  être 
disloquée  et  les  divers  groupements  qui  la  constituent  mis  en  liberté,  et  cependant  c'est 
toujours  grâce  au  même  mécanisme,  grâce  aux  processus  d'hydratation  que  la  matière 
albuminoïde  va  subir  une  pareille  décomposition.  Cette  étude  de  l'action  des  ferments  figu- 
rés sur  les  matières  albuminoïdes  a  été  faite  en  détail  par  Nekki,  Jean.neret,  Brieger,  Kuhn'e, 
Dlclaux,  A.  Gautier  etÉiARD.Nous  ne  pouvons  entrer,  on  le  comprend,  dans  le  détail  des 
faits,  nous  devons  nous  borner  à  exposer  d'après  A.  Gautier  la  marche  générale  de  la  fermen- 
tation ou  putréfaction  des  matières  protéiques.  Les  bactéries  diverses  qui  interviennent  dans 
le  processus  commencent  d'abord  par  faire  subir  un  commencement  d'hydratation  à  la 
matière  organique  grâce  aux  ferments  solubles  élaborés  par  elles.  Puis  l'attaque  devient 
plus  vive,  des  scindements  moléculaires  se  produisent  avec  formation  de  produits  infects. 
D'abord  apparaissent  quelques  gaz,  de  l'hydrogène,  de  l'acide  carbonique  et  des  acides 
gras,  acétique,  lactique,  butyrique.  Puis  la  matière  devient  fortement  alcaline;  il  se  forme 
de  l'ammoniaque  et  une  très  faible  quantité  d'azote,  une  trace  d'hydrogène  sulfuré  et  de 
composés  phosphores  volatils  complexes.  Au  bout  de  quelque  temps  il  ne  se  fait  plus  que 
de  l'acide  carbonique  et  de  l'ammoniaque.  C'est  alors  que  se  forment  des  acides  amidés 
d'un  poids  moléculaire  élevé  :  acides  amidostéarique,  amidocaproïque  (leucine),  de 
la  tyrosine,  des  acides  gras  caproïque  et  surtout  butyrique  et  palmitique.  En  même  tgmps 
apparaissent  aussi  le  phénol,  l'indol,  le  scatol,  le  pyrol,  les  acides  phénylacétique,  phé- 
nylpropionique,  para-oxyphénylpropionique,  scatol  carbonique  et  scatol  acétique  ;  enfin 
des  peptones  plus  ou  moins  toxiques  (ptomopeptones)  et  des  bases  alcaloïdiques  (pto- 
maïnes)  variables  suivant  l'époque  de  la  putréfaction. 

Quand  les  bactéries  aérobies  interviennent  seules,  il  ne  se  produit  que  peu  ou  pas  de 
gaz  et  de  produits  odorants. 

En  somme,  au  cours  de  la  décomposition  bactérienne  des  albuminoïdes,  nous  voyons 
apparaître  : 

1°  des  gaz  (H,  CO-,  ffS,  Az); 

1.  Dans  des  recherches  récentes  (C.  fi.,  1892,  t.  cxv,  p.  764),  Schutzenberger  est  arrivé  à  cette 
conclusion  que  la  peptone  (fibrine  peptone)  doit  être  envisagée  comme  un  mélange  dédou- 
blable  par  l'acide  phosphotungstique  en  une  partie  précipitable  moins  oxygém-'e  et  en  une  partie 
non  précipitable,  plus  oxygénée,  jouant,  par  rapport  à  la  première,  le  rôle  d'un  alcool.  La  fibrine 
elle-même  serait  une  espèce  d'éther  composé  saponifiable  par  l'influence  de  la  pepsine  et  se  scin- 
dant en  fixant  de  l'eau  en  ses  deux  termes  opposés  qui  tous  deux  sont  des  uréides,  c'est-à-dire  con- 
tiennent les  éléments  de  l'urée. 

La  transformation  en  peptone  serait  donc  le  résultat  d'une  décomposition  d'éther  par  saponi- 
fication. 


ALBUM  IN  OI  DES.  193 

2°  des  produits  volatils  :  ammoniaque  et  ammoniaques  composées  des  acides  volatils, 
toute  la  série  des  acides  gras  jusqu'à  l'acide  caproïque;  des  composés  aromatiques;  indol, 
phénol,  scatol,  pyrol; 

3°  des  produits  fixes  :  leucine,  tyrosine,  butalaniue,  glycocolle  (dans  la  putréfaction 
de  la  gélatine);  des  acides  fixes  :  acides  lactique,  succinique,  palmitique; 

4°  des  bases  toxiques  :  ptomaïnes. 

La  plupart  de  ces  produits,  nous  les  retrouverons  dans  les  étapes  de  la  désassimilation 
des  matières  albuminoïdes.  Ainsi  il  y  aurait  une  analogie  remarquable  entre  les  phéno- 
mènes chimiques  qui  se  passent  dans  l'organisme  et  ceux  de  la  fermentalion  putride. 
Cladde  Bernabd  avait  affirmé  cette  analogie,  et  Mitscherlicb,  en  comparant  la  vie  à  une 
pourriture,  ne  faisant  qu'exprimer  sous  une  forme  un  peu  imagée  une  ressemblance 
qui  ressortait  de  l'examen  des  faits. 

A  ce  point  de  vue  des  recherches  extrêmement  intéressantes  ont  été  faites  récemment 
par  A.  Gautier.  L'étude  du  fonctionnement  anaérobie  des  tissus  animaux  et  spéciale- 
ment du  tissu  musculaire  après  la  mort  dans  un  milieu  absolument  aseptique  a  conduit 
cet  éminent  chimiste  à  des  conclusions  d'une  haute  importance.  Les  tissus  abandonnés  à 
eux-mêmes  continuent  à  fonctionner  et  à  modifier  leurs  substances  constituantes  tant 
que  le  permettent  leurs  réserves  nutritives.  Dans  la  chair  musculaire  placée  à  l'abri  de 
l'air  et  des  ferments  extérieurs,  on  voit  s'accumuler  des  produits  qui  n'apparaissent  que 
passagèrement  chez  l'animal  vivant.  «  Le  muscle  perd  une  portion  notable  de  ses  albu- 
minoïdes transformées  en  partie  en  leucomaïnes  plus  ou  moins  toxiques.  Il  conserve  au 
contraire  presque  intégralement  tous  ses  corps  gras  et  toute  sa  myoglobuline.  Il  produit 
à  peine  des  traces  d'ammoniaque,  d'acide  lactique,  et  d'acides  gras.  De  sa  substance  il 
dégage  spontanément  et  par  simple  fermentation  anaérobie  de  l'acide  carbonique,  un 
peu  d'azote  et  d'hydrogène  qu'accompagnent  une  faible  proportion  d'alcool  et  quelques 
principes  réducteurs  indéterminés. 

«  Ainsi,  de  même  que  les  ferments  bactériens  détruisent  les  matières  albuminoïdes 
sans  accès  de  l'oxygène  en  dégageant  de  l'acide  carbonique  et  des  ptomaïnes  en  petite 
quantité,  nos  cellules  musculaires  fonctionnant  sans  air  produisent  une  trace  de  mêmes 
bases  hydropyridiques  (ptomaïnes),  des  leucomaïnes  plus  ou  moins  toxiques,  un  peu  de 
gaz  carbonique  et  d'azote.  Mais  là  s'arrête  l'analogie.  Dans  le  cas  du  muscle  fonctionnant 
sans  air,  pas  de  production  d'ammoniaque  sensible,  pas  de  gaz  putrides,  pas  d'hydro- 
gène sulfuré,  surtout  pas  de  fixation  d'eau  mr  les  corps  protéiques,  mécanisme  indispen- 
sable aux  bactéries  pour  hydrater  les  corps  à  constitution  de  nitiiles  et  les  faire  passer  à 
l'état  d'acides  araidés,  de  carbonate  d'ammoniaque,  de  sels  ammoniacaux,  d'acides  gras  et 
lactique.  Au  contraire,  dans  les  muscles  conservés  l'eau  ne  varie  pas  de  poids.  Le  phéno- 
mène principal  ne  consiste  donc  pas  ici  en  une  h3'dratation...  La  vie  du  muscle  et  en 
général  des  tissus,  même  lorsqu'ils  vivent  de  leur  vie  anaérobie,  n'est  donc  pas  une  putré- 
faction, comme  le  disait  Claude  Bernard,  et  comme  nous  l'avons  pensé  d'abord  nous- 
niême.  Au  contraire,  le  fonctionnement  du  muscle  séparé  de  l'animal  et  privé  d'air  se 
fait  par  des  dédoublements  et  échanges  que  provoquent  les  ferments  solubles  de  la  cel- 
lule, mais  échanges  où  l'eau  ne  sert  que  de  milieu  et  ne  disparait  pas,  contrairement  au 
fonctionnement  bactérien  où  l'eau  se  fixant  sur  les  nitriles  albuminoïdes  et  les  amides 
en  dégage  abondamment  de  l'ammoniaque,  des  acides  amidés  et  de  l'acide  carbonique, 
et  disparait  proportionnellement  et  définitivement  «  (A  Gautier.  A.  P.,  janvier  1893). 

Élaboration  et  transformation  des  albuminoïdes  par  le  végétal.  — Métafco- 
lisme  azoté  végétal.  —  Albuminogènie  végétale.  —  Il  est  établi  par  les  recherches 
de  BoussixGAULT,  de  Georges  Ville,  de  Schlœsing  et  Muntz,  de  Winogradsky,  que  l'azote  est 
fixé  par  la  plante,  soit  sous  forme  d'azote  libre,  soit  sous  forme  de  sels  ammoniacaux, 
mais  surtout  sous  forme  de  nitrates.  C'est  aux  dépens  de  ces  composés  si  simples  que  le 
végétal  va  former  les  matières  protéiques  qui  entrent  dans  la  constitution  de  ses  tissus, 
grâce  à  une  synthèse  sur  le  .mécanisme  de  laquelle  A.  Gautier  a  proposé  une  théorie 
très  élégante  et  très  suggestive.  C'est  l'acide  cyanhydrique  CAzH  qui  serait  l'agent  essen- 
tiel de  cette  édification  moléculaire. 

Les  nitrates  faiblement  dissociés,  grâce  à  leur  dilution  extrême  et  grâce  à  la  légère 
acidité  des  sucs  de  la  plante  arrivent  dans  le  protoplasma  des  cellules  de  la  feuille  où  se 
produisent  incessamment  la  protophylline,  l'aldéhyde  méthylique  et  le  glucose  à  l'état 


196  ALBUMINOIDES. 

naissant  (sous  l'influence  de  la  fonction  chlorophyllienne).  Tous  ces  corps  sont  des 
réducteurs  énergiques.  Or  dans  la  réduction  des  corps  nitrés  on  voit  toujours  apparaître 
de  l'acide  cyanhydrique.  La  présence  de  l'acide  cyanhydrique  dans  les  plantes  est  connue 
depuis  longtemps.  On  le  trouve  en  effet  dans  une  foule  de  végétaux  (fleurs  et  feuilles  de 
rosacées,  de  laurier  rose,  de  laurier  cerise,  de  saule;  amygdaline  des  amandes  amères, 
suc  du  manioc).  Mais  cet  acide  cyanhydrique  ne  peut  exister  à  l'état  libre,  et  il  disparaît 
en  s'unissant  aux  aldéhydes  qui  se  forment  sans  cesse  dans  le  protoplasma  chlorophyl- 
lien. Or  nous  savons  par  les  recherches  de  Schutzenberger  que  la  molécule  albuminoïde 
est  essentiellement  formée  par  de  l'urée  et  de  l'oxamide,  dont  les  hydrogènes  ont  été 
totalement  ou  en  partie  remplacés  par  des  radicaux  complexes,  par  des  chaînes  telles 
que  celle-ci  : 

CO  —  CH2  —  CH^  —  CH  —  AzH  —  CH^  —  CH  —  AzH  —  CH^  —  C0-2H. 

C'est  par  des  réductions  successives  dues  à  l'hydrogène  naissant  que  peut  se  former 
cette  chaîne  ;  de  même  la  formation  de  l'urée  et  de  l'oxamide  peut  s'expliquer  par  ce 
fait  que  l'acide  cyanhydrique  donne  aussi  de  l'urée  et  de  l'aldéhyde  méthylique  par  hy- 
dratation ménagée.  Remarquons  dans  cette  chaîne  le  radical  CH-  de  l'aldéhyde  formi- 
que  CH-0  et  le  groupement  CH-Az H  qui  ne  diffère  de  l'acide  cyanhydrique  que  par  un 
H  en  plus.  Or  l'aldéhyde  formique  se  trouvant  en  présence  de  CAzH  naissant  peut 
s'unir  à  lui,  de  sorte  que  en  ne  tenant  compte  que  des  facteurs  primitifs  qui  se  produi- 
sent dans  la  feuille,  l'aldéhyde  formique  CH^O,  le  groupe  CAzH,  et  l'eau  H-0,  nous  pou- 
vons établir  la  formule  suivante  : 

d°  21  CH20  +  21  H20  =  21  C02H2  +  21  H^ 

Aid.  formique.  Acide  formique. 

20  45  CH20  +  nCAzH  +  21  H^  =  CeîHio^Azi'Oa--!  +  23H2  0 

Aid.  forrnique.  Acide  cyanhydrique.  Albumine. 

ou  ensemble  :        efiCH^O  +  17  CAzH  =  Ce^Hio^  Azi' 022  +  21  CH2  02  +  SH^O 
Aid.  formique.  A.  cy.iohydrique.  .\lbumîne.  Acide  (urmique. 

Cette  hypothèse  de  l'introduction  de  l'azote  dans  les  végétaux  grâce  à  la  réduction 
des  nitrates  sous  forme  d'acide  cyanh5'drique  s'appuie  aussi  sur  des  preuves  indirectes  : 
k.  Gautier  a  en  effet  montré  que  l'acide  cyanhydrique  en  présence  de  l'eau  et  des  acides 
faibles  donne  non  pas  des  matières  protéiques,  mais  des  dérivés  des  matières  albumi- 
noïdes  appartenant  à  la  série  urique  (xanthine,  sarcine,  méthylxanthine,  guanidine). 

L'hypothèse  du  même  auteur  que  le  CAzH  s'unissant  aux  aldéhydes  de  la  feuille 
peut  donner  lieu  à  de  nombreuses  synthèses  a  été  confirmée  par  Schutzenberger  et 
KiLiANi.  Ce  dernier  a  obtenu  par  cette  voie  des  cyanhydrines  qui  par  h)'dratatiou  lui  ont 
donné  la  lactone  lévusocarbonique  C'H'^O',  les  acides  oxyprinélique  et  arabinosocar. 
bonique. 

Enfin  A.  Gautier  a  appelé  l'attention  sur  le  rôle  que  le  groupement  CAzH  joue 
non  seulement  dans  la  constitution  de  la  molécule  albuminoïde;  mais  encore  dans  les 
dérivés  uriques  et  alcaloïdiques  qui  se  trouvent  surtout  dans  la  cellule  végétale  en  train 
de  proliférer.  On  peut  arrriver  en  associant  CAzH  à  l'acétylène  ou  aux  aldéhydes  des 
alcools  non  saturés  ou  encore  en  réduisant  les  corps  nitrés  en  présence  de  la  glycérine,  et 
des  agents  déshydratants,  à  reproduire  les  bases  quinoléiques  et  pyridiques,  c'est-à-dire 
les  noyaux  mêmes  des  alcaloïdes  naturels. 

C'est  ainsi  qu'on  peut  expliquer  la  formation  de  l'albumine  primordiale  dans  les 
végétaux.  Cette  albumine  une  fois  formée  subit  ensuite  une  sorte  d'assimilation,  qui  la 
fait  varier  suivant  les  tissus  et  les  liquides  du  végétal  (caséine  végétale,  gluten,  aman- 
dine,  albumine  proprement  dite,  globuline,  etc.). 

Théorie  de  Low.  — |D'après  Lôw,  l'asparagine  jouerait  un  rôle  important  dans  la  syn- 
thèse des  albuminoïdes  par  le  végétal.  Tous  les  corps  qui  peuvent  servir  à  la  formation 
de  l'albumine  renferment  le  groupement  CHOH  isomère  de  l'aldéhyde  formique.  D'autre 
part  l'asparagine  se  trouve  dans  les  végétaux  partout  où  il  y  a  une  formation  active  d'al- 
bumine. Le  premier  stade  consisterait  dans  la  formation  de  l'aldéhyde  aspartique,  et, 
par  des  processus  de  condensation  et  de  polymérisation,  on  aboutirait  ainsi  à  la  formule 


ALBUMINOIDES.  197 

de  l'albumine.  Il  est  vrai  que  l'aldéhyde  aspartique  n'a  pas  été  encore  isolée  dans  les  végé- 
taux, mais  son  existence  peut  n'être  que  très  éphémère.  Low  fait  aussi  remarquer  que 
le  chiffre  72  (nombre  d'atomes  de  G  dans  la  formule  de  l'albumine  de  Lieberruhn,  repré- 
sente un  multiple  du  chiffre  du  carbone  des  formules  du  glucose  de  la  glycérine,  des  acides 
oléique  et  stéarique,  et  il  considère  les  graisses,  les  hydrates  de  carbone  et  les  albumi- 
noïdes  comme  ayant  pour  base  le  même  groupement  atomique  à  des  degrés  de  conden- 
sation variables. 

Ainsi  élaborées,  les  matières  albuminoïdes  se  présentent,  soit  à  l'état  de  dissolution, 
soit  à  l'état  cristallisé  dans  les  sucs  végétaux.  D'autre  part  on  trouve  en  dissolution  dans 
le  suc  cellulaire  un  grand  nombre  de  substances  parmi  lesquelles  nous  citerons  les  fer- 
ments solubles  :  amylase,  invertine,  émulsine,  pepsine.  C'est  par  l'intermédiaire  de  ces 
ferments  solubles  que  les  végétaux  utilisent  les  matériaux  organiques  élaborés  et  accu- 
mulés dans  leurs  tissus.  En  effet,  nous  trouvons  encore  dans  le  suc  cellulaire,  en  même 
temps  que  la  pepsine,  des  substances  résultant  de  l'action  de  la  pepsine  sur  les  matières 
albuminoïdes,  c'est-à-dire  des  peptones.  Mais  l'hydratation  et  le  dédoublement  sont 
poussés  plus  loin  ;  car  on  trouve  en  dissolution  dans  le  plasma  des  acides  amidés. 
L'asparagine  s'y  trouve  en  abondance  ;  mais  elle  disparaît  rapidement  à  l'état  normal 
en  s'engageant  dans  des  combinaisons  plus  complexes.  Elle  ne  s'accumule  dans  le  végé- 
tal que  toutes  les  fois  qu'un  organe  abondamment  pourvu  de  matières  protéiques  se 
développe  sans  renfermer  et  recevoir  une  quantité  suffisante  de  substances  ternaires 
(jeunes  pousses  d'asperges,  plantules  des  légumineuses).  Cette  asparagine  est  due  sans 
doute  au  dédoublement  de  substances  protéiques  sous  l'influence  de  diatases  spéciales. 
En  présence  de  substances  ternaires  l'asparagine  paraît  se  combiner  avec  elles;  et  régé- 
nérer les  principes  albuminoïdes  primordiaux. 

D'autre  part  l'asDaragine  est  toujours  accompagnée  chez  le  végétal  de  leucine  et  d'acide 
glutamique,  de  tyrosine.  Ces  trois  substances  ont  la  même  origine  et  la  même  destinée. 
Elles  ne  s'accumulent  dans  le  végétal  que  quand  les  composés  ternaires  font  défaut  et 
en  s'unissant  avec  eux  peuvent  régéne'rer  les  albuminoïdes.  Enfin,  comme  produits  d'éla- 
boration, nous  rencontrons  encore  dans  le  plasma  végétal  un  grand  nombre  d'alca- 
loïdes et  de  matières  colorantes.  On  peut  résumer  dans  le  tableau  suivant  les  substances 
azotées  produits  du  métabolisme  végétal. 

I  Amylase. 
\  Invertine. 
Émulsine. 
Myrosine. 
[  Pectase. 
1  Pepsine. 

Pigment  chlorophyllien  (ne  contenant  pas  de  soufre). 

Aleurone,  gluten,  légumine. 

Peptones,  asparagine,  acide  glutamique,  leucine,  tyrosine;  [alcaloïdes  ;  matières  colorantes 
azotées  diverses. 

Albumines  des  organismes  inférieurs  (Champignons,  levures,  bactéries).  — Nous 
retrouvons,  mais  à  un  moindre  degré  que  chez  les  végétaux  supérieurs  chlorophylliens,  cette 
faculté  d'élaborer  des  substances  organiques  très  complexes  aux  dépens  d'éléments 
simples.  Il  faut  en  effet  que  ces  organismes  inférieurs  trouvent,  dans  le  milieu  qui  les 
entoure,  non  seulement  des  [composés  minéraux,  mais  encore  des  composés  organiques 
simples  (tartrate  d'ammoniaque,  sucre).  Des  substances  purement  minérales  ne  suffi- 
raient pas,  comme  l'ont  montré  les  recherches  de  Pasteur,  de  Duclaux,  de  Raulin'. 

Pasteur  ensemence  une  trace  de  levure  dans  un  liquide  renfermant  10  grammes  de 
sucre,  100  grammes  de  tartrate  d'ammoniaque  et  les  cendres  de  1  gramme  de  levure.  En 
interrompant  la  fermentation  au  moment  oîi  la  moitié  du  sucre  avait  disparu.  Pasteur 
trouva  de  l'alcool,  et  un  poids  de  Os^^oi-S  de  levure  sèche.  La  levure  s'était  multipliée  de 
façon  non  douteuse. 

1.  Il  faut  faire  une  exception  pour  un  micro-organisme  nitrifiant,  le  Xitromonas  isolé  par  Wi- 
NOGRADSKY  {Ann.  de  l'inst.  PasI.,  1890)  et  exempt  de  chlorophylle.  Ce  micro-organisme  se  développe, 
c'est-à-dire  opère  la  synthèse  des  principes  immédiats  constituant  son  protoplasma  dans  un  mifieii 
purement  minéral  (carbonates  de  chaux  et  de  magnésie,  sulfate  d'ammoniaque  et  phosphate  de 
potasse). 


Diastases 


19S  ALBUMINOIDES. 

D'autre  part  Pasteur  cultiva  en  présence  de  l'air  le  ferment  acétique  {Mycoderma  aceti) 
dans  un  liquide  contenant  : 

De  l'alcool  ou  de  l'acide  acétique  pur. 
De  l'ammoniaque  (sel  cristallisable  pur). 
De  l'acide  phosphorique. 
De  la  potasse,  de  la  magnésie. 

Dans  ce  milieu  il  déposa  une  trace  de  ferment.  Il  ne  tarda  pas  à  se  produire  une 
quantité  considérable  de  cellules  nouvelles,  et,  dans  cette  récolte  Pasteur  trouva  les  ma- 
tériaux les  plus  variés  et  les  plus  complexes  de  l'organisation  :  cellulose,  corps  gras, 
matières  colorantes,  acide  succinique,..  matières  albuminoides. 

Ainsi  donc  les  principes  immédiats  les  plus  complexes  peuvent  se  former  aux  dépens 
de  composés  chimiques  extrêmement  simples.  Les  belles  recherches  de  Raulin  sur  l'As- 
pergillus  niger  plaident  aussi  tout  à  fait  dans  le  même  sens.  Quant  aux  microbes  patho- 
gènes en  particulier,  leur  développement  exige  un  milieu  plus  richement  nutritif,  des  ali- 
ments organiques  beaucoup  plus  complexes  qu'ils  trouvent  dans  les  humeurs  animales. 
A  ce  point  de  vue  leur  nutrition  présente  la  plus  grande  analogie  avec  la  nutrition  de 
nos  éléments  anatomiques. 

Quand  aux  résidus  de  la  nutrition  des  organismes  inférieurs,  aux  produits  de  désassi- 
milation,  les  recherches  de  Schltzenbebger  et  Destrem,  de  Béchamp,  de  SchCtzenberger  sur 
l'aulophagie  de  la  levure  nous  fournissent  des  renseignements  précieux  sur  les  produits 
azotés  de  la  désassimilation.  On  trouve,  en  effet,  parmi  les  matériaux  azotés  résultant  de 
la  vie  de  la  levure  :  de  la  carnine,  de  la  xanthine,  de  la  leucine,  de  la  t3T0sine  (on  n'a 
pu  trouver  d'urée,  d'acide  urique,  de  créatine  et  de  ci'éatinine). 

Enfin  nous  signalerons  aussi  les  recherches  récentes  d'ARNACD  et  Charrin  qui  ont 
étudié  avec  soin  les  produits  de  la  vie  d'un  microbe  chromogène  et  pathogène,  lebacille 
pyocyanique. 

Transformations  des  substances  albuminoides  dans  l'organisme  animal.  — 
Albuminogénie  animale.  —  L'animal  ne  peut  vivre  et  se  nourrir  qu'en  utilisant  les 
principes  immédiats  complexes  élaborés  par  les  végétaux.  Mais  il  ne  faudrait  pas  croire 
que  les  matières  protéiques  formées  par  le  végétal  sont  assimilées  telles  quelles  par 
les  animaux.  Elles  sont  d'abord  soumises  à  l'action  des  sucs  digestifs  qui  les  transfor- 
ment en  peptones,  lesquelles  en  se  déshydratant  fournissent  au  sang  la  matière  albu- 
minoïde  primordiale  aux  dépens  de  laquelle  vont  se  former  les  albuminoides  des 
différents  tissus,  myosine,  caséine,  globuline,  osséine,  cartilagéine,  etc.  C'est  avec  les 
matériaux  fournis  par  le  sang  que  les  éléments  anatomiques  opèrent  la  synthèse  des 
principes  immédiats  qui  entrent  dans  leur  constitution,  synthèse  incomparablement 
plus  simple,  évidemment,  que  celle  qu'opèrent  les  cellules  végétales. 

Enfin  nous  devons  rappeler  la  première  nutrition  de  l'enfant.  Le  lait  ne  lui  offre  que 
deux  matières  albutuinoïdes,  la  caséine  et  l'albumine,  avec  lesquelles  le  jeune  organisme 
fabrique  toutes  les  matières  protéiques  qui  entrent  dans  sa  constilution.  Quelles  sont  les 
réactions  successives  qui  donnent  naissance  aux  produits  définitifs,  qui  sont  les  albumi- 
noides des  tissus,  nous  l'ignorons,  mais  il  est  permis  de  penser  que  ces  transformations 
sont  peu  profondes,  étant  donné  que  toutes  ces  substances  sont  chimiquement  voisines  les' 
unes  des  autres  et  qu'il  sufflt  de  modifications  moléculaires  assez  simples  pour  passer  de 
l'une  à  l'autre. 

Existence  dans  l'organisme.  Teneur  en  albuminoides  des  divers  tissus  et 
liquides  de  réconomie.  —  Les  substances  albuminoides  ou  leurs  dérivés  font  partie 
de  tous  les  éléments  et  de  tous  les  tissus  de  l'organisme,  on  les  trouve  aussi  dans  tous 
les  liquides  ayant  un  caractère  nutritif  :  sang,  lymphe,  chyle,  lait,  sucs  des  tissus,  trans- 
sudations. Le  tableau  suivant,  emprunté  à  Gorup-Besaxez,  nous  montre  la  quantité  d'al- 
buminoïdes  p.  1000  contenue  dans  les  divers  tissus- et  liquides. 


Cérébro-spinal 0,9 

Humeur  aqueuse 1,4 

Eau  de  l'am.nios 7,0 

Liquide  du  péricarde 23,6 

Lymphe .  24,6 

Suc  pancréatique 33,3 


Synovie 31,9 

Lait 39,4 

Chyle 40,9 

Sang 195,6 

Moelle 74,9 

Cerveau 86,3 


ALBUMINOIDES.  199 

Foie in, 4  I    Tunique  musculaire  des  artères.  SIIJ,» 

Thymus  (veau) 122,9       Cartilage 301,1) 

Œuf  de    poule 134,3       Os.    .    .' 34.-;, (I 

Muscles 161,8    |    Cristallin 383,0 

Quant  à  l'état  dans  lequel  se  trouvent  les  matières  albuminoïdes  de  l'organisme,  il 
varie  suivant  les  endroits;  tantôt  elles  sont  à  l'état  de  dissolution  comme  dans  le  sang 
et  les  divers  liquides;  et  cette  solution  est  due  en  très  grande  partie  à  la  présence  de 
sels  alcalins;  tantôt  à  l'état  semi-fluide  comme  dans  le  protoplasma  et  les  muscles; 
enfin  à  l'état  solide  dans  le  cartilage,  les  os,  les  membranes  cellulaires.  Dans  les  œufs 
de  certains  animaux,  elles  se  présentent  même  à  l'état  cristallin  (plaques  vilellines) 
comme  d'ailleurs  l'hémoglobine  ou  matière  colorante  du  sang. 

Modifications  subies  par  les  matières  albuminoïdes  dans  l'organisme  ani- 
mal. —  Les  matières  albuminoïdes,  soit  végétales,  soit  animales,  qui  jouent  dans 
l'alimentation  un  rôle  si  important,  ne  sont  pas  absorbées  et  assimilées  telles  quelles; 
mais  au  contraire  doivent  d'abord  être  soumises  à  l'action  des  sucs  digestifs,  d'oil  une  pre- 
mière série  de  transformations  se  réduisant  essentiellement,  disons-le  tout  de  suite,  à 
un  premier  slade  d'hydratation  qui  aboutit  à  la  formation  de  peptones.  Mais  il  faut  étu- 
dier de  plus  près  ces  modifications. 

Dans  la  bouche,  sous  l'influence  de  la  salive,  les  matières  albuminoïdes  ne  subissent 
aucune  modification  chimique.  Arrivées  dans  l'estomac  elles  se  trouvent  en  présence  du 
suc  gastrique  (pepsine  et  HCi).  Les  premières  modifications  sont  dues  à  l'acide  clilorhy- 
drique  qui  les  transforme  en  nyntonine  (acide  albumine;  albuminose  de  Boochabdat) 
en  les  gonflant  fortement.  Puis  sous  l'influence  de  la  pepsine  peu  à  peu  les  matières  al- 
buminoïdes sont  transformées  en  peptones.  Mais  l'action  du  ferment  soluble  ne  conduit 
pas  d'emblée  la  matière  protéique  à  ce  stade  :  il  y  a  des  étapes  intermédiaires,  essentiel- 
lement caractérisées  par  la  formation  d'albumoses  ou  propeptones  ou  hémi-albumines.  Enfin 
apparaissent  les  peptones.  Comme  nous  l'avons  dit,  les  recherches  de  Danilewsry,  Herth, 
Maly,  et  surtout  Henninger  ont  montré  que  les  peptones  sont  des  hydrates  d'albumi- 
noïdes,  ainsi  que  l'avait  dit  déjà  A.  Gautier.  C'est  donc  un  phénomène  d'hydratation  qui 
caractérise  essentiellement  le  chimisme  stomacal.  Mais  les  travaux  de  KOhne  et  de  ses 
élèves  tendent  à  présenter  ce  phénomène  de  la  peptonisation  comme  plus  complexe.  D'a- 
près le  physiologiste  de.Heidelberg,  l'albumine  subirait  un  dédoublement,  elle  se  scinde- 
rait en  deux  groupes,  un, groupe  d' hémidérivés  comprenant  Vhémalbumose  et  l'hémipeptonc, 
et  un  groupe  d'antidérivés  [antialbumose  et  antipeptone.  Dans  les  deux  groupes  on  dis- 
tingue divers  stades  de  transformtion,  diverses  albumoses. 

i"  La  dysalbumose,  insoluble  dans  l'eau,  mais  soluble  dans  les  dissolutions  salines. 

2°  L'hétéroalbumose,  mêmes  propriétés. 

3°  La  protalbumose,  soluble  dans  l'eau  et  les  dissolutions  salines. 

4°  La  deutéroalbumose,  mêmes  propriétés. 

Les  trois  premières  albumoses  sont  précipitées  de  leurs  dissolutions  neutres  par  le  sel 
marin  en  excès;  la  dernière  au  contraire  n'est  précipitée  par  le  sel  marin  (et  partielle- 
ment) qu'en  présence  d'un  acide. 

Neumeister  désigna  sous  le  nom  d'albumoses  primaires  la  protalbumose  et  l'hétéro- 
albumose, et,  sous  le  nom  d' albumoses  secondaires,  la  deutéroalbumose,  plus  voisine  de 
la  peptone.  Les  acides  phosphomolybdique  et  pbosphotungstique  précipitent  totalement 
les  alhumoses  primaires  et  incomplètement  les  albumoses  secondaires. 

A  ces  albumoses  succèdent  les  peptones  ou  plus  exactement  un  mélange  d'hémipcp- 
tone  et  d'antijjeptone  (mélange  appelé  par  Kuhne  :  amphopepione).  L'hémipeptonc  peut 
être  attaquée  par  la  trypsine  et  fournit  alors  de  la  leucine,  de  la  tyrosine,  de  l'acide  glu- 
tamique,  de  l'acide  aspartique.  L'antipeptone  au  contraire  résiste. 

Albumine. 

\"  1 

Antialbumoses.  Hémialbumoses. 

1  .   I 

Antipeptone.  Hémipeptone.  \ 

I  [  Action  de  la  trypsine. 

Leucine,  tyrosine,  etc.  ) 


200  ALBUMINOIDES. 

On  peut  établir  un  rapprochement  entre  ce  dédoublement  et  le  dédoublement  de 
l'albumine  sous  l'inlluence  des  acides  étendus  et  bouillants  (qu'a  étudié  M.  Scbûtzen- 
berger)  en  hémialbumine  el  hémiprotéine  ;  cette  dernière,  insoluble,  n'étant  attaquée  que 
lentement  par  l'acide  étendu  qui  la  change  en  hémiprotéidine.  Ce  groupe  résistant  pour- 
rait être  comparé  au  groupe  des  antidéi'ivés  signalés  par  Kuhke  dans  la  peptonisation  de 
l'albumine. 

Ajoutons  que,  d'après  les  recherches  récentes  de  Cii.  Contejean,  le  processus  de  la 
peptonisation  gastrique  ne  serait  pas  en  réalité  aussi  complexe  que  l'a  dit  Kuhne. 
D'après  lui  tous  les  produits  intermédiaires  (dysalbumose,  hétéroalbumose,  etc.)  ne 
seraient  que  des  produits  artificiels  dus  à  l'action  des  réactifs  dans  l'analyse  des  produits 
de  la  digestion  gastrique,  et  l'albumine  se  transformerait  simplement  d'abord  en  synto- 
nine,  puis  en  propeptone,  et  enfin  en  peptone,  étapes  d'hydratation  successives. 

Ce  qui  des  matières  albuminoïdes  a  échappé  à  l'action  du  suc  gastrique  passe  avec  le 
chyme  dans  l'intestin  grêle  et  est  soumis  à  l'action  de  latrypsine  pancréatique.  Les  pro- 
cessus de  transformation  senties  mêmes;  seulement  latrypsine  agissant  en  milieu  alcahn 
transforme  les  matières  albuminoïdes  d'abord  en  alcalialbumines  puis  en  propeptones  et 
enfin  en  peptones.  Mais  les  modifications  ne  s'arrêtent  pas  là;  une  partie  de  ces  pep- 
tones  sous  l'influence  de  la  trypsine  donne  naissance,  même  dans  un  milieu  aseptique, 
comme  l'ont  vu  Kûhne  et  Chittenden,  à  des  acides  amidés  :  de  la  leucine,  de  la  tyrosine, 
des  acides  aspartique,  glutamique,  et,  dans  le  cas  de  la  digestion  de  la  gélatine,  du  glyco- 
coUe.  C'est  en  cela  que  latrypsine  diffère  de  la  pepsine  gastrique,  qui  ne  peut  conduire 
la  matière  albuminoide  à  des  stades  d'hydratation  aussi  avancés. 

Enfin  le  reste  de  matières  albuminoïdes  devient  dans  l'intestin  la  proie  des  microor- 
ganismes, et  nous  assistons  alors  non  plus  à  une  véritable  digestion  mais  à  une  fermen- 
tation putride.  La  molécule  albuminoïde  est  complètement  disloquée  et  ses  groupements 
constitutifs  se  détachent  successivement.  C'est  ainsi  que  se  forment  les  acides  amidés, 
les  acides  gras,  les  ptomaïnes,  les  composés  aromatiques,  indol,  phénol,  scatol  (qui  se 
combinent  avec  le  soufre  pour  donner  des  acides  sulfoconjugués).  En  même  temps  il  se 
produit  des  gaz:  CO-,ff,H^S,Az,  qui, mélangés  aux  composés  aromatiques,  donnent  aux 
résidus  alimentaires  l'odeur  fécaloïde  qu'ils  acquièrent  dans  les  dernières  portions  du 
tube  intestinal. 

Absorption.  —  C'est  à  l'état  de  peptone,  que  les  matières  albuminoïdes  sont  absorbées 
par  l'épithélium  gastro-intestinal.  Est-ce  à  dire  que  l'albumine  ne  puisse  être  résorbée  en 
nature?  Non,  car  les  expériences  de  Voït  et  Bauer prouvent  le  contraire.  Certains  auteurs 
même  (Fick  entre  autres)  ont  pensé  que  seule,  l'albumine  intacte  [pouvait  servir  à  la 
réparation  des  tissus,  tandis  que  les  peptones  ne  servaient  que  de  combustible  à  l'orga- 
nisme. Certaines  observations  paraissent  en  effet  venir  à  l'appui  de  cette  hypothèse.  Chez 
un  animal  à  jeun  la  sécrétion  d'urée  est  réduite  au  minimum.  12  heures  après  un  repas 
riche  en  albuminoïdes,  on  voit  apparaître  dans  les  urines  une  quantité  d'azote  correspon- 
dant à  la  quantité  d'albuminoïdes  ingérés.  Si  l'on  donne  à  un  chien  une  quantité  d'albu- 
mine égale  à  celle  qu'il  a  usée  à  jeun,  il  sécrète  plus  d'azote  qu'il  n'en  a  absorbé.  L'équi- 
libre de  nutrition  n'est  rétabli  que  lorsqu'on  lui  donne  une  quantité  d'albumine  trois 
fois  plus  grande  que  celle  dont  il  a  besoin  en  réalité. 

Mais  cette  distinction  entre  l'albumine  absorbée  en  nature  et  celle  transformée  en  pep- 
tone n'a  plus  sa  raison  d'être,  puisque  nous  savons,  grâce  surtout  aux  recherches  d'HoF- 
MEisTER  et  de  Salvioli,  que  les  peptones  sont  déshydratées  au  niveau  de  l'épithélium  in- 
testinal, et  régénèrent  l'albumine.  Toutefois  une  petite  partie  des  peptones  peut  échapper 
à  cette  déshydratation;  ces  peptones  sont  remaniées  au  niveau  du  foie  et  transformées 
en  albumine.  D'ailleurs  cette  albumine  absorbée  par  les  radicules  de  la  veine-porte  n'est 
plus  l'albumine  telle  qu'elle  était  formée  par  les  aliments,  c'est  l'albumine  du  sérum, 
cette  albumine  circulante,  selon  l'expressionde  Voït,  aux  dépens  de  laquelle  vont  vivre  et 
se  nourrir  les  éléments  anatomiques,  aux  dépens  de  laquelle  vont  se  former  les  albumi- 
noïdes particuliers  constitutifs  de  divers  tissus  (osséine,  cartilagéine,  etc.).  Mais  auparavant 
encore  cette  albumine  va  subir  une  élaboration  particulière  au  niveau  du  foie,  comme 
l'avait  entrevu  Claude  Bernard.  Il  est  à  remarquer  en  effet  que  les  albumines  du  sang 
porte  présentent  assez  souvent  une  toxicité  qui  disparaît  au  delà  du  foie. 

Mise  en  réserve.  —  L'albumine  ainsi  absorbée  au  cours  d'une  alimentation  nor- 


ALBUMINOIDES.  201 

maie  n'est  pas  utilisée  tout  entière  et  immédiatement  pour  la  nutrition  des  éléments 
anatomiques.  En  dehors  des  albuminoïdes  soumis  aux  processus  de  la  désassimilation, 
une  partie  des  albuminoïdes  (qu'il  est  impossible  de  préciser)  subit  une  sorte- d'emmaga- 
sinement  précédant  la  nutrition.  Cette  mise  en  réserve  peut  être  directe  ou  indirecte. 
Nous  savons  qu'une  partie  de  la  jçraisse  absorbée  s'accumule  dans  certaines  régions  du 
corps,  le  tissu  cellulaire  sous-cutané  par  exemple;  les  hydrates  de  carbone  dans  le 
foie  sous  forme  de  glycogène.  Il  est  très  probable  qu'une  partie  des  substances  albu- 
minoïdes s'emmagasine  dans  les  organes  lymphoïdes  (rate  et  ganglions  lymphatiques). 
Tous  ces  organismes  sont  en  effet  très  riches  en  substances  azotées,  et  jouent  un  rôle 
essentiel  dans  la  formation  des  tissus,  comme  ie  prouve  leur  développement  chez  le  fœtus 
et  chez  l'enfant;  enfin  ils  sont  le  siège  principal  de  la  production  des  globules  blancs 
dont  le  rôle  formateur  est  hors  de  doute.  Aussi  voyons-nous  dans  l'inanition  ces  orga- 
nes subir  une  perte  de  poids  qui  approche  de  celle  qne  subit  la  graisse.  C'est  ainsi  que, 
la  perte  de  poids  pour  1000  étant  de  0,935  pour  la  graisse,  elle  est  0,714  pour  la  rate. 
D'autre  part  les  muscles  servent  aussi  d'organes  d'emmagasinement  pour  les  albuminoï- 
des. Les  observations  de  Miesciier  sur  les  saumons  en  font  foi.  Pendant  la  migration  des 
saumons  vers  le  haut  cours  du  Rhin  au  moment  du  frai,  ces  animaux  ne  prennent 
aucune  nourriture,  l'ovaire  et  le  testicule  augmentent  considérablement  de  volume  de  0,4 
à  19,27  p.  100  du  poids  du  corps;  en  revanche  les  muscles  diminuent  considérablement. 
En  outre  on  sait  que  les  muscles  diminuent  rapidement  pendant  l'inanition.  C'est  ainsi 
que  sur  un  chat, après  13  jours  de  jeune,  alors  que  le  cerveau  et  la  moelle  n'ont  perdu  que 
2,3  p.  100,  la  musculature  a  diminué  de  30, b  p.  100.  Eu  même  temps  que  cette  fonte  du 
tissu  musculaire  chez  le  saumon,  Miescher  a  aussi  signalé  l'augmentation  de  la  quantité 
de  globulines  du  sang.  Cette  augmentation  a  été  constatée  aussi,  en  même  temps  que  la 
diminution  de  la  quantité  d'albumine,  dans  le  sang  des  animaux  inanitiés.  Les  globulines 
paraissent  donc  représenter  la  forme  sous  laquelle  les  matières  albuminoïdes  sont  trans- 
portées d'un  organe  à  l'autre,  et  on  est  tenté  de  considérer  les  globulines  comme  les  ma- 
tériaux aux  dépens  desquels  se  forment  les  molécules  plus  complexes  du  protoplasma 
vivant,  à  preuve  la  présence  de  globulines  en  abondance  dans  les  œufs  des  animaux,  les 
graines  et  les  racines  des  plantes.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  paraît  certain  que  les  muscles  ne 
servent  pas  seulement  à  la  locomotion,  ils  servent  aussi  à  la  mise  en  réserve  qu'on  pour- 
rait en  quelque  sorte  appeler  c&ecie.  Il  en  est  une  autre  en  quelque  sorte  indirecte,  l'or- 
ganisme utilisant  les  albuminoïdes  pour  opérer  d'autres  élaborations  d'autre  synthèses; 
nous  voulons  parler  de  l'élaboration  des  graisses  et  du  glycogène. 

Formation   des  graisses  aux  dépens  des  albuminoïdes  (Voyez  Graisses). 

Formation  du  glycogène  aux  dépens  des  albuminoïdes  (Voyez  Glycogène). 

Désassimilation  azotée.  —  La  destruction  des  substances  albuminoïdes  dans  l'or- 
ganisme peut  porter  à  la  fois  sur  l'albumine  circulante  et  sur  les  albuminoïdes  faisant 
partie  intégrante  des  tissus.  A  l'état  normal,  la  nutrition  étant  normale,  les  produits  de  la 
désassimilation  des  matières  protéiques  se  forment  principalement  aux  dépens  de  l'albu- 
mine circulante.  Dans  l'inanition,  au  bout  d'un  certain  temps,  c'est  l'albumine  des  tissus 
qui,  par  sa  désintégration,  fournit  l'énergie  nécessaire  à  l'être  vivant.  Ajoutons  qu'à  l'état 
normal  la  désassimilation  azotée  dépasse  notablement  les  besoins  de  l'organisme,  si  nous 
nous  rapportons  au  taux  de  l'urée  éliminée  pendant  l'inanition  et  au  cours  de  la  nutri- 
tion normale.  11  semble  donc  bien  qu'il  existe  une  véritable  conso??imafio?i  de  luxe,  qui 
disparaît  au  moment  où  l'organisme  privé  d'alimentation  azotée  est  obligé  de  vivre  aux 
dépens  des  albuminoïdes  de  ses  tissus.  Dans  ce  cas,  comme  c'est  la  règle,  les  éléments  les 
moins  nobles  se  sacrifient  pour  les  éléments  placés  au  sommet  delà  hiérarchie  physiolo- 
gique, c'est-à-dire  les  éléments  des  centres  nerveux. 

Quant  au  mécanisme  môme  de  la  désassimilation  azotée  (oxydation,  hydratation,  dé- 
doublement) nous  n'avons  pas  à  le  discuter.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  la  désassimila- 
tion donne  naissance  à  une  série  de  produits  qui  aboutissent  finalement  à  l'urée  et  à 
l'acide  carbonique.  Ce  qui  est  certain  aussi,  c'est  que  la  transformation  des  albuminoï- 
des en  urée  n'est  pas  directe,  comme  on  a  pu  le  croire  autrefois,  mais  qu'il  existe  toute  une 
série  de  produits  intermédiaires.  Les  albuminoïdes  paraissent  se  dédoubler  successive- 
ment en  deux  sortes  de  produits;  les  uns  fortement  azotés,  les  autres  peu  azotés  ou  sim- 
plement dépourvus  d'azote;  dételle  sorte  que  la  désassimilation  des  matières  protéiques 


202  ALBUMINOIDES. 

donne  naissance  à  deux  séries  parallèles  aboutissant,  l'une  à  l'urée,  l'autre  à  l'acide 
carbonique  et  à  l'eau. 

La  désassimilation  des  albuminoïdes  s'apprécie  en  général  pratiquement  par  la  quan- 
tité d'urée  éliminée  par  l'urine,  ou  plus  justement  par  la  teneur  de  ce  liquide  en  azote, 
azote  provenant  non  seulement  de  l'urée,  mais  encore  de  l'acide  urique,  de  la  créati- 
nine,  etc.  (azote  total).  De  plus,  les  substances  albuniinoïdescontenant  du  soufre,  on  observe, 
parallèlement  à  cette  élimination  d'azote,  une  élimination  de  soufre  sous  forme  de  sulfates 
et  d'acides  sulfoconjugués. 

Il  nous  faut  maintenant  jeter  un  coup  d'œil  rapide  sur  ces  produits  de  la  désassimi- 
lation des  matières  protéiques.  A  l'exemple  de  A.  Gautier,  nous  diviserons  les  produits 
de  la  désassimilation  en  : 

i"  Produits  azotés  complexes; 

2°  Corps  des  séries  xanthique  et  urique,  leucomaïnes; 

3°  Créatine  et  autres  leucomaïnes  ; 

4°  Acides  amidés; 

0°  Composés  aromatiques; 

6°  Acides  non  azotés  divers; 

7°  Urée. 

1°  Produits  azotés  complexes  (nucléines,  lécithines,  matières  colorantes  de  la  bile  et  de 
l'urine). 

Les  nucléines  sont  caractérisées  par  leur  forte  teneur  en  phosphore  et  la  facilité  avec 
laquelle  les  réactifs  acides  et  alcalins  produisent  avec  elles  les  bases  de  la  série  xanthique. 
Elle  sont  plus  simples  que  les  matières  albuminoïdes  dont  elles  doivent  dériver.  C'est  pro- 
bablement en  se  transformant  en  base  de  la  série  xanthique  qu'elles  se  désassimilent. 

Les  lécitliines  sont  des  produits  de  synthèse  des  acides  stéarique,  etphosphoglycérique 
avec  la  uévrine.  La  bilirubine  provient  du  dédoublement  avec  oxydation  de  l'hémoglobine 
en  passant  par  l'hématine,  qui  elle-même  dérive  de  la  décomposition  de  l'hémoglobine  en 
albumine,  hématine,  urée  et  acides  gras.  De  cette  bilirubine  une  grande  partie  est  éli- 
minée avec  les  fèces,  une  autre  est  partiellement  résorbée  sous  forme  d'hydrobiUrubine, 
s'oxyde  dans  le  sang  et  colore  les  urines. 

Il  en  est  de  même  de  l'indol,  du  phénol,  du  scatol,  qui  sont  éliminés  par  l'urine  sous 
forme  d'acides  sulfoconjugués. 

2"  Séries  urique  et  xanthique.  —  On  n'est  pas  encore  bien  fixé  sur  l'origine  de  l'acide 
urique.  On  croyait  autrefois  que  c'était  le  prédécesseur  immédiat  de  l'urée,  qui  dérivait  de 
lui  par  oxydation  directe.  Mais  cette  opinion  n'a  plus  cours  aujourd'hui.  L'origine  de 
l'urée  est  probablement  différente.  Pour  Gautier  l'acide  urique  dériverait  de  la  rencontre 
dans  l'économie  d'un  groupement  à  3  atomes  de  carbone,  tel  que 

00  — CO  —  CH      ou      CO  — C(OH)  — CD 

provenant  de  la  combustion- incomplète  de  la  glycérine,  du  glucose  ou  de  l'acide  lactique, 
groupement  qui  s'unirait  à  deux  molécules  d'urée.  Ce  qui  parait  certain,  d'après  les  re- 
cherches de  MiNKOwsKi,  c'est  que  l'acide  urique  doit  se  former  dans  le  foie.  Chez  les 
oiseaux,  après  l'ablation  de  cet  organe,  l'urine  ne  contient  plus  que  très  peu  d'acide  uri- 
que ;  en  revanche  la  quantité  d'ammoniaque  augmente  considérablement,  ainsi  que  l'acide 
lactique.  Aussi  Mlnkowski  admet-il  que  l'acide  urique  se  forme  dans  le  foie  par  l'union 
de  l'urée  avec  l'acide  lactique.  Par  une  série  d'hydratations  et  d'oxydations  successives, 
l'acide  urique  s'élimine  à  l'état  d'urée,  d'acides  oxalique  et  carbonique  et  d'eau.  On  peut 
rencontrer  dans  certaines  cellules  les  produits  intermédiaires  de  cette  décomposition 
(alloxane,  allantoïne,  acide  oxalurique,  etc.). 

Quant  aux  produits  de  la  série  xanthique  (xanthine,  sarcine,  guanine,  adénine),  ils 
constitueraient  d'après  Kossel  des  produits  de  désassimilation,  non  des  albuminoïdes  pro- 
prement dits,  mais  des  nucléines.  Les  recherches  d'HoRBACzEwsKi  confirment  cette  opinion. 
Quant  aux]dérivés  par  dédoublement  et  oxydation  de  ces  produits,  ils  sont  les  mêmes  que 
ceux  de  la  série  urique  (urée,  acides  oxalurique,  mésoxalique,  oxalique,  carbonique 
et  eau). 

3°  Créatine  et  leucùinaïnes  créaliniques .  —  On  rencontre  la  créatine  dans  les  muscles 
et  la  créatinine   dans  l'urine.  Au  point  de  vue  chimique  la  créatine  résulte  de  la  syn- 


ALBUMINOÏDES.  203 

thèse  de  la  cyanamide  avec  la  sarcosiiie  ou  niélhylglycocoUe.  Or  la  cyaiiamide  est  un 
anhydride  de  l'urée.  De  même  la  guanidine  en  s'unissant  à  la  sarcosine  donne  de  la 
créatinine,  et  cette  guanidine  revient  à  l'union  d'une  molécule  d'ammoniaque  à  une  mo- 
lécule d'urée  avec  élimination  d'eau. 

Ceci  nous  explique  comment  la  créatine  peut  dériver  de  l'urée  elle-même  ou  de 
corps  aptes,  comme  les  sels  ammoniacaux,  à  la  produire.  En  passant  dans  le  rein  la  créa- 
tine en  se  déshydratant  se  transforme  en  créatinine  que  l'on  trouve  dans  l'urine. 

4°  Acides  amidéii.  —  Nous  avons  vu  que  parmi  les  produits  d'hydratalion  des  albumi- 
noïdes  se  trouvaient  des  acides  amidés,  leucine,  butalanine,  etc.,  ces  composés  n'ont 
qu'une  existence  éphémère  dans  l'organisme.  C'est  ainsi  que  le  glycocolle  s'unit  à  l'acide 
benzoïque  pour  former  de  "acide  hippurique  ;  une  autre  partie  du  glycocolle  contribue  à  la 
formation  de  l'acide  glycocholique  et  une  autre  peut  donner  de  l'urée.  La  leucine,  la  bu- 
talanine contribuent  ainsi  à  la  formation  de  l'urée.  L'ingestion  de  ces  substances  aug- 
mente en  effet  l'excrétion  de  l'urée  et  le  supplément  d'azote  éliminé  correspond  à  l'azote 
des  acides  amidés  ingérés. 

Taurine.  —  La  taurine  ou  acide  amido-iséthionique  provient  aussi  de  la  décomposi- 
tion d'albuminoïdes.  Cette  substance  en  s'unissant  avec  l'acide  cholalique  forme  l'acide 
taurocholique.  Elle  passe  en  partie  dans  les  fèces  avec  la  bile, mais  elle  peut  s'éliminer 
encore  après  s'être  transformée  en  ammoniaque,  sulfate  et  acétate  de  potasse.  Une 
autre  partie  peut  passer  en  nature  dans  les  urines  (Salkowski),  une  autre  peut  s'unir  à 
l'acide  cyanique  et  former  de  l'acide  taurocarbamique  qui  peut  se  retrouver  dans  les 
urines. 

0°  Corps  aromatiques.  —  L'acide  benzoïque,  l'acide  kynurénique,  l'acide  hippurique, 
les  acides  pyridique,  carbonique,  peuvent  se  produire  par  oxydation  des  albuminoides. 
De  même  lalyrosine,  la  cholestérine,  les  acides  biliaires,  les  phénols,  sont  autant  de  types 
de  cette  grande  série  qui  dérive  des  albuminoides. 

La  tyrosine  disparaît  en  perdant  d'abord  de  l'ammoniaque  qui  concourt  à  la  forma- 
lion  de  l'urée  et  donnant  ensuite  successivement,  d'après  Bauman.v,  des  acides  hydropara- 
coumarique,  paroxyphénylacétique,  paroxybenzoïque,  et  entin  du  phénol  qu'on  retrouve 
à  l'état  de  pliénolsulfate  de  potasse. 

Le  crésol  dérive  par  perte  de  CO-  de  l'acide  paroxyphénylacétique  et  s'élimine  sous 
forme  d'acide  crésolsulfurique.  De  même  l'indoljle  scatol  s'éliminent  sous  forme  d'acides 
sulfoconjugués. 

Acides  biliaires.  —  Cholestérine.  —  Les  acides  biliaires  se  forment  dans  le  foie  par 
l'union  de  l'acide  cholalique  avec  la  taurine  et  le  glycocolle.  Quant -à  l'acide  cholalique, 
pour  les  uns  il  proviendrait  de  la  désassimilation  des  graisses  (Lehmann)  ;  pour  les  autres 
des  matières  albuminoides  qui  contiendraient  le  noyau  qui  donne  naissance  à  cet 
acide. 

6°  Acides  non  azotés  divers.  —  a.  Acides  gras  en  C  H-"  0'-.  —  Ils  proviennent  selon  toute 
probabilité  d'un  simple  dédoublement  fermentatif  de  la  molécule  albuniinoïde  ou  des 
hydrates  de  carbone  qui  peuvent  en  dériver.  On  les  voit  apparaître  et  se  former  en 
abondance  dans  la  fermentation  putride  des  matières  albuminoides.  Leur  existence  dans 
l'organisme  n'est  qu'éphémère,  et  ils  disparaissent  par  une  série  d'oxydations  succes- 
sives aboutissant  à  H-0  et  C0-. 

-  b.  Acides  en  CH^-'G^  —  L'acide  lactique  (C^H^O^)  peut  se  produire  par  dédoublement 
avec  production  d'alcool  des  résidus,  des  acides  amidés  ayant  eux-mêmes  les  albumi- 
noides pour  origine.  Une  fois  formé  l'acide  lactique  n'est  pas  éliminé  tel  quel;  d'après 
des  recherches  récentes  (Minkowski)  le  foie  serait  chargé  de  sa  destruction.  11  apparaît 
en  effet  dans  les  excrétions  après  l'ablation  du  foie. 

c.  AcîdesenC"'H'-"-2  0*  (acide  oxalique,  succinique,  etc.).  —  L'acide  oxalique  peut  pro- 
venir de  deux  sources,  1°  de  l'alimentation,  2»  il  peut  se  former  dans  l'organisme  même 
aux  dépens  des  albuminoides  (Schutzenberger).  L'acide  oxalique  se  montre  dans  l'urine 
des  animaux  à  sang  chaud  au  moindre  trouble  des  phénomènes  digestifs,  respiratoires  ou 
perspiratoires.  L'acide  succinique  provient  de  l'alimentation.  Ces  acides  sont  oxydés  dans 
l'organisme  en  commençant  sans  douteuse  dédoubler  en  acide  carbonique  et  acides  gras 
C^H'-^O-  (acide  forraique  et  acide  propionique),  les  acides  gras  à  leur  tour  sont  oxydés 
et  donnent  de  l'acide  carbonique  et  de  l'eau. 


204 


ALBUMINOIDES. 


70  iT,.ggi__  La  plus  grande  partie  de  l'azote  introduit  dans  l'organisme  par  les  aliments 
est  éliminée  à  l'état  d'urée,  et  la  persistance  de  l'urée  dans  l'urine  pendant  l'inanition 
[>rouve  que,  même  en  dehors  de  l'alimentation,  l'urée  peut  provenir  de  la  désassimilation 
des  tissus  azotés.  Les  recherches  de  Schultzen  et  Ne.ncki  ont  montré  les  relations  qui 
existent  entre  l'urée  et  les  acides  amidés  (C^H-^AzO-).  D'ailleurs  l'ingestion  de  ces  corps 
augmente  le  taux  de  l'urée.  Comment  se  forme  l'urée  aux  dépens  de  ces  acides  amidés? 
Ce  n'est  certainement  pas  directement.  Les  recherches  de  Kniriem,  de  Schmiedeberg,  de  Ml'.xk, 
de  Drechsel  tendent  à  établir  que  c'est  en  grande  partie  aux  dépens  des  composés  ammo- 
niacaux (que  l'on  trouve  parmi  les  produits  de  décomposition  des  albuniinoïdes)  que 
se  forme  l'urée.  Le  foie  serait  l'organe  essentiel  de  l'uropoièse.  Pour  les  détails,  voyez  les 
articles  Foie  et  Urée. 

Voici  d'après  Beaums  {Physiologie,  2'=  édition)  un  tableau  synoptique  qui  montre  la 
désassimilation  des  matières  albuminoïdes  dans  l'économie  animale  : 


ALBUMINOIDES  DE  L'ALIME.NTATIOX 

I 

Peptones 

I 

Albnmine  du  sang 


Albumine  circulante 


1.  En  décomposant  la  caséine  par  l'acide  chlorhvdriquc  concentré  et  le  protochlorure  d'étain, 
Drechsel  a  obtenu  un  mélange  de  bases  dont  l'une  a  pour  formule  CSHi^Az^O;  l'auteur  lui  a 
donné  le  nom  de  Lysatinine.  La  base  C^Hi^Az^O^  serait  la  Lysatine.  et  ces  deux  corps  seraient 
homologues  de  la  créatine  et  de  la  créatiniae.  En  faisant  réagir  l'eau  de  baryte  sur  la  base,  Drech- 
sel a  obtenu  de  l'urée.  Il  conclut  que  dans  l'organisme  Tes  albuminoïdes  donnent  la  lysatine 
comme  produit  intermédiaire  puis  de  l'urée.  En  prenant  pour  base  les  expériences  de  ScHiJTZEX- 
BERGER  sur  la  décomposition  des  albuminoïdes  par  la  baryte,  Drechsel  calcule  que  un  neuvième 


ALBUMINOIDES.  20o 

Énergie  correspondant  à  la  dësassimilation  azotée.  —  100  grammes  d'albu- 
mine en  se  désassimilant  et  s'oxydant  donnent  : 

Acide  carbonique 165  gr.  4 

Eau 41  gr.  4 

Urée 39  gr. 

Acide  sulfurique 40  gr. 

En  même  temps  que  disparaissent  ces  100  grammes  d'albumine,  l'organisme  be'néficie 
de  486  calories  environ.  Tel  est  le  résultat  brut  de  la  combustion  de  100  grammes  d'albu- 
mine. Assurément  cette  albumine,  avant  d'aboutir  à  l'acide  carbonique,  à  l'eau  et  à  l'urée, 
passe  par  une  série  de  désassimilations  intermédiaires.  Mais  ceci  ne  change  rien  au 
résultat;  car,  suivant  un  théorème  fondamental  de  tliermocbimie,  quels  que  soient  les 
ternies  de  passage  et  la  voie  suivie  au  cours  de  ces  transformations  intermédiaires,  pour 
100  grammes  d'albumine  disparue  à  l'état  d'eau,  d'acide  carbonique  et  d'urée,  l'animal 
bénéficie  toujours  du  nombre  de  calories  indiqué. 

L'expérience  directe  nous  permet  donc  de  connaître  la  quantité  de  calories  et  par 
conséquent  d'énergie,  que  peut  fournir  la  combustion  d'une  quantité  donnée  de  subs- 
tances albuminoïdes.  Les  belles  recherches  de  Beuthelot  (au  moyen  de  sa  bombe  calori- 
métrique) ont  fourni  les  résultats  suivants  (exprimés  en  petites  calories)  pour  la  chaleur 
de  combustion  de  1  gramme  de  diverses  substances  protéiques  : 


Albumine  de  l'œuf 3  690 

Fibrine  du  sang 5  332 

Chair  musculaire  (dégraissée)  .    .  5  731 

Hémoglobine  (cheval) 5913 

Caséine 3  629 

Osséine 5414 

Chondrine S  346 

Vitelline 5784 


Jaune  d'œuf  (total) S 124 

Fibrine  végétale 3  836 

Gluten  brut 4  995 

Colle  de  poisson 3  322 

Fibrome. 5  097 

Laine 3  367 

Chitine 4  635 

Tunicine 4183 


Urée 2  330 

Acide  urique 2  734 

Acide  hippurique 5  659 

Mais,  pour  connaître  exactement  la  quantité  de  calories  fournies  à  l'organisme  par 
une  quantité  donnée  de  substances  albuminoïdes,  il  faut  tenir  compte  de  ce  fait  que 
l'azote  est  éliminé  à  l'état  d'urée  (et  de  produits  azotés  complexes  dont  on  peut  faire 
abstraction).  Ilfaut  donc  déduire  la  chaleur  de  combustion  de  l'urée,  de  la  chaleur  de 
combustion  des  albuminoïdes.  Or  100  grammes  d'albumine  contiennent  en  moyenne 
16  grammes  d'azote  correspondant  environ  à  34  gr.  29  d'urée.  Il  faut  donc  retrancher  de 
la  chaleur  de  combustion  totale  la  chaleur  correspondant  à  cette  urée  :  soit  8o0  calories 
environ. 

Nous  pouvons  maintenant,  sans  vouloir  empiéter  sur  l'article  Aliment,  oîi  l'on  trouvera 
une  étude  de  ces  faits,  comparer  cette  chaleur  de  combustion  à  celle  des  hydrates  de 
carbone  et  des  graisses  déterminée  par  le  même  procédé.  Nous  nous  rendrons  ainsi 
compte  de  la  valeur  de  ces  sortes  de  substances  comme  source  d'énergie. 

Pour  1  gramme  de  substance  : 


Hydrates, 
de  carbone. 


Cellulose  . 
Amidon . 
Dextrine 
Glucose  . 


4209 
422S 
4180 
3  762 


Corps  j 


Graisse  de  porc 9380 

Graisse  de  mouton.    .    .    .  9406 

Graisse  humaine 9378 

HuUe  d'olive 9328 

Beurre  .    .   '. 9)92 


En  prenant  les  moyennes  nous  voyons  en  somme  que 


Pour  i  gramme  de  substance  les  corps  gras  fournissent  ...     9  400  calories. 

—  —  —        les  hydrates  de  carbone  ....     4260       — 

—  —  —        les  albummoides 4  850       — 


de  l'urée  est  formé  par  cette  voie.  Le  reste  donne  des  acides  amidés  et  principalement  de  la  leu- 
cine  qui  s'oxyde  en  donnant  de  l'acide  carbonique,  puis  l'urée  (Drechsel.  D.  C/i. G.,  t.  xxin,  p.  3096; 
Bull.  Soc.  Chim.,  (3)  1891). 


20(1  ALBUMINOIDES. 

et,  en  rapportant  non  plus  à  1  gramme  de  matière,  mais  à  un  poids  de  matière  tel  qu'il 
contienne  i  gramme  de  carbone,  on  obtient: 

Corps   gras 12  400  calories. 

Hydrates  de    carbone 9-470       — 

Albuminoïdes 9370       — 

Ces  cbiffres  nous  montrent  que  les  graisses  l'emportent  de  beaucoup  en  énergie  calo- 
rifique sur  les  autres  substances,  tandis  que  les  hydrates  de  carbone  et  les  albuminoïdes 
s'équivalent  à  peu  près. 

Eu  résumant  tous  ces  faits,  nous  voyons  que  le  rôle  des  albuminoïdes  dans  l'alimen- 
tation est  capital.  Ils  sont  les  seuls  aliments  dont  l'organisme  ne  peut  se  passer  ;  car  ils 
réalisent  le  type  de  l'aliment  complet,  c'est-à-dire  d'une  substance  servant  à  la  fois  à  la 
réparation  de  tissus  et  à  la  production  d'énergie. 

Pour  les  rapports  des  albuminoïdes  avec  l'alimentation,  voyez  Aliments. 

Pour  les  rapports  des  albuminoïdes  avec  le  travail  musculaire,  voyez  Travail. 

I.  Bibliographie  générale.  —  A.  WCrtz.  Traité  de  chimie  biologique.  —  Schûtzenber- 
GER.  Traité  de  chimie  générale.  —  A.  Gautier.  Cours  de  chimie  biologique.  —  Beaunis.  (T.  P.) 

—  Chastaing.  Encyclopédie  de  Prémy,  t.  vm,  Amides  et  Série  aromatique.  —  Bunge.  Cours 
de  chimie  biologique  et  pathologique.  Traduction  française  de  A.  Jaquet.  —  Hoppe-Seyler. 
Traité  d'analyse  chimique.  Traduclion  de  Schlagdenhaufen.  —  Gohup-Besanez.  Chimie  bio- 
logiciue.  —  Lambling,  Schlagdenhauke.n  et  Q.kkhve.^.  Chimie  physiologique  (Encyclopédie  chi- 
mique de  Frémy,  t.  ix.). —  A.  Wtjrtz.  [D.  W.,!"  et  2"  suppléments.) —  G.  Bodchardat. 
Histoire  générale  des  albuminoïdes.  Th.  d'ag.,  1872.  —  Gabriel  Pouchet.  Transformations 
des  matières  albuminoïdes  dans  l'économie.  Th.  d'ag.,  1880.  —  G.  Guérin.  Origine  des^ 
transformations  des  matières  azotées  chez  les  êtres  vivants.  Th.  d'ag.,  1886.  —  Duclaux. 
Encyclopédie  chimique  de  Frémy,  t.  ix,  Microbiologie. 

II.  Bibliographie  spéciale. 

Historique.  — Voir  pour  les  renseignements  bibliographiques  la  thèse  d'agre'gation 
de  Bouchardat. 

Propriétés  générales  des  albuminoïdes.  —  Action  des  Réactifs.  —  GR.i.HAM.  Phi- 
losoph.  Transactions,  t.  cli,  l'''=part.,  p.  183,1861.  —  Grimaus.  Substances  colloïdales.  [Rev. 
Se,  1886.)  —  Schûtzenbehger  [Bull.  Soc.  chim.,  t.  xxxni,  p.  161,  19<i,  216,  242,  385  435 
et  t.  XXIV,  p.  2  et  245.)  —  Erlenmeyer  et  Schaeffer.  (J.  f.  prakt.  Chem.,.  t.  lxxx,  p.  397.) 
— •  RiTTHAUSEN.  (J.  f.  prckt.  Chcm.,  t.  cm,  p.  233.)  —  Lubavin.  (Die  Eiveisskorper,  p.  200.) 

—  Hlasiyetz  et  Haber.mann  (Ann.  der  Chem.  und  Pharm.,  t.  clix,  p.  304).  — •  Wtjrtz.  (A.  C, 
3"  série,  t.  ii,  p.  255).  —  Liebig.  {Ann.  d.  Ch.  und  Pharm.,  l.  lviii,  p.  127.)  — .  A.  Gautier. 
(B.  Soc.  Chim.,  1874,  ii,  p.  483.)  —  Béchamp.  (A.  C.  4=  série,  t.  xlviii,  p.  348.)  —  Ritter., 
(B.  Soc.  Chim.,i.  xvi,  p.  32). — Tappeineb.  (Mrt/j/'s  3aresb.,i.  i,  p.  H).  —  Lossen.  (Ann.  d.Ch. 
und  Pharm.,  t.  et,  1880).  —  Muulauser.  (A.  d.  Ch.  u.  Ph.,  t.  xc,  p.  171.)  —  Gucicelbehg. 
(Id.,  t.  Lxiv,  p.  39.) 

Constitution  et  poids  moléculaire  des  albuminoïdes.  —  Schutzejjberger.  La  cons- 
titution des  mat.  protéiques  (Conf.  de  la  Soc.  Chim.  in  R.  Se,  24  juillet  1886.)  —  Lieberkuhn 
(Muller's  Arch.,  1848,  p.  26  et  Pogg.  Ann.,  lxxxvi.  p.  117  et  298.)  —  Harnack.  (Z.  P.  C, 
t.  V,  p.  198;  Maly's  .Tahresb.  t.  xi,  p.  20).  —  Lôw.  (A.  Pf,  t.  xxxi,  p.  298.)  —  Bunge.  (Ch., 
Biol.,p.iS  à  50.)  —  Mulder.  (Pogg.  Anti.,xh,  2'6'i,  t.  xxiv.)  —  Schutzenbeeger.  (A.  C,  t.  xvi, 
p.  289.)—  SCHUTZE.MBERGER.  (C.  R.,  t.  cxii,  p.  198,  1891.)  —  A.  Gautier.  (B.  S.  Chim.,  1885, 
I,  p.  193,  577,  597,  n,  578.)  —  Kossel.  (Z.  P.  C,  11  mars  1886.) 

Synthèse  des  albuminoïdes.  — •  Schutzenberger.  (C.  R-,  t.  xcii,  p.  198,  1891.)  — 
Grimaux.  (C.  R.,  t.  xcm,  et  t.  xcviii.  B.  S.  C,  1879,  t.  i,  p.  49.  B.  S.  C,  xlii,  156.) 

Albumine  morte  et  albumine  vivante.  —  Pfluger.  (A.  Pf.,  t.  x,  1875.)  —  Lôw. 
(A.  Pf,  t.  XXII,  1880.  Bot.  Zeit.,  1884.  Journ.  f.  prackt.  Ch.,  t.  xxxi,  1885.) 

Réactions  caractéristiques  des  albuminoïdes.  —  Gannal  (Gaz.  ilf'/d.,  Paris,  1858.) 

—  Denis.  Mém.  sur  le  sang,  Paris,  1859. —  Ko\\'\LEWSti\.,(Maly's  Jahresb.,  t.  xvii,  p.  4.)  — 
HoFMEisTEB.  (Z.  P.  C,  t.  11,  p.  228.)  —  Palm.  (Z.  f.  Anal.  Chem.,  t.  xxvi,  1887.)  — 
Wurster.  (C.  P.,  1887,  p.  195.)  —  Froiide.  (Z.  f.  Anal.  Chem.,  t.  vu.,  p.  266.)  —  Krasseb. 
(B.  S.  C,  t.  II,  455,  1887.) — Reichl.  (/d.,  1890.) — Michailow.  (Deutsch.  chem.Ges.,t.xvn, 
p.  450.)  —  Adamkiev^icz  (A.  Pf.,  t.  ix,  p.  156,  1874.)  —  Axenfeld.  (Cbl.  f.  med.  Wis- 
senc/i.,  1885,  p.  209.) 


ALBUMINURIE.  207 

Classification.  —  Scfiutzexiîerger.  {Art.  Alhuminoïdes  D.  W.)  —  A.  Gautier.  Cours 
de  chimie  biol.,  1892.  —  Lambling.  (Encycl.  chim.  de  Frémy,  t.  is.) 

Albuminoïdes  végétaux.  —  Ritthausen.  (A.  Pf.,  t.  xxi,  p  81.) 

Action  des  ferments  solubles  et  figurés.  —  V.  Duclaux.  Microbiologie  (Enc.  Ch. 
de  Frémy,  p.  639  et  suiv.  Ferments  solubles.  Ferments  figurés,  p.  726-776.)  —  Gautier. 
Chimie  biologique,  1892. 

Albuminogënie  végétale.  —  Gautier.  Chim.  biolog. —  Lôw.  [A.  Pf.,  t.  xxii,  p.  o03.) 
La  chimie  des  plantes  {Rev.  Se,  1877.)  —  Duclaux.  Microbiologie.  — •  Deherain  {Enc.  ch., 
t.  x).  —  Van  Tieghe.m.  Traité  de  Botanique,  1891. 

Transformation  des  albuminoïdes.  —  Albumoses  et  peptones.  —  Kerth.  Mon. 
f.  Chem.,  t.  V,  p.  266.  —  Schutzenherger.  (C.  R.,  t.  cxv,  p.  764.)  —  Kuhne  et  Gïïittendbn. 
(Z.  f.  Biol.,  t.  XX,  p.  H,  t.  xxir,  p.  409,  t.  xxv,  p.  358.)  —  Henninger.  (D.  P.,  1878.)  — 
Maly.  h.  h.,  t.  V,  l's  partie,  p.  93.  —  Neumeister.  (Z.  f.  Biol.,  t.  xxui,  p.  381.)  —  Hof- 
MEISTER.  {Arch.  f.  exp.  Path.  und  Pharm.,  t.  xix,  1883.)  —  Salvioli.  (A.  Db.,  1880,  suppl. 
112).  —Voit  et  Bauer.  (Z.  f.  Biol.,  t.  v,  p.  302,  1869.)  —  Bunge.  {Ch.  Biol.,  p.  202 
à  210).  —  MiESCHER.  Arch.  fur  Anat.  und  Phys.,  1881,  p.  192  {Anal.  Abth.).  —  Lambling. 
Art.  Albumoses  du  D.  W. 

Désassimilation  des  albuminoïdes.  — Gautier.  {Ch.  biolog.,  1892.) 

Les  albuminoïdes,  source  d'énergie.  —  Berthelot  et  André.  (C.  R.,  t.  ex,  p.  884, 
1890,  p.  923.)  —  Matignon.  (C.  R.,  t.  ex,  p.  1267.)  —  Berthelot  et  Petit.  {Ann.  de  Ch.  et 
de  Phys.  (6),  t.  xx,  p.  13.)  —  Voyez  aussi  Favre  et  Silbermann.  (A.  de  C.  (3),  t.  xxxiv, 
p.  337, 1852.)  —  Franrland.  {R.  Se,  1867,  p.  81.)  —  D.anilewski.  (A.  Pf.,  t.  xxxvi,  p.  237, 
1883.)  —  RuBNER  (Z.  B.,  t.  XXI,  p.  230  et  337,  1883.) 

J.-E.  ABELOUS. 

ALSUMINURIE.  —  il  est  aujourd'hui  certain  que  l'urine  d'un  individu 
normal  ne  contient  pas  d'albumine  '.  La  présence  de  l'albumine  dans  l'urine  en  dehors 
de  certaines  conditions  constitue  donc  un  symptôme  morbide.  C'est  l'albuminurie, 
c'est-à-dire  la  sécrétion  par  les  reins  d'une  urine  albumineuse. 

Mais  parmi  les  albuminuries,  il  faut  distinguer  les  fausses  albuminuries  et  les  vraies 
albuminuries. 

Si  l'urine  renferme  du  sang,  du  pus,  de  la  lymphe,  elle  contiendra  de  l'albumine; 
mais  ce  sera  une  fausse  albuminurie. 

La  vraie  albuminurie  consiste  dans  l'élimination  par  le  rein  d'une  ou  plusieurs  ma- 
tières albuminoïdes  du  sérum. 

Aussi  rattacherons-nous  au  groupe  précédent  ces  albuminuries  qui  se  produisent  à 
la  suite  de  l'introduction  dans  l'appareil  circulatoire,  soit  par  ingestion,  soit  par  injec- 
tion d'albumine  étrangère,  telle  que  celle  du  blanc  d'oeuf,  albuminuries  qui  ont  été 
signalées  et  étudiées  pour  la  première  fois  par  Claude  Bernard. 

Enfin,  parmi  les  albuminuries  vraies,  il  en  est  de  transitoires  accompagnant  les 
affections  diverses  aiguës  ou  chroniques,  certaines  modifications  passagères  de  l'état 
physiologique,  la  fatigue  par  exemple.  D'autres  sont  permanentes,  ce  sont  les  albumi- 
nuries symptomatiques  d'une  lésion  rénale,  du  mal  de  Bright  par  exemple. 

Caractères  des  urines  albumineuses.  —  Ces  urines  présentent  des  caractères 
variables  selon  les  circonstances  ;  les  principaux  sont  les  suivants  : 

Urines  pâles,  souvent  louches,  moussant  aisément  et  conservant  longtemps  la 
mousse;  odeur  fade.  L'acidité  est  souvent  plus  faible  qu'à  l'état  normal,  quelquefois 
nulle,  et  quelquefois  enfin  la  réaction  peut  être  alcaline.  La  densité  varie  de  1,007  à  1,018 
(celle  des  urines  normales  étant  de  1,022  à  1,030).  Mais  ce  caractère  dépend  essentiel- 
lement du  rapport  entre  l'eau  et  les  matériaux  dissous  dans  l'urine,  et,  par  suite,  de  la 
plus  ou  moins  grande  quantité  de  liquide  émis. 

La  quantité  d'albumine  qu'on  peut  trouver  daus  une  urine  d'albuminuriqne  est  très 

1.  Des  recherches  récentes  portant  sur  un  très  grand  nombre  de  sujets  ont  été  faites  par  M.  GÉ- 
RAUD.  La  conclusion  de   ces  recherches  est  que  l'albuminurie  dite  norm.ile  n'existe  pas  (1893). 


208  ALBUMINURIE. 

variable.  Elle  varie  de  3o  grammes  par  jour  à  2  grammes  et  au-dessous.  L'urée  diminue 
dans  ces  urines  (Voyez  Urine  et  Urée). 

Matières  albuminoïdes  qui  peuvent  se  trouver  dans  les  urines.  —  Ce  sont 
la  serine,  les  globulines,  la  fibrine,  l'hémi-albuminose,  les  peptones.  Ces  substances  sont 
tantôt  associées  en  nombre  variable,  tantôt  isolées. 

Recherche  de  l'albumine  et  des  matières  albuminoïdes  (Voyez  Matières 
albuminoïdes.  Albumine,  Urine).  —  Conditions  d'apparition  dans  l'urine.  —  Nous  avons  dit 
que  l'albumine  peut  se  trouver  en  petites  quantités  dans  l'urine  en  dehors  de  tout  état 
pathologique  constitué.  Cette  albuminurie  transitoire  peut  se  produire  à  la  suite  d'un 
exercice  prolongé  ou  de  repas  copieux  (Leube  et  Edletzen,  Bull,  Furbrixger,  Seumola,  etc.), 
mais  la  proportion  d'albumine  dans  ces  cas  dépasse  rarement  plus  de  0,1  p.  100. 

L'albumine  peut  exister  dans  l'urine,  surtout  à  la  suite  de  lésions  rénales,  soit  chro- 
niques, soit  passagères  (néphrite,  dégénérescence  amyloïde,  etc.),  à  la  suite  de  maladies 
du  cœur,  d'emphysème  pulmonaire,  de  certains  troubles  nerveux  lépilepsie),  de  certaines 
altérations  du  sang  :  fièvres,  maladies  infectieuses,  d'intoxications,  arsenic,  plomb,  phos- 
phore, canlharidine,  alcool,  etc. 

Enfin,  expérimentalement,  on  peut  déterminer  l'albuminurie  par  lésions  nerveuses  : 
lésions  du  plexus  rénal  des  splanchniques,  piqûre  du  plancher  du  IV"  ventricule  (Cl.^ude 
Bernard)  (Voyez,  à  l'article  Rein,  l'influence  du  système  nerveux  sur  la  sécrétion  uri- 
naire). 

L'injection  dans  le  sang  d'albumine  de  l'œuf  détermine  le  passage  de  cette  albumine 
dans  l'urine,  de  même,  son  ingestion  en  excès  (Claude  Bernard). 

L'injection  d'eau,  de  bile,  de  glycérine,  d'une  solution  d'hémoglobine  dans  le  sang 
entraine,  non  plus  l'albuminurie,  mais  l'hémoglobinurie  (voir  ce  mot)  par  diffusion  de 
la  matière  colorante  du  globule  dans  le  plasma. 

Du  mécanisme  de  l'albuminurie.  —  L'albumine  qu'on  trouve  dans  l'urine  est 
éliminée  par  le  rein.  Une  première  question  à  résoudre  est  la  suivante.  Dans  quelle  partie 
de  l'appareil  rénal  —  glomérules  ou  tubiili-contoi'ti  —  se  fait  la  sécrétion  de  l'albumine? 
Cette  question  se  pose  d'autant  plus  que  nous  savons  par  les  recherches  de  Heidenhain 
et  de  Nussbaum  que  les  glomérules  et  les  tubes  contournés  n'ont  pas  le  même  rôle,  les 
glomérules  étant  préposés  à  la  sécrétion  de  l'eau  et  des  sels  pour  une  part  au  moins, 
et  dans  certaines  circonstances  du  sucre  et  des  peptones,  les  canalicules  contournés  à  la 
sécrétion  de  l'urée,  de  l'acide  urique,  des  principes  spécifiques  de  l'urine.  L'élimi- 
nation de  ces  diverses  substances,  notons-le  en  passant,  n'est  pas  une  flitration  pas- 
sive; nous  avons  affaire  à  un  véritable  travail  physiologique  actif  des  cellules  qui  com- 
posent ces  divers  segments  de  la  glande  rénale. 

Lorsqu'on  injecte  à  un  animal  de  l'albumine  de  l'œuf  ou  qu'on  ingère  celte  même 
substance  en  abondance,  on  peut  en  retrouver  une  certaine  quantité  dans  l'urine,  et  l'al- 
bumine ainsi  éliminée  présente  tous  les  caractères  de  l'albumine  de  l'œuf.  Par  où  passe 
cette  albumine?  une  expérience  de  NussBâUU  permet  de  répondre  avec  précision. 

On  sait  que  chez  la  grenouille,  le  reiu  reçoit  une  veine  qui  lui  apporte  le  sang  des 
parties  inférieures  du  corps  :  cette  veine  (veine-porte  rénale)  fournit  un  réseau  capillaire 
qui  irrigue  les  tubes  contournés.  A  ces  capillaires  fait  suite  un  autre  tronc  veineux 
{vena  revehens)  qui  conduit  le  sang  dans  la  veine-cave  inférieure.  Quant  à  l'artère  rénale, 
elle  fournit  au  glomérule.  11  y  a  donc  là  deux  circulations  en  quelque  sorte  indépen- 
dantes :  c'est  cette  disposition  que  Nussbaûm  a  mise  à  profit. 

Si  l'on  injecte  dans  l'appareil  circulatoire  d'une  grenouille  une  solution  de  blanc  d'œuf, 
l'albumine  passe  dans  les  urines.  Si  auparavant  on  lie  l'artère  rénale,  l'albumine  ne 
passe  plus. De  même  pour  les  peptones;  si,  au  contraire,  on  injecte  une  solution  d'urée, 
cette  substance  passe  dans  les  urines. 

On  lie  l'artère  rénale  et  on  injecte  une  solution  d'urée  :  l'urée  passe  dans  l'urine  et 
cette  urine  ne  contient  pas  d'albumine.  Si  on  enlève  la  ligature  pendant  un  certain 
temps,  les  urines  contiennent,  outre  de  l'urée,  de  l'albumine.  C'est  que  dans  ce  cas  les 
cellules  du  glomérule,  par  suite  de  la  ligature,  ont  été  en  état  d'anoxhémie  pendant  un 
temps  suffisant  pour  suspendre  leur  activité  vitale,  qu'elles  ne  recouvrent  qu'un  certain 
temps  après  que  la  circulation  s'est  rétablie. 

De  même,  la  ligature  temporaire  de  l'artère  rénale  chez  les  mammifères  entraine 


ALBUMINURIE.  •ÎO!) 

l'albuminurie  après  que  cette  ligature  a  été  supprimée.  Or,  si  on  enlève  le  rein  à  ce 
moment  et  si  on  le  plonge  dans  l'eau  bouillante,  on  trouve  de  l'albumine  coagulée  enlre 
le  peloton  vasculaire  du  glomérule  et  la  capsule  de  Bowmann. 

Enfin,  des  injections  d'albumine  de  l'œuf  faites  à  des  chiens  ou  des  lapins  ont  permis 
de  constater  que  la  sécrétion  de  cette  albumine  se  faisait  bien  par  le  glomérule  et  seu- 
lement par  lui. 

Conditions  pathogéniques  de  l'albuminurie'.  —  On  peut  grouper  les  théories 
sous  trois  chefs  : 

1°  Altération  préalable  du  sang  :  théorie  héniatogène; 

2°  Troubles  de  la  circulation  locale  du  rein;  théorie  mécanique; 

3°  Altération  anatomique  des  éléments  épithéliaux  du  rein;  théorie  anatomiqùe. 

1°  Théorie  héniatogène. — Elle  se  fonde  sur  des  expériences  anciennes  de  Mage.ndie;  si 
on  injecte  dans  les  veines  d'un  animal  une  certaine  quantité  d'eau  distillée,  les  urines, 
dit-on,  deviennent  albumineuses.  Mais  dans  ces  expériences  ce  n'est  pas  de  l'albumine, 
c'est  de  l'hémoglobine  qu'on  trouve,  hémoglobinurie  qui  résulte  de  l'action  nocive  de 
l'eau  sur  les  hématies.  Et,  si  l'injection  est  abondante  et  poussée  rapidement,  l'albumine 
qu'on  trouve  est  de  l'albumine  du  sérum  due  à  la  rupture  de  vaisseaux  rénaux  qui 
laissent  échapper  du  sang  en  nature. 

Enfin,  si  l'injection  d'eau  est  faite  en  petite  quantité  et  avec  précaution,  jamais, 
d'après  Stokvis  et  Westphal,  les  urines  ne  contiennent  ni  albumine,  ni  hémoglobine. 

L'albuminurie  résulterait-elle  d'une  modification,  d'une  altération  préalable  que  subi- 
rait l'albumine  du  sang?  C'est  la  théorie  soutenue  par  Canstatt,  Semmolâ,  Proust,  Graves. 

Pour  que  cette  théorie  soit  admissible,  il  faudrait  démontrer  que  l'albumine  de 
l'urine  diffère  de  l'albumine  du  sang.  Or,  au  contraire,  les  recherches  de  Becquerel  et 
Vernois  ont  établi  l'identité  de  l'albumine  du  sérum  et  de  l'albumine  des  urines  albumi- 
nuriques,  au  moins  en  ce  qui  concerne  leurs  caractères  chimiques.  Les  recherches  de 
Stoe-Vis  aboutissent  aux  mêmes  conclusions. 

De  plus,  Stokvis  a  montré  que  l'albumine  des  albuminuriques  injectée  à  un  chien  ne 
passe  pas  dans  les  urines,  à  l'inverse  de  l'albumine  du  blauc  d'œuf. 

•2°  Théorie  mécanique.  —  L'albuminurie  est  attribuée  à  une  augmentation  de  pres- 
sion survenue  dans  le  glomérule,  soit  par  le  fait  d'une  stase  veineuse,  soit  d'une  hyper- 
tension artérielle. 

Il  faut  distinguer  le  cas  où  la  circulation  locale  du  rein  est  seule  modifiée  et  celui 
où  c'est  la  circulation  générale. 

Or,  pour  le  premier  cas,  rien  ne  prouve  qu'une  augmentation  de  pression  dans  l'ar- 
tère rénale  détermine  l'albuminurie. 

Au  contraire,  si  on  pose  une  ligature  incomplète  sur  l'artère  rénale,  on  ralentit  le 
cours  du  sang  dans  le  glomérule,  on  diminue  sa  pression  au-delà  de  la  ligature  et 
cependant  l'urine  rare  qui  coule  est  albuniineuse. 

Si  maintenant  on  lie  la  veine  rénale,  l'urine  d'abord  supprimée  devient  rare  et  albu- 
mineuse  au  bout  d'un  certain  temps. 

Il  en  est  de  même  si  la  ligature  n'est  pas  complète;  or,  dans  ces  cas,  la  pression  du 
sang  est  augmentée  dans  le  glomérule. 

Deux  conditions  peuvent  donc  produire  l'albuminurie.  Mais  il  y  a  dans  ces  deux 
ordres  de  faits  un  facteur  constant,  c'est  la  diminution  de  vitesse  du  sang;  que  la  sténose 
porte  sur  l'artère  ou  sur  la  veine,  il  y  a  ralentissement  circulatoire. 

Pour  ce  qui  concerne  les  modifications  de  la  circulation  générale,  il  ne  suffit  pas  que 
la  pression  artérielle  augmente  pour  que  l'albuminurie  apparaisse.  On  peut,  en  etïet, 
lier  l'aorte  au-dessous  des  rénales  "sans  que  l'albumine  passe  dans  les  urines,  celles-ci 
étant  d'ailleurs  très  abondantes. 

Mais,  en  revanche,  si  la  pression  artérielle  s'abaisse  et  si  la  pression  veineuse  s'élève, 
l'albuminurie  peut  apparaître,  et,  dans  ce  cas,  nous  avons  encore  affaire  à  un  ralentis- 
sement de  la  circulation  rénale.  C'est  ce  qui  se  passe  dans  les  lésions  cardiaques  avec 
asystolie  où  les  urines  sont  rares  et  albumineuses. 

1.  Pour  les  conditions  pathogéniques  de  l'albuminurie,  voyez  les  lecous  de  Charcot  sur 
les  maladies  des  reins.  ^^ 

DICT.    DE    PHYSIOLOGIE.    —    TOME    I.  14 


210  ALCALINS    (Métaux  et  Sels). 

Or,  le  ralentissement  circulatoire  entraine  l'anoxhémie  de  cellules  épitliéliales  du 
glomérule  et  c'est  ainsi  que  peut  s'expliquer  l'albuminurie  liée  aux  troubles  circulatoires. 

3°  Théorie  anatomique.  —  L'albuminurie  relèverait  d'une  lésion  des  épitbéliums  du  rein 
et  spécialement  des  tubes  contournés. 

Mais  il  y  a  des  albuminuries  transitoires  dont  l'existence  ne  peut  s'expliquer  par  une 
lésion  anatomique  persistante.  D'autre  part,  la  physiologie  nous  apprend  que  l'albumine 
n'est  pas  éliminée  ou  résorbée  (Kuss)  par  les  tubuli  contorti. 

Enfin,  d'une  part,  il  y  a  des  albuminuries  sans  lésion  appréciable  des  cellules  rénales, 
et,  de  l'autre,  il  existe  des  cas  où  cette  lésion  existant,  l'albuminurie  fait  défaut.  C'est 
donc,  en  somme,  les  modifications  circulatoires  et  le  ralentissement  dans  le  cours  du  sang 
qui  paraissent  être  la  principale  condition  de  l'albuminurie. 

E.  A. 

ALCALINS  (Métaux  et  Sels).  —  Les  métaux  alcalins  forment  une 
famille  chimique  assez  homogène.  Nous  n'entrerons  pas  ici  dans  le  détail  de  leur  action 
toxique  sur  l'organisme;  car  cette  étude  trouvera  mieux  sa  place  aux  articles  Ammo- 
niaque, Potassium,  Sodium,  etc.  Nous  devons  donner  cependant  quelques  aperçus  sur  la 
toxicologie  générale  et  comparée  des  sels  que  forment  ces  métaux. 
On  peut  les  classer,  par  leur  poids  atomique,  dans  l'ordre  suivant  : 

Lithium 7 

Sodium 23  (1X3)  +2 

Potassium 39  (7x6)  —  3 

Rubidium 85  (7  x  12)  +  i 

Césium 133  (7  x  19)  = 

A  la  ligueur,  vu  la  grande  similitude  des  réactions  chimiques  et  des  formes  cristal- 
lographiques,  ou  peut  considérer  l'ammonium  comme  ressemblant  à  un  métal  alcalin. 

Tous  ces  métaux  ont  les  propriétés  suivantes  : 

1°  Ils  se  combinent  à  un  atome  de  chlore,  ou  de  brome,  ou  d'iode,  pour  former  des 
chlorures,  bromures  et  iodures,  stables  et  solubles; 

2°  Ils  décomposent  l'eau  à  température  basse  pour  former  avec  l'oxygène  des  combi- 
naisons basiques,  stables  et  solubles; 

3°  Leurs  sulfates  et  leurs  carbonates  (et  en  général  tous  leurs  sels)  sont  solubles. 

Parmi  ces  métaux,  il  en  est  deux,  le  potassium  et  le  sodium,  qui  font  partie  inté- 
grante de  l'organisme  des  animaux  et  des  végétaux;  si  bien  qu'ils  constituent  l'un  et 
l'autre  un  élément  indispensable,  avec  cette  différence  que  l'organisme  végétal  peut 
presque  se  passer  de  sels  de  sodiiim,  tandis  qu'un  organisme  animal  a  besoin  pour  vivre, 
à  la  fois  de  potassium  et  de  sodium. 

Quant  aux  métaux  alcalins  rares  (lithium,  rubidium  et  césium)  on  ne  les  trouve 
qu'exceptionnellement  dans  les  organismes. 

Si  l'on  rencontre  des  sels  ammoniacaux  dans  les  tissus  ou  les  liqueurs  des  animaux, 
ce  n'est  pas  que  l'ammoniaque  soit  indispensable  à  l'existence;  mais  il  constitue  une 
sorte  de  déchet,  de  résidu  de  la  combustion  des  matières  azotées. 

Il  est  évident  que  l'étude  physiologique  et  toxicologique  des  métaux  alcalins  ne  peut 
porter  que  sur  les  sels  de  ces  métaux,  et  non  sur  les  métaux  eux-mêmes,  qui  sont  inso- 
lubles, et  décomposables  par  l'eau.  D'ailleurs  la  nature  de  l'acide  uni  au  métal  est  à 
peu  près  indifférente,  quand  il  s'agit  d'acides  inoEfensifs,  radicaux  électro-négatifs  n'ayant 
pas  d'action  physiologique  spéciale  (Cl,  Br,  I,  SO'*,  PO'*,  NO^  CD'',  etc.),  de  sorte  que  l'his- 
toire toxicologique  des  métaux  alcalins,  c'est  l'histoire  de  quelques-uns  de  leurs  sels. 
Généralement  ce  sont  les  chlorures  qu'on  prend  comme  terme  de  comparaison. 

Peu  d'études  d'ensemble  ont  été  faites  sur  cette  action  comparative.  Je  mentionnerai 
les  travaux  de  MM.  Aubert  et  Dehn  (A.  Pf.,  t.  ix,  p.  118),  un  mémoire  de  M.  Fausto 
Faggioli  (Atti  d.  Soc.  Ligustica  di  Scienze  natur.,  t,  iv,  n°4,  déc.  1893,  p.  383,  et  t.  v,  n"  2, 
janv,  1894,  p.  1),  et  les  recherches  nombreuses  que  j'ai  faites  sur  le  même  sujet 
(Trav.  du  Lab.  de  PhysioL,  t.  n,  1893,  p.  398-493).  Dans  une  certaine  mesure,  les 
recherches  sur  les  antiseptiques  comme  celles  de  M.  Miquel,  de  M.  J.  de  la  Croix,  et 
d'autres  bactériologistes,  appartiennent  à  cet  ordre  d'études  (V.  Antiseptiques). 

Plusieurs  méthodes  peuvent  être  employées.  La  plus  simple  consiste  à  faire  vivre 


ALCALINS    (Métaux  et  Sels).  -211 

des  animaux  (ou  des  plantes,  ou  des  microbes)  dans  des  solutions,  à  divers  degrés  de 
concentration,  des  sels  alcalins. 

Les  poissons  se  prêtent  bien  à  ce  genre  d'expériences;  en  faisant  vivre  des  poissons 
dans  des  solutions  salines  et  en  prenant  comme  limite  de  toxicité  la  dose  minimum  qui 
ne  tue  pas  un  poisson  en  48  heures,  j'ai  trouvé  les  chiffres  suivants,  évalués  en  métal, 
non  en  sel  métallique,  par  litre  de  liquide  : 

grammes. 

Na 26,0 

Li 0,23 

K 0,20 

AzH.'- 0,06d 

En  rapportant  ces  chiffres  au  poids  atomique,  nous  ne  modifions  presque  pas  les 
données.  On  trouve  en  effet  : 

Na °  1,13 

Li 0,0>S6 

K 0,00.3 

AzH->    .    .■ 0,003 

ce  qui,  en  faisant  la  toxicité  de  la  molécule  de  sodium  égale  à  100,  devient: 

Li °    3 

K 0,43 

AzH» 0,23 

Je  dois  ajouter  que  ces  recherches  étaient  faites  sur  des  poissons  de  mer,  et  que  je 
donne  ici,  non  seulement  la  quantité  de  NaCl  ajouté,  mais  encore  la  quantité  de  NaCl 
qui  était  normalement  contenue  dans  l'eau  de  mer. 

Ce  qui  en  résulte,  c'est,  comme  l'avait  déjà  montré  Bouchardat,  la  différence  consi- 
dérable entre  les  sels  de  sodium,  presque  inoffensifs,  et  les  sels  de  potassium,  vraiment 
très  toxiques. 

Quel  que  soit  le  procédé  adopté  pour  étudier  les  divers  sels  alcalins,  on  trouve  tou- 
jours cette  plus  grande  toxicité  du  potassium.  Ainsi,  en  injections  sous-cutanées,  le 
litliium,  le  rnbidium  et  le  potassium  m'ont  donné  la  série  suivante  de  toxicité. 

Toxicité  moyenne  des  chlorures,  bromures,  iodures  (par  kilogr.  d'animal) 
(en  poids  de  métal). 

Poissons 0,103 

Pigeons 0,063 

Cobayes 0,102 

0,091  ' 

Comparé  à  ces  trois  métaux,  le  sodium  peut  être  regardé  comme  inoffensif. 

Mais,  en  faisant  l'expérience  avec  des  microbes,  j'ai  pu  constater  un  effet  imprévu, 
c'est  que  l'ordre  de  toxicité  était,  pour  ainsi  dire,  renversé.  A  la  dose  à  laquelle  le 
sodium  est  assez  offensif,  le  potassium  n'exerce  aucune  action.  Pour  juger  la  ques- 
tion, je  faisais  fermenter  du  lait  additionné  de  quantités  variables  de  chlorures  de 
lithium,  de  potassium  ou  de  sodium.  Voici  les  chiffres  résultant  de  ces  expériences. 
Étant  forcé  de  prendre  une  définition  arbitraire,  je  regarde  comme  toxique  la  dose  qui 
ralentit  de  30  p.  iOO  la  quantité  d'acide  lactique  formé,  par  rapport  à  du  lait  normal  pris 
comme  témoin. 

Poids  de  métal  (par  litre)  qui  diminue  de  moitié  en  34  heures 
l'activité  de  la  fermentation. 


Na 19 

K 37 

Li 4 


Il  est  probable  qu'on  peut  généraUser  cette  différence  remarquable  entre  les  sels  de 
sodium  et  les  sels  de  potassium.  Les  animaux,  c'est-à-dire,  en  dernière  analyse,  des 


212 


ALCALINS    (Métaux  et  Sels). 


êtres  pourvus  d'un  système  nerveux,  sont  plus  sensibles  au  potassium.  Les  végétaux, 
c'est-à-dire  des  organismes  sans  système  nerveux,  sont  plus  sensibles  au  sodium.  De  même 
que  la  strychnine  est  un  poison  pour  les  animaux,  sans  agir  comme  toxique  sur  les  végé- 
taux, demêmelepotassium, poison  dusystèmenerveux, n'est  toxique  quepourlesanimaux. 

On  peut  considérer,  en  effet,  les  poisons  comme  constitués  par  deux  grands  groupes, 
non  homogènes  assurément,  mais  qu'il  importe  d'établir  pour  faire  une  étude  méthodi- 
que. Il  y  a  les  poisons  qui  sont  délétères  pour  toute  cellule  vivante;  poisons  itnivcrseh, 
et  les  poisons  qui  n'agissent  que  sur  la  cellule  nerveuse,  poisons  spéciaux. 

Les  poisons  universels,  ce  sont  les  éthers,  les  alcools,  les  essences,  les  composés 
aromatiques  (chloroforme,  benzine,  essence  d'absinthe,  oxyde  d'éthyle,  etc.),  les  sels 
métalliques  de  mercure,  d'argent,  de  platine,  de  plomb.  Même  à  dose  faible,  ils 
détruisent  l'activité  de  toute  cellule  vivante. 

Au  contraire  les  poisons  spéciaux  ne  sont,  à  faible  dose,  actifs  que  sur  la  cellule  nerveuse 
(strychnine,  aconitine,  curare,  alcaloïdes  en  général,  ammoniaque  et  sels  de  potassium). 

On  peut  donc  jusqu'à  une  certaine  mesure  proposer  comme  caractéristique  de  l'or- 
ganisme animal  qu'il  est  plus  sensible  à  l'action  du  potassium  qu'à  celle  du  sodium, 
tanrfis  que  pour  l'organisme  végétal  c'est  l'inverse  qu'on  constate. 


Dans  toutes  ces  expériences,  un  point  capital,  et  dont  les  expérimentateurs  n'avaient 
guère  tenu  compte,  c'est  le  rapport  de  la  toxicité,  non  avec  le  poids  brut  du  sel  employé, 
mais  avec  le  poids  moléculaire. 

Par  exemple  il  n'est  pas  permis  de  comparer  la  toxicité  du  chlorure  de  lithium, 
dont  la  molécule  ne  pèse  que  42,  avec  l'iodure  de  césium,  je  suppose,  dont  la  molécule 
pèse  239.  Si  l'iodure  de  |;césium  est  à  poids  égal  aussi  toxique  que  le  chlorure  de 
lithium,  cela  signifie  qu'en  réalité  la  molécule  d'iodure  de  césium  est  sis  fois  moins 
toxique  que  la  molécule  de  chlorure  de  lithium. 

En  rapportant  à  la  molécule  de  sel  alcalin  emploj'é  la  dose  toxique  trouvée,  j'ai 
constaté  que,  d'une  manière  très  générale,  les  sels  des  métaux  alcalins  avaient  une  toxi- 
cité proportionnelle  à  leur  molécule. 

Voici  le  tableau  qui  résume  nos  recherches  : 

Doses  mortelles  moléculaires  mlnima  (par  kilo.) 


(  Poissons 

l  Tortues 

Chlorures.   )  '^'renouilles 

j  Pigeons 

1  Cobayes 

\  Lapins 

Moyennes  .    .    . 

J.ITHICM. 

POTASSIUM. 

RUBIDIUM. 

MOYEN  NES. 

0,0126 
0,0193 
0,0207 
0,0120 
0,0144 
0,0124 

0,0115 
0,0123 
0,0129 
0,0133 
0,0141 

0,0085 
0,0121 
0,0109 
0,0129 
0,0123 
0,0128 

0,0109 

0,0146 
0,0148 
0,0127 
0,0137 
0,0126 

0,01:J2 

0,0128 

0,0116 

0,0132 

(  Poissons 

Bromures,  j  Pigeons 

(Cobayes 

Moyennes  .   .   . 

0,0171 
0,0086 
0,0160 

0,0139 

0,01S1 
0,0104 
0,0103 

0,0119 

0,0109 
0,0070 
0,0073 

0,0144 
0,0087 
0,0112 

0,0114 

0,0084 

i  Poissons 

loduros.    .  ',  Pigeons 

'  Cobayes 

Moyennes.    .    . 

Moyenne  générale  .    .    . 

0,0130 
0,0069 
0,0143 

0,0121 

0,0128 
0,0039 
0,0100 

0,0098 
0,0059 
0,0081 

0,0079 

0,0093 

0,125 
0,062 
0,104 

0,0095 

0,0097 

0,0143 

0,0111 

0,0115 

ALCALINS    (Métaux  et  Sels).  -jl;:; 

Dans  le  mémoire  que  j'ai  cité,  je  suis  entré  dans  le  détail,  ce  que  je  ne  puis  faire 
ici.  Je  me  contenterai  donc  de  donner  les  conclusions  qui  me  paraissent  résulter  direc- 
tement des  chiffires  de  ce  tableau  : 

jt>  poQr  les  substances  chimiques  similaires,  et  notamment  les  sels  des  métaux 
alcalins,  les  doses  toxiques  sont  à  peu  près  proportionnelles  au  poids  moléculaire,  non 
au  poids  absolu  (maximum  :  0,0207,  LiCl  pour  les  grenouilles;  minimum  :  0,0059,  Rbl 
pour  les  pig-eonsî. 

2»  Pour  des  poids  moléculaires  égaux,  les  métaux  alcalins  sont  d'autant  plus  toxiques 
que  leur  poids  atomique  est  plus  éleré. 

Li 0.0143 

K 0,0111 

Rb 0,0093 

3'  A  poids  moléculaire  ésrai,  le  chlore,  le  hrome  et  Tiode  (combinés  aux  métaux 
alcalins)  sont  à  peu  près  également  toxiques;  mais  ils  Je  sont  d'autant  pins  que  leur 
poids  atomique  est  plus  élevé. 

CMornres (Iji32 

Bromures 0,0114 

lodares 0,0097! 

i"  Les  Tertébrés  et  invertébrés  «reptiles,  poissons,  mammifères,  limaçons,  écre- 
yisses,  oiseaux,  batraciens)  sont  à  peu  près  également  sensibles  à  l'action  toxique  des 
sels  alcalins.  D'une  manière  générale,  les  oiseaux  sont  plus  sensibles  que  les  mammi- 
fères, et  les  mammifères  plus  sensibles  que  les  poissons. 

On  voit  qu'en  définitive  les  efforts  faits  par  divers  auteurs,  en  particulier  Rabctkau, 
puis  Sn)>ET  RcfGER  •,  et  d'autres  savants  encore,  pour  relier,  si  possible,  les  propriétés 
physiologiques  let  pcir  conséquent  toxiques)  des  métaux  à  leur  poids  atomique,  ne 
peuvent  guère  aboutir,  paisque  ce  qui  semble  résulter  de  ces  recherches,  c'est  l'analogie 
d'action,  à  poids  moléculaire  égal,  des  métaux  alcalins,  avec  une  toxicité  peut-être  un 
peu  plus  forte,  contrairement  à  ce  qu'avait  pensé  Rabsiteac,  quand  le  poids  atomique 
s'élève. 

o"  Les  sels  alcalins  agissent  synergiquement,  et,  en  les  mélangeant  les  uns  aux  autres, 
l'eSFet  produit  est  la  somme  de  leur  action. 

Le  mode  d'action  de  ces  sels  alcalins  est  donc  probahlement  identique,  qael  que 
soit  l'animal  étudié,  quel  que  soit  le  sel  employé;  et  il  semble  qne  cette  action  porte 
surfont  sur  le  système  nerveux. 

A  dose  toxique  aiguë,  c'est  un  épuisement  général  du  système  nerveux  central, 
paralysie,  dépression,  impuissance  motrice,  quelquefois,  comme  avec  le  lithium  et 
l'ammonium,  convulsions  suivies  d'un  rapide  épuisement  post-épileptique  ;  souvent 
adynamie  cardiaque,  al>aissement  énorme  de  la  pression  artérielle  ;  le  système  nerveux 
cardiaque  paraissant  subir  un  des  premiers  les  effets  toxiques.  Le  potassium,  quand  il 
n'a  pas  paralysé  le  cœur,  peut  aussi  provoquer,  par  exemple  chez  les  poissons,  des 
effets  presque  convulsLfe.  Pai  même  pu  constater  que  de  très  fortes  doses  de  ?iaCl, 
injectées  dans  le  système  veineux  des  chiens,  amenaient  de  vraies  convulsions. 

A  dose  toxique  lente,  on  observe  les  mêmes  effets  d'adynamie  et  de  prostration  :  et 
le  résultat  le  plus  éclatant  de  cette  intoxication  lente  est  un  amaigrissement  général  et 
rapide,  avec  abaissement  thermique  manifeste.  D'où  il  suit  cette  conséquence  curieuse 
que  chez  les  animaux  à  sang  chaud  et  les  animaux  à  sang  froid  la  dose  toxique  est 
différente  en  été  et  en  hiver.  En  hiver  les  pigeons  sont  bien  plus  sensibles  que  les 
poissons;  et  en  été  c'est  plutôt  l'inverse;  car,  pour  les  poissons,  l'élévation  thermique 
contribue  â  augmenter  la  toxicité,  tandis  qu'elle  diminue  chez  les  pigeons  l'activité  des 
échanges,  et  par  conséquent  leur  permet  de  résister  davantage  à  la  dénutrition  géné- 
rale. Cette  dénutrition  est  telle  qne  certains  animaux,  intoxiqués  chroniquement,  ont 
perdu  jusqu'à  43  p.  100  de  leur  poids. 

I.  J.  P..  t.  I,  no  1,  p.  84. 


21^ 


ALCALINS    (Métaux  et  Sels). 


En  étudiant  sur  Paramaecium  aurelia  (Muller),  l'action  des  trois  chlorures  de  Na, 
de  K  et  de  Az  H'',  M.  F.  Faggioli  a  trouvé  comme  limite  de  toxicité,  dans  100  grammes 
d'eau  : 


AzE-sci 0,1250 

KCl 0,2000 

NaCl 0,2500 

Or,  en  rapportant  ces  chiffres  aux  poids  moléculaires,  nous  trouvons  que  la  molé- 
cule de  AzH'-CI  est  toxique  à  0s%00024,  celle  de  KCl  à  Os'-.OOOâr,  celle  de  NaCl  à 
OS"', 00043.  Autrement  dit  le  chlorure  de  potassium  est  à  peu  près  deux  fois  plus  toxique 
que  le  chlorure  de  sodium. 

En  comparant  les  trois  sulfates  et  les  trois  bromures,  il  a  trouvé  : 

(NHi)2S0i 0,187 

K2S01 0,125 

Na2S0i 0,154 

NH^Bi- 0,250 

KBr 0,430 

NaBr 0,387 

Mais  je  ne  regarde  pas  comme  tout  à  fait  rigoureuses  les  expériences  qu'il  a  faites 
ainsi;  car  l'examen  microscopique,  si  instructif  qu'il  soit,  est  Lien  moins  précis  que  la 
simple  détermination  du  moment  de  la  mort  par  une  solution  toxique  titrée. 

M.  Faggioli  a  aussi  étudié  l'action  des  sels  alcalins  dont  l'acide  est  variable.  Mais  la 
méthode  d'observation  adoptée  par  lui  (examen  des  mouvements  de  Paramaecium 
aurelia)  ne  me  paraît  pas  irréprochable. 

Voici  les  chiffres  qu'il  donne  : 

Doxe  toxique  pour  100  grammes  d'eau. 


Na^CO^.  .    . 

0,0800 

Na^SO".    .   . 

0,1543 

NaspO».   .   . 

0,1940 

NaCI.    .   .   . 

0,2500 

NaHCO^J.  .  . 

0,3400 

NaH^PO*.  . 

0,3909 

NaBr.  .    .    . 

0,3874 

NaN03.   .    . 

0,4500 

Nal 

0,.5773 

POTASSIUM. 


K^CO» 0,0000 

K2S04 0,1250 

KCl 0,2000 

KHCO-i  ....  0,2000 

KspQi 0.2200 

KHPO'' 0,4000 

KBr 0,4300 

Kl 0,4800 

KN03 0,5000 

Moyenne  .   .   .       0  25 


AMMONIUM. 

(NH4)3PO'>.  ,  . 

0,0700 

(NH*)2C0^.  .  . 

0,1000 

NHiNOs.  .  .    . 

0,1200 

NH>C1.    .    .   . 

0,1250 

NH4HC03.  .   . 

0,1800 

(NH4)2S04.    . 

0,1870 

NH^Bi-.    .    .    . 

0,2500   ■ 

NH*I 

0,2500 

NH1H-2P0''.    . 

0,2750 

Moyenne  .   . 

.     0,17 

Ainsi,  d'après  lui,  le  sodium  et  le  potassium  n'auraient  pas  une  toxicité  bien  diffé- 
rente, ce  qui  me  parait  à  vrai  dire  trop  paradoxal  pour  pouvoir  être  admis  sans  réserve. 
11  est  vrai  qu'il  s'agit,  dans  ces  recherches,  de  l'influence  sur  la  molilité  plutôt  que  de 
la  toxicité  vraie. 

Il  était  intéressant  de  savoir  comment  les  sels  alcalins  divers  agissent  sur  la  gus- 
tation. Des  recherches  que  j'ai  faites  avec  Gley,  il  résulte  que  les  chlorures,  bromures 
et  iodures  se  comportent  à  peu  près  de  même. 

Les  doses  limites,  c'est-à-dire  les  plus  faibles  doses  perceptibles,  ont  été,  parhtre 
de  liquide,  en  poids  de  métal  : 

Chlorures 0,26 

Bromures 0,24 

Iodures 0,22    ■ 


alcaloïdes.  215 

Anfrement  dit,  la  dose  gnstative  est  sensitlement  la  même. 

En  prenant  le  poids  molécnlaire  de  ces  doses  sapides  mini  ma  noDS  avons  trouvé  par 
litre  les  chiffires  suivants  pour  les  sels  alcalins  : 

Sels  de  sodium 0,0056 

—  nubidsiam 0,0059 

—  poiassiom OiOOli 

—  lithiuna.  .._...  0,0078 

Eu  somme,  ces  chiffres  sont  assez  comparables  pour  qoe,  vu  les  causes  d'erreur 
nombreuses  inhérentes  au  mode  d'expérimentation,  on  puisse  regarder  comme  vrai- 
semblable l'identité  d'action  des  divers  sels  alcalins  sur  les  nerfe  du  goût. 

Noos  pourrions  ici  traiter  une  question  impjrtante  que  nous  avons  passée  sous 
silence,  c'est  l'action  médicamenteuse  des  sels  alcalins.  A  vrai  dire,  c'est  plutôt  de  la 
thérapeutique  que  de  la  physiologie.  Mais  cependant  la  physiolofâ©  nous  permet  de 
considérer  les  sels  alcalins  comme  des  modificateurs  de  la  nutrition  (par  l'intermédiaire 
du  système  nerveux),.  De  fait,  la  similitude  d'action,  vraie  en  toxicologie,  ne  parait  pas 
vraie  en  thérapeutique  ;  il  n'est  pas  possible  de  comparer  le  chlorure  de  lithium  et  le 
bromure  de  potassium.  L'iodore  et  le  bromure  de  potassium  ont,  comme  on  sait,  des 
effets  thérapeutiques  tout  à  fait  distincts. 

On  remarquera  aussi  que  le  sodium  fait  exception  et  qu'on  ne  peut  le  faire  rentrer 
dans  la  famille  des  métaux  alcalins,  au  point  de  vue  ioxicologique.  Dans  la  classifi- 
cation de  Mesdéléeft,  le  sodium  ne  rentre  pas  dans  la  famille  du  lithium,  du  potassium, 
du  rubidium;  on  voit  que  physioîogiquement  il  en  diffère. 

La  conclusion  générale,  c'est  que  les  sels  des  métaux  alcalins  ont  (à  l'exceptiou  du 
sodium)  une  toxicité  très  voisine,  si  on  la  rapporte  au  poids  moléculaire. 

Bibliographie.  —  Sur  cette  action  d'ensemble  des  métaux  alcalins,  j'ai  donné 
dans  mon  mémoire  (Trm.  du  Lah.,  t.  n,  p.  398|  les  principales  sources  d'informations. 
Pour  une  bibliographie  plus  détaillée,  voir  plus  loin  les  articles  Lithium,  Potassium, 
Sodium.  Citons  encore  :  P.  Bcset.  Action  physioleg.  des  métaux  alcaims  et  alcalùm-terreux 
{Rer.  mêd.  de  la  Suisse  romande,  n"^  8  et  9,  Août  et  Sept.  1892).  —  Bkz.  Phan^.  Eenntnis$ 
der  Haiogene.  {A.  P.,  t.  xsrv,  1894,  p.  185.J 

Quant  à  la  proportion  des  métaux  alcalins  contenns  dans  l'organisme,  on  trouvera 
les  chiffires  nécessaires  à  l'article  Aliments  (Voir  aussi  Sang,  Nutrition  et  Buscles). 

CHARLES    RÎCHET. 

ALCALINS  (Milieux).  —  V:-/,-  Basiques  (Milieux.; 

alcaloïdes.  —  J  nsqu'au  mUien  de  notre  siècle,  la  dénomination  i'aka- 
loîdes  naiureSs  fat  réservée  à  une  classe  de  produits  extraits  des  végétaux,  jouissant  de 
propriétés  plus  ou  moins  énergiqnement  toxiques  et  capables  de  s'unir  aux  acides,  à  la 
façon  de  l'ammoniaque,  pour  former  des  sels. 

Les  découvertes  de  Wœhlkr,  en  1828  :  celles  de  Dcmas  et  Peudczi,  en  18-33;  de  Znox, 
en  1842;  de  Gkrhabdt,  en  1845;  de  Wdriz,  en  1849;  d'AsîBsasos,  en  1851,  démontrèrent 
la  possibilité  de  réaliser  la  synthèse  de  produits  analogues  aux  alcaloïdes  naturels  et 
de  préparer  des  substances  alcaloîdiques  complètement  différentes  de  celles  que  l'on 
pouvait  extraire  des  produits  végétaux. 

Dans  ces  dernières  années,  et  notamment  depuis  1880,  la  décourerîe  des  ptomaînes 
et  des  leucomaînes  fit  reconnaître  que  la  dénomination  d'alcaloides  ne  devait  pas  être 
réservée  aux  produits  tirés  du  régne  végétal  et  que  le  nombre  de  ces  substances  prove- 
nant des  modifications  subies,  dans  diverses  circonstances,  par  les  tissus  animaux  était 
beaucoup  plus  considérable  que  celui  des  alcaloïdes  retirés  des  végétaux. 

Actuellement,  la  dénomination  d'alcaloïde  doit  être  attribuée  à  tonte  snbsfance 
azotée,  volatile  ou  fixe,  oxygénée  ou  non,  ayant  comme  noyau  de  constitationune  ammo- 
niaque composée  ou  une  base  pyridiqne:  capable  de  se  combiner  aux  acides  pour  former 
des  composés  définis,  cristallisés,  et  susceptibles  de  s'unir  à  certains  sels  minéraux, 
chlorures  ou  «yanures  de  platine,  d'"or,  de  mercure,  etc.,  en  produisant  des  combinaisons 
fixes  et  bien  cristallisées. 


0  1(5  alcaloïdes. 

L'hypothèse  de  la  subslitution  à  l'hydrogène  d'une  molécule  d'ammoniaque  ou  de 
pyridine  de  radicaux  plus  ou  moins  énerjjiquement  électro-positifs  ou  électro-négatifs, 
permet  de  concevoir  la  complexité  de  certains  des  composés  qui  peuvent  prendre  ainsi 
naissance-  et  Tnèine  de  prévoir,  suivant  la  valence  positive  ou  négative  du  radical 
substitué,  le  degré  de  basicité  et  d'alcalinité  du  composé  qui  se  forme  dans  ces  conditions. 
Historique.  —  Au  point  de  vue  historique,  la  première  ti'ace  de  l'obtention,  involon- 
taire il  etl  vrai,  d'un  alcaloïde,  remonte  à  la  préparation,  vers  1688,  dnMagislère  d'oinwn 
par  Robert  Boyle.  Ce  savant  avait  remarqué  que,  suivant  sa  propre  expression,  pour 
rendre  l'opium  plus  actif,  il  suffisait  de  le  traiter  par  du  tartre  calciné  et  de  l'alcool  [Use- 
fulness  of  phllosophy,  vol.  l,  p.  7-i).  Et  en  efifet,  la  morphine  ainsi  mise  en  liberté  par  le 
carbonate  de  potasse  se  dissout  dans  lalcool,  et  l'on  obtient  une  solution  beaucoup  plus 
active,  au  point  de  vue  thérapeutique,  que  le  produit  primitif.  Mais  cette  découverte  passa 
inaperçue,  et  il  fallut  attendre  plus  de  cent  années  avant  que  les  recherches  de  Derosxe, 
SÉGUix  et  Sertuermer  appelassent  de  nouveau  l'attention  sur  ce  point. 

En  1791,  au  cours  de  ses  travaux  sur  l'analyse  des  quinquinas,  Fourcroy  prophétise 
en  quelque  sorte  la  prochaine  découverte  des  alcaloïdes;  et  ce  n'est  pas  sans  étonnement 
qu'après  avoir  parcouru  le  remarquable  mémoire  qui  résume  ces  recherches,  on  ne 
trouve  pas  la  découverte  de  la  quinine  comme  une  conclusion  toute  naturelle  de  ce  travail. 
Un  fait  en  tout  cas  absolument  incontestable,  c'est  qu'en  perfectionnant  les  méthodes 
d'analyse  immédiate  appliquée  aux  végétaux  et  en  faisant  progresser  les  connaissances 
relatives  aux  principes  actifs  de  ces  végétaux,  Fourcroy  et  ses  contemporains  ont  préparé 
la  voie  à  la  découverte  des  alcaloïdes. 

Mais,  égarés  par  cette  idée  préconçue  que  les  végétaux  ne  pouvaient  contenir,  en 
dehors  des  sels  minéraux,  que  des  substances  résineuses,  des  gommes,  des  produits 
neutres  ou  acides  puisqu'ils  donnaient  des  jjhlegmes  acides  sous  l'influence  de  la  chaleur, 
Fourcroy  concluait  que  la  matière  enlevée  par  les  acides  à  l'écorcede  quinquina,  et  qu'il 
avait  reconnue  être  de  même  nature  que  celle  qui  se  dissout  dans  l'alcool,  se  rappro- 
chait beaucoup  plus  des  résines  que  de  toute  autre  substance;  Berthollet  n'hésitait  pas  à 
regarder  comme  de  la  magnésie  le  précipité  produit  par  l'eau  de  chaux  dans  la  décoction 
acide  de  quinquina;  et  Vauquelin,  revenant  sur  le  même  sujet,  insiste  sur  les  propriétés 
particulières  du  composé  isolé  par  la  chaux  de  la  décoction  acide.  Il  remarque  que  cette 
substance  ne  rentre  dans  aucune  des  catégories  connues  jusqu'alors,  observe  que  la 
dissolution  de  ce  corps  dans  l'eau  aiguisée  d'acide  précipite  par  les  alcalis,  les  carbo- 
nates alcalins,  la  gélatine,  l'émétique,  le  chlorure  ferrique,  mais  il  ne  paraît  pas  penser 
un  seul  instant  que  cette  substance  puisse  avoir  quelque  parenté  avec  les  alcalis;  et  il 
conclut  en  disant  que  ces  résines  du  quinquina  ont  des  propriétés  particulières  et  qu'elles 
doivent  être,  ainsi  que  celles  de  beaucoup  d'autres  végétaux,  séparées  des  résines  propre- 
ment dites. 

«  Nous  faisons  des  voeux,  disait  Fourcroy  en  terminant  son  travail  sur  l'analyse  des 
quinquinas,  pour  que  de  pareils  travaux  soient  entrepris  sur  les  grands  médicaments 
que  l'art  de  guérir  possède  et  dont  il  tirerait  sans  doute  un  parti  bien  plus  avantageux 
encore  si  leurs  principes  étaient  mieux  connus.  Si  nos  forces  pouvaient  nous  le  permettre, 
nous  ébaucherions  au  moins  ces  travaux  sur  l'opium,  le  camphre,  les  cantharides, 
l'ipécacuanlia,  les  narcotiques,  les  plantes  antiscorbutiques,  les  dépurantes  et  les 
vireuses.  »  Cet  appel  fut  entendu  ;  et  l'opium  devient  bientôt,  concurremment  avec  le 
quinquina  et  grâce  sans  doute  à  ses  propriétés  thérapeutiques  énergiques  et  à  son  action 
intense  sur  l'économie,  l'objet  des  recherches  des  chimistes  de  ce  temps.  En  1802, 
Derosn'e  extrait  de  l'opium  un  principe  cristallisable,  constitué  par  de  la  narcotine 
impure,  auquel  il  attribue  des  propriétés  basiques.  Cette  substance  porta  depuis  ce 
moment  l'appellation  de  sel  de  Derosne.  En  1804,  Séguin  publia,  au  sujet  de  recherches 
qu'il  faisait  sur  l'opium,  un  mémoire  qui  peut  être  regardé  comme  un  modèle  d'analyse 
immédiate  :  il  isola  les  deux  substances  qui  devaient  recevoir  plus  tard  les  noms  de 
morphine  et  d'acide  méconique;  mais  il  n'insista  pas  sur  les  propriétés  basiques  de  la 
morphine,  «cette  substance  cristalline  qu'on  ne  peut  jusqu'ici  considérer  que  comme 
une  substance  nouvelle  »,  ainsi  qu'il  s'exprime  à  son  sujet. 

Telle  était  l'influence  des  idées  théoriques  alors  en  cours  que  Séguin  put,  dans  son  tra- 
vail, dire  en  parlant  de  la  Substance  cristalline  qu'il  avait  isolée,  qu'à  l'état  de  pureté 


alcaloïdes.  217 

elle  est  soliible  dans  l'alcool  qui  acquiert,  par  suite  de  cette  dissolution,  la  propriété  de 
verdir  le  sirop  de  violettes;  qu'elle  se  dissout  également  bien  dans  les  acides  et  y  est 
retenue  par  affinité,  qu'elle  peut  en  être  séparée  par  d'autres  substances  qui  ont  pour 
l'acide  une  affinité  plus  forte,  que  l'acide  de  l'opium  ayant  la  propriété  de  former  avec 
les  métaux  des  sels  insolubles,  il  se  produit  pendant  le  mélange  des  sels  métalliques 
avec  la  dissolution  d'npium,  une  double  décomposilion  ;  tout  cela  sans  arriver  à  oser 
tirer  la  conclusion  logique  de  ses  recherches,  bien  que  tous  les  caractères  de  l'alcalinité 
fussent  ainsi  énoncés  d'une  manière  positive,  et  il  abandonne  à  un  autre  le  soin  et  en 
même  temps  la  gloire  d'imposer  à  ce  nouveau  corps  son  véritable  caractère  et  de  lui 
donner  un  nom. 

C'est  seulement  en  1817  que  Sertcerner,  reprenant  les  recherches  qu'il  avait  déjà  en- 
treprises quinze  ans  auparavant,  au  moment  où  Deros^'e  publiait  les  résultats  des  siennes, 
eut  la  hardiesse  de  rompre  avec  les  idées  régnantes  et  indiqua  nettement  le  caractère 
basique  de  la  substance  extraite  de  l'opium  et  signalée  auparavant  par  Séguin  :  ce  fut  lui 
qui  donna  à  cet  alcaloïde  le  nom  de  morphine  et  celui  d'acide  méconique  à  l'acide  isolé 
et  étudié  déjà  par  Séguin.  « 

Sertuerner  caractérise  nettement  la  morphine  comme  une  base  et  insiste  sur  ce  fait 
que  certaines  de  ses  propriétés  semblent  la  rapprocher  de  l'ammoniaque.  De  plus,  il  re- 
connaît par  l'expérimentation  physiologique  qu'elle  constitue  la  partie  efficace  de  l'opium. 
Ce  dernier  point  de  son  étude  mérite  de  nous  arrêter  spécialement,  d'une  part  parce  que 
les  essais  de  Sertuerner  constituent  les  premières  tentatives  d'expérimentation  effectuées 
avec  un  alcaloïde,  et,  d'autre  part,  parce  que  l'auteur  n'hésita  pas  à  tenter  ses  expé- 
riences sur  lui-même  et  sur  des  personnes  de  son  entourage. 

«  La  propriété  la  plus  remarquable  de  la  morphine,  dit-il  dans  son  mémoire,  est  l'effet 
qu'elle  produit  sur  l'économie  animale.  Pour  le  déterminer  avec  exactitude,  je  me  suis 
prêté  moi-même  à  des  expériences  avec  quelques  autres  personnes,  parce  que  les  expé- 
riences sur  les  animaux  ne  donnent  pas  de  résultats  exacts. 

«Je  dois  fixer  l'attention  d'une  manière  particulière  sur  les  effets  terribles  de  ce  nou- 
veau corps  pour  prévenir  des  malheurs  ;  car  on  a  osé  prétendre  publiquement  qu'on  avait 
donné  cette  substance  en  quantité  considérable  à  plusieurs  personnes  sans  remarquer 
aucun  effet.  Si  c'était  bien  de  la  morphine  qu'on  eût  donné  dans  ce  cas,  il  s'ensuivrait 
que  celte  substance  n'est  pas  dissoute  par  le  suc  gastrique.  Mes  expériences  antérieures, 
dont  on  n'a  pas  eu  connaissance,  comme  il  semble,  m'avaient  porté  à  demander  e."ïpressé- 
ment  qu'on  ne  donnât  cette  substance  que  dissoute  dans  l'alcool  ou  dans  un  peu  d'acide 
parce  qu'elle  se  dissout  difficilement  dans  l'eau  et  qu'elle  n'est,  par  conséquent,  attaquée 
qu'avec  peine  dans  l'estomac  sans  l'intermédiaire  de  ces  liquides. 

«  Pour  examiner  sévèrement  mes  propres  expériences,  j'engageai  trois  personnes,  dont 
chacune  n'avait  que  dix-sept  ans,  à  prendre  avec  moi  de  la  morphine.  Mais  averti  par 
les  effets  que  j'avais  vus  antérieurement,  je  n'en  donnai  à  chacune  qu'un  demi-grain 
(2  milligr.  3j  dissous  dans  un  demi-gros  {2  grammes)  d'alcool  étendu  dans  quelques  onces 
d'eau  distillée.  Une  rougeur  générale,  qu'on  pouvait  même  apercevoir  dans  les  yeux, 
couvrit  leur  figure,  principalement  les  joues,  et  les  forces  vitales  semblaient  exaltées. 

«  Lorsque  nous  primes,  après  une  demi-heure,  encore  un  demi  grain  de  morphine,  cet 
état  augmenta  considérablement,  et  nous  sentîmes  une  envie  passagère  de  vomir  et  un 
étourdissement  dans  la  tête.  Sans  en  attendre  l'effet,  nous  avalâmes  encore,  après  un 
quart  d'heure,  un  demi-grain  de  morphine  en  poudre  grossière  avec  quelques  gouttes 
d'alcool  et  une  demi-once  d'eau.  L'effet  en  fut  subit  chez  les  trois  jeunes  gens;  ils  sen- 
tirent une  vive  douleur  dans  l'estomac,  un  alîaiblissement  et  un  engourdissement  général, 
et  ils  étaient  près  de  s'évanouir  :  j'éprouvais  moi-même  des  effets  semblables;  en  me 
couchant,  je  tombai  dans  un  état  rêveur  et  je  sentis  une  espèce  de  palpitation  dans  les 
extrémités,  principalement  dans  les  bras. 

«  Ces  symptômes  évidents  d'un  empoisonnement  véritable  et  surtout  l'état  d'évanouis- 
sement des  trois  jeunes  gens,  m'inspirèrent  une  telle  inquiétude,  que  j'avalai  sans  y 
penser  6  à  8  onces  d'un  vinaigre  très  fort  et  que  j'en  fis  prendre  autant  aux  autres  :  il 
succéda  un  vomissement  si  violent  que  l'un  de  nous,  qui  était  dune  constitution  délicate 
et  dont  l'estomac  était  tout  à  fait  vide,  se  trouva  dans  un  état  très  douloureux.  11  me  pa- 
rut que  le  vinaigre   communiqua  à  la  morphine  cette  violente  propriété  vomitive.   Dès 


"ii8  alcaloïdes. 

lors,  je  donnai  au  jeune  homme  du  carbonate  de  magnésie  qui  ne  tarda  pas  à  faire  cesser 
les  vomissements.  Il  passa  la  nuit  dans  un  profond  sommeil.  Le  lendemain  le  vomisse- 
ment revint,  mais  il  cessa  bientôt,  après  une  forte  dose  de  carbonate  de  magnésie.  Le 
manque  d'appétit,  la  constipation,  l'engourdissement  et  les  maux  de  tête  et  d'estomac  ne 
cessèrent  qu'après  quelques  jours.  A  en  juger  par  cette  e:5périence  assez  désagréable,  la 
morphine  est  un  poison  violent,  même  à  petites  doses.  Ses  combinaisons  avec  les  acides 
ont  peut-être  encore  plus  d'elfet.  Je  crois  que  le  demi-grain  pris  le  dernier  eut  une  action 
plus  vive  parce  qu'il  arriva  concentré  dans  l'estomac  et  y  fut  dissous. 

«Les  autres  parties  constituantes  de  l'opium  ne  possédant  aucune  des  propriétés  dont 
il  vient  d'être  fait  mention,  il  me  semble  que  les  principaux  effets  de  l'opium  dépendent 
de  la  morphine  pure,  ^'ous  pouvons  ainsi  attendre  des  effets  efficaces  des  différents  sels 
à  base  de  morphine  dans  plusieurs  maladies.  » 

Avant  la  publication  de  ce  travail  qui  dégage  si  nettement  la  notion  de  l'alcaloïde 
comme  base  végétale  et  principe  actif  du  produit  médicamenteux,  un  certain  nombre  d'ob- 
servations et  de  recherches  effectuées  depuis  une  dizaine  d'années  avaient  appelé  l'at- 
tention dans  cette  voie  et  rendaient  imminente  la  découverte  de  Sertuerner.  C'était 
d'abord  Chenevix  qui  tenta  l'analyse  immédiate  du  café  et  en  sépara,  au  moyen  du  mu- 
riate  d'étain,  un  produit  de  saveur  amère,  ni  acide,  ni  alcalin,  et  se  distinguant  très  net- 
tement du  tanin  et  de  tous  les  autres  principes  végétaux  examinés  jusqu'alors.  Puis  en 
1812,  Vauquelin  isola  du  Daphne  alpina  un  principe  acre  et  caustique  qu'il  reconnut  cer- 
tainement ne  pas  être  constitué  par  un  sel,  comme  sa  forme  cristalline  semblerait  le 
faire  croire,  mais  bien  par  une  substance  végétale  particulière  inconnue  jusque  là,  rame- 
nant au  bleu  la  teinture  de  tournesol  rougie  par  un  acide. 

Mais,  c'est  quand  il  s'agit  d'interpréter  cette  réaction  alcaline  que  les  idées  dominantes 
d'alors  égarent  le  savant  professeur  qui  attribue  cette  alcalinité  à  un  mélange  de  la 
substance  active  végétale  avec  de  l'ammoniaque,  comme  il  l'avait  fait  également  pour  le 
principe  huileux  et  acre  du  tabac. 

A  la  même  époque,  et  à  la  demande  de  Ch.^ussier,  Boullay  entreprit  l'analyse  immé- 
diate des  graines  du  Meniupermum  cocculus  d'où  il  retira  un  principe  d'une  excessive 
amertume,  formant  des  cristaux  d'une  blancheur  éclatante,  auquel  il  donna  le  nom  de 
pic)'otoa;me.  Pelletier  et  Magendie  font,  au  sujet  de  l'ipécacuanha,  une  série  de  recherches 
chimiques  et  physiologiques  les  conduisant  à  isoler  de  cette  écorce  une  substance  à 
laquelle  ils  donnent  le  nom  d'éméiine  et  qui  en  constitue  le  principe  actif. 

Toutes  ces  observations  et  ces  découvertes  avaient  imprimé  une  vive  impulsion  à 
l'étude  des  produits  végétaux;  et  le  mémoire  de  Sertuerner  sur  la  Morphine  et  l'acide 
mécanique  considérés  comme  parties  essentielles,  fut,  en  quelque  sorte,  la  synthèse  et  la 
coordination  des  recherches  éparses  et  sans  lien  commun  jusque  là. 

Une  grande  découverte  est  bien  rarement  (pour  ne  pas  dire  jamais)  le  fruit  du  labeur 
d'un  seul  homme;  et  ce  n'est  pas  l'un  des  moindres  attraits  de  l'étude  philosophic^ue  des 
sciences  que  de  voir  émerger  péniblement,  puis  surgir  tout  à  coup,  dans  un  éclat  subit, 
une  découverte  dont  on  peut  suivre  historiquement  la  genèse  difficile,  que  l'on  voit  en- 
suite arriver  peu  à  peu  à  cette  période,  à  laquelle  conviendrait  parfaitement  la  qualifi- 
cation de  prémonitoire,  pendant  laquelle  chacun  pressent  une  évolution  scientifique  im- 
minente et  à  l'élaboration  de  laquelle  chacun  travaille  plus  ou  moins  consciemment. 

La  découverte  des  alcaloïdes  suivit  cette  marche  :  les  travaux  des  pharmaciens  et 
chimistes  français  ouvrirent  l'horizon,  déblayèrent  la  voie;  et  ce  fut  un  modeste  phar- 
macien d'Eimsbeck,  dans  le  royaume  de  Hanovre,  qui  eut  le  mérite  et  la  gloire  de 
dégager  la  vérité. 

A  partir  de  ce  moment,  la  lumière  est  faite;  les  travaux  se  succèdent  nombreux, 
apportant  chaque  jour  la  confirmation  de  la  découverte  des  alcaloïdes.  Pourtant,  une 
idée  inexacte  persiste  encore  jusqu'à  nos  jours,  celle  que  les  végétauxsont  seuls  capables 
de  réaliser  la  synthèse  naturelle  de  ces  alcaloïdes. 

Parmi  le  grand  nombre  des  savants  dont  les  travaux  contribuèrent  à  assurer  nos 
connaissances  relativement  aux  alcaloïdes  végétaux,  il  faut  citer  plus  particulièrement 
Pelletier  et  Caventou.  On  leur  doit  l'étude  très  complète  d'un  certain  nombre  de  familles 
de  plantes;  et  ces  savants  reconnurent  les  premiers  l'existence  d'alcaloïdes  chimique- 
ment et  physiologiquement  différents  dans  une  même  plante.  La  strychnine,  et  la  bru- 


alcaloïdes.  219 

cine;  la  quinine  et  la  einchonine,  la  colcliicine  et  la  vératrine ,  la  curarine,  furent  les 
résultats  de  leurs  remarquables  travaux.  L.\ss.4.igne  et  Feneulle,  Desfosses,  Robiquet, 
CouEBBE,  en  France  ;  Brandes,  Meisner,  MErN,  Geiger  et  Hesse,  en  Allemagne,  e'tudient 
un  grand  nombre  de  plantes  et  font  connaître  de  nouveaux  alcaloïdes. 

En  1822,BussY  entreprit  de  déterminer  la  composition  exacte  des  diverses  substances 
actives  que  l'on  avait  alors  isolées  des  végétaux.  L'idée  de  ce  travail  lui  fut  suggérée 
par  la  discussion  qui  s'était  élevée  depuis  quelques  temps  au  sujet  de  la  picroto.xine,  le 
principe  actif  découvert  par  Boullay  dans  le  Menispermum  cocculus,  dont  la  nature 
basique  était  contestée  par  Thénard.  La  picrotoxine  ne  saturant  pas  les  acides,  n'ayant 
aucune  action  sur  les  réactifs  colorés,  ne  pouvait,  disaient  les  adversaires  de  Boullay, 
être  considérée  comme  une  base  salifiable,  mais  seulement  comme  une  substance  amère, 
vénéneuse.  Les  progrès  que  la  méthode  de  Gay-Ldssac  avait  fait  réaliser  à  l'analj'se  élé-  ■ 
mentaire  des  substances  organiques  permit  à  Bussy  de  mettre  en  évidence,  dans  la  com- 
position des  alcaloïdes,  la  présence  de  l'azote  et  de  doser  cet  élément  dans  la  morphine 
où  Sertuerner  et  Thomson  l'avaient  méconnu,  ainsi  que  dans  plusieurs  autres  bases  végé- 
tales. Ce  travail  de  Bussy  fut  complété  par  Pelletier  et  Dumas  qui  donnèrent,  l'année 
suivante,  la  composition  d'un  assez  grand  nombre  d'alcaloïdes  et  prouvèrent  ainsi  l'exis- 
tence de  l'azote  dans  toutes  les  bases  végétales.  Lune  des  conclusions  de  leurs  travaux 
fut  que  la  picrotoxine,  ne  possédant  pas  les  caractères  généraux  et  les  réactions  des 
bases  végétales,  et,  de  plus,  ne  renfermant  pas  d'azote,  ne  pouvait  pas  être  considérée 
comme  un  alcaloïde. 

A  peu  près  vers  la  même  époque,  plusieurs  chimistes  arrivèrent  à  isoler,  dans  un 
état  suffisant  de  pureté,  des  bases  végétales  liquides  dont  l'existence  avait  été  jus- 
qu'alors mise  en  doute.  Déjà,  en  1820,  Peschier  et  Brandes  avaient  attribué  la  toxicité  de 
la  grande  cigûe  à  la  présence  d'un  alcaloïde,  mais  sans  fournir  de  leur  opinion  une 
preuve  décisive.  Ce  n'est  qu'en  1832  que  Geiger  sépara  la  conicine  dont  l'alcalinité  fut 
attribuée  par  certains  chimistes  à  de  l'ammoniaque  entraînée  pendant  la  préparation.  A 
la  suite  d'un  long  travail  de  Deschamps  (d'Avallon)  tendant  à  prouver  cette  dernière 
interprétation,  travail  adressé  à  la  Société  de  pharmacie  de  Paris,  Henri  et  Boutron 
furent  chargés  d'élucider  cette  question,  et  leurs  recherches  les  amenèrent  à  reconnaître 
l'exactitude  des  assertions  de  Geiger.  De  plus,  des  essais  comparatifs  d'expérimentation 
physiologique,  effectués  par  Ghristison,  démontrèrent  qu'il  y  avait  identité  d'action  dans 
les  résultats  obtenus  avec  le  suc  de  la  grande  ciguë  et  ceux  fournis  par  l'alcaloïde 
liquide  de  Geiger.  La  découverte  de  la  nicotine  par  Posselt  et  Reimann  vint  bientôt  con- 
firmer l'existence  des  alcaloïdes  liquides. 

Alcaloïdes  artificich.  —  A  partir  de  cette  époque  (1829),  il  fallut  attendre  jusqu'au 
moment  de  la  découverte  des  ammoniaques  composées  et  des  alcaloïdes  artificiels  oxy- 
génés et  non  oxygénés  pour  voir  la  question  qui  nous  occupe  faire  de  réels  progrès.  La 
synthèse  de  l'urée,  effectuée  en  1828  par  Wœhler,  fut  le  premier  exemple  de  formation 
artificielle  d'un  composé  organique. 

En  1834,  Liebig  prépare  Famniélide,  l'amméline  et  la  mélamine,  composés  dont  les 
caractères  se  rapprochent  de  plus  en  plus  de  ceux  des  alcaloïdes.  A  la  même  époque, 
Dumas  et  Pelouze  observaient  que  dans  l'action  de  l'hydrate  de  plomb  en  présence  de  l'eau 
bouillante  sur  certains  composés  organiques  azotés  et  sulfurés,  il  se  forme  de  véritables 
bases;  c'est  ainsi  que  l'essence  de  moutarde  soumise  à  la  température  de  100", à  l'action 
de  l'hydrate  de  plomb  en  suspension  dans  l'eau,  fournit  la  sinapoline  ou  diallylurée. 

Dans  des  recherches  entreprises  sur  le  goudron  de  houille,  Runge  signale  des  corps 
doués  de  propriétés  alcalines,  mais  qu'il  étudie  fort  incomplètement  et  n'isole  même 
pas  à  l'état  de  pureté. 

En  1840,  Fritzsche  prépare  de  l'aniline  par  distillation  sèche  de  l'indigo  en  présence 
de  potasse  caustique.  En  1842,  Gerhardt  obtient  et  isole  la  quinoléine  comme  produit 
de  la  distillation  sèche  de  certains  alcaloïdes  végétaux  (quinine,  strychnine  et  surtout 
einchonine)  eu  présence  des  alcalis  caustiques.  La  même  année,  Zinin  découvre  la  for- 
mation de  composés  basiques  parmi  les  produits  de  réduction  des  dérivés  nitrés  des 
matières  organiques.  En  184o,  Fownes  appelle  l'attention  sur  ce  fait  que  les  hydramides 
soumis  à  l'action  de  la  potasse,  en  présence  de  l'eau,  subissent  une  modification  isomé- 
rique  remarquable  et  se  transforment  en  bases  organiques. 


220  alcaloïdes. 

Enfin,  en  1849,  Wurtz  réalisa  l'importante  découverte  des  ammoniaques  composées 
dont  la  formation  avait  été  prévue  sept  ans  auparavant  par  Liebig.  C'est  par  la  réaction 
de  la  potasse  caustique  sur  les  élliers  cyaniques,  cyamiriques  et  les  urées  que  Wunxz 
obtint  la  formation  de  ces  bases  artificielles.  Ses  recherches  furent  continuées  par 
Hoffmann  qui  démontra  la  possibilité  d'obtenir  des  aminés  complexes. 

En  1831,  les  travaux  d'ANDERSoN  sur  les  produits  de  la  distillation  sèche  des  matières 
animales  attirèrent  l'attention  sur  les  bases  de  la  série  pyridique,  dont  quelques-unes 
avaient  déjà  été  entrevues  par  Unverdorben  dans  ses  recherches  sur  l'huile  animale  de 
DiPPEL.  Greville-Williams,  Church  et  Owen  complétèrent  ces  études,  dont  les  travaux 
tout  récents  de  Ramsay,  Kœrner,  Skhaup,  Weidel,  Ladenborg,  Cahours  et  Etard,  Oechsner 
DE  CoNYNCK,  etc,  etc,  ont  démontré  toute  l'importance  relativement  à  la  constitution 
des  alcaloïdes  naturels. 

Alcaloïdes  d'origine  animale.  —  En  1853,  Wurtz,  faisant  réagir  la  trimélhylamine 
sur  la  chlorhydrine  du  glycol,  réalisait,  du  même  coup,  non  seulement  la  synthèse  d'un 
alcaloïde  oxygéné,  la  névrine,  mais  encore  d'un  alcaloïde  d'origine  animale,  la  névrine 
étant  identique  avec  la  choline  retirée  delà  bile  par  Strecker  en  1849. 

Ce  fut  seulement  au  cours  de  ces  dernières  années,  en  1881,  que  la  propriété  de 
donner  naissance  à  des  alcaloïdes  fut  nettement  reconnue  aux  cellules  animales. 

Rapprochant  les  faits  qu'il  avait  observés,  en  1869,  puis  en  1872,  de  la  formation 
d'ammoniaques  composées  pendant  la  putréfaction  de  l'albumine  d'œuf  et  de  la  fibrine, 
de  ceux  mis  en  lumière  par  Selmi  à  partir  de  1870  et  relatifs  a  la  présence  d'alcaloïdes 
particuliers  qu'il  appela  ptomaines  dans  les  viscères  d'individus  que  l'on  soupçonnait 
avoir  été  empoisonnés,  ainsi  que  des  observations  que  j'avais  faites  en  1879  et  1880 
de  l'existence  d'alcaloïdes  bien  déterminés  dans  l'urine  et  les  humeurs  normales 
de  l'homme;  généralisant  toutes  ces  données,  Armand  Gautier  montra  qu'il  s'agissait 
d'une  fonction  normale  des  cellules  vivantes  et  que  des  alcaloïdes  pouvaient  prendre 
naissance  au  cours  des  processus  vitaux  de  toutes  les  cellules,  que  leur  origine  fût  végé- 
tale ou  animale.  Cette  interprétation  fut  confirmée  par  l'étude  qu'il  publia  en  1886  sur 
les  leucontaines,  alcaloïdes  formés  régulièrement  et  nécessairement  au  cours  des  phéno- 
mènes physico-chimiques  dont  les  organismes  animaux  sont  le  siège  pendant  leur  vie. 

On  est  amené  par  ces  considérations  à  faire  rentrer  dans  le  cadre  des  alcaloïdes  un 
certain  nombre  de  produits  de  sécrétion  ou  d'excrétion  de  l'organisme  humain  qui 
étaient  classés  autrefois  parmi  les'araides,  les  nitriles,  les  composés  du  groupe  urique,  etc., 
tels  que  la  leucine,  la  tyrosine,  la  séricine,  la  carnine,  la  guanine,  la  saroine,  la  xan- 
thïne,  les  oxybétaïnes,  etc.,  etc.  Quelques-uns  de  ces  corps  ne  manifestent  que  des 
propriétés  basiques  extrêmement  faibles,  comme  d'ailleurs  certains  alcaloïdes  d'origine 
exclusivement  végétale  (la  narcotine  par  exemple);  mais,  bien  que  ce  caractère  soit 
important,  il  ne  doit  pas  être  envisagé  exclusivement. 

Ainsi  comprise,  la  notion  d'alcaloïde  est  beaucoup  plus  vaste  que  celle  qui  lui'  cor- 
respondait autrefois,  lorsque  cette  appellation  désignait  les  seules  bases  végétales  ; 
mais  elle  olîre  le  grand  avantage  de  réunir  des  composés  dont  la  synthèse  naturelle 
s'elfectue  dans  des  conditions  analogues,  dont  la  parenté,  au  point  de  vue  physiolo- 
gique, est  incontestable;  et  que  leur  constitution  chimique,  dont  la  connaissance  se 
perfectionne  de  jour  en  jour,  nous  apprend  être  dérivés  des  mêmes  groupements 
moléculaires  fondamentaux. 

Généralités.  —  La  découverte  des  alcaloïdes  est  l'une  des  plus  belles  conquêtes  de 
la  chimie  pendant  notre  siècle.  Les  travaux  suscités  dans  ces  dernières  années  par  les 
ptomaïnes  et  les  leucomaïnes  ont  considérablement  agrandi  cette  question  et  lui  ont 
donné  une  importance  plus  grande  encore,  non  seulement  en  augmentant  le  nombre 
des  composés  chimiques  qui  rentrent  dans  son  cadre,  mais  surtout  en  démontrant  que 
la  genèse  des  alcaloïdes  est  une  fonction  physiologique  d'ordre  absolument  général.  On 
peut  dire  aujourd'hui  que ,1a  synthèse  naturelle  d'un  alcaloïde  est  la  preuve  de  l'exis- 
tence d'un  processus  vital. 

En  plus  de  son  importance  au  point  de  vue  physiologique,  l'étude  des  alcaloïdes, 
mais  alors  surtout,  celle  des  alcaloïdes  végétaux,  a  permis  de  réaliser  un  progrès 
immense  en  thérapeutique  en  modifiant  les  applications  et  en  perfectionnant  nos  con- 
naissances pharmacologiques  au  sujet  des  drogues  végétales.  En  permettant  de  subs- 


alcaloïdes.  221 

lituer  à  la  plante  médicinale  ou  à  ses  préparations  galéniques,  susceptibles  de  varier  sui- 
vant une  foule  de  circonstances,  un  produit  toujours  identique,  de  composition  clii- 
mique  absolument  constante  et  dont  les  effets  peuvent  être  dosés  et  régularisés  avec 
une  précision  presque  mathématique,  la  chimie  a  ouvert  aux  applications  thérapeu- 
tiques une  voie  véritablement  scientifique  en  leur  permettant  une  rigueur  dans  l'obser- 
vation dont  elles  avaient  été  dépourvues  jusque-là.  Les  progrès  de  la  chimie  dans  cette 
voie  spéciale  ont  même  été  poussés  jusqu'à  réaliser  la  synthèse  artificielle  d'alcaloïdes 
naturels  et  même  celle  d'autres  alcaloïdes  dont  on  ne  connaît  pas,  jusqu'ici,  d'analogues 
dans  le  règne  végétal,  et  dont  l'utilisation  de  l'action  physiologique  rend  les  plus  émi- 
nents  services  à  l'art  de  guérir. 

Toutefois,  si  l'alcaloïde  est  le  principe  le  plus  actif  d'un  végétal,  il  n'est  pas  toujours 
le  seul  actif,  et  ne  peut  être,  en  toute  circonstance,  substitué  à  la  plante  dont  il  est 
extrait.  L'effet  thérapeutique  que  l'on  recherche  n'est  souvent  que  la  résultante  de 
l'action  de  chacun  des  principes  constituants  du  végétal. 

D'autre  part,  la  richesse  en  alcaloïdes  d'une  substance  végétale  varie  suivant  nn 
assez  grand  nombre  de  conditions  et  de  circonstances  dont  les  principales  sont  les 
suivantes  :  l'époque  de  la  récolte,  le  lieu  de  croissance,  la  nature  du  sol  possèdent  sur 
tous  les  végétaux  une  influence  à  laquelle  n'échappent  pas  les  plantes  susceptibles  de 
donner  naissance  à  des  principes  actifs,  alcaloïdes  ou  autres. 

La  nature  du  sol  n'est  pas  la  seule  cause  de  variation  dans  la  quantité  du  principe 
actif  :  l'âge  de  la  plante  possède  à  cet  égard  une  influence  plus  considérable  encore. 
C'est  ainsi  que  les  jeunes  pousses  de  certaines  espèces  d'apocynacées  sont  utilisées 
comme  aliment  par  les  nègres  de  l'Amérique  du  Sud  et  que  les  jeunes  pousses  d'aconit 
sont  employées  au  même  usage  en  Suède,  alors  que  les  mêmes  végétaux  adultes  sont 
violemment  toxiques.  Bien  plus,  certains  principes  actifs  apparaissent  ou  disparaissent 
suivant  l'âge  de  la  plante  :  le  maximum  de  richesse  s'observe,  en  général,  au  moment 
de  l'entrée  en  floraison. 

Le  climat  a  plus  de  pouvoir  que  la  nature  du  sol  sur  la  richesse  des  végétaux  en 
principes  actifs;  en  général,  ceux  qui  croissent  dans  les  lieux  élevés  et  qui  sont  plus 
exposés  à  la  radiation  solaire  contiennent  une  plus  forte  proportion  de  substance  active  : 
la  digitale  et  l'aconit  sont  dans  ce  cas,  tandis  que  la  belladone  se  montre,  au  con- 
traire, plus  active  quand  elle  est  exposée  à  l'ombre. 

Le  summum  d'activité  s'observe  surtout  chez  les  plantes  récoltées  dans  leurs  lieux 
d'origine.  L'acclimatation  et  la  culture  affaiblissent  ou  dénaturent,  tout  au  moins,  les 
propriétés  actives. 

Le  moment  auquel  la  récolle  de  la  plante  a  été  effectuée  possède  une  influence 
considérable.  Cette  condition  n'avait  pas  échappé  aux  anciens  pharmaoologues;  et  nous 
voyons  Dioscoride,  Mesuè;,  Galien,  Avicenne,  recommander  de  faire  la  récolte  des  racines 
au  printemps,  à  l'époque  où  les  feuilles  commencent  à  poindre;  ou  à  l'automne,  quand 
elles  sont  complètement  tombées,  de  même  que  la  lige,  s'il  s'agit  de  plantes  bisannuelles. 
Ces  observateurs  avaient  reconnu  qu'au  printemps  la  racine  élabore  de  nouveaux  sucs 
qui  seraient  bientôt  absorbés  par  les  feuilles  si  on  les  laissait  se  développer;  tandis 
qu'en  automne,  après  la  maturation  de  la  graine,  les  matériaux  de  nutrition,  n'étant 
plus  attirés  vers  les  organes  de  reproduction,  restent  localisés  principalement  dans  les 
racines  jusqu'au  moment  où  le  froid  arrête  la  végétation.  Les  racines  des  plantes 
vivaces  ne  doivent  être  récoltées  qu'après  plusieurs  années  de  végétation;  celles  des 
plantes  bisannuelles  à  l'automne  de  la  première  année  ou  au  printemps  de  la  seconde; 
celles  des  plantes  annuelles  sont  nécessairement  récoltées  quand,  la  plante  est  en  pleine 
végétation. 

Les  tiges  ligneuses  doivent  être  recueillies  l'hiver;  les  tiges  herbacées  après  la  folia- 
tion et  avant  la  iloraison. 

Les  écorces  doivent  provenir  de  végétaux  adultes  et  en  pleine  vigueur  :  celles  des 
arbrisseaux  sont  généralement  récoltées  en  automne  et  celles  des  arbres,  au  printemps. 
Les  alcaloïdes  sont  parfois  localisés  plus  particulièrement  dans  certaines  couches  de 
l'écorce,  comme  cela  arrive  pour  la  quinine,  qui  abonde  surtout  dans  la  couche  ceiluleuse, 
externe,  des  écorces  de  cinchona,  tandis  que  la  couche  libérienne  n'en  renferme  que 
de  très  faibles  proportions. 


222  alcaloïdes. 

Les  feuilles  doivent  être  recueillies  au  moment  de  leur  plus  grande  vigueur,  c'esl- 
à-dire  quand  les  organes  reproducteurs  commencent  à  poindre  :  il  est  préférable  de 
récolter  les  feuilles  des  plantes  bisannuelles  pendant  la  seconde  année. 

Pour  les  semences,  l'époque  la  meilleure  est  celle  de  la  maturité  complète,  indiquée 
parla  déhiscence  des  valves  pour  les  fruits  capsulaires  et  la  maturité  du  péricarpe  pour 
les  fruits  cbarnus. 

Enfin,  lorsqu'il  s'agit  de  substances  végétales  qui  ne  peuvent  être  traitées  immédia- 
tement pour  l'extraction  des  alcaloïdes,  le  mode  de  conservation  exerce  une  inlluence 
parfois  considérable  sur  la  richesse  en  alcaloïde.  Beaucoup  de  plantes  éprouvent,  par 
le  fait  seul  de  la  dessiccation,  une  diminution  ou  une  altération  de  leurs  propriétés 
toxiques  ou  médicinales  :  si  cette  action  s'exerce  principalement  sur  les  plantes  dont 
les  principes  actifs  sont  constitués  par  des  huiles  essentielles,  des  gommes-résines,  des 
glucosides,  il  n'en  est  pas  moins  certain  que  quelques  alcaloïdes  ne  résistent  pas  à  celte 
cause  de  destruction. 

A  ces  causes  d'altération,  il  convient  encore  d'ajouter  d'autres  causes  accidentelles 
dont  la  valeur  est  loin  d'être  indifférente  :  telles  sont,  par  exemple,  l'oxydation  lente  à 
l'air  sous  l'intluence  du  temps,  la  température,  l'humidité,  les  moisissures. 

Toutes  ces  considérations  que  je  viens  d'exposer  très  rapidement  expliquent  l'inégalité 
d'action  de  plantes  ou  parties  végétales  de  la  même  espèce,  et  permettent  de  com- 
prendre comment  un  seul  produit  médicamenteux,  l'opium,  par  exemple,  peut  présenter 
des  variations  extrêmes  de  2  à  30  pour  100,  relativement  à  sa  richesse  en  principes 
actifs.  En  outre,  si  l'on  tient  compte  de  ce  fait  sur  lequel  l'attention  a  été  attirée  par 
Claude  Bernard,  que  ce  même  opium  peut  renfermer  des  proportions  variables  d'alca- 
loïdes dissemblables  et  différant,  non  seulement  par  leur  composition  et  leurs  propriétés 
chimiques,  mais  surtout  par  leur  action  phj'siologique,  les  uns  étant  calmants  et  nar- 
cotiques, alors  que  les  autres  sont  excitants  ou  convulsivants;  on  comprendra  l'incom- 
parable service  que  l'isolement  des  alcaloïdes  a  rendu  à  la  thérapeutique. 

Procédés  d'extraction.  —  Les  alcaloïdes  n'existent  jamais  à  l'état  libre  dans  les 
végétaux  qui  les  produisent,  il  est  donc  nécessaire  de  les  dégager  de  leurs  combinaisons  ; 
et,  pour  arriver  à  ce  but,  de  les  faire  passer  en  solution  dans  une  liqueur  sur  laquelle 
on  puisse  faire  agir  facilement  les  réactifs.  Mais  une  difficulté  se  présente  aussitôt  : 
certains  de  ces  alcaloïdes  sont  fort  altérables,  soit  en  présence  des  acides,  soit  en  pré- 
sence des  alcalis,  surtout  lorsqu'intervient  une  élévation  de  température.  L'emploi  des 
acides  minéraux  énergiques,  tels  que  les  acides  sulfurique  et  chlorhydrique,  qui  per- 
mettent de  faire  passer  en  dissolution  des  alcaloïdes  relativement  très  stables,  comme 
la  quinine,  la  strychnine,  la  morphine,  ne  saurait  donner  que  de  très  mauvais  résultats, 
s'il  s'agissait  d'alcaloïdes  facilement  altérables  comme  l'atropine  et,  mieux  encore,  l'aco- 
nitine,  la  colchicine  :  on  risquerait  alors  de  perdre,  en  le  transformant,  la  majeure 
partie  de  l'alcaloïde  que  l'on  veut  isoler.  Il  faut,  dans  ce  cas,  ne  faire  usage  que  d'atides 
organiques  et  éviter,  autant  que  possible,  l'élévation  de  température  prolongée  pendant 
un  temps  assez  long.  Un  procédé  qui  m'a  toujours  fourni  d'excellents  résultats  et  qui 
est  absolument  général  est  le  suivant. 

La  substance  (végétale  ou  animale)  dans  laquelle  il  s'agit  de  rechercher  et  d'isoler 
l'alcaloïde  est  finement  divisée,  additionnée  de  a  pour  100  de  son  poids  d'acide  citrique 
pur;  puis  de  trois  fois  son  poids  d'alcool  à  60  pour  100,  si  elle  est  solide,  d'alcool  à  9o, 
si  elle  est  liquide;  et  le  mélange  est  rhauffé,' durant  quelques  heures,  à  une  tempéra- 
ture de  oO"  à  60°,  en  agitant  fréquemment.  Il  importe  que,  dans  tous  les  cas,  la  réaction 
de  la  liqueur  hydro-alcoolique  soit  franchement  acide  au  papier  bleu  de  tournesol, 
môme  encore  après  6  à  12  heures  de  macération. 

Le  mélange  est  alors  filtré  et  le  résidu  de  la  filtration  soumis  à  une  forte  pression 
pour  en  extraire  tout  le  liquide.  On  répète  l'épuisement  de  ce  résidu  à  l'aide  de  trois 
fois  son  poids  d'alcool  à  60  p.  100  acidifié  de  1  p.  100  d'acide  citrique,  on  laisse  digérer 
de  nouveau  quelque  temps  à  la  température  de  .^iO";  on  filtre  et  on  exprime  derechef  à 
la  presse.  Les  liqueurs  hydroalcooliques  sont  réunies  et  distillées  dans  le  vide  à  une 
température  ne  dépassant  pas  60°,  jusqu'à  ce  que  le  résidu  atteigne  la  consistance  de 
sirop  clair.  Il  est  très  facile,  par  une  disposition  convenable  de  l'appareil  à  distillation 
dans  le  vide  de  réaliser  une  alimentation   continue  et  de  condenser  la  presque   tota- 


ALCALOÏDES.  223 

lité  de  l'alcool  dont  on  évite  ainsi  la  perte.  Dans  le  cas  d'alcaloïdes  éminemment  alté- 
rables, comme  cela  arrive  pour  certains  alcaloïdes  volatils  et  un  assez  grand  nombre 
de  ptomaïnes,  il  est  encore  préférable  d'effectuer  l'évaporation  à  la  température  am- 
biante, dans  des  capsules  à  fond  plat  disposées  sous  une  cloche  dans  laquelle  on  fait 
le  vide  et  dont  l'atmosphère  est  desséchée  par  de  l'acide  sulfurique  à  6G°  Baume,  bouilli 
au  préalable  et  purifié  de  vapeurs  nitreuses,  acide  que  l'on  remplace  au  fur  et  à  mesure 
qu'il  absorbe  le  liquide.  Un  grand  nombre  d'alcaloïdes  sont  éminemment  altérables 
quand  on  chauffe  leur  solution  au  contact  de  l'air,  surtout  en  présence  de  combinaisons 
salines  qui  sont  capables  de  favoriser  la  formation  de  produits  de  dédoublement.  L'ac- 
tion des  solutions  alcalines  est  principalement  intense,  aussi  doit-on  toujours  éviter 
l'élévation  de  température,  même  très  faible,  d'une  solution  alcaline  dans  laquelle  il 
s'agit  de  rechercher  des  alcaloïdes.  Les  solutions  très  faiblement  acides  ont  une  action 
décomposante  beaucoup  moins  considérable,  mais  qui  n'est  cependant  pas  négligeable, 
surtout  lorsqu'on  laisse  intervenir  deux  autres  causes  de  décomposition,  impossibles  à 
éviter  entièrement,  la  concentration  des  solutions  et  la  durée  de  l'évaporation. 

Dans  tous  les  cas,  une  fois  que  le  résidu  de  distillation  ou  d'évaporation  a  atteint  la 
consistance  de  sirop  clair,  on  l'additionne  de  dix  fois  son  volume  d'alcool  à  93  centièmes 
et  on  laisse  le  mélange  en  contact  pendant  vingt-quatre  heures,  en  agitant  fréquemment. 
La  majeure  partie  des  sels  minéraux,  des  matières  albuminoïdes,  mucilagineuses,  etc.,  etc., 
se  trouve  ainsi  séparée  à  l'état  insoluble,  tandis  que  les  sels  acides  des  composés  alca- 
loïdiques  passent  dans  la  solution  alcoolique.  On  filtre  pour  séparer  le  résidu  insoluble; 
la  majeure  partie  de  l'alcool  est  récupérée  par  distillation  ménagée  au  bain-marie  et  le 
résidu  de  la  distillation  est  évaporé  à  siccité  sous  une  cloche,  dans  le  vide,  comme  il 
vient  d'être  dit  ci-dessus.  La  présence  d'une  proportion  assez  considérable  d'alcool  dans 
la  liqueur  empêche,  ou  tout  au  moins  atténue  dans  une  notable  proportion,  la  décoin- 
position  des  sels  d'alcaloïdes  sous  l'influence  de  l'élévation  de  température;  aussi  cette 
distillation  ne  doit-elle  pas  être  poussée  trop  loin,  de  peur  de  déterminer  l'altération  des 
composés  que  l'on  a  pour  but  d'isoler.  Il  est  préférable  d'avoir  un  léger  excès  d'alcool 
dans  la  liqueur  que  l'on  soumet  ensuite  à  l'évaporation  dans  le  vide.  Au  surplus,  l'acide 
citrique  n'exerce  pas,  à  beaucoup  près,  une  action  décomposante  aussi  énergique  que 
celle  des  acides  minéraux,  et  encore  cette  action  est-elle  entravée  par  la  présence  de 
l'alcool.  Ce  sont  toutes  ces  considérations  qui  m'ont  fait  préférer  l'emploi  de  l'acide 
citrique  à  celui  des  acides  organiques  plus  énergiques  que  lui  et  des   acides  minéraux. 

Le  l'ésidu  de  cette  dernière  évaporation  est  repris  par  un  mélange  de  deux  tiers 
d'eau  distillée  et  un  tiers  d'alcool  à  93  p.  100  :  on  filtre  sur  un  papier  préalablement 
mouillé  d'eau  distillée  pour  séparer  une  petite  quantité  de  matières  grasses  ou  cireuses 
entraînées  par  la  solution  alcoolique;  et  l'on  a  une  solution  contenant  à  l'état  de 
citrate,  en  présence  d'un  excès  d'acide,  le  ou  les  alcaloïdes  qu'il  s'agit  d'isoler.  II  ne 
reste  plus  qu'à  les  dégager  de  cette  combinaison  au  moyen  d'un  lait  de  magnésie  ou  de 
chaux,  d'un  bicarbonate  ou  d'un  carbonate  alcalin,  de  l'ammoniaque,  d'un  alcali  caus- 
tique; et  à  les  enlever  au  mélange  à  l'aide  d'un  dissolvant  approprié,  chloroforme; 
benzine,  ligroïne,  éther,  etc.  Le  choix  du  précipitant  est  commandé  par  l'altérabilité  de 
l'alcaloïde  que  l'on  cherche  à  isoler  :  le  lait  de  magnésie,  le  moins  énergique  de  ces 
réactifs  alcalins,  devra  être  employé  pour  les  alcaloïdes  facilement  altérables  ;  la  potasse 
ou  la  soude  caustique,  au  contraire,  pour  les  alcaloïdes  très  stables.  Pour  ce  qui  est  du 
véhicule  dissolvant,  c'est  la  solubilité  propre  de  l'alcaloïde  qui  devra  guider  dans  son 
choix. 

Lorsque  l'on  est  assuré  à  l'avance  d'avoir  affaire  à  un  alcaloïde  stable,  le  procédé 
d'extraction  peut  être  de  beaucoup  simplifié.  On  peut,  par  exemple,  utiliser  le  procédé 
de  Pelletier  et  Cavemtou  qui  consistait  à  épuiser  par  de  l'eau  acidulée  d'acide  chlorhy- 
drique  ou  sulfurique  la  substance  renfermant  l'alcaloïde,  à  filtrer  cette  solution,  à  y 
ajouter  un  lait  de  chaux  en  excès  et  à  agiter  le  mélange  avec  un  dissolvant  approprié. 

On  peut  mèine,  dans  certains  cas,  réduire  les  végétaux  en  poudre  fine,  mélanger 
cette  poudre  exactement  à  de  la  chaux  éteinte  et  épuiser  le  mélange  à  l'aide  d'un  dis- 
solvant convenable,  soit  dans  un  appareil  à  déplacement,  soit  dans  un  appareil  à 
lixiviation. 

Il  est  encore  possible,  mais  c'est  là  un  procédé  infidèle,  de  précipiter  par  le  tanin 


224  ALCALOÏDES. 

la  décoction  aqueuse,  ou  dans  i'eau  légèrement  acidulée,  des  parties  végétales  et  de 
décomposer  le  précipité  par  la  baryte  ou  l'hydrate  de  plomb  en  présence  de  l'alcool. 

Enfin,  pour  les  alcaloïdes  volatils  stables,  la  simple  distillation  de  la  substance  ren- 
fermant l'alcaloïde  avec  une  dissolution  de  potasse  ou  de  soude  caustiijues,  permet 
d'entraîner  avec  les  vapeurs  d'eau  la  base  volatile  qui  se  condense  et  vient  surnager  le 
liquide  ;  on  l'en  sépare  par  décantation  et  rectification  sur  de  la  potasse  solide,  en 
opérant,  au  besoin,  cette  seconde  distillation  dans  un  courant  de  gaz  inerte,  ou,  ce  qui 
vaut  encore  mieux,  d'bydrogène. 

Propriétés  générales.  —  Les  alcaloïdes  sont  des  composés  azotés,  à  fonction  plus 
ou  moins  nettement  basique  (les  alcaloïdes  végétaux  sont  presque  toujours  des  bases 
énergiques),  susceptibles,  pour  la  plupart,  de  cristalliser  par  simple  évaporation  de 
dissolvants  appropi'iés.  Ils  forment  des  sels  par  simple  addition  de  leurs  éléments  à 
ceux  des  acides,  comme  l'ammoniaque.  Quelques-uns  sont  susceptibles  de  donner  des 
sels  neutres  et  des  sels  acides;  la  plupart  ne  donnent  qu'un  seul  sel.  Les  uns  sont  fixes, 
les  autres  volatils. 

Les  alcaloïdes  volatils  sont  généralement  liquides  et  composés  seulement  de  carbone, 
hydrogène  et  azote,  comme  les  ammoniaques  composées,  la  conicine,  la  nicotine,  la 
spartéine,  les  bases  pyridiques  et  quinoléiques  :  cependant  les  pelleliérines,  extraites  de 
l'écorce  de  grenadier,  sont  volatiles,  quoique  oxygénées;  la  théobromine,  la  caféine  et 
quelques  autres  alcaloïdes  sont  sublimables  sans  décomposition;  la  cinchonine,  la 
quinine,  la  strychnine,  la  thébaïne,  etc.,  ne  sont  que  très  partiellement  sublimables,  la 
majeure  partie  de  l'alcaloïde  se  décomposant  sous  l'infiuence  de  l'élévation  de  la  tem- 
pérature. 

Les  alcaloïdes  fixes  sont  presque  tous  solides,  sauf  la  pilocarpine,  dont  la  consistance 
est  butyreuse  :  ils  sont,  pour  la  plupart,  oxygénés,  et  comprennent  la  grande  majorité 
des  alcaloïdes  végétaux  naturels. 

La  solubilité  des  alcaloïdes  est  très  variable.  Les  alcaloïdes  volatils  sont,  généra- 
lement, solubles  à  peu  près  dans  tous  les  dissolvants,  sauf  ceux  de  la  série  quinoléique 
qui  sont  surtout  solubles  dans  l'alcool.  Quant  aux  alcaloïdes  de  la  série  pyridique,  ils 
deviennent  de  moins  en  moins  solubles  dans  l'eau,  à  mesure  que  le  nombre  des 
branches  forméniques  substituées  à  l'hydrogène  va  en  augmentant.  Les  alcaloïdes  fixes 
sont,  généralement,  insolubles  ou  peu  solubles  dans  l'eau,  assez  solubles  dans  l'alcool, 
qui  est,  pour  la  plupart,  le  meilleur  dissolvant. 

Mais,  si  les  alcaloïdes  végétaux  sont  à  peu  près  insolubles  dans  l'eau,  il  n'en  est  pas 
de  même  des  alcaloïdes  artificiels  et  de  quelques  alcaloïdes  d'origine  animale  qui  sont, 
au  conti'aire,  fort  solubles  dans  ce  dissolvant  :  il  en  existe  même  qui  sont  déliquescents. 
Le  chloroforme,  la  benzine,  l'alcool  amylique,  les  pétroles  (pétrole  léger  ou  ligroïne, 
pétrole  lourd,  schiste),  les  éthers,  sont  des  dissolvants  plus  ou  moins  efficaces  pour 
chacun  des  alcaloïdes  en  particulier.  Les  sels  d'alcaloïdes  sont  fort  solubles,  en  pré- 
sence d'un  léger  excès  d'acide,  dans  l'eau  et  dans  l'alcool.  Placés  sur  la  langue,  les 
alcaloïdes  provoquent  presque  tous  une  saveur  amère  très  prononcée  qui  se  manifeste 
encore  avec  leurs  sels. 

Presque  tous  les  alcaloïdes  naturels  exercent  sur  le  plan  de  la  lumière  polarisée  une 
action  qui  se  traduit  par  une  déviation  à  gauche;  la  cinchonine  et  la  quinidine  sont  à 
peu  près  les  seuls  déviant  à  droite.  On  connaît  quelques  bases  pyridiques,  telles  que 
la  conicine,  qui  se  présentent  sous  deux  modifications  isomériques  déviant  l'une  à 
droite,  l'autre  à  gauche,  et  dont  le  mélange,  en  proportion  convenable,  constitue  une 
troisième  variété,  racémique,  inactive.  En  outre,  certains  alcaloïdes,  tels  que  la  nicotine 
et  la  narcotine,  dévient  à  gauche,  tandis  que  leurs  sels  exercent  la  déviation  à  droite. 
Le  pouvoir  rotatoire  moléculaire  n'est  pas  constant  et  varie  avec  la  dilution. 

La  lumière  altère  les  alcaloïdes  et  provoque  leur  oxydation  à  l'air.  Lorsqu'on  les 
soumet  à  l'action  de  la  chaleur,  ils  entrent  généralement  en  fusion,  à  la  manière  des 
résines,  se  volatilisent  partiellement  (pour  quelques-uns  d'entre  eux) ;'puis  finissent,  si 
l'élévation  de  la  température  est  continue,  par  donner  des  composés  ammoniacaux,  des 
ammoniaques  composées,  des  bases  des  séries  pyridique  et  quinoléique.  Sous  l'influence 
d'une  température  de  120°  à  130°  suffisamment  prolongée,  quelques  alcaloïdes  subissent 
une  simple  transformation  isomérique. 


alcaloïdes.  225 

En  présence  des  alcalis,  el  notamment  par  la  distillation  sèche  avec  la  chaux  sodée 
ou  potassée,  la  plupart  des  alcaloïdes  donnent  surtout  un  mélange  de  bases  pyridiques 
et  quinoléiques.  Ceux  qui  ne  fournissent  pas  ces  derniers  produits  donnent  des  ammo- 
niaques composées  et  de  l'ammoniaque. 

Parmi  les  acides,  les  hydracides,  tels  que  l'acide  chlorhydrique,  exercent  sur  certains 
alcaloïdes  une  action  remarquable  :  tantôt,  une  molécule  d'eau  se  sépare  de  la  molécule 
de  l'alcaloïde  (la  morphine  se  transforme  ainsi  en  apomorphine),  tantôt  un  groupe 
méthyle  est  remplacé  par  un  atome  d'hydrogène  (comme  cela  a  lieu  pour  la  quinine  et 
la  codéine);  tantôt  l'alcaloïde  est  dédoublé  par  hydratation  (l'atropine  fixe  les  éléments 
d'une  molécule  d'eau  et  se  transforme  en  tropine  et  acide  tropique;  de  même,  la  cocaïne 
fixe  les  éléments  de  deux  molécules  d'eau  et  se  transforme  en  ecgonine,  alcool  méthy- 
lique  et  acide  benzoïque). 

L'acide  iodhydrique  agit  comme  réducteur  sur  un  grand  nombre  d'alcaloïdes  et 
donne  des  hydrures  du  noyau  constituant  de  l'alcaloïde  :  cette  réaction  est  surtout 
intense  lorsqu'on  fait  réagir  sur  l'alcaloïde  l'acide  iodhydrique  en  présence  du  phos- 
phore rouge.  Dans  d'autres  cas,  cette  même  réaction  donne  lieu  à  la  formation  de  pro- 
duits de  condensation,  comme  cela  se  produit  avec  la  morphine. 

Le  chlore  et  le  brome  donnent  généralement  naissance  à  des  produits  de  substitution. 
L'iode,  au  contraire,  donne  lieu,  plus  généralement,  à  la  formation  de  produits  d'ad- 
dition, ou  même,  à  la  fois,  de  produits  d'addition  et  de  substitution,  que  l'on  connaît 
sous  la  dénomination  à'iodobases  et  qui  sont,  pour  la  plupart,  remarquables  par  leur 
forme  cristalline,  leur  aspect  et  leur  action  sur  la  lumière  polarisée. 

Sous  l'influence  des  iodures  alcooliques,  les  alcaloïdes  donnent,  dans  presque  tous 
les  cas,  naissance  à  des  composés  cristallisés  que  l'oxyde  d'argent,  en  présence  de  l'eau, 
transforme  en  hydrates  d'ammonium  quaternaires  :  les  alcaloïdes  à  deux  atomes  d'azote 
fixent  d'emblée,  dans  cette  réaction,  deux  molécules  d'iodure  alcoolique,  et  l'on  obtient 
l'iodhydrate  d'un  diammonium.  La  plupart  des  alcaloïdes  végétaux  naturels  sont  cons- 
titués par  des  bases  tertiaires,  c'est-à-dire  ne  renfermant  plus  d'hydrogène  remplaçable 
par  un  radical  monovalent. 

L'acide  azoteux,  en  agissant  sur  les  alcaloïdes,  donne  naissance  à  la  formation  de 
dérivés  oxydés  ou  nitrosés. 

L'action  des  agents  oxydants  est  tout  particulièrement  intéressante  :  c'est  elle,  en 
effet,  qui  a  permis  de  réaliser  les  premiers  essais  dans  la  voie  de  la  synthèse  des  alca- 
loïdes végétaux  en  démontrant  que  tous  avaient,  comme  noyau  d'origine,  des  bases 
pyridiques  ou  quinoléiques.  L'acide  nitrique  dilué,  l'acide  chromique,  et  surtout  le 
permanganate  de  potassium,  lorsque  leur  action  est  poussée  à  un  point  suffisant,  don- 
nent naissance  à  des  acides  pyridiques  mono  ou  polycarboniques  que  la  distillation 
sèche,  en  présence  des  alcalis,  transforme  en  bases  pyridiques  en  leur  enlevant  les 
éléments  d'une  ou  plusieurs  molécules  d'acide  carbonique.  On  observe,  en  même  temps, 
la  formation  de  produits  plus  simples,  dérivant  des  radicaux  qui  étaient  substitués, 
dans  l'alcaloïde  primitif,  à  un  ou  plusieurs  atomes  d'hydrogène  de  la  base  pyridique.  Ce 
sont  seulement  ces  derniers  produits  d'oxydation  que  Ton  obtient  lorsqu'il  s'agit  d'alca- 
loïdes à  noyau  ammoniacal  (ammoniaques  composées,  aminés,  amides,  etc.).  C'est  grâce 
à  l'étude  des  produits  d'oxydation  des  alcaloïdes  végétaux  naturels  que  l'on  a  pu  se 
faire  une  idée  de  leur  constitution  et  arriver  à  réaliser  la  synthèse  de  quelques-uns 
d'entre  eux,  comme  la  conicine  et  l'atropine. 

Réactifs  généraux  des  alcaloïdes.  —  Il  existe  un  certain  nombre  de  réactifs 
donnant,  avec  les  alcaloïdes,  des  précipités  ou  des  colorations  qui  permettent  de  les 
reconnaître,  sinon  avec  une  entière  certitude,  du  moins  de  façon  à  ce  que  la  recherche 
se  trouve  considérablement  limitée.  Quel  que  soit  le  point  de  vue  auquel  on  se  place, 
étude  chimique  d'un  composé  alcaloïdique,  recherche  toxicologique,  etc.,  il  faudra  tou- 
jours contrôler  les  indications  fournies  par  les  réactifs  généraux  des  alcaloïdes,  soit  au 
moyen  de  l'analyse  médiate  qui  permettra  de  fixer  la  formule  du  composé,  s'il  s'agit 
d'une  étude  au  point  de  vue  chimique;  soit  par  l'expérimentation  physiologique,  s'il 
s'agit  d'une  recherche  de  toxicologie. 

Un  certain  nombre  de  réactifs  possèdent  la  propriété  de  précipiter  les  solutions  des 
sels  d'alcaloïdes  :  ces  précipités  peuvent  être  déjà  par  eux-mêmes  un  indice  permettant 

DICT.    DE   PHYSIOLOGIE.    —    TOME   I.  13 


226  alcaloïdes. 

de  soupçonner  la  nature  de  l'alcaloïde,  mais  cette  indication  est,  en  général,  bien  vague. 
Voici  les  principaux  et  plus  utiles  de  ces  réactifs. 

A.  Réactifs  par  'précipitation.  —  L  Réactif  de  Mayer.  (lodure  double  de  potassium  et 
de  mercure).  —  Ce  réactif  se  prépare  en  dissolvant  dans  de  l'eau  distillée  tiède  ■1.3e'', 346 
de  sublimé;  on  ajoute  à  cette  liqueur  une  dissolution  de  50  grammes  d'iodiire  de  potas- 
sium et  on  amène  le  mélange  au  volume  -de  1  litre  par  une  addition  suffisante  d'eau 
distillée. 

Sous  l'influence  de  ce  réactif,  les  sels  neutres  (ou  très  faiblement  acides)  des  alca- 
loïdes donnent  des  précipités  blancs  ou  jaunâtres,  amorpbes  ou  cristallins  :  un  certain 
nombre  de  précipités,  d'abord  amorphes,  prennent  une  structure  cristalline  après  vingt- 
quatre  heures  de  repos.  La  plupart  des  précipités  amorphes,  dissous  dans  l'alcool  bouil- 
lant, deviennent  cristallins  après  refroidissement  et  évaporation  de  l'alcool. 

D'après  Dragendorff,  les  précipités  amorphes  produits  dans  la  solution  aqueuse  de 
l'alcaloïde,  ne  deviennent  jamais  cristallins  avec  les  alcaloïdes  suivants  :  narcotine,  thé- 
baïne,  narcéine,  éméline,  aconitine,  delphine,  berbérine.  Les  solutions  très  étendues  de 
caféine,  théobromine,  solanine,  digitaline,  colchicine,  ne  sont  pas  précipitées.  Avec  la 
conicine  et  la  nicotine,  le  pre'cipité  blanc,  amorphe,  qui  se  produit  d'abord,  se  réunit 
bientôt  sous  forme  d'une  masse  poisseuse  adhérente  aux  parois  du  vase,  et,  au  bout  de 
vingt-quatre  heures,  cette  masse  s'est  transformée  en  cristaux  visibles  à  Vœ[\  nu  et 
ayant  parfois  jusqu'à  1  centimètre  de  longueur. 

M.A.YER  a  proposé  de  doser  les  alcaloïdes  à  l'aide  de  leur  précipitation  par  ce  réactif. 
Pour  cela,  les  solutions  doivent  être  diluées  au  moins  au  deux  centièmes,  et  il  faut 
opérer  comparativement  avec  une  solution,  de  titre  connu,  de  l'alcaloïde  dont  il  s'agit 
d'évaluer  la  proportion. 

H.  fléactï/' de  SoNNENSCHEiN.  (Phosphomolj'bdate  de  sodium).  —  Ce  réactif  se  prépare 
de  la  manière  suivante  :  on  précipite  une  solution  de  molybdate  d'ammoniaque  dans 
l'acide  azotique  étendu  par  une  solution  également  azotique  de  phosphate  de  soude; 
après  vingt-quatre  heures  de  repos,  on  décante  le  liquide  surnageant  le  précipité,  on 
lave  ce  dernier  à  l'eau  distillée,  puis  on  le  dissout  dans  une  solution  récemment  pré- 
parée de  soude  caustique  pure;  on  évapore  dans  une  capsule  de  porcelaine  et  on  chauffe 
le  résidu  jusqu'à  disparition  de  toute  odeur  ammoniacale;  on  redissout  dans  l'eau  après 
refroidissement  et  l'on  verse  goutte  à  goutte  dans  la  solution  de  l'acide  azotique  jusqu'à 
ce  que  le  précipité  formé  au  début  se  soit  redissous.  Il  est  important  de  noter  que  ce 
réactif  donne,  avec  les  sels  et  les  dérivés  ammoniacaux  (ammoniaques  composées)  des 
précipités  ressemblant  beaucoup  à  ceux  qu'il  détermine  dans  les  dissolutions  des  alca- 
loïdes végétaux. 

Le  phosphomolybdate  donne  des  précipités  amorphes  et  dont  la  couleur  varie  du 
jaune  clair  au  jaune  brun,  dans  les  dissolutions  légèrement  acides  des  alcaloïdes  sui- 
vants :  morphine,  narcotine,  quinine,  cinchonine,  codéine,  strychnine,  brucine-,  véra- 
trine,  jervine,  aconitine,  émétine,  caféine,  théobromine,  solanine,  atropine,  colchicine. 
delphine,  berbérine,  hyoscyami[ie,  conicine,  nicotine,  pipérine,  di^'italine,  elléborine. 
Un  grand  nombre  de  ces  précipités  se  colore  en  vert  ou  en  bleu  quand  on  les  laisse  en 
suspension  dans  le  liquide,  par  suite  de  la  réduction  de  l'acide  molybdique  et  de  l'oxy- 
dation de  l'alcaloïde.  L'ammoniaque  dissout  quelques-uns  de  ces  précipités;  la  couleur 
de  la  solnlion  est  bleue  avec  la  berbérine,  la  conicine,  l'aconitine,  verte  avec  la  brucine 
et  la  codéine;  les  solutions  se  décolorent  sous  l'influence  de  la  chaleur,  sauf  celle  de  la 
brupine  qui  passe  au  brun  et  celle  de  la  codéine  qui  passe  à  l'orangé.  Lorsqu'on  humecte 
avec  de  la  potasse  le  précipité  produit  par  la  quinoïdine,  il  prend  une  couleur  bleu  de 
prusse.  Les  précipités  sont  décomposés  par  les  alcalis  et  leurs  carbonates,  l'alcaloïde 
est  mis  en  liberté  :  ces  précipités  sont  insolubles,  à  froid,  dans  les  acides  minéraux 
étendus,  sauf  l'acide  phosphorique. 

m.  Réactif  de  Bouchahdat  (lodure  de  potassium  ioduré).  —  Eau  distillée  100  grammes, 
iodure  de  potassium  10  grammes,  iode  3  grammes.  Précipités  de  couleur  kermès  avec 
les  solutions  neutres  ou  très  légèrement  acides  de  strychnine,  de  quinidine,  de  brucine, 
de  cinchonine,  de  berbérine,  d'aconitine,  de  vératrine,  de  morphine,  de  narcotine,  de 
codéine,  de  papavérine,  de  thébaïne,  de  conicine,  de  colchicine,  de  delphine.  Précipités 
rouge  brun  avec  la  quinine,  l'atropine  et  la  nicotine  :  cette  dernière  base,  lorsqu'elle  est 


alcaloïdes.  227 

très  pure,  donne  d'abord  un  précipité  jaune  qui  prend  une  couleur  kermès  sous  l'in- 
fluence d'un  excès  de  réactif. 

IV.  —  Les  chlorures  d'or  et  de  platine  donnent  des  chlorures  doubles,  combinaisons 
définies  susceptibles  de  cristalliser  avec  la  plupart  des  alcaloïdes. 

Les  caractères  et  les  propriétés  chimiques  des  chloroplatinates  sont  des  plus  impor- 
tants au  point  de  vue  de  la  détermination  de  l'espèce  des  alcaloïdes  et  de  leur  composi- 
tion moléculaire.  Il  en  est  de  même  avec  les  chlorures  de  mercure  et  de  zinc;  mais  ces 
deux  derniers  sels,  et  surtout  le  chlorure  mercurique,  sont  plus  particulièrement  utiles 
en  raison  des  sels  doubles  qu'ils  forment  avec  les  alcaloïdes  d'origine  animale,  combi- 
naisons ordinairement  peu  solubles  dans  l'eau  froide,  mais  solubles  dans  l'eau  bouillante 
et  cristallisant  par  refroidissement.  La  séparation  du  métal,  à  l'aide  d'un  courant  d'hy- 
drogène sulfuré,  dans  ces  divers  sels  doubles,  s'effectue,  en  générai,  sans  altérer  l'alca- 
loïde qui  reste  à  l'état  de  chlorhydrate  et  que  l'on  peut  obtenir  très  pur  en  e'vaporant 
dans  le  vide,  à  la  température  ambiante,  la  solution  aqueuse  du  sel  double  (chauffée  au 
besoin)  sur  laquelle  on  a  fait  agir  l'hydrogène  sulfuré.  Les  ammoniaques  composées  ne 
précipitent  pas  avec  les  réactifs  précédents,  sauf  le  réactif  de  Sonnenschein,  mais  donnent 
des  sels  doubles  cristallisés  avec  les  chlorures  d'or,  de  platine,  de  mercure  et  de  zinc. 

Les  iodure  et  bromure  mercuriques  sont  également  susceptibles  de  donner  des  sels 
doubles  cristallisés,  dont  l'obtention  est  quelquefois  plus  facile  que  celle  des  chlorures 
doubles,  et  qui  paraissent  également  plus  stables  que  ces  derniers. 

V.  —  L'acide  picrique,  en  solution  aqueuse  saturée,  donne,  avec  la  plupart  des  alca- 
loïdes, des  précipités  qui  se  présentent,  lorsqu'on  les  produit  dans  certaines  conditions 
assez  délicates  à  réaliser,  sous  une  forme  cristalline  assez  caractéristique  pour  certains 
de  ces  alcaloïdes.  La  solution  du  sel  d'alcaloïde  doit  être  diluée  au  moins  à  1  pour  100  et 
additionnée  de  solution  picrique  en  léger  excès  parce  que  quelques  picrates  d'alcaloïdes 
sont  plus  solubles  dans  la  solution  saline  d'alcaloïde  que  dans  l'eau  ou  la  solution  d'acide 
picrique.  Les  précipités,  au  début,  sont  toujours  amorphes,  quelques-uns  commencent  à 
cristalliser  presque  aussitôt  et  à  la  température  ambiante,  d'autres  cristallisent  seulement 
par  évaporation  ou  lorsqu'on  sursature  la  solution  par  chauffage.  A  la  température  de 
100°  les  précipités  se  dissolvent  plus  ou  moins  complètement  suivant  la  concentration  de 
la  liqueur  et,  par  refroidissement  ou  évaporation,  on  obtient  à  l'état  cristallin  ceux  qui 
en  sont  susceptibles.  L'acide  picrique  permet  de  subdiviser  quelques  alcaloïdes  en 
groupes  :  ceux  qui  ne  précipitent  pas,  ou  difficilement,  dans  une  solution  à  1  ou  2  p.  100 
(muscarine,  conicine,  colchicine,  lycoctonine,  strophantine,  méconine,  cubébine,  caféine)  • 
ceux  qui  précipitent  et  ne  cristallisent  pas  (narcotine,  narcéine,  delphine  quinine,  aco- 
nitine,  apomorphine,  émétine.aspidospermine,  curarine,  gelsémine,  quinidine)  ;  ceux  qui 
précipitent  et  cristallisent  (strychnine,  brueine,  cinchonine,  thébaïne,  cocaïne,  nicotine 
atropine,  atropidine,  papavérine,  codéine,  morphine,  pilocarpine,  spartéine,  ptomaïnes). 
Dans  ce  dernier  groupe,  l'aspect  et  le  mode  d'assemblage  des  cristaux  sont  parfois  assez 
typiques  pour  faire  soupçonner  avec  beaucoup  de  vraisemblance  la  nature  de  l'alcaloïde 
cherché. 

Un  grand  nombre  d'autres  réactifs  ont  été  proposés  pour  précipiter  les  solutions 
plus  ou  moins  étendues  des  sels  d'alcaloïdes  ;  mais  ils  répondent  plutôt,  sauf  le  tanin 
à  des  réactions  spéciales  à  tel  ou  tel  alcaloïde  et  ne  présentent  pas  un  caractère  suffi- 
sant de  généralité,  aussi  ne  ferai-je  que  les  citer  ici.  Ce  sont  :  le  tanin,  le  phospho- 
tungslale  de  soude  (réactif  de  Scheibler),  l'acide  phospho-anlimonique  (réactif  de 
Schulze),  l'iodure  double  de  bismuth  et  de  potassium  (réactif  de  Dragendohi'f)  l'iodure 
double  de  cadmium  et  de  potassium  (réactif  de  Marmé),  l'argento-cyanure  de  potassium, 
le  platino-cyanure  de  potassium,  le  bichromate  de  potassium,  etc. 

B.  Réactifs  par  coloration.  —  Les  réactions  par  coloration  sont  très  délicates  à  effectuer 
et  demandent,  pour  être  faites  avec  succès,  une  grande  habitude  de  ce  "enre  de  travail 
Il  faut  être  familiarisé  à  l'avance  au  moins  avec  les  réactions  des  principaux  alcaloïdes 
et  opérer  toujours  comparativement  et  dans  les  mêmes  conditions.  On  laisse  tomber  une 
à  deux  gouttes  d'un  réactif  sur  un  verre  de  montre  placé  sur  une  feuille  de  papier  blanc 
et  contenant  le  résidu  de  l'évaporation  du  dissolvant  de  l'alcaloïde  (benzine,  chloro- 
forme, etc.).  La  solution  doit  renfermer  l'alcaloïde  dans  un  état  de  pureté  aussi  parfait 
que  possible  pour  éviter  des  colorations  dues  à  la  présence  des  matières  étrangères.  Ces 


228  alcaloïdes. 

essais  doivent  être  faits  à  la  lumière  du  jour  :  il  est  important  d'observer  les  colorations 
à  plusieurs  reprises  et  à  des  intervalles  de  temps  assez  considérables. 

I.  Acide  sulfurique  imr  à  66°.  —  L'acide  employé  ne  doit  pas  renfermer  de  trace 
d'acide  nitrique. 

Curarinc.  —  Couleur  rouge  très  belle,  passant  au  rouge  violet,  puis  pâlissant  après 
cinq  à  six  heures. 

Émétine.  —  Coloration  brun  verdâtre,  se  produisant  très  lentement. 

Pipérine.  —  Couleur  jaune  clair,  passant  au  brun  foncé  et  devenant  vert  brunâtre 
après  vingt-quatre  heures. 

Cuhéhine.- —  L'alcaloïde  prend  une  teinte  ardoisée;  l'acide  prend  une  coloration  rouge 
carmin  persistant  pendant  vingt-quatre  heures. 

Berbérine.  —  Couleur  vert  olive  sale,  s'éclaircissant  après  quinze  ou  vingt  heures. 

Aconitinc.  —  Couleur  jaune  brunâtre  clair,  passant  au  brun  rouge  violacé,  au  violet, 
puis  au  brun  chevreuil,  après  vingt-quatre  heures. 

Vératrlne.  —  Coloration  jaune  passant  rapidement  à  l'orangé,  puis  au  rouge  sang,  et, 
au  bout  d'une  demi-heure,  au  rouge  carmin  le  plus  vif  et  persistant  longtemps. 

Narcotine.  —  Coloration  jaune  clair  après  quelques  instants;  rouge  à  chaud,  et  passant 
au  violet  à  une  température  d'environ  200°. 

Codéine.  —  Coloration  bleue  se  développant  très  lentement  (souvent  au  bout  de  plu- 
sieurs jours). 

Papavérine.  —  Coloration  bleue  ou  bleu  violacé  avec  l'alcaloïde  du  commerce  et  im- 
pur :  la  papavérine  complètement  purifiée  ne  se  colore  pas. 

Thébaîne.  —  Coloration  rouge  sang  passant  à  l'orangé. 

Narcéine.  —  Coloration  grisâtre  passant  au  rouge  sanguin. 

Colchicine.  —  Coloration  jaune  bouton  d'or,  persistant  longtemps. 

Delphine.  —  Coloration  brun  rouge  clair,  persistant  longtemps. 

Un  grand  nombre  de  glucosides  sont  également  colorés  par  l'acide  sulfurique  :  la 
salicine,  la  populine,  la.  phloridz,ine  se  colorent  en  rouge;  la  séncgine,  la  smilacine,  l'hes- 
périne,  la  limonine,  en  jaune  rougeâtre  ;  Id,.  syringine  ei  la  Ugustrine,  en  violet. 

Solanine.  —  Coloration  rouge  clair,  passant  au  brun  clair  après  vingt  heures. 

Digitaline.  —  Coloration  brun  foncé,  puis  rouge  brunâtre,  fonçant  après  quelques 
heures  et  devenant  rouge  cerise  après  quinze  heures. 

La  crocine,  matière  colorante  du  safran,  passe  au  bleu  indigo  foncé  sous  l'influence 
de  l'acide  sulfurique,  l'élatérine,  le  colocynthine,  la  convolvuline,  la  jalapine  prennent 
des  colorations  variant  du  jaune  au  rouge  brun. 

La  strychnine,  la  quinine,  la  quinidine,  la  brucine,  la  einchouine,  la  caféine,  la  théo- 
bromine,  l'atropine,  la  morphine,  la  nicotine,  la  conicine,  restent  tout  à  fait  incolores. 

IL  Pi.éactif  d'ERDjiANN  (Acide  sulfurique  à  66  degrés,  100  grammes,  additionnés  de  10 
gouttes  d'une  solution  aqueuse  à  1/2  p.  100  d'acide  azotique  à  l,2o  de  densité). .—  Les 
colorations  sont  les  mêmes  que  celles  de  l'acide  sulfurique  pur  avec  un  grand  nombre 
d'alcaloïdes;  seulement  les  successions  de  coloration  sont,  en  général,  plus  rapides  et 
plus  prononcées  :  la  codéine,  par  exemple,  prend  beaucoup  plus  rapidement  la  colora- 
tion bleue. 

Brucine.  —  Coloration  rouge  devenant  rapidement  très  foncée. 

Émétine.  —  Coloration  vert  brunâtre,  passant  au  vert,  puis  à  l'orangé. 

Chélidoninc.  —  Coloration  verte. 

Colchicine.  —  Coloration  bleu  violacé,  passagère. 

111.  Réactif  de  Frôhde  (Acide  sulfurique  concentré  pur  100  centimètres  cubes,  molyb- 
date  de  sodium  10  centigrammes).  —  Ce  réactif  donne  des  colorations  remarquables 
avec  certains  alcaloïdes. 

Brucine.  —  Coloration  rouge,  passant  rapidement  au  jaune,  puis  décoloration  après 
vingt-quatre  heures. 

Quinine.  —  L'alcaloïde  se  colore  en  vert,  puis  se  décolore  :  la  solution  devient  verte  au 
bout  d'une  heure,  et  cette  teinte  persiste  pendant  vingt-quatre  heures  (même  réaction 
pour  la  quinidine). 

Pipérine.  —  Coloration  jaune,  puis  brune,  puis  noire  ;  après  vingt-quatre  heures, 
solution  brune  renfermant  un  dépôt  floconneux. 


ALCALOiDES.  229 

Émélinc.  —  Coloration  rouge  passant  rapidement  au  vert. 

Bcrbéi'ine.—  Solution  vert  brunâtre,  passant  au  brun  après  un  quart  d'heure,  et  lais- 
sant déposer  après  vingt-quatre  heures  un  dépôt  lloconneux. 

Aconitine.  —  Solution  jaune  brunâtre  qui  se  décolore. 

Vératrine.  —  Coloration  jaune  gomme-gutte,  passant  au  rouge-cerise  et  persistant 
pendant  vingt-quatre  heures. 

Morphine.  — Coloration  violette  magnifique  :  la  solution  devient  verte,  puis  vert  bru- 
nâtre, puis  jaune  et  redevient  bleu  violet  après  vingt-quatre  heures. 

Narcotinc.  —  Coloration  verte  passant  rapidement  au  vert  brunâtre,  puis  au  jaune, 
enfin  au  rouge. 

Codéine.  —  Solution  d'un  vert  sale,  devenant  ensuite  bleu  royal;  après  vingt-quatn; 
heures  la  teinte  est  devenue  jaune. 

Papavérine.  —  Solution  verte,  passant  au  violet,  puis  au  rouge  cerise. 

Thébaine.  —  Solution  orangée  se  décolorant  après  vingt-quatre  heures. 

Narcéine.  —  Coloration  brune  passant  successivement  au  vert,  au  rouge,  puis  au  bleu. 

Nicotine.  —  Coloration  jaune,  passant  à  la  longue  au  rouge. 

Conicine.  —  Coloration  jaune  clair. 

Colchîcine.  —  Coloration  vert  aunâtre,  passant  au  rouge  violet  sale,  puis  redevenant 
jaune. 

Certains  glucosides  sont  également  coiores  par  le  réactif  de  Frohde. 

Solaninc.  —  Coloration  franche  rouge  cerise,  passant  au  brun  rougeâtre,  puis  au  jaune, 
et  laissant  déposer,  après  vingt-quatre  heures,  des  tlocons  noirs  nageant  dans  un  liquide  vert. 

Digitaline.  —  Coloration  orangée  foncée,  passant  rapidement  au  rouge  cerise,  puis  au 
brun  foncé  après  une  demi-heure;  après  vingt-quatre  heures  solution  jaunâtre  dans 
laquelle  nagent  des  flocons  noirs. 

Sallcinc.  —  Coloration  violette,  passant  au  rouge  cerise  longtemps  persistant. 

Colocynthine.  —  Coloration  rouge  cerise,  très  vive  après  quelque  temps  et  passant 
peu  à  peu  au  brun  roux. 

Phloridzine.  —  Coloration  bleu  royal  très  fugace 

Ononine.  —  Rouge  franc;  élatérine,  jaune,  popuUnc,  violet,  syringinc,  rouge  de  sang 
passant  au  violet. 

La  strychnine,  la  cinchonine,  la  caféine,  la  théobromine,  l'atropiue,  ne  sont  pas 
colorées. 

VI.  Acide  azotique  pur  de  densité  1,4.  —  Il  est  important  que  l'acide  azotique  ait  exacte- 
ment a  densité  1,4  (41". 5  Baume)  et  qu'il  soit  exempt  de  vapeurs  nitreuses,  sans  quoi  les 
colorations  obtenues  peuvent  être  très  différentes. 

Brucinc.  —  L'alcaloïde  se  colore  en  rouge,  se  dissout,  et  la  solution  prend  une  teinte 
orangée. 

Strychnine.  —  Solution  jaune  clair,  fonçant  peu  à  peu  (d'abord  rouge,  lorsqu'elle  ren- 
ferme des  traces  de  brucine). 

Curarine.  —  Coloration  pourpre 

Émétine.  —  Coloration  orangée,  passant  au  jaune  clair. 

Pipérinc.  —  L'alcaloïde  prend  une  coloration  orangée  ;  il  se  dissout  lentement  et  donne 
une  solution  jaune  verdàtre. 

Cuhébme.  —  Solution  jaune  :  berhérine,  solution  orunetrès  îoncee 

Atropine.  —  Coloration  brune  de  l'alcaloïde;  liquide  ihcolore 

Aconitine,  Vcratrlnu'.  —  Solution  jaune  très  peu  colorée,  ne  se  modifiant  pas. 

Morphine.  —  Solution  rouge-orangée,  s'éclaircissant  et  passant  au  jaune  clair. 

Codéine,  thébaine  et  narcéine.  —  Solution  jaune.  —  Narcotlne,  solution  jaune  se  déco- 
lorant peu  à  peu.  —  Papavérine,  solution  jaune  passant  peu  à  peu  à  l'orangé  foncé. 

Nicotine.  —  Solution  faiblement  jaunâtre  lorsque  l'alcaloïde  est  en  très  petite  proportion. 
En  quantité  plus  considérable,  coloration  violette,  passant  au  rouge  sang,  puis  décolora- 
tion assez  rapide. 

Conicine.  —  Solution  incolore  (jaune,  s'il  y  a  une  assez  forte  proportion  d'alcaloïdes, 
avec  l'acide  azotique  fumant,  coloration  violet  bleuâtre,  passant  à  l'orangé. 

Colchiclne.  — •  Magnifique  coloration  violet  bleu,  passant  rapidement  au  violet  rouge, 
au  rouge  brun,  puis  au  jaune. 


230  ALCALOÏDES. 

Solanlne.  —  Solution  incolore,  prenant  peu  à  peu  une  teinte  d'un  beau  bleu. 
La  quinine,  la  quinidine,  la  cinclionine,  la  caféine,  la  théobromine,  la  digitaline,  la 
delphine  ne  donnent  pas  de  coloration. 

V.  Réactif  de  Mandelis  (Solution  de  vanadate  d'ammonium  dans  l'acide  sulfurique). — 
Un  élève  de  Dragendorff,  M.  Mandelin  a  proposé  ce  réactif  qui  donne  des  réactions 
colorées  comparables  à  celles  du  réactif  de  Frohde.  Ses  réactions  sont  surtout  caracté- 
ristiques avec  les  alcaloïdes  suivants  :  aspidospermine,  berbérine,  gelsémine,  narcotine, 
solanine,  strychnine. 

Cette  réaction  est  très  délicate,  et  varie  avec  la  concentration  du  réactif  et  le  degré 
d'hydratation  de  l'acide. 

La  solution  préparée  avec  vanadate  d'ammonium,  2  grammes,  et  acide  sulfurique  à 
66°  100  grammes,  donne  les  colorations  suivantes  : 

Aœniline.  —  Coloration  brun  clair. 

Brucinc.  —  Coloration  rouge  jaunâtre,  puis  orangée,  puis  décoloration. 

Codéine.  —  Coloration  vert  bleuâtre  avec  ime  quantité  assez  considérable  d'alcaloïde. 

Colchicine.  —  Coloration  bleu  verdâtre,  puis  verte,  puis  brun  violacé. 

Morphine.  —  Coloration  rouge  violacé. 

Narcéine.  —  Coloration  brune,  passant  au  violet,  puis  à  l'orangé. 

Narcotine.  —  Coloration  cinabre,  passant  au  rouge  brun,  puis  au  rouge  carmin. 

Solanine.  — ■  Coloration  orangé  jaune,  passant  au  brun,  puis  au  rouge  cerise,  enfin  au 
violet  après  quelques  heures. 

Strychnine-  —  Coloration  violet  bleu,  passant  au  bleu  violacé,  puis  au  violet  rouge. 

Vératrine.  —  Coloration  jaune,  passant  à  l'orangé,  puis  au  rouge  carmin,  enfin  au 
rouge  pourpre  après  vingt-quatre  heures. 

Atropine.  —  Coloration  jaune. 

Digitaline.  —  Coloration  rouge  brunâtre. 

Gelsémine.  —  Coloration  violette  intense. 

VI.  Les  solutions  de  sélénite  et  de  séléniate  d'ammonium  dans  l'acide  sulfurique  don- 
nent également  lieu  à  des  colorations  avec  les  alcaloïdes  :  M.  Ph.  Lafon  a  signalé  la  colo- 
ration verte  (sensible  au  dixième  de  milligramme)  que  donnent  la  codéine  et  la  morphine 
avec  une  solution  de  : 

Sélénite  d'ammonium 1  gramme. 

Acide  sulfurique  à   66 20  cent,  cubes. 

Celte  coloration  se  produit  également  avec  le  séléniate  d'ammonium,  mais  elle  est 
plus  sensible  et  plus  intense  avec  le  sélénite. 

Toutes  les  réactions,  par  précipitation  et  par  coloration,  qui  viennent  d'être  exposées 
ne  suffisent  pas  à  elles  seules  pour  caractériser  avec  certitude  un  alcaloïde  :  les  réactions 
par  précipitation  sont  trop  générales,  et  celles  par  colorations  ne  sont  pas  suffisamment 
exclusives  pour  qu'on  puisse  les  considérer  comme  indiscutables.  De  plus,  un  grand 
nombre  des  substances  que  l'on  est  exposé  à  rencontrer  et  à  isoler,  dans  les  recherches 
toxicologiques,  donnent  des  réactions  concordant  d'une  façon  plus  ou  moins  complète 
avec  celles  que  je  viens  de  passer  en  revue  :  il  me  suffira  de  citer  les  peptones  naturelles 
ou  artificielles,  des  composés  amidés  ou  des  alcaloïdes  existant  normalement  dans  l'orga- 
nisme, tels  que  la  taurine,  la  créatinine,  la  lécithine  et  surtout  les  ptoniaïnes,  pour  faire 
comprendre  avec  quelle  réserve  doivent  être  acceptées  les  indications  fournies  par  les 
réactifs  ci-dessus,  et  pour  justifier  ce  que  j'ai  déjà  dit,  à  savoir  :  que  la  preuve  chimique 
doit  TOUJOURS  être  confirmée  par  la  preuve  physiologique  oa  par  la  détermination  de  la  formule. 

Il  est  quelques  rares  alcaloïdes  dont  les  réactions  chimiques  sont  assez  précises;  mais, 
dans  la  grande  majorité  des  cas,  il  faut  chercher  à  isoler  la  plus  forte  quantité  possible 
de  substance,  afin  de  l'étudier  en  nature,  et  de  pouvoir  effectuer,  avec  le  produit  purifié, 
des  expériences  physiologiques  qui  achèvent  d'entraîner  la  certitude.  Malheureusement, 
en  raison  de  la  toxicité  considérable  d'un  grand  nombre  d'alcaloïdes,  ce  desideratum 
peut  être  assez  rarement  réalisé  dans  les  recherches  toxicologiques*. 

i.  Parmi  les  substances  donnant  des  colorations  avec  les  réactifs  généraux  des  alcaloïdes^ . 
figurent  dans  les  tableaux  ci-dessus  des  glucosides  et  d'autres  substances  toxiques  d'origine  végé- 


alcaloïdes.  231 

Absorption  et  élimination  des  alcaloïdes.  —  Lorsque  des  alcaloïdes,  ou  des 
préparations  dans  lesquelles  entrent  ces  composés,  sont  administrés  dans  un  but  théra- 
peutique, c'est,  en  général,  par  la  voie  buccale  qu'ils  sont  introduits  dans  l'organisme. 
Depuis  quelques  années  cependant,  l'emploi  des  injections  hypodermiques  a  pris  une 
assez  grande  extension;  et  il  faut  bien  reconnaître  que,  si  ce  mode  d'administration  de 
produits  médicamenteux  toujours  fort  énergiques  offre  l'immense  avantage  de  la  rapi- 
dité pour  l'absorption  et,  par  suite,  pour  l'elfet  thérapeutique,  en  même  temps  que  la 
certitude  de  l'intégralité  de  cette  absorption;  d'autre  part,  l'énergie  de  presque  tous  les 
alcaloïdes  à  l'état  parfaitement  purs  est  telle  que  l'emploi  de  ce  procédé  devient,  sauf  dans 
quelquescasbien  déterminés,  vraiment  redoutable,  surtout  si  l'on  tient  compte  des  suscep- 
tibilités individuelles  qui  se  manifesteut  parfois  avec  une  intensité  tout  à  fait  inattendue. 
Par  contre,  si  l'on  veut  étudier,  au  point  de  vue  physiologique,  ou  pour  une  recher- 
che toxicologique,  un  alcaloïde  quelconque,  c'est  l'injection  hypodermique,  ou  même 
dans  quelques  cas  l'injection  intra-veineuse  qu'il  faudra  choisir  comme  voie  d'introduc- 
tion de  la  substance  dans  l'organisme  de  l'animal  soumis  à  l'expérimentation.  Il  n'est 
donc  pas  sans  intérêt  de  résumer  ce  qui  est  actuellement  acquis  au  sujet  de  l'absorption 
et  de  l'élimination  des  alcaloïdes. 

L'absorption  par  la  surface  gastro-intestinale  est  éminemment  sujette  à  variations. 
Sans  tenir  compte  du  degré  de  dilution,  qui  a  cependant  son  importance,  suivant  que 
le  tube  digestif  est  en  état  de  réplétion  ou  de  vacuité,  les  solutions  introduites  dans 
l'estomac  seront  lentement  ou  rapidement  absorbées.  De  plus,  la  surface  du  tube  digestif 
absorbe  moins  pendant  la  digestion:  c'est  là  un  fait  absolument  certain,  et  que  Claude 
Bf.r.nard  attribuait  à  une  sorte  de  mouvement  de  transport  des  vaisseaux  aux  organes 
abdominaux  dans  le  but  de  fournir  abondamment  tous  les  sucs  nécessaires  à  la  digestion, 
mouvement  contrariant  le  phénomène  d'osmose,  en  sens  inverse,  nécessaire  pour  l'ab- 
sorption :  il  comparait  ce  qui  se  produit  alors  à  ce  fait  que,  si  l'on  excite  la  sécrétion 
d'une  glande,  on  peut  impunément  y  injecter  de  la  strychnine  qui  n'est  pas  absorbée; 
tandis  qu'eu  dehors  de  la  période  de  sécrétion,  la  strychnine,  injectée  dans  cette  même 
glande,  tue  rapidement.  La  lenteur  de  l'absorption  par  le  canal  alimentaire  pendant  la 
digestion  est  aisément  démontrée  à  l'aide  du  curare  qui  occasionne  des  accidents  d'in- 
toxication quand  on  l'administre,  à  dose  suffisante,  à  un  animal  à  jeun,  tandis  que  la 
même  dose,  et  même  une  dose  plus  forte,  ne  déterminent  aucun  effet  sur  un  animal  eu 
pleine  digestion.  On  ne  peut  donc  savoir  avec  certitude,  en  introduisant  une  substance 
dans  l'estomac,  si  elle  pénétrera  dans  le  sang  en  quantité  suffisante  et  en  un  temps 
voulu  pour  pouvoir  manifester  son  action  physiologique. 

Il  faut,  en  outre,  tenir  compte  delà  réaction  acide  ou  alcaline  du  milieu  (estomac  ou 
intestin)  dans  lequel  la  solution  d'alcaloïde  sera  introduite  et  des  déplacements  ou  doubles 
découjpositions  qui  pourraient  alors  s'elïectuer.  Puis,  chaque  région  de  l'appareil  diges- 
tif n'absorbe  pas  avec  la  même  énergie.  Dans  les  voies  pré-stomacales,  bouche,  pharynx, 
œsophage,  l'absorption  est  à  peu  prés  nulle,  à  moins  que  l'on  ne  réalise  un  contact 
suffisamment  prolongé  de  la  solution  active  avec  la  muqueuse.  Dans  l'estomac,  l'ab- 
sorption s'effectue  d'une  façon  plus  efficace,  mais  c'est  surtout  grâce  à  l'acidité  du  suc 
gastrique  que  l'absorption  est  préparée  et  facilitée  par  une  parfaite  dissolution  du  prin- 
cipe actif,  s'il  n'était  pas  arrivé  sous  cette  forme  dans  l'estomac.  L'absorption  dans  l'in- 
testin grêle  est  extrêmement  rapide;  et  il  est  difficile  de  s'empêcher  de  voir  une  relation 
de  cause  à  effet  entre  les  altérations  anatomiques  de  la  muqueuse  de  l'intestin  grêle, 
dans  la  plupart  des  cas  d'empoisonnement,  et  l'absorption,  à  ce  niveau,  de  la  subs- 
tance toxique.  Dans  le  gros  intestin,  l'absorption  est  un  peu  moins  active  que  dans  l'in- 
testin grêle,  quoique  notablement  plus  accentuée  que  dans  le  reste  du  tube  digestif. 
La  réaction  alcaline  du  suc  intestinal  doit  intervenir  ici  pour  atténuer  la  toxicité  des 
alcaloïdes  précipitables  par  les  solutions  alcalines  faibles  :  mais  il  peut  se  faire  aussi 
qu'une  partie  de  la  substance  ainsi  précipitée  séjourne  dans  le  tube  digestif  et,  venant 
à  se  redissoudre  dans  des  conditions  convenables,  reproduise  à  plus  ou  moins  longue 
échéance  les  symptômes  caractéristiques  de  son  action. 

taie  (digitaline,   par  exemple),   que  l'on  est   susceptible  de  rencontrer  assez   fréquemment  dans 
une  analyse  végétale  ou  toxicologique.  Je  n'ai  pas  cru,  pour  cette  raison,  devoir  les  en  écarter 


232  alcaloïdes. 

L'absorption  par  le  tissu  cellulaire  sous-cutané  est  beaucoup  plus  fidèle,  en  même 
temps  qu'elle  offre  l'avantage  d'une  grande  rapidité  et  de  la  certitude  que  toute  la  sub- 
stance active  a  été  absorbée.  Les  mailles  du  tissu  cellulaire  sous-cutané  étant  en  commu- 
nication avec  les  réseaux  d'origine  des  vaisseaux  lymphatiques,  et  en  contact  direct  avec 
les  vaisseaux  capillaires  sanguins,  quelle  que  soit  la  voie  par  laquelle  l'absorption  se 
produise,  elle  ne  peut  manquer  de  se  faire.  Il  faut  toutefois  tenir  compte  encore  ici  de 
quelques  circonstances  accessoires.  Dans  certaines  régions,  ou  chez  certains  animaux,  le 
tissu  cellulaire  sous-cutané,  plus  ou  moins  chargé  de  graisse,  forme  une  couche  épaisse 
dans  laquelle  l'absorption  s'effectue  mal  et  très  lentement  :  c'est  à  cette  propriété  que 
l'on  attribue  l'immunité  du  hérisson  contre  la  morsure  des  serpents  venimeux  ;  l'absorp- 
tion serait  suffisamment  lente,  grâce  à  l'épaisseur  du  tissu  adipeux,  pour  que  l'élimination 
puisse  s'effectuer  sans  permettre  l'accumulation  dans  le  sang  en  quantité  suffisante  pour 
déterminer  les  accidents  toxiques.  Chez  le  chien,  le  tissu  cellulaire  sous-cutané  est  très 
dense,  très  serré;  les  liquides  se  diffusent  difficilement  dans  ses  mailles;  et,  pour  obte- 
nir une  absorption  rapide,  on  est  obligé  d'effectuer  les  injections  sous-cutanées  dans  le 
tissu  plus  lâche  du  creux  axillaire  ou  du  pli  de  l'aine. 

Magendie  pratiquait  des  injections  intra-pleurales  dans  le  but  d'obtenir  une  absorption 
très  rapide.  Les  autres  séreuses,  le  péritoine,  par  exemple,  absorbent  également  les 
alcaloïdes  avec  une  grande  rapidité. 

L'absorption  par  la  peau  revêtue  de  son  épiderme  est  très  faible,  mais  n'est  pas  nulle 
pour  les  alcaloïdes.  L'exemple  de  la  dilatation  pupillaire  obtenue  par  simple  application 
de  feuilles  de  belladone  sur  la  peau  intacte  suffirait  seul  à  le  prouver.  Tout  naturelle- 
ment, cette  absorption  est  d'autant  plus  facile  et  plus  efficace  que  l'épiderme  est  plus 
mince,  comme  le  prouvent  les  faits  d'absorption  par  la  peau  de  l'aisselle,  la  partie 
interne  des  cuisses.  En  outre  celte  absorption  plus  grande  est  en  relation  avec  la 
richesse  des  régions  en  vaisseaux  lymphatiques  et  veineux  et  en  glandes  sudoripares 
et  sébacées.  Lorsque  l'on  détermine  une  irritation,  même  légère,  de  la  peau,  l'absorp- 
tion est  encore  activée. 

La  peau,  dépouillée  de  son  épiderme,  est  une  voie  très  active  d'absorption,  et  l'on 
en  a  fait  un  très  fréquent  emploi,  avant  l'usage  des  injections  hypodermiques,  pour  faire 
pénétrer  par  ce  moyen  des  alcaloïdes  dans  l'organisme  :  c'est  ainsi  qu'après  avoir  enlevé 
l'épiderme  à  l'aide  d'un  vésicatoire,  on  produit  l'analgésie  en  saupoudrant  la  surface 
cutanée  avec  du  chlorhydrate  de  morphine. 

La  muqueuse  oculaire  et  celle  du  conduit  auditif  ont  été  également  utilisées  comme 
voie  d'absorption  des  alcaloïdes  :  la  muqueuse  oculaire  absorbe  plus  que  celle  du  conduit 
auditif. 

La  muqueuse  respiratoire  est  une  remarquable  voie  d'absorption,  non  seulement 
pour  les  substances  gazeuses,  mais  même  pour  les  liquides,  à  la  condition  qu'ils  lui 
soient  offerts  par  très  petites  quantités  à  la  fois.  C'est  de  toutes  les  muqueuses  d'e  l'or- 
ganisme celle  qui  est  la  plus  favorable  à  l'absorption.  Gohier  a  pu  faire  pénétrer  par  la 
surface  pulmonaire  jusqu'à  .32  litres  d'eau  chez  un 'cheval  ;  et  Coli.n  a  montré  que  cette 
absorption  pouvait  s'élever  à  6  litres  par  heure.  Ség.\l.\s  a  pu  empoisonner  très  rapide- 
ment des  chiens  en  leur  injectant  par  la  trachée  60  grammes  d'eau  contenant  3  centi- 
grammes d'un  extrait  de  noix  vomique  dont  10  centigrammes  administrés  par  l'estomac 
ne  produisaient  aucun  effet,  Claude  Bernard  a  montré  que  des  doses  très  faibles  des 
alcaloïdes  de  l'opium,  inactives  quaud  elles  étaient  injectées  dans  le  tissu  cellulaire 
sous-cutané,  produisaient  un  effet  quand  on  les  introduisait  par  la  surface  pulmonaire. 
L.  JoussET  DE  Bellesme  a  appliqué  ce  procédé  à  la  thérapeutique  humaine  et  en  a  obtenu 
d'excellents  résultats.  11  est  seulement  nécessaire  de  faire  l'injection  médicamenteuse 
goutte  à  goutte  par  la  trachée,  au-dessous  du  larynx,  de  façon  à  éviter  la  toux  réflexe 
produite  par  l'irritation  du  nerf  laryngé  supérieur. 

L'absorption  par  voie  d'injection  intra-veineuse  est  la  plus  rapide,  mais  aussi  la 
plus  dangereuse  et  ne  peut  être  utilisée  que  pour  l'expérimentation  physiologique  :  il 
faut  avoir  la  précaution  d'introduire  la  solution  de  substance  active  sous  un  volume 
réduit  et  en  solution  neutre  ou  faiblement  alcaline  par  une  veine  des  membres  inférieurs, 
aussi  loin  que  possible  du  cœur,  de  façon  à  ce  que  le  mélange  avec  la  masse  sanguine 
soit  aussi  parfait  que  possible  quand  le  sang  arrivera  au  cœur.  Pour  certains  alcaloïdes 


ALCALOÏDES,  233 

ou  sels  peu  solubles  dans  l'eau,  on  est  oblig-é  d'employer  des  solutions  hydro-alcooliques 
ou  des  solutions  légèrement  acides  qui  peuvent  déterminer  des  phénomènes  dont  il  faut 
tenir  compte  pour  ne  pas  les  attribuer  faussement  à  l'alcaloïde. 

Nos  connaissances  relativement  à  l'élimination  des  alcaloïdes  sont  encore  l)ien  peu 
avancées;  et  il  serait  désirable  que  des  recherches  suivies  et  de  longue  haleine  fussent 
entreprises  à  ce  sujet.  Sur  la  quantité  d'alcaloïde  introduite  dans  l'organisme,  une 
partie  se  fixe  de  préférence  dans  certains  organes;  une  autre  est  éliminée  par  les  diffé- 
rents émonctoires;  une  troisième  est  détruite,  principalement  dans  le  foie  qui  joue  à 
cet  égard  un  rôle  particulièrement  remarquable.  Nous  ne  savons  jusqu'ici  rien  de 
précis,  d'appuyé  sur  des  expériences  certaines,  relativement  au  mode  de  localisation  et 
à  l'élimination  des  alcaloïdes.  L'état  particulier  de  l'organisme,  au  point  de  vue  de  sa 
normalité  absolue,  s'il  m'est  permis  de  me  servir  de  cette  expression,  doit  évidemment 
exercer  une  influence  considérable  sur  la  localisation,  la  destruction  dans  l'organisme 
et  l'élimination  des  alcaloïdes  :  je  n'en  veux  pour  preuve  que  ce  que  nous  savons 
aujourd'hui  de  l'élimination  des  alcaloïdes  formés  comme  produits  normaux  de  la  vie 
des  cellules,  somme  de  connaissances  à  laquelle  j'ai  contribué  pour  ma  part  depuis  mes 
premières  recherches  de  4879  et  1880.  De  plus,  l'élimination  doit  certainement  différer 
suivant  que  la  close  d'alcaloïde  absorbée  est  une  dose  thérapeutique  ou  toxique  :  dans 
beaucoup  de  cas,  en  eiïet,  l'un  des  premiers  résultais  des  doses  toxiques  est  d'enrayer 
l'éliminalion  et  de  suspendre  le  pouvoir  destructeur,  ou,  pour  mieux  dire,  anti-toxique, 
du  foie.  Un  certain  nombre  de  causes  extérieures,  température,  saison,  etc.,  viennent 
encore  exercer  ici  leur  influence;  et  il  serait  vraiment  prématuré  de  vouloir,  actuelle- 
ment, tracer  un  tableau,  prétendant  à  être  exact,  des  lois  qui  président  à  l'élimination 
des  alcaloïdes. 

Classification  des  alcaloïdes.  — ■  Une  classification  rationnelle  des  alcaloïdes  est 
encore  actuellement  impossible.  Que  l'on  se  place  au  point  de  vue  de  leur  constitution 
chimique  ou  de  leur  action  physiologique,  l'état  de  la  science  est  insuffisamment  avancé 
pour  qu'il  soit  permis  de  tenter  un  essai  de  classification  dont  les  progrès  réalisables 
demain  viendraient  démontrer  l'inanité. 

Au  point  de  vue  de  la  constitution  chimique,  les  alcaloïdes  peuvent  se  rattacher 
actuellement  à  trois  grands  groupes  :  les  ammoniaques  composées;  les  bases  des  séries 
pyridique  et  quinoléique,  ce  groupe  paraissant  de  beaucoup  le  plus  important;  les 
kétines  et  composés  homologues. 

Au  point  de  vue  de  l'action  physiologique,  on  ne  peut  que  tenir  compte  des  propriétés 
les  plus  saillantes,  actuellement  bien  connues,  de  chaque  alcaloïde;  et,  en  dehors  de 
quelques  groupes  plus  ou  moins  nettement  délimités,  narcotiques,  défervescents,  my- 
driatiques,  on  retombe  dans  les  classifications  vagues  en  stupéfiants,  hyposthénisants, 
névrostiiéniques,  musculaires,  etc.,  qui  ne  présentent  vraiment  aucun  avantage,  et  dans 
plusieurs  desquelles  un  même  alcaloïde  peut  rentrer  à  juste  titre. 

Les  progrès  réalisés  depuis  plusieurs  années  dans  l'étude  de  la  constitution  chimique 
de  quelques  alcaloïdes  permettent  d'espérer  que  l'on  pourra  arriver  un  jour,  non  seu- 
lement à  être  fixé  définitivement  sur  leur  constitution  moléculaire,  mais  encore  à  saisir 
des  liens  entre  cette  constitution  moléculaire  et  leur  action  physiologique  dominante  : 
c'est  ainsi  que  les  dérivés  oxyhydro-méthylés  de  la  quinoléine  possèdent  des  propriétés 
antithermiques  qui  se  retrouvent  dans  la  quinine  dont  la  constitution  se  rapproche  de 
celle  de  la  kairine  et  de  la  thalline.  La  conicine,  qui  est  une  pentahydrdisopropylpyri- 
dine,  se  rapproche  par  la  plupart  de  ses.  propriétés  physiologiques  des  bases  de  la  série 
pyridique. 

Toutefois,  comme  il  importe,  ne  serait-ce  que  pour  en  faciliter  l'étude  et  eu  per- 
mettre la  distinction,  de  dresser  une  sorte  de  table  des  matières  des  alcaloïdes,  la  clas- 
sification qui  me  paraît  la  plus  convenable,  parce  qu'elle  ne  préjuge  en  rien  des  pro- 
priétés physiologiques  et  qu'elle  réserve  les  découvertes  à  venir,  est  celle  que  l'on 
adopte  le  plus  communément  en  rangeant  ces  alcaloides  d'après  la  classification 
adoptée  pour  les  familles  de  plantes,  s'il  s'agit  d'alcaloïdes  végétaux,  dans  les  groupes 
des  ammoniaques  composées,  des  bases  pyridiques  et  quinoléiques,  des  kétines,  s'il 
s'agit  d'alcaloïdes  d'autre  provenance. 

GABRIEL   POUCHET. 


234  ALCAPTONE.    —    ALCOOLS. 

ALCAPTONE.  — Nom  donné  par  Bœdecker  (Z.  fur  rat.  Med.,  18o9,  et  Ann. 
d.Ch.  u.  Ph.,  1861)  à  une  substance  jaune  amorphe,  insipide,  extraite  d'une  urine  mor- 
bide. Elle  parait  se  rapprocher  des  sucres,  mais  ne  fermente  pas. 

ALCOOLS.  —  L'étude  des  alcools,  au  point  de  vue  physiologique,  comprend 
deux  chapitres  :  1°  production  des  alcools  par  les  êtres  vivants  (V.  plus  loin,  Fermen- 
tation alcoolique);  2°  action  des  alcools  sur  les  êtres  vivants. 

Les  alcools  qui  intéressent  le  physiologiste  se  divisent  en  plusieurs  groupes  :  leurs 
caractères  chimiques  sont  décrits  dans  les  ouvrages  spéciaux. 

L  —  Alcools  monovalents  :  éthylique,  propylique,  amylique,  etc.  (en  général  produits 
par  fermentation);  A.  myricique  (cire  animale);  A.  cérylique  (cire  végétale);  camphre 
de  Bornéo  {Dryobalanops  camphora). 

IL  —  Alcools  bivalents  :  cholestérine  (bile,  sang,  légumineuses). 

IIL  —  Alcools  irivalents  :  glycérine  (corps  gras  animaux  et  végétaux). 

IV.  —  Alcools  tétravalents  :  érythrite. 

V.  —  Alcools  pentatomiques  ou  hexatomiques  (glycose,  lévulose,  inosite,  saccharose, 
dextrine,  cellulose,  amidon  animal  ou  glycogène). 

VL  —  Phénols  et  composés  aromatiques. 

11  ne  sera  question  dans  cet  article  que  de  l'action  physiologique  des  alcools  par  fer- 
mentation, dont  le  type  est  l'alcool  éthylique  C-H^  OH  (Pour  les  autres  voy.  Choles- 
térine, Glycérine,  etc.). 

Par  leur  action  sur  les  êtres  vivants,  ces  alcools  se  rapprochent  beaucoup  d'une  quan- 
tité d'autres  liquides  organicjues  neutres,  dont  la  composition  et  les  fonctions  chimiques 
sont  fort  dilîérenles,  tels  que  l'éther  ordinaire,  beaucoup  d'éthers  composés,  certaines 
aldéhydes,  des  essences,  des  produits  chlorés  ou  sulfurés  du  carbone,  des  carbures  d'hy- 
drogène, etc.  Tous  ces  produits,  si  différents  par  leur  composition  et  par  leur  structure 
moléculaire  n'en  possèdent  pas  moins  un  certain  nombre  de  propriétés  physiques  et 
organoleptiques  qui  leur  donnent,  en  dehors  même  de  leur  analogie  d'action  physio- 
logique, comme  un  air  de  famille.  Ils  sont  incolores  et  odorants,  possèdent  une  saveur 
piquante,  et  produisent,  quand  on  les  applique  sur  la  peau  privée  d'épithéliura,  une  sen- 
sation de  chaleur  plus  ou  moins  brûlante.  Ce  sont  des  liquides  mobiles,  volatils,  doués, 
en  général,  d'une  tension  de  vapeur  d'autant  plus  grande  et  d'une  solubilité  dans  l'eau 
d'autant  plus  faible  qu'ils  sont  plus  toxiques.  Leur  chaleur  spécifique  est  de  beaucoup 
inférieure  à  celle  de  l'eau,  ils  sont  dysosmotiques,  c'est-à-dire  qu'ils  traversent  diffici- 
lement les  membranes  organisées.  Cependant,  mis  en  présence  de  gelées  colloïdales, 
comme  l'hydrate  d'alumine  gélatineuse,  par  exemple,  ils  peuvent  se  substituer  à  l'eau 
sans  que  la  forme  et  l'apparence  soient  altérées.  S'il  s'agit  des  alcools,  une  petite  quan- 
tité de  ceux-ci  suffira  pour  chasser  d'un  colloïde  hydraté  (hydrogèle  de  Graham)  une 
forte  proportion  d'eau  et  donner  un  nouveau  composé  encore  gélatineux,  mais  nloins 
hydraté  (alcoogèle  de  Ghaham).  Inversement,  une  grande  masse  d'eau  pourra  permettie 
l'élimination  de  l'alcool  et  reconstituer  l'hydrogèle.  Tous  ces  corps  forment  la  classe  des 
Anesthésiques  généraux  (V'oyez  ce  mot). 

Action  physiologique  générale  de  l'alcool  éthylique.  — Dans  un  liquide  fortement 
sucré,  au  sein  duquel  s'opère  la  fermentation  alcoolique,  on  voit  celle-ci  marcher  avec 
rapidité,  si  la  température  est  convenable,  mais,  dès  que  le  milieu  contient  10  à  12  p.  100 
d'alcool,  elle  se  ralentit  pour  s'arrêter  quand  la  proportion  d'alcool  formé  a  atteint 
20  p.  100.  La  levure  subit  diverses  modifications  et  tombe  inerte  au  fond  du  vase.  On 
pourrait  croire  qu'elle  est  tuée,  pourtant  il  n'en  est  rien,  car  il  suffit  de  rajouter  à  la 
liqueur  une  certaine  proportion  d'eau  pour  que  la  fermentation  recommence,  sans  addi- 
tion de  ferment  nouveau.  Celui-ci  était  en  état  de  vie  latente,  anesthésié  par  l'alcool. 
Cette  quantité  de  20  p.  100  d'alcool  est  d'ailleurs  celle  que  les  industriels  considèrent 
comme  nécessaire  pour  empêcher  que  la  levure  de  conserve  soit  envahie  par  les  moisis- 
sures. 

La  germination  des  graines,  comme  celle  des  spores,  est  empêchée  par  l'alcool,  ce 
qui  explique  le  pouvoir  antiseptique  temporaire  de  cet  agent.  L'alcool  agit  sur  tous  les 
protoplasmes  à  la  manière  des  anesthésiques  généraux  :  il  paralyse  l'irritabilité,  la  sen- 
sibilité, la  contractilité,  l'activité  des  ferments.  Sous  son  action,  les  mouvements  ami- 


ALCOOLS.  235 

boïdes  sont  suspendus,  comme  ceux  des  cils  vibratiles,  des  spermatozoïdes,  etc.  Lorsqu'il 
est  concentré,  il  peut  produire  certains  changements  de  coloration  des  tissus.  En  immer- 
geant dans  l'alcool  concentré  des  carapaces  fraîches  d'écrevisse,  on  les  voit  devenir 
rouges,  comme  si  elles  avaient  été  cuites. 

Tous  ces  eflets  tiennent  à  ce  que  l'alcool  est  un  agent  déshydratant  du  protoplasme, 
et  que  la  spore  ou  la  graine  ne  peuvent  germer,  et  le  protoplasme  fonctionner  qu'à 
la  condition  de  contenir  une  certaine  quantité  d'eau. 

Cette  eau  de  constitution  physiologique  est  plus  nécessaire  encore  que  l'oxygène,  car 
ce  dernier  en  présence  du  protoplasme  sec  ne  (leut  le  ranimer  (R.  Dubois,  Action  des 
liquides  organiques  neutres  sur  la  substance  organisée,  B.  B.,  1884).  D'ailleurs,  si  on  exagère 
la  proportion  d'eau,  en  comprimant  des  tissus  à  plusieurs  centaines  d'atmosphères,  on 
obtient  une  surhydratation  du  protoplasme  présentant  quelques  analogies  avec  la  déshy- 
dratation, au  point  de  vue  de  ses  efï'ets  physiologiques;  il  est  donc  nécessaire  que  le 
protoplasme  contienne  une  proportion  déterminée  d'eau. 

Action  physiologique  de  l'alcool  sur  les  mammifères.  —  Absorption.  —  L'al- 
cool éthylique  peut  être  absorbé  rapidement  par  le  poumon,  soit  à  l'état  de  vapeurs, 
soit  en  injection  dans  la  trachée  :  il  l'est  également  par  la  surface  des  plaies  et  par  les 
muqueuses,  mais  son  absorption  par  la  peau  intacte  est  douteuse. 

Pour  l'expérimentation,  on  peut  le  faire  pénétrer  dans  l'organisme  par  injection  dans 
les  veines,  s'il  est  assez  dilué,  ou  bien  dans  le  tissu  sous-cutané  :  le  pli  de  l'aine  est,  dans 
ce  cas,  le  lieu  d'élection  ;  il  provoque  parfois  des  eschares,  s'il  est  trop  concentré.  Son 
absorption  est  assez  rapide  par  l'estomac,  mais  il  y  subit  des  modifications.  On  se  sert 
avec  avantage  de  la  sonde  œsophagienne  pour  le  faire  absorber  par  cette  voie  chez  le 
chien. 

Digestion.  —  L'alcool  produit  sur  toutes  les  muqueuses  et  en  particulier  sur  celle 
des  voies  digestives,  comme  sur  la  peau  dénudée  de  son  épidémie,  une  sensation  de  cha- 
leur, d'autant  plus  brûlante  qu'il  est  moins  dilué.  Celle-ci  doit  être  attribuée  :  1°  au 
mélange  de  l'alcool  avec  l'eau,  s'il  est  concentré;  2°  à  son  action  excitante  particulière 
sur  les  terminaisons  nerveuses  sensitives;  3°  à  l'hypersécrétion  glandulaire,  qui  s'accom- 
pagne de  production  de  chaleur.  La  circulation  locale  est  modifiée  :  il  y  a  d'abord  une 
vaso-constriction  suivie  d'une  vaso-dilatation  des  capillaires.  L'irritation  de  la  muqueuse 
buccale  et  de  la  langue  produit  par  action  réflexe  une  salivation  plus  ou  moins  abon- 
dante. On  n'observe  d'hyperémie  à  la  face  interne  de  l'œsophage  chez  le  chien  qu'après 
l'absorption  d'une  assez  forte  proportion  d'alcool  à  45  p.  100. 

A  dose  modérée,  l'eau-de-vie,  introduite  dans  un  estomac  vide  y  séjourne  assez  long- 
temps pour  congestionner  la  muqueuse  de  cet  organe,  exciter  ses  contractions  et  aug- 
menter la  sécrétion  du  suc  gastrique  au  début.  Mais,  d'après  Bughner  et  Schellh.\as,  l'ac- 
tion de  l'alcool  est  nuisible  à  la  digestion  à  20  p.  100;  selon  Schutz  [Cent.  f.  Klin.  188a, 
p.  163),  la  peptonisation  est  déjà  ralentie  à  2  p.  fOO;  à  10  p.  100,  le  ralentissement  est 
grand;  à  la  p.  100,  il  y  a  seulement  des  traces  de  peptones.  Une  solution  fortement 
alcoolique,  de  même  qu'une  solution  concentrée  de  chlorure  de  sodium,  provoque  seule- 
ment dans  l'estomac  la  sécrétion  d'un  liquide  neutre,  ou  faiblement  alcalin,  albumineux. 
Chez  les  animaux  intoxiqués  par  l'alcool  concentré,  on  trouve  des  ecchymoses  plus  ou 
moins  larges,  surtout  vers  la  partie  pylorique.  Les  vaisseaux  du  chorion  de  la  muqueuse 
sont  plus  ou  moins  dilatés  par  le  sang  :  on  voit  de  nombreux  globules  rouges  autour 
de  ces  vaisseaux  et  dans  les  mailles  du  tissu  conjonctif.  Les  hémorrhagies  capillaires 
que  l'on  observe  sous  la  portion  tubuleuse  de  la  muqueuse  gastrique  sont  le  résultat 
d'embolies  capillaires  provoquées  par  la  coagulation  du  sang  au  contact  direct  avec 
l'alcool. 

Les  tubes  sécréteurs  de  la  muqueuse  renferment  une  grande  quantité  de  cellules  à 
mucus,  parmi  lesquelles  on  n'en  distingue  aucune  à  pepsine.  Les  glandes  muqueuses  sont 
rélrécies  vers  l'orifice  et  forment  des  culs-de-sac  dilatés  et  gorgés  de  cellules  sans  noyaux. 
La  surface  de  la  muqueuse  contient  une  couche  épaisse  de  mucus  coagulé  (J.  J.^.illet. 
De  l'alcool,  sa  combustion  physiologique,  son  antidote.  D.  P.,  1884). 

L'absorption  répétée  d'eau-de-vie  provoque  de  la  congestion,  puis  de  l'inflammation 
de  la  muqueuse  :  celle-ci  sécrète  une  abondante  quantité  de  mucus.  Au  travail  inUamma- 
toire  succède  un  épaississement,  uneinduration  de  la  muqueuse,  qui  devient  exsangue,  et 


236  ALCOOLS. 

l'estomac  perd  sa  contraolilité;  ultérieurement  surviennent  des  ulcérations  plus  ou  moins 
profondes,  dont  les  caractères  intéressent  particulièrement  les  pathologistes. 

Ce  qu'il  importe  de  remarquer,  c'est  que,  dans  l'empoisonnement  aigu,  comme  dans 
l'empoisonnement  chronique,  il  s'accumule  dans  l'estomac  une  assez  grande  quantité 
de  liquide  aqueux,  comme  cela  arrive  dans  l'anesthésie  par  l'éther  ou  le  chloroforme. 
C'est  ce  liquide  qui,  expulsé  par  le  vomissement,  constitue  la  gastrorrhée  ou  pituite  des 
buveurs. 

On  a  constaté  également  dans  l'intoxication  aigué  de  la  congestion  et  même  des 
ecchymoses  dans  l'intestin  grêle.  Claude  Bernard  a  vu  que  la  sécrétion  pancréatique 
pouvait  être  suspendue  par  l'action  de  l'alcool  ingéré. 

D'après  quelques  auteurs,  une  certaine  quantité  d'alcool  serait  absorbée  par  l'intestin, 
mais  la  plus  grande  partie  passerait  de  l'estomac  dans  la  circulation.  Toutefois,  ce  n'est 
pas  la  totalité  de  l'alcool  ingéré  qui  pénètre  dans  l'économie  :  une  partie  subit  dans  l'es- 
tomac une  véritable  digestion,  qui  le  transforme  en  acide  acétique  et  en  acétates.  Cette 
transformation  est  d'autant  plus  grande  que  l'alcool  est  plus  dilué,  elle  est  faible  lors- 
que l'alcool  est  très  concentré.  Les  substances  alcalines  l'entravent,  et  c'est  pour  cette 
raison  que  certaines  personnes  prétendent  que  l'eau  de  Vichy,  mélangée  au  vin,  favorise 
l'ivresse  (Dubois);  sa  dilution  avec  de  l'eau  pure  diminue  son  activité  toxique  en  favori- 
sant sa  transformation  en  acétates. 

Circulation  et  sang.  —  L'alcool  coagule  le  sang  iîi  vitro,  comme  dans  les  vaisseaux 
quand  la  concentration  est  suffisante,  et  lui  communique  alors  une  coloration  noirâtre. 
Ajouté  en  assez  forte  proportion  au  sang,  il  provoque  la  séparation  de  l'hémoglobine  des 
hématies  :  on  a  prétendu  que  dans  l'alcoolisme  aigu  le  volume  de  ces  éléments  pouvait 
être  diminué,  ou  bien  au  contraire  accru,  ce  qui  n'est  pas  exact;  mais  leur  nombre  aug- 
mente, ainsi  que  la  proportion  d'hémoglobinp,  ce  qui  prouve  qu'il  5'  a  concentration  du 
sérum.  Dans  l'ivresse  confirmée,  le  sang  renferme  beaucoup  d'acide  carbonique  et  son 
pouvoir  respiratoire  est  amoindri  :  il  se  charge  aussi  de  globules  graisseux. 

D'après  Becker  {Franck's  Magaùne,  t.  iv,^p.  762)  l'alcool  cimenterait  en  quelque  sorte 
l'oxygène  et  le  globule;  pour  d'autres,  il  paralyserait,  seulement  leur  action. 

L.  Lallemand,  PERRiwet  DuaoY  {Durùle  de  l'alcool  et  des  anesthésiques'  dans  Vorgumsme. 
Paris,  1800)  ont  nié  toute  oxydation  intra-organique  de  l'alcool  et  soutenu  que  sou 
élimination  se  faisait  en  nature  et  très  rapidement,  en  vingt-quatre  heures  au  moins 
ils  n'ont  pas  pu  constater  dans  le  sang  les  produits  intermédiaires  d'oxydation,  ni 
aldéhyde,  ni  paraldéhyde,  ni  acétates.  D'après  Jailliet,  et  d'autres  expérimentateurs, 
l'alcool  est  brûlé  dans  le  sang  lui-même  en  fournissant  de  l'acide  carbonique.  Cette 
oxydation  de  l'alcool  n'est  pas  directe  ;  selon  Jaillet  (toc.  cit.),  il  se  forme  d'abord  de 
l'acide  acétique  dans  le  globule  rouge,  mais  il  y  est  rapidement  brûlé  :  une  petite  quan- 
tité d'alcool  ajoutée  à  du  sang  in  vitro  pourrait  être  rapidement  transformée  en  acétate. 
La  formation  possible  de  l'aldéhyde  ne  saurait  être  mise  en  doute  :  l'odorat  pernir^t  de 
reconnaître  sa  présence  dans  l'air  expiré  par  certains  buveurs  d'eau-de-vie.  En  tous  cas, 
une  notable  proportion  d'alcool  échappe  à  l'action  du  sang  :  on  en  a  retiré  du  cerveau 
et  du  foie  principalement,  ainsi  que  des  reins  et  de  la  rate  des  animaux  alcoolisés;  on  l'a 
retrouvé  en  nature  dans  les  excrétions,  comme  nous  le  verrons  plus  loin. 

Au  début  de  l'ivresse,  il  y  a  augmentation  de  la  rapidité  du  pouls,  puis  ralentissement, 
et  le  cœur,  comme  avec  l'éther  et  lé  chloroforme,  reste  toujours  Vultimum  moriens. 

Le  cours  du  sang  est  ralenti.  Herixg,  ayant  introduit  du  prussiale  de  potasse  dans  la 
jugulaire  du  cheval,  reconnut  que  cette  substance  traversait  tout  le  trajet  circulatoire  en 
23  ou  30  secondes,  tandis  qu'elle  n'apparaissait  dans  le  bout  supérieur  de  la  jugulaire 
qu'au  bout  de  40  à  43  secondes,  quand  on  avait  préalablement  injecté  dans  le  sang  une 
certaine  quantité  d'alcool. 

A.  Samsox,  en  examinant  une  patte  de  grenouille  au  microscope,  a  remarqué  que 
l'alcool  augmentait  d'abord  l'afflux  sanguin,  pour  le  ralentir  enspite. 

A.  Marvaud  [L'alcool, sonaction plvjf.ioloi;jique,  son  utilité  et  ses  applications  en  hygiène 
et  en  thérapeutique.  Paris,  1872)  a  étudié  chez  l'homme,  au  moyen  du  sphygmographe, 
l'influence  de  l'eau-de-vie  à  la  dose  de  20,  30,  30  grammes.  11  a  trouvé  une  diminution  de 
la  tension  artérielle  se  révélant  dans  chaque  pulsation  par  une  ligne  ascendante  pres- 
que verticale,  par  une  ligne  descendante  plus  oblique  et  plus  allongée, -souvent  en  zig- 


ALCOOLS.  337 

zags  et  formant  une  ligne  brisée  plus  ou  moins  irrégulière,  enfin  par  le  sommet  de  la 
courbe,  qui  devient  plus  aigu.  Il  a  constaté  la  fréquence,  puis  le  ralentissement  des 
battements  du  cœur. 

Au  moyen  du  kymographion  mis  en  communication  avec  la  carotide,  H.  Zimmerberg 
{Recherches  sur  l'influence  de  l'alcool  sur  l'activité  cardiaque.  Diss.  inaug.  Dorpat,  1869)  a 
reconnu  un  abaissement  considérable  de  la  pression  sanguine  (15  à  19  p.  100)  et,  entre 
autres  phe'nomènes,  une  diminution  des  contractions  du  cœur.  D'après  le  même  auteur, 
le  ralentissement  et  l'affaiblissement  du  cœur  par  l'alcool  tiennent  principalement  à 
l'excitation  des  exti'émités  centrales  des  nerfs  vagues,  car  leur  section  ramène  la  pression 
sanguine  à  l'état  normal.  L'alcool  agit  aussi  directement  sur  le  tissu  du  cœur. 

Respiration.  —  Après  l'absorption  de  notables  quantités  d'alcool,  la  respiration 
augmente  de  fréquence,  tout  en  restant  régulière;  mais  au  bout  de  quelque  temps  elle 
s'embarrasse,  devient  difficile,  saccadée,  stertoreuse,  puis  les  mouvements  respiratoires 
diminuent  de  fréquence  et  devieiment  très  lents.  Chez  le  chien,  la  respiration  thoracique 
est  d'abord  amplifiée,  et  bientôt  elle  diminue,  pour  faire  place,  dans  l'ivresse  confirmée,  à 
la  respiration  diaphragmatique.  De  nouvelles  recherches  sur  les  échanges  respiratoires 
paraissent  indiquées.  Lallemand,  Perrin,  Duroy,  et  plus  tard  V.  Boeck  et  Hauer,  ont  sou- 
tenu qu'à  des  doses  modérées  l'alcool  diminuait  à  la  fois  l'absorption  de  l'oxygène  et 
l'élimination  de  l'acide  carbonique.  Gonz  et  Geppert  [in  Referai  de  Binz  au  Congrès  de 
Wiesbadcn,  1888,  Centr.  f.  Klin.  Med.,  t.  27)  n'ont  pas  observé  d'action  appréciable  sur 
la  proportion  de  l'oxygène  fixé.  Henri.iean  (R.  S.  i1/.,t.  sxiv,  p.  437,  1884)  et  Jaillet  affir- 
ment que  l'alcool  élève  la  consommation  de  l'oxygène. 

Excrétion.  —  Une  certaine  quantité  de  l'alcool  absorbé  est  éliminée  par  le  poumon 
et  par  le  rein,  environ  b  p.  100,  et  même  3  p.  100  seulement  d'après  Boïlaxder.  Binz  a 
donné  les  chiffres  suivants  :  rein  :  2,91  p.  100;  poumon  :  1,60  p.  100;  peau  :0,14  p.  100. 
Il  n'y  aurait  pas  d'élimination  par  l'intestin. 

Température.  —  Outre  la  sensation  que  produit  l'eau-de-vie  sur  les  muqueuses  avec 
lesquelles  elle  est  en  contact,  on  éprouve,  quelques  instants  après  son  ingestion,  un 
réchauffement  des  téguments  qui  s'accompagne  de  rubéfaction  de  la  peau,  surtout  au 
visage.  Cette  sensation  de  chaleur  serait  due,  d'après  Schmiedebehg,  à  une  vaso-dilata- 
tion  paralytique  des  constricteurs,  et,  pour  Bmz,  à  une  excitation  vaso-dilatatrice.  Quoi 
qu'il  en  soit,  le  rayonnement  est  augmenté  et  l'ivrogne  se  refroidit,  alors  qu'il  croit  se 
réchauffer.  Cette  illusion  est  encore  accrue,  à  une  autre  période,  par  ce  fait  que  l'alcool 
émousse  la  sensibilité  thermique,  comme  la  sensibilité  tactile,  et  que  l'individu  alcoolisé 
ne  cherche  pas  à  se  soustraire  ou  à  réagir  contre  un  froid  extérieur  qu'il  ne  sent  pas. 
C'est  une  double  cause  des  morts  fréquentes  chez  les  ivrognes. 

Mais  alors  même  que  le  buveur  n'est  pas  soumis  aux  causes  ordinaires  de  refroidisse- 
ment, la  température  de  l'alcoolisé  s'abaisse  très  rapidement  de  0°,!i  à  1°.  Chez  une 
vieille  femme,  en  état  d'ivresse  confirmée,  on  a  vu  la  température  vaginale  descendre 
jusqu'à  26°,  et  ne  se  relever  que  peu  à  peu  dans  l'espace  de  cinq  heures  jusqu'à 
36°,  au  fur  et  à  mesure  que  se  faisait  l'élimination  de  l'alcool.  Des  abaissements  de 
température  de  cette  nature  ont  été  maintes  fois  constatés  chez  le  chien.  Ces  faits 
constituent  un  argument  puissant  en  faveur  de  l'opinion  de  ceux  qui  pensent  que  l'ac- 
tion toxique  de  l'alcool  séjournant  en  nature  dans  le  sang  et  dans  tous  les  tissus,  mais 
principalement  dans  le  foie  et  le  cerveau,  est  un  ralentissement  de  la  nutrition.  Dès  1870, 
j'ai  rapproché  l'action  de  l'alcool  sur  les  éléments  de  nos  tissus  de  celle  qu'il  exerce  sur 
la  levure  de  bière  [Sur  le  mode  d'action  physiologique  de  l'alcool,  B.B.,  1870,  p.  6),  et 
montré  qu'il  agit  en  vertu  de  son  pouvoir  exosmotique  comme  un  déshydratant  énergique 
de  la  cellule.  Ultérieurement,  j'ai  rapproché  plus  exactement  son  action  sur  le  protoplasme, 
de  celle  qu'il  exerce  sur  les  colloïdes  hydrogèles  en  les  transformant  en  alcoogèles,  avec 
élimination  d'une  assez  forte  proportion  d'eau  [Action  des  liquides  organiques  neutres  sur 
la  substance  organisée.  B.  B.,  1884,  et.  De  la  déshydratation  des  tissus  par  les  vapeurs  de 
chloroforme,  d'éther,  d'alcool.  B.  B.,  1884).  Le  ralentissement  des  phénomènes  de  nutrition 
qui  accompagne  toujours  la  perte  de  l'eau  normale  du  protoplasme,  au  point  de  produire 
l'état  de  vie  latente  comme  dans  la  graine,  le  rotifère  et  l'anguillule  du  blé  niellé  dessé- 
chés, ou  bien  encore  dans  la  levure  alcoolisée,  n'est  pas  compensé  par  les  oxydations  que 
peut  subir  l'alcool  dans  l'organisme  et  leur  action  sur  la  chaleur  animale  :  l'abaissement 


238  ALCOOLS. 

constant  de  la  température  centrale  le  prouve  surabondamment.  La  chaleur  animale 
n'est  que  la  résultante  d'une  foule  de  réactions,  les  unes  exothermiques,  comme  les  oxy- 
dations, les  autres  endothermiques  comme  les  désh^'dratations  :  elles  peuvent  se  pro- 
duire simultanément  et  l'équilibre  de  la  température  du  corps  résulte  seulement  des  diffé- 
rences de  la  chaleur  qu'elles  dégagent  avec  celle  qu'elles  absorbent. 

Le  résultat  de  la  déshydratation  des  protoplasmes  se  traduit  par  une  diurèse  constatée 
par  tous  les  observateurs,  par  des  hypersécrétions  salivaires  ou  stomacales  et  quelquefois 
par  des  sueurs  profuses,  de  la  diarrhée,  etc.  Personne  n'ignore  avec  quelle  énergie  l'or- 
ganisme réclame  de  l'eau,  après  un  excès  d'alcool  et  l'état  de  sécheresse  excessive  de  la 
langue  est  le  meilleur  signe  du  dessèchement  général  de  tout  le  corps. 

Cette  action  déshydratante  des  alcools  a  été  mise  à  profit  par  l'auteur  de  cet  article 
pour  obtenir  une  momiflcation  du  corps  humain  à  l'air  libre  et  à  la  température  ordi- 
naire. L'injection  interstitielle  et  intracavitaire  d'alcool  amylique  constitue  un  procédé 
d'embaumement  très  pratique  ne  nécessitant  aucun  délabrement  du  sujet  et  aucun 
outillage  spécial  {Mém.  présenté  pm-  M.  Brouabdel  àl'Acad.  de  méd.,  1891.  —  Étude  histo- 
rique et  critique  des  embaumements  avec  description  d'une  nouvelle  méthode  par  Parcelly, 
Thèse,  Lyon,  1891).  Pour  H.  Soulier  (Traife  de  thérapeutique  et  de  pharmacologie,  1. 1,  1891 , 
Paris),  il  n'y  a  pas  de  contradiction  entre  l'action  antithermique  de  l'alcool  et  son  oxy- 
dation intra-organique  :  s'il  n'augmente  pas  la  quantité  d'oxygène  absorbé,  il  est  seule- 
ment brûlé  à  la  place  des  graisses  et  joue  ainsi  le  rôle  d'épargne  des  réserves  d'aliments 
respiratoires  :  le  même  auteur  admet  une  action  hypothermisante  sur  le  système  nerveux 
central.  Dujardin-Baumetz  et  Jaillet  supposent  que  l'effet  paralysant  s'exerce  sur  l'hé- 
matie, considérée  comme  agent  principal  de  l'hématose.  Dans  le  cas  où  il  y  aurait  un  peu 
plus  d'oxygène  absorbé,  l'hypothermie  alcoolique  devrait  être  comme  la  résultante  de 
deux  facteurs,  agissant  en  sens  contraire,  le  facteur  hypo thermique  l'emportant  sur  le  fac- 
teur comburant. 

On  voit  tout  de  suite  combien  ces  interprétations  sont  vagues,  et  combien  il  est  plus 
rationnel  de  s'adresser  à  la  physiologie  générale  pour  avoir  l'explication  du  phénomène 
de  ralentissement  de  la  nutrition,  qui  ne  peut  être  mis  en  doute.  Celui-ci  n'est  pas  seule- 
ment rendu  évident  pajr  l'abaissement  de  la  température,  le  sommeil  et  l'inertie  dans 
lesquels  tombent  les  individus  fortement  alcoolisés,  mais  encore  par  la  diminution  de 
l'urée  et  de  l'acide  urique,  ainsi  que  des  autres  produits  de  désassimilation  contenus  dans 
les  urines  (Marvaud).  Quant  à-  la  formation  de  la  graisse  dans  le  sang  ou  les  tissus, 
elle  ne  peut  pas  plus  être  attribuée  à  l'action  nutritive  de  l'alcool  que  la  stéatose  pro- 
duite par  le  phosphore  ou  l'arsenic. 

Système  nerveux.  —  D'après  Claude  Bernard  l'ivresse  tient  à  la  présence  de  l'alcool  dans 
le  sang  et  à  son  action  directe  sur  l'élément  nerveux,  mais  il  faut  tenir  compte  cepen- 
dant de  l'état  de  la  circulation  cérébrale,  dont  les  modifications  sont  des  accidents  qui 
accompagnent  l'ivresse,  sans  constituer  son  essence  (Rev.  d.  cours  scientifiques,  i  869.  p.  334). 
Au  début,  il  y  a  hyperhémie  du  cerveau,  réplétion  sanguine  des  sinus,  congestion  de  la 
pie-mère  :  dans  l'ivresse  confirmée,  avec  la  résolution  musculaire,  apparaît  l'anémie  et 
l'affaissement  du  cerveau  :  ses  battements  ne  sont  plus  appréciables.  L'extrémité  cen- 
trale du  nerf  sensitif  est  d'abord  atteinte,  puis  la  motricité  est  abolie,  et  enfin  le  pouvoir 
excito-moteur  de  la  moelle.  Les  nerfs  sont  affectés  en  même  temps  que  la  partie  des  cen- 
tres nerveux  d'où  ils  émanent;  tous  restent  excitables  [sous  l'influence  de  l'électricité  : 
ce  n'est  qu'en  dernier  lieu  qu«  l'alcool  agit  sur  le  bulbe  (Claude  Bernard). 

Des  diverses  formes  de  raleoolisme.  —  La  plupart  des  phénomènes  qui  viennent 
d'être  décrits  appartiennent  à  l'intoxication  aiguë,  la  seule  qui  ait  été  bien  étudiée  expé- 
rimentalement. L'alcoolisme  aigu  comprend  trois  phases  parfaitement  distinctes  :  1°  une 
période  d'agitation,  improprement  appelée  période  d'excitation;  2°  une  période  de  résolu- 
tion et  de  sommeil;  3°  une  période  syncopale  ou  algide.  Cette  dernière,  ordinairement 
mortelle,  est  peu  connue.  L'abus  longtemps  continué  de  l'alcool  engendre  l'alcoolisme 
chronique,  dont  les  désordres  sont  bien  différents  de  ceux  de  l'alcoolisme  aigu.  Je  signa- 
lerai encore  une  troisième  catégorie  de  troubles  résultant  indirectement  de  l'abus  de 
l'alcool.  Cette  troisième  forme  est,  en  général,  sous  le  nom  de  delirium  tremens,  con- 
fondue tantôt  avec  l'alcoolisme  suraigu,  tantôt  avec  l'alcoolisme  chronique,  bien  que  tout 
à  fait  distincte  par  sa  nature  et  par  ses  symptômes. 


ALCOOLS.  239 

Comme  tous  les  poisons  généraux,  l'alcool  entrave  d'abord  le  fonctionnement  des 
parties  occupant  le  premier  rang  dans  la  hiérarchie  organique;  puis  il  en  descend  succes- 
sivement tous  les  échelons.  La  nutrition,  dans  les  organes,  étant  en  rapport  avec  leur 
importance  fonctionnelle,  il  n'est  pas  surprenant  que  ce  soient  surtout  les  tissus  à  nutri- 
tion rapide  qui  souffrent  d'abord  du  contact  d'un  corps  exosmotique  et  déshydratant. 

Dans  la  première  période  de  l'alcoolisme  aigu,  ce  qui  disparait  d'abord,  c'est  la  fonction 
psychique  qui  se  développe  en  dernier  lieu  chez  l'enfant,  c'est-à-dire  la  réserve,  la  dissi- 
mulation, le  voile  qui  cache  la  véritable  personnalité  :  d'oii  il  semble  résulter  que  nos 
facultés  supérieures  sont  surtout  employées  à  masquer  la  nature  du  caractère.  Au  pro- 
verbe qui  dit  que  «  la  vérité  sort  de  la  bouche  des  enfants  »  correspond  l'adage  :  In  vino 
Veritas. 

Au  début  de  l'ivresse,  les  idées  se  présentent  avec  une  abondance,  une  facilité  inaccou- 
tumées, la  parole  est  plus  libre,  le  langage  plus  persuasif:  on  devient  expansif,  confiant; 
le  monde  parait  meilleur;  tout  ce  qui  nous  entoure  semble  plein  d'attraits,  les  soucis 
s'évanouissent,  et  les  mauvais  souvenirs  d'un  funeste  passé  fontplace  aux  rêves  dorés  de 
l'avenir;  l'œil  s'allume,  le  visage  s'anime,  se  colore  légèrement;  la  physionomie  devient 
plus  expressive,  s'illumine  ;  un  bien-être  général  s'empare  de  tout  notre  être,  tandis  qu'une 
douce  chaleur  se  répand  dans  nos  veines  :  on  croit  que  la  puissance  physique,  comme 
la  puissance  intellectuelle,  s'accroît,  alors  que  l'on  est  seulement  moins  méfiant,  plus  auda- 
cieux et  plus  naturel  à  la  fois  :  c'est  à  ce  moment  que  le  poète  ou  le  musicien,  donnant 
libre  carrière  à  son  génie,  pourra  produire  ses  œuvres  les  plus  vigoureuses,  les  plus 
originales.  On  a  connu  en  France,  en  Angleterre,  en  Allemagne,  des  poètes  illustres  dont 
la  muse  ne  se  décidait  à  chanter  qu'à  l'aurore  de  l'ivresse. 

Ce  n'est  pas  le  breuvage  enivrant  qui  fait  le  génie,  il  le  débarrasse  seulement  de  ses 
entraves  ou  de  ses  voiles;  mais  il  en  est  de  même  pour  la  sottise,  et  un  sot  ivre  est  dou- 
blement sot  :  il  fait  souvent  parler  ceux  qui  auraient  intérêt  à  se  taire,  et  ce  n'était  pas 
sans  raison  que  Sganarelle  ordonnait  de  faire  prendre  à  la  fille  de  Géronte  quantité  de 
pain  trempé  dans  du  vin,  sous  prétexte  que  c'était  la  meilleure  manière  de  faire  parler 
les  perroquets. 

Avec  un  verre  d'eau-de-vie,  on  se  sent  plus  fort,  plus  courageux,  et  le  fantassin 
médiocre  peut  un  instant  se  croire  un  marcheui'  infatigable;  après  une  heure  de 
marche,  l'illusion  s'évanouit,  et  le  fanfaron  qui  trouvait  que  l'on  marchait  trop  lentement 
au  départ  devient  bien  souvent  un  traînard.  On  peut  faire  la  même  observation  à  propos 
de  son  action  sur  le  sens  génésique  :  les  désirs  sont  surexcités  en  même  temps  que  la 
faculté  du  coït  est  diminuée.  Le  vin,  suivant  l'expression  du  portier  de  Shakespeare  dans 
Macbeth,  est  un  maître  d'équivoque  :  «  Il  cause  la  volupté  et  la  détruit;  il  l'aiguillonne, 
et  puis  l'arrête  en  chemin;  il  l'excite,  et  puis  la  décourage.  » 

L'ivresse  a  une  action  marquée  sur  les  produits  de  la  conception  :  les  êtres  conçus 
pendant  l'alcoolisme  aigu  sont  souvent  des  dégénérés  :  Féré  a  démontré  dans  ces  temps 
derniers  que  les  vapeurs  d'alcools  agissant  sur  les  œufs  pendant  d'incubation  produisaient 
des  monstres  {B.  B,  1894,  passiîii). 

La  soif  vient  en  buvant,  et  on  lui  obéit  d'autant  plus  facilement  qu'elle  se  montre 
quand  déjà  la  réflexion  s'est  assoupie,  que  la  conscience  sommeille. 

Le  tableau  s'assombrit  :  c'est  à  son  tour  l'intelligence  qui  pâlit.  Les  idées,  si  nettes 
d'abord,  deviennent  plus  confuses,  dissociées,  incomplètes;  puis  elles  sont  emportées 
dans  un  vertigineux  tourbillon  qui  va  se  perdre  dans  le  chaos.  Le  niveau  continue  à 
baisser  :  la  mémoire  fait  défaut;  le  buveur  n'a  pas  achevé  la  phrase  commencée  qu'il  en  a 
déjà  oublié  les  premiers  mots;  il  ne  répond  plus  à  ce  qu'on  lui  dit  ou  répond  à  ce  qu'on 
ne  lui  dit  pas;  il  se  trompe  sur  le  sens  ou  la  valeur  des  expressions,  prend  des  compli- 
ments pour  des  injures,  et  les  insultes  pour  des  gracieusetés.  Il  rit,  chante,  pleure  ou 
cherche  querelle;  se  montre  conciliant,  tendre  ou  impitoyable,  selon  que  le  fond  de  son 
caractère,  dont  il  ne  cherche  plus  à  masquer  les  imperfections,  est  gai,  triste,  sensible 
ou  dur. 

L'ombre  envahit  de  plus  en  plus  son  cerveau,  la  vue  s'obscurcit,  les  sons  frappent  en 
vain  son  oreille  et  restent  sans  écho  :  il  en  est  de  même  des  autres  sens. 

Toutes  les  facultés  psychiques  se  sont  éteintes  les  unes  après  les  autres  par  ordre  d'im- 
portance :  la  perte  de  la  prévoyance,  la  dissociation  des  idées,  les  erreurs  de  jugement, 


UQ  ALCOOLS. 

les  illusions,  la  privation  de  la  mémoire  et  de  la  conscience,  tels  sont  les  premiers  résultats 
les  plus  évidents  de  l'action  de  l'alcool  sur  l'organisme  et  plus  particulièrement  sur  le 
cerveau . 

Après  le  cerveau,  c'est  le  cervelet,  puis  la  moelle;  l'ivrogne  veut  marcher  :  ses  mouve- 
ments ne  sont  plus  coordonnés,  mais  incohérents  comme  ses  idées;  il  décrit  les  courbes 
les  plus  capricieuses,  trébuche,  tombe,  se  relève  pour  tomber  encore  :  s'il  veut  frapper, 
le  plus  souvent  il  manque  son  but  et  s'agite  dans  le  vide  :  en  tous  cas  le  danger  n'est 
pas  grand,  car  il  est  déjà  sous  la  protection  du  dieu  des  ivrognes,  c'est-à-dire  de  l'inertie, 
vers  laquelle  il  tend  de  plus  en  plus. 

Ace  moment,  souvent  plus  tôt,  apparaissent  les  symptômes  ordinaires  des  intoxications 
aiguës  :  nausées,  vomissements,  pàlnur,  sueurs  abondantes,  refroidissement.  Enfin,  si  la 
dose  d'alcool  a  été  assez  forte,  un  lourd  sommeil  s'abat  sur  le  corps,  brisé  par  la  fatigue,  qui 
tombe  inerte  là  où  il  se  trouve,  sans  conscience  du  danger,  sans  notion  du  froid  extérieur, 
qui  devient  souvent  alors  une  cause  de  mort. 

L'homme  sort  de  ce  sommeil  de  plomb,  hébété,  plein  de  dégoût,  accablé  de  fatigue; 
il  ne  sait  où  poser  sa  tète  appesantie,  douloureuse,  et  cherche  en  vain  à  arracher  quelque 
souvenir  à  son  cerveau  engourdi.  Une  soif  ardente,  qui  lui  brûle  la  gorge,  témoigne 
assez  de  l'état  de  déshydratation  des  tissus.  Ces  S3'mptômes  appartiennent  à  la  période 
de  Vairoolismc  aiiju  en  retour,  c'est-à-dire  à  la  désintoxication  brusque  ;  alors  souvent, 
pour  obtenir  un  soulagement,  le  buveur  applique  le  principe  de  l'Ecole  de  Salerne  : 
Sî  nocturna  tibi  noccat  potatio  vint,  hoc  ter  iteimm  bibes,  et  fiterit  medicina.  Aussi  fréquem- 
ment celui  qui  a  bu  la  veille  boira  le  lendemain,  et  ainsi  de  suite  jusqu'à  ce  qu'il  roule 
dansl'abime  de  l'alcoolisme  chronique. 

On  pourrait  décrire,  en  outre,  une  grande  quantité  de  vai'iétès  d'ivresse,  tenant  soit  à 
la  nature  des  alcools  ingérés,  soit  à  l'état  de  dilution  de  ces  alcools,  ou  aux  conditions 
dans  lesquelles  ils  ont  été  absorbés,  et  surtout  aux  substances  :  essences,  produits  aro- 
matiques, amers,  etc.,  avec  lesquelles  on  les  mélange  pour  les  offrir  à  la  consommation. 

Les  buveurs  d'alcool  éthylique  pur  ou  d'eau-de-vie  de  vin  sont  aussi  rares  que  l'exis- 
tence de  ces  produits  dans  le  commerce  ;  de  sorte  que  ce  qu'on  décrit  d'ordinaire  sous  le 
nom  d'alcoolisme  chronique  n'est  qu'une  foule  de  désordres  dans  lesquels  l'action  de  l'alcool 
domine  sans  doute,  mais  qui  appartiennent  surtout  à  la  catégorie  des  empoisonnements 
mixtes.  Aussi  insisterons-nous  d'autant  moins  sur  cette  forme,  que  les  faits  expérimentaux 
font  presque  complètement  défaut. 

Chez  certains  individus,  particulièrement  ceux  qui  sont  nés  de  parents  alcooliques, 
ce  qui  n'était  qu'un  plaisir  devient  un  besoin.  L'organisme,  qui  au  début  avait  fait  des 
efforts  pour  repousser  son  ennemi,  se  résigne  à  vivre  avec  lui;  il  semble  chercher  partout 
un  système  de  compensation  pour  réparer  les  désordres  apportés  dans  son  intérieur,  et 
peu  à  peu  il  arrive  à  tolérer  la  présence  du  poison.  Bientôt,  le  buveur  n'est  plus  maître  de 
lui,  il  est  l'esclave  du  breuvage  meurtrier.  D'ailleurs,  n'est-ce  pas  cela  qui  console,  fait 
oublier  les  misères  humaines,  et  calme  les  douleurs  physiques  et  morales?  L'ivrogne  croit 
d'autant  plus  à  la  puissance  de  son  démon  familier,  qu'il  devient  la  proie  de  mille  tor- 
tures matérielles  et  spirituelles  dés  qu'il  est  privé  de  son  assistance.  Une  nuit  de  sépa- 
ration suffit  pour  lui  faire  comprendre  que  désormais  il  ne  saurait  se  priver  impunément 
du  philtre  enchanteur. 

Après  quelques  heures  d'un  mauvais  sommeil,  plein  de  rêves  pénibles,  pendant 
lequel  le  corps,  agité  par  un-  besoin  incessant  de  mouvement,  n'a  pu  prendre  le  repos 
nécessaire,  le  buveur  se  réveille.  Ses  idées  sont  confuses,  sa  mémoire  incertaine  :  la 
langue  est  embarrassée,  la  gorge  sèche  et  l'haleine  fétide,  chargée  souvent  d'aldéhyde. 
Il  repousse  les  aliments  qu'on  lui  présente,  et  a  plutôt  besoin  de  vomir  que  de  manger; 
en  effet,  après  des  etforts  de  toux  parfois  très  pénibles,  il  rejette  des  mucosités 
filantes,  des  glaires,  il  a  «  sa  pituite  ».  Le  malaise  physique  s'accompagne  d'une  gène 
morale  :  le  buveur  éprouve  du  dégoût  pour  tout  ce  qui  l'entoure  et  voit  tout  eu  noir. 
Il  est  maussade,  irascible,  il  souffre.  Le  défaut  de  suite  dans  les  idées  le  rend  ins- 
table, bizarre,  lui  enlève  la  plus  grande  partie  de  sa  volonté.  Il  ne  se  rend  pas  bien 
compte  du  mal  qui  le  domine  et  en  fait  volontiers  tomber  la  responsabilité  sur  les 
autres.  Parfois,  il  voit  d'un  œil  indifférent  la  misère  grandir  à  ses  côtés  chaque  jour, 
tandis  que  l'incident  le  plus  insignifiant  le  plonge  dans  une  terreur  profonde,  provoque 


ALCOOLS.  241 

une  colère  terrible.  Si  le  courage  et  la  volonté  ne  lui  faisaient  pas  défaut,  il  essayerait 
peut-être  de  travailler  pour  s'arracher  à  ses  sombres  préoccupations;  mais  il  le  voudrait 
qu'il  ne  le  pourrait  pas.  Le  désordre  règne  non  seulement  dans  son  esprit,  mais  encore 
dans  ses  mouvements  :  il  chancelle  sur  ses  jambes,  tout  son  corps  est  agité  d'un  trem- 
blement incessant,  et  c'est  à  peine  si  ses  mains  impuissantes  peuvent  porter  à  ses, lèvres, 
arides  et  violacées,  l'unique  remède  auquel  il  accorde  sa  confiance,  le  verre  d'eau-de- 
vie  qu'il  vient  de  réclamer  d'une  voix  rauque  et  chevrotante.  Après  cela,  il  se  sent  mieux 
équilibré,  et  peut  se  remettre  au  travail,  mais  ordinairement  il  n'en  fournit  pas  une 
quantité  normale,  car,  plus  il  boit,  moins  il  mange.  Et  pourquoi  mangerait-il,  si  les  cel- 
lules, continuellement  imprégnées  d'un  liquide  alcoolique,  se  refusent  à  l'assimilation? 
D'ailleurs,  le  sens  du  goût  est  très  émoussé,  et  le  buveur  éprouve  de  la  répugnance  pour 
les  aliments  qui  lui  paraissent  fades  ou  insipides;  sou  estomac,  qui  ne  sécrète  plus  que 
difficilement  le  suc  gastrique,  les  supporte  mal,  il  est  d3'speptique.  Souvent  aussi  une 
acre  sensation  de  chaleur  et  de  brûlure  indique  que  l'organe  principal  de  la  digestion 
est  altéré  par  une  gastrite,  quand  ce  n'est  pas  par  un  ulcère  qui  en  ronge  les  parois  et 
finit  par  les  perforer,  en  donnant  naissance  à  une  péritonite  suraiguë  capable  d'emporter 
le  patient  dans  l'espace  de  quelques  heures. 

Le  foie  et  les  autres  glandes  ne  fabriquent  pas  ou  élaborent  mal  les  sécrétions  néces- 
saires à  la  digestion  intestinale,  et  une  diarrhée  chronique,  qui  épuise  rapidement  les 
forces  du  buveur,  peut  le  faire  tomber  dans  un  marasme  profond  auquel  la  mort  ne 
tarde  pas  à  succéder. 

Chez  d'autres,  c'est  la  cirrhose  avec  son  cortège  ordinaire  :  ascite,  cedème  des  mem- 
bres inférieurs,  etc.  Souvent  c'est  l'albuminurie,  étudiée  récemment  par  Delvit  {D.  P., 
1894).  Les  urines  contiennent  une  forte  proportion  d'acide  urique  et  d'urates,  ce  qui 
témoigne  de  combustions  incomplètes. 

Les  lésions  les  plus  constantes  sont  dues  à  l'accumulation  de  la  graisse  dans  le  tissu 
cellulaire  (surcharge  graisseuse)  ou  dans  les  éléments  qui  n'en  renferment  pas  norma- 
lement (dégénérescence  graisseuse).  Les  gros  vaisseaux,  comme  les  capillaires,  devien- 
nent le  siège  d'anévrysmes.  Les  hémorrhagies,  celles  du  cerveau,  et  surtout  celles  de  la 
pituitaire,  sont  communes  chez  les  alcooliques  chroniques,  et  ces  dernières  particuliè- 
rement difficiles  à  arrêter.  La  dégénérescence  graisseuse  peut  envahir  jusqu'à  la  moelle 
et  au  tissu  même  des  os;  aussi,  chez  les  alcooliques,  les  fractures  se  produisent-elles 
avec  la  plus  grande  facilité.  La  surcharge  graisseuse  du  cceur  a  été  souvent  observée. 
L'alcool  n'a  certainement  pas  le  pouvoir  de.  provoquer  toutes  les  maladies,  mais  on 
peut  affirmer  qu'il  prédispose  à  un  grand  nombre  d'affections  pathologiques,  parce  qu'il 
entrave  la  nutrition. 

Il  n'agit  pas  seulement  comme  cause  prédisposante,  mais  dans  beaucoup  de  cas  il 
communique  aux  manifestations  morbides  une  marche  et  une  gravité  particulières, 
comme  dans  la  pneumonie  des  buveurs.  On  ne  saurait  mettre  en  doute  l'inlluence  de 
l'alcoolisme  sur  le  développement  dé  la  tuberculose.  Enfin,  la  détestable  action  qu'il 
exerce  sur  la  cicatrisation  des  plaies  est  bien  connue  de  tous  les  chirurgiens. 

Par  l'abus  prolongé  de  l'alcool,  les  téguments  de  la  face  se  vascularisent  :  la  coupe- 
rose et  l'acné  viennent  stigmatiser  la  face  abêtie  de  l'ivrogne,  tandis  que  du  côté  du 
larynx  se  développent  des  laryngites  chroniques  qui  fatiguent  le  malade  et  son  entou- 
rage, c'est  le  «  bem  »  des  Anglais  qui  finit  par  érailler  les  cordes  vocales  et  éteindre 
complètement  la  vois.  Les  désordres  nerveux  produits  par  l'abus  continu  de  l'alcool 
sont  trop  nombreux  pour  qu'il  soit  possible,  de  les  énumérer  tous  ici  :  la  motilité  est 
amoindrie  comme  la  sensibilité.  Le  goût,  l'odorat,  l'ouïe,  la  vision  sont  troublés  par 
des  illusions  ou  par  des  hallucinations. 

Du  côté  de  la  vision,  on  a  noté  l'amblyopie  alcoolique,  caractérisée,  d'après  H.  Romiée 
{Rec.  d'ophtai.,  1881,  Paris),  par  l'affaiblissement  de  l'accommodation,  pouvant  aller  jus- 
qu'à la  paralysie  :  les  pupilles  sont  peu  mobiles,  souvent  inégales,  il  y  a  diminution 
rapide  de  l'acuité  visuelle,  daltonisme,  quelquefois  dyschroraatopsie  complète.  Les 
modifications  des  papilles  peuvent  se  transformer  en  atrophie  grise  progressive. 

Du  côté  du  cerveau,  l'athérôme  entraîne  des  nécrobioses  plus  ou  moins  partielles, 
avec  ramollissement,  hémorrhagie,  anémie  cérébrale,  etc.,  et  toutes  les  conséquences  qui 
en  découlent,  selon  les  territoires  où  elles  se  produisent,  mais  l'étude  approfondie  de  ces 

DICT.    DE    PHYSIOLOGIE.    —    TOME    I.  16 


242  ALCOOLS. 

perturbations  appartient  plutôt  à  la  pathologie  (V.  Lancereaus,  De  l'Alcoolisme,  Paris). 
Les  fonctions  génitales  sont  affaiblies,  parfois  même  jusqu'à  l'impuissance,  et  cela 
est  fort  heureux,  car  les  alcooliques  chroniques  n'engendrent  la  plupart  du  temps  que 
des  êtres  porteurs  d'une  tare  physiologique  :  nervosisme,  épilepsie,  criminalité.  Les 
statistiques,  en  Allemagne,  ont  démontré  que  sur  100  condamnés  il  y  en  avait  60  qui 
étaient  des  alcooliques  avérés  ou  des  enfants  d'alcooliques. 

Mithridatisme  alcoolique.  —  Les  alcooliques  chroniques  semblent  plus  réfrac- 
taires  à  l'action  des  autres  poisons.  Michelet  rapporte  que,  pendant  les  guerres  d'Italie, 
au  xvi"  siècle,  les  mercenaires  suisses,  presque  toujours  ivres,  pouvaient  impunément 
boire  l'eau  des  puits  empoisonnés,  qui  faisait  dans  les  rangs  des  soldats  français  de 
nombreuses  victimes. 

L'acide  sulfliydrique,  le  gaz  d'éclairage,  l'arsenic,  l'opium,  les  poisons  miasmatiques 
ont  moins  de  prise  sur  les  sujets  alcooliques?  (Voy.  De  l'influence  des  liquides  alcooliques 
sur  l'action  des  substances  toxiques  et  médicamenteuses  par  Raphaël  Dubois  :  D.  P.,  1876.) 
La  résistance  des  sujets  alcooliques  à  l'anesthésie  par  l'éther  et  le  chloroforme  est  une 
preuve  certaine  de  ce  mithridatisme  universel. 

Antagonisme  de  l'alcool  et  de  divers  poisons.  — ■  L'alcool  a  été  longtemps 
considéré  comme  un  antidote  puissant,  mais  les  nombreuses  expériences  que  j'ai  faites 
sur  ce  sujet  {loc.  cit.)  ont  prouvé  qu'en  général  on  voit  apparaître,  tantôt  successivement, 
tantôt  simultanément,  les  phénomènes  caractéristiques  de  l'empoisonnement  par  l'alcool 
et  par  les  diverses  substances  vénéneuses  auxquelles  il  avait  été  associé;  les  unes  ou  les 
autres  prédominent,  selon  la  quantité  relative  et  selon  l'énergie  respective  de  l'alcool  et 
du  poison.  Certains  accidents,  qui  se  manifestent  ordinairement  lorsque  ces  deux  agents 
pénétrent  isolément  dans  l'organisme,  pourront  faire  défaut  ou  même  disparaître  sous 
l'influence  de  leur  action  combinée.  Dans  bon  nombre  de  cas,  ces  résultats  paraissent 
dus  bien  plutôt  à  l'action  parallèle  des  deux  poisons  qu'à  une  sorte  d'antagonisme  dou- 
teux et  obscur.  Ainsi,  chez  un  animal  empoisonné  par  la  strychnine,  la  moindre  exci- 
tation peut  provoquer  des  convulsions  violentes  qui  amèneront  un  épuisement  rapide; 
mais  si,  sous  l'influence  de  l'alcool,  la  sensibilité  a  été  amoindrie  ou  anéantie,  les 
mêmes  effets  ne  se  produiront  plus,  les  convulsions  seront  moins  fréquentes,  moins  lon- 
gues et  la  mort  pourra  être  moins  prompte,  peut-être  même  évitée  si  l'élimination  du 
poison  a  eu  le  temps  de  se  faire.  Quand,  par  l'effet  de  l'alcool,  la  motricité  aura  été 
supprimée,  il  est  bien  évident  que  l'on  ne  pourra  observer  ni  incoordination,  ni  trem- 
blements, ni  secousses  cloniques  ou  tétaniques;  mais,  en  général,  l'action  toxique 
n'aura  pas  été  détruite  parce  que  l'on  aura  aboli  quelques-uns  de  ses  symptômes. 
L'action  du  poison  varie  selon  la  période  de  l'ivresse  à  laquelle  il  a  été  administré. 
Les  effets  de  l'alcool  s'ajoutent  directement  à  ceux  du  poison  donné  simultanément; 
dans  certains  cas,  par  exemple,  lorsqu'on  fait  inhaler  le  chloroforme  après  avoir  fait 
ingérer  de  l'alcool,  la  durée  de  la  résistance  du  sujet  est  alors  amoindrie  (R.  Dobois, 
B.  B.,  1884). 

Antidotes  de  l'alcool.  —  On  a  préconisé  divers  antidotes  de  l'alcool.  L'ammoniaque, 
administré  à  la  dose  de  quelques  gouttes  dans  un  verre  d'eau,  n'a  d'autre  effet  que 
d'arrêter  brusquement  la  digestiou  de  l'alcool  et  de  provoquer  des  vomissements  utiles. 
Jaillet  (toc.  cit.)  a  beaucoup  vanté  la  strychnine,  mais  nos  recherches  sur  l'action  com- 
binée de  ce  poison  et  de  l'alcool  ne  nous  permettent  pas  d'attribuer  une  grande  confiance 
à  ce  prétendu  contrepoison".  On  a  dit  aussi  que  l'abondante  ingestion  de  corps  gras  em- 
pêchait ou  retardait  l'ivresse.  C'est  probablement  en  modifiant  l'absorption  stomac^ale. 
Alcoolisme  en  retour  ou  «  delirium  tremens.  »  —  Si  l'on  prive  brusquement  un 
alcoolique  chronique  de  son  poison  habituel,  on  détruit  l'état  d'équilibre  artificiel  de  l'or- 
ganisme, et  il  peut  en  résulter  des  désordres  graves,  mais  qui  n'ont  rien  de  commun 
avec  ceux  de  l'alcoolisme  aigu  ou  chronique  (R.  Dubois.  Congrès  du  Trocadéro,  1878). 
Au  lieu  d'une  dépression  générale,  c'est  une  surexcitation  violente,  d'une  intensité 
tout  à  fait  exceptionnelle,  qui  va  se  manifester.  Le  malheureux  buveur  est  piis  d'une 
violente  agitation,  incessante;  il  ne  peut  plus  trouver  un  instant  de  repos  ou  de  sommeil. 
Des  spectres  horribles  apparaissent,  les  hallucinations  prennent  surtout  la  forme  de 
bêtes  immondes  rampant  sur  son  corps  ou  grouillant  autour  de  lui.  Il  entend  des  sons, 
des  cris,  des  hurlements,  des  voix  qui  lui  donnent  des  Ordres  atroces,  mais  ces  hallu- 


ALCOOLS,  243 

ciiiations  de  l'ouïe  sont  plus  rares  que  celles  de  la  vision.  Elles  résultent  d'impressions 
accumulées  dans  la  mémoire,  se  réveillant  brusquement,  avec  une  telle  intensité, 
qu'il  semble  qu'elles  viennent  d'être  perçues. 

Comme  la  mémoire,  la  sensibilité  est  singulièrement  exage'rée,  le  moindre  contact 
fait  bondir  le  malade  :  l'ouïe  et  la  vue  possèdent  une  acuité  extraordinaire  :  l'oi^il  allumé 
brille  d'un  étrange  éclat,  la  parole  est  brève,  saccadée  à  cause  du  tremblement  des 
muscles  qui  sont  vibrants,  comme  de  colère;  les  mots  succèdent  aux  mots,  les  phrases 
aux  phrases  avec  une  vertigineuse  rapidité. 

L'abondance  et  la  vigueur  des  expressions  donnent  parfois  une  véritable  éloquence 
à  des  hommes  qui,  ordinairement,  s'expriment  difficilement;  aussi  la  description  qu'ils 
font  de  leurs  apparitions  est-elle  parfois  véritablement  saisissante. 

Les  muscles  se  contractent,  en  frémissant,  avec  une  force  telle  qu'il  faut  souvent 
réunir  les  eli'orts  de  plusieurs  personnes  pour  maintenir  le  sujet  dans  l'immobilité. 

La  température  s'élève  :  le  corps  ébranlé  par  des  décharges  successives  semble 
vibrer  tout  entier.  Il  y  a  loin  de  cet  état  à  celui  de  l'ivresse  qui  saisit  nos  facultés  les 
unes  après  les  autres  pour  les  bâillonner;  c'est  le  contraire  ici.  La  machine  animale, 
qui  depuis  longtemps  soufflait  en  traînant  son  lourd  fardeau,  vient  de  rompre  ses  liens, 
de  briser  son  frein  :  rien  ne  peut  plus  modérer  sa  course  folle  :  elle  ne  connaît  plus 
ni  mesure,  ni  direction  dans  l'emploi  de  sa  force.  L'organisme  use  jusqu'à  la  der- 
nière étincelle  de  son  activité  ;  puis,  haletant,  épuisé  de  fatigue,  il  tombe  dans  un  coma 
profond  qui,  souvent,  se  termine  par  la  mort.  C'est  sous  l'empire  de  ces  hallucinations 
que  le  malade  atteint  d'alcoolisme  en  retour  commet  des  crimes  ou  se  livre  à  des  actes 
de  destruction  dont  il  n'est  pas  responsable,  surtout  quand  il  a  été  privé  de  son  poison 
brusquement  par  l'internement  dans  un  hôpital  ou  dans  une  prison.  On  ne  saurait 
douter  de  l'irresponsabilité  de  ces  alcooliques,  quand  on  les  voit  arracher  leurs  appareils 
de  pansement,  au  risque  de  courir  les  plus  grands  dangers  et  d'endurer  de  vives  souf- 
frances. 

Le  meilleur  moyen  de  rendre  momentanément  le  calme  à  l'organisme  est  de  lui 
donner  sa  dose  ordinaire  de  toxique. 

Équivalents  physiologiques  de  ralcool.  —  Les  accidents  qui  résultent  de  la 
privation  brusque  de  l'alcool  peuvent  aussi  être  combattus  par  d'autres  substances  qui, 
bien  qu'étant  d'une  nature  diiférente,  pourront  suppléer  dans  l'organisme  le  poison 
ordinaire  absent.  Ce  fait  n'a  rien  qui  puisse  surprendre  si  l'on  songe  au  mithridatisme 
dont  j'ai  parlé  plus  haut.  Dans  l'intoxication  eu  retour  par  la  morphinomanie,  l'alcool 
peut  rendre  des  services,  et  inversement  le  deiirium  tremens  est  calmé  par  l'opium. 
Mais  ce  poison  et  ses  alcaloïdes  sont  dangereux  parce  que,  le  sujet  étant  mithridaté, 
il  faut  donner  parfois  des  doses  énormes  du  poison  équivalent,  et  qu'on  s'expose  alors 
à  dépasser  le  point  limité.  Il  est  bien  préférable,  si  l'alcool  ne  peut  être  supporté, 
dans  le  cas  de  gastrite,  d'ulcères,  de  vomissements,  etc.,  d'administrer  de  l'éther  ou 
du  chloroforme,  soit  en  inhalations,  soit  par  l'estomac,  mais  en  n'oubliant  pas  qu'une 
petite  quantité  d'éther,  et  surtout  de  chloroforme,  est  équivalente  à  une  forte  dose  d'al- 
cool (Voy.  R.  DnBois.  Actions  de  certains  poisons  sur  le  tremblement  toxique;  équiva- 
lents toxiques  ou  physiologiques,  B.  B.,  1883,  p.  484). 

Action  physiologique  comparée  de  ralcool  dans  la  série  animale.  —  L'alcool 
se  comporte  comme  un  poison  général,  et  ses  effets  sur  tous  les  êtres  vivants  sont  très 
comparables;  alors  que  l'on  verral'atropine  comme  le  tabac  rester  sans  action  sur  le  lapin 
et  la  chèvre,  l'alcool  n'épargnera  rien.  Le  chien,  qui  est  moins  mithridaté  que  l'homme, 
y  est  plus  sensible,  comme  au  chloroforme  et  à  l'éther;  le  lapin  est  facilement  tué  par 
une  petite  quantité  d'eau-de-vie.  Les  oiseaux  la  supportent  mieux  et  éprouvent  une 
ivresse  qui  se  rapproche  beaucoup  de  celle  des  autres  vertébrés  à  sang  chaud.  Les 
vertébrés  à  sang  froid  tombent  vite  en  état  de  torpeur  et  y  restent  longtemps  plongés; 
parfois  même  il  est  difficile  de  les  ramener  à  la  vie. 

Les  insectes  lumineux,  particulièrement  les  beaux  Elatérides  phosphorescents  des 
Antilles,  mettent  leur  lampe  en  veilleuse  pendant  le  sommeil  alcoolique. 

Les  animaux  aquatiques  marins  ou  d'eau  douce  sont  très  sensibles  aussi  à  l'action 
de  l'alcool;  mais  les  premiers  moins  que  les  seconds.  Les  Actinies,  plongées  dans  l'eau 
de  mer  alcoolisée,  se  rétractent  beaucoup  et  tombent  dans  une  sorte  de  vie  latente 


<2ii  ALCOOLS    (Toxicologie  générale). 

d'où  elles  peuvent  sortir  au  bout  d'un  temps  assez  long,  si  on  a  opéré  avec  ménagements  : 
l'alcool  agit  sur  elles  à  peu  près  de  la  même  façon  que  l'éther  et  le  chloroforme 
(R.  DuDois.  Action  physiologique  du  curare,  de  la  strychnine,  de  l'alcool  et  du  chloro- 
forme sur  les  Actinies,  B.  B.,  1883,  p.  304). 

RAPHAËL  DUBOIS. 

ALCOOLS  (Toxicologie  générale).  —  On  peut  placer  dansunmême 
groupe,  au  point  de  vue  de  la  toxicologie,  les  diverses  substances  alcooliques.  En  3ffet 
elles  agissent  toutes  à  peu  près  de  la  même  manière  sur  les  organismes  vivants. 

Cette  immense  famille  chimique  (alcools,  éthers,  et  leurs  dérivés)  possède  comme 
fonction  phj'siologique  générale  l'anesthésie;  de  sorte  que,  malgré  l'apparence  para- 
doxale de  cette  classification,  on  peut  faire  rentrer  l'alcool  parmi  les  anesthésiques;  et 
non  seulement  l'alcool,  mais  encore  tous  les  alcools,  et  leurs  innombrables  dérivés  ? 

Classification  des  poisons.  —  Quelques  notions  de  toxicologie  générale  sont 
indispensables  pour  expliquer  cette  proposition. 

Si  nous  envisageons  la  manière  d'agir  d'une  substance  toxique  quelconque,  en  lais- 
sant à  part  les  corps,  généralement  gazeux,  qui.  comme  l'oxyde  de  carbone,  se  fixent 
sur  la  matière  colorante  du  sang,  nous  pouvons  faire  quatre  grands  groupes  :  1°  les 
7)!éto«a',  sels  métalliques  et  métalloïdes,  qui,  se  substituant  aux  sels  combinés  à  l'albumine 
dans  la  cellule  vivante,  en  modifient  les  réactions  et  les  fonctions;  2°  les  alcools  et  éthers 
qui  agissent  sur  tous  les  tissus,  qui  sont  des  poisons  universels,  pour  les  végétaux 
comme  pour  les  auimaux;  3°  les  alcaloïdes,  et  les  ammoniaques  composées,  qui  (à  dose 
souvent  très  faible)  empoisonnent  spécialement  la  cellule  nerveuse,  cellule  nerveuse 
du  cœur,  ou  du  bulbe,  ou  des  centres  psychiques;  4°  les  ferments  (albumiiioides)  qui, 
à  faible  dose,  déterminent  des  modifications  profondes  dans  les  matières  albuminoides 
de  nos  tissus  (leucomaïnes,  antitoxines,  venins,  virus,  etc.). 

Donc  nous  pouvons  séparer  nettement  les  poisons  alcooliques  des  métaux,  des  alca- 
loïdes, et  des  ferments. 

Schéma  de  l'action  des  alcools.  —  Le  t3'pe  de  ces  corps  est  évidemment  l'alcool 
éthylique,  non  seulement  parce  qu'il  a  été  admirablement  étudié  par  les  médecins  et 
les  physiologistes,  mais  surtout  parce  qu'il  agit  à  dose  assez  faible  pour  qu'on  puisse  en 
bien  graduer  les  effets,  et  suivre  méthodiquement  les  progrès  de  l'intoxication. 

On  voit  alors,  à  mesure  que  la  dose  s'élève,  se  produire  les  phénomènes  suivants: 

A  faible  dose,  nul  trouble  dans  les  fonctions  organiques;  c'est  l'intelligence  seule  qui 
est  atteinte,  et,  comme  toujours,  une  période  d'excitation  précède  la  période  d'anéan- 
tissement. Donc,  au  début,  période  d'excitation,  qui  porte  sur  les  fonctions  intellectuelles, 
et  respecte  les  autres  appareils  vivants. 

La  dose  étant  plus  forte,  l'intelligence  n'est  plus  excitée,  mais  anéantie.  Alors  les 
autres  parties  du  système  nerveux  central  commencent  à  sabir  les  effets  du  toxique, 
c'est-à-dire  que  les  incitations  nerveuses,  qui  commandent  les  actions  chimiques,  sont 
ralenties.  De  là  diminution  dans  les  échanges  et  la  température,  état  de  prostration  et 
d'anesthésie,  qui  coïncide  avec  l'intégrité  presque  complète  du  fonctionnement  des 
cellules  autres  que  les  cellules  nerveuses.  A  cette  période  le  bulbe  rachidien,  qui  tient 
sous  sa  dépendance  les  mouvements  respiratoires,  n'est  pas  paralysé;  il  continue  à 
provoquer  les  respirations,- si  bien  que  l'être,  quoique  intellectuellement  inerle,  survit 
à  cette  intoxication  profonde. 

Enfin,  à  une  dose  encore  plus  forte,  tout  le  système  nerveux  est  paralysé,  même  le 
bulbe,  et  les  autres  cellules  de  l'organisme  commencent  à  subir  les  atteintes  du  poison. 

C'est  cette  forte  dose  qui  est  toxique  pour  toutes  les  cellules  vivantes,  quelles  qu'elles 
soient.  Par  exemple,  les  cellules  de  la  levure  ne  peuvent  plus  vivre  quand  le  milieu 
où  elles  se  trouvent  contient  plus  de  20  p.  100  d'alcool,  et,  à  partir  de  10  p.  100  d'alcool, 
elles  commencent  à  ralentir  leur  activité  fonctionnelle. 

En  réalité  le  tableau  de  toutes  les  intoxications  aiguës  par  les  alcools  ou  les  éthers 
répond  à  une  succession  régulière  d'intoxications  diverses,  portant  sur  les  tissus  vivants. 
Certes  souvent  elles  empiètent  les  unes  sur  les  autres,  mais  elles  se  produisent  fatalement 
ainsi;  d'abord  le  système  nerveux  psychique,  puis  le  système  nerveux  médullaire, 
puis  le  système  nerveux  bulbaire,  puis  toutes  les  cellules  de  l'économie. 


ALCOOLS    (Toxicologie  générale).  245 

Deux  points  entre  autres  sont  à  considérer;  c'est  d'abord  la  hiérarchie  des  tissus 
intoxiqués,  et  ensuite  les  variations  de  ces  étapes  toxiques  suivant  les  propriétés  spé- 
ciales de  l'alcool  étudié. 

Hiérarchie  des  tissus.  —  Pour  ce  qui  est  de  la  hiérarchie  des  tissus,  elle  est  très 
simple  à  établir,  d'abord  d'après  le  moment  d'apparition  des  symptômes  toxiques; 
ensuite  par  la  facilité  avec  laquelle  meurent  ces  tissus,  quand  ils  sont  soumis  à  la 
privation  de  sang  ou  d'oxygène. 

Ici  la  toxicologie  et  la  physiologie  se  prêtent  un  mutuel  secours,  et  les  conclusions 
sont  les  mêmes. 

Le  tissu  le  plus  fragile,  le  plus  délicat,  celui  qui  meurt  le  premier,  celui  qui  subit  le 
premier  les  effets  du  poison  circulant  avec  le  sang  à  travers  les  cellules,  c'est  le  sys- 
tème nerveux  psychique,  celui  qui  préside  à  l'idéation,  à  la  mémoire,  au  jugement,  à 
la  conscience  du  moi. 

Puis  c'est  le  système  nerveux  médullaire,  qui  préside  aux  mouvements  automatiques, 
aux  actions  rcllexes,  à  l'innervation  respiratoire,  et  il  est  à  remarquer  que  les  cellules 
du  bulbe  respiratoire  sont  les  plus  résistantes  à  l'action  toxique. 

Puis  enfln,  ce  sont  les  autres  tissus,  nerfs  périphériques,  cellules  musculaires,  cellules 
glandulaires,  qui  ne  sont  atteints  par  l'alcool  que  lorsque  la  dose  est  très  forte. 

Stades  variables  dans  les  périodes  toxiques.  —  Ces  faits  sont  vrais  pour  tous 
les  alcools  et  tous  les  corps  qui  dérivent  des  alcools,  éthers,  aldéhydes,  essences;  etc. 
Cependant  les  différences  dans  l'action  de  ces  divers  corps  sont  considérables,  de  sorte 
qu'au  premier  abord  on  ne  voit  pas  comment  on  peut  faire  rentrer  dans  le  même  groupe 
toxique  des  corps  comme  l'alcool,  le  chloroforme,  et  l'essence  d'absinthe.  Mais,  pour  peu 
qu'on  examine  avec  soin  la  marche  des  phénomènes,  on  verra  que  c'est  bien  toujours  la 
même  succession  de  symptômes,  avec  des  caractéristiques  variables  dues  à  la  prédomi- 
nance ou  à  la   plus  grande  durée  de  tel  ou  tel  symptôme,  de  telle  ou  telle  période. 

Par  exemple,  quand  la  période  d'byperesthésie  intellectuelle  durera  plus  longtemps 
que  les  autres,  le  poison  produira  surtout  l'ivresse.  Quand  au  contraire  la  période  d'by- 
peresthésie portera  plutôt  sur  l'appareil  médullaire  que  sur  l'appareil  cérébral,  alors  ce 
sera  surtout  un  poison  convulsif,  comme  les  essences.  Quand  les  périodes  d'byperesthésie 
seront  courtes,  et  rapidement  suivies  d'une  période  d'anéantissement  de  toutes  les  fonc- 
tions nerveuses,  alors  le  poison  sera  principalement  un  anesthésique. 

De  là,  suivant  la  prépondérance  de  tel  ou  tel  symptôme,  la  distinction  des  poisons 
alcooliques  en  trois  groupes,  les  convulsivants,  les  ébriogènes  et  les  anesthésiques .  Mais 
la  démarcation  nette  est  impossible  à  faire,  car  ils  ont  tous  plus  ou  moins  ces  trois 
caractères. 

L'alcool,  à  forte  dose,  produit  l'anesthésie,  et,  à  dose  moins  forte,  une  sorte  de 
vraie  attaque  convulsive.  Le  chloroforme,  au  début  de  son  action,  procure  une  véri- 
table ivresse,  et  l'éther  (oxyde  d'éthyle)  qui  est  un  excellent  anesthésique,  amène  une 
ivresse  que  certains  individus  recherchent  avidement.  La  période  convulsive  ne  manque 
pas  non  plus  avec  le  chloroforme;  c'est  la  période  d'agitation,  connue  de  tous  les  chirur- 
giens; les  physiologistes  qui  chloroforment  les  animaux  savent  bien  que,  chez  le  chien, 
l'agitation  due  au  chloroforme  amène  un  état  convulsif  souvent  prolongé.  Quant  à  l'ab- 
sinthe, elle  produit,  à  faible  dose,  une  ébriété,  qui  est,  paraît-il,  fort  agréable,  et,  à 
dose  plus  forte,  elle  provoque,  si  on  empêche  les  convulsions  d'entraîner  l'asphyxie,  un 
vrai  coma  anesthésique. 

Influence  des  conditions  physiques  sur  la  toxicité  des  Alcools.  —  11  nous 
reste  donc  à  savoir  pourquoi  telle  ou  telle  substance  alcoolique,  ou  dérivée  des  alcools, 
possède  la  propriété  d'être  plus  ou  moins  convulsive,  ébriogène  ou  anesthésique. 

Tout  d'abord  une  première  remarque  est  nécessaire,  c'est  que  nous  ne  devons  pas 
chercher  cette  difl'érence  dans  les  propriétés  chimiques  de  ces  corps.  En  effet  ces  pro- 
priétés sont  trop  voisines  pour  que  des  différences  aussi  énormes  dans  leur  action 
puissent  être  dues  exclusivement  à  des  diiférences  dans  les  propriétés  chimiques.  Vis-à- 
vis  des  tissus  de  l'organisme  (matières  alburainoïdes,  graisses  et  hydrates  de  carbone) 
l'alcool  étbylique  et  l'alcool  amylique  se  comportent  à  peu  près  de  même.  Cependant 
la  manière  de  réagir  de  l'organisme  est  tout  à  fait  distincte  vis-à-vis  de  l'alcool  éthyl- 
lique  et  de  l'alcool  amylique.  De  même  les  composés  chlorés  du  formène  C^HCl,  CH'^C-, 


2i6  ALCOOLS    (Toxicologie  générale). 

CHCF,  CCI*,  ont  des  fonctions  chimiques  générales  qui  se  ressemblent  autant  que  dif- 
fèrent leurs  fonctions  physiologiques. 

Mais,  si  leurs  propriétés  chimiques  se  ressemblent,  en  tant  qu'ils  sont  des  corps 
saturés,  doués  d'affinités  médiocres  pour  les  substances  chimiques  vivantes,  leurs  pro- 
priétés physiques  sont  ti'ès  différentes,  à  savoir  leur  poids  moléculaire,  leur  solubilité, 
et  leur  volatilité. 

Prenons  les  alcools  mono-atomiques  de  fermentation,  et  mettons  en  regard  de  leur 
formule  leurs  propriétés  physiques. 

Sol.  dans  Poids 

P.  d'ébuilit-   100  vol.  d'eau,  moléculaire. 
Alcool  ctliyliquc.         C-HeO  78"  c^.  46 

—  propyliquc.      CSH^O  97»  oc  60 

—  butyliquc.         CiHi»0  1160  g  74 

—  amyUque.         CspIi^O  137»  insol.  88 

Il  se  trouve  que  la  toxicité  de  ces  corps  est  précisément  inverse  et  de  leur  solubilité, 
et  de  leur  poids  moléculaire,  et  de  leur  point  d'ébullition. 

En  effet,  dans  un  travail  mémorable  {Recherches  expérimentales  sur  les  alcools  par  fer- 
mentation. Viins,  187b)  Dcjardin-Beaumetz  et  AuDiGÉ,  étudiant  chez  le  chien  la  to.xicité 
de  ces  quatre  alcools,  ont  pu  établir  que,  si  la  toxicité  de  l'acool  éthylique  est  de  1,  celle 
de  l'alcool  propylique  est  de  2,  celle  de  l'alcool  butylique  de  3,  et  celle  de  l'alcool  amy- 
lique  de  4.  En  réalité  ces  chiffres  sont  encore  trop  faibles;  car  en  tenant  compte  du  poids 
moléculaire  différent,  et,  en  prenant  pour  la  molécule  d'alcool  éthylique  une  toxicité  de 
1,  nous  avons  : 

Pour  la  molécule  d'alcool  propylique 2.6 

—  —  —       butylique -5,7 

—  —  —        amylique 7.6 


DÉSIGNATION. 

DOSE  TOXIQUE  CHE 

Z  LE  CHIEN 

■POPERMIQU 

PAR  KILOGR.AMME    DC 

POIDS  DU 

CORPS 

E. 

PA..-BS.0M.. 

g-l,- 

Non  dilué. 

Dose 
moyenne. 

Dilu,?. 

Dose 
moyenne. 

Quantit.is. 

Dose 
moyenne. 

^ÎHi 

gr.       gr. 

gr. 

gr. 

sr.           gr. 

sr. 

gr. 

Alcool  éthviique.  .    .    . 

6,18  à  8.00 

7,09 

6,00  à  7,20 

6,52 

.^,,50  à  6,50 

6,00 

1 

—       propylique.   -    . 

i,Û8  à  4,57 

4,32 

3,04  à  3,64 

3.28 

3,00  à  3,27 

3,13 

1,2 

—       butvliquc.  .   .    . 

2,00  à  2.30 

2,15 

1,85  à  1,99 

1,90 

1,72  à  1,76 

1,74 

1/3 

■ —       amylique.  .    .    . 

1,83  à  2,23 

2,02 

1,30  à  1,71 

1,53 

1.40  à  1,53 

1,48 

1/-4 

Celle  loi  de  la  toxicité  des  alcools,  d'autant  plus  grande  que  le  poids  atomique  est  plus 
élevé,  avait  été  d'abord  formulée  par  Rabuteau  (Unioîz  médicale,  pp.  16b.  1870.)  Voyez  aussi 
du  même  auteur  :  Questions  relatives  à  l'alcoolisme  au  Congrès  international  de  1878.  Impr. 
nation.,  1  vol.  in  8°,  pp.  50  et  22b. —  Atomes,  molécules  et  biologie  (Mém.  Soc.  Biol.,  188b, 
pp.  77-94).  — Éléments  de  toxicologie,  p.  190,  1873.  —  Richardson.  (British  Association 
Reports  for  1868,  p.  184;  for  1869,  p.  417). 

La  différence  dans  le  point  d'ébuUilion  joue  évidemment  un  certain  rôle.  II  est  clair 
que  l'alcool  éthylique  qui  bout  à  78°  s'éliminera  plus  facilement  à  l'état  de  vapeur  que 
l'alcool  amylique  qui  bout  à  137°. 

Il  y  a  là  un  fait  remarquable  sur  lequel,  semble-t-il,  on  n'a  pas  suffisamment  insisté, 
c'est  que,  toutes  conditions  égales  d'ailleurs  au  point  de  vue  des  réactions  chimiques  gé- 
nérales, la  durée  des  effets  d'une  substance  est  en  raison  inverse  de  sa  volatilité. 

Ainsi,  pour  les  composés  chlorés  du  formène,  si  bien  étudiés  par  Regnault  et  Ville- 
JEAN  (C.  R.  1884,  t.  xcviii,  p.  130b  et  Bull.  gén.  de  thérapeut.,  30  mai  et  Ib  juin  1886),  on 
trouve  la  durée  suivante  pour  le  retour  des  fonctions  après  l'anesthésie  : 


ALCOOLS    (Toxicologie  générale).  2iT 

Point  d'ébuilition. 

CIP  CI 2'30"  —  24» 

C^H^Cl-    ....  S'  42° 

CHCP 10'  (environ)  61" 

CCI-' 10'  (environ)  78° 

Même  avec  des  substances  alcooliques  (ou  dérivant  des  alcools)  très  différentes,  la  du- 
rée des  phénomènes  est  encore  en  rapport  avec  la  volatilité.  Le  protoxyde  d'azote 
gazeux  a  des  eiiets  qui  disparaissent  très  vite.  L'oxyde  d'éthyle  donne  une  anesthésie 
passagère,  qui  se  dissipe  plus  promptement  que  l'anesthésie  du  chloroforme.  De  même 
les  individus  ivres  morts  (par  le  fait  de  l'alcool  éthylique)  reviennent  plus  lentement 
que  les  malades  chloroformés  :  et  enfin  l'ivresse  et  le  coma  absinthiques  sont  plus 
longs  encore  à  se  dissiper.  Dans  tous  ces  cas  nous  voyons  que,  plus  une  substance  est 
volatile,  plus  ses  effets  sont  prompts  à  disparaître. 

Il  faut  faire  sans  doute  intervenir  un  autre  élément,  c'est  le  poids  moléculaire  diffé- 
rent de  ces  alcools.  R.  Dubois  (1870)  avait  émis  cette  ingénieuse  hypothèse  que  l'alcool 
agit  par  sa  force  exosmotique  en  déshydratant  les  tissus.  D'autre  part  Béclard  avait 
montré  que  le  pouvoir  exosmotique  est  d'autant  plus  grand  que  la  chaleur  spécifique 
est  moins  élevée;  et  enfin,  d'après  la  loi  de  Duloxg  et  Petit,  les  chaleurs  spécifiques 
sont  en  raison  inverse  des  poids  atomiques.  En  reliant  ces  trois  lois  l'une  à  l'autre, 
on  voit  clairement  que,  plus  le  poids  de  la  molécule  s'élève,  plus  s'est  accrue  la  puissance 
exosmotique  (et  par  conséquent  déshydratante)  de  la  substance  alcoolique. 

Enfin  une  autre  considération,  sur  laquelle  j'ai  eu  souvent  l'occasion  d'insister,  c'est 
le  degré  de  solubilité  (Cn.  Riceet.  B.  B.,  p.  775,  22  juill.  189.3,  et  G.  Houd.ulle.  D.  P., 
1893,  Étude  sur  les  nouveaux  hijpnotiques).  Plus  un  corps  est  soluble,  moins  il  est 
toxique;  l'alcool  éthylique  et  l'alcool  amj'lique;  lechloral  et  le  chloralose,  l'aldéhyde  et 
les  essences  ont  des  propriétés  toxiques  très  différentes,  précisément  parce  que  leur 
solubilité  n'est  pas  comparable.  Un  corps  qui  ne  se  dissout  pas  est  toxique  pour  la 
cellule,  probablement  parce  qu'il  ne  peut  pas  diffuser  régulièrement  dans  le  pro- 
toplasma. L'essence  d'absinthe,  qui  est  insoluble,  est  peut-être  mille  fois  plus  toxique 
que  l'alcool  éthylique,  soluble  dans  l'eau  en  toutes  proportions. 

Par  conséquent,  quand  on  introduit,  dans  la  molécule  d'un  alcool  ou  d'un  éther,  des 
atomes  ou  des  groupes  chimiques,  qui,  sans  en  modifier  profondément  les  propriétés 
cHmiques  générales,  en  modifient  graduellement  les  propriétés  physiques,  à  mesure 
que  la  molécule  devient  plus  complexe,  on  voit  apparaître  de  grandes  différences  dans 
la  toxicité.  Les  composés  chlorés  du  formène  en  sont  un  exemple;  et  on  pourrait 
citer  aussi  les  benzines  chlorées,  dont  les  propriétés  physiques  (point  d'ébuilition  et 
solubilité  de  l'eau)  se  modifient  à  mesure  que  l'on  remplace  1,  2,  3,  4,  o,  6  atomes 
d'hydrogène  par  1,2,  3,  4,  o,  6  atomes  de  chlore. 

L'introduction  d'un  radical  CH^  ou  C-H^  ou  C'R^  dans  une  molécule  alcoolique  agit 
aussi  probablement  dans  le  même  sens,  comme  l'ont  prouvé  les  recherches  de  L.vi:deh 
Brunton  et  de  R.vbute.^u.  De  nombreux  corps  chimiques  dérivés  des  alcools  et  des  éthers, 
produits  d'addition  et  de  substitution,  ont  été  à  ce  point  de  vue  étudiés  par  les  physiolo- 
gistes toxicologues.  On  conçoit  que,  si  l'on  remplace  1,  2,  3  atomes  d'hydrogène  par  1,  2, 
3  atomes  de  chlore,  ou  de  brome  ou  d'acétyle,  ou  OH,  ou  AzO-  ou  AzH-,  on  peut  avoir 
presque  à  l'infini  des  corps  nouveaux,  qu'il  est  impossible  de  mentionner  dans  ce  Diction- 
naire, d'autant  plus  que  très  rarement  la  toxicologie  de  ces  substances  a  été  faite  avec 
soin.  Pour  cette  étude,  à  peine  ébauchée  encore,  nous  renverrons  aux  articles  Éthers  et 
Toxicologie  générale. 

Résumé.  —  Si  maintenant  l'on  essaye  de  faire  la  synthèse  des  propriétés 'générales 
des  alcools  et  des  dérivés  (éthers  et  aldéhydes)  qu'ils  forment,  pour  essayer  de  voir 
quels  sont  spécialement  les  ébriogènes,  les  convulsivants,  ou  les  anesthésiques,  on 
verra  que  les  corps  peu  solubles,  volatils,  sont  surtout  anesthésiques,  comme  l'oxyde 
d'éthyle;  les  corps  moins  volatils,  comme  l'alcool,  surtout  ébriogènes;  et  les  corps,  dont 
le  point  d'ébuilition  est  plus  élevé  que  celui  de  l'eau,  convulsivants. 

On  pourra  ainsi  formuler  quelques  lois  générales  qui  serviront  à  prévoir  à  l'avance  les 
propriétés  physiologiques  de  felle  ou  telle  substance  alcoolique,  d'après  ses  propriétés 
physiques  générales. 


2-i8  ALCOOLS    (Toxicologie  générale). 

1°  La  loxicité  est  d'autant  plus  grande,  qu'elle  est  moins  soluble  dans  l'eau. 

2°  Si  elle  est  très  volatile,  elle  est  plutôt  anestliésique;  si  elle  est  peu  volatile,  elle 
est  plutôt  convulsivante.  Si  elle  est  soluble  dans  l'eau,  elle  est  plutôt  ébriogène. 

3°  La  durée  de  ses  effets  est  inversement  proportionnelle  à  sa  volatilité,  autrement 
dit  l'élimination  est  d'autant  plus  facile  que  la  volatilité  est  plus  grande. 

D'ailleurs  on  trouvera  aux  articles  Amylique,  Anesthésiques,  Butylique,  Éthers,  Es- 
sences et  Toxicologie  générale,  les  développements  nécessaires  à  cette  importante  étude. 

Applications  à  l'hygiène.  —  Ce  fait  physiologique  remarquable,  de  la  toxicité 
extrême  des  alcools  supérieurs  et  des  aldéhydes  à  molécule  compliquée,  comporte 
une  sanction  pratique  immédiate,  sur  laquelle,  en  France  seulement,  pour  ne  pas  citer 
les  pays  étrangers,  Rabuteao,  Dujatidin-Beaumetz,  Laborde  et  Mag.\ax  ont  avec  raison 
souvent  insisté;  c'est  que,  pour  la  production  de  l'alcoolisme,  —  ce  mal  terrible  qui 
fait  des  progrès  chaque  jour,  —  l'alcool  éthylique  est  moins  efficace  que  les  autres 
alcools.  Or,  daus  le  vin  naturel,  il  n'y  a  presque  pas  d'alcools  supérieurs  ;  tandis  que 
dans  les  eaux-de-vie,  et  autres  boissons  alcooliques  dont  une  habile  industrie  crée  sans 
cesse  des  variétés  nouvelles,  les  alcools  supérieurs  sont  très  abondants. 

De  là  cette  conclusion,  qui  paraîti-ait  au  premier  abord  paradoxale,  c'est  que  le  vin 
naturel  ne  produit  pas  l'alcoolisme.  Il  suffit  pour  s'en  assurer  de  constater  qu'il  n'y  a 
vraiment  d'alcoolisme  que  dans  les  pays  où  le  vin  ne  se  récolte  pas  et  se  boit  peu.  L'Es- 
pagne, l'Italie  et  la  France  du  sud  et  du  centre  sont  des  régions  où  l'alcoolisme  est  à  peu 
près  inconnu.  Le  vin,  pris  en  excès,  peut  donner  l'ébriété,  et,  à  la  longue,  l'alcoolisme 
chronique  ;  mais  à  condition  que  le  buveur  en  absorbe,  et  cela  pendant  longtemps,  des 
quantités  considérables  ;  tandis  qu'il  obtiendrait  sans  peine  un  alcoolisme  chronique  à 
marche  irrésistible  avec  de  petites  quantités  de  mauvaise  eau-de-vie. 

Aussi  voit-on  l'aliénation,  les  suicides,  les  dégénérescences  mentales,  toutes  les  lésions 
pathologiques  que  produit  l'empoisonnement  par  l'alcool,  suivre  une  marche  absolument 
parallèle  non  pas  avec  la  progression  de  la  consommation  du  vin,  mais  avec  la  pro- 
gression de  la  consommation  des  alcools. 

Les  innombrables  débits,  où  les  alcools  les  plus  toxiques  sont  prodigués  à  bas  prix, 
sont  consacrés  presque  exclusivement  à  la  distribution  de  l'alcool  et  non  du  vin,  notam- 
ment en  Normandie  et  en  Bretagne,  où  il  y  a  tant  d'ivrognes,  tant  d'aliénés,  tant  d'al- 
cooliques. Certes  depuis  une  trentaine  d'anne'es  la  consommation  du  vin  a  augmenté, 
mais  assez  modérément,  tandis  que  celle  des  alcools  a  pris  une  extension  efl'rayante. 

Donc,  si  les  gouvernements  avaient  vraiment  souci  de  la  chose  publique,  s'ils  con- 
sidéraient comme  un  devoir  sacré  de  protéger  contre  lui-même  le  peuple,  ce  grand 
enfant,  ils  prendraient  des  mesures  restrictives,  fiscales  ou  autres,  pour  euipêcher  la 
marche  du  fléau.  Le  plus  simple  procédé  serait  non  seulement  de  surcharger  de  droits 
très  lourds  les  alcools  et  autres  boissons  alcooliques  toxiques,  mais  encore  d'imposer 
d'énormes  patentes  aux  débits,  cabarets,  estaminets,  bars,  tous  établissements  qui  ne 
font  pas  d'autre  commerce  que  le  commerce  des  plus  redoutables  poisons. 

Bibliographie.  —  La  bibliographie  de  l'alcool  et  de  l'alcoolisme  est  très  étendue. 
Nous  n'avons  à  citer  que  quelques-uns  des  ouvrages,  ayant  un  intérêt  physiologique 
immédiat,  qui  ne  se  trouvent  ni  aux  articles  Alcoolisme  des  Dict.  de  médecine,  ni  aux  arti- 
cles Alcohol  et  Alcoholism  de  l'Index  Catalogue,  t.  i,  pp.  17.3-184.  Outre  les  travaux 
cités  plus  haut  mentionnons  :  Cadéac  et  Meunier.  Contrihution  à  l'étude  de  l'alcoolisme. 
Paris,  1892.  —  Lauder  Brunton.  Introduction  io  modem  thcrapeutics.  Londres,  1892, 
pp.  10o-138.  — Zerboglio.  Alcoolismo.  Turin,  1892.  —  Lentz.  Alcoolisme.  Bruxelles,  1884. 

—  Dastre.  Les  Anesthésiques.  Paris,  1890.  —  Strassmann.  Nàhrwerth  und  Ausscheidung 
des  Alkohols{A.  Vf,  t.  xlix,  p.  313).  —  Staumreich  et  Noorden.  Einfluss  des  Alcohols  aufden 
Stoffwechsel  des  Menschen  {Berl.  klin.  'Woch.,  1891,  p.  oo4).  —  Chitienden.  Influence  of 
alcohol  on  proteidmetabolism  (J.  P.,  1891,  t.  xn,  pp.  220-232).  —  Laffite.  L'intoxication 
alcoolique  expérimentale  (D.  P.,  1892).  —  Gutkinow.  Einfluss  des  Alcohols  auf  die  Blutcir- 
culation  {Zeitschr.  f.  klin.  Med.,  1892,  t.  xxi,  pp.  133-171).  —  Gioffredi.  Sul  potere  coibente 
del  fegato  edel  cervello  negli  avvelenamenti  alcoolici  (Au.  in  R.  S.  M.,  1894,  t.  xliv,  p.  113). 

—  Wolffhahdt.  Influence  de  l'alcool  sur  la  digestion  stomacale  (An.  in  R.  S.  M.,  1891, 
t.  xxxvni,  p.  33).  —  ScHNEEGAxsetMERixG.  Bezie/iungen  zwischen  chemischer  Constitution  und 
hypnotischer  Wirkung  (An.  in  Jb.  P.,  1892,  p.  H 3).  —  Keller.  Einfluss  des  Aethijlalkohols 


ALCOOLIQUE  (Fermentation).  249 

auf  dcn  Stofpwechsel  des  Menschen  (Z.  C.  P.,  t.  xiii,  fasc.  I  et  2,  p.  128).  —  Lauorde.  Les 
alcools  supérieurs  et  les  bouquets  artificiels  {BulL  de  ÏAc.  de  médec.  de  Paris,  1888,  u»  40, 
p.  470).  —  Mairet  et  Combemale.  Influence  dégénérative  de  l'alcool  sur  la  descendance  (C.  H., 
t.  cvi,  1888,  n°  10,  p.  667).  —  Albertoni.  Formation  et  transformation  de  l'alcool  et  de 
l'aldéhyde  dans  l'organisme  (A.  B.  L,  p.  168,  1888,  t.  ix).  —  Harley.  Effects  of  moderate 
drinliing  on  the  human  constitution  ;  ils  influence  on  liver,  hidney,  heart  and  brain  diseuses 
{Lancet,  1888,  n°  3363).  —  Brocahdel  et  Pouchet.  De  la  consommation  de  l'alcool  dans  ses 
rapports  avec  'l'hygiène  [Ann.  d'Hyg.  publ.,  1888,  p.  241).  —  Schapirow.  Physiologische 
Wirlmng  tertiàrer  Alhohole  auf  den  Thierorganismus  (An.  in  Jb.  P.,  1887,  t.  xvi,  p.  89)- 
■ —  GnEiiE.  Experimenlelle  Beitrâge  zur  Wirkung  des  Weingeistes  {Arch.  f.  wiss.  u.  pratc, 
Thierheilk,  t.  vni,  p.  71,  1882).  —  Danillo.  Physiologie  patholog.  de  la  région  corticale  du 
cerveau  dans  t empoisonnement  par  l'alcool  éthylique  et  l'essence  d'absinthe  {A.  P.,  1882,  (2), 
pp.  388  et  5o9).  —  Henrhean.  Rôle  de  l'alcool  dans  la  nutrition  [Bull,  de  l'Ac.  des  sciences 
de  Belgiciue,  13  janv.  1883,  p.  113).  —  Kùlz.  Wirkung  und  Schicksal  cler  TrichloriUhyl  unp 
Trichlorbutylalkohols  im  Thierorganismus  (Z.  B.,  1883,  t.  xs,  p.  157).  —  Tuierfelder  et 
Mering.  Bas  Verhalten  tertiâr  Alkohole  im  Organismus  (Z.  P.  C.,  1883,  t.  ix,  p.  .SU).  — 
WoLFERs.  Einfiuss  einiger  stickstofffreier  Substanzen,  speciell  des  Alkohols  auf  den  thierischen 
Stoffwechsel  {A.  Pf.,  1883,  t.  xxxii,  p.  222).  —  Bodlander.  Ausscheidung  aufgenommenen 
Weingeistes  aus  dem  Kôrper  {A.  Pf.,  1883,  t.  xxxn,  p.  398).  —  Spaink.  Einwirkung  reinen 
Alkohols  auf  Organismus  und  insbesondere  auf  dus  peripherische  Nervensystems  (Molescli. 
Untcrsuch.,  1891,  t.  xiv,  p.  449).  —  Gréhant  et  Quinquaud.  Blesure  dé  la  puissance  muscu- 
laire dans  l'alcoolisme  aigu  (B.  B.,  1891,  p.  413).  —  Berry.  A  case  of  acute  alcoholic  pois- 
oning.  [Lancet,  1893,  (1),  p.  723).  —  Presniakoff.  Influence  de  l'alcool  sur  la  désassimilation 
de  l'azote  et  du  soufre,  d'après  les  analyses  de  l'urine  (En  russe.  Pétersbourg,  1892, 
cité  par  Index  medicus,  1892,  t.  xiv,  p.  338). 

CH.  R. 

ALCOOLIQUE  (Fermentation).  — On  donne  le  nom  de  fermentation 
alcoolique  à  la  production  d'alcool  aux  dépens  des  matières  sucrées,  due  à  une  transfor- 
matioii  moléculaire  provoquée  par  la  vie  de  certains  organismes.  L'alcool  produit  est  sur- 
tout l'alcool  éthylique. 

La  fermentation  alcoolique  proprement  dite  est  due  à  des  champignons  inférieurs 
nommés  communément  Levures; c'est  de  celles-ei  qu'il  sera  surtout  question.  Des  fermen- 
tations alcooliques  peu  importantes,  secondaires,  peuvent  être  produites  par  d'autres 
êtres  qui  seront  passés  en  revue  après. 

Toutes  les  matières  sucrées  ne  sont  pas  aptes  à  subir  directement  la  fermentation 
alcoolique,  mais  seulement  les  sucres  du  groupe  des  glucoses,  glucose  ordinaire  ou  dex- 
trose et  lévulose.  Les  sucres  du  groupe  des  saccharides,  sucre  de  canne,  maltose,  lactose, 
ont  besoin  d'être  intervertis  pour  fermenter. 

Sous  l'intluence  de  certains  ferments,  la  glycérine  peut  aussi  subir  la  fermentation 
alcoolique. 

Historique.  —  La  fermentation  alcoolique  est,  de  tous  les  processus  analogues, 
celui  qui  a  été  le  plus  anciennement  connu;  la  fabrication  et  l'usage  des  boissons  fer- 
mentées  obtenues  à  son  aide  remontant  à  une  très  haute  antiquité.  Pour  en  trouver  une 
explication  rationnelle  et  une  étude  complète,  il  faut  toutefois  arriver  à  une  époque 
bien  rapprochée.  Et  encore  le  phénomène  chimique  fondamental,  la  transformation  du 
sucre  en  alcool  et  acide  carbonique,  fut  mis  en  lumière,  balance  en  main,  par  Lavoisiee, 
avant  que  la  nature  réelle  du  corpsaclif,  du  ferment,  ait  été  élucidée.  On  connaissait  bien 
cette  sorte  de  dépôt  blanchâtre  qui  se  rencontrait  toujours  dans  tous  les  liquides  qui 
avaient  fermenté,  on  comprenait  même  que  sa  présence  était  indispensable  à  l'accom- 
plissement du  phénomène,  mais  on  en  ignorait  complètement  la  nature,  lui  attribuant 
une  sorte  de  puissance  mystérieuse,  une  simple  action  de  présence  inexpliquée,  la  force 
catalytique.  Gay-Lussac,  dans  son  mémoire  sur  la  fermentation,  déclare  que  la  fermenta- 
tion vineuse  parait  être  encore  une  des  opérations  les  plus  mystérieuses  de  la  chimie. 

Leuwenhoeck,  il  y  a  plus  de  deux  siècles,  soumettant,  dans  son  ardeur  si  féconde,  les 
liquides  en  fermentation  alcoolique  à  l'investigation  de  son  microscope,  avait  bien  signalé 
qu'ils  renfermaient  de  nombreux  corpuscules  arrondis  ;  il  ne  s'était  pas  prononcé  sur 


250  ALCOOLIQUE  (Fermentation). 

leur  nature  et  n'avait  émis  aucune  idée  sur  leur  signification;  il  tendait  même  à  les 
considérer  comme  des  grains  d'amidon  provenant  des  farines  employées  dans  la  confec- 
tion du  moût  de  bière.  Les  premières  notions  exactes  sur  la  nature  du  ferment  se  trouvent 
exposées  dans  le  mémoire  de  Cagniabd-Latour  sur  la  Fermentation  vineuse  (1837).  Il  annonce 
que  la  ievùre  de  bière  n'est  pas  une  substance  organique  ou  chimique,  comme  on  le  sup- 
posait jusqu'alors,  mais  bien  un  amas  de  corpuscules  vivants,  pouvant  se  reproduire,  et 
semblant  n'agir  sur  la  dissolution  sucrée  qu'autant  qu'ils  sont  en  vie;  d'où  l'on  peut  con- 
clure, ajoute-t-il,  que  c'est  très  problablement  par  quelque  etfet  de  leur  végétation  qu'ils 
dégagent  de  l'acide  carbonique  de  cette  dissolution  et  la  convertissent  en  une  liqueur 
spiritueuse.  Presque  en  même  temps,  Schwann,  Ktjtzing,  Mitscheblich,  en  Allemagne, 
TuRPiN,  en  France,  annonçaient  des  résultats  analogues. 

Cagniard-Latour,  se  basant  sur  l'absence  de  mouvements  chez  la  levure,  en  avait  fait 
aussitôt  un  végétal.  Tous  l'ont  admis  à  la  suite.  L'embarras  fut  plus  grand  pour  le  classer. 
Certains  en  firent  une  algue,  à  cause  de  son  habitat  aquatique  ;  Kutzing  créa,  dans  ce 
groupe,  pour  ces  ferments,  le  genre  Cryptococcus.  D'autres,  considérant  surtout  l'absence 
de  chlorophylle,  les  rangèrent  parmi  les  champignons;  c'est  à  eux  qu'on  a  donné  raison. 
Persoon  les  comprenait  dans  son  genre  Mycoderma  avec  d'autres  espèces  très  diiîéren- 
tes;  d'autres  en  faisaient  des  Torula,  coupe  dans  laquelle  on  a  réuni  longtemps  tous  les 
organismes  élémentaires,  très  divers,  dont  les  éléments  étaient  associés  en  chaînettes. 
Meyen  a  eu  l'heureuse  idée  de  créer  pour  ces  êtres  un  genre  [nouveau,  le  genre  Saccharo- 
myces;  c'est  son  opinion  qui  a  prévalu. 

Si  l'on  était  suffisamment  édifié  sur  la  nature  du  ferment,  le  rôle  qu'il  joue  dans 
l'accomplissement  du  phénomène  de  la  fermentation  était  loin  d'être  démontré;  on  en 
était  resté  à  la  simple  supposition  émise  par  Cagniard-Làtour,  que  les  modifications 
produites  dans  le  liquide  étaient  un  effet  de  sa  végétation.  Des  savants  comme  Behzélius 
persistaient  cependant  à  ne  voir  là  qu'une  manifestation  de  la  force  catalytique;  Liebig 
proclamait  hautement  que  les  globules  de  levure  ne  déterminaient  la  fermentation 
que  par  suite  de  leur  décomposition  putride  et  non  par  leur  croissance. 

C'est  alors  que  Pastedr  vint  établir,  par  des  expériences  indéniables,  la  nature  et  le 
rôle  des  ferments  alcooliques,  cause  directe  du  phénomène  de  la  fermentation,  et 
expliquer,  preuves  en  main,  les  particularités  qu'elle  peut  présenter;  démontrant  que 
ce  processus  est  lié,  d'une  façon  intime  et  directe,  au  développement,  à  la  vie  des  orga- 
nismes décrits  par  Cagniard-Latour;  que  la  décomposition  du  sucre  est  une  véritable 
fonction  physiologique  de  ces  êtres,  indépendante  toutefois  de  leur  vie  végétative  propre, 
qui  se  poursuit  suivant  les  règles  ordinaires  à  tout  ce  monde  inférieur.  On  trouvera, 
clairement  exposée  suivant  la  coutume  du  maître,  dans  ses  Mémoires  sur  la  fermen- 
tation alcoolique,  dans  ses  Études  sur  le  vin  et  ses  Études  sur  la  bière,  ces  expériences 
importantes,  qui,  à  elles  seules,  ont  fait  époque  et  fixé  d'une  façon  définitive  l'opinion 
sur  ce  point  qui  avait  été  si  controversé.  Ce  qui  a  été  découvert  depuis  n'est  qu'extertsion 
et  perfectionnement  des  résultats  obtenus  par  Pasteur. 

Avant  Pasteur,  on  ne  connaissait  guère  qu'un  type  de  ferment  alcoolique,  la  levure 
de  bière;  ses  recherches  ont  démontré  que  la  fermentation  du  moût  de  raisin  était  due 
à  des  espèces  voisines,  mais  faciles  à  en  distinguer  par  leurs  caractères  spéciaux.  Les  tra- 
vaux de  Rees,  d'ENGEL,  de  Hansen  sont  venus  établir  avec  une  précision  suffisante  la  mor- 
phologie de  ces  organismes.  Ces  données  morphologiques  sont  trop  importantes  au  point 
de  vue  de  l'étude  de  la  fermentation  alcoolique  pour  que  nous  les  passions  sous  silence. 

Morphologie.  —  Les  organismes  du  genre  Saccharomyces,  établi  par  Meyen  comme 
il  a  été  dit  plus  haut,  sont  composés  de  cellules  rondes,  ovoïdes,  ellipsoïdales  ou  quel- 
quefois cylindriques,  tantôt  isolées,  souvent  réunies  entre  elles,  en  nombre  restreint, 
formant  de  petits  flocons  arborescents.  Ces  cellules  montrent  une  membrane  rigide, 
bien  nette,  et  un  contenu  protoplasmique  grisâtre,  finement  granuleux,  présentant  sou- 
vent quelques  vacuoles  rondes,  de  taille  diverse,  hyalines.  Il  n'y  a  pas  de  noyau  appa- 
rent, la  substance  du  noyau  paraît  s'être  éparpillée  en  un  nombre  assez  grand  de  gra- 
nulations que  décèlent  seuls  les  réactifs  spéciaux.  Dans  les  milieux  appropriés,  leur 
végétation  se  fait  rapidement;  leur  mode  de  multiplication  végétative  est  le  bourgeon- 
nement. Les  bourgeons  naissent  isolés  vers  les  extrémités  de  la  cellule-mère,  rarement 
sur   les  côtés.  Chaque  bourgeon  grandit  vite,   prend  les  caractères  de  la  cellule  qui 


ALCOOLIQUE  (Fermentation).  251 

lui  a  donné  naissance  et  lui  reste  accolé  ou  se  sépare  d'elle  suivant  les  circonstances. 

Dans  certaines  conditions,  au  premier  rang  desquelles  se  trouvent  la  privation  d'ali- 
rnents  et  la  dessication,  les  cellules  végétatives  peuvent  produire  de  véritables  spores 
endof^ènes.  Certaines  de  ces  cellules  s'agrandissent,  deviennent  uniformément  granu- 
leuses; il  apparaît  bientôt,  au  milieu  du  protoplasme,  deux  ou  quatre  taches  plus  réfrin- 
gentes, autour  desquelles  s'amassent  les  granulations.  Ce  sont  des  centres  de  conden- 
sation du  protoplasme;  chacun  d'eux  se  différencie  de  plus  en  plus  et  prend  une  forme 
sphérique,  puis  se  revêt  d'une  membrane  qui  s'épaissit  peu  à  peu.  Les  spores  sont  ainsi 
formées  au  nombre  de  deux  à  quatre  dans  chaque  cellule-mère.  Lorsque  la  maturité  est 
complète,  la  membrane  de  la  cellule-mère  se  rompt,  les  spores  sont  mises  en  liberté. 
On  en  obtient  facilement  la  germination  en  les  transportant  dans  un  liquide  approprié. 
Le  principal  caractère  de  ces  spores  est  de  pouvoir  supporter  sans  périr  des  influences 
qui  tuent  les  cellules  végétatives  ordinaires.  Ce  sont  les  éléments  durables  de  ces 
espèces. 

Le  nombre  des  espèces  que  renferme  le  genre  Saccharomyces  est  assez  restreint. 
Quelques-unes  seulement  sont  des  ferments  alcooliques  vrais  ;  d'autres  ne  produisent 
d'alcool  qu'en  petite  quantité;  d'autres  enfin  n'en  produisent  jamais,  quelles  que  soient 
les  matières  alimentaires  qu'on  leur  offre.  Nous  allons  décrire  les  types  qu'il  importe 
de  connaître,  en  commençant  par  l'espèce  qui  a  été  le  plus  anciennement  étudiée,  la 
levure  de  bière. 

Saccharomyces  cerevisiœ,  Meyen.  Les  cellules  végétatives,  rondes  ou  ovales,  mesurent 
de  S  à  9  [j^  dans  leur  plus  grande  longueur.  Les  cellules-mères  des  spores  mesurent  de 
10  à  la  ij.  de  diamètre  et  contiennent  deux  à  quatre  spores  de  4  à  b  (j..  Il  existe  plu- 
sieurs variétés  de  ce  ferment,  caractérisées  par  des  différences  dans  la  végétation  et  les 
conditions  nécessaires  pour  produire  au  mieux  leur  fermentation;  les  deux  plus  impor- 
tantes sont  désignées  dans  les  brasseries  sous  les  noms  de  levure  haute  et  levure  6asse. 
On  trouvera  à  l'article  Bière  des  détails  plus  circonstanciés. 

Saccharomyces  ellipsoideus,  Rees.  C'est  le  ferment  alcooliçiue  ordinaire  dii  vin  de  Pasteur, 
que  l'on  ti'ouve  toujours  en  très  grande  abondance  dans  le  moût  de  raisin  qui  fermente 
normalement.  Les  cellules  végétatives  sont  assez  régulièrement  elliptiques  et  mesurent 
environ  6  [j.  dans  leur  grand  diamètre,  sur  4  à  4,5  |j.  de  largeur.  Les  cellules-mères  des 
spores  sont  encore  presque  elliptiques  et  ne  renferment  d'ordinaire  que  deux  spores,  de 
3  à  3,0  [J.,  rarement  trois  ou  quatre.  Lorsque  la  température  reste  basse,  la  végétation  se 
fait  lentement;  les  cellules  s'isolent  facilement  les  unes  des  autres;  lorsqu'elle  dépasse 
16°,  la  végétation  est  plus  active,  les  éléments  restent  unis  en  assez  grand  nombre  en 
llocons  arborisés  assez  denses  et  forment  une  sorte  de  voile  à  la  surface  du  liquide.  Cette 
levure  se  trouve  dans  la  nature  à  la  surface  des  grains  de  raisins  mûrs. 

Hansen  décrit  cette  levure  sous  le  nom  de  Saccharomyces  ellipsoideus  II  et  considère 
comme  une  variété  son  Saccharomyces  ellipsoideus  l  qui  se  rencontre  aussi  sur  les  grains 
de  raisins  niùrs.  Ce  ferment  donne  un  voile  à  partir  de  6°,  voile  qui  contient  souvent 
des  éléments  plus  allongés  que  ceux  du  précédent  ;  les  spores  sont  souvent  un  peu  plus 
petites,  certaines  n'ont  guère  que  2  \x. 

Saccharomyces  Pastorianiis,  Rees.  Pasteur  le  considérait  comme  une  simple  variété  de 
son  ferment  alcoolique  ordinaire  du  vin,  le  Saccharomyces  ellipsoideus  ;  c'est  bien  une 
espèce  particulière.  C'est  un  ferment  alcoolique  lent,  ne  jouant  qu'un  rôle  secondaire 
dans  la  fermentation.  On  le  trouve  dans  l'air,  les  poussières  des  celliers  et  des  brasseries; 
c'est  de  là  probablement  qu'il  vient  contaminer  les  fermentations  du  vin,  du  cidre  ou  de 
la  bière,  où  on  le  trouve  très  fréquemment.  Les  cellules  végétatives  sont  ovales,  plus  ou 
moins  allongées,  ressemblant  souvent  à  celles  de  la  levure  de  bière  et  mesurant  comme 
elles  6  [J.  de  plus  grande  longueur.  Lorsque  la  végétation  est  lente,  elles  deviennent 
pyriformes  ou  en  forme  de  massue  et  peuvent  alors  atteindre  de  18  à  22  rx  de  longueur; 
elles  restent  souvent  alors  unies  et  forment  de  petits  flocons.  Les  cellules  courtes  ne 
contieiment  que  deux  spores,  les  cellules  en  massue  trois  ou  quatre;  ces  spores  ont 
jusqu'à  6  [J.  de  diamètre. 

Hansen  décrit  cette  levure  sous  le  nom  de  Saccharomyces  Pastorianus  IL  II  rapporte  à 
ce  type  deux  autres  levures.  L'une,  Saccharomyces  Pastorianus I,  a  été  isolée  de  pous- 
sières de  l'air  d'un  cellier  à  fermentation  ;  ses  cellules  et  ses  spores  ont  des  dimensions 


252  ALCOOLIQUE  (Fermentation). 

un  peu  plus  fortes.  La  seconde,  Saccharornyces  Pastorianus  lU,  trouvée  dans  une  bière 
trouble,  a  ses  éléments  alltfngés  beaucoup  plus  grands,  presque  cylindriques. 

Saccharornyces  exiguus,  Rees.  C'est  une  petite  espèce  dont  les  cellules  végétatives,  qui 
ont  une  forme  de  toupie,  n'ont  guère  que  o  ;j.  de  longueur  sur  2,5  \j.  de  largeur  au  gros 
bout.  Les  spores  sont  rares  et  disposées  comme  celles  de  la  levure  de  bière.  Cultivée 
dans  les  moûts,  cette  espèce  ne  donne  que  très  peu  d'alcool.  Elle  intervertit  le  saccha- 
rose et  développe  une  fermentation  active  dans  les  solutions  de  saccharose  et  de  glu- 
cose; elle  ne  donne  pas  lieu  à  la  fermentation  dans  une  solution  de  maltose. 

Saccharornyces  conglomeratus,  Rees.  C'est  un  ferment  alcoolique  douteux.  Engel  l'a 
rencontré  dans  des  moûts  de  raisin  à  la  fm  de  la  fermentation,  Hansen  sur  du  raisin 
pourri.  Les  cellules,  presque  sphériques,  ont  environ  6  [j.  de  diamètre;  celles  produites 
par  bourgeonnement  d'une  seule  cellule  restent  unies  en  assez  grand  nombre,  formant 
UQ  conglomérat.  Les  cellules-mères  des  spores  sont  rondes  ou  ovales  et  contiennent 
deux  à  quatre  spores  de  2,5  à  3  (a  de  diamètre. 

Saccharornyces  Marxianus,  Hansen.  C'est  une  espèce  qui  a  été  trouvée  par  Marx  sur  les 
grappes  de  raisin.  Les  petites  cellules  végétatives  ressemblent  à  celles  du  Saccharornyces 
ellipsoidcus :  cultivées  dans  le  moût  de  bière,  elles  donnent  de  longs  éléments  formant 
des  colonies  qui  prennent  l'aspect  d'un  mycélium.  Dans  le  moût  de  bière,  elle  ne  pro- 
duit que  très  peu  d'alcool.  Elle  en  forme  plus  dans  les  solutions  de  glucose  et  de  saccha- 
rose; elle  intervertit  le  saccharose,  mais  n'attaque  pas  le  maltose. 

On  a  décrit  d'autres  ferments  alcooliques  qui  se  rapprochent  par  beaucoup  de  carac- 
tères des  saccharoniycètes  vrais,  mais  s'en  différencient  surtout  parce  que,  dans  aucune 
des  conditions  où  ils  ont  été  observés,  ils  n'ont  montré  de  formation  de  spores. 
C'est  le  cas  d'une  levure  trouvée  par  Duclaux  dans  un  lait  fermenté;  elle  présente  la  pro- 
priété de  faire  fermenter  directement  le  sucre  de  lait.  Ses  cellules  sont  rondes,  et  ne 
mesurent  que  i,'i  p.  à  2, S  \i.  de  diamètre.  Adauetz  a  également  décrit  un  ferment. du 
lactose  bien  voisin  du  précédent,  sinon  identique.  Kayser  en  a  étudié  un  troisième. 

Le  ferment  apicidé  {Saccharornyces  apiculatus)  doit  aussi  être  placé  parmi  les  Saccha- 
romycètes  douteux.  Il  est  formé  de  petites  cellules  d'aspect  spécial;  ovoïdes,  plus  ou 
moins  allongées,  elles  possèdent  à  chaque  pôle  un  petit  apicule  qui  leur  donne  à  peu 
prés  la  forme  d'un  citron.  La  longueur  des  éléments  est  d'environ  6  pi,  Engel  pense  qu'il 
se  forme,  à  l'intérieur  de  cellules-mères,  un  grand  nombre  de  petites  spores  rondes, 
mais  il  n'a  jamais  pu  les  observer.  C'est  un  ferment  alcoolique  très  commun  dans  les  jus 
de  fruits  sucrés;  il  produit  une  fermentation  énergique  du  glucose,  mais  ne  modifie  pas 
e  sucre  de  canne. 

Pasteur  a  décrit  sous  le  nom  de  Torula  des  formes  voisines  des  levures  alcooliques 
et  très  communes  dans  les  ferpnentations.  Elles  ont  des  cellules  rondes  ou  plus  ou 
moins  allongées,  qui  se  multiplient  par  bourgeonnement,  restant  souvent  unies  en  cha- 
pelets assez  longs,  mais  ne  donnent  jamais  de  spores  et  s'allongent  parfois  en -longs 
articles  un  peu  semblables  à  des  filaments  mycéliens.  Hansen  en  décrit  sept  ou  huit 
espèces  qu'il  a  rencontrées  dans  les  moûts  de  bière,  l'air,  la  terre,  sur  les  fruits.  Cer- 
taines forment  jusqu'à  8  p.  100  d'alcool  dans  des  solutions  à  la  p.  100  de  glucose.  La 
plupart  ne  produisent  pas  d'interversion  et  sont  sans  action  sur  le  sucre  de  canne  et 
le  maltose.  On  en  doit  peut-être  rapprocher  la  mycolevilre  de  Duclaux. 

11  n'est  guère  possible  d'étudier  les  ferments  alcooliques  sans  parler  du  ilycoderma 
vini  de  Pastedr,  que  beaucoup  regardent  comme  un  Saceharomyces.  Toutefois,  comme  les 
formes  qui  viennent  d'être  citées,  il  ne  produit  pas  de  spores  endogènes;  les  corps  don- 
nés comme  tels  por  Rees  et  Engel  n'étant  que  des  gouttelettes  grasses,  fréquentes  dans 
les  cellules  de  cet  organisme.  Loin  d'être  un  ferment  alcoolique,  c'est  un  ennemi  de 
ces  fermentations;  il  s'attaque  en  effet  à  l'alcool  produit  et  le  brûle  complètement  en  le 
transformant  en  acide  carbonique  et  en  eau.  Il  est  formé  de  cellules  ellipsoïdales  ou 
cylindriques,  de  7  |j.  de  longueur  moyenne,  restant  unies  en  assez  grand  nombre  pour 
former,  à  la  surface  des  liquides  où  e  lies  vivent,  des  flocons  blancs  assez  gros,  très  connus 
sous  les  noms  de  fieurs  de  vin,  fleurs  de  bière,  etc. 

Purification  des  levures.  —  D'après  les  données  qui  viennent  d'être  exposées,  on  voit 
qu'il  existe  deux  ferments  alcooliques  principaux,  le  Saccharornyces  cerevisiœ,  ou  levure  de 
bière,  et  le  Saceharomyces  ellipsoideus,  ou  ferment  ordinaire  du  vin;  les  autres,  qui  sont 


ALCOOLIQUE  (Fermentation).  253 

toujours  mélangés  aux  premiers  dans  la  nature,  ne  jouent  qu'un  rôle  secondaire  et  sou- 
vent même  sont  nuisibles  parce  qu'ils  vivent  aux  dépens  d'aliments  qui  pourraient  être 
utilement  transformés  par  leurs  congénères,  ou  qu'ils  rejettent  dans  le  milieu  des  pro- 
duits qui  lui  communiquent  des  propriétés  spéciales.  On  aurait  donc  grand  intérêt,  lors- 
qu'on a  à  utiliser  l'action  de  ces  ferments,  à  éliminer  ceux  qui  ne  sont  pas  directement 
avantageux.  Il  n'est  pas  possible  d'arriver  à  ce  résultat  en  abandonnant  au  liasarJ  le 
développement  et  la  conduite  des  diverses  fermentations.  Les  liquides  l'ermentescibles 
apportant  avec  eux  de  nombreux  germes  de  plusieurs  espèces,  qui  proviennent  des  fruits 
employés  pour  les  obtenir,  de  l'air,  des  vases  qui  les  contiennent,  c'est  l'espèce  qui 
prendra  le  dessus  qui  aura  l'action  prédominante  dans  le  phénomène.  Heureusement, 
c'est  souvent  la  bonne,  comme  dans  la  plupart  des  fermentations  de  jus  de  raisin  ;  mais 
trop  souvent  encore  d'autres  l'emportent,  ou  tout  au  moins  poussent  plus  ou  moins  abon- 
damment aux  côtés  de  la  première;  de  là  perte  importante  pour  l'iiomme  qui  les  emploie. 
Les  brasseurs  ont  compris  depuis  longtemps  combien  il  était  téméraire  d'attendre  l'en- 
semencement naturel  des  cuvées  de  moût  que  devançait  trop  souvent  l'altération  du  liquide, 
et  qui,  d'autres  fois,  ne  conduisait  qu'à  un  mauvais  résultat;  aussi  ont-ils  préféré  ense- 
mencer largement  leurs  moûts,  avec  une  forte  quantité  de  levure  provenant  d'une  opé- 
ration précédente  qui  avait  donnée  de  bons  produits.  Les  bonnes  espèces  prédominaient 
ainsi  rapidement;  l'opération  était  presque  toujours  conduite  à  bonne  fio.  Dès  que  Pas- 
teur eut  montré  la  possibilité  d'isoler  ces  ferments  et  de  les  cultiver  dans  des  milieux 
appropriés,  le  problème  reçut  sa  solution  rationnelle. 

Les  avantages  de  cette  manière  de  faire  parurent  tout  de  suite  très  importants.  Prépa- 
rations faciles  de  grandes  quantités  de  levure  de  choix,  élimination  certaine  des  ferments 
secondaires  inutiles  ou  nuisibles,  tels  étaient  surtout  les  résultats  que  reclierchaient  les 
brasseurs.  Pasteur  avait  en  même  temps  résolu  la  question  pour  la  fermentation  du 
moût  de  raisin  et  la  fabrication  du  vin;  là,  cependant,  les  applications  pratiques  se  firent 
attendre  plus  longtemps,  bien  que  l'inlluence  des  ferments  nuisibles  fût  ici  plus  considé- 
rable peut-être  et  qu'elle  puisse  persister  pendant  un  temps  très  long,  puisque  la  plupart 
des  maladies  des  vins  faits  sont  dues  à  ces  ferments  secondaires.  Ce  n'est  guère  que  dans 
ces  dernières  années  que  ces  cultures  en  grand  de  levures  pures  commencèrent  à  pou- 
voir entrer  dans  la  pratique,  grâce  surtout  aux  travaux  de  Hansen  et  de  Jôroensen,  à 
Copenhague,  de  Marx  et  de  Jacquemin  en  France.  Les  résultats  obtenus,  à  divers  titres, 
suffisent  amplement  pour  faire  prédire  à  cette  réforme  un  avenir  sérieux. 

Pasteur  obtenait  ses  cultures  pures  de  levures  en  mettant  en  œuvre  une  sorte  de 
sélection.  Partant  d'une  levure  naturelle  qui  avait  mené  à  bonne  fin  une  fermentation 
normale,  il  en  ensemençait  une  minime  portion  dans  un  milieu  bien  préparé  et  dûment 
privé,  par  une  stérilisation  préalable,  de  tout  organisme  vivant.  La  bonne  levure,  exis- 
tant en  forte  proportion  dans  la  parcelle  de  semence,  prenait  rapidement  le  dessus  et  se 
trouvait,  à  un  moment  donné,  dans  cette  seconde  fermentation,  en  quantité  bien  plus 
grande  que  les  autres.  En  opérant  ainsi  successivement  dans  des  milieux  nouveaux, 
après  une  série  suffisante  de  cultures,  la  levure  cherchée  se  trouvait  exister  seule  dans 
la  culture.  La  vérification  de  la  pureté  se  faisait  au  microscope  qui  décelait  la  présence 
d'autres  organismes,  lorsque  le  but  n'était  pas  encore  complètement  obtenu. 

Hansen  a  rendu  l'isolement  plus  facile  et  plus  rapide  en  usant,  pour  y  arriver,  du 
procédé  des  cultures  sur  plaques  établi  par  Koch,  qui  donnait  d'excellents  résultats 
pour  l'étude  des  Bactéries,  et  qu'il  modifia  d'une  façon  avantageuse  pour  la  recherche 
spéciale  des  levures.  Une  minime  quantité  de  liquide,  contenant  le  ferment  sur  lequel  on 
veut  opérer,  est  intimement  mélangée  à  une  gelée  formée  de  moût  de  bière  addition- 
née de  10  à  12  pour  cent  de  gélatine  blanche,  stérilisée  d'avance,  puis  liquéfiée,  et 
maintenue  de  30°  à  3b°.  Ce  liquide  est  alors  réparti  dans  de  petits  cristallisoirs  cou- 
verts, également  stérilisés;  il  fait  prise  par  abaissement  de  la  température.  Les  germes 
vivants,  plus  ou  moins  isolés  dans  sa  masse,  sont  lixés  à  leur  place  par  suite  de  la  soli- 
dification de  la  gelée;  ils  sont  plus  ou  moins  écartés  les  uns  des  autres  suivant  que  le 
liquide  en  contenait  plus  ou  moins.  La  dilution  doit  toutefois  être  faite  de  façon  à  obte- 
nir un  écartement  suffisant  dans  la  gelée  nutritive.  Chaque  cellule  ou  groupe  de  cellules 
se  met  alors  à  végéter  au  bout  de  quelques  jours  et  donne,  au  bout  d'un  temps  variable 
suivant  l'espèce  et  les  conditions  de  température,  une  petite  colonie,  visible  à  l'œil  nu  ou 


254  ALCOOLIQUE  (Fermentation). 

à  un  faible  grossissement,  dont  il  est  facile  de  prélever  une  portion  à  l'aide  d'un  lil  de 
platine  stérilisé.  Cette  parcelle  de  colonie  sert  à  ensemencer  un  milieu  neuf,  dans  lequel 
se  développe  une  seule  espèce,  si  la  colonie,  dans  laquelle  on  a  fait  la  prise,  était  sufli- 
samment  éloignée  des  voisines  pour  que  le  mélange  de  leurs  cellules  ne  fût  pas  possible. 
Les  cultures  sur  gélatine  doivent  être  maintenues  à  basse  température,  de  lo°  à  20°, 
pour  que  la  gelée  reste  solide;  toute  fusion  ou  liquéfaction  amènerait  en  effet  un 
mélange  des  cellules  des  colonies  voisines  et  détruirait  les  avantages  de  la  méthode.  Il 
est  même  possible  d'arriver  à  des  résultats  plus  précis;  on  peut  opérer  la  prise  de 
semence  sur  des  colonies  ayant  comme  origine  une  seule  cellule.  Les  précautions  sont 
alors  plus  minutieuses,  parce  qu'elles  exigent  des  manipulations  sous  le  microscope  à 
d'assez  forts  grossissements.  On  fait  les  cultures  dans  de  petits  espaces  formés  d'un 
anneau  de  verre  de  un  ou  deux  centimètres  de  hauteur,  collé  sur  un  porte-objet  avec 
du  baume  de  Canada.  On  flambe  ces  petits  espaces  pour  les  stériliser  et  on  enduit  le 
bord  de  l'anneau  d'un  peu  de  vaseline  au  sublimé.  On  prend  des  lamelles  fines  portant  sur 
une  face  un  quadrillage  tracé  au  diamant,  dont  les  carrés  ont  environ  deux  millimètres 
de  côté,  et  on  dépose,  à  son  milieu,  à  l'aide  d'une  pipette  stérihsée,  une  ou  deux  gouttes 
de  la  dilution  de  ferment  dans  la  gélatine  fondue.  On  introduit,  au  fond  de  la  chambre  de 
verre  llambée,  une  gouttelette  d'eau  stérilisée  destinée  à  maintenir  l'humidité  suffisante 
et,  après  que  la  gelée  a  fait  prise,  la  lamelle  est  appliquée  sur  la  cellule  de  verre,  de 
façon  que  la  petite  quantité  de  gelée  soit  comprise  dans  la  cavité;  la  vaseline  qui  revêt 
les  bords  permet  une  adhérence  parfaite  et  une  obturation  complète  de  la  cellule  de 
verre.  On  examine  alors  soigneusement  au  microscope,  à  un  grossissement  de  1.50  à  200 
diamètres,  la  mince  couche  de  gelée  qui  se  trouve  à  la  face  inférieure  de  la  lamelle;  on 
y  reconnaît  la  présence  d'un  nombre  variable  de  cellules  de  ferment  dont  certaines  sont 
bien  isolées  des  voisines.  Grâce  au  quadrillage  de  la  lamelle,  il  est  facile  de  noter  leur  posi- 
tion avec  assez  de  précision  pour  pouvoir  les  retrouver  à  un  examen  ultérieur.  La  végé- 
tation de  ces  cellules  isolées  se  poursuit  lentement;  les  progrès  en  sont  faciles  à  suivre 
grâce  aux  précautions  indiquées.  Au  bout  d'un  certain  temps,  les  colonies  sont  suffi- 
samment développées  pour  qu'on  puisse  y  faire  facilement,  à  l'aide  d'un  fil  de  platine 
stérilisé,  une  prise  destinée  à  l'ensemencement  d'un  milieu  de  culture.  Les  cultures  obte- 
nues présentent  une  homogénéité  remarquable,  puisqu'elles  proviennent  du  développe- 
ment d'un  seul  et  même  élément. 

Phénomènes  chimiques  de  la  vie  des  ferments  alcooliques.  —  Pour  ces  cul- 
tures, on  peut  se  servir  de  tous  les  milieux  où  les  levures  trouveront  les  aliments  néces- 
saires. Les  moûts  de  bière,  obtenus  par  décoction  du  malt,  au  besoin  additionnés  de 
glucose  ou  de  saccharose,  sont  des  plus  favorables.  On  peut  en  fabriquer  de  toutes 
pièces  en  tenant  compte  des  conditions  de  nutrition  de  ces  ferments.  A  l'aide  de  telles 
cultures  pures,  conduites  dans  des  milieux  de  composition  connue,  il  sera  facilement 
possible  de  se  rendre  compte  des  conditions  de  vie  de  ces  organismes  et  des  modifica- 
tions qu'ils  fout  subir  aux  milieux  où  ils  vivent. 

Pour  bien  végéter,  les  ferments  alcooliques  doivent  trouver,  dans  les  milieux  où  ils 
vivent,  les  aliments  nécessaires  â  l'édification  de  leur  corps  cellulaire.  La  connaissance  de 
leur  constitution  donne  donc  sur  ce  point  des  renseignements  précieux.  On  s'est  surtout 
attaché  a  l'étude  de  la  levure  de  bière  qui  peut  être  prise  pour  type.  L'analyse  élémen- 
taire de  cette  levure  a  été  faite  par  de  nombreux  savants;  les  résultats  obtenus  sont  assez 
concordants.  Elle  paraît  renfermer  en  moyenne  : 

Carbone de  48  à  SO  p.  100 

Azote de    9  à  12      — 

Hydrogène de     6  à    7       — 

Plus  une  petite  quantilo  de  soufre  (0,6  p.  100.)  et  de  phosphore. 

L'analyse  suivante,  due  à  Naegeli  et  Lœw,  donne  des  renseignements  beaucoup  plus 
précis  sur  la  nature  des  principes  immédiats  qui  entrent  dans  sa  constitution  : 

Cellulose  et  mucilage  végétal 37  p.  100. 

Substances    albuminoïdes 4o       — 

Peptones 2      — 


ALCOOLIQUE  (Fermentation).  255 

Matières  grasses 5  p.  100 

Matières   extrnctivcs -^      — 

Cendres T       — 

La  cellulose  paraît  spéciale.  Elle  ne  se  dissout  pas  dans  le  réactif  de  Scbweitzer 
(solution  ammoniacale  d'oxyde  de  cuivre),  el  se  transforme,  par  ébuUition  avec  l'acide 
sulfurique,  en  sucre  fermentescible.  La  matière  albuminoîde  semble  identique  àl'hémipro- 
téine  de  Schutzenberger;  d'après  Stuïzer,  une  partie  serait  de  jla  nucléine.  Les  peptones 
doivent  provenir  de  l'activité  du  protoplasme  cellulaire.  Les  matières  grasses  sont,  en  ma- 
jeure partie,  composées  d'oléine;  on  a  signalé  en  outre  la  présence  de  cliolestérine  et  de 
lécithine.  Les  matières  extractives  renferment  de  la  leucine,  de  la  lyrosine,  de  la  lécithine, 
de  la  guanine,  de  la  xanthine,  de  la  glycérine,  provenant  toutes  des  processus  de  désassi- 
milation.  Enûn  les  cendres,  qui  contiennent  96,13  p.  100  de  principes  solubles  dans 
l'eau,  ont,  d'après  Bélohodbek,  la  composition  suivante  : 

Acide  phosphorique o9,09  p.  100. 

Acide  sulfurique 0,.57  — 

Acide  silioique 1,60  — 

Clilore 0,03  — 

Potasse 38,68  p.  100. 

Soude 1,82  — 

Magnésie ^,16  — 

Cliaux. 1,99  - 

Oxyde  de  fer 0,06  — 

Protoxyde  de  manganèse traces. 

En  plus  de  ces  composés,  la  levure  doit  contenir  une  certaine  quantité  d'eau,  pouvant 
être  désignée  sous  le  nom  d'eau  de  constitution,  qui  ne  doit  pas  être  inférieure  à  40  p.  100 
pour  que  la  plante  puisse  rester  capable  de  se  nmltiplier. 

En  tenant  compte  de  ces  données,  on  voit  qu'il  faut  à  ces  organismes  pour  se  nourrir 
des  aliments  azotés,  des  aliments  hydrocarbonés,  des  aliments  minéraux,  et  de  l'eau. 

Les  aliments  azotés  essentiels  sont  les  matières  albuminoïdes.  Les  levures  ne  peuvent 
assimiler  que  les  albumines  solubles,  ne  possédant  pas  le  pouvoir  de  solubiliser  les  autres  ; 
les  peptones,  facilement  diffusibles,  sont  éminemment  propices.  P.\3teur  et  Ducladx  ont 
montré  que  les  levures  peuvent  prendre  leur  azote  aux  composés  ammoniacaux  ;  cepen- 
dant, lorsqu'on  ne  leur  donne  pas  d'azote  sous  une  autre  forme,  elles  paraissent  en 
quelque  sorte  dégénérer,  tout  au  moins  s'appauvrissent-elles  en  azote  et  deviennent-elles 
plus  riches  en  matières  grasses.  Les  levures  ne  semblent  pas  pouvoir  emprunter  l'azote 
aux  nitrates;  du  moins  les  résultats  annoncés  par  Laurent  ne  sont  pas  suffisants  pour 
faire  admettre  l'aflirmative. 

Les  sucres  sont  les  aliments  hydrocarbonés  par  excellence  des  levures.  Toutefois  il 
faut  ici  mettre  de  côté  les  processus  de  fermentation  pour  ne  considérer  que  la  nutri- 
tion vraie.  La  fermentation,  en  effet,  est  une  fonction  spéciale;  distincte  de  la  nutrition 
proprement  dite,  bien  qu'ayant  avec  elle  des  rapports  intimes;  la  preuve  eu  est  que  les 
ferments  peuvent  très  bien  se  nourrir  et  végéter  abondamment  sans  produire  de  fermen- 
tation. Dans  le  cas  particulier,  la  source  de  carbone,  à  l'exclusion  complète  des  sucres, 
peut  être  l'acide  tartrique,  la  mannite,  la  glycérine  ;  il  n'y  a  pas  alors  manifestation  de 
la  fonction  de  ferment. 

Les  matières  grasses  ont  pour  origine,  principale  au  moins  (si  ce  n'est  exclusive),  les 
deux  catégories  précédentes  d'aliments  et  surtout  les  hydrocarbonés.  Pasteur  l'a  dé- 
montré en  cultivant  de  la  levure  de  bière  dans  de  l'eau  à  laquelle  il  n'avait  ajouté  que 
du  sucre  pur  et  de  l'extrait  d'eau  de  levure  débarrassée  de  toutes  traces  de  graisse  par 
lavage  à  l'alcool  et  à  l'éther;  la  levure  obtenue  contenait  encore  2  p.  100  de  son  poids 
sec  de  matières  grasses. 

On  doit  encore  à  Pasteur  la  preuve  de  la  nécessité  des  sels  minéraux  pour  le  déve- 
loppement de  la  levure.  Ensemencé  dans  un  milieu  contenant  du  sucre  candi  pur,  du 
tartrate  d'ammoniaque  et  des  cendres  de  levîire,  le  ferment  végète  bien  et  produit  une 
fermentation  normale.  Si  l'on  vient  à  supprimer  les  cendres  dans  la  composition  du 
milieu,  la  végétation  et  conséquemment  la  ferznentation  ne  se  font  pas.  La  nature  des 


2olJ  ALCOOLIQUE  (Fermentation). 

sels  essentiels  à  la  vie  de  ces  organismes  n'avait  pas  préoccupé  Pasteur,  qui  s'était  mis, 
il  est  vrai,  dans  de  bonnes  conditions  en  employant  les  cendres  de  levure  fraîche.  Mayer 
a  voulu  se  rendre  compte  de  la  valeur  des  différents  principes  que  la  chimie  avait 
signalés  dans  ces  cendres.  Il  ressort  de  ses  expériences  que  le  phosphate  de  potasse  est, 
de  tous  les  sels,  celui  qui  a  le  plus  d'action  sur  le  développement,  ce  qui  ne  doit  en 
rien  surprendre  si  l'on  se  reporte  au  tahleau  de  composition  des  cendres  (p.  2oo). 

L'origine  du  soufre  et  du  phosphore  que  l'analyse  décèle  dans  la  levure  est  moins 
connue.  Le  premier,  qui  existe  en  quantité  assez  forte,  provient  très  probablement  des 
aliments  albuminoïdes  qui  en  renferment  toujours.  Mayer  en  a  cependant  rencontré 
dans  de  la  levure  développée  en  un  liquide  ne  renfermant  que  du  sucre  candi,  du 
phosphate  de  potasse  et  du  phosphate  ammoniaco-magnésien  ;  il  pense  qu'il  se  trouvait 
dans  le  sucre  comme  impureté.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  soufre  paraît  être  un  aliment 
essentiel  pour  la  levure. 

Comme  tous  les  êtres  vivants,  les  levures  ont  un  besoin  absolu  d'oxygène;  il  faut 
qu'elles  respirent  pour  vivre.  Elles  peuvent  emprunter  l'oxygène  soit  à  l'air  dissous  dans 
le  milieu  nutritif,  soit  à  des  combinaisons  oxygénées  peu  stables.  Ainsi  ScHUTZENBEnoER 
a  démontré  que  la  levure  de  bière  enlevait  très  facilement  l'oxygène  à  l'oxyhémoglobine, 
faisant  passer  le  sang  artériel  rouge  à  la  teinte  du  sang  veineux.  Enfin,  les  levures 
peuvent  emprunter  cet  oxygène  à  des  composés  déterminés,  les  sucres  ;  cette  soustraction 
d'oxygène  détermine  des  modifications  moléculaires  importantes  qui  constituent  la  partie 
fondamentale  du  processus  de  la  fermentation.  C'est  en  effet  quand  la  levure  n'a  pas  à  sa 
disposition  la  quantité  d'oxygène  libre  nécessaire  et  qu'elle  trouve  du  sucre  dans  son 
milieu,  qu'elle  vit  véritablement  en  anaêrobie  et  qu'elle  devient  ferment. 

L'oxj'gène  sert  ici  comme  partout  à  oxyder,  brûler  certains  principes  du  protoplasme, 
d'où  dégagement  d'énergie  qui  peut  se  faire  sous  diverses  formes.  I.e  résidu  est  de 
l'acide  carbonique  qu'il  y  a  lieu  de  distinguer  de  celui  que  nous  retrouverons  comme 
résidu  de  la  fermentation. 

Nature  de  la  fermentation  alcoolique.  —  Maintenant  que  les  principales  condi- 
tions de  nutrition  des  levures  nous  sont  connues,  essayons  de  les  utiliser  pour  arriver  à 
nous  faire  une  idée  générale  de  la  fermentation  alcoolique. 

Nous  savons  déjà  que  la  fermentation  est  un  processus  intimement  lié  à  la  vie  de  la 
levure,  mais  à  la  vie  dans  certaines  conditions,  la  présence  de  sucre  dans  le  milieu  et 
la  privation  relative  d'oxygène. 

La  levure  peut,  en  effet,  très  bien  vivre  sans  exercer  son  pouvoir  de  ferment;  c'est 
ce  que  l'on  observe  quand  on  lui  offre,  comme  hydrocarbonés,  d'autres  produits  que 
les  sucres,  par  exeniple  de  l'acide  tartrique,  de  la  mannite.  C'est  ce  qui  se  passe  aussi 
lorsqu'on  la  cultive  en  surface  dans  les  milieux  sucrés  en  présence  d'oxygène  en  abon- 
dance. Pasteur  a  montré  qu'en  cultivant  la  levure  dans  des  cuvettes  plates,  contenant 
peu  de  liquide,  assurant  largement  l'accès  de  l'air,  il  ne  se  formait  que  peu  ou  pas 
d'alcool,  mais,  par  contre,  beaucoup  d'acide  carbonique;  de  plus,  la  végétation  est  des 
plus  abondantes,  le  rapport  entre  le  poids  de  levure  formée  et  le  poids  de  sucre  disparu 
est  à  son  maximum,  jusqu'à  d/4  dans  une  expérience.  En  diminuant  l'accès  de  l'air,  en 
cultivant  la  levure  dans  un  ballon  rempli  aux  deux  tiers,  il  se  forme  une  bonne  pro- 
portion d'alcool,  mais  la  végétation  est  bien  moindre  à  cause  de  la  pénurie  d'oxygène; 
le  rapport  entre  le  poids  de  la  levure  formée  et  le  poids  de  sucre  disparu  diminue 
beaucoup,  il  n'a  été  que  de  1/76  dans  une  expérience.  Ces  phénomènes  s'accentuent 
encore  si  l'on  cultive  la  levîire  dans  un  liquide  privé  d'air  par  l'ébuUition  et  remplissant 
entièrement  le  ballon  ;  on  obtiendra  alors  le  maximum  d'alcool  que  la  levure  peut  fournir 
et  le  rapport  entre  le  poids  de  levure  formée  et  le  poids  du  sucre  disparu  atteindra  un 
minimum,  1/89  dans  une  des  expériences.  Ces  expériences  démontrent  nettement  la 
concordance  du  processus  de  fermentation  avec  le  manque  d'oxygène.  Dans  les  milieux 
partiellement  exposés  à  l'air,  c'est  l'acide  carbonique  produit  qui  empêche  l'accès  d'air 
dans  le  liquide  et  soustrait  pour  ainsi  dire  la  levure  à  son  action;  cette  levure  agit  alors 
comme  en  vase  clos  dans  un  milieu  privé  d'air.  Ce  sont  ces  observations  qui  ont  conduit 
Pasteur  à  poser  cet  axiome  :  «  La  fermentation  est  la  conséquence  de  la  vie  sans  air.  » 

Ces  relations  de  la  fermentation  alcoolique  avec  l'oxygène  ont  fait  dire  depuis  long- 
temps que  la  levure  ne  fait  fermenter  le  sucre  que  pour  obtenir  l'oxygène  qui  lui  est 


ALCOOLIQUE  (Fermentation).  i>o7 

nécessaire;  on  a  vu  qu'elle  ne  le  faisait  que  lorsque  ce  gaz  libre  lui  faisait  défaut.  Ce 
caractère  n'est  du  reste  pas  propre  aux  levures  alcooliques;  certaines  moisissures  sub- 
mergées dans  un  liquide  sucré,  des  cellules  végétales  à  contenu  riche  en  sucre  main- 
tenues dans  l'acide  carbonique,  produisent  de  l'alcool,  comme  nous  le  verrons  plus  loin. 
C'est  plutôt  un  fait  physiologique  qui  semble  général  ;  les  éléments  vivants  le  présentent 
à  des  degrés  divers;  les  levures  à  son  maximum. 

Cependant,  si  cette  fonction  des  levures  s'opère  au  moins  quand  l'oxygène  manque, 
cela  ne  veut  pas  dire  que  ce  gaz  ne  soit  pas  utile  à  leur  développement.  Au  contraire  ; 
puisque  nous  savons  que,  dans  ces  conditions  de  vie  sans  air  ou  avec  peu  d'oxygène,  la 
multiplication  végétative  se  fait  mal,  tandis  qu'elle  s'opère  beaucoup  mieux  en  pré- 
sence d'une  abondance  d'oxygène.  Cela  prouve  que  le  pouvoir  de  faire  fermenter  le 
sucre  est  bien  distinct  de  la  véritable  nutrition  bydrocarbonée.  Cependant,  il  est  des 
cas  où  l'apport  d'oxygène  peut  rendre  la, fermentation  plus  active.  C'est  précisément 
quand  on  a  ensemencé  un  milieu  privé  d'air;  la  levure,  ne  trouvant  pas  trace  d'oxygène, 
ne  végète  que  très  peu,  en  vertu  de  sa  force  acquise,  puis  s'arrête.  Si  l'on  vient  alors  à 
faire  passer  un  peu  d'air  dans  le  liquide,  le  phénomène  reprend  bientôt.  Ce  qui  prouve 
que  la  levure  ne  peut  pas  vivre  constamment  en  anaérobie,  —  sa  vitalité  s'épuiserait 
vite,  —  et  aussi  que  la  vie  en  état  de  ferment  n'est  pas  sa  vie  normale,  mais  plutôt  un 
état  transitoire,  quasi  accidentel. 

Nous  savons  que  tous  les  sucres  ne  sont  pas  aptes  à  subir  la  fermentation  alcoolique; 
ceux  du  groupe  des  glucoses  peuvent  seuls  fermenter  directement.  Les  saccharides, 
sucre  de  canne,  maltose,  lactose,  ont  besoin  d'être  au  préalable  intervertis.  L'inter- 
version peut  être  opérée  par  certaines  levures  qui  sécrètent  dans  ce  but  un  ferment 
inversif,  la  sucrase  de  Duclaux;  les  levures  qui  ne  jouissent  pas  de  la  propriété  de  pro- 
duire cette  invertine  sont  sans  action  sur  les  sucres  du  second  groupe.  Les  deux  prin- 
cipaux ferments  alcooliques,  la  Levure  de  bière  et  le  Saccharomyces  eUipsoideus  sécrètent  de 
l'invertine  et  font  fermenter  le  sucre  de  canne  et  le  maltose;  elles  ne  font  toutefois 
pas  fermenter  le  lactose,  mais  le  brûlent  lentement.  Le  lactose  ne  subit  la  fermentation 
alcoolique  que  sous  l'influence  de  levures  spéciales,  encore  peu  connues,  dont  trois 
types  ont  été  décrits  par  Duclaux,  Adametz  et  Kaysek. 

D'après  Naegeli  et  Laurent,  la  modification  du  sucre  et  sa  transformation  princi- 
pale en  alcool  et  acide  carbonique  s'opéreraient  dans  l'intérieur  même  du  protoplasma 
des  cellules  de  levure.  Il  se  produirait  une  véritable  assimilation  qui  créerait  dans 
l'élément  une  réserve  hydrocarbonée,  probablement  sous  forme  de  glycogène  dont 
l'iode  décèle  la  présence  dans  les  cellules  de  levure  de  bière  en  pleine  activité.  Ce  gly- 
cogène se  décomposerait  pour  subvenir  aux  besoins  vitaux;  les  produits  résiduaux 
seraient  surtout  de  l'alcool  et  de  l'acide  carbonique.  Tant  que  la  levure  trouve  du  sucre 
dans  son'milieu,  elle  peut  reconstituer  sa  réserve.  Lorsque  ce  corps  vient  à  manquer, 
elle  épuise  sa  provision,  puis  vit  sur  elle-même,  comme  tout  être  en  état  d'inanition, 
c'est  la  période  dite  d'autophagie  de  la  ievûre.  Dans  ces  dernières  conditions  on  ne 
doit  pas  s'étonner  de  voir  se  former  des  produits  spéciaux,  parmi  lesquels  se  rencontrent 
des  produits  de  désassimilalion  des  matières  azotées,  la  leucine  et  la  tyrosine  surtout, 
indiquant  que  la  levure  vit  aux  dépens  de  ses  matériaux  albuminoïdes. 

La  complexité  du  phénomène  de  la  fermentation  et  celle  des  produits  auxquels  il 
donne  naissance  prouvent  bien  qu'il  n'y  a  pas  là  une  simple  modification,  un  simple 
dédoublement  du  sucre,  mais  un  véritable  acte  vital  présentant  les  caractères  que  l'on 
est  habitué  à  reconnaître  dans  les  manifestations  de  la  vie. 

Lavoisier  n'ayant  trouvé  dans  le  liquide  issu  de  la  fermentation  alcoolique  que  de 
l'alcool,  de  l'acide  carbonique  et  un  peu  d'acide  acétique  dont  le  poids  correspondait 
à  peu  près  au  poids  du  sucre  consommé,  croyait  à  un  simple  dédoublement  qu'il  for- 
mulait très  simplement  par  l'équation  suivante  : 

C6H1206  =  2C02   -t-   2C3H60. 
Sucre.  Alcool. 

que  Gay-Lussac  traduisit,  en  disant  que,  sur  100  parties  de  sucre,  a  1,34  se  transforment 
en  alcool  et  48,66  en  acide  carbonique. 

Dumas  et  Boullay  montrèrent  que  cette  formule  ne  pouvait  s'appliquer  au  sucre  de 

DICT.   DE    PHYSIOLOGIE.    —   TOME.    I.  17 


238  ALCOOLIQUE  (Fermentation). 

canne,  qui  devait,  par  l'inversion,  subir  une  hydratation  préalable.  Pasteur  a  renversé 
cette  première  théorie  eu  démontrant  l'existence  constante  de  produits  autres  que 
l'acide  carbonique  et  l'alcool  provenant  des  actes  de  désassimilation.  D'après  lui,  dans 
une  fermentation  alcoolique  normale,  sur  100  parties  de  sucre  candi,  93  ou  96  donnent 
de  l'alcool  et  de  l'acide  carbonique;  les  4  ou  o  parties  restantes  servent  de  véritable 
nourriture  hydrocarbonée  à  la  levure  et  donnent  surtout  comme  résidu  de  l'acide  suc- 
cinique  et  de  la  glycérine.  La  modification  de  100  grammes  de  sucre  candi,  selon  lui, 
serait  représentée,  à  peu  de  choses  près,  dans  le  tableau  suivant  : 

Alcool 51,10 

Acide  carbonique 49,20 

Glycérine 3,40 

Acide  succinique 0,6;i 

Cellulose,  graisses,  etc i,-'JO 


L'excédent  de  o,65  serait  dû  à  l'hydratation  du  sucre  de  canne  pendant  l'inversion 
par  la  levure. 

La  modification  complète,  c'est-à-dire  la  fermentation  alcoolique  proprement  dite, 
se  formulerait  alors  de  la  façon  suivante  :  95  à  96  p.  100  du  sucre  donneraient  de  l'alcool 
et  de  l'acide  carbonique  suivant  l'équation  de  Lavoisier,  modifiée  par  Dumas  et  Boull.iy, 

C12H22011  +  H20  =  4C2H60  +  4C0^. 

Sucre  de  canne.  Alcool. 

Les  4  ou  .S  parties  restantes  formeraient  surtout  l'acide  succinique  et  la  glycérine, 
suivant  l'équation  : 

49(Ci2H220ii  +  H^O)  =24CtH604  +  ■144C:'HS03  +  60CO2. 
Sucre  de  canne.  Acide  succinique.  Glyc<?rine. 

Suivant  Monoyer,  la  transformation  serait  plus  simple;  elle  pourrait  se  formuler 
ainsi  : 

4(Ci2H220ii  +  mO)  =.  2C*H60i  +  12C3HS03  +  4CO2  +  O^. 

Sucre  de  canne.  Ac.  succinique.  Glycérine. 

Cet  oxygène  mis  en  liberté  par  la  réaction  servirait  justement  à  la  respiration  de  la 
levure. 

Les  proportions  d'acide  succinique  et  de  glycérine  formées  sont  loin  d'être  flxes  et 
invariables,  elles  subissent  au  contraire,  mais  en  sens  inverse,  les  variations  de  l'activité 
du  ferment.  L'acide  succinique,  par  exemple,  se  forme  en  plus  grande  quantité  quand  la 
fermentation  est  lente;  la  glycérine,  d'après  d'UDRANSKY,  quand  la  levure  est  dans  la 
période  d'autophagie.  Ce  qui  est  une  preuve  de  plus  pour  les  considérer  coinme  des 
produits  directs  de  la  désassimilation. 

Outre  les  produits  secondaires  qui  viennent  d'être  cités,  acide  succinique  et  glycé- 
rine, les  chimistes  ont  signalé  la  production,  dans  les  fermentations  alcooliques,  de  toute 
une  série  de  composés  dont  le  mode  de  formation  est  encore  loin  d'être  expliqué.  C'est 
l'aldéhyde, l'acide  acétique,  qui  peuvent  provenir  d'une  oxydation  de  l'alcool  déjà  formé; 
des  acides  gras  supérieurs;  des  composés  basiques,  encore  très  peu  connus;  des  alcools 
supérieurs,  l'alcool  amylique,  l'alcool  propylique,  l'alcool  isobutylique;  des  glycols; 
enfin,  dans  les  vins  spécialement,  de  très  petites  quantités  d'éthers  qui  contribuent  à 
former  le  bouquet  du  vin. 

Oudonneau  démontra  que  la  nature  de  la  levure  avait  une  grande  influence  sur  la 
production  de  certains  de  ces  composés,  en  annonçant  que  les  alcools  de  queue  des 
fermentations  de  vin  étaient  les  alcools  propyliques  et  butyliques  normaux,  taudis  que 
les  alcools  supérieurs  provenant  de  fermentations  déterminées  par  la  levure  de  bière 
sont  des  iso-alcools. 

Une  partie  de  ces  produits  seraient  de  véritables  impuretés  pour  la  fermentation 
alcoolique  normale,  impuretés  dues  surtout  à  la  présence  de  ferments  étrangers.  C'est 
ce  que  tendent  à  faire  admettre  les  dosages,  pratiqués  par  Llxdet,  des  alcools  supérieurs 
dans  des  fractions  de  moût  prélevées  à  différents  moments  de  la  fermentation.  Ces  opé- 
rations démontrent  que  la  proportion  des  alcools  supérieurs  augmente  au  moment  où 


ALCOOLIQUE  (Fermentation).  239 

la  fermentation  touche  à  sa  fin,  alors  que  la  levure  ralentit  sa  végétation  et  que  les  autres 
organismes,  paralysés]  jusque-là,  reprennent  leur  activité;  dans  une  expérience,  les 
dosages  ont  donné  les  résultats  suivants  : 

1»  pendant  les  14  premières  heures  de  la 

fermentation 0,36  d'alcools  supérieurs  p.  100  d'alcool  formé. 

2°  Entre  la  1 4»  et  la  20°  heure 0,34  —  —  — 

3°  Entre  la  20°  et  la  38°  heure  {fermen- 
tation terminée) 0,88  —  —  — 

i°  24  heures  après  la  fermentation  ter- 
minée,   14,07  —  —  — 

Des  expériences  similaires  ont  également  prouvé  que  la  proportion  d'alcools  supérieurs 
formés  était  moindre  lorsque  la  fermentation  était  particulièrement  active,  comme  celle 
provoquée  par  une  grande  quantité  de  bonne  levîire  qui  l'emportait  tout  de  suite  sur  les 
autres  organismes  ;  qu'elle  s'élevait  au  contraire  dans  les  fermentations  lentes  où  les 
organismes  étrangers  entraient  en  concurrence  avec  la  levilre  alcoolique  vraie. 

On  connaît  très  peu  encore  la  part  qui  revient  aux  divers  organismes,  autres  que  les 
bonnes  leviîres,  pouvant  se  rencontrer  dans  les  fermentations  alcooliques.  Perdrix  a  décrit 
récemment  un  bacille  anaérobie,  qu'il  a  isolé  de  l'eau,  qui  présente  la  curieuse  propriété 
d'attaquer  l'amidon,  de  le  transformer  en  ua  sucre  fermentescible  et  de  produire  aux 
dépens  de  ce  sucre  une  forte  proportion  d'alcool  amylique,  de  l'alcool  butyrique,  des 
acides  acétique  et  butyrique.  Il  est  bien  probable  que  la  présence  de  ces  produits  dans 
les  alcools  industriels  de  grains  et  de  pommes  de  terre  provient  du  développement  de 
cette  bactérie  ou  d'autres  à  action  similaire. 

Il  résulte  de  là  l'importance  extrême  d'éviter  le  plus  possible  la  présence  des  orga- 
nismes autres  que  les  bonnes  levures  alcooliques.  Dans  ce  but  on  a  proposé  divers 
moyens.  Gayon  et  Effront  ont  démontré  la  possibilité  de  diminuer  sensilalement  les 
proportions  d'alcools  supérieurs  en  ajoutant  des  substances  légèrement  antiseptiques 
empêchant  ou  entravant  le  développement  des  organismes  étrangers,  tout  en  ne  nuisant 
pas  au  bon  fonctionnement  de  la  levure;  le  premier  conseille  l'addition  de  sous-nitrate 
de  bismuth,  le  second  celle  de  minimes  quantités  d'acide  fluorhydrique.  La  voie  la  plus 
siire  semble  être  l'emploi  des  levures  pures  combiné  avec  une  préparation  convenable  des 
moûts  qui  parvienne  à  en  écarter  les  impuretés  nuisibles  ;  c'est  un  moyen  sûr,  en  train 
de  passer  actuellement  dans  la  grande  pratique,  depuis  les  recherches  de  Marx  et  |de 
Jacoueuiin  sur  ce  sujet. 

Toutes  ces  données  prouvent  bien  qu'il  n'est  pas  plus  possible  d'établir  une  formule 
complète  et  générale  de  la  fermentation  alcoolique  que  de  mettre  en  équation  un  phéno- 
mène vital  quelconque. 

Influence  des  milieux.  —  Les  ferments  alcooliques  subissent,  comme  tous  les 
êtres  vivants,  l'intluence  des  milieux.  Il  est  pour  eux  des  conditions  et  des  substances 
favorables  à  la  manifestation  et  à  l'accroissement  de  leur  fonction  de  ferment,  d'autres 
qui  leur  sont  nuisibles  et  produisent  des  modiflcations  dans  leurs  propriétés  vitales  ou 
arrivent  même  à  les  faire  périr.  Ces  influences  mauvaises  arrêtent  d'abord  les  modifi- 
cations extérieures,  tout  en  laissant  la  nutrition  se  faire  tant  bien  que  mal.  Si  leur  action 
persiste,  la  nutrition  s'arrête,  la  mort  peut  survenir.  C'est  alors  parfois  que  se  produisent 
les  spores,  pour  résister  à  des  conditions  qui  font  périr  les  simples  cellules  végéta- 
tives. 

Parmi  les  conditions  physiques  nécessaires  à  la  vie  et  au  bon  fonctionnement  des 
levures  alcooliques,  la  chaleur  tient  certainement  le  premier  rang.  Leur  végétation  parait 
nulle  a  0°;  elle  ne  commence  guère  que  vers  2°  ou  .3°,  puis  augmente  progressivement 
jusque  vers  25°  — 30°,  où  elle  présente  un  optimum  peu  déterminé  encore;  elle  reste  sta- 
tionnaire,  puis  s'arrête  aux  environs  de  38°  —  W.  Portées  à  une  température  supérieure, 
les  levures  périssent  de  33°  à  70°  suivant  l'état  de  vitalité  de  leurs  éléments  et  la  compo- 
sition du  milieu;  elles  meurent  plus  vite,  dans  les  milieux  acides.  Desséchée  lentement, 
avec  précautions,  la  levure  de  bière  peut  supporter  pendant  plusieurs  heures,  sans  périr, 
la  température  de  100°;  le  fait  est  toutefois  peut-être  dû  à  la  pi'ésence  de  spores  ou  à  leur 
formation  pendant  l'expérience.  La  fermentation  alcoolique  commence  à  basse  tempéra- 
ture, Z°  au  minimum  pour  la  levure  de  bière;  elle  se  fait  alors  très  lentement.  Elle  est  plus 


260  ALCOOLIQUE  (Fermentation). 

active,  quoique  encore  lente,  vers  6°,  8°  et  se  montre  dans  son  plein  de  Vo"  k  23°.  Elle 
cesse  vers  40°,  sauf  dans  les  cas  où  en  opérant  très  lentement  on  )a  soumet  à  des  terapé- 
i-atures  un  peu  supérieures  :  elle  peut  alors  se  manifester  encore  à  4o°. 

Le  froid  paraît  avoir  assez  peu  d'action  sur  les  levures,  comme  en  général  sur  les 
micro-organismes;  elles  peuvent  être  soumises  sans  périr  à  des  froids  de  —  100°  et 
plus. 

D'après  Regnaed,  la  lumière  activerait  la  fermentation,  qui  cependant  s'opère  très 
bien  à  l'obscurité.  Les  effets  de  l'électricité  ne  paraissent  guère  plus  remarquables; 
Dumas  a  observé  que  de  grandes  étincelles  tuent  la  levure,  ainsi  qu'un  fort  courant  de 
10  éléments  Bunsen  :  dans  ce  dernier  cas  cependant  il  est  probable  qu'il  faut  tenir  compte 
des  changements  produits  dans  le  milieu  par  l'électrolyse.  De  très  fortes  pressions 
n'arrivent  pas  à  détruire  la  vitalité  de  ces  organismes. 

La  dessiccation  lue  rapidement  les   cellules  végétatives.  Elle  est  sans  action  sur  les  • 
spores.  De  la  levure  desséchée  lentement  à  la  température  ordinaire  peut  cependant  gar- 
der longtemps  son  activité;  le  fait  est  dû  sans  doute  à  la  formation  de  spores  pendant 
l'opération. 

De  la  levure  de  bière  conservée  dans  l'oxygène,  l'hydrogène,  l'azote,  l'oxyde  de  carbone, 
le  protoxyde  d'azote,  l'hydrogène  protocarboné,  a  paru  à  Dumas  conserver  sa  vitalité  et  son 
pouvoir  de  ferment.  D'après  P.  Bert,  l'oxygène  comprimé  ferait  disparaître  cette  dernière 
propriété. 

I,es  acides  et  les  bases,  en  faibles  proportions,  n'ont  aucune  action;  les  doses  élevées 
sont  toxiques  pour  le  ferment.  L'addition  de  soufre  détermine  la  production  d'une  petite 
quantité  d'hydrogène  sulfuré;  Rey-Pailhade  attribue  cette  réaction  à  la  présence  dans 
l'élément  vivant  d'une  matière  hydrogénée  spéciale,  \e  philothion,  qui  se  combine  au  sou- 
fre en  donnant  de  l'hydrogène  sulfuré. 

L'alcool  arrête  la  fermentation  alcoolique,  dès  qu'il  se  trouve  en  proportions  de  IG  à 
17  p.  100  dans  le  liquide;  de  plus  fortes  quantités  tuent  les  levures. 

Les  antiseptiques  entravent  la  fermentation  à  des  doses  variables  suivant  leur  acti- 
vité; si  les  doses  augmentent,  les  levures  périssent  (Voir  Antiseptiques).  Certains  poisons, 
l'acide  prussique  par  exemple,  font  de  même. 

Les  anesthésiques  paraissent  pouvoir  diminuer  ou  même  arrêter  la  fermentation  alcoo- 
lique, suivant  la  dose.  D'après  Duclaus,  1  p.  100  de  chloroforme  ralentit  de  moitié  la 
fermentation  de  la  levure  de  bière  jeune  et  très  active,  et  peut  même  supprimer  l'action 
de  la  levure  vieille.  Charpentier  a  observé  l'arrêt  complet  de  cette  fermentation  par  la 
cocaïne  à  la  dose  de  5  p.  100.  Dans  ces  conditions,  la  levure  n'est  pas  tuée,  car  elle 
reprend  sa  vie  dès  que  l'anesthésique  a  disparu  ;  elle  est  sous  le  coup  d'une  véritable 
aneslhèsie. 

Les  levures  des  fermentations  alcooliques  sojit  très  répandues  dans  la  nature.  On  en 
trouve  constamment  à  la  surface  des  fruits  sucrés  qui  ont  mûri  à  l'air  libre;  il  suffit  de 
les  écraser  pour  que  le  jus  subisse  rapidement  la  fermentation  alcoolique.  On  peut  s'en 
convaincre,  d'ailleurs,  par  l'examen  direct;  si  on  lave  à  l'eau  distillée,  comme  l'a  fait 
Pasteur,  des  grains  de  raisins  mûrs  à  l'aide  d'un  pinceau  de  blaireau,  l'examen  au 
microscope  du  liquide  trouble  obtenu  y  fera  reconnaître  la  présence,  au  milieu  d'autres 
organismes,  de  nombreuses  cellules  de  le\nlre  dont  certaines  peuvent  contenir  des  spores. 
Les  raisins  verts,  par  contre,  s'en  montrent  constamment  dépourvus.  A  tout  moment  de 
l'année,  la  terre  des  vignes  s'est  montrée  à  Pasteur  capable,  ajoutée  à  très  petites  doses, 
de  provoquer  la  fermentation  alcoolique  dans  les  moûts  sucrés.  D  semble  que  le  sol  soit 
le  véritable  lieu  de  conservation  de  ces  organismes.  Tombées  à  sa  surface  avec  les  fruits 
mûrs  sur  lesquels  elles  ont  pullulé,  les  levures  sporulent  en  partie,  et  passent,  à  l'état  de 
spores,  le  temps  assez  long  pendant  lequel  elles  ne  rencontreraient  pas  d'aliment  sucré 
dans  la  nature.  Transportées  par  le  vent  avec  les  poussières  sur  des  fruits  arrivés  à  un 
état  de  maturité  suffisante,  elles  s'y  accolent  et  peuvent  se  multiplier  et  agir  dès  qu'une 
solution  de  continuité  quelconque  des  téguments  les  met  en  contact  avec  le  jus  sucré 
qu'ils  contiennent.  C'est  la  même  raison  qui  fait  que  ces  levures  sont  très  communes  dans 
les  poussières  des  locaux  où  s'opèrent  en  grand  les  fermentations  alcooliques,  celliers  à- 
vin  et  à  cidre,  caves  de  brasserie;  de  telle  sorte  qu'un  moût  sucré  convenable,  ne  ren- 
fermant aucun  ferment,  entre  rapidement  en  fermentation   dès   qu'il  est  simplement 


ALCOOLIQUE    (Fermentation).  126 

exposé  à  l'ail'  libre  dans  de  tels  locaux.  L'opinion  de  la  fermentation  sponlanée  de  ces 
moûts  est  aujourd'hui  complètement  improuvée. 

Ferments  alcooliques  autres  que  les  levures.  —  Les  levures  ne  sont  pas  les 
seuls  éléments  vivants  qui  possèdent  la  propriété  de  produire  de  l'alcool  aux  dépens  du 
sucre;  on  retrouve  cette  particularité,  à  des  degrés  divers,  chez  d'autres  organismes 
inférieurs  ou  même  chez  des  organes  d'êtres  plus  élevés,  dans  des  conditions  spéciales. 

Lorsqu'on  fait  vivre  certaines  moisissures  dans  des  liquides  sucrés,  en  les  soumettant 
à  des  conditions  déterminées,  au  premier  rang  desquelles  se  trouve  l'immersion  de  la 
plante  dans  le  liquide,  on  observe  une  transformation  du  sucre  et  une  production  d'acide 
carbonique  et  d'alcool.  Il  est  de  ces  champignons  qui  ne  peuvent  attaquer  que  les  glu- 
coses; d'auiresfont  également  fermenter  le  sucre  de  canne  grâce  à  la  sécrétion  d'un  fer- 
ment inversif.  Cette  propriété  d'être  ferment  alcoolique  coïncide  avec  des  modifications 
spéciales  que  subit  la  partie  végétative  de  la  plante.  Ce  mycélium,  au  lieu  d'être  formé 
d'articles  fdamenteux  souvent  très  longs  et  ramifiés,  se  segmente  en  une  série  d'articles 
courts,  sphériques,  ovoïdes  ou  cylindriques,  ressemblant  beaucoup  à  des  cellules  de 
levures  et  semblant  se  reproduire  comme  elles  par  bourgeonnement.  Cette  forme  n'est 
toutefois  que  transitoire  ;  elle  dépend  du  mode  de  vie  spécial  imposé  à  la  plante,  immer- 
sion dans  un  liquide  et  privation  plus  ou  moins  complète  d'air.  Dès  que  de  tels  articles, 
en  effet,  arrivent  à  la  surface,  ils  donnent  les  tubes  filamenteux  habituels  du  mycélium 
de  l'espèce.  La  quantité  d'alcool  formée  est  très  variable;  certaines  espèces  en  donnent 
à  peine  des  traces,  d'autres  des  proportions  notables.  Une  seule  est  utilisée  comme 
ferment  alcoolique,  et  encore  la  part  qui  lui  revient  dans  l'opération  est-elle  minime. 

Le  Mucor  muccdo  est  une  de  ces  moisissures  qui  peuvent  produire  de  l'alcool  aux 
dépens  du  sucre.  C'est  une  grande  moisissure  blanche  qui  se  rencontre  fréquemment  sur 
les  milieux  sucrés,  principalement  sur  les  confitures.  Vivant  sur  un  corps  humide  ou  à  la 
surface  d'un  liquide  en  présence  d'air  en  abondance,  les  filaments  mycéliens  sont  très 
longs,  rameux,  enchevêtrés  les  uns  dans  les  autres,  constituant  une  membrane  blanche 
feutrée,  plus  ou  moins  épaisse.  De  distance  en  distance,  ils  émettent  des  filaments  verti- 
caux qui  se  terminent  par  un  sporange  sphérique  rempli  de  petites  spores.  Immergé 
dans  un  liquide,  en  présence  d'une  quantité  insuffisante  d'air,  le  mycélium  pousse  des 
articles  courts,  sphériques,  ovoïdes  ou  cylindriques,  qui  peuvent  se  détacher  et  vivre  à 
part,  en  produisant  par  bourgeonnement  d'autres  articles  semblables  ;  la  ressemblance 
de  ces  derniers  avec  les  leviàres  est  très  grande  et  a  pu  prêter  à  confusion.  Dans  ces  con- 
ditions, la  plante  provoque  une  véritable  fermentation  aicoolique  du  sucre;  on  peut  ren- 
contrer dans  le  liquide,  jusqu'à  3  p.  100  d'alcool,  de  l'acide  succinique,  de  l'aldéhyde  et 
des  traces  de  glycérine.  D'après  Gayon,  ce  Mucor  n'intervertirait  pas  le  sucre  de  canne. 

Le  Mucor  racemosus  secrète  de  l'invertine,  et  peut  faire  fermenterle  sucre  de  canne;  il 
donne  jusqu'à  8  p.  100  d'alcool.  Le  Mucor  circinelloides  n'intervertit  pas  le  sucre  decanne; 
et  donne  dans  les  moûts  de  glucose  jusqu'à  3, S  p.  100  d'alcool.  Dans  les  moûts  de  bière, 
le  Mucor  erectus  peut  donner  jusqu'à  8p.  100;  le  Mucor  spinosus,  op.  100  d'alcool. 

Dans  les  mêmes  conditions  les  Pénicillium  glaucum  et  Aspergillus  glaucus,  formant  les 
moisissures  vertes  les  plus  communes,  produisent  aussi  de  l'alcool,  mais  en  quantités 
très  minimes. 

Des  moisissures  voisines  de  cette  dernière  espèce  servent,  au  Japon  et  en  Chine,  à 
saccharitier  le  riz  et  à  produire  un  peu  d'alcool,  donnant  ainsi  des  boissons  alcooliques 
très  usitées  dans  ces  pays,  le  koji  et  le  sfl/cé.La  fermentation  s'obtient  en  ajoutant  au  riz, 
concassé  et  additionné  d'eau,  un  levain  spécial  qui  contient,  comme  parties  actives, 
des  spores  de  la  moississure  et  des  cellules  de  levures  où  domine  une  espèce  qui  paraît 
être  le  Saccharomyces  Pastorianus.  La  moisissure  sert  surtout  à  saccliarifier  l'amidon;  elle 
ne  produit  que  très  peu  d'alcool,  2  à3p.  100  au  maximum;  la  plus  grande  partie  pro- 
vient de  l'action  du  Saccharomyces  sur  le  glucose  formé.  C'est  cet  Aspergillus  qu'on 
propose  d'appeler  Aspergillus  Oryzsc,  qui  est  en  réalité  la  seule  moisissure  employée 
comme  ferment  alcoolique. 

Plusieurs  espèces  de  bactéries  produisent  de  l'alcool  aux  dépens  des  sucres  ou  de  la 
glycérine,  mais  cette  formation  d'alcool  est  souvent  bien  minime.  V Actinobacter  polymor- 
phus  de  DuoL.iUS  et  le  Bacille  éthylique  de  Fitz  sont  dans  ce  cas.  Le  Bacille  amylozyme  de 
Perdrix  donne  aux  dépens  de  l'amidon  à  la  fois  de  l'alcool  éthylique  et  de  l'alcool  aniy- 


262  ALDEHYDE. 

ligue,  en  faibles  proportions  il  est  vrai.  Maecano  a  signalé  la  présence  de  vibrions,  dans  la 
fermentation  de  la  farine  de  maïs  qui  donne  la  boisson  alcoolique  nommée  chicha  dans 
l'Amérique  du  Sud;  rien  dans  ses  observations  ne  prouve  la  production  d'alcool  par  ces 
organismes.  En  résumé,  aucune  bactérie  ne  parait,  jusqu'ici  du  moins,  pouvoir  être  un 
ferment  alcoolique  utilisable. 

Ces  organismes  inférieurs,  levures,  moisissures,  bactéries,  ne  sont  pas  les  seuls  êtres 
vivants  capables  de  produire  de  l'alcool  aux  dépens  du  sucre.  Cette  propriété  se  retrouve 
chez  des  plantes  supérieures  ou  des  parties  de  plantes  placées  dans  des  conditions  de  vie 
particulières.  Lechartirr  et  Bellamy  ont  démontré  qu'en  plaçant  des  fruits  sucrés,  poires, 
pommes,  cerises,  etc.,  dans  une  atmosphère  d'acide  carbonique,  il  était  possible,  au  bout 
d'un  certain  temps,  de  constater  dans  le  fruit  la  production  de  quantités  notables  d'alcool, 
sans  qu'un  examen  microscopique  attentif  pût  déceler  la  présence  de  ferments  alcooliques. 
MûNTZ  a  prouvé  qu'il  en  était  de  même  pour  des  plantes  entières  (vigne,  betterave,  mais, 
chou)  placées  dans  de  l'azote  pur. 

Il  résulte  de  ces  faits  que  la  fermentation  alcoolique  n'est  pas  une  fonction  exclusive 
des  levures,  mais  peut  être  considérée  comme  une  propriété  générale  des  éléments  vivants, 
propriété  qui  se  manifeste  seulement  quand  ces  éléments  sont  en  présence  de  conditions 
déterminées,  lorsqu'ils  trouvent  à  leur  disposition  des  corps  fermentescibles  et  qu'ils 
sont  soumis  à  une  privation  d'oxygène.  L'action  produite  dépend  de  la  résistance  qu'ils 
offrent  à  ces  conditions  spéciales.  Les  cellules  des  fruits,  en  particulier,  résistent  moins 
longtemps  à  la  vie  sans  air  parce  que  ce  sont  des  éléments  ayant  terminé  leur  évolution, 
qui  ne  peuvent  qu'épuiser  l'énergie  en  réserve  sans  pouvoir  en  reformer  de  nouvelle; 
elles  meurent  avant  d'avoir  transformé  beaucoup  de  sucre. 

En  somme,  tous  ces  faits  tendent  à  prouver  les  rapports  intimes  qui  unissent  la  fer- 
mentation alcoolique,  dédoublement  des  glucoses  en  alcool  et  acide  carbonique,  et  la 
suppression  d'oxygène  à  des  éléments  vivants  qui  en  ont  besoin,  et  viennent  corroborer 
la  théorie  de  Pasteur  qui  fait  de  la  fermentation  alcoolique  une  conséquence  direcle  de 
la  vie  sans  air. 

Bibliographie.  —  Pasteur.  Études  sur  le  vin,  1873.  —  Études  sur  la  bière,  1876.  — 
Examen  critique  d'un  écrit  posthume  de  Cl.  Bernard  sur  la  fermentation,  1879.  —  Duclaux. 
Microbiologie  [Exicyclopédie  chimiciue  de  Frémy,  1883).  —  Schutzenberger.  Les  fermentations, 
1879.  —  Hansen.  Comptes  rendus  du  laboratoire  de  Carlsberg  depuis  1879.  —  Charpentier. 
Action  'de  la  cocaïne  sur  la  fermentation  {B.  B.,  p.  17,  1883).  —  Garnier.  Ferments  et  fermen- 
tations, 1888.  — Jacquemin.  DuSaccharomyces  elUpsoideus  et  ses  [applications  industrielles, 
1888.  — BouRQUELOT.  Les  fermentations,  1889.  —  Marx.  Le  laboratoire  dubrasseur,  1889. 
—  JôRGENSEN.  Die  Mikroorganismen  der  Gàhrungsindustrie,  1890.  —  Perdrix.  Sur  le  bacille 
amylozyme  (Annales  de  l'Institut  Pasteur,  1889,  t.  v,  p.  287).  —  Laurent.  Nutrition  de  la 
levure  (Annales  de  l'Institut  Pasteur,  1889,  t.  v,  pp.  113  et  362).  — •  Jacquemin.  Les- différentes 
levures  de  fruits  et  le  bouquet  des  boissons  fermentées  (Revue  Scientifique,  28  mars  1891).  — 
Kayser.  Levures  alcooliques  du  lactose  (Annales  de  l'Institut  Pasteur,  1891,  t.  v,  p.  39o).  ^ 
Contributions  à  l'étude  des  levures  de  vin  (Ibid.,  1892,  t.  vi,  p.  369).  —  Lindet.  Les  pro- 
duits formes  pendant  la  fermentation  alcoolique  (Revue  générale  des  sciences,  13  novembre 
1891). —  Calmette.  La  levure  chinoise  (Annales  de  l'Institut  Pasteur,  1892,  t.  vi,  p.  604).  — 
Effront.  Action  des  fluorures  sur  les  levures  (Bulletin  de  la  Société  chimique,  1891). 

E.    MACÉ. 

ALDEHYDE  (C-H'*0).  —L'aldéhyde  est  un  produit  de  la  déshydrogénation  de 
l'alcool (C-H'^0  —  H-  ^  C-H*0),  autrement  dit  l'intermédiaire  entre  l'acide  acétique  et 
l'alcool.  C'est  un  liquide  incolore,  volatil,  qui  bout  à  21°,  et  dont  l'odeur  est  suffocante, 
produisant  la  toux,  une  sensation  de  constriction  à  la  poitrine  et  le  larmoiement.  Res- 
piré à  faible  dose,  il  a  une  odeur  rappelant  vaguement  celle  delà  pomme.  Pour  recon- 
naître la  présence  de  l'aldéhyde,  la  réaction  ordinaire  consiste  à  la  chauffer  avec  une 
solution  d'azotate  d'argent,  additionnée  de  quelques  gouttes  d'ammoniaque.  Il  y  a  alors 
réduction  du  métal. 

Malgré  ses  effets  caustiques  et  irritants,  on  a  osé  proposer  l'emploi  de  raldéh3'de 
comme  anesthésique  (Poggiale  et  Simpson,  cités  par  Rabuteau,  Thérapeutique,  p.  641).  La 
toux  produite  par  les  premières  inhalations  disparaîtrait  pendant  la  période  anesthésique 


ALEXIE.    —    ALGUES.  263 

pour  reparaître  quand  l'anesthésie  a  pris  fm.  D'après  Dïï.tardin-Beaumetz  et  Audigé, 
l'aldéhyde  est  toxique  cà  la  dose  de  t  à  1,2  par  kilogramme  d'animal;  par  conséquent, 
six  fois  plus  toxique  que  l'alcool  ûthylique  et  un  peu  plus  toxique  que  l'alcool  amy- 
lique.  D'après  Albertoni  [Arch.  Italiennes  de  biologie,  t.  is,  fasc.  2,  p.  168,  1888), 
l'aldéhyde  produit  l'ivresse  et  l'anesthésie  à  des  doses  auxquelles  l'alcool  paraît  encore 
peu  actif,  ce  qui  rend  peu  vraisemblable  l'hypothèse,  souvent  émise  par  divers  auteurs, 
que  dans  l'organisme  l'alcool  se  transforme  en  aldéhyde.  M.  Albertoni  a  aussi  constaté 
que  l'aldéhyde  ingérée  ne  subit  pas  d'oxydations;  mais  qu'elle  semble  être  éliminée 
à  l'état  d'aldéhyde  par  les  poumons  et  par  les  reins;  car  on  la  retrouve  dans  les  exhala- 
tions, alors  même  qu'on  n'en  a  absorbé  qu'à  petite  dose.  Après  ingestion  d'alcool  on  en 
constate  parfois  des  traces  (Krestghy.  D.  Arch.  fur  Min.  UecL,  t.  xvni,  pp.  527-341); 
mais  le  plus  souvent  on  retrouve  dans  les  urines  et  dans  l'air  expiré  l'alcool  ingéré 
(Tappeiner.  Z.  B.,  t.  XX,  p.  32).  Nous  devons  donc  conclure  qu'en  somme  l'aldéhyde  est 
assez  toxique,  qu'elle  a  les  propriétés  générales  des  alcools  et  des  éthers,  et  qu'elle 
ne  subit  pas  de  transformation  dans  l'organisme. 

En  présence  du  nitro-cyanure  de  sodium  l'aldéhyde  se  colore  en  rouge,  si  l'on  ajoute 
de  l'acide  acétique,  et,  si  l'on  chauffe,  elle  prend  une  teinte  verte.  L'addition  de  métaphé- 
nyldiamine  donne  aux  liqueurs  contenant  de  l'aldéhyde  une  coloration  jaune  même  avec 
une  dilution  de  l/oOOOOO.  On  obtient  encore  d'autres  réactions  colorées  avec  l'acide 
diazobenzolsulfurique,  la  phénylhydrazine,  l'hydroxylamine.  Pour  faire  le  dosage  quan- 
titatif de  l'aldéhvde,  on  la  précipite  par  une  solution  de  bisulfite  de  soude. 

CH.  R. 

ALEXIE.  —  Ce  terme  est  très  fréquemment  employé  pour  désigner  une  des 
formes  de  l'aphasie  :  la  cécité  visuelle  verbale  caractérisée  par  la  perte  de  la  faculté 
de  lire  (Voyez  Aphasie). 

ALEXINE.  —  Expression  introduite  en  1891  par  H.  Buchner  pour  désigner  les 
substances  albuminoïdes,  doue'es  de  propriétés  bactérides,  qui  se  rencontrent  dans  le 
sérum  du  sang  normal  (Voyez  Immunité). 

ALGÉSIMÈTRE  (=cV,cri;,  douleur,  ;j.£-pov  mesure).  —  Sous  ce  nom,  Bjorns- 
TROM  a  décrit  un  instrument  destiné  à  mesurer  l'intensité  de  l'excitation  nécessaire  pour 
faire  naître  une  impression  douloureuse.  Cet  appareil  consiste  essentiellement  en  une 
pince,  au  moyen  de  laquelle  on  comprime  un  pli  de  la  peau  et  qui  permet  de  lire,  en 
poids,  la  pression  employée.  M.  Cu.  Richet  avait  pour  le  même  but  employé  un  instru- 
ment analogue  {Rech.  sur  la  sensibilité,  1877,  p.  291). 

ALGIDITE.  —  Terme  médical  indiquant  la  période  d'une  affection  morbide 
pendant  laquelle  il  y  a  soit  une  sensation  de  refroidissement,  soit  un  refroidissement- 
Ce  terme  ayant  une  signification  ambiguë,  nous  renvoyons  à  Hypothermie,  qui  a  un 
sens  précis. 

ALGUES.  —  Un  nombre  considérable  de  faits  ont  été  jusqu'à  ce  jour  acquis  à 
la  science,  concernant  divers  points  de  la  physiologie  de  ces  végétaux  inférieurs.  Mais 
aucun  travail  d'ensemble  n'a  été  effectué,  dans  le  but  de  rassembler  ces  données  éparses 
dans  un  grand  nombre  de  publications,  et  de  montrer  l'intérêt  qu'elles  sont  susceptibles 
de  présenter  pour  la  physiologie  générale.  Nous  avons  essayé  de  combler  cette  lacune, 
dans  la  mesure  du  possible,  mais  que  l'on  ne  s'attende  pas  à  trouver  ici  une  énumération 
complète  des  diverses  notes  et  mémoires,  concernant  un  sujet  sia-iche,  quant  à  la  biblio- 
graphie :  il  est  presque  impossible  aujourd'hui  de  faire  la  bibliographie  complète  d'une 
question,  et  d'ailleurs  le  but  que  nous  nous  proposons  est  beaucoup  plus  restreint. 

Nous  nous  contenterons  de  grouper  méthodiquement  les  faits  qui  nous  ont  paru  offrir 
un  intérêt  d'une  certaine  généralité,  tant  pour  la  biologie  propre  des  Algues,  que  pour  celle 
des  végétaux  en  général.  Nombre  de  faits,  relatifs  à  la  constitution  du  corps  des  Algues, 
à  leur  reproduction,  à  leur  polymorphisme,  et  même  à  leurs  affinités,  sont  de  nature  à 


26i  .         ALGUES. 

intéresser  quiconque  s'occupe  de  physiologie  générale;  mais  ces  faits  sont  plutôt  du 
domaine  de  la  morphologie  et  nous  n'y  insisterons  pas  ici. 

Composition  chimique  des  algues.  —  Matières  minérales.  —  Les  données 
acquises  à  ce  sujet  sont  encore  assez  limitées,  et  les  chiffres  donnés  par  les  auteurs  ne 
permettent  guère  de  conclusions  générales. 

Les  algues,  qui  étaient  jadis  employées  pour  l'extraction  de  la  soude  et  de  la  potasse, 
sont  évidemment  les  types  les  plus  riches  en  matières  minérales.  Ce  sont  :  Fucus  vesicu- 
losus,  F.  serratus,  F.  nodosus,  Himanthalia  lorea,  Halidrys  siliquosa,  Laminaria  digitata, 
L.  saccharina. 

Le  sodium  y  est  combiné  à  l'acide  sulfurique  et  à  des  acides  organiques. 

Les  varechs  ou  goémons  de  nos  côtes,  qui  constituent  le  kelp  des  côtes  d'Ecosse  et 
d'Irlande,  contiennent  en  moyenne  (Gautier  de  Claubry.  Analyse  des  varechs,  181o)  : 

Sulfate  de  potassium 10,203 

Chlorure          —            13,476 

—      de  sodium       15,018 

Iode 0,600 

Autres  sels 2,103 

Les  matières  minérales  des  Alg-ues  sont  surtout  remarquables  par  la  présence  des 
iodures  et  des  bromures.  Voici  quelques  chiffres,  quant  à  la  teneur  en  cendres,  relati- 
vement àla  composition  centésimale  :  Sphaerococcus  s]i.'l  de  la  à  9,6  p.  100;  Fucus  amylaceus, 
7,t)p.IO0;  F.  vesicidosus,3p.  100.  D'après  Marchand,  les  algues  les  plus  riches  en  iode  sont  : 
haminaria  digitata,  o,3o2  p.  100;  L.  saccharina,  2,730  p.  100  ;  Fucus  serratus,  0,834  p.  100; 
F.  vesiculosus,  0,719  p.  100;  Cystoseira  siliquosa,  0,639  p.  100.  D'après  Vibrans,  les  chiffres 
seraient  un  peu  différents  :  F.  serratus,  0,36  p.  100;  F.  vesiculosus  1,03;  Laminaria 
1,67  p.  100;  Furcellaria  fastigiata,  0,21.  Les  Zostères  en  contiendraient  0,42  p.  100. 

On  trouve'dans  Brasack  (5e)'.  Berl.,  t.  xi,  p.  233)  2analyses  de  varechs,  empruntées  à 

CORDILLERO  et  à  GiJON. 

CORDILLERO.  GlJOX . 

28,87 

1,67 

33,68 

28,37 

3,93 
2,96 

100  100 

E.  ÂLLAZY  (B.  S.  C,  t.  .\xviii,  pp.  11-12)  a  donné  des  chiffres  sur  la  teneur  en  cendres 
des  varechs  frais. 

Pour  roOO  kil. 

Digitatus       '  jeune  thalle 1,224  gr. 

I  partie  inférieure  d'une  plante  âgée.  1,089  — 

Stenolobus   j  vieux  thalle 0,578  — 

'  plante  entière 0,606  — 

Digitatus  stenojyhyllus  (?) 0,996  — 

Saccharinus 0,448  — 

Aloria 0,108  — 

Dans  les  varechs  des  côtes  septentrionales  d'Espagne,  0.  Schott  a  trouvé  de  0,338 
à  1,702  p.  100  d'iode. 

Certaines  algues  sont  abondamment  pourvues  de  carbonate  de  chaux,  qui,  en  se  dépo- 
sant dans  leurs  membranes,  les  incruste.  Par  exemple,  chez  les  Characées,  l'incrustation 
se  localise  en  une  série  de  zones  annulaires,  il  en  est  de  même  chez  certaines  Siphonées 
marines  :  Acetabularia,  Halymeda.  L'exemple  le  plus  frappant  de  ce  phénomène  est  offert 
par  des  Floridées,  des  familles  des  Corallinées,  et  des  Lithothamniées;  là  l'incrustation 
est  assez  compacte  pour  donner  à  la  plante  la  solidité  et  l'aspect  extérieur  de  tiges  de 
corail. 


CORDILLE 

K2S0t 

9,79 

S04CA  .   . 

0,79 

KCl.   .   .   . 

.57,00 

NaCl.    .   . 

27,08 

Na^S.    .    . 

1,21 

Na^CO^.   . 

2,93 

Nal    .   .    . 

1,16 

ALGUES.  265 

Dans  le  suc  cellulaire  de  la  vacuole  de  Valonia  utricularis,  Geisleb,  puis  A.  Meyer 
(Ber.  d.  deutschBot.  Gesellsch.,  d891,  3)  ont  pu  caractériser  :  le  chlore,  l'acide  sulfurique, 
l'acide  phospliorique,  le  magnésium,  le  potassium,  et  un  peu  [de  sodium.  Le  résultat  le 
plus  intéressant  est  l'absence  de  calcium,  métal  qui  se  trouve  dans  l'eau  ambiante;  ce 
fait  viendrait,  jusqu'àun  certain  point,  corroborer  l'opinion  de  Schimper  (f/ora,  1890,  3), 
à  savoir  que  la  chaux  n'est  qu'indirectement  nécessaire  à  la  majorité  des  plantes,  parce 
qu'elle  précipite,  à  l'état  d'oxalate  de  chaux  insoluble,  l'oxalate  acide  de  potasse,  qui,  à 
une  certaine  dose,   est  toxique  pour  le  protoplasme  végétal. 

Le  sulfate  de  chaux  se  rencontre  à  l'état  de  cristaux,  dans  le  thalle  de  Fucus  vesiculosus  : 
Les  cristaux  des  Desmidiées  sont  bien  connus,  ils  sont  formés  de  sulfate  de  calcium, 
et  toujours  en  mouvement  dans  une  vacuole,  située  généralement  au  sommet  de  la 
cellule  (Fischer.  Ueber  das  VorJtommen  von  Gypskristallen  beiden  Desmidien,  in  Jahrb.  fin- 
U'issenchaft.  Bot.,  t.  xiv,  pi.  X).  Chez  les  Spirogyres,  ce  sont  des  cristaux  d'oxalate  de 
chaux,  en  croix,  dont  les  bras  se  terminent  en  pointe,  enT,  en  croix  type  partant  d'autres 
branches  secondaires,  en  màcles.  Ces  derniers  observés  dans  une  seule  espèce  S.  seti- 
formis  (Wildeman).  La  production  plus  abondante  de  ces  cristaux,  au  printemps  qu'en  été, 
est  des  plus  douteuses;  leur  abondance  varie  d'ailleurs,  au  même  moment,  d'une  cellule 
à  l'autre. 

Il  existe  également  dans  le  protoplasme  de  certaines  algues  de  petits  corpuscules  en 
mouvement,  très  réfringents,  ne  réagissant  pas  au  liquide  de  Gram,  inattaqués  par  SO'*H-, 
et  persistants  après  destruction  du  protoplasme.  Ce  sont  les  <(  Zerzetsungskôrperchen  >> 
de  Fischer,  signalés  chez  des  Spirogyres,  Zygnémées,  Mésocarpées,  Desmidiées,  Cosma- 
rium.  Sur  ces  corps,  curieux,  mais  de  composition  chimique  indéterminée,  voir  Fischer, 
loc.  cit.;  Wildeman,  loc.  cit.;  Gay.  lissai  d'une  monographie  locale  des  conjugués,  p.  22. 

Certains  métaux  relativement  rares  se  trouvent,  en  quantités  plus  ou  moins  notables, 
dans  le  thalle  de  certaines  algues.  C'est  ainsi  que  Fucus  vesiculosus  contient,  dans  ses 
cendres,  du  strontium  et  du  baryum,  du  zinc,  du  bore,  du  nickel  et  du  cobalt. 

Composés  organiques.  Camphre.  —  Phipsox  {Pharm.  Journ.  Trans.,  t.  clxii,  p.  479) 
a  extrait  une  substance  ressemblant  aux  camphres  des  espèces  suivantes  ■.Charafœtida, 
Palmella  sp.l,  Osciltaria  autumnalis,  tenuis,  Nostoc  sp.?  Il  a  nommé  cette  substance  : 
Characine.  On  l'obtient  en  épuisant  les  plantes  par  l'eau;  cette  substance  se  sépare  sous 
forme  de  pellicule  blanche,  soluble  dans  l'éther. 

Mannlle.  —  La  mannite  est  la  matière  sucrée,  qui  vient  former  à  la  surface  de  cer- 
taines algues,  exposées  à  l'air,  l'efflorescence  blanche  qui  les  recouvre.  Chez  la  plupart 
des  algues  cette  efflorescence  est  salée,  ce  qui  est  dîi  aux  chlorures  alcalins  si  abondants 
dans  ces  plantes  marines;  c'est  surtout  sur  le  stipe  et  les  crampons  qu'elle  apparaît. 

Ce  sont  surtout  les  Laminaria  saecharina  et  L.  flexicaulis  qui  donnent  ainsi  de  la  man- 
nite. Cette  substance  a  surtout  été  étudiée  par  Phipson,  et  Soubeiran  [Note  sur  la  matière 
sucrée  des  Algues,  1857).  Nous  renvoyons  à  ce  travail  pour  les  caractères  des  cristaux, 
qui  prendraient  naissance  dans  la  membrane  cellulaire  gélifiée;  ils  seraient  dus  à  une 
action  désoxydante,  exercée  sur  le  mucilage,  et  ne  seraient  par  conséquent  pas  un  véri- 
table produit  de  sécrétion.  Phipso.x  suppose  que  le  mucilage,  en  présence  de  l'eau,  et  en 
perdant  un  équivalent  d'oxygène,  se  dédoublerait  en  deux  molécules  de  mannite.  Mais 
ce  n'est  là  qu'une  hypothèse. 

Hfjirates  de  carbone.  Amidon,  paramylon  (Voir  plus  loin).  —  L'inuline  a  été  rencontrée 
en  dissolution  dans  le  suc  cellulaire  de  certaines  algues,  comme  VAcetabulaiin. 

Le  suc  cellulaire  de  la  large  vacuole  de  Valonia  utriculai'is  contient  de  petites  quan- 
tités de  substances,  capables  de  réduire  la  liqueur  de  FehltiNG,  et  donnant,  avec  la  phényl- 
hydrazine,  un  faible  dépôt  cristallin,  en  un  mot  des  sucres  réducteurs. 

ScHuxcK,  d'après  ses  expériences  sur  les  végétaux  supérieurs,  était  arrivé  en  1884  tt 
cette  conclusion,  que  la  chlorophylle  est  un  glucoside,  ou  du  moins  est  accompagnée 
d'un  glucoside,  dans  les  tissus  végétaux  (Voir  art.  Chlorophylle  pour  la  technique  de  la 
méthode).  De  Wildeman  (Soc.  Roi/.  Be/g.,  I887,p.  33)  a  appliqué  cette  mélhode  à  certaines 
algues.  La  solution  alcoolique  d'une  algue,  telle  qa'Ulothrix  zonata,  accuse  une  réduc- 
tion de  la  liqueur  de  Fehling;  de  même  Ulva  lactuca;  pour  Nostoc  commune,  la  réaction 
est  moins  intense.  Dans  tous  ces  cas,  les  sels  de  fer  n'ont  aucune  action  sur  la  solution 
aqueuse,  donc  ces  espèces  sont  dépourvues  de    tannin.   Les  auteurs,   qui  regardent    le 


266  ALGUES. 

tannin  comme  unjglucoside,  ne  peuvent  donc  invoquer  ici  la  mise  en  liberté  de  glucose, 
aux  dépens  de  ce  dernier  corps.  Il  est  fort  peu  probable,  en  dépit  de  l'opinion  de  Schunck, 
que  la  chlorophylle  soit  un  glucoside.  Le  glucoside  en  question  se  retrouve  d'ailleurs 
dans  des  organes  dépourvus  de  chlorophylle,  telles  que  des  bractées  jaunes;  restée, 
isoler  ce  glucoside,  des  algues  et  des  végétaux  supérieurs. 

L'acide  phycique,  obtenu  par  Lamy  (A.  C,  3)  a  été  retiré  des  Protococcus  vulgaris, 
par  la  méthode  indiquée  pour  la  phycite;  il  cristallise,  après  purification  par  lavage 
à  l'éther.  La  solution  alcoolique  chaude  laisse  déposer  des  aiguilles  blanches,  opaques, 
dépourvues  de  goût  et  d'odeur,  à  réaction  neutre,  fondant  à  136°,  en  un  liquide  brunâtre. 
Une  plus  haute  température  les  détruit,  elles  sont  insolubles  dans  l'eau,  mais  solubles 
dans  l'alcool,  l'éther,  les  huiles  volatiles  et  grasses.  Elles  forment  des  sels  cristallisables 
avec  les  alcalis;  le  sel  d'argent  est  blanc  et  insoluble.  L'analyse  indique  70,22  p.  dOO  de 
carbone,  11,76  p.  100  d'hydrogène,  3,72  p.  100  d'azote,  et  14,30  p.  100  d'oxygène. 

A  côté  de  cet  acide,  se  trouve  dans  les  algues  la  phycite  C*-H™0'-,  matière  sucrée 
extraite  par  Lamy  de  Protococcus  vulgaris.  R.  Wagner  la  supposait  identique  à  l'érythrite  ou 
érythroglucine,  produit  de  dédoublement  des  substances  existant  dans  certains  Lichens; 
cette  opinion  est  admise  aussi  par  Lamy  ;  mais,  comme  il  n'y  a  pas  correspondance  entre  les 
points  de  fusion  et  les  angles  des  cristaux  de  ces  deux  substances,  il  y  aurait  lieu  de 
s'en  tenir  au  doute. 

On  l'obtient  par  ébuUition  des  algues,  pendant  plusieurs  heures,  dans  l'eau,  après 
concentration,  jusqu'à  consistance  sirupeuse,  du  liquide  filtré  et  décoloré  par  le  char- 
bon animal.  On  précipite  les  matières  gommeuses,  par  addition  de  93  p.  100  d'alcool  ou 
par  l'acétate  de  plomb;  par  une  lente  évaporation,  le  liquide  filtré  abandonne  des  cristaux. 

Si  on  veut  obtenir  en  même  temps  l'acide  phycique,  on  fait  macérer  l'algue  dans 
cinq  fois  son  poids  d'alcool  à  8o°;  après  expression,  on  distille  la  moitié  de  l'alcool.  De 
la  lessive  mère,  se  sépare,  par  une  lente  évaporation  à  chaud,  l'acide  phycique,  qui  se 
répartit  en  deux  couches,  dont  l'inférieure,  par  concentration  prolongée,  uejfournit  que  des 
cristaux  peu  colorés,  et  d'un  goût  sucré.  On  les  obtient  purs,  par  pression  dans  du  papier 
buvard,  le  tout  dans  une  très  petite  quantité  d'eau  froide,  et  faisant  cristalliser  à  nouveau. 

La  phycite  cristallise  en  prismes  incolores,  transparents,  rectangulaires,  à  densité 
de  1,39,  d'un  goût  doux  et  frais,  à  réaction  neutre.  Elle  fond  à  120°,  sans  perte  d'eau,  en 
un  liquide  incolore;  à  une  température  plus  élevée,  elle  se  volatilise,  sans  gonflement, 
en  subissant  une  décomposition  partielle.  Jetée  sur  des  charbons  ardents,  elle  dégage 
une  odeur  de  sucre  brûlé.  C'est  un  corps  non  fermentescible,  optiquement  inactif,  décom- 
posable  par  les  bases  fortes,  même  par  une  légère  coction;  l'acide  sulfurique  concentré 
les  dissout  en  formant  un  acide  mixte;  oxydée  par  l'acide  nitrique,  cette  substance 
donne  de  l'acide  oxalique. 

Nombre  d'algues  peuvent  fournir  des  mucilages,  surtout  étudiés  dans  le  carragheen 
(Sphœrococcus  crispus)  ei  l'aiga.v-npa.r,  [Sphœrococcus  compressus).  Ces  mucilages  se  gonflent 
fortement  dans  l'eau,  et  s'y  dissolvent,  en  grande  partie.  Leur  solution  est  précipitable 
par  l'alcool,  l'acétate  de  plomb,  et  fournit  par  évaporation  lente  une  matière  cornée.  Par 
action  de  l'acide  nitrique,  on  n'obtient  que  peu  d'acide  oxalique,  mais,  en  abondance,  de 
l'acide  mucique  (Flijckiger  et  Obermeiee).  D'après  Giraud,  des  traces  seules  d'azote  y 
sont  contenues.  Blondead  (Jour7i.  Pharm.,  1865)  y  a  trouvé  :  2,3  p.  100  de  S  et  2  p.  100 
d'azote.  En  employant  3  p.  100  d'acide  sulfurique  à  haute  température,  on  obtient, 
d'après  Bente(  1876),  l'acide  lévulique  et  un  sucre  amorphe;  par  une  action  plus  prolongée, 
du  fucusol,  substance  isomère  dufurfurol. 

Payen  a  obtenu  en  1859  de  l'agar-agar  une  substance  gommeuse,  qui  ne  fut  pas 
retrouvée  plus  tard  par  Fluckiger  et  autres,  et  qu'il  appela  gélose.  H.  Morin  (C.  R.,  t.  xc, 
p.  9-2i:;Berl.Ber.,  t.xHi,p.  1141)  trouva  qu'elle  est  soluble  dans  l'eau  acidulée,  et  dans  l'eau 
pure  par  emploi  de  la  vapeur  sous  pression.  Cette  solution  n'est  plus  gélatineuse,  de'vie  à 
gauche  le  plan  de  polarisation;  traitée  par  l'acide  sulfurique  étendu,  elle  devient  dextro- 
gyre.  Cette  solution  réduit  la  liqueur  de  Fehling,  le  chlorure  d'or,  le  sublimé.  La  gélose 
contient  22,85  H-0,3,88  p.  100  de  cendres,  elle  donne  avec  l'acide  nitrique  de  l'acide  mu- 
ciqueet  de  l'acide  oxalique.  Porumbaru  (C.  R.,  t.  xc,  p.  108)  attribue  à  la  gélose  laformule 
C-H'^O»,  il  l'a  transformée  en  une  substance  ulmique,  insoluble  dans  l'eau,  et  une  com- 
binaison ressemblant  au   sucre,   lévogyre,  à  pouvoir  réducteur,  non  fermentescible  : 


ALGUES.  ■  "267 

CH'-O'-H-O.  Par  l'emploi  de  l'acide  sulfurique  étendu,  on  obtient,  en  même  temps  que 
la  substance  ulmique,  un  corps  cristallisable  en  longues  aiguilles  C^H'^O»;  le  chlorure 
d'acétyle  agit  de  môme.  H.  Greenisoh  {Pharm.  1.  fl»(ss.,t.  xxii,  p.  50)  alexaminél'agar-agar 
du  Fucus  amylaceus,  et  y  constata  la  présence  simultanée  de  sept  hydrates  de  carbone 
(mucilage  soluble  dans  l'eau,  substance  gélatinogène,  amidon,  une  substance  voisine  de 
la  pararabine,  de  la  métarabine,  de  la  gomme,  de  la  cellulose),  toutes  substances  four- 
nissant du  sucre  avec  l'acide  sulfurique  étendu. 

Ces  divers  corps  proviennent  d'une  géiification  de  la  membrane  ;  aussi  est-ce  le  mo- 
ment de  donner  quelques  détails  succincts  sur  sa  composition  chez  les  algues.  Il  y  a  quel- 
ques années  De  Wildeman  avait  déjà  indiqué  que  la  majeure  partie  de  la  membrane 
des  Spirogyres  devait  être  formée  de  pectose.  Le  fait  est  prouvé  aujourd'hui.  La  présence 
des  composés  pectiques  dans  la  membrane  explique  les  phénomènes  de  géiification 
intense  qu'elle  présente. 

Une  question  fort  intéressante  a  été  soulevée  par  M.  Klebs  :  la  membrane  est-elle 
un  organe  vivant,  comparable  au  corpuscule  chlorophyllien?  L'expérience  de  cet  auteur 
qui  conclut  par  l'affirmative  n'est  guère  probante.  Il  a  obtenu  la  régénération  d'une 
membrane  autour  des  vacuoles,  dans  des  Spirogyres  plasmolysées.  Mais  une  cellule 
privée  de  sa  membrane  peut  presque  toujours  en  régénérer  une  autre,  tandis  que 
cette  cellule,  privée  de  corpuscules  chlorophylliens,  ne  pourrait  en  reformer.  Il  est  vrai 
que  la  membrane  contient  du  protoplasme,  le  fait  est  prouvé  par  des  réactions  micro- 
chimiques  {Kohlwachsthum  iind  Eiweissgehalt  vegetabilischer  Zellhaiite,  in  Bot.  Centralblatt, 
1889,  n"  1).  Mais  la  proportion  de  protoplasme  diminue  avec  l'âge.  Il  semble  donc 
logique  de  ne  pas  accorder  à  la  membrane  la  valeur  d'un  organe  vivant,  sinon  à  l'état 
très  jeune,  et  de  la  regarder  comme  un  produit  de  l'activité  des  autres  parties  de  la  cel- 
lule, en  particulier  du  protoplasme. 

Les  membranes  de  nombre  d'algues  inférieures  présentent  des  particularités  curieuses, 
susceptibles  d'un  certain  intérêt,  au  point  de  vue  de  l'histoire  générale  de  la  membrane 
végétale,  mais  ces  faits  sont  plutôt  du  domaine  de  la  morphologie  que  de  celui  de  la 
physiologie.  Nous  renvoyons  le  lecteur  aux  travaux  suivants  :  De  Bahy.  Untersuch.  ûberdle 
Famille  der  Conjugaten,  p.  81.  —  Klebs.  Uebei'  die  Organisation  der  GaUerte  bei  einigen 
Algen  undFlagellaten  [Unters.  ans  den  bot.  Institut  Tûbingen,  t.  ii,  fasc,  2,  p. 333).  —  Stras- 
BURGER.  Ueber  Kern  und  Zelltheilung.  —  Zacharias.  JJeber  Entshehung  und  Wachsthum  der 
Zellhaut  (Jakrb.  Wissenchaftt.  Bot.,  t.  xx).  — De  ^A'ILDEMAN,  loc.  cit. 

Deux  points  cependant  de  l'histoire  de  cette  membrane  intéressent  la  physiologie 
générale. 

La  membrane  des  Oedogoniwnh\euit  énergiquement  par  l'action  de  l'iode  et  de  l'acide 
sulfurique,  ou  du  chloro-iodure  de  zinc,  ce  qui  indique  la  présence  de  la  cellulose.  Par 
contre,  la  coloration  est  bien  faible  avec  les  Spirogyres. 

La  cellulose  des  algues  doit  donc  différer,  dans  la  plupart  des  cas,  de  celles  des  végé- 
taux supérieurs.  Il  importe  d'ailleurs  de  bien  remarquer  que  certainement  la  cellulose 
n'est  pas  le  seul  hydrate  de  carbone  entrant  dans  la  constitution  de  la  membrane  des 
algues.  Nous  savons  aujourd'hui  que,  chez  les  Phanérogames  et  les  champignons, 
plusieurs  hydrates  de  carbone  difiérents  prennent  part  à  la  formation  de  la  [membrane. 
Ce  qu'il  importerait  de  savoir  ce  n'est  pas  si  la  membrane  présente  les  mêmes  réactions 
microcliimiques  que  celles  des  Phanérogames,  mais  quels  sont  les  hydrates  de  carbone 
qui  entrent  dans  sa  constitution.  Aucune  recherche  n'a  dans  ce  sens  encore  été  effectuée. 

La  solidité  de  certaines  parties  âgées  de  diverses  algues  est  assurée  par  un  phéno- 
mène curieux,  dont  l'intérêt  physiologique  n'est  pas  à  néghger.  C'est  ainsi  que,  chez 
certaines  Cladophorées,  les  cellules  du  thalle,  en  s'accroissant,  s'enfoncent  dans  les  cel- 
lules sous-jacentes,  les  cellules  des  rameaux  peuvent  même  s'introduire  dans  les  vieilles 
cellules  de  l'axe,  porteur  de  ces  rameaux.  Les  Chœtomorpha  œera  et  Melagonium  présentent 
très  régulièrement  ^ce  curieux  phénomène  (Voy.  Kolderup  Rosenwimge.  Bolanisk  Tidss- 
krift,  18,  1,  1892,  avec  résumé  français). 

Tannin.  —  La  présence  du  tannin  ou  plus  exactement  de  corps  tanniques  chez  les 
Algues  d'eau  douce  a  suscité  un  certain  nombre  de  travaux.  Le  plus  complet  et  le  plus 
récent  est  celui  de  De  Wildeman  (Soc.  Bot.  Belg.,  1886,  p.  125). 

Les  procédés  employés  pour  déceler  ce  corps  sont  les  suivants  : 


268  ALGUES. 

On  traite  les  filaments  de  l'algue  en  expérience  par  l'alcool;  pour  précipiter  le  tan- 
nin, on  ajoute  à  la  solution  alcoolique  2  volumes  d'éther.  Après  agitation  modérée,  le 
mélange  se  sépare  eu  deux  couches.  On  verse  alors  dans  le  liquide  une  solution  de  sul- 
fate de  fer  en  excès,  on  obtient  ainsi  un  précipité  bleu,  analogue  à  celui  que  l'on  obtient 
par  l'action  des  sels  de  fer  sur  l'acide  tannique. 

Si  la  solution  chlorophyllienne  est  faiblement  colorée,  et  contient  une  certaine  quan- 
tité de  tannin,  il  suffit  d'ajouter  le  réactif  à  la  solution  alcoolique  étendue  d'eau. 

La  réaction  par  les  sels  de  fer  paraît  être,  chez  les  algues,  supérieure  à  la  réaction 
par  le  bichromate  de  potasse,  l'acide  osmique,  et  la  solution  dans  le  chlorure  d'ammo- 
nium, de  molybdate  d'ammoniaque. 

Le  tannin  se  trouve  probablement  chez  les  algues,  comme  chez  les  autres  plantes, 
sous  une  autre  forme  que  celle  sous  laquelle  nous  le  connaissons.  Dans  les  cellules 
vivantes,  il  ne  jouit  pas  de  la  propriété  de  coaguler  le  protoplasme,  tandis  que  des  Spi- 
rogyres,  plongées  dans  une  solution  faible  de  cet  acide,  ont  leur  protoplasme  immédia- 
tement coagulé.  Se  trouverait-il,  comme  l'ont  supposé  Loew  et  Bokorny  (£o<.  Zeit.,  1882, 
p.  H),  en  combinaison  avec  la  chaux? 

G.-iRDLNER  a  supposé  {Oti  tlw  gênerai  occwence  of  tannin  in  the  vegetable  celL,  Proc.  of  the 
Cambridge  Philos.  Soc,  t.  iv,  1883}  que  chez  les  plantes,  pendant  la  vie,  le  protoplasme  ii'est 
pas  influencé  par  l'acide  tannique,  qui  ne  se  forme  qu'après  la  mort,  aux  dépens  du 
protoplasme.  Aussi  retrouverait-on  toujours  du  tannin,  dans  les  tissus  qui  ont  séjourné 
dans  l'alcool.  Cette  affirmation  serait  en  défaut  pour  les  algues  :  les  espèces  qui  ne 
montrent  pas  de  tannin  k  l'état  de  vie  n'en  fournissent  pas  après  séjour  dans 
l'alcool. 

Le  rôle  du  tannin  chez  les  algues  serait  peut-être  celui  que  Schell  et  Kutscher 
veulent  lui  faire  jouer  chez  les  végétaux  supérieurs  {TJebev  die  Verwendung  der  Oerbsaure 
in  Stoffwechsel  der  Pflanze,  Flora,  1883).  On  ne  peut  guère  le  considérer  comme  un  produit 
d'excrétion;  car  il  ne  peut  se  rendre  dans  des  cellules  spéciales;  ce  serait  une  matière  de 
reserve.  Peut-être  serait-il  consommé  lors  du  développement  de  l'algue,  les  spores 
mères  ne  semblant  pas  en  contenir,  tandis  que  les  éléments  eu  conjugaison,  avant  for- 
mation de  la  spore,  accusent  une  réaction  marquée. 

Le  tannin  n'existe  pas  chez  toutes  les  algues  d'eau  douce. 

On  l'a  trouvé  chez  une  Vaucheria,  chez  les  Spirogyres,  chez  les  Mésocarpées,  toutes 
les  Zygnémées  et  les  Mésocarpées.  Sa  présence  est  douteuse  chez  les  Desmidiées. 

Il  manque  chez  les  Oedogoniacées,  les  iSostocacées,  les  Confervées  et  les  Batrachos- 
permées.  En  se  décomposant,  les  Zygnémées  et  Mésocarpées  prennent  une  coloration 
noirâtre,  et  teignent  ainsi  le  liquide  où  elles  séjournent,  fait  dii  vraisemblablement  à 
la  présence  du  tannin.  On  serait  donc  en  droit  de  conclure  que  les  algues  qui  se  con- 
servent longtemps,  sans  qu'aucune  coloration  se  manifeste  dans  leurs  cellules,  sont 
dépourvues  de  tannin.  Tel  est  le  cas  des  Oedogonium,  Bulbochœte,  Cladophora,  Conferva. 
Cette  ditférence  de  composition  chimique  est  peut-être  en  rapport  avec  le  genre.de  vie. 
Ainsi  les  Zygnémées  et  Mésocarpées,  pourvues  de  tannin,  abondent  dans  les  eaux 
vaseuses,  fossés,  mares;  les  Glado-phora  et  Oedogonium,  au  contraire,  affectionnent  les 
eaux  calcaires,  les  sources  et  les  courants  rapides. 

Le  chlorure  de  zinc  iodé  ne  donne,  en  présence  du  tannin,  que  des  colorations  sus- 
ceptibles de  porter  au  doute. 

Les  Bafrachospermum,  plongés  dans  le  sulfate  de  fer,  n'accusent  pas  décoloration; 
traités  par  le  chloro-iodure  de  zinc,  une  coloration  intense  brun  foncé  se  manifeste  dans 
toutes  les  cellules.  Une  coloration  analogue  a  été  observée  dans  le  Lemanea  annulata 
(Errera.  Glycogêne  de\>  végétaux)  et  semblerait  indiquer  chez  les  algues  la  présence  du 
glycogène,  si  répandu  chez  les  champignons. 

Voir,  outre  les  travaux  cités  :  Schnetzler.  Sur  la  présence  du  tannin  dans  les  cellules 
végétales  (Arch.  des  se.  phys.  et  nat.,  1879).  —  'Notiz  iiber  Tanninreac.tion  bei  Sùsswasse- 
ralgen  (Bot.  Centralblatt,  t.  xvi,  n»  5,  p.  lo7). 

Cette  question  du  tannin  chez  les  algues  se  rattache  intimement  à  celle  de  Valbumine 
active  du  protoplasme  vivant,  soulevée  par  Loew  et  Bokorny  pour  l'ensemble  des  proto- 
plasmes végétaux.  Car  le  réactif  de  la  vie,  la  solution  argentique  alcaline  de  ces  auteurs, 
peut  être  réduite  par  le  tannin. 


ALGUES.  2(i9 

C'est  chez  les  Spirogyra  que  Loew  et  Bokorny  ont  essayé  pour  la  première  fois  d'éta- 
blir une  différence  entre  le  protoplasme  vivant  et  le  protoplasme  mort. 

Si  on  traite  une  cellule  de  Spirogyre  par  une  solution  alcaline  faible  de  nitrate  d'ar- 
gent, il  se  forme  un  précipité  noir.  Si  on  la  traite  d'abord  par  une  base,  potasse  ou  ammo- 
niaque, il  se  sépare  des  granules,  qui  donneront  la  coloration  noire  en  présence  du 
réactif. 

Pour  Loew  et  Bokorny,  le  protoplasme  vivant  contient  des  groupements  aldéliydiques, 
qui  précipitent  les  sels  d'argent;  après  la  mort,  les  groupements  aldéhydiques  dispa- 
raissent, ou  affectent  de  nouveaux  groupements,  qui  n'ont  plus  d'action  sur  le  réactif. 

Les  solutions  faibles  de  nitrate  d'argent  seraient  donc  un  réactif  du  protoplasme 
vivant,  et  sufliraient  à  le  différencier  du  protoplasme  mort.  Mais  cette  théorie  est  pas- 
sible d'une  grave  objection.  Rien  ne  prouve  que  la  coloration  noire  soit  due  à  l'albu- 
mine vivante.  Le  tanuin  est  susceptible  de  fournir  la  même  coloration.  Les  granules 
séparés  par  l'action  d'un  alcali,  comme  il  est  dit  plus  haut,  prennent,  en  présence  du 
sulfate  ferreux,  une  coloration  bleu  foncé,  réaction  qui  décèle  la  présence  du  tannin 
dans  le  contenu  des  tubes  de  Spirogyres. 

Bokorny  a  répondu  à  l'objection  par  l'expérience  suivante.  Si  on  plasmolyse  le  pro- 
toplasme par  une  solution  à  lo  p.  100  de  nitrate  de  potasse,  la  couche  externe  de  la 
vacuole  réagit  seule  au  sel  d'argent.  Mais  on  est  en  droit  de  répondre  que  le  tannin 
diffuse  à  travers  la  membrane  de  la  vacuole,  et  c'est  à  lui,  et  à  lui  seulement,  qu'est  due 
la  coloration.  Il  estjuste  cependant  de  remarquer  que  si  on  fait  agir  un  alcali  sur  une 
vésicule  plasmolysée,  elle  se  déforme  puis  se  déchire;  par  suite  le  tannin  qu'elle  con- 
tient est  mis  en  liberté,  et  cependant  la  précipitation  a  lieu  seulement  à  la  surface 
externe  de  la  masse, plasmolysée. 

Pour  Pfeffer,  les  sels  d'argent  seraient  réduits  par  la  seule  présence  du  tannin. 
Cependant  ce  dernier  ne  doit  pas  concourir  seul  à  former  le  précipité  noir.  Sur  des  cel- 
lules d'algues  malades,  les  sels  de  fer  décèlent  une  notable  quantité  de  tannin,  et  cepen- 
dant le  précipité  par  le  nitrate  d'argent  est  considérablement  réduit.  Sur  des  cellules 
desséchées,  à  protoplasme  mort,  le  sel  d'argent  ne  donne  plus  de  précipité,  et  la  colo- 
ration bleue  par  les  sels  de  fer  est  encore  intense. 

Loew  et  Bokorny  ont  indiqué  de  plus  que  la  solution  de  sulfate  ferreux  oxydé  agit 
comme  les  lessives  alcalines. 

Chez  les  Vaucheria,  genre  d'algues  voisin  des  Spirogyra,  la  faculté  de  réagir  au 
nitrate  d'argent  se  conserve  après  la  mort;  la  coloration  ne  peut  donc,  dans  ce  cas,  être 
due  qu'au  tannin.  Pendant  la  vie,  la  réaction  au  nitrate  d'argent  est  peu  accusée  ;  après 
action  de  SO'H-,  même  étendue,  elle  ne  se  produit  plus  (De  Wildeman).  Il  faut,  à  ce 
propos,  remarquer  que  la  vitalité  du  protoplasme  des  Vaucheria  est  très  gi'ande,  et  que 
l'on  ne  peut  pas  être  siir  de  la  détruire,  par  une  légère  ébuUition,  ou  par  l'acide  sulfu- 
rique  étendu. 

On  trouve  du  tannin  chez  toutes  les  Spirogyres;  peut-être  existe-t-il,  en  proportions 
variables,  chez  toutes  les  algues. 

Fait  curieux,  dans  la  conjugaison  de  ces  algues,  la  cellule  qui  remplit  le  rôle  d'organe 
mâle  présente  en  général  la  plus  forte  réaction  par  rapport  au  tannin.  C'est  la  portion 
proéminente  vers  la  cellule  femelle  qui  présente  la  réaction  la  plus  accusée  (De  Wildeman). 

Comme  pour  les  Phanérogames,  deux  opinions  se  trouvent  en  présence,  relativement 
au  rôle  du  tannin.  Pour  les  uns  c'est  une  réserve,  pour  les  autres  un  déchet. 

Chez  les  Spirogyres,  il  semble  utilisé  pour  la  croissance,  mais  ne  paraît  pas  exister 
dans  les  spores. 

Pour  Krahss,  l'apparition  du  tannin  est  en  rapport  avec  l'assimilation  du  carbone, 
sa  formation  est  en  rapport  avec  la  présence  de  la  chlorophylle.  Pour  Muller,  au  con- 
traire, l'obscurité  favorise  la  production  de  ce  corps.  Pour  Wildeman  enfin,  lumière  ou 
obscurité  n'influent  pas  sur  l'intensité  de  la  réaction  des  sels  de  fer,  c'est-à-dire  sur  la 
quantité  de  tannin  élaborée. 

Krauss,  qui  veut  voir  dans  le  tannin  une  matière  excrémentitielle,  le  regarde  cepen- 
dant comme  indirectement  utile  à  la  conservation  de  la  plante,  en  empêchant  la  putré- 
faction, et  en  la  préservant  de  l'attaque  des  animaux. 

Cependant  les  Spirogyres,  qui  contiennent  une  grande  quantité  de  tannin,  se  putré- 


270  ALGUES. 

fient  beaucoup  plus  vite  que  les  Claclophora,  Conferva,  Vlothrix,  qui  n'en  contiennent 
presque  pas.  Le  rôle  antiputréfactif  est  donc  hypothétique;  il  en  est  de  même  en  ce  qui 
concerne  la  protection  envers  les  insectes,  ou  d'une  façon  plus  générale  Jes  parasites, 
car,  dans  un  aquarium,  ce  sont  toujours  les  Spirogyres  qui  sont  infestées  les. premières 
avant  leurs  congénères. 

Matières  protèiques.  —  Il  existe,  chez  nombre  d'algues,  des  cristalloïdes  pro- 
téiques,  libres  dans  les  cellules,  qui  présentent  une  certaine  analogie,  avec  ceux  que  l'on 
trouve  chez  les  Mucorinées,  parmi  les  champignons.  Chez  ces  derniers,  on  les  appelle 
parfois  corpuscules  de  mucorine,  mais  ce  dernier  mot  ne  sert  qu'à  masquer  notre 
ignorance  sur  le,ur  constitution  chimique  ;  ils  semblent  résulter  d'un  travail  de  sépara- 
tion, qui  s'accomplit  dans  l'appareil  reproducteur,  entre  le  protoplasme  destiné  à  former 
les  corps  reproducteurs,  et  celui  qui  restera  dans  le  tube  sporifère,  destiné  à  disparaître. 
Le  même  processus  leur  donne-t-il  naissance  chez  les  algues  ?  Malgré  son  intérêt,  cette 
supposition  n'a  pas  encore  été  vérifiée. 

Les  algues  Floridées  sont  riches  en  cristalloïdes,  qui  semblent  différer  de  la  muco- 
rine, dans  leurs  cellules  végétatives.  Ces  cristalloïdes  toujours  biréfringents  sont  souvent 
octaédriques  {Bornetia,  Griffithsia,  Laurencia),  et  appartiennent  sans  doute  au  système 
du  prisme  rhomboïdal  oblique.  Il  existe  des  cristalloïdes  libres,  dans  certaines  algues 
vertes  :  hexaédriques  (Acetahularid)  ou  octaédriques  {Codium). 

Dans  toutes  les  parties  des  Nitella,  même  dans  les  cellules  en  voie  de  dépérissement, 
on  rencontre  des  corpuscules  ciliés,  sur  la  nature  physiologique  desquels  on  n'est  pas 
très  fixé.  Ces  corps  sphériques,  chargés  d'épines  délicates,  présentent  les  réactions,  à  la 
fois  du  tannin  et  des  substances  albuminoïdes  (Overtox.  Beitr.  :ur  Histol.  und  Physiol., 
derCharuceen,Bot.CentralbL,  t.xuv.  1890).  Ces  corpuscules  paraissent  résulter  de  la  trans- 
formation des  vacuoles,  qui  se  multiplieraient  par  division,  non  pas  dans  le  suc  cellu- 
laire, mais  au  sein  du  protoplasme.  Ces  corps  augmentent  rapidement  de  nombre  et  de 
grosseur,  à  mesure  que  la  cellule  qui  les  contient  assimile  davantage;  mais  le  fait  qu'on 
les  trouve  en  grande  abondance  dans  les  cellules  en  voie  de  dépérissement,  semble  indi- 
quer qu'ils  ne  sont  pas  utilisés  par  la  suite.  Au  point  de  vue  de  leur  forme,  ils  ne  sont 
pas  sans  analogie  avec  les  grains  d'aleurone  (du  Ricin  par  exemple). 

Nous  avons  parlé  plus  haut  de  la  théorie  de  Loew  et  Bororny  sur  l'albumine  vivante 
du  protoplasme,  et  de  la  réaction  de  l'aldéhyde  {caractéristique  de  la  vie,  selon  ces 
auteurs),  sur  la  solution  argentique  alcaline.  Voici  les  conclusions  que  ces  auteurs  pen- 
saient établies  sur  des  preuves  irréfutables. 

Lalbuniine  active  est  dissoute  dans  le  suc  cellulaire  de  plusieurs  Spirogyres,  et  est 
transformée  en  granulations  par  le  carbonate  d'ammoniaque,  la  potasse,  la  soude,  les 
bases  organiques,  par  les  sels  neutres  d'ammoniaque.  Ces  granulations  présentent  les 
réactions  des  matières  albuminoïdes,  et  réduisent  énergiquement  la  solution  argentique 
alcaline.  Cette  formation  de  granulations,  qui  ne  se  produit  pas  lorsqu'on  agit  sur  des 
cellules  mortes,  provient,  d'après  ces  auteurs,  d'une  polymérisation  de  l'albumine  active  ; 
secondairement,  il  se  produit  à  la  surface  de  chaque  granulation  un  peu  de  matière 
tannique. 

L'assertion  de  Pfeffer,  que  ces  granulations  sont  un  produit  de  la  combinaison  d'un 
tannin  avec  l'albumine  (survenue  lors  de  la  neutralisation  du  suc  cellulaire,  par  intro- 
duction de  la  solution  de  carbonate  d'ammoniaque)  est  considérée  par  ces  auteurs  comme 
errone'e.  Cette  affirmation  est  fondée  sur  de  nombreux  arguments,  pour  le  détail  des- 
quels nous  renvoyons  au  mémoire  original. 

Pour  répondre  aux  objections  soulevées  par  cette  théorie  de  l'albumine  vivante,  diffé- 
rente de  l'albumine  morte,  Loew  refit  diverses  expériences  sur  Spiroç/tjra  nitida  et  S.  dubia. 
(Pour  le  détail  de  ces  expériences,  voyez  :  A.  Pf.,  t.  xxx,  pp.  348-362,  Ein  weiteres  Beiveis 
dass  das  Ehveiss  der  lebcnden  Protop.  eine  andere  chem.  Constitut.  besitzt  als  das  des 
abgestorben.) 

Pour  vérifier  si  le  suc  cellulaire  des  Spirogyres  possède  une  réaction  acide,  on  ajoute 
à  l'eau  de  culture  de  l'iodure  de  potassium,  ou  du  nitrate  de  potassium  ou  de  sodium. 
Si  la  réaction  est  acide,  l'iode  ou  l'acide  nitrique  seront  mis  en  liberté,  et  par  suite  la 
mort  des  cellules  surviendra.  Or  tel  n'est  pas  le  cas.  L'acide  nitrique  n'est  vénéneux  que 
parce  qu'il  oxyde  fortement  les  groupements  amidés  de  l'albumine  active. 


ALGUES.  271 

L'albumine  du  protoplasme  vivant  est  une  matière  en  état  d'équilibre  instable,  dont 
les  atomes,  en  état  de  mouvement  énergique,  changent  très  facilement  leur  position 
d'équilibre.  Leurs  mouvements  sont  encore  accélérés  par  les  processus  respiratoires. 

Aucune  des  objections  faites  jusqu'à  ce  jour  à  la  diiïérence  de  nature  qui  existerait 
entre  la  constitution  de  l'albumine  vivante  et  de  l'albumine  morte,  n'a  été  établie  sur 
des  preuves  certaines.  Telle  est  l'opinion  des  auteurs  de  cette  théorie;  mais  empressons- 
nous  d'ajouter  qu'elle  n'est  pas  celle  de  nombre  d'auteurs  compétents.  Enregistrons  les 
faits,  et  gardons-nous  de  conclusions  prématurées. 

Aliments  des  algues.  —  D'importantes  études  sur  la  nutrition  des  algues  ont  été 
entreprises  par  Loew  et  Bokorxy  {Cliemisch-physiologische  Studien  ilber  Algen.  {Journal  fur 
praciische  Chimie,  1887,  p.  272).  —  Bokorny.  Ueher  Stârkebildung  aus  verschiedenen 
Stoffen  (in  Berichte  der  deutschen  botan.  Gesellschaft,  1888,  t,  vi,  p.  116). 

Voici  les  résultats  acquis  à  la  science  par  les  travaux  de  ces  auteurs.  Les  fdaments 
des  algues  contiennent  de  8S- à  90p.  100  d'eau;  séchés  à  100°,  de  6  à  9  p.  100  de  graisse, 
28  à  .32  p.  100  d'albumine,  60  à  66  p.  100  de  cellulose  et  d'amidon.  Les  matières  grasses 
sont  localisées  surtout  dans  les  bandes  chlorophylliennes,  celles  qui  se  trouvent  dans  le 
plasma  incolore  pourraient  bien  être  de  la  lécithine.Les  Spirogyres  contiennent  aussi  de 
la  cholestérine  ;  la  teneur  en  amidon  varie,  et  augmente,  par  suite  d'un  état  pathologique, 
lorsqu'une  température  basse  s'allie  à  un  temps  clair.  La  glycose  ne  se  montre  que  pen- 
dant la  copulation;  les  grains  d'amidon  diminuent  en  même  temps.  Les  cloisons  inter- 
cellulaires contiennent  du  mucilage,  le  contenu  cellulaire  contient  des  quantités  très 
variables  d'un  tannin  qui  bleuit  par  les  sels  de  fer.  Dans  les  Spirogyres,  on  ne  trouve 
pas  de  leucine,  ni  d'asparagine,'mais  de  l'acide  succinique. 

Dans  des  essais  sur  la  nutrition,  ces  auteurs  ont  constaté  :  que  l'acide  nitrique  est 
une  source  d'azote,  plus  favorable  au  développement  des  Zygnémacées  que  l'ammoniaque  ; 
les  sels  ammoniacaux  sont  nuisibles  aux  Spirogyres,  et  non  aus  autres  algues.  Le  nitrate 
de  chaux  est  remarquablement  plus  favorable  au  développement  que  le  nitrate  de  soude. 
Pour  ce  qui  est  des  matières  nutritives  organiques,  voici  les  résultats  : 
Cultivées  à  l'obscurité,  les  algues  peuvent  se  nourrir  aux  dépens  de  l'acide  aspar- 
tique,  et  aussi,  mais  moins  bien,  de  l'hexaméthylamine. 

A  la  lumière,  elles  utilisent  l'acide  aspartique  et  l'acide  succinique.  La  toxicité  des 
substances  augmente  à  mesure  que  l'on  emploie  des  corps  où  entrent  des  groupements 
azotés.  C'est  ainsi  que  dans  l'uréthane  le  développement  se  fait  bien  ;  dans  l'urée,  elles 
deviennent  malades  au  bout  de  quelques  jours,  et,  avec  la  guanidine,  elles  meurent  au 
bout  de  quelques  heures. 

Lorsque  des  groupements  acides  entrent  dans  la  molécule  des  corps  employés, 
l'iniluence  nuisible  disparaît;  l'exemple  de  l'hydantoïne  et  de  la  créatine  le  prouve. 

Ces  deux  derniers  corps  sont  de  meilleurs  aliments  que  la  leucine  et  l'uréthane, 
parce  que  le  groupement  CH-  y  est  plus  facilement  dissociable.  Cette  facilité  de  disso- 
ciation est  considérée  par  ces  auteurs  conmie  la  caractéristique  d'un  bon  aliment  pour 
ces  plantes. 

Des  bases  et  fréquemment  leurs  sels  déterminent,  à  des  degrés  divers,  la  production 
de  granulations  dans  le  protoplasme  des  Spirogyres,  et  ce  fait  repose  probablement  sur 
une  polymérisation  de  l'albumine  active;  c'est  pour  cela  que  dans  les  cellules,  préalable- 
ment tuées,  les  mêmes  substances  ne  produisent  pas  de  granulations. 

Si  on  n'offre  à  la  cellule  qu'une  quantité  de  sels  ammoniacaux  suffisante  pour  que 
la  formation  d'albumine  marche  parallèlement  à  l'absorption  et  à  l'utilisation  de  l'ammo- 
niaque, on  n'observe  aucune  influence  nuisible.  On  peut  s'appuyer  sur  ce  fait  pour  con- 
clure que.  les  sels  ammoniacaux  ne  donnent,  dans  les  cultures,  que  des  résultats  infé- 
rieurs à  ceux  obtenus  par  les  nitrates. 

Si  on  emploie  plus  de  sels  ammoniacaux,  la  masse  totale  des  sels  introduits  se  sépare, 
l'ammoniaque  détermine  la  formation  de  granulations  dans  le  protoplasme,  il  se  forme 
de  l'aldéhyde-ammoniaque,  aux  dépens  des  groupements  aldéhydiques,  restés  intacts  dans 
la  molécule  d'albumine  active.  Mais  le  résultat  est  la  mort  du  protoplasme  ou  un  ralen- 
tissement dans  l'énergie  des  fonctions.  Les  hypophosphates,  phosphates,  hyposulfates 
de  soude,  les  chlorures  de  baryum,  de  rubidium,  de  lithium,  l'iodure  de  potassium,  le 
ferrocyanurè  de  potassium  ne  nuisent  en  rien  aux  Spirogyres,   alors  que  les  sels  de 


272  ALGUES. 

baryum  et  les  phosphates  sont  toxiques  pour  les  animaux,  et  les  sds  de  rubidium,  de 
lithium,  et  les  iodures  pour  les  plantes  supérieures. 

Les  iodates  sont  ve'néneus  parce  que  les  sécrétions  acides  (des  racines)  mettent  en 
liberté  de  l'acide  iodbydrique,  qui  par  oxydation  donne  de  l'iode  libre.  Les  nitrites 
sont  également  toxique*,  parce  que  de  l'acide  nitrique  est  mis  en  liberté  par  le  même 
procédé.  Cet  acide, -eu  s'emparant  des  groupes  amidés  de  l'albumine  active,  tue  le  pro- 
toplasme. 

Les  Spirogyres,  en  efïet,  dont  le  contenu  est  neutre, ne  sont  pas  tuées  parles  nitrates. 
L'acide  nitrique  libre,  le  bichromate  de  potasse,  le  chlorate  de  potasse,  les  sels  d'hy- 
droxylamine  (AzH-OHl,  l'arséniate  de  potasse,  sont  toxiques;  l'arsénite  de  potasse,  au 
contraire,  ne  l'est  pas. 

La  toxicité  de  l'acide  cyanhydrique  provient  peut-être  de  ce  que  l'aldéhyde  du  proto- 
plasme, comme  toutes  les  aldéhydes,  se  combine  avec  la  plus  grande  facilité  à  cet 
acide,  d'oti  la  privation  pour  la  molécule  d'albumine  de  ses  groupements  aldéhydiques. 

La  question  de  savoir  si  l'aldéhyde  formique  ou  ses  combinaisons  peuvent  nourrir  cer- 
taines plantes,  en  particulier  les  algues,  présentait  un  intérêt  particulier.  Cette  aldéhyde 
s'est  montrée  constamment  nuisible  pour  les  Vaucheria  et  Spirogyra.  L'aldéhyde  for- 
mique ou  l'alcool  méthylique  peuvent  prendre  naissance  aux  dépens  du  mélhyla 
CH-(0C''11-V-,  par  action  de  l'acide  sulfurique.  Peut-être  un  processus  semblable  se  trouve- 
t-il  réalisé  dans  le  ohimisme  de  la  chlorophylle.  Or  le  méth3'lal  peut  nourrir  les  Spiro- 
gyres et  les  Vauchéries,  mais  il  ne  donne  pas  lieu  à  la  formation  d'amidon.  11  est  vrai 
que  les  bandes  chlorophylliennes  des  Spirogyres,  après  un  séjour  de  trois  semaines  dans 
une  solution  de  méthylal,  et  à  l'obscurité,  étaient  si  réduites  dans  leurs  dimensions,  que 
tout  faisait  prévoir  leur  mort  prochaine.  A  la  lumière  elles  reprirent  vie.  Cette  réduction 
dans  les  dimensions,  cet  amaigrissement,  si  l'on  veut,  s'expliquerait  par  le  manque 
d'azote.  Les  Vauchéries  fabriquent  de  la  cellulose  en  présence  du  méthylal,  ce  qui 
tendrait  à  prouver  qu'un  hydrate  de  carbone  se  forme  aux  dépens  du  méthylal,  hydrate 
susceptible  de  se  transformer  en  cellulose.  Dans  les  essais  avec  la  cyanhydrine,  de 
laquelle  on  peut  séparer  l'aldéhyde  formique  et  l'acide  cyanhydrique,  on  ne  remarque 
pas  la  formation  d'amidon,  mais  bien  des  altérations  de  la  bande  chlorophyllienne. 

LoEw  et  BoKORNY  croient  cependant  à  la  formation  de  l'amidon,  aux  dépens  de  la 
formaldéhytle,  parce  que  les  bactéries  prennent  de  la  cellulose  aux  dépens  du  mé- 
thylal, de  l'alcool  méthylique,  des  sels  sulfo-méthyliques,  ou  de  l'hexa-méthylènamine. 
C'est  à  cette  formation  de  cellulose  que  vraisemblablement  sert  la  formaldéhyde  qui  a 
été  formée  aux  dépens  des  combinaisons  ci-dessus,  ou  bien  dont  la  synthèse  a  été 
faite  pas  les  bactéries  aux  dépens  de  groupements  CH-*. 

LoEw  {Sitz.  ber.  Bot.  Ver.  Mûnchen.  Bot.  Central.,  t.  slviii,  pp.  2oO-2ol)  a  expérimenté 
l'action  du  cyanure  de  sodiuniîsur  les  algues. 

Ce  sel  est  pour  la  plupart  des  cellules  végétales  un  poison  énergique,  mais  il  n'est 
pas  toxique  pour  les  algues  et  les  champignons.  Dans  la  solution  au  1  / 1000,  les  Diatomées, 
Desmidiées  et  Oscillariées  ne  meurent  qu'au  bout  du  troisième  jour,  les  Spirogyres  peu- 
vent y  végéter  pendant  10  jours.  En  une  solution  plus  étendue,  ce  sel  serait  même  peut- 
être  un  aliment,  car  dans  la  solution  àl/10000,ces  alguesrestent  vivantes,  et  les  FaucAe/'w 
y  poussent  de  nouveaux  utricules  en  grand  nombre.  Il  est  vraisemblable  que  l'acide 
cyanhydrique  se  transforme  dans  les  cellules  des  algues  en  AzH'. 

Le  méthylal  est  un  bon  amylogène,  mais  c'est  un  corps  facilement  dédoublable  en 
alcool  méthylique  et  en  aldéhyde  formique;  comme  la  plante  peut  produire  de  l'amidon 
aux  dépens  de  l'alcool  méthylique,  il  est  impossible,  en  opérant  avec  le  méthylal,  de 
déterminer  la  part  qui  revient,  dans  l'amylogenèse,  à  l'aldéhyde  formique. 

Aussi  BoKOBNY  a-t-il  employé  dans  des  recherches  ultérieures  [Ber.  d.  Deutsch.  bot. 
Gesellsch..,  1892,  fasc.  4),  l'oxyméthylsulfite  de  sodium,  auquel  Lûew  avait  reconnu  des 
propriétés  nutritives  et  amylogènes.  A  température  peu  élevée,  ce  sel  se  décompose  en 
aldéhyde  formique  et  sulfite  acide  de  sodium. 

Spirogyra  majuscula  supporte  bien  la  solution  au  millième  du  sel  ci-dessus.  La  plante 
vivant  à  l'air  et  à  la  lumière  forme  plus  d'amidon,  lorsqu'elle  reçoit  cet  aliment,  que 
lorsqu'elle  n'en  reçoit  pas.  Si  on  place  l'algue  à  la  lumière  (condition  indispensable  à 
l'amylogenèse,  dans  ces  circonstances  expérimentales)  et  qu'on  la  prive  de  CO-,  il  ne  se 


ALGUES.  273 

forme  plus  d'amidon;  mais,  sien  ajoute  à  l'eau  de  culture  de  roxyméthylsulflte  (addi- 
tionné de  phosphate  bipotassique,  destiné  à  neutraliser  le  sulfate  acide  formé),  l'amylo- 
genèsese  produit.  Il  est  important  d'opérer  en  l'absence  de  moisissures,  qui  pourraient 
être  une  source  de  C0-. 

De  cette  expérience,  Bororny  conclut  que  l'oxyméthysulfite  de  sodium  est  dédoublé 
en  aldéhyde  formique  et  en  sulfite  acide,  puisque  l'aldéhyde  se  polymérise  pour  donner 
de  l'amidon.  L'expérience  sur  les  Spirogyres  démontrerait  donc  la  vérité  des  idées  théo- 
riques de  B.EYER  sur  le  mécanisme  de  l'assimilation  du  carbone. 

Mais  en  réalité  ces  conclusions  sont  passibles  d'objection  très  graves.  Tout  d'abord 
le  dédoublement  de  l'oxyméthylsuKîte  de  soude  n'est  pas  prouvé.  De  plus  les  expé- 
riences mêmes  de  l'auteur  ont  prouvé  la  toxicité  pour  la  plante  de  l'aldéhyde  méthy- 
lique;  au  moment  de  sa  mise  en  liberté,  comment  ne  tue-t-elle  pas  le  protoplasme?Il  faut 
faire  ici  une  nouvelle  hypothèse,  et  admettre  qu'au  fur  et  à  mesure  de  sa  production, 
l'aldéhyde  est  polymérisée,  et  cesse  d'être  nuisible  presque  instantanément. 

D'autre  part,  en  absorbant  du  glucose,  la  plante  verte  forme  de  l'amidon;  or  le  proto- 
plasme de  la  plante  en  expérience  peut  et  doit  contenir  du  glucose  ;  pourquoi  l'amidon 
ne  proviendrait-il  pas  de  la  deshydratation.de  ce  glucose? 

Ces  expériences  n'amènent  pas,  somme  toute,  à  des  conclusions  précises,  et  laissent 
place  au  doute,  comme  la  plupart  des  expériences,  entreprises  dans  le  but,  non  d'étudier 
un  phénomène  dans  ses  détails,  indépendamment  des  idées  a  'priori,  mais  à  seule  fin 
d'étayer  des  vues  théoriques  et  h3'pothétiques.  Bokorny  a  montré  dans  ce  même  mémoire 
que  la  synthèse  de  l'amidon  était  impossible,  en  l'absence  du  potassium;  pourquoi 
s'obstiner  alors  à  démontrer  que  le  carbone,  mis  en  liberté  par  dédoublement  de  CO-, 
passe  à  l'état  d'amidon,  par  la  seule  intervention  des  éléments  de  l'eau?  Les  combinai- 
sons ou  entre  le  carbone,  à  sa  mise  en  liberté,  sont  probablement  beaucoup  plus  com- 
plexes que  l'on  ne  tend  à  l'admettre  couramment,  elles  seuls  résultats  que  l'on  peut  logique- 
ment tirer  pour  la  physiologie  générale  des  plantes,  de  ces  expériences  sur  l'assimilation 
chez  les  algues,  sont  que  la  plante  utilise  le  carbone,  non  seulement  de  CO-,  mais  de  corps 
carbonés  plus  complexes  :  sucre,  alcool  méthylique,  oxyméthylsQlfite  de  sodium.  Quant 
aux  corps  intermédiaires  entre  ces  générateurs  de  carbone  et  l'amidon,  nous  sommes 
dans  l'ignorance  la  plus  complète  sur  leur  constitution  et  leur  rôle. 

Assimilation  de  l'azote  par  les  algues.  —  Cette  question  rentre  dans  celle  de 
l'assimilation  de  l'azote  par  les  végétaux  en  général:  elle  sera  traitée  par  G.  André, 
à  l'article  Azote.  Nous  rappellerons  seulement  quelques  faits  qui  touchent  plus  parti- 
culièrement à  la  physiologie  des  algues. 

D'après  Beyeringk,  le  Scenedcsmus  acutus  n'assimile  l'azote  qu'à  l'état  de  peptone  et 
peut-être  d'amide,  mais  non  à  l'état  de  nitrate  ou  de  sel  ammoniacal.  (Voir  plus  haut  les 
résultats  de  Loew  et  Bokorny  sur  l'assimilation  de  ces  divers  corps  azotés.) 

Pour  ce  qui  est  de  la  fixation  de  l'azote  libre,  Frank  avait  déjà  émis  une  opinion 
afflrmative(L''e6er  den  experimentellenNachweis  der  Assimilation  freien  Stickstoffs  durcherd- 
boden  beivohnende  Algen.  Ber.  d.  [deutsch  Bot.  Ges.,  t.  vni,  1889.  —  Landwirthschafll. 
Jahrbûcher,  t.  xvii,  1888.  —  Ami.  de  la  science  agronomique  française  et  étrangère,  1888.) 
à  l'aide  de  preuves  indirectes  et  insuffisantes,  semble-t-il.  A.  Gautier  et  R.  Drouin 
(C.  R.,  t.  cvi,  1888;  t.  cxiii,  1891)  ont  signalé  l'influence  des  algues  vertes  sur  la  fixation 
de  l'azote  par  le  sol.  Mais  ils  ramènent  le  phénomène  à  une  simple  absorption  des  com- 
posés azotés,  et  rejettent  l'idée  de  la  fixation  libre  d'azote. 

Plus  récemment,  Th.  Schlœsing  fils  et  Em.  Laurent  [Ann.  Inst.  Past.,  1892,  p.  109) 
ont  vu  leurs  sols  d'expérience  recouverts  d'algues  diverses  :  Conferva,  Oscillaria,  Nitzc- 
hia,  et  en  même  temps  de  diverses  mousses  (Bryum,  Leptobryum)  et  concluent  que, 
parmi  ces  plantes,  certaines  au  moins  sont  capables  d'emprunter  de  l'azote  gazeux  à 
l'atmosphère. 

D'après  de  nouvelles  expériences,  les  mômes  auteurs  ont  affirmé  que  certaines  algues, 
végétant  communément  à  la  surface  du  sol,  sont  capables  de  fixer  l'azote  libre  de  l'air  en 
quantité  considérable.  Les  algues  sur  lesquelles  ont  porté  ces  expériences  sont  :  Nostoc 
pimctiforme  Har.,  Nostoc  miniatiun  Desm.,  Cylindrospermum  majus  Kutz.,  Phormidium  papy- 
raceum,  Plionnidium  aiitumnale  Gom.,  Microcoleus  vaginalus ,  Lyngbia  oscillatoria,  des 
Chlorospermées  :  Tetraspora,  Protocaccus,  Stichococcus,  Ulothrix.  Dans  ces  expériences, 

UICT.    DE   PHYSIOLOGIE.    —    TO.\IE    I.  18 


274  ALGUES. 

lorsqu'on  observe  une  disparition  d'azote  gazeux,  on  retrouve  dans  les  plantes  l'azote  dis- 
paru. «  L'entrée  en  combinaison  de  l'azote  libre  ainsi  absorbé  a  pu  trouver  dans  l'action 
chlorophyllienne  l'énergie  qui  lui  est  nécessaire.  Comme  il  est  fort  difficile  d'obtenir  des 
cultures  d'algues  pures,  on  ne  peut  affirmer  que  seules,  elles  peuvent  suffire  à  la  fixation 
de  l'azote.  Le  concours  d'autres  êtres  organisés  est  peut-être  nécessaire.  Il  est  possible 
qu'il  s'établisse  des  relations  plus  ou  moins  symbiotiques  entre  l'algue  et  les  bactéries. 
Cependant,  dans  ces  cultures  expérimentales,  les  bactéries  étaient  raresdansles  endroits 
ofi  les  algues  poussaient  avec  vigueur. 

Les  algues  se  trouvent  répandues  à  la  surface  de  presque  tous  les  sols;  leur  pouvoir 
fixateur  pour  l'azote  libre  doit  jouer  un  rôle  capital  dans  la  statique  de  l'azote  de  la 
nature.  On  sait  qu'en  dehors  de  toute  culture  de  Légumineuse  il  y  a  toujours  excédent 
d'azote,  à  la  fin  d'une  rotation.  Cet  excédent  ne  peut  être  attribué  qu'en  partie  à  l'ap- 
port des  composés  azotés  de  l'atmosphère;  les  algues  doivent  jouer  un  grand  rôle  dans 
ce  phénomène.  Leur  influence  doit  être  surtout  considérable  dans  la  jachère,  et  les  sols 
humides,  où  leur  pullulation  est  intense.  (Pour  des  détails  complémentaires  sur  cette 
question,  et  relativement  surtout  aux  questions  de  priorité,  voir  C.  R.,  1891  et  1802, passim.) 

D'après  L.-vdrent  (Anw.  Iresi.  P«sî.,  1870,  p.  741),  la  réduction  des  nitrates  par  certaines 
algues  serait  un  fait  non  douteux.  Cette  réduction  avait  déjà  été  signalée  pour  les 
Conferves,  par  Schônbein  {Journ.  fur  prak.  Chemie,  t.  cv,  p.  208,  1868).  Si  on  place  des 
filaments  de  Cladophora  dans  une  solution  de  nitrate  de  potasse,  à  1  p.  100,  après  une 
demi-heure  de  séjour  à  l'obscurité,  on  observe  une  réaction  nitreuse;  celle-ci  est  beau- 
coup plus  forte  le  lendemain.  Si  l'algue  est  exposée  au  soleil,  elle  dégage  de  l'oxygène 
et,  sous  l'influence  de  ce  gaz,  les  nitrites  disparaissent.  Replacée  à  l'obscurité,  l'algue 
redécoinpose  à  nouveau  le  nitrate.  L'expérience  réussit  également  avec  plusieurs  espèces 
d'Oedogoniiim  et  de  Spirogyra.  Mais  il  est  à  remarquer  que  toutes  les  expériences  sur  les 
réductions  des  nitrates  par  les  végétaux  ont  été  faites  en  employant  comme  réactif  le 
chlorure  de  naphtylamine  qui,  en  présence  des  nitrites,  se  colore  en  rose,  lorsqu'il  est 
additionné  d'acide  chlorhydrique  dilué  et  d'acide  sulfanilique.  Or,  malgré  les  raisons 
données  par  les  auteurs  de  ces  expériences,  sur  la  valeur  de  ce  réactif,  nombre  de  chi- 
mistes persistent  à  affirmer  que  la  coloration  rose  se  produit  en  présence  d'une  foule 
•de  corps,  qui  n'ont  aucun  rapport  avec  les  nitrites. 

Pour  ce  qui  est  de  l'influence  de  certains  sels  sur  la  végétation  des  algues,  voy. 
WypLEL  (f/eôer  denEinfluss  ciniger  Chloride,  Fluoride  und  Bromide  auf  Algen.  Weidhofen  a. 
d.  Thaya,  1893). 

L'acide  sulfhydrique,  si  toxique  pour  les  phanérogames  (à  la  dose  de  jrjj-^  dans  l'air, 
il  jaunit  promptement  les  feuilles,  par  action  directe  sur  la  chlorophylle,  semble-t-i!) 
■est  sans  action  aucune  sur  les  Oscillaires  blanches,  dites  Beggiatoa,  qui  vivent  et  pul- 
lulent dans  les  eaux  sulfureuses,  où  ce  gaz  est  en  forte  proportion,  l'eau  de  Barèges  par 
■exemple.  Ces  plantes  de  la  famille  des  Cyanophycées  méritent,  à  cause  de  cet  habitat,  le 
nom  de  Sulfuraires  et  de  Barègines.  Bien  plus,  l'acide  sulfhydrique  qui  existe  dans  ces 
eaux  provient  de  la  nutrition  même  de  la  plante.  On  ne  sait  que  peu  de  chose  sur  les 
phénomènes  intimes  de  cette  nutrition,  mais  ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que  ces 
algues  réduisent  les  sulfates  et  produisent  de  l'acide  sulfhydrique,  qui  se  dissout  dans 
l'eau.  Le  soufre  réduit  se  fixe  sous  forme  de  grains  anguleux  et  cristallins,  solubles  dans 
le  sulfure  de  carbone.  Ce  soufre  se  redissout  plus  tard  dans  la  cellule,  il  parait  consti- 
tuer une  réserve. 

Bien  que  nous  n'ayons  pas  à  tracer  ici  l'histoire  physiologique  des  Bactériacées,  il 
€St  intéressant  de  rapprocher  de  ce  fait  la  réduction  des  sulfates  par  certaines  algues, 
la  nutrition  de  certains  bacilles  aux  dépens  du  soufre  libre.  Certaines  espèces  s'emparent 
ainsi  du  soufre  renfermé  dans  le  caoutchouc  vulcanisé,  et  dégagent  de  l'acide  sulfliy- 
drique.  Si  ce  dégagement  a  lieu  en  milieu  alcalin,  l'acide  dégagé  passe  à  l'état  de  sul- 
fures, et  on  arrive  ainsi  à  du  sulfhydrate  d'ammoniaque,  des  sulfures  de  sodium  ou  de 
calcium  (Miquel,  Ann.  Observât,  de  Monlsowis,  1880,  p.  .ïO(3). 

Certaines  algues  dépourvues  de  chlorophylle  semblent  dégager  des  bulles  d'hydro- 
gène protocarboné.  Peut-être  est-ce  là  la  source  de  ce  formène,  dégagé  parles  marais 
et  la  vase.  Une  de  ces  algues  productrices  de  gaz  protocarboné  serait  le  Sycamina 
nigrescens,  une  Volvocinée,(VA.N  Tieghem,  Soc.  Bol.,  t.  xxvii,  p.  200,  1880). 


ALGUES.  275 

L'azote  exerce  une  influence  très  favorable  sur  le  développement  des  Diatomées.  (Cas- 
TBACONE.  Nuovo  Ststema  di  ricerche  sulle  diatomee.  AU.  dell.  Ac.  pont.  d.  Nuovi  Lincei,  1870). 
Ces  algues  exigeraient  également  CO-,  des  azotates  du  fer  et  de  la  silice  ;  l'influence  favo- 
rable des  sulfates  et  des  phosphates  n'est  que  probable;  peut-être  exigeraient-elles 
aussi  des  sels  potassiques?  Miquel  (Ann.  de  micr.,  t.  iv,  1894)  vient  d'étudier  avec  soni 
l'action  de  diverses  substances  sur  les  Diatomées. 

Pigments  chlorophylliens.  —  Nombre  d'algues  jouissent  de  la  propriété  de  décom- 
poser C0-.  Le  fait  est  connu  depuis  fort  longtemps.  Il  est  même  à  supposer  que  toutes 
les  algues,  colorées  par  un  pigment  quelconque,  jouissent  de  cette  propriété  qui  n'appar- 
tient pas  exclusivement  aux  algues  vertes,  où  la  chlorophylle  est  si  visible. 

AuG.  MoRREN  a  démontré  dès  1836  [Rech.  sur  l'influence  qu'exercent  la  lumière  et  la 
subst.  org.  de  coul.  verte  dans  l'eau  stagn.  sur  la  quai,  et  la  quant,  de  gaz  que  celle-ci  peut 
contenir,  Paris,  1836,  in-4°)  que,  dans  les  eaux  où  se  trouvent  des  organismes  inférieurs 
verts,  organismes  qui  appartiennent  presque  tous  aux  algues ,  la  proportion  d'O  dissous 
s'éievaità  23,  48,  61  p.  100,  au  lieu  de  32  qui  est  la  proportion  normale,  sous  l'influence 
de  la  lumière  solaire.  Il  a  prouvé  le  même  fait  pour  l'eau  de  mer  [Rech.  sur  les  gaz  de 
l'eau  de  mer,  Paris,  1834,  et  A.  C,  111=  série,  t.  xii). 

Aimé  (A.  C,  t.  n,  p.  53o)  a  constaté  que  l'air  renfermé  dans  les  vésicules  des  Fucus, 
renferme  moins  d'O  pendant  la  nuit  que  l'air  atmosphérique  (17p.  100),  mais  que,  quand 
l'influence  solaire  s'est  manifestée,  la  quantité  d'oxygène  s'élève  jusqu'à  36  p.  100.  Fait 
d'autant  plus  intéressant  que  les  Fucus  sont  des  algues  brunes,  d'où  on  peut  déduire 
tout  de  suite  que  le  pigment  brun  ne  nuit  en  rien  à  l'action  de  la  chlorophylle. 

Le  pigment  chlorophyllien  des  algues  a  été  surtout  étudié  chez  les  Spirogyra.  Là, 
les  chromatophores  sont  des  bandes  spiralées,  à  contours  crénelés,  dont  la  structure 
intime  commence  à  être  bien  connue;  elles  se  composent  d'un  substratum  alburainoïde 
incolore,  et  d'un  pigment  qui  imprègne  ce  substratum. 

Ces  bandes  chlorophylliennes  permettent  d'étudier  une  curieuse  action  de  la  lumière 
sur  les  algues.  Famintzin.  Bie  Wirkung  des  Lichtes  auf  Algen  iind  cinige  andere  ihnen 
verwandten  Organismen  {Jahrb.  f.  Wiss.  Bot.,  t.  vi,  p.  1,  pi.  MIT).  —  Bdsch.  Untersuchun- 
gen  liber  die  Frage  ob  das  Licht  zu  den  unmittelbaren  Lebensbedingungen  der  Pflanzen 
oder  einzelne  Pflanzenorgane  gehôrt  {Ber.  deutsch.  ges.  Gen.  Yersammlung,  1889).  —  Prin- 
GSHEiM.  JJeber  Lichtwirkimg  und  Chlorophyllfunction  in  der  Pflanze  [Jahrbuch.  f.  Wissen- 
chaft.  Bol.,  t.  xn,  p.  188,  pi.  XI-XXVI). 

Si  on  examine  des  échantillons,  placés  pendant  quelque  temps  à  l'obscurité,  on 
remarque  que  les  bandes  spiralées  se  contractent,  diminuent  de  diamètre,  en  même 
temps  que  les  grains  d'amidon,  accumulés  dans  les  cellules,  disparaissent;  le  noyau 
paraît  ne  pas  subir  de  modifications. 

Si  l'obscurité  persiste,  la  chlorophylle  se  fragmente;  la  spire  est  réduite  à  un  simple 
cordon,  reliant  les  divers  fragments;  les  noyaux  se  désorganisent. 

La  destruction  de  la  chlorophylle  ne  serait  pas,  d'après  certains  auteurs,  un  effet  de 
l'obscurité,  mais  un  phénomène  secondaire,  résultant  de  la  mort  de  la  cellule,  par  suite 
de  la  privation  de  lumière. 

L'action  d'une  lumière  trop  vive  ou  trop  prolongée  paraît  occasionner  les  mêmes 
déformations  dans  les  bandes  chlorophylliennes. 

La  contraction  des  bandes  comprime  évidemment  le  contenu  cellulaire,  protoplasme  et 
vacuole.  Aussi  voit-on  cette  dernière  se  diviser  en  plusieurs  petites  vacuoles  secondaires 

Hansen  [Bas  Chlorophyllgnin  der  Fucaceen.  Silzber.  der  Phys.  Med.  Ges.  zu  Wûrzbiirg,  i  884. 
p.  104-106.  —  Arb.  d.  Bot.  Instituts  zu  Wiirzburg,  t.  in,  faso.  II,  pp.  289-302)  a  extrait 
(d'après  la  méthode  qu'il  avait  appliquée  aux  feuilles  de  blé)  une  matière. verte  et  une 
matière  jaune  du  Fucus  vesiculosus,  matières  dont  les  propriétés  se  trouvent  identiques  à 
celles  des  substances  de  même  nom,  extraites  des  feuilles  de  blé.  Pour  les  caractères 
spectroscopiques  de  ces  substances,  nous  renvoyons  le  lecteur  à  la  figure  annexée  au 
mémoire  de  Hansen. 

Reixke  a  repris  les  essais  de  Hansen,  en  suivant  la  méthode  indiquée  par  cet  auteur, 
pour  extraire  la  matière  colorante  jaune.  Il  a  bien  obtenu  des  cristaux,  mais  formés, 
selon  lui,  non  pas  par  le  pigment  cristallisé,  mais  par  des  cristaux  de  cholestérine, 
souillés  par  le  pigment.  En  essayant  de  séparer  ce  pigment,  il  ne  parvint  pas  à  le  faire 


27(>  ALGUES, 

crisLalliser.  La  conclusion  de  ces  essais  serait  que  le  vert  et  le  jaune  de  chlorophylle  ne 
sont  autre  chose  que  de  la  cholestérine. 

Divers  auteurs,  et  en  particulier  Hansen  {loc.  cit.),  prétendent  que  le  pigment  brun  de 
certaines  algues  ne  fait  que  masquer  de  la  chlorophylle.  Ils  s'appuient  sur  ce  fait,  qu'en 
traitant  ces  algues,  par  exemple  lesFwcus,  par  l'eau  chaude,  on  fait  apparaître  une  colora- 
lion  verte.  Reinke  {loc.  cit.)  s'élève  contre  cette  opinion,  et  prétend  que  le  verdissement 
ainsi  provoqué  est  une  altération  cadavérique,  due  à  la  décomposition  du  pigment  brun. 
En  effet,  si,  au  lieu  de  traiter  un  Fucus  par  l'eau  bouillante,  on  fait  simplement  agir 
sur  lui  de  la  vapeur  d'eau,  ou  de  la  vapeur  d'éther,  la  coloration  vei-te  se  produit,  ce 
qui  ne  peut  être  attribué,  dans  ces  conditions,  à  une  dissolution  du  pigment  brun. 

Beyerinck  a  étudié  le  dégagement  d'o.\'ygène  par  les  algues  inférieures,  qu'il  appelle 
des  Chlorella.  Voici  la  marche  suivie  par  cet  expérimentateur  ;  elle  peut  intéresser  les  phy- 
siologistes. 11  introduit  dans  un  tube  à  essai  une  solution  de  gélatine  à  10  p.  100, colorée 
en  vert  par  les  Chlorella,  et  y  ajoute  du  sulfoindigotate  de  soude,  décoloré  par  un  très 
léger  excès  d'hydrosulfîte  de  soude.  Par  le  refroidissement,  la  masse  prend  une  consis- 
tance gélatineuse.  Si  l'on  expose  ce  tube  à  la  lumière,  en  le  recouvrant  d'une  cloche  à 
double  paroi,  remplie  d'une  solution  cupro-ammoniacale,  il  ne  se  manifeste  aucun  chan- 
gement; mais,  si  le  liquide  de  la  cloche  est  une  solution  de  bichromate  de  potasse,  au 
bout  de  quelques'minutes,  on  voit  apparaître  la  coloration  bleue  indiquant  un  dégage- 
ment d'oxygène.  Il  en  résulté  que,  contrairement  à  l'opinion  de  Pringsheim,  les  cellules 
vertes  peuvent  décomposer  l'acide  carbonique  dans  un  milieu  ne  contenant  pas  du  tout 
d'oxygène. 

Leseuldéveloppementdel'algue  peut  suffire  à  faire  apprécierle  dégagement  d'oxygène 
par  les  Chlorelles,  sous  l'influence  de  la  lumière;  car  elles  se  développent  très  active- 
ment dans  les  parties  éclairées  de  la  culture,  et  non  dans  les  portions  obscures,  où  on  ne 
rencontre  que  des  individus  isolés.  On  peut  même  faire  une  expérience  élégante,  en  se  fon- 
dant sur  cette  observation.  Vient-on  à  tendre  un  cheveu,  devant  la  fente  qui  livre  passage 
à  la  lumière,  le  développement  des  algues  s'arrête,  dans  la  partie  située  dans  l'ombre 
portée  par  lui. 

On  peut  également  mettre  en  évidence  l'influence  des  rayons  de  réfrangibilité  dilfé- 
rente  sur  la  décomposition  de  CO-  par  la  chlorophylle.  On  recouvre  entièrement  de  papier 
noir  un  tube  de  gélatine  avec  Chlorella,  puis  on  pratique  une  fente  longitudinale  sur  le 
papier,  sur  laquelle  on  peut  concentrer,  au  moyen  d'une  lentille,  la  lumière  d'un  bec 
Bunsen,  à  flamme  colorée  par  du  sodium  ou  du  lithium.  On  constate  alors  que  la  lumière 
jaune  du  sodium  est  sans  action,  tandis  que  la  lumière  rouge  du  lithium  détermine,  au 
bout  de  3  ou  4  heures,  la  coloration  en  bleu  de  la  gélatine,  dans  les  parties  des  tubes 
exposées  à  la  lumière. 

Le  thalle  vivant  de  diverses  Floridées  ne  présente  pas  de  fluorescence,  mais  la  fluo 
rescence  apparaît,  lorsqu'il  est  tué  par  les  vapeurs  d'eau  ou  d'éther. 

De  ce  fait,  Reinke  conclut  qu'après  la  mort  de  profondes  modifications  se  produisent 
dans  les  chroniatophores;  aussi  cet  auteur  prétend-il  réduire  le  nom  de  chlorophjile  à 
la  seule  matière  colorante  qui  se  trouve  dans  les  chromatophores  vivants;  dénomination, 
somme  toute,  en  désaccord  avec  toutes  les  données  reçues. 

La  chlorophylle  des  algues  Floridées  présente  les  mêmes  réactions  chimiques  que  la 
chlorophylle  des  Phanérogames,  mais  doit  être  considérée  comme  une  variété  de  cette 
dernière  à  cause  de  ses  propriétés  optiques  différentes  (Pringsheim,  Monatsber  d.  Berl. 
Ahad.,  oct.  1874,  déc.  1875). 

Pour  certains  auteurs,  l'endochrome  des  Diatomées  (phycochrome  de  .\.\geli)  ne  serait 
pas  difîérente-de  la  chlorophylle.  ArdissaiNk  [Le  A/g/ie,  Milano,  187o)  invoque  à  l'appui  de 
cette  opinion  :  1°  que  cette  endochrome,  traitée  par  l'éther  et  l'acide  chlorhydrique,  se 
sépare  en  deux  matières  colorantes,  au  moins  analogues  à  la  phylloxanthine  et  à  la  phyllo- 
cyanine  de  Frémy,  caractère  delà  chlorophylle;  2°  que  les  algues  pourvues  d'endochrome 
décomposent  l'acide  carbonique  comme  les  plantes  vertes.  Mais  ce  dernier  argument  n'est 
plus  valable,  aujourd'hui  que  l'on  sait  que  d'autres  pigments  jouissent  aussi  de  cette 
propriété  de  décomposition.  Sachs  (Traité  de  Botanique,  1873,  p.  288)  admet  aussi  que 
l'endochrome  des  Diatomées  est  un  mélange  de  chlorophylle  et  d'une  autre  substance. 

La  chlorophylle  des  Spirogyres  se  composerait,  d'après  les  dernières  recherches,  de 


ALGUES.  277 

deux  substances  :  l'une  verte,  l'autre  jaune,  unies  à  un  corps  ^ras  (Meunier.  Le  nucléole 
des  Spirogyres).  Pringsheim  {toc.  cit.)  a  pu  produire,  au.K  dépens  de  la  chlorophylle,  une 
autre  matière  qu'il  appelle  :  hypocMorine,  substance  huileuse,  qui  serait  une  des  matières 
grasses  combinées  aux  deux  principes  colorants,  incolore  et  cristallisable.  Pour  l'obtenir, 
on  fait  agir  sur  une  cellule  de  Spirogyre  de  l'acide  chlorhydrique  dilué  :  on  voit  bientôt 
apparaître,  dans  les  bandes  de  chlorophylle,  des  aiguilles  cristallines  brunes,  qui  se 
forment  peu  à  peu  dans  des  gouttelettes  huileuses,  incolores.  L'action  do  l'acide  picrique, 
en  solution  concentrée,  des  acides  sulfurique  et  acétique  est  la  même. 

Les  filaments  soumis  à  l'action  d'une  lumière  trop  vive  ne  peuvent  plus  donner  de 
cristaux  d'Iiypochlorine.  Il  en  est  de  même  chez  certains  individus  malades,  à  chromato- 
phoros  de  forme  normale,  que  l'on  rencontre  fréquemment  dans  les  aquariums.  On  n'est 
pas  fixé  sur  le  rôle  de  cette  substance  dans  la  cellule,  et  on  ignore  si,  une  fois  disparue, 
elle  est  susceptible  de  se  reformer. 

Engelmann  {Bot.  Zeit.,  30  juin  1882,  15  juillet  1881)  s'est  servi  des  filaments  d'une 
conferve  :  Clddophora,  pour  établir  une  méthode  nouvelle  d'expérimentation,  au  sujet  de 
l'influence  do  la  réfrangibililé  des  radiations  sur  la  décomposition  de  CO'^.  C'est  la 
méthode  dite  des  Bactéries,  qui  sera  exposée  à  l'article  Chlorophylle,  avec  les  détails 
qu'elle  comporte.  Toute  autre  algue  verte  filamenteuse  se  prête  à  la  reproduction  de 
l'expérience. 

On  peut  aussi  faire  avec  les  cellules  de  ces  algues  une  expérience  intéressante,  démon- 
trant à  la  fois  le  rôle  de  la  chlorophylle  et  de  l'hémoglobine  dans  les  processus  vitaux. 

Plongeons  un  filament  de  conferve  dans  une  solution  d'hémoglobine,  sous  le  micro- 
spectrosrope,  et  exposons  ce  filament  à  une  lumière  intense.  CO^,  dissous  dans  l'eau  où 
plonge  la  conferve,  sera  décomposé  par  l'elïet  de  la  chlorophylle;  0  sera  mis  en  liberté, 
et  au  contact  de  la  conferve  on  verra  apparaître  deux  zones  spectrales,  présentant  les 
raies  de  l'oxyhémoglobine. 

Pigments  autres  que  la  chlorophylle.  —  Ces  pigments  ont  été  étudiés  par  divers 
auteurs,  on  a  quelques  notions  sur  le  rôle  physiologique  de  certains  d'entre  eux,' mais  on 
se  trouve  dans  l'ignorance  la  plus  absolue,  au  sujet  de  leur  constitution  chimique,  si  ce 
n'est  pour  quelques-uns  d'entre  eux,  qui  semblent  bien  appartenir  au  groupe  encore 
vague  et  mal  défini  des  lutéines,  ou  lipochromes. 

Les  auteurs  qui  se  sont  occupés  des  pigments  des  algues  désignent  sous  le  nom  de 
rouge  desFloridées  des  substances  différentes.  C'est  ainsi  que  Nàgeli  et  Scewendener  (Mikr. 
1877,  p.  848)  comprennent,  sous  le  nom  de  rouge  des  Floridées,  toute  la  matière  colo- 
rante de  ces  algues  :  la  chlorophylle  et  le  pigment  dit  phycoérythrine.  Ce  dernier  nom  a  été 
appliqué  à  la  matière  rouge  des  Floridées  par  Kûtzing  {Phycologia  generalis,  pp.  17  et  299), 
et  par  Cohn  {Bot.  Zeilung,  1867,  p.  .38).  C'est  une  matière  soluble  dans  l'eau,  qui  peut 
être  extraite  par  ce  liquide  du  protoplasme  mort.  Exposée  à  la  lumière  et  à  l'air  libre, 
elle  se  décolore;  cette  décoloration  est  également  produite  par  la  potasse.  L'acide  sulfu- 
rique, n'altère  pas  la  couleur.  Sacchsse  {Die  Farbstoffe...,  etc.,  Leipzig,  1877)  a  employé  ce 
nom,  dans  le  même  sens  (Voy.  aussi  Scuûtt,  Ueber  das  Phyco-érytlirrin,  Ber.  Deutsch.  Bot. 
Ges.,  1888,  t.  vi,fasc.  1). 

Certaines  Floridées  ne  présentent  pas  une  teinte  rougeâtre  constante  aux  diverses 
époques  de  leur  végétation.  Tel  est  le  cas  pour  Balbiana  investiens  (Sirodot,  Ann.  Se. 
ISat.  Bot.,  série  6,  t.  m).  Cette  algue  est  d'un  beau  rose  pourpre,  en  avril-mai;  vers  mai- 
juin  apparaissent  des  teintes  d'un  jaune  verdàtre  terreux,  peu  à  peu  cette  dernière  colo- 
ration remplace  la  première.  La  coloration  pourpre  du  printemps  est  due  à  la  multipli- 
cité des  ramuscules  sporuligènes,  elle  disparait  à  mesure  que  les  sporules  se  détachent; 
plus  tard  apparaissent  les  organes  de  la  fécondation  :  anthéridies  presque  incolores,  or- 
ganes femelles,  d'un  jaune  verdàtre,  et  la  fructification  oti  cette  couleur  se  trouve  en  mé- 
lange dans  d'assez  fortes  proportious.  L'abondance  de  ce  pigment  dans  certaines  formes 
reproductrices  est  un  fait  digne  d'intérêt. 

KlîTziNG  a  nommé  phycohématine  le  pigment  d'une  algue,  abondante  dans  certaines 
mers,  en  particulier  dans  le  bassin  d'Arcachon,  où  elle  colore  parfois  les  huîtres  en  vio- 
let :  Rhytiphtoea  tinctoria.  Cette  substance  n'a  été  qu'insuffisamment  étudiée. 

Phipson  (C.  R.,  1879,  aoiit,  n"  S,  p,  316)  a  nommé  palmelline  la  matière  colorante 
rouge  du  Porphyridium  cruentum,  Nag.,  matière  soluble  dans  l'eau;  l'alcool  et  l'acide 


278  ALGUES. 

acétique  produisent  dans  cette  solution  un  précipité  filamenteux  (?),  l'ammoniaque  et 
les  alcalis  donnent  ce  même  précipité,  mais  la  coloration  devient  bleue.  Le  sulfhy- 
drale  d'ammoniaque  colore  cette  palmelline  en  jaune,  sans  produire  de  précipité  fila- 
menteux, 

On  a  appelé  :  Phycoxanthine  (Millardet  et  Askenasy)  une  substance  colorante  jaune 
des  Bacillariées  et  des  Fucacées,  plus  facilement  soluble  dans  l'alcool  que  la  chloro- 
phylle. C'est  cette  substance  qui  forme  avec  la  chlorophylle  Vendochrome  jaune  brun  des 
Diatomées  (PETiT,Bre6isso?i'm,  II,  1880,  n°7,p.81).  Cette  endochrome  avait  déjà  été  étudiée 
en  1868  par  Keauss  et  Millardet.  La  Diatomine  de  Nageli  n'est  autre  que  l'endochrome. 
Cette  substance  s'extrait  du  thalle  des  Fucacées,  par  l'alcool  étendu  à  40  p.  100,  qui  ne 
dissout  pas  la  chlorophylle;  elle  se  colore  en  vert  bleuâtre  par  de  faibles  quantités 
d'acide;  les  alcalis  et  la  lumière  sont  presque  sans  action  sur  elle  (Millardet.  C.  R.,  1869. 
—  AsKENASY.  Bot.  Zeit.,  1867,  p.  227;  1869,  p.  786). 

Certaines  algues  vert-bleuâtre  doivent  cette  coloration  à  la  phycochromine.  Sous  ce 
nom  jNageli  (loc.  cit.)  comprenait  la  chlorophylle  de  ces  algues,  et  la  matière  colorante 
dite  phycochromine  par  Sagesse  (toc.  cit.). 

Cette  phycochromine  serait  également,  d'après  Sachsse,  un  mélange  de  phycocya- 
nine  (bleu  de  certaines  algues)  et  de  phycoérythrine,  mélangées  en  proportions  variables, 
selon  les  types  examinés.  Il  y  a  aussi  une  phycocyanine  de  Kutzing,  soluble  dans  l'eau, 
et  qui  colore  les  Oscillariées. 

Les  cellules  qui  renferment  de  la  phycochromine  prennent  une  coloration  intermé- 
diaire entre  le  jaune-verdàtre  et  le  jaune-brunâtre,  par  les  alcalis,  et  se  colorent  en 
orangé  ou  rouge  brique  par  HCl. 

Dans  le  thalle  des  Fucacées,  on  trouve,  mélangée  à  la  chlorophylle  et  à  la  phycoxan- 
thine,  une  matière  colorante  brune,  soluble  dans  l'eau,  mais  non  dans  l'alcool,  que  Mil- 
lardet (loc.  cit.)  a  appelée  PhycopMine.  Celte  substance  n'est  que  très  imparfaitement 
connue,  est-ce  même  un  corps  bien  défini  ? 

Tous  ces  pigments  se  rencontrent  dans  le  protoplasme.  Mais  il  en  existe  aussi  dans 
les  membranes  des  éléments  du  thalle  de  certaines  algues. 

Dans  les  membranes  des  Glœocapsa,  et  quelques  algues  filamenteuses,  existe  une  sub- 
stance colorante  rouge,  devenant  rouge  ou  rouge-brun  par  HCl, bleue  ou  violette  par  KOH; 
c'est  la  gléocapsine. 

La  Scytonémine,  jaune  ou  brune,  existe  dans  les  membranes  d'un  grand  nombre  de 
Phycochromacées;  elle  devient  vert-de-gris  par  HCl,  et  redevient  jaune  parles  alcalis. 

SoRBY  (Jourii.  of  the  Linn.  Soc.,  t.  xv,  p.  34)  conclut,  de  ses  études  sur  les  pigments 
des  algues,  à  l'existence  de  6  pigments  différents,  qu'il  distingue  par  les  propriétés  spec- 
trales, et  les  nuances  de  coloration. 


Centre. 

Largt'ur. 

Fluorescence. 

Bleue  phycocyanine  (Oscillariées)  . 

650 

18 

rouge. 

Pourpre      —                      — 

621 

32 

rose. 

—           —             (Porphyra)  .  .    . 

621 

32 

rose. 

Rose           —             (Oscillariées  .    . 

567 

29 

douteuse. 

—     phycoérythrine  (Porphyra)  . 

569 

18 

orange. 

Rougo           —                   — 

497 

27 

nulle. 

La  chlorophylle  est  plus  ou  moins  masquée  par  la  présence  des  pigments  des  algues 
bleues  (phycocyanine),  brunes  (phycophéine),  rouges  (phycoérythrine),  selon  la  propor- 
tion de  ces  derniers.  La  présence  de  ces  pigments  exclut  toujours  celle  de  l'hypochlorine, 
qui  existe  constamment  chez  les  Chlorophycées. 

La  présence  de  ces  pigments  déplace  les  bandes  d'absorption  de  la  chlorophylle.  La 
principale  bande  d'absorption  de  celle-ci,  située  entre  les  raies  B  et  C,  se  trouve  répartie 
avec  la  phycocyanine  dans  le  jaune,  vers  la  raie  D,  avec  la  phycophéine  dans  le  vert 
entre  D  et  E,  avec  la  phycoérythrine  également  dans  le  vert,  mais  plus  loin  vers  le 
bleu.  L'absorption  des  radiations  les  plus  réfrangibles  est,  comme  l'on  sait,  forte  avec  la 
chlorophylle  pure,  faible  lorsque  la  phycocyanine  s'y  joint,  mais  plus  intense,  lors  de  la 
présence  de  la  phycophéine,  et  surtout  de  la  phycoérythrine. 

Lorsque  la  phycocyanine  existe  avec  la  chlorophylle,  celle-ci  est  répandue  à  l'état  de 
dissolution  dans  tout  le  protoplasme,  elle  se  localise,  ainsi  que  la  phycoérythrine  et  la 


ALGUES.  279 

phycopliéine  sur  des  chromoleucites.  Pour  ce  qui  est  de  la  structure  de  ces  derniers,  qui 
intéresse  plutôt  la  morphologie  que  la  physiologie,  et  la  présence  des  pyrénoïdes  qu'ils 
contiennent,  nous  renverrons  le  lecteur  à  certains  mémoires  spéciaux  :  Schmitz.  Die  Chro- 
matophoren  der  Algen  (Verhandl.  des  nul.  Vereins  der  Rheinl.  und  Westf.,  1883). 

Il  est  facile  de  démontrer,  à  l'aide  de  la  méthode  d'ENCELiiANN  (Farbe  und  Assimilation, 
Bot.  leit.,  1882)  dite  des  Bactéries,  que  chez  les  algues,  munies  de  chromoleucites,  c'est 
à  l'intérieur  de  ceux-ci  que  s'elfectue  la  décomposition  de  C0-.  Le  protoplasme  incolore 
est  incapable  d'opérer  cette  décomposition.  Le  maximum  de  dégagement  d'oxygène,  ou, 
ce  qui  revient  au  même,  le  maximum  de  décomposition  de  CO-  se  trouve,  dans  le  spectre, 
coïncidant  toujours  avec  le  maximum  d'absorption  pour  les  radiations.  Le  dégagement 
maximum  d'oxygène  a  lieu  dans  le  rouge,  entre  B  et  C  avec  une  algue  verte  ;  dans  le 
jaune,  entre  C  et  D  avec  une  algue  bleue  ;  dans  le  vert,  entre  D  et  E  avec  une  algue  brune. 
Si  enfin  l'algue  considérée  est  rouge,  le  maximum  est  vers  le  bleu,  c'est-à-dire  au  point 
où  l'absorption  est  la  plus  forte.  Il  y  a  donc  une  relation  nécessaire  entre  l'absorption  des 
radiations  et  la  décomposition  de  C0-. 

C'est  ce  qui  explique  que  dans  les  eaux  marines,  les  algues  ne  puissent  pas  vivre  au- 
dessous  d'une  certaine  profondeur.  A  100  mètres  de  profondeur  les  algues  deviennent 
rares,  elles  disparaissent  en  général  au-dessous  de  400  mètres.  Les  divers  niveaux  bathy- 
métriques  sont  caractérisés  par  la  couleur  des  algues  qui  y  végètent.  On  peut  ainsi  dis- 
tinguer quatre  zones,  au  point  de  vue  algologique.  La  zone  supérieure  est  habitée  par  les 
algues  bleues,  la  seconde  par  les  vertes,  la  troisième  par  les  brunes,  l'inférieure  par  les 
rouges.  A  marée  basse,  ces  zones  sont  plus  ou  moins  nettes.  Le  fait  s'explique  par  les 
données  ci-dessus.  Les  radiations  lumineuses  sont  d'autant  plus  rapidement  absorbées 
(à  mesure  que  l'épaisseur  de  la  couche  d'eau  augmente),  que  leur  réfrangibilité  est 
moindre.  La  coloration  différente  des  pigments  est  donc  un  moyen  que  possèdent  les 
algues  de  végéter  à  des  niveaux  variables,  suivant  la  nature  de  ce  pigment,  et  qui  seraient 
impropres  ou  moins  propres  à  leur  vie,  si  elle  ne  possédait  que  de  la  chlorophylle; 
autrement  dit,  la  présence  des  pigments  facilite  la  décomposition  de  C0-.  Mais  si  la  qua- 
lité et  la  quantité  des  radiations  lumineuses  sont  les  régulateurs  essentiels  de  la  distri- 
bution des  algues,  on  peut  remarquer  que  certaines  observations  ou  expériences,  en 
apparence  inexplicables  dans  cette  manière  de  voir,  la  confirment  parfaitement.  C'est 
ainsi  qu'une  algue  rouge,  qui  végète  d'ordinaire  à  une  cinquantaine  de  mètres  au-dessous 
de  la  surface  des  flots,  pourra  très  bien  se  trouver  parfois  sur  les  rochers  de  la  surface; 
mais  dans  ce  cas,  elle  végète  dans  le  creux  des  rochers,  dans  une  grotte  sombre,  par 
exemple,  qui  n'est  éclairée  que  par  la  lumière  bleue,  transmise  à  travers  les  eaux. 

La  présence  des  radiations  lumineuses  étant  nécessaire  pour  la  décomposition  de 
CO^,  l'assimilation  ne  peut  avoir  lieu  que  pendant  la  période  d'éclairement,  et  ce  sera 
pendant  la  nuit  (la  lumière  retarde  la  croissance),  que  se  fera  le  cloisonnement  des 
algues,  et  par  suite  l'utilisation  des  matières  de  réserve. 

Les  voyageurs  ont  signalé  un  fait  frappant  de  ce  phénomène.  Au  Spitzberg,  la  nuit 
polaire  dure  trois  mois,  et  pendant  cette  période  de  basse  température  (moyenne  de  1°) 
les  corps  reproducteurs  des  algues  se  forment  aux  dépens  des  réserves,  accumulées 
seulement  pendant  les  mois  d'insolation. 

Un  grand  nombre  d'algues  vivent  au  fond  des  eaux,  à  une  profondeur  telle,  que  la 
lumière  qu'elles  reçoivent  doit  être  bien  faible.  De  Humboldt  [Mém.  des  savants  étrangers 
de  l'inslitut,  t.  i.  —  Gilbert's  Ann.,  t.  xiv,  p.  364)  a  vu  retirer,  près  des  Canaries,  le  Fucus 
vitifolius,  d'une  profondeur  de  52  mètres,  et  offrir  une  belle  couleur  verte.  Cependant, 
d'après  les  calculs,  la  lumière  ne  pénètre  guère  avec  une  intensité  notable  dans  ces  pro- 
fondeurs. De  Candolle  (Phys.  végét.,  t.  u,  900)  cite  une  observation  semblable  de  Henri 
Wydler  sur  les  Fucus. 

Les  produits  directs  ou  indirects  de  l'assimilation  du  carbone  sont  chez  les  algues, 
comme  chez  les  autres  végétaux  verts,  des  matières  amylacées,  et  peut-être  des  matières 
grasses. 

On  admet,  comme  l'on  sait,  que  les  grains  d'amidon  contenus  dans  les  végétaux 
sont  formés  de  deux  substances  :  l'amylose  et  la  granulose,  dont  les  proportions  rela- 
tives varient  beaucoup  selon  les  plantes. 

Chez  les  Floridées,  il  arrive  fréquemment  que  les  grains  d'amidon  sont  entièrement 


280  ALGUES. 

dépourvus  de  granulose,  et  formés  en  totalité  d'amylose  pure;  ces  grains  ont  la  struc- 
ture ordinaire  des  grains  d'amidon  ;  ils  se  colorent  par  l'iode  en  jaune  cuivreux,  ou 
même  ne  se  colorent  pas;  car  c'est  la  granulose  qui  se  teinte  en  bleu  par  l'iode.  Ce  sont 
comme  les  squelettes  d'amylose  des  grains  ordinaires,  qui  restent  après  disparition  de  la 
granulose.  Bien  que  ces  données  soient  classiques,  il  est  bon  d'ajouter  que  de  récentes 
recherches  tendent  à  faire  douter  de  l'existence  de  ces  deux  substances  distinctes  dans 
le  grain  d'amidon. 

Dans  le  corps  des  Euglènes,  on  a  trouvé  des  granules  d'une  substance  amylacée, 
pour  laquelle  on  avait  créé  le  nom  de  paramylon  ;  c'est  simplement  de  l'amylose  pure. 
Et  par  là  les  Euglènes,  placées  maintenant  parmi  les  algues,  s'écartent  des  Infusoires, 
qui  comme  les  Paramecium,  les  Chilomonas  possèdent  des  grains  normaux  d'amidon, 
qui  bleuissent  par  l'iode. 

Nous  pouvons  rappeler,  bien  que  nous  n'ayons  pas  à  parler  ici  des  Bactéries,  que 
chez  certaines  de  ces  algues  {Spirillum  amyliferum,  Bacillus  amylobacter),  au  moment  de 
la  formation  des  spores,  le  protoplasme  s'imprègne  partout  ou  sur  des  points  localisés 
d'une  substance  amylacée  en  dissolution,  qui  bleuit  comme  la  granulose,  par  l'action  de 
l'iode.  C'est  une  réserve  qui  disparait  au  fur  et  à  mesure  de  la  formation  des  spores. 

Les  gouttelettes  oléagineuses,  qui  se  trouvent  dans  l'endochrome  de  nombreuses 
algues,  proviennent  sans  doute  de  l'assimilalion  du  carbone.  Mais  on  n'est  guère  fixé  sur 
leur  rôle  physiologique.  Certains  (Castracane.  Osservazioni  sopra  itna  diatomea  del  génère 
Podosphœnia.  Att.  deW  Ace.  pontifie,  de  Nuovi  Lineei,  Sess.  V,  1869)  admettent  que  ce  rôle 
serait  purement  mécanique;  mais  cette  manière  de  voir  semble  très  obscure,  et  il  est 
plus  probable  que  ces  gouttelettes  constituent  des  substances  de  réserve,  tout  comme 
les  granules  d'amidon. 

Le  rôle  des  divers  pigments,  surajoutés  à  la  chlorophylle,  et  que  nous  venons  d'étudier 
sommairement,  est  incontestablement  un  rôle  photochimique.  Ils  déplacent  les  bandes 
d'absorption  du  spectre  de  la  chlorophylle,  et  permettent  aux  algues  d'absorber  le 
maximum  de  radiations,  compatibles  avec  le  niveau  bathymétrique  qu'elles  occupent. 
Leur  présence  est  en  rapport  avec  la  décomposition  de  C0-.  Si  leur  rôle  physiologique 
semble  bien  établi  dans  ses  grandes  lignes,  on  est  par  contre  dans  l'ignorance  la  plus 
complète  sur  leur  nature  chimique. 

Un  autre  groupe  de  pigments,  qui  semblent  abondamment  répandus  chez  les  algues 
est  celui  des  pigments  mal  définis,  dits  lutéiniques.  Le  pigment  étudié  par  les  auteurs, 
sous  le  nom  de  chlororufine,  appartient  certainement  à  ce  groupe,  et  il  est  étonnant  que 
les  auteurs  aient  tant  discuté  sur  sa  nature  chimique,  au  moins  en  tant  que  groupe 
général.  On  ignore  totalement  son  rôle,  et  nous  reviendrons  sur  cette  délicate  question 
des  pigments  lutéiniques,  à  l'article  Pigments. 

Les  oospores  des  Oedogonium,  Vaucheria,  les  anthéridies  de  Chara,  les  œufs  des  Bul- 
boehœte,  les  Hœmatoeoecus,  Clamydomonas,  Trentepohlia,  etc.,  sont  colorés  en  rouge  par 
une  substance  dite  Chlororufine  (Rostafixski.  Bot.  Zeitung,  1881,  p.  461).  La  réaction 
caractéristique  de  cette  substance  est  sa  coloration  bleue  intense,  par  SO*H-  concentré. 
Réaction  qui  pourrait  peut-être  indiquer  des  analogies  avec  la  chrysoquinone  de  Liber- 
MANN.  L'acide  nitrique  fumant  dissout  la  chlororufine,  une  solution  faible  d'acide 
nitrique  ne  l'altère  pas.  C'est  de  Bary  qui,  en  18o6  {Ber.  d.  naturf.  Ges.  Freiburg,  n"  13), 
a  découvert  cette  réactian,  produite  par  l'acide  sulfurique. 

Cette  propriété  rapprochant  la  chlororufine  de  la  chrysoquinone,  étudiée  par  Liber- 
MANN  {Ann.  der  Chemie  u.  Pharmacie,  1871 ,  S.  299),  RosTAi'iNSKr  fit  comparativement  l'exa- 
men spectrale  des  deux  substances. 

Avec  la  chrysoquinone,  on  obtient  près  de  A  une  bande  obscure,  et  l'absorption 
totale  commence  à  peu  de  distance  de  la  raie  D. 

La  chlororufine  présente  les  caractères  spectraux  de  la  chrysoquinone,  et  de  plus,  entre 
B  et  C,  la  bande  caractéristique  de  la  chlorophylle.  D'oîi  le  nom  donné  à  la  substance 
par  RosTAFiNSKi,  qui  est  porté  à  croire  qu'elle  provient  de  la  réduction  de  la  chloro- 
phylle. 

La  chlororufine  est  très  probablement  un  corps  impur,  et  se  rapproche  certainement 
des  pigments  du  groupes  des  lutéines  ou  carottines.  Cette  substance  est  nommée  par  Th. 
CoHN  [loc.  cit.)  hématochrome.  Elle  se  présente  sans  doute  en  solution,  dans  une  matière 


ALGUES.  '2HI 

grasse,  sous  forme  de  globules,  sur  lesquels  le  chloro-iodure  de  zinc  produit  une  colora- 
tion violacée  presque  noire.  Elle  existe  également,  d'après  de  Toni,  chez  Hansginjia 
flabellifera. 

Les  tubes  spirales  qui  entourent  l'oosphère  des  Characées  contiennent  un  pigment 
rouge  que  Overton  signale  comme  cristallisable.  Très  vraisemblablement,  ce  pigment 
appartient  au  groupe  des  pigments  lutéiques,  car  il  serait  identique  à  la  rufme  des 
Euglènes  (Garcin). 

La  solution  d'hydrate  de  cbloral  sépare  facilement  ce  pigment  d(3  la  chlorophylle  qui 
l'accompagne.  On  avait  pensé  que  les  spores  non  colorées  représentent  des  oogemmes 
non  fécondés  (la  fécondation  aurait  donc  provoqué  la  formation  du  pigment),  en  réalité, 
d'après  cet  auteur,  le  manque  décoloration  est  en  relation  avec  la  destruction  précoce 
delà  gaine  de  tubes  spirales  qui  entourent  la  cellule  centrale. 

Chez  Ctenocladus  circiimatus,  d'apfès  Briosi  {Sludi  cilgoiogici,  1883);  l'insolation  déter- 
mine la  transformation  de  la  chlorophylle  en  une  substance  oléagineuse,  qui  se  ras- 
semble en  grosses  gouttes,  dans  la  cavité  des  cellules.  Cette  substance  est  certainement 
analogue,  sinon  identique,  à  la  chlororuline  des  autres  types,  c'est-à-dire  appartient  nu 
groupe  des  substances  lutéiniques. 

Garci.n  (Journ.  de  Bot.  de  Morot)  a  étudié  le  pigment  rouge  d"un  organisme  bien 
connu,  que  l'on  tend  à  rapprocher  aujourd'hui  beaucoup  plutôt  des  algues,  que  des 
Infusoires,  où  il  était  placé  par  nombre  d'auteurs  :  Euglena  sanguinea.  Les  Euglènes 
vertes  sont  assez  répandues  dans  certaines  eaux  dormantes;  à  certains  moments,  on  voit 
apparaître  en  grande  quantité,  dans  les  mêmes  conditions,  des  Euglènes  rouges,  e.^istant 
seules  ou  mélangées  aux  Euglènes  vertes.  Sont-ce  deux  espèces  différentes?  la  chose 
est  discutée;  mais  il  serait  important  de  pouvoir  déterminer  les  conditions  physiolo- 
giques ou  pathologiques,  qui  déterminent  l'apparition  du  pigment  rouge,  au  cas  où  la 
forme  rouge  ne  serait  qu'une  variété,  pour  ainsi  dire  physiologique,  de  la  verte.  Carcix, 
qui  avait  essayé  de  résoudre  cet  intéressant  problème,  n'y  est  pas  parvenu. 

Le  pigment  rouge  se  trouve  à  l'état  de  petits  corpuscules,  distribués  à  la  périphérie 
du  protoplasme,  il  est  insoluble  dans  l'eau,  peu  soluble  dans  l'alcool  froid;  soluble  par- 
faitement dans  le  chloroforme.  Garcin  a  appelé  cette  substance  rufine,  car  il  suppose, 
avec  raison,  semble-t-il,  que  la  chlororufine  de  Rostafinsky  n'est  qu'un  mélange  de  rufine 
et  de  chlorophylle.  Cette'mauière  de  voir  est  confirmée,  autant  qu'elle  peut  l'être,  par 
l'examen  spectroscopique.  La  rufine  ne  présente  pas  de  bandes  nettes  d'absorption,  le 
spectre  est  peu  à  peu  estompé  vers  le  violet,  à  partir  delà  raie  D.  L'absence  d'une  bande 
spectrale  en  A,  dans  la  solution  de  rufine,  et  la  présence  de  cette  bande  avec  la  chryso- 
quinone  semblent  suffisantes  à  Garcin,  pour  éloigner  tout  à  fait  la  rufine  de  la  chryso- 
quinone.  Qu'il  n'y  ait  pas  identité  entre  ces  deux  substances,  la  chose  est  probable;  mais 
seule  l'analyse  chimique  de  la  rufme  permettra  de  se  prononcer  sur  sa  nature  réelle,  et 
sa  ressemblance  avec  des  corps  plus  on  moins  voisins  des  quinones.  Comme  tous  les 
pigments  lutéiniques,  la  rufme  bleuit  énergiqucment  par  l'acide  sulfurique  concentré. 

On  sait  que  le  point  oculiforme  de  diverses  algues  inférieures  et  de  nombreuses 
zoospores  est  imprégné  d'une  matière  rougeàtre.  On  pourrait  se  demander  si,  en  parti- 
culier, le  point  oculiforme  des  Euglènes  vertes  n'est  pas  coloré  par  la  rufine.  La  non 
coloration  en  bleu,  et  même  la  décoloration  de  ce  point,  sous  l'influence  de  l'acidesulfu- 
rique,  semble  permettre  de  conclure  par  la  négative. 

La  même  substance  semble  aussi  exister  chez  les  Volvox,  et  en  particulier  le  Volvox 
d('oïcMs(HENNEGUY.  Sur  la  reproduction  du  V.  dioïque,  C.  il.,  24 juillet  1876).  Dans  ce  type, 
après  la  fécondation,  les  oosphères  perdent  la  couleur  d'un  vert  foncé,  qu'elles  possé- 
daient auparavant,  et  prennent  une  teinte  vert  jaunâtre,  puis  orangée  ce  pigment 
orange  est  localisé  dans  des  gouttelettes  huileuses,  et  avait  fait  croire  à  l'existence  d'une 
espèce  spéciale  de  Volvox  :  Y.  aureus.  Il  est  très  intéressant  de  constater  ici  l'apparition 
du  pigment  dans  les  corpuscules  reproducteurs;  nous  avons  déjà  insisté  ailleurs  sur  la 
présence,  si  fréquente  dans  les  deux  règnes,  des  pigments  lutéiniques  dans  les  organes 
reproducteurs.  De  plus,  tandis  que  les  Volvox  verts  recherchent  la  lumière,  les  Volvox 
orangés  la  fuient  rapidement.  Le  fait  est  remarquable;  mais  l'hypothèse  d'HENNEOuv, 
à  savoir  que  c'est  par  une  sorte  d'attraction  s'exerçant  sur  la  matière  verte,  que  les 
Volvox  sont   entraînés   par  la   lumière,  et  que  c'est  par  une   sorte   de  répulsion,  qui 


282  ALGUES. 

s'exerce  sur  la  matière  rouge  des  gynogonidies  fécondées  que  ces  mêmes  Volvox  recher- 
elieiit  ensuite  l'obscurité,  nous  semble  un  peu  prématurée. 

Nous  nous  contenterons  ici  de  ces  notions  sommaires  sur  les  pigments  des  algues, 
nous  réservant  de  revenir  sur  certains  points  de  leur  histoire,  à  l'article  Pigments. 

Motilitè.  —  Nombre  d'algues  présentent  des  phénomènes  de  motilité  trop  connus 
pour  qu'ii  soit  nécessaire  d'insister  sur  les  détails.  Nous  nous  bornerons  à  indiquer  rapide- 
ment quelques-uns  de  ces  phénomènes. 

Les  mouvements  amiboîdes  s'observent  dans  les  spores  de  certaines  Floridées  :  les 
Bangia  et  Helminthora  par  exemple,  formées  de  simples  masses  de  protoplasme  nu. 

Un  grand  nombre  d'algues,  à  corps  protoplasmique  de  forme  constante,  jouissent 
d'une  contractilité  générale.  Chez  beaucoup  de  Diatomées,  de  Desmidiées,  d'Oscillaires,  les 
stades  jeunes  des  Nostocacées  et  Rivularacées,  le  protoplasme,  en  se  contractant,  entraine 
la  membrane  qui  le  limite,  et  la  cellule  se  déplace  dans  le  liquide  ambiant,  parcourant 
parfois  un  espace  notable  par  une  sorte  de  mouvement  de  glissement  {Glitischbewegung  de 
Nageli).  Les  Diatomées  se  déplacent  en  ligne  droite,  les  Oscillaires,  par  un  mouvement 
spirale,  tantôt  en  avant,  tantôt  en  arrière.  L'amplitude  de  ce  mouvement  ne  dépasse 
guère  0,04  millim.  par  seconde;  elle  est  d'ailleurs  variable,  selon  le  moment  de  l'obser- 
vation, pour  le  même  individu. 

Il  est  à  noter  que  certains  auteurs  n'expliquent  pas  ces  mouvements  par  une  simple 
contractilité  du  protoplasme  contenu  dans  la  membrane  de  l'élément  mobile.  Pour  eux, 
il  existerait,  à  la  surface  externe  de  la  membrane  cellulaire,  une  mince  couche  de  proto- 
plasme mobile  qui,  par  sa  contractilité  ou  son  adhérence  aux  corps  voisins,  déplacerait 
le  corps  entier  de  l'algue  (Max  Sohultze.  Ueber  die  Bewegungen  d.  Diatomeen,  Arch.  f. 
nucroscop.  Anat.  1. 1,  pp.  376-402.  pi.  XXIII,  186S).  Pendant  la  vie  de  la  cellule,  cette  couche 
protoplasmique  externe  n'est  pas  visible,  à  cause  de  sa  minceur  et  de  sa  faible  réfrin- 
gence. Mais  on  pourrait  la  mettre  en  évidence,  dans  beaucoup  de  cas,  par  l'emploi  de 
réactifs  coagulants  (Engelmann.  Ueber  die  Bewegungen  der  Oscillarien  und  Diatomeen,  Arch. 
f.  Ges.  PhysioL,  t.  xix,  p.  8,  1878). 

Plus  souvent  encore,  la  contractilité  du  protoplasme  est  limitée  à  une  ou  plusieurs 
de  ses  portions;  le  corps  de  l'algue  mobile  est  muni  d'un  ou  de  plusieurs  cils  vibratiles. 
Les  mouvements  de  ces  cils  vibratiles  sont  trop  connus  pour  que  nous  y  insistions.  Les 
zoospores  des  Euglènes  ont  un  seul  cil  vibratile,  les  zoospores  et  anthérozoïdes  de  nombre 
d'algues  en  ont  deux  :  l'un  dirigé  en  avant,  qui  sert  de  rame,  et  l'autre,  dirigé  en  arriére 
qui  fait  l'office  de  gouvernail,  tous  deux  insérés  latéralement.  Il  existe  également  deux 
cils,  attachés  en  avant  dans  les  zoospores  des  Saprolcgnia,  Cladophora,  il  en  existe  quatre 
dans  les  zoospores  des  Vlothrix,  une  couronne  antérieure,  complète  dans  celles  des  OËdo- 
gonium;  eufm  un  revêtement  continu  de  cils  se  rencontre  à  la  surface  des  zoospores  de 
Vaucheria,  attachés  deux  par  deux,  au-dessus  d'une  petite  ampoule  creuse,  située  dans 
l'épaisseur  de  la  couche  périphérique  du  protoplasme.  Chez  Chlamydocoœus  pluviali's  el 
les  autres  Volvocinées,  le  corps  protoplasmique  est  revêtu  d'une  membrane,  où  se  trouvent 
des  ouvertures,  livrant  passage  à  des  cils  vibratiles. 

Le  sens  de  la  rotation  du  cil,  autour  de  l'axe  du  corps,  se  fait  tantôt  en  sens  variable, 
chez  les  Volvocinées  par  exemple,  tantôt  toujours  vers  la  gauche  (Vaucheria),  tantôt  tou- 
jours vers  la  droite  (OEdogonium).Le  mouvement  ciliaire  est  rapide.  Les  zoospores  à'Œdo- 
gonium  parcourent  0'"™,20  à  0,15  par  seconde,  celles  de  Vaucheria  0,14  à  0,10. 

Si  le  corps  protoplasmique  cilié  rencontre  un  obstacle,  il  recule  un  peu,  en  tournant 
autour  de  son  axe,  en  sens  contraire  du  mouvement  normal,  puis  il  revient  à  la  rotation 
normale,  en  s'éloignant  dans  une  autre  direction  que  celle  de  l'obstacle. 

Il  peut  arriver  que  le  corps  cihé  de  certaines  algues  soit  doué  à  la  fois  de  contractilité 
ciliaire,  et  de  contractilité  générale.  Les  zoospores  de  Vaucheria  et  Cladophora,  par 
exemple,  sortent  par  une  étroite  ouverture  de  leur  cellule-mère,  et  pour  cela  leur  corps 
subit  une  déformation  considérable.  Les  déformations  des  Euglènes  sont  connues  de  tous 
les  micrographes.  Les  anthérozoïdes  de  Volvox  se  prolongent  par  leur  partie  antérieure 
en  un  appendice  grêle,  incurvé  sur  lui-même  deux  fois,  et  à  la  base  duquel  s'insèrent 
deux  cils  vibratils.  Les  mouvements  de  cet  appendice  sont  tout  à  fait  analogues  à  ceux 
d'une  anguille. 


ALGUES.  283 

La  température  influence  grandement  le  mouvement  ciliaire.  Dans  le  Chlamydococciis 
pluvialis  par  exemple,  il  ne  se  manifeste  qu'à  5°,  s'accélère  rapidement,  à  mesure  que  la 
températui'e  s'élève  jusqu'à  un  maximum,  puis,  si  la  température  continue  à  s'élever,  il 
se  ralentit  pour  cesser  à  43°. 

Les  mouvements  des  zoospores  sont  influencés  par  diverses  substances  chimiques  : 
l'alcool,  l'ammoniaque,  les  acides,  les  tuent;  il  en  est  de  même  de  l'iode  en  solution 
suffisamment  concentrée.  Mais  ce  dernier  corps  en  faible  dilution  dans  l'eau  ne  fait  que 
ralentir  les  mouvements  des  zoospores;  il  en  est  de  même  de  l'opium  (Baillo.n.  Mouve- 
ments dans  les  organes  sexuels  des  végétaux.  Thèse  d'agrégation,  1836). 

Les  mouvements  de  rotation  du  protoplasme,  à  l'intérieur  des  cellules  des  Characées, 
sont  des  faits  trop  classiques  pour  que  nous  ayons  à  y  [insister  ici,  il  en  sera  d'ailleurs 
parlé  à  l'article  Cellule.  Mais  ces  algues  peuvent  servir  à  démontrer  l'influence  de  quelques 
agents  physiques  sur  les  mouvements  du  protoplasme. 

On  peut  démontrer  facilement,  sur  les  Nitella  et  Chara,  l'influence  de  la  température 
sur  le  mouvement  circulatoire  intérieur  du  protoplasme.  Chez  Nitella  flexilis,  il  com- 
mence à  0°,5,  sa  vitesse  augmente  progressivement  avec  la  température  jusqu'à  un 
certain  maximum,  atteint  vers  37°,  puis  elle  décroit  jusqu'à  devenir  nulle  ;  si  la  tempé- 
rature continue  à  s'élever,  le  mouvement  s'arrête  brusquement  un  peu  au-dessus  de  37». 
Il  reprend  ensuite,  si  la  température  s'abaisse. 

On  sait  que  toute  action  mécanique,  exercée  sur  le  protoplasme,  arrête  momentané- 
ment la  motilité  du  protoplasme  si  elle  est  modérée,  et  le  détruit  si  elle  est  trop  intense. 

Les  grandes  cellules  des  Chara  se  prêtent  à  la  démonstration  de  ce  fait.  Si  on  pince  ou 
lie  par  le  milieu  une  de  ces  cellules,  le  courant  protoplasmique  commence  par  s'arrêter, 
puis  il  reprend  dans  chaque  moitié,  comme  s'il  s'agissait  de  deux  cellules  distinctes.  En 
plasmolysant  tout  à  coup  le  protoplasme  d'une  de  ces  cellules,  le  mouvement  s'arrête. 

Chimiotaxie.  —  Bien  que  les  propriétés  chimiotactiques  des  éléments  anatomiques 
animaux  et  végétaux  doivent  être  traitées  dans  un  article  spécial,  nous  signalerons  ici  que, 
d'après  les  recherches  de  Pfeffer,  pour  les  gamètes  de  Chlamydomonas  pulvisculiis  et 
d'Vlothrix  zonata,  on  n'a  pas  trouvé  jusqu'ici  de  substances  capables  d'augmenter  leur 
mobilité.  Les  propriétés  chimiotactiques  doivent  cependant  exister  dans  les  gamètes  des 
algues,  car  seules  elles  peuvent  donner  une  explication  satisfaisante  de  l'attraction  plus 
ou  moins  nettement  constatée,  selon  les  types,  des  gamètes  d'un  sexe  sur  ceux  de  l'autre 
sexe. 

Action  de  la  pesanteur.  Géotactisme.  —  Le  thalle  des  algues  est  sensible  à  la 
pesanteur,  il  est  géotactique.  On  ne  sait  presque  rien  sur  les  phénomènes  de  géotropisme 
chez  les  algues.  Il  est  cependant  possible  de  constater  que  les  tubes  d'une  Vaucherie 
par  exemple,  supposés  placés  horizontalement,  subissent  un  accroissement  inégal  sur 
la  face  supérieure  et  sur  la  face  inférieure,  du  fait  de  la  pesanteur.  Il  y  a  ralentissement 
de  la  croissance  sur  l'une  des  faces.  Si  ce  ralentissement  s'opère  sur  la  face  supérieure, 
le  géotropisme  est  négatif,  s'il  opère  sur  la  face  inférieure,  le  géotropisme  est  positif. 
Le  fait  le  plus  intéressant  est  de  constater  que  dans  ce  thalle,  les  deux  parties  du  corps, 
sur  lesquelles  la  pesanteur  agit  en  sens  inverse,  sont  deux  parties  d'un  môme  élément 
cellulaire. 

Action  de  la  température.  —  On  possède  quelques  données  sur  l'influence  de  la  tempé- 
rature sur  la  formation  des  sporesde  quelques  algues  (Briosi.  Sludi  algologici, Messma.,i8H'6). 
Ulva  Lactuca  exi^e  pour  la  formation  des  zoospores,  à  l'intérieur  des  cellules,  et  leur  mise  en 
liberté,  une  température  d'environ  8-16°  C.  ;  l'optimum  semble  être  aux  environsde  15°;  vers 
7°-9°  la  formation  des  spores  cesse  totalement;  à  34°-36°,  il  devient  extrêmement  difficile 
d'assister  à  la  mise  en  liberté  des  spores.  Le  mouvement  des  zoospores  libres  est  également 
influencé  par  la  température.  Ce  mouvement  persiste  dans  la  chambre  humide,  en  règle 
générale,  une  vingtaine  d'heures;  il  subit  un  arrêt  au  commencement  de  la  nuit.  La  tem- 
pérature vient-elle  à  s'abaisser  de  4° jusqu'à  0°,  le  mouvement  cesse,  il  reprend  si  la  tempéra- 
ture s'élève.  Si  cependant  la  température  basse  persiste  un  certain  temps,  le  mouvement 
cesse  définitivement.  A  40°,  les  zoospores  sont  tuées.  Chez  Ctenocladus  circimiatus,  l'optimum 
pour  l'évacuation  des  Macrospores  paraît  être  de  12°  environ,  mais  cette  évacuation  peut 
être  arrêtée  ou  retardée  par  un  ciel  couvert,  ou  un  fort  abaissement  de  température. 
Par  une  température  de  4°,  l'évacuation  ne  se  produit  plus. 


2Si  ALGUES. 

A  la  suite  du  dessèchement  produit  par  les  chaleurs  de  l'été,  quelques  membres, 
dans  les  colonies  de  Ctenocladus,  deviennent  comme  rigides,  et  cassent  avec  facilité. 

MiQUEL  a  étudié  l'action  des  températures  funestes  aux  Diatomées  (Ann.de  micr.,  t. iv). 

Action  de  la  lumière.  Héliotropismc,  Phototactisme.  —  Les  radiations  modifient  la 
croissance  des  algues,  et  si  elles  sont  unilatérales,  provoquent  des  flexions  héliotro- 
piques, dont  la  direction  varie  avec  l'intensité  de  la  radiation  incidente.  La  couleur  de 
l'algue  n'influe  en  rien  sur  la  marche  du  phénomène.  Avec  une  lumière  d'intensité 
faible,  il  y  a  manifestations  héliotropiques  positives,  manifestations  négatives  avec  une 
lumière  forte;  avec  une  intensité  moyenne,  l'héliotropisme  est  transversal. 

La  sensibilité  des  algues  à  la  lumière  est  connue  depuis  longtemps.  Dès  1817,  Trevi- 
RANUs  (Vermischte  Studien)  publiait  des  observations  du  plus  haut  intérêt,  sur  certains 
phénomènes  de  mouvement  des  algues.  Ayant  exposé  dans  un  vase  de  porcelaine  à  la 
lumière  des  filaments  de  Conferva  mulabilis  Roth.  [ïialrachospermum  glomeratumVAVcn.], 
il  vit  s'échapper  des  tubes  du  thalle  des  globules  verts,  qui  tournoyaient  avec  vivacité, 
et  recherchaient  le  côté  ombré  du  vase.  Au  bout  d'un  certain  temps,  les  corps  mobiles  se 
fixaient  et  redonnaient  une  plante  adulte.  Il  observa  les  mêmes  phénomènes  sur  Conferva 
compacta  Roth.  Ces  corps  mobiles,  sur  la  nature  desquels  on  n'était  pas  encore  fixé,  sont 
certainement  des  zoospores,  et  Treviranus  rapprocha  immédiatement  ces  mouvements 
des  mouvements  protoplasmiques  que  Corti  et  Fo.n'taa'.i  venaient  de  découvrir,  et  que 
l'on  attribuait  alors  au  suc  cellulaire. 

Voilà  fort  longtemps  que  l'on  a  observé  l'action  de  la  lumière  sur  les  organes  repro- 
ducteurs des  algues.  Agardh  avait  déjà  vu  que  parmi  les  zoospores,  les  unes  recherchent 
la  lumière,  les  autres  la  fuient;  les  premières  étant  toujours  plus  actives,  plus  propres  à 
la  germination.  L'émission  même  des  zoospores  hors  des  sporanges  est  influencée  par  la 
lumière,  ainsi  que  Thuret  l'a  constaté;  ces  corps  sortent  en  grand  nombre  quand  le  ciel 
vient  à  s'éclaircir.  C'est  probablement  aussi  à  des  différences  d'intensité  lumineuse  qu'il 
faut  attribuer  les  variations  de  la  mobilité  des  zoospores,  aux  diffe'rentes  heures  de  la 
journée.  A  peu  d'exception  près,  c'est  le  matin  surtout  que  les  zoospores  s'agitent,  un 
peu  plus  tard  dans  la  journée,  elles  sont  fixées.  De  là,  pendant  longtemps,  l'impossibilité 
où  se  sont  trouvés  les  observateurs,  de  rencontrer  ces  corps. 

La  lumière  agit  d'une  façon  très  nette  sur  la  motilité  du  protoplasme  des  algues. 
Pour  bien  étudier  cette  action,  il  y  a  lieu  de  distinguer  deux  cas  ;  1°  le  thalle  est  unicel- 
lulaire,  par  suite  facilement  mobile;  2°  il  est  pluricellulaire,  et  le  protoplasme  seul,  con- 
tenu dans  ses  éléments,  est  mobile,  à  leur  intérieur. 

1°  Algues  uniceUulaires.  —  La  lumière  exerce  une  attraction  simple  sur  certaines  Dia- 
tomées, algues  uniceUulaires,  comme  l'on  sait.  Par  exemple,  les  Navicules  se  meuvent, 
tantôt  dans  la  direction  d'un  rayon  lumineux  incident,  tantôt  dans  la  diiection  opposée, 
mais  elles  n'affectent  pas  d'orientation  fixe,  par  rapport  à  ce  rayon.  Après  un  certain 
nombre  d'oscillations,  elles  se  sont  rapprochées  de  la  source  lumineuse. 

Les  spores  peuvent  être  regardées  comme  des  algues  uniceUulaires.  Certaines 'sont 
très  nettement  phototacliques. 

RosTAFiNSKi  et  Janczewsri  avaient  montré  dès  1874  que  les  macrospores  d'Eiiteroiiior- 
pJia  compressa  sont  négativement  héliotropiques.  Ces  expériences  ont  été  reprises  plus 
récemment  par  Bniosi,  à  l'aide  de  cultures  en  chambre  humide.  Cet  auteur  remarque, 
comme  l'avait  déjà  indiqué  ïhuret,  que  les  spores  suivent  la  direction  de  la  lumière,  et 
forment  des  groupements  remarquables,  sur  la  face  insolée  du  vase.  Au  bout  d'un  cer- 
tain temps,  ces  groupements  disparaissent,  la  plus  grande  partie  des  spores  tombent  sut- 
le  fond  du  vase,  quelques-unes  errent  sans  suivre  une  direction  déterminée. 

Pour  bien  mettre  le  fait  en  évidence,  on  répand  des  cultures  pures  sur  le  fond  d'un 
large  vase  de  verre,  puis  on  le  recouvre  avec  un  cylindre,  recouvert  lui-même  intérieu- 
rement d'un  vernis  noir.  Ce  même  vase  possède  d'un  côté  une  cloison  verticale,  vers 
laquelle  on  dirige  une  source  de  lumière.  Dans  les  premières  heures,  toutes  les  zoospores 
se  portent  vers  la  lumière  incidente,  et  séjournent  dans  la  zone  éclairée  une  paire 
d'heures,  les  zygospores  s'éloignent  dans  différents  sens  de  la  source  lumineuse,  tandis 
que  Jes  spores  en  petit  nombre,  qui  n'avaient  pas  subi  de  conjugaison,  se  dissolvent  en 
partie,  peu  à  peu  leurs  restes  s'accumulent  au  fond  du  vase. 

Chez  certaines  Desmidiées,  il  y  a  orientation  phototactique  (Braux).  Le  genre  Venium, 


ALGUES.  283 

par  exemple,  glisse  vers  la  source  lumineuse,  en  tournant  vers  elle,  d'une  façon  con- 
stante, sa  face  la  plus  jeune.  Le  Pleiirotenium  se  conduit  à  peu  près  de  môme.  Le  Micras- 
crias  Rota,  formé  de  cellules  aplaties,  se  place  perpendiculairement  à  la  direction  du 
rayon  incident.  Il  y  a  donc  ici  polarité  et  polarité  constante. 

Les  zoospores  peuvent  être  regardées,  au  point  de  vue  qui  nous  occupe,  comme  des 
algues  unicellulaires.  Certaines  né  sont  pas  phototactiques,  d'autres,  au  contraire,  le  sont 
à  un  haut  degré.  Elles  s'orientent,  de  façon  à  placer  toujours  leur  axe  dans  la  direction 
du  rayon  incident.  Si  la  lumière  incidente  est  d'intensité  faible,  la  zoospore  s'oriente  et 
se  dirige  vers  la  source  lumineuse,  puis  elle  pivote  sur  elle-même,  et  présente  à  la  source 
son  extrémité  non  ciliée.  Le  mouvement  se  produisant  toujours  dans  la  direction  vers 
laquelle  est  tourné  le  cil  vibratile,  il  y  a  donc  alternance  de  mouvement,  tantôt  vers  la 
source,  tantôt  en  sens  contraire.  Dans  le  cas  d'une  intensité  lumineuse  faible,  la  somme 
des  petits  mouvements  partiels  vers  la  source  fmit  par  l'emporter  sur  la  somme  des 
petits  mouvements  partiels  en  sens  inverse;  en  définitive,  la  zoospore  se  rapproche  de  la 
source. 

Il  y  a  donc  ici  alternance  dans  la  polarité,  polarité  périodique  (Strasiiurger.  Wirfcîwigr 
des  Lichtes  und  der  Wdrme  auf  Schwârmsporen,  léna,  1878.  —  Stahl.  Ueber  den  Einfluss  der 
Lichtes  auf  die  Beivegungsevscheinungen  der  Schwârmsporen.  Verhandl.  der  phys.  medic. 
Gesellsch.  in  Wurzburg,  t.  xi,  1878). 

C'est  le  même  fait  que  l'on  observe  chez  les  Clostériées,  du  groupe  des  Desmidiées, 
algues  formées  d'une  seule  cellule,  libre,  effilée  aux  deux  bouts.  En  les  plaçant  dans  une 
auge  en  cristal,  et  en  faisant  varier  la  direction  de  la  lumière  incidente,  on  voit  très 
nettement  les  phénomènes.  L'algue  commence  par  appuyer  une  de  ses  extrémités  effilées 
sur  le  fond  de  l'auge,  puis  elle  place  son  corps  de  telle  sorte  que  son  axe  coïncide  avec 
la  direction  de  la  lumière  incidente. 

Chaque  fois  que  la  direction  de  la  lumière  change,  l'algue  change  elle-même  son 
orientation.  Vient-on  à  faire  varier  brusquement  de  180"  la  direction  de  la  lumière  inci- 
dente, aussitôt  la  Clostérie  tourne  de  180°,  autour  de  sa  pointe  fixée,  et  replace  la  même 
extrémité  dans  la  direction  du  rayon  incident. 

Il  y  a  donc  ici  une  polarité  très  nette  et  constante,  puisque  c'est  toujours  la  même  ex- 
trémité de  la  Clostérie,  qui  est  tournée  vers  la  source  lumineuse.  Mais  cette  polarité  ne 
garde  sa  constance  que  pendant  un  certain  temps.  Après  avoir  dirigé  vers  la  lumière 
son  extrémité  la  plus  jeune,  l'algue  se  renverse  sens  pour  sens;  c'est  l'extrémité  la  plus 
jeune  qui  se  fixe  au  fond  de  l'auge,  et  l'extrémité  la  plus  âgée  qui  se  dirige  vers  la 
lumière;  l'équilibre  persiste  ainsi  quelques  instants,  puis,  il  y  a  un  nouveau  renverse- 
ment, et  ainsi  de  suite.  Le  laps  de  temps  qui  sépare  deux  versions  consécutives  est  de  6 
à  8  minutes,  à  la  température  de  33°;  il  augmente,  si  la  température  s'abaisse.  Mais  en 
même  temps  qu'orientation,  il  y  a  mouvement.  Si  la  lumière  incidente  est  latérale,  par 
rapport  à  l'auge  d'expérience,  la  Clostérie  dans  ses  oscillations  se  dirige  peu  à  peu  vers  la 
face  éclairée,  par  une  série  de  véritables  pirouettes,  combinées  à  un  glissement  de  l'ex- 
trémité fixée  à  la  surface  du  verre  de  l'auge. 

Si  l'éclairement  a  lieu  par-dessous,  le  déplacement  ne  pouvant  se  produire  vers  la 
source,  puisque  l'algue  touche  la  face  inférieure  par  une  de  ses  extrémités,  les  pirouettes 
s'exécutent  sur  place. 

Les  Oscillaires,  dont  le  corps  est  formé  d'une,  file  de  cellules  superposées,  sont 
encore  mobiles,  et  se  trouvent  attirées  par  une  lumière  de  faible  intensité. 

On  possède  également  un  certain  nombre  de  faits,  concernant  l'influence  de  l'inten- 
sité des  radiations  actives  sur  les  mouvements  pliototactiques  des  algues.  Considérons  ' 
par  exemple  la  Clostérie,  que  nous  avons  examinée  tout  à  l'heure,  et  soumettons-la  à 
l'action  d'une  lumière  très  intense.  Elle  tourne  aussitôt  de  90",  autour  de  son  extrémité 
postérieure  fixée,  et  se  place  perpendiculairement  au  rayon  incident;  les  pirouettes 
si  curieuses  qu'elle  exécute  avec  un  éclairement  de  moyenne  intensité  ne  se  produisent 
plus  avec  un  éclairement  intense.  La  position  de  la  Clostérie  ne  semble  pas  changer, 
mais  en  réalité  un  lent  mouvement  de  glissement  s'effectue  sur  l'extrémité  fixée,  et 
peu  à  peu  l'algue  s'éloigne  de  la  face  éclairée  du  vase. 

Même  fait  chez  Pleurolmnium.  Les  Diatomées  ne  présentent  pas,  nous  l'avons  dit, 
d'orientation  à  la  lumière,  mais  elles  s'éloignent  aussi  d'une  lumière  trop  intense.  De 


286  ALGUES. 

même  les  Oscillaires.  Les  zoospores  phototactiques  conservent  l'orientation  de  leur 
corps,  suivent  la  direction  du  rayon  incident,  subissent  des  renversements  périodiques, 
mais  finalement  s'écartent  de  la  source  lumineuse. 

A  une  lumière  intense,  les  Mesocarpus  présentent  par  la  tranche  leur  lame  chloro- 
phyllienne, au  lieu  de  la  présenter  perpendiculairement  à  la  lumière  incidente;  de 
même  les  lames  de  corpuscules  chlorophylliens,  chez  les  Vaucheria  (Voy.  Stah^.  Bot. 
Zeit.,  p.  297,1880). 

Entre  les  deux,  valeurs  extrêmes  de  l'intensité  lumineuse  (provoquant, Tune,  l'attrac- 
tion des  corpuscules  chlorophylliens,  l'autre  leur  répulsion;  l'une,  l'orientation  perpen- 
diculaire, l'autre  celle  par  la  tranche)  il  y  a,  a  priori,  une  valeur  moyenne  qui  doit  ne 
produire  rien;  cette  valeur  prévue  par  la  théorie  n'a  pas  encore  été  évaluée  en  pratique. 

Nous  avons  déjà  vu  que  la  nature  de  l'algue  considérée  terminait  son  mode  de  réac- 
tion à  la  radiation  :  tantôt  orientation  et  déplacement  total,  tantôt  déplacement  sans 
orientation. 

Des  espèces,  même  voisines,  n'obéissent  pas  avec  la  même  rapidité  à  l'action  de  la 
lumière.  Ainsi  VAcetabularia  est  très  sensible,  la  Vaucheria  l'est  moins.  Pour  certaines 
zoospores,  il  n'y  a  pas  phototactisme,  tantôt  positif,  tantôt  négatif;  quelle  que  soit  l'inten- 
sité de  la  source  lumineuse,  les  zoospores  du  Botri/diumse  dirigent  vers  la  source. 

11  y  a,  nous  l'avons  déjà  dit,  des  algues  tout  à  fait  aphototactiques;  les  Characées 
(Nitella)  par  exemple,  certaines  zoospores  de  Vaucheria,  Codium,  Ectocarpus,  etc. 

Même  si  l'algue  n'est  pas  mobile,  le  protoplasme  contenu  dans  les  cellules  de  son 
thalle  pourra  se  montrer  photo  tactique. 

Dans  les  Vaucheria  par  exemple,  la  chlorophylle  est  condensée  sur  des  granules  sépa- 
rées; on  voit  tous  ces  chloroleucites  se  répartir  exclusivement  sur  la  face,  directement 
exposés  à  la  radiation  d'une  part,  et  sur  la  face  opposée  de  l'autre.  Il  se  forme  donc, 
sous  l'influence  des  radiations,  deux  bandes  de  corpuscules  chlorophylliens,  perpendi- 
culaires à  la  direction  de  la  radiation  incidente.  Si  cette  direction  vient  à  changer,  les 
deux  bandes  se  déplacent,  de  manière  à  rester  perpendiculaires  à  cette  direction  {Stahl. 
Bot.  Zeit..  1880,  p.  .324). 

Le  phototactisme  du  protoplasme,  emprisonné  dans  des  parois  cellulaires,  chez  les 
algues,  est  d'ailleurs  un  fait  connu  de  tous,  depuis  les  travaux  de  Bœhm,  Famintzin,  Boeo- 
DiN,  Prillieux,  Frank,  Stahl.  L'exemple  d'un  genre  de  conjuguées,  Mesocarpus,  est 
classique.  Le  thalle  de  ces  algues  vertes  est  formé  de  cellules  superposées,  et  dans 
chaque  cellule,  se  trouve  une  lame  protoplasmique,  chlorophyllienne,  traversant  la 
cellule  dans  toute  sa  longueur,  et  suivant  son  axe.  Éclairons  le  filament  de  Mesocarpus, 
perpendiculairement  à  sa  longueur,  par  une  lumière  de  faible  intensité,  la  lame  chloro- 
phyllienne tournera  sur  elle-même,  de  manière  à  se  trouver  perpendiculaire  au  rayon 
incident.  Si  la  direction  de  ce  rayon  change  subitement  de  180°,  la  lame  reste  en  place, 
si  elle  prend  tout  autre  direction  intermédiaire,  la  lame  tournera  pour  prendre  la  posi- 
tion perpendiculaire. 

Certaines  algues  vertes,  formées  de  rangées  de  cellules,  sont  d'ailleurs  insensibles  à 
la  lumière;  telles  les  Nitella,  totalement  dépourvues  de  propriétés  phototactiques. 

11  semble  d'ailleurs  bien  certain  que  c'est  le  protoplasme  lui-même  qui  est  phototac- 
tique, et  que  les  grains  de  chlorophylle  sont  passivement  entraînés  par  le  protoplasme, 
sensible  à  l'influence  de  la  radiation. 

Les  radiations  de  réfrangibilité  différente  n'agissent  pas  de  la  même  façon  sur  le 
protoplasme  des  algues.  Le  fait  est  particulièrement  démontré  pour  les  zoospores  pho- 
totactiques. Ce  sont  les  rayons  bleus,  indigos  et  violets,  qui  agissent  seuls;  le  maximum 
d'action  a  lieu  avec  les  rayons  indigos,  les  radiations  rouges  et  infra-rouges  n'agissent 
pas  (Strasbur(3er,  lac.  cit.,  p.  43,  1878)  (V.  aussi  Miquel.  Rech.  expér.  sur  la  PhysioL,  la 
Morph.  et  la  Path.  des  Diatomées.  —  Ann.  de  micr.,  t.  iv,  1894). 

La  sensibilité  phototactique  change  d'ailleurs  chez  une  même  algue,  avec  l'âge.  Les 
Clostéries  sont  très  sensibles  à  la  radiation,  pendant  leur  jeunesse,  puis  leur  paroi 
s'épaissit,  le  protoplasme  se  charge  de  produits  de  réserve,  et  sa  sensibilité  s'émousse. 
On  peut  dire  que  la  Clostérie  devient  paresseuse  à  réasir  à  la  radiation,  à  mesure 
qu'elle  acquiert  de  l'âge. 

L'utilité  de  tous  ces  phénomènes  phototactiques  pour  les  algues  sera  étudiée  d'une 


ALGUES.  2S7 

façon  plus  générale,  eu  même  temps  que  leur  utilité'  pour  les  autres  plantes,  dans  le 
chapitre  relatif  à  l'action  de  la  lumière  sur  les  végétaux. 

Action  de  la  salure  de  l'eau  ambiante.  Plasmolyse.  —  Il  résulte  des  recherches 
de  Oltmanns  {Ueber  die  Bedeutmig  der  Concentrationsànderungen  des  Meerwassers  fur 
Leben  der  Algen,  K.  Akad.  Berlin,  1891,  t.  x,  pp.  193-20.3)  qu'un  changement  rapide  dans 
la  concentration  de  l'eau  de  mer  est  nuisible  à  la  croissance  des  algues,  tandis  qu'un 
changement  lent  et  progressif  de  cette  concentration  est  supporté  sans  inconvénient  par 
ces  plantes.  Les  expériences  ont  été  faites  sur  Fucus  vesiculosus  et  Polysiphonia  nigres- 
c.ens.  Ce  fait  explique  les  cas  de  répartition  des  algues  dans  certains  ports  de  mer.  La 
pauvreté  de  la  Baltique  en  algues,  opposée  à  la  richesse  de  la  mer  du  Nord,  est  beau- 
coup plus  due,  selon  toute  vraisemblance,  à  la  moindre  teneur  en  sel  des  eaux  de 
cette  mer,  qu'aux  variations  plus  considérables  de  la  concentration  de  ses  eaux. 

Des  espèces  qui,  dans  la  nier  du  Nord,  croissent  superficiellement,  se  montrent  dans 
la  Baltique  à  de  plus  grandes  profondeurs,  là  oîi  les  variations  de  salure  sont  moindres. 
Cette  influence  de  la  concentration  ne  s'explique  pas  par  les  conditions  de  nutrition 
des  algues,  mais  bien  par  la  turgescence  de  leurs  cellules,  qui  est  sous  la  dépendance 
de  la  concentration  du  liquide  ambiant;  cette  turgescence  ne  peut  se  maintenir  qu'avec 
des  variations  lentes  de  la  coucentration.  Les  plantes  marines  exigent  un  minimum  de 
sel,  non  parce  que  les  sels  sont  des  aliments,  mais  parce  que  la  turgescence  est  intime- 
ment liée  à  la  teneur  en  sel  du  liquide  cellulaire. 

Les  phénomènes  de  plasmolyse  sont  faciles  à  mettre  en  évidence  sur  les  cellules 
de  certaines  algues  conjuguées,  en  particulier  chez  Mesocarpus  pleurocarpiis  DBy  i  Voy. 
De  Wildeman.  Soc.  Roy.  Bot.  Belg.,  t.  xxix,  p.  99).  Les  membranes  qui  séparent  les  divers 
articles  du  thalle  se  présentent  sous  forme  d'un  bourrelet  en  cercle,  fait  sans  doute  dû 
à  ce  que  la  membrane  est  trop  grande  pour  occuper,  en  cas  de  turgescence  égale  des 
deux  cellules  voisines,  la  partie  interne  du  cylindre,  sous  forme  d'une  surface  plane.  Si  la 
turgescence  d'une  cellule  est  supérieure  par  rapport  à  celle  de  sa  voisine,  la  paroi  de 
séparation  entre  les  deux  cellules  devient  concave  par  rapport  à  la  cellule  à  faible 
pression.  Si  la  pression  est  suffisante,  le  bourrelet  n'apparaît  plus;  si  elle  n'atteint  pas 
un  degré  suffisant,  on  voit  encore  la  trace  d'un  bourrelet. 

Si,  à  l'aide  d'une  solution  plasmolysante,  on  vient  à  diminuer  fortement  la  turges- 
cence dans  deux  cellules  voisines,  la  paroi  transverse  se  scinde  en  deux  lames,  qui  se 
séparent  l'une  de  l'autre,  et  prennent  alors  la  forme  sous  laquelle  la  membrane  est 
généralement  figurée,  c'est-à-dire  qu'elles  sont  rejetées  chacune  vers  la  cellule  dont 
elles  forment  la  limite,  laissant  entre  elles  au  espace  lenticulaire.  Les  membranes  laté- 
rales de  chaque  article,  ayant  une  paroi  plus  résistante,  ne  sont  pas  modifiées  par  la 
plasmolyse. 

L'étude  des  êtres  vivant  dans  les  neiges  qui  couvrent  les  hauts  sommets  présente  un 
réel  intérêt  pour  la  physiologie  générale.  Les  algues  entrent  pour  une  part  importante 
dans  le  nombre  des  habitants  des  neiges.  La  Sphœvelta  nivalis  est  bien  connue  comme 
colorant  la  neige  en  rouge,  elle  est  répandue  sur  les  hauts  sommets  des  montagnes  aussi 
bien  d'Europe  que  d'Amérique.  De  Lagerheim  {Deutsche  Bot.  Geselhch.,  1894)  a  observé 
récemment  dans  les  neiges  des  sommets  des  hauts  volcans  de  l'Equateur  des  Volvoci- 
nées,  des  Chlamydomonas,  qui  sont  constamment  accompagnées  par  un  petit  champi- 
gnon :  Selenotila  nivalis,  qui  est  le  seul  champignon  saprophyte  de  la  neige  que  l'on 
connaisse,  les  bactéries  exceptées. 

Rapports  des  algues  avec  les  êtres  vivants.  —  Les  algues  jouent  un  grand  rôle 
dans  l'harmonie  générale  de  la  nature.  La  grande  majorité  d'entre  elles  sont  pourvues 
de  chlorophylle;  aussi,  dans  les  eaux  douces  et  salées,  détruisent-elles  l'acide  carbonique, 
soit  à  l'état  de  dissolution,  soit  à  l'état  de  combinaison  avec  les  alcalis  terreux.  Le  fait 
corrélatif  de  cette  décomposition  est  la  mise  en  liberté  d'oxygène;  les  algues  rendent 
donc  les  eaux  habitables  pour  les  animaux.  Peut-être  absorbent-elles  aussi  les  matières 
organiques  dissoutes,  ou  dont  elles  ont  provoqué  la  dissolution,  et  rendent-elles  ainsi 
potables  des  eaux  chargées  d'impuretés? 

Les  algues  sont  un  intermédiaire  fréquent  entre  la  nature  purement  minérale  et  les 
animaux.  Avec  les  seuls  matériaux  qui  les  entourent,  eau,  sels  minéraux  et  acide  carbo- 
nique, elles  fabriquent  de  la  matière  organique,  assimilable  pour  les  animaux.  Dans 


288  ALGUES. 

toutes  les  classes  du  règne  animal,  il  y  a  des  espèces  qui  se  nourrissent,  pour  tout  ou 
partie  de  leur  alimentation,  d'algues. 

CuviER  et  Valenciennes  ont  signalé  depuis  longtemps  que  certains  poissons  ont  l'esto- 
mac rempli  d'algues.  Mertens  a  rencontré  dans  le  golfe  de  Venise  l'fl/va  ioi/sswîa  percée 
de  nombreux  trous,  et  en  partie  dévorée  par  Bulla  hydatis;  il  a  fait  la  même  observation 
à  Ancône  sur  Porphyra  vulgarU.  Il  est  fréquent  de  trouver  sur  nos  côtes  des  stipes  de 
Laminuria  flexicaulis,  creusés  de  cavités,  où  se  logent  de  petites  Patelles.  D'après  CoRNr- 
CHOEL,  l'Otarie  et  le  Chœtodon  monodactyles  se  nourrissent  de  Microcystis  pyrifera.  Les 
tortues  marines  sont  particulièrement  friandes  des  Caulerpa. 

Certaines  larves  de  Diptères  se  nourrissent  exclusivement  d'algues  (Levi-Morenos.  Sul 
nutrimento  preferito  dalle  larve  di  alciini  inselti  ed  applicazione  practica  di  questa  conos- 
cenza  ail'  allevamento  dei  Salmonidi,  Notarisia,  1891,  vol.  vi,  n^  23,  pp.  1178-1282),  par 
exemple  celles  de  Ctiironome,  dont  le  tube  digestif  est  rempli  de  Diatomées,  de  filaments 
d'Oscillariées,  de  fragments  d'Ulothrix,  de  cellules  d'Hydrurus,  de  Scenedesmus.  Le  plus 
souvent  le  contenu  cellulaire  de  ces  algues  n'est  pas  altéré,  et  les  larves  doivent  surtout 
se  nourrir  du  mucilage  qui  enveloppe  les  cellules  (?).  On  a  même  pu  penser  qu'il  y  avait 
une  évolution  défensive  des  Diatomées,  en  rapport  aven  la  «.  diatomophagie  »  des  ani- 
maux aquatiques  (Levi-Morenos.  JVoinrJsw,  anno  V,  n"  20). 

Le  rôle  des  algues  vertes  dans  les  rapports  biologiques  réciproques  des  êtres  a  été 
bien  démontré,  dès  1838,  par  une  expérience  intéressante  de  Ch.  Morren  {Essai  surl'hété- 
rogénie  dominante,  p.  31).  Lorsqu'on  place  de  l'eau  pure  dans  un  vase  ouvert  à  l'air  libre, 
et  exposé  à  la  lumière,  ce  sont  des  algues  très  inférieures  qui  apparaissent.  Si,  au  lieu 
d'employer  l'eau  pure,  on  emploie  un  vase  plein  d'une  infusion  organique  en  décompo- 
sition, l'accès  de  la  lumière  n'est  pas  nécessaire  au  développement  d'êtres  inférieurs  ani- 
maux, tels  que  les  Infusoires.  «  La  source  de  vie  produite,  dit  avec  beaucoup  de  justesse 
Morrem,  croît  quand  la  lumière  augmente,  comme  si  les  organismes  végétaux  développés 
-condensaient  et  fixaient  la  lumière  dans  la  matière  organisée;  les  animaux  n'apparaissent 
que  comme  une  conséquence  de  la  vie  végétale,  et  dans  un  milieu  préalablement 
organisé.  » 

Symbiose  des  algues.  —  Nous  ne  parlerons  pas  ici  des  zoocblorelles  et  des 
zooxanthelles,  ces  corpuscules  verts,  si  fréquents  dans  les  corps  de  nombre  d'animaux 
aquatiques,  el  que  l'on  tend  à  considérer  aujourd'hui  comme  des  algues,  vivant  en 
symbiose,  avec  l'animal  qu'elles  habitent.  Il  en  sera  parlé  à  l'article  Symbiose.  Cet 
article  contiendra  également  les  données  utiles  aux  physiologistes  sur  la  symbiose  des 
algues  avec  les  champignons,  dans  la  tliéorie  algo-lichénique. 

Ces  algues  sont  unicellulaires,  mais  il  en  existe  nombre  d'autres,  qui  s'associent  d'une 
façon  plus  ou  moins  intime  à  divers  animaux.  On  a  bien  prononcé  pour  ces  cas  le  nom 
de  symbiose,  mais  il  est  peut-être  encore  plus  discutable  que  pour  les  zoocblorelles,  et 
c'est  ici  le  lieu  de  parler  de  ces  algues  parasites,  au  moins  très  brièvement. 

On  a  trouvé  récemment,  dans  les  iles  de  la  Sonde,  les  Noctiluques  colorées  en  vert 
par  des  algues  unicellulaires,  qu'il  faut  probablement  rapporter  aux  Zoochlorella.  (Voyez 
pour  ce  cas  de  symbiose  et  les  suivants,  le  très  intéressant  mémoire  de  M™°  Weber  v.^n 
Bosse,  in  Annales  du  Jardin  bot.  de  Buitenzorr/,  1890.) 

Dans  les  mêmes  régions,  on  a  observé  des  cas  de  symbiose  (?)  entre  algues  et 
Éponges.  Une  Eponge  lacustre,  Ephydatia  fluviatilis,  est  normalement  d'une  couleur  gris- 
jaunâtre,  et  présente  de  distance  en  distance  des  taches  vertes,  situées  de  préférence 
au  voisinage  des  oscules.  Ces  taches  sont  dues  à  des  filaments  verts,  ramifiés  et  entre- 
lacés, d'une  algue  du  genre  Trentepohiia.  Cette  algue  «  mène  une  vie  en  commun  avec 
l'éponge,  profite  de  son  hôte,  et  cette  symbiose  prend  déjà  la  forme  du  parasitisme,  mais 
d'un  parasitisme  peu  exigeant,  car  l'Éponge  ne  souffre  pas  visiblement  des  dommages 
que  lui  cause  l'algue  ». 

Un  cas  de  symbiose  plus  parfait  et  mieux  caractérisé  s'observerait  entre  l'algue 
Sti'uvea  delic.atula  et  une  Éponge  marine.  Les  deux  êtres  «  s'influencent  mutuellement 
d'une  manière  extraordinaire,  qui  va  si  loin,  que  tous  deux  perdent  à  un  moment  donné 
leurhabitus  ordinaire  ».  L'algue  Slrueea  se  transforme  si  complètement,  par  la  vie  en 
commun  avec  cette  Éponge  du  genre  Haliecmdria,  qu'elle  a  été  classée  par  divers  algo- 
logues,  daiis  un  genre  spécial  :  Sponç/oeladia. 


ALGUES.  289 

Du  reste  les  Spongiaires  semblent  se  prêter  plus  volontiers  que  les  autres  animaux  à 
des  association  avec  les  algues.  Brandt  a  dressé  une  liste  très  importante  de  ces  cas 
d'association  {Mittheil.  Zool.  Stat.  Neapel,  t.  iv,  1883). 

Il  ne  faudrait  pas  croire  que  ce  sont  seulement  des  algues  vertes  qui  jouissent  ainsi 
de  ces  propriétés  d'association.  Une  Floridée  filiforme,  Callithmnnium  membranaceum,  foi-me 
par  ses  filaments  juxtaposés  de  larges  plaques,  à  la  surface  des  fibres  cornées  de  Spon- 
gelia  pallesccns,  ou  entre  les  lamelles  concentriques  de  ces  fibres. 

Une  Cyanophycée,  Oscillaria  spongeiiae,  réduite  à  de  petits  bâtonnets,  habite  la  sur- 
face de  la  même  algue,  et  a  été  rencontrée  dans  les  cellules  embryonnaires  de  l'Éponge, 
en  voie  de  division  (Schdltze.  Unters.  ùber  dcn  Bau  und  die  Entwickelung  der  Spongien: 
Gattung  Spongclia,  Zeitsch.  Wiss.  Zool.,  t.  xxxii,  1879). 

Une  Pbœophycée,  Chœtoceros  sp.,  remplit  de  ses  cellules  le  corps  d'un  infusoire  cilié  : 
Titinnus  inquilinus  (Famintzin.  Beitr.  z.  Symbiose  von  Algen  und  Thieren,  i"  part.,  1891. 
Mém.  Ac.Imp.  Se,  Saint-Pétersbourg,  t.  xxxvin,  n''4). 

Parasitisme  des  Algues.  ^-  A.  Sur  les  végétaux.  —  Le  nombre  des  algues,  para- 
sites des  autres  végétaux,  s'accroît  chaque  jour,  à  mesure  des  investigations  nouvelles. 
Mais  leur  nombre  est  encore  assez  restreint. 

La  plus  anciennement  étudiée  est  parasite  des  feuilles  de  Camellia,  dans  l'Inde,  c'est 
le  Mycoidea  parasitica  (Coniningham.  On  Mycoidea  parasitica,  a  neio  Genus  of  Parasitic 
Algae.  Trans.  Linn.  Soc.  of  London,  janv.  1879.) 

Tandis  que  la  croissance  du  Mycoidea  se  fait  entre  les  couches  épidcrmiques  et  sous- 
épidermiques  de  la  feuille,  cette  croissance  est  purement  superficielle  chez  un  nouveau 
genre  voisin  VHansgirgia  (De  Toni.  Sur  un  nouveau  genre  d'Algues  aériennes.  Bull.  Soc. 
Bot.  Belg.,  juillet  1888).  Le  disque  qui  supporte  cette  algue  se  détache  avec  facilité  de 
son  support,  la  feuille,  par  action  de  la  potasse  caustique.  Il  n'y  a  pas  en  effet,  comme 
chez  Mycoidea,  de  radicelles  qui  s'enfoncent  dans  le  tissu  de  la  feuille  parasitée. 

VHansgirgia  se  présente  à  la  surface  des  feuilles,  sous  forme  de  petites  taches  jaunâ- 
tres, ce  doit  être  une  plante  commune  dans  les  pays  tropicaux,  surtout  au  Brésil,  elle  est 
introduite  accidentellement,  dans  les  jardins  botaniques,  et  ne  peut  végéter  que  dans  les 
serres  chaudes  (Voy.  de  Wildeman.  Sur  quelques  formes  d'Algues  terrestres  épiphytes. 
Soc.  Bot.  Belg.,  1888). 

Peut-on,  à  propos  de  cette  algue  parler  de  parasitisme?  La  chose  est  encore  douteuse. 
Elle  ne  fait  peut-être  qu'emprunter  à  la  plante  un  support  favorable  à  son  développe- 
ment, et  profiter  peut  être  de  CO-  que  le  parenchyme  foliaire  dégage,  pour  le  décom- 
poser ensuite  ;  elle  possède  en  effet  de  la  chlorophylle,  simplement  masquée  par  un 
pigment  rougeàtre. 

Le  genre  Trentepohlia,  très  voisin  de  ce  dernier,  possède  également  des  espèces  épi- 
phytes, pour  lesquelles  on  ne  peut  probablement  pas  parler  de  parasitisme  :  T.  lageni- 
fera,  Kurzii,  polycarpa,  calamicola,  Reinschii. 

Le  Chlorochytrium,  algue  verte,  attaque  les  lentilles  à'ea.a{Lemna),\e  Phyllosiphon,\es 
feuilles  d'Arisarum. 

Certaines  algues  cherchent  un  abri  dans  les  méats  intercellulaires  d'autres  plantes. 
Certains  Nostoc  s'établissent  ainsi  dans  le  corps  des  Lemna,  dans  le  thalle  des  Hépatiques, 
les  feuilles  des  Azolla,  la  racine  des  Cycas,  le  rhizome  des  Gunnera,  où  ils  pénètrent 
même  à  l'intérieur  des  cellules,  en  s'introduisant  par  les  ponctuations  des  parois  cellu- 
laires. Dans  ce  cas,  malgré  leur  teneur  en  chloropliylle,  ces  algues  ne  peuvent  vraisem- 
blablement assimiler,  faute  de  lumière,  et  elles  vivent  en  vrais  parasites.  (Janczewski. 
Parasitische  Lebensiueise  des  Nostoc  lichenotdes,  Bot.  Ztg.  o,  1872.  —  Prantl.  Die  Assimi- 
lation freien  Stickstoffes  und  der  Parasitismus  von  Nostoc,  Hedwigia,  2,  1889.  —  Reinre. 
Parasitismus  einer  Nostochacec  in  Gunnera-Arten,  Gbtt.  Nachrichten,  624,  1871.  —  Reinke. 
Parasitische  Anabœna  in  Wurzeln  der  Cycadeen,  Gott.  Nachricht,  107,  1872;  Morpholog. 
Abhandl.  12,  1873.  —  Sorauer.  Pflanzenkrankheiten,  t.  3,  1886.  —  Sthasburger.  Ueber 
Azolla,  1873.  —  Albert  Schneider.  Mutuaiistic  symbiosis  of  Algae  and  Bacteria  tuilh  Cycas 
revoluta,  Bot.  Gaz.,  I.  xix,  n"  1,  janv.  1894.  —  Bengt  Joensonn.  Studier  ofver  Algpa- 
rasiten  has  Gunnera;  Botaniska  Nostier,  1894,  fasc.  1.) 

Certaines  algues  semblent  n'ali'ecter  une  vie  parasitaire  que  pendant  une  certaine 
période  de  leiir  existence.  C'est  ainsi  que  Balbiania  investiens  (Voy.  Sirodoï,  loc.   cit.) 

DICT.    DE  PH^'SIOLOGIE.    —    TOME    I.  19  , 


290  ALGUES. 

présente  une  forme  sexuée,  qui  n'affecte  que  de  très  faibles  adhérences  avec  les  filaments 
des  Batrachospermum.  Cette  forme  sexuée  ne  trouverait,  comme  un  type  voisin,  les 
Chantransia,  dans  la  ramification  des  Batrachospermum  que  des  conditions  plus  favora- 
bles pour  se  fixer  que  sur  un  autre  support.  Même  recouverte  d'un  revêtement  continu, 
l'algue  support  n'est  pas  sensiblement  altérée  dans  sa  forme.  Mais  il  existe  pour  cette 
plante  une  forme  asexuée,  prothalle  si  l'on  veut,  qui  semble  affecter  avec  les  Batracho- 
spermes  des  rapports  plus  intimes,  et  son  parasitisme  est  sinon  établi,  du  moins  pro- 
bable. 

Pour  des  détails  plus  complets  sur  les  algues  parasites,  leur  répartition,  leur  action 
sur  les  organes  des  plantes  parasitées,  voyez  Môbius,  Conspectus  Algarum  endophytarum, 
Notarisia,  t.  iv,  1891.  —  Ueber  endophytische  Ahjen,  Biol.  Centralblatt,  t.  xi,  n"  18.  — 
Verh.  d.  Naturh.  Med.  Ver.  zu  Heidelberg,  iv,  t.  v,  fasc.  VI,  nov.  1892. 

Deux  espèces  d'algues  Phéosporées,  Streblonemopis  irritans,  et  Ectocarpus  Valiantei,  en 
pénétrant  dans  le  thalle  d'autres  algues,  y  provoquent  une  prolifération  qui  aboutit  à 
la  formation  d'une  véritable  galle.  Ce  sont  donc  là  de  véritables  algo-cécidies,  se  déve- 
loppant sur  des  algues. 

Mais  il  existe  aussi  au  moins  une  algo-cécidie,  bien  déterminée  sur  une  Phanérogame. 
Une  espèce  d'algue  que  l'on  a  placée  dans  un  genre  Phytophysahah'de,  en  parasite, 
le  corps  d'une  Phanérogame  du  genre  Pilea.  Son  thalle  forme  une  véritable  galle  (algo- 
cécidie),  sous  forme  d'une  vésicule  pleine  de  chlorophylle,  à  membrane  épaisse,  remplie 
pendant  toute  la  durée  de  la  vie  végétative,  d'un  protoplasme  réticulé.  Les  spores  sont 
mises  en  liberté,  par  rupture  de  cette  membrane,  et  se  répandant  en  dehors  par  les 
fissures  produites  sur  la  plante  nourricière.  Toutes  les  parties  du  Pilea  sont  infestées, 
mais  surtout  la  tige,  les  pétioles  et  les  bourgeons  (Voy.  Weber  Van  Bosse,  loc.  cit.). 

B.  Sur  les  animaux.  —  L'algue,  Palmella  spongiarium,  colorée  en  rouge,  comme  P. 
nivalis,  est  parasite  des  Éponges  :  Halicondria  panicea,  Cliona  celata,  Amorphina  stelli- 
fera  (Carter.  Parasites  of  the  Spongia.  Ann.  of  nal.  Hist.  (S),  t..  ii,  1878),  auxquelles  elle 
communique  une  coloration  intense. 

Le  Chlorochylrium  Cohni  présente  des  faits  de  parasitisme  encore  plus  curieux.  Cette 
Protococcacée  vit  d'abord  en  parasite  dans  le  thalle  d'une  Floridée,  Polysiphonia  nuceo- 
laria;  puis  ses  spores  vont  germer  chez  deux  infusoires  :  un  Epistylis  et  Vaginicola  crys- 
talllna,  où  la  forme  définitive  apparaît.  L'hôte  meurt  et  son  corps  ressemble  à  un  kyste 
plein  de  sporules  vertes  (Wright). 

On  a  trouvé  des  algues,  du  groupe  des  Trentepohliacées,  vivant  en  parasites  sur  les 
poils  de  Mammifères  :  les  Paresseux  (A.  Weber  van  Bosse.  Étude  sur  les  Algues  parasites 
des  Paresseux;  Natuurh.  Verhandl.  Hollandsche  Maatsch.  der  Wetensch.,  t.  y,  fasc.  3, 
Haarlem,  1887.) 

Dans  la  couche  cellulaire  recouvrante  des  poils  des  Paresseux  [Bradypus  Cholœpus),  le 
Trichophilus  Welckeri  se  développe  en  compagnie  d'une  Cyanophycée  :  Cyanoderma.  Ce 
sont  là  plutôt  des  saprophytes  que  des  parasites,  car  elles  vivent  seulement  au  milieu  'des 
débris  épidermiques. 

Le  Cladophora  ophiophila  vit  sur  un  Ophidien  (Magnus  and  Wills.  Ueber  die  auf  der  sûss- 
ivasserschlange  Herpeton  tentaculatum,  aus  Bangkokin  Siam  ivachsenden Algeii ; Sitzungsber. 
Gesell.  Naturf.  Freaiide  zu  Berlin.  1882).  Les  Characium  Hookeri  et  Debaryanum  se  dévelop- 
pent sur  divers  Entomostracés.  L'Epicladia  (lustra  vit  en  parasite  sur  les  Flustres.  Le 
Dermatophyton  radicans,  Confervacée  étudiée  par  Peter  {Ueber  eine  auf  Thieren  schmara- 
tzende  Alge;  Tagebl.  d.  59  Vers,  deutsch.  Naturf.  in  Berlin,  1886)  et  voisine  des  Ulves,  se 
développe  sur  le  dos  d'une  tortue  :  Emys  Eiiropsea.  Mais  dans  ces  derniers  cas  peut-on 
même  parler  de  parasitisme?  L'algue  ne  profite-t-elle  pas  seulement  d'un  support  favo- 
rable à  son  développement,  sans  emprunter  en  rien  sa  nourriture  à  son  hôte,  ni  lui  être 
en  aucune  façon  nuisible? 

Ce  passage,  pour  ainsi  dire  insensible  de  la  vie  épiphyte  des  algues,  à  leur  vie  endo- 
phyte,  et  inversement,  nous  amène  à  dire  quelques  mots  des  algues,  hôtes  des  co- 
quilles fluviatiles  et  marines. 

Algues  calcivores.  —  Les  zoologistes  ont  signalé  depuis  longtemps  la  présence 
de  végétaux  perforants  dans  le  test  calcaire  des  Mollusques,  mais  l'étude  botanique  de 
ces  êtres  est  de  date  récente. 


ALGUES.  291 

De  Lagerheim  {Codiolum  pohjrhizum  n.  sp.;  Ofversigt  of  Kongle  Vetnskaps-Akadc- 
miens  Faerhandlinger,  1885,  n"  8,  p.  21,  Stockholm.  —  Note  sur  le  Mastlgocoleus; 
Notarisia,  1886,  n°  2,  p.  65),  a  décrit  le  premier  un  Codiolum,  et  un  nouveau  genre  de 
Sirosiphoniacées,  Mastigocoleus  testarum,  vivant  dans  l'épaisseur  des  coquilles  mortes. 
Ces  algues  abondent  sur  toutes  nos  côtes;  elles  sont  mêlées  le  plus  souvent  d'une  façon 
inextricable  à  d'autres  espèces  moins  connues,  dont  deux  ont  été  étudiées  par  Bornet  et 
Flahault  (Journ.  de  Bot.  de  Morot,  16  mai  1888).  Ces  auteurs  ont  montré  que  l'état 
chlorococcodoïde,  regardé  par  Lagerheim  comme  appartenant  au  cycle  de  Mastigocoleus, 
appartenait  à  un  genre  nouveau  :  Hyella.  Quant  au  Codiolum  poiri/Tiisum,  ce  serait  un  spo- 
range, appartenant  à  Gomontia  polyrfdza,  chlorosporée  filamenteuse  ayant  la  structure 
d'une  Siphonocladée. 

Le  Zygomilus  reticulatm  est  également  une  algue  perforante,  ainsi  que  le  Trichophitus 
Nenise,  décrit  plus  récemment  par  Lagerheim  {Ber.  deutsch.  bot.  Gesell.,  t.  x,  1892).  Voyez 
aussi  BoRNET  et  Flahadt,  Sur  quelques  plantes  vivant  dans  le  test  calcaire  des  Mollusques; 
Congrès  botanique  de  '/SS9. 

L'Hyella  fontana  est  une  algue  perforante  d'eau  douce  qui  perfore  les  coquilles 
à'Helix,  qui  ont  longtemps  séjourné  dans  l'eau.  Ou  la  trouve,  sur  ces  coquilles,  mêlée 
à  de  nombreux  filaments  d'une  autre  algue  perforante,  Plectonema  terebrans.lYoyez  pour 
la  description  de  cette  espèce  Journ.  de  Bot.  de  Morot,  1892,  n"'  15  et  16.) 

On  voit  par  là  que  les  algues  jouent  un  grand  rôle  dans  la  dissolution  des  coquilles 
calcaires  :  c'est  une  donnée  biologique  à  retenir,  et  il  serait  bien  intéressant  de  connaître 
le  mécanisme  chimique  de  la  dissolution. 

11  est  probable  que  ces  algues  excrètent  par  leur  thalle  quelque  acide  capable  de 
décomposer  le  carbonate  de  chaux,  et  peut-être  aussi  un  ferment  capable  d'hydrater 
la  trame  organique  de  la  coquille,  se  conduisant  en  cela  comme  certains  champignons 
entomophytes  dont  les  hyphes  peuvent  perforer  les  téguments  chitineux  des  insectes,  et 
peut-être  transformer  la  chitine  on  glycose. 

Les  sécrétions  acides  des  algues  calcivores  seraient  tout  à  fait  analogues  à  celles  des 
racines,  bien  connues  depuis  les  expériences  de  Sachs.  Peut-être  l'acide  carbonique 
dégagé  par  la  respiration  de  ces  algues  est-il  aussi  un  facteur  de  la  dissolution  du  car- 
bonate de  chaux.  Cette  dissolution  est  parfois  très  active.  Schimper  {Flora,  1864,  p.  509) 
a  rencontré  dans  plusieurs  lacs  de  la  Suisse  des  galets  calcaires,  percés  de  trous  nom- 
breux et  profonds,  leur  donnant  l'aspect  d'épongés  grossières;  ces  excavations  seraient 
dues  à  l'influence  d'une  algue,  Euactis  calcivora.  Ces  faits  sont  à  rapprocher  de  ceux 
qu'à  signalés  Gœppert  (Jahresb.  der  Schles.  Ges.  filr  Vaterl.  Cultur,  Breslau,  1859),  de  la 
décomposition  par  des  Lichens  de  diverses  roches  :  granit,  mica-schiste,  gneiss,  en 
caolin,  quartz  et  mica. 

Les  lichens  crustacés  attaquent  de  même  les  calcaires  qui  leur  servent  de  support,  le 
calcaire  leur  sertà  former  l'oxalate  de  chaux  qu'ils  contiennent  souvent  en  grande  quan- 
tité. Peut-être  serait-ce  à  l'algue  qu'il  faudrait  rapporter  les  phénomènes  de  corrosion 
produits  par  le  lichen  :  Verrucaria  conséquent,  si  on  admet  la  symbiose  algo-lichénique; 
dans  ce  cas  l'algue  serait  une  Cyanophycée. 

Les  phénomènes  de  la  corrosion  exercée  parles  algues  sur  les  calcaires  des  lacs  de 
Suisse  ont  été  étudiés  par  divers  auteurs.  A.  Bhaun  indiqua  comme  espèce  active  VEua- 
tis  calcivora  Kûtz.  spec.  Alg.,  p.  342;  Rabemhorst  en  étudia  une  autre  sous  le  nom  de  Zona- 
trichia  calcivora  [Flor.  Alg.  europ.,  p.  214).  La  première  de  ces  espèces  a  été  rapportée 
récemment  par  Borinet  et  Flahault  {Revis,  des  Nostocacées  héterocystées,  350)  à  Rivularia 
hxmatites  Ag.  Selon  ces  auteurs,  c'est  à  cetti;  algue  que  doivent  être  rapportées  un  grand 
nombre  de  formes,  observées  sur  des  calcaires  corrodés  en  divers  points  de  l'Europe. 
Signalons  encore  Hypheothrix  Zenkeri,  une  Schizophycée,  décrite  par  Bornemann,  corro- 
dant les  calcaires  de  Thiiringe.  Selon  cet  auteur  {Geolog.  Algenstudien ;  Jahrb.  Preuss. 
Geol.  Laudesanstalt,  1886)  des  algues  fossiles  érodaient  déjà  les  calcaires  à  des  époques 
géologiques  reculées,  il  a  observé  sur  les  calcaires  jurassiques  des  érosions  cju'il  attribue 
à  des  espèces  nommées  par  lui  :  Siphonema  incrustans,  Zonatrichites  lissaviensis,  Calci- 
nema  triasiuum. 

D'intéressantes  recherches  sur  les  algues  calcaires  viennent  d'être,  tout  récemment, 
faites  par  Cohn  {Schlesische  GescUsch.  fUr  vaterlàndische  Cultur,  1893,  Bot.  Sect.,  p.  19). 


292  ALGUES. 

Cet  auteur  a  étudié  les  érosions  de  calcaires  provenant  des  lacs  de  la  Suisse,  offrant  à  la 
surface  des  crêtes,  ressemblant  à  des  chaînes  de  montagnes,  entre-croisées  en  divers 
sens,  r^es  échantillons  extraits  du  fond  des  lacs  sont  recouverts  d'une  sorte  de  tuf,  tandis 
que  ceux  qui  éprouvent  nn  véritable  lavage  de  la  part  des  eaux,  ne  présentent  que  leurs 
reliefs,  avec  des  sillons  lisses  d'érosion.  Dans  la  masse  tuffeuse,  traitée  par  un  acide,  on 
trouve  les  débris  de  nombreuses  Diatomées  {Eunotia,  Epithemia,  Himantidium,  Navicula, 
Pinnularia,  Gubella,  Meloswa).  Des  filaments  de  Leptothrix  sont  mêlés  à  des  Rivula- 
riacées.  Ces  algues  dissolvent  le  calcaire,  d'où  les  érosions,  puis  s'entourent  d'un  tuf  pro- 
tecteur, dont  les  saillies  ressemblent  à  une  carte  en  relief  d'une  région  montagneuse. 

Bien  que  tout  ne  soit  pas  élucidé  dans  l'histoire  de  ces  algues  lacustres  calcivores,  il 
est  hors  de  doute  que  l'érosion  des  calcaires  est  due  à  l'action  de  Schizophycées,  Rivula- 
riacèes  et  Schizotrichées,  qui  adhèrent  à  la  roche  à  l'aide  de  leurs  hétérocystes  et  de 
leurs  cellules  basales,  tandis  que  les  fdaraents  verts  du  thalle  sont  dressés.  Il  est  intéres- 
sant de  remarquer  à  ce  propos,  qu'il  existe  une  différence  de  polarité  très  accentuée 
entre  les  deux  extrémités  des  filaments  du  thalle,  les  rhizoïdes  se  montrant  négativement 
héliotropiques,  tandis  que  l'autre  extrémité  l'est  positivement.  Il  semble  bien  en  effet  que 
cette  différence  de  polarité  doive  être  de  nature  héliolropique,  mais  on  ne  peut  afflrmer 
que  d'autres  forces  n'entrent  pas  en  jeu  pour  la  déterminer.  En  tous  cas,  au  point  de 
vue  chimique,  il  y  a  un  contraste  absolu  entre  les  deux  extrémités  d'un  même  filament. 
La  portion  basale  laisse  exsuder  un  acide  qui  dissout  le  calcaire  ;  celui-ci  est  absorbé  par 
le  filament,  dont  le  sommet  s'entoure,  en  faisant  repasser  la  chaux  à  l'état  de  nouvelle 
combinaison,  probablement  de  carbonate.  Ce  sel  forme  le  dépôt  qui  sépare  les  divers 
filaments  les  uns  des  autres. 

Parasites  des  Algues  —  Certaines  algues  sont  fréquemment  attaquées  par  des  Chy- 
tridinées.  Chez  les  Péridiniens,  que  les  travaux  les  plus  récents  tendent  à  faire  considé- 
rer comme  des  algues,  certains  de  ces  champignons  forment  des  corps  dits  endogènes, 
par  rapport  à  la  plante  parasite,  et  qui  avaient  été  regardés  par  certains  auteurs  comme 
appartenant  aux  Péridiniens,  alors  qu'ils  n'en  sont  que  des  parasites.  Nous  ne  pouvons 
que  renvoyer  pour  l'étude  de  cet  intéressant  sujet,  au  mémoire  de  Dangeaud  [Les  Péri- 
diniens et  leurs  parasites.  Journ.  de  Morot,  16  avril  1888). 

Le  genre  Chytridium  contient  de  très  nombreuses  espèces  parasites  épiphytes  des 
algues  qui  désorganisent  les  cellules  du  thalle  de  leur  boîte,  à  l'aide  de  sortes  de 
suçoirs.  Nous  ne  pouvons,  pour  ce  type  comme  pour  les  suivants,  entrer  dans  le  détail 
des  étirations  produites  par  le  parasite  sur  les  cellules  de  l'hôte.  (Voy.  A.  Braun. 
Abhandl.  d.  Berl.  Akad.,  183.^,  pp.  28,  183.  —  Schenk.  Verhandl.  d.  phys.  med.  Ges.  zur 
Wilrzburg.,  1857,  t.  vin,  pp.  236-242.  —No VAKOwsKi.Bertr.  z.  Kenntn.  d.  Chytridiacum;  Cohn's 
Beitr.  z.  Biol.  d.  P/l.  II.  —  Cohn.  Eedwigia,  1865,  12.) 

Les  Olpidium,  en  développant  leur  sporange  à  l'intérieur  des  cellules  de  diverses 
algues,  Closterium,  Vaucheria,  Antithamnion,  Bangia,  Harmidium,  Coleochalte,  semblent 
produire  une  cécidée,  caractérisée  par  le  développement  anormal  des  cellules  infestées. 
(Voy.  A.  Braun,  toc.  cit.  —  Kong.  Sitzungsber.  d.  Gesellsch.  naturf.  Freunde  zu Berlin,  21  nov. 
1871.  —  Magnus,  ibid.,  1873).  —  A  citer  encore  les  genres  Olpidiopsis,  Rozella,  Woro- 
ninia  (Corno.  Ann.  Soc.  nat.  5"  série,  t.  xv,  1872),  Rhizidium  (A.  Braun,  loc  cit.),  Chado- 
chytrium  (Novakowski,  loc.  cit.),  dont  l'action  sur  l'être  parasite  a  beaucoup  moins  pré- 
occupé le-*  auteurs  qui  les  ont  étudiés,  que  leur  développement  propre  et  leur  détermi- 
nation générique  et  spér-.ifique.  Certaines  Saprolignées  sont  également  parasites  des 
algues,  Pythium,  SnproUgnia,  Lagenidium,  Aphanomyces,  Achlyogetum,  Anglistes,  Sacca- 
podium.  (Voy.  Sche.nk.  Verhandl.  d.  phys.  med.  Gesellsch.  Wilrzburg,  nov.  1857,  t.  ix,  et  1 839, 
p.  398.  —  Pringsheiu.  Jahrb.f.  ivissensch.  Bot.  t.  i,  p.  289.  —  Lohde.  Verhandl.  d.  bot.  Sect. 
d.  47  Vers,  deuisch  Naturforsch.  Aerzte  zu  Breslau,  1874.  —  Walz    Bot.  Zeit.,  1870,  p.  537. 

—  De  Baby.  Pringyhnm's  Jahrb.,  t.  ii,  p.  179.  —  Pm7.Ën.Monatsbr.  d.  Berl.  Akad.,  mai  1872. 

—  Sarakin.  Hedwigia,  1877,  p.  88). 

On  ne  conn.-iîl  jusqu'à  ce  jour  qu'une  seule  zoocécidie  des  algues  ;  elle  est  produite 
sur  les  Vaucheria,  par  un  Rotifère,  Notommata  Verneckii.  Ce  parasite  détermine  sur 
V.  terrestris  une  véritable  galle,  étudiée  par  Balbiani  [Ann.  Se.  Nat.,  1878).  Ces  galles 
sont  dues  à  une  hypertrophie  des  filaments  de  la  plante,  qui  portent  les  organes  de  la 
ructifîcation.  11  3' a  souvent  formation  de  filaments,  que  l'on  pourrait  qualifier  d'adven- 


ALGUES.  293 

tifs,  sur  divers  points  de  la  surface  de  la  galle.  Les  jeunes  Notommates  sortent  des  galles 
et  vont  infester  de  nouveaux  filaments  de  Vaucheria ;  leur  sortie  s'efîectue  par  des  ouver- 
tures, se  produisant  spontanément  au  sommet  des  filaments  advenlifs,  ou  provoqués  par 
les  cornicules  du  parasite.  Le  Rotifère  présente  deux  périodes  dans  son  existence,  l'une 
de  vie  libre,  l'autre  de  vie  parasitaire  :  pendant  la  première,  il  est  vermiforme,  segmenté; 
pendant  la  seconde,  dilaté,  sacciforme,  non  segmenté,  et  à  maturité  sexuelle. 

Il  existe  une  similitude  de  structure  des  plus  singulières  entre  certains  parasites  des  ■ 
algues  et  leurs  plantes  nourricières,  similitude  si  grande,  que  pendant  longtemps  elle  a 
fait  méconnaître  la  nature  réelle  des  parasites.  Fait  encore  plus  curieux,  certains  d'entre 
eux  se  développent  constamment,  à  la  place  même  qu'occupent  normalement  les  véri- 
tables organes  reproducteurs.  Ces  végétations  parasitaires  désignées  par  les  algologues 
sous  le  nom  de  «  nématbécies  »  présentent  une  telle  ressemblance  avec  les  véritables 
cystocarpes  des  algues  parasitées,  qu'on  les  a  prises  fréquemment  pour  les  organes  repro- 
ducteurs. Il  y  aurait  donc  ici  production  parasitaire  d'un  pseudo-fruit;  production  com- 
parable, yjisgîf'à  certain  point,  aux  pseudo-fruits  déterminés  par  divers  êtres  galligènes, 
chez  les  Phanérogames.  Nous  ne  pouvons  que  signaler  cet  aperçu  des  plus  intéressants 
pour  la  physiologie  générale,  en  renvoyant  le  lecteur  aux  mémoires  ayant  trait  à  ce 
sujet  (ScHMiTz.  Knbllchenartige  Auswûckse  an  der  Sprossen  einiger  Florideen.  Bot.  Zeit.,  1892, 
n°  38.  — Lie  Gattung  Actinoeoccus. Flora,  1893.  —  Barton.  On  the  occurrence  of  Galls  in  Rho- 
clymenia  pabnata.  Journ.  of  Bot.,  mars,   1891.  —  Gomont.  Journ.  de  Bot.,  1"'  avril   1894). 

Dans  cet  intéressant  chapitre,  relatif  à  l'histoire  des  rapports  des  algues  avec  les 
autres  êtres  vivants,  nous  n'avons  fait  qu'effleurer  bien  des  points  qui  mériteraient 
d'être  examinés  en  détail.  Mais  nombre  d'entre  eux  appartiennent  plutôt  à  la  morpholo- 
gie qu'à  la  physiologie  proprement  dite;  d'ailleurs  combien  d'obscurités  encore  dans 
l'interprétation  biologique  des  faits  observés!  Nous  avons  surtout  tenu  à  exposer  des 
faits,  en  nous  gardant  d'entrer  sur  le  terrain  des  hypothèses  prématurées,  terrain  préféré 
de  tant  de  biologistes  modernes.  Bornons-nous  à  signaler  encore  dans  cet  ordre  d'idée 
un  sujet  très  peu  étudié  et  des  plus  attrayants  :  le  mimétisme,  qui  existe  dans  certains 
cas  entre  algues  et  animaux  (Voy.  Piccone.  Casi  di  mimetisma  tra  animuli  ed  Alghe;  Nuova 
Notarisia,  20  juillet  1892). 

La  plupart  des  types  animaux  qui  habitent  dans  la  mer  des  Sargasses,  au  milieu  de 
ces  algues  flottantes,  prennent  une  livrée  qui  les  dissimule  admirablement.  Certains 
poissons,  les  Syngnathes,  se  laissent  flotter  comme  des  frondes  mortes,  auxquelles  ils 
ressemblent  au  plus  haut  point.  Un  poisson  voisin  de  la  Tasmanie,  Phyllapleryx  folia- 
tus,  ressemble  aux  algues  à  thalle  déctiiqueté  au  milieu  desquelles  il  habite. 

Culture  des  Algues.  —  Nombre  de  recherches  physiologiques  pouvant  être  effectuées 
sur  les  algues,  il  peut  être  utile  pour  les  physiologistes  d'obtenir  des  cultures  pures  de 
ces  végétaux.  On  peut  cultiver  les  algues  dans  l'eau  distillée  (peut-être  ce  milieu  favo- 
riserait-il l'apparition  de  certaines  formes  du  cycle  évolutif  de  la  plante,  que  l'on  pourrait 
sans  exagération,  qualifier  d'involutives),  additionnée  d'une  petite  quantité  de  chlorure 
de  sodium.  Chodat  et  Malinesco  {Bullet.  de  l'herb.  Boissier,  1. 1,  1893,  n"  4,  p.  186)  ont  cul- 
tivé des  algues  vertes  dans  le  liquide  de  Nœgeli,  dans  un  milieu  additionné  de  maltose, 
d'un  sel  ammoniacal  et  de  fer.  L'eau  alcaline  (de  Vichy)  leur  a  paru  être  le  milieu  le  plus 
favorable  pour  le  type  étudié  par  eux,  Sceneclesmits.  Beyerinck  {Culturversuche  mit 
zoochlorellen  Lichengonidien  und  anderen  niederen  A.lgen  :  Bot.  Zeit.,  189,0,  Jalirg.  48)  a 
employé  l'eau  gélatiuisée  à  8  p.  100,  additionnée  de  peplone  (0,8  p.  100),  d'asparagine 
(0,2  p.  100)  et  de  sucre  de  canne  (1  p.  100),  ou  l'eau  de  mer  additionnée  de  (juelques 
gouttes  d'une  décoction  de  malt. 

Pour  isoler  des  algues  vertes,  végétant  par  exemple  dans  les  eaux  croupissantes,  on 
suit  la  marche  ci-dessous.  On  l'ait  une  dissolution  de  gélatine  à  10  p.  100  dans  de  l'eau 
de  fossé  bouillie.  Ce  liquide  est  ensemencé  avec  une  goutte  d'eau,  contenant  en  suspen- 
sion des  algues  à  cultiver,  puis  étendu  sur  des  plaques  de  verre,  où  il  se  prend  en 
masse  par  refroidissement.  Dans  ce  milieu  si  pauvre  en  matières  azotées  et  phosphatées, 
les  Bactéries  ne  se  développent  que  très  mal,  et  ne  liquéfient  la  gélatine  qu'assez  tard, 
pour  qu'on  puisse  conserver  des  cultures  pendant  des  semaines.  On  obtient  ensuite  une 
culture  pure,  par  ensemencement  sur  nouvelle  gélatine. 

Pour  la  culture  de  ses  Ghlorella,  Beyerinck  emploie  la  gélatine  additionnée  de  pep- 


29^  ALIMENTS. 

tone,  d'asparagine  et  de  saccharose,  ce  dernier  corps  peut  être  remplacé  par  du  glucose 
ou  du  maltose.  (Beyerinck,  Berkht  ùber  meine  Kiilturen  niedere  Algen  aiif  Nàhrgelatine. 
Centralbl.  f.  Bak.  u.  Parasitenkiinde,  1893.) 

Au  bout  de  quelques  jours  d'ensemencement,  un  liquide  clair  se  sépare,  en  même 
temps  que  s'effectue  un  dépôt  de  Chlorella;  on  décante,  et  ce  dépôt  peut  être  mêlé  à  de  la 
gélatine,  puis  étendu  sur  plaques,  qu'il  colore  en  vert  plus  ou  moins  intense. 

Pour  obtenir  des  cultures  dans  des  milieu,';  liquides,  on  dissout  2  grammes  de  gélatine 
dans  iOO  grammes  d'eau,  et  on  ajoute  un  peu  de  poudre  de  pancréas.  On  met  digérer  le 
mélange  à  l'étuve  à  40°,  pendant  12  heures,  puis  ou  porte  à  l'ébullition,  et  on  filtre.  Le 
liquide  ainsi  obtenu  est  jaunâtre,  s'il  contient  des  spores  de  Bactéries;  un  nouveau  séjour 
à  l'étuve  à  40°  détermine  la  germination  des  spores,  et  on  les  tue  plus  facilement  à  cet 
état  par  une  nouvelle  ébullition.  D'ailleurs,  la  présence  des  Bactéries  peut  favoriser  le 
développement  de  l'algue,  par  peptonification  des  aibuminoïdes,  qui  deviennent  directe- 
ment assimilables  pour  l'algue. 

D'ailleurs  l'optimum  de  température  pour  le  développement  des  Bactéries  est  entre 
40°  et  30°,  tandis  qu'il  est  pour  les  algues  aux  environs  de  20°;  en  maintenant  les  cul- 
tures au  voisinage  de  20°,  les  Bactéries  ne  se  développent  que  lentement.  Si  on  veut 
expérimenter  sur  la  décomposition  deCO-,  il  suffit  d'ajouter  au  milieu  nutritif!  à  2  p.  100 
de  glucose  et  de  la  levure  :  Mycoderma  Sphxromyces,  par  exemple,  qui,  en  présence  de 
l'oxygène,  décompose  le  glucose  en  acide  carbonique  et  eau. 

On  a  cultivé  des  Spirogyres  dans  des  solutions  d'acide  citrique  à  0,004  p.  100  (Migula. 
Ueber  den  Einfluss  stark  verdiXnnter  Saurelôsimgen  auf  Algenzellen,  p.  29,  fig.  6).  Mais, 
dans  cette  solution,  l'algue  prendrait  certains  caractères  anormaux,  en  particulier  elle 
développerait  des  rhizoïdes,  organes  qui  ne  se  différencieraient  pas  dans  les  conditions 
ordinaires.  Cependant  ces  rhizoïdes  ont  été  retrouvés  depuis  dans  des  Spyrogyres  pous- 
sant dans  des  eaux  agitées  par  des  l'emous.  L'influence  tératogénique  de  ce  milieu  acide 
de  culture  n'est  donc  pas  prouvée. 

Pour  la  culture  artificielle  des  Diatomées,  voir  Miquel  [Le  Diatomiste,  1892-93;  C.  R. 
t.  cxiv,  28  mars  1892). 

La  culture  des  Nostocs,  au  moins  de  certaines  espèces,  aurait  réussi  entre  les  mains 
de  quelques  expérimentateurs  (Sauvageau,  C.  fi.,  1892,  p.  322). 

Il  est  facile  de  cultiver  dans  les  laboratoires  des  algues  vertes,  dont  les  filaments 
peuvent  être  précieux  pour  l'étude  de  diverses  questions  de  physiologie.  Voici  le  procédé 
recommandé  par  Sachs  {Vorl.  ùber  Pflanzen-PhysioL,  p.  342)  et  qui  réussit  bien  pour  la 
culture  des  Spirogyres. 

Celles-ci  sont  maintenues  dans  des  vases  peu  profonds,  opaques  ou  entourés  de  pa- 
pier noir,  car  la  lumière  latérale  est  très  nuisible  à  ces  algues.  Le  liquide  de  culture 
peut  être  de  l'eau  de  source  pauvre  en  sels  calcaires,  à  laquelle  on  ajoute  de  temps  en 
temps  quelques  morceaux  de  tourbe  bouillis  et  imbibés  de  la  solution  nutritive  suivante: 

Nitrate  de  potasse ' .    .        1   gramme. 

Chlorure  de  sodium .        0  gr.  30 

Sulfate  de  chaux 0  gr.  SO 

Sulfate  de  magnésie 0  gr.  50 

Phosphate  de  chaux  |iulv,':-i-é.    ...         0  gr.  50 

Eau  .  _. 100  cent,  cubes. 

Il  ne  se  dissout  que  des  traces  de  phosphate  de  chaux.  Dans  ces  conditions,  les  Spiro- 
gyres, et  en  général  les  algues  d'eau  douce  se  développent  rapidement. 

F.  HEIM. 

ALIMENTS.  —  Définition.  —  I.  La  notion  d'aliments,  au  point  de  vue  de 
la  connaissance  vulgaire,  est  claire;  mais  la  définition  scientifique  n'en  est  pas  facile. 
L'aliment,  c'est  une  substance  chimique  que  l'être  vivant  emprunte  au  milieu  ambiant 
pour  vivre.  Mais,  quand  il  faut  préciser  et  caractériser  cet  emprunt,  la  difficulté  appa- 
raît. Aussi  les  auteurs  ne  sont-ils  pas  d'accord  sur  l'extension  à  donner  au  mot  aliment. 
En  effet,  la  plupart  des  physiologistes  ne  comprennent  pas  l'oxygène  comme  un  aliment; 
mais  il  nous  paraît  qu'ils  ont  tort  de  faire  cette  exception;  car  l'oxygène  est  une  subs- 


ALIMENTS. 


295 


tance  destinée  évidemment  à  la  nutrition  de  l'être;  et  par  conséquent  à  son  alimen- 
tation. De  là  la  nécessité  de  donner  à  la  définition  du  mot  aliment  assez  d'étendue  pour 
que  l'oxygène  y  soit  compris. 

De  même,  quand  on  définit  l'aliment,  il  faut  songer  aussi  aux  organismes  végétaux, 
ijui  se  nourrissent  et  s'accroissent,  et  qui,  par  conséquent,  ont,  tout  comme  les  orga- 
nismes animaux,  besoin  d'aliments. 

Aussi  toute  définition  qui  ne  s'applique  qu'aux  animaux  nous  paraît-elle  défec- 
tueuse. 

Voyons  d'abord  quelques  définitions  anciennes.  A.  Milne  Edwards  (cité  par  Bérard, 
T.  P.,  t.  1,  p.  5So)  dit  :  substances  qui,  introduites  dans  l'appareil  digestif,  servent  à  l'en- 
Iretien  de  la  vie. 

Cette  définition  est  bien  incomplète,  et  celle  de  Bérard  {ibid.)  ne  l'est  pas  moins  : 
substances  qui,  introduites  dans  l'appareil  digestif,  vont  ultérieurement  réparer  les  par- 
ties solides,  et  solidifiables,  ou  extractives,  du  sang,  et  concourent  ainsi  à  l'entretien  de 
la  vie. 

Le  tort  de  ces  deux  définitions,  c'est  qu'elles  supposent  l'introduction  dans  le  système 
digestif.  Or  l'absorption  parle  tube  digestif  n'est  pas  nécessaire.  Par  exemple,  on  conçoit 
que  des  injections  péritonéales  ou  sous-cutanées  de  bouillon  ou  de  lait  puissent  être  ali- 
mentaires et  servir  à  la  nutrition. 

Claude  Bernard  dit  que  la  délimitation  entre  l'aliment  et  le  poison  est  impossible  à 
faire  (Subst.  toxiques  et  médicamenteuses,  1857,  p.  38).  Toutefois  il  essaye  de  les  distinguer 
en  disant  que  les  aliments  sont  des  substances  nécessaires  à  l'entretien  des  phénomènes 
de  l'organisme  sain,  et  à  la  réparation  des  pertes  qu'il  fait  constamment.  C'est  une  défi- 
nition très  générale,  certainement  meilleure  que  les  précédentes.  Elle  [a  le  grand  avan- 
tage de  s'appliquer  à  la  fois  aux  végétaux  et  aux  animaux,  et  de  permettre  de  ranger 
l'oxygène  parmi  les  aliments.  Cependant  elle  est  peut-être  un  peu  trop  longue  pour  une 
définition  qui  doit  toujours  être  courte  et  claire. 

Oré  {Dict.  méd.  chir.  prat.,  art.  Aliments)  définit  l'aliment  :  toute  substance  solide  ou 
iquide  qui,  après  avoir  subi,  dans  l'appareil  digestif,  l'infiuence  modificatrice  des  diffé- 
rents sucs  avec  lesquels  elle  se  trouve  en  contact,  devient  apte  à  réparer  les  pertes  de 
l'organisme,  et  |Concourt  ainsi  à  son  entretien  et  à  son  développement. 

Dans  ce  même  article  aliments,  Oré  rapporte  encore  d'autres  définitions  de  Bhachet, 
de  CoRvisART,  de  Magendie.  Elles  sont  toutes  également  fautives,  ni  meilleures  ni  pires 
que  celles  d'ÛRÉ. 

Voit  {H.  H.,  t.  vi,  p.  330)  appelle  aliments  toutes  substances  qui  apportent  un  élément 
nécessaire  à  la  constitution  de  l'organisme,  ou  qui  diminuent  (ou  empêchent)  sa  dénu- 
trition. 

C'est  là  une  définition  très  vaste,  mais  bien  obscure,  et  qui  a  cet  avantage  d'intro- 
duire la  notion  nouvelle  des  aliments  d'épargne,  dont  il  faut  tenir  compte  dans  toute 
défînilion  complète. 

D'après  Viault  et  Jolyet  (T.  P.,  p.  116),  les  aliments  sont  les  matières  premières  qui 
servent  à  la  fabrication  des  matériaux  de  rénovation  de  l'organisme. 

Lanolois  et  de  Varigny  (T.  P.,  p.  23)  disent  que  les  aliments  sont  les  combustibles 
nécessaires  à  l'entretien  de  la  machine  animale,  à  sa  production  de  chaleur  et  de  force. 
Mais  c'est  là  une  définition  incomplète;  car  l'eau  et  le  chlorure  de  sodium,  qui  ne  sont 
pas  des  combustibles,  sont  cependant  à  coup  sûr  des  aliments. 

Duclaux  (A)Hi.  Inst.  Pasteur,  1890),  examinantà  propos  d'un  cas  particulier  l'extension 
qu'il  convient  de  donner  au  mot  aliment,  est  amené  à  en  poser  la  définition  suivante  : 
«  Est  réputé  aliment  tout  ce  qui  contribue  à  assurer  le  bon  fonctionnement  de  l'un 
quelconque  des  organes  d'un  être  vivant  »  (p.  7o0),  et  il  en  conclut  que  l'alcool  est 
un  aliment,  «  ...  par  cela  seul  qu'il  peut  servir  dans  certaines  conditions  à  exciter  l'ac- 
tivité cérébrale  ».  Mais  à  l'envisager  ainsi,  une  pareille  définition  apparaît  évidemment 
comme  trop  large;  toute  la  thérapeutique,  comme  toute  l'hygiène,  y  seraient  com- 
prises. 

Enfin  LiTTRÉ  (Bief,  de  la  langue  française,  art.  Aliments,  p.  107,  t.  i)  définit  l'aliment  : 
matières,  quelle  qu'en  soit  la  nature,  qui  servent  habituellement  ou  peuvent  servir  à  la 
nutrition. 


290  ALIMENTS. 

De  fait,  une  déflnition  irréprochable  de  l'Aliment  ne  peut  être  donnée;  car  l'emploi  du 
mot  aliment  implique  la  connaissance  des  phénomènes  de  la  nutrition,  et  le  mot  de 
nutrition  est  par  lui-même  extrêmement  vague. 

D'abord,  entre  poison  et  aliment  la  délimitation  est  impossible.  Le  chlorure  de  sodium 
est  un  aliment;  mais,  si  la  dose  ingérée  est  trop  forte,  il  y  a  une  véritable  intoxication. 
L'oxygène  est  un  aliment;  mais,  s'il  pénètre  à  dose  trop  forte,  c'est-à-dire  avec  une  pres- 
sion de  cinq  atmosphères,  il  devient  toxique.  Donc  un  aliment  peut  devenir  un  poison. 

D'autre  part  certaines  substances,  comme  l'alcool  par  exemple,  en  diminuant  la  com- 
bustion des  matériaux  de  l'organisme,  sont  vraiment  des  aliments,  quoique  par  eux- 
mêmes  ils  ne  puissent  se  fixer  sur  les  tissus,  ni  faire  partie  de  l'organisme  que  quand 
ils  ont  été  presque  complètement  transformés  par  combustion  et  oxydation. 

Mais  ce  sont  peut-être  là  des  subtilités,  et  une  définition  ne  peut  jamais  répondre  à 
toutes  les  critiques. 

Aussi  bien  nous  paraît-il  préférable  de  ne  pas  nous  attarder  sur  la  définition  même, 
et  nous  dirons  que  les  aliments  sont  des  substances  introduites  dans  l'organisme  pour  : 
1°  subvenir  à  ses  dépenses  en  forces  vives  ;  2°  fournir  des  matériaux  de  réparation  ou 
de  croissance,  s'il  y  a  lieu. 

C'est  en  somme  la  définition  de  Cl.  Bernard,  et  on  voit  que  l'oxygène  rentre  dans  la 
définition  de  l'aliment;  mais,  pour  nous  conformer  à  la  classification  habituelle,  qui 
est  excellente,  nous  laisserons  l'histoire  de  l'oxygène  à  la  respiration.  En  outre  nous  ne 
nous  occuperons  pas  des  aliments  nécessaires  aux  végétaux,  et  nous  n'étudierons  les 
aliments  qu'à  un  point  de  vue  plus  restreint;  substances  introduites  dans  les  organismes 
animaux  par  la  voie  digestive. 

Classification.  —  Les  classifications  anciennes  sont  défectueuses,  et  on  les  a,  à  bon 
droit,  abandonnées.  En  effet,  il  est 'peu  rationnel  de  diviser  les  aliments  en  respira- 
toires et  plastiques,  comme  Liebig  a  essayé  de  le  faire  ;  car  les  aliments  plastiques 
servent  aussi  à  la  respiration,  et  les  aliments  respiratoires  sont  aussi  des  aliments  plas- 
tiques. 

De  même  les  termes  d'aliments  d'épargne,  ou  dynamogènes,  ou  thermogènes,  sont 
justement  délaissés,  car  tous  les  aliments  sont  plus  ou  moins,  suivant  les  conditions, 
dynamogènes  ou  thermogènes,  ou  d'épargne.  On  est  donc  convenu  de  les  classer  d'après 
leur  constitution  chimique. 

On  a  alors  la  classification  suivante  : 

1"  Aliments  ne  contenant  pas  de  carbone,  ou  inorganiques; 

2°  Aliments  contenant  du  carbone,  ou  organiques. 

Ce  second  groupe  comprend  une  première  subdivision: 
a.  Aliments  organiques  ne  contenant  pas  d'azote; 
p.  Aliments  organiques  contenant  de  l'azote. 

Le  groupe  a  se  subdivise  lui-même  en  deux  groupes  : 

a'.  Aliments  organiques  non  azotés  dont  l'hydrogène  et  l'oxygène  sont  dans  le  rap- 
port (en  volumes  gazeux)  de  2  à  1,  soit  des  hydrates  de  carbone; 

P'.  Aliments  organiques  non  azotés,  contenant  de  l'hydrogène  dans  des  proportions 
plus  grandes  (par  rapport  à  l'oxygène)  que  dans  les  hydrates  de  carbone  :  ce  sont  les  Ali- 
ments gras. 

Le  groupe  (5  est  constitué  par  les  substances  azotées,  dont  les  unes  a"  sont  cristallisa- 
bles,  et  dont  les  autres  p"  sont  colloïdes. 

En  somme  les  aliments  se  classent  ainsi  : 

A.  sans  carbone,  non  organiques. 

B.  avec  carbone,  organiques. 

a  sans  azote. 

a'  hydrates  de  carbone. 

p'  corps  gras, 
p  avec  azote. 

a"  non  albuminoides. 
P"  albuminoïdes. 

Si  simple  que  soit  celte  classification,  elle  n'est  cependant  pas  suffisante;  elle  est  trop 
théorique,  car  des  matières  chimiques,  isolées  et  définies,  ne  sont  que  rarement  intro- 


ALIMENTS.  297 

duites  dans  l'organisme  sous  celte  forme.  Presque  toujours,  les  aliments  ingérés  con- 
stituent des  espèces  chimiques  multiples,  extrêmement  diversifiées,  et  il  semble  même 
que  cette  variété  soit  une  des  conditions  d'une  alimentation  saine  et  agréable. 

Dans  l'alimentation  naturelle  de  l'homme,  existent  seulement  deux  substances  miné- 
rales qui  soient  des  corps  chimiques  :  H'''0  et  NaCI.  L'industrie  et  la  civilisation  n'ont 
guère  introduit  en  fait  de  substance  organique  séparée  à  Kétat  sensiblement  pur  que  le 
sucre  de  canne. 

Le  plus  souvent,  en  effet,  nous  employons  pour  nous  nourrir  des  tissus  végétaux  ou 
animaux,  tous  très  complexes  quant  à  leur  composition.  Le  lait,  l'œuf,  la  viande,  le 
blé,  etc.,  sont  des  aliments  composés  qui  contiennent  tous  les  aliments  simples. 

De  là  la  nécessité  d'étudier  d'abord  les  aliments  simples,  puis  les  aliments  composés. 

Alimentation  moyenne  du  Parisien  adulte.  —  Mais,  avant  d'entreprendre  cette 
étude  systématique,  nous  allons  tout  d'abord  essayer  de  poser  le  relevé  statistique  de 
la  consommation  d'un  sujet  donné.  C'est  une  dérogation  au  plan  théorique  que  nous 
voulons  suivre;  mais  nous  pourrons,  grâce  à  ce  tableau  qui  nous  servira  d'exemple, 
poursuivre  d'une  façon  moins  abstraite  l'étude  de  chacun  des  groupes  chimiques 
d'Aliments. 

Il  nous  parait  convenable  de  prendre  comme  type  l'homme,  et  plus  précisément 
l'homme  adulte  des  villes  d'Europe.  C'est,  en  effet,  sans  comparaison  possible,  le  sujet  sur 
lequel  a  été  rénni  le  plus  grand  nombre  de  renseignements;  nous  ne  trouverons  encore 
que  trop  de  lacunes  dans  les  documents  qui  le  concernent. 

Un  relevé  de  cette  nature  portant  sur  un  nombre  considérable  d'individus  peut  donc 
être  regardé  comme  très  exact,  par  rapport  aux  moyennes  individuelles. 

Nous  allons  essayer  de  le  faire  pour  l'habitant  de  Paris. 

Pour  cela  nous  empruntons  quelques  données  à  la  Statistique  municipale  de  la  Ville 
de  Paris,  à  l'Annuaire  statistique  de  la  France  et  aux  Documents  sur  les  falsifications  de  la 
Préfecture  de  police  de  Paris. 

Voici  d'abord  pour  la  plupart  des  aliments,  sauf  le  pain,  les  quantités  de  matières  in- 
troduites à  Paris,  et  par  conséquent  consommées  (la  réexportation  était  insignifiante)  en 
1890  : 

Bœuf,  veau,  mouton 132  106  6S0  kilogrammes. 

Porc   et  charcuterie 27  372  442  — 

Cheval 4116400  — 

Volaille  et  gibier 26  791  974  — 

Fraises,  champignons,   etc 1076  663  — 

Cerises,   pois,   haricots 3  688  350  — 

Pommes,  poires,   pommes  de  terre 2  413  98a  — 

Lait 91  2SÛ  000 

Poissons 23  316167  — 

Œufs 22  324103  — 

Beurres 19  932181  — 

Fromages  secs 726U89  — 

Fromages   mous S7  000  000  — 

Ce  chiffre  est  évidemment  inférieur  à  la  réalité;  car  nombre  de  fruits  et  de  légumes 
sont  introduits  à  Paris  sans  passer  par  les  Halles  et  payer  de  droits  d'octroi.  Mais 
comme,  d'autre  part,  nous  ne  tenons  pas  compte  des  réexpéditions,  et  enfin,  comme,  dans 
cette  masse  de  substances  introduites  à  Paiis,  il  y  a  évidemment  des  produits  avariés, 
inutilisés,  gâchés  et  détruits,  il  s'ensuit  que,  d'une  manière  générale,  la  balance  s'équi- 
libre sans  doute  assez  bien,  et  que  ces   chiffres  peuvent  être  considérés  comme  exacts. 

Nous  devons  y  ajouter  les  huiles,  vins,  alcools  et  boissons  diverses  : 

Vins 447  446  684  litres. 

Alcools 17  046  609      — 

Cidres 7  074  611      — 

Bières 27  338  389     — 

Huile    d'olive  ......  1  233  620      — 

Cela  posé,  évaluons  la  population  parisienne.  Évidemment,  il  ne  suffira  pas  de  faire 
une  division  par  le  chiffre  de  la  population;  car  il  y  a  des  enfants  et  des  femmes  qui 


298  ALIMENTS. 

consomment  moins  que  des  adultes, Tc'est-à-dire  précisément  ceux  dont  nous  voulons 
préciser  la  ration  alimentaire  naturelle. 

Nous  ferons  d'abord  cette  hypothèse  que  la  consommation  alimentaire  est  propor- 
tionnelle au  poids;  cela  étant  admis,  il  nous  est  facile  de  rapporter  à  la  consommation 
d'un  adulte  moyen  la  consommation  des  Parisiens. 

Pour  cela,  éliminons  d'abord  des  2  235  000  habitants  de  Paris  les  enfants  âgés  de 
moins  d'un  an,  qui  consomment  soit  du  lait,  soit  le  lait  maternel.  Cela  réduit  la  popula- 
tion à  2  177  000.  Mais  il  faut  de  ce  nombre  séparer  les  non-adultes,  ainsi  répartis  : 

Population  de  1  an  à  3  ans 207  000 

—  de  3  ans  à  10  ans 200  000 

—  de  10  ans  à  13  ans 188  000 

Total 393  000 

Restent  donc  1782  000  adultes  de  plus  de  quinze  ans,  dont  891000  femmes  et 
891 000  hommes.  Pour  simplifier,  nous  supposerons  qu'au-dessous  de  quinze  ans  la 
consommation  des  garçons  et  des  filles  est  la  même. 

Mais  la  différence  de  poids  entre  l'homme  et  la  femme  est  de  11  kilogrammes  en 
moyenne,  d'après  Quetelet  [Anthropométrie,  1870,  p.  346),  l'homme  pesant  66  kilogram- 
mes et  la  femme  oo  kilogrammes.  Par  conséquent,  la  proportion  de  la  ration  alimentaire 
doit  être  de  6,6  pour  l'hom.me  contre  o,.o  pour  la  femme.  Soit  100  celle  de  l'homme,  elle 
sera  égale  à  83  pour  la  femme. 

On  peut  donc  supposer  que  les  891 000  Parisiennes  adultes  consomment  comme 
891  000  X  0,83  Parisiens  adultes,  soit  en  chiffres  ronds  740  000. 

Les  enfants  de  1  an  à  3  ans  pèsent  12  kilogrammes,  en  moyenne  :  de  o  ans  à  10  ans, 
18  kilogrammes;  de  10  ans  à  15  ans,  30  kilogrammes.  Par  conséquent,  les  207  000  en- 
fants au-dessous  de  6  ans  consommeront  comme  40000  adultes,  les  200000  enfants  au- 
dessous  de  11  ans  comme  36000  adultes  et  les  188  000  enfants  au-dessous  de  16  ans 
comme  90  000  adultes. 

Tout  compte  fait,  la  valeur  de  la  population  représentée  par  des  hommes  adultes 
pourra  être  compte'e  de  la  manière  suivante  : 

Adultes 891  000 

Femmes 740  000 

Enfants 186  000 

1817  000 
Soit  en  chiffres  ronds.   .   .       1820  000 

Il  est  évident,  et  nous  n'avons  pas  besoin  d'insister  là-dessus,  que  ce  calcul  est  tout  à 
fait  approximatif;  que  nous  ne  tenons  compte  ni  de  la  nourriture  d'accroissement  des 
enfants  et  adolescents,  ni  de  beaucoup  d'autres  éléments;  car,  à  vrai  dire,  ils  se  com- 
pensent l'un  par  l'autre,  et,  vu  l'énormité  des  chiffres,  cela  modifierait  peu  la 
moyenne.  (Par  exemple  le  nombre  des  voyageurs  passant  par  Paris  est  compensé  par  le 
nombre  des  Parisiens  qui  ont  quitté  la  ville). 

Pour  faire  l'évaluation  par  jour  et  par  individu,  il  suffira  de  diviser  les  quantités  ali- 
mentaires introduites  par  363 x  1  817  000. 

Nous  aurons  ainsi  le  tableau  suivant  : 

gr.        En  chiffres  ronds. 

Bœuf,  veau,  mouton 230,0  230 

Porc  et  charcuterie 41,0  40 

Cheval 6,0  6 

Volaille  et   gibier 40,0  40 

Fraises,  etc 1,7  2 

Cerises,  etc 3,3  6 

Pommes,    etc 3,6  4 

Lait 140,0  140 

Poissons 39,0  40 

Œufs 33,0  33 

Beurres 30,0  30 


ALIMENTS.  299 

gr.         En  chiffres  ronds. 

Fromages  ' 26,0  25 

Vin 670,0  670 

Alcools 25,3  25 

Cidres 10,6  10 

Bière 40,0  40 

Huile  d'olive 1,8  2 

Dans  ce  calcul,  nous  ne  faisons  pas  intervenir  le  pain,  qui  joue  cependant  un  rôle  pré- 
pondérant dans  l'alimentation. 

D'après  la  statistique  municipale,  la  quantité  de  pain  consommé  a  été  par  habitant 
de  146  kilogrammes  en  un  an  ;  ce  qui,  en  ramenant  la  population  de2350000  à  1  820000, 
nous  donne  par  jour  et  par  habitant  adulte  le  chiffre  de  o20  grammes. 

Il  faut  aussi  modifier  d'autres  chiffres,  évidemment  erronés.  D'abord  le  chiffre  relatif 
au  vin  est  beaucoup  trop  faible,  car  les  femmes  et  les  enfants  en  consomment  relative- 
ment bien  moins  que  les  adultes.  Nous  pouvons  donc  le  porter  à  1  000  grammes,  et  nous 
serons  encore  au-dessous  de  la  vérité.  Quant  au  lait,  le  chiffre  est  un  peu  trop  fort,  car 
les  enfants  de  moins  d'un  an  en  prennent  des  quantités  parfois  considérables,  vu  que 
l'allaitement  maternel  ne  leur  suffit  pas.  On  peut  donc,  très  approximativement, 
admettre  le  chiffre  de  125  grammes. 

Une  omission  plus  grave  consiste  dans  l'évaluation,  très  inexacte,  des  légumes  con- 
sommés à  Paris.  Ainsi  nous  trouvons,  d'après  les  statistiques  officielles,  qu'il  n'est  entré 
que  pour  869  330  kilogrammes  de  choux,  carottes  et  pommes  de  terre,  ce  qui  ne  repré- 
sente pas,  par  habitant  et  par  jour,  beaucoup  plus  de  1  gramme.  Il  y  a  là  évidemment 
une  énorme  erreur  due  à  ce  que  les  pommes  de  terre,  par  exemple,  qui  ne  payent  pas 
de  droits  d'entrée,  vont  directement  chez  les  fruitiers  et  consommateurs  sans  passer  par 
le  carreau  des  Halles. 

De  même  pour  certains  autres  produits  de  consommation,  tels  que  le  sucre,  le 
riz,  etc. 

Nous  pouvons  cependant  à  peu  près  rétablir  cette  consommation  moyenne,  grâce  à 
l'admirable  livre  de  Husson  (Les  Consommations  de  Paris,  1856). 

Voici,  d'après  lui,  la  consommation  moyenne  annuelle  par  habitant  (vers  1834).  Nous 
admettons  comme  vraisemblable  que  le  régime  des  Parisiens  est  resté  le  même. 

Pâtisseries  diverses 4  750  grammes. 

Pâtes  et  farines 1 800  — 

Riz 1550  — 

Fécules   diverses 430  — 

Sucre  sous  diverses  formes 11935  — 

Fruits  divers,  raisins,  oranges,  fraises 232  000  — 

Pommes  de  terre 23  000  — 

Légumes  divers  frais 128  000  — 

Légumes  secs 8100 

Mais  HussoN  a  supposé  une  population  de  1  0S3  262  habitants,  alors  que,  pour  les 
raisons  données  plus  haut,  et  d'après  les  mêmes  calculs,  il  aurait  dil  rapporter  ces 
chiffres  à  811000  adultes.  Ses  chiffres  deviennent  alors,  pour  chaque  Parisien  adulte  : 

Par  an.  Par  jour.     Chiffres  ronds, 

gr.  gr-  gi-- 

Fruits  divers 300  000 

Légumes  frais  divers.    ,    .       166  000 

Légumes  secs 10  300 

Pommes  de  terre 32  500 

Sucre 13  600 

Pâtisseries 6173 

Pâtes  et  farines 2  350 

Riz 2  013  3,6 

Fécules    diverses 583  1,6 


820 

800 

435 

430 

28,3 

30 

88 

90 

43 

43 

17 

13 

6,3 

6 

1.  Calculé  en  froma.ore  sec. 


300  ALIMENTS. 

Les  chiffres  suivants  résument,  toutes  les  données  précédentes  : 

gv. 

Pain 520 

Viande  de   bœuf 230  ] 

Viande  de  porc 40  (  „„„ 

Volaille  et  gibier 40   | 

Poissons 40  / 

Lait 125 

Œufs 33 

F™>ts '^'"'   î   I  050 

Légumes  frais 450  j 

Légumes  secs 30 

Pommes  de  terre 90 

Riz  et  fécules 10 

Pâtes  et  pâtisseries.    ...  20 

Sucre 45 

Beurre 30 

Fromage 26 

Vin 700 

Huile  d'olive 12 

Cidres  et  bières   50 

Alcools 25 

Nous  aurons  souvent,  dans  le  cours  de  ce  travail,  à  tenir  compte  de  ces  différents 
chiffres.  Aussi  est-il  nécessaire  de  les  modifier  quelque  peu  afin  de  les  simplifier 
encore. 

D'abord  nous  réunirons  sous  une  même  rubrique  le  pain,  les  pâtes  et  les  pâtisseries; 
ce  qui  nous  donnera  le  chiffre  total  de  540,  que  nous  comprendrons  sous  la  rubrique 
Pain. 

Les  viandes  de  boucherie,'  volailles,  gibier,  charcuterie,  poissons,  peuvent  être  réu- 
nies sous  la  rubrique.  Viandes.  330  grammes.  Mais  ce  chiffre  est  trop  fort;  car,  dans  un 
kilogramme  de  viande  brute,  il  n'y  a  évidemment  pas  1  kilogramme  de  chair  muscu- 
laire ;  il  en  est  de  même  pour  toutes  les  autres  viandes  :  poissons,  homards,  poulets, 
lapins,  etc.  Mais,  la  plus  grosse  part  de  beaucoup  dans  le  total  étant  la  viande  de  bou- 
cherie, nous  calculerons  le  tout  de  la  même  façon,  c'est-à-dire  que  nous  retrancherons 
20  p.  100  pour  les  os.  La  viande  nette,  désossée,  deviendra  alors  280  grammes  par  tête 
d'adulte  et  par  jour. 

Le  chiffre  de  800  grammes  de  fruits  par  jour  paraît  certainement  un  peu  fort,  mais 
il  faut  songer  que  la  matière  nutritive  n'en  fait  qu'une  partie  minime.  Les  poires  et  les 
pommes,  qui  en  font  le  principal  élément(60p.  100),  sont  pesées  avec  latige,  les  pépins, 
l'épiderme,  qui  constituent  moitié  au  moins  du  poids  total.  Daus  les  melons,  les  poti- 
rons, les  concombres,  il  n'y  a  pas  même  la  moitié  du  fruit  qui  est  alimentaire. 

Les  légumes  frais  sont  constitués  surtout  par  les  choux  (24  p.  100)  ;  les  carottes  (20  p.  100); 
les  oignons  etpoireaux  (16  p.  100);  les  salades,  oseilles,  épinards  (14  p.  100);  les  autres 
légumes  représentant  ensemble  seulement  23  p.  100  (artichauts,  asperges,  navets,  fèves, 
pois,  haricots,  champignons,  melons,  céleris,  tomates,  etc.).  Nous  pouvons  admettre  que 
les  déchets  et  les  épluchures  constituent  la  moitié  de  la  quantité  achetée  au  marché. 

Ainsi,  en  réunissant  les  légumes  et  les  fruits  sous  une  rubrique  commune,  nous  pou- 
vons prendre,  au  lieu  du  chiffre  total  de  1  230  grammes,  la  moitié  seulement  de  ce 
chiffre,  soit  600  grammes  environ. 

Nous  réunirons  l'huile  et  le  beurre,  comme  étant  deux  aliments  très  analogues  par 
la  constitution  chimique,  malgré  l'extrême  différence  de  l'origine;  soit  40  grammes  en 
chiffres  ronds. 

De  même,  pour  simplifier,  les  pommes  de  terre,  riz  et  fécules  seront  assimilés,  de 
manière  à  donner  le  chiffre  rond  de  100  grammes. 

Enfin,  pour  le  vin,  nous  supposerons  que  les  alcools,  les  cidres  et  les  bières  sont 
consommés  sous  forme  de  vin,  ce  qui  nous  permettra  d'établir  le  chiffre  moyen  de 
1  000  grammes  par  jour  de  vin,  chiffre  que  nous  croyons  très  proche  de  la  vérité. 

Finalement,  il  nous  restera,  en  chiffres  ronds  : 


ALIMENTS.  301 

Tableau   A. 

Pain  et  pâtes SaO  grammes 

Viande  désossée 280  — 

Lait 125  — 

Œufs 35  — 

Fruits  et  légumes  frais 600  — 

Légumes  secs 30  — 

Pommes  de  terre,  riz  et  fécules.    .    .    .  100  — 

Sucre 45  — 

Fromage 25  — 

Bourre  et  huiles 40  -^ 

Vin  et  alcools 1000  — 

C'est  d'après  ce  tableau  que  nous  chercherons  à  reconstituer  la  ration  moyenne  d'un 
Parisien  adulte. 

Aliments  minéraux.  —  Les  corps  simples  de  la  chimie  que  l'on  trouve  comme  par- 
tie intégrante  des  êtres  vivants  et  circulant  en  eux  sont  : 

Le  carbone,  l'hydrogène,  ['oxygène,  l'azote,  le  soufre,  le  phosphore,  le  chlore,  le  fluor,  le 
silicium,  le  potassium,  le  sodium,  le  calcium,  le  magnésium,  le  fer,  le  manganèse  '. 

L'oxygène  est  le  seul  de  ces  corps  qui  pénètre  dans  l'organisme  pour  y  jouer  un  rôle 
à  l'état  de  corps  simple.  Cette  substance  mérite  d'ailleurs  à  tant  d'égards  une  place  à 
part  que  son  étude  ne  peut  être  faite  ici;  nous  renverrons  aux  articles  Oxygène,  Respi- 
ration et  Sang. 

Les  autres  forment  entre  eux  des  combinaisons  organiques  ou  non  organiques. 

Eau.  —  Parmi  les  composés  inorganiques  nous  rencontrons  en  premier  lieu  l'eau. 

L'eau  constitue  une  partie  pondéralement  considérable  des  organismes.  Le  corps  d'un 
homme  adulte  contient  environ  63  p.  100  d'eau  (Voit). 

Pour  les  divers  tissus  du  corps  de  l'homme,  voici  les  proportions  d'eau,  d'après  Bis- 
CHOFF  (cité  par  Voit,  H.  H.,  t.  vi,  p.  346). 

Sang 83,00  |  Intestins 74,54 

Reins 82,68  |  Peau 72,03 

Cœur 79,21  |  Foie 68,25 

Poumons 78,96  i  Nerfs 58,33 

Rate 75,77  |  Graisse 29,92 

Muscles 75,67  I  Os 22,04 

Cerveau 74,84  I 

Les  tissus  des  jeunes  animaux  sont  plus  aqueux  que  les  tissus  des  vieux,  d'après 
Bezold  (cité  par  Voit,  loc.  cit.),  qui  a  fait  l'expérience  sur  des  souris; 

Souris  embryon 87,15 

Souris   à   la   naissance 82,53 

Souris  de  huit  jours 76,78   s 

Souris  adulte 70,81 

Selon  que  l'animal  est  gras  ou  maigre,  la  proportion  d'eau  qu'il  contient  est  très  dif- 
férente ;  les  animaux  gras  sont  beaucoup  moins  riches  en  eau  que  les  autres.  Tous  les 

« 

1.  Cette  liste  n'est  certainement  pas  complète.  Les  études  de  chimie  biologique  n'ont  porté 
encore  que  sur  un  nombre  relativement  très  restr^^int  d'espèces  animales  ou  végétales,  et  il  est  pos- 
sible que  les  progrès  de  ces  études  montrent  d'autres  corps  jouant  un  rôle  dans  la  nutrition 
d'autres  espèces.  Dans  l'état  actuel  de  nos  connaissances,  nous  pourrions  déjà  y  ajouter  : 

1°  Le  .zinc.  Dans  ses  recherches,  capitales  pour  la  biologie  des  êtres  inférieurs,  Raulin  a 
montré  le  rôle  considérable  que  joue  ce  métal  dans  la  végétation  de  V Aspergillus  niger,  sa  sujipres- 
sion  dans  le  liquide  nutritif  diminue  des  9/10  la  quanlité  de  tissus  formés;  il  n'eu  faut  d'ailleurs 
qu'une  quantité  tout  à  fait  minime  (1/51)  000)  pour  donner  à  la  végétation  toute  son  ampleur. 

2"  Le  brome  et  l'iode.  Ces  métalloïdes  existent  normalement  dans  les  tissus  des  plantes 
marines;  ils  existent  également  dans  les  tissus  des  poissons  de  mer,  comme  on  l'a  constaté,  par 
exemple,  en  étudiant  l'huile  de  foie  de  morue.  Berphelot  a  montré  qu'une  partie  au  moins  de 
l'iode  existe  dans  ce  dernier  cas  sous  forme  de  combinaison  organique  (Lambling,  Enc.  chim. 
t.  IX,  p.  31  et  suivantes). 

3»  Le  cuivre.  C'est  un  composant  normal  du  sang  des  céphalopodes;  il  y  joue  peut-être  le 
rôle  qui  est  dévolu  au  fer  dans  le  sang  des  vertébrés  (Fredericq.  C.  R.,  t.  Lxxxvii,  p.  996,  1878). 


302  ALIMENTS. 

chimistes  sont  d'accord  sur  ce  point.  Les  recherches  très  précises  de  Lawes  et  Gilbert 
(cités  par  GKAtf beau.  L'alimentation  de  l'homme,  iS^d,  p.  281  )  sont  confirmatives  à  cet  égard  : 

Proportion  d'eau  dans  le  corps  (p.  100). 

Porc  maigre 5S,1  j 

Porc   gras 41,3 

Mouton  maigre 57,3 

Mouton  demi-gras 50,2 

Mouton  gras 43,4 

Mouton  extra-gras 33,2 

Bœuf  demi-gras 51^5 

Bœuf  gras 45,5 

Les  parties  vivantes  des  plantes  contiennent  des  proportions  d'eau  encore  plus  consi- 
dérables. Si  nous  mettons  à  part  les  tissus  de  soutien  et  de  protection  (bois,  liège),  etc., 
et  les  organes  qui  sont  surchargés  de  réserves  féculentes  ou  sucrées  (tubercules,  fruits), 
nous  trouvons  des  proportions  d'eau  voisines  de  90  p.  100  et  pouvant  aller  iusqu'à  96 
p.  100.  On  en  trouvera  quelques  exemples  dans  la  liste  d'aliments  végétaux  que  nous 
donnons  plus  loin. 

La  circulation  de  l'eau  dans  les  êtres  vivants  est  très  active.  Les  plantes  en  vaporisent 
des  quantités  considérables.  Les  animaux  supérieurs  en  éliminent  par  quatre  voies  dif- 
férentes :  évaporalion  pulmonaire,  sueur,  urine,  eau  des  matières  fécales. 

Pour  remplacer  ces  pertes,  il  faut  une  alimentation  en  eau  assez  abondante. 

L'eau  est  ingérée  sous  plusieurs  formes;  non  seulement  dans  les  boissons,  mais 
encore  dans  les  aliments,  dits  solides,  qui  contiennent  tous  une  proportion  d'eau  consi- 
dérable, si  bien  qu'un  individu  se  nourrissant  exclusivement  d'aliments  dits  solides, 
comme  viande,  fromage,  œufs  durs,  pain,  etc.,  peut  continuer  à  excréter  de  l'eau.  Cette 
eau  rendue  dans  les  urines  et  dans  la  sueur,  a  une  triple  origine;  d'abord  l'eau  ingérée 
sous  forme  de  boissons,  puis  l'eau  contenue  normalement  dans  les  viandes,  le  pain,  le 
fromage,  les  œufs,  et  qui  est  mise  en  liberté  quand,  par  le  fait  de  la  digestion,  ces  ali- 
ments se  désaTè"ent  ;  et  enfin  l'eau  qui  resuite  de  la  combustion  de  l'hydrogène  contenu 
dans  les  hydrates  de  carbone,  les  albuminoïdes  et  les  graisses. 

Ainsi,  pour  rendre  de  l'eau  par  la  sueur,  l'exhalation  pulmonaire  et  l'urine,  il  n'est 
pas  nécessnire  d'mgérer  des  aliments  liquides. 

La  proportion  d'eau  contenue  dans  les  aliments  est  variable.  Voici  quelques  chiffres 
que  BïïNGE  {Cours  de  chimie  biologique,  p.  78)  a  extraits  du  recueil  d'analyses  de  Kônig 
{Chemieder  menschlichen  Nahrungs  und  Genussmittel). 

Eau  pour  100  parties. 

Raisins 78,0 

Pommes  de  terre 75,0 

Seigle 15,0 


Eau  pour  100  parties. 

Concombres 96,0 

Asperges 94,0 

Champignons S1,0 

Choux-fleurs 91,0 

Melons 90,0 

Choux 90,0 

Carottes 89,0 

Fraises 88,0 

Radis 87,Ti 

Oignons 86,0 

Framboises 86,0 

Pommes 85,0 

Poires 83,0 

Navets 82,0 


Pois 15,0 

Orge 14,0 

Farine  de  seigle 14,0 

Fèves 14,0 

Mais 13,0 

Farine  de  riz 13,0 

Farine  de  froment   ....  13,0 

Lentilles 12,0 

Amandes 5,4 

Noix 4,7 

Noisettes 3,8 


Pour  le  pain,  suivant  la  qualité,  la  teneur  en  eau  est  variable. 

En  voici  les  variations  d'après  Rivot  (cité  par  A.  Gautier;  art.  Nutrition  du  D.  W., 

t.  III,  p.  579). 

Pain   de   munition 50,86  ' 

Pain  de  ménage 47,00 

Pain  blanc  ordinaire 45,50 

Pain  blanc  des  collèges   ....  45,70 

1.  Ces  observations  sont  sans  doute  faites  sur  ta  mie. 


ALIMENTS. 


303 


Nous  trouvons  dans  Kônig  les  chilïres  de  diverses  observations  sur  des  pains  alle- 
mands (pain  de  froment),  la  proportion  d'eau  a  varié  de  47  à  30  p.  100;  elle  est  en 
moyenne  de  3o  p.  100. 

Les  moyennes  suivantes  sont  extraites  des  chiffres  donnés  dans  le  travail  récent  de 
M.  A.  Balland'  : 


Mie.  Croûte. 

Pains  de  munition  ordinaires  (1  500  gr.l 45  24 

Pains  ronds  de  1  kilogramme 41  19 

Pains  longs  de  1  kilogramme 44  19 

Pains  à  café  de  70  grammes 43  16 

Ainsi,  plus  un  pain  sera  riche  en  croûte,  moins  il  contiendra  d'eau.  En  fait,  la  pro- 
portion de  celle-ci  varie  pour  le  pain  total,  entre  30,7  p.  100  (pain  de  munition)  et 
30  p.  100  (pain  à  café). 

Le  pain  abandonné  à  l'air  perd  du  poids;  il  abandonne  de  l'eau  en  se  durcissant. 
Dans  une  observation  du  même  auteur,  faite  en  hiver,  un  pain  long,  pesant  1  060  grammes 
une  demi-heure  après  sa  sortie  du  four,  pesait  le  lendemain  i  048  grammes;  au  bout 
d'une  semaine,  982  grammes;  après  50  jours,  790  grammes;  il  avait  donc  perdu 
en  tout  270  grammes;  il  contenait  encore  à  ce  moment  13  p.  100  d'eau. 

Donnons  aussi,  d'après  A.  Gautier  (loc.  cit.),  la  composition  en  eau  des  céréales  : 


Orge  d'hiver.    .    . 
Blé 

.    .       13,0 
.    .       14,0 

Avoine 

Riz 

.    .       14,0 
.    .       14,4 

Seigle 

16,6 

n,7 

Sarrazin 

.    .       18,0 

La  farine  de  froment  contient  de  10  à  lo  p.  100  d'eau  (Kônig). 

A.  Balland  a  trouvé  {loc.  cit.),  dans  des  farines  fraîches,  de  12  à  14  p.  100. 

On  voit  par  ces  tableaux  qu'il  y  a,  au  point  de  vue  de  la  teneur  en  eau,  trois  grandes 
variétés  dans  les  aliments  végétaux. 

Ily  a  1°  les  végétaux  qu'on  peut  appeler  hydratés,  salades,  légumes  verts,  fruits,  etc., 
qui  contiennent  environ  85  p.  100  d'eau;  2°  les  végétaux  amylacés  qui  ne  contiennent 
que  lo  p.  100  d'eau  (blé,  riz,  fèves,  lentilles);  3»  les  graines  oléagineuses  (amandes  et 
noix)  qui  n'ont  que  5  p.  100  d'eau. 

Comme,  de  tous  les  aliments  animaux,  le  plus  important  est  la  viande,  de  très  nom- 
breuses analyses  ont  été  faites  de  la  composition  des  différentes  viandes  et  leur  teneur 
en  eau.  Nous  les  donnons  ici,  d'après  Dojardin-Beaumetz  [Clinique  thérapeutique,  t.  i, 
pp.  293-299). 


Bœuf  .... 
Veau  .    .    . 
Chevreuil  .    . 
Porc 

77,5 

73,7 

.       75,2 

70,7 

Berzéi.ius 
moleschott 

Poulet.   .    .    . 

77,3 

BiBRA 

Grenouilles   . 

.       80,3 

» 

Huîtres  .    .    . 
Moules    .    .    . 
Homard.    .    . 

.       80,4 
.       75,7 
.       76,6 

Payen 

Brochet  .    . 

.    .       84,0       Almen 

Morue.    .    . 

.       83,0 

Perche    .    . 

80,1 

, 

Carrelet .   . 

.       77,4 

Hareng  .    . 

.       73,2 

Maquereau. 

.       74,4 

Saumon.    . 

.       70,3 

j 

Anguille.    . 

53,0 

Hareng  salé 

.       42,6 

Morue    sèche 

.   .       12,3 

Enfin  la  proportion  d'eau  contenue  dans  les  boissons  est  variable,  et  nous  pouvons 
admettre  les  chiffres  suivants,  moyenne  générale. 


Vin  . 
Bière 


1.  Recherches  sur  les  blés,  les  farines  et  le  pain  (Paris,  Ch.  Lavauzelle,  1894). 


304  ALIMENTS, 

Pour  les  Aliments  d'origine  animale  autres  que  la  viande,  voici  quelques  chiffres 
(Kônig)  : 

Eau   p.  100. 

Lait 87 

Beurrcjde  Normandie 12  (Duclaux) 

Fromage  de  Brip 51  (Duclaux) 

Gruyère 34 

Œufs  de   poule 74 

Blanc  d'œuf 85 

Jaune  d'œuf 51 

Nous  pouvons  donc,  grâce  à  ces  données,  calculer  la  quantité  d'eau  que  contient  la 
partie  solide  de  notre  ration  type  : 

Tableau  B.  —  Eau  de  la  ration  alimentaire. 

EAU. 

Moyenne  p.  100.'  Quantité  contenue. 

dans  la  ration  alimentaire. 

550  grammes  pain 35  192 

280         —        viande 73  205 

35         —        œufs 74  26 

30         —        légumes  secs 14  4 

600         —        fruits  et  légumes  Irais.    ...       87  522 

100         —        féculents." 14  14 

45         —        sucre 2,5  1 

25         —         fromage 45  11 

40         —        beurre  et  huile 7  3 

ToT.\L ■            178 

Il  ne  faut  pas  oublier  en  outre  que  l'hydrogène  contenu  dans  la  molécule  des  diverses 
substances  alimentaires  doit  finalement  être  éliminé  en  totalité  sous  forme  d'eau.  La 
quantité  ainsi  formée  n'est  pas  négligeable.  Dans  notre  ration  type,  nous  trouvons  à  peu 
près  48  grammes  d'hydrogène,  qui  doivent,  en  se  combinant  à  384  grammes  d'oxygène, 
donner  432  grammes  d'H-0.  iNotons  en  passant  que,  sur  les  384  grammes  d'oxygène 
nécessaires  à  la  combustion  de  l'hydrogène,  nous  en  trouvons  déjà  283  dans  les  molé- 
cules chimiques  des  matériaux  de  la  ration.  Il  n'y  a  donc  que  dOO  grammes  d'oxygène  à 
emprunter  à  la  respiration  pour  fournir  ces  432  grammes  d'eau. 

Nous  trouvons  ainsi,  en  chiiïres  ronds,  une  somme  totale  de  1  400  grammes  d'eau 
auxquels  il  faut  ajouter  900  grammes  d'eau  contenus  dans  le  vin  de  la  ration  et 
100  grammes  dans  le  lait  de  la  ration,  soit  d  000  grammes  d'eau. 

Mais  ces  chiffras  sont  plutôt  théoriques  —  et,  d'riilleurs,  très  variables  suivant  les 
individus;  —  pour  connaître  les  quantités  d'eau  que  notre  ration  met  réellement  à  la  dis- 
position de  l'organisme,  il  faut  faire  les  deux  corrections  suivantes  : 

1°  Les  préparations  culinaires  que  nous  faisons  subir  aux  aliments  modifient  la 
proportion  d'eau. 

En  général,  d'après  les  recherches  inédites  faites  par  l'un  de  nous,  la  cuisine  diminue 
la  proportion  d'eau  de  23  et  même  SO  p.  dOO. 

2"  Dans  le  calcul  de  l'eau  fournie  par  l'hydrogène  de  la  ration,  il  faut  tenir  compte 
non  des  aliments  ingérés,  mais  des  aliments  réellement  absorbés  et  transformés.  Or  nous 
verrous  plus  loin  qu'une  notable  quantité  passe  avec  les  fèces  sans  avoir  subi  de  trans- 
formation'. 

En  chiffres  ronds,  la  ration  alimentaire  se  compose,  en  eau,  de  ti'ois  litres  d'eau,  dont  \  600 
grammes  sont  ingérés  en  eau  et  boissons,  d  000  grammes  en  eau  associée  aux  aliments;  et, 
vu  la  combustion  de  l'hydrogène  dis  alimenta,  l'élimination  quotHienne  d'eau  doit  se  faire  à 
raison  de  3  OOi)  grammes.  Le  résidu  sec  de  la  ration  alimentaire  s'élève  à  800  grammes. 

Cendres  des  aliments.  —  Les  autres  composés  in.irganiques  sont  étudiés  dans  les 
cendres  des  tissus  végétaux  et  animaux.  Il  faut  reconnaître  tout  d'abord  que  ce  mode 
d'analyse   ne   nous  donni  que  des  renseignements  très  défectueux   sur  la   façon  dont 

1.  Il  eu  résuUo  que  le  chiffre  de  2  400  (pour  2  410)  est  un  peu  trop  fort,  et  qu'on  pourrait  le 
réduire  à  2  300  ou  2  350. 


ALIMENTS. 


350 


s'agencent  les  uns  par  rapport  aux  autres  les  divers  aliments  dans  l'organisme.  La 
combustion  détruit  les  combinaisons  qui  existent  et  en  forme  d'autres. 

Ce  que  l'on  étudie  dans  les  cendres  sous  forme  de  sels  minéraux  provient  donc,  en 
partie  de  sels  minéraux  qui  pouvaient  être  différents  (par  exemple,  des  carbonates  alca- 
lins sont  transformés  en  sulfates  et  en  phosphates  avec  départ  de  l'acide  carbonique), 
en  partie  de  matières  organiques  (exemple  :  le  soufre  des  albuminoïdes,  le  phosphore 
des  nucléines  et  des  lécithines  sont  rendus  à  l'état  de  sulfates  et  de  phosphates). 

Cette  étude  est  pourtant  intéressante,  d'abord  à  défaut  d'une  autre  plus  exacte; 
ensuite  parce  que  la  combustion  vitale  arrive  à  des  résultats  qui  ne  sont  pas  très  diffé- 
rents de  ceux  du  creuset,  et  que  les  sels  de  l'urine  ressemblent  aux  cendres  des  aliments. 

Donnons  quelques  chiffres  relatifs  à  la  composition  des  différents  aliments  en  maté- 
riaux minéraux;  nous  verrons  ensuite  la  proportion  des  différents  sels  (de  soude,  de 
potasse,  de  chaux)  dans  ces  cendres. 

D'abord,  pour  les  végétaux,  voici  la  teneur  en  cendres  (moyennes  de  Kônir,  d'après 
un  très  grand  nombre  d'analyses  d'auteurs  divers). 


Proportions  centésimales  des  cendres  dans  les  végétaux. 


Haricots 3,G6 

Avoine 3,29 

Châtaignes 2,97 

Sarrasin 2,77 

Pois 2,68 

Orge 2,64 

Lentilles 3,04 

Seigle 2,06 

Épinards 1,94 


Froment . 
Mais  .    . 
Poires  . 
Choux  . 
Carottes 


1,78 
1,69 
0,31 
1,64 
1,02 


Laitue 

Pommes  de  terre 

Cerises 

Riz  (décortiqué) 

Oignons  

Haricots  verts 

Pommes 

Prunes     

Raisin 

Navets 

Pain 

Farine  do  froment  iîne   .    .    . 
—  grossière. 


1,03 

1,09 

0,73 

0,82 

0,70 

0,61 

0,49 

0,66 

0,53 

0,75 

0,661 

0,48 

0,96 


La  moyenne  de  ces  chiffres  est  de  ie',7r)  environ;  mais,  comme  la  base  de  l'alimen- 
tation végétale  est  le  pain  (avec  une  plus  faible  proportion  :  0,66),  on  sera  plus  proche 
de  la  vérité  en  adoptant  le  chiffre  de  l,bO  pour  exprimer  en  moyenne  la  proportion 
centésimale  des  matières  minérales  ingérées  avec  les  aliments  végétaux. 

Dans  les  boissons,  alcooliques  ou  autres,  la  proportion  de  matières  minérales  est  plus 
faible.  Nous  trouvons  en  effet  : 

Café  (infusion: 0,61  ' 

Vin   rouge 0,23 

Marsala 0,31 

Champagne 0,13 

Bière  allemande 0,22 

Bière  anglaise 0,27 

Thé   (infusion) 0,18 

En  moyenne,  pour  les  boissons,  0,2  de  matières  minérales. 
Quant  à  la  viande  et  aux  aliments  animaux,  nous  avons  : 

Jaune   d'œuf 1.7o 

Viande  de  bœuf 1,30 

Lait  de  vache 0,70 

Blanc  d'œuf. 0,71 

D'oti  il  suit  que  la  proportion  de  matières  minérales  est  un  peu  plus  faible  pour  les 
aliments  végétaux  que  pour  les  aliments  animaux. 

Voyons,  d'après  ces  chiffres,  quelle  peut  être  à  peu  près  la  quantité  de  matières  miné- 
rales que  comporte  la  ration  du  Parisien,  telle  que  nous  l'avons  déterminée  plus  haut  : 

1.  D'après  dix  analyses  rapportées  in  Documents  du  laboratoire  municipal,  1883,  p.  526. 

DICT.  DE  PHYSIOLOGIE.  —  TOME  I.  20 


306  ALIMENTS. 

Tableau  C.  —  Cendres  de  la  ration  alimentaire. 

Matières  minérales. 

550  grammes  pain  et  pâtes : 5,5 

280  —  viande 3,6 

125  —  lait 0,9 

35  -  œufs  / 0,4 

601)  —  fruits  et  légumes  frais 4,5 

30  —  légumes  secs 0,9 

100  —  pommes  de  terre,  riz,  fécules 1,0 

26  —  fromage 1,2' 

1000  —  Tin,  etc 2,3 

Total 20,3 

Mais  ce  chilïre  est  évidemment  trop  faible,  car  l'expérience  apprend  que  la  propor- 
tion de  matières  minérales  rendues  par  les  urines  le  dépasse  beaucoup.  Cette  contradic- 
tion s'explique  facilement.  A  nos  aliments  naturels  nous  ajoutons  une  certaine  quantité 
de  chlorure  de  sodium. 

D'après  A.  Gautier  (art.  Urines,  D.  W.,  t.  iv,  p.  .582),  la  quantité  moyenne  de  matières 
minérales  rendues  par  l'urine  en  vingjt-quatre  heures  serait  de  20^'', 19;  par  consé- 
quent égale  au  chiffre  total  de  nos  aliments  naturels.  Pourtant  des  quantités  appré- 
ciables de  matière  minérale  sont  éliminées  par  les  fèces  ou  la  sueur. 

D'après  Wehsarg,  la  quantité  moyenne  des  matières  fécales  chez  l'homme  serait  de 
131  grammes  environ  (cité  par  Schiitzenbergeh,  D.  W.,  art.  Excréments,  p.  1307);  avec 
3,5  p.  100  de  sels  minéraux  (Garnîer  et  Schlagdenhauffe.n',  Encijd.  chim.,  t.  is,  2«  sect., 
fasc.  2,  p.  344). 

Par  conséquent  la  moyenne  des  sels  minéraux  excrétés  par  les  fèces  serait  d'environ 
4Br,6;  chiffre  plutôt  faible,  car,  avec  une  alimentation  végétale,|les  excréments  sont  en 
bien  plus  grande  quantité. 

La  sueur  est  excrétée  en  quantité  très  variable.  Faute  de  documents  plus  précis, 
nous  évaluerons  à  750  grammes  de  liquide  la  quantité  de  sueur  produite  par  vingt- 
quatre  heures,  et  nous  prendrons  la  iUioyenne  de  cinq  analyses,  celles  d'ANSELsiiNO  (II), 
de  Favhe,  de  Schoffin  et  de  Fl'?<ke  (Gorup  Besanez,  Chimie  physiolog.,  trad.  franc.,  1880, 
p.  773). 

Sa  composition  moyenne  est  alors  (sur  1  000  grammes). 

Eau 990,90 

Matières  organiques 3,90 

Sels  minéraux 5,20 

Par  conséquent,  pour  730  grammes,  il  y  aurait  une  élimination  de  3,90;  en  .somme 
l'excrétion  totale  de  substances  minérales  serait  en  chiffres  ronds  : 

Urine. 20,20 

Sueur 4 

Fèces 4,00 

29,20 

Ce  nombre  dépasse  environ  de  10  grammes  la  quantité  de  sels  ingérés,  qui  se  trou- 
vent dans  les  aliments  naturels.  Par  conséquent,  c'est  une  addition  de  10  grammes  de 
matière  minérale  que  nous  faisons  chaque  jour,  en  mêlant  à  nos  aliments  une  certaine 
quantité  de  sel  marin. 

Le  besoin  de  sel  ne  s'explique  pas  facilement;  il  ne  semble  pas  que  ce  soient  les 
matières  minérales  dans  leur  ensemble  dont  la  somme  soit  trop  petite  ;  le  sel  de  cuisine 
ne  peut  en  effet  être  remplacé  par  aucune  autre  substance  minérale,  et  l'on  sait  que, 
dans  les  pays  privés  de  gisements  naturels  de  chlorure  de  sodium,  cette  substance  est 
très  recherchée,  et  monte  à  des  prix  élevés  si  les  conditions  du  commerce   en  rendent 

1.  Ces  sels  sont  dus,  presque  en  totalité,  au  chlorure  de  sodium  ajouté  pondant  la  fabrication 
car  les  sels  du  lait  restent  dissous  dans  le  petit-lait. 


ALIMENTS. 


:-;()7 


l'approvisionnement  difficile.  Notons  que  le  besoin  de  sel  marin  n'est  pas  spécial  à 
ITiomme,  que  les  herbivores  le  recherchent  avidement.  Mais  remettons  l'étude  de  cette 
question  jusqu'au  moment  o(i  nous  connaîtrons  la  composition  centésimale  des  sels 
minéraux  ingérés. 

Voici  la  composition  des  cendres  de  nos  aliments. 

1°  Aliments  animaux.  —  Viande.  —  Dans  leurs  laborieuses  recherches  sur  la  com- 
position des  corps  des  animaux  de  boucherie  Lawes  et  Gilbert  (cités  par  Grandeau,  loc. 
cit.,  p.  339)  ont  trouvé,  sur  100  parties  de  cendres  de  bœuf  (y  compris  les  os). 


4,41 

3,08 

Magnésit* 

Acidephosphatique.   .    . 
Chaux 

2,03 
.       46,02 
.       40,22 

Acide  sulfurique. 

Chlore 

Fe02 

C02 

SiO' 


1,24 
0,97 

i,<.n 

0,24 


Voici  la  composition  des  cendres  de  IsLviande  de  ôœw/' (d'après  Bdnge,  cité  par  Gahnier, 
Encycl.  chim.,  t.  ix,  p.  473)  pour  100  grammes  de  substance  fraîche. 

Potasse  ((K^O) 0,465 

Acide  phosphorique  (P-O^)  .   .    .  0,467 

Soufre 0,221 

Soude  (NaiO) 0,077 

Chlore 0,067 

Magnésie  (MgO) 0,041 

Chaux  (CaO) 0,009 

Fer  (Fe^O-') 0,006 

1 ,353 
KÔNIG  (t.  II,  p.    92)  donne  la   composition  suivante  pour  les  cendres  de  la  viande  de 
différents  animaux'. 


Minimum 

Maximum 

K*(). 

Na=0. 

CaO. 

MgO. 

Fe^os. 

P=0=. 

so=. 

Cl. 

SiO'. 

23,0 
48,9 
37,04 

25,0 
10,14 

o.:i 

7.5 
2,42 

1,'i 
4,8 
3,23 

0,3 
1,1 

OM 

36,1 
48,1 
41,20 

0,3 
0,98 

0,li  * 

8,4 

4,66 

0,69 

'  KoNic,  donne  9,G, 

faute  d'impression  év 

dente. 

Pour  les  poissons,  la  composition  minérale  varie  considérablement,  suivant  que  l'on 
a  affaire  à  un  poisson  de  mer  ou  à  un  poisson  d'eau  douce. 


Poisson  de  mer 

[Gadiis 

CENDRES 

p.  100 

dans  substance 

sèche. 

K=0. 

Na 

0. 

CaO. 

MgO. 

P«0». 

S03. 

Cl. 

11,26 
6,13 

13,81 
23,92 

36,51 
20,45 

3,39 
7,38 

1,90 
3.81 

13,70 
38,16 

0,31 
2,50 

38,11 
4,74 

Poisson     d'eaa 

[Brochet)  .    . 

douce 

Atwati 

R,   cité    p 

av  K 

,NIC, 

(It,  123). 

1.  Dans  tous  les   tableaux   de  composition  centésimale,  les  cendres  sont  calculées  exemple 
de  C02. 


308 


ALIMENTS. 


On  voit  que  c'est  l'addition  d'une  quantité  notable  de  NaCI,  fait  nullement  étonnant, 
qui  modifie  le  tableau  des  sels  minéraux  du  poisson  de  mer. 

Voici  les  sels  minéraux  de  nos  autres  aliments  d'origine  animale,  les  œuls  et  le  lait. 


OiuC  tol.al*  sans  co- 

K'-Q. 

Na^O. 

CaO. 

MgO. 

Fc=03. 

P^O». 

SO^ 

SiO». 

CI. 

quille   

17,37 

22,87 

10,91 

1,14 

0,39 

37,62 

0,32 

0,31 

8,98 

Blanc  

31,41 

31,37 

2,78 

2,79 

0,57 

4,41 

2  12 

1,06 

28,85 

Jaune  

9,2!) 

;i,87 

13,04 

2,13 

1.6.9 

63,46 

» 

0,86 

1,95 

Lait  de  vache  "   .    . 

24,65 

8,18 

22,42 

2,59 

0,29 

26,28 

2,52 

» 

13,95 

Lait  de  femme  *** .    . 

33,78 

9,16 

16,64 

2,16 

0,23 

22,74 

1,89 

18,38 

*  KûNICr,  t.  II,  p.  202.  - 

-  "  Ibid. 

t.  n,p.  : 

27.  -  •" 

Ibid.,  t. 

11,  p.  222 

2°  Aliments  végétaux.  —  La  composition  minérale  des  plantes  qui  servent  à  la 
nourriture  de  l'bomme  est  extrêmement  variable.  On  n'en  peut  donner  l'idée  que  par 
des  tableaux  détaillés'. 

En  première  ligne,  se  placent  les  céréales. 

Tableau  a.  —  Cendres  des  Céréales. 


Froment 

Seigle.  .   .           ... 

K=0. 

Na=0. 

CaO. 

MgO. 

Fe=03. 

P'Os. 

SO'. 

SiO'. 

Cl. 

31,16 
32,10 

3,07 
1,47 
2„39 
1.66 

1.10 

5.53 
6.12 

3,23 
2,94 
2,64 
3,60 

2.17 

4,00 

4,42 

12,06 
■11,22 
8,83 
7,13 

13,32 

10,76 
12,42 

1,28 
1,24 
1,19 
1,18 

0,76 

1,84 
1,74 

47,22 
47,74 
33,10 
23,64 

43,61 

40,64 
48,67 

1,39 
1,28 
1,80 
1,78 

0,78 

0,86 
2,11 

1,96 
1,37 
25,91 
30,18 

2,09 

18,26 
0,23 

0,32 
0,48 
4,02 
0,94 

0,91 

0,86 
1,30 

Orge 

Avoine 

JMais 

Riz         

20,92 
17,90 

29,78 

17,51 
23,07 

Sarasin 

Nous  donnerons   aussi   la  composition  complète  des  cendres  pour  les  graines  des 
légumineuses. 

Tableau  p.  —  Cendres  des  Légumes  secs. 


K^O. 

Na^O. 

CaO. 

MgO. 

Fb=03. 

P»0». 

se 

SiO«. 

Cl. 

44,01 
41,79 
41,48 
34,70 

1,49 
0,96 
1,06 
13,50 

6,38 
4,99 
4,99 
6,34 

7,62 
7,96 
7,15 
2,47 

0,32 
0,86 
0,46 
2,00 

35,52 
36,43 
38,86 
36,30 

4,03 
3,49 
3,39 

0,57 
0,86 
0,63 

0,86 
1,54 
1,78 
4,63 

Pois 

Fèves 

Lentilles  (f 

"  qualité) . 

Et  pour  la  pomme  de  terre,  qui  mérite,  par  son  rôle  dans  l'alimentation,  comme  par 
diverses  particularités  que  nous  aurons  à  examiner,  d'être  mise  à  part. 


1.  Tous  ces  tableaux  sont  extraits  du  recueil  de  Konig,  t,  u,  passlm. 


ALIMENTS. 
Tableau  y-  —  Cendres  des  Pommes  de  terre. 


309 


Pommes   de   terre.    . 

K^O. 

Na=0. 

CaO. 

MgO. 

Fe^O-". 

P=0», 

SO'. 

Si02. 

Cl. 

6G,fl6 

2,96 

2,64 

4,93 

1,10 

16,86 

6,52 

2,04 

3,46 

Pour  les  diverses  plantes  qui  sont  consommées  à  l'état  de  légumes  frais,  comme  elles 
appartiennent  à  des  familles  très  éloignées  les  unes  des  autres,  et  que  les  parties  utili- 
sées différent  de  l'une  à  l'autre,  les  divergences  dans  la  composition  minérale  soiit 
extrêmes.  Nous  mettons  en  regard  le  p.  100  d'eau  dans  les  substances  fraîches  et  le  p.  100 
des  cendres  dans  les  substances  sèches,  ce  qui  permet  d'effectuer,  relativement  à  ces 
éléments,  les  calculs  pour  la  ration  alimentaire. 

Tableau  3.  —  Cendres  des  Légumes  frais. 


g     1 

QUANTITÉS 

CENTÉSIMALES  DA? 

S  LES 

CEMDRES   PURES. 

a'^  +i 

^'^  ^ 

Asperge 

«    1 

K=0. 

Xa=0. 

CaO. 

MgO. 

Fo^O'. 

P=0». 

S03. 

SiO=. 

Cl. 

94 

7,26 

24,0 

17,1 

10,9 

4,3 

3,4 

18,6 

6,2 

10,1 

3,9 

Courge 

90 

4,41 

19,3 

21,1 

7,7 

3,4 

2,6 

32,9 

2,4 

7,3 

0,4 

Concombre  .    .    . 

93 

8,79 

31,7 

4,2 

6,9 

4,3 

0,7 

13,1 

5,7 

4,3 

■  9,2 

Oignon  

86 

3,28 

25,1 

3,2 

21,9 

5,3 

4,3 

13,0 

5,5 

16,7 

2,8 

Radis 

93 

7,23 

32,0 

21,1 

14,9 

2,6 

2,3 

10,9 

6,5 

0,9 

9,1 

Rave 

87 

13,67 

21,9 

3,8 

8,8 

3,5 

1,2 

41,1 

7,7 

8,2 

4,9 

Navet 

88 

8.01 

43,4 

9,8 

10,6 

3,7 

0,8 

12,7 

11,2 

1,9 

3,1 

Carotte 

87 

3,37 

37,0 

21,2 

11,3 

4,4 

1,0 

12,8 

6,4 

2,4 

4,6 

Betterave.    .    .    . 

87 

6,44 

S4,0 

13,9 

4,1 

4,3 

0,8 

8,4 

3,2 

2,4 

8,4 

Topinambour .    . 

79 

4,88 

47,7 

10,2 

3,3 

2,9 

3,7 

14,0 

4,9 

10,0 

3,9 

Chou-fleur  .    . 

91 

11,27 

26,4 

10,2 

18,7 

2,3 

0,4 

13,1 

11,4 

12,8 

6,1 

Chou 

87 

10,84 

26,8 

13,9 

14,8 

4,2 

1,6 

13,2 

12,8 

3,2 

7,5 

Chou  cabus.   .    . 

90 

10,83 

37,8 

14,4 

9,4 

3,3 

0,2 

12,3 

13,5 

» 

7,0 

Salade  pommée. 

94 

18,03 

37,6 

7,3 

4,7 

6,2 

3,3 

9,2 

3,8 

8,1 

7,6 

Romaine  .... 

92 

13,11 

23,3 

33,3 

11,9 

4,3 

1,3 

10,9 

3,9 

3,0 

4,2 

Épinards  .... 

88 

16,48 

16,6 

33,3 

11,9 

6,4 

3,3 

1.0,2 

6,9 

4,3 

6,3 

Nous  rapporterons  les  mêmes  données  pour  les  fruits  dont  nous  avons  trouvé  l'ana- 
lyse dans  KoNiG. 

Tableau  s.  —  Cendres  des  Fruits. 


EAU 
p.  100. 

CENDRES 

II.  100. 
suljst.    sèche. 

K^O. 

Na=0. 

84 
84 
83 
80 
88 
86 
78 

1,44 
1,97 
2,34 
2,20 
3,40 
3,39 
2,87 

36 

49 
32 
21 
39 
57 

2fi 
9 
9 

28 

10 

3 

Prunes  (chair) 

Cerises  (totale) 

Groseilles  à  maquereau 

Potasse  et  soude.  —  Dans  l'organisme  total  des  mammifères,  la  potasse  et  la 
soude  se  rencontrent  à  équivalents  sensiblement  égaux  (Voir  plus  haut  le  tableau  de 


310 


ALIMENTS. 


Lawes  et  Gilbert,  p.  20).  Or  nous  voyons  que,  dans  presque  tous  nos  aliments,  la 
potasse  l'emporte  énormément  sur  la  soude. 

BoNGE,  qui  a  étudié  avec  beaucoup  de  soin  les  proportions  relatives  de  Na-0  et  de  K^O 
dans  l'alimentation,  a  construit  le  tableau  suivant. 

Soit  la  quantité  de  Na-0  (en  équivalents  =  62)  égale  à  100,  quelle  sera  la  teneur  en 
K-0  (en  équivalents  =  96)  correspondante. 


Sang  de  bœuf.    . 

Lait 

Viande  de  bœuf. 
Froment  .... 
Avoine 


1 
104, 
400 

noo 

1800 


Riz 

Pommes  de   terre. 

Trèfle 

Pommes  .    .    .    .    . 
Fèves  .    .    .   .    .    . 


9  000 
10,000 
11000 


Ce  tableau  est  très  frappant,  mais  il  est  trop  schématique  et  repose  sur  un  choix 
quelque  peu  arbitraire.  En  se  reportant  aux  tableaux  que  nous  avons  donnés,  on  voit 
qu'il  est  des  aliments  végétaux  dans  lesquels  la  soude  et  la  potasse  ne  s'écartent  pas 
trop  de  l'équivalence,  dans  quelques-uns  même,  tels  que  les  épinards,  légume  assez 
usuel,  c'est  la  soude  qui  l'emporte  notablement  sur  la  potasse. 

Si  l'on  fait  la  moyenne  pour  toutes  les  matières  alimentaires  du  tableau  3,  on  trouve 
une  quantité  de  soude  égale  à  la  moitié  de  la  quantité  de  potasse,  et  en  équivalents,  la 
proportion  monte  environ  aux  quatre  cinquièmes. 

Nous  allons  revenir  encore  à  notre  alimentation  type,  et  calculer  les  quantités  de 
soude  et  de  potasse  au  moyen  des  quantités  de  cendres  données  dans  la  tableau  C  avec 
les  compositions  centésimales  que  nous  venons  de  voir. 

Potasse  et  soude  de  la  ration  alimentaire. 


SSO  gr.  pain  et  pâtes  i 

280  —  viande  ...        ... 

125  —  lait.   .    . 

CENDRES. 

K=0. 

Na^O. 

1,80 

:i,u 

0,9 
0,4 
4,5 
0,9 
1,0 

0,62 
1,33 
0,22 
0,07 
1,65 
0,40 
0,60 

0,014 

0,36 

0,07 

0,09 

0,02 

0,014 

0,03 

600  —  fruits  etlégumes  frais 2. 

30  —  légumes  secs 

100  —  féculents^ 

4,89 

1,198 

Nous  trouvons  presque  exactement  4  fois  plus  de  potasse  que  de  soude. 

Si  alors  nous  nous  reportons  à  la  quantité  de  potasse  excrétée  par  l'urine,  nous  trou- 
vons un  cliilfre  différent  ;  en  effet,  le  rapport  de  la  potasse  à  la  soude  de  l'urine  est, 
d'après  Salrowski  (cité  par  Neubauer  et  Vogel,  De  l'urine,  1877,  p.  74),  dans  la  propor- 


1.  Le  pain  contient  généralement  une  certaine  quantité,  évidemment  variable,  de  NaCl  qu'on  y 
introduit  pendant  la  fabrication. 

Nous  laisserons  de  côté  ce  NaCl  du  pain,  de  même  que  celui  qui  est  ajouté  dans  la  préparation 
culinaire  des  autres  aliments,  et  nous  considérerons  le  pain  comme  de  la  farine  de  froment,  farine 
fine,  puisque  notre  ration  est  celle  du  Parisien. 

Voici  la  composition  minérale  de  la  farine  de  froment  fine  (KOnig,  II,  520). 

K=0.  Na=0.  CaO.  Mt;0.  Fe=0''.  P'O'. 


0,76 


0,61 


49,38 


La  quantité  de  cendres  est  d'environ  0e'',50  p.  100  dans  la  substance  sèche. 
Nos  550  grammes  de  pain  à  35  p.  100  d'eau  contiennent  358  de  substances  sèches,  soit  le',80  de 
cendres. 

2.  Nous  supposons  poids  égal  de  fruits  et  de  légumes  frais. 

3.  Nous  prendrons  comme  composition  de  cendres  celles  des  pommes  de  terres,  qui  constituent 
de  beaucoup  la  plus  grosse  pai-t  de  ce  groupe. 


ALIMENTS.  311 

tion  de  100  de  potasse  à  i:jo  de  soude.  Weidner  (ibid.)  aurait  trouvé  une  élimination 
moyenne  de  4  grammes  de  potasse  par  jour. 

Admettons  le  chiffre  moyen  de  4  grammes  de  potasse  éliminée  par  l'urine.  Il  reste  en 
poids  de  potasse  à  éliminer  par  les  matières  fécales  et  la  peau  li=''',24.  Or,  dans  les  excré- 
ments, d'après  Porter  (D.  W.,  art.  Excréments)  nous  trouvons  6  p.  100  de  potasse  dans 
les  cendres,  soit  le  chiffre  minime  quotidien  de  0E"',r2.  Dans  la  sueur,  la  quantité  de  K^O 
éliminée  est  un  peu  plus  considérable,  quoique  très  faible  encore.  En  supposant 
7.50  grammes  de  sueur  avec  OS'^.SG  p.  1 000  de  KCl,  cela  fait  par  jour  0e'',48  de  K-0,  de  sorte 
que  nous  trouvons  en  réalité  une  excrétion  de  08'',60  de  potasse,  par  les  fèces  et  la  sueur. 

Mais  ces  chiffres  n'indiquent  qu'une  moyenne.  En  effet,  Weidner  a  eu  un  maximum 
de  oS'^.Q  pour  l'élimination  par  l'urine  ;  d'autre  part,  dans  les  fèces,  Fleitmann  (cité  par 
Garnier  et  SCHLAGDENII.4UFFEN,  Jïîzcii/ci.  c/im.,  t.  IX,  2°parlie,p.  3S0,  1892)atrouvé  19p.  100 
de  potasse  dans  les  cendres  des  excréments  :  avec  une  alimentation  végétale,  les 
excréments  sont  plus  riches  encore  en  matières  solides  et  en  potasse. 

Enfin,  si  l'on  compte  1)00  grammes  de  viande,  il  est  clair  qu'il  ne  s'agit  pas  de  chair 
musculaire  seulement,  mais  de  viande  avec  des  os,  des  matières  grasses,  des  tendons,  etc., 
ce  qui  doit  diminuer  d'un  t/3  environ  la  proportion  de  potasse  que  nous  avons  sup- 
posée; soit  de  OS'^,47  environ.  Le  chiffre  de  K-0  ingéré  tombe  alors  de  5'=''', 239  à  4k'',77, 
ou  en  chiffres  ronds  4b%75. 

Il  reste  donc  en  somme  une  différence  de  0^,17,  qui  est  tout  à  fait  négligeable,  et 
minime,  facile  à  expliquer  d'abord  avec  les  variations  de  la  moyenne  (aussi  bien  pour 
l'alimentation  que  pour  l'excrétion  urinaire)  et  ensuite  par  les  imperfections  mêmes  des 
analyses  (tant  des  aliments,  que  de  l'urine,  et  de  la  sueur  et  des  excréments). 

Nous  ferons  donc  une  sorte  de  moyenne,  et  nous  admettrons  en  chiffres  ronds  : 

Ingestion  quotidienne  de  potasse.   .    .  4,75 

tj,.     .      ..         (  Urine 4,00  ) 

Jiiiimmation  ,,  ...        /■■     ■  n  c-  i   ,  -,•• 

,         ,  Matières  fécales  .    .    .  0,23      4,7a 

de  potasse.  /  „  n  sn  l 

^  \  Sueur 0,dO  ' 

Pour  la  soude,  nous  voyons  que  les  sels  de  sodiimi  contenus  dans  les  aliments  natu- 
rels sont  en  proportion  faible,  de  Oe',87  de  Na'^0,  si  l'on  néglige  la  quantité  de  chlorure 
de  sodium  introduite  dans  le  pain  (soit  0s'',.ï9o). 

iMais  on  introduit  du  sel  dans  les  aliments,  et  il  s'ensuit  que  la  quantité  de  soude 
éliminée  (à  l'état  de  chlorure  de  sodium)  est  de  oS'^,40  environ.  A  cette  quantité  il  faut 
ajouter  la  soude  des  matières  fécales,  0e'',10,  et  de  la  sueur  (lsr,bO),  ce  qui  fait  en  tout 
une  élimination  de  7  grammes. 

Finalement  voici  le  tableau  des  quantités  de  potasse  et  de  soude  ingérées  et  excrétées, 
tableau  assurément  schématique,  mais  qui  fournit  uue  base  aux  calculs  de  comparaison. 


Potasse             Soude 
des  aliments,  des  aliments, 

Soude 
.  ajoutûe. 

Soude 
totale. 

Ingestion.    . 

.    .       4,73                 0,55 

6,45 

7,00 

Potasse. 

Soude 

Excrétion. . 

j  Urine 

.    i   Malici-es  lecales.   -    .    . 
(  Sueur    

4,00 
0,23 
0,30 

3,40 
0,10 
1,50 

ToTAt 4,75  7,00 

Les  quantités  relatives  de  la  potasse  et  de  la  soude  ne  sont  rien  moins  que  fixes 
dans  les  urines.  Il  y  a  une  variabilité  assez  grande.  Salkowski  et  Leube  [Die  Lehre 
von  Ram,  1882,  p.  173)  admettent  que  la  quantité  de  NaCl  varie  entre  11  grammes  et 
15  grammes  par  24  heures  chez  l'adulte,  dans  des  conditions  tout  à  fait  normales.  Mais 
dans  certaines  circonstances  l'excrétion  de  NaCl  peut  atteindre  o5  grammes  par  jour 
(VoGEL,  cité  par  Salkowski  et  Leube,  loc.  cit.).  Lehmann  a  trouvé  que  les  matériaux  inor- 
ganiques de  l'urine  oscillaient  autour  de  1oB'',24S,  variant  [de  gBi^jOaS  à  17B^284  ;  c'est- 
à-dire  du  simple  au  double. 

li  est  d'ailleurs  évident,  même  en  laissant  de  côté  toute  influence  pathologique,  que, 


312  ALIMENTS. 

suivant  qu'on  ingérera  pJus  ou  moins  de  tels  ou  tels  sels,  sans  aucun  détriment  appa- 
rent pour  la  santé,  ces  sels  en  plus  ou  moins  grande  quantité  apparaîtront  dans  l'urine. 
Telle  personne  a  l'habitude  de  consommer  beaucoup  de  sel.  Il  est  clair  que  cet  excès  de 
NaCl  va  se  retrouver  dans  ses  urines.  Telle  autre  aime  à  manger  des  aliments  peu  salés, 
et  ses  urines  contiendront  peu  de  NaCl.  Pour  l'une  et  l'autre  évidemment,  la  proportion 
sera  différente. 

Quant  aux  quantités  de  KCI,  elles  seront  variables,  elles  aussi,  suivant  la  nature  des 
aliments.  Mais  les  différences  seront  moindres  que  pour  le  NaCl,  dont  on  peut  ajouter  ce 
qu'on  veut'. 

Il  n'en  est  pas  moins  remarquable  de  voir  varier  aussi  dans  de  larges  proportions  la 
teneur  du  sang  en  potasse  et  en  soude,  comme  l'indique  le  tableau  suivant  dû  à  Hoppe- 
Seyler  (cité  par  Beadnis,  T.  P.,  1888,  t.  i,  p.  439). 


Chien. 

Homme. 

Homme. 

Homme. 

Veau. 

Mouton. 

Poulet. 

Potasse  .    . 

.   .        3,96 

26,00 

12,71 

11,39 

7.00 

6,61 

18,41 

Soude.   .   .   . 

.    .       43,40 

24,11 

34,90 

36.24 

36,33 

41,92 

30,00 

Ces  chiffres  indiquent  les  quantités  de  potasse  et  de  soude  contenues  dans  100  grammes 
de  cendres.  On  voit  que,  même  pour  la  même  espèce  animale,  il  y  a  des  différences  très 
appréciables.  On  trouvera  dans  les  ouvrages  classiques  de  nombreuses  variations  ana- 
logues, par  exemple  dans  les  tableaux  donnés  par  Gorup-Bes.vnez  {Chim.  physioL,  1880, 
t.  I,  p.  o06).  Chez  trois  chiens  la  potasse  a  été  de  loS'',16,  de  ^9B^^6  et  de  4t'r,43  dans 
100  grammes  de  cendres  du  sang. 

Certes  l'imperfection  des  méthodes  analytiques  y  est  pour  quelque  chose;  mais  il 
faut  admettre  aussi  des  variations  individuelles  sans  doute  assez  étendues,  de  sorte  que, 
selon  toute  apparence,  nous  pouvons  légèrement  modifier  par  l'alimentation,  sans 
dommage  pour  la  santé,  les  proportions  relatives  des  sels  de  potassium  et  de  sodium, 
contenus  dans  nos  tissus  et  notre  sang. 

L'hypothèse  d'une  stabilité  absolue,  nécessaire,  dans  les  proportions  de  potassium 
et  de  sodium  de  nos  tissus  nous  paraît  inadmissible,  et  nous  tendrions  plutôt  à 
admettre  une  assez  grande  latitude  dans  la  teneur  des  liquides  organiques  en  K  et  en 
Na.  On  est  forcé  d'arriver  à  cette  conclusion,  si  l'on  admet  comme  valables  les  analyses 
que  nous  venons  de  citer. 

Maintenant,  reprenons  l'étude  des  aliments  au  point  de  vue  du  K  et  du  Na  contenus; 
nous  disions  tout  à  l'heure  que  nous  ingérons  à  peu  près  quatre  fois  plus  de  potasse 
que  de  soude,  et  que,  par  conséquent,  il  faut  ajouter  du  sel  à  notre  alimentation. 

C'est  surtout  M.  Bunge  qui  a  bien  traité  cette  question,  en  lui  donnant  d'ingénieux 
développements  (Voyez  dans  son  Cours  de  Chim.  bioL,  trad.  franc.,  1891,  la  1'^  leçon, 
pp.  97-123). 

Nous  reproduisons  ici  une  partie  de  son  argumentation. 

D'abord,  dit-il,  le  carnassier  qui  se  nourrit  de  viande,  prend  4  fois  plus  de  potasse 
que  de  soude;  mais,  s'il  mange  l'animal  entier,  avec  le  sang,  il  prend  des  quantités  de 
notasse  et  de  soude  presque  équivalentes.  On  sait  que  beaucoup  de  carnassiers  saignent 
l'animal  en  suçant  avidement  son  sang  pour  le  tuer,  et  parfois  même  se  contentent  de 
sucer  le  sang,  et  dédaignent  la  chair.  On  peut  donc  admettre  qu'en  général,  dans  l'ali- 
mentation animale,  la  potasse  et  la  soude  sont  consommées  en  quantités  équivalentes. 

Au  contraire,  chez  les  herbivores,  il  y  a  une  alimentation  bien  plus  riche  en  potasse 
qu'en  soude.  La  farine  de  froment  a  IS  fois  plus  de  potasse  que  de  soude,  les  pommes 
de  terre  40  fois  plus,  et  le  trèfle  90  fois  plus. 

A  cette  pauvreté  relative  en  sels  de  soude,  correspond  une  appétence  extrême  pour 
le  sel.  De  fait,  tous  les  herbivores  sont  avides  de  sel,  tandis  que  les  carnassiers  ne 
paraissent  pas  l'être.  Les  ruminants  viennent  lécher  les  roches  ou  les  efflorescences  sa- 
lines; les  herbivores  domestiques  engraissent  etjprospèrent  quand  on  ajoute  du  sel  marin 
à  leur  nourriture.  Les  peuples  qui  ne  vivent  que  de  légumes  recherchent  avidement  le 

1.  Il  est  clair  que  certaines  personnes  font  grand  abus  de  NaCl,  qu'elles  emploient,  sans  autre 
cause  qu'une  sorte  de  perversion  du  goût,  pour  stimuler  leur  appétit,  à  dose  exagérée. 


ALIMENTS.  313 

sel,  tandis  que  les  sauvages,  vivant  de  chasse  ou  de  pêche,  n'ont  aucun  goût  pour  le 
sel,  et  même,  paraît-il,  certains  ont  une  antipathie  déclarée  pour  les  aliments  salés. 

Comment  expliquer  cette  contradiction?  La  pauvreté  en  soude  n'est  pas  absolue 
dans  l'alimentation  végétale;  elle  n'est  que  relative.  Ce  qui  diffère  dans  l'alimentation 
végétale  et  l'alimentation  animale,  ce  n'est  pas  la  soude  qui  est  ingérée  en  quantités 
égales,  c'est  la  potasse  ingérée  en  proportion  quatre  ou  cinq  fois  plus  forte  chez  l'her- 
bivore. On  peut  supposer  que  l'élimination  de  la  potasse  entraine  l'élimination  de  la 
soude,  et  l'expérience  directe  est  venue  confirmer  celte  hypothèse. 

En  effet,  en  ajoutant  à  son  alimentation  des  sels  de  potasse,  M.  Bunge  a  vu  augmenter 
l'excrétion  de  la  soude.  Ingérant  18  grammes  de  K-0  (ajoutés  à  ses  aliments),  il  a  vu 
une  excrétion  (en  excès)  de  6  grammes  environ  de  Na-0,  et  il  en  conclut  que,  chaque 
fois  qu'on  ingère  des  aliments  riches  en  potasse,  on  force  le  rein  à  éliminer,  en  même 
temps  que  cet  excès  de  potasse,  une  certaine  quantité  de  soude. 

De  là,  pour  les  herbivores,  la  nécessité  d'introduire  un  excès  de  soude  dans  leur 
alimentation  pour  compenser  les  pertes  en  soude  qu'entraîne  l'élimination  de  la  potasse 
ingérée  en  grande  quantité. 

Aussi  M.  Bunge  pense-t-il  que  les  aliments  trop  riches  en  potasse  présentent  un 
certain  inconvénient,  et  propose-t-il  de  donner  la  préférence  au  riz  qui  contient  très  peu 
de  sels  minéraux,  sur  la  pomme  Je  terre  qui  contient  des  proportions  énormes  de  sels 
potassiques. 

Chaux.  —  Parmi  les  autres  métaux  faisant  partie  de  notre  alimentation,  le  plus 
important,  après  le  sodium  et  le  potassium,  c'est  le  calcium;  et,  en  effet,  il  ne  manque 
à  presque  aucun  aliment. 

Le  calcium  présente,  au  point  de  vue  de  la  nutrition,  cette  particularité  qu'il  est 
utile  surtout  aux  premiers  temps  de  l'existence;  car  il  vase  fixer  dans  les  os,  et  la 
dénutrition  en  est  lente.  Pendant  longtemps  le  calcium  va  se  fixer  sur  les  os,  et  presque 
tout  ce  qui  est  absorbé  va  se  déposer  dans  le  corps,  sans  parallélisme  entre  l'ingestion 
et  l'élimination.  D'après  Lawes  et  Gilbert  (cités  par  Grandeau,  loc.  cit.,  p.  336),  sur 
100  grammes  de  cendres,  il  y  a  chez  le  bœuf  46e"',62  de  chaux  contre  4s'',41  de  potasse, 
3S"',04  de  soude,  et  ls"-,52  de  magnésie.  Par  conséquent,  dansl  le  corps  d'un  animal 
adulte,  il  y  a  dix  fois  plus  de  chaux  que  de  potasse,  et  cependant  l'élimination  suit  un 
ordre  inverse.  D'après  les  recherches  de  divers  auteurs,  la  chaux  éliminée  par  l'urine 
en  24  heures  est  de  0b%260  (Sobobow),  0(^^,330  (Neubauer),  0s',3~rj  (Schetelig)  (cités  par 
Salkowski  et  Leube,  loc.  cit.,  p.  192)  ;  en  moyenne  Of''',32o,  alors  que  la  quantité  de 
potasse  éliminée  est,  dans  le  même  temps,  de  4  grammes,  et  la  quantité  de  soude  de 
6S"',50  environ;  tous  ces  chiffres  étant  approximatifs,  mais  indiquant  bien  la  moyenne 
de  l'élimination. 

Il  s'ensuit  qu'en  rangeant  les  trois  métaux  d'après  la  quantité  éliminée,  on  a  : 

Chaux, 1,0 

Potasse  ....       12,5 
Soude 20,3 

tandis  qu'en  les  rangeant  d'après  la  quantité  contenue  dans  le  corps,  on  a  : 

Chaux 1,00 

Potasse   ....       0,10 
Soude 0,07 

On  en  peut  conclure  que  la  chaux  s'élimine  cent  fois  plus  difficilement  que  la  potasse, 
et  deux  cent  cinquante  fois  plus  que  la  soude.  L'explication  de  cette  différence  entre  les 
trois  métaux,  assez  difficile  à  comprendre  pour  ce  qui  est  de  la  potasse  et  de  la  soude, 
est  très  simple  pour  la  chaux.  En  effet,  elle  est  à  l'état  de  phosphate  insoluble  ou  presque 
insoluble  dans  les  solutions  alcalines;  et,  alors  que  tous  les  sels  de  potasse  et  de  soude 
se  dissolvent  bien  dans  le  sang,  et  peuvent  diffuser  à  travers  le  rein,  le  phosphate  de 
chaux  se  dissout  à  peine,  et  ne  diffuse  pas. 

La  nécessité  de  l'alimentation  du  nouveau-né  en  calcium  fait  qu'il  y  a  dans  le  lait 
une  proportion  de  chaux  considérable. 

Voici  les  proportions  de  sels  et  de  chaux  contenues  dans  un  litre  de  lait,  d'après 
Bunge  (cité  par  Von,  H.  H.,  t.  vi,  p.  434)  : 


3U 


ALIMENTS. 


LAIT 

LAIT 

LAIT 

(le 

de 

de 

Chaux  

CHIENNE. 

VACHE. 

FEMME. 

4,330 

1,599 

0,343 

Potasse 

1,413 

i.766 

0,703 

Soude  

0,S06 

1,110 

0.237 

Magnésie 

0,196 

0,210 

0,063 

Oxyde  de  fer.    .    .    . 

0,019 

0,0033 

0,0058 

En  outre,  Bumge  fait  remarquer  que  le  lait  d'un  animal  a  une  composition  minérale 
presque  identique  à  celle  de  l'animal  lui-même  ICours  de  Chim.  biol.,  p.  98). 
On  trouve  en  effet  dans  100  crammes  de  cendres  : 


JEUNE 

JEUNE 

JEUNE 

LAIT 

Potasse 

L.\PIN. 

CHAT. 

CHIEN. 

CHIENNE. 

10,8 

8,5 

10,1 

10,7 

Soude  

6.0 

8,2 

8,3 

6,1 

Chaux  

33,0 

33,8 

34,1 

34,4 

Magnésie 

2,2 

1,6 

1,3 

1.3 

Oxj'de  de  fer 

0,23 

0.34 

0,24 

0,14 

Acide  phospliorique.    . 

41,9 

39,8 

40,2 

37,5 

Cl  .  . 

4,9 

7,3 

7,1 

12,4 

Il  y  a  là  une  analogie  saisissante  bien  faite  pour  montrer  à  quel  point  le  lait  ma- 
ternel est  bien  adapté  à  la  constitution  du  nouveau-né. 

Les  aliments  végétaux  ou  animaux  contiennent  tous  de  la  chaux  (et  de  la  magnésie) 
(Voir  les  tableaux  a,  [i,  y). 

En  faisant  le  calcul  de  la  chaux  approximativement  ingérée  dans  nos  aliments,  nous 
trouvons  un  total  de  Is^lSO. 


Chaux  de  la  ration  alimentaire. 


550  gr.  pain 

280  —  viande 

125  ~  lait 

35  —  œufs 

600  —  fruits  et  légumes.    .    . 

30  —  légumes  secs 

100  —  féculents 

1000  —  vins 

Total. 


MATIERES 

MINKRALES. 


1,80 
3,6 

0,9 
0,4 
4,0 
0,9 
1,0 
2,3 


0,13 
0,09 
0,20 
0,04 
0,49 
0,05 
0,03 
0,15 
1,18 


Encore  ce  chiffre  est-il  trop  faible;  car  l'eau  ordinaire  renferme  des  proportions  de 
chaux  fort  appréciables.  Il  y  a  par  litre  en  chaux,  dans  les  eaux  du  Rhône,  de  la  Seine, 
du  Rhin,  du  Danube,  de  la  Loire  et  de  la  Garonne  (voy.  A.  Gautier,  Encycl.  d'Hygiène, 
1890,  t.  n,  p.  381),  une  quantité  moyenne  de  chaux  égale  à  0s^0o2  par  litre. 

Dans  les  eaux  de  sources  qui  alimentent  Paris  : 


Vanne. 
Dhuis  . 


113 
109 


(Ann.  statistique  de  Paris,  1891,  p.  16.) 


ALIMENTS. 


315 


Or  on  peut  admettre  une  consommation  movenne  de  i  000  grammes  d'eau,  ce  qui 
porte  à  ls'',300  environ  le  chiffre  total  de  la  chaux  ingérée  quotidiennement  par  un 
adulte. 

On  remarquera  que  le  lait,  malgré  sa  petite  quantité,  est  un  des  principaux  facteurs 
de  notre  alimentation  en  chaux;  inais  ce  sont  les  fruits  et  légumes  verts  qui  tiennent 
de  beaucoup  la  place  la  plus  importante;  le  vin,  jus  du  fruit,  relevant  en  somme  de  la 
même  origine;  ils  donnent  près  de  moitié  de  la  quantité  totale. 

En  nous  reportant  au  chiffre  de  la  chaux  éliminée  par  l'urine,  nous  trouvons  que 
cette  quantité  est  de  Ot'fjiîîao  ;  par  conséquent,  il  y  a  un  excès  de  chaux  de  0s'',97.t. 

C'est  dans  les  fèces  que  se  trouve  cet  excédent  de  chaux.  En  effet,  d'après  Portes  et 
Fleitmann  (cités  par  Garnier  et  Schlagdenhauffen,  toc.  cit.),  il  y  a,  sur  100  grammes  de 
cendres,  24  grammes  de  chaux;  par  conséquent,  en  admettant  que  les  matières  fécales 
contiennent  3  p.  100  de  cendres,  et  que  les  excréments  chez  l'homme  soient  d'environ 
130  grammes,  on  arrive  à  un  chiffre  de  0s'',90  de  chaux  éliminée. 

Bertras  (cité  par  Voit,  H.  H.,  t.  vi,  p.  373)  a  trouvé  sur  un  bouc  19  fois  plus  de  chaux 
dans  les  fèces  que  dans  l'urine. 

Magnésie.  —  Les  sels  de  magnésie  sont  constamment  associés  aux  sels  de  chaux, 
et  on  peut  dire  que,  sauf  dans  le  lait,  dans  tous  les  aliments,  la  proportion  des  deux, 
métaux  est  à  peu  près  la  même. 

La  viande  contient  un  peu  plus  de  magnésie  que  de  chaux;  et  les  végétaux,  selon 
l'espèce  et  probablement  aussi  selon  la  nature  du  sol  et  de  la  culture,  ont  tantôt  plus, 
tantôt  moins  de  magnésie  que  de  chaux,  comme  on  peut  s'en  assurer  en  consultant  les 
tableaux  donnés  plus  haut.  Le  pain,  c'est-à-dire  la  tarine  de  froment,  contient  3  fois 
plus  de  magnésie  que  de  chaux.  Or,  comme  le  pain  est  la  base  de  notre  alimentation, 
il  s'ensuit  que  la  magnésie  est  en  proportion  notablement  plus  grande  que  la  chaux 
dans  notre  alimentation. 

Le  taux  normal  de  la  quantité  de  magnésie  éliminée  par  l'urine  a  été,  d'après 
52  dosages  de  Neubader  (cité  par  Salkowski  et  Leube,  loc.  cit.,  p.  19o)  de  Os^jg  à  i«^,i6, 
soit,  en  chiffres  ronds _1  gramme,  c'est-à-dire  trois  fois  plus  que  la  chaux;  et  cet  excès 
est  dû  probablement  à  la  quantité  plus  forte  de  magnésie  contenue  dans  le  blé  et  dans 
le  pain. 

En  prenant  le  tableau  de  l'alimentation  normale,  nous  avons  : 

Magnésie  de  la  ration  alimentaire. 


330  gr.  pain 

280   —  viande 

125   —   lait .    .               

CENDRES. 

MgO. 

1,8 
3,6 
0,9 
0,4 
4,3 
0,9 
1,0 
2,3 

0,14 
0,11 
0.023 

o!ooi 

0,18 
0,03 
0,03 
0,10 

600   —   fruits  et  légumes 

3(1  —  légumes  secs 

100   --   féculents 

1000    —   vin 

0,66 

Il  y  a,  comme  on  voit,  un  petit  écart  entre  1  gramme  et  0,66.  Mais  cet  écart  s'explicpie, 
d'une  part  par  l'imperfection  des  analyses,  d'autre  part  et  surtout  par  les  variations  de 
régime. 

Fer  et  manganèse.  —  Le  fer  et  le  manganèse  n'entrent  dans  nos  aliments  qu'en 
minime  quantité.  L'urine  ne  contient  guère  que  OB', 005  de  fer  par  litre  en  moyenne 
(Magnier,  cité  par  Salkowski  et  Leube,  p.  201).  D'autre  part,  la  quantité  de  fer  qui  se 
trouve  dans  un  kilogramme  de  corps  est  très  faible.  D'après  Lawes  et  Gilbert  (cités  par 
Grandeau,  loc.  cit.,  p.  358),  dans  100  grammes  de  cendres  de  deux  bœufs,  il  n'y  avait 


316 


ALIMENTS. 


que  OB'', 97  et  OB'jil  de  peroxyde  de  fer,  en  moyenne  O^'j&Q.  Comme  l'animal  entier  a 
4^'', 25  p.  100  de  cendres,  ce  chiffre  représente  pour  un  kilogramme  de  l'animal  entier, 
0b"',-29;  soit  environ  Os'',19  de  fer  métallique  par  kilo.  Autrement  dit  encore,  un  bœuf 
de  500  kilogrammes  contient  100  grammes  de  fer.  Boussingault  (cité  par  Voit,  H.  H., 
t.  VI,  p.  383)  a  trouvé  chez  le  mouton  par  kilogramme  Ot'fjlSl  de  fer,  et  chez  la  souris, 
seulement  0K^^11. 

Par  conséquent,  la  quantité  de  fer  nécessaire  à  l'alimentation  n'est  pas  très  consi- 
dérable, et  il  est  clair  que  nous  en  ingérons  plus  que  ce  qui  est  strictement  nécessaire 
pour  fournir  à  la  minime  dépense  de  0e'',0075  par  jour. 

En  effet,  Bcnge  (Cours  de  Chim.  Mol.,  p.  102)  donne  les  proportions  suivantes  de  fer 
dans  les  aliments  (à  l'état  de  fer  métallique,  par  kilogramme)  : 

Viande  de  bœuf 0,035 

Pain 0,090 

Pommes  de  terre 0,080 

Lait 0,004 

Prenant  alors  les  quantités  de  fer  ingérées,  nous  avons  : 

Fer  de  la  ration  alimentaire. 


550  gr.  pain 

280  —   viande 

125  —  lait 

35  —  œufs 

600  —  fruits  et  légumes  frais 

50  —  légumes  secs 

100  —  féculents 

1000  —  vin 


Sans  les  légumes 


CENDRES. 

Fe^Qs. 

1,8 

0,011 

3,6 

0,018 

0,9 

0,003 

0,4 

0,002 

4,5 

0.090 

0,9 

0,008 

1,0 

0,011 

2,3 

» 

0,143 

0,053 

Ce  chiffre,  encore  qu'il  soit  bien  faible,  est  encore  supérieur  à  la  quantité  de  fer  que 
l'urine  élimine,  0S'',006  par  jour,  et  même  la  quantité  de  OS',006  est-elle  peut-être  trop 
forte. 

Mais  cela  ne  doit  pas  surprendre,  car  le  fer  n'est  que  très  partiellement  éliminé  par 
l'urine.  Les  poils  en  gardent  une  notable  partie  (O^^jOâl  p.  100  d'après  B.^udrimont; 
0B'',i54  p.  100  d'après  v.vn  Laer,  cités  par  Voit).  Quant  aux  fèces,  elles  en  contiennent 
encore  davantage.  A.  Meyer  évalue  à  0S"',02  la  quantité  qui  passe  par  les  matières  fécales, 
chez  l'homme  (cité  par  Voit,  ibid.).  Ce  chiffre  semble  trop  faible.  Il  est  probable  qu'il 
est  très  variable,  et  va  en  augmentant  si  l'on  augmente  la  quantité  de  fer  qu'on  ingère. 

On  s'est  demandé  quelle  est  dans  l'élimination  de  fer  la  part  de  fer  organique  (dû 
à  la  dénutrition  des  tissus)  et  du  fer  alimentaire  (ingestion  des  aliments).  Si  on  soumet 
un  animal,  un  chien  par  exemple,  à  l'inanition,  il  continue  à  rendre  du  fer,  et  le  fer 
rendu  n'est  pas  seulement  dans  l'urine,  mais  encore  dans  les  excréments;  car  la  bile 
continue  à  être  sécrétée,  et  elle  contient  une  proportion  appréciable  de  fer.  D'après  Diek 
un  chien  de  6  kilogrammes  rendait  par  jour  Ofc''', 00186  de  fer.  Forsteh,  nourrissant  deux 
chiens  de  23  kilogrammes  avec  des  matières  alimentaires  exemptes  de  fer(?),  a  trouvé 
qu'ils  rendaient  par  jour  environ  0s"-,06  de  fer  (Pour  plus  de  détails,  voir  Fer). 

Quant  au  manganèse,  il  y  en  a  des  traces  dans  les  aliments,  mais  son  rôle  est 
inconnu. 


Nous  avons  à  examiner  maintenant  le  rôle  alimentaire  du  chlore,  du  phosphore  et 
du  soufre,  car  les  métaux,  potassium,  sodium,  magnésium,  calcium  et  fer  se  trouvent 
sous  la  forme  de  chlorures,  phosphates   et   sulfates,  sans    qu'on   puisse  exactement 


ALIMENTS. 


317 


savoir  à  quel  métal  le  chlore,  l'acide  pliosphorique  ou  l'acide  sulfurique  sont  combinés. 
Chlore.  —  La  quantité  de  chlore  contenu  dans  les  aliments  a  été  évaluée  par  nombre 
d'auteurs.  Nous  donnerons  le  tableau  synthétique  de  ces  éléments  ingérés  avec  notre 
ration  type,  renvoyant  pour  le  détail  aux  tableaux.  Nous  ferons  seulement  remarquer 
que  les  chiffres  du  chlore  des  anciennes  analyses  sont  contestés. 


Sulfates,  phosphates  et  chlorures  de  la  ration  alimentaire. 


CENDRES. 

P»0=. 

S03. 

Cl. 

1,8 
3,6 
0,9 
0,4 
4,5 
0,9 
1,0 
2,3 

0,90 
1,47 
0,25 
0,15 
0,58 
0,32 

o,n 

0,18 

0,02 
0,04 
0,03 

0,27 
0,03 
0,06 

0,05 
0,17 
0,H 
0,04 
0,18 
0,02 
0,03 

280  —  viande.          

125  —  lait 

35  —  œufs 

600  —  fruits  et  légumes  frais.    . 

30   —   légumes  secs 

100   —   féculents 

1000   —   Tin  .    .    .        .               ... 

0,63 

Ainsi,  en  éliminant  la  quantité  de  chlore  ajouté  au  pain,  nous  ne  trouvons  dans  les 
aliments  naturels  que  la  minime  quantité  de  Ob^jOS  de  chlore,  alors  que  du  chlore  est 
éliminé  en  quantité  considérable  par  la  sueur,  les  fèces  et  l'urine. 

Prenant  en  effet  les  chiffres  relatifs  à  l'élimination  du  chlore,  nous  trouvons  d'après 
Salkowski  {loc.  cit.,  p.  173)  une  quantité  moyenne  pour  24  heures  de  7  grammes  dans 
l'urine;  dans  les  matières  fécales,  d'après  Porter  (loc.  cit., p.  349), des  traces, négligeables; 
2  p.  100  dans  les  cendres;  et  dans  la  sueur  2  grammes  par  litre,  soit  pour  7oO  grammes 
de  sueur  une  élimination  moyenne  de  i^',S;  soit  sensiblement  8s"',S  de  Cl,  pour  l'éli- 
mination quotidienne. 

Alors  la  quantité  de  chlore  alimentaire  sera  à  peu  près  la  suivante  : 

Chlore  du  sel  ajouté  au  pain 1,35 

Chlore  du  sel  ajouté  à  nos  aliments   .    .            ...  6,60 

Chlore  des  aliments  naturels 0,63 

Total 8,58 

Reportons-nous  maintenant  à  ce  que  nous  disions  plus  haut  à  propos  de  la  soude. 
Nous  avions  trouvé  que  la  quantité  moyenne  de  soude  ajoutée  à  nos  aliments  était  en 
chiffres  ronds  de  SBr^ggo  :  chiffre  qui  répond  à6S'',70  de  chlore.  Par  conséijuent  la  con- 
cordance est  parfaite  entre  la  donnée  que  nous  fournit  le  calcul  du  chlore  et  celle  que 
nous  fournit  le  calcul  de  la  soude;  et  on  en  peut  conclure  que  nous  ingérons  en  sel 
marin  11^'', 96  par  jour,  sans  compter  le  sel  marin  du  pain,  sensiblement  2  grammes;  soit 
14  grammes  de  sel  par  jour,  chitïre  moyen  très  variable,  mais  qui  résulte  d'assez  nom- 
breuses moyennes  pour  qu'on  le  considère  comme  répondant  bien  aux  nécessités  de 
l'alimentation. 

On  voit,  en  définitive,  en  comparant  l'alimentation  naturelle,  sans  addition  de  sel 
marin,  à  l'alimentation  réelle,  en  usage  chez  les  peuples  civilisés,  que  la  véritable  carac- 
téristique de  notre  alimentation,  c'est  la  pénurie  de  chlorure  de  sodium  naturel,  pénurie 
à  laquelle  nous  remédions  par  les  préparations  culinaires  diverses  qui  consistent  essen- 
tiellement en  la  cuisson  et  l'addition  de  sel. 

Soufre.  —  Le  soufre  est  éliminé  par  l'urine  à  la  dose  de  0^',5  à  0S'',6  environ  par 
24  heures  chez  l'homme,  soit  1s'-,go  en  acide  sulfurique,  chiffre  supérieur  au  chiffre  que 
nous  avons  trouvé  pour  l'ingestion  du  soufre;  mais  il  est  à  noter  que  le  soufre  ali- 
mentaire que  nous  avons  mentionné  est  du  soufre  combiné  aux  métau.\,  a  létat  de  sul- 
fate (de  potasse  ou  de  soude)  et  que  dans  l'évaluation  des  cendres  le  soufre  organique 
contenu  dans  les  matières  albuminoïdes  n'est  pas  compris.  Or  les  matières  albuuiinoides 


318 


ALIMENTS. 


ingérées  par  un  homme  adulte  ont  un  poids  total  re'poudant,  à  peu  près,  à  20  grammes 
d'azote;   ce  qui  ferait  'i^'^,2  de  soufre,  si  toutes  les  matières  azotées  ingérées  avaient  la_ 
composition  de  Talbumine  de  l'œuf. 

A  vrai  dire,  il  n'en  est  pas  tout  à  fait  ainsi,  et  il  faut  admettre  une  diversité  très 
grande  dans  la  teneur  en  soufre  des  différentes  matières  protéiques.  Nous  avons,  pour 
100  grammes  de  matières  azotées  sèches  en  soufre,  les  quantités  suivante  : 

Albumine  de  l'œuf 1,80 

Syntoniae  musculaire 1,80 

Albumine  du  blé  (22  p.  100  du  blé).  l..>5 

Légumine   des  pois 0,-iO 

Gluten  du  blé    (78  p.  100  du  blé).   .  0,70  (en  m'oyenne) 

ce  qui,  en  calculant  la  quantité  d'aliments  ingérés,  fournit  : 


550  gr.  de  pain .ivec 

280   —  viande — 

125  —  lait — 

35   —  œufs — 

600   —  fruits  et  légumes  frais   .    .  — 

30   —  légumes  secs — 

100   —  féculents — 

26   —  fromage — 


38      gr.  maliércs  albuminoïdes  et  0 

50      —                          —  0, 

4,2  —                          —  0, 

5,2—                          —  0, 

12     —                         —  0, 

7     —                          —  0, 

12      —                          —  0, 

7      —                          —  0, 

135,4  r 

Auxquels   il  faut  ajouter  0,18  du  soufre  des  sulfates 0 


66     de    S. 
18        — 


1,84     do     S. 


Soit  en  chiffres  ronds  environ  1^',8  de  soufre,  qui  correspond  bien  au  chiffre  de  Oe',6 
de  soufre  éliminé  par  l'urine  et  à  une  quantité  de  ie%2  éliminée  avec  les  excréments,  les 
fèces,  la  sueur,  etc. 

Phosphore.  —  Le  phosphore  est  ingéré  en  notable  quantité;  une  petite  portion  à 
l'état  de  phosphore  organique,  une  portion  relativement  fort  grande  sous  forme  de 
phosphates,  soit  i'^','^  de  phosphore.  D'après  S.^lkowski  et  Leube,  par  l'urine  il  y  a 
une  excrétion  quotidienne  d'environ  21^'^, 50  à  3  grammes  de  P-0^,  soit  2B"',75  en 
moyenne,  ce  qui  répond  à  18"',2  de  phosphore,  chiffre  bien  différent  du  chiffre  de  4  gram- 
mes de  P-0'^  (soit  1,72  de  P)  que  semblerait  nous  indiquer  l'alimentation  mo3'enne. 

Mais,  si  nous  tenons  compte  de  la  quantité  de  phosphates  éliminés  par  les  fèces, 
nous  retrouverons  le  déficit.  En  effet,  dans  les  150  grammes  de  fèces  quotidiennement 
éliminées,  il  y  a  envir.on  20  p.  100  de  cendres,  soit  3»'',96  de  cendres.  Dans  ces  cen- 
dres l'acide  phosphorique  est  très  abondant,  et  représente  environ  33  p.  100  du  chiffre 
total  :  c'est  donc  une  élimination  moyenne  de  1  gramme  de  P-0°  par  les  fèces,  répon- 
dant à  Os^43  de  P. 

En  ajoutant  ls',2  (éliminés  par  l'urine)  à  0e'',43  (éliminés  par  les  fèces)  on  a  un  total 
de  lô'',63  qui  ne  diffère  guère  du  chiffre  total  lt''',72que  nous  obtenons  en  calculant  la 
moyenne  de  P,  introduit  par  les  aliments.  Nous  pouvons  nous  faire  maintenant  une  idée 
des  ingestions  et  excrétions  des  matières  minérales. 

Il  est  bien  entendu  que  les  chiffres  que  nous  donnons  ici  sont  une  moyenne,  par  con- 
séquent un  chiffre  variable  ;  mais  tant  bien  intéressant  à  connaître  ;  car,  c'est  un  point  de 
ralliement  pour  les  diverses  analyses  qu'on  peut  faire. 

Ingesta. 


Aliments   naturels.    . 
Boissons 

H=0. 

K^O. 

Na^O. 

CaO. 

MgO. 

Fe=0'. 

Cl. 

P. 

S. 

1000 
1600 

4,75 

0,55 

1,18 

0,66 

0,14 

0,63 

1,72 

1,84 

Addition  aux  aliments. 

» 

.. 

6,45 

» 

6,0 

" 

„ 

Combustion   de  H.    . 

400 

■■ 

ALIMENTS.  319 

Il  nous  reste,  pour  en  finir  avec  la  partie  minérale  de  notre  alimentation,  à  dire 
quelques  mots  du  silicium  et  du  fluor.  Nos  connaissances  sur  ce  point  sont  médiocres. 

Le  silicium  ne  manque  dans  aucun  de  nos  aliments,  comme  on  peut  le  voir 
dans  les  tableaux  a,  [3,  y,  etc.  Il  est  absorbé  et  passe  dans  l'urine;  nous  ne  savons  rien 
de  son  rôle  physiologique  chez  les  animaux;  nous  ne  pouvons  même  affirmer  qu'il  en 
ait  un;  il  est  peut-être  là  simplement  parce  qu'il  existe  dans  les  aliments  végétaux. 

Le  fluor  n'a.  guère  été  recherché  dans  les  aliments;  mais,  par  contre,  nous  savons  qu'il 
entre  d'une  façon  normale  et  constante  dans  la  composition  des  os.  Il  est  probable  que 
la  molécule  inorganique  de  ces  organes  est  un  sel  de  chaux  compliqué,  où  l'atome  de 
fluor  est  compris.  Pondéralement,  c'est  peu  de  chose;  peut-être  est-ce  un  élément  très 
■  important  de  l'édifice,  peut-être  est-ce  lui  qui  maintient  la  niasse  calcaire  dans  l'état 
d'insolubilité  nécessaire  à  sa  fonction  physiologique;  mais  nous  en  sommes  réduits  aux 
h3'pothèses. 

Alimentation  minérale  des  animaux  mammifères.  —  Après  cette  étude,  sur 
les  éléments  minéraux,  il  nous  suffira  de  donner  quelques  points  de  comparaison  éta- 
blissant les  différences  essentielles  dans  l'alimentation  des  divers  animaux. 

Prenons  quelques-uns  des  chiffres  donnés  par  les  agriculteurs  sur  la  ration  d'entre- 
tien'. Adoptons  les  chiffres  donnés  par  M.  CoRXEvm  (T.  de  zoot.  gén.,  1891,  p.  903).  Il 
admet,  d'après  Crevât,  pour  un  cheval  de  640  kilogrammes,  la  ration  suivante  : 

Foin 6  kilogrammes. 

Avoine 4  — 

Féverole 4  — 

Maïs 2  — 

Paille i.  — 

Total.    ...  IS  kilogrammes. 

Or,  1  000  parties  de  substance  sèche  contiennent,  d'après  Bunge,  en  potasse  et  en 
soude  : 

K^O.  Na-O. 

Foin 12  0.9 

Avoine 3,o  0,23 

Pcverole 21  0,10 

Maïs 4,32  0,16  (KOnig,  t.  ii). 

Paille ?  ? 

Ce  qui  équivaut  finalement  aux  quantités  de  K-0  et  de  Na-0  suivantes  : 

K^O.  Na=0. 

Foin  (14  p.  100  d'eau,  Wolff) 02  4>."7 

Avoine  (en  moyenne  12  p.  100  d'eau  Konig)  .    .       13  0="9 

Féverole  (4  p.  100) 10  05'0.5 

Maïs  et  paille  (2  p.  100)   ... "  Oi."29 

Total ' «S  gr.  ofr94 

En  rapportant  ce  poids  au  kilogramme  de  poids  vif,  nous  trouvons  que  la  ration 
alimentaire  d'un  kilogramme  de  cheval  est 

K20 0,153 

^'a^O 0,009 

Au  contraire  cb.ez  l'homme,  nous  trouvons,  par  kilogramme  de  poids  vif,  une  quantité 
bien  plus  faible  de  potasse  : 

K20 O.oig 

Na20(2)  ....       0,019 

Si  la  différence  est  si  grande,  cela  tirnt  uniquement  à  ce  que  chez  les  herbivores 
les  excréments,  très  abondants,  contiennent  une  grande  quantité  de  matières  alimen- 

1.  Il  y  a  de  si  nombreuses  divergences  à  cet  égard,  et  si  importantes,  que  nous  ne  pouvons 
pas  même  les  mentionner. 

2.  Non  compris  le  NaCl  ajouté,  ni  le  vin. 


320 


ALIMENTS. 


taires  qui  ne  sont  ni  digérées  ni  dissoutes;  de  sorte  que,  pour  ce  [grand  échange  de  ma- 
tières nutritives,  il  y  a  en  réalité  une  perte  considérable,  de  près  de  îiO  p.  100  et  quelque- 
fois davantage.  On  voit  qu'en  admettant  une  perte  de  oO  p.  100  par  les  excréments,  ce 
qui  est  Lien  près  de  la  vérité,  la  quantité  de  matière  minérale  ingérée  par  kilogramme 
pour  un  herbivore  et  pour  l'homme  est  à  peu  près  la  même.  Il  est  intéressant  de  le 
constater,  quoique  a  priori  on  ait  très  bien  pu  le  supposer. 

D'après  d'autres  auteurs,  la  quantité  d'aliments  minéraux  ingérés  est  plus  considérable 
que  celle  qu'admet  Crevât.  Mais  cela  ne  change  rien  au  résultat  final  ;  car  c'est  toujours 
la  plus  ou  moins  grande  perte  par  les  fèces  qui  produit  le  déficit  entre  l'ingestion  ali- 
mentaire, etrexci'étionparl'urine.  BoussiNGAULT.dontles  admirables  études  ont  été  le  point 
de  départ  de  toutes  nos  connaissances  précises  sur  la  question  (cité  par  Colin,  T.  P., 
t.  II,  1873,  p.  b83)  admet  qu'un  cheval  (de  600  kilogrammes)  ingère  en  24  heures 
672  grammes  de  matières  minérales,  et  qu'il  en  rend  HO  grammes  par  l'urine  et 
560  grammes  par  les  excréments.  En  considérant  comme  perdues  pour  la  nutrition  les 
quantités  rendues  par  les  fèces,  on  voit  que  la  somme  des  sels  est  de  0s'',180  par  kilo- 
gramme, alors  que  chez  l'homme  elle  est  de  10  grammes  (déduction  faite  du  sel  marin 
ingéré)  soit  de  OKfjieO  par  kilogramme';  chiffres  qui  se  ressemblent  beaucoup. 

Une  vache  de  600  kilogrammes  ingérait  en  24  heures  102  grammes  de  chaux;  et  elle 
en  rendait  par  l'urine  seulement  is',T6  en  24  heures,  soit  O^"', 0073  par  kilogramme.  Chez 
l'homme  la  quantité  de  chaux  éliminée  par  kilogramme  étant  de  OSfjOOoS,  chiffre  à  peu 
près  semblable. 

iNous  pouvons  jusqu'à  un  certain  point  considérer  comme  inutiles  à  la  nutrition  les 
substances  qui  passent  dans  les  matières  fécales,  et  n'attacher  d'importance  qu'à  celles 
qui  après  avoir  été  entraînées  dans  la  circulation  générale,  sont  éliminées  par  l'urine. 

Nous  arrivons  alors  à  constater  les  proportions  suivantes  de  minéraux  : 

Proportion  des  minéraux  éliminés  par  l'urine. 


K^O 

CHEVAL*. 

B  Π U  F". 

BÉLIER*". 

PORC"**. 

36,85 
3,71 
4,4-i 

21,92 

17,16 
lb,36 
0,32 

64,10 

1,29 
0,20 

4,3u 
18,20 
0,45 
0,14 

35,0 
9,0 
3,5 
1,2 
0,2 
4,1 

23,5 
1.2 

58,7 
0.30 
1,64 
0,76 

11,84 

8,00 
11,05 
0,20- 

Na^O 

MgO 

CaO 

P20= 

S04H2 

Cl 

Si03 

Fe-0= 

•D'après  Wolff  (citù  par  Teres,  m  Ellenberger,  Verr/lmh.Pht/siol.  der  Haussauijf!thiei-e,lS90,t.i,p .  384. 
"  D'après  J.  Mdnk,  Ibid.,  p.  394. 
*"  D'après  Henneberg.  Ihid.,\>.  395. 
•*"  D'après  Heiden,  Ibid.,  p.  398. 

Comparons  ces  chiffres  à  ceux  de  l'urine  humaine,  et  rapportons  à  100  la  quantité 

totale  des  sels;  nous  avons,  selon  qu'on  tient  compte  ou  non  du  sel  marin  ingéré  par 
addition  aux  aliments: 

Avec  le  sel  marin  Sans  le  sel  marin 

d'addition.  d'addition. 

K20 17,8  36,5 

Na20 23,8  3,2 

CaO 1.6  3,2 

MgO 4,8  9,0 

Fe^O^ 0,02  0,05 

Cl 30,-6  2,70 

P205 13,0  27,00 

SO'H-2 8,3  20,05 

1.  Poids  moyen  des  Français,  62  kil.  (Tenon,  cité  par  Sappey.  Traité  d'Anatoinie,  t.  i). 


ALIMENTS. 


321 


Nous  vo3'ons  donc  par  la  comparaison  de  ces  tableaux  entre  eux  que  la  composition 
de  l'urine,  et  par  conséquent  la  composition  des  aliments  en  sels  minéraux,  est  très 
variable.  N'est-il  pas  légitime  de  supposer  que  les  besoins  réels  de  l'alimentation  en 
sels  minéraux  sont  satisfaits  dans  les  uns  et  les  autres  cas;  et  que  par  conséquent  il  est 
inutile  d'exiger  à  l'aliment  une  Usité  absolue  dans  le  rapport  des  difîérents  sels. 

Si  chez  l'homme  on  trouve  tant  de  soude,  c'est  par  suite  non  d'une  nécessité  abso- 
lue, mais  d'une  habitude  prise,  qui  ne  semble  pas  indispensable,  puisque  aussi  bien,  chez 
le  porc,  qui  est  omnivore,  on  ne  trouve  presque  pas  de  soude,  mais  une  dose  énorme  de 
potasse,  60  p.  100  environ  sur  100  grammes  de  cendres. 

Il  est  facile  de  comprendre  comment  l'élimination  urinaire  du  phosphore  est  si  faible 
chez  les  herbivores.  L'urine,  étant  alcaline,  ne  peut  contenir  à  la  fois  sous  la  forme  soluble 
des  phosphates  et  des  sels  de  chaux.  De  fait,  dans  l'urine  du  cheval,  il  y  a  de  la  chaux  à 
l'état  de  sulfate,  et  il  n'existe  que  des  traces  de  phosphates.  Par  conséquent  les  phosphates 
ingérés,  et  ingérés  en  très  grande  quantité,  puisque  on  doit  l'évaluer  à  peu  près  à  40  gram- 
mes par  jour,  passent  dans  les  fèces,  mais  sont  probablement  aussi  éliminés  par  la  bile, 
c'est-à-dire  qu'il  y  a  dans  les  fèces  non  seulement  des  phosphates  non  assimilés,  mais 
encore  des  phosphates  provenant  des  sécrétions  glandulaires  du  foie  et  de  l'intestin. 
C'était  l'opinion  de  Liebig,  et,  quoique  assez  peu  satisfaisante,  il  faut  l'admettre,  faute 
de  mieux. 

On  ne  peut  donc  se  faire,  avec  des  animaux  nourris  suivant  telle  ou  telle  variété 
d'aliment,  une  idée  exacte  de  leur  nécessaire  et  véritable  alimentation.  On  a  cherché 
alors  à  voir  quel  était  le  taux  des  excréta  minéraux  dans  le  cas  d'inanition.  D'après  Voit 
(H.  H.,  t.  VI,  p.  3o9),  un  chien  de  34  kilogrammes  a  rendu  par  l'urine,  pendant  l'inani- 
tion, les  quantités  suivantes  de  sels  minéraux  : 


lerjpur 3^54 

■l"    — 2,49 

3"    — 2,25 

4=     — 1,79 


1,90 
1,71 
2,10 
2,37 


Soit, en  ne  tenant  pas  compte  du  premier  jour,  unemoyennede  2""',10, auxquels  ilfaut 
ajouter  Ot'''',36  éliminés  parles  fèces;  soit  encore,  par  rapport  au  poids  du  chien,  une  dénu- 
trition moyenne  de  Ot'i'.O?  de  sels  minéraux  |iar  kilogramme  et  par  24  heures.  Falck, 
expérimentant  sur  un  chien  de  21  kilogrammes,  et  sur  un  autre  de  8'',900,  a  trouvé  deux 
chiflres  très  différents  (Falck,  Beitrâge  zur  Physiologie,  etc.,  187o,  p.  92);  et  pour  des  rai- 
sons trop  longues  à  discuter  ici,  il  aJmet  comme  valable  un  seul  de  ses  chiffres,  soit  en 
moyenne  par24  heures  une  élimination  de  chlore  égale  à0sr,017;  ce  qui  pour  un  chien  de 
21  kilogrammes  descendant  successivement  à  I0'\830  (moyenne  =  16  kilogrammes)  lait 
à  peu  près  Ot'', 00106  par  kilogramme.  Dans  ces  mêmes  expériences  la  quantité  de  P  retrou- 
vée dans  l'urine  a  été  par  kilogramme  pour  les  deux  mêmes  chiens  de  0S'',1221,  et 
Os^OSSSet  Os'',t047  (chat  observé  par  Schmidt).  Sur  un  chien  de  34  kilogrammes  Bischoff 
(cité  par  Voit,  loc.  cit.)  a  trouvé  l^"',!  dans  le  jeûne,  soit  0t''',032  par  kilogramme.  Le 
soufre  total  a  été  de  Ô8'',03  par  kilogramme. 

La  chaux  éliminée  dans  le  jeûne  a  été  trouvée  par  Etzixger  pour  un  chien  de  34  kilo- 
grammes égale  à  0î''r,22  de  CaO,  soit  0e'',006o  par  kilogramme  et  par  jour. 

Rien  ne  prouve  mieux  cette  influence  de  l'alimentation  que  l'expérience  suivante  de 
\Veiske  (cité  par  Tereg,  loc. cit.,  p.  398).  U  a  pris  deux  chevreaux;  l'un  nourri  avec  des 
herbes,  et  l'autre  avec  du  lait.  Voici  la  teneur  en  ceudres,  comparée  dans  les  deux  urines, 
sur  100  grammes  de  cendres. 

Urine  du  chevreau  Urine  du  clievreau 

herbivore.  lactivore. 

K20  . "  34,91  42,83 

Na-^O 22,48  14,03 

MgO 0,77  0,98 

SO^Hi 10,89  3,02 

V^O^ »  22,22 

Cl 13, .33  20,67 

C02 10,40 

SiO» 0,39  » 

DICT.    DE    PHYSIOLOGIE.    —    TOME   I.  21 


322  ALIMENTS. 

Dans  les  nombreux  dosages  effectués  sur  l'urine  de  Succi  qui  est  resté  à  jeun  pen- 
dant 30  jours,  LuciANi  a  trouvé  les  chiffres  suivants,  pour  rélimination  des  matières 
salines  (Fisiologia  del  Digiuno,  1889,  p.  116). 

chlore.  Acide  phosphorique. 
P=0/. 

Du  i"  au  8=  jour,  moyenne 0,823  2,282 

Du8=aul2«    —          —        0,531  1,407 

Dul2'îaul6'=    —          —        0,270  0,850 

Du  16»  au  20-    —          —        0,200  1,063 

Du  20e  au  24=     —          _        0,245  0,847 

Du24eau30e     -          -        0,291  0,827 

La  moyenne  eu  chiffres  ronds  de  Cl  émis  pendant  la  période  de  jeûne  complet  est 
donc  voisine  de  0E"',260;  ce  qui,  en  lui  supposant  un  poids  moyen  de  oo  kilogrammes 
(t)3>',.300  au  début,  4o",650  à  la  fin  du  jeûne)  équivaut  par  kilogramme  et  par  24  heures, 
pour  la  dénutrition  organique  proprement  dite,  à  environ  0e'',0047  pour  le  chlore; 
et  0e'',8S0  pour  P^O',  ce  qui  fait  par  kilogramme  O^'^Olb. 

Ce  sont  là  des  chiffres  très  faibles,  mais  ils  représentent  évidemment  la  combustion 
d'un  individu  à  jeun  et  souffrant  de  la  faim. 

En  résumé  on  peut  admettre  à  peu  près  les  quantités  suivantes,  par  kilogramme 
et  par  24  heures,  pour  un  individu  normal  : 

Na^O 0,005 

K^o 0,015 

P203   ....  0,060 

CaO 0,003 

Cl 0,023 

De  là,  pour  un  homme  de  60  kilogrammes,  une  consommation  minimum  quotidienne 
de  : 

Consommation  Consommation 

minimum.  moyenne*. 

Na-20 0,30  7,00 

K20 0,90  4,75 

P20» 3,60  4,75 

CaO 0,30  0,75 

Cl 1,50  8,00 

Il  s'ensuit  qu'en  fait  de  sels  minérau.x;  nous  avons  une  vraie  alimentation  de  lu.\e  — 
et  les  animaux,  eus  aussi,  ont  une  alimentation  de  luxe  — et  que  nous  ingérons  beaucoup 
plus  de  sels  que  cela  ne  serait  rigoureusement  nécessaire.  Nous  discuterons  plus  loin 
cette  question  pour  tous  les  aliments. 

Quant  au  rapport  de  ces  divers  sels,  on  ne  peut  rien  affirmer  de  précis;  car,  selon 
toute  apparence,  les  sels  de  Na  peuvent  dans  une  certaine  mesure  se  substituer  aux 
sels  de  K'.  les  sels  de  Ca  aux  sels  de  Mg,  et  inversement.  De  même  Cl  peut  être  remplacé 
par  P^0=  ou  SO-'. 

D'après  les  analyses  de  Lawes  et  Gilbert,  la  proportion  des  cendres  est  la  suivante, 
pour  un  bœuf  moyen  : 

En  admettant  K-0  =  100. 

K^O 4,41  100 

Na^O   ....  3,08  71 

MgO 2,03  45 

CaO 45,26  » 

Fe20'  ....  0,97  2,2 

P-O'i 48,22  » 

S0m2.    .   .   .  0,86  1,9 

Cl 1,24  28,0 

SiO= 0,24  0,5 

Mais  cela  ne  nous  donne  aucune  indication  sur  la  nécessité  de  tel  ou  tel  aliment;  car 

1.  Chiffres  obtenus,  en  nous  reportant  au  tableau  donné  plus  haut.  Nous  trouvons  donc  une 
différence  considérable  entre  l'alimentation  minimum  et  l'alimentation  réelle. 


ALIMENTS.'  3'23 

le  phosphate  de  chaux,  qui  est  là  en  quantité  si  prépondérante,  ne  subit  certaineinenL 
que  des  transformations  tout  à  fait  lentes,  et  reste  fixé  dans  le  tissu  osseux  hien  plus 
que  les  sels  de  soude  ou  de  potasse  qui  sont  sans  doute  en  rénovation  continuelle  dans 
les  muscles  et  dans  le  sang. 

11  semble  que  le  vrai  type  de  nos  besoins  en  sels  minéraux  doit  nous  être  donné  par 
la  composition  du  lait;  toujours  en  éliminant  le  phosphate  de  chaux,  car  le  nouveau-né 
a  besoin  de  fixer,  pour  le  reste  de  sa  vie,  du  phosphate  de  chaux  dans  ses  tissus. 

En  faisant  cette  proportion,  nous  trouvons  sur  100  grammes  (d'après  Bdnge),  pour 
le  lait  de  chienne  : 

Soit  K^O  =  100. 

K^O 10,7  100 

Na^O 6,1  37 

MgO 1,0  14 

De  là  il  s'ensuit,  pour  terminer  cette  longue  discussion,  qu'on  peut  [à  peu  près,  en 
prenant  la  moyenne  de  ces  moyennes,  très  hétéroclites,  adopter  les  chiffres  suivants 
(schématiques),  pour  les  besoins  de  l'organisme  par  kilogramme  et  par  24- heures. 

Xa^O 0^010 

K^O 0,030 

P^Oï 0,060 

CaO 0,003 

Cl 0,023 

-MgO 0,005 

ToTAi 0,135 

Si  cette  limite  est  dépassée  —  et  elle  l'est  toujours  beaucoup  dans  l'alimentation 
normale,  —  c'est  qu'il  y  a,  pour  les  matières  minérales  comme  pour  les  matières  orn-ani- 
ques,  un  véritable  luxe  alimentaire,  et  que  nous  ingérons  plus  de  sels  minéraux  que  ne 
l'exigeraient  les  stricts  besoins  de  notre  organisme. 

Reptiles,  Oiseaux,  Poissons.  — Jusque  ici  [nous  n'avons  étudié  que  les  aliments  de 
l'homme  et  des  mammifères.  11  faudrait  examiner  maintenant  les  aliments  minéraux 
nécessaires  aux  autres  vertébrés  et  aux  invertébrés.  Mais,  si  déjà  nous  avons  souvent  eu 
l'occasion  de  constater  que  les  recherches  précises  font  défaut  en  maints  points  de  détail 
pour  l'alimentation  de  l'homme  et  des  animaux  domestiques,  à  plus  forte  raison  quand 
il  s'agira  des  oiseaux,  des  reptiles,  des  poissons,  des  mollusques  et  des  insectes. 

D'une  manière  générale  on  peut  dire  que  les  besoins  de  l'organisme  d'un  oiseau 
doivent  être  à  peu  près  les  mêmes,  à  égalité  de  poids,  que  ceux  d'un  mammifère-  mais 
les  chiffres  précis  manquent. 

Même  il  n'existe  pas  d'analyse  complète  du  guano,  au  point  de  vue  de  la  teneur  res- 
pective en  K  et  en  Na.  Dans  l'art.  Engrais  (D.  W.,  p.  1231,  t.  Si)  AI.  Dehérain  donne  pour 
le  guano  des  îles  Falkland  la  composition  suivante  (résultat  de  trois  analyses)  : 

Phosphate  tricalcique 19,0 

Phosphate  de  fer  et  d'alumine.  i,7 

Sulfate  do  chaux  hydi-até.    .    .  14,00 

Silice 26.3 

Sels  alcalins 7,0 

Eau 11,0 

Matières  organiques 18,0 

En  supposant  que  la  proportion  de  NaCl  à  KCl  soit  de  1  à  5  ;  pour  comparer  les  excré- 
tions des  oiseaux  a  celles  des  mammifères,  cela  donne  à  peu  près  les  proportions  sui- 
vantes : 

P.  100  de  mat.  minérale 

p.  100  de  guano.  (CaO,  P=0=,Na=0,  K='0^. 

CaO.    .    .    .       I'i,8  44^4 

ViOK   .    .    .       12,4  37^0 

Na^O..    .    .         0,8  ■-,  4 

K^O.    ■    •   ■        :J.'i  10^5 
SiO=.   .   .   .       i^ 
SOHi^.   .   .        7,9 


324  ALIMENTS. 

On  voit  que  ce  document,  ne  nous  renseigne  que  d'une  manière  assez  insuffisante. 

J'en  dirai  autant  des  analyses  bien  imparfaites  et  peu  nombreuses  qu'on  a  données 
de  l'urine  des  serpents  (H.  Milne-Edwards,  T.  P.,  t.  vu,  p.  446).  Dans  l'urine  d'un  boa, 
Prout  n'aurait  pas  trouvé  de  soude;  mais  l'analyse  est  manifestement  insuffisante. 
M.  Wesley  Mills  (J.  of  Physiol.,  t.  vu,  1886,  p.  43.3),  analysant  l'urine  des  tortues,  n'a 
pas  dosé  les  sels,  quoique  il  ait  eu  de  notables  quantités  de  matière  à  sa  disposition. 

Nous  pouvons  cependant  supposer,  malgré  cette  défectuosité  des  analyses,  que  l'ali- 
mentation des  oiseaux  et  des  reptiles  ressemble  au  point  de  vue  des  sels  minérau.'î  à 
celle  des  mammifères;  les  uns  sont  carnivores;  les  autres,  berbivores;  avec  des  propor- 
tions un  peu  plus  fortes  de  soude  chez  les  animaux  carnassiers  que  chez  les  granivores 
et  les  herbivores.  ■  ■ 

Un  seul  point  est  digne  de  remarque,  c'est  la  formation  de  chaux  pour  la  coquille 
de  l'œuf  chez  les  oiseaux.  Une  poule  qui  pèse  2  kilogrammes  en  moyenne  peut  produire 
un  œuf  par  jour  à  certaines  saisons  ;  le  poids  de  la  coquille  est  de  6  grammes  environ. 
Si  l'on  admet  que  c'est  du  carbonate  de  chaux  presque  pur,  cela  fait  une  élimination  quoti- 
dienne de  i^'f-o  environ  de  CaO,  chilfre  énorme,  d'autant  plus  considérable  que  certai- 
nement les  urines  contiennent  encore  de  la  chaux,  et  que  l'œuf  lui-même  renferme  des 
quantités  de  chaux  qui  sont  relativement  très  grandes.  On  peut  dire  que  dans  ces  condi- 
tions l'oiseau  a  besoin  au  moins  de  o  grammes  de  CaO  par  jour  dans  ses  aliments. 

Il  parait  même  qu'en  alimentant  des  poules  avec  une  nourriture  riche  en  phosphate 
de  chaux,  on  peut  augmenter  beaucoup  la  teneur  de  l'œuf  (albumen  etvitellus)  en  chaux. 
M.  LANELa  pu,  avec  cette  alimentation  spéciale,  avoir  des  œufs  contenant OS'', 89  de  phos- 
phate de  chaux  pour  100  grammes;  alors  que  laproportion  normale  n'est  que  de  0,s''34. 

Ainsi,  par  le  seul  fait  de  la  nécessité  d'une  coquille  pour  un  œuf,  les  besoins  de  l'ali- 
mentation de  l'oiseau  en  chaux  sont  profondément  modiliés.  Il  paraît  que,  si  l'on  em_ 
pèche  les  poules  de  mêler  à  leurs  aliments  des  petits  graviers  ou  des  petits  cailloux,  elles 
cessent  de  pondre. 

Invertébrés.  — Pour  ce  qui  concerne  l'alimentation  des  invertébrés,  nous  avons  bien 
moins  de  données  encore.  Il  est  certain  qu'il  y  a  des  sels  de  soude,  de  chaux  et  de  potasse 
dans  leurs  tissus,  et  que  ces  métaux  ont  été  introduits  par  l'alimentation;  mais  nous  ne 
pouvons  savoir  dans  quelles  proportions  (Voyez  Milne-Edwards,  T.  P.,  t.  vn,  p.  449). 
M.  Letellier,  qui  semble  avoir  étudié  ce  sujet  avec  soin  [Th.  doct.  Fac.  sciences  de  Paris, 
1887,  et  Arch.  de  zoolog.  expérimenlale),  a  trouvé  chez  divers  mollusques  acéphales  des 
calculs  de  phosphate  ammoniaco-magnésien,  de  phosphate  tribasique  de  calcium,  avec 
des  traces  de  phosphate  de  soude  et  de  fer.  Mais  ces  analyses,  si  importantes  qu'elles 
soient,  ne  sont  pas  cjuantitatives  et  par  conséquent  ne  nous  fournissent  que  des  rensei- 
gnements imparfaits. 

Notons  aussi  que  la  soie  sécrétée  par  le  ver  du  bombyx  contient  6,4  pour  100  de  sels 
minéraux,  dont  la  moitié  est  constituée  par  des  sels  de  chaux,  l'autre  moitié  par  des  ^els 
d'alumine  et  de  fer'. 

Dans  l'histoire  chimique  des  invertébrés,  ce  qui  doit  surtout  frapper,  c'est  la  propor- 
tion considérable  de  chaux  que  la  plupart  de  ces  êtres  vont  fixer  sur  leur  coquille  à  l'é- 
tat de  carbonate.  C'est  là  dans  l'ensemble  de  la  vie  des  êtres  un  phénomène  tout  à  fait 
remarquable. 

C'est  même  un  phénomène  commun  à  tous  les  animaux,  supérieurs  ou  inférieurs.  La 
fixation  de  chaux  à  l'état  de  carbonate  et  phosphate  de  chaux  paraît  être  une  des  lois 
fondamentales  de  la  Biologie.  Pour  faire  la  trame  solide  de  leur  organisme,  de  manière 
à  ofl'rir  un  support  à  leurs  parties  molles,  les  êtres  vivants,  quels  qu'ils  soient,  vont  cher- 
cher dans  leurs  aliments  un  minéral  qui  donnera  un  sel  insoluble,  et  par  conséquent  une 
masse  dure  et  résistante.  Le  squelette,  intérieur  chez  les  vertébrés,  extérieur  chez  les  mol- 
lusques et  les  crustacés,  a  toujours  une  base  de  chaux. 

Et  cette  quantité  de  chaux  ainsi  fixée  est  considérable.  D'après  Soxhlet,  dont  les  chif- 
fres sont  confirmés  par  Lehm.ann  et  Weiske  (cités  par  Voit,  II.  H.,  t.  v,  p.  378),  un  veau 
de  90  kilogrammes  [a  besoin  par  jour   pour  sa  croissance  de    lis', 5  de  CaO.  Mais  ce 

1.  A  noter  que  les  insectes  soat  riches  on  soude  (Bunge,  Cours  de  Chim.  binl,.  p.  122). 


ALIMENTS.  325 

chiffre  est  beaucoup  trop  faible  et  il  y  a  e'videmmenl  une  erreur.  En  effet,  d'après 
FjAwes  et  Gilbert,  un  bœuf  de  SOO  kilogrammes  ne  contient  pas  moins  de  21  kilogrammes 
de  phosphate  de  chaux.  En  supposant  qu'il  ait  un  an  et  demi  d'existence,  cela  fait  une 
fixation  moyenne  de  b-S-R^S  de  phosphate  de  chaux,  par  jour;  ou  30  grammes  en  chiffres 
ronds.  Les  sels  de  chaux  qui  se  sont  amassés  dans  les  os  des  grands  herbivores  d'autçefois 
constituent  maintenant  d'importants  gisenients  exploités  pour  l'agriculture. 

De  même  que  la  plante  accumule  du  carbone  et  de  la  potasse,  dans  ses  tissus,  de 
même  l'animal  accumule  du  phosphate- de  chaux,  et  il  ne  serait  peut-être  pas  difficile 
d'établir  une  classification  d'après  cette  fixation  minérale  différente;  puisque  aussi  bien 
c'est  afin  de  pouvoir  se  mouvoir  et  donner  des  points  d'appui  à  leurs  muscles  que  les 
animaux  ont  amassé  ainsi  des  sels  de  chaux,  tandis  que  les  végétaux,  qui  n'ont  pas 
besoin  d'un  squelette  aussi  résistant,  n'amassent  que  de  la  potasse  qu'ils  vont  puiser  dans 
le  sol. 

Plus  remarquable  encore  est  cette  fixation  de  chaux  quand  on  étudie  le  mode  de  vie 
des  mollusques.  En  effet,  la  plupart  de  ces  animaux  vont  puiser  dans  leurs  Aliments,  et 
spécialement  dans  l'eau,  la  chaux  qui  leur  est  nécessaire. 

Les  coquilles  des  mollusques,  le  test  des  crustacés  et  le  squelette  des  polypiers  sont 
constitués  pi'esque  uniquement  par  du  carbonate  de  chaux. 

Voici  quelques  analyses  à  ce  sujet  (Jolly.  Les  phosphates,  Paris,  1887,  pp.  208,  216,  218). 

Test  de  langouste  (cendres) 

CO^Ca 72,10 

CO^Mg.   .■ 9,30 

(P03)2Ca= 18,60 

Corail 

CO^Ca 97,031 

CO^Mg 0,376' 

(P0')2Mg= 0,046 

(P0')2Ca' 2,347 

Coquilles  des  huîtres 

'  Matière  organique 1 

COSCa 98 

(P03;2Ca' 1 

Ainsi  le  squelette  des  invertébrés  est  constitué  presque  exclusivement  par  du  carbo- 
nate de  chaux,  avec  2  et  .3  p.  100  en  moyenne  de  phosphate  de  chaux.  Gela  indique  une 
fixation  de  chaux  considérable  et  très  active.  Dans  une  huître  de  taille  moyenne,  il  y  a 
donc  environ  200  grammes  de  chaux.  Or,  comme,  dans  l'eau  de  mer,  il  y  a  0s"',60  deCaOpar 
litre,  on  voit  qu'il  faut  que  l'huître  ait  séparé  totalement  toute  la  chaux  que  peuvent  con- 
tenir 300  litres  d'eau  de  mer.  Cette  fixation  est  plus  étonnante  encore  quand  on  songe 
qu'elle  se  fait  en  partie  au  moyen  d'acide  phosphorique;  car  il  n'y  a  que  des  traces  de 
phosphates  dans  l'eau  de  mer,  et  cependant  les  animaux  marins,  vertébrés  et  inverté- 
brés, contiennent  tous  dans  leurs  tissus  de  notables  quantités  de  phosphore,  soit  à  l'état 
de  phosphates  de  chaux,  de  potasse  et  de  soude,  soit  à  l'état  de  combinaison  organique. 

Cette  fixation  minérale  (de  chaux)  par  les  invertébrés  est  vraiment  un  phénomène 
extraordinaire,  si  l'on  songe  aux  formations  géologiques,  soit  anciennes,  soit  actuelles. 
Des  terrains  calcaires,  d'une  puissance  et  d'une  étendue  considérables,  sont  formés  entiè- 
rement par  des  agglomérations  de  coquilles;  et  actuellement  des  îles  et  des  continents 
se  forment,  dans  l'océan  Pacifique  par  exemple,  par  l'accroissement  des  polypiers  et 
coralliaires  (Voy.  Darwin,  Voyage  d'un  naturaliste,  1883,  p.  496). 

Ainsi  donc,  les  vertébrés  supérieurs,  et,  avec  une  plus  grande  intensité,  les  vertébré 
inférieurs,  trouvent  dans  leurs  aliments  de  la  chaux,  et  la  fixent  dans  leurs  tissus,  pour 
en  former  leur  squelette  solide,  constituant  ainsi  une  colossale  réserve  de  chaux  qu'ils 
séparent  de  la  nature  ambiante  où  cette  chaux  était  disséminée. 

Quant  aux  sels  de  potassium,  de  sodium  et  de  magnésium,  ils  sont  aussi  fixés  par  les 
organismes  marins;  mais  d'abord  cette  fixation  est  moins  complète,  et  ensuite  elle  es 


32(1  ALIMENTS. 

plus  facile  à  comprendre,  car  les  eaux  de  mer  contiennent,  par  litre,  15  grammes  de 
soude,  |s'^,9  de  magnésie  et  0s'',9  de  potasse. 

Cette  même  huître,  qui  a  eu  besoin  de  300  litres  d'eau  de  mer  pour  y  trouver  une 
quantité  de  chaux  suffisante  à  sa  coquille,  trouvera  dans  un  litre  d'eau  de  mer  assez  de 
potasse,  de  soude  et  de  magnésie,  pour  la  constitution  minérale  de  son  organisme. 

En  définitive,  nos  connaissances  sur  la  nutrition  des  invertébrés  en  aliments  minéraux 
sont  assez  peu  avancées,  et  appellent  certainement  de  nouvelles  recherches. 

Abstinence  d'aliments  minéraux.  —  On  a  naturellement  cherché  à  savoir  quelle 
serait,  sur  l'organisme,  l'influence  de  l'abstinence  totale  de  sels  de  sodium  et  de  potassium, 
et  on  est  arrivé  à  des  résultats  positifs,  quoique  à  bien  des  égards  imparfaits  (La  question 
a  été  bien  résumée  et  exposée  par  Voit.  H.  H,  t.  vi,  pp.  362-371). 

On  sait  d'abord  que  les  animaux  de  boucherie  engraissent  plus  vite  quand  on  ajoute 
du  sel  marin  à  leur  alimentation.  C'est  là  une  donnée  qui  trouve  journellement  son 
application  dans  l'industrie  agricole. 

D'autre  part,  il  est  assez  difficile  de  nourrir  un  animal  tout  en  le  privant  absolument  de 
sel  ;  car  les  aliments  minéraux  adhèrent  avec  ténacité  aux  matières  albuminoïdes,  si  bien 
qu'on  ne  peut  les  en  complètement  débarrasser. 

Aussi  bien  n'a-t-on  jamais  pu  établir  la  démonstration  que  l'absence  de  matières 
minérales,  prolongée,  fait  mourir  par  une  sorte  d'inanition  minérale.  Cependant  Forster, 
qui  a  fait  cette  étude  en  1873  [Hofmanns  Jahresberichte  fur  Phys.,  187o,  p.  407),  admet 
que  les  chiens  et  les  pigeons,  ainsi  privés  de  toute  substance  saline,  finissent  par  mourir. 

On  a  essayé  aussi  de  supprimpr  chez  l'homme  le  sel  marin  de  l'alimentation,  mais, 
qu'on  le  remarque  bien,  cette  suppression  n'est  jamais  totale,  car  il  reste  toujours  dans  les 
aliments,  même  non  salés,  assez  de  chlorures  et  de  sels  de  soude  pour  constituer  encore 
une  suffisante  ration  de  ^aCI. 

En  prenant  des  aliments  sans  aucune  addition  de  sel,  Wundt  a  vu  diminuer,  comme 
cela  était  à  prévoir,  le  NaCl  éliminé  par  l'urine. 

i"  jour  ....  7,21 

2"      —  .    .    .    .  3,61 

•i"     —  ....  2,44 

4«      —  .    .    .    .  1,36 

5=      —  ....  1,09 

Klein  et  Perrox  ont  pu  vivre  pendant  huit  jours  sans  être  incommodés  en  n'ingérant, 
tout  compris,  qu'une  quantité  maximum  de  NaCl  égale  à  ls'',4.  Ils  ont  constaté,  en  dosant 
le  NaCl  du  sang,  que  la  proportion  de  sel,  qui  était  par  litre  de  sang  de  4s'', 02,  est  tom- 
bée à  2ff'',82,  pour  remonter  à  4t"'',23,  après  que  l'expérience  de  privation  de  sel  a 
pris  fin. 

Si  l'on  voulait  faire  cette  expérience,  il  faudrait  se  résigner  à  la  poursuivre  pendant 
plus  longtemps,  avec  du  riz,  du  sucre  de  canne,  du  beurre,  de  la  viande  bouillie  et  de 
l'eau  distillée  à  discrétion;  on  aurait  évidemment  une  alimentation  peu  agréable,  mais 
suffisante  au  point  de  vue  du  carbone,  de  l'hydrogène  et  de  l'azote.  Elle  serait  assez 
pauvre  en  sels  pour  que  la  masse  des  matières  minérales  ne  dépasse  pas  3  grammes. 
Encore,  en  ayant  soin  de  faire  bouillir  le  riz  au  préalable,  pourrait-on  abaisser  à  3  ou 
4  grammes  ce  taux  minimum-  d'éléments  minéraux. 

Quant  au  rôle  du  phosphore,  nous  avons  peu  de  faits  à  citer.  Kemmerich  (A.  Pf., 
1860,  t.  n),  a  nourri  deux  jeunes  chiens  avec  de  la  viande  bouillie  et  lavée;  mais  en 
variant  le  sel,  de  sorte  que  l'un  (A)  recevait  en  outre  5  grammes  de  NaCl,  tandis  que 
l'autre  (B)  recevait  5  grammes  des  cendres  du  bouillon  (phosphate  de  potasse)  ;il  a  vu  que 
le  chien  au  phosphate  de  potasse  prospérait,  tandis  que  l'autre  n'augmentait  pas.  Mais 
quand  on  a  donné  au  chien  A  du  phosphate  de  K  et  au  chien  B  du  NaCl,  c'est  l'inverse 
qu'on  a  observé.  Quelque  intéressante  que  soit  cette  expérience,  on  [pensera  sans  doute 
qu'elle  ne  suffit  pas  pour  établir  le  rôle  du  phosphore  dans  la  nutrition. 

Il  est  à  présumer  que  ce  rôle  est  très  important;  car,  chez  les  plantes,  les  phosphates 
sont  absolument  nécessaires  à  une  bonne  végétation,  et  il  faut  donnerîdes  engrais  phos- 
phatés si  le  sol  ne  contient  pas  de  phosphore.  Enfin  la  richesse  du  lait  et  de  l'œuf  en 
phosphore  nous  prouve  bien  à  quel  point  ce  corps  est  utile  à  l'existence  du  jeune  être. 


ALIMENTS.  327 

L'absence  de  chaux  dans  l'alimentation  a  été  plus  souvent  étudiée  (Voit,  H.  H.,  {.  v, 
p.  374).  Il  se  produit  alors  des  lésions  osseuses  qu'on  peut  désigner  sous  le  nom  géné- 
rique d'ostéomalacie.  Nous  n'entrerons  pas  ici  dans  la  discussion  des  faits,  qu'on  trou- 
vera relatés  à  Calcium  et  à  Ostéomalacie;  nous  nous  contenterons  d'indiquer  une  cause 
d'erreur  assez  grave,  commune  d'ailleurs  à  toutes  ces  expériences. 

Quand  on  soumet  un  animal  à  une  alimentation,  artificielle,  ainsi  que  l'est  nécessai- 
rement toute  alimentation,  dont  il  faut  éliminer  soit  NaCl,  soit  KCl,  soit  (PO')-  Ca^;  il  ne 
mange  plus  qu'avec  une  extrême  répugnance,  et  finalement  il  dépérit  et  meurt  d'alimen- 
tation insuffisante,  sans  qu'on  puisse  décider  si  l'insuffisance  de  nutrition  porte  sur  les 
éléments  minéraux  ou  sur  les  autres. 

Ce  qui  est  certain,  c'est,  comme  l'a  bien  vu  le  premier  Chossat,  que  les  animaux  privés 
de  sels  de  calcium  ont  des  os  fragiles,  poreux,  cassables,  et  finissent  par  mourir.  Voit 
préfère  appeler  ce  phénomène  de  Vostéoporose,  plutôt  que  de  \' ostéomalacie  et  du  rachi- 
tisme, qui  coïncident  avec  une  inflammation  véritable  plutôt  qu'à  une  raréfaction  de 
l'élément  minéral  dans  la  trame  du  tissu iDsseux. 

Alcalinité  des  aliments.  —  En  dehors  de  la  somme  totale  d'éléments  minéraux,  et 
du  rôle  de  chacun  de  ces  éléments  pris  en  particulier,  nous  devons  considérer  encore 
la  somme  des  bases,  d'une  part,  la  somme  des  acides,  de  l'autre,  ces  deux  sommes  étant 
comptées  après  transformation  complète  du  phosphore  et  du  soufre  en  acides  phos- 
phorique  et  sulfurique,  ainsi  que  cela  se  passe  dans  l'organisme.  Or,  dans  les  aliments 
végétaux,  la  somme  des  bases  l'emporte  sur  la  somme  des  acides,  tandis  que  c'est  l'in- 
verse dans  les  aliments  animaux  :  les  cendres  des  végétaux  sont  alcalines,  les  cendres 
de  la  viande  sont  acides.  A  cette  constatation  correspond  le  ^fait  ph3'siologique  connu, 
que  les  urines  des  herbivores  sont  alcalines,  les  urines  des  carnivores  sont  acides.  Ce 
dernier  fait  démontre  que  le  rein  est  capable  de  débarrasser  le  sang  d'une  partie  des 
acides  qui  tendent  à  détruire  son  alcalinité  normale.  Mais  leslois  chimiques  qui  permettent 
ainsi  au  filtre  rénal  d'extraire  du  sang  alcalin  un  liquide  acide  limitent  ce  phénomène  à 
certains  sels,  spécialement  aux  phosphates  (Voir  Rein).  L'acide  sulfurique  qui  se  forme 
sans  cesse  par  la  combustion  des  matériaux  albuminoïdes  dans  l'organisme  des  carni- 
vores s'emparerait  peu  à  peu  de  toutes  les  bases  fixes  de  cet  organisme  et  finirait  par 
le  détruire. 

11  intervient  ici  un  mécanisme  particulier,  neutralisation  de  cet  acide  sulfurique  parde 
l'ammoniaque'  (Voir Nutrition).  Mais  ce  mécanisme  seraitlui-mème insuffisant  si  lanour- 
riture  ne  contenait  pas  du  tout  de  sels  alcalins  ;  car  la  production  d'ammoniaque  est  limitée. 
C'est  du  moins  ce  qui  semble  ressortir  d'expériences  intéressantes  entreprises  sous  l'ins- 
piration de  BuNGE.  FoRSTER  avait  vu  que  des  chiens  nourris  avec  de  la  viande  fortement 
bouillie  et  ne  contenant  presque  plus  de  cendres  périssent  assez  rapidement.  Lunin  * 
reprit  la  question  spécialement  au  point  de  vue  de  l'alcalinité  des  cendres.  11  expérimenta 
sur  des  souris  à  cause  de  la  difficulté  d'obtenir  une  nourriture  exempte  de  cendres 
pour  un  grand  nombre  d'animaux  de  plus  grande  taille. 

La  nourriture  était  préparée  de  la  manière  suivante  :  en  précipitant  par  l'acide  acé- 
tique du  lait  étendu  d'eau  et  en  lavant  avec  de  l'eau  acidulée  le  précipité  floconneux,  on 
obtenait  un  mélange  de  graisse  et  de  caséine,  ne  contenant  que  Oe',0'6  à  O^'^fiS  de 
cendres  sur  100  parties  de  substance  séchée  (c'était  dix  fois  moins  que  dans  les  viandes 
bouillies  de  Forster).  On  ajoutait  à  ce  mélange  du  sucre  de  canne  exempt  de  cendres, 
comme  représentant  des  hydrates  de  carbone. 

Avec  cette  nourriture  et  de  l'eau  distillée,  cinq  souris  vécurent  H,  13,  14,  13  et 
21  jours;  àl'inanition  complète  deux  souris  vécurent  4  jours,  deux  autres  3  jours.  Ensuite 
six  souris  furent  mises  à  cette  nourriture  déminéralisée,  mais  avec  addition  de  carbo- 
nate de  soude.  Celles-ci  vécurent  16,  23,  24,  26  et  30  jours,  c'est-à-dire  le  double  des 
sujets  précédents. 

Or  on  pouvait  dire  que  cette  survie  tenait,  non  pas  à  la  neutralisation  de  l'acide 
sulfurique  formé  dans  l'organisme,  suivant  l'hypothèse  qui  présidait  à  ces  recherches, 
mais  simplement  à  la  présence  de  l'un  du  moins  des  éléments  minéraux  nécessaires, 

1.  Walter,  Arch.  f.  exp.Path..  t.  vu,  p.   148. 

2.  Cité  par  Bunge,  Cours  de  chimie  biol.,  p.  106. 


328  ALIMENTS. 

agissant  là,  non  en  tant  que  base,  mais  en  tant  que  sel  de  sodium.  Pour  répondre  à  cette 
objection,  Lunin  institua  l'expérience  suivante  :  7  souris  furent  [mises  au  même  régime, 
mais  au  carbonate  de  soude  fut  substituée  la  quantité  correspondante  de  chloi'ure  de 
sodium,  c'est-à-dire  d'un  sel  de  sodium  incapable  de  neutraliser  l'acide  sulfurique.  Les 
7  sujets  périrent  an  bout  de  6,  10,  11,  i'6,  16,  17  et  20  jours,  c'est-à-dire  exactement 
comme  les  sujets  qui  n'avaient  reçu  aucun  élément  minéral. 

Une  série  parallèle  instituée  avec  le  carbonate  de  potassium  et  le  chlorure  de  potas- 
sium donna  les  mêmes  résultats. 

Mais,  si  un  sel  alcalin  est  capable  d'assurer  une  survie  de  10  à  15  jours,  quelle  est  la 
cause  de  la  mori  des  animaux  au  bout  de  ce  temps?  est-ce  le  déficit  d'aliments  miné- 
raux particuliers? 

Pour  résoudre  cette  question,  Lunin  reprit  une  série  de  souris  auxquelles  il  donna, 
en  outre  des  aliments  gras,  hydrocarbonés  et  albuminoïdes  préparés  comme  nous 
avons  vu  plus  haut,  toua  les  sels  minéraux  qui  sont  contenus  dans  le  lait  et  précisément 
dans  la  proportion  où  ils  y  sont  contenus;  6  souris  dans  ces  conditions  vécurent  20,  23, 
23,  29,  30  et  31, jours,  c'est-à-dire  le  même  temps  que  les  sujets  qui  n'avaient  reçu  que  du 
carbonate  de  soude  en  fait  d'aliments  minéraux. 

Nous  avons  tenu  à  rapporter  d'une  façon  complète  cette  expérience,  parce  que,  en 
même  temps  qu'elle  élucide  un  point  intéressant,  elle  nous  montre  toute  la  complexité 
et  la  difficulté  de  ces  questions  de  ration.  Il  faut  noter,  en  effet,  que  les  souris  vivent 
indéfiniment  avec  du  lait,  et  qu'ici,  où  on  leur  donne  tous  les  éléments  du  lait,  isolés 
puis  réunis  de  nouveau  (à  l'exception  de  la  petite  quantité  d'albumine  du  lait),  elles 
périssent  en  un  temps  assez  court. 

Nous  aurons  d'ailleurs  à  rappeler  plus  loin  cette  expérience. 

II.  Aliments  organiques.  —  Avant  d'entrer  dans  l'étude  de  chacun  des  groupes  qui 
constituent  cette  classe,  il  y  a  une  remarque  générale  à  faire  :  c'est  qu'ils  sont  tous  des- 
tinés à  être  transformés  dans  l'économie,  et  transformés  régressivement,  soit  par  hydra- 
tation, soit  par  oxydation,  de  façon  à  dégager  au  sein  de  l'organisme  à  l'état  de  force 
vive  tout  ou  partie  de  l'énergie  potentielle  de  leur  molécule. 

Dans  la  définition  que  nous  avons  donnée  des  aliments  considérés  dans  leur  ensemble, 
nous  avons  été  amenés  à  distinguer  deux  fonctions  dans  le  rôle  de  ces  aliments  : 
1°  fournir  sous  forme  utilisable  par  la  machine  animale  l'énergie  potentielle  équiva- 
lente aux  dépenses  en  force  vive  :  chaleur  perdue  par  rayonnement  et  évaporation,  tra- 
vail mécanique;  2»  Fournir  des  substances  chimiques  particulières,  pour  remplacer 
celles  qui  se  détruisent  ou  s'éliminent  constamment. 

Ce  second  rôle  appartient  à  diverses  substances  minérales,  comme  nous  l'avons  étudié 
dans  ce  qui  précède;  il  appartient  aussi  à  certaines  substances  organiques.  Mais  celles-ci 
seulement,  étant  combustibles,  sont  aptes  à  remplir  le  premier,  celui  que  nous  avons 
placé  en  tête  parce  qu'il  l'emporte  de  beaucoup  sur  l'autre,  du  moins  au  point  de  vue 
quantitatif  :  car  les  deux  fonctions  sont  toutes  deux  nécessaires. 

Chez  tous  les  animaux,  il  y  a  perte  constante  de  chaleur,  et  destruction  dans  l'orga- 
nisme d'une  quantité  correspondante  de  combustible;  chez  les  animaux  à  sang  chaud, 
cette  dépense  est  considérable.  C'est  cette  dépense  qui  crée  essentiellement  le  besoin 
d'alimentation,  puisque  l'organisme  se  détruit  lui-même,  s'il  ne  peut  prendre  àl'extérieur 
de  l'énergie  potentielle  utilisable  pour  lui  (Voir  Inanition).  Il  importe  de  se  ^rendre 
compte  de  la  grandeur  de  cette  consommation. 

Nous  considérerons  surtout  le  cas  des  animaux  à  sang  chaud,  plus  étudiés. 
Ch.  Richet'  a  montré  que  chez  ces  animaux  la  dépense  de  chaleur  est  régie  d'une 
façon  presque  exacte  par  les  lois  physiques  du  rayonnement;  c'est-à-dire  que  cette  dé- 
pense est  fonction  :  i"  de  la  température  extérieure  (sous  certaines  réserves);  2°  de 
l'étendue  de  la  surface  du  corps;  3°  de  la  nature  de  cette  surface  et  de  son  revêtement 
(Voir  Chaleur  animale). 

Dans  une  même  espèce,  et  sous  les  mêmes  conditions  extérieures,  les  animaux  de 
petite  taille  perdent  donc,  par  rapport  à  leur  poids,  des  quantités  de  chaleur  plus  consi- 
,dérables  que  les  animaux  de  grande  taille,  la  surface  par  unité  de  poids  étant  plus  petite 

1.  Trav.  Lah,  t.  i,  Recherches  de  Calorimétrie,  plus  spécialement  pp.  180  et  194. 


ALIMENTS. 


329 


chez  ces  derniers.  Il  faut  donc  que  les  combustions  destinées  à  fournir  cette  chaleur 
soient,  pour  une  même  masse  de  tissus,  plus  énergiques  chez  les  petits  animaux  que  chez 
les  grands.  Si  l'on  passe  d'une  espèce  à  l'autre,  il  intervient  des  coefficients  spécifiques 
dus  en  majeure  partie  à  la  différence  du  tégument,  qui  empêchent  la  proportionnaUté 
d'être  exacte,  mais  il  n'en  reste  pas  moins  vrai  que  les  petites  espèces  ont  des  com- 
bustions beaucoup  plus  actives  que  les  grandes. 

Voici  un  tableau,  emprunté  au  travail  cité  plus  haut,  et  qui  servira  d'exemple. 


ESPÈCE. 

POIDS 

M  0  Y  E  N 

CALORIES 

PAR     K  t  L  O 

et  par  heure. 

tu. 

10,000 

7,500 

3,250 

3,150 

1,700 

1,650 

1,300 

1,500 

700 

300 

150 

20 

kil. 
3,200 
4,000 
3,500 
3,300 
4,500 
3,800 
5,500 
5,700 
6,600 
10,300 
■12,500 
36,000 

Enfants 

Oies 

Chat 

Chat 

Chien 

Canards 

Poule 

Cobayes 

Figeons  

Cobayes 

Moineaux 

Les  animaux  brûlent  et  brûlent  vite;  pour  le  moineau,  par  exemple,  la  vitesse  de 
cette  destruction  par  combustion  peut  être  sans  aucune  exagération  comparée  à  celle 
d'une  bougie. 

Les  chiffres  indiqués  ci-dessus  se  rapportent  à  des  températures  voisines  de  15°. 
Avec  des  températures  plus  élevées,  la  dépense  de  calorique  serait  moindre;  avec  des 
températures  plus  basses,  elle  serait  plus  élevée.  Mais  la  progression  ne  suit  pas  la  loi  de 
Newtox,  si  ce  n'est  entre  des  limites  assez  rapprochées,  parce. qu'il  intervient  divers  phé- 
nomènes régulateurs,  soit  abaissement  de  la  température  à  la  périphérie  du  corps,  par 
vaso-constriction,  c'est-à-dire  diminution  de  rayonnement,  soit  évaporation  d'eau,  c'est- 
à-dire  dépense  de  chaleur  par  une  autre  voie  que  le  rayonnement.  Cependant,  d'une 
manière  générale,  on  peut  dire  que  la  dépense  augmente  quand  la  température  baisse, 
et  diminue  quand  la  température  monte. 

Le  besoin  alimentaire  est  évidemment  soumis  aux  mêmes  lois;  le  chiffre  de  calories 
qui  exprime  la  perte  de  chaleur  d'un  animal,  abstraction  faite  du  travail  mécanique  ex- 
térieur que  cet  animal  peut  produire,  exprime  la  quantité  d'énergie  chimique  que  sa 
ration  doit  lui  fournir. 

11  est  bien  entendu  que  cette  quantité  d'énergie  chimique  correspondant  à  la  dépense 
de  chaleur  doit  être  comprise  comme  quantité  nette,  comme  potenliel  réellement  uti- 
lisable par  l'organisme.  C'est-à-dire  :  1°  qu'il  faut  compter  la  valeur  thermique  des  subs- 
tances alimentaires,  non  pas  par  la  valeur  qu'elles  donnent  dans  la  bombe  calorimétrique, 
mais  par  celle  qu'elles  donnent  dans  Vorganisme.  En  effet  plusieurs  des  combustibles 
n'y  sont  pas  transformés  entièrement,  et  sont  éliminés  non  pas  à  l'état  de  produits  ulti- 
mes, mais  sous  forme  de  molécules  contenant  encore  une  certaine  énergie  chimique 
qui  est  perdue  pour  l'organisme;  2°  qu'il  y  a  à  compter  entre  la  ration  ingérée  et  la 
ration  assimilée  un  certain  déchet  par  suite  de  digestion  incomplète.  L'utilisation  diges- 
tive  varie  sous  des  influences  diverses;  il  n'est  pas  possible  de  fixer  un  coefficient  pour 
chaque  substance  alimentaire;  le  déchet  dépend  bien  moins  de  la  nature  chimique  de 
l'aliment  que  de  la  forme  sous  laquelle  il  est  introduit  (Voir  Digestion). 

Il  n'en  reste  pas  moins  vrai  que  la  perle  de  chaleur,  étant  la  cause  essentielle  du  be- 


330  ALIMENTS. 

soin  d'alimentation,  est  la  mesure  essentielle  delà  grandeur  de  ce  besoin,  sauf  corrections 
pratiques. 

Il  s'ensuit  que  la  valeur  totale  d'une  ration  doit  s'exprimer  non  pas  en  comptant  sa 
teneur  en  telle  ou  telle  substance,  mais  eu  additionnant  le  nombre  de  calories  que  ses 
divers  composants  réunis  peuvent  dégager  dans  l'organisme. 

Les  substances  qui  servent  de  combustible  à  l'animal  peuvent  se  ranger  sous  trois 
chefs  principaux  :  1°  Hydrates  de  carbone;  2°  graisses;  3°  substances  albuminoïdes. 

1°  Hydrates  de  carbone.  —  On  a  donné  ce  nom  à  toute  une  série  de  corps  composés 
de  carbone,  d'h3'drogène  et  d'oxygène,  ces  deux  derniers  éléments  étant  toujours  dans  le 
rapport  de  uu  atome  d'oxygène  pour  deux  atomes  d'hydrogène;  de  sorte  que  la  formule 
centésimale  de  la  molécule  semble  résulter  d'une  combinaison  de  carbone  et  d'eau. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  faire  l'étude  chimique  de  ces  corps;  on  peut  résumer  briè- 
vement leur  constitution  et  leurs  propriétés  de  la  manière  suivante. 

Les  corps  de  formule  C'H'-O*  sont,  dans  cette  famille,  les  véritables  combustibles  de 
la  machine  animale  directement  utilisables;  les  autres  ne  comptent  comme  aliments 
qu'autant  qu'ils  peuvent,  à  la  suite  d'actions  digestives,  se  transformer  en  l'un  ou  l'autre 
de  ces  corps. 

On  peut  les  désigner  génériquement  sous  le  nom  de  glucoses,  par  extension  du  nom 
qui  s'applique  plus  spécialement  à  l'un  d'eux. 

Ce  sont  des  corps  très  solubles  dans  l'eau;  ils  ont  pour  caractéristique  chimique,  fait 
important  ici,  une  grande  facilité  à  s'oxyder,  surtout  en  milieu  alcalin  (ce  qui  est  préci- 
sément la  condition  réalisée  dans  l'organisme)  :  en  effet,  ils  réduisent,  à  chaud,  l'azotate 
d'argent  ammoniacal,  la  liqueur  de  Fehling,  l'azotate  de  bismuth  dissous  dans  la 
potasse;  ils  décolorent  l'indigo  en  présence  du  carbonate  de  sodium  (réaction  de  Mulder); 
on  a  même  reconnu  récemment  qu'en  milieu  alcalin,  ils  se  détruisent  spontanément  par 
oxydation  à  la  température  de  l'incubation  (Nenxki). 

Ils  agissent  tous  sur  la  lumière  polarisée,  mais  dili'éremment  les  uns  des  autres,  ce  qui 
permet  de  les  distinguer  facilement.  La  dextrose  dévie  à  droite;  la  Urulose  à  gauche. 
Ces  deux  corps  ont  été  caractérisés  comme  constituant;  le  premier,  une  aldéhyde,  et  le 
second,  une  acétone  de  l'alcool  hexatomique  CH'^O^  (Mannite).  Ces  constitutions  rendent 
compte  de  leurs  propriétés  réductrices. 

A  ces  deux  corps,  il  faut  joindre  la  galactose  qu'on  n'a  aucune  raison  d'en  séparer  au 
point  de  vue  alimentaire.  Elle  dérive  de  la  même  façon  d'un  isomère  de  la  mannite,  la 
dulcite  (Berthelot). 

Au  contraire,  il  faut  mettre  complètement  à  part  un  autre  isomère,  Vinosite,  qui 
n'exerce  aucune  action  sur  la  lumière  polarisée,  n'est  pas  réductrice  et  ne  fermente  pas. 
Elle  se  rencontre  dans  les  aliments,  et  est  transformée  dans  l'économie;  mais  on  ne  sait 
rien  de  sa  valeur  alimentaire;  on  sait  par  contre  qu'il  s'en  produit  au  sein  de  l'organisme 
animal  lui-même.  Il  faut  donc  l'étudier  à  part  (Voir  Inosite). 

Les  glucoses  constituent  l'aliment  naturel  de  la  levure  de  bière;  ce  schizophyte  les 
transforme,  suivant  qu'il  y  a  ou  non  accès  de  l'oxj'gène,  soit  en  acide  carbonique  et  eau, 
utilisant  ainsi  toute  l'énergie  potentielle  de  la  molécule,  suivant  l'équation  : 

C  H'2  0«  -f  120  =  6  CO^  -h  6  Ri'  0 

ou  bien  les  dédouble  simplement  en  alcool  et  acide  carbonique,  suivant  l'équation  : 

C«H'20«  =  2C2HS0  +  2C02. 

Ce  dédoublement  subi  sous  l'influence  de  la  levure,  type  de  fermentation,  est  carac- 
téristique des  glucoses. 

Corps  en  C'^  H^^  0".  —  Ce  sont  des  biglucoses,  c'est-à-dire  qu'ils  résultent  de  l'union  de 
2  molécules  de  glucose  avec  élimination  d'une  molécule  d'eau. 

Les  acides  étendus  à  chaud,  certains  ferments  solubles,  les  hj'dratent  et  les  dédou- 
blent; c'est  ce  qu'on  appelle  l'inversion. 

Les  deux  principaux  corps  de  cette  série  sont  : 

1°  La  saccharose,  qui  se  trouve  dans  un  grand  nombre  d'aliments  végétaux;  elle  en 


ALIMENTS.  331 

est  extraite  en  grand  par  l'industrie,  et  figure  dans  l'alimenlation,  à  l'état  pur  et  cris- 
tallisé, pour  une  part  qui  n'est  pas  à  négliger. 

Elle  est  très  soluble.  dévie  à  droite  la  lumière  polarisée,  ne  réduit  pas  la  liqueur  cupro- 
potassique.  La  levure  de  bière  ne  peut  la  faire  fermenter  qu'après  l'avoir  intervertie  au 
moyen  d'une  zymase  spéciale.  Intervertie,  elle  donne  une  molécule  de  glucose  et  une 
de  lévulose. 

2°  La  lactose  se  rencontre  dans  le  lait  des  mammifères  :  elle  est  relativement  peu 
soluble;  dévie  à  droite  la  lumière  polarisée,  réduit  la  liqueur  cupro-potassique;  elle 
ne  peut  fermenter  qu'après  inversion.  Intervertie,  elle  donne  2   molécules  de  galactose. 

Ces  corps  sont  toujours  intervertis  parla  digestion;  non  transformés  en  glucoses, 
ils  ne  sont  pas  plus  utilisables  pour  l'organisme  animal  que  pour  la  levure  de  bière. 

Il  existe  d'autres  types  de  polyglucoses,  qui  présentent  dans  leur  ensemble  des  pro- 
priétés analogues,  mais  qui  ont  moins  d'intérêt  au  point  de  vue  de  l'alimentation;  ce 
sont,  par  exemple,  la  maltose  (2  molécules  de  dextrose),  la  raffinose  et  la  mélésitose 
(triglucoses). 

Corps  en  C^H^'^O''^.  —  Ces  corps,  très  variés,  et  difficiles  à  bien  étudier  chimiquement, 
résultent  de  la  polymérisation  du  premier  anhydride  des  glucoses.  Leur  molécule,  qui 
doit  être  représentée  par  (C  H  '"  0  ■')  '^,  est  de  grandeur  variable  ;  elle  atteint  certainement, 
bien  qu'on  n'ait  pu  l'évaluer,  un  poids  moléculaire  considérable  dans  les  formes  inso- 
lubles qui  constituent  la  masse  importante  des  tissus  végétaux. 

Ces  corps  représentent,  en  physiologie  végétale  et  animale,  les  formes  de  réserve 
sous  lesquelles  le  combustible  glycose  est  emmagasiné  à  l'état  solide;  ils  reprennent  très 
facilement  la  forme  soluble,  en  s'hydratant  sous  l'influence  des  dmsirtses  sacchariflantes, 
qui  se  rencontrent  en  abondance  chez  tous  les  êtres  vivants. 

Les  substances  les  plus  répandues  et  les  plus  importantes  au  point  de  vue  de  l'ali- 
mentation sont  les  substances  désignées  collectivement  sous  le  nom  d'amidon  ou  fécule. 
L'amidon  se  présente  dans  les  tissus  végétaux  sous  forme  de  grains  à  couches  concen- 
triques, arrondis  ou  polyédriques  par  pression  réciproque  ;  il  existe  dans  un  grand 
nombre  de  végétaux  des  réserves  qui  sont  constituées  presque  uniquement  par  des  masses 
de  grains  d'amidons  serrés  les  uns  contre  les  autres  (tubercules,  semences);  ces  réserves 
sont  recherchées  par  les  animaux  pour  leur  nourriture,  et  elles  jouent  un  rôle  capital 
dans  l'alimentation  de  l'homme.  Les  grains  d'amidon  dilfèrent  d'aspect,  suivant  le  végé- 
tal qui  les  a  fournis;  il  y  a  peut-être  là  des  substances  différentes  que  la  chimie  n'a  pas 
encore  réussi  à  caractériser;  mais  tous  les  amidons  ont  des  propriétés  communes;  ils 
sont  insolubles;  l'eau  bouillante  leur  fait  subir  une  transformation  mal  connue,  par 
laquelle  ils  acquièrent  la  propriété  de  se  colorer  en  bleu  au  contact  de  l'iode;  les  acides 
forts,  en  solution  étendue  et  chaude,  les  transforment  en  glycoses;  diverses  diastases 
ont  la  même  action  à  froid. 

C'est  la  possibilité  de  cette  transformation,  nous  l'avons  vu,  qui  fait  leur  valeur  pour 
l'alimentation  animale.  Cette  transformation  ne  s'accomplit  pas  en  un  seul  temps;  en 
outre  de  l'hydratation,  il  se  produit  une  dépolymérisation  ;  c'est  ainsi  que  se  forment 
les  dextrines,  encore  de  formule  (C^H'"  0'')",  mais  à  molécules  moins  élevées  ;  solubles,  don- 
nant des  solutions  gommeuses.  Tout  le  rôle  physiologique  des  dextrines  peut  se  déduire 
de  cette  situation  intermédiaire. 

A  côté  des  dextrines  doit  se  placer  le  glycogène,  qui  est  aux  animaux  ce  que  l'amidon 
est  aux  végétaux.  Au  point  de  vue  alimentaire,  le  glycogène,  très  rare  dans  nos  aliments, 
aune  importance  faible,  tandis  qu'il  en  a  une  considérable  au  point  de  vue  nutrition. 

L'inuline  et  la  lévidine  sont  des  substances,  toujours  de  formule  C^H"'0',  qui  sont 
voisines  des  matières  amylacées  et  qui  interviennent  parfois  dans  l'alimentation.  L'inuhne 
se  rencontre,  à  l'état  dissous,  dans  les  tubercules  de  la  grande  année  [Inula  Helenium), 
du  topinambour,  du  dahlia  et  dans  divers  champignons;  par  l'action  des  acides  étendus 
elle  se  change  très  facilement  en  lévulose;  elle  est  au  contraire  assez  résistante  vis-à-vis 
des  diastases  et  de  la  levure  de  bière.  Elle  dévie  la  lumière  polarisée  à  gauche,  ne  se 
colore  pas  par  l'iode,  ne  réduit  pas  directement  la  liqueur  de  Fehling  ,  mais  bien  le 
nitrate  d'argent  ammoniacal.  La  lévuline  se  rencontre  dans  les  tubercules  du  topinambour 
et  dans  la  graine  des  céréales  avant  leur  complète  maturité,  parfois  en  très  grande  pro- 
portion (MûNTz);  elle  est  inactive  vis-à-vis  de  la  lumière  polarisée,  ne  réduit  pas  la  liqueur 


332 


ALIMENTS. 


de  Fehltng;  elle  fermente  facilement;  les  acides  étendus  et  les  diastases  la  transforment 
en  lévulose. 

C'est  donc  toujours  comme  source  d'un  glucose  quelconque  que  les  h3'drates  de  car- 
bone peuvent  jouer  un  rôle  dans  l'alimentation  animale. 

Il  faut  mentionner  aussi  les  mucilacjes,  les  gommes,  la. pectine,  qui  se  rencontrent  très 
fréquemment  dans  les  fruits  et  les  graisses,  et  qui  ont  également  pour  formule(C*  H  '°0'^)"; 
mais  on  ne  sait  pas  grand'chose  de  leur  valeur  alimentaire;  par  hydratation,  certains 
mucilages  et  certaines  gommes  donnent  de  Varabinose,  C^  H'^O^,  corps  dextrogyre,  réduc- 
teur, mais  non  fermentescible. 

Enfin,  les  végétaux  contiennent  en  abondance  un  autre  corps  ou  groupe  de  corps  en 
(C^H'^O-')";  cellulose,  substance  insoluble,  qui  forme  la  paroi  de  toutes  les  cellules 
végétales.  Elle  ne  se  laisse  saccharifler  ni  par  les  diastases,  ni  par  les  acides  étendus. 
Par  suite  de  sa  résistance  aux  sucs  digestifs,  la  cellulose  serait  inutilisable  pour  les 
animaux  réduits  à  l'action  de  ces  sucs;  mais  en  fait  elle  peut  devenir  pour  eux  une  source 
de  glucose,  par  l'intervention  dans  les  processus  digestifs  de  fermentations  microbiennes 
particulières  ;  c'est  le  Bacillus  amylobacter  qui  est  l'agent  de  ce  processus  (voir  Diges- 
tion). Cette  fermentation  acquiert  une  grande  intensité  et  joue  un  rôle  considérable  dans 
l'alimentation  des  herbivores.  Chez  l'homme,  elle  est  bien  moins  importante.  Mais  alors, 
prenant  un  rôle  inverse,  la  cellulose  intervient  comme  empêchement  à  la  digestion; 
non  seulement  elle  résiste  pour  sa  part  à  l'acLion  des  sucs  digestifs,  mais  encore  elle 
empêche  cette  action  de  s'exercer  sur  les  réserves  nutritives  contenues  dans  les  cellules 
végétales  ingérées.  L'utilisation  des  aliments  végétaux  est  sous  la  dépendance  essentielle 
de  conditions  créées  par  les  parois  cellulosiques  qui  ont  échappé  à  la  destruction  méca- 
nique (mastication,  etc.)  et  c'est  sous  l'influence  de  ces  conditions  que  la  perte  (par 
non-utilisation)  est  beaucoup  plus  considérable  pour  les  aliments  végétaux  que  pour  les 
aliments  animaux. 

En  outre,  la  cellulose  paraît  jouer  dans  la  digestion  un  rôle  important,  comme  exci- 
tant mécanique  des  mouvements  de  l'intestin  (Bunge). 

Nous  allons  revenir  sur  ces  points,  mais,  pour  commencer,  nous  aurons  soin  d'indi- 
quer à  part  la  teneur  en  cellulose  des  aliments  végétaux. 

Pour  les  autres  hydrates  de  carbone,  au  contraire,  nous  pouvons  tous  les  compter 
ensemble,  et  leur  donner  la  valeur  du  glycose  ;  car  par  le  fait  de  la  digestion  ils  se  trans- 
forment finalement  tous  en  glycose.  C'est  donc  en  poids  de  glycose  ou,  si  l'on  veut,  en 
poids  d'amidon  qu'il  faut  les  compter,  le  calcul  étant  facile  à  faire  pour  passer  de  l'un  à 
l'autre.  Le  glycose  C^  H'-  0^  pèse  180,  et  son  anhydride  en  diffère  par  une  moléculed'eau 
en  moins,   H^O,  pesant  18.  C'est-à-dire  que  9  d'amidon  font  juste  10  de  glycose. 

En  réalité,  les  analyses  des  auteurs  nous  donnent  le  plus  souvent,  pour  la  composi- 
tion des  aliments  végétaux,  un  chiffre  brut,  global,  de  matières  extractives  non  azotées 
(voir  KôNiG,  loc.  cit.,  t.  ii,  p.  412)  qui  comprend  et  l'amidon  et  les  hydrates  de  carbone 
qui  peuvent  s'y  trouver  à  l'état  soluble;  de  plus,  des  acides  végétaux,  des  résines,'  etc. 

Teneur  en  hydrates  de  carbone  des  aliments  végétaux  (par  kil.). 

(D'après  Moleschott,  cité  pai'  G.  Pouchet,  Enc.  d'hygiène,  1890,  t.  n,  p.  233.) 


Riz 834,5 

Farine  de  froment.   .   .   .  723,9 

Maïs 679,4 

Seigle 663,8 

Figues  sèches 637,0 

Dattes 614,0 

Fèves 581,3 

Avoine 559,0 

Sarrazin 533,0 

Lentilles 559,0 

Pois 526,5 

Haricots 499,0 

Pain  de  froment 470,0 

Châtaignes 356,5 


Pommes   de    terre.   .   .    .  173,3 

Cerises 149,2 

Raisins 143,1 

Chou-rave 140,0 

Champignons H7,0 

Pèches 113,1 

Poires 108,5 

Truffes 101,0 

Betteraves 92,2 

Amandes 90,0 

Abricots 88,5 

Navets 83,8 

Pommes 79,6 

Fraises 50,9 


ALIMENTS. 


333 


Teneur  en  cellulose  des  aliments  végétaux  (par  kil.). 


.   .       116 

42 

97 

Châtaignes 

Raisins 

38 

Pommes  de  terre  .   .   . 

.  .  64 
.    .         62 

.    .             36 

Froment 

32 

Truffes 

57 

28 

Mais 

52 

Champignons  .... 

'3 

.    .         50 

og 

Pois 

.  .  49 
.    .         49 

.    .         47 

18 

Seigle 

.    .    .         15 

Amandes 

Riz 

14 

Haricots 

.    .         44 

.    .    .           6 

On  conçoit  qu'avec  des  quantités  si  variables  tonte  mo3'enne  est  impossiJale.  On  peut 
dire  cependant  qu'en  général  la  proportion  de  cellulose  est  de  5  p.  100,  et  que  la  pro- 
portion d'amidon  et  de  sucre  est,  dans  un  premier  groupe  (aliments  amylacés),  de 
50  p.  100,  et,  dans  un  autre   groupe  (aliments  herbacés  et  fruits),  de  10  p.  100. 

La  richesse  en  hydrates  de  carbone  caractérise  l'aliment  végétal.  En  effet,  si  nous 
comparons  l'aliment  végétal  et  l'aliment  animal,  nous  trouvons  que  les  divers  aliments 
animaux  sont  très  pauvres  en  h3'drates  de  carbone. 

Teneur  en  hydrates  de  carbone  des  aliments  animaux  (par  kil.). 


Lait 

Foie  de  veau  et  de  bœuf. 
Cervelle  de   bœuf.   .    .   . 


Jaune  d'œuf  .  . 
Viande  de  bœuf. 
Blanc   d'œuf  .   . 


2,6 


Ainsi  une  alimentation  animale  est  caractérisée  par  l'absence  d'hydrates  de  carbone,  sucres 
ou  amylacés;  nous  aurons,  quand  nous  discuterons  la  question  du  régime  alimentaire, 
à  revenir  sur  cette  caractéristique. 

Quelle  que  soit  la  forme  sous  laquelle  ils  pénètrent  dans  l'organisme,  les  sucres,  en 
dernière  analyse,  subissent  une  oxydation  qui  les  transforme  en  CO'  +11-0.  11  est  pos- 
sible qu'il  y  ail  des  produits  intermédiaires,  mais,  au  point  de  vue  therrao-cliimique, 
ces  étapes  transitoires  sont  sans  importance.  Comme  l'a  bien  montré  Berthelot,  dans 
une  série  d'admirables  travaux,  tout  dépend  de  l'état  final  et  de  l'état  initial. 

Or  la  chaleur  de  combustion  du  glucose  est,  par  molécule,  de  673.  Autrement  dit, 
6  atomes  de  C  du  glycose  produisent  673  calories.  Comme  6  atomes  de  C  pur  produisent 
par  leur  combustion  564  calories,  la  valeur  alimentaire  du  carbone  des  hydrates  de 
carbone  est  plus  grande  (d'un  sixième  environ)  qu'elle  le,  serait  si,  au  lieu  d'ingérer  du 
carbone  sous  la  forme  d'amidon,  nous  l'ingérions  sous  la  forme  de  carbone  pur. 

Ainsi,  180  grammes  de  glycose  produisent  673  calories,  ce  qui  donne  sensiblement 
à  1  gramme  de  glycose  une  valeur  thermique  de  3"'', 75. 

Comme  on  peut  évaluer  à  2  500  calories  environ  la  quantité  de  chaleur  produite  par 
un  homme  dans  les  conditions  habituelles,  il  s'ensuit  que  la  quantité'  d'hydrates  de 
carbone  nécessaire  et  suffisante  pour  entretenir  la  chaleur  normale  serait  en  poids  de 
670  grammes  de  glycose.  En  forçant  un  peu  ce  chiffre,  on  peut  admettre  le  chiffre  de 
700  grammes,  en  supposant  que  nul  autre  aliment,graisse  ou  albumine,  ne  soit  introduit 
en  même  temps  que  le  sucre. 

En  nous  reportant  alors  avi  tableau  précédent,  on  voit  que  la  quantité  de  matière 
alimentaire  nécessaire  pour  la  vie,  au  seul  point  de  vue  de  la  chaleur,  serait,  en  poids, 
pour  les  aliments  ci-dessus  mentionnés  : 


Riz  .  .  . 
Froment. 
Pois.   .    . 


8.50 


1  300 


Pommes  de  terre. 
Raisins.   .   .   .   .    . 

Lait 


4  000 

5  000 
17  000 


Mais  ces  chiffres  ne  signifient  pas  grand'chose,  car  le  lait,  par  exemple,  contient 
des  graisses  et  de  la  caséine,  qui  servent  aussi  à  la  production  de  chaleur.  Le  froment 
et  les  pois,  comme  la  plupart  des  céréales,  contiennent  aussi  des  matières  combustibles 
qui  ne  sont  pas  des  hydrates  de  carbone,  et  qui  servent  à  la  production  de  chaleur. 

A  vrai  dire,  dans  l'alimentation  végétale,  une  bonne  partie  des  substances  amyla- 


33i 


ALIMENTS. 


cées  ou  cellaJosiques  introduites  passent  dans  le  tube  digestif  sans  être  altérées.  Ce 
point  spécial  et  important  a.  été  étudié  avec  soin  par  beaucoup  d  auteurs,  dont  M.  Voit 
rapporte  les  expériences  {H.  H.,  t.  vr,  pp.  472  et  suiv.). 

C'est  surtout  M.  Rubner  qui  a  étudié  ces  imparfaites  digestions  des  aliments  végé- 
taux, et  voici  quelques-uns  des  résultats  obtenus. 

Soit  100  la  quantité  des  hydrates  de  carbone  ing:érée,  qiieUe  a  été  la  proportion 
retrouvée  inattaquée  dans  les  matières  fécales  '? 


Pain  noir. 
Macaroni. 


1,4 
0,S 
10,9 
1,2 
2,3 
1,6 


Mais 

Riz 

Pommes  de  terre. 

Carottes 

Lentilles 


3,2 

0,9 
7,6 
18,2 
3,6 
7,0 


Ainsi,  chez  l'homme,  l'utilisation  des  hydrates  de  carbone  est  très  complète,  quand 
il  s'agit  de  matières  amylacées  ou  sucrées,  puisqu'il  n'y  a  guère  que  3  à  4  p.  100  de  cet 
amidon  qui  échappe  à  la  digestion. 

Mais  quand  beaucoup  de  cellulose  mélangée  aux  aliments,  comme,  par  exemple, 
quand  il  s'agit  de  l'ingestion  alimentaire  faite  par  les  grands  animaux  herbivores,  il 
en  est  tout  autrement. 

D'après  ELLENBER&Ea  [T.  P.,  1890,  i  p.  849,),  le  cheval  ne  digère  que  So  p.  100  de 
la  cellulose  ingérée,  le  veau  SO  p.  100,  le  mouton  30  p.  100,  le  porc  3o  p.  100. 

Bien  entendu,  ces  chiffres  varient  avec  le  temps.  Six  heures  après  l'ingestion  d'a- 
voine, un  porc  n'avait  digéré  que  oO  p.  100  des  matières  ternaires  ingérées,  et,  au  bout 
de  26  heures,  il  restait  encore  32  p.  100  des  hydrates  de  carbone  (cellulose  et  amidon) 
de  l'avoine  à  digérer. 

D'après  Bunge  [loc.  cit.,  p.  76),  on  a  mélangé  de  la  sciure  de  bois  et  du  papier  à  du 
foin,  et  on  a  vu  que  la  quantité  consommée  passait  de  30  à  80  p.  100. 

Weiske  (cité  par  Bunge)  a  essayé  de  voir,  par  des  expériences  faites  sur  lui-même, 
la  proportion  de  cellulose  consommée,  et  il  a  trouvé,  en  se  nourrissant  de  choux,  de 
céleris  et  de  carottes,  qu'il  en  consommait  62  p.  100.  Knierie.x  a  constaté  qu'il  absorbait 
seulement  2o  p.  100  de  la  cellulose  de  la  salade. 

En  somme,  d'une  manière  générale,  on  peut  dire  que,  de  la  cellulose,  il  n'est  digéré 
que  40  p.  100,  et  que,  par  conséquent,  les  aliments  riches  en  cellulose  sont  essentielle- 
ment défectueux,  puisqu'il  faut  en  ingérer  230  grammes  pour  avoir  un  effet  utile  de 
100  grammes. 

Mais  les  aliments  cellulosiques  ne  sont  pas  peut-être  aussi  inutiles  qu'on  le  suppo- 
serait d'abord.  En  effet,  ils  ont  un  rôle  mécanique,  en  facilitant  l'absorption  des  élé- 
ments, graisses  ou  albuminoides,  auxquels  ils  sont  mélangés.  Des  animaux  herbivores, 
nourris  sans  cellulose,  avec  des  quantités  suffisantes,  et  même  trop  fortes,  de  malières 
alibiles,  finissent  par  mourir  de  volvulus  et  d'inanition. 

Ce  fait  que  les  aliments  se  trouvent  mélangés  à  de  la  cellulose  exerce,  sur  la  quan- 
tité de  la  masse  alimentaire  à  ingérer,  et,  par  conséquent,  sur  les  processus  mêmes  de 
la  digestion,  une  influence  prépondérante.  De  sorte  que,  pour  bien  faire,  il  faudrait  di- 
viser les  animaux  non  en  herbivores  et  carnivores,  mais  en  cellidosivores,  et  non  cellu- 
losivores.  Car,  au  lieu  d'ingérer  100,  il  faut  ingérer  2o0,  quand  les  aliments  sont  cellu- 
losiques ;  de  là  la  nécessité  d'une  alimentation  très  abondante,  et  d'un  appareil  digestif, 
intestinal,  très  long  et  très  volumineux. 

Non  seulement,  en  effet,  la  cellulose  est  difficilement  assimilable,  mais  encore  elle 
oppose,  par  sa  présence  même,  une  grosse  résistance  à  l'absorption,  par  les  sucs  diges- 
tifs, des  matières  albuminoides  ou  féculentes.  Chez  les  animaux  qui  se  nourrissent  de 
foin,  de  luzerne,  de  paille,  de  trèlle,  les  matières  albuminoides  nutritives,  perdues  au 
milieu  d'un  grand  amas  de  cellulose,  ne  sont  que  très  imparfaitement  assimilées,  et  il 
n'y  a  guère  que  aO  p.  100  de  l'albumine  ingérée  qui  soit  absorbée  et  transformée.  La 
moitié  de  cette  albumine  passe  inaltérée  dans  les  fèces. 

Au  contraire,  chez  les  carnivores,  les  fèces  ne  contiennent  que  très  peu  de  matières 
alimentaires  non  absorbées  ;  par  exemple,  chez  les  chiens  nourris  exclusivement  avec  de 


ALIMENTS.  333 

la  viande,  les  fèces  sont  peu  abondantes,  et  tout  ce  qui  a  été  ingéré  a  été  assimilé. 
HoFMANN,  nourrissant  un  homme  avec  207  grammes  de  lentilles,  i  000  grammes  de 
pommes  de  terre  et  40  grammes  de  pain,  constata  que  le  poids  des  fèces  sèches  était 
de  116  grammes,  avec  47  p.  100  de  l'azote  ingéré.  Le  même  individu,  étant  nourri  avec 
390  grammes  de  viande  et  126  grammes  de  graisse,  avait  seulement  28  grammes  de  fèces 
sèches,  avec  17  p.  100  de  l'azote  ingéré. 

Graisses.  —  La  notion  de  graisse  est  une  notion  vulgaire,  très  ancienne;  les 
graisses  constituant  fréquemment,  rhez  les  végétaux  comme  chez  les  animaux,  des  ré- 
serves localisées  dans  certaines  parties  de  l'organisme,  d'où  il  est  très  facile  de  les  sé- 
parer. Ces  substances  présentent  des  propriétés  organoleptiques,  particulièrement  au 
toucher,  qui  sont  typiques.  Depuis  les  travaux  mémorables  de  Chevreul  (1813),  on  sait 
que  ces  corps  ont  une  constitution  chimique  particulière.  D'ailleurs  la  chimie  a  pu 
obtenir  des  substances  nouvelles  qui  présentent  ces  mômes  propriétés  organolep- 
tiques, avec  une  constitution  chimique  toute  différente,  par  exemple,  les  vaselines. 
Seules,  les  vraies  graisses, les  éthers  gras  de  la  glycérine,  oni  une  valeur  alimentaire;  les 
hydrocarbures,  telles  que  les  vaselines,  ont  beau  lui  ressembler  à  un  tel  point  que  la 
fraude  puisse  en  introduire  à  leur  place  dans  nos  aliments,  l'organisme  animal  ne  peut 
tirer  aucun  parti  de  l'énergie  potentielle  considérable  contenue  dans  ces  corps.  Et 
même,  certains  corps  qui  sont  de  vraies  graisses  au  point  de  vue  chimique,  peuvent  ne 
pas  être  des  aliments.  Ainsi,  les  corps  gras  à  point  de  fusion  supérieure  à  s>  ne  sont, 
en  général,  pas  assimilables'. 

Toutes  les  graisses  qui  entrent  dans  l'alimentation,  qu'elles  proviennent  d'animaux 
ou  de  plantes,  sont  des  mélanges  d'un  petit  nombre  dé  substances  chimiques,  et  la  com- 
position centésimale  de  ces  graisses  est,  à  très  peu  de  chose  près,  toujours  la  même. 
ScHULZE  et  Reineck-  ont  analysé  à  ce  point  de  vue  les  graisses  de  bœuf,  de  mouton,  de 
porc,  de  cheval,  de  chien,  de  chat  et  d'homme,  ainsi  que  le  beurre.  Les  chiffres  obte- 
nus s'écartent  extrêmement  peu  de  la  moyenne  suivante  : 

C.  76,5;    H.  11,9;     0.  11,6. 

KoNiG^  donne  un  tableau  dont  les  données  sont  empruntées  pour  la  plupart  à  ses 
propres  recherches,  oij  l'on  voit  la  composition  élémentaire  de  33  espèces  de  graisses 
végétales.  Les  chiffres  sont  plus  différents,  mais  les  oscillations  sont  encore  assez  petites 
eu  égard  aux  provenances  très  diverses.  Ainsi  la  proportion  varie  pour  le  carbone,  entre 
74  et  78;  pour  l'hydrogène,  entre  10,3  et  12;  pour  l'oxygène,  entre  )S,7  et  9,4.  Encore 
ces  termes  extrêmes  sont-ils  très  peu  représentés,  et  pour  la  plupart  des  espèces,  la 
composition  s'écarte  peu  de  76  à  77  pour  le  carbone,  11  à  12  pour  l'hydrogène,  11  à  13 
pour  l'oxygène.  C'est-à-dire  que  la  moyenne  donnée  ci-dessus  pour  les  graisses  animales 
est  en  somme  valable  pour  l'ensemble  des  graisses  naturelles. 

Au  point  de  vue  de  la  constitution  chimique,  les  trois  corps  que  l'on  rencontre  prin- 
cipalement dans  les  graisses  sont  la  tripalmitine,  la  tristéarine  et  la  trioléine;  ils  sont 
constitués  par  la  combinaison  de  trois  molécules  d'acides  palmiiique,  stéarique  ou  oléique 
(d'où  leurs  noms)  avec  une  molécule  de  glycérine,  alcool  triatomique.  Sous  diverses 
influences,  la  combinaison  se  dissocie;  les  alcalis  lui  enlèvent  ses  acides,  et  forment  des 
stéarates,  palmitates,  oléates  alcalins  [savons),  tandis  que  la  glycérine  est  reconstituée  et 
mise  en  liberté;  la  vapeur  d'eau  surchauffée,  ainsi  que  certains  ferments  solubles,  par 
exemple  un  ferment  du  pancréas,  dédoublent  les  corps  gras  par  fixation  de  3  molécules 
d'eau  et  mettent  en  liberté  d'une  part  les  acides,  de  l'autre  la  glycérine. 

Les  acides  palmitique  et  stéarique  dérivent  d'hydrocarbures  de  la  série  saturée  ;  ils 
sont  par  conséquent  de  la  famille  de  l'acide  formique;  l'acide  oléique,  de  la  série  non 
saturée,  se  rattache  à  l'acide  acrylique. 

La  tripalmitine  et  la  tristéarine  sont  solides  à  la  température  ordinaire;  la  trioléine 
est  liquide.  Ces  corps  sont  insolubles  dans  l'eau  et  dans  l'alcool  froid,  solubles  dans 
l'élher,  le  chloroforme,  les  hydrocarbures;  ils  sont  aussi  solubles  les  uns  dans  les  autres. 

1.  J.  MuNK,  Therap.  Monatsk.,  1888,  cité  par  Lambling. 

2.  Cités  par  Voit,  H.  H.,  t.  vi,  p.  403. 

3.  Op.  cit.,  t.  u,  p.  384. 


336  ALIMENTS. 

Les  eaux  alcalines  les  dissolvent  en  les  saponifiant.  Ils  ne  distillent  pas,  et  ne  se  laissent 
pas  entraîner  par  la  vapeur  d'eau.  Liquides  ou  dissous  dans  des  dissolvants  volatils,  ils 
laissent  sur  le  papier  des  taches  d'un  aspect  caractéristique. 

Agités  à  l'état  liquide  avec  de  l'eau  qui  contient  de  l'albumine  ou  des  mucilages,  ils 
se  divisent  en  fines  gouttelettes  qui,  ne  pouvant  se  réunir,  restent  en  suspension;  le  liquide 
prend  un  aspect  blanc,  opaque,  comme  le  lait.  Cet  état  des  graisses  s'appelle  émulsion; 
l'aspect  du  lait  lui-même  tient  à  la  présence  du  beurre  à  l'état  d'émulsion.  Les  sucs 
intestinaux  jouissent  à  un  haut  degré  de  la  propriété  d'émulsionner  les  graisses. 

Les  acides  libres  ressemblent  beaucoup  aux  graisses  mêmes  dont  il  font  partie.  Les 
acides  palmitique  (C'H^'O.OH)  et  stéarique  (C'*H'»O.OH)  sont  solides  à  la  tempéra- 
ture ordinaire  et  fondent  à  une  température  peu  élevée  :  ils  sont  blancs,  gras  au  toucher, 
insolubles  dans  l'eau,  solubles  dans  l'alcool  bouillant,  l'éther,  le  chloroforme,  l'acide 
acétique,  les  graisses.  Ils  cristallisent  facilement  par  le  refroidissement  de  leur  solution 
alcoolique.  L'acide  oléique  C*  H''-^  0.  OH  est  liquide  à  la  température  ordinaire;  il  pré- 
sente les  mêmes  solubilités  que  les  deux  précédents  et  peut  les  dissoudre. 

Les  solutions  de  ces  acides  ne  rougissent  pas  le  papier  de  tournesol. 

Les  graisses  sont  facilement  combustibles  à  l'air  libre  et  brûlent  avec  une  flamme 
éclairante  et  même  fuligineuse,  à  cause  de  la  grande  quantité  de  carbone  qu'elles  contien- 
nent; cette  propriété  a  été  utilisée  dès  la  plus  haute  antiquité  pour  l'éclairage  (lampes 
et  chandelles);  leurs  acides  présentent  les  mêmes  propriétés  et  sont  aujourd'hui  utilisés 
dans  le  même  but  (bougies). 

La  chaleur  de  combustion  des  graisses  et  des  acides  gras  est  considérable.  Lou- 
gcinine'  a  trouvé  pour  i  gramme  d'acide  palmitique  O"-''',  264  et  pour  1  gramme  d'acide 
sléarique  9'='',  443.  On  n'a  pas  déterminé  la  chaleur  de  combustion  de  la  stéarine,  de  la 
palmitine  ni  de  l'oléine,  à  cause  de  la  très  grande  difficulté  d'avoir  ces  corps  bien  purs. 
Voici,'  déterminées  par  Stohmann  -,  les  chaleurs  dégagées  par  1  gramme  de  quelques 
graisses  naturelles. 

Cal. 
Graisse  de  porc 9,380 

—  de  mouton 9,406 

—  humaine 9,398 

Huile  d'olive 9,328 

Beurre 9,192 

Les  graisses  naturelles  sont  en  réalité  des  mélanges  en  proportions  variables  de  stéa- 
rine, de  palmitine  et  d'oléine;  de  plus  il  y  a  fréquemment,  surtout  dans  les  graisses 
végétales,  une  certaine  proportion  d'acides  libres.  C'est  la  plus  ou  moins  grande  propor- 
tion d'oléine  qui  détermine  la  consistance  du  mélange,  celle-ci  étant  d'autant  moins 
ferme  que  l'oléine  s'y  rencontre  en  plus  grande  quantité;  lorsque  la  proportion  d'oléine 
est  suffisante,  la  graisse  est  liquide  à  la  température  ordinaire,  tous  les  autres  compo- 
sants étant  dissous  dans  l'oléine  :  la  graisse  porte  alors  le  nom  d'huile.  On  voit  que  cette 
question  d'état  solide  ou  liquide  est  toute  relative  ;  l'huile  d'olive  est  solide  ou  demi- 
solide  en  hiver,  et,  dans  les  pays  chauds,  le  beurre  est  souvent  presque  liquide. 

Le  beurre  frais  n'est  pas  de  la  graisse  pure;  il  retient  toujours  des  quantités  de  petit 
lait,  plus  ou  moins  grandes, [suivant  les  soins  avec  lesquels  il  a  été  fabriqué,  petit  lait  qui 
lui  ajoute,  outre  de  l'eau,  de  la  caséine,  du  sucre  de  lait  et  des  sels. 

Mais  lu  graisse  du  beurre  elle-même,  séparée  de  ces  impuretés,  se  distingue  des  autres 
graisses  animales,  en  ce  qu'elle  contient,  à  côté  des  corps  gras  que  nous  venons  de  passer 
en  revue,  une  certaine  quantité  de  glycérides  des  acides  gras  inférieurs,  volatils  ;  acides 
butyrique,  caproïque,  caprylique,  caprique.  Duclaux^  donne  les  proportions  suivantes 
(pour  100)  de  ces  acides  qu'il  a  dosés  dans  8  échantillons  de  beurre  de  vache. 

Acide  butyrique 3,38  à  3,65 

Acides  caproïque,  et  autres 2,00  à  2,26 

1.  Cité  par  Lambling,  op.  cit.,  p.  100. 

2.  Cité  par  Lambling,  ibid. 

C.  R.,  1886,  t.  102,  p.  1022,  cite  par  Kônig,  op.  cit.,  t.  u,  p.  301. 


ALIMENTS.  337 

La  teneur  des  beurres  en  acides  gras  inférieurs,  d'après  Kônig,  est  soumise  à  des 
variations  assez  considérables  suivant  la  nourriture,  la  race  de  la  vache,  la  façon  dont  le 
beurre  a  été  préparé  et  conservé,  etc. 

Les  beurres  de  chèvre  et  de  brebis  contiennent  sensiblement  la  même  proportion 
d'acides  gras  volatils  que  le  beurre  de  vache  (E.  Schmidt  '). 

Ces  acides  gras  inférieurs,  volatils,  possèdent  des  odeurs  désagréables;  leurs  glycé- 
rides  sont  inodores,  mais  les  niicrobes  qui  pullulent  au  bout  de  quelque  temps  dans  le 
petit  lait,  retenu  par  le  beurre,  saponifient  en  partie  les  graisses  de  celui-ci,  et  l'acide 
butyrique  mis  en  liberté  exhale  alors  l'odeur  bien  connue  du  beurre  rance. 

Les  acides  gras  dégagent  d'autant  plus  de  chaleur -dans  leur  combustion  que  le 
nombre  d'alomes  de  carboné  est  plus  élevé.  Les  acides  gras  inférieurs  dégagent  moins 
de  chaleur  que  ceux  que  nous  avons  étudiés  plus  haut.  Ainsi  l'acide  oaprylique  C^H"'0'- 
dégage,  d'après  Loo&uinine,  seulement  7°=^', 907.  C'est,  à  cause  de  la  présence  d'éthers 
glycériques  de  ces  acides  que  la  graisse  du  beurre,  comme  on  a  pu  le  remarquer  dans  le 
tableau  donné  plus  haut,  a  une  chaleur  de  combustion  un  .peu  moindre  que  celle  des 
autres  graisses. 

Les  corps  gras  et  les  acides  gras  introduits  dans  le  tube  digestif  sont,  au  moins  pour 
la  très  grande  partie,  absorbés  en  nature;  l'action  des  sucs  digestifs  n'a  pour  but  que  de 
les  amener  à  un  état  tel  qu'ils  puissent  être  absorbés,  soit  qu'ils  soient  émulsionnés  et 
absorbés  à  l'état  de  fines  gouttelettes,  soit  qu'ils  soient  saponifiés  dans  l'intestin,  puis 
recombinés  à  l'état  de  graisse  neutre  dans  leur  passage  à  travers  la  muqueuse  intestinale-; 
ils  sont  emportés  à  l'état  d'émulsion  par  les  lymphatiques  et  versés  dans  le  sang;  une 
très  petite  quantité  seulement  pénètre  à  l'état  de  savon  (Voir  Absorption,  Digestion  et 
Graisses). 

La  preuve  que  les  graisses  de  l'alimentation  passent  dans  l'organisme  à  l'état  de  graisse, 
c'est  que,  lorsqu'elles  sont  fournies  en  excès  et  se  déposent  sous  forme  de  réserves,  ces 
réserves  affectent  le  caractère  des  graisses  ingérées,  et  peuvent  dans  certains  cas  difï'érer 
nettement  de  la  graisse  naturelle  de  l'animal.  C'est  J.  Munk  qui  a  donné  cette  démons, 
tration  élégante  ■'.  Après  avoir  fait  par  le  jeune  disparaître  toute  la  graisse  d'un  chien,  il 
lui  donna  une  ration  qui  comprenait  en  abondance  de  l'huile  de  colza.  Quand  le  chien 
fut  sacrifié  au  bout  d'un  certain  temps,  on  trouva  dans  ses  organes  une  graisse  qui  était 
presque  liquide  à  la  température  ordinaire;  à  l'analyse,  cette  graisse  donna  82  p.  100 
d'acide  oléique  et  12, o  d'acides  solides,  tandis  que  la  graisse  de  chien  normal  contient 
66  d'acide  oléique  et  29  d'acides  solides.  En  outre,  Munk  put  démontrer  dans  cette 
graisse  la  présence  d'un  acide  gras  particulier,  l'acide  érucique  (C-^H"O.OH),  élément 
de  l'huile  de  colza,  qui  fait  complètement  défaut  dans  la  graisse  animale  naturelle. 

D'autre  part,  les  graisses  et  les  acides  gras,  quand  ils  sontbriilés  dans  l'organisme,  le 
sont  complètement  et  subissent  la  transformation  jusqu'aux  produits  ultimes,  eau  et 
acide  carbonique.  Il  s'ensuit  que  les  chaleurs  de  combustion  observées  par  la  bombe 
calorimétrique  valent  pour  la  combustion  dans  l'organisme. 

Nous  n'avons  pas  parlé  de  la  chaleur  de  combustion  de  l'autre  composant  des  graisses, 
la  glycérine;  cette  chaleur  est  pourtant  assez  considérable;  elle  est  de  392  calories'*  pour 
une  molécule  pesant  92  grammes,  soit  4'>»',29  par  gramme,  à  peu  près  la  même  que 
celle  de  l'amidon.  Mais  il  n'importe  pas  au  physiologiste  de  connaître  la  valeur  com- 
bustible de  la  glycérine  libre^,  puisqu'elle  est  presque  toujours  ingére'e  en  combinaison 
avec  les  acides  gras.  De  fait,  elle  est  comprise  dans  la  molécule  graisse,  brûlée  et  comptée 
comme  telle;  on  n'a  donc  pas  à  s'en  occuper  à  part. 

Voici  la  teneur  en  graisses  de  quelques  aliments  végétaux  (par  kilo),  d'après  Moles- 
CHOTT,  cité  par  PoucHET  : 


•1.  Cité  par  Kônig,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  303. 

2.  Perewoznikoff  a  démontré  la  réalité  de  cette  synthèse,  C.  W.,  1816. 

3.  A.  Db.,  1883  et  A.  V.,  1884,  cité  par  Bunge,  p.  359. 

■  4.  LouGuiNiNE  (cité  d'après  VAtmtiaire  du  bureau  des  Longitudes). 
S.  MuNic  dénie  toute  valeur  alimeatairo  à  la  gl)'cérine  libre;    mais  il  ne  convient  peut-être  pas 
de  se  montrer  dès  maintenant  aussi  négatif  (Voir  Bunge,  pp.  337  et  358).  Nous  reviendrons  d'ail- 
leurs plus  loin  sur  la  valeur  alimentaire  des  alcools  en  général. 

DICT.    DE   PHYSIOLOGIE.    —   TOME   I.  22 


338 


ALIMENTS. 


Teneur  en  graisses  des  aliments  végétaux. 


Pommes  de  terre.    .    . 

.    .         1,5 
.    .         2,0 
.    .         2,0 

....       19,5 

Dattes 

Pois 

Lentilles 

....       19,5 
•^4  0 

Champignons 

.    .         2,5 
.    .         3,0 
.    .         8,0 
.    .         8,5 
.    .         9,0 

....       27,0 

....       48,0 

Riz 

Avoine 

....       o5,0 
....       55,0 

Colza 

....     350,0 

.    .       10,0 
.    .       18,0 

....     540,0 

Froment 

Noisettes 

....     600,0 

On  peut  ainsi,  en  faisant  exception  des  amandes,  noix,  noisettes  qui  contiennent  près 
de  30  p.  100  de  graisse  (amandes  oléagineuses),  constater  que  les  céréales  ont  environ 
0  p.  1000,  les  légumineuses  20  p.  1000;  et  enfin  les  autres  fruits  et  légumes  herbacés  ou 
amylacés  de  2  à  10  p.  1000. 

Nous  trouvons  dans  les  aliments  animaux  de  plus  fortes  proportions  de  graisses. 

Voici  la  teneur  en  graisses{par  kilo). 


Teneur  en  graisses  des  aliments  animaux. 


Poisson  maigre 
Blanc  d'œuf.  . 
Viande  de  bœu 
Chevreuil.   .    . 

(brochet; .  . 
f  (maigre) . . 

a 
10 
15 
19 
25 

25 

35 

Lait 

45 

47 


Saumon 

Viande  de  porc  (maigre).  .    .  57 

Hareng  frais 103 

Cervelle   de  boeuf. 165 

Fromage 242 

Viande  de  bœuf  (grasse).  .  .  260 

Anguille 280 

Jaune  d'œuf 320 

Viande  de  porc  (grasse).  .   .  370 

Substances  albuminoïdes.  —  Les  deux  groupes  de  substances  que  nous  venons 
d'étudier  ne  contenaient  que  du  carbone,  de  l'hydrogène  et  de  l'oxygène,  trois  éléments 
seulement,  d'où  le  nom  de  substances  ternaires  qui  leur  est  souvent  donné.  Celles  dont 
nous  avons  à  nous  occuper  maintenant  en  contiennent  quatre  en  proportion  importante 
(c'est-à-dire  de  l'azote  en  plus  des  trois  corps  précédents),  d'où  leur  nom  de  substances 
quaternaires  ;  en  réalité,  elles  contiemient  presque  toujours  un  cinquième  élément,  le 
soufre. 

La  composition  centésimale  oscille  en  général  entre  les  limites  suivantes  '  : 


C. 
H. 

Az 
S. 
0. 


50,0  à  53,0 
6,5  —    7,3 

15,0  —  19,0 
0,4  —     5,0 

19,0  —  24,0 


Étant  déjà  plus  compliquées  que  les  substances  ternaires  par  le  nombre  des  espèces 
d'atomes  qui  entre  dans  leur  molécule,  elles  le  sont  encore  bien  davantage,  si  l'on  consi- 
dère le  nombre  total  d'atomes  qui  constituent  cette  molécule  el  les  groupements  que  ces 
atomes  constituent. 

En  effet,  le  poids  moléculaire  du  glucose  est  de  180;  celui  de  l'amidon  est  sans  doute 
plus  considérable,  au  moins  trois  fois  ce  nombre  (moins  le  poids  de  3  molécules  d'eau); 
mais  cet  amidon  n'est  constitué  que  par  polymérisation,  c'est-à-dire  par  le  groupement 
de  molécules  identiques  entre  elles;  les  graisses  ont  un  poids  moléculaire  voisin  de  700 
à  800.  Pour  les  substances  albuminoïdes,  la  grandeur  de  la  molécule  est  bien  autre; 
celte  grandeur  même  en  rend  l'étude  très  difficile,  et  les  chimistes,  malgré  de  belles 
expériences,  n'en  ont  pas  encore  élucidé  la  structure;  pourtant,  diverses  considérations 
sur  des  cas  particulièrement  favorables  à  l'étude  ont  conduit  à  admettre  les  valeurs 
suivantes  pour  les  poids  moléculaires  jjjînwîn  de  quelques  corps  de  ce  groupe;  nous  don- 
nons aussi  le  nombre  d'atomes  de  carbone  -. 

1.  Lambling,  /.  c,  p.  62. 

2.  Tableau  emprunté  à  Lambling,  l.  c,  p.  98. 


ALIMENTS.  339 

Albumine   de  l'œuf  (Harnack) 4  618  C^»! 

—  —           (Schutzenbep.ger).   .    .    .  5  478  C-'*'' 

—  —           (Gautier; 3  739  C^s» 

Globuline  des  semences  de  courge 6  637  G-''- 

Hémoglobine  du  cheval 16  218  CSS" 

—  du  chien 16  077      C^e 

Ces  molécules  énormes  sont  extrêmement  complexes;  l'étude  de  leurs  fonctions  et  de 
leurs  radicaux^a  été  faite  plus  haut  CVoyez  Albumino'ides). 

Les  données  qui  nous  sont  nécessaires  ici  sont  les  suivantes  : 

Les  matières  albuminoïdes  sont  généralement  solubles,  soit  dans  l'eau  pure,  soit  dans 
les  solutions  étendues  de  sels  neutres  des  métaux  alcalins  :  quelques-unes  sont  inso- 
lubles dans  ces  conditions;  elles  se  dissolvent  dans  les  alcalis  ou  les  acides  étendus;  il 
s'agit  alors  d'une  combinaison  chimique  avec  l'alcali  ou  l'acide. 

Les  matières  albuminoïdes  ne  traversent  pas  ou  ne  traversent  qu'avec  une  extrême 
lenteur  les  membranes  animales  :  elles  ne  sont  pas  dialysables. 

Une  chaleur  même  inférieure  à  100°  les  coagule  :  ce  phénomène  consiste  en  un  chan- 
gement chimique  de  nature  encore  inconnue. 

Elles  sont  précipitées  de  leurs  solutions  par  un  grand  nombre  de  réactifs;  à  noter 
que  la  plupart  de  ces  réactifs  sont  ceux  qui  précipitent  les  alcaloïdes. 

Toutes  les  matières  albuminoïdes  en  solution  dévient  à  gauche  le  plan  de  la  lumière 
polarisée;  la  grandeur  de  cette  rotation  est  un  caractère  spécifique. 

Au  point  de  vue  de  leur  constitution,  les  matières  albuminoïdes  doivent  être  consi- 
dérées  comme  étant  essentiellement  des  amides.  Leur   dédoublement  par   hydratation 
a  fourni  à  Schutzenberger  les  produits  suivants  : 
L'ammoniaque, 
L'acide  carbonique, 
L'acide  oxalique. 
L'acide  acétique, 
La  tyrosine, 

Les  acides  amidés  de  la  série  C"  H-"  +  'AzO-, 
Les  acides  amidés  de  la  série  C''H^''-'AzO*, 
Les  leucéines  C"H-"-- Az-0', 
Les  glucoprotéines  C"!!-" Az^O*. 

L'ammoniaque,  l'acide  oxalique  et  l'acide  carbonique  sont  en  quantité  exactement 
nécessaires  pour  former  de  l'urée  et  de  l'oxamide.  C'est  pourquoi  on  admet,  après 
Schutzenberger,  qu'une  partie  de  la  molécule  est  construite  par  substitution  à  partir 
de  l'urée  : 


GO 
et  l'autre  partie  à  partir  de  l'oxamide  : 


/  AzH  — 
AzH  — 


CD  -  AzH  — 

I 

CO  — AzH  — 

La  présence  de  la  tyrosine  parmi  les  produits  de  dédoublement  indique  l'existence 
dans  les  substances  albuminoïdes  d'un  noyau  aromatique. 

Nous  ne  nous  occuperons  pas  ici  de  la  classification  chimique  des  matières  albumi- 
noïdes. Au  point  de  vue  de  l'alimentation,  toutes  celles  qui  répondent  aux  caractères  que 
nous  avons  indiqués  s'équivalent,  ou  plus  exactement,  la  science  jusqu'ici  n'a  pu  faire 
aucune  distinction  entre  ces  diverses  substances  quant  à  leur  valeur  nutritive. 

Mais  il  y  a  une  substance  qui  est  très  voisine  de  celles-là,  qui  a  la  même  composi- 
tion centésimale,  qui  précipite  par  un  grand  nombre  des  réactifs  qui  précipitent  l'albu- 
mine et  donne  la  plupart  des  réactions  colorées  que  donne  l'albumine  ;  elle  s'en  dis- 
tingue :  1°  par  sa  solubilité  très  grande  dans  l'eau  chaude,  sans  modification,  tandis 
qu'à  froid  elle  reprend  la  forme  solide,  la  forme  de  gelée  si  elle  contient  beaucoup  d'eau 
interposée  (c'est  cette  propriété  qui  lui  a  valu  son  nom  de  gélatine);  2°  par  les  produits 


340  ALIMENTS. 

de  (lÈdoublement  qu'elle  fournit;  la  principale  différence  est  l'absence  parmi  ces  produits 
de  la  tyrosine. 

On  avait  attaché  une  grande  importance  à  cette  absence  de  la  tyrosine,  et  Drechsel  ' 
en  avait  fait  un  caractère  de  classification,  rangeant  d'une  part  les  substances  dont  la 
décomposition  fournit  des  matières  aromatiques,  de  l'autre  celles  qui  n'en  fournissent 
pas. 

Mais,  depuis  les  récents  travaux  de  Maly-  sur  l'albumine  et  la  gélatine,  une  semblable 
distinction  ne  peut  plus  être  maintenue,  et  l'absence  de  tyrosine  apparaît  comme  tout 
à  fait  secondaire.  En  effet,  la  gélatine  fournit,  non  de  la  tyrosine,  il  est  vrai,  mais  une 
autre  substance  aromatique,  l'acide  benzoïque.  Et  Maly  a  étudié  un  corps,  l'acide 
oxyprotéine  sulfurique,  qui  est  bien  un  albuminoïde  vrai,  non  dédoublé,  enrichi  seu- 
lement par  l'action  du  permanganate  de  potassium  de  quelques  centièmes  d'oxygène, 
mais  qui,  décomposé  par  hydratation,  abandonne  son  groupe  aromatique  sous  forme 
d'acide  benzoïque  et  non  plus  sous  forme  de  tyrosine. 

Mais  que  la  différence  chimique  entre  la  gélatine  et  les  substances  albuminoïdes 
soit  plus  petite  qu'on  ne  l'avait  supposé,  que  la  gélatine  contienne  ou  ne  contienne  pas 
les  mêmes  groupements  d'atomes  que  ces  substances,  il  n'en  existe  pas  moins,  au  point 
de  vue  physiologique,  une  différence  énorme  entre  la  gélatine  d'une  part  et  les  albumi- 
noïdes de  l'autre,  comme  nous  le  verrons  plus  loin.  Toutefois,  au  point  de  vue  qui  nous 
occupe  plus  spécialement  en  ce  moment,  à  savoir  l'assimilabilité  et  l'utilisation  pour  la 
calorification,  elles  peuvent  être  provisoirement  confondues. 

Les  substances  albuminoïdes  ne  peuvent  être  directement  assimilées;  il  faut  qu'elles 
soient  transformées  par  les  sucs  digestifs.  Nous  n'entrerons  pas  ici  dans  le  détail  des 
transformations  qu'elles  subissent  par  l'action  nécessaire  du  suc  gastrique  (acide 
chlorhydrique  et  pepsine)  et  du  suc  pancréatique  (pancréatine  ou  trypsine).  Le  résultat 
flnal  est  la  formation  depepiones;  ces  nouvelles  substances  répondent  sensiblement  à  la 
même  composition  centésimale  que  les  albuminoïdes;  mais  elles  s'en  séparent  par 
diverses  propriétés;  les  deux  plus  importantes,  c'est  que  :  1°  les  peptones  sont  très  solu- 
bles  à  chaud  comme  à  froid  et  ne  coagulent  pas  par  la  chaleur  ni  les  acides;  2°  elles 
sont  diffusibles  et  dialysables.  En  outre,  elles  restent  insensibles  à  divers  réactifs  qui 
précipitent  les  albuminoïdes. 

On  discute  encore  sur  la  question  de  savoir  quelle  est  la  nature  de  la  transforma- 
tion qui  s'est  opérée  dans  le  passage  des  substances  albuminoïdes  à  l'état  de  peptones; 
pour  les  uns,  qui  s'appuient  surtout  sur  l'identité  de  composition  centésimale,  la  molé- 
cule d'albumine  a  été  simplement  une  ou  plusieurs  fois  dédoublée  ;  tout  indique,  en 
effet,  que  la  molécule  de  peptone  est  considérablement  plus  petite  que  la  molécule 
d'albumine;  mais,  pour  les  autres,  ce  dédoublement  s'est  accompagné  d'une  hydratation. 
11  faut  remarquer,  en  effet,  que  l'adjonction  de  quelques  atomes  d'hydrogène  et  d'oxy- 
gène à  une  molécule  qui  en  contient  déjà  des  centaines  ne  donne  pas  une  modification 
bien  appréciable  delà  composition  centésimale:  l'argument  donné  contre  l'hydratation 
n'est  donc  guère  probant.  Il  y  a  à  alléguer  pour  l'hydratation  les  faits  suivants  :  de 
l'albumine  chauffée  envase  clos  avec  de  l'eau,  simplement,  se  peptonise;  inversement, 
certains  agents  de  déshydratation,  l'anhydride  acétique  (Hennin&er),  la  dessiccation  à 
130°  (Hofmeister),  transforment  les  peptones  en  corps  doués  de  propriétés  semblables  à 
celles  des  albuminoïdes. 

Un  point  qui  reste  encore  plus  douteux,  c'est  de  savoir  si,  à  chaque  espèce  d'albu- 
minoïde  correspond  une  peptone,  ou  s'il  y  a  un  petit  nombre  seulement  de  peptones, 
ou  même  une  seule  peptone.  On  voit  tout  de  suite  combien  cette  question  est  impor- 
tante pour  la  théorie  du  rôle  alimentaire  des  albuminoïdes;  s'il  n'y  avait  qu'une  seule 
peptone,  en  effet,  on  serait  en  droit  de  compter  en  bloc,  comme  on  l'a  fait  d'ailleurs 
par  nécessité,  toutes  les  albuminoïdes  de  l'alimentation  la  plus  variée,  toutes  ces  albu- 
minoïdes se  trouvant,  par  la  digestion,  ramenées,  pour  l'organisme,  à  une  seule  et 
même  substance,  la  pe2:)tone;   mais  ou  ne  peut  rien  affirmer  là-dessus;  ce  qu'on  sait, 

1.  Ladenburgs.  Handworterbuch  cier  Chemie.  Breslau,  1885,  t.  ni,  p.  549;  cité  d'après  Lam- 
BLING,  p.  73. 

2.  Monaish.  f.  Chemie,  t.  s,  p.  26;  cité  d'après  Lambling. 


ALIMENTS.  3/^l 

c'est  que  les  peptones  de  la  fibrine,  de  l'albumine,  de  la  caséine,  se  ressemblent  beau- 
coup plus  entre  elles  que  ne  le  font  les  albuininoïdes  dont  elles  proviennent;  la  seule 
différence  appréciable  réside  dans  la  grandeur  du  pouvoir  rotatoire,  qui  est  toujours 
lévûgyre  comme  pour  les  albuminoïdes. 

La  gélatine,  sous  les  mêmes  inlluences  que  les  véritables  albuminoïdes,  donne  aussi 
une  peptone,  et  celle-ci  se  rapproche  par  tous  ses  caractères  chimiques  et  physiques  des 
peptones  d'albuminoïdes;  mais  ici  la  question  de  non-identité  est  jugée  physiologique- 
ment,  puisque  la  gélatine  ne  peut  pas  complètement  remplacer  les  albuminoïdes  dans 
la  ration  alimentaire. 

Si  les  albuminoïdes  ne  sont  pas  absorbables,  les  peptones,  de  leur  côté,  ne  sont  pas 
assimilables  pour  les  tissus  lorsqu'elles  sont  introduites  directement  dans  le  sang;  elles 
sont,  dans  ce  cas,  éliminées  par  l'urine  (Wassermann^).  Il  faut  donc  qu'elles  soient 
transformées;  c'est  dans  la  paroi  intestinale  elle-même  que  s'opère  cette  trans- 
formation. On  ne  trouve,  en  effet,  pas  de  peptone  dans  les  veines  pendant  la  digestion 
(Wassehmann),  bien  que  divers  auteurs  aient  cru  en  trouver,  trompés  vraisemblablement 
par  une  précipitation  incomplète  des  albuminoïdes  du  sang.  Il  y  a  sans  doute  reconsti- 
tution de  l'albuminoïde  aux  dépens  de  la  peptone,  par  déshydratation  de  celle-ci;  l'épi- 
thélium  intestinal  possède  en  effet  ce  pouvoir  déshydratant,  puisque  nous  savons  qu'il 
recombine  les  éléments  des  graisses  saponifiées  (Perewozniroff). 

Il  existe  un  groupe  de  substances  qui  se  rattachent  étroitement  aux  albuminoïdes, 
mais  qui  s'en  distinguent  par  la  façon  dont  ils  résistent  à  l'action  peptonisante  des 
sucs  digestifs  ;  c'est  cette  propriété  qui  les  a  fait  découvrir,  et  c'est  grâce  à  elle  qu'on 
les  sépare  des  albuminoïdes  auxquelles  elles  sont  mêlées.  Lorsqu'en  effet  on  a  fait 
agir  sur  les  globules  du  pus  ou  sur  la  laitance  (spermatozoïdes)  de  poisson  le  suc  gas- 
trique à  basse  température,  et  qu'on  épuise  le  résidu  inattaqué  par  une  solution  faible 
de  carbonate  de  soude,  on  obtient  en  solution  une  substance  qui  se  précipite  lorsqu'on 
ajoute  un  peu  d'acide.  Miescher^,  qui  l'a  découverte  dans  ces  conditions,  lui  a  donné 
le  nom  de  nudéine;  on  retrouve,  en  effet,  des  substances  de  ce  genre  dans  toutes  les 
cellules  animales  ou  végétales  qui  sont  douées  d'une  grande  activité,  et  généralement 
ces  cellules  ont  un  noyau  volumineux;  il  est  probable  que  les  noyaux  cellulaires  sont 
constitués  en  grande  partie  par  de  la  micléine,  mais  on  en  trouve  également  dans  la 
levure  de  bière  qui  n'a  pas  de  noyau,  ainsi  que  dans  le  jaune  d'œuf,  et,  en  petite 
quantité,  dans  le  lait. 

Les  nucléines  sont  caractérisées  chimiquement  par  la  présence  du  phosphore  :  la 
nucléine  du  pus  en  contient  2  à  3  p.  100;  la  nudéine  du  lait,  4,6;  celle  du  jaune 
d'œuf,  6  à  7;  et  celle  de  la  laitance  du  saumon,  jusqu'à  9,6. 

Les  nucléines  sont  très  peu  ou  pas  solubles  dans  l'eau  pure,  très  solubles  dans  les 
solutions  légèrement  alcalines  (carbonate  de  sodium,  phosphate  disodique,  etc.);  elles 
jouissent  de  propriétés  acides  marquées.  Elles  abandonnent  peu  à  peu  leur  phosphore 
sous  des  inlluences  dissociantes  même  légères,  l'ébuUition  de  leur  solution  par  exemple, 
et  leur  teneur  en  phosphore  varie  sensiblement  suivant  le  temps  pendant  lequel  on  a 
laissé  agir  sur  elles  le  suc  gastrique  et  suivant  la  température  à  laquelle  s'est  faite 
cette  réaction  ;  à  mesure  qu'elles  perdent  de  leur  phosphore,  elles  reviennent  aux  pro- 
priétés générales  des  albuminoïdes.  Décomposées  par  l'aclion  d'un  acide  minéral  étendu  et 
chaud,  les  nucléines  donnent,  entre  autres  produits  de  dédoublement,  toute  la  série  des 
bases  xanthiques  {KossEhj.  Par  oxydation,  elles  donnent  de  Vacide  i^ngMe  (Horbaczewski). 
BoNGE^  a  décrit  en  outre  des  nucléines  contenant  du  fer.  Reprenant  la  séparation  de  la 
nucléine  du  jaune  d'œuf,  suivant  le  procédé  de  Miescheb,  mais  avec  un  suc  gastrique 
moins  acide,  qu'il  faisait  agir  avec  une  extrême  précaution,  il  a  obtenu  un  corps  doué 
despropriétés  générales  des  nucléines  etrépondant  à  la  composition  centésimale  suivante  : 

C  :  42,11  —H  :  6,08  —  Az  :  14,73  —  S  :  0,55  —  P  :  5,19  —  Fe  :  0,29  —  0  :  31,03. 

BuNGE  attribue  à   cette  combinaison,  qu'il  appelle  hématogène,  une  grande  importance 

1.  D.  P.,  1885. 

2.  Medicinische  chemische  Untersuchunqen,  de  Hoppe-Seyler,  p.  441. 

3.  Z.  P.  C,  1884  (Voir  son  Cours  de  Chim.  biol.,  pp.  92  et  suiv.). 


34-i 


ALIMENTS. 


alimentaire  ;  d'après  lui,  ce  serait  la  forme  assimilable  du  fer,  non  seulement  pour  l'em- 
bryon de  poulet,  ce  qui  n'est  guère  contestable,  mais  pour  tous  les  animaux  qui  trouve- 
raient des  combinaisons  de  ce  genre  dans  les  aliments  tant  végétaux  qu'animaux.  Les 
raisons  théoriques  qu'il  donne  semblent  très  bonnes,  mais  jusqu'ici  la  théorie  n'est 
pas  appuyée  sur  des  expériences  directes.  Une  des  grandes  difficultés,  c'est  l'indigesti- 
bilité  de  cette  nucléine'. 

Toutes  les  nucléines  d'ailleurs,  nous  l'avons  vu,  sont  dans  le  même  cas;  aussi  leur 
rôle  dans  l'alimentation  reste  fort  obscur;  il  serait  téméraire  de  leur  refuser  toute  uti- 
lité, car,  si  l'on  sait  que  des  nucléines  inaltérées  passent  dans  les  fèces,  on  n'a  jamais  fait 
de  dosages  comparatifs  entre  les  entrées  et  les  sorties  pour  savoir  s'il  n'y  en  avait  pas 
une  portion  quelconque  d'assimilée;  et,  d'autre  part,  comme  le  fait  remarquer  BuiNGE, 
la  présence  de  nucléine  dans  le  lait  plaide  en  faveur  de  son  utilité  comme  aliment. 

Les  matières  albuminoïdes  assimilées,  puis  utilisées,  sont  éliminées  sous  forme  d'eau, 
d'acide  carbonique,  d'acide  sulfurique  et  de  matières  azotées  diverses  contenant  encore 
une  quantité  notable  d'énergie  potentielle  ;  pour  évaluer  la  quantité  de  chaleur  qu'elles 
ont  livrée  à  l'organisme,  il  faut  donc  retrancher  de  leur  chaleur  de  combustion  la  cha- 
leur de  combustion  de  ces  produits  azotés  excrémentitiels. 

Nous  disons  chaleur  de  combustion,  cela  n'implique  nullement  que  les  matières  albu- 
minoïdes soient  décomposées  dans  l'organisme  uniquement  par  un  processus  d'oxyda- 
tion; nous  n'avons  pas  besoin  de  savoir  quelle  part  il  faut  attribuer  dans  le  phénomène 
à  ce  processus  et  quelle  part  au  processus  d'hydratation.  Pour  le  calcul  de  la  chaleur 
dégagée,  peu  importe,  nous  n'avons  qu'à  appliquer  le  théorème  de  Behthelot  sur  l'état 
initial  et  l'état  final;  la  différence  des  chaleurs  de  combustion  entre  ces  deux  états  doit 
toujours  nous  donner  la  somme  de  chaleur  dégagée  par  l'ensemble  des  processus  inter- 
venus, quels  qu'ils  soient. 

Voici  les  chaleurs  de  combustion  de  diverses  substances  albuminoïdes,  déterminées 
par  Berthelot  et  André  -,  précisément  dans  les  conditions  où  nous  avons  besoin  de  les 
connaître,  c'est-à-dire  avec  oxydation  complète  du  soufre  àl'état  d'acide  sulfurique  dissous. 

Les  chiffres  sont  exprimés  en  petites  calories  pour  un  gramme  de  matière  ■'. 


5  690 
5S32 

5  731 
5  913 
3  629 

5  414 

Fibrine  du  sang 

Chair  musculaire  (dégrais- 

Cliondrine 

Vitelline 

.  .  3  346 
.    .       SIS't 

Fibrine   végétale.    .    . 

Gluten  brut 

Colle  de  poisson.    .    . 

5  836 

Hémoglobine 

Caséine 

.  .  5  995 
.    .       3  242 

La  valeur  moyenne  est  de  3  691  calories  pour  un  gramme  de  matière  :  ce  qui  fait 
pour  un  gramme  de  carbone,  contenu  dans  la  molécule,  à  peu  près  10  870  calories. 

Mais  l'azote  est  éliminé,  non  sous  forme  d'azote  gazeux,  comme  dans  la  bombe; 
mais  sous  forme  de  combinaisons  quaternaires  qui  se  retrouvent  dans  l'urine. 

Plusieurs  de  ces  combinaisons  sont  des  molécules  encore  assez  élevées;  mais  elles 
ont  peu  d'importance  au  point  de  vue  quantitatif;  les  trois  seules  qui  aient  un  intérêt 
à  ce  point  de  vue  sont  :  l'urée,  l'acide  hippurique  et  l'acide  urique. 

Voici  leurs  chaleurs  de  combustion  : 

Urée''. 2  530  calories. 

Acide  urique» 2  734        — 

Acide   hippurique  ^   .    .    .    .       5  659        — 


1.  Tout  récemment,  Schmiedeberg  (Arch.  f.  exp.  Path.,  1894)  s'est  efforcé  de  démontrer  que 
la  forme  assimilable  du  fer  est  une  combinaison  intime  de  ce  métal  avec  de  l'albumine  ;  il  a 
donné  le  nom  de  ferratine  à  cette  combinaison,  qu'il  a  extraite  du  foie  de  porc  et  qui  a  été  obte- 
nue synthétiquement  par  Markoei. 

2.  C.  R.,  t.  ex,  p.  925,  1890. 

3.  Stohmann  (Wurmewerth  der  Bestandtheile  der  Nahrungsmittel.  Z.  B.  1894,  p.  364)  a  donné 
le  tableau  complet  de  la  valeur  calorifique  des  diverses  matières  alimentaires. 

4.  Berthelot  et  Petit.  C.  R.,  t.  cix,  p.  759.  • 

5.  Matignon.  Soc.  chim.  de  Paris,  1894,  p.  568. 

6.  Berthelot  et  André. 


ALIMENTS. 


3.i;-5 


Chez  l'homme,  l'urée  représente  la  forme  d'élimination  de  8b à  90  p.  100  de  l'azote  éh- 
miné;  chez  les  oiseaux  et  les  reptiles,  c'est  l'acide  urique  qui  est  la  forme  d'e'limination 
de  beaucoup  la  plus  importante;  enfin  l'urine  des  herbivores  contient  une  proportion 
notable  d'acide  hippurique. 

Sachant  que  l'azote  de  tel  albuminoïde  détruit  dans  l'organisme  est  éliminé  sous 
forme  de  l'une  ou  l'autre  de  ces  substances,  il  est  facile  de  faire  le  compte  de  la  cha- 
leur dégagée  dans  l'organisme  par  cette  destruction. 

Mais  le  calcul  fait  avec  cette  précision  n'a  guère  qu'un  intérêt  théorique.  Pour  l'éva- 
luation thermique  d'une  ration,  on  est  obligé  de  se  contenter  de  moyennes.  Or,  pour 
l'homme  (de  même  pour  le  chien),  nous  ne  ferons  qu'une  erreur  très  faible  en  admet- 
tant que  tout  l'azote  s'élimine  sous  forme  d'urée;  d'aufre  part,  le  déficit  de  chaleur, 
par  rapport  à  la  combustion  totale,  qui  résulte  de  l'élimination  de  l'azote  sous  cette 
forme,  a  été  calculé  par  Berthelot  et  André  {loc.  cit.)  pour  chacune  des  substances  dont 
nous  avons  indiqué  plus  haut  la  chaleur  de  combustion.  Ce  déficit  varie  de  la  à  17  cen- 
tièmes de  la  chaleur  dégagée;  exceptionnellement  pour  la  colle  de  poisson  (gélatine), 
il  atteint  20  centièmes;  c'est  en  moyenne  16  centièmes  ou  1/6  à  retrancher  de  la 
valeur  moyenne  que  nous  avons  donnée  pour  ces  substances.  Cette  valeur  devient 
alors  4  740  calories  par  gramme  de  matière,  et  9  060  calories  pour  la  quantité  de 
matière  renfermant  un  gramme  de  carbone. 

Pour  un  organisme  (oiseau,  reptile)  qui  élimine  la  plus  grande  partie  de  son  azote 
(pour  simplifier,  admettons  tout  son  azote)  sous  forme  d'acide  urique,  ces  valeurs 
doivent  être  encore  abaissées  de  1/8  (M.^tigaon');  un  gramme  d'albuminoïde  ne  fournit 
à  cet  organisme  que  4  320  calories. 

Voici  la  teneur  en  matière  azotée  des  principales  matières  végétales  pour  1 000  par- 
ties : 

Albuminoïdes  des  aliments  végétaux  (par  kilo). 


Lentilles.  .  . 
Fèves.  .  .  . 
Amandes  .   . 

Pois 

Haricots.  .  . 
Avoine  .  .  . 
Froment.  .  . 
Orge  .... 
Seigle.  .  .  . 
Mais  .... 
Noix  .... 
Sarrasin.  .    . 

RU 

Champignons 
Chàudgnes   . 


26y 
244 
240 
238 
22y 
144 
135 
129 
107 
79 
91 
69 
51 


Betteraves 

Choux-raves 

.    .         29 
.    .         20 
.    .         15 

Pommes  de  terre  .    .    . 

.   .         13 
.   .         11 

.   .          8 

.   .           7 

7 

.    .           5 

Cliouï-fleurs 

3 

4 

3 

Poires 

2,5 

On  voit  que  la  variété  est  très  grande  et  qu'on  peut,  à  ce  point  de  vue,  distinguer 
les  aliments  végétaux  en  plusieurs  groupes,  suivant  qu'ils  appartiennent  aux  légumi- 
neuses, aux  céréales,  aux  plantes  féculentes  et  aux  plantes  herbacées.  Les  légumineuses 
ont  plus  de  20  p. 100  de  matières  azotées(lentilles, fèves,  pois, haricots).  Les  céréales  ont 
10  à  20  p.  100 (seigle,  orge,  avoine,  froment).  Les  plantes  fe'culentes (pommes de  terre,  riz, 
châtaignes)  ont  de  i  à  6  p.  100.  Et  enfin,  les  fruits  et  les  légumes  herbacés  ont  de  0,2  à 
1  p.  100. 

Autrement  dit  et  plus  schématiquement  encore  : 


Légumineuses. 
Céréales  .  .  . 
Féculents.  .  . 
Fruits  .... 


250 
125 


par  kilogramme: 


Pour  les   aliments   animau.x,    nous  trouvons  aussi  des    proportions   variables    de 
matière  azotée,  et,  contrairement  à  l'opinion  vulgaire,  ils  ne  sont  pas  notablement  plus 


1.  Mém.  Soc.  Cliim.  de  Paris,  t.  xi,  p.  570,  1894 


3U  ALIMENTS. 

riches  en  azole  que  les  légumineuses.  Voici  la  proportion,  d'après  Moleschott,  pour 
1000  parties  : 


Albuminoïdes  des  aliments  animaux  (par  kilo). 


Fromage 334 

Viande  de  canard 203 

—  de  bœuf 174 

—  de  porc lH 

—  de  veau 166 


Jaune  d'œuf.  .  .  . 
Viande  de  poisson. 
Blanc  d'œuf.  .  .  . 
Lait 


163 
139 

117 


Vu  l'importance  de  la  valeur  en  azote  des  aliments,  nous  réproduisons  ici  quelques 
tableaux  construits  par  Bunge  [Chim.  biol.,  1891,  p.  68),  auj  moyen  de  chiffres  tirés 
du  recueil  de  Kônig. 

1=''  Tableau. 

Combien  faut-il  d'aliments  pour  fournir  100  r/rammes  de  matière  azotée? 
(Aliments  naturels.) 


g"-- 
.       25  000 

Blanc  d'œuf  de  poule. 
Poisson  gras   (anguille) 
Viande  de  porc  (grasse) 
Vitellus   de  poule.    .    . 
Viande  de  bœuf  grasse 
Poisson  maigre.   .   .    . 
Viande  de  bœuf  maigre 
Pois 

730 

Carottes 

Pommes  de  terre.    .    . 
Lait  de  femme  .   .   .   . 

9  000 
5  000 
4  200 
3  000 

750 
650 
620 
600 

Lait  de  vache 

Riz 

"Maïs 

3  000 

i  230 

1  000 

800 

2-=  Tal 

550 
480 
430 

Froment 

)leau. 

Combien  faul-il  d'aliments  pour  fournir  100  f/rammes  de  matières  albuminoïdes': 
(Aliments  sèches.) 


4  200 

Pommes  de  terre.   .   . 
Riz 

.    .        1250 
1  100 

1000 

Maïs 

.    .           900 

Froment 

Lait  de  femme.    ... 

.    .          700 

.    .          550 

440 

Pois.  ........ 

.    .          370 

Lait  de  vache.   .   .    . 
Viande  de  porc  grasse 

Poisson  gras 

Vitellus  de  poule .   .    . 
Viande  de  bœuf  grasse 
—  maigre 

Blanc  d'œuf  de  poule 
Poisson  maigre  (brochet) 


370 
360 
330 
300 
250 
112 
112 
MO 


Il  ne  faut  pas  se  faire  d'illusions  sur  la  précision  des  nombres  contenus  dans  ces 
tableaux,  et  d'une  façon  générale,  des  nombres  donnés  dans  les  analyses  d'aliments 
pour  représenter  la  teneur  de  ces  aliments  en  albuminoïdes.  Pratiquement,  on  ne  dose 
pas  les  albuminoïdes,  on  dose  l'azote  et  on  calcule  les  albuminoïdes  en  multipliant  le 
poids  d'azote  par  le  facteur  6,2b.  C'est  ce  produit  qui  figure  dans  les  tableaux  de  tous 
les  auteurs.  Voyons  ce  qu'il  représente  au  juste. 

1°  Le  facteur  6,25  est  exact  si  l'albuminoïde  auquel  on  a  affaire  contient  exactement 
16  p.  100  d'azote  ;  pour  un  albuminoïde  qui  contient  moins  d'azote,  il  donne  une  valeur 
trop  faible  ;  pour  un  albuminoïde  qui  en  contient  davantage,  il  donne  une  valeur  trop 
forte.  Nous  avons  vu  (p.  338)  que  l'azote  des  albuminoïdes  varie  de  15  à  19;  les  écarts 
autour  de  cette  proportion  de  16  p.  100  sont  donc  assez  sensibles,  et  il  y  a  beaucoup 
d'albuminoides  qui  contiennent  plus  de  16  p.  100  d'azote.  Le  chiffre  ainsi  obtenu  sera 
donc  souvent  trop  fort. 

2°  Tout  l'azote  des  aliments  n'est  pas  de  l'azote  d'albuminoides.  Dans  les  substances 
animales,  il  n'y  a  généralement  que  fort  peu  d'azote  non  albuminoïde  :  ainsi  dans  la 
viande  de  bœuf  on  n'en  trouve  que  0,2  p.  100  (Kônig,  t.  ii,  p.  112);  cet  azote  est  sous 
forme  de  bases  xanthiques.  L'erreur  est  ici  insignifiante. 

Mais  il  n'en  est  pas  de  même  pour  les  aliments  végétaux;  les  plantes  ou  parties  de 


ALIMENTS. 


345 


plantes  dont  se  nourrissent  l'iiomme  et  les  unimaux  contiennent  des  proportions  souvent 
considérables  à'amides. 

L'un  des  plus  répandus  de  ces  corps  est  l'asparagine  (Voyez  ce  mot),  sur  lequel 
nous  aurons  à  revenir,  son  rôle  dans  l'alimentation  ayant  fait  l'objet  de  recherches  inté- 
ressantes; mais,  quelle  que  puisse  être  la  conclusion  de  ces  recherches,  il  est  évident 
que  l'on  fait  une  erreur  importante  en  comptant  ces  amides  comme  albuminoïdes. 
Voyons  par  exemple,  au  simple  point  de  vue  de  la  production  de  chaleur  qui  nous  occupe 
en  ce  moment,  ce  qu'est  cette  erreur. 

1  gramme  d'azote  trouvé  par  l'analyse  correspond  à  4s',7  d'asparagine  C41'Az-0''; 
la  chaleur  de  combustion  d'une  molécule  d'asparagine  est  de  448  calories,  d'où  il  faut 
retrancher,  pour  la  chaleur  de  l'urée  sous  forme  de  laquelle  son  azote  est"  éliminé, 
156  calories';  reste  292  calories  pour  une  molécule  pesant  132,  soit  2  210  petites  'calories 
par  gramme  de  matière,  46^,7  d'asparagine  donnent  dans  l'organisme  10  387  calories. 

Ce  même  gramme  d'azote  compté  comme  albumine  donnerait  6B',2o  de  matière  à 
4  740  calories  par  gramme  (voir  p.  343),  ce  qui  fait  29  525  calories. 

Oii  voit  qu'on  attribuerait  à  la  substance  d'où  provient  ce  gramme  d'azote  presque 
trois  fois  sa  valeur  thermique  réelle. 

Or  les  aliments  végétaux,  disons-nous,  contiennent  souvent  des  proportions  considé- 
rables d'ar/iides,  et  de  diverses  substances  azotées  non  albuminoïdes.  Voici  quelques 
exemples  tirés  du  recueil  de  Konig  (t.  ii,  pp.  652,  631). 

Azote  non   albuminoïde   des   aliments   végétaux  pour  100. 


AZOTE  TOTAL 

(p.  100 

de  substance 

sèche). 

AZOTE 

NON  ALBUMINOÏDE 
(p.  100 

de  l'azote  total). 

Asperges 

Spiuards 

4,13 
4,56 
4,85 
5,S7 
4,69 
4,32 
4,89 
5,11 
1,91 
2,02 
4,64 
1,33 

20 
23 
39 
19 
24 
38 
49 
49 
18 
45 
56 
de  33  à  58' 

Pois 

Haricots 

Chou 

Chou-fleur 

Carotte 

Chou-navet 

Pommes  de  terre.    .    .    . 

Dans  les   céréales,  la  proportion  de  ces  substances  azotées  non   albuminoïdes  est 
moins  considérable,  mais  elle  est  encore  très  sensible  (Kônig,  t.  ii,  pp.  458  et  ss.). 


AZOTE  TOTAL 

(p.   100 

do  substance 

sèche). 

AZOTE 

NON  ALBUMINOÏDlï 
(p.    100 

de  l'azoto  total). 

Froment 

2,13 
1,79 
1,94 
1,74 
1,39 

3   il   11 

g 

1,4  à  4,4 
3  à  8 

5 
6  à  10 

Orge 

Mais                

Riz 

1.  Berthelot  et  André.  C.  R.,  t.  ex,  p. 


346  ALIMENTS. 

Valeur  calorimétrique  et  isodynamie  des  aliments.  — •  Nous  venons  ainsi  de 
passer  en  revue  trois  groupes  de  substances,  qui,  introduites  dans  le  tube  digestif  d'un 
animal,  sont  digérées,  assimilées,  puis  détruites,  et  leurs  éléments  éliminés;  nous  avons 
vu  quelles  sont  les  quantités  d'énergie  potentielle  qu'elles  contiennent  lorsqu'elles 
entrent,  et  quelles  sont  celles  qu'elles  doivent  avoir  abandonnées  dans  l'organisme 
lorsqu'elles  en  sortent  sous  forme  d'eau,  d'acide  carbonique  et  d'urée. 

On  résumera  ces  données  par  les  nombres  schématiques  suivants  : 

Cal. 
1  gramme  de  graisse  dégage  9,4 
1  —  d'albumine  —  4,7 
1       —        d'amidon         —      4,1 

Nous  pouvons  maintenant  calculer  facilement  quelle  est  la  quantité  de  combustible 
à  fournir  pour  couvrir  une  perte  de  chaleur  donnée.  Supposons,  par  exemple,  un  homme 
dont  la  dépense  journalière  de  calorique  serait  égale  à  2  300  calories;  cette  dépense 
sera  également  couverte  par 

266  grammes  de  graisse, 
332  —  d'albumine, 
610        —        d'amidon, 

en  supposant,  bien  entendu,  qu'il  s'agit  de  la  ration  réellement  absorbée,  sans  tenir 
compte  de  ce  qui  est  perdu  pour  la  digestion  et  passe  dans  les  fèces. 

On  pourra  donc  dire  que  266  grammes  de  graisse  sont  isodynamei  à  o32  grammes 
d'albumine  et  à  610  grammes  d'amidon. 

Et  si,  comme  c'est  toujours  le  cas  dans  la  nature,  la  ration  comprend  les  trois  espèces 
de  combustible,  et  que  la  somme  de  leurs  énergies  potentielles  soit  suffisante  pour 
couvrir  les  dépenses  et  réaliser  l'équilibre  du  budget  physiologique,  une  quantité  n  de 
l'un  des  combustibles  pourra  toujours  être  remplacée  par  une  quantité  m  isodyname  d'un 
autre  combustible. 

Rub.ner',  qui  a  introduit  en  physiologie  cette  notion  de  l'isodynamie,  a  fait  des  expé- 
riences pour  vérifier  sur  l'organisme  animal  cette  vue  de  l'esprit,  et  ces  expériences 
ont  été  remarquablement  d'accord  avec  la  théorie. 

Voici  les  quantités  de  substance  alimentaire  qui  se  sont  montrées  dans  l'organisme 
animal,  isodynames  à  100  grammes  de  graisse,  et  en  regard,  les  quantités  caloulées 
d'après  les  données  calorimétriques  : 

Observées.  Calculées. 

Syntonine 223  213 

Fécule 232  229 

Chair  mu.sculaire 243  233 

Sucre  de  canne 234  233 

Sucre  de  raisin 236  235 

Il  est  donc  aussi  légitime  que  facile  de  calculer  en  calories  la  valeur  d'une  ration, 
quelle  que  soit  la  composition  de  cette  ration.  Nous  aurons  plus  loin  à  faire  une  réserve 
pour  les  albuminoïdes. 

Mais  nous  avons  vu  que  les  données  analytiques  que  nous  pouvons  obtenir  sur  les 
aliments  ne  sont  pas  exactes.  Rubner  a  proposé  d'introduire  une  correction  moyenne, 
portant  sur  les  coefficients  thermiques  à  attribuer  à  chacun  des  groupes  d'aliments 
tels  qu'ils  nous  sont  fournis  par  les  analyses;  au  lieu  des  valeurs  indiquées  plus  haut,  il 
compte  pour  1  gramme  de  substance  : 

Calories. 

Graisse 9,3 

Albumine 4,1 

Amidon 4,1 

Ces  coefficients  pratiques  ont  été  adoptés  depuis  par  tous  les  physiologistes  qui  se 
sont  occupés  de  la  question. 

Nous  pouvons  maintenant  chercher  quelle  est  la  grandeur  du  besoin  alimentaire 

1.  Z.  B.,  18S6,  t.  XXII,  p.  40  ;  cité  d'après  Konig. 


ALIMENTS. 


•àil 


chez  les  animaux;  nous  prendrons  comme  [exemple  l'homme,  qui  a  donné  lieu  à  bien 
plus  de  recherches  que  n'importe  quel  autre  animal. 

Le  moyen  le  plus  simple  d'arriver  à  déterminer  la  quantité  de  chaleur  dépensée 
chaque  jour  est  de  déterminer  la  valeur  thermique  de  la  ration  d'équilibre.  C'est  l'an- 
cienne méthode  de  calorimétrie  indirecte  de  Boussingault,  Liebig,  J.-B.  Dumas;  mais  nous 
avons  aujourd'hui  des  bases  précises  qui  manquaient  à  ces  grands  physiologistes.  Nous 
aurons  soin  en  outre  de  rapporter  les  quantités  de  chaleur  non  pas  au  poids,  mais  à  la 
surface,  conformément  à  la  loi  que  nous  avons  citée  plus  haut. 

Pour  l'homme,  la  surface  peut  se  calculer  d'après  le  poids  au  moyen  de  la  formule 
de  Meeh',  S=12,3  v'P^. 

Commençons  par  nous  reporter  à  la  ration  journalière  que  nous  avons  déterminée 
pour  le  Parisien  adulte  (p.  300).  Voyons  ce  qu'elle  contient  en  substances  alimentaires 
organiques  et  le  nombre  de  calories  qu'elle  vaut. 


ALIMENT 

ALBUMINE 

HYDRATES 

DE     CARBONE 

GRAISSES 

5511  grammes  pain 

3°8',5 
30,4 

4,23 

3  23 

6* 

7 

6 

6,23 

297 

6,23 

54 
17 

77 
43 

22,4 

3,5 

1 
0,3 

6,30 
37 

125                    lait            

33                     œufs 

600        —         fruits  et  légumes 

30        —         légumes  secs 

100                    féculents 

40        ^         beurre  et  huile 

Total 

124 

494 

80,5 

Si  l'on  fait  le  calcul,  on  trouve  un  total  de  3  278  calories. 

Admettons  pour  le  poids  moyen  des  Parisiens  le  chiffre  de  62  kilogrammes  donné 
parTEiNON-;  la  surface  correspondante,  calculée  d'après  la  formule  de  Meeh,  donne  l™<i,93. 
Si  nous  divisons  par  cette  surface  le  nombre  des  calories,  il  vient  1690  calories  par  mètre 
carré. 

Mais  nous  pouvons  avoir  des  chiffres  plus  précis  en  nous  servant  d'expériences,  oii, 
l'équilibre  ayant  été  réalisé,  on  a  à  la  fois  le  poids  du  sujet  et  la  valeur  de  sa  ration 
en  calories. 

Voici  les  chiffres  d'un  certain  nombre  d'expériences  et  d'observations  récentes,  aux- 
quelles on  a  ajouté,  à  cause  de  son  intérêt  historique,  le  sujet  des  mémorables  expé- 
riences de  Voit  et  Pette.nkofeh^. 


AUTEURS 

POIDS 

CALORIES 

CALORIES 

PAR  MÈTRE   CARRÉ 

Ouvrier' de  Voit  et  Pettenkoffer. 

7(1 
73 
48 
59 
46 
73 
67 

3  034 
3  318 
2  478 
2  579 

2  355 

3  027 
3  094 

1  470 
1360 
1  350 
1  380 
1430 
1420 
1520 

Sold.  japonais,  R.  MoRi 

Étud.  japonais,  Tsuboï  et  Murato. 
Sujet  n°  11,  Lapicque  et  Marette. 

1.  Cite  par  Vierordt,  Anat.  phijsik.  und  physiol.  Daten  und  Tabellen. 

2.  Cité  par  Sappey,  T.  A.,  t.  i,  p.   31. 

3.  Par  comparaison  nous  citerons  le  cas  d'un  individu  soumis  à  un  régime  trop  substantiel. 


3^8  ALIMENTS. 

(Ce  tableau,  moins  le  n°  7,  est  emprunté  à  Lapicque,  A.  P.,  1894,  p.  609.  Le  chiffre 
de  RuBNER  est  cité  d'après  Kônig,  t.  i,  p.  80)- 

Tous  les  sujets  cités  ici  sont  des  hommes,  dans  la  force  de  l'âge,  déplo3'ant  une 
activité  musculaire  modérée. 

Ces  chiffres  rapportés  à  l'unité  de  surface  nous  paraissent  une  remarquable  illus- 
tration de  ia  loi  que  nous  indiquions;  on  voit  en  effet  combien  ces  chiffres  sont  voisins 
les  uns  des  autres,  pour  des  sujets  placés  dans  des  conditions  analogues,  mais  dont  le 
poids  varie  de  46  à  73  kilogrammes.  Ils  nous  permettent  de  fixer  la  quantité  d'énergie 
potentielle  que  la  ration  alimentaire  doit  fournir  à  un  homme  actif  dans  les  climats  tem- 
pérés; cette  quantité  est  de  1400  à  1600  calories  par  mètre  carré  de  la  surface  du  sujet. 
Le  chiffre  trouvé  pour  le  Parisien  par  notre  calcul  des  moyennes  est  un  peu  plus  fort  ;  mais, 
si  l'on  réfléchit  que  dans  cette  moyenne  sont  compris  un  grand  nombre  d'ouvi-ien,  c'est- 
à-dire  d'hommes  qui  produisent  un  travail  extérieur,  cet  excès  d'énergie  cesse  d'être  un 
écart,  et  l'accord  est  au  contraire  très  satisfaisant,  étant  donnée  la  diversité  des  pro- 
cédés d'observations,  et  des  méthodes. 

Il  faut  remarquer  que  ces  chiffres  se  rapportent  à  des  rations  ingérées,  et  qu'il  y 
aurait  une  diminution  à  faire  pour  la  partie  qui  a  passé  dans  les  fèces.  Ce  déficit  a  été 
évalué  par  Rubner  à  8,11  p.  100.  On  peut  admettre  en  chiffres  ronds  10  p.  100,  qu'il 
faudrait  déduire  si  l'on  voulait  calculer  la  quantité  d'énergie  réellement  dépensée  par 
l'organisme;  mais,  puisque  ce  que  nous  cherchons  à  déterminer  ici,  c'est  la  grandeur 
du  besoin  alimentaire,  les  chiffres  que  nous  venons  de  donner  sont  ceux-là  mêmes  que 
nous  cherchions. 

Lapicque,  dans  le  même  travail,  donne  la  valeur  de  la  ration  observée  par  lui  pour 
des  hommes  vivant  entre  les  tropiques. 

Poids.  Calories.         Cal.  par  m^. 

Abyssin 32''  2  000  1160 

Malais 52''  2  072  1200 

Nous  avons  donc  ici  l'influence  d'une  température  plus  élevée,  qui  s'accuse  par  une 
diminution  de  300  calories  par  mètre  carré  sur  la  moyenne  de  la  dépense  dans  les  cli- 
mats tempérés. 

C.  EuKM.vNN  '  a  analysé  le  régime  de  huit  Européens  habitant  Batavia  depuis  plu- 
sieurs années;  la  moyenne  de  ses  observations  donne  les  chiffres  suivants: 

Poids  moyen:  63S4  —  Cal.  totales  :  2470  —  Pour  i'^^  :  1240  Cal. 

Ce  chiffre  concorde  bien  avec  les  deux  autres  donnés  ci-dessus.  Mais  il  faut  noter 
que  l'auteur  conclut  dans  le  sens  d'un  besoin  alimentaire  égal  pour  les  habitants  des 
régions  chaudes  et  ceux  des  régions  tempérées.  Il  considère  que  ses  sujets  ne  se  livrent 
à  aucun  travail,  et  compare  le  chiffre  trouvé  par  lui  à  celui  donné  par  Rubn'er  pour  l'a 
catégorie  I  (Voir  ci-dessous). 

Ration  de  repos  et  ration  de  travalL  —  Il  est  évident  a  priori  que  la  quantité 
d'énergie  dépensée  par  les  combustions  vitales  varie  suivant  que  le  sujet  reste  au  repos,  ou 
produit  en  dehors  de  lui  un  travail  mécanique.  Mais  on  conçoit  aussi  que  la  loi  qui 
exprime  l'augmentation  de  ces  combustions  par  suite  du  travail  n'est  pas  simple  et  ne 
peut  s'exprimer  directement  en  partant  de  l'équivalent  mécanique  de  la  chaleur  et  du 
coefficient  de  rendement  de  la  machine  animale.  D'abord  ce  rendement  ne  peut  être 
précisé;  il  varie  suivant  le  genre  de  travail  (voir  Travail);  ensuite  la  quantité  d'énergie 
qui  n'est  jias  transformée  en  travail,  soit,  pour  donner  un  chiffre  schématique,  les  quatre 

S...,  observé  par  Ch.  Richet  (T.  t.,  1. 1,  p.  512),  pesait  4T''',500,  au  début  de  l'expérience.  Son 
régime  (500  grammes  de  pain,  300  grammes  de  pommes  de  terre  et  400  grammes  de  viande,  avec 
50  grammes  de  beurre  et  50  grammes  de  fromage  et  30  grammes  de  sucre)  représentait  le 
chiffre  énorme  de  4350  calories.  Aussi  se  mit-il  à  engraisser  rapidement,  si  bien  qu'en  quinze 
jours,  du  15  mars  au  1er  avril,  son  poids  augmente  de  47'''i,500  à  32  kilos,  ce  qui  représente 
4500  grammes  eu  quinze  jours,  soit  300  grammes  par  jour.  En  admettant,  ce  qui  est  très  près  de 
la  vérité,  que  ces  300  grammes  répondent  à  150  grammes  de  graisse,  cela  fait  précisément 
2980  calories  par  jour  avec  une  réserve  quotidienne,  répondant, à  1350  calories. 

1.  Beitrag  zar  Kenntniss  des  Sto/fwechsels  der  Tropenbewokner  [Arch.  de  Virckow,  t.  cxxxn, 
p.  105,  1893).  : 


ALIMENTS. 


349 


cinquièmes  de  l'énergie  polenlielle  consommée,  apparaît  sous  forme  de  chaleur,  et  cette 
chaleur  vient  en  déduction  de  la  consommation  nécessaire  pour  maintenir  la  température 
constante.  D'autre  part,  cette  utilisation  pour  le  maintien  de  la  température,  de  la  cha- 
leur perdue  pour  le  travail,  est  essentiellement  variable  suivant  les  cas.  Si  le  travail  mé- 
canique intérieur  est  assez  faible  pour  que  la  chaleur  dégagée  en  un  temps  donné  soit  infé- 
rieure ou  au  plus  égale  à  la  perte  par  rayonnement  dans  ce  même  temps  (déduction 
faite  de  la  chaleur  dégagée  dans  ce  même  temps  par  le  travail  intérieur,  circulation, 
respiration,  etc.,  qui  ne  peut  s'arrêter),  l'énergie  totale  des  combustibles  détruits  se 
trouve  utilisée.  Mais  si,  le  travail  augmentant,  la  quantité  de  chaleur  produite  dépasse  la 
dépense  normale,  l'organisme  tend  à  s'échauffer  et  fait  intervenir  alors  des  moyens  de 
dépenses  supplémentaires,  vaso-dilatation  cutanée,  et  surtout  évaporation  d'eau  (par  la 
peau:  homme,  cheval;  par  le  poumon:  chien).  Il  y  a  alors  de  la  chaleur  réellement 
perdue  sans  aucune  compensation.  On  voit  dès  lors  que  tout  calcul  à  partir  du  nombre 
de  kilogrammètres  produits  dans  une  journée  devient  illusoire,  l'économie  de  la  cha- 
leur pouvait  varier  considérablement  suivant  que  la  production  du  travail  est  répartie 
en  des  périodes  plus  ou  moins  longues,  ou  réunie  dans  des  temps  courts  d'efforts 
violents.  On  ne  peut  tenir  compte  que  des  chiffres  obtenus  expérimentalement  et  s'appli- 
quant  seulement  au  cas  spécial  pour  lequel  ils  ont  été  obtenus,  ou  bien,  si  l'on  veut  géné- 
raliser, se  contenter  d'approximations  très  larges. 

RuBNEH  a  dressé,  pour  l'homme,  le  tableau  suivant,  au  moyen  des  données  puisées 
dans  les  recherches  de  Pettenkofer,  Voit,  Fôrster,  PLAYF.4.m,  etc.  '. 


CATÉGORIE    DU    TRAVAIL 

RATIDN  BRUTE 

DES   24  HEURES. 

RATION  NETTE 

FÈCES   DÉDUITS. 

Calories. 

2  631 

3  121 
3  6.59 
3  213 

Calories. 

2  304 
2  443 

2  868 

3  362 

4  790 

I.  Médecin,  employé 

II.   Travail   modéré,   gm-çon    menui- 

III.  Travail  intense,   manœuvre   tour- 

IV.  Mineurs,  valets   de  ferme,  bùche- 

Combustibles  accessoires  et  aliments  douteux.  —  Nous  avons  rencontré,  en 
étudiant  chacun  des  trois  groupes  de  combustibles,  des  substances  qui  les  accompagnent 
dans  les  aliments  naturels,  que  les  analyses  confondent  souvent  avec  l'un  de  ces  groupes 
sous  un  titre  commun,  qui  sont  absorbés  et  brûlés  dans  l'organisme,  mais  qui  ne  sont 
ni  des  hydrates  de  carbone,  ni  des  graisses,  ni  des  albuminoïdes. 

Il  faut  examiner  maintenant  si  ces  substances  ont  réellement  la  valeur  de  combus- 
tibles pour  l'organisme  animal  ;  nous  avons  déjà  été  obligés  çà  et  là  de  toucher  la  ques- 
tion, mais  il  est  nécessaire  de  la  discuter  au  fond. 

Nous  allons  d'abord  passer  rapidement  en  revue  celles  de  ces  substances  qui  ont  un 
intérêt.  Les  végétaux  contiennent,  généralement  sous  forme  de  sels  de  potasse  ou  de 
chaux,  des  acides  organiques;  les  acides  citrique,  malique  et  tartrique  se  trouvent  en 
quantité  notable  dans  les  fruits;  dans  les  fruits  mal  mûrs,  ils  constituent  même,  si  on 
excepte  la  cellulose,  la  plus  grande  partie  des  substances  ternaires  :  l'acide  oxalique  se 
rencontre  en  abondance  dans  les  feuilles  des  plantes  du  genre  Rumex,  dont  plusieurs 
espèces  servent  d'aliment  à  l'homme  et  aux  herbivores  ;  l'acide  acétique  ne  se  trouve 
pas,  du  moins  en  notable  quantité,  dans  les  aliments  naturels,  mais  beaucoup  de  substances 
en  fournissent  par  fermentation  ;  il  en  est  de  même  pour  l'acide  lactique.  Tous  ces  acides 


1.  RuBNER.  Lehrbuch  der  Hygiène,  4°  éd..  1892,  p.  473. 


350  ALIMENTS. 

appartiennent  à  la  série  grasse.  Les  acides  acétique,  butyrique,  caproïque,  sont  les  homo- 
logues inférieurs  des  vrais  acides  de  la  graisse,  avec  beaucoup  moins  d'atomes  de  car- 
bone; les  autres  acides  sont  bi  ou  tribasiques;  ils  peuvent  par  conséquent  former  des 
sels  acides,  et  c'est  généralement  sous  cette  forme  qu'ils  se  présentent  dans  la  nature. 

Ingérés  à  l'état  de  sels,  ces  acides  sont  absorbés  et  ne  reparaissent  pas  dans  l'urine; 
ils  sont  brûlés  dans  l'organisme,  et  éliminés,  comme  les  hydrates  de  carbone  et  les  grais- 
ses, sous  forme  d'acide  carbonique  et  d'eau.  Ils  ont  par  conséquent  dégagé  dans  l'orga- 
nisme leur  chaleur  de  combustion.  Voici  les  grandeurs  de  ces  chaleurs  de  combustion, 
en  grandes  Calories  : 

Par  molécule.  Par  gramme. 

Acide  acétique 210  3,3 

—  butyrique  ....       524  6 

—  oxalique 60  0,66 

—  citrique 480  2,5 

—  lactique 329  3.6 

Ces  acides,  nous  l'avons  vu,  sont  généralement  comptés,  dans  les  analyses  d'aliments 
végétaux,  avec  les  hydrates  de  carbone,  sous  le  nom  collectif  de  substances  exlractives  non 
azotées. 

A  côté  des  hydrates  de  carbone  viennent  se  ranger  les  alcools,  et  plus  spécialement 
l'alcool  éthylique,  qui,  à  vrai  dire,  ne  se  rencontre  pas  dans  les  aliments  naturels;  mais 
la  plupart  des  aliments  ricbes  en  hydrates  de  carbone  peuvent,  directement  ou  après 
saccharification,  être  soumis  à  la  fermentation  alcoolique.  Nous  avons  vu  plus  haut  sui- 
vant quelle  équation  l'alcool  dérive  des  glucoses;  en  fait,  l'alcool  tient  une  place  sou- 
vent importante  dans  l'alimentation  de  l'homme,  qui,  dans  presque  toutes  les  contrées, 
a  trouvé  le  moyen  de  transformer  en  boisson  alcoolique  quelqu'un  de  ses  aliments 
naturels;  on  fait  fermenter  en  effet  des  jus  de  fruits  (vin,  poiré,  cidre),  du  lait  (Koumys), 
du  miel  délayé  dans  de  l'eau  (hydromel),  des  graines  de  céréales  dont  les  hydrates  de 
carbone  ont  été  en  partie  saccharifiés  soit  par  la  germination  (bière,  vin  de  riz  des  Chinois 
et  des  Japonais),  soit  par  des  procédés  chimiques  appliqués  industriellement  (eaux-de-vie 
de  grain). 

Ce  n'est  pas  pour  sa  valeur  nutritive  que  l'alcool  est  aussi  généralement  recherché 
par  l'homme;  c'est  à  cause  de  son  action  pharmacodynamique  sur  le  système  nerveux. 
Mais  nous  n'avons  à  nous  occuper  en  ce  moment  que  de  sa  valeur  chimique  dans  l'ali- 
mentation. 

L'alcool  qui  n'est  pas  ingéré  à  doses  trop  élevées  est  brûlé  dans  l'organisme  comme 
toutes  les  autres  substances  ternaires  et  par  conséquent  fmalement  éliminé  sous  forme  d'eau 
et  acide  carbonique.  Ingéré  en  excès,  il  est  éliminé  en  nature  par  les  reins  et  les  pou- 
mons. Mais  il  semble  que  la  quantité  d'alcool  apte  à  se  détruire  dans  l'organisme  soit 
assez  élevée,  si  cet  alcool  est  ingéré  sous  forme  de  boissons  étendues,  vin,  bière,  etc.,  et 
non  sous  forme  de  produit  concentré  par  la  distillation. 

La  cbaleur  de  combustion  de  l'alcool  est  considérable,  7  calories  par  gramme. 

L'alcool  éthylique  est  à  peu  près  le  seul  qui  ait  quefque  intérêt  au  point  de  vue  qui 
nous  occupe  ;  les  homologues  supérieurs,  qui  se  rencontrent  à  côté  de  lui  dans  les  liquides 
fermentes,  n'existent  qu'en  très  petites  proportions,  et  d'ailleurs,  ils  sont  beaucoup  trop 
toxiques  pour  jouer  un  rôle  alimentaire  quelconque.  Quant  à  l'alcool  méthylique, 
homologue  inférieur,  il  n'entre  pas  dans  la  consommation. 

Si  nous  passons  aux  alcools  polyatomiques,  nous  trouvons  la  mannite  et  la  dulcite, 
alcools  hexatomiques  dont  les  aldéhydes  (glycoses)  jouent  le  rôle  important  que  nous 
avons  vu.  —  Nous  avons  rencontré  déjà  la  glycérine  ;  nous  avons  vu  le  rôle  qu'elle 
joue  dans  les  graisses;  libre,  c'est-à-dire  à  l'état  d'alcool  et  non  plus  d'éther,  elle  ne 
peut  être  absorbée  qu'en  très  petite  quantité  ;  dans  ce  cas,  d'ailleurs,  elle  est  brûlée  et 
dégage  dans  l'organisme  sa  chaleur  de  combustion,  4<"-',29  par  gramme. 

Sous  le  nom  générique  de  cires,  on  range  des  substances  qui  ressemblent  plus  ou 
moins  aux  graisses,  et  qui,  en  fait,  sont  constituées  par  les  éthers  gras  d'alcools  où  le 
nombre  des  atomes  de  carbone  est  élevé;  ce  sont,  par  exemple,  l'alcool  c^<î/^igMe,  C'^H^*0,, 
l'alcool  cérylique,  C-'H^^O,  l'alcool  myricique,  C^°H^-0  ;  la  cire  d'abeille,  type  du  groupe, 
est  un  mélange  de  palmitate  et  de  cérotate  de  ce  dernier  alcool.  Les  cires  se  rencontrent 


ALIMENTS.  351 

çà  et  là  dans  les  aliments  de  l'homme  el  des  animaux;  mais,  malgré  leur  grande  parenté 
physique  et  chimique  avec  les  graisses,  et  bien  qu'elles  aient  une  chaleur  de  combustion 
très  considérable,  ces  substances  semblent  inutilisables  pour  l'organisme. 

Une  autre  substance,  qui  ressemble  beaucoup  physiquement  aux  graisses,  et  qui, 
dans  les  analyses,  est  comptée  avec  elles  parce  qu'elle  a  les  mêmes  dissolvants,  est  un 
alcool  et  non  un  éther;  c'est  la  cholestérine,  C-''H**0.  La  cholestérine  est  extrêmement 
répandue  dans  la  nature  organisée  ;  elle  fait  partie  de  la  plupart  de  nos  aliments,  y 
compris  le  lait,  mais  on  ne  sait  rien  de  son  importance  alimentaire;  il  est  possible 
qu'elle  ne  soit  pas  absorbée  du  tout;  elle  est  peut-être  une  forme  d'élimination,  produit 
d'excrétion  plutôt  que  substance  alimentaire.  En  tout  cas  elle  existe  constamment  dans 
la  bile  des  mammifères,  et  se  retrouve  dans  les  fèces. 

Enfin  il  faut  encore  mettre  à  côté  des  graisses  une  série  de  substances  (lécithines) 
très  répandues  dans  notre  alimentation,  et  qui,  en  fait,  sont  jusqu'à  un  certain 
point  des  graisses,  puisqu'elles  contiennent  des  acides  gras  (stéarique,  palmitique  ou 
oléique)  combinés  avec  de  la  glycérine;  mais  il  n'y  a  que  deux  oxhydriles  de  la  gly- 
cérine saturés  par  des  acides  gras,  le  troisième  est  éthérifîé  par  de  l'acide  phosphorique, 
qui,  d'autre  part,  combine  l'acidité  qui  lui  reste  avec  une  base  particulière,  la  névrine. 
Les  lécithines  sont  saponifiées  par  le  suc  pancréatique  (Bokay)'  et  leurs  éléments  sont 
absorbés,  mais  on  ignore  leur  sort  ultérieur.  La  présence  de  la  lécithine  dans  le  lait 
paraît  plaider  en  faveur  de  son  importance  comme  aliment  (Bonge),'^. 

Nous  en  avons  fini  avec  les  substances  ternaires,  et,  quant  à  ce  qui  regarde  les  com- 
binaisons azotée"  qui  ne  sont  pas  des  albuminoïdes,  nous  avons  déjà  été  amenés  à  con- 
sidérer le  sort  d(  s  amides  de  l'alimentation,  en  prenant  comme  type  l'asparagine.  Les 
corps  de  la  série  anthique,  en  partie  passent  inaltérés,  en  partie  sont  brûlés,  avec  éli- 
mination de  leur  azote,  sous  forme  d'urée.  D'une  façon  générale,  l'azote  ammoniacal  et 
tous  ses  dérivés,  introduits  dans  l'organisme  des  mammifères,  sont  éliminés  sous  forme 
d'urée,  chez  les  oiseaux  sous  forme  d'acide  urique,  et  les  radicaux  substitués  sont  brûlés, 
excepté  s'il  s'agit  de  radicaux  aromatiques  ;  ceux-ci  sont  éliminés  à  l'état  d'acide  hip- 
purique ou  de  sulfophénates  ;  quant  à  l'azote  nitrique,  dont  on  trouve  parfois  de  petites 
quantités  dans  les  plantes,  sous  forme  de  nitrates,  nous  n'avons  pas  à  nous  en  occuper 
ici  (Voyez  Azote). 

Nous  avons  rencontré,  parmi  ces  éléments  accessoires  de  l'alimentation,  trois  subs- 
tances ou  groupes  de  substances  qui  s'oxydent  dans  l'organisme  et  y  dégagent  de  la 
chaleur,  à  savoir  les  acides,  l'alcool,  les  amides.  Cette  chaleur  dégagée  (les  lois  de  la 
thermochimie  ne  permettent  pas  de  douter  qu'il  n'y  ait  une  quantité  déterminée  de 
chaleur  dégagée)  sert-elle  à  l'organisme"?  La  valeur  thermique  de  telles  substances  est- 
elle  physiologiquement  isodyname  d'une  valeur  égale  en  graisse  on  en  sucre?  Voilà  la 
question.  Elle  a  été  fort  vivement  discutée,  et  a  même  donné  lieu,  en  ce  qui  concerne 
l'alcool,  à  des  débats  passionnés. 

Voici  comment  un  chimiste  physiologiste,  partisan  de  la  négative,  expose  son  opinion  ; 
«  Il  est  connu  que  l'alcool  est  brûlé...  L'alcool  est  donc,  à  n'en  pas  douter,  une  source 
de  force  vive  de  notre  corps.  Mais  cela  ne  veut  pas  dire  qu'il  soit  un  aliment.  Pour  jus- 
tifier cette  conception,  il  faudrait  prouver  que  la  force  vive  mise  en  liberté  par  sa  com- 
bustion est  employée  à  l'accomplissement  d'une  fonction  normale.  Il  ne  suffit  pas  que 
l'énergie  potentielle  d'une  combinaison  se  transforme  en  force  vive.  La  transiormation 
doit  avoir  lieu  au  bon  endroit  el  au  bon  moment,  en  un  point  déterminé  d'un  élément 
anatomique  déterminé...  On  objectera  que  la  force  vive  développée  par  la  combustion 
de  l'alcool  devra,  en  tout  cas,  en  tant  que  chaleur,  profiter  à  notre  corps,  quand  bien 
même  aucun  organe  particulier  n'emploierait  cette  énergie  à  l'accomplissement  de  ses 
fonctions;  la  combustion  de  l'alcool  devrait  nécessairement  épargner  d'autres  aliments. 
Mais  on  ne  peut  pas  concéder  cela  non  plus^...  » 

Nous  arrêtons  là  notre  citation;  ce  qui  suit  ne  peut  se  rapporter  qu'à  l'alcool;  Bdnge 
pense  que  l'alcool  ne  peut  économiser,  tout  combustible  qu'il  est,  aucun  aliment  véri- 

1.  Z.  P.  C,  t.  I,  p.  157,  1877. 

2.  Cours  de  chimie  biol.,  p.   82. 

3.  BuNGE.  Cours  de  Chimie  biol.,  p.  126' (124  de  la  2=  édition  allemande). 


332  ALIMENTS. 

table,  parce  qu'il  «  provoque  une  dilalation  des  vaisseaux,  principalement  des  vaisseaux 
cutanés,  et  con-sécutivement  une  perte  de  chaleur  ».  Ce  qu'il  fait  gagner  d'un  côté,  il  le 
ferait  perdre  de  l'autre.  Sans  vouloir  examiner  pour  le  moment  si  l'on  peut  admettre 
aussi  facilement  une  balance  exacte  entre  les  propriétés  toxiques,  vaso-dilatatrices,  de 
l'alcool,  et  sa  valeur  thermique  alimeiitaii'e,  tenons-nous-en  au  développement  qui  pré- 
cède. Il  ne  vise  nominativement  que  l'alcool,  mais  il  peut  s'appliquer  de  même  aux 
acides  gras  inférieurs  et  aux  amides,  qui  n'ont  pas  ces  propriétés  toxiques,  et  sur  les- 
quels, par  conséquent,  ne  saurait  porter  cette  dernière  objection 

Les  aliments  dont  la  valeur  est  incontestable,  sucres,  graisses  et  albuminoïdes,  sont 
évidemment  les  sources  où  l'animal  puise  l'énergie  dépensée  dans  la  vie  de  ses  cellu- 
loses, dans  ce  que  Chauveau  a  appelé  d'une  façon  si  heureuse  le  travail  physiolo- 
gique', tandis  que  rien  ne  prouve  que  les  substances  accessoires  qui  nous  occupent  dé- 
gagent leur  énergie  au  «  bon  moment  et  au  bon  endroit  »  pour  servir  à  ce  travail 
physiologique.  D'autre  part,  il  est  incontestable  aussi  que  ce  travail  physiologique  est  la 
cause  efficiente  essentielle  de  la  chaleur  animale.  Mais  il  est  impossible  d'admettre  que 
la  production  de  chaleur,  chez  un  animal  à  sang  chaud,  ne  soit  qu'un  épiphénomène.  Il 
suffit  de  considérer  qu'un  animal,  au  repos,  dégage  et,  par  conséquent,  produit  d'autant 
plus  de  chaleur  que  la  température  est  plus  basse;  le  mécanisme  qui  intervient  dans  ce 
cas  est  le  suivant  :  le  système  nerveux  augmente  la  tonicité  musculaire-  et,  au  besoin, 
commande  le  frisson,  c'est-à-dire  une  activité  musculaire  considérable.  Ici,  nous  voyons 
nettement  le  travail  physiologique  avoir  pour  but  la  production  de  chaleur.  Or,  c'est  le 
cas  le  plus  ordinaire  dans  la  vie  d'un  animal;  c'est  pourquoi  nous  avons  pu  dire,  en 
commençant  l'étude  des  aliments  organiques,  que  c'est  le  besoin  de  chaleur  qui  règle 
la  grandeur  des  besoins  de  ces  aliments  pris  dans  leur  ensemble.  Nous  venons  d'en 
trouver  une  nouvelle  preuve  dans  ce  fait  que  l'habitant  des  régions  tropicales,  toutes 
choses  égales  d'ailleurs,  demande  à  son  régime  plusieurs  centaines  de  calories  de  moins 
que  l'habitant  des  pays  tempérés.  Dès  lors,  il  devient  évident,  de  même  que  toute  dimi- 
nution dans  les  causes  de  refroidissement  entraîne  une  diminution  dans  la  dépense  des 
combustibles,  que  toute  chaleur  dégagée  dans  l'organisme,  «  quand  bien  même  aucun 
organe  particulier  n'emploierait  cette  énergie  à  l'accomplissement  de  ses  fonctions  », 
permet  une  économie  des  autres  combustibles,  l.a  démonstration  expérimentale  a  d'ail- 
leurs été  donnée  pour  quelques-uns  de  ces  acides  gras  inférieurs  :  acide  lactique  (Zuntz 
et  V.  Mebing);  acide  butyrique  (Munk);  acide  acétique  (Mallévre),  que  ces  corps  sont 
utilisés  pour  la  production  de  chaleur  par  l'animal,  et  on  a  pu  mesurer  leur  valeur  iso- 
dyname  dans  l'organisme. 

Donc,  ces  substances  qui  se  brûlent  dans  l'organisme  animal,  et  qui  ne  sont  ni  sucres, 
ni  graisses,  ni  albuminoïdes,  jouent  un  rôle  de  combustibles  utiles;  mais  il  semble  qu'ils 
ne  puissent  fournir  qu'une  petite  partie  de  la  chaleur  dépensée  par  l'organisme,  et,  en 
fait,  ils  ne  se  présentent  qu'en  quantité  relativement  petite  dans  les  rations  naturelles; 
voilà  pourquoi  nous  les  avons  désignées  du  nom  de  combustibles  accessoires. 

Besoin  de  substances  chimiques  déterminées.  — Au  point  de  vue  de  la  quantité 
d'énergie  fournie  à  l'animal,  les  diverses  espèces  d'aliments  s'équivalent  suivant  une 
proportion  que  nous  avons  déterminée.  Mais  il  ne  suffit  pas  à  l'animal  de  recevoir 
chaque  jour  une  quantité  d'énergie  potentielle  égale  à  ses  dépenses  en  force  vive. 
Il  a  besoin,  pour  maintenir  son  organisme,  de  recevoir  par  son  alimentation  les  élé- 
ments chimiques  qu'il  élimine  par  ses  diverses  excrétions,  et  il  faut  que  ces  éléments 
lui  soient  fournis  sous  forme  de  combinaisons  déterminées.  Les  transformations  et  les 
synthèses  qu'il  peut  accomplir  sont  limitées.  Il  détruit  chaque  jour  une  certaine  quantité 
de  molécules  qu'il  ne  peut  rebâtir  au  moyen  de  leurs  éléments,  et  il  faut  qu'il  trouve 
dans  son  alimentation,  soit  les  mêmes  molécules,  soit  des  molécules  assez  semblables 
pour  que  la  transformation  à  opérer  soit  à  sa  portée. 

Ce  chapitre  de  la  physiologie  alimentaire  d'un  animal  devrait  consister  en  un  tableau, 
avec  un  poids  en  regard  de  chaque  nom  des  substances  nécessaires  ainsi  pour  un 
animal  d'un  poids  donné  et  d'une  espèce  donnée.  Mais  nous  ne   faisons  que  pressentir 

1.  Voir,  en  particulier,  A.  Chauveau.  La  vie  et  l'énergie  chez  l'animal.  Paris,  1894. 

2.  Ch.  Richet.  La  chaleur  animale,  p.  toi. 


ALIMENTS.  3o3 

ce  chapitre  :  nous  pouvons  soupçonner,  à  bon  droit,  que  ce  tableau  devrait  être  assez 
complexe,  mais,  sauf  ce  que  nous  avons  vu  pour  les  matières  minérales,  il  n'a  été  fait  de 
recher(-'lies  que  pour  la  détermination  quantitative  d'un  seul  élément  de  ce  tableau,  les 
matières  albuminoïdes;  et  bien  que  les  recherches  aient  été  fort  nombreuses,  on  n'est 
pas  encore  arrivé,  sur  ce  point  limité,  à  des  résultats  déflnitifs. 

Le  besoin  d'alburaine  a  attiré  de  bonne  heure  l'attention  des  physiologistes,  parce 
qu'il  est  intense  ef  urgent.  Cet  aliment  avait  même,  sous  l'influence  de  Liebig,  pris  une 
telle  importance  que  l'on  ne  voulait  considérer  que  lui,  et  Boussingault,  quand  il  com- 
mença ses  mémorables  études  sur  la  ration  d'entretien,  avait  commencé  par  dresser  une 
table  d'équivalence  des  fourrages  où  cette  équivalence  était  tout  simplement  calculée 
théoriquement  sur  la  teneur  respective  en  azote;  il  ne  tarda  pas  à  s'apercevoir  de  son 
erreur,  du  reste,  et  refit  ses  tables  d'équivalence  en  tenant  compte  de  la  somme  d'ali- 
ments ternaires  et  quaternaires  contenus  dans  ces  fourrages. 

On  croyait  aussi,  jusque  dans  ces  derniers  temps,  qu'il  était  nécessaire  que  la  ration 
alimentaire  contint  les  trois  grandes  espèces  d'aliments  simples;  les  expériences  de 
Magendie,  de  Tiedemann,  de  Gosseli.n,  de  Chossat,  avaient  donné  des  résultats  d'où  l'on 
avait  cru  pouvoir  conclure  qu'une  ration  composée  exclusivement  d'aliments  azotés, 
aussi  bien  qu'une  ration  composée  exclusivement  d'aliments  ternaires,  était  impropre  à 
entretenir  la  vie.  Il  ne  faut  pas  oublier  qu'à  cette  époque  on  attribuait  à  l'organisme 
animal  une  aptitude  à  faire  des  transformations  chimiques  bien  moindre  que  celle  qu'il 
possède  en  réalité;  et  l'on  pensait  que,  l'organisme  détruisant  du  sucre,  de  la  graisse  et 
des  albuminoïdes,  il  fallait  lui  fournir  du  sucre,  de  la  graisse  et  des  albuminoïdes.  On 
ne  se  préoccupait  que  de  déterminer  exactement  la  proportion  dans  laquelle  ces  trois 
espèces  d'aliments  devaient  se  trouver  combinées  dans  la  ration. 

Depuis,  on  a  démontré  que  les  animaux  pouvaient  faire  de  la  graisse  avec  de  l'albu- 
mine; puis,  qu'ils  pouvaient  en  faire  avec  des  hydrates  de  carbone  (voir  Nutrition)  ;  ils 
peuvent  aussi  faire  du  glycogêne,  c'est-à-dire  du  sucre,  avec  des  albuminoïdes.  Les 
albuminoïdes,  donnés  en  quantité  suffisante,  doivent  donc  suffire  à  tous  les  besoins  de 
l'organisme.  En  fait,  la  démonstration  directe  de  ce  fait  a  été  donnée  récemment  par 
Pfluger  (A.  Pf.,  t.  L,  p.  98, 1891).  11  a  pris  un  chien  de  30  kilogrammes,  très  maigre,  et, 
du  9  mai  au  19  décembre  1890,  il  l'a  nourri  uniquement  avec  de  la  viande  ne  contenant 
que  des  quantités  minimes  de  graisse  et  d'hydrocarbonés.  A  ce  chien  il  faisait  accom- 
plir un  travail  musculaire  considérable.  Par  conséquent,  il  a  démontré  'par  cette  simple 
expérience  que  l'albumine,  à  elle  seule,  peut  suffire  à  tout,  à  la  chaleur,  à  l'engrais- 
sement et  au  travail  mécanique. 

Il  est  assez  facile  de  se  rendre  compte  théoriquement  de  la  formation  de  graisse  et 
d'hydrates  de  carbone  à  partir  de  la  molécule  d'albumine,  par  une  hydratation  et  un 
dédoublement  tout  à  fait  analogue  aux  dédoublements  des  fermentations. 

Voici,  par  exemple,  l'équation  proposée  par  A.  Gautier'  (schématiquenient  et  en 
négligeant  des  produits  secondaires  en  minime  quantité)  : 

4C12  H112  Az'S  S  022  +  68H20  = 
Albumine. 

36COAz2H*  +  3C55Hi»'06  +  12C6Hi»Os  +  4S03H2  +  15C02 

Urée.  Oléo-stéaro-margarina.    Glycogêne. 

C'est-à-dire  que,  si  un  animal  qui  ne  reçoit  que  des  albuminoïdes  a  besoin,  pour  l'utiliser 
à  une  fonction  déteiminée  telle  que  la  contraction  muscu'aire,  que  l'énergie  potentielle 
lui  soit  fournie  sous  forme  d'un  combustible  déterminé  tel  que  le  sucre  (et  nous  savons 
qu'en  réalité  il  en  est  ainsi),  cet  animal  peut  (probablement  dans  le  foie)  dédoubler  les 
albuminoïdes  de  sa  nourriture  pour  fournir  à  ses  muscles  le  sucre  dont  ils  ont  besoin. 
Comme  il  peut  d'autre  part  faire  de  la  graisse  avec  des  hydrates  de  carbone  —  on  le 
sait  par  des  expériences  directes, —  comme  il  n'est  pas  douteux  non  plus  qu'il  puisse 
faire  du  sucre  avec  sa  graisse,  on  voit  qu'il  n'y  a  pas  à  chercher  la  quantité  de  graisse 
ou  d'hydrates  de  carbone  nécessaire  à  un  animal  :  il  suffit  que  le  besoin  de  chaleur  soit 

l.  A.  Gautier.  La  Chimie  de  la  cellule  vivante.  Paris,  1894,  p.  94. 

DICT.    DE   PHYSIOLOGIE.  —  TOME  I.  23 


3'ài  ALIMENTS. 

couvert,  soit  par  l'albumine  seule,  soit  par  l'albumine  jointe  à  l'un  quelconque  des 
aliments  ternaires. 

Mais  l'albumine  ne  peut  être  supprimée  d'une  ration.  Quelle  que  soit  l'énergie 
potentielle  fournie  par  les  aliments  ternaires  que  l'on  donne  à  l'animal,  celui-ci  con- 
somme de  sa  propre  albumine,  comme  il  est  facile  de  le  constater  par  les  déchets 
azotés  que  son  urine  élimine  constamment. 

L'azote  de  l'urine  donne  la  mesure  exacte  de  la  quantité  d'albuminbïdes  détruite  dans 
l'organisme.  Dès  qu'on  a  dosé  la  quantité  d'alhuminoïdes  introduite  par  l'alimentation, 
il  est  facile  de  voir  si  l'animal  en  détruit  plus  qu'il  n'en  reçoit,  s'il  consomme  de  sa 
propre  chair,  ou  si,  au  contraire,  il  en  assimile.  Lorsque  l'azote  ingéré  est  exactement 
égal  à  l'azote  éliminé,  on  dit  que  l'animal  est  en  état  d'équilibre  azoté.  La  réalisation  de 
cet  équilibre  peut  s'obtenir  avec  des  rations  très  différentes.  Si,  comme  dans  l'expé- 
rience de  Pfluger,  on  ne  donne  à  un  chien  que  des  albuminoïdes  pour  tout  aliment,  il 
faut  lui  en  donner  des  quantités  considérables;  c'est  alors,  en  elîet,  le  besoin  thermique 
et  non  plus  le  besoin  d'albumine  qui  est  ainsi  couvert;  en  ajoutant  à  la  ration  des  quan- 
tités croissantes  d'aliments  ternaires,  on  peut  diminuer  progressivement  la  quantité 
d'albumine  en  maintenant  toujours  l'équilibre  azoté.  Mais,  en  continuant  ainsi,  on 
arrive  à  un  moment  où  l'azote  excrété  l'emporte  sur  l'azote  ingéré,  quoique  la  ration 
soit  suffisante  au  point  de  vue  thermique;  il  y  a  donc  un  minimum  d'albumine  néces- 
saire en  tant  qu'albumine;  c'est  ce  chiffre  qu'il  s'agit  de  déterminer. 

A  priori,  ce  chiffre  doit  varier  pour  chaque  espèce  animale.  Nous  allons  étudier  plus 
spécialement  le  besoin  d'albumine  de  l'homme,  qui  a  donné  lieu  à  beaucoup  plus  de 
travaux. 

Besoin  d'albumine  chez  l'homme'.  — Si  nous  considérons  la  ration  alimentaire 
de  l'Européen,  nous  voyons  que  :les  matières  albuminoïdes  interviennent  pour  une 
part  considérable  dans  la  somme  de  calories  fournies. 

Nous  empruntons  le  tableau  suivant  à  Ko.mg-. 


AUTEURS. 

SUJET. 

(ALBUMINE. 

GRAISSE. 

HYDRATES 

DE   CARBONE. 

MOLESCHOTT 

WOLFF 

Voit  et  P 

Voit 

Payen 

J.  Ranke 

LlEBIG 

Steinheil 

Homme  avec  travail  modéré.    . 

Ouvrier  vigoureux 

Mécanicien  bien  paye 

Ouvrier  anglais 

Ouvrier  français 

Ouvrier  rural  du  Nord 

130 
■120 
137 
ISl 
140 
138 
198 
167 
143 
190 

133 
187 
149 
94 
139 

84 
33 
173 
54 
34 
80 
19 
117 
108 
73 

H3 
So 
61 
27 
40 
26 

404 
540 
352 
479 
435 
502 
710 
675 
788 
599 

634 
542 
753 
369 
687 
470 

Valet  de  ferme 

Ouvrier  brasseur,   travail    i'ati- 

Mineurs,  travail  fatigant.   .   .    . 

Valets  de  ferme 

Garçons  brasseurs 

BoisseHers 

106 

1.  Il  s'agit  exclusivement  ici  de  la  ration  alimentaire  de  l'homme  adulte,  menant  une  vie 
naturelle,  c'est-à-dire  aussi  rapprochée  que  possible  de  celle  d'un  animal  en  liberté  ;  nous  lais- 
sons de  coté  le  cas  du  travail,  au  sens  social  du  mot,  c'est-à-dire  de  l'homme  utilisé  comme 
moteur,  et  le  cas  de  fatigues  exceptionnelles,  comme  des  ascensions  de  montagne.  Dans  ce  cas. 
nous  avons  affaire  à  un  problème  différent,  qui  est  de  savoir  si  le  surcroît  de  travail  mécanique 
se  règle  simplement  par  une  augmentation  de  la  dépense  des  combustibles,  ou  bien  s'il  y  a  usure 
de  l'appareil  musculaire. 

2.  Op.  cit.,  t.  I,  p.  152. 


ALIMENTS.  335 

Pettenkofer  et  Voit  ont  posé  comme  règle  la  i-alioii  suivante  pour  l'ourri.er  moyen. 
Albximine  :  IIS  grammes;  graisse  :  56  grammes;  hydrates  de  carbone  :  SOO  grammes. 

Cette  ration  totale  vaut  3030  calories;  l'albumine  qui  y  est  comprise  vaut  118  x  4,1, 
=  484  calories.  La  valeur  thermique  de  l'albumine  est  donc  égale  à  13.8  p.  100  de  la  valeur 
totale  de  la  ration.  Cette  proportion,  qui  se  retrouve  à  peu  près  dans  toutes  les  obser- 
vations (13,0  dans  notre  ration  du  Parisien)  est-elle  nécessaire?  ou  bien  une  fraction 
notable  de  cette  albumine  peut-elle  être  remplacée  par  une  quantité  isodyname  d'un 
aliment  ternaire? 

Disons  tout  de  suite  que  l'étude  de  la  désassimilation  azotée  pendant  le  jeûne  ne  peut 
en  aucune  manière  donner  la  mesure  de  la  quantité  d'albumine  nécessaire.  L'autophagie 
dans  le  jeûne  est  destinée  avant  tout  à  couvrir  la  dépense  de  calorique;  rien  ne  permet 
a  priori  d'affirmer  que  la  dépense  d'albumine  y  soit  aussi  petite  que  possible.  On  peut  au 
contraire,  de  par  l'expérience,  affirmer  qu'elle  ne  l'est  pas.  Rubner',  sur  un  chien  ina- 
nitié,  vit  diminuer  l'excrétion  d'azote  par  l'urine  lorsqu'il  donnait  une  certaine  quantité 
de  sucre  à  l'animal.  Chez  l'homme,  Pettenkofer  et  Voit  ont  trouvé  que,  dans  le  premier 
jour  déjeune,  il  se  consommait  80  grammes  d'albumine.  Tout  récemment,  >V.  Praus- 
NiTz-a  repris  cette  détermination  sur  une  série  de  dix  sujets  qu'il  soumettait  à  un  jeûne 
de  deux  jours;  il  considère,  pour  diverses  raisons,  que  l'excrétion  d'azote  du  deuxième 
jour  est  seule  caractéristique,  celle  du  premier  jour  variant  sous  des  influences  diverses; 
cette  excrétion  atteint  en  moyenne  13=', 8  d'azote,  soit  86  grammes  d'albumine.  Or  on 
peut,  avec  un  régime  convenable,  fournissant  des  calories  en  suffisance,  obtenir  l'équi- 
libre azoté  avec  un  chiffre  bien  plus  bas. 

F.  HiRscHFELD^  daus  une  expérience  faite  sur  lui-même  et  qui  dura  huit  jours,  obtint 
cet  équilibre  pendant  les  quatre  derniers  jours  avec  une  ration  qui  ne  renfermait  que 
42="', 03  de  substances  azotées,  avec  une  énergie  potentielle  totale  de  3  460  calories;  son 
poids  était  de  73  kilogrammes.  Muneo  Kumagawa*  put,  avec  une  ration  de  2  478  calories 
avec  34e'',7  d'albumine,  assimiler  par  jour  4  grammes  d'albumine;  la  dépense  réelle 
était,  abstraction  faite  de  l'albumine  excrétée  par  les  fèces,  de  38  grammes;  son  poids 
était  de  48  kilogrammes.  Peschel»  serait  arrivé  à  un  cliiffre  encore  plus  bas,  32  ou 
33  grammes  seulement  d'albumine,  avec  une  ration  totale  de  3  630  calories,  et  Breisa- 
CHER^  au  cours  de  recherches  instituées  dans  un  but  ditîérent,  a  pu  réaliser  sur  lui  l'état 
d'équilibre  avec  une  ration  d'albumine  relativement  forte  (surtout  si  l'on  considère  que 
le  sujet  ne  pesait  que  33  kilogrammes),  67t''',8,  la  ration  totale  valant  2  867  calories  ;  mais 
son  expérience  a  le  mérite  d'avoir  duré  trente-trois  jours,  mérite  rare  :  en  eft'et,  il  est 
assez  pénible  de  s'astreindre  pendant  une  longue  série  de  jours  à  un  régime  strictement 
mesuré,  en  recueillant  ses  excréta.  Ce  sont,  d'autre  part,  des  expériences  que  le  physio- 
logiste doit  faire  sur  lui-même,  s'il  veut  avoir  des  garanties  suffisantes.  Lapicque-  et 
Marette',  enfin,  ont  obtenu,  sur  un  sujet  pesant  73  kilogrammes,  l'équilibre  azoté  avec 
une  ration  valant  3  027  calories  et  contenant  37B'',1  d'albumine,  en  moyenne. 

Il  faut  noter  que,  dans  l'expérience  deKciMAGAWA  et  dans  celle  de  Lapicque  et  Marette, 
l'azote  a  été  dosé  dans  les  fèces,  et  l'équilibre  constaté  par  conséquent,  entre  l'albumine 
détruite  et  l'albumine  réellement  absorbée.  Dans  les  autres  expériences,  l'azote  excrété 
a  été  dosé  dans  l'urine  seulement,  l'albumine  absorbée  a  été  calculée  d'après  les  recher- 
ches des  auteurs  qui  ont  donné  les  coefficients  de  digestibilité  des  divers  aliments  natu- 
rels, RoBiNER  en  particulier. 

Mais  nous  ferons  observer  que  cette  distinction  a  quelque  chose  de  conventionnel; 
en  efl'et,  on  sait  très  bien  aujourd'hui  que  l'azote  éliminé,  par  les  fèces  ne  se  compose 
pas  seulement  des  aliments  azotés  non  digérés  et  non  absorbés,  mais  encore  de  matières 

■1.  Z.  B.,  t.  XXI. 

2.  Z.  B.,   1893.  t.  xi;  anal,  in  C.  P.,  1S93,  p.  413. 

3.  A.  Pf.,   1887. 

4.  A.   V.,  1889. 

•ï.  Diss.  inaug.  Berlin,  1890;  cité  d'après  Breisacher. 

6.  Deutsche  med.  Wochenschr.,  1891. 

7.  B.  B.,  1894. 


356  ALIMENTS. 

azotées  excrétées  par  l'intestin;  il  est  impossible  de  faire  la  part  entre  ces  deux  facteurs. 
Aussi  le  mieux  est  de  compter  l'azote  ingéré  d'une  part,  et  l'azote  excrété  de  l'autre  (en 
négligeant  seulement  l'azote  excrété  par  la  peau).  D'autant  plus  que,  pour  déterminer  la 
grandeur  d'un  besoin  alimentaire,  comme  nous  le  voulons  faire  ici,  et  non  la  grandeur 
d'une  fonction  de  nutrition,  c'est  bien  la  quantité  d'albumine  à  ingérer  qui  nous  inté- 
resse. C'est  donc  de  celle-ci  qu'il  sera  question  désormais. 

Les  expériences,  que  nous  avons  rapportées  plus  haut,  nous  paraissent  donner  d'une 
façon  suffisante  la  démonstration  que  le  besoin  d'albumine,  déterminé  sur  des  expé- 
riences de  bilan  nutritif  pendant  un  temps  donné,  avait  été  évalué  trop  haut. 

On  a  contesté  que  des  expériences  de  ce  genre  aient  une  portée  générale;  rien  ne 
prouve,  a-t-on  dit,  que  ce  qui  est  ou  paraît  suffisant  pendant  quelques  jours,  fût-ce 
même  trente  jours  comme  dans  l'expérience  de  Bheisacher,  le  soit  indéfiniment.  En 
bonne  logique,  l'objection  est  fondée.  Il  n'est  pourtant  pas  inutile  de  faire  remarquer 
que  la  théorie  défendue  par  ces  arguments  a  été  établie  sur  des  expériences  du  même 
genre. 

Mais,  ajoute-t-on,  l'observation  de  régimes  naturels,  librement  choisis,  ne  donne 
jamais,  pour  un  homme  normalement  musclé,  un  chiffre  d'albumine  inférieur  à 
dOO  grammes.  Cela  peut  être  vrai,  en  effet,  mais  pour  l'Européen.  Les  recherches  récentes 
ont  parfaitement  confirmé  lesehiffres  de  Voit  et  Pettenkoffer,  qui  peuvent  être  conservés 
pour  représenter  la  moyenne  du  régime  normal  européen.  Nous  avons  trouvé,  dans  la 
ration  moj'enne  du  Parisien,  124  grammes  d'albumine,  chiffre  tout  à  fait  concordant. 
Mais  de  quel  droit  conclure  d'une  habitude  à  un  besoin'?  Les  peuples  se  nourrissent  de 
ce  qu'ils  ont  ;  or,  il  faut  observer  que  l'aliment  naturel  végétal  qui  fait  la  base  de  la  nour- 
riture européenne,  le  grain  de  nos  céréales,  est  déjà  par  lui-même  relativement  riche  en 
azote,  même  si  on  écarte  tout  appoint  d'aliment  animal.  Il  y  a  des  régions  du  globe  con- 
sidérables oii  l'aliment  essentiel  est  plus  pauvre  en  azote.  Comparons,  par  exemple,  au 
blé  soit  la  diirrha  {Sorghum  vulgare),  qui  est  l'aliment  essentiel  d'une  grande  partie  de 
l'Asie,  soit  le  riz,  qui  est  celui  d'une  vaste  région  en  Extrême-Orient.  Voici  les  quantités 
d'albumine  et  d'hydrates  de  carbone  que  ces  aliments  contiennent  pour  100  parties  '. 

Albumine.  Hydrates  de  carbone. 

Farine   de   froment 12  76 

Farine  de  durrha  (sèche) 9  83 

Ri/. 6  74 

Si  nous  y  ajoutons  uniformément  2  p.  100  de  graisse,  ce  qui  ne  s'éloigne  pas  beau- 
coup de  la  vérité,  nous  voyons,  par  un  calcul  simple,  qu'une  ration,  fournissant  3  000  ca- 
lories avec  un  seul  de  ces  aliments,  contiendrait  en  albumine  : 

Albumine. 

Froment 98  grammes. 

Durrha 70 

Riz 52 

C'est  évidemment  chez  les  peuples  qui  ont  à  se  nourrir  avec  ces  substances  nutritives 
pauvres  en  albuminoïdes  qu'il  faudrait  rechercher  si  des  aliments  plus  azotés  sont  tou- 
iours  ajoutés,  ou  bien  si,  comme  on  l'a  supposé  gratuitement,  par  déduction  pure  et 
simple,  ils  engloutissent  des  kilogrammes  de  nourriture  pour  trouver  quand  même  ces 
120  grammes  ou  au  moins  ces  100  grammes  d'albumine,  posés  en  loi  absolue. 

Lapicque^  a  étudié,  chez  les  Abyssins,  un  type  d'alimentation  par  la  durrha,  et  chez 
les  Malais,  un  type  d'alimentation  par  le  riz.  Voici  ce  qu'il  a  observé  :  les  Abyssins  se 
contentent  de  la  durrha,  ou  n'y  ajoutent  que  fort  peu  de  viande,  de  lait,  de  légumi- 
neuses; les  Malais  joignent  kjeur  riz,  d'une  façon  constante,  de  petites  quantités  de 
poisson  ou  de  volaille. 

Au  total,  les  Abyssins,  pesant  32  kilogrammes,  consomment  50  grammes  d'albumine 
et  2  000  à  2200  calories;  les  Malais,  pesant  également  52  kilogrammes,  consomment  le 
même  nombre  de  calories  avec  60  grammes  d'albumine. 

1.  La  composition  de  la  farine  de  froment  et  celle  du  riz,  d'après  les  tables  du  recueil  de 
Kônig;  celle  de  la  farine  de  durrha,  d'après  les  analyses  de  Lapicque  (S.  B.,  4  mars  1893). 

2.  B.  B.,  1893,  p.  251.  et  1894,  p.  103.  —  Voir  aussi  Lapicque.  A.  P.,  1894,  p.  596. 


ALIMENTS.  357 

Il  n'est  pas  nécessaire  d'établir  chiiniquemeut  leui"  bilan  nutritif  pour  démontrer  que 
cette  ration  leur  suffit;  il  n'y  a  qu'à  constater  qu'ils  -vivent  avec  ce  régime,  qu'ils  tra- 
vaillent, et  qu'ils  se  reproduisent,  et,  autant  qu'on  peut  le  savoir,  que  ce  régime  est  le 
même  depuis  des  générations,  vraisemblablement  depuis  des  siècles.  Une  telle  consta- 
tation, si  elle  est  suffisamment  établie,  répond  d'elle-même  à  toutes  les  objections  théo- 
riques. 

Dans  quelques  recherches  du  même  genre,  nous  trouvons  des  données  tout  à  fait 
conflrmatives  de  ces  observations.  C'est  d'abord  une  série  de  recherches  quantitatives 
sur  le  régime  japonais.  Il  faut  rappeler  que  ce  sont  les  physiologistes  japonais  qui  ont 
attiré  l'attention  sur  la  difficulté  de  trouver  dans  le  régime  alimentaire  de  leur  pays  la 
quantité  d'albumine  considérée  comme  indispensable.  J.  Tsuboï  et  Murato'  ont  observé 
le  régime  de  deux  étudiants  à  Tokio,  et  ils  ont  constaté  une  ration  journalière  :  pour  l'un, 
de  51  grammes,  pour  l'autre,  de  58  grammes  d'albumine;  eu  faisant  le  calcul  de  la  va- 
leur thermique  de  la  ration  totale  indiquée  par  ces  auteurs,  on  trouve  respectivement 
2  472  et  2435  calories.  R.  Mort,  G.  Oï  et  S.  Jhisima-  ont  étudié  avec  soin  le  bilan  nutritif 
d'un  certain  nombre  de  soldats  japonais,  soumis  aux  divers  régimes  qui  étaient  en  essai 
dans  l'armée  impériale;  la  seule  série  qui  nous  intéresse  ici  est  celle  des  sujets  ali- 
mentés à  la  façon  habituelle  du  pays,  c'est-à-dire  riz,  poissons  et  divers  légumes,  de 
plus  un  peu  de  viande  de  veau  ajoutée  sans  doute  sous  l'influence  des  conceptions 
théoriques  européennes^.  Cette  série,  composée  de  six  sujets  pesant  de  52  à  67  kilo- 
grammes, a  montré,  pour  une  ration  de  71  grammes  d'albumine  et  2  579  calories,  une 
assimilation  quotidienne  moyenne  de  14S'',5  d'albumine;  c'est-à-dire  que  60  grammes  d'al- 
bumine eussent  été  plus  que  suffisants. 

Voici,  résumés  en  un  tableau  synoptique,  ces  résultats  de  l'observation  et  de  l'expé- 
rimentation que  je  viens  de  rapporter. 

Je  mets  en  tête  l'ouvrier  de  Voit  et  Pettenkofer,  pris  avec  raison  comme  type  du  ré- 
gime européen,  et  à  tort,  comme  formule  de  la  loi  du  régime  humain. 

Poids  Albumine, 

en  kilogrammes. 
L'ouvrier  de  Voit  et  I^etïenkoffer .       70  118 

HiRSCHFELD '.  Ti  ',ii> 

kumagawa 48  54,7 

Peschel 77  '33 

Breisaceer 33  67,8 

Soldats  jajionais,  d'après  R.  Mûri,  etc.  ......  39  60  •'• 

Étudiants  japonais,  d'après  ïsuboi  et  M 46  52 

Sujet  n°  II,  de  Lapicque  et  Marette 73  57 

Abyssin,  d'après    Lapicque 32  50 

Malais,  d'après   Lapicque 32  GO 

Comment  ces  données  peuvent-elles  être  utilisées  pour  la  détermination  du  besoin 
d'albumine? 

ÎNous  avons  d'abord  des  sujets  de  poids  très  différents.  Nous  ne  savons  pas  comment 
il  faut  rapporter  à  ce  poids  la  quantité  d'albumine  observée;  nous  ne  savons  pas  à 
quelle  fonction  nécessaire  est  employé  le  minimum  d'albumine  que  nous  cherchons  à 
établir.  On  peut  provisoirement  admettre,  avec  Voit  et  tous  ceux,  je  crois,  qui  se  sont 

1.  Travaux  de  la  Faculté  de  médecine  de  l'Université  impériale  japonaise,  t.  i;  l'ésumé  dans 
le  J.  B.  pour  1891,  p.  368. 

2.  Travaux  de  l'École  de  médecine  m'dilaire  impériale  japonaise,  t.  i;  résumé  dans  le 
J.  B.  pour  1892,  p.  465. 

3.  C'est  un  fait  digne  de  remarque,  que  la  croyance  aux  120,  ou  tout  au  moins  aux  100  grammes 
d'albumine  nécessaires,  était  si  puissante,  avait  si  bien  pris  la  forme  d'un  dogme,  que  les  méde- 
cins japonais  élevés  à  l'école  de  la  physiologie  allemande  ont  craint  quêteurs  soldats  ne  périssent 
d'inanition  si  on  les  nourrissait  comme  avaient  vécu  tous  les  Japonais  jusque-là;  et  on  a  cherché 
des  régimes  nouveaux,  qui,  en  fait,  ne  valent  pas  le  pur  et  simple  régime  japonais,  comme  le 
démontrent  les  recherches  de  Mori  et  de  ses  collaborateurs. 

Et  ne  voit-on  pas  en  France,  dans  les  traités  les  plus  récents,  des  hygiénistes  s'inquiéter  de 
voir  des  paysans  vivre  avec  une  nourriture,  qui,  théoriquement,  n'aurait  pas  le  droit  de  leur  suffire  ? 

4.  Chiffre  suffisant  déduit  du  chiffre  surabondant  observé. 


358  ALIMENTS. 

occupés  de  la  question,  que  la  dépense  obligatoire  en  albumine  est  fonction  de  la  masse 
de  matière  vivante,  albuminoïde,  de  l'organisme.  Nous  rapporterons  donc  les  quantités 
observées  directement  au  poids,  en  supposant,  faute  de  données  exactes,  que  la  propor- 
tion de  cette  matière  vivante  est  la  même  pour  tous  les  sujets. 
Nous  obtenons  alors  le  tableau  suivant  : 

Albumine 
pour  100  kilogrammes. 
L'ouvrier  de   Voit  et  Pettexkoffee.  ...       169 

HIE.SCHFELD 60 

KuilAGAWA 114 

Peschel 42 

Breisacher 123 

Soldats  japonais 101 

Étudiants  japonais 119 

Sujet  n"  II,  de  Lapicque  et  Marette   ...  78 

Abyssin 96 

Malais.  .    .  _ U3 

Les  cbiffres,  ainsi  ramenés  à  l'unité,  sont  très  diffe'reuts  entre  eux. 

Ce  que  nous  cbercbons,  c'est  un  minimum  :  théoriquement,  la  plus  petite  quantité 
d'albumine  qui  s'est  montrée  suffisante  doit  représenter  au  moins  ce  minimum  ;  mais 
ces  plus  petites  quantités,  42,  60,  78,  nous  les  trouvons  dans  des  expériences  de  courte 
durée.  D'autre  part,  nous  voyons  que,  si  un  peuple  à  régime  de  durrba  peut  se  contenter 
de  cet  aliment  seul,  les  peuples  à  régime  de  riz.  Japonais,  Malais,  y  ajoutent  constam- 
ment quelque  quantité  d'un  aliment  plus  azoté. 

Or,  le  riz  seul,  en  quantité  suffisante  pour  fournir  le  nombre  de  calories  observé, 
donnerait  dans  ce  tableau  un  chiffre  d'environ  80  grammes  d'albumine.  Il  y  a  donc 
quelque  raison  de  croire  que  ce  chiiîre  n'est  pas  suffisant. 

Au  contraire,  le  chiffre  de  100  grammes  se  présente  avec  une  valeur  peu  contestable 
dans  deux  observations  bien  distinctes  :  les  soldats  japonais  observés  par  Mobi  et  les 
Abyssins  observés  par  Lapicque.  D'autre  part,  le  chiffre  des  étudiants  japonais  et  celui 
des  Malais  esta  peine  plus  élevé. 

Nous  nous  arrêterons  donc  à  la  proportion  de  1  gramme  d'albumine  par  kilo- 
gramme de  poids  corporel,  pour  représenter,  jusqu'à  nouvel  ordre,  la  quantité  d'albu- 
mine qui  doit  être  ingérée  dans  la  ration  quotidienne. 

La  valeur  thermique  de  cette  albumine  représente  alors  10  p.  100  de  la  ration  totale, 
au  lieu  des  16  p.  100  que  nous  constations  page  3oo. 

Est-ce  à  dire  que  ce  chiffre  représente  la  quantité  d'albumine  nécessairement 
détruite  chaque  jour  dans  l'organisme  humain"?  Cette  quantité  est  nécessairement  beau- 
coup plus  petite  ;  d'abord,  une  certaine  proportion  de  l'albumine  ingérée  n'est  'pas 
absorbée  et  passe  dans  les  résidus  de  la  digestion,  proportion  assez  élevée  qui,  avec  des 
aliments  végétaux, atteint  au  moins  i;i  p. 100'. Ensuite,  dans  les  analyses  des  aliments,  on 
calcule  l'albumine  à  partir  de  l'azote  total  ;  mais  une  partie  de  cet  azote  se  présente 
sous  forme  de  combinaisons  autres  que  l'albumine;  c'est,  par  exemple,  dans  la  viande, 
la  gélatine;  dans  les  végétaux,  les  amides. 

En  réalité,  nous  ne  connaissons  du  besoin  d'albumine  pas  plus  la  grandeur  que  la 
cause.  Nous  devons  nous  borner  à  noter  pour  le  moment  la  plus  petite  quantité  qu'il 
soit  nécessaire  d'ingérer. 

Il  a  été  fait  sur  le  chien  une  série  d'expériences  des  plus  intéressantes  que  nous 
devons  rapporter  ici.  Ces  expériences  ont  été  produites  comme  argument  contre  la  pos- 
sibilité de  diminuer  le  chiffre  d'albumine  de  Voit  et  Pettexkoffer.  Mais  nous  allons  voir 
que  si  elles  ne  sont  pas  concluantes  dans  ce  sens,  elles  présentent  un  autre  intérêt. 

Ces  recherches  -  ont  démontré  que  les  régimes,  ou  plus  exactement  certains  régimes 
pauvres  en  albumine,  exercent  à  la  longue  une  intluence  pernicieuse  sur  la  santé.  Si  on 
donne   à  un  chien  une  nourriture  suffisamment  riche    en  hydrates  de  carbone  et  en 

1.  Voir  les  recherches  de  divers  auteurs,  en  particulier  de  Rubxer,  rapportées  dans  Kuxig 
[loc.  cit.,  t.  I,  pp.  36  et  suiv.). 

2.  RosEXHEiM..t.  Pf.,  t.  xLvi  et  Liv;  A.  D/j.,1891.—  J.  IIunk.  A.  Db.,  1891;  A.  V.,  1893. 


ALIMENTS.  359 

graisse,  contenant  seulement  1  gramme  à  l^',^  d'albumine  par  kilogramme  du  poids 
corporel,  On  obtient  l'équilibre  azoté,  et  l'état  général  se  maintient  d'abord,  sauf  dans 
quelques  cas,  d'une  façon  satisfaisante.  Mais,  au  bout  de  huit  ou  dix  semaines,  il  sur- 
vient des  troubles  digestifs,  la  graisse  est  de  moins  en  moins  bien  digérée,  les  fèces  sont 
décolorées  comme  après  une  fistule  biliaire,  il  y  a  parfois  de  l'ictère,  et  finalement  l'ani- 
mal meurt.  A  l'autopsie,  on  observe  des  lésions  du  tube  intestinal  et  du  foie. 

Les  conclusions  à  tirer  de  ces  expériences  ne  peuvent  en  tout  cas  être  transportées 
directement  du  chien,  Carnivore,  à  l'homme,  omnivore,  et  les  observations  de  régimes 
ethniques  que  nous  avons  examinées  le  démontreraient  au  besoin.  Mais,  même  pour  le 
chien,  il  n'est  pas  sûr  que  les  troubles  observés  reconnaissent  comme  cause  un  déficit 
d'albumine.  En  effet,  l'équilibre  azoté  se  maintient  (et  Munk  insiste  sur  ce  point)  jus- 
que dans  la  période  des  troubles.  Pourquoi  donc  dire  que  c'est  l'albumine  qui  manque? 
En  supprimant  à  un  chien  la  plus  grande  partie  de  la  viande  de  son  régime,  on  lui  sup- 
prime parla, en  même  temps  que  de  l'albumine, des  sels  minéraux, des  matières  extrac- 
tives,  des  nucléines...  N'est-ce  pas  l'insuffisance  de  ces  substances  qui  doit  être  incri- 
minée ? 

Nous  voici  ramenés  à  la  question  des  aliments  particuliers  autres  que  l'albumine, 
et  qui  sont  aussi  nécessaires  qu'elle,  bien  qu'en  plus  petite  quantité,  évidemment;  mais 
là-dessus,  en  dehors  de  ce  que  nous  avons  vu  pour  quelques  aliments  minéraux,  il  faut 
avouer  que  la  question  est  encore  tout  à  fait  obscure.  Cependant  il  est  difficile  de  douter 
qu'il  y  ait  de  ces  aliments  nécessaires.  Ces  expériences  de  Rosenheiu  et  de  Munk  ne 
peuvent  guère  s'interpréter  que  par  le  déficit  de  quelques-uns  de  ces  aliments.  Il  faut 
se  rappeler,  en  outre,  que,  dans  presque  toutes  les  expériences  où  on  a  voulu  donner  à 
un  animal  un  régime  uniforme,  il  a  été  impossible  d'obtenir  une  longue  survie  du  sujet. 
C'est  peut-être  par  quelque  raison  de  cet  ordre  qu'il  faut  expliquer  le  résultat  des 
anciennes  expériences  où  l'on  avait  vu  les  animaux  soumis  au  régime  exclusif  d'albumi- 
noïdes  dépérir  assez  rapidement.  C'est  aussi  ce  besoin  de  substances  encore  indétermi- 
nées qui  nécessite  la  variété  du  régime,  fait  connu  depuis  longtemps  en  hygiène;  il  y  a 
peu  de  chances,  en  effet,  pour  qu'un  seul  aliment  naturel  ou  un  petit  nombre  de  ces 
aliments  contiennent  toutes  les  substances  nécessaires. 

Il  faut  faire  exception  pour  le  lait,  bien  entendu,  qui  est  par  sa  destination  même  un 
régime  complet.  Mais  ici  encore,  nous  avons  l'expérience  de  Lunin  avec  son  résultat 
paradoxal,  qui  est  bien  faite  pour  mettre  en  évidence  le  besoin  de  substances  que  nous 
n'avons  pas  encore  classées  avec  le  rang  qu'elles  méritent  dans  le  tableau  de  l'alimen- 
tation animale.  Rappelons  en  deux  mots  cette  expérience  que  nous  avons  rapportée 
page  328.  Tandis  que  les  souris  vivent  indéfiniment  avec  du  lait  naturel  pour  tout  ali- 
ment, des  souris  alimentées  avec  la  caséine  et  le  beurre  du  lait,  plus  du  sucre  de  canne, 
plus  tous  les  éléments  minéraux  du  lait,  ce  qui  constitue  un  régime  suffisant  d'après 
tout  ce  que  nous  savons,  périssent  rapidement. 

SociiN  1  a  également  constaté  l'impossibilité  de  faire  vivre  des  animaux  pendant  un 
temps  un  peu  long  avec  une  nourriture  artificiellement  préparée. 

Les  albuminoïdes  seuls  sont  nettement  classés  comme  aliments  indispensables,  et 
encore  il  ne  faudrait  pas  oublier  que  toute  la  question,  telle  que  nous  l'avons  étudiée, 
porte  sur  la  classe  entière  des  albuminoïdes;  nous  ne  savons  pas  s'il  ne  faudrait  pas 
distinguer  entre  les  diverses  espèces  d'albuminoïdes,  nous  avons  même  quelques  raisons 
de  croire  que  cette  distinction  devra  être  faite  par  la  suite. 

Voyons,  par  exemple,  le  rôle  que  peut  jouer  la  gélatine.  Nous  savons  qu'elle  se  dis- 
tingue des  vraies  matières  albuminoïdes  par  quelques  caractères,  bien  que  par;  l'en- 
semble de  ses  propriétés  elle  se  rapproche  beaucoup  de  ces  substances.  Or  il  est  bien 
établi  qu'elle  ne  peut  jouer  le  rôle  physiologique  de  ces  substances  et,  qu'elle  ne  doit 
pas  être  comprise  dans  le  chiffre  que  nous  avons  essayé  de  déterminer  comme  néces- 
saire. Mais  Voit-,  en  même  temps  qu'il  a  mis  ce  point  hors  de  doute,  a  reconnu  que  la 
gélatine  exerce  vis-à-vis  de  l'albumine  ce  qu'il  appelait  une  action  d'épargne,  ce  qui 
veut  dire  que  la  gélatine,  qui  est,  on  le  sait,  brûlée  dans  l'organisme,  peut  compléter 

1.  Z,.  P.  C,  t.  XV,  1891,  pp.  93-139. 

2.  Z.  B.,  1872. 


360  ALIMENTS. 

une  ration  thermique  comme  les  aliments  ternaires;  il  y  a  pourtant  là  quelque  chose 
de  particulier,  puisque  Voit  insiste  sur  ce  point  que  la  gélatine  épargne  mieux  et  jilus 
énergiquement  l'albumine  que  ne  font  la  graisse  et  les  hydrates  de  carbone.  Il  est  fort 
possible  que  la  gélatine,  sans  pouvoir  se  substituer  pour  toutes  les  fonctions  physiolo- 
giques à  l'albumine,  le  puisse  pour  quelques-unes.  Il  est  même  possible  que,  pour  cer- 
taines de  ces  fonctions,  l'albumine  ne  soit  exigée  qu'en  tant  qu'amide.  C'est  du  moins 
ce  qu'on  pourrait  conclure  d'une  série  d'expériences  et  d'observations  assez  nombreuses 
déjà,  qui  auraient  montré  qu'une  fraction  de  l'albumine  nécessaire  peut  être  remplacée 
dans  l'alimentation  par  de  Vasparagine  (Voir  ce  mot).  Toutefois,  une  conclusion  en 
ces  matières  nous  parait  prématurée  :  il  nous  suffit  d'avoir  indiqué  la  complexité  du 
problème. 

Condiments  et  consommations  d'agrément  {Genussmittel  des  Allemands).  — 
A  côté  des  aliments  proprement  dits,  il  faut,  dans  l'étude  du  régime  alimentaire  de 
l'homme,  faire  une  place  à  toute  une  catégorie  de  substances  qui  sont  recherchées  et 
consommées,  non  pour  leur  valeur  nutritive,  mais  à  cause  de  leur  action  agréable, 
soit  sur  les  sens  annexés  à  l'appareil  digestif,  goût,  odorat,  sens  tactile  buccal,  soit  sui' 
le  système  nerveux  central,  par  un  mécanisme  pharmacodynamique.  Ce  n'est  point  ici 
la  place  d'étudier  le  rôle  du  plaisir  et  de  la  sensualité  en  physiologie,  ni  de  discuter  si 
la  digestion  et  la  nutrition  s'accompliraient  d'une  façon  satisfaisante  en  l'absence  de 
toute  excitation  sensorielle;  constater  que  le  besoin  de  telles  substances  agréables  est 
universel  chez  l'homme,  c'est  assez  pour  nous  obliger  à  les  ranger  à  côté  des  aliments, 
bien  que  leur  valeur  nutritive  réelle  soit  ou  nulle  ou  très  efl'acée,  c'est-à-dire  qu'elles 
n'apportent  à  l'organisme,  en  quantité  notable,  ni  énergie  potentielle,  ni  matériaux  de 
réparation  des  tissus.  Elles  augmentent  l'appétit;  l'excitation  qu'elles  provoquent  a  un 
retentissement  réllexe  sur  les  sécrétions  digestives;  peut-être  cette  excitation  est-elle 
nécessaire;  mais  il  n'est  pas  même  démontré  qu'elle  soit  avantageuse  (Voir  Digestion). 
En  tout  cas,  si  le  rôle  physiologique  de  ces  substances  est  discutable,  si  elles  ne  sont 
pas  nécessaires,  elles  répondent  évidemment  à  un  besoin  général  et  intense;  \es  épiciers 
sont  aussi  répandus  et  font  un  commerce  aussi  consit^érable  que  les  bouchers  et  les 
boulangers,  et,  au  xvi°  siècle,  la  découverte  du  'pays  des  épices  fut  le  mobile  d'un 
grand  mouvement  d'explorations  et  la  cause  de  rivalités  violentes  entre  les  États  euro- 
péens. 

Les  condiments  sont  les  substances  que  l'on  ajoute  aux  aliments  pour  modifier 
et  le  plus  généralement  augmenter  leur  saveur  et  leur  goût.  11  faut  remarquer,  en  effet, 
qu'un  grand  nombre  de  nos  aliments  naturels,  les  céréales,  par  exemple,  ont  peu  de 
saveur,  et  même  que  les  substances  nutritives  les  plus  importantes,  telles  que  l'amidon 
et  les  graisses,  n'ont  absolument  ni  goût  ni  saveur.  Les  viandes,  lorsqu'elles  sont  crues, 
sont  très  fades.  Au  contraire,  par  la  cuisson,  elles  acquièrent  une  saveur  et  un  goTit 
intenses  et  agréables.  Pour  les  autres  aliments,  il  ne  suffit  pas  de  les  faire  cuire,  il  faut 
leur  ajouter  des  substances  qui  possèdent  des  actions  énergiques  sur  nos  organes  sen- 
soriels, il  suffit  alors  d'en  ajouter  très  peu.  Chez  les  peuples  civilisés,  la  façon  de  com- 
biner ces  additions  avec  les  modifications  que  tel  ou  tel  mode  de  cuisson  apporte  au 
goût  des  aliments  constitue  un  art  compliqué,  mais  on  en  trouve  l'ébauche  chez  les 
peuples  les  plus  primitifs  :  chez  ceux-ci,  on  voit  l'intensité  de  la  sensation  recherchée 
plutôt  que  la  délicatesse. 

En  examinant  ce  que  sont  ces  condiments,  nous  en  trouvons  d'abord  trois  espèces 
qui  correspondent  à  trois  des  quatre  saveurs  admises  comme  sensations  gustatives,  ce 
sont  :  le  chlorure  de  sodium,  le  sucre  et  les  acides.  Les  'deux  premiers  sont  des  subs- 
tances nutritives;  nous  avons  vu  leur  valeur  à  ce  point  de  vue;  mais  il  y  a  bien  des 
cas  où  ce  n'est  pas  cette  qualité  quiest  recherchée  en  eux.  Par  exemple,  nous  trouvons 
la  viande  sans  sel  extrêmement  désagréable,  et  la  théorie  de  Bdnge  sûr  le  balancement 
entre  la  potasse  et  la  soude  n'est  sûrement  pas  applicable  en  ce  cas;  d'autre  part,  ce 
n'est  pas  le  manque  d'hydrates  de  carbone  qui  fait  sucrer  un  plat  de  riz.  Il  est  évident 
que  la  sensation  gustative  est'  ici  seule  en  cause. 

Les  acides  végétaux  sont  employés  dans  le  même  but.  Le  plus  important  de  ces 
condiments  est  le  vinaigre;  c'est  essentiellement  une  solution  étendue  d'acide  acétique. 
A  côté  du  vinaigre  on  peut  ranger,  à  titre  tout  à  fait  accessoire,  le  jus  de  citron  et  le 


ALIMENTS.  361 

verjus.  Nous  avons  vu  plus  haut  le  l'ùle  très  effacé  que  jouent  les  acides  véf^étaus  au 
point  de  vue  alimentaire;  encore  faut-il,  pour  qu'ils  soient  brûlés  dans  l'organisme,  et 
qu'ils  y  dégagent  leur  faible  clialeur  potentielle,  qu'ils  soient  combinés  à  des  bases 
alcalines;  ingérés  à  l'état  libre  en  quantité  tant  soit  peu  notable,  ils  passent  inaltérés 
dans  les  urines. 

La  quatrième  saveur,  Vamer,  ne  paraît  pas  recherchée  dans  la  nourriture;  nous 
verrons  pourtant  plus  loin  qu'elle  est  parfois  recherchée  dans  des  consommations  de 
pur  agrément. 

Mais,  on  le  sait,  le  goût  et  la  saveur  des  aliments  ne  sont  pas  faits  seulement  de 
sensations  gustatives  proprement  dites;  la  sensibilité  générale  de  la  muqueuse  buccale 
intervient  largement  dans  la  sensation  complexe  que  traduit  la  notion  vulgaire  de  goût, 
et  la  sensibilité  olfactive  y  prend  aussi  une  part  importante.  Il  y  a  des  condiments 
nombreux,  toutes  les  éplces,  qui  s'adressent  principalement  ou  exclusivement  à  l'une  ou 
à  l'autre  de  ces  sensibilités. 

Nous  nous  servirons  encore  du  mot  saveur,  à  défaut  d'autre,  pour  désigner  la  sen- 
sation, non  proprement  gustative,  produite  par  les  substances  qui  irritent  la  muqueuse 
buccale;  dans  ces  sensations  on  peut  distinguer  deux  catégories  :  la  saveur  bridante  et 
la  saveur piguanie.  Nous  allons  passer  rapidement  en  revue  les  condmients  qui  produi- 
sent l'une  ou  l'autre  de  ces  saveurs. 

Le  piment  est  le  type  du  premier  groupe.  Celte  épice  est  constituée  par  les  fruits 
de  diverses  espèces  de  Capsicum  (solanées),  notamment  C.  longum  et  C.  fastiglatum;  le 
principe  actif  est  une  substance  spéciale,  la  capsicine  ',  qui  existe  dans  ces  fruits  en 
très  petite  proportion,  1  à  2  pour  10000. 

Le  piment  est  relativement  peu  employé  dans  nos  régions  du  nord-ouest  de  l'Europe, 
mais  il  y  a  des  populations  nombreuses  qui  en  font  une  consommation  considérable  et 
lui  attribuent  une  importance  de  premier  ordre  dans  leur  alimentation.  Il  ne  semble  pas 
qu'il  puisse  avoir  d'autre  action  qu'une  action  iiTitante  sur  les  muqueuses  avec  lesquelles 
il  entre  en  contact. 

LepoJ'ore,  qui  est  constitué  par  les  graines  des  diverses  espèces  du  genre  Pip)cr,  spé- 
cialement P.  nigrum,  présente  une  saveur  chaude  du  même  ordre;  cette  saveur  est  due  à 
la  pipérine,  ou  plutôt  à  la  pipéridinc,  alcaloïde  volatil  qui  possède  à  un  très  haut  degré 
la  propriété  de  provoquer  cette  sensation.  La  pipéridine  existe  préformée  dans  le  poivre 
en  petite  quantité,  environ  un  demi  pour  100  (W.  Johnstone)  et  se  produit  dans  la  décom- 
position de  la  pipérine  en  milieu  alcalin;  celle-ci  existe  dans  le  poivre  dans  la  propor- 
tion de  5  pour  100.  Le  poivre  contient  en  outre  une  huile  essentielle  à  laquelle  il  doit 
son  parfum. 

La  pipéridine  est  toxique;  on  a  vu  des  accidents  consécutifs  à  l'ingestion  de  quan- 
tités exagérées  de  poivre;  elle  s'élimine  par  les  reins,  continuant  sur  l'appareil  urinaire 
son  action  irritante.  C'est  probablement  par  un  mécanisme  réflexe  à  partir  de  cette 
irritation  que  doit  s'expliquer  l'action  aphrodisiaque  généralement  attribuée  au  poivre. 
Le  gingembre  est  un  condiment  beaucoup  moins  employé  que  les  précédents;  il  a 
joui  dans  l'antiquité  d'une  haute  réputation.  C'est  la  racine  du  Zingibcr  officinale. 
L'essence  de  gingembre,  qui  donne  a  cette  espèce  sa  saveur  poivrée  et  son  parfum 
spécial,  est  constituée  principalement  par  un  terpène.  On  lui  attribue  des  propriétés 
■  excitantes  générales  un  peu  vagues. 

Le  type  des  condiments  à  saveur  piquante  est  la.  moutarde;  la  graine  du  Brassica 
(Sinapis)  nigra  broyée  avec  de  l'eau  donne  naissance  à  une  essence  volatile  sulfurée, 
essence  de  moutarde,  qui  existe  dans  les  graines  sous  forme  d'un  glycoside;  celui-ci, 
dans  la  préparation  de  la  moutarde,  se  dédouble  sous  l'influence  d'un  ferment  spécial 
et  met  l'essence  en  liberté.  Cette  essence  est  extrêmement  irritante;  mise  en  contact 
avec  la  peau,  elle  détermine  de  l'érythème  (sinapisme);  sur  la  muqueuse  buccale,  elle 
provoque  une  sensation  très  vive. 

Cette  même  essence  se  retrouve  en  plus  ou  moins  grande  quantité  dans  diverses 
crucifères  qui  sont,  pour  celte  raison,  employées  aussi  comme  condiment,  la  racine  de 
raifort,  par  exemple  [Cocldearia  armoricia);  d'autres  espèces  fournissent  des  salades  ou 

1.  Tresch,  in  The  pharm.  Jourii.  and  Trans..  iSlG. 


362  ALIMENTS. 

des  légumes  crus  recherchés  pour  cette  même  saveur  piquante,  le  cresson,  les  radis 
{Nctëturtium  officinale,  Lepidiitm  sativum,  Raphanus  sativus). 

Dans  la  famille  voisine  des  Capparidées,  le  Capparis  spinosa  fournit  encore  des  bou- 
tons floraux  recherchés  comme  condiment  piquant  (câpres). 

Si  nous  passons  aux  épices  qui  sont  destinées  à  agir  exclusivement  ou  principale- 
ment sur  le  sens  olfactif,  nous  trouvons  différentes  parties  de  plantes,  graines,  fleurs, 
écorces,  qui  contiennent  des  huiles  essentielles  spéciales  ;  généralement,  le  tissu  végétal 
lui-même  n'est  pas  consommé;  on  se  contente  d'en  placer  quelques  fragments  en  con- 
tact, avec  les  mets  pendant  la  cuisson,  de  telle  façon  que  l'huile  essentielle  diffuse  et  se 
trouve  mêlée  avec  les  aliments  à  l'état  de  trace  seulement. 

Dans  cette  série,  il  faut  mentionner  :  le  clou  de  girofle,  boutons  floraux  de  VEiigenia 
caryophyllata  (Myrtacées)  :  principe  actif,  VEugénol;  la  canelle,  écorce  du  Clnnammomum 
zeylanicum  (Lauracées)  :  principe  actif,  l'aldéhyde  cinnamique;  la  vanille,  gousses  de 
la  Vanilla  planiforma  (Orchidées)  :  principe  actif,  la  vanilline,  éther  méthylique  de  l'al- 
déhyde protocatéchique;  la  noix  muscade,  amande  de  la  graine  du  Myristica  fragrans, 
et  le  macis,  arille  de  la  même  graine;  le  safran,  pistils  du  tVocMS  sativus  (Iridacées); 
diverses  plantes  de  la  famille  des  Ombellifères,  telles  que  le  cerfeuil,  Chserophyllum 
aativnm  et  le  persil,  Aptiiim  petrof.eUmim ,  dont  les  feuilles  elles  tiges  sont  d'un  emploi 
fréquent  dans  la  [cuisson  occidentale  (l'huile  essentielle  de  cette  dernière  plante, 
VAptiol,  est  relativement  toxique  et  employée  en  médecine  comme  emménagoguej,  la 
Coriandre,  Coriandrum  sativum,  l'anis,  Carum  animm  et  C.  carvi,  le  cumin,  Cuminum 
cyminum  dont  les  grains  contiennent  des  essences  particulières;  l'estragon,  Artemisia 
dracuncidus  (Composées)  ;  diverses  espèces  du  genre  AUium,  d'abord  l'oignon,  AlUum 
cepu,  très  employé  comme  condiment,  mais  qui  peut  aussi  être  considéré  comme  un 
véritable  légume  et  jouer  un  rôle  effectif  dans  l'alimentation,  puis  l'ail,  A.  sativum; 
l'échalotte,  A.  ascalonicum  et  la  ciboule,  A.  schxnoprasum,  qui  sont,  eux,  de  purs  condi- 
ments; outre  leur  parfum  violent,  ces  condiments  ont  une  saveur  brûlante  due  au  sidfo- 
cyanure  d'allylc. 

Cette  liste  déjà  longue  le  serait  bien  davantage  si  elle  comprenait  toutes  les  subs- 
tances dont  l'homme  par  toute  la  terre  a  la  fantaisie  d'assaisonner  sa  nourriture.  C'est 
surtout  avec  les  aliments  végétaux  que  se  fait  sentir  le  besoin  d'ajouter  des  épices;  il 
semble  que  chez  tous  les  peuples  le  piain  sec  soit  considéré  comme  un  régime  de  morti- 
fication, bien  qu'il  suffise  parfaitement  à  la  vie  et  au  travail.  11  est  vrai  que  ce  n'est  pas 
seulement  aux  épices  que  conduit  le  besoin  sensuel  d'ajouter  quelque  chose  de  plus 
savoureux  à  l'aliment  végétal  qui  fait  le  fond  du  régime;  c'est  souvent  vers  des  aliments 
plus  azotés  qui,  en  même  temps  qu'ils  satisfont  le  goût,  apportent  des  matériaux  utiles 
à  l'organisme.  Parmi  ces  aliments  véritables  qui,  à  cause  de  leur  haut  goût  sont  recher- 
chés surtout  à  titre  de  condiments,  on  peut  citer  chez  nous  les  truffes,  le  fromage,  les 
anchois.  Les  Malais  ont  une  seule  appellation,  pour  désigner  tout  ce  qu'ils  prennent 
avec  leur  riz  à  l'eau  pour  en  relever  la  fadeur,  aussi  bien  le  poisson  fumé  que  la  com- 
pote de  piments;  ils  ne  mangent  d'ailleurs  guère  plus  de  l'un  que  de  l'autre.  Les  Chi- 
nois ont  développé  largement  la  production  industrielle  de  ces  condiments-aliments; 
les  produits  odorants  qui  se  développent  dans  la  fermentation  des  matières  albuminoïdes 
leur  plaisent  surtout.  11  y  aurait  une  liste  curieuse  à  dresser  de  tous  les  aUments  aux- 
quels ils  donnent  du  montant  par  un  commencement  de  putréfaction  habilement  mé- 
nagé, depuis  les  œufs  fermentes  jusqu'au  fromage  de  haricot. 

Les  prétendus  aliments  d'épargne.  —  Si  l'on  peut  accorder  une  utilité  digestive 
à  des  substances  sapides  et  odorantes,  non  nutritives,  ingérées  avec  les  aliments,  il  n'en 
est  pas  de  même  quand  de  telles  substances  sont  ingérées  pour  elles-mêmes,  en  dehors 
des  repas  et  quand  la  faim  est  satisfaite.  Ici,  c'est  la  sensualité  pure  qui  est  en  jeu  ; 
l'explication  du  besoin  de  ces  consommations  est  autant  du  domaine  de  la  psychologie 
que  de  celui  de  la  physiologie.  Pourtant  la  question  est,  par  bien  des  points,  entre- 
mêlée à  la  physiologie  de  l'alimentation;  nous  aurons  en  particulier  à  discuter  une 
théorie  relative  à  certaines  de  ces  consommations,  la  théorie  des  aliments  d'épargne. 

On  peut  passer  rapidement  sur  les  friandises,  les  bonbons  variés  qui  sont  surtout  les 
consommations  d'agrément  des  enfants  et  des  femmes;  il  s'agit  le  plus  souvent  de  sucre 
aromatisé,  ou  de  fruits  confits   dans  le  sucre.   Ces  consommations  ont  par  conséquent 


ALIMENTS.  363 

une  valeur  alimentaire,  mais  elles  sont  généralement  prises  en  si  petites  quantités  que 
cette  valeur  devient  négligeable'. 

On  peut  en  dire  autant  des  sirops,  qui  sont  sous  forme  liquide  le  pendant  exact  de 
ces  friandises. 

La  variété  des  boissons  d'agrément  est  infinie.  Le  seul  aliment  que  réclame  la  soif 
est  l'eau,  mais  ce  corps  à  l'état  pur  est  parfaitement  inodore  et  insipide;  l'eau  de  source 
doit  quelque  saveur  aux  sels  et  à  l'acide  carbonique  qu'elle  tient  en  dissolution,  mais  cette 
saveur  très  faible  ne  l'empêche  pas  d'être  encore  une  boisson  assez  fade;  elle  ne  pro- 
voque presque  aucune  sensation  buccale  si  elle  n'est  pas  à  une  température  suffisamment 
basse  pour  provoquer  une  sensation  de  froid.  Or,  lasoif  n'est  pas  satisfaite  par  l'introduc- 
tion de  l'eau  dans  l'estomac,  si  cette  ingestion  ne  s'est  pas  révélée  à  la  conscience  avec 
une  intensité  suffisante;  il  faut  attendre  alors  que  cette  eau  soit  absorbée  pour  voir  dis- 
paraître l'état  de  malaise  qui  se  traduisait  par  lasoif.  Si,  au  contraire,  la  boisson  éveille 
vivement  la  sensibilité,  au  besoin  succède  immédiatement  la  satisfaction. 

L'eau  donne  si  peu  cette  satisfaction  sensuelle  que  dans  nos  contrées  où  la  soif  véri- 
table, la  disette  d'eau  de  l'organisme,  est  à  peu  près  inconnue,  on  dit  couramment  que 
«  l'eau  ne  désaltère  pas  ».  On  l'additionne  alors  de  diverses  substances  sapides,  qui  pour- 
raient tout  aussi  bien  trouver  place  dans  le  chapitre  précédent  et  porter  l'étiquette  condi- 
ments, puisqu'elles  servent  à  rendre  savoureux  un  aliment  qui  ne  l'est  pas  naturellement. 
Mais  le  plus  souvent  les  boissons  ainsi  obtenues  n'ont  pas  pour  but  de  satisfaire  une  soif 
qui  n'existe  pas,  c'est  la  sensation  qui  est  recherchée  pour  elle-même  ;  nous  pouvons  donc 
les  appeler  boissons  d'agrément. 

Il  faut  mentionner  d'abord  l'eau  sucrée,  aromatisée,  acidulée,  chargée  d'acide  carbo- 
nique. Ces  différents  moyens  de  donner  une  saveur  à  l'eau  sont  combinés  de  manières 
variées;  ce  sont  souvent  des  fruits  ou  des  extraits  de  fruits  qui  sont  employés.  Quand  on 
soumet  des  jus  de  fruits  ou  des  liquides  sucrés  quelconques  à  la  fermentation,  on  obtient 
les  boissons  alcooliques.  Celles-ci  méritent  qu'on  s'y  arrête. 

ÎSous  avons  un  élément  nouveau  qui  s'introduit  ici;  c'est  la  toxicité  de  ces  boissons. 
L'alcool  s'y  présente  en  effet  à  des  doses  suffisantes  pour  marquer  son  action  sur  le  sys- 
tème nerveux. 

Voici  les  proportions  d'alcool  de  diverses  boissons  fermentées  (en  poids  pour  cent)  : 

Vins  rouges  de  France  (Hauts-Bourgogne,  Bordeau.^,  Midi)- .   ...  7  à    9 

Vins  légers  (Basse-Bourgogne.  Cher,  etc.)- Sa    7 

Vins  ordinaires  d'Italie  et  d'Espagne-! il   à  1-2 

Vins  de  liqueur  (Malaga,   Porto,  Xérès,  iVIarsala,  etc.)' 14  à  16 

Cidre  pur  - 4  à     5 

Bières  de  conserve  (Strasbourg,  Bavière,  Lorraine)- 2,5  à     S 

Bières  anglaises  (Aie,  Porter)'^ 4à6 

Bières   de   débita I,5à2 

Les  vins  sont  une  des  consommations  d'agrément  les  plus  appréciées;  les  qualités  de 
saveur  en  sont  très  complexes  et  très  variables;  il  y  a  à  considérer  sous  ce  rapport  outre 
l'alcool,  l'acidité,  l'astringence,  la  glj'oérine,  le  sucre  dans  quelques-uns,  enfin  et  sui'- 
tout  le  bouquet,  c'est-à-dire  l'odeur  qui  est  due  à  des  éthers  en  petite  quantité.  Ces  éthers, 
variables  suivant  les  crus,  sont  d'ailleurs  très  toxiques  et  se  trouvent  dans  certains  vins  en 
quantité  suffisante  pour  intervenir  dans  la  toxicité,  et  modifier  la  forme  de  l'ivresse  alcoo- 
lique. Dans  divers  pays,  en  France  notamment,  on  en  est  venu,  depuis  un  certain  temps 
dans  toutes  les  classes  de  la  population,  à  considérer  le  vin  comme  un  élément  indispen- 
sable de  l'alimentation.  C'est  à  peine  s'il  commence  à  se  produire,  sous  l'influence  des 
médecins,  une  réaction  efficace  contre  cette  notion.  On  sait  à  quel  important  commerce 
le  vin  donne  lieu. 

La  bière,  outre  son  alcool,  contient  des  hydrates  de  carbone  ;  elle  est  aromatisée  avec 

1.  Dans  des  cas  exceptionnels,  il  peut  en  être  autrement,  et  il  n'est  pas  absolument  rare  de 
voir  des  hystériques,  prétendant  ne  rien  manger,  qui  absorbent  des  sucreries  par  centaines  de 
grammes.  Bonbons  ou  pommes  de  terre,  les  hydrates  de  carbone  valent  toujours  3=-^', 7  par 
gramme  de  glucose  correspondant. 

2.  D'après  les  Documents  du  Laboratoire  Municipal,  Paris,  1885. 

3.  D'après  le  recued  de  Kônig. 


36i  ALIMENTS. 

le  houblon,  qui  lui  communique  une  saveur  amère  ;  l'extrait  de  houblon  contient  un 
principe  stupéfiant,  la  lupuline,  à  dose  suffisante  pour  que  son  action  se  fasse  sentir  sur 
les  buveurs  de  bière.  Dans  les  pays  allemands,  les  hommes  consomment  des  quantités 
considérables  de  bière;  dans  ces  vingt  dernières  années,  l'usage  s'en  est  beaucoup  étendu 
en  France. 

Le  cidre  est  la  boisson  habituelle  de  la  région  nord-ouest  de  la  France;  outre  sa 
petite  quantité  d'alcool,  il  ne  présente  guère  à  noter  que  sa  forte  quantité  d'acides  végé- 
taux. 

L'hydromel,  le  koumis,  le  vin  de  riz  (il  serait  plus  exact  de  dire  bière  de  riz)  sont  les 
boissons  alcooliques  de  divers  peuples  de  l'ancien  monde.  On  ne  leur  connaît  pas  de 
particularité  notable. 

Ces  particularités,  d'ailleurs,  importent  peu  en  somme.  Dans  toutes  les  boissons  que 
nous  venons  de  passer  en  revue,  l'alcool  prend  un  rôle  absolument  prépondérant,  et 
c'est  pour  l'action  nerveuse  produite  par  ce  poison,  bien  plus  que  pour  leur  saveur,  que 
ces  boissons  sont  recherchées. 

Si  dans  la  liste  que  nous  avons  donnée  plus  haut,  on  met  à  part  les  vins  de  liqueurs 
qui  ne  sont  pas  employés  comme  boisson  usuelle,  on  voit  que  la  proportion  d'alcool  vai'ie 
de  2  à  12  p.  100.  Dans  l'usage  courant  des  gens  sobres  la  plupart  des  vins  sont  considérés 
comme  trop  forts  pour  être  bus  purs  et  ramenés,  au  moment  de  la  consommation,  à  un 
titre  plus  bas  par  addition  d'eau.  De  sorte  que  les  boissons  dites  hygiéniques  peuvent 
être  considérées  comme  contenant  de  3  à  5  p.  100  d'alcool. 

Nous  avons  admis,  pour  la  moyenne  des  Parisiens,  une  ingestion  quotidienne  de 
\  000  grammes  de  boisson.  Ce  serait  donc,  avec  de  telles  boissons  hygiéniques,  de  30  à 
30  grammes  d'alcool  ingérés  quotidiennement. 

Nous  avons  discuté  le  rôle  de  l'alcool  dans  l'alimentation  (p.  340),  et  nous  avons  vu 
que  les  calories  de  cet  alcool,  lorsqu'il  est  absorbé  en  quantité  modérée  dans  des  solu- 
tions assez  étendues,  sont  probablement  utilisées  par  l'organisme.  Ces  30  à  bO  grammes 
d'alcool  valent  200  à  350  calories,  qui  seraient  à  ajouter  au  chiffre  de  3  300  calories  (en 
chiffres  ronds)  que  nous  avons  trouvé  pour  Ja  ration  totale  de  ce  même  Parisien. 

Mais  ce  chiffre  de  30  à  oO  grammes. d'alcool  est  inférieur  à  la  moyenne  réelle.  Nous 
avons,  en  effet,  trouvé  : 

700  grammes  de  vin  à  8  p.  100   d'alcool 56  grammes. 

30        —        cidi-e  et  bière  à  4  p.  100  d'alcool  .    .  2          — 

2.5        —         spiritueux  à  50  p.  100  d'alcool.   ...  12          — 

Total    .    .  70          — 

C'est  que  dans  cette  moyenne  interviennent  des  consommations  d'agrément  qui  sont 
prises  par  un  assez  grand  nombre  de  sujets  en  dehors  de  tout  besoin  alimentaire  dans 
le  but,  avoué  ou  non,  d'obtenir  soit  l'ivresse  véritable,  soit  plus  iréquemment  un  degré 
moindre  d'intoxication  [alcoolique,  auquel  on  applique  des  euphémismes  variés.  Ce  pre- 
mier stade  de  l'intoxication  se  caractérise  par  un  sentiment  de  bien-être  général,  dont 
on  trouvera  une  bonne  description  à  l'article  Alcool  (p.  239). 

Pour  produire  et  renouveler  ce  commencement  d'ivresse,  on  a  recours  le  plus  sou- 
vent, non  aux  boissons  fermentées  elles-mêmes,  mais  à  de  l'alcool  plus  concentré,  obtenu 
par  distillation.  Le  titre  des  liqueurs  fortes  varie  de  30  à  60  degrés;  la  saveur  de  l'alcool 
pur  n'étant  pas  agréable  par  elle-même,  ces  liqueurs  sont  quelquefois  sucrées,  plus  sou- 
vent aromatisées,  et  les  essences  qui  sont  ajoutées  dans  ce  but  ajoutent  leur  toxicité 
propre  à  celle  de  l'alcool;  quelquefois  cette  toxicité  Femporte  même  sur  celle  de  l'alcool 
qui  sert  de  véhicule  aux  essences;  tel  est  le  cas  de  l'absinthe  CVoir  ce  mot).  A  un  degré 
moindre,  on  retrouve  des  essences  toxiques  dans  un  grand  nombre  de  liqueurs,  le  bitter, 
le  vulnéraire,  le  vermouth,  la  chartreuse,  le  genièvre,  etc.  L'étude  de  l'absinthe  et  de  ses 
composants  suffit  pour  se  rendre  compte  de  l'action  physiologique  de  tout  C€  groupe 
de  toxiques. 

Diverses  liqueurs  fortes  très  appréciées  doivent  leur  parfum  et  leur  saveur  à  des 
impuretés  qui  proviennent  des  modes  mêmes  de  préparation  ou  de  la  substance  qui  a 
servi  de  matière  à  la  fermentation;  tels  sont  le  kirsch,  le  rhum,  l'eau-de-vie  de  marc. 


ALIMENTS.  365 

Ces  impuretés,  alcools  supérieurs  ou  huiles  essentielles,  pour  être  naturelles,  n'en  sont 
pas  moins  toxiques.  On  contrefait  industriellement  ces  liqueurs  en  ajoutant  à  des  alcools 
plus  ou  moins  purs  des  6ougj(ets-,  c'est-à-dire  des  éthers  et  des  huiles  essentielles  en  com- 
binaison appropriée.  Les  alcools  industriels  qui  servent  à  cette  fabrication  proviennent 
de  la  fermentation  de  grains  ou  de  fécules  de  pommes  de  terre;  s'ils  sont  mal  rectifiés, 
ils  contiennent  des  alcools  supérieurs,  du  furfurol,  etc.,  qui  en  augmentent  la  toxicité'. 

Naturelles  ou  artificielles,  les  impuretés  des  liqueurs  alcooliques  modifient  le  plus 
souvent  l'action  physiologique  de  l'alcool  et  la  forme  de  l'ivresse,  sa  durée,  ces  consé- 
quences éloignées  varient  plus  ou  moins  suivant  la  liqueur  à  laquelle  on  a  eu  recours 
pour  se  procurer  cette  ivresse.  Néanmoins,  sauf  peut-être  pour  l'absinthe,  c'est  l'intoxica- 
tion alcoolique  l'éthylisme,  qui,  dans  tous  ces  cas,  tient  la  première  place. 

Il  est  remarquable  de  voir  de  combien  de  substances  diverses  l'homme  a  su  tirer 
de  l'alcool.  Il  n'est  pas  moins  remarquable  de  voir  quelle  est  l'extension  géographique 
de  l'usage  de  ce  toxique;  on  sait  avec  quelle  rapidité  les  peuples  primitifs  en  prennent 
le  goût  aussitôt  que  les  civilisés  le  leur  ont  fait  connaître.  Chez  le  buveur  d'alcool, 
même  chez  celui  qui  ne  s'enivre  jamais  complètement,  le  besoin  d'alcool  devient  rapi- 
dement aussi  impérieux  que  la  faim.  Ces  deux  besoins  ont  même  de  grandes  ressem- 
blances dans  leurs  manifestations.  C'est  un  point  sur  lequel  nous  allons  revenir. 

11  y  a  une  autre  substance  qui  est  recherchée  presque  à  l'égal  de  l'alcool  pour  l'action 
pharmacodynamique  qu'elle  produit  sur  le  système  nerveux  central  :  c'est  la  caféine 
{trmHhylxanthine].Sa.i:)s  aucune  connaissance  chimique,  l'homme  dans  toutes  les  régions 
du  globe  a  su  reconnaître  et  utiliser  des  plantes  qui  appartiennent  aux  familles  les  plus 
diverses,  que  rien  d'agréable  ne  signale  d'abord  à  l'odorat  ou  au  goût,  et  qui  n'ont  rien 
de  commun  entre  elles  que  leurs  propriétés  excitantes  dues  à  la  caféine.  Ces  plantes 
sont  le  café,  originaire  de  l'Afrique  orientale,  le  thé,  originaire  de  l'extrême  Orient,  la 
kola,  dans  l'Afrique  occidentale,  le  maté  et  le  guarana,  dans  l'Amérique  du  Sud. 

Dans  le  thé  et  le  maté,  ce  sont  les  feuilles  qui  sont  utilisées;  dans  |le  café,jla  kola  et 
le  guarana,  ce  sont  les  graines. 

Voici  les  proportions  de  caféine  contenues  dans  ces  substances  : 

Gafé2 1,28  p.  100. 

Thé2 3,3      — 

Maté^ 1,0      — 

Kolai 2,35     — 

Guaraiiai- 4  —  (environ). 

A  côté  de  la  caféine  ces  substances  contiennent  toutes  du  tannin  en  quantité  plus 
ou  moins  considérable;  ce  corps  a  peu  d'importance.  11  n'en  est  pas  de  même  des 
huiles  essentielles  qui  préexistent  dans  ces  substances  (kola)  ou  s'y  produisent  par  la 
torréfaction  (thé,  café).  L'action  physiologique  des  huiles  essentielles  n'est  pas  très  bien 
connue,  mais  elle  est  appréciable.  L'infusion  de  thé  diffère  suffisamment  de  l'infusion 
de  café  pour  que,  dans  certains  cas,  l'une  produise  de  l'insomnie  chez  des  sujets  habi- 
tués à  l'autre.  L'huile  essentielle  de  la  kola  serait  aphrodisiaque. 

La  caféine  est  un  excitant  cérébral  et  médullaire  (Voir  Caféine).  Ingérée  à  la  dose  de 
20  à  30  centigrammes,  elle  produit  un  sentiment  de  bien-être  général,  de  force  et  de 
légèreté,  qui,  subjectivement,  ne  diffère  pas  beaucoup  du  sentiment  produit  par  les 
doses  modérées  d'alcool.  Mais,  à  l'inverse  de  celui-ci,  elle  procure  effectivement  une 
augmentation  de  la  force  et  une  accélération  dans  les  réactions  psycho-motrices. 

C'est  cette  action  sur  le  système  nerveux  qui  fait  rechercher  les  substances  à  caféine, 
car,  excepté  pour  le  thé,  leurs  propriétés  organoleptiques  sont  plutôt  désagréables.  11 
faut  être  habitué  au  café  pour  l'aimer,  et  encore,  il  est  habituel  en  Europe  qu'on  l'addi- 
tionne de  sucre  pour  masquer  son  amertume. 

p.  Pour  le  détail  de  ces  faits  et  pour  la  bibliograpliie  que  nous  ne  pouvons  donner  ici,  voir 
l'article  Alcool  {Toxicologie  générale). 

2.  Moyenne  des  analyses  du  recueil  de  Kônig. 

3.  KùNiG,  t.  H,  p.  1083. 

4.  ScHLAGDENHAUFEN  et  H--ECKEL.  Jouvii.  de  Phurm.  et  Ch.,  1883. 

5.  GossKT.  D.  P.,  1883. 


366  ALIMENTS. 

Les  peuples  musulmans,  auxquels  leur  religion  interdit  l'alcool,  font  un  grand  usage 
du  café  (Arabes)  ou  du  thé  (Persans),  remplaçant  ainsi  une  excitation  par  une  aulre. 

A  côté  des  substances  à  caféine,  on  pourrait  ranger  le  cacao,  qui  contient,  outre  très 
peu  de  caféine,  un  bomologue  inférieur  de  la  caféine,  la  Ihéobromiiie  {diniéOiylxanlldnc). 
Mais  ce  coi-ps  ne  possède  que  des  propriétés  excitantes  très  faibles;  d'autre  part,  les  fruits 
du  cacao,  par  leur  beurre  particulièrement,  jouissent  de  propriétés  nutritives  réelles,  et 
le  chocolat,  mélange  de  sucre  et  de  cacao  qui  est  la  forme  de  consommation  la  plus 
habituelle  du  cacao,  est  bien  un  véritable  aliment,  encore  que  par  son  goût,  il  flatte  la 
sensualité  et  soit  pris  le  plus  souvent  en  dehors  des  repas  sérieux.  ' 

La  composition  du  cacao  est  la  suivante  (amandes  grillées)': 

Eau 5,6 

Substances  azotées 14,1 

ThÉobromine 1,55 

Caféine 0,17 

Graisse 50,0 

Fécule 8,77 

Substances  extractives  non  azotées.    .    .  13,9 

Cellulose :i,9 

Cendres 3,6 

La  caféine,  comme  l'alcool,  est  utilisée  dans  des  régions  fort  étendues  et  par  des 
peuples  très  différents.  Les  substances  suivantes,  au  contraire,  sont  les  toxiques  usuels  de 
peuples  déterminés  et  n'ont  à  ce  point  de  vue  qu'une  aire  de  dispersion  restreinte  ;  leur 
usage  constitue  même  un  caractère  ethnographique. 

La  coca  (Erythroxylum  coca)  est  employée  comme  excitant  par  les  indigènes  du 
Pérou  et  des  régions  voisines.  Son  principe  actif  est  un  alcaloïde,  la  cocaïne  (Voir  ce 
mot). 

Le  Haiichich  (sommités  fleuries  du  chanvre)  produit  une  ivresse  spéciale  qui  est  recherchée 
en  Egypte,  en  Asie-Mineure  et  dans  l'Inde.  Il  semble  que  dans  l'antiquité,  le  chanvre 
était,  en  Orient,  cultivé  exclusivement  pour  ses  propriétés  enivrantes  et  négligé  comme 
textile'.  Le  principe  actif  est  une  huile  essentielle  (Voir  Haschich). 

Le  Kat  (Catha  edulis)  est  très  recherché  dans  l'Yémen  et  le  sud  de  l'Abyssinie  pour  des 
propriétés  analogues;  les  Arabes  de  cette  région  en  mâchent  les  feuilles  fraîches.  On  ne 
sait  pas  encore  quelle  en  est  la  substance  active'. 

Le  Kava  {Piper  methysticum)  sert  aux  Polynésiens  à  préparer  une  boisson  enivrante. 

Vopium  est  consommé  par  les  Chinois  en  inhalations  ;  une  préparation  pâteuse  d'opium 
(Chan-dou)  sert  à  former  de  petites  boulettes  qui  sont  grillées  sur  une  veilleuse  ;  la  fumée 
qui  s'en  échappe  est  aspirée  au  moyen  d'un  tube  spécial  dans  la  bouche  et  dans  les 
poumons.  Ces  inhalations  sont  beaucoup  moins  toxiques  qu'on  ne  l'a  cru  ;  on  leur  a  même, 
récemment,  dénié  toute  action  pliarmacodynamique;  elles  produisent  pourtant  un  état 
nerveux  particulier  fort  apprécié  des  fumeurs  d'opium  et  le  besoin,  une  fois  l'habitude 
prise,  en  devient  très  impérieux  (Voir  Opium). 

Cette  façon  de  fumer  l'opium  s'éloigne  de  la  consommation  alimentaire  proprement 
dite;  mais  au  point  de  vue  physiologique,  la  différence  importe  peu.  Ce  que  nous  étudions 
en  ce  moment,  c'est  l'usage  habituel  de  toxiques  ;  ceux-ci  sont  pris  le  plus  souvent  en 
boissons,  le  fait  reste  le  môme  quand  ils  sont  pris  en  inhalations;  il  reste  encore  le  même 
quand  ils  sont  pris  en  injections  sous-cutanées,  comme  la  morphine  ou  la  cocaïne.  Dans 
ce  dernier  cas,  l'intoxication  systématique  est  évidente.  Au  contraire,  pour  le  vin,  le  café, 
d'une  façon  générale  pour  les  poisons  que  nous  venons  de  passer  en  revue  et  qui  se 
prennent  par  la  bouche,  il  s'établit  une  confusion  avec  les  aliments  véritables  ;  l'expé- 
rience vulgaire  ne  peut  en  elfet  distinguer  les  uns  des  autres;  non  seulement  ça  se  mange 
ou  ça  se  boit,  mais  ça  donne  des  forces. 

Théorie  des  aliments  d'épargne.  —  La  sensation  de  réconfort  que  produisent  ces  consom- 
mations,  semblable  à  celle  que  produit  un  bon  repas,  est  particulièrement  frappante 

1.  D'après  Kônig. 

2.  De  Candolle.  Origine  des  plantes  cultivées,  Paris,  1883.  , 

3.  Leloup.  Le  Catha  edulis,  D.  P.,  1890. 


ALIMENTS.  3(i7 

dans  un  certain  nombre  de  cas  où  l'alimentation  réelle  est  supprimée  momentanément. 

Au  Pérou,  les  Indiens  font  de  longues  courses,  marchant  nuit  et  jour,  sans  autre  pro- 
vision qu'une  petite  quantité  de  feuilles  de  coca  qu'ils  mâchent  de  temps  en  temps.  Tschudy' 
raconte  qu'un  Indien  Qt  un  travail  pénible  pendant  cinq  jours  et  cinq  nuits,  en  ne  dor- 
mant que  deux  heures  par  nuit,  sans  prendre  d'autre  nourriture  qu'une  demi-once  espa- 
gnole (14  grammes)  de  feuilles  de  coca  qu'il  chiquait  toutes  les  deux  ou  trois  heures. 

Dans  l'Afrique  occidentale,  les  Nègres  accomplissent  des  prouesses  du  même  genre, 
remplaçant  le  coca  par  la  noix  de  kola. 

Ces  faits,  et  bien  d'autres  du  même  genre,  ont  attiré  depuis  longtemps  l'attention  des 
voyageurs;  ils  ont  conduit  à  attribuer  à  ces  plantes  exotiques  des  propriétés  merveil- 
leuses et  ont  donné  lieu  aune  étonnante  floraison  de  réclames  pharmaceutiques. 

Il  y  a  lieu  de  les  tenir  pour  réels;  ils  sont  faciles  à  vérifier;  l'un  de  nous,  à  plusieurs 
reprises,  a  pu  rester  40  heures  sans  manger,  et  pendant  ce  jeûne  fournir  sans  fatigue 
une  journée  entière  de  marche,  en  prenant  quelques  grammes  d'une  préparation  de 
kola.  La  quantité  de  caféine  correspondant  à  cette  kola,  prise  dans  les  mêmes  condi- 
tions, a  montré  les  mêmes  effets.  La  faim  et  la  faiblesse  qu'elle  entraîne  étaient  parfai- 
tement supprimées^. 

Comme  l'analyse  chimique  ne  montre  dans  ces  substances  (l'alcool  étant  mis  à 
part)  ■'  ni  aliments  plastiques,  ni  aliments  respiratoires  (la  théorie  date  de  l'époque  de  Liebig), 
du  moins  en  quantité  qui  puisse  entrer  en  compte,  on  imagina  que  les  principes  actifs  de 
ces  substances  (les  aliments  nervms  de  Liebig)  arrêtaient  ou  tout  au  moins  diminuaient 
le  métabolisme  organique,  empêchaient  la  dénutrition.  Au  lieu  de  se  dépenser,  suivant 
la  loi  ordinaire,  l'organisme  soumis  à  l'inlluence  de  ces  substances  se  réduirait  à  la 
plus  stricte  économie.  Ces  substances  seraient  donc  des  moyens  d'épargne,  SparrmiUel; 
le  mot  et  l'idée  sont  de  Schultz  (1831),  ils  ont  été  repris  par  W.  Bœûker '■■  et  à  sa  suite 
par  un  grand  nombre  d'auteurs  parmi  lesquels  on  (peu  citer,  en  France,  G.  Sée,  Gubler 
et  surtout  Marvaud  *. 

Le  mot  a  si  bien  fait  fortune  qu'on  en  est  arrivé  à  l'employer  couramment  sans  dis- 
cuter la  théorie  qu'il  suppose  ".  Cette  théorie  pourtant  se  heurte  à  des  difficultés  insur- 
montables. Dès  l'origine  de  la  question,  les  objections  ont  été  formulées  d'une  manière 
catégorique. 

«  L'eau-de-vie  (dit  Liebig  en  parlant  d'un  travailleur  insuffisamment  nourri),  par  son 
action  sur  les  nerfs,  lui  permet  de  réparer,  aux  dépens  de  son  corps,  la  force  qui  lui 
manque,  de  dépenser  aujourd'hui  laTorce  qui,  dans  l'ordre  naturel  des  choses,  ne  devrait 
s'employer  que  demain.  C'est  comme  une  lettré  de  change  tirée  sur  sa  santé  '.  » 

En  effet,  la  simple  loi  élémentaire  de  la  conservation  de  l'énergie  empêche  abso- 
lument d'admettre  une  production  quelconque  de  travail  sans  dépense  équivalente 
d'énergie  potentielle.  Toutefois,  comme  le  rendement  mécanique  de  la  machine 
humaine  n'est  pas  parfait  (un  cinquième,  environ),  si  des  expériences  démontraient 
effectivement,  sous  l'influence  des  prétendus  aliments  d'épargne,  une  diminution  des 
dépenses,  il  serait  possible,  peut-être,  d'admettre  une  amélioration  du  rendement.  Mais 
cette  diminution  des  dépenses  n'existe  pas  en  réalité.  On  a  cru  trouver  la  démonstration 
cherchée  dans  l'analyse  de  l'urine;  à  l'époque  où,  suivant  la  théorie  de  Liebig,  les  aliments 
azotés  passaient  pour  l'origine  de  la  force  organique,  une  diminution  de  l'urée  excrétée 
démontrait  une  moindre  usure.  Cet  abaissement  du  chiffre  de  l'urée  a  été  constamment 
invoqué  parles  partisans  de  l'épargne.  Mais,  i"  cet  abaissement  n'est  pas  un  fait  cons- 

1.  Reiseskissen  aus  Peru  in  den,  lahren  IS3S-IS4S,  Saint-Gall,  1846  ;  cité  par  Marvaud. 

2.  Lapicque.  B.  B.,  1890.  Voir  pour  les  détails  des  faits  précédents  Parisoï,  D.  P.,  1890. 

3.  L'alcool  doit  à  ce  point  de  vue  être  mis  à  part;  nous  avons  vu  plus  haut  qu'il  apporte  des 
calories  à  l'organisme;  c'est  donc  un  aliment,  et  aliment  d'épargne,  bien  que  le  mot  soit  pris  alors 
dans  un  sens  un  peu  dilïéi'ent. 

4.  Beitrâge  zur  Heilkunde.  Crefeld,  1849;  t.  i,  Genussmittel;  cité  par  Marvaud. 

5.  Marvaud.  Les  aliments  d'e'parr/ne.  Paris,  1874. 

6.  Dans  un   traité  de  Chimie  biologique   tout  récent,   traduit   de  l'allemand  en  français,  le- 
mot  Genussmittel  est  rendu  par  aliments  d'épargne,  Or  l'auteur  se  montre   adversaire  résolu   de 
la  théorie  de  l'épargne,  même  pour  l'alcool,  qui  est  de  tous  les  prétendus  moyens   d'épargne   le 
seul  qui  peut-être  mériterait  cette  qualification. 

7.  Nouvelles  lettres  sur  la  Chimie,  Paris,  1852,  p.  244. 


3ti8  ALIMENTS. 

tant,  loin  de  là.  Pour  chacune  des  substances  visées,  à  côlé  d'une  liste  d'expérimenta- 
teurs qui  ont  trouvé  une  diminution,  on  peut  mettre  une  autre  liste  d'expérimentateurs 
qui  ont  trouvé  une  augmentation  de  l'urée  excrétée  sous  l'influence  de  ces  substances; 
d'autres  leur  dénient  toute  action  caractéristique  sur  l'excrétion  de  l'azote  ;  2°  la  quantité 
d'azote  excrété  n'est  nullement  une  mesure  des  réserves  consommées;  elle  l'est  seule- 
ment des  réserves  azotées,  et  nous  savons  que  les  réserves  ternaires  ont  un  rôle  au 
moins  aussi  considérable  dans  la  production  de  la  force  et  de  la  chaleur. 

Les  déterminations  calorimétriques  jugeraient  directement  la  question,  mais  elles 
manquent;  à  leur  défaut,  nous  avons  les  recherches  tliermoniétriques  et  les  détermina- 
tions du  CO^  rendu.  Or  ici  nous  trouvons,  pour  les  deux  substances  précisément  qui  sont 
en  cause  dans  ces  faits  merveilleux  dont  nous  parlions  plus  haut,  la  cocaïne  et  la  caféine, 
une  élévation  de  la  température  et  une  augmentation  du  CO^  exhalé. 

Pour  ces  deux  substances  aussi,  nous  trouvons  quelques  séries  d'expériences  qui 
montrent  tout  le  contraire  d'une  action  d'épargne.  Si  l'on  met  des  animaux  à  l'inanition 
complète  ou  à  un  régime  insuffisant,  on  voit  ijue  l'administration  de  ces  substances  non 
seulement  ne  prolonge  pas  leur  vie,  mais  souvent  les  fait  mourir  plus  vite  (cocaïne, 
Cl.  Bernard,  Moheno  y  Maïz;  caféine,  Gum.iRAËs  et  Raposo). 

Mais  tout  autre  est  la  question,  suivant  .que  l'on  considère  l'état  subjectif  et 
l'aptitude  au  travail  d'un  homme  privé  de  nourriture  pendant  quelques  jours,  ou  que 
l'on  considère  la  résistance  à  l'inanition. 

La  condition  pour  résister  à  l'inanition  est  de  réduire  les  pertes  au  minimum,  s'il 
s'agit  de  passer  un  temps  un  peu  long  sans  aliments,  mais  dans  l'inaction  ;  c'est  bien 
l'économie  qui  s'impose, 

La  condition  est  réalisée,  pour  les  animaux  à  sang  chaud,  d'une  manière  aussi  com- 
plète que  possible  dans  le  cas  de  l'hibernation  '  ;  dans  toute  inanition,  on  voit  aussi,  bien 
qu'à  un  degré  moindre,  l'organisme  diminuer  ses  dépenses.  La  température  s'abaisse  de 
quelques  dixièmes  ;  la  quantité  d'acide  carbonique  excrété  est  sensiblemenl  au-dessous 
de  la  quantité  excrétée  par  le  même  sujet  quand  il  est  normalement  nourri;  Edw.  Smith 
indique  une  diminution  de  2o  p.  100;  Ranke  d'une  part,  Hanriot  et  Ch.  Richet  de  l'autre 
ont  trouvé  sensiblement  les  mêmes  valeurs  :  un  sujet  qui  exhale  18  litres  de  CO-  par 
heure  quand  il  est  nourri  n'en  exhale  plus  que  14  en  moyenne  pendant  le  jeune.  Les  ani- 
maux de  grande  taille  supportent  l'inanition  pendant  un  nombre  assez  grand  de  jours 
(trente,  quarante  et  davantage)  sans  autre  dommage  organique  qu'un  amaigrissement 
qui  se  répare  aussitôt  qu'une  alimentation  suffisante  leur  est  rendue. 

Mais  le  début  de  l'inanition  est  marqué  (et  chez  l'homme,  semble-t-il,  avec  plus 
d'intensité  que  chez  les  animaux)  par  des  phénomènes  pénibles,  de  l'angoisse,  de  la 
faiblesse,  de  la  douleur  localisée  dans  l'estomac.  Ces  phénomènes  n'attendent  nullement 
pour  se  manifester  qu'il  y  ait  déjà  une  portion  sensible  des  réserves  consommées  et  que 
la  vie  du  jeûneur  soit  en  jeu  ;  c'est  dès  le  premier  jour,  à  l'heure  même  où  manque  le 
premier  repas  habituel,  qu'ils  se  manifestent;  au  contraire,  ils  vont  en  s'amendant  si  l'on 
passe  outre  à  cette  première  période.  Le  jeûne  du  second  jour  est  souvent  déjà  moins 
pénible  que  celui  du  premier. 

La  description  de  ces  symptômes  indique  d'elle-même  leur  caractère  nerveux  ;  et  ce 
caractère  se  dessine  encore  avec  plus  de  précision  si  nous  examinons  la  façon  dont  ces 
symptômes  disparaissent.  Un  repas  les  fait  en  effet  cesser  immédiatement,  par  son  inges- 
tion même  ;  ils  font  place  instantanément  à  une  sensation  de  bien-être  général  et  de 
vigueur.  Or,  à  ce  moment,  la  digestion  n'est  pas  même  commencée,  il  n'y  a  reconstitu- 
tion d'aucune  réserve,  il  ne  peut  mêjne  y  avoir  de  modification  notable  dans  la  compo- 
sition du  milieu  intérieur.  L'organisme  n'a  reçu  que  des  excitations  nerveuses,  venues  par 
les  voies  suivantes:  1°  sensations  gustatives  et  olfactives;  2°  excitations  mécaniques  des 
premières  parties  du  tube  digestif  :  déglutitions  répétées,  réplétion  de  l'estomac: 
3°  absorption  de  substances  extractives  des  aliments,  qui  sont  en  état  d'être  absorbées 
sans  modification  digestive  ;  ces  substances  n'existent  qu'en  petite  quantité,  mais  peuvent 
après  leur  passage  dans  le  sang,  passage  qui  peut  avoir  lieu  très  rapidement,  venir 
exciter  le  système  nerveux  central  par  un  mécanisme  pharmacodynamique. 

1.  Voir  pour  ceci  et  pour  ce  qui  suit:  Ch.  Richet,  l'Inanition.  Trav.  du  laboratoire,  t.  ii. 


ALIMENTS.  369 

Il  y  a  un  exemple,  d'expérience  vulgaire,  où  se  trouve  réalisée  la  séparation  entre 
le  pouvoir  nutritif  et  les  propriétés  excitantes  des  aliments  :  c'est  le  bouillon  de  viande. 

L'insestion  d'une  tasse  de  bouillon  chaud  représente:  1°  des  sensations  gustatives  et 
olfactives;  2°  des  excitations  mécaniques  dans  les  premières  parties  du  tube  digestif; 
3°  des  matières  exlractives  immédiatement  absorbabies.  Cela  suffit  pour  cjue  le  bouillon 
produise,  avec  une  intensité  qui  lui  a  fait  prêter  des  propriétés  merveilleuses,  le  sentiment 
de  réconfort  d'un  bon  repas.  Et  pourtant  sa  valeur  alimentaire  est  sensiblement  nulle  '. 

Il  est  facile  maintenant  de  concevoir  que  les  pliénomènes  nerveux  de  la  faim  cèdent 
à  des  poisons  du  système  nerveux;  et  on  comprend  qu'ils  puissent  céder  également  à 
des  excitants,  qui  remplacent  l'excitation  des  aliments,  et  à  des  narcotiques,  qui  suppri- 
ment le  besoin.  Seulement  les  premiers,  telles  que  la  caféine  et  la  cocaïne,  sont  évidem- 
ment ceux  qu'ils  faut  employer  lorsqu'il  y  a  un  travail  à  fournir  pendant  l'inanition.  11 
faut,  en  eflfet,  réagir  contre  cette  tendance  instinctive  de  l'organisme  inanitié  à  s'inhiber, 
à  se  mettre  en  état  de  repos  pour  dépenser  moins,  et  c'est  probablement  parce  qu'elles 
sont  tout  le  contraire  d'un  agent  d'épargne  que  ces  substances  permettent  les  efforts 
pendant  le  jeûne  dont  nous  avons  parlé. 

Il  nous  semble  donc  que  la  dénomination  d'aliments  d'épargne  appliquée  à  de  telles 
substances  constitue  un  contre-sens,  et  qu'elle  doit  disparaître. 

iMais  si  maintement  nous  considérons  l'alcool,  que  nous  avions  systématiquement 
laissé  de  côté  dans  les  considérations  qui  précèdent,  nous  trouvons  à  cette  substance 
deux  ordres  de  propriétés  distinctes  :  1°  une  action  sur  le  système  nerveux;  à  ce  point 
de  vue  il  peut  rentrer  complètement  dans  la  catégorie  précédente,  et  tout  ce  que  nous 
avons  dit  des  autres  s'applique  également  à  lui;  2°  une  valeur  comme  combustible. 
Nous  avons  à  ce  point  de  vue  examiné  l'alcooi  ainsi  que  d'autres  substances  dans  un 
autre  chapitre  (Voir  page  346).  Nous  avons  trouvé  là  une  notion  de  l'épargne  tout  à  fait 
distincte  de  celle  que  nous  venons  d'examiner  ici.  C'est  la  théorie  de  Voit,  où  l'on  voit 
la  graisse,  l'amidon,  la  gélatine,  etc.,  épargner  l'albumine.  Cette  expression  d'épargne 
est  donc  amphibologique. 

De  plus,  dans  cette  seconde  acception,  elle  n'est  pas  absolument  exacte.  Si  les  hydrates 
de  carbone,  en  effet,  épai-gneut  l'albumine,  celle-ci  à  son  tour,  dans  le  cas,  par  exemple, 
d'une  alimentation  exclusivement  quaternaire,  épargnera  les  réserves  de  graisse  de  l'or- 
ganisme. Il  s'agit  donc  d'une  action  réciproque  que  la  notion  d'épargne  exprime  mal, 
semblant  impliquer  un  ressouvenir  de  la  théorie  de  Liebig  sur  l'albumine,  seule  source 
de  l'énergie  organique,  substance  primordiale  de  la  nutrition  que  les  autres  aliments 
simples  peuvent  seulement  suppléer  plus  ou  moins.  Il  nous  semble  donc,  que  dans  ce 
second  cas  aussi,  il  y  a  avantage  à  supprimer  la  notion  d'aliments  d'épargne,  pour  la 
remplacer  par  la  notion  autrement  précise  de  Visodynamie. 

Il  nous  reste  alors,  si  nous  considérons  l'ensemble  des  substances  alimentaires,  trois 
catégories  parfaitement  claires  :  1°  des  combustibles,  isodynames  entre  eux  suivant  les  lois 
de  la  tliermocbimie;  2°  des  substances,  minérales  et  organiques,  nécessaires  chacune 
pour  elle-même  en  raison  de  leurs  propriétés  chimiques,  —  ces  deux  classes  com- 
prenant tous  les  aliments  véritables,  nécessaires  ;  3°  des  excitants  du  système  nerveux, 
agissant  soit  par  la  voie  sensorielle,  soit  par  action  pharmacodynamique;  ceux-ci 
n'étant  pas  des  aliments  véritables,  et  n'étant  pas  nécessaires. 

Ration  alimentaire.  Physiologie  comparée.  —  L'étude  de  la  ration  alimentaire 
sur  les  divers  animaux  n'a  guère  été  entreprise  méthodiquement  que  sur  les  animaux 
domestiques  par  les  agronomes.  Pour  les  invertébrés  et  les  animaux  à  sang  froid,  on  ne 
sait  rien  de  précis  ou  à  peu  près  rien.  Il  est  de  fait  que  les  animaux  à  sang  froid  ont 
besoin  de  peu  d'aliments  eu  hiver;  que  des  serpents  peuvent  rester  plusieurs  mois  sans 
nourriture  ;  tandis  qu'en  été  la  consommation  est  plus  active  ;  mais  ce  ne  sont  pas  là  des 
chiffres  exacts.  Même  pour  les    oiseaux  et   la   plupart  des   mammifères,  les   données 

l.  Le  bouillon  lui-même  est  souvent  étudié  parmi  les  alimenis  d'épargne,  et  on  a  fait  de 
nombreuses  recherches  ponr  découvrir  parmi  ses  composants  une  substance  active  comparable  à 
la  caféine,  par  exemple  ;  on  a  successivement  désigné  comme  tels  la  créatine  et  les  sels  de  potasse, 
sans  pouvoir  fournir  à  cette  opinion  une  base  expérimentale.  U  nous  semble  que  la  propriété  du 
bouillon  résulte  de  ce  qu'il  est  en  quelque  sorte,  pour  le  système  nerveux,  l'illusion  complète  de 
ia  nourriture.  " 

DICT.    DE    PHYSIOLOGIE.    —    TOME    I.  24 


370 


ALIMENTS. 


sérieuses  fout  défaut.  Au  contraire  pour  les  chevaux,  les  bœufs,  les  porcs,  les  moutons, 
on  a  des  chilïres  très  nombreux.  En  effet,  ce  n'est  pas  seulement  un  problème  scienti- 
fique, c'est  encore  et  surtout  un  problème  d'industrie  agricole.  Il  s'agit  de  savoir  quel  est 
le  meilleur  rendement,  de  telle  ou  telle  alimentation  donnée,  en  graisse,  en  viande,  en 
lait,  en  laine,  en  travail.  On  comprend  que  la  question  a  dû  souvent  être  traitée,  et 
avec  beaucoup  d'ampleur,  comme  toutes  les  fois  qu'il  s'agit  d'une  application  pratique 
immédiate.  Les  chiffres  obtenus  ont  une  très  grande  valeur;  car  ils  portent  sur  des 
quantités  considérables. 

Nous  ne  pouvons  aborder  cette  partie  de  l'économie  rurale  ici  dans  tous  les  détails; 
et  nous  nous  contenterons  pour  une  étude  plus  développée  de  renvoyer  aux  ouvrages 
ofi  elle  a  été  approfondie,  depuis  les  travaux  fondamentaux  de  Boussingault  {{Économie 
rurale,  2'=  édit.,  1851).  —  Mentionnons  Baudesient,  Allibert  (cités  par  Milne  Edwards,  T. 
P.,  t.  viu,  p.  187). —  Henneberg  et  Stohmann  (Beitràge  zur  Begrundiwg  einer  rationnelten  Fut- 
terung  der  Wiederkaucrn).  Braunschweig,  1860.  —  Lawes  et  Gilbert  [Expérimental  inquiry 
into  the  composition  of  some  of  the  animais  fed  and  slaughered  as  human  food,  in  Philos. 
Transact.,  passim  :  travaux  analysés  avec  grand  soin  dans  le  livre  de  Grandeau,  Valimenta- 
tioncle  l'homme  et  des  animaux  domestic/ucs.  Paris,  1893,  t.  i,  pp.  220-364).' —  Wolff  (A^t- 
mentation  des  animaux  domestiques;  trad.  franc.,  Paris,  1888).  —  Crevât  [Alimentation 
rationnelle  du  bétail.  Lyon,  1883).  —  Corneviin  [Traité  de  zootechnie.  Paris,  1891,  pp.  841- 
920).  — C.  HussoN  [L'alimentation  animale,  Paris,  1882).  —  Livalard  [Le  Cheval,  t.  i,  Ali- 
mentation, Paris,  1891).  On  trouvera  dans  ces  divers  ouvrages  des  tableaux,  que  nous  ne 
pouvons  reproduire  ici,  sur  la  composition  chimique  centésimale  des  divers  fourrages 
et  leur  valeur  alimentaire  dilférente. 

A  vrai  dire  il  est  rare  que  l'agriculteur  s'occupe  de  la  ration  d'entretien  proprement 
dite.  Le  plus  souvent  il  a  un  autre  but  que  celui  de  faire  vivre  les  animaux,  et  alors  il  y 
a  une  ration  d'engraissement  (on  peut  faire  rentrer  dans  l'engraissement  la  lactation,  la 
production  de  viande,  la  production  de  laine);  et  l'élevage  des  jeunes  animaux,  et  une 
ration  de  travail  (bœufs  au  labour,  chevaux  de  labour  ou  de  trait,  etc.). 

Mais,  dans  certains  cas,  la  ration  d'entretien  peut  se  confondre  avec  la  ration  d'engrais- 
sement à  condition  qu'on  déduise  de  l'alimentation  par  un  simple  calcul  le  poids  dont 
l'animal  s'est  accru  en  engraissant. 

Ration   d'entretien.  —  Voici   quelques  chiffres,  d'après  Henneberg  et  Stohmann. 

Pour  des  bœufs  supposés  de  1  000  kilos,  on  peut  donner  par  24  heures  diverses 
associations  alimentaires,  comme  les  cinq  groupes  suivants  : 


1 

2 

3 

4 

5 

FOIN 

PAILLE 

TOURTEAUX 

DE     COLZA. 

PAILLE 

DE     SEICtLE. 

BETTERAVES. 

kil. 

n,5 

3,7 
2.6 
3,8 

kil. 

13 
14,2 

12,6 

kil. 

0,6 
0,5 
0,6 

1,0 

kil. 

13,3 

kil. 
■       25,6 

ce  qui  correspond  aux  matières  alimentaires  suivantes  : 


Matières  albumineuses 

Hydrates  de  carbone > 

Graisses 


6,800 
0.660 


A  cela  il  faut  ajouter  pour  des  bœufs  de  1000  kilos 


Eau  . 

P2  0Ï 


0,03 


CaO.    .   .    . 
Autres  sels. 


0,100 
0,100 


Il  a  été  observé,  entre  autres  faits  curieux,  que  la  consommation  croit  à  mesure  que  la 
température  de  l'étable  s'abaisse,  si  bien  que  de  +  20°  à  -f-  10»,  la  consommation  croit 
de  2,0  p.  100  ;  et  de  -I-  10°  à  0°  de  6  p.  100. 


ALIMENTS.  371 

Ce  qui  ressort,  encore  de  ces  recherches,  c'est  que  l'on  ne  doit  pas  considérer  ce  que 
BoussiNGAULT,  puis  WoLFF,  Ont  appelé  Vdqidvalence  du  foin  comme  une  mesure  légitime 
de  l'alimentation,  puisque  cela  conduirait  à  des  conclusions  absurdes,  faciles  à  déduire 
des  chiffres  qui  précèdent. 

En  comparant  la  nutrition  des  moutons,  des  bœufs  et  de  l'homme,  on  arrive  aux  chiffres 
suivants,  d'une  part  par  kilo,  d'autre  part  par  mètre  carré  de  surface  en  calories. 

Alb.  par  Hyd,  de  G.  Graisses  Calories 

kil.  par  kil.  par  kil.  par  m.  q. 

Homme,  62  liilos 2,0  8,0  1,30  1690  cal. 

Bœufs,   800  kilos 0,57  6,8  0,66  3037 

Moutons,  48  kilos 1,14  10,2  0,32  1740 

Le  chiffre  de  3  037  calories  par  mètres  carrés  chez  le  bœuf  ne  concorde  pas  avec  le 
chiffre  1690  de  l'homme.  Mais  la  mesure  de  la  surface  est  très  arbitraire  et  comporte 
sans  doute  une  fort  grosse  erreur;  ce  qu'on  pouvait  prévoir  d'ailleurs  par  la  mesure  du 
CO^  exci'été,  qui  est,  chez  les  bœufs,  de  35',  70  par  heure  et  par  mètre  carré,  alors  cju'il 
est  chez  le  mouton  de  28', 2S  et  chez  l'homme,  de  2  grammes  (Ch.  Richet.  Ti'av.  du  Lab., 
1. 1.  p.  573). 

La  proportionnalité  de  l'alimentation  avec  le  poids  confirme  d'une  manière  remar- 
quable toutes  les  études  entreprises  sur  la  variation  des  échanges  respiratoires  avec  le 
poids  et  par  conséquent  avec  la  surface  des  animaux  (Ch.  Richet.  De  la  meswc  de$  com- 
bustions respiratoires  chez  les  mammifères,  in  Trav.  duLaborat.,t.  i,  p.  360).  D'après  Allibeht, 
une  souris  a  besoin  par  kilogramme  de  46  grammes  de  matière  azotée,  tandis  que  le 
lapin,  qui  pèse  près  de  130  fois  plus  qu'une  souris,  n'a  besoin  que  de  8  grammes  de 
matière  protéique  par  kilogramme;  l'homme  ayant,  d'après  ce  qui  précède,  besoin  de 
2  grammes  et  le  bœuf,  de  Os"', 6. 

Les  moutons  de  petite  race  auraient  besoin,  d'après  He.xmeberg,  de  ls'',o  d'alb,  par 
kilogramme  et  12  de  gi'ammes  de  corps  non 'azotés;  ensemble  13s'',>ï,  avec  un  rapport 
auitritif  de  1  à  S.  (Les  agronomes  appellent  rapport  nutritif  \e  rapport  entre  la  matière 
protéique  prise  comme  unité',  et  les  autres  matières  organiques,  non  azotées,  alimen- 
taires.) Les  moutons  de  grandes  races  auraient  besoin  de  ls'',2  d'albumine  et  10^', 8 
■de  corps  ternaires,  ensemble  12  grammes,  avec  un  rapport  nutritif  de  1  à  9. 

Ration  d'engraissement,  de  lactation  et  d'élevage.  —  L'étude  de  la  ration 
d'engraissement  a  été  surtout  faite  par  Lawes  et  Gilbert,  dont  les  analyses  sont  vraiment 
admirables.  Il  résulte  de  leurs  recherches  :  1°  que  pour  la  ration  d'engraissement  ce 
rapport  nutritif  doit  être  de  1  à  S  envii'on;  autrement  dit,  en  poids,  o  fois  plus  de  ma- 
tières non  azotées  que  de  matières  azotées  (On  remarquera  que  c'est  là  précisément  le 
rapport  nutritif  de  la  ration  alimentaire  normale  de  l'homme);  2°  que  le  croît  d'un 
animal  adulte  qui  passe  de  l'état  maigre  à  l'état  gras  représente  par  kilogramme 
d'accroissement  (en  moyenne)  : 

Eau 248 

Griii^se 678 

Jlatirrf    allmiriiuoïde.    .    .  73 

Jlatirrc  minéi-alo 11 

3°  que  sur  100  grammes  de  fourrage  sec  il  y  a  de  IS  à  9  grammes  qui  sont  directement 
fixés  dans  les  tissus  pour  l'accroissement;  4"  qu'il  se  forme  plus  de  graisse  dans  le  corps 
qu'il  n'y  en  a  dans  le  fourrage  alimentaire. 

A  ces  faits  importants  ajoutons  cette  donnée  pratique,  due  à  Wolff,  que  la  ration 
d'engraissement  doit  à  peu  près  doubler  la  ration  d'entretien  pour  qu'elle  ait  son  plein 
efl'et.  Dans  ces  conditions,  chez  certains  animaux,  chez  le  porc  notamment,  et  certaines 
variétés  de  porcs,  on  peut  avoir  jusque  à  un  'rendement  de  23  pour  100;  c'est-à-dire 
pour  100  grammes  d'aliments  obtenir  un  croit  de  23  grammes. 

Bien  entendu  l'engraissement  peut  être  accéléré  par  l'addition  de  certains  aliments,  par 
exempte  de  sel  marin,  ou  de  craie  (chaux),  ou  de  lait  riche  en  phosphates  et  en  graisses. 

Pour  la  production  du  lait,  et  l'assimilation  du  lait  des  jeunes  animaux  (Voyez  Lait). 

Ration  de  travail.  —  L'étude  de  la  ration  de  travail  est  plus  complexe  encore. 
D'abord  il  ne  faut  pas  espérer  trouver,  dans  l'étude  des  aliments,  la  solution  de  la  dyna- 
mique animale,  un  des  plus  difficiles  problèmes  de  la  phj'siologie;  rien  n'est  plus  incer- 


372  ALIMENTS. 

tain  que  la  mesure  du  travail  réel  effectué  par  les  moteurs  animés,  de  sorte  qu'il  faut  se 
contenter  d'approximations  assez  vagues. 

D'abord  nous  pouvons  admettre  comme  démontré  que  la  valeur  dynamique  d'un 
aliment  quelconque  est  égale  à  sa  valeur  calorifique.  Eu  effet,  les  hydrates  de  carbone 
peuvent  se  transformer  en  graisses,  les  matières  azotées  en  hydrates  de  carbone,  de 
sorte  qu'il  y  a  équivalence  parfaite  entre  la  valeur  dynamo^ène  et  la  valeur  thermogène 
des  aliments.  Cela  est  évident  puisqu'ils  se  transforment  l'un  dans  l'autre  suivant  des 
équations  therniochimiques  inexorables  (Voy.  Chaleur  et  Travail). 

Cela  posé,  voyons  comment  les  agronomes  ont  résolu  )e  problème  au  point  de  vue 
de  l'alimentation.  Autrement  dit  quelle  est  la  différence  de  ration  entre  un  animal  au 
repos  et  un  animal  qui  travaille?  Bien  entendu  nous  ne  prétendons  pas  ici,  à  propos  des 
aliments,  discuter  la  question  si  complexe  des  origines  de  la  force  musculaire.  Nous 
nous  contentons  d'exposer  quelques  relations  entre  l'aliment  et  travail. 

Théoriquement,  à  supposer  que  l'aliment  soit  ingéré  tout  entier,  et  absorbé  tout 
entier,  et  que  tout  serve  à  produire  du  travail,  une  Calorie  produisant  42o  kilogram- 
mètres,  il  faudrait  multiplier  par  42o  la  valeur  calorifique  des  aliments  pour  avoir  leur 
rendement  en  kilogrammètres.  Par  conséquent,  en  prenant  pour  point  de  départ  le  travail 
quotidien  fourni  par  un  excellent  cheval  de  gros  trait  (2  millions  de  kilogrammètres),  cela 
suppose  une  alimentation  répondant  à  4700  calories;  valeur  correspondant  à  i  140  gram- 
mes d'amidon,  soit  à  1 160  grammes  de  matières  azotées,  soit  à  SOO  grammes  de  graisse. 
Mais  nous  savons,  d'une  part,  que  tout  l'aliment  n'est  pas  absorbé;  que  30  p.  100 
environ  sont  indigérés;  de  sorte  que  les  chiffres  ci-dessus  devront  être  augmentés,  et 
portés  pour  l'amidon  à  1600  grammes  et  pour  la  graisse  à  700  grammes  en  chiffres 
ronds  :  soit  6600  calories. 

.Nous  pouvons  admettre  que  toute  cette  matière  organique  brûlée  sert  dans  ce  cas  à 
produire  du  travail,  non  pas  qu'il  en  soit  réellement  ainsi;  mais  parce  que,  s'il  se  produit 
de  la  chaleur  en  excès,  comme  c'est  le  cas,  pour  les  trois  quarts  de  l'aliment  transformé 
en  travail,  cette  chaleur  va  diminuer  d'autant  la  consommation  nécessaire  des  aliments 
de  la  ration  d'entretien. 

Dans  l'équation  de  la  ration  d'entretien  nous  avons  : 

A  Alim.  =  Chai.  C. 
Dans  l'équation  de  la  ration  de  travail  nous  avons  : 

A'  Alim.  =  Chai.  C   +  Travail.  T. 
Donc   nous    devons  déduire  de  Chai.  C.   la  quantité   C  de  chaleur   produite  par  la 
ration  de  travail,  ce  qui  diminue  d'autant  la  quantité  A  de  l'alimentation. 

Calculant  à  combien  de  trèfle  sec,  par  exemple,  ou  d'avoine  répondent  ces  6600  calo- 
ries nécessaires  au  dynamisme  de  l'animal,  nous  trouvons,  d'après  les  tableaux  de  'Wolff 
(toc.  cU.,.j>.  3a8,  sect.  iv,  tableau  i)  pour  le  foin,  en  albumine  et  en  hydrates  de  carbone, 
46s^  4  p.  100;  en  graisses,  1  p.  100;  pour  l'avoine,  en  albumine  et  en  hydrates  de  car- 
bone. 52  p.  100;  en  graisses,  4,3  p.  100,  ce  qui  correspond  pour  1  kilogramme  de  foin 
(sec)  à  2000  calories;  pour  1  kilogramme  d'avoine  à  2500  calories,  en  chiffres  ronds. 
Par  conséquent  (théoriquement)  on  peut  évaluer  à  3'^",  300  de  foin  (ou  une  sommede 
2  kilogrammes  de  foin  et  1  kilogramme  d'avoine),  la  quantité  d'aliments  qu'il  faudra 
ajouter  à  la  ration  d'entretien  d'un  cheval  pour  lui  permettre  de  fournir  du  travail,  sans 
l'emprunter  à  ses  tissus,  de  manière  à  rester  dans  un  état  de  bonne  nutrition. 

Telles  sont  les  considérations  théoriques  qu'on  peut  formuler,  avant  toute  expérience 
sur  la  ration  de  travail.  Mais  les  expériences  entreprises  montrent  qu'il  y  a  d'autres  élé- 
ments dont  il  faut  tenir  compte. 

D'après  Wolff  un  cheval  (de  530  kilogrammes),  pour  faire  un  supplément  de  Iravail  de 
500000  kilogrammètres,  a  dû  consommer  570  grammes  d'amidon  (réellement  digéré)  en 
plus  de  sa  ration.  Un  autre,  pour  faire  encore  un  supplément  de  travail  de  500000  kilo- 
grammètres, dut  consommer  219  grammes  de  graisse  (réellement  digérée)  en  plus  de  sa 
ration.  Or  500000  kilogrammètres  répondent  à  M 80  calories;  tandis  que  570  d'amidon 
répondent  à  2  300  calories  et 219  grammes  de  graisse  répondent  à  2000  calories.  La  moi- 
tié seulement  a  été  employée  en  travail. 

Pour  expliquer  ce  résultat,  paradoxal  en  apparence,  il  suffira  de  faire  remarquer  que 


ALIMENTS.  373 

les  animaux  qui  travaillent  dégagent  une  somme  de  chaleur  supérieure  à  celle  qu'ils 
dégagent  quand  ils  sont  au  repos.  Certes,  quand  la  radiation  calorique  devienttrès  intense, 
par  divers  procédés  l'organisme  remédie  à  cette  déperdition  exagérée  de  chaleur;  mais 
ce  n'en  est  pas  moins   une   consommation  de   carbone,  plus  forte  qu'à  l'état  normal. 

Gkandeau  et  Leclercq  ont  entrepris  des  recherches  très  méthodiques  sur  l'alimentation 
des  chevaux  de  la  Compagnie  des  omnibus  (1882)  et  Muntz  sur  l'alimentation  des  che- 
vaux de  la  Compagnie  des  petites  voitures. 

Grandeau  et  Leclercq  sur  des  chevaux  de  423  kilogrammes  ont  essayé  de  distinguer 
la  ration  alimentaire  d'entretien  de  la  ration  de  travail.  D'après  eux  un  cheval  do 
425  kilogrammes  a  besoin,  pour  ration  d'entretien,  de  2502  grammes  de  matière  orga- 
nique (répondant  à  4  iOO  grammes  de  fourrage),  tandis  que,  si  on  le  fait  travailler  avec 
une  production  de  i  674000  kilogrammètres  —  l'évaluation  du  travail  produit  est  très  diffi- 
cile, et  tant  soit  peu  hypothétique  —  il  a  besoin  de  4800  grammes  de  matière  organique, 
répondant  à  8  500  grammes  de  fourrage;  soit  une  dilférence  en  plus  de 2444  grammes  de 
matière  organique  ou  3700  grammes  de  fourrage. 

En  comparant  ce  chiffre  au  chilïre  que  nous  avons  fourni  plus  haut,  3  500  de  foin 
pour  12  millions  de  kilogrammètres,  on  voit  qu'il  y  a  toujours  un  déficit  notable,  dû  pro- 
bablement à  l'excès  de  chaleur  dégagée  pendant  le  travail. 

Sous  une  autre  forme,  Grandeau  et  Leclercq  ont  ainsi  calculé  l'emploi  dynamique 
des. aliments.  Soit  100  la  ration  de  travail;  il  y  aura  : 

Entretien  strict 42 

Transport  automoteur    .    .     33 
Travailindustrielj.    ....     25 

Et  Muntz  a  admis  pour  100  de  ration  de  travail  : 

Entretien  strict 67 

Transport    automoteur  .    .       7 
Travail  industriel 26 

Dans  la  cavalerie  militaire  allemande  (Tereg,  in  Ellenberger's  Vergleichende  Physio- 
logie, 1890,  t.  I,  p.  154)  la  ration  de  garnison  pour  les  chevaux  est  de  : 

Avoine 4  900 

Foin 2  500 

Paille 3  500 

Tandis  que  la  ration  de  campagne  n'est  pas  très  dilférente  : 

Avoine 5  500 

Foin 1500 

Paille 1750 

Déduction  faite  de  la  ration  d'entretien,  l'alimentation  de  garnison  répondrait  à 
367000  kilogrammètres  et  l'alimentation  de  campagne  à  512500  kilogrammètres. 

Il  est  inutile  d'insister  pour  prouver  que  ces  divers  chiffres  sont  peu  satisfaisants.' 

Nous  arrivons  à  une  plus  grande  incertitude  encore  quand  nous  voulons  essayer  de 
fixer  en  matière  albuminoïde  l'équivalence  de  travail  effectué,  comme  l'a  proposé 
Sanson  {Mesure  du  travail  effectué  dans  la  locomotion  du  quadrupède.  Journ.  de  l'An,  et 
de  la  Phys.,  1886),  qui  estime  à  un  kilogramme  de  protéine  alimentaire  la  quantité 
nécessaire  à  la  production  de  1600  000  kilogrammètres. 

D'autres  problèmes  bien  intéressants,  et  bien  obscurs  aussi,  ont  été  soulevés  à  ce 
sujet,  comme  l'influence  des  allures  de  l'animal  sur  le  travail  réel  effectué;  et  le  rapport 
de  l'azote  au  carbone  dans  ces  rations  de  travail  intensif;  nous  ne  pouvons  les  appro- 
fondir ici.  On  lej  trouvera  dans  le  livre  de  Ayraud  (Alimenlation  rationnelle  des 
animaux  domestiques.  Paris,  1888)  et  dans  celui  de  Cornevin  {Traité  de  Zootechnie, 
1891,  pp.  841-915).  D'ailleurs,  à  propos  de  la  ration  alimentaire  de  l'homme,  on  a  vu 
quelle  était  la  ration  de  travail,  différente  de  la  ration  d'entretien. 

En  tout  cas  nous  pouvons  admettre,  comme  résultat  d'ensemble,  les  trois  proposi- 
tions suivantes  : 

1°  Pour  la  ration  de  travail  il  faut  un  excès  d'alimentation  en  rapport  avec  le  travail 
produit; 


374  ALIMENTS. 

2°  Le  meilleur  rapport  nutrilif  est  de  1  à  o;soit  1  gramme  de  matière  azotée  pour 
S  grammes  de  matière  organique  non  azotée  (hydrates  de  carbone  et  graisse); 

3°  Sans  rien  préjuger  relativement  à  la  transformation  des  combustions  en  travail 
mécanique  et  en  chaleur,  il  faut  ajouter  à  la  ration  d'entretien  100  d'aliments  pour 
produire  60  de  travail.  Par  conséquent  il  faudra  en  chiffres  ronds,  pour  1  million  de 
kilogram mètres  une  ration  supplémentaire  répondant  à  4  000  calories,  ce  qui  fait  envi- 
ron 1  000  grammes  de  sucre  ou  de  protéine;  ou  encore  420  grammes  de  graisse. 

Alimentation  de  luxe.  —  La  question  de  l'alimentation  de  luxe  ne  se  trouve  pas 
posée  aujourd'hui  comme  elle  l'était  du  temps  de  Liebig.  En  effet,  il  ne  s'agissait  alors 
que  de  la  consommation,  plus  ou  moins  utile  des  matières  protéiques,  considérées  alors 
comme  les  seuls  aliments  plastiques. 

Si,  disait  Liebig,  on  ne  fait  pas  de  travail  musculaire  et  que  par  conséquent  on  n'em- 
ploie pas  pour  réparer  les  muscles  les  aliments  azotés  ingérés,  aloi-s  on  brûle  l'excès  de 
ces  aliments,  et  ils  sont  devenus  relativement  superilus  puisque  on  s'en  sert  pour  la 
chaleur,  au  lieu  de  s'en  servir  pour  la  reconstruction  organique.  Mais,  pour  les  raisons 
que  nous  avons  longuement  développées  plus  haut,  cette  théorie  du  rôle  exclusivement 
ou  même  spécialement  plastique  des  aliments  azotés  ne  tient  plus  debout.  Nous  savons 
maintenant  que  les  aliments  azotés  sont  calorifiques,  eux  aussi,  et  même,  à  poids  égal, 
aussi  calorifiques  que  les  hydrates  de  carbone,  et  d'autre  part  il  est  prouvé  que  les 
graisses  et  les  hydrates  de  carbone  sont  aussi  plastiques  que  les  matières  azotées,  et  qu'il 
y  a  fréquemment  transformation  des  uns  en  les  autres,  si  bien  qu'un  animal  peut  vivre 
en  ne  consommant  absolument  que  des  matières  azotées,  comme  le  font  certains  carnas- 
siers, qui,  avec  les  matières  azotées,  trouvent  moyen  de  faire  du  sucre  et  de  la  graisse. 
Donc  il  ne  peut  être  question  de  luxe  dans  ce  sens;  car,  du  moment  qu'un  aliment 
produit  de  la  chaleur,  ce  n'est  plus  un  aliment  de  luxe;  de  sorte  que  la  question  peut 
se  ramener  à  un  autre  problème  qui  est  aussi  fort  difficile  à  résoudre.  Est-ce  que 
nous  produisons  par  un  excès  dans  l'alimentation  un  excès  de  chaleur?  Y  a-t-il  une 
chaleur  de  luxe? 

Or,  si  nous  mesurons  les  échanges,  nous  voyons  constamment,  une,  deux  et  trois 
heures  après  le  repas,  croître  énormément  la  consommation  d'oxygène  et  la  production 
d'acide  carbonique.  Par  exemple,  Hanriot  et  Ch.  Richet  (Trar.  du  Lab.,  t.  i,  p.  480)  ont 
vu  que,  toutes  conditions  égales  d'ailleurs,  la  proportion  d'acide  carbonique  passait,  chez 
l'homme,  par  le  seul  fait  de  l'alimentation,  de  0,492  àO,o60.  Chez  les  animaux  les  chiffres 
sont  au  moins  aussi  évidente.  Donc  nous  voyons  par  le  fait  de  l'alimentation  les  échanges 
augmenter  dans  la  proportion  d'un  sixième. 

En  même  temps  la  température  s'élève  légèrement,  comme  de  nombreuses  détermi- 
nations l'ont  appris,  si  bien  que  les  échanges  et  la  production  de  chaleur  augmentent 
après  les  repas.  Même  il  est  probable  que  la  température  augmente  moins  que  n'aug- 
mente la  production  de  chaleur,  car,  après  les  repas,  il  y  a  une  dilatation  vasculaire  qui 
répond  aune  radiation  calorique  plus  intense. 

Ainsi,  à  n'envisager  les  phénomènes  que  sous  cette  forme  simple,  l'alimentation, 
dans  la  plupart  des  cas,  peut  bien  encourir  le  reproche  d'être  trop  abondante,  puisqu'elle 
fait  croître  sans  ".tilité  apparente  pour  l'organisme  la  consommation  chimique  et  la 
production  de  chaleur. 

Mais  il  est  presque  impossible  de  décider  si  cet  excès  est  vraiment  inutile.  On  se 
trouve  là  en  présence  de  la  difficulté  à  laquelle  se  heurtent  constamment  les  écono- 
mistes quand  ils  ont  à  traiter  la  question  du  luxe  dans  les  sociétés.  Tout  dans  une  société 
peut  être  à  la  rigueur  considéré  comme  étant  du  luxe.  On  sait  que  même  l'ècuelle  de 
DioGÈNE  a  été  rejetée  par  lui  ainsi  qu'un  meuble  superflu.  Dira-t-on  que  c'était  un  objet 
de  luxe?  Si  l'on  ne  considérait  comme  indispensable  que  ce  qui  suffit  à  l'entretien 
strict  de  la  vie,  on  finirait  par  retrancher  à  peu  près  tout  ce  qui  fait  la  civilisation. 

Lorsque  nous  prenons  dans  noti'e  alimentation  120  grammes  d'albumine  et  500  gram- 
mes d'hydrates  de  carbone,  il  est  certain  que  nous  pourrions,  sans  que  notre  santé  soit 
immédiatement  affectée,  diminuer  notre  ration  tout  au  moins  d'un  sixième.  La  meilleure 
preuve  qu'on  en  puisse  donner,  c'est  que,  parmi  dix  individus  de  même  taille,  de  même 
sexe,  de  même  race,  de  même  âge,  et  vivant  dans  le  même  pays,  les  rations  varieront 
dans  une  proportion  très  forte.  Assurément,  en  prenant  au  hasard  dix  personnes,  on 


ALIMENTS.  37o 

en  trouvera  une  mangeant  deux  fois  plus  que  la  personne  qui  mangera  le  moins  et  qui 
néanmoins  se  portera  fort  bien.  Pourquoi  celte  différence,  s'il  n'y  avait  pas  chez  la  per- 
sonne mangeant  le  plus  une  consommation  alimentaire  tant  soit  peu  exagérée  ? 

xV  la  vérité  on  peut  admettre  que  la  radiation  calorique  et  le  travail  musculaire  ne 
sont  pas  identiques  chez  les  uns  et  les  autres,  et  qu'il  y  a  des  besoins  individuels  variables. 

Mais,  malgré  ces  idiosyncrasies  de  nutrition  et  de  calorification,  les  écarts  des  rations 
alimentaires  sont  certainement  trop  considérables  pour  qu'on  n'attribue  pas  à  l'habitude 
démanger  plus  ou  moins  une  influence  très  grande.  En  s'étudiant  soi-même,  on  constate 
qu'on  peut  changer  ses  habitudes,  et  si  pendant  quelque  temps  on  mange  moins,  on 
pourra  continuer  ce  régime  de  moindre  ration  sans  que  la  santé  en  souffre.  Non  seu- 
lement on  n'en  pàtit  pas,  mais  parfois  on  se  trouve  en  meilleure  santé  au  point  de  vue  de 
la  digestion  et  de  la  nutrition.  En  soumettant  un  dyspeptique  à  un  régime,  on  modifie 
sans  grande  peine  sa  ration  journalière.  Il  est  bien  évident  qu'on  pourrait  de  même 
soumettre  à  un  régime  des  gens  bien  portants  sans  leur  faire  éprouver  le  moindre  dom- 
mage. En  comparant  la  manière  de  vivre  des  citadins  avec  celle  des  campagnards,  on 
voit  que  les  citadins  mangent  beaucoup  plus  que  les  campagnards  ;  sans  que  pour  cela 
les  citadins  se  portent  mieux. 

Cependant  il  ne  faudrait  pas  en  conclure  que  ce  léger  excès  de  l'alimentation  est 
absolument  inutile.  Une  alimentation  de  luxe  peut  n'avoir  que  les  apparences  du  luxe, 
et,  suivant  une  formule,  que  l'un  de  nous  énonce  fréquemment  dans  ses  cours  de  physio- 
logie :  j)Our  avoir  assez  il  faut  avoir  trop.  Si  on  se  contentait  du  strict  minimum  de  nos 
exigences  organiques  en  oxygène,  en  carbone  et  en  azote,  ce  minimum  serait  insuffisant 
à  un  moment  donné.  Il  faut  un  léger  excès  de  charbon  à  une  machine  pour  qu'elle  tra- 
vaille sans  heurt,  sans  à  coup,  sans  avoir  à  craindre  de  s'arrêter  brusquement  par  défaut 
de  combustible;  il  faut  qu'un  coup  de  collier  puisse  être  donné,  sans  que  pour  cela  la 
machine  cesse  de  fonctionner,  comme  ce  serait  le  cas  si  elle  était  réduite  à  la  quantité 
de  charbon  strictement  suffisante  au  travail  moyen.  Donc,  pour  un  état  de  santé  satis- 
faisant, il  faut  assurément  un  peu  plus  que  la  ration  limite.  Il  faut  que,  dans  chaque 
période  post-digestive,  l'organisme  puisse  mettre  en  réserve  quelques  matériaux  qui 
seront  utilisés  plus  tard;  et  qu'il  travaille  avec  un  excès  de  ressources. 

Pour  conclure,  nous  dirons  qu'il  y  a  une  alimentation  de  luxe,  non  pas  dans  le  sens 
de  LtEBiG,  c'est-à-dire  dans  le  sens  d'une  consommation  trop  forte  d'aliments  azotés,  mais 
dans  le  sens  d'une  production  exagérée  de  calorique. 

Quant  à  savoir  jusqu'à  quel  point  ce  luxe  alimentaire,  entraînant  le  luxe  des  com- 
bustions, est  favorable  à  l'organisme,  ou  même  quant  à  décider  s'il  est  favorable  ou 
défavorable,  c'est  un  problème  assez  délicat.  Il  nous  semble  toutefois  que  la  ration  ali- 
mentaire de  chaque  individu  est,  dans  une  assez  grande  limite,  fonction  de  ses  habi- 
tudes, et  que,  chez  les  habitants  des  villes  et  chez  les  individus  de  la  classe  aisée,  il  y  a 
généralement  une  tendance  à  adopter  une  ration  un  peu  trop  considérable.  Autrement 
dit  encore,  c'est  l'habitude  qui  règle  dans  une  large  mesure  notre  consommation  alimen- 
taire quotidienne,  et  certaines  classes  sociales  ont  pris  l'habitude  de  la  régler  à  un  taux 
trop  élevé.  Un  peu  plus  de  frugalité,  cela  n'aurait,  semble-t-il,  que  des  avantages  de 
toute  sorte. 

On  ne  peut  pas  objecter  que  l'appétit  est  un  guide  infaillible  pour  une  saine  alimen- 
tation. Il  est  de  fait  que  c'est  un  guide  très  trompeur,  même  chez  les  gens  bien  portants. 
Tel  individu  fera  un  repas  plantureux  si  on  lui  sert  des  aliments  satisfaisant  sa  sensua- 
lité gustalive,  qui  ne  touchera  que  du  bout  des  dents  à  un  diner,  aussi  nutritif,  mais  plus 
modeste.  L'expérience  a  appris  qu'on  consomme  (dans  les  lycées  par  exemple)  deux 
fois  plus  de  pain,  quand  on  sert  dupain  frais  que  quand  on  sert  du  pain  rassis.  D'ailleurs 
l'appétit  juge  plutôt  le  degré  de  la  ré|ilétion  stomacale  que  la  quantité  des  matières 
alibiles  introduites  dans  l'estomac.  Le  vieux  précepte  de  l'École  de  Salerne  qu'il  faut  se 
lever  de  table  avec  ^quelque  appétit  encore,  est  assez  sage,  somme  toute;  car  il  n'est 
vraiment  pas  rationnel  de  continuer  à  manger  tant  que  l'estomac  n'est  pas  rempli.  A  ce 
compte  l'appétit  est  aussi  une  affaire  d'habitude,  puisque  on  prend  l'habitude  de  s'arrêter 
quand  l'estomac  a  acquis  telle  ou  telle  distension.  Or  cette  distension  stomacale  n'a 
qu'une  relation  assez  lointaine  avec  la  ration  alimentaire. 

Il  est  vrai  que,  si  un  repas  unique  n'est  pas  la  mesure  exacte  des  besoins  de  l'or- 


376 


ALIMENTS. 


ganisme,  l'ensemble  de  plusieurs  repas  pourra  donner  une  mesure  très  satisfaisante  : 
car  si  un  repas  unique  a  été  trop  abondant,  l'inappétence  se  prolongera;  et  d'autre  part 
s'il  a  été  tiop  frugal,  on  aura  un  appétit  formidable,  survenant  avant  qu'arrive  l'heure  du 
repas  consécutif,  de  sorte  qu'en  fin  de  compte,  tant  bien  que  mal  l'équilibre  s'établit.  Si 
l'on  admet  que  pendant  les  six  heures  qui  suivent  le  repas,  il  y  a  excédent  calorique  (et 
par  conséquent  alimentaire)  d'un  sixième;  comme  en  général  il  se  fait  deux  repas  par 
jour;  cela  fait  pendant  douze  heures  un  excédent  d'un  sixième;  soit,  finalement  une  con- 
sommation alimentaire  dépassant  en  vingt-quatre  heures  d'un  douzième  la  consomma- 
tion nécessaire,  10  grammes  d'albumine  et  45  grammes  d'hydrates  de  carbone.  Quoique 
non  négligeable,  cet  excès  est  en  somme  peu  de  chose.  Qui  sait  s'il  ne  serait  pas  avan- 
tageux à  chacun  d'essayer  de  faire  sur  soi-même  cette  petite  réforme  dans  ses  habitudes? 
Nous  pencherions  à  croire  qu'on  pourrait  sans  inconvénient  la  faire  encore  plus  grande'. 

Tableaux  indiquant  la  composition  centésimale  des  principaux  aliments 
de  l'homme. 

La  plupart  des  substances  naturelles  ou  fabriquées  industriellement  qui  servent  à  la 
nourriture  de  l'homme  ont  une  composition  qui  varie  dans  des  limites  assez  étendues; 
suivant  l'état  des  animaux  qui  l'ont  fournie,  la  viande  contient  des  proportions  de 
graisse  très  variables;  les  conditions  de  la  culture,  le  climat,  la  variété  ensemencée, 
influencent  la  quantité  de  gluten  dans  les  céréales.  Les  moyennes  et  les  types  que  nous 
donnons  ci-dessous,  tous  extraits  du  recueil  de  Komg,  ne  peuvent  donc  servir  que 
comme  renseignements  généraux. 

Viandes  de  boucherie. 


Viande  de  bœuf  très  gras 

—  —        domi-gras 

—  —       maigre 

"Viande  de  veau  gras 

—  —       maigre 

Viande  de  mouton  demi-gras   .    .    . 

Viande  de  porc   gras   

—  —        maigre 

EAU. 

SUBSTANCE 

AZOTÉE. 

GRAISSE. 

h3 
72 
76 

72 
79 

76 

47 
73 

17 

21 
21 

■    19 
20 

17 

15 
20 

29 
5 

7 
1 

6 

37 

7 

"Volaille,  Gibier. 


Viande   de  lapin  gras 

—  ctievreuil 

—  poule  maigre 

—  poulet  gras 

—  dindon  demi-gras   .    ... 

EAU. 

SUBSTANCE 

GRAISSE. 

67 
76 
76 
70 
66 
7.5 
38 
72 

21 
20 
20 
18 

22 
16 

10 
2 

9 
8 
1 
46 
1 

—  oie  grasse 

—  perdrix  grise 

1.  Ce  chapitre  relatif  à  l'alimentation  de  luxe  exprime  des  idées  qui  me  sont  personnelles,  et 
que  mon  collaborateur  et  ami  Lapicque  ne  peut  accepter.  Il  est  disposé  à  croire  qu'il  n'y  a  pas 
d'alimentation  de  luxe,  et  que  nous  ne  consommons  que  le  strict  nécessaire.  Ch.  R. 


ALIMENTS. 
Poissons. 


377 


Viande  de  saumon 

—         anguille 

EAU. 

SUBSTANCE 

AZOTKE. 

GRAISSE. 

64 
57 
73 
71 
80 

77 

22 
13 
14 
19 

18 
16 

12 

IS 

2S 
9 
8 

0,S 
0,3 
0,2 
1 

—  maquereau 

—  brochet  

—  sole 

—  carpe 

Invertébrés. 


Huître,  chair 

EAU. 

SUBSTANCE 

AZOTEE. 

GRAISSE. 

SCBST.  EXTIi. 

NON   AZOTEE. 

80 

9 

,-, 

6 

Moule 

84 

9 

1 

4 

Homard 

82 

14 

2 

Ecrevisse 

81 

16 

0,:;. 

1 

Rognons  de  moutons. 

Foie  de  veau 

—       porc 

EAU. 

SUBSTANCE 

AZOTEE. 

GRAISSE. 

SUBST.  EXTII. 

79 
73 
72 

17 
18 
19 

3 

0,2 
0,4 

1,8 

Œuf  de  poule. 

Un  œuf  de  poule  pèse  de  30  à  72  grammes  ;  en  moyenne  :  'j'i  grammes. 

Coquille,  de    3  à     7  grammes;  en  moyenne.  .    .       6  grammes. 
Blauc,        de  15  à  43  —  —         ...     31  — 

Jaune,       de  10  à  23  —  —         ...     16         — 


ou,  pour  100  parties  : 


Coquille  :  11,3;  blanc  :  38,5;  jaune  :  30, i 


Blanc 

EA  V. 

SUBSTANCE 

AZOTÉE. 

GRAISSE. 

80 
31 

74 

13 
16 
13 

32 
12 

Ensemble 

378 


ALIMENTS. 
Lait  de  vache. 


Minimum 

DEXSITÉ. 

EAU. 

C.VSÉIN'E. 

ALBUMINE. 

GRAISSE. 

SUCRE 

SELS. 

1,026 

89,3 

1,8 

0,3 

1,7 

2,1 

0,4 

Maximum 

L03T 

90,1 

6.3 

1.4 

6,5 

6,2 

1,2 

Moyenne.    .   . 

1,032 

7,82 

3,02 

0,53 

3,7 

4,9 

0,7 

Lait  de  femme  (moyenne). 


Eau. 

Caséine. 

.Albumine. 

Graisse. 

Sucre  de  lait. 

Sels 

81,4 

1.0 

1.3 

3,8      - 

6,2 

0,3 

Autres  Laits. 


EAU. 

CASÉINE. 

ALBUMINE 

GR.AISSE. 

SUCRE 

DE    LAIT. 

1 
SELS. 

8.5,7 
80.8 
90,8 
89,7 
73,4 

3,2 
.5,0 
1,2 
0,7 
6.) 

l.I 

1,0 

0,8 
1,5 
5,0 

4,8 
6,9 
1,2 
1,6 
9,4 

4.3 
4,9 
3,7 
6,0 
3,1 

0.8 
0,9 
0.3 
0,3 
0,7 

Brebis 

Chienne 

SUCRE 

EAU. 

GRAISSE. 

CASÉINE. 

SELS. 

îUnimiim 

ACIDE  LACTIQUE. 

4.1 

70,0 

0,2 

0,4 

0.02 

Maximum 

35.1 

86,1 

4,8 

1,2 

13,10 

Moyenne.    .    .    . 

13,6 

84,.4 

0,7 

0,6 

0,7 

Fromages. 


Petit  suisse  (Neufchà- 

tel  ou  Gervais) .    .    . 

Brie 

EAU. 

SUBSTANCE 

AZOTÉE. 

GRAISSE. 

SUCRE 
et 

ACIDE  LACTIQCE. 

CENDRES. 

41,0 
49,8 
30,4 
36,3 
31,8 

14,3 
20.0 
27,7 
30,8 
41,2 

43,2 
26,9 
33,4 
28.0 
19,3 

•0.8 
3,1 
0,7 
1.2 

1,4 
4,5 
3,3 
3,2 
9,3 

Roquefort 

Gruyère 

Parmesan 

ALIMENTS. 
Céréales. 


379 


Froments  français  .    .    . 

—  d'Aulr.-Hong. 

—  de  Russie.  .    . 

—  d'Amérique.  . 

Epeautre 

Sciçjle 

EAU. 

SUIISTAXCE 

AZOTEE. 

GRAISSK. 

IIYDR. 
DE  C. 

CELLULOSE. 

CENDRES. 

13,  i 
13,4 
13,4 
13,4 
13,4 
13,4 
14,1 
12,1 
13,4 
11,3 
12,G 
14,1 

13,2 
12.7 

n,6 

1J,6 
11,8 
10, S 
9J 
10,7 
9,4 
9,0 
6,7 
11,3 

1,0 
2,0 
1.6 
2,1 
1,8 
1,8 
1,9 
3,0 
4,1 
3,8 
0,9 
2,6 

67,6 
66,9 
63,7 
69,3 
68,2 
70,2 
67,0 
38,4 
69,4 
70,2 
78,5 
33.4 

2,6 
3,4 

IJ 
2,6 
1,8 
4,9 
10,6 
2,3 
3,6 
iO,3 
13,8 

1,6 
1,7 

1,8 
2,1 
2,1 
2,4 
3,3 
1,4 
1,9 
0,8 
2,8 

Orge 

Maïs 

Sorgho  (Dnrrha).    .    .    . 
Riz 

Farine  de  froment  fine. 

EAU. 

SUBSTANCE 

GRAISSE. 

HYDR. 

do  C. 

CELllLOSE. 

CENDRES. 

13,4 

10,2 

0,9 

74,7 

0,3 

0,5 

Farine  de  froment  gros- 

■    12,8 

12,1 

1,1 

71,8 

1,0 

1,0 

sière 

Farine  de  seigle  .... 

13,7 

11,5 

2,1 

69,7 

1.6 

1,4 

—      d'orge 

14,8 

11,4 

1,5 

71,2 

0,4 

0.6 

—      d'avoine  .... 

9,6 

13,4 

5,9 

67,0 

1,9 

2,1 

—      de  maïs    .... 

14,2 

9,6 

3,8 

69,0 

1,'j 

1,3 

—      de  sarrasin.    .   . 

13,5 

8,9 

1,6 

74,3 

0,7 

1,1 

Pain  de  froment,  1'" 
2" 

q- 

e;au. 

SUBSTANCE 

AZOTEE. 

GRAISSE. 

IIYDR. 
DE  C. 

CELLllLOSE. 

CENDRES. 

33,6 
40,4 
42,3 
9,6 
13,3 

7,1 
6,1 
6,1 
57,6 
8,3 

0,3 
0,4 
0,4 
1,6 
1,0 

36,6 
31,1 
49,2 
29,7 
73,1 

0,3 
0.6 
0,3 

0,6 

1,1 
1,2 
1,3 
1,3 
1,5 

Pain  de  gluten  (Paris).. 
Biscuit  de  mer 

Légumineuses  sèches. 


Fèves 

Haricots 

Pois 

EAU. 

SUBSTANCE 

AZOTÉE. 

GRAISSE. 

SliRSTANCES 

EXTRAOT. 

non  azotiîcs. 

CBLIL'LOSE. 

CENDRES. 

13,8 
11,2 
13,9 
12,3 
9,9 

23.3 
23,7 
22.1 
23,9 
33,4 

1.7 
2,0 
1,4 
1,9 
17,7 

48,3 
53.6 
32,7 
.52,8 
29,3 

8,1 
3.9 
5.7 
3,9 

4,7 

3,1 
3,7 
2,7 
3,0 
3,1 

Lentilles 

Fèves  de  Soja 

1.  Pour  les  variations  de  la  proportion  d'eau  dans  le  pain,  voir  page  303. 


380 


ALIMENTS. 
Divers. 


SUBSTANCES 

EAU. 

SUBSTANCE 

GRAISSE. 

CEILIXOSE. 

CENDRES. 

Châtaignes 

AZOTEE. 

nonazotées. 

7,3 

10,8 

2,9 

73.0 

3,0 

3,0 

Banane  (chair) 

73,1 

1,9 

0,6 

23,0 

0,3 

1,1 

Courge  (chair) 

90,3 

1,1 

0,1 

6,5 

1,2 

0,7 

M  elon  .... 

90,4 

1,0 

0,3 

6,5 

1,1 

0,7 

Concombre.  . 

95,2 

1,2 

0,1 

2,3 

0,8 

0,4 

Haricots  verts 

88,7 

2,7 

0,1 

6,6 

1,2 

0,6 

Petits  pois.   . 

78,4 

6,3 

0,6 

12,0 

1,9 

0,8 

Tubercules,  Racines,  etc. 


SUBSTANCES 

EAU. 

SUBSTANCE 

GRAISSE. 

KXTRACT. 

CELLULOSE. 

CENDRES. 

Pomme  de  terre  .... 

AZOTEE. 

non  azotées. 

75,0 

2,1 

0,2 

21,0 

0,7 

1,1 

Topinambour 

79,2 

1,8 

0,1 

16,7 

1,1 

1,1 

Patate 

71,9 

1,8 

0,2 

25,0 

1,0 

0,9 

Crosnes  du  Japon  .    .    . 

79,2 

2,9 

0,1 

16,0 

0,7 

1,1 

Betterave 

82,2 

1,3 

0,1 

14,4 

1,1 

0,8 

86,8 
87,8 

1,2 
1,5 

0,3 
0,2 

9,2 

8,2 

1,5 
1,3 

1,0 
0,9 

Navet 

Radis 

93,3 
86,0 

1,2 
1,^ 

0,1 
0,1 

3,8 
10,8 

0,7 
0,7 

0,7 
0,7 

Oiçnon 

Liëgumes  frais. 


Asperge 

Chou-fleur.  .  .  . 
Chou  de  Bruxelles 
Chou  de  Milan.  . 
Chou  cabus  .    .   . 

Épinards 

Salades  :  Endive. 
Romaine 


93,7 
90,9 
85,6 
87,1 
90,0 
88,5 
94,1 
92,3 


SUBSTANCE 

AZOTÉE. 


3,3 
1,9 
3,3 

1,3 


0,2 
0,6 
0,1 
0,5 


MATIERES 

exTract. 
non  azotées. 


2,6 
4,5 
6,2 
6,0 
4,8 
4,4 
2,6 
3,6 


1,0 
0,9 
1,6 
1,2 
1,8 
0,9 
0,6 
1,2 


0,5 
0,9 
1,3 
1,6 
1,2 
2,1, 
0,8 
1,0 


Fruits  et  Graines  riches  en  graisse. 


Olives  (chair) 

Faines  (écossées).   .    .    . 
Noisettes 

EAU. 

SUBSTANCE 

GRAISSE. 

MATIÈRES 

EXTRACT. 

non  azotées. 

CELLULOSE. 

CENDRES. 

30,1 
9,1 
7,1 

7,2 
6,0 

5  2 
21  !" 
17,4 
15,8 
23,5 

51.9 
42,5 
62,6 
57,4 
5.3,0 

19,2 

7,2 
13,0 

7,8 

3,7 
3,2 
4,6 
6,5 

2,3 
3,9 

2,5 
2!o 
3,1 

Amandes 

ALIM  ENTS. 
Fruits. 


381- 


AUTRES 

EAU. 

SUBSTANCE 

ACIDES 

LIGKES. 

SUCRE. 

SUBSTANCES 

extract. 

CELLULOSE*. 

cendhes. 

Pommes 

non  azot. 

84.« 

0,4 

0,8 

7.2 

5,8 

1,3 

0,5 

Poires 

83.0 

0,4 

0,2 

8. .3 

.      3,5 

■4,3 

0,3 

Prunes 

84,9 

0,4 

1,5 

3,0 

4,7 

4,3 

0,7 

Mirabelles   .... 

"9,4 

0.4 

0.5 

4,0 

10,1 

5,0 

0.6 

Pèches 

80,0 

0,0 

0.9 

4,5 

7.2 

6,1 

0,7 

Abricots  ..... 

81,2 

0,5 

1,2 

4,7 

6,3 

5,3 

0,8 

Cerises 

79,8- 

0.7 

0.9 

10,2 

i,s 

6,1 

0,7 

Raisins 

78,2, 

0,6 

0.8 

14.4 

2,0 

3,6 

0,3 

Fraises 

87,7 

0,.=i 

0.9 

6.3 

1.5 

2,3 

0,8 

Frambroises   .    .    . 

83,7 

0,4 

1,4 

3,9 

0,7 

7,4 

0,5 

*  compris  novaux  o 

u  pt'pins. 

Champignons. 


Psalliata  campestris 
(Champignon  de  pré  ou 

de  couclie) 

Bolelus  edulis 

Hi/dinivi  repandum.  .  . 
Morille  {M.  esciilenta)  . 
Truffe  [Tiiher  melanos- 

porwn) 

EAU. 

SUBSTANCE 

GR.WSSE. 

ilAT.  EXT. 

NON  AZOTÉE. 

CELLULOSE. 

CENDRES. 

91,3 
91,3 
92,7 
89,1 

74,9 

3,7 
3,6 
i.8 
3.7 

8,8 

0.2 
0.2 
0,3 
0,3 

,3 

3.4 
3,7 
3,5 
3,1 

i:. 

0.8 
0,6 
1,0 
0,7 

,8 

0,3 
0,6 
0,7 
1,2 

2,1 

En  terminant,  faisons  remarcjuer  que  nons  n'avons  pas  pu  traiter  dans  toute  leur  ampleur 
l'histoire  des  aliments  ;  car  elle  se  trouve  enchevêtrée  avec  d'autres  articles  qui  seront  développés 
à  leur  tour  :  Nutrition,  Digestion,  Inanition,  Calorimétrie,  Travail.  De  même  pour  le  détail 
des  divers  aliments  il  faudra  voir  les  articles  spéciaux  :  Graisse,  Albumine,  Sucre,  Amylacés, 
Lait,  Œuf,  Gélatine,  Asparagine,  Pain,  Viandes,  Vin,  Alcool,  Potassium,  Sodium,  Calcium. 
Pour  l'alimentation  des  végétaux,  voir  Engrais  et  Nutrition. 

Bibliographie.  —  Une  bibliographie  détaillée  est  impossible  à  faire.  Nous  n'indi- 
querons ici  que  les  ouvrages  généraux  dont  nous  nous  sommes  servis  ;  on  trouvera  dans 
ces  ouvrages  la  bibliographie  des  questions  particulières.  Nous  avons  donné  chemin 
faisant  les  indications  bibliographiques  des  mémoires  consultés  par  nous  :  G.  von  Voit. 
Physiologie  der  allgemeinen  Stoffwechsel  und  der  Ernàlirung.  Tome  vi  du  Handbuch  der 
Physiologie  de  L.  Herhann.  Leipzig,  1881 .  —  J.  Kônig.  Chemie  der  menschliehen  Nahrungs 
und  Genussmittel,  .3'=  édition.  Berlin,  1889  et  1893.  2  volumes  '.  —  G.  Bo?fGE.  Lehr- 
buch  der  physiologischen  und  pathologischcn  Chemie,  2°  édition.  Leipzig,  1889.  Tra- 
duction française  sous  le  titre  :  Coicrs  de  Chimie  biologique.  Paris,  1891.  —  Lambling.  Les 
Aliments,  t.  ix  (2°  section,  2''  fascicule,  liv.  1  et  II)  de  l'Encyclopédie  chimique  de 
Fbéhy.  Paris,  1892. 

L.  LAPICQUE   et  CHARLES    RICHET. 


1.  Le  tome  Pr  contient,  sous  forme  d'introduction  (174  pages),  un  traité  systématique  de  la 
nutrition.  Le  reste  contient,  sous  forme  de  tableaux,  les  chiffres  d'à  peu  près  toutes  les  analyses 
qui  ont  été  faites  des  aliments  de  l'homme;  le  second  volume  reprend  l'étude  de  chaque  aliment 
en  paiticulier,  avec  les  divers  procédés  ^d'examen  et  d'analyse. 


•382 


ALLAITEMENT 


ALLANTOIDE. 


ALLAITEMENT.—   Voyez  Lactation  et  Lait. 

ALLANTOIDE  —  L'allantoïde  'iXÀà;,  saucisse;  ï'.rjot,  forme)  est  un  organe 
embryonnaire  qui  affecte  chez  certains  mammifères  la  forme  d'un  long  boyau;  de  là  son 
nom.  L'allantoïde  s'observe  chez  les  reptiles,  les  oiseaux  et  les  mammifères. 

Origine  de  l'allantoïde.  —  Dès  le  troisième  jour  de  la  vie  embryonnaire  du  pou- 
let, on  voit  apparaître  sur  la  paroi  ventrale  de  l'intestin  une  saillie  piriforme  [Al).  C'est 
une  sorte  d'évagination  de  la  portion  terminale  du  tube  digestif.  Elle  est  dès  l'origine 
entourée  de  tissu  mésodermique,  qui  devient  très  vasculaire.  Chez  certains  vertébrés, 
les  reptiles  par  exemple,  et  le  cobaye,  chez  les  mammifères,  l'allantoïde  apparaît  comme 


FrG.  29  à  31.  —  Schéma  du  développement  et  de  la  disposition  de  l'amnios  et  de  l'allantoïde  chez  1 
Carnivores,  d'après  Mathi.\s-Duval.  Coupes  transversales,  lig.  2S  et  3U  ;    coupes  longitudinal: 


et 


31.  L^ectoderme,  l'amnios  et  l'embryon  sont  en  noir;  la  vésicule  ombilicale  est  ombrée  de  lignes  verticales, 
l'allanto'ide  de  lignes  horizontales.  On  n'a  pas  représenté  dans  ces  schémas  les  lames  mésodermiques 
correspondantes.  Am,  amnios:  Al,  allantoïde  ;  Om,  vésicule  ombilicale;  U,  utérus;  E,  embryon;  Ch,  cho- 
rion  ;    CA,    cavité  amniotique  :  aa,  crête  des  replis  amniotiques. 


une  saillie  pleine  du  tissu  mésodermique  ou  coujonctif  du  tube  digestif,  et  ce  n'est  qu'ulté- 
rieurement que  l'intestin  y  envoie  un  prolongement  épilhélial.  A  mesure  que  cette  saillie 
se  développe,  elle  s'avance  dans  la  cavité  générale  extra-embryonnaire  (cœlome  externe) 
(voir  Amnios).  Alors  elle  prend  la  forme  d'une  dilatation  qui  pénètre  entre  l'amnios 
et  la  vésicule  ombilicale  et  qu'un  pédicule  (conduit  allantoïdien  ou  futur  ouraque) 
continue  à  rattacher  à  l'intestin. 

De  nombreux  vaisseaux  sanguins  ne  tardent  pas  à  se  développer  dans  le  tissu  méso- 
dermique qui  double  la  vésicule  de  l'allantoïde  dont  l'intérieur  est  tapissé  par  l'épithé- 
lium  intestinal  (endoderme).  Le  sang  de  l'embryon  arrive  dans  le  système  vasculaire  de 
l'allantoïde  par  deux  artères,  artères  allantoïdiennes,  qui  viennent  elles-mêmes  des 
artères  iliaques.  Comme  les  artères  allantoïdiennes  passent  plus  tard  par  le  cordoa 
ombilical,  elles  ont  reçu  le  nom  d'artères  ombilicales  '. 


1.  Le  sang  est  ramené  au  corps  de  l'embryon  par  deux  branches  veineuses,  qui  se  réunissent 


ALLANTOIDE.  383 

En  s'étendant  davantage,  la  face  esterne  de  l'allantoïde  vient  s'appliquer  contre  la 
surface  interne  du  chorion  avec  lequel  elle  s'unit  intimement  (Voir  plus  loin). 

A.  Oiseaux.  — Chez  le  poulet,  le  pédicule  de  l'allantoïde  prend  naissance  dans  une 
partie  de  l'intestin  terminale  ou  cloaque,  où  débouchent  les  conduits  excréteurs  (con- 
duits de  Wolff)  des  reins  primitifs  (corps  de  Wolff).  C'est  par  conséquent  la  cavité  de 
l'allantoïde  qui  reçoit  les  produits  d'.excrétion  des  reins  primitifs.  L'allantoïde  joue  le 
rôle  de  vessie. 

D'autre  part,  le  sang  noir  que  les  artères  ombilicales  conduisent  à  l'allantoïde  se  charge 
d'oxygène  à  la  surface  de  l'œuf,  de.vient  sang  rouge,  qui  est  amené  à  l'embryon  par  la 
veine  ombilicale.  L'allantoïde  joue  donc  le  rôle  d'organe  respiratoire,  c'est-à-dire  de 
poumon,  chez  l'embryon  de  poulet. 

Avant  la  vascularisation  de  l'allantoïde,  c'est  la  vésicule  ombilicale  qui  remplissait 
la  fonction  d'organe  de  la  respiration,  grâce  aux  nombreux  vaisseaux  qui  sillonnent  sa 
surface. 

Mathias-Duval  a  montré  que  l'allantoïde  des  oiseaux  a  encore  un  autre  rôle.  Le 
petit  bout  de  l'œuf  renferme  une  forte  provision  d'albumine,  qui  ne  peut  être  résorbée 
par  la  vésicule  ombilicale,  parce  que  celle-ci  s'entoure  dans  le  cours  du  développement 
d'une  paroi  qui  l'en  sépare  complètement.  Dans  ces  conditions,  l'allantoïde  s'étend  le  long 
de  l'a  face  interne  de  la  coquille,  du  côté  du  petit  bout  de  l'œuf,  en  se  coiffant  du  cho- 
rion  (ectoderme  et  mésoderme).  Peu  à  peu  l'allantoïde  enveloppe  la  masse  albumineuse 
comme  dans  un  sac;  le  chorion  pousse  des  saillies  vasculaires,  ou  villosités,  qui  plongent 
dans  l'intérieur  de  la  masse  albumineuse.  Les  villosités  de  ce  sac  puisent  les  sucs  nutritifs 
dans  la  masse  albumineuse,  et  la  veine  ombilicale  les  amène  à  l'embryon.  L'allantoïde 
des  oiseaux  est  donc  comparable  de  tous  points  à  celle  des'mammifères,  à  l'époque  où  le 
placenta  s'est  formé,  puisqu'elle  sert  d'organe  respiratoire  et  nutritif.  Au  lieu  d'emprunter 
l'oxygène  et  les  sucs  nutritifs  au  sang  de  la  mère,  l'allantoïde  des  oiseaux  prend  l'oxj'- 
gène  à  l'air  extérieur  et  les  sucs  nutritifs  à  la  masse  d'albumine  que  les  organes  mater- 
nels ont  déposée,  en  guise  de  provision  alimentaire,  dans  l'espace  circonscrit  par  la 
coquille  de  l'œuf. 

B.  Mammifères.  —  Chez  les  mammifères  inférieurs,  les  marsupiaux,  l'allantoïde  reste 
petite  et  ne  s'adosse  pas  à  la  face  interne  du  chorion.  Aussi  ces  êtres  naissent-ils  de 
bonne  heure,  incomplètement  développés;  ils  continuent  leur  développement  dans  la 
poche  marsupiale.  Ce  sont  les  didelphes.  Chez  les  autres  mammifères  où  les  embryons 
restent  longtemps  dans  l'utérus  (monodelphes),  l'allantoïde'prend  une  grande  extension 
et  s'unit  à  la  face  interne,  soit  de  la  plus  grande  partie  du  chorion,  soit  d'une  portion 
circonscrite  de  ce  dernier.  Les  vaisseaux  de  l'allantoïde  pénètrent  dans  les  villosités  du 
chorion,  de  sorte  que  l'œuf  est  pourvu  d'une  membrane  extérieure  très  vasculaire. 

La  portion  du  chorion  que  vascularise  l'allantoïde  est  très  variable,  quant  à  la  forme, 
l'étendue  et  le  développement  des  villosités. 

I.  Dans  un  premier  groupe  de  mammifères,  l'allantoïde  forme  une  couche  vasculaire 
à  tout  le  chorion.  Mais  la  structure  de  cette  membrane  présente  des  variétés  nombreuses  : 

a.  La  surface  du  chorion  ne  présente  que  des  plis  et  des  touffes  vasculaires,  chez  le 
porc  par  exemple.  D'autres  fois,  comme  chez  le  cheval,  les  touffes  vasculaires  sont  rami- 
fiées et  forment  de  petits  tubercules.  Un  semblable  chorion,  doublé  de  l'allantoïde,  est 
appelé  placenta  diffus.  Sa  surface  externe  se  met  en  contact  intime  avec  la  muqueuse 
utérine  hypertrophiée.  Le  sang  du  fœtus  vient  puiser  dans  le  sang  maternel  l'oxygène 
et  les  principes  nutritifs  nécessaires  à  son  développement. 

6.  Chez  les  ruminants,  le  chorion  vascularise  par  l'allantoïde  présente  par  places 
seulement  des  villosités  qui  forment  des  saillies  vasculaires,  au  nombre  de  60  en  moyenne. 
Ces  saillies  vasculaires  (cotylédons  ou  placentas  fœtaux),  se  mettent  en  rapport  avec 
des  corps  semblables  (cotylédons  maternels)  de  la  muqueuse  utérine.  L'ensemble  de  ces 
placentas  porte  le  no  m  deptacenffunidfipte.  Leur  rôle  est  semblable  à  celui  du  placenta  diffus. 

IL  —  Dans  un  second  groupe  de  mammifères,  l'allantoïde  ne  contracte  des  rapports 
intimes  avec  le  chorion  que  sur  une  région  bien  circonscrite. 

a.  Chez  les  rongeurs,  les  insectivores,  le  singe  et  l'homme,  le  chorion  de  cette  région 

bientôt  en  un  seul  tronc,  la   veine  ombilicale,  allant  au  foie.  Plus  tard  il  n'existe  qu'une  soulo 
branche,  ou  veine  ombilicale,  par  suite  de  l'atrophie  de  la  branche  droite. 


38-i  ALLANTOJDE    —    ALLANTOINE. 

circonscrite  s'iiypei-Lrophie  :  les  cellules  épithéliales  qui  recouvrent  à  cet  endroit  la  sur- 
face externe  du  cliorion  se  multiplient  et  forment  une  saillie  épithéliale,  dans  laquelle 
viennent  se  ramifier  les  vaisseaux  fœtaux  de  l'allantoïde.  La  saillie  vasculaire  ainsi  cons- 
tituée se  met  en  rapport  intime  avec  la  portion  correspondante  de  la  muqueuse  utérine 
également  hypertrophiée.  L'ensemble  porte  le  nom  de  placenta  discoide. 

h.  Enfin,  chez  les  carnivores,  l'allantoïde  n'envoie  ses  vaisseaux  que  dans  la  zone 
moyenne  du  cliorion  où  se  forme  une  ceinture  annulaire,  tandis  que  les  extrémités  de 
l'œuf  restent  lisses  et  sans  villosités.  C'est  le  placenta  zonaire. 

Quelle  que  soit  la  forme  du  placenta,  jamais  les  vaisseaux  fœtaux  ne  s'abouchent 
dans  les  vaisseaux  maternels;  en  un  mot,  il  ne  s'établit  pas  d'anastomoses  entre  eux. 
Le  courant  sanguin  du  fœtus  est  toujours  séparé  par  une  couche  épithéliale  mince  (endo- 
thélium)  du  sang  maternel  qui  circule  dans  les  lacunes  ou  sinus  du  placenta.  C'est  à  tra- 
vers cet  endothélium  vasculaire  que  se  font  les  échanges  gazeux  et  liquides  entre  les 
sanss  maternel  et  fœtal  CVoir  Placenta). 

ÉD.    REITERER. 

ALLANTOINE  (C'*H''Az*0').  —  L'allantoïne  a  été  découverte  par  V.^.dquelin 
et  BuNivA  [Ami.  de  chim.,ï.  xxxni,  p.  269.),  dans  le  liquide  amniotique  de  la  vache;  on  l'a 
retrouvée  dans  le  liquide  de  l'allantoïde  (Lass.4IGNE.  A.  C.,  t.  xvii,  p.  .301),  dans  l'urine 
(WoEHLEB.  Ann.  der  Ghem.  u.  Pharm.,,  t.  lxx,  p.  220). 

Préparation. —  1°  On  traite  l'acide  urique  délayé  dans  l'eau  par  l'oxyde  de  plomb. 
Il  se  dégage  de  l'acide  carbonique.  On  filtre  à  chaud  :  l'allantoïne  cristallise  par  refroi- 
dissement. Il  reste  de  l'urée  en  solution. 

2°  Le  liquide  de  l'allantoïde  delà  vache,  évaporé  à  1/6  de  son  volume,  et  abandonné 
à  lui-même  dans  un  endi'oit  frais,  laisse  déposer  des  cristaux  d'allantoïne  que  l'on  puri- 
fie par  recristallisation  et  décoloration  au  charbon  animal. 

3°  L'urine  des  jeunes  veaux  est  évaporée  au  bain  marie  jusqu'à  consistance  sirupeuse. 
Par  le  refroidissement,  il  se  dépose  une  boue  composée  d'allantoïne,  de  phosphate  et 
d'urate  magnésiens.  On  décante  et  on  lave  le  dépôt  avec  un  peu  d'eau  froide  qu'on 
laisse  écouler.  On  traite  ensuite  par  l'eau  bouillante  et  le  noir  animal.  L'allantoïne  se 
dépose  par  le  refroidissement.  On  ajoute  un  peu  d'acide  chlorhydrique  au  liquide  encore 
chaud  pour  éviter  que  du  phosphate  magnésien  ne  se  dépose  avec  l'allantoïne. 

Pour  retirer  l'allantoïne  de  l'urine  humaine  qui  n'en  contient  que  fort  peu,  Meissner 
précipite  l'urine  par  la  baryte,  filtre,  élimine  l'excès  de  barjte  par  l'acide  sulfurique,  filtre, 
précipite  l'allantoïne  par  HgCl-  en  solution  alcaline,  recueille  le  précipité,  le  décompose 
par  H-S,  filtre,  concentre  à  un  très  petit  volume  et  laisse  cristalliser.  Finalement  les  cris- 
taux purifiés  par  recristillisation  sont  transformés  en  composé  d'argent.  On  peut  aussi 
précipiter  l'urine  par  l'acétate  de  plomb,  et  rechercher  l'allantoïne  dans  le  filtrat  (après 
traitement  par  H-S.  E.  Schulze  et  Rossh.\rd  (Z.  P.  C,  188o,  t.  ix,  p.  420)  traitent  le  liquide 
filtré  par  le  nitrate  de  mercure  qui  précipite  l'asparagine,  la  glutamine,  l'allantoïne, 
l'hypoxanthine  et  la  guanine  (Voir  le  mémoire  original  pour  le  procédé  de  séparation 
de  ces  différentes  substances). 

Propriétés.  —  Prismes  clinorhombiques  brillants,  incolores,  vitreux,  se  dissolvant 
dans  100  parties  d'eau  froide,  dans  131  parties  d'eau  à  21°8  et  dans  10  à  12  parties  d'eau 
bouillante,  solubles  dans  l'alcool  chaud,  insolubles  dans  l'alcool  froid  et  dans  l'élher. 
Sa  solution  aqueuse  est  inodore,   insipide,  neutre. 

Une  solution  concentrée  d'allantoïne,  additionnée  de  furfurol  et  d'acide  chlorhydrique 
concentré,  se  colore  en  violet. 

L'allantoïne  forme  des  combinaisons  métalliques. 

La  solution  aqueuse  d'allantoïne  ne  précipite  pas  par  le  nitrate  d'argent;  mais  si 
l'on  ajoute  de  l'ammoniaque  avec  précaution,  il  se  forme  un  précipité  blanc,  floconneux, 
C^H^AgAz^O^,  soluble  dans  un  excès  d'ammoniaque.  Ce  précipité  contient  40,75  p.  100 
d'argent  et  peut  servir  à  caractériser  l'allantoïne. 

L'allantoïne  est  précipitée  par  le  nitrate  mercurique.  On  a  basé  sur  cette  propriété  un 
procédé  de  dosage  de  l'allantoïne  dans  les  liquides  qui  ne  contiennent  pas  d'urée.  Le 
procédé  est  identique  à  celui  que  Liebig  a  imaginé  pour  doser  l'urée  :  iOO  grammes  d'al- 
lantoïne exigent  pour  leur  précipitation  172  grammes  d'oxyde  mercurique. 


ALLANTOINE.  385 

L'allantoïne  traitée  par  riiypobromite  de  sodium  perdrait  la  moitié  de  son  azote  à 
l'état  gazeux. 

Traitée  par  HI,  elle  se  réduit  et  fournit  de  l'hydantoïne  ou  glycolylurée,  C^U'Az^O-  et 
de  l'urée,  COAz^H*. 

Une  solution  d'allantoïne  conservée  à  30°  en  présence  de  levure  de  bière  finit  par 
se  transformer  en  urée,  oxalate,  carbonate  d'ammoniaque  et  un  acide  sirupeux  (acide 
allanturique?).  Chauffée  avec  de  l'acide  sulfurique  concentré,  l'allantoïne  se  décompose 
en  ammoniaque,  CO-  et  CO.  Bouillie  avec  de  l'acide  azotique,  elle  se  décompose  en  urée 
et  acide  allanturique,  C-'H^Az-O^.  Les  alcalis  bouillants  la  transforment  en  ammoniaque 
et  acide  oxalique.  L'ébuUition  avec  le  baryte  la  transforme  en  urée  et  en  acide  allantu- 
rique, acide  gommeux,  sirupeux,  soluble  dans  l'eau,  insoluble  dans  l'alcool,  dont  les 
sels  de  potassium  et  de  plomb  cristallisent  : 

C*H<iAz'>03  +  H2  0  =  COAz2H4  +  C^H-'Az^Os 

AUnntoïne.  UrcSe.  Ao.  allanturique. 

L'acide  allanturique  lui-même  se  décompose  par  la  baryte  en  acide  parabanique  et 
en  acide  hydantoïque. 

2C3  H'»  Az2  03  =  C3  H2  Az2  03  +  C3  Hs  Az2  0  3 

Ac.  allanturique-     Ac.  parabanique.      Ac.  hydantoïque. 

L'acide  parabanique  donne  immédiatement  de  l'urée  et  de  l'acide  oxalique. 

C3H2Az2  03  +  2H2  0  =  C2  04H2  +  C0Az2Ht 
Ac.  parabanique-  -\c.  oxalique.  Urée- 

Enfin,  l'urée  elle-même  se  transforme  en  carbonate  d'ammoniaque,  de  sorte  que  les 
produits  ultimes  de  Faction  de  la  baryte  sur  l'allantoïne  sont  l'acide  hydantoïque,  l'acide 
oxalique,  l'acide  carbonique  et  l'ammoniaque. 

La  synthèse  de  l'allantoïne,  réalisée  par  Grimaux  par  l'action  de  l'acide  glyoxylique 
(1  p.)  sur  l'urée  (2  p.),  nous  montre  que  ce  corps  est  bien  une  diuréide  glyoxylique,  par 
exemple  : 


tPAzXcO 
Vz  / 

CO  -  HAz  y>  <^0 


[  /  HAz 
\  HAz 


Physiologie.  —  L'allantoïne  remplace  l'urée  dans  l'urine  du  fœtus  :  l'allantoïne,  qui 
existe  en  grande  quantité  dans  le  liquide  de  l'allantoïde  de  la  vache,  n'a  pas  d'autre 
origine.  Elle  existe  en  quantité  notable  dans  les  urines  des  jeunes  veaux  et  des  mammi- 
fères, en  général  pendant  les  premiers  temps  de  la  vie  extra-utérine.  Elle  est  remplacée 
dans  l'urine  peu  à  peu  par  l'urée  après  la  naissance.  On  en  trouve  des  traces  dans  l'urine 
de  l'adulte,  notamment  dans  l'espèce  humaine  (Gabriel  Podcïïet.  Joiirn.  thérap. ,iBSO. 
t.  vu,  p.  503  et  D.  P.,  1880).  La  quantité  augmente  un  peu  dans  l'urine  de  la  mère  pen- 
dant la  grossesse.  On  l'a  trouvée  également  dans  le  liquide  amniotique.  L'allantoïne 
a  évidemment  ici  la  même  signification  que  l'urée.  Elle  représente  un  des  produits  azotés 
de  la  métamorphose  régressive  ou  combustion  organique  des  albuminoïdes.  Il  est  très 
probable  qu'elle  est  simplement  excrétée  par  les  reins,  auxquels  elle  est  ainenôe  toute 
formée  parle  sang  et  qu'elle  se  produit  comme  l'urée  dans  d'autres  organes  que  le  rein. 
Peut-être  le  foie  joue-t-il  un  certain  rôle  dans  l'élaboration  de  l'allantoïne. 

Chez  les  plantes,  l'allantoïne  a  été  trouvée  avec  l'asparagiiie  et  quelques  autres  acides 
amidés  dans  les  jeunes  pousses  des  platanes,  des  marronniers  et  dans  beaucoup  d'antre 
plantes  (E.  Schulze.  Z.  P.  C,  188o,  t.  ix,  p.  420;  Laivlw.  Ja/ir6.,  1891,  t.xxi,  p.  10s).  Dans 
l'organisme  végétal,  l'allantoïne  représente  probablement,  comme  l'asparagiae,  un  des 
stades  de  la  synthèse  des  matières  albuminoïdes.  Il  est  possible  que  l'allantoïne  des  végé- 
taux provienne  aussi  en  partie  de  la  destruction  d'albuniinoïdes. 

L'ingestion  d'acide  tannique  augmente  sa  proportion  dans  l'urine  humaine.  Salkowski 
(B.  d.  d.  chem.  Ges.,i.  ix,  p.  719  et  t.  xi,  p.  bSO)  a  admis  qu'après  ingestion  d'acide  urique 
il  j  avait  également  augmentation  d'urée,  d'acide  oxalique  et  d'allantoïne  dans  l'urine 
du  chien. 

DICT.  DE    PHYSIOLOGIE.   —   TOME.    I.  25 


386  ALLANTOÏNE    —    ALLOXANE. 

Darto  Baldi  (La  Terapia  moderna,  n°  12,  d  891 ,  analysé  dans  Arch.  ilal.  Biol. ,iS92,  t.  xvii, 
p.  326)  a  trouvé  que  VuUantoine,  bien  qu'elle  ne  détermine  pasune  augmentation  de  l'exci- 
tabilité spinale,  est  capable  d'éleverTexcilabilité  musculaire  chez  la  grenouille,  et  de  déter- 
miner, comme  la  xantuine,  la  rigidité  cadavérique  chez  la  grenouille. 

Bibliographie.  —  Voir  Ti.'W.,t.  i,  p.  142,  et  les  deux  suppléments  du  Maly's  Jahresb. 

LÉON    FREDERICQ. 

ALLOCHIRIE.  —  Le  terme  alloohirie  (aX)vo;  -/dp,  confusion  des  mains)  a  été 
proposé  en  1881  par  Obehsteiner  [On  allochiria.  Brain.,  1883,  p.  Iîi3)  pour  désigner 
un  trouble  singulier  consistant  en  ce  que,  la  sensibilité  ainsi  que  le  pouvoir  de  localisa- 
tion étant  plus  ou  moins  conservés,  le  sujet  est  dans  le  doute,  et  même  fait  erreur, 
quant  au  côté  du  corps  où  il  est  touché.  Ce  signe  consiste,  en  somme,  dans  le  fait 
de  rapporter  à  une  région  plus  ou  moins  symétrique  du  membre  d'un  côté,  les  impres- 
sions dues  aux  excitations  du  revêtement  cutané  du  membre  de  l'autre  côté.  Le  malade,, 
lorsqu'on  le  touche  au  mollet  droit,  par  exemple,  en  resseut  la  sensation  au  mollet 
o-auche.  L'allochirie  peut  exister  pour  tous  les  modes  de  la  sensibilité.  On  l'a  tout  d'abord 
constatée  seulement  aux  membres  inférieurs,  dans  les  cas  de  tabès,  où  elle  paraissait, 
par  suite,  en  rapport  avec  les  lésions  des  cordons  postérieurs  de  la  moelle  épinière 
qui  caractérisent  cette  maladie.  Elle  semble  ne  pas  dépendre  d'une  lésion  spéciale;  mais 
d'une  distribution  particulière  des  lésions  scléreuses  vulgaires  des  cordons,  entraînant 
une  déviation  dans  la  marche  des  sensations.  Il  résulte  de  ce  changement  de  direc- 
tion dans  la  voie  de  l'impression,  causée  elle-même  par  une  certaine  obstruction  des 
faisceaux  altérés  de  la  moelle,  que  cette  impression  est  transmise  d'un  côté  du  corps  au 
même  côté  du  cerveau.  Par  suite,  elle  est  rapportée  au  côté  opposé  du  corps.  Ultérieu- 
rement, les  recherches  de  Bosc  [Revue  de  médecine ,  1892,  p.  841)  ont  établi  que  l'allochirie 
pouvait  également  reconnaître  une  origine  cérébrale,  car  l'existence  de  ce  symptôme 
fut  démontrée  chez  un  malade  qui  souffrait  uniquement  d'une  hémiplégie  par  lésion 
hémisphérique.  Dans  ce  cas,  le  mécanisme  de  l'allochirie  provient  de  la  déviation  des- 
sensations d'un  hémisphère  à  l'autre,  de  même  que,  lors  d'allochirie  par  altiTations  de 
la  moelle,  il  s'agit  d'une  déviation  des  sensations  d'un  segment  de  l'axe  spinal  à  l'autre. 
Ce  passage  des  sensations  d'un  côté  à  l'autre  de  la  moelle  et  des  hémisphères  cérébraux 
s'explique  par  l'existence  de  voies  de  communications,  encore  difficiles  à  déterminer 
anatomiquement,  dans  l'axe  spinal,  et  qui  résident  dans  le  corps  calleux,  en  ce  q  ui  con- 
cerne le  cerveau.  On  peut  donc  distinguer  —  en  exceptant  l'allochirie  spontanée  ou  sug- 
gérée de  l'hystérie  —  une  allochirie  de  réception  ou  avec  lésions  cérébrales,  et  une 
allochirie  de  transmission  ou  avec  lésions  médullaires.  Dans  ce  dernier  cas  (lésions 
scléreuses  des  faisceaux  postérieurs  d'un  côté  de  la  moelle)  les  sensations  passent  du 
côté  opposé  de  l'axe  spinal;  dans  le  cas  de  lésions  d'un  hémisphère  cérébral,  la  moelle 
restant  normale,  les  sensations  parvenues  à  l'hémisphère  lésé  passent  par  le  corps  calleux 
dans  l'hémisphère  opposé.  Mais,  dans  ces  deux  alternatives,  le  résultat  est  iinivoi:)ue  quant 
à  la  perception  de  la  sensation,  malgré  la  dilférence  des  lésions;  l'allochirie  consécutive 
consiste,  en  définitive,  dans  le  fait  de  la  perception  par  l'un  des  hénlisphères  céré- 
braux de  sensations  qui  ne  lui  étaient  pas  normalement  destinées. 

PAUL    BLOCQ. 

ALLOCINESIE.  —  L'allocijiésie  est  un  trouble  exceptionnel  de  la  motilité, 
caractérisé  par  ce  fait  que  le  sujet  qui  en  est  atteint,  lorsqu'on  lui  commande  d'exécu- 
ter un  mouvement  avec  les  membres  d'un  côté  du  corps,  les  accomplit  exactement, 
mais  en  exécutant  des  mouvements  avec  le  membre  symétrique.  Si  on  lui  dit,  par 
exemple,  de  lever  le  bras  droit,  il  fait  le  mouvement  demandé  avec  le  bras  gauche.  Des 
exemples  de  cette  singulière  perversion  n'ont  encore  été  vus  que  chez  des  hystériques. 

P.    B. 

ALLOXANE  (  C^H^N^O'*).  —  Déciite  en  1817  sous  le  nom  d'acide  érythrique 
par  G.  BBUGi\ATELLi,puis  étudiée  par  LiEBiGelW'ôHLER,  l'alloxane  est  un  produit  d'oxydation 


ALLOXANE    —    ALLOXANTINE.  387 

de  l'acide  urique.  Elle  a  été  trouvée  une  fois  par  Liebig  dans  le  produit  de  sécrétion 
d'un  catarrhe  intestinal  {A.  G.,  t.  cxxi,  p.  80;  Hép.  Chim.  pure,  1862,  p.  288). 

Chimie.  —  Préparation.  —  On  projette  par  petites  portions  des  cristaux  d'acide 
urique  dans  de  l'acide  azotique  concentré  (densité  1,4  à  1,42)  refroidi  au  préalable.  Il  se 
dépose  des  cristaux  d'alloxane(ScHLiEPER.  Anm.  d.  Chem.  u.  Pharm.,  t.  lv,  p.  253).  D'autres 
corps  oxydants  transforment  également  l'acide  urique  en  alloxane. 

2C5H''Âz4  03  +  2H2  0  +  02  =  2C*H2Az2  0*  +  2COAz2H4 

Acide  urique.  .VLloxaue.  Urée. 

Propriétés.  —  Pi'ismes  volumineux,  ayant  l'apparence  d'octaèdres  rhomboïdaux  tron- 
qués aux  extrémités  (prismes  clinorhombiques),  transparents,  incolores,  à  éclat  vitreux, 
ne  s'eftleurissant  pas  à  l'air,  perdant  à  150°  leur  molécule  d'eau  de  cristallisation.  L'allo- 
xane  est  soluble  dans  l'eau  et  l'alcool,  insoluble  dans  l'acide  azotique. 

L'alloxane  se  décompose  par  la  chaleur,  fond  et  fournit,  entre  autres  produits  de  dé- 
composition, du  cyanure  d'ammonium  et  de  l'urée.  Par  l'acide  azotique  étendu  et  chaud 
elle  se  transforme  en  acide  parabanique  (C'H-Az^O^  ou  oxalylurée)  et  C0-.  L'acide 
parabanique,  en  absorbant  une  molécule  d'eau, fournit  racideoxalurique,C'ri''Az^  O'jqui 
a  été  trouvé  en  très  petite  quantité  dans  les  urines.  L'acide  oxalurique  se  transforme 
facilement  en  acide  oxalique  et  urée.  Par  l'acide  chlorhydrique  ou  l'acide  sulfurique,  elle 
fournit  de  l'alloxantine  qui  se  dépose  et  de  l'oxalate  d'ammonium  qui  reste  en  solution. 
Par  les  agents  de  réduction  (H- S,  LP  naissant)  ou  par  l'action  du  courant  électrique, 
elle  se  transforme  d'abord  en  alloxantine,  puis  en  acide  dialurique. 

Une  solution  ammoniacale  d'alloxane  se  prend  par  le  refroidissement  en  une  gelée 
jaune  et  transparente  de  mycomélate  d'ammonium.  L'alloxane  se  colore  en  bleu  très 
foncé  parles  sels  ferreux.  Additionnée  d'une  goutte  de  HCAz,  puis  d'ammoniaque,  elle 
fournit,  au  bout  de  peu  de  temps,  un  dépôt  d'oxaluramide  C'H''Az''0-'  sous  forme  de  fines 
aiguilles  cristallines  blanches. 

L'alloxane  doit  être  considérée  comme  la  mésoxalylurée, 

H  —  Az  —  CO 

I  I 

CO      CO 

I      I 

H  — Az  — CO 

Parl'ébullition  avec  les  alcalis  caustiques,  elle  fournit  de  l'acide  mésoxaliqueC^H^O" 
et  de  l'urée.  L'acide  mésoxalique  lui-même  en  s'oxydant  fournit  de  l'acide  oxalique  et 
de  l'urée. 

Physiologie.  —  La  solution  aqueuse  d'alloxane  communique  au  bout  de  quelques 
temps  aux  matières  albuminoïdes  solides  et  à  la  peau,  ainsi  qu'à  la  tyrosine,  à  l'acide  as- 
partique  et  àl'asparagine,  une  couleur  pourpre  et  une  odeur  désagréable. 

L'alloxane  oxyde  l'hémoglobine  dissoute  et  la  convertit  en  mélhémoglobine;  elle  est 
sans  action  sur  l'oxyhénioglobine  et  sur  le  sang  déflbriné  (M.  Kowalewsky.  C.  W-,  1887, 
pp.  1,  17,  658  et  676). 

Bibliographie.  —  Voir  D.  W.  et  les  deux  suppléments. 

LÉON    FREDERICQ. 

ALLOXANTIN  E  (C8tl''Az'0',  3H-0).  —  Chimie.  —  Préparation.  —  V Alloxan- 
tine ou  Uroxine  se  produit  par  l'actiou  des  agents  réducteurs  (du  chlorure  de  zinc  par 
exemple),  par  celle  de  l'eau  ou  des  acides  sulfurique  ou  chloi'hydrique  étendus  et  bouil- 
lants sur  l'alloxane;  par  l'union  de  l'alloxane  et  de  l'acide  dialurique,  par  l'oxydation 
directe  de  l'acide  urique,  au  moyen  d'acide  azotique  étendu  et  légèrement  chaulî'é,  etc. 
C'est  uif  produit  secondaire  de  la  préparation  de  l'alloxane  par  l'acide  urique  et  l'acide 
azotique. 

Propriétés. — Prismes  obliques,  durs,  friables,  itransparents  et  incolores  ou  jaunâtres, 
à  peine  solubles  dans  l'eau  froide,  un  peu  plus  solubles  dans  l'eau  bouillante. 

L'ammoniaque  colore  en  pourpre  les  solutions  chaudes  d'alloxantine  par  suite  de  la 
formation  de  la  murexide  ou  purpurate  d'ammoniaque. 


388 


ALLOXANTINE 


ALTITUDE. 


L'eau  de  baryte  précipite  les  solutions  d'alloxantine  en  violet.  Le  précipité  se  décolore 
par  l'ébullitioti  et  finit  par  disparaître.  Le  chlorure  ferrique  colore  la  solution  d'allo- 
xantine en  bleu. 

Les  agents  d'oxydation  transforment  l'alloxantine  en  alloxane. 

Physiologie.  —  L'alloxantine  n'a  pas  encore  été  rencontrée  dans  l'organisme. 

L'alloxantine,  ajoutée  au  sang  déflbriné  ou  à  une  solution  d'oxyhémoglobine,  réduit 
cette  dernière  à  l'état  d'hémoglobine,  à  condition  qu'on  opère  à  l'abri  de  l'air.  Si  l'on 
opère  au  contact  de  l'air,  l'alloxantine  s'oxyde  et  fournit  des  produits  d'oxydation, 
notamment  de  l'alloxane,  qui  réagissant  sur  l'hémoglobine  réduite,  la  transforment 
en  méthémoglobine.  La  méthémoglobine  peut  ultérieurement  être  réduite  en  hémoglo- 
bine par  l'action  de  l'alloxantine  non  réduite.  Os^00o  d'alloxantine  solide  suffisent 
pour  transformer  complètement  en  sept  minutes  l'oxyhémoglobine  d'un  centimètre  cube 
de  sang  en  méthémoglobine  (au  contact  de  l'air)  (N.  Kowalewsky.  C.  W.,  1887,  pp.  1,17, 
658  et  676). 

Dario  Baldi  (La  Terapia  moderna,  1891,  n"  12,  analj'sé  dans  Arch.  ital.  BioL,  1892, 
t.  xvii,  p.  326)  a  étudié  récemment  l'action  de  la  xanthine,  de  l'allantoine  et  de  l'alloxantine, 
comparée  à  celle  de  la  caféine,  par  rapport  spécialement  à  l'excitabilité  musculaire.  U  a 
trouvé  que  l'alloxantine  ne  provoque  d'augmentation  ni  dans  l'excitabilité  spinale,  ni 
dans  l'excitabilité  musculaire,  et  qu'elle  ne  détermine  pas  la  rigidité  cadavérique.  Les 
expériences  ont  été  faites  sur  la  grenouille. 

Bibliographie.  —  D.  W.  LÉON    FREDERICQ. 

ALOES.  — Plante  de  la  famille  des  Asphodèles,  dont  le  suc  est  employé  en 
thérapeutique  comme  purgatif.  Ce  suc  contient  deux  substances  :  VAloine,  corps  jaune 
cristallisable,  très  amer  (C'H'^O');  probablement  un  glucoside,  et  une  autre  substance 
insoluble  ou  Aloétine  qui  est  également  un  glucoside.  Par  l'effet  de  l'acide  nitrique  on 
obtient  un  acide  alloétique  dont  la  formule  est  encore  incertaine.  Ses  effets  phj'siolo- 
giques  sont  peu  connus.  En  thérapeutique,  on  emploie  l'aloès  comme  purgatif.  D'après 
ScHROFF,  cité  par  Rabuteau  {Thérapeutique,  1884,  p.  91.3),  l'aloïne  aurait  les  mêmes  effets 
purgatifs  que  l'aloès.  Wedekind,  cité  par  Rabuteau,  dit  que  l'aloès  appliqué  sur  les  plaies 
détermine  des  effets  purgatifs,  que,  par  conséquent,  il  agit  non  comme  irritant  de  la 
muqueuse  stomacale,  mais  comme  provoquant  une  sécrétion  biliaire  active.  A  vrai  dire, 
l'histoire  physiologique  de  l'aloès  est  encore  très  obscure. 


ALTITUDE.  — L'altitude  est  la  hauteur  d'un  lieu  au-dessus  du  niveau  moyen 
de  la  mer.  Les  altitudes  se  déterminent  par  des  nivellements  géométriques  ou  géo- 
désiqnes,  par  des  mesures  prises  à  l'aide  du  théodolite,  ou  par  l'emploi  du  baromètre 
{Tables  pour  calculer  les  hauteurs  par  les  observations  barométriques,  in  Annuaire  du  Bureau 
des  Longitudes). 

L'influence  de  l'altitude  a  été  bien  démontrée  sur  les  diverses  fonctions  organiques 
par  de  nombreux  travaux  de  médecins  et  de  physiologistes  (Voir  l'article  Baromètre  et 
Pression  barométrique).  A  ce  titre  nous  donnons  ici  un  tableau  de  l'altitude  des  principales 
villes  et  des  plus  importants  sommets   de  montagnes. 

Altitude  moyenne  de  différents  endroits  du  globe. 


AFRIQUE 

A.    —   RÉGION   DE    l'atlas 

Sliltsin  (Maroc;.   .    .    .  3  360 

Maroc 422 

Mont  Anna  (Rif)  ...  2210 

ColdeTaza(Atl.Alg.).  IHO 

Rador  de  Tlemcen .    .  l  579 

Mouzaïa 1604 

Dira 1812 

Col  de  Chellata.  ...  1  622 


Chellah     ou     ChelUya 

(Aurés) 2  328 

B.    SAHARA,    SOUDAN 

ET    GUINÉE    SEPTENTRIONALE 

In-Çalah 137 

Ghadamés 3,t1 

Ghat 726 

Mourzouk 539 

Lac  Tchad 259 

Cameroun 4197 


C.    —  RÉGION    DU   NIL 

Alantilva 3  000 

Victoria-Nyanza.     .    .  1157 

Kénia S  500 

Kilima-Ndjaro.    .    .'   .  5  705 

Senriaai' 426 

Kliarloum 378 

Aukober 2500 

Mota 2538 

Gondar 2270 

Ouoclio 5  060 


ALTITUDE. 


389 


Mont  Abuna M% 

Phila 100 

Le  Caire 12 

Lac  Tana 1859 

D.    —    AFRIQUE   AUSTRALE 
ET    II.ES 

Pretoria 1224 

Kazé 1086 

Nyangoué 426 

Bloemfontein    ....  1 600 

Lac  Bangouéolo   .    .    .  112S 

Lac  Dilolo 1  445 

Monts  Livingstone.    .  3  800 

Mont  des  Sources   .    .  3  048 

Mont  du  Pic  (Acores).  4  412 

Pic  de  Teyde  (Ténér.).  3716 
Pico  do  P'ogo  (du  cap 

vert) 3300 

Pic  de  Fernando  Po   .  3  108 

ASIE 

A.  HIMALAYA  (dE    l'eST 

A    l'ouest) 

Dardjeliiig 2184 

Katmandou    .....  1330 

Mouktinath 4  012 

Kursok 4S41 

Srinagar  (Cachemire).  1595 

Kargil 2  678 

Djamalari 7  297 

Kintcliin-Gïnga  .    .    .  8582 

Gaorisankar 8840 

Djindjiba 8  200 

Dliaoualagiri 8176 

Thoung-Loung.   .    .    .  4529 

B.    MASSIF    CENTRAL 

Tliok  Djalounk.    ...  4977 

L'Hassa 3  365 

Yarkand 1197 

Kachgar 1232 

Ourga 1294 

Dapsang 8621 

Najikla 7  347 

Tagherma 7  620 

C.    — •    ASIE    OCCIDENTALE 

Clioumi 2356 

Caboul 1951 

Ispahan 1516 

Téhéran 1172 

Erzeroum 1 862 

Angora 1080 

Jérusalem 779 

Koubi-Baba 4827 

Se  fld-Kouh 4  660 

Grand  Ararat  ....  5  157 

D.    —    INDE  ET   ASIE 
ORIENTALE 

Nagpore 285 

Dolabella 239G 

Pic  d'Adam  (Ceylan) .     2260 


mtt, 
E.    CHINE    ET   JAPON 

Pékin  g 37 

Fousi-Jama 3770 

F.    —    SIBÉRIE 

Semipalatinsk  ....  231 

Tobolsk 108 

Tomsk 84 

Irkoutsk 456 

Lac  Baïkal 469 

Khoutchef(Kamtchat).  4900 

OC&ANIE 

A.    —    MALAISIE 
ET    NOUVELLE-GUINÉE 

Ophir  (Sumatra)  ...  4222 
Semerou(Java).  ...  3729 
Kinabalou  (Bornéo).  .     4172 

B.   —  AUSTRALASIE 
ET    POLYNÉSIE 

Murrugura  (Aus.)   .    .  2130 

M.  Clarke  (Aus.).  .  .  2  201 
Ben  Lomond  (Tasma- 

nie) 1527 

Franklin(Nouve]Ie-Zé- 

lande) 3  050 

Nauna  Kea  (Hawaii)  .  4197 

PicHumboldt(N.-Cal.)  1610 

Orohena  (Tahiti).    .    .  2292 

AMÉRIQUE  DU  NOED 

SYSTÈME  DE    LA    CORDILLÈRE 

Aspen 2  274 

Denver 1584 

Station  du  pic  de  Pike.  4358 

Mexico 2280 

Guatemala  la  Nueva   .  1  330 

San  José 1 178 

Saint  Élie 4568 

Brown 4816 

Pic  de  Lincoln.    .    .    .  4387 

Pic  Blanca 4  408 

Pic  d'Orizaba  ....  5400 

AMÉRIQUE  DU  SUD 

SY-.STÈME    DES    ANDES 
DU  NORD  AU   sud) 

Caracas 917 

Bogota 2650 

Quito S.  720 

Lima 156 

Crucero 4  470 

La  Paz 3  700 

Sucre 3200 

Potosi .  4000 

Santiago 569 

Oiimborazo 6  233 

Cotopaxi 5  943 

Illimani 6410 

Col  del  Mercedario.    .  6798 

Aconcagua 6  834 


Tapungato 6178 

San  Valentin 3870 

Sarmiento 2073 

EUROPE 

Région  des  Alpes. 

A.   —  ALPES    CENTRALES 

Genève 408 

Zermatt 1620 

ATers  . 1 949 

Bormio 1 224 

S.  Morite 1856 

Sta  Maria 2512 

Leukerbad 14H 

Berne 538 

Grand  Combin  .    .    .    .  4317 

Mont  Pleureur.    ...  3706 

Mont  Rose 4638 

Simi^lon 2010 

Saint-Gothard  ....  2114 

Pic  Stella 3406 

Monte   délia  Disgrazia  3680 

Wilder  Pfalï 3309 

Finstcrar  Horn  .   ...  4275 

Todi 3623 

Pic  Linard 3  416 

Ortler 3  905 

Adamello 3  557 

B.    —    ALPES    ORIENTALES 

Innspriick 566 

Hochfeiler 3484 

Drei-Herm-Spitze.    .    .  3505 

Hafner-Spitze    ....  3093 

Dachsteiu 3  005 

Vienne 133 

Marmolata 3  494 

EUROPE    CENTRALE 

A.     RIVE    GAUCHE     DU  RHIN 

Strasbourg 144 

Luxembomg 306 

Bruxelles  (Pal.  Roy.).  137 

Metz 177 

■Donnersberg 690 

Wald  Erbeskoijf  ...  815 

Jadarkopf 737 

Zitterwald 679 

B.    ALLEMAGNE    MOYENNE 

ET     BASSE-ALLEMAGNE 

Cassel 179 

Gotha 285 

Gottingen 141 

Berlin  (Observatoire)  .  34 

Gr.    Feldberg   (Taun.)  881 

Kahle  Astenberg  .   .    .  842 

Abstrodcr  Hôhe  .    .    .  930 

Beerberg 983 

Brocken  (Harz).   .    .    .  1029 

Kœnigsberg 1029 


390 


ALTITUDE. 


C.    —    nAUTE-AT-LEMAGNE 

Karlsrahc "i 

Stuttgart 280 

Ulm i^S 

Augsbourg 'iSl 

Munich.  . 316 

Ratisbonne  (Regensb.)  326 

Feldberg 1493 

Belchen 1  415 

Lemberg 1014 

Schafberg 1003 

D.    —   MASSIFS   DE    BOHÈME 
ET   DE    SAXE 

Freiberg 414 

Leipzig 110 

Dresde IH 

Prague 179 

Grand  Arber 1458 

Rachel  Spitze 1  454 

Schneeberg 1  069 

Sclineekopfe 1601 

Brumberg 1 355 

Hohe  Kamm 1422 

E.  RÉGION    DES    KARPATHES 

Budapest 116 

Belgrade 64 

Bucarest 87 

Karlsbourg 241 

Yassi 318 

Bradlo  (Pet.  Karp.).   .  813 

BabiaGova 1722 

Pic  de  Gerlsdovs.   .    .  2  646 

Pietrosz 2297 

Bucsecs 2519 

Parangu 2587 

PÉNINSULE  IBÉRIQUE 

A.    —  RÉGION    PYRÉNÉENNE 
ESPAGNOLE 

Pic  d'Anato 3  404 

Posots 3367 

Monsech  (de  Catal.).  .  1677 

Pena  vieja 2678 

Pena  Ubina 2500 

B.  —  RÉGION   DU  PLATEAU 
DE     CASTILLE 

Pic  de  Penalara.    .    .  3  305 

Plaza  d'Almanzor .  .   .  2662 

Burgos 819 

Soria 1058 

Madrid 663 

Tolède 450 

Albacèle 702 

Gerro  de  S'-Lorenzo.  2303 

C.    —    PARTIE    MÉRIDIONALE 

Corro  de  MuUiacen.    .  3481 

Picacho  Veleta.   ...  3470 

Cerro  Caballo.    ...  3200 

Sierra  de  Magina.   .    .  2200 


D.    —    PORTUGAL 

Lisbonne 39 

Serra  da  Estrella.   .    .  1  991 

Guarda 1037 

ITALIE 

A.  —  APENNINS 

Gimone 2164 

Eotondo 2104 

Corno 2914 

Amaro 2793 

Gran  Sasso 2  921 

Velino 2  488 

B.   —    AUTRES   PARTIES  DE 
l'iTALIE    et  ILES 

Turin  (seuil  du  palais 

Madame) 239 

Milan  (seuil  du  palais 

Brera) 122 

Bologne'  (pavé  de  la 
cour  de  l'Observa- 
toire)    121 

Avellino  (place  de  l'é- 
glise)   337 

Vésuve 1262 

Etna 3  313 

Madonia 1656 

Gennargcntu    (Sardai- 

gne) 1794 

PÉNINSULE    HELLÉNIQUE 

A.    —    ALPES    DINARIQUES, 
TCHAR-DAGH,     PINDE,    ETC. 

Biela  Lassitsa.    .    .   .  1530 

DJnara 1810 

Dourmiton 2483 

Getigné-Tzetigné.    .    .  638 

Lyoubalin  (Tchar-D.).  2366 

Parnasse 2  733 

Hélicon 1743 

Athènes  (Acropole).    .  138 

Olympe 2975 

B.    —    RÉGION    DES    BALKANS 
ET    DU   DESPORTO   PLANINA 

Vidin 30 

Kopaonik  (Serbie).  .  .  1943 

Alexinatz 174 

Niche 210 

Sofia 330 

Maraljeduk  (B).    .    .    .  2330 

Rosalita   (B) 1931 

Rilo    Planina    (Desp. 

pi.) 2750 

C.    —    PÉLOPONÈSE 
ET   ILES 

Olenos 2370 

Khelmos 2341 

Tajgète 2367 


ILES  BRITANNIQUES 

A.  ANGLETERRE  ET 

PAYS  DE  GALLES 

Beacon  de  Brecknock.       878 

Snowdon 1094 

Cheviot  Hill 735 

B.    —  ECOSSE 

Broad-Law 833 

Edimbourg   (Old 

Castle) 17 

Bew-Nevis(Grampian).  1340 
Bew-Mac  Dhui  (Gram- 

pian) 1  306 

C.    —  IRLANDE 

Carransuohill 1054 

Mont  de  Comemara.  .       810 

RUSSIE 

A.    PLAINE    ORIENTALE 

Moscou 142 

Varsovie 111 

Popova  Gora 350 

Kazan 35 

B.    —    OURAL 

Sablia 1567 

Tel-pos-Iz 1.656 

C.    CAUCASE 

Alexandropol    ....  1 347 

Elbrouz 5644 

Kachtantau 5  218 

Betingue 4632 

Cheboulos 4304 

Chah-dagh 4143 

EUROPE  SEPTENTRIONALE 

A.    —   SCANDINAVIE 

Gaustad  (Thelemark).  1883 

Hôgrund  (Rondane).  .  2030 
Galdhfepiggen    (Jot- 

nuf) 2560 

Snehœtten  (Dowe)  Sar- 

jektakko 2  080 

B.    —    ILES    DU    NORD 

AerafaJakul  (Islande).  1958 
Hekla  (Islande).  ...  1537 
Incon  (Spitzberg).   .    .     2448 

FRANGE 

A.    —  ALTITUDE 

DES    PRINCIPALES    VILLES 

ET    LIEUX   HABITÉS 

Angers 47 

Alger 33 

Barèges 1241 

Bagnères 530 


ALTITUDE 


ALUMINIUM. 


391 


met. 

Belfoi-t 419 

Besancon 368 

Bordeaux 7 

Briançon 1 321 

Brest 41 

Chàteau-Chinon.  .    .    .  552 

Clermont-Ferrand  .    .  401 

Constantine 672 

Diynfi 652 

Dijon 246 

Fontainebleau  ....  79 

Gavarni 1335 

Orenoble 213 

Le  Havre 5 

Lille 24 

Limoges 287 

Lyon 285 

Mende 739 

Montpellier    ....'.  44 

Nantes 19 

Nancy 200 

Oran 432 

Orléans 116 

Paris  (Panthéon).    .    .  60 

Poitiers 118 

Poste  du  M.  Genis.    .  1906 

P^eims 86 


Rodez 633 

Rouen 22 

Rennes 54 

Saint- Véran 2  010 

Toulouse 139 

Toulon 4 

Tours 55 

Versailles 123 

B.    —   PICS    ET   MONTAGNES 
ALPES    OCCIDENTALES 

Levanna 3  640 

Grande  Sassère    .    .    .  3  756 

Petit  Saint-Bernard   .  2157 

Sommet  du  M. -Blanc.  4810 

Aiguille  du  Géant  .    .  4010 

C.    CHAINE    A    l'ouest 

DE    la    frontière 

Pelvoux. 3  954 

Barre  des  Écrins.   .    .  4103 

Meije 3  987 

Trois  Ellions 3514 

D.    —    JURA 

Réculet 1720 


M.  Tendre 1680 

M.   Dôlc 1678 


E.    —   VOSGES 


Ballon  d'Alsace  . 
Rotlienbach  .   .   . 


1497 
1319 


F.     CÉVENNES   ET     MASSIF 

CENTRAL 


Mezenc 

Signal  de  Finiel.  . 
Plomb  du  Cantal . 
Puy  de  Sancy  .  . 
Puy-de-Dôme.  .    . 


G.    —  PYRÉNÉES 

Canigou 

Pic  de  Grabioulés.  .  . 
Pic  de  Montcalm .  .  . 
Pont  de  Gavarni  .   .    . 

Pic  Long 

Observatoire  du  Pic  du 
Midi  de  Bigorre    .    . 

Vignemale 

Pic  du  Midi  d'Ossau  . 


17S4 
1782 
1858 
1886 
1465 


2785 
3104 
3  080 


2870 
3298 


Bibliog^raphie.  —  Annuaire  du  bureau  des  longitudes,  de  1887.  —  E.  Reclus.  Géogra- 
phie imiversellc.  —  Vivien  de  Saint-M.a.rtin.  Dictionnaire  de  géographie.  — •  Die  Bevôlkerung 
der  Erde.  —  Strelbitsky.  Superficie  de  i' Europe.  Saint-Pétersbourg,  1881. 

CARVALLO  et  PACHON. 


ALUMINIUM  (Al.  Poids  atomique  27, a).  —  Chimie.  —  L'aluminium  est  un 
métal  très  répandu  dans  la  nature  ;  il  entre  dans  la  composition  des  argiles  et  des  roclies 
•où  il  se  trouve  combiné  avec  le  silice.  Son  oxyde,  l'alumine,  lorsqu'il  est  cristallisé, 
constitue  diverses  pierres  précieuses,  le  corindon,  le  rubis,  la  topaze  orientale,  le  saphir, 
Taméthyste.  Les  composés  de  l'aluminium  sont  connus  depuis  la  plus  haute  antiquité; 
mais  on  n'avait  pas  pu  isoler  l'aluminium,  et  jusqu'en  1843  l'alumine  passait  pour  une 
terre  irréductible. 

Ce  fut  WÔHLKR  qui  le  premier  obtint  de  petits  globules  d'aluminium  en  électrolysant 
le  chlorure  d'aluminium  fondu;  mais  on  peut  dire  que  c'est  H.  Sainte-Claire  Deville 
qui  obtint  le  premier  l'aluminium  pur  et  qui  en  étudia  les  propriétés. 

L'aluminium  est  un  métal  blanc,  bleuâtre,  susceptible  de  prendre  un  beau  mat  qu'il 
conserve  indéfiniment  à  l'air.  Frappé  après  avoir  été  suspendu  par  un  fll,  un  lingot  d'a- 
luminium rend  un  son  aigu  comparable  à  celui  du  cristal. 

L'aluminium  fondu  a  une  densité  de  2,!j;  cette  faible  densité  est  une  de  ses  propriétés 
les  plus  remarquables  qui  le  rend  éminemment  propre  à  tous  les  usages  où  le  poids  des 
autres  métau.x;  est  un  inconvénient. 

Sa  conductibilité  pour  la  chaleur  et  l'électricité  est  la  même  que  celle  de  l'argent. 

Sa  chaleur  spécifique  est  considérable; 0,218,  supérieure  de  beaucoup  àcelle  des  autres 
métaux. 

Le  procédé  imaginé  par  H.  Saixte-Cl.mre  Deville,  et  i[Ui  a  été  le  seul  employé 
jusqu'à  ces  années  dernières,  était  basé  sur  la  réduction  du  chlorure  d'aluminium  par  le 
sodium.  Actuellement  on  prépare  l'aluminium  par  l'électrolyse. 

L'aluminium  se  combine  à  l'oxygène  pour  donner  un  seul  composé,  l'alumine  (APO^). 

L'alumine  pure  est  une  poudre  blanche,  légère,  sans  odeur  ni  saveur,  insoluble  dans 
l'eau,  soluble  dans  les  acides  avec  lesquels  elle  forme  des  sels;  soluble  dans  la  potasse 
et  la  soude  avec  lesquelles  elle  forme  des  aluminates. 


392  ALUMINIUM. 

On  obtient  l'alumine  113-dratée  sous  forme  d'un  précipité  blanc  gélatineux  en  traitant 
un  sel  soluble  d'aluminium  par  de  l'ammoniaque. 

L'alumine  donne  des  sels  avec  les  acides;  nous  ne  citerons  que  l'un  d'eux,  le  sul- 
fate d'alumine"  A1-(S0M'.  On  le  prépare  en  traitant  le  kaolin,  aussi  exempt  de  fer  que 
possible,  par  de  l'acide  sulfurique;  on  obtient  un  sel  blanc,  déliquescent,  très  caustique, 
employé  comme  mordant  en  teinture. 

Ce  sulfate  forme,  avec  les  sulfates  alcalins,  des  sels  doubles  très  importants. 
Le  sulfate  double  d'alumine  et  de  potasse,  A1-(S0*)5  +  K^SO'  +  (24  H-0),  est  le  type 
d'une  série  de  composés  remarquables,  qui  portent  le  nom  générique  d'aluns.  Ces  corps 
plus  ou  moins  solubles  dans  l'eau  cristallisent  en  octaèdres;  ils  ne  diffèrent  du  composé 
typique  qu'en  ce  que  l'alumine  ou  la  potasse  peuventy  être  remplacées  en  totalité  ou  en 
partie  par  des  oxydes  isomorphes  ;  ils  possèdent  la  même  formule  de  constitution  ;  ils  sont 
isomorphes.  L'alumine  peut  y  être  remplacée  par  un  sesquioxyde  de  fer,  de  chrome, 
ou  de  manganèse;  par  le  potassium,  par  le  sodium,  l'ammonium,  le  rubidium,  le  eœ- 
sium,  le  thallium  et  même  par  l'argent. 

L'alun  ordinaire,  alun  de  potasse,  sulfate  double  d'alumine  et  de  potasse  (SO*)'  Al- 
+  SO'K- + 'iiH^'O  cristallise  en  octaèdres  réguliers  qu'on  peut  obtenir  très  volumi- 
neux. Ces  cristaux  s'effleurissent  faiblement  à  l'air,  et  seulement  à  leur  surface.  Leur 
saveur  est  douceâtre  et  astringente.  Ils  sont  beaucoup  plus  solubles  à  chaud  qu'à  froid. 

Chauffé  à  92°,  l'alun  fond  dans  son  eau  de  cristallisation,  puis  il  perd  successivement 
ses  molécules  d'eau  de  cristallisation  ou  45  p.  100  de  son  poids  jusque  vers  le  rouge. 
L'alun  se  boursoufle  pendant  sa  dessiccation  et  forme  un  champignon  qui  s'élève  au-dessus 
de  l'ouverture  du  creuset.  On  obtient  ainsi  l'alun  calciné  employé  comme  caustique. 

Physiologie. —  Aluminium.  —  L'aluminium  métallique  tend  de  jour  en  jour  à  de- 
venir d'un  usage  courant  pour  la  confection  des  articles  de  gobletteries  et  ustensiles  de 
ménage.  Aussi  divers  auteurs  se  sont-ils  inquiétés  de  rechercher  d'une  part  l'action  des 
liquides  alimentaires,  vins,  bières,  etc.,  sur  l'aluminium,  et  d'autre  part  l'action  des  sels 
solubles  d'aluminium  sur  l'économie. 

Les  travaux  entrepris  dans  le  premier  ordre  d'idées  ont  abouti  à  des  conclusions  con- 
tradictoires. 

Plagge  et  Lebbw  {Hyg.  Rundsch.,t.  ni,  n"  6,  p.  272, 18  mars  1893)  affirment  qu'avec  l'eau 
pure,  en  présence  ou  en  l'absence  de  l'air,  l'aluminium  même  en  feuille  mince  n'est  pas 
attaqué.  Gœpel  affirme  au  contraire  que  même  à  l'état  pur  l'aluminium  est  corrodé  pro- 
fondément par  l'eau  distillée  froide.  Kobert  a  constaté  que  la  bière  mise  en  contact  avec 
de  l'aluminium  en  dissout  environ  8  milligrammes  par  litre. 

Ohlmuller  et  Heise  (Hyg.  Rimdsch.,t.  11,  p.  1053,  1"  décembre  1892)  ont  observé  que 
l'aluminium  était  attaqué  par  les  liqueurs  acides  ou  alcalines  et  le  sel  à  la  température 
ordinaire,  en  faible  proportion;  mais  qu'à  la  température  de  l'ébuUition  cette  attaque 
était  notable. 

Dans  des  expériences  personnelles,  l'auteur  de  cet  article  a  constaté  qu'à  la  tempéra- 
ture ordinaire  l'aluminium  était  attaqué  légèrement  par  l'eau  pure,  que  les  solutions 
salines,  notamment  l'eau  de  mer,  l'attaquaient  d'une  façon  plus  appréciable.  Si  l'on  a  affaire 
à  une  solution  de  sulfate  d'alumine  étendue,  et  qu'on  chauffe  légèrement,  l'attaque  de  l'alu- 
minium devient  notable  et  se  continue,  môme  lorsqu'on  cesse  l'action  de  la  chaleur. 

Les  faibles  doses  d'aluminium  ainsi  entraînées  dans  les  aliments  sont-elles  nuisibles 
à  l'organisme? 

Les  partisans  de  l'aluminium  prétendent  que  non,  et  citent  à  l'appui  de  leur  dire  des 
expériences  et  des  analyses. 

Ohlmuller  et  Heise  ont  fait  prendre  à  deux  hommes  pendant  un  mois  un  gramme  de 
tartrate  d'alumine  sans  observer  de  trouble  de  l'appétit  ni  de  la  santé.  Plagge  et  Lebbin 
ont  fait  manger  deux  hommes  pendant  18  mois  dans  des  vases  en  aluminium  sans  in- 
convénient. AuBRY  rappelle  que  presque  tous  nos  aliments  renferment  de  l'aluminium,  la 
viande,  les  légumes,  les  fruits.  100  grammes  de  farine  de  froment  contiennent  7,5  de 
phosphate  d'alumine.  Bibra.  a  constaté  la  présence  du  phosphate  d'alumine  dans  la  chair 
musculaire.  Plagge  et  Lebbin  on  rencontré  sur  26  analyses  d'eau  des  puits  de  Berlin  et 
de  laSprée  24  échantillons  qui  contenaient  de  0  milligr.  2  à  18  milligr.  46  d'aluminium 
par  litre. 


ALUMINIUM.  ii93 

Quoi  qu'il  en  soit,  Kûbert  pense  qu'à  la  longue  les  sels  d'aluminium  pourraient  devenir 
toxiques,  dans  le  cas  où  ils  seraient  absorbés  et  s'accumuleraient  dans  le  foie. 

Les  sels  d'aluminium  absorbés  par  voie  stomacale  semblent  être  peu  toxiques  et  diffu- 
sent difricilement  dans  l'organisme.  —  Il  n'en  est  pas  de  même  pour  les  sels  d'alumi- 
nium introduits  directement  dans  l'organisme. 

SiEM,  qui  a  étudié  cette  action  dans  une  thèse  inaugurale  soutenue  à  Dorpat 
en  1886,  a  constaté  que  les  sels  d'aluminium  injectés  directement  dans  le  sang  étaient 
toxiques.  La  dose  toxnjue  déterminée  par  kilogramme  d'animal  est  de  : 

300   milligrammes  d'aluminium   pour  le   lapin. 

230  à  280  —  —  —    le   chat. 

250  —  —  —     le   chien. 

L'aluminium  agit  sur  le  système  nerveux  central,  dont  il  détermine  d'abord  une  exci- 
tation passagère,  bientôt  suivie  d'une  paralysie  progressive  des  centres  nerveux,  qui  per- 
dent successivement  toute  irritabilité  directe  ou  réflexe.  Les  animaux  meurent  par  suite 
de  la  cessation  complète  des  fonctions  des  centres  nerveux.  Le  cœur  est  Vultimum  mo- 
riens. 

SiEM  a  constaté,  à  l'autopsie,  de  la  dégénérescence  graisseuse  du  foie  et  de  la  dégé- 
nérescence hyaline  de  l'épithélium  rénal.  Il  n'a  pas  recherché  si  l'aluminium  s'éliminait 
parles  urines  ou  si  au  contraire  il  s'accumulait  dans  l'organisme. 

Alun.  —  L'alun  se  distingue  des  autres  composés  de  l'aluminium  par  sa  propriété 
astringente  qui  en  fait  un  des  meilleurs  astringents  locaux  de  la  matière  médicale. 

L'alun  agit  localement  en  contractant  les  tissus  et  les^capillaires;  c'est  en  même  temps 
un  irritant.  Mialhe  distingue  deux  actions  différentes  :  à  faibles  doses  il  coagule  les  liquides 
albumineux  de  l'organisme;  lorsqu'on  augmente  la  dose,  le  coagulum  se  redissout  dans 
les  mêmes  liquides  albumineux,  qui,  se  trouvant  saturés  d'alun,  acquièrent  une  fluidité 
plus  considérable.  Les  tissus  vivants  laissent  alors  transsuder  au  dehors  les  humeurs  qui 
les  imprègnent.  Delioux  de  Savignac  n'admet  pas  cette  distinction;  pour  lui  l'alun  est  tou- 
jours un  astringent.  Pris  à  l'intérieur  (par  voie  stomacale)  l'alun  agit  comme  un  coagu- 
lant et  semble  augmenter  la  plasticité  du  sang.  Orfila  dit  avoir  recherché  et  retrouvé  de 
l'alun  dans  la  rate  et  le  foie  d'un  chien  auquel  il  en  avait  administré  à  haute  dose.  Il  a 
aussi  constaté  la  présence  de  l'alun  dans  l'urine.  Cullen,  Babbier,  Merat,  Trousseau  ont 
constaté  que  l'alun  déposé  dans  l'estomac  à  la  dose  de  1  à  4  grammes  cause  des  pince- 
ments et  autres  sensahons  douloureuses.  Ils  ont  observé  de  la  difficulté  dans  la  diges- 
tion, des  nausées  et  même  des  vomissements. 

Cullen  a  remarqué  que  l'alun  purge  lorsqu'il  est  pris  à  haute  dose,  qu'il  constipe  à 
petite  dose. 

Barthez,  qui  a  expérimenté  l'alun  sur  lui-même,  a  constaté,  le  prenant  à  jeun  à  la  dose 
de  2  grammes,  de  l'astriction  dans  la  bouche  et  dans  l'estomac  pendant  un  quart  d'heure  ; 
à  la  dose  de  4  grammes,  astriction  plus  forte,  appétit  plus  vif,  digestion  plus  prompte. 

Il  a  poussé  la  dosejusqu'à  8,  10  et  12 grammes;  avec  10  grammes,  il  a  eu  des  nausées; 
avec  12  grammes,  des  vomissements. 

L'alun  pris  à  l'intérieur  tend  à  ralentir  légèrement  la  circulation,  augmente  la  sécré- 
tion uriiiaire,  diminue  la  transpiration  cutanée. 

Les  sels  d'aluminium  ingérés  par  voie  stomacale  sont  facilement  tolérés  par  l'orga- 
nisme et  ne  sont  pas  vénéneux,  à  moins  d'exagérer  leur  dose.  On  peut  expliquer  ce  fait 
en  se  rappelant  que  : 

1°  Leur  pénétration  dans  les  voies  d'absorption  est  lente  et  graduelle,  sans  doute  im- 
parfaite, empêchée  par  l'action  coagulante  topique  et  la  formation  de  sous-sels  insolubles  ; 

2°  L'aluminium  se  rencontre  comme  partie  intégrante  de  beaucoup  de  nos  principes 
immédiats.  Biria  {Gaz.  de  médecine,  1846,  p.  334)  a  reconnu  que  le  phosphate  d'alumine 
est  le  sel  dominant  de  la  chair  musculaire. 

Litroduits  directement  dans  la  circulation,  les  sels  d'aluminium  sont  toxiques  et 
agissent  principalement  sur  les  centres  nerveux. 

Appliqués  localement,  les  sels  d'aluminium  sont  des  irritants. 

Le  sulfate  d'alumine  a  été  employé  par  Homolle  qui  l'associait  au  sulfate  de  zinc 
pour  la  destruction  des  produits  hétéromorphes  végétant  avec  une  activité  excessive. 


394  ALUMINIUM    —    AMIBES. 

L'alun  jouit  en  outre  de  propriétés  astringentes  énergiques.  Lorsqu'on  met  cette 
substance  sur  une  partie  très  vascularisée,  on  voit  bientôt  le  sang  se  retirer.  La  turges- 
cence et  la  coloration  disparaissent,  le  tissu  paraît  flétri.  Mais,  si  l'alun  est  mis  en  grande 
quantité,  on  voit  bientôt  des  phénomènes  inflammatoires  succéder  à  ceux  d'astriction 
(Trousseau  et  Pidoux). 

Les  voies  d'élimination  de  l'aluminium  ne  sont  pas  exactement  connues;  malgré 
l'observation  d'OnFiLA,  qui  dit  avoir  trouvé  de  l'alumine  dans  les  urines,  cette  question 
n'est  pas  encore  élucidée. 

Nous  devons  rappeler  ici  les  propriétés  antiseptiques  et  désinfectantes  des  sels  d'alu- 
minium; on  a  proposé  d'employer  le  chlorure  d'aluminium  comme  désinfectant;  mais  sa 
réaction  fortement  acide  limite  beaucoup  son  emploi. 

Toxicologie.  —  La  recherche  toxicologique  de  l'aluminium  ne  s'est  jamais  présentée; 
car  l'alun  n'est  pas  une  substance  facile  à  employer  dans  un  but  criminel.  Pour  le  re- 
chercher, on  n'aura  qu'à  détruire  les  matières  organiques  par  la  calcination  et  chercher 
l'alumine  dans  les  cendres.  On  doit  se  rappeler  que  les  tissus  de  l'organisme  contiennent 
de  l'aluminium. 

Le  sulfhydrate  d'ammoniaque  donne  un  précipité  blanc  d'alumine,  l'acide  sulfhydri- 
que  se  dégage. 

Les  carbonates  alcalins  donnent  un  précipité  d'alumine  insoluble  dans  un  excès  de 
réactif  avec  dégagement  d'acide  carbonique. 

Ce  précipité  d'alumine  humecté  d'azotate  de  cobalt,  puis  calciné  au  chalumeau,  donne 
une  masse  colorée  en  bleu  ciel,  cette  coloration  est  caractéristique. 

Le  phosphate  de  soude  donne  un  précipité  de  phosphate  d'alumine  soluble  dans  les 
acides. 

Applications.  — •  L'aluminium  tend  à  entrer  de  plus  en  plus  dans  l'usage  courant 
pour  la  confection  des  divers  objets  d'emploi  usuel.  Malheureusement  il  est  attaqué  trop 
facilement  par  divers  agents  chimiques,  ce  qui  limite  forcément  son  emploi. 

En  médecine  on  emploie  l'alun  calciné  en  poudre,  comme  agent  topique  local,  en 
solution  comme  astringent  hémostatique. 

Bibliographie.  —  Chimie.  —  D.  W.  et  suppléments  (article  Aluminium).  —  Physio- 
logie et  médecine.  —  Dictionnaires  de  Médecine.  —  Siem.  Thèse  inaugur.  Dorpat,  1886. 
—  Ohlmuller  et  Heise  [llyg.  Rund.,  t.  ii,  p.  103,  1"  décembre  1892).  — -Plagge  et  Lebbin 
{Hijg.  Rund.  t.  ni,  p.  272,  la  mars  1893). 

A.  CHASSEVANT. 

ALUN.  — Voyez  Aluminium. 

AMETROPIE.  — On  réunit  sous  le  nom  d'amétropie  (a  privatif  et  y.hpov, 
mesure)  l'hypermétropie  et  la  myopie.  On  oppose  l'amétropie  à  Vemmétropie.  Un  œil  emmé- 
trope est  celui  dont  la  rétine  se  trouve  dans  le  plan  focal  principal  du  système  dioptrique 
de  l'œil,  celui  qui  sans  accommoder  voit  bien  à  distance.  L'œil  hypermétrope  a  le  foyer 
principal  du  système  dioptrique  en  arrière  de  la  rétine;  pour  voir  à  distance,  il  doit 
accommoder  (Voyez  Hypermétropie).  L'œil  myope,  trop  long,  a  la  rétine  située  en 
arrière  du  plan  focal  principal  du  système  dioptrique.  Il  ne  voit  pas  nettement  à  dis- 
tance, mais  bien  à  une  distance  plus  ou  moins  rapprochée  de  l'œil  (Voyez  Myopie).  — 
Dans  son  acception  habituelle,  l'amétropie  ne  comprend  pas  l'astigmatisme,  qui  cons- 
titue une  troisième  anomalie  de  la  réfraction  de  l'œil  (Voyez  Astigmatisme). 

NUEL. 

AMIBES  et  AIVIIBOÏDES  (iVIOUVements).—  L'étude  des  amibes 
présente  un  intérêt  considérable  pour  la  physiologie  générale.  Ce  sont  peut-être  les  êtres 
les  plus  simples  qui  puissent  servir  à  l'étude  des  propriétés  générales  du  protoplasme. 
Biologie  générale  des  amibes.  —  L'existence  de  masses  protoplasmiques,  sans 
formes  et  sa/is  limites  précises,  telles  que  celles  qui  constituent,  selon  certains  auteurs, 
le  Bathybius  Hxckeli,est  encore  actuellement  des  plus  douteuses.  Il  est  vrai  qu'il  existe 
certainement  des  êtres  tels  que  Protamœha  primitiva,  dont  la  forme  est  absolument  indé- 
finie et  changeante  d'un  instant  à  l'autre  ;  mais,  dans  une  semblable  Monère,  l'accrois- 


AMIBES.  395 

sèment  indéfini  de  la  masse  vivante  est  impossible.  La  masse  protoplasmique  vivante 
est  de  forme  variable,  mais  de  volume  limité.  Il  semble  que  les  molécules  protoplas- 
miques  soient  maintenues  par  une  attraction  centrale,  qui  ne  s'exerce  que  dans  une 
zone  d'un  certain  diamètre.  Les  molécules  vivantes  du  Protamœba  peuvent  bien  graviter 
autour  d'un  centre  d'attraction,  mais  le  rayon  de  l'orbite  est  étroitement  limité;  et  si, 
par  suite  de  l'accroissement  de  la  masse  vivante,  du  fait  de  la  nutrition,  une  molécule 
sort  de  l'aire  limitée  par  cette  orbite,  elle  gravite  dès  lors  d'une  manière  indépendante, 
autour  d'un  nouveau  centre  d'attraction,  formé  par  suite  de  la  condensation  des  molé- 
cules congénères  échappées  de  l'orbite  primitive.  Sitôt  que  l'accroissement  du  Protamœba 
dépasse  une  certaine  limite,  une  portion  de  la  masse  s'isole  pour  former  un  être  nou- 
veau. Le  physiologiste  ne  peut  donc  qu'étudier  les  propriétés  d'une  masse  protoplas- 
mique limitée.  Il  peut  sembler,  au  premier  abord,  que  le  plasmode  des  Myxomycètes, 
si  souvent  utilisé  dans  les  recherches  de  physiologie,  puisse  représenter  une  masse  pro- 
toplasmique sans  limites  précises;  mais  on  sait  qu'on  a  en  réalité  affaire  à  nn  sy  ne  y  iium, 
formé  par  réunion  plus  ou  moins  intime  de  petites  niasses  protoplasmiques,  dont  les 
molécules  sont  groupées  autour  d'autant  de  petits  centres  d'attraction  qu'il  y  a  d'orga- 
nismes élémentaires  composant  le  plasmode. 

Les  Monères,  telles  que  Protamœha  primUiva,  Protogenes  primordialls,  semblent  bien 
inférieures  aux  amibes  proprement  dites  par  uu  caractère  important  :  l'absence  du 
corps  que  nous  désignerons  tout  à  l'heure,  dans  les  amibes,  sous  le  nom  de  noyau;  mais 
cette  absence  est,  il  faut  le  reconnaître,  encore  problématique  ;  les  exemples  se  multi- 
plient chaque  jour  de  cellules  à  noyaux  diffus,  et  il  est  permis  de  se  demander  aujour- 
d'hui s'il  existe  un  seul  Cylode,  au  sens  exact  du  mot,  et  si  tous  les  êtres  vivants  ne  sont 
pas  formés  d'uu  ou  de  plusieurs  Nucléoles  à  noyau  plus  ou  moins  diiïus  (Voy.  Cellule). 

Eufm,  il  est  encore  une  autre  raison,  celle-ci  d'un  ordre  purement  pratique,  qui 
recommande  l'étude  des  amibes  comme  celle  des  êtres  les  plus  simples  :  il  est  facile  de 
s'en  procurer  presque  en  tous  lieux  et  en  toutes  saisons.  Si  on  fait  macérer  dans  l'eau 
des  débris  végétaux,  on  peut  être  à  peu  près  sûr  d'y  rencontrer  des  amibes,  et,  en 
particulier,  l'Amœba  vulgaris.  L'Amœba  princeps  Ehr.  est  aussi  très  fréquente  dans  les 
infusions  végétales.  Mais  l'Amœba  terricola  Greeff  est  encore  l'espèce  la  plus  facile  à  se 
procurer;  ou  la  trouve  dans  le  sable  et  les  parcelles  de  terre,  qui  se  déposent  au  fond 
de  l'eau,  où  on  agite  la  base  des  mousses  teriicoles  ou  lignicoles. 

Cet  être  ressemble,  à  l'état  de  repos,  à  une  masse  irrégulière,  réfringente,  que  l'on 
peut  comparer,  avec  assez  de  justesse,  à  un  fi'agment  de  quartz.  Son  contenu,  générale- 
ment jaunâtre,  est,  le  plus  souvent,  ramassé  en  petites  boules,  et,  par  une  observation 
attentive,  il  est  facile  de  reconnaître  le  mouvement  intérieur  des  granulations  du  pro- 
toplasme, du  sarcode,  pour  employer  l'expression  de  Dujardin,  qui  a  le  premier  bien  étu- 
dié les  amibes,  désignées  aussi  par  lui  sous  le  nom  significatif  de  Protées  (lS3a). 

La  masse  protoplasmique  est  homogène,  hyaline,  très  consistante  à  la  surface, 
liquide  et  granuleuse  à  l'intérieur.  Le  protoplasme  n'est  donc  homogène  qu'en  appa- 
rence; les  granulations  qui  le  constituent  se  groupent  vers  l'intérieur,  et  on  peut  dis- 
tinguer deux  couches  imparfaitement  délimitées,  la  couche  externe  ou  eetosarque,  et  la 
couche  interne  ou  endosarque.  Il  serait  peut-être  plus  heureux  de  donner  à  l'ectosarque 
le  nom  de  couche  membraneuse,  nom  que  porte  le  protoplasme  périphérique  dans  les 
cellules  végétales. 

Irritabilité  et  contractilité.  —  Les  propriétés  essentielles  du  protoplasme  :  irri- 
tabilité et  contractilité,  peuvent  être  étudiées  d'une  manière  parfaite  sur  l'amibe. 

L'amibe  est  dans  un  certain  état  chimico-physique.  Vient-on  à  changer  cet  état, 
l'amibe  réagira,  que  l'excitation  soit  physique,  chimique  ou  mécanique.  L'irritabilité 
de  l'amibe  sera  donc  sa  réaction  aux  forces  extérieures  qui  agissent  sur  elle. 

C'est  à  la  contractilité  que  cet  être  doit  de  pouvoir  pousser  dans  toutes  les  direc- 
tions des  prolongements,  dits  pseudopodes  ou  lobopodes.  Ces  prolongements  sont  irrégu- 
liers, hyalins,  en  forme  de  verrues,  de  gibbosités,  au  moyen  desquelles  l'amibe  se 
meut  d'une  manière  saccadée,  en  tombant  presque  d'un  pseudopode  sur  l'autre.  Les 
pseudopodes  ne  sont  pas  toujours  homogènes;  on  peut  les  voir  parcourus  par  des  cou- 
rants de  granulations  protoplasmiques,  partant  de  la  masse  centrale.  Leur  extrémité  se 
fixe  sur  les    corps   solides,  contre    lesquels  ils  prennent  un  point  d'appui,  et,  par  leurs 


396  AMIBES. 

contractions,  ils  déplacent  peu  à  peu  la  masse  du  corps,  comme  par  la  traction  de 
petits  câbles  protoplasmiques,  agissant  sur  la  masse  centrale  et  s' appuyant  sur  les  corps 
auxquels  ils  adhèrent.  Les  pseudopodes  peuvent  revêtir  des  formes  diverses,  semblables 
à  des  hernies,  des  boursouflures;  ils  peuvent  être  simples,  lobés,  arrondis,  confluer  les 
uns  avec  les  autres,  d'une  manière  plus  ou  moins  nette.  Le  fait  que  ces  pseudopodes 
peuvent  confluer  prouve  bien  qu'ils  ne  sont  pas  limités  par  une  enveloppe,  et  qu'ils  sont 
entièrement  constitués  par  une  substance  plastique.  On  pourrait  presque  les  définir  :  du 
protoplasme  coulant  dans  une  direction  déterminée,  s'agglutinant  à  lui-même  et  adhé- 
rant à  l'objet  qui  le  supporte. 

Lors  de  la  formation  d'un  pseudopode,  on  voit  l'endosarque  se  porter,  par  un  cou- 
rant plus  ou  moins  rapide,  vers  le  point  où  naît  le  pseudopode,  et,  à  mesure  que  celui- 
ci  s'allonge,  le  courant  intérieur,  accusé  par  le  mouvement  des  granulations,  avance 
vers  la  périphérie. 

Les  granulations  intérieures,  le  plus  souvent  groupées  en  sphérules,  entourées  d'un 
halo  transparent,  remplissent  peu  à  peu  l'intérieur  du  pseudopode,  tout  en  laissant  à 
sa  surface  une  couche  transparente,  dans  laquelle  elles  ne  pénètrent  pas,  et  qui  représente 
l'ectosarque  qui  s'est  laissée  distendre  par  la  coulée,  limitée  en  un  point,  de  l'endo- 
sarque. 

Ce  sont,  en  réalité,  les  contractions  de  l'ectosarque  qui  déterminent  les  mouvements 
de  la  masse  interne,  plus  liquide.  Car  le  côté  opposé  au  pseudopode  naissant  présente, 
lors  de  la  formation  de  ce  dernier,  des  rides,  des  plis  dans  sa  couche  externe,  absolu- 
ment comme  un  ballon  de  caoutchouc  qui,  se  gonflant  en  un  point,  se  déprime  au 
point  diamétralement  opposé. 

Il  est  cependant  essentiel  de  ne  pas  croire  à  une  séparation  absolue  entre  les  deux 
couches  protoplasmiques;  leurs  contours  ne  sont  pas  arrêtés;  on  passe  insensiblement 
de  l'une  à  l'autre,  alors  même  que  la  masse  granulée  interne  n'atteint  pas  la  péri- 
phérie. 

On  peut  expliquer  la  formation  de  l'ectosarque  par  l'action  du  milieu  ambiant  sur 
le  protoplasme.  Mais  il  est  difficile  d'être  fixé  sur  la  nature  intime  de  cette  action.  La 
teneur  en  eau  du  protoplasme  périphérique  est-elle  susceptible  de  varier,  selon  les 
conditions  du  milieu? Ou  bien  se  forme-t-il  une  sorte  de  précipité  moins  solide,  comme 
dans  les  cellules  artificielles  de  Traube"?  En  tous  cas,  il  faut  remarquer  que  cette  pré- 
cipitation de  la  masse  périphérique  n'entrave  nullement  les  échanges  osmotiques. 

Vacuoles  contractiles.  —  Le  protoplasme  des  amibes  présente  toujours  des 
vacuoles  confractites,  extrêmement  variables  de  forme  et  de  volume,  mais  toujours  pleines 
d'un  liquide  transparent,  de  composition  complexe,  non  encore  définie,  moins  dense 
que  le  protoplasme,  et  différant  sensiblement  de  lui  au  point  de  vue  chimique.  Klles  se 
forment  en  des  endroits  indéterminés,  grossissent,  puis  parfois  viennent  à  confluer  ou 
à  se  diviser  en  vacuoles  plus  petites,  et  limitées  par  le  protoplasme  formant  le  corps 
de  l'amibe.  Quelquefois  ces  vacuoles  deviennent  énormes;  elles  atteignent  alors  la  péri- 
phérie, soulèvent  la  surface,  sous  forme  d'une  mince  pellicule,  puis  se  vident  subite- 
ment. L'expulsion  de  leur  contenu  est  toujours  déterminée  par  la  pression  exercée  sur 
elles  par  la  progression,  vers  la  périphérie,  du  protoplasme  sous-jacent.  On  ne  voit 
jamais  d'ouverture  par  où  le  contenu  de  la  vacuole  s'épancherait  au  dehors.  Souvent, 
la  vacuole  une  fois  vidée,  on  voit  persister  à  sa  place  un  espace  semi-lunaire,  qui 
marque  la  distance  entre  la  masse  interne  du  protoplasme,  s'avançant  comme  un  tam- 
pon, et  la  couche  périphérique.  Bientôt  cet  espace  disparaît,  et  le  protoplasme  se  voit, 
engendrant,  comme  dans  les  autres  points,  de  nouvelles  vacuoles,  d'abord  très  petites, 
puis  confluentes.  Les  pulsations  que  présentent  ces  vacuoles,  leurs  mouvements  d'ex- 
pansion et  de  contraction,  n'ont  rien  de  rythmique. 

Il  est  permis  de  penser  que  le  liquide  de  ces  vacuoles  provient,  en  partie  du  proto- 
plasme qui  les  entoure,  en  partie  de  l'eau  ambiante.  Si  le  protoplasme  se  contracte, 
une  certaine  quantité  de  liquide  va  s'accumuler  dans  la  vacuole  contractile,  dont  le  dia- 
mètre augmente.  Si,  au  contraire,  le  protoplasme  se  dilate,  il  reprend  une  partie  du 
liquide  de  la  vacuole,  et  celle-ci  diminue  de  diamètre. 

Les  mouvements  alternatifs  de  contraction  et  d'expansion  des  vacuoles  sont  donc 
simplement  déterminés  par  des  mouvements  inverses  du  protoplasme  qui  les  circon- 


AMIBES.  397 

scrit.  Elles   traduisent,  à  nos  yeux,  leurs  mouvements  incessants  qui,  en  l'absence  des 
vacuoles,  passeraient  inaperçus. 

On  a,  tour  à  tour,  considéré  ces  vacuoles  comme  des  organes  circulatoires,  d'excré- 
tions ou  aquifères,  sans  que  l'on  puisse  donner  de  raisons  valables  en  faveur  de  l'une 
ou  l'autre  opinion.  En  réalité,  ces  vacuoles  peuvent  bien  cumuler  les  trois  fonctions. 
Les  contractions  animent  de  mouvements  plus  ou  moins  réguliers  la  substance  proto- 
plasmique.  Comme  le  liquide  vacuolaire  provient,  au  moins  en  partie,  du  protoplasme, 
on  peut,  avec  assez  de  vraisemblance,  le  considérer  comme  un  produit  de  sécrétion. de 
ce  protoplasme.  La  projection  de  ce  liquide  au  debors  peut  alors  être  considérée  comme 
un  véritable  acte  d'excrétion.  Lorsque  la  vacuole  est  poussée  vers  la  péripbérie,  puis 
revient  dans  la  masse,  on  peut  conclure  qu'elle  a  dû  dissoudre,  dans  son  liquide,  une 
certaine  quantité  d'oxygène,  emprunté  au  liquide  ambiant;  elle  cède  ce  gaz  à  la  masse 
centrale,  et  pourrait  expulser  l'acide  carbonique,  dans  son  mouvement  en  sens  inverse, 
du  centre  vers  la  périphérie.  La  dénomination  d'appareil  aquifère  ou  respiratoire  serait 
de  ce  chef  assez  bien  justifiée.  Il  est  cependant  à  remarquer  que  la  fonction  respira- 
toire ne  peut  pas  être  localisée  exclusivement  dans  les  vacuoles;  il  faut  admettre  qu'elle 
s'effectue  par  toute  la  surface  du  corps.  La  poussée  des  pseudopodes,  à  laquelle  le  corps 
tout  entier  contribue,  permet  à  toutes  les  parties  du  protoplasme  de  se  mettre  succes- 
sivement en  contact  avec  de  nouvelles  couches  d'eau,  et  assure  ainsi  son  oxygénation. 
Digestion  intra-cellulaire.  —  La  nourriture  liquide  pénètre  par  tous  les  points 
du  corps  par  endosmose;  mais,  en  outre,  le  protoplasme  exerce  une  action  digestive 
sur  les  substances  organiques.  C'est  une  véritable  digestion  intra-ceUidairc. 

On  voit  les  pseudopodes  diffluer  sur  les  particules  avec  lesquelles  ils  sont  en  contact, 
et  qui  peu  à  peu  sont  englobées  par  le  protoplasme;  les  corpuscules  solides  pénètrent 
ainsi  jusqu'au  centre  de  la  masse  de  l'amibe.  Les  diatomées  par  exemple,  qui  ont  pénétré 
dans  le  protoplasme,  en  sont  rejetées,  les  valves  parfaitement  vides,  privées  de  tout  con- 
tenu; leur  masse  a  donc  été  assimilée  par  le  protoplasme  de  l'amibe. 

Les  amibes  paraissent  surtout  se  nourrir  de  matières  végétales  en  décomposition. 
Les  granulations  jaunes,  plus  ou  moins  disséminées,  parfois  agglomérées,  que  nous 
avons  déjà  signalées  dans  la  masse  protoplasmique,  se  présentent,  à  de  forts  grossisse- 
ments, sous  la  forme  de  petites  baguettes  ou  de  corpuscules  ariondis,  qu'on  doit  con- 
sidérer comme  des  résidus  de  l'assimilation.  On  rencontre,  en  effet,  des  individus  dans 
lesquels  les  granulations  font  entièremenl  défaut,  tandis  que,  dans  d'autres,  on  aperçoit 
encore  des  fragments  d'oscillaires  vertes,  dont  le  thalle  est  en  train  de  se  dissocier  par 
désagrégation  des  cellules. 

La  digestion  intra-rellulaire  du  protozoaire  est  susceptible  d'être  étudiée  par  des 
procédés  expérimentaux.  C'est  un  des  phénomènes  les  plus  essentiels  qui  doivent  fixer 
l'attention  des  physiologistes.  Mais  nous  ne  possédons  actuellement  de  notions  que  sur 
le  mécanisme  de  la  digestion  des  ingesta  dans  la  masse  protoplasmique,  et  nous 
sommes  dans  l'ignorance  complète  des  transformations  chimiques  des  substances  déjà 
élaborées  par  la  digestion  intra-cellulaire. 

Les  amibes,  à  cause  même  de  la  simplicité  de  leur  structure,  sont  à  ce  point  de  vue 
un  sujet  d'étude  des  plus  recommandables.  11  est  d'abord  à  remarquer  que  chaque  par- 
ticule ingérée  dans  le  protoplasme  se  trouve  entourée  d'une  vacuole.  On  s'est  d'abord 
servi  du  tournesol,  pour  étudier  la  réaction  du  contenu  de  ces  vacuoles,  et  avec  ce  réactif, 
Greenwood  n'a  pu   déceler  aucune  réaction  dans  les  vacuoles  de  l'Amœba  proteiis. 

Mais  ce  réactif  manque  de  sensibilité.  On  sait  en  effet  qu'il  y  a  dans  le  tournesol  un 
excès  d'alcalinité  qu'il  faut,  avant  tout,  neutraliser;  car  le  volume  de  la  vacuole  est  du 
même  ordre  de  grandeur  que  celui  du  grain  ingéré. 

Le  tournesol  brut  ne  pourra  déceler  l'acidité  d'une  vacuole  que  si  elle  est  très  forte. 
Il  faut,  en  outre,  neutraliser  l'alcalinité  du  milieu  contenant  le  protozoaire  en  expé- 
rience. Or,  s'il  est  délicat,  cette  neutralisation  chimique  peut  compromettre  sa  vitalité. 
L'étude  de  la  digestion  intra-cellulaire  chez  les  amibes,  a  été,  dans  ces  derniers 
temps,  reprise  par  Le  Danteg  [Ann.  Insl.  Past.,  1890,  p.  784)  à  l'aide  d'un  réactif  plus 
parfait  :  l'alizarine  sulfoconjuguée.  Nous  renvoyons  au  mémoire  de  l'auteur  pour  le 
détail  de  la  technique.  Rappelons  seulement  le  principe  de  la  méthode. 

L'eau  dans  laquelle  vivent  les  protozoaires  est,  en  général,  légèrement  alcaline,  et 


398  AMIBES. 

donne  à  l'alizarine  une  teinte  variant  du  violet  au  rose,  selon  le  degré  de  l'alcalinité. 
Sous  l'action  de  l'ammoniaque  de  l'air,  les  petits  grumeaux  qu'elle  forme  dans  l'eau  se 
colorent  en  violet.  La  matière  colorante  se  dépose,  au  bout  de  quelques  jours,  en 
aiguilles  violet  foncé.  Ce  sont  ces  grumeaux  ou  ces  aiguilles  que  les  protozoaires 
ingèrent.  Si  ces  particules  se  trouvent  en  contact  avec  un  liquide  acide,  elles  vireront 
de  teinte  et  passeront  à  une  teinte  rose.  On  place,  dans  la  goutte  d'eau  contenant  les 
amibes,  une  goutte  de  solution  d'alizarine  violette,  c'est-à-dire  légèrement  alcaline. 
Au. début,  toutes  les  amibes  sont  claires  et  dépourvues  de  vacuoles  colorées,  au  milieu 
de  la  solution  violette. 

Au  bout  de  quelques  heures,  toutes  les  amibes  présentent,  au  contraire,  des 
vacuoles  roses,  d'une  couleur  très  distincte  de  celle  de  l'alizarine  violette  externe.  11  v 
a  donc  production  d'acide  autour  du  grumeau  d'alizarine  ingérée.  Pour  être  sûr  que 
la  matière  rose  est  bien  de  l'alizarine,  il  suffit  d'écraser  l'amibe,  et  de  déposer  à  son 
contact  une  goutte  d'ammoniaque;  la  vacuole  rose  vire  au  violet. 

Lorsque  l'alizarine  est  en  contact  avec  une  quantité  sufflsante  d'acide,  elle  vire  au 
jaune.  Mais  il  est  très  rare  que  l'amibe  conserve  assez  longtemps  l'alizarine  dans  sa 
masse  pour  que  cette  coloration  se  manifeste.  Il  y  a  donc  sécrétion  d'acide  dans  la 
vacuole,  mais  sécrétion  bien  faible,  puisque  la  neutralité  qui  correspond  à  la  teinte  rose 
n'y  est  pas  dépassée. 

L'ingestion  du  grain  d'alizarine,  substance  inerte,  provoque-t-elle  une  sécrétion  et 
la  formation  d'une  vacuole?  L'observation  est  délicate;  mais  peut  être  faite  en  goutte 
suspendue.  L'amibe  étend  des  pseudopodes  vers  un  grumeau  d'alizarine;  parfois  il  ne 
se  produit  rien,  mais  parfois  aussi  on  voit  brusquement  le  grumeau  qui  était  extérieur 
à  l'amibe,  situé  à  son  intérieur,  au  centre  d'une  vacuole.  Il  est  à  supposer  que  les  pseu- 
dopodes se  touchent  sur  un  point,  et  s'anastomosent  brusquement,  en  englobant  le 
grumeau  dans  une  vacuole  ronde,  et  paraissant  remplie  d'eau  venant  du  liquide 
ambiant.  Le  granule  conserve  quelque  temps,  dans  la  vacuole,  sa  teinte  initiale;  la 
réaction  du  liquide  vacuolaire  est  donc,  au  début,  toujours  la  même  que  celle  du 
liquide  ambiant.  Pour  montrer  que  le  liquide  vacuolaire  est  bien  de  l'eau  ingérée,  on 
peut  faire  l'expérience  suivante.  En  changeantla  réaction  du  liquide  ambiant,  on  devrait 
changer  la  réaction  de  la  vacuole,  si  le  protoplasme  avait  la  propriété  de  sécréter  à 
son  intérieur  un  liquide,  ayant  toujours  au  début  la  même  réaction  que  l'eau  ambiante. 
Or  acidifions  l'eau  ambiante,  la  vacuole  deviendra  rose;  neutralisons  alors  légèrement 
l'acidité  de  l'eau  ambiante,  celle-ci  redeviendra  violette,  tandis  que  la  vacuole  reste 
rose.  Donc  le  liquide  de  la  vacuole  n'est  pas  sécrété  au  début  par  l'amibe,  de  façon  à 
avoir  toujours  une  alcalinité  identique  à  celle  de  l'eau  ambiante. 

On  peut  même  calculer  approximativement  la  quantité  d'acide  sécrété  dans  la 
vacuole.  Le  virage  de  la  teinte  violette  à  la  teinte  rose  correspond  à  une  quantité 
d'acide  égale  à  j^„  du  volume  de  la  vacuole  (chiffre  déterminé  par  une  expérience 
préliminaire).  Le  diamètre  d'une  vacuole  varie  de  1  à  7  ou  à  8  ;j.;  la  quantité  d'acide 
sécrétée  est  donc  à  peu  près  de  un  trente  millionième  à  un  soixante  millionième 
de  milligramme.  On  peut  juger  par  là  de  l'exquise  sensibilité  de  l'alizarine  aux  varia- 
tions de  l'alcalinité.  Dans  le  cas  où.  l'expulsion  de  la  particule  colorante  n'est  pas  trop 
rapide,  la  teinte  arrive  au  jaune,  mais  il  faut  pour  cela  attendre  plusieurs  heures. 

Gbeenwood  prétendait  qu'il  n'y  a  pas  de  vacuoles  autour  des  particules  ingérées,  non 
nutritives;  ce  qui  est  erroné,  d'après  les  observations  que  nous  venons  de  rapporter; 
de  même  que  l'assertion  de  cet  auteur,  que  les  particules  non  nutritives  ne  déterminent 
pas  de  sécrétion.  La  vacuole,  extrêmement  nette  au  moment  de  l'ingestion  d'une 
particule  solide,  devient  ensuite  moins  évidente.  Il  est  probable  que  cette  apparence  est 
due  à  la  sécrétion  qui  la  remplit,  dont  la  réfrangibilité  égale  à  peu  près  celle  du 
protoplasme.  Mais  la  vacuole  persiste;  car,  si  elle  disparaissait,  l'alizarine  qui  s'y 
trouve  redeviendrait  violette  au  contact  du  protoplasme  alcalin.  D'après  Le  Dantec,  il 
doit  toujours  y  avoir  sécrétion,  au  moins  d'acide,  dans  la  vacuole.  Aucun  Tait  n'autorise 
à  nier  que  la  sécrétion  soit  plus  complète  autour  d'un  granule  nutritif  qu'autour  d'un 
granule  inerte;  peut-être  y  a-t-il  là  élaboration  d'un  ferment,  absent  dans  l'autre  cas; 
mais  ce  ne  sont  là  que  des  hypothèses.  L'acidité  est  égale  dans  les  deux  cas. 

Gree.nwood  (loc.  cit.)  et  Leydy  (Preshwaler  Hhizopods  of  N.-America)  avaient  observé 


AMIBES.  399 

que  l'éjection  des  particules  solides,  non  nutritives,  n'est  pas  accompagnée  d'un  fluide 
visqueux,  comme  lorsque  il  s'agit  de  l'éjection  de  débris  des  particules  nutritives. 
Les  grains  d'amidon  se  comporteraient  comme  des  particules  non  nutritives.  Ces 
observations  ont  été  précisées  par  Le  Dantec.  Les  amibes,  plongées  dans  un  bain 
d'alizarine  violette,  peuvent  parfois  rejeter,  presque  simultanément,  des  vacuoles  d'un 
rose  presque  violet,  et  des  vacuoles  d'un  rose  très  vif.  Les  premières  sont  à  bords  très 
nets;  ce  sont  presque  de  simples  gouttes  d'eau;  les  autres,  au  contraire,  ont  une 
réfrangibilité  voisine  de  celle  du  protoplasme.  Ces  deux  sortes  de  vacuoles  sont  rejetées 
de  façon  toute  différente.  Les  premières  crèvent  doucement,  à  la  surface  du  proto- 
plasme, laissant  sortir  un  grain  d'alizarine  isolé  ;  les  secondes,  au  contraire,  ressem- 
blent à  des  sortes  de  sphères  glutineuses,  se  délitant  peu  ji  peu  dans  le  liquide,  et  con- 
tenant des  débris  de  particules  nutritives,  de  bacilles  par  exemple. 

Le  Dantec  donne  de  ce  phénomène  une  explication  ingénieuse,  et  qui  semble  très 
plausible,  basée  sur  la  capillarité.  Appelons  a  la  tension  superficielle  du  liquide  de  la 
vacuole,  au  contact  du  protoplasme,  r  le  rayon  de  la  vacuole  ;  lorsque  la  vacuole  est  en 
équilibre,  elle  subit  et  résiste  à  une  pression  P  =  ^,  r  étant  très  petit,  la  pression  peut 
être  très  grande  ,  si  a  a  une  valeur  non  négligeable.  Or,  a  varie  avec  la  composition  du 
liquide  vacuolaire. 

a  diminue  à  mesure  que  la  séorétiou  de  la  vacuole  s'effectue  ;  donc  la  force  expulsive 
qui  préside  à  son  rejet  est  plus  faible  que  celle  qui  préside  au  rejet  de  la  vacuole  dé- 
pourvue de  sécrétion  et  ne  contenant  pas  de  pai'ticules  nutritives.  Comme  les  deux  vacuoles 
que  nous  comparons  contiennent  toutes  deux  une  quantité  égale  d'acide,  d'après  ce  que 
nous  avons  dit  tout  à  l'heure,  cette  expérience  peut  mettre  en  évidence  l'élaboration  de 
la  particule  nutritive,  et  la  présence  dans  la  vacuole  de  produits  de  cette  élaboration, 
capables  de  faire  varier  la  tension  superficielle.  D'oîi  une  explication  purement 
physique  de  l'expulsion  brusque,  avec  éclat,  de  la  vacuole  sans  particule  nutritive,  et  de 
l'expulsion  lente  de  la  vacuole  à  particule  nutritive.  Ces  considérations  expliquent 
également  que  les  vacuoles,  dépourvues  de  granules  nutritifs,  sont  expulsées  moins 
vite  que  celles  contenant  des  granules  inertes,  puisque  dans  les  premières,  l'élaboration 
des  matières  nutritives  fait  diminuer  rapidement  a.  Il  y  a  d'ailleurs  un  grand  intérêt 
pour  la  vie  de  l'amibe  à  ce  qu'une  vacuole  à  forte  tension  soit  rapidement  expulsée. 
Soumi.se  à  une  forte  pression  superficielle,  cette  vacuole,  poussée  par  les  mouvements 
du  protoplasme,  crève  rapidement  à  la  surface. 

Il  est,  en  outre,  à  remarquer  que  c'est  surtout  quelques  instants  après  l'ingestion  que 
les  matières  ingérées  sont  rejelées.  On  a  même  cité  des  cas  où  desinfusoires  ingérés  sont 
rejetés  vivants  dans  le  liquide.  Si  ces  particules  résistent  quelque  temps  à  l'expulsion, 
elles  ont  des  chances  de  prolonger  longtemps  leur  séjour  dans  la  masse  de  l'amibe. 

L'éjection  est  donc  un  phénomène  purement  passif  pour  l'amibe,  de  même  que  l'in- 
gestion des  matières  nutritives.  11  faut  donc  revenir  de  l'ancienne  opinion  de  l'ingestion 
élective  des  particules  nutritives.  L'ingestion  est  peut-être  le  résultat  du  simple  stimulus 
au  point  de  contact,  hypothèse  admise  déjà  par  de  Bary  pour  les  Myxomycètes. 

Le  Dantec  pense  que,  chez  les  amibes,  «  il  n'y  a  pas,  à  proprement  parler,  défécation 
des  résidus  solides  des  matières  ingérées  depuis  longtemps  :  ces  matières  semblent 
abandonnées,  simplement  par  un  phénomène  d'adhérence,  par  l'amibe  qui  rampe  à  la 
surface  d'un  corps  quelconque  »  [Rech.  sur  la  digestion  intra-celtulaire  chez  les  Proto- 
zoaires. Bull,  scient,  de  la  France  et  de  la  Belgique,  t.  xxin,  2^  partie). 

Cette  conclusion  ne  s'étend  certainement  pas  à  tous  les  types  voisins  des  amibes. 
Un  Rhizopode  très  voisin,  Nuclcaria,  présenterait  à  ce  point  de  vue  un  perfectionne- 
ment déjà  considérable  ;  car  il  rejette,  pendant  les  stades  de  repos,  les  résidus  de  la 
digestion,  d'une  manière  très  régulière,  autour  du  corps;  il  s'agit  donc  bien  là  d'une 
véritable  défécation. 

Diverses  amibes  se  nourrissent  des  bactéries  qui  pullulent  dans  les  solutions  orga- 
niques où  elles  se  développent.  Ces  bactéries  subissent  dans  le  corps  de  l'amibe  des 
transformations  profondes;  elles  acquièrent  la  propriété  d'absorber  facilement  des  solu- 
tions de  vésuvine,  qui  ne  colorent  pas  les  bactéries  vivant  dans  le  milieu  extérieur. 
B.  Hofer  a  démontré  que,  chez  les  amibes,  plus  la  nourriture  est  altérée  dans  l'intérieur 
de  leur  masse  protoplasmique,  plus  elle  se  colore  par  les  couleurs  d'aniline. 


400  AMIBES. 

Noyau,  nucléole,  segmentation  et  reproduction.  —  Les  amibes  possèdent  un 
noyau,  souvent  très  diflicile  à  apercevoir  au  milieu  des  granulations  protoplasmiques. 

Chez  Amœba  terricola,  que  nous  avons  pris  pour  type,  le  noyau  présente  une  couleur 
grisâtre;  il  se  trouve  limité  par  une  capsule  très  nette,  hyaline,  remplie  d'une  substance 
granuleuse  dont  l'aspect  est  très  variable,  tantôt  nébuleuse,  tantôt  agglomérée  entraînées 
ou  en  granules  arrondis,  ressemblant  à  de  très  petites  cellules  individualisées. 

On  voit  parfois,  mais  rarement,  un  nucléole  nettement  distinct  dans  le  noyau. 

Carter  etWALLioH  ont  signalé,  chez  A. prmceps,  l'existence  de  nombreux  petits  noyaux, 
qu'ils  ccmsidèrent  comme  formés  par  la  segmentation  du  noyau  primitif,  et  comme 
destinés  à  se  transformer  en  autant  d'amibes,  lors  de  leur  expulsion  hors  du  corps  de 
l'amibe  mère. 

L'observation  la  plus  précise  que  l'on  possède,  relativement  à  la  segmentation  des 
amibes,  est  due  à  F.-E.  Schulze;  elle  a  été  faite  sur  Amœba  polypoclia.  Cet  auteur  a  vu  la 
division  du  noyau  et  celle  du  nucléole  (très  volumineux  dans  cette  espèce)  s'effectuer 
avant  que  le  protoplasme  offre  le  moindre  indice  de  segmentation. 

On  sait  d'ailleurs  que,  selon  les  cellules  considérées,  la  division  du  noyau  semble 
précéder  ou  suivre  celle  du  protoplasme. 

Selon  GRAFF(Arc/t.  f.  meth.  Anaf.,  1876,  t.  xii),  chez  A.  ierrfcoZa,  la  reproduction  serait 
précédée  de  la  division  du  noyau.  La  substance  nucléaire  se  disperserait  dans  l'endosarque 
en  gr-anules.  Ces  noyaux  filles  s'entoureraient  de  particules  protoplasmiques,  et  seraient 
ensuite  expulsés  de  l'amibe  mère.  Les  jeunes  amibes  montreraient  d'abord  un  noyau 
très  clair,  un  protoplasme  hyalin  ;  plus  tard  apparaîtraient  les  vacuoles  contractiles  et  les 
pseudopodes. 

Ces  phénomènes  de  division  du  noyau  sont  difficiles  à  saisir.  Mais  on  trouve  assez 
souvent  des  amibes,  dont  le  corps  est  rempli  de  granules,  desquels  l'origine  nucléaire 
est  très  vraisemblable,  et  qui  sont  dépourvues  de  noyau. 

Il  semble  donc  y  avoir  deux  modes  de  reproduction  chez  les  amibes:  a,  simple  bipar- 
tition, intéressant  à  la  fuis  le  protoplasme  et  le  noyau  ;  b,  reproduction  par  une  sorte 
d'enkystement,  division  en  spores  du  contenu  du  kyste,  et  mise  en  liberté  des  spores,  qui 
ne  tardent  pas  à  prendre  la  forme  aniibuïde.  Le  terme  de  kyste  est  peut-être  ici  exagéré; 
car  l'amibe  ne  semble  pas  s'entourer  (dans  la  période  de  repos  préparatoire  à  sa  seg- 
mentation) d'une  véritable  membrane  kystique.  Mais  ce  terme  a  le  grand  avantage  de 
rattacher  ce  mode  de  reproduction,  encore  mal  connu,  à  celui  des  Sporozoaires. 

GaAss[  a  observé  chez  Amœba  Chsetognathi  et  A.  pigmentifera,  espèces  parasites  du 
Chœtognathe  Sagitta,  un  mode  de  reproduction  nettement  endogène. 

A  un  moment  donné,  les  exemplaires  de  moyenne  et  de  grande  taille  se  chargent 
de  granulations,  qui  se  conjuguent  2  par  2,  ou  plusieurs  ensemble.  Les  individus  con- 
jugués s'entourent  d'une  membrane  commune,  puis  leur  endoplasme  se  fragmenle  en  un 
grand  nombre  de  corpuscules  ovales,  qui  s'échappent  hors  de  la  membrane  du  kyste. 

Le  même  processus  de  sporulation  s'observe  chez  les  deux  espèces  ci-dessus.  Mais, 
chez  A.  pigmeiitifera,  chaque  spore  présente  un  fjasellum  deux  fois  plus  long  que  le 
corps,  des  vacuoles,  un  contenu  granuleux,  mais  pas  de  noyau.  Cette  absence  de  noyau 
les  fait  ressembler  à  certaines  zoospores. 

Le  noyau  est  beaucoup  plus  net,  et  a  été  étudié  avec  quelques  détails  chez  Amœba 
princep^  par  Auerbach  (Zeitschr.f.  Wlss.  ZooL,  t.  vin).  C'estuuemasse  arrondie,  trèsréfrin- 
gente,  plus  claire  sur  les  bords,  contenant  très  souvent  un  ou  deux  nucléoles  brillants. 
Chez  l'amibe,  le  noyau  peut  être  mis  assez  facilement  en  évidence.  En  le  traitant  par 
l'acide  acétique  dilué,  le  protoplasme  devient  très  clair,  et  le  noyau  très  brillant.  Par  le 
picroitarminate  d'ammoniaque,  le  protoplasme  prend  une  coloration  pâle,  le  noyau  se 
colore  au  conlraireavec  intensité. 

Influence  des  agents  physico-chimiques  sur  la  vitalité  des  amibes.  —  Celli 
notamment,  a  donné  d'intéressantes  indications  sur  ce  point  particulier  de  leur  bio- 
logie (Congrès  d  hygiène  de  Budapest,  1894). 

Une  température  moyenne  de  0°  à  1S°  est  favorable  à  leur  développement;  elles  péris- 
sent après  un  séjour  de  cinq  heures  à  l'étuve  à  45°,  et  d'une  heure  à  bO".  Lorsqu'elles 
ont  revêtu  la  forme  kystique  (formede  résistance  aux  conditions  cosmiquesdéfavorables), 
elles  peuvent  supporter  sans  périr  une  température  de  00°  pendant  une  heure.  Elles 


AMIBES.  401 

peuvent  même  supporter  la  température  de  67°,  après  avoir  été  progressivement  sou- 
mises à  des  températures  croissantes  jusqu'aux  environs  de  50°.  Sous  forme  Icystique,  les 
amibes  supportent  facilement  l'insolation  pendant  une  durée  de  270  heures. 

Elles  ne  se  développent  pas  dans  un  milieu  privé  d'oxygène;  mais  elles  n'y  périssent 
pas.  On  peut  les  retrouver  vivantes  dans  des  liquides  putréfiés,  contenant  les  produits  de 
décomposition  des  substances  animales,  même  après  23  à  33  jours. 

Même  sous  la  forme  kystique,  les  amibes  offrent  infiniment  moins  de  résistance  aux 
antiseptiques  que  les  bactéries. 

On  trouve  dans  la  terre  divers  types  d'amibes  que  Celli  a  désignés  sous  le  nom  de  : 
Amœba  globosa,  a.\ec  diverses  variétés,  spinosa,  diaphana,  verniicularia,  reticularia,  arbores- 
cens.  Ce  sont  les  formes  globosa  et  spinosa  qui  sont  les  plus  fréquentes  dans  la  terre. 
S'agit-il  là  d'espèces  distinctes,  ou  ne  sont-ce  que  des  variétés,  formes  temporaires  d'une 
même  espèce,  il  semble  imprudent  de  le  dire,  si  on  considère  le  polymorphisme  des 
amibes,  et  le  peu  de  constance  des  caractères  indiqués  pour  séparer  les  diverses  formes. 
Influence  des  agents  physico-chimiques  sur  la  motilité  des  amibes.  —  Les 
amibes  sont  initabks,  c'est-à-dire  que,  si  l'on  vient  à  changer  d'une  façon  quelconque 
l'état  physico-chimique  de  leur  milieu  ambiant,  elles  réagissent.  Cette  réaction  se  mani- 
feste par  des  phénomènes  de  motilité,  et  surtout  par  des  mouvements  amiboïdes. 

Il  est  assez  difficile  de  savoir  si  les  mouvements  sarcodiques  sont  réellement  spon- 
tanés, ou  s'ils  sont  toujours  provoqués  par  une  excitation  extérieure.  Lorsqu'on  observe 
au  microscope  des  amibes,  dans  une  goutte  de  liquide,  il  se  passe  certainement  dans  le 
liquide  des  changements  physico-chimiques  qui  peuvent  jouer  le  rôle  d'excitant,  et,  par 
conséquent,  mettre  en  jeu  l'irritabilité  propre  de  la  cellule.  Tout  ce  que  l'on  peut  dire, 
c'est  que  les  mouvements  paraissent  spontanés,  en  ce  sens  qu'il  est  impossible  d'obser- 
ver une  amibe,  en  état  d'immobilité  prolongée. 

Toute  force  extérieure,  tout  ce  qui  modifie  l'état  actuel  du  protoplasme  de  l'amibe 
est  un  excitant  (Voy.  Ch.  Richet.  Psychologie  générale,  1891,  p.  12). 

Excitations  mécaniques.  —  Il  y  a  plus  d'un  siècle  que  Rosel  vit,  pour  la  première  fois, 
les  amibes   répondre  par  une  contraction  de  leur  masse  à  une  excitation  mécanique. 
Sous  l'influence  d'un  ébranlement   mécanique,  on  voit  les  courants  de  granules  qui 
sillonnent  la  masse  des  plasmodes,  se  ralentir  temporairement  et  même  s'arrêter  com- 
plètement. 

Excitations  lumineuses.  —  Los  amibes  proprement  dites  ne  semblent  pas  irritables  par 
la  lumière.  Une  amibe  d'eau  douce,  Pclumijxa  palustris,  se  contracte  dès  qu'elle  est  ex- 
posée soudainement  à  une  lumière  vive.  Inversement,  si  elle  était  placée  d'abord  à  la 
lumière,  l'exposition  subite  à  l'obscurité  provoque  sa  contraction.  Si  les  modifications 
de  l'intensité  lumineuse  ne  sont  pas  brusques,  il  n'y  a  pas  de  réaction  de  la  part  de 
l'amibe  (E.NGELMANN,  [7e6er  Reizung  des  Protoplasma  ditrch  plotzliche  Beleiichtung.,  A.  Pf., 
t.  XIX,  p.   1). 

Excitations  électriques.  —  Nous  devons  à  Engeuianx  quelques  notions  sur  le  mode  de 
réaction  des  amibes  aux  excitations  électriques.  Soumises  à  l'action  d'un  courant  gal- 
vanique, elles  ne  réagissent  pas  aussitôt  après  la  fermeture  du  courant;  il  y  a  là  une 
sorte  de  temps  perdu  qui  peut  être  très  long.  On  peut  constater  également  des  phéno- 
mènes d'addition  latente.  L'amibe  ne  réagit  pas  à  des  excitations  isolées  de  faible  inten- 
sité, mais  la  succession  rapide  de  plusieurs  excitations  de  même  intensité  amène  finale- 
ment une  réaction  parfois  énergique. 

Soumises  à  l'action  des  courants  faradiqnes,  les  amibes  d'eau  douce  réagissent  vive- 
ment. Après  une  phase  d'excitation  latente  (d'une  durée  de  quelques  secondes),  si 
l'intensité  du  courant  est  faible,  on  voit  survenir  un  arrêt  des  mouvements  internes  des 
granules  protoplasmiques,  et  des  mouvements  amiboïdes. 

Si  l'intensité  du  courant  est  forte,  la  phase  d'excitation  latente  peut  devenir  à  peine 
appréciable  ;  et  la  masse  totale  ne  tarde  pas  à  prendre  lu  forme  sphérique. 

On  voit  alors  apparaître,  à  la  surface  du  corps,  et  par  intermittences,  des  prolonge- 
ments hyalins,  où  affluent  les  granules  protoplasmiques,  qui  parfois  atteignent  la  sur- 
face même  de  ces  prolongements.  Au  bout  d'un  certain  temps,  l'un  de  ces  pseudopodes 
attire  à  lui  toute  la  masse  du  corps,  e(,  une  dizaine  de  secondes  environ  après  l'excita- 
tion, l'aspect  et  la  mobilité  de  l'amibe  sont  revenus  àl'élat  normal. 

MCT.    DE    PHYSIOLOGIE.   —   TOME.    I.  26 


402 


AMIBES. 


Excitations  chimiques.  —  La"  neutralité:  ou  une  alcalinité  faible  du  milieu  semblent 
être  indispensables  à  la  conservation  des  mouvements  amiboïdes.  Ges  derniers  cessent 
très  rapidement  chez  les  amibes,  sous  l'action  d'un  liquide  faiblement  acide  (acétique, 
chlorhydrique,  osmique).  Il  en  est  de  même  des  mouvements  des  Myxomycètes  (Kuhne, 
Tlnterg.  ùber  das  Protoplasma  und  die  Contractilitàl). 

L'acide  carbonique,  en  grande  quantité,  est  également  funeste  aux  amibes  et  aux 
plasmodes  de  Myxomycètes.  Si  son  action  n'est  pas  trop  prolongée,  en  chassant  ce  gaz 
par  un  courant  d'air,  on  peut  voir  la  mobilité  reparaître  dans  ces  organismes. 

Des  amibes  placées  dans  des  solutions  étendues  d'alcalis  caustiques  ont  un  proto- 
plasme qui  se  gonfle,  puis  finit  par  se  dissou- 
dre. On  peut  souvent  remarquer,  avant  la 
cessation  des  mouvements  protoplasmiques, 
l'accélération  des  mouvements  normaux. 

Kuhne  a  vu  des  amibes  d'eau  douce,  des 
Myxomycètes,  mourir  assez  rapidement  lors- 
qu'on les  plaçait  dans  des  solutions  de  véi'a- 
trine,  même  étendues,  dont  la  réaction  alca- 
line était  à  peine  appréciable,  et  même  dans 
des  solutions  neutralisées  de  cet  alcaloïde.  Le 
protoplasme  dé  ces  êtres  se  troublait  rapide- 
ment, présentait  une  apparence  de  coagu- 
lation, et  finissait  par  se  dissoudre.  L'action 
de  cet  agent  sur  les  éléments  essentiellement 
mobiles  et  contractiles  est  à  rapprocher  de 
son  action  si  particulière  sur  la  fibre  muscu- 
laire. 

Les  amibes  d'eau  douce  peuvent  s'accou- 
tumer à  une  salure  modérée  de  l'eau  ambiante 
(2, ri  p.  100  de  NaCl).  Si  à  cette  dissolution 
saline  de  faible  titre  on  ajoute  quelques  gouttes 
d'une  dissolution  saline  plus  concentrée,  on 
voit  les  Amibes  se  contracter  violemment. 
Puis,  au  bout  de  quelques  minutes,  elles 
reprennent  leurs  mouvements  normaux.  Cette 
expérience  d'ENCELMANN  montre  à  la  fois 
l'accoutumance  des  amibes  à  un  élément 
salin  normal,  accoutumance  assez  rapide,  et 
l'excitation  que  détermine  sur  leur  masse  une 
variation  brusque  de  la  teneur  en  sel  du  mi- 
lieu ambiant. 

Parasitisme  des  amibes.  —  On  trouve  diverses  espèces  d'amibes,  parasites  des 
Invertébrés  (tube  digestif).  Outre  les  .-1.  Chcetogiiathi  et  pigmentifera,  citées  ci-dessus, 
nous  devons  signaler  les  A.  Succinese,  Limax,  parasites  de  petits  Mollusques  :  Sphoiium, 
Limax,  Succinca;  A.  blattorum,  hôte  fréquent  de  l'intestin  de  la  Blatte  orientale.  L'in- 
fluence pathogénique  de  ces  espèces  est  plus  que  douteuse. 

Il  ne  semble  pas  en  être  de  même  des  amibes  parasites  des  Mammifères.  Les  A.  coli 
naginalis  sont  décrites  dans  tous  les  ouvrages  de  parasitologie  humaine.  C'est  vraisem- 
blablement à  tort  que  l'on  a  voulu  distinguer  de  l'A.  coli  la  forme  dite  A.  intestinalis, 
rencontrée  dans  l'intestin  de  l'homme  affecté  de  dysenterie  des  pays  chauds. 

La  question  du  rôle  pathogénique  de  l'Amœba  coli,  dans  la  dysenterie,  est  encore 
loin  d'être  élucidée,  malgré  les  expériences  de  culture  et  d'infestation  expérimentale. 

Nous  pouvons  à  peine  citer  les  noms  des  auteurs  qui  se  sont  occupés  de  la  question 
et  nous  nous  contenterons  de  renvoyer  le  lecteur  aux  plus  récents  mémoires. 

C'ELU.  Congrès  international  d'hygiène  de  Budapest,  1894. —  Babès  et  Sigura  (Arch. 
méd.  expériment.,  nov.  1894).  —  Councilman  [Bost.  med..and.  Surg.  journ.,  1892).  —  Fina- 
GLiA  [Congrès  de  la  Société  italienne  de  méd.,  1891).  —  Kartulis  [Centralbl.f.Bakt.,  1891.  — 
Zeitschr.   f.  Hygiène,  AUn,  t.  r.  —  A.   V.,  1886,  p.  521).  —  Lœscïï  (A.   Y.,  t.  lxv).  — 


Cellules  de  Traiescantia,  d'après  Kûhne. 

A,  normale;  B,  excitée  par  Télectricité. 

I  amibes  se  comportent  à  peu  près  de  niêi 


AMIBES.  403 

Maggiora   [Centralbl.  f.    Bakt.,   1892,   p.    173).  —  Posner  (Berl.    kiin.    Woch.,  n"    28). 

Culture  des  amibes.  —  La  culture  in  vitro  des  amibes,  isolées  à  l'état  de  pureté, 
permettrait  aux  physiologistes  d'avoir  à  leur  disposition  un  organisme  animal  aussi 
simple  que  possible,  parfaitement  apte  à  servir  de  sujet  d'expérience,  dans  l'étude  des 
diverses  propriétés  physiologiques  du  protoplasme.  Après  des  essais  infructueux  de 
KovACs,  Kartqlis  {loG.  cit.)  y  a  réussi,  à  l'aide  de  la  technique  suivante  :  Il  fait  bouillir, 
pendant  un  quart  d'heure,  20  à  30  grammes  de  paille  fraîche  dans  2  litres  d'eau,  puis 
il  filtre  le  liquide  et  le  stérilise.  Le  liquide  placé  dans  des  vases  à  col  large  ou  dans  des 
ballons  de  la  contenance  de  oO  à  100  c',  est  ensemencé  avec  de  petites  quantités  de 
mucus,  provenant  de  l'intestin  d'un  dysentérique,  et  renfermant  des  amibes;  puis  on  met 
en  vases  à  l'étuve  à  30°  ou  38°.  Après  (vingt-quatre  ou  quarante-huit  heures,  on  voit,  à 
la  surface  du  liquide,  une  fine  membrane  riche  en  amibes  et  en  bactéries. 

IvARTULis  n'est  jamais  arrivé  à  obtenir  des  cultures  pures  d'amibes,  lorsque  la 
semence  était  riche  en  Bactéries.  En  ensemençant  le  pus  d'un  abcès  hépatique,  d'origine 
dysentérique  (dans  les  pays  tropicaux,  le  pus  est  assez  souvent  privé  de  Bactéries),  il  a 
obtenu  une  seule  fois  une  culture  pure. 

La  culture  des  amibes  in  vitro  a  été  reprise  récemment  par  Celli  {loc.  cit.).  Ses 
expériences  lui  ont  permis  de  préciser  certains  points  du  développement  morpho- 
logique des  amibes.  C'est  ainsi  qu'il  a  distingué  :  une  phase  amiboïde  que  [l'on  pour- 
rait qualifier  de  phase  active;  une  phase  de  repos,  qui  peut  aboutir  à  une  phase  de 
vie  latente  ou  phase  kystique,   et  enfin  une  phase  de  reproduction. 

Pathologie  des  amibes.  Mèrotomie.  —  Il  est  du  plus  haut  intérêt,  pour  la  physio- 
logie et  la  pathologie  générales,  d'étudier  les  phénomènes  pathologiques  que  présentent 
les  êtres  unicellullaires,  et  en  particulier  les  plus  simples  de  ces  êtres  :  les  amibes.  Les 
faits  acquis  dans  cette  voie  permettent  de  se  faire  une  idée  nette  des  phénomènes  essen- 
tiels de  la  pathologie  cellulaire. 

Si  on  coupe  une  amibe  en  deux  morceaux,  il  ne  se  forme,  le  long  de  la  section,  rien 
de  semblable  à  une  plaie  ;  les  bords  se  réunissant  immédiatement  après  le  passage  de 
l'instrument  tranchant.  On  obtient  deux  amibes  nouvelles  :  celle  qui  a  gardé  le  noyau 
primitif  continue  à  croître;  l'autre  moitié,  privée  du  noyau,  périt  plus  ou  moins  rapide- 
ment (Bruno  Hofer.  ExperimcnicUe  Untersuch.  iib.  cl.  Einfluss  des  Kerns  aufdas  Protoplasma. 
lenaische  Zeitschrift  fur  Naturwissenchaft,  t.  xxiv,  1889,  p.  109,  pi.  iv  et  v).  (Nous 
voyons  par  là  l'importance  prépondérante  du  noyau  dans  la  vie  de  cet  élément  cellulaire.) 

On  ne  peut  pas  parler  ici  d'inllammation,  consécutive  au  traumatisme.  La  lésion  est 
simplement  suivie  d'une  régénération  plus  ou  moins  parfaite  et  facile. 

On  peut  se  livrer  sur  les  amibes  à  des  expériences  de  mèrotomie.  Ce  terme,  introduit 
dans  la  science  par  Balbiani,  désigne  l'opération  qui  consiste  à  séparer,  sur  un  organisme 
vivant,  un  fragment  plus  ou  moins  considérable  du  corps,  dans  le  but  d'observer  les  phé- 
nomènes de  survie,  présentés  par  cette  portion  isolée,  qui  peut  recevoir  le  nom  de 
mérozoite. 

MaxVerworn  {Biùl.  Prolisten  Studien.  Zeitschr.  f.  Wiss.  ZooL,  t.  xlvi,  1888.  —  Psycho- 
physiologische  Protistcn-Studien.  Experimentelle  Untersuchungen,  1889)  s'est  livré  à  des 
expériences  de  ce  genre  sur  divers  Protozoaires,  et  en  particulier  sur  les  Gymno-Ami- 
biens  :  Amœba  Pelomyxa,  et  les  Théco-Amibiens  :  Difflugia,  Arcella.  Il  est  arrivé  à  cette 
conclusion  générale  :  «  Tous  les  fragments  sans  noyau,  jusqu'aux  plus  petits,  après  avoir 
passé  par  un  stade  d'excitation,  conséquence  immédiate  de  la  lésion,  stade  qui  se  tra- 
duit par  la  contraction  du  corps,  exécutent  exactement  les  mêmes  mouvements  que 
ceux  qu'ils  exécutaient  lorsqu'ils  faisaient  encore  partie  de  l'animal  intact.  » 

Verworn  concluait  de  ses  recherches  que  le  noyau  ne  présente  pas  un  centre  psy- 
chique (ou  plus  simplement  de  coordination)  pour  les  mouvements.  Chaque  particule  de 
la  masse  protoplasmique  constitue  un  centre  indépendant,  pouvant  avoir  des  mouvements 
propres,  lorsqu'on  l'isole  du  reste  de  la  masse.  Tous  ces  centres  sont  reliés  entre  eux, 
lorsque  l'animal  est  intact,  de  manière  à  produire  une  action  harmonique,  synergique, 
des  mouvements  automatiques,  placés  eux-mêmes  sous  la  dépendance  des  excitations 
physico-chimiques  du  milieu  ambiant. 

B.  HoFER  a  étudié,  ches  Amœba  proteus,  l'influence  de  la  mèrotomie  sur  les  mouvements, 
sur  la  sécrétion,  sur  la  digestion.  Le  fragment  avec  noyau  n'est  affecté  en  rien  par  l'opé- 


404  AMIBES. 

ration,  et  on  ne  voit  d'abord  rien  d'anormal  se  produire  ;  mais,  au  bout  d'un  quart  d'beure, 
les  mouvements  de  ce  fragment  commencent  à  se  ralentir,  et  il  tend  à  prendre  une 
forme  sphérique.  Il  est  rare  que  des  pseudopodes  se  forment  après  la  section  sur  ce 
fragment.  Le  mérozoite  anucléé  peut  contenir  la  vacuole  pulsatile.  Les  mouvements 
de  celle-ci  continuent  d'abord,  pour  se  ralentir  ensuite  et  cesser.  Si  le  fragment  anucléé 
n'a  pas  de  vésicule,  il  s'en  forme  une  à  l'intérieur. 

L'influence  du  noyau  sur  la  sécrétion  se  manifeste  d'une  façon  très  nette  par  la  non- 
production  de  la  substance  agglutinante,  qui  permet  à  l'amibe  intacte  de  prendre  un 
point  d'appui,  lorsqu'elle  veut  émettre  des  pseudopodes. 

Le  fragment  anucléé,  incapable  dès  lors  d'émettre  des  pseudopodes,  ne  tarde  pas  à 
mourir  d'inanition,  puisqu'il  ne  peut  plus  capturer  de  proies.  Mais,  s'il  contient  des  par- 
ticules alimentaires,  ingérées  avant  la  section,  celles-ci  subissent  une  digestion  lente  et 
incomplète. 

Nous  avons  déjà  dit  qu'HoFER  appréciait  le  degré  de  digestion  des  particules  alimen- 
taires, à  l'aide  du  brun  Bismarck, en  solution  faible  (i  :  20  000).  Par  ce  procédé,  ou  peut 
s'assurer,  que,  lorsque  les  fragments  anucléés  renferment  des  aliments  aboudants,  une 
plus  ou  moins  grande  quantité  de  ceux-ci  est  rejetée,  sans  avoir  subi  de  digestion,  tandis 
que,  si  les  aliments  sont  ténus  et  rares,  ils  subissent  souvent  une  digestion  complète. 

On  peut,  avec  Hofer,  conclure  de  ces  observations  que  les  fragments  anucléés  n'em- 
ploient pour  la  digestion  que  les  sucs  digestifs  qu'ils  contiennent  lors  de  la  division,  et 
n'en  peuvent  pas  sécréter  une  nouvelle  quantité,  en  l'absence  du  noj'au. 

HoFER  a  repris  sur  le  même  t3'pe  d'Amibien  les  expériences  de  mérotomie  deVERwoRN, 
relativement  à  l'intluence  du  noyau  sur  les  mouvements  du  protoplasme.  Il  a  constaté 
que  ces  mouverments  continuent  d'une  manière  très  régulière,  dans  le  fragment  anucléé. 
Cet  auteur  tire  de  ces  observations  cette  conclusion,  que  le  noyau  représente  un  centre 
régulateur  des  mouvements  protoplasmiques,  qu'il  tient  sous  sa  dépendance  les  actions 
sécrétoires,  mais  qu'il  est  sans  utilité  pour  la  respiration  et  les  contractions  des  vacuoles. 

Il  est  donc  en  désaccord  avec  Verworn,  au  sujet  de  l'influence  du  noyau  sur  les 
mouvements  protoplasmiques,  ou  plus  exactement  au  sujet  de  l'interprétation  des  faits 
observés.  En  effet,  Verworn  a  ultérieurement  {Biol.  Pivtisten  Studien  {ll)ZeUschr.  f.  Wisi^. 
ZooL,  t.  L,  1890,  p.  44)  vérifié  les  fait  observés  par  Hofer,  en  étudiant  le  Théco-Ami- 
bien  :  Difflugia  lohostoma. 

Verworn  fait  remarquer  avec  raison  que,  si  le  noyau  est  un  centre  régulateur  de  mou- 
vements, il  ne  peut  exercer  ses  effets  après  sa  suppression.  Or  le  fragment  anucléé  pré- 
sente, tout  d'abord,  des  mouvements  réguliers.  L'activité  motrice  du  protoplasme  est 
sous  la  dépendance  des  échanges  nutritifs  entre  lui  et  le  noyau.  La  persistance  tempo- 
raire des  mouvements  du  fragment  anucléé  s'explique  ainsi  :  les  propriétés  nutritives, 
c'est-à-dire  chimiques,  du  protoplasme,  finissent  par  s'épuiser  après  la  soustraction  du 
noyau,  mais  suffisent  un  certain  temps  à  l'entretien  régulier  des  mouvements. 

Verwohw  et  Hofer  admettent  donc  bien  tous  les  deux  une  action  consécutive  {\ach- 
ivirkung).  Mais,  pour  le  premier  de  ces  auteurs, cette  action  est  moléculaire  (chimique), 
pour  l'autre,  elle  est  dynamique  (piiysique). 

Parasites  infectant  les  amibes.  —  Un  être  unicellulaire,  aussi  simple  ,que 
l'amibe,  est-il  sujet  à  des  maladies  infectieuses,  et  quels  changements  l'infection  est-elle 
susceptible  de  produire  dans  son  organisme? 

Meichnikoff  a  observé  chez  les  amibes  une  épidémie  produite  par  un  organisme 
très  simple,  en  forme  de  cellule  ronde,  munie  d'une  mince  enveloppe  et  d'un  noyau, 
susceptible  de  se  multiplier  par  division.  En  observant  les  amibes,  on  voit  souvent  leur 
masse  renfermer,  outre  les  Diatomées  dont  elles  font  leur  nourriture,  un  petit  nombre 
des  cellules  rondes  que  .Metchnikoff  désigne  sous  le  nom  de  Microsphœra.  Rien  d'anor- 
mal ne  se  manifeste  d'abord  dans  le  protoplasma  de  l'amibe;  mais  une  observation 
suivie  montre  que  bientôt  les  Diatomées  ingérées  sont  détruites  par  digestion  intra-cel- 
lulaire,  tandis  que  les  Microsphères  se  développent  sans  entrave.  L'amibe  rejette  les 
Diatomées,  puis  devient  de  moins  en  moins  mobile,  à  mesure  que  les  Microspkères  se 
multiplient.  L'état  de  malaise  de  l'amibe  s'accentue,  et  elle  finit  par  périr. 

La  Microsphère,  si  chétive  en  apparence,  peut  donc  infecter  l'amibe,  en  résistant  à 
sa  puissance  digestive,  à  laquelle  les  Diatomées  ne  peuvent  résister.  Quel  est  le  méca- 


AMIBES. 


405 


nisme  de  celte  résistance?  La  Microsphère  est-elle  entourée  d'une  substance  protectrice, 
ou  bien  sécrète-t-elle  une  substance  toxique  pour  l'amibe,  capable  d'arrêter  la  sécré- 
tion digestive  de  cette  dernière? 

Les  relations  du  protozoaire  avec  l'être  parasite  qui  l'infeste  se  résument  en  une 
lutte  entre  les  deux  êtres.  Le  parasite  attaque  son  hôte,  en  sécrétant  des  substances 
toxiques  ou  dissolvantes,  en  paralysant  l'action  digestive  et  expulsive  de  cet  hôte.  Ce- 
lui-ci cherche  à  digérer  et  à  éliminer  le  parasite.  La  lutte  entre  les  deux  êtres  unicellu- 
laires  se  réduit  donc  à  une  sécrétion  de  substances  chimiques  antagonistes,  et  à  la  mise 
en  action  de  la  contractililé  protoplasmique,  qui  se  manifeste  par  des  phénomènes 
d'expulsion  du  parasite. 

Des  êtres  très  supérieurs  en  organisation  aux  amibes,  sous  leur  forme  amiboïde, 
présentent  des  phénomènes  extrêmement  nets  de  phagocytisme,  que  l'on  pourrait, 
sans  exagération,  regarder  comme  un  reste  physiologique  d'un  état  ancestral. 

Mouvements  amiboïdes.  —  Nous  avons  déjà  parlé  des  mouvements  amiboïdes  des 
amibes  proprement  dites.  Ils  se  retrouvent  avec  les  mêmes  caractères  chez  tous  les 
êtres  qui  présentent  dans  les  phases  de  leur 
développement  un  état  amiboïde.  Mais  ce  sont 
surtout  les  leucocytes  qui  ont  servi  de  sujets 
d'étude  pour  élucider  les  diverses  particularités 
de  ces  mouvements. 

Les  mouvements  amiboïdes  ont  été  observés 
d'abord  sur  les  amibes,  par  Dujardin,  en  1833, 
qui  les  désigne  sous  le  nom  de  mouvements  sar- 
codicjues. 

Découverts  par  Wharton  Jones,  en  1846,  sur 
les  leucocytes,  ils  ont  été  étudiés  par  Davaixe,  et 
surtout  par  Recklinghausen  et  Ra.n'vier;  ils  sont 
particulièrement  faciles  à  étudier  chez  les  Verté- 
brés à  s^ng  froid  :  Grenouille,  Triton. 

Si  l'on  transporte  une  goutte  de  lymphe  sur 
une  lame  de  verre,  on  voit  les  globules  blancs 
revenir  sur  eux-mêmes  par  une  soi'te  de  contrac- 
tion. Par  le  fait  du  changement  de  milieu,  ils 
éprouvent  un  arrêt  de  mouvement.  Cet  arrêt  n'est 
que  temporaire,  et  bientôt  on  voit  les  globules 
changer  lentement  de  forme,  et  pousser  une 
expansion  en  forme  de  bourgeon  dans  un  sens 
déterminé.  Cette  expansion  s'accroît,  puis  se  ré- 
tracte, change  de  forme,  devient  bifide  ou  trifide,  en  même  temps  que  d'autres  expan- 
sions se  produisent  en  d'autres  points  du  globule.  Celui-ci  se  déforme  lentement,  et 
peut  parfois  présenter  un  mouvement  sur  place.  Mais  chez  la  plupart  des  globules  les 
mouvements  amiboïdes  déterminent  un  déplacement  dans  un  sens  donné.  Les  expan- 
sions des  leucocytes  méritent  donc  bien,  comme  celles  des  amibes,  le  nom  de  pseudo- 
podes. 

Les  leucocytes  enfermés  entre  une  lame  de  verre  et  la  lamelle  couvre-objet  présentent 
naturellement  des  mouvements  d'expansion  et  de  déplacement,  surtout  dans  le  sens  de 
l'espace  libre,  c'est-à-dire  latéralement.  Mais,  perpendiculairement  aux  lames  limitantes, 
naissent  aussi  des  pseudopodes  courts,  changeant  lentement  de  dimensions,  et  s'insérant 
sur  des  points  variables  de  la  surface  du  leucocyte. 

La  tendance  que  présentent  souvent  les  leucocytes  à  s'étaler  en  nappe  mince  sera 
mieux  décrite  à  l'article  Leucocytes.  Cette  déformation  particulière  ne  pourrait  être  qua- 
lifiée de  mouvement  amiboïde  que  par  un  véritable  abus  de  langage. 

Cette  forme  de  pseudopodes,  que  nous  venons  de  décrire,  a  reçu  le  nom  de  pseu- 
dopodes en  nappe. 

Les  leucocytes  de  certains  Batraciens  (en  particulier  du  Triton  cristatus)  présentent 
des  pseudopodes,  en  forme  d'épines,  de  baguettes  hyalines,  d'apparence  rigide.  Ce  sont 
de  véritables  rhizopodes  comme  on  en  rencontre  chez  les  Protozoaires.  On  les  a  appelés 


nouvement    sarcodiquo 
filamenteux 


im  AMIBES. 

encore  pseudopodes  en  aiguilles.  On  les  rencontre  aussi  dans  les  leucocytes  des  crustacés 
Décapode  (Écrevissse,  Homard). 

L'influence  de  divers  agents  physico-chimiques  sur  les  mouvements  amiboïdes  n'est 
pas  foncièrement  différente  de  celle  exercée  par  ces  agents  sur  les  mouvements  de  pro- 
toplasme en  généra]  (Voy.  Cellules,  Leucocytes). 

On  peut  rattacher  aux  mouvements  amiboïdes  les  mouvements  de  reptation  des  leu- 
cocytes à  la  surface  des  corps  solides,  lorsqu'ils  sont  placés  dans  des  conditions  favo- 
rables. Ces  mouvements  sont  mis  en  évidence  par  l'expérience  classique  de  la  moelle 
de  sureau,  taillée  en  petit  cylindre,  et  introduite  dans  le  sac  lymphatique  dorsal  d'une 
grenouille.  Ce  cylindre  est  bientôt  imbibé  de  lymphe,  et,  sur  des  coupes  transversales, 
menées  perpendiculairement  à  son  axe,  on  voit  que  les  leucocytes  ont  péne'tré  à  l'in- 
térieur des  cellules  végétales  mortes  qui  constituent  la  moelle.  Les  rangées  périphériques 
de  cellules  renferment  des  leucocj'tes,  tandis  que  les  assises  centrales  sont  simplement 
remplies  de  plasma.  Les  mouvements  amiboïdes  des  leucocytes  sont  d'autant  plus  vifs 
que  l'on   examine   des  cellules  situées  plus  près  de  la  périphérie  (Ranvier). 

Dans  les  cellules  qui  [confinent  à  la  région  centrale  de  la  moelle,  les  leucocytes  ont 
pris  la  forme  ronde  et  ont  subi  la  dégénérescence  graisseuse  ;  ils  sont  morts,  transformés 
en  globules  de  pus.  Les  cloisons  des  cellules  de  la  moelle  sont  munies  de  perforations, 
qui  ont  servi  de  passage  aux  leucocytes  pour  pénétrera  l'intérieur  des  cellules.  Parvenus 
dans  les  cellules  profondes,  les  leucocytes  n'ont  pas  conservé  assez  de  vitalité  pour  pou- 
voir traverser  la  moelle  de  part  en  part,  et  ils  ont  dégénéré  dans  ce  milieu  défavorable  à 
leur  vie.  Les  préparations  de  la  moelle  de  sureau  ainsi  mise  en  expérience,  fixées  par 
l'action  de  l'acide  osmique,  sont  des  plus  instructives.  On  voit,  dans  les  cellules  périphé- 
riques, les  leucocytes  fixés  avec  leurs  expansions  pseudopodiques,  plus  intérieurement  une 
couche  de  cellules  à  leucocytes  doués  d'une  plus  faible  activité  amiboïde,  plus  profon- 
dément encore,  la  zone  des  cellules  à  leucocytes  arrondis,  ayant  subi  la  dégénérescence 
graisseuse,  et  alors  teintés  en  noir  par  l'acide  osmique. 

On  peut  admettre  que,  dans  cette  expérience,  la  cause  qui  a  diminué  les  mouvements 
amiboïdes  des  leucocytes  situés  dans  les  couches  profondes  de  la  moelle,  et  amené  leur 
dégénérescence  finale,  est  le  manque  d'oxygène. 

Action  de  l'oxygène  sur  les  mouvements  amiboïdes.  —  La  présence  de  l'oxy- 
gène est  absolument  indispensable  à  l'activité  des  éléments  amiboïdes. 

Une  expérience  simple  le  démontre.  Dans  une  préparation  de  lymphe,  lutée  à  la 
paraffine,  dépourvue  de  toute  bulle  d'air,  les  mouvements  amiboïdes  des  leucocytes 
sont  d'abord  énergiques.  Cette  préparation,  maintenue  en  chambre  humide,  de  façon  à 
éviter  toute  évaporation,  montre  bientôt  des  éléments  revenus  a  la  forme  ronde,  parfois 
à  contours  anguleux,  mais  privés  de  toute  espèce  de  mouvements.  Si  l'expérience  se 
prolonge  peu,  et  que  l'on  soulève  la  lamelle  couvre-objet,  pour  faire  rentrer  quelques 
bulles  d'air,  les  mouvements  amiboïdes  reprennent  peuàpeu,puis  sont  plus  accusés,  fina- 
lement très  énergiques  autour  des  bulles  d'air.  L'oxygène  est  donc  un  véritable  excitant 
de  l'activité  des  leucocytes.  Si,  sans  soulever  la  lamelle,  on  place  sur  la  platine,  chauffée 
à  30°,  la  préparation  à  leucocytes  immobiles,  on  voit  réapparaître  les  mouvements.  La 
chaleur  réveille  donc  aussi  l'activité  des  leucocytes. 

L'action  de  l'oxygène  sur  le  phénomène  qui  nous  occupe  est  d'ailleurs  bien  mise  en 
évidence  par  l'expérience  suivante  de  Ranvier  [Traité  technique  d'histologie,  pp.  162-16,i). 
On  dispose,  dans  la  chambre  humide  et  aérée,  une  goutte  de  lymphe.  Au  bout  de 
24  heures,  on  voit  que  les  globules  placés  à  la  périphérie  de  la  préparation,  c'est-à-dire 
au  contact  de  l'air,  présentent  d'actifs  mouvements  amiboïdes,  tandis  que  ceux  situés  au 
centre  ont  revêtu  une  forme  plus  ou  moins  sphérique,  immobile.  De  plus,  les  leucocytes 
sont  accumulés  en  grand  nombre,  le  second  jour  de  l'expérience,  à  la  périphérie  de  la 
préparation.  Il  y  aune  véritable  attraction  exercée  par  le  milieu  aéré  sur  les  leucocytes, 
primitivement  épars  uniformément  dans  la  goutte  de  lymphe. 

L'oxygène  est  également  nécessaire  à  la  vie  des  leucocytes  des  mammifères.  Une 
préparation  de  lymphe  de  chien,  privée  d'air,  ne  montre  plus,  au  bout  de  24  heures,  que 
dos  leucocytes  à  forme  ronde,  dont  l'activité  ne  peut  plus  être  réveillée,  même  par  une 
élévation  de  température.  Au  bout  du  même  laps  de  temps,  une  préparation  placée  dans 
la  chambre  humide,  au  contact  de  l'air,  possède  des  leucocytes  extrêmement  actifs. 


AMIBES. 


407 


La  lymphe  du  canal  lymphatique  est  très  pauvre  en  oxygène  (Hammers).  Recueillie 
(en  évitant  tout  contact  avec  l'aii),  on  la  voit  posséder  des  leucocytes  inertes,  qu'une  tem- 
pérature de  38»  ne  réveille  que  tardivement  et  peu.  A  cause  de  cette  pauvreté  en  oxy- 
gène des  canaux  collecteurs  de  la  lymphe,  les  leucocytes  qui  s'y  trouvent  perdent  momen- 
tanément leur  propriété  d'adhérence  et  de  mobilité.  Ce  fait  a  une  grande  importance  : 
il  assure  le  débit  régulier  de  la  lymphe  dans  ces  canaux  collecteurs,  qui  autrement 
risqueraient  d'être  obstrués  par  les  leucocytes,  agglomérés  ou  adhérents  aux  parois. 
Influence  de  la  température.  —  On  peut  observer  l'influence  de  la  température  sur 
les  mouvements  amiboïdes  en  plaçant  une  goutte  de  lymphe  de  grenouille  en  chambre 
humide,  et  en  élevant  progressivement  la  température.  Une  élévation  modérée  de 
température  (lO^-SO")  active  les  mouvements.  Au-dessus  de  41-42°,  les  leucocytes  sont 
frappés  d'immobilité  et  subissent  diverses  altérations  pathologiques.  Maurel  a  publié 
divers  mémoires  intéres- 
sants (1888-1894)  sur  ces 
influences  thermiques. 

La  présence  de  l'oxy- 
gène, une  certaine  élé- 
vation de  la  température 
ne  sont  pas  les  seules 
conditions  indispensa- 
bles à  l'activité  amiboïde 
des  leucocytes.  Pour  que 
leur  activité  se  mani- 
feste, il  faut  encore  qu'ils 
se  trouvent  maintenus 
dans  leur  plasma  nor- 
mal :  sang  on  lymphe. 
Vient-on  à  délayer  une 
goutte  de  lymphe  dans 
l'humeur  aqueuse  de  la 
grenouille,  les  mouve- 
ments amiboïdes  des  leucocytes  ne  tardent  pas  à  disparaître,  et  ceux-ci  présentent 
bientôt  des   altérations   pathologiques. 

L'activité  des  leucocytes  des  vertébrés  à  sang  chaud  ne  se  manifeste  qu'à  la  tempé- 
ature  caractéristique  de  l'animal  considéré.  Les  mouvements  amiboïdes  se  montrent 
nettement  dans  une  préparation  de  lymphe  de  lapin,  maintenue  à  20"'  (Ranvier).  Les 
leucocytes  émettent,  dans  ces  conditions,  des  pseudopodes  en  nappes  ondes  pseudopodes 
en  aiguilles,  plus  ou  moins  ramifiés.  A  Sio-So",  ces  mouvements  sont  très  rapides,  les 
pseudopodes  rentrent  dans  la  masse  du  leucocyte,  et  se  produisent  à  ses  dépens  avec  la 
plus  grande  rapidité.  Au-dessus  de  40°,  les  Ieucoc5'tes  meurent. 

Influence  de  l'électricité.  —  L'action  des  courants  faradiques  sur  les  leucocytes 
de  la  grenouille  ont  été  étudiés  par  divers  auteurs.  Si  l'on  vient  à  exciter  un  leucocyte 
par  un  seul  choc  d'induction,  il  présente,  comme  les  amibes,  une  courte  période  (1/4  de 
minute  à  1  minute)  d'excitation  latente,  puis  ses  prolongements  aigus  (pseudopodes  en 
aiguilles)  rentrent  peu  à  peu  dans  la  masse  totale.  Lorsque  l'excitation  est  plus  forte,  la 
masse  totale  peut  prendre  rapidement  la  forme  sphérique,  conserver  cette  forme  pen- 
dant quelque  temps,  puis  revenir  à  l'état  initial. 

Si  l'on  augmente  encore  l'intensité  de  l'excitation,  on  voit  tout  d'abord  la  masse  du 
leucocyte  revêtir  brusquement  la  forme  sphérique,  puis,  sur  nn  point  de  cette  masse, 
apparaît  une  vacuole  réfringente,  qui  s'accroît  peu  à  peu,  pour  décroître  ensuite,  tandis 
que,  en  d'autres  points  de  la  masse,  apparaissent  d'autres  vacuoles.  Cette  sorte  de  rema- 
niement interne  de  la  masse  protoplasmique  détermine  des  modifications  rapides  et 
frappantes  de  la  forme  du  leucocyte.  Au  bout  d'un  certain  temps,  ce  phénomène  s'at- 
ténue; les  vacuoles  sont  résorbées,  et  on  voit  réapparaître  des  pseudopodes  en  aiguille, 
répartis  à  la  surface,  d'une  façon  irrégulière,  comme  à  l'état  normal. 

Il  est  possible  d'observer  les  mouvements  amiboïdes  même  sur  les  leucocytes  de  la 
lymphe  humaine.  Une  goutte  de  sang  humain  défibriné,  placée  à  l'air,  dans  la  chambre 


Influence  de  la  chale 
(l'activité;  5 


r  sur  la  motilité  des  cellules  (schéma).  A  40^,  m; 
,  mort;  0",  immobilité.  {D'après  Ch.  Richet.) 


408  AMIBES. 

humide,  contient  un  assez  grand  nombre  de  leucocytes,  dont  les  mouvements  amiboïdes 
s'effectuent  à  32»  et  persistent  jusque  vers  40°,  tout  comme  chez  le  lapin  et  le  chien. 
Quant  aux  phénomènes  généraux  qui  résultent,  nous  renvoyons  aux  articles  Oiapé- 
dèse,  Phagocytisme,  etc. 

A  côté  du  mouvement  amiboïde  proprement  dit,  il  y  a  lieu  de  distinguer  avec 
ScHULTZE  un  mouvement  filamenteux  qui  s'observe  aussi  chez  certains  êtres  amibifornies  : 
surtout  les  Rhizopodes  et  les  Radiolaires.  Le  protoplasme  semble  glisser  au  dehors  de  la 
cellule  et  former  des  expansions  radiées  extrêmement  fines  (Voir  des  détails  intéres- 
sants sur  ce  mouvement  particulier  dans  l'article  de  Engelmann,  in  H.  H.,  t.  i,  pp.  344 
et  519).  L'étude  des  cils  vibratils  (voir  ce  mot)  se  rattache  aussi  par  certains  oôte's  au 
mouvement  amiboïde. 

Plasmode.  —  Ou  conçoit  que,  si  plusieurs  amibes  viennent  à  fusionner  leurs 
masses  respectives,  les  propriétés  de  la  masse  totale  résultante  ne  soient  pas  modifiées. 
Une  semblable  masse  se  rencontre  fréquemment  dans  la  nature  :  c'est  le  plasmode  des 
Myxomycètes.  L'étude  de  ces  propriétés  physiologiques  est-elle  inséparable  de  celle  des 
propriétés  des  amibes.  Elle  est  d'autant  plus  importante,  que  nombre  des  propriétés 
essentielles  du  protoplasme  ont  été  particulièrement  étudiées  chez  les  plasmodes. 

Passer  de  l'étude  des  propriétés  de  l'amibe  à  celle  des  propriétés  du  plasmode, 
c'est  passer  insensiblement,  de  l'étude  des  propriétés  d'un  être  unicellulaire  à  celle  d'un 
être  pluricellulaire,  particulièrement  favorable  aux  études  expérimentales;  car  il  pré- 
sente la  masse  protoplasmique  la  plus  grande  que  l'on  puisse  rencontrer  dans  la  nature. 
Le  plasmode  est,  en  somme,  un  état  amiboïde  colossal,  résultant  de  la  fusion  de 
zoospores  de  Myxomycètes,  renfermant  une  grande  quantité  de  noyaux,  plongés  dans  un 
protoplasme  commun. 

Propriétés  physiologiques  du  plasmode.  —  Dans  l'étude  des  propriétés  phy- 
siologiques du  plasmode,  nous  retrouvons  toutes  celles  qu'on  a  constatées  chez  les 
Amibes. 

Motilité.  —  Ramifié  dans  les  différentes  directions,  il  peut  se  déplacer  à  la  surface 
des  objets,  présenter  des  mouvements  amiboïdes  sur  les  bords  de  son  ectoplasme,  tandis 
que  son  endoplasme  se  montre  affecté  de  mouvements  rapides,  comparables  à  ceux  de  la 
lave  volcanique. 

Digestion  intra-cellulaire.  —  Si  les  corps  englobés  sont  des  grains  d'amidon  ou  des 
cellules  végétales  (bactéries,  levures),  on  les  voit  souvent  sortir  des  myxamibes  ou  des 
plasmodes,  sans  paraître  avoir  subi  d'altérations.  Les  plasmodes  englobent,  à  la  façon 
des  amibes,  les  corps  solides  qui  se  trouvent  à  leur  portée,  et,  s'ils  sont  alibiles,  les 
digèrent  à  l'aide  d'un  ferment  et  d'un  acide. 

Les  zoospores  amiboïdes  du  Physantm  tussilaginis  sont  parfois  remplies  de  bactéries 
(Saville  Kext).  Les  bactéries,  saisies  par  les  pseudopodes  de  divers  Myxomycètes,  à 
l'état  de  zoospores,  sont  entraînées  dans  l'intérieur  de  la  masse  protoplasmique,  et 
englobées  dans  des  vacuoles  nutritives.  Elles  finissent  par  s'y  dissoudre  presque  entière- 
ment. C'est  ainsi  qu'une  zoospore  de  Chondriodcrma  difforme  digère  totalement  deux 
grands  bacilles,  dans  l'espace  d'une  heure  et  demie. 

Il  y  a  longtemps  déjà  qu'un  ferment  peptique  a  été  trouvé  dans  le  plasmode  par 
Krukenberg  (Unters.  Physiol.  Inst.  d.  Univ.  Heidelberg,  t.  n,  1878,  p.  173).  La  présence 
d'un  acide  y  a  été  démontrée  plus  récemment  (Ann.  Inst.  Pasteur,  1889,  p.  25). 

Les  résidus  de  la  digestion  et  les  corps  non  alibiles  sont  rejetés  à  l'extérieur,  et  for- 
ment ainsi  des  traces,  indiquant  les  endroits  où  a  passé  le  plasmode,  dans  ses  mouve- 
ments de  déplacement. 

Propriétés  chiniiotactiques.  —  Le  plasmode  présente  une  propriété  dont  l'étude 
est  capitale  aussi  bien  pour  la  physiologie  que  pour  la  pathologie  générale  :  la  chimiotaxie. 
Cette  propriété  n'a  pas  été  reconnue  jusqu'ici  chez  les  amibes,  peut-être  à  cause  de 
manque  de  recherches  dans  celte  direction. 

Dès  1884,  Stahl  njontre  que  la  décoction  de  feuilles  mortes  (substratum  de  nombreux 
Myxomycètes)  attire  les  plasmodes,  tandis  que  d'autres  solutions  (sels,  sucre)  les 
repoussent.  Cet  auteur  donna  à  ces  phénomènes  le  nom  de  trophotropisme  :  positif  en 
cas  d'attraction,  négatif  en  cas  de  répulsion,  les  reliant  ainsi  aux  phénomènes  de  nutri- 
tion {Bot.  Zcit.,  n°s  10-12,  1884). 


AMIBES.  i09 

Lorsque  Pfeffer  eut  démontré  que  les  anthérozoïdes  de  divers  cryptogames  sont 
attirés  par  les  archégones  de  ces  plantes,  on  vit  clairement  que  ces  phénomènes  d'attrac- 
tion par  les  substances  chimiques  pouvaient  n'affecter  aucun  rapport  avec  les  phéno- 
mènes de  nutrition,  et  le  nom  de  ti'ophotropisme  disparut  pour  être  remplacé  par  celui 
plus  {Général  de  chimiotactismc  ou  chimiotaxic. 

Metchnikoff  a  quelque  peu  étendu  les  recherches  de  Stahl  sur  la  sensibilité  chimio- 
tactique  des  plasmodes  {Vathol.  comparée  de  l'inflammation,  p.  42).  Il  place  plusieurs 
échantillons  de  plasniode  du  Didymium  favinaceum  dans  des  solutions  de  sulfate  de  qui- 
nine à  0,1;  0,01  ;  0,0o  ;  0,00n;  0,0003  p.  100.  Ces  dernières  solutions  n'empêchent  pas  le 
plasmode  de  s'approcher  d'elles,  et  même  de  pousser  quelques  prolongements  à  leur  sur- 
face. Les  trois  premières,  au  contraire,  repoussent  énergiquement  le  plasmode.  Ce  der- 
nier apprécie  donc  des  diff'érences  de  0,0b  à  0,003  p.  100  dans  les  proportions  pondé- 
rales de  sulfate  de  quinine  en  solution. 

Mais,  fait  encore  plus  intéressant,  le  plasmode,  comme  les  autres  organismes  infé- 
rieurs, s'accoutume  graduellement  à  des  solutions  qu'il  évitait  primitivement.  Le  fait  a 
été  observé,  la  première  fois,  par  Stahl.  Le  plasmode  de  Fuligo  scptica  s'éloigne  d'abord 
d'une  solution  de  sel  marin  à  2  p.  100  et  au-dessous  ;  puis,  après  avoir  subi,  à  un  certain 
degré,  le  manque  d'eau,  il  finit  pari  s'adapter,  et  plonge  ses  pseudopodes  dans  la  solu- 
tion salée.  Sous  l'influence  de  l'accoutumance,  il  s'est  donc  produit  des  changements 
inappréciables  à  nos  sens  dans  le  protoplasme,  d'où  résulte  une  inversion  des  propriétés 
chimiotactiques. 

Ce  fait  est  d'une  importance  capitale,  aujourd'hui  que  l'on  fait  jouer  un  si  grand  rôle 
à  la  chimiotaxie  positive  ou  négative  des  leucocytes,  dans  la  lutte  de  l'organisme  contre 
les  agents  infectieux.  Son  étude  approfondie  s'impose  donc.  On  peut  faire  à  ce  sujet  une 
expérience  intéressante  (Metchnikoff).  Un  plasmode  de  Physarumesl  étalé  sur  une  lame, 
dans  un  bocal  contenant  une  solution  à  0,5  p.  100  de  NaCl.  Le  plasmode  s'éloigne  aussi- 
tôt du  niveau  du  liquide.  On  le  transporte  alors  dans  un  autre  bocal  renfermant  une 
solution  du  même  sel  à  0,2  p.  100.  Le  plasmode,  d'abord  repoussé,  s'approche  de  la 
solution  au  bout  de  plusieurs  heures.  On  remet  alors  le  plasmode  dans  le  vase  avec  une 
solution  à  0,3  p.  100.  Le  plasmode  s'éloigne  du  liquide,  au  lieu  de  s'en  approcher;  au 
bout  de  douze  heures,  il  finit  par  redescendre  au  niveau  du  liquide,  mais  sans  y  plonger 
ses  prolongements. 

On  peut  également,  avec  le  même  auteur,  placer  sur  un  porte-objet  un  plasmode  de 
Physarum,  à  égale  distance  de  deux  cristallisoirs  remplis;  l'un,  d'une  vieille  infusion  de 
feuilles  sèches  où  pullulent  les  bactéries,  l'autre,  de  la  même  infusion,  préalablement 
filtrée  avec  soin.  Les  deux  extrémités  du  plasmode  sont  réunies  chacune  par  un  papier 
buvard  à  l'une  des  solutions  :  le  plasmode  se  dirige  vers  la  bande  de  papier  imprégnée 
de  solution  filtrée.  Le  plasmode  fuit  donc  un  liquide  chargé  de  bactéries. 

Répétons  la  même  expérience  avec  une  infusion  très  fraîche  de  feuilles  mortes  dans 
l'eau  froide.  Cette  fois,  le  plasmode  se  dirige  vers  la  vieille  infusion,  riche  en  bactéries. 
Ce  résultat  semble  dû  à  ce  que  l'infusion  fraîche  ne  renferme  pas  de  substances  nutri- 
tives dissoutes,  au  moins  en  quantité  suffisante. 

De  deux  infusions,  l'une  non  nutritive,  l'autre  nutritive,  mais  chargée  de  bactéries,  le 
plasmode  préfère  la  première  ;  mais  de  deux  infusions  nutritives,  dont  l'une  est  plus 
riche  en  bactéries  que  l'autre,  le  plasmode  évite  la  plus  chargée  en  bactéries. 

La  chimiotaxie  négative  est  donc  pour  le  plasmode  un  moyen  d'éviter  les  agents 
nuisibles  :  agents  chimiques,  et  aussi  êtres  vivants  sécrétant  des  substances  chimiques 
nocives.  Il  semble  plausible  de  supposer  que  cette  propriété  peut  préserver  le  plasmode 
contre  l'attaque  d'autres  organismes,  notamment  d'organismes  parasites  et  pathogènes. 
Si  cette  propriété  chimiotactique  n'existait  pas  réellement  chez  les  amibes  (ce  dont  il 
est  encore  permis  de  douter),  nous  assisterions  à  un  perfectionnement  très  marqué  dans 
l'évolution  défensive  du  protoplasme  contre  les  agents  nocifs,  en  passant  des  amibes  au 
stade  amiboïde  des  Myxomycètes. 

Sensibilité  aux  agents  physiques.  —  Le  plasmode  est  sensible  à  l'humidité.  11  fuit 
une  humidité  trop  grande  :  c'est  ainsi  que  si  le  plan  où  se  meut  le  plasmode  offre  à  sa 
surface  des  places  sèches  et  des  planes  humides,  il  ne  sort  que  sur  des  places  sèches. 
Sitôt  que  l'on  mouille  ces  places,  le  plasmode  s'enfonce  dans  les  profondeurs. 


410  AMIBES. 

Le  plasmode  est  phototactique.  Attiré  par  une  lumière  de  faible  intensité,  il  est 
repoussé  par  une  radiation  plus  vive,  et  même  par  la  lumière  diffuse  du  jour.  L'insolation 
directe  le  fait  fuir,  et  même  la  formation  de  granules  à  son  intérieur,  sous  cette 
influence,  est  un  indice  de  la  nocivité  de  cette  insolation  directe.  Pour  une  lumière  d'in- 
tensité moyenne,  le  plasmode  est  indifférent.  La  réaction  phototactique  du  plasmode 
varie  donc,  et  même  change  de  sens,  suivant  l'intensité  des  rayons  lumineux  qui  agis- 
sent sur  lui  (Baranetzry.  Infl.  de  la  lumière  sur  les  plasmodes  de  Myxomycètes  :  Mém.  de  la 
Soc.  des  se.  nat.  de  Cherbourg,  t.  six,  p.  321,  1876).  Ces  mouvements  phototactiques  ne 
sont  sous  la  dépendance  que  des  radiations  de  la  portion  la  plus  réfrangible  du  spectre, 
à  partir  du  bleu  jusqu'à  la  limite  de  l'extrême  violet.  On  s'est  borné  à  constater  que  les 
mouvements  phototactiques  s'opèrent  aussi  bien  derrière  une  dissolution  ammoniacale 
d'oxyde  de  cuivre,  que  dans  la  radiation  totale,  tandis  qu'il  n'y  a  plus  de  manifesta- 
tions phototactiques  derrière  une  dissolution  de  bichromate  de  potasse.  Les  plasmodes 
à' Aethalium  n'émettent,  en  rampant  à  la  lumière,  que  des  prolongements  courts  et 
pressés;  dans  l'obscurité,  au  contraire,  ils  émettent  des  ramifications  longues,  étroites 
et  minces. 

Le  plasmode  est  sensible  à  la  pesanteur,  il  est  géotactique.  11  s'élève  en  grimpant  le 
long  des  parois  verticales  humides,  soulevant  ainsi  son  propre  poids.  Si  on  le  place  sur 
un  disque  vertical  tournant,  sous  l'influence  de  la  force  centrifuge,  il  se  dirige  vers 
le  centre  du  disque.  Le  plasmode  est  donc  négativement  géotactique  (Rosanoff.  De 
l'influence  de  l'attraction  terrestre  sur  la  direction  des  plasmodes  des  Myxomycètes  :  Mém.  de 
la  Soc.  des  se.  nat.  de  Cherbourg,  t.  xiv,  1869). 

On  peut  réaliser  facilement  toutes  ces  expériences,  en  faisant  arriver  le  plasmode  sur 
une  feuille  de  papier  humide  :  il  s'y  étale  en  rampant.  En  découpant  cette  feuille  avec 
des  ciseaux,  on  peut  tailler  le  plasmode  en  morceaux  réguliers,  qui  jouissent  des  mêmes 
propriétés  que  la  masse  totale  du  plasmode,  et  peuvent  servir  à  diverses  expériences 
physiologiques. 

Le  plasmode  des  Myxomycètes  réagit  énergiquement  aux  excitations  électriques. 
Kdhne  l'a  montré  par  une  intéressante  expérience.  Il  prend  un  plasmode  et  en  remplit 
un  fragment  d'intestin  d'hydrophile.  Cette  sorte  de  cylindre  vivant  réagirait  à  l'électricité, 
comme  pourrait  le  faire  un  muscle  véritable. 

Comme  l'a  dit  Engelmans,  on  a  attribué  à  cette  expérience  de  Kuhne  une  importance 
qu'elle  n'avait  pas.  En  effet  cette  masse  protoplasmique  n'a  peut  être  pas  conservé 
toutes  ses  propriétés  physiologiques  normales.  Le  plasmode  a  été  fragmenté  mécanique- 
ment, ses  fragments  ont  été  imbibés  d'eau  :  or  il  suffît  de  meurtrir  une  masse  plasmo- 
diale  pour  voir,  même  à  l'œil  nu,  s'opérer  un  changement  dans  sa  constitution,  change- 
ment trahi  par  la  mise  en  liberté  et  l'expulsion,  sous  forme  de  gouttelettes  plus  ou 
moins  volumineuses,  de  l'eau  primitivemeut  incluse  dans  la  masse  plasmodiale.  De  plus, 
en  admettant  que  l'on  puisse  négliger  cette  altération  traumatique,  le  soi-disant  muscle 
artificiel  ne  sera  qu'un  agrégat  d'amibes,  et  la  contraction  simultanée  de  tous  ses  élé- 
ments constituants  ne  le  fera  pas  varier  sensiblement  de  forme. 

Si,  après  avoir  soumis  le  muscle  artificiel  à  un  certain  nombre  d'excitations,  on  le  vide 
de  son  contenu  plasmodial,  on  voit  que  son  contenu  offre  une  structure  très  anormale.  11 
se  compose  de  masses  tuberculiformes  isolées,  de  bulles  et  de  granules  libres.  Loin  donc 
de  représenter  une  sorte  de  tissu  musculaire,  cette  masse  a  même  perdu  la  structure 
du  protoplasme  normal. 

Le  plasmode  des  Myxom3'cètes  semble  réagir  aux  courants  faradiques,  de  la  même 
façon  que  les  amibes,  mais  ici  les  phénomènes  sont  plus  compliqués,  parce  que,  à  cause 
même  de  l'étendue  de  la  masse  plasmodiale,  l'excitation  ne  peut  porter  que  sur  une 
portion  limitée  du  plasmode. 

Composition  chimique  du  plasmode.  —  C'est  sur  le  plasmode  de  Fuligo  septica 
que  l'on  a,  pour  la  première  fois,  déterminé  la  composition  chimique  du  protoplasme. 
Mais  il  est  à  remarquer  que,  dans  cet  état  de  plasmode,  la  masse  protoplasmique  a  accu- 
mulé de  nombreuses  réserves.  Le  plasmode  est  dépourvu  de  membrane  et  de  suc 
cellulaire. 

Il  se  compose  (Reinke,  Bot.  Zeit.,  26  nov.  1880),  pour  100  de  matière  sèche,  de  30  de 
substances  azotées,  41  de  substances  ternaires,  et  29  de  cendres. 


AMIBES.  Ml 

Les  matières  azotées  sont  :  vitelline,  myosine,  peptone,  pepsine,  lécitliine,  guanine, 
sarcine,  xanthine,  carbonate  d'ammoniaque).  Les  matières  ternaires:  paracholestérine, 
une  résine,  des  corps  gras  ou  autres  et  des  acides  gras  (oléique,  stéarique,  palmitique). 
Les  substances  minérales  :  sels  de  chaux,  lactate  et  sels  des  acides  gras,  acétate,  for- 
miate,  oxalate,  phosphate,  sulfate,  carbonate,  phosphates  de  potasse  et  de  magnésie, 
chlorure  de  sodium,  sels  de  fer.  54  p.  100  des  cendres  sont  formées  de  carbonate  de 
chaux,  chez  les  Fuligo  et  d'autres  Myxomycètes. 

Réactions  pathologiques  du  plasmode.  —  Le  plasmode  des  Myxomycètes  est  un 
excellent  sujet  d'étude,  pour  arriver  à  connaître  certains  phénomènes  de  la  vie  patholo- 
gique du  protoplasme.  Mètchnikofi-  (loc.  cit.)  a  institué  sur  ce  point  quelques  expériences 
que  nous  devons  relater  brièvement. 

Introduisons  dans  la  masse  plasmodiale  un  corps  étranger,  solide  et  inerte,  par 
exemple  uu  tube  de  verre.  Ce  traumatisme  déchire  une  partie  du  plasmode,  qui  se 
répand  dans  le  milieu  ambiant.  Le  tube  de  verre  séjourne  quelque  temps  dans  la  masse 
protoplasmique,  qui  ne  semble  pas  être  affectée  parla  présence  de  ce  corps  étranger; 
puis  il  est  rejeté  comme  un  corps  inerte. 

Touchons  la  partie  centrale  du  plasmode  avec  une  tige  de  verre  chauffée.  Sous 
l'influence  de  cette  excitation  thermique,  la  partie  touchée  meurt,  et  se  distingue  nette- 
ment de  la  partie  périphérique,  restée  indemne.  Au  bout  d'un^  certain  temps,  le  frag- 
ment nécrosé  est  éliminé,  comme  un  corps  étranger  quelconque. 

Les  excitants  agissent  encore  plus  énergiquement.  Touchons  le  bord  du  plasmode 
avec  un  petit  fragment  de  nitrate  d'argent,  puis  lavons  immédiatement  avec  une  solution 
de  1  p.  100  de  NaCl,  de  façon  à  précipiter  le  nitrate  d'argent  dissous. 

La  portion  touchée  par  le  nitrate  meurt,  et  se  détache  du  reste  du  plasmode,  au 
bout  d'un  certain  temps.  Mais,  de  plus,  le  plasmode  réagit  immédiatement  à  cette  exci- 
tation chimique.  Lors  de  l'attouchement  avec  le  sel  caustique,  les  mouvements  proto- 
plasniiques  étaient  dirigés  dans  un  certain  sens  ;  les  granulations  protoplasmiques  se 
dirigeaient,  par  exemple,  du  centre  vers  la  périphérie  (point  cautérisé).  Sitôt  l'exci- 
tation perçue  par  le  protoplasma,  les  mouvements  des  granulations  protoplasmatiques 
subissent  une  inversion  de  sens  :  les  granulations  se  dirigent  de  la  périphérie  vers  le 
centre. 

Les  excitations  irritantes  provoquent  donc  dans  le  plasmode  des  phénomènes 
d'attraction  (assez  semblables  à  ceux  qui  accompagnent  l'ingestion  d'une  proie)  et  des 
phénomènes  de  répulsion.  Ces  phénomènes  pathologiques  ne  diffèrent  donc  en  rien, 
dans  leur  essence,  des  phénomènes  physiologiques  normaux. 

Depuis  longtemps  Stahl  avait  fait  remarquer  que  les  plasmodes  ne  sont  jamais 
attaqués  par  les  parasites.  Il  explique  ce  fait  par  leur  mobilité  facile,  et  leur  propriété 
de  rejeter  en  dehors  les  corps  étrangers,  propriété  en  relation  avec  la  digestion  interce! 
lulaire  des  particules  solides.  Pfeffer  {Ueber  Aufnahme  und  Ausgabe  ungelôster  Kôrper  : 
Abhandl.  d.  mathcm.  phys.  CL  der.  K.  Sachs.  Gesell.  d.  Wissensch.,  t.  xvi,  1890,  p.  161)  a 
vu  les  plasmodes  de  Chondrioderma  rejeter  les  Pandorines  et  les  Diatomées  à  l'état 
vivant.  On  n'a  cependant  pas  encore  fait  d'observations  directes  sur  l'expulsion  des 
parasites  par  les  plasmodes. 

L'exemple  des  Amibes,  infestées  par  les  Microsphœra,  montre  d'ailleurs  que  certains 
parasites  peuvent  résister  aux  propriétés  expulsives  que  le  protoplasme  manifeste  vis-à-vis 
des  corps  étrangers,  peut-être  en  paralysant,  à  l'aide  d'un  produit  de  sécrétion,  ces 
propriétés  expulsives. 

État  amiboïde  de  divers  types  animaux  et  végétaux.  —  Un  grand  nombre  de 
types  animaux  et  végétaux  présentent  pendant  une  portion  de  leur  existence  un  état 
nettement  amiboïde. 

Certaines  Grégarines  {Porospora)  ont  une  phase  nettement  amiboïde  dans  leur 
développement.  C'est  sous  la  forme  d'un  corpuscule  amiboïde  que  les  Coccidies  propre- 
ment dites  envahissent  les  cellules  épithéliales.  Semblable  forme,  que  l'on  pourrait  qua- 
lifier du  nom  de  forme  agressive  (vis-à-vis  des  cellules  de  l'organisme  parasité)  s'observe 
également  chez  les  Sarcosporidies  {Sarcocystis). 

Les  Myxosporidies  se  présentent,  pendant  les  premières  phases  de  leur  développe- 
ment, sous  forme  de  petites  masses  amiboïdes,  à  mouvements  énergiques.  Il  semble 


412  AMIBES. 

même  que  plusieurs  de  ces  masses  élémentaires  se  fusionnent  finaleuient  en  un  véritable 
plasmode,  qui  s'enkyste,  et  au  sein  duquel  se  développent  les  Psorospermies. 

Les  spores  des  Microsporidies,  et  en  particulier  celles  du  Microsporidhim  Bombycis, 
germent,  en  laissant  échapper  leur  contenu  protoplasniique,  sous  forme  d'une  petite 
masse  ariiiboïde  (Voir  Sporozoaires). 

Chez  les  Sporozoaires  sanguicoles  existeraient  aussi  des  phases  amiboïdes,  fort  inté- 
ressantes, au  point  de  vue  de  l'organisation  et  du  rôle  pathogénique  de  ces  êtres 
(Voir  Hématozoaires). 

L'œuf  des  Éponges  (Ralisarca),  même  à  l'état  de  maturité,  est  animé  d'actifs  mouve- 
ments amiboïdes,  qui  lui  permettent  de  ramper  à  la  surface  des  cavités  internes  de 
l'animal  mère  ;  aussi  l'a-t-on  pris  longtemps  pour  une  amibe  parasite.  L'ovule  des 
Eponges  est  d'ailleurs  un  élément  mésoblastique,  à  propriétés  plus  ou  moins  amiboïdes, 
d'abord  indifférent,  puis  ayant  subi  une  différenciation  nouvelle. 

Il  est  fort  intéressant  de  constater  que  chez  les  plus  inférieurs  des  Métazoaires,  les 
cellules  épithéliales  conservent  encore  des  propriétés  amiboïdes  chez  les  Spongiaires, 
où  il  existe  nettement  trois  feuillets  différenciés,  (dont  le  moyen  est  constitué  essentiel- 
lement par  des  amibocytes),  l'ectoderme  est  formé  de  cellules  épithéliales  plates,  visi- 
blement contractiles.  Il  semble  qu'il  y  ait  là  une  suite  d'un  état  amiboïde  primordial, 
qui  n'aurait  persisté  chez  l'animal  diti'érencié  que  dans  la  seule  couche  soustraite  à  l'ac- 
tion directe  des  agents  extérieurs,  c'est-à-dire  dans  le  mésoderme.  Lorsqu'on  examine 
de  jeunes  Spongiaires,  on  voit  sur  leurs  bords  libres  des  prolongements  amiboïdes, 
appartenant  aux  éléments  ectodermiques.  La  contractilité  de  ces  cellules  joue  un  rôle 
évident  dans  l'ouverture  des  pores,  répartis  à  la  surface  de  l'éponge,  et  apparaissant 
entre  deux  ou  plusieurs  cellules  plates  ectodermiques.  Ces  pores  s'ouvrent,  en  livrant 
passage  à  un  courant  d'eau  qui  tient  en  suspension  les  corpuscules  amenés  par  l'eau 
arnbiante. 

Phénomène  remarquable,  les  Éponges  maintiennent  leurs  pores  fermés  pour  empê- 
cher l'accès  de  substances  nuisibles,  non  seulement  sous  forme  de  granules,  mais  aussi 
les  substances  en  solution.  Les  solutions  toxiques  (de  morphine,  strychnine,  véra- 
trine)  amènent  le  resserrement  des  pores,  qui  ne  s'ouvrent  qu'au  bout  d'un  certain 
temps  (De  Lundenfeld.  Experiment.  Vnter&uch.  ùber  die  Phys.  der  Spongien.  Zeit.  f.  wiss. 
ZooL,  t.  SLvm,  1889). 

L'analogie  avec  les  propriétés  des  plasmodes  de  Mj'xomycètes  est  évidente  :  nous  nous 
trouvons  en  présence  des  mômes  propriétés  chimiotactiques,  mais  la  réaction  est  diffé- 
rente. La  cause  de  cette  différence  est  toute  mécanique  :  le  plasmode  est  mobile,  il  fuit 
l'agent  nuisible;  la  cellule  ectodermique  de  l'Éponge  est  reliée  intimement  à  ses  congé- 
nères, elle  n'est  mobile  qu'à  sa  surface  libre  (bords  du  pore),  et  c'est  en  manifestant  sa 
mobilité  en  ce  point  qu'elle  agrandit  ou  rétrécit  l'orifice,  susceptible  de  hvrer  passage 
à  l'agent  nuisible. 

Nous  voyons  ici  le  passage  insensible  de  l'élément  anatomique  amiboïde  à  l'élément 
épithélial;  de  même  que  nous  avons  vu  plus  haut  le  passage  du  pseudopode  au  cil 
vibratile. 

L'œuf  de  l'Hydre  d'eau  douce  est  une  véritable  amibe  de  grande  taille,  dont  la  masse 
est  gorgée  de  granulations  vitellines,  et  de  grains  colorés  en  vert  par  la  chlorophylle 
(zoochlorelles). 

Les  spermatozoïdes  des  Nématodes  sont  dépourvus  du  filament  caudal,  si  caractéris- 
tique des  spermatozoïdes  des  autres  animaux.  Privés  de  cet  organe  de  locomotion,  ils 
ne  peuvent  progresser  que  grâce  à  des  mouvements  amiboïdes,  et  parviennent  ainsi  jus- 
qu'au sommet  de  l'utérus  de  la  femelle.  Chez  les  Strongylides,  les  changements  de  forme 
des  spermatozoïdes  sont  tellement  accusés  qu'ils  rendent  parfois  ces  éléments  mécon- 
naissables. 

Certains  éléments  épithéliaux  peuvent  émettre  des  prolongements  qui  ressemblent 
plus  ou  moins  à  des  pseudopodes  amibiformes.  Si  on  examine  la  vésicule  séminale  de 
VAscarh  lumbricoïdes,  on  voit  ainsi  les  cellules  épithéliales  qui  la  tapissent  émettre  des 
ramifications  changeant  de  forme  lentement  (Leuckart).  Ces  pseudopodes  épithéliaux 
doivent  jouer  le  rôle  des  cils  vibratiles  absents,  et  aider  à  la  progression  du  sperme.  Ce 
serait  pour  ainsi  dire  un  terme  de  passage,  au  point  de  vue  morphologique,  entre  les 


AMIBES.  413 

pseudopodes  typiques  et  les  cils  vibratiles,  qui  peuvent  être  considérés  comme  de  simples 
modifications  des  premiers.  Il  serait  fort  intéressant  de  rechercher  si  ces  éléments  pos- 
sèdent les  propriétés  caractéristiques  des  cils  vibratiles,  ou  celles  des  élémenls  ami- 
boides.  Aucune  donnée  ne  nous  permet  encore  de  conclure  s'ils  constituent  également 
un  terme  de  passage  au  point  de  vue  ph^'siologique. 

Le  même  fait  se  retrouve  dans  l'histoire  de  certains  groupes  de  champignons. 

Les  Ciiytridinées  présentent  très  nettement  un  état  amiboïde.  Arrivées  au  contact 
du  véfrétal  ou  de  l'infusoire  qu'elles  infestent,  les  zoospores  perdent  chacune  leur  cil  vibra- 
tile  qu'elles  rétractent,  et  rampent  à  la  surface  de  l'être  parasité,  à  l'aide  de  mouvements 
amiboïdes.  Les  zoospores  des  Vampyrellées  présentent  également  une  phase  amiboïde, 
et  se  fusionnent  parfois  en  un  plasmode  plus  ou  moins  volumineux,  avant  de  se  fixer  au 
corps  de  la  plante  nourricière.  Pendant  leur  reptation  à  la  surface  de  l'oogone,  les  anthé- 
rozoïdes se  déforment  à  l'aide  de  mouvements  amiboïdes,  chez  les  Monohlepharis ;  mais 
ces  éléments  ne  représentent  pas  des  éléments  amiboïdes  typiques,  car  ils  restent 
munis  d'un  assez  long  cil  vibratile. 

Chez  les  Algues,  les  formes  amiboïdes  temporaires  sont  plus  rares.  Cependant,  les 
spores  issues  de  l'œuf  des  Bangia  sont  douées  d'énergiques  mouvements  amiboïdes. 

Cet  état  amiboïde  pourrait,  semble-t-il  au  premier  abord,  être  regardé  comme  un 
reste  ancestral.  Mais,  en  réalité,  il  apparaît  beaucoup  plutôt  comme  une  adaptation  à 
certaines  conditions  de  milieu.  La  forme  amiboïde  est  avant  tout  une  forme  de  repta- 
tion, qui  facilite  singulièrement  à  l'être  qui  le  revêt,  la  recherche  d'un  milieu  favorable 
à  son  évolution  ultérieure.  Dans  certains  cas  d'ailleurs  (Sporozoaires),  on  pourrait 
regarder  la  phase  amiboïde  surtout  comme  une  forme  d'attaque,  vis-à-vis  des  cellules 
parasitées  :  nous  l'avons  dit  plus  haut. 

La  fréquence  de  cette  forme  amiboïde  dans  les  deux  règnes,  surtout  chez  les  animaux 
(amibooytes),  est,  somme  toute,  un  bel  exemple  de  cette  loi,  que  les  nécessités  physio- 
logiques déterminent  souvent  les  caractères  morphologiques  aussi  bien  des  organismes 
que  des  éléments  anatopiiques. 

Bibliographie.  —  Outre  les  indications  données  dans  le  cours  de  cet  article  men- 
tionnons :  P.  ALnERTONi.  Action  paralysante  de  la  cocaïne  sur  la  contractllité  du  proto- 
plasma {A.  B.,  1891,  t.  XV,  pp.  1-13).  —  Crivelli  et  L.  Maggi.  Sulla  produzione  délie 
amibe  {Rendicont.  d.  R.  ht.  Lomb.  dl  se.  e  lett.,  1870,  pp.  367-373;  1875,  pp.  198-203).  — 
CzERNY.  Einir/e  Beobachtui>g.en  uber  Amœben  [Arch.  f.  meth.  An.,  1869,  t.  v,  pp.  158-163).  — 
Greeff.  JJber  die  Erd.  Amœben  {SiUb.der  Ges.  zu  Marburg,  1892,  pp.  1-26).  —  Howard.  The 
amœba  coli,  ils  importance  in  diagnnsis  and  prognosis,  with  the  report  of  two  cases  (Med. 
JVetfs,  1892,  t.  Lxi,  pp;  703-710).  ^  Cattaneo.  .Imiôoci/ies  des  crustacés  (A.  B.,  1888,  t.  x, 
p.  267).  —  RoviDA.  Aziotie  dclle  soluzioni  saline  concentraii  sulle  cellule  amiboîdi  (Ann. 
un.  di  med.,  1867,  pp.  .391-605).  —  L.  Unger.  Amœboîde Kernbeivegungen  in  normalen  und 
entzundeten  Geweben  {Med.  Jahrb.,  1878,  t.  viii,  pp.  393-407). 

F.  HEIM. 

Appendice.  —  Au  moment  où  cette  feuille  allait  être  tirée,  paraissait  un  ouvrage 
important  de  M.  Verwokn',  dont  les  travaux  ont  été  cités  plusieurs  fois  dans  le  cours  de 
cet  article  {.Hlgemeine  Physiologie,  ein  Grundriss  der  Lehre  vom  Leben,  léna,  Fischer, 
1893,  in-8°,  584  pp.,  270  fig.).  La  physiologie  des  amibes  y  est  traitée  d'une  manière  beau- 
coup plus  complète  qu'elle  n'avait  pu  l'être  jusqu'à  présent.  C'est  un  traité  de  physiolo- 
gie générale  qui  a  pour  base  la  physiologie  des  êtres  inférieurs,  amibes,  leucocytes,  cils 
vibratiles,  protistes,  rhizopodes,  etc.  On  consultera  notamment  la  fig.  15  (p.  79),  qui 
indique  admirablement  les  modifications  de  l'amibe  pendant  la  progression;  plus  loin, 
dans  le  chapitre  V,  il  faudra  lire  le  §  4  et  le  §  5  (pp.  439-446),  où  sont  traités  le  ther- 
motropisme  el  le  galvanotropisme  des  amibes,  avec  d'excellentes  figures.  Notamment  la 
flg.  213  (p.  443)  montre  le  galvanotropisme  de  \l'Amoeba  diffluens  qui  se  dirige  énergi- 
quement  par  de  vigoureux  pseudopodes  vers  le  pôle  négatif.  De  même  (fig.  216),  fait 
Polytoma  uveUa.  L'auteur  a  aussi  donné  des  figures  qui  représentent  l'amibe  ingérant  et 
enveloppant  un  fragment  d'algue  (flg.  42,  p.  130).  On  remarquera  surtout  le  chapitre 
consacré  à  l'irritabilité  des  amibes,  ainsi  que  des  êtres  analogues,  où  l'auteur  donne 
des  conclusions  générales  intéressantes  pour  la  physiologie  des  animaux  supérieurs. 

GH.  R. 


'i\i  AMMONIACALE    (Fermentation). 

AMMONIACALE  (Fermentation).  —  On  donne  le  nom  de  fer- 
mentation  ammoniacale  à  la  transformation  de  l'urée  en  carbonate  d'ammoniaque,  opérée 
par  des  bactéries  et  quelques  mucédinées.  Ce  n'est  probablement  qu'une  des  modalités 
de  la  formation  d'ammoniaque  aux  dépens  des  matières  azotées  sous  l'influence  de  la  vie 
de  beaucoup  de  microbes,  surtout  des  espèces  anaérobies  qui  vivent  aux  dépens  des  albu- 
minoïdes,  qu'il  y  ait  ou  non,  dans  ces  conditions,  production  antérieure  d'urée. 

Cette  modification  de  l'urée  paraît  être  une  simple  hydratation  plutôt  qu'une  trans- 
formation véritable.  Les  chimistes  l'obtiennent  du  reste  dans  ee  sens  à  l'aide  de  forces 
dont  ils  disposent  ;  ainsi,  en  traitant  l'm'ée  par  les  bases  énergiques  ou  en  la  soumettant 
à  une  température  élevée,  140%  en  présence  de  l'eau.  Ils  la  formulent  de  la  façon  sui- 
vante : 

COAz2tn  +  H20=C0  2  +  2AzH3. 

Urée 

La  fermentation  ammoniacale  s'observe  spontanément  dans  l'urine  exposée  à  l'air. 
Ce  liquide,  daas  ces  conditions,  devient  rapidement  alcalin  et  exhale  une  odeur  ammo- 
niacale, en  même  temps  qu'apparaît  un  trouble  qui  s'accentue  de  plus  en  plus. 

Il.est  des  conditions  pathologiques  où  cette  modification  s'opère  déjà  dans  la  vessie, 
l'urine  est  ammoniacale  dès  son  émission. 

Les  premiers  chimistes  qui  ont  étudié  ce  phénomène,  Vauqueun  et  Dumas  principale- 
ment, pensaient  que  cette  transformation  était  intimement  liée  à  l'altération  des 
matières  albuminoïdes  ou  du  mucus  de  l'uriae.  PasteorIb  premier,  en  1862,  l'attribua  à 
la  présence  et  au  développement,  dans  le  liquide,  d'un  ferment  organisé.  Van  Tteghem, 
deux  ans  après,  confirma  ces  conclusions  et  précisa  les  conditions  de  vie  et  d'activité  du 
ferment. 

Ces  observateurs,  toutefois,  paraissent  avoir  étudié  deux  orgaaismes  différents.  Celui 
que  décrit  Pasteur  est,  en  effet,  un  microcoque  formant  le  plus  souveat  des  diplocoques 
ou  des  tétrades  ;  tandis  que  celui  de  Van  Tiegiiem  a  ses  éléments  réunis  en  longs  chape- 
lets à  courbures  élégantes.  Du  reste,  les  recherches  ultérieures,  celles  de  Miquel  en  par- 
ticulier, sont  venues  confirmer  cette  pluralité  des  ferments  de  l'urée.  Dés  1878,  Miquel  a 
isolé  des  eaux  d'égout  une  forme  en  bâtonnets,  un  vrai  bacille,  qui  produit  énergiquement 
la  transformation  ammoniacale  de  l'urée  ;  depuis,  il  a  reconnu  la  présence  dans  l'air,  le 
sol,  les  eaux,  de  toute  une  série  de  ces  agents  de  fermentation  ammoniacale,  d'activité 
variable.  De  telle  sorte  que,  avec  les  espèces  similaires  ou  identiques  décrites  par  Leube 
et  Cambieb,  on  peut  compter  actuellement  une  vingtaine  d'espèces  bactériennes  qui 
jouissent  bien  nettement  de  cette  curieuse  propriété. 

,  Ces  ferments  sont  cependant  loin  de  posséder  une  puissance  d'action  égale.  Beau- 
coup sont  relativement  peu  actifs;  ceux  qui  possèdent  l'activité  la  plus  grande  sont 
encore  le  micrococcus  étudié  par  Pasteur  et  le  bacille  décrit  en  premier  lieu  par  Miquel. 

Les  microbes  de  la  fermentation  ammoniacale  de  l'urée  sont  très  répandus  dans  la 
nature.  Ils  abondent  dans  tous  les  milieux,  l'air,  le  sol,  les  eaux,  même  celles  qui  sont 
très  pures.  Cette  large  répartition  explique  l'envahissement  si  facile  et  si  rapide  de  l'urine 
dés  son  émission.  Ils  sont  en  outre  assez  communs  partout  pour  assurer  toujours  la  trans- 
formation de  l'urée  provenant  de  l'urine  des  animaux  ou  de  la  décomposition  des 
matières  albuminoïdes. 

C'est  qu'à  ce  point  de  vue,  leur  importance  est  considérable  dans  la  circulation  de  la 
matière.  L'urée  provenant  de  la  désassimilation  animale  ne  peut  en  effet  rentrer  dans  la 
nutrition  qu'après  sa  transformation  en  composés  ammoniacaux  utilisables  pour  les 
plantes. 

Ce  rôle  de  ferment  ammoniacal  de  l'urée  ne  paraît  pas  cependant  être  un  caractère 
obligatoire  de  ces  espèces  microbiennes,  tel  que  leur  vie  ne  puisse  s'accomplir  que 
lorsqu'ils  le  remplissent;  mais  plutôt  une  fonctio,n  secondaire  qui  peut  être  plus  ou  moins 
indépendante  de  la  nutrition  du  microbe  et  de  son  développement.  C'est  un  phénomène 
semblable  à  ce  que  l'on  observe  pour  bien  des  espèces  pathogènes  qui  peuvent  vivre 
et  se  multiplier  abondamment  en  simples  saprophytes,  ne  manifestant  leurs  propriétés 
pathogènes  qu'en  présence  de  conditions  de  vie  déterminées. 

D'un  autre  côté,  l'urée  peut  être  pour  ces  espèces  un  véritable  aliment, azoté  ;  mais, 
loin  d'en  faire  un  aliment  de  choix,  elles  ne  l'utilisent  comme  source  d'azote  qu'à  défaut 


AMMONIACALE    (Fermentation).  i'IS 

d'un  autre  plus  aisément  assimilable.  Aussi,  dans  un  mélange  de  peptones  et  d'urée,  ces 
ferments  consomment  d'abord  les  peptones  et  n'utilisent  l'urée  qu'à  leur  défaut.  Ils 
l'attaquent  cependant  après  avoii'  vécu  aux  dépens  des  peptones,  car  la  balance  montre 
avec  précision  (jue,.  dans  un  mélange  d'urée  et  de  peptones  en  quantité  suffisante,  au  bout 
d'un  certain  temps,  toute  l'urée  peut  être  transformée  en.  carbonate  d'ammoniaque. 
Ceci  concourt  encore  à  démontrer  que  cette  fermentation  n'est  pas  un  acte  de  nutrition. 

En  1876,  MuscuLUs  a  annoncé  qu'il  était  parvenu  à  retirer  des  urines  ammoniacales 
un  ferment  soluble  jouissant  de  la  propriété  de  transformer  l'urée  en  carbonate  d'am- 
moniaque en  l'absence  de  tout  ferment  figuré.  Par  ses  propriétés  principales  ce  ferment 
devait  être  rapproché  d'autres  que  l'on  connaissait  déjà,  comme  la  diastase  de  l'orge 
germée,  la  ptyaline  salivaire,  la  pepsine  du  suc  gastrique.  Comme  eux,  il  était  soluble 
dans  l'eau  et  précipitable  par  l'alcool  et  voyait  son  activité  détruite  par  une  température 
de  80°  environ;  une  petite  quantité  de  ferment  suffisait  à  transformer  une  quantité 
relativement  considérable  de  substance  fermentescibie. 

Des  recherches  de  Pasteur  et  Joubert  démontrèrent  peu  après  que  la  production  de 
ce  ferment  soluble  était  sous  la  dépendance  nécessaire  et  immédiate  de  la  vie  dans  ces 
urines  du  ferment  organisé  que  le  premier  de  ces  savants  avait  découvert  quatorze  ans 
auparavant. 

Après  bien  des  insuccès,  Miquel,  dans  ses  recherches  approfondies  sur  les  ferments 
de  l'urée,  a  pu  confirmer  les  résultats  obtenus  par  Musculus,  Pasteur  et  Joubert,  et  pré- 
ciser les  conditions  de  la  production  du  ferment  soluble  par  les  microbes  en  question 
et  de  la  transformation  de  l'urée  qu'il  occasionne.  En  suivant  la  terminologie  établie 
par  DucLAux,  ce  ferment  soluble  doit  être  nommé  uréase. 

Toutes  ces  recherches  concourent  bien  à  démontrer  que  la  fermentation  ammoniacale 
de  l'urée  s'opère  réellement  en  deux  temps  :  le  premier  est  la  période  de  nutrition  et  de 
développement  du  microbe,  c'est  celui  où  se  fait  la  sécrétion  d'uréase;  le  second  est 
une  simple  action  chimique,  l'action  du  ferment  soluble  sur  l'urée,  pouvant  alors 
s'opérer  en  dehors  de  la  présence  de  tout  ferment  organisé.  (V.  Urée). 

La  production  d'uréase  n'est  du  reste  pas  nécessaire  à  la  vie  de  ces  espèces;  pas  plus 
du  reste,  pour  beaucoup  d'entre  elles  au  moins,  que  la  présence  d'urée  et  sa  transfor- 
mation. Elles  n'en  produisent  que  sollicitées  par  de  l'urée  à  attaquer.  La  fermentation 
ammoniacale  ne  peut  donc  être  considérée  que  comme  un  phénomène  secondaire  de 
leur  vie;  à  côté  de  cette  propriété,  elles  peuvent  en  posséder  d'autres  non  moins  inté- 
ressantes, comme  celle  d'être  ferments  de  l'albumine  par  exemple,  ou  d'être  pathogènes, 
à  quelque  degré  que  ce  soit.  C'est  une  raison,  peut-être,  pour  ne  pas  se  baser,  pour  les 
séparer  des  autres  bactéries,  sur  ce  caractère  S3ul,  et  créer  des  coupes  comnie  les  Uro- 
bacUhts,  les  Urococcus,  les  Urosarcina  de  Miquel. 

L'uréase  jouit  des  propriétés  générales  des  diastases.  Elle  s'obtient  en  suivant  les 
procédés  usités  en  pareil  cas.  L'action  chimique  qu'elle  détermine  varie  avec  la  tempé- 
rature; la  destruction  de  la  quantité  maximum  d'urée  a  lieu  vers  50°,  elle  s'arrête  vers 
70"  et  le  ferment  soluble  est  détruit  si  cette  température  est  maintenue  pendant  vingt 
à  trente  minutes. 

La  quantité  d'urée  dissoute  qui  peut  être  transformée  par  cette  diastase,  varie,  sui- 
vant les  conditions,  entre  40  et  80  grammes  par  litre  de  solution.  Lorsque  la  proportion 
d'urée  est  trop  grande,  aussi  bien  dans  des  urines  que  dans  des  solutions  artificielles,  la 
fermentation  ammoniacale  ne  se  fait  pas,  lors  même  que  les  ferments  figurés  peuvent  se 
développer  dans  ces  liquides. 

La  proportion  d'uréase  sécrétée,  et  conséquemment  l'énergie  de  la  fermentation 
ammoniacale  de  l'urée,  varie  dans  les  grandes  limites,  avec  l'espèce  microbienne  qui 
agit.  A  côté  de  bactéries  très  actives,  transformant  un  maximum  d'urée  dans  les  cultures 
ou  l'urine,  il  en  est  de  très  peu  énergiques  qui,  quelles  que  soient  les  conditions  favora- 
bles où  elles  peuvent  être  placées,  ne  produisent  qu'une  fermentation  bien  minime.  A  ces 
dernières  peut-on  encore  conserver  le  titre  principal  de  ferments  de  l'urée  et  le  nom 
générique  d'Urobactéi'ics? 

La  sécrétion  d'uréase,  et  conséquemment  la  fermentation  ammoniacale  de  l'urée  qui 
en  est  l'effet  direct,  est  facilement  entravée  par  des  antiseptiques  faibles  qui  laissent 
s'opérer  quand  même  le  développement  du  microbe  ferment,  n'entravant  ainsi  que  l'une 


ne  AMMONIAQUE. 

de  ses  fonctions.  Pasteur  et  Joubert  ont  signalé  particulièrement  à  ce  point  de  vue 
l'acide  borique,  plus  actif  même  contre  la  production  d'uréase  que  l'acide  phénique  en 
mêmes  proportions;  la  thérapeutique  chirurgicale  des  affections  vésicales  a  mis  tout  de 
suite  celte  découverte  à  profit.' 

Nous  savons  déjà  qu'il  existe  un  assez  grand  nombre  d'espèces  bactériennes  qui 
jouissent  de  la  propriété  de  transformer  l'urée  en  carbonate  d'ammoniaque.  Quelques 
moisissures  paraissent  posséder  la  même  fonction,  sécrétant  probablement  de  l'uréase 
comme  les  premiers  microbes;  leur  étude  à  ce  point  de  vue  est  à  peine  ébauchée. 

MiQUEL  dit  qu'il  existe  une  soixantaine  de  bactéries  ferments  de  l'urée.  Il  en  a  décrit 
minutieusement  dix-sept  dont  neuf  sont  des  microGoques,  sept  des  bacilles  et  une,  une 
sarcine,  isolés  de  l'air,  du  so!  ou  des  eaux.  Les  milieux  contaminés  par  les  urines  de 
l'homme  ou  des  animaux  sont  naturellement  les  plus  riches.  Ces  ferments  cependant  se 
rencontrent  même  dans  les  eaux  les  plus  pures,  provenant  du  sol  qui  en  contient  tou- 
jours des  quantités  considérables;  ils  n'indiqueraient  une  contamination  directe  de  l'eau 
que  lorsqu'ils  se  rencontrent  en  proportions  supérieures  à  2  p.  100  des  microbes  observés. 

Bibliographie.  —  Pastedr.  Mémoire  sur  les  corpuscules  organisés  de  l'atmosphère 
[Anfi.  des  Sciences  naturelles.  Zoologie,  1862).  —  Van  Tieghem.  Recherches  sur  la  fermen- 
tation de  l'urée  et  de  l'acide  hippurique  {Ann.  scientifiques  de  l'École  normale  supérieure, 
1864).  —  Miquel.  Hecherches  sur  le  Bacillus  ferment  de  l'urée  (Bull,  de  la  Société  chimique 
de  Paris,  1878,  t.  xxxi,  p.  391  et  1879,  t.  xxsii,  p.  126).  —  Leube.  Ucber  clic  ammoniakalische 
Harngàhrung  {A.  V.,  1879,  t.  c,  p.  o40).  — -  Miquel.  Étude  sur  la  fermantation  ammoniacale 
et  les  ferments  de  l'urée  {Annales  de  Micrographie,  1889-1894).  —  Cambier.  Contribution  à 
l'étude  de  la  fermentation  ammoniacale  et  des  ferments  de  l'urée  [Ann.  de  Micr.,  1893).  — 
Mdsculus.  Sur  le  ferment  de  l'urée  (C.  H.,  1876,  t.  lxsxii,  p.  334). 

E.    MACÉ. 

AMMONIAQUE. —  Chimie  générale.  —  L'ammoniaque  (gaz  ammo- 
niac, alcali  volatil),  AzH^,  est  un  gaz  incolore  à  odeur  suffocante.  La  densité  à  0°  est, 
sous  la  pression  de  0™,  760,  de  0,o89a  par  rapport  à  l'air  et  de  8,5  par  rapport  à  l'hydro- 
gène. Un  litre  de  gaz  ammoniac,  pris  à  la  température  de  0°  et  à  la  pression  de  0™,760, 
pèse  0E'',76ao.  Sa  solubilité  dans  l'eau  est  très  considérable  (727,  2  vol.  à  +  lo°).  Sa 
chaleur  spécifique  en  poids  et  sous  pression  constante  est  de  0,5082. 

Lammoniaque  n'existe  dans  l'air  atmosphérique  qu'à  l'état  de  trace.  Elle  provient 
en  partie  de  la  putréfaction  des  débris  animaux  et  végétaux,  en  partie  de  la  combinai- 
son de  l'eau  et  de  l'azote  de  l'air,  avec  formation  d'azotite  d'ammonium,  sous  l'influence 
des  décharges  'électriques  des  orages  (Az- -|- H-0  =  AzO''AzH'').  L'eau  de  mer,  l'eau  des 
rivières  ne  contiennent  que  de  minimes  quantités  d'ammoniaque. 

L'ammoniaque  se  combine  au.f  acides,  sans  élimination  d'eau,  pour  former  des  sels, 
que  l'on  considère  comme  sels  du  métal  hypothétique,  ainmoJiiîim,  AzH'',  et  qui  sont  tout  à 
fait  semblables  aux  sels  de  sodium,  et  surtout  de  potassium,  de  césium  et  de  rubidium, 
avec  lesquels  ils  présentent  de  grandes  analogies.  —  La  solution  aqueuse  d'ammoniaque 
est  supposée  contenir  l'hydrate  d'oxyde  d'ammonium,  AzH''OH,  analogue  à  KOH. 

Les  trois  atomes  d'hydrogène  de  l'ammoniaque  peuvent  être  remplacés  par  des  radi- 
caux divers,  et  notamment  par  des  radicaux  alcooliques  (ou  phénoliques)  ou  par  des 
radicaux  acides.  Dans  le  premier  cas,  il  se  produit  des  aminés  ou  ammoniaques  composées 
(méthylamine,  éthylamine,  phénylamine  ou  aniline,  naphtylamine,  etc.),  et  dans  le 
second  des  amides  (acétamide,  oxamide,  carbamide  ou  urée,  benzoyiamide  ou  ben- 
zamide,  etc.).  S'il  y  a  substitution  simultanée  de  radicaux  alcooliques  et  acides,  il  y  a 
formation  d'cdeamides.  Les  aminés  peuvent  être  primaires,  secondaires  ou  tertiaires  selon 
qu'il  y  a  remplacement  de  un,  deux  ou  trois  atomes  d'hydrogène  pour  un  même  radi- 
cal ou  plusieurs  radicaux  différents  (mononiéthylamine,  diméthylamine,  tiirnéthyla- 
mine  ou  plus  généralement,  AzH -H,  AzHR -,  AzR^,  représentant  un  radical  alcoolit[ue 
quelconque). 

On  connaît  aussi  des  produits  de  substitution  rapportables  au  type  AzH'*OH.  Ce  sont 
les  hases  ammoniées ;  teWe  par  exemple  l'hydrate  de  tétraméthylammonium  Az  (CH^)'  OH 
et  les  corps  du  groupe  de  la  choline. 

L'action  pharmacodynamique  des  ammoniaques  composées  et  des  bases  ammoniées 


AMMONIAQUE.  417 

sera  étudiée  aux  articles  Méthylamine,  Éthylamine,  Propylamine,  Choline,  etc.,  et  celles 
des  aminés  aux  articles  Urée,  etc. 

Sels  ammoniacaux  et  ammoniaque  dans  l'organisme.  —  Le  mouvement  des 
sels  ammoniacaux  dans  l'organisme  animal  ne  porte  pas  sur  des  quantités  considé- 
rables, et,  au  premier  abord,  l'importance  physiologique  de  ces  composés  paraît  être 
très  secondaire,  puisque  dans  l'urine,  où  l'ammoniaque  est  le  plus  abondamment 
représentée,  on  n'en  trouve,  chez  l'homme,  en  moyenne  que  0b'',7  par  jour.  En  réalité, 
les  sels  ammoniacaux  participent  aux  réactions  chimiques  de  la  nutrition  dans  ce  que 
celles-ci  ont  de  plus  intime  et  de  plus  profond,  et,  si  ce  phénomène  ne  se  traduit  à 
l'extérieur,  comme  il  arrive  du  côté  des  urines  par  exemple,  que  d'une  manière  peu 
marquée  au  point  de  vue  quantitatif,  il  parait  probable  que,  dans  l'organisme,  des 
masses  notables  d'ammoniaque  sont  mises  en  jeu,  au  moins  transitoirement,  aux  cours 
des  phénomènes  de  désassimilation. 

11  est  certain  qu'une  partie  des  sels  ammoniacaux  qui  circulent  dans  l'organisme  et 
s'éliminent  par  les  urines  provient  directement  de  nos  aliments,  bien  que  sous  ce 
rapport  les  données  analytiques  précises  soient  des  plus  clairsemées.  Certains  aliments 
d'origine  végétale,  tels  que  les  radis,  contiennent  en  effet  de  notables  proportions  de  sels 
ammoniacaux  (Voy.  Kô.nig.  Nahrungs-und  Genussmittel,  3"=  éd.,  Berlin,  1889,  t.  i,  pp.  707, 
748,  etc.). 

Mais,  comme  on  voit  l'excrétion  d'ammoniaque  persister  dans  l'état  d'inanition 
absolue  (voy.  plus  loin,  p.  419),  on  peut  conclure  que  ce  corps  est  un  produit  normal  de 
désassimilation,  que  son  caractère  de  corps  azoté  rattache  évidemment  aux  matières 
albuminoïdes. 

La  présence  de  l'ammoniaque  a  été  constatée  dans  un  grand  nombre  de  liquides  et 
de  tissus  de  l'organisme.  11  convient  d'ajouter  pourtant  que  là  où  on  n'en  a  signalé  que 
des  traces,  la  démonstration  manque  parfois  de  netteté,  car  l'urée  accompagne  presque 
partout  l'ammoniaque,  et  ce  que  l'on  sait  aujourd'hui,  notamment  depuis  les  dernières 
recherches  de  Berthelot  et  André,  sur  l'extrême  facilité  avec  laquelle  ce  corps  se  trans- 
forme en  carbonate  d'ammonium  sous  les  plus  mmimes  influences,  rendrait  sans  doute 
nécessaire  la  revision  de  quelques-unes  de  ces  données  (Berthelot  et  André,  Bull,  de  la 
Soc.  chim.  (2),  t.  xLvii,  p.  841,  1887).  —  Voici  quelques  indications  numériques  relatives 
à  la  présence  de  l'ammoniaque  dans  l'organisme  : 

En  valeur  absolue,  l'excrétion  de  l'ammoniaque  par  les  urines  à  l'état  normal  est  en 
moyenne  de  0,6  à  0,8  grammes  par  jour  chez  l'adulte,  les  chiffres  extrêmes  étant  0,3 
et  1,2  environ.  En  valeur  relative,  il  vient,  sur  100  parties  d'azote,  2  à  .'i  p.  100  à  l'état 
d'ammoniaque;  84  à  87  p.  100  à  l'état  d'urée;  1  à  3  p.  100  à  l'état  d'acide  urique; 
7  à  10  p.  100  sous  la  forme  de  matières  extractives.  On  trouve  encore  de  petites  quan- 
tités d'ammoniaque  dans  le  tube  digestif.  Même  à  l'état  normal  on  en  peut  déceler 
dans  les  liquides  de  la  bouche  des  traces  qui  proviennent  probablement  de  fermen- 
tations locales.  Dans  le  suc  gastrique  du  chien,  C.  Schiudt  en  a  trouvé  0s'',148,  et  chez 
l'homme  Husche  a  pu  en  exlraire  de  Of',)  à  0E'',1o  p.  1000  du  contenu  stomacal.  Plus 
bas  on  rencontre  également  un  peu  d'ammoniaque,  qui  provient,  soit  du  travail  des 
microrganismes,  soit  de  l'hydratation  des  petites  quantités  d'urée  déversées  le  long 
du  tube  digestif.  Ch.  Richet  et  R.  MouT.\BD-.MARTI.^'  ont  montré  que  l'urée  injectée  dans 
le  sang  s'élimine  en  grande  quantité  par  les  sucs  digestifs,  que  la  muqueuse  stoma- 
cale des  chiens  morts  d'urémie  expérimentale  est  très  ammoniacale,  et  que,  mise  en 
contact  avec  une  solution  d'urée,  elle  la  fait  fermenter  activement,  comme  si  cette  mu- 
queuse contenait  un  ferment.  Cette  ammoniaque  est  en  grande  partie  reprise  par  le  tra- 
vail d'absorption  ;  car  on  en  trouve  de  moins  en  moins  à  mesure  que  l'on  se  rapproche  de 
l'anus.  Les  fèces  n'en  renferment  plus,  d'après  Brauneck,  que  OKr,lol  p.  100  de  matière 
sèche.  (Nkobader  et  Vogel.  Analyse  des  Harns,  9°  éd.,  par  Huppert  et  Thomas;  Wiesbaden, 
1890,  p.  27.  —  BiDDER  et  C.  Schiiidt.  Die  Verdauungsafle  und  der  Stoffwechsel.  Mittau 
et  Leipzig,  1832,  p.  61.  —  Husche,  Centralbl.  f.  Min.  Med.,  1892,  p.  817.  —  Ch.  Riciiet  et 
Mout.\rd-M.\rtin,  c.  R.,  t.  xcu,  p.  46o,  l'SSl.  —  Brauneck,  Jb.,  P.,  t.  xvr,  p.  281,  1886.) 

Dans  le  sang  on  en  a  trouvé,  pour  1000  centimètres  cubes,  de  Oe'.OSô  à  0S'',078  chez 
le  bœuf;  OS'-,022  chez  le  lapin;  0b"-,042  chez  le  chien.  Dans  la  lymphe,  Hensen  et  D.ehn- 
UARDTen  ont  dosé  Os^tôO  p.  1000  chez  l'homme.  D'après  Latschenberger,  la  bile  de  bœuf 

DICT.    DE   PHYSIOLOGIE.    —    TOIIE  I.  27 


U8  AMMONIAQUE. 

en  renferme  0ff^028,  et  le  lait  de  vache  jusqu'à  Os^aiO  p.  1000.  On  en  trouve  également 
de  petites  quantités  dans  le  foie  (0s^^^8-0s'■,070  p.  1000  chez  le  lapin),  dans  le  tissu 
musculaire  (de  0s^061  a.  0,113  p.  1000  chez  le  lapin  et  0S"^,124  p.  1000  chez  le  chien), 
dans  le  thymus  et  dans  la  sueur.  (Latschenberger,  Jb.  P.,  t.  xiv,  p.  222, 1884.  —  Salomon. 
Ibid.,  p.  22S.  —  Hoppe-Seyler.  Physiol.  Chcm.,  Berlin,  1881,  pp.  o91  et  721.) 

Rapports  de  la  formation  d'ammoniaque  avec  la  formation  d'urée.  —  La 
question  de  l'origine  et  des  variations  de  l'ammoniaque  dans  l'organisme  est  étroitement 
liée  au  double  problème  de  la  formation  de  l'urée  et  de  l'action  exercée  par  les  acides 
sur  les  mutations  de  matière.  On  sait  que,  parmi  les  diverses  théories  relatives  à  la 
formation  de  l'urée,  —  théories  qu'il  ne  faudrait  pas  d'ailleurs  considérer  comme 
exclusives  les  unes  des  autres,  —  celle  de  Schmiedeberg  offre  la  base  expérimentale  la 
plus  sûre  et  la  plus  étendue.  On  suppose  dans  cette  théorie  que  la  désassimilation  des 
matières  albuminoïdes  aboutit  jusqu'à  l'acide  carbonique  et  à  l'ammoniaque,  et  que 
ces  deux  corps  s'unissent,  avec  élimination  d'eau,  pour  former  de  l'urée. 

CO(OH)5  +  2  AzH3  — 2  H^O  =  CO  (AzH^)^. 

Pai'mi  les  observations  très  nombreuses  sur  lesquelles  s'appuie  celte  manière  de  voir, 
retenons  ici  celles  qui  touchent  directement  à  l'histoire  des  sels  ammoniacaux  dans 
l'organisme.  On  va  voir  qu'elles  sont  comme  le  point  central  en  même  temps  que  la 
partie  la  plus  précise  et  la  plus  intéressante  de  cette  histoire. 

Lorsqu'on  introduit  dans  l'économie  des  sels  ammoniacaux  à  acides  organiques  tels 
que  le  citrate  d'ammonium,  ces  sels  ne  s'éliminent  pas,  comme  il  arrive  pour  les  citrates 
de  potassium  ou  de  sodium,  à  l'état  de  carbonate  alcalin  :  l'urine  reste  acide  et  la  pro- 
portion de  l'urée  est  augmentée.  Avec  des  sels  ammoniacaux  à  acides  forts,  tel  que  le 
chlorure  d'ammonium,  ce  phénomène  ne  s'observe  nettement  que  chez  les  herbivores 
(lapin).  Chez  l'homme  et  chez  le  chien,  l'augmentation  de  l'urée  est  moins  nette,  et  la 
majeure  partie  du  sel  ammoniac  se  retrouve  en  nature  dans  l'urine.  Mais,  en  remplaçant 
chez  le  chien  le  chlorure  par  le  carbonate  d'ammonium,  Schmiedeberg  et  Hallerworden 
constatèrent  que  l'urine  restait  acide  et  que  la  proportion  d'urée  était  neltement  aug- 
mentée. Ajoutons  que  les  belles  expériences  de  W.  von  Schrœder  ont  établi  que  cette 
formation  d'urée  aux  dépens  des  sels  ammoniacaux  s'opère  dans  le  foie.  (Lohrer.  Jîiflwg. 
Dissert..  Dorpat,  1862.  —  W.  von  Knieriem.  Z.  B.,  t.  x,  p.  263,  1874.  —  Feder.  Ibid., 
t.  xni,  p.  236,  1877.  —  E.  Salkcv^ski.  Z.  P.  C,  t.  i,  p.  1, 1877.  —  Hallerworden  (et  Schmie- 
deberg). A.  P.  P.,  t.  X,  p.  124,  1879.  —  W.  VON  Schroder.  Ibid.,  t.  xv,  p.  364,  1882,  et 
t.  xix,  p.  373,  188b.) 

Cette  théorie  sur  le  rôle  de  l'ammoniaque  dans  la  formation  de  l'urée  trouve  une 
confirmation  importante  dans  une  série  de  faits  relatifs  à  l'action  des  acides  s«r  l'excré- 
tion de  l'ammoniaque  et  de  l'urée.  Si  la  formation  de  l'urée  se  fait  réellement  aux 
dépens  de  l'ammoniaque  et  de  l'acide  carbonique,  la  présence  d'acides  forts  doit  entraver 
en  partie  cette  synthèse  de  l'urée,  et,  par  suite,  dans  l'urine,  la  proportion  des  sels 
ammoniacaux  doit  augmenter  aux  dépens  de  l'urée. 

La  confirmation  de  cette  hypothèse  se  trouve  déjà  dans  les  faits  exposés  plus  haut. 
Tandis  que  le  carbonate  d'ammonium  se  transforme  très  facilement  en  urée  chez  le 
Carnivore,  au  contraire  le  chlorure  passe  presque  inattaqué,  parce  que  l'ammouiaque, 
fortement  retenue  par  l'acide  chlorhydrique,  ne  peut  entrer  en  réaction  avec  l'acide 
carbonique.  Si  chez  l'herbivore,  le  chlorure  d'ammonium  contribue  néanmoins  à  la  for- 
mation de  l'urée,  cela  tient  à  ce  fait  que  l'alimentation  végétale  apporte  avec  elle  une 
surabondance  de  bases  alcalines,  sans  doute  à  l'état  de  carbonates  de  potassium  ou  de 
sodium,  et  qui  font  la  double  décomposition  avec  le  chlorure  d'ammonium  et  le  trans- 
forment en  carbonate. 

En  outre,  chez  le  chien  et  chez  l'homme,  l'ingestion  d'acides  minéraux  augmente  la 
proportion  de  l'ammoniaque  dans  les  urines  et  diminue  celle  de  l'urée,  parce  que 
l'acide  introduit  fixe  l'ammoniaque.  Ceux  d'entre  les  acides  organiques  qui  ne  sont 
pas  brûlés  dans  l'organisme,  par  exemple  l'acide  benzoïque,  produisent  le  même  effet. 
Ceux  au  contraire  qui  sont  brûlés  et  transformés  en  eau  et  en  acide  carbonique  (comme 
les  acides  citrique,  tartrique,  acétique)  sont  sans  action  sous  ce  rapport.  Inversement 
l'introduction  d'alcalins  (chez  l'homme)  réduit  l'excrétion  des  sels  ammoniacaux  à  un 


AMMONIAQUE.  419 

minimum.  (Walter.  A.  P.  P.,  t.  vu,  p.  148,  1877.  —  Coranda.  IbicL,  t.  xir,  p.  76,  1880. 
—  Gaehtgens.  Z.  p.  C,  t.  IV,  p.  35,  1880.  —  S.  .Jolin.  Deutsche  chem.  Geselhch.,  t.  xxin, 
Réf.  p.  773,  1891.) 

Il  y  a  donc  entre  les  quantités  d'ammoniaque  et  d'urée  excrétées  par  les  urines  une 
sorte  de  balancement,  et  cette  neutralisation  des  acides  par  l'ammoniaque  ainsi  sous- 
traite au  processus  formateur  de  l'urée  constitue  le  mécanisme  par  lequel  l'organisme 
des  carnivores  résiste  à  l'intoxication  par  les  acides  et  se  préserve  des  accidents  graves 
qui  se  produiraient  si  les  bases  nécessaires  au  fonctionnement  normal  des  protoplasmes 
venaient  à  être  arrache'es  aux  cellules. 

Chez  les  herbivores  ce  mécanisme  compensateur  n'existe  pas,  sans  doute  parce  que  ces 
organismes  vivent,  grâce  à  leur  alimentation,  dans  une  surabondance  constante  de  prin- 
cipes alcalins,  et  qu'à  l'état  normal  ils  n'ont  jamais  besoin,  comme  il  arrive  chez  les 
carnivores,  de  saturer  une  partie  des  acides  produits  par  la  désassimilation,en  emprun- 
tant en  quelque  sorte  de  l'ammoniaque  à  l'urée.  Aussi  voit-on  chez  ces  animaux  l'in- 
toxication par  les  acides  produire  rapidement  des  accidents  mortels  (Salkowski. 
Virchow's  Arch.,  t.  lviii,  p.  1,  1873.  —  Walter,  loc.  cit.). 

Les  acides  qui  se  forment  dans  l'organisme  même,  au  cours  des  phénomènes  de 
désassimilation,  produisent  le  même  eifet  que  ceux  que  l'on  introduit  artificiellement. 
Dans  l'alimentation  carnée,  la  décomposition  des  albumines  et  desnucléo-alhumines  pro- 
duit des  quantités  très  notables  d'acide  pbosphorique.  Ainsi  on  peut  admettre  que  les 
quatrecinquièmes  environ  du  soufre  des  albuminoïdes  sont  éliminéspar  les  urines  sous 
la  forme  de  sulfates.  Or,  en  posant  égale  à  1  p.  100  la  teneur  des  albumines  en  soufre, 
on  peut  calculer  qu'une  ration  de  100  grammes  d'albumine  en  24  heures  fournit  envi- 
ron 2s'-,o0  d'acide  sulfurique,  SO*H-.  Aussi  voit-on,  en  ce  qui  concerne  l'élimination  de 
l'ammoniaque  par  les  urines,  l'alimentation  animale  agir  comme  l'ingestion  des  acides; 
l'alimentation  végétale,  comme  celle  des  alcalins.  Ainsi  Coranda  a  trouvé  sur  lui- 
même,  pour  une  alimentation  végétale,  0S"',3998  ;  pour  une  alimentation  mixte,  0B^(5  422; 
pour  une  alimentation  surtout  animale,  0s'',87o  d'ammoniaque  par  jour.  Dans  les 
mêmes  conditions,  Gumlich  a  trouvé  respectivement  0s>-,S71  — Os^669  et  O^', 836  —  16"-,237 
d'ammoniaque  par  jour  (Coranda.  Loc.  cit.  —  Gumlich.  Z.  P.  C,  t,  xvii,  p.  10,  1892). 

L'inanition  agit  comme  l'alimentation  carnée,  ainsi  qu'on  devait  le  prévoir,  et 
augmente  la  proportion  d'ammoniaque.  Voges  a  trouvé  chez  une  mélancolique,  aux  2=,  5<' 
et  Séjours  d'une  inanition  presque  totale,  respectivement  0^1,961  —  0e'',973  —  Os'',888 
d'ammoniaque.  Cette  augmentation  de  l'ammoniaque  apparaît  mieux  encore  lorsqu'on 
compare  l'excrétion  de  l'azote  ammoniacal  à  celle  de  l'azote  total.  Dans  le  cas  rapporté 
par  Voges,  l'azote  dé  l'ammoniaque  représentait  respectivement  16,3 — 13,3  et  13, b  p.  100 
de  l'azote  total  (au  lieu  de  2  à  5  p.  100  à  l'état  normal).  Le  travail  musculaire  qui  dimi- 
nue l'alcalinité  du  sang,  ce  qui  indique  la  formation  de  principes  acides,  provoque  aussi 
une  plus  forte  excrétion  d'ammoniaque.  Mais  sur  ce  point  on  ne  possède  qu'une  seule 
observation  de  C.  von  Noorden,  qui  trouva  chez  un  jeune  homme,  après  un  exercice 
violent  (quatre  heures  de  canotage)  1S'-,018  d'ammoniaque,  contre  0b'',877,  dosés  le  jour 
précédent  (Voges,  cité  par  C.  von  Noorden.  Pathologie  des  Stoffwechsels.  Berlin,  1893, 
p.  168.  —  C.  von  Noorden.  Loc.  cit.,  p.  130). 

La  relation  étroite  qui  existe  entre  les  sels  ammoniacaux  et  l'urée  dans  l'organisme 
ne  peut  donc  être  mise  en  doute.  Il  est  possible  qu'entre  le  carbonate  d'ammonium  et 
l'urée,  on  doive  intercaler,  comme  produit  intermédiaire,  un  autre  sel  ammoniacal,  le 
carbamate  d'ammonium,  que  Drechsel  considère  comme  l'origine  de  l'urée  dans  l'orga- 
nisme. Les  formules  suivantes  montrent  que  la  soustraction  d'une  molécule  d'eau  trans- 
forme le  carbonate  d'ammonium  en  carbamate  d'ammonium  et  que,  par  perte  d'une 
deuxième  molécule  d'eau,  le  carbamate  se  transforme  en  urée. 

.O.AzHi  ,AzH2  .AzH2 

C0(  C0(  COC 

^O.AzHi  \0.AzHi  \AzH2 

Carbonate  d'amnionhim,  Carbamate  d'ammonium.  Urée. 

DîiECHSEL  a  trouvé  de  petites  quantités  de  carbamate  d'ammonmm  dans  le  sang  du 
chien,  et  de  carbamate  de  calcium  dans  l'urine  du  cheval;  d'après  Hahn  et  Nencki, 
l'urine  du  chien  et  celle  de  l'homme  renfermeraient  presque  constamment  un  peu  d'acide 


420  AMMONIAQUE. 

carbaraique.  D'autre  part  Abel  et  Muirhead  ont  signalé  ce  fait  intéressant  que  l'ingestion 
-de  notables  quantités  de  chaux  (à  l'e'tat  de  base)  amène  (chez  l'homme  et  le  chien)  l'éli- 
mination de  carbamate  de  calcium  par  les  urines.  Celles-ci  sont  alcalines  et  dégagent 
spontanément  de  l'ammoniaque,  en  l'absence  de  toute  fermentation  ammoniacale.  Enfin, 
dans  un  travail  remarquable,  Massen  et  Paulow  ont  montré  que  l'urine  des  chiens  ayant 
subi  l'opération  de  la  fistule  d'EcE  (ligature  de  la  veine  porte  à  son  entrée  dans  le  foie  et 
établissement  d'une  fistule  entre  la  veine  porte  et  la  veine  cave)  contient  d'une  ma- 
nière constante  de  l'acide  carbamique,  et  que  les  accidents  très  graves  (crampes  téta- 
niques, ataxie,  etc.)  que  l'on  observe  chez  ces  animaux  reproduisent  exactement  le 
tableau  de  l'empoisonnement  par  l'ammoniaque  (Drechsel.  Bcr.  d.  sdchs.  Gescll.  d.  Wis- 
sensch.,  1873,  p.  177  et  A.  Db.,  1891,  p.  236.  —Abel  et  Muirhead.  A.  P.  P.,t.  xxxr,  p.  i5, 
1802.  —  V.  MASSEr<  et  J.  Paulow;  M.  Hahn  et  Nencki.  Arch.  des  sciences  blol.  de  Saint- 
Pétersbourg,  1892,  p.  401;  J.B.,  t.  xxii,  p.  214). 

Il  convient  d'ajouter,  enfin,  que  l'ammoniaque  que  l'on  retrouve  dans  les  urines  ne 
peut  pas  être  considérée  dans  sa  totalité  comme  un  résidu  de  la  formation  plysiologique 
de  l'urée,  résidu  qui  aurait  échappé  à  la  transformation  en  urée  grâce  à  la  présence  de 
substances  acides.  Il  faut  admettre  que  l'ammoniaque  provient  encore  d'une  autre 
source;  car,  même  en  inondant  l'organisme  par  des  alcalins,  on  retrouve  toujours  dans 
l'urine  quelques  décigrammes  d'ammoniaque  (0e"',3-0e',4  par  jour)  (Stadelmann. 
Ueber  den  Einftuss  d.  Alkalien  auf.  d.  Stoffwechsel  d.  Menschen.  Stuttgart,  1890,  cité 
d'après  C.  von  Noorden,  loc.  cit.,  p.  49). 

Variations  pathologiques.  Formation  d'ammoniaque  dans  les  maladies.  — 
L'étude  des  variations  pathologiques  de  l'ammoniaque  fournit  des  vérifications  encore 
plus  frappantes  de  la  loi  physiologique  exposée  plus  haut,  relativement  à  l'influence  des 
acides  sur  l'excrétion  de  l'ammoniaque.  Toutes  les  affections  ou  états  pathologiques, 
qui  provoquent  une  production  d'acides  dans  l'organisme,  augmentent  l'excrétion  de 
l'ammoniaque  par  les  urines. 

On  sait  que  la  fièvre  s'accompagne  toujours  d'une  diminution  de  l'alcalinité  du  sang, 
en  même  temps  que  du  côté  des  urines  apparaissent  les  acides  acétylacétique,  fi-oxybu- 
tyrique —  qui  témoignent  de  la  fonte  rapide  et  anormale  du  protoplasraa  des  cellules  de 
l'organisme  —  et  des  acides  gras  divers  [lipacidurie  fébrile  de  Von  Jaksgh).  Parallèlement 
on  observe  que  le  taux  de  l'ammoniaque  dans  les  urines  s'élève  jusqu'à  Is', 5  à  2  grammes 
par  jour  (au  lieu  de  Os%7  à  l'état  normal)  et  que  son  azote  forme  jusqu'à  8-12  p.  100  de 
l'azote  total  (au  lieu  de  2-3  p.  100  dans  l'état  normal)  (Hallerworden.  A.  P.  P.,  t.  xii, 
p.  237,  1880.  —  BoHLAND.  A.  Pf.,  t.  xLiii,  p.  30,  1888.  —  Gumlich.  Loc.  cit.). 

Dans  le  diabète,  et  spécialement  dans  la  période  du  coma,  l'urine  contient  des  pro- 
portions considérables  d'ammoniaque,  et  de  3  à  6  grammes  par  jour,  et  même,  dans 
un  cas  rapporté  par  Stadelmann,  12  grammes  par  jour.  Ce  fait  est  dû  à  la  production  de 
quantités  considérables  d'acides  anormaux,  tels  que  l'acide  acétylacétique,  l'acide  fi-oxybu- 
tyrique  qui  inondent  littéralement  l'organisme  du  diabétique.  C'est  précisément  après 
avoir  constaté  la  présence  de  quantités  considérables  d'ammoniaque  dans  l'urine  des 
diabétiques,  que  Stadelmann,  concluant  de  ce  fait  à  une  intoxication  acide,  découvrit 
dans  les  urines  l'acide  |i-oxybutyrique  (d'abord  pris  par  lui  pour  de  l'acide  a-croto- 
nique).  L'excrétion  de  quantités  aussi  considérables  d'ammoniaque  s'explique,  quand  on 
se  rappelle  à  quel  degré'  d'intensité  extraordinaire  les  phénomènes  de  l'intoxication 
acide  peuvent  être  portés  dans  la  période  ultime  du  diabète.  Des  quantités  de  30  à 
50  "rammes  d'acide  (î-oxybutyi'ique  dans  l'urine  des  24  heures  se  rencontrent  couram- 
ment et  KuLz  rapporte  un  cas  où  l'on  put  extraire  la  masse  énorme  de  226,3  grammes 
d'acide  oxybutyrique  de  l'urine  des  24  heures.  Le  mécanisme  compensateur  signalé  plus 
haut  se  trouve  ici  tendujusqu'à  ses  dernières  limites,  et,  à  ce  propos,  C.  von  Noorden 
insiste  sur  ce  fait  que  des  différences  individuelles  assez  grandes  peuvent  être  observées 
ici,  en  ce  qui  concerne  le  parallélisme  entre  la  production  des  acides  et  l'excrétion  de 
l'ammoniaque.  Ajoutons  que  l'administration  des  alcalins  fait  baisser  aussitôt  la  propor- 
tion de  l'ammoniaque  urinaire  (Hallerworden.  A.  P.  P.,  t.  xii,  p.  237,  1880.  —  Stadel- 
mann. Ibid.,  t.  XVII,  p.  419,  1883.  —  Minkowski.  Ibid.,  t.  xviii,  p.  33,  1880. —  Wolpe.  Ibid., 
t. XXI,  p.  159,  1886.  —  C.  VON  Noorden.  Loc.  cit.,  p.  412). 

On  constate  encore  une  augmentation  de  l'ammoniaque  urinaire  dans  les  cas  de  car- 


AMMONIAQUE    et    SELS    AMMONIACAUX.  i21 

cinome,  où  l'azote  de  l'ammoniaque  représente  jusqu'à  ■10,2  à  13,9  p.  100  de  l'azote  loLal 
(en  valeur  absolue  Os^jO  à  t^%3).  L'inanition  et  la  fonte  pathologique  des  tissus  agis- 
sent ici  dans  le  même  sens  (C.  von  Noorden.  Loc.  cit.,  p.  463). 

Il  est  intéressant  de  constater  encore  que  dans  les  affections  du  foie  l'ammoniaque 
augmente  dans  les  urines,  et  que  cette  augmentation  paraît  se  faire  aux  dépens  de 
l'urée.  C.  von  Noorden  rapporte  un  certain  nombre  d'analyses  de  Hallerworden,  de 
Gdmlich,  de  Fawitzki,  et  d'autres  encore,  où,  dans  des  cas  de  cirrhose  du  foie,  9,3-l'2,3et 
même  17,3  p.  100  de  l'azote  total  s'éliminaient  sous  la  forme  d'ammoniaque.  Des  cons- 
tatations analogues  ont  été  faites  pour  l'empoisonnement  parle  phosphore.  Ici  l'excrétion 
de  l'urée,  qui  dans  les  cas  de  cirrhose  peut  se  maintenir  jusqu'au  taux  normal,  s'annule 
presque  complètement,  tandis  que  celle  de  l'ammoniaque  est  haussée  de  manière  à 
représenter  14-18- 23  et  même  37  p.  100  de  l'azote  total.  Deux  causes  interviennent 
dans  ce  cas:  c'est,  d'une  part,  la  suppression  de  la  fonction  uropoiétique  du  foie,  grave- 
ment altéré  par  le  toxique,  et,  d'autre  part,  l'intoxication  acide,  démontrée  par  l'appa- 
rition de  fortes  proportions  d'acide  lactique  dans  les  urines  (G.  von  Noorden.  Loc.  cit., 
p.  294). 

Recherche  de  l'ammoniaque.  —  La  recherche  de  l'ammoniaque  dans  les  liquides 
organiques  se  fait  très  aisément  d'après  la  méthode  de  Latschenberger.  On  traite  le 
liquide  (urine,  lait,  etc.)  par  son  volume  d'une  dissolution  saturée  à  froid  de  sulfate 
cuivrique  et  on  ajoute  de  l'eau  de  baryte  jusqu'à  réaction  neutre.  Le  filtrat,  qui  tou- 
jours est  tout  à  fait  incolore,  est  traité  par  un  peii  de  réactif  de  Nessler.  11  se  produit, 
selon  la  proportion  d'ammoniaque,  soit  un  précipité  rouge  brun,  soit  une  coloration 
brune  ou  jaune  plus  ou  moins  intense.  Quant  au  dosage,  il  se  fait  aisément  par  la  mé- 
thode classique  de  Sciilœsing,  telle  que  Neubauer  l'a  appliquée  au  dosage  de  l'ammo- 
niaque dans  l'urine,  ou  telle  qu'elle  a  été  modifiée  parWnRSTER.  Latschenberger  a  fait  un 
grand  nombre  de  déterminations  dans  le  lait,  le  sang,  etc.  (voir  plus  haut),  en  dosant 
l'ammoniaque  à  l'aide  du  réactif  de  Nessler,  par  voie  chromométrique  dans  le  filtrat 
séparé  du  précipité  cuivrique  (Latschenberger.  Jb.  P.,  t.  xiv,  p.  222,  1884,  —  Neubauer 
et  Vogel.  Analyse  des  Harns,  9'=  éd.,  par  Huppert  et  Thomas,  Wiesbaden,  1890,  p.  458. 
—  WuRSTER.  C.  P.,  1887,  p.  48o). 

E.    LAMBLING. 

AMMONIAQUE    et   SELS    AMMONIACAUX   (Pharma- 

COdynamie  et  Toxicologie).  —  Effets  convulsivants.  —  On  pourrait 
d'abord  croire  que  beaucoup  de  travaux  ont  été  entrepris  sur  les  effets  pharmacodyna- 
miques  et  toxicologiques  de  l'ammoniaque  et  des  sels  ammoniacaux  :  de  fait  il  n'en  est 
rien,  et  c'est  un  sujet  qui  a  été  quelque  peu  négligé,  surtout  si  l'on  considère  avec  quel 
luxe  de  détails  d'autres  substances  ont  été  étudiées. 

L'effet  principal  de  l'ammoniaque  et  de  ses  sels,  c'est  de  produire  à  certaines  doses 
des  convulsions  violentes.  Il  paraît,  d'après  Huseuann  et  Selige  [Beitr.  zur  Wirk.  des  Tri- 
methylamins  und  der  Ammoniaksalze .  A.  P.  P.,  1877,  t.  vi,  p.  76)  que,  déjà  au  xvii°  siècle, 
cet  elfet  convulsivant  des  sels  ammoniacaux  (NH''C1)  était  connu.  Scheel  en  1802  l'aurait 
observé  sur  des  grenouilles,  et  depuis  lors  tous  les  physiologistes  l'ont  constaté. 

Si  l'on  injecte  dans  la  veine  d'un  chien,  ou  d'un  chat,  ou  d'un  lapin,  une  dose  conve- 
nable d'un  sel  ammoniacal,  on  voit  apparaître  de  fortes  convulsions,  qui  ressemblent 
beaucoup  à  celles  de  la  strychnine,  quoiqu'elles  soient  moins  violentes.  Surtout  elles 
s'atténuent  plus  vite,  et,  si  l'on  est  arrivé  à  la  dose  limite,  l'animal  peut  parfaite- 
ment survivre  à  une  ou  plusieurs  attaques  convulsives.  Il  est  vrai  qu'on  observe  aussi 
cette  survie  même  dans  l'empoisonnement  strychnique;  mais  l'écart  entre  la  dose  con- 
vulsivante  et  la  dose  mortelle  est  faible  pour  la  strychnine,  et  plus  étendu  pour  le  sel 
ammoniacal,  ce  qui  tient  sans  doute  à  une  plus  rapide  élimination  du  poison  ammo- 
niacal que  du  poison  strychnique. 

Quoiqu'il  y  ait  quelques  minimes  différences  entre  les  divers  sels  ammoniacaux,  elles 
sont  de  fait  négligeables;  le  carbonate,  le  sulfate,  l'acétate,  le  chlorure,  le  bromure 
d'ammonium  sont  à  peu  près  également  toxiques,  si  l'on  tient  compte  du  poids  molé- 
culaire du  sel  injecté,  et  si  on  n'envisage  dans  le  sel  que  la  quantité  de  NH-'  qu'il  con- 


422  AMMONIAQUE    et    SELS    AMMONIACAUX. 

tient.  Il  est  clair  que,  pour  les  sels  principalement  étudiés,  nous  aurons  comme  teneur 
en  NH^  sur  100  grammes  de  sel  : 

Quantité    de 
NH3 

Acétate 22 

Bromure 17 

Chlorure 33 

Carbonate 35 

Sulfate 30 

D'après  Rabuieau  {Elém.  de  toxicologie,  p.  293),,NH*C1  est  toxique  à  la  dose  de  b  gr. 
pour  un  chien  de  10  kilogr.  soit  de  Os'jO  par  kilogr.  Hdsemann  et  Selige  semblent  ad- 
mettre pour  le  lapin  Qs',Qo  par  kilogr.  (mais  leur  chilïre  est  évidemment  erroné).  Lange 
et  Bœhm  (Uôer  dus  Vevhalten  und  die  Wirkungcn  der  Ammoniaksalze  im  thierischcn  Orga- 
nismus.  A.  P.  P.,  1874,  t.  ii,  p.  364),  injectant  du  carbonate  de  NH*  à  des  chats  (dont  ils 
n'indiquent  pas  le  poids,  mais  qu'on  peut  admettre  en  moyenne  de  2500  gr.),  ont 
obtenu  des  convulsions  aux  doses  de  OB',3  ;  Oe',9  ;  Oe',3;  Oe',Q  ;  en  moyenne  0e"-,4  ;  ce  qui  donne 
par  kilogr.  le  chilfre  très  approximatif  de  Oe', 16  de  NH^  par  kilo.  Mais,  pour  déterminer  ce 
chilïre  avec  précision,  de  nouvelles  expériences  seraient  nécessaires.  11  ne  faut  pas  oublier 
que  la  rapidité  avec  laquelle  se  fait  l'injection  est  un  élément  très  important.  0.  Funk.e  et 
A.  Deahna,  en  employant  la  solution  d'ammoniaque  caustique  en  injection  intra-veineuse 
{Wirk.  des  Ammoniaks  aufden  thierischen  Organismus,A.  Pf.,  1874,  t.  ix,  p.  420),  ont  déterminé 
des  convulsions  chez  des  lapins  (de  2kil.?)  en  injectant  3  centimètres  cubes  d'une  solu- 
tion d'ammoniaque  à  i/20,  soit  à  peu  près  0,07  par  kil.  de  HN^,  ce  qui  re'pond  bien 
à  0,21  de  NH*  Cl.  Liouville  (B.  B.,  15  mars  1873,  pp.  112,  115),  injectant  du  carbonate 
d'ammoniaque  à  des  lapins  (de  2  kil.?)  admet  que  la  dose  de  2  gr.  (soit  de  1  gr.  par 
kil.)  est  la  dose  toxique  limite  qui  permet  encore  la  vie,  et  pour  les  cobayes  (de  500  gr.?) 
la  dose  toxique  de  0b"-,60.  Il  est  vrai  que  ses  injections  étaient  faites  sous  la  peau  et  non 
dans  la  veine.  On  sait —  et  c'est  un  point  sur  lequel,  après  beaucoup  d'auteurs,  j'ai 
appelé  spécialement  l'attention  {Toxicologie  des  métaux  alcalins.  Trav.  du  Lab.,  t.  ii, 
1893,  p.  448)  —  que  les  différences  de  toxicité  sont  énormes  suivant  que  le  poison  est 
injecté  sous  la  peau  ou  dans  la  veine,  ou  ingéré  par  la  voie  alimentaire.  Juste  avec  tous 
les  poisons,  cette  proposition  comporte  d'autant  plus  d'importance  que  le  sel  toxique  est 
plus  facile  à  éliminer.  Par  exemple,  avec  les  sels  de  potassium,  les  différences  peuvent 
aller  de  1  à  10. 

Dans  les  expériences  de  Bouchard  et  Tapret  (citées  par  Legendre,  Barette  et  Lepage. 
Traité  prat.  d'antisepsie  appl.  à  la  thérapeut.  et  l'hygiène,  1888,  t.  i,  pp.  58-59),  les  doses 
toxiques  suivantes  ont  été  trouvées,  par  kilogr.  de  lapin,  à  la  suite  d'injection  intra- 
veineuse. 


SEL. 

DOSE 
du  sel. 

DOSE 

TOXIQUE 

de  NH  3  contenu 
dans  le  sel. 

Chlorure  de  fer  et  d'ammonium 

Carbonate  d'ammoniaque 

Acétate                   —             

Sulfate                    —              

Bromhydrate        —             

Valérianate           —             

Chlorhydrate         —              

Azotate                  —             

Moyennes.    .    . 

0,30 
0,24 
0,28 
0,38 
0,83 
0,67 
0,.3S 
0,33 

0,083 
0,084 
0,062 
0,098 
0,143 
0,096 
0,125 
0,074 

0,456 

0,H2 

Ces  expériences   sont  assurément  les  meilleures  que  nous  possédions,  car  toutes 
celles  que  nous  avons  rapportées  plus  haut  sont,  pour  une  cause  ou  une  autre,  incom- 


AMMONIAQUE    et    SELS    AMMONIACAUX.  423 

plètes,  surtout  parce  que  le  poids  de  l'animal  injecté  n'a  pas  été  mentionné,  très  grave 
omission;  et  très  lourde  faute  qui  est  trop  souvent  commise. 

C'est  ce  même  défaut  que  nous  trouvons  aux  expériences  de  Feltz  et  Ritter  {Étude 
exp.  sur  ralcalinitc  des  urines.  Journ.  de  l'An,  et  de  la  Phys.,  1874,  f.  x,  pp.  326-329).  Ils  ont 
fait  des  expériences  sur  les  chiens  avec  divers  sels  ammoniacaux,  mais  ils  n'en  indiquent 
pas  le  poids,  et  d'ailleurs  ils  ont  déterminé  des  convulsions  sans  arriver  à  la  dose  mor- 
telle. Les  doses  non  mortelles  injectées  ont  été  de  2b',2  de  chlorhydrate,  2e'',5  d'hip- 
purate,  2s'', 6  de  benzoate,  lsr,g  de  tartrate,  3s'', 97  de  benzoate,  et  2s'^,.i  de  sulfate. 
En  supposant  des  chiens  de  10  kil.,  poids  moyen,  cela  fait  des  doses  (par  kil.)  en  NH-' 
de  0,07  de  chlorhydrate,  0,07  de  sulfate,  0,028,  et  0,036  de  benzoate;  ce  qui  concorde 
assez  bien  avec  le  chifl're  toxique  de  0,112  résultant  des  recherches  de  Bouchard  et 
Tapket.  En  somme  Feltz  et  Ritter  sont  restés  au-dessous  de  la  dose  mortelle. 

Nous  pouvons  donc,  en  résumant  toutes  ces  expériences,  et  en  donnant  une  valeur 
absolument  prépondérante  aux  données  de  Bouchaud  et  Tapret,  admettre  que  la  dose 
convulsive  par  kilogr.  est  en  chifl'res  ronds  pour  les  sels  ammoniacaux  de  Os^jlo,  en 
injections  intra-veineuses;  et  que  la  dose  toxique  mortelle  est  de  0S'',5.  Cela  fait, 
pour  la  quantité  de  JNH^  contenu,  environ  0s'',04  pour  la  dose  convulsive,  et  0S'',12  pour 
la  dose  mortelle. 

Chez  les  grenouilles  on  observe  aussi  des  convulsions,  quoiqu'elles  soient  moins  mar- 
quées que  chez  les  mammifères.  Chez  les  poissons  les  effets  convulsivants  sont  éclatants. 
Il  suffit  de  faire  une  solution  contenant  plus  de  0s'',35  par  litre  d'un  sel  ammoniacal. 
Au  bout  d'une  demi-heure,  il  meurt  dans  de  violentes  convulsions  qui  le  font  sauter 
brusquement  hors  du  vase  où  on  l'avait  placé  (Ch.  Richet.  Loc.  cit.,  p.  417). 

Cet  effet  convulsivant  des  sels  ammoniacaux  est  très  général,  et,  dans  toute  la  série 
des  ammoniaques  composées,  propylamines,  méfhyl  et  éthylamines,  on  le  retrouve. 
Il  est  assez  difficile  de  comprendre  comment  Aissa  Hamdy,  dans  le  bon  travail  qu'il 
a  fait  sur  les  effets  de  la  propylamine  et  de  la  triméthylamine  {D.  P.,  1873)  a  pu 
attribuer  (p.  114)  les  efiets  convulsifs  observés  par  lui  à  des  impuretés,  et  conclure  que, 
privée  d'ammoniaque,  la  propylamine  n'a  pas  d'action  convulsive. 

Il  faut  rapprocher  ces  effets  convulsivants  de  l'ammoniaque  et  des  ammoniaques 
composées,  des  effets  convulsivants  qu'on  peut  obtenir,  suivant  la  dose,  avec  les  phény- 
lamines,  et  surtout,  ce  qui  est  plus  intéressant  encore,  avec  presque  tous  les  alcaloïdes, 
lesquels,  en  somme,  ont  dans  leur  formule  le  groupe  NH^.  La  strychnine,  la  picro- 
toxine,  lavératrine,  la  morphine,  l'atropine  sont  des  poisons  tétanogènes,  à  des  degrés 
divers,  bien  entendu;  comme  aussi  certaines  ptoma'ines. 

Nous  pouvons  donc,  dans  une  certaine  mesure,  généraliser,  et  dire  que  le  groupe  NH'' 
est  convulsivant,  et  qu'il  reste  convulsivant  quand  un  ou  plusieurs  des  groupes  de  II 
unis  à  l'azote  se  trouvent  remplacés  par  des  radicaux  plus  ou  moins  compliqués. 

Effets  excitateurs  des  sels  ammoniacaux.  —  Les  convulsions  déterminées  par 
l'ammoniaque  ne  représentent  qu'une  phase  de  l'intoxication;  c'est-à-dire  l'état  maxi- 
mum de  l'excitabilité.  Si  l'on  injecte  avec  précaution  des  doses  inférieures  à  ladose  con- 
vulsive, on  voit  survenir  divers  phénomènes  dus  évidemment  à  l'excitation  du  système 
nerveux  central. 

Un  des  principaux  est  l'exaltation  de  la  sensibilité  réflexe,  qu'on  observe  chez  les 
mammifères,  mais  plus  nettement  encore  chez  les  grenouilles.  Il  est  clair  que  l'état  eon- 
vulsif  n'est  qu'un  stade  supérieur  de  l'hyperexcitabilité.  Cette  hyperexcitabilité  se  traduit 
surtout  par  l'accroissement  du  pouvoir  réflexe.  De  même,  les  excitations  périphériques 
ont  le  pouvoir  d'accélérer  les  convulsions,  ou  de  les  faire  revenir,  lorsqu'elles  ont  cessé. 

L'effet  excitateur  est  aussi  très  évident  sur  le  système  nerveux  respiratoire.  Les 
expériences  de  Lange  à  cet  égard  sont  tout  à  fait  décisives.  En  général,  au  moment  de 
l'injection,  il  y  a  d'abord  un  arrêt;  cet  arrêt,  dû  selon  toute  apparence  à  une  action 
d'inhibition  sur  le  cœur  par  l'effet  local  direct  du  poison  sur  l'endocarde,  n'est  pas  suivi 
de  convulsions  si  la  dose  n'est  pas  trop  forte,  mais  bien  d'une  accélération  respiratoire 
intense.  Dans  un  cas  la  respiration  s'est  élevée  par  minute  de  97  à  119,  au  moment  de 
l'injection;  puis,  la  minute  suivante  à  138,  et  la  minute  suivante  à  H6. 

En  même  temps  la  pression  artérielle  s'élève  (Lange),  même  quand  il  n'y  a  pas  de 
convulsions. 


itVi:  AMMONIAQUE    et    SELS    AMMONIACAUX. 

Il  est  évident  que  cette  accélération  respiratoire  et  cette  élévation  de  la  pression  sont 
bien  plus  marquées  encore  quand  il  y  a  des  convulsions;  mais  l'intérêt  de  l'observation 
devient  moindre;  car  le  fait  même  de  l'état  convulsif  général  tend  à  produire  à  la  fois 
une  accélération  respiratoire  (par  suite  des  échanges  respiratoires  accrus)  et  une  éléva- 
tion de  la  pression  artérielle. 

Toutefois,  pour  ce  qui  est  de  la  pression,  même  quand  il  n'y  a  pas  de  convulsions, 
comme  chez  les  animaux  curarisés,  on  voit,  à  mesure  qu'on  augmente  la  dose  toxique, 
monter  la  tension  du  sang  dans  les  artères,  tout  comme  dans  l'empoisonnement  stry- 
chnique  des  animaux  curarisés.  Ainsi,  chez  un  chat  curarisé,  la  pression  qui  était  avant 
l'expérience  de  0™138  de  mercure,  s'est  élevée,  après  injection  de  0e'',08  de  carbonate 
d'ammoniaque,  au  chiffre  considérable  de  0"',228;  et,  dans  un  autre  cas,  plus  net  encore, 
un  chat,  dont  la  pression  était  de  0™,102  après  curarisation,  eut,  après  injection  de  06"-,9 
de  NH''CI,  une  pression  de  0",272. 

Simultanément  ie  cœur  s'accélère;  mais  l'accélération  n'est  pas  aussi  marquée  que 
l'élévation  de  la  pression  artérielle.  Lange  pense  que  c'est  à  cause  de  l'accélération  car- 
diaque du  curare  qui  a  porté  d'emblée  la  fréquence  des  battements  du  cœur  à  son 
maximum;  car,  chez  les  animaux  non  curarisés,  l'injection  d'un  sel  ammoniacal  accélère 
beaucoup  le  rythme  cardiaque. 

S'agit-il  d'un  effet  sur  le  centre  bulbaire  des  vaso-moteurs?  Boehm  et  Lange  ne  le 
pensent  pas,  et  ils  se  fondent  sur  ce  fait  que  la  section  sous-bulbaire  n'empêche  pas 
l'élévation  de  la  pression  artérielle.  D'autre  part,  Funke  et  Deahna  ont  vu  les  vaisseaux 
artériels  se  rétrécir,  de  sorte  qu'on  pourrait  supposer  une  action  de  l'ammoniaque  por- 
tant, non  sur  les  centres  nerveux  vaso-constricteurs  de  la  moelle  et  du  bulbe,  mais  sur 
les  ganglions  nerveux  vaso-constricteurs  disséminés  dans  les  parois  des  artères.  Beyer, 
dans  des  expériences  faites  sur  des  tortues,  a  cru  voir  à  la  suite  d'injections  d'un  sérum 
artificiel  chargé  d'un  sel  ammoniacal,  se  produire  aussi  l'excitation  des  ganglions  vaso- 
constricteurs,  après  une  courte  période  de  vaso-dilatation.  Ainsi  ce  serait  par  les  gan- 
glions périphériques  que  l'ammoniaque  agirait  sur  la  pression  artérielle.  Toutefois  une 
pareille  conclusion  est  encore  assez  hypothétique,  et  il  ne  faut  pas  se  faire  d'illusions 
sur  sa  fragilité. 

Ce  qui  a  été  dit  sur  l'excitation  centrale  des  origines  du  nerf  vague  paraît  assez  con- 
testable aussi.  On  observe  les  mêmes  effets,  que  les  nerfs  vagues  soient  coupés  ou  non. 
L'accélération  respiratoire  est  même  un  peu  plus  marquée  quand  les  'nerfs  vagues  ont 
été  coupés  :  il  faut  donc  en  conclure  qu'il  s'agit  bien  d'une  excitation  des  centres  respi- 
ratoires, et  non  d'une  excitation  des  terminaisons  du  nerf  vague.  Probablement  les  diffé- 
rences entre  l'opinion  de  Lange  et  celle  de  Funke  tiennent  au  moins  en  partie  aux  diffé- 
rences de  doses.  A  des  doses  fortes,  la  respiration  se  ralentit  au  lieu  de  s'accélérer,  ce 
qui  ne  peut  pas  surprendre;  l'ammoniaque,  comme  tous  les  poisons,  ayant  des  effets  exci- 
tateurs ou  paralysants  suivant  la  dose. 

Les  convulsions  relèvent  aussi  évidemment  de  l'excitabilité  accrue  du  système  ner- 
veux central  :  elles  persistent  quand  la  moelle  a  été  coupée  au-dessous  du  bulbe,  et, 
d'autre  part,  elles  se  manifestent  aussi  dans  le  tronc  postérieur  d'une  grenouille  dont 
l'aorte  abdominale  a  été  liée,  ce  qui  exclut  absolument  l'hypothèse  d'une  action  péri- 
phérique sur  les  muscles  et  les  plaques  motrices  terminales. 

La  synthèse  de  ces  effets  est  facile  à  faire;  l'ammoniaque  est  un  stimulant  du  sys- 
tème nerveux;  à  dose  plus  forte  cette  stimulation  va  à  la  convulsion:  car  l'on  peut  assi- 
miler les  accélérations  respiratoires  et  les  spasmes  des  vaso-constricteurs  aux  phéno- 
mènes convulsifs  du  système  musculaire  de  la  vie  organique. 

En  ce  qui  concerne  la  nutrition  générale,  il  est  intéressant  de  signaler  l'action  de 
l'ammoniaque  sur  la  fonction  glycogénique.  Après  ingestion  de  2  à  4  grammes  de  car- 
bonate d'ammoniaque  chez  le  chien,  Koïïsiann  a  vu  que  le  foie  contenait  2  à  3  fois  plus  de 
glycogène.  Le  sel  ammoniacal  n'agit  par  ici  en  tant  que  sel  alcalin,  car  le  lactate  d'am- 
monium ne  produit  pas  les  mêmes  effets  (Kohmann.  Centralbl.  f.  Min.  Med.,  1884,  n°  35. 
et  A.,  Pf.,  t.  XXXIX,  p.  2i,  1886).  Rappelons  à  ce  propos  qu'ADAMKiEwicz  a  cru  observer 
chez  les  diabétiques  la  disparition  rapide  du  sucre  des  urines  sous  l'influence  des  sels 
ammoniacaux  (chlorure).  Mais  Cuffer  et  Regnahd,  Gutmann  et  d'autres  encore  ont  clai- 
rement établi  qu'il  n'en  est  rien  (Adamkiewicz.   J.  B.,  t.   viii,  p.   349;    t.  ix,  pp.  293 


AMMONIAQUE    et    SELS    AMMONIACAUX. 


425 


et  302;  t.  x,  p.  302.  —  Gutmamn.  ZeiUchr.  f.  klin.  MecL,  t.  i,  p.  GIO  et  t.  ii,  pp.  195  et  473. 
—  CuFFKR  et  Regnard.  Gaz.  méd.  de  Paris,  1879,  p.  319). 

Effets  des  doses  toxiques.  —  Si  la  dose  dépasse,  en  sel  ammoniacal,  OS'',b  envi- 
ron par  kilogramme,  les  phénomènes  d'excitation  cessent,  et  les  effets  dépressifs  se 
manifeslent.  La  mort  survient  par  arrêt  du  cceur,  après  une  période,  plus  ou  moins  pro- 
longée, de  ralentissement  cardiaque,  et  d'abaissement  de  la  pression. 

IDans  la  plupart  des  cas  d'empoisonnement  chez  l'homme,  c'est  surtout  cette  période 
de  dépression  qui  a  été  observée. 

On  a  invoqué  aussi  l'action  sur  les  globules  du  sanguin.  Cette  action  est  peu  marquée, 
et  on  ne  peut  guère  citer  que  les  observations  encore  incomplètes  de  Belky.  Il  faudrait 
d'ailleurs  complètement  séparer  l'effet  de  l'amoniaque  gazeuse,  telle  que  Belky  l'a 
expérimentée  et  l'effet  des  sels  ammoniacaux.  Il  est  vraisemblable  que  le  gaz  ammoniacal 
inspiré,  parson  action  caustique  immédiate,  peut  agir  sur  les  globules  et  l'hémoglobine, 
alors  que  les  sels  ammoniacaux  sont  sans  effet  bien  marqué,  au  moins  à  faible  dose  ;  car, 
avec  une  dose  forte,  Feltz  et  Ritter  ont  vu  les  sels  ammoniacaux  dissoudre  les  globules 
et  diminuer  la  capacité  d'absorption  de  l'hémoglobine  pour  l'oxygène. 

Lorsqu'on  fait  inhalera  un  lapin  de  l'air  mêlé  d'ammoniaque,  gazeuse,  on  constate,  en 
observant,  d'après  le  procédé  de  Vierobdt,  le  spectre  du  sang  dans  l'oreille  même  de 
l'animal,  qu'il  y  a  réduction  de  l'oxyhémoglobine.  Si  l'on  fait  de  nouveau  respirer  de 
l'air  pur,  le  spectre  de  la  matière  colorante  oxygénée  reparaît  (J.  Belky)  (Lehmann. 
Arch.f.  Hygiène,  t.  v,  p.  I,  1880.-1.  Belky.  Jb.  P.,  t.  xv,  p.  150,  1885). 

Chez  les  animaux  (chiens  et  chats)  empoisonnés  par  de  fortes  doses  ammoniacales  la 
respiration  et  le  cœur  s'arrêtent  presque  en  même  temps;  mais  il  me  paraît  probable 
que  la  mort  survient,  comme  dans  l'empoisonnement  par  les  sels  de  potassiun,  par  la 
paralysie  du  cceur  qui  s'affaiblit  et  s'arrête  en  diastole;  car  j'ai  constaté  que  la  respiration 
artificielle,  même  vigoureusement  pratiquée,  n'a  pas  d'effet  bien  marqué  sur  ia  dose 
toxique,  contrairement  à  ce  qui  se  passe  avec  d'autres  poisons,  comme  la  strychnine  et  la 
vératrine  {Chai,  animale,  p.  191.) 

La  température  suit  les  mêmes  phases  que  l'excitation  du  système  nerveux.  Toutefois 
les  convulsions  ne  sont  pas  assez  violentes  et  prolongées  pour  faire  énormément  monter 
le  thermomètre,  comme  dans  le  cas  des  convulsions  strj-chniques.  J'ai  pu  cependant 
donner  quelques  exemples  d'hyperthermie  due  aux  convulsions. 


{■■■■■■I 


ICnmilBHDBHBHBHI 

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Jl  ■■■■■■■■■■■■■L. 

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lBIH9BSESe9E3e9C9?SSIMII!lia!IB!lDlE9D3B^!I!3S1ESa3e933E 


■FiG.  3.Î.  ~  Teinpératiu-e  d'un 
meacent  la  temp{îraturo 
grandes  attaques. 


chieu  eiapoisouné  par  l'acétate  d'ainmouiaquo.  —  Dès  qi 
'élève;  et   cette  élévation  est  très   rapide  au  moment 


produisent    le 


On  voit  dans  la  figure  ci-jointe  que,  sur  un  chien  dont  la  température  baisse  parce 
que  l'animal  est  attaché,  après  injection  d'acétate  d'ammoniaque  la  température  s'élève 
à4I'>8  par  le  fait  des  convulsions;  je  ne  comprends  guère  comment  Rabuteau  et  Vulpian 


426  AMMONIAQUE    et    SELS    AMMONIACAUX. 

dans  une  discussion  à  la  société  de  Biologie  (B.  B.,  1R73,  t.  xxv,  pp.  H2-Ho),  ont  pu  dire 
que  la  température  s'abaissait  pendant  l'état  convulsif. 

Élimination.  —  L'élimination  du  sel  ammoniacal  ingéré  se  fait  par  l'urine.  On  a 
vu  plus  haut  que  dans  certaines  conditions  de  petites  quantités  de  NH'  peuvent  être 
transformées  en  carbonate  d'ammoniaque  CO-'N-H^,  et  ensuite  par  réduction  (Schultzen, 
1872)  en  urée  CON-H'';  mais  il  est  douteux  que  cette  réaction  soit  suffisante  pour  élimi- 
ner les  sels  ammoniacaux  ingérés  à  dose  toxique  ou  presque  toxique. 

D'autre  part  Schiffer  a  constaté  (Beii.  Min.,  Woch.,  1872,  n"  42)  que,  malgré  l'injec- 
tion d'un  sel  ammoniacal  dans  le  sang,  il  ne  se  dégage  pas  de  gaz  ammoniac  par 
l'expiration,  et  cela  a  été  formellement  confirmé  par  Lange  (Loc.  cit.,  p.  367).  Cet  au- 
teur a  constaté  que  le  sang  additionné  à  doses  modérées  d'un  sel  ammonical,  in  vitro, 
ne  dégage  pas  d'ammoniaque  à  des  températures  inférieures  à  4S°. 

Il  faut  considérer  ces  faits  comme  positifs;  et  cependant  chez  les  chiens  dont  les 
uretères  ont  été  liés,  ou  les  reins  enlevés,  on  a  dit  que  les  gaz  expirés  contenaient  de 
l'ammoniaque.  Quoique  les  deux  cas  ne  soient  pas  absolument  comparables,  il  y  a  là 
une  contradiction  qu'il  serait  intéressant  d'expliquer  et  d'approfondir. 

Comparaison  entre  les  sels  amm^oniacaux  et  les  sels  alcalins.  —  Plusieurs 
auteurs  ont  comparé  les  sels  ammoniacaux  aux  sels  de  potassium,  de  sodium,  de 
lithium,  de  rubidium.  Quoique  cette  étude  ait  déjà  été  faite  à  l'article  Alcalins  (v.  plus 
haut,  p.  210),  il  faut  y  revenir  pour  ce  qui  est  spécial  à  l'ammoniaque.  Je  ne  vois  pas 
pourquoi  P.  Binet  {Rech.  compar.  sur  l'act.  physiolog.  des  métaux  alcalins  et  alcalino-ter- 
reux.  Rev.  méd.  de  la  Suisse  romande,  n°s  8  et  9,  août  et  sept.  1892,  oo  p.)  a  fait  l'étude 
des  alcalins  en  exceptant  l'ammoniaque  :  cela  ne  me  paraît  pas  très  rationneL 

En  faisant  vivre  des  poissons  dans  des  milieux  divers,  j'ai  trouvé  que  la  limite  de 
toxicité  était  la  suivante  en  poids  de  métal  (NH*,  Na,  Li,  Iv)  par  litre  de  liquide. 

NH'- 0,06 

K (1,20 

Li 0,23 

Na 2C,00 

En  faisant  tomber  goutte  à  goutte  des  solutions  salines  sur  le  cœur  de  la  grenouille, 
et  en  cherchant  la  dose  qui  arrête  le  cœur;  j'ai  trouvé,  endonnantau  chlorure  de  sodium 
la  valeur  de  100;  en  métal  les  valeurs  suivantes  : 

NaCi 100 

CsCl 104 

RbCl 42 

LiCl 2S 

KCl 2:; 

NHiCl 2.J 

Ainsi,  dans  ces  deux  séries  d'expériences,  les  sels  ammoniques  se  sont  montrés  plus 
toxiques  que  les  autres  sels  alcalins,  et  cette  toxicité  apparaîtra  plus  forte  encore,  si  l'on 
songe  que  la  molécule  NH*  (18)  est  plus  faible  que  l'atome  de  K  (39)  ou  de  Na  (23)  ou  de 
Rubidium  (84),  plus  forte  seulement  que  l'atome  de  Lithium  (7). 

C'est  aune  conclusion  à  peu  près  semblable  qu'est  arrivé  F.  F.4ggioli  (Voir  p.  215).  Les 
sels  d'ammonium  avaient,  dans  ses  expériences,  une  toxicité  de  0,17;  les  sels  de  potas- 
sium de  0,25,  et  les  sels  de  sodium  de  0,28. 

Nous  avons  vu  plus  haut  que  la  dose  toxique  de  N11*CI  était  voisine,  en  injection  vei- 
neuse, de  0,5  par  kil.;  ce  qui  répond  à  0,15  de  NH*;  chiffre  bien  plus  fort  que  la  dose 
toxique  de  KCl,  qui  en  injection  intra-veineuse  détermine  la  mort  à  la  dose  de  0,025  de  K 
par  kil.  soit  0,OoO  de  liCl,  mais  d'autre  part  bien  plus  faible  que  la  dose  toxique  de  KCl 
injecté  sous  la  peau;  0,470  de  K.,  en  moyenne,  chez  les  poissons,  pigeons  et  cobayes. 
Il  semble  qu'en  injection  intra-veineuse  les  sels  de  potassium  sont' très  toxiques  pour 
l'endocarde  et  myocarde,  surtout  chez  le  chien;  car  chez  le  lapin  la  dose  toxique  est 
plus  forte  (BoncH.ARD  et  Tapret,  loc.  cit.)  Os',18  de  KCl  par  kil. 

La  conclusion  générale,  c'est  que  l'ammoniaque  est  toxique  autant,  sinon  davantage, 
que  le  lithium  et  le  potassium,  les  plus  toxiques  des  métaux  alcalins,  et  que  la  molécule 


AMMONIAQUE    et    SELS    AMMONIACAUX.  4'27 

d'un  sel  ammoniacal  est  à  peu  près  deux  fois  moins  toxique  que  la  molécule  d'un  sel  de 
potassiuQi.  En  tout  cas  ces  toxicités  de  l'ammonium,  du  potassium  et  du  lithium  sont 
du  même  ordre  de  grandeur;  à  peu  près,  d'une  manière  très  générale,  de  Ot'"',!  par  kit. 
en  chili'res  ronds. 

11  est  inutile  de  rappeler  ce  que  nous  disions  à  propos  des  alcalins,  que  cette  grande 
toxicité  du  potassium  et  de  l'ammonium  ne  s'applique  qu'aux  animaux  et  non  aux  végé- 
taux. Les  sels  ammoniacaux  sont  d'excellents  engrais  pour  les  plantes,  et  les  bactéries 
ne  sont  pas  tuées  par  des  doses  de  25  grammes  par  litre  d'un  sel  ammoniacal.  Or,  comme 
la  différence  entre  le  végétal  et  l'animal  est  essentiellement  l'absence  ou  la  présence 
d'un  système  nerveux,  c'est  une  preuve  de  plus,  et  une  excellente  preuve,  que  l'ammo- 
niaque est  un  poison  du  système  nerveux,  et  par  conséquent  inoffensif  pour  les  végétaux. 
Cette  constatation  a  d'autant  plus  d'importance  que  la  proposition  doit  s'étendre  aux 
alcaloïdes,  inoffensil's  pour  les  végétaux  et  toxiques  pour  les  animaux. 

Be  rempoisonnement  ammoniacal  dans  l'urémie.  —  L'histoire  pharmacodyna- 
mique  des  sels  ammoniacaux  est  surtout  intéressante  par  les  étroites  relations  qui  unis- 
sent l'urémie  avec  l'empoisonnement  par  l'ammoniaque. 

JN'ous  ne  pouvons  entrer  dans  la  discussion  approfondie  des  théories  proposées  pour 
expliquer  la  mort  dans  l'urémie  (Voy.  Urémie).  Toutefois  il  est  nécessaire  de  préciser 
quelques  points  essentiels. 

On  sait  que,  lorsque  un  animal  a  les  deux  reins  enlevés,  ou,  ce  qui  revient  à  peu 
près  au  même,  les  deux  uretères  liés,  la  mort  survient  au  bout  de  quelques  jours;  soit 
dans  les  convulsions,  soit,  plus  souvent,  après  vine  période  convulsive  plus  ou  moins 
longue,  dans  l'hypothermie  et  le  coma,  symptômes  qui,  dans  l'ensemble,  coïncident 
très  bien  avec  un  empoisonnement  aigu  par  l'ammoniaque. 

L'hypothèse  que  l'urée,  s'accumulant  dans  le  sang,  est  la  cause  de  la  mort,  doit  être 
absolument  écartée,  malgré  les  efforts  de  Gréhant  et  QurNQU.iUD  pour  établir  que  l'urée 
est  toxique.  En  effet  l'urée  n'est  pas  toxique,  ou  du  moins  il  faut' des  doses  telles  qu'on 
ne  peut  l'incriminer  dans  la  mort  par  l'urémie  expérimentale  aiguë.  Un  chien  peut  rece- 
voir des  doses  d'urée  de  20  grammes  par  kil.  sans  mourir.  Or  l'élimination  quotidienne 
d'urée  n'est  guère  que  de  OS'',  8  par  kil  :  ce  qui  ferait  trente  jours  envii'on  pour  qu'il 
s'accumule  dans  son  corps  assez  d'urée^  pour  déterminer  la  mort.  D'autre  part,  pour  un 
chien  de  1  kil.,  O^r,  8  d'urée,  se  transformant  par  hydratation  en  carbonate  d'anmio- 
niaque  représentent  l^r,  28  de  sel  ammoniacal,  dose  absolument  suffisante  pour  tuer 
un  chien.  C'est  un  fait  tellement  important  que  j'ai  coutume,  dans  mes  cours  de  physio- 
logie, de  faire  l'expérience  suivante  devant  les  étudiants  eu  médecine.  A  un  chien  de 
10  kil.  j'injecte  100  grammes  d'urée  pure,  ce  qui  ne  produit  aucun  trouble  apparent  ni 
sur  le  cœur,  ni  sur  le  système  nerveux,  ni  sur  la  respiration.  Puis  je  fais  l'injection  de 
6  grammes  de  carbonate  d'ammoniaque,  ce  qui  représente  un  peu  moins  de  la  vingtième 
partie  de  l'urée  injectée,  en  poids  d'azote;  et  je  détermine  la  mort  rapide  de  l'animal, 
avec  convulsions,  puis  coma  et  arrêt  du  cœur,  par  l'injection  de  ces  (i  grammes. 

Cette  simple  expérience  montre  bien  que  l'urée,  se  transformant  en  carbonate  d'ammo- 
niaque, se  transforme  en  un  corps  qui  est  vingt  fois  et  même  trente  fois  plus  toxique. 
Reste  à  savoir  si  cette  transformation  peut  se  faire  dans  l'organisme. 

Claude  Bernard  (Leçons  sur  les  liquides  de  l'organisme,  1839,  t.  ii,  pp.  39-53)  a  bien 
montré  que  cette  transformation  avait  lieu.  Il  a  constaté  que  l'estomac  et  l'intestin  des 
animaux  mourant  d'urémie  contenaient  des  quantités  considérables  d'ammoniaque.  La 
proportion  d'ammoniaque  est  même  assez  grande  pour  que,  par  l'odeur  seulement,  on 
puisse  être  assuré  d'une  formation  ammoniacale  active  dans  l'intestin.  Le  mécanisme 
est  facile  à  comprendre.  Claude  Ber.\ard  l'avait  bien  indiqué,  et  j'ai  pu,  dans  des  expé- 
riences faites  avec  R.  Moutard-Martin  [Rech.  expérim.  sur  la  polyurie.  A.  P.,  1880. 
t.  vui,  p.  1,  et  Trav.  du  Lab.,  tome  ii,  1893,  p.  18!),  en  préciser  plus  exactement  les 
conditions. 

Quand  on  injecte  une  grande  quantité  d'urée  dans  le  sang,  très  rapidement,  c'est- 
à-dire  en  une  dizaine  de  minutes  environ,  cette  urée  diffuse  dans  les  tissus;  une  partie, 
relativement  minime  aussi,  reste  dans  le  sang.  Le  reste,  c'est-à-dire  à  peu  près  73  p.  100 
de  la  quantité  injectée,  disparaît;  autrement  dit  va  se  localiser  dans  les  tissus  et  surtout 
diffuser  dans  les  exsudais,  dans  la  lymphe,  dans  la  bile,  dans  les  sécrétions  intestinales 


428  AMMONIAQUE    et    SELS    AMMONIACAUX. 

et  stomacales,  de  telle  sorte  que  l'estomac  et  les  intestins  sont  baignés  dans  un  liquide 
très  riche  en  urée. 

Or,  dans  l'estomac  et  les  intestins,  des  agents  microbiens  de  fermentation  existent 
constamment,  si  bien  que  cette  solution  d'urée  se  met  à  fermenter  rapidement,  et  à 
donner  de  l'ammoniaque  par  hydratation  de  l'urée,  tout  comme  dans  les  cystites  puru- 
lentes l'urine  de  la  vessie  devient  ammoniacale. 

Cette  transformation  est  sans  doute  très  active.  R.  Moutard-Martin  et  moi  nous  avons 
montré  que  des  fragments  de  muqueuse  stomacale  ajoutés  à  une  solution  d'urée  accélé- 
raient énormément  (probablement  parles  peptones  et  les  matières  albuminoïdes)  le  déve- 
loppement du  ferment  de  l'urée,  si  bien  que  l'urée  intestino-stomacale  se  trouve  dans 
d'excellentes  conditions  pour  se  transformer  rapidement  et  complètement  en  carbonate 
d'ammoniaque. 

Avec  sa  pénétration  habituelle  Claude  Bernard  avait  bien  vu  la  transformation  d'urée 
en  ammoniaque,  mais,  à  l'époque  où  il  faisait  cette  importante  constatation,  la  théorie  de 
la  fermentation  ammoniacale  de  l'urée  par  des  microrganismes  vivants  n'était  pas  encore 
établie  (18S9). 

On  conçoit  maintenant  que  les  0,8  d'urée  quotidienne  (par  kil.)  puissent  donner,  à 
supposer  que  le  quart  seulement  passe  dans  l'intestin,  en  quatre  jours  If, 28  de  carbo- 
nate d'ammoniaque.  L'élimination  ne  pouvant  se  faire  par  le  rein  (enlevé)  ni  par 
le  poumon  (Schiffer,  Lange,  etc.),  il  est  évident  qu'une  into.xication  ammoniacale  aiguë 
va  se  produire,  qui  amènera  à  bref  délai  la  mort  de  l'animal. 

L'ablation  du  rein  n'est  pas  le  seul  cas  où  la  transformation  de  l'urée  en  ammoniaque 
détermine  des  accidents.  Dans  les  cystites,  et  cystonéphrites  purulentes,  la  fermen- 
tation ammoniacale  de  l'urine,  par  suite  de  la  présence  des  microrganismes  fermen- 
tateurs,  a  lieu  dans  la  vessie  même;  l'urine  émise  est  fortement  alcaline,  et  exhalant 
une  odeur  infecte,  franchement  ammoniacale.  Or  il  n'est  pas  douteux  que  la  vessie 
absorbe,  quoique  lentement;  de  sorte  que  cette  ammoniaque  ainsi  formée  passe  dans  le 
sang  en  partie.  La  quantité  qui  pénètre  dans  le  sang  est-elle  suffisante  pour  devenir 
mortelle?  Cela  est  douteux;  car  d'abord  la  mort  ne  survient  en  général  qu'après  une 
assez  longue  maladie,  et  il  y  a  d'autres  causes  d'infection,  plus  graves  sans  doute  que 
la  simple  intoxication  ammoniacale;  puisque  d'autres  microbes  pathogènes  coexistent 
toujours  dans  la  vessie  à  côté  du  ferment  de  l'urée. 

Il  est  intéressant  de  rattacher  à  ces  faits  les  belles  expériences  mentionnées  plus  haut. 
(v.  p.  420)  de  Pawloff  et  Nencki  sur  le  carbamate  d'ammoniaque  des  chiens  dont  la  veine 
porte  a  été  reliée  directement  à  la  veine  cave.  A  l'état  normal  le  foie  transforme  le  car- 
bamate d'ammoniaque  en  urée;  mais,  quand  il  n'y  a  plus  de  circulation  hépatique,  si 
une  alimentation  azotée  introduit  dans  la  veine  porte  directement  beaucoup  de  carba- 
mate d'ammoniaque,  il  survient  une  véritable  intoxication  ammoniacale.  Les  chiens  ainsi 
privés  de  leur  circulation  hépatique  sont  pris  de  convulsions,  parfois  mortelles,  si  on  leur 
donne  un  repas  trop  abondant  et  trop  azoté.  En  somme  le  foie,  à  l'état  normal,  sem- 
ble avoir  un  rôle  antagoniste  du  rôle  des  microbes  de  la  fermentation.  Il  transforme  le 
carbamate  de  NH'*  en  urée,  tandis  que  les  microbes  de  l'intestin  font  avec  l'urée  du  car- 
bonate de  NH';  et  il  est  probable  que  le  foie,  qui  peut  transformer  le  sel  earbamique  de 
NH*  en  urée,  ne  peut  pas  opérer  cette  transformation  avec  le  carbonate. 

En  somme,  suivant  moi,  au  moins  provisoirement,  le  mécanisme  de  la  mort  dans 
l'urémie  aiguë,  c'est  une  intoxication  par  l'ammoniaque;  une  ammoniémie.  Mais  il  ne 
faut  pas  se  dissimuler  que  c'est  encore  une  théorie  hypothétique  et  qu'elle  soulève  de 
nombreuses  objections. 

D'abord  la  présence  de  l'ammoniaque  en  excès  dans  le  sang  a  été  contestée,  et  cepen- 
dant il  semble  que  c'est  là  vraiment  le  point  fondamental.  De  nouvelles  recherches  à  ce 
point  de  vue  seraient  absolument  nécessaires. 

En  second  lieu,  les  sels  de  potasse,  non  éliminés;  les  matières  extractives,  non  éli- 
minées, jouent  sans  doute  aussi  un  rôle  dans  l'intoxication  urémique.  Brown-Séquard 
n'avait-il  pas  récemment  admis  qu'il  y  a  pour  le  rein  une  aécrétion  interne,  tout  aussi 
importante  à  la  vie  que  la  sécrétion  interne  des  capsules  surrénales,  de  la  glande  thy- 
ro'ide  et  du  pancréas?  (Importance  de  la  sécrétion  interne  des  reiris  démontrée  par  les  phé- 
nomènes de  L'anurie  et  de  l'urémie;  A.  P.,  1893,  (5),  t.  v,  p.  778.) 


AMMONIAQUE    et    SELS    AMMONIACAUX.  .{29 

Entîn  tous  les  animaux  ne  produisent  pas,  comme  les  carnivores,  de  l'urée.  Chez  les 
herbivores  il  y  a  surtout  de  l'acide  hippurique.  Chez  les  oiseaux,  il  y  a  surtout  de  l'acide 
urique,  et  l'urémie  se  manifeste  chez  eux,  à  peu  près  avec  les  mêmes  symptômes. 

Je  n'oserais  donc  dire  que  la  théorie  de  la  mort  par  ammoniéraie  dans  l'urémie  est 
absolument  prouvée,  et,  pour  la  discussion  plus  approfondie,  je  renverrai,  comme  je 
l'ai  dit,  aux  articles  Rein  et  Urémie,  quoique  je  considère  comme  probable  que  la  mort 
dans  l'urémie  est  causée  par  la  transformation  de  l'urée  en  ammoniaque  dans  l'appareil 
digestif,  et  par  l'accumulation  de  cette  ammoniaque  jusqu'à  la  dose  mortelle. 

Action  thérapeutique.  —  L'ammoniaque  caustique  a  été  employée  comme  subs- 
tance vésicante;  maisses  effets  vraiment  utiles  sont  la  neutralisation  des  venins.  Les 
piqûres  des  moustiques,  des  fourmis,  des  guêpes,  qui  causent  une  douleur  si  cuisante, 
sont  rapidement  soulagées,  si,  immédiatement  après  la  piqûre,  on  touche  la  petite  plaie 
avec  de  l'ammoniaque  caustique.  S'agit-il  d'acide  formique  ou  d'un  autre  acide  orga- 
nique neutralisé?  cela  est  douteux,  car  la  soude  et  la  potasse  n'ont  pas  les  effets  salu- 
taires de  l'ammoniaque.  Il  est  possible  que,  par  suite  de  la  diffusibilité  du  gaz  ammo- 
niacal, la  pénétration  soit  plus  rapide  et  plus  complète  que  si  l'on  emploie  les  alcalis 
fixes.  Pour  les  piqûres  dues  à  des  animaux  plus  venimeux,  l'ammoniaque  semble  aussi 
pouvoir  être  employée  avec  avantage;  ce  qui  tient  sans  doute  toujours  à  la  même  cause; 
la  facilité  avec  laquelle  le  gaz  caustique  peut  pénétrer  dans  les  tissus,  et  aller  jusqu'aux 
parties  contaminées  par  le  venin.  Il  est  possible  aussi  qu'il  s'agisse  d'une  action  véri- 
tablement spécifique  et  antitoxique;  car  l'injection  d'ammoniaque  dans  la  circulation 
a  été  en  quelques  cas  un  remède  efficace  contre  les  morsures  de  vipères  (Oré.  Injec- 
tion d'ammoniaque  dans  les  veines  pour  combattre  les  accidents  de  la  morsure  de  la  vipère, 
R.  S.  M.,  1874,  t.  IV,  p.  320.  —  H.\llford.  Ammo7iia  in  suspended  animation,  R.  S.  M., 
1873,  t.  I,  pp.  401-402).  —  Fayrer  (cité  par  Geneu[L,  D.  P.,  1873,  p.  13)  pense  au  contraire 
que  les   injections    ammoniacales    n'ont   aucun  effet  salutaire   contre    l'envenimation. 

Les  autres  emplois  de  l'ammoniaque  liquide  sont  peu  importants  et  contestables. 
On  a  prétendu  que  l'inspiration  d'air  chargé  d'ammoniaque  gazeux  dissipait  les  effets  de 
l'ivresse.  Rien  n'est  moins  prouvé. 

Les  effets  thérapeutiques  des  sels  ammoniacaux  seraient  multiples  et  de  haute 
valeur,  si  l'on  ajoutait  grande  confiance  à  toutes  les  recommandations  qu'ont  faites  divers 
médecins.  Quelques  faits  positifs  seulement  peuvent  être  mentionnés  :  c'est  d'abord 
l'action  diurétique,  qui  est  évidente.  Toutes  les  substances  salines  sont  d'ailleurs  des 
diurétiques.  On  peut  employer  avec  avantage  l'acétate  d'ammoniaque  (esprit  de  Minde- 
RERUs)  à  la  dose  moyenne  de  5  grammes.  ' 

On  dit  aussi  que  les  sels  ammoniacaux  sont  diaphorétiques  (ce  qui  'est  douteux)  et 
antispasmodiques,  diminuant  l'éréthisme  du  système  nerveux  dans  les  fièvres,  l'hystérie, 
les  névralgies,  la  dysménorrhée. 

Toxicologie.  —  Les  cas  d'empoisonnement  par  l'ammoniaque  liquide  ne  sont  pas 
absolument  rares.  On  verra  à  la  bibliographie  qu'il  y  en  a  d'assez  nombreuses  observa- 
tions. Delioux  de  Savign.^c,  en  1873,  en  cite  treize  observations  en  France  seulement 
(art.  Ammoniaque,  D.  D.,  t.  m,  p.  708).  Il  s'agit  généralement  d'ingestion  stomacale, 
soit  par  suite  d'une  erreur,  soit  pour  cause  de  suicide.  Ce  sont  surtout  les  etfets  caus- 
tiques qui  dominent  la  scène,  avec  des  hémorrhagies  stomacales  et  intestinales.  Rare- 
ment on  observe  les  convulsions;  cependant  Orfila.  les  a  notées  dans  un  cas,  ainsi  que 
RuLLiÉ  (cité  par  Delioux  de  Savignac). 

Le  plus  souvent  il  y  a  une  dépression  générale  des  forces,  affaiblissement  du  système 
nerveux  et  tendance  à  la  syncope;  mais  il  est  très  difficile  de  séparer  ce  qui  est  dû,  soit 
à  l'action  caustique,  soit  à  l'action  toxique,  proprement  dite. 

La  mort  par  ingestion  de  sels  ammoniacaux  est  beaucoup  plus  rai'e;  car  il  faut  par 
ingestion  stomacale  une  dose  très  forte,  peut-être  plus  de  oO  gr.  de  sel  pour  déterminer 
la  mort,  attendu  que  l'élimination  par  le  rein  est  très  rapide,  et  se  fait  simultanément 
avec  l'absorption.  Au  fur  et  à  mesure  que  la  substance  est  absorbée,  elle  est  éliminée 
par  le  rein,  régulateur  de  la  teneur  du  sang  en  sels. 

11  y  a  cependant  un  cas  de  Crichton  Browne  [Lancet,  1868,(1),  p.  761,  cité  par  Huse- 
MANN  et  Selige,  loc.  cit.,  p.  76):- mort  par  le  chlorhydrate  d'ammoniaque,  avec  hallucina- 
tions, état  couYulsif  et  vertige  ;  et  un  cas  curieux  de  Huxham  (cité   par   Delioux  de  Savi- 


430  AMMONIAQUE    et    SELS    AMMONIACAUX. 

gnal)  :  empoisonnement  chronique  pcar  le  sesquicarbonate  d'ammoniaque.  Il  s'agit  d'un 
jeune  homme,  qui,  par  suite  d'une  étrange  perversion  du  goût,  absorbait  chaque  jour 
une  quantité  considérable  de  ce  sel,  employé  dans  le  commerce  sous  le  nom  de  sel  an- 
glais volatil  :  mais  il  ne  paraît  pas  bien  certain  que  sa, mort  n'ait  pas  été  causée  par 
une  affection  morbide  distincte  de  l'intoxication. 

Bibliographie.  )°  Métaholisme  de  l'Ammoniaque.  —  Bachl.  Ausscheidung  von  Ammo- 
niak  durch  die  Lungcn  (Z.  B.,  1869,  t.  v,  pp.  61-6S).  —  Lossen.  Même  sujet  fZ.  B., 
1863,  t.  I,  pp.  206-213).  —  Schenk.  Ammoniak  unter  den  çiasfûrmifjen  Ansscheiditngs- 
producten  {A.  Vf.,  1870,  t.  m,  pp.  470-476).  —  Thiry.  Ammoniakgehalt  des  Blutes,  des 
Emus  und  der  Expiralionluft  (Zeits.  f.  rat.  Med.,  1863,  t.  xvii,  pp.  166-187).  —  Axen- 
FELD.  Trasformazione  dei  sali  di  ammonio  in  urea  nell'organismo  (Ann.  di  Chim.  e  di 
Fannac,  t.  viii,  1888,  p.  572).  —  Feder.  Ausscheidung  des  Sabniaks  im  Hm-n{Z.  B.,  1877, 
t.  XIII,  pp.  236-298;  187§,  t.  xiv,  pp.  161-189).  —  Hallervorden.  Verhalten  des  Ammo- 
niaks  im  Organismus  und  ieine  Beziehung  zur  Harnstoffbildung  [A.  P.  P.,  1878,  t.  x,  pp. 
123-146).  —  E.  Brûcke.  Aufsuchen  von  Ammoniak  in  thierischen  Fh'issigkeiten  und  Ver- 
halten desselben  in  einigen  seiner  Verhindungen  [Ac.  des  se.  de  Vienne,  1868,  t.  lvii).  — 
Jaffé.  Vermeintliche  Unwandlung  von  Ammoniak  in  Salpeters'àure  innerhalb  des  thierischen 
Organismus  (Schuidt's  Jahrb.,  1833,  t.  xxxis,  p.  117).  —  Koppe.  Ammoniakausscheidung 
durch  die  Nieren  {Pet.  med.  Zeits.,  1868,  t.  xiv,  pp.  73-90).  —  C.  Wurster.  Bildung  von  sal- 
petriger  Sâure  und  Salpeters'àure  im  Speichel  aus  Wasserstoffsupero.vyd  und  Ammoniak 
(an.  in  C.  P.,  1889,  t,  m,  p.  366).  —  C.  Wurster.  Ammoniakbestimmung  im  Harn  (C.  P., 
1887,  pp.  483-487).  —  Monk.  Transformation  du  chlorhydrate  d'ammoniaque  dans  l'orga- 
nisme (Z.  P.  C,  1879,  t.  II,  pp.  29-47).  —  Schrôder.  Transformation  de  l'ammoniaque  en 
acide  urique  chez  la  poule  (Z.  P.  C,  1879,  t.  ii,  pp.  228-241).  —  Salkowski.  Sels  ammo- 
niacaux dans  l'organisme  (Z.  P.  C,  1879,  t.  ii,  pp.  386-403). 

2°  Action  pharmacodynamique.  —  W.  Reuling.  Uber  den  Ammoniakgehalt  der  expirirten 
Luft  und  sein  Verhalten  in  Krankheiten,  mit  besonderer  Rficksicht  auf  Uraemie  (Thèse  de 
Giessen,  1834,  80).  —  Bistroff.  Physiol.  Wirkung  des  Ammonium  Bromatum  auf  den  thiefris- 
chen  Organismus  (A.  f.  An.  Phys.  u.  iviss.  Med.,  1868,  pp.  721-728).  —  Bœhm.  Verhalten 
und.  Wirkungen  der  Ammoniaksalze  im  thierischen  Organismus  {A.  P.  P.,  1874,  t.  ii, 
pp.  364-383).  —  0.  FuNRE  et  A.  Deah.na.  Wirkung  des  Ammoniaks  auf  den  thierischen  Orga- 
nismus {A.  Pf.,  1874,  t.  IX,  pp.  416-438).  —  Laxge.  Physiol.  Untersiich.  uber  das  Ver- 
halten und  die  Wirkung  einiger  Ammoniaksalze  im  thierischen  Organismus  (Th.  de  Dorpat, 
1874).  —  Selige.  Beitrâge  zur  Wirkung  des  Trimethylamins  und  der  Ammoniakscdze 
(A. P.  P.,  1876,  t.  VI,  pp.  55-77).  —  Feltz  et  Ritter.  Étude  expériment.  sur  l'ammoniémie 
[G.  B.,  1874,  t.Lxxvni,  p.  839).  —  Rigler.  Beitrâge  ;»c  Lehre  uber  Ammonidmie  {Wien.  med. 
Woch.,  1861,  t.  XI,  pp.  141,  177,  193).  —  RoseiNSTein.  Ammonidmie  (D.  Ze'ttsch.  f.  prakt. 
Med.,  1874,  (1),  p.  167).  —  H.  Beyer.  Direct,  action  of  calcium,  sodium,  potassium  and 
ammonium  salts  on  the  bloodvessels  (an.  in  J.  P.,  1886,  t.  xv,  p.  98).  —  Belky.  Beitrâge 
zur  Wirkung  der  gasformigen  Gifte  {A.  V.,  1886,  t.  cvi,  pp.  148-166).  —  F.  Betz.  Die  am- 
moniakalische  Urumie  {Memorabilien,  Heilbronn,  1892,  t.  xvii,  pp.  97-115). — A.  Krdse. 
Bcziehungen  des  kohlcnsauren  Ammoniaks  zur  Urûmie  [Th..  de  Greifswald,  1887,  in-8").  — 
A.  LiNAS.  L'urémie  et  l'ammoniémie  {Gaz.  hebd.  de  'méd.,  1869,  (2),  t.  vi,  p.  8).  —  R.  Lim- 
BECK.  Z»r  Lehre  son  der  urâmischen  Intoxication  {A.  P.  P.,  1892,  t.  xxx,  pp.  180-201). 

3°  Toxicologie.  —  Blake.  Poisoning  by  caustic  nmmonia  {St  Georges  Hosp.  Bep.,  1871, 
t.  v,  pp.  72-73).  —  Castan.  Empoisonnement  par  le  gaz  ammoniax;  {Montpellier  médical,  iSlO, 
t.  XXV,  p.  377-394).  —  Delioux  de  Savignac.  Art.  Ammoniaque,  D.  B.,  t.  m,  pp.  707-716. 
—  GiLLAM.  Case  of  poisoning  by  liquor  ammoniac;  post  mortem  notes  {Med.  Times  and  Gaz., 
1878,  (2),  p.  706).  —  Imhert  Gourbkyke.  Obsa'vations  d'empoisonnement  par  l'ammoniaque 
{Journ.  de  chim.  médic,  1834,  t.  x,  pp.  648-634).  —  Jeanty.  Un  cas  d'empoisonnement  par 
l'ammoniaque  {Arch.  méd.  belges,  1867,  t.  vi,  pp.  102-103).  —  Mankiewicz.  Ein  Fall  von 
Vergiftung  durch  liquor  ammonii  caustici  {A.  V.,  1869,  t.  xlv,  p.  522).  —  Matterson.  Poi- 
soning by  liquor  ammoniac  {Lancet,  1876,  (1),  p.  280). — Potain.  Empoisonnement  par  l'am- 
moniaque liquide  {Un.  médic,  1862,  t.  xiii,  pp.  119-126).  — Robin.  Empoisonnementpat  l'am- 
moniaque {B.  B.,  1874,  p.  133).  —  Routier.  I«foa;«ca(.  par  l'ammoniaque  {France médic,  1879, 
t.  XXVI,  p.  63).  — Skoda.  Vergiftung  mit  Ammonia  liquida  (Allg.  Wien.  med.  Zeit.,  1836, 
p. 22).  —  Geneuil.  Étude  sur  l'empoisonnement  par  l'ammoniaque  {D.  P.,  1873,  84  pp.).  — 


AMNESIE.  i31 

Da  Costa.  A  case  of  ammonia  poisoning  with  unumal  fcalures  (Bost.  med.  and.  surg.  .Tourn., 
1891,  t.  cxxv,  p.  677). 

CHARLES    RICHET. 

AMNESIE.  —  Le  mot  amnésie  {i  privatif,  [J.v?ja!;,  mémoire)  signifie  étymologi- 
quement  privation  de  la  mémoire;  il  ne  s'applique  pas  à  ces  abolitions  totales  des  fonc- 
tions intellectuelles,  dans  lesquelles  la  mémoire  disparaît  avec  l'ensemble  de  l'intelli- 
gence, mais  à  des  états  particuliers  dans  lesquels  la  perte  de  la  mémoire  coe.xiste  avec 
une  conservation  au  moins  apparente  des  autres  fonctions  intellectuelles.  Ainsi  entendu, 
le  mot  amnésie  semble  désigner  un  phénomène  simple  et  invariable;  mais  de  nom- 
breuses observations  ont  montré  que  les  pertes  de  la  mémoire  étaient  au  contraire 
extrêmement  nombreuses  et  dilférentes  les  unes  des  autres.  Pour  comprendre  ces  varia- 
tions il  a  été  nécessaire  de  modifier  la  conception  de  la  mémoire  et  de  la  considérer 
non  plus  comme  un  phénomène  unique  tantôt  présent,  tantôt  absent,  mais  comme  un 
ensemble  de  phénomènes  très  nombreux,  qui  peuvent  être  modifiés  isolément.  L'étude 
de  l'amnésie  est  un  des  exemples  les  plus  curieux  à  signaler  pour  montrer  les  services 
que  la  psychiatrie  a  rendus  à  la  psychologie  normale,  et  l'on  peut  dire  que  toute  la 
théorie  de  la  mémoire  est  sortie  peu  à  peu  de  l'étude  de  l'amnésie. 

Des  amnésies  de  toute  espèce  ont  été  observées  depuis  longtemps.  «  Rien  n'est  plus 
fragile  que  la  mémoire  de  l'homme,  disait  déjà  Pline  [Histoire  naturelle,  livre  vu,  ch.  24), 
les  maladies,  les  chutes,  une  simple  frayeur  l'altèrent  soit  complètement,  soit  partiel- 
lement. «  Il  a  donc  été  nécessaire  de  distinguer  ces  divers  phénomènes  les  uns  des 
autres  et  de  les  classer.  Cette  classification  est  ici  un  problème  très  important,  car  elle 
est  en  même  temps  une  analyse  des  différents  éléments  de  la  mémoire. 

Plusieurs  auteurs,  préoccupés  surtout  du  point  de  vue  médical,  ont  étudié  particuliè- 
rement les  causes  des  amnésies  et  ont  proposé  des  classifications  étiologiques.  A.  Voisin 
divisait  en  six  classes  les  causes  de  l'amnésie',  Legrand  du  Saulle-,  à  peu  près  de  la 
même  manière  que  KussMAUL'',Mislinguait  :  1°  des  amnésies  se  rattachant  à  des  vices 
de  structure  ou  à  des  lésions  anatomiques  de  la  substance  cérébrale;  2°  des  amnésies 
dépendant  d'un  trouble  fonctionnel  primitif  des  cellules  nerveuses;  3°  des  amnésies  dues 
à  des  troubles  de  la  circulation  cérébrale;  4°  des  amnésies  dues  à  des  altérations  du 
sang,  infection  ou  toxémie.  Rouillard  '',  après  avoir  exposé  et  discuté  les  classifications 
précédentes,  distingue  sept  groupes  :  1°  amnésie  congénitale, '2°  amnésie  par  trauma- 
tisme, 3°  amnésie  liée  à  des  maladies  de  l'encéphale,  4°  amnésie  par  anémie  cérébrale, 
5"  amnésie  liée  aux  grandes  névroses,  6°  amnésie  liée  à  des  maladies  aiguës,  7°  amnésie 
liée  à  une  intoxication.  Dans  un  ouvrage  remarquable,  qui  a  été  le  point  de  départ  de 
la  plupart  de  ces  recherches,  Ribot^  se  plaçait  à  un  point  de  vue  un  peu  différent,  et, 
dans  sa  classification  des  amnésies,  tenait  surtout  compte  de  l'évolution  des  symptômes  ; 
après  avoir  distingué  les  amnésies  générales  et  les  amnésies  partielles,  il  insistait  sur 
1°  les  amnésies  temporaires,  2°  les  amnésies  périodiques,  3°  les  amnésies  à  forme  pro- 
gressive, 4°  les  amnésies  congénitales.  Solder,  dans  un  travail  récent'",  semble  se  pré- 
occuper aussi  de  l'évolution  et  du  pronostic  quand  il  distingue  des  amnésies  dues  àdes 
inodifications  organiques  et  irréparables  et  les  amnésies  en  rapport  avec  de  simples 
troubles  fonctionnels  et  curables.  Toutes  ces  classifications  ont  leurs  avantages,  surtout 
quand  la  description  de  l'amnésie  est  faite  d'une  manière  médicale.  Nous  nous  plaçons 
ici  à  un  point  de  vue  exclusivement  physiologique,  et  nous  cherchons  surtout  à  décrire 
les  symptômes  et  à  reconnaître,  grâce  à  l'amnésie,  les  fonctions  de  la  mémoire.  Aussi 
décrirons-nous  simplement  dans  les  diverses  amnésies  trois  caractères  essentiels,  leur 
localisation,  leur  forme  et  leur  degré. 

I.  Localisation  des  amnésies.  —  Nos  souvenirs  sont  très  nombreux,  et  ils  sont 
ou  paraissent  étendus  sur  toute  la  durée  du  temps  passé;  suivant  le  groupe  des  souve- 

1.  Auo.  Voisin.  An.  Amnecie  in  Nouveau  dictionn.  de  me'dec.  et  de  chirurgie  pratique,':,  ii,  S. 

2.  Legrand  du  Saulle.  Les  maladies  de  la  mémoire  {Gazette des  hôpitaux,  1884,  p.  1164). 
.    3.  KussMAUL.  Les  troubles  de  la  parole,  traduct.,  p.  40. 

4.  Rouillard.  Essai  sur  les  amnésies,  principalement  au  point  de  vue  étiolorjique,  1885,  p.  62. 

5.  RinoT.  Les  maladies  de  la  mémoire,  1881. 

6.  P.  Sollier.  Les  troubles  de  la  mémoire,  1892,  p.  92. 


i32  AMNESIE. 

nirs  ou  la  période  du  temps  sur  laquelle  porte  l'amnésie,  ce  symptôme  présenle  des 
localisations  différentes. 

1°  Les  amnésies  systématiques  '  sont  parmi  les  plus  fréquentes  ;  les  malades  perdent, 
non  pas  tous  les  souvenirs  acquis  pendant  une  période,  mais  seulement  une  certaine 
catégorie  de  souvenirs,  un  certain  groupe  d'idées  du  même  genre  formant  ensemble  un 
système.  Les  uns  oublient  les  chiffres,  les  autres  les  noms  des  localités,  ceux-ci  oublient 
tout  ce  qui  a  rapport  à  leur  famille,  ceux-là  toutes  les  idées  relatives  à  une  personne 
déterminée,  etc.  ■ 

Les  amnésies  de  ce  genre  les  plus  importantes  sont  celles  qui  ont  rapport  au  langage, 
soit  que  les  sujets  aient  oublié  totalement  telle  ou  telle  langue  étrangère  en  conservant 
la  mémoire  d'une  autre,  soit  qu'ils  aient  perdu  totalement  les  images  motrices  néces- 
saires pour  articuler  les  mots  ou  les  écrire,  les  images  auditives  nécessaires  pour  com- 
prendre la  parole,  ou  les  images  visuelles  qui  permettent  de  comprendre  la  lecture. 
Ces  questions  sont  étudiées  à  l'article  Aphasie  ;  nous  nous  bornons  à  remarquer  ici  que 
les  diverses  aphasies  sont  des  amnésies  systématiques. 

Signalons  aussi  les  amnésies  systématiques  qui  portent  sur  des  mouvements.  Les 
mouvements  de  nos  membres  no  sont  que  la  manifestation  extérieure  de  certaines 
images  qui  existent  dans  la  pensée.  La  perte  de  ces  images  motrices  est  une  véritable 
amnésie  qui  se  manifeste  extérieurement  par  une  paralysie-.  Dans  certains  cas,  les 
malades  ont  perdu  le  pouvoir  d'effectuer  telle  ou  telle  catégorie  de  mouvements,  tandis 
qu'ils  ont  conservé  à  peu  près  complètement  les  autres.  Ce  sont  des  paralysies  systéma- 
tiques dont  l'astasie-abasie  peut  être  considérée  comme  le  type  :  on  constate  dans  cette 
affection  «  une  perte  des  synergies  musculaires  qui  assurent  l'équilibre  dans  la  station 
verticale  et  dans  la  marche  qui  contraste  avec  l'intégrité  de  la  sensibilité  de  la  force 
musculaire  et  de  la  coordination  des  autres  mouvements  des  membres  inférieurs  ^.  » 
Beaucoup  d'autres  troubles  du  langage  et  du  mouvement  se  rattachent  à  l'amnésie 
systématique. 

2°  Dans  les  amnésies  localisées  les  événements  dont  le  souvenir  est  perdu  sont  réu- 
nis par  un  caractère  commun;  ils  appartiennent  tous  aune  même  période  de  la  vie  des 
malades. 

Dans  le  cas  le  plus  simple,  le  malade  oublie  un  seul  événement  qui  a  déterminé  un 
traumatisme  ou  une  émotion  violente  :  c'estVamnésie  simi^le  de  Sollier*. 

Plus  souvent  le  malade  oublie,  outre  l'événement  principal,  une  certaine  période  de 
sa  vie,  plus  ou  moins  longue  suivant  les  cas,  précédant  immédiatement  cet  événement. 

Cette  amnésie  rétrograde  a  d'abord  été  signalée  à  la  suite  des  traumatismes  crâniens; 
mais  il  faut  remarquer  qu'elle  est  beaucoup  plus  commune  et  accompagne  très  souvent 
les  autres  formes  d'amnésie.  Par  exemple,  l'oubli  qui  suit  le  somnambulisme  n'est  pas 
exactement  limité,  et  presque  toujours  il  s'étend  en  arrière,  au  delà  du  début  de  l'état 
anormal.  «  Nous  avons  remarqué,  dit  Chambard,  que  l'oubli  intéresse  non  seulement 
la  période  de  l'accès,  mais  encore  les  instants  qui  l'ont  immédiatement  précédé».  » 

L'amnésie  peut  aussi  porter  sur  les  événements  qui  ont  suivi  l'accident,  amnésie 
antérograde'^;  au  bout  d'un  certain  temps,  ordinairement  assez  court,  le  sujet  se  réveille 
complètement  comme  s'il  sortait  d'un  état  anormal,  et  on  constate  qu'il  a  oublié  non 
seulement  le  traumatisme  lui-même  et  ce  qui  l'a  précédé,  mais  tout  ce  qu'il  vient  de 
faire  à  la  suite  de  l'accident". 

Enfin  l'amnésie  localisée  peut  s'étendre  sur  une  période  assez  longue  pendant  laquelle 
le  sujet  était  dans  uji  état  anormal.  On  constate  souvent  un  oubli  complet  de  tout  ce  qui 

1.  P.  Jaxet.  Stigmates  mentaux  diishi/ste'ric/ues,  1S92,  p.  83. 

2.  P.  Janet.  Automatisme  psychologique,  ISS9,  p.  347,  362. 

3.  Paul  Blocq.  Archives  de  neurologie,  1888  ;  les  troubles  de  la  marche  dans  les  rnaladies  ner- 
veuses, 1892,  p.  00.  —  Paul  Richer.  Paralysies  et  contractures  hystériques,  1892,  p.  48.  — Piere.e 
JoLLY.  Contribution  à  l'étude  de  l'astasie-abasie,  Lyon,  1892,  p.  9. 

4.  SOLI.IER.   Op.    cit..  p.    loS.    —  E.OUILLARD.    Op.   Cit.,    p.   71. 

0.  Ch.vmbard.  Somnambulisme  provoqué  ia  Dictionn.  encyct.  des  se.  médicales,  'i'  série,  x,  p.  381. 
—  Pitres.  Leçons  sur  l'hystérie,  n,  p.  193;  cf.  Stigmates  meniaux  des  hystériques,  p.  114. 

6.   SOLLIER.  Op.  cit.,  p.  19. 

1.  RiTTi.  Annales  médico-psychologiques,  1887,  ii,  p.  310. 


AMNESIE.  433 

.vient  de  se  passer  à  la  suite  de  certaines  ivresses,  à  la  suite  des  somnambulismes,  ou 
même  après  des  périodes  de  simple  rêverie.  Presque  toujours  ces  périodes  oubliées 
sont  caractérisées  par  des  modifications  psychologiques  importantes,  des  délires, 
des  modifications  de  la  sensibilité  et  même  de  la  motilité.  Nous  sommes  disposé  à 
croire  que  ces  modifications  jouent  un  grand  rôle  dans  la  production  de  l'amnésie  elle- 
même  '. 

3°  Dans  certains  cas  très  rares,  l'amnésie  peut  être  ou  du  moins  paraître  générale, 
c'est-à-dire  porter  sur  tous  les  souvenirs  acquis  jusque-là  par  le  malade.  Le  sujet  semble 
naître  une  seconde  fois  et  doit  apprendre  de  nouveau  tout  ce  qu'il  avait  déjà  appris 
depuis  son  enfance.  On  trouvera  les  observations  les  plus  importantes  réunies  dans  le 
livre  de  Ribot-,  et  dans  un  travail  intéressant  de    Weir  Mitchell'. 

4"  L'amnésie  continue  ne  porte  pas  sur  les  souvenirs  des  événements  passés,  mais 
uniquement  sur  les  souvenirs  des  événements  présents.  A  partir  d'un  certain  moment, 
le  malade,  tout  en  conservant  les  souvenirs  acquis  antérieurement,  semble  perdre  la 
faculté  d'acquérir  des  souvenirs  nouveaux.  L'amnésie  marche  en  avant;  elle  est  anté- 
rograde,  disait  Ch.vrcot  *.  Le  mot  antérograde  s'appliquant  plus  e.tactement  à  une 
certaine  forme  d'amnésie  localisée,  nous  avons  désigné  cette  amnésie  sous  le  nom 
d'amnésie  continue  parce  qu'elle  ne  porte  pas  sur  certains  souvenirs  déterminés,  mais 
qu'elle  continue  à  envahir  les  souvenirs  au  fur  et  à  mesure  de  leur  production". 
C'est  là  un  trouble  intellectuel  assez  compliqué  dont  nous  signalons  seulement  la  loca- 
lisation. 

II.  Formes  de  l'amnésie.  , —  L'oubli  qui  porte  sur  ces  divers  événements  n'est 
pas  toujours  de  'a  même  nature.  Il  est  parfois  très  différent  dans  son  mécanisme  et 
ses  conséquences;  ce  qui  nous  amène  à  distinguer  des  formes  de  l'amnésie. 

1°  Amnésie  de  conservation.  —  «  La  mémoire,  considérée  au  point  de  vue  physiolo- 
gique, dit  Ch.  Richet,  peut  être  ramenée  à  ce  fait  que  toute  irritation  brève  laisse 
après  elle  un  retentissement  prolongé  qui  peut  être  latent''.)) —  «Les  molécules,  dit 
RiBOï,  perdant  le  pouvoir  de  revenir  à  leur  mouvement  naturel,  prennent  défini- 
tivement celui  qui  leuraété  imposé''.  )>  Ces  modifications  permanentes  sont  la  condition 
essentielle  qui  rend  possible  la  conservation  des  souvenirs.  Dans  certains  cas  ces  modi- 
fications ne  se  produisent  pas,  ou  ne  se  conservent  pas,  et  les  souvenirs  qui  en  dépendaient 
sont  irrémédiablement  perdus. 

C'est  ce  que  l'on  observe  dans  les  amnésies  congénitales  ;  «  les  cellules  sont  réduites 
en  nombre,  en  volume,  elles  sont  en  pleine  dégénérescence  »,  disait  Ball^,  ce  sont 
des  cellules  idiotes,  suivant  une  expression  de  Maubsley.  Des  altérations  du  même  genre 
se  rencontrent  à  la  suite  des  ramollissements  cérébraux,.debien  des  altérations  patholo- 
giques du  cerveau  et  amènent  également  une  amnésie  définitive.  Les  lésions  qui  pro- 
voquent les  diverses  formes  d'aphasie  sont  presque  toujours  de  ce  genre;  elles  sont 
destructives,  enlèvent  complètement  les  traces  qui  permettaient  la  conservation  des 
souvenirs  et  rendent  toute  restauration  impossible. 

On  constate  ces  altérations  brutales  de  la  mémoire  par  l'observation  des  animau.x 
aussi  bien  que  celle  des  hommes.  Ch.  Richet  a  réussi  à  produire  chez  une  chienne  la 
suppression  complète  de  la  mémoire  des  images  visuelles.  «  Elle  voyait  les  objets  en 
tant  qu'obstacles,  mais  ne  reconnaissait  pas  leur  nature  ;  elle  ne  s'effraj'ait  plus  en  voyant 
un  bâton  qui  la  menaçait.  ))  A  l'autopsie  on  constata,  comme  dans  d'autres  observations 

1.  Automatisme  psijchûhfjiq lie,  p.  94.  Stigmates  mentaux, -[i-  ll'i.  Accidents  mentaux  des  hi/stc- 
riques,  1893,  p.  213. 

■2.  Op.  cit.,  1883,  p.  63. 

3.  Weir  Mitchell.  Marij  Retjnolds,  a  case  of  double  conseiousness.  Philadelphie,  1889. 

4.  Charcot.  Sur  un  cas  d'amnésie  rétro-ante'rograde  {Revue  de  médecine,  10  févr.  1892,  p.  81). 
—  Souques.  Etude  sur  l'amnésie  rétro-antérog rade  dans  l'hystérie,  les  traumatismes  cérébraux, 
l'alcoolisme  chronique  {Revue  de  médecine,  1892,  p.  367).  —  Séglas  et  Soliaer.  Folie  puerpérale, 
amnésie,  etc.  {Archives  de  neurologie,  1890,  n"  60). 

5.  .-imnésie  continue  {Revue  générale  des  sciences.  1893,  p.  175). 

6.  Cn.  Richet.  Essai  de  psychologie  générale.  1887,  p.  157. 

7.  Ribot.  Op.  cit.,  p.  14. 

8.  B.  Ball.  Maladies  mentales,  1880,  p.  824. 

DICT.    DE    PHYSIOLOGIE.    —   TOME   I.  28 


434 


AMNESIE. 


du  même  genre,  des  lésions  du  gyrus  sigmolde  et  du  lobule  du  pli  courbe    (V    Et  36i 
Celte  première  forme  d'amnésie  est  naturellement  définitive,  et  irrémédiable  '^ 

2°  Amnésie  de  reproduction.  —  Dans  d'autres  cas,  au  contraire,  les  souvenirs  ne  sont 
pas  complètement  détruits,  puisqu'ils  peuvent  réapparaître;  on  a  constaté  bien  souvent 

ces    réapparitions    sur- 
prenantes de  souvenirs 
que  l'on  croyait  effacés '2. 
Il  était  nécessaire  d'ad- 
mettre que,  dans  ces  cas, 
la  conservation  des  sou- 
venirs   restait    intacte, 
mais      que     l'altération 
avait  porté  snr  un  autre 
élément  du  souvenir,  la 
reproduction    des    ima- 
ges.    La     reproduction 
semble  demander  entre 
autres  conditions  un  état 
psycho  -  physiologique 
analogue   à   celui   dans 
lequel  les  souvenirs  ont 
été    acquis.    Quand    cet 
état  se  présente  de  nou- 
veau, par  exemple  dans 
une  nouvelle  ivresse  ou 
un  nouveau   délire,   les 
souvenirs  en  apparence 
disparus    jusque-là    se 
reproduiront  avec  faci- 
lité. La  reproduction  peut  aussi  dépendre  de  certaines  associations  d'idées;  c'est  pour- 
quoi les  souvenirs  réapparaissent  à  propos  de  certains  rêves  ou  de  certains  délires, 
comme  dans  les  cas  d'ecmnésie  signalés  par  Pitres  ^.  Quand  ces  conditions  physiques  ou 
morales,  desquelles  dépend  la  reproduction,  se  trouveront  régulièrement  réunies  à  de 
certains  moments  pour  disparaître  dans  les  intervalles,  les  amnésies  disparaîtront,  puis 
réapparaîtront  régulièrement;  elles  seront  périodiques. 

3"  Amnésie  d'assimilation.  —  Dans  bien  des  cas  le  trouble  psychologique  qui  amène 
l'amnésie  est  encore  moins  profond.  Non  seulementia  conservation,  mais  même  la  repro- 
duction des  souvenirs,  paraît  subsister.  Mais  cette  reproduction  des  images  ne  se  fait 
que  d'une  manière  automatique  et  à  l'insu  du  sujet  lui-même.  Ces  souvenirs  en  appa- 
rence perdus  manifestent  leur  présence  par  les  modifications  qu'ils  impriment  aux  senti- 
timents  et  aux  actions  du  sujet;  ils  sont  même  exprimés  quand  le  sujet  est  distrait,  parle 
ou  écrit,  non  seulement  sans  réilexion,  mais  sans  conscience,  sans  savoir  ce  qu'il  fait.  Ces 
reproductions  inconscientes  des  souvenirs  ont  été  quelquefois  signalées  dans  les  amné- 
sies alcooliques  *;  elles  sont  très  fréquentes  et  très  nettes,  ainsi  que  nous  avons  essayé 
de  le  montrer,  dans  la  plupart  des  amnésies  hystériques-'.  Voici  comment  on  pourra 
peut-être  essayer  de  se  représenter  ces  faits  curieux.  «  Il  ne  suffit  pas,  pour  que  nous 
ayons  conscience  d'un  souvenir,  que  telle  ou  telle  image  soit  reproduite  par  le  jeu  auto- 
matique de  l'association  des  idées  :  il  faut  encore  que  la  perception  personnelle  saisisse 
cette  image  et  la  rattache  aux  autres  souvenirs,  aux  sensations  nettes  ou  confuses, 
extérieures  ou  intérieures,  dont  l'ensemble  constitue  notre  personnalité;  que  l'on  appelle 
cette  opération,  comme  on  voudra,  que  l'on  forge  pour  elle  le  mot  de  personnification, 


30.  -^  Schéma  de  l'amnésie  chez  le  chien  (D'après  Ch.  R.). 
En  A"  lésion  du  pli  courbe. 


1.  Ch.  Richet.  Soc.  de  psychologie  physiologique,  1890,  p.  7.  Cécité  psychique  expérimentale 
chez  le  chien  {Travaux  du  laboratoire,  t.  i,  189.3,  p.  126). 

2.  Taine.  Intelligence,  t.  i,  p.  133.  —  Rouillard.  Op.  cit.,  p.  35. 

3.  PrrRAS.  Leçons  cliniques  sur  l'hystérie,  1891,  t.  ii,  p.  219. 

4.  KoRSAKOFF.  Une  maladie  de  la  mémoire  [Revue  philosophique,  1889,  t.  n,  p.  303). 

5.  Amnésie  continue  {Revue  générale  des  sciences,  1893,  p.  172). 


AMNESIE.  435 

ou  que  l'on  se  contente  des  termes  vulgaires  que  nous  avons  toujours  employés,  percep- 
tion personnelle  des  souvenirs  ou  assimilation  psychologique  des  images,  il  faut  toujours 
constater  le  fait  lui-même  et  lui  donner  une  place  dans  la  psychologie  de  la  mémoire, 
comme  dans  celle  des  sensations.  Celte  opération  est  si  simple  et  si  facile  chez  nous  que 
l'on  ne  soupçonne  même  pas  son  rôle.  Mais  elle  peut  être  altérée  et  supprimée,  tandis 
que  les  autres  phénomènes  du  souvenir,  conservation  et  reproduction  des  iniages, 
subsistent  intégralement.  Son  aljsence  suffira  pour  produire  chez  les  malades  un  trouble 
de  la  mémoire  qui  sera,  pour  eux,  une  véritable  amnésie,  et  que  l'on  peut  exprimer  par 
ce,  mot,  une  amnésie  d'assimilation'.  » 

4°  Amnésie  de  reconnaissance  et  de  localisation.  —  Les  opérations  les  plus  délicates  de 
la  mémoire,  celles  qui  ont  pour  rôle  de  classer  les  images,  de  les  distinguer  des  sensations 
présentes  et  de  leur  assigner  une  place  apparente  dans  le  passé  sont  les  seules  atteintes. 
Les  souvenirs  sont  confondus  avec  les  sensations  et  semblent  des  événements  présents  ;  ou  bien 
au  contraire  des  sensations  présentes  sont  rejetées  en  arrière  et  semblent  des  souvenirs. 
La  localisation  est  inexacte,  des  souvenirs  récents  paraissent  très  anciens  ou  réciproque- 
ment. Ces  phénomènes  très  variés,  qui  sont  des  troubles  de  la  mémoire,  plutôt  que  des 
amnésies  proprement  dites,  sont  très  fréquents  dans  bien  des  maladies,  et  contribuent  à  la 
formation  des  délires.  Sollier  a  décrit  quelques-uns  de  ces  faits  sous  le  nom  de  par- 
amnésies-.  WiGAN,  Lewes,  Ribot,  Sander,  Goyau  en  ont  décrit  d'autres  sous  le  nom  de 
fausses  mémoires,  illusions  de  la  mémoire.  Nous  ne  pouvons  que  signaler  cette  dernière 
forme  de  l'amnésie. 

Les  fonctions  qui  constituent  la  mémoire  ont  été  analysées  par  les  diverses  formes 
de  l'amnésie,  car  dans  chacune  un  phénomène  particulier  a  été  modifié  isolément. 

III.  Degrés  de  l'amnésie.  —  Quelles  que  soient  la  localisation  et  la  forme  de  l'am- 
nésie, cette  affection  peut  être  plus  ou  moins  grave,  plus  ou  moins  profonde. 

1°  Amnésie  complète.  Chaque  type  d'amnésie  que  nous  avons  décrit  peut  être  complet  : 
par  exemple,  absolument  tous  les  souvenirs  d'une  période  déterminée  seront  effacés  dans 
l'amnésie  localisée  :  aucun  effort  d'attention  ne  pourra  donner  au  malade  la  conscience 
personnelle  des  souvenirs  dans  l'amnésie  d'assimilation,  etc. 

2°  Dans  le  cas  contraire  Vamiiésie  sera  incomplète,  quelques  souvenirs  subsistent  et  les 
efforts  d'attention  pourront  pour  un  moment  rendre  la  mémoire  consciente.  Ce  sont  des 
phénomènes  de  ce  genre  qui  ont  souvent  été  désignés  sous  le  nom  d'amnésies  partielles 
ou  de  dysmnésies  (Louyer-Villermay)  ^. 

3°  L'amnésie  sera  brusque,  quand  l'affection  est  immédiatement  complète  ;  c'est  ce  que 
l'on  observe  par  exemple  après  les  traumatismes  cérébi'aux  *. 

4"  L'amnésie  sera  au  contraire  progressive  quand  elle  est  d'abord  incomplète,  puis 
qu'elle  augmente  peu  à  peu.  L'étude  des  amnésies  progressives  a  été  des  plus  fructueuses 
,  et  a  permis  de  constater  des  lois  importantes.  Tous  les  aliénistes  (Griesinger,  Baillarger, 
Falret,  Foville,  etc.)  ont  remarqué  depuis  longtemps  que  l'affaiblissement  de  la  mémoire 
portait  d'abord  sur  les  faits  récents  qui  étaient  oubliés,  tandis  que  les  souvenirs  des  faits 
anciens  subsistaient.  Les  explications  qui  ont  été  proposées  sont  nombreuses  et  encore 
incertaines.  <c  Les  conditions  anatomiques  de  la  stabilité  et  de  la  reviviscence  manquent 
pour  les  phénomènes  récents,  disait  Ribot,  mais  les  modifications  fixées  dans  les  élé- 
ments nerveux  depuis  de  longues  années  et  devenues  organiques,  les  associations  dyna- 
miques et  les  groupes  d'association  cent  et  mille  fois  répétées  persistent  encore  ;  elles 
ont  une  plus  grande  force  de  résistance  contre  la  destruction.  Ainsi  s'explique  ce  para- 
doxe de  la  mémoire:  le  nouveau  meurt  avant  l'ancien*.»  —  «  Les  souvenirs  les  plus  récents 
disparaissant  les  premiers,  dit  Sollier  :  il  semble  tout  naturel  d'admettre  que  les  sou- 
venirs les  plus  anciens  siègent  dans  les  couches  les  plus  profondes  de  l'écorce,  qu'il  y  a, 
comme  on  l'a  dit  justement,  une  stratification  des  souvenirs^.  » 

Après  les  souvenirs  des  faits  récents,  les  acquisitions  intellectuelles  se  perdent  peu  à 


1.  Stigmates  mentaux  des  hystériques,  1893,  p.  108. 
1-  Sollier.  Op.  cit.,  p.  15. 

3.  ROUILLARD.  Op.  cit.,  p. 43. 

4.  Sollier.  Op.  cit.,  p.  161. 


,.       „„^...„...      Op.     cit.,    y.     . 

5.  Ribot.  Op.  ciï.,p.  92. 

6.  Sollier.  Op.  cit.,  p.  61. 


436  AMNIOS. 

peu,  les  noms  propres  d'abord,  puis  les  noms  communs,  les  connaissances  scientifiques, 
artistiques,  professionnelles.  Les  meilleurs  observateurs  ont  remarqué  que  les  facultés 
affectives  s'éteignent  bien  plus  lentement  que  les  facultés  intellectuelles.  Les  acquisitions 
qui  résistent  en  dernier  lieu  sont  celles  qui  sont  presque  entièrement  organiques  :  la 
routine  journalière,  les  habitudes  contractées  de  longue  date.  «  La  destruction  progres- 
sive delà  mémoire  suit  donc  une  marche  logique,  une  loi.  Elle  descend  progressivement 
de  l'instable  an  stable.  Elle  commence  par  les  souvenirs  récents  qui,  mal  fixés  dans  les 
éléments  nerveux,  rarement  répétés  et  par  conséquent  faiblement  associés  avec  les 
autres,  représentent  l'organisation  à  son  plus  faible  degré.  Elle  finit  par  cette  mémoire 
sensorielle,  instinctive,  qui,  fixée  dans  l'organisme,  devenue  une  partie  de  lui-même  ou 
plutôt  lui-même,  représente  l'organisation  à  son  degré  le  plus  fort  '.  « 

o"  Enfin,  dans  des  cas  exceptionnels,  l'amnésie,  après  être  devenue  peu  à  peu  complète, 
peut  être  régressive.  Il  est  intéressant  de  remarquer  que  l'on  a  vu  quelquefois  la  mémoire 
suivre  dans  sa  réhabilitation  un  ordre  inverse  de  celui  que  l'on  observe  dans  son  abolition. 

Ces  divers  aspects  de  l'amnésie  au  point  de  vue  de  son  intensité  peuvent  se  mêler  à 
toutes  les  formes  précédentes  et  donner  naissance  à  d'innombrables  variétés  d'amnésies 
particulières.  Il  est  impossible  d'étudier  ici  ces  combinaisons,  ni  les  maladies  de  l'es- 
pi'it  auxquelles  elles  donnent  naissance.  Nous  rappelons  seulement  que  nous  avons 
signalé,  à  propos  des  classifications  étiologiques,  les  diverses  alfections  dans  lesquelles  on 
constate  d'ordinaire  des  amnésies.  Nous  renvoyons  aux  auteurs  que  nous  avons  cités 
pour  une  étude  plus  précise;  On  trouvera  des  indications  bibliographiques  plus  com- 
plètes dans  les  ouvrages  de  Ribot,  de  Sollier,  de  Rouillahd  (particulièrement  au  point  de 
vue  de  l'amnésie  alcoolique),  dans  l'article  de  Falret.  Dictionn.  encycl.  d.  se.  méd.,  i"  série, 
t.  ni,  726.  Voir  aussi:  Boudon.  Essai  sur  l'amnésie  dans  la  paralysie  générale  (D.  P.,  1886). 
—  DicHAs.  Étude  de  la  mémoire  dans  ses  rapports  avec  le  sommeil  hypnotique  (D.  P. ,  1887).  — 
Baret.  De  l'état  de  la  mémoire  dans  les  vésanies  (D.  P.  1887).  —  Shabpey.  Rééducation  of  the 
adult  brain  {Brain,  1879,  t.ii,  pp.  1-9).  — Motet.  Amnésie  temporaire  {Union  médic.,  1879, 
t.  xxvii,  p.  950).  —  GuARDiA.  les  maladies  de  la  mémoire  [R.  Scientif.,  1881,  (1),  p.  738). 
— -PiCK.  Zur  Pathologie  des  Gedàchtnisses  {Arch.  fiirPsych.,  1886,  t.  xvu,  pp.  83-98).  —  Sander. 
Erinnerungstâuschungen{Arch.  fur  Psych.,  1873,  t.  iv,  p.  244).  —  Zaborowski.  La  mémoire 
et  ses  maladies  [Bull.  Soc.  Anthrop.  de  Paris,  1881,  p.  ol4).  (Voyez  Psychologie,  Mémoire.) 

PIERRE   JANET. 

AMNIOS.  —  L'amnios  (ro  àij.v£îov  ospaa,  ôauivioç  ûaTjv)  est  l'enveloppe  fœtale  la 
plus  interne;  il  forme  une  poche  renfermant  le  liquide  amniotique  dans  lequel  nage 
l'embryon,  puis  le  fœtus.  L'amnios  existe  chez  les  vertébrés  qui  ont  une  allantoïde,  c'est- 
à-dire  les  reptiles,  les  oiseaux  et  les  mammifères. 

L'embryon  des  reptiles  et  des  oiseaux  se  développe  dans  un  œuf  à  enveloppe  résistante 
et  inextensible;  de  plus,  l'œuf  est  placé  dans  un  milieu  sec.  L'embryon  des  mammi- 
fères est  logé  dans  l'utérus  à  parois  épaisses.  Aussi  l'enibryon  de  ces  divers  vertébrés  s'eri- 
toure-t-il  de  membranes  molles,  dont  la  plus  interne  se  remplit  de  liquide.  L'embryon 
se  développe  ainsi  dans  un  milieu  aqueux,  de  sorte  qu'il  se  trouve  dans  des  conditions 
semblables  à  celles  du  poisson  ou  du  batracien  dont  le  premier  développement  se  fait 
dans'l'eau. 

L'histoire  de  l'amnios  est  loin  d'être  complètement  élucidée;  pour  se  rendre  compte 
de  ses  fonctions,  il  est  nécessaire  de  savoir  d'où  il  vient,  comment  il  se  développe, 
comment  il  est  constitué,  et  d'où  provient  le  liquide  contenu  dans  la  cavité  amniotique. 

I.  Origine  et  constitution.  —  L'ovule  fécondé  se  divise  en  une  série  de  segments 
ou  cellules,  formant  d'abord  une  masse  pleine,  mais  peu  à  peu,  elles  s'écartent  du  centre 
et  se  juxtaposent  sur  deux  rangées  en  constituant  une  vésicule  dite  blastodermique. 

Chez  les  mammifères,  que  nous  prendrons  comme  exemple,  les  phénomènes  précé- 
dents ont  lieu  dans  l'oviducte,  et  c'est  dans  cet  état  de  vésicule  visible  à  l'œil  nu  que  l'œuf 
arrive  dans  l'utérus.  Il  est  alors  constitué  :  1°  par  une  rangée  extérieure  de  cellules  cubi- 
ques, formant  le  feuillet  extérieur  ou  ectodcrme;  2°  par  une  rangée  intérieure  de  cellules 
larges  ou  aplaties,  feuillet  intérieur  ou  endoderme. 

1.  Ribot.  Op.  cit., -p.  94. 


AMNIOS. 


437 


Peu  à  peu  on  voit  se  former  un  épaississement  sur  un  point  de  la  vésicule  blastoder- 
mique.  Le  schéma  37  représente  une  coupe  transversale  de  la  vésicule  blastodermique 
dans  l'intérieur  de  l'utérus  (U)  :  à  l'équateur  de  la  vésicule, 
on  aperçoit  un  point  plus  sombre  (E)  résultant  d'une  mul- 
tiplication cellulaire  plus  active  à  cet  endroit.  Ce  point 
épaissi  est  l'ébauche  du  futur  être,  c'est-à-dire  la  tache 
embryonnaire.  Nous  n'avons  pas  à  suivre  ici  la  façon  dont 
se  fait  cet  épaississement  :  constatons  seulement  qu'il  est 
dû  à  des  éléments  venant  des  feuillets  primitifs  et  allant 
s'interposer  entre  eux  pour  constituer  un  feuillet  moyen  ou 
mésoderme.  Pour  ne  pas  compliquer  les  dessins,  on  a  né- 
gligé de  figurer  le  mésoderme. 

La  tache  embryonnaire  n'est  donc  qu'une  partie  de  la 
vésicule  blastodermique  allant  donner  naissance  au  corps 
de  l'embryon  ;  nous  laisserons  de  côté  tout  ce  qui  est  relatif 
au  développement  de  ce  dernier,  et  nous  tâcherons  de  voir 
comment  la  vésicule  blastodermique  évolue  pour  produire 
Vamnios. 

Toute  la  portion  de  l'ectoderme  qui  n'a  pas  pris  part  à 
la  formation  de  l'embryon  continuée  s'accroître;  elle  porte 

le  nom  de  membrane  séreuse  ou  chorion  (C/t).  Quant  à  l'endoderme  qui  n'est  pas  renfermé 
dans  le  corps  de  l'embryon,  il  porte  le  nom  de  sac  vitellin  ou  vésicule  ombilicale  (VO). 


FiG.  37.  —  Sch(!ma  de  la  vésicule 
blastodermique  dans  l'intérieur 
de  Tutérus,  d'après  Mathias 
Ddval. 

U,  utérus  ;  E,  embryon  (coupe 
transversale)  ;  aa,  début  des 
replis  amniotiques  ;  VO,  vési- 
cule ombilicale  .  Ch,  chorion. 


FiG.  39. 


FiG.  41. 


FiG.  38  à  41.  —  Schéma  du  développement  et  de  la  disposition  de  l'amnios  et  de  l'allantoïde  chez  les 
Carnivores,  d'après  Mathias-Duval.  Coupes  transversales,  rtg.  38  et  40  ;  coupes  longitudinales,  fig.  39  et 
41.  L'ectoderme,  l'amnios  et  l'embryon  sont  en  noir;  la  vésicule  ombilicale  est  ombrée  de  lignes  verticales, 
ra.llanto'ide,  de  lignes  horizontales.  On  n'a  pas  représenté  dans  ces  schémas  les  lames  mésodermiques 
correspondantes.  Am,  amnios;  Al,  allantoïde  ;  Om,  vésicule  ombilicale;  U,  utérus;  E,  embryon;  Ch,  cho- 
rion;   CA,    cavité  amniotique;  aa,  crête  des  replis  amniotiques. 


La  flg.  37  montre  que  la  tache  embryonnaire  se  continue  sur  la  périphérie  avec 
le  chorion;  mais,  sur  le  pourtour  même  du  corps  embryonnaire,  la  vésicule  blastodei'- 
mique  subit  un  accroissement  et  une  extension  plus  notables,  qui  se  traduisent  par  des 
plis  (a).  En  suivant  le  développement  de  chacun  de  ces  deux  plis,  on  voit  (fig.  38  et  39), 


.438 


AMNIOS. 


qu'ils  s'allongent  et  enveloppent  peu  à  peu  le  corps  de  l'embryon.  En  aa,  chacun  d'eux 
forme  une  crête  qui  contourne  le  dos  de  l'embryon  et  s'avance  vers  son  congénère. 
Comme  on  le  voit  sur  le  schéma  ces  crêtes  arrivent  au  contact,  et,  après  s'être  soudées, 
elles  constituent  à  l'embryon  une  double  enveloppe  :  1°  une  interne  ou  amnios  {Am)  qui 
délimite  la  cavité  amniotique  (CA)  et  2°  une  externe,  ou  chorion  {Ch)  qui  renferme  aussi 
bien  l'amnios  que  l'embryon  lui  même.  Pour  plus  de  simplicité,  nous  n'avons  examiné 
que  des  coupes  transversales,  c'est-à-dire  que  nous  avons  considéré  seulement  la  façon 
dont  se  comportent  les  plis  amniotiques  sur  les  parties  latérales  de  l'embryon.  On 
donne  le  nom  de  replis  latéraux  à  cette  portion  des  plis  amniotiques.  En  outre,  nous  les 
avons  supposés  formés  d'ectoderme  seulement. 

Il  nous  faut  maintenant  voir  comment  ces  plis  se  comportent  aux  extrémités  céphali- 
que  et  caudale  de  l'embryon  et  comment  le  mésoderme  arrive  à  tapisser  l'ectoderme  des 
plis  amniotiques.  La  fig.  40  montre  que  du  côté  céphalique  le  corps  de  l'embryon  se  con- 
tinue avec  le  reste  de  la  vésicule  blastodemiique  par  un  pli  (pc),  repli  céphalique.  Au 

début,  ce  pli  n'est  formé  que 
,3  par  l'ectoderme  revêtu  d'en- 

"f^  doderme;  il   porte  alors  le 

nom  de  proamnios,  qui,  je  le 
répète,  n'est  que  l'ébauche 
du  repli  céphalique. 

Du  côté  caudal,  un  pli  (p) 
analogue  aux  précédents 
prend  naissance;  c'est  le  pli 
caudal.  La  crête  des  plis  cé- 
phalique et  caudal  s'étend 
et  s'accroît  autour  du  dos  de 
l'embryon,  s'approche  de 
celle  de  son  congénère  et 
délimite  en  avant  et  en  ar- 
rière la  cavité  amniotique, 
comme  l'ont  fait  les  plis  la- 
téraux sur  les  côtés.  Le  point 
(fig.  42,  aa)  où  les  crêtes  de 
ces  plis  se  rencontrent  et  se 
soudent  a  été  appelé  ombilic 
amniotique. 

Nous  avons  vu  que,  sauf 
du  côté  céphalique,  les  re- 
plis amniotiques  sont  dès 
l'origine  accompagnés  par 
le  mésoderme.  Ce  dernier 
feuillet  provient  du  corps  de 
l'embryon  et  ne  tarde  pas  à  suivre  l'extension  de  la  vésicule  blastodemiique.  Le  schéma 
montre  comment  en  c  etp  (là  même  oij  les  replis  céphalique  et  caudal  se  continuent  avec 
le  corps  embryonnaire)  le  mésoderme  extra-embryonnaire  (représenté  par  une  ligne 
pointillée)  se  sépare  en  deux  feuillets  :  l'un  (e)  s'unit  à  l'ectoderme '{feuillet  fibro-cutané 
ou  pariétal)  et  l'autre  (i)  à  l'endoderme  {feuillet  fibro- intestinal  ou  viscéral). 

Dans  l'intervalle  de  ces  deux  feuillets,  apparaît  une  fente,  l'ébauche  de  la  cavité 
qui  circonscrit  l'embryon  :  c'est  le  cœlome  extra-embryonnaire  {-/.olXoixa,  creux)  qu'on  appelle 
externe  par  opposition  au  cœlome  interne  ou  cavité  pleuro-péritonéale. 

L'ectoderme  uni  au  feuillet  pariétal  du  mésoderme  forme  une  membrane  qui  a  reçu 
le  nom  de  somatopleure  (aco[j.a,  corps;  -Xsupà,  flanc).  L'endoderme  et  le  feuillet  viscéral  du 
mésoderme  constituent  une  lame,  dite  splanchnopleure  (a-Xavyov,  viscère). 

La  coupe  longitudinale  et  médiane  (schéma  42)  fait  saisir  d'un  coup  d'oeil  la  produc- 
tion de  ces  capuchons  et  le  mode  de  formation,  non  seulement  de  l'amnios,  mais  encore 
du  chorion.  De  plus,  on  voit  de  qiîoUe  façon  la  splanchnopleure  enveloppe  l'intestin  et 
sa  dépendance  extra-embryonnaire  ou  vésicule  ombilicale. 


Fig.  42. —  Coupe  longitudinale  de  l'embryon  et  des  annexes  embryon- 
naires avec  leurs  lames  mésodermiques  correspondantes. 

E,  embryon;  Al,  allantoïde;  VO,  vésicule  ombilicale;  p  et  ïc,  clivage 
du  mésoderme  extra-embryonnaire  en  deux  feuillets.  Chacun  des 
feuillets  est  représenté  par  une  ligne  pointillée  :  e.  feuillet  fibro- 
cutané  du  mésoderrae;  i,  son  feuillet  tibro-intestinal  ;  Coe,  cœlome; 
pc,  repli  céphalique  ;  Ch,  chorion  ;  Am,  amnios. 


AMNIOS.  i39 

On  a  édifié  bien  des  théories  pour  expliquer  la  formation  de  l'amnios;  les  uns  ont 
pensé  que  le  poids  de  l'embryon  le  fait  descendre  dans  la  vésicule  blastodermique, 
de  sorte  qu'il  s'enveloppe  des  membranes  comme  d'un  manteau.  D'autres  ont  invo- 
qué des  causes  phylogénétiques.  Les  faits  de  développement  comparé  nous  permettent 
de  nous  faire  une  idée  très  exacte  de  l'origine  de  l'amnios.  Lorsque  les  œufs  se  déve- 
loppent dans  l'eau,  comme  c'est  le  cas  des  poissons  et  des  batraciens,  la  vésicule  blasto- 
dermique ne  produit  pas  une  cavité  amniotique  enveloppant  l'embryon.  Quand  par 
contre  les  œufs  évoluent  dans  l'air,  comme  chez  les  reptiles  et  les  oiseaux,  la  vésicule 
blastodermique  produit  des  replis  qui  délimitent  autour  du  corps  de  l'embryon  une 
cavité  se  remplissant  de  liquide.  L'ovule  des  mamnifères  se  greffant  sur  la  muqueuse  du 
muscle  utérin  s'entoure  de  même  d'une  enveloppe  amniotique,  dans  la  cavité  de  laquelle 
s'accumule  du  liquide.  En  un  mot,  l'embryon  doit  être  suspendu  dans  un  milieu  liquide 
pour  se  développer  d'une  façon  complète.  Les  invertébrés  eux-mêmes  n'échappent  pas  à 
cette  nécessité  physiologique  :  les  œufs  des  insectes,  par  exemple,  qui  se  développent 
dans  l'air,  se  recouvrent  d'une  enveloppe  analogue,  qui  est  une  dépendance  de  la  région 
superficielle  du  corps. 

En  comparant  l'ensemble  des  faits,  on  voit  que  c'est  la  vésicule  blastodermique  ou  le 
corps  embryonnaire  lui-même  qui  végète  de  façon  à  développer  l'enveloppe  amniotique. 
Ce  développement  a  lieu  d'après  un  mécanisme  semblable  à  celui  qui  préside  à  la  for- 
mation du  système  nerveux,  du  cristallin  et  des  glandes  :  c'est  une  proliféruticn  cellulaire, 
localisée,  aboutissant  à  l'établissement  d'une  membrane. 

Avant  de  considérer  la  structure  et  les  fonctions  de  l'amnios,  rappelons  les  rapports 
d'une  autre  vésicule  qui  prend  naissance  sous  la  forme  d'une  évagination  ou  d'un  bour- 
geon, à  la  partie  postérieure  de  l'intestin.  Cette  vésicule  appelée  allantuide  s'insinue  et 
s'étend,  dans  la  cavité  séreuse  ou  cœlome  externe,  entre  le  chorion  et  la  vésicule  ombi- 
licale (Voy.  Allantoïde,  p.  382). 

Tel  est  l'ensemble  des  annexes  embryonnaires  des  vertébrés  supérieurs  (mammifères, 
oiseaux,  reptiles)  qui  ont  reçu  pour  ce  motif  le  nom  d! amniotiques  ou  d'allantoîdiens. 
Galien  imposa  le  premier  le  nom  de  chorion  à  l'enveloppe  extérieure  et  générale  qu'il 
vit  autour  de  l'œuf  des  ruminants;  il  décrivit  l'enveloppe  plus  interne  et  particulière  au 
fœtus  sous  le  nom  d'amnios;  enfin,  il  appela  allantoïde  la  troisième  membrane  qui 
affecte  la  forme  d'un  intestin,  qui  se  trouve  entre  le  chorion  et  l'amnios  et  qui  commu- 
nique avec  la  vessie  par  l'ouraque. 

Bien  plus  tard,  vers  1667,  Gauthier  Needham  découvrit  une  autre  annexe  fœtale  chez 
les  mammifères;  c'est  un  prolongement  extra-embryonnaire  de  l'intestin  formant  la 
vésicule  ombilicale.  Après  avoir  démontré  l'existence  de  cet  organe  embryonnaire, 
cet  auteur  établit  son  analogie  avec  la  vésicule  du  jaune  de  l'œuf  de  l'oiseau. 

L'amnios  représente  ainsi  une  membrane  qui  tapisse  la  face  interne  du  chorion  et 
qui  se  continue  avec  la  substance  propre  du  cordon  ombilical  (VO)  ainsi  qu'avec  l'épilhé- 
lium  qui  revêt  ce  dernier.  L'amnios  est  formé  d'une  couche  mince  de  tissu  conjonctif,  de 
la  variété  dite  muqueuse.  Ce  tissu  est  constitué^par  de  grandes  cellules  conjonctives  éloilées, 
qui  sont  rangées  en  deux  on  trois  séries;  elles  présentent  des  prolongements  qui  s'anas- 
tomosent. Chez  les  oiseaux,  on  y  trouve  de  plus  des  cellules  musculaires  lisses,  contrac- 
tiles (Voir  plus  loin). 

Du  côté  de  la  cavité  amniotique,  le  tissu  conjonctif  de  l'amnios  est  tapissé  par  un 
revêtement  épithélial,  formé  d'une  seule  assise  de  cellules  cubiques,  chacune  munie  d'un 
beau  noyau.  Fait  intéressant  :  l'amnios  est  privé  de  vaisseaux  sanguins. 

II.  Liquide  amniotique.  —  D'abord  exactement  appliqué  sur  le  corps  de  l'em- 
bryon, l'amnios  s'en  éloigne  progressivement,  parce  qu'un  liquide  se  dépose  dans  sa 
cavité.  La  quantité  de  liquide  amniotique  est  variable,  non  seulement  selon  l'espèce  ani- 
male, mais  encore  selon  l'époque  de  la  gestation.  Chez  les  fœtus  humains,  elle  est 
vers  la  fin  de  la  gestation  de  680  centimètres  cubes,  selon  H.  Fehling;  de  821  grammes 
selon  F.  Levison;  de  17S0  grammes  selon  Gassner. 

Les  fœtus  de  mammifères  quadrupèdes  présentent  des  quantités  variables  de  liquide 
amniotique  :  la  brebis  en  a  beaucoup;  le  cobaye,  peu. 

Le  liquide  amniotique  est  généralement  trouble,  jaunâtre,  et  même  brunâtre  :  il 
abandonne  à  la  longue  un  dépôt  formé  de  flocons  blancs.  Il  présente  une  odeur  fade,  une 


m)  AMNIOS. 

saveur  faiblement  salée,  une  réaction  neutre  ou  faiblement  alcaline,  et  une  densité 
variant  entre  1,002  et  1,028.  On  y  distingue,  à  l'aide  du  microscope,  des  amas  de  mucus 
et  des  débris  d'épilhéliums  pavimenteux  et  vibratile  (Gorup-Besanez). 

Le  liquide  amniotique  renferme  essentiellement  de  l'eau  (988  sur  1  000),  des  matières 
minérales  (6  sur  1000),  des  matières  alburainoïdes  (6  sur  1000,  consistant  en  albumine, 
vitelline,  mucine)  et  des  proportions  variables  d'urée,  d'allantoïne,  etc. 

L'urée  apparaît  dans  le  liquide  de  l'amnios  au  bout  du  sixième  mois  de  la  gestation 
(Gorup-Besanez). 

III.  Usages  du  liquide  amniotique.  —  «  Dilater,  dit  Roux  [Anat.  de  Bichat), 
l'utérus  plus  uniformément  que  ne  le  feraient  les  parties  inégales  du  corps  du  foetus; 
empêcher  que  celui-ci,  par  ses  mouvements,  ne  heurte  trop  violemment  contre  les  parois 
de  la  matrice;  assurer  sous  quelques  rapports  sa  conservation  en  l'éloignant  des  corps 
extérieurs;  favoriser  son  développement  en  offrant  moins  de  résistance  que  les  parois  de 
l'utérus;  enfin  faciliter  l'accouchement  en  opérant  la  dilatation  du  col  :  tels  sont  les 
usages  des  eaux  de  l'amnios  considérées  comme  simple  liquide.  » 

«  On  a  cru,  continue  Roux,  que  les  eaux  de  l'amnios  serviraient  à  la  nutrition  du  foetus 
par  suite  de  leur  intromission  directe  donc  les  voies  digestives.  » 

Dans  ces  dernières  années,  Ahlfeld  a  tenté  de  soutenir  cette  dernière  opinion,  c'est- 
à-dire  que  les  eaux  de  l'amnios  servent  à  la  nuti-ition  du  fœtus.  En  effet,  vers  la  fin  de 
la  gestation  le  fœtus  avale  une  forte  quantité  de  liquide  amniotique.  Ce  fait  est  démontré 
par  la  présence  des  poils  du  duvet  et  des  cellules  épithéliales  qu'on  trouve  dans  le  méco- 
nium.  Mais  il  est  peu  probable  que  les  eaux  de  l'amnios  soient  l'une  des  bases  de 
l'alimentation  fœtale. 

En  résumé,  le  liquide  amniotique  est  le  milieu  phy.sique  dans  lequel  vit  l'embryon 
des  reptiles,  des  oiseaux  et  des  mammifères.  Les  embryons  de  reptiles  et  d'oiseaux 
tirent  leurs  principes  nutritifs  des  matériaux  accumulés  dans  l'œuf  et  l'oxygène  de  l'air 
extérieur;  les  embryons  de  mammifères  empruntent  les  éléments  nutritifs  au  sang  de 
la  mère,  pendant  que  le  liquide  amniotique  leur  constitue  un  milieu  extérieur  de  sus- 
pension. 

Dareste  a  montré  expérimentalement  l'importance  du  liquide  amniotique  sur  le 
développement.  Chez  le  poulet,  les  adhérences  de  l'amnios,  le  défaut,  ou  du  moins  la 
diminution  considérable  du  liquide  amniotique,  amènent  des  arrêts  de  développement, 
ou  la  production  de  monstruosités.  L'ainnios  reste  appliqué  sur  le  corps  de  l'embryon, 
au  lieu  de  s'en  écarter;  il  comprime  ainsi  des  régions  plus  ou  moins  étendues  du  corps. 
Cruveilhier  avait  déjà  remarqué  que] la  pression  extérieure  provoquait  des  monstruo- 
sités simples  (Voy.  Tératologie). 

Les  anomalies  dans  la  formation  de  l'amnios  aboutissent  à  des  résultats  identiques. 
L'embryon  peut  se  former  dans  ces  conditions  et  même  atteindre  un  certain  degré  de 
développement.  Il  est  probable,  toutefois,  que  l'embryon  ainsi  privé  d'enveloppes  ne 
peut  atteindre  le  terme  de  l'évolution,  parce  que  l'absence  de  l'amnios  s'oppose  au  déve- 
loppement de  l'allantoïde. 

Le  défaut  de  formation  ou  l'arrêt  de  développement  de  l'aminos  est  la  cause  qui 
détermine,  dans  le  plus  grand  nombre  des  cas,  la  production  de  monstruosité  simples. 
l'V.    Contractilité   du    sac   amniotique.   — •   L'embryon   n'est    pas    inerte     dans 
l'intérieur  de  la  cavité  amniotique. 

Dès  1651,  Harvey  avait  remarqué  que  le  poulet  exécutait  des  mouvements  dans  l'œuf, 
à  partir  du  sixième  jour  d'incubation. 

VoN  Baer  constata,  en  1828,  que  les  contractions  de  l'amnios  faisaient  faire  des  mou- 
vements d'ensemble  au  corps  embryonnaire.  En  piquant  l'amnios  avec  une  aiguille,  il 
provoqua  de  nouveaux  mouvements.  En  1834,  REMAKConfirma  ces  observations,  et  l'étude 
microscopique  lui  montra  la  présence  défibres  musculaires  lisses  dans  laparoi  de  l'amnios. 
Remak  crut  que  l'ouverture  de  l'œuf  et  l'accès  de  l'air,  en  excitant  les  fibres  muscu- 
laires, étaient  le  point  de  départ  de  ces  contractions. 

VuLPiAN,  dès  1837,  constata,  par  le  mirage,  que  l'embryon  exécute  des  mouvements 
dans  l'œuf  intact  (non  ouvert)  et  il  les  attribua  aux  contractions  de  l'amnios. 

Mathias-Doval  (1880)  répéta  ces  observations  sur  les  œufs  intacts  des  petits  oiseaux 
)rossignols,  fauvettes).  Grâce  à  la  grande  transparence  de  ces  petits  œufs,  il  a  pu  voir, 


AMNIOS.  441 

plus  nettement  que  sur  les  œufs  de  poule,  les  oscillations  rythmiques  que  l'amnios 
imprime  au  corps  de  l'embryon.  Ces  contractions  sont  donc  bien  décidément  un  fait 
physiologique;  elles  représentent  une  fonction  de  i'amnios;  elles  sont  dues  à  des  libres 
musculaires  lisses  qui  se  trouvent  dans  la  couche  fibreuse  de  I'amnios. 

KôLLiKER  (1861),  puis  Mathias-Duval,  ont  décrit  avec  soin  les  fibres  lisses  de 
I'amnios  du  poulet  :  elles  forment  une  seule  et  mince  couche  qu'on  pourrait  appeler 
une  sorte  d'épithélium  musculaire  ;  les  fibres-cellules  y  sont  régulièrement  disposées 
comme  les  éléments  d'un  épithélium  pavimenteux  simple.  L'excitation  électrique  appli- 
quée à  ces  éléments  détermine  leur  contraction.  Vu  la  disposition  de  ces  cellules  con- 
tractiles sur  une  couche  simple,  il  est  facile  d'y  rechercher  s'il  existe  des  éléments 
nerveux.  Or  Mathias-Duval  en  y  appliquant  le  procédé  du  chlorure  d'or  n'y  a  pas 
trouvé  trace  de  fibre  nerveuse.  E,xiste-t-il  également  des  fibres  musculaires  lisses  dans 
I'amnios  des  mammifères?  «  Malgré  les  recherches  les  plus  attentives,  continue  Mathias- 
Duval,  on  ne  peut  trouver,  de  fibres  musculaires  lisses  dans  I'amnios  des  mammifères, 
alors  qu'il  est  si  facile  de  les  constater  sur  I'amnios  des  oiseaux.  Il  est  sans  doute 
permis  d'en  inférer  que,  si  l'embryon  en  voie  de  développement  a  besoin  d'être  soumis 
à  certains  déplacements  rythmiques  dans  les  eaux  de  I'amnios,  chez  les  mammifères, 
les  contractions  des  parois  abdominales  de  la  mère,  ses  mouvements  respiratoires, 
doivent  suffire  pour  produire  des  compressions  alternatives  de  fout  l'œuf,  et,  par  suite, 
les  déplacements  du  fœtus  dans  le  liquide  amniotique;  il  semble  donc  inutile  qu'il  y  ait 
une  contractilité  propre  à  I'amnios.  Dans  l'œuf  d'oiseau,  au  contraire,  entouré  d'une 
coque  solide,  on  conçoit  que  les  mouvements  ne  peuvent  être  imprimés  au  liquide  ren- 
fermé dans  les  membranes  que  par  la  contraction  de  ses  membranes  elles-mêmes.  » 

V.  Origine  du  liquide  amniotique.  —  H  n'est  pas  de  théorie,  dit  Bar  (Recherches 
pour  servir  à  l'histoire  de  l'hydramnios.  Paris,  1881),  qui  n'ait  été  proposée  touchant  l'ori- 
gine du  liquide  amniotique. 

Les  uns  considèrent  les  eaux  de  I'amnios  comme  produites  par  le  fœtus,  les  autres 
leur  attribuent  une  origine  maternelle. 

A.  Le  liquide  amniotique  doit  son  origine  au  fœtus  ou  à  ses  annexes.  —  Les  embryons 
des  oiseaux  et  des  reptiles,  bien  que  se  développant  loin  de  la  mère,  possèdent  une  cavité 
amniotique  remplie  de  liquide.  Ce  fait  prouve  d'une  façon  péremptoire  que  les  eaux  de 
I'amnios  sont  chez  ces  animaux  d'origine  fœtale  et  non  maternelle.  Il  est  infiniment 
probable  que  chez  les  mammifères  les  premières  portions  du  liquide  amniotique  se 
produisent  d'une  façon  identique. 

Mais,  ce  fait  capital  une  fois  admis,  quels  sont  les  organes  qui  donnent  naissance 
à  ce  liquide?  Serait-il  dû  à  la  sécrétion  urinaire  et  à  l'excrétion  de  l'urine  dans  la 
cavité  de  I'amnios?  La  peau  de  l'embryon  laisserait-elle  exsuder  la  partie  liquide  du 
plasma  sanguin,  ou  bien  les  eaux  de  I'amnios  représenteraient-elles  le  résultat  de  la 
sudation  embryonnaire.  D'autre  part,  les  annexes  embryonnaires  (chorion,  allanloïde 
ou  amnios)  concourraient-elles  à  sécréter  le  liquide  amniotique? 

1°  Le  liquide  amniotique  contient  de  l'urée.  —  Celle-ci  peut  provenir  du  fœtus.  En 
effet,  les  embryons  possèdent  un  corps  de  Wolff,  de  structure  semblable  à  celle  du  rein 
permanent.  Les  glomérules  de  Malpighi  et  les  tubes  urinifères  du  corps  de  Wolff  doi- 
vent fonctionner  comme  ceux  du  rein  définitif  et  déverser  leur  contenu  dans  le  sinus 
urogénital,  et  de  là  dans  l'allantoide,  d'où  le  liquide  urinaire  diffuse  et  passe  dans  la 
cavité  amniotique.  Plus  tard,  le  rein  définitif  du  fœtus  est  constitué,  et  il  est  capable  de 
fonctionner  de  même. 

L'expérience  corrobore  ces  conclusions.  En  injectant,  comme  l'a  fait  Bar,  une  subs- 
tance liquide  absorbable  et  diffusible  dans  la  circulation  fœtale,  on  la  retrouve,  au  bout 
d'une  dizaine  de  minutes,  dans  l'urine.  C'est  là  une  preuve  que  les  reins  sécrètent  avec 
une  activité  comparable  à  celle  des  glandes  rénales  chez  l'adulte. 

2°  Lu  peau  du  fœtus  fournirait  une  partie  du  liquide  amniotique.  —  Galien  attribuait 
une  pareille  origine  aux  eaux  de  I'amnios.  Scherer  {18o2),  Sch.atz  (1874)  et  d'autres 
continuent  à  soutenir  cette  opinion.  Aujourd'hui  encore  Bonnet  admet  que  les  vaisseaux 
si  abondants  qui  parcourent  la  peau  des  embryons  laissent  exsuder  le  premier  liquide 
amniotique.  Grâce  au  mince  épiderme  qui  revêt  la  peau  embryonnaire,  la  transsudation 
se  ferait  aisément. 


44.2  AMNIOS. 

B.  Le  liquide  amniotique  proviendrait  des  annexes  fœtales.  —  Les  uns  pensent  que  le 
revêtement  épithélial  de  la  membrane  amniotique  sécre'terait  les  eaux  de  l'amnios  ; 
d'autres,  et  Bonnet  en  particulier,  admettent  que  l'allantoïde,  si  vasculaire,  qui  enve- 
loppe de  tous  côtés  l'amnios,  fournirait  une  nouvelle  quantité  de  liquide  s'ajoutant  aux 
eaux  sécrétées  primitivement  par  la  peau  embryonnaire. 

D'autres  encore  avancent  que  les  gros  vaisseaux  ombilicaux  (artères  et  veine),  au 
moment  où  ils  traversent  la  cavité  amniotique,  laissent  transsuder  une  partie  du  plasma 
sanguin.  Salu.nger  (1873)  puis  Bar  (1881)  ont  fait  un  certain  nombre  d'expériences  qui 
démontrent  la  réalité  de  cette  transsudation.  En  injectant  une  solution  de  ferrocyanure 
de  potassium,  par  exemple,  dans  la  veine  ombilicale,  on  voit,  au  bout  d'une  dizaine  de 
minutes,  le  liquide  suinter  à  la  surface  du  cordon  et  de  la  partie  de  l'amnios  qui  cor- 
respond au  placenta.  Ce  liquide  est  bien  du  ferrocyanure  de  potassium,  puisqu'il  pro- 
duit une  coloration  bleue  au  contact  du  perchlorure  de  fer. 

En  résumé,  il  est  hors  de  doute  que,  chez  les  oiseaux  et  les  reptiles,  le  liquide  amnio- 
tique tire  son  origine  du  fœtus.  Il  est  probable  qu'il  en  est  de  même  chez  les  embryons 
et  les  fœtus  de  mammifères.  Quant  à  la  part  que  prennent  à  sa  formation  les  reins  pri- 
mitifs ou  définitifs,  la  peau  (vaisseaux  et  glandes  sudoripares),  les  vaisseaux  de  l'allan- 
toïde ou  du  placenta,  il  est  impossible  de  la  déterminer  exactement.  Ces  divers  organes 
contribuent  probablement  dans  une  certaine  mesure  à  produire  une  portion  plus  ou 
moins  variable  des  eaux  amniotiques. 

L'anatomie  comparée  établit  un  fait  indiscutable  ;  c'est  que  les  eaux  de  l'amnios  sont 
d'origine  fœtale.  Mais  chez  les  mammifères  peut-il  s'établir  des  échanges  entre  le  liquide 
amniotique  une  fois  formé  et  l'organisme  maternel?  Pour  montrer  qu'il  en  est  ainsi, 
Wiener  (1881),  puis  Bar  {loc.  cit.,  p.  73)  injectèrent  dans  les  vaisseaux  veineux  de  la 
mère  une  substance  qu'ils  retrouvèrent  dans  le  liquide  amniotique.  Lorsqu'on  injecte 
une  solution  de  ferrocyanure  de  potassium,  par  exemple,  dans  la  veine  jugulaire  d'une 
lapine  pleine,  on  voit  se  produire  la  réaction  bleue,  lorsqu'au  bout  de  2o  minutes  on 
ajoute  du  perchlorure  de  fer  au  liquide  amniotique.  Or  le  ferrocyanure  n'a  pas  passé 
par  le  corps  de  l'embryon,  puisque  les  reins  de  ce  dernier  ne  donnaient  pas  la  réaction 
caractéristique. 

Ad.  Torngren  [Comptes  r(^ndus  de  la  Société  de  Biologie,  9  juin  1888)  a  montré  que 
c'est  le  placenta  ou  les  membranes  qui  opèrent  cet  échange  entre  les  matériaux  conte- 
nus dans  la  cavité  amniotique  et  ceux  qui  se  trouvent  dans  les  vaisseaux  maternels. 

Plus  récemment,  le  même  auteur  {Biologiska  Forenningens  Fôrhandlinqar,  1888-1889, 
p.  66)  a  repris  l'étude  de  cette  question  en  se  demandant  si,  une  fois  formé,  le  liquide 
amniotique  reste  définitivement  enfermé  dans  l'œuf,  ou  bien  s'il  y  a  une  certaine  résorp- 
tion à  la  surface  de  l'amnios,  ou  une  absorption  par  le  fœtus. 

En  ouvrant  la  cavité  abdominale  et  la  corne  utérine  des  lapins  à  la  fin  de  la  gestation, 
Torngren  a  pu  lier  le  cordon  ombilical.  Après  avoir  fermé  la  plaie,  il  injecta  une  solu- 
tion d'iodure  de  potassium,  soit  dans  la  cavité  amniotique,  soit  sous  la  peau  de  la  mère. 
Il  rechercha  ensuite  l'iode,  soit  chez  la  mère,  soit  dans  le  liquide  amniotique. 

Ces  expériences  ont  donné  le  résultat  suivant  :  Une  suppression  de  la  circulation  dans 
le  cordon  ombilical  et  les  autres  annexes  du  fœtus  altère  les  échanges  entre  les  matériaux 
du  liquide  amniotique  et  ceux  du  sang  maternel. 

Dans  les  expériences  oîi  il  injecta  la  solution  d'iodure  de  potassium  sous  la  peau  de 
la  mère,  le  liquide  amniotique  n'en  renferma  point,  quand  le  cordon  avait  été  lié. 
Lorsque  le  cordon  n'est  pas  lié,  l'iodure  passe  alors  dans  le  liquide  amniotique.  11  fit 
d'autres  expériences  où  il  injecta  la  solution  d'iodure  de  potassium  dans  la  cavité 
amniotique  (après  ligature  préalable  du  cordon),  mais  ne  put  jamais  trouver  trace 
d'iode  ni  chez  la  mère,  ni  dans  les  autres  œufs.  De  même  le  placenta  de  l'œuf  injecté  ne 
contenait  pas  trace  d'iode. 

GassEROw  confirme  les  résultats  précédents.  Il  a  fait  dix  expériences,  avec  injection 
de  strychnine  dans  la  cavité  amniotique.  Trois  fois  les  mères  ont  été  prises  de  con- 
vulsions et  ont  péri.  Sept  fois  les  mères  sont  restées  vivantes,  de  40  à  4o  minutes  après 
l'injection.  Mais,  les  trois  fois  où  les  mères  eurent  des  convulsions,  les  petits  furent 
trouvés  vivants  dans  l'utérus,  tandis  que,  dans  les  sept  cas  où  les  mères  restèrent  vivan- 
tes, les  petits  furent  trouvés  morts  à  l'ouverture  de  l'utérus. 


AMUSIE.  U3 

Il  y  a,  par  conséquent,  échanges,  durant  la  gestation,  entre  le  liquide  amniotique 
et  les  vaisseaux  maternels. 

ÉD.  RETTERER. 

AMUSIE-  —  Le  terme  général  Amusie  a  été  récemment  introduit  dans  la  no- 
menclature médicale  pour  servir  à  désigner  certains  troubles  de  la  faculté  jnusicale,  qui 
paraissent  correspondre  à  ceux  de  la  faculté  du  langage,  connus  sous  le  nom  d'aphasie, 
auxquels  ils  sont  du  reste  associés  le  plus  souvent.  Au  surplus,  la  musique  semble  recon- 
naître la  même  origine  que  la  parole,  car  leur  fond  est  évidemment  tiré,  pour  l'une  et 
pour  l'autre,  du  langage  émotionnel  primitif.  De  même  que,  selon  la  doctrine  de  Chabcot, 
le  mot  est  un  complexus  à  la  formation  duquel  concourent  quatre  éléments  :  la  mémoire 
auditive,  la  visuelle,  la  motrice  d'articulation  et  la  motrice  graphique;  de  même  aussi  la 
note  de  musique  est-elle  parallèlement  un  composé  d'éléments  analogues  |à  ceux  du 
mot  articulé.  Il  est  aisé  en  effet  de  concevoir,  que  la  note  peut  être  entendue,  lue,  chantée 
et  écriïe  mentalement,  mais  i!  existe  ici  déplus  des  représentations  mémoratives  du  jeu 
des  instruments.  Si  l'on  poursuit  ce  parallèle  au  point  de  vue  du  mode  de  formation  de 
ces  diverses  fonctions,  on  voit  que,  dans  les  deux  cas,  ce  sont  également  les  images  audi- 
tives qui  se  sont  formées  en  premier  lieu  :  c'est  sous  leur  influence  que  se  sont  différen- 
ciées ensuite,  en  ce  qui  concerne  la  musique,  les  images  motrices  articulatoires  du  chant. 
Ces  deux  variétés  pourront  du  reste  exister  seules  sur  les  sujets  non  éduqués.  La  lecture 
et  l'écriture  de  la  musique,  le  jeu  des  instruments  s'acquerront,  par  des  études  par- 
ticulières, plus  ou  moins  longtemps  poursuivies,  et  ainsi  serait  déterminée  à  la  longue 
l'existence  de  centres  fonctionnels  correspondants,  dont  les  manifestations  intérieures 
seront  d'autant  plus  importantes,  que  l'éducation  qui  aura  présidé  à  leur  acquisition 
aura  été  plus  complète. 

A  cet  égard,  si,  tout  au  début,  et  comme  pour  le  langage  verbal,  il  existe  une  dépen- 
dance incontestable  entre  les  centres  sensoriels  et  les  centres  moteurs,  si  même  le  jeu  des 
instruments  apparaît  comme  un  dernier  perfectionnement,  il  n'en  est  pas  moins  vrai, 
ainsi  qu'on  le  verra,  que  chacun  de  ces  centres  ne  tarde  pas  à  acquérir  une  autonomie 
relative.  La  connaissance  du  symbole  graphique  ne  précède  pas  non  plus,  en  tous  les 
cas,  celle  des  mouvements  nécessaires  au  jeu  des  instruments.  Il  est  en  effet,  comme  on 
sait, des  musiciens  qui  sont  aptes  à  jouer,  plus  ou  moins  brillamment, divers  instruments, 
le  violon,  par  exemple,  sans  avoir  aucune  connaissance  des  notes  de  musique;  à  mon 
avis  on  peut  les  comparer  à  ces  calculateurs  prodiges,  qui  néanmoins  ne  savent  ni 
lire,  ni  écrire  les  chiffres. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  images  auditives  jouent  un  rôle  prédominant  dans  l'organisa- 
tion des  centres  de  la  musique  :  elles  sont  même  à  ce  point  spéciflques  qu'il  n'est  guère  de 
musiciens  qui  se  servent  de  leurs  autres  souvenirs,  sinon  à  titre  complémentaire.  Pour 
ce  qui  est  du  langage  verbal,  les  images  auditives  ont  également  la  prépondérance; 
aussi  certains  auteurs  ont-ils  pu  se  demander  si  les  images  des  sons  musicaux  ne 
.s'acquerraient  pas  avant  celles  des  mots,  faisant  observer,  à  l'appui  de  leur  conception, 
que  bon  nombre  d'enfants  chantent  avant  de  savoir  parler.  Toutefois,  à  l'encontre  de 
cette  opinion  on  peut  faire  valoir  que  chez  quelques-uns  d'entre  eux  les  centres  auditifs 
relatifs  à  la  musique  ne  fonctionnent  que  très  tardivement,  pour  ne  pas  dire  jamais. 
Cette  question  de  l'époque  d'acquisition  des  images  auditives  musicales  et  verbales 
aurait  une  certaine  importance  ;car,  en  se  fondant  sur  la  loi  de  régression  d'après  laquelle, 
dans  l'amnésie,  la  désagrégation  des  souvenirs  se  fait  successivement,  des  impressions 
les  plus  récemment  acquises  aux  plus  anciennes,  et  en  admettant  l'invariabilité  de  cette 
succession  dans  la  formation  des  images,  on  en  conclurait,  les  musicales  étant  plus 
anciennes  que  les  verbales,  que  la  surdité  verbale  précède,  en  tous  cas,  la  surdité 
musicale,  et  que  celle-ci  dès  lors  ne  serait  plus  susceptible  d'exister  isolément.  Or 
certains  faits  pathologiques  ont  établi,  contradictoirement,  la  réalité  de  la  perte  isolée 
de  l'audition  musicale,  sans  surdité   verbale. 

Il  nous  paraît  intéressant  de  remarquer,  plus  précisément  en  ce  qui  concerne  la  mu- 
sique, que  les  images  auditives  ne  sont  jamais  purement  sensorielles,  en  ce  sens  qu'à  leurs 
éléments  composants,  auditifs  essentiels,  s'agrègent  toujours,  et  pour  une  part  importante, 
parfois  même  prépondérante,  des  éléments  de  sensibilité  musculaire,  provenant  du  jeu. 


iU  AMUSIE. 

associé  et  nécessaire  des  muscles  de  l'oreille  moj'enne  dans  l'audition.  C'est  surtout  dans 
l'appréciation  de  la  direction  et  de  l'iatensité  des  sons,  de  la  rapidité  de  leur  succession, 
que  nous  renseigneraient  ces  sensations  musculaires.  Aussi,  nous  a-t-il  semblé  permis 
de  préjuger  que  les  centres  spéciaux  de  ces  éléments  kinesthésiques,  si  particuliers,  delà 
sensation  auditive  pourraient  être  altérés  isolément,  parallèlement  à  ce  qui  se  passe, 
comme  nous  avons  contribué  à  le  montrer,  en  ce  qui  concerne  les  centres  analogues 
du  langage  verbal,  où  cette  sorte  de  dissociation  a  pu  être, constatée. 

Le  rôle  des  images  visuelles  dans  le  langage  musical  intérieur  ne  peut  offrir  d'intérêt 
que  chez  des  musiciens  pour  lesquels  la  lecture  de  la  musique  (avec  tout  ce  qu'elle 
suppose  de  compréhension)  est  devenue  courante.  Dans  les  cas  de  ce  genre  eux-mêmes, 
on  observe  rarement  que  les  sujets  aient  la  faculté  de  se  remémorer  isolément  leurs 
images  visuelles.  Toutefois  on  connaît  le  cas  d'un  jeune  chef  d'orchestre  qui  dirigeait 
l'exécution  de  ses  partitions,  soit  de  mémoire,  soit  en  lisant  mentalement. 

De  beaucoup  plus  importantes  sont  les  images  motrices,  dn  moins  celles  qui  se  rappor- 
tent au  chant,  et  au  jeu  des  instruments.  En  effet,  en  ce  qui  concerne  les  images 
motrices  graphiques  (écriture  des  notes  de  musique),  il  n'existe  pas  de  cas,  jusqu'ici,  où 
leurs  représentations  mentales  aient  été  affectées  seules.  Le  fait  est  bien  connu  du 
musicien  qui  ne  parvient  à  se  remémorer  un  air  qu'en  le  fredonnant,  ou  en  jouant  de 
son  instrument  ordlnaii-e.  Il  a  recours,  dans  ce  cas,  à  sa  mémoire  motrice,  comme  bon 
nombre  d'entre  nous,  qui,  comme  on  le  sait,  ne  parvenons  à  retrouver  l'orthographe 
exacte  d'un  nom  qui  nous  a  échappé,  qu'en  l'écrivant.  Certains  musiciens  sont  même  de 
véritables  moteurs,  en  ce  sens  qu'ils  n'arrivent  à  se  rappeler  un  motif  que  s'ils  le 
chantent  intérieurement,  ou  se  le  remémorent  en  exécutant  les  mouvements  nécessaires 
à  son  exécution  instrumentale.  Ces  exemples  montrent  bien  que  les  mouvements  coor- 
donnés pour  le  chant,  de  même  que  ceux  qu'exige  le  jeu  des  instruments  de  musique 
variés,  dépendent  probablement  de  centres  également  distincts  et  spécialisés.  Toutefois, 
si  ces  seules  considérations  d'ordre  physiologique  paraissaient  insuffisantes  pour  cette 
démonstration,  on  pourrait  faire  valoir  à  l'appui  les  observations  pathologiques  de  cas 
caractérisés  par  l'existence  isolée  de  chacun  de  ces  troubles,  observations  où  se  trouvent 
réalisées  les  preuves  cliniques  de  cette  conception.  La  différenciation  de  ces  centres  de 
la  musique  a  été  même  poussée  plus  loin  encore,  et  on  a  pu  isoler  des  images  purement 
motrices  particulières,  relatives  au  chant  et  au  jeu  des  instruments,  un  de  leurs  éléments, 
commun  à  tous  deux,  celui  qui  correspond  au  rythme.  Il  est  arrivé  en  effet  que  la  com- 
préhension du  rythme  seul  fut  conservée  chez  des  malades  devenus  incapables,  soit  de 
se  représenter  la  valeur  des  sons,  soit  de  les  reproduire. 

Nous  venons  d'établir  quelles  étaient  les  composantes  essentielles,  pourrait-on  dire, 
de  la  faculté  musicale,  en  dissociant  celle-ci  en  des  éléments  moteurs  et  sensoriels, 
parallèles  à  ceux  qui  constituent  le  langage  parlé.  Il  est  aisé  de  concevoir  que  la  lésion 
de  l'un  ou  l'autre  des  centres  correspondant  dans  le  cerveau  à  ces  fonctions  relativement 
distinctes,  sera  susceptible  d'entraîner  une  forme  simple  de  l'amusie.  C'est  ainsi  qu'on 
a  pu  observer  chez  les  malades  de  ces  catégories,  ou  amusiques,  d'une  part  de  l'amusie. 
réceptive  ou  sensorielle,  soit  auditive  (impossibilité  pour  un  musicien  de  comprendre  à 
l'audition  la  signification  des  airs  de  musique)  soit  visuelle  (incapacité  pour  un  musicien 
de  lire  la  musique,  avec  conservation  de  la  lecture  des  caractères  typographiques):  d'autre 
part,  de  l'amusie  expressive  ou  motrice,  se  révélant  sous  diverses  formes.  Chez  ces  der- 
niers, il  s'agit  tantôt  d'amusie  motiùce  vraie  (impossibilité  de  chanter),  tantôt  d'amusie 
musicale  (impossibilité  déjouer  d'un  instrument). 

Néanmoins  ces  cas  simples  sont  des  plus  rares  dans  la  réalité  :  le  plus  ordinairement 
ce  sont  des  amusies  complexes  ou  totales  qui  se  rencontrent.  Le  sujet  est  devenu,  par 
exemple,  non  seulement  incapable  de  comprendre  la  musique  entendue,  mais  encore  il 
a  perdu  en  même  temps  la  faculté  de  chanter  et  de  jouer  de  son  instrument. 

De  plus,  ces  troubles  de  la  faculté  musicale  coexistent  très  fréquemment  avec  ceux 
de  la  faculté  du  langage  parlé,  avec  l'aphasie,  ce  qui  montre  bien  les  relations  étroites 
qui  unissent  entre  eux  les  centres  de  ces  deux  fonctions.  Au  surplus  ces  rapports,  sur 
lesquels  seuls  on  a  pu  se  baser  jusqu'ici  pour  admettre  la  proximité  anatomique  des 
sièges  des  uns  et  des  autres  centres  dans  l'écorce  cérébrale  nous  semblent  bien  établis 
par  la  parenté  de  leur  mode  de  formation  onlogénique. 


AMYGDALINE    —    AMYLACÉS.  U5 

L'éducation  musicale  nécessite,  en  effet,  l'aide  du  langage,  tant  en  ce  que  le  chant 
est  le  plus  souvent  vocalisé,  qu'en  ce  que,  pour  l'apprentissage  de  la  signification  des 
notes,  c'est  à  des  mots  qu'on  a  recours,  pour  fixer  dans  l'esprit  leur  valeur  symbolique. 
Il  résulte  de  là  qu'il  se  crée  à  l'état  normal  une  union  intime  entre  les  deux  facultés, 
qui  rend  compte  de  leurs  liens  pathologiques.  En  somme,  le  mécanisme  psycho-physio- 
logique qui  préside  à  l'élaboration  et  à  la  constitution  de  la  faculté  musicale  paraît  être 
tout  à  fait  analogue  à  celui  par  lequel  se  crée  et  s'établit  la  faculté  du  langage  verbal, 
bien  qu'ils  jouissent  l'un  et  l'autre  d'une  relative  autonomie. 

Pour  la  bibliographie,  elle  est  la  même  que  pour  Aphasie;  car  la  plupart  des  auteurs 
ont  traité  l'Amusie  comme  un  chapitre  de  l'Aphasie. 

PAUL    BLOCQ. 

AMYGDALINE.  — Découverte  par  Robiquet  et  Boutron-Charlard  dans  les 
amandes  amères,  cette  substance,  dont  la  formule  est  C-"!!-' AzO"  -j-  .3H-0,  est  un  digly- 
coside  benzoylcyanbj'drique.  Elle  se  présente  sous  la  forme  d'une  poudre  blanche,  formée 
par  des  cristaux  en  paillettes  soyeuses.  Sans  odeur,  d'une  saveur  anière,  soluble  dans  l'eau 
bouillante  et  l'alcool,  insoluble  dans  l'élher;  sa  réaction  est  neutre.  Elle  est  lévogyre.    , 

Préparation.  —  Pour  la  préparer  on  traite  le  tourteau  d'amandes  amères  par  l'al- 
cool à  94°  bouillant.  On  distille  pour  recueillir  une  grande  partie  de  l'alcool.  Dans  le 
résidu  se  trouve  l'amygdaline  que  l'on  précipite  par  l'élher  et  que  l'on  purifie  en  la  fai- 
sant redissoudre  dans  l'alcool  ou  l'eau  bouillante  et  en  la  laissant  cristalliser. 

Propriétés.  —  Elle  jouit  d'une  propriété  spéciale  de  dédoublement  sous  l'action  de 
substances  pouvant  produire  son  hydratation;  elle  se  décompose  alors  en  glycose,  acide 
cyanhydrique  et  essence  d'amandes  amères. 

Celte  transformation  est  produite  d'une  façon  très  rapide  sous  l'influence  de  la  synap- 
tase  ou  émulsine,  ferment  spécial  des  amandes,  en  présence  de  l'eau,  en  ayant  soin 
d'éviter  les  agents  qui  coagulent  l'émulsine, tels  que  l'alcool,le  tannin, les  acides  énergiques, 
une  tempéi'ature  élevée,  etc.  Cl.  Bernard  s'est  servi  de  celte  propriété  pour  montrer  que 
les  fermentations  peuvent  avoir  lieu  dans  le  sang,  et  qu'elles  déterminent  dans  l'organisme 
des  phénomènes  dus  à  la  présence  du  principe  toxique  qui  a  pris  naissance.  Dans  la 
veine  jugulaire  d'un  lapin  on  injecte  f  gramme  d'amygdaline  dissous  dans  environ 
8  centimètres  cubes  d'eau,  simultanément  on  injecte,  dans  l'autre  veine  jugulaire,  une 
quantité  suffisante  de  dissolution  d'émulsine  préparée  en  faisant  macérer  pendant  quelques 
heures,  dans  l'eau  tiède,  des  amandes  douces  pilées,  et  en  filtrant  ensuite.  L'émulsine  agit 
bientôt  sur  l'amygdaline,  et,  si  la  quantité  est  suffisante  pour  que  l'acide  cyanhydrique 
produit  ne  soit  pas  éliminé,  à  mesure  de  sa  formation,  par  le  poumon,  l'animal  ne  tarde 
pas  à  succomber  intoxiqué. 

L'amygdaline  n'a  pas  de  propriétés  physiologiques  spéciales  et  n'est  pas  employée 
en  médecine.  Le  seul  usage  que  l'on  pourrait  en  faire  serait  de  profiter,  comme  l'ont 
conseillé  Liebig  et  Wœhler,  de  sa  transformation  sous  l'intluence  de  l'émulsine,  pour  rem- 
placer l'eau  distillée  de  laurier  cerise,  dont  la  composition  est  loin  d'être  toujours  égale, 
par  une  mixture  qui  donnerait  un  produit  sur  lequel  on  pourrait  compter,  qui  contiendrait 
5  centigrammes  d'acide  cyanhydrique  anhydre  et  16  centigrammes  d'essence  d'amandes 
amères.  Pour  l'obtenir,  on  fait  une  émulsion  avec  8  grammes  d'amandes  douces, 
32  grammes  d'eau  et  1  gramme  d'amygdaline. 

Bibliographie.  —  D.  W.  eiSiqjpt.  — Reymond.  Du  dédoublement  de  l'amygdaline  2Mr 
l'émulsine  dans  le  corps  vivant  (Thèse  de  Lausanne,  1876).  —  Mackwort  et  Hafner.  Einfluss 
der  Zeit,  der  Concentration,  und  der  Temperatur.  auf  die  Menge  des  vom  Emulsin.  zersetzten 
Amygdalins  (J.  fur  prakt.  Chem.,  [8T6,  t.  xxi,  p.  194).  —  Claude  Bernard.  Subst.  tox.  et 
médicament,  1837,  p.  97.  —  Jones.  Poisoning  by  essential  ail  of  bitter  almonds  [Lancel, 
1837,  (1),  p.  43).  —  I.  C  (art.  Amygdala  amara). 

CH.  LIVON. 

AMYLACES. —  On  désigne  sous  le  nom  de  matières  amylacées  des  sub- 
stances ternaires,  solides,  amorphes  ou  offrant  le  plus  souvent  un  certain  degré  d'orga- 
nisation, solubles  ou  insolubles  dans  l'eau,  pouvant  être  représentées  par  du  carbone 
uni  à  l'hydrogène  et  à  l'oxygène  (ces  deux  derniers  corps  dans  les  proportions  de  l'eau) 


U6  AMYLACES. 

et  dont  le  caractère  chimique  fondamental  est  le  dédoublement  avec  hydratation  en  com- 
posés plus  simples  et  moins  condensés,  de  même  constitution  chimique. 

Tous  ces  corps  répondent  à  la  formule  (C^Hi^O^)".  Ils  appartiennent  à  la  grande  fa- 
mille des  alcools  hesatomiques'  (alcools  en  C)  dont  le  type  est  la  mannite  (C^H'^O*). 
Le  glucose  C^H'-O^  est  une  aldéhyde  de  ces  alcools  hexavalents  et  jouit  de  la  fonction 
mixte  alcool  aldéhyde. 

CH=OH       CH^OH 

I 
(CHOH)»       (CHOH)* 

I 
CH=OH        CHO 

Mannite.  Glucose. 

Les  glucoses  contiennent  le  groupe  CH-OH  caractéristique  des  alcools  primaires;  le 
groupe  CHOH  caractéristique  des  alcools  secondaires,  et  le  groupe  COH  caractéristique 
des  aldéhydes. 

Des  glucoses  dérivent  les  saccharoses  par  dédoublement  de  la  molécule  de  glucose 
a\ec  élimination  d'eau  : 

2(C''Hi  =  0'')  =  C1Œ--0"  +  H-0 

Glucose  Saccharose 

Ce  sont  les  premiers  anhydrides  des  glucoses.  Les  dextrines  et  gommes  solubles  répon- 
dant à  la  formule  C'^H-''0"'  (dextrines,  glycogène  et  gommes  solubles)  sont  les  seconds 
anhydrides. 

Un  troisième  groupe  comprend  les  amyloses,  ou  amylacés  proprement  dits,  répondant 
à  la  formule  générale  (C/H"*0^)'i  comprenant  l'amidon,  le  paramylon,  l'inuline,  la  liché- 
nine,  les  mucilages,  les  gommes  insolubles. 

Enfin  un  dernier  groupe  comprend  les  celluloses,  la  tunicine,  polymères  beaucoup 
plus  condensés  encore. 

On  voit  donc  qu'au  point  de  vue  de  la  constitution  chimique,  la  dextrine,  l'amidon  et 
les  celluloses  ne  font  pas  exactement  partie  du  même  groupe.  Mais,  au  point  de  vue  phy- 
siologique, qui  est  celui  auquel  nous  nous  placerons,  on  peut,  en  se  basant  sur  l'analyse 
des  produits  de  transformation,  réunir  en  une  seule  famille,  sous  la  rubrique  de  sub- 
stances amylacées,  tous  les  corps  ayant  pour  formule  générale  (C*  H*"  0°)"  anhydrides  du 
glucose,  n  représentant  un  multiple  indéterminé.  Nous  comprendrons  donc  dans  le 
groupe  des  amylacés  :  l'amidon,  la  dextrine,  le  glycogène,  le  paramylon,  l'inuline,  la  liché- 
nine,  les  gommes  solubles  et  insolubles,  la  cellulose,  la  tunicine. 

La  nature  et  la  constitution  chimiques  des  matières  amylacées  nous  font  prévoir  leurs 
propriétés  chimiques  générales.  Ce  sont  en  somme  des  alcools  polyatomiques.  Aussi 
jouissent-ils  comme  les  alcools  de  la  propriété  de  donner  des  éthers  en  se  combinant 
avec  les  acides.  Comme  pour  les  alcools,  leuT  oxydation  donne  naissance  à  des  acides 
variant  suivant  le  degré  d'oxydation.  Enfin  ce  sont  des  anhydrides  du  glucose  :  leur 
hydratation  donnera  donc  naissance  à  du  sucre  d'une  façon  générale.  11  est  difficile  dans 
l'état  actuel  de  la  science  de  fixer  pour  chacun  d'eux  le  poids  moléculaire;  mais  leur 
hydratation  et  leur  transformation  définitive  en  glucose  établit  nettement  leur  constitu- 
tion et  leur  nature  d'anhydrides,  à  la  fois  aldéhydiques  et  alcooliques. 

En  se  plaçant  au  point  de  vue  de  leur  solubilité  dans  l'eau,  on  peut  diviser  les  amylacés 
en  3  groupes. 

i"  Substances  solubles  dans  l'eau  (Ex.  :  dextrine,  glycogène). 

2"  Substances  se  gonflant  simplement  dans  l'eau  (amidon,  inuline,  lichénine,  paramy- 
lon, mucilages). 

3°  Substances  absolument  insolubles  dans  l'eau  (cellulose,  tunicine). 

Toutes  ces  substances  sont  insolubles  dans  l'alcool. 

Dans  l'étude  d'ensemble  que  nous  allons  faire  des  amylacés,  nous  jetterons  d'abord 

1.  Les  relations  générales  du  groupe  dans  son  entier,  ainsi  que  la  fonction  chimique  des 
types  principaux,  ont  été  découvertes  et  exposées  par  M.  Berthelot  (Leçons  faites  à  la  Société 
chimique. 'Pa.vM,,  1862,  p.  327). 


AMYLACES.  447 

un  coup  d'œil  rapide  sur  chacun  des  membres  de  cette  famille,  renvoyant  pour  les  détails 
aux  articles  spéciaux.  Nous  établirons  ensuite  les  ressemblances  et  les  différences. 

2"  Nous  consacrerons  ensuite  une  étude  détaillée  à  l'hydratation  des  amylacés  spécia- 
lement par  les  ferments  solubles,  procédé  de  transformation  qui  joue  un  si  grand  rôle 
dans  l'organisDie  soit  végétal,  soit  animal,  et  l'action  des  ferments  organisés  sur  ces 
substances. 

3°  Nous  exposerons  ensuite  les  faits  et  les  théories  concernant  la  formation  des  sub- 
stances amylacées  par  le  végétal  et  par  l'animal. 

4°  Nous  décrirons  les  transformations  que  fait  subir  l'organisme  à  ces  substances, 
leur  assimilation,  leur  mise  en  réserve,  leur  désassimilation. 

S"  Enfin  un  dernier  chapitre  aura  pour  objet  le  rôle  des  substances  amylacées  chez 
l'être  vivant. 

Dans  l'étude  que  nous  allons  faire  de  chacune  des  substances  amylacées,  nous  ne 
tiendrons  pas  compte  de  leur  origine  végétale  ou  animale.  Les  propriétés  chimiques  de 
la  dextrine,  par  exemple,  qui  se  forme  dans  la  fermentation  de  l'orge,  ne  diffèrent  pas 
en  effet  sensiblement  de  celles  du  glycogène  qu'élabore  l'animal.  D'ailleurs  nous  verrons 
que  telle  substance,  comme  le  glycogène,  qu'on  croyait  spéciale  au  règne  animal,  a  été 
retrouvée  chez  les  végétaux.  La  différence  d'origine  ne  peut  donc  nous  empêcher  de 
réunir  en  une  même  étude  les  matières  amylacées  végétales  et  animales. 

Histoire  des  substances  amylacées.  Amidon.  —  L'amylacé  le  plus  ancienne- 
ment connu  et  le  plus  anciennement  étudié  (LeuweiNHOECk,  au  xvn"  siècle  ;  Fourcroy 
et  Pabmentier  au  sviii")  est  l'amidon  ou  fécule.  Ces  deux  termes  désignent  la  même  sub- 
stance, qu'elle  soit  extraite  des  semences  (amidon)  ou  des  tubercules  et  des  racines 
(fécule). 

L'amidon  se  présente  sous  forme  d'une  poudre  blanche  qui,  examinée  au  microscope, 
apparaît  composée  de  glomérules  à  structure  semi-organisée,  de  figure  et  de  grosseur 
variables.  Le  grain  d'amidon  est  formé  de  couches  emboîtées.  Au  centre  se  trouve  une 
dépression  nommée  Jdle.  Sous  l'influence  de  l'eau  tiède  les  grains  se  gonflent  et  s'en- 
tr'ouvrent  en  laissant  apparaître  les  couches  successives.  A  partir  de  30°,  c'est  de  l'empois 
d'amidon  qui  se  forme.  Le  grain  d'amidon  n'est  pas  chimiquement  homogène,  il 
n'est  pas  formé  d'une  seule  substance.  Pour  Nœgeli  il  se  composerait  de  deux  subs- 
tances :  la  granulosc,  soluble  dans  l'eau,  la  salive,  se  colorant  en  bleu  par  l'iode  ;  et  la  cel- 
lulose ,  insoluble,  se  colorant  en  rouge  par  l'iode.  Cette  substance  est  en  partie  soluble  dans 
l'acool;  peut-être  renferme-t-elle  delà  cutose  ou  quelque  produit  analogue.  La  grmm^Zose 
elle-même  ne  serait  pas  simple;  mais,  d'après  Bourquelot,  constituée  par  un  mélange 
de  plusieurs  hydrates  de  carbone  distincts.  D'après  Brucre,  le  grain  d'amidon  contiendrait 
trois  substances  :  la  granulome,  se  colorant  en  bleu  par  l'iode;  l'crythro-gramilose ,  se  colo- 
rant en  rouge  et  la  cellulose,  ne  se  colorant  pas  du  tout  ou  très  faiblement  en  jaune. 

La  densité  de  l'amidon  est  voisine  de  1,33.  Composition  centésimale  =      ,,  „    ..  t, 

Action  de  l'eau.  — L'amidon  est  insoluble  dans  l'eau  froide.  A  60  ou  70°,  il  se  gonfle 
considérablement  (empois).  En  cet  état  il  dévie  énergiquement  à  droite  la  lumière 
polarisée  [a]  j  =  -|-  216°.  En  portant  l'eau  à  l'ébullition,  une  partie  de  l'amidon  se  dis- 
sout. Cette  dissolution  est  préoipitable  par  l'alcool.  C'est  ce  qu'on  appelle  généralement 
Vamidon  soluble,  poudre  blanche  insoluble  à  froid,  mais  soluble  dans  l'eau  à  partir  de 
50».  Son  pouvoir  dextrogyre=  +  218°.  Il  ne  réduit  pas  la  liqueur  de  Fehling  et  se  colore 
en  bleu  par  l'iode. 

Chaleur.  —  Quand  on  chauffe  à  100°  pendant  assez  longtemps  l'amidon,  il  se  change  en 
amidon  soluble  ;  à.  160°  il  se  forme  de  la  dextrine;  à  210°  de  \a.pyrodextrine,  matière  qui 
résiste  à  l'action  des  acides  étendus  et  qui  est  précipitée  par  les  acides  concentrés. 

Le  pyrodextrine  est  insoluble  dans  l'alcool  et  l'éther;  elle  réduit  la  liqueur  cupro- 
potassique. 

Oxydation.  —  L'ébullition  de  l'amidon  avec  l'acide  nitrique  étendu  donne  de  l'acide 
oxalique.  L'action  du  bioxyde  de  manganèse  et  de  l'acide  sulfurique  donne  de  l'acide  car- 
bonique et  de  V acide  formique. 

Réaction  avec  l'iode.  —  L'iode  colore  en  bleu  intense  l'amidon,  l'empois,  l'amidon 
soluble.  Réaction  d'une  sensibilité  extrême;  l/oOOOOO  et  même  1/1000  000  d'iode  sont 


4i8  AMYLACES. 

rendus  sensibles.  La  constitution  de  la  matière  colorante  nommée  iodure  d'amidon  est 
mal  connue.  Ce  n'est  pas  une  combinaison,  selon  toute  probabilité.  Pour  Personne  ce 
serait  une  sorte  de  laque.  On  peut  précipiter,  l'iodure  d'amidon  sous  forme  de  flocons 
bleus  en  traitant  la  liqueur  par  le  sulfate  de  soude  ou  le  chlorure  de  calcium. 

Action  des  alcalis.  —  L'amidon  se  combine  aux  alcalis.  A  chaud  la  potasse  le  trans- 
forme en  amidon  soluble.  La  solution  d'amidon  est  précipitée  par  l'eau  de  baryte,  l'eau 
de  chaux  et  l'acétate  de  plomb  ammoniacal. 

Action  des  acides.  —  Action  des  acides  étendus  :  quand  on  fait  bouillir  l'amidon 
avec  les  acides  minéraux  étendus,  il  se  forme  de  l'amidon  soluble,  des  dexlrines  diverses, 
du  maltose  et  du  glucose.  D'après  Bondon.neau,  O'Sdllivan,  Musculus  et  Gruber,  les 
transformations  auraient  lieu  par  hydratation  et  dédoublement  successifs,  formation 
simultanée  d'une  molécule  de  maltose  et  dedextrine.  Le  maltose  serait  à  son  tour  trans- 
formé en  glucose.  (C'est  là  un  caractère  différentiel  de  l'action  de  la  diastase,  comme 
nous  le  verrons.) 

D'après  Salomon  la  transformation  de  l'amidon  sous  l'influence  de  l'acide  sulfurique 
étendu  consisterait  premièrement  en  une  dépolymérisation  de  la  molécule  d'amidon  n 
(CH'"  0'),  qui  se  transformerait  en  une  molécule  moins  condensée,  l'amidon  soluble;  puis 
en  une  molécule  encore  plus  simple,  la  dextrine;  en  même  temps  intervient  une  action 
chimique,  et  la  dextrine  donne,  en  s'hydratant,  du  glucose.  Les  seuls  composés  qui  se 
forment  dans  cette  réaction  seraient  les  suivants  :  a,  amidon  soluble ;h,  dextrine;  c,  dex- 
trose (glucose);  il  n'y  aurait  aucune  raison  pour  admettre  la  formation  du  maltose. 
La  réaction,  quoique  plus  lente,  avec  les  acides  organiques  serait  de  même  nature. 
Action  des  acides  concentrés. —  Les  acides  concentrés  éthériflent  l'amidon;  on  connaît 
un  acide  amylosulfurique.  L'acide  nitrique  fumant  dissout  l'amidon,  l'eau  précipite  de 
cette  solution  la  xyloïdine,  véritable  éther  trinitrique  de  l'amidon,  corps  explosif  à  180° 
ainsi  que  par  le  choc. 

Paramylon .  — C'est  une  substance  analogue  à  l'amidon  que  Gottlieb  a  découverte 
dans  un  infusoire,  ÏEuglena  viridis.  Ses  grains  sont  plus  petits  que  ceux  de  l'amidon.  11 
est  insoluble  dans  l'eau,  soluble  dans  les  acides  étendus,  non  colorable  par  l'iode;  la 
diastase  ne  l'attaque  pas  sensiblement.  Les  acides  étendus  le  changent  en  un  glucose  fer- 
mentescible.  Remarquons  que  l'Euglena  viridis  contient  des  granulations  chlorophy- 
liennes.  Nous  verrons  ultérieurement  le  rôle  capital  que  joue  la  chlorophylle  dans  l'éla- 
boration de  l'amidon  par  le  végétal. 

Lichènine.  —  On  trouve  la  lichénine  dans  le  lichen  d'Islande  et  quelques  autres 
lichens  voisins.  La  découverte  en  est  due  à  Proust.  Cette  substance  se  gonfle  dans  l'eau 
froide,  se  dissout  dans  l'eau  bouillante.  L'ébullition  prolongée  lui  fait  perdre  la  pro- 
priété de  se  prendre  en  gelée  par  le  refroidissement. 

Elle  ne  se  colore  pas  par  l'iode  ;  elle  ne  donne  pas  d'acide  mucique  quand  on  la  traite 
par  l'acide  nitrique  étendu.  Les  acides  la  saccharifient.  Sa  composition  centésimale  est 
celle  de  l'amidon. 

Mucilages.  —  On  peut  placer  à  côté  de  la  lichénine  les,  mucilages  qui  comme  elle  se 
gonflent  dans  l'eau  et  présentent  la  composition  centésimale  de  l'amidon;  mais  l'acide 
azotique  donne  à  leurs  dépens  de  l'acide  mucique,  tandis  que  l'amidon,  la  lichénine  don- 
nent de  l'acide  saccharique  (mucilages  de  coing,  de  guimauve,  de  lin). 
La  bassorine  forme  la  partie  principale  de  la  gomme  de  Bassora. 
Sous  l'influence  des  acides  minéraux  étendus,  à  l'ébullition,  ces  substances  donnent 
du  sucre. 

Inuline.  —  L'inuline  a  été  découverte  par  V.  Rose,  qui  l'a  extraite  de  la  racine 
d'aunée  {Imda  Heteniwn).  Oa  la  trouve  dans  beaucoup  d'autres  syuanthérées  telles  que 
le  topinambour,  le  dahlia,  la  bardane,  la  chicorée,  l'Atractylis  gummifera,  le  colchique 
d'automne,  la  mémantlie,  etc. 

L'inuline  se  présente  sous  forme  de  grains  blancs,  dont  la  structure  est  différente  de 
celle  des  grains  d'amidon.  Complètement  desséchés,  les  grains  présentent  une  organisa- 
tion rayonnée.  Sa  densité  est  à  l'état  anhydre  de  1,432  ou  1,34U.  Quant  à  son  pouvoir 
rotatoire,  il  est  de  —  36°, 30. 

Cette  substance,  sans  odeur  ni  saveur,  est  insoluble  dans  l'eau  froide  et  dans  l'alcool, 
soluble  dans  l'eau  bouillante.   L'iode  ne  la  bleuit  pas,  mais  lui  communique  une  teinte 


AMYLACES.  449 

brune  passagère.  L'inuJine  pure  ne  réduit  pas  la  liqueur  cupropotassique.  Chauffée  à  doO" 
pendant  30  heures  en  tubes  scellés  avec  l'hydrate  de  baryte,  l'inuline  fournit  de  l'acide 
lactique  de  fermentation  (Kiliani). 

Sous  l'influence  de  l'acide  nitrique  étendu,  l'inuline  donne,  d'après  le  même  auteur, 
un  mélange  d'acides  formique,  oxalique,  glycolique  et  paratartrique  ;  pas  d'acide  acétique 
ni  d'acide  saccharique. 

Par  l'ébullition  avec  les  acides  minéraux  étendus,  l'inuline  donne  de  la  lévulose, 
sucre  lévogyre  (C^H'-O^).  La  diastase  de  l'orge  germée  ne  le  saccharifie  pas;  c'est  un 
ferment  spécial,  Vinulase,  comme  nous  le  verrons,  qui  la  transforme. 

Tanbet  a  isolé  deux  principes  voisins  de  l'inuline;  la. pseudo-inuline  et  Vinulénine.  La 
pseudo-inuline  se  dépose  en  granules  irréguliers  de  ses  solutions  aqueuses;  en  granules 
irréguliers  de  ses  solutions  alcooliques.  En  se  desséchant,  elle  s'agglomère  en  masses 
cornées  transparentes;  déshydratée,  elle  se  présente  sous  forme  de  poudre  blanche. 

Elle  est  très  soluble  à  chaud  dans  l'alcool  et  l'alcool  faible  ;  à  froid,  dans  3oO  et  400  par- 
ties d'eau.  Elle  est  insoluble  dans  l'alcool  à  froid. 

Pouvoir  rotatoire.  —  Lévogyre  =  —  32°2.  Sous  l'intluence  des  acides  étendus,  ce 
pouvoir  s'élève  à  —  8o,6. 

Composition !  H  —     fi  'in 

Réactions.  —  La  pseudo-inuline  ne  réduit  pas  la  liqueur  de  Fehling.  L'eau  de  baryte 
froide  la  dissout,  en  excès  elle  la  précipite.  La  pseudo-inuline  se  dissout  dans  les  alcalis; 
elle  ne  précipite  ni  par  l'acétate  neutre  ni  par  l'acétate  basique  de  plomb. 

Vinulénine  est  un  produit  cristallisé  en  fines  aiguilles,  soluble  dans  l'eau  froide, 
dans  33  parties  d'alcool  à  30°  à  froid  et  dans  24o  parties  d'alcool  à  80". 

Lévogyre  :  P.R.  =  —  29<'6;  s'élève  à  —  TgolS  en  chauffant  avec  eau  et  acide  acétique, 
à  —  S3°6  avec  acide  sulfurique  étendu. 
C  =  43,3 


Composition !  „  .'' 

^   ri  =^    D, 


oO 

L'eau  de  baryte  froide  ne  la  précipite  pas;  mais  l'eau  de  baryte  tiède  et  concentrée 
la  précipite;  l'alcool  faible  précipite  les  solutions  barytiques. 

D'autre  part,  Tanret,  étudiant  les  hydrates  de  carbone  du  topinambour,  a  isolé  deux 
substances  nouvelles,  Vhélianthine  et  le  synanthrine. 

Hélianthine.  — Cristallise  en  fines  aiguilles  microscopiques  réunies  en  boules,  soluble 
dans  son  poids  d'eau  froide,  plus  faiblement  soluble  dans  l'alcool  concentré  que  dans 
l'alcool  étendu. 

Lévogyre  :  P.R.  ^=  —  23"o;  après  l'action  des  acides  étendus  ^  —  70°2. 

,,             ...                         (  C   =  42,93 
Composition j  „   '„_ 

Ne  réduit  pas  la  liqueur  de  Fehling;  ne  précipite  en  solution  aqueuse  ni  par  la  baryte 
ni  par  l'acétate  de  plomb.  Elle  est  ferrnentescible. 

Synanthrine.  —  Corps  blanc  amorphe  et  à  peu  près  insipide.  Soluble  à  froid  en 
toutes  proportions  dans  l'eau  et  dans  l'alcool  faible,  moins  soluble  dans  l'alcool  con- 
centré. 

Lévogyre  :  P.R.  =  —  17°;  après  l'action  des  acides  étendus  =:  —  70°. 

C  =  42,83 
H  =    6,24 


Composition. 


Réactions.  —  Ne  réduit  pas  la  liqueur  de  Fehling,  fermente  difficilement  en  solution 
aqueuse,  empêche  la  formation  de  saccharate  de  baryte  en  présence  du  sucre  de  canne 
et  d'eau  de  baryte  bouillante.  Le  précipité  ne  se  forme  que  si  la  proportion  de  sucre 
dépasse  1/5  de  sucre  pour  d  de  synanthrine. 

Amylanes.  — O'Sullivan  a  extrait  de  l'orge  deux  hydrates  de  carbone  ayant  pour 
formule  CH'^O',  et  auxquels  il  a  donné  le  nom  de  x  et  fi  amylanes. 

L'a  amylane  ne  réduit  pas  la  liqueur  cupropotassique;  l'acide  sulfurique  étendu  la 
convertit  en  dextrose.  Pouv.  rot.= — 24°. 


DICT.    DE    PHYSIOLOGIE. 


450  AMYLACÉS 

La  p  amylane  est  transformée  en  glucose  par  l'acide  sulfurique  étendu. 

Pouv.  rot.  =  —  72". 

Dextrines.  —  L'e'tude  de  la  dextrine  a  été  commencée  par  Biot  et  Persoz,  puis 
Payen  a  apporté  sur  ce  sujet  un  grand  nombre  d'observations  ultérieurement  complétées 
et  développées  par  Jacquelain,  Béchamp,  Bondonneau,  Musculus,  Grubeh,  Von  Mèring, 
O'SuLLivAN,  Salomon,  etc. 

On  trouve  la  dexlrine  à  l'état  naturel  dans  la  manne  du  frêne  et  dans  divers  produits 
végétaux.  On  la  trouve  aussi  dans  le  sang  de  certains  animaux,  du  cheval  par  exemple, 
dans  le  sang  des  diabétiques,  dans  la  viande  des  animaux  de  boucherie,  etc. 

On  peut  l'obtenir  en  soumettant  l'amidon  à  l'action  de  la  chaleur  entre  160»  et  210°, 
ou  à  l'action  de  la  chaleur  et  des  acides,  enfin  à  l'action  de  la  diastase. 

C'est  une  substance  amorphe,  transparente,  très  hygrométrique,  soluble  dans  l'eau, 
insoluble  dans  l'alcool  et  l'éther.  La  dextrine  commerciale  est  en  réalité  un  mélange  de 
plusieurs  dextrines  isomères  allant  depuis  l'amidon  soluble  jusqu'à  la  dextrine  propre- 
ment dite. 

En  se  basant  sur  les  différents  pouvoirs  rotatoires  et  réducteurs,  on  a  reconnu  l'exis- 
tence de  : 

1°  L'érythrodextrine,  qui  forme  la  majeure  partie  de  la  dextrine  commerciale,  soluble 
dans  l'eau  froide,  attaquable  par  la  diastase,  se  colorant  en  pourpre  par  l'iode,  et  dont 
le  pouvoir  rotatoire  est  de  +  213°  à  +  215°. 

2°  L'achroodextrine  a.  — ^  A  peine  colorable  par  l'iode,  moins  attaquable  par  la  dias- 
tase, réduisant  faiblement  la  liqueur  cupropotassique.  Pouv.  Rot.  =  +  210°;  son  pou- 
voir réducteur,  celui  du  glucose  étant  100,  est  de  12. 

3°  L'achroodextrine  (3.  — •  Ne  se  colore  pas  par  l'iode  et  n'est  pas  attaquée  par  la  dias- 
tase. Son  pouvoir  rotatoire  =,  -I-  100°;  son  pouvoir  réducteur  =  12. 

4°  L'achroodextrine  y.  —  Résiste  à  la  diastase  et  ne  se  colore  pas  par  l'iode.  Elle  ne  se 
saccharifie  à  ébullition  avec  l'acide  sulfurique  étendu  que  lentement.  Son  pouvoir  rota- 
toire est  de  +  ISO";  son  pouvoir  réducteur  de  28. 

On  voit  que  ces  diverses  dextrines  représentent  des  produits  de  dédoublement  de 
plus  en  plus  avancés  de  l'amidon.  La  dernière  serait  le  type  de  la  véritable  dextrine. 

Réactions.  —  Elle  se  comporte  à  peu  près  comme  l'amidon  sous  l'influence  de  la 
chaleur  et  des  acides.  On  obtient  de  la  sorte  des  composés  analogues  aux  glucosides. 

Sous  l'influence  prolongée  de  l'effluve  électrique,  elle  peut  fixer  une  certaine  quan- 
tité d'azote  atmosphérique  (Berthelot). 

Avec  le  brome,  puis  l'oxyde  d'argent  humide,  elle  donne  de  l'acide  dextronique  (Haber- 
man.n).  Par  l'action  successive  des  acides  nitrique  et  sulfurique,  on  obtient  de  la  dextrine 
tétranitrique.  Enfin,  d'après  Maly,  elle  fermente  au  contact  de  la  muqueuse  stomacale 
en  donnant  un  mélange  d'acides  lactique  et  sarcolaclique. 

MuscuLus,  en  dissolvant  du  glucose  à  froid  dans  l'acide  sulfurique  et  en  ajoutant  une 
grande  quantité  d'alcool,  a  vu,  au  bout  de  quelques  semaines,  se  précipiter  un  corps  se 
rapprochant  beaucoup  de  l'achroodextrine  y. 

Glycogène.  (Dextrine  animale).  —  Découvert  par  Claude  Bernard  et  Hensen  (foie, 
placenta,  œuf),  chez  l'embryon  (Cl.  Bernard,  Rouget),  dans  les  muscles  (Nasse)  et  aussi 
dans  les  végétaux  (Errera). 

Substance  amorphe  et  pulvérulente.  Donne  avec  l'eau  une  solulion  opalescente,  se 
colore  en  rouge  par  l'iode.  Son  pouvoir  rotatoire  :=  +  211°. 

Réactions.  —  Il  ne  réduit  pas  la  liqueur  cupropotassique. 

Il  se  distingue  de  la  dextrine  en  ce  que  la  coloration  rouge  par  l'iode,  qui  disparaît 
avec  la  chaleur,  reparaît  par  le  refroidissement;  elle  ne  reparaît  pas  avec  la  dextrine. 
La  solution  ne  précipite  pas  l'acétate  de  plomb  basique. 

Le  brome  pur,  l'oxyde  d'argent  le  font  passer  à  l'état  d'acide  glycogénique.  Avec 
l'acide  nitrique  fumant,  il  se  forme  du  glycogène  tétranitrique,  corps  explosif. 

Par  l'action  des  acides  étendus  et  de  l'ébullition ,  sous  l'influence  de  la  salive,  de 
l'amylase,  il  se  transforme  en  glycose  en  passant  par  le  raaltose  et  différentes  dextrines. 
Il  subit  la  fermentation  lactique. 

Sinistrine.  —  Trouvée  par  Kuhlnemann  dans  l'orge  germée.  Substance  lévogyre. 
Elle  parait  devoir  être  confondue  avec  les  amylanes  de  O'Sullivan. 


AMYLACES.  451 

Gommes  solubles.  Arabine.  Pectine.  —  Suivant  Frémï,  la  gomme  arabique  est 
formée  d'une  combinaison  d'arabine  C'-H'-'O'"  avec  ia  chaux  et  la  potasse  (arabinate  ou 
gummate  de  chaux  et  de  potasse).  L'arabine  est  une  substance  très  soluble  dans  l'eau 
qu'elle  rend  visqueuse,  elle  est  lévogyre,  et  son  pouvoir  rotatoire  =  —  36°.  Chauffée  de 
120°  à  140°,  elle  devient  insoluble.  Sous  l'inlluence  des  acides  étendus  et  chauds,  l'arabine  se 
change  en  grafaciose;  l'acide  nitrique  l'oxyde  en  donnant  des  acides  saccharique,  mucique, 
racémique  et  oxalique. 

Pectine.  —  Très  semblable  à  l'arabine  ;  donne  par  l'action  des  alcalis  étendus  de  l'acide 
pectique. 

La  pectine  est  une  substance  amorphe  formant  avec  l'eau  une  solution  épaisse,  que 
précipitent  l'alcool  et  aussi  le  sous-acétate  de  plomb. 

L'acide  pectique  paraît  se  former  aux  dépens  de  la  pectine  en  présence  d'un  ferment 
spécial  de  pectine.  Les  corps  pectiques  se  transforment  en  galactose  sous  l'influence  des 
acides  étendus. 

Celluloses  (C^  H"  0*)".  —  Les  fibres  des  plantes  et  l'enveloppe  des  cellules  vé- 
gétales sont  principalement  formées  de  cellulose  ou  de  principes  isomères  de  l'amidon, 
mais  doués  d'une  grande  résistance  aux  divers  réactifs. 

Leur  caractère  principal  est  leur  insolubilité  dans  la  plupart  des  dissolvants  connus. 

La  cellulose  est  sans  odeur  ni  saveur,  blanche,  insoluble  dans  tous  les  dissolvants  ha- 
bituels. 

Les  seuls  réactifs  qui  dissolvent  les  celluloses  sont  le  réactif  ammoniaco-cuprique 
de  ScHWEiTZER  et  un  mélange  indiqué  par  E.  F.  Cross  et  E.  J.  Bevan  qui  se  prépare  en 
ajoutant  à  de  l'acide  chlorhydrique  la  moitié  de  son  poids  de  chlorure  de  zinc.  Ce  réactif 
dissout  la  cellulose  sans  la  modifier. 

La  cellulose  précipitée  de  ces  dissolvants  est  amorphe,  gélatineuse. 

La  densité  de  la  cellulose  est  voisine  de  1,43. 

Chaleur.  —  Au  delà  de  -f  200°,  la  cellulose  se  décompose  en  donnant  de  Feau,  de 
l'acide  acétique,  des  produits  empyreumatiques  complexes,  et  différents  gaz. 

Oxydation.  —  L'acide  nitrique  ordinaire  à  l'ébullition  donne  avec  la  cellulose  de  l'a- 
cide oxalique.  L'acide  oxalique  se  forme  également  par  l'action  des  alcahs  (potasse 
caustique)  à  +  160°. 

Le  bioxyde  de  manganèse  en  présence  de  l'acide  sulfurique  donne  de  l'acide  for- 
mique. 

Action  des  acides.  —  Ils  peuvent  agir  de  deux  façons,  ou  bien  :  1°  modifier  la  cellulose 
et  la  transformer  en  différents  produits  distincts,  ou  bien  2°  se  combiner  avec  elle  pour 
donner  des  cellulosides  (cellulosides  hexanitriques,  octonitriques,  décanitriques  (coton 
poudre). 

La  cellulose,  imbibée  d'acide  sulfurique  concentré,  et  lavée  presque  aussitôt  pour  en- 
lever l'acide,  acquiert  ainsi  certaines  propriétés  voisines  de  celles  de  l'amidon  et  se  colore 
en  bleu  par  l'iode. 

Quand  on  prolonge  l'action  de  l'acide  sulfurique  concentré  et  froid,  on  transforme  la 
cellulose  en  cellulose  soluble  qui  présente  beaucoup  d'analogie  avec  l'amidon  soluble. 

Par  un  contact  plus  prolongé  encore  on  obtient,  non  plus  de  la  cellulose  soluble,  mais 
une  dextrine  particulière,  dont  le  pouvoir  dextrogyre  est  plus  faible  que  celui  de  la  dex- 
trine  ordinaire  ;  puis  un  glucose  fermentescible.  On  peut  finalement  parvenir  à  transfor- 
mer la  totalité  de  la  cellulose  en  un  mélange  de  glucoses  femientescibles,  dont  l'un  est  le 
glucose  ordinaire. 

Tunicine  (Cellulose  animale).  —  Découverte  par  Schmidt,  étudiée  par  Berthelot,  la 
tunicine  est  extraite  de  l'enveloppe  des  mollusques  tuniciers.  C'est  une  masse  blanche  qui 
conserve  encore  l'aspect  général  des  organes  qui  ont  servi  à  sa  préparation.  Elle  se  co- 
lore en  jaune  par  l'iode  et,  si  on  la  traite  d'abord  par  l'acide  sulfurique,  en  bleu. 

La  tunicine  ne  se  dissout  pas  dans  le  réactif  de  Sceweitzer  et  résiste  même  à  la  po- 
tasse fondante  aux  environs  de  220°.  L'ébullition  avec  l'acide  sulfurique  étendu  ne  la 
modifie  pas.  Toutefois  on  peut  l'attaquer  en  la  broyant  avec  l'acide  sulfurique  concentré. 
Elle  s'y  dissout  sensiblement,  et,  si  l'on  vient  à  verser  ce  liquide  goutte  à  goutte  dans 
l'eau,  puis  qu'on  fasse  bouillir,  la  tunicine  finit  par  se  transformer  en  un  glucose  fermen- 
tescible. 


452  AMYLACES. 

Amyloïde  végétal.  —  C'esl  un  hydrate  de  carbone  imprégnant  la  membrane  cellu- 
laire de  divers  végétaux.  Il  bleuit  au  contact  de  l'iode,  ce  qui  le  distingue  de  la  cellulose  ; 
on  l'a  rencontré  dans  les  graines  où  il  parait  constituer  une  matière  nutritive  en  re'- 
serve. 

Avec  l'acide  nitrique  il  donne  de  l'acide  succinique. 

Son  poids  spécifique  est  de  i,lS.  Sou  pouvoir  rotatoire  dextrogyre  =  +  93°. 

Il  est  saccharifié  par  l'acide  sulfurique  bouillant  et  donne  du  galactose,  du  xylose  et 
du  dextrose  (glucose)  (Winterstein). 

Caractères  communs  et  caractères  différentiels  des  matières  amylacées.  — 
Toutes  ces  substances  présentent  la  même  composition  élémentaire  et  constituent  des 
hydrates  de  carbone  représentés  parla  formule (C"H-°--0"-')  représentant  l'anhydride  de 
jCaj|2nO").  Toutes  sout  amorphes  ou  présentent  un  certain  degré  d'organisation. 

L'action  des  agents  d'hydratation  (acides  minéraux  étendus  et  chaleur,  ferments  so- 
lubles)  les  transforme  en  produits  plus  simples  aboutissant  au  glucose  (C^H'^0^). 

La  chaleur  en  vase  clos  les  décompose,  d'une  part  en  charbon,  et,  de  l'autre,  en  produits 
volatils,  parmi  lesquels  l'acide  acétique,  l'eau,  les  carbures  d'hydrogène. 

Les  oxydants  aidés  de  la  chaleur  les  convertissent  en  acide  carbonique  et  eau. 

Toutes  sont  susceptibles  de  combinaisons  avec  l'acide  azotique  (éthers  nitriques) . 

Beaucoup  fournissent  avec  les  acides  organiques  des  éthers  saponifiables  par  l'action 
des  bases. 

Elles  fixent  l'iode  avec  plus  ou  moins  d'intensité. 

Les  celluloses  se  distinguent  des  matières  amylacées  proprement  dites  par  une  con- 
densation moléculaire  beaucoup  plus  grande; 

—  par  une  structure  physique  plus  avancée  et  qui  les  rapproche  des  éléments  organisés; 

—  par  une  insolubilité  complète  dans  l'eau  ; 

—  par  une  résistance  beaucoup  plus  grande  à  tous  les  agents  chimiques  ; 

—  par  la  coloration  que  leur  communique  l'iode,  coloration  faiblement  jaunâtre,  à 
moins  d'une  modification  préalable  imprimée  à  la  substance  cellulosique. 

La  cellulose  animale  difTère  de  la  cellulose  végétale  par  une  résistance  plus  grande  à 
l'action  de  tous  les  réactifs  communs. 

Action  des  ferments  solubles  sur  les  amylacés.  —  Sacchariflcation.  — 
Action  delà  diastase  de  l'orge  germée  ou  amylase. — En  1823,  Dubruinf,a.ut  observa 
qu'en  mélangeant  à  de  l'empois  d'amidon  un  peu  de  malt  en  farine  délayé  dans  de  l'eau 
tiède  et  en  soumettant  le  mélange  à  une  température  de  60  à  6o°,  au  bout  d'un  temps 
assez  court  (un  quart  d'heure)  le  mélange  était  fluidifié  :  sa  saveur  devenait  de  plus  en 
plus  sucrée,  et  il  finissait  par  subir  la  fermentation  alcoolique. 

En  1830  Ddbrdnf.^ut  reconnaissait  que  cette  propriété  de  transformer  l'empois  d'ami- 
don appartient  aussi  bien  à  l'infusion  de  malt  qu'au  malt  en  farine.  En  1833,  Payen  et 
Persoz  précipitèrent  par  l'alcool  la  substance  active  de  l'extrait  de  malt  et  obtinrent  ainsi, 
à  l'état  impur,  il  est  vrai,  le  ferment  soluble  nommé  diastase  ou  amylase.  D  après  eux  le 
ferment  pouvait  saccharifler  jusqu'à  2  000  fois  son  poids  de  fécule.  DucLiux  fait  observer 
qu'il-  faut  lire  probablement  2  000  fois  le  poids  d'empois  de  fécule,  c'est-à-dire  30  à  100  fois 
le  poids  d'empois  de  fécule  crue.  En  1836,  Dubruxfaut  obtint  une  diastase  plus  active  et 
plus  pure  par  des  précipitations  fractionnées.  Ce  ferment  soluble  n'existe  pas  dans  le 
grain  d'orge  d'une  façon  continue;  il  se  forme  au  moment  de  la  germination,  et  c'est  lui 
qui  permet  à  la  plante  naissante  d'utiliser  les  réserves  amylacées  de  la  graine. 

En  1847,DuBRUNKAUT,  traitant  l'empois  d'amidon  par  l'extrait  de  malt,  prépara  un  sucre 
cristallisable  possédant  un  pouvoir  rotatoire  bien  plus  considérable  que  celui  du  glucose 
ordinaire.  Il  donna  à  ce  sucre  le  nom  de  maltosc.  Cependant  cette  découverte  passa  ina- 
perçue, et  pendant  longtemps  on  considéra  le  sucre  résultant]de  l'action  de  la  diastase  de 
l'empois  comme  du  glucose  ordinaire.  Ce  n'est  qu'en  1872  que  O'Sullivan  confirma  la 
découverte  de  Dubrunfaut  et  montra  que  le  sucre  formé  était  bien  du  maltose  (C*-H'--0") 
mélangé  à  des  dextrines.  Il  faut  dire  toutefois  qu'on  trouve  aussi  de  petites  proportions 
de  glucose.  L'origine  de  cette  petite  quantité  de  glucose  est  controversée.  Pour  les  uns 
(ScHULZE,  Brown  et  Hérox,  Herzfelt)  l'amylase  serait  sans  action  sur  le  maltose;  pour 
les  autres  (O'Sullivan,  Von  Mering)  l'influence  prolongée  du  ferment  finirait  par  trans- 
former le  maltose  en  glucose.   Rappelons  que  le  maltose  a  un  pouvoir  rotatoire  plus 


AMYLACES. 


-553 


H        o 
3        S 

§  a 

B.       ■° 

Acides  oxalique, 

tartrique, 
carbonique,  eau, 
acide  saccharique. 

;a 

;^ 

3 

3 
3 

< 

1  ^ 

3   3 

1  a  i- 

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g  g^o- 

0    0^° 

'3  3 

cT  3 

M  "3 

0  a 

3      Kl 

-0 

Sucre  obtenu 

traité  par  acide 

azotique  fournit 

acide  saccharique. 

3 

Q 
C 

g 
OS 

o 

"3 

,  2 

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3    • 

_3 

3 

3 

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454  AMYLACES. 

considérable  que  le  glucose  (P.R.  du  glucose  =  +  53°  4;  P.R.  du  maltose  =  +  139°3). 
Son  pouvoir  réducteur  est  moindre  que  celui  du  glucose,  61  de  glucose  réduisent  autant 
de  cuivre  que  100  de  maltose.  Les  acides  le  dédoublent  par  hydratation  en  2  molécules 
de  glucose. 

Mais  déjà,  avant  les  recherches  de  O'Sullivan,  Musculus  en  1860  avait  étudié  avec  soin 
les  produits  résultant  de  l'action  de  la  diastase  sur  l'empois  d'amidon,  tout  en  considé- 
rant le  sucre  formé  comme  étant  du  glucose.  Avant  lui  ou  pensait  que  l'amidon  se  chan- 
geait d'abord  en  dextrine,  puisque  cette  dextrine  se  transformait  en  glucose.  Musculus, 
à  la  suite  de  ses  recherches,  conclut  que  le  glucose  et  la  dextrine  se  forment  simultané- 
ment, et  toujours  dans  le  même  rapport  :  2  de  dextrine  pour  1  de  sucre.  La  dextrine 
serait  inattaquable  par  la  diastase,  et,  d'après  Musculus,  le  processus  consisterait  dans  un 
dédoublement  avec  hydratation  de  l'amidon. 

C12H2001»  +  H^0  =  CGHH>03  +  C6H1206 
Amylacé  Dextrine  Glucose 

Payen,  en  1863,  à  l'encontre  de  Musculus,  conclut  que  la  diastase  saccharifie  la  dex- 
trine pure  et  produit  en  agissant  sur  l'empois  des  proportions  de  dextrine  et  de  glucose 
variables  suivant  les  conditions  dans  lesquelles  on  opère,  c'est-à-dire  suivant  la  dilution 
et  le  temps;  il  admet  une  production  première  de  dextrine  suivie  de  sa  transformation 
en  sucre. 

O'Sullivan,  étudiant  avec  soin  l'influence  de  la  température,  conclut  à  l'existence  de 
proportions  différentes  de  dextrine  et  de  maltose  suivant  la  température. 

A  une  température  inférieure  à  60°,  il  se  formerait  68  de  maltose  pour  32  de  'dex- 
trine. 

Entre  64°  et  68°  il  y  aurait  34,54  de  maltose  et6o,46  de  dextrine. 

Enfin  de  68°  à  70°  il  y  a  17,4  de  maltose  et  82,6  de  dextrine.  Au  bout  d'un  certain 
temps  la  quantité  de  maltose  augmenterait  par  suite  de  l'action  ultérieure  de  la  diastase 
sur  la  dextrine. 

En  définitive  on  n'obtiendrait  plus  à  la  fin  que  du  maltose  et  du  glucose  (O'Sullivan, 
1879,  B.  S.  C,  t.  xxxn,  p.  493). 

Mais  cette  dextrine  qui  se  forme,  répond-elle  à  une  substance  chimique  simple?  Dès 
1870  on  tendait  à  admettre  que  dans  les  saccharifîcations  il  se  fait,  non  pas  une  seule 
dextrine,  mais  plusieurs  dextrines.  Il  est  certain  que  l'amidon  soluble,  qui  se  produit  au 
début  de  l'action  de  la  diastase,  et  la  dextrine  qui  reste  à  la  fin  de  cette  action,  sont  deux 
espèces  chimiques  distinctes.  Mais  entre  ces  deux  termes  il  y  a  des  termes  intermédiaires. 
Au  cours  de  la  sacchariflcation  on  peut  en  effet  trouver  des  substances  qui  se  colorent  en 
rouge  (érythrodrextrines)  et  des  substances  qui  ne  se  colorent  pas  par  riode(achroodextrine). 
Parmi  ces  achrodextrines  il  faut  distinguer  l'achroodextrine  a,  |j,  y  (Voir  plus  haut  leurs  ca- 
ractères). Cette  opinion,  défendue  par  Brucke,  Musculus  et  Gruber,  Bondonneau,  O'Sul- 
LivAiN,  Brown  et  Héron,  Herzfeld,  'Von  Mering,  a  été  attaquée  par  Salomon  qui  soutient  au 
contraire  qu'il  n'existe,  outre  l'amidon  soluble,  qu'une  seule  dextrine.  Les  colorations  dif- 
férentes avec  l'iode  tiendraient  à  la  présence  de  quantités  variables  d'amidon  soluble  non 
encore  saccharifie.  Jusqu'à  ces  derniers  temps  l'hypothèse  de  Musculus  a  été  plus  généra- 
lement admise.  Pour  lui  l'amidon,  sous  l'influence  de  la  diastase,  subit  une  série  de  dédou- 
blements successifs  avec  hydratation  simultanée.  A  chaque  dédoublement  il  se  formerait 
du  maltose  et  une  nouvelle  dextrine  à  poids  moléculaire  plus  faible.  Cette  théorie  serait 
parfaitement  co  mpatible  avec  la  différence  dans  la  quantité  de  maltose  et  de  dextrine  for- 
mées suivant  la  température.  11  suffirait  d'admettre  en  effet  qu'à  60°  la  diastase  possède 
toute  son  énergie  et  peut  pousser  la  saccharification  jusqu'au  bout  ;  qu'à  mesure  au  con- 
traire que  la  température  s'élève  au  delà  de  60°  le  pouvoir  saccharifiant  diminue.  Marker 
au  contraire  avaitsupposéqu'ily  a  dans  la  diastase  deuxferments,  dont  l'un,  qui  donne  plus 
de  maltose  et  moins  de  dextrine,  est  détruit  à  une  basse  température,  et  dont  l'autre,  qui 
donne  plus  de  dextrine  et  moins  de  maltose,  résiste  à  cette  température.  Cette  opinion 
est  aussi  celle  de  Cuislnier  et  de  Dubrunfact.  Les  recherches  récentes  de  Wijsuan  vien- 
nent à  l'appui  de  cette  hypothèse.  C'est  à  l'action  de  deux  ferments  inégalement  impres- 
sionnés par  la  température  que  seraient  dues  les  proportions  respectives  variables  de 


AMYLACÉS.  455 

dextrine  et  de  maltose.  L'action  de  l'extrait  de  malt  sur  l'empois  donne  lieu  à  la  forma- 
tion de 

L'érythrogranulose,  qui  se  colore  en  violet  par  l'iode; 

La  maltodextrine,  non  colorée,  et  réduisant  la  liqueur  de  Fehling; 

La  leucodextrine,  non  colorable,  et  sans  action  sur  la  liqueur  de  Fehling; 

toutes  substances  répondant  à  l'amidon  soluble,  à  l'érythrodextrine,  et  aux  achroo- 
dextrines  de  Brucke.  Wijsman  appelle  maltase  et  dcxtrinane  ces  deux  ferments  et  résume 
le  processus  de  la  saccharification  de  la  façon  suivante  : 

Amidon  transformé  par 


I  I 

Maltase  :  donne  Dextrinase  :  donne 

Maltose  et  Érythogranulose  Maltodextrine  qui,  transformée 

qui,  transformée  par  dextrinase,  par  maltase,  donne  Maltose. 
donne  Leucodextrine. 

La  leucodextrine  ne  peut  plus  être  attaquée  par  l'extrait  de  malt. 

La  maltase  est  détruite  par  la  chaleur  au-dessus  de  bo°,  la  dextrinase  résiste  au  con- 
traire; ce  qui  explique  qu'au-dessus  de  00°  la  dose  de  maltase  diminue  de  plus  en  plus. 
Par  d'ingénieuses  et  élégantes  expériences  Wijsman  a  démontré  l'existence  de  ces  deux 
ferments;  il  a  pu  découvrir  la  maltase  dans  le  grain  d'orge  non  germé;  lia  reconnu  que 
la  dextrinase  au  contraire  prend  naissance  pendant  la  germination  et  se  localise  surtout 
dans  les  enveloppes  extérieures  du  grain.  Si  donc  on  emploie  de  l'orge  perlée  (débarras- 
sée de  ses  téguments  externes)  l'extrait  de  malt  contiendra  surtout  de  la  maltase. 

L'arrêt  de  la  transformation  de  l'amidon  en  maltase-dextrine  et  de  la  saccharification 
avait  été  attribué  par  Payen  à  la  présence  et  à  l'accumulation  du  maltose.  Lindet  a  con- 
firmé cette  opinion  et  en  a  donné  la  démonstration.  En  prenant  un  moût  saccharifié  à 
refus  et  en  précipitant  le  maltose  par  la  phénylhydrazine,  il  a  pu  de  nouveau  transfor- 
mer en  sucre  plus  de  la  moitié  des  dextrines  existant  d'abord  dans  le  mélange  ;  une 
nouvelle  précipitation  de  maltose  entraînait  une  nouvelle  saccharification. 

Enfin  Effront  a  étudié  l'action  de  l'acide  fluorhydrique  dans  la  saccharification.  Il  a 
constaté  qu'une  dose  de  1  p.  10000  d'acide  à  une  température  de  30°  permet  d'obtenir  un 
rendement  de  90  p.  100  de  sucre  et  de  4  p.  100  seulement  de  dextrine  pour  l'amidon  du 
maïs. 

L'inuline  diffère  de  l'amidon  en  ce  sens  qu'avec  les  agents  hydratants  (SO*H-  étendu 
et  bouillant)  l'amidon  donne  naissance  à  du  glucose  (dextrose),  tandis  que  l'inuline  four- 
nit du  lévulose. 

L'agent  de  saccharification  de  l'inuline  a  été  extrait  seulement  en  1888  par  J.  R.  Green 
des  tubercules  du  topinambour.  Green  lui  a  donné  le  nom  à'inidase.  Sous  l'influence  de 
ce  ferment  l'inuline  se  transforme  en  lévulose.  L'invertine  et  la  diastase  n'exercent  au- 
cune action  sur  l'inuline.  VAspergilhis  niger  renferme  un  ferment,  sinon  identique,  du 
moins  analogue  à  l'inulase  (Bourquelot).  Enfin  Vimdase  diffère  de  la  tréhalase  en  ce  que 
celle-ci  est  détruite  à  64°. 

Action  des  ferments  figurés  sur  les  matières  amylacées.  —  Les  ferments 
figurés  (champignons,  levures,  bactéries)  n'agissent  en  général  sur  les  matières  amylacées 
qu'après  les  avoir  hydratées,  sacchariflées  au  moyen  d'un  ferment  soluble,  d'une  amylase 
sécrétée  par  eux.  Dans  toute  fermentation  des  amylacés  il  y  a  donc  une  phase,  plus  ou 
moins  passagère,  caractérisée  par  la  saccharification.  C'est  sur  les  sucres  fermentescibles 
(maltose,  glycose,  lévulose)  que  les  ferments  figurés  agissent  ensuite  pour  les  transformer 
en  acides  gras,  en  acide  carbonique  et  en  eau.  Lorsqu'en  effet  on  laisse  de  l'empois 
d'amidon  exposé  à  l'air  libre,  on  ne  tarde  pas  à  voir  cet  empois  se  fluidifier.  Une  analyse 
très  simple  révèle  alors  l'existence  de  dextrines,  de  maltose,  de  glucose.  Ces  transforma- 
tions sont  sous  la  dépendance  des  germes  de  l'air  qui  se  développent  dans  le  milieu 
amylacé.  Avec  le  temps  les  transformations  ne  s'arrêtent  pas  là;  la  réaction  devient  de 
plus  en  plus  acide,  et  celte  acidité  est  due  à  la  présence  d'acides  gras  en  proportions  va- 


-456  AMYLACES. 

riables  :  acides  lactique,  acétique,butyrique.  Mais  il  faut  tenir  grand  compte  de  l'aération 
plus  ou  moins  grande  du  milieu.  A  l'air  libre,  en  effet,  les  ferments  organisés  vivent  à 
l'état  d'agents  comburants,  briilant  le  sucre,  ou  utilisant  pour  la  construction  de  leur 
tissu  tout  ce  qu'ils  ne  transforment  plus  en  acide  carbonique  et  en  eau,  et  ils  se  repro- 
duisent activement  dans  ces  conditions.  C'est  ainsi  que,  si  l'on  ensemence  de  VAspergillus 
niger  sur  de  l'empois  d'amidon  largement  exposé  à  l'air,  cet  empois  se  liquéfie  d'abord, 
puis  se  saccharifle.  En  définitive  maltose  et  dextrine  sont  brûlés,  et  il  reste  un  liquide 
limpide  ne  renfermant  en  suspension  que  de  petits  cristaux  d'oxalate  de  chaux.  En 
même  temps  il  s'est  produit  de  l'acide  carbonique  et  de  l'eau. 

A  l'abri  de  l'air,  au  contraire,  le  développement  des  microrganismes  est  moins 
luxuriant,  et  la  vie  est  alors  caractérisée  par  la  production  d'acide  carbonique  et  d'alcool 
en  proportions  variables.  Il  se  forme  souvent  alors  de  l'acide  butyrique,  en  même 
temps  qu'il  se  dégage  de  l'hydrogène  et  de  l'acide  carbonique. 

Les  fermentations  que  subissent  spontanément  les  hydrates  de  carbone  abandoimés 
à  l'invasion  de  germes  extérieurs  sont  surtout  la  fermentation  lactique  et  la  fermentation 
butyrique. 

a.  Fermentation  butyrique.  —  L'action  du  ferment  butyrique  sur  les  amylacés  (fécule 
de  pomme  de  terre)  a  été  bien  étudiée  dans  ces  derniers  temps  par  A.  Villters. 

Au  bout  de  24  heures  l'empois  ensemencé  avec  le  Bacillus  amylohacler  est  générale- 
ment liquéfié.  On  laisse  la  fermentation  continuer  jusqu'à  ce  qu'on  constate  que  le 
liquide  ne  donne  plus  de  coloration  bleue  ou  violette  par  l'iode.  Pendant  cette  transfor- 
mation de  petites  bulles  gazeuses  se  dégagent.  Le  liquide  obtenu  est  très  légèrement  acide 
et  présente  nettement  l'odeur  de  l'acide  butyrique;  mais  il  ne  renferme  qu'une  très 
faible  quantité  de  cet  acide.  Les  produits  principaux  sont  constitués  par  des  dextrines 
non  attaquables  par  le  bacille,  du  moins  en  présence  des  autres  produits  formés  simulta- 
nément. 

Ces  dextrines  se  transforment  très  difficilement  en  glucose  sous  l'influence  de  l'eau 
et  des  acides;  elles  réduisent  la  liqueur  oupropotassique,  et  leur  pouvoir  réducteur  est 
d'autant  plus  grand  que  leur  pouvoir  rotatoire  est  plus  faible.  Ce  qui  est  remarquable 
au  cours  de  cette  fermentation,  c'est  l'absence  de  maltose  et  de  glucose;  ce  qui  sem- 
blerait démontrer  que  le  ferment  détermine  la  transformation  de  la  fécule  en  dextrine 
directement,  et  '  non  par  l'intermédiaire  d'une  diastase  sécrétée  par  le  microrga- 
nisme. 

En  même  temps  il  se  forme,  mais  entrés  petite  quantité,  un  hydrate  de  carbone  qui 
se  sépare  en  beaux  cristaux  radiés  au  bout  de  quelques  semaines  dans  l'alcool  ayant 
servi  à  la  précipitation  des  de.xtrines.  Cet  hydrate  de  carbone,  Villiers  lui  donne  le  nom 
de  ceHuZosine;  sa  solubilité  dans  l'eau  à  la  température  ordinaire  est  très  faible;  elle 
augmente  avec  la  température.  Son  pouvoir  rotatoire  est  très  élevé.  Il  n'est  pas  fermen- 
tescible  et  ne  réduit  pas  la  liqueur  de  Fehling.  Les  acides  minéraux  étendus  et  bouillants 
transforment  ce  produit  en  glucose,  mais  très  lentement. 

Enfin  il  reste  un  résidu  insoluble,  sous  forme  de  flocons  blancs  amorphes  qui,  après 
dessiccation,  s'agglutinent  entre  eux.  Ce  résidu  a  la  composition  de  la  cellulose. 

De  même  que  la  fécule  de  pomme  de  terre,  les  divers  amidons  et  fécules  fermentent 
dans  les  mêmes  conditions  sous  l'action  du  ferment  butyrique;  il  est  vrai  que  les  pro- 
duits formés  ne  sont  pas  totijours  identiques. 

p.  Fermentation  lactique.  —  La  fermentation  lactique  des  amylacés  précède  souvent 
la  fermentation  butyrique.  Elle  est  précédée  de  la  sacchariflcation  de  la  matière  amy- 
lacée, que  cette  sacchariflcation  aboutisse  à  du  maltose,  du  glucose  ou  du  galactose.  L'agent 
principal  de  cette  transformation  du  sucre  en  acide  lactique  de  fermentation  est  le  fer- 
ment lactique  isolé  par  Pasteur  :  c'est  un  microbe  essentiellement  aérobie.  Mais  beau- 
coup d'autres  microrganismes  sont  capables  de  produire  des  transformations  [analogues 
(Voyez  Fehnbach.  Ann.  de  l'Institut  Fasteur,  1894)'. 

1.  Dans  les  muscles  fatigués  on  trouve  de  l'acide  lactique  qui  donne  à  l'extrait  musculaire  une 
réaction  acide.  En  même  temps  on  constate  une  diminution  dans  la  quantité  du  glycogène  que 
contiennent  les  muscles.  Il  semble  bien  que  l'acide  lactique  se  forme  aux  dépens  du  glycogène. 
Est-ce  directement  ou  indirectement,  c'est-à-dire  en  passant  par  le  glucose? 


AMYLACES.  437 

La  formule  de  cette  transformation  pourrait  s'écrire  ainsi  : 


ou  bien  : 

C6H">03  +  60  =  C3H603  +3C02  +  2H20 

Amidon  A.  lactique 

La  fermentation  lactique  des  hydrates  de  carbone  est  entravée  par  la  présence  de 
l'acide  lactique.  Aussi  se  poursuit-elle  mieux  si  on  neutralise  au  fur  et  à  mesure  l'acide 
par  du  carbonate  de  chaux. 

Le  lactate  de  chaux  ainsi  formé  peut  à  son  tour  être  décomposé  par  le  ferment  buty- 
rique de  Pasteur  [Bacillus  butyricus)  et  donner  de  l'acide  butyrique. 

2C3HG03  =  CiHS03 -I- 2C02  +  2H02 

A.  lactique      A-  Butyrique. 

C'est  ainsi  que  la  fermentation  butyrique  peut  succe'der  à  la  fermentation  lactique. 

y.  Fermentation  acétique. —  Les  matières  amylacées  peuvent  aussi  fournir  de  l'acide 
acétique  :  Fitz  en  effet  a  décrit  un  bacille;  le  Bacillus  œthylicus,  qui  attaque  l'empois  vers 
40°  en  produisant  beaucoup  d'acide  butyrique,  un  peu  d'alcool  ordinaire  et  d'acide  acé- 
tique, et  une  trace  d'acide  succinique. 

La  levure  de  bière  n'a  pas  d'action  directe  sur  les  amylacés;  mais,  quand  ceux-ci  sont 
saccharifiés  par  la  diastase,  elle  transforme  le  sucre  en  alcool  et  acide  carbonique. 

C'est  ainsi  que  se  fabrique  la  bière  ordinaire,  une  bière  de  riz  nommée  Saké,  ou  Chicha, 
boisson  alcoolique  que  préparent  les  Indiens  de  l'Amérique  du  Sud  avec  la  farine  de  mais. 

S.  Fermentation  panaire.  —  C'est  également  par  une  fermentation  de  la  farine  de  froment 
que  se  fabrique  le  pain.  Mais  cette  fermentation  panaire  présente  encore  dans  son  étude 
quelques  obsurités.  La  fermentation  panaire  a  été  l'objet  des  recherches  approfondies  de 

BOUTROUX. 

Deux  théories  principales  ont  été  proposées  pour  expliquer  la  fermentation  panaire, 
la  théorie  de  la  fermentation  parla  levure  et  celle  de  la  fermentation  par  les  bactéries. 

La  plus  ancienne,  développée  par  Graham,  suppose  que  l'amidon  de  la  pâte  est  trans- 
formé par  une  diastase  (la  céréaline)  en  dextrine  et  maltose,  et  que  le  sucre  formé  subit  sous 
l'action  de  la  levure  du  levain  une  fermentation  alcoolique  normale. 

Une  seconde  théorie  plus  récente  attribue  la  fermentation  panaire  à  des  bactéries 
[Bacillus  ylutinis  de  Chicandard  :  Bacillus  panificans  de  E.  Laurent). 

BouTROUX  a  trouvé  dans  la  pâte  du  pain  en  fermentation  ou  dans  la  farine  cinq  espèces 
de  levures  et  trois  espèces  de  bactéries.  Il  a  trouvé  qu'une  trace  de  levure  délayée  avec 
de  la  farine  saine  et  de  l'eau  salée  fournit  un  levain  cultivable  de  pâte  en  pâte. 

Au  contraire  les  bactéries  n'ont  pu  fournir  un  levain  de  pâte  cultivable.  Ces  résultats 
conduisent  à  considérer  toutes  les  bactéries  du  levain  comme  incapables  de  faire  lever  le 
pain  à  elles  seules;  au  contraire  les  espèces  de  levures  qui  sont  des  ferments  actifs  rem- 
plissent cette  condition.  Mais  peut-on  faire  du  pain  en  éliminant  complètement  l'action 
des  bactéries? 

En  ajoutant  de  l'acide  tartrique  à  la  pâte,  on  crée  ainsi  un  milieu  très  défavorable 
aux  microbes.  Or  une  dose  d'acide  tartrique  qui  empêche  absolument  la  pâte  sans  levain 
de  se  gonfler  permet  au  contraire  à  la  pâte  additionnée  de  levain  de  lever  aussi  vite 
qu'une  pâte  semblable  faite  sans  acide  tartrique.  L'acide  tartrique  employé  à  dose  tolé- 
rable  pour  la  levure,  mais  suffisante  pour  rendre  impossible  le  gonflement  de  la  pâte  sous 
l'influence  des  microbes  que  contient  la  farine,  n'empêche  pas  de  lever  la  pâte  additionnée 
de  levure.  Ces  expériences  démontrent  donc  que  la  levure  est  l'agent  essentiel  de  la  fer- 
mentation proprement  dite.  • 

La  fermentation  panaire  consisterait  essentiellement  en  une  fermentation  alcoolique 
normale  du  sucre  préexistant  dans  la  farine,  auquel  s'adjoint  peut-être  du  sucre  formé 
par  saccharification  d'une  trace  d'hydrate  de  carbone.  Dès  lors  les  microbes  que  l'on 
trouve  dans  le  levain  ou  dans  la  pâte  ne  peuvent  être  qu'inutiles  ou  nuisibles.  Quant  à 


458  AMYLACES, 

l'alcool  qui  doit  se  former  pendant  l'action  de  la  levure,  les  uns  n'en  ont  pas  trouvé,  les 
autres  en  ont  trouvé.  A  Girard  a  même  admis  que  l'alcool  et  l'acide  carbonique  se  pro- 
duisent exactement  dans  les  proportions  qui  caractérisent  la  fermentation  alcoolique 
normale.  Pour  Ducladx,  au  contraire,  il  n'y  aurait  pas  production  d'alcool.  Selon  Bou- 
TROux,  les  résultats  seraient  diiïérents,  suivant  que  la  pâte  était  faite  avec  du  levain  ou 
avec  de  la  levure.  Dans  le  premier  cas,  pas  ou  presque  pas  d'alcool  ;  dans  le  second,  la 
pâte  gonflée  peut  contenir  de  l'alcool  en  quantité  appréciable.  Relativement  enfin  à  la 
diaslase  qui  saccharifierait  la  fécule  au  commencement  de  la  fermentation  panaire,  con- 
trairement à  RûsMEiNBERGER,  BouTROux  lui  dénie  tout  rôle  important  dans  le  processus  de 
fermentation.  Ce  serait  essentiellement  le  sucre  préexistant  dans  la  farine  qui  subirait 
la  fermentation. 

e.  Fermentation  muqueuse. —  Pasteur  a  décrit  un  ferment  qui  provoque  dans  un  certain 
nombre  de  jus  sucrés  une  sorte  de  transfoririation  visqueuse.  Kramer  a  décrit  une  fer- 
mentation muqueuse  pouvant  s'accomplir  aux  dépens  de  certains  hydrates  de  carbone, 
mannite,  amidon,  pourvu  que  la  liqueur  contienne  en  même  temps  une  quantité  suffisante 
de  matières  albuminoïdes  et  de  substances  minérales,  parmi  lesquelles  les  phosphates 
alcalins  qui  sont  indispensables.  Les  produits  de  la  fermentation  sont  une  matière 
gonimeuse  ayant  pour  formule  CH'^O^  la  mannite  (C^H'*0^)  et  de  l'acide  carbonique. 
Il  se  produit  aussi  des  acides  lactique  et  butyrique  avec  de  l'hydrogène  libre.  Ces  produits 
sont  dus  aux  fermentations  lactique  et  butyrique,  conséquence  de  l'impureté  du  fer- 
ment employé'. 

Ce  ferment  varierait  suivant  la  nature  de  la  matière  fermentescible.  La  matière 
gommeuse  produite,  précipitée  par  l'alcool,  est  blanche,  amorphe,  s'étirant  en  filaments. 
Elle  se  gonfle  simplement  dans  l'eau,  ne  se  colore  pas  par  l'iode.  Son  pouvoir  rotatoire 
est  de  +  193°. 

7).  Fermentation  de  la  cellulose.  —  On  sait  que  la  cellulose  entre  pour  une  très  grande 
part  dans  la  composition  de  l'alimentation  des  herbivores.  Ces  animaux  utilisent  une 
grande  partie  de  cette  cellulose;  ils  en  digèrent  70  p.  100  environ.  La  cellulose  est  donc 
transformée  dans  le  tube  digestif.  Les  recherches  de  Tappeiner  ont  montré  que  de  la 
cellulose  (coton,  papier  fin)  mise  en  suspension  dans  une  solution  d'extrait  de  viande  à 
1  p.  100  ensemencé  avec  une  goutte  du  contenu  de  la  panse  des  ruminants  se  désagrège 
et  disparaît  peu  à  peu.  Il  se  produit  en  même  temps  de  l'acide  carbonique,  mélangé  tan- 
tôt à  de  l'hydrogène,  tantôt  à  du  méthane  CH'. 

On  a  constaté  en  même  temps  la  présence  de  nombreux  bacilles  courts  et  mobiles.  Au 
bout  de  quatre  semaines  la  réaction  est  achevée;  50  p.  100  au  moins  de  la  cellulose  sont 
dissous,  et.  la  solution  très  acide  renferme  une  petite  quantité  d'un  corps  aldéhydique, 
et  des  acides  gras,  en  partie  libres,  en  partie  combinés.  On  ne  trouve  pas  d'acide  formique, 
mais  de  l'acide  acétique  en  abondance  et  des  acides  gras  supérieurs  mal  définis. 

Déjà,  en  1830,  Mistscherlich  avait  observé  le  mécanisme  de  la  dissolution  de  la  cellu- 
lose dans  les  macérations  végétales  et  reconnu  la  présence  de  vibrions  auxquels  il  était 
disposé  à  accorder  un  rôle  important  dans  la  dissolution  de  la  cellulose.  Ces  microrga- 
nisnies  ont  été  étudiés  en  1863  par  Trécul,  qui  a  reconnu  chez  eux  la  propriété  de  bleuir 
par  l'iode  et  qui,  à  cause  de  cela,  leur  a  donné  le  nom  de  B.  ami/lobacter . 

Enfin  Van  Tieghem  a  étudié  la  morphologie  et  la  biologie  de  ces  microrganismes.  Le 
Bacillus  amytobacter  peut  se  développer  aux  dépens  de  matériaux  très  divers. 

Si,  dans  une  fermentation  de  glucose,  sous  l'action  du  B.  amylobacter,  on  introduit  une 
substance  cellulosique,  on  voit  au  bout  d'un  certain  temps  celte  substance  se  désagréger, 
se  dissoudre  peu  à  peu.  Cette  dissolution  est  probablement  due  à  une  diastase  ;  mais  ce 
ferment  soluble  n'a  pu  être  encore  isolé.  Ajoutons  aussi  que  le  microbe  n'agit  pas  égale- 
ment bien  sur  toutes  les  celluloses;  ce  sont  les  celluloses  tendres  qu'il  attaque. 

Le  Bacillus  amylobacter  se  développe  très  bien  à  l'abri  de  l'air.  La  fermentation  s'ac- 
compagne d'un  dégagement  d'acide  carbonique  et  d'hydrogène.  Il  se  forme  en  même 
temps  de  l'acide  butyrique,  dont  l'accumulation  finit  par  entraver  l'activité  du  ferment. 

C'est  très  probablement  ce  microrganisme  qui  est  l'agent  essentiel  de  la  transfor- 
mation de  la  cellulose  dans  le  tube  digestif.  On  le  trouve  en  effet  dans  le  jabot  des 
oiseaux  et  la  panse  des  ruminants.  Il  transforme  la  cellulose  en  dextrine  et  en  glucose 
qu'on  retrouve  dans  les  liquides  de  la  panse;  il  produit  de  l'acide  carbonique  et  de 


AMYLACES.  4S9 

1  hydrogène  qui  la  distendent  ;  de  l'acide  butyrique  qui  en  rend  le  contenu  acide.  Chose 
remarquable,  le  Bacillus  amylobacter  ne  s'attaque  dans  la  cellule  végétale  qu'à  l'enve- 
loppe extérieure,  il  en  laisse  le  corps  inaltéré,  dans  sa  forme  et  dans  sa  structure.  On 
conçoit  le  rôle  important  que  joue  ce  microrganisme  dans  la  digestion  des  aliments 
herbacés. 

Forma.tion  des  substances  amylacées  par  les  végétaux.  —  Le  végétal  à  chlo- 
rophylle élabore,  on  le  sait,  les  matériaux  de  ses  tissus  aux  dépens  d'éléments  minéraux 
fournis  par  l'atmosphère  et  par  le  sol.  C'est  aux  dépens  du  carbone,  de  l'oxygène  et  de 
l'hydrogène  que  la  plante  va  former  toutes  les  substances  ternaires  qui  entrent  dans  son 
organisation.  Grâce  à  l'activité  chimique  de  la  chlorophylle,  il  s'opère  une  vraie  synthèse 
qui  donne  naissance  aux  hydrates  de  carbone.  C'est  dans  de  petits  grains  de  forme 
déterminée,  ordinairement  sphériques,  nommés  chromoleucites,  que  se  produit  le  plus  im- 
portant de  tous  les  principes  colorants  des  plantes  :  la  chlorophylle.  Or  ces  chromoleu- 
cites sont  les  agents  par  le  moyen  desquels  s'opère  l'élaboration  de  la  matière  amylacée. 
Cette  élaboration  se  fait  avec  une  rapidité  extrême.  Des  feuilles  dépourvues  d'amidon  à  la 
suite  d'un  séjour  à  l'obscurité  présentent  très  rapidement  la  réaction  caractéristique  par 
l'iode,  dès  qu'on  les  expose  à  la  lumière.  Une  expérience  élégante  de  Timiriazeff  le  dé- 
montre aussi.  Si  on  fait  tomber  un  spectre  lumineux  sur  une  feuille  vivante,  partout  où 
existeraient  les  bandes  d'absorption  delà  chlorophylle  si  la  lumière  traversait  le  limbe,  il 
se  forme  de  l'amidon  que  l'iode  fait  apparaître  en  bleu.  Mais  cet  amidon  est  certainement 
précédé  par  l'élaboration  du  sucre  dont  il  est  l'anhydride. 

Résumons  donc  rapidement  nos  connaissances  actuelles  sur  la  synthèse  des  sucres  par 
le  végétal. 

Les  feuilles  vertes  dégagent  à  la  lumière  un  volume  d'oxygène  égal  à  celui  de  l'acide 
carbonique  qu'elles  absorbent.  Cet  oxygène  provient  selon  toute  probabilité  à  la  fois  de 
l'eau  et  de  l'acide  carbonique. 

C02+  H20=  CO^'qh 

Ce  composé  CO(OH)-  qui  répond  à  l'acide  carbonique  dont  CO-  est  l'anhydride,  per- 
dant deux  atomes  d'hydrogène,  laisse  comme  résidu  un  hydrate  de  carbone  isomère  des 
glucoses. 

nCO  (0H)2  =  nO-2  +  (CH^  0)i> 

Ne  pouvant  prendre  toutes  les  valeurs  possibles,  ce  composé  CH-0  n'est  autre  que 
l'aldéhyde  formique  ou  méthylique.  Par  la  polymérisation  de  ce  corps  on  arrive  faci- 
lement à  la  formule  du  glucose  CH'-O^  =  b  CH'-O.  On  conçoit  que,  d'une  manière  analogue, 
par  des  condensations  de  degrés  différents,  d'autres  hydrates  de  carbone  puissent  se 
former. 

Cette  opinion  fut  soutenue  pour  la  première  fois  par  B.eyer  et  adoptée  par  Wûrtz.  On 
objecta  à  cette  théorie  l'action  toxique  exercée  par  les  aldéhydes  volatiles  sur  les  cellules 
végétales.  Mais  cette  aldéhyde  méthylique  est  extrêmement  instable;  elle  se  transforme 
immédiatement.  Pourtant  l'existence  de  l'aldéhyde  méthylique,  bien  qu'éphémère,  paraît 
certaine.  Maquenne,  en  effet,  a  réussi  à  extraire  des  feuilles  vertes  de  diverses  espèces 
de  l'alcool  méthylique  par  simple  distillation  avec  l'eau.  Enfin  l'existence  de  ce  noyau 
primordial  des  hydrates  de  carbone  pai-aît  encore  plus  certaine  après  les  admirables 
synthèses  réalisées  par  Fischer  dans  le  groupe  des  sucres.  En  effet  Boutlerow,  puis  Lôw, 
et  enfin  Fischer,  sont  arrivés  à  produire  des  sucres  (C^H'^O^J  par  polymérisation  de  l'aldé- 
hyde méthylique. 

Ces  remarquables  travaux  confirment,  on  le  voit,  l'hypothèse  de  B.eyer,  et  l'on  peut 
aujourd'hui  admettre  que  la  synthèse  végétale  débute  par  la  décomposition  de  l'acide 
carbonique  CO(OH)^,  dédoublé  en  aldéhyde  méthylique  et  en  0  qui  se  dégage.  Cette  aldé- 
hyde se  polymérise  au  fur  et  à  mesure  de  sa  production,  et  arrive  par  des  étapes  succes- 
sives de  condensation  à  former  du  glucose  et  des  composés  analogues.  Dès  lors  la  pro- 
duction de  l'amidon,  une  fois  le  glucose  formé,  peut  s'expliquer  facilement  par  une 
simple  déshydratation  opérée  par  la  cellule  végétale.  Cette  dernière  hypothèse  peut  s'ap- 
pliquer également  à  la  formation  des  autres  hydrates  de  carbone  qui  existent  dans  la 
plante,  polysaccharides,  inuline,  gommes  et  enfin  celluloses.  (Voy.  Chlorophylle.) 


460  AMYLACES. 

Amylogénie  animale.  —  Ce  n'est  plus  aux  dépens  de  simples  éléments  minéraux  que 
l'animal  élabore  les  matières  amylacées.  Son  alimentation  doit  lui  fournir  des  principes 
immédiats  complexes,  pour  lui  permettre  de  faire  face  à  ses  dépenses  d'énergie  et  à  la 
réparation  de  ses  tissus.  C'est  dans  ses  aliments  que  l'animal  trouve  les  matériaux  de  cette 
élaboration  infiniment  plus  simple  que  la  synthèse  des  hydrates  de  carbone  par  les  végé- 
taux. Mais,  comme  l'a  montré  Cl.  Bernard,  ce  n'est  pas  seulement  aux  dépens  des  sucres 
(les  amylacés  de  l'alimentation  que  l'animal  forme  le  glycogène  (dextrine  animale)  ;  c'est 
encore  aux  dépens  d'aliments  azotés,  et,  quoique  ces  synthèses  soient  peut-être  plus 
simples  que  celles  qu'opère  le  végétal,  le  processus  glycogénique  découvert  par  Cl.  Bernard 
a  contribué  à  faire  tomber  les  barrières  que  les  anciens  physiologistes  avaient  établies 
entre  le  végétal,  appareil  de  synthèse,  et  l'animal,  appareil  de  désassimilation.  Mais  faire 
l'histoire  de  l'amylogénie  animale,  ce  serait  faire  l'histoire  de  la  glycogenèse,  et  nous 
renvoyons  le  lecteur  à  l'article  Glycogène. 

Transformations  des  substances  amylacées  chez  le  végétal.  —  Ce  n'est  pas 
dans  ses  organes  même  de  production,  c'est-à-dire  dans  les  feuilles,  que  l'amidon  est  uti- 
lisé. C'est  un  article  d'exportation,  si  l'on  peut  s'exprimer  ainsi,  et  il  est  aussitôt  enlevé 
que  fabriqué.  Les  feuilles  représentent  l'oifre,  les  organes  en  formation  la  demande. 
Mais  il  faut  un  intermédiaire  qui  transporte  le  principe  immédiat  demandé  sous  une 
forme  commode.  Orla  seule  forme  possible  dans  les  échanges  qui  se  passent  dans  le  vé- 
gétal, c'est  la  forme  liquide.  D'où  la  nécessité  pour  l'amidon  de  se  transformer  en  un  de 
ses  isomères,  amidon  soluble,  dextrine,  ou  glucose.  C'est  par  l'intermédiaire  des  fer- 
ments solubles  que  ces  changements  s'opèrent. 

A  certains  moments,  en  effet,  par  exemple  quand  les  graines,  les  tubercules  ou  les 
bourgeons  passent  de  la  vie  latente  à  la  vie  manifestée,  on  voit  les  grains  d'amidon  se 
dissoudre  peu  à  peu  dans  les  cellules,  et  finalement  être  remplacées  par  du  maltose.  A  ce 
moment  le  protoplasma  de  la  cellule  manifeste  une  réaction  acide  ;  mais  cette  acidité  est 
trop  faible  pour  pouvoir,  à  elle  seule,  à  la  température  ordinaire,  attaquer  les  grains 
d'amidon.  C'est  l'amylase  qui  opère  ces  transformations.  Tantôt  la  diastase  ne  prend 
naissance  qu'au  début  de  la  germination,  comme  dans  le  haricot,  tantôt  elle  existe  toute 
formée  durant  la  vie  latente,  et  la  germination  ne  fait  qu'en  accroître  la  quantité,  comme 
dans  les  pois.  Elle  se  développe  d'ailleurs  tout  aussi  bien  dans  les  cellules  qui  n'ont  pas 
d'amidon,  comme  dans  les  racines  tuberculeuses  de  la  carotte,  du  chou-rave,  que  dans 
celles  qui  en  possèdent.  Ce  dernier  fait  est  à  rapprocher  d'un  fait  analogue  qui  se  produit 
chez  les  organismes  inférieurs,  chez  ÏAspergillus  niyer  par  exemple,  oii  on  voit  se  faire 
une  sécrétion  d'amylase,  alors  que  le  milieu  nutritif  ne  contient  pas  de  substance  amy- 
lacée. 

L'amylase,  dans  un  milieu  légèrement  acide,  attaque  le  grain  d'amidon  et  le  dédouble 
en  dextrines  et  maltose. 

En  effet  nous  trouvons  les  dextrines  dans  tous  les  organes  en  cours  de  végétation 
active,  et  partout  où  l'amidon  formé  est  en  train  d'être  résorbé.  On  peut  regarder  la  dex- 
trine comme  une  des  formes  sous  laquelle  la  matière  amylacée  chemine  de  cellule  en 
cellule,  soit  pour  fournir  aux  régions  en  voie  de  croissance  les  éléments  nécessaires  à  la 
formation  des  tissus,  soit  pour  constituer  de  nouvelles  réserves  nutritives  loin  des  points 
où  l'accumulation  première  a  eu  lieu  (Van  Tieghem). 

De  même  l'inuline,  les  gommes,  les  matières  pectiques,  sont  transformées  par  l'action 
de  diastases  particulières,  et  ces  transformations  aboutissent  en  définitive  à  la  sacchari- 
fication. 

Les  matières  amylacées  peuvent  se  former  aussi  dans  l'organisme  végétal  aux  dépens 
de  corps  gras.  Ceux-ci  sont  saponifiés  par  une  diastase,  la  saponase,  qui  les  dédouble  en 
acides  gras  et  en  glycérine.  La  glycérine  disparaît  graduellement,  les  acides  gras  s'oxy- 
dent et  paraissent  se  convertir  en  hydrates  de  carbone,  dont  une  partie  se  dépose  dans 
les  cellules  sous  forme  de  grains  d'amidon.  C'est  là  un  phénomène  qui  se  produit  dans  la 
germination  des  graines  oléagineuses. 

Mais  le  phénomène  inverse  peut  se  produire;  les  hydrates  de  carbone  peuvent  se 
transformer  en  huiles  et  en  graisses  à  certains  moments  de  la  vie  de  la  plante. 

Dans  les  fruits  et  les  feuilles  de  l'olivier  on  trouve  au  mois  de  septembre  et  d'octobre 
une  grande  quantité  de  mannite  qui  disparaît  peu  à  peu,  à  mesure  qu'augmente  propor'- 


AMYLACES.  461 

tioiinellement  l'huile  qui]  se  concentre  dans  le  fruit  mûr.  Rapprochement  intéressant  : 
Seegen  attribue  aussi  au  glycogène  hépatique  un  rôle  important  dans  l'adipogénie 
animale. 

Transformations  des  substances  amylacées  dans  l'organisme  animal.  —  Nous 
ne  donnerons  qu'un  aperçu  général  et  rapide  de  ces  transformations,  renvoyant  pour 
les  détails  aux  articles  Digestion  et  Glycogénie. 

Les  diverses  substances  amylacées  que  renferme  l'alimentation  des  animaux  ne  sont 
absorbées  qu'après  avoir  été  sacchariflées  par  les  sucs  digestifs.  Ici  encore  cette  sac- 
charification  est  le  résultat  de  l'action  du  ferment  soluble  del'amylase  ou  diastase  pro- 
prement dite.  Ce  ferment  saccharifiant  est  extrêmement  répandu  dans  l'organisme  ani- 
mal. On  le  trouve,  non  seulement  dans  le  tube  digestif  et  dans  ses  annexes,  mais  encore 
dans  le  sang,  l'urine,  les  muscles,  la  plupart  des  organes  du  corps,  à  tel  point  que 
WiTTiCH  a  pu  dire  que  ce  ferment  «  n'est  pas  un  produit  de  l'activité  cellulaire  du 
parenchyme  des  glandes,  ou  du  moins  n'a  pas  cette  origine  unique,  que  c'est  bien  plu- 
tôt un  principe  engendré  dans  les  échanges  organiques  en  général  ». 

De  même  Lépine  a  trouvé  dans  tous  les  organes,  excepté  dans  le  cristallin,  une  subs- 
tance diastasique,  et  Seegen  conclut  de  ses  propres  recherches  que  «  les  tissus  albumi- 
noïdes,  ainsi  que  les  corps  albuminoïdes,  solubles  totalement  ou  partiellement  dans  l'eau, 
possèdent  la  faculté  d'exercer  une  action  saccharifiante  ». 

Cette  conclusion  apparaîtra  peut-être  un  peu  trop  absolue,  si  l'on  songe  à  l'interven- 
tion possible,  dans  ces  expériences,  de  microbes  producteurs  de  diastase.  On  sait,  en  effet, 
qu'il  suffit  de  laisser  de  l'empois  d'amidon  exposé  à  l'air  pour  le  voir  se  tluidifler  et  se 
saccharifler  très  rapidement  sous  l'influence  des  germes  atmosphériques.  Or  il  ne  res- 
sort pas  de  l'exposé  des  expériences  des  auteurs  ci-dessus,  en  particulier  de  Seegen,  que 
des  précautions  suffisantes  aient  été  prises  pour  éviter  l'ingérence  des  bactéries. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'action  du  ferment  saccharifiant,  quelle  que  soit  son  origine,  est 
toujours  la  niême.  Les  matières  amylacées  sont  hydratées  et  dédoublées  endextrines  et 
maltose. 

C'est  dans  la  cavité  buccale  que  les  aliments  féculents  sont  d'abord  soumis  à  cette 
action.  Nous  ne  pouvons  discuter  la  question  de  l'origine  même  de  l'amylase  salivaire  ou 
ptyaline,  c'est-à-dire  si  ce  ferment  est  dû  en  grande  partie  aux  microrganismes  de  la 
bouche,  comme  le  veut  Doclaux,  ou  si  sa  principale  source  est  dans  les  glandes  salivaires. 
Ce  qui  est  certain  cependant,  c'est  que  les  infusions  des  glandes  salivaires  possèdent  le 
pouvoir  saccharifiant,  comme  la  salive  elle-même. 

On  admettait  autrefois  que  l'amidon  était  transformé  en  dextrine  et  glucose.  L'ac- 
tion saccharifiante  de  la  ptyaline  (action  découverte  par  Leuchs)  comme  celle  de  la  dias- 
tase de  l'orge  germée  est  plus  complexe,  et  il  se  forme  en  réalité  une  série  de  dextrines, 
et  du  maltose.  Nasse  avait  cru  que  le  sucre  formé  était  un  sucre  particulier,  auquel  il 
donna  le  nom  de  ptyalose;  d'après  Muscdlus,  cette  ptyalose  de  Nasse  ne  serait  qu'un 
mélange  de  dextrine  et  de  maltose  avec  des  traces  de  glucose.  Il  se  forme  en  effet  des 
traces  de  glucose  dans  la  saccharification  de  l'amidon  par  la  salive. 

L'amidon  cru  est  très  lentement  saccharifié  par  la  salive  (deux  ou  trois  heures  d'après 
Schiff).  Enfin  les  divers  amidons  ne  sont  pas  saccharifiés  également  vite.  Mais  cette  diffé- 
rence disparaît  quand  les  grains  d'amidon  sont  pulvérisés  au  préalable. 

La  ptyaline  n'agit  pas  seulement  sur  l'amidon,  elle  saccharifié,  quoique  plus  lente- 
ment d'après  Seegen,  le  glycogène. 

Cette  action  saccharifiante  peut  se  produire  dans  l'estomac,  au  moins  pendant  les 
premiers  temps  de  la  digestion  gastrique,  alors  que  l'acidité  du  milieu  n'est  pas  trop 
considérable  (Ch.  Richet).  Bourquelot  a  étudié  avec  grand  soin  cette  influence  du  milieu 
alcalin  ou  acide  ainsi  que  le  phénomène  de  diastase  chez- divers  invertébrés.  Rech.  sur 
les  phétiom.  de  la  digestion  chez  les  mollusques  céphalopodes  (Th.  doct.  des  sciences.  Paris, 
1884,  123  pp.). 

Dans  l'intestin  grêle  les  matières  amylacées  vont  subir  Faction  du  suc  pancréatique, 
action  beaucoup  plus  rapide  et  beaucoup  plus  énergique  que  celle  de  la  salive.  Cette 
action  saccharifiante,  découverte  par  Valentin,  est  due  à  un  ferment,  amylase  pancréa- 
tique, qu'on  n'est  pas  encore  arrivé  à  bien  isoler.  La  marche  de  la  transformation  est  la 
même  que  pour  la  diastase  etla  ptyaline,  mais  elle  est  caractérisée  par  une  très  grande 


462  AMYLACES. 

rapidité  et  une  très  grande  énergie.  Enfin  le  suc  intestinal  lui-même  possède  une  action 
sacchariflante,  comme  l'a  vu  Paschutin. 

Ajoutons  que,  dans  le  tube  digestif,  depuis  la  bouche  jusqu'à  l'anus,  de  très  nombreux 
microbes  viennent  collaborer  à  l'action  sacchariflante  des  sucs  glandulaires.  Mais  leur 
action  ne  s'arrête  pas  à  la  simple  sacchariflcation. 

Ils  font  en  effet  fermenter  les  matières  amylacées  et  leurs  produits  de  transformation, 
et  c'est  sous  leur  influence  que  se  forment  les  acides  gras  volatils  :  acides  acétique,  for- 
mique,  butyrique,  lactique.  En  même  temps  il  se  fait  un  abondant  dégagement  de  gaz 
acide  carbonique  et  hydrogène. 

Cette  fermentation  bactérienne  des  amylacés  ne  se  produit  pas  dans  l'estomac  à  l'état 
normal,  parce  que  l'acide  chlorhydrique  du  suc  gastrique  entrave  l'action  des  microbes, 
mais  il  suffit  que  cette  acidité  diminue  notablement  pour  que  les  fermentations  s'éta- 
blissent. 

Quant  à  la  digestion  de  la  cellulose,  nous  avons  vu  que  cette  substance  est  digérée 
en  proportions  notables  par  les  herbivores,  et  que  ses  transformations  sont  dues  aux  micror- 
ganismes.  Chez  l'homme,  la  cellulose  occupe  dans  l'alimentation  une  place  moins  impor- 
tante. Cependant  les  transformations  des  amylacés  dans  l'intestin  chez  l'homme  relèvent 
très  probablement  des  mêmes  agents  que  chez  les  herbivores. 

Les  amylacés  ne  sont  absorbés  qu'après  leur  transformation  en  glucose.  Ce  glucose, 
absorbé  parles  rameaux  de  la  veine-porte,  est  saisi  par  le  foie  et  mis  en  réserve  sous 
forme  de  glycogène,  anhydride  du  glucose.  Pour  les  besoins  de  l'organisme  ce  glycogène 
est  retransformé  en  glucose.  Le  mécanisme  de  cette  transformation  est  controversé.  Pour 
les  uns  elle  serait  due  à  l'activité  propre  de  la  cellule  hépatique  sans  intervention  d'un 
ferment  diastasique  (Dastre)  ;  pour  Cl.  Bernard,  au  contraire,  le  foie  sécréterait  uu  fer- 
ment soluble  (ferment  hépatique),  qui  transformerait  le  glycogène  en  sucre.  Les  recherches 
récentes  d'ARTHUs  et  Huber  viennentjà  l'appui  des  conclusions  de  Cl.  Bernard.  On  sait 
que  les  muscles  contiennent  aussi  un  ferment  saccharifiant,  étudié  par  Nasse  et  par  Halli- 
burton. C'est  à  lui  qu'on  doit  attribuer  les  transformations  du  glycogène  dans  le  tissu 
musculaire.  Son  action  est  assez  lente,  même  à  40°.  Pour  Seegen,  au  contraire,  ce  ferment 
n'existerait  pas,  et  la  sacchariflcation  du  glycogène  serait  due  à  l'activité  propre  de  la  cellule 
musculaire.  Ajoutons  qu'on  a  signalé  la  présence  du  maltose  dans  les  muscles.  [Ce  sucre 
vient-il  de  l'alimentation  et  du  produit  du  dédoublement  des  amylacés  dans  l'intestin,  ou 
résulte-t-il  d'une  transformation  sur  place  de  la  matière  glycogène  ? 

Rôle  des  amylacés  dans  l'aliinentation,  la  nutrition,  le  travail  musculaire. 
—  Voyez  Aliments,  Nutrition,  Sucres,  Travail. 

Bibliographie  gènèrale](Nous  ne  mentionnerons  ici  que  les  ouvrages  ou  mémoires 
se  rapportant  aux  matières  amylacées  en  général;  car  pour  Dextrine,  Diastase,  Cellulose, 
Glycogène,  Maltose,  la  bibliographie  sera  faite  à  ces  mots).  —  A.  Wortz.  Chimie  biolo- 
gique, 1883.  —  A.  Gautier.  Cours  de  chimie,  t.  ii,  1887;  t.  m,  1891.  —  Schutzenberger. 
Traité  de  chimie  générale,  t.  v,  1887.  — •  Prunier  (Encyclopédie  chimique,  t.  vi,  2°  fascicule, 
1885).  —  Beaunis.  Traité  de  physiologie,  3=  édition,  1888,  1. 1,  pp.  109-129.  —  H.  Byasson. 
Des  matières  amylacées  et  sucrées  Th.  d'agrégation  de  Paris,  1872.  —  G.  Bleicher.  Les 
Fécules.  Th.  d'agrégation  de  Paris,  1878.  —  Duclaux  {Encyclopédie  chimique  de  Frémy. 
Microbiologie,  t.  ix,  1883).  —  Lambling,  Garnier  et  Schlagdenhauffen  {Encyclopédie 
chimique.  Chimie  physiologique,  t.  ix,  1892).  — ■  Landois.  Physiol.  humaine  {trad.  franc., 
1892). 

Bibliographie  spéciale.  —  Amidon  et  amylacés.  —  Payen.  Mém.  sur  l'amidon  {Ann. 
des  se.  nat.,  t.  x,  2"  série,  1838).  — ■  Nœgeli.  Die  Starkekœrner.  Zurich,  1838,  et  Die 
Stàrkegruppe.  Leipzig,  1874.  —  P.  Bahlmann.  Uber  die  Bedeutung  der  Amidsubstanzen  fù.r 
die  thierische  Erndhrung  (Th.  d'Erlangen,  1885).  —  L.  Mialhe.  Mém.  sur  la  digest.  et  l'assi- 
milât, des  matières  amyloîdes  et  sîfcrées.  Paris,  1846.  —  E.  Bourquelot.  Sur  la  composition 
du  grain  d'amidon  {B.  B.,  1887,  pp.  32-34).  —  H.  Brown  et  J.  Héron.  Beitràge  sur  Ges- 
chichte  der  Stàrke  und  der  Verwandlungen  derselben  {Ann.  d.  Chem.,  1879.  t.  cxcix, 
pp.  165-233).  —  F.  MuscuLus  et  D.  Gruber.  Ein  Beitrag  zur  Cheniie  der  Stàrke  (Z.  P.  C, 
1878,  t.  II,  pp.  177-190).  —  C.  O'Sullivan.  On  the  estimation  of  starch  {Journ.  Chem.  Soc, 
1884,  t.  xLv,  pp.  1-10).  —  A.  F.  V.  Schimper.  Besearches  upon  the  development  of  starch 
grains  {Quarterl.  Journ.  Micr.  Se,  1881,  t.  xxi,  pp.  291-3061.  —  E.  Schulze.  Vber  den  Ein- 


AMYLE    (Dérivés  de  1')    —   AMYLE    (Nitrite  d').  463 

fluss  der  Nahrung  auf  die  Ausscheidung  der  Amidartigen  Substanzen  (Th.  de  Bonn,  1890).  — 
Br.  Bruckner.  Beifràge  zur  genauere  Kenntniss  der  chem.  Beschaffenheiten  der  Stàrkekôrner 
(Monatsh.  f.  Chem.,  t.  iv,  1883).  —  F.  Salomon.  Die  Stârke  und  ihre  Verwandlungen  {Journ. 
f.  prak.  Chem.,  t.  xxvni,  1883).  —  Dehérain.  La  nutrition  végétale  {Encyclopédie  chimique, 
l88o,  t.  x).  —  V.iN  TiEGHEM.  Traité  de  Botan.,  1884,  pp.  504-518.  —  Baranetzky.  Die  Stàrke- 
umbildende  Fermente  in  den  Pflanzen.  Leipzig,  1878.  —  Musculus.  Sur  la  constitution  chi- 
mique de&  matières  amylacées  (C.  R.,  1869,  t.  lxvjii,  p.  1267).  —  Sur  les  modificatiotis  des 
propriétés  physiques  de  l'amidon  [Ibid.,  1879,  t.  lxxxviii,  p.  612).  —  A.  Richardson.  The 
Chemical  composition  of  wheat  and  corn  as  influenced  by  environment  {Americ.  chem.  Journ., 
t.  vr,  déc.  1884,  pp.  302-318).  —  0.  Nasse.  Bemerkung  zur  Physiologie  der  Kohlenhydrate 
{A.  Pf.,  t.  XIV,  1877,  pp.  473-485). 

AMYLE  (Dérivés  de  1').  —  L'amyle  est  un  radical  hypothétique,  C»H", 
dont  on  admet  l'existence  dans  les  dérivés  de  l'alcool  amylique. 

L'alcool  amylique  (C»H'SOH)  bout  à  132°.  Il  est  insoluble  dans  l'eau  ;  il  possède  une 
odeur  pénétrante,  suffocante  ;  même  de  petites  quantités  suffisent  pour  provoquer  la 
toux  et  une  sensation  spéciale  d'angoisse  thoracique.  Il  est  toxique  trois  fois  plus  que 
l'alcool  éthylique;  et  les  effets  consécutifs  de  l'intoxication  amylique  sont  bien  plus 
graves  que  ceux  de  l'intoxication  éthylique.  Sa  présence  dans  les  alcools  de  mauvaise 
qualité  contribue  pour  une  grande  part  à  rendre  ces  alcools  extrêmement  dangereux 
pour  la  santé  publique  (Voyez  Alcools,  toxicologie  générale,  p.  244). 

Les  autres  composés  amyliqnes  n'ont  pas  été  étudiés  par  les  physiologistes,  sauf  le 
nitrite  d'amyle  qui  mérite  une  étude  toute  spéciale. 

En  médecine  on  emploie  le  valérianate  d'amyle  (qui  bout  à  190°),  à  la  dose  de 
quelques  centigrammes.  On  attribue  à  ce  corps  des  propriétés  sédatives.  Turnbull. 
Researches  on  the  physiolog.  and  med.  properties  of  the  compounds  of  organic  radicals,  me- 
thyle,  ethyle  and  amyle  {Gaz.  méd.  de  Paris,  1835,  pp.  424-440)  (Voy.  plus  loin  Amyléne, 
p.  468). 

AMYLE  (Nitrite  d').  —  chimie.  Historique.  —  Le  nitrite  d'amyle 
(G°  H*^  Âz  0-)  se  prépare  en  chauffant  doucement  un  mélange  d'hydrate  d'amyle  et 
d'acide  nitrique.  C'est  un  liquide  légèrement  coloré  en  jaune,  qui  bout  à  99°.  Sa  den- 
sité est0,877.  Au  point  de  vue  physiologique,  c'est  le  plus  important  des  composés  amy- 
liques. 

En  1859,  GuTHRiE  en  étudiant  au  point  de  vue  chimique  le  nitrite  d'amyle,  constata 
que,  lorsqu'il  respirait  des  vapeurs  de  cet  éther,  son  visage  se  colorait  brusquement 
et  que  les  pulsations  cardiaques  augmentaient  de  fréquence  et  d'amplitude.  Cette  action 
spéciale  du  nitrite  d'amyle  sur  la  circulation  caractérise  une  des  propriétés  inté- 
ressantes de  ce  corps  ;  depuis  cette  époque,  les  recherches  physiologiques  ont  été  mul- 
tipliées et  il  en  est  résulté  des    applications  thérapeutiques  importantes. 

Nous  devons  donc  examiner  avec  quelques  détails  l'action  du  nitrite  d'amyle  sur  les 
différentes  fonctions  de  l'organisme. 

Après  Guthrie,  Richardson  étudia  plus  méthodiquement  le  nitrite  d'amyle,  et  il 
montra  que  chez  la  grenouille  on  observe  une  dilatation  générale  des  capillaires  avec 
renforcement  du  cœur,  suivie  secondairement  d'une  contraction  de  ces  capillaires  et  d'un 
affaiblissement  de  l'énergie  cardiaque. 

Gamgee  (1869)  constate  la  diminution  de  la  'pression  sanguine:  ses  recherches  furent 
confirmées  par  Lauder  Brunton,  qui  poursuivit  le  mécanisme  d'action  de  cette  diminu- 
tion de  pression  et  admit  une  action  directe  sur  les  parois  des  vaisseaux  sanguins. 

Depuis  cette  époque  le  nitrite  d'amyle  a  été  étudié  par  beaucoup  de  physiologistes  et 
par  des  médecins. 

Action  sur  la  circulation.  — Le  fait  le  plus  saillant  de  l'action  du  nitrite  d'amyle, 
c'est  l'accélération  du  rythme  cardiaque  coïncidant  avec  une  baisse  considérable  de  la 
pression  sanguine  et  une  dilatation  des  dernières  ramifications  artérielles. 

L'accélération  du  rythme  cardiaque  n'est  point  la  cause  de  la  dépression  sanguine. 
On  pouvait  admettre  en  effet,  comme  cela  se  produit  dans  l'excitation  de  certains  nerfs 


iU  AMYLE    (Nitrite  d'). 

accélérateurs,  que  le  cœur,  en  se  contractant  trop  rapidement,  envoyait  à  ctiaque  sj'stole 
une  quantité  de  sang  inférieure  à  la  quantité  normale.  Il  n'en  est  pas  ainsi.  Eu  utilisant 
la  méthode  de  Fr.  Franck  pour  étudier  les  changements  de  volume  du  cœur,  on  voit  qu'à 
chaque  contraction  le  déplacement  volumétrique  du  cœur,  c'est-à-dire,  en  réalité,  la 
quantité  de  sang  envoyée  par  le  cœur,  est  la  même,  avant  et  après  l'accélération  due 
au  nitrite  d'amyle  (Dugao.  D.  P.,  1879,  p.  04). 

FiLEHNE  (A.  Pf.,  t.  IX,  p.  470)  signale  la  différence  de  réaction  sur  le  lapin  et  la  gre- 
nouille. Chez  les  deux  animaux  les  contractions  seraient  plus  puissantes,  mais  l'accéléra- 
tion ne  se  manifesterait  pas  chez  la  grenouille.  Chez  cette  dernière,  au  contraire,  on 
ohserve,  même  avec  de  faibles  doses,  une  diminution  dans  le  rythme  allant  jusqu'à  l'ar- 
rêt en  diastole.  L'action  stimulante  du  nitrite  d'amyle  sur  le  cœur  est  généralement 
admise. 

Inutile  d'insister  sur  les  observations  de  Mayer  et  de  Friedrich  {A.  P.  P.,  t.  v,  p.  .jri, 
1876)  qui  ont  constaté  l'arrêt  du  cœur  après  avoir  injecté  directement  dans  cet  organe 
du  nitrite  d'amyle.  C'est  un  phénomène  commun  à  toutes  les  substances  de  cet  ordre. 
Mais,  administré  à  petite  dose,  le  nitrite  parait  agir  comme  stimulant  (Reichert.  New 
York  médical  Joiirn.,  juillet  1881.  — Atkinson.  Joum.  of  Anat.  and.  PhysioL,  1888).  En 
tout  cas  ces  doses  doivent  être  très  faibles;  autrement  l'eflet  excitateur  est  remplacé  par 
une  dépression  intense. 

Pour  DuGAU  les  variations  dans  le  rythme  cardiaque  ne  sont  pas  liées  nécessaire- 
ment aux  modifications  de  la  pression  artérielle.  Tantôt,  en  effet,  l'accélératiou  du 
rythme  coïncide  avec  ie  début  de  la  baisse  de  pression,  et  cesse  quand  la  chute  est  très 
forte;  tantôt  l'accélération  ne  se  produit  pas,  malgré  une  forte  dépression. 

Chez  les  animaux  à  pneumogastriques  coupés,  et  chez  qui,  par  conséquent,  le  cœur 
bat  déjà  très  vite,  les  inhalations  de  nitrite  d'amyle  ne  peuvent  plus  modifier  le  rythme, 
tout  en  amenant  la  dépression  artérielle.  Mais,  si  l'on  attend  un  certain  temps  après  la 
vagotomie,  pour  que  le  cœur  revienne  à  un  rythme  normal,  on  voit  les  inhalations  de 
nitrite  déterminer  l'accélération.  Ce  n'était  donc  pas  la  section  des  nerfs  vagues  qui  em- 
pêchait une  nouvelle  accélération;  c'était  simplement  parce  que  le  nitrite  d'amyle  ne 
peut' déterminer  qu'une  certaine  accélération,  et  que,  si  celle-ci  est  atteinte  déjà  avant 
les  inhalations,  elle  ne  peut  plus  désormais  augmenter. 

Effets  vaso-dilatateurs.  —  La  vaso-dilatation  est  l'effet  le  plus  évident  de  l'in- 
halation du  nitrite  d'amyle.  Chez  l'homme  il  suffit  de  constater  la  rougeur  de  la  face, 
le  développement  des  branches  de  la  temporale.  A  l'ophtalmoscope  on  observe  une  dila- 
tation remarquable  des  vaisssaux  de  la  pupille  (Bader.  Lancet,  8  mai  1873,  p.  644).  — 
Nous  devons  ajouter  que  cette  dilatation  est  niée  par  R.  Pick  et  Amez-Droz.  —  Chez  le 
lapin,  la  vascularisation  de  l'oreille  est  manifeste.  L'injection  des  vaisseaux  de  la  pie- 
mère  peut  être  constatée  en  pratiquant  une  couronne  de  trépan  (Sleketée.  Thèse 
d'Utrecht,  1873). 

Mais,  si  la  vaso-dilatation  est  admise  par  tous  les  auteurs,  le  mécanisme  même  de 
cette  action  reste  encore  discuté.  Nous  avons  déjà  vu  que  l'on  ne  saurait  évoquer, 
ainsi  que  l'admettait  Richardson  {Lancet,  août  1873),  une  action  directe  sur  le  cœur. 
Il  suffit  de  constater  l'abaissement  de  pression  dans  les  vaisseaux  pour  rejeter  cette 
théorie  ;  d'ailleurs  nous  avons  dit  qu'il  n'existait  aucune  corrélation  entre  l'accélération 
du  cœur  et  la  vascularisation  périphérique. 

Trois  hypothèses  restent  donc  : 

1°  Dilatation  passive,  par  paralysie  directe  des  parois  musculaires  des  vaisseaux; 

2°  Dilatation  passive  par  paralysie  du  système  vaso-constricteur,  soit  dans  les  centres 
nerveux,  soit  à  la  périphérie. 

3°  Dilatation  active  par  action  dynamique  de  l'appareil  vaso-dilatateur,  soit  dans  les 
centres  nerveux,  soit  à  la  périphérie. 

Lauder  Brunton  {Lancet,  juillet  1867),  puis  H.  Wood  {American  Journal  of  mcd.  Se, 
juillet  1871,  t.  Lxii,  pp.  39-65;  359-362)  rejettent  l'action  des  centres  vaso-moteurs  bul- 
baires, en  s'appuyant  sur  cette  expérience  que  l'action  vaso-motrice  se  produit  encore 
après  la  section  de  la  moelle  cervicale  au-dessous  de  l'atlas.  Wood  est  même  porté  à 
admettre  une  action  directe  sur  la  fibre  musculaire  des  artères;  et  cette  opinion  d'après 
lui  trouve  encore  sa  confirmation  dans  l'action  paralysante  du  nitrite  d'amyle  sur  les 


AMYLE    (Nitrite  d').  -itio 

muscles.  Leech  (Lancel,  t.  i,  1893)  admet  qu'il  suffit  d'une  solution  au  millième  de 
nitrite  d'amyle  pour  supprimer  l'activité  des  muscles  striés,  et  que  les  muscles  à  fibres 
lisses  sont  encore  plus  sensibles. 

Les  expériences  invoquées  par  L.  Bru.nton  et  H.  Wood  sont  sujettes  à  de  fi^raves  criti- 
ques. Ces  auteurs  admettent  en  effet  que  les  nerfs  vaso-moteurs  ont  pour  origine  unique 
les  contres  de  la  moelle  allongée.  Or  Vulpian,  Goltz,  et  bien  d'autres,  ont  montré 
l'action  vaso-motrice  de  diverses  parties  de  la  moelle  épinière.  Gley,  allant  plus  loin, 
a  confirmé  l'idée  presque  hypothétique  encore  de  Vulpian  sur  les  centres  ganglionnaires 
extra-médullaires. 

D'autre  part,  on  ne  saurait  admettre  la  paralysie  du  système  vaso-constricteur  péri- 
phérique. Si,  en  effet,  comme  l'ont  fait  François-Franck,  Sleketée,  on  excite,  après  inha- 
lation de  nitrite  d'amyle,  soit  le  bout  périphérique  du  sympathique,  soit  le  bout  central 
d'un  nerf  sensitif  quelconque,  on  observe  la  constriction  ordinaire  des  vaisseaux  et  l'aug- 
mentation de  tension  du  réseau  périphérique.  Les  appareils  terminaux  ne  sont  donc 
pas  paralysés. 

Il  n'existe  donc  ni  paralysie  des  muscles,  ni  paralysie  du  système  vaso-constricteur 
périphérique.  Deux  hypothèses  restent  encore  :  une  action  réflexe  suspensive  exercée 
sur  les  centres  vaso-moteurs  de  la  moelle  épinière,  ou  une  vaso-dilatation  active  dépen- 
dante ou  non  des  centres  médullaires. 

Sleketée  soutient  la  première  de  ces  hypothèses,  mais  en  admettant  toutefois  une 
action  directe  sur  les  fibres  nerveuses  de  la  paroi  vasculaire;  car  il  a  vu  qu'après  avoir 
sectionné  un  des  sympathiques,  la  vaso-dilatation  s'accentue  encore  dans  le  côté  sec- 
tionné sous  l'influence  des  inhalations  de  nitrite  d'amyle. 

Cette  action  directe  sur  les  parois  vasculaires  est  admise  par  Berger  [D.  Zeitsch.  f. 
prakt.  MecL,  1874,  p.  393),  Schramm,  S.  Mayer  et  Fridrigh  [A.  P.  P.,  187S,  pp.  bo-8o), 
Hdizinga  (A.  Pf.,  t.  si),  Francois-Franck  et  DasAU.  L'expérience  citée  par  Dugau  est  des 
plus  élégantes.  Si  l'on  met  à  nu  les  deux  glandes  sous-maxillaires  et  qu'on  coupe  la 
corde  du  tympan  d'un  côté,  l'action  vaso-dilatatrice  du  nitrite  d'amyle  ne  pourra  se 
manifester  que  du  côté  où  la  corde  du  tympan  est  intacte,  si  cette  substance  agit  exclu- 
sivement sur  les  centres  nerveux.  Elle  devrait  s'accuser  au  contraire  dans  les  deux 
glandes,  si  l'influence  périphérique  suffisait.  Or  c'est  ce  dernier  cas  qui  se  produit. 
Les  deux  glandes  présentent  tous  les  caractères  de  la  dilatation  vasculaire  active,  sauf 
la  rutilance  du  sang  veineux,  par  suite  des  altérations  colorimétriques  du  sang,  carac- 
téristiques de  l'intoxication  par  le  nitrite  d'amyle. 

Dugau  ne  veut  cependant  pas  exclure  complèlement  l'action  sur  les  centres  médul- 
laires. Cette  réserve  est  prudente  ;  car  Marinesco  {Archives  de  Pharmacodijnumie,  t.  i,  1894) 
a  montré  que  si,  après  section  du  sympathique  et  du  grand  auriculaire,  on  observe 
encore,  après  inhalation  de  nitrite  d'amyle,  de  la  vaso-dilatation,  celle-ci  ne  se  produit  pas 
identiquement  dans  l'oreille  énervée  et  dans  l'oreille  intacte,  qu'il  existe  des  dilïérences 
et  de  quantité  et  de  synchronisme.  La  section  du  sympathique  est  insuffisante  pour 
énerver  l'oreille  au  point  de  vue  vaso-moteur,  et  il  est  indispensable  de  faire,  en  même 
temps  que  la  section  de  ce  nerf,  celle  du  nerf'auriculaire  (M.  Schiff,  A.  Moreau). 

On  le  voit,  la  question  aujourd'hui  encore  n'est  pas  absolument  résolue.  Toutefois 
il  parait  bien  établi  qu'il  s'agit  d'une  action  vaso-dilatatrice  active  et  non  paralytique; 
l'influence  des  centres  vaso-moteurs  de  la  moelle  et  surtout  de  la  protubérance,  bien  que 
non  exclusive,  paraît  dominer  les  phénomènes. 

Action  sur  la  respiration.  —Le  nitrite  d'amyle  est  donné  presque  toujours  en  inhala- 
tion. Tous  les  auteurs  ont  observé  des  modifications  respiratoires,  mais  ces  modifications 
varient  suivant  la  dose.  Au  début  des  inhalations,  il  y  a  toujours  accélération  (Richard- 
son,  WooD,  FiLEHNE.  Einfluss  auf  Gcfàsstonus  und  Herzschlag ;  A.  Pf.,  1874,  t.  ix,  pp.  470- 
491)  et  augmentation  dans  l'amplitude  des  respirations;  en  un  mot,  la  ventilation  pul- 
monaire est  exagérée;  mais,  quand  les  inhalations  sont  poursuivies  quelque  temps,  la 
respiration  devient  irrégulière,  dyspnéique,  se  ralentit  et  reste  superficielle.  Wood 
attribue  même  la  mort  à  l'arrêt  de  la  respiration  par  suite  de  la  paralysie  des  centres 
respiratoires  {Therapeutics,  1894,  p.  323). 

Amez-Droz  signale  chez  l'homme  de  violents  accès  de  toux  qu'il  attribue  à  une  excita- 
tion de  la  muqueuse  laryngée  par  la  vapeur  irritante  du  gaz.  Crichton  Browne  [Pracli- 

<  DICT.    DE  PHYSIOLOGIE.    —    TOME   l.  30 


466  AMYLE    (Nitrite  d'). 

tions,  1874)  a  constaté  une  tendance  au  bâillement  quand  le  nitrite  d'amyle  était 
donné  en  inhalations,  alors  que  ce  phénomène  n'apparaissait  pas  quand  il  l'injectait 
sous  la  peau.  La  toux  réflexe  s'explique  facilement.  Quant  aux  modifications  du  rythme, 
elles  paraissent  se  rattacher  aux  modifications  si  importantes  que  le  nitrite  d'amyle  amène 
dans  l'appareil  circulatoire  et  dans  le  sang  lui-même. 

Action  sur  le  sang.  —  Lorsqu'un  animal  a  respiré  quelque  temps  du  nitrite 
d'amyle,  il  présente  rapidement  tous  les  phénomènes  de  l'asphyxie.  Le  sang  artériel  est 
noirâtre,  de  couleur  chocolat,  et,  battu  au  contact  de  l'air,  il  conserve  sa  couleur  noire. 
Toutefois  celte  action  est  relativement  temporaire,  et  au  bout  de  vingt-quatre  heures,  si 
l'animal  a  survécu,  toute  trace  de  coloration  anormale  a  disparu. 

Ces  faits  avaient  été  signalés  par  Richardsûn  dès  1863,  Wood,  Gamgee  iPhil. 
Transac,  1868).  Rabuteau  {B.  B.,  l87b),  qui  reprit  cette  élude  en  1875,  admet  que  les 
nitrites  transforment  l'hémoglobine  en  hématine  acide.  On  obtient  avec  le  sang,  traité 
par  le  nitrite  d'amyle,  la  bande  de  l'hématine  acide  :  bande  obscure  à  gauche  de  la  raie 
C  et  s'étendant  jusqu'au  milieu  de  C  et  D.  C'est  à  la  même  conclusion  qu'arrivent  Jolyet 
et  Regnard  (D.  P.,  1879),  diminution  de  la  capacité  respiratoire,  apparition  de  la  bande 
de  l'hématine.  Giacosa  {Archiv.  per  le  Scienze  mediche,  t.  m,  1879)  arrive  à  d'autres 
conclusions;  il  ne  s'agit  plus  pour  lui  d'hématine,  mais  de  méthémoglobine.  L'hématine 
et  la  méthémoglobine  donnent  en  effet  les  mêmes  raies  spectroscopiques.  Mais,  si  on 
traite  la  solution  par  du  sulfhydrate  d'ammoniaque,  alors  que  l'hématine  transformée 
donne  une  bande  entre  les  deux  bandes  obscures  de  l'hémoglobine,  la  méthémoglobine 
réduite  en  hémoglobine  ne  donne  que  les  deux  bandes,  sans  bande  intermédiaire.  Or 
c'est  ce  spectre  que  Giacosa  a  obtenu  avec  le  sang  de  ces  animaux.  Quoi  qu'il  en  soit,  le 
nitrite  d'amyle  diminue  les  oxydations  dans  le  sang  et  amène  l'asphyxie  par  un  arrêt 
des  échanges. 

Nous  citerons  simplement  les  recherches  de  Hœkermann  et  de  Ladendorf  {Berl.  klin. 
Woch.,  1874,  cités  par  Dugau)  sur  l'action  en  quelque  sorte  mécanique  du  nitrite  d'amyle 
sur  les  globules.  Quand  on  approche  une  baguette  imprégnée  de  nitrite  d'amyle  d'une 
goutte  fraîche  de  sang  sous  la  lamelle  du  microscope,  on  voit  les  globules  s'éloigner 
rapidement  de  la  baguette;  puis  ils  finissent  par  se  gonfler  et  se  décolorer.  Ladendori' 
tire  de  ces  observations  une  théorie,  tout  au  moins  curieuse,  pour  expliquer  l'action 
physiologique  du  nitrite  d'amyle.  Pendant  l'inhalation,  les  globules  rouges,  au  lieu 
d'affluer  dans  les  capillaires  pulmonaires,  en  sont  chassés  et  reviennent  vers  le  système 
artériel  du  poumon.  L'expiration  trop  courte  étant  impuissante  à  rétablir  l'état  normal, 
il  se  produit  dans  le  système  artériel  général  une  forte  dépression.  Si  les  globules 
repoussés  des  capillaires  pulmonaires  arrivent  dans  le  cœur,  ils  produisent  l'ébranlement 
du  système  nerveux  intracardiaque  et  secondairement  des  contractions  musculaires  qui 
se  traduisent  par  des  battements  plus  forts  et  plus  rapides.  Nous  avons  constaté  une  di- 
minution considérable  du  pouvoir  isotonique  des  globules  sanguins  traités  in  vitro  par  le 
nitrite  d'amyle  (I  =  0,70  en  NaCl.  au  lieu  de  I  normale  =  0,58)  (P.  Langlqjs.  Expériences 
inédites). 

Action  sur  le  système  nerveux.  —  Nous  avons  vu  à  propos  de  l'action  sur  la  cir- 
culation, que  l'opinion  la  plus  accréditée  (François-Franck  et  Dugau)  est  que  le  nitrite 
d'amyle  agirait  surtout  sur  les  éléments  périphériques;  que  son  action  s'exercerait  non 
pas  sur  les  centres  vaso-dilatateurs  bulbo-médullaires,  mais  plutôt  sur  les  éléments 
Tïièmes  des  vaisseaux. 

En  ce  qui  concerne  la  moelle  épinière,  Wood  admet  une  action  essentiellement  dépres- 
sive. L'activité  réflexe  et  les  mouvements  volontaires  sont  considérablement  diminués; 
les  convulsions,  que  l'on  note  quelquefois  dans  les  inhalations  seraient  d'origine  céré- 
brale et  déterminées  par  l'asphyxie.  Quant  à  la  sensibilité,  elle  resterait  intacte  jusqu'à 
la  mort.  Telle  est  également  l'opinion  de  Gi.acosa,  qui  chez  le  chien  a  constaté  dans  la 
tête  des  manifestations  de  sensibilité  à  la  douleur,  bien  que  les  réflexes  moteurs  fussent 
abolis  dans  le  tronc  et  les  membres.  Veyrièhes  admet  au  contraire  de  l'anesthésie,  mais 
seulement  quand  la  résolution  musculaire  est  complète.  Il  est  difficile,  à  vrai  dire,  de 
constater  cette  suppression  des  sensalious  douloureuses  chez  l'animal.  Chez  l'homme  on 
constate  toujours  une  sensation  de  vertige  coïncidant  avec  la  vaso-dilatation,  ces  vertiges 
pouvant  aller  jusqu'à  l'ivresse  ;  les  troubles  circulatoires  cérébraux  expliquent  facilement 


AMYLE    (Nitrite  d').  i6~ 

ces  premiers  symplônies,  comme  les  altéral.ionsdu  sang  rendent  compte  des  troubles, con- 
sécutifs aux  inhalations  prolongées,  céphalalgie  persistante,  paresse  intellectuelle,  etc. 

Les  troubles  de  la  vue  ont  été  notés  ;  les  malades  de  Bourneville  voyaient  les  individus 
mi-partie  jaune,  mi-partie  noire;  ceux  de  PrcK,  qui  fixaient  un  point  blanc,  le  voyaient 
ensuite  entouré  d'une  zone  jaune  enveloppée  elle-même  par  une  zone  extérieure  violette. 

Les  secousses  musculaires,  les  crampes  observées  pendant  les  inhalations  du  nitrite 
d'amyle,  sont  certainement  d'origine  centrale,  peut-être  même  de  cause  asphyxique 
(Mayer  et  Friedrich).  Car  l'action  prolongée  des  vapeurs  de  nitrite  d'amyle  sur  le  muscle, 
ou  l'application  du  liquide  dilué,  amènent  rapidement,  en  moins  de  10  minutes  (Dugau),  la 
disparition  de  l'excitabilité  électrique;  si  le  contact  n'a  pas  été  trop  prolongé,  cette 
inexcitabilité  disparaît,  ce  qui  prouve  qu'il  ne  s'agit  pas  d'une  action  absolument  des- 
tructive des  éléments  anatomiques. 

Action  sur  la  température.  —  L'inhalation  de  nitrite  d'amyle  amène  une  dimi- 
nution de  la  température  centrale,  qui  peut  atteindre  1°,  et  même,  chez  les  fébricitants, 
3°,  au  bout  d'une  heure  (Manassein  et  Sassezki.  Pet.  med.  Wochensch.,  1879,  p.  392).  Cet 
abaissement  de  température  centrale  s'explique  facilement  par  la  vaso-dilatation  qui  amène 
une  radiation  beaucoup  plus  grande  de  la  périphérie;  les  recherches  de  Ladendorf,  de 
Manassein',  montrent  en  effet  que  la  température  locale  de  la  tête,  dé  la  bouche,  s'élève 
pendant  quelque  temps. 

La  radiation  exagérée  ne  paraît  pas  être  la  cause  unique  de  l'abaissement  thermique. 
WooD  a  constaté  qu'il  y  avait  en  même  temps  diminution  dans  l'excrétion  de  l'acide 
carbonique;  l'altération  de  l'hémoglobine  du  sang  explique  qu'il  se  produit  également 
un   arrêt  des  échanges,    amenant  une   diminution   dans  la   thermogenèse. 

Applications  thérapeutiques.  —  Les  applications  du  nitrite  d'am3'le  dérivent  des 
propriétés  physiologiques  si  caractéristiques  de  cette  substance;  toutes  les  fois  que  l'on 
se  trouve  en  présence  d'une  vaso-constriction  intense,  l'emploi  du  nitrite  d'amyle, 
sauf  des  contre-indications  qu'il  est  facile  d'établir,  est  précieux.  C'est  ainsi  que  les  crises 
d'asthme  ont  été  souvent  victorieusement  combattues  par  les  inhalations  de  nitrite 
d'amyle.  Dans  un  grand  nombre  d'autres  affections,  où  le  spasme  des  artères  périphé- 
riques est  invoqué  comme  cause  pathogénique,  ces  inhalations  ont  été  préconisées  : 
l'angine  de  poitrine,  par  exemple,  et  l'épilepsie.  Ceux  qui  voient  dans  un  spasme  vaso- 
moteur  la  cause  même  de  l'épilepsie,  ont  employé  le  nitrite  d'amyle.  Weir  Mitchell 
(Philad.  med.  Timca,  t.  v,  p.  333)  a  prévenu,  dit-il,  la  phase  convulsive,  quand  il  a  pu 
faire  respirer  le  nitrite  d'amyle  au  début  même  de  l'aura.  Dans  le  tétanos,  les  inhala- 
tions auraient  pour  effet  d'exercer  une  action  sédative  sur  la  moelle,  en  même  temps 
qu'elles  facilitent  l'irrigation  sanguine  des  muscles  contractures.  Signalons  en  passant 
son  emploi  dans  les  phases  dépressives  des  maladies  du  cœur,  emploi  qui  nous  paraît 
loin  d'être  justilié  d'ailleurs,  quelles  que  soient  les  observations  citées  :  Osgood,  Madden. 
WooD,  qui  a  cherché  à  l'utiliser  dans  les  accidents  qui  peuvent  se  présenter  dans  la  nai?- 
cose  chloroformique,  reconnaît  que  son  emploi  est,  sinon  peu  justifié,  au  moins  dange- 
reux. Le  nitrite  d'amyle  est  donné  en  inhalation  à  la  dose  de  quelques  gouttes  à  la  fois 
et  toujours  à  faible  dose,  son  action  sur  le  sang  ne  permettant  pas  de  le  faire  absorber 
pendant  une  période  prolongée.  Nous  n'avons  trouvé  qu'un  seul  exemple  de  nitrite 
d'amyle  donné  par  voie  gastrique  :  dans  le  Traitement  du  choléra,  par  Smith. 

Bibliographie.  —  Outre  les  mémoires  cités  dans  l'article,  on  consultera  :  Amez  Dhoz 
{A.  P.,  1873,  t.  v,  pp.  467-503).  —  Bernheim  (A.  Pf.,  1874,  t.  vm,  pp.  253-2o7).  —  Lauder 
Brdn'ton.  Action  of  N.  A.  on  the  circulation  {Journ.   of  An.  a.  Phijs.,  1871,  pp.  92-101). 

—  Giacosa.  Wirkung  des  Amylnitrits  aufdas  Blut  (Z.  P.  C,  1879,  t.  m,  p.  o4).  —  Filehne 
{A.  Db.,  1879,  pp.  386-418).  —  Fileh.ne.  Action  du  N.  A.  sur  le  tonus  des  vaisseaux  et  les 
mouvements  du  cœur  {A.  Pf.,  t.  ix,  pp.  470-492).  —  F.  A.  Hoffm.ann  {Arch.  f.  An.  Phys. 
u.  loiss.  Med.,  1872,  pp.  746-733).  — ■  Guttmann.  Wirkunrj  einiger  neueren  Artzneimitteln 
(Berl.  klin.  Woch.,  1873,  1'='^  déc,  n"  48).  —  Jolyet  et  Regnaud.  Action  sur  les  produits 
de  la  respiration  et  du  sang  [Mém.  Soc.  Biol.,  1876,  pp.  214-218).  —  Otto  [Allg.  Zeitsch. 
f.  Psych.,  t.  XXXI,  pp.  441r462).  —  L.4.dekdorf.  Verhalten  der  Kopftempcratur  bei  Amyl- 
nitritinhalationen  (Berl.  klin.  Woch.,  1874,  t.  xi,  pp.  337-539).  — ■  R.  Pick.  Phyaiol.  und 
therapeut.    Wûrdigung  des   A.  n.    (D.  Ai'ch.  f.  klin.   Med.,    1876,  t.  xvii,  pp.   127-147). 

—  Urbantschitsch.  Therap.  Wirkung  des  A.  n.  {Wien.  med.  Presse,  1877,  t.  xviii.,  pp.  223, 


i68  AMYLÈNE   —   AMYLOIdE    (Substance). 

262,  294,  359,  390).  —  Veyrières  (D.  P.,  1874,   31  pp.).  —  A.  AVood.  E.vperim.  reseavches 
on  the  physiological  action  of  N.  A.  (Am..  Journ.  Med.  Se,  1871,  l.  lxh,  pp.  39-6o). 

P.    LANGLOIS. 

AMYLÈNE  (C°H'»).  —  Carbure  d'hydrogène  de  la  série  CH^".  C'est  un  corps 
bouillant  à  42°,  peu  soluble  dans  l'eau.  Il  a  été  employé  jadis  par  Snow  comme  anesthé- 
sique;  mais  on  a  vite  abandonné  son  usage,  car  c'est  une  substance  à  la  fois  infidèle  et 
dangereuse. 

Bibliographie.  —  Vayron  (D.  P.,  t8S7).  —  Suin  [D.  P.,  1863).  —  Un  cas  de  mort 
par  l'amyléne  {Un.  médic.,1851,  t.  si,  p.  231).  —  Snow.  Cases  of  death  from  amylene  {Med. 
Times  and  Gaz.,  d8b7,  t.  sv,  pp.  133,  381).  —  Giraldès.  Études  cliniciues  sur  l'amyléne 
(Bull.  Ac.  de  médec,  1837,  t.  sxii,  pp.  1118-1132).  —  Langenbeck  {Deutsche  Klinik,  1837, 
t.  IX,  pp.  132-134).  —  LuTON  {Ai-ch.  gén.  de  médec,  1837,  (1),  pp.  196-200).  —  Robert 
{Bidl.  gén.  de  thér.,  1837,  l.  lu,  pp.  443-431).  —  Snow  {Med.  Times  and  Gaz.,  1837,  t.  xiv, 
pp.  60,  82,  332,  337,  379).  —Tourbes  {Gaz.  hebd.,  1837,  t.  iv,  pp.  161-163). 

AMYLÈNE  (Hydrate  d')  (C=H"0).  —  Alcool  amylique  tertiaire;  c'est 
un  liquide  peu  soluble  dans  l'eau,  qui  bout  à  103°.  Peu  d'expériences  physiologiques  ont 
été  faites  sur  ses  elTets  ;  pourtant  on  l'emploie  (très  rarement)  en  médecine  comme  hyp- 
notique, à  la  dose  de  2,  3,  4  ou  S  grammes. 

Bibliographie.  —  Houdaille.  Les  nouveaux  hypnotiques  {D.  P.,  1893).  —  Peiser. 
Einfluss  des  Chtorhydrats  and  dcti  Amylcnhydrats  auf  die  Stickstojfausscheidung  beim  Mcns- 
chen  (Th.  de  Halle,  1892).  —  Harnack  et  Meyer.  Wirkungen  des  Amylcnhydrats  {Fortsch.  d. 
Med.,  1893,  t.  XI,  pp.  319-321). 

AMYLOIDE  (Substance).  —  chimie.  —  Sous  le  nom  de  substance 
amyloïde,  Virchow  a  désigné  un  corps  qui  se  produit  par  des  influences  pathologiques 
dans  les  organes  internes  :  rate,  foie,  rein,  etc.,  sous  forme  d'infiltration  vitreuse,  et 
qui  ne  paraît  pas  avoir  encore  été  isolé  jusqu'à  présent  à  l'état  tout  à  fait  pur. 
Friedheich  et  Kekulé,  ainsi  que  Kuhne  et  Rudneff,  ont  trouvé  dans  cette  substance  : 
C:  53,6;  H  :7,0;  Az:  13,5;  S:  1,3;  0  :  22,6  pour  cent.  D'après  sa  composition  on  doit  le 
ranger  parmi  les  matières  albuminoïdes  :  comme  celles-ci  elle  donne  certaines  réac- 
tions colorées  caractéristiques  : 

1°  La  réaction  de  la  xanthoprotéine  (coloration  jaune  avec  l'acide  azotique  concentré 
à  chaud); 

2°  La  réaction  de  Millon  (coloration  rouge  en  chauffant  avec  une  solution  d'azotate 
mercurique  contenant  un  peu  de  nitrite); 

3"  La  réaction  d'ÂDAMKiEwicz  (coloration  rouge  [violet  en  chauffant  avec  un  mélange 
d'une  partie  d'acide  sulfurique  concentré  et  de  deux  parties  d'acide  acétique  cristalli- 
sable). 

Il  est  insoluble  dans  l'eau,  l'alcool,  l'éther,  dans  l'acide  acétique  faible  et  dans  l'acide 
chlorbydrique;  il  se  transforme  sous  l'inlluence  d'acide  chlorhydrique  concentré  ou  de 
lessive  de  soude  en  acidalbumine  ou  en  alcalialbumine,  et  se  comporte  par  conséquent 
comme  les  matières  albuminoïdes  coagulées;  mais  il  est  attaqué  à  peine  par  le  suc  gas- 
trique ordinaire  ou  artificiel  (pepsine  et  solution  de  HCl  à  20  p.  100).  Cependant,  d'après 
KosTJURiN,  il  se  dissout  dans  une  solution  très  acide  de  pepsine  (avec  4  p.  100  d'acide 
chlorhydrique).  Il  se  distingue,  au  contraire,  de  toutes  les  matières  albuminoïdes  par 
sa  réaction  caractéristique  :  co\ora.tion  rouge  brun  avec  l'iode  (solution  d'iode  dansl'iodure 
de  potassium  ou  teinture  d'iode),  qui,  après  addition  d'acide  sulfurique  concentré,  passe 
à  la  coloration  violette  ou  bleue;  puis  coloration  rouge  avec  la  solution  de  violet  de 
méthyle  (iodure  de  méthylaniline)  surtout  après  addition  de  quelques  gouttes  d'acide 
acétique. 

Sa  parenté  avec  les  hydrates  de  carbone  qu'on  avait  supposée  en  se  basant  sur  la 
réaction  avec  l'iode  n'existe  pas;  car,  en  le  faisant  bouillir  avec  des  acides  minéraux 
faibles,  on  n'obtient  ni  sucre  ni  autre  substance  réductrice;  mais,  comme  avec  les  ma- 
tières albuminoïdes,  de  la  leucine  et  de  la  tyrosine.  Pour  préparer  la  substance 
anjyloïde  on  traite  par  l'eau  froide  des  foies  ou  des  rates   fortement  infiltrés;   on  fait 


AMYLOÏDE    (Substance).  i69 

ensuite  bouillir  le  résidu  avec  de  l'eau  (pour  dissoudre  le  tissu  eonjonclif)  ;  on  l'épuise 
par  l'alcool  et  l'éther  (pour  enlever  les  graisses  et  la  cholestérine)  ;  on  le  fait  bouillir 
avec  de  l'alcool  cpntenant  de  l'acide  chlorhydrique  et  on  met  à  digérer  le  reste  non 
dissous  à  40°  avec  du  suc  gastrique  artificiel  faiblement  acide  qui  dissout  en  24  heures 
l'albumine  et  le  tissu  élastique  en  attaquant  à  peine  la  substance  amyloïde  ;  la  substance 
non  digérée  donne  la  coloration  caractéristique  avec  l'iode  ou  l'iode  et  l'acide  sulfurique. 

Dégénérescence  amyloïde  (dégénérescence  cireuse,  infiltration  amyloïde).  —  Elle 
consiste  en  une  transformation  des  tissus  atteints  en  une  masse  volumineuse,  fragile, 
ti'anspareute  et  presque  incolore.  La  constitution  chimique  de  l'arayloïde  n'est  pas  nette- 
ment établie.  Quant  à  son  origine,  on  ne  sait  encore  si  elle  préexiste  dans  le  sang  et 
est  déposée  dans  les  tissus,  ou  si  elle  se  fonne  sur  place  dans  les  tissus  mêmes.  La  der- 
nière opinion  est  plus  probable.  La  substance  amyloïde  doit  son  nom  à  la  réaction  chi- 
mique avec  l'iode  dans  laquelle  elle  se  comporte  comme  l'amylon  (amidon). 

La  réaction  (d'après  Virchow)  se  fait  de  la  façon  suivante  :  on  fait  agir  sur  une 
coupe  une  solution  assez  forte  d'iode  dans  l'iodure  de  potassium,  on  la  couvre  avec  une 
lamelle  et  on  ajoute  une  goutte  d'acide  sulfurique  concentré  qui  pénètre  lentement. 
Alors  la  réaction  caractéristique  se  montre  à  la  place  où  l'acide  sulfurique  pénètre  et 
disparait  rapidement  :  elle  consiste  en  une  coloration  violette  de  la  substance  amyloïde. 

Cette  réaction  a  été  souvent  méconnue,  parce  qu'il  faut  traiter  les  coupes  par  l'acide 
sulfurique  faible  ou  même  les  mettre  dans  un  vase  d'acide  sulfurique  faible.  Pour  obtenir 
la  réaction  avec  la  solution  d'iode  dans  l'iodure  de  potassium,  on  acidulé  préalable- 
ment le  tissu  avec  l'acide  acétique.  La  substance  amyloïde  se  colore  alors  en  rouge  lie 
de  vin.  On  peut  obtenir  une  réaction  très  brillante  avec  le  violet  d'aniline  qui  colore 
la  substance  amyloïde  en  rouge  et  le  reste  de  tissu  en  bleu-violet.  Cependant  les  deux 
dernières  réactions  donnent  quelquefois  des  résultats  peu  satisfaisants  ;  les  teintes  ne 
sont  pas  très  caractéristiques.  Dans  ces  cas,  il  faut,  pour  être  sîir,  recourir  à  la  réac- 
tion avec  l'iode  et  acide  sulfurique. 

La  dégénérescence  amyloïde  se  trouve  principalement  dans  deux  cas,  notamment 
dans  des  suppurations  longues  et  dans  la  syphilis  constitutionnelle.  Elle  existe  excep- 
tionnellement aussi  chez  les  nouveau-nés  et  les  vieillards  sans  cachexie;  et  aussi,  mais 
exceptionnellement,  dans  quelques  cas  de  néoplasmes  sarcomateux  et  fibreux  ou  myxo- 
mateux.  Mais,  comme  la  phtisie  pulmonaire  et  les  affections  tuberculeuses  des  os  pro- 
duisent le  plus  souvent  les  suppurations  longues,  ce  sont  elles  qui  sont  aussi  la  cause 
la  plus  fréquente  de  la  dégénérescence  amyloïde.  Celle-ci  peut  cependant  se  développer 
dans  des  cas  d'abcès  chroniques  et  même  dans  les  cas  de  carie  insignifiante  de  la  mâ- 
choire avec  carie  des  dents.  Elle  est  surtout  fréquente  dans  la  syphilis  constitutionnelle 
et  dans  certains  cas  tout  à  fait  pathognomoniques.  Il  est  à  remarquer  qu'elle  est  très 
rare  dans  la  cachexie  carcinomateuse  et  se  trouve  seulement  chez  les  sujets  où  les  can- 
cers ont  présenté  des  ulcérations  étendues. 

Au  point  de  vue  de  sa  distribution,  on  peut  dire  que  ce  sont  les  organes  abdominaux 
qui  sont  surtout  atteints,  et  principalement  la  rate.  Viennent  après,  dans  Tordre  de  fré- 
quence décroissante  :  le  foie,  les  reins,  l'intestin,  les  ganglions  lymphatiques,  les  cap- 
sules surrénales,  l'épiploon,  l'utérus,  les  ovaires,  les  testicules,  la  muqueuse  urétrale. 

Les  organes  du  cou  et  du  thorax  présentent  moins  souvent  la  dégénérescence  amy- 
loïde :  la  glande  thyroïde,  la  base  de  la  langue,  la  muqueuse  des  bronches  et  le  muscle 
cardiaque.  La  tunique  interne  des  gros  vaisseaux  et  le  tissu  adipeux  sont  quelquefois 
atteints.  Dans  des  cas  exceptionnels  l'hypophyse  cérébrale  est  affectée. 

En  général,  on  peut  dire  de  la  dégénérescence  amyloïde  qu'elle  commence  dans  les 
capillaires  et  les  petits  vaisseaux  où  quelquefois  la  tunique  musculaire  seule  est  atteinte. 
De  là  elle  se  propage  au  voisinage  et  peut  envahir  le  tissu  conjonctif,  la  musculature  et 
la  membrane  propre  des  glandes. 

Dans  les  glandes  lymphatiques  et  la  rate,  les  cellules  parenchymateuses  sont  aussi 
atteintes.  Au  contraire,  les  observations  d'après  lesquelles  les  cellules  épilhéliales  seraient 
capables  de  subir  la  dégénérescence  amyloïde  sont  erronées.  L'organe  dans  lequel  on 
croyait  observer  la  dégénérescence  amyloïde  des  cellules  épilhéliales  était  le  foie.  Mais 
on  peut  démontrer  qu'ici,  comme  dans  les  reins,  les  cellules  épithéliales  disparaissent  et 
que  les  masses  amyloïdes  se  mettent  à  leur  place. 


.ifO  AMYOTAXIE    —    A  M  Y  OTRO  P  H  I  E. 

La  masse  colloïde  de  la  glande  thyroïde  donne  avec  l'iode  une  réaction  semblable  à 
ramj'Ioïde,  par  conséquent  une  attention  particulière  dans  l'observation  s'impose. 

Corpuscules  amyloïdes  {Corpora  amylacea).  —  Ce  sont  ordinairement  des  corpus- 
cules microscopiques,  ronds  ou  ovales,  qui  prennent  une  coloration  bleue  ou  verte  avec 
l'addilion  de  l'iode.  La  réaction  se  produit  quelquefois  seulement  après  addition  d'acide 
sulfurique.  Sur  l'origine  et  la  signification  de  ces  corpuscules  on  ne  sait  rien,  ils  sont 
probablement  en  rapport  avec  quelque  dégénérescence  cellulaire.  En  tous  cas,  ils  n'ont 
rien  de  commun  avec  la  dégénérescence  amyloïde.  Ils  se  trouvent  quelquefois  dans  des 
tissus  malades,  surtout  dans  la  sclérose  cérébrale  et  dans  l'induration  chronique  des 
poumons.  Quelquefois  on  les  observe  dans  l'épendyme  des  ventricules  du  cerveau  et 
dans  les  poumons,  qui  ne  paraissent  pas  malades.  Ils  existent  fréquemment  dans  la 
prostate  des  vieillards  et  se  présentent  à  l'œil  nu  comme  des  grains  brun  (tabac  à  priser). 
Accidentellement  on  trouve  des  corpuscules  amyloïdes  dans  la  bile,  dans  les  cicatrices 
et  dans  des  néoplasmes.  GRA^'DIs  et  T.  Carbone.  Éiurfes  Sî(r  la  réaction  de  la  substance  amy- 
loïde {A.  B.,  1890,  t.  siv,  pp.  424-430). 

HANSEMANN. 

lieal-Lexicon  der  Medlcinischen  Prop'dâsiitik 

de  J.  Ct.\d  (1803,  t.  I,  p.  240). 

AMYOTAXIE.  —  Rossolimo  (de  Moscou)  [Revue  Neurologique,  15  nov.  1893, 
n"  21,  p.  386)  a  proposé  de  désigner  sous  ce  nom  des  convulsions  involontaires  et  de 
caractère  réflexe  qui  surviennent  parfois  au  cours  de  l'ataxie  locomotrice,  et  qui  ont 
pour  cause  aussi  bien  les  affections  des  régions  sensitives  que  celles  des  régions  mo- 
trices du  système  nerveux.  Elles  dépendent  le  plus  souvent  de  névrites  multiples.  Ces 
mouvements  avaient  été  décrits  antérieurement  par  les  auteurs  sous  divers  noms  :  on 
les  avait  appelés  notamment  :  mouvements  atbétoïdes,  et  mouvements  choréiformes. 

PAUL    BLOCQ. 

AMYOTROPHIE.  —  Définition.  —  Limitation  du  sujet.  —  Il  ne  sera 
question  sous  ce  titre  que  de  l'atrophie  des  muscles  sirii^s  de  la  vie  de  relation. 

Pour  ces  muscles,  le  terme,  pris  d'une  façon  générale,  peut  désigner  tous  les  troubles 
tropldques  qui  en  amènent  la  disparition,  ou  la  diminution,  totale  ou  partielle;  mais  on 
ne  l'applique  pas  aux  altérations  directes  de  l'élément  musculaire  par  lésion  inflam- 
matoire locale,  ou  étendue  (myosites  infectieuses,  tumeurs  sous-jacentes,  etc.),  non  plus 
qu'aux  états  de  débilitation  du  muscle,  si  justement  dénommés  marasme  musculaire, 
qu'on  voit  survenir  au  cours  ou  au  déclin  des  cachexies  aiguës  ou  chroniques,  au 
même  titre  que  les  autres  altérations  organiques  :  il  y  a  alors  émacialion  plutôt 
qu'atrophie  telle  que  nous  la  comprenons. 

Toutefois,  déjà,  l'atrophie  peut  prédominer  dans  ce  cas,  et  elle  peut  s'accompagner 
d'altérations  non  seulement  musculaires,  mais  nerveuses,  qui  se  retrouvent  à  l'occasion 
de  toutes  les  amyotrophies  qui  nous  restent  à  étudier. 

Pour  celles-ci  nous  devons  envisager  ici,  non  pas  tel  ou  tel  cas  particulier,  mais  la 
physiologie  pathologique  générale  du  processus  qui  comprend  : 

1°  l'étude  du  muscle  en  amyotrophie; 

2"  la  pathogénie  du  trouble  trophique. 

I.  Étude  physiologique  de  l'amyotrophie.  —  1°  Le  muscle  sain.  —  Un  aperçu  de 
l'état  normal  nous  montre  que  le  muscle  strié  se  décompose  en  fibrilles  élémentaires, 
élastiques  et  contractiles  ;  et  la  physiologie  nous  prouve  que  cette  contractilité  est  une 
propriété  bien  spéciale,  inhérente  à  la  fibrille,  et  indépendante  de  toute  autre  influence 
(voy.  Muscles);  mais  elle  est  mise  en  jeu  par  des  excitants  divers. 

Expérimentalement,  on  peut  les  varier  beaucoup;  excitants  physiques  et  chimiques 
de  toutes  sortes  ;  mais  sur  Fhomme  nous  ne  disposons  que  de  deux  modes  d'excitation,  la 
volonté,  et  les  excitants  mécaniques  et  êlectric[ues.  Soumis  à  un  choc  brusque,  le  muscle  se 
contracte  activement,  rapidement,  et  revient  à  sa  forme  initiale;  soumis  à  l'électrisation, 
il  agit  de  même;  et  la  volonté  a  aussi  sur  lui  le  même  pouvoir.  Ces  diverses  influences 
peuvent  agir  à  maintes  reprises,  ou  d'une  façon  prolongée,  sans,  pour  cela,  supprimer  la 
contractilité  de  l'élément. 


AMYOTROPHIE.  i^^ 

2°  Le  muscle  atrophié.  —  Sous  des  influences  diverses  que  nous  aurons  à  recherclier,  et 
qui,  d'ailleurs,  nous  restent  souvent  encore  inconnues,  la  fibrille  périclite;  sa  vitalité  est 
compromise  ;  l'élément  diminue  de  volume  :  c'est  l'atrophie  simple.  Cette  alropliie  peut 
s'accompagner  en  d'autres  cas  de  la  prolifération  du  tissu  cellulaire;  celui-ci  peut  se 
surcharger  de  graisse,  et  le  muscle  dans  sa  totalité  peut  atteindre  des  dimensions  liyper- 
Irophiques  considérables,  alors  que  la  fibrille  élémentaire  est  réduite  au  minimum,  ou 
disparaît  totalement.  Le  résultat  physiologique,  dans  tous  les  cas,  est  le  même  :  supjwession 
de  l'élément  contractile.  Il  s'ensuit  que,  physiologiquement,  l'action  des  excitants  dont 
nous  avons  parlé  cesse  d'avoir  son  résultat  habituel  :  la  contraction  du  muscle. 

Il  se  peut  que  la  volonté  manifeste  en  apparence  sa  puissance  pendant  quelque  temps, 
parce  que  les  fibrilles  ne  sont  atteintes  que  progressivement,  et  qu'il  en  reste  suffisamment 
pour  saii«faire  aux  fonctions  musculaires  ordinaires;  toutefois,  peu  à  peu,  s'établit  un 
état  paralytique  progressif. 

D'autre  part,  la  faiblesse  de  l'élément  musculaire  se  trahit  par  des  modifications 
réactionnelles  caractéristiques  aux  excitants  mécaniques  et  électriques.  D'une  façon  géné- 
rale, la  formule  en  est  simple  : 

Il  y  a  une  diminution  de  l'excitabilité  mécanique  et  électrique  qui  est  proportionnelle  au 
degré  d'atrophie.  C'est-à-dire  que  : 

a.  Il  faut  pour  produire  un  même  résultat  fonctionnel  une  excitation  plus  forte; 

6.  L'excitabilité  est  moins  durable,  le  muscle  cessant  plus  rapidement  de  répondre 
aux  excitants  ; 

c.  Par  degrés,  cette  atténuation  fonctionnelle  peut  arriver  à  l'abolition  complète, 
quand  l'amyotrophie  est  totale. 

Voilà  ce  que  nous  fournit  l'étude  du  muscle  pour  les  atrophies  dites  myopathiques 
dans  lesquelles  le  processus  est  primitivement  et  reste  définitivement  local,  c'est-à-dire 
purement  musculaire;  mais  c'est  là  l'exception,  et,  le  plus  souvent  apparaît  manifes- 
tement l'influence  dominatrice  du  système  nerveux. 

C'est  que,  en  effet,  anatomiquement,  comme  physiologiquement,  on  ne  peut  envi- 
sager séparément  le  muscle  d'une  part,  le  système  nerveux  de  l'autre;  les  deux  sont 
intimement  unis.  Il  faut  reconnnaître  l'existence  d'un  système  anatomiquement  com- 
plexe, mais  un  physiologiquement,  le  système  newo-musculaire,  qui  comprend  :  la  fibrille 
musculaire,  l'arborisation  terminale  nerveuse,  le  cylindraxe  et  ses  enveloppes,  puis  la 
cellule  des  cornes  antérieures  de  la  moelle.  Or,  ainsi  que  nous  le  verrons,  l'altération  de 
chacun  de  ces  éléments  peut  faire  l'amyotrophie.  .Nous  [avons  dit  ce  qui  concernait  la 
fibrille;  voyons  ce  que  ses  rapports  avec  le  système  nerveux  ajoutent  à  l'étude  physiolo- 
gique : 

A  l'état  normal.  — a.  Le  système  nerveux  entretient  dans  la  fibre  musculaire  un  état, 
d'activité  permanente,  ou  tonus.  Cet  état  tonique  est  dû  à  l'action  de  la  cellule  médul- 
laire; il  est  conduit  à  la  fibrille  par  les  filets  ner\'eux; 

b.  Les  excitants  physiologiques,  volonté,  incitations  réflexes,  mettent  en  jeu  la  con- 
tractilité  flbrillaire  qui  est  passagère,  et  cesse  avec  l'excitation. 

c.  Enfin,  sous  l'influence  des  excitants  mécaniques,  et  sous  l'influence  de  l'électrisation, 
il  y  a  réaction  contractile,  immédiate  et  brusque  du  muscle  sain,  suivie  aussitôt  de 
retour  à  l'état  de  repos. 

A  l'état  morbide.  —  Si  l'amyotrophie  est  en  ra,pport  avec  un  système  nerveux 
altéré,  soit  dans  un  de  ses  centres  cellulaires,  soit  dans  un  des  conducteurs  périphé- 
riques. 

a'.  On  peut  avoir  un  état  de  paralysie,  ou  bien,  si  le  nerf  seul  est  lésé,  l'influence 
excitante  des  centres  cessant  de  se  faire  sentir  au  muscle  d'une  façon  continue;  au  lieu 
d'une  action  tonique,  permanente,  on  voit  apparaître  des  secousses  fibrillaires ; 

6'.  Les  excitants  physiologiques  :  volonté,  réflexes,  peuvent,  au  début  des  altérations 
cellulaires  et  nerveuses,  produire  une  exagération  fonctionnelle  qui  fait  l'état  de  contrac- 
ture :  plus  tard,  avec  la  destruction  de  l'élément  central,  ou  des  nerfs,  s'établissent  la 
paralysie,  et  l'abolition  des   réflexes; 

c'.  Enfin,  parallèlement  aux  phénomènes  normaux,  nous  voyons  apparaître,  rele- 
vant de  l'état  morbide  de  la  fibrille,  et  du  nerf,  une  hyperexcitabilité  mécanique 
générale,  telle  qu'à  une  excitation  ordinaire  succède  un  état  myotonique  intense  exagéré 


472  AMYOTROPHIE. 

et  des  modifications  éleclriques  telles  que  la  contraction,  au  lieu  d'être  immédiate,  tarde 
à  se  produire:  qu'au  lieu  d'être  brusque,  momentanée,  elle  devient  traînante,  une  fois 
réalisée. 

La  réaction  à  l'électricité  est  modifiée  profondément.  Laissons  de  lûté  l'électricil.é 
statique,  dont  les  usages  sont  restreints,  et  appelons  l'électrisation  par  courants  intermit- 
tents,  faradiqitc  (F),    et   l'électrisation    par   courants  continus,  galvanique  (G). 

Or  l'expérience  a  appris  que,  dans  les  divers  cas  d'amyotrophie,  tantôt  ces  deux 
électricités  se  modifiaient  également,  par  diminution,  ou  par  abolition  simple  ;  que, 
tantôt  l'une  (G)  augmentait,  ou  restait  égale,  alors  que  l'autre  (F)  diminuait;  on  dit 
alors  qu'il  y  a  modincation  quantitative;  que  tantôt,  la  réaction  électrique  devient  plus 
lente  à  se  produire,  ou  plus  prolongée;  on  bien  que  l'action  du  courant  allant  du  pôle 
négatif  au  pôle  positif,  d'ordinaire  plus  marquée,  devient,  au  contraire,  moindre.  On 
dit  alors  qu'il  y  a  modification  qualitative  par  inversion  de  la  formule  normale  de  la  loi  des 
secousses  musculaires  (Voy.  Électricité).  C'est  à  l'ensemble  des  modifications  quanti- 
tative et  qualitative  des  électricités  faradique  et  galvanique  qu'on  donne,  depuis  Erb,  le 
nom  de  Réaction  de  Dégénérescence  (DR). 

Nous  n'avons  pas  à  nous  étendre  ici  sur  ces  considérations  qui  servent  au  diagnostic 
clinique  et  qui  s'appliquent  plus  spécialement  à  l'bisloire  des  névrites.  Pratiquement, 
nous  devons  retenir  : 

i"  Que  la  DR  n'apparaît  pas  dans  les  amyotropbies  d'origine  cérébrale,  parmi  les- 
quelles l'hystérie'  ; 

2°  Qu'elle  n'appartient  pas  non  plus  à  l'amyotrophie  myopathique; 

3°  Que,  par  contre,  elle  est  de  règle  dans  les  amyotropbies  par  altérations  cellulaires 
spinales,  par  altérations  des  racines  antérieures,  et  surtout  par  altérations  des  nerfs 
périphériques. 

Ajoutons  encore  que  le  pronostic  d'une  arayotropbie  est,  en  général,  en  proportion 
directe  de  l'intensité  de  cette  réaction  de  dégénérescence. 

Le  pronostic  général  de  l'amyotrophie  nous  apprend  qu'elle  peut  guérir;  et  un  fait 
fort  important  de  physiologie  pathologique  est  celui  du  retour  possible  à  ses  propriétés 
normales  pour  un  muscle  frappé  d'atrophie  depuis  un  temps  qui  peut  atteindre  et 
dépasser  12  et  14  mois. 

Dans  tout  ce  qui  précède  nous  n'avons  en  vue  que  la  fonction  du  muscle,  en 
général;  en  effet,  les  fonctions  qu'accomplissent  les  divers  muscles,  en  tant  qu'organes 
distiiicts,  ne  peuvent  être  étudiées  ici  spécialement  :  leur  mode  d'action,  soit  isolément, 
soit  en  s'associant  à  des  congénères,  soit  en  luttant  avec  d'autres  muscles,  dits  antago- 
nistes, appartient  à  la  physiologie  mécanique  des  muscles;  et  les  perturbations  fonc- 
tionnelles qu'enti'aîne  l'atrophie  musculaire  rentrent  plutôt  dans  une  étude  de  sympto- 
matologie.  Nous  ne  mentionnerons  donc  pas  les  affaiblissements  paralytiques,  les 
immobilisations  des  segments  de  membres  en  flexion,  en  extension,  les  déviations  arti- 
culaires (pied-bot,  par  exemple);  relies  des  organes  (strabisme),  etc. 

II.  Pathogénie  des  amyotrophies.  —  Ce  qui  précède  nous  fait  voir  l'intimité  des 
rapports  de  la  fibrille  musculaire  avec  ses  éléments  d'innervation;  nous  allons  montrer 
que  ces  rapports  constituent  le  véritable  substratum  anatomo-physiologique  pour  une 
pathogénie  des  amyotrophies.  En  effet,  les  diverses  causes  morbides  ne  parviennent,  en 
général,  à  influencer  le  muscle  que  par  l'intermédiaire  du  système  nerveux;  — réserve 
faite  quant  à  présent,  pour  certains  cas,  sur  lesquels  nous  reviendrons,  où  le  muscle 
paraît  atteint  primitivement. 

Le  chapitre  pathogénique  doit  donc  comprendre  :  A,  une  étude  de  l'amyotrophie 
dans  ses  rapports  avec  le  système  nerveux;  B,  une  étude  étiologique  générale. 

A.  Étude  de  ramyotrophie  dans  ses  rapports  avec  le  système  nerveux.  —  Tout 
repose  sur  la  conception  d'un  système  neuro-musculaire  dans  lequel  la  fonction  el  la  vita- 
lité musculaire  sont  sous  la  dépendance  de  l'élément  nerveux.  En  dehors  de  la  fibrille  muscu- 
laire ce  système  comprend  :  le  nerf  moteur  et  la  cellule  des  cornes  antérieures;  de  plus, 
cette  cellule  est  en  rapport  plus  ou  moins  direct  ou  compliqué  avec  des  filets  nerveux 
sensitifs  venus  du  muscle  ou  de  la  région  celluleuse  et  cutanée  qui  l'entoure,   ou  d'un 

1.  Le  fait  reste  encore  très  discutable  pour  cette  névrose. 


AM  YOTROPHIE.  473 

point  quelconque  de  l'économie,  ce  qui  constitue  un  arc  réflexe  complet  dont  l'aboutis- 
sant est  la  fibre  contractile;  enfui,  cette  cellule  spinale  est  en  relation  avec  les  fibres  des 
faisceaux  pyramidaux  qui  viennent  des  cellules  de  l'écorce  cérébrale,  ce  qui  établit  la 
domination  des  centres  de  la  volonté  sur  le  mouvement. 

L'intégrité  de  ces  éléments  divers  assure  la  fonction  motrice  normale;  leur  altération 
la  compromet,  et,  modifiant  en  même  temps  la  vitalité  de  la  fibrille,  peut  faire  l'amyo- 
trophie.  Comment  celle-ci  se  réalise-t-elle? 

Hypothèse  de  l'inertie  fonctionnelle.  —  Ou  s'est  demandé  si  l'amyotrophie  n'était  pas 
tout  simplement  la  conséquence  de  l'inertie  fonctionnelle,  puisque,  dans  bon  nombre  de 
cas,  on  voyait  une  altération  cellulaire  centrale  déterminer  une  paralysie  qui  était 
suivie  ultérieurement  d'atrophie  du  muscle  (paralysies  spinales,  hémiplégie  vulgaire  avec 
sclérose  descendante),  etc. 

Hypothèse  du  pouvoir  trophique.  —  Mais,  d'une  part,  il  est  facile  de  s'assurer  chez 
des  sujets  à  moelle  saine  que  des  membres  ont  pu  rester  dans  l'inaction  pendant  des 
mois  et  des  années  sans  qu'il  en  soit  résulté  de  l'amyotrophie  ;  d'autre  part,  quand 
l'amyotrophie  est  le  phénomène  de  début,  quand  elle  évolue  longuement  seule,  c'est- 
à-dire  sans  paralj'sies  (atrophies  musculaires  progressives),  on  voit  bien  que  l'explication 
de  l'atrophie  par  inertie  fonctionnelle  ne  peut  être  invoquée;  et  il  faut  admettre  alors 
une  influence  spéciale  de  la  cellule  spinale,  un  pouvoir  trophique  qui,  seulencore,  nous 
permet  l'interprétation  de  faits  complexes  dans  lesquels  l'atrophie  musculaire  s'accom- 
pagne d'arrêt  de  formation  des  os  et  des  articulations  (paralysie  infantile)  :  telle  est 
l'hypothèse  dite  de  la  trophonôvrose  centrale  (Erb).  (Il  est  à  noter  que  ce  pouvoir 
incontestable  que  possède  la  cellule  centrale  ne  se  manifeste,  à  l'état  normal,  que 
par  le  maintien  d'un  statu  quo  physiologique,  et  que  tout  état  morbide  semble 
influencer  la  cellule  pour  en  diminuer  la  puissance  trophique.)  L'importance  de  ce 
centre,  la  cellule  médullaire  antérieure,  est  telle  qu'on  a  pu  créer  un  seul  groupe  des 
atrophies, dites  myélopathiques,  en  opposition  avec  le  petit  groupe,  indépendant  en  appa- 
rence, oti  le  muscle  parait  seul  en  cause  (amy atrophies  myopathiques  ;  classification  de 
Charcot). 

Les  corrélations  anatomo-physiologiques  de  la  cellule  centrale  avec  les  divers  élé- 
ments nerveux  dont  nous  avons  parlé  nous  permettent  d'établir  les  subdivisions  sui- 
vantes (Voy.  Parisot.  Pathogénie  des  atrophies  musculaires.  Th.  agrég.,  Paris,  1886)  : 

rv        ,         i       u  ■  1.     •   •       (  Myélopathiques. 

Des   Amvotrophies  d  origine  \   „■',,   '.         ■' 
r,  I  1  Bulbaires. 

Amyotrophies  dites  d'origine  ner-  j        '  '  '  Cérébrales. 

veuse  où  l'on  distingue  : 


Des  Amyotrophies   d'origine      Directes  par  névrites. 
périphérique.  (  Réflexes. 

Amyotrophies  d'origine  myopathique. 

Développons  rapidement  les  considérations  physiologiques  qui  ont  trait  à  chacune 
de  ces  variétés. 

§L  Amyotrophies  dites  d'origine  nerveuse,  a.  Centrales.  —  i"  Amyotrophies  myélopa- 
thiques.—  Toute  maladie  aiguë  ou  chronique  faisant  lésion  des  cellules  multipolaires 
des  cornes  antérieures  fait  l'amyotrophie  :  des  preuves  anatomiques  convaincantes  ont 
e'té  fournies  en  clinique  pour  toutes  les  affections  primitives  ou  secondaires  de  la  moelle 
suivies  d'atrophie  musculaire;  nous  n'avons  pas  à  nous  étendre  sur  ce  sujet.  La  phy- 
siologie va  plus  loin;  elle  est  arrivée  à  reconnaître  dans  la  moelle  des  localisations 
précises  en  vertu  desquelles  les  lésions  des  mêmes  groupements  cellulaires  sont  toujours 
suivies  des  mêmes  désordres  trophiques  musculaires  (par  exemple  :  autopsie  de  Pré- 
vost et  David,  montrant  dans  une  lésion  circonscrite  de  la  corne  antérieure  cervicale, 
en  un  point  répondant  à  l'origine  des  7=  et  8''  paires  cervicales,  la  cause  anatomique 
du  début  de  l'atrophie  musculaire  progressive  par  l'éminence  thénar). 

2»  Amyotrophies  bulbaires.  —  Le  bulbe  n'est,  en  physiologie,  que  l'expansion  termi- 
nale de  la  moelle  :  aussi  la  connaissance  des  localisations  nous  explique-t-elle  pleine- 
ment le  syndrome  clinique  de  la  paralysie  glosso-labio-laryngée,  pathognomonique 
d'une  altération  des  noyaux  moteurs  bulbaires,  qu'elle  soit  primitive  ou  secondaire. 


474  AMYOTROPHIE. 

3°  Amyotrophies  d'origine  cérébrale.  —  Elles  sont  faciles  à  comprendre  quand  il  s'agit 
d'une  propagation  descendante  de  sclérose  jusqu'aux  cellules  médullaires  par  l'inter- 
médiaire des  faisceaux  pyramidaux  directs  et  croisés.  Dans  certains  cas,  la  preuve 
anatomique  est  complète  ;  daus  d'autres,  il  y  a  bien  amyotrophie,  il  y  a  aussi  lésion  céré- 
brale initiale,  mais  la  lésion  médullaire  intermédiaire,  qui  nous  paraît  indispensable, 
semble  faire  défaut  (observation  de  Babinski).  Un  fait  de  ce  genre  est  d'importance 
capitale;  car,  en  nous  faisant  voir  qu'un  désordre  cérébral  matériel,  sans  participation 
évidente  de  la  moelle,  peut  suffire  à  produire  l'amyotrophie,  il  nous  autorise  à  inter- 
préter dans  Je  même  sens  l'influence  d'un  simple  trouble  fonctionnel  des  centres  céré- 
braux, comme  l'hystérie. 

En  résumé,  action  dystrophique  liée  à  une  altération  matérielle  des  centres  mé- 
dullo-bulbaires,  liée  parfois  à  une  altération  matérielle  des  centres  cérébraux,  ou  bien, 
plus  simplement,  à  une  modification  fonctionnelle  de  ces  derniers  :  telle  nous  paraît 
être,  actuellement,  la  raison  suffisante  et  nécessaire  de  l'amyotrophie  d'origine 
centrale. 

fi.  Périphériques.  —  Les  communications  physiologiques  du  centre  nerveux  et  de  la 
fibre  musculaire  peuvent  être  interrompues  par  une  lésion  portant  sur  le  nerf  intermé- 
diaire; d'autre  part,  il  peut  arriver  que  la  cellule  centrale  subisse  un  retentissement 
morbide  provenant  d'une  excitation  périphérique  centripète  portant  sur  les  extrémités 
nerveuses  terminales.  L'amyotrophie  est  alors  dite  d'origine  périphérique,  directe 
dans  le  premier  cas,  réflexe  dans  le  deuxième. 

1°  Amyotrophies  directes.  —  Quand  le  processus  est  direct,  on  a,  pour  l'interpréter, 
bien  des  théories,  mais  il  en  est  peu  de  satisfaisantes. 

a.  Théorie  vaso-motrice.  —  La  névrite,  portant  sur  un  nerf  mixte,  atteint  à  la  fois  les 
filets  sensitifs,  les  filets  moteurs,  et  les  filets  du  sj'mpathique  :  on  a  donc  fait  intervenir 
tantôt  la  vaso-dilatation,  tantôt  la  vaso-constriction  :  or,  expérimentalement,  ni  l'une 
ni  l'autre  ne  fait  spécialement  l'amyotrophie. 

b.  Hypothèse  de  Samuel.  —  Cet  auteur  expliquait  les  désordres  par  l'altération  de 
filets  spéciaux  dits  trophiques.  Dans  ces  conditions,  il  est  inutile  d'émettre  une  hypothèse 
de  plus,  et  mieux  vaut  s'en  tenir  à  l'idée  de  l'interruption  de  l'influence  trophique  de 
la  moelle. 

c.  Hypiothèse  de  la  névrite  ascendante.  —  Dans  d'autres  cas,  l'explication  de  l'action 
directe  d'une  névrite  tombe  devant  ce  fait  que  l'atrophie  peut  porter  sur  une  zone 
plus  étendue  que  celle  du  nerf  lésé,  soit  sur  une  zone  éloignée.  Pour  expliquer  ces 
particularités,  on  a  invoqué  la  névrite  ascendante.  Certaines  expériences  (Hayem)  montrent 
la  méningo-myélite  consécutive  aux  irritations  traumatiques  du  sciatique;  mais  la 
clinique  ne  confirme  pas  les  données  expérimentales.  D'ordinaire,  les  altérations  péri- 
phériques, celles  des  nerfs  mixtes,  comme  celles  du  sympathique,  suivent  la  lésion  des 
centres.  Il  n'y  a  donc  pas  de  lésions  matérielles  ascendantes;  la  seule  explication 
satisfaisante  est  toujours  celle  d'un  retentissement  d'irritations  périphériques  par  voie 
réflexe  sur  le  centre  trophique. 

2°  Amyotrophies  réflexes.  —  La  clinique  et  l'expérimentation  sont  complètement 
concordantes  en  ce  qui  a  trait  aux  amyotrophies  par  lésions  articulaires;  et  celles-ci 
peuvent  servir  à  faire  comprendre  toutes  les  amyotrophies  réflexes. 

Amyotrophies  arthropathiques.  —  Dans  des  expériences  précises,  F.  Raymond  dé- 
montre que  chez  un  animal,  si,  en  même  temps  qu'on  provoque  une  arthrite,  on  sectionne 
les  racines  lombaires  postérieures,  c'est-à-dire  centripètes,  on  arrête  ou  on  retarde 
l'évolution  de  l'amyotrophie  des  extenseurs  qui  accompagne  ces  arthrites.  11  semble 
donc  bien  que  la  lésion  périphérique  entretienne  dans  la  cellule  motrice  et  trophique 
un  état  de  stupeur,  de  torpeur  fonctionnelle,  qui  peut  disparaître,  puisque  la  guérison 
des  accidents  musculaires  est  possible  ;  qui  peut  s'aggraver,  puisqu'il  y  a  des  cas  où  le 
désordre  ne  rétrocède  plus. 

La  même  explication,  l'influence  réflexe,  doit  s'appliquer  aux  amyotrophies  qui 
avoisinent  certaines  pleurésies  ou  qui  suivent  de  simples  lésions  tégumentaires  super- 
ficielles. Elle  seule  est  valable;  car  l'hypothèse  de  la  myosite,  comme  celle  de  la  névrite 
par  propagation  sont  controuvées  anatoraiquement. 

§  II.  Amyotrophies  myopathiques.  —  Nous  avons  mis  en  dernier  lieu  l'étude  des  pro- 


AM  YOTROPHIE.  475 

cessus  atrophiques  qui  paraissent  frapper  le  muscle  exclusivement.  Pour  ces  myopathies, 
rien  n'est  encore  établi  définitivement  :  Landouzy  et  Dejerine,  avec  Chakcot,  veulent 
qu'on  s'en  tienne  à  la  dénomination  de  myopathies  progressives  primitives,  et  cela,  en 
raison  de  la  localisation  anatomique  purement  musculaire,  en  raison  de  l'absence  d'al- 
térations centrales,  en  raison  de  données  physiologiques  de  réelle  valeur  :  pas  de 
tremblement  fibrillaire,  pas  d'abolition  des  réflexes,  pas  de  contractures,  pas  de  réaction 
de  dégénérescence;  tous  symptômes  qu'on  rencontrerait  s'il  s'agissait  d'un  processus 
myélo-névropathique. 

Or,  à  vrai  dire,  nos  recherches  anatomiques  sont  encore  si  imparfaites;  à  mesure 
que  les  faits  s'accumulent,  on  constate  tant  de  cas  intermédiaires  où  se  montrent 
quelques-unes  des  modifications  fonctionnelles  précédentes;  il  y  a  si  souvent  symétrie 
des  lésions;  l'influence  héréditaire  paraît  si  prédominante,  qu'en  réalité  l'hypothèse  de 
la  trophonévrose  centrale  de  Erb  apparaît  comme  très  acceptable  pour  rendre  compte  de 
ces  myopathies. 

L'exposé  étiologique  qui  suit  va  nous  faire  revenir  sur  ce  sujet. 

B.  Étiologie  pathogénique.  —  C'est  l'étude  des  causes  qui,  agissant  sur  le  muscle 
directement  ou  sur  le  système  nerveux  qui  le  régit,  y  déterminent  l'incitation  morbide, 
laquelle  faille  désordre  spéc\a.],  Vamyotrophie. 

1°  Le  muscle.  —  La  physiologie  pathologique  du  muscle  ne  peut  par  elle-même  nous 
fournir  l'explication  pathogénique  des  amyotrophies. 

Cet  organe,  très  délicat,  reste  intact,  à  la  température  normale,  à  condition  de  pos- 
séder une  circulation  normale  permettant  des  échanges  interstitiels  normaux,  assurant 
une  oxydation  suffisante  et  une  élimination  convenable  de  l'acide  carbonique.  Aussi 
une  température  au-dessus  de  la  normale  (38°)  trouble-t-elle  la  fonction  musculaire  et 
l'on  sait  qu'à  43°  la  myosine  se  coagule,  faisant  la  mort  du  muscle;  de  plus,  l'inanition, 
ainsi  que  les  troubles  circulatoires  artériels  déterminent  l'anoxémie;  la  stase  veineuse 
asphyxie  le  muscle  par  surcharge  en  acide  carbonique,  etc. 

Tous  ces  désordres  entraînent  la  débilitation  ou  la  mort  du  muscle,  comme  on  le 
voit  dans  les  états  dyscrasiques  ou  cachectiques;  d'autre  part  la  myosite  peut  détruire 
les  fibrilles  in  situ;  mais  dans  aucun  de  ces  cas  il  n'existe  Vamyotrophie,  avec  la  lenteur 
dans  l'évolution  et  la  continuité  progressive  qui  font  ses  caractères. 

2°  Le  système  nerveux.  —  C'est  une  loi  de  physiologie  générale  dans  la  pathologie 
nerveuse  que  toute  lésion  systématique  ait  pour  conséquence  un  désordre  ou  un  ensemble 
de  troubles  fonctionnels  qui  dépendent,  non  de  la  nature,  mais  de  la  localisation  même 
de  la  lésion.  Dès  lors,  étant  donné  ce  que  nous  avons  dit  précédemment  de  cet  ensemble 
physiologique,  le  système  neuro-musculaire,  qui,  à  l'état  normal,  possède  un  pouvoir 
trophique  que  nous  avons  défini,  nous  pouvons  établir  comme  notion  d'étiolorjie  générale 
que  tout  ce  qui  peut  altérer  le  système  des  cornes  antérieures  et  les  filets  moteurs  qui  en 
émanent  est  capable  de  faire  Vamyotrophie . 

De  ceci  nous  avons  pour  la  plupart  des  cas  la  démonstration  anatomique  sous  forme 
de  lésions  caractéristiques;  c'est  à  rechercher  les  différentes  causes  qui  peuvent  faire 
les  altérations  anatomiques  que  doit  s'appliquer  notre  étiologie. 

Nous  avons  vu  qu'il  y  a  des  amyotrophies  secondaires  dans  lesquelles  la  myélopathie 
cjui  fait  le  trouble  trophique  est  mise  en  jeu,  soit  par  propagation  d'une  lésion  supé- 
rieure (cérébrale),  soit  par  contact  d'une  lésion  voisine  (cordons  médullaires),  soit  enfin, 
par  retentissement  d'une  lésion  distante  (irritation  périphérique  par  voie  réflexe);  nous 
savons  enfin  qu'il  y  a  des  amyotrophies  directes  dues  au  traumatisme  des  nerfs  moteurs. 

Là  l'étiologie  est  précise  :  l'amyotrophie  survient  comme  complication  d'une  alté- 
ration nerveuse  préexistante  dont  nous  n'avons  pas  à  rechercher  la  nature.  Dans 
d'autres  cas,  l'amyotrophie  est  dite  protopathiquc,  c'est-à-dire  que  l'atrophie  muscu- 
laire constitue  longtemps  par  elle-même,  uniquement,  ou  tout  spécialement,  un  pro- 
cessus morbide  distinct.  Pour  ce  groupe,  nous  possédons,  d'une  part,  des  renseigne- 
ments anatomiques  qui  nous  permettent  d'établir  des  amyotrophies  myélopathiques  liées 
à  l'altération  des  cellules  des  cornes  antérieures  (paralysies  spinales,  atrophie  muscu- 
laire progressive  du  type  Ahan-Duchexne)  ;  d'autre  part,  l'absence  d'altérations  myé- 
litiques  et  névritiques  pour  certaines  amyotrophies  où  tout  se  borne  à  des  altérations 
flbrillaires  nous  fait  reconnaître  un  groupe  d'amyotrophies  myopathiques. 


476  AM  YOTROPHIE. 

Pendant  longtemps  on  s'est  contenté  de  constater  simplement  ces  résultats;  on  se 
bornait,  à  propos  de  leur  étiologie,  à  invoquer  les  raisons  d'hérédité,  d'âge,  de  prédis- 
position; il  a  fallu  les  travaux  modernes  sur  la  névrite  périphérique  pour  nous  conduire 
à  la  recherche  d'une  cause  plus  prochaine'. 

On  reconnut  que  dans  bon  nombre  de  cas  l'amyotrophie  se  rattache  à  des  altérations 
névritiques,  conséquences  elles-mêmes  d'intoxications  ou  d'étals  infectieux  variés;  et 
on  se  demanda  si  cette  raison  étiologique,  l'intoxication  ou  l'infection,  ne  pouvait,  par 
extension,  s'appliquer  à  la  pathogénie  des  autres  anij'otrophies  en  faisant  des  locali- 
sations diverses  pour  les  différents  cas. 

a.  L'intoxication. —  Des  éléments  toxiques,  parmi  lesquels,  en  premier  lieu,  l'alcool 
et  le  plomb,  font  des  lésions  de  névrite  périphérique,  qui,  parmi  leurs  sj'mptûmes,  peu- 
vent comprendre  l'amyotrophie.  —  Le  fait  est  simple,  et,  du  moins,  prévu,  en  raison  de 
ce  que  nous  venons  de  dire;  ce  qui  l'est  moins,  c'est  que,  dans  certains  cas  d'intoxication 
par  le  plomb,  on  a  pu  voir  évoluer,  non  plus  une  amyotrophie  de  névrite  périphérique, 
symptôme  vulgaire,  et  accessoire,  mais  un  ensemble  symptomatique  rappelant  de  tous 
points  le  processus  de  l'atrophie  musculaire  pivgressive,  ce  qui  semble  indiquer  un  retentis- 
sement du  toxique  sur  le  centre  médullaire. 

b.  L'infection.  —  Les  recherches  modernes  nous  montrent  les  analogies  des  produits 
d'infection  avec  les  toxiques,  et  parmi  ces  analogies,  la  plus  marquée,  peut-être,  est  une 
affinité  spéciale  pour  le  nerf  périphérique.  Toutefois,  leur  mode  d'action  est  plus  complexe. 
Parmi  les  maladies  infectieuses  (tuberculose,  fièvre  typhoïde,  fièvres  éruptives,  diphthé- 
rie,  lèpre,  béribéri,  rage,  rhumatisme  etc.),  qui  peuvent  faire  l'amyotrophie,  quelques- 
unes  seulement  se  prêtent  à  l'expérimentation,  pourles  autres,  on  en  est  réduit  à  procé- 
der par  induction.  Voyons  cependant  ce  qu'ont  déjà  fourni  les  recherches. 

1°  Névrites  raicrobiennes.  —  Nous  devons  citer  en  premier  lieu  le  processus,  démons- 
tratif à  l'évidence,  de  la  lèpre,  dans  laquelle  nous  voyons  le  microbe  envahir  les  nerfs 
périphe'riques,  et  léser  directement  le  filet  nerveux  musculaire.  Peut-être  encore  certains 
cas  d'amyotrophie  chez  des  tuberculeux  ont-ils  une  étiologie  aussi  précise  par  névrite 
bacillaire,  mais  ce  sont  là  des  exceptions. 

2°  Névritea  toxiques.  —  Pour  les  autres  maladies  infectieuses,  le  microbe  ne  paraît 
pas  faire  localisation  sur  les  organes  nerveux.  Charrié  dans  la  masse  sanguine,  ou  fixé 
en  tel  ou  tel  point  de  l'économie,  il  peut  donner  naissance  à  des  produits  de  sécrétion 
qui,  dans  leur  dissémination,  pourront  porter  leur  influence  délétère  sur  l'élément 
nerveux  au  même  titre  que  sur  divers  parenchymes.  Ce  processus,  admirablement 
élucidé  pour  la  diphthérie,  par  Roux  et  Yersin,  se  reproduit  pour  bon  nombre  d'autres 
infections. 

Dans  ces  conditions,  ce  que  nous  faisions  pressentir  pour  les  intoxications  se 
retrouve  ici;  le  microbe  ou  ses  poisons,  au  lieu  d'atteindre  isolément  le  nerf  périphé- 
rique, se  fixent  à  la  fois  sur  ce  nerf  et  sur  les  centres  médullaires,  ou  sur  ceux-ci  plus 
spécialement,  ils  pourront  déterminer  alors  ces  altérations  cellulaires  centrales,  dont  le 
symptôme  unique  et  définitif  est  l'atrophie  musculaire;  celles  qui  constituent,  en  un  mot, 
les  grands  processus  d'amyotrophie  musculaire  progressive. 

C'est  ce  que  l'expérimentation  semble  avoir  réalisé  aujourd'hui. 

Preuves  expérimentales.  —  Avec  les  poisons  de  la  diphthérie,  isolés  des  cultures  qui 
les  ont  produits.  Roux  et  Yersin  ont  provoqué  des  accidents  paralytiques  suivis  d'amyo- 
trophie. Les  recherches  anatomiques  premières  out  cru  pouvoir  limiter  l'action  de  ces 
poisons  aux  nerfs  périphériques,  mais  il  semble  y  avoir  plus,  car  on  observe  assez  fré- 
quemment des  symptômes  d'altérations  bulbaires,  et  P.  Marie  a  tout  récemment  signalé 
des  altérations  des  cordons  postérieurs  sur  des  moelles  de  sujets  diphthéritiques  atteints 
également  de  névrites  périphériques  (Soc.  méd.  des  ftôp.,  juillet  1894). 

Enfin,  Roger  a  reproduit  expérimentalement  chez  le  lapin  quatorze  cas  de  myélite 
systématique  répondant  histologiquement  à  la  dégénérescence  des  cellules  des  cornes 

l.  Il  va  sans  dire,  toutefois,  que  l'étiologie  est  toujours  dominée  par  des  influences  majeures  ; 
l'hérédité,  la  prédisposition  par  l'âge  ou  par  la  force  organique,  grâce  auxquelles  te!  sujet  pré- 
sente une  vulnérabilité  plus  marquée,  tel  autre  une  plus  grande  résistance,  tel  autre,  enfin,  une 
véritable  immunité  aux  agents  toxiques. 


AM  YOTROPHIE.  477 

antérieures,  et  se  traduisant  cliniquement  par  un  ensemble  symptomatique  de  phénomènes 
comparables  à  ceux  de  l'atrophie  musculaire  progressive  {C.  R.,  26  nov.  01). 

Nous  renvoyons  pour  le  détail  à  la  communication  originale  de  l'auteur.  Cependant, 
rappelons  que  Roger  injectait  aux  animaux  en  expérience  des  cultures  de  streptocoque 
de  l'érysipèle,  modifiées  dans  le  sens  de  l'atténuation  progressive  par  dix  mois  de  cul- 
tures successives  sur  sérum.  La  plupart  des  animaux  ont  succombé  du  4"  au  19"  jour, 
sauf  un  qui  a  survécu  deux  mois.  A  la  mort  des  animaux,  il  n'y  a  plus  de  microbes 
dans  le  sang  (ceux-ci  disparaissent  au  bout  de  8  jours);  et  l'auteur  admet  que  les  acci- 
dents postérieurs  relèvent  de  produits  soUibles  sécrétés  par  les  microbes. 

Nous-même,  poursuivant  sur  des  chiens  des  expériences  au  sujet  de  la  production 
expérimentale  de  la  chorée  par  injections  de  cultures  de  cocci  mal  définis,  provenant  du 
sang  de  chiens  malades,  avons  réalisé  l'atrophie  musculaire  progressive  à  plusieurs 
reprises  :  parfois  rapidement  (13  jours)  ;  une  fois  en  4  mois. 

Dans  plusieurs  cas,  à  la  moelle  dorsale,  plus  spécialement,  nous  avons  trouvé  des 
modifications  des  cellules  des  cornes  antérieures  comparables  aux  altérations  histologiques 
déjà  signalées  par  Roger  (perte  des  prolongements  protoplasmiques,  faible  affinité  pour 
le  carmin,  non-coloration  de  quelques  cellules;  et,  sur  celles-ci,  en  plusieurs  points,  pré- 
sence de  vacuoles)  (Triboulet.  D.  P.,  1894,  pp.  76  et  suiv.  ;  Trav.  du  Lab.  de  Ch.  Richet, 
t.  ni,  p.  196). 

Conclusion.  —  Il  y  aurait,  on  le  conçoit,  à  reprendre  ces  recherches  au  sujet  de  tous 
les  agents  microbiens;  il  y  aurait  à  se  rendre  compte  pour  chacun  d'eux  des  variations 
dans  \a. période  d'incubation  (rapide  ou  lente)  du  processus;  dans  la  durée  (forme  aiguë, 
forme  chronique);  dans  l'intensité  (atrophies  limitées  ou  étendues);  dans  l'extension 
(atrophies  définitives,  atrophies  progressives,  etc.). 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  possédons  là  déjà  un  argument  de  physiologie  pathologique 
générale  bien  puissant  :  rinfluence  de  certains  produits  d'infection  sur  la  pathogénie  des 
amyotrophies.  La  clinique  confirme  ces  données  :  on  connaît  les  paralysies  spinales  aiguës 
de  l'enfance  (paralysie  infantile)  et  de  l'adulte,  avec  leurs  amyotrophies,  et  l'on  sait 
qu'elles  succèdent  à  un  état  fébrile,  c'est-à-dire  infectieux,  toujours  manifeste,  et  d'ordi- 
naire rapproché.  D'autre  part,  Erb  rapporte  l'observation  suivante  :  «  Homme,  23  ans, 
sain;  fièvre,  puis  atrophie  musculaire,  mort  par  parésie  diaphragmalique.  'Anatomique- 
ment,  lésions  des  nerfs  périphériques,  intégrité  des  racines,  mais  altérations  vacuo- 
laires  des  cellules  de  la  moelle.  »  Pour  Erb,  toute  amyotrophie  est  fonction  d'une  alté- 
ration de  la  cellule  spinale;  quand  il  y  a,  comme  dans  l'observation  ci-dessus,  névrites, 
périphériques  et  altérations  cellulaires,  il  faut  subordonner  les  premières  aux  secondes.  Si 
nous  ne  trouvons  pas  celles-ci,  c'est  que  nos  moyens  d'investigation  sont  encore  insuffi- 
sants. 

«  Il  n'existe  pas  dans  la  science  de  cas  prouvant  le  contraire,  d'une  façon  certaine  », 
dit  L.  Landouzy;  nous  voyons  de  plus  que  les  recherches  de  Marie  le  conduisent, 
avec  preuves  matérielles,  à  la  même  interprétation  des  phénomènes.  C'est  l'impossibilité 
oh  nous  sommes  actuellement  d'affirmer  l'absence  certaine  de  lésions  centrales  pour  tel 
ou  tel  cas,  qui  nous  a  forcé  à  la  réserve  en  ce  qui  concerne  les  amyotrophies  dites  myo- 
pathiques. 

Il  est  possible,  comme  le  pense  Strlmpell,  qu'une  même  cause,  toxique  ou  infectieuse, 
fasse  à  la  fois,  ou  plus  spécialement,  la  poliomyélite  antérieure,  la  névrite  multiple,  et 
l'altération  musculaire  ;  mais  l'hypothèse  de  la  trophonèvrose  centrcde  de  Erb  nous  paraît 
suffisante  pour  expliquer  tous  les  cas,  et  elle  coïncide  pleinement  avec  cette  conception 
première  de  Charcot  :  «  Toute  atrophie  musculaire  est  le  résultat  direct  ou  indirect  d'une 
lésion  des    cornes  antérieures  de  lamoelle.  » 

Parmi  les  causes  qui  font  cette  lésion,  nous  voyons  que  l'infection  prend  chaque  jour 
une  plus  large  part. 

Bibliographie.  —  Aran.  Rech.  sur  une  maladie  non  encore  décrite  du  syst.  musculaire 
(Arch.  gén.  de  médec,  18o0,  t.  in,  pp.  5,  172).  —  Dl'chenne  de  Boulogne.  Physiologie  des 
mouvements.  Paris,  1867.  —  Friedreich.  Vber  progi-essive  Muskelatrophie,  uber  wahre  und 
falsche  Muskelhypertrophie.  Berlin,  187.3.  —  Charcot  et  Gombault.  JVo<e  sur  un  cas  d'atro- 
phie musculaire  progressive  spinale  protopathique  (A.  P.,  1873,  pp.  735-735).  —  Char- 
cot   et  JoFFROY.  Deux  cas  d'atrophie  musculaire  progressive  avec  lésion  de  la   substance 


478  ANABIOSE    —    ANALGÉSIE. 

grise  des  faisc.  ant.  lalér.  de  la  moelle  {A.  P.,  1869,  pp.  354,  629,  744).  —  Eulenburg. 
Progressive  Muskelatrophie  [Eandb.  d.  spec.  Path.  de  Ziemssen,  1873,  t.  xii,  pp.  102-148). 

—  Vdlpian.  Des  atrophies  musculaires  {Clin,  média,  de  la  Charité.  Paris,  1879,  pp. 707-772). 

—  Strumpell.  Zur  Lehre  der  progress.  Muskelatrophie  (D.  Zeitschr.  f.  Nerv.,  1892,  t.  m, 
pp.  471-o01').  —  Thomson  et  Bruce.  Progr.  muscul.  atrophy  in  a  child,  with  a  spinal 
lésion  [Edinh.  hospit.  Rev.,  1893,  pp.  361-383).  —  Gaule.  Die  trophischen  Eigenschaften 
der  Kerven  [Berl.  Min.  Woch.,  1893,  pp.  1063  et  1099).  —  Landouzy  et  Dejerine  {Rev. 
mens,  de  méd.,  1890). 

Dans  ces  divers  ouvrages,  ainsi  que  dans  les  articles  de  Dictionnaires,  et  dans  Vlndcx 
Catal.  {Atrophy  muscular  progressive)  on  trouvera  la  très  nombreuse  bibliographie  des 
cas  intéressants  fournis  par  la  clinique. 

H.  TRIBOULET. 

ANABIOSE.  —  Terme  employé  par  Prêter  pour  indiquer  le  retour  à  la  vie 
active  après  la  vie  latente  (Preyer.  Physiol.  générale,  1884,  p.  109)  (Voy.  Reviviscence). 

ANAGYRINE.  —  Alcaloïde  extrait  par  Hardy  et  Gallois  de  VAnagyris  fctida 
en  1883  {R.  B.,  13  juin  1883,  t.  xxxvn,  p.  391).  La  formule  serait  C"'H'^Az-0-.  EUeest  forte- 
ment alcaline  et  donne  un  chlorhydrate  cristallisable.  Son  action  physiologique  a  été  étu- 
diée par  Gallois  et  Hardy  d'abord,  puis  par  Bochefontaine;  enfin  avec  plus  de  détails 
par  Gley'(-B-  B-,  23  juillet  1892,  t.  XLiv,p.  684).  Les  recherches  d'ARNOUx(1870)  avaient  mon- 
tré que  les  extraits  d'anagyre  sont  toxiques.  Cette  toxicité  parait  due  à  l'anagyrine  qui  est 
en  effet  très  active.  A  dose  moyenne,  0,01  chez  le  chien,  elle  ralentit  le  cœur;  et,  presque 
aussitôt  après  l'accélère  énormément.  Celte  accélération  persiste  alors  que  les  pneumo- 
gastriques ont  été  paralysés  par  l'atropine  ;  par  conséquent  elle  n'est  pas  due  à  la 
paralysie  des  terminaisons  de  ces  nerfs.  Gley  pense  que  l'anagyrine  agit  non  pas  sur 
le  cœur  lui-même,  mais  sur  les  ganglions  périphériques  présidant  à  l'innervation  vascu- 
culaire.  Ce  qui  paraît  démontrer  que  ce  sont  les  terminaisons  périphériques  des  nerfs 
qui  sont  atteintes,  c'est  que  la  destruction  du  bulbe  n'empêche  pas  l'effet  de  l'anagy- 
rine de  se  produire.  Quoique  ces  interprétations  soient  encore  assez  hypothétiques,  on 
peut  admettre  que  l'anagyrine  agit  surtout  sur  les  ganglions  nerveux  vaso-moteurs  de 
la  périphérie  en  faisant  rétrécir  les  vaisseaux,  et  par  conséquent  en  élevant  la  pression. 
Le  chloral  supprime  les  etïets  de  l'anagyrine. 

Cette  substance  est  aussi  un  poison  du  système  nerveux  central,  comme  le  prouvent 
les  phénomènes  qu'elle  provoque  (vomissements,  ralentissement  des  mouvements  respi- 
ratoires, arrêt  de  la  respiration,  arrêt  du  cœur).  Chez  les  grenouilles,  le  cœur  continue  à 
battre,  alors  que  tout  le  système  musculaire  est  paralysé. 

CH.  R. 

ANALGESIE  (de  à  et  aXyo;  douleur).  —  On  dit  qu'il  y  a  analgésie  lorsque 
une  partie  quelconque  de  l'organisme,  ou  l'organisme  tout  entier,  sont  devenus  insen- 
sibles à  la  douleur.  A  la  rigueur  on  pourrait  dire  que  toute  anesthésie  est  en  môme 
temps  une  analge'sie,  puisqu'il  y  a  suppression  de  toute  perception  douloureuse  dans 
l'anesthésie.  Cependant  Beau,  qui  a  employé  un  des  premiers  l'expression  analgésie 
{Arch.  gén.  de  méd.,  1848,  p.  3),  —  avant  Beau  on  la  trouve  dans  Flemuing.  Analgesia  als 
Symptom  der  Krankheiteii  mit  Irresein.  Med.  Zeit.  Berli7i,  1833,  (2),  p.  199,  —réserve  ce  mot 
à  l'insensibilité  à  la  douleur  coïncidant  avec  la  conservation  plus  ou  moins  complète  des 
autres  sensibilités  tactiles. 

Dans  l'hystérie,  ainsi  que  dans  diverses  affections  nerveuses,  on  observe  souvent  cette 
dissociation  remarquable;  elle  sera  étudiée  plus  loin  à  l'article  Anesthésie  :  c'estl'anal- 
gésie  pathologique,  liée  à  un  trouble  de  l'innervation  centrale. 

Nous  étudierons  ici  l'analgésie  toxique,  et  pour  cela  nous  devons  mentionner  les 
effets  curieux  de  certains  médicaments  ou  poisons  (en  général  des  anesthésiques) 
qui  ont  la  propriété  d'abolir  la  douleur,  sans  faire  perdre  la  sensibilité  tactile.  Mais  il 
faut  à  cet  égard  distinguer  la  sensibilité  normale  et  la  sensibilité  pathologique. 

En  effet  deux  cas  peuvent  se  présenter.  Tantôt  il  s'agit  d'un  individu  normal  qui,  par 
suite  d'une  médicamentation  ou  d'une  intoxication,  perd  la  sensibilité  à   la  douleur. 


ANALGESIE.  i79 

Tantôt  il  s'agit  d'un  individu  qui,  soufTrant  de  vives  douleurs  en  un  point  quelconque 
de  l'organisme,  éprouve,  par  le  fait  d'un  médicament  ou  d'un  poison,  une  atténuation  de 
sa  douleur. 

Pour  ce  qui  est  de  la  douleur  pathologique,  il  n'y  a  guère  qu'un  seul  médicament 
qui  soit  vraiment  analgésique;  c'est  la  morphine.  Les  substances  hypnotiques  qui  pro- 
voquent le  sommeil  chez  les  individus  qui  souffrent,  n'apaisent  la  douleur  que  parce 
qu'elles  amènent  le  sommeil.  Le  chloral,  le  sulfonal,  le  chloralose  ne  sont  pas  des  anal- 
gésiques; car,  tant  que  l'individu  est  éveillé,  il  conserve  sa  douleur,  presque  aussi 
tenace  qu'avant  l'injection  médicamenteuse.  Au  contraire,  avec  la  morphine,  le  patient, 
quoique  éveillé,  a  une  sensibilité  émoussée  et  ne  perçoit  plus  qu'une  douleur  sourde, 
indistincte,  bien  différente  de  la  douleur  lancinante,  algue,  exaspérante,  qu'il  ressentait 
tout  à  l'heure. 

Le  mot  analgésie  n'est  à  vrai  dire  pas  tout  à  fait  exact,  et  il  vaudrait  mieux  peut- 
être,  pour  expliquer  cette  action,  recourir  à  un  néologisme  et  se  servir  du  mot  hypoalgésie. 

Expérimentalement  on  observe  très  bien  l'hypoalgésie  sur  les  animaux  qui  ont  reçu 
une  forte  dose  de  morphine.  11  ont  conserve'  la  sensibilité  tactile,  très  fine;  le  moindre 
contact  détermine  une  réaction  de  sensibilité  et  un  réflexe  ;  si  l'on  fait  une  opération,  ils 
crient,  hurlent,  se  débattent  pendant  tout  le  temps;  mais,  une  fois  que  l'opération  est 
terminée,  quoique  mutilés,  ils  s'engourdissent,  et  ne  paraissent  plus  ressentir  de  dou- 
leurs :  c'est  la,  semble-t-il,  de  l'hypoalgésie. 

En  somme  l'atténuation  de  la  douleur,  c'est  de  l'analgésie  incomplète. 

Les  anesthésiques,  à  une  certaine  période  de  leur  action,  par  conséquent  aussi  lors- 
qu'ils sont  administrés  à  une  certaine  dose,  amènent  une  analgésie  complète.  Il  est  clair 
que  nous  ne  parlons  pas  de  cette  période  d'anesthésie  profonde  oii  la  conscience  est 
abolie,  en  même  temps  que  la  faculté  de  se  mouvoir,  mais  de  cette  période  pendant 
laquelle  la  conscience  est  à  peu  près  conservée,  avec  perception  des  sensations  tactiles, 
mais  abolition  des  sensations  douloureuses.  A.  Richet  en  a  cité  des  exemples  instructifs 
(Anat.  méd.  Mr.,  5"  édit.,  p.  316)  et  j'en  ai  rapporté  plusieurs  cas  [Rech.  expér.  sur  la 
sensibilité.  D.  P.,  1877,  pp.  238-262).  Guibest  {De  l'analgésie  obtenus  par  l'act.  combinée  de  la 
morphine  et  du  chloroforme.  C.  R.,  t.  lxxxy,  p.  967)  a  montré  que  des  injections  préalables 
de  morphine  permettaient  de  donner  du  chloroforme  à  faible  dose,  en  provoquant  l'in- 
sensibilité à  la  douleur  sans  faire  perdre  la  conscience.  Labbé  et  Goujon  ont  eu  des 
résultats  analogues  {Act.  combinée  de  la  morphine  et  du  chloroforme.  C.  R.,  févr.  1872, 
t.  Lxxiv,  p.  627.  Voy.  aussi  Dastre.  Les  anesthésiques,  1890,  pp.  45-61).  Comme  ce  phé- 
nomène se  produit  à  dose  toxique  faible,  l'on  comprend  qu'il  y  a  dans  toute  anesthésie 
chloroformique  complète  une  période  de  début  (analgésie  de  début)  et  une  période 
finale  (analgésie  de  retour),  selon  qu'il  n'y  a  pas  encore  assez  ou  qu'il  n'y  a  plus  assez  de 
poison  pour  produire  l'anesthésie  absolue. 

C'est  surtout  dans  la  pratique  des  accouchements  que  l'analgésie  chloroformique 
serait  intéressante  à  'obtenir.  A  cet  égard  on  trouve  de  nombreux  documents  dans  les 
ouvrages  spéciaux.  (Voir  surtout  Pinard.  Action  comparée  du  chloroforme,  du  chloral,  de 
l'opium  et  de  la  morphine  chez  la  femme  en  travail.  Th.  d'agr.  Paris,  1878.  —  Dumontpallier. 
Chloroforme  dans  l'accouchement  à  dose  analgésiante  utérine  et  péri-utérine.  Rev.  de  thér., 
1878,  t.  XXVI,  p.  97.)  11  y  a  là  en  effet  desind  ications  spéciales;  il  faut  que  la  sensibilité 
réflexe  ne  soit  pas  abolie,  et  cependant  que  l'algesthésie  soit  supprimée.  11  importe  peu 
au  physiologiste  de  savoir  si,  au  point  de  vue  de  la  pratique,  l'anesthésie  obstétricale  a 
plus  d'avantages  que  d'inconvénients,  ou  inversement,  et  nous  n'avons  pas  à  prendre 
parti  ;  il  nous  suffira  de  constater  que,  dans  certains  cas,  la  douleur  est  à  peu  près  com- 
plètement abolie,  alors  que  les  autres  sensibilités  (tactile  et  excito-motrice)  sont 
conservées. 

La  théorie  de  ce  phénomène  n'est  probablement  pas  très  simple.  Reprenant  une 
ancienne  idée  de  J.  Moreau  {Un.  Méd.  Paris,  1847,  (1),  p.  83)  j'ai  pensé  que  cette  analgé- 
sie pouvait  se  confondre  avec  une  sorte  d'amnésie.  Le  fait  dominant  de  la  douleur,  c'est 
moins  le  fugitif  moment  d'une  violente  excitation  douloureuse  que  le  retentissement 
prolongé  qu'un  tel  excitant  détermine  dans  les  centres  nerveux  {D.  P.,  p.  294.).  De  fait 
une  douleur  passagère  ne  laissant  pas  derrière  elle  un  ébranlement  douloureux  n'est  pas 
une  vraie  douleur. 


480  ANAPHRODISIAQUE. 

Nous  avouerons  d'ailleurs  que,  si  cette  explication  suffit  pour  l'analgésie  incomplète, 
elle  ne  suffit  pas  pour  l'analgésie  totale.  Mais  une  autre  hypothèse  fera  bien  saisir  com- 
ment le  chloroforme  (ou  l'éther,  ou  l'alcool)  peuvent  supprimer  la  sensibilité  à  la  dou- 
leur. Admettons  que  la  douleur  soit  constituée  par  le  retentissement  d'une  vibration 
nerveuse,  soit  des  nerfs  périphériques,  soit  des  centres.  Si  cette  vibration  n'est  pas  très 
intense,  la  douleur  sera  médiocre,  et,  si  la  vibration  est  plus  faible  encore,  la  douleur 
sera  nulle,  quoique  le  nerf  puisse  encore  conduire  l'excitation,  et  que  les  centres  nerveux 
puissent  encore  la  percevoir.  En  un  mot,  la  douleur  sera  mesurée  par  l'amplitude  de  la 
vibration  nerveuse,  et  toute  substance,  qui,  comme  les  poisons  anesthésiques,  diminue 
l'amplitude  de  cette  vibration,  aura  des  effets  analgésiques. 

On  conçoit  alors  que  l'analgésie  puisse  être  obtenuenon  seulement  par  des  substances 
qui  empoisonnent  le  système  nerveux  central,  mais  encore  par  toutes  celles  qui  diminuent 
l'excitabilité  des  nerfs  périphériques.  11  faut  donc  dans  l'analgésie  toxique  distinguer  celle 
qui  est  générale  et  celle  qui  est  locale.  Nous  avons  vu  que,  suivant  la  dose,  le  mode 
d'administration,  et  surtout  l'association  avec  la  morphine,  on  pouvait  donner  du  chloro- 
forme de  manière  à  avoir  l'analgésie  et  non  l'anestbésie  ;  de  même,  en  agissant  sur  la  sen- 
sibilité locale,  ou  peut,  à  une  certaine  période,  obtenir  l'analgésie.  Si  l'on  plonge  le  doigt 
dans  un  mélange  réfrigérant,  on  n'abolit  pas  complètement  la  sensibilité  tactile,  quoi- 
qu'elle soit  cependant  singulièrement  émoussée;  mais  la  sensibilité  à  la  douleur  est  perdue, 
et  perdue  à  tel  point  qu'on  peut  appliquer  cette  méthode  à  la  pratique  chirurgicale 
en  employant  la  glace  (Abnott,  1831)  ou  la  réfrigération  par  l'éther  (A.  Richet,  1834). 

Mais  le  meilleur  procédé  pour  obtenir  l'anesthésie  locale,  c'est  l'injection  de  cocaïne 
(Voy.  Coca'ine).  En  réalité,  cette  substance  produit  une  véritable  analgésie.  Iri)ectée 
dans  le  sang, à  dose  modérée,  elle  anesthésie  le  tégument  cutané,  par  actiou  sur  les  ter- 
minaisons nerveuses  (spécialement  sur  la  grenouille  l'expérience  est  très  nette).  Arloing 
(cité  par  Dastre,  loc.  cit.,'lp.  215)  a  constaté  que  cette  analgésie  périphérique  coïncidait 
précisément  avec  l'agitation  frénétique  qui  accompagne  l'empoisonnement  par  la  cocaïne. 
Les  injections  locales  déterminent  tout  autour  du  point  injecté  une  zone  d'analgésie  qui 
permet  de  pratiquer  des  opérations  assez  longues.  On  sait  que  c'est  surtout  pour  les  opé- 
rations sur  l'œil  et  la  cornée  que  cette  méthode  a  été  employée;  mais  elle  tend  à  se  gé- 
néraliser à  beaucoup  d'opérations  sur  les  membres.  L'analgésie  et  l'anesthésie  s'observent 
concurremment;  d'abord,  l'analgésie  ;  puis,  quand  la  solution  cocaïnique  a  agi  avec  plus 
d'intensité,  l'anesthésie  complète  avec  perte  de  toutes  les  sensibilités  CVoy.  Delbosc. 
Trav.  Lab.  de  Physiol.  de  Ch.  Richet,  t.  ii,  p.  329). 

En  somme,  qu'il  s'agisse  de  l'analgésie  pathologique,  ou  de  l'analgésie  toxique,  soit 
générale  ou  locale,  soit  centrale  ou  périphérique,  il  semble  que  la  cause  première  soit 
toujours  la  même:  une  diminution  de  l'excitabilité  nerveuse.  Tout  se  passe  comme  si  la 
douleur  était  l'effet  d'une  vibration  forte  et  prolongée  des  centres  nerveux.  Par  conséquent 
toute  cause  qui  va  diminuer  cette  vibration  intense,  soit  dans  les  nerfs  périphériques, 
soit  dans  le  système  nerveux  central,  commencera  par  produire  de  l'analgésie. 

D'ailleurs,  l'histoire  de  l'analgésie  ne  peut  être  ici  traitée  complètement.  Elle  est  inti- 
mement liée  à  d'autres  fonctions  ("Voy.  Anesthésie,  Cocaïne,  Douleur,  Sensibilité). 

CH.  R. 

ANAPHRODISIAQUE.  —  Le  mot  anaphrodisiaque  (à  privatif,  'AçpoSÎ-r), 
Vénus)  n'est  que  le  qualificatif  du  terme  anaphrodisie  :  l'absence  de  l'appétit  génital, 
nécessaire,  chez  l'homme,  pour  le  convier  à  l'accomplissement  de  la  fonction  de  repro- 
duction. Bien  que  cette  définition  soit  suffisamment  précise,  il  importe  de  formuler 
plus  explicitement  ce  qu'on  entend  sous  ce  nom;  car  sa  compréhension  a  été  étendue, 
indûment  à  notre  avis,  à  la  plupart  des  états  caractérisés  par  de  l'inaptitude  génitale. 
Rappelons  donc  que  l'acte  de  la  génération  comporte,  chez  l'homme,  plusieurs  épisodes 
liés  entre  eux,  mais  non  pas  confondus.  Précédé  de  désirs  d'une  nature  spéciale,  il 
s'accomplit  à  l'aide  du  mécanisme  de  l'érection,  s'accompagne  de  sensations  particu- 
lières et  se  termine  enfin  par  l'éjaculation  de  la  liqueur  séminale.  Or  chacun  des  stades 
que  nous  venons  de  passer  en  revue  est  susceptible  d'être  affecté,  pathologiquement, 
pour  son  propre  compte,  indépendamment  des  autres,  et  il  résulte  alors  de  là  autant 
de  formes  d'inaptitude  sexuelle,  dont  chacune  doit  également  être  différenciée  en  patho- 


A  NATO  MIE.  iSt 

logie.  Pour  nous,  il  n'y  a  que  les  troubles  dus  à  l'affaiblissement  ou  à  la  disparition  du 
cUsir  sexuel  qui  raérilent  d'être  appelés  anapbrodisie. 

L'anaphrodisie  peut  être  congénitale;  alors  le  plus  souvent  elle  est  liée  à  un  arrêt 
de  développement  des  organes  génitaux. 

IMais  l'anaphrodisie  vraie  est  celle  qui  est  en  rapport  avec  des  maladies  générales 
de  l'organisme,  et  plus  encore  causée  par  des  affections  du  système  nerveux  :  psycho- 
névroses  et  maladies  organiques.  Les  influences  morales  (répulsion,  peur  des  maladies 
vénériennes,  excès  de  travail  intellectuel,  etc.)  paraissent  influer  le  plus  pour  la  déter- 
miner, ce  qui  démontre  le  rôle  considérable  que  jouent  les  centres  nerveux  supérieurs 
dans  son  fonctionnement. 

L'absence  de  l'appétit  sexuel,  rare  chez  l'homme,  et  même  exceptionnelle  quand  il 
n'y  a  pas  arrêt  de  développement,  paraîtrait  au  contraire  très  fréquente  chez  la  femme 
en  dehors  de  toute  cause  organique.  On  pourrait  attribuer  cette  anapbrodisie  aux  rai- 
sons suivantes.  Il  est  certain  tout  d'abord  que,  si  l'appétit  sexuel  est  nécessaire  chez 
l'homme  pour  assurer  la  conservation  de  l'espèce,  il  ne  l'est  pas  autant  chez  la  femme. 
De  plus  on  a  constaté  que,  d'une  façon  générale,  il  n'acquiert  qu'exceptionnellement  chez 
cette  dernière  la  même  intensité  que  chez  l'homme  :  on  ferait  valoir,  aussi,  que  dès  le 
plus  jeune  âge,  l'éducation  des  jeunes  filles  chez  les  peuples  civilisés  tend,  pour  des 
raisons,  sur  la  valeur  desquelles  nous  n'avons  pas  à  nous  expliquer  ici,  à  déprimer  le 
développement  de  la  sexualité  chez  elles;  on  ne  peut  douter  que  ce  désir,  déjà  instable 
par  lui-même,  iinit  par  s'atténuer  par  ces  lentes  modifications,  et  qui  sont  transmises 
longtemps  héréditairement. 

On  connaît  certaines  substances  qui  seraient  susceptibles  de  provoquer  l'anaphro- 
disie et  auxquelles  on  donne  le  nom  à' anti- aphrodisiaques  ou  à'anaphrodisiaqucs.  Tel 
VAgnits  castus,  désigné  sous  le  nom  expressif  de  poiure  des  moines,  dont  on  préparait  un 
sirop  dit  de  chasteté  :  telle  encore  la  Nymphsea  alba,  dont  les  propriétés  spéciales  sont 
loin  d'être  établies.  Il  paraît  mieux  prouvé  que  le  camphre,  la  belladone  et  les  bro- 
mures offrent,  à  cet  égard,  des  propriéte's  déprimant  le  désir  sexuel.  Néanmoins,  aucun 
de  ces  médicaments  n'est  doué  d'une  action  qu'on  pourrait  qualifier  de  véritablement 
spécifique;  leurs  effets  sont  plutôt  ceux  de  stupéfiants  du  système  nerveux  en  général. 

Il  est  d'ailleurs  évident  que  toutes  les  substances  agissant  sur  l'intelligence,  pour  la 
déprimer,  sont  des  anaphrodisiaques  ;  les  alcools,  les  anesthésiques,  et  en  général  tous 
les  poisons  du  système  nerveux. 

Pour  la  bibhographie,  voir  les  articles  des  Dictionnaires  de  médecine,  et  les  thèses 
de  doctorat  de  Paris  :  Caeon  (1843)  et  Péchenei  (1873).  Physiol.  étiolog.  et  traitement  de 
l'anaphrodisie. 

AUL    BLOCQ. 

ANAXOMIE.  • — -  Le  mot  Anatomie  a  un  peu  dévié  du  sens  qu'on  serait  étymo- 
lûgiquement  en  droit  de  lui  attribuer. 

Formé  de  deux  mots  grecs  (avst,  au  travers  ;  -£;j.vw,  je  coupe),  il  est,  par  son  origine, 
synonyme  du  mot  dissection  {secare,  couper).  En  fait,  on  lui  donne  depuis  longtemps  une 
compréhension  plus  étendue.  L'anatomie  est  la  science  de  l'organisation  des  êtres  vivants, 
comme  la  physiologie  est  la  science  de  la  vie;  la  dissection  est  le  moyen  que  le  chercheur 
emploie  pour  arriver  à  connaître  l'anatomie,  comme  l'expérimentation  est  la  méthode 
qui  conduit  les  travaux  du  physiologiste. 

L'anatomiste  analyse,  décrit,  compare,  généralise;  le  dissecteur  sépare  les  organes 
et  les  isole.  Le  premier  travaille  avec  son  cerveau,  le  second  avec  ses  mains.  L'anatomie 
est  une  science,  la  dissection  un  art;  la  première,  le  but  qu'on  poursuit;  la  seconde,  la 
méthode  qui  permet  de  l'atteindre.  Il  y  a  deux  sortes  de  dissection  :  la  dissection  des 
organes,  ou  dissection  macroscopique,  et  la  dissection  des  éléments  qui  composent  ces 
organes,  ou  dissection  microscopique  :  à  elles  deux,  elles  forment  ce  qu'on  peut  appeler 
la  technique  de  la  science  anatomique;  c'est  en  les  utilisant  que  nous  parvenons  à  con- 
naître la  composition,  la  structure  et  la  texture  de  l'homme,  des  animaux  et  des  plantes. 
<i  Disséquer  en  anatomie,  écrit  Bich.\t,  faire  des  expériences  en  physiologie,  suivre  les 
malades  et  ouvrir  les  cadavres  en  médecine,  c'est  là  une  triple  voie  hors  laquelle  il  ne 
peut  y  avoir  d'anatomiste,  de  physiologiste  ni  de  médecin.  >» 

D  CT.  Ds  I'iiys:olog:e.  —  toi:e  i.  31 


i,S2  A  NATO  MIE. 

Les  êtres  vivants  sont  si  nombreux  et  si  variés,  leurs  organes  sont  si  multiples  et  si 
complexes,  il  y  a  tant  de  rouages  et  si  compliqués  dans  cette  délicate  machine  qu'étudie 
l'anatomiste,  qu'il  n'est  point,  au  moins  de  nos  jours  où  tant  de  secrets  ont  déjà  été 
pénétrés,  d'esprit  si  érudit  ou  de  chercheur  si  original  qui  puisse  explorer  le  domaine 
tout  entier  de  la  science  de  l'organisation  des  êtres.  Pour  visiter  avec  fruit  les  régions 
déjà  connues  de  ce  vaste  domaine,  pour  se  mettre  en  mesure  surtout  d'en  découvrir  de 
nouvelles,  il  faut  se  résigner  à  n'en  parcourir  que  des  zones  limitées.  L'anatomie,  en 
effet,  si  elle  est  toujours  une,  puisqu'elle  poursuit  un  seul  but  —  la  connaissance  des 
organes  de  la  vie  —  embrasse  néanmoins  dans  sa  complexité  plusieurs  sciences  secon- 
daires, plusieurs  branches. 

Classification.  —  L'anatomiste  qui  étudie  l'organisation  des  animaux  est  un  zooto- 
miste ;  celui  qui  étudie  l'organisation  des  plantes  est  un  phytotomiste  ;  l'anthropologie  est 
un  rameau  de  la  zootomie  :  c'est,  ou  plutôt  ce  devrait  être  (car  le  mot  a  aujourd'hui  une 
signification  plus  restreinte)  l'anatomie  du  corps  humain.  Dans  ce  sens,  on  dit  plus  géné- 
ralement anthropotomie . 

CIL.  Anatomie  artistique.  —  Étudier  les  formes  extérieures,  les  saillies  et  les  méplats 
de  la  surface  du  corps,  «  les  inégalités  et  les  enfoncements  sous-cutanés  »,  les  proportions, 
les  surfaces,  les  lignes,  les  arêtes  et  les  contours,  étudier  les  modifications  de  l'habitus 
extérieur  dans  «  le  calme  de  l'àrae  ou  dans  l'orage  des  passions  »,  les  attitudes  et  les 
mouvements  dans  l'expression  des  sentiments  et  des  sensations,  c'est  faire  V anatomie  artis- 
tique, l'anatomie  des  beaux-arts,  l'anatomie  des  peintres  et  des  sculpteurs,  l'anatomie 
plastique.  La  corde  que  forme  le  sterno-mastoïdien  sur  le  cou  dans  certaines  positions  de 
la  tête,  la  ligne  saillante  de  la  saphène  sur  la  face  interne  de  la  cuisse,  la  grosse  proémi- 
nence du  biceps  et  du  long  supinateur  dans  la  flexion  de  l'avant-bras,  le  creux  du  rachis 
et  la  saillie  du  râble,  les  rides  transversales  que  le  frontal  creuse  sur  le  front  dans  la 
réflexion  profonde  et  dans  les  soucis,  les  sillons  verticaux  que  trace  au-dessus  de  la  racine 
du  nez  le  sourciller  dans  la  souffrance  et  la  tristesse,  le  rictus  des  zygomatiques,  la  ter- 
reur qu'exprime  la  contraction  du  carré  mentonnier  en  tirant  en  dehors  la  commissure 
labiale,  le  dégoût  et  le  mépris  qu'imprime  au  visage  la  contraction  simultanée  du  rele- 
veur  de  la  lèvre  supérieure  et  du  triangulaire  des  lèvres  qui  abaisse  la  commissure  labiale, 
les  oscillations  du  globe  oculaire  sous  l'influence  du  cornet  musculaire  qui  l'enveloppe  : 
voilà  quelques  exemples  de  l'anatomie  qui  intéresse  les  artistes. 

p.  Anatomie  topographique.  —  Étudier  comment,  dans  une  région  donnée  du  corps,  les 
différents  organes  s'accommodent  les  uns  aux  autres,  se  réunissent,  se  séparent,  se 
superposent  et  s'agencent  entre  eux,  c'est  faire  l'anatomie  topog^'aphique.  Cette  anatomie 
topographique  est  surtout  utile  au  chirurgien  qui  «  dans  la  connaissance  de  nos  parties 
cherche  avant  tout  un  guide  à  l'instrument  qui  doit  les  diviser  >>;  aussi  la  dénomme-t-on 
assez  généralement  anatomie  chirurgicale  ;  mais  elle  est  aussi,  au  moins  en  ce  qui  con- 
cerne les  viscères,  la  seule  base  sur  laquelle  l'exploration  médicale  puisse  solidement 
édifier  son  diagnostic.  Qui  donc  pourrait  bien  étudier  par  la  palpation,  la  percussion  et 
l'auscultation  les  troubles  fonctionnels  du  cœur,  s'il  ne  connaissait  la  topographie  de  cet 
organe,  les  rapports  de  ses  orifices  avec  la  paroi  thoracique,  l'interposition  d'une  lame  de 
poumon  entre  sa  face  antérieure  et  les  côtes?  La  science  de  l'anatomie  s'impose  au  mé- 
decin. Ne  doit-il  pas  appeler  à  son  secours  la  myologie  et  la  névrologie  dans  l'étude  des 
myopathies,  des  atrophies  musculaires  d'origine  médullaire,  des  paralysies  radiculaires 
du  plexus  trachial,  des  différents  types  de  griffes  que  les  atrophies  musculaires  inrpri- 
ment  à  la  main? 

y.  Embryologie.  Anatomie  comparée.  —  Étudier  les  différentes  phases  par  lesquelles 
passe  un  organe  pour  arriver  à  son  complet  épanouissement,  le  suivre  depuis  les  pre- 
miers jours  de  la  vie  intra-utérine  jusqu'à  sa  période  de  régression  et  de  décrépitude, 
c'est  s'adonner  à  la  science  du  développement,  c'est  faire  de  l'embryologie;  c'est  faire 
aussi,  pourrait-on  dire  par  un  abus  de  langage  qu'autorisent  les  données  scientifiques 
actuelles,  de  l'anatomie  comparée.  A  vrai  dire  l'anatomie  comparée,  ou  plus  exactement 
l'anatomie  comparative  «  traite  de  l'organisation  dans  la  série  animale  et  considère  suc- 
cessivement les  mêmes  organes  dans  les  diverses  espèces,  afin  d'arriver,  par  voie  de  com- 
paraison, à  une  notion  plus  exacte  et  plus  complète  de  chacun  d'eux  »;  mais,  dans 
cette  étude,  le  savant  ne  tarde  pas  à  s'apercevoir  que  l'organisation  des  êtres  est  une 


ANATOMIE.  483 

organisation  sériée,  qu'il  y  a  entre  les  animaux  les  plus  différents  en  apparence  une 
chaîne  ininterrompue  d'intermédiaires  qui  les  rapproche  et  les  unit,  que  la  «  nature  ne 
procède  point  par  bonds  »  et  que,  dans  le  cours  de  leur  développement  embryonnaire, 
l'homme  et  les  mammifères,  ses  voisins,  traversent  différentes  phases  pendant  lesquelles 
leurs  organes  prennent,  pour  un  laps  de  temps  déterminé,  l'aspect  que  conservent, 
d'une  façon  délmitive  et  permanente,  ceux  des  vertébrés  moins  perfectionnés  (batra- 
ciens, poissons,  reptiles,  oiseaux)  et  même  ceux  des  animaux  inférieurs  (invertébrés). 
C'est  que  l'évolution  de  l'individu  marche  parallèlement  à  celle  de  l'espèce  ;  que  l'histoire 
du  développement  de  l'individu  est  la  récapitulation  à  travers  le  temps  de  l'histoire  de 
l'espèce  à  laquelle  il  appartient,  et  comme  la  répétition  brève  de  sa  généalogie;  ou  — 
en  grec  —  que  l'ontogenèse  est  le  résumé  de  la  phylogenèse;  ou  encore,  comme  disait 
Serres  dans  une  langue  autrement  élégante,  que  le  développement  de  l'organisation 
humaine  est  une  anatomie  comparée  transitoire,  et,  qu'à  son  tour,  i'anatomie  comparée 
est  l'état  fixe  et  permanent  de  l'organisation  de  l'homme.  En  vérité,  «  I'anatomie  com- 
parée est  une  embryogénie  permanente  »  et,  suivant  le  fameux  aphorisme  deTiEDEMANN, 
«  le  règne  animal  tout  entier  n'est  qu'un  organisme  en  voie  de  métamorphose  ». 

Et  voilà  comment  l'embryologie,  quand  elle  s'élève  au-dessus  de  la  description  tou- 
jours un  peu  aride  de  ses  nombreuses  et  difficiles  découvertes,  cesse  d'être  une  science 
de  détails,  pour  devenir  comme  un  appendice  de  cette  anatomie  comparée  qui  est  la  plus 
séduisante,  la  plus  riche  et  la  plus  féconde  de  toutes  les  branches  de  la  biologie.  Quel- 
ques exemples.  Ne  trouve-t-on  pas  dans  le  crâne  des  fœtus  de  mammifères  les  mêmes 
os  qui  constituent  le  crâne  des  reptiles  et  des  poissons  adultes?  Notre  foie,  pendant  le 
premier  stade  de  la  vie  embryonnaire,  est  aussi  l'image  du  foie  définitif  des  invertébrés  : 
c'est  une  glande  en  grappe  élémentaire,  une  simple  évagination  de  l'intestin,  une  pous- 
sée de  l'épithélium  du  canal  digestif;  mais  bientôt  le  tissu  conjonctif,  trame  banale, 
envahit  le  tissu  épithélial,  bourgeons  nobles,  apportant  avec  lui  ses  vaisseaux;  alors 
ceux-ci  pénètrent  les  travées  épithéliales,  les  dissocient,  les  hachent,  et  interrompent  à 
tel  point  leur  continuité,  que  l'élément  épithélial  disparaît  sous  l'abondante  prolifération 
de  l'élément  vasculaire  sanguin,  et  que  le  foie  n'a  plus  rien  de  commun,  au  moins  en 
apparence,  avec  une  glande  en  grappe.  L'utérus  embryonnaire  de  la  femme  est  d'abord 
double,  comme  celui  des  marsupiaux.  Avant  de  subir  la  torsion  qui  modifie  ses  rap- 
ports et  la  topographie  de  ses  vaisseaux,  notre  intestin  est  rectiligne,  comme  celui  de 
la  grande  Roussette.  Nous  avons  pour  un  moment  des  arcs  branchiaux  comme  en  pos- 
sèdent pour  toute  la  vie  les  poissons  et  les  amphibies  pérennibranches.  Notre  colonne 
vertébrale  s'édifie  sur  une  notocorde  éphémère  qui  demeure,  pour  les  espèces  infé- 
rieures, un  organe  définitif.  Nos  testicules  sont,  pendant  six  ou  sept  mois  de  l'exis- 
tence intra-utérine,  enfouis  dans  la  cavité  abdominale,  comme  ceux  des  oiseaux  et  de 
quelques  mammifères.  L'axe  du  pied,  chez  les  fœtus  très  jeunes,  se  continue  presque 
directement  avec  l'axe  de  la  jambe,  et  c'est  là  comme  une  image  de  la  conformation  que 
présentent  certains  quadrupèdes,  les  pachydermes  solipèdes  en  particulier.  A  une  épo- 
que de  notre  vie  fœtale,  deux  veines  caves  supérieures  descendent,  dans  notre  médiastin, 
du  cou  vers  le  cœur  :  telles  chez  beaucoup  d'animaux.  Enfin,  avant  que  ses  deux  hémi- 
arcs soient  soudés  l'un  à  l'autre,  -notre  mandibule  inférieure  n'est-elle  pas  momenta- 
nément analogue  à  la  mâchoire  permanente  des  serpents  avec  ses  deux  moitiés  qui  jouent 
l'une  sur  l'autre  pour  donner  à  l'animal  une  bouche  plus  largement  béante? 

On  pourrait  ainsi  multiplier  les  exemples.  . 

3.  Tératologie.  —  Quand  l'analomiste  étudie  le  développement  des  organes,  non  plus 
dans  son  évolution  normale,  mais  bien  dans  ses  irrégularités,  ses  aberrations  et  les 
monstruosités  qu'elles  créent,  il  fait  de  la  tératologie,  et  cette  tératologie  est,  elle  aussi, 
comme  une  province  détachée  du  grand  territoire  de  I'anatomie  comparée.  Etvoici  pour- 
quoi. Considérées  autrefois  comme  une  manifestation  de  la  gloire  et  de  la  colère  de 
Dieu,  ou  comme  le  fruit  de  l'astuce  du  Démon,  au  point  que  Jean  Riolan  (1600)  conseil- 
lait d'enfermer  les  enfants  faits  à  l'image  du  diable  et  de  tuer  ceux  qui  étaient  demi- 
hommes  et  demi-animaux,  les  monstruosités  et  les  anomalies,  étudiées  ensuite  comme 
desimpies  curiosités,  donnèrent  plus  tard  naissance  aux  puissantes  conceptions  d'ÉriENNE 
et  d'IsiDORE  Geoffroy  Saint-Hilaire  et  de  Lamarck.  Elles  cessèrent  dès  lors  d'être  consi- 
dérées comme  un  jeu,  comme  une  erreur  ou  comme  une  faute  de  la  nature;  elles  sor- 


iSi  ANATOMIE. 

tirent  du  domaine  du  désordre  et  de  la  bizarrerie  pour  rentrer  dans  celui  de  la  loi  com- 
mune, et  le  jour  vint  enfin  où  à  ce  vieux  mot  de  Pline  l'Ancien  «  La  nature  se  plaît  à 
faire  des  miracles  et  à  se  jouer  de  nous  »,  on  put  substituer  celui  du  grand  Saint- 
HiLAiRE  :  «  Il  y  a  exception  aux  lois  des  naturalistes,  mais  jamais  aux  lois  de  la  nature  ». 
On  peut  dire  que  les  monstres  (je  laisse  de  côté  les  monstres  doubles,  triples,  quadruples 
qui  ne  sont  que  l'association,  suivant  des  modes  différents,  de  la  moitié  droite  et  de  la 
moitié  gauche  d'individus  normaux)  ne  sont  »  que  des  embryons  normaux  arrêtés  dans 
leur  développement,  d'où  cette  conséquence  —  puisque  les  animaux  supérieurs,  dans  le 
cours  de  leur  évolution  traversent  des  stades  de  transformations  qui  sont  l'image  de  dis- 
positions aclievées  et  définitives  des  animaux  inférieurs  —  que  la  tératologie  est  une 
embryogénie  permanente  ou  une  autre  anatomie  comparée.  » 

Au  total,  il  est  vrai  que  toute  anomalie  est  la  photographie  d'une  disposition  ances- 
trale,  ou  bien  la  reproduction  anticipée,  avant  la  lettre,  d'une  disposition  future,  un  sou- 
venir de  nos  pères  ou  un  espoir  (qui  ne  répond  pas  fatalement  à  un  perfectionnement) 
pour  nos  descendants. 

Quelques  exemples  en  tératologie.  La  biddité  accidentelle  du  gland  et  du  pénis  de 
l'homme  ne  rappelle-t-elle  pas  les  deux  hémi-glandes  des  marsupiaux  et  les  deux  hémi- 
pénis des  sélaciens?  La  polydactylie  n'est-elle  pas  l'image  du  type  heptadactyle  qui 
appartient  aux  Batraciens  et  aux  Reptiles?  Et  du  reste,  la  polydactylie  n'est-elle  pas  la 
règle  chez  les  icthyoïdes,  nos  ancêtres  plus  vieux  encore?  Et  la  division  des  segments 
digitaux  en  deux  moitiés,  l'une  cubito-péronéale,  l'autre  radio-cubitale,  qu'on  observe 
quelquefois,  ne  nous  rappelle-t-elle  pas,  comme  dit  P.  Poirier,  que  non  seulement 
les  rayons  des  nageoires  des  poissons  sont  divisés  à  leur  extrémité  libre,  mais  encore 
que,  chez  l'embryon  humain  lui-même,  avant  l'apparition  des  cartilages,  chaque  traînée 
phalangienne  est,  non  point  simple,  mais  double  (Schenk)? 

Et,  pour  ne  parler  plus  maintenant  que  d'anomalies  simples,  ne  nous  arrive-t-il  pas 
de  reprendre  au  chien  et  à  d'autres  mammifères  leurs  mamelles  multiples,  aux  mar- 
supiaux leur  double  utérus  et  leur  double  vagin,  aux  quadrupèdes  leur  muscle  présternal, 
aux  sauteurs  leur  petit  psoas,  aux  singes  leur  élévateur  de  la  clavicule?  Autant  d'anoma- 
lies qui  sont  régressives,  qui  représentent  des  réversions  ataviques.  Quand,  au  contraire, 
nos  circonvolutions  cérébrales  s'infléchissent  en  méandres  supplémentaires,  quand  notre 
douzième  côte  se  raccourcit  (il  y  a  des  animaux  qui  ont  des  côtes  lombaires),  quand  notre 
appendice  iléo-coecal  se  réduit  aux  simples  proportions  d'une  languette  longue  de  deux 
ou  trois  centimètres  (tout  le  cœcum  se  développe  dans  la  série,  et  l'appendice  vermicu- 
laire  est  un  organe  rudimentaire  qui  tend  vers  la  disparition),  quand  notre  peaussier  du 
cou  (vestige  imparfait  du  vaste  peaussier  des  ruminants,  des  pachydermes  et  autres 
mammifères)  s'atrophie,  quand  notre  plantaire  grêle  et  notre  palmaire  grêle,  restes 
débiles  de  puissants  muscles,  disparaissent,  quand  monte  vers  le  corps  thyroïde  l'artère 
thyroïdienne  moyenne,  alors  c'est  d'anomalie  progressive  qu'il  s'agit.  Et  de  toutes  ces 
bizarreries  apparentes  l'anatomie  comparée  nous  fournit  encore  la  clef,  puisqu'elle  nous 
montre  les  étapes  successives  par  lesquelles  ont  passé  tous  ces  organes,  les  uns,  devenus 
inutiles  à  nos  fonctions,  pour  s'atrophier  et  devenir  rudimentaires,  les  autres,  que  récla- 
ment les  générations  à  venir,  pour  s'amplifier  et  marcher  vers  le  perfectionnement. 

Voilà  bien  comment  la  tératologie  n'est  qu'une  forme  de  l'anatomie  comparée. 

E.  Histologie.  —  Pour  étudier  les  éléments  morphologiques  qui  entrent  dans  la  struc- 
ture des  organes,  l'homme,  dont  l'acuité  des  sens  devient  insuffisante  aux  examens  déli- 
cats que  nécessitent  de  pareilles  recherches,  est  obligé  de  faire  appel  aux  instruments 
d'optique  :  il  fait  alors  usage  du  microscope.  Mais  tous  les  éléments  anatoniiques  se 
réduisent,  en  dernière  analyse,  aux  cellules  :  celles-ci  peuvent  être  plus  ou  moins  trans- 
formées et  différenciées  par  leur  morphologie,  leur  groupement,  leur  adaptation  à  une 
fonction  ou  à  une  autre  —  et  c'est  pour  cela  que  nous  ne  les  reconnaissons  pas  toujours  — 
mais  si  différentes  qu'apparaissent,  a  priori,  de  la  cellule  telle  que  nous  avons  accoutumé 
de  l'envisager,  les  fibres  musculaires,  les  fibres  élastiques,  les  fibres  conjonctives,  elles 
n'en  sont  pas  moins,  les  unes  et  les  autres,  des  dérivés  cellulaires.  L'anatomie  microsco- 
pique n'est  donc  pas  autre  chose  que  l'anatomie  cellulaire;  on  pourrait  l'appeler  mérologie 
(ij-spo;,  partie  constituante)  ainsi  que  le  propose  J.  Béclard;  elle  est,  en  effet,  l'étude  des 


A  NATO  MIE.  485 

parties  élémentaires  auxquelles,  par  l'analyse  analomique  et  par  dédoublement  successif, 
on  peut  ramener  les  tissus  et  les  humeurs. 

Mais  les  éléments  figurés,  outre  qu'ils  possèdent,  chatun  pour  sa  part,  une  morphologie 
très  diverse,  s'associent,  s'unissent,  s'adaptent  les  uns  aux  autres,  tandis  que  les  subs- 
tances amorphes  de  l'organisme  assurent  leur  cohésion;  et  c'est  précisément  de  cet 
assemblage,  dont  les  modes  sont  très  variés,  que  résultent  les  tissus.  La  connaissance 
des  éléments  figurés  ne  suffit  donc  pas  à  l'anatomiste;  il  faut  encore  qu'il  apprenne  les 
différentes  façons  dont  ces  éléments  se  tissent,  se  feutrent,  s'enlacent.  On  dit  alors  qu'il 
fait  de  VMstoloçjie  ('-aTo;,  tissu).  La  mérologie  est  donc  la  science  de  la  structure  des  tissus; 
elle  essaie  de  pénétrer  la  nature  des  éléments  analomiques;  Vhislologie  est  la  science  de 
la  texture  des  tissus;  elle  recherche  les  modes  variés  suivant  lesquels  ces  parties  élé- 
mentaires s'agencent  et  se  disposent  pour  former  une  trame  déterminée.  Mais  ce  n'est 
pas  tout. 

D'une  part,  pour  analyser  les  tissus,  le  microscope  n'est  pas  le  seul  procédé  que 
•  le  savant  emploie  :  il  se  sert  encore  de  la  coction,  de  la  macération,  des  réactifs  chimi- 
ques, etc.  :  son  étude  ne  se  borne  donc  pas  à  la  simple  constatation  de  la  forme  et  de 
l'agencement  des  éléments  figurés;  elle  porte  encore  sur  «  leurs  propriétés  vitales  et 
physiques,  sur  leurs  sympathies  »,  sur  leur  parenté,  sur  leur  genèse  et  sur  leur  évolu- 
tion. D'autre  part,  l'agencement  des  parties  élémentaires  les  unes  par  rapport  aux  autres 
et  leurs  connexions  réciproques  ne  sont  pas  variables  à  l'infini  ;  le  nombre  des  tissus  créés 
chez  les  animaux  par  les  différents  modes  de  cet  agencement  est  même  relativement  si 
limité,  que  le  même  tissu  se  retrouve,  en  réalité,  dans  les  organes  en  apparence  les  plus 
différents  :  de  là  vient  la  nécessité,  pour  l'anatomiste,  de  comparer  d'abord  et  de  synthé- 
tiser ensuite,  c'est-à-dire  de  rechercher,  dans  les  régions  les  plus  disparates,  les  parties 
qui  sont  similaires,  puis  d'en  faire  un  groupement.  Voilà  pourquoi  l'on  désigne  encore  la 
mérologie  et  l'histologie  sous  le  nom  d'anatomic  générale.  Et  rien  n'est  plus  juste,  car 
c'est  vraiment  si  bien  «  la  eonstilution  élémentaire  qui  est  le  caractère  prédominant 
auquel  on  reconnaît  les  parties  semblables  »,  et  il  est  si  vrai  que  le  microscope  est  le 
principal  instrument  qui  nous  permet  de  découvrir  et  d'approfondir  cette  constitution  élé- 
mentaire, qu'on  peut,  sans  méprise,  faire  synonymes  l'une  de  l'autre  les  dénominations 
d'anatomie  générale  et  d'anatoraie  microscopique. 

Il  y  a,  dans  l'économie,  un  certain  nombre  de  tissus  qu'on  trouve,  associés  en  plus 
ou  moms  grande  quantité,  dans  tous  les  organes:  ces  tissus  sont  des  tissus  primordiaux, 
des  tissus  simples;  chacun  d'eux  constitue  une  unité,  une  entité  indivisible;  ils  sont  fojida- 
mentaux  et  irréductibles;  leur  étude  est  une  véritable  abstraction,  car  elle  se  fait  abso- 
lument en  dehors  des  organes  à  la  formation  desquels  ils  concourent.  Ce  sont  :  le  tissu 
conjonctif  et  ses  différents  sous-ordres  (tissu  cellulaire,  tissu  fibreux,  tissu  élastique, 
tissu  adipeux)  le  tissu  osseux  et  le  tissu  cartilagineux  (que  Reichert  englobait  aussi, 
non  sans  quelque  raison,  dans  le  vaste  groupe  du  tissu  conjonctif),  le  tissu  musculaire,  le 
tissu  nerveux,  le  tissu  épithélial,  le  tissu  endothélial.  Chacun  de  ces  tissus  est  répandu 
sur  plusieurs  points  de  l'économie  animale  et  se  retrouve  dans  des  organes  ;  visiblement 
très  dissemblables.  Aussi  peuvent-ils  être  considérés  les  uns  et  les  autres  comme  formant 
autant  de  systèmes.  C'est  à  eux  qu'on  peut,  avec  Bichat,  donner  le  nom  de  systèmes  de  la 
vie  organique.  A  la  vérité,  sous  cette  dénomination,  Bichat  n'entendait  pas  seulement  ce 
que  je  viens  d'appeler  les  systèmes  simples  ou  primordiaux  de  l'organisme,  mais  ericore  les 
systèmes  qu'il  conviendrait  de  nommer,  à  moji  sens,  les  systèmes  composés  ou  secon- 
daires, et  parmi  lesquels  on  trouverait,  entre  autres,  le  système  artériel,  le  système  vei- 
neux, le  système  lymphatique,  le  système  muqueux,  le  système  séreux,  le  système  ten- 
dineux, etc.  :  ce  groupement  serait,  à  ce  qu'il  semble,  plus  naturel.  Une  artère,  par 
exemple,  n'est  pas  un  tissu;  ce  n'est  pas  un  système  indivisible;  sa  texture  est  faite  de 
tissu  conjonctif,  de  tissu  musculaire,  de  tissu  endothélial,  et  on  en  peut  dire  autant  d'une 
veine,  d'une  muqueuse,  d'une  séreuse,  etc.  Bref,  quelle  que  soit  la  façon  d'envisager  les 
choses,  ou  peut  dire  de  l'anatomie  générale  quelle  est  Vanatomie  des  systèmes  organi- 
ques. Mais  à  côté  des  systèmes,  il  y  a  les  organes;  et,  à  côté  des  organes,  les  appareils. 
Un  organe  est  plus  complexe  qu'un  système;  il  n'est  pas  formé  seulement  d'un  cer- 
tain nombre  de  tissus  différents,  il  est  encore  la  combinaison  de  plusieurs  systèmes 
de  second  ordre.  Dans  les  bronches,  par  exemple,  il  n'y  a  pas  seulement  du  tissu  carti- 


■i86  ANATOMIE. 

lagineux,  du  tissu  élastique,  du  tissu  musculaire  —  systèmes  primordiaux;  —  il  y  a  aussi 
des  artères,  des  veines,  des  lymphatiques  —  systèmes  composés.  —  Enfin,  un  appareil 
est  l'assemblage  de  plusieurs  organes  concourant  à  une  même  fonction  :  tels  l'appa- 
reil digestif,  l'appareil  respiratoire,  etc.  Tandis  que  l'anatomie  générale  étudie  les  tissus 
et  les  systèmes,  l'anatomie  descriptive  doit  être  considérée  comme  l'anatomie  des 
organes  et  des  appareils. 

r).  Anatomie  philosophique.  —  J'ai  montré  comment  l'embryologie  et  la  tératologie  pou- 
vaient être  considérées  comme  des  sciences  annexes  de  l'anatomie  comparative.  Or,  en 
comparant  les  différents  individus  dont  l'ensemble  constitue  le  règne  animal,  l'on  ne 
tarde  pas  à  s'apercevoir  que,  sous  les  apparences  les  plus  variées,  ces  individus  cachent 
de  profondes  ressemblances,  et  qu'il  y  a  entre  les  organes  similaires  des  uns  et  des 
autres  des  analogies  très  certaines,  sinon  toujours  très  évidentes.  Quand,  après  avoir 
observé  les  faits,  noté  les  points  de  contact  et  les  différences,  dépisté  les  rapports  que 
présente  d'une  espèce  à  l'autre,  d'une  classe  à  l'autre,  d'un  embranchement  à  l'autre, 
l'organisation  des  êtres  vivants,  l'anatomiste  déduit  des  aperçus  généraux,  formule  des 
lois,  pose  des  principes,  s'élève  de  la  constatation  simple  des  choses  à  l'abstraction, 
n  du  posteriori  au  priori,  »  de  l'examen  à  la  théorie  et  à  la  spéculation,  de  la  sensation 
à  l'idée,  quand  il  généralise,  enfin,  on  dit  alors  qu'il  fait  de  l'anatomie  philosophique 
ou  transcendentale. 

L'anatomie  transcendante  est  tout  entière  édifiée  sur  la  constatation  des  homologies  et 
des  analogies. 

Quand  je  compare  les  unes  aux  autres  les  dilTérentes  parties  d'un  même  individu, 
je  m'attache  à  l'étude  des  homologies.  Je  constate,  par  exemple, ]que  le  membre  supérieur 
droit  est  l'homologue  du  membre  supérieur  gauche  ;  que  le  membre  supérieur  est  l'homo- 
type  du  membre  inférieur;  que  le  crâne,  formé  de  plusieurs  vertèbres  différenciées,  est,  à 
la  tête,  le  représentant  de  la  colonne  vertébrale  du  cou,  du  dos  et  des  lombes.  Voilà 
autant  de  types  d'homologies  spéciales  ou  partielles,  parce  que  la  comparaison  porte  sur 
certaines  parties  seulement  de  l'individu.  Quand,  au  contraire,  d'après  l'étude  de  la  for- 
mation des  plaques  vertébrales,  je  considère,  par  généralisation,  l'animal  supérieur, 
formé,  comme  les  vers,  par  une  série  de  pièces  disposées  à  la  suite  les  unes  des  autres, 
par  une  superposition  d'anneaux  ou  de  segments  renfermant  chacun  une  portion  d'or- 
gane respiratoire,  digestif,  circulatoire,  etc.;  quand  j'établis,  au  résumé,  la  théorie  des 
zoonites,  des  somites  ou  des  métamères,  je  fais  là  ce  qu'on  appelle  de  Yhomologie  géné- 
rale. Si  maintenant,  faisant  excursion  dans  le  domaine  de  l'anatomie  comparée,  je  fais 
un  parallèle  entre  les  organes  dans  la  série  animale  pour  découvrir,  sous  leur  appa- 
rente diversité,  leurs  nombreuses  ressemblances,  je  me  préocupe  des  analogies.  Ainsi, 
quand  j'établis  les  rapports  qui  unissent  le  bras  de  l'homme  et  le  train  antérieur  du  qua- 
drupède, l'aile  de  l'oiseau  et  la  nageoire  du  poisson.  Ces  analogies  entre  organes  simi- 
laires d'animaux  différents  reposent  sur  leur  développement,  sur  leur  forme,  sur  leur 
composition  élémentaire,  sur  leurs  connexions,  sur  l'influence  qu'ils  exercent  sur  les 
organes  voisins. 

C'est  dans  la  recherche  des  homologies  et  des  analogies  que  les  savants  ont  décou- 
vert les  grandes  lois  qui  régissent  l'organisation  du  règne  animal.  Malheureusement, 
sur  ce  terrain,  la  pente  est  glissante.  S'il  est  permis  d'aller  plus  vite  que  Cuvier  qui  vou- 
lait qu'on  étudiât  d'abord  les  faits,  qu'on  en  déduisît  seulement  les  conséquences  immé- 
diates, qu'on  observât  et  qu'on  raisonnât  ensuite,  s'il  n'est  pas  défendu,  à  l'exemple  de 
notre  grand  Geoffroy  Saint-Hilaire,  le  père  de  l'anatomie  transcendantale,  de  subor- 
donner, dans  une  certaine  mesure,  les  faits  aux  idées  et  l'examen  à  l'abstraction,  c'est- 
à-dire  de  penser,  de  concevoir,  de  généraliser  sur  des  données  incertaines  et  insuffisantes, 
sauf  à  les  vérifier  ensuite,  à  soumettre  la  spéculation  à  l'épreuve  de  la  constatation  des 
faits  et  à  démolir  de  l'édifice  construit  toutes  les  parties  dont  celle-ci  n'aura  pas 
démontré  la  solidité;  si,  dis-je,  il  est  permis  de  marcher  dans  cette  voie,  où,  au  fond, 
le  raisonnement  ne  peut  s'égarer,  protégé  qu'il  est  par  les  observations  de  l'anatomie 
descriptive,  il  faut  aussi  se  garder  d'entrer  dans  les  errements  de  f  école  de  Schelling 
où  l'imagination  seule  fait  la  théorie,  où  l'observation  est  mise  tout  entière  au  service 
des  idées,  et  où  l'on  aboutit  à  des  conclusions  dont  la  fantastique  bizarrerie  a  pres- 
que toujours  choqué,  jusqu'à  notre  époque,  l'esprit  positif  et  logique  des  plus  généra-. 


ANATOMIE.  487 

lisateurs  de  nos  anatomistes  français.  Dire,  par  exemple,  que  la  tête  représente  le  reste 
du  corps,  que  la  mâchoire  supérieure  est  l'image  du  bras,  la  mâchoire  inférieure 
l'image  des  jambes,  les  dents  l'image  des  ongles  et  des  grifTes,  imaginer  un  membre 
céphahque  dans  lequel  l'écaillé  temporale  représente  l'omoplate,  l'apophyse  zygomati- 
que  l'épine  du  scapulaire,  la  fosse  temporale  la  fosse  sus-épineuse,  l'os  malaire  la  cla- 
vicule, le  condyle  maxillaire  l'humérus;  dire  que  la  tète  est  l'image  synthétique  de  la 
Terre  ou  de  l'Univers,  faire,  sans  rire,  de  la  langue  l'homologue  de  l'organe  copula- 
teur,  c'est,  ou  je  me  trompe  beaucoup,  s'aventurer  dans  l'invention  pure  ;  de  nos 
jours  tout  au  moins,  où  il  me  semble  que  nous  ne  sommes  pas  encore  armés  pour  de 
pareilles  généralisations.  En  se  confinant  dans  le  domaine  des  homologies  et  des  analo- 
gies vraies,  et  non  pas  en  se  livrant  à  de  pareils  écarts  de  l'imagination,  E.  Geoffroy 
Saint-Hilaire,  Lamahck,  Darwin  ont  pu  établir  les  lois  auxquelles  est  soumise  l'évolu- 
tion de  l'organisation  animale,  et  marquer  la  véritable  place  de  l'homme  dans  la 
nature. 

Je  disais  que  des  observations  de  l'anatomie  comparative  le  savant  déduit  des  lois 
générales,  et  que  c'est  là,  proprement,  le  rôle  de  l'anatomie  transcendantale.  N'est-ce  pas 
en  étudiant  les  homologies  et  les  homotypies  que  Serres  a  pu  découvrir  les  lois  qui  pré- 
sident à  l'ossification  des  os  longs  (existence  du  point  diaphysaire  et  des  deux  points  épi- 
physaires,  ordre  d'apparition  de  ces  points  et  ordre  de  soudure,  direction  du  canal  nour- 
ricier principal  de  l'os),  et  en  donner  une  formule  générale  heureusement  complétée  par 
Alexis  Julien,  qui  a,  dans  ces  derniers  temps,  démontré  que  le  premier  point  complémen- 
taire apparaît  surl'extrémité  osseuse  voisine  de  l'articulation  où  se  produisent  les  mouve- 
ments les  plus  importants  du  membre?  N'est-ce  pas  encore  en  scrutant  les  organes 
analogues  que  ce  même  Alexis  Julien  a  pu  traduire  en  une  phrase  concise  la  loi  de 
position  des  centres  nerveux  dans  le  règne  animal  tout  entier  :  «  Il  y  a  un  rapport  cons- 
tant et  direct  entre  la  position  des  principaux  centres  nerveux  et  celle  des  principaux 
organes  sensoriels  et  locomoteurs  »  ?  N'est-ce  pas,  enfin,  par  l'étude  des  analogies, 
poursuivie  jusque  dans  l'évolution  des  êtres  vivants  à  travers  les  temps  et  dans  leur 
«  succession  géologique  »,  que  les  anatomistes  sont  arrivés  à  comprendre  les  modifica- 
lions  imprimées  aux  organes  des  animaux,  dans  la  suite  des  siècles,  par  le  milieu,  les 
conditions  climatériques,  l'exercice  ou  l'inaction,  la  lutte  pour  l'existence,  les  croise- 
ments, l'hérédité  directe,  l'imprégnation  ou  hérédité  par  influence,  la  sélection  natu- 
relle, la  ségrégation  et  la  migration;  établissant  ainsi  que  l'homme  «  n'est  pas  sorti  un 
beau  jour  tout  d'une  pièce  du  limon  de  la  terre,  qu'il  s'est  développé  lentement,  en  pas- 
sant dans  le  cours  des  âges  par  une  série  de  formes  qu'il  répète  plus  ou  moins  pendant 
son  développement  embryonnaire,  qu'il  n'a  pas  toujours  été  ce  qu'il  est,  et  qu'on  retrouve 
dans  son  organisation  les  traces  de  sa  parenté  avec  le  reste  du  monde  animal  »  ? 
(Debierre).  Voilà  comment  est  née,  entre  les  mains  de  Lamarck  et  de  Darwin,  la  grande 
doctrine  de  l'évolution  des  êtres  vivants.  Le  darwinisme  est  le  dernier  terme  et  comme 
le  couronnement  de  l'anatomie  transcendantale. 

Histoire  de  l'anatomie.  — Il  paraît  que  les  peuples  antiques  de  l'Inde,  à  l'encontre 
des  Égyptiens  et  des  Hébreux,  avaient,  en  anatomie,  des  connaissances  relativement 
étendues.  Mais,  en  réalité,  l'histoire  de  cette  science  ne  commence  guère  pour  nous  qu'a 
Aristote;  car  Hippocrate  lui-même  (460  ans  av.  J.-C.)  la  dédaigna  au  point  que  ses 
œuvres  n'en  portent  guère  la  trace.  Sous  le  règne  des  Ptolémée  (280  ans  av.  J.-C), 
Hérophile  et  Érasistrate,  à  Alexandrie,  firent  de  très  remarquables  études  ;  ils  dissé- 
quèrent même,  dit  la  légende,  des  criminels  vivants.  Puis,  après  eux,  l'anatomie  retomba 
presque  dans  le  néant,  jusqu'au  jour  où  Galien  (131  ans  av.  J.-C.)  étudia  les  organes  du 
singe,  peut-être  aussi  ceux  des  enfants  abandonnés,  et  en  donna  une  description  qui  fut 
respectée  religieusement  pendant  des  siècles.  La  parole  du  maître  resta  sacrée,  comme 
celle  d'un  oracle,  et  ses  «  pâles  continuateurs  »  acceptèrent  tout,  erreurs  et  vérités, 
jusqu'au  moment  où,  après  une  longue  éclipse  de  1300  ans,  Mundinus,  médecin  de  Milan 
(1306)  et  après  lui  Vésale  {1514),  de  Bruxelles,  recommencèrent  à  disséquer  des  cadavres 
humains;  bientôt  après  suivirent  Fallope,  Eustaciie,  Bartholin,  Monro,  Hiûgliss,  Lower, 
Sténon,  WiLLis,  Malpighi,  Ruysch,  Swammerdam  et  tant  d'autres,  qui  tous  apportèrent 
leur  pierre  à  l'édifice... 


488  A  NATO  MIE. 

L'anatomie  fut  alors  définitivement  délivrée  des  entraves  qu'une  ordonnance  du  pape 
Urbain  A'III  (1300),  frappant  d'excommunication  ceux  qui  déterraient  les  morts  pour  les 
disséquer,  avait  mises  à  ses  progrès,  et  débarrassée  des  obstacles  que  la  superstition 
avait  jetés  sur  son  chemin.  Elle  marcha  de  conquête  en  conquête,  souvent  protégée  par 
les  souverains  eux-mêmes,  puisque,  vers  1S50,  le  grand  duc  de  Toscane,  dans  un  édit 
barbare,  ordonna  de  livrer  les  criminels  aux  me'decins  de  Pise;  ceux-ci,  raconte  l'his- 
toire, tuaient  les  malheureux  à  leur  manière  et  les  disséquaient  ensuite. 

Mais  je  ne  veux  point  écrire  ici,  même  en  abre'gé,  le  passé  de  la  science  anatomique, 
ni  montrer  les  progrès  réalisés  peu  à  peu  par  tous  les  illustres  chercheurs  qui  pen- 
dant le  xvn'',  le  svm°  et  le  xix"  siècles  se  sont  adonnés  à  son  étude  ;  je  voudrais  seule- 
ment, dans  cette  encyclopédie  de  physiologie,  faire  voir,  à  l'aide  de  quelques  exemples, 
comment  l'anatomie  et  la  physiologie  se  sont  suivies  pas  à  pas;  comment,  depuis  les 
temps  les  plus  anciens  jusqu'à  nos  jours,  elles  ont  subi  la  même  destinée,  accompli  la 
même  évolution,  véritables  sœurs  jumelles  qui  ont  toujours  été,  sont  encore  et  resteront 
à  tout  jamais  inséparables. 

Influence  des  découvertes  anatomiques  sur  la  connaissance  de  la  physio- 
logie. —  Tant  que  persista  la  ligne  de  démarcation  que  les  anciens  avaient  tirée  entre 
l'anatomie  et  la  physiologie,  tant  que  «  les  dépouilles  de  la  mort  furent  le  domaine  de 
l'anatomiste  et  que  le  physiologiste  eut  en  partage  les  phénomènes  de  la  vie  »,  tant 
qu'HALLER  ne  vint  pas,  arrachant  la  physiologie  «  à  l'empire  du  mécanisme  et  du  vita- 
lisme  »,  montrer  que  «  la  science  des  fonctions  est  le  but,  et  celle  des  organes  le  moyen 
d'atteindre  ce  but  »,  cette  physiologie  ne  put  que  construire  un  «  vain  échafaudage 
dressé  par  l'imagination,  mais  que  le  souffle  de  la  raison  renversa  sans  peine  ».  Au 
reste,  il  suffit  de  parcourir  l'histoire  de  l'anatomie  pour  se  convaincre  que  chaque  décou- 
verte, chaque  progrès  nouveau  réalisé  par  elle,  a  détruit  une  conception  physiologique 
erronée,  pour  lui  substituer  une  juste  notion  des  faits;  et  c'est  ainsi  que,  peu  à  peu, 
l'erreur  a  cédé  la  place  à  la  vérité  dans  l'évolution  de  la  science  de  la  vie. 

Érasistrate,  sous  le  règne  de  Ptolémée  Philadelphe  (28  ans  av.  J.-C),  découvre 
l'oesophage,  et  démontre,  en  même  temps,  qu'il  est  parcouru  par  les  boissons  et  les 
aliments;  du  coup,  il  réfute  la  vieille  opinion  de  Platon,  de  Galien  et  de  ceux  qui, 
après  eux,  avaient  prétendu  que  l'air  et  le  bol  alimentaire  passaient  indistinctement  par 
la  trachée  qui  était  «  humectée  pendant  la  déglutition  ».  Cassius,  un  des  disciples 
d'AscLÉpiADE,  constate  que,  dans  les  plaies  de  tête,  si  le  côté  droit  est  blessé,  ce  sont 
les  muscles  du  côté  gauche  qui  tombent  en  paralysie  :  il  en  conclut  que  les  nerfs  crâ- 
niens s'entrecroisent  à  la  base  du  cerveau.  Arétée  (de  Cappadoce)  fait  les  mêmes  cons- 
tatations, et  c'est  toujours  en  se  basant  sur  les  mêmes  données  physiologiques  que 
plus  près  de  nous,  au  xvni=  siècle,  Valsalva,  Pourfour  du  Petit  et  d'autres  ont  décrit 
l'entrecroisement  des  nerfs  aux  éminences  pyramidales  et  olivaires,  «  aux  bras  et  aux 
cuisses  de  la  moelle  allongée  ». 

Les  anciens  croyaient  que,  pendant  l'inspiration,  l'air,  chargé  de  particules  odo- 
rantes, passait  par  les  petits  orifices  que  Celse  avait  découverts  sur  la  voûte  des  fosses 
nasales  et  allait  ainsi  impressionner  le  cerveau  :  mais  Théophile  Protospatarius  dé- 
couvre les  nerfs  olfactifs,  montre  leur  usage  et  corrige,  par  l'anatomie,  l'erreur  phy- 
siologique de  ses  prédécesseurs. 

Galien  observe  que  le  cerveau  est  animé  de  battements  dépendant  de  la  pulsation 
des  artères,  mais  il  voit  aussi,  après  avoir  enlevé  des  rondelles  de  crâne  à  des  animaux, 
que  le  cerveau  se  gonfle  quand  l'animal  se  défend,  fait  des  efforts  et  crie,  puis  qu'il 
diminue  quand  survient  le  repos.  Il  interprète  ces  mouvements  —  qu'il  appelle  la  res- 
piration du  cerveau  —  par  le  passage  de  l'air  inspiré  au  travers  de  la  lame  criblée  de 
l'ethmoïde,  passage  favorisé  par  l'existence  d'un  espace  vide  entre  la  dure-mère  et  les 
circonvolutions.  Mais  Jacques  Dubois,  surnommé  Sylvius,  démontre  au  svi=  siècle,  par 
des  dissections,  qu'il  n'y  a  point  de  vide  entre  les  méninges  et  l'encéphale,  qu'il  n'existe 
pas  de  conduits  par  lesquels  l'air  puisse  pénétrer  des  fosses  nasales  dans  les  ventri- 
cules du  cerveau,  et  détruit  ainsi  la  théorie  de  la  respiration  cérébrale.  Ce  n'est  pas 
tout.  Dans  l'opinion  des  anciens,  du  liquide  sécrété  par  la  glande  pinéale  filtrait  au 
dehors  du  crâne  par  les  orifices  ethmoïdaux  et  sphénoïdaux,  après  avoir  traversé  la  tige 
pituitaire,  et  pénétrait  ainsi  dans  les  fosses  nasales  d'où  il  s'écoulait  abondamment 


ANATOMIE.  -489 

pendant  le  covyza;  à  cette  humeur  on  donnait  le  nom  de  liqueur  piluiteuse.  Or, 
Schneider  (de  Wittemberg)  au  .\vi°  siècJe,  démontre  que  la  prétendue  liqueur  pituiteuse 
provient  des  fosses  nasales  elles-mêmes,  que  les  trous  de  l'etiimoïde  et  du  sphénoïde 
sont  hermétiquement  fermés  par  la  dure-mère,  et  que  le  liquide  qui  imbibe  certaines 
parties  du  cerveau  est  sécrété,  ainsi  que  Vesling  l'avait  déjà  dit,  par  la  membrane 
interne  des  ventricules,  comme  la  sérosité  péritonéale,  pleurale  et  péricardique,  par  le 
péritoine,  la  plèvre  elle  péricarde.  Ainsi,  les  deux  grands  pas  étaient  faits  :  d'une  part, 
il  était  démontré  qu'aucun  orifice  ne  pouvait  conduire  l'air  dans  le  cerveau  (Vésale  et 
Fallope  l'avaient  affirmé  de  nouveau);  d'autre  part,  le  liquide  céphalo-rachidien  était 
découvert;  la  physiologie  n'avait  plus  qu'à  expérimenter  et  à  conclure.  Voici,  en  effet, 
qu'en  1744,  Schlichting,  d'Amsterdam,  découvre  qu'en  dehors  des  battements  que  déter- 
minent dans  sa  masse  les  pulsations  artérielles,  le  cerveau  s'élève  dans  l'expiration  vio- 
lente et  s'affaisse  dans  l'inspiration  profonde  (Galien  avait  précisément  enseigné  le 
contraire),  et  démontre  que  ce  soulèvement  de  l'expiration  forcée,  synchrone  du  repos 
diaphragniatique,  doit  être  attribué  au  reflux  du  sang  de  la  veine  cave  dans  les  jugu- 
laires et  les  sinus  encéphaliques,  car  les  jugulaires  n'ont  pas  de  valvules.  Enfin,  plus 
tard,  les  anatomistes  dissèquent  les  riches  plexus  veineux  intra-rachidiens,  les  nom- 
breuses et  larges  voies  anastomotiques  qui  les  relient  aux  veines  extra-rachidiennes, 
et  ainsi  s'établit  définitivement  la  théorie  du  mécanisme  des  mouvements  du  cerveau, 
par  une  sorte  de  balancement  entre  le  sang  et  le  liquide  céphalo-rachidien,  celui-ci 
fuyant  vers  le  canal  vertébral  à  tout  moment  où  le  cerveau  augmente  de  volume,  et  la 
moelle  épinière  échappant  à  la  compression,  grâce  à  l'épaisseur  du  coussinet  veineux  qui 
la  protège  et  aux  nombreuses  soupapes  de  sûreté  dont  est  pourvu  celui-ci. 

L'on  pensait,  même  après  Galien  qui  avait  cependant  découvert  la  glande  lacrymale, 
que  les  larmes  venaient  des  ventricules  cérébraux  en  suivant  les  veines  et  les  nerfs,  ou 
même  qu'elles  émanaient  du  cristallin  et  de  l'humeur  vitrée.  Mais  Franxo,  Guillemeau, 
Aluebti  décrivent  les  points  lacrymaux  ainsi  que  le  canal  nasal  et  démontrent  ainsi  le  mé- 
canisme de  l'évacuation  des  larmes  dans  lesfosses  nasales.  Bien  plus  tard,  Sïénon,  en  1661, 
découvre  les  conduits  excréteurs  de  la  glande  lacrymale,  «  vaisseaux  hygrophtalmiques  >>, 
que  voient,  après  lui,  Santorini,  Winslow  et  Monro.  Et  ainsi  tombent  enflnles  vieux  préjugés 
qui  avaient  résisté  pendant  si  longtemps  à  la  découverte  de  Galien. 

Pour  bien  se  convaincre  que  l'uretère  est  un  cariai  qui  conduit  du  rein  à  la  vessie, 
Galien  en  pratique  la  ligature,  et  voit  l'urine  s'accumuler  dans  le  bassinet,  appelant 
ainsi  la  physiologie  au  secours  de  l'analomie.  Malgré  le  résultat  de  cette  célèbre  expé- 
rience, plusieurs  anatomistes  continuent  à  penser  que  les  liquides  vont  directement  de 
l'estomac  à  la  vessie  par  des  canaux  inconnus,  et  il  faut  qu'EusTACuE,  pour  trancher  la 
question,  refasse,  au  xvi"  siècle,  l'expérience  de  Galien.  En  étudiant  l'anatomie  de  la 
vessie,  il  observe  que  les  uretères  s'y  ouvrent  après  en  avoir  obliquement  traversé 
les  parois,  et,  sur  cette  constatation,  il  édifie  sa  théorie  physiologique,  montrant  bien 
que  si,  au  moment,  de  sa  contraction,  la  vessie  ne  chasse  pas  l'urine  dans  l'uretère, 
c'est  qu'elle  ferme,  par  cette  contraction  môme,  l'embouchure  uretérale. 

C'est  la  physiologie  qui  apprend  la  composition  chimique  et  le  développement  des 
os.  Au  xvi°  siècle,  Séverin  Pineau  jette  des  os  dans  du  vinaigre,  et  voit  qu'ils  deviennent 
mous  et  flexibles.  A  la  même  époque,  Antoine  Misaud  nourrit  des  animaux  avec  de  la 
garance,  et  constate  que  leurs  os  deviennent  rouges.  Au  xvm"  siècle,  Duhamel,  en  France, 
et  Belchier,  en  Angleterre,  complètent  et  confirment  les  observations  de  Séverin  Pineau. 
Fallope  et  son  disciple  Volcherroyter  avaient  d'ailleurs  prouvé  anatomiquement  que, 
dans  les  os  longs,  l'ossification  commence  par  la  partie  moyenne  et  finit  par  les  extré- 
mités. Sanctorius  et  Hérissant,  refaisant  les  expériences  de  Séverin  Pineau,  montrent 
définitivement  comment  l'os  se  compose  d'une  «  base  terreuse  »  et  «  d'une  substance 
visqueuse,  mucilagineuse  ou  membraneuse  »,  et  comment  la  matière  crétacée  seule  se 
colore  sous  l'influence  de  l'alimentation  par  la  garance.  Ainsi  l'élan  est  donné,  et  plus 
tard  les  fameuses  recherches  de  Flourens  établissent  d'une  façon  définitive  comment, 
dans  l'accroissement  de  fos  en  épaisseur,  c'est  «  le  périoste  seul  qui  travaille  »,  et 
comment  «  les  lames  intérieures  de  celui-ci  s'ossifient  et  augmentent  la  grosseur  des 
os  ».  Enfin,  sous  nos  propres  yeux,  dans  les  mains  d'ÛLLiER,  de  Lyon,  la  physiologie 
démontre  que  les  os  s'accroissent  en  longueur  par  l'intermédiaire  du  cartilage  de  conju- 


/t90  ANATOMIE. 

gaison,  et  ainsi  est  désormais  établi,  par  l'expérimentation  et  contre  toutes  les  théories 
de  l'école  allemande,  le  principe  du  développement  périphérique  de  l'os. 

Il  fallut  que  Fallope  découvrît  l'artère  centrale  de  la  rétine  pour  qu'on  s'expliquât 
comment  le  nerf  optique  était  un  nerf  creusé  à  son  centre  d'une  cavité,  et  pour  qu'on 
jugeât  à  sa  juste  valeur  la  fameuse  hypothèse  d'HÉROPHiLE  et  de  Galien,  d'après  qui 
«  l'esprit  visuel  »  se  rendait  du  cerveau  aux  yeux  par  le  canal  du  nerf  optique. 

Quelles  hypothèses  bizarres  n'a-t-on  pas  émises  sur  la  menstruation,  l'ovulation  et 
la  fécondation  ;  quelles  n'ont  pas  été  les  luttes  entre  les  ovistes  et  les  spermistes  dis- 
putant sur  l'importance  relative  de  la  semence  de  l'homme  et  de  la  femme,  jusqu'à  ce 
que  VON  Baer  (1827)  ait  découvert  l'ovule,  que  Coste  ait  observé  la  rupture  de  l'ovisac 
au  moment  du  rut  des  animaux  et  des  règles  des  femmes  (1837),  et  qu'enfin  Gendrin  et 
Négrier  aient  définitivement  montré  les  rapports  intimes  qui  unissent  la  menstruation 
et  l'ovulation? 

Aselli,  de  Crémone,  découvre,  en  1622,  les  vaisseaux  chylifères  ou  «veines  lactées  », 
et  quelques  années  plus  tard  Jean  Pecquet,  de  Dieppe,  après  avoir  trouvé  le  réservoir 
du  chyle  (citerne  de  Pecqoet)  démontre  que  ce  liquide,  au  lieu  d'être  porté  vers  le  foie, 
ainsi  que  le  pensait  Galien,  circule  vers  les  veines  sous-clavières  et  vers  le  cœur.  Et 
voilà  que  s'éclaire  tout  d'un  coup  la  question  de  Tabsorption  physiologique  et  expéri- 
mentale des  liquides  et  des  graisses,  absorption  que  les  anciens  connaissaient  en  partie, 
puisque  la  pratique  des  lavements  nutritifs  date  des  temps  les  plus  reculés. 

Mais  nulle  part  le  parallélisme  de  la  marche  suivie  par  l'anatomie  et  la  physiologie 
n'appai'ait  mieux  que  dans  l'histoire  de  la  circulation  du  sang.  Erasisthate  croyait  que 
les  artères  contenaient  de  l'air:  Galien  démontre  qu'elles  sont  remplies  de  sang;  il 
découvre  aussi  le  trou  interauriculaire  du  fœtus,  le  canal  artériel  et  les  valvules  du 
cœur.  VÉSALE  observe  que  la  cloison  interventriculaire  n'est  point  perforée.  Charles 
Estienne  de  Paris,  Amatus  de  Ferrare,  Jacques  Dubois  (dit  Sylvius),  Fabrice  d'Aquapen- 
dente,  Fra  Paolo  Sarpi  de  Venise,  décrivent  tour  à  tour  les  différentes  valvules  des 
veines.  Et  là-dessus,  Michel  Servet,  de  Villanueva,  découvre  en  ISoO  la  circulation  pul- 
monaire qu'AuBRoisE  Paré  se  refuse  à  admettre.  Puis,  cent  ans  plus  tard,  Harvey,  dis- 
ciple de  Fabrice,  d'Aquapendente,  se  basant  sur  les  démonstrations  anatomiques  de  son 
maître  et  sur  les  détails  qu'il  avait  donnés  de  la  situation  et  de  la  direction  des  valvules 
veineuses,  examine  les  pulsations  du  cœur  et  des  artères,  observe  le  résultat  de  la 
ligature  des  veines  et  démontre  enfin,  en  1628,  le  mécanisme  de  la  grande  circulation 
qu'ANDRÉ  Cesalpino,  d'Arezzo,  avait  déjà  parfaitement  conçue  et  définie  «  par  la  seule 
force  de  son  [génie»,  vers  l'an  1360;  à  Cesalpino  n'est  pas  resté  l'honneur  de  cette  immor- 
telle découverte,  parce  qu'il  ne  sut  malheureusement  pas  lui  donner  la  consécration  ana- 
tomiqueque  lui  donna  plus  tard  Harvey,  dont  le  monde  médical,  qui  était  resté  sourd  aux 
paroles  du  savant  italien,  accepta  les  idées  avec  enthousiasme,  parce  que  celles-là  seules, 
parmi  les  affirmations,  <f  peuvent  prendre  racine  qui   ont  un  fondement  anatornique  ». 

Ces  quelques  exemples  d'histoire  déjà  ancienne,  pris  entre  tant  d'autres,  suffiront, 
je  pense,  à  montrer  les  services  que,  dans  la  suite  des  temps,  se  sont  rendus  récipro- 
quement l'anatomie  et  la  physiologie.  On  peut  dire  que  la  science  de  l'organisation 
des  êtres  est  inséparable  de  la  science  de  la  vie.  Est-il  besoin  de  citer  des  faits  plus 
récents?  Ils  abondent. 

N'est  ce  pas  la  physiologie  qui,  dans  les  mains  de  Ch.  Bell  (1811)  et  deM.vGENDiE  (1822), 
nous  a  appris  que  les  libres  des  racines  antérieures  des  nerfs  rachidiens  aboutissent 
aux  muscles  et  celles  des  racines  postérieures  à  la  peau  et  aux  muqueuses?  iS''est-ce 
pas  la  physiologie  qui,  après  nous  avoir  enseigné,  de  concert  avec  la  méthode  anatomo- 
clinique,  l'existence  des  centre  moteurs  etsensitifs  surle  cerveau  des  animaux  et  sur  celui 
de  l'homme,  nous  a  montré,  par  l'étude  des  dégénérations  ascendantes  et  descendantes, 
la  composition  de  la  capsule  interne,  du  pédoncule  cérébral,  du  bulbe  et  des  cordons 
médullaires?  N'est-ce  pas  à  elle  que  nous  devons  toutes  nos  connaissances  actuelles  sur 
le  faisceau  psychique,  le  faisceau  géniculé,  le  faisceau  pyramidal,  le  faisceau  sensitif? 
Comment  saurions-nous  que  la  corde  du  tympan  anime  la  muqueuse  linguale  et  la  glande 
sous-maxillaire,  si,  après  en  avoir  pratiqué  la  section,  nous  ne  trouvions  pas  des  fibres 
dégénérées  dans  le  tronc  du  nerf  lingual  jusque  sur  ces  deux  organes?Et  pour  la  branche 
interne  du  nerf  spinal,  de  quoi,  sinon   de  l'expérimentation,  tiendrions-nous  qu'elle 


ANATOMIE.  491 

innerve  le  cœur  et  les  muscles  du  larynx?  N'avons-nous  pas  appris  de  la  célèbre  expé- 
rience de  Cl.  Bernard  sur  l'oreille  du  lapin  que  c'est  du  sympathique  que  partent  les 
rameaux  destinés  à  la  mise  en  œuvre  des  fibres  musculaires  lisses  des  vaisseaux?  N'est-ce 
pas  encore  l'expérimentation  qui  nous  a  renseignés  sur  l'innervation  sympathique  de 
l'iris?  N'est-ce  pas  elle,  enfin,  qui  nous  a  montre'  la  véritable  origine  et  le  véritable  trajet 
des  filets  qui  composent  le  nerf  vertébral? 

D'ailleurs,  l'anatomie  n'est  jamais  restée  en  arrière  dans  ce  continuel  échange  de  ser- 
vices réciproques  et  de  bons  procédés.  Le  physiologiste  s'étonnait  que  l'extirpation  du 
corps  thyroïde  ne  produisît  pas  toujours  les  mêmes  troubles  chez  l'animal  :  mais  voici 
que  l'anatomie  découvre  les  thyroïdes  accessoires.  On  discute  sur  le  phénomène  de  l'ac- 
commodation; on  l'explique  par  le  relâchement  et  le  resserrement  alternatifs  de  la 
pupille,  par  des  contractions  des  muscles  moteurs  du  globe  oculaire  modifiant  la  lon- 
gueur de  l'œil  ou  la  courbure  de  la  cornée,  par  des  mouvements  de  translation  du  cris- 
tallin en  avant  ou  en  arrière,  jusqu'au  jour  où  la  découverte  du  muscle  ciliaire,  muni 
de  fibres  annulaires  et  de  fibres  radiées,  fait  comprendre  comment  la  face  antérieure  du 
cristallin  subit  des  modifications  de  courbure  qui  permettent  à  la  lentille  oculaire  de 
s'adapter  à  la  vision  proche  et  à  la  vision  éloignée. 

Au  reste,  on  ne  conçoit  pas  qu'un  physiologiste  ne  soit  pas  aussi  un  anatomiste  ;  la 
connaissance  macroscopique  et  microscopique  des  oi'ganes  s'impose  à  lui.  Je  ne  veux 
pas  dire  par  là  qu'on  puisse  et  qu'on  doive  mener  de  front  l'étude  des  deux  sciences  : 
aujourd'hui,  plus  que  jamais,  la  spécialisation  s'impose,  mais  elle  ne  s'impose  qu'à  cette 
seule  condition  que  le  physiologiste  acquière,  avant  d'expérimenter,  un  fonds  solide  de 
connaissances  anatomiques,  et  qu'il  se  tienne,  au  jour  le  jour,  plus  ou  moins  au  courant 
des  progrès  réalisés  par  la  science  de  l'organisation  animale.  Certes  il  trouvera,  au 
milieu  des  nouvelles  découvertes  anatomiques,  des  questions  de  détails  qui  ne  l'inté- 
resseront que  médiocrement  et  ne  pourront  avoir  —  au  moins  pour  l'heure  présente 
—  que  des  rapports  lointains  avec  la  physiologie;  mais  combien  d'autres,  en  re- 
vanche, pourront  l'éclairer  dans  ses  recherches,  le  guider  dans  son  expérimentation ^ 
fixer  ses  idées,  l'aider  à  résoudre  des  problèmes  restés  jusque-là  inconnus  !  Quelques 
exemples  encore.  Le  mécanisme  de  la  chaîne  des  osselets  et  le  fonctionnement  de 
l'oreille  moyenne  ne  suppose-t-il  pas,  pour  être  compris,  la  connaissance  des 
muscles  moteurs  de  l'élrier  et  du  marteau,  celle  de  la  trompe  d'EusTACHE  et  celle  du 
muscle  péristaphylin  externe?  Ne  faut-il  pas  savoir  la  disposition  de  l'appareil  auto- 
clave de  la  veine  dorsale  de  la  verge,  pour  s'expliquer  l'érection  des  corps  caverneux 
et  celle  du  corps  spongieux  de  l'urèthre,  qui  ne  survient  qu'après  la  première  ?Conçoit-on 
qu'on  puisse  étudier  la  physiologie  de  la  voix  sans  une  connaissance  parfaite  des 
muscles  du  larynx  et  de  leur  innervation,  celle  des  mouvements  du  globe  de  l'œil  sans 
une  exacte  notion  des  fibres  d'association  des  noyaux  de  la  3'=,  de  la  4"  et  de  la  6°  paires? 

Et  l'anatomie  microscopique  n'est  pas  moins  nécessaire  au  physiologiste  que  l'ana- 
tomie descriptive.  L'étude  des  mouvements  de  l'estomac  et  de  l'intestin  suppose  la 
connaissance  de  leur  système  musculaire.  Le  phénomène  de  l'expiration  et  la  transfor- 
mation du  courant  intermittent  du  sang  en  courant  continu  ne  peuvent  être  compris  que 
par  celui  qui  connaît  la  disposition  des  fibres  élastiques  dans  le  poumon  et  leur  distri- 
bution dans  les  dilférentes  artères.  On  ne  saurait  imaginer  comment  l'ovule  chemine 
dans  la  trompe,  et  le  spermatozoïde  dans  le  canal  déférent,  ni  comment  les  poussières  sont 
expulsées  au  dehors  des  voies  aériennes,  si  l'on  ignore  la  morphologie  des  épithéliums  et 
les  différences  qui  séparent  l'épithélium  plat  [èpithélium  de  protection  de  l'œsophage)  de 
l'épithèliuni  à  cils  vibratiles  [èpithélium  de  propulsion  de  la  trachée  et  des  organes 
génitaux). 

Il  est,  du  reste,  un  point  où  la  physiologie  et  l'histologie  se  confondent.  N'est-ce 
pas  avec  le  microscope  que  le  physiologiste,  étudiant  la  circulation  capillaire,  démontre 
que  les  globules  blancs  cheminent  le  long  de  la  paroi  du  vaisseau,  formant  là  comme 
une  veine  liquide  à  courant  très  lent  {couche  adhérente  de  Pùiseuille),  toute  prête  à  la 
diapédèse?  N'est-ce  pas  encore  avec  le  microscope  que  le  physiologiste  scrute  les  phé- 
nomènes intimes  et  les  modifications  cellulaires  de  la  sécrétion  des  glandes?  Mais 
c'est  tomber  dans  la  banalité  que  de  vouloir  démontrer  des  choses  d'une  pareille 
évidence.  Il  est  certain  que  le  physiologiste  doit  être  doublé  d'un  bon  anatomiste. 


492  ANELECTROTONUS    —    ANEMIE. 

La  science  de  la  vie  suppose  la  science  de  l'organisation,  parce  que  les  fonctions 
d'un  organe  sont  liées  à  la  structure  de  cet  organe;  les  travaux  du  physiologiste  sont 
nécessairement  et  immédiatement  enchaînés  aux  recherches  de  l'anatomiste,  «  et  la 
science  des  fonctions,  privée  du  flambeau  de  la  science  de  l'organisation,  ne  peut  que 
marcher  au  hasard  et  se  nourrir  seulement  des  écarts  du  génie  )>. 

PIERRE    SEBILEAU. 

ANELECTROTONUS-  • —  Nom  sous  lequel  est  désigné  l'état  électrique,  à 
l'anode,  d'un  muscle  ou  d'un  nerf  soumis  pendant  un  certain  temps  à  l'action  d'un  cou- 
rant électrique  (V03'.  Électricité,  Electrotonus). 

ANEMIE  (de  à  et  à'iast,  sang,  privation  de  sang).  —  Pathologie.  —  En  pathologie 
l'anémie  signifie  une  maladie  caractérisée  par  la  diminution  du  sang,  et  plus  particu- 
lièrement de  certains  éléments  du  sang,  les  globules  rouges;  soit  que  le  nombre  des 
globules  rouges  ait  diminué  par  i-apport  au  plasma,  soit,  le  plus  souvent,  que  la  teneur 
de  ces  globules  rouges  en  hémoglobine  ait  diminué,  de  manièi'e  à  altérer  notablement 
l'hématose  d'une  part,  et  d'autre  part  la  vie  des  tissus,  spécialement  des  centres  nerveux. 

L'histoire  de  l'anémie  relève  donc  exclusivement  de  la  pathologie;  soit  pour  ses  causes, 
qui  sont  multiples;  soit  pour  ses  modalités,  et  la  marche  générale  de  la  maladie.  Les 
déductions  importantes  qu'on  peut  tirer  de  la  physiologie  normale,  au  point  de  vue  de 
la  nutrition,  de  la  caloriflcation,  de  l'innervation,  seront  exposées  aux  articles  Fer, 
Hématie,  Hémoglobine  et  Sang  (Voy.  aussi  Potatn.  Art.  «  Anémie  »  du  Dict.  enci/cL). 
Notons  seulement  que  l'anémie,  qui  jouait  jadis  un  si  grand  rôle  dans  la  palhulogie,  est 
bieû  déchue  de  son  importance,  et  que  certaines  alfections,  comme  par  exemple  l'ané- 
mie des  mineurs,  lui  ont  été  totalement  enlevées. 

En  physiologie  générale,  l'anémie  signifie  la  privation  de  sang  d'un  tissu.  Elle  est 
très  importante  à  étudier  d'une  manière  tant  soit  peu  approfondie;  car  elle  nous  apprend 
quelles  sont  les  propriétés  essentielles,  caractéristiques  de  tel  ou  tel  tissu  vivant,  indépen- 
damment du  sang  oxygéné  qui  l'irrigue. 

Anémie  et  Hémorrhagie.  —  Quand  on  provoque  la  mort  d'un  animal  par  hémor- 
rhagie,  on  le  tue  en  réalité  par  anémie,  mais  les  symptômes  généraux  des  hémorrhagies 
sont  trop  complexes  pour  être  étudiés  ici  (Voir  Hémorrhagie).  D'ailleurs  nous  étudions, 
dans  cet  article,  non  la  mort  de  l'individu,  mais  la  mort  de  chaque  tissu.  L'individu 
meurt  quand  le  système  nerveux  n'est  plus  en  relation  avec  un  appareil  circulatoire 
intact;  mais  chaque  tissu  survit  plus  ou  moins  longtemps  à  cette  mort  de  l'individu,  et 
c'est  précisément  cette  survivance  des  tissus  que  nous  avons  à  étudier. 

On  peut  cependant,  dans  quelques  cas,  faire  périr  un  animal  par  anémie  sans  sous- 
traction du  liquide  sanguin.  Alors  ce  n'est  pas  l'anérnie  totale  qui  le  tue;  mais  seulement 
l'anémie  cérébrale.  On  change  les  conditions  d'équilibre  d'un  quadrupède  en  le  inettant 
la  tête  en  l'air.  L'expérience  a  été  faite  par  Salathé  [D.  P.,  1877),  et  je  l'ai  maintes 
fois  répétée  dans  mes  cours.  En  plaçant  un  lapin  dans  la  position  verticale,  et  en  l'atta- 
chant sur  une  planche,  on  le  fait  mourir  en  une  vingtaine  de  minutes  environ.  Quelque- 
fois, sans  qu'on  en  connaisse  bien  la  cause,  l'expérience  ne  réussit  pas.  Même,  chez  le 
chien,  elle  ne  réussit  jamais  dans  les  conditions  normales.  Mais  Hayem  a  montré  qu'après 
une  hémorrhagie  abondante,  quoique  non  immédiatement  mortelle,  un  chien  meurt 
au  bout  de  deux  ou  trois  minutes  si  on  le  place  dans  la  position  verticale,  ce  que  j'ai 
aussi  vérifié  comme  parfaitement  exact  (B.  B.,  1891,  p.  3o.  Influe)ice  de  l'attitude  sur 
l'anémie  cérébrale). 

Ce  qui  rend  cette  expérience  instructive,  c'est  qu'elle  établit  bien  la  différence  entre 
la  mort  de  l'individu  et  la  mort  des  tissus.  Il  est  clair  que  le  cerveau  et  le  bulbe  sont  dans 
ce  cas  les  seules  parties  de  l'organisme  anémiées;  mais  cela  suffit  pour  amener  la  mort 
de  l'individu,  par  suite  de  la  domination  que  l'appareil  nerveux  exerce  sur  les  autres 
appareils.  L'anémie  d'un  seul  organe  aussi  important  que  le  cerveau  et  le  bulbe  amène 
la  mort  du  cœur,  et  par  suite  celle  de  tous  les  autres  organes  :  c'est  sans  doute  le  cas 
de  toutes  les  morts,  quelles  qu'elles  soient.  Elles  sont  dues  à  la  mort  du  système  ner- 
veux central,  qui  régit  la  circulation  et  la  respiration. 

Anémie  des  tissus  en  général.  —  A  mesure  qu'on  étudie  de  plus  près  l'histoire 


ANEMIE. 


493 


de  l'anémie,  on  s'aperçoit  bien  que  les  tissus  ont  une  existence  personnelle,  indépendante 
du  sang  qui  les  irrigue.  Le  sang  sert  à  entretenir  la  nutrition  et  la  vie;  mais  la  vie 
peut  continuer  quelque  temps,  et  un  temps  très  variable,  suivant  la  nature  du  tissu 
étudié  et  les  conditions  extérieures. 

Les  expériences  qui  prouvent  ce  fait  important  sont  innombrables;  un  muscle  conti- 
nue à  être  irritable  par  l'électricité  ou  les  autres  agents  excitateurs  longtemps  après  que 
la  circulation  a  cessé;  les  cils  vibratiles  arrachés  de  l'organisme  continuent  à  se  mou- 
voir; un  cœur  de  grenouille  ou'  de  tortue  se  contracte  pendant  plusieurs  jours,  même 
si  l'on  a  remplacé  le  sang  par  une  solution  saline;  voilà  des  faits  positifs  qui  établissent 
bien  cette  première  loi  que  la  vie  des  tissus  est  indépendante  du  sang. 

C'est  surtout  sur  les  nerfs  et  les  muscles  qu'on  peut  bien  suivre  les  effets  de  l'anémie, 
autrement  dit  les  différentes  phases  par  lesquelles  passe  le  nerf  avant  de  mourir  défini- 
tivement par  la  privation  de  sang.  La  méthode  graphique  permet  d'enregistrer  minute 
par  minute  les  oscillations  de  l'excitabilité,  en  même  temps  qu'on  peut  doser  exactement 
la  force  excitante  par  l'emploi  des  courants  électriques. 

Plusieurs  auteurs,  Faivre  (fi.  B.,  1808,  p.  223;  1860,  p.  26);  (Jladde  Bernard  {Rapport 
sur  les  progrés  de  la  physiologie,  1867,  p.  27);  Rosenthal  [Les  nerfs  et  les  muscles,  1881, 
p.  104)  ;  Ch.  Richet  {Physiologie  des  muscles  et  des  nerfs,  1883,  p.  609);  A.  Waller  (A.  P., 
1888,  p.  4oT)  ont  analysé  les  phases  de  l'anémie,  et  ils  ont  vu  constamment  que  le  nerf, 
dès  qu'il  a  été  privé  de  sang,  commence  par  devenir  plus  excitable;  puis,  à  mesure  que 
l'anémie  se  prolonge,  il  perd  ses  propriétés  fonctionnelles,  si  bien  qu'il  finit  par  mourir 
au  bout  d'un  temps  plus  ou  moins  long.  Mais  toujours  une  période  d'excitabilité  accrue  a 
précédé  la  mort. 

C'est  là  une  loi  très  générale,  pour  le  nerf  comme  pour  le  muscle,  comme  pour  les 
autres  tissus,  et  dans  la  mort  par  l'anémie  comme  dans  la  mort  par  un  empoisonnement 
quelconque.  Les  grenouilles  dont  le  cœur  a  été  enlevé,  et  qui  ont  été  lavées  par  un  cou- 
rant d'eau  légèrement  salée,  d'après  la  méthode  de  Gohnheim  et  Oertmann,  présentent 
une  période  d'excitabilité  psychique- accrue  qui  précède  la  mort.  Le  chloroforme,  avant 
d'abolir  la  sensibilité  et  [l'intelligence,  commence  par  provoquer  une  période  d'hyperes- 
thésie  d'abord,  puis  de  délire  et  d'ivresse.  Ainsi  font  les  substances  alcooliques  et  tous  les 
anesthésiques.  La  figure  schématique  suivante  indique  bien  les  phases  de  l'excitabilité 
dans  la  mort  par  l'anémie. 

On  peut  noter  sur  soi-même  par  une  expérience  très  simple  ces  effets  excitateurs  de 
l'anémie  au  début.  Pour  cela 
il  suffit  d'anémier  un  mem- 
bre, l'avant-bras  par  exem- 
ple, avec  une  bande  de 
caoutchouc  serrée.  On  voit 
alors,  ou  plutôt  on  sent,  la 
série  des  phénomènes  par 
lesquels  passent  les  nerfs 
sensitifs  soumis  à  la  privation 
de  sang.  On  perçoit  une 
grande  variété  de  sensations, 
peu  agréables  d'ailleurs,  qui 
toutes  peuvent  être  appelées 
de  l'hyperesthésie,  et  qui 
finissent  au  bout  de  dix  à 
quinze  minutes  par  devenir 
une  douleur  insupportable, 
ce  qui  prouve  bien  que  l'ané- 
mie est,  au  moins  au  début, 
une  cause  d'excitabilité  du 
nerf. 

A  ces  variations  dans  l'ex- 
citabilité correspondent  des  variations  dans  la  constitution  chimique.  Le  muscle,  même 
quand  tout  ferment  extérieur  a  été  éliminé,  devient  de  plus  en  plus  acide  et  se  rigidifie. 


FiG.  43.  —  Marche  de  l'excitabilité  dans  l'anémie  (Schéma). 

AB,  ligne  des  temps.  Etat  normal;  E,  excitabilité  accrue; 
N,  mort  du  tissu. 


494  ANEMIE. 

Le  nerf,  lui  aussi,  devient  acide,  et  sa  fonction  électro-motrice  disparaît  peu  à  peu, 
quoique  très  lentement,  après  une  courte  période  d'exaltation. 

On  s'expliquera  bien  l'ensemble  de  ces  phénomènes  si  l'on  considère  l'état  instable 
des  substances  chimiques  qui  sont  constitutives  de  nos  tissus.  Elles  sont  en  voie  per- 
pétuelle de  destruction  pour  dégager  de  la  force,  et,  si  elles  ne  trouvent  pas  dans  le 
milieu  ambiant,  qui,  à  l'état  normal  est  le  sang  ox3'géné,  les  éléments  chimiques  néces- 
saires à  la  reconstitution  de  la  substance  qui  a  disparu,  elles  finissent  par  périr.  Ce  n'est 
pas  là  tout  à  fait  de  la  théorie  ;  c'est  surtout  l'exposé  d'un  fait.  Mais  l'affirmation  d'un 
tel  principe  a  cet  avantage  que  nous  pouvons  alors,  d'après  la  durée  plus  ou  moins 
grande  de  la  résistance  à  l'anémie,  apprécier  la  plus  ou  moins  grande  activité  chi- 
mique de  tel  ou  tel  tissu.  On  verra  plus  loin  qu'une  autre  hypothèse  peut  être  invoquée, 
qui  ressemble  beaucoup  à  celle-ci;  c'est  que  la  vie  chimique  des  tissus  produit  une  sub- 
stance toxique  que  le  sang  a  pour  mission  d'enlever,  au  fur  et  à  mesure  de  sa  pro- 
duction . 

Dans  l'un  et  l'autre  cas  il  s'agit  de  phénomènes  chimiques,  et  ce  n'est  pas  là  une 
constatation  banale;  car  il  est  clair  que  l'activité  d'un  tissu  au  point  de  vue  chimique 
mesure  sou  énergie  intérieure,  et  indique  la  place  qu'il  doit  tenir  dans  la  hiérarchie 
des  tissus. 

Certes  ce  mot  de  hiérarchie  que  j'ai  employé,  je  crois,  le  premier,  dans  ce  sens,  ne  peut 
pas  signifier  autre  chose  qu'une  susceptibilité  plus  ou  moins  grande  aux  causes  de  des- 
truction chimique.  Il  n'y  a  évidemment  pas  parmi  les  tissus  une  hiérarchie  comme  dans 
une  société,  avec  des  gens  qui  commandent  et  d'autres  qui  obéissent;  mais  on  conçoit 
qu'il  faut  mettre  au  sommet  de  la  hiérarchie  les  tissus  les  plus  compliqués  ;  il  s'ensuit 
que,  plus  un  tissu  est  compliqué,  plus  il  a  une  activité  chimique  intense,  et  par  con- 
séquent de  fragilité. 

Une  autre  conséquence  de  cette  explication  chimique  de  la  mort  des  tissus  par  l'ané- 
mie, conséquence  qu'on  peut  admettre  aprioi'i,  et  qui  se  démontre  rigoureusement  par 
beaucoup  d'expériences,  c'est  que  la  température  exercera  une  iniluence  considérable  sur 
la  durée  de  la  vie  des  tissus.  Les  phénomènes  chimiques  étant  exaltés  par  la  chaleur, 
la  chaleur  va  hâter  le  moment  de  la  mort  par  l'anémie  : 

En  somme  quatre  hypothèses  sont  possibles  pour  expliquer  comment  l'anémie  tue  à 
des  moments  différents  telle  ou  telle  cellule  : 

1°  Destruction  plus  ou  moins  rapide  d'une  substance  nécessaire;  autrement  dit  acti- 
vité chimique  plus  ou  moins  grande; 

2°  Quantité  plus  ou  moins  considérable,  mise  au  préalable  en  réserve  dans  la 
cellule,  de  la  substance  qui  se  détruit  par  le  fonctionnement  cellulaire  ; 

3»  Production  plus  ou  moins  rapide  d'une  substance  toxique,  autrement  dit  activité 
chimique  plus  ou  moins  grande. 

4°  Résistance  plus  ou  moins  considérable  à  l'intoxication  par  cette  substance  toxique. 

A  vrai  dire  la  science  n'est  guère  encore  en  état  de  discuter  avec  fruit  ces  diverses 
hypothèses.  Au  fond  elles  reviennent  toutes  à  la  constatation  de  cette  grande  loi  de  la 
physiologie,  que  la  vie  est  une  fonction  chimique. 

Anémie  des  centres  nerveux.  Centres  nerveux  psychiques.  —  Plusieurs 
méthodes  peuvent  être  employées  pour  analyser  les  effets  de  l'anémie  du  cerveau.  Bien 
entendu  il  ne  sera  question  ici  que  de  l'anémie  totale  ;  car  l'anémie  incomplète  ou  l'anémie 
lente  est  plutôt  du  ressort  de  la  pathologie.  D'ailleurs  c'est  une  question  fort  obscure 
et  incertaine,  toujours  traitée  d'une  manière  bien  insuflisante,(Voy.  Ajiëmie  cà-efira/e  du 
Traité  de  Médecine,  1898,  tome  vi).  Au  contraire  l'anémie  soudaine  et  radicale  de  toute  la 
masse  cérébrale  peut  être  facilement  pratiquée  par  divers  moyens.  Ou  peut  injecter  avec 
une  forte  seringue  de  l'air  dans  une  des  carotides.  Grâce  aux. anastomoses  larges  qui  font 
communiquer  entre  elles  toutes  les  artérioles  cérébrales,  l'air  se  répandra  immédiatement 
dans  la  masse  du  cerveau  et  chassera  le  sang  qu'il  contenait.  Au  lieu  d'air,  on  peut  aussi, 
comme  l'a  proposé  Vulpian,  injecter  une  fine  poussière,  de  la  poudre  de  lycopode 
par  exemple,  suspendue  dans  l'eau.  On  peut  encore  arrêter  brusquement  le  cœur,  et 
par  conséquent  la  circulation,  soit  par  une  rapide  excision,  soit  par  l'électrisation.  La 
contractilité  artérielle  expulse  aussitôt  tout  lé  'sang  contenu  dans  les  vaisseaux,  et  le 
cerveau  devient  exsangue.  . 


ANEMIE.  49S 

La  décollation  ou  décapitation  est  aussi  un  procédé  d'anémie  absolue;  car  la  circu- 
lation est  aussitôt  supprimée,  et  les  veines  et  artères  ouvertes  laissent  s'écouler  une 
assez  grande  quantité  de  sang. 

Quelle  que  soit  la  manière  dont  l'anémie  totale  est  pratiquée,  on  est  d'accord  pour 
constater,  chez  les  animaux  à  sang  chaud,  la  mort  presque  immédiate  du  système  ner- 
veux psychique. 

Les  expériences  faites  à  ce  point  de  vue  sur  l'encéphale  des  animaux  supérieurs  sont 
dues  à  de  nombreux  auteurs,  depuis  Astley  Cooper  (1830)  jusqu'à  nos  contemporains,  parmi 
lesquels  il  faut  citer  surtout  Brown-Séquard,  Hayem  et  Barrier  {A.  P.,  1887,  p.  1)  et 
P.  LoYE  qui  en  a  fait  le  sujet  d'un  excellent  travail  {La  mort  par  la  décapitation,  1888), 
auquel  nous  renvoyons  pour  la  bibliographie.  L'histoire  détaillée  des  faits  qui  se  rap- 
portent aux  phénomènes  physiologiques  sera  traitée  ailleurs  (V.  Cerveau  et  Décapitation); 
mais  nous  devons  cependant  en  retenir  quelques  particularités. 

Le  principal  fait,  sur  lequel,  à  quelques  nuances  près,  tout  le  monde  est  d'accord, 
c'est  que  la  vie  psychique  est  immédiatement  abolie.  Il  n'est  pas  possible  de  supposer 
qu'il  y  a,  après  la  décollation,  survivance  de  l'intelligence.  Les  contractions  des  muscles 
de  la  face,  les  mouvements  des  bulbes  oculaires,  le  rictus  et  les  bâillements,  ne  prouvent 
aucunement  qu'il  y  ait  encore  sensibilité  et, conscience.  En  essayant  de  voir  combien  de 
temps  le  plus  simple  réflexe  psychique  met  à  disparaître  (occlusion  des  paupières  à 
l'approche  d'un  objet  brusque),  on  voit  que  la  disparition  du  réflexe  psychique  le  plus 
élémentaire  est  toujours  immédiate.  Or  on  a  à  ))eu  près  le  droit  strict  dé  supposer  que  l'in- 
telligence et  la  conscience  sont  au  moins  aussi  fragiles  que  ce  réflexe.  Même  Hayem  et 
Barrier,  qui  admettent  une  trace  de  conscience  chez  les  chiens  décapités,  reconnaissent 
que  ce  ne  peut  être  que  pendant  trois  ou  quatre  secondes,  et  encore  même  cette  per- 
sistance est-elle  douteuse.  .  ,     ' 

En  anémiant  un  chien  par  l'électrisation  du  cœur,  on  voit  au  contraire,  pendant  une 
période  de  30  à  43  secondes,  ainsi  que  je  l'ai  souvent  constaté,  la  conscience  persister. 
Quoique  le  cœur  se  soit  arrêté,  l'animal  Continue  à  regarder  autour  de  lui,  et  à  com- 
prendre ce  qui  se  passe.  Bientôt  il  pousse  des  cris  de  douleur,  et  il  manifeste  une  angoisse 
effrayante.  Mais  on  n'a  pas  évidemment  réalisé  une  anémie  complète;  car,  pendant  un 
temps  appréciable,  les  artères  continuent  à  se  vider  dans  l'encéphale,  de  sorte  qu'on  ne 
peut  comparer  cette  demi-anémie  à  l'anémie  totale  que  produit  la  décollation. 

LoYE  a  supposé  qu'outre  l'anémie  absolue,  soudaine,  la'  rhort  par  la  décollation  pro- 
duisait une  sorte  de  choc,  avec  des  phénomènes  d'inhibition.  Cela  est  possible  :  mais 
l'anémie  suffit  pour  expliquer  la  mort  rapide  de  la  conscience;  car,  en  introduisant  rapi- 
dement de  l'air  dans  une  carotide,  on  voit  tous  les  phénomènes  intellectuels  disparaître 
rapidement.  Alors  on  n'observe  pas  la  période  spéciale,  très  courte,  du  stade  d'éton- 
nement  et  d'inquiétude,  comme  après  l'électrisation  du  cœur;  mais  les  cris  douloureux 
surviennent  d'emblée,  et  il  ne  s'écoule  guère  plus  de  dix  à  quinze  secondes  jusqu'au 
moment  où  l'intelligence  consciente  paraît  anéantie.  Ou  peut  donc  admettre  que,  dans  la 
décollation,  il  y  a  suppression  soudaine  et  totale  de  la  conscience;  tandis  que,  dans  les 
autres  anémies,  moins  complètes  et  surtout  moins  rapides,  la  conscience  survit  encore 
pendant  quelques  secondes. 

On  rapprochera  ces  faits  des  syncopes,  par  exemple  de  la  syncope  épileptique,  où  la 
perte  de  la  conscience  est  instantanée,  ou  de  la  vraie  syncope  réflexe  qui  survient  après 
une  forte  émotion.  Souvent  alors,  dans  ces  cas,  la  perte  de  connaissance  est  immédiate, 
et  il  ne  s'écoule  pas  plus  d'une,  ou  deux,  ou  trois  secondes  entre  le  moment  où  l'ébranle- 
ment survient  et  le  moment  où  la  conscience  disparaît.  Mais  il  n'est  pas  certain  que 
Victiis  épileptique  ou  la  syncope  même  émotive  soient  des  phénomènes  d'anémie  cérébrale. 

Il  résulte  de  tout  ceci  que  la  conscience  est  vraiment  l'appareil  le  plus  délicat  et  le 
plus  fragile  de  l'organisme.  Alors  que  tous  les  tissus  vivent  et  continuent  leur  fonction,  la 
conscience  est  morte.  Il  faut  au  système  nerveux,  qui  préside  à  l'idéation  consciente,  un 
renouvellement  chimique  ininterrompu.  Dès  que  l'abord  du  sang  est  supprimé,  aussitôt  la 
mort  survient.  Donc,  dans  la  hiérarchie  des  tissus,  nous  placerons  en  première  ligne 
l'appareil  cérébral  psychique,  et  avec  d'autant  plus  de  certitude  que,  dans  les  empoison- 
nements, comme  dans  l'asphyxie,  on  retrouve  cette  même  fragilité  des  cellules  ner- 
veuses de  la  vie  psychique. 


4,96  A  N  E  M  I  E. 

Ces  faits  ne  sont  pas  applicables  aux  animaux  à  sang  froid;  car,  même  lorsque  l'ané- 
mie cérébrale  est  totale,  chez  les  reptiles,  les  batraciens,  les  poissons,  il  y  a  encore  persis- 
tance de  l'activité  intellectuelle.  C'est  une  bonne  preuve  qu'il  s'agit  là  essentiellement 
d'un  phénomène  d'ordre  chimique.  Lorsqu'on  a  enlevé  le  cœur  d'une  grenouille,  et 
remplacé  le  sang  qui  irrigue  ses  tissus  par  une  solution  saline,  elle  continue  à  sauter,  à 
voir  et  à  entendre,  étant  pendant  quelques  minutes  tout  à  fait  semblable  à  une  gre- 
nouille normale  (Ringer  et  Murbell,  J.  P.,  t.  i,  p.  72).  On  a  constaté  aussi  que  la  persis- 
tance de  la  conscience  après  anémie  est  chez  les  grenouilles  d'autant  plus  longue  que  la 
température  est  plus  basse.  Comme  les  échanges  chimiques  sont  fonction  des  variations 
thermiques,  tout  concorde  à  cette  conclusion,  qui  semble  rigoureuse,  que  la  conscience 
est  un  phénomène  d'ordre  chimique,  marchant  parallèlement  avec  les  échanges  chimiques 
des  tissus. 

Si  l'on  refroidit  un  animal  à  sang  chaud,  on  voit  tous  les  phénomènes  ordinaires 
de  l'anémie  se  ralentir.  J'ai  eu  l'occasion  d'observer  un  singe  qui,  à  la  fin  d'une 
maladie  nerveuse  (de  nature  inconnue),  présentait  avant  de  mourir  une  température  de 
ai^S.  Il  fut  alors  décapité  par  une  section  brusque,  qui  fut  rapidement  et  complètement 
faite.  Les  réflexes  palpébraux,  provoqués  par  l'attouchement  de  la  cornée,  ne  dispa- 
rurent qu'au  bout  de  i'oo".  Les  mouvements  asphyxiques  de  la  face  persistèrent  quatre 
minutes. 

On  a  cherché  à  savoir  combien  il  faut  de  temps  pour  que  la  mort  par  l'anémie  soit 
définitive,  sans  qu'il  y  ait  possibilité  de  faire  revenir  les  fonctions  par  le  rétablissement 
de  la  circulation.  .Jusqu'ici,  à  part  une  expérience  de  Bro^'n-Séquard,  où  l'anémie 
n'était  sans  doute  pas  totale,  à  part  quelques  essais  de  Hayem  et  Barrier,  qui  ne  semblent 
pas  très  concluants,  on  n'a  pas  encore  vu  reparaître  la  conscience  après  que  l'anémie  l'a 
une  fois  abolie.  Cependant  on  petit  prévoir  que  cette  expérience  est  possible,  et  qu'on  y 
arriverait  en  se  plaçant  dans  d'excellentes  conditions  expérimentales,  difficiles  à  réaliser. 
Mais  cela  ne  prouverait  que  ceci  :  c'est  que  la  vie  consciente,  après  une  courte  interrup- 
tion, peut  reparaître  si  le  cerveau  est  rétabli  dans  ses  conditions  normales.  Cette  étude  a 
été  bien  traitée  par  Love  {Loc.  cit.  p.  84-). 

Tout  ce  que  nous  venons  de  dire  s'applique  à  la  fonction  psychique  générale,  sans 
localisation  fonctionnelle.  C'est  qu'en  effet  l'anémie,  comme  les  empoisonnements  et 
l'asphyxie,  dissocie  admirablement  les  fonctions  du  cerveau.  La  fonction  psychique 
disparaît  tout  de  suite;  mais  les  autres  fonctions  cérébrales  sont  plus  résistantes.  Ainsi  il 
y  a,  dans  la  tête  séparée  du  tronc,  des  phénomènes  d'activité  nerveuse  manifeste  qui 
témoignent  même  qu'il  y  a  une  période  d'excitation  qui  précède  la  période  d'anéantisse- 
ment. Ce  sont  d'ailleurs  des  manifestations  de  l'activité  protubérantielle  ou  bulbaire,  et 
non  de  l'activité  corticale.  Bâillements,  grimixces,  contractions  fibrillaires  des  muscles 
de  la  face,  nystagmus,  mouvements  des  paupières,  rotation  des  yeux,  tout  cela  est  dû  à 
la  protubérance  et  au  bulbe,  non  aux  circonvolutions  cérébrales. 

Quant  à  l'excitabilité  des  circonvolutions  à  l'électricité,  c'est  un  phénomène  d'ordre 
expérimental  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  l'activité  psychique.  Des  expériences  ont 
été  faites  à  ce  sujet  par  Laborde  sur  les  têtes  des  décapités  (Des  phénom.  extér.  que 
l'on  trouve  sur  la  tête  et  le  tronc  des  décapités,  B.  B.,  7  févr.  1891,  p.  99)  et  sur  les  chiens 
par  François-Franck  [Pondions  motrices  du  cerveau,  1887,  p.  249),  Orchansky  {Einfluss  der 
Anémie  auf  die  electrische  Erregbarkeit  des  Grosshirns,  A.  Dh.,  1883,  p.  297)  et  Aducco 
{Action  de  l'anémie  sur  l'excitabilité  des  centres  nerveux,  A.  B.  L,  1891,  t.  xiv,  p.  141).  Ces 
auteurs  ont  tous  constaté  une  augmentation  d'excitabilité  après  l'anémie.  II  est  vrai  que, 
sauf  dans  les  cas  de  Laborde,  qui  opérait  sur  des  décapités,  l'anémie  n'était  pas  com- 
plète, étant  provoquée  par  la  ligature  des  carotides  et  des  vertébrales,  ce  qui  ne  suffit  pas 
à  empêcher  absolument  toute  trace  de  circulation. 

La  discussion  des  effets  de  l'anémie  incomplète  sur  l'intelligence,  sur  le  sommeil, 
sur  l'anesthésie,  relève  plutôt  d'autres  articles  CVoir  Sommeil,  Psychologie).  Je  mention- 
nerai seulement  à  ce  propos  l'ouvrage  volumineux  de  Sergueyeff  (Physiologie  de.  la  veille 
et  du  sommeil,  Paris,  1890,  2  vol.). 

Disons  cependant  d'une  manière  générale  que  l'explication  d'un  phénomène  nerveux 
quelconque  (épilepsie,  sommeil,  anesthésie)  par  une  anémie  du  cerveau  ou  de  certaines 
parties  du  cerveau  est  probablement  erronée.  Il  est  douteux,  malgré  les  raisons  allé- 


ANEMIE.  497 

guées  par  Brown-Séquahd,  qu'un  effet  vaso-moteur  puisse  modifier  d'une  manière  efficace 
et  prolongée  l'innervation  cérébrale. 

La  ligature  des  vertébrales  et  des  carotides  sur  le  chien  et  sur  le  lapin  produit  aussi 
des  etîets  remarquables.  Au  bout  d'un  temps  assez  court,  mais  variable  suivant  la 
dilatation  des  artérioles  qui  rétablissent  la  circulation  cérébrale,  les  convulsions  qui 
précèdent  presque  fatalement  la  mort  apparaissent  généralement  au  bout  d'iiue  ou 
deux  ou  trois  minutes.  Kussmaul  et  Tenner  (1837),  L.  Fredericq  {Exp.  inédites),  Prévost 
et  Waller  {Contract.  des  vaso-moteurs  du  cerveau,  B.  B.,  18  nov.  1871,  p.  142)  ont  pro- 
duit une  anémie  incomplète,  avec  convulsions,  par  l'électrisation  du  sympathique  cer- 
vical. D'après  les  travaux  de  Nawalichin,  de  S.  Mayer  {Zeitsch.  f.  Heilk.,  t.  iv,  1883),  et  des 
auteurs  qui  ont  fait  des  ligatures  des  artères  allant  au  cerveau,  il  3'  a  encore  au  bout  de 
une  ou  deux  minutes,  réparation  possible  du  tissu  cérébral;  mais,  si  l'anémie  dure  plus 
longtemps,  la  restitution  {ad  integrum)  est  impossible.  On  verra  plus  loin  que  la  resti- 
tution des  fonctions  de  la  moelle,  après  anémie,  peut  avoir  lieu  au  bout  de  vingt 
minutes.  Il  en  résulte  que  la  fragilité  du  tissu  cérébral  doit  être  considérée  comme  plus 
grande  que  celle  du  tissu  médullaire. 

Centres  nerveux  médullaires.  —  Pour  les  centres  nerveux  médullaires,  les  lois 
générales  sont  les  mêmes  que  pour  le  cerveau;  mais  les  périodes  sont  sensiblement 
plus  longues,  quoiqu'elles  doivent,  quand  l'anémie  est  totale,  se  compter  encore  par 
secondes  et  non  par  minutes. 

Voici  pour  servir  de  schéma,  en  quelque  sorte,  deux  expériences  faites  par  moi  tout 
récemment,  qui  montreront  bien  comment  les  centres  nerveux  divers  se  comportent 
lorsqu'ils  sont  anémiés. 

Un  chien  de  moyenne  taille,  après  une  assez  abondante  perte  de  sang,  est  tué  par 
l'électrisation  du  cœur.  Un  des  électrodes  est  enfoncé  dans  le  cou;  l'autre  dans  le  cœur. 
Au  moment  même  où  passe  le  courant  d'induction  (rythme  fréquent,  une  pile  Grenet, 
bobine  à  fil  fin),  le  cœur  s'arrête. 

L'électrisation  dure  à  peine  deux  secondes. 

Douze  secondes  après,  l'animal,  qui  était  jusque-là  resté  hagard,  et  comme  hébété, 
se  met  à  pousser  des  cris  déchirants.  La  respiration  s'accélère  et  devient,  à  la  fois,  plus 
profonde  et  plus  rapide. 

Le  maximum  des  cris  douloureux  se  produit  à  la  dix-huitième  seconde.  Les  réflexes 
(clignement  de  la  paupière  au  contact  conjonctival  et  réflexe  rotulien)  sont  con- 
servés. 

A  la  301=  seconde  les  cris  douloureux  cessent.  L'animal  parait  inerte  et  sans  mouve- 
ments volontaires  ;  mais  les  réflexes  ne  sont  pas  abolis. 

A  la  40"  seconde,  extension  générale  de  tout  le  corps,  avec  contractions  intestinales. 
Ces  grands  mouvements  d'extension  durent  10  secondes,  pour  cesser  complètement  à  la 
5o'=  seconde.  Alors  il  y  a  encore  le  réflexe  cornéen  ;  mais  le  réflexe  rotulien  est  aboli. 
Le  réilexe  cornéen  ne  disparait  qu'au  bout  d'une  minute  et  o  secondes. 
Silence  général,  sans  aucune  manifestation  vitale  que  le  frémissement  fibrillaire  non 
interrompu  du  ventricule. 

Au  bout  de  i  minute  et  2o  secondes,  respirations  agoniques,  profondes,  assez  dis- 
tantes les  unes  des  autres.  Il  y  en  a  quatre,  bien  nettes.  La  dernière  cesse  après  une 
minute  et  50  secondes. 

Au  bout  de  2  minutes  et  30  secondes,  légers  mouvements  fibrillaires  dans  les  muscles 
du  dos  et  des  cuisses.  Le  cœur  frémissant  toujours. 

—  Voici  une  autre  expérience,  qui  prouvera  à  quel  point  toujours  ce  drame  de  la 
mort  par  l'anémie  reste  semblable  à  lui-même. 

Chien  vigoureux,  ayant  subi  une  assez  abondante  perte  de  sang.  Alors  on  électrise  le 
cœur  (un  pôle  dans  une  aiguille  traversant  le  cœur,  l'autre  pôle  enfoncé  au  cou). 
Pendant  6  secondes,  silence  de  l'animal  qui  reste  hébété  et  hagard. 
A  la  6=  seconde,  la  respiration  devient  fréquente,  profonde,  de  plus  en  plus  anxieuse. 
A  la  12°  seconde,  cris  de  douleur,  mouvements  d'extension  de  l'animal. 
A  la  25°  seconde,  les  cris  se  ralentissent,  deviennent  plus  faibles,  et  ils  cessent  com- 
plètement à  la  33=  seconde. 

A  la  40=  seconde,  l'extension  tonique  cesse.  Il  y  a  encore  quelques  réflexes  cornéens. 

1)ICT.    DE   PHYSIOLOGIE.    TOME    I.  32 


i98  ANÉMIE. 

A  la  io"  seconde,  le  réflexe  cornéen  a  disparu.  Il  y  a  encore  des  réflexes  de  la  queue; 
ceux-ci,  très  faibles  à  la  oo"  seconde,  ne  disparaissent  qu'après  la  première  minute. 

A.  i  minute  20  secondes,  respirations  agoniques.  Mouvements  fibrillaires  des  muscles 
du  cou.  Saccades  brusques  du  tronc.  A  1  minute  30  secondes,  fin  des  respirations  ago- 
niques.  Les  niouvemenls  fibrillaires  des  muscles  du  cou  continuent  jusqu'à  2  minutes 
b  secondes,  en  s'atténuant  graduellement. 

Si  je  rapporte  ces  deux  expériences,  c'est  qu'elles  sont  typiques,  et  qu'en  les  répétant 
un  grand  nombre  de  fois,  on  retrouvera  toujours  les  mêmes  phénomènes.  Admettons  que 
les  cris  aigus  poussés  par  l'animal  indiquent  la  douleur,  et  par  conséquent  la  conscience, 
on  voit  que  l'intelligence  a  duré  une  demi-minute,  tandis  que  les  réflexes  ont  duré  une 
minute  et  3  secondes,  et  l'innervation  bulbaire  respiratoire,  une  minute  et  30  secondes. 

On  voit  aussi  que  la  période  de  mort,  soit  pour  le  cerveau,  soit  pour  la  moelle  qui  pré- 
side aux  réflexes,  soit  pour  le  bulbe  qui  commande  les  respirations,  a  été  constamment 
précédée  d'une  période  d'hyperesthésie  ou  d'byperkinésie,  caractérisée  pour  le  cerveau 
par  des  cris  de  douleur;  pour  la  moelle,  par  l'extension  générale,  convulsion  tonique  de 
tout  le  corps;  pour  le  bulbe  respiratoire,  par  des  respirations  accélérées. 

11  est  vrai  que,  dans  cette  anémie  par  l'électrisation,  il  n'y  a  pas  suppression  totale  et 
immédiate  de  toute  circulation,  de  sorte  que  la  survie  de  1  minute  pour  les  fonctions  de 
la  moelle  est  peut-être  un  peu  trop  longue.  En  effet,  sur  les  têtes  de  décapités,  là  où 
l'anémie  est  absolue,  le  réflexe  cornéen,  provoqué  par  l'attouchement  de  la  conjonctive, 
disparait,  d'après  Loye,  au  bout  de  .30  secondes  environ,  et  le  réflexe  de  constriction  de 
l'iris  disparaît  aussi  en  même  temps,  tandis  que  les  incitations  respiratoires,  caractérisées 
par  les  bâillements,  ne  disparaissent  qu'au  bout  de  2  minutes  environ.  11  est  possible  que, 
chez  l'homme,  la  fin  des  réflexes  soit  encore  plus  rapide;  car  Loye  a  constaté  (loc.  cit., 
p.  163)  que,  six  secondes  après  la  décapilion,  il  était  impossible  d'obtenir  fe  moindre 
réflexe  sur  la  tète  anémiée. 

Je  ne  parle  pas,  bien  entendu,  de  certains  mouvements  de  l'iris  à  la  lumière,  mouve- 
ments, qui,  d'après  Laborde,  persistent  pendant  20  minutes  {loc.  cit.  p.  101),  car  il  est  pro- 
bable qu'il  s'agit  d'une  action  directe  de  la  lumière  sur  la  fibre  musculaire. 

L'expérience  de  Stenon,  dans  laquelle  on  fait  la  ligature  de  l'aorte  abdominale, 
n'est  pas  aussi  probante  au  point  de  vue  de  l'anémie  absolue  des  centres  nerveux;  car  la 
circulation,  quoique  gênée  dans  les  parties  inférieures  de  la  moelle,  n'y  est  pas  totale- 
ment abolie. 

Mais,  en  modifiant  les  conditions,  L.  Fredehicq  a  obtenu  des  résifltats  fort  intéressants 
qui  concordent  bien  avec  les  faits  que  nous  venons  de  mentionner. 

Voici  en  quoi  consistent  ces  expériences  (L.  Fkederico,  Anémie  expérim.  comme  pro- 
cédé de  dissociât,  des  propriétés  motrices  et  sensitives  de  la  moelle  épiniére.  Trav.  du  Lab. 
de  Fredericq,  t.  m.,  1890,  pp.  3-12.  —  Colson,  Rech.  physiol.  sur  Vocclusion  de  l'aorte  tho- 
racique,  ibid.,  pp.  111-164).  Ces  deux  physiologistes  ont  en  outre  donné  dans  leur  mémoire, 
auquel  nous  renvoyons,  les  recherches  faites  jusqu'à  cette  époque  (1890)  au  sujet  de 
l'expérience  de  Sténon  (ou,  comme  ils  disent,  de  Swammerdam).  Le  procédé  employé 
par  eux  pour  anémier  un  membre  consistait  en  l'oblitération  de  l'aorte  thoracique  par 
une  ampoule  introduite  dans  la  carotide  et  de  là  dans  l'aorte,  et  qu'on  pouvait  gonfler 
en  l'insufflant.  Cette  ingénieuse  méthode  avait  déjà  été  employée  par  Pauloff  (A.  Pf., 
1888,  p.  261)  et  Ch.  Bohr  {C.P.,  1888,  p.  261). 

L'anémie  obtenue  ainsi  amène  en  33  minutes  environ,  ou  30  minutes,  d'après  Colson, 
la  supression  du  pouvoir  moteur  médullaire.  A  ce  moment  la  sensibilité  est  intacte 
encore  (c'est  dans  le  même  ordre,  ainsi  que  je  l'ai  vu  souvent,  que  disparaissent  les 
fonctions  de  la  moelle  chez  les  animaux  chloralisés).  Cette  paralysie  est  précédée  d'une 
période  d'byperkinésie  dont  le  maximum  est  vers  23  miuutes. 

La  période  d'hyperesthésie  survient  au  bout  de  i  h.  30  minutes  environ;  et  l'anes- 
thésie  est  complète  vers  la  fin  de  la  quatrième  minute. 

Ainsi  les  fonctions  motrices  de  la  moelle  disparaissent  avant  ses  fonctions  sensibles. 

Le  retour  des  fonctions  médullaires  n'est  possible  que  si  l'anémie  n'a  pas  duré  plus 
de  20  minutes.  ,    , 

Quant  aux  plaques  terminales,  elles  meurent  au  bout  de  trois  quarts  d'heure.  Mais 
il  ne  faut  pas  oublier  que  l'excitabihté  des  plaques  terminales  est  jugée  par  l'excitation 


ANEMIE.  499 

électrique  appli'quée  au  nerf  sciatique,  et  que  ces  conditions  sont  probablement  diffé- 
rentes de  celles  où  l'excitant  physiologique  (volonté)  intervient.  Vulpian  avait  déjà  noté 
cette  difîérence  entre  les  excitations  électriques  et  les  excitations  volontaires  dans 
l'intoxication  par  le  curare.  Or,  comme  je  l'ai  vu  en  étudiant  les  effets  de  l'anémie 
par  application  de  la  bande  de  caoutchouc,  au  bout  de  7  à  8  minutes  déjà  les  mouve- 
ments volontaires  sont  modifiés,  et  on  ne  peut  faire  intervenir  une  action  médullaire, 
puisque  la  moelle  est  hors  de  cause.  On  doit  donc  admettre  que  la  fonction  des  plaques 
terminales  n'est  abolie  totalement  qu'au  bout  de  trois  quarts  d'heure;  mais  qu'au  bout 
de  tO  minutes  elle  est  déjà  fortement  atteinte. 

Quant  aux  nerfs  eux-mêmes,  et  aux  muscles,  leur  excitabilité  ne  disparaît  qu'au 
bout  de  plusieurs  heures  d'anémie. 

Pour  de  plus  amples  détails  sur  la  mort  des  centres  nerveux  dans  l'anémie,  nous 
renverrons  au  mémoire  de   Colson  et  à  l'article  Moelle  de  Vulpian  (D.  D.). 

Assurément  la  température  même  de  l'organisme  exerce  une  influence  prépondérante  ; 
car,  si  l'on  refroidit  un  animal  à  sang  chaud,  la  survie  de  la  moelle  est  plus  prolongée. 
On  retrouve  pour  la  moelle  anémiée  ce  que  j'ai  vu  pour  le  cœur  asphyxié,  c'est-à-dire 
que  la  température,  en  s'abaissant,  fait  croître  avec  une  régularité  parfaite  la  durée 
de  la  persistance  des  mouvements  du  cœur  (La  mort  du  cœur  clans  l'asphyxie,  A.  P., 
1894,  p.  633). 

Chez  les  animaux  à  sang  froid,  la  durée  de  la  survie  médullaire  est  bien  plus  grande. 
RiNGEH  et  MuRRELL  (Actioii  of  potush  satts,  J.  P.,  t.  I,  p.  72);  Anrep  {Aortemmterbindung 
beim  Frosch,  C.  W.,  1879,  p.  9ib);  Ch.  Richet  [Durée  des  phénomènes  réflexes  dans  l'anémie, 
Trav.  du  Lab.,  1893,  t.  i,  p.  139)  ;  Oertmann  [Stoffwechsel  entbluteter  Frosche,  A.  Pf.,  t.  xv, 
p.  381). 

Deux  conditions  la  déterminent  :  la  température  organique  d'une  part,  et,  d'autre 
part,  les  propriétés  particulières  du  système  nerveux  de  tel  ou  tel  animal. 

Il  est  inutile  d'insister  sur  l'influence  thermique;  car  elle  est  évidente.  Une  grenouille 
qu'on  laisse  dans  de  l'eau  glacée  conserve  pendant  plusieurs  heures  l'activité  réflexe, 
après  que  le  cœur  a  été  lié  ou  enlevé;  inversement,  si  on  fait  vivre  l'animal  dans  de 
l'eau  à  2o°,  les  réflexes  disparaîtront  20  minutes  à  peine  après  qu'on  aura  fait  la  section 
ou  l'ablation  du  cœur. 

Mais  la  question  de  la  température  ne  suffit  pas  pour  expliquer  la  persistance  plus 
ou  moins  grande  des  réflexes.  Il  y  a  encore  un  autre  élément,  tout  aussi  important, 
c'est  l'espèce  animale. 

Si  l'on  enlève  le  cœur  à  divers  poissons,  d'espèce  différente,  et  qu'on  étudie  la  survie 
des  réflexes  à  l'ablation  du  cœur,  on  sera  frappé  des  différences  considérables  entre  la 
survie  des  fonctions  de  la  moelle  pour  les  différentes  espèces.  Ainsi,  par  exemple,  cer- 
tains poissons,  comme  les  sardines,  les  maquereaux,  les  bogues,  ne  résisteront  à  l'ané- 
mie que  quelques  minutes  à  peine,  tandis  que  d'autres,  comme  les  squales,  les  anguilles, 
les  tanches,  pourront  résister  plusieurs  heures,  et,  à  de  basses  températures,  presque 
une  journée  entière.  Il  est  remarquable  de  voir  que  l'asphyxie  et  l'anémie  se  confondent 
à  ce  point  de  vue,  et  que  les  animaux  qui  gardent  le  plus  longtemps  leurs  réflexes  par 
l'anémie  sont  précisément  les  mêmes  qui  les  gardent  le  plus  longtemps  par  le  fait  de 
l'asphyxie,  ce  qui  prouve  bien  que  les  deux  processus  sont  essentiellement  identiques 
quant  à  leur  nature  intime;  résistance  variable  du  tissu  aux  altérations  chimiques  dues 
aux  combustions  intra-organiques,  et  simultanément,  sans  doute,  combustions  intra-orga- 
niques  d'activité  différente  (Voir  Asphyxie). 

Il  y  a  donc  chez  les  divers  animaux  une  hiérarchie  physiologique,  bien  distincte  de 
la  hiérarchie  zoologique;  et  à  la  hiérarchie  des  tissus  il  faut  juxtaposer  la  hiérarchie  des 
espèces,  puisque  le  même  tissu  à  la  même  température  chez  des  animaux  dilïérents  ne 
se  comporte  pas  de  même. 

Anémie  des  autres  cellules  nerveuses.  —  On  a  vu  dans  les  expériences  citées 
plus  haut  que,  parmi  les  groupes  cellulaires  de  la  moelle,  le  bulbe  fait  exception.  En 
effet,  alors  que,  sur  un  animal  dont  le  cœur  a  été  arrêté,  il  y  a  silence  complet  de 
toutes  les  fonctions  médullaires,  au  bout  d'une  minute  environ  de  ce  silence,  on  voit 
soudain  une  grande  respiration  se  produire,  qui  est  due  à  une  forte  contraction  du  dia- 
phragme et  de  tous  les  muscles  inspiratoires  (dernier  soupir).  Donc  alors  le  centre  ner- 


500  ANEMIE. 

_  veux  de  l'inspiration  n'est  pas  paralysé  par  l'anémie,  puisqu'il  manifeste  son  activité.  Il 
semble  nécessaire  d'admettre  que  le  bulbe  est  plus  résistant  à  la  privation  de  sang  que 
les  autres  parties  de  l'axe  cérébro-spinal. 

On  peut  en  dire  autant  de  certains  autres  centres;  par  exemple  ceux  qui  président 
aux  actions  intestino-motrices;  car,  en  même  temps  que  les  inspirations  agoniques,  il 
se  fait  des  contractions  violentes  de  l'intestin  qui  expulsent  les  matières  fécales.  Chez 
les  lapins,  dont  la  paroi  abdominale  est  mince,  on  voit,  après  l'anémie  que  produisent 
l'ablation  du  cœur  ou  la  section  de  l'aorte,  se  dessiner  les  mouvements  de  l'intestin  for- 
mant sous  la  peau  des  ondulations  vermiculaires  très  apparentes.  On  ne  sait  pas  bien  si 
c'est  un  effet  de  l'excitation  de  la  moelle,  ou  de  l'excitation  des  ganglions  nerveux  dissé- 
minés dans  les  parois  de  l'intestin. 

Alors  aussi  les  artérioles  se  contractent  avec  force  ;  alors  l'iris  se  dilate  énormément. 
Mais  ce  ne.  sont  pas  des  phénomènes  réflexes;  car  ces  phénomènes  doivent  être  attribués 
à  l'excitation  par  l'anémie  du  tissu  nerveux  médullaire  lui-même,  excitation  qui  précède 
l'anéantissement. 

Il  serait  très  intéressant  de  pouvoir  étudier  de  près  la  réaction  différente  à  l'anémie 
de  toutes  les  cellules  nerveuses  diverses  qui  existent  à  la  périphérie,  soit  des  nerfs  sensi- 
tifs,  soit  des  nerfs  moteurs,  et  aussi  celle  des  ganglions  nerveux  préposés  à  l'innervation 
à  demi  indépendante  de  quelques  organes,  comme  les  intestins,  le  cœur,  les  glandes  et 
l'iris.  Mais  nous  ne  sommes  bien  renseignés  que  sur  certains  de  ces  éléments  nerveux, 
et,  sur  la  plupart  d'entre  eux,  les  données  précises  font  défaut. 

Anémie  du  cœur.  —  Les  ganglions  du  cœur  paraissent  très  fragiles,  et  il  semble 
que  pour  eux  l'anémie  soit  une  cause  de  mort  rapide.  Il  est  certain  qu'en  introduisant  de 
l'air,  ou  mieux  de  la  poudre  de  lycopode,  dans  les  artères  coronaires,,  on  peut  arrêter 
subitement  les  contractions  rythmiques  du  cœur,  au  moins  chez  le  chien.  Sans  mention- 
ner les  expériences  anciennes  de  Chirac,  P.\Nmi  et  Erichsen,  nous  citerons  les  travaux  de 
RonssY(D.  P.,  1881),  de  Cohnheim  et  Reichberg  (A.  V.,  t.  lxxxv,  p.  o03-S40),  de  Samuelson 
{A.  V.,  t.  Lxxsvi,  p.  339)  et  de  Bochefontaine,  Influence  de  l'obstruct.  des  artères  coron. 
sur  les  mouvements  du  cœur  (i  broch.,  26. janvier  1881).  La  bibliographie  est  donnée  com- 
plètement par  W.  TowNSEND  Porter,  On  the  results  of  ligalion  of  the  coronary  arteries 
{J.  P.,  1893,  t.  XV,  pp.  121-138). 

On  ne  peut  comparer  le  cœur  du  lapin  et  le  cœur  du  chien.  Le  lapin  a  un  cœur  qui 
peut  survivre  près  d'une  heure  à  l'anémie  totale  (par  obstruction  des  coronaires),  tandis 
que  le  cœur  du  chien  meurt  presque  instantanément.  L'électricité  d'induction,  qui  tue 
immédiatement  le  cœur  du  chien,  ne  tue  pas  le  cœur  du  lapin,  ainsi  que  je  l'ai  souvent 
constaté,  après  Vulpian  et  d'autres  physiologistes.  Traversé  par  une  forte  secousse  élec- 
trique, le  cœur  du  lapin  revient  à  la  vie,  et  reprend  ses  battements. 

Il  n'est  guère  vraisemblable  que  cette  mort  rapide  et  presque  instantanée  du  cœur 
du  chien  par  l'anémie  soit  due  à  l'anémie  de  la  fibre  musculaire  elle-même.  Il  paraît  au 
contraire  probable  que  ce  sont  les  ganglions  nerveux  qui  subissent  les  effets  délétères  de 
la  privation  de  sang,  et  aloi's  on  s'explique  bien  la  différence  entre  les  cœurs  des  divers 
mammifères,  cœurs  très  différents  au  point  de  vue  de  l'agencement  des  ganglions  ner- 
veux moteurs. 

Il  faut  être  aussi  très  réservé  sur  la  cause  immédiate  de  la  mort  des  ganglions  du  cœur 
par  l'anémie.  Cohnheim  pense  qu'il  se  produit  une  substance  toxique  qui  entrave  la  vie  des 
ganglions  nerveux,  et  que  ce  n'est  pas  la  privation  de  sang  oxygéné  qui  est  la  cause 
même  de  la  mort.  Mais  il  est  bien  difficile  de  pénétrer  le  mécanisme  intime  de  cette 
anémie,  et  de  dire  si  la  cause  est  l'absence  d'une  régénération  perpétuellement  nécessaire 
parle  sang  oxygéné,  ou  bien  la  destruction  d'une  substance  indispensable. 

A  ce  point  de  vue  le  cœur  des  animaux  à  sang  froid,  et  spécialement  de  la  grenouille, 
est  tout  à  fait  différent  du  cœur  des  mammifères.  On  peut  faire  vivre  pendant  un  temps 
fort  long,  plus  de  dix  jours,  d'après  Engelmann,  le  cœur  d'une  grenouille  ou  d'une  tortue, 
à  condition  qu'on  lui  donne  des  substances  nutritives,  et  qu'on  empêche  l'accumulation 
des  substances  toxiques,  par  exemple  celle  des  acides  que  produisent  les  contractions 
musculaires,  et  tout  spécialement  celle  de  l'acide  carbonique.  Le  sang  n'est  donc  pas 
■  indispensable  à  la  vie  des  ganglions  nerveux  et  de  la  fibre  musculaire  cardiaque,  puisqu'un 
sérum  artificiel  est  suffisant  à  entretenir  longtemps  leur  énergie  et  leur  synergie  (Voir 


ANEMIE.  501 

pour  le  détail  à  l'article  Cœur  les  travaux  de  Ludwig,  de  Khonecker,  de  Merunowicz  et 
autres  physiologistes). 

Une  distinction  importante  est  à  faire  entre  la  manière  dont  se  comporte  le  cœui' 
dans  son  ensemble,  et  celle  dont  se  comporte  la  fibre  musculaire  cardiaque.  Même  pri- 
vée de  sang-,  la  fibre  musculaire  du  cœur  reste  longtemps  excitable  ;  elle  a  des  frémisse- 
ments fibriUaires  qui  durent  parfois  plus  de  24  heures.  On  sait,  depuis  Haller,  que  le 
cœur  est  l'ultimum  moriens,  et,  de  fait,  quand  le  cœur  a  été  sidéré  par  l'électricité,  les 
trémulations  de  l'oreillette,  et  même  celles  du  ventricule,  persistent  pendant  longtemps. 
Sur  des  cadavres,  alors  même  que  tous  les  autres  muscles  ont  perdu  leur  irritabilité,  la 
fibre  musculaire  du  cœur,  et  spécialement  celle  de  l'oreillette,  est  encore  capable  de 
répondre  aux  excitations.  Contraste  intéressant  entre  le  cœur  qui  meurt  si  vite,  au  moins 
quant  à  son  consensus  sj'nergique,  et  la  fibre  musculaire  cardiaque  qui  est  si  résistante. 
C'est  que  la  synergie  du  cœur,  avec  ses  contractions  fortes  qui  expulsent  rythmiquement 
le  sang  contenu,  est  due  à  l'activité  des  ganglions,  bien  distincte  de  l'irritabilité  muscu- 
laire proprement  dite. 

Nous  ne  discuterons  pas  non  plus  ici  la  théorie,  aujourd'hui  abandonnée,  d'après 
laquelle  la  diastole  cardiaque  est  une  conséquence  de  son  anémie,  le  rythme  du  cœur 
étant  produit  par  l'alternative  d'ane'mie  et  d'irrigation  sanguine.  En  effet,  il  est  bien 
prouvé  aujourd'hui  que  l'artère  coronaire,  au  lieu  d'être  privée  de  sang  pendant  la 
systole,  est  au  contraire  pleine  de  sang  à  ce  moment,  et  qu'elle  a  un  pouls  synchrone 
avec  le  pouls  des  autres  artères. 

Peut-être  la  mort  du  cœur  par  rélectricité,  quand  on  l'excite  directement  par  un  cou- 
rant d'induction  vigoureux,  même  très  court,  est-elle  un  effet  de  l'anémie.  Mais  il  me 
paraît  plus  simple  d'admettre  que  c'est  un  épuisement  mortel  des  ganglions  du  cœur. 
En  effet,  la  mort  est  trop  rapide  pour  que  l'on  puisse  invoquer  l'anémie.  Tout  au  plus 
peut-on  dire  qu'il  y  a  tout  d'abord  une  paralysie,  par  sidération  électrique,  qui  entraine 
l'anémie  ;  et  que  la  paralysie  ne  peut  être  efficaceniment  combattue  par  le  retour  du  sang, 
puisqu'il  n'y  a  plus  de  circulation.  Chez  certains  petits  poissons  {Crenolabrits)  j'ai  déter- 
miné la  mort  immédiate  par  un  courant  électrique.  Donc  l'épuisement  nerveux  à  la  suite 
d'une  forte  secousse  électrique  parait  être  une  cause  de  mort  suffisante.  Le  désordre 
produit  par  l'électrisation  est  d'autant  moins  réparable,  que  le  sang  ne  circule  plus,  et 
empêche  toute  restauration  des  fonctions  du  tissu.  (Voir  pour  l'électrisation  du  cœur  : 
Kroneoker  et  Schmey,  Dus  Coordinationscentrum  der  Herzkammerbeivegungen  {Ac.  des  se. 
de  Berlin,  1884,  p.  87);  E.  Gley,  Mouvements  trémidatoires  du  cœur  {B.  B.,  1890,  p.  411; 
1891,  pp.  108  et  239);  Kroxeckeh,  Trémulations  fibriUaires  du  cœur  {B.  B.,  1891,  p.  237). 

Terminaisons  nerveuses  sensitives  et  motrices.  — ■  Les  terminaisons  motrices 
des  nerfs  dans  les  muscles  paraissent  être  aussi  assez  sensibles  à  l'anémie,  et  c'est  cette 
notable  fragilité  qui  induit  souvent  en  erreur  quand  on  étudie  la  manière  dont  meurent 
les  muscles  anémiés. 

En  effet,  quand  on  anémie  un  muscle,  on  voit  au  bout  d'une  dizaine  de  minutes  la 
courbe  de  la  contraction  musculaire  se  modifier,  au  moins  quand  on  fait  l'excitation  indi- 
recte. Pourtant  ce  n'est  pas  le  nerf  qui  est  atteint,  ni  la  fibre  musculaire  qui  reste  con- 
tractile, ce  sont  les  terminaisons  nerveuses  motrices.  L'anémie  agit  en  somme  sur  ces 
éléments  à  peu  près  de  la  même  manière  que  le  curare.  Nous  retrouvons  donc  ici 
encore  la  loi  que  nous  avons  signalée  pour  le  cœur;  à  savoir  la  plus  grande  fragilité  des 
éléments  nerveux  cellulaires,  qu'ils  soient  au  centre  du  système  cérébro-spinal  ou  à  sa 
périphérie. 

Dans  leurs  expériences,  L.  Fredericq  et  Golson  admettent  qu'il  faut  23  minutes  ou 
40  minutes  environ  pour  que  toute  trace  d'excitabilité  indirecte  ait  disparu;  mais  l'af- 
faiblissement de  l'excitabilité  indirecte  commence  bien  longtemps  auparavant,  vers  la  10"^ 
ou  la  15=  minute,  et,  au  myographe,  on  voit  une  modification  de  la  courbe  par  l'anémie 
se  produire  quelques  minutes  seulement  après  qu'elle  a  été  faite. 

De  même  encore  nous  savons  que  la  corde  du  tympan  n'excite  plus  la  sécrétion  sali- 
vaire  une  ou  deux  minutes  après  que  la  circulation  a  cessé.  Pourtant  la  fibre  nerveuse 
est  certainement  encore  excitable,  et  les  cellules  glandulaires  n'ont  probablement  pas 
perdu  leur  activité;  ce  sont  les  terminaisons  des  nerfs  dans  les  glandes  qui  sont  détruites 
au  point  de  vue  fonctionnel. 


S02  ANEMIE. 

Les  terminaisons  sensitives  se  comportent  aussi  de  même.  Un  escellent  exemple  peut 
en  être  donné  quand  on  examine  la  manière  dont  la  sensibilité  est  influencée  après 
l'anémie  d'un  membre  par  une  forte  ligature  avec  une  bande  de  caoutchouc.  11  ne  faut 
pas  plus  de  o  à  7  ou  8  minutes  pour  que  la  sensibilité  tactile  devienne  tout  à  fait  obtuse. 
Dans  ce  cas  la  dissociation  est  complète  entre  la  sensibilité  tactile  et  les  autres  formes 
de  la  sensibilité.  Le  membre  anémié  devient  extrêmement  douloureux,  et  le  moindre 
contact,  par  suite  de  l'hyperesthésie,  est  une  vraie  souffrance;  mais  la  fmesse  du  tou- 
cher est  abolie,  et  on  ne  peut  plus  distinguer  les  pointes  de  l'esthésioniètre.  On  sent 
l'ébranlement,  la  douleur,  le  froid  et  le  chaud,  mais  on  n'a  plus  ces  fines  perceptions 
tactiles  que  seules  peuvent  donner  les  terminaisons  nerveuses  des  corpuscules  du  tact. 

Cependant  la  résistance  à  l'anémie  des  petits  ramuscules  nerveux  conducteurs  est 
considérable,  comme  nous  le  verrons  par  la  suite. 

Nous  arrivons  donc  à  concevoir  les  éléments  nerveux  cellulaires  comme  des  orga- 
nismes ayant  besoin  d'une  irrigation  sanguine  perpétuelle,  soit  pour  l'apport  d'oxygène 
ou  d'autres  substances  nutritives  et  réparatrices,  soit  pour  la  neutralisation  par  le  sang 
des  substances  toxiques  produites  par  l'activité  chimique  intra-cellulaire,  soit  encore  pour 
l'enlèvement  de  ces  déchets  de  nutrition. 

Résumons-nous.  Chez  les  animaux  à  sang  chaud,  la  mort  est  :  i"  pour  les  cellules  de  la 
vie  psychique,  de  quelques  secondes;  i"  pour  les  éléments  médullaires  qui  président  aux 
réflexes,  et  pour  les  ganglions  cardiaques,  de  20  à  30  secondes;  3°  pour  les  cellules  du 
bulbe  (respiratoire),  de  une  minute  et  demie  à  deux  minutes;  4°  pour  les  terminaisons 
nerveuses  dans  les  muscles  ou  les  corpuscules  du  tact  de  dix  minutes  à  quarante 
minutes. 

Cette  résistance  variable  à  l'anémie  peut  être  appelée  la  hiérarchie  des  tissus. 

Muscles.  —  L'anémie  des  muscles  a  été  étudiée  avec  beaucoup  de  soin,  et  pour  le 
détail  nous  renvoyons  aux  articles  Irritabilité,  Muscles,  Rigidité.  11  nous  suffira  d'en  indi- 
quer les  lignes  générales.  En  effet>  si  le  muscle  meurt,  comme  c'est  un  tissu  extrême- 
ment résistant  à  l'action  des  poisons,  c'est  toujours  par  l'anémie  qu'il  meurt,  de  sorte 
que  l'extinction  des  propriétés  physiologiques  des  fibres  musculaires  après  la  mort  de 
l'individu  est  toujours  un  phénomène  d'anémie. 

L'expérience  classique  fondamentale  est  celle  de  Sténon,  qui  consiste  à  lier  l'aorte 
abdominale  d'un  cobaye  ou  d'un  chien,  et  à  constater  que  cette  anémie  amène  une  para- 
plégie; mais  l'interprétation  est  en  général  défectueuse,  et,  même  dans  les  livres  clas- 
siques, on  la  trouve  mal  exposée.  (Je  renvoie  pour  les  détails  bibliographiques  au 
mémoire,  déjà  cité,  de  Fhedericq.)  Il  y  a  en  effet  plusieurs  éléments  dont  il  faut  tenir 
compte,  la  moelle,  les  terminaisons  nerveuses  motrices,  les  nerfs  et  les  muscles.  Si,  dès 
les  premières  minutes  qui  suivent  la  ligature,  on  voit  la  paraiilégiese  produire,  c'est  à  la 
moelle  seule  qu'il  faut  attribuer  ce  phénomène;  car  les  nerfs  sont  encore  excitables; 
plus  tard,  les  terminaisons  nerveuses  sont  paralysées,  et  l'excitation  électrique  ne  pro^ 
voque  plus  de  mouvement,  quoique  les  muscles  soient  encore  directement  excitables. 

En  somme,  ce  qui  domine  dans  cette  histoire  de  l'irritabilité  musculaire,  c'est  l'indé- 
pendance relative  de  la  cellule  musculaire.  iNi  les  nerfs,  ni  le  sang  ne  sont  cause 
immédiate  de  son  activité.  C'est  une  propriété  de  tissu,  qui  persiste  tant  que  le  tissu 
vit,  malgré  l'absence  de  sang,  ou  la  destruction  des  terminaisons  nerveuses  par  le  poi- 
son ou  l'anémie. 

Pour  la  fibre  musculaire,  on  a  observé  très  nettement,  au  début,  une  augmentation  de 
l'excitabilité  par  le  fait  de  l'anémie.  Cela  a  été  bien  constaté  entre  autres  par  Schmule- 
viTCH  {Einfluss  des  Blutgehaltes  der  Muskeln  auf  deren  Reizbarkeit.  A.  Db.,  1879,  p.  374, 
t.  Lxxxvii).  J'ai  répété  cette  expérience  {Physiol.  des  muscles  et  des  nerfs,  1881,  p.  268)  et 
trouvé  que,  s'il  faut  pour  exciter  un  muscle  normal  un  excitant  de  valeur  égale  à  79,  par 
exemple,  au  bout  de  12  minutes,  un  excitant  de  valeur  égale  à  7b  suffira,  et  ce  n'est 
qu'au  bout  ,de  30  minutes  que  l'excitabilité  sera  revenue  au  degré  qu'elle  avait  avant 
l'anémie,  pour  s'éteindre  très  lentement  à  partir  de  ce  moment.  On  a  cherché  à  expli- 
quer ce  phénomène,  soit  par  des  effets  vaso-moteurs  (Schuoulevitch),  soit  par  une  accu- 
mulation d'acide  carbonique  (Brown-Séquard)  ;  mais  il  me  paraît  que  c'est  plutôt  l'accu- 
mulation des   substances  toxiques   que  produit  la  vie  chimique  intra-musculaire  :  ces 


ANEMIE.  5ff3 

substances,  n'étant  pas   détruites    ou  entraînées    par   le    sang,    s'amassent    dans    le 
muscle,  et  augmentent  son  excitabilité  (Voyez  Faivre,  B.  B.,  1838,  p.  123). 

Tout  en  admettant  la  relative  indépendance  de  l'irritabilité  musculaire,  il  est  certain 
que  la  contraction  des  muscles  se  fait  d'autant  mieux  qu'il  y  a  plus  de  sang.  Les  beaux 
graphiques  que  donne  Marey  en  sont  une  preuve  formelle.  On  doit  rappeler  aussi  que 
le  muscle  a  des  artérioles  qui  se  dilatent  pendant  la  contraction,  de  sorte  que  laquantité 
de  sang  irrigateur  augmente.  Chauveau,  en  calculant  la  quantité  de  sang  qui  traverse 
le  muscle  releveur  de  la  lèvre  chez  le  cheval,  a  vu  que  le  sang  circule  5  fois  plus  vite 
pendant  la  contraction  que  pendant  le  repos  (C.  R.,  1887,  passim,  et  Le  travail  muscu- 
laire, 1891,  p.  274,  tabl.  D).  Les  travaux  de  Ludî\'-ig  {H.  H.,  t.  i.,  p.  133)  et  ceux  plus 
récents  de  Humilewsky  (A.  Db.,  1886,  p.  126)  viennent  à  l'appui  de  ce  fait  important;  de 
même  que  les  observations  curieuses  de  Ranvier,  qui  a  trouvé  dans  les  artérioles  muscu- 
laires de  petites  dilatations  ampullaires. 

Pour  étudier  les  elfets  de  l'anémie  sur  les  muscles,  j"ai  essayé  d'analyser  tantôt  sur 
moi-même,  tantôt  sur  d'autres  personnes,  les  effets  que  produit  la  compression  par  la 
bande  de  caoutchouc. 

Le  bras  est  alors  absolument  livide  et  comme  cadavérique  :  nulle  goutte  de  sang  ne 
s'en  échappe,  lorsqu'on  y  fait  une  piqûre  ou  une  incision.  Sans  nous  occuper  ici  des 
troubles  de  la  sensibilité,  notons  que  l'état  physiologique  des  muscles  concorde  avec  ce 
que  nous  apprennent  les  expériences  faites  sur  les  animaux.  Au  bout  de  10  minutes, 
quelquefois  même  après  7  à  8  minutes,  les  mouvements  volontaires  deviennent 
plus  difficiles  et  plus  lents.  On  n'a  plus  d'agilité  ni  de  force  dans  les  doigts.  Puis,  si 
l'anémie  continue,  au  bout  d'un  quart  d'heure  environ,  et  de  20  minutes,  tout  au 
plus,  il  n'y  a  plus  de  mouvement  volontaire  possible.  Par  suite  de  la  prédominance  des 
fléchisseurs  sur  les  extenseurs,  les  doigts  ne  peuvent  plus  être  étendus,  et  s'infléchissent 
vers  la  paume  de  la  main  :  le  bras  est  inerte  et  ne  répond  plus  aux  excitations  qui  lui 
sont  transmises  par  les  nerfs.  Les  muscles  restent  cependant  excitables  à  l'électricité 
directement  appliquée.  La  conservation  de  l'irritabilité  dans  les  muscles  prouve  bien 
que  la  paralysie  dépend  d'un  trouble  dans  l'innervation,  et  qu'elle  tient  aux  nerfs,  non 
aux  muscles.  On  ne  peut  malheureusement  pas  prolonger  l'expérience  jusqu'au  moment 
où  l'excitabilité  au  galvanisme  a  complètement  cessé;  car  la  douleur  produite  par  l'ané- 
mie et  la  compression  nerveuses  est,  à  la  longue,  intolérable,  et  on  est  forcé  de  cesser 
l'expérience,  quelque  courage  qu'on  y  mette. 

On  a  vu  que,  dans  l'anémie  aortiqne  expérimentale,  c'est  au  bout  de  33  minutes  que 
cesse  l'excitabilité  indirecte.  Au  contraire,  dans  l'expérience  de  la  bande  de  caoutchouc, 
l'excitabilité  par  la  volonté  cesse  au  bout  de  20  minutes.  Mais  l'électricité  est  plus 
puissante  pour  agir  sur  les  nerfs  que  l'excitant  volontaire.  Cela  a  été  bien  prouvé  par 
Vdlpian  pour  le  curare  {Subst.  tox.  et  médicam.,  p.  193). 

Un  muscle  privé  de  son  sang  perd  son  irritabilité  plus  vite  que  si  on  laisse  séjourner 
le  sang  qu'il  contenait.  Déjà  Haller  avait  montré  qu'on  change  VitUimum  moriens,  qui  est 
normalement  l'oreillette  gauclie,  en  retenant  le  sang  dans  le  ventricule  gauche.  On  trans- 
fère alors  au  cœur  gauche  la  propriété  de  rester  plus  longtemps  excitable  que  le  cœur 
droit.  De  même,  en  excitant  un  nerf  moteur,  on  retarde  notablement  la  rigidité  cada- 
vérique, et  c'est  sans  doute  par  accumulation  du  sang  dans  les  vaisseaux.  Tamassia 
(Areh.  di  freniatria,  1882,  t.  vni,  fasc.  I  et  2);  Bierfreund  (A.  Pf.,  t.  xun,  p.  195)  ;  Gexdre 
{Einfluss  des  Centralnervensy stems  auf  die  Todtenstarre,  A.  Pf.,  t.  xxxv,  p.  43). 

La  durée  de  la  mort  des  muscles  par  l'anémie  est  très  variable,  et,  en  thèse  générale, 
chez  les  animaux  à  sang  chaud,  on  peut  admettre  une  heure  et  demie  à  deux  heures  et 
demie.  Bien  entendu,  la  température,  le  genre  de  mort  de  l'animal,  c'est-à-dire  la  fatigue 
préalable,  plus  ou  moins  grande,  et  l'accumulation  (immédiatement  avant  la  mort)  des 
déchets  de  la  combustion  musculaire  modifieront  beaucoup  cette  durée. 

Comme  il  s'agit  toujours  du  même  tissu,  fibre  musculaire,  il  ne  peut  être  question 
de  la  hiérarchie  unatomique;  mais  la  hiérarchie  zoologique  persiste.  Autrement  dit  chez 
certains  animaux  le  muscle  reste  vivant  très  longtemps,  tandis  que  chez  d'autres  la 
perle  de  toutes  les  fonctions  est  rapide.  Cependant  il  y  a  encore  une  sorte  de  hiérarchie 
anatomique,  puisque,  chez  le  même  animal,  il  y  a  une  différence  de  vitalité  entre  les 
divers  muscles;  les  fibres  cardiaques  étant  bien  plus  résistantes  que  celles  de  tout  autre 


S04  A  N  É  M  I  E.; 

muscle,  et  les  muscles  des  mâchoires  et  du  cou  perdant  leur  excitabilité  avant  les 
muscles  des  membres. 

L'irritabilité  variable  des  divers  muscles  a  été  anciennement  étudiée  par  Nysten. 

Quant  aux  modifications  électro-motrices  du  muscle  par  l'anémie,  A.  Waller  a  vu 
que  c'est  une  propriété  qui  disparait  bien  plus  tardivement  que  la  contractilité  {Force 
Électro-motrice  des  muscles  après  la  mort.  A.  P.,  1888,  p.  4j7). 

Le  retour  du  muscle  à  l'excitabitité  par  le  retour  du  sang  a  été  observé  il  y  a  déjà 
longtemps  par  Brown-Séquard,  et  bien  d'autres  physiologistes  l'ont  confirmé.  Au  moment 
où  se  rétabht  la  circulation  dans  le  muscle  anémié,  il  se  fait  de  petites  contractions  flbril- 
laires  dans  les  muscles,  contractions  qui  ne  paraissent  pas  dues  à  l'excitation  nerveuse; 
car  elles  persistent  même  quand  le  nerf  moteur  a  été  sectionné  (Mayer,  Hemmung  und 
Wiedei'stellung  des  Blutstromes  im  Kopfe,  Jb.  P.,  1878,  p.  19).  Heubel,  cité  par  Landois 
(T.  P.,  trad.  fr.,  1893,  p.  345),  a  pu  rétablir  les  battements  du  cœur  de  la  grenouille 
quatorze  heures  après  la  mort  par  la  circulation  de  sang  frais. 

On  rapprochera  d'ailleurs  les  mouvements  fibrillaires  que  produit  le  retour  du  sang 
dans  un  muscle  anémié  de  ces  douleurs  atroces  que  provoque  le  retour  du  sang  dans  un 
membre  anémié  par  la  bande  de  caoutchouc.  Au  moment  où  le  sang  revient,  il  se  pro- 
duit des  sensations  de  cuisson,  de  brûlure,  de  fourmillement,  qui  sont  vraiment  insup- 
portables. De  même  qu'il  y  a  une  hyperkinésie  et  une  hyperesthésie  de  début,  il  y  a  une 
hyperkinésie  et  une  hyperesthésie  de  retour. 

Nerfs  périphériques.  —  Les  effets  de  l'anémie  sur  les  nerfs  so^it  à  peu  près  les 
mêmes  que  sur  les  muscles;  mais  il  est  difficile  de  bien  étudier  ce  phénomène  sur  les 
nerfs  moteurs,  car  la  présence  des  terminaisons  motrices  et  des  cellules  musculaires  peut 
induire  en  erreur.  On  voit  d'abord  l'excitabilité  croître,  puis  décroître,  tout  à  fait 
comme  pour  le  muscle.  Claude  Bernard,  dans  son  Rapport  sur  les  progrés  de  la  Physio- 
logie en  France  (1867),  a  consigné  les  résultats  de  ses  importantes  recherches  (notes  32 
et  33,  p.  169)  ;  il  a  vu,  ainsi  que  Vulpian,  que  les  nerfs  sensitifs  conservaient  leur  fonction 
plus  longtemps  que  les  nerfs  moteurs,  ce  qui  ne  tient  probablement  pas  à  une  différence 
de  structure  intime,  mais  bien  à  ce  que,  dans  le  cas  de  soi-disant  paralysie  du  nerf 
moteur,  on  attribue  au  nerf  ce  qui  n'est  en  réalité  que  l'effet  de  l'altération  des  plaques 
terminales. 

.J'ai  répété  ces  expériences  en  les  modifiant,  et  j'ai  pu  constater  des  survies  plus  pro- 
longées encore  {Physiol.  des  muscles  et  des  nerfs,  1881,  p.  607).  Un  nerf  sensitif  de  gre- 
nouille, si  l'on  prend  soin  d'empêcher  le  dessèchement,  la  chaleur  et  les  altérations  mi- 
crobiennes, peut  rester  excitable  pendant  plus  de  4  jours,  étant  toujours  en  connexion 
avec  l'appareil  central  de  l'animal  qu'on  conserve  en  vie.  Sur  les  chiens  et  les  lapins  la 
survie  est  moins  longue,  mais  cependant  elle  dépasse  beaucoup  la  durée  de  la  survie  du 
muscle.  Voici  comnaent  on  peut  faire  l'expérience.  Sur  un  chien  engourdi  par  une  forte 
dose  de  chloral  et  de  morphine  (afin  de  ne  pas  trop  le  faire  souffrir  pendant  ce  long 
supplice),  on  pratique  la  section  complète  de  tout  le  membre,  en  respectant  le  fémur  et  le 
nerf  sciatique.  On  a  ainsi  réalisé  une  anémie  absolue.  Si  bien  endormi  que  soit  le  chien, 
on  peut  encore  le  réveiller  en  excitant  son  nerf  sciatique  par  des  courants  électriques 
forts,  et  ainsi  apprécier  si  le  nerf  est  encore  capable  de  conduire  les  excitations.  Or,  dans 
ces  conditions,  on  voit  la  vie  du  nerf  persister  plusieurs  heures.  Dans  un  cas,  les  muscles 
d'un  chien  ont  cessé  d'être  excitables  deux  heures  et  demie  après  l'anémie,  tandis  que  les 
pulpes  digitales,  étant  pressées  par  une  pince,  faisaient  encore  souffrir  l'animal.  Dans 
une  expérience,  faite  tout  récemment  sur  un  lapin,  j'ai  vu  que  la  patte  anémiée  était 
encore  sensible  7  heures  après  l'anémie,  tandis  qu'elle  avait  perdu  toute  sensibilité 
8  heures  et  demie  après. 

Nous  sommes  par  ces  expériences  conduits  à  penser  que  le  nerf  périphérique  est 
un  des  tissus  qui  résistent  le  mieux  à  la  privation  de  sang,  et  qu'il  peut  survivre  deux 
ou  trois  fois  plus  de  temps  que  le  muscle.  11  faut  rapprocher  ce  fait  intéressant  de  ce 
que  les  physiologistes  contemporains  ont  si  bien  étudié  sous  le  nom  de  Yinfatigabilité 
des  nerfs.  Le  nerf  optique  conduit  les  excitations  rétiniennes  sans  jamais  se  fatiguer, 
le  nerf  pneumogastrique  envoie  sans  relâche  au  cœur  son  courant  nerveux  modérateur. 
BowDiTCH,  en  excitant  pendant  plusieurs  heures  un  nerf  sensitif,  n'a  pas  pu  trouver 
après  4  heures  de  trace  d'épuisement  (UnermMd/ic/ifteif  der  Sàugethiernerven,  A.Db.,  1890, 


ANEMIE.  505 

p.  oOo);  A.  SzANA  {UnermûdL  der  Nenen,  A.  Db.,  1890,  p.  31b);  Wedenski,  par  d'ingénieuses 
méthodes  est  arrivé  au  même  résultat  (C  W.,  1884,  n°  5)  ;  voyez  aussi  Fredericq  et 
NuEL  (T.  P.,  (2),  p.  11,  1'=  éd.);  Lambert  {Th.  de  doct.  de  Nancy.  1894). 

Si  nous  indiquons  ces  résultats  pour  le  nerf  sensitif  seulement,  c'est  qu'on  n'a  pas  le 
moyen  d'analyser,  aussi  longtemps,  les  réactions  du  nerf  moteur,  puisque  le  muscle  est 
paralysé.  Mais  d'Arsonval  a  fait  une  élégante  expérience  qui  montre  que  sans  doute 
dans  le  nerf  moteur  les  propriétés  nerveuses  ne  sont  pas  abolies  par  l'anémie  aussi 
vite  qu'on  pourrait  le  croire,  si  l'on  s'en  rapportait  uniquement  à  la  contraction  muscu- 
laire apparente.  En  elïet,  en  excitant  le  nerf  moteur  par  un  courant  électrique,  et  en 
écoutant  au  téléphone  les  bruits  donnés  par  le  muscle  que  ce  nerf  anime,  quoiqu'il  n'y 
ait  pas  de  contraction  visible,  on  entend  très  nettement  une  sorte  de  bruit  musculaire 
se  produire  tout  le  temps  que  dure  l'excitation  du  nerf. 

Pour  les  autres  tissus  et  organes,  les  effets  de  l'anémie  ont  été  à  peine  étudiés.  On  a 
essayé  de  faire  circuler  du  sérum  artificiel  à  travers  les  reins,  et  on  a  vu  certaines 
actions  chimiques  se  produire,  n'ayant  qu'un  rapport  très  lointain  avec  la  sécrétion 
urinaire.  De  même,  j'ai  pu  montrer  que  le  foie,  soustrait  à  l'organisme  et  à  la  circula- 
tion, continue  à  produire  de  l'urée,  môme  quand  on  le  prive  d'oxygène  (C.  R.,  mai  1894, 
t.  cxvHi,  p.  1125).  Enfin,  pour  certaines  cellules,  comme  les  cils  vibratiles,  on  voit  le  mou- 
vement continuer  pendant  longtemps,  même  pendant  plusieurs  jours,  alors  qu'il  n'  y  a 
plus  trace  de  circulation.  D'ailleurs  les  nombreux  exemples  de  transplantation  et  de 
greffe,  pour  des  fragments  de  peau  ou  des  dents,  ou  des  lambeaux  de  périoste,  prou- 
vent bien  que  les  tissus  peuvent  vivre  quelque  temps,  même  sans  circulation  sanguine. 
11  est  inutile  de  rapporter  à  ce  propos  la  célèbre  expérience  de  Vulpian  sur  la  queue  du 
têtard  (C.  R.,  t.  xlvhi,  p.  807). 

Résumé.  —  Nous  pouvons  alors  nous  faire  quelque  idée  sur  la  nature  de  l'action  du 
sang.  Avant  tout  nous  devons  repousser  cette  idée  que  le  sang  est  immédiatement  néces- 
saire à  la  vie  d'une  cellule.  Non,  assurément;  et  chaque  cellule  vit  par  elle-même;  non  seu- 
lement la  cellule  du  nerf  sensitif  ou  la  cellule  vibratile,  mais  même  la  cellule  nerveuse 
psychique,  si  altérable.  Les  unes  et  les  autres,  en  agissant,  font  des  opérations  chi- 
miques, condition  de  leur  énergie,  qui  détruisent  certaines  substances  utiles  ou  plutôt 
produisent  des  substances  toxiques.  La  mort  par  l'anémie  équivaut  donc  à  une  sorte 
d'intoxication,  comme  d'ailleurs  la  mort  par  l'asphyxie.  Le  sang  remédie  à  cet  empoison- 
nement, non  pas  tant  en  enlevant  la  substance  toxique  qu'en  mettant  la  cellule  en  pré- 
sence d'une  certaine  quantité  d'oxygène  qui  décompose  le  produit  toxique  formé,  de 
sorte  que  le  sang  asphyxique  n'a  aucun  effet  réparateur,  alors  que  le  sang  oxygéné  est 
efficace. 

La  vie  consiste  donc  en  une  série  de  décompositions  dont  le  premier  terme  est  une 
substance  toxique,  qui  est  détruite  par  l'oxygène.  Les  produits  de  cette  oxydation  passent 
dans  le  sang  et  sont  éliminés.  De  là,  pour  l'intégrité  de  l'organe,  la  nécessité  d'un  cou- 
rant circulatoire,  qui  apporte  de  l'oxygène,  et  enlève  les  produits  de  dénutrition. 

Autrement  dit  encore,  pour  prendre  une  comparaison  que  tout  le  monde  comprendra, 
la  cellule  vit  dans  le  sang,  comme  le  microbe  vit  dans  un  bouillon  de  culture.  Une 
expérience  classique  de  Schutzenberger  établit  bien  cette  analogie.  Il  fait  circuler  du  sang 
chargé  d'hémoglobine  dans  un  tube  membraneux  perméable,  au  milieu  d'un  liquide  où 
végète  la  levure  de  bière.  Celle-ci  prend  l'oxygène  au  sang  qui  circule,  et  poursuit  sa 
végétation.  C'est  de  cette  manière  que  vivent  les  cellules  de  nos  tissus. 

On  conçoit  alors  que,  suivant  l'intensité  de  leur  existence  individuelle,  les  cellules 
meurent  plus  ou  moins  vite  quand  elles  sont  privées  de  sang. 

C'est  qu'elles  ont,  par  leur  activité  chimique  plus  ou  moins  intense,  produit  plus  ou 
moins  vite  les  substances  toxiques  qui  vont  abolir  leur  fonction.  Aussi  la  principale  cause 
de  la  mort  plus  ou  moins  rapide  par  l'anémie  paraît-elle  être  une  activité  différente 
dans  les  phénomènes  chimiques  intimes. 

Mais  il  y  a  sans  doute  une  autre  cause  ;  c'est  la  résistance  variable  de  la  cellule  à 
l'empoisonnement.  De  même  que  le  chloroforme,  disséminé  à  dose  égale  dans  les  diverses 
cellules,  fait  mourir  les  unes,  alors  qu'il  modifie  à  peine  la  vie  des  autres,  de  même  le 
poison  intra-cellulaire,  qui  s'accumule  par  le  fait  de  l'anémie,  tue  à  des  doses  différentes 
les  différentes  cellules. 


306  ANESTHESIE. 

Production  variable  de  la  substance  toxique,  sensibilité  variable  à  l'action  de  cette 
substance  ;  telles  sont  les  deux  causes  qui  modifient  la  résistance  variable  des  tissus  à 
l'anémie. 

Il  est  d'ailleurs  évident  que  c'est  là  une  hypothèse;  et  que,  pour  expliquer  les  effets 
de  l'anémie,  on  pourrait  tout  aussi  bien  admettre  la  destruction  plus  ou  moins  rapide, 
soit  de  l'oxygène  même,  soit  d'une  autre  substance  nécessaire  à  la  cellule,  et  plus  ou 
moins  abondante  dans  son  protoplasme. 

CHARLES   RICHET. 

ANESTHESIE.  —  Le  mot  Anesthésie  (à  atcrGTjai;)  désigne  d'une  manière 
générale  les  suppressions,  les  altérations  de  la  sensibilité  consciente.  Cependant  il  n'est  pas 
appliqué  d'ordinaire  aux  troubles  de  certaines  sensibilités  spéciales,  vue,  ouïe,  odorat;  mais 
il  est  réservé  aux  altérations  de  la  sensibilité  générale  qui  est  répartie  sur  toute  la  surface 
du  corps.  Même  ainsi  restreinte,  cette  expression  est  encore  fort  complexe  :  d'une  part 
les  sensations  rapportées  à  la  sensibilité  générale  sont  très  variées,  tact,  douleur,  sensa- 
tion de  température,  de  pression,  etc.,  d'autre  part,  les  organes  qui  contribuent  à  for- 
mer la  sensation  sont  très  nombreux,  et  chacun  d'eux,  suivant  ses  altérations,  peut  donner 
naissance  à  une  forme  d'anesthésie  particulière.  L'énumération  des  principales  variétés 
de  l'anesthésie  ne  peut  guère  être  ici  que  l'indication  des  nombreux  problèmes  soulevés 
par  l'étude  de  la  sensation  consciente  et  de  ses  altérations.  Les  recherches  particulières 
sur  les  lésions  de  tel  ou  tel»  organe  seront  signalées  dans  cet  ouvrage  'à  propos  de  chacun 
d'eux  ;  nous  insisterons  surtout  sur  le  caractère  psychologique  des  anesthésies,  sur  la 
lacune  plus  ou  moins  grave  qu'elles  déterminent  dans  la  conscience. 

Anesthésies  périphériques.  —  Elles  sont  produites  par  la  lésion  de  l'un  des  appa- 
reils qui  ont  pour  fonction  de  conduire  aux  centres  et  surtout  à  l'écorce  cérébrale  les  im- 
pressions extérieures.  A  la  périphérie  cutanée  se  trouvent  une  série  de  petits  organes, 
corpuscules  de  Krause,  de  Meissneb,  de  Paoini,  destinés  à  renforcer  et  à  préciser 
les  impressions  tactiles,  il  est  donc  évident  que  dans  certaines  maladies  du  tégument 
on  rencontrera  des  altérations  de  ces  organes,  et  par  suite  des  troubles  de  la  sensibilité. 
On  les  a  souvent  décrits,  sans  bien  préciser  leur  nature,  dans  la  lèpre,  le  mal  perforant, 
l'eczéma,  le  psoriasis  le  lichen,  etc.  Les  troubles  de  la  sensibilité  dans  le  tabès  relèvent 
en  partie  de  cette  cause. 

Les  nerfs  sont  les  conducteurs  nécessaires  qui  transmettent  les  impressions  reçues 
par  les  organes  du  tact,  et  leurs  altérations  donneront  naissance  à  une  deuxième  variété 
d'anesthésie  périphérique.  Certaines  substances  stupéfient  localement  la  sensibilité  en 
agissant  sur  les  dernières  ramifications  des  nerfs,  par  exemple  la  cocaïne  (Voyez  Anes- 
thésiques).  D'autres  substances,  comme  le  phénol,  produisent  d'abord  une  excitation 
violente  caractérisée  par  de  rh3'peresthésie  et  elles  semblent  ne  produire  l'anesthésie 
que  par  une  destruction  du  tissu  nerveux.  Le  froid  enlève  d'abord  la  sensation  de 
douleur,  puis  celle  de  contact,  comme  les  substances  précédentes,  il  produit  une  hyperes- 
thésie  avant  de  rendre  la  région  insensible.  L'anémie  des  tissus  produit  aussi  au  début 
une  hyperesthésie  ;  l'anesthésie  ne  vient  que  plus  tard  lorsque  les  parties  malades 
sont  absolument  privées  de  sang.  Enfin  nous  retrouverons  la  même  succession  de  phéno- 
mènes dans  les  cas  de  compression  des  troncs  nerveux,  dans  lesquels  on  voit  se  succéder 
régulièrement  certains  stades  d'hyperesthésie  et  d'anesthésie  bien  étudiés  par  Vulpian, 
Basiien,  SouLiÉ,  Khishaber,  Morel,  Laborde,  Ce.  Richet  {Recherches  expérimentales  et  cli- 
niques sur  la  sensibilité,  D.  P.,  1877,  p.  109). 

La  section  des  nerfs  semble  être  le  procédé  le  plus  radical  pour  déterminer  des  anes- 
thésies bien  nettes,  et  cependant  la  région  innervée  par  le  nerf  sectionné  est  loin  d'être 
absolument  insensible,  la  sensibilité  y  semble  diminuée,  engourdie,  plutôt  que  suppri- 
mée. C'est  que,  ainsi  que  l'a  montré  A.  Richet  en  étudiant  les  effets  immédiats  des 
sutures  nerveuses  (1874),  les  différents  nerfs  d'un  membre  s'anastomosent  surtout  à  leur 
extrémité  et  se  suppléent  les  uns  les  autres.  Ce  fait  est  l'origine  des  difficultés  que  l'on 
rencontre  dans  l'interprétation  des  phénomènes  consécutifs  aux  sutures  nerveuses. 
Cependant  on  a  pu  déterminer,  au  moins  d'une  façon  approximative,  la  distribution  sen- 
sorielle des  nerfs  spinaux  d'après  la  localisation  des  anesthésies  consécutives  à  leur  sec- 
tion. Parmi  les  études  récentes  sur  cette  question,  nous  citerons  les  travaux  de  Head,  de 


ANESTHESIE.  507 

Mackensie,  de  Sherrington,  résumés  dans  un  article  de  \V.  Thorburn',  Brain,  1893,  p.  3a.ï 
(Voyez  Nerfs). 

Les  lésions  de  la  moelle  épinière,  ce  conducteur  principal  des  impressions  périphé- 
riques produisent  des  troubles  de  la  sensibilité,  mais  en  général  les  modifications  du 
mouvement  sont  plus  nettes  que  celles  de  la  sensibilité.  Sauf  dans  quelques  cas  par- 
ticuliers que  nous  ne  pouvons  étudier  ici,  tels  que  l'hémisection  de  la  moelle  et  l'anes- 
thésie  croisée  caractéristique  du  syndrome  de  Brown-Séquard,  les  physiologistes  ne 
sont  guère  d'accord  sur  les  effets  des  sections  partielles  de  la  moelle  (Beaunis,  T.  P., 
1888,  t.  n,  p.  690).  La  'clinique  cependant  permet  de  constater  des  anesthésies  dont  la 
localisation  est  très  nette,  consécutives  à  des  lésions  de  la  moelle  (W.  Hale  White,  On 
the  exact  sensory  defects  -produced  by  a  localised  lésion  of  the  spinal  cord.  Brain,  1895,  37o) 
(Voyez  Moelle  épinière). 

Enfin  on  sait  que  certaines  parties  du  cerveau  jouent  le  rôle  de  conducteurs  des 
impressions  de  la  périphérie  à  l'écorce  (J.  Soury,  le  faisceau  sensitif.  Bev.  génér.  des 
sciences,  1894,  p.  190),  et  l'on  peut  considérer  également  comme  des. anesthésies  péri- 
phériques celles  qui  sont  déterminées  par  les  lésions  du  pied  du  pédoncule  cérébral  ou  de 
la  région  postérieure,  lenticulo-optique,  de  la  capsule  interne  (Charoot,  Leçons  sur  les 
localisations,  1887,  p.  107)  (Voyez  Cerveau). 

Toutes  ces  anesthésies  périphériques  diffèrent  évidemment  dans  leur  siège,  dans  leur 
importance,  dans  leurs  conséquences,  suivant  que  la  lésion  porte  sur  tel  ou  tel  organe; 
mais  elles  présentent  cependant  un  certain  nombre  de  caractères  analogues. 

1°  Ces  anesthésies  périphériques  présentent  souvent  un  caractère  intéressant,  elles 
peuvent  être  dissociées,  c'est-à-dire  qu'elles  peuvent  porter  spécialement  sur  tel  ou  tel 
mode  de  la  sensibilité  tactile.  On  observe  des  malades  dont  un  membre  est  insensible  à 
la  température  et  à  la  douleur,  mais  a  conservé  au  même  endroit  la  sensation  de  toucher 
proprement  dit;  il  en  est  fréquemment  ainsi  dans  la  syringomyélie.  On  constate  fré- 
quemment la  perte  isolée  de  la  sensation  kinesthésique  ou  musculaire,  le  fait  a  été 
observé  depuis  longtemps  dans  le  tabès  et  plus  récemment  au  cours  de  maladies  infec- 
tieuses (L.  VaniNi,  Riv.  sper.  di  fren.  e  di  med.  leg.,  t.  xix,  pp.  2  et  3  :  Semaine  médicale , 
1893,  p.  î)S9);  enfin  il  n'est  pas  rare  d'observer  la  perte  du  sentiment  de  la  douleur  avec 
conservation  en  apparence  complète  des  autres  sensibilités. 

Des  faits  de  ce  genre  doivent  être  observés  avec  soin;  car  ils  fournissent  des  enseigne- 
ments précieux  sur  une  question  encore  controversée,  sur  la  multiplicité  des  organes  et 
des  nerfs  en  rapport  avec  la  sensibilité  générale.  Beaucoup  de  physiologistes  ont  conclu 
de  ces  faits  qu'il  existait  autant  d'organes  terminaux  et  de  nerfs  distincts  que  nous  éprou- 
vions de  sensibilités  différentes  capables  de  subsister  isolément.  D'après  leur  interpréta- 
tion, si  on  plouge  la  main  dans  un  liquide  à  60°,  la  souffrance  consécutive  n'est  pas  le 
résultat  d'une  excitation  plus  forte  des  nerfs  sensibles  à  la  température  normale,  mais  à 
l'excitation  d'un  système  particulier  de  fibres  qu'un  liquide  à  30°  aurait  été  incapable 
d'exciter.  Ce  système  particulier  pourrait  être  paralysé  isolément  et  donner  naissance  à 
une  insensibilité  à  la  douleur  thermique,  à  une  thermo-analgésie,  sans  que  les  autres 
sensibilités  pour  le  contact,  pour  la  pression,  soient  atteintes. 

Cette  hypothèse  est  probablement  juste  en  grande  partie.  On  sait  que  les  terminai- 
sons nerveuses  cutanées  sont  distinctes  et  qu'elles  ont  probablement  des  fonctions  diffé- 
rentes. Les  terminaisons  libres  inlra-dermiques  joueraient  le  rôle  capital  dans  les  sensa- 
tions de  température;  les  organes  de  Klein  et  de  Golgi  qui  siègent  dans  les  tendons 
auraient  le  même  caractère  pour  le  sens  musculaire;  les  corpuscules  de  Pacini  recueille- 
raient les  sensations  de  pression,  elles  corpuscules  deMeissNERet  deKRAUSE,  les  sensations 
tactiles  proprement  dites  (ViaultcI  Jolyet,  T.  P.,  p.  656).  Quelques  faits  ont  même  conduit 
certains  auteurs  à  distinguer  les  fonctions  de  certaines  fibres  nerveuses  et.de  certaines 
portions  de  la  moelle  :  dans  la  syringomj'élie,  par  exemple,  les  fibres  qui  transmettent 
les  impressions  thermiques  seraient  particulièrement  atteintes  à  cause  de  leur  position 
centrale  dans  la  moelle. 

Ces  conclusions,  les  dernières  surtout,  doivent  être  discutées  avec  précision  :  il  ne  faut 
pas  oublier  que  les  variétés  de  nos  sensations  dépendent  aussi  de  la  manière  dont  l'agent 
extérieur  agit  sur  les  extrémités  nerveuses,  des  centres  auxquels  se  rendent  les  nerfs  et 
surtout  des  réflexes  différents  associe's  avec  telle  ou  telle  excitation.  En  effet,  ces  réflexes 


508 


ANESTHESIE. 


variés,  très  nombreux,  provoquent,  dans  toutes  les  parties  du  corps,  des  coalractions,  des 
mouvements,  des  sécrétions;  ces  phénomènes  ne  passent  pas  tous  inaperçus,  ils  sont 
sentis  d'une  façon  plus  ou  moins  vague,  et  ces  sensations  secondaires  s'associent  avec  la 
sensation  primitive  pour  constituer  une  émotion,  une  douleur,  un  plaisir;  en  un  mot 
pour  donner  à  cette  sensation  une  nuance  particulière.  Ces  phénomènes  secondaires 
peuvent  être  altérés  de  bien  des  manières  et  donner  lieu  à  des  anesthésies  particulières 
qui  ne  dépendent  pas  toujours  de  la  lésion  d'un  organe  périphérique  parfaitement  isolé 
des  autres.  De  telles  précautions  sont  surtout  indispensables  quand  il  s'agit  de  la  disso- 
ciation des  sensibilités  chez  les  hystériques,  car  bien  souventces  dissociations  dépendent 
bien  plutôt  de  troubles  centraux  cérébraux  que  de  troubles  périphériques.  On  peut  con- 
sulter sur  ce  problème  le  travail  déjà  ancien  de  Diedlafoy,  article  Douleur  dans  le  Nou- 
veau dictionnaire  de  médecine  et  de  chirurgie  pratiques,  p.  xi,  t8fi9;  Ch.  Richet,  op. 
cit.  pp.  206,  234;  Goldschrider,  Neue  Thatsachen  ueber  die  Hautsinnesnerven.  A.  V., 
1883;  Dana,  Semaine  médicale,  1893,  p.  375;  Bourdon,  Sensation  de  plaisir.  Revue  phi- 
losophique, 1893,  t.  II,  p.  229;  Max  Dessoir,  Monographie  sur  le  sens  du  toucher.  A.  Db., 
1892,  p.  340. 

2°  Ces  anesthésies  sont  générales,  elles  suppriment  toute  une  catégorie  de  sensations 
provenant  de  tel  ou  tel  organe.  Il  n'est  pas  admissible,  par  exemple,  que,  dans  une 
anesthésie  du  bras  produite  par  section  des  nerfs,  le  contact  de  tel  objet  particulier  soit 
senti,  tandis  que  le  contact  de  tel  autre  ne  l'est  pas,  que  la  température  d'un  objet  soit 
distinguée,  et  non  celle  d'un  autre.  On  ne  rencontre  pas  dans  l'anestbésie  périphérique 
les  systématisations  délicates  qui  vont  caractériser  certaines  anesthésies  centrales. 

3°  La  localisation  de  ces  anesthésies  est  en  général  assez  vague,  et  il  est  difficile,  à 
cause  des  innombrables  anastomoses  nerveuses,  de  délimiter  exactement  la  région  insen- 
sible. A  la  suite  des  lésions  radiculaires  ou 
médullaires,  la  localisation  de  l'auesthésie 
est  plus  nette,  elle  présente  alors  un  grand 
caractère,  elle  est  anatomique.  L'étendue 
et  la  configuration  de  la  région  anesthésiée 
dépend  rigoureusement  de  la  répartition 
des  filets  nerveux  telle  qu'elle  est  constatée 
par  l'anatomie.  Par  exemple,  dans  les  lé- 
sions du  plexus  brachial,  l'anestbésie  cuta- 
née s'étendra  sur  les  mains  et  sur  l'avant- 
bras  et  se  limitera  en  avant  par  une  ligne 
qui  atteint  à  peine  la  partie  moyenne  du 
bras  ;  en  arrière  elle  ne  dépassera  pas  la 
région  du  coude;  en  un  mot  elle  respectera 
la  région  de  l'épaule  qui  est  innervée  par  le 
plexus  cervical  (fig.  43).  Charcot,  Ma/,  dw  sys- 
tème nerveux,  1887,  t.  m,  p.  309,  et  Klijmpke, 
Les  paralysies  radicidaires  du  plexus  bra- 
chial {Revue  de  médecine,  1885,  p.  604).  De 
même,  dans  les  lésions  des  nerfs  de  la 
queue  de  cheval,  dans  les  myélites  trans- 
verses, les  anesthésies  ont  une  répartition 
étroitement  en  rapport  avec  le  nerf  atteint, 
avec  la  hauteur  de  la  lésion  ou  de  la  com- 
pression médullaire  (Qg.  44).  Voir  des  exem- 
ples dans  l'ouvrage  de  Souques,  Études  sur 
les  syndromes  hystériques  simulateurs  des 
maladies  organiques  de  la  moelle  épinièrc, 
1891).  Il  en  est  ainsi  dans  toutes  les  anesthésies  d'origine  périphérique. 

4°  Ces  anesthésies  peuvent  être  plus  ou  moins  complètes,  et  l'on  a  vu  que  dans  les 
sections  nerveuses  elles  laissent  presque  toujours  subsister  quelque  sensations,  mais  du 
moins  elles  sont  toujours  absolues.  La  sensation  perdue  est  bien  réellement  perdue; 
elle  n'existe  plus  dans  l'esprit  et  ne  peut  être  retrouvée,  au  moins  pendant  un  certain 


FiG.  44.  —  Répartition  de  l'anesthésie  dans  i 
de  lésion  du  plexus  brachial. 

Zones  d'anesthésie. 

.-;::;;;:  Zone  d'hypoesthésie. 


ANESTHESIE. 


509 


FiG.  45.  —  Répartition  de  l'anesthé- 
sie  dans  un  cas  de  myélite  trans- 
verse. 


temps.  II  en  résulte  des  troubles  profonds  dans  les  phénomènes  physiologiques  et  psycho- 
logiques. Ces  anesthésies  périphériques  existent  rarement  sans  être  accompagnées  par 
des  altérations  de  la  motililé,  des  troubles  dans  le  fonctionnement  des  sphincters,  des 
modifications  des  réflexes.  Elles  donnent  lieu  à  bien  des  douleurs  plus  ou  moins  péni- 
bles :  des  hyperesthésies  les  précèdent,  les  suivent,  et 
souvent  persistent  autour  de  la  zone  insensible;  des 
engourdissements,  des  fourmillements  sont  ressentis  sur 
la  région  atteinte.  En  outre,  les  malades  se  rendent 
compte  de  la  lacune  de  leur  sensibilité,  et  ils  en  souf- 
frent. On  connaît,  par  exemple,  ce  symptôme  particulier 
du  tabès  que  CH.iRCOT  a  été  l'un  des  premiers  à  décrire 
et  qu'il  a  appelé  le  masque  tabétique.  Les  malades  per- 
dent la  sensibilité  d'une  partie  plus  ou  moins  étendue 
de  la  face,  mais  ils  s'en  rendent  compte  subjectivement 
et  déclarent  éprouver  à  ce  propos  un  sentiment  horrible. 

S"  Ces  anesthésies  laissent  toujours  subsister,  intactes 
dans  la  conscience,  les  souvenirs,  les  images  de  la  sen- 
sibilité perdue.  Le  malade  dans  ses  rêves  possède  encore 
cette  sensation  qu'il  ne  peut  plus  éprouver  pendant  la 
veille.  La  conservation  des  souvenirs  lui  permet  de 
comparer  le  passé  avec  le  présent,  de  se  rendre  compte 
de  son  insensibilité  et  d'en  souffrir.  Ces  caractères  nous 
semblent  les  plus  importants,  non  pour  étudier  les  anes- 
thésies périphériques  en  elles-mêmes,  mais  pour  les 
comparer  aux  anesthésies  centrales  qui  sont  loin  de  se 
présenter  de  la  même  manière.  En  effet  la  lésion  ou 

la  destruction  d'un  nerf  périphérique  n'abolit  pas  la  notion  consciente  de  la  région 
insensible.  Un  individu  dont  le  nerf  sciatique  a  été  coupé  perçoit  encore  des  sensa- 
tions qu'il  rapporte  à  la  périphérie,  quoique  la  périphérie  soit  insensible.  Les  am- 
putés croit  sentir  dans  le  membre  absent  de  vives  douleurs.  De  même  qu'en  électrisant 
le  tronc  d'un  nerf,  on  provoque  des  sensations  qui  sont  rapportées  à  l'extrémité  du  mem- 
bre innervé;  de  même  les  douleurs  qui  se  produisent  dans  le  moignon  d'un  membre 
paraissent  siéger  à  l'extrémité  du  membre  absent.  Certaines  névralgies  (anesthésies  dou- 
loureuses) coïncident  avec  l'anesthésie  totale  de  la  région  qui  paraît  douloureuse 
(Voyez  Nerfs). 

Anesthésies  centrales.  —  Les  altérations  des  centres  supérieurs  du  cerveau, 
qu'elles  soient  organiques,  c'est-à-dire  visibles,  ou  simplement  fonctionnelles,  c'est-à-dire 
encore  inaccessibles  aux  observations  anatomiques,  se  traduisent  par  des  modifications 
des  phénomènes  psychologiques.  On  ne  peut  comprendre  des  anesthésies  dues  à  ces 
lésions  qu'en  examinant  les  différentes  opérations  psychologiques  qui  nous  permettent 
d'avoir  conscience  des  impressions  extérieures. 

1 .  Anesthésie  par  défaut  de  sensation.  —  Dans  certains  cas,  malgré  l'intégrité  des  con- 
ducteurs, le  phénomène  physiologique  qui  donne  naissance  aux  sensations  ne  se  produit 
pas.  Cela  arrive,  par  exemple,  quand  le  fonctionnement  des  cellules  cérébrales  est  sup- 
primé ou  arrêté,  soit  par  absence  de  l'irrigation  sanguine,  soit  par  défaut  d'oxygène,  ou 
d'une  manière  générale  à  la  suite  d'une  intoxication.  Ces  anesthésies  consécutives  à  des 
intoxications  sont  d'ordinaire  accompagnées  par  une  perturbation  générale  de  tous  les  phé- 
nomènes psychologiques.  La  sensation  ne  disparait  pas  isolément;  elle  s'éteint  avec  toutes 
les  autres  manifestations  psychiques  (Voyez  Anesthésiques).  Dans  d'autres  cas  plus  intéres- 
sants, et  dont  l'étude  toute  récente  est  loin  d'être  achevée,  certaines  sensations  disparaiî^sent 
isolément,  parce  que  les  centres  nerveux  où  se  trouvaient  leurs  conditions  d'existence  ont 
été  supprimés.  Les  lésions  corticales,  accidentelles  ou  expérimentales,  provoquent,  non 
seulement  des  paralysies,  mais  également  des  anesthésies.  Le  fait  est  incontestable  pour 
les  sens  spéciaux,  et  certaines  lésions  de  l'écorce  ont  provoqué  chez  des  animaux  des 
hémiopies,des  cécités  très  nettes.  Il  en  est  de  même  pour  la  sensibilité  générale  :  «  i\ous 
espérons  prouver,  disait  Tripier  en  1880,  que,  chez  l'homme  aussi,  les  lésions  de  ces 
mêmes  parties  (c'est-à-dire  des  couches  corticales  de  la  zone  motrice)  donnent  lieu,  non 


510 


ANESTHESIE. 


seulement  à  des  troubles  de  la  mobilité  mais  aussi  à  une  diminution  de  la  sensibilité*.  » 
L'hémianesthésie  accompagne  presque  toujours  l'hémiplégie  d'origine  corticale,  ainsi 
que  l'ont  montré  les  observations  de  Tripier,  de  Grasset,  de  Ballet-,  les  expériences  de 
ScHTFF,  HiTziG,  Mdnk,  Esner,  TAMBDRl^'I,  LuGUNi,  Bechterew,  elc,  qui  sont  résumées  et 
discutées  dans  l'ouvrage  récent  de  Soury^  (Voyez  Cerveau).  Ces  phénomènes  sont  encore  in- 
suffisamment connus  pour  que  l'on  puisse  déterminer  les  caractères  psychologiques  des 
anesthésies  ainsi  produites;  nous  signalerons  seulement  un  problème  intéressant.  D'après 
un  certain  nombre  d'observations,  il  semble  que,  à  l'inverse  des  anesthésies  périphé- 
ques,  ces  anesthésies  par  destruction  des  centres  corticaux  s'accompagnent  le  plus  sou- 
vent d'une  amnésie.  Les  images  seraient  perdues  en  même  temps  que  les  sensations; 
cette  remarque,  si  elle  était  juste,  serait  favorable  à  l'hypothèse  qui  assigne  le  même 
siège  aux  images  et  aux  sensations.  Certains  faits  cependant  paraissent  contradictoires, 
et  quelques  auteurs  séparent  les  parties  de  l'écorce  qui  président  aux  sensations  visuelles 
et  celles  qui  donnent  naissance  aux  images  visuelles.  Il  serait  donc  nécessaire  dans  les 
observations  de  ce  genre  de  noter  exactement  si  les  souvenirs  et  les  rêves  ont  subi  la 
même  altération  que  les  sensations. 

2.  Anesthésie par  défaut  d'assimilation.  —  Un  second  groupe  d'anesthésies  centrales  est 
un  peu  mieux  connu;  il  nous  paraît  important;  car  il  renferme  des  phénomènes  très  fré- 
quents qui  viennent  souvent  compliquer 
l'étude  des  autres  insensibilités.  Certaines 
anesthésies  qui  se  rencontrent  dans  des 
circonstances  bien  différentes,  pendant  la 
distraction  de  l'homme  normal,  dans  les 
intoxications  légères,  dans  les  névroses  et 
surtout  dans  l'hystérie,  ont  des  caractères 
nettement  différents  de  ceux  qui  viennent 
d'être  constatés.  Ces  anesthésies  sont  sou- 
vent systématiques,  «  elles  ne  portent  pas 
sur  toutes  les  sensations  provenant  de  l'ex- 
citation d'un  certain  sens  ou  d'un  certain 
point  du  corps,  mais  sur  un  groupe  de 
sensations  formant  un  système,  en  laissant 
parvenir  à  la  conscience  la  connaissance  de 
tous  les  autres  phénomènes  qui  impres- 
sionnent ce  même  sens  ou  ce  même  point 
de  la  surface  cutanée.  Une  somnambule, 
par  exemple,  ne  peut  sentir  qu'une  certaine 
catégorie,  un  certain  système  d'objets  en 
rapport  avec  son  rêve;  mais,  quoiqu'elle 
ait  les  sens  ouverts  pour  ces  objets-là,  elle 
semble  insensible  pour  tous  les  autres.  « 
Quand  ces  anesthésies  sont  localisées,  leur 
répartition  ne  correspond  évidemment  pas 
à  des  régions  anatomiquement  distinctes, 
c'est  le  bras  tout  entier,  dans  le  sens  vul- 
gaire, populaire,  du  mot,  y  compris  la  région  de  l'épaule,  qui  est  anesthésique.etnonle  ter- 
ritoire innervé  par  le  plexus  brachial  (fig.  4o)  '>  ;  les  idées  vulgaires  que  nous  nous  faisons 
de  nos  organes  semblent  déterminer  cette  répartition.  Quand  ces  anesthésies  sont  géné- 
rales, elle  peuvent  exister  sans  produire  aucune  perturbation  notable  dans  les  fonctions  de 
nutrition,  dans  les  mouvements,  dans  les  réflexes.  En  outre  cette  insensibilité  n'est  pas 


Fig.  46.  —  Répartition  de  l'anesthésie 
dans  un  cas  de  monoplégie  brachiale  h3'stérique. 


1.  R.  Tripier.  Recherches  cliniques  et  expérimentales  sur  l'anesthésie  produite  par  les  lésions 
des  circonvolutions  cérébrales  {Revue  mensuelle  de  7nédecine,  1880). 

2.  G.  Ballet.  Recherches  anatomiques  et  cliniques  sur  le  faisceau  sensitif  et  les  troubles  de 
la  sensibilité  dans  les  lésions  du  cerveau,  1881. 

.3.  J.  SoiiRY.  Les  fonctions  du  cerveau,  doctrines  de  V école  de   Strasbourg  et   de  l'école  Ita- 
lienne, i^n.  .  •    . 

i.  Charcot.  Maladies  du  système  nerveux,  t.  m,  p.  347. 


ANESTHÉSIE.  SU 

appréciée  par  le  sujet,  elle  lui  est  indifférenle,  et  passe  le  plus  souvent  inaperçue,  au  lieu 
de  provoquer  les  engourdissements  et  la  gêne  qui  accompagnent  l'anesthésie  périphé- 
rique. On  sait  par  exemple  l'impression  très  pénible  que  l'on  éprouve  après  un  badi- 
geonnage  du  pharynx  avec  une  solution  de  cocaïne;  les  hystériques  cependant  ont 
souvent  le  pharynx  bien  plus  insensible  et  ne  s'en  aperçoivent  même  pas.  Ajoutons 
encore  que  ces  anesthésies  sont  mobiles  :  sous  diverses  influences,  en  particulier  à  la 
suite  d'un  effort  d'attention,  elles  disparaissent  momentanément  ou  changent  leur  loca- 
lisation avec  la  plus  grande  facilité.  Enfin  nous  avons  essayé  de  mettre  en  lumière  un 
dernier  caractère  très  important';  ces  anesthésies  sont  coyitradictoir  es.  Au  moment  même 
où  elles  semblent  être  complètes,  au  moment  même  oii  le  sujet  affirme  sincèrement 
qu'il  ne  sent  rien,  on  constate  une  quantité  de  mouvements  et  d'actions  en  rapport  avec 
cette  sensation  disparue  qui  prouvent  son  existence.  Des  faits  de  ce  genre  avaient  été 
bien  souvent  remarque's,  et  avaient  même  donné  lieu  à  des  accusations  de  simulation  :  il 
faut  constater  cependant  qu'ils  sont  réels  et  que  ces  anesthésies  varient,  se  manifestant 
par  des  phénomènes  contradictoires  suivant  la  façon  dont  on  interroge  les  malades. 

Pour  comprendre  ces  distractions  et  ces  anesthésies,  nous  avons  proposé  de  distinguer 
la  sensation  élémentaire  TT'T''Mi\rM'...  (fig.  46)  et  l'opération  d'assimilation,  de  synthèse,  PP, 
qui  combine  entre  eux  ces  phéno- 
mènes élémentaires,  et  surtout  qui,       _         t    .^n    ..      ..I     ,,n    ,,      ,,<     ,,w     ,       -»      .// 
a  chaque  moment  de  la  vie,  les  rat-      j.       ,        .       j.      j. 
tache  à  la  notion  vaste  et  antérieure 
de  la  personnalité-.  Chez  les  indi- 
vidus distraits  d'une  manière  acci-      T      t'    t"  m     m'    m"    V      V      V    A      A'     A' 
dentelle   et    chez    les   hystériques      -h     -t-     rH     +     + 
d'une  manière  permanente,  cette 
seconde   opération,  la  perception 
personnelle  PP,  serait  insuffisante  Fig.  47. 

et  ne  rattacherait  à  la  personna- 
lité à  chaque  moment  de  la  vie  qu'un  petit  nombre  de  sensations,  tandis  que  les  autres 
resteraient  à  l'état  élémentaire,  subconscient.  Cette  représentation  cherchait  seulement 
à  réunir  dans  une  formule  intelligible  les  caractères  de  certaines  anesthésies  bien  dis- 
tinctes de  toutes  les  autres  ■'. 

Cette  explication  permettrait  encore  d'interpréter  certains  faits  d'analgésie  que  l'on 
constate  dans  les  névroses  et  dans  les  intoxications  légères.  Les  impressions  qui 
devraient  être  douloureuses  sont  senties  d'une  manière  vague,  mais  elles  deviennent 
indifférentes  et  ne  provoquent  pas  de  douleur  réelle.  Cette  absence  de  douleur  tient 
d'abord  à  l'absence  de  mémoire.  Comme  Ch.  Richet  l'a  très  bien  montré,  «  ce  qui  fait 
la  cruauté  de  la  douleur,  c'est  moins  la  douleur  elle-même,  que  son  souvenir  et  le 
retentissement  pénible  qu'elle  laisse  après  elle  »  [Loc.  cit.,  p.  2158).  Nous  dirons  aussi  que 
la  douleur  est  un  état  de  conscience  déjà  complexe,  une  émotion,  et  qu'elle  dépend  de 
la  synthèse  des  phénomènes  psychologiques.  Elle  diminue  et  disparaît  quand  cette  syn- 
thèse s'affaiblit,  et,  dans  certains  cas  bien  entendu,  l'absence  de  douleur  nous  paraît 
dépendre  aussi  d'un  défaut  d'assimilation  des  phénomènes  psychologiques  élémentaires 
à  la  personnalité. 

Cette  analgésie,  cette  indifi'érence,  qui  ne  dépend  en  réalité  que  d'un  affaiblissement 
des  fonctions  cérébrales  les  plus  élevées,  est  loin  cependant  d'être  insignifiante.  Quand 
elle  siège  sur  les  organes  internes,  elle  peut  donner  lieu  à  des  troubles  fort  graves  et 
fort  intéressants  de  leurs  fonctions.  Nous  avons  souvent  eu  l'occasion  d'insister  sur  les 
symptômes  singuliers  que  produit  chez  les  hystériques  l'anesthésie  vésicale  et  uréthrale. 
Elles  ne  sentent  plus  le  besoin  d'uriner  et  ne  sont  averties  de  la  réplétion  de  leur  vessie 
que  par  la  gêne  que  cet  organe  trop  distendu  apporte  à  la  respiration  et  à  la  marche.  Elles 
songent  alors  à  uriner,  par  raisonnement   et  non  par  besoin,  A  ce  moment  elles  ne 

1.  Pierre  Janet.  Anesthésie  systématisée  et  dissociation,  des  phénomènes  psychologiques 
{Revue  philosophique),  1887,  t.  i,  p.  442. 

2.  Pierre  Janet.  Automatisme  psychologique,  1889,  pp.  39,  314. 

3.  Pour  la  bibliographie  et  la  discussion  de  ces  études,  nous  renvoyons  à  notre  travail  sur 
l'État  mental  des  hystériques,  stigmates  mentaux,  1893. 


312  ANESTHESIE. 

peuvent  savoir  si  la  micLion  est  commencée,  si  elle  est  accomplie,  ou  si  elle  est  terminée; 
elles  ont  besoin  de  regarder  le  jet  d'urine,  d'écouter  le  bruit  qu'il  fait  en  tombant  dans 
le  vase;  quelquefois,  comme  faisait  un  malade,  de  toucher  le  méat  pour  surveiller  l'ac- 
complissement de  cette  fonction.  La  disparition  de  la  faim  et  de  la  soif,  conséquence  de 
l'auesthésie  des  voies  digestives,  n'est  pas  moins  importante.  Elle  est  souvent  l'origine 
des  refus  des  aliments,  de  l'anorexie,  elle  donne  probablement  naissance  à  des  troubles 
gastriques.  Nous  avons  observé  bien  des  faits  qui  justifient  cette  supposition,  et  récem- 
ment SoLLiER  en  signalait  également  l'importance  (  De  l'infaience  de  l'état  de  la  sensi- 
bilité de  l'estomae  sur  l'évolution  de  la  digestion;  communication  au  Congrès  de  méde- 
cine interne  de  Lyon,  1894). 

D'autre  part,  ces  anesthésies,  quoiqu'elles  soient  d'origine  psychologique,  ont  elles- 
mêmes  une  influence  considérable  sur  les  faits  de  conscience.  De  même  que  la  dou- 
leur est  supprimée,  le  plaisir  et  les  autres  émotions  sont  diminués  ou  anéantis.  Dans 
tous  nos  sentiments  entrent  des  sensations  variées  dues  aux  innombrables  modifica- 
tions qui  s'accomplissent  dans  tous  nos  organes  sous  l'influence  des  impressions  du 
monde  extérieur  et  de  nos  idées.  Si  ces  modifications  ne  sont  pas  senties,  ne  sont  pas 
réunies  en  une  même  conscience,  l'émotion  et  le  sentiment  disparaissent.  Nous  avons 
décrit  des  malades  qui  devenaient  complètement  indifférentes,  qui  perdaient  toute  joie, 
tout  sentiment  de  famille,  toutes  affections,  toute  pudeur,  quand  elles  étaient  atteintes 
d'anesthésie  généralisée  et  surtout  d'anesthésie  viscérale  (Pierre;  Janet,  Stigmates  men- 
taux des  hystériques,  1893,  p.  216). 

Les  troubles  de  l'activité  volontaire,  en  général,  sont  également  considérables 
(voyez  Aboulie),  mais  ils  se  rattachent  à  la  diminution  générale  de  la  synthèse  psycholo- 
gique plutôt  qu'à  telle  ou  telle  anesthésie  déterminée.  Au  contraire,  les  troubles  du  niou- 
vement  volontaire  en  rapport  avec  l'auesthésie  sont  considérables  et  demanderaient  toute 
une  étude  spéciale.  Nous  rappellerons  seulement  ici  que,  dans  les  anesthésies  tactiles  et 
musculaires  incomplètes,  les  mouvements  volontaires  sont  ralentis,  indécis  et  mal  dirigés, 
comme  s'il  y  avait  une  afaxie  particulière  :  ils  sont  affaiblis  et  simplifiés,  c'est-à-dire 
que  le  malade  ne  peut  plus  exécuter  qu'un  très  petit  nombre  de  mouvements  simul- 
tanés. Quand  l'anesthésie  tactile  et  musculaire  est  complète,  l'altération  des  mouvements 
prend  une  forme  plus  particulière,  que  nous  avons  cru  pouvoir  désigner  sous  le  nom  de 
syndrome  de  Lasègoe.  Voici  les  faits  essentiels  qui  constituent  ce  syndrome:  1°  le  sujet 
est  incapable  d'exécuter  aucun  mouvement  du  côté  anesthésique  sans  le  secours  de  la 
vue;  2°  dans  certaines  expériences  le  mouvement  commencé  avec  le  secours  de  la  vue 
peut  se  continuer  sans  ce  secours;  3°  les  imaginations  visuelles  ou  même  la  sensation 
tactile  peuvent  remplacer  la  sensation  visuelle,  pourvu  qu'elles  apprennent  au  sujet  la 
position  de  son  membre  au  début  du  mouvement;  4°  ce  caractère  ne  semble  pas  gêner 
le  sujet,  qui  pendant  le  cours  de  la  vie  normale  eiîectue  tous  les  mouvements  sans  se 
plaindre  de  rien;  o"  si  on  lève  le  bras  du  sujet  sans  qu'il  le  voie,  ce  bras  reste  immo- 
bile dans  des  postures  cataleptiques;  6°  des  mouvements  peuvent  être  obtenus  sans  le 
secours  de  la  vue  ;  mais  ils  sont  subconscients  et  le  sujet  ne  s'en  rend  pas  compte.  Pour 
l'étude  et  la  bibliographie  de  ces  questions  nous  renvoyons  à  nos  travaux  sur  les 
mouvements  des  hystériques  (Stigmates  mentaux  des  hystériques,  p.  163),  et  aux  articles 
Inconscience,  Catalepsie,  Sens  musculaire. 

Les  altérations  de  l'intelligence  qui  accompagnent  l'anesthésie  sont  très  complexes, 
ce  sont  des  troubles  de  l'attention,  de  la  croyance  et  de  la  perception.  Quelquefois,  les 
sujets  perdent  le  sentiment  de  l'existence  de  leurs  organes  et  ils  éprouvent  à  ce  sujet  les 
illusions  les  plus  singulières  qui  deviennent  même  le  point  de  départ  de  certains  délires. 
Quelques  auteurs  ont  récemment  insisté  sur  un  fait  particulier  qui  semble  accompagner 
les  anesthésies  très  étendues,  tout  à  fait  généralisées  :  c'est  la  diminution  considérable 
des  phénomènes  intellectuels;  c'est  le  sommeil.  Strûmpell  [Ein  Beitrag  zur  Théorie  des 
Schlafs,  A.  Pf.,  t.  XV,  p.  b73)  a  décrit  l'un  des  premiers  un  cas  de  ce  genre.  Il  s'agit 
d'une  jeune  fille  de  dix  ans,  affectée  d'une  anesthésie  générale  de  la  peau,  des  muscles, 
des  muqueuses,  qui  avait  également  perdu  le  goût,  l'odorat,  l'ouïe  et  la  vue  d'un  côté. 
Elle  n'avait  de  communications  avec  le  monde  extérieur  que  par  l'œil  droit  et  l'oreille 
gauche  :  si  on  fermait  ces  deux  derniers  organes,  elle  s'endormait  aussitôt.  Des  cas  de 
ce  genre  ont  été  étudiés  par  Liégeois,  Heyne,  Ziemssen,  F.  Raymond  (De  l'anesthésie  cutanée 


ANESTHESIE    et   A  N  ESTH  ESIQU  ES.  513 

et  musculaire  généralisée  dans  ses  lYipports  avec  le  sommeil  provoqué  et  avec  les  troubles  du 
mouvement;  Revue  de  médecine,  ISUl,  p.  389).  Ces  phénomènes  sont  difficiles  à  inter- 
préter :  on  peut  admettre  que  les  phénomènes  intellectuels  sont  sous  la  dépendance 
immédiate  des  provocations  sensorielles  et  qu'ils  disparaissent  complètement  par  défaut 
d'excitation  quand  on  ferme  les  derniers  sens  du  sujet.  On  peut  aussi  soutenir  non 
sans  vraisemblance  que  l'état  ainsi  déterminé  n'est  pas  un  véritable  sommeil  avec 
disparition  de  tous  les  phénomènes  psychologiques,  mais  que  c'est  un  état  somnam- 
bulique  dans  lequel  beaucoup  de  pensées  subsistent  et  qui  a  été  provoqué  par  un 
mécanisme  différent  suivant  les  cas  et  principalement  par  la  suggestion.  On  trouvera 
ces  deux  interprétations  discutées  dans  le  livre  de  Féré,  Pathologie  des  émotions,  1893. 
p.  83;  dans  notre  travail  sur  Les  accidents  mentaux  des  hystériques,  1893,  p.  219,  et  dans 
l'article  de  I.  Séglas  et  Ronnus  (anesthésie  généralisée,  expérience  de  Strumpell. 
Arch.  de  neurologie.  1894,  p.  353). 

Toutes  ces  perturbations  des  sentiments,  des  mouvements  volontaires,  de  l'intelligence, 
transforment  complètement  la  personnalité,  et  ces  anesthésies,  dues  à  une  insuffisance 
de  la  synthèse  psychologique,  à  un  défaut  de  l'assimilation  personnelle,  sont  à  la  fois 
la  conséquence  et  le  principe  de  beaucoup  de  maladies  mentales. 

3.  Anesthésie  par  défaut  de  perception.  —  Nous  signalons  seulement  une  dernière  caté- 
gorie de  phénomènes  qui  se  rattachent  plus  indirectement  aux  anesthésies.  Les  sensa- 
tions existent,  elles  sont  même  conscientes,  c'est-à-dire  associées  avec  les  notions  qui 
constituent  la  personnalité,  mais  elles  ne  sont  plus  comprises,  ni  reconnues.  Ce  sont 
des  anesthésies  psychiques  qui  ont  surtout  été  étudiées  à  propos  des  lésions  des  centres 
de  l'ouïe  et  de  la  vue  (Soury.  Les  fonctions  du  cerveau,  69,  187).  Il  s'agit  ici  d'une  associa- 
tion, plus  délicate  encore,  entre  la  sensation  nouvelle  et  les  souvenirs  anciens  qui  est 
détruite  par  la  maladie.  Celte  question  appartient  plutôt  à  l'étude  de  l'intelligence,  et  il 
nous  suffit  de  la  signaler. 

Les  diverses  anesthésies  nous  permettent  de  passer  en  revue  tous  les  éléments 
nécessaires  à  la  constitution  d'une  sensation  intelligente.  Chacun  de  ces  éléments,  les 
conducteurs  périphériques,  les  centres,  la  sensation  élémentaire,  l'assimilation  à  la  per- 
sonnalité consciente,  la  perception  intelligente,  peuvent  être  lésés  isolément.  Ici  encore 
la  maladie  a  réalisé  l'analyse  de  la  fonction  normale. 

La  bibliographie  complète  d'une  semblable  étude  serait  immense  :  on  trouvera  la 
plupart  des  indications  utiles  dans  les  ouvrages  qui  ont  été  cités. 

PIERRE   JANET. 

ANESTHÉSIE  et  ANESTHÉSIQUES.  —Nous  confondrons  dans 
la  même  étude  l'histoire  de  l'anesthésie  produite  par  des  substances  toxiques,  et  celle 
de  ces  substances  mêmes.  Nous  ferons  d'abord  dans  cette  étude  complexe  la  distinction 
entre  l'anesthésie  générale  et  l'anesthésie  locale. 

1.  Anesthésie  générale. 

Historique.  —  On  peut  faire  remonter  l'histoire  de  l'anesthésie  générale  pratiquée 
pour  diminuer  la  douleur  des  opérations  à  une  époque  très  reculée.  En  eftet,  il  est  cer- 
tain que  l'idée  de  faire  des  opérations  chirurgicales  sans  douleur,  ou  en  atténuant  la 
douleui-,  avait  dû  de  tout  temps  venir  à  l'esprit  des  opérateurs.  Mais  nous  n'insisterons 
pas  sur  les  moyens  imparfaits  et  grossiers  qu'on  employait  jadis.  On  trouvera  l'historique 
bien  exposé  dans  quelques  livres,  d'abord  dans  tous  les  ouvrages  d'ensemble  sur  l'anes- 
thésie (voir  la  Bibliographie)  et  dans  une  bonne  étude  de  Billault  (Premiers  essais  d'anes- 
thésie  chirurgicale.  D.  P.,  1890).  L'ivresse  provoquée  par  des  boissons  alcooliques,  ou  la 
stupeur  due  à  des  narcotiques  végétaux,  voire  même  le  somnambulisme,  ont  été  irrégu- 
lièrement mis  en  usage  pour  obtenir  l'insensibilité.  Mais  ce  n'étaient  que  des  essais 
informes'. 

Le  vrai  principe  de  l'anesthésie  chirurgicale  peut  être  résumé  ainsi  :  obtenir  par  des 
substances  toxiques  une  insensibilité  inoffensive  et  passagère.  Or  il  est  évident,  pour  des 

i.  D'après  J.  B.  Rottenstein,  il  existerait  dans  la  bibliothèque  du  grand-duc  de  Hesse  un  pré- 
cieux manuscrit  de  Denis  Papin,  daté  de  1681  et  ayant  pour  titre  Traite'  des  opérations  6ans 
douleur.  Quoi  qu'il  en  soit  de  la  réalité  de  ce  fait,  l'anesthésie  était  inconnue  avant  1844. 

DICI.    DE   PHYSIOLOGIE.    —    TOME  I.  33 


514.  ANESTHÉSIE    et    A  N  ESTH  ÉSIQU  ES. 

raisons  que  nous  aurons  l'occasion  de  développer  plus  loin,  que  les  substances  volatiles, 
et  même  gazeuses,  sont  les  seules  qui  puissent  sans  danger  pour  l'organisme  provoquer 
une  insensibilité  absolue.  De  sorte  que  la  vraie  découverte  de  l'aneslhésie  chirurgicale 
revient  à  celui  qui  a  conçu  l'idée  de  faire  respirer  un  gaz  inoffensif  ou  une  vapeur  inof- 
fensive, capables  cependant  de  produire  une  insensibilité  assez  longue  pour  la  durée 
d'une  opération. 

S'il  en  est  ainsi,  le  véritable  créateur  de  l'anesthésie,  c'est  Horace  Wells,  de  Hartfort 
(Counecticut).  C'était  un  jeune  homme  de  vingt  et  un  ans  qui  exerçait  la  profession  de 
dentiste.  Le  10  décembre  1844,  il  assistait  à  un  cours  de  chimie  fait  par  un  médecin 
nommé  Colton.  On  administra  alors  à  un  des  assistants,  comme  c'était  l'usage  depuis 
les  vieilles  expériences  de  H.  Davy,  restées  classiques,  du  protoxyde  d'azote  ou  gaz 
hilarant,  et,  comme  d'habitude,  il  y  eut  une  scène  d'ivresse.  L'individu  intoxiqué  roula 
par  terre  et  se  contusionna  les  jambes  contre  les  bancs.  Interrogé  par  Wells  à  ce  sujet, 
il  déclara  n'avoir  ressenti  aucune  douleur.  Ce  fait,  en  apparence  insignifiant,  paraît 
avoir  été  un  trait  de  lumière  pour  Wells,  qui  songea  tout  de  suite  à  profiter  de  celte 
insensibilité  pour  l'appliquer  à  l'extraction  des  dents. 

C'est  là,  il  faut  bien  le  dire,  le  trait  caractéristique  et  la  vraie  origine  de  la  décou- 
verte des  anesthésiques.  Assurément,  il  est  très  extraordinaire  que  personne  avant 
Wells  n'ait  songé  à  appliquer  les  effets  du  gaz  hilarant  aux  opérations.  Il  faut  croire 
pourtant  que  l'idée  n'était  pas  simple,  puisqu'elle  n'était  venue  à  personne  avant  Wells. 
Quelque  étonnante  qu'elle  soit,  nous  sommes  forcés  de  faire  cette  constatation.  D'ail- 
leurs nous  sommes  assez  mal  placés  pour  juger  si  l'idée  était  simple  ou  non;  puisque 
le  milieu  dans  lequel  nous  vivons  ne  nous  permet  pas  de  comprendre  l'état  d'esprit  des 
hommes  qui  vivaient  avant  la  découverte  et  la  pratique  de  l'anesthésie. 

Le  lendemain  du  jour  où  Wells  avait  vu  les  effets  de  l'anesthésie  provoquée  par  le 
protoxyde  d'azote,  il  résolut  d'en  faire  l'application  sur  lui-même;  et  il  se  fit  endormir 
par  CoLTON  avec  le  gaz  hilarant.  C'est  pendant  qu"il  était  ainsi  endormi  que  Colton 
lui  arracha  une  dent.  Réveillé  presque  aussitôt  après  l'opération,  W'ells  s'écria  :  «  Une 
nouvelle  ère  dans  l'extraction  des  dents!  Cela  ne  m'a  fait  pas  plus  de  mal  qu'une  piqûre 
d'épingle!»  (Voir  pour  plus  de  détails  Rottenstein,  Traité  d'anesthésiè  chirurgicale, 
Paris,  1880.) 

En  somme  l'anesthésie  chirurgicale  était  découverte;  car  le  fait  d'appliquer  le  gaz 
hilarant  à  d'autres  opérations  qu'aux  extractions  dentaires,  comme  le  fait  d'employer 
d'autres  substances  que  le  protoxyde  d'azote,  l'éther  ou  le  chloroforme,  ou  tout  autre 
corps  analogue,  ce  sont  des  perfectionnements  importants;  ce  n'est  pas  l'essence  même 
de  la  découverte.  Aussi  bien,  dans  l'histoire  de  l'anesthésie,  doit-on  donner  la  pre- 
mière place  au  malheureux  Horace  Wells. 

En  général,  on  attribue  à  Jackson  et  à  Morton  la  découverte  des  anesthésiques;  mais 
il  faut  faire  remarquer  d'abord  que  W'ells  leur  avait  communiqué,  comme  ils  l'ont 
avoué,  les  résultats  de  sa  pratique  avec  le  protoxyde  d'azote;  ensuite  que  Wells  a  pro- 
bablement essayé  l'éther  avant  eux,  puisque  Wells  (Bostonmed.  and  Surg.  Journal,  184.ïj 
mentionne  avant  toute  autre  publication  les  effets  anesthésiques  obtenus  dans  la  pra- 
tique courante  des  extractions  dentaires  à  Hartford.  Notons  que  Jackson  et  Morton,  au 
lieu  de  publier  dans  un  recueil  scientifique  les  effets  des  opérations  qu'ils  pratiquaient 
sur  des  individus  endormis  par  l'éther,  ne  songèrent  qu'à  prendre  un  brevet  en  dissi- 
mulant sous  le  nom  de  léthéon  la  substance  qui  produisait  l'insensibilité. 

Pourtant,  Jackson  et  Morton  ont  eu  le  mérite  de  faire  avec  l'éther  beaucoup  d'opé- 
rations chirurgicales,  extractions  dentaires  ou  opérations  plus  longues,  alors  que 
l'éther  n'avait  donné  à  Wells,  pour  des  raisons  que  nous  ignorons,  que  des  résultats 
imparfaits.  Marion  Sims  a  prétendu  qu'un  chirurgien  américain,  Crawford  Long,  avait, 
depuis  1842,  fait  nombre  d'opérations  en  endormant  par  l'éther;  mais  rien  n'a  été 
publié  là-dessus  avant  1849,  de  sorte  que,  malgré  l'authenticité  des  témoignages 
apportés  par  C.  Long,  on  est  forcé  de  lui  enlever  l'honneur  d'avoir  découvert  l'anes- 
thésie chirurgicale.  Pourquoi,  si  vraiment  il  avait  trouvé  depuis  deux  ans  le  moyen 
d'insensibiliser  ses  opérés,  n'avait-il  rien  publié  et  rien  fait  connaître?  La  chose  en 
valait  la  peine  assurément. 

Entre  Jackson  et  Morton,  la  question  de  priorité  est  difficile  à  juger.  Il  est  certain 


ANESTHÉSIE    et    A  N  ESTH  ÉSIQU  ES.  olo 

que  Jackson,  chimiste,  bien  plus  instruit  que  Morton,  connaissait  plus  ou  moins  vague- 
ment les  efl'ets  calmants  de  l'étlier,  de  sorte  que,  quand  Morton  vint  lui  demander  de 
préparer  un  gaz  pour  insensibiliser  ses  patients,  ainsi  que  le  faisait  couramment  Wells, 
Jackson  lui  conseilla  d'employer  l'élher.  Le  17  octobre  1846,  par  conséquent  près  de  deux 
ans  après  les  essais  de  Wells,  Morton,  emportant  le  corps  que  Jackson  lui  avait 
donné,  endormit  un  malade  auquel  le  chirurgien  Warhen  fit  une  opération. 

A  partir  de  ce  moment  les  faits  se  succédèrent  rapidement.  La  méthode  de  l'anes- 
thésie  chirurgicale  était  trouvée.  Deux  autres  opérations  furent  faites,  et  le  27  octobre 
MoBTON  et  Jackson  prenaient  en  commun  un  brevet  d'invention,  ce  qui  occasionna, 
quelque  temps  après,  entre  eux,  une  longue  et  confuse  polémique. 

Nous  n'avons  pas  à  raconter  ici  les  progrès  rapides  de  l'anestliésie,  tellement  rapides 
qu'à  la  fm  de  1847,  dans  tous  les  pays  civilisés,  elle  était  devenue  de  pratique  courante. 
Nous  voulions  présenter  seulement  en  quelques  mois  l'histoire  de  cette  grande  décou- 
verte qui  revient,  en  réalité,  à  Wells;  puis,  avec  des  droits  à  peu  près  égaux,  à  Jackson 
et  à  Morton  qui  ont  employé  l'éther  au  lieu  du  protoxyde  d'azote,  et  qui  ont  osé 
employer  l'anesthésie  pour  de  grandes  opérations  '. 

A  partir  de  1847,  les  publications  et  les  découvertes  de  détails  deviennent  trop  nom- 
breuses pour  que  nous  en  puissions  donner  ici  même  un  résumé.  Signalons  seulement 
les  faits  les  plus  intéressants;  la  découverte  par  Floure.ns  des  propriétés  anesthésiques 
du  chloroforme  (C.  R.,  8  mars  1847,  t.  ssiv,  p.  342.  Note  touchant  l'action  de  l'éther  sur 
les  centres  nerveux),  ainsi  qu'un  essai  d'une  théorie  générale  de  l'anesthésie;  les  pre- 
mières opérations  de  J.-V.  Snipsow  en  novembre  1847,  avec  le  chloroforme  {Onanew 
anesthetic  agent  more  efficient  than  sulphuric  ether.  Lancet,  1847  (2),  p.  o49),  les  expé- 
riences de  Claude  Bernard  sur  l'association  de  la  morphine  au  chloroforme  et  sur  les 
effets  des  anesthésiques  sur  les  plantes. 

Quant  à  l'histoire  des  autres  corps  gazeux,  éthers  chlorés  ou  non  chlorés,  capables 
de  produire  l'insensibilité,  ce  sont  des  notions  physiologiques  de  détail  que  nous  aurons 
à  diverses  reprises  l'occasion  de  mentionner;  mais  brièvement,  car  notre  but  est  ici 
d'exposer  dans  ses  lignes  générales  le  mécanisme  physiologique  de  l'anesthésie  chirur- 
gicale. 

Effets  des  anesthésiques.  Première  période.  Ivresse.  —  Le  premier  effet  d'un 
anesthésique  est  de  provoquer  l'ivresse,  et  une  ivresse  qui  varie  quelque  peu  avec 
chaque  substance  employée,  mais  qui  de  fait  présente  toujours  les  mêmes  symptômes 
psychologiques  fondamentaux. 

Quoique  ces  symptômes  aient  été  analysés  déjà  à  l'article  Alcool  (t.  i,  p.  239),  il  sera 
bon  d'insister  sur  certains  points;  car  le  mode  de  désorganisation  de  l'intelligence 
fournit  des  documents  précieux  sur  la  nature  même  de  l'intelligence. 

1.  Il  faut  citer,  ne  fiit-ce  que  comme  curiosité,  les  paroles  de  Magendie  à  l'Académie  des 
sciences  {l"  février  1847)  lorsque  Velpeau  communiqua  les  premiers  faits  de  l'anesthésie  chirur- 
gicale (C.  R.,  t.  XXIV,  p.jl34.  Remarrjices  à  l'occasion  d'une  communication  de  M.  Velpeau  sur 
les  effets  de  l'éther). 

«  C'est  la  première  fois,  dit-il  textuellement,  que  j'entends  retentir  dans  cette  enceinte  le 
récit  des  effets  merveilleux  de  l'éther  sulfurique;  car  on  en  pourrait  dire  autant  des  autres  éthers, 
sorte  de  narration  dont  la  presse  s'empare  et  qu'elle  porte  au  loin,  satisfaisant  ainsi  cet  insa- 
tiable et  avide  besoin  du  public  pour  le  miraculeux  et  l'impossible.  Ce  que  Je  vois  de  plus  clair 
dans  ces  récits,  c'est  que,  depuis  quelques  semaines,  un  certain  nombre  de  chirurgiens  se  livrent 
à  des  expériences  sur  des  hommes,  et  que,  dans  le  but  louable  sans  doute  d'opérer  sans  douleur, 
ils  enivrent  leurs  patients  jusqu'au  point  de  les  réduire  à  l'état  de  cadavre  que  l'on  coupe,  taille 
impunément,  et  sans  aucune  souffrance.  A  peine  l'expérience  est-elle  faite,  et  souvent  avant 
qu'elle  soit  terminée,  on  la  livre  à  la  publicité.  Je  rends  justice  à  l'intention;  mais  je  dis  qu'en 
agissant  ainsi  MM.  les  chirurgiens  font  défaut  à  la  raison,  à  la  morale,  et  pourraient  arriver  à 
des  conséquences  dangereuses  pour  la  sécurité  publique;  aussi  je  me  sens  disposé  à  protester 
contre  ces  essais  imprudents,  et  souvent  contre  les  publications  précipitées.  » 

Magendie  a  rendu  trop  de  services  à  la  physiologie  pour  qu'il  soit  convenable  d'insister  sur 
l'absurdité  et  l'ineptie  de  telles  paroles.  Mais  vraiment  n'est-ce  pas  un  exemple,  à  ajouter  à  tant 
d'autres,  de  la  résistance  que  les  hommes,  même  les  plus  grands,  opposent  aux  découvertes  nou- 
velles? Une  sorte  de  néophobie,  plus  forte  encore  chez  les  savants  que  chez  les  autres  hommes, 
les  empêche  d'admettre  ce  qu'ils  ne  connaissent  pas.  D'aUleurs,  dans  celte  même  séance,  Velpeau 
lui  fit  une  verte  réponse,  bien  méritée  assurément. 


516  ANESTHÉSIE    et    AN  ESTH  ÉSIQU  ES. 

Quoique  les  effets  de  l'éther,  ou  du  chloroforme,  ou  du  protox3'de  d'azote  inspirés 
soient  bien  plus  rapides  que  ceux  de  l'alcool  ingéré,  on  peut  encore  suivre  les  phases 
par  lesquelles  passe  Ja  conscience  avant  d'être  finalement  anéantie.  Nous  prendrons 
comme  type  l'éthérisation  ;  parce  que,'  dans  bien  des  cas,  en  Amérique  notamment,  en 
Angleterre,  et  surtout  en  Irlande,  certains  individus  absorbent  de  l'éther  pour  s'enivrer. 
D'ailleurs,  la  période  d'ivresse  de  l'éther  est  plus  longue  que  celle  du  chloroforme,  poison 
plus  actif,  qui  abolit  très  vite  toute  fonction  intellectuelle,  tandis  que  l'éther  la  surexcite 
avant  de  la  détruire.  Draper.  Ethcr  drinking  in  the  Nord  of  Ireland(Med.  Press  and  Circul. 
Dublin,  1877,  p.  423).  —  Gallard.  Intoxicat.  chronique  par  l'éther  {Gaz.  des  hôpit.,  1870, 
p.  213).  —  Legrand  du  Saulle.  Note  médico-légale  sur  un  cas  rare  de  dipsomanie  [éther) 
[Ann.  dltyg.,  1882,  p.  416).  —  Montalte.  Les  buveurs  d'éther  {Journ.  des  conn.  méd.  chir., 
1879,  p.  92). 

Un  des  premiers  phénomènes,  c'est  l'abondance,  l'activité,  et  pour  ainsi  dire  l'hy- 
pertrophie des  idées.  Il  y  a  un  état  d'hypéridéation  tout  à  fait  caractéristique.  Mais  en 
même  temps  la  conscience  du  monde  extérieur  et  les  impressions  sensitives  vont  en 
s'altérant.  11  semble  que  ce  double  processus  soit  corrélatif;  la  diminution  des  excita- 
tions périphériques;  et  l'augmentation  de  l'activité  intellectuelle.  Autrement  dit  encore, 
tout  se  passe  comme  si  l'intelligence  était  de  plus  en  plus  séparée  du  monde  extérieur 
et  livrée  à  sa  propre  activité.  Alors  cette  activité  devient  délirante,  plus  de  correctif  aux 
débordements  tumultueux  des  idées.  Elles  poursuivent  leur  évolution  sans  frein,  comme 
si  à  l'état  normal  nous  étions  constamment  rappelés  à  la  réalité  par  les  excitations  sen- 
sorielles innombrables,  qui  modifient  sans  cesse,  même  quand  on  ne  s'en  rend  pas 
compte,  la  marche  des  phénomènes  intellectuels. 

Ce  qui  domine  dans  cette  ivresse,  c'est  un  sentiment  de  force  exagérée,  de  puis- 
sance surhumaine.  On  n'a  plus  la  notion  des  effets  musculaires  possibles;  le  sens  mus- 
culaire étant,  comme  les  autres  sensations,  profondément  altéré.  Quelquefois,  mais  plus 
rarement,  c'est  la  tristesse  qui  l'emporte.  En  tout  cas,  tout  est  toujours  exagéré  ;  tristesse 
ou  gaieté,  frayeur  ou  colère,  tout  est  hors  de  propos.  11  n'y  a  plus  de  volonté,  ni  d'arrêt, 
ni  d'attention  qui  fixe  sur  un  point  déterminé  les  idées  délirantes. 

Les  deux  phénomènes  psychologiques  fondamentaux  de  notre  constitution  mentale, 
la  notion  d'espace  et  la  notion  de  temps,  sont  primitivement  et  gravement  altérés. 
Quoique  dans  certaines  ivresses,  notamment  dans  l'ivresse  par  le  hachieh,  la  perversion 
soit  encore  plus  profonde,  cependant  les  individus  éthérisés  ont  des  sensations  anor- 
males sur  le  temps,  qui  leur  paraît  en  général  beaucoup  plus  long  qu'il  n'est  en  réalité. 
De  même  les  objets  semblent  comme  éloignés,  et  on  ne  peut  plus  bien  juger  de  la  dis- 
tance. En  un  mot,  il  n'y  a  plus  ce  jugement  du  monde  extérieur  qui  se  fait  constamment 
chez  l'individu  normal  par  la  comparaison  des  sensations  diverses  et  la  simultanéité  de 
toutes  les  excitations  sensitives  qui  sont  appréciées. 

Quant  à  la  mémoire,  elle  est  altérée  dans  un  certain  sens;  c'est-à-dire  que  la  mémoire 
d'évocation  reste  intacte.  Les  souvenirs  anciens  n'ont  pas  disparu,  quoique  à  vrai  dire  ils 
puissent  de  moins  en  moins  revenir  quand  on  les  appelle.  D'autre  part  la  mémoire  de 
fixation,  c'est-à-dire  la  faculté  de  fixer  dans  l'esprit  les  images  et  les  faits,  a  complète- 
ment disparu,  ou  plutôt  elle  disparaît  au  fur  et  à  mesure  que  l'intoxication  progresse,  si 
bien  qu'après  l'ivresse  on  ne  se  souvient  plus  de  ce  qui  s'est  passé  (Ce.  Richet.  De  la  mé- 
moire. Rev.  philosoph.,  1886,  pp.  561-390). 

Ainsi,  par  le  fait  des  anesthésiques  inhalés  à  faible  dose,  nous  voyons  parmi  les  fonc- 
tions de  l'intelligence  la  fonction  fondamentale  qui  persiste,  c'est  l'idéation.  Elle  dure 
après  que  la  mémoire  de  fixation,  l'attention,  le  jugement,  la  volonté,  ont  disparu.  De 
même,  dans  le  sommeil  normal,  la  faculté  de  rêver  survit  aux  autres  facultés.  Au  con- 
traire le  pouvoir  de  direction,  de  combinaison,  et  de  comparaison,  disparait  très  vite, 
comme  si  c'était  de  toutes  les  fonctions  intellectuelles  la  plus  fragile,  et  par  conséquent 
la  plus  élevée  dans  la  hiérarchie. 

Cependant  il  serait  inexact  de  dire  que,  à  cette  période  de  l'ivresse,  toute  sensibilité  est 
abolie;  car  même  les  sens  spéciaux  ne  sont  pas  tout  à  fait  éteints,  et  )a  notion  du  monde 
extérieur,  quoique  pervertie,  n'est  pas  détruite.  L'individu  éthérisé  voit,  entend,  mais  il  ne 
juge  pas  sainement  les  sensations  qu'il  éprouve.  Aussi  les  erreurs  d'appréciation  sont-elles 
énormes.  En  réalité,  comme  la  volonté  est  abolie,  comme  il  n'y  a  plus  d'attention  régu- 


ANESTHÉSIE    et    A  N  ESTH  ESIQU  ES.  517 

latrice,  comme  une  partie  des  excitations  de  la  péripliérie  sensorielle  n'arrivent  plus  aux 
centres  conscients,  celles  qui  arrivent  encore  à  la  conscience  sont  mal  interprétées;  elles 
ne  se  corrigent  plus  l'une  par  l'autre,  et  alors  elles  provoquent  des  rêves  absurdes,  el  un 
vrai  délire  qui  va  en  s'exagérant,  à  mesure  que  les  doses  de  poison  absorbé  augmentent. 
Les  paroles  agitées,  dramatiques,  que  profère  le  patient,  deviennent  de  plus  en  plus  con- 
fuses ;  et  elles  s'éteignent  graduellement  en  un  marmottement  inintelligible,  qui  lui- 
même  finit  par  cesser. 

Or  c'est  tout  à  fait  ainsi  que  survient  le  sommeil  normal  ;il  y  a  donc  une  différence  dans 
la  cause,  plutôt  que  dans  la  modalité  du  sommeil  anesthésique  et  du  sommeil  normal. 
Nos  idées,  au  moment  du  sommeil,  ne  sont  plus  dirigées  par  nous.  Elles  ont  d'abord 
quelque  vraisemblance  ;  puis  peu  à  peu  elles  prennent  des  formes  de  plus  en  plus  ab- 
surdes ;  finalement  le  monde  extérieur  s'enfuit,  et  les  rêves  continuent  pourtant  jusqu'à 
s'évanouir  tout  à  fait,  sans  qu'on  puisse  saisir  le  moment  précis  oii  toute  idéation  est 
anéantie. 

Il  s'ensuit  qu'on  ne  peut  pas  préciser  le  moment  où  la  conscience  disparait;  car  ce 
n'est  pas  un  point  mathématique  dont  le  terme  peut  être  déterminé.  La  conscience  du 
moi  ne  s'en  va  pas  tout  d'un  coup,  mais  graduellement,  comme  dans  le  sommeil  normal. 
S'il  est  vrai,  comme  nous  le  croyons  pour  notre  part,  qu'elle  soit  surtout  un  phénomène 
de  mémoire,  la  chaîne  des  sensations  passées  étant  reliée  aux  sensations  présentes,  on 
voit  que  la  conscience  diminue  à  mesure  que  la  mémoire  va  en  s'alïaiblissant. 

Une  des  fonctions  du  système  nerveux  qui  paraît  atteinte  parmi  les  premières,  c'est 
l'équilibre.  Dès  les  premières  inspirations  d'un  anesthésique,  le  patient  éprouve  une  sorte 
de  vertige.  Les  objets  tourbillonnent  autour  de  lui,  il  prend  une  démarche  chancelante, 
la  tête  lui  tourne,  comme  on  dit  vulgairement;  la  station  ou  la  marche  équilibrée  est 
devenue  impossible.  On  sait,  que  dans  l'ivresse  alcoolique,  c'est  aussi  cette  faculté  d'équi- 
libre qui  est  d'abord  atteinte,  et  que  les  individus  ivres,  quoique  ayant  conservé  la  con- 
science d'eux-mêmes,  la  sensibilité  à  ladouleui-  et  toutes  les  sensibilités,  ainsi  qu'une  in- 
tégrité intellectuelle  presque  complète,  ne  peuvent  marcher  droit,  et  titubent.  On  n'a  pas, 
à  ce  qu'il  semble,  suffisamment  insisté  sur  cette  fonction  de  l'équilibre,  qui  semble  néces- 
siter un  état  cérébral  et  bulbaire  d'une  intégrité  parfaite,  puisque  les  intoxications  on  f 
pour  premier  effet  de  l'altérer;  de  même  que  les  premiers  symptômes  de  l'anémie  céré- 
brale sont  marqués  précisément  parle  défaut  d'équilibre. 

Au  début  de  l'ivresse,  cette  anesthésie  sensorielle  partielle  coïncide  avec  une  hype- 
resthésie  sensorielle,  partielle  aussi.  Certaines  sensations  sont  amplifiées;  ce  qui  en- 
traîne autant  d'erreurs  que  l'abolition  même  de  la  sensibilité.  Mais  cette  exagération 
de  nos  sensations  ne  laisse  pas  de  traces  dans  la  mémoire  ;  car,  dès  les  premières  inha- 
lations anesthésiques,  le  souvenir  fixateur  des  images  diminue,  de  manière  que  les  sen- 
sations, même  hypertrophiées  au  moment  où  elles  sont  perçues,  s'effacent  sans  laisser 
de  trace. 

Mais  peu  à  peu  les  sensations  elles-mêmes  s'émoussent,  et  alors  apparaît  ce  curieux 
phénomène  de  l'analgésie  qui,  bien  avant  que  Wells  l'eût  remarqué,  avait  déjà  été  con- 
staté par  Davy,  dans  ses  observations  sur  le  gaz  hilarant  (Voy.  Analgésie). 

En  effet,  même  pendant  cette  première  période  de  l'anesthésie,  alors  que  le  patient 
parle,  rêve,  divague,  répond  aux  questions,  interroge,  entend  tous  les  bruits  qui  se  pas- 
sent, perçoit  les  sensations  tactiles,  parfois  le  sentiment  de  la  douleur  est  affaibli  de  telle 
sorte  qu'on  peut  pratiquer  des  opérations  sans  que  le  patient  souffre.  Même  s'il  pousse 
des  cris  de  douleur,  la  souffrance  est  si  passagère,  qu'elle  ne  peut  compter  pour  une 
vraie  souffrance  ;  si  on  le  réveille  au  moment  même  de  ses  gémissements,  et  si  on  lui 
demande  pourquoi  il  a  crié,  il  dira  qu'il  n'a  pas  souffert,  et  qu'il  n'a  rien  senti. 

La  nature  de  l'agent  anesthésique  modifie  la  forme  du  délire.  Avec  le  protoxyde 
d'azote  et  avec  l'éther,  c'est  plutôt  de  la  gaieté  sans  fureur,  tandis  qu'avec  le  chloroforme, 
surtout  chez  les  alcooliques,  le  délire  est  terrible.  C'est  la  période  d'excitation  décrite 
par  tous  les  chirurgiens.  Sur  les  chiens  chloroformés  dans  nos  laboratoires,  la  période 
d'excitation  chloroformique  est  aussi  très  marquée,  même  quand  on  administre  le  chlo- 
roforme par  la  trachée,  contrairement  à  une  affirmation  de  P.  Bert,  qui  ne  repose  que 
sur  un  trop  petit  nombre  d'expériences.  Les  enfants  (Bergeron.  Le  chloroforme  dans  ta 
chirurgie  des  enfants,  D.  P.,  1874)  subissent  presque  sans  délire  les  effets  du  chloroforme. 


518  ANESTHÉSIE    et    A  N  ESTH  ESIQU  ES. 

et  le  sommeil  survient  vite,  presque  sans  aucune  agitation.  Le  chloral,  injecté  dans  la 
veine  des  chiens,  ou  mieux  dans  le  péritoine,  ce  qui  permet  d'en  bien  étudier  les  etîets 
successifs,  produit  une  agitation  vive,  de  la  titubation,  et  de  l'impuissance  motrice,  avant 
l'abolition  de  la  sensibilité.  On  peut  voir  alors  nettement  combien  le  chloral  trouble 
l'innervation  motrice  avant  d'atteindre  la  sensibilité;  car  des  chiens  qui  gisent  à  terre, 
incapables  de  se  mouvoir,  poussent  encore  des  gémissements  plaintifs,  et  quelquefois  de 
longs  et  insupportables  hurlements,  quand  on  appuie  sur  leurs  pattes.  Il  y  a  donc  para- 
lysie du  mouvement  avant  qu'il  y  ait  paralysie  de  la  sensibilité;  cependant  alors  la 
sensibilité  à  la  douleur  est  déjà  diminuée;  car,  dès  que  l'on  cesse  d'opérer,  les  gémis- 
sements s'arrêtent. 

La  période  d'excitation  du  chloroforme  et  de  l'éther  n'est  donc  pas  du  tout  de  l'as- 
phyxie, comme  on  l'a  prétendu.  Certes,  chez  les  individus  vigoureux,  le  chloroforme 
amène  quelquefois  une  sorte  de  convulsion  spasmodique  des  muscles  du  thorax.  Alors 
la  respiration  est  suspendue;  la  face  bleuit;  les  veines  de  la  tête  grossissent;  la  langue 
est  violacée;  et  il  semble  que  l'asphyxie  soit  imminente;  mais  c'est  pour  ainsi  dire  un 
épiphénomène  qui  ne  modifie  guère  le  cours  des  symptômes  de  l'anesthésie,  et  l'as- 
phyxie est  la  conséquence,  non  la  cause  de  la  période  d'excitation.  En  effet  la  période 
d'excitation  apparaît  encore,  même  quand  la  respiration  artificielle  est  faite  et  que  la 
saturation  du  sang  en  oxygène  est  assurée. 

Tous  les  autres  appareils  organiques  subissent  les  conséquences  de  la  surexcitation 
nerveuse.  La  pression  sanguine  est  élevée;  les  battements  du  cœur  s'accélèrent;  la  res- 
piration est  augmentée  dans  son  rythme  et  dans  sa  profondeur,  et  la  température  aug- 
mente. 

On  peut  dire  qu'au  début  la  substance  anesthésique  limite  son  action  au  système 
nerveux  psychique.  Pourtant  il  est  certain,  comme  l'a  dit  récemment  Heym.^ns,  que  les 
muscles  et  les  épithéliums  subissent,  même  à  faible  dose,  l'influence  de  l'intoxication 
chloroformique.  On  le  prouve  par  les  effets  qu'exercent  sur  les  reins  les  injections  répé- 
tées de  petites  doses  de  chlorofoi'me,  et  récemment  on  a  voulu  attribuer  à  ces  altérations 
rénales  la  plupart  des  cas  de  morts  tardives  après  le  chloroforme.  Toutefois  il  est  évident 
que  l'action  sur  les  muscles  et  sur  les  glandes  est  très  peu  appréciable,  et  que  la  prin- 
cipale, pour  ne  pas  dire  Tunique  lésion  fonctionnelle  porte  sur  les  centres  nerveux  céré- 
braux psychiques. 

Si  la  dose  augmente,  alors  l'anesthésie  remplace  l'analgésie,  et  ce  ne  sont  pas  seule- 
ment les  centres  cérébraux  qui  sont  atteints,  mais  aussi  tous  les  centres  nerveux,  mé- 
dullaires et  ganglionnaires. 

Deuxième  période.  Anesthèsie  avec  réflexes.  —  Pendant  l'ivresse  du  début 
l'individu  chloroformé  se  débat  et  s'agite;  il  semble  animé  par  une  hyperidéation  exces- 
sive; mais  maintenant  tout  est  rentré  dans  le  silence;  la  respiration  est  devenue  moins 
fréquente,  régulière  et  superficielle  ;  le  cœur  bat  plus  lentement;  la  pupille  est  moyen- 
nement rétrécie  ;  c'est  vraiment  le  sommeil  anesthésique.  Les  plus  fortes  excitations  de 
la  sensibilité  ne  provoquent  plus  ni  gémissement  ni  douleur.  Cependant  les  réllexes  ne 
sont  pas  encore  abolis.  Autrement  dit,  le  cerveau  a  perdu  toute  son  activité  fonction- 
nelle, alors  que  la  moelle  est  intacte.  Ce  qui  est  important  à  noter,  c'est  que  dans  cette 
période,  masquée,  comme  le  dit  bien  Dastre,  par  la  brutalité  de  la  pratique,  la  tonicité 
musculaire,  phénomène  réflexe,  n'est  pas  abolie.  Les  muscles  qui  entourent  un  membre 
luxé  sont  encore  contractés  avec  force  et  s'opposent  à  la  réduction;  la  section  d'un  mus- 
cle est  suivie  de  la  rétraction  immédiate  de  ce  muscle. 

Troisième  période.  Anesthèsie  sans  réflexes.  —  Peu  à  peu  les  réflexes  eux-mê- 
mes disparaissent;  le  réflexe  conjonctival,  c'est-à-dire  le  clignement  de  la  paupière  con- 
sécutif à  l'attouchement  de  la  cornée;  le  réflexe  patellaire,  et  le  réflexe  labio-menton- 
nier,  étudié  par  Dastre  et  Loye  (V.  Dastre,  Les  anesthésiques,  p.  84).  Le  réflexe  cardiaque 
disparaît  aussi,  quoique  plus  tardivement  (Nous  y  reviendrons,  quand  nous  parlerons  de 
la  syncope  chloroformique). 

Quant  aux  réflexes  respiratoires,  ils  ne  disparaissent  jamais,  tant  que  l'automatisme 
de  la  respiration  n'est  pas  aboli.  Le  fait  a  quelque  importance  au  point  de  vue  physiolo- 
gique; car  il  démontre  que  les  voies  de  conduction  dans  la  moelle,  soit  centripètes,  soit 
centrifuges,  ne  sont  jamais  lésées  assez  pour  être  interrompues.  Ce  qui  meurt  dans 


ANESTHÉSIE    et    A  N  ESTH  ÉSIQU  ES.  519 

l'anesthésie,  c'est  le  centre  nerveux  ;  ce  ne  sont  pas  les  appareils  de  conduction,  intra- 
on  extra-médullaires.  La  conduction  n'est  pas  notablement  altérée,  et  si,  pour  les  centres 
nerveux  autres  que  le  centre  respiratoire,  on  ne  peut  la  déceler,  c'est  que,  par  suite  de 
l'abolition  de  la  fonction  de  ces  centres,  il  est  impossible  de  constater  qu'une  excitation 
quelconque  peut  encore  leur  être  transmise. 

Cette  période,  pendant  laquelle  il  n'y  a  plus  de  réflexes,  est  la  vraie  période  anesthé- 
sique;  celle  pendant  laquelle  le  chirurgien  fait  l'opération.  Alors  non  seulement  la 
sensibilité  est  totalement  abolie  ;  mais  encore  des  réflexes,  parfois  dangereux,  sont  sup- 
primés, et  les  mouvements  du  patient,  qui  rendraient  difficiles  les  manœuvres  opéra- 
toires, sont  devenus  impossibles.  De  plus,  comme  dans  certains  cas  de  luxation,  par 
exemple,  l'abolition  de  la  tonicité  musculaire  permet  d'agir  sur  des  membres  inertes,  ce 
qui  est  un  grand  avantage. 

A  cette  période  la  pression  sanguine  est  très  diminuée;  elle  s'abaisse,  chez  les  ani- 
maux chloralisés,  jusqu'à  environ  8  ou  même  6  millimètres  de  mercure,  quelquefois 
moins  encore.  Par  suite  de  cet  abaissement  de  pression,  le  cœur  bat  assez  rapidement. 
Un  animal  chloralisé  et  non  refroidi  a  toujours  un  certain  degré  de  tachycardie,  ce  qui 
n'est  pas  dû  à  l'absence  des  effets  modérateurs  du  nerf  vague;  car  à  aucun  moment, 
comme  je  l'ai  souvent  constaté,  le  nerf  vague  ne  perd  le  pouvoir  de  ralentir,  et  même 
d'arrêter  les  mouvements  du  cœur.  Le  chloroforme,  qui  abaisse  la  pression  moins  que  le 
chloral,  accélère  aussi  beaucoup  moins  les  systoles  cardiaques. 

La  respiration  est  devenue  très  régulière;  car  les  excitations  psychiques,  qui,  à  l'état 
normal,  modifientincessammentle  rythme,  suivant  l'idéationet  lessensations  extérieures, 
ne  sont  plus  là  pour  exercer  leur  influence  perturbatrice.  Elle  est  superficielle;  car  l'hé- 
matose, à  cause  de  la  diminution  des  échanges,  peut  être  assurée  par  une  ventilation 
pulmonaire  faible,  et  sa  fréquence  ne  paraît  guère  modifiée.  Fredericq  a  montré  que  le 
chloral  agissait  d'une  manière  spéciale  sur  les  centres  respiratoires;  car,  chez  les  lapins 
chloralisés,  l'arrêt  de  la  respiration  a  lieu  en  expiration,  contrairement  à  ce  qui  se  pro- 
duit chez  les  lapins  normaux,  quand  on  excite  les  bouts  centraux  des  nerfs  pneumogas- 
triques (T.  P.,  1883,  p.  169,  flg.  6). 

La  force  musculaire  respiratoire  a  varié  d'une  manière  tout  à  fait  caractéristique. 
C'est  un  point  que  P.  L.^nglois  et  moi  nous  avons  étudié,  en  analysant  la  force  de  l'ex- 
piration et  la  force  d'inspiration  chez  les  chiens  chloralisés  {Trav.  Lab.,  1893,  t.  ii,  pp.  333- 
3ol.  Influence  des  jiressions  extérieures  sur  la  ventilation  pulmonaire).  Au  moyen  d'une  sou- 
pape de  MuLLER,  on  peut  dissocier  les  deux  fonctions  musculaires  de  la  respiration,  et 
noter  ce  qui  se  produit  quand  on  augmente  la  hauteur  de  la  colonne  de  mercure  à  tra- 
vers laquelle  doit  respirer  l'animal,  tant  pour  inspirer  que  pour  expirer.  Il  se  trouve 
que  l'effort  inspiratoire  est  peu  modifié  par  l'anesthésie  chloralique,  et  que  les  chiens 
peuvent  encore  surmonter  une  résistance  de  23  millimètres  de  mercure.  Au  contraire 
l'effort  expiratoire  est  presque  complètement  paralysé;  car  même  une  colonne  de  6  mil- 
limètres de  mercure  suffit  pour  abolir  toute  expiration,  et  par  conséquent  pour  asphyxier 
un  chien  anesthésié.  Autrement  dit,  dans  le  sommeil  chloroformique  profond,  le  moindre 
obstacle  à  l'expiration  est  dangereux  et  même  très  dangereux  (fait  important  pour  la 
pratique  chirurgicale),  tandis  que  l'inspiration  n'est  pas  sensiblement  affectée. 

On  comprendra  sans  peine  pourquoi  l'agent  anesthésique  établit  cette  différence  entre 
l'inspiration  et  l'expiration:  c'est  que,  dans  cette  période,  le  bulbe  respiratoire  n'est  pas 
atteint,  et  conserve  à  peu  près  toute  sa  force.  Or  l'expiration  n'est  pas,  comme  l'inspira- 
tion, due  à  l'innervation  automatique  du  bulbe;  elle  dépend  en  partie  de  l'élasticité 
pulmonaire,  retrait  du  poumon  qui  suit  la  distension  inspiratoire;  en  partie  de  la  con- 
traction musculaire  des  muscles  expirateurs,  muscles  mis  enjeu  par  un  effort  volontaire, 
ou  par  une  excitation  réflexe.  Or,  pendant  une  anesthésié  profonde,  il  ne  reste  plus 
ni  eftbrt  volontaire  ni  réflexe.  Il  n'y  a  plus  que  l'élasticité  pulmonaire  qui  puisse  déter- 
miner l'expiration;  et  cette  élasticité  n'est  pas  suffisante  pour  soulever  une  colonne 
de  3  à  6  millimètres. 

Un  des  phénomènes  constants  de  l'anesthésie,  et  surtout  de  l'anesthésie  chlorofor- 
mique, ce  sont  les  vomissements.  On  les  observe  presque  toujours  avec  le  chloral,  et  un 
peu  moins  fréquemment  avec  les  autres  anesfhésiques.  Comme  le  chloroforme  agit  sur 
les  vaisseaux  d'une  manière  tout  à  fait  différente  du  chloral,  on  ne  peut  vraiment  sup- 


320  ANESTHÉSIE    et    AN  ESTH  ÉSIQU  ES. 

poser  que  ces  vomissemenls  sont  dus  à  la  congestion  ou  à  l'anémie  bulbaires.  C'est  assu- 
rément un  phénomène  d'excitation  (par  la  substance  toxique)  des  centres  nerveux  qui 
président  au  vomissement.  Dans  certains  cas  ces  vomissements  sont  presque  incoercibles  ; 
il  faut  alors  continuer  l'administration  de  l'aneslhésique  ;  car,  par  les  progrès  de  l'in- 
toxication nerveuse,  les  centres  bulbaires,  qui  commandent  les  mouvements  expulsifs  de 
l'estornac  et  des  muscles  abdominaux,  finiront  par  être  paralysés  au  lieu  d'être  excités. 
Le  progrès  de  l'anesthésie  fait  cesser  les  vomissements.  Dans  d'autres  cas,  heureusement 
.  assez  rares,  alors  que  la  période  d'anestliésie  est  dissipée,  les  vomissements  reparaissent, 
.  souvent  très  douloureux  et  très  tenaces. 

Les  anesthésiques  agissent  certainement  sur  la  fibre  musculaire  elle-même.  Sydney 
Rincer  (cité  par  Dastbe,  loc.  cit.,  p.  9o)  a  vu  que  le  cœur  de  la  grenouille  est  empoisonné 
par  le  chloroforme.  Bert  (cité  aussi  par  Dastre)  a  vu  que  l'effet  musculaire  produit  par 
l'excitation  du  sciatique  allait  en  diminuant  avec  les  progrès  de  l'anesthésie.  J'ai  vu  se 
modifier  notablement  la  courbe  de  la  secousse  musculaire  des  écrevisses  placées  dans 
de  l'eau  chloroformée.  Mais,  malgré  cela,  il  est  clair  que,  môme  à  la  dose  anesthésique, 
la  fonction  des  muscles  n'est  guère  modifiée;  et  on  peut  dire  que  seuls,  les  centres  ner- 
veux sont  fortement  atteints. 

Le  sang  n'est  pas  altéré  par  le  chloroforme  et  l'éther,  et  probablement  aussi,  quoique 
moins  sûrement,  par  le  protoxyde  d'azote,  aux  doses  anesthésiques.  Le  sang  artériel  est 
rouge  ;  le  sang  veineux  n'est  pas  très  noir,  ce  qui  tient  à  la  faiblesse  des  échanges.  Agité 
à  l'air,  le  sang  garde  toujours  la  capacité  de  fixer  les  mêmes  proportions  d'oxygène.  Je 
m'en  suis  souvent  assuré  par  le  procédé  de  dosage  de  Schutzenberger. 

Les  échanges  respiratoires  sont  cependant  énormément  modifiés.  Avec  le  chloroforme 
peu  d'expériences  ont  été  faites,  taudis  que  la  question  a  été  souvent  étudiée  avec  le 
chloral.  Rumpf  a  trouvé,  avec  l'éther,  le  chloroforme,  l'alcool,  le  chloral,  une  diminution 
des  échanges  de  40,  50  et  60  p.  dOO;  et  parallèlement  une  diminution  correspondante  de 
la  température.  J'ai  fait  aussi  à  ce  sujet  de  nombreuses  recherches  sur  les  chiens 
(Echanges  respiratoires  et  chloral.  Trav.  du  lab.,  t.  i,  p.  o55)  et  j'ai  trouvé  que  les  chiens 
chloralisés  ne  produisaient  en  moyenne  que  OS'.eOO  d'acide  carbonique  par  kilo  et  par 
heure,  tandis  que  les  chiens  normaux  en  produisent  lKr,200.  Par  conséquent  l'activité 
ohimique  de  l'organisme  a  diminué  de  EO  p.  100.  Il  est  certain  qu'une  grande  part  de 
cette  diminution  reconnaît  pour  cause  la  résolution  musculaire  complète  qu'on  observe 
alors;  mais  il  est  probable  que  les  tissus  autres  ■que  les  muscles,  glandes  et  autres  appa- 
reils, subissent  aussi  une  diminution  de  leur  activité. 

Parallèlement  à  l'abaissement  des  échanges  on  observe  une  diminution  de  la  tempé- 
rature. Chez  l'homme,  par  le  fait  de  la  rapidité  de  l'anesthésie  et  des  précautions  qu'on 
prend  pour  empêcher  le  refroidissement,  cette  hypothermie  est  négligeable  ;  mais,  chez 
les  animaux  chloralisés,  elle  est  parfois  énorme;  et  peut  aller  jusqu'à  23°,  et  même 
plus  bas  encore.  Rumpf  a  noté  une  fois  18"  chez  un  cobaye  chloralisé. 

Il  m'a  élé  possible  de  montrer  par  une  expérience  très  simple  que  le  rôle  de  l'anes- 
lhésique dans  ce  cas  était  de  paralyser  le  pouvoir  régulateur  de  la  caloriflcation.  Chez 
un  chien  normal,  les  échanges,  et  par  conséquent  la  production  de  chaleur,  sont  en  rap- 
port avec  la  surface,  grâce  au  système  nerveux  qui  règle  le  phénomène;  mais,  chez 
l'animal  chloralisé,  cette  proportionnalité  avec  la  surface  n'existe  plus;  les  gros  et  les 
petits  chiens  fournissent  par  kilogramme  la  même  quantité  d'acide  carbonique.  Or, 
comme  la  déperdition  des  gros  et  des  petits  animaux  n'est  pas  la  même  par  kilogramme, 
et  qu'elle  se  fait  proportionnellement  non  au  poids,  mais  à  la  surface,  il  s'ensuit  que  les 
petits  chiens  chloralisés  doivent  se  refroidir  bien  plus  vite  que  les  gros.  Et  en  effet  il  en 
est  ainsi.  Donc  la  régulation  de  la  chaleur  par  rapport  à  la  surface  est  un  phénomène 
qui  dépend  du  système  nerveux  central.  Quand  l'animal  est  anêsthésié,  ce  pouvoir  régu- 
lateur a  disparu  (en  même  temps  que  toutes  les  autres  fonctions  du  système  nerveux 
central),  et  le  l'efroidissement  se  fait  proportionnellement  à  la  surface,  c'est-à-dire  plus 
vite  chez  les  petits  animaux  que  chez  les  gros. 

La  pupille,  à  la  troisième  comme  à  la  seconde  période,  est  toujours  rétrécie,  surtout 
avec  le  chloroforme;  elle  n'est  pas  susceptible  de  réflexes,  quoique  l'excitation  électrique 
du  grand  sympathique  ait  gardé  tout  son  pouvoir.  Ce  sont  donc  les  centres  nerveux  ré- 
flexes qui  sont  atteints  et  non  les  troncs  nerveux  conducteurs,  ni  les  terminaisons  nerveuses. 


ANESTHÉSIE    et    AN  ESTH  ÉSIQU  ES.  S'il 

La  circulation  périphérique  ne  se  comporte  pas  de  la  même  manière  suivant  la 
nature  de  l'agent  anesthésique  administré.  Avec  le  chloroforme  il  y  a  une  vaso-constric- 
tion  générale,  les  téguments  sont  pâles,  et  le  sang  des  artérioles  ouvertes  s'écoule  en 
petite  quantité  (Dastre,  p.  88)  ;  tandis  qu'avec  l'éther  il  y  a  plutôt  vaso-dilatation  et  con- 
gestion des  tissus.  L'éther  favorise  les  hémorrhagies,  tandis  que  le  chloroforme  les 
diminue. 

Même  après  les  hémorrhagies  abondantes,  le  chloroforme  parait  être  bien  supporté. 
KmMissoN.  De  l'anémie  consécutive  aux  hémorrhagies  Iraumatiques  et  de  son  influence  sur  la 
marche  des  blessures  {Th.  d'agrégat.  Paris,  1880). 

Quatrième  période.  Arrêt  de  la  respiration.  —  A  vrai  dire  cette  période  n'existe 
pas  dans  l'anesthésie  chirurgicale,  et  il  ne  faut  jamais  pousser  le  chloroforme  jusqu'à  la 
dose  qui  abolit  l'innervation  bulbaire.  Mais  sur  les  animaux,  en  poussant  au  maximum 
les  effets  anesthésiques,  on  voit  que  le  cœur  continue  à  battre  alors  que  les  mouvements 
respiratoires  aulomatiques  ont  cessé.  Il  faut  donc,  sous  peine  de  voir  l'animal  s'asphyxier, 
pratiquer  la  respiration  artificielle,  et  cela  parfois  pendant  plusieurs  minutes,  sans  que 
la  respiration  naturelle  revienne.  Mais  cette  suspension  de  l'effort  respiratoire  n'est 
jamais  dangereuse,  tant  que  le  cœur  bat;  car,  en  continuant  l'insufflation  pulmonaire, 
on  est  à  peu  près  sûr  de  voir  revenir  au  bout  d'un  temps  plus  ou  moins  long  la  respira- 
tion spontanée. 

Au  moment  de  la  mort  du  cœur,  comme  au  moment  de  l'asphyxie  respiratoire,  il  se 
produit  dans  la  pupille  un  phénomène  important;  c'est  la  brusque  dilatation.  Pendant 
le  sommeil  régulier,  qu'il  s'agisse  du  sommeil  chloroformique  ou  du  sommeil  naturel, 
la  pupille  est  rétrécie  parfois  à  l'extrême  ;  mais,  dès  que'survient  l'asphyxie,  elle  se  dilate. 
Aussi  les  chirurgiens  recommandent-ils  une  observation  attentive  de  la  pupille,  qui 
indique  dans  une  certaine  mesure  l'état  d'oxygénation  du  sang. 

V.  J.  DoGiEL.  Wirkung  des  Chloroforms  auf  clen  Organismus  der  Thiere  im  allgemeinem 
und  besonders  auf  die  Beioegung  der  Iris  (A.  Db.,  1866,  pp.  231  et  41b).  —  C.  Westhphal. 
Uber  ein  Puplllenphânomen  in  der  Chloroformnarkose  (A.  V.,  1863,  t.  xsvit,  pp.  409-412). 
—  P.  BuDTN  et  P.  CoYNE.  Rcch.  clin,  et  expérim.  sur  l'état  de  la  pupille  pendant  l'anesthésie 
chirurgicale  chloroformique  (A.  P.,  1873,  pp.  61-100).  —  M.  Schiff.  Nota  sulla  pupilla 
nella  narcosi  cloroformica  (Imparziale,  18T6,  t.  xvi,  p.  363).  —  Schlaoer.  Verânderungen 
der  Pupille  in  der  Chloroformnarkose  {(Jentrbl.  f.  Chir.,  1877,  p.  383).  —  Vogel.  Même  sujet 
(Pet.  med.  Woch.),  1879,  pp.  113,  123). 

La  mort  à  cette  période  peut  survenir  par  arrêt  du  cœur;  même  quand  il  n'y  a  pas 
trace  d'asphyxie.  Nous  ne  parlons  pas  ici  des  morts  primitives,  qui  surviennent  dans  le 
cours  de  la  troisième,  de  la  seconde  et  quelquefois  même  de  la  première  période;  mais 
de  ces  morts  lentes  où  la  respiration  continue,  superficielle  et  très  rare,  et  où  les  systoles 
ventriciilaires,  de  plus  en  plus  faibles,  finissent  par  s'éteindre  tout  à  fait.  Dans  ce  cas  la 
respiration  artificielle  ne  suffit  pas  à  empêcher  la  mort.  Il  est  bien  probable  qu'il  s'agit 
là  d'une  intoxication  profonde  (par  l'agent  anesthésique)  des  ganglions  nerveux  du  cœur 
ou  même  de  la  fibre  myocardique.  Il  est  en  outre  probable  que  l'abaissement  de  la 
pression  n'est  pas  sans  quelque  influence. 

En  tout  cas  la  mort  du  cœur  et  celle  de  la  respiration  ne  sont  pas,  à  cette 
période,  accompagnées  des  symptômes  bruyants  qu'on  observe  chez  les  individus  nor- 
maux. L'asphyxie,  dans  l'anesthésie,  a  lieu  sans  convulsions  ni  réactions  de  douleur. 
Mais  surtout,  ce  qui  est  un  point  essentiel,  l'asphyxie  se  produit  avec  une  lenteur 
extrême.  La  diminution  des  échanges,  l'absence  de  toute  réaction  convulsive,  comme 
aussi  (au  moins  dans  les  expérimentations  physiologiques)  l'abaissement  thermique, 
toutes  ces  causes  font  que,  sur  un  animal  1res  profondément  chloralisé,  on  peut  laisser 
la  trachée  fermée  pendant  longtemps  sans  déterminer  l'arrêt  asphyxique  du  cœur.  Chez 
les  lapins  par  exemple,  qui  à  l'état  normal  s'asphyxient  en  deux  minutes  et  demie  envi- 
ron, il  faut  parfois  six  et  même  huit  ou  dix  minutes  pour  les  asphyxier  quand  ils  sont 
chloralisés.  Fait  bien  important  à  noter,  puisqu'il  nous  prouve  que  la  suppression  de  la 
respiration  n'amène  pas  une  mort  rapide.  On  ne  peut  donc  l'incriminer  comme  cause 
de  mort,  à  moins  de  faute  lourde  de  la  part  de  l'opérateur.  Nous  reviendrons  d'ailleurs 
avec  détail  sur  ce  point  essentiel  qui  ne  doit  pas  être  traité  légèrement. 

Période  d'élimination  et  de  retour.  —  Le  retour  à  l'état  normal  se  fait  plus  ou 


522  ANESTHÉSIE    et    AN  ESTH  ÉSIQU  ES. 

moins  rapidement  selon  l'agent  anesthésique.  S'il  s'agit  d'un  corps  gazeux,  comme  le 
protoxyde  d'azote,  le  retour  est  tellement  rapide  que  la  sensibilité  reparaît  presque  aus- 
sitôt qu'on  a  cessé  les  inhalations.  Avec  l'éttier,  très  volatil,  le  retour  est  plus  rapide 
qu'avec  le  chloroforme.  Il  faut  comparer  à  ce  point  de  vue  les  substances  anesthésiques 
avec  les  substances  alcooliques  qui  amènent  l'ivresse.  Nous  avons  vu  (Alcool,  Toxicologie 
générale,  p.  244),  que  les  alcools  sont  d'autant  plus  longs  à  être  éliminés  qu'ils  sont  plus 
fixes.  Pour  les  anesthésiques,  plus  volatils  que  les  alcools,  il  en  est  de  même,  et  on  pour- 
rait presque  établir  une  gamme  dans  la  rapidité  de  l'élimination  d'après  la  volatilité  des 
substances  employées.  D'autant  plus  que  l'éther  et  le  chloroforme  ne  s'éliminent  proba- 
.  blement  pas  par  les  urines,  et  que  presque  tout  est  exhalé  par  le  poumon. 

Les  différentes  fonctions  reparaissent  en  suivant  à  peu  près  le  même  ordre  dans  leur 
retour  que  dans  leur  disparition.  Le  vertige,  la  titubation  et  la  céphalalgie,  sont  les 
symptômes  qui  persistent  le  plus  longtemps.  Le  chloroforme  produit  quelquefois  un 
très  léger  degré  d'albuminurie;  et  c'est  une  des  raisons  qu'on  a  invoquées  pour  préférer 
l'éther;  car  ces  troubles  dans  la  fonction  du  rein  paraissent  être  spéciaux  au  chloro- 
forme, et  faire  défaut  dans  l'anesthésie  par  le  protoxyde  d'azote  et  l'éther. 

Des  causes  de  la  mort  dans  l'anesthésie.  —  La  question,  intéressante  au  point 
de  vue  de  la  physiologie,  a  une  importance  primordiale  au  point  de  vue  chirurgical.  On 
compr.end  en  effet  que,  depuis  les  premières  observations  de  1847,  on  a  cherché  à  bien 
analyser  les  causes  de  la  mort. 

Disons  tout  de  suite  que  relativement  la  mort  est  rare,  et  même  très  rare.  Nous 
n'avons  pas  à  entrer  ici  dans  les  détails  statistiques  qui  seraient  mieux  placés  dans  un 
traité  de  chirurgie.  Mais,  en  rappelant  les  241  cas  de  mort  signalés  par  Duret  en  1879, 
pour  le  chloroforme,  en  tenant  compte  des  accidents  produits  par  les  autres  anesthé- 
siques, en  admettant  que  les  chirurgiens  n'aient  pas  tous  publié  tous  leurs  cas  malheu- 
reux, on  arrive  très  approximativement  à  un  chiffre  de  1000  cas  environ  qu'on  doit  con- 
sidérer comme  un  maximum  sans  doute  exagéré.  Ce  n'est  rien,  si  l'on  réfléchit  au  nombre 
immense  des  anesthésies  chirur-gicales  qui  ont  été  pratiquées,  et  pour  lesquelles 
toute  évaluation  précise  est  impossible.  Dastre  admet  une  mort  sur  2000  cas;  mais, 
comme  il  le  dit,  c'est  sans  doute  beaucoup  trop  fort  encore.  En  admettant,  sans  grandes 
preuves  à  l'appui  d'ailleurs,  le  chiffre  de  une  mort  sur  4000,  on  sera  plus  près  de  la 
vérité.  Mon  père,  dans  sa  longue  pratique,  comptant  à  peu  près,  à  ce  que  je  crois, 
9000  anesthésies,  n'a  eu  que  deux  cas  de  mort.  Dans  la  guerre  de  Sécession,  sur 
11448  chloroformisations,  il  n'y  a  eu  qu'une  mort;  dans  la  guerre  de  Crimée,  Baudens 
parle  de  une  mort  sur  10000  cas.  A.  Vernedil  (Comm.  orale)  évalue  les  chloroformisa- 
tions pratiquées  par  lui  à  12000  au  moins,  et  il  n'a  eu  que  deux  cas  de  mort;  encore 
s'agissait-i]  dans  un  cas  d'un  individu  trés.tuberculeux.  Nous  pouvons  donc  admettre  que 
c'est  en  moyenne  une  mort  sur  quatre  mille  patients.  La  probabilité  de  la  mort  par 
l'agent  anesthésique  est  donc  très   faible. 

Il  n'importe  pas  moins  d'en  connaître  aussi  exactement  que  possible  les  causes. 

Nous  laissons  de  côté  les  causes  accessoires,  dues  par  exemple  aux  impuretés  du 
chloroforme,  si  tant  est  que  ces  altérations  exercent  quelque  influence,  aux  hémor- 
rhagies  incoercibles  (auxquelles  l'éther  expose  plus  que  le  chloroforme)  ou  à  la  forma- 
tion d'azote  (?)  (Kappeler)  qui  entraverait  la  contractilité  du  cœur.  De  fait  la  mort  ne  sur- 
vient que  par  déficience  de  la  respiration  ou  du  cœur. 

Je  ne  craindrai  pas  ici  d'être  en  désaccord  avec  plusieurs  physiologistes  et  la  plupart 
des  chirurgiens,  en  affirmant,  sur  des  preuves  que  je  crois  positives,  que  la  mort  ne  sur- 
vient/awais  par  te  déficience  respiratoire. 

En  effet  l'arrêt  de  la  respiration  peut  avoir  lieu,  soit  au  début  de  l'anesthésie,  soit 
plus  tard,  à  la  période  de  résolution.  Il  faut  distinguer  ces  deux  conditions  bien  différentes. 

Pendant  la  période  d'agitation,  surtout  quand  il  s'agit  du  chloroforme,  on  voit  le 
malade  pris  d'une  agitation  frénétique,  avec  un  spasme  des  muscles  thoraciques,  une 
congestion  de  la  face,  et  un  aspect  violacé  qui  fait  penser  à  l'asphyxie.  Soudain  toute 
cette  agitation  cesse;  la  résolution  musculaire  remplace  l'état  convulsivo-tonique  des 
muscles;  la  tête,  qui  se  tenait,  sur  le  cou  contracture,  penchée  en  avant,  retombe  brusque- 
ment, et  en  môme  temps  le  pouls  s'arrête.  Est-ce  là  de  l'asphyxie? 

Rappelons-nous  ce  qui  survient  dans  l'asphyxie  normale  provoquée  par  l'oblitération 


ANESTHÉSIE    et    A  N  ESTH  ESIQU  ES.  5:23 

de  la  trachée.  Les  convulsions  asphyxiques,  très  analogues  à  l'agitation  anesthésique  du 
début,  durent  une  minute  à  peu  près;  puis,  pendant  trois,  quatre  et  même  cinq  minutes, 
il  y  a  encore  des  contractions  ventriculaires  efficaces;  or,  pendant  tout  ce  temps,  la  vie 
peut  revenir  si  l'on  fait  la  respiration  artificielle.  Jamais,  sauf  dans  les  cas  spéciaux  d'immer- 
sion, d'iiyperthermie,  de  fatigue  musculaire  et  d'atropinisation,  l'asphyxie  n'entraîne  la 
mort  du  cœuren  moins  de  quatre  à  cinq  minutes.  11  faudrait  donc  admettre,  pour  supposer 
que  cet  arrêt  respiratoire  primitif  entraîne  la  mort  du  malade,  que  le  chirurgien  ou  le 
physiologiste  opérateur  a  fait  cette  lourde,  et  très  lourde  faute  (bien  trop  grave  pour  que 
je  puisse  reprocher  à  «n  chirurgien  quelconque  de  l'avoir  faite),  de  rester  pendant  cinq 
minutes  devant  un  individu  qui  ne  respire  pas,  et  d'attendre  tranquillement  que,  par  les 
progrès  de  l'asphyxie,  le  cœur  finisse  à  la  longue  par  s'arrêter. 

Certes,  il  faut  toujours  observer  l'état  de  la  respiration;  il  faut  la  surveiller  avec  la 
plus  grande  attention;  il  faut  savoir  que  la  langue  à  demi  paralysée  peut  retomber  en 
arrière  sur  la  glotte,  et  opposer  un  obstacle  infranchissable  à  l'expiration  qui  est 
presque  impuissante;  mais  on  peut  être  rassuré,  si  le  cœur  continue  à  battre,  même 
quand,  pour  une  cause  ou  pour  une  autre,  la  respiration  a  été  suspendue  pendant  une  ou 
deux  minutes,  voire  même  pendant  trois  longues  minutes.  S'il  n'y  a  pas  paralysie  du 
cœur,  jamais  un  arrêt  respiratoire,  durât-il  trois  minutes,  ne  suffira  pour  produire  la 
mort.  Au  bout  de  trois  minutes,  et  souvent  bien  davantage,  la  respiration  artificielle  est 
encore  efficace  à  ramener  la  vie  et  les  respirations  spontanées.  Même  si  la  respiration 
naturelle  ne  revient  pas  tout  de  suite,  elle  ne  tardera  pas  à  revenir  après  la  respiration 
artificielle  continuée  aussi  longtemps  que  ce  sepa  nécessaire. 

Sur  les  chiens  on  peut,  quand  on  veut,  obtenir  expérimentalement  la  mort  rapide,  dès 
les  premières  inspirations  de  chloroforme.  Il  suffit  de  leur  donner  une  très  forte  dose  en 
inhalation.  Tout  de  suite,  après  une  courte  période  d'agilation  (presque  des  convulsions) 
qui  ressemble  beaucoup  à  une  vraie  asphyxie,  la  respiration  s'arrête,  la  résolution  sur- 
vient, et  l'animal  meurt.  Mais  cette  mort  n'est  pas  de  l'asphyxie,  car,  malgré  une  res- 
piration artificielle  vigoureuse  et  prolongée,  il  est  impossible  de  faire  revenir  le  cœur. 
Môme  les  grandes  inspirations  agoniques  ne  servent  à  rien;  le  cœur  reste  inerte,  et  la 
mort  est  définitive. 

Tous  les  physiologistes  et  tous  les  médecins  sont  d'accord  pour  établir  que  dans  ce 
cas  la  respiration  s'arrête  avant  le  cœur.  Le  fait  est  bien  certain;  mais  il  ne  s'ensuit  pas 
du  tout  que  ce  soit  l'arrêt  de  la  respiration  qui  entraîne  la  mort.  Assurément  l'absence 
de  la  respiration  serait  une  cause  de  mort  suffisante  si  la  respiration  artificielle  n'était 
pas  là;  mais  elle  est  là;  et  il  n'est  pas  besoin  d'être  un  grand  savant  pour  faire  la  trac- 
tion de  la  langue,  et  exercer  quelques  pressions  sur  le  thorax;  ce  qui  suffit  à  introduire 
un  peu  d'air  dans  le  poumon.  Le  médecin  le  moins  expérimenté  fera  ainsi;  et  pourtant 
il  ne  sauvera  pas  son  malade;  car,  presque  en  même  temps  que  la  respiration,  le  cœur 
s'est  arrêté.  Or  cet  arrêt  survient  bien  trop  vite,  et  est  trop  irrémédiable  pour  qu'on 
l'attribue  à  l'asphyxie.  Je  ne  puis  donc  accepter  l'opinion  de  Dastre  et  Morat  que  la  sup- 
pression delà  respiration  entraîne  l'arrêt  mortel  du  cœvr  {Dastre,  Anesthésiqu'es,  p.  126), 
car  au  contraire  l'arrêt  asphyxique  du  cœur  est  un  arrêt  tutélaire,  protecteur,  qui  ne  se 
termine  jamais  par  la  mort,  si,  au  moment  où  le  c(Bur  commence  à  se  ralentir  la  respi- 
ration artificielle  lui  rend  de  l'oxygène.  Dastre  et  Morat  disent  que  la  section  des 
pneumogastriques  éloigne  l'issue  mortelle.  Eh  bien,  je  crois  avoir  prouvé  que  c'est  pré- 
cisément le  contraire,  et  que  l'arrêt  du  cœur  retarde  notablement  la  mort,  de  sorte  que 
la  section  des  pneumogastriques  rend  la  mort  deux  fois  plus  rapide  (Cn.  Richet.  La  mort 
du  cœur  dans  l'asphyxie,  A.  P.,  1894,  pp.  6î)3-668). 

Donc  le  ralentissement  asphyxique  du  cœur  n'est  pas  une  cause  de  mort,  et  je  ne  puis 
admettre  que  la  syncope  respiratoire  soit  mortelle;  car  je  suppose,  bien  entendu,  qu'on 
ne  va  pas  rester  inactif  pendant  cinq  minutes,  mais  bien  qu'on  va  se  mettre  aussitôt  à 
pratiquer  la  respiration  artificielle,  dès  qu'on  verra  la  respiration  arrêtée. 

Ainsi  donc,  avec  tous  les  physiologistes,  et  en  particulier  avec  Laudeb-Brunton,  qui 
présidait  la  commission  de  Hyderabad,  je  suis  bien  convaincu  qu'il  y  a  d'abord  une 
syncope  respiratoire,  et  que  le  noyau  bulbaire  qui  commande  les  inspirations  est  para- 
lysé.avant  le  cœur.  Mais  ce  que  je  ne  puis  admettre,  c'est  que  cet  arrêt  respiratoire  soit 
la  vraie  cause  de  la  mort  dans  les  cas  chirurgicaux. 


524  ANESTHESIE    et    AN  ESTH  ESIQU  ES. 

Cette  importante  question  de  la  cause  de  la  mort  par  le  chloroforme  a  été  traitée 
avec  une  grande  ampleur  par  la  commission  dite  de  Hyderabarl.  Le  gouvernement  du 
Nizan  dans  l'Inde  a  ofîert  une  somme  de  25  000  francs  à  l'effet  de  savoir^dans  quelles  con- 
ditions on  peut  administrer  sans  danger  des  substances  anesthésiques.  Ed.  Laurie, 
LiUDER-BRONTON,  BuMFORD,  et  Rltstomji-Hakui,  Ont  fait  une  grande  quantité  d'expériences 
dans  l'Inde  durant  le  second  semestre  de  1889  {Lancet,  1890,  pp.  139,  149,421,433,486, 
olo,  662,  877,  1140,  et  surtout  pp.  1370-1388,  où  les  tracés  graphiques  obtenus  sont 
reproduits).  Dans  171  expériences  faites  sur  les  chiens,  et  26  expériences  faites  sur  les 
singes,  ils  ont  vu  constamment  le  cœur  s'arrêter  après  la  respiration,  et  quelquefois  long- 
temps après,  dans  les  proportions  suivantes  : 


CHIENS 

SINGES 

près   1  minute 

.    .    .           1  fois 

..  fois. 

—      2  minutes  .... 

.     .     .             10    — 

2  — 
8  — 
4  — 

—       4 



.   .    .        53  — 

—      3 

—       .    . 

.    .    .         32  — 

2  

—      6 

—       .... 

.    .    .         13  — 

2  

—       7 

—       .... 

.    .    .           8  — 

4  — 

—       8 

_ 

.    .    .           3  — 

2  — 

—      9 

—       .... 

.    .    .          2  — ' 

»  — 

—     10 

—       .... 

.    .    .           2  — 

1  — 

—     M    , 

—       .... 

...           1   — 

1,  — 

Il  semble  en  résulter  bien  nettement  un  fait  indiscutable,  c'est'qu'il  faut  3  à  4  minutes 
environ  pour  que.  dans  la  chloroformisation,  après  arrêt  des  mouvements  respiratoires, 
le  cœur  s'arrête  à  son  tour. 

Mais,  si  importante  que  soit  cette  statistique,  elle  ne  prouve  pas  du  tout  que  chez 
l'homme  la  mort  ne  soit  pas  due  à  l'arrêt  du  cœur. 

Les  longues  et  méthodiijues  expérimentations  de  la  commission  de  Hyderabad  prou- 
vent seulement  que  la  respiration  s'arrête  presque  toujours  avant  le  cœur;  que  par  con- 
séquent il  faut  surveiller  attentivement  la  respiration  et  faire  la  respiration  artificielle, 
dès  que  la  respiration  spontanée  s'est  arrêtée.  Cela  prouve  aussi  que  dans  presque  tous 
les  cas  le  temps  ne  fait  pas  défaut,  et  que,  par  conséquent,  le  chirurgien  est  inexcusable,  si 
son  patient  meurt  par  l'arrêt  de  la  respiration. 

Or  nous  croyons  que,  dans  les  cas  malheureux  de  mort  par  le  chloroforme,  le  chi- 
rurgien est  excusable;  car  ce  n'est  pas  par  l'arrêt  respiratoire  que  le  malade  est  mort, 
mais  par  l'arrêt  cardiaque. 

En  effet  il  n'est  pas  prouvé  du  tout  que,  dans  les  cas  où  le  cœur  s'est  arrêté  une  ou 
deux  minutes  après  la  respiration  spontanée,  la  respiration  artificielle  eût  pu  sauver  le 
malade.  Il  est  possible  qu'une  dose  trop  forte  de  chloroforme  introduite  dans  le  sang 
tue  d'abord  le  bulbe,  puis,  quelques  instants  après,  le  cœur;  et  cela  fatalement,  même 
si  on  remédie  au  défaut  de  respiration  spontanée  par  la  respiration  artificielle;  car  il  y  a 
trop  de  chloroforme  dans  le  sang  et  dans  le  cœur,  pour  qu'on  puisse  empêcher  la  mort 
des  ganglions  cardiaques,  mort  fatale,  malgré  une  hématose  assurée  par  une  respiration 
artificielle  énergique. 

Pour  résumer,  nous  dirons  qu'il  n'y  a  aucun  danger  à  l'arrêt  respiratoire  en  lui- 
même,  puisque  la  respiration  artificielle  permet  d'en  combattre  les  effets  ;  et  que  nous  ne 
supposerons  pas  de  chirurgien  assez  imprudent  pour  ne  pas  voir  pendant  trois  minutes 
que  la  respiration  s'est  arrêtée  et  pour  ne  pas  faire  immédiatement  la  respiration  arti- 
ficielle. Jamais,  à  moins  de  très  lourde  faute,  le  malade  ne  meurt  par  asphyxie.  Il  meurt 
par  syncope,  même  quand  le  cœur  s'arrête  quelque  temps  après  la  respiration,  carilfaut 
au  minimum  trois  ou  quatre  minutes  d'asphyxie  pour  faire  mourir  le  cœur. 

Si  la  mort  survient  à  celte  période  de  l'anesthésie,  c'est  qu'une  grande  quantité  de 
chloroforme  est  arrivée  trop  vite  au  contact  du  myocarde  et  des  ganglions  cardiaques, 
de  manière  à  arrêter  le  cœur,  non  pas  tout  de  suite,  mais  au  bout  d'un  certain  temps. 
Les  faits  qui  prouvent  cette  action  funeste  des  anesthésiques  sur  la  systole  cardiaque 
sont  innombrables,  et  je  me  contenterai  d'en  citer  quelques-uns.  Si  l'on  injecte  seule- 
ment un  demi-centimètre  cube  de  chloroforme  dans  la  veine  auriculaire  d'un  lapin,  on 


ANESTHESIE    et    AN  ESTH  ESIQU  ES.  525 

amène  instantanément  la  mort,  et  le  cœur  s'arrête  subitement.  Il  ne  faut  guère  de  dose 
plus  forte  pour  un  chien  de  moyenne  taille  recevant  dans  la  veine  une  injection  chloro- 
formique.  Troquart,  dans  un  excellent  travail,  a  très  bien  analysé  les  effets  du  chloral 
sur  V eiiAoca.Tde  {Action physiologique  du  chloral.  D.  P.,  1887,  Thèse  faite  au  laboratoire  de 
Marey,  soîts  la  direction  de  François-Franck).  L'anesthésie,  dite  par  sidération  ;  les  doses 
massives,  données  d'emblée,  constituent  une  pratique  qui,  fort  heureusement,  est 
abandonnée  aujourd'hui.  Et  en  effet,  ce  mode  d'administration  de  l'anesthésique  intro- 
duit dans  la  circulation  pulmonaire  des  quantités  de  chloroforme  beaucoup  plus  grandes 
que  la  petite  dose  injectée  directement  dans  la  veine.  Quoi  d'étonnant  à  voir  survenir 
alors  une  paralysie  cardiaque  soudaine,  réflexe  endocardique,  suivajit  Troquart,  et  que 
je  croirais  plutôt  myocardique. 

Mais,  qu'elle  soit  réflexe  ou  non,  cette  paralysie  du  cœur  est  la  vraie  cause  de  la  mort 
qu'on  a  signalée  dès  les  premières  inhalations   chioroformiques. 

On  peut  objecter  qu'il  n'est  pas  possible  de  comparer  le  cœur  d'un  animal  sain  et  le 
cœur  d'un  animal  chloroformé.  L'asphyxie  qui  amènerait  la  mort  au  bout  de  cinq  mi- 
nutes chez  l'être  sain  pourrait  l'amener  en  une  minute  chez  l'être  chloroformé.  Mais  l'expé- 
rience montre  qu'il  n'en  est  pas  ainsi;  un  animal  chloroformé  suppoite  l'asphyxie  pres- 
que aussi  bien  sinon  mieux  qu'un  animal  sain  :  d'ailleurs  soutenir  cette  doctrine,  c'est 
implicitement  admettre  la  même  opinion  que  moi,  puisque  je  prétends  que  le  danger  vient 
uniquement  du  cœur,  et  que  la  syncope  respiratoire  n'est  à  pas  craindre;  car  la  res- 
piration artificielle  remédie  efficacement  à  la  syncope  respiratoire,  tandis  que  rien  ne 
peut  remédier  à  la  syncope  cardiaque. 

Ainsi  l'arrêt  de  la  respiration,  n'est  pas  grave  en  lui-même.  Pourtant  c'est  le 
signe  redoutable  qu'il  y  a  une  intoxication  profonde;  que  par  conséquent  la  dose  de 
chloroforme  est  tout  près  de  la  dose  qui  va  tuer  le  cœur;  peut-être  même  que  la  dose 
qui  tuera  le  cœur  est  déjà  dépassée.  C'est  un  symptôme  grave,  un  signe  précurseur,  qui 
doit  faire  suspendre  toute  inhalation  nouvelle;  mais,  en  soi,  il  n'offre  aucun  danger  réel. 

Nous  pouvons  donc  hardiment  éliminer  l'hypothèse  de  la  mort  par  déficience  res- 
piratoire. 

Reste  maintenant  la  question  des  réflexes  cardiaques,  auxquels  on  a  souvent  essayé 
de  faire  jouer  un  rôle  prépondérant  dans  la  syncope  cardiaque  du  début,  réflexes  ayant 
pour  origine  le  trijumeau  ou  bien  les  nerfs  laryngés,  ou  même  un  nerf  sensible  ^quel- 
conque. Il  est  certain  que  l'excitation  d'un  nerf  sensitif  amène  toujours  un  changement 
notable,  soit,  le  plus  souvent,  accélération,  soit  ralentissement  dans  le  cœur;  dans  cer- 
tains cas,  ce  ralentissement  peut  aller  jusqu'à  la  syncope.  L'excitation  des  premières 
voies  respiratoires  par  une  substance  irritante,  acide  acétique,  alcool,  chloroforme,  fait 
cesser  aussitôt  les  inspirations  et  ralentit  le  cœur  chez  le  lapin  (Knoll).  FhaiN'çois-Franck 
a  donné  d'excellents  graphiques  de  ce  phénomène. 

Mais  cette  syncope  réflexe  peut-elle  amener  la  mort?  C'est  là  précisément  le  point  en 
litige,  et  que  pour  ma  part  je  ne  considère  pas  du  tout  comme  résolu,  malgré  l'accord 
unanime  des  physiologistes  et  des  chirurgiens  à  admettre  que  ces  réflexes  sont  mortels. 

D'abord,  chez  un  animal  norhnal,  expérimentalement,  une  excitation  réflexe,  si  forte 
qu'on  la  suppose,  n'entraîne  jamais  la  mort  définitive  du  cœur;  mais  seulement,  s'il 
y  a  syncope,  une  syncope  passagère.  Pourquoi  les  excitations  réflexes  produites  par 
les  vapeurs  du  chloroforme  entraîneraient-elles  la  mort  plutôt  que  les  excitations  directes 
des  nerfs  vagues,  ou  les  plus  violents  traumatismes,  si  ces  soi-disant  excitations  réflexes 
par  la  vapeur  caustique  du  chloroforme  n'étaient  au  fond  qu'une  intoxication  de  la  flbre 
musculaire  cardiaque  et  des  ganglions?  Puisque  jamais  on  n'a  pu,  par  l'excitation  élec- 
trique, même  la  plus  longue  et  la  plus  forte,  des  deux  nerfs  vagues,  arrêter  définitive- 
ment le  cœur,  je  ne  vois  pas  pourquoi  on  donnerait  au  chloroforme  la  propriété  d'agir 
plus  fortement  que  les  plus  énergiques  courants  d'induction  appliqués  directement  à  un 
nerf  vague  ou  à  un  nerf  sensitif  quelconque. 

L'excitation  des  vagues  n'a  jamais  produit  d'arrêt  mortel  du  cœur.  Au  contraire  elle 
a  paru  exercer  plutôt  une  influence  retardatrice,  tandis  que  la  section  des  vagues  et  l'in- 
jection d'atropine  ont  plutôt  agi  en  sens  inverse,  en  hâtant  la  mort  par  l'accélération 
produite  sur  les  mouvements  du  cœur.  C'est  là  une  considération  qui  doit  rendre  sus- 
pectes ces  soi-disant  syncopes  cardiaques  réflexes. 


3^26  ANESTHESIE    et    AN  ESTH  ESI  QU  ES. 

Même  lorsque  les  animaux  sont  profondément  chloroformés,  l'arrêt  du  cœur  par 
l'excitation  des  nerfs  vagues  n'entraîne  pas  la  mort.  Il  n'y  a  donc  vraiment  pas  lieu  de 
supposer  que  ce  qui  ne  tue  pas  le  cœur  très  intoxiqué,  va  pouvoir  faire  mourir  un  cœur 
à  demi  empoisonné,  alors  que  d'autre  part,  sur  un  cœur  normal,  la  galvanisation  des 
nerfs  vagues  est  sans  danger.  L'innocuité  des  excitations  prolongées  des  nerfs  vagues  est 
une  de  ces  expériences  que  tous  les  professeurs  de  physiologie  répètent  chaque  année  à 
leurs  cours. 

Il  ne  faudrait  cependant  pas  nier  toute  intluence  réflexe  sur  le  cœur,  comme  cause 
de  syncope  mortelle.  En  effet,  quoique  le  fait  soit  prodigieusement  rare,  une  émotion 
morale  la  frayeur,  une  excitation  périphérique  très  douloureuse,  peuvent  amener  la 
mort.  J'en  ai  cité  des  exemples  d'après  Hosteing  {Physiologie  des  ?njjscie.s  et  des  ?u')'fs  (1882), 
p.  748).  Terhier  et  Përaire  (toc.  cit.,  p.  132)  en  citent  aussi  des  exemples  intéressants,  de 
sorte  qu'on[ne  saurait  attribuer  aux  anesthésiques  cette  propriété  étonnante  de  supprimer 
la  possibilité  d'une  mort  subite  accidentelle  par  syncope  cardiaque.  Tout  ce  qu'on  peut 
dire,  c'est  que  les  syncopes  réflexes  se  terminant  par  la  mort,  chez  un  sujet  non  atteint 
d'affection  cardiaque,  sont  tellement  exceptionnelles  qu'on  peut  presque  les  révoquer  en 
doute. 

Pourtant  je  ne  voudrais  pas  être  trop  afflrmatif.  Cette  mort  par  réflexe  cardiaque  est 
possible.  Par  conséquent  il  faut  se  prémunir  contre  elle,  et  éviter  les  effets  désagréables, 
de  suffocation  et  d'irritation,  que  produisent  les  premières  inhalations  des  vapeurs  chlo- 
formiques.  11  est  probable  que  l'irritation  des  fosses  nasales  et  du  larynx  est  parfois 
une  cause  de  syncope  réflexe  ;  ce  qui  est  douteux,  c'est  que  cette  syncope  puisse  devenir 
mortelle. 

De  même  aussi  le  traumatisme  opératoire,  si  l'anesthésie  n'est  pas  complète,  peut 
amener  un  arrêt  réflexe  du  cœur.  Que  cette  syncope  soit  mortelle,  je  ne  le  crois  guère; 
car  expérimentalement  on  ne  peut  l'amener.  Les  membres  de  la  commission  d'Hyde- 
rabad  n'ont  jamais  pu  amener  l'arrêt  du  cœur  par  l'excitation  électrique  des  nerfs 
vagues  ;  mais,  d'autre  part,  la  réduction  des  luxations  et  certaines  petites  opéra- 
tions douloureuses,  faites  pendant  une  anesthésie  imparfaite,  ont  parfois  déterminé 
des  syncopes  finalement  mortelles.  Qui  sait,  d'ailleurs,  si  un  cœuràdemi  empoisonné  par 
le  chloroforme  n'est  pas  devenu  plus  sensible  aux  inhibitions  réflexes  qu'un  cœur  sain  et 
normal?  Nous  savons  qu'on  ne  détermine  pas,  par  une  excitation  réflexe,  aussi  violente 
qu'on  voudra,  la  mort  d'un  cœur  sain.  Mais  nous  ne  sommes  pas  aussi  certains  que  cette 
même  excitation  réflexe  ne  va  pas  paralyser  un  cœur  qui  se  contracte  mal,  et  que  le 
chloroforme  a  déjà  presque  complètement  empoisonné. 

Donc,  tout  en  ne  croyant  pas  à  la  syncope  réflexe,  comme  après  tout  c'est  une  ques- 
tion de  vie  ou  de  mort,  et  non  pas  uii  simple  problème  de  physiologie,  je  pense  qu'il 
faut  faire  comme  si  cette  syncope  réflexe  mortelle  était  démontrée,  et  prendre  toutes  les 
précautions  nécessaires  pour  l'éviter;  d'autant  plus  que,  pour  d'autres  raisons,  le  sys- 
tème des  inhalations  lentement  progressives  est  en  tout  point  préférable  au  S3'stème  des 
inhalations  brusques. 

Pour  résumer  cette  discussion  —  un  peu  longue,  mais  nécessaire  en  un  sujet  inté- 
ressant à  la  fois  la  physiologie  et  la  chirurgie,  — je  dirai  que  la  cause  de  la  mort  au 
début  de  la  chloroformisatiou  me  parait  presque  exclusivement  la  syncope  cardiaque,  et 
que  cette  syncope  cardiaque  n'est  probablement  pas  d'origine  réflexe,  mais  produite  par 
l'intoxication  même  du  myocarde.  Aussi  ne  me  parait-il  pas  très  rationnel  d'adopter  le 
procédé  que  Dastre  et  Morat  ont  recommandé,  c'est-à-dire  d'associer  l'atropine  au 
chloroforme.  11  me  semble  que,  surtout  chez  l'homme,  l'atrophine  expose  à  des  dangers 
spéciaux,  de  sorte  que  l'emploi  de  l'atropine,  au  lieu  de  remédier  au  péril  des  syncopes 
réflexes,  que  je  considère  comme  illusoire,  surajoute  les  dangers  de  l'empoisonnement 
par  un  alcaloïde  très  toxique  aux  dangers  même  du  chloroforme.  Il  semble  du  reste 
qu'on  ait  en  général  abandonné  cette  méthode.  Reynier  {Bull.  Soc.  de  chir.,  1890)  a 
signalé  un  cas  de  mort.  Si  Dastre  et  Morat  ont  eu  des  résultats  très  favorables  dans 
l'expérimentation  physiologique,  c'est  qu'ils  donnaient  à  leurs  chiens  de  la  morphine 
en  même  temps  que  de  l'atropine,  ce  qui  leur  permettait  de  diminuer  beaucoup  la  dose 
de  chloroforme,  et  par  conséquent  de  ne  pas  introduire  trop  rapidement  de  grandes 
quantités  de  la  substance  anesthésique. 


ANESTHESIE    et    A  N  ESTH  ESIQU  ES.  o27 

Ce  que  nous  venons  de  dire  sur  la  mort  dans  la  période  d'agitation  et  dans  celle 
d'anestliésie  nous  permettra  d'être  bref  pour  les  causes  de  la  mort  dans  la  période  de 
résolution.  On  ne  peut  plus  alors  invoquer  l'action  réflexe,  puisque  tout  réflexe  est  sup- 
primé, mais  on  peut  encore  attribuer  quelque  importance  à  la  syncope  respiratoire. 
Dans  le  décours  normal  des  phénomènes,  c'est  bien  le  bulbe  respiratoire  qui  meurt  le 
premier,  avant  le  cœur,  mais  cela  ne  signifie  pas  que  la  mort  soit  une  asphyxie.  Les 
hommes  qui  meurent  pendant  la  chloroformisaLion  à  la  période  d'anesthésie  complète  , 
sont  livides,  cadavériques,  et  ne  présentent  pas  l'aspect  violacé,  congesLif,  des  indi- 
vidus asphyxiés.  Je  suppose  toujours,  bien  entendu,  que  le  chirurgien,  voyant  la  respi- 
ration arrêtée,  n'a  pas  commis  la  faute  de  ne  pas  faire  la  respiration  artificielle,  qui  a 
pour  effet  d'introduire  immédiatement  une  quantité  d'oxygène  qui  doit  suffire  ample- 
ment à  tous  les  besoins  des  tissus. 

.  Si  donc,  dans  les  cas  chirurgicaux,  la  mort  survient  dans  le  cours  de  l'anesthésie  très 
profonde,  il  me  paraît  que  la  seule  cause  de  cette  mort,  c'est  l'intoxication  du  cœur, 
dont  la  fibre  musculaire  ou  les  ganglions  ont  été  graduellement  atteints  par  le  poison. 

De  là  une  conséquence  pratique  importante,  c'est  qu'il  faut  toujours  avoir  devant  les 
yeux  la  gravité  de  la  syncope  cardiaque  à  laquelle  on  ne  peut  porter  remède,  tandis  que 
la  syncope  respiratoire,  si  elle  ne  se  complique  pas  de  troubles  cardiaques,  n'a  vraiment 
aucune  gravité,  puisque  on  peut  la  combattre  très  facilement.  Les  actions  réflexes,  à 
mon  sens,  ne  sont  pas  à  craindre,  et  le  seul  danger,  —  mais  celui-là  est  très  redou- 
table, —  réside  dans  l'empoisonnement  du  cœur.  Par  conséquent,  dans  les  maladies  du 
cœur,  tout  aneslhésique  ne  devra  être  employé  qu'avec  une  extrême  circonspection. 

La  respiration  artificielle  n'est  pas  seulement  utile  pour  suppléer  à  la  respiration 
spontanée  qui  s'est  arrêtée,  mais  elle  agit  encore  de  la  manière  la  plus  efficace  sur  les 
systoles  des  ventricules;  la  distension  pulmonaire  favorise  mécaniquement  la  circu- 
lation intra-cardiaque,  de  sorte  qu'outre  son  rôle  chimique,  qui  est  souverain,  elle  a 
encore  un  autre  rôle,  mécanique,  très  salutaire.  C'est  donc,  dans  les  cas  de  mort  immi- 
nente, le  remède  héroïque  qu'il  faut  résolument  appliquer,  sans  préjudice  des  autres 
procédés  accessoires,  comme  la  position  déclive,  la  flagellation,  le  massage;  toutes 
manœuvres  qui  refoulent  le  sang  vers  les  parties  centrales  pour  obvier  au  défaut  de 
pression. 

Dans  l'administration  d'un  aneslhésique  quelconque,  et  surtout  du  chloroforme,  il 
faut  absolument  proscrire  la  méthode  barbare  de  la  sidération,  qui  introduit  de  grandes 
quantités  de  poison,  pénétrant  à  dose  massive  dans  le  poumon  et  de  là  en  moins  de 
deux  secondes  dans  le  cœur,  de  manière  à  abolir , irrémédiablement  la  contractilité  car- 
diaque. 

Avec  du  chloroforme  bien  pur,  donné  progressivement,  par  petites  fractions,  chez  un 
malade  dont  le  cœur  est  sain  et  dont  on  surveille  attentivement  la  respiration,  les  voies 
respiratoires  étant  tenues  aussi  libres  que  possible,  avec  l'intention  bien  nette  de  faire  au 
premier  arrêt  respiratoire  une  vigoureuse  respiration  artificielle,  on  peut  être  à  peu  prés 
sur  d'éviter  les  accidents.  Tout  au  moins,  si  un  malheur  arrive,  n'aura-t-on  rien  à  se 
reprocher. 

Emploi  répété  des  anesthésiques.  Intoxication  chronique.  —  L'emploi  répété 
des  anesthésiques  conduit  certainement  à  un  état  qui  se  rapproche  beaucoup  de  l'alcoo- 
lisme; dégénérescence  graisseuse  des  tissus,  albuminurie,  dépression  psychique,  vomis- 
sements répétés,  incoercibles.  Avec  le  chloroforme,  chez  l'homme,  l'intoxication  chronique 
est  rare.  C'est  un  poison  trop  actif  pour  être  employé  facilement  par  les  personnes  qui 
demandent  une  ivresse  à  demi  consciente.  Mais  l'éther  est  fort  en  usage,  et  on  pourrait 
décrire  un  éthérisme  qui  serait  très  voisin  de  l'alcoolisme,  et  à  certains  égards  du  mor- 
phinisme.  Il  y  a  aussi  des  cas  de  chloralisme.  J'en  ai  pour  ma  part  connu  un  exemple 
typique.  Alors  la  consommation  du  poison  quotidien  devient  un  besoin  urgent.  Pour 
l'éther,  comme  pour  l'alcool,  comme  pour  le  chloral,  comme  pour  la  morphine,  l'habi- 
tude crée  une  sorte  d'exigence  à  la  fois  organique  et  psychique;  et  la  suspension  du 
toxique  habituel  entraîne  un  état  d'insomnie,  d'agitation  et  de  soufirance. 

P.  Bert  a  étudié  sur  le  chien  les  effets  du  chloroforme  donné  à  diverses  reprises 
pendant  longtemps  (B.  B.,  août  1883,  p.  71).  Pendant  trente-deux  jours  un  chien  fut 
soumis  chaque  jour  au  chloroforme.  Il  n'y  eut  pas  d'accoutumance  à  l'anesthésie,  mais 


528  ANESTHESIE    et   AN  ESTH  ESIQU  ES. 

seulement  à  la  période  d'excitation  du  début  qui  allait  toujours  en  s'amoindrissant.  On 
nota  un  amaigrissement  général,  progressif,  et  de  la  stéatose  du  foie,  comme  dans  l'al- 
coolisme. 

En  donnant  pendant  près  de  deux  mois  2  grammes  de  chloralose  à  dose  anesthé- 
sique  à  un  chien  de  8  kilogrammes,  j'ai  constaté  une  sorte  d'accoutumance,  c'est-à-dire 
une  sensibilité  moindre  à  l'action  du  poison;  mais  cette  accoutumance  était  bien  moins 
marquée  que  l'accoutumance  à  la  morphine. 

Injecté  sous  la  peau  à  dose  faible  non  anesthésique,  le  chloroforme  paraît  exercer 
une  action  nuisible  sur  les  reins,  et  il  se  produit  à  la  longue  de  l'albuminurie  et  de  la 
stéatose  viscérale,  lésions  qui  semblent  bien  être  le  mode  de  mort  des  tissus  soumis  à 
l'action  prolongée  et  faible  des  alcools,  des  éthers,  et  par  conséquent  des  substances 
anesthésiques. 

Il  faudrait  peut-être  rattacher  à  l'histoire  de  ces  intoxications  chroniques  l'empoi.- 
sonnement  lent  par  le  sulfure  de  carbone.  En  effet,  ce  gaz  est,  à  la  dose  toxique,  un 
véritable  anesthésique,  quoiqu'il  soit  absolument  impossible  de  s'en  servir  dans  la  pra- 
tique à  cause  de  sa  toxicité  et  des  dangers  de  son  maniement  (Voir  Chloroforme, 
Sulfure  de  carbone). 

Administration  des  anesthésiques.  —  Nous  avons  vu  que  le  procédé  de  la  sidé- 
ration  est  dangereux  et  doit  être  absolument  banni.  Il  faut  donc  mettre  en  usage  l'anes- 
thésie  lente,  avec  une  dose  de  chloroforme,  parfois  considérable  quant  à  la  quantité 
totale  finalement  employée,  mais  toujours  faible  quant  à  la  proportion  du  gaz  anesthé- 
sique contenu  dans  l'air  inspiré.  C'est  là  une  donnée  empirique.  P.  Bert  en  a  su  donner 
la  formule  rationnelle,  et  en  imaginer  une  application  scientifique  ingénieuse  par  l'em- 
ploi des  mélanges  titrés. 

Scientifiquement  le  procédé  est  excellent;  et  il  se  fonde  sur  une  loi  de  physique 
évidente,  à  savoir  que  la  quantité  de  chloroforme  (ou  d'éther,  ou  de  protoxyde  d'azote) 
dissous  dans  le  sang  est  proportionnelle  à  la  tension  de  sa  vapeur  dans  l'air  inspiré. 
D'autre  part,  la  dose  toxique  d'un  corps  quelconque  est  nécessairement  proportionnelle 
à  la  quantité  de  ce  corps  dissoute  dans  le  sang.  Par  conséquent,  en  graduant  la  tension 
de  la  vapeur  chloroformique  dans  l'air,  on  peut  faire,  comme  on  veut,  varier  la  quantité 
dissoute  dans  le  sang.  Donc  on  peut  graduer  la  dose  de  chloroforme  qui,  par  le  sang, 
arrive  au  contact  des  centres  nerveux  et  du  cœur. 

Cette  méthode  revient  ainsi  à  faire  respirer  au  patient  des  mélanges  titrés  de  telle 
sorte  que  l'on  a  atteint  la  dose  anesthésique  sans  avoir  encore  atteint  la  dose  toxique. 
En  étudiant  les  effets  de  divers  mélanges  titrés,  P.  Bert  a  vu  qu'il  y  a  une  dose  qui 
engourdit,  une  dose  qui  anesthésie,  sans  provoquer  la  mort,  et  une  dose  qui  aneslhésie, 
mais  qui  est  dangereuse;  ce  qu'on  peut  encore  exprimer  en  disant  qu'il  y  a  :  1°  une 
dose  inefficace;  2°  ,une  dose  anesthésique,  non  dangereuse,  ou  dose  maniable;  3°  une 
dose  anesthésique,  dangereuse. 

Pour  le  chien,  voici  les  résultats  (Dastre,  loc.  cit.,  p.  106)  :  A4  p.  100  de  chloroforme 
dans  l'air  inspiré,  pas  d'anesthésie  et  mort  au  bout  de  9  à  10  heures.  A  6  p.  100,  pas 
d'anesthésie  et  mort  en  6  ou  7  heures.  A  8  p.  100,  lente  anesthésie  et  mort  en  4  heures. 
A  10  p.  100,  anesthésie  en  quelques  minutes  et  mort  en  2  ou  3  heures.  Les  mélanges 
supérieurs  anesthésient  très  vite.  La  mort  survient  en  2  heures  par  le  mélange  à  12 
p.  100;  en  40  minutes  par  le  mélange  à  15  p.  100;  en  une  demi-heure  pour  le  mélange 
à  20  p.  100;  en  3  minutes  pour  le  mélange  à  30  p.  100.  Ce  sont  les  doses  de  8,  9,  10, 
H  et  12  p.  100  qui  constituent  les  doses  maniables,  celles  qui  permettent  au  chirurgien 
d'opérer  avec  sécurité,  sans  avoir  à  craindre  les  à-coups  dans  la  tension  variable  des 
vapeurs  anesthésiantes,  à-coups  qu'on  produit  forcément  quand  on  verse  du  chloroforme 
ou  de  l'éther  sur  une  compresse,  un  cornet  ou  tout  autre  appareil  qui  ne  comporte  pas 
la  graduation. 

On  a  donc  essayé  d'appliquer  à  la  pratique  chirurgicale  cette  importante  donnée 
scientifique.  Déjà  Clover,  sans  en  donner  la  théorie,  avait  employé  un  appareil  de 
dosage  et  de  titration  du  chloroforme  dans  l'air  inspiré.  Mais  c'était  encore  de  l'empi- 
risme. Au  contraire,  sur  les  indications  de  P.  Bert,  des  appareils  plus  précis  ont  été 
construits  par  lui  et  par  ses  élèves,  de  Saint-Martin,  Aubeau,  R.  Dubois,  V.  Tatin, 
R.  Blanchard,  Fontaine  (R.   Dubois.  Anesthésie  physiologique  et  ses  applications.  Paris, 


ANESTHESIE    et    A  N  ESTH  ESIQU  ES.  o-29 

1894,  p.  -106.  —  Blanchard.  Anesthésie  par  le  protoxy de  d'azote.  D.  P.,  1880).  Les  résultats 
en  ont  été  excellents,  mais  malheureusement  la  complication  de  ces  vastes  et  coûteux 
appareils  en  a  restreint  les  usages,  et,  de  fait  —  cela  est  regrettable  à  dire,  —  on  ne  Fa 
guère  employé,  si  bien  qu'aujourd'hui  on  ne  s'en  sert  pas  dans  les  hôpitaux  de  Paris, 
ni  ailleurs.  Cependant  la  méthode  par  les  mélanges  titrés  a  eu,  entre  autres,  le  grand 
mérite  de  montrer  avec  évidence  le  danger  des  fortes  doses  brusquement  données,  et  par 
conséquent  de  contribuer  à  propager  la  méthode  d'une  anesthésie  par  doses  faibles,  pro- 
gressives. 

Au  point  de  vue  de  la  pratique  chirurgicale,  nous  n'avons  pas  à  entrer  dans  le  détail. 
On  trouvera  dans  les  ouvrages  spéciaux  les  renseignements  nécessaires  (F.  Terrier 
et  PÉRAiRE.  Manuel  d'anesthésie  chirurgicale,  1894).  Plus  loin,  à  propos  du  protoxyde 
d'azote,  nous  reviendrons  sur  la  de'termination  de  la  zone  maniable. 

Comparaison  des  divers  anesthésiques.  —  Ce  serait  une  très  longue  étude  que 
l'histoire  physiologique  minutieuse  de  toutes  les  substances  anesthésiques. 

Nous  nous  contenterons  d'une  indication  sommaire,  renvoyant  pour  les  détails  aux 
articles  Éthers,  Chloroforme,  Protoxyde  d'azote. 

L'éther  agit  moins  vite  que  le  chlorofor'me,  et  il  est  assurément  bien  moins  toxique. 
On  peut  en  donner  la  démonstration  évidente  sur  les  animaux  à  sang  froid,  par  exemple 
les  poissons,  en  les  faisant  vivre  dans  de  l'eau  contenant  des  quantités  mesurées 
d'éther  ou  de  chloroforme.  On  voit  alors  que  l'éther  est  à  peu  près,  à  poids  égal,  dix  fois 
moins  toxique  que  le  chloroforme  (G.  Houdaille.  Étude  sur  les  nouveaux  hijpnotiques. 
D.  P.,  1893). 

L'éther  a  une  période  d'ivresse  plus  longue,  plus  consciente  que  celle  du  chloroforme; 
les  effets  se  dissipent  plus  rapidement,  la  vaso-constriction  est  moindre,  et  l'anémie 
cérébrale  est  moins  à  craindre.  Arloing,  qui  a  étudié  de  très  près  les  effets  comparés  des 
deux  corps  (Recherches  exp.  comp.  sur  l'action  du  chloral,  du  chloroforme  et  de  l'élhcr  avec 
ses  appl.  prat.,  D.  P.,  1879),  admet  que  la  pression  baisse  plus  avec  l'éther  qu'avec  le 
chloroforme. 

Flourens,  en  indiquant  aux  chirurgiens  les  effets  du  chloroforme  en  dS47,  disait  : 
«  Si  l'éther  est  un  agent  merveilleux  et  terrible,  les  effets  du  chloroforme  sont  plus 
merveilleux  et  plus  terribles  encore.  «  Ces  paroles,  dit  avec  raison  R.  Ddbois,  donnent 
une  idée  exacte  des  avantages  et  des  inconvénients  relatifs  de  ces  deux  anesthésiques. 

Actuellement  il  y  a  une  tendance  de  divers  chirurgiens  à  revenir  à  l'éther;  pour- 
tant c'est  toujours  le  chloroforme  qui  l'emporte  encore.  A  Lyon,  et  aussi,  paraît-il, 
à  New-York,  on  emploie  aujourd'hui  l'éther  (plutôt  que  le  chloroforme.  Nous  n'avons 
pas  à  prendre  parti  ;  car  le  choix  de  l'un  ou  l'autre  de  ces  deux  excellents  anesthésiques 
ne  peut  être  guère  déterminé  par  des  raisons  physiologiques,  mais  seulement  par  des 
motifs  empruntés  à  la  pratique  chirurgicale  elle-même. 

Le  protoxyde  d'azote  ne  peut  guère  servir  que  pour  des  opérations  de  courte  durée, 
comme  par  exemple  pour  les  extractions  dentaires.  Malgré  une  vraie  innocuité,  il  y  a 
cependant  eu  des  cas  de  mort.  Rottenstein,  en  1880  (Traité  de  l' anesthésie,  p.  387),  ne 
pouvait  citer  que  deux  décès,  et  il  y  a  eu  certainement  plus  de  trois  cent  mille  anes- 
thésies  par  le  protoxyde  d'azote. 

A  vrai  dire,  depuis  1880,  on  a  signalé  de  nouveaux  accidents  :  cependant,  tout  compte 
fait,  le  protoxyde  d'azote  est  moins  toxique  que  le  chloroforme  et  l'éther.  Voici  les  seuls 
cas  de  mort  que  nous  ayons  pu  rencontrer  dans  la  bibliographie.  Browne  Mason,  Drak 
et  Pattison.  Alleged  death  from  the  effects  of  nitrous  oxide  (Trans.  Odont.  Soc.  Gr.  Brit., 

1872,  pp.  83-94).  —  Death  after  the  administration  of  nitrous  oxide  (Brit.  med.  Journ., 

1873,  (1),  pp.  126  et  264).  —  Death  while  under  the  effects  of  nitrous  oxide  (Lancet,  (1), 
1887,  p.  509).  —  Homicide  par  imprudence.  Anesthésie  par  le  protoxyde  d'azote;  mort  du 
patient,  jugement  (Gaz.  des  hôpit.,  1885,  p.  117).  — Purcell.  Death  from  the  inhalation 
of  nitrous  oxide  gaz  (Philad.  med.  and  surg.  Rep.,  1872,  p.  343).  —  "W.  R.  'Wil- 
liams. A  death  during  the  administration  of  nitrous  oxide  gaz  (Brit.  med.  Journ.,  1883,  (2), 
p.  729).  —  XiFiA.  Caso  de  muerte  debida  a  la  administracion  del  gas  proloxido  de  azue 
(Lanceta  di  Barcelona,  188a,  pp.  2-4).  —  Reported  death  under  nitrous  oxide  (Lancet,  1889, 
(2),  p.  712). 

DICT.  DE   PHYSIOLOGIE.    —  TOME.    I.  34 


530  ANESTHÉSIE    et    AN  ESTH  ESIQU  ES. 

Une  première  question  se  pose  au  pliysiologiste  ;  c'est  de  savoir  si  le  protoxyde 
d'azote  agit  par  une  anesthésie  due  à  un  vrai  état  asphyxique,  ou  bien  parce  qu'il  a  une 
puissance  anesthésique  propre. 

La  théorie  de  l'asphyxie  était  admissible,  jusqu'aux  belles  expériences  de  P.  Bert, 
et  on  pouvait  prétendre  que  l'action  du  protoxyde  d'azote  est  surtout  de  l'asphyxie. 
En  effet  l'aspect  violacé  du  patient  et  son  agitation  convulsive  ne  diffèrent  pas  notable- 
ment du  tableau  de  l'asphyxie,  à  cela  près  que  l'ivresse  dissimule  la  sensation 
asphyxique.  On  était  donc  presque  autorisé  à  admettre  que  le  protoxyde  d'azote  pur  as- 
phyxie et  n'anesthésie  pas.  Pourtant,  en  étudiant  les  réactions  des  végétaux  au  protoxyde 
d'azote  et  en  faisant  beaucoup  d'expériences  sur  les  animaux,  Goldstkin,  dont  Rottens- 
TEiN  donne  avec  détail  les  protocolles  d'expérience  (p.  104),  a  montré  que  le  protoxyde 
d'azote  amenait  vraiment  l'anesLhésie.  A  vrai  dire,  c'est  surtout  P.  Bert  qui  en  a  donné 
une  élégante  et  irréfulable  démonstration  en  augmentant  la  pression  du  protoxyde 
d'azote  inhalé,  ou  en  ajoutant  de  l'oxygène  au  protoxyde  d'azote  pur. 

On  sait  que  les  mélanges  de  divers  gaz  agissent  sur  les  liquides  pour  se  dissoudre  et 
produire  un  effet  chimique  comme  si  chacun  de  ces  gaz  était  seul;  c'est-à-dire  que  la 
pression  à  laquelle  chaque  gaz  se  trouve  est  indépendante  de  la  pression  du  mélange, 
mais  fonction  seulement  de  sa  pression  propre.  Par  conséquent,  si  le  protoxyde  d'azote 
mélangé  à  l'air  ne  produit  l'anesthésie  que  lorsque  en  même  temps  il  produit  l'asphyxie, 
c'est  parce  que,  pour  atteindre  la  dose  anesthésique,  il  faut  une  quantité  de  protoxyde 
d'azote  si  considérable  qu'alors  dans  le  mélange  gazeux  il  y  a  en  même  temps  un 
déficit  d'oxygène.  Eh  bien!  en  remplaçant  l'air  par  de  l'oxygène,  on  obtient  l'effet  anes- 
thésique   voulu,    et    cela  sans    faire    courir  au    patient  le   moindre   danger  d'asphyxie. 

L'expérience  faite  sur  les  animaux  a  donné  des  résultats  excellents.  Un  mélange  de 
cinq  parties  de  protoxyde  d'azote  et  de  une  partie  d'oxygène  pur  anesthésient  très  vite, 
sans  aucune  réaction  douloureuse,  sans  malaise,  sans  menace  d'asphyxie.  Le  rétablisse- 
ment des  fonctions  après  l'anesthésie  est  rapide,  et  en  quelques  inspirations  il  y  a  retour 
à  l'état  normal.  L'effet  est  plus  remarquable  encore  quand  l'action  de  l'anesthésique 
est  aidée  par  une  élévation  de  la  pression  atmosphérique,  ce  qu'on  réalise  en  faisant 
respirer  sous  pression  le  mélange  de  protoxyde  d'azote  et  d'oxygène. 

Il  semble  que  cette  méthode  soit  théoriquement  la  méthode  de  choix.  On  a  pu  chez 
l'homme  prolonger  dans  ces  conditions  le  sommeil  anesthésique  pendant  sept  heures,  et 
Martin  a  pu  le  continuer  pendant  soixante  heures  sur  un  animal  (R.  Dubois,  p.  121). 
Aucun  cas  de  mort,  par  cette  méthode,  n'a  été  signalé;  ce  qui  tient  peut-être,  il  faut 
bien  le  dire,  au  nombre  relativement  petit  des  opérations  pratiquées  ainsi.  Quoi  qu'il  en 
soit,  il  faut  constater  cette  innocuité;  car,  même  avec  des  anesthésiques  peu  employés, 
il  y  a  parfois  un  martyrologe  assez  bien  fourni. 

En  somme,  si  intéressante  que  soit  celte  méthode,  elle  n'a  guère  été  employée  que 
par  un  petit  nombre  de  chirurgiens.  D'abord  il  faut  opérer  sous  pression,  ce  qui  néces- 
site un  appareil  coûteux,  encombrant,  difficile  à  construire  et  à  manier.  Il  faut  aussi 
du  gaz  protoxyde  d'azote  et  du  gaz  oxygène  bien  purs,  ce  qui  n'est  pas  très  simple;  de 
sorte  que,  tout  compte  fait,  le  procédé  est  à  peu  près  abandonné.  Pour  moi,  sans  avoir 
d'expérience  personnelle,  je  croirais  volontiers  que  c'est  très  regrettable. 

Le  chloral,  introduit  dans  la  thérapeutique  par  Ltebreich,  n'a  que  rarement  servi  à 
l'anesthésie  chirurgicale,  mais  en  revanche  les  physiologistes  l'emploient  couramment. 
On  peut  dire  que  ses  effets  occupent  une  place  intermédiaire  entre  ceux  du  chloro- 
forme et  ceux  de  l'alcool.  Les  fonctions  motrices  de  la  moelle  semblent  plus  vite  et  plus 
gravement  atteintes  que  les  fonctions  sensitives,  et  la  pression  est  plus  abaissée  que  par 
l'éther  lui-même.  Les  échanges  respiratoires  diminuent  de  50  p.  100  et  même  de  60  p.  100. 
et  la  température  descend  très  vite.  Le  mécanisme  de  l'action  du  chloral  est  probable- 
ment dift'érent  de  celui  du  chloroforme,  et  on  ne  peut  admettre  l'ancienne  opinion  de 
Personne,  que  le  chloral,  dans  l'organisme,  donne  du  chloroforme  et  de  l'acide  formique; 
car  il  est  éliminé  par  les  urines  sous  la  forme  d'acide  urochloralique  (Kûlz).  Malgré  de 
nombreuses  observations  dues  à  Oré,  et  quelques  essais  de  Trélat,  le  chloral  n'est  plus 
guère  employé  que  comme  agent  hypnotique. 

Le  chloralose,  le  sulfonal,  de  même  que  le  chloral,  ne  peuvent  être  vraiment  appelés 


ANESTHÉSIE    et    A  N  ESTH  ÉSIQU  ES.  531 

des  aneslhésiques  :  ce  sont  plutôt  des  hypnotiques;  car  ils  s'éliminent  par  les  reins,  et 
il  faut  un  temps  assez  long  pour  que  leurs  effets  se  dissipent. 

Nous  n'insisterons  donc  pas  sur  les  phénomènes  dus  à  l'action  de  ces  corps;  car  nous 
aurons  à  y  revenir  en  parlant  des  procédés  d'anesthésie  qui  conviennent  dans  les  labo- 
ratoires de  physiologie;  mais  nous  mentionnerons  les  gaz  ou  liquides  volatils  qu'on  a  suc- 
cessivement essayés  dans  la  pratique  chirurgicale  pour  remplacer  le  chloroforme  ou 
l'éther. 

Ce  sont  d'abord  les  homologues  du  chloroforme  :  CCI'*;  CH^CP;  CH-'Cl.  Mais  le  chlo- 
rure de  méth3ie  (que  j'ai  essayé  sur  les  animaux)  paraît  peu  recommandable.  L'anesthé- 
sie  se  dissipe  très  vite,  comme  toujours  d'ailleurs,  lorsque  on  agit  avec  des  gaz,  et  il 
provoque  une  agitation  qui  ressemble  beaucoup  à  de  l'asphyxie.  Le  chlorure  de  méthy- 
lène produit  de  l'anesthésie,  mais  en  même  temps  une  agitation  convulsive  qui  se  rap- 
proche d'un  état  de  stryclinisnie  véritable  (Regnault  et  Villejean).  Il  n'y  a  donc  pas  à 
songer  à  l'emploi  chirurgical  de  cette  substance  intéressante. 

Au  point  de  vue  de  la  théorie  des  anesthésiques,  il  est  curieux  de  voir  à  quel  point 
les  propriétés  aiiesthésiantes  et  les  propriétés  convulsivantes  d'une  substance  sont  voi- 
sines. Qu'il  existe  un  stade  un  peu  plus  long  dans  la  période  d'excitation,  et  la  subs- 
tance est  convulsivante;  car  la  convulsion  n'est  guère  que  la  période  d'excitation, 
amplifiée  et  prolongée. 

Il  est  possible,  comme  l'a  soutenu  Liebrkich,  que  le  groupement  chimique  CCF  soit 
par  lui-même  doué  de  propriétés  anesthésiantes  :  mais  cette  généralisation  nous  paraît 
prématurée;  car  les  effets  du  chloral,  du  chloroforme,  du  chloralose,  sont  trop  différents 
pour  qu'on  puisse  considérer  ces  trois  substances  comme  anesthésiantes  par  leur  molé- 
cule de  CCl-^  D'ailleurs,  dans  l'oxyde  d'éthyle  comme  dans  le  protoxyde  d'azote,  nous 
avons,  d'excellents  aneslhésiques,  quoique  le  groupement  CCP  n'y  soit  pas. 

Le  tétrachlorure  de  carbone  est  aussi  aneslhésique.  Laborde  a  montré  récemment 
qu'à  certains  égards  il  ressemblait  au  chloralose,  agissant  sur  la  sensibilité  et  l'intelli- 
gence, en  respectant  la  pression  artérielle,  et  les  fonctions  réflexes  de  la  moelle.  Morel, 
Laffont,  Rabuteau,  qui  l'ont  étudié  sur  les  animaux,  admettent  que  sa  toxicité  est  très 
forte,  et  qu'il  a  des  propriétés  convulsivantes  plus  marquées  que  celles  du  chloroforme. 

En  somme,  des  composés  chlorés  du  formène,  le  chloroforme  est  le  plus  anesthésique, 
et  peut-être  le  moins  convulsivant. 

Signalons  rapidement  les  autres  anesthésiques  employés.  Ils  ont  tous  une  grande 
analogie  dans  leurs  effets,  si  l'on  admet  que  l'excitation  et  la  convulsion  sont  des  phé- 
nomènes de  même  ordre,  et  que  la  rapidité  de  l'action  anesthésique  comme  la  rapidité 
du  retour  à  l'état  normal,  sont  proportionnelles  à  la  volatilité  de  la  substance. 

Les  composés  chlorés  de  l'éthylène  sont  vraiment  peu  recommandables.  Le  chlorure 
d'éthylène  a  été  étudié  par  R.  Dubois  et  Roos  (C.  R.,  1887),  il  produirait  un  phéno- 
mène bien  singulier;  l'opacité  de  la  cornée,  ce  qu'il  faudrait  attribuer  à  l'action  déshy- 
dratante de  ce  corps.  Mais,  dans  l'ouvrage  récent  qu'il  vient  de  publier  sur  les  anesthési- 
ques, R.  Dubois  n'en  parle  pas.  Il  faut  donc  supposer  que  ses  effets  comme  anesthésique 
général  ne  sont  pas  bien  favorables. 

Le  chlorure  d'éthylidène  (C'-H^CP),  le  méthylchloroforme,  ou  chlorure  d'éthylidène 
monochloré  (C-H''CF)  n'ont  été  employés  que  rarement;  ce  sont  des  substances  peu  inté- 
ressantes quant  à  leurs  effets  physiologiques  et  à  leurs  applications  pratiques. 

Les  éthers  acétique  et  benzoïque  de  l'éthyle  ont  été  étudiés  par  Rabuteau,  qui  a 
remarqué  que  ces  corps,  qui  agissent  assez  bien  sur  les  grenouilles,  sont  à  peu  près  sans 
effet  sur  les  animaux  à  sang  chaud.  Il  attribue  cette  différence  à  ce  que  dans  le  sang, 
milieu  alcalin,  ces  éthers  se  décomposent  avec  formation  d'alcool  et  d'un  sel  correspon- 
dant, décomposition  qui  ne  se  produirait  pas  à  basse  température.  Dans  des  recherches 
faites  avec  P.  Berger,  nous  avons  constaté  que  l'éther  benzoïque,  qui  anesthésie  les  gre- 
nouilles, n'anesthésie  pas  les  lapins  ou  les  chiens  (P.  Berger  et  Ch.  Richet.  Recherches 
sur  les  anesthésiques.  Rev.  scientif.,  1880,  p.  1232). 

Un  des  composés  éthylés  qu'on  a  essayé  d'employer  récemment  est  le  bromure 
d'éthyle  {V.  la  bibliographie  dans  Terrier  et  Péraire,  p.  156).  L'anesthésie  qu'il  produit 


53i2 


ANESTHÉSIE    et    AN  ESTH  ÉSIQU  ES. 


est  rapide  et  se  dissipe  vite;  ce  qui  lient  à  sa  volatilité.  La  période  analgésique  paraît 
un  peu  plus  longue  qu'avec  le  chloroforme  (Hartmann  et  Bourbon.  Le  bromure  cVéthyle 
comme  aneslhésique  général.  Revue  de  chirurgie,  1893,  pp.  701-756).  Au  début  il  pro- 
voque le  vertige  et  l'ivresse,  avec  une  salivation  abondante,  parfois  même  gênante. 
L'agitation  n'est  pas  très  grande,  bien  moindre  qu'avec  les  autres  anesthésiques.  En 
somme  il  paraît  avoir  quelques  avantages,  encore  qu'on  ait  déjà,  malgré  son  emploi 
relativement  restreint,  noté  six  cas  de  mort  (R.  Dubois).  Pour  les  petites  opérations 
rapides,  quelques  chirurgiens  le  préfèrent  au  chloroforme. 

Le  pental  triméthyléthylène  (C°H'),  recommandé  par  Mering,  n"a  pas  été  encore  très 
employé.  Il  aurait  quelques  avantages,  au  moins  pour  les  opérations  de  courte  durée. 
Malgré  l'opinion  de  quelques  chirurgiens,  il  me  paraît  assez  peu  digne  d'intérêt;  car  ily  a 
déjà  au  moins  trois  cas  de  mort.  L'anesthésie  est  lente  à  venir,  et  le  retour  n'est  pas  rapide. 

L'amylène  a  été  vite  abandonné;  car  il  semble  très  toxique  —  2  morts  sur  110  opé- 
rations —  comme  les  composés  amyliques  (chlorure  d'amyle,  alcool  amylique). 

Tous,  ces  éthers,  substitués  ou  non  substitués,  chlorés,  méthylés,  bromes,  etc.,  ont  des 
propriétés  anesthésiques.  On  conçoit  qu'à  mesure  que  les  substances  sont  plus  com- 
pliquées dans  leur  molécule,  et  conséquemment  plus  fixes,  leurs  propriétés  toxiques 
vont  en  augmentant,  sans  que  pour  cela  leur  fonction  anesthésique  soit  modifiée.  A  ce 
compte,  les  alcools  supérieurs  sont  aussi  des  anesthésiques,  car,  à  une  certaine  période 
de  leur  action,  on  voit  qu'ils  ont  fini  par  produire  l'anesthésie,  c'est-à-dire  l'insensibilité 
générale,  coïncidant  avec  la  résolution  musculaire,  la  persistance  des  battements  car- 
diaques et  de  la  respiration.  Les  essences,  comme  les  alcools  supérieurs,  ont  toutes  un 
pareil  effet.  En  mélangeant  à  de  l'eau  des  quantités  variables  de  telle  ou  telle  essence, 
on  observe  toujours  l'anesthésie  des  poissons  qu'on  fait  vivre  dans  ce  mélange. 

La  bibliographie  relative  à  ces  diverses  substances  employées  comme  anesthésiques 
se  trouvera  à  la  fm  de  cet  article.  Voici  seulement  un  tableau  dans  lequel  ces  corps 
anesthésiques  sont  groupés  d'après  leur  volatihté  plus  ou  moins  grande. 

Composition  chimique  et  propriétés  physiques  des  principaux  anesthésiques. 


N  0  M  S. 

FORMULE. 

DENSITE. 
(à  l'état  liquide) 

POINT 

Az20 

C02 
CH3C1 
C2H:iCl 
CH^Br 
C2H*0 

(C2H5)20 

C2H5Br 
CiH'O 

CH2C12 

CS2 

C2H302(CH3) 

C3H0O 

C2H''C12 

CHCP 

(C2H3C12)C1 
C2H302(C2H5) 

CCI* 

C2H'>C12 

C2C130H 

CGH1''02 

C5HHC1 

C9H"'02 

0,991 
0,925 
1,73.3 
0,806 
0,736 
1,460 

1,360 

0,9S6 

0,810- 

1,174 

1,526 

1,372 

0,907 

1,630 

1,232 

1,5)2 

0,831 

0,901 

1,050 

—  87°, 9 

—  78°, 2 

—  23», 7 
12°, 5 
13° 
20°, 8 
34°, 8 
38°, 8 
40»,0 
41°,6 
46°, 2 
56° 
56°,4 
57", 5 
61°,2 
75°, 0 
77«,2 
78°,  1 
84»,7 
99°,1 
104" 
106° 
213» 

Bromure  de  mctliyle 

Aldéhyde.    .    .        

Oxyde  d'éthyle  (Éther) 

Chlorure  de  méthylène 

Chlorure  d'éthylidène 

Chloroforme   .    .   \ 

Chlorure  d'éthyle  bichloré 

Tétrachlorure  de  carbone 

Chlorure  d'éthyléne 

Acétal 

Chlorure  d'amyle 

ANESTHÉSIE    et    AN  ESTHÉSIQU  ES.  533 

On  voit  en  somme  que  jusqu'ici  les  louables  tentatives  faites  pour  remplacer  le  chlo- 
roforme, ou  l'étlier,  ouïe  protoxyde  d'azote,  n'ont  pas  été  très  heureuses,  et  que,  jusqu'à 
présent,  on  n'a  pas  trouvé  mieux.  Peut-être  même  est-ce  un  peu  chimérique  que  de 
chercher  un  poison  qui,  dans  les  conditions  singulièrement  graves  d'une  opération  pro- 
longée, produit  une  insensibilité  profonde,  c'est-à-dire  en  réalité  une  altération  profonde 
du  système  nerveux,  sans  faire  courir  jamais  le  moindre  risque  ;  et  cela,  malgré  l'état  peu 
favorable  du  patient  épouvanté,  gravement  atteint  par  une  maladie  redoutable,  souvent 
aussi  malgré  la  légèreté  et  l'ignorance  des  aides,  voire  même  celles  du  chirurgien  lui- 
même.  Ce  qui  doit  étonner,  c'est  non  pas  qu'il  y  ait  tant  de  cas  de  morts,  mais  plutôt 
qu'il  y  en  ait  si  peu.  Je  serais  tenté  de  croire  qu'on  ne  trouvera  pas  un  anesthésique 
qui  sera  absolument  et  constamment  inotïensif.  J'avouerai  donc,  quoique  timidement, 
qu'il  me  paraît  difficile  qu'on  puisse  un  jour  trouver  un  corps  plus  inoffensif  que  le 
chloroforme,  lequel,  sagement  administré,  n'expose  qu'à  des  dangers  presque  nuls. 

Anesthèsies  mixtes.  —  Les  anesthésies  mixtes  sont  celles  dans  lesquelles  on 
associe  entre  elles  deux  ou  plusieurs  substances  anesthésiantes,  de  manière  à  compléter 
leurs  efl'ets,  et  à  unir,  si  possible,  les  avantages  qu'offrent  l'une  et  l'autre. 

La  plus  importante  de  ces  associations  anesthésiques  est  celle  de  la  morphine  avec 
le  chloroforme. 

L'influence  curieuse  de  la  morphine  sur  la  chloroformisation  a  été  vue  simultanément 
et  indépendamment,  la  même  semaine,  par  Nussbaum  et  par  Claude  Bernard  (Leç.  sur 
les  anesthésiques,  1873,  p.  226).  Guibert  a  publié  à  ce  sujet  des  expériences  intéressantes 
(C.  R.,  1872),  après  que  Cl.  Bernard  eut  indiqué  nettement  le  phénomène  {Revue  des  cours 
scientifiques,  mars,  avril  et  mai  1869).  Nussbaum  en  Allemagne,  L.4BBÉ  et  Gou.ton,  en 
France,  et  d'autres  encore,  Rigaud  et  Sarrazin  à  Strasbourg  (cités  par  Dastre),  puis 
beaucoup  de  physiologistes  et  de  chirurgiens  ont  publié  des  faits  nombreux  se  rapportant 
à  cette  anesthésie  mixte.  Dans  les  laboratoires  de  physiologie,  quand  on  doit  donner  du 
chloroforme  à  un  chien,  on  lui  fait  presque  toujours  au  préalable  une  injection  sous- 
cutanée  de  chlorhydrate  de  morphine,  ce  qui  rend  l'anesthésie  plus  rapide,  plus  pro- 
longée, et  surtout  ce  qui  diminue  la  période  d'excitation,  longue,  désagréable,  et  parfois 
dangereuse. 

Nous  ne  savons  guère  pourquoi  l'association  de  la  morphine  et  du  chloroforme  exerce 
une  action  anesthésique  et  analgésique  si  marquée.  Il  faut  assurément  pour  anesthésier 
un  individu  morphine  deux  ou  trois  fois  moins  de  chloroforme  que  pour  un  individu 
normal.  Dès  les  premières  bouffées  de  chloroforme  inhalé,  il  est  à  peu  près  insensible. 
La  conscience  n'a  pas  disparu,  mais  la  sensibilité  à  la  douleur  est  éteinte.  Le  vrai 
moyen  d'obtenir  l'analgésie,  c'est  d'associer  la  morphine  et  le  chloroforme.  Aussi  a-t-on 
proposé  pour  les  accouchements  cette  méthode  mixte,  qui  donne  l'analgésie  sans 
abolir  les  réflexes  de  la  parturition.  Il  ne  semble  pourtant  pas  qu'on  doive  employer 
cette  méthode  dans  les  opérations  de  courte  durée  ;  car  l'anesthésie  est  bien  plus  pro- 
longée qu'après  l'administration  du  chloroforme  seul,  et  le  retour  à  l'état  normal  se 
fait  avec  lenteur,  ce  qui  s'explique  d'ailleurs  fort  bien  par  la  lenteur  avec  laquelle  doit 
s'éliminer  la  morphine. 

Quant  à  l'explication  de  l'activité  plus  grande  du  chloroforme  chez  l'individu  mor- 
phine, l'hypothèse  de  Claude  Bernard  est  probablement  la  seule  qu'on  puisse  admettre; 
à  savoir  que  la  morphine  augmente  l'excitabilité  des  centres  nerveux,  et  par  conséquent 
commence  déjà  l'intoxication.  Alors  le  chloroforme  n'aurait  plus  qu'à  achever  la  tâche, 
si  bien  que,  dans  ces  conditions,  des  doses  faibles  de  chloroforme  suffisent  pour  déter- 
miner l'anesthésie  complète. 

Il  est  certain  que  par  ce  procédé  mixte  il  y  a  eu  des  cas  de  mort;  mais  ces  morts 
sont  sans  doute  peu  nombreuses.  Bossis  en  cite  un  cas  qu'on  ne  peut  vraiment  reprocher 
au  procédé  lui-même  (Essai  sur  l'analgésie  chirurgicale  obtenue  par  l'action  combinée  de  la 
morphine  et  du  chloroforme.  D.  P.,  1879,  p.  83);  car  il  s'agit  d'une  femme  à  qui  lechirur- 
gien  accoucheur  laissa  respirer  elle-même,  sans  précautions,  le  flacon  de  chloroforme. 
Dans  un  autre  cas  la  mort  est  survenue  chez  une  morphinomane  à  laquelle  on  avait 
pour  l'opération  administré  un  mélange  de  chloroforme  et  d'éther. 

Les  chirurgiens  ont  presque  tous  délaissé  cette  méthode;  ils  disent  que  l'association 
du  chloroforme   et  de  la  morphine  laisse  le  patient  après   l'opération  dans  une  sorte 


334  ANESTHÉSIE    et    AN  ESTH  ÉSIQU  ES. 

d'état  syncopal,  lent  à  se  dissiper,  avec  pâleur  de  la  face,  état  nauséeux  et  refroidis- 
semeut.  Pourtant  il  semble  que  l'on  ne  devrait  peut-être  pas  trop  dédaigner  ce  pro- 
cédé si  rationnel.  Je  pencherais  à  croire  qu'il  faudrait  abaisser  la  dose  de  morphine 
injectée  (car  même  un  quart  de  centigramme  de  morphine  est  encore  actif)  et  s'imposer 
la  tâche  d'en  faire  une  étude  approfondie  et  vraiment  scientifique. 

Dastre  et  MoRAT  ont  proposé  une  autre  anesthésie  mixte,  qui  consiste  à  associer  la 
morphine  et  l'atropine.  Dans  la  pratique  du  laboratoire,  ils  n'ont  pas  eu  d'accidents,  alors 
que  par  le  chloroforme  la  mort  des  chiens  était  relativement  fréquente.  Sur  l'homme  le 
procédé  a  été  mis  en  usage  par  Aubert  (de  Lyon)  et  Tripier  (B.  B.,  1883).  La  quan- 
tité de  morphine  à  injecter  est,  d'après  Dastre,  de  1  centigramme  et  demi,  et  la  quantité 
de  sulfate  d'atropine  de  trois  quarts  de  centigramme.  Je  n'oserais  formuler  d'opinion  sur 
un  procédé  chirurgical;  mais  ce  que  nous  disions  plus  haut  de  la  difficulté  d'obtenir  un 
réflexe  syncopal  mortel  ne  me  parait  pas  plaider  en  faveur  de  l'usage  de  l'atropine, 
poison  toujours  redoutable  chez  l'homme;  et  de  fait  il  y  a  eu  au  moins  un  cas  de  mort, 
et  l'état  syncopal,  avec  pâleur  et  refroidissement,  difficulté  du  retour  à  la  normale,  est 
peut-être  encore  plus  marqué  qu'après  l'emploi  de  la  morphine  seule.  La  suppression  de 
l'état  nauséeux  est  évidemment  un  avantage;  mais  il  n'est  pas,  somme  toute,  assez 
important  pour  faire  passer  par-dessus  les  autres  inconvénients  du  procédé. 

Les  autres  méthodes  d'aiiesthésie  mixte  sont  plutôt  des  curiosités  physiologiques,  et 
ne  sont  jusqu'à  présent  guère  dignes  d'être  encouragées. 

Rabuteal'  a  proposé  la  narcéine  au  lieu  de  la  morphine.  Ce  n'est  qu'une  légère  variante 
à  l'usage  de  la  morphine. 

PoiTou-DupLEsSY  associe  le  bromure  d'éthyle  au  chloroforme  ;  il  commence  l'anes- 
thésie  par  le  bromure  d'éthyle  pour  éviter  l'intolérance  et  l'agitation  du  début,  et  peu 
après,  il  administre  le  chloroforme,  suivant  les  moyens  habituels  (V.  Hartmann,  loc.  cit., 
p.  171).  En  1868,  Clover  faisait  de  même  avec  le  protoxyde  d'azote,  par  lequel  il  faisait 
débuter  l'anesthésie. 

Stefanis  et  'Vachetta  donnent  d'abord  de  l'alcool  sous  forme  de  vin  avant  l'opération, 
et  produisent  une  sorte  d'ébriété. 

Tre'lat  (V.  Choquet.  De  l' emploi  du  chloral  comme  agent  d'anesthésie  chirurgicale,  D.  P., 
1880)  donne  aux  malades  qu'il  va  opérer  une  potion  de  chloral  et  de  morphine.  Nous 
n  osons  pas  nous  prononcer  par  un  a  jjriori  ;  pourtant  il  semble  que  le  chloral  (qui 
agit  d'une  manière  dépressive  sur  le  cœur)  soit  sans  grands  avantages  au  point  de  vue 
des  dangers  à  éviter. 

Les  associations  de  l'alcool  méthylique  et  du  chloroforme,  du  chloroforme  et  de 
l'éther  sont  aussi,  à  ce  qu'il  semble,  sans  vrais  motifs  sérieux  d'emploi  ;  et  dans  la  pra- 
tique ces  diverses  combinaisons  ont  été  abandonnées  (Truman,  Lancet,  16  Févr.  189S; 
et  Fr.  SiLK.  Anaesthesia  hy  tke  chloroforme  and  sether  mixture;  Lancet,  1893  (1),  p.  302). 

Pour  éviter  la  répulsion  et  la  douleur  du  début,  François-Franxk  a  conseillé  de  faire 
l'anesthésie  locale  des  premières  voies  respiratoires  avec  nue  solution  de  cocaïne.  Mais, 
d'après  R.  Dubois  (cité  par  Terrier  et  Peraire,  p.  181),  la  cocaïne  entraverait  l'évolution 
normale  de  l'anesthésie. 

P.  Langlois  a  proposé  l'association  de  la  spartéine  au  chloroforme. 

Il  nous  paraît  donc,  pour  conclure  de  cette  longue  énumération,  que  la  morphine 
est  le  seul  agent  qu'il  conviendrait  d'associer  au  chloroforme  ;  mais  à  condition  qu'on 
l'emploie  à  dose  plus  faible  que  la  dose  employée  ordinairement;  c'est-à-dire  en  ne 
dépassant  pas  un  demi-centigramme.  Peut-être  devrait-on  la  donner,  non  pas  une  demi- 
heure,  mais  trois  ou  quatre  heures  avant  la  chloroformisation,  car  c'est  après  ce  long 
temps  seulement  que  la  morphine  peut  se  fixer  dans  les  tissus  nerveux  d'une  manière 
efficace.  Au  bout  d'une  ou  de  deux  heures  elle  est  loin  d'avoir  exercé  le  maximum  de 
son  effet  modérateur. 

Anesthésie  dans  l'expérimentation  physiologique.  —  Sans  admettre  dans  leurs 
absurdités  les  assertions  des  antivivisectionnistes,  il  faut  cependant  reconnaître  que  la 
souffrance  des  êtres  vivants  n'est  pas  chose  indifférente.  Pour  ma  part  —  et  je  crois 
bien  qu'aucun  physiologiste  ne  me  démentira,  —  ce  n'est  jamais   sans  un  sentiment 


ANESTHÉSIE    et    AN  ESTH  ÉSIQU  ES.  535 

pénible  que  je  fais  une  expérience  douloureuse  sur  un  chien,  voire  même  sur  un  lapin 
ou  une  grenouille.  A  mesure  que  j'avance  en  âge,  je  comprends  mieux  le  sens  profond 
dissimulé  sous  les  exagérations  enfantines  des  ligueurs  antivivisectionnistes.  On  ne  doit 
pas  acheter  un  progrès  par  la  douleur  et  le  mal;  et  le  succès  ne  justifie  pas  le  moyen. 
Je  pense  donc  qu'il  faut  autant  que  possible  éviter  les  souffrances  des  animaux  qu'on 
martyrisait  jadis,  et  les  anesthésiques  doivent  être  constamment,  sauf  de  très  rares 
exceptions,  mis  en  usage  dans  la  pratique  physiologique. 

Ce  n'est  pas  dire  par  là  qu'il  faut  s'abstenir  des  vivisections.  Je  suis  profondément 
convaincu  que  la  physiologie  ne  peut  progresser  sans  les  expériences,  et  que  les  progrès 
de  la  physiologie  entraînent  une  amélioration,  à  plus  ou  moins  brève  échéance,  des 
douleurs  humaines.  Donc,  à  moins  de  préférer—  ce  qui  est  bien  franchement  absurde  — 
les  animaux  à  nos  frères  humains,  je  crois  qu'il  faut  continuer  l'usage  des  vivisections, 
mais  à  condition  d'employer  autant  que  possible  l'anesthésie  qui  supprime  la  dou- 
leur. De  fait,  quand  il  n'y  a  pas  de  douleur,  une  opération,  aussi  sanglante  qu'on  peut  le 
supposer,  n'a  plus  rien  de  cruel.  Opérer  sur  un  chien  profondément  endormi,  et  qui 
n'a  plus  trace  de  conscience,  cela  est  aussi  inoffensif  que  de  faire  bouillir  du  lait 
dans  lin  vase,  ou  de  traiter  du  blanc  d'œuf  par  de  l'acide  nitrique.  Or  il  est  peu  d'opé- 
rations ou  d'expériences  où  l'emploi  des  anesthésiques  soit  contre-indiqué. 

Pour  les  animaux  à  sang  froid,  tels  que  tortues,  grenouilles,  poissons,  le  chloroforme 
est  encore  l'agent  le  plus  fidèle  et  le  plus  commode.  On  agite  de  l'eau  avec  du  chloro- 
forme, et,  quoique  l'eau  n'en  dissolve  que  de  faibles  quantités,  c'en  est  assez  pour  que 
des  grenouilles,  après  quelques  minutes  de  séjour  dans  cette  eau,  perdent  toute  sensi- 
bilité, et  n'aient  plus  ni  mouvements  spontanés  ni  rétlexes.  Le  cœur  continue  à  battre, 
quoique  avec  une  force  diminuée.  Quand  aux  muscles,  ils  sont  un  peu  modifiés  dans 
leur  m3'ogramme;  ils  ne  le  sont  cependant  pas  assez  pour  que  l'étude  myographique  ne 
soit  pas  encore  fructueuse.  Il  est  vrai  qu'on  peut  remplacer  l'anesthésie  dans  bien  des 
cas  par  l'ablation  cérébrale  qui  entraîne  l'anéantissement  de  la  conscience. 

Claude  Bernard  a  montré  que  chez  les  grenouilles,  et  probablement  tous  les  ani- 
maux à  sang  froid,  l'élévation  de  la  température  entraînait  une  insensibilité  complète, 
coïncidant  avec  la  conservation  des  fonctions  du  cœur.  Une  grenouille  exposée  pendant 
dix  minutes  à  une  température  de  37°  n'a  plus  de  mouvements  volontaires  ni  de  réflexes. 
On  doit  donc  admettre  qu'elle  est  devenue  insensible.  En  étudiant  l'infiuence  de  tem- 
pératures croissantes  sur  les  centres  nerveux  de  l'écrevisse,  j'ai  retrouvé  ce  même  ordre 
dans  la  disparition  des  fonctions.  Ce  sont  d'abord  les  fonctions  de  spontanéité  qui  dispa- 
raissent; puis  les  fonctions  réflexes,  puis  enfin  la  contraction  musculaire  (Ch.  Richet. 
Influence  de  la  chaleur  sur  les  fonctions  des  centres  nerveux  de  l'écrevisse.  C.  R.,  1879, 
t.  Lxxxviii,  p.  977).  En  effet,  pour  la  chaleur,  comme  pour  les  poisons,  la  hiérarchie  des 
tissus  reste  la  même;  et  c'est  une  loi  constante  que  le  système  nerveux  psychique,  le 
plus  délicat,  est  celui  qui  meurt  tout  d'abord;  puis  meurt  l'appareil  réflexe;  puis  le  sys- 
tème musculaire,  qui  est  toujours  VuUimum  moriens. 

.Chez  les  chiens,  les  lapins,  les  cobayes,  les  chats,  les  oiseaux,  les  procédés  d'anes- 
thésie  doivent  être  un  peu  différents  suivant  l'espèce  animale.  Ainsi  les  chats,  qui  ont 
une  défense  énergique,  et  ne  supportent  pas  la  contention,  doivent,  pour  pouvoir  être 
maniés,  être  introduits  sous  une  cloche  dans  laquelle  on  place  une  éponge  imbibée  de 
chloroforme.  Quand  l'ivresse  et  la  résolution  musculaire  sont  suffisantes,  on  peut  les 
attacher  et  les  anesthésier  par  le  procédé  convenable.  Mais  au  début  on  ne  peut  guère 
employer  d'autre  mode  d'anesthésie  que  les  inhalations  chloroformiques  ou  éthérées 
dans  une  cloche.  Il  en  est  de  même  des  singes  qui  sont  tout  aussi  difficiles  à  manier 
que  les  chats. 

Toutefois,  sur  les  chats,  on  peut  se  servir  avec  avantage  du  chloralose,  sur  lequel  je 
reviendrai  tout  à  l'heure. 

Chez  les  chiens  et  les  lapins  le  chloroforme  en  inhalations  n'est  vraiment  pas  un 
bon  procédé,  et  cela  pour  plusieurs  raisons.  La  première,  c'est  que  (je  ne  sais  vraiment 
pour  quelle  cause)  le  chloroforme  est  dangereux  pour  les  chiens,  et  on  en  perd  souvent 
par  ce  moyen.  Malgré  les  soins  qu'on  met  à  suppléer  à  la  respiration  spontanée  (qui 
s'arrête)  par  une  respiration  artificielle  énergique  pratiquée  immédiatement,  on  n'em- 
pêche pas  le  cœur  de  s'arrêter,  ce  qui  prouve  bien,  par  parenthèse,  comme  nous  l'avons 


536  ANESTHESIE    et    AN  ESTH  ESIQU  ES. 

dit  plus  haut,  que  ce.n'est  pas  par  asphyxie  que  meurent  les  animaux  chloroformés. 
Quand  une  fois  le  cœur  s'est  arrêté,  tout  retour  à  la  vie  est  devenu  impossible,  et  ce 
n'est  certainement  pas  l'arrêt  respiratoire  qui  a  produit  la  mort.  En  second  lieu  le  chlo- 
roforme provoque  chez  les  chiens  des  cris,  des  hurlements,  une  période  d'excitation 
convulsive  prolongée,  insupportable.  La  température  organique  s'élève;  les  muscles  se 
fatiguent;  il  survient  de  la  polj-pnée  due  à  cet  excès  thermique,  et  c'est  un  spectacle 
pénilale  que  cette  longue  et  frénétique  agitation.  Enfin,  quand  il  s'agit  d'une  longue 
expérience,  l'anesthésie  chloroformique  se  dissipe  avant  que  l'expérience  soit  ter- 
minée; il  faut  redonner  du  chloroforme,  et,  chaque  fois  qu'on  en  redonne,  la  même 
agitation  recommence,  au  détriment  de  l'expérience  délicate  qu'on  a  entreprise  ;  parfois 
avec  un  danger  toujours  renouvelé  pour  la  vie  de  l'animal. 

Sur  les  chiens  morphines  tout  ce  tumulte  disparaît;  l'agitation  est  faible,  et  la  pro- 
longation de  l'anesthésie  permet  de  plus  longues  opérations,  de  sorte  qu'il  est  indis- 
pensable, si  l'on  veut  sur  un  chien  employer  le  chloroforme  ou  l'éther,  de  toujours 
recourir  à  la  méthode  de  Claude  Bern.«d,  c'est-à-dire  à  l'association  de  la  morphine 
et  du  chloroforme. 

Mais  depuis  longtemps  les  physiologistes  ont  préféré  le  chloral.  A'ulpian  en  a  un 
des  premiers  réglé  et  méthodisé  l'emploi.  Il  faisait  l'injection  par  la  veine  saphène  du 
membre  postérieur,  au  point  où  elle  passe  au  côté  externe  du  pied  obliquement  de  bas 
en  haut  et  d'avant  en  arrière.  Une  solution  de  chloral  à  10  p.  100  est  alors  injectée 
jusqu'à  résolution  complète  de  l'animal. 

Cette  méthode  est  excellente,  et  elle  a  été  adoptée  presque  par  tous  les  physiolo- 
gistes. Mais  elle  a  un  inconvénient  sérieux.  Si  l'on  agit  sans  précautions,  par  exemple 
qu'on  laisse  un  aide  inexpérimenté  faire  cette  petite  opération,  l'injection  chloralique, 
pénétrant  trop  rapidement  dans  le  sang,  agit  directement  sur  l'endocarde  et  détermine 
la  mort  du  cojur,  une  syncope  contre  laquelle  tous  les  moyens  sont  impuissants. 

Enfin,  si  l'on  veut  conserver  l'animal  opéré,  on  aura  fait,  outre  le  traumatisme  opé- 
ratoire principal,  une  petite  blessure  à  la  jambe,  blessure  qui  suppurera  et  guérira 
difficilement.  En  outre,  si  l'on  veut  pratiquer  sur  le  même  animal  plusieurs  opérations 
à  quelques  jours  de  distance,  la  veine  oblitérée  ne  pourra  servir;  par  exemple,  si  on 
a  fait  une  opération  à  droite  et  une  opération  à  gauche,  il  faudra  chercher  la  veine 
au  pli  de  l'aine,  ce  qui  n'est  plus  aussi  facile. 

Chez  le  lapin  on  fera  l'injection  de  chloral  par  l'injection  directe  dans  la  veine  mar- 
ginale de  l'oreille.  On  n'aura  pas  à  dénuder  la  veine;  car,  avec  une  aiguille  bien  affilée, 
on  pénètre  d'emblée  dans  la  veine.  Mais,  par  suite  des  dimensions  moindres  de  l'ani- 
mal, et  de  la  rapidité  avec  laquelle  la  solution  arrive  directement  au  cœur,  il  faut 
injecter  le  liquide  très  doucement,  et  prendre  une  solution  de  chloral  moins  concentrée; 
b  p.  100  au  lieu  de  10  p.  100. 

J'ai  proposé  une  autre  méthode  qui  est  maintenant  d'un  usage  quotidien  dans  beau- 
coup de  laboratoires;  c'est  l'injection  péritonéale.  Nul  danger  de  péritonite;  car  on  ne 
blesse  jamais  l'intestin  qui  fuit  devant  l'aiguille.  De  sorte  qu'on  ne  pourrait  pas  le  léger, 
même  si  on  le  voulait  faire.  La  solution  de  chloral  est  par  elle-même  assez  antisepti- 
que pour  que  la  stérilisation  soit  inutile,  et,  si  on  ne  dépasse  pas  la  proportion  de 
100  grammes  de  chloral  par  litre,  elle  n'est  pas  caustique.  On  peut  alors  injecter  exacte- 
ment la  quantité  de  chloral  nécessaire.  Si  l'on  veut  avoir  un  sommeil  prolongé  et 
calme,  il  convient  d'ajouter  un  peu  de  chlorhydrate  de  morphine  au  chloral.  La  solution 
que  j'emploie  contient  par  litre  100  grammes  d'hydrate  de  chloral  et  bO  centigrammes 
de  morphine.  La  dose  de  morphine  est  trop  faible  pour  provoquer  des  vomissements 
et  troubler  les  fonctions  des  organes.  L'absorption  est  rapide.  On  peut  suivre  les  dif- 
férentes phases  de  l'anesthésie;  d'abord  l'ivresse  et  la  titubation;  puis,  au  bout  de  dix 
à  douze  miaules,  l'impuissance  motrice  et  parfois  les  gémissements  de  l'animal,  qui 
pleure  et  hurle,  non  parce  qu'il  souffre,  mais  parce  qu'il  ne  peut  plus  se  mouvoir.  Au 
bout  de  vingt  minutes  environ,  et  quelquefois  moins  de  temps  encore,  l'anesthésie  est 
complète,  sans  que  le  cœur  ait  couru  de  danger,  comme  dans  les  injections  intra-veineuses. 
Même  quand  on  fait  des  opérations  abdominales,  ce  procédé  n'est  pas  contre-indiqué  ; 
car  on  n'ouvrira  le  péritoine  que  quand  l'anesthésie  sera  complète  CV.  Ch.  Richet. 
Trav.  du  lab.,  t.  i,  1893). 


ANESTHÉSIE    et    A  N  ESTH  ÉSIQU  ES.  537 

La  dose  la  plus  convenable  m'a  paru,  après  de  longues  études,  pour  une  anesthésie 
parfaite  et  inoffensive,  être  de  33  centigrammes  de  chloral  par  kilogramme  de  poids 
vif,  avec  cette  nuance  que,  chez  les  très  jeunes  chiens,  cette  dose  est  un  peu  forte  et 
qu'il  faut  alors  plutôt  Osr,30,  tandis  que  chez  les  vieux  chiens  il  faut  presque  0s"-,40.  La 
dose  de  0s'',60  par  kilogramme  a  toujours  été'  mortelle. 

On  peut  introduire  du  cbloral  par  le  même  procédé  d'injection  péritonéale  chez  les 
lapins,  les  cobayes,  les  chats;  mais  il  faut  savoir  que  tous  ces  animaux,  et  surtout  les 
chats,  sont  extrêmement  sensibles  aux  anesthésiques,  et  que  les  doses  de  0S'',20  et  0S'',2S 
par  kilogramme  sont  suffisantes;  quelquefois  même  trop  fortes. 

Chez  les  oiseaux,  au  lieu  d'injecter  le  chloral  dans  le  péritoine,  on  peut  l'injecter 
dans  le  muscle  grand  pectoral.  L'absorption  est  d'une  rapidité  extrême,  et  il  ne  faut 
pas  une  minute  Tpour  qu'un  pigeon  ainsi  chloralisé  (par  le  grand  pectoral)  titube,  et 
soit  impuissant  à  s'échapper.  Il  faut  à  peu  près  les  mêmes  doses  que  pour  le  lapin  et  le 
chat,  c'est-à-dire  0B'',20  par  kilogramme. 

Si,  dans  le  cours  d'une  opération,  l'animal  se  réveille,  on  peut'  faire  une  nouvelle 
injection,  mais  l'absorption  est  alors  toujours  moins  rapide  qu'après  la  première  injec- 
tion, et  il  faudra  avoir  la  patience  d'attendre  une  dizaine  de  minutes  au  moins  pour 
que  les  effets  de  la  seconde  injection  puissent  se  manifester. 

Le  chloral  est  un  excellent  anesthésique  assurément;  mais  il  a  le  grand  inconvénient 
d'entraîner  une  diminution  des  échanges  et  alors  un  abaissement  thermique  assez 
prompt,  surtout  chez  les  petits  animaux.  En  outre,  il  abaisse  la  pression  et  affaiblit  le 
cœur.  Le  chloralose  n'a  pas  ce  désavantage.  Aussi  ai-je  proposé  de  remplacer  le  curare 
par  le  chloralose.  En  effet  le  curare,  si  admirablement  étudié  par  Claude  Bernard,  a 
l'avantage  d'immobiliser  l'animal  et  de  conserver  intacts  tous  les  réflexes  de  la  vie 
organique  avec  une  pression  relativement  élevée.  Mais  le  curare  n'anesthésie  pas,  de 
sorte  qu'on  a  toujours  cette  préoccupation  que  le  chien  souffre,  quoiqu'il  ne  puisse 
manifester  sa  douleur.  Je  ne  crains  pas  d'avouer  que  c'est  toujours  avec  une  extrême 
répugnance  que  je  fais  des  expériences  sur  des  chiens  curarisés;  car  la  pensée  qu'ils 
souffrent  cruellement  m'empêche  d'avoir  l'esprit  libre  et  d'agir  comme  s'ils  étaient 
insensibles. 

Or,  avec  le  chloralose,  on  n'a  pas  un  pareil  souci  ;  et,  d'autre  part,  les  réflexes  orga- 
niques sont  conservés;  la  pression  artérielle  est  presque  aussi  élevée  qu'à  l'état  normal, 
et  le  cœur  n'est  pas  paralysé  ou  affaibli  comme  avec  le  chloral.  Enfin  le  grave  inconvé- 
nient de  la  trachéotomie  préalable  n'existe  plus;  car  si  la  dose  de  chloralose  ne  dépasse 
pas  OS'', 13  par  kilogramme,  la  respiration  artificielle  n'est  pas  nécessaire. 

Pour  employer  le  chloralose  dans  l'expérimentation  physiologique,  on  peut  prati- 
quer soit  les  injections  intra-veineuses,  soit  l'ingestion  stomacale.  Les  injections  vei- 
neuses se  font  par  la  veine  saphène,  comme  les  injections  de  chloral.  On  n'a  jamais 
à  craindre  l'arrêt  syncopal  du  cœur,  et,  si  vite  qu'on  injecte  la  solution,  il  n'y  a  pas 
d'accident.  Mais  il  y  a  un  inconvénient  sérieux  dans  le  peu  de  solubilité  du  chloralose, 
qui  ne  se  dissout  que  dans  120  parties  d'eau.  La  solution  normale  est  de  7e'",5  par  litre, 
avec  l^'/o  de  chlorure  de  sodium  pour  éviter  l'altération  globulaire.  La  quantité  d'eau 
injectée  est  donc  assez  grande,  puisque  la  dose  anesthésique  la  plus  convenable,  celle 
qui  permet  de  faire  de  longues  opérations  sans  que  l'animal  souffre  ni  remue,  sans  que 
sa  vie  soit  menacée,  sans  que  sa  température  s'abaisse  trop  vite,  sans  qu'il  soit  jamais 
besoin  de  recourir  à  la  respiration  artificielle,  est  de  OS'',lo  par  kilogramme.  Or  cette 
dose  totale  de  is'',3  pour  un  chien  de  10  kilogrammes,  poids  moyen,  répond  à  une 
grande  masse  d'eau,  soit  200  centimètres  cubes.  C'est  là  un  ennui  sérieux  ;  mais,  si 
sérieux  qu'il  soit,  il  me  parait  compensé  par  tant  d'autres  avantages  qu'actuellement 
je  n'hésite  pas  à  préférer  le  chloralose  à  tout  autre  agent  anesthésique,  même  au 
chloral.  Quand  il  s'agit,  non  d'une  expérimentation,  mais  d'iine  opération,  lorsqu'on 
veut  conserver  l'animal  après  lui  avoir  fait  telle  ou  telle  opération,  alors  le  vrai  procédé 
est  l'anesthésie  par  le  chloral-morphine  en  injection  péritonéale.  Mais,  quand  on  veut 
étudier  des  phénomènes  de  pression,  d'excitation  électrique,  de  sécrétion  glandulaire, 
d'innervation  cardiaque,  sans  vouloir  conserver  l'animal,  le  chloralose  en  injection 
veineuse  est  le  procédé  de  choix  (M.  H.iN'Rior  et  Ch.  Richet.  De  l'action  physiolog.  du 
chloralose.  Trav.  du  labor.,  t.  m,  189o,  pp.  77-103). 


538  ANESTHESIE    et    A  N  ESTH  ÉSIQU  ES. 

On  peut  aussi  donner  le  chloralose  mélangé  aux  aliments.  Par  exemple,  chez  les 
chats  ou  chez  les  oiseaux,  on  donne,  une  demi-heure  avant  l'opération,  dans  du  lait 
par  exemple,  O'^'AO  ou  Oô',lb  de  chloralose,  et,  en  une  demi-heure,  l'animal  engourdi  est 
devenu  maniable  et  insensible.  Aux  canards  et  aux  poulets,  j'introduis  directement  dans 
l'œsophage  la  quantité  convenable,  0sr,12  environ,  en  faisant  une  boulette  avec  du  pain. 
Une  deini-heure  après  l'avoir  avalée,  l'animal  est   tout  à  fait  insensible. 

Avec  le  chloralose,  comme  avec  les  autres  anestbésiques,  il  y  a  toujours  une  période 
d'excitation  qui  précède  l'anesthésie.  Il  ne  faut  pas  se  laisser  troubler  par  les  cris,  les 
gémissements  que  pousse  l'animal  injecté;  mais  bien  arriver  rapidement  jusqu'à  la  dose 
anesthésique,  et  on  peut  aller  vite  sans  aucun  danger.  De  plus,  comme  l'imprégnation 
des  cellules  nerveuses  par  le  poison  n'a  pas  lieu  immédiatement,  il  faut  toujours 
attendre  quelques  minutes  pour  en  voir  les  effets  se  manifester,  même  après  que  l'in- 
jection de  toute  la  quantité  nécessaire  a  été  terminée. 

Dans  la  pratique  vétérinaire,  c'est-à-dire  pour  le  cheval,  on  se  sert  presque  exclusi- 
vement du  chloroforme.  Le  cheval  est  couché,  et  on  le  fait  respirer  à  travers  une  éponge 
imbibée  de  chloroforme.  Il  est  presque  inutile  d'employer  des  appareils  spéciaux;  la 
compression  ou  l'éponge  suffisent.  D'après  R.  Dubois,  il  faut  30  à  40  grammes  de  chlo- 
roforme pour  un  cheval  de  moyenne  taille,  et  le  temps  nécessaire  à  l'anesthésie  est  de 
cinq  minutes  environ.  Une  injection  préalable  de  morphine  rendra  le  sommeil  plus 
facile  et  atténuera  la  période  d'excitation  qui  est  parfois  des  plus  violentes  et  presque 
dangereuse  pour  les  assistants.  On  peut  sans  crainte  administrer  deux  heures  avant 
l'opération  un  demi-gramme  de  chlorhydrate  de  morphine  sous  la  peau. 

Théorie  de  l'action  des  anesthésiques.  —  Aune  certaine  dose  de  leur  action, 
tous  les  poisons,  quels  qu'ils  soient,  produisent  l'anesthésie.  Même  l'absence  d'oxygène 
produit  l'insensibilité,  alors  que  le  cœur  continue  abattre  et  qu'il  y  a  encore  des  efforts 
respiratoires.  Il  ne  pouvait  en  être  autrement,  car  le  fait  de  l'anesthésie  indique  seule- 
ment que  les  cellules  nerveuses  qui  président  à  la  sensibilité  sont  paralysées  avant  les 
autres  appareils  nerveux.  Or,  elles  sont  certainement  beaucoup  plus  fragiles  que  les 
autres  cellules  de  l'organisme. 

Toutefois  le  mot  anestliésie  a  reçu  dans  la  pratique  une  acception  plus  précise.  On 
dit  qu'une  substance  est  anesthésique  lorsque  son  action  est  passagère,  autrement  dit, 
lorsque,  après  la  période  d'insensibilité,  il  y  a  retour  possible  à  la  vie  normale.  Par 
exemple,  l'aconitine  à  forte  dose  produit  l'abolition  de  la  conscience  et  l'insensibilité  ; 
mais  personne  ne  pensera  à  donner  à  cet  alcaloïde  la  qualification  d'aneslhésique;  car 
les  fonctions  du  cœur  et  du  bulbe  sont  déjà  profondément  troublées,  et  le  retour  à  la 
vie  n'est  pas  possible. 

Donc  le  type  des  substances  anesthésiques  doit  être  cherché  parmi  les  corps  qui 
agissent  sur  la  sensibilité  sans  déterminer  la  mort,  sans  provoquer  de  convulsions,  et 
en  ne  faisant  naître  qu'une  période  d'excitation  minimum.  Poison  anesthésique  veut 
donc  dire  poison  qui  engourdit  l'intelligence  et  la  conscience  sans  léser  les  autres  fonc- 
tions organiques.  Définition  arbitraire  évidemment,  mais  qui  a  cet  avantage  au  moins 
d'être  précise  et  de  limiter  le  nombre  des  anesthésiques. 

Le  corps  qui  répond  le  mieux  à  cette  condition  d'avoir  une  action  passagère  et  inof- 
fensive, c'est  probablement  le  protoxyde  d'azote,  qui  aiiesthésie  tant  qu'on  le  respire; 
mais  dont  les  effets  disparaissent  dès  qu'on  a  cessé  de  le  respirer.  Depuis  le  protoxyde 
d'azote  jusqu'aux  corps  très  fixes,  comme  les  alcools  et  les  éthers  dont  le  point  d'ébul- 
lition  est  élevé,  il  y  a  une  série  de  gradations,  de  transitions,  difficiles  à  déterminer. 
Mais  toujours  nous  retrouvons  ces  trois  périodes  caractéristiques  :  une  période  d'exci- 
tation, une  période  d'anesthésie  et  une  période  d'élimination.  On  dira  alors,  par  défi- 
nition même,  lorsque  l'élimination  d'une  substance  n'est  pas  possible  par  le  poumon  ou 
qu'elle  est  très  lente,  que  la  substance  n'est  pas  vraiment  anesthésique,  comme  dans  le 
cas  des  alcaloïdes  par  exemple. 

Si  la  période  d'excitation  est  très  marquée,  il  s'agira  d'une  substance  convulsivante 
plutôt  que  d'une  substance  anesthésique  ;  mais  il  n'y  a  aucune  contradiction  entre  ces 
deux  qualités  pharmacodynamiques  d'un  corps;  puisque  aussi  bien  nous  voyons  le  chlo- 
roforme, cet  admirable  anesthésique,  provoquer  une  agitation  presque  convulsive,  alors 
que  le  bichlorure  de  méthylène  (CH-CP),  si  voisin  du  chloroforme  (CHCP),  est  très  con- 


ANESTHESIE    et    A  N  ESTH  ESIQU  ES.  539 

vulsivanl  et  modérément  anesthésique.  La  str3'chnine  même,  ce  type  des  poisons  convul- 
sivants,  produit  à  certaines  doses  de  l'anesthésie. 

C'est  la  plus  ou  moins  grande  durée,  la  plus  ou  moins  grande  intensité  de  la  période 
d'excitation  qui  donne  à  tel  ou  tel  anesthésicfiie  son  caractère  essentiel;  mais  c'est  aussi 
la  facilité  variable  de  l'élimination.  Or,  pour  les  poisons  qui  n'agissent  pas  sur  le  sang, 
on  peut  presque  formuler  cette  loi  que  la  vitesse  de  l'élimination  est  fonction  de  la  vola- 
tilité. 

Il  est  évident  que  certains  corps  gazeux  paraissent  faire  exception;  mais  l'acide  cyan- 
hydrique,  l'oxyde  de  carbone,  le  chlore,  l'acide  sulfureux,  le  biosyde  d'azote,  qui,  par 
leurs  afflnités  énergiques,  se  combinent  immédiatement  aux  substances  chimiques  des 
tissus,  ne  peuvent  être  rangés  parmi  les  anesthésiques  ;  et  il  n'y  a  pas  d'élimination  pos- 
sible, puisqu'ils  ont  produit  des  dédoublements  chimiques  non  réversibles.  Au  contraire, 
on  peut  admettre  qu'un  anesthésique,  tout  en  sa  combinant  avec  les  tissus,  forme  une 
combinaison  instable  qui  est  réversible;  et  c'est  le  fait  même  de  cette  combinaison  "passa- 
gère et  réversible  qui  caractérise  les  substances  anesthésiques. 

A  l'extrémité  opposée  de  l'échelle,  il  y  a  les  corps  indifférents  qui  ne  se  combinent 
ni  avec  le  sang,  ni  avec  les  cellules  nerveuses.  L'azote,  par  exemple,  est  un  gaz  tout  à 
fait  inerte.  Nous  avons  donc  dans  l'azote  et  ses  deux  premières  combinaisons  avec  l'oxy- 
gène trois  corps  dont  les  activités  chimiques  vont  en  croissant  :  1°  l'azote  qui  est  inactif; 
2°  le  protoxyde  d'azote  qui  est  facile  à  éliminer  et  ne  produit  que  des  combinaisons  dis- 
sociables, qui,  par  ^conséquent,  est  anesthésique,  et  enfm  3"  le  jbioxyde  d'azote  qui  ne 
s'élimine  pas;  car  les  combinaisons  qu'il  opère  avec  les  humeurs  et  les  tissus  ne  sont 
ni  dissociables  ni  réversibles. 

La  famille  chimique  à  laquelle  appartiennent  les  anesthésiques  ne  peut  être  pré- 
cisée; car  c'est  une  fonction  phj'siologique  qui  paraît  pouvoir  être  due  à  un  grand 
nombre  de  substances  sans  lien  chimique  entre  elles.  L'acide  carbonique  est,  lui  aussi, 
un  agent  anesthésique.  Les  anciennes  expériences  de  Mojon,  de  Gênes,  sur  l'acide  car- 
bonique, répétées  par  Ozanam  en  1858,  puis  par  P.  Bert,  et  enfin  par  N.  Gréhant  (Les 
poisons  de  l'air,  1890,  p.  93),  ont  montré  qu'on  peut  sans  danger  anesthésier  un  animal 
en  lui  faisant  respirer  un  mélange  d'o.xygène  et  d'acide  carbonique.  Quand  le  mélange 
contient  40  p.  100  d'acide  carbonique,  il  n'y  a  pas  d'anesthésie.  Il  faut  élever  la  dose  de 
gaz  acide  carbonique  à  45  p.  100.  Alors  l'anesthésie  survient  en  près  de  deux  minutes  ; 
le  sang  contient  plus  de  80  p.  100  de  gaz  acide  carbonique,  et  la  vie  n'est  pas  en  danger 
si  l'on  a  soin  d'introduire  dans  le  mélange  une  quantité  d'oxygène  normale,  ou  même 
un  peu  supérieure  à  la  normale.  Notons  que  l'élimination  de  l'acide  carbonique  n'est 
pas  aussi  rapide  qu'avec  les  autres  anesthésiques,  car  le  gaz  acide  carbonique  n'est  pas 
chimiquement  indifférent,  puisqu'il  joue  le  rôle  d'un  acide  et  se  combine  aux  alcalis  du 
sang  et  des  tissus. 

Protoxyde  d'azote,  acide  carbonique,  chloroforme,  oxyde  d'éthyle,  amylène,  aldéhyde, 
toutes  ces  substances  anesthésiques  n'ont  donc  aucun  caractère  chimique  commun. 
Elles  appartiennent  à  des  familles  très  différentes.  Tout  ce  qu'on  peut  en  dire,  c'est 
qu'elles  sont  toutes  volatiles.  Mais  même  ce  caractère  ne  peut  être  regardé  comme 
absolu  ;  car  l'éther  benzoique,  qui  amène  l'anesthésie,  est  bien  peu  volatil.  Nous 
n'avons  donc  pas  le  moyen  d'établir  une  relation  entre  la  composition  chimique 
des  corps  et  leurs  propriétés  anesthésiques. 

Quoique,  à  différentes  reprises,  nous  avions  parlé  de  la  hiérarchie  des  tissus,  en  mon- 
trant que  les  cellules  nerveuses  sont  empoisonnées  les  premières,  il  ne  faudrait  pas  en 
conclure  que  les  autres  cellules  ne  subissent  pas  les  effets  du  poison.  En  effet,  comme 
l'a  bien  montré  Claude  Bernard,  les  végétaux,  dépourvus  cependant  de  cellules  nerveuses, 
subissent  l'action  des  anesthésiques.  Si  l'on  met  des  graines  en  présence  des  vapeurs  de 
chloroforme  ou  d'éther,  elles  ne  germeront  pas,  et  cependant  les  cellules  de  l'embryon 
végétal  ne  seront  pas  mortes,  puisqu'elles  pourront  vivre  et  germer  si  on  les  soustrait  à 
l'action  du  gaz  anesthésique.  C'est  donc,  comme  sur  les  animaux  supérieurs,  un  véritable 
sommeil  qu'on  aura  provoqué  chez  la  plante  avec  retour  possible  à  la  vie  normale. 

Cette  expérience  sur  la  vie  retardée  des  plantes  est  bien  intéressante;  elle  nous  fait 
pénétrer  un  peu  mieux  dans  le  mécanisme  intime  de  l'action  des  anesthésiques.  C'est 
une  intoxication  qui  n'est  pas  définitive,  et  qui  paralyse  pour  un  temps  les  phénomènes 


5i0  ANESTHÉSIE    et    AN  ESTH  ÉSIQU  ES. 

chimiques  de  la  cellule  vivante,  mais  qui  n'altère  pas  d'une  manière  permanente  la  struc- 
ture chimique  de  la  cellule.  Nous  revenons  donc  à  cette  formule  qui  semble  vraiment 
caractériser  le  rùle  chimique  des  anesthésiques  :  formation  d'une  combinaison  disso- 
ciable. 

Les  microbes,  comme  les  végétaux  plus  élevés,  sont  très  sensibles  à  l'action  des 
anesthésiques.  Quelques  gouttes  de  chloroforme  retarderont  énormément  les  phéno- 
mènes chimiques  dus  aux  microbes.  L'éther,  le  prolo.xyde  d'azote,  l'acide  carbonique 
sous  pression,  exercent  les  mêmes  effets  retardateurs;  de  même  le  chloral,  et  à  un 
degré  moindre,  l'alcool  éthylique.  Mais,  quoique  on  puisse  à  la  rigueur  employer  dans 
ce  cas  le  mot  d'antisepsie,  ce  n'est  pas  là  une  antisepsie  véritable.  Les  anesthésiques 
sont  antifermentescibles;  ils  ne  sont  pas  antiseptiques.  Les  microbes,  si  l'on  ajoute  du 
chloroforme  au  liquide  où  ils  se  trouvent,  ne  fermenteront  plus,  mais  ils  ne  mourront 
pas;  et,  dès  qu'on  aura  laissé  le  chloroforme  s'évaporer,  ils  retrouveront  toute  leur 
activité,  de  sorte  que  nous  ne  pouvons  pas  ranger  les  anesthésiques  parmi  les  antisep- 
tiques, malgré  le  ralentissement  qu'ils  amènent  dans  la  fermentation.  Les  vrais  antisep- 
tiques abolissent  défmitivement  la  fermentation  et  la  vie  ;  les  anesthésiques  ne  font  que 
la  suspendre  durant  tout  le  temps  de  leur  contact  avec  les  microbes. 

On  a  donné  de  ces  fermentations  ralenties  des  graphiques  très  instructifs;  par 
exemple  avec  la  levure  de  bière  et  la  levure  alcoolique. 

R.  Dubois  a  émis  une  explication  ingénieuse  de  ces  phénomènes,  et  donné  une  théorie, 
encore  très  hypothétique,  sur  le  mécanisme  par  lequel  agiraient  les  anesthésiques.  Il 
suppose  que  ces  corps,  quels  qu'ils  soient  au  point  de  vue  chimique,  exercent  une  action 
déshydratante  sur  les  cellules,  augmentant  la  tension  de  dissociation  de  l'eau  dans  les 
tissus,  et  par  conséquent  altérant  par  une  sorte  de  soustraction  d'eau  la  nature  chimique 
des  cellules  vivantes.  Ce  qui  rend  assez  vraisemblable  cette  hypothèse,  c'est  l'analogie  de 
la  déshydratatiou  expérimentale,  —  au  point  de  vue  des  elfets  produits,  —  avec  l'anes- 
thésie.  En  plaçant  des  graines  ou  des  microbes,  ou  des  rotifères,  dans  de  l'air  sec,  on 
les  dessèche  et  on  paralyse  leur  activité,  mais  l'activité  revient  quand  on  leur  rend  l'eau 
qu'on  avait  enlevée.  En  mettant  des  plantes  grasses  en  contact  avec  des  vapeurs  d'éther, 
on  voit  de  grosses  gouttelettes  d'eau  perler  à  la  surface.  J'ai  vu  un  phénomène  analogue 
en  mettant  des  grappes  de  raisin  et  des  poires  dans  une  cloche  où  j'avais  fait  passer  des 
vapeurs  chloroformiques,  espérant,  sans  succès  d'ailleurs,  conserver  ainsi  des  fruits  à 
l'état  frais.  Le  chloroforme  n'empêche  pas  la  maturation  du  fruit  et  la  transformation 
des  matières  cellulosiques  en  sucre  (B.  B.,  13  Janv.  1883,  pp.  26-27). 

Tout  se  passe  en  somme,  d'après  R.  Dubois,  comme  si  l'action  d'un  anesthésique  con- 
sistait en  une  dissociation  de  l'eau  des  tissus.  On  comprendrait  alors  comment  l'anes- 
thésie  est  fonction  de  la  tension  de  vapeur  des  gaz  anesthésiques.  Il  faudrait  une  cer- 
taine tension  de  cette  vapeur  pour  provoquer  la  dissociation  aqueuse  nécessaire  et  pour 
produire  une  certaine  déshydratation  de  la  cellule,  et  par  conséquent  l'insensibilité. 

Autres  procédés  d'anesthèsie  générale.  —  Nous  ne  parlons  que  pour  mémoire 
des  moyens  autres  que  les  agents  anesthésiques  proprement  dits,  qui  ont  été  proposés 
pour  abolir  la  douleur.  Par  exemple  on  a  indiqué  la  compression  des  carotides  qui  produit 
du  vertige  et  un  état  de  sommeil  avec  demi-conscience.  C'est  assurément  un  procédé 
qui  ne  doit  réussir  que  rarement,  si  tant  est  qu'il  réussisse  jamais. 

Le  froid  intense  agit  sur  la  périphérie  cutanée  pour  diminuer  la  sensibilité  à  la  dou- 
eur  :  mais  ce  n'est  pas  là  de  la  vraie  anesthésie,  et  d'ailleurs  les  animaux  refroidis  ne 
sont  pas  insensibles;  seulement  la  réaction  à  la  douleur  est  retardée,  et  les  réflexes 
sont  devenus  très  lents.  Les  lapins  refroidis  à  20°  sont  encore  sensibles  aux  excitations 
traumatiques  qui  paraissent  toujours  douloureuses;  mais  ils  ne  réagissent  qu'avec  une 
grande  lenteur. 

L'hypnotisme  et  la  magnétisation  ont  été  aussi  essayés,  et  il  est  avéré  que  dans  cer- 
tains cas  on  a  pu  faire  des  accouchements  ou  de  grandes  opérations  sans  provoquer  de 
douleur.  On  compreud  en  effet  que  la  conscience  de  la  douleur  puisse  être  supprimée, 
soit  par  une  suggestion  puissante,  soit  par  des  manœuvres  hypnotiques  qui  troublent 
l'innervation  centrale.  Celte  analgésie  complète  n'est  assurément  pas  commune;  mais  on 
peut  la  constater  dans  certains  cas  exceptionnels  chez  des  sujets  très  sensibles.  Toutefois 
ce  n'est  guère  qu'une  curiosité;  car  jusqu'à  présent  la  pratique  de  l'hypnotisme  n'a  pas 


ANESTHESIE    et    AN  ESTH  ESIQU  ES.  341 

pu  encore  sortir  d'un  empirisme  étroit,  et,  si  le  nombre  des  sujets  qu'on  réussit  à  endor- 
mir est  assez  grand,  le  nombre  de  ceux  qui  sont  devenus  absolument  insensibles  à  toute 
douleur  est  fort  restreint.  En  outre  il  est  possible  que  la  longue  éducation  nécessaire 
pour  amener  un  sujet  hypnotisable  à  l'analgésie  absolue  ait  pour  la  santé  générale  au 
moins  autant  d'inconvénients  qu'une  chloroformisation  passagère. 

On  trouvera  plus  loin,  à  la  bibliographie,  quelques  indications  sur  certains  cas  dans 
lesquels  l'anestbésie  chirurgicale  ou  l'anesthésie  obstétricale  ont  pu  être  obtenues  par  le 
magnétisme. 

II.  Anesthèsie  localisée.  —  Le  principe  de  l'anesthésie  localisée  est  tout  différent 
du  principe  de  l'anesthésie  générale.  Par  le  fait  de  l'anesthésie  générale,  les  centres  ner- 
veux qui  président  à  la  conscience,  et  par  conséquent  à  la  douleur,  sont  devenus  inactifs, 
la  volonté  et  l'intelligence  sont  anéanties  ;  au  contraire  elles  restent  intactes  dans  l'anes- 
thésie localisée  qui  a  pour  but  de  rendre  telle  ou  telle  région  insensible,  sans  que  les 
centres  nerveux  soient  touchés.  Par  conséquent^le  danger,  toujours  plus  ou  moins  mena- 
çant quand  un  trouble  aussi  grave  qu'une  anesthèsie  complète  est  porté  à  l'innervation 
centrale,  est  supprimé  quand  il  n'j'  a  qu'une  insensibilisation  locale  d'une  partie  du  tégu- 
ment. 

Si  donc  on  parvenait  à  réaliser  une  anesthèsie  localisée,  comme  celle  qu'on  peut  obte- 
nir dès  à  présent  avec  la  cocaïne  pour  la  cornée,  il  est  certain  que  l'anesthésie  générale 
serait  inutile.  Il  est  donc  bien  important  de  connaître  les  moyens  dont  on  dispose  aujour- 
d'hui pour  obtenir  de  l'analgésie  en  un  point  quelconque  de  la  peau. 

Historique.  —  Les  anciens  médecins  pratiquaient  déjà  des  applications  de  sub- 
stances narcotiques,  et  surtout,  depuis  Percival  Pott  (1771),  des  bains  d'acide  carbo- 
nique. Mais  rarement  l'insensibilité  était  complète  :  c'était  une  sensibilité  plutôt  émoussée 
qu'abolie. 

Arnott  proposa  l'emploi  du  froid  en  1851,  et  Velpeau  pratiqua  ainsi  à  Paris  plusieurs 
petites  opérations.  En  mettant  le  doigt  dans  un  linge  contenant  un  mélange  réfrigérant 
de  glace  et  de  sel  marin,  on  voit  la  peau  qui  pâlit,  s'anémie,  et  finalement  devient  insen- 
sible à  la  douleur.  La  sensibilité  tactile  n'est  cependant  pas  totalement  abolie  :  le  patient 
perçoit  l'ébranlement  mécanique,  mais  non  la  douleur,  de  sorte  que  l'incision  des  tissus 
ne  fait  ni  couler  de  sang  ni  ressentir  de  souffrance.  On  avait  aussi  proposé  de  tremper 
le  doigt  dans  l'éther,  en  espérant  que  l'effet  anesthésique  de  i'éther,  au  lieu  de  porter 
sur  les  centres  nerveux,  par  pénétration  dans  le  système  circulatoire  général,  porterait 
sur  les  nerfs  périphériques  par  imbibition. 

Mais  l'emploi  de  l'éther,  dans  lequel  on  met  à  tremper  le  doigt  qu'on  veut  rendre 
insensible,  n'avait  donné  que  des  résultats  assez  imparfaits,  jusqu'au  moment  où  A.  Richet 
a  eu  l'idée  d'activer  l'évaporation  de  l'éther  au  moyen  d'un  insufflateur  spécial.  Cet  insuf- 
flateur  venait  d'être  imaginé  par  Guérard  pour  évaporer  de  l'éther  à  la  surface  de  régions 
douloureuses  et  ulcérées  (A.  Richet.  Mémoire  lie  à  la  Société  de  chirurgie  sur  l'anesthésie 
localisée.  Gazette  des  hôpitaux,  1854,  t.  xxvii,  p.  133;  eVDiscussion  à  la  Société  de  chirurgie 
sur  l'anesthésie  localisée,  1853-1854,  t.  iv,  pp.  519-546).  La  méthode  de  l'anesthésie  loca- 
lisée était  créée. 

A  partir  de  1854,  ont  fit  diverses  modifications  de  détail  qui  apportèrent  de  notables 
perfectionnements.  Les  appareils  insufflateurs  furent  rendus  plus  maniables.  Le  bromure 
d'éthyle  fut  substitué  à  l'éther  qui  est  inflammable  :  comme  le  refroidissement  est  plus 
rapide  (le  bromure  d'éthyle  étant  plus  volatil  que  l'éther),  l'anesthésie  survient  plus  rapi- 
dement (0.  Terrillon).  Mais,  en  somme,  c'est  aux  observations  faites  par  mon  père  en  1854 
qu'il  faut  faire  remonter  les  premiers  essais  méthodiques  d'anesthésie  localisée  par  éva- 
poration. 

Anesthèsie  localisée  par  réfrigération.  —  L'action  de  la  vapeur  anesthésique  sur 
les  extrémités  nerveuses  est-elle  une  action  chimique  anesthésique,  ou  bien  une 
action  réfrigérante?  La  question  n'est  pas  facile  à  résoudre.  On>  admet  en  général  que 
l'évaporation  de  l'éther  agit  surtout  par  le  froid  produit;  mais  je  pencherais  à  croire  qu'on 
fait  trop  bon  marché  de  l'action  locale  de  la  vapeur  d'éther.  La  peau,  même  parfaitement 
intacte,  absorbe  les  gaz  et  les  vapeurs  des  liquides  volatils.  C'est  une  démonstration  qui 
a  été  faite  bien  souvent  par  tous  les  physiologistes.  Il  suffit  d'avoir  manié  de  l'éther  pour 
que  les  mains  en  conservent  encore  l'odeur  pendant  quelque  temps,  de  sorte  que  nous 


5i'i  ANESTHÉSIE    et    A  N  ESTH  ESI  QU  ES. 

pouvons  regarder  non  seulement  comme  possible,  mais  même  comme  nécessaire  la 
pénétralion  d'une  certaine  quantité  d'éther  à  travers  la  peau.  Ainsi  les  nerfs  de  la  peau, 
étant  en  contact  avec  l'éther,  sont  anesthésiés  par  une  sorte  d'inibibition  locale,  sans 
que  les  centres  nerveux  aient  reçu  l'atteinte  d'une  quantité  de  poison  suffisante  pour 
anéantir  leur  activité.  Dans  les  e.'ipériences  préliminaires  qu'il  faisait  avec  l'éther,  mon 
père  avait  remarqué  que,  si  l'on  fait  la  compression  circulaire  du  doigt  (de  manière 
à  empêcher  la  circulation  d'enlever  l'éther  dont  la  peau  est  imbibée,  et  qui  s'est  proba- 
blement combiné  aux  cellules  nerveuses  du  derme),  l'anesthésie  survient  plus  facilement. 
Il  est  d'ailleurs  vraisemblable  que  le  froid,  en  ralentissant  énormément  la  circulation,  et 
presque  en  l'abolissant,  a  pour  effet  de  ne  pas  permettre  au  sang  d'enlever  l'éther  qui  a 
pénétré  dans  le  derme.  Par  conséquent  le  froid  agit  non  seulement  en  tant  que  froid, 
mais  encore  comme  agent  retardateur  de  la  circulation  ;  ce  qui  favorise  l'imbibition 
parle  derme. 

Il  est  probable  que  tous  les  liquides  volatils  à  basse  température,  ainsi  que  tous  les 
gaz  projetés  sur  la  peau  à  l'état  liquide,  agissant  par  réfrigération  d'une  part,  et  d'autre 
part  par  imbibition  du  derme,  sont  capables,  quels  qu'ils  soient,  de  produire  l'anesthésie 
locale.  Outre  l'éther  et  le  bromure  d'éthyle.  on  a  employé  le  chlorure  d'éthyle,  qui  bout 
à  11°,  et  qu'on  peut  avoir  assez  pur,  même  à  bas  pris,  et  surtout  le  chlorure  de  méthyle 
qui  bout  à  —  23°. 

La  pulvérisation  sur  la  peau  du  chlorure  de  méthyle  produit  aussitôt  une  zone  ané- 
mique blanchâtre  qui  est  tout  à  fait  insensible.  Mais  le  froid  produit  est  parfois  trop 
intense  pour  n'être  pas  sans  quelque  danger  au  point  de  vue  de  la  production  de  cer- 
taines lésions  locales  de  la  peau.  Aussi  a-t-on  songé  à  y  remédier.  Bailly,  a  proposé 
de  pulvériser  le  gaz  sur  des  tampons  d'ouate  qui  s'imprègnent  de  chlorure  de  méthyle, 
et  qui  descendent  alors  à  une  température  très  basse.  Cette  ouate,  mise  au  contact  de 
la  peau,  l'anesthésie  assez  vite  sans  faire  courir  le  danger  d'une  eschare  ;  c'est  ce  qu'il  a 
appelé  le  shjpage.  Galippe  (B.  B.,  4  février  1888)  a  eu  l'ingénieuse  idée  de  mélanger  le 
chlorure  de  méthyle  à  l'éther.  Le  liquide  mixte  ainsi  constitué  ne  s'évapore  qu'assez  len- 
tement, et  il  produit  un  froid  très  vif  qui  anesthésie  bien  quand  on  verse  ce  liquide  sur  la 
partie  qu'on  veut  rendre  insensible.  Terrier  et  Pébaire  recommandent  de  couvrir  les 
parties  anesthésiées  avec  de  la  vaseline;  alors  les  phlyctènes  et  la  vésication  de  la  peau 
ne  sont  plus  à  craindre. 

On  trouvera  dans  le  Traité  d'anesthésie  chirurgicale  de  Terrier  et  Péraire,  l'indica- 
tion de  divers  mélanges  de  chlorure  de  méthyle,  sous  les  noms  bizarres  de  coryle  et 
d'anesthyle  (Martin.  Presse  médicale  belge,  U  déc.  1892.  —  Dandois.  Étude  sw  l'anesthésie 
locale.  Revue  médicale  de  Louvuin,  1892,  pp.  193-231 .)  —  Sauvez.  Des  meilleurs  moyen  d'anes- 
thésie  à  employer  en  ai't  dentaire.  D.  P.,  1893). 

L'acide  carbonique  solide  peut  aussi  être  employé.  En  dégageant  rapidement  ce 
gaz  des  récipients  oii  il  est  comprimé  et  en  le  recueillant  dans  des  enveloppes  de  laine, 
on  obtient,  par  suite  du  froid  intense  qui  se  produit,  la  congélation  d'une  partie  de  la 
substance  :  alors  on  peut  prendre  en  main  des  morceaux  d'acide  carbonique  neigeux  qui 
restent  un  temps  encore  appréciable  avant  de  se  volatiliser  tout  à  fait.  L'application  de 
cette  neige  sur  la  peau  produit  le  froid  anesthésique.  Mais,  comme  pour  l'éthet-,  il  est 
possible  que  l'action  chimique  de  l'acide  carbonique  sur  les  expansions  nerveuses  vienne 
s'ajouter  à  l'action  physique  qu'il  excerce  (Wiesendainger.  Die  Venvendung  der  flus- 
sigen  Kohlensaùre  zur  Erzeugung  localer  Anaesthaesie,  cité  par  Terrier  et  Péraire,  p.  43). 

En  physiologie  on  a  aussi  utilisé  la  réfrigération,  et  cela  non  seulement  par  pulvé- 
risation locale  de  telle  ou  telle  partie  du  corps,  comme  dans  la  pratique  chirurgicale, 
mais'  encore  en  agissant  directement  sur  les  centres  nerveux.  R.  Dubois  a  anesthésie  des 
tortues  et  des  grenouilles,  et  spécialement  des  vipères,  en  refroidissant  l'encéphale  au 
moyen  d'un  jet  d'éther. 

Quoique  nous  nous  soyons  toujours  servi  du  mot  d'anesthésie  pour  ces  phénomènes, 
le  mot  d'analgésie  serait  évidemment  plus  exact.  Il  semble  que  la  sensibilité  tactile  à  la 
pression  ne  puisse  disparaître  que  très  tardivement,  tandis  que  l'algesthésie  disparaît 
assez  vite.  Encore  faut-il  distinguer  dans  la  sensibilité  tactile  deux  phases;  une  première, 
qui  est  la  finesse  du  toucher,  — celle-ci  disparaît  tout  de  suite,  —et  une  autre,  qui  donne 
une  vague  notion  de  loucher;  celle-ci  disparaît  lentement.   La  sensibilité  à  la  douleur 


ANESTHÉSIE    et    AN  ESTH  ESIQU  ES.  S43 

disparaît  après  la  finesse  du  tact,  mais  longtemps  avant  que  toute  sensibilité  à  la  pres- 
sion ait  disparu.  On  rapprochera  ces  faits  de  ceux  qui  ont  été  observés  d'abord  par 
LoNGET  (1847),  puis  par  beaucoup  de  physiologistes,  sur  les  effets  des  substances  anes- 
thésiques  directement  appliquées  sur  les  troncs  nerveux.  La  sensibilité  et  la  motiiité  ne 
sont  pas  atteintes  en  même  temps.  Suilout  on  a  bien  constaté  que  l'excitabilité  d'un  nerf 
périt  avant  sa  conductibilité.  Autrement  dit  un  nert  empoisonné  localement  peut  encore 
conduirel'excitation,  aloi's  que,  si  cette  excitation  est  portée  directement  sur  le  point  em- 
poisonné, elle  n'a  plus  aucun  effet  excitateur  (Voy.  Nerfs,  Sensibilité). 

Anesthésie  localisée  par  injections  sous-cutanées.  —  En  1884,  K.  Koller  fit 
une  découverte  importante.  11  montra  que,  si  l'on  met  une  solution  de  cocaïne  au  con- 
tactde  la  conjonctive,  la  cornée  devient  insensible  et  qu'on  peut  pratiquer  sur  la  cornée 
et  sur  l'iris  des  opérations  non  douloureuses  (XJher  die  Venuendung  des  Cocain  zur  Anaes- 
thaesirung  des  Auges.  Wien.  med.  Woch.,  1884,  p.  1276).  La  dose  de  cocaïne  injectée  est 
minime,  de  sorte  qu'elle  ne  peut  produire  aucun  effet  général  sur  l'organisme. 
C'est  donc  le  type  des  anesthésiques  localisés,  puisque  la  cornée  est  tout  à  fait  insen- 
sible et  qu'elle  seule  est  insensible.  L'expérience  sur  les  animaux  de  toute  espèce  donne 
le  même  résultat,  et  on  est  forcé  d'admettre  que  la  cocaïne,  imbibant  les  cellules  ner- 
veuses sensitives  ou  les  filaments  nerveux  terminaux  de  la  cornée,  les  paralyse  pendant 
quelques  temps. 

Cette  découverte  de  Koller  fut  aussitôt  confirmée  de  toutes  parts,  et  bientôt  on  employa 
la  cocaïne,  non  seulement  pour  l'anesthésie  oculaire,  mais  encore  pour  l'anesthésie  de 
la  peau  et  des  muqueuses,  de  manière  à  pouvoir  faire  de  petites  et  même  de  grandes 
opérations,  à  l'aide  de  ce  procédé  ingénieux. 

Nous  n'avons  pas  à  entrer  ici  dans  l'histoire  physiologique  de  la  cocaïne,  pas  plus  que 
nous  ne  l'avons  fait  pour  l'histoire  détaillée  du  chloroforme  et  de  l'éther.  Disons  seu- 
lement que  la  cocaïne,  aux  doses  auxquelles  on  l'injecte  pour  produire  l'anesthésie  loca- 
lisée, n'anesthésie  pas  les  centres  nerveux.  Si  l'on  injecte  des  doses  de  cocaïne  consi- 
dérables, on  parvient  à  diminuer  la  sensibilité  à  la  douleur  chez  les  animaux,  mais 
non  à  l'abolir  complètement.  Même  aux  doses  qui  produisent  des  convulsions,  il  y  a 
encore  une  trace  de  sensibilité  qui  persiste. 

L'analogie  est  remarquable  entre  la  cocaïne  qui  paralyse  les  terminaisons  nerveuses 
sensitives,  et  le  curare  qui  paralyse  les  terminaisons  motrices.  Laborde  a  donc  eu  rai- 
son de  définir  la  cocaïne  en  disant  que  c'est  un  curare  sensitif.  Elle  a  une  affinité  spéciale 
pour  les  filaments  nerveux  terminaux,  récepteurs  des  sensations.  Les  petits  ramuscules 
nerveux  eux-mêmes,  si  rebelles  pourtant  à  l'action  des  poisons,  sont  devenus  inexci- 
tables. Mais,  quelle  que  soit  l'affinité  de  la  cocaïne  pour  les  nerfs  sensitifs,  une  injection 
intra-veineuse  ne  produit  pas  l'anesthésie  périphérique,  ou  du  moins  elle  ne  la  produit 
que  si  la  dose  est  devenue  très  forte. 

Les  chirurgiens  ont  imaginé  divers  procédés  pour  réaliser  l'anesthésie  locale  par  la 
cocaïne  avec  l'injection  d'une  quantité  minima  de  poison.  P.  Reclus,  qui  a  beaucoup 
contribué  à  rendre  méthodique  et  à  vulgariser  lemploi  de  la  cocaïne  en  chirurgie,  ne 
l'injecte  pas  sous  la  peau,  mais  dans  l'épaisseur  du  derme  (P.  Reclus  et  Isch-Wall.  Revue 
de  ehirurgie,  1889,  p.  138.  —  C.  Delbosc.  De  la  cocaïne  ;  Trav.  du  lab.  de  Ch.  Richet,  t.  ii, 
pp.  o29-b64).  On  trouve  dans  l'ouvrage  de  Terrier  et  de  Péraire  (pp.  63-74)  les  modifi- 
cations apportées  par  certains  chirurgiens  pour  rendre  l'anesthésie  plus  durable.  Corning 
pulvérise  d'abord  de  l'éther,  puis  injecte  du  beurre  de  cacao  qui,  par  le  froid,  se  solidifie  et 
empêche  la  cocaïne  de  diffuser  trop  vite  dans  la  circulation  générale  et  d'y  disparaître. 
Mayo-Robson  emploie  la  bande  d'EsMARCH,  absolument  comme  A.  Richet  avait  fait 
pour  la  réfrigération  par  l'éther.  Gauthier  associe  la  trinitrine  à  la  cocaïne;  car  les 
effets  de  la  trinitrine  qui  dilate  les  vaisseaux  sont  directement  opposés  aux  effets  con- 
stricteurs de  la  cocaïne.  Marchand  dissout  la  cocaïne  dans  de  l'huile.  Bignon  la  précipite 
à  l'état  de  base  par  du  carbonate  de  soude,  et  obtient  ainsi  un  lait  de  cocaïne;  la 
cocaïne,  base  alcaloïdique,  étant  bien  moins  soluble  et  plus  active  cependant  que  son 
chlorhydrate. 

Oefele  se  sert  du  phénate  de  cocaïne  dont  Faction  analgésique  est  plus  puissante  que 
celle  du  chlorhydrate.  11  paraîtrait  que  ce  sel  est  moins  dépressif  du  cœur  que  le  chlo- 
hydrate,  tout  en  étant  plus  actif  au  point  de  vue  de  ranalgésie(?). 


344  ANESTHÉSIE    et    AN  ESTH  É  SIQU  ES. 

■  Chadbourne  préfère  la  tropacocaïne,  et  son  sel  chlorhydrique.  Celte  substance,  trop 
peu  expérimentée  encore  pour  qu'on  puisse  se  former  à.  son  égard  une  opinion  ration- 
nelle, serait  deux  fois  moins  toxique  que  la  cocaïne;  l'analgésie  serait  cependant  plus 
étendue  et  plus  durable. 

D'ailleurs  ce  n'est  pas  seulement  pour  la  pratique  des  opérations  que  la  cocaïne  est 
utile  comme  anesthésique.  On  s'en  est  servi  pour  rendre  les  muqueuses  insensibles.  Des 
badigeonnages  avec  une  solution  appropriée  font  disparaître  les  douleurs  des  plaies, 
empêchent  les  réflexes,  parfois  incommodes,  de  se  produire.  En  somme,  dans  des  affec- 
tions très  diverses,  dont  nous  n'avons  pas  à  faire  ici  rénumération,les  médecins  et  les 
chirurgiens  mettenta  profit  les  propriétés  anesthésiantes  remarquables  de  cette  substance. 

Le  mécanisme  de  l'action  anesthésiante  de  la  cocaïne  n'est  pas  explicable  par  ses 
effets  vaso-constricteurs.  L'aoémie  qu'on  observe  constamment  après  une  injection  de 
cocaïne  ne  suffit  pas  pour  rendre  compte  de  l'insensibilité,  et  cela  pour  plusieurs  raisons; 
d'abord  parce  que  l'insensibilité  survient  plus  vite  que  ne  pourrait  le  faire  l'anémie; 
ensuite  parce  que  l'anémie  n'est  jamais  complète.  Les  tissus,  quoique  insensibles,  sai- 
gnent encore  quand  on  les  incise.  Enfin,  dans  la  cornée  par  exemple,  il  n'y  a  pas  de 
vaisseaux  sanguins;  et  cependant  nous  voyons  qu'elle  devient  insensible  par  le  fait  de  la 
cocaïne.  Il  faut  donc  admettre,  ce  qui  est  d'ailleurs  très  rationnel,  que  la  cocaïne,  por- 
tant son  action  sur  les  terminaisons  nerveuses,  les  empoisonne  directement  et  non  par  le 
mécanisme  de  l'anémie.  D'ailleurs,  en  physiologie,  l'explication  mécanique  des  intoxi- 
cations par  des  effets  vaso-moteurs  est  bien  rarement  exacte.  Presque  jamais  ni  l'ané- 
mie ni  la  congestion  ne  suffisent  pour  expliquer  les  symptômes  observés. 

Si  sur  les  animaux  à  sang  chaud  on  n'arrive  pas  par  des  injections  intra-veineuses 
à  obtenir  l'insensibilité  complète  du  tégument,  c'est  que  d'autres  troubles  généraux, 
dus  à  l'action  de  la  cocaïne  sur  les  centres  nerveux,  empêchent  la  vie  de  se  pro- 
longer ;  l'agitation,  les  convulsions,  l'hyperthermie.  Mais  chez  les  grenouilles  on  suit 
bien  ces  diverses  phases,  et  on  peut  voir  un  animal  vivant,  avec  un  cœur  qui  bat  régu- 
lièrement, des  muscles  qui  sont  encore  irritables  par  l'excitation  du  nerf  moteur,  et 
dont  cependant  tout  le  tégument  est  devenu  insensible. 

En  principe  il  semblerait  que  jamais  la  cocaïne  ne  doit  provoquer  d'accidents;  car 
la  dose  injectée  pour  anesthésier  un  point  limité  de  la  peau  est  trop  faible  pour  agir  sur 
l'ensemble  de  l'organisme.  Mais  il  est  des  cas  cependant  où  des  phénomènes  graves  ont 
été  notés.  E.  Delbosc,  dans  sa  thèse  de  1889,  avait  trouvé  quatre  cas  de  mort.  P.  Berger 
en  a  signalé  un  autre.  Même  si  l'on  attribue  au  hasard  ces  cinq  cas  funestes,  c'est  peu 
de  chose  assurément,  si  l'on  tient  compte  du  nombre  immense  d'opérations  pratiquées 
avec  la  cocaïne  :  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  des  accidents  qui  entraînent  non  la  mort 
du  patient,  mais  l'inquiétude  du  chirurgien,  ont  été  observés. 

La  symptomatologie  est  à  peu  près  toujours  la  même.  Ce  sont  des  troubles  cérébraux, 
intellectuels,  et  des  troubles  cardiaques;  les  premiers,  quelque  effrayants  qu'ils  parais- 
sent, sont  en  somme  inofi'ensifs,  tandis  que  les  autres  sont  extrêmement  sérieux. 

Même  à  dose  modérée,  la  cocaïne  agit  sur  l'intelligence.  C'est  un  poison  psychique, 
qui  amène  l'ivresse,  de  la  loquacité,  une  agitation  incessante,  le  besoin  de  parler,  de  rire, 
de  se  mouvoir,  et  l'impossibilité  de  rester  en  place.  Plus  tard,  cette  excitation  est  rem- 
placée par  de  la  céphalalgie  et  de  l'abattement. 

Mais  les  troubles  cardiaques  sont  les  plus  graves;  c'est  une  tendance  à  la  syncope. 
La  face  pâlit;  les  extrémités  se  refroidissent;  le  cœur  se  ralentit,  et  le  pouls  devient  petit, 
filiforme  (V.  Cocaïne).  Aussi,  quand  on  donne  de  la  cocaïne,  doit-on  toujours  bien  se  rap- 
peler que  c'est  un  poison  actif,  capable,  à  certaines  doses,  d'amener  la  mort  par  arrêt  du 
cœur. 

La  dose  mortelle  paraît  être,  comme  pour  tous  les  poisons  psychiques,  assez  variable, 
au  moins  chez  l'homme.  Sur  le  chien,  j'ai  pu,  avec  P.  Laxglois,  préciser  la  dose  convul- 
sivante  et  montrer  qu'elle  est  fonction  de  la  température.  A  la  température  de  38°,  la 
dose  qui  provoque  les  convulsions  est  de  Osi^jOa  par  kilogramme,  en  injection  veineuse. 
Mais  on  ferait  une  grave  erreur  si  l'on  inférait  de  là  qu'il  faut  chez  un  homme  de  70  kil. 
donner  1b%4  pour  obtenir  des  accidents  convulsifs  ;  car  les  poisons  psychiques  agissent 
bien  plus  activement  sur  l'homme  que  sur  les  animaux.  D'ailleurs,  sur  les  singes, 
Grasset  a  trouvé  une  dose  toxique  plus  faible  que  chez  les  chiens,  soit  0B'',012  par  kilo- 


ANESTHÉSIE    et    A  N  ESTH  ÉSIQU  ES.  Sio 

gramme  (P.  Langlois  et  Ch.  Richet.  Influence  de  la  température  organique  sur  les  convul- 
sions. A.  P.,  1889,  pp.  181-196). 

La  plus  faible  dose  ayant  déterminé  la  mort  chez  l'homme  est  indiquée  dans  une 
observation  de  Simes,  cité  par  Delbosc  (/oc.  cit.,  p.  560)  ;  la  quantité  injectée  était  de 
0Kr,7o.  Il  ne  faut  donc  pas  atteindre  cette  dose,  quoique  on  ait  pu  souvent  en  injecter 
bien  davantage  sans  accidents;  mais  il  vaut  mieux  être  en  deçà  qu'au  delà.  Le  plus 
souvent  la  dose  de  0='',0o  ouOKrjlO  seront  suffisantes  pour  une  anesthésie  locaHsée,  même 
assez  étendue,  et  on  pourra  sans  danger  doubler  la  dose,  si  c'est  nécessaire.  A  moins  de 
contre-indications  formelles,  il  ne  faudra  pas  dépasser  la  dose  de  Oer.^o. 

On  a  discuté  l'intluence  de  la  cocaïne  sur  la  germination  et  la  fermentation.  R.  Du- 
bois, P.  Regnahd  et  A.  Charpentier  (cités  par  Dastre,  loc.  cit.,  p.  210)  sont  arrivés  à  des 
résultats  opposés.  Quoi  qu'il  en  soit,  même  en  admettant  que  de  fortes  doses  paralysent 
la  végétation,  il  n'est  pas  possible  d'assimiler  l'action  de  la  cocaïne  à  celle  des  vrais  anes- 
thésiques,  comme  le  chloroforme  ou  l'étlier,  qui,  à  dose  très  faible,  paralysent  complète- 
ment les  levures  et  les  ferments. 

11  existe  encore  quelques  substances  qui  ont  certaines  propriétés  analogues  à  celles 
de  la  cocaïne;  mais  leur  histoire  est  encore  inachevée.  Nous  avons  déjà  parlé  de  la  Iro- 
pacocaïne;  il  faut  y  ajouter  l'érythrophléine,  la  strophantine,  et  l'ouabaïne.  Ces  divers 
alcaloïdes  sont  d'ailleurs  très  toxiques,  surtout  l'ouabaïne;  et  il  faut  attendre  avant  de 
pouvoir  se  faire  une  opinion  sur  leur  valeur  thérapeutique. 

Au  point  de  vue  physiologique,  il  n'est  [las  douteux  que  ces  corps,  appliqués  à  l'état 
de  solution  sur  la  cornée,  puissent  l'insensibiliser.  D'après  E.  Gley,  une  solution  de 
strophantine  ou  d'ouabaïne  au  millième  aurait  le  même  effet,  et  même  un  effet  plus  pro- 
longé, qu'une  solution  de  cocaïne  au  centième. 

Quelques  autres  substances  ont  aussi  été  proposées;  mais  elles  sont  plutôt  [des  caus- 
tiques, comme  le  phénol,  et  la  formanilide.  Des  pulvérisations  de  phénol  produisent 
d'abord,  par  imbibition  des  nerfs  sous-cutanés,  une  assez  forte  excitation  et  des  fourmil- 
lements, prélude  ordinaire  de  l'anesthésie.  La  formanilide,  préconisée  par  Preisach  (1893), 
a  été  employée  pour  anesthé.sier  les  muqueuses.il  est  clair  que  toute  substance  qui  a  un 
effet  caustique  doit  avoir  aussi  quelque  eifet  anesthésique,  par  destruction  des  extrémi- 
tés nerveuses.  C'est  ce  qu'on  a  appelé  parfois  l'anesthésie  douloureuse.  Mais  de  là  à 
l'anesthésie  véritable,  il  y  a  loin. 

Je  ne  mentionnerai  que  pour  mémoire  le  procédé  d'anesthésie,  employé  surtout  par 
les  dentistes,  qui  consiste  à  détruire  passagèrement  l'excitabilité  d'un  nerf  par  un  cou- 
rant électrique  très  violent,  et  à  profiter  pour  telle  ou  telle  opération  de  cette  anesthésie 
transitoire.  A  vrai  dire,  pour  détruire  toute  sensibilité,  il  faut  une  excitation  électrique  si 
forte  qu'elle  devient  presque  aussi  douloureuse  que  l'opération  elle-même. 

En  résumé  l'histoire  des  anesthésiques  nous  donne  un  éclatant  exemple  des  secours 
que  la  physiologie  a  pu  apporter  à  l'humanité  soulfrante.  Certes  la  découverte  même  est 
due  au  hasard  et  non  à  la  science.  Wells,  Morton  et  Jackson  n'étalent  rien  moins  que 
des  physiologistes.  Mais,  après  les  empiriques,  bienfaiteurs  dont  il  ne  faut  pas  diminuer 
le  mérite,  tout  ce  que  nous  savons  de  précis  sur  l'anesthésie  est  bien  dû  à  la  collabora- 
tion persistante  de  l'observateur  chirurgien  et  de  l'expérimentateur  physiologiste.  Il 
n'est  peut-être  pas  de  meilleur  exemple  pour  établir  l'influence  puissante  et  féconde 
des  sciences  physiologiques  sur  les  progrès  de  la  thérapeutique. 

Bibliographie.  —  La  bibliographie  des  anesthésiques  est  considérable.  Nous  ren- 
verrons d'abord  aux  articles  Chloroforme,  Cocaïne,  Éther,  Protoxyde  d'Azote,  pour  les 
détails  relatifs  à  l'action  physiologique  de  ces  diverses  substances.  Quant  à  l'anesthésie 
en  général,  les  principaux  ouvrages  à  consulter  sont  : 

Claude  Bernard.  Leçons  sur  les  anesthésiques  et  l'asphyxie.  Paris,  187o.  —  Simonin.  De 
l'emploi  de  l'éther  sulfurique  et  du  chloroforme  à  la  clinique  chirurgicale  de  Nancy.  2  vol., 
Paris,  1849,  1836,  1871.  —  Pehhin  et  Lalleuand.  Traité  d'anesthésie  chirurgicale.  Paris, 
1863.  —  Perrin.  Art.  Anesthésie  du  Dict.  encycl.  des  se.  médic,  t.  iv,  p.  434,  1866.  —  Oza- 
NAM.  L'anesthésie,  histoire  de  la  douleur.  Paris,  18b7.  —  Terrier  et  Péraire.  Pclit  manuel 

DlCT.    DE  PHYSIOLOGIE.    —   TO.IIE   I.  3.J 


546  ANESTHESIE    et    A  N  ESTH  ESIQU  ES. 

d'anesthêsie  chirurgicale.  Paris,  1894.  —  Turnbull.  The  advantages  and  accidents  of  arti- 
ficial  anaesthesia,  being  a  manual  of  anaesthetic  agents.  Philadelphia,  1879.  — Dastre.  Les 
anesthésiques.  Physiologie  et  applications  chirurgicales.  Paris,  1890.  —  R.  Dubois.  Anes- 
thésie  physiologique  et  ses  applications.  Paris,  1894.  — ■  Rottenstein.  Traité  d'anesthêsie 
chirurgicale.  Paris,  1880.  —  H.  Soulier.  Traité  de  thérapeut.,  t.  i,  1891,  pp.  632-703.  — 
G.  Hayem,  Leç.  de  thérap.,  2'  série,  1890,  pp.  408-492.  —  Auvard  et  Caulet.  Anesthésie  chi- 
rurgicale et  obstétricale.  Paris,  1892.  —  E.  Hankel.  Handbuch  der  Inhalations  Anaesthetica, 
Chloroform,  Aether,  Stickstoff  Oxydul,  Aethyl,  Bromid,  mit  Berûcksichtigiing  der  Straflichen 
Yeranwortlichkeit  bei  Anioendung  derselben.  Wiesbaden,  1892,  240  pp.  —  Report  of  the 
Hyderabad  chloroform  Commission.  Bombay,  1891,  399  pp.  —  W.  Buxton.  Anaesthetics, 
their  use  and  administi'ation.  Londres,  1892,  236  pp. 

Pour  les  mémoires,  il  est  impossible  de  les  mentionner  tous  ;  et  d'ailleurs  celte  nomen- 
clature serait  sans  grand  intérêt.  Dans  le  cours  de  l'article  nous  en  avons  déjà  indiqué 
quelques-uns;  il  nous  suffira  d'ajouter  quelques  travaux  intéressant  la  physiologie  de 
l'anesthésie.  Nous  donnons  plus  d'extension  aux  travaux  récents;  car  les  dernières  publi- 
cations permettent  de  recourir  aux  ouvrages  plus  anciens. 

Anesthésie  en  général.  Physiologie  générale.  —  Flourens.  Note  touchant  les  effets  de  l'in- 
halation de  l'êther  sur  la  moelle  épinière  {C.  R.,  1847,  t.  xxiv,  p.  161);  sur  la  moelle  allongée 
[ibid.,  pp.  242,  233);  sur  les  centres  nerveux  [ibid.,  p.  340).  —  Vulpian.  Sur  l'action 
qu'exercent  les  anesthésiques  sur  le  centre  respiratoire  et  sur  les  ganglions  cardiaques  (C.  R., 
1878,  t.  Lxxxvi,  p.  1303).  — ■  Arloing.  Rech.  cxpér.  comparât,  sur  l'action  du  chloral,  du 
chloroforme,  de  l'éther,  avec  ses  applications  pratiques.  Paris,  1879.  —  Discussion  de  l'Aca- 
démie de  médecine  sur  l' Anesthésie  (Bull,  de  l'Ac.  de  médec.  de  Paris,  1837,  t.  xxii,  pp.  908, 
932,  963,  992,  1016,  1061,  1084).  —  S.  Ddplay.  De  l'action  physiologique  du  chloroforme  et 
de  l'éther  considérée  aupointde  vue  de  l'anesthésie  chirurgicale  (Arch.  gén.  de  médec,  1870, 
(1),  pp.  207-224).  —  DuMÉRiL  et  Deuarquay.  Rech.  expier,  sur  les  modificat.  imprimées  à  la 
temp.  animale  par  l'éther  et  par  le  chloroforme  {Arch.  gén.  deméd.,  1848,  (1),  pp.  189  et 
332).  —  DuRET.  Des  contre-indications  de  l'anesthésie  chirurgicale  {Th.  d'agrégat.,  Paris, 
1880).  —  BuDiN  et  CoYNE.  La  pupille  pendant  l'anesthésie  chloroformique  et  chloralique,  et 
pendant  les  efforts  de  vomissements  {B.  B.,  1873,  pp.  21-27).  —  Hake.  Studies  on  ether 
and  chloroform,  from  Prof.  Schiff's  physiologiccU  Laboratory  {Pratictioner,  1874,  pp.  241^ 
230).  —  Fn.  Franck.  Effets  des  excitations  des  nerfs  sensibles  sur  le  cœur,  la  respiration  et  la 
ciradation  artérielle  {Trav.  du  lab.  de  Marey,  1876,  t.  u,  pp.  221-288).  —  Knoll.  Uber  die 
Wirkung  von  Chloroform  und  Aether  auf  Athmung  und  Blutkreislauf  {Ac.  des  se.  de  Vienne. 
Se.  médic,  1879,  pp.  223-232).  — Lacassagne.  Des  j)hénoménes  psychologiques  avant,  pendant 
et  après  l'anesthésie  provoquée  {Mém.  de  l'Ac.  de  méd.  Paris,  1869,  pp.  1-72).  —  Pinoux.  Mê)ne 
sujet  {Un.  médic,  1869,  pp.  13,  29).  —  Ranke.  Wirkungsweise  der  Anaesthaetica  (C.  W., 
1867,  pp.  209-213;  et  1877,  pp.  009-614).  —  Schife.  Délie  differenze  fra  lanestesia  prodotta 
dall  etere  e  quella  prodotta  dal  cloroformio  {Imparziale,  1874,  p.  163).  —  Vierordt.  Die 
Spannung,  des  Arterienblutes  in  der  Ether  und  Chloroformnarkose  {Arch.  f.  physiol.  Heil- 
kiinde,  1830,  pp.  269-274).  —  Wittmeyer.  Uber  Anaesthesie  {Deutsche  Klinik,  1862,  pp. 
188,  193,  206,  237,  266,  293,  308).  —  Pinard.  De  l'action  coinparée  du  chloroforme,  du 
chloral,  de  l'opium  et  de  la  morphine  chez  la  femme  en  travail  {Th.  d'agrégat.  Paris,  1878). 

—  Bruns.. Zmc  Aethernarkose  {D.  med.  Woch.,  1894,  t.  xxxi,  pp.  1147-1149).  —  Holz.  Ver- 
halten  der  Pulsioelle  in  der. Aether  und  Chloroformnarkose  {Beitr.  zur  klin.  Chir.,t.  vu,  p.  43). 

—  L.ABÉG1N1E.  Action  du  chloroforme  sur  le  syst.  circulât.  {D.  P.,  1877,  38  pp.).  —  Mac  Wil- 
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1892,  t.  xni,  pp.  860-869).  —  Hoare.  On  the  use  of  anaesthetics  in  veterinary  practice  {Vet. 
lourn.  et-Ann.  comp.  Pathol.,  1S92,  t.  xxxv,  pp.  393-399).  —  Gaskell  et  Shohe.  A  report 
on  the  physiological  action' of  chloroform  with  a  cristicism  of  the  second  Hyderabad  chloro- 
form commission  {Brit.  mcd.Journ.,  (1),  1893,  pp.  103,  164,  222).  —  Olivier  et  Garrett.  An 
analysis  of  thegases  of  the  bloodduring  chloroform,  ether,  bichloride  of  méthylène  andnitrous 
oxide anaesthaesia  {Lancel,A8SS,  (2),  pp.  625-627). — \)u}iom.  Vei'antwortlichkeit  des  Arztes 
bei  der  Chlonform  und  Aethernakose  {Festchr.  z.  Jubilaeum  v.  Theod.  Kocher,  1891,  pp. 
3S7-401).  —  CusHNY.  Chloroform  und  Aethernarkose  (Z.  B.,  t.  x,  pp.  363-404).  —  Pereles  et 
M.  Sachs.  Wirkung  von  Aether,  Chloroform  und  Alkohol  aufdas  Leituiigsvermôgen  motorischer 
undsensibler  Nervenfasern  des  Frosches  {A.  Pf.,  1892,  t.  lu,  pp.  326-334). 


ANESTHESIE    et    A  N  ESTH  ÉSIQU  ES.  547 

G.  Palis.  Ad.  physiol.  du  chloroforme,  modifications  dans  la  quantité  d'acide  carbo- 
nique exhalé  par  les  poumons  sous  l'influence  des  inhalations  chloroformiques  {D.  P.,  1883, 
42  pp.).  —  Kast.  Stoffwechslelstôrungen  nach  Chloroformnarkose  {Mûnch.  med,  Woch.,  1889, 
p.  869).  —  Rhmpf.  Wdrmeregidation  in  dcr  Narkose  und  im  Schlaf  {A.  Pf.,  t.  sxxiii,  1884, 
p,  338).  —  Carle  et  Musso.  Modificazioni  délia  circolazione  del  sangue  nel  cervello  durante 
la  narcosi  cloroformica  e  per  gli  eccitamenti  periferici  {R.  S.  M.,  1886,  t.  xxviii,  p,  413). 

—  Laffont.  Rech.  sur  l'innervât,  respirât.,  modifications  des  mouvements  respiratoires  sous 
l'influence  de  l'ancsthcsic  (R.  S.  M.,  1884,  t.  sxiii,  p.  427).  —  Ambus.  Vagusreizung  in 
der  Chloroformnarkose  (fi.  S.  M.,  1886,  t.  xxvii,  p.  28). 

Devillers.  Des  agents  anesthésiques  au  point  de  vue  du  diagnostic  de  cert.  affect.,  et 
notamment  des  affections  simidées  (D.  P.,  1876,  80  pp.).  —  Drescer.  Uber  die  Zusammen- 
setiimg  des  bei  der  Aethernarkose  geathmeten  Luftgemenges  (Bciir.  zur  klin.  Cldrurg.,  1893, 
pp.  412-422).  —  Vallas.  De  l'anesthésic  par  l'éther  et  de  ses  résultats  dans  la  pratique  des 
chirurgiens  hjonnais  {Rev.  de  ehir.,  1893,  t.  xni,  pp.  289-309).  —  Report  of  thc  Lancct  Com- 
mission appointed  to  investigate  the  subject  of  the  administration  of  ckloroform  and  other 
anaestheties  from  a  clinical  standpoint  (Lancet,  (1),  1893,  pp.  629,  693,  761,  899,  971,  1111, 
1479).  —  A.  Watson.  An  expérimental  study  of  the  cffecls  [amélioration  et  rétablissement) 
ofpuncture  of  the  hcart  in  cases  of  chloroform  narcosis  (An.  in  C.  P.,  1888,  t.  ii,  p. 324).  — 
Gréhant  et  Qui>.'QDAUD.  Dosage  du  chloroforme  dans  le  sang  d'un  animal  ancsthésié  (C.  R., 
oct.  1884). 

P.  Bert.  Sur  la  non- accumulation  du  chloroforme  dans  l'organisme  après  ancsthésié 
complète  [B.  B.,  1884,  pp.  454-456).  —  Delà  Roche  au  Lion.  Accidents  tardifs  dans  l'a- 
nesthésie  chirurgicale  (D.  P.,  1873,  40  pp.).  — ■  Rochet.  Même  sujet  (D.  P.,   1870,  86  pp.). 

—  Fhankel.  Chloroformnachwirkungen  beim  Menschen  (A.  V.,  1892,  pp.  256-284). 

P.  Bert.  Intoxication  chronic/ue  par  le  chloroforme  {B.  B.,188o,  pp.  71-o74).  —  Budin 
GER.  Lâhmungen  nach  Chloroformnarkosen  (Arch.  f.  klin.  C/ur.,  1894,  t.  xlvii,  pp.  121-145). 

—  SinoNi  et  Alessandri.  Alterazioni  renali  post-cloroformiche  {Gazz.  med.  di  Rama,  1894, 
pp.  73-77).  —  E.  Salkowski.  Wirkung  einiger  Narkotica  auf  den  Eiiveisszerfall  (C.  W., 
1889,  p.  943).  —  Strassmann.  Todtliche  Nachu>irkiing  des  Chloroforms  {A.  V.,  1889,  t.  cxv, 
p.  1).  —  Rappeler.  Beitràge  zur  Lehre  von  den  Anâsthetics  {Arch.  f.  klin.  Chir.,  1887, 
t.  XXXV,  p.  373).  —  Drapier.  Influence  des  anesthésiques  sur  la  nutrition  {D.  P.,  1886). 

Baudelocque.  Rech.  expér.  sur  la  ehloroformisation  par  un  mélange  titré  d'air  et  de 
chloroforme  (D.  P.,  1873,  70  pp.).  —  Stanton.  A  year's  exper.  with  the  Clover  inhaler 
{Chic.  Med.  Record,  J892,  t.  m,  pp.  841-844).  —  Royer.  Étude  sur  le  chloroforme  par  les 
petites  doses  {D.  P.,  1892,  50  pp.).  —  Kappeler.  Weitere  Erfahrungen  und  neue  Versuche 
uber  die  Narkose  mit  messbaren  Chloroformluft-mischungen  {Beitr.  zur  Chir.  Festschr.  v. 
Billroth.  1892,  Stuttgardt,  pp.  67-102;  et  Deutsche  Zeitsch.  fur  Chirurg.,  1893,  t.  xxxvi, 
pp'.  247-282).  — ■  Nicaise.  De  la  ehloroformisation  goutte  à  goutte  {Rev.  de  chir.,  1892,  t.  xii, 
pp.  582-606).  —  M.  Baudouin.  De  la  ehloroformisation  à  doses  faibles  et  continues  {Gaz. 
des  hûpit.,  1890,  p.  467).  —  R.  Blanchard.  De  l'anesthésic  par  le  protoxyde  d'azote  d'après 
la  méthode  de  P.  Bert.  (P.  P.,  1880,  lOi  pp.).  —  Hewitt.  On  the  anaesthetic  effects  ofnilrous 
oxide  lohen  administrcd  with  oxygen  at  ordinary  atmospheric  pressures,  ivith  remarks  on 
800  cases  (Transact.  Odont.  Soc.  Gr.  Brit.,  1892,  t.  xxiv,  pp.  194-244).  —  Aubeau.  Ancsthésié 
à  l'aide  d'un  mélange  de  chloroforme  et  d'air  exactement  titrés  {B.  B.,  1884,  pp.  396-400). 

—  R.  Dubois.  Machine  à  anesthésier ,  construite  par  M.  V.  Tatin  pozo'  la  ehloroformisation 
par  la  méthode  de  P.. Bert  [B.  B.,  1884,  pp.  400-403).  —  A.  Richet.  Sur  les  emploie  des 
mélanges  titrés  des  vapeurs  anesthétiques  et  d'air  dans  la  ehloroformisation  [C.  R.,  28  janv. 
1884).  —  R.  DuDois.  Mémoire  sur  l'anesthésie  par  les  mélanges  titrés  {Mém.  Soc.  BioL,  1885, 
pp.  1-13).  —  Clover.  Remarks  on  the  production  of  sleep  during  surgical  opérations  {Brit.  med. 
Journ.,  1874,    (I),  pp.  200-203). 

De  quelques  anesthésiques  en  particulier,  et  des  anesthésies  mixtes.  —  Hardy  et 
Dumontpallier.  Sur  un  anesthésique  nouveau  dérivé  du  chlorure  de  carbone  {Bull.  gén.  de 
thérap.,  1872,  p.  34).  —  George.  Sur  les  effets  physiologiques  de  l'éther  de  pétrole  (C.  fi.,  1864, 
t.  Lviii,  p.  1192).  —  Rabatz.  Einneues  Anaestheticum,  und  eine  Wûrdigung  der  altenAnaes- 
thetica  {Oenanthylènc]  {Wien.  med.  Woch.,  1863,  pp.  277,  293,  320,  336). 

Rabot.  Anesth.  supplém.  ou  anesth.  chloroform.  continuée  par  la  morphine  {Un.  méd., 
1864,  pp.  339-362).  —  Kônig.  Morphin  Chloroformnarkose  (Centr.  f.  Chir.,  1877,  pp.  609- 


548  ANESTHÉSIE    et    A  N  ESTH  ÉSIQU  ES. 

611).  —  Reeve.  3Iodifica1  ion  of  thc  anaesthetic  23>'occss  hy  hjjpodcrinic  injections:  of  narcotics 
{Am.  Journ.  of  mcd.  Se,  1876,  pp.  374-381).  —  Verriet-Litardière.  Ancstlii'sie  mixte  ou 
emploi  combiné  de  la  morphine  et  du  chloroforme  {D.  P.,  1878,  42  pp.).  —  Drouet.  Analgésie 
chloroformique  dans  les  accouchements  naturels  {D.  P.,  1887,  134  pp.).  — D'Argent.  Anal- 
gésie obstétricale  (D.  P.,  1880,  57  pp.).  —  Chaigneau.  Étude  comparative  des  divers  agents 
anesthésiques  employés  dans  les  accouchements  naturels  {D.  P.,  1890,  1"4  pp.).  —  Rabuteau. 
Inject.  sous-cutanées  de  narcéine  combinées  avec  les  inhalations  de  chloroforme  (B.  B.,  1883, 
p.  103).  —  ÏAULE.  Anesthésie  sans  sommeil  et  avec  conservation  entière  de  la  connais- 
sance obtenue  par  l'opium  administré  à  dose  progressive,  et  sans  l'aide  du  chloroforme 
(Gaz.  des  hôpit.,  1843,  p.  306).  —  Hueter.  Zur  Morphium  Chloroform  Nai'kose  [Centrbl. 
f.  Chir.,  1877,  p.  673). 

CoLOMBEL.  Étude  expér.  sur  un  nouveau  procédé  d'anesthésie  mixte  [atropine,  morphine, 
chloroforme)  (B.  S.  M.,  1 886,  t.  xxvii,  pp.  630-631).  —  Rocchi.  Anestcsia  atropo  morfino  cloro- 
formica  { Bull,  di  soc.  Lancisiana  degli Osped.  cli  Roma,  1892,  pp.  236-259).  —  Cadéac  et  Mallet. 
Anesthésie  par  l'action  combinée  du  chloral  enlavement  et  de  la  morphine  en  injections  sous- 
cutanées  (Lyon  médical,  1892,  t.  Lsis,  pp.  220-223). 

Longe.  CMoroformisation  et  inject.  hypod.  de  cognac  {Gaz.  d.  hop.,  1894,  p.  927).  —  Straus. 
Moyen  de  provocjuer  l' anesthésie  chez  le  lapin  (injection  d'alcool  dans  l'estomac)  (B.  B.,  1887, 
p.  o4j.  — Lynk.  Alcohol  as  an  anaesthetic  (Cincinnati  lancet  and  Observer,  1876,  pp.  409- 
416).  — Mac  Cormak.  On  the  production  of  anaesthsesia  by  the  vapour  of  absolute  alco- 
hol [Mecl.  Press  and  Circular  de  Dublin,  1867,  p.  598).  —  Smith.  Anaesthaesia  by  chloral 
and  ether  (Birmingham  med.  Revieiv,  1879,  pp.  263-263). 

RicHARDsoN.  Note  on  the  laie  reported  case  of  death  from  the  inhalation  of  ether  and 
on  the  amyls  as  anaesthaetics  (Lancet,  1873,  (1),  p.  719).  —  Giraldès.  L'amylène  comme  gaz 
anesthésique  (C.  B.,  1837,  t.  xliv,  p.  492).  —  Sanford.  Chloramyl,  a  new  anaesthetic  and  an 
improved  inhaler  (Med.  Bec.  New  York,  1878,  t.  xiv,  p.  279). 

TuHNBULL.  Observât,  and  experim.  with  the  agents  employed  in  anaesthaetic  mixtures 
(Saint  Louis  med.  and  surg.  Journal,  1879,  pp.    178-184).   —  Boutigny.  Note  sur  les  pro-- 
priétés  anesthésic[ues  de  l'aldéhyde  (C.  B.,  t.  xxv,  1847,  p.  90i).  —  Poggiale.  Même  sujet 
(ibid.,  t.  xxvii,  1848,  p.  334). 

BfiEUER  et  LiNDNER.  Pcntalnarkoscn  (Wién.  Min.  Woch.,  1892,  pp.  46  et  68).  — ■  Bau- 
churtz.  Pental  als  Anaesthelicum  (Therap.  Uonatsh.,  1893,  t.  vu,  pp.  230-239).  —  Philip. 
TJber  Pentalnarkose  in  der.  Chirurgie  (Arch.  f.  klin.  Chir.,  1892,  t.  xlv,  pp.  114-120).  — 
Kleindien'st.  Uber  Pental  als  Anaesthaesicum  (D.  Zeitsch.  f.  Chir.,  t.  sxxv,  pp.  333-330). 

Flourens.  Effets  de  l'éther  chlorhydrique  chloré  sur  les  animaux  (C.  R.,  1831,  t.  xxxii, 
p.  23).  — •  E.  Robin.  Sur  un  nouvel  agent  anesthésique,  l'éther  bromhydrique  (C.  R.,  1831, 
t.  XXXII,  p.  649).  —  Ed.  Robin.  Moyen  de  composer  des  anesthésiques  (C.  B.,  1832,  t.  xxxii, 
p.  839).  —  Ch.  Morel.  Emploi  du  tétrachlorure  de  carbone  comme  anesthésique  (C.  R.,  t.  lxxxiv, 
1877,  p.  1460). 

Ch.  Ozanam. Des  inhalations  d'acide  carbonique  considérées  comme  anesthésique  efficace 
et  sans  danger  (C.  R.,  1858,  t.  xlvi,  p.  417).  —  Herpin.  L'emploi  du  gaz  carbonique  comme 
anesthésique  (C.  B.,  1838,  t.  xlvi,  p.  481).  —  Ch.  Ozanam.  L'acide  carbonique  anesthésique 
sûr,  facile  et  sans  danger  (B.  B.,  1887,  p.  81).  — ■  N.  Gréhant.  Anesthésie  des  rongeurs  par 
l'acide  carbonique  (B.  B.,  1887,  p.  133). 

P.  GuYoï.  L'iodal  et  ses  ^propriétés  anesthésiques  [C.  R.,  1870,  t.  lxix,  p.  1033).  —  Rabu- 
teau. Note  sur  trois  anesthésiques  nouveaux;  le  bromoforme,  le  bromal,  et  l'iodal  (Gaz.  hebd., 
1869,  p.  681).  —  WuTZEYS.  Propriétés  anesthésiques  des  bromures  d'éthyle,  de  propyle  et  d'a- 
myle  (C.  R.,  t.  lxxxiv,  1877,  p.  404).  —  0.  Terrillon.  Anesthésie  locale  et  générale  pro- 
duite parle  bromure  d'éthyle  (C.  R.,  t.  xc,  1880,  p.  1170).  —  Rabuteau.  Propriétés  anes- 
thésiques du  bromure  d'éthyle  (C.  R.,  1877,  t.  lxxxiv,  p.  465).  —  Lubet-Barbon.  Anesthésie 
générale  par  le  bromure  d'éthyle  (Arch.  de  laryng.,  1892,  pp.  2-8).  —  Gleich.  Bromàthylnar- 
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(Arch.  f.  klin.  Chir.,  1891,  t.  xlh,  pp.  717-752).  —  Ducasse.  Emploi  du  bromure  d'éthyle 
dans  les  accouchements  naturels  (D.  P.,  1883,  50  p.).  —  Poitou-Duplessy.  Anesthésie  mixte 
par  l'association  du  bromure  d'éthyle  et  du  chloroforme  (Un.  médic.,  1893,  pp.  136,  141).  — 
Reicb.  Uber  Bromâthcr  und  kombinirte  (successive)  Bromâther  Chloroformnarkose  (Wien. 
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ANESTHÉSIE    et    A  N  ESTH  ES\QU  ES.  349 

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koî^c  mit  Dimcthy  lacet  al  und  Chloroform  {R.  S.  Jlf.,  d886,  t.  xxvii,  p.  631). 

OnÉ.  De  l'anesihésie  produite  chez  l'homme  par  les  injections  de  chloral  dans  les  veines 
(C.  R.,  t.  Lxxviii,  1874,  pp.  813,  651,  1311;  t.  lxxix,  pp.  531,  1014,  1416;  1873,  t.  lxxxi, 
p.  244;  1876,  t.  lxxxii,  p.  1272).  —  Choquet.  Emploi  du  chloral  comme  agent  d'anesthésie  chi- 
rurgicale (D.  P.,  1880,  133  pp.).  —  E.  Bouciiuï.  Anesthésie  chirurgiccde  chez  les  enfants  à 
l'aide  du  chloral  dans  l'estomac  {Bull.  gén.  de  thérap.,  1873,  pp.  331-333).  —  Hartwig.  Com- 
bi/iirtc  Chloroform  Chloralhydrat  Narkose(Centrbl.  f.  Chir.,  1877,   p.  497). 

Regnauld  el  ViLLEJEAN.  Rech.  sur  les  propriétés  anesthésiques  duforméne  et  de  ses  dérivés 
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for  anaesthaesia  [Asclepiad.,  London,  1893,  pp.  34-60).  —  Hattyasy.  Chlorure  d'éthylène 
(Pest.  med.  chir.  Presse,  1892,  p.  315).  —  Faravelli.  A  proposito  dell'azione  délie  inalazioni 
di  bicloruro  di  etylene  sulla  cornea  (Arch.  p.  l.  se.  med.,  1892,  t.  xvi,  pp.  79-86).  —  Heyjians 
et  Debuk.  Étude  exp.  sur  l'act.  du  chlorure  de  méthylène,  du  chloroforme  et  du  tétrachlorure 
de  carbone  en  injection  hypodermiciue  chez  le  lapin  (Presse  méd.  belge,  1894,  pp.  97-100). 

—  Metzenberg.  Mcthylenbichlorid  als  Narkoticum  (In.  Diss.  Berlin,  1888).  —  R.  Dubois. 
Élude  comparative  des  propriétés  physiologiques  des  composés  chlorés  do  l'éthane  (A.  P., 
1888,  t.  VII,  p.   298). 

Laborde  et  Meillière.  L'anesthésie  chirurgicale  par  un  mélange  nouveau  de  chloroforme 
pur  et  d'èther  dans  des  proportions  déterminées  (Bull.  Ac.  de  Méd.  de  Paris,  1894,  pp.  623- 
626).  —  KocHER.  Combinirte  Chloroforme  Aether  Narkose  (Corrbl.  f.  schic.  Aerzte,  1089, 
p.  377). 

MoREAU.  Note  sur  un  fait  d'anesthésie  générale  pjrovoquée  par  l'action  combinée  du 
chlorhydrate  de  morphine  et  du  chlorhydrate  de  cocaïne  (B.  B.,  1888,  p.  747). 

FoKKER.  £in/luss  des  CIdoroforms  auf  die  ProtopAasmawlrkungen  (C.  W-,  1888,  p.  417). 

—  Arloing.  Identité  des  conditions  à  réaliser  pour  obtenir  l' Anesthésie  chez  les  animaux  et 
les  végétaux  (B.  B.,  1882,  pp.  523-323).  —  Joordaix.  Expér.  sur  le  mode  d'action  du  chlo- 
roforme sur  l'irritabilité  des  étamines  des  Mahonidl(C.  R.,  1870,  t.  lxx,  p.  948).  —  Tassi. 
Effetti  anestetici  dell'ipnone  e  délia  paraldeide  sui  fiori  di  alcuni  plante  (Anestesia  dei  fiori 
independente  degli  abbassamenti  di  temperatura  produtti  dall  evaporazione  délie  sostcmze 
sperimentale)  (Bull.  Soc.  Se.  di  Siena,  1887,  no''-8-9).  —  Rrenstein.  Einwirkung  einer 
concentrirten  Aetheratmosphâre  aufdas  Leben  von  Pflanzen  (Chem.  Centralbl.,  1887,  p.  1312). 

.  Oui.  Primipare  hystérique;  sommeil  hypnotique  pendant  l'accouchement  (Ann.  de  gynéc, 
1891,  t.  XXXVI,  pp.  374-379).  —  Pitres.  Anesthésie  chirurgicale  par  suggestion  (Journ.  deméd. 
de  Bordeaux,  G  juin  1886).  — ■  P.  Broca.  Sur  l'anesthésie  chirurgicale  provoc/uée  par  l'hypno- 
tisme {Bull.  Soc.  Chir.  de  Paris,  1859,  t.  x,  pp.  247-270).  —  Guérineau.  Amputation  de 
cuisse  pratiquée  sans  douleur  sous  l'influence  de  manœuvres  hypnotiques  (Gaz.  méd.  de  Paris, 
1860,  t.  XV,  p.  21).  —  BouYER,  Hémorrhoîdes.  Opérations  par  la  ligature,  hypnotisme  (Gaz. 
deshôpit.  Paris,  1860,  t.  xxxiii,  p.  313).  —  Mesnet.  Un  accouchement  dans  l'état  de  som- 
nambulisme provoqué  (Bull.  Ac.  de  méd.  de  Paris,  1887,  t.  xviii,  pp.  27-37). 
Dutehtre.   Anesthésiques  pendant  le  moyen  âge  (D.  P.,  26  pp). 

Anesthésie  localisée.  —  J.  Arnott.  On  cold  as  a  means  of  producing  local  insensibility 
(Lancet,  1848,  (2),  p.  98).  —  J.  Arnott.  On  the  invention  of  local  anaesthesia  by  réfrigé- 
ration. —  A.  Richet.  Anesthésie  locale  (Bull.  Soc.  Chir.  Paris,  1834,  t.  iv,  pp.  319  et  346;. 
Gaz.  deshôpit.,  1834,  t.  sxvii,  p.  153;  Bull.  gén.  de  thérap.,  1834,  t.  xlvi,  pp.  391-402).  — 
Horvath.  Zur  Kalteanasthesie  (C.  W.,  1873,  t.  xi,  pp.  209-211).  —  W.  Richardson.  On  a 
neu>  and  ready  mode  of  producing  local  anaesthesia  (Med.  Times  and  Gaz.,  1866,  (1),  pp.  1 15- 
117;  169;  249,  277).  —  L.  Le  Fort.  Anesthésie  locale  par  la  pulvérisation  de  l'éther  (Bull. 
Soc.  Chir.  de  Paris,  1867,  t.  vu,  pp.  10-4,  108).  —  0.  Liebreich.  Locale  Anàsthesie  (New. 
Centralbl.,  1888,  p.  276  et  B.  B.,  1888,  p.  340).  —  iV.  Laborde.  Même  sujet  (B.  B.,  1888, 
p.  403).  — ■  Horand.  Considérations  sur  la  pulvérisation  de  l'éther  (Mém.  Soc.  des  se.  méd.  de 
Lyon,  1868,  pp.  3-26  et  (2=  part.)  pp.  24-26;  A.  P.,  1876,  pp.  173-175).  —  J.  Let.amendi. 
Un  pas  vers  la  résolution  du  problème  de  l'anesthésie  locale.  Barcelone,  1873.  —  Chauvel. 
Appareil  (I'Esmarch  pour  obtenir  l'insensibilité  locale  (Rev.  méd.  photogr.  des  hôpit.  de 
Paris,  1874,  p.  207).  —  Chandelux.  Emploi  de  la  bande  d'EsMARCH  dans  les  anesthésies 
locales  (R.  S.  M.,  1886,  t.  xxvii,  p.  632).  —  P.  Reclus.  Analgésie  cocainique  (Clin.  chir. 
de  la  Pitié,  1894,  pp.  1-48). 


330  ANGÉLIQUE    (Essence    d')    —    ANILINE. 

CnADBOUEXE.  Ti'opacocaine  as  a  local  anaestheiic  {Brit.  med.  Journ.,  1892,  p.  402).  — 
GuiNAHB  etGELET.  Act.  auesth.  locale  de  la  spartéine  {B.  B.,  1894,  pp.  o83-o8S).  —  KOhler. 
Die  lokale  Anaesthesirung  durch  Saponm.  Halle,  1873. 

E.  Gley.  Anesthésie  produite  par  l'Ouabaine  et  la  Strophantine  (B.  B.,  1890,  p.  lOi).  — 
Panas.  Act.  ancstk.  locale  de  la  Strophantine  et  de  VOuahaînc  {Bull.  Ac.  de  Méd.  de  Paris, 
1890,  t.  xsiii,  p.  261  et  Arch.  d'Opht.,  1890,  t.  s,  p.  165). 

Chirone.  Délia  caffeina  e  délia  theina  quali  anestelici  locali  {Morgagni,  1888,  p.  47).  — 
Pheisach.  Formanilid,  ein  neues  Analgeticum  {Wien.  med.  Woch.,  1893,  pp.  387-388.). 

F.  RoiiiLLOx.  Béfrigération  par  le  chlorure  de  méthyle  (D.  P.,  1883).  —  Ferrand. 
Ampoules  de  chlorure  d'éthyle  pour  anesthésie  locale  {Lyon  méd.,  1891,  p.  233).  —  M.  Bau- 
douin. Même  sujet  {Progrés  médical,  1892,  p.  173). 

A.  Verxedil.  Analgésie  locale  par  l'acide  carbonique  {Rev.  de  thérap.  méd.  chirurg., 
1836,  pp.  393-396;  et  1837,  pp.  113-H9;i.  —  Gellé.  Anesthésie  du  conduit  auditif  et  du 
tympan  au  moyen  d'un  jet  de  gaz  acide  carbonique  {B.  B.,  1884,  p.  278). 

Si}iOKi:f.  Sulfure  de  carbone  comme  anesthésique  local  {Gaz.  méd.  de  Paris,  1866,  t.  sxi,  p. 
188).  Cl.  Bernard.  Anesthésie  locale  par  le  sulfure  de  carbone  {Gaz.  méd.  de  l'Algérie,  1874, 
pp.  4,  13,  27).  —  Perrin.  Même  sujet  {Bull,  de  soc.  de  Chir.  de  Paris,  1867,  pp.  143-143)- 

S.  L.  Hardy.  On  the  use  of  chloroform  and  other  vapours,  ivhen  applied  locally  and  in  the 
forrn  of  vapour  bath,  in  the  treatment  of  varions  diseuses;  together  with  the  description  of 
instruments  for  the  purpose  {Dubl.  med.  Press,  1834,  t.  ssxi,  pp.  241-243  et  t.  xxsii, 
pp.  303-312).  —  Fournie.  Chloracétisation,  nouveau  moyen  de  produire  l'anesthésie  locale 
{C.  B.,  1861,  t.  LUI,  p.  1066).  —  Schleich.  Combinirte  Oether-Cocaînanâsthasie  {D.  med. 
Zeit.,  1891,  p.  313). 

J.  AlthaCs.  Elecktrische  und  elektrochemische  Anâsthesie'{Wien.  med.  Woch.,  1839,  t.  ix, 
pp.  433-433).  —  T.  Guyot.  Anesthésie  cutanée  produite  par  un  courant  électrique,  abaisse- 
ment de  température,  sous  l'influence  du  même  moyen,  dans  les  parties  électrisées  iGaz.  des 
hôpit.,  1878,  p.  693).  —  Jobert.  Électricité  dans  l'anesthésie  chù-urgicale  {Gaz.  médic.  de 
Paris,  1833,  t.  viii,  pp.  831-833).  —  R.  Rodolfi.  Anestesia  electrica  {Gazz.  med.  ital. 
lomb.,  1863,  pp.  87  et  113).  —  Solaro.  Anestesia  electrica  neW  uomo;  l'electricita  sviluppa 
accessi  epilettici  {ibid.,  p.  118).  —  A.  Tripier.  Faradic  anaesthesia  {Arch.  electr.  et  neurol. 
of  New  York,  1874,  pp.  109-113).  — A.  Waller.  Experiments  onB^  Richardson's  mode  of 
performiag  painless  opérations  by  voltaic  narcotism  {Med.  Times  and  Gaz.,  1839,  t.  xviii, 
pp.  283-491). 

CH.  RICHET. 

ANGÉLIQUE  (Essence  d')  [C^H^O].  —  L'essence  d'angélique  pos- 
sède les  propriétés  générales  des  essences;  elle  est  probablement  isomère  de  l'essence  de 
camomille.  Elle  a  été  étudiée  au  point  de  vue  physiologique  par  Cadéac  et  Meunier 
(B.  d'hygiène,  janvier  1891).  A  faible  dose,  c'est  un  stimulant  psychique  et  physique.  A 
dose  plus  forte  elle  amène  l'ivresse  et  le  coma.  Fn  somme  son  action  est  identique  à 
celle  des  autres  essences.  Elle  entre  dans  la  composition  de  l'eau  de  mélisse. 

ANHALONINE.  — Alcaloïde  contenu  dans  Anhalonium  Lewinii,  cactée  du 
Mexique.  Lewin  en  a  fait  extraire  par  Mercr  deux  alcaloïdes  qui  paraissent  identiques, 
et  qui  cristallisent  en  aiguilles  blanches,  sous  la  forme  de  chlorhydrate  soluble  dans 
l'eau  bouillante  et  l'alcool  (A.  P.  P. ,'1894,  t.  xxxiv,  p.  373).  Le  chlorhydrate  d'anhalonine 
(C'-H'°AzO''HCl;,  à  la  dose  de  0S'',01  augmente  l'excitabilité  réflexe  des  grenouilles  et 
peut  même  provoquer  une  sorte  de  tétanos,  analogue  à  celui  de  la  strychnine.  Les 
mêmes  effets  strychnisants  ont  été  observés  sur  des  lapins,  à  la  dose  de  Q^',2.  par  kil. 
Pour  Hefter(A.  P.  P.,  1894,  t.  ssxiv,  p.  8'2.),YAyihalonium  Lewinii  contiendTa.it  trois  alca- 
loïdes; les  deux  qui  peuvent  cristalliser  provoqueraient  une  paralysie  centrale,  mais  non 
une  augmentation  de  l'excitabilité  réflexe.  C'est  l'alcaloïde  amorphe  qui  aurait  seul  cet 
effet. 

CH.  R. 

ANILINE.  ■ —  Notions  chimiques.  —  L'aniline  est  devenue  la  matière  pre- 
mière d'une  très  grande  industrie,  et  la  fabrication  des  couleurs  qui  en  dérivent  a  pris 


ANILINE.  351 

une  extension  de  plus  en  plus  considérable.  Les  ouvriers  employés  à  cette  industrie 
peuvent  être  exposés  à  de  grav-es  accidenls,  qu'il  est  du  dsvoir  du  médecin  de  connaître. 
A  ce  titre  déjà,  cette  substance  mérite  d'être  l'objet  d'une  étude  particulière.  A  un  point 
de  vue  plus  général,  les  troubles  variés  qu'elle  détermine  sur  le  sang,  sur  la  tem- 
pérature du  corps,  sur  le  système  nerveux,  prêtent  à  des  considérations  théoriques  in- 
téressantes pour  la  physiologie  palhologique. 

L'aniline  a  été  signalée  pour  la  première  fois  en  1826  par  le  chimiste  suédois  Unver- 
DORBEN,  parmi  les  produits  de  la  distillation  sèche  de  l'indigo.  Son  nom,  qui  lui  a  été 
donné  par  Fritsche,  vient  d'anil,  nom  portugais  de  l'indigo.  Zixix  a  indiqué  un  remar- 
quable procédé  de  production  de  ce  corps,  qui  consiste  à  traiter  la  nitro-benzine  par  les 
agents  réducteurs.  Hofmann  lui  a  donné  le  nom  de  phénylamine.  On  peut,  en  effet,  la 
ranger  dans  la  classe  des  aminés  aromatiques. 

/H 
Az  — H 

\  cens 

Le  radical  positif  monovalent  substitué  à  un  atome  d'H  d'AzH^  est  emprunté  au  phé- 
nol C^H^OH,  de  sorte  que,  traitée  par  l'acide  azoteux,  l'aniline  produit  le  phénol  : 

CeH«AzH2  4- AzO^H  =  C0H5OH  +  Az'  +  H^O. 

Cependant  les  corps  qu'on  a  appelés  aminés  aromatiques  se  distinguent  par  un  certain 
nombre  de  caractères  importants  des  aminés  grasses.  Leurs  propriétés  basiques  sont 
bien  plus  faibles  que  celles  de  ces  dernières,  de  sorte  que  leurs  sels  sont  instables,  et  se 
dissocient  avec  la  plus  grande  facilité.  Aussi  Griess  a-t-il  proposé  pour  l'aniline  le  nom 
d'amido-benzol. 

L'aniline  se  prépare  industriellement  en  soumettant  la  nitrobenzine  à  l'action  ré- 
ductrice d'un  mélange  d'acide  acétique  et  de  limaille  de  fer  (procédé  de  Béchamp)  :  à 
l'acide  acétique  trop  coûteux,  on  substitue   souvent   maintenant  l'acide  chlorlydrique. 

Elle  se  présente  sous  la  forme  d'une  huile  incolore,  d'odeur  particulière,  très  réfrin- 
gente, d'une  densitéde  1,036  à  0°  et  del,024à  17°.  Elle  bout  à  ISS"?,  se  prend  à  basse 
température  en  masse  cristalline;  impure,  elle  reste  encore  liquide  à  —  20°.  Elle  est 
soluble  à  12°  dans  31  parties  d'eau;  elle  est  fort  soluble  dans  l'alcool,  l'éther,  les  car- 
bures d'hydrogène.  Elle  dissout  le  souffre,  le  phosphore,  l'indigo,  les  résines,  le  cam- 
phre. Sa  réaction  est  très  faiblement  alcaline  :  elle  ne  bleuit  pas  le  papier  de  tournesol, 
ne  brunit  pas  la  teinture  de  curcuma,  mais  fait  passer  au  vert  la  teinture  de  dahlia.  Avec 
le  chlorure  de  chaux  et  les  hypochlorites,  elle  se  colore  en  violet  pourpre  ;cette  réac- 
tion est  très  sensible.  Si  l'on  agite  la  solution  pourpre  avec  de  l'éther,  celui-ci  s'empare 
d'une  belle  matière  colorante  rouge,  tandis  que  la  liqueur  reste  bleue.  Lorsqu'à  une 
solution  aqueuse  d'aniline,  on  ajoute  une  trace  de  chlorure  de  chaux,  jusqu'à  ce  que  la 
teinte  violette  commence  à  être  à  peine  visible,  puis  quelques  gouttes  de  sulfhydrate 
d'ammoniaque,  la  liqueur  prend  une  teinte  rose,  sensible  même  avec  1  230000  d'aniline 
(Gautier).  Avec  le  bichromate  de  potassium  et  l'acide  sulfurique,  l'aniline  donne  une 
coloration  bleue.  Elle  coagule  l'albumine. 

L'aniline  dite  poiir  ronge  est  un  mélange  d'aniline  et  des  deux  toluidines,  ortho  et 
para,  avec  très  peu  de  xylidine.  Elle  renferme  10  à  20  p.  100  d'aniline,  2o  p.  100  de  para- 
toluidine,  30  à  40  p.  100  d'orthotoluidine. 

Les  sels  d'aniline  sont  presque  tous  cristallisables  et  solubles  dans  l'eau  et  l'alcool; 
ils  sont  incolores  à  l'état  de  pureté,  mais  ils  rougissent  un  peu  à  l'air.  Ils  donnent  avec 
une  solution  aqueuse  d'acide  chromigue  une  coloration  verte,  bleue  ou  noire  suivant  la 
concentration  de  la  solution;  avec  le  chlorure  de  chaux  ils  se  colorent  en  bleu,  comme 
l'aniline,  mais  la  réaction  n'est  pas  durable;  additionnés  d'acide  chlorhydrique,  ils  co-  - 
lorent  en  jaune  intense  les  copeaux  de  bois  de  sapin  et  la  moelle  de  sureau.  Nous  ne  citons 
ici  que  les  réactions  les  plus  usuelles. 

Les  selsles  plus  usités  sont  le  chlorhydrate  (G^H'Az,  HGI),  le  sulfate  (C^H'Az,  SO'*H') 
neutre,  le  nitrate,  l'oxalate  neutre. 

Physiologie  pathologique.  —  1°  Historique.  —  Les  premières  recherches  relatives  à 
l'influence  de  l'aniline  sur  l'économie  animale  ont  été  faites  par  Woehler  et  Frerichs, 
qui,  d'après  des  expériences  pratiquées  sur  dés  chiens,  ont  trouvé  que  cette  substance  n'est 


552  ANILINE. 

pas  toxique  et  qu'elle  ne  passe  pas  dans  l'urine  {Annal,  der  Chemie  und  Pharmacie,  t.  liv, 
p.  343).  Cependant  Hoffmann  reconnaît  que,  «  sans  être  absolument  vénéneuse  »  l'aniline 
exerce  des  effets  nuisibles  sur  l'écojiomie.  Un  demi-gramme  de  la  substance  diluée 
dans  trois  fois  son  poids  d'ea\i,  injecté  dans  l'œsophage  d'un  lapin,  provoqua  de  vio- 
lentes convulsions  cloniques,  donll'animalne  s'était  pas  encore  remis  au  bout  de  24  heures. 
On  ne  trouva  pas  l'aniline  dans  l'urine  d'un  chien  auquel  elle  avait  été  administrée  [Eand- 
worterb.  der  Chemie  de  Liebig,  Poggendorff  et  Woehler,  SuppL,  1830,  p.  239).  Ru.nge 
mentionne  que  les  sangsues  meurent  lorsqu'on  les  plonge  dans  une  solution  d'aniline. 
ScHUCHARDT  le  premier  a  fait  une  série  d'e.xpériences  méthodiques  sur  les  propriétés' 
toxiques  de  cette  substance,  et  arrive  aux  conclusions  suivantes.  Les  lapins  meurent  très 
rapidement  si  on  leur  donne  par  la  bouche  une  quantité  suffisante  d'aniline  :  il  en  est 
de  même  pour  les  grenouilles  :  celles-ci  succombent  également  si  on  leur  injecte  trois 
gouttes  de  la  substance  sous  la  peau,  ou  si  on  les  plonge  dans  une  solution  diluée  d'ani- 
line. Chez  tous  les  animaux  il  se  produit,  peu  après  l'intoxication,  des  convulsions  clo- 
niques et  toniques;  plus  tard  la  sensibilité  diminue,  d'abord  dans  les  extrémités  posté- 
rieures, puis  dans  tout  le  reste  du  corps,  et  finit  par  disparaître  entièrement,  surtout  dans 
le  train  postérieur.  L'abaissement  de  la  température  est  un  phénomène  constant.  L'ani- 
line produit  une  action  irritante  locale  sur  les  parties  avec  lesquelles  elle  est  en  contact; 
muqueuses  de  l'estomac,  de  la  langue,  conjonctive.  L'aniline  ne  peut  être  trouvée  dans 
l'urine  :  il  semble  qu'elle  s'élimine  parles  voies  respiratoires  (A.  V.,  1861,  t.  xx,  p.  438). 
A  partir  de  cette  époque,  des  observations  d'empoisonnements  professionnels  ou  autres 
ont  été  publiées,  quoique  relativement  peu  nombreuses.  Les  principales  sont  celles  de 
Knaggs  {Medic.  Times  (nul  Gaz.,  1862,  t.  i,  p.  383)  et  Morel  Mackenzie  {Ibid.,  t.  i,  p.  239), 
celles  plus  récentes  de  Merklen  {France  médicale,  1880,  o  décembre),  de  Fr.  Muller 
{Deutsche  med.  Wockenschr.,  n"  2,  1887,  p.  27),  de  Herczel  {Wien.  med.  Wochenschr.,  1887, 
n""  31,  32  et  33),  de  Dehio  {Berl.  klin.  Wochenschr.,  n"  i,  p.  11). 

D'autre  part  différents  auteurs  ont  tracé  le  tableau  des  accidents  qui  se  manifestent 
chez  les  ouvriers  employés  à  l'industrie  de  l'aniline.  Citons  en  particulier  Chahvet(D.  P., 
1863  et  Ann.  d'hygiène,  1863,  t.  xs,  p.  281),  Kreuzeb  {Rev.  de  thérap.  méd.  et  chirurg.,  1864, 
t.  sxxi,  p.  349),  Sonnenkalb  [Anilin  und  Anilen  farben  in  toœicol.  Beziehung,  Leipzig,  1864), 
Jdles  Bergeron  {Ballet,  de  l'Académie  de  médec,  1855,  t.  xx,  p.  327),  Chevallier  {Annal, 
d'hyg.,  2™=  série,  1863,  t.  xxiv,  p.  374),  Grandhomme  {Vierteljàhrs.  f.  gerich.  Med.  u.  ceff. 
Sanit,,  1879,  t.  x.xxi,  p.  390,  analysé  dans  R.  S.  M.,  t.  xvi,  p.  97).  Mais  il  faut  remarquer  que 
les  accidents  observés  dans  l'industrie  ne  sont  pas  toujours  imputables  à  l'aniline  elle- 
même.  C'est  ainsi  que,  dans  la  «  Relation  d'une  épidémie  qui  a  sévi  parmi  les  ouvriers  de 
la  fabrique  de  fuchsine  de  Pierre-bénite  »,  Charvet  n'hésite  pas  à  les  attribuer  à  l'action 
de  l'arsenic  qui,  à  l'état  d'acide  arsenique,  servait  à  oxyder  l'aniline  dans  la  fabrication  de 
la  fuchsine.  D'autre  part,  outre  que,  dans  l'industrie,  les  effets  de  l'aniline  se  compliquent 
souvent  de  ceux  de  la  nitro-benzine,  le  tableau  des  accidents  observés  n'est  en  général 
pas  assez  caractéristique  pour  donner  une  idée  bien  nette  de  ce  qu'est  l'intoxication  par 
l'aniline.  Aussi  vaut-il  mieux  baser  l'étude  des  effets  physiologiques  de  cette  substance  sur 
les  faits  expérimentaux,  ainsi  que  sur  certaines  observations  cliniques  dans  lesquelles  les 
phénomènes  ont  été  très  prononcés  et  minutieusement  observés. 

Après  ScHucHAHD,  l'étude  expérimentale  de  l'aniline  a  été  faite  particulièrement  par 
TuRNBDLL  {On  the  Physiol.  and  Med.  Propert.  of  Anilin,  Lancet,  1861,  (2),  p.  469),  Leteeby  {On 
the  physiolog.  Propert.  of  Nitrobenzin  and  Anilin,  British  med.  Journ.,  1863,  (2),  p.  530), 
AuG.  Ollivier  et  Georges  Bergeron  (JowrnfiZ  de  la  Physiol.,  t.  vi,  p.  268),  Filehne  {Ub.  die 
Wirk.  des  Nitrobenz.  u.  des  Anilin,  1876,  Sitzungsber-  der  Erlanger  Gesellsch.,  analysé  in 
Jahresber.  de  VmcHowet  Hirsch,  1877),  Leloir(B.  B.,  1S79,  p.  313  et  341),  Wehtmeimer  et 
Meyer  (B.  B.,  déc.  1888  et  janvier  1889).  Les  résultats  de  ces  dernières  expériences  ont  été 
exposés  avec  plus  de  détails  dans  la  thèse  de  Wallez  {Recherches  expérimentales  sur 
quelques  effets  physiologiques  et  toxiques  de  l'aniline  et  destohiidines.  Th.  de  Lille,  1889) 
à  laquelle  j'emprunte  en  grande  partie  la  matière  de  cet  article. 

Je  ne  m'occuperai  d'ailleurs  ici  que  de  l'aniline,  renvoyant  à  l'article  Fuchsine  pour 
tout  ce  qui  concerne  les  couleurs  dérivées  de  l'aniline. 

Action  sur  le  sang.  —  Dès  les  premières  recherches  faites  pour  étudier  les  effets 


ANILINE.  553 

de  l'aniline,  les  expérimentateurs  furent  frappés  de  l'action  exercée  par  cetle  substance 
sur  le  liquide  sanguin.  On  remarqua  tout  d'aliord  la  coloration  particulière  qu'il  prend 
dans  cette  intoxication.  Dans  le  compte  rendu  de  leurs  expériences,  Ollivier  et 
Bergeeon  disent  qu'il  est  profondément  altéré,  brun  poisseux,  non  coagulé  et  qu'il  ne 
devient  plTis  rutilant  quand  on  le  laisse  sous  une  cloche  remplie  d'oxygène.  I.eloir  a 
insisté  tout  spécialement  sur  la  coloration  goudron  ou  sépia  que  prend  le  sang,  et  il  fait 
remarquer  que  le  battage  à  l'air  ne  lui  rend  pas  son  aspect  normal.  Lors  de  la  commu- 
nication de  Leloir  à  la  Société  de  Biologie,  Quinquaud  fît  observer  que,  dans  l'em- 
poisonnement par  l'aniline,  l'hémoglobine  avait  beaucoup  diminué  et  qu'une  partie 
était  incapable  d'absorijer  l'oxygène.  Chez  l'homme,  dit-il,  on  constate  dans  le 
sang  une  diminution  d'hémoglobine,  et  une  portion  de  l'hémoglobine  est  devenue 
inerte. 

Tous  ces  faits  sont  parfaitement  exacts;  mais  cette  portion  inerte,  que  représente-t-elle? 
On  trouve  déjà  dans  Starkow  l'indication  d'un  caractère  spectroscopique  du  sang  bien 
observé,  mais  mal  interprété.  Pour  l'aniline  en  nature,  cet  auteur  dit  qu'elle  détruit  lés 
globules  à  la  façon  de  l'hydrogène  arsénié  ou  phosphore;  mais  le  sulfate  d'aniline  don- 
nerait toujours  sans  exception  la  bande  de  l'hématine  acide,  aussi  bien  sur  l'animal 
vivant  qu'en  dehors  de  l'organisme.  Cette  bande  de  l'hématine,  Starkow  la  décrit  sur  les 
limites  du  rouge  et  de  l'orangé  et  au  voisinage  de  la  raie  C  de  Frauenhofer.  Starkow  a 
évidemment  vu  la  bande  de  la  méthémoglobine,  mais  il  l'a  attribuée  à  l'hémaLine  acide. 
En  effet  la  modilicatiou  la  plus  caractéristique  qu'éprouve  le  sang  lorsqu'on  injecte  à 
un  animal  du  sel  d'aniline,  c'est  la  transformation  d'une  partie  de  l'hémoglobine  en 
méthémoglobine,  qui  donne  à  ce  liquide  sa  coloration  spéciale.  Comme  la  méthémoglo- 
bine est  incapable  d'absorber  de  l'oxygène,  on  voit  immédiatement  quelles  sont  les 
conséquences  de  cette  modification  de  la  matière  colorante  du  sang  au  point  de  vue  des 
échanges  respiratoires. 

Bien  que  nous  n'ayons  pas  ici  à  nous  occuper  du  spectre  propre  à  la  méthémoglobine 
(voy.  ce  mot),  disons  cependant  que  ce  qui  la  caractérise  au  point  de  vue  pratique,  c'est 
la  présence  d'une  bande  dans  le  rouge  entre  C  et  D  ;  elle  a  bien  encore  d'autres  bandes 
qui  lui  sont  propres,  mais  elles  se  confondent  avec  celles  de  l'oxyhémoglobine,  et,  comme 
l'examen  spectroscopique  porte  sur  le  sang  en  nature,  c'est-à-dire  sur  un  mélange  d'oxy- 
et  de  méthémoglobine,  on  se  borne  à  rechercher  la  bande  dans  le  rouge  qui  est  suffi- 
samment caractéristique.  Pour  éviter  la  confusion  faite  par  Starkow  entre  cette  bande 
et  celle  de  l'hématine  acide,  il  suffit  de  recourir  aux  moyens  suivants  :  s'il  s'agit  de  la 
méthémoglobine,  l'addition  de  sulfure  ammonique  donne  le  spectre  de  l'hémoglobine 
réduite:  avec  l'hématine  le  même  réactif  donne  les  deux  bandes  de  l'hémochromogène, 
dont  l'une  plus  foncée  occupe  une  portion  intermédiaire  entre  la  bande  I  et  II  de  l'oxyhé- 
moglobine, tandis  que  la  seconde  est  plus  à  droite  que  cette  bande  IL 

P.  MuLLER,  en  retirant  par  une  piqûre  au  doigt  un  peu  de  sang  à  la  malade  qui  fait  le 
sujet  de  son  observation,  a  trouvé  au  spectroscope  la  bande  dans  le  rouge. 

Wertheijier  et  Meyer  ont  cherché  à  déterminer  le  moment  de  l'apparition  de  la 
méthémoglobine  sous  l'influence  du  chlorhydrate  d'aniline.  En  injectant  ce  sel  à  la  dose 
de  30  centigr.  par  kilogr.,  ils  ont  trouvé  la  bande  dans  le  rouge  de  une  à  trois  minutes 
après  rinjectioii.  Leloir  avait  déjà  remarqué  que,  si  l'on  injecte  1^"',  50  de  chlorhydrate 
d'aniline  dans  la  saphène  d'un  chien,  le  sang  carotidien  présente,  une  minute  après 
l'injection,  une  coloration  d'un  brun  violacé.  Cette  coloration  étant  précisément  la  consé- 
quence de  la  formation  de  la  méthémoglobine,  ces  résultats  sont  bien  concordants.  Dans 
nos  expériences  in  vitro,  nous  avons  trouvé  la  bande  de  la  méthémoglobine  manifeste 
de  la  7'  à  la  9=  minute. 

La  transformation  de  la  méthémoglobine  a  pour  conséquence  forcée  la  diminution 
de  la  quantité  d'oxygène  du  sang.  Un  chien  de  4'''', 600  par  exemple,  avait  normalement 
18,1  p.  100  d'oxygène  :  une  heure  après  l'injection  de  ls>-,3o  de  chlorhydrate  d'aniline,  la 
proportion  de  ce  gaz  était  tombée  à  5,7  p.  100. 

Non  seulement  le  chiffre  d'oxygène  baisse  notablement  après  l'injection  intra-veineuse 
d'un  sel  d'aniline,  mais  la  plus  grande  partie  de  la  matière  colorante  du  sang  est  devenue 
incapable  de  fixer  de  l'oxygène,  ou  en  d'autres  termes  la  capacité  respiratoire  est  nota- 
blement réduite.  C'est  ainsi  que  le  sang  d'un  chien  fixait  normalement  23,1  p.  100  d'O, 


554  ANILINE. 

lorsqu'il  était  agité  pendant  plusieurs  minutes  dans  un  flacon  rempli  de  ce  gaz;  une 
heure  après  rmjection  dans  la  veine  fémorale  de  30  centigr.  de  chlorhydrate  d'ani- 
line (par  kilogramme),  il  n'en  fixait  plus  que  7,3  p.  iOO.  Dans  les  expériences  in  vitro 
la  capacité  respiratoire  est  tombée  de  22,7  à  10,3  quand  on  mélangeait,  par  exemple, 
30  centimètres  cubes  de  sang  avec  0,25  gramme  de  chlorhydrate  d'aniline  et  qu'on  les 
laissait  à  l'étuve  à  38°  o  pendant  une  heure. 

Mêmes  résultats  quand  c'est  l'aniline  elle-même  que  l'on  employait,  en  l'introduisant 
dans  l'estomac  par  une  sonde  œsophagienne  :  5  heures  après  l'administration  de  la 
substance  toxique  (20  centigrammes  par  kilogrammme)  la  capacité  respiratoire  était  tombée 
de  23,9  à  7,1. 

La  formation  de  la  méthémoglobine  s'accompagne  de  la  destruction  des  globules 
rouges  et  d'une  diminution  considérable  de  leur  nombre.  Herczel  a  vu,  dans  des  expé- 
riences m  î)iJro,  qu'une  solution  de  chlorydrate  d'aniline  à  0,60  p.  100,  excessivement  diluée, 
ne  laisse  persister  que  le  stroma  des  globules  rouges  absolument  décolorés.  Dans  un  cas 
d'intoxication  observé  par  cet  auteur  chez  l'homme,  le  nombre  des  corpuscules  était 
tombé  à  1  230000  par  millimètre  cube  après  absorption  d'environ  un  gramme  d'aniline. 
De  plus  Hkrczel  trouva  encore  au  microscope  beaucoup  de  globules  rouges  décolorés,  les 
globules  blancs  devenus  plus  nombreux,  de  la  microcytose  et  de  la  poikylocytose. 

Dehio,  dans  l'observation  dont  il  sera  encore  question  plus  loin,  n'a  plus  compté  chez 
sa  malade,  sept  jours  après  l'ingestion  de  la  substance  toxique,  que  2700000  globules 
par  millimètre  cube,  et  le  onzième  jour  1  400000  seulenlent  :  il  ne  restait  donc  plus  à  ce 
moment  que  le  quart  environ  de  ces  éléments.  Dehio  signale  aussi  toutes  les  altérations 
microscopiques  observées  par  Hehczel.  En  outre  les  globules  rouges  paraissent  se 
reformer  très  lentement:  dans  le  cas  de  Dehio  leur  nombre  était  encore,  le  dix-huitième 
jour,  d'un  tiers  au-dessous  de  la  normale. 

On  comprend  combien  cette  atteinte  portée  à  la  constitution  du  liquide  sanguin  doit 
réagir  sur  l'ensemble  de  la  nutrition:  de  là,  la  faiblesse  profonde,  la  prostration,  la 
pâleur  cadavérique  (Dehio)  qui,  dans  certains  cas,  persistent  plusieurs  jours  après  l'empoi- 
sonnement. Les  échanges  nutritifs  sont  à  tel  point  influencés  qu'au  bout  de  19  jours,  dans 
le  cas  de  Dehio,  la  quantité  d'urée  et  d'acide  urique  de  l'urine  était  encore  réduite  à  la 
moitié  de  sa  valeur  normale. 

Pour  terminer  ce  qui  a  trait  aux  modifications  du  sang,  il  reste  encore  à  signaler  la 
présence  de  l'aniline  en  nature,  constatée  par  Aug.  Ollivier  et  G.  Bergeron  dans  leurs 
expériences  sur  les  animaux,  par  Dragendorff  chez  la  malade  de  Dehio.  Enfin,  contrai- 
rement à  ce  qu'ont  avancé  Ollivier  et  G.  Bergeron,  le  sang  reste  coagulable. 

Action  de  l'aniline  sur  quelques  sécrétions.  —  L'altération  et  la  destruction  des 
hématies  ont  des  effets  très  remarquables  sur  la  sécrétion  de  la  bile  et  de  l'urine,  indé- 
pendamment de  ceux  qui  résultent  de  l'élimination  de  la  substance  toxique  par  ce  der- 
nier liquide.  A  la  suite  de  l'absorption  de  l'aniline  on  observe  en  effet  :  1°  le  passage  de 
la  matière  colorante  biliaire  dans  l'urine,  et  l'ictère;  2°  dans  certains  cas,  de  l'hémoglo- 
binurie  :  3°  souvent  aussi  le  passage  de  la  matière  colorante  du  sang  dans  la  bile,  ou 
hémoglobinocholie. 

Dans  les  expériences  faites  en  collaboration  avec  Meyer,  ce  qui  a  appelé  notre 
attention  sur  l'ictère,  c'est  la  coloration  jaune  citron  que  présentait  le  tissu  adipeux  des 
animaux  mis  en  expérience  qui  avaient  survécu  pendant  quelque  temps.  Chez  des 
chiens  qui  avaient  reçu  de  30  à  40  centigrammes  de  chlorhydrate  d'aniline,  nous  avons  pu 
alors  déceler  la  présence  des  pigments  bihaires  dans  l'urine,  au  bout  de  36  à  48  heures, 
soit  par  le  procédé  d'HupPERT,  soit  par  celui  de  Salkov^ski,  et  suivre  pendant  plusieurs 
jours  leur  élimination  par  l'urine. 

Avant  nous  Dehio  avait  signalé  l'ictère  chez  la  femme  empoisonnée  par  l'aniline  qui 
fait  le  sujet  de  son  observation  :  21  heures  après  l'ingestion  d'aniline  la  réaction  de 
Gmelin  indiquait  déjà  la  présence  des  matières  colorantes  de  la  bile  :  au  bout  de  30 
heures  s'est  manifestée  la  coloration  jaune  des  téguments  et  de  la  sclérotique.  L'ictère 
devint  de  plus  eu  plus  intense  jusqu'au  5"  jour,  puis  disparut  peu  à  peu  vers  le  9°. 

L'apparition  de  l'ictère  n'a  d'ailleurs  rien  qui  doive  surprendre;  ce  symptôme  suit  de 
près,  on  peut  dire  constamment,  l'absorption  des  substances  qui  détruisent  les  hématies. 
Il  y  a  quelques  années  on  lui  attribuait  habituellement  une  origine  hématogène  :  on  ad- 


ANILINE.  355 

mettait  une  transformation  directe  dans  le  sang  de  l'hémoglobine  en  matière  colorante 
biliaire  qui  passait  ensuite  directement  dans  l'urine.  DœjDuis  les  recherches  d'ApANAsiEw  et 
de  Stadelmann,  l'ojîinion  contraire  a  prévalu;  l'ictère  serait  d'origine  hépatogène,  c'est- 
à-dire  que  l'hémoglobine  mise  en  liberté  dans  le  plasma  est  élaborée  en  plus  grande  quan- 
tité dans  le  foie,  d'où  production  plus  abondante  de  pigments  biliaires.  Ceux-ci  passeraient 
aussi  dans  l'urine,  non  seulement  parce  qu'ils  sont  formés  en  abondance,  parce  qu'il  y  a 
polycholie,  mais  encore  parce  que  le  produit  de  sécrétion  visqueux  et  épaissi  obstruerait 
les  capillaires  biliaires.  Ces  conditions  réunies  amèneraient  finalement  un  ictère  par 
résorption.  En  est-il  de  même  avec  l'aniline"?  On  peut  l'admettre  par  analogie,  mais  nous 
n'en  n'avons  pas  fourni  dans  nos  expériences  la  preuve  directe,  qui  serait  la  présence 
des  acides  biliaires  dans  l'urine  en  même  temps  que  celle  des  pigments. 

Nous  avons  aussi  nettement  constaté  à  plusieurs  reprises  dans  l'urine  ictérique  du  chien 
la  raie  de  l'urohiline. 

Il  semblerait  que  l'hémoglobinurie,  plus  encore  que  l'ictère,  dût  être  une  con  séquence 
constante  de  la  destruction  des  globules.  Il  y  a  de  l'oxyhémoglobine  ou  de  la  méthémo- 
globine  en  liberté  dans  le  plasma  :  on  s'attendrait  donc  à  la  voir  passer  dans  l'urine  ; 
mais  il  n'est  pas  toujours  ainsi,  du  moins  chez  le  chien. 

Il  faut  sans  doute  que  la  proportion  de  matière  colorante  devenue  libre  ait  atteint  un 
certain  taux  pour  apparaître  dans  l'urine;  toujours  est-il  que,  sous  l'influence  de  l'ani- 
line, l'hémoglobinurie  n'est  pas  constante.  Pour  l'obtenir  il  faut  des  doses  plus  fortes  que 
pour  obtenir  l'ictère.  A  la  suite  des  injections  intra-veineuses  on  l'observe  plus  souvent 
que  lorsque  la  substance  est  ingérée  par  voie  buccale.  Peut-être  aussi,  dans  l'intoxica- 
tion par  l'aniline,  quand  l'oxyhémoglobine  n'existe  qu'en  très  faible  quantité  dans  l'urine, 
est-on  exposé  à  ne  pas  l'apercevoir  au  spectroscope  à  cause  de  la  coloration  très  foncée 
de  l'urine  :  cependant  il  est  à  noter  que,  dans  leurs  expériences  sur  la  toluyléndiamine, 
Afanasew  et  Stadelmann  ont  rarement  observé  l'hémoglobinurie  chez  le  chien,  tandis  que, 
chez  le  chat,  elle  était  la  règle. 

Ces  différences  tiennent  à  l'organisation  particulière  à  chaque  animal.  Chez  les  uns, 
comme  le  chien,  le  foie  et  peut-être  la  rate  arriveraient  à  transformer  toute  l'hémoglobine 
mise  en  liberté,  tandis  que  chez  les  autres  ces  organes  ne  suffiraient  pas  à  la  besogne  (?). 
C'est  généralement  du  4<=  au  5'=  jour  que  nous  avons  vu  apparaître  l'hémoglobine  dans 
l'urine. 

Il  est  à  remarquer  que,  toutes  les  fois  que  nous  avons  pu  examiner  l'urine  fraîche  ou 
recueillie  directement  dans  la  vessie,  c'est  l'oxyhémoglobine  qui  a  été  trouvée  :  quand,  au 
contraire,  le  liquide  avait  séjourné  pendant  quelque  temps  à  l'air,  la  raie  de  la  méthémo- 
globine  se  montrait.  Il  est  d'autant  plus  utile  de  signaler  ce  point  que  Hoppe-Seyler,  dont 
l'autorité  est  si  grande  en  ces  matières,  soutient  que  dans  l'hémoglobinurie  c'est  toujours 
de  la  méthémoglobine  que  l'on  rencontre  dans  l'urine. 

Chez  l'homme,  Dehio  est  le  premier,  et  je  crois  aussi  le  seul,  qui  ait  jusqu'à  présent 
mentionné  l'hémoglobinurie  comme  symptôme  possible  de  l'intoxication  par  l'aniline. 
Elle  se  manifesta  le  1"  jour  après  l'ingestion  de  la  substance  toxique,  et  dura  trois  jours. 
Dehio,  qui  a  examiné  également  l'urine  au  sortir  de  la  vessie,  n'a  signalé  que  la  présence 
de  l'oxyhémoglobine,  et  non  celle  de  la  méthémoglobine.  Il  faut  ajouter  cependant  que 
Herczel  a  provoqué  l'hémoglobinurie  chez  des  animaux  en  leur  injectant  de  l'acétanilide. 
L'urine  ne  renferme  habituellement  ni  albumine  ni  sucre;  cependant,  dans  une  observa- 
tion de  Merklen,  il  est  dit  ([u'elle  était  albumineuse. 

Chez  les  chiens,  outre  l'activité  plus  grande  de  la  sécrétion  biliaire  dont  il  a  déjà  été  ques- 
tion, nous  avons  observé  un  fait  d'un  grand  intérêt  pour  la  physiologie  du  foie,  c'est,  dans 
certains  cas,  le  passage  soit  de  l'oxyhémoglobine,  soit  de  l'hématine  dans  la  bile  chez  les 
animaux  intoxiqués  par  l'aniline,  alors  que  l'urine  ne  renfermait  pas  ces  substances.  On 
trouve  dans  ce  phénomène  une  preuve  bien  frappante  de  l'affinité  élective  des  cellules 
hépatiques  pour  la  matière  colorante  du  sang.  Celle-ci  une  fois  mise  en  liberté  sous  l'in- 
fluence de  la  substance  toxique,  les  éléments  du  parenchyme  hépatique  s'en  emparent, 
seulement  ils  en  incorporent  une  quantité  trop  considérable  pour  pouvoir  la  transfor- 
mer totalement  en  bihrubine,  et  une  partie  de  l'hémoglobine  est  alors  rejetée  à  l'état 
naturel  par  les  voies  d'excrétion  de  la  bile. 

Du  côté  des  glandes  salivaires  on  observe  une  hypersécrétion  abondante,  après  l'in- 


556  ANILINE. 

jection  des  sels  d'aniline  :  cliez  l'homme  on  a  noté  également  une  sudation  généralisée. 
Action  de  l'aniline  sur  la  température.  —  L'aniline  fait  baisser  très  notable- 
ment la  température  du  corps,  ainsi  que  l'avait  déjà  remarqué  Scïïuchard.  Dans  l'obser- 
vation de  Herczél,  elle  est  tombée  de  39°5  à  34''2;  dans  celle  de  Dehio,  de  36''9  à  3o°7,  dans 
le  courant  des  24  heures  qui  suivirent  l'intoxication  :  mais  le  lendemain  elle  était  déjà 
revenue  à  37°.  Chez  les  chiens  qui  recevaient  une  dose  relativement  élevée  de  l'agent 
toxique,  nous  avons  vu  toujours  un  abaissement  de  température  très  marqué.  Ainsi  un 
animal  pesant  4'''i,700,  ayant  reçu,  à  10  h.  30,  ie"',88  de  chlorhydrate  d'aniline'  et  dont 
la  température  rectale  était  de  80''6,  avait  à  6  h.  30  du  soir  33°  5  :  un  autre,  du  poids  de 
4  kilos,  et  dont  la  température  normale  était  de  39°1,  aj'ant  reçu  dans  l'estomac  0,20 
d'aniline  par  kilo,  avait  au  bout  de  5  heures  33°, 2  :  plus  tard  encore  la  température 
descend  à  29°8  et  même  à  20°. 

Il  paraît  rationnel  de  rattacher  cet  abaissement  de  tempéi'ature  à  l'altération  même 
du  sang;  plus  la  destruction  des  globules  rouges  et  la  production  de  méthémoglobine  sont 
considérables,  plus  les  combustions  doivent  se  ralentir  et  la  température  diminuer  :  tou- 
jours est-il  que,  dans  les  expériences  comparatives  faites  avec  des  substances  homologues 
de  l'aniline,  nous  avons  trouvé  que  pour  chacune  d'elles  l'abaissement  de  la  tempéra- 
ture était  proportionnel  à  celui  de  la  capacité  respiratoire. 

Cependant  d'autres  auteurs  invoquent  dans  les  cas  de  ce  genre  une  action  directe  de 
la  substance  toxique  sur  les  centres  nerveux  :  je  n'ai  pas  à  discuter  ici  cette  question 
théorique. 

Action  de  l'aniline  sur  le  système  nerveux.  —  La  physionon^ie  des  troubles 
occasionnés  par  l'aniline  du  côté  du  système  nerveux  varie  selon  qu'elle  a  été  administrée 
par  voie  buccale  ou  par  injection  intra-veineuse. 

Leloir  a  parfaitement  décrit  les  phénomènes  qui  s'observent  à  la  suite  de  l'injection 
intra-veineuse  du  chlorhydrate  d'aniline.  Il  se  produit,  presque  aussitôt  l'injection  faite, 
deux  ou  trois  fortes  inspirations,  presque  en  même  temps  opistothonos  avec  raideur  des 
membres;  cris  ou  gémissements,  puis  convulsions  cloniques,  secousses  de  tout  le  tronc 
survenant  environ  toutes  les  minutes;  les  convulsions  cloniques  durent  environ  une 
demi-heure.  «  En  même  temps  salivation  très  abondante  qui  ne  se  produit  pas  si  on 
sectionne  les  nerfs  glandulaires,  et  dilatation  pupillaire  :  puis  survient  une  perte  presque 
complète  du  mouvement  volontaire,  trémulation  générale,  agitation  convulsive,  presque 
continue,  des  membres.  » 

Nous  avons  souvent  observé  ces  accidents,  tels  qu'ils  ont  été  décrits  par  Leloir  :  dans 
l'intoxication  par  le  chlorhydrate  d'aniline  en  injection  intra-veineuse,  ces  attaques 
épileptiformes  sont  tout  à  fait  caractéristiques. 

Quel  est  le  mécanisme  de  ces  troubles  nerveux?  Leloir  a  admis,  comme  l'avaient 
déjà  fait  antérieurement  A.  Ollivier  et  G.  Bergeron,  qu'ils  sont  dus  à  l'altération  du  sang. 
Le  poison  agit  primitivement  sur  le  liquide  en  le  rendant  impropre  à  la  respiration,  tous 
les  phénomènes  produits  proviennent  de  cette  altération  qui  se  fait  avec  une  extrême 
rapidité.  Cette  opinion  est,  sans  doute,  très  fondée;  mais  elle  n'est  pas  adoptée  par  tous 
les  expérimentateurs. 

On  a  pensé  que  l'aniline  agit  directement  sur  le  système  nerveux.  Dans  le  traité  de 
ZiEMSSEN,  Bœhm  soutient  cette  manière  de  voir.  «  L'opinion  d'auteurs  français,  d'après 
laquelle  les  symptômes  d'empoisonnement  sont  dus  à  l'altération  du  sang,  et  non  pas  à 
une  action  directe  sur  les  centres  nerveux,  n'a  pas  été  coufirmée.  Les  observations  sur 
lesquelles  cette  hypothèse  s'appuyait,  à  savoir  le  défaut  de  coagulation  du  sang  et  les 
altérations  particulières  des  globules  rouges,  ont  été  reconnues  fausses  >■■.  Il  est  vrai  que 
le  sang  continue  à  se  coaguler  dans  l'intoxication  par  l'aniline;  mais  personne  ne 
mettra  plus  en  doute  aujourd'hui  les  altérations  des  hématies.  Nous  avons  constaté 
pour  notre  part  que,  parmi  les  substances  étudiées  comparativement  à  l'aniline,  celles 
qui  agissent  le  plus  énergiquement  sur  les  globules  sont  aussi  celles  qui  amènent  les 
troubles,  nerveux  les  plus  considérables.  Cependant  rien  n'autorise  à  nier  l'influence 
directe  de  ces  substances  toxiques  sur  l'élément  nerveux.     . 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'excitation  consécutive  à  leur  introduction  dans  l'organisme  ne 
porte  pas  sur  un  centre  particulier,  mais  bien  sur  l'ensemble  du  système  nerveux.  Les 
convulsions  se  produisent  encore  dans  le  tronc  et  dans  les  membres,  si  l'on  pratique  la 


ANILiNE.  837 

section  sous-bulbaire  de  la  moelle.  La  tête  et  le  reste  du  corps  exécutent  alors  leurs 
mouvements  convulsifs  isolément.  J'ai  même  vu  dans  ces  conditions  les  injections  de 
chlorhydrate  d'aniline  réveiller  l'ex'citabilité  des  centres  médullaires  respiratoires,  si  on 
laisse  un  certain  intervalle  entre  la  section  de  la  moelle  et  l'injection  du  sel. 

Les  phénomènes  d'excitation  et  les  convulsions  ne  s'observent  pas  seulement  chez  les 
animaux  à  température  constante,  mais  encore  chez  les  batraciens  (Schuchaudt,  A.  Olli- 
viER  et  Bergeron,  Filehne).  Une  grenouille  à  laquelle  nous  avons  injecté  une  dose  équiva- 
lente à  celle  que  l'on  donnait  aux  chiens,  présenta  les  mêmes  convulsions  que  dans  l'em- 
poisonnement par  la  strychnine.  Seulement,  pour  peu  que  l'on  force  la  dose,  l'animal 
est  comme  sidéré  avant  qu'elles  aient  pu  se  produire. 

Si  l'on  fait  prendre  l'agent  toxique  par  la  bouche,  le  tableau  de  l'empoisonnement 
n'est  plus  tout  à  fait  le  même.  La  description,  en  ce  qui  concerne  l'aniline,  a  déjà  été 
donnée  à  plusieurs  reprises,  en  pai'ticulier  par  Ollivier  et  Bekgehon  et  par  Schdghardt. 
Voici  en  résumé  ce  que  nous  avons  observé  dans  nos  expériences.  Si  on  fait  prendre  à 
un  chien  40  centigrammes  de  chlorhydrate  d'aniline  ou  20  centigrammes  d'aniline  par 
kilogramme,  peu  de  temps  après  l'intoxication,  il  se  produit  une  salivation  abondante  et 
des  frissonnements  de  tout  le  corps.  Ollivier  et  Bergeron  ont  particulièrement  insisté 
sur  ce  dernier  symptôme.  Une  à  deux  heures  après, la  marche  est  mal  assurée,  le  chien 
vacille  sur  ses  pattes;  il  y  a  une  diminution  évidente  de  la  motilité  volontaire,  qui  paraît 
porter  plus  spécialement  sur  les  membres  postérieurs.  Si  l'animal  tombe, il  agile  con- 
vulsivement les  quatre  membres  et  éprouve  de  la  difficulté  pour  se  relever.  Pendant  les 
quelques  heures  suivantes  le  chien  est  abattu,  ordinairement  étendu,  sans  chercher  à 
faire  des  mouvements  volontaires,  mais  les  membres  sont  agités  presque  continuelle- 
ment par  des  secousses  rythmiques  peu  intenses;  la  respiration  est  irrégulière,  sacca- 
dée. La  sensibilité  est  obtuse,  l'animal  réagit  faiblement  aux  excitations,  telles  que 
pincement  de  la  peau,  piqûres  superficielles  ou  profondes. 

Cet  état  persiste  habituellement  tout  le  temps  que  l'animal  survit,  c'est-à-dire  pen- 
dant 24  ou  36  heures  pour  la  dose  indiquée.  Les  secousses  convulsives  persistent  dans 
les  membres  et  s'étendent  souvent  aux  muscles  de  la  mâchoire,  de  sorte  que  les  dents 
s'entrechoquent  continuellement.  La  sensibilité  générale  s'émousse  de  plus  eu  plus,  et 
parfois  l'attouchement  de  la  cornée  ne  provoque  plus  de  réflexe  palpébral. 

A  dose  un  peu  plus  forte  les  mouvements  convulsifs  des  pattes  sont  plus  intenses  et 
s'étabhssent  plus  rapidement,  mais  ils  n'ont  jamais  ce  caractère  de  violence  qu'on 
observe  à  la  suite  des  injections  intra-veineuses. 

L'aniline  a  été  administrée  aussi  en  vapeur  à  des  animaux  par  Jules  Bergeron,  afin 
d'imiter  ce  qui  se  passe  dans  les  fabriques.  Les  effets  ont  été  plus  lents  et  moins  nette- 
ment accusés  que  dans  les  cas  d'ingestion  dans  les  voies  digestives.  Cependant  on 
obsei'va  des  troubles  fonctionnels  analogues,  c'est-à-dire  des  phénomènes  d'excitation 
par  l'aniline.  Chez  un  cochon  d'Inde  soumis  dans  un  espace  clos  à  d'abondantes  vapeurs 
d'aniline,  A.  Ollivier  et  Georges  Bergeron  ont  obtenu  une  intoxication  assez  prompte,  avec 
paraplégie,  peu  de  mouvements  convulsifs,  mais  une  agitation  continue  des  membres, 
et  la  mort  au  bout  de  quelques  heures. 

En  définitive,  que  le  poison  soit  introduit  dans  le  système  circulatoire  directement 
par  une  veine,  ou  indirectement  par  les  voies  digestives  ou  respiratoires,  la  nature  des 
phénomènes  ne  change  pas;  leur  ordre  d'apparition  et  leur  intensité  seuls  varient. 

Lorsque  l'aniline  est  injectée  dans  les  veines,  on  assiste  d'abord  à  une  phase  d'excita- 
tion violente  du  système  nerveux;  mais  à  cette  période  en  succède  bientôt  une  autre, 
caractérisée  par  une  profonde  dépression;  la  diminution  d'excitabilité  porte  sans  doute 
à  la  fois  sur  les  centres  et  sur  le  système  nerveux  périphérique,  du  moins  d'après  les 
expériences  de  Winigradow  et  de  Filehne.  Ce  que  nous  avons  constaté,  pour  notre  part, 
c'est  qu'à  la  suite  des  convulsions  l'animal  est  dans  un  état  comateux  plus  ou  moins 
complet;  la  sensibilité  de  la  cornée  est  émoussée  ou  môme  abolie.  Si  l'on  pince  le  nerf 
crural,  l'animal  ne  réagit  pas.  Quand  on  le  détache  après  l'injection,,  ou  bien  il  reste 
couché  sur  le  flanc,  oubien,  s'il  essaie  de  marcher,  il  retombe  à  chaque  instant. 

Si  le  poison  a  été  donné  par  la  bouche,  les  troubles  nerveux  restent  essentiellement 
les  mêmes;  ni  les  signes  d'excitation,  ni  ceux  de  dépression  ne  font  défaut. Toutefois,  au 
lieu    de  passer   par  deux  phases  bien  tranchées,  ils   coexistent  :  c'est   ainsi  que^  les 


SSS  ANILINE. 

secousses  convulsives,  la  trémulatiou  générale  s'accompagnent  d'un  affaiblissement  de  la 
mobilité  et  de  la  sensibilité. 

Les  causes  de  ces  différences  sont  faciles  à  saisir;  si  l'agent  toxique  est  introduit 
d'emblée  dans  les  voies  de  la  circulation,  le  système  nerveux  sera  troublé  brusquement 
dans  son  fonctionnement,  et  par  suite  de  l'altération  profonde  du  sang  et  sans  doute 
aussi  par  l'action  directe  d'une  dose  massive  de  poison.  De  là  une  réaction  violente  dont 
la  conséquence  forcée  sera  un  épuisement  plus  ou  moins  prolongé,  indépendamment 
même  de  l'action  dépressive  du  poison.  L'absorption  se  fait-elle  au  contraire  par  les 
voies  digeslives,  les  éléments  nerveux  ne  seront  atteints  que  lentement  et  progressive- 
ment dans  leurs  différentes  propriétés. 

Il  reste  encore  à  établir  un  parallèle  entre  les  accidents  nerveux  de  l'empoisonnement 
par  l'aniline,  tels  qu'ils  ont  été  décrits  cbez  l'bomme  et  ceux  qui  ont  été  constatés  chez 
les  animaux.  Il  est  facile  de  prévoir  que, dans  les  observations  médicales,  la  physiono- 
mie de  l'intosicalion  ressemblera  plutôt  à  celle  qu'elle  présente  chez  les  animaux 
empoisonnés  par  voie  buccale,  qu'à  celle  de  l'empoisonnement  par  injection  intra- 
veineuse. 

Chez  l'homme,  dans  les  différents  cas  publiés,  l'absorption  se  fait,  en  effet,  soit  par 
le  tube  digestif,  soit  par  les  voies  respiratoires,  soit  même  par  la  peau,  du  moins  par 
une  peau  malade  et  atteinte  de  psoriasis  (Lallier).  Dans  ces  conditions  diverses,  la 
pénétration  du  poison  dans  le  sang  est  relativement  lente  et  graduelle. 

Dans  le  traité  de  Ziemssen',  Bœhm  a  tracé  de  la  façon  suivante  le  tableau  des  troubles 
nerveux  dans  l'intoxication  aiguë  par  l'aniline.  ><  Les  premiers  symptômes  consistent  en 
nausées,  vertiges,  céphalalgie;  puis  gêne  de  la  respiration,  (oppression,  somnolence.  Dans 
certains  cas  les  troubles  vont  en  augmentant  jusqu'à  la  perte  de  connaissance.  Presque 
tous  les  observateurs  ont  signalé  des  douleurs  dans  les  membres,  de  la  faiblesse  mus- 
culaire avec  trémulation  et  de  Tanesthésie  cutanée.  Le  pouls  et  la  respiration  sont  accé- 
lérés au  début;  plus  tard  le  pouls  se  ralentit  et  est  légèrement  déprimé;  la  respiration 
devient  dyspuéique.  Les  convulsions  générales  n'ont  pas  été  observées  jusqu'à  présent 
chez  l'homme  ;  aucun  cas  mortel  n'a  encore  été  signalé.  »  Cependant  Haeuserman'n  et 
ScHMiDT  ont  rapporté  l'histoire  d'un  ouvrier  qui,  étant  resté  une  demi-heure  dans  une 
chaudière  renfermant  plusieurs  quintaux  d'aniline,  fut  pris,  sans  aucuns  prodromes,  une 
heure  après  qu'il  l'eût  quittée,  de  vertiges  et  de  syncopes,  et  succomba  (Anal,  in  R.  S.  M. 
1878,  t,  n,  p.  07)  :  depuis  lors,  dans  une  observation  de  F.  Moller  en  1887,  un  autre  cas 
d'intoxication  s'est  également  terminé  par  la  mort. 

On  est  étonné  du  peu  de  place  donné  dans  la  description  de  Bœhm  aux  symptômes  d'exci- 
tation, surtout  si  l'on  a  à  l'esprit  la  physionomie  de  l'empoisonnement  chez  le  chien.  II  est 
vrai  que,  si  l'on  passe  en  revue  les  principaux  cas  qui  ont  été  publiés,  les  convulsions  font 
souvent  défaut,  et  même  les  phénomènes  de  dépression  prédominent.  C'est  ainsi  que, 
dans  un  cas  de  Morell-Mackenzie,  un  jeune  homme  occupé  à  nettoyer  une  cuve  remplie 
précédemment  d'aniline,  y  fut  retrouvé  dans  un  état  d'insensibilité  complète.  Le  lende- 
main il  y  avait  de  la  cyanose;  puis  les  symptômes  se  sont  dissipés  peu  à  peu.  Dans  une 
observation  de  Kxaggs,  un  ouvrier  brisa  par  accident  un  vase  contenant  de  l'aniline;  et 
ses  vêtements  en  furent  couverts.  Il  se  mit  activement  à  faire  disparaître  les  traces  de 
l'accident  qu'il  voulait  cacher  à  son  patron,  mais  au  bout  d'une  heure  il  eut  des  vertiges, 
et  le  cœur  lui  manqua.  Plus  tard  survint  la  cyanose';  la  respiration  devint  convulsive;  le 
pouls,  excessivement  faible  et  irrégulier,  mais  l'intelligence  demeura  intacte.  Au  bout  de 
quelques  jours,  il  ne  ressentait  plus  rien.  Les  accidents  survenus  chez  les  malades  de 
Lallier  ont  été  résumés  ainsi  par  Leloir  :  «  Environ  une  heure  et  demie  après  l'applica- 
tion de  compresses  trempées  dans  une  solution  de  chlorhydrate  d'aniline  :  somnolence, 
coma  même  dans  un  cas,  dyspnée,  respiration  irrégulière,  abaissement  considérable  de  la 
température,  cyanose  très  prononcée  de  la  face  et  des  extrémités,  crampes  dans  les 
mollets,  vomissements.   » 

Dans  le  cas  publié  récemment  par  Dehio  en  1887,  une  femme  récemment  accouchée 
dans  un  hôpital  se  procure  pendant  la  nuit,  au  laboratoire  de  la  clinique,  un  flacon  ren- 
fermant environ  10  grammes  d'huile  d'aniline.  Elle  avale  ce  flacon  d'un  trait  dans  l'in- 
tention de  se  suicider.  Elle  se  couche,  mais  l'attention  de  l'infirmière  est  attirée  par  les 
plaintes  de  l'accouchée.  L'interne  appelé  aussitôt  lui  fait  absorber  du  lait,  ce  qui  amène 


ANILINE.  559 

d'abondants  vomissements.  La  malade  est  alors  prise  de  somnolence  et  reste  sans  con- 
naissance jusqu'au  matin.  A  9  heures  du  matin,  elle  est  toujours  dans  le  même  état. 
La  perte  de  connaissance  est  complète;  la  malade  est  insensible  aux  piqûres  d'épingles, 
ne  répond  pas  à  l'appel  de  son  nom,  et,  quand  on  lui  introduit  du  liquide  dans  la  bouche, 
elle  ne  déglutit  pas.  Les  pupilles  sont  à  demi  dilatées,  mais  réagissent  sous  l'influence  de 
la  lumière.  Cyanose;  respiration  accélérée,  irrégulière;  pouls  faible  et  déprimé,  entre 
124  et  136.  Pendant  les  24  premières  heures,  pas  de  modiflcations. 

Le  lendemain,  la  malade  est  toujours  dans  la  torpeur,  mais  les  piqûres  d'épingles 
commencent  à  être  ressenties  et  provoquent  quelques  mouvements  réflexes.  Le  3"=  jour 
au  matin,  la  connaissance  est  complètement  revenue.  Les  jours  suivants,  on  ne  trouve 
plus  à  signaler  parmi  les  symptômes  qui  nous  occupent  que  de  la  céphalalgie,  des 
douleurs  à  l'épigastre  et  de  la  rétention  d'urine.  Cette  malade,  qui  présentait,  comme 
nous  l'avons  dit,  de  l'ictère  et  de  l'hémoglobinurie,  mit  quelques  semaines  à  se 
rétablir. 

Dans  l'observation  de  F.  Muller,  les  conditions  étiologiques  sont  les  mêmes  que  dans 
l'observation  précédente.  C'est  encore  une  malade  qui,  pour  attenter  à  ses  jours,  s'empare 
d'un  flacon  d'aniline  du  laboratoire  et  en  absorbe  environ  io  centimètres  cubes.  Elle  est 
retrouvée  le  matin  dans  un  état  de  coma  complet,  elle  a  beaucoup  vomi.  Respiration 
accélérée  (30)  et  pénible  ;  pouls,  80  à  88.  Le  réflexe  rotulien  persiste,  la  malade  ne  réagit 
contre  les  excitations  intenses  que  par  des  gémissements.  Cyanose,  abaissement  de  la 
température.  Cet  état  resta  le  même  jusqu'au  lendemain  matin  7  heures.  La  malade 
mourut  sans  qu'il  survînt  de  convulsions. 

Quand  on  a  parcouru  ces  difîérentes  observations,  on  n'est  plus  étonné  que  les  auteurs 
qui  se  sont  occupés  de  cette  question,  en  particulier  Herczel,  aient  insisté  sur  l'action 
dépressive  de  l'aniline. 

Rappelant  les  expériences  de  Leloih,  l'auteur  allemand  prétend  que  les  convulsions 
n'appartiennent  qu'aux  intoxications  par  injection  intra-veineuse.  Cette  opinion  est 
erronée  :  la  littérature  médicale  renferme  des  cas  où  les  accidents  ressemblent  entiè- 
rement à  ceux  que  l'on  produit  chez  les  animaux.  Ainsi,  lors  de  la  communication  de 
Leloir,  Laborde  fit  observer  que,  dans  les  fabriques  d'aniline,  les  ouvriers  sont  sujets 
aux  convulsions  épileptiformes.  C'est  également  ce  qui  ressort  de  la  description,  donnée 
par  Bergeron,  des  accidents  observés  dans  les  ateliers. 

«  Un  ouvrier  se  sent  abattu,  somnolent;  sa  face  se  congestionne;  sa  démarche  devient 
incertaine  et  vacillante  comme  celle  d'un  homme  ivre.  Puis  il  tombe  subitement  dans  un 
état  demi-comateux  ;  semblable  à  une  masse  inerte,  il  fait  à  peine  quelques  mouvements 
automatiques  du  tronc  et  des  membres.  La  respiration  est  pénible,  irrégulière.  Au  bout 
d'une  heure,  parfois  plus,  l'intelligence  se  réveille,  et  il  ne  reste  plus  de  cette  crise  qu'un 
sentiment  de  fatigue  générale  et  un  irrésistible  besoin  de  sommeil. 

«  Chez  un  autre,  l'état  comateux  se  complique  de  véritables  convulsions  épileptiformes 
des  membres,  de  contractures  tétaniques  des  muscles  de  la  région  cervicale  postérieure, 
alternant  avec  des  accès  de  délire  et  un  tremblement  général.  Les  mouvements  respi- 
ratoires sont  irréguliers,  la  peau  est  froide  et  insensible.  Les  battements  du  cœur,  fré- 
quents au  début,  et  surtout  d'une  violence  extrême,  se  ralentissent  plus  tard  et  devien- 
nent irréguliers...  » 

Dans  l'observation  suivante,  due  à  Merklen,  l'analogie  avec  les  phénomènes  d'intoxi- 
cation chez  les  animaux  est  encore  des  plus  évidentes.  Un  homme  de  vingt-cinq  ans 
avala  par  erreur  100  à  120  grammes  d'un  mélange  d'aniline  et  de  toluidine  ;  au  bout  de 
3  quarts  d'heure  il  présenta  de  l'hébétude,  de  l'immobilité,  de  la  stupeur.  Les  compa- 
gnons de  travail  racontèrent  alors  au  chimiste  de  l'établissement  l'accident  dont  cet 
ouvi-ier  avait  été  victime;  il  lui  administra  aussitôt  du  tartre  stibié  mélangé  à  du 
sel  de  Seignette;  il  s'ensuivit  des  vomissements  abondants,  aqueux,  mélangés  à  une 
matière  colorante  jaunâtre.  —  20  minutes  après,  perte  de  connaissance,  coma,  cyanose 
du  visage,  puis  contracture  des  muscles  de  la  face,  rire  sardonique,  trismus.  —  Admi- 
nistration d'alcool:  le  malade  parait  s'éveiller;  nouveaux  vomissements. 

Le  poison  avait  été  bu  à  8  heures  du  matin  :  à  2  heures  nouvelle  perte  de  connais- 
sance, pouls  faible,  cyanose  persistante  vers  3  heures,  convulsions  cloniques  des  mem- 
bres, plus  de  contractures.  Le  sujet  est  amené  à  Beaujon  dans  le  service  de  Millard. 


560  ANILINE. 

A  son  entrée  :  coma  profond,  dilatation  pupillaire;  on  retire  par  calhétérisme  200  gram- 
mes d'urine  très  colorée  en  brun. 

Pendant  toute  la  nuit,  coma  extrême,  et  convulsions.  Le  matin,  réveil  avec  céphalée; 
la  sensibilité  est  normale,  sauf  le  voile  du  palais  qui  n'offre  point  de  réflexe.  Le  malade 
urine  un  liquide  foncé,  alcalin,  albumineux  :  l'urine  de  la  veille  était  acide  et  non  albu- 
mineuse.  Dans  l'urine  du  soir,  on  retrouva  l'aniline  non  encore  modifiée;  le  lendemain 
matin  il  n'y  avait  plus  trace  de  celte  substance.  Le  sujet  sort  de  l'hôpital  au  bout  de 
6  jours,  ne  conservant  que  sa  paralysie  du  voile  du  palais  (Merklen,  France  médicale, 
5  décembre  1880). 

A  côté  de  la  description  de  Boehsi  et  d'HERCZEL,  il  n'était  pas  inutile  de  mettre  en 
lumière  les  cas  précédents.  Nous  devons  cependant  chercher  à  nous  rendre  compte  de 
l'absence  de  convulsions,  de  cette  diminution  d'excitabilité  de. tout  le  système  nerveux,  si 
fréquemment  signalée  chez  l'homme  et  caractérisée  par  la  perte  de  connaissance,  le 
coma,  le  peu  d'intensité  ou  l'absence  môme  de  réactions  réflexes. 

Une  observation,  faite  en  passant  par  Leloir,  est  très  instructive  sous  ce  rapport. 
Si,  au  lieu  d'injecter  brusquement  des  doses  fortes  de  sels,  on  fait  une  série  d'injections 
faibles,  on  conduit  peu  à  peu  l'animal  à  la  mort  sans  convulsions.  Or,  quand  l'aniline  est 
absorbée  par  le  tube  digestif  ou  les  voies  respiratoires,  la  pénétration  progressive  du 
poison  doit  évidemment  se  faire  bien  plus  lentement  encore  que  si  l'on  introduit 
directement,  par  des  injections  répétées,  la  substance  toxique  dans  le  système  circula- 
toire. On  s'explique  ainsi  facilement  que,  dans  ces  conditions,  les  convulsions  fassent 
souvent  défaut. 

Mais,  si  la  quantité  introduite  par  les  voies  de  la  digestion  est  assez  considérable  pour 
qu'elle  soit  absorbée  à  dose  massive,  les  convulsions  se  produisent  chez  les  animaux; 
c'est  ce  que  démontre  en  particulier  l'observation  de  Mehklen.  La  différence  ne  repose 
donc  que  dans  une  question  de  dose  et  de  rapidité  d'absorption. 

Chez  l'homme  il  sera  rarement  possible  de  déterminer  la  quantité  de  poison  absorbé 
à  cause  des  vomissements  spontanés  qui  surviennent  presque  constamment.  De  plus,  la 
rapidité  de  l'absorption  dépendra  de  l'état  de  réplétion  ou  de  vacuité  du  tube  digestif,  et 
d'autres  conditions  accessoires  qu'on  ne  peut  préciser.  De  là,  une  différence  de  sympto- 
matologie  suivant  les  cas. 

Quant  à  la  perte  de  connaissance  et  à  l'absence  de  réactions  réflexes,  il  faut  consi- 
dérer que,  chez  l'homme,  les  altérations  du  sang  troublent  rapidement  les  fonctions 
intellectuelles  et  sensorielles. — Il  ne  faut  pas  oublier  non  plus  que  l'aniline  a  réellement 
sur  le  système  nerveux  une  influence  dépressive  aussi  nette  que  son  action  excitante,  et 
s'exercant  aussi  bien  sur  la  sensibilité  que  le  mouvement.  Winigradow  a  particulièrement 
insisté  sur  la  diminution  d'excitabilité  de  la  moelle  produite  par  l'aniline  :  d'après  lui 
cette  substance  pourrait  empêcher  les  convulsions  dues  à  la  strychnine  de  se  manifester. 

D'après  Filehne  elle  agirait  sur  les  nerfs  moteurs  à  la  façon  du  curare,  avant  même 
qu'elle  ne  paralyse  les  centres  :  si  l'on  injecte  un  sel  d'aniline  dans  l'artère  iliaque, 
l'excitabilité  du  nerf  sciatique  est  abolie  sans  qu'il  y  ait  rigidité  musculaire. 

Action  de  l'aniline  sur  le  cœur  et  la  respiration.  — ■  Les  données  que  l'on 
trouve  à  ce  sujet  dans  les  observations  sont  très  variables:  cependant  le  pouls  est  souvent 
accéléré,  quelquefois  irrégulier,  et  la  respiration  presque  toujours  laborieuse. 

bans  les  injections  intra-veineuses  faites  chez  les  animaux,  les  muscles  respiratoires 
participent  aux  convulsions  de  tout  le  corps.  Pendant  la  durée  de  l'injection  il  se  pro- 
duit souvent  une  augmentation  de  pression  de  3  à  5  centimètres  de  mercure  ou  même 
davantage.  Puis,  quand  les  convulsions  commencent,  le  cœur  se  ralentit.  Ce  ralentissement 
est  dû  à  l'excitation  du  centre  modérateur  qui  accompagne  celle  des  autres  centres:  la 
pression  reste  d'abord  élevée,  malgré  la  diminution  de  fréquence  des  battements  du 
■cœur,  à  cause  de  l'excitation  simultanée  du  centre  vaso-conslricteur;  puis,  quand  le  ralen- 
tissement se  prononce  encore  davantage,  la  pression  baisse. 

La  diminution  des  battements  du  cœur  va  quelquefois  jusqu'à  l'arrêt  momentané,  et, 
quand  la  crise  épileptiforme  a  cessé,  et  que  les  mouvements  respiratoires  sont  plutôt 
ralentis,  les  pulsations  du  cœur  ne  reprennent  qu'à  chaque  inspiration. 

Mode  d'élimination  de  l'aniline.  —  Cette  substance  s'élimine-t-elle  en  nature  par 
les  reins?  On  trouve  sur  ce  point  des  résultats  contradictoires  dans  les  observations  elles 


ANILINE.  S6l 

expériences.  C'est  ainsi  que  ni  Schmibdeberg  {Arch.  f.  experim.  Pathol.,  -1878,  t.  vin)  qui, 
il  est  vrai,  ne  donnait  à  des  chiens  de  10  kilos  que  0,oS  à  0,94  centigr.  de  la  substance, 
ni  ScHucHARDT,  ni  Sonnenralb,  ni  Lutz,  d'après  la  communication  de  Leloik,  n'ont  pu 
retrouver  cette  substance  dans  l'urine  des  animaux  mis  en  expérience.  Par  contre, 
F.  MuLLER  a  très  nettement  constaté  dans  ce  liquide  la  présence  de  l'aniline  :  de  même 
Dragendorff,  qui  a  examiné  les  urines  de  la  malade  de  Dehio.  La  différence  des  i-ésultats 
tient  sans  doute  à  une  différence  de  doses. 

On  peut,  comme  nous  l'avons  fait,  retrouver  l'aniline  dans  l'urine  par  le  procédé  sui- 
vant. On  concentre  au  bain-marie  environ  50  ce.  d'urine;  on  l'alcalinise  faiblement  par 
la  soude,  puis  on  l'épuisé  par  l'éther.  L'éther  est  évaporé,  et  le  produit  de  l'évaporation 
est  repris  par  l'eau  qu'on  peut  aciduler  avec  de  l'acide  chlorhydrique.  Dans  cette  solution 
on  cherche  l'aniline  au  moyen  des  réactifs  caractéristiques  déjà  indiqués  (chlorure  de 
chaux,  bichromate  de  potasse  et  acide  sulfurique,  copeaux  de  sapin). 

D'après  la  communication  de  Leloir,  Lutz  a  trouvé  que  l'aniline  se  transforme  dans 
l'organisme  en  fuchsine.  Il  serait  très  remarquable  que  celle-ci  pût  être  produite  dans 
l'économie  par  l'oxydation  de  l'aniline  pure,  alors  que  dans  l'industrie  un  mélange  d'ani- 
line, de  para  et  d'orthotoluidine  est  nécessaire. 

La  méthode  suivie  par  Lutz  n'a  pas  été  indiquée  par  Leloir.  En  suivant  le  procédé 
habituel  indiqué  pour  la  recherche  de  la  fuchsine,  nous  n'avons  pu  trouver  cette  matière 
colorante.  L'urine  était  alcalinisée  par  quelques  gouttes  d'ammoniaque  et  agitée  avec 
de  l'éther  :  l'éther  était  décanté,  additionné  d'acide  acétique  et  évaporé  en  présence  d'un 
fil  de  soie  blanche  ou  de  laine  blanche  :  l'éther  et  le  fll  sont  restés  incolores.  Nous  n'avons 
pas  été  plus  heureux  en  faisant  prendre  aux  animaux,  non  plus  l'huile  ou  le  chlorhydrate 
d'aniline,  mais  l'aniline  pour  rouge  qui  renferme  le  mélange  nécessaire  à  la  formation 
de  la  fuchsine. 

Dragendorff  ne  signale  pas  la  fuchsine  dans  l'urine  de  la  malade  qu'il  a  examinée. 
F.  MuLLER,  rappelant  la  note  de  Leloir,  fait  remarquer  que  dans  son  cas  le  liquide  ne 
présentait  pas  de  raie  d'absorption  au  spectroscope,  et  que,  par  suite,  il  ne  devait  pas 
renfermer  des  quantités  appréciables  de  fuchsine. 

Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que  les  produits  de  transformation  de  l'aniline  s'éliminent 
de  l'urine  à  l'état  de  dérivés  sulfo-conjugués.  Schmiedererg  le  premier  a  attiré  l'attention 
sur  ce  point,  et  a  constaté  chez  les  animaux  auxquels  il  donnait  de  l'aniline  que  la  quantité 
d'acide  sulfurique  des  sulfates  diminuait,  tandis  que  SO'H-  des  dérivés  sulfo-conjugués 
augmentait.  Vers  le  9"  jour  il  ne  restait  presque  plus  de  SO'*H-  à  l'état  de  sulfates,  et 
en  même  temps  apparaissaient  les  signes  d'intoxication  :  d'où  Schuiedeberg  a  conclu  que 
la  toxicité  de  l'aniline  ne  commence  à  se  manifester  que  lorsque  tout  l'acide  sulfurique 
disponible  a  été  employé  à  se  combiner  avec  les  dérivés  de  l'aniline.  Aussi  ajoute-t-il 
qu'on  pourrait  peut-être  recommander,  dans  l'empoisonnement  par  l'aniline,  l'emploi 
des  sulfates  alcalins  solubles,  comme  Baumank  l'a  fait  pour  l'empoisonnement  par  le 
phénol. 

Schmiedererg  se  demande  ensuite  si  l'aniline  n'est  pas  transformée  en  phénol  pour 
former  de  l'acide  phénolsulfurique  ;  mais  il  n'a  pas  constaté  d'augmentation  de  la  quantité 
de  phénol.  Par  contre,  en  faisant  bouillir  l'urine  avec  de  l'acide  chlorhydrique,  puis 
alcalinisant  par  la  potasse,  il  a  obtenu  une  substance  basique  qu'il  n'a  pas  exactement 
déterminée,  mais  qui  probablement,  d'après  lui,  est  le  paramidophénol. 

Fr.  Muller  a  plus  tard  nettement  caractérisé  la  présence  du  paramidophénol  dans 
l'urine  de  sa  malade.  Il  constate  d'abord,  comme  Schmiedeberg,  en  traitant  d'une  part  le 
liquide  par  le  chlorure  de  barium  et  l'acide  acétique  qui  précipitent  l'acide  sulfurique 
des  sulfates  et,  d'autre  part,  en  le  faisant  bouillir  pendant  quelques  minutes  avec  l'acide 
chlorhydrique  qui  dédouble,  par  voie  d'hydratation,  les  dérivés  sulfo-conjugués,  que 
l'acide  sulfurique  des  sulfates  a  diminué  (0,00475  pour  100  centimètres  cubes  d'urine) 
tandis  que  l'acide  sulfurique  conjugué  a  augmenté  (0,0761). 

Il  démontre  la  présence  du  paramidophénol  par  le  procédé  suivant.  Une  portion  de 
l'urine,  ayant  été  bouillie  avec  de  l'acide  chlorhydrique,  est  légèrement  alcalinisée  par  la 
soude,  puis  agitée  avec  de  l'éther.  L'extrait  élhéré  évaporé  est  repris  par  de  l'eau  acidulée 
avec  de  l'acide  chlorhydrique.  On  ajoute  ensuite  à  cette  solution  de  l'acide  phénique,  on 
oxyde  par  le  perchlorure  de  fer,  et  on  alcalinise  par  l'ammoniaque  :  on  obtient  alors  une 

DICT.    DE   physiologie.    —  TOME  I.  36 


S62  ANILINE. 

belle  coloration  bleue.  Cette  réaction  dénote  le  paramidophénol  C'^H''(0H)AzH2  dérivé  par 
oxydation  de  l'aniline  C^H^AzH-.  En  efîet  un  mélange  de  paramidophénol  et  d'acide 
pbénique  traité  par  un  oxydant  donne  un  composé  :  l'indo-phénol,  rouge  en  solution  acide, 
bleu  en  solution  alcaline. 

Nous  avons  répété  ces  réactions  sur  l'urine  de  nos  chiens  qui  avaient  reçu  de  l'aniline 
avec  les  mêmes  résultats  que  F.  Muller:  mais,  de  plus,  après  ébuUition  avec  l'acide  chlor- 
hydrique  et  agitation  avec  l'éther,  nous  avons  obtenu  une  matière  colorante  d'un  beau 
rouge  dont  s'emparait  l'éther. 

Dragendobff  a  également  retiré,  de  l'urine  de  la  malade  de  Dehio,  une  matière 
rouge  ressemblant  comme  coloration  à  la  fuchsine,  lorsqu'après  ébullition  avec  l'acide 
chlorhydrique  il  avait  agité  le  liquide  avec  un  mélange  d'éther  et  d'alcool  amylique. 
Si,  au  contraire,  l'urine  bouillie  avec  l'acide  chlorhydrique  avait  été  alcalinisée,  ce 
mélange  s'emparait  d'une  matière  colorante  verte  qui  redevenait  rouge  au  contact  de 
l'air.  Tl  est  à  remarquer  que,  dans  tous  ces  cas,  l'éther  ne  se  charge  de  matière  colorante 
qu'autant  que  les  dérivés  sulfo-conjugués  ont  été  dédoublés  par  l'acide  chlorhydrique; 
c'est  par  conséquent  sous  cette  forme  que  s'éliminent  les  produits  de  transformation  de 
l'aniline,  indépendamment  de  la  quantité  plus  ou  moins  grande  de  la  substance  qui 
passe  en  nature. 

De  la  cyanose  dans  rintoxication  par  Taniline.  —  Nous  devons  signaler 
encore  un  symptôme  qui  ne  manque  jamais  dans  l'empoisonnement  par  l'aniline, 
et  auquel  on  a  donné  le  nom  de  cyanose.  Il  s'agit  d'une  coloration  particulière  des 
téguments,  qualifiée  par  les  uns  de  bleue,  par  les  autres  de  gris  bleu,  gris  de  plomb, 
gris  ardoise.  Elle  est  ordinairement  très  prononcée  surtout  sur  les  muqueuses  buccale  et 
gingivale,  sur  les  lèvres  et  les  conjonctives,  sur  le  pavillon  de  l'oreille,  et,  chez  l'homme, 
ordinairement  sur  toute  la  face,  les  mains  et  les  pieds.  Elle  n'est  nullement  due  à  la  stase 
du  sang  veineux.  Letheby  et  Turnbull  ont  les  premiers  supposé  que  cette  prétendue 
cyanose  doit  être  atti-ibuée  à  une  matière  colorante  formée  dans  le  sang  aux  dépens  de 
l'aniline,  subissant  dans  l'économie  une  modification  semblable  à  celle  qu'on  lui  fait  subir 
dans  l'industrie. 

Fr.  Muller  pense  que  la  coloration  de  la  peau  doit  être  attribuée  à  la  présence  de  la 
mélhémoglobine  dans  le  sang.  Dragendorff  se  rattache  à  l'opinon  de  Turnbhll,  et  admet 
que  c'est  la  substance  formée  aux  dépens  de  l'aniline  qui  s'imprègne  dans  les  téguments; 
il  a  en  effet  pu  retirer  du  sang  la  même  matière  colorante  rouge  que  celle  de  l'urine. 

Il  est  bien  probable  cependant  que  la  coloration  si  spéciale  du  sang  due  à  la  métlié- 
moglobine  est  pour  quelque  chose  dans  la  coloration  du  tégument. 

De  l'anilisme  dans  l'industrie.  —  Bien  que  cette  question  soit  plutôt  du  ressort 
de  l'hygiène  que  de  celui  de  la  physiologie,  nous  devons  cependant  en  toucher  ici  quel- 
ques mots.  A  part  quelques  accidents  graves  qui  paraissent  avoir  été  Observés  surtout 
quand  l'industrie  de  l'aniline  était  à  ses  débuts,  l'anilisme  dans  les  fabriques  se  présente 
généralement  sous  une  forme  atténuée  ou  de  moyenne  intensité,  et  semble  devenir  plus 
rare  depuis  que  les  précautions  hygiéniques  sont  mieux  prises. 

J.  Bergero-n,  qui  avait  cependant  signalé,  comme  on  l'a  vu,  au  nombre  des  symptômes, 
les  convulsions  épileptiformes  et  le  coma,  a  déjà  insisté  sur  l'évolution  habituellement 
bénigne  des  troubles  généraux  de  la  nutrition  :  «  Un  effet  constant  des  émanations 
d'aniline  et  de  nitro-benzine  est  de  donner  à  tous  les  ouvriers  un  aspect  anémique 
incompatible  en  apparence  avec  la  dépense  de  forces  que  nécessite  leur  travail.  Aussi 
ce  remarquable  contraste  démontrerait-il  à  lui  seul  qu'il  s'agit  d'une  véritable  chloro- 
anémie,  si  l'absence  de  palpitations  et  de  souffle  cardiaque  ou  artériel,  si  surtout  la  rapi- 
dité avec  laquelle  la  décoloration  se  produit  et  la  rapidité  non  moins  grande  avec  laquelle 
les  couleurs  normales  reparaissent,  ne  tendaient  à  prouver  que,  dans  ces  cas,  l'altération 
du  sang  ne  peut  être  bien  profonde  et  ne  doit  certainement  pas  se  caractériser  anatomi- 
quement  par  une  diminution  de  la  proportion  des  globules.  »  Il  y  aurait,  d'après  Berge- 
ron,  simple  décoloration  des  globules  du  sang;  soit  effet  direct  de  l'action  des  carbures 
incessament  mis  en  contact  avec  ce  liquide  par  les  voies  respiratoires,  soit  résultat  indi- 
rect d'une  diminution  delà  proportion  d'oyxgène  dans  l'air  que  ces  ouvriers  respirent. 

Il  est  clair  cependant  que  l'aniline  inhalée  par  le  poumon  doit  modifier  le  sang,  comme 
elle  le  fait  quand  elle  est  introduite  par  toute  autre  voie  ;  par  conséquent,  si  l'anémie  des 


ANILINE.  ofiS 

ouvriers  est  vraiment  imputable  à  l'aniline,  une  certaine  quantité  d'hémoglobine  a  dû 
être  transformée  en  méthémoglobine.  Mais,  à  l'époque  où  écrivait  J.  Bergeron,  onne  con- 
naissait pas  cette  altération  du  sang.  La  bénignité  des  accidents  et  la  rapide  disparition 
de  l'anémie  quand  les  ouvriers  cessent  de  travailler  s'expliquent  sans  doute  parce  que 
cette  altération  est  peu  profonde  :  l'aniline  n'est  absorbée  qu'en  faible  proportion  et 
s'élimine  progressivement  par  l'urine  sous  une  forme  ou  sous  une  autre. 

Grandhomme,  dans  un  travail  complet  sur  l'aniline  basé  sur  les  observations  faites  dans 
l'usine  d'Hœchst-sur-Main,  distingue  différents  degrés  d'anilisme,  mais  toujours  légers 
ou  de  moyenne  intensité. 

Daus  cette  usine  les  différentes  opérations  relatives  à  l'industrie  de  l'aniline  se  font 
«n  des  ateliers  séparés.  Le  premier  est  celui  où  se  prépare  la  nitro-benzine  :  les  phéno- 
mènes d'intoxication  dus  à  cette  substance  ne  doivent  pas  nous  occuper.  C'est  dans  le 
deuxième  atelier,  ou  atelier  de  réduction,  que  l'aniline  se  retire  de  la  nitro-benzine.  Dans 
l'atelier  suivant  on  prépare  la  fuchsine  en  oxydant  l'aniline  par  la  nitro-benzine  en  pré- 
sence de  fer  et  d'acide  chlorhydrique.  Grandhomme  fait  ressortir  avec  d'autres  observateurs 
l'innocuité  de  la  fuchsine  non  arsenicale. 

Quant  à  l'iatoxication  par  l'aniline,  les  causes  ordinaires  sont  l'émanation  des  vapeurs 
qu'on  ne  peut  toujours  empêcher  malgré  toutes  les  précautions,  et  le  transport  de  la  sub- 
stance qui  ne  s'opère  pas  saus  que  les  vêtements  en  soient  plus  ou  moins  souillés. 

C'est  ainsi  que  s'explique  le  développement  des  plus  faibles  degrés  d'anilisme  qui 
restent  inaperçus  des  ouvriers  qui  en  sont  la  victime.  Ce  sont  les  surveillants  qui,  remar- 
quant la  cyanose  caractéristique  des  lèvres,  font  immédiatement  sortir  à  l'air  libre  les 
individus  qui  la  présentent.  Ils  se  trouvent  parfaitement  rétablis  en  quelques  heures. 

D'autres  fois  l'ouvrier  est  subitement  pris  d'un  sentiment  de  faiblesse  et  de  lassitude, 
il  a  la  tète  lourde,  embarrassée,  tendance  au  vertige,  marche  incertaine;  le  visage  est 
blafard,  les  lèvres  bleuâtres.  L'ensemble  des  symptômes  présente  celui  d'une  ivresse  com- 
mençante. 

Il  est  des  malades  qui  accusent  des  papillotages  devant  les  yeux,  d'autres  un  fréquent 
besoin  d'uriner  avec  ardeur  dans  la  miction,  mais  l'urine  ne  renferme  aucun  élément  mor- 
bide. Contrairement  à  d'autres  auteurs,  jamais  Grandhomme  n'a  constaté  la  présence  d'ani- 
line dans  l'urine  des  ouvriers  intoxiqués.  Je  rapprocherai  cette  observation  de  celle  de 
ScHMiEDEBERG,  qui  n'a  pas  retrouvé  non  plus  l'aniline  dans  l'urine  chez  les  animaux  en 
expérience; la  raison  en  est  sans  doute  la  même,  dans  les  deux  cas,  et  daus  d'autres  ana- 
logues; la  faible  dose  d'aniline  absorbée,  dont  les  produits  de  transformation  reparaissent 
entièrement,  sous  forme  de  composés  sulfo-conjugués. 

Les  accidents  d'intoxication  sont  plus  graves  quand  ils  résultent  d'un  nettoyage  des 
appareils,  parce  qu'alors  l'action  des  vapeurs  a  été  plus  prolongée  et  plus  intense,  ou 
quand  les  ouvriers  renversent  de  l'aniline  sur  leurs  vêtements. 

L'affaiblissement  devient  extrême  :  les  malades  accusent  une  céphalalgie  violente  et 
des  étourdissements,  leur  marche  est  titubante.  De  livide,  la  teinte  des  lèvres  devient 
bleu  foncé  et' gagne  le  nez,  la  bouche,  les  oreilles.  Dégoût  prononcé  pour  les  aliments  et 
nausées. 

Tous  ces  symptômes  peuvent  pourtant  disparaître  au  bout  de  24  heures,  mais  le  plus 
souvent  ils  s'aggi-avent  encore  pendant  quelques  heures.  On  voit  alors  survenir  la  perte 
de  la  connaissance  et  des  troubles  profonds  de  la  sensibilité.  Les  douleurs  de  tête  et  le 
sentiment  vertigineux  ne  faisant  que  s'accroître,  le  malade  s'affaisse, perd  connaissance 
durant  10  à  20  minutes,  puis  revient  à  lui  en  vomissant  et  en  accusant  une  faiblesse  géné- 
rale intense  et  de  la  lourdeur  de  tête. 

L'anesthésie  cutanée  est  absolue,  les  pupilles  sont  rétrécies;  la  température  n'est  pas 
sensiblement  modifiée,  le  pouls  est  tantôt  accéléré,  tantôt  ralenti.  Les  envies  de  miction 
sont  fréquentes;  l'haleine  exhale  l'odeur  d'aniline.  Les  malades  eux-mêmes  guérissent 
en  général  dans  le  cours  de  3  à  8  jours,  sans  qu'il  leur  reste  d'autre  atteinte  qu'un  peu  de 
strangurie. 

Dans  les  trois  usines  qui  ont  servi  de  champ  d'observations  à  Grandhomme,  il  n'est 
jamais  survenu  d'accidents  foudroyants  mortels  ni  d'intoxication  chronique  (d'après 
l'analyse  in  R.  S.  M.,  t.  xvni,  1881,  p.  71). 

Dans  un  autre  mémoire  Grandhomme  dit  qu'en  S  ans  i  cas  d'anilisme  seulement  se  sont 


564  ANIMISME—   ANODE. 

montrés  sur  une  population  moyenne  de  13  ouvriers,  dans  l'atelier  de  réduction  :  il  ajoute- 
aussi  n'avoir  rien  observé  d'analogue  aux  3  exemples  d'affections  oculaires  que  Galezowski- 
(Recueil  d'Ophtalmologie,  1876)  a  attribuées  à  l'aniline. 

Nous  pouvons  encore  mentionner  une  thèse  récente  de  Dupays  (Lyon,  1892).  Bien 
qu'elle  se  rapporte  plus  particulièrement  à  l'industrie  de  la  fuchsine,  l'auteur  de  cette 
thèse  dit,  dans  ses  conclusions,  avoir  observé  par  lui-même  qu'à  Neuville-sur-Saône  les 
ouvriers  ne  souffrent  en  aucune  manière  de  leur  séjour  dans  l'usine. 

Essais  thérapeutiques  avec  l'aniline.  —  Turnbull,  et  quelques  autres  médecins 
après  lui,  ont  expérimenté  l'aniline  ou  ses  sels  dans  les  affections  convulsives  du  système 
nerveux,  chorée,  accidents  épileptiformes. - 

Les  succès  obtenus  par  Tdrnbull  n'ont  pas  en  général  été  conflrmés,  et  la  médication 
paraît  entièrement  abandonnée. 

Signalons  cependant  que  Cahn  et  Hepp  {Berl.  Klin.  Wochenschr.,  1887,  p.  27)  ont 
trouvé  au  sulfate  d'aniline  une  action  antipyrétique,  ce  qui  n'a  rien  d'étonnant,  après  ce 
qui  a  été  dit  plus  haut.  Herczel  a  obtenu  des  résultats  semblables  avec  le  camphorate 
d'aniline  à  la  dose  de  0, 20  à  0,  2'6  grammes. 

E.    WERTHEIMER. 

ANIMISME.  —  Doctrine  philosophique  et  en  même  temps  physiologico-mé- 
dicale  qui  fait  intervenir  dans  les  corps  organisés,  considérés  comme  inertes,  Vâme, 
cause  première  non  seulement  des  faits  intellectuels,  mais  encore  des  faits  vitaux,  et 
veut  expliquer  ainsi  chaque  maladie.  C'est  la  doctrine  de  Stahl,  qui  étudie  les  phé- 
nomènes vitaux  en  eux-mêmes  et  indépendamment  des  phénomènes  chimiques  et  phy- 
siques qui  s'y  passent.  C'est  l'àme,  être  immatériel,  qui  est  le  principe  du  mouvement 
vital,  la  cause  de  l'activité  du  corps,  c'est  elle  qui  constitue  l'homme.  Les  organes  ne 
sont  que  de  simples  instruments.  L'âme  veille  à  la  réparation  de  notre  corps,  à  sa  con- 
servation, préside  à  tous  les  actes  de  la  nutrition,  des  sécrétions,  des  sensations,  etc.  La 
fonction  de  l'âme  étant  de  protéger  les  fonctions  que  tendent  à  troubler  les  causes  mor- 
biflques,  c'est  du  combat  qui  s'établit  entre  l'effort  de  l'une  et  la  résistance  des  autres 
que  naissent  les  phénomènes  morbides.  Telle  est,  brièvement  résumée,  cette  théorie  de 
l'animisme,  qui  remonte  à  Aristote  el  eut  de  fervents  adeptes  aux  xvii"=  et  xvin"  siècles. 
11  n'en  reste  plus  aujourd'hui  que  le  nom. 

ANIS  (Essence  d')  [C'"H'-0].  —  L'essence  d'anis  n'a  pas  été  étudiée 
au  point  de  vue  physiologique.  Il  est  probable  que  ses  propriétés  sont  celles  des 
essences.  On  ne  connaît  pas  davantage  les  propriétés  physiologiques  de  ses  dérivés, 
acide  anisique  [C^H^O'];  alcool  anisique  [C'»H5  0=];  aldéhyde  anisique  [C^H^O^] 
acide  anisoïque  [C'OH'W];  anisol  [C'H*  0];  acide  anisurique  [C'H'SO»]. 

L'essence  d'anis  est  isomère  de  l'essence  d'estragon  et 'de  l'essence  de  fenouil. 
L'acide  anisique  dans  l'organisme  se  transformerait,  paraît-il,  en  acide  anisurique. 

ANISOMETROPIE.  —  Généralement,  dans  le  cas  d'amétropie,  les  deux 
yeux  sont  à  peu  près  également  myopes  ou  hypermétropes.  Il  arrive  cependant  que  l'un 
des  deux  yeux  soit  notablement  plus  myope  ou  hypermétrope  que  son  congénère;  ou 
que  l'un  soit  emmétrope,  l'autre  amétrope.  Il  y  a  alors  anisométropie  (de  a  privatif; 
'['(jo;,  égal;  [J-ÉT50V,  mesure).  La  vision  de  chaque  œil  se  fait  alors  dans  les  conditions 
propres  au  degré  de  l'amétropie  (myopie  ou  hypermétropie).  Une  question  beaucoup 
discutée  est  celle  de  l'accommodation  dans  l'anisoniétropie.  En  vue  d'égaliser  le  plus 
possible  la  vision  des  deux  yeux,  il  y  aurait  intérêt  à  ce  qu'un  œil  accommodât  moins  ou 
plus  que  l'autre.  Il  résulte  des  recherches  faites  sur  ce  sujet  que,  si  l'accommodation  peut 
être  inégale  sur  les  yeux  (ce  qui  est  contesté),  la  différence  ne  peut  jamais  être  grande 

(Vov.  Accommodation). 

NUEL. 

ANODE.  —  On  emploie  dans  l'application  d'un  courant  le  terme  anode  pour 
distinguer  l'électrode  positive  de  l'électrode  négative  ou  cathode  (Voy.  Électricité). 


ANORCHIDIE    —    ANTAGONISME.  o65 

ANORCHIDIE.   —  Absence  des  deux  testicules.  Il  est  douteux  qu'elle  existe 
jamais  :  c'est  presque  toujours  une  cryptorchidie. 

ANOREXIE.  —  Absence  d'appétit.  Phénomène  tantôt  normal,  tantôt  patho- 
logique. 

L'anorexie  normale  est  le  sentiment  de  satiété  qui  suit  l'alimentation.  On  étudiera  à, 
l'article  Faim  les  causes,  encore  assez  obscures,  déterminant  la  faim,  et  la  cessation  de  la 
faim.  Il  semble  que  ce  soit  à  la  fois  un  phénomène  général,  et  un  phénomène  dû  à  la 
réplétion  stomacale. 

L'anorexie  pathologique  serencontre  dans  les  maladies  diverses  et,  on  pourrait  presque 
dire,  dans  toutes  les  maladies.  D'abord  la  fièvre  suffit  pour  provoquer  l'anorexie.  Il  n'y  a 
pas  d'exemple  de  malade  ayant  une  température  dépassant  39°, 5  ou  40°  qui  ait  conservé  de 
l'appétit.  Est-ce  un  phénomène  thermique,  ou  un  phénomène  dïnfection?  Nous  l'igno- 
rons, et  des  éludes  précises  seraient  nécessaires.  Notons  seulement  ces  deux  points  : 
d'abord  que  le  sentiment  de  la  soif,  au  lieu  d'être  aboli  comme  le  sentiment  de  la  faim, 
est  surexcité  par  la  fièvre,  et,  en  second  lieu,  que  les  animaux  se  comportent  tout  à  fait 
comme  l'homme.  Les  animaux  malades,  à  qui  on  a  injecté  des  substances  septiques,  qvii 
ont  une  suppuration  quelconque,  au  une  maladie  fébrile  infectieuse,  ne  mangent  pas, 
mais  ils  ont  une  soif  très  vive. 

Les  maladies  de  l'estomac  sont  aussi  cause  fréquente  de  troubles  du  sentiment  de  la 
faim;  quelquefois  une  exagération  (boulimie),  mais  le  plus  souvent,  ou  même  presque 
toujours,  anorexie.  Par  exemple  dans  le  cancer  de  l'estomac,  il  y  a  tantôt  conservation, 
tantôt  abolition  complète  de  l'appétit,  sans  qu'on  puisse  déterminer  pourquoi  on  observe 
de  si  grandes  différences  dans  les  cas  particuliers  (J.  Béhieb.  Art.  Anorexie,  D.  D.,  1866, 
t.  V,  p.  226). 

11  est  à  remarquer  aussi  que,  chez  les  malades  comme  chez  les  hystériques,  l'anorexie 
n'est  le  plus  souvent  pas  totale,  et  qu'elle  ne  porte  que  sur  certains  aliments,  et  notam- 
ment la  viande.  Les  phtisiques  fébricitants  ont  un  dégoût  invincible  pour  la  viande;  de 
même  les  hystériques. 

Les  affeclions  du  système  nerveux  sont  aussi  une  cause  fréquente  d'anorexie;  c'est 
surtout  dans  l'hystérie  qu'on  l'observe.  Lasègue  en  a  fait  une  excellente  étude  (De  rano- 
rexie  hystérique.  Arch.'gén.  de  méd.,  1873,  (1),  pp.  385-403).  Ce  qui  caractérise  cette  perver- 
sion du  sentiment  de  la  faim,  c'est  que  la  fièvre  est  nulle,  les  organes  nullement  malades, 
la  persistance  du  phénomène  prolongée  pendant  des  mois  et  des  années;  et  en  même 
temps  les  troubles  de  la  nutrition  atténués  d'une  manière  extraordinaire.  On  sait  que. 
chez  certaines  hystériques,  le  besoin  d'alimentation  est  quelquefois  réduit  à  un  minimum 
invraiserablable.il  est  des  femmes  ayant  vécu  plusieurs  années  qui  ne  consommaient  pas 
même  un  demi-litre  de  lait  par  jour,  en  moyenne.  L'appétit  se  conforme  à  cette  désassi- 
milation  ralentie  (V.  Hystérie). 

Il  est  prouvé  par  là  que  le  .sentiment  de  faim  «st  bien  un  phénomène  d'ordre  central; 
une  de  ces  sensations  internes  qui  nécessitent  l'intégrité  du  système  nerveux  (V.Beaunis. 
Les  sensations  internes,  1889,  p.  27).  Toutes  les  causes  qui  troublent  le  système  nerveux 
central,  soit  directement  (intoxications,  hyperthermie,  anémie),  soit  indirectement  (ac- 
tions réflexes,  traumalismes,  névralgies,  névrites,  émotions  morales),  abolissent  la  sensa- 
tion de  faim. 

Bibliographie.  —  Outre  les  indications  qu'on  trouvera  à  l'article  Faim,  voir  Brugnoli, 
Sitir  anoressia  stovie  e  considerazioni  (Mém.  Ace.  d.  se.  d.  Istit.  di  Bologna,  1875,  t.  vi,  (.3), 
pp.  351-361).  —  Bartelink.  Uber  psychologische  Bedeutungen  der  Appetits-stônmgen  (Th. 
do  Munich,  1876).  —  W.  Gull.  Anorexia  nervosa,  hysterica  {Transact.  Clin.  Soc.  London, 
1874,  t.  VII,  pp.  22-28,  3  pi.).  — ■  Rist.  Observation  d'anorexie  idiopathique  {Bull.  Soc.  méd. 
de  la  Suisse  Romande,  1878,  t.  xii,  pp.  59-64).  —  Cn.  Richet.  L'inanition  {Trav.  du  Labo- 
rat.,  t.  n,  1893,  p,  318). 

ANOSMIE.  —Perte  ou  diminution  de  l'odorat  (V.  Odoratj. 

ANTAGONISME.  —  Étymologiquement  antagonisme  veut  dire  état  de 
deux  forces  de  direction  contraire  tendant  à  annuler  réciproquement  fleurs  effets.  11 


566  ANTAGONISME. 

n'est  pas  difficile  de  trouver  dans  l'organisme  des  oppositions  de  ce  genre.  Les  actes 
plus  ou  moins  complexes  répondant  à  cette  définition  y  sont  au  contraire  extrêmement 
fréquents.  Si,  au  premier  abord,  un  tel  emploi  des  forces  ne  paraît  pas  très  économique, 
on  comprend  néanmoins  qu'il  y  est  nécessité  par  l'obligation  de  régler  les  effets  de  ces 
forces  avec  précision  et  promptitude  et  dans  le  but  de  les  équilibrer  les  unes  par  les 
autres.  Telle  est  l'idée  à  la  fois  générale  et  sommaire  qu'on  peut  se  faire  en  physiologie 
des  actions  dites  antagonistes.  Mais,  pour  peu  qu'on  entre  dans  le  détail,  on  voit  qu'une 
notion  aussi  restreinte  ne  suffit  pas  et  qu'il  faut  y  joindre  des  explications  relatives  à 
chaque  cas  particulier,  ou  tout  au  moins  à  chacun  des  cas  principaux. 

Les  forces  qui  interviennent  dans  l'organisme  sont  représentées  par  les  énergies 
diverses,  ou,  comme  l'on  dit,  spécifiques,  de  ses  éléments  composants,  c'est-à-dire  des 
formes  différenciées  de  son  protoplasme.  Ces  forces,  à  l'état  que  nous  appelons  de  repos, 
sont  en  tension.  Elles  constituent  une  réserve,  un  potentiel  que  l'organisme  peut,  à  un 
moment  donné,  dépenser.  Ces  tensions,  un  choc,  un  ébranlement,  ou,  comme  nous  disons 
dans  notre  langage  physiologique,  une  excitation,  pourra  les  libérer,  c'est-à-dire  les 
transformer  en  forces  vives  qui  s'exerceront  dans  une  direction  déterminée,  en  partie 
tracée  d'avance  par  le  développement  embryogénique.  Elles  donnent  alors  lieu  aux 
actes  les  plus  divers;  déplacements  réciproques  des  leviers  osseux;  pressions  exercées  sur 
des  liquides  pour  les  faire  progresser  dans  des  tuyaux;  appel  d'air  dans  les  cavités  res- 
piratoires; séparation  de  substances  chimiques  qui  sont  rejelées,  éliminées  ou  employées 
dans  de  nouvelles  combinaisons,  le  tout  avec  dégagement  de  chaleur,  etc.,  etc.  De  toutes 
ces  activités,  la  plus  typique,  celle  qui  revient  le  plus  souvent  dans  les  exemples  géné- 
raux de  la  physiologie,  parce  qu'elle  est  le  plus  facilement  appréciable  et  la  plus  connue, 
c'est  la  contraction  musculaire  :  mieux  que  toute  autre  elle  nous  servira  à  fixer  nos  idées. 
Au-dessus  des  muscles,  comme  au-dessus  de  tous  les  agents  exécutants  directs  des 
fonctions  de  l'organisme,  afin  de  régler  et  d'harmoniser  toutes  ces  activités  différentes 
en  les  commandant,  est  le  système  nerveux  lui-même  composé  de  pièces  différentes 
(nerfs  moteurs,  nerfs  sensitifs  ;  nerfs  excitateurs,  nerfs  inhibiteurs)  s'influençant  les 
unes  les  autres  ;  tantôt  s'excitant,  tantôt  au  contraire  se  neutralisant,  et  par  là  donnant 
lieu  dans  le  système  nerveux  lui-même  à  des  actions  antagonistes. 

Tout  ceci  concerne  le  jeu  normal  et  régulier  de  nos  fonctions;  mais  cet  état  normal, 
nous  intervenons  (nous,  physiologistes)  pour  le  troubler;  par  nos  paralysies  ou  nos  exci- 
tations artificielles,  par  nos  agents  physiologiques,  par  nos  poisons  nous  pouvons  le 
déséquilibrer,  tantôt  dans  un  sens,  tantôt  dans  l'autre,  et,  en  vertu  d'une  convention 
métaphorique  dont  il  faut  bien  comprendre  la  signification  et  l'origine,  nous  transportons 
de  l'organisme  à  ces  substances  mêmes  ces  actions  antagonistes  que  le  présent  article 
a  pour  but  d'anal3ser  et  de  catégoriser. 

Enfin  les  effets  de  ces  substances  toxiques  étudiées  sur  le  terrain  et  par  les  méthodes 
de  la  physiologie  sont  une  base  solide  offerte  à  l'explication  des  phénomènes  de  la 
pathologie,  dans  laquelle  nous  voyons  également  des  produits  solubles,  des  toxines 
résultat  de  l'action  des  virus  ferments,  troubler  d'une  façon  analogue  le  jeu  des  fonctions, 
additionner  et  parfois  aussi  neutraliser  leurs  effets  par  un  mécanisme  du  même  genre. 

Antagonisme  musculaire.  —  Prenons  pour  point  de  départ  un  exemple  très 
simple.  Deux  muscles  (biceps  et  triceps  brachiaux)  viennent  de  l'humérus  et  de  l'épaule 
s'attacher  à  un  même  levier  osseux  (os  de  l'avant-bras)  :  le  premier  est  fléchisseur,  le 
second  est  extenseur  de  ce  levier.  Ces  muscles  sont  directement  antagonistes,  ils  tra- 
vaillent exactement  en  sens  inverse,  tellement  que  l'un  est  obligé  de  s'allonger  quand 
l'autre  se  raccourcit,  et  réciproquement.  Cet  antagonisme  se  manifeste  soit  par  des 
mouvements  alternatifs  de  flexion  et  d'extension,  soit  par  une  contracture  simultanée 
qui  raidit  l'avant-bras  dans  une  position  déterminée  ;  enfin  il  se  manifeste  encore  par 
la  contraction  très  inégale,  mais  simultanée,  des  deux  muscles  (ou  groupes  de  muscles 
synergiques)  pendant  soit  la  flexion,  soit  l'extension  de  l'avant-bras.  Car,  comme  le 
remarque  justement  Duchenne  (de  Boulogne),  et  contrairement  à  ce  que  l'on  a  de  la  ten- 
dance à  croire,  un  mouvement  de  ce  genre  est  plutôt  un  effet  différentiel  résultant  de 
l'action  de  deux  efforts  opposés,  et  parfois  d'un  nombre  assez  grand  d'efforts  muscu- 
laires inégaux,  mais  synchrones.  Bien  des  raisons  font  qu'il  en  doive  être  ainsi. 

Les  ex:emples  d'antagonisme  musculaire  sont  donc  extrêmement  multipliés.  On  peut 


ANTAGONISME.  367 

même  poser  en  principe  qu'il  n'est  pas  un  seul  muscle  qui  ne  soit  dans  une  certaine 
mesure  l'antagoniste  d'un  autre.  Seulement  la  direction  des  forces  opposées  n'est  pas 
toujours,  comme  dans  l'exemple  type  qui  vient  d'être  cité,  celle  même  des  fibres  muscu- 
laires, et,  pour  l'indiquer  correctement  (vu  la  position  très  variable  des  muscles  par  rap- 
port aux  leviers  qu'ils  doivent  mouvoir)  il  faut  construire  sur  l'un  des  muscles  ou  sur 
tous  deux  une  représentation  du  parallélogramme  des  forces,  dont  l'une  des  composantes 
tracera  avec  sa  grandeur  relative  la  direction  de  la  force  efficace. 

Citons  encore  quelques  exemples  empruntés  aux  principales  fonctions.  Les  mouve- 
ments de  la  respiration  sont  sous  la  dépendance  de  deux  ordres  de  muscles,  les  uns  ins- 
pirateurs, les  autres  expirateurs.  Encore  faut-il  ajouter  que  les  puissances  inspiratrices 
luttent  contre  une  force  élastique  qui,  lorsqu'elle  est  laissée  libre  d'agir,  est,  à  elle  seule, 
à  peu  près  suffisante  pour  produire  l'expiration.  C'est  un  exemple  de  l'inégalité  si  fré- 
quente qu'on  peut  observer  entre  les  puissances  antagonistes,  comme  aussi  de  l'artifice 
employé  pour  corriger  cette  inégalité  par  le  jeu  d'un  ressort  simplement  élastique,  dit 
lui-même  antagoniste  du  muscle.  C'est  ce  qui  existe,  paraît-il,  dans  la  pupille,  où  l'action 
du  sphincter  irien  est  contrebalancée  uniquement  par  une  membrane  élastique  et  point 
par  des  fibres  musculaires  radiées,  comme  il  avait  paru  naturel  de  le  supposer.  Mais 
l'inégalité  d'action  des  muscles  inspirateurs  et  expirateurs  est  simplement  fonctionnelle. 
Les  muscles  expirateurs,  qui,  en  temps  ordinaire,  prennent  si  peu  de  part  à  la  respiration, 
disposent  néanmoins  d'une  grande  puissance  qu'ils  opposent  assez  rarement  à  celle  des 
inspirateurs,  mais  qui  intervient  dans  l'acte  de  l'effort,  lorsqu'il  est  nécessaire  de  fixer 
solidement  la  cage  thoracique  à  laquelle  s'attachent  de  puissants  muscles  des  membres. 
Ils  compriment  l'air  de  la  poitrine  emprisonné  par  l'occlusion  de  la  glotte,  et  trouvent 
alors  de  nouveaux  antagonistes  dans  les  muscles  constricteurs  du  larynx. 

Le  cœur,  qui  chasse  le  sang  de  sa  cavité,  lutte  non  seulement  contre  l'élasticité  arté- 
rielle, mais  aussi  contre  les  petits  muscles  vasculaires  qui  tendent  à  obturer  les  orifices 
capillaires  par  où  le  sang  est  obligé  de  passer.  De  même,  l'estomac  lutte  contre  le 
pylore,  et  tous  les  muscles  enserrant  une  cavité  qui  reste  close  par  l'action  d'un  sphincter, 
luttent  plus  ou  moins  contre  ce  sphincter;  tels  l'intestin,  la  vessie,  la  vésicule  du  fiel,  etc. 
On  comprend  encore  très  bien  l'action  antagoniste  de  ces  dilférents  muscles,  bien  qu'elle 
sorte  déjà  notablement  des  conditions  simples  de  l'exemple  du  début. 

Comme  d'autre  part  on  sait  que  les  muscles  qui  réalisent  ces  efforts  sont  sons  la 
domination  de  nerfs  qui  leur  commandent,  il  n'y  a  qu'à  transporter  ce  qui  a  été  dit  de 
ces  muscles  aux  nerfs  eux-mêmes,  qui  seront  ainsi  réciproquement  antagonistes  au 
même  titre  que  les  muscles;  mais  il  faut  tout  de  suite  remarquer  que  l'antagonisme 
n'est  plus  ici  direct,  mais,  au  contraire,  indirect,  en  tant  qu'il  s'exerce  par  l'intermé- 
diaire de  muscles  opposés  fonctionnellement  les  uns  aux  autres.  Cette  remarque  est 
d'autant  plus  indispensable  que  justement  dans  le  système  nerveux  on  peut  montrer  des 
exemples  d'actions  directement  antagonistes  de  ses  éléments  les  uns  à  fégard  des  autres. 

Nous  ferons  le  même  raisonnement  pour  les  centres  d'où  proviennent  les  nerfs.  Seu- 
lement nous  ne  pourrons  guère  remonter  plus  haut  que  les  centres  bulbo-médullaires, 
parce  qu'au  delà  nous  ne  pouvons  plus  affirmer  la  continuité  fibre  à  fibre  des  éléments 
nerveux.  Rien  ne  prouve  que  le  groupement  de  ces  éléments  reste  le  même  au-dessus 
et  au-dessous  de  ces  centres  :  tout  nous  fait  supposer  au  contraire  que  ces  groupements 
se  sont  modifiés  et  que  des  rapports  nouveaux  sont  intervenus  entre  eux. 

Nous  dirons  donc  seulement  :  il  )'  a  des  muscles,  des  nerfs  et  aussi  des  centres 
antagonistes,  en  entendant  ce  mot  dans  le  sens  qui  a  été  plus  haut  défini. 

A  partir  de  là  une  donnée  nouvelle  va  intervenir  qu'il  faut  maintenant  examiner.  Il 
nous  faut  pour  cela  revenir  à  l'exemple  de  la  pupille,  dans  laquelle  nous  ne  trouvons 
qu'un  muscle  (le  sphincter  irien)  et  qui  jouit  néanmoins  de  deux  ordres  de  mouvements. 
Ces  mouvements  sont  :  l'un  de  constriction;  il  est  réalisé  par  le  contraction  du  sphincter 
irien,  qui  ferme  l'orifice  pupillaire,  comme  le  ferait  en  se  serrant  le  cordon  d'une 
bourse;  l'autre,  de  dilatation,  qui  s'elfectue  sans  fintervention  d'une  puissance  motrice 
antagoniste,  mais  par  l'action  laissée  libre  d'agir  d'une  sorte  de  ressort  antagoniste  qui 
agrandit  l'orifice  pupillaire  parfois  jusqu'à  l'effacement. 

Antagonisme  nerveux.  —  Je  dis  que  ces  deux  mouvements  sont  antagonistes,  et, 
d'après  notre  définition,  cette  expression  entraîne  nécessairement  l'idée  de  quelque  force 


568  ANTAGONISME. 

plus  ou  moins  directement  opposée  à  une  autre;  elle  n'implique  pas  simplement  le  retour 
passif  d'un  organe  à  sa  forme  première  après  que  sa  phase  d'activité  est  terminée.  Les 
forces  ici  opposées  l'une  à  l'autre  ne  sont  plus  deux  muscles,  mais  bien  deux  nerfs.  Ce  cas 
particulier  d'antagonisme  a  de  nombreux  équivalents  dans  tout  l'organisme,  et  c'est  là 
justement  ce  qui  fait  son  intérêt.  Cet  antagonisme,  pour  le  dire  en  un  mot,  n'est  qu'une 
des  formes  de  cet  acte  nerveux  encore  environné  de  tant  d'obscurité,  mais  qui  est  si 
général  en  physiologie,  et  qu'on  nomme  aujourd'hui  l'inhibition  :  c'est  ce  qu'on  appelait 
autrefois  l'action  d'arrêt.  Voyons  les  faits. 

Le  muscle  constricteur  de  la  pupille  obéit  à  un  nerf,  l'oculo-moteur  commun,  mais 
les  fibres  de  ce  nerf  qui  sont  destinées  à  la  pupille  ne  s'y  rendent  pas  d'emblée,  elles 
traversent  successivement  un  ganglion  (g.  ophtalmique*)  et  un  plexus  ganglionnaire 
(p.  ciliaire).  En  somme  elles  présentent  deux  relais  ganglionnaires.  Ces  particularités 
anatomiques  sont  déjà  à  mettre  en  concordance  avec  certains  faits  d'expérience  qu'ils 
expliquent  plus  ou  moins.  C'est  ainsi  qu'on  remarque  que  la  section  du  tronc  de  l'oculo- 
moteur  laisse  bien  agrandir  la  pupille,  mais  ne  la  paralyse  pas  complètement;  car  elle  est 
encore  susceptible  de  mouvement  après  cette  mutilation  :  de  même,  les  eflets  de  l'exci- 
tation de  ce  nerf  sur  la  pupille  ne  sont  pas  à  comparer  avec  ceux  qu'ils  produisent  sur 
le  muscle  moteur  de  l'œil  ;  ce  sont  là  les  caractères  très  sommairement  indiqués  d'un 
nerf  moteur  ganglionnaire.  Ces  faits  une  fois  constatés,  nous  pouvons  en  observer 
d'autres  qui  en  sont  l'exacte  contre-partie,  en  nous  adressant  à  un  autre  tronc  nerveux, 
le  sympathique  cervical  :  sa  section  fait  se  resserrer  la  pupille,  comme  l'a  vu  depuis 
longtemps  Pourfour  do  Petit;  son  excitation  la  fait  dilater  à  l'extrême,  pour  peu  que 
cette  excitation  soit  un  peu  énergique  (Biffi).  Nous  devons  conclure  que  le  sj'nipathique 
est  dans  cette  action  l'antagoniste  de  l'oculo-moteur  :  et  nous  devons  conclure  de  plus 
que  cet  antagonisme  s'exerce  nerf  à  nerf,  puisque,  comme  il  a  été  dit  plus  haut,  il  n'y 
a  pas  de  muscle  dilatateur  de  la  pupille,  mais  uniquement  un  nerf  constricteur. 

L'antagonisme  réciproque  du  sympathique  cervical  et  de  l'oculo-moteur  a  été  trans- 
porté de  la  pupille  à  l'appareil  ciliaire  accominodateur.  Ce  sont  les  deux  mêmes  troncs 
nerveux  traversant  les  deux  mêmes  relais  ganglionnaires;  l'excitation  de  l'oculo-moteur 
accommode  l'œil  pour  la  vision  de  près  (Hensen  et  Volkers),  l'excitation  du  sympathique 
cervical  l'accommode  pour  la  vision  de  loin  (Morat  et  Doyon).  Ici  encore  il  n'y  a  qu'un 
muscle,  le  muscle  ciliaire,  composé,  il  est  vrai,  de  deux  parties,  mais  agissant  dans  le 
même  sens  pour  accommoder  l'œil  aux  petites  distances;  l'accommodation  pour  la 
vision  éloignée  se  fait  par  la  réaction  de  parties  élastiques  qui  aplatissent  le  cristallin. 
Il  peut  sembler  que  ces  exemples  d'antagonisme  purement  nerveux  ne  soient  pas 
absolument  probants,  parce  que  la  question  de  l'existence  ou  de  l'absence  d'un  muscle 
dilatateur  de  la  pupille  (peut-être  même  d'un  muscle  accommodateur  pour  l'infini)  est 
de  temps  en  temps  soumise  à  la  discussion.  Toutefois,  en  supposant  même  qu'on  finisse 
par  découvrir  quelque  organe  contractile  qui  soit  sous  la  dépendance  du  sympathique, 
tant  en  ce  qui  concerne  les  mouvements  pupillaires  que  ceux  de  l'accommodation,  il  est 
à  croire  que  ces  muscles  ne  sont  pas  en  puissan('.e  les  équivalents  des  muscles  ciliaire 
et  pupillaire,  et  que,  pour  la  plus  grande  part,  les  eiîets  antagonistes  dus  au  sympa- 
thique sont  dus  à  l'inhibition. 

Mais,  si  ces  exemples  devaient  nous  manquer,  il  en  est  d'autres  qui,  à  ce  point  de 
vue,  sont  irrécusables.  11  est  certain,  par  exemple,  que  le  cœur,  pourvu  de  fibres  si  puis- 
santes pour  réduire  le  volume  de  sa  cavité  et  en  chasser  le  sang,  en  est  totalement 
dépourvu  pour  produire  le  mouvement  inverse  d'agrandissement  ou  d'amplification  de 
cette  cavité  :  il  n'y  a  pas  de  fibres  dilatatrices  du  cœur  :  ce  qui  veut  dire  (car  il  faut 
bien  préciser  les  termes),  il  n'y  a  dans  aucune  des  cavités  du  cœur,  prise  isolément,  des 
fibres  dont  l'effet  serait  d'agrandir  cette  cavité.  Que  des  muscles  extrinsèques  comme 
ceux  de  la  respiration  puissent,  par  un  mécanisme  très  indirect,  avoir  cet  effet,  que 
même  l'action  constrictive  des  muscles  d'une  cavité  puisse  par  contre-coup  dilater  plus 
ou  moins  la  cavité  voisine  (suivante  ou  précédente),  ceci  est  totalement  en  dehors  de  la 
question  que  nous  traitons  en  ce  moment. 

Or,  à  ce  muscle,  le  cœur,  qui,  comme  tout  muscle,  n'a  qu'une  seule  manière  d'agir, 
une  seule  réponse  à  l'excitant,  une  seule  propriété  dans  l'ordre  physiologique,  la  con- 
ractilité,  le  raccourcissement  de  ses  libres,  nous  voyons  aboutir  aussi  deux  nerfs,  pu,  .si 


ANTAGONISME.  569 

1  on  veut,  deux  ordres  de  nerfs.  Les  uns  viennent  plus  particulièrement  de  la  chaîne  du 
sympathique,  ils  sont  augmentateurs,  accélérateurs  de  son  mouvement,  ils  excitent  ses 
contractions,  ils  en  augmentent  le  nombre  et  l'intensité.  Les  autres  viennent  du  pneu- 
mogastrique, ils  ont  un  effet  inverse,  antagoniste  du  précédent;  ils  diminuent  le  nombre 
et  l'intensité'  de  ses  mouvements,  de  ses  systoles.  C'est  encore  un  exemple  d'antago- 
nisme réalisé  nerf  à  nerf  comme  le  précédent;  c'est  même  le  premier  exemple  connu 
d'inhibition.  J'entends  dire  le  premier  fait  de  ce  genre  reconnu  comme  tel  sous  l'an- 
cienne désignation  d'action  d'arrêt. 

Nous  ne  devons  pas  ici  nous  attarder  à  décrire  par  le  menu  ce  phénomène  d'antago- 
nisme nerveux  ou  d'inhibition,  mais  plutôt  en  montrer  d'abord  la  généralité.  L'inner- 
vation des  muscles  vasculaires  reproduit  assez  fidèlement  celle  du  cœur  lui-même. 
Comme  le  cœur,  les  vaisseaux  sont  pourvus  de  muscles,  et  ces  muscles  n'ont,  eux  aussi, 
qu'une  propriété,  le  pouvoir  de  se  contracter  :  or  cette  contraction,  quelle  que  soit  la 
disposition  des  muscles  des  vaisseaux,  n'a  qu'une  action  possible,  celle  de  resserrer  leur 
cavité,  d'en  chasser  le  sang  qui  y  est  contenu,  d'empêcher  de  nouvelles  quantités  de 
sang  d'y  affluer,  si  cette  contraction  est  poussée  à  l'extrême,  de  diminuer  en  tout  cas  son 
écoulement  à  travers  ces  tuyaux.  De  plus,  ces  muscles  sont  subordonnés  à  l'action  de  deux 
ordres  de  nerfs;  les  uns  qui  augmentent  leur  contraction  ou  leur  tonus,  les  autres  qui, 
inversement,  diminuent  l'énergie  de  cette  contraction  :  ce  sont  les  deux  divisions,  les 
deux  classes  des  nerfs  que  dans  leur  ensemble  on  appelle  les  vaso-moteurs  :  les  premiers 
sont  les  constricteurs,  parce  que  le  résultat  pratique  de  leur  action  est  le  resserrement 
des  vaisseaux,  les  autres  sont  appelés  dilatateurs,  non  pas  qu'ils  dilatent  à  .proprement 
parler  les  vaisseaux,  mais,  en  diminuant  leur  effort  contractile,  ils  les  rendent  moins 
aptes  à  résister  à  la  poussée  du  sang  qui  vient  d'ailleurs,  et  en  fm  de  compte  l'effet  visible 
de  leur  entrée  en  jeu  est  une  vaso-dilatation  ou  congestion  des  territoires  vasculaires 
innervés  par  eux. 

L'antagonisme  des  deux  nerfs  entre  eux  se  complique,  comme  on  voit,  d'un  antago- 
nisme entre  le  cœur  et  les  vaisseaux  dans  le  genre  de  celui  qui  a,  été  indiqué  au  début; 
et,  sans  qu'il  soit  besoin  d'entrer  dans  de  grands  développements  à  cet  égard,  il  est 
facile  de  concevoir  comment  l'entrée  en  fonction  des  nerfs  inhibiteurs  des  vaisseaux 
(nerfs  vaso-dilatateurs)  facilite  l'action  du  cœur  en  abaissant  la  tension  dans  le  système 
artériel,  et  comment,  tout  au  contraire,  l'activité  des  constricteurs  fait  obstacle  à  cette 
action  en  élevant  la  tension  artérielle  au  point  qu'elle  interromprait  la  circulation  si 
l'oblitération  des  capillaires  pouvait  jamais  devenir  à  la  fois  complète  et  générale.  Par 
des  mécanismes  en  réalité  fort  différents,  les  inhibiteurs  du  cœur  et  les  constricteurs 
des  vaisseaux  tendent  au  même  résultat  final,  qui  est  la  suppression  du  mouvement  du 
sang;  tandis  que  les  accélérateurs  du  cœur  et  les  inhibiteurs  des  vaisseaux  tendent  à 
lui  donner  son  maximum  de  vitesse.  Les  accélérateurs  du  cœur  et  les  constricteurs  des 
vaisseaux  sont  en  antagonisme  fonctionnel  par  le  fait  de  la  disposition  particulière 
des  muscles  qu'ils  commandent.  Les  deux  ordres  de  nerfs  (les  uns  moteurs,  les  autres 
inhibiteurs)  qui  s'opposent  réciproquement  leur  influence,  et  dont  sont  pourvus  et  le 
muscle  cardiaque  et  les  muscles  vasculaires,  constituent  par-dessus  le  précédent  un 
nouvel  ordre  d'antagonisme  surajouté,  superposé,  et  qui  le  complique  en  multipliant  les 
moyens  d'action  et  de  régulation  de  1  organisme  à  l'égard  des  fonctions  dont  sa  conser- 
vation dépend.  Le  détail  de  ces  explications  est  justifié  par  la  nécessité  de  bien  faire 
comprendre  que  l'effet  ou  mouvement  inverse  obtenu  par  l'excitation  d'un  nerf  inhi- 
biteur n'est  pas  dû  à  ce  nerf  lui-même,  mais  à  quelque  force  tonique  éloignée  et 
opposée  qui  reprend  aussitôt  ses  droits,  quand  le  nerf  inhibiteur  vient  à  supprimer  pour 
un  moment  la  force  antagoniste  dépendante  du  nerf  moteur  inhibé  par  lui.  Et  pour 
qu'il  ne  reste  rien  d'obscur  sur  le  sens  à  attribuer  au  terme  antagonisme  qui  revient  si 
souvent,  il  nous  faut  encore  compléter  cette  explication  par  quelques  développements. 

Le  nerf  inhibiteur,  lorsqu'il  entre  eu  activité,  a  deux  effets  :  l'un  direct,  immédiat,  et 
l'autre  indirect,  obtenu  par  contre-coup.  Exemple  :  un  muscle  est  en  contraction,  on  excite 
son  nerf  d'arrêt,  il  cesse  de  se  contracter;  c'est  l'effet  direct.  Le  mouvement  a  fait 
place  au  repos,  seulement  ce  mouvement  par  lui-même  ne  change  pas  de  signe;  l'effet, 
si  on  peut  ainsi  parler,  est  contradictoire,  il  n'est  pas  contraire.  Mais  le  plus  généra- 
lement l'effet  de  l'inhibition  ne  se  borne  pas  à  cela;  la  cessation  de  la  contraction  du 


5'0  ANTAGONISME. 

muscle  inhibé  laisse  s'exercer  efficacement  la  contraction  d'un  autre  muscle  ou  simple- 
ment la  tension  d'une  autre  force  qui  produit  alors  réellement  le  mouvement  inverse, 
le  mouvement  contraire,  antagoniste  du  précédent.  Et  de  fait,  l'inhibition  d'une  puis- 
sance motrice  a  souvent  pour  but  de  préparer,  de  favoriser  l'action  d'une  autre  puis- 
sance motrice  opposée  :  par  ce  double  jeu  les  mouvements  si  variés  de  nos  organes 
s'accomplissent  avec  économie  et  précision. 

Il  est  à  peine  besoin  de  réfuter  l'opinion  de  ceux  qui  ont  pu  croire  que  l'inhibition  est 
une  action  du  nerf  sur  le  muscle  l'obligeant  à  s'allonger,  de  même  que  l'excitation  le 
force  à  se  raccourcir.  Les  physiologistes,  à  de  rares  exception  près,  se  refusent  à 
admettre  qu'il  puisse  j  avoir,  par  exemple,  une  diastole  active  du  ventricule  du  cœur 
commandée  par  le  pneumogastrique.  Les  effets  d'aspiration  qu'un  coîur  peut  exercer  en 
se  détendant  après  sa  contraction  sont  sûrement  dus  à  une  reprise  par  lui  de  sa  forme 
normale,  en  vertu  d'une  propriété  toute  physique,  l'élasticilé;  il  n'y  a  rien  d'impossible 
du  reste  à  ce  que  cet  effet  d'aspiration  soit  utilisé  dans  une  certaine  mesure,  la  nature, 
comme  nous  le  savons,  ne  négligeant  pas  même  les  plus  petits  profits. 

Seulement,  si  le  nerf  inhibiteur  ne  fait  que  détruire  les  effets  d'une  excitation,  sans 
aller  par  lui-même  jusqu'à  orienter  le  mouvement  dans  un  sens  contraire  à  sa  direction 
première,  de  quel  droit  l'appelons-nous  antagoniste?  Je  l'ai  déjà  dit  plus  haut,  c'est  un 
antagonisme  qui  s'exerce  nerf  à  nerf,  et  qui,  dans  tous  les  cas,  ne  peut  pas  changer  la 
propriété  ni  la  manière  habituelle  de  réagir  du  muscle.  Tout  nous  fait  croire,  tout  ce 
qu'on  connaît  de  l'inhibition  doit  nous  porter  à  admettre  que  c'est  un  phénomène,  un 
acte  consommé,  non  dans  le  muscle,  mais  dans  le  système  nerveux,  à  une  certaine  dis- 
tance du  muscle.  C'est  d'abord,  selon  la  remarque  de  Rouget,  la  présence  de  masses 
ganglionnaires  invariablement  situées  le  long  ou  près  de  la  terminaison  des  nerfs  inhi- 
biteurs les  mieux  caractérisés  (le  vague,  le  sympathique,  la  corde  tympanique,  etc.),  ce 
sont  ensuite  des  expériences  aussi  directes  que  celles  qu'on  peut  tenter  sur  un  acte  de 
cette  nature.  Prenons  un  exemple;  voici  le  cœur  qui  est  sous  l'influence  de  deux  nerfs, 
l'un  augmentateur  de  son  mouvement,  le  sympathique,  l'autre  modérateur  de  ce  mou- 
vement, le  pneumogastrique;  son  rythme  actuel  est  une  résultante  de  ces  deux  tendances 
opposées  :  sans  les  supprimer  ni  l'une  ni  l'autre,  nous  intervenons  avec  le  dessein  de 
faire  prédominer  l'une  des  deux,  la  modératrice,  et  à  cet  effet  nous  excitons  les  vagues, 
et  le  cœur  se  ralentit,  ou  même  s'arrête.  Où  se  crée  l'obstacle  qui  empêche  le  cœur  de 
battre"?  Ce  ne  peut  être  qu'un  obstacle  développé  dans  le  cœur  lui-même  et  opposé  à 
son  mouvement  ou  un  obstacle  développé  sur  le  trajet  des  nerfs  et  opposé  simplement 
à  la  transmission  de  l'excitation.  La  seconde  hypothèse  est  plus  vraisemblable  par 
raison  d'économie,  mais  examinons  pourtant  la  première.  Si  le  pneumogastrique  déve- 
loppe dans  le  cœur  un  obstacle  à  sa  contraction,  l'annihilation  du  travail  positif  du  cœur 
obtenu  par  un  tel  moyen  doit  dégager  une  certaine  quantité  de  chaleur.  Or  l'expérience 
montre  qu'il  n'en  est  point  ainsi,  il  y  a  au  contraire  abaissement  de  sa  température, 
comme  dans  un  muscle  qui  cesse  simplement  de  se  contracter.  L'inhibition  n'est  donc 
pas  dans  le  cœur,  mais  bien  vraisemblablement  sur  le  trajet  de  l'excitation,  à  la  ren- 
contre des  deux  nerfs  (vague  et  sympathique).  Nous  devons  admettre  que  là,  à  ce  point 
précis,  l'énergie  mise  en  jeu  par  l'excitation  du  nerf  inhibiteur  dans  ce  nerf  lui-même 
s'oppose  à  la  transmission  de  l'énergie  propagée  par  le  nerf  excitateur,  ce  qui  est  repro- 
duire en  termes  nouveaux  et  pi  us  modernes  l'ancienne  explication  donnée  par  Cl.  Bernard. 
En  somme,  c'est  bien  une  action  antagoniste,  mais  d'un  genre  très  particulier. 

L'estomac,  l'intestin  sont,  eux  aussi,  pourvus  de  deux  ordres  de  nerfs,  les  uns  exci- 
tateurs ou  augmentateurs  de  leurs  mouvements,  les  autres  inhibiteurs  de  ces  mouve- 
ments, et  ces  deux  sources  nerveuses  sont  encore  représentées  par  le  vague  et  le  sympa- 
thique; mais  ces  troncs  nerveux  ont  cette  fois  inverti  leurs  fonctions  par  comparaison 
avec  le  cœur.  Le  vague  est  ici  moteur;  et  le  sympathique,  modérateur.  C'est  assez  dire 
que  les  deux  nerfs  sont  des  branchements  ou  divisions  d'un  même  système  plus  général, 
celui  des  nerfs  moteurs  ganglionnaires.  Tout  ce  que  nous  avons  dit  du  cœur  ou  des 
vaisseaux  peut  s'appliquer  à  ces  organes. 

Il  n'est  pas  jusqu'aux  glandes  elles-mêmes  pour  lesquelles  on  n'admette  l'existence 
d'une  double  innervation  de  ce  genre,  en  vertu  de  laquelle  le  système  nerveux  peut 
tantôt  activer,  tantôt  ralentir  ou  supprimer  la  sécrétion.  Loin  que  les  nerfs  d'arrêt  soient 


ANTAGONISME.  571 

spéciaux  à  certains  appareils,  comme  on  a  semblé  le  croire  tout  d'abord,  ces  nerfs  sont 
au  contraire  très  répandus.  II  est  remarquable  de  voir  que  tout  l'ensemble  du  système 
qu'on  a  appelé  ganglionnaire  en  contient.  C'est  à  lui  qu'on  s'adresse  toutes  les  fois 
qu'on  cherche,  dans  cet  ordre  d'idées  et  de  faits,  des  exemples  bien  probants.  On  ne  peut 
admettre  toutefois  que  l'inhibition  et  les  éléments  nerveux  qui  la  représentent  soient 
exclusivement  confinés  dans  ce  système,  tandis  qu'ils  seraient  absents  de  l'ensemble 
de  nerfs  qui  commandent  les  actes  concernant  la  v'e  dite  de  relation.  Un  certain  nombre 
de  faits  positifs,  bien  que  moins  circonstanciés  que  les  précédents,  nous  prouve  déjà 
qu'il  faut  étendre  les  même  subdivisions  du  système  moteur  à  tout  l'ensemble  du  sys- 
tème nerveux  et  que  les  muscles  de  la  vie  de  relation  ont  leurs  nerfs  inhibiteurs  aussi 
bien  que  les  organes  de  la  vie  végétative.  Seulement  les  organes  inhibiteurs  des  mus- 
cles du  squelette,  à  l'inverse  de  ceux  des  organes  du  mouvement  involontaire,  se  trouvent 
confinés  dans  une  région  du  système  nerveux  général  d'où  ils  ne  sortent  pas  :  tous 
paraissent  contenus  dans  cette  masse  de  substance  blanche  et  de  substance  grise,  de 
conducteurs  et  do  ganglions  qu'on  appelle  communément  les  centres  et  qui  est  renfermée 
dans  la  cavité  encéphalo-rachidienne.  C'est  là,  dans  la  moelle  et  le  cerveau,  qu'il  faut 
chercher  les  phénomènes  d'inhibition  qui  concernent  les  mouvements  dits  volontaires, 
et  point  en  dehors.  On  ne  connaît  pas  de  nerf  centrifuge  qui,  sous  l'influence  d'une 
excitation  banale,  soit  capable  d'arrêter  les  mouvements  de  cette  catégorie  :  ou,  pour 
mieux  préciser  ma  pensée,  en  dehors  de  la  cavité  cérébrospinale,  en  dehors  de  la  masse 
des  centres,  il  n'y  a  point  de  nerf  qui  joue  à  l'égard  d'un  muscle  de  la  vie  de  relation 
le  rôle  du  vague  à  l'égard  du  cœur.  Les  phénomènes  d'arrêt  qu'on  a  observés  ou  décrits 
sur  ces  nerfs  relèvent  soit  de  l'électrotonus,  soit  peut-être  même  de  l'inhibition,  mais  à 
la  condition  de  donner  à  ce  terme  un  sens  d'une  grande  généralité  qui  sort  tout  à  fait 
de  l'ordre  restreint  et  bien  catégorisé  de  phénomènes  que  nous  avons  en  vue  ici.  En 
tous  cas,  nous  admettons  la  généralité  de  la  donnée  développée  ci-dessus  en  vertu  de 
laquelle  tout  le  système  nerveux  moteur  se  repartage  en  deux  ordres  d'éléments  opposés 
les  uns  aux  autres,  les  uns  à  proprement  parler  excitateurs,  les  autres  inhibiteurs. 
L'extension  de  cette  donnée  si  évidente  dans  l'étude  des  centres  régionaux  disséminés 
du  système  sympathique  aux  centres  supérieurs  de  la  vie  de  relation  est  pour  ainsi  dire 
commandée  par  l'analogie  en  même  temps  qu'elle  a  déjà  un  point  d'appui  sérieux  sur 
des  faits  d'expérience. 

De  tout  ce  qui  précède  nous  concluons  :  il  y  a  dans  l'organisme  des  forces,  des 
énergies  qui  s'opposent,  et  qui,  pour  cette  raison,  méritent  d'être  appelées  antagonistes. 
Ces  énergies  ainsi  opposées  les  unes  aux  autres  sont  représentées  tout  d'abord  par  des 
muscles,  et  c'est  sous  cette  forme  qu  on  se  figure  le  plus  communément  l'antagonisme 
physiologique.  Pourtant  dans  l'organisme  non  seulement  les  énergies  peuvent  s'opposer;  mais 
aussi  les  excitations;  non  seulement  il  y  a  des  muscles;  mais  des  éléments  nerveux  antago- 
nistes, et  c'est  cet  antagonisme  nerveux  qui  constitue  une  des  formes  les  plus  connues 
d'inhibition. 

Avec  ces  données  nous  pouvons  maintenant  aborder  un  autre  côté  de  la  question, 
celui-là  tout  à  la  fois  physiologique  et  médical,  celui  de  l'action  dite  également  antago- 
niste de  certaines  substances  toxic/ues  ou  médicamenteuses.  Les  faits  qui  ressortiront  à 
cet  ordre  d'idées  sont  également  nombreux  et  divers,  et  ils  justifient  très  inégalement  la 
désignation  générale  sous  laquelle  on  les  comprend.  Il  faut  les  examiner  méthodique- 
ment par  groupements  homologues. 

Poisons  antagonistes.  —  Commençons  par  un  exemple  bien  connu  :  une  certaine 
quantité  d'un  sel  de  strychnine,  un  centigramme  environ,  est  injecté  dans  le  tissu  cellu- 
laire d'un  chien  :  au  bout  d'un  moment  des  convulsions  éclatent  dans  tous  ses  muscles  ; 
ces  convulsions  arrivent  par  crises  qui,  après  un  moment  de  durée,  cessent  pour  recom- 
mencer à  la  moindre  excitation.  Si,  avant  que  ces  crises  aient  déterminé  chez  l'animal 
un  état  d'asphyxie  suffisant  pour  produire  la  mort,  on  injecte  également  dans  le  tissu 
cellulaire  cinq  centigrammes  de  curare,  on  voit  bientôt  les  convulsions  cesser,  devenir 
impossibles,  et  non  seulement  les  mouvements  convulsifs,  mais  tout  effort  musculaire 
(volontaire),  disparaît  chez  l'animal.  On  en  voudra  conclure  que  le  curare  est  une  sub- 
stance antagoniste  de  la  strychnine,  on  se  trompera;  et  cette  erreur  provient  de  l'oubli 
d'un  précepte  que  le  physiologiste  doit  avoir  toujours  présent  à  l'esprit  :  à  savoir  que 


572  ANTAGONISME. 

ce  n'est  pas  l'organisme  considéré  dans  son  entier  qui  réagit  sous  l'influence  d'un 
poison,  mais  seulement  un  de  ses  éléments  en  particulier,  et  que  cet  élément  est  variable 
pour  chaque  poison.  La  strychnine  excite  la  moelle  (elle  agit  dans  tous  les  cas  comme 
si  elle  l'excitait),  le  curare  paralyse  les  nerfs  moteurs,  son  intervention,  en  réalité,  ne 
supprime  pas  l'action  de  la  strychnine,  mais  elle  en  rend  impossibles  les  manifestations 
extérieures,  c'est  comme  si  on  avait  coupé  tous  les  nerfs  moteurs.  Il  n'y  a  là  d'antago- 
nisme en  aucune  façon. 

Cela  est  si  vrai  que,  si,  après  la  suppression  des  convulsions  par  le  curare,  on  essaye 
de  les  faire  renaître  en  donnant  une  dose  nouvelle  de  strychnine,  on  n'y  réussit  pas.  La 
paralysie  curarique,  tant  qu'elle  dure,  a  masqué  pour  toujours  les  eiïets  du  strychnisme 
en  rendant  toute  réaclion  motrice  impossible. 

Pour  qu'il  y  ait  réellement  antagonisme,  il  faut  que  cet  antagonisme  soit  hilatéial, 
réversible;  il  faut  que  dans  une  certaine  mesure  les  eiïets  de  deux  poisons  soient 
capables  de  se  substituer  l'un  à  l'autre  un  certain  nombre  de  fois.  En  fait,  il  y  a  des 
substances  qui  agissent  ainsi.  Il  faut  surtout  en  citer  deux  qui  ont  été  particulièrement 
étudiées  à  ce  point  de  vue  :  l'atropine  et  la  pilocarpine.  Un  certain  nombre  de  travaux 
ont  été  faits  également  sur  l'antagonisme  de  l'atropine  et  de  la  muscarine.  Plus  loin, 
nous  en  citerons  plusieurs  autres.  Exposons  d'abord  les  faits  qui  ont  servi  de  point  de 
départ  et  de  base  à  la  discussion. 

Sur  un  cœur  de  grenouille  mis  à  nu  on  dépose  une  petite  quantité  de  muscarine, 
assez  pour  ralentir  ou  arrêter  un  certain  temps  ses  battements  sous  l'influence  de 
l'atropine,  on  voit  ces  battements  renaître;  mais,  si  on  fait  intervenir  de  nouveau  la 
muscarine  à  dose  un  peu  forte,  le  cœur  de  nouveau  s'arrête  (Schmiedeberg).  Ce  n'est  donc 
pas  seulement  l'un  des  poisons  qui  masque  l'autre,  il  y  a  retour  de  la  fonction  après 
suppression  de  celle-ci,  quand  on  lait  intervenir  à  nouveau  l'agent  du  début. 

On  instille  dans  l'ceil  une  solution  d'un  sel  de  pilocarpine  :  un  certain  degré  de 
constriction  de  la  pupille  en  est  la  conséquence.  Cet  efl'et  produit,  on  instille  une 
solution  du  sel  d'atropine,  il  y  a  dilatation.  En  instillant  de  nouveau  la  pilocarpine  on 
produira  de  nouveau  la  conslriction.  qui  fera  une  seconde  fois  place  à  la  dilatation  sous 
l'influence  d'une  nouvelle  dose  d'atropine. 

Ces  substitutions  d'action  dans  les  cas  qui  précèdent  s'obtiennent  plutôt  par  tâton- 
nement que  par  des  doses  véritablement  déterminées  d'avance.  On  peut  donner  d'autres 
exemples  avec  chiffres  à  l'appui. 

Chez  le  chat  (animal  favorable  aux  expériences  sur  la  sudation),  on  produit  une  su- 
dation généralisée  par  l'injection  de  Osr,01  de  chlorhydrate  de  pilocarpine.  Cette  sudation 
est  arrêtée  par  l'injection  de  Os^OOl  à  0S"-,00.3  de  sulfate  d'atropine.  Si  de  nouveau  on 
injecte  sous  la  peauOs%01  de  pilocarpine, il  y  a  réapparition  de  lasueur;  mais  seulement 
localement  dans  le  membre  correspondant  à  l'injection  (Luchsinger). 

On  peut  faire  chez  l'homme  des  constatations  du  même  genre  à  l'aide  de  diverses 
méthodes.  La  grande  extension  chez  lui  du  système  sudoripare  l'indique  pour  ainsi  dire 
de  préférence  pour  l'étude  des  doses  des  substances  susceptibles  de  s'opposer  deux  à 
deux  dans  le  fonctionnement  de  ces  glandes. 

Straus  a  observé  que  une  à  deux  gouttes  d'eau  tenant  en  solution  0S'',001  à 
Osr.OOi  de  nitrate  de  pilocarpine  provoquent  une  sueur  purement  locale,  sans  phénomènes 
généraux.  C'est  bien  la  preuve  d'une  action  périphérique,  et  non  centrale,  delà  substance 
en  question. 

Le  même  auteur  a  vu  que,  sur  un  sujet  en  pleine  sueur  provoquée  par  la  pilocarpine, 
on  peut  obtenir  l'arrêt  local  de  la  sudation  avec  1  millième  de  milligramme  d'atropine, 
réaction  indiquant  une  sensibilité  plus  grande  même  que  celle  de  l'iris  qui  ne  se 
dilate  que  pour  des  doses  supérieures  à  celles-ci.  Il  a  vu  de  même  sur  un  homme  après 
avoir  injecté  sous  la  peau  0S'',002  de  sulfate  d'atropine,  puis  une  demi-lieure  après 
0E'',02  de  pilocarpine,  dans  une  autre  région,  qu'on  ne  provoque  ni  sueur  générale  ni 
salivation,  mais  seulement  une  sueur  locale. 

Les  mêmes  effets  d'opposition  peuvent  encore,  en  ce  qui  concerne  les  glandes  sudo- 
ripares,  être  constatés  par  la  méthode  d'.\oBERT  (de  Lyon i  à  l'aide  d'empreintes  prises 
sur  papiers  sensibilisés  (au  nitrate  d'argent  ou  protonitrate  de  mercure)  et  sur  lesquels 
viennent  réagir  les  acides  de  la  sueur  à  l'orifice  de  chaque  glande.  A  cette  méthode. 


ANTAGONISME.  573 

AuBERT  en  a  joint  une  autre,  plus  récemment,  qui  consiste  à  faire  pénétrer  les  sub- 
stances actives  par  l'action  d'un  courant  électrique  ,  la  pénétration  des  substances  se 
fait  suivant  le  sens  qu'on  attribue  d'ordinaire  au  courant.  Par  ces  moyens  combinés 
l'auteur  a  pu  apprécier  et  mesurer  l'action  cataphorique  ou  anlisudorale  d'un  grand 
nombre  de  substances. 

L'explication  de  ces  faits  est  dans  l'analyse  détaillée  de  l'action  élémentaire  de 
chacun  des  deux  poisons.  Examinons-les  séparément.  L'atropine  dilate  la  pupille, 
sèche  les  glandes,  accélère  le  cœur,  immobilise  l'estomac,  les  réservoirs  des  sécré- 
tions, etc.  Comment  influence-t-elle  tous  ces  organes?  —  Par  leurs  nerfs  et  seulement 
par  eux.  Elle  paralyse  l'oculo-moteur  commun,  tant  au  point  de  vue  de  la  pupille  qu'au 
jioint  de  vue  de  l'accommodation  ;  elle  paralyse  les  nerfs  sécréteurs,  ou  tout  au  moins 
beaucoup  d'entre  eux,  d'une  façon  très  complète;  elle  paralyse  les  filets  du  vague  qui 
commandent  les  mouvements  de  l'estomac;  elle  agit  en  un  nrot  sur  tous  ces  nerfs, 
comme  le  curare  agit  sur  les  nerfs  moteurs  ordinaires,  et  il  est  facile  d'en  donner  la 
preuve  par  les  mêmes  moyens  qui  consistent  à  découvrir  ces  troncs  nerveux  et  à  porter 
sur  eux  l'excitant  électrique  pour  voir  s'ils  réagissent  comme  avant  :  on  constate  que 
leur  excitabilité  a  plus  ou  moins  diminué  ou  disparu,  la  réaction  est  nulle  ou  insigni- 
fiante. Cette  inexcitabilité  des  nerfs  nous  explique  très  bien  l'inertie  fonctionnelle  des 
organes  auxquels  ils  commandent,  au  même  titre  que  celle  des  nerfs  moteurs  nous 
explique  celle  des  muscles  dans  l'empoisonnement  curarique.  Seule  Faction  sur  le  cœur 
(en  apparence  excitatrice)  détonne  quelque  peu  au  milieu  de  tous  ces  organes  condamnés  à 
l'inaction,  en  ce  sens  que  son  mouvement  à  lui  est  au  contraire  augmenté  et  pourtant 
cette  accélération  des  battements  cardiaques  est  aussi  l'effet  d'une  paralysie,  car  cette 
paralysie  est  celle  de  ses  nerfs  inhibiteurs,  les  pneumogastriques,  de  sorte  que,  privé  de 
son  frein  habituel,  le  cœur  est  livré  sans  contrepoids  aux  excitations  provocatrices  de  ses 
nerfs  accélérateurs  et  précipite  ses  mouvements. 

La  comparaison  de  l'atropine  avec  le  curare  est  juste  à  plus  d'un  point  de  vue  ;  il  y  a 
une  sorte  de  parallèle  à  dresser  entre  les  actions  de  ces  deux  substances.  Le  curare 
paralyse  les  nerfs  centrifuges  moteurs  de  la  vie  de  relation,  il  prend  secondairement 
les  nerfs  moteurs  ganglionnaires.  L'atropine  paralyse  les  nerfs  centrifuges  moteurs  gan- 
glioiniaires  ou  de  la  vie  végétative,  et  secondairement  les  nerfs  moteurs  de  la  vie  de  rela- 
tion. —  Le  curare  parait  s'adresser  de  préférence  au  segment  nerveux  infra-ganglionnaire 
directement  en  rapport  avec  le  muscle  ;  l'atropine  paraît  limiter  son  action  à  des  segments 
supra-ganglionnaires,  à  des  fibres  intercentrales  qui  ont  leurs  terminaisons  dans  des 
masses  ganglionnaires  à  la  vérité  très  rapprochées  des  organes  eux-mêmes  (muscles  ou 
glandes),  quand  il  s'agit  des  nerfs  de  la  vie  végétative.  —  Le  curare  paralyse  les  nerfs 
moteurs  par  la  périphérie,  l'atropine  fait  exactement  de  même,  et  atteint  toujours  la 
libre  nerveuse  surlaquelle  elle  agit  par  son  extrémité  le  plus  près  de  la  périphérie. 

La  piloearpine,  à  des  doses  différentes,  généralement  beaucoup  plus  fortes,  agit  sur 
les  mêmes  organes  que  l'atropine  et  trouble  les  mêmes  fonctions,  mais  en  sens  inverse. 
Elle  resserre  la  pupille,  fait  sécréter  les  glandes,  active  le  mouvement  de  l'estomac  et 
de  l'intestin,  ralentit  ou  arrête  le  cœur.  Par  quel  mécanisme  produit-elle  des  effets 
aussi  diamétralement  opposés?  C'est  encore  par  l'intermédiaire  de  nerfs  et  en  les  para- 
lysant. Ces  nerfs  bien  évidemment  sont  antagonistes  de  ceux  que  l'atropine  paralyse  de 
son  côté.  On  peut  en  elfet  fournir  la  preuve  qu'il  en  est  ainsi,  au  moins  pour  quelques 
organes.  La  piloearpine  paralyse  les  éléments  inhibiteurs  que  le  S3'mpathique  cervical  four- 
nit pour  la  pupille  et  le  muscle  ciliaire;  elle  paralyse  les  inhibiteurs  de  l'estomac  et  de 
l'intestin;  elle  paralyse  d'autre  part  les  accélprateurs  du  cœur,  ce  qui  entraine  la  dimi- 
nution de  son  mouvement.  La  preuve  n'a  pu  encore  être  faite  pour  les  glandes,  eu  rai- 
son des  difficultés  particulières  que  rencontre  l'étude  de  leurs  éléments  nerveux  inhibi- 
teurs; mais  il  n'y  a  guère  à  supposer  qu'il  en  puisse  être  autrement. 

La  piloearpine  est  donc,  elle  aussi,  un  curare.  Entre  le  curare  et  elle  nous  établirions 
le  même  parallèle  qu'avec  l'atropine,  à  la  seule  condition  d'inverser  la  fonction  des  élé- 
ments nerveux  auxquels  elle  s'adresse. 

Ces  faits  nous  amènent  à  une  conclusion  qui  a  son  importance.  En  réalité  il  y  a  bien 
un  antagonisme  représenté  par  des  forces  opposées  deux  à  deux  et  se  contrebalançant  assez 
efficacement,  assez  rigoureusement  même,  pour  que  l'on  puisse  avec  facilité  donner  la 


574.  ANTAGONISME. 

prédominance  à  l'une  ou  à  l'autre  à  volonté,  en  forçant  quelque  peu  la  dose  tantôt  de 
l'atropine,  tantôt  de  la  pilocarpine.  Mais  cet  antagonisme  en  réalité  n'es<  pas  entre  les  sub- 
stancea  elles-mêmes  :  il  est  entre  les  deux  portions  du  système  nerveux  moteur,  l'une,  à  propre- 
ment parler,  motrice.  Vautre  inhibitrice,  qui  s'opposent  ainsi  leurs  énergies  tant  dans  le 
système  nerveux  de  la  vie  de  relation  que  dans  le  système  ganglionnaire.  C'est  cette 
opposition  que  nous  avons  tout  d'abord  étudiée  avec  détail  au  début  de  cet  article.  C'est 
elle  qui  nous  rend  compte  de  l'antagonisme  de  ces  substances  qu'aucune  action  chi- 
mique ne  peut  expliquer. 

L'inversion  si  nette  et  si  constante  des  effets  produits  par  les  deux  substances  semble 
indiquer  une  action  absolument  spécifique  de  chacune  d'elles,  tantôt  sur  l'une,  tantôt  sur 
l'autre  des  deux  espèces  de  nerfs,  comme  si  les  uns  étaient  complètement?épargnés  par 
l'atropine  et  les  autres  par  la  pilocarpine.  En  réalité  il  n'en  est  pas  tout  à  fait  ainsi,  et, 
s'il  en  étaitainsi,  on  ne  s'expliquerait  pas  bien  comment  l'atropine,  par  exemple,  porte  son 
action  sur  le  système  excitateur  quand  il  s'agit  de  la  pupille,  des  glandes  ou  de  l'estomac 
et  au  contraire  sur  le  système  d'arrêt  quand  il  s'agit  du  cœur.  C'est  même  là  une  diffi- 
culté que  l'on  n'est  pas  en  mesure  de  lever  entièrement  dans  fétat  actuel  de  la  science; 
mais  elle  apparaît  moins  grande  quand  on  tient  compte  des  faits  qui  suivent. 

Soit  l'une  soit  l'autre  des  deux  substances  porte  son  action  sur  l'une  ou  sur  l'autre  des 
deux  catégories  de  nerfs,  mais  cette  action  n'est  pas  exclusive;  elle  est  seulement  prédo- 
minante sur  l'une  des  deux,  et,  suivant  les  cas  pour  une  même  substance.  Ceci  est  très 
facile  à  vérifier  à  l'égard  des  nerfs  du  cœur.  La  pilocarpine  paralyse  les  nerfs  accéléra- 
teurs, d'où  prédominance  d'action  des  modérateurs,  et  tendance  à  l'arrêt,  mais,  pour  peu 
que  la  dose  ait  été  un  peu  exagérée,  quand  elle  dépasse  5  centigrammes  pour  un 
chien  de  10  kilogrammes,  en  injection  dans  les  veines,  on  trouve  le  pneumogastrique 
moins  excitable,  parfois  même  complètement  paralysé  dans  les  premiers  instants  qui 
suivent  l'administration  du  poison.  On  avait  signalé  déjà  l'inexcitabilité  de  ce  nerf 
dans  le  cas  d'empoisonnement  par  la  muscarine  (Schmiedeberg),  poison  dont  les  effets 
sont  très  semblables  à  ceux  de  la  pilocarpine,  mais  plus  accusés.  Cette  inexcitabilité  du 
nerf  inhibiteur  du  cœur  produite  par  un  agent  toxique  qui  lui-même  ralentit  le  cœur  a 
par  elle-même  quelque  chose  de  contradictoire  et  qui  dans  tous  les  cas  ne  nous  rend 
pas  compte  de  l'action  ralentissante  de  cet  agent.  Elle  ne  se  comprend  que  si  elle  ne 
constitue  qu'un  des  phénomènes  en  quelque  sorte  accessoires  de  l'intoxication,  et  c'est  bien 
ce  qui  est,  p  uisque  en  réalité  cette  inexcitabilité  est  seulement  relative  et  moindre  en 
somme  que  celle  du  système  antagoniste  représenté  par  les  accélérateurs.  Une  con- 
statation du  même  genre  et  aboutissant  à  la  même  conclusion  peut  être  faite  également 
pour  l'atropine  :  cette  substance  qui,  même|à  faible  dose,  paralyse  les  inhibiteurs  du  cœur, 
ne  limite  pas  son  action  sur  eux  seuls  à  l'exclusion  des  accélérateurs.  Ces  derniers  sont 
également  atteints  par  elle.  Si  on  donne  l'atropine  ou  la  belladone  à  dose  massive,  le  cœur 
finit  par  se  ralentir,  au  lieu  de  s'accélérer  (Meumot).  11  est  des  animaux,  comme  la  gre- 
nouille, chez  lesquels  le  ralentissement  est  le  seul  effet  constatable,  quelle  que  soit  la  dose. 
Ces  faits  ne  sont  pas  difficiles  à  constater,  rien  de  plus  simple  que  de  vérifier  l'état  de 
l'excitabilité  d'un  nerf,  quand  ce  nerf  a  été  préalablement  mis  à  nu  pour  le  soumettre 
commodément  à  des  excitations  électriques  convenablement  graduées,  pendant  les  diffé- 
rentes phases  de  l'empoisonnement  :  ils  concordent  du  reste  avec  des  faits  déjà  connus 
antérieurement,  et  surtout  avec  cette  observation  faite  par  tous  les  auteurs  qui  se  sont 
occupés  d'antagonisme  et  d'antidotisme,  à  savoir  que  l'effet  réversible  est  toujours  com- 
pris entre  des  limites  assez  étroites,  et  que,  une  fois  ces  limites  franchies,  les  deux  sub- 
stances, réputées  antagonistes,  travaillent  conjointement  dans  le  sens  d'une  abolition  plus 
ou  moins  complète  de  la  fonction,  finissant  par  entraîner  la  mort.  Tous  ont  exprimé 
déjà  plus  ou  moins  cette  opinion  que  l'antagonisme  n'est  pas  entre  les  substances  elles- 
mêmes,  auquel  cas  cet  antagonisme  devrait  être  illimité,  comme  celui,  par  exemple,  qui 
existe  entre  l'acide  sulfurique  et  la  soude  pour  produire,  à  volonté  et  dans  les  limites 
qu'on  désire,  alternativement  l'acidité  et  l'alcalinité  d'une  solution.  Seulement,  pour 
transporter  cet  antagonisme  aux  pièces  mêmes  qui  composent  la  partie  motrice  du 
système  nerveux,  il  leur  manquait  la  connaissance  de  faits  qui  nous  obligent  maintenant 
à  considérer  ce  système  comme  double  et  muni  d'autant  d'éléments  inhibiteurs  qu'il 
contient  d'éléments  excitateurs  du  mouvement.  Les  exemples  d'abord  [isolés  d'appareils 


ANTAGONISME.  575 

nerveux  construits  sur  ce  type  se  sont  peu  à  peu  multipliés;  à  l'iieure  qu'il  est  beaucoup 
de  physiologistes  n'hésitent  plus  à  généraliser  cette  conception  dualiste  à  toute  la  partie 
du  système  nerveux  qui  tient  dans  sa  dépendance  le  mouvement  des  organes,  quelle  que 
soit  la  nature  de  ce  mouvement.  Mes  recherches  personnelles  sur  l'antagonisme  des 
poisons  ont  consisté  surtout  à  vérifier  ce  schéma  et  à  l'appliquer  aux  différentes  fonctions 
en  étudiant  les  modifications  de  l'excitabilité  imprimées  dans  chaque  cas  par  chaque 
poison  aux  deux  éléments  constituants  opposés  du  système  nerveux. 

Cette  théorie  de  l'antagonisme  (car,  quelque  désir  qu'on  ait  de  rester  sur  le  terrain 
des  faits,  il  est  impossible  de  ne  point  relier  ceux-ci  entre  eux  par  quelque  caractère 
d'un  ordre  un  peu  général),  cette  théorie,  dis-je,  ditîère  de  celle  qu'on  s'était  faite  jusqu'à 
présent  et  qu'on  trouve  exprimée  dans  les  ouvrages  antérieurs  sur  celte  question,  à  peu 
près  sous  la  forme  qui  suit  :  l'antagonisme  de  l'atropine,  de  la  pilocarpine  (ou  de 
toutes  substances  qui,  considérées  deux  par  deux,  se  comportent  comme  ces  deux  poi- 
sons), n'étant  pas  entre  ces  substances  elles-mêmes,  on  expliquerait  leur  elïet  opposé  en 
admettant  qu'elles  agissent  d'une  façon  élective  sur  certains  éléments  nerveu.t  ;  l'une  en 
paralysant  ces  éléments,  les  autres  en  les  excitant,  et  cela  plus  ou  moins  suivant  les  doses 
employées  :  une  variante  de  cette  opinion  consiste  à  transporter  le  siège  de  l'action 
toxique  du  nerf  à  son  organe  terminal,  glande,  muscle,  etc.  Les  preuves  de  l'action 
paralysante  sont  tirées  soit  de  la  cessation  delà  fonction,  soit  de  l'impossibilité  constatée 
de  la  réveiller  par  l'intervention  des  excitants  appliqués  sur  le  nerf  paralysé  :  il  y  a  non 
seulement  paralysie,  mais  perte  momentanée  de  l'excitabilité.  Les  preuves  de  l'action 
excitante  antagoniste  sont  tirées  du  réveil  de  la  fonction  obtenu  par  l'action  du  poison 
antagoniste,  et  même,  dans  certains  cas,  de  la  restitution  par  cet  agent  au  nerf  paralysé 
de  tout  ou  partie  de  son  excitabilité  première.  Heidenhain  a  publié  des  faits  de  ce  genre, 
dans  lesquels  il  voyait  la  corde  tympanique,  nerf  sécréteur  de  la  glande  sous-maxillaire, 
préalablement  paralysée  et  privée  d'excitabilité  par  une  dose  limite  d'atropine,  récupérer 
.  son  excitabilité  et  sa  fonction  sécrétoire  sous  l'action  d'une  forte  dose  d'ésérine  injectée 
'  directement  par  les  vaisseaux  de  la  glande. 

Les  faits  sur  lesquels  on  s'est  appuyé  pour  admettre  cette  restauration  de  l'exci- 
tabilité d'un  nerf  par  un  poison  à  action  inverse  de  celui  qui  l'avait  détruite  paraissent, 
au  premier  abord,  contradictoires  de  ceux  que  j'ai  exposés  ci-dessus  et  inconciliables 
avec  eux.  Il  n'y  a  pas  à  les  nier  pourtant,  il  n'y  a  pas  à  supposer  qu'aucune  cause 
d'erreur  se  soit  glissée  dans  l'expérience  :  il  n'y  a  pas  même  à  arguer  de  la 
difficulté  que  d'autres  expérimentateurs  ont  éprouvée  à  les  reproduire  dans  toutes 
leurs  circonstances;  cette  difficulté  est  inhérente  à  toute  expérience  dans  laquelle  on  se 
propose  de  démontrer  la  réversibilité  de  l'antagonisne  de  deux  substances  données. 
Elle  tient,  comme  je  l'ai  dit,  à  l'étroitesse  notable  des  limites  dans  lesquelles  ces  faits 
sont  observables  et  qui  s'explique  justement  parles  considérations  que  j'ai  déjà  invo- 
quées. L'apparente  contradiction  tient  simplement  à  ceci  :  le  mot  excitabilité  est  une 
expression  qui,  dans  le  langage  physiologique,  désigne  non  pas  précisément  une  pro- 
priété, mais  la  résultante  d'un  ensemble  de  phénomènes,  de  mouvements,  de  réac- 
tions, voire  de  propriétés  diverses,  dont  nous  n'envisageons  souvent  que  l'effet  fruste,  la 
traduction  extérieure  totalisée,  la  somme  algébrique,  si  on  peut  ainsi  parler,  sans  entrer 
dans  leur  analyse  et  leur  détail;  un  exemple  pris  en  dehors  de  la  physiologie  fera 
comprendre  ma  pensée.  Une  force  électromotrice  donnée  produit  un  effet  moteur  donné, 
cet  effet  moteur  peut  être  augmenté,  non  seulement  sans  que  la  force  ait  été  accrue, 
mais,  même  alors  qu'elle  aurait  été  diminuée,  si,  par  exemple,  on  a  diminué  dans  une 
proportion  plus  forte  encore  une  résistance  antagoniste,  une  force  contre-électromotrice, 
comme  celle  qui  constitue  la  résistance  au  courant  dans  les  fils  de  transmission  de 
celui-ci.  C'est  quelque  chose  de  ce  genre  (autant  que  cette  comparaison  est  admissible) 
qui  se  produit  dans  l'expérience  que  j'ai  en  vue.  L'augmentation  d'excitabilité  du  nerf 
tympanique  due  à  l'intervention  de  l'ésérine  n'est  qu'apparente  ;  elle  est  due  sans  aucun 
doute  à  la  résistance  moindre  qu'éprouve  l'excitation  de  ce  nerf  à  se  transmettre  à  la 
glande  en  raison  de  la  diminution  de  l'excitabilité  du  système  antagoniste.  Il  est  en 
tous  cas  impossible  d'éliminer  purement  et  simplement  cette  explication,  si  on  songe  aux 
-  faits  d'expérience,  si  probants  et  si  faciles  à  reproduire,  danslesquelson  voit  ce  même  agent, 
i'ésérine,  produire  la  paralysie,  la  perte  d'excitabilité  de  nerfs  tout  à  fait  semblables. 


576  ANTAGONISME. 

L'hypothèse  d'une  augmentation,  non  pas  seulement  relative,  mais  absolue,  de 
l'excitabilité  a  contre  elle  à  peu  près  tous  les  faits.  Elle  ne  peut  s'admettre  qu'en 
la  doublant  d'autres  hypothèses  qu'il  suffit  d'énoncer  pour  en  faire  saisir  l'invraisem- 
blance :  il  faut  accepter  en  effet  pour  la  rendre  valable  que  la  même  substance,  tantôt 
excite,  et  tantôt  paralyse.  Enfin,  quand  il  s'agit  du  cœur,  nous  voyons  trop  bien  que 
l'exagération  de  son  mouvement  est  due  à  la  paralysie  de  ses  inhibiteurs  et  non  pas 
à  l'excitation  de  ses  éléments  moteurs.  Sans  doute,  l'explication  complète  des  faits 
d'antagonisme  tels  que  ceux  existant  entre  l'atropine  et  la  pilocarpine  présente  encore 
des  obscurités,  et,  loin  de  les  dissimuler,  il  faut  au  contraire  les  faire  ressortir.  Prenons 
encore  une  fois  l'exemple  du  cœur  qui  se  prête  mieux  à  l'analyse.  Lorsqu'on  injecte 
dans  le  sang  une  dose  un  peu  plus  forte  de  pilocarpine,  nous  savons  ce  qui  arrive  :  le 
cœur  se  ralentit  considérablement;  si  les  accélérateurs  ont  été  préalablement  découverts 
et  qu'on  les  excite,  on  les  trouve  tout  à  fait  paralysés;  si  on  excite  les  vagues,  ils  sont 
paralysés,  eux  aussi.  Si  la  paralysie  des  deux  systèmes  est  poussée  à  ce  point,  commentse 
fait-il  que  le  cœur  ne  s'arrête  pas  tout  à  fait?  Comment  peut-il  continuer  à  battre  même 
avec  un  rythme  extrêmement  ralenti?  Je  ne  vois  guère  qu'une  explication  à  donner  de  ce 
fait.  Nous  savons  que  le  cœur,  môme  privé  de  toute  son  innervation  extrinsèque,  complète^ 
ment  séparé  des  centres  bulbo-médullaires,  détaché  même  par  une  solution  de  continuité 
complète  de  l'organisme  auquel  il  appartenait,  continue  de  battre;  ce  qui  implique  la 
conservation,  non  seulement  de  son  excitabilité,  mais  encore  d'une  source  d'excitation 
régulière,  et  cette  source,  ou,  pour  mieux  dire,  celte  provision  d'excitation,  réside  dans 
des  ganglions  qu'il  contient  à  sa  base.  Nous  savons  encore  que  ces  ganglions,  consi- 
dérés au  point  de  vue  de  leurs  fonctions  propres,  se  répartissent  en  deux  groupements  : 
les  uns,  centres  moteurs  proprement  dits  (ganglions  de  Bidder  et  de  Ludwig)  situés 
dans  les  cloisons  inter-auriculaire  et  auriculo-ventriculaire;  les  autres,  centre  d'arrêt 
(ganglion  de  Resiack),  situés  au  milieu  du  sinus  de  la  veine-cave  et  de  l'oreillette, 
de  telle  sorte  que  le  cœur  isolé  se  trouve  encore  soumis  à  deux  influences  contraires, 
l'une  excitatrice,  l'autre  inhibitrice,  antagonistes  l'une  et  l'autre.  En  d'autres  mots, 
nous  distinguons  pour  le  cœur,  comme  pour  un  grand  nombre  d'organes  analogues, 
comme  vraisemblablement  pour  tous  les  organes  moteurs,  une  double  innervation  : 
l'une  provocatrice,  et  l'autre  frénatrice  ;  mais  dans  un  autre  sens  l'innervation  du  cœur 
considérée  analomiquement  se  repartage  entre  les  deux  groupements  marqués  par  la 
présence  de  centres  ou  de  ganglions  sur  le  trajet  des  conducteurs;  l'un  de  ces  groupe- 
ments, celui  qui  reste  adhérent  au  cœur  quand  on  l'enlève,  représente  ce  qu'on  appelle 
l'innervation  intrinsèque  de  cet  organe,  et  l'autre,  celui  qui  s'étend  du  myélaxe  aux  gan- 
glions cardiaqui^s,  son  innervation  extrinsèque.  11  me  paraît  vraisemblable  d'admettre 
que  l'action  du  poison  antagoniste  que  nous  étudions  se  fait  sentir  de  préférence  sur 
cette  dernière,  tandis  qu'elle  ménage  relativement  la  première.  Il  faut  môme  qu'il  en  soit 
ainsi  pour  que,  dans  l'empoisonnement  par  la  pilocarpine  poussé  un  peu  loin,  le  cœur 
continue  de  battre,  alors  que  nous  trouvons  les  nerfs  extrinsèques  absolument  réfrac- 
taires  à  l'excitation.  Il  nous  reste  à  faire  l'hypothèse,  assurément  plausible,  que  les 
organes  nerveux  intrinsèques,  atteints  à  un  moindre  degré,  mais  atteints  cependant,  par 
l'empoisonnement,  subissent  ces  effets  dans  le  même  ordre  que  les  nerfs  extrinsèques, 
et  alors  nous  pouvons  nous  représenter  d'une  façon  suffisamment  claire  tout  ce  qui 
a  trait  à  l'action  antagoniste  des  deux  substances  considérées. 

J'ai  pris  pour  types  de  substances  antagonistes  l'atropine  et  la  pilocarpine,  parce  que, 
au  point  de  vue  particulier  de  l'opposition  qu'ils  présentent  dans  leurs  eiîets,  ce  sont 
les  deux  poisons  les  plus  étudiés  ;  mais  chacune  de  ces  deux  substances  a  des  succédanées 
qui  peuvent  se  substituer  à  elle-même  vis-à-vis  de  l'autre,  et  réciproquement,  ce  qui,  par 
un  calcul  simple  à  faire,  multiplie  beaucoup  ces  actions  dites  antagonistes.  Il  n'est  besoin 
que  d'en  citer  quelques-unes. 

L'atropine  peut  être  remplacée  par  la  duboisine  dont  les  effets  sont  à  peu  près  sem- 
blables. L'hyosciamine  et  la  daturine  agissent  dans  leur  ensemble  également  dans  le 
même  sens,  ce  sont  là  des  poisons  appartenant  incontestablement  à  un  même  groupe 
physiologique  :  dans  un  groupe  opposé  nous  placerons  eu  regard,  à  côté  de  la  pilocar- 
pine, la  muscarine  et  l'ésérine  dont  les  efiets  sont  assez  semblables  d'une  de  ces  sub- 
stances à  l'autre,  mais  qui  sont  loin  d'être  identiques,  qu'on  les  apprécie  quantitativement 


ANTAGONISME.  o77 

et  même  qualitativement.  L'ésérine,  par  exemple,  pour  le  dire  en  passant,  appliquée  loca- 
lement sur  la  peau,  ne  produit  pas  la  sudation  (Aubert).  Chacune  des  substances  de  l'un 
des  deux  groupes,  prise  individuellement,  s'oppose  à  chacune  de  celles  de  l'autre  groupe, 
et  réciproquement. 

Ce  sont  là  les  exemples  les  plus  marqués,  les  plus  incontestables,  de  cet  antagonisme 
que  n'ous  qualifions  de  réel,  de  bilatéral,  de  réversible.  On  en  pourra  produire  d'autres,  à 
mesure  qu'on  définira  d'une  façon  plus  précise  l'action  élémentaire  des  substances, 
réputées  toxiques,  actuellement  connues  ou  encore  à  connaître.  A  la  suite  de  ces  types 
si  bien  définis  nous  en  trouverions  d'autres,  beaucoup  plus  incomplets,  ne  s'opposant  entre 
eux  que  par  certains  de  leurs  elfets,  et  cela  encore  dans  une  mesure  plus  ou  moins  res- 
treinte. La  désignation  sous  forme  de  nomenclature  dos  substances  qui,  à  un  litre  quel- 
conque, ont  été  réputées  antagonistes,  ne  présente  par  elle-même  aucun  intérêt,  et  cela 
pour  la  raison  que  j'ai  déjà  indiquée  :  il  ne  faut  pas  accepter  cette  notion  d'opposition 
d'une  façon  fruste,  mais  au  contraire  chercher  à  l'expliquer  à  la  lumière  des  faits  qui 
ont  été  rappelés  plus  haut,  et  l'on  verra  alors  qu'il  y  a  peu  de  substances  qui  ne 
méritent  d'être  considérées,  à  quelque  point  de  vue  et  dans  de  certaines  limites,  comme 
antagonistes  de  certaines  autres.  A  cet  égard  on  peut,  je  crois,  poser  la  loi  suivante  :  en 
dehors  des  substances  qui  sont  susceptibles  de  se  neutraliser  chimiquement  à  la  façon  des 
acides  et  des  alcalis,  l'effet  antagoniste  d'une  substance  à  l'égard  d'une  autre  est  déterminé 
et  mesuré  par  l'action  antagoniste  des  éléments  sur  lesquels  agissent  réciproquement  ces 
deux  substances. 

Les  nerfs  qui  vont  à  l'iris,  au  cœur,  à  l'estomac,  à  l'intestin,  à  la  vessie,  aux  glandes, 
autrement  dit  le  champ  nerveux  sur  lequel  agissent  les  substances  prises  comme  types 
de  poisons  antagonistes,  constituent  un  système  moteur  particulier,  celui  des  nerfs  gan- 
glionnaires, représenté  en  très  grande  partie  par  le  grand  sympathique  des  anatomistes  ; 
auquel  il  faut  adjoindre  quelques  formations  aberrantes,  telles  qu'une  partie  du  vague 
et  du  facial,  et  que  dans  son  ensemble  on  appelle  par  extension  le  système  sympathique,  du 
nom  de  sa  portion  à  la  fois  le  plus  considérable  et  la  mieux  caractérisée.  —  Ce  système 
n'est  pas  atteint  d'une  façon  égale  dans  toutes  ses  parties  par  les  poisons  sus-désignés; 
mais  dans  son  ensemble  il  est  atteint  assez  fortement,  avant  que  ces  poisons  fassent 
sentir  leurs  elfets  sur  d'autres  nerfs  moteurs  distincts  des  précédents,  les  nerfs  moteurs, 
dits  de  la  vie  de  relation.  —  11  ne  faudrait  pas  croire  pour  cela  que  ces  derniers  échappent 
à  l'empoisonnement;  ils  sont  pris  à  leur  tour,  il  est  vrai  dans  une  beaucoup  plus  faible 
mesure  ;  et,  ce  qui  est  intéressant,  l'action  antagoniste  des  deux  groupes  d'alcaloïdes  s'y 
observe  également. 

Les  cliniciens  ont  eu  maintes  fois  l'occasion  de  constater,  surtout  chez  les  enfants, 
le  délire,  l'état  d'excitation,  d'agitation  extrême,  les  convulsions,  et  même  la  fièvre,  qui 
accompagnent  l'empoisonnement  par  la  belladone.  Inversement  on  trouve  noté  dans 
les  observations  d'empoisonnement  par  le  jaborandi  ou  la  pilocarpine  un  ensemble  de 
phénomènes  qui  est  comme  la  contre-partie  du  précédent  et  qui  est  marqué  par  le 
collapsus  et  la  tendance  au  refroidissement.  —  Le  physiologiste  peut  réaliser  à  volonté 
ces  états  opposés  par  l'emploi  alternatif  des  deux  substances  :  il  peut  même,  en  raison 
de  la  résistance  plus  grande  des  nerfs  de  la  vie  de  relation  à  l'empoisonnement,  obser- 
ver ici  plus  facilement  la  bilatéralité  ou  la  réversibilité  des  effets.  On  peut,  en  graduant 
convenablement  les  doses,  faire  passer  plusieurs  fois  et  en  peu  de  temps  le  même  ani- 
mal par  les  différents  états  d'excitation  générale  et  de  dépression  qui  marquent  les 
effets  opposés  des  deux  poisons.  C'est  ce  qui  se  voit  surtout  très  bien  en  ce  qui 
concerne  la  respiration.  De  même  aussi  la  température  s'élève  par  l'atropine  et  s'abaisse 
par  la  pilocarpine;  la  glycémie  est  également  modifiée;  on  voit  la  proportion  de  sucre 
dans  le  sang  baisser  par  l'atropine  et  s'élever  parla  pilocarpine.  Avec  une  action  aussi 
générale  sur  les  nerfs,  il  n'est  pour  ainsi  dire  pas  de  fonction  qui  puisse  rester  complè- 
telnent  en  dehors  de  l'empoisonnement,  et  n'être  pas  atteinte,  au  moins  par  contre-coup. 
La  diminution  du  sucre  du  sang,  l'exagération  de  l'activité  musculaire,  l'accélération 
de  la  respiration,  la  suppression  de  la  sueur,  sont  autant  de  phénomènes  pour  ainsi  dire 
concordants,  et  qui  nous  expliquent,  chacun  pour  une  part,  l'élévation  de  la  tempé- 
rature qui  suit  l'administration  de  la  belladone  à  certaine  dose.  —  De  même  les  phé- 
nomènes inverses,  la  tendance  à  l'hyperglycémie,  la  dépression  musculaire,  le  ralentis- 

DICT.    DE    PHYSIOLOGIE.    —   TOME    I.  37 


578  ANTAGONISME. 

sèment  du  rythme  respiratoire,  les  sueurs  profuses,  nous  expliquent  par  leur  ensemble 
l'abaissement  tbermique  qui  suit  l'empoisonnement  par  la  pilocarpine  ou  le  jaborandi. 
Il  serait  sans  doute  exagéré  de  croire  qu'il  y  ait  dans  l'action  antagoniste  de  ces  deux 
substances  quelque  ordre  invariable,  et  tel  qu'à  l'égard  d'une  de  ces  grandes  fonctions 
d'ensemble  (Ihermogénèse,  glycémie)  l'action  de  chaque  substance  en  particulier  doive 
être  univoque  et  de  près  ou  de  loin  toujours  influencer  cette  fonction  de  la  même  ma- 
nière. En  réalité  l'élévation  thermique  dans  un  cas,  l'abaissement  dans  l'autre,  sont 
comme  une  résultante  générale  d'actions  particulières  qui  peuvent-être  assez  diverses  nu 
parfois  individuellement  contraires.  Le  résultat  est  comme  une  somme  algébrique,  dans 
laquelle  les  valeurs  positives  prédominent  dans  un  cas,  et  les  valeurs  ne'gatives  dans  l'autre. 

Conclusions  générales.  —  La  notion  d'antagonisme,  à  être  développée,  compor- 
terait encore  l'examen  de  nombre  de  questions,  et  finirait  par  se  confondre  avec  celle 
de  réaction,  dans  le  sens  où  nous  entendons  ce  mot  en  physiologie.  —  Les  fonctions, 
c'est-à-dire  l'ensemble  des  phénomènes  harmonisés  pour  l'entretien  de  la  vie,  ii'at- 
teignent  le  résultat  précis  pour  lequel  elles  existent  qu'à  la  condition  d'être  réglées, 
c'est-à-dire  d'être  maintenues  entre  certaines  limites;  il  n'est  pour  ainsi  dire  pas  un 
phénomène  de  l'organisme,  pas  une  seule  des  activités  diverses  manifestées  par  ses  élé- 
ments composants,  qui  ne  soit  aussi  maintenu  entre  des  limites  extrêmes  qu'il  fran- 
chirait aisément  si  la  condition  régulatrice  n'existait  pas.  Il  nous  faut  ajouter  :  ce 
sont  les  tendances  mêmes  de  ces  activités  à  sortir  de  leurs  limites  prescrites  qui  sont 
utilisées  en  vue  de  les  y  maintenir;  l'elfet  produit  devenant,  par  le  fait  d'un  méca- 
nisme préétabli,  ou  pour  mieux  dire  peu  à  peu  établi  par  le  développement,  cause  à  son 
tour  d'un  effet  inverse  ;  exemple  :  les  variations  de  la  température  extérieure  sont  em- 
ployées à  régler  la  température  des  animaux  (à  sang  chaud)  en  produisant  par  l'abaisse- 
ment extérieur  une  élévation  de  la  température  interne,  et  inversement.  Non  seulement 
la  température  règle  la  température,  mais  par  des  mécanismes  semblables  la  pression 
règle  la  pression;  la  respiration  règle  la  respiration;  l'état  chimique  du  sang  règle  cet 
état  chimique  lui-môme,  et  tous  ces  mécanismes  régulateurs  sont  à  peu  près  invariable- 
ment construits  sur  le  même  type;  pour  leur  donner  toute  la  sensibilité  voulue,  le  sys- 
tème nerveux  intervient  par  le  moyen  de  ces  actes  qu'on  appelle  réflexes,  consistant  en 
un  cycle  d'excitation  transmise  de  pièce  en  pièce  à  travers  l'organisme  et  par  lui,  en  vertu 
desquels  une  excitation  initiale  partie  du  milieu  extérieur  fait  retour  contre  ce  milieu 
extérieur.  Le  mot  sensibilité  même  n'est  pas  ici  une  métaphore  :  il  doit  être  pris  au 
pied  de  la  lettre.  C'est  à  cause  de  sa  plus  grande  escilabitité  ou  sensibilité  que  le  sys- 
tème nerveux  intervient  dans  ce  mécanisme,  qu'on  considère  comme  automatique,  mais 
qui  est  en  réalité  sensible,  et  qui  doit  à  sa  grande  excitabilité  sa  précision  extrême.  — 
Le  mot  réaction  a,  lui  aussi,  un  sens  profond  dont  il  faut  dégager  au  moins  une  des 
acceptions.  La  réaction,  c'est  l'activité  cellulaire  déchaînée  par  l'excitation,  activité  d'un 
organe  ou  d'un  ensemble  d'éléments,  activité  dont  1  intensité  est  réglée  dans  une  cer- 
taine mesure  par  l'excitation,  mais  dont  le  sens,  la  direction,  a  surtout  un  rapport  étroit 
avec  la  nature  de  cette  excitation  même. 

C'est  une  fois  de  plus  par  deux  séries  d'actions  nerveuses  parallèles  et  inverses  que 
s'opère  cette  régulation  des  fonctions.  Des  excitations  qui  arrivent  aux  centres  nerveux, 
les  unes  atteignent  des  centres  moteurs,  les  autres  des  centres  inhibiteurs,  et,  suivant  que 
les  unes  ou  les  autres  prédominent,  il  y  a  inhibition  ou  mouvement  des  parties;  d'après 
un  des  exemples  cités  un  peu  plus  haut,  le  froid  agit  comme  excitant  pour  produire  la 
chaleur  et  la  conserver  dans  l'organisme  ;  le  chaud  agit  diversement  pour  la  déperdre 
ou  l'absorber  sur  place,  afin  que  dans  les  deux  cas  la  température  centrale  reste  fixe 
sensiblement.  Tout  mécanisme  régulateur  suppose  un  antagonisme  préétabli  entre  deux 
influences  contraires,  desquelles  l'organisme  entend  rester  égalenj^ent  éloigné. 

Cette  étude  des  mécanismes  régulateurs  ou  réflexes,  protecteurs  et  conservateurs  de 
fonctions,  est  encore  tout  à  fait  à  son  début. 

Pour  beaucoup  de  fonctions,  ces  mécanismes  sont  vaguement  soupçonnés  plutôt 
qu'ils  ne  sont  réellement  connus.  On  entrevoit  cependant  que  dans  plus  d'un  cas  ils 
devront  peut-être  se  ramener  à  celui  que  nous  avons  longuement  étudié  en  décrivant 
les  effets  opposés  de  l'atropine  et  de  la  pilocarpine.  Parmi  les  déchets  de  l'organisme  il 
parait  exister  des  résidus  qui  sont  employés  à  un  tel  office;  ces  substances  agiraient  en 


ANTHROPOLOGIE.  579 

impressionnant  certains  systèmes  moteurs  particuliers  sur  lesquels  elles  ont  une  action 
élective  ou  prédominante.  Mieux  que  les  alcaloïdes  ci-dessus  dénommés,  qui  sont 
empruntés  aux  végétaux,  et  qui,  par  le  fait,  n'ont  pas  de  fonctions  proprement  dites  à 
remplir  dans  l'organisme  des  animaux,  ces  substances  sauraient  choisir  entre  les  nerfs 
moteurs  et  les  inhibiteurs,  peut-être  même  entre  les  moteurs  ou  les  inhibiteurs  de 
diverses  fonctions.  C'est  par  une  vue  de  ce  genre  que  Chauveau  et  Kaufmann  ont  tenté 
d'expliquer  l'action  régulatrice  du  pancréas  à  l'égard  de  la  fonction  glycogénique.  Si 
l'existence  d'un  tel  mécanisme  régulateur  peut  être  établie  pour  une  fonction  en  parti- 
culier, on  ne  doutera  guère  qu'il  présente  au  fond  une  grande  généralité. 

Antidotisme.  —  L'antidotisme  relève  à  un  certain  point  de  vue  de  l'antagonisme, 
mais  il  est  accessoire  pour  nous,  en  ce  qu'il  concerne  plus  particulièrement  la  thé- 
rapeutique. Sont  antidotes  d'un  poison  toutes  les  substances  qui,  par  un  moyen  physiolo- 
gique, chimique  ou  quelconque,  empêchent  ou  atténuent  l'effet  fâcheux  produit  par  ce 
poison.  La  notion  d'antidotisme  est  tout  empirique,  tirée  de  considérations  exclusi- 
vement pratiques.  Cette  notion,  comme  on  voit,  n'est  nullement  équivalente  de  celle 
d'antagonisme,  et,  comme  le  remarque  très  justement  J.  L.  Prévost,  alors  même  qu'une 
substance  ne  présenterait  pas  avec  un  poison  donné  d'antagonisme  réel,  elle  peut  très 
bien  lui  servir  d'antidote,  son  effet  consistant  à  empêcher  ou  atténuer  par  un  moyen  quel- 
conque les  symptômes  du  poison  dont  la  mort  peut  dépendre. 

Maladies  antagonistes.  —  Il  était  autrefois  enseigné  traditionnellement  que  deux 
pyrexies  ne  pouvaient  se  développer  simultanément  sur  le  même  sujet.  Le  dogme  de 
l'incompatibilité  des  actions  morbides  avait  été  proclamé  par  Hcnter.  Cette  croyance  est 
contraire  à  la  réalité  des  faits  cliniques,  ainsi  qu'on  l'a  fait  voir  surtout  de  nos  jours. 
Lorsque  deux  épidémies  coexistent  (suette  et  choléra,  par  exemple)  on  a  pu  voir  les 
symptômes  de  l'une  des  deux  affections  disparaître  brusquement  à  l'apparition  de  ceux 
de  l'autre,  qui  continue  à  évoluer  seule,  et  réciproquement. 

Les  études  microbiennes,  en  nous  instruisant  sur  la  cause  première  des  maladies  de 
cet  ordre,  ont  donné  un  nouvel  intérêt  aux  observations  de  ce  genre  et  nous  ont  mis  en 
main  un  levier  puissant  pour  en  poursuivre  l'analyse  en  les  reproduisant  dans  certains 
cas  chez  les  animaux.  On  a  annoncé  l'action  résolutive  exercée  par  le  microcoque  de 
l'érysipèle  sur  certaines  tumeurs  malignes.  Le  vibrion  du  choléra  est  tué  par  les  bactéri- 
dies  de  la  putréfaction,  le  bacille  fluorescent  est  un  antagoniste  énergique  du  staphylo- 
coque pyogène  doré,  du  bacille  typhique,  du  pneurao-bacille  de  Friedlander.  D'après 
Bouchard,  l'inoculation  simultanée  du  bacille  pyocyanique  et  de  la  bactéridie  charbon- 
neuse du  lapin  a  été  suivie  12  fois  de  guérison  sur  26  sujets  expérimentés,  tandis  que 
20  lapins  inoculés  avec  les  mêmes  matières  charbonneuses  sans  inoculation  pyocyanique 
ont  donné  20  morts  (Kelsch.   Maladies  épidémiques,  t.  i,  pp.  7S  à  87). 

Cet  ordre  de  faits  déborde,  si  l'on  peut  ainsi  dire,  le  champ  de  la  physiologie.  Ce  ne 
sont  plus  ici  en  effet  des  substances  qui  s'opposent  chimiquement  leurs  propriétés  et  par 
là  se  neutralisent,  ou  des  corps  agissant  d'une  façon  plus  ou  moins  élective  sur  des  orga- 
nes à  fonctions  opposées,  mais  des  êtres  figurés  en  état  de  concurrence  vitale,  de  lutte 
pour  l'existence,  et  probablement  l'antagonisme  des  maladies  contient  ces  différents 
points  de  vue  tous  à  la  fois,  dans  une  mesure  qui  reste  à  déterminer.  Quand  l'analyse 
aura  fait  la  part  de  chacun  de  ces  différents  facteurs,  alors  seulement  cet  antagonisme 
morbide  recevra  son  explication,  et  la  clinique,  une  fois  de  plus,  profitera  de  données  qui 
relèvent  surtout  de  l'expérimentation. 

Bibliographie.  —  Sydney  Ringer  et  Murrell  (/.  P.,  1878-79,  t.  i,  pp.  72,  232,  241). 
—  Straus.  Inject.  hypoderm,  depilocarpine  et  d'atropine  (C.  R.,  1879,  l.  lxsxix,  p.  53).  — 
Vulpian.  Substances  toxiques.  —  J.-L.  Prévost.  Antagonisme  physiologique  (A.  P.,  1877, 
t.  IV,  (2),  pp.  801-839).  —  LucHsiNGER.  Mitscarin  undAtropin  auf  die  Schioeissdriisen  der 
Katze,  A.  Pf.,  1881,  t.  xviii,  pp.  501,  587.  — Rosshach  (ibid.,  t.  sxi,  p.  1).  —  Robillard. 
Thèse  de  Lille,  1881.  —  Aubert  {Lyon  médical,  1874-1893).  —  J.  P.  Morat  {Revue 
Scientifique,  jaiWet  1892).  j.  p,  MORAT. 

ANTHROPOLOGIE.  —  Au  sens  étymologique,  c'est  la  science  de  l'homme. 
Broca  l'a  définie  «  l'étude  du  groupe  humain  envisagé  dans  son  ensemble,  dans  ses 
détails  et  dans  ses  rapports  avec  le  reste  de  la  nature  ». 


380  ANTHROPOLOGIE. 

C'est-à-dire  que  l'anthropologie  est  la  monographie  du  ^enre  homme,  comprenant 
son  étude  anatomique,  physiologique,  psychologique;  tout  ce  qui  se  rapporte  à  l'homme 
rentre  dans  son  domaine  ;  les  traités  d'anatomie  dont  se  servent  les  étudiants  en 
médecine  sont  de  l'anthropologie  pure,  puisqu'il  n'y  est  question  que  de  l'homme;  la 
philologie,  l'archéologie,  l'histoire,  la  sociologie,  sont  des  sciences  anthropologiques, 
puisqu'elles  décrivent  les  diverses  façons  dont  les  hommes  parlent,  les  monuments  que 
les  hommes  ont  construits,  les  sociétés  qu'ils  ont  formées  et  qu'ils  forment  encore. 

La  légitimité  d'une  telle  science  à  donné  lieu  a  des  débats  passionnés,  dans  lesquels 
les  tendances  métaphysiques  semblent,  au  fond,  avoir  tenu  plus  de  place  que  les  con- 
sidérations scientifiques.  On  ne  voit  pas  bien,  aujourd'hui,  quelles  objections  théoriques 
pourraient  être  faites  à  une  délimitation  aussi  large  du  programme  de  l'anthropologie, 
non  plus  qu'à  sa  constitution  en  science  distincte'.  Auguste  Comte  a  divisé  les  sciences 
en  deux  catégories  :  les  sciences  générales  ou  abstraites,  qui  recherchent  les  lois  des 
phénomènes,  et  les  sciences  particulières  ou  concrètes,  qui  envisagent  les  difl'érentes 
sortes  d'êtres  existants.  Ces  dernières  peuvent  envisager  des  groupes  d'êtres  plus  ou 
moins  larges,  tous  les  animaux,  par  exemple  (zoologie),  ou  un  embranchement  {entomo- 
logie) ou  bien  des  groupes  plus  restreints,  un  seul  genre  ou  une  seule  espèce.  Dans  ce 
dernier  cas,  il  est  vrai,  on  ne  prend  guère  la  peine  de  fabriquer  un  nom  spécial  pour 
désigner  la  monographie  du  polype  d'eau  douce  ou  celle  de  l'écrevisse.  Mais  ce  qui 
serait  une  pédanterie  inutile  pour  une  science  qui  peut  tenir  en  un  volume  devient  légi- 
time quand  il  s'agit  d'êtres  qui  présentent  des  phénomènes  infiniment  plus  conipliqués, 
et,  disons-le  aussi,  bien  plus  étudiés.  On  ue  peut  empêcher  que  l'espèce  à  laquelle  nous 
appartenons  ne  nous  intéresse  plus  que  toute  autre  :  un  médecin  est  par  nécessité  un 
anthropologiste. 

Mais  pratiquement,  au  point  où  nous  en  sommes  actuellement,  les  sciences  tirent 
leur  individualité  bien  plus  de  leur  méthode  que  de  leur  objet.  Le  physiologiste,  qui, 
travaillant  dans  une  faculté  de  médecine,  a  pour  but  la  connaissance  des  phénomènes 
physiologiques  de  l'homme  et  de  leurs  déviations  morbides,  c'est-à-dire  une  partie  de 
l'anthropologie,  expérimente  principalement  sur  le  chien,  le  lapin,  la  grenouille,  et  l'on 
comprend  sans  explication  qu'il  n'en  peut  être  autrement. 

L'anthropologie  physiologique  se  composera  donc  de  tout  ce  qui,  dans  les  résultats 
obtenus  par  la  physiologie  générale  et  la  chimie  biologique,  est  applicable  à  l'homme. 
Pour  trouver  ces  résultats  dans  ce  dictionnaire,  il  nous  faut  renvoyer  à  tous  les  articles 
qui  traitent  d'une  fonction  l'eprésentée  chez  l'homme,  ou  d'une  substance  chimique 
existant  dans  ses  tissus;  c'est-à-dire  à  presque  tous.  Car,  par  suite  de  cet  intérêt  pra- 
tique que  nous  signalions  plus  haut,  nos  connaissances  sont  bien  plus  étendues  sur 
l'homme  et  ses  proches,  les  mammifères,  que  sur  les  animaux  plus  éloignés  de  lui. 
L'article  Aliment  est,  en  grande  partie,  de  l'anthropologie  physiologique.  La  science, 
quoique  nous  en  puissons  dire  abstraitement,  est  si  bien  anthiopocenlriquc  que  l'étude 
des  plantes  elles-mêmes  est  faite  le  plus  souvent  par  rapport  à  l'homme.  Voyez  par 
exemple  Absinthe,  Tabac.  Pourtant,  ces  résultats  des  sciences  abstraites  ne  suffisent 
pas  pour  constituer  la  science  de  l'homme.  Quand  on  a  pris  et  systématisé  tous  les 
renseignements  qu'elles  fournissent  pour  l'homme  en  général,  il  reste  encore  à  faire  ce 
dont  Broca  sentait  le  besoin  quand  il  a  créé  la  Société  d'anthropologie,  ce  qu'il  lui 
proposait  comme  but  :  l'étude  des  races  humaines. 

Quelles  dilîérences  physiologiques  existent  entre  les  divers  êtres  humains?  Voilà  la 
question  physiologique  spéciale  que  l'anthropologie  doit  résoudre  elle-même  par  sa 
méthode  propre,  l'observation  ethnique. 

Nous  laisserons  de  côté  ici  les  différences  physiologiques  sexuelles,  qui  doivent  être 
traitées  dans  un  article  à  part,  pour  ne  nous  occuper  que  des  différences  observées  entre 
les''diverses  races.  Malheureusement,  les  matériaux  rassemblés  jusqu'ici  sont  extrêmement 
peu  nombreux.  L'anthropologie  physiologique  réduite  à  ce  thème  est  presque  une  page 
blanche. 

Dans  les  fonctions  de  nutrition,  il  n'y  a,  pour  ce  qu'on  en  sait,  que  peu  ou  point  do 

1.  Voir  L.  Manouvrier.  Classification  naturelle  des  sciences:  positioii  et  programme  de  l'an- 
ihropologie ;  Assoc.  fr.  p.  l'avancement  des  sciences.  Congrès  de  Paris,  1889. 


ANTHROPOLOGIE.  581 

variations  d'une  race  à  l'autre;  et  il  serait  étonnant  qu'il  en  fût  autrement,  étant  donné 
que  les  différences  à  ce  point  de  vue  entre  les  diverses  espèces  des  mammifères  ne  sont 
généralement  que  de  peu  d'étendue. 

La  température  est  exactement  la  rnème  chez  les  Malais  et  chez  les  Européens  habi- 
tant la  Malaisie  (Eukmann.  Bluluntevsuchungen  in  dm  Tropen,  A.  V.,  t.  cxxvr,  p.  113). 
Le  même  auteur  a  constaté  aussi  chez  ces  deux  populations  exactement  la  même  com- 
position chimique  du  sang. 

Pour  l'activité  des  combustions,  il  n'a  pas  été  fait  de  mesures  directes.  Mais  l'étude 
des  rations  alimentaires  montre  que  le  besoin  alimentaire  est  le  même,  toutes  choses 
égales  d'ailleurs,  pour  les  divers  peuples  qui  ont  été  étudiés  à  ce  point  de  vue.  En  par- 
ticulier les  Japonais,  qui  ont  fait  l'objet  de  travaux  nombreux,  fournissent  des  chilfres 
exactement  concordants  avec  ceux  obtenus  en  Europe.  Pour  les  peuples  vivant  entre  les 
tropiques,  le  besoin  alimentaire  est  plus  faible  :  a  priori  on  conçoit  que  cela  tient  aux 
conditions  différentes  de  la  température  ambiante;  la  preuve  qu'il  ne  s'agit  point  là 
d'une  difTérence  ethnique  nous  est  fournie  par  ce  fait,  que  les  habitants  des  régions  tem- 
pérées, transportés  dans  les  régions  tropicales,  présentent  la  même  diminution  dans 
leur  besoin  alimentaire  (Voir  Aliments,  pp.  347-348). 

Le  préjugé  contraire  est  très  répandu  :  on  raconte  facilement  que  tel  ou  tel  peuple  est 
extrêmement  sobre  et  vit  de  presque  rien.  En  réalité,  une  observation  superficielle 
donne  seule  celte  impression;  toutes  les  études  quantitatives  conduisent  à  des  chiffres  de 
consommation  à  peu  près  constants  si  on  les  rapporte  à  la  surface  du  sujet  considéré 
et  à  ses  conditions  de  vie.  Quand  j'ai  commencé,  en  Abyssinie,  à  m'enquérir  du  régime 
des  Indigènes,  tous  les  Européens  que  j'interrogeais  me  servaient  la  phrase  classique  : 
«  Ces  gens-là  vivent  de  rien;  une  galette  de  durrha  le  matin,  une  le  soir,  c'est  tout.  »  Ces 
deux  repas  sommaires  coûtent  en  effet  chacun  dix  centimes  (quand  la  durrha  est  chère) 
et  sont  absorbées  en  quelques  secondes;  mais,  en  les  pesant  et  en  les  analysant,  ou  cons- 
tate qu'à  eux  deux^ils  représentent  une  énergie  de  2000  calories  et  qu'ils  contiennent 
oO  grammes  d'albumine  (Lapicque.  Élude  quantitative  sur  le  régime  alimentaire  des  Abys- 
sins, B.  B.,  1893,  p.  251). 

Peut-être  observerait-on  des  différences  dans  les  aptitudes  digestives.  Ainsi  Osawa  a 
constaté  que,  chez  les  Japonais,  le  riz  ingéré  est  mieux  utilisé  que  chez  les  Européens. 
Chez  les  premiers,  on  retrouve  dans  les  fèces,  pour  100  parties  ingérées,  2  p.  8  de  subs- 
tance sèche  et  20  p.,  7  d'albumine;  tandis  que  chez  les  Européens  d'après  les  auteurs 
européens,  ces  chilfres  sont  4  p.,  1  de  substance  sèche  et  25  p.,  1  d'albumine'.  Le  riz 
et,  d'une  façon  générale,  les  nourritures  végétales  volumineuses  étant  habituelles  à  l'une 
des  catégories  de  sujets  et  non  à  l'autre,  il  serait  difficile  de  dire  si  l'on  a  affaire  là  à 
un  caractère  ethnique  ou  à  une  simple  adaptation  individuelle.  Mais  la  divergence  peut 
même  n'être  pas  réelle;  les  chiffres  ont  été  obtenus  de  part  et  d'autre  par  des  obser- 
vateurs différents  avec  des  méthodes  différentes,  et,  chez  les  Européens  seuls,  les  diver- 
gences individuelles  sont  parfois  aussi  étendues. 

Les  quelques  observations  recueillies  ne  semblent  pas  indiquer  des  différences  dans  le 
rythme  respiratoire  ou  circulatoire,  sinon  des  dift'érences  qui  pourraient  s'observer  aussi 
bien  chez  divers  sujets  d'une  même  race,  suivant  la  taille,  les  conditions  physiologiques,  etc. 
La  peau  et  ses  annexes  offrent,  au  contraire,  des  différences  ethniques  très  nettes, 
sinon  très  importantes  en  elles-mêmes,  qui  sont  employées  dans  les  classifications.  La 
production  de  pigment  épidermique  varie  dans  des  limites  très  étendues,  de  façon  à 
produire  des  colorations  qui  vont  du  noir  complet  à  cette  couleur  brune  extrêmement 
claire  que  nous  appelons  blanc.  11  n'est  pas  douteux  qu'il  s'agisse  là  d'un  caractère 
ethnique,  et  non  d'une  adaptation  à  des  conditions  diverses  d'éclairage,  de  chaleur, 
d'humidité,  etc.  Dans  la  Péninsule  Malaise  on  peut  voir  dans  la  même  forêt  deux  espèces 
de  gibbons  très  voisines  :  l'une  entièrement  noire  (Hylobates  syndaotylus),  l'autre  au  pelage 
d'un  blond  très  clair  presque  blanc  (fi.  agiUs)  ;  de  même  on  trouve  dans  des  vallées  sépa- 
rées seulement  par  quelques  journées  de  marche  des  tribus  de  sauvages  vivant  dans 
les  mêmes  conditions,  et  dont  les  unes  sont  couleur  de  chocolat,  et  les  autres,  guère  plus 
foncées  que  des  Européens  hàlés. 

\.  D'après  analyse  dans  J.  B.  de  Maly,  1892,  p.  469. 


582  ANTIDOTE    —    ANTIMOINE. 

L'abondance  du  système  pileux  et  sa  répartition  sur  le  corps  varient  aussi  avec  les 
races;  la  forme  des  cheveux  surtout  donne  des  aspects  dont  la  diversité  est  frappante 
(cheveux  lisses,  cheveux  crépus). 

Mais  ces  caractères  de  la  peau  et  du  poil  sont  autant  de  l'anatomie  que  de  la  phy- 
siologie. C'est  dans  l'étude  des  fonctions  de  relation  qu'il  y  aurait  réellement  lieu  de 
chercher  à  constituer  une  physiologie  comparée  des  races  humaines.  Les  données  ana- 
tomiques  nous  montrent  un  développement  cérébral  variable  suivant  les  races  (voir  Cer- 
veau) ;  il  est  très  vraisemblable  qu'à  cette  différence  anatomique  correspondent  des  dif- 
férences physiologiques,  et  il  est  probable  que  celles-ci  doivent  porter  surtout  sur  les 
fonctions  psychologiques  (Voir  Manocvrier.  De  la  quantité  dans  l'encéphale,  D.  P.,  1882). 
Mais  sur  ces  taits,  nous  manquons  non  seulement  d'observations  précises,  mais  même 
d'une  bonne  méthode  d'observation.  Pour  obtenir  des  grandeurs  mesurables  dans  l'état 
actuel  de  la  science,  et  pouvoir  faire  des  comparaisons  ayant  une  valeur  objective,  il 
faudrait  se  contenter  de  l'étude  de  ces  phénomènes  qui  sont  sur  le  seuil  de  la  physio- 
logie et  qu'on  mesure  par  les  méthodes  psychophysiques.  Les  acuités  sensorielles,  par 
exemple,  la  sensibilité  à  la  douleur,  sont  susceptibles  de  s'exprimer  en  chiffres;  étudiées 
dans  la  série  ethnique,  elles  montreraient  sans  doute  des  variations  intéressantes. 

On  possède  quelques  chiffres  sur  l'énergie  de  la  contraction  volontaire,  mesurée  par 
la  pression  des  fléchisseurs  des  doigts  sur  un  dynamomètre  (Voir  Topinard.  L'Anthro- 
pologie, 3°  édition,  Paris,  1879,  p.  413).  Mais  fa  comparaison  des  chiffres  obtenus  par  des 
observateurs  différents  avec  des  méthodes  mal  précisées  serait  peut-être  aventureuse. 
Broca  recommandait,  comme  moins  sujette  aux  erreurs,  la  mesure  de  la  force  de  traction 
verticale  des  reins. 

Il  semble  que  l'étude  du  temps  perdu  de  la  réaction  volontaire  doive  fournir  des 
données  intéressantes.  Je  ne  connais  aucun  chiffre  publié  relativement  à  cette  durée' 
chez  d'autres  sujets  que  des  Européens.  Pendant  le  voyage  de  la  Sémiramis,  j'ai  fait 
quelques  mesures  (non  publiées  encore)  au  moyen  du  chronographe  électrique  de  d'Ar- 
soNVAL,  sur  des  Négritos  andamanais  et  sur  des  Hindous.  J'ai  obtenu  des  moyennes  un 
peu  différentes  suivant  la  race  observée  ;  les  Andamanais  mettent  quelques  centièmes  de 
seconde  de  plus  à  réagir  que  les  Européens,  et  les  Hindous  sont  encore  un  peu  plus  lents. 
Mais  sur  ces  questions,  il  faut  des  séries  de  chiffres  extrêmement  nombreuses  pour  per- 
mettre de  conclure. 

Avant  tout,  dans  de  telles  recherches,  il  est  nécessaire  de  commencer  par  bien  préciser 
la  donnée  ethnique  sur  laquelle  on  veut  opérer  ;  or  le  classement  d'une  population  dans 
une  race  donnée  n'est  pas  toujours  facile.  Ensuite,  il  faudrait  définir  exactement  les  con- 
ditions de  la  vie  du  sujet;  on  ne  peut  comparer  directement  un  sauvage  qui  rôde  par 
les  forêts,  subissant  la  famine,  les  moustiques,  souvent  la  fièvre,  à  un  étudiant  européen 
qui,  à  l'abri  de  toutes  les  intempéries,  a  soumis  ses  centres  cérébraux  à  un  entraîne- 
ment systématique  de  plusieurs  années. 

En  somme,  la  physiologie  comparée  des  races  humaines  en  est  encore  à  l'état  de 
simple  desideratum. 

LOUIS    LAPICQDE. 

ANTIDOTE.  —  Substance  médicamenteuse  capable  de  neutraliser  les  effets 
physiologiques  d'un  poison.  On  a  distingué  les  antidotes  mécaniques,  chimiques  et  phy- 
siologiques. Cette  classification  n'a  d'intérêt  qu'au  point  de  vue  physiologique  (Voy. 
Antagonisme). 

ANTIFÉBRINE.  —  Voyez  Acétanillde. 

ANTIMOINE  [Sb  =  122].  —  Propriétés  physiques  et  chimiques  de  l'an- 
timoine et  de  ses  composés.  —  Ce  métal  a  été  isolé  pour  la  première  fois  par  Basile 
Valentin  vers  le  milieu  du  xv^  siècle.  Son  principal  composé,  le  sulfure  d'antimoine, 
était  déjà  connu  depuis  la  plus  haute  antiquité:  les  anciens  s'en  servaient  et  le  dési- 
gnaient sous  le  nom  de  stihium. 


ANTIMOINE.  583 

Il  est  peu  de  corps  qui  aient  autant  exercé  la  sagacité'  des  alchimistes  et  joui  d'une 
aussi  grande  vogue  auprès  des  médecins. 

Son  emploi  en  médecine  donna  lieu  à  tant  d'abus  que  le  Parlement  crut  devoir  en 
proscrire  l'emploi,  en  1566,  suivant  l'avis  de  la  Faculté. 

L'antimoine  est  un  métal  blanc  bleuâtre  à  texture  cristalline,  lamelleuse  si  l'anti- 
moine est  impur,  et  qui  se  clive  facilement  suivant  la  base  du  rhomboèdre.  Les  masses 
d'antimoine  fondu  présentent  à  leur  surface  des  dessins  simulant  les  feuilles  de  fou- 
gère. Il  est  très  cassant  et  facile  à  pulvériser  à  cause  de  sa  texture  cristalline. 

L'antimoine  en  se  combinant  à  l'oxygène  donne  naissance  à  trois  composés  : 

Le  protoxyde  d'antimoine Sb^  0' 

L'antimoniate  d'antimoine Sb-0'' 

L'anhydride  antimonique Sb^O^' 

Ces  composés  sont  des  poudres  blanches  insolubles  et  ne  présentent  par  eux-mêmes 
que  peu  d'intérêt. 

Le  protoxyde  d'antimoine  Sb-0'  s'unit  aux  acides  en  jouant  le  rôle  de  base  faible 
pour  donner  des  sels  ayant  peu  de  stabilité.  On  peut  admettre  qu'il  existe  deux  classes 
de  sels  antimonieux  :  dans  l'une  l'antimoine  remplace  trois  atomes  d'hydrogène;  dans 
l'autre,  c'est  un  radical  monoatomique  (SbO)',  l'antimonyle,  qui  remplace  un  atome  d'hy- 
drogène. 

Parmi  les  sels  de  cette  seconde  classe  se  trouvent  les  émétiques  qui  sont  les  com- 
posés les  plus  importants  de  l'antimoine. 

Les  émétiques  sont  des  tartrates  doubles  d'antimoine  et  d'un  autre  métal. 

Les  deux  principaux  sont  :  l'émétique  de  soude.  SbONaC*H*0'';rèmétique  de  potasse, 
SbOKC*H''0''.  Ces  sels  cristallisent  dans  le  système  orlhorhombique.  L'émétique  de 
potasse  est  soluble  dans  14  p.  5  d'eau  froide  et  dans  1  p.  9  d'eau  bouillante;  celui  de 
soude  est  déliquescent. 

On  prépare  l'émétique  de  potasse  en  faisant  bouillir  pendant  une  heure  un  mélange 
de  3  parties  d'oxyde  d'antimoine  et  de  4  parties  de  crème  de  tartre  délayée  dans  de 
l'eau,  en  ayant  soin  de  remettre  de  l'eau  au  fur  et  à  mesure  qu'elle  s'évapore.  Lorsque 
la  plus  grande  partie  de  l'oxyde  d'antimoine  et  de  la  crème  de  tartre  est  dissoute,  on 
filtre  et  on  laisse  refroidir  l'émétique  cristallisé  par  refroidissement;  on  le  purifie  par 
des  cristallisations  répétées. 

L'émétique  de  soude  se  prépare  de  la  même  façon,  en  substituant  le  tartrate  acide  de 
soude  à  la  crème  de  tartre. 

L'anhydride  antimonique  forme  plusieurs  hydrates  : 

SbO' H» 

SbO^H      Acide  antimonique. 

Sb-O'H*  Acide  pyro-antimonique  (métaantimonique  de  Frémy).     , 

L'acide  antimonique,  le  plus  stable  des  hydrates  de  l'anhydride  antimonique,  s'obtient 
par  l'action  de  l'eau  régale  sur  l'antimoine  métallique.  C'est  une  poudre  blanc  jaunâtre, 
presque  insoluble  dans  l'eau,  à  laquelle  elle  communique  néanmoins  une  légère  acidité; 
insoluble  à  froid  dans  l'ammoniaque,  soluble  dans  la  potasse  caustique  et  légèrement 
soluble  dans  l'acide  chlorhydrique. 

Cet  acide  donne  naissance  à  deux  séries  de  sels,  les  anlimoniates  neutres  et  les  anti- 
moniates  acides.  —  Citons  l'antimoniate  acide  de  potasse,  2SbO''K,  Sb-0^  employé  en 
médecine  et  connu  à  tort  sous  le  nom  d'oxyde  blanc  d'antimoine. 

L'antimoine  se  combine  au  soufre  pour  donner  deux  composés,  le  Irisulfure  Sb-S'', 
appelé  stilbine  lorsqu'il  est  naturel,  qui  se  trouve  abondamment  dans  la  nature  et  le 
pentasulfure  Sb-S".  On  connaît  en  outre  de  nombreux  composés  mal  définis  constitués 
par  des  oxysulfures;  tous  mélangés,  en  proportions  variables,  aux  sulfures  et  aux  oxydes. 
Ils  sont  pour  la  plupart  instables,  insolubles  plus  ou  moins  dans  l'eau  froide  et  partant 
sans  grande  action  physiologique  :  ils  ont  cependant  constitué  pendant  longtemps  la  base 
de  la  médication  antimoniale  qui  était  en  si  grande  faveur  aux  siècles  précédents.   Les 


58i  ANTIMOINE. 

principaux  de  ces  composés  qui  sont  encore  emploj'és  actuellement  sont  les  foies  d'an- 
timoine (crocus  metallorum),  le  soufre  doré  d'antimoine,  le  kermès,  etc,. 

Le  chlore  donne  naissance  à  deux  chlorures  d'antimoine,  le  trichlorure  ou  beurre 
d'antimoine  SbCP  et  le  pentachlorure  SbCl". 

Le  trichlorure  est  un  sel  déliquescent  qu'oa  obtient  facilement  en  attaquant  le  trisul- 
fure  par  l'acide  chlorhydrique.  Il  se  dégage  de  l'hydrogène  sulfuré,  et  le  trichlorure  d'an- 
timoine reste  dans  le  ballon,  en  solution  dans  un  excès  d'acide  chlorhydrique. 

Ce  corps  est  décomposable  par  l'eau,  qui  le  transforme  en  oxychlorure  SbOCI,  ou  pou- 
dre d'algaroth,  poudre  blanche  insoluble  dans  l'eau. 

Action  physiologique.  —  L'antimoine  métallique  est  inattaqué  par  les  liquides  de 
l'organisme,  et  est  éliminé  directement  par  les  voies  digestives  comme  tout  corps  étran- 
ger. On  l'a  employé  dans  le  temps  comme  purgatif,  les  pilules  perpétuelles  {pilulœ  leternœ) 
de  nos  pères,  étaient  de  petites  balles  d'antimoine  métallique. 

Les  composés  solubles  à  base  d'antimoine,  si  l'on  en  excepte  le  trichlorure  qui  est  for- 
tement caustique,  activent  les  sécrétions. 

Nous  prendrons  comme  type  des  composés  antimoniaux  l'émétique;  sa  stabilité,  sa 
solubilité  permettent  de  graduer  sa  dose  facilement  et  d'étudier  son  action.  Tous  les 
autres  composés  de  l'antimoine  ont  une  action  analogue,  généralement  atténuée  par 
suite  de  leur  instabilité  et  de  leur  solubilité  incomplète. 

Action  générale  de  l'émétique.  — L'antimoine,  pris  par  la  voie  stomacale  à  la  dose 
de  1  centigramme  d'émétique,  détermine  une  saveur  métallique  désagréable,  des 
nausées,  et  une  exagération  des  sécrétions  de  l'estomac,  de  l'intestin,  du  pancréas  et  du 
foie. 

A  la  dose  de  3  à  10  centigrammes,  on  observe  des  phénomènes  de  nausées,  de  vomis- 
sements ;  employé  aux  mêmes  doses,  mais  dilué  dans  un  litre  d'eau,  il  produit  un  effet  pur- 
gatif. On  ari'ive  à  faire  tolérer  1  gramme  d'émétique  administré  par  doses  réfractées  sans 
obtenir  les  phénomènes  réactionnels  habituels.  On  observe  alors  un  ralentissement  du 
pouls,  un  abaissement  de  température,  de  la  faiblesse  musculaire. 

Ces  phénomènes  de  tolérance  s'observent  d'emblée,  suivant  Tayloh,  chez  les  sujets 
atteints  de  pneumonie,  de  maladies  nerveuses,  de  chorée. 

L'antimoine  a  donc  une  action  double  :  d'une  part  sur  le  système  nerveux  et  le  cœur, 
d'autre  part  sur  le  système  gastro-intestinal  (Nothnagel  et  Rossbach). 

Lorsqu'on  injecte  directement  dans  le  sang  les  préparations  antimoniées,  on  observe 
des  phénomènes  analogues. 

Action  sur  le  système  gastro-intestinal.  —  L'antimoine  ingéré  directement  dans 
l'estomac  détermine  des  nausées,  des  vomissements  et  de  la  diarrhée.  On  a  attribué  ces 
phénomènes  réactionnels  à  une  action  locale  des  composés  antimoniaux  sur  les  muqueuses 
du  système  digestif;  mais  Mage-ndie  a  observé  que  l'émétique  injecté  directement  par  voie 
hypodermique  déterminait  ces  mêmes  réactions. 

On  a  alors  émis  deux  hypothèses  diiférentes  pour  expliquer  ces  phénomènes  : 

D'Obnellas,  Méhu,  E.  Labbé,  Gubler,  partisans  de  l'action  locale,  admirent  que  les 
vomissements  et  la  diarrhée  provoqués  par  l'injection  directe  dans  le  système  circula- 
toire n'apparaissent  que  tardivement,  c'est-à-dire  au  moment  où  l'antimoine,  en  s'éli- 
minant,  venait  au  contact  de  la  muqueuse  gastro-intestinale,  et  qu'il  était  nécessaire 
pour  provoquer  le  vomissement  d'employer  une  dose  plus  forte  que  celle  qui  suffit  lors- 
qu'on administre  lémétique  par  la  voie  stomacale. 

Magendie,  Orfila,  Brinton,  Richardson  supposaient,  au  contraire,  que  les  vomissements 
et  la  diarrhée  étaient  dus  à  des  phénomènes  réactionnels  réflexes  occasionnés  par  une 
action  sur  les  centres  nerveux. 

SoLovEiTscHYE  (Wirkungen  der  Antimonwerbindungen.  A.  P.  P.,  1881,  t.  xii,  p.  438),  en 
expérimentant  sur  la  grenouille  et  le  lapin,  a  constaté  que  les  nausées  et  les  vomissements 
apparaissaient  rapidement  chez  la  grenouille,  plus  tardivement  chez  le  lapin,  après  injec- 
tion d'émétique  dans  le  torrent  circulatoire.  Il  admet  que  ces  phénomènes  sont  provo- 
qués par  l'élimination  de  l'antimoine  par  la  muqueuse  stomacale  et  dus  à  l'imprégnation 
des  terminaisons  nerveuses  par  le  poison. 

Il  a  observé,  en  outre,  des  selles  abondantes  et  sanglantes,  dues  à  l'inflammation  de  la 
muqueuse  intestinale  souvent  érodée  et  parsemée  de  suifusions  sanguines. 


ANTIMOINE.  o8n 

Action  sur  la  circulation  et  la  respiration. —  Le  pouls  est  irrégulier,  il  s'abaisse 
de  10  pulsations  (Hirtz.  Dkt.  de  méd.  et  de  ch.  prat.,  t.  v,  p.  8i).  Trousseau  et  Grisolle 
avaient  admis  une  bien  plus  ^.'rande  diminution  dans  le  nombre  des  pulsations;  Gubler  a 
observé  une  diminution  de  20  pulsations. 

La  température  s'abaisse  de  2°  cbez  les  fébricitants,  de  1°  chez  les  apyrétiques. 

On  observe  avant  l'abaissement  de  la  température  une  légère  élévation  temporaire  : 
ce  fait  a  été  constaté  chez  l'homme  par  Ackermann,  chez  les  animaux  par  Duuéril  et 
Demarquaï  et  par  Pécholier. 

SoLOVEiTSCHYK  a  constaté  que  l'antimoine  provoquait  un  abaissement  continu  de  la 
pression  sanguine  eu  dilatant  les  vaisseaux,  et  peut-être  en  agissant  directement  sur  le 
cœur;  il  a  expérimenté  avec  l'émétique  de  soude. 

L'antimoine  a  une  action  sur  le  sang  qui  n'est  pas  encore  bien  déterminée.  Mialhe 
admettait  que  l'antimoine  forme  avec  le  sang  des  composés  insolubles:  mais  on  n'a 
presque  jamais  noté  d'embolie  dans  les  cas  d'empoisonneiiîent  par  l'antimoine.  En 
général  le  sang  est  sombre  et  fluide. 

Suivant  Hirtz  la  diminution  des  mouvements  respiratoires  n'est  pas  proportionnelle 
à  celle  du  pouls.  Suivant  Trousseau  et  Pidoux  le  nombre  de  ces  mouvements  s'abaisse  de 
16  à  6,  et  la  respiration  se  fait  sans  difficulté.  Orfila  et  Magendir  ont,  observé  une  con- 
gestion intense  et  de  l'hyperhémie  du  poumon. 

Action  sur  le  système  neuro-musculaire.  —  Injecté  dans  le  sang  à  la  dose  de 
50  centigrammes,  l'antimoine  provoque  la  mort  foudroyante  par  arrêt  du  cœur.  Avec 
des  doses  moins  fortes,  on  observe  un  ralentissement  des  battements  du  cœur,  de  la  pros- 
tration, de  la  paraplégie.  Une  période  d'excitation  musculaire  précède  cette  paralysie.  Le 
système  nerveux  est  ensuite  atteint;  les  nerfs  de  la  vie  végétative  sont  aussi  bien  atteints 
que  ceux  de  la  vie  de  relation. 

Soloveitschyk,  en  expérimentant  sur  la  grenouille  avec  l'émétique  de  soude,  a  constaté: 
que  l'antimoine  paralyse  les  mouvements  réflexes  de  la  moelle  ;  que  cette  paralysie 
est  précédée  d'une  excitation  passagère  des  centres  de  coordination;  que  les  centres  spi- 
naux proprement  dits  échappent  à  cette  irritation  première;  que  l'appareil  excito-moteur 
du  coîur  se  trouve  paralysé;  que  l'excitabilité  des  nerfs  moteurs  des  muscles  soumis  à 
la  volonté  n'est  pas  modifiée. 

Sur  les  mammifères,  il  admet  que  l'antimoine  a  aussi  une  action  sur  le  cœur  et  l'ap- 
pareil nerveux  central  et  que  l'abaissement  de  la  pression  vasculaire  est  due  à  la  para- 
lysie des  vaso-moteurs  et  à  la  dilatation  des  artérioles. 

Le  ralentissement  du  cœur  est  le  produit  d'une  action  sur  les  ganglions  cardiaques  : 
la  section  du  pneumogastrique  ne  fait  pas  cesser  le  ralentissement  des  [battements. 

Action  sur  la  nutrition  et  les  sécrétions.  —  Le  ralentissement  de  la  circulation 
et  de  la  respiration  diminue  l'intensité  des  phénomènes  de  la  nutrition.  C'est  cette  modi- 
fication dans  les  actes  physico-chimiques  de  combustion  vitale  que  les  agronomes  alle- 
mands mettent  à  profit  pour  engraisser  les  animaux:  ils  donnent  des  sels  d'antimoine 
(oxysulfure)  aux  animaux  qu'ils  veulent  engraisser.  C'est  aussi  ce  phénomène  qui  explique 
la  stéatose  des  organes  constatée  par  Salroayski  dans  un  cas  d'empoisonnement  chronique. 

L'antimoine  augmente  les  sécrétions  et  les  excrétions  par  son  action  hypercrinique 
sur  les  muqueuses  et  les  glandes.  C'est  à  cette  action  qu'on  doit  rapporter  la  diarrhée, 
le  flux  bronchique,  l'expectoration  et  le  vomissement. 

L'antimoine  s'élimine  par  les  glandes  salivaires,  mammaires  et  rénales;  par  les 
muqueuses  bronchiques,  intestinales;  par  la  peau. 

Lewal  et  Hepp  ont  constaté  la  présence  de  l'antimoine  dans  le  lait,  la  sueur  et 
l'urine.  L'action  de  l'antimoine  qui  s'élimine  par  la  peau  détermine  presque  toujours 
une  éruption  de  pustules  analogues  à  celles  de  la  variole  {stibialismus  cutaneus —  eclhymu 
stïbîatum)  qui  apparaît  vers  le  deuxième  jour  de  l'empoisonnement  si  la  mort  n'est  pas 
survenue  auparavant.  Cette  éruption  se  manifeste  surtout  aux  parties  génitales,  aux 
cuisses,  aux  bras,  dans  le  dos;  elle  se  présente  sous  forme  d'élevures  rougeâtres,  de 
volume  variable,  qui,  acuminées  au  début,  s'aplatissent,  s'ombiliquent  et  se  remplissent 
de  pus,  crèvent  et  donnent  des  plaies  suppurantes  excavées  (Rabdteau).  On  observe  des 
lésions  analogues  sur  la  muqueuse  intestinale,  même  lorsque  l'antimoine  a  été  intro- 
duit directement  dans  la  circulation. 


586  ANTIMOINE. 

L'antimoine  séjourne  longtemps  dans  l'économie,  et  son  élimination  se  fait  par  inter- 
mittence (MiLLON  et  Laveran.  C.  R.,  1843,  t.  sxi,  p.  236). 

Action  locale.  —  Les  sels  d'antimoine  sont  irritants,  et  leur  action  est  d'autant  plus 
énergique  qu'ils  sont  plus  solubles.  Ils  déterminent  une  inflammation  qui  aboutit  à 
l'éruption  pustuleuse  varioliforme  décrite  plus  haut. 

Le  prolochlorure  d'antimoine  (beurre  d'antimoine)  a  une  action  toute  spéciale.  C'est 
un  caustique  violent  qui  produit  des  eschares  molles.  Il  a  été  préconisé  comme  caus- 
tique dans  les  cas  de  morsures  par  les  animaux  suspects  de  rage.  Sa  facile  liquéfaction 
eu  fait  un  agent  peu  maniable,  qui  crée  des  eschares  irrégulières  et  mérite  d'être 
•banni  de  la  thérapeutique  chirurgicale. 

Empoisonnement.  —  Les  préparations  antimoniales  ont  rarement  été  employées 
comme  agent  toxique  dans  un  but  criminel  :  leur  goût  amer  et  nauséeux  décelant  faci- 
lement leur  présence. 

On  n'observe  généralement  des  accidents  que  chez  des  personnes  où  l'antimoine  em- 
ployé dans  un  but  thérapeutique  a  été  administré  à  dose  trop  considérable;  surtout 
chez  les  enfants,  qui  ont  une  intolérance  spéciale  pour  l'émétique. 

Symptômes  de  l'empoisonnement  aigu.  —  Saveur  métallique  désagréable,  nausées, 
vomissements  abondants,  diarrhée  intense  avec  douleurs  épigastriques.  Excitation  pas- 
sagère des  s3-stème  nerveux  et  musculaire  suivie  de  paralysie;  ralentissement  des  mou- 
vements cardiaques  et  respiratoires;  le  pouls  devient  petit  et  misérable,  insensible, 
stase  veineuse,  cyanose,  réfrigération  (algidité  slibiée).  Prostration,  tremblement  des 
lèvres  et  des  extrémités;  crampes.  Puis  céphalagie,  vertige,  perle  de  connaissance, 
délire,  convulsions  toniques  et  cloniques.  La  mort  survient  par  arrêt  de  la  circulation. 
Le  rappport  entre  ces  symptômes  et  ceux  du  choléra  a  été  consacré  par  l'expression  de 
choléra  stibié.  Si  la  mort  n'est  pas  survenue  le  deuxième  jour,  on  voit  apparaître  l'érup- 
tion varioliforme. 

Symptômes  de  l'empoisonnement  chronique.  —  L'antimoine  agit  sur  la  nutrition 
comme  le  phosphore  et  l'arsenic  en  provoquant  la  stéatose  des  organes.  Suivant  Tay- 
LOR,  l'administration  prolongée  détartre  stibié  détermine  des  nausées;  des  vomissements 
muqueux  et  bilieux;  des  diarrhées  séreuses  suivies  de  constipations  opiniâtres. 

Le  pouls  devient  petit,  fréquent;  la  peau  humide,  froide;  on  observe  de  la  faiblesse 
musculaire,  l'aphonie,  l'épuisement.  L'éruption  stibiée  est  de  règle. 

La  durée  peut  dépasser  plusieurs  mois,  la  mort  survient  après  convulsions  ou  sans 
agonie  (Tardieu). 

On  observe  des  pustules,  semblables  à  celles  de  la  peau,  sur  la  muqueuse  du  sys- 
tème digestif  (épiglotte,  œsophage,  estomac,  intestin). 

Il  y  a  de  la  rougeur  et  de  l'injection  du  canal  intestinal  :  extravasation  sanguine, 
'  suivant  Rayer,  ulcérations  hémorrhagiques,  suivant  Trousseau. 

Le  sang  est  sombre  et  fluide  ;  la  cavité  cardiaque  est  vide  (Mayerhofer).  Il  y  a  infil- 
tration séreuse  et  congestion  des  méninges  ;  congestion  et  ramollissement  du  cerveau  ; 
congestion  des  poumons  (Mage.xdie). 

Toxicologie.  —  Les  matières  organiques  qui  sont  suspectées  de  contenir  de  l'anti- 
moine doivent  être  détruites  avant  de  rechercher  ce  corps.  La  méthode  la  plus  avanta- 
geuse est  celle  que  A.  Gautier  a  publiée  en  1875  {A.  G.,  Traité  de  chimie). 

Elle  consiste  à  prendre  100  grammes  de  matière,  les  sécher  à  100°;  les  placer  dans 
une  capsule,  ajouter  30  grammes  d'acide  azotique  pur  ordinaire  additionné  de  o  à 
6  gouttes  d'acide  sulfurique,   chauffer  :  le  mélange  se  liquéfie  et  devient  orangé. 

Retirer  la  capsule  du  feu,  ajouter  5  à6  grammes  d'acide  sulfurique  pur,  la  masse  brunit; 
chauffer  jusqu'à  ce  qu'il  se  dégage  des  vapeurs  d'acide  sulfurique.  Ajouter  alors  10  à 
12  grammes  d'acide  azotique  et  chauffer  jusqu'à  carbonisation. 

On  lave  le  charbon  à  l'eau,  qui  enlève  l'arsenic  s'il  y  en  a;  puis  on  le  traite  au  bain 
marie  :  i^par l'acide  chlorhydrique  concentré  ;  2°  par  une  solution  aul/iO"=d'acide  tartrique. 

Mélanger  ensuite  les  liqueurs,  les  soumettre  à  l'action  de  l'hydrogène  sulfuré.  S'il  se 
forme  un  précipité,  le  mettre  à  digérer  avec  du  sulfhydrate  d'ammoniaque.  Le  sulfure 
d'antimoine  s'y  dissout. 

Transformer  alors  ce  sulfure  en  chlorure  par  l'acide  chlorhydrique  concentré,  addi- 
tionner le  tout  d'acide  sulfurique,  et  mettre  le  mélange  dans  un  appareil  de  Marsh. 


ANTIPEPTONE    —    ANTIPYRINE.  587 

Les  composés  de  l'antimoine,  comme  ceux  de  l'arsenic,  sont  réduits  par  l'hydrogène 
naissant  :  il  se  forme  de  rh3'drogène  antimonié,  qui,  comme  l'hydrogène  arsénié,  se  détruit 
par  la  chaleur  en  laissant  déposer  des  anneaux  et  des  taches  d'antimoine  métallique. 

On  doit  différencier  les  taches  d'antimoine  de  celles  d'arsenic. 

Denigès  donne  une  bonne  méthode  de  différenciation  (C.  fi.,  t.  cxi,  1890,  p.  824). 

Il  traite  les  taches  suspectes  recueillies  dans  une  petite  capsule  par  quelques  gouttes 
d'acide  nitrique,  chauffe  pour  achever  l'oxydation,  ajoute  ensuite  quelques  gouttes  de 
molybdate  d'ammoniaque.  Il  se  forme  un  précipité,  si  c'est  de  l'arsenic;  rien,  si  c'est  de 
l'antimoine. 

Bibliographie.  —  Chimie.  ~  Dict.  de  Ww'tz.  —  Denigès  (C.  R.,  t.  cxi,  1890,  p.  824). 

—  A  Gautier.  Traité  de  chimie,  1871). 

Physiologie.  —  Médecine.  —  Toxicologie. — Barb.\raim.  Recherches  expérimentales 
sur  les  effets  toxiques  du  tartre  stibié  {Gaz.  des  hôp.,  187o,t.  xlviii,  p.  397).  —  Bon.\my. 
Étude  sur  les  effets  physiologiques  et  thérapeutiques  du  tartre  stibié  (Paris,  1841).  —  Hirtz. 
Bict.  de  mc'd.  et  de  chir.  prat.,  t.  v,  p.  84.  —  Millon  et  Laveran  (C.  R.,  t.  xxi,  p.  236,  1845). 

—  MoRTON.  Note  sur  l'élimination  de  l'antimoine  de  l'organisme  humain  {Ann.  J.  Med.  Se. 
Fhila.  (1879),  t.  lxxvii,  pp.  89-91).  —  Pécholier.  Action  physiologique  du  tartre  stibié  {Mont- 
pellier Médical,  1863,  pp.  408-442).  —  A.  Mosso.  Sidl'  azione  del  tartaro  emetico.  Sperimen- 
tale,  1875,  t.  xxxvi,  pp.  616-636).  —  Ackermann.  Wirkungen  des  Brechweinsteins  auf  das 
Herz  {A.  V.,  1862,  t.  xxv,  pp.  o31-5o3).  — Harnack.  TJber  den  praci.  therap.  Werth  der 
Antimonverbindungen  {Mimch.  med.  Woch.  (1892),  t.  xxxix,  p.  179).  —  Rabuteau.  Traité 
de  toxicologie. 

A.   CHASSEVANT. 

ANTIPEPTONE.  —  Nom  donné  par  Kûhne  à  certaines  peptones résistant 
à  l'action  des  ferments  (Voy.  Peptone). 

ANTIPÈRISTALTIQUE.  —  Voyez  Péristaltique. 

ANTIPYRÉTIQUES.  —  Voyez  Chaleur   et  Fièvre. 

ANTI  PYRI  NE.  —  Sous  le  nom  commercial  d'antipyrine,  Knorr,  de  Munich,  fit 
connaître  un  dérivé  de  la  quinoléine;ladiméthyloxyquinizine.  En  France,  l'antipyrine  est 
désignée  souvent  sous  le  nom  d'analgésine  et  en  Angleterre  elle  est  appelée,  dans  la 
British  PJiarmacopœia,  Phenazone. 

L'antipyrine  se  présente  sous  l'aspect  de  cristaux  blancs  grisâtres,  ayant  au  micro- 
scope un  aspect  feuilleté  ou  de  colonnes  tronquées.  Elle  est  très  soluble  dans  l'eau,  dans 
l'alcool,  peu  dans  l'éther:  10  grammes  d'antipyrine  se  dissolvent  dans  6  grammes  d'eau 
froide.  Les  réactifs  les  plus  sensibles  sont  :  l"  L'acide  nitreux,  qui  produit  une  belle 
coloration  verte;  2°  L'acide  azotique  fumant  qui  donne  la  même  coloration;  3°  Le  per- 
chlorure  de  fer  fait  apparaître  une  coloration  rouge  pourpre  même  dans  des  solu- 
tions diluées.  Ce  dernier  réactif  permet  de  déceler  l'antipyrine  dans  l'urine. 

Action  sur  le  système  nerveux.  —  Quand  on  injecte  à  une  grenouille  (de  2o  à 
30  grammes)  .'i  à  10  centigrammes  d'antipyrine,  on  observe  des  convulsions  avec  ten- 
dances à  l'opistothonos.  La  grenouille  présente  même  tous  les  caractères  d'un  animal 
intoxiqué  par  la  strychnine,  et  le  tracé  de  la  courbe  musculaire  indique  la  formation 
d'un  véritable  tétanos  sous  l'influence  d'une  faible  excitation.  L'antipyrine  dans  ce  cas 
a  augmenté  l'excitabilité  de  la  moelle. 

Telle  est  du  reste  l'opinion  d'un  certain  nombre  d'auteurs  qui  ont  étudié  l'action 
physiologique  de  l'antipyrine  (Ahduin.  Contribution  à  l'étude  thérapeutique  et  physiolo- 
gique de  l'Antipyrine,  B.  P.,  188b.  —  Coppola.  Sur  l'action  physiologique  de  l'antipyrine, 
A.  B.,  1884,  t.  VI,  p.  134.)  — Toutefois  Blumenau  {Pet.  med.  Wochens.,  1887,  p.  438)  avait 
signalé  dans  les  premières  phases  de  l'intoxication  une  diminution  de  l'activité  réflexe. 
Les  recherches  de  Gley,  indiquées  dans  la  thèse  de  Caravias  {Recherches  expérimentales 
et  cliniques  sur  l'antipyrine,  B.  P.,  1887),  permettent  d'interpréter  cette  première  phase, 
et  Je  se  rendre  compte  des  effets  thérapeutiques  si  remarquables  obtenus  avec  cette 
substance.  En  n'injectant  à  des  grenouilles  que  des  doses  faibles  (un  centigramme  pour 


588  ANTIPYRINE. 

une  grenouille  de  30  grammes)  ces  auteurs  virent  qu'au  bout  d'un  temps  variable,  de 
30  à  40  minutes  après  l'injection,  il  était  nécessaire  pour  obtenir  un  mouvement  dans  la 
patte  non  excitén  (contraction  névro-réflexe)  de  rapprocher  considérablement  la  bobine 
induite  (Distance  de  la  bobine  induite  :  avant  l'injection,  12;  après  l'injection,  li).  En 
outre,  la  forme  de  la  contraction  névro-réflexe,  qui  normalement  diffère  tant  de  la  con- 
traction directe,  et  dans  sa  forme,  et  dans  sa  période  latente,  perd  ses  caractères  propres, 
pour  s'identifler  avec  la  contraction  névro-directe,  comme  si  la  moelle,  ayant  perdu  sous 
l'influence  de  l'antipyrine  ses  fonctions  réflecto-motrices,  ne  jouait  plus  qu'un  rôle  de 
conduction.  L'étude  du  tétanos  névro-réflexe  donne  les  mêmes  résultats  :  courant  plus 
intense,  tendances  à  s'identifier  avec  le  tétanos  direct. 

On  comprend  alors  comment,  avec  une  dose  trop  forte,  tétanisante,  Blumenau  a  pu 
signaler  cette  première  phase  de  diminution  de  l'activité  réflexe;  la  totalité  de  la  subs- 
tance toxique  n'a  pas  encore  imprégné  les  centres  nerveux,  et  on  assiste  à  une  action  des 
doses  faibles:  c'est  là  une  conttrmation  de  la  loi  donnée  par  Ch.  Richet  :  les  substan- 
ces qui,  à  une  dose  faible,  diminuent  le  pouvoir  réflexe  de  la  moelle  (probablement  par 
excitation  cérébrale),  à  forte  dose  l'augmentent;  et  celles  qui,  à  faible  dose,  exagèrent 
l'excitabilité  médullaire,  à  forte  dose  la  diminuent.  Cn.  Richet  avait  montré  (Reuîte  Scien- 
tifique, 1886,  p.  45)  l'action  paralysante  de  la  strychnine  à  haute  dose;  l'antipyrine,  on  le 
voit,  est  au  contraire  sédative  à  faible  dose,  tétanisante  à  haute  dose. 

Mais  l'excilabilité  de  la  moelle  n'est  pas  seule  touchée;  l'excilo-motiicité  est  égale- 
ment atteinte;  l'amplitude  des  contractions  diminue  après  l'injection  d'antipyrine,  et  il 
suffit  d'une  courte  série  d'excitation,  pour  épuiser  le  nerf  pour  un  certain  temps.  Cet 
épuisement  se  produit  beaucoup  moins  vite  et  la  contractilité  persiste  plus  longtemps, 
si  l'on  a  soin  de  lier  avant  l'injection  les  artères  d'une  des  pattes. 

E.  Glry  en  conclut  que  l'antipyrine  n'agit  pas  seulement  sur  la  moelle  et  sur  les  troncs 
nerveux,  mais  encore,  dans  une  certaine  mesure,  sur  les  plaques  terminales  motrices  et' 
peut-être  sur  le  muscle  lui-même. 

CoppoLA,  qui  se  servait  de  fortes  doses,  8  centigrammes,  ne  trouve  aucun  changement, 
ni  dans  la  période  latente,  ni  dans  la  forme  de  la  courbe;  seulement,  après  un  certain 
temps,  les  courbes  deviennent  plus  petites,  et  il  conclut  que  l'antipyrine  n'a  d'action  ni 
sur  les  muscles  striés,  ni  sur  les  nerfs  périphériques. 

L'action  de  l'antipyrine  sur  l'axe  cérébro-spinal  étant  connue,  il  reste  à  déterminer  s'il 
existe  une  action  élective  sur  la  moelle  ou  sur  le  cerveau.  Les  divergences  de  vue  que 
l'on  note  à  ce  sujet  dans  les  différents  travaux  tendent  à  nous  faire  admettre  que  l'anti- 
pyrine agit  en  réalité  sur  tous  les  centres  nerveux  ;  tandis  que  Blx'jiexau  et  Batten  et 
BoKENHAM  {Brit.med.  Journ.  (1),  1889,  p.  1222)  ont  vu  que  la  section  de  la  moelle  n'em- 
pêche pas  les  convulsions  anlipyriques  d'éclater  dans  le  segment  inférieur  du  corps  ; 
CoppoLA,  Simon  et  Hock  (John  Hopkins  hosp.  Bull.,  1890)  ont  observé  un  effet  contraire. 

Caravias,  en  étudiant  la  contraction  névro-réflexe  chez  des  grenouilles  excérébrées,  a  vu 
que  chez  ces  dernières  on  ne  notait  plus  les  modifications  .signalées  plus  haut  chez  les 
grenouilles  normales  ;  toutefois  il  n'ose  en  tirer  une  conclusion  ferme.  H.  Wood  (Therapen- 
tics),  en  s'appuyant  principalement  sur  l'action  thérapeutique  ou  toxique  de  l'antipyrine 
chez  l'homme,  admet  une  influence  particulière  sur  l'écorce  cérébrale,  mais  sans  preuve 
directe. 

L'action  sur  la  moelle  épinière,  en  tout  cas  au  point  de'vue  de  l'action  sédative,  est 
manifeste;  une  expérience  élégante  de  Chouppe  tend  encore  à  la  démontrer  {B.  B.,  1887, 
p. 430).  Il  injecte  à  un  chien  de  16  kilos  d'aborddK^2o  d'antipyrine,  puis  0s'',003  destrych- 
nine  (dose  convulsivante),  et  le  strychnisme  n'apparaît  pas. 

Les  opinions  contradictoires  sur  l'action  de  l'antipyrine  sur  les  centres  nerveux  nous 
ont  conduit  à  reprendre  ce  sujet.  En  collaboration  avec  Guibbaud  nous  avons  fait  chez 
des  chiens  à  moelle  cervicale  sectionnée  un  certain  nombre  d'expériences,  qui,  en  per- 
mettant d'établir  le  mécanisme  de  l'intoxication,  expliquent  les  divergences  d'opinions 
des  auteurs  (Guibbaud  et  ,P.  Lanolois.  De  l'action  de  l'antipyrine  sur  les  centres  nerveux. 
B.  B.,  24  mars  1893).  Suivant  la  dose  injectée,  les  divers  centres  nerveux  réagissent 
différemment.  Nous  avons  pu  établir  ainsi  en  injectant  lentement  dans  la  veine  saphène, 
chez  le  chien,  une  solution  à  23  p.  100  d'antipyrine,  une  série  de  stades  très  caractérisés. 

V' stade.  —  0,27  grammes  par  kilo.  Les  réflexes  sont  exagérés  du  côté  de  la.  tête;  puis  les 


ANTIPYRINE.  589 

convulsions  apparaissent,  iieltement  localisées  dans  la  région  innervée  par  les  nerfs  d'ori- 
gine bulbo-cérébrale.  Ces  convulsions  sont  clouiques,  subintrantes.  U  faut  noter  que 
cette  dose,  chez  un  chien  intact,  ne  détermine  pas  de  convulsions,  même  dans  la  tête. 

Dans  le  tronc,  les  réflexes  exagérés  après  la  section  de  la  moelle  sont  maintenant 
atténués,  le  tronc  reste  complètement  immobile,  malgré  les  secousses  de  la  tête. 

2"  atadc.  —  0,.ï4  grammes  par  kilogramme.  Les  convulsions  cloniques  persistent  dans 
la  tête,  puis  apparaît  une  convulsion  tonique,  spasmodique  di*  tronc  et  des  membres  qui 
dure  peu  dï  teuips  :  le  corps  retombe  ensuite  dans  l'inertie. 

3"  atade.  —  is>',35  par  kilogramme.  Les  convulsions  cloniques  subintrantes  continuent 
dans  la  tête,  puis  elles  appai'aissent  dans  le  tronc;  mais  ces  dernières  sont  dues  à  l'hyper- 
excitabilité  réflexe  de  la  moelle.  Le  réflexe  de  la  patte  est  manifestement  exagéré,  et  le 
fait  est  d'autant  plus  sensible  qu'il  était  atténué  pendant  le  1°"'  stade.  [Ine  excitation 
directe  suffit  pour  donner  lieu  à  une  série  de  secousses  dans  la  patte.  Chaque  secousse 
convulsive  dans  le  tronc  est  précédée  par  l'ébranlement  du  tronc  que  produit  la  secousse 
de  la  tête.  L'inscription  graphique  simultanée  des  secousses  dans  la  face  et  dans  le  tronc 
permet  de  calculer  le  retard  dans  la  convulsion  du  tronc. 

4°  stade.  —  Les  réflexes  de  la  face,  oculaires  et  mentonniers,  ont  disparu  :  ceux  du 
front  persistent.  L'activité  réflexe  des  centres  supérieurs  est  désormais  épuisée. 

'^'' atadc.  —  2  grammes  environ  (de  •iB'',80  à  2S'',4o).  Les  réflexes  médullaires  tendent  à 
disparaître  à  leur  tour.  Les  convulsions  ne  peuvent  plus  se  produire.  Les  variations  de 
l'excitabilité  nerveuse  sont  analogues  et  dans  les  sphères  supérieures  et  dans  la  moelle. 

Ainsi  l'intoxication  ne  suit  pas  une  marche  isochrone,  par  suite  de  l'action  plus  spéciale 
des  cellules  cérébro-bulbaires.  De  même  que  l'excitabilité  cérébrale  a  précédé  l'excita- 
bilité de  la  moelle,  l'épuisement  a  suivi  le  même  ordre. 

Si  nous  restons  dans  ce  terme  vague  de  cellules  ou  centres  cérébro-bulbaires,  c'est 
que  nous  n'avons  pas  encore  pu  différencier  suffisamment  l'action  des  zones  cervicales,  des 
noyaux  centraux  et  dos  noyaux  bulbaires. 

Action  sur  la  sensibilité.  —  L'antipyrine  exerce  également  une  action  sur  les  nerfs 
sensibles;  mais,  quand  elle  est  absorbée  complètement,  qu'elle  adilfusé  dans  l'organisme, 
il  est  difficile  de  faire  la  part  de  son  action  sur  les  nerfs  sensibles,  et  celle  de  son  action 
sur  l'excitabilité  de  la  moelle.  Toutefois  son  action  anesthésique  locale  est  certaine.  Déjà 
CoppoLA.  avait  signalé  la  diminution  passagère  de  la  sensibilité  au  point  injecté,  et,  ii  la 
suite  d'autres  expériences,  il  concluait  à  une  action  dépressive  sur  les  troncs  nerveux 
sensitifs.  Batten  et  I^okenuau  {British  med.  Journ.,  1889)  ont  observé  qu'une  application 
directe  de  l'antipyrine  sur  l'intestin  empêche  la  production  des  mouvements  peristalti- 
ques  que  détermine  l'application  d'un  grain  de  sel.  Saint-Hilaire  a  utilisé  cette  action 
anesthésique  locale  dans  les  affections  spasmodiques  du  larynx  et  du  pharynx.  Ori  obtient 
aussi  avec  une  solution  concentrée  (40  p.  100),  non  seulement  l'anesthésie  tactile,  mais 
encore  la  perte  de  la  sensibilité  thermique.  La  durée  de  l'anesthésie  locale  persiste  quel- 
quefois deux  heures. 

Action  sur  la  circulation.  —  L'action  de  l'antipyrine  sur  la  circulation  des  animaux 
à  sang  froid  est  peu  marquée.  Les  doses  capables  de  déterminer  les  accès  tétaniques  et 
l'arrêt  respiratoire  ne  modifient  ni  le  rythme,  ni  l'énergie  des  contractions  cardiaques. 
A  doses  énormes,  plus  de  10  centigrammes,  on  observe  un  ralentissement  qui  va  en  s'ac- 
centuant,  la  diastole  étant  de  plus  en  plus  allongée.  D'après  Coppola,  l'arrêt  se  fait  en 
systole,  alors  que  Arduin,  Lépine,  Armand  ont  vu  le  cœur  arrêter  en  diastole.  Chez  les 
animaux  supérieurs,  les  résultats  sont  assez  contradictoires.  Toutefois  presque  tous  les 
auteurs  admettent  une  vaso-dilatation  de  la  peau  :  Maragliano,  Qlt.irolo,  Bettelheim, 
Casimir,  en  s'appuyant  sur  une  élévation  de  température  de  la  peau,  l'observation  de  la 
dilatation  des  vaisseaux  de  l'oreille  chez  le  chien,  l'augmentation  de  volume  du  bras 
avec  le  pléthysmographe  de  Mosso,  etc.  —  La  méthode  des  pressions  sanguines,  prises 
simultanément  dans  le  bout  central  et  le  bout  périphérique  d'une  artère,  peut  seule 
résoudre  la  question. 

A  dose  modérée  (2  grammes  pour  un  chien  de  10''", 500),  l'antipyrine,  n'exerce  aucune 
action  appréciable  ni  sur  la  pression,  ni  sur  le  rylhme  cardiaque.  Mais,  quand  on  dépasse 
cette  dose,  on  observe  immédiatement  après  l'injection  une  chute  de  pression  de  éi  à 
Ib  millimètres  de  mercure  dans  ie  bout  périphérique,  la  pression  dans  le  bout  central 


390  ANTIPYRINE. 

restant  normale.  Seule  une  vaso-dilatation  périphérique  peut  expliquer  cette  chute.  A  la 
dose  de  7  grammes,  l'animal  est  pris  de  convulsions  cloniques,  suivies  d'une  attaque  téta- 
nique, et  la  pression  s'élève  nécessairement  dans  les  deux  bouts;  mais  cette  élévation 
de  pression  est  indépendante  des  contractions  musculaires,  car  on  l'observe  encore  chez 
l'animai  curarisé.  La  section  au-dessous  du  bulbe  ne  la  supprime  pas,  tout  en  l'attérmant. 

La  vaso-dilatation  périphérique  est  bien  démontrée  dans  cette  expérience  de  Gley  et 
Caravias,  mais,  en  même  temps  qu'il  se  produit  une  vaso-dilatation  périphérique,  il  peut 
exister  en  même  temps  une  vaso-constriction  centrale.  C'est  par  cette  vaso-constriction 
que  Gley  et  Caravias  expliquent  l'augmentation  de  pression  du  bout  central  constatée 
avec  4  grammes,  alors  qu'il  n'existe  aucune  augmentation  ni  dans  la  fréquence,  ni  dans 
l'amplitude  de  contraction.  La  vaso-constriction  centrale  est  constatée  par  la  diminution 
de  volume  du  rein,  enregistrée  par  Casimir  avec  le  néphrographe  (De  l'influence  de  l'anti- 
pyrine  sur  la  aécrétion  urinaire.  Th.  doct.  Lyon,  1886). 

Dans  quelques  cas  on  note  une  augmentation  dans  la  fréquence  du  rythme  cardiaque  ;■ 
Cerna  et  Carter  (Neiv Remédies,  d892,  cités  par  H.  Wood)  expliquent  cette  accélération  par 
une  influence  paralytique  sur  les  nerfs  modérateurs  du  cœur,  mais  cette  explication  est 
purement  hypothétique;  elle  est  tout  au  moins  en  contradiction  avec  les  expériences  de 
Gley,  qui  a  vu  qu'il  fallait  une  très  forte  dose  pour  modifier  i'excitabiUté  des  pneumo- 
gastriques. 

Quant  à  l'action  de  l'antipyrine  sur  le  sang,  elle  parait  peu  importante.  Lépine  avait 
attiré  l'attention  sur  la  formation  de  la  méthémoglobine  ;  mais  cette  transformation, 
est  niée  par  Brouardel  et  Loye.  Hénocque  et  Arduin  (thèse  citée)  ont  noté  l'action 
hémostatique  de  l'antipyrine.  En  solution  au  1/20,  son  action  est  très  nette,  supérieure 
à  celle  du  perchlorure  de  fer  et  de  l'ergotine.  Cette  propriété  est  souvent  employée 
pour  faire  l'hémostase  après  les  piqûres  de  sangsues.  Les  propriétés  antiseptiques  de 
rantip3Tine  contribuent  à  recommander  son  emploi  dans  ce  but. 

Action  sur  la  température.  —  Le  nom  même  d'antipyrine  donné  par  Filehne  au 
médicament  indique  les  propriétés  spéciales  attribuées  à  ce  dérivé  de  la  quinoléine; 
mais  cette  action  sur  la  température  doit  être  étudiée  à  un  double  point  de  vue  : 
l'action  antithermique,  faction  antipyrétique.  Par  action  antilhermique,  nous  admettons 
l'influence  que  peut  avoir  une  substance  sur  l'abaissement  de  la  température  chez  un 
sujet  normal,  les  antipyrétiques  ayant  surtout  pour  effet  de  faire  baisser  une  tempéra- 
ture supérieure  à  la  normale.  La  première  influence  est  pertubatrice,  la  seconde  étant 
régulatrice.  Cette  distinction  un  peu  théorique  nous  paraît  cependant  fondée  par  l'étude 
des  diverses  substances  employées  contre  l'hyperthernùe. 

Quelle  est  faction  de  l'antipyrine  sur  un  animal  à  température  normale?  A  faible  dose, 
elle  est  nulle.  Sur  nous-mème,  nous  n'avons  jamais  constaté  une  variation  sensible, 
même  après  l'absorption  de  trois  grammes  en  7  heures;  Muller  admet  une  dimi- 
nution de  quelques  dixièmes  de  degré.  Étant  données  les  variations  physiologiques  de 
la  température  chez  l'homme  sain,  ces  quelques  dixièfnes  peuvent  être  considérés 
comme  négligeables.  Sur  les  animaux  les  résultats  sont  assez  variables.  Souvent,  après 
l'injection  d'une  dose  suffisante  pour  déterminer  l'analgésie,  1  gramme  pour  un  lapin 
de  S''", 600  (Cahavias,  loc.  cit.,  p.  13),  on  constate  une  légère  élévation  thermique,  élévation 
d'ailleurs  passagère;  puis  la  température  redevient  normale,  ou  s'abaisse  légèrement. 
Werner  Rosenthal  {Teinperalurvertheilung  im  Fieber,  A.  P.  P.,  1893,  p.  230)  a  trouvé 
également  que  chez  l'animal  normal  la  température  rectale  ne  subissait  que  de  très  fai- 
bles variations. 

L'action  antipyrétique,  au  contraire,  est  incontestable.  En  Allemagne,  où  l'on  a 
employé  l'antipyrine  à  très  haute  dose  (3  à  6  grammes  pris  en  trois  fois  d'heure  en 
heure),  on  a  obtenu  des  abaissements  thermiques  notables.  Mais  Jaccoud  (Bull,  de  l'Ac.  de 
Méd.,  27  oct.  1885)  insiste  sur  la  fugacité  de  la  chute  thermique  et  sur  la  rapidité  avec 
laquelle  s'opère  la  réascension,  souvent  accompagnée  de  frissons  violents.  Dans  les  fièvres 
à  forme  continue,  comme  la  fièvre  typhoïde,  l'emploi  de  l'antipyrine  paraît  aujour- 
d'hui condamné.  Chez  les  enfants,  l'action  antipyrétique  paraît  plus  nette,  plus  accen- 
tuée et  plus  durable  que  chez  l'adulte:  ou  obtient  facilement,  avec  des  doses  faibles,  un 
abaissement  de  1°  à  2°. 

Sur  les  animaux  rendus  fébricitants,  l'action  antipyrétique  est  manifeste,  que  l'hy- 


ANTIPYRINE.  o91 

perthermie  soit  déterminée  par  l'injeclion  de  produits  septiques  (Werner  Rosentiial, 
U.  Mosso,  Cerna  et  Carter,  etc.),  ou  bien  par  la  piqûre  des  centres  cérébraux  (Girard, 
Sawadowski,  U.  Mosso,  Gottlieb). 

Mais  par  quel  mécanisme  la  cbute  de  la  température  anormale  se  produit-elle? 
Werner  Rosenthal  {loc.  cit.),  dans  une  étude  très  minutieuse  pratiquée  avec  les  appareils 
thermo-électriques,  fait  intervenir  comme  facteur  essentiel  la  vaso-dilatation  et,  par 
suite,  l'augmentation  dans  la  déperdition  du  calorique.  Prenant  simultanément  ses 
mesures  dans  le  rectum,  l'oreille,  la  peau,  il  constata  qu'après  injections  ou  absorption 
par  la  voie  gastrique  de  30  à  40  centigrammes,  la  chute  de  la  température  centrale 
était  toujours  précédée  par  une  élévation  de  la  température  cutanée,  et,  d'autre  part, 
qu'une  nouvelle  poussée  hyperthermique  se  produisait  quand  la  température  cutanée 
restait  quelque  temps  stationnaire.  Mais  l'action  vaso-dilatatrice  est-elle  suffisante  pour 
expliquer  l'action  des  antipyrétiques  en  général  et  de  l'antipyrine  en  particulier  sur 
l'hyperthermie?  Déterminer  quelles  sont  les  modifications  apportées  non  seulement 
dans  la  radiation  calorique,  mais  aussi  dans  la  thermogenèse,  est  une  recherche  difficile  : 
les  procédés  calorimétriques  actuels  ne  permettent  pas  encore  d'obtenir  des  résultats 
bien  précis. 

H.  WooD  (T/iecnpeuif'cs,  1892,  p.  699)  dit  avoir  constaté  sous  l'influence  de  l'antipyrine 
une  diminution  à  la  fois  dans  la  production  du  calorique  et  dans  la  radiation  ;  mais 
la  première  serait  plus  forte.  La  diminution  dans  la  radiation,  postérieure  à  la  dimi- 
nution dans  la  thermogenèse,  ne  serait  d'après  lui  qu'un  effet  de  l'affaiblissement  de 
l'activité  thermogénique.  Ces  résultats  sont  en  contradiction  avec  ceux  de  W.  Rosen- 
thal.  Il  obtenait  l'hyperthermie  chez  des  chiens  par  une  injection  de  pepsine.  Cerna  et 
Carter,  en  injectant  du  sang  corrompu,  ont  trouvé  que  la  perte  de  chaleur  coïncidait  avec 
la  chute  dans  la  production  de  calories.  Les  expériences  de  Gottlieb  [A.  P.  P.,  t.  xxviii, 
1891)  sont  en  contradiction  avec  celles  de  Wood.  Dans  trois  expériences  les  injections 
d'antipyrine  ont  déterminé  à  la  fois  une  augmentation  et  dans  la  production  de  chaleur 
et  dans  la  radiation.  Mais  comme  celle-ci  l'emporte,  il  en  résulte  un  abaissement  de 
la  température. 

Ott  {Modem  Antipyretica,  1892,  p.  73)  a  étudié  sur  l'homme  même;  son  sujet  était 
fébricitant  par  suite  d'une  néphrite  chronique.  Notons  cependant  que  dans  tous  les 
graphiques  donnés  par   l'auteur  nous  ne  lisons  pas  de  température  supérieure  à  39°6. 

Cet  homme,  avant  la  prise  de  Isi^iSO  d'antipyrine,  avait  donné  une  radiation  ther- 
mique égale  à  son  activité  thermogénique,  soit  104,40  calories  heures  dans  les  deux  sens. 
Après  l'injection,  son  activité  thermogénique  tombe  à  83,4  et  sa  radiation  est  de  102, o. 
Bien  que  les  deux  ohilfres  soient  plus  faibles,  l'tictivité  thermogénique  surtout  a  diminué, 
sa  température  tombe  de  0'',3.  Dans  la  seconde  heure  la  production  s'élève  à  113,6  et 
la  radiation  à  HO.  Aussi  la  température  remonte-t-elle  légèrement.  Au  mot  Fièvre  on 
aura  l'occasion  de  revenir  sur  ia  discussion  même  des  méthodes  calorimétriques  employées 
et  sur  les  critiques  qu'elles  suscitent.  C'est  là  seulement  que  la  question  des  centres 
thermiques  et  des  appareils  thermotaxiques  pourra  être  utilement  traitée.  Nous  devons 
cependant  citer  quelques  recherches  faites  sur  l'action  de  l'antipyrine  dans  l'hyper- 
thermie consécutive  au  traumatisme  cérébral.  Girard  (De  l'action  de  V antipyrine  sur 
Vun  des  centres  thermiques.  Revue  médicale  de  la  suisse  Romande,  1887)  a  vu  que  l'anti- 
pyrine agissait  sur  l'hyperthermie  délerminée  par  la  piqûre  du  cerveau  chez  le  lapin. 
Sawadowski  [Zur  Frage  uber  die  Localisation  der  Wàrmeregulirenden  Centren  in  Gchirn  iind 
uber  die  Wirkung  des  Antipyrin  auf  dea  Thierkôrper.  C.  \V.,  1888,  pp.  8-H)  admet  éga- 
lement l'action  de  l'antipyrine;  mais  l'explication  qu'il  donne  de  cette  action  est  tout  au 
moins  très  diffuse. 

L'augmentation  dans  la  perte  de  chaleur,  dit-il,  est  due  à  l'excitation  d'un  centre 
thermique  vaso-moteur  spécial  (partie  antérieure  du  corps  strié  ?)  ;  puis,  pour  expliquer  la 
diminution  dans  la  production  et  dans  la  radiation,  il  suppose  une  action  paralysante  sur 
les  centres  producteurs  de  la  chaleur  du  même  centre,  ou  bien  encore  une  excitation  de 
la  région  modératrice  de  ces  mêmes  centres.  On  voit  combien  est  vague  cette  explica- 
tion. U.  Mosso  {La  doctrine  de  la  (iévre.  A.  B.,  1890,  p.  476)  n'a  constaté  aucun  effet 
appréciable  en  administrant  l'antipyrine,  soit  avant,  soit  après  la  lésion.  Martin  {Modem 
therapeutics   de   Ott,   1892,  p.  63),  au   contraire,  trouve  que  l'antipyrine  empêche  ou 


592  ANTISEPSIE    et    ASEPSIE. 

diminue  la  production  de  chaleur  que  l'on  observe  après  la  piqûre  du  corps  strié. 
GoTTLiEB,  déjà  cité,  admet  que  la  perte  de  chaleur  après  injection  d'antipyrine  sur  les 
animaux  aux  centres  thermiques  excités  atteint  '.yi  p.  100,  alors  que  la  quinine  n'amène 
qu'une  hyperradiation  de  40  p.  100.  D'où  cette  conclusion  clinique,  que,  dans  les  hyper- 
thermies  aiguës,  quand  on  veut  obtenir  une  chute  rapide  de  la  température,  il  faut  pré- 
férer l'antipyrine  à  la  quinine,  mais  en  se  tenant  prêt  à  combattre  la  réascension  ther- 
mique qui  se  produit  bientôt.  Dans  les  cas  où  l'on  cherche,  au  contraire,  une  action 
antitherniique  durable,  la  quinine  est  supérieure  à  l'antipyrine. 

Action  antiseptique.  —  Brouardel  et  Loye  {B.  B.,  1883,  p.  103),  étudiant  comparati- 
vement l'action  physiologique  de  la  thalline,  de  l'antipyrine  et  de  la  kaïrine,  virent  que 
l'antipyrine  retardait  la  fermentation  de  la  levure  de  bière,  et,  en  solution  de  1  p.  100, 
s'opposait  à  la  g-ermination  des  graines.  Ç.^ravias  {thèse  citée,  p.  37),  Cazeneuve  et  Visbeck 
{Lyon  médical,  1802)  signalent  le  rôle  antiputride  de  l'antipyrine  à  la  dose  de  1  p.  100; 
Roux  et  RoDET  {Lyon  médical,  1892)  ont  vu  également  une  solution  de  4  p.  100  suffire 
pour  gêner,  sinon  stériliser  des  cultures  de  Bacilius  coli  communis.  D'après  Chittenden 
et  Stewart  (cités  par  ^VooD),  même  à  très  faible  dose,  3  p.  100,  l'antipyrine  arrêterait  l'ac- 
tion digestive  d'une  solution  acidulée  de  pepsine.  Cette  observation,  intéressante  au  point 
de  vue  clinique,  mériterait  d'être  reprise  méthodiquement. 

Absorption  et  élimination.  —  L'absorption  de  l'antipyj-ine  même  par  la  voie  diges- 
tive est  très  rapide.  Chez  l'homme  les  effets  sédatifs  se  manifestent  souvent  un  quart 
d'heure  après  la  prise  du  cachet.  Injectée  dans  la  veine,  son  action  est  immédiate;  nous 
avons  vu  les  convulsions  cloniques  éclater  dans  la  tête  chez  un  chien  à  moelle  sectionnée, 
quand  l'injection  des  3  centimètres  cubes  de  la  solution  à  20  p.  100  n'était  pas  encore 
complètement  terminée.  CAPrrAN' et  Gley  {Delà  toxicité  de  l'antipyrine  sidvant  les  voies 
d'introduction.  B.  B.,  1887,  p.  703)  ont  chez  le  lapin  déterminé  la  dose  toxique  suivant  le 
mode  d'introduction.  Par  injection  sous-cutanée  il  faut  18^,43  à  ler^go  par  kilogramme 
pour  tuer  l'animal  en  1  heure  30,  chiffre  moyen.  Par  injection  intra-veineuse  (veine  de 
l'oreille),  il  faut  0,64,  0,68  suivant  un  temps  qui  varie  de  13  à  43  minutes.  Par  la  veine 
mésentérique,  0,7o  à  0,93;  mort  en  30  ou  36  minutes.  Les  accidents  toxiques  sont  plus 
intenses  lorsque  l'injection  est  faite  sous  la  peau  ou  dans  la  veine  périphérique  que  lors- 
qu'elle est  poussée  dans  une  veine  mésentérique.  Ces  recherches  tendent  à  montrer  que 
le  foie  possède  le  pouvoir  de  retenir  une  certaine  quantité  d'antipyrine,  comme  il  le 
fait  pour  la  nicotine  et  presque  tous  les  alcaloïdes.  Cette  opinion  trouve  sa  confirmation 
dans  les  recherches  de  Wera  Iwanoff  (A.  Db.,  1887,  Suppl.)  sur  le  foie  des  grenouilles 
antipyrinées.  Les  cellules  hépatiques  sont  profondément  modifiées  dans  leur  cellule  et 
leur  protoplasma. 

L'antipyrine  s'élimine  surtout  parles  urines;  on  ne  l'a  trouvée  ni  dans  la  sueur  ni 
dans  la  salive,  Haye  {Koberts  Jahresb.,  1883);  mais  Pinzani  aurait  reconnu  sa  présence 
dans  le  lait  d'une  nourrice  {Centr.  f.  die  Ges.  Therap.,  août  1890). 

Pour  rechercher  l'antipyrine  dans  l'urine,  on  acidifie  avec  SO^H^,  6  à  8  gouttes  pour 
10  centimètres  cubes  d'urine,  et  on  traite  par  une  goutte  de  perchlorure  de  fer  qui  donne 
une  coloration  rouge  pourpre  :  il  est  souvent  utile  de  décolorer  au  préalable  l'urine  par 
le  noir  animal. 

Oii  peut  généralementreconnaître  le  passage  du  médicament  dans  l'urine  dès  la  vingt- 
cinquième  minute  :  vers  la  quatrième  ou  cinquième  heure,  la  réaction  est  la  plus  nette, 
mais  elle  persiste  encore,  quoique  très  faible,  au  bout  de  30  heures. 

L'antipyrine  paraît  diminuer  la  sécrétion  de  l'urine;  mais  le  fait  au  point  de  vue  cli- 
nique est  loin  d'être  bien  établi.  Expérimentalement  Casimir  {lac.  cit.,  1886)  a  vu  que  des 
doses  massives  (3,30)  diminuent  la  sécrétion  urinaire  pendant  une  demi-heure  (vaso- 
constriction indiquée  par  le  néphrographe);  puis  la  quantité  d'urine  émise  parles  ure- 
tères reprenait  le  chiffre  normal,  ou  même  le  dépassait. 

P.   LANGLOIS. 

ANTISEPSIE  et  ASEPélE.  —  Sous  le  nom  d'antisepsie  on  désigne 
l'ensemble  des  moyens  dont  le  médecin  et  le  chirurgien  disposent  pour  combattre  les 
maladies  scptiqaes  ou  infectieuses,  c'est-à-dire  les  maladies  dues  à  la  présence  dans  l'or- 
ganisme de  microbes  ou  bactéries  (voy.  Bactériologie),  qui  entravent  et  pervertissent  le 


ANTISEPSIE    et    ASEPSIE.  393 

fonctionnement  normal  de  cet  organisme,  non  seulement  par  leur  présence,  mais 
encore  et  surtout  par  la  production  des  toxines  qu'ils  sécrètent,  véritables  poisons 
versés  dans  les  liquides  de  l'économie. 

Sous  le  nom  d'asepsie,  on  désigne  l'ensemble  des  moyens  hygiéniques  qui  ont  pour 
but  de  prévenir  ou  d'empêcher  l'introduction  de  ces  microbes  ou  de  leurs  toxines  dans 
l'organisme.  Le  terme  d' antisepsie  prophylactique  est  quelquefois  employé  dans  le  même 
sens,  avec  cette  nuance  que  l'asepsie  n'emploie  que  des  moyens  hygiéniques  proprement 
dits,  tandis  que  l'antisepsie  prophylactique  a  recours  à  des  agents  thérapeutiques  (dits 
antiseptiques),  analogues  ou  identiques  à  ceux  que  l'on  emploierait  si  la  maladie  était 
déclarée.  Mais,  bien  que  l'asepsie  et  l'antisepsie  soient  deux  choses  distinctes,  ces  deux 
choses  se  touchent,  dans  la  pratique,  par  tant  de  points,  qu'il  nous  paraît  préférable  de 
les  traiter  dans  un  seul  et  même  article,  d'autant  plus  qu'elles  concourent  en  déflnitive 
au  même  résultat. 

Historique.  —  Le  mot  antisepsie  est  un  néologisme  qui  remonte  à  peine  à  une 
dizaine  d'années,  et  la  théorie  sur  laquelle  repose  la  méthode  antiseptique,  telle  que 
nous  la  concevons  aujourd'hui,  est  évidemment  postérieure  à  la  découverte  du  rôle  des 
microbes  dans  les  maladies  septiques  ou  infectieuses.  La  dernière  édition  du  diction- 
naire de  l'Académii^  ne  contient  ni  Antisepsie  ni  Asepsie,  mais  on  y  trouve  Antiseptique, 
ce  qui  prouve  que  la  chose  existait  dans  la  pratique  avant  qu'on  eût  édifié  cette  théorie. 
Antiseptique  y  est  défini  comme  un  adjectif  employé  substantivement  pour  désigner 
«  les  substances  qui  préviennent  la  putréfaction  ».  En  effet,  on  a  fait  usage  de  nom- 
breux antiseptiques,  avant  d'être  fixé  d'une  façon  précise  sur  le  véritable  mode 
d'action  des  substances  que  l'on  désignait  sous  ce  nom,  et  sur  la  nature  même  de 
la  "  putréfaction  ». 

Les  médecins  de  l'antiquité  et  du  moyen  âge  ont  employé  diverses  substances, 
reconnues  encore  actuellement  comme  antiseptiques,  dans  le  traitement  des  plaies.  Les 
baumes  elles  onguents,  qui  jouaient  un  si  grand  rôle  dans  leur  thérapeutique  chirurgicale, 
sont,  tout  au  moins,  des  substances  propres  à  soustraire  les  plaies  au  contact  de  l'air 
ou  des  agents  extérieurs,  et  l'on  trouve  en  germe,  dans  cette  pratique,  le  principe  de 
Vocclusion  des  plaies,  si  nettement  formulé  par  A.  Guérin  et  les  chirurgiens  modernes. 
Les  Arabes  employaient  dans  ce  but  le  goudron,  dont  le  principe  actif  n'est  autre  que 
l'acide  phénique  (Babette). 

La  méthode,  si  universellement  répandue  jusqu'à  Ambroise  P.^eé,  et  même  longtemps 
après  lui,  de  la  cautérisation  des  plaies  de  guerre  à  l'aide  du  fer  rouge,  semble  fondée 
sur  une  théorie  antiseptique  grossière  et  brutale,  mais  qui  ne  peut  nous  étonner,  puisque 
le  flambage  des  plaies  a  été  proposé  récemment  comme  un  moyen  de  produire  l'antisep- 
sie parfaite  dans  les  opérations  chirurgicales.  En  substituant  au  fer  rouge  i'huile  de  rose, 
le  père  de  la  chirurgie  moderne  faisait  encore  de  l'antisepsie.  Cette  huile  agissait  sans 
doute,  à  la  fois  par  son  astringence  et  par  l'essence  très  active  qu'elle  renferme. 

MOiNDEViLLE,  chirurgien  de  Philippe-le-Bel  au  commencement  du  xiv°  siècle,  bien 
antérieur  par  conséquent  à  Paré,  avait  des  idées  très  nettes  d'antisepsie,  si  l'on  en 
juge  d'après  les  extraits  de  ses  œuvres  récemment  publiés  par  Nicaise.  Mondeville 
déclare  que  la  suppuration  peut  être  évitée  par  la  réunion  immédiate,  suivie  d'un 
pansement  au  vin  chaud  ou  salé.  Ce  qu'il  importe  surtout,  c'est  de  protéger  les  plaies 
contre  l'air,  agent  de  suppuration  :  c'est  pourquoi  il  y  applique  un  emplâtre  antisep- 
tique. On  ne  ferait  pas  mieux  aujourd'hui. 

On  s'étonne,  après  cela,  du  peu  de  progrès  fait  par  la  chirurgie  antiseplique  depuis 
A.  Paré  jusqu'à  l'époque  contemporaine.  Est-il  une  meilleure  preuve  de  ce  fait  incon- 
testable que  les  méthodes  thérapeutiques  ne  triomphent,  en  médecine,  que  grâce  au.x; 
théories  qui  leur  ont' donné  naissance  ou  sur  lesquelles  elles  s'appuient?  Dénué  de  cette 
base,  l'empirisme  aveugle  ne  peut  avoir  de  fondements  durables. 

Que  l'on  ouvre  un  traité  de  chirurgie  publié  de  IStiO  à  1870,  c'est-à-dire  il  y  a  trente 
ans  à  peine,  on  sera  frappé  du  peu  de  précision  qui  règne  dans  le  traitement  des  plaies 
après  opération.  Nulle  part  il  n'est  question  d'asepsie  ou  d'antisepsie  :  l'opportunité  de 
la  réunion  immédiate  est  encore  discutée  ou  méconnue,  faute  d'une  asepsie  suffisante  du 
champ  opératoire.  C'est  l'époque  du  pansement  à  la  charpie  et  au  cérat  ou  à  f  onguent 
digestif,  toutes  choses  que  l'on  ne  se  préoccupait  nullement  de  rendre  aseptiques  !  Ceux; 

DICT.    DE    PHYSIOLOGIE.    —    TOME    I.  38 


594  ANTISEPSIE    et    ASEPSIE. 

qui  ont  connu  ces  pansements  en  connaissent  aussi  les  résultats,  et  savent  combien  les 
grandes  suppurations,  les  abcès  métastatiques  et  l'infection  purulente  étaient  fré- 
quents dans  les  salles  de  chirurgie  de  nos  hôpitaux. 

Quelques  chirurgiens,  cependant,  semblent  avoir  pressenti,  dès  cette  époque,  la 
révolution  qui  se  préparait.  S'il  n'est  pas  encore  question  d'antisepsie,  on  fait,  tout  au 
moins,  de  l'asepsie,  bien  que  le  mot  ne  soit  pas  encore  inventé.  A  l'irrigation  continue 
par  l'eau  froide,  qui  n'agissait,  sans  doute,  qu'en  éloignant  de  la  plaie  les  microbes  et  le 
pus,  on  substitue  les  bains  ou  fomentations  tièdes,  préconisés  par  les  médecins  anglais 
et  adoptés  par  Sédillot,  un  des  chirurgiens  les  plus  habiles  de  cette  époque.  Le  drainage 
des  plaies  permet  d'avoir  recours  plus  souvent  à  la  réunion  immédiate.  Kœbehlé  (de 
Strasbourg),  qui  fut  un  des  premiers,  en  France  à  faire  la  laparotomie  (ovariotomie), 
n'employait  pas  d'autre  antiseptique  que  l'eau  tiède;  mais  il  attribuait,  avec  raison,  ses 
succès  au  soin  méticuleux  qu'il  prenait  de  laver  et  de  sécher,  de  la  façon  la  plus  par- 
faite, la  cavité  péritonéale,  avant  d'opérer  la  réunion  des  parois  abdominales. 

Nélaton,  a.  Richet,  et  d'autres  chirurgiens  employaient  les  pansements  à  l'alcool. 
'C'est  à  cette  époque  (1866-1875)  que  les  expériences  fondamentales  de  Pasteur  sur  les 
germes  de  l'air  provoquèrent  une  révolution  complète  dans  la  théorie  de  l'infection  des 
plaies  par  les  agents  extérieurs.  En  montrant  que  l'agent  esssentiel  de  toute  putréfaction 
était  un  microrganisme  analogue  à  celui  des  fermentations,  et  non  pas  un  miasme 
de  nature  gazeuse,  comme  on  le  supposait  encore.  Pasteur  fît  entrer  la  physiologie 
et  la  médecine  dans  une  voie  nouvelle  et  féconde.  En  prouvant  que  la  chaleur  détruisait 
ces  microrganismes  et  qu'un  simple  bouchon  d'ouate  suffisait  ensuite  pour  arrêter 
tous  les  germes  suspendus  dans  l'air  et  assurer  l'asepsie  des  liquides  organiques, 
Pasteur  faisait  triompher  la  doctrine  de  la  réunion  par  première  intention  el  de  l'oc- 
clusion des  plaies,  qui  rend  le  chirurgien  maître  de  toutes  les  suppurations.  Une 
science  nouvelle,  la  Microbiologie,  se  créait  en  quelque  sorte  de  toutes  pièces  et  prenait,  ' 
en  moins  de  dix  ans,  un  essor  prodigieux.  L'asepsie  et  l'antisepsie,  créées  du  même 
coup  ou  régénérées  sur  des  bases  nouvelles,  prenaient  droit  de  cité  dans  la  thérapeu- 
tique moderne  et  en  constituaient  bientôt  une  des  branches  les  plus  imporlantes.  Le 
pansement  occlusif  ouaté  de  A.  Guéri.n,  le  pansement  antiseptique  à  l'acide  phénique 
de  Lister,  l'emploi  du  sublimé,  de  l'iodoforme,  etc.,  dans  l'asepsie  et  l'antisepsie  pro- 
phylactique des  pièces  de  pansement  et  dans  les  accouchements,  enfin  l'antisepsie  du 
milieu  intérieur  à  laquelle  s'attache  le  nom  de  Bouchard,  marquent  les  principales 
étapes  du  progrès  réalisé  dans  cette  voie  essentiellement  pratique  et  qui  a  donné  à  la 
chirurgie  opératoire  une  sécurité  inconnue  jusqu'à  ce  jour. 

Antisepsie  physiologique  de  rorganisme  :  auto-antisepsie.  —  On  sait  que 
l'organisme  est  continuellement  en  contact,  extérieurement,  avec  les  microbes  de  l'air, 
intérieurement  avec  ceux  qui  sont  introduits,  dans  le  poumon  par  la  respiration,  dans 
le  canal  digestif  par  les  ingesta  sous  forme  d'aliments  ou  de  boissons.  Tant  que  cet  orga- 
nisme est  sain  et  intact,  et  tant  que  les  microbes  ne  sont  pas  en  trop  grand  nombre,  les 
moyens  dont  l'organisme  dispose,  à  l'état  physiologique,  pour  s'opposer  à  leur  introduction 
ou  pour  s'en  débarrasser  lorsqu'ils  sont  introduits,  suffisent  amplement  à  réaliser  l'an- 
tisepsie du  milieu  intérieur  (Voyez  Ch.  Richet.  La  défense  de  l'organisme.  Trav.  du  Lab., 
t.  III,  1894,  §  III.  Les  microbes). 

La  peau,  et  plus  particulièrement  les  couches  cornées  de  l'épiderme,  constituent  une 
barrière  inaccessible  aux  microbes,  pourvu  que  leur  intégrité  soit  parfaite,  ce  qui  est 
rarement  le  cas:  il  est  prouvé  aujourd'hui  qu'un  simple  bulbe  pileux,  surtout  lorsque  le 
poil  a  été  arraché  ou  seulement  tiraillé,  peut  devenir  la  porte  d'entrée  d'une  affection 
microbienne,  la  furonculose,  par  exemple.  Le  tétanos  dit  idiopathique,  c'est-à-dire  non 
consécutif  aux  plaies  et  aux  opérations,  reconnaît  toujours  pour  cause  des  érosions,  en 
apparence  sans  importance,  siégeant  le  plus  souvent  aux  mains  du  malade  qui,  par  suite 
de  l'habitude,  n'en  a  fait  aucun  cas.  Cependant  l'usage  du  bain,  qui  débarrasse  la  peau  de 
toutes  les  impuretés  et  qui  évite  le  grattage  avec  les  ongles  (source  fréquente  d'inoculation 
microbienne),  se  retrouve,  comme  un  instinct  naturel,  chez  la  plupart  des  animaux. 

Les  muqueuses  des  voies  respiratoires  et  du  canal  digestif  protégées  par  un  épithélium 
plus  délicat  et  plus  sensible  que  celui  de  la  peau,  se  défendent  au  moyen  de  réilexes  qui 
les  avertissent  de  la  présence  d'un  corps  étranger,  si  ténu  qu'il  soit:  l'éternuement,  la 


ANTISEPSIE    et   ASEPSIE.  595 

toux,  le  vomissement  sont  les  principaux  moyens  mécaniques  dont  l'organisme  dispose 
pour  se  débarrasser  des  substances  septiques.  Dans  l'estomac,  l'acidité  du  suc  gastrique 
est  considérée  comme  conférant  à  ce  liquide  un  pouvoir  antiseptique  qui  semble  avoir 
été  exagéré,  puisque  la  plupart  des  microbes  arrivent  encore  vivants  dans  le  duodénum  : 
mais,  dans  l'inlestin,  le  mélange  du  suc  intestinal,  du  suc  pancréatique  et  de  la  bile 
paraît  jouir  de  propriétés  antiseptiques  manifestes.  La  bile  surtout  joue  un  grand  rôle 
dans  la  désinfection  des  matières  non  assimilables  qui  forment  le  résidu  de  la  digestion 
et  séjournent  plus  ou  moins  longtemps  dans  le  gros  intestin  avant  d'être  expulsées:  on 
en  peut  juger  par  l'odeur  infecte  que  présentent  les  matières  fécales  lorsqu'il  existe  un 
obstacle  mécanique  au  cours  normal  de  la  bile,  et  par  les  auto-intoxications  qui  se  pro- 
duisent si  facilement  dans  les  ictères  dus  à  celte  cause.  Le  flux  intestinal  appelé  diarrhée 
n'est  le  plus  souvent  qu'un  moyen  employé  par  l'organisme  pour  se  débarrasser  des 
matières  septiques  que  renferme  l'intestin.  De  même  on  conçoit  que  l'ingestion  exagérée 
d'un  liquide  quelconque  (eau,  vin,  alcool,  etc.),  en  délayant  outre  mesure  les  sécrétions 
normales  de  l'estomac  et  de  l'intestin,  laisse  l'organisme  désarmé  contre  l'attaque  des 
microbes  et  de  leurs  toxines.  Nous  ne  pouvons  insister  ici  sur  les  conséquences  si  impor- 
tantes de  ces  faits  au  point  de  vue  de  l'hygiène  alimentaire. 

Les  différentes  formes  que  prend  l'inflammation  des  muqueuses  ne  sont  que  les  diffé- 
rents moyens  employés  par  ces  tissus  pour  se  défendre  contre  les  microbes  et  leurs 
toxines:  la  fausse  membrane  de  la  diphtérie,  l'expectoration  de  la  bronchite  et  de  la 
pneumonie,  le  tubercule  pulmonaire,  etc.,  nous  montrent  comment  chaque  tissu  de  l'or- 
ganisme réagit  à  sa  manière  en  cherchant  à  résister  à  l'envahissement  du  parasite. 

Le  foie,  grâce  au  système  de  la  veine  porte  qui  lui  amène  le  sang  venant  des  intes- 
tins, est,  comme  l'ont  démontré  des  expériences  récentes  faites  sur  les  animaux, 
une  puissante  barrière  qui  s'oppose  à  l'introduction  des  microbes  et  de  leurs  toxines 
dans  la  circulation  générale  et  les  rejette  vers  l'intestin.  De  même,  par  leurs  sécrétions 
spéciales,  le  rein  et  les  glandes  sébacées  concourent,  avec  l'intestin,  à  purger  le  sang  des 
toxines,  et,  dans  certains  cas,  des  microbes  eux-mêmes. 

D'ailleurs,  lorsque  ces  microbes,  quelle  que  soit  leur  porte  d'entrée,  ont  réussi  à 
pénétrer  dans  le  milieu  intérieur,  ce  milieu  ne  reste  pas  désarmé.  Le  sérum  du  sang, 
grâce  à  sa  constitution  chimique,  possède,  sans  doute,  un  pouvoir  antiseptique  notable, 
qui  s'exerce  surtout  sur  les  toxines,  tandis  que  les  éléments  figurés  jouent  le  même  rôle 
en  face  des  microbes  eux-mêmes. 

Ce  sont  les  leucocytes  ou  globules  blancs,  fonctionnant  comme  des  amibes,  qui  jouissent 
de  la  propriété  d'englober  les  bactéries  et  de  les  détruire,  comme  l'a  montré  Metschnikoff. 
Ce  phénomène  est  désigné  sous  le  nom  de  phagocytose.  Ces  cellules  vivantes,  dépourvues 
de  membrane  d'enveloppe,  douées  par  suite  de  la  faculté  de  mouvoir  des  pseudopodes  ou 
prolongements  amiboïdes,  sont  désignées  sous  le  nom  de  phagocytes,  parce  qu'elles 
enveloppent  tous  les  corps  étrangers  à  l'aide  de  ces  pseudopodes,  exa'îtement  comme 
l'amibe  enveloppe  la  proie  dont  il  se  nourrit. 

Chez  les  Vertébrés,  il  existe  des  phagocytes  de  deux  espèces.  La  première  est  repré- 
sentée par  les  leucocytes  ou  cellules  migratrices  à  noyau  multiple,  qui  existent  norma- 
lement dans  le  sang  et  le  système  lymphatique  :  ce  sont  les  phagocytes  microphages,  ainsi 
nommés  à  cause  de  leur  taille  plus  petite.  La  seconde  comprend  les  cellules  normalement 
fixes  du  tissu  conjonctif,  les  cellules  endothéliales  du  poumon,  les  cellules  de  la  rate, 
celles  de  la  moelle  des  os,  qui  ont  en  général  un  seul  gros  noyau,  et  que  l'on  nomme,  en 
raison  de  leur  taille  plus  grande,  phagocytes  macrophages . 

Cette  théorie  de  Metschnikoff  a  jeté  quelque  clarté  sur  ce  phénomène  de  la  suppu- 
ration qui  avait,  si  longtemps,  mis  à  l'épreuve  la  sagacité  des  physiologistes,  et  que  la 
découverte  de  la  diapédèse  n'avait  éclairé  que  d'une  manière  insuffisante.  Le  pus  est 
essentiellement  formé  par  les  phagocytes,  qui  se  montrent  en  grand  nombre  partout  où 
il  existe  des  microbes,  notamment  sur  les  plaies  que  l'on  abandonne  au  contact  de  l'air. 

Ces  phagocytes  sont,  dans  l'organisme,  comme  une  armée  bien  organisée,  mais  qui 
ne  se  mobilise  qu'au  moment  de  l'attaque  de  l'ennemi,  représenté  ici  par  les  microbes. 
Les  leucocytes  du  sang  sont  comme  l'armée  permanente  ou  la  garde  de  police,  toujours 
peu  nombreuse,  mais  qui  suffit  dans  l'état  de  santé  pour  assurer  la  paix  de  l'organisme. 
Dès  que  cet  état  de  santé  est  troublé,  les  leucocytes  se  montrent  en  plus  grand  nombre  : 


596  ANTISEPSIE    et    ASEPSIE. 

c'est  ce  qui  explique  le  gonflement  des  glandes  lymphatiques,  dès  qu'il  existe  une  inflam 
mation,  ces  glandes  étant  essentiellement  des  amas  de  phagocytes. 

Si  les  microbes  sont  en  petit  nombre  et  que  les  phagocytes  soient  assez  vivaces  pour 
en  triompher,  la  guérison  est  rapide.  Sinon  l'organisme  s'épuise  en  fournissant  de 
nouvelles  levées  de  phagocytes  destinés  à  remplacer  ceux  qui  ont  succombé  dans  une 
lutte  inégale:  c'est  ce  que  l'on  voit  dans  les  grandes  suppurations. 

Les  phagocytes,  par  leur  nature  même,  sont  des  cellules  sacrifiées,  destinées  à  mou- 
rir pour  proléger  l'organisme,  et  leurs  cadavres  sont  un  embarras  et  un  danger  pour 
cet  organisme,  car,  dès  qu'il  sont  morts,  ils  deviennent  la  proie  des  microbes.  Bien  plus, 
ils  les  charrient  avec  eux  dans  les  vaisseaux  jusqu'aux  ganglions  lymphatiques,  jusqu'à 
la  rate,  dans  les  capillaires  des  os  et  des  centres  nerveux,  formant  ainsi  des  foyers  d'in- 
fection secondaires  :  c'est  ce  qui  constitue  la  pyohémie. 

Ces  considérations  nous  prouvent  que  la  suppuration  est  loin  d'être  une  condition 
nécessaire  de  l'inflammation  et  qu'il  y  a  le  plus  grand  inlérèt  à  réduire  à  son  minimum 
l'intervention  des  phagocytes.  C'est  là  le  rôle  de  l'antisepsie  et  de  l'asepsie;  car,  là  où  il 
n'y  a  pas  de  microbes,  il  n'y  a  pas  de  suppuration.  On  connaissait  depuis  longtemps  la 
différence  qui  existe  enire  les  plaies  ouvertes  et  les  lésions  internes  par  la  comparaison 
des  fractures  simples  avec  les  fractures  compliquées  de  plaies  extérieures,  des  sections 
sous-cutanées  avec  les  incisions  largement  ouvertes,  etc.,  mais  la  véritable  expli- 
cation de  ces  faits  n'a  pu  être  donnée  que  par  la  théorie  microbienne. 

Asepsie  et  antisepsie  hygiéniques  et  prophylactiques.  —  Dans  l'état  de  santé, 
les  moyens  les  plus  simples  suffisent  à  entretenir  l'asepsie  de  l'organisme;  mais  la  con- 
naissance du  rôle  des  microbes  dans  lëtiologie  des  maladies  a  montré  tout  au  moins 
la  nécessité  de  se  conformer  d'une  façon  étroite  aux  règles  de  l'hygiène,  et  particulière- 
ment aux  soins  vulgaires  de  propreté,  que  beaucoup  de  personnes  considèrent  encore 
comme  inutiles  ou  superflus.  L'eau,  formant  la  base  de  ces  soins  de  propreté,  doit  être 
aussi  pure,  c'est-à-dire  aussi  exempte  de  microbes  qu'il  est  possible  de  l'obtenir  dans  une 
localité  donnée.  Le  savon  doit  lui  venir  en  aide  pour  débarrasser  la  peau  de  toutes  les 
impuretés,  surtout  s'il  s'agit  de  parties  du  corps  qui  ne  sont  pas  l'objet  de  soins  journa- 
liers, ou  des  mains  plus  exposées  à  se  souiller,  en  raison  des  usages  multiples  auxquels 
elles  doivent  servir.  La  propreté  du  linge  de  corps  el  des  vêtements  est  la  conséquence 
de  celle  de  la  peau  :  on  conçoit  sans  peine  que  l'on  s'expose  à  se  réinfecter  après  un  bain, 
en  remettant  le  linge  que  l'on  vient  de  quitter. 

L'asepsie  du  canal  digestif  est  encore  plus  indispensable  que  celle  de  la  peau.  Aussi 
l'eau  destinée  à  servir  de  boisson  doit-elle  être  aseptique  d'une  manière  absolue,  et  cette 
pureté  de  l'eau  potable  doit  être  exigée  beaucoup  plus  rigoureusement  que  pour  l'eau 
servant  aux  soins  de  propreté,  puisqu'il  est  prouvé  aujourd'hui  que  les  maladies  les  plus 
dangereuses  (fièvre  typhoïde,  choléra,  etc.)  se  contractent  à  peu  près  exclusivement  par 
l'eau  employée  comme  boisson. 

La  bouche  doit  être  l'objet  de  soins  de  propreté  tout  particuliers  :  on  sait  que  la  carie 
dentaire  est  produite  par  des  microbes  particuliers  et  qu'à  l'état  de  santé  on  trouve  dans 
la  bouche  de  l'homme,  en  plus  ou  moins  grande  quantité,  un  grand  nombre  de  microbes, 
parmi  lesquels  figure  le  microbe  lancéolé  de  Pasteur  ou  pneumocoque  de  Fhânkel  et  de 
Talamox,  considéré  comme  l'agent  essentiel  de  la  pneumonie  flbrineuse.  11  est  donc 
indispensable  de  réduire  ces  microbes  à  leur  minimum  de  virulence,  au  moyen  d'un 
liquide  approprié.  L'expérience  a  montré  qu'il  n'y  avait  pas  de  véritable  asepsie  sans 
l'emploi  d'un  antiseptique  d'une  efficacité  réelle.  Il  ne  suffit  donc  pas  de  se  rincer  la 
bouche  avec  de  l'eau  pure,  si  aseptique  qu'elle  soit  :  à  cette  eau  on  doit  ajouter  un  anti- 
septique quelconque  (chlorate  de  potasse,  acide  borique,  alcoolat  de  menthe,  etc).  Nos 
pères  avaient  coutume  de  servir  à  la  fin  du  repas  un  rince-bouche  composé  d'eau  de 
menthe  tiède.  Cet  usage  excellent  a  disparu  le  jour  oîi  l'on  s'est  avisé  d'y  voir  quelque 
chose  de  répugnant.  Tout  au  moins  est-il  indiqué  de  se  rincer  la  bouche  le  soir,  avant 
de  se  coucher,  les  détritus  d'aliments  qui  peuvent  rester  entre  les  dents  jusqu'au  lende- 
main matin  étant  toujours  une.  source  de  fermentations  nuisibles,  éminemment  favo- 
rables à  la  multiplicq^tion  des  microbes. 

L'asepsie  physiologique  de  l'estomac  et  de  l'intestin  ne  peut  exister  que  chez  les  per- 
sonnes dont  la  digestion  se  fait  de  la  façon  la  plus  parfaite.  Les  dyspeptiques  doivent 


ANTISEPSIE    et   ASEPSIE.  o97 

donc  surveiller  leur  régime  avec  une  grande  sévérité  :  les  boissons  trop  abondantes 
sont  dangereuses,  parce  qu'elles  délayent  le  suc  gastrique  et  rendent  la  digestion 
beaucoup  plus  lente,  surtout  dans  un  estomac  dilaté.  Les  aliments  crus  ou  peu  cuits,  les 
viandes  avancées  (huîtres,  salades,  viandes  saignantes,  poissons,  crustacés,  gibieis,  etc.) 
doivent  être  proscrits  comme  renfermant  en  plus  ou  moins  grand  nombre  des  microbes 
qu'une  cuisson  imparfaite  n'a  pas  détruits.  Lorsqu'il  existe  une  lésion  quelconque  de 
l'estomac,  de  l'intestin,  du  foie  ou  du  rein,  le  régime  du  malade  doit  être  encore  plus 
sévère  :  c'est  alors  que  le  lait  bouilli  ou  stérilisé  s'impose  comme  aliment  complet  et 
exclusif,  et,  dans  la  convalescence,  les  viandes  fumées  (jambon  d'Vork)  sont  les  premières 
qu'il  convient  de  permettre  parce  qu'elles  contiennent  encore  moins  de  microbes  que  les 
viandes  les  mieux  cuites,  et  que  la  créosote,  qui  s'y  est  développée  par  le  fumage,  est  par 
elle-même  un  antiseptique.  Dans  bien  des  cas  il  est  nécessaire  de  joindre  à  ce  régime 
de  véritables  antiseptiques  (naphtol,  salol,  benzouaphtol,  etc.). 

La  constipation  opiniâtre  est  par  elle-même  un  danger,  en  retenant  dans  le  rectum  des 
matières  excrémentitielles  pouvant  donner  Heu  à  des  fermentations  microbiennes  et  con- 
tenant, d'ailleurs,  par  elles-mêmes,  de  véritables  poisons  (phénol,  indol,  etc.).  On  doit  y 
remédier  suivant  les  indications,  soit  par  un  régime  approprié,  soit  par  des  lavements, 
soit  par  des  purgatifs. 

Lorsqu'une  opération  doit  être  faite  sur  l'un  ou  l'autre  des  organes  contenus  dans 
l'abdomen,  il  est  indispensable  d'assurer,  à  l'avance,  l'asepsie  de  l'intestin.  Le  chirurgien 
prépare  toujours  plusieurs  jours  à  l'avance  chez  son  malade  cette  asepsie,  par  un  régime 
sévère,  des  purgatifs  et  l'emploi  des  antiseptiques  dont  nous  avons  déjà  parlé. 

Antisepsie  médicale  ou  thérapeutique.  ■ —  Dans  toutes  les  maladies,  qu'elles 
soient  d'ailleurs  de  nature  microbienne  ou  dues  à  d'autres  causes,  le  médecin  doit  se 
préoccuper  de  faire  de  l'antisepsie  et  d'approprier  cette  antisepsie  à  la  nature  des  lésions 
produites  parla  maladie  particulière  qu'il  est  appelé  à  soigner  ou  bien  aux  complications 
qui  peuvent  en  être  la  conséquence.  Tout  ce  qui  n'était  qu'utile  dans  l'état  de  santé 
devient  alors  indispensable. 

On  ne  connaît  pas  encore  d'antiseptiques  que  l'on  puisse  considérer  comme  spécifiques 
dans  tous  les  cas  où  le  rôle  des  microbes  dans  les  maladies  est  actuellement,  bien  établi: 
cependant  on  connaît  déjà  un  certain  nombre  de  ces  spécifiques  (mercure  et  sels  mer- 
curiels,  quinquina  et  sels  de  quinine,  etc.),  et  le  nombre  de  ces  médicaments  d'une  effl- 
cacité  reconnue  et  dont  le  choix  s'impose  de  préférence  à  tout  autre  s'augmente  chaque 
jour.  A  défaut  de  spécifiques,  l'expérience  a  prouvé  que  beaucoup  d'antiseptiques  exer- 
cent leur  action  indifféremment  sur  tous  les  microbes,  ce  qui  n'a  pas  lieu  de  surprendre, 
puisque  la  très  grande  majorité  des  organismes  que  l'on  désigne  sous  ce  nom  appar- 
tiennent à  une  seule  et  même  famille;  celle  des  bactériacées.  Dans  l'état  actuel  de  la 
science,  le  médecin  doit  donc  se  préoccuper  surtout  du  mode  d'application  de  l'anti- 
septique et  de  son  mode  d'élimination,  plutôt  que  de  son  action  plus  ou  moins  rapide 
sur  tel  ou  tel  microbe.  11  est  évident  que  tel  antiseptique,  qui  convient  pour  le  traitement 
des  maladies  de  la  peau  ou  pour  le  pansement  des  plaies,  ne  pourra  être  administré 
par  la  bouche,  sous  peine  de  produire  une  intoxication,  ou  devra  l'être  à  beaucoup  plus 
faible  dose.  Le  salol  et  les  salicylates  solubles  devront  être  rejetés  toutes  les  fois  qu'il 
existe  une  néphrite  rendant  le  rein  moins  perméable  aux  urines;  car  l'accumulation  des 
doses  qui  se  produisent  inévitablement  dans  ce  cas  provoque  les  symptômes  les  plus 
graves  du  côté  des  centres  nerveux.  Dans  les  maladies  du  poumon,  les  baumes  (tolu,  ter- 
pinol,  térébenthine,  créosote,  etc.)  doivent  être  préférés  à  tous  les  autres  antiseptiques 
en  raison  de  leur  action  élective  sur  la  muqueuse  bronchique  par  laquelle  ils  s'éliminent, 
etc.  Nous  reviendrons  sur  ce  point  en  traitant  des  antiseptiques. 

Dans  la  plupart  des  cas  on  peut  distinguer  l'antisepsie  locale  de  Vantiscpsie  générale, 
et,  suivant  les  circonstances,  on  fera  l'une  ou  l'autre,  ou  bien  on  emploiera  les  deux  simul- 
tanément, et  l'on  choisira  les  antiseptiques  qui  conviennent  le  mieux  à  l'une  ou  à  l'autre. 

'L'antisepsie  locale  est  celle  où  le  médicament  antiseptique  peut  être  appliqué  directe- 
ment sur  la  surface  que  l'on  veut  atteindre.  Telle  est  l'antisepsie  de  la  peau  et  des  mu- 
queuses qui  tapissent  les  cavités  facilement  accessibles  (bouche,  arrière-gorge,  fosses 
nasales,  vagin,  urèthre,  etc.).  Cette  antisepsie  est  plus  facile  à  faire  etàlimiter  dans  son 
action  :  l'absortion  par  ces  muqueuses  est  moins  rapide  que  dans  le  canal  digestif  ou  le 


598  ANTISEPSIE   et    ASEPSIE. 

milieu  intérieur,  et  l'antiseptique  peut  être  rapidement  écarté  ou  rejeté,  dès  que  son 
action  sur  les  microljes  paraît  suffisante.  On  pourra  donc  employer  dans  ce  cas  les  anti- 
septiques les  plus  énergiques  à  la  dose  que  l'expérience  a  démontré  être  à  la  fois  efficace 
et  sans  danger  pour  l'or°;anisme.  L'antisepsie  des  cavités  closes  des  séreuses,  faite  après 
ponction  ou  à  la  suite  d'une  opération,  doit  aussi  être  considérée  comme  une  antisepie 
locale. 

L'antisepsie  générale  est  celle  qui  s'exerce  sur  le  milieu  intérieur,  où  l'on  cherche  à 
atteindre  les  microbes  et  leurs  toxines,  soit  que  l'on  administre  par  l'estomac  des  subs- 
tances solubles  et  absorbables,  soit  que  l'on  ait  recours  aux  injections  hypodermiques  qui 
font  pénétrer  ces  mêmes  substances  directement  dans  le  milieu  intérieur  où  le  sang  se 
charge  de  les  répandre  rapidement  dans  tout  l'organisme.  Les  injections  faites  directe- 
ment dans  les  veines  seraient  incontestablement  plus  efficaces;  mais  ces  injections  ne 
sont  pas  encore  vulgarisées  dans  la  thérapeutique  humaine,  et  restent,  jusqu'à  présent, 
presque  exclusivement  des  expériences  de  laboratoire,  faites  sur  des  animaux  (Bouchard). 
Par  contre,  des  injections  interstitielles  dans  le  parenchyme  des  organes  internes,  le 
poumon  par  exemple,  ont  été  faites  avec  succès.  L'administration  du  sulfate  de  quinine 
dans  les  fièvres  intermittentes,  celle  du  mercure  dans  la  syphilis,  celle  du  salicylate  de 
soude  dans  le  rhumatisme,  peuvent  être  citées  comme  des  exemples  d'antisepsie 
générale. 

L'antisepsie  du  tube  digestif  tient  le  milieu  entre  l'antisepsie  locale  et  l'antisepsie  géné- 
rale. En  réalité,  elle  n'est  dans  bien  des  cas  qu'une  antisepsie  locale,  comme  lorsqu'on 
administre  par  la  bouche  des  poudres  insolubles  (charbon,  sels  de  bismuth,  etc.),  ou 
peu  et  lentement  solubles,  et  par  suite  moins  dangereuses  pour  l'organisme.  Dans  le 
choix  de  ces  antiseptiques  on  peut  encore  tenir  compte  d'indications  spéciales,  comme 
lorsqu'on  emploie,  par  exemple,  le  calomel,  dont  on  utilise  à  la  fois  la  faible  solubilité, 
l'action  antiseptique  et  les  effets  purgatifs  et  cholagogues,  dans  les  affections  du  foie 
ayant  plus  particulièrement  leur  siège  du  côté  de  la  vésicule  biliaire. 

Les  déjections  des  malades,  les  vases  et  le  linge  qui  leur  ont  servi,  les  objets  de  lite- 
rie et  le  local  même  où  ces  malades  ont  été  traités,  doivent  être  soumis  à  une  désinfec- 
tion parfaite  qui  en  assure  l'asepsie  avant  le  lavage  proprement  dit.  Pour  ces  objets  la 
chaleur  est  le  meilleur  de  tous  les  antiseptiques  :  on  les  passe  à  l'étuve  portée  à  une  tem- 
pérature de  120°  à  140".  La  désinfection  des  locaux,  comme  on  le  conçoit  facilement,  ne 
peut  être  faite  par  ce  procédé  :  les  équipes  municipales  de  la  Ville  de  Paris,  dont  le  service 
est  gratuit,  la  font  actuellement  à  l'aide  du  sublimé.  Mais  ce  moyen  coûteux,  et  qui  dété- 
riore les  objets  métalliques,  n'en  est  pas  moins  souvent  insuffisant,  puisqu'on  a  vu  des 
épidémies  de  maisons  résister  à  la  désinfection  opérée  selon  toutes  les  règles  établies.  — 
Un  bon  procédé  de  désinfection,  applicable  aux  locaux  contaminés,  est  donc  encore  un 
des  principaux  desiderata  de  l'antisepsie  moderne. 

Antisepsie  chirurgicale.  —  Si  les  médecins  discutent  encore  sur  l'opportunité  de  l'an- 
tisepsie interne,  les  chirurgiens  sont  presque  tous  d'accord  pour  admettre  la  nécessité  de 
l'antisepsie  dans  le  pansement  des  plaies,  les  opérations  chirurgicales  et  toutes  les  inter- 
ventions manuelles,  y  compris  les  accouchements  simples  ou  artificiels. 

L'asepsie  ou  l'antisepsie  du  chirurgien  lui-même  doit  précéder  toutes  les  autres,  et 
ce  que  nous  disons  ici  du  chirurgien  s'applique,  avec  la  même  rigueur,  aux  aides  et  à 
toutes  les  personnes  qui  doivent  toucher  le  blessé  ou  l'opéré  ainsi  qu'à  ce  dernier.  Comme 
nous  l'avons  déjà  dit,  les  soins  de  propreté  ordinaire  sont  considérés  actuellement  comme 
insuffisants  :  il  est  nécessaire  de  faire  usage  des  antiseptiques. 

L'asepsie  parfaite  des  mains  de  l'opérateur  est  le  point  le  plus  important.  Pour  cela,, 
les  ongles  (qui  servent  si  facilement  de  refuge  aux  microbes)  doivent  être  tenus  courts, 
(à  un  millimètre  environ).  Immédiatement  avant  de  procéder  à  l'opération,  les  mains 
et  l'avant-bras  seront  lavés  et  savonnés  jusqu'au  coude,  et  les  ongles  seront  frottés  soi- 
gneusement avec  la  brosse  imbibée  d'eau  de  savon.  Après  avoir  essuyé  et  séché  les  mains 
à  l'aide  d'un  linge  aseptique  (passé  à  l'étuve),  on  les  trempera  un  instant  dans  une  solu- 
tion antiseptique  (solution  de  sublimé  au  millième,  dite  liqueur  de  Van  Swieten).  Ter- 
EiLLON  prétend  que,  lorsqu'il  a  touché  une  plaie  en  suppuration,  ses  mains  ne  redeviennent 
parfaitement  aseptiques  (malgré  les  lavages  sus-indiqués),  que  48  heures  après  cette  conta- 
mination. Il  y  a  là,  sans  doute,  un  élément  personnel,  variable,  dans  une  certaine  mesure, 


ANTISEPSIE    et   ASEPSIE.  599 

d'un  opérateur  à  l'autre;  mais  ce  fait  prouve  de  combien  de  précautions  le  chirurgien 
doit  s'entourer  lorsqu'il  tient  à  n'opérer  qu'avec  une  sécurité  parfaite. 

Lorsque  le  chirurgien  veut  se  rendre  compte,  une  fois  pour  toutes,  de  l'efficacité  des 
procédés  d'antisepsie  dont  il  fait  usage,  il  lui  suffit  de  prendre,  immédiatement  après  ces 
ablutions,  un  tube  contenant  un  bouillon  de  culture  parfaitement  pur  de  tout  microbe. 
On  le  débouche  rapidement  et  l'on  y  trempe  l'extrémité  de  l'index,  puis  on  le  rebouche 
et  l'on  attend  le  résultat.  Si  le  bouillon  reste  clair,  c'est  que  l'asepsie  était  parfaite;  s'il 
se  trouble,  c'est  que  le  procédé  employé  est  insuffisant.  Un  tube  témoin  rempli  du  même 
bouillon  et  soumis  à  la  même  manipulation,  moins  l'introduction  du  doigt,  permet  de 
faire  la  preuve  de  cette  petite  opération. 

La  barbe  et  les  cheveux  du  chirurgien  seront  tenus,  autant  que  possible,  courts,  et 
seront  l'objet  des  mêmes  soins  de  propreté.  L'opérateur  mettra  devant  lui  un  tablier 
passé  à  l'étuve,  et,  s'il  garde  ses  vêtements  de  dessus,  il  y  ajoutera  des  manches  égale- 
ment aseptiques,  montant  jusqu'au  coude  et  serrées  au  poignet;  ou  mieux  encore,  il 
revêtira  un  sarrau  à  manches,  boutonné  dans  le  dos  et  recouvrant  tous  ses  vêtements  : 
ce  sarrau,  passé  à  l'étuve,  sera  serré  au  cou  et  aux  poignets.  —  Ces  indications 
semblent  sulTisantes.  Quant  aux  changements  complets  de  vêtements,  prescrits  dans 
certains  traités  d'antisepsie,  ils  sont  trop  peu  pratiques  pour  qu'on  puisse  supposer  que 
ceux-là  même  qui  les  préconisent  s'y  soient  réellement  astreints  d'une  façon  suivie. 

Les  instruments  exigent  une  asepsie  encore  plus  parfaite.  Ils  doivent  être  entièrement 
en  métal  (manche  et  lame),  atîn  de  pouvoir  être  rendus  aseptiques  par  la  chaleur,  c'est- 
à-dire  par  le  séjour  daus  l'étuve  à  une  température  de  140°.  Ces  instruments  doivent  eu 
outre  être  rangés  dans  une  boite  en  métal  à  fermeture  hermétique.  Un  séjour  de  30  mi- 
nutes dans  l'étuve  donne  une  sécurité  suffisante.  Lorsque  l'on  doit  transporter  les  instru- 
ments, on  place  la  boîte  qui  les  contient  dans  un  étui  en  peau  ou  en  tissu  imperméable^ 
qui  permet  de  les  maintenir  à  l'abri  de  toute  poussière.  Je  n'ai  pas  à  décrire  ici  les 
diverses  étuves  ou  stérilisateurs  à  gaz  actuellement  en  usage.  A  défaut  de  l'étuve,  on 
soumet  les  instruments  à  l'ébullition  pendant  quelques  minutes  dans  la  solution  phéni- 
quée  forte.  Après  l'opération,  on  les  nettoie  par  l'ébullition  pendant  10  minutes,  on  les 
lave  à  l'alcool  ou  au  chloroforme,  et  on  les  remet  en  place  dans  leur  boîte,  dans  l'étuve 
ou  dans  une  vitrine  bien  fermée.  Les  instruments  en  gomme,  en  caoutchouc,  etc.,  qui 
seraient  endommagés  par  la  chaleur,  sont  rendus  aseptiques  par  un  lavage  dans  la  solu- 
tion de  sublimé  (liqueur  de  Van  Swiete.n),  ou  la- solution  phéniquée  forte  ,'dans  laquelle 
on  peut  les  laisser  tremper  jusqu'au  moment  de  s'en  servir.  La  solution  d'éther 
iodoformé  est  employée  pour  aseptiser  les  tiges  de  laminaire,  la  glycérine  phéniquée  pour 
les  drains  de  caoutchouc,  les  fils  de  sutures,  etc.,  qui  doivent  rester  un  certain  temps 
en  contact  avec  l'organisme.  —  Lorsque  les  instruments  sont  trop  grands  pour  être  ren- 
fermés dans  une  boîte  à  fermeture  hermétique  (forceps,  céphalotribe,  etc.)  ou  lorsqu'on 
a  négligé  cette  précaution,  on  les  aseptise,  immédiatement  avant  de  s'en  servir,  par  le 
flambage  qui  consiste  à  les  plonger  dans  de  l'alcool  auquel  on  met  le  feu. 

Les  objets  de  pansement  rendus  préalablement  aseptiques  ou  antiseptiques  doivent 
être  conservés  dans  des  flacons  de  verre  lavés  à  la  solution  de  sublimé  et  hermétique- 
ment fermés,  jusqu'au  moment  de  s'en  servir. 

La  table  d'opération,  les  toiles  cirées  ou  caoutchoutées,  le  matelas  et  les  alèzes  sur 
lesquels  on  place  le  malade  à  opérer  doivent  être  l'objet  de  précautions  antiseptiques  ana- 
logues. Les  murs  de  la  salle  d'opération  seront,  autant  que  possible,  blanchis  à  la  chaux  : 
on  évitera  les  tentures,  les  meubles  à  moulures,  etc.,  qui  servent  de  réceptacle  à  la  pous- 
sière, ou  bien  on  les  fera  enlever  avant  de  procéder  à  l'opération. 

Le  patient,  après  avoir  été  revêtu  de  linge  propre  et  nettoyé  aussi  complètement  que 
possible,  est  amené  dans  la  salle  d'opération,  où,  après  l'avoir  disposé  et  chloroformé  sur 
la  table  d'opération  (à  moins  que  le  chloroforme  n'ait  été  préalablement  administré),  on 
procède  à  l'antisepsie  du  champ  opératoire,  c'est-à-dire  à  la  toilette  de  la  région  qui 
doit  être  opérée.  La  peau  est  lavée  avec  soin  à  l'eau  tiède  et  au  savon;  les  poils  sont  rasés; 
et,  après  avoir  essuyé  et  séché,  on  fait  un  second  lavage  à  la  liqueur  de  Van  Swieten  ou 
à  la  solution  phéniquée.  On  indiquera  à  chaque  aide  le  rôle  qu'il  doit  strictement 
remplir. 

Pendant  l'opération  on  observera  les  précautions  générales  qui  permettent  d'avoir  la 


600  ANTISEPSIE    et    ASEPSIE. 

certitude  qu'aucune  faute  contre  l'asepsie  ne  sera  commise.  On  a  renoncé  au  spray  phé- 
niqué  de  Lister,  c'est-à-dire  à  la  pulvérisation  antiseptique  faite  sur  le  champ  opéra- 
toire, l'utilité  de  cette  manœuvre  ne  paraissant  pas  démontrée.  Les  éponges  qui  servaient 
autrefois  à  étancher  le  sang,  et  qu'il  est  difficile  de  rendre  }>arfaitement  aseptiques,  sont 
remplacées  actuellement  par  des  bourdonnets  d'ouate  antiseptique. 

L'opération  terminée,  on  fera  la  réunion  avec  des  fils  de  catgut,  ou  mieux  de  Florence 
(glande  séricigène  du  ver  à  soie)  parfaitement  aseptique.  La  gaze  antiseptique  (phéni- 
quée,  iodoformée,  salolée  ou  résorcinée),  l'ouate  préparée  suivant  les  mêmes  règles,  et 
passée  k  l'étuve,  seront  seules  employées;-les  bandes  qui  maintiennent  le  pansement 
seront  également  passées  à  l'étuve.  Lorsque  la  plaie  offre  une  large  surface,  l'iodoforme 
est  l'antiseptique  qui  offre  le  plus  de  garanties  et  qui  s'oppose  le  mieux  à  la  suppura- 
tion. Pour  les  plaies  moins 'étendues,  le  salol  en  poudre  ou  la  solution  phéniquée  (à 
i  p.  100)  suffisent.  La  suppuration  étant  presque  nulle,  lorsque  ce  pansement  est  bien 
fait,  on  peut  presque  toujours  se  passer  de  drains  et  ne  renouveler  le  pansement  qu'à 
des  intervalles  éloignés  (24  et  48  heures).  Lorsque  la  plaie  se  complique  d'une  infection 
spécifique,  l'isolement  du  blessé  est  de  rigueur. 

Antisepsie  du  physiologiste.  —  Les  règles  que  nous  venons  d'établir  pour  l'anti- 
sepsie chirurgicale  s'appliquent  de  tous  points  à  l'antisepsie  des  opérations  faites,  sur  les 
animaux,  dans  un  but  expérimental.  On  conçoit,  en  effet,  qu'une  opération  ou  une  expé- 
rience peut  être  viciée  dans  ses  résultats  par  l'inoculation  d'un  microbe  quelconque,  faite 
inconsciemment,  par  les  instruments  et  par  les  mains  de  l'expérimentateur.  Tout  ce  que 
nous  avons  dit,  dans  le  paragraphe  précédent,  de  l'antisepsie  du  chirurgien,  de  celle  de 
ses  mains,  de  ses  instruments,  de  la  table  d'opération,  du  local  opératoire,  etc.,  s'ap- 
plique donc  exactement  au  physiologiste  et  à  son  laboratoire.  Les  animaux  servant  aux 
opérations  devront  être  soumis  à  une  antisepsie  préalable  très  minutieuse  :  lorsqu'il 
s'agit  de  mammifères,  dont  le  pelage  plus  ou  moins  fourni  est  toujours  un  repaire  de 
microbes,  la  région  du  corps  où  doit  se  faire  une  opération  devra  toujours  être  rasée 
très  soigneusement,  puis  lavée  et  savonnée  à  l'eau  tiède,  enfin  stérilisée  au  moyen  d'un 
liquide  antiseptique. 

Il  faut  faire  remarquer  d'ailleurs  que  l'antisepsie  dans  le  laboratoire  de  physiologie 
est  très  difficile  à  réaliser  d'une  manière  irréprochable,  non  au  moment  même  de  l'opé- 
ration mais  pour  les  phénomènes  consécutifs.  Les  animaux  sont  indociles;  ils  lèchent 
leurs  plaies,  défont  les  bandages,  souillent  de  leurs  excrétions  toutes  les  pièces  du  pan- 
sement, si  bien  qu'il  faut  des  précautions  spéciales  et  minutieuses  pour  assurer  une 
antisepsie  parfaite.  Celle-ci  est  cependant  nécessaire,  si  l'on  veut  faire  réussir  certaines 
opérations  graves  (ablation  d'organes  :  pancréas,  estomac,  intestin,  rein,  cerveau,  etc.). 
Le  physiologiste  qui  veut  conserver  les  animaux  opérés  n'a  plus  le  droit  d'ignorer  les 
règles  d'une  sévère  antisepsie. 

Les  laboratoires  où  l'on  fait  des  expériences  de  cultures  microbiennes  devront  être 
l'objet  d'une  surveillance  spéciale.  E.  Klein  a  appelé  le  premier  l'attention  sur  les 
singulières  erreurs  qui  peuvent  être  commises,  dans  ces  laboratoires,  faute  d'une  obser- 
vation suffisante  des  règles  de  l'asepsie  ou  de  l'antisepsie  {Microbes  et  Maladies,  trad.  fran- 
çaise, l'^éd.,  1885,  pp.  228  et  suiv.).  Ayant  l'intention  d'inoculer  un  cochon  d'Inde  avec 
le  sang  d'un  chien  atteint  de  la  maladie  des  jeunes  chiens,  Klein  fut  fort  étonné  de  voir 
l'animal  inoculé  mourir  en  deux  jours  avec  tous  les  symptômes  du  charbon  :  le  sang 
renfermait  des  Bacillus  anthracis.  Une  enquête  prouva  que  des  expériences  sur  ce  dernier 
microbe  avaient  été  faites  dans  le  cabinet  voisin;  les  spores  de  cette  bactérie  avaient  dû 
être  transportées  par  les  vêtements  des  physiologistes  se  rendant  visite  d'un  cabinet  à 
l'autre,  et  s'étaient  fixées  aux  tables,  au  parquet  et  au  pelage  du  cobaye  soumis  à 
cette  expérience.  Dans  un  autre  cas,  un  animal  inoculé  avec  une  culture  atténuée  du 
Bacillus  anthracis  fut  trouvé  quelque  temps  après  atteint  de  tuberculose  généralisée  : 
les  notes  du  laboratoire  prouvèrent  que,  le  jour  de  l'inoculation,  de  la  matière  tubercu- 
leusse  avait  été  maniée  dans  le  même  cabinet.  Les  instruments  d'ailleurs  avaient  toujours 
été  différents.  L'histoire  du  prétendu  bacille  dujequirity  (qui  n'est  autre  que  le  Bacillus 
subtilis)  se  rattache  au  même  ordre  d'erreurs  ou  de  fautes  contre  l'asepsie. 

On  doit  donc  établir  comme  règle  générale  que  la  salle  destinée  aux  opérations,  dans 
un  laboratoire,  sera  complètement  séparée  et  isolée  des  salles  où  se  font  les  expériences 


ANTISEPTIQUES.  601 

de  cultures  microbiennes,  et  aussi  éloignée  que  possible  de  celles-ci.  Les  liquides  pré- 
parés, devant  servir  aux  inoculations,  seront  transportés  dans  des  flacons  soigneuse- 
ment bouchés  et  en  s'entourant  de  toutes  les  précautions  désirables.  Les  visiteurs  pren- 
dront, avant  d'entrer,  les  mêmes  précautions  d'antisepsie  que  le  physiologiste  et  ses 
aides.  Le  balayage  et  le  lavage  des  parquets  des  tables  sera  fait  à  une  heure  aussi  éloignée 
que  possible  des  opérations  projetées,  et  un  arrosage  fait  en  temps  utile  abattra  la 
poussière  qui  renferme  toujours  des  spores  de  microbes.  Les  murs  seront  blanchis  à  la 
chaux  et  les  meubles  très  simples  réduits  au  strict  nécessaire,  afin  que  leur  nettoyage 
antiseptique  puisse  se  faire  facilement  et  aussi  souvent  qu'il  est  nécessaire. 

Dans  les  laboratoires  de  cultures  microbiennes  on  tiendra  les  tubes  et  flacons 
d'expériences  soigneusement  bouchés.  On  a  inventé  des  appareils  spéciaux  qui  per- 
mettent d'ensemencer  un  milieu  de  culture  en  se  mettant  à  l'abri  des  germes  de  l'air. 
Les  instruments  et  procédés  nécessaires  sont  décrits  dans  les  traités  de  Bactériologie 
(Voy.  ce  mot). 

Bibliographie.  —  Bouch.ird.  Thérapeutique  des  maladies  infectieuses,  1889.  — 
Trouessart.  La  Thérapeutique  antiseptique,  1892.  —  Terrillon  et  Chaput.  Asepsie  et  anti- 
sepsie chirurgicales,  1893.  —  Le  Gendre,  Barette  et  Lepage.  Antisepsie  médicale  et  chirur- 
gicale, 1889.  —  CoRNiL  et  Babès.  Les  Bactéries,  3=  édit.,  1890.  —  F.  Terrier.  Vasepsie  en 
chirurijie  {Revue  de  chirurgie,  iS9i,  t.  xiv,  pp.  829-9 la).  — Tarnier.  Asepsie  et  antisepsie 
en  obstétrique,  1894. 

E.    TROUESSART. 

ANTISEPTIQUES.  — ■  On  désigne  aujourd'hui  sous  ce  nom  les  substances 
chimiques  capables  de  détruire  ou  d'empêcher  le  développement  des  microbes  pathogènes 
et  de  neutraliser  l'action  des  principes  septiques  sécrétés  par  ces  microrganismes.  — • 
Avant  l'introduction  de  la  doctrine  microbienne  en  pathologie,  on  désignait  sous  le  nom 
d'antiseptiques  «  les  substances  qui  préviennent  la  putréfaction»  {Dictionnaire  de  Nysïen, 
édit.  de  1864).  Dès  cette  époque,  on  distinguait  les  antiseptiques  des  désinfectants;  on 
définissait  ceux-ci  :  «toute  substance  qui,  par  une  action  mécanique  ou  chimique,  masque, 
neutralise  ou  détruit  les  matières  organiques  qui  vicient  l'air  atmosphérique  »  (Loc.  cit.). 
Cette  définition,  très  vague  ou  trop  exclusive,  manquait  de  précision,  puisqu'il  est  dit, 
quelques  lignes  plus  loin,  que  «  les  essences  et  les  camphres  agissent  en  empêchant  les 
dédoublements  des  substances  organiques  putrescibles  et  fermentescibles  »,  ce  qui  aurait  dû 
faire  ranger  ces  substances  parmi  les  antiseptiques.  Quant  au  dédoublement  des  sub- 
stances organiques  putrescibles  et  fermentesf^ibles,  on  admettait  qu'il  se  faisait  par 
une  action  physico-chimique  très  obscure  désignée  sous  le  nom  d'action  «  catalytique  ». 
On  sait  aujourd'hui  que  cette  action  «  catalytique  »  n'est  que  le  résultat  de  l'activité 
vitale  (nutrition  et  sécrétion)  d'organismes  inférieurs  appartenant  pour  la  plupart  au 
règne  végétal  et  que  l'on  désigne  sous  les  noms  de  ferments  organisés  et  de  microbes. 

Le  terme  d'antiseptique  doit  donc  s'appliquer  également  à  toute  substance  qui 
empêche  la  décomposition  des  matières  organiques  mortes.  On  sait  que  ces  matières 
sont  facilement  la  proie  des  microbes;  telles  sont  les  sécrétions,  les  déjections  et  tous 
les  déchets  de  l'organisme,  qu'ils  résultent  du  travail  normal  de  rénovation  des  tissus 
ou  d'un  travail  morbide,  tel  que  l'inflammation,  la  nécrose,  etc.  Le  terme  de  désinfec- 
tant est  souvent  appliqué  indifféremment  à  toutes  les  substances  qui  agissent,  en  dehors 
de  l'organisme,  sur  les  matières  organiques  en  putréfaction  ou  sur  les  gaz  délétères  de 
nature  purement  chimique.  Il  y  aurait  avantage  à  réserver  pour  ces  derniers  le  terme  de 
désinfectants  et  à  désigner  toujours,  sous  le  nom  d'antiseptiques  les  substances  qui 
agissent  sur  les  substances  organiques  en  putréfaction,  c'est-à-dire  sur  les  décompositions 
dues  à  l'intervention  de  microbes. 

Les  premiers  antiseptiques  connus  étaient  désignés  sous  le  nom  de  spécifiques  en  raison 
de  leur  action  spéciale,  reconnue  depuis  longtemps,  sur  certaines  maladies. 

On  a  montré  au  mot  Antisepsie,  quelle  est  d'une  façon  générale  l'utilité  et  le  mode 
d'application  de  la  méthode  antiseptique.  On  examinera  plus  particulièrement  ici  les 
antiseptiques  au  point  de  vue  de  leur  action  sur  les  microbes  et  sur  l'organisme  lui- 
même,  quand  on  s'en  sert  dans  un  but  thérapeutique  ou  prophylactique. 

Nature  de  l'intervention  antiseptique.  —  Ce  qui  frappe  tout  d'abord,  lorsqu'on 


602  ANTISEPTIQUES. 

cherche  à  se  rendre  compte  du  rôle  de  l'intervention  antiseptique  dans  les  maladies, 
c'est  que  le  médicament  antiseptique  répond  à  une  indication  toute  spéciale  et  très 
différente  de  celle  des  autres  médicaments.  Ceux-ci  doivent  agir  sur  l'organisme  lui- 
même,  soit  en  modifiant  ses  fonctions  dans  nn  sens  favorable  à  la  guérison  (médicaments 
eusthéniques),  soit  en  calmant  simplement  la  souffrance  (hypnotiques),  et  ne  peuvent  agir 
utilement  que  sur  les  cellules  saines  de  nos  organes. 

Tout  autre  est  le  rôle  du  médicament  antiseptique.  Évitant,  autant  que  possible, 
d'agir  sur  les  cellules  saines,  son  action  est  au  contraire  dirigée  contre  les  agents  de 
maladie  venus  du  dehors,  ou  contre  ces  cellules  mortes,  véritables  déchets  de  l'organisme 
qui  offrent  une  proie  facile  aux  microbes.  En  outre,  la  médication  antiseptique  s'adresse 
directement  à  la  cause  même  de  l'affection,  et  c'est  par  là  seulement  qu'elle  peut  être 
considérée  comme  aj'ant  le  pas  sur  les  autres  médications.  Mais,  si  elle  ne  prévient  pas 
toujours  cette  cause  (ce  qui  est  le  but  de  l'antisepsie  proph3'lactique),  elle  l'empêche  tout 
au  moins  de  prolonger  et  d'accroître  ses  effets. 

Procédés  employés  pour  fixer  la  valeur  des  divers  antiseptiques.  —  Les 
antiseptiques  actuellement  en  usage  sont,  ou  des  médicaments  anciennement  connus  et 
employés  empiriquement  comme  spécifiques  ou  désinfectants,  ou  des  produits  nouveaux 
introduits  dans  la  matière  médicale  par  les  progrès  de  la  chimie  moderne.  D'ordinaire 
la  composition  de  ces  produits  permet  de  les  considérer,  a  priori,  comme  doués  de  pro- 
priétés antiseptiques.  Dans  tous  les  cas,  il  convient  de  se  rendre  compte,  d'une  façon 
précise,  de  la  double  action  de  ces  substances  sur  les  microbes  pathogènes  et  sur  l'or- 
ganisme de  l'homme.  Il  importe,  en  effet,  de  donner  l'antiseptique  à  la  plus  faible  dose 
que  comporte  son  action  utile,  en  vertu  du  principe  thérapeutique;  a  primo  non  nocere  », 
la  plupart  des  antiseptiques  étant  des  poisons  à  haute  dose. 

On  expérimente  donc  ces  produits  chimiques  dans  les  laboratoires,  elles  expériences 
sont  de  trois  ordres. 

1°  Pour  connaître  l'action  du  produit  examiné  sur  un  microbe  pathogène  donné,  on 
prend  une  culture  in  vitro  de  ce  microbe,  ensemencée  dans  un  milieu  nutritif  analogue 
à  celui  des  liquides  que  le  microbe  trouve  dans  l'organisme,  et,  lorsque  cette  culture 
est  en  plein  développement,  on  y  ajoute  une  solution  plus  ou  moins  concentrée  de  l'anti- 
septique en  expérience.  Au  moyen  de  tâtonnements  successifs  on  arrive  à  déterminer 
d'une  façon  précise  quelle  est  la  quantité  minimum  de  l'antiseptique  qui  arrête  complè- 
tement le  développement  du  microbe.  Dans  une  autre  série  d'expériences  l'antiseptique 
est  ajouté  préalablement  au  milieu  nutritif  que  Ton  ensemence  ensuite  à  l'aide  du  même 
microbe:  on  détermine  ainsi  quelle  est  la  quantité  minimum  de  l'antiseptique  qui 
neutralise  le  milieu  nutritif,  c'est-à-dire  qui  empêche  tout  développement  du  microbe 
dans  ce  milieu  :  c'est  l'équivalent  antiseptique. 

2°  Pour  connaître  l'action  toxique  du  même  produit  sur  des  animaux  d'une  organi- 
sation plus  ou  moins  semblable  à  celle  de  l'homme  (chiens,  lapins,  cobayes,  etc.).  on 
administre  à  ces  animaux  par  l'estomac,  en  injection  sous-cutanée,  mais  de  préférence 
en  injection  intra-veineuse,  des  doses  progressivement  croissantes,  afin  de  fixer  la  dose 
maxima  qui  peut  être  administrée  sans  danger,  à  ces  animaux  d'abord,  puis  à  l'homme 
lui-même:  cette  dose  est  ce  qu'on  appelle  Y  équivalent  toxique. 

3°  Dans  une  troisième  série  d'expériences,  on  cherche  à  apprécier  le  rôle  thérapeutique 
de  l'antiseptique  examiné.  Pour  cela,  on  inocule  à  un  animal  le  microbe  qu'il  s'agit  de 
combattre,  et,  lorsque  ce  microbe  a  produit  la  maladie  dont  il  est  l'agent  pathogène,  ou 
administre  à  l'animal  l'antiseptique  dont  on  veut  apprécier  la  valeur,  à  la  dose  que  les 
expériences  précédentes  ont  indiquée. 

Un  second  animal,  inoculé  de  la  môme  manière,  ne  reçoit  pas  d'antiseptique,  et  sert 
de  témoin.  On  arrive  ainsi  à  fixer  l'équivalent  thérapeutique  du  produit  en  question. 

On  peut  encore  suivre  la  marche  inverse,  c'est-à-dire  donner  l'antiseptique  avant  d'ino- 
culer la  maladie,  ce  qui  permet  d'apprécier  l'équivalent  jirophylactique  du  produit  expé- 
rimenté. 

Si  les  expériences  ainsi  faites  donnent  un  résultat  favorable,  on  en  fait  l'application 
à  la  thérapeutique  humaine.  Comme  nous  l'avons  déjà  dit(voy.  Antisepsie),  les  injections 
intra-veineuses  jusqu'ici  ne  sont  pas  praticables,  ou  à  peine  praticables,  sur  l'honmie. 

Équivalent  antiseptique.   —  Dans  les  recherches  relatives  aux  antiseptique^  on 


ANTISEPTIQUES.  603 

s'est  généralement  borné,  jusqu'à  ce  jour,  à  déterminer  la  dose  cjui  empêche  la  germi- 
nation de  tel  ou  tel  microbe  dans  1000  grammes  de  bouillon  (de  culture).  C'est  l'équi- 
valent antiseptique,  dose  bien  inférieure  à  celle  qui  tue  le  microbe,  mais  supérieure,  de 
moitié,  au  moins,  à  celle  qui  retarde  seulement  la  germination,  et  qui  est  déjà  une  dose 
fort  utile  en  thérapeutique  (Bouchard).  —  L'expérience  montre,  en  elfet,  que,  lorsqu'on 
emploie  les  antiseptiques  dans  un  but  thérapeutique,  il  n'est  nullement  besoin  d'atteindre 
la  dose  qui  tue  le  microbe  et  qui,  souvent,  peut  être  offensive  pour  l'organisme  lui-même  ; 
d'ordinaire  la  dose  qui  neutralise  le  microbe,  c'est-à-dire  celle  qui  empêche  sa  repro- 
duction et  son  développement  ultérieurs,  qui  le  met  hors  d'état  de  sécréter  sa  toxine, 
est  suffisante  pour  permettre  à  l'organisme  de  reprendre  l'offensive  et  d'expulser  l'agent 
pathogène  à  l'aide  des  seuls  moyens  qui  sont  en  son  pouvoir  {auto-antisepsie). 

Un  grand  nombre  d'auteurs  ont  publié  le  résultat  de  leurs  recherches  sur  Véquivalent 
antiseptique  comparé  des  médicaments  étudiés  par  eux.  Jalan  de  la  Croix  (1881),  Miquel 
(1883),  Bouchard  et  Tapret  (1888)  et  d'autres  ont  donné  ces  résultats  sous  forme  de 
tableaux  synoptiques  que  l'on  trouvera  reproduits  à  la  fin  de  cet  article. 

Équivalent  toxique.  —  La  recherche  de  l'équivalent  toxique  présente  une  grande 
importance,  puisque  c'est  sur  elle  qu'est  basée  la  possibilité  de  l'emploi  de  l'antiseptique 
dans  l'organisme.  Bouchard  considère  comme  tel  :  n  la  quantité  de  l'antiseptique 
nécessaire  pour  tuer  un  kilogramme  de  matière  vivante  »  appartenant  à  l'animal  sur  lequel 
on  expérimente;  cette  quantité  étant  variable  d'une  espèce  à  l'autre.  En  médecine 
humaine,  l'équivalent  toxique  sera  donc  la  quantité  de  l'antiseptique  nécessaire  pour  tuer 
un  kilogramme  du  corps  de  l'homme.  Cet  équivalent  varie  d'ailleurs,  non  seulement  suivant 
le  poids  du  sujet  en  expérience,  mais  suivant  l'âge,  le  sexe,  l'accoutumance  ou  la  dispo- 
sition du  moment,  ou  suivant  des  idiosyncrasies  tout  à  fait  individuelles.  «  La  notion  de 
l'équivalent  toxique  doit  suivre  la  notion  de  l'équivalent  antiseptique  »  (Bouchard).  — 
Bouchard  et  Tapret  ont  donné  un  tableau  de  cinquante  substances  (empruntées  pour 
la  plupart  à  la  chimie  minérale  et  usitées  en  médecine),  indiquant  la  dose  à  laquelle  les 
solutions  de  ces  substances  injectées  dans  une  veine  périphérique  amènent  la  mort  d'un 
kilogramme  de  matière  vivante  (équivalent  toxique).  On  trouvera  ce  tableau  reproduit 
plus  loin. 

Équivalent  thérapeutique.  —  Ce  dernier  équivalent  se  trouve  naturellement 
compris  entre  l'équivalent  antiseptique  et  l'équivalent  toxique,  c'est-à-dire  que  cet  équi- 
valent sera  toujours  représenté  par  des  chiffres  inférieurs  à  ceux  de  l'équivalent  toxique, 
mais  généralement  supérieurs  à  ceux  de  l'équivalent  antiseptique. 

Pour  obtenir  cet  équivalent  sur  les  animaux,  Bouchard  injecte  l'antiseptique  direc- 
tement dans  une  veine,  et  considère  comme  représentant  cet  équivalent  la  dose  qui  a 
été  injectée  au  moment  précis  où  se  manifestent  les  premiers  effets  physiologiques  (dilatation 
pupillaire  pour  l'atropine,  narcose  pour  l'alcool).  La  voie  digestive  et  la  voie  hypodermi- 
que, bien  que  seules  employées,  jusqu'à  présent,  en  thérapeutique  humaine,  ne  peuvent 
donner  des  résultats  aussi  précis,  en  raison  de  la  lenteur  de  l'absorption  par  les  voies 
stomacale  et  sous-cutanée. 

Considérations  générales  sur  les  antiseptiques.  —  Les  substances  que  l'on 
désigne  sous  le  nom  d'antiseptiques  appartiennent  à  la  chimie  minérale  (ou  inorganique) 
et  à  la  chimie  organique.  Il  convient  d'étudier  séparément  ces  deux  ordres  d'antisepti- 
ques. 

Les  substances  métalliques  qui  jouent  le  rôle  d'antiseptiques  énergiques  sont,  comme 
j'ai  été  le  premier  à  le  faire  remarquer,  des  substances  qui  n'existent  pas  à  l'état  normal 
dans  l'organisme,  et  qui  sonl peu  répandues  dans  la  nature,  ce  qui  explique  l'efficacité  de 
leur  action  sur  les  microbes;  mais  on  ne  doit  pas  oublier  que,  pour  la  même  raison,  la 
plupart  de  ces  substances  sont,  à  forte  dose,  des  poisons  violents. 

«  Lorsqu'on  jette  un  coup  d'œil  général,  dit  DnjARDiN-BEAuaETz,  sur  l'ensemble  des 
chiffres  donnés  par  Miquel  (Tableau  des  substances  antiseptiques),  on  peut  en  tirer  quel- 
ques conclusions  assez  importantes;  c'est  d'abord  le  rang  très  élevé  d'asepsie  qu'occu- 
pent dans  cette  échelle  les  métaux  nobles,  tels  que  le  mercure,  le  platine,  l'argent  et 
l'or.  Dans  un  rang  secondaire,  il  faudrait  placer  les  métaux  communs,  tels  que  le  cuivre, 
le  fer,  etc.  Dans  un  troisième  rang,  les  métaux  alcalins  terreux,  et  en  quatrième  lieu  les 
métaux  alcalins  »  (Les  nouvelles  médications,  f^  série,  1886,  p.  73). 


fi04  ANTISEPTIQUES. 

Quant  aux  métalloidea ,  c'est  le  plus  ou  moins  d'affinité  que  ces  corps  présentent  pour  l'hy- 
drogène qui  parait  servir  de  règle  à  leur  pouvoir  antiseptique.  Le  chlore,  le  brome  et 
l'iode,  qui  se  combinent  à  volume  égal  avec  l'hydrogène,  sont  des  antiseptiques  énergi- 
ques, et  le  chlore,  qui  s'unit  directement  à  l'hydrogène,  sous  l'influence  de  la  lumière 
diffuse,  est  plus  puissant  que  les  deux  autres  :  mais  son  pouvoir  toxique  est  proportionnel 
à  son  pouvoir  antiseptique,  et  il  en  est  de  même  des  autres  métalloïdes  de  ce  groupe 
(corps  halogènes). 

Les  sels  paraissent  avoir  un  pouvoir  antiseptique  et  une  toxicité  en  rapport  inverse  de 
leur  abondance  dans  la  nature  et  plus  particulièrement  dans  les  tissus  des  êtres  vivants. 
Les  sels  de  sodium,  de  potassium,  de  fer,  qui  sont  plus  ou  moins  répandus  dans  les 
tissus  de  l'homme,  des  animaux  et  des  plantes  qui  leur  servent  de  nourriture  —  et  qui 
servent  aussi  à  la  nourriture  des  microbes  pathogènes,  —  ne  sont  pas  toxiques  ou  ne 
le  sont  qu'à  haute  dose,  tandis  que  les  sels  d'argent,  de  mercure,  de  cuivre,  de  plomb, 
qui  sont  très  rares  dans  l'organisme,  sont  à  la  fois  toxiques  et  antiseptiques.  Ch.  Riohet 
a  insisté  sur  ce  point,  en  étudiant  la  fermentation  lactique  (C.  R.,  20  juin  1892,  t.  cxiv, 
p.  1494)  et  Chassevant  a  présenté  divers  exemples  très  caractéristiques  de  ces  diffé- 
rences {Action  des  sels  rneiall.  sur  ta  fermentât,  lactique.  D.  P.,  1893). 

L'atomicité  ne  joue  ici  qu'un  rôle  secondaire,  tandis  qu'elle  est  très  importante  dans 
la  composition  des  substances  organiques  antiseptiques. 

Les  acides  sont  beaucoup  plus  antiseptiques  que  les  bases  :  Miquel  énumère  dix-sept 
acides  dont  le  pouvoir  microbicide  a  été  constaté  tandis  que  l'ammoniaque  et  surtout 
la  soude  caustique  ,  même  à  haute  dose,  ne  sont  que  des  antiseptiques  faibles.  On  sait 
d'ailleurs  que  les  bactéries  prospèrent  dans  un  milieu  nutritif  neutre  ou  légèrement 
alcalin,  tandis  que  le  moindre  excès  d'acide  les  empêche,  à  quelques  rares  exceptions 
près,  de  se  développer.  Les  acides  minéraux  sont  plus  antiseptiques  que  les  acides  orga- 
niques. Notons  que  cette  action  des  acides  sur  les  bactéries  ne  s'étend  pas  aux  champi- 
gnons du  groupe  des  ferments  ou  levures  :  celles-ci  prospèrent  au  contraire  dans  un 
milieu  acide,  comme  on  l'observe  dans  beaucoup  de  fermentations  et  dans  le  muguet 
{Saccharonujces  albicans). 

Le  pouvoir  antiseptique  des  sels  dépend  à  la  fois  de  la  nature  du  métal  dont  l'oxyde 
ou  l'hydrate  leur  sert  de  base,  et  de  celle  du  métalloïde  qui  joue  le  rôle  d'acide  dans 
leur  composition.  Ainsi,  bien  que  la  plupart  des  sels  de  potassium  soient  des  antisepti- 
ques faibles,  le  bromure  et  Viodure  de  polass'mm  ont  leur  pouvoir  antiseptique  élevé  par  la 
présence  du  brome  et  de  l'iode.  De  même,  les  sels  riches  en  oxygène,  tels  que  le  per- 
manganate (KMn-04),  le  bichromate  (Cr^O''K-)  et  le  chlorate  (KCIO^),  sont  rendus  antisep- 
tiques par  la  proportion  considérable  d'oxygène  qu'ils  renferment  et  qu'ils  cèdent  facile- 
ment aux  matières  organiques  avec  lesquelles  on  les  met  en  contact.  Les  chlorates 
agissent  peut-être  aussi  par  le  chlore  mis  en  liberté  dans  cette  réaction. 

Les  antiseptiques  organiques  sont  aujourd'hui  beaucoup  plus  nombreux  que  les  autres, 
et  ce  sont  eux  qui  doivent  avoir  la  préférence  dans  le  traitement  des  maladies  internes; 
leur  pouvoir  toxique  n'étant  pas  en  proportion  de  leur  pouvoir  antiseptique.  Nous 
rechercherons  plus  loin  la  cause  de  cette  heureuse  propriété. 

Les  recherches  de  Rottenstein  et  Bourcart  (Les  Antiseptiques,  1891)  tendent  à  prouver 
que  le  pouvoir  antiseptique  des  substances  organiques  dépend  du  groupement  des 
atonies  de  carbone,  hydrogène,  oxygène,  azote,  etc.,  qui  constituent  leur  molécule  chi- 
mique, surtout  du  nombre  de  ces  atomes,  et  qu'il  est  d'autant  plus  énergique  que  ce 
iiombre  est  plus  grand. 

Le  pouvoir  antiseptique  d'un  composé  organique  est  directement  proportionnel  au 
nombre  des  groupes  d'hydrocarbures  (C'H''  ou  naphtyl,  CH''  ou  phényl,  CH''  ou  méthyl) 
ou  d'halogènes  (chlore,  brome,  iode)  qui  se  trouvent  liés  ensemble  dans  la  molécule 
élémentaire  de  ce  composé  chimique.  Le  groupe  naphtyl  est  environ  une  fois  plus  anti- 
septique que  le  groupe  phényl,  et  celui-ci  est  cinq  ou  six  fois  plus  énergique  que  le  groupe 
méthyl. 

Notons  â  ce  propos  que  la  comparaison  des  poids  absolus  de  substance  antiseptique, 
si  intéressante  et  importante  qu'elle  soit,  devrait  être  remplacée,  au  moins  pour  la 
théorie,  par  la  comparaison  des  poids  moléculaires,  .\insi  si  le  phénol  (dont  le  poids 
moléculaire  est  de  94)  et  le  biiodure  de  mercure  (dont  le  poids  moléculaire  est  456), 


ANTISEPTIQUES.  605 

même  à  poids  égal,  avaient  le  même  pouvoir  aiiLisepLique,  au  point  de  vue  de  la  molé- 
cule même,  ils  auraient  une  valeur  antiseptique  difTérente,  une  molécule  de  biiodure 
de  mercure  étant,  dans  cette  h3'potlièse,  o  fois  plus  antiseptique  qu'une  molécule  de  phé- 
nol. De  fait  le  mercure  est  300  fois  plus  toxique  que  le  phénol,  et  par  conséquent,  à  dose 
moléculaire,  1  oOO  fois  plus  toxique. 

L'oxygène  combiné  k  C  et  H,  et  même  à  Az,  augmente  de  beaucoup  le  pouvoir  bacté- 
ricide des  dérivés  de  ces  hydrocarbures.  —  L'azote,  au  contraire,  combiné  ou  non  avec 
un  ou  deux  atomes  d'hydrogène,  aôaisse  toujours  le  pouvoir  antiseptique  d'une  combinai- 
son organique,  et  d'autant  plus  qu'il  est  lié  à  un  ou  deux  équivalents  d'hydrogène.  Il 
n'y  a  d'exceptions  que  pour  le  groupe  cyanogène  (CAz)  qui  se  comporte  comtne  un  métal- 
loïde halogène,  et  se  montre  au  moins  aussi  actif  que  le  chlore,  et  pour  le  groupe 
ammonium  (AzH')  qui  se  comporte  comme  un  métal.  Tous  deux  sont  des  poisons  violents, 
et  leurs  composés  organiques  présentent  des  propriétés  analogues. 

La  substitution,  dans  un  groupe  Amide  (AzH-),  d'un  groupe  naphtyl,  phényl,  etc., 
à  un  ou  deux  équivalents  d'hydrogène,  relève  immédiatement  le  pouvoir  bactéricide  du 
composé. 

Enfin,  lorsqu'on  étudie  l'action  des  antiseptiques  sur  les  microbes,  on  doit  distinguer 
deux  choses  :  1°  l'elfet  du  composé  lui-même  sur  les  microbes;  2°  l'effet  des  produits  de 
la  décomposition  de  ces  substances  par  les  bactéries  ou  par  les  substances  organiques 
mortes  sur  les  bactéries  elles-mêmes. 

Ces  considérations  générales  jettent  quelque  lumière  sur  le  mode  d'action  des  anti- 
septiques d'origine  organique,  si  bien  que  l'on  a  pu  dire  qu'  «  à  partir  d'aujourd'hui 
il  sera  possible,  dès  que  l'on  connaîtra  la  composition  chimique  d'une  substance,  d'en 
établir  non  seulement  le  pouvoir  antiseptique,  mais  aussi  de  comparer  ce  pouvoir  à  celui 
des  autres  substances  déjà  classées  »  (Rottenstein  et  Bocjrcabt). 

Une  dernière  remarque  ressort  de  ces  considérations.  Nous  avons  vu  qu'en  chimie 
organique,  les  composés  les  plus  complexes,  au  point  de  vue  atomique,  étaient  ceux 
qui,  toutes  choses  égales  d'ailleurs,  présentaient  le  pouvoir  antiseptique  le  plus  mani- 
feste, tout  en  ayant  une  action  toxique  très  faible.  De  même,  l'expérience  a  montré,  en 
chimie  inorganique,  que  le  mélange  de  plusieurs  antiseptiques  (minéraux)  donnait 
un  produit  plus  antiseptique,  sans  être  plus  toxique  que  chacun  des  antiseptiques  pris 
séparément  (Bouchard).  Du  rapprochement  de  ces  deux  faits  on  peut  tirer  l'indication 
suivante  :  c'est  qu'il  y  aura  intérêt  à  chercher  à  obtenir  des  produits  inorganiques  bien 
définis,  au  point  de  vue  de  leur  composition  chimique,  en  faisant  réagir  les  uns  sur  les 
autres  les  principaux  antiseptiques  d'origine  minérale  actuellement  connus,  afln  de  pou- 
voir substituer  à  de  simples  mélanges  des  corps  spécifiquement  cristallisables,  présentant 
par  suite  plus  de  garanties  que  les  mélanges,  et  jouissanl  comme  ceux-ci  de  la  propriété 
d'être  des  antiseptiques  énergiques,  tout  en  ayant  une  action  toxique  très  faible.  Nous 
examinerons  plus  loin  les  résultats  auxquels  on  est  arrivé  dans  cette  voie. 

Excipients  ou  véhicules  des  antiseptiques.  —  Les  excipients  ou  véhicules  qui 
servent  à  dissoudre  les  substances  antiseptiques  méritent  une  certaine  attention;  car  de 
leur  nature  dépend  souvent  le  plus  ou  moins  d'action  utile  et  le  plus  ou  moins  de  toxi- 
cité de  l'antiseptique  .lui-même.  La  plupart  des  véhicules  actuellement  usités  sont,  par 
eux-mêmes,  des  antiseptiques  (alcool,  glycérine,  vaseline).  L'alcool  et  la  glycérine,  qui 
dissolvent  un  grand  nombre  de  substances  insolubles  dans  l'eau,  agissent  sur  les  microbes , 
non  seulement  parleur  composition  chimique,  mais  encore  par  une  action  physique  qui 
se  rattache  à  l'avidité  de  ces  substances  pour  l'eau;  la  glycérine,  notamment,  entrave  et 
arrête  le  développement  des  microbes,  parce  qu'elle  modifie  instantanément  les  condi- 
tions hygrométriques  des  tissus  et  du  milieu  de  culture,  naturel  ou  artificiel,  aux  dépens 
desquels  vivent  ces  microbes.  La  glycérine  est  donc,  par  elle-même,  un  excellent  anti- 
septique, que  l'on  peut,  dans  la  plupart  des  cas,  substituer  à  l'alcool  pour  aider  à  dis- 
soudre un  corps  peu  ou  pas  soluble  dans  l'eau;  cependant  la  solution  aqueuse  doit 
contenir  moins  de  oO  p.  100  de  glycérine.  Toutes  les  fois  que  la  substitution  peut  se 
faire,  on  doit  préférer  la  glycérine,  qui  est  beaucoup  moins  irritante,  c'est-à-dire  beau- 
coup moins  toxique  que  l'alcool  (équivalent  toxique  :  14  ce.  par  kilo  au  lieu  de  .3  ce. 
pour  l'alcool). 

De  même  les  antiseptiques  réduits  en  poudre  très  fine  présentent,  sous  cette  forme, 


tiOe  ANTISEPTIQUES. 

des  avantages  que  l'on  utilise  dans  le  traitement  des  plaies  ou  dans  l'antisepsie  du  canal 
digestif.  Ces  composés  pulvérulents  sont  ou  insolubles  ou  lenLement  solubles,  et  même, 
lorsqu'ils  sont  facilement  solubles,  cette  opération  modifie  les  conditions  hygromé- 
triques du  milieu  dans  un  sens  défavorable  au  développement  des  microbes.  En  outre, 
lorsqu'ils  se  décomposent  lentement  au  contact  de  ces  derniers  ou  des  substances  orga- 
niques qui  leur  servent  d'aliment,  ils  mettent  en  liberté,  à  l'état  naissant,  des  produits 
dont  l'action  antiseptique  s'exerce  avec  une  plus  grande  intensité  sur  le  milieu  de 
culture  dans  lequel  on  les  a  introduits.  C'est  ainsi  que  l'iodotorme  en  poudre  agit,  très 
probablement,  sur  les  plaies  suppurantes,  par  un  lent  dégagement  d'iode  à  l'état  naissant. 
Antiseptiques  fournis  par  la  chimie  organique.  —  Nous  ne  pouvons  faire  ici 
l'étude  complète  des  antiseptiques  organiques  actuellement  usités  :  il  suffira  de  citer  ceux 
qui  ont  actuellement  le  plus  d'importance  en  thérapeutique,  dans  l'ordre  où  il  convient 
de  les  étudier  d'après  leur  composition  : 

1°  Hydrocarbures  saturés,  série  grasse  ou  dérivés  du  méthane.  —  Pétrole,  vaseline, 
alcools  méthylique,  etc.,  glycérine,  chloroforme,  chloral,  iodoforme,  iodol,  bromol,  acides 
organiques,  cyanogène,  sulfure  de  carbone. 

2°  Hydrocarbures  de  la  série  aromatique  ou  dérivés  de  la  benzine.  —  Benzine,  fuchsine, 
phénols  et  acide  phénique,  créosote,  résorcine,  gaïacol,  salol,  thymol,  aristol,  camphre, 
etc.,  acide  salicylique,  etc.,  naphtols,  benzonaphtol,  microcidine,  essences  de  mirbane, 
d'amandes  amères,  de  m'outarde,  etc.,  exalgine,  antipyrine,  etc. 

Pour  les  détails  relatifs  à  ces  composés,  nous  renvoyons  aux  divers  ouvrages  men- 
tionnés dans  la  bibliographie. 

Parmi  les  antiseptiques,  les  essences  méritent  une  mention  spéciale  en  raison 
de  leurs  propriétés  très  actives  sur  les  microbes.  Chamberland,  qui  a  fait  une  étude 
spéciale  {Annales  de  l'Institut  Pasteur,  1887)  des  plus  usitées  de  ces  essences  (origan, 
santal  citrin,  canelle  de  Ceylan,  canelle  de  Chine,  essence  de  girofles,  de  genièvre, 
■d'artemise),  leur  a  reconnu  un  pouvoir  antiseptique  égal  à  celui  du  sulfate  de  cuivre 
(l'angé  parmi  les  substances  très  fortement  antiseptiques),  mais  inférieur  à  celui  du 
sublimé.  —  Les  essences  sont  des  hydrocarbures  de  la  formule  G'"!!"'  (qui  est  le  cam- 
ph.ène  ou  essence  de  camphre)  elles  camphres  n'en  diffèrent  que  par  la  présence  de  l'oxy- 
gène. Le  tlujmol  (qui  est  le  camphre  de  l'essence  de  thym),  est,  ainsi  que  l'acide  thymique, 
un  antiseptique  puissant,  qui  n'a  contre  lui  que  son  prix  élevé. 

Bouchard  a  étudié,  de  son  côté,  l'action  antiseptique  des  essences.  Six  de  ces  essences 
sont  considérées  par  lui  comme  ayant  un  pouvoir  antiseptique  comparable  à  celui  des 
sels  inercuriels  (essences  d'origan,  de  canelle  de  Chine  et  de  Ceylan,  d'angélique,  de 
vespétro  et  de  géranium  d'Algérie).  Un  mélange  de  ces  six  essences,  expérimenté  au 
point  de  vue  antiseptique  et  toxique,  s'est  montré  supérieur  au  naphtol  :  on  n'en  a 
pas  encore  fait  l'application  à  la  médecine  humaine;  mais  il  est  à  désirer  que  de  nou- 
velles recherches  soient  entreprises  dans  ce  sens,  bien  que  les  essences  soient  des  pro- 
duits assez  coûteux. 

Mélanges  de  plusieurs  antiseptiques  minéraux,  et  antiseptiques  minéraux 
de  composition  complexe.  —  Comme  nous  l'avons  déjà  dit,  on  a  cherché  par  l'asso- 
ciation de  plusieurs  antiseptiques  empruntés  à  la  chimie  inorganique  à  imiter  ce  qui  se 
passe  pour  les  produits  organiques,  c'est-à-dire  à  obtenir  des  composés  fortement  anti- 
septiques, tout  en  étant  faiblement  toxiques.  La  plupart  de  ces  composés  actuellement  usités 
sont  de  simples  mélanges  :"  c'est  ainsi  que  l'adjonction  du  chlorure  de  sodium  ou  de 
l'acide  tartrique  à  une  solution  aqueuse  de  sublimé  rend  cette  solution  à  la  fois  plus  par- 
faite et  plus  antiseptique.  En  eflét  l'addition  de  l'acide  chlorhydrique  ou  de  l'acide  tar- 
trique (dans  la  proportion  de  a  pour  1000)  empêche  le  sel  mercuriel  de  former  un 
albuminate  insoluble  en  présence  des  matières  albuminoïdes  de  l'organisme.  La  solution 
de  sublimé  est  donc  plus  active  à  plus  faible  dose.  Des  mélanges  très  complexes  du  même 
genre  ont  été  proposés  par  divers  auteurs,  et  l'on  a  même  associé  les  antiseptiques 
organiques  aux  antiseptiques  inorganiques.  11  serait  bien  préférable  d'avoir  des  produits 
définis  fournis  par  la  réaction  mutuelle  des  principaux  antiseptiques. 

On  a  proposé  récemment  le  sulfoxychlorure  de  mercure  borico-aluné,  qui  se  pré- 
sente sous  forme  d'une  solution  faiblement  colorée  en  jaune  et  sans  odeur  :  cette  solu- 
tion cristallise,  par  simple  évaporation,  en  paillettes  d'un  jaune  citron.  Expérimenté  au 


ANTISEPTIQUES. 


607 


laboratoire  de  bacte'riologie  de  l'Hûpital  International,  cet  antiseptique  a  donné  les 
résultats  suivants  :  les  spores  charbonneuses  sont  détruites  en  15  minutes,  alors  que  le 
sublimé  ne  donne  le  même  résultat  qu'au  bout  de  24  heures  et  l'acide  phénique  au  bout 
de  48  heures.  Une  solution  à  5  ou  8  p.  100  empêche  le  développement  du  bacille 
d'EuKRTH,  du  streptocoque  de  l'érysipèle  et  des  Staphylococcus  cdbus  et  aureiis,  tuant  ces 
bactéries  en  moins  de  5  minutes.  La  désinfection  des  matières  en  putréfaction  à  l'aide 
de  cette  solution  est  presque  instantanée,  comme  le  prouve  la  disparition  de  toute  odeur, 
en  2  ou  3  minutes.  L'avenir  de  l'antisepsie  est  aux  composés  de  cette  nature,  c'est- 
à-dire  à  des  corps  à  la  fois  faiblement  to.KÏques  et  fortement  antiseptiques. 


APPENDICE 


Nous  cro^'ons  devoir  donner  ici  les  chiffres  indiqués  par  divers  auteurs  pour  la  déter- 
mination de  la  valeur  antiseptique  de  telle  ou  telle  substance.  11  est  clair  que  ces  chiffres 
sont  modifiables  suivant  la  manière  de  procéder  et  d'expérimenter.  Mais  ce  ne  sont  que 
des  modifications  de  détails,  et  on  peut,  ftrâceàla  précision  de  ces  recherches,  d'ailleurs 
assez  faciles,  conside'rer  la  valeur  antiseptique  comparée  des  différents  corps  chimiques 
comme  à  peu  près  définitivement  acquise. 

Tableaux   comparatifs   des   substances   antiseptiques. 

A.  —  Tableau  de  JALAN  DE  LA  CROIX,  résumé  par  DUCLAUX,  indiquant  les  doses 
d'antiseptiques  neutralisant  l'action  des  bactéries  pathogènes. 


Les  chiffres  représentent  le  nombre  de  milligrammes  emploj'és 
et  stériliser  un  litre  de  jus  de  viande  servant  de 


'  empêcher  le  développement  dos  bactéries 
u  de  culture  à  ces  ijactéries. 


ANTISEPTIQUES 

DOS 

ES 

DOSES    . 

DOSES 

a. 

^ 

i 

^ 

i 

M 

3-  "S 
c 
S 

a 

t  S 

g. 

'5    w 

Sublimé  corrosif.    .    .    . 

40 

20 

170 

154 

80 

66 

Chlore 

.33 
00 

24 
76 

44 
268 

33 

224 

2  320 
5  880 

2170 
3  875 

Chlorure  de  chaux  ù  98°. 

Acide  sulfureux  .... 

155 

117 

300 

200 

5  265 

3  660 

Acide  sulfurique.    .    .    . 

no 

120 

500 

300 

8  620 

4  900 

Bromures 

153 

126 

392 

250 

2  975 

1  820 

lodures  

200 

150 

646 

500 

2  440 

1916 

Acétate  d'alumine.   . 

2:j;i 

184 

2  350 

1200 

15  620 

10  870 

Essence  de  moutarde.   . 

300 

175 

1  690 

1220 

35  700 

25  000 

Acide   benzoïque.   .    .    . 

350 

250 

2  440 

1  960 

8  265 

4  700' 

Borosalicj'late  de  soude. 

350 

204 

15  890 

9  090 

33  330 

20  000 

Acide  picrique.   .  ■.    .   . 

500 

330 

1000 

700 

6  660 

5  000 

Thymol 

145 

450 

9175 

4  713 

50  000 

27  780 

Acide  salicylique.    .    .    . 

1000 

893 

18  660 

12  820 

28  370 

Hypcrmanganate  de  K. 

1000 

700 

6  660 

5  000 

6  600 

5  000 

Acide  phénique   .... 

1500 

1000 

45  550 

23  810 

376  000 

250  000 

Chloroforme 

11 110 

8  930 

8  930 

7  460 

1  250  000 

15140 
47  620 
71  400 

12  990 
28  570 
50  000 

20  830 

227  300 

8  900 

14  500 

166  600 

4  800 

83  350 
847  000 
171580 

Essence  d'eucalyptus.    . 

608 


ANTISEPTIQUES. 


B.  —  Tableau  de  MIQUEL  indiquant  la  plus  petite  quantité  de  substance  antiseptique 
nécessaire  pour  empêcher  la  putréfaction  d'un  litre  de  bouillon  de  bœuf  neutralisé, 
puis  exposé  aux  germes  de  l'air  : 

1°  Substances  éminemment  antiseptiques. 


Bichlorure  de  mercure .  0,07 

Nitrate  d'argent 0,08 

Biiodure  de  mercure 0,025 

lodure  d'argent 0,030 

Eau  oxygénée 0,03 


2»  Substances  très  fortement  antiseptiques. 


Acide  osmique 0,io 

Acide  chromique 0,20 

Chlore 0,23 

Iode 0,23 

Chlorure  d'or 0,23 

Bichlorure  de  platine 0,30 

Acide  cyanhydrique 0,40 


lodure  de  cadmium 0,30 

Brome 0,60 

lodoforrae 0,70 

Chlorure  de  cuivre 0,70 

Chloroforme 0,80 

Sulfate  de  cuivre 0,90 


3°  Substances  fortement  antiseptiques. _ 


Acide  salicylique 1,00 

Acide  benzoïque 1,10 

Cyanure  de  potassium  ....  1,20 

Bichromate  de  potasse.   .    .   .  1,20 

Acide  picrique 1,30 

Gaz  ammoniac l.-iO 

Chlorure  de  zinc  .    ......  1,90 

Acide  thymique 2,00 

Sulfate  de  nickel .......  2,30 

Nitrobenzine 2,60 

Acide  sulfurique   ....(.,  ..^  .j  qq 
—    azotique      ....("' 


grammes . 
Acide  cldorhydrique . .    .    1  _   , 

—  phosphorique.  ..)""'  '  ' 
Essence  d'amandes  amères  .   .  3,00 

Acide  phénique 3,20 

Permanganate  de  potasse  . , .  3,50 

Alun 4,50 

Tanin 4,80 

Acide  oxalique  .....   j 

—  tartrique !  3  à  3,00 

—  citrique ' 

Sulfhydrate  alcalin 5,00 


4°  Substances  modérément  antiseptiques. 


Bromhydi-ale  de  quinine 
Acide  arsénieux  .... 
Sulfate  de  strychnine 


3,.".0 
6,00 
7.00 


grammes. 

Chloral 9,30 

Salicylate  de  soude 10,00 

Sulfate  de  protoxyde  de  fer  .     11,00 


Acide  borique 7.30       Soude   caustique 18,00 


3°  Substances  faiblement  antiseptiques. 


Éthor  sulfurique 22 

Chlorure  de  calcium 40 

Borax 70 


CUorhydratc  de  morphine   .    .       75 

Chlorure  de  baryum 95 

Alcool  éthylique 93 


6°  Substances  très  faiblement  antiseptiques. 


Chlorhydrate  d'ammoniaque.    .  115 

lodure  de  potassium 140 

Chlorure  de  sodium 165 

Glycérine 223 


Bromure  de  potassium 
Sulfate  d'ammoniaque 
Hyposulfite  de  soude  . 


graïujnes. 
.     240 
.     230 
.     273 


ANTISEPTIQUES. 


609 


.  —Tableau  de  BOUCHARD  et  TAPRET  indiquant  la  dose  à,  laquelle  les  divers  agents  solu- 
bles  les  plus  employés,  injectés  dans  une  veine  périphérique,  amènent  la  mort  d'un 
kilogramme  de  matière  vivante  (Équivalent  toxique)  : 


SUBSTANCES 

ESSA  YÉES- 


Potasse 

Chlorure  de  potassium 
Carbonate  — 

Bicarbonate        — 
Tartrate  — 

Nitrate  — 

Chlorate  — 

Bichromate         — 
Bromure  — 

Soude 

Arscniate  de  sodium 

Azotite 

Azotate 

Sulfite 

Hyposultite 

Oxalate 

Pyrophosphate  ■ 

Hypophosphitc 

Phosphate 

Sulfovinate 

Lactate 

Citrate 

Tartrate 

Chlorate 

Bromure 

Salicylate 

Carbonate 

Bicarbonate 


TITRE 
de  la 

SOLUTION. 


2/1000 
1/180 
1/200 
1/100 
1/200 
1/200 
1/100 
1/200 
1/100 
5/1000 
5/1000 
2/100 
4/1000 
1/6 
lS/100 
1/200 
2/24 
1/100 
1/13 
1/6 
1/6 
5/100 
5/100 
1/20 
1/10 
4/100 
1/25 
4/100 


DOSE 

MORTELLK 


0,123 
0,18 

0,19 
0,08 
0,24 

o,n 

0,16 

0,09 

0,25 

0,39 

0,223 

0,89 

2,30 

2,03 

3,90 

0,10 

2,23 

2,00 

3,03 

4,20 

3,01 

0,70 

0,95 

0,40 

3,50 

0,90 

3,00 

1,15 


SUBSTANCES 
[essayées 


Cholatc  de  sodium. 

Choléate  —     . 

Tartrate  de  potasse  et  de 
soude  

Tartrate  de  fer  et  de  po- 
tasse    

Tartrate  de  fer  et  d'am- 
moniaque   

Pyrophosphate  de  fer  ci- 
tro-ammoniacal  .   .   . 

Chlorure  de  fer  et  d'am 
monium 

Citrate  de  lithine.   .    .    . 

Carbonate  d'ammonia- 
que   

Acétate  d'ammoniaque . 

Sulfate  —         .   . 

Valérianate      —         .    . 

Bromure  d'ammonium  . 

Chlorhydrate  d'ammo 
niaque 

Citrate  de  fer 

Tartrate  — , 

lodure      — 

Perchlorure  de  fer  .    . 

Lactate  de  fer  .   .   .   . 

Sulfate  de  fer  dessé 
ché 


TITRE 
do  la 

SOLUTION. 


2/100 
2/100 

5/150 

3/130 

5/150 

1/100 

2/100 
1/100 

1/100 
1/100 
2/100 
1/100 
2/100 

1/100 
1/100 
2/100 
2/100 
5/400 
3/240 

1/1000 


DOSE 

MORTELLE 

pour 
1  kilosr. 


0,54 
0,46 

0,64 

0,38 

0,49 

0,36 

0,50 
0,254 

0,24 
0,28 
0,38 
0,67 
0,85 

0,38 
0,35 
1,31 
1,34 
0,88 
0,37 

0,29 


Tableau  de  CH.  RICHET   indiquant  la  dose  antiseptique  comparée  à.  la  dose  toxique 
pour  les  poissons,  dans  un  litre  de  liquide  <eau  de  mer  et  peptone)'. 


Mercure  (Hg-) 

Zinc 

Cadmium 

Cuivre  (Ou-) 

Nickel 

Fer  (Fe3.) 

Baryum 

Lithium 

Magnésium 

Manganèse 

Ammonium 

Calcium 

Sodium 

Potassium 

1.  Action  toxique  comparée  des  métaux  sur  les  microbes  (C.  R.,  1883,  t.  xcvii,  p.  1004). 

2.  Les  poids  donnés  se  rapportent  au  poids  du  métal  contenu  dans  le  sel  et  non  au  sel  lui- 
même.  Tous  les  sels  employés  étaient  des  chlorures. 

DICT.    DE   PHYSIOLOGIE.    —   TOME   I.  39 


Poids  de  métal - 

Poids  de  métal 

qui  entrave  la  pu- 

qui tue  un  poisse 

tréfaction. 

en  moins  de  48  heu 

0,0055 

0,00029 

0,026 

0,0084 

0,040 

0,017 

0,062 

0,0033 

0,18 

0,125 

0,24 

0,014 

3,35 

0,78 

6,90 

0,30 

7,20 

1,50 

7,70 

0,30 

18,70 

0,064 

30,00 

2,40 

24,00 

24,00 

58,00 

0,10 

610  ANTISPASMODIQUES    —    ANTITOXINES. 

E.  Tableau  résumant,  d'après  CH.  RICHET,  les  doses  des  divers  antiseptiques. 


NOMS    DES    SUBSTANCES. 

1< 

Z'- 

33 

4* 

5  = 

Bichlorure  de  mercure 

Iode 

g^.^nlmes. 

0,0.0 

0,5 
1,3 
5,0 

6,6 

20,0 

0,04 
0,2 

0,3 
1,0 
1,3 
10,0 
12,0 

30,0 

grammes. 
0,07 

0,03 

1,0 

54,0 

106,0 

grammes. 

0,04 

0,18 
0,13 
0,5 

7.S 

23,0 

6,0 

0,07 
0,25 
1,4 

1,0 

3,2 

0,8 

7.5 

93.0   ' 

93,0 

113,0 

2,5 

165,0 

Phénol 

Chlorure  de  baryum 

Chloi'hydrate  d'ammoniaque.  . 

Chlorure   de  sodium 

1.  Bdchholtz.  Antiseptka  und  Bactérien  (A.  P.  P.,  1875,  t.  iv,  p.  80). 

P.  P.,  1881,  t.  xrii,  p.  175). 

3.  Ch.  R[Chet.  Act.  tox.  comparée  des  métaux  sur   les  microbes  (C.  R.,  1883,  t.  xcvii,  p.  1004). 

4.  Marcus  et  PiNET.  Act.  de  quelques  subst.  sur  tes  bact.  de  la  putréfaction  {B.  B.,  1882,  p.  718). 

5.  MiQUEL.  Organismes  de  l'atmosphère  vioants  (D.  P.,  1883). 

Bibliographie.  —  Outre  les  ouvrages  indiqués  à  l'article  Antisepsie,  consultez  : 
Adrian.  Petit  formulaire  des  antiseptiques,  1892.  —  Bardet.  Formulaire  des  nouveaux 
remèdes,  1893. 

Quant  aux  bibliographies  spéciales,  on  les  trouvera  à  lodoforme,  Mercure,  Phénol,  etc. 

E.    TROUESSART. 

ANTISPASMODIQUES.  —  Substances  thérapeutiques  taisant  dispa- 
raître l'état  dit  spasmodique  qui,  dans  la  terminologie  scientifique  actuelle, signifie  con- 
tractures, crampes,  convulsions  toniques  ou  cloniques.  Les  antispasmodiques  sont 
essentiellement  des  substances  qui  abolissent  ou  diminuent  l'excitabilité  des  centres 
nerveux  et  spécialement  les  anesthésiques  (Voyez  Convulsions). 

ANTITHERMIQUES.  —  Voyez  Chaleur  et  Fièvre. 

ANTITOXINES.  —  La  notion  des  antitoxines  est  avant  tout  une  notion 
d'ordre  physiologique;  nous  connaissons  ces  principes  antitoxiques  par  leurs  effets  sur 
les  tissus,  par  leurs  propriétés,  beaucoup  plus  que  par  leur  constitution  chimique,  qui, 
en  dépit  de  la  consonnance,  de  la  terminaison  du  mot,  terminaison  propre  à  faire  croire 
à  un  alcaloïde,  est  à  peine  soupçonnée.  Il  n'y  a  pas,  au  moins  jusqu'à  présent,  dans  les 
substances  désignées  sous  le  nom  d'antitoxines,  de  corps  chimiques  définis.  Tout  au 
plus,  du  reste,  pourrait-on  l'appliquer  à  quelques  rares  substances  capables  de  neutra- 
liser leurs  effets  toxiques,  comme  l'atropine  et  la  pilocarpine  (Voy.  Antagonisme). 

L'histoire  de  ces  principes  est  intimement  liée  à  celle  de  l'immunité,  en  particulier 
de  l'immunité  acquise,  de  l'immunité  artificielle.  Un  animal  subit  l'action  d'un  virus, 
d'un  microbe,  par  e.'iemple  du  bacille  de  Nicolaïer;  il  succombe  au  milieu  des  acci- 
dents tétaniques  les  plus  caractérisés.  Ses  humeurs,  à  aucun  moment,  n'ont  paru 
s'opposer  au  développement  de  l'agent  pathogène,  pas  plus  que,  mélangées  aux  sécré- 
tions de  cet  agent,  elles  n'ont  atténué  les  propriétés  nuisibles  de  ces  sécrétions.  Si, 
au  contraire,  on  a  pris  soin,  au  préalable,  de  vacciner  cet  animal,  si  on  lui  a  injecté 
les  produits  solubles  de  ce  bacille  de  Nicolaïer,  produits  chauffés,  préparés,  les  inocu- 
lations demeurent  sans  résultat.  D'autre  part,  si  on  associe  à  ces  produits  solubles  le 


ANTITOXINES.  611 

sérum  de  cet  animal  rendu  résistant,  on  constate  que  ces  produits  ont  perdu  en  partie 
ou  même  en  totalité  leurs  attributs  nocifs  :  ce  sérum  est  devenu  antitoxique. 

Il  existe  donc  un  rapport  étroit  entre  l'apparition  de  l'élément  ou  des  éléments  qui 
confèrent  aux  liquides  ou  tissus  de  l'organisme  la  puissance  de  neutraliser  les  effets 
des  substances  bactériennes  et  la  réalisation  de  l'état  réfractaire.  —  Étudier  la  genèse  de 
cet  état  réfractaire,  comme  les  faits  l'établissent  pleinement,  c'est  rechercher  le  pour- 
quoi et  le  comment  de  la  naissance  des  antitoxines. 

Les  doctrines  relatives  à  ces  questions,  du  moins  celles  qui,  revêtues  de  quelque  préci- 
sion, ont  commencé  à  s'appuyer  sur  des  données  positives,  ne  sont  pas  de  date  ancienne. 

Théories  de  l'immunité.  —  Théorie  de  la  soustraction.  —  Le  9  février  1880, 
dans  une  communication  à  l'Académie  des  sciences,  Pasteur,  parlant  de  l'immunité  qui 
succède  à  la  lésion  provoquée  par  l'inoculation  de  la  culture  atténuée  du  choléra  des 
poules,  s'exprimait  en  ces  termes  :  u  Le  muscle  qui  a  été  très  malade  est  devenu,  même 
après  guérison  et  réparation,  en  quelque  sorte  impuissant  à  cultiver  le  microbe,  comme 
si  ce  dernier,  par  une  culture  antérieure,  avait  supprimé  dans  le  muscle  quelque  prin- 
cipe que  la  vie  n'y  ramène  pas  et  dont  l'absence  empêche  le  développement  du  petit 
organisme.  Nul  doute  que  cette  explication,  à  laquelle  les  faits  les  plus  palpables  nous 
conduisent  en  ce  moment,  ne  devienne  générale,  applicable  à  toutes  les  maladies  viru- 
lentes. » 

Le  26  avril  1880,  Pasteur  formule  une  autre  hypothèse,  celle  qui  invoque  la  matière 
empêchante,  mais  pour  la  combattre  :  «  A.  la  rigueur  on  peut  se  rendre  compte  des  faits 
de  non-récidive  en  admettant  que  la  vie  du  microbe,  au  lieu  d'enlever  ou  de  détruire 
certaines  matières  dans  le  corps  des  animaux,  en  ajoute  au  contraire,  qui  seraient  pour 
ce  microbe  un  obstacle  à  un  développement  ultérieur. 

«  Dans  les  cultures  de  notre  microbe,  il  pourrait  y  avoir  formation  de  produits  dont 
la  présence  expliquerait,  à  la  rigueur,  la  non-récidive  et  la  vaccination.  Nos  cultures 
artificielles  du  parasite  vont  encore  nous  permettre  de  contrôler  cette  hypothèse.  » 

Il  indique  alors  l'expérience  suivante.  U  évapore  à  siccité  une  culture  de  choléra 
des  poules  devenue  stérile,  dilue  l'extrait  avec  du  bouillon  neuf  jusqu'à  concurrence  du 
volume  primitif,  puis  ensemence  avec  succès;  il  en  conclut  qu'il  n'y  avait  pas  de  matière 
empêchante.  —  Il  ajoute  :  «  On  ne  peut  donc  croire  que  pendant  la  vie  du  parasite 
apparaissent  des  substances  capables  de  s'opposer  à  son  développement  ultérieur.  Cette 
observation  corrobore  l'opinion  k  laquelle  nous  avons  été  conduit  tout  à  l'heure.  » 
(Pasteur.  Sur  les  maladies  virulentes  et  en  particulier  sur  la  maladie  appelée  vulgairement 
choléra  des  poules.  C.  R.,1880,  t.  xc,  pp.  239,  932,  1030). 

Ainsi  l'expérimentation  semblait  démontrer  que,  si  une  première  invasion  bactérienne 
rend  impossible  une  nouvelle  tentative,  c'est  parce  que  les  agents  pathogènes,  au  mo- 
ment de  celle  première  invasion,  ont,  en  quelque  sorte,  épuisé  le  terrain,  et  fait  dis- 
paraître des  éléments  indispensables  à  leur  évolution. 

Toutefois,  il  est  permis  de  remarquer  que  l'économie,  à  certains  égards,  est  bien 
différente  d'un  ballon,  d'un  tube  de  culture,  d'un  vase  clos.  Lorsqu'une  substance  a  été 
supprimée,  la  vie  des  cellules,  l'alimentation,  la  respiration,  des  apports  variés,  etc., 
peuvent  la  remplacer. 

D'autre  part,  les  recherches  de  divers  auteurs,  plus  spécialement  celles  de  Bou- 
chard {Leçons  sur  la  Thérap.  des  Mal.  inf.,  pp.  Hi  à  115.  Paris,  1889),  ont  prouvé  que, 
même  in  vitro,  dans  quelques  cas  au  moins,  l'évolution  des  germes  prenait  fm,  soit 
parce  que  ces  germes  avaient  consommé  les  principes  nutritifs,  soit  aussi  parce  qu'ils 
avaient  introduit,  dans  le  milieu,  des  matières  nuisibles  pour  eux-mêmes. 

Du  reste,  ceux  qui  pensaient  que  l'immunité  relevait  de  l'introduction  de  corps 
nouveaux  ne  se  tinrent  pas  pour  battus. 

Théorie  de  l'addition.  —  Chauveau  crut  démontrer  la  réalité  de  cette  doctrine, 
dite  doctrine  de  l'addition.  —  Il  fit  remarquer  que  les  agneaux  nés  de  brebis  charbon- 
neuses offraient,  vis-à-vis  de  cette  maladie,  une  certaine  résistance.  Considérant  le  pla- 
centa comme  un  filtre  infranchissable  pour  les  éléments  figurés,  pour  les  agents  patho- 
gènes vivants,  pour  la  hactéridie,  il  pensa  que  cette  vaccination  était  la  conséquence  du 
passage  des  produits  solubles,  créés  par  cette  hactéridie,  de  la  mère  au  fœtus  (Renforce- 
ment de  l'immunité  des  moutons  algériens  à  l'égard  du  sang  de  rate  par  des  inoculations 


612  ANTITOXINES. 

.préventives.  Influence  de  finoculation  de  la  mère  sur  la  réceptivité  du  fœtua.  C.  R.,  19  juil- 
let 1880,  t.  xci,  p.  148). 

On  sait  que  les  découvertes  ultérieures  ont  montré  que  cet  organe  placentaire  n'est 
nullement  imperméable  aux  inflniment  petits.  Cette  constatation  a  porté  atteinte  a 
la  rigueur  de  la  démonstration. 

Toussaint,  en  injectant  du  sang  charbonneux  chauffé  à  38°,  fit  apparaître  l'immuni- 
sation. 11  estima  qu'elle  était  due  aux  substances  dissoutes  dans  le  sang,  croyant  que 
la  chaleur  avait  anéanti  tout  corps  vivant  [De  l'immunité  pour  le  charbon,  acquise  à  la 
suite  d'inoculations  préventives.  C.  R.,  t.  xci,  p.  133,  12  juillet  1880).  En  prouvant  qu'il 
n'en  était  rien,  et  que  cette  température  ne  suffisait  pas  pour  détruire  tout  germe  orga- 
nisé, on  a  établi  le  peu  de  solidité  de  cette  conclusion. 

C'est  en  1883  que  Salmon  et  Smith  sont  parvenus  à  vacciner,  contre  le  choléra 
des  porcs,  avec  des  toxines  stérilisées.  —  Pourtant  il  semble  que  leurs  expériences 
n'ont  pas  été  réalisées  dans  des  conditions  exemptes  de  tout  reproche.  Ces  savants 
n'ont  chauffé  qu'entre  56°  et  60",  températures  avoisinant  précisément  celles  des 
recherches  de  Toussaint,  températures  impuissantes  à  détruire  l'ensemble  des  germes, 
surtout  les  sporogènes,  températures  insuffisantes  dans  ce  cas  particulier.  Il  convient 
cependant  de  reconnaître  que  ces  expérimentateurs  ont  cru  démontrer,  par  des  ense- 
mencements restés  infructeux,  que  leurs  cultures,  après  chauffage,  étaient  stériles. 
Mais  cette  démonstration  n'a  rien  d'absolu;  car  Maximovitch  a  prouvé  que,  si  les  mi- 
crobes ont  subi  de  graves  causes  de  détérioration,  ils  peuvent  devenir  incapables  de  se 
multiplier  dans  les  milieux  inertes,  in  vitro,  même  si  la  teneur  du  liquide  n'est  pas 
défavorable,  alors  qu'ils  évoluent  dans  l'animal.  De  plus,  pour  établir,  d'une  façon 
indiscutable,  qu'un  liquide  supposé  pauvre  en  éléments  figurés  n'en  contient  plus  aucun, 
il  faudrait,  en  pleine  rigueur,  le  semer  entièrement.  11  est  également  permis  de 
remarquer  que  c'est  au  pigeon  seul  que  Salmon  et  Smith  ont  conféré  l'immunité;  or  cet 
animal  est.  de  leur  propre  aveu,  à  la  limite  de  la  réceptivité. 

WùOLRiDGE  {A.  Db.,  1888,  p.  327)  traitant  le  B.  anthracis  par  des  extraits  de  thymus, 
et  de  testicules  de  veau,  aurait  obtenu  par  filtration  des  substances  vaccinantes.  Tou- 
tefois, d'une  part,  il  ne  s'agit  pas  là  d'éléments  d'origine  bactérienne;  d'autre  part, 
jamais  on  n'a  pu  réaliser,  en  suivant  ce  procédé,  la  création  de  l'immunité  vis-à-vis 
de  la  bactéridie.  Cet  auteur  affirme,  d'un  autre  côté,  avoir  pratiqué  au  môme  instant, 
avec  succès,  et  l'inoculation  positive  de  ce  germe  et  l'injection  de  toxines  charbonneuses 
rendant  immédiatement  l'animal  invulnérable.  Personne  n'a,  jusqu'à  ce  jour,  observé, 
avec  celte  bactérie,  des  faits  semblables;  au  contraire,  si  ces  produits  solublts  pénètrent 
au  moment  oii  l'on  introduit  l'agent  pathogène,  loin  de  protéger,  ils  aggravent  le  mal. 
11  y  a  donc  lieu  de  formuler  des  réserves,  quel  que  soit  d'ailleurs  l'incontestable  mérite 
de  ces  recherches. 

Démonstration  de  la  théorie  de  l'addition,  de  la  doctrine  de  la  vaccination 
à  la  suite  de  Tinjection  des  toxines.  —  Le  24  octobre  1887  (C.  R.,  t.  cv)  j'indiquai  la 
possibilité  de  vacciner,  de  rendre  la  résistance  plus  ou  moins  complète,  plus  ou  moins 
durable,  en  injectant  au  préalable  les  produits  solubles  des  cultures  chauffés  à  113%  ou 
filtrés  à  la  bougie  de  porcelaine,  c'est-à-dire  parfaitement  stérilisés. 

Ces  expériences  n'ont  jamais  été  attaquées;  à  l'heure  présente,  je  ne  vois  pas  encore 
par  quelle  Assure  l'erreur  aurait  pu  se  glisser,  d'autant  plus  que  les  confirmations  ne  se 
sont  pas  fait  attendre. 

Deu.x  mois  après,  en  décembre  de  la  même  année,  Roux  et  Chamberland,  confir- 
mant cette  doctrine,  annoncèrent  que  l'on  réussit  à  faire  apparaître  l'immunité  contre 
le  germe  de  l'œdème  malin,  en  se  servant  des  humeurs  des  animaux  tués  par  ce  germe, 
humeurs  renfermant  les  produits  solubles  issus  du  fonctionnement  de  ce  germe.  Pour 
le  charbon  symptomatique,  pour  la  fièvre  typhoïde,  pour  les  infections  expérimentales 
attribuables  au  pneumocoque,  au  streptocoque,  etc.,  en  moins  de  dix-huit  mois  après 
ma  communication,  des  démonstrations  analogues  furent  faites.  La  possibilité  de  vac- 
ciner, en  suivant  les  procédés  dont  j'ai,  le  premier,  établi  la  réalité  par  des  expé- 
riences demeurées  intactes,  est  aujourd'hui  établie  pour  douze  maladies,  tandis  qu'avant 
mes  recherches,  des  tentatives  incomplètes,  n'ayant  pas  entraîné  la  conviction,  n'avaient 
concerné  que  deux  affections. 


ANTITOXINES.  613 

Diversité  des  modes  de  vaccination.  —  Assurément,  il  est  possible  de  créer 
l'état  réfractaire  en  ayant  recours  à  d'autres  procédés.  On  peut  user  des  germes 
atténués;  toutefois,  si  cette  atténuation  a  dépassé  le  but,  l'inoculation  demeure  sans 
effet;  si  elle  a  été  trop  incomplètement  réalisée,  on  court  le  risque  de  provoquer  une 
affection  mortelle. 

Dans  quelques  cas,  on  réussit  en  déposant  le  virus  normal  dans  un  point  particulier, 
en  se  servant  d'une  porte  d'entrée  particulière.  Injecté  dans  les  veines,  le  charbon 
symptomatique  protège  contre  la  maladie  mortelle  qu'il  détermine,  lorsqu'on  le  place 
sous  la  peau,  dans  la  profondeur  du  tissu  cellullaire. 

Certains  microbes  paraissent  propres  à  immuniser  contre  des  espèces  différentes; 
d'autre  part,  des  principes  qui  ne  dérivent  pas  de  la  vie  des  bactéries  semblent  capables 
de  jouer  ce  rôle  de  vaccins,  etc.  Il  n'en  demeure  pas  moins  établi  que  c'est  habi- 
tuellement aux  toxines  que  l'on  s'adresse,  quand  on  désire  augmenter  la  résistance  à 
l'infection. 

Ainsi,  avoir  prouvé  que  l'injection  de  ces  toxines  accroît  cette  résistance,  c'est  avoir 
introduit,  je  pense,  une  notion  d'une  certaine  importance,  qui  conduit  à  vacciner, 
aisément,  avec  plus  de  sécurité.  Cependant  le  dernier  mot  n'est  pas  dit;  on  arrive  à 
se  demander  par  quels  procédés  ces  toxines  créent  l'état  réfractaire. 

Les  toxines  ne  vaccinent  pas  par  elles-mêmes.  —  La  première  idée  porte  à  sup- 
poser que  ces  matières  interviennent  à  la  façon  des  antiseptiques  qu'on  dépose  dans  un 
bouillon  de  culture.  Cette  idée  ne  résiste  pas  à  l'examen;  nous  l'avons  prouvé,  Bou- 
CHABD  et  moi. 

En  premier  lieu,  on  ne  saurait  comparer  l'économie  vivante,  pourvue  d'organes  de 
transformation  et  d'élimination,  à  un  vase  inerte,  fermé.  En  second  lieu,  les  substances 
bacillaires  introduites  s'échappent,  comme  s'échappent  les  médicaments.  Bouchard, 
en  reproduisant  la  paralysie  pyocyanique  avec  les  urines  des  lapins  qui  avaient  reçu 
les  principes  créés  par  le  bacille  pyocyanique,  avant  tout  autre,  a  mis  en  évidence  cette 
élimination,  attendu  que,  si  ces  urines  provoquent  les  troubles  que  causent  ces  principes, 
c'est  parce  qu'elles  les  contiennent  {Thérap.  Mal.  Inf.  Paris,  1889).  Roux  et  Yersin  ont 
confirmé  cette  découverte  dans  leurs  études  sur  la  diphtérie. 

D'autre  part,  avec  Ruffer  {Mal.  Pyocyan.,  D.  P.,  1889  et  B.  B.,  juillet  1891,  p.  5.3d), 
j'ai  établi  qu'au  bout  de  quinze  jours  cette  élimination  prenait  fm;  C.  Frankfl  a  véri- 
fié cette  assertion.  Or  l'immunité  n'existe  pas  au  moment  où  l'animal  possède  la  plus 
grande  partie  de  ces  produits  vaccinants,  à  savoir  au  moment  oii  on  vient  de  les  injecter; 
à  ce  moment  il  est  au  contraire  prédisposé,  comme  je  l'ai  vu,  après  Boucha.rd. 
Cette  immunité  n'apparaît  que  vers  le  quatrième  ou  le  sixième  jour,  elle  se  poursuit 
longtemps  après,  alors  que  les  produits  vaccinants  ont  disparu.  Il  n'y  a  donc  pas  de 
relation  directe  entre  cette  immunité  et  la  présence  de  ces  produits;  autrement  dit  ces 
produits  n'agissent  point  par  eux-mêmes.  Voilà  ce  qui  a  été  établi  par  Bouchard 
comme  par  moi,  grâce  aux  études  réalisées  à  l'aide  du  bacille  pyocyanogène.  Voilà  pour- 
tant ce  que  quelques-uns  croient  découvrir  à  nouveau,  en  prouvant  que  les  principes  nui- 
sibles aux  agents  pathogènes  ou  à  leurs  sécrétions  dérivent  de  la  vie  des  tissus  animaux. 

Modifications  des  humeurs  chez  les  vaccinés.  —  Découverte  des  principes 
dits  bactéricides.  —  Dès  lors  il  convenait  de  rechercher  ce  qui  se  passe  chez  les 
vaccinés. 

Longtemps  les  recherches  sont  demeurées  négatives.  On  cultivait  le  microbe,  contre  - 
lequel  on  avait  prémuni,  dans  des  bouillons  faits,  les  uns  avec  des  tissus  de  sujets  sains, 
les  autres  avec  des  tissus  de  réfractaires  ;  on  ne  voyait  aucune  différence,  et  cela  parce 
que,  pour  stériliser  ces  bouillons,  on  les  chauffait,  détruisant  ainsi,  comme  on  l'a  vu 
plus  tard,  les  principes  protecteurs  créés  par  la  vaccination. 

Grohmann,  puis  FoDOR,  NuTTAL,  NissE.»),  etc.,  ont  reconnu  que  les  germes  pous- 
saient moins  bien  dans  les  humeurs  des  réfractaires,  si  on  ne  chauffait  pas  ces 
humeurs  au  delà  de  bo°.  Cependant,  dans  un  de  ses  travaux,  Nissen  concluait  en  disant 
que  ces  différences  étaient  peu  sensibles,  inconstantes;  le  doute  pouvait  subsister  rela- 
tivement à  ces  différences  entre  les  plasmas  des  animaux  rendus  résistants  et  ceux  des 
animaux  sains  (Voir  pour  la  bibliographie  Barbier.  Rôle  du  sang  dans  la  défense  de 
l'organisme.  Gaz.  médic,  1891,  n"^  3,  i,  3,  6,  etc.). 


(Î14  ANTITOXINES. 

C'est  à  cemoment  que  j'ai  repris  la  question,  avec  Roger  (B.  B.,  23  nov.  1880,  p.  667).  — 
Nous  avons  montré  que  le  bacille  pyocyanogéne  cultivé  dans  le  sérum  des  lapins  vaccinés 
pullulait  moins  abondamment,  variait  ses  formes  et  surtout  sécrétait  moins  de  pigment. 

C'est  qu'en  effet,  et  c'est  là  un  point  important  que  nous  avons  mis  en  évidence,  les 
modifications  humorales  des  vaccinés  n'agissent  pas  sur  les  germes  avec  l'énergie  des 
antiseptiques  puissants,  du  sublimé  par  exemple;  s'il  en  était  ainsi,  nos  cellules  seraien 
les  premières  à  s'en  plaindre;  la  vaccination,  loin  d'être  utile,  serait  désastreuse.  Ces 
modifications  sont  la  conséquence  de  l'apparition  des  éléments  dits  bactéricides  ou 
antitoxiques;  ces  éléments  interviennent  d'une  manière  plus  ou  moins  vive,  suivant 
l'intensité  de  la  vaccination,  l'immunité  ayant  tous  les  degrés;  parfois  ils  ne  font  varier 
que  les  fonctions  les  plus  délicates,  les  plus  contingentes.  Or  nous  avons  vu  que,  pour 
ce  bacille  pyocyanogéne,  on  influençait  son  pouvoir  chromogène  avant  de  toucher  à  sa 
reproduction;  c'est  ainsi  que  les  antiseptiques  exercent  leur  action;  nous  l'avons 
démontré.  —  Voilà  pourquoi  il  nous  a  été  donné  de  mettre  en  lumière  avec  certitude  ce 
pouvoir  bactéricide. 

NissEN  comptait,  à  l'aide  de  la  méthode  des  colonies  en  plaques,  le  nombre  des 
microbes  développés  soit  dans  le  sérum  des  témoins,  soit  dans  celui  des  vaccinés;  il  lui 
arrivait  de  ne  pas  trouver  de  différences  toujours  nettes.  Nous  savons  aujourd'hui 
pourquoi;  nous  savons  que  ce  défaut  de  différence  tient  à  l'insuffisance  d'action  des 
substances  germicides  ou  antitoxiques.  Dans  nos  expériences,  au  contraire,  alors  même 
que  le  nombre  n'était  pas  changé,  grâce  à  la  sensibilité  des  attributs  pigmentaires,  nous 
avons  pu  affirmer  définitivement  que,  chez  les  vaccinés,  les  bactéries  rencontrent  des 
conditions  peu  favorables  à  leur  évolution,  attendu  que  tarir  les  sécrétions  constitue  un 
résultat  considérable,  ces  bactéries  agissant  par  leurs  sécrétions  ;  leur  présence  est 
chose  secondaire,  si  elles  sont  inactives. 

J'ai  donc  ainsi  contribué  à  établir  que  la  vaccination  fait  naître  des  substances  qui, 
dans  les  plasmas,  s'opposent  à  la  libre  puUulation,  au  libre  fonctionnement  des  ferments 
figurés.  Dès  lors,  les  poisons  font  défaut;  ils  manquent  de  qualité  comme  de  quantité 
pour  réaliser  les  désordres  morbides;  dès  lors,  le  mal  avorte;  dès  lors,  les  germes  atté- 
nués deviennent  plus  aisément  la  proie  des  phagocytes.  Ce  sont  là  des  fails  que  j'ai  cons- 
tatés; beaucoup  d'auteurs  les  ont  observés,  comme  moi,  dans  leurs  différents  détails. 

Découverte  des  éléments  antitoxiques.  —  A  ces  notions  qui  mettent  en  évidence 
l'existence,  chez  les  réfractaires,  des  corps  nuisibles  à  l'évolution  des  microbes  vivants, 
est  venue  s'ajouter  la  découverte  des  propriétés  antitoxiques  des  humeurs. 

J.  Héricourt  et  Ch.  Richet  ont  d'abord  montré  que  le  sang  des  animaux  vaccinés 
contre  le  Staphylococçus  pyosepticus,  peut,  s'il  est  transfusé  à  des  animaux  sensibles,  leur 
conférer  l'immunité  (De  la  transfusion  péritonéale  et  de  l'immunité  qu'elle  confère.  C.  R., 
5  nov.  1888,  t.  cvii,  p.  748).  Puis  Douchard  a  prouvé  que  cette  activité  antitoxique  du 
sang  était  dans  le  sérum  {Réflexions  à  pi-opos  de  la  comm.  de  Ch.  Richet,  B.  B., 
7  juin  1890,  p.  361).  Pour  l'historique,  voir  Ch.  Richet.  De  l'hématothérajne  en  général. 
Trav.  du  Lab.,  t.  l,  1893,  t.  m,  pp.  233-263). 

Plus  tard  Behring  (D.  med.  Woch.,  n°  49,  4  déc.  1890)  a  fait  une  série  de  recherches 
remarquables  sur  ce  sujet  en  collaboration  avec  Kitasato.  On  vaccine  un  lapin  contre  le 
tétanos;  on  éprouve  son  immunité  en  lui  injectant  10  centimètres  cubes  d'une  culture 
active  qui  tue  à  la  dose  de  0,o;  ce  lapin  vacciné  résiste.  On  prend  du  sang  dans  la  caro- 
tide de  cet  animal;  immédiatement  avant  la  coagulation,  on  introduit  ce  liquide  dans  le 
péritoine  de  deux  souris,  0''S3  chez  l'une,  0'%2  chez  l'autre;  au  bout  de  vingt-quatre  heures, 
on  leur  inocule,  ainsi  qu'à  deux  témoins,  des  bacilles  actifs.  Ces  témoins  contractent  le 
tétanos  vers  la  vingtième  heure;  ils  succombent  aux  environs  de  la  trentième;  les  deux 
vaccinés  ne  sont  pas  malades.  On  laisse  le  sang  de  ce  lapin  se  coaguler;  on  recueille 
une  quantité  de  sérum  assez  grande;  on  fait  pénétrer  cette  quantité,  toujours  dans  la 
séreuse  abdominale,  chez  six  nouvelles  souris,  à  raison  de  0'=',2  par  tête;  elles  reçoivent 
ensuite  le  virus,  bien  entendu,  en  même  temps  que  des  témoins.  Ces  témoins  périssent; 
les  six  autres  n'éprouvent  pas  d'accident. 

Ce  sérum  peut  également  être  employé  d'une  façon  thérapeutique.  On  inocule 
d'abord  le  liquide  virulent;  on  injecte,  en  second  lieu,  le  sérum  en  question;  les.  sujets 
ainsi  traités  survivent. 


ANTITOXINES.  615 

Cette  humeur  est  capable  de  détruire  une  proportion  énorme  de  poison  tétanique, 
d'ailleurs  très  énergique;  il  suffit,  en  effet,  O^s.Oo  d'une  cultureMébarrassée  des  ferments 
figurés,  pour  anéantir  une  souris,  au  bout  de  quatre  à  six  journées;  0™s,l  la  tue  en 
moins  de  deux;  or  ce  sérum  s'oppose  à  ces  actions  nocives. 

Cinq  centimètres  cubes  du  sérum  d'un  lapin  vacciné  sont  mélangés  à  un  centimètre 
cube  de  culture  tétanique,  et  laissés  en  contact.  On  administre,  à  quatre  souris,  O"",! 
de  ce  mélange,  soit  O^^.OiBS  de  la  culture,  c'est-à-dire  plus  de  trois  cents  fois  la  dose 
mortelle  pour  l'une  d'elles;  les  quatre  restent  saines;  des  témoins  qui  ont  eu  O'"',0001 
de  bouillon,  sans  addition,  meurent  en  trente-six  heures.  Toutes  ces  souris  survi- 
vantes sont  devenues  réfractaires  pour  longtemps;  plus  tard,  Behring  et  Kitasato  les  ont 
éprouvées  par  des  microbes  actifs  sans  les  rendre  souffrantes. 

Le  phénomène  est  très  remarquable;  car,  au  cours  d'expériences  antérieures,  jamais 
les  auteurs  n'avaient  trouvé  ni  une  souris,  ni  un  lapin,  doués  d'immunité  naturelle;  ils 
ont  opéré  sur  d'autres  sujets,  tous  étaient  sensibles  au  tétanos.  Jusqu'à  ce  jour,  à  l'Ins- 
titut d'Hygiène  de  Berlin,  on  s'était  inutilement  efforcé  de  prémunir,  contre  cette  affec- 
tion, diverses  espèces. 

Mécanisme  des  effets  antitoxiqiies.  —  Ces  phénomènes  d'atténuation  des  sécré- 
tions microbiennes  par  le  sérum  des  réfractaires  une  fois  établis,  cherchons  à  pénétrer 
le  mécanisme  de  ces  modifications  des  sécrétions  toxiques  des  bactéries. 

L'expérience  dans  laquelle  le  pouvoir  antitoxique  se  manifeste  avec  le  plus  de  netteté 
est  celle  où  l'on  mélange  le  sérum  antitétanique  avec  la  toxine.  On  verse  dans  une 
série  de  verres  un  volume  connu  d'une  toxine  très  active,  celle  qui  tue  une  souris  à  la 
dose  de  l/IOOO"^  de  centimètre  cube;  on  ajoute  dans  chacun  des  quantités  variables  de 
ce  sérum  anti-tétanique,  dont  le  pouvoir  préventif  égale  un  trillion.  Une  partie  de  ce 
sérum  suffit  à  rendre  inoffensives  900  parties  de  toxine;  un  demi-centimètre  cube  du 
mélange  injecté  à  un  cobaye  ne  lui  donne  pas  le  tétanos,  bien  qu'il  ne  renferme  qu'un 
1800''  de  centimètre  cube  de  sérum. 

Pour  Bdchner,  pour  Ehrlich,  l'antitoxine  protège  l'organisme;  pour  Behring,  elle 
détruit  les  poisons  bactériens.   Les  faits,  on  l'a  vu,  ruinent  cette  seconde  hypothèse. 

Du  reste,  dans  l'état  actuel  de  nos  connaissances,  l'utilité  de  ces  actions  antitoxiques 
paraît  secondaire  en  matière  d'immunisation.  On  admet  généralement,  en  effet,  que 
chez  les  sujets  rendus  résistants  à  un  virus,  le  microbe,  agent  actif  de  ce  virus,  se  déve- 
loppe peu,  incomplètement,  sécrète  encore  moins.  Dès  lors,  on  saisit  par-dessus  tout 
la  mise  en  jeu  des  principes  bactéricides,  c'est-à-dire  de  ceux  qui  gênent  le  développe- 
ment de  ce  microbe.  Mais,  du  moment  où  ce  microbe  ne  peut  librement  évoluer,  il  est 
incapable  de  fabriquer  en  grand  des  toxines,  des  toxines  suffisantes  en  quantité  comme 
en  qualité.  11  en  résulte  que  neutraliser  ou  détruire  ce  qui  n'existe  pas  ou  ce  qui  existe 
à  peine  n'est  pas  absolument  chose  de  première  nécessité.  II  en  valautrement,  quand 
il  s'agit  d'attaquer  une  infection  qui  évolue,  de  procéder  thérapeutiquement. 

Le  poison  paraît  donc  annulé  comme  dans  une  opération  chimique,  où  une  quan- 
tité donnée  d'un  corps  sature  une  quantité  donnée  d'un  autre.  Les  choses  ne  se  passent 
pas  cependant  avec  cette  simplicité.  D'abord  rien  n'est  plus  difficile  que  de  saisir  le 
point  exact  de  la  saturation.  Buoh.n-er  a  déjà  vu  qu'un  mélange  qui  n'agit  pas  sur  la 
souris  est  actif  sur  le  cobaye.  L'association  de  900  parties  de  toxine  et  de  I  de  sérum 
est  inoffensive  à  la  dose  d'un  demi-centimètre  cube  pour  8  cobayes  sur  10;  mais  il  en 
est  2,  dans  le  lot,  qui  prendront  un  tétanos  plus  ou  moins  sévère,  qui  se  comporteront 
comme  des  réactifs  plus  sensibles,  en  montrant  qu'il  y  a  encore  du  poison  libre  dans  la 
liqueur.  Si  on  diminue  la  proportion  des  toxines,  si  à  500  parties  de  toxines  on  ajoute 
une  partie  de  sérum,  un  demi-centimètre  cube  de  ce  nouveau  mélange  ne  produit  aucun 
effet;    toutefois  3  centimètres  cubes  donneront  le  tétanos. 

Il  n'y  a  pas  là  la  netteté  d'une  réaction  chimique,  soit  que  nous  manquions  d'un 
réactif  suffisant  pour  nous  indiquer  le  point  exact  de  saturation,  soit  peut-être  que  cette 
saturation  ne  puisse  se  réaliser,  soit  que  toxine  et  antitoxine  continuent  à  exister  côte 
à  côte.  Des  expériences  de  Vaillard  et  Roux  [Congv.  de  Budapest,  1894)  tendent  à  prou- 
ver qu'il  en  est  ainsi. 

On  ne  peut  s'empêcherde  rapprocher  ces  phénomènes  de  ceux  qui  sont  conséquence 
de  l'intervention  de  certains  organes  protecteurs  des  glandes  internes,  du  foie,  corps 


616  ANTITOXINES. 

thyroïde,  des  capsules  surrénales,  etc.,  par  exemple,  organes  qui,  eux  aussi,  atténuent 
les  poisons  fabriqués  dans  l'organisme.  Ces  corps  agissent  probablement  par  la  produc- 
tion d'antitoxines  déversées  dans  le  sang;  à  moins  que  la  cellule  glandulaire  parvienne 
à  détruire  les  poisons  qui  circulent  dans  le  sang,  au  fur  et  à  mesure  qu'elle  est  en  rapport 
avec  le  liquide  sanguin  (V.  Chaerin  et  Langi.ois.  Act.  antitoxique  du  tissu  des  capsules  sur- 
rénales. B.  B.,  1894,  pp.  410-412). 

Influences  des  modifications  antérieures  de  l'organisme  sur  l'action  des  anti- 
toxines. —  On  injecte  à  cinq  cobayes  neufs  un  demi-centimètre  cube  du  mélange  :  toxine, 
900  parties;  sérum,  1  partie;  aucun  ne  contracte  le  tétanos.  —  A  cinq  autres  cobayes 
de  même  poids,  ayant  les  meilleures  apparences  de  santé,  mais  immunisés  quelque 
temps  auparavant  contre  le  vibrion  de  Masaouah,  on  donne  le  même  liquide  à  la  même 
dose  ;  ils  contracteront  le  tétanos  ;  bien  plus,  de  semblables  cobayes  pourront  être  rendus 
tétaniques  avec  1  tiers  de  centimètre  cube  de  ce  mélange  de  500  parties  de  toxine 
pour  i  de  sérum.  —  Des  cochons  d'Inde,  qui  reçoivent  d'abord  1  centimètre  cube  de 
sérum  préventif,  actif  au  trillionième,  c'est-à-dire  une  quantité  capable  de  les  immu- 
niser des  milliers  de  fois,  puis,  une  dose  mortelle  de  toxine  tétanique,  restent  bien 
portants  dans  les  conditions  ordinaires.  Plusieurs  d'entre  eux  prendront  le  tétanos,  si  on 
leur  injecte  ensuite  des  produits  microbiens,  tels  que  ceux  du  bacille  de  Kiel,  du  Bacte- 
rium  coli  et  d'autres  bactéries.  La  toxine  n'est  donc  pas  détruite  puisqu'elle  donne  le 
tétanos,  même  après  plusieurs  jours,  aux  cobayes  dont  on  modifie  la  résistance. 

De  même  une  quantité  de  sérum  antidiphtérique,  amplement  suffisante  à  préserver 
des  cobayes  neufs  contre  une  dose  mortelle  de  toxine,  ne  retarde  pas  la  mort  des 
cobayes  de  même  poids  qui  ont  subi  des  inoculations  antérieures  dont  ils  sont  parfai- 
tement rétablis.  Et  cependant,  si  l'antitoxine  détruisait  la  toxine,  cette  même  quantité 
de  sérum  serait  efficace  chez  tous  ces  cobayes  du  même  poids. 

Ces  faits  montrent  l'influence  que  peut  avoir  une  maladie  passée,  qui  ne  laisse  pas 
de  tracesapparentes,  soit  sur  la  réceptivité  à  l'égard  des  virus,  soit  sur  la  sensibilité  vis- 
à-vis  des  substances  toxiques.  L'explication  naturelle  n'est-elle  pas  dans  l'action 
du  sérum  sur  les  cellules  plutôt  que  sur  la  toxine?  Les  cellules  bien  vivaces  des  cobayes 
neufs  répondent  à  la  stimulation  du  sérum;  elles  sont  comme  indifférentes  à  la  toxine; 
au  contraire  celles  des  cobayes  déjà  impressionnés  par  les  produits  microbiens  ne  lui 
résistent  pas.  Des  faits  analogues  s'observent,  lorsqu'on  inocule  des  virus  actifs  : 
c'est  là  une  observation  d'une  portée  générale. 

Siège  des  antitoxines.  —  Cellules  génératrices.  —  Ces  substances  antitoxiques 
se  trouvent  répandues  dans  les  divers  tissus,  dans  les  différentes  humeurs  de  l'économie. 
Il  semble  cependant  que  la  répartition  ne  se  réalise  [pas  toujours  d'une  façon  abso- 
lument uniforme;  le  foie,  la  rate,  par  exemple,  paraissent,  dans  certains  cas  au  moins, 
en  contenir  plus  que  les  muscles,  le  sang,  en  particulier  le  sérum,  plus  que  la  salive, 
plus  que  l'urine. 

Tous  les  éléments  anatomiques  concourent-ils  à  la  formation  de  ces  antitoxines  ou 
cette  formation  est-elle  l'œuvre  exclusive  de  quelques-uns  d'entre  eux?  Dans  le  cas  où 
ces  principes  dériveraient  du  fonctionnement  de  l'ensemble  des  tissus,  certains  de  ces 
tissus  n'ont-ils  pas  dans  cette  création  une  part  prépondérante  ?  L'urée,  le  glycogène 
naissent  un  peu  partout,  mais  plus  spécialement  dans  le  foie.  Pour  ces  principes,  les 
choses  se  passent-elles  de  cette  façon?  Un  organe  joue-t-il,  dans  leur  genèse,  un 
rôle  plus  important  que  celui  des  différents  autres  viscères?  Il  est  impossible,  à 
l'heure  présente,  de  formuler  des  réponses  absolues  à  toutes  ces  questions  pourtant  capi- 
tales. 

Denys,  Van  der  Velde,  Havet  {Congrès  de  Budapest,  sept.  1894)  estiment  que  les 
matières  bactéricides,  qui  ont  avec  ces  antitoxines  tant  d'affinités  proviennent  des 
leucocytes;  elles  augmentent  dans  un  exsudât  en  suivant  la  même  progression  que  ces 
leucocytes;  peut-être  ces  leucocytes  sécrèlent-ils  ces  antitoxines,  comme  ils  sécrètent 
les  alexines,  les  substances  nuisibles  aux  bactéries  vivantes. 

Des  raisons  analogues  tendent  à  faire  admettre  que  les  cellules  éosinophiles  pourraient 
bien  intervenir  dans  les  opérations  génératrices  de  ces  produits;  Hankin,  Kanthack, 
Hardy  attribuent  à  ces  cellules  éosinophiles  les  propriétés  accordées  par  d'autres  aux 
globules  blancs,  aux  globules  lymphatiques. 


ANTITOXINES.  1)17 

D'autre  part,  les  recherches  de  Mesnil  {La  Cellule,  t.  x,  1894,  p.  7  et  p.  221),  sur  les 
humeurs  des  poisons  montrent  que  les  cellules  éosinophiles  ne  constituent  pas  les 
sources  uniques  de  pareilles  substances.  De  récentes  expériences,  tout  en  connrniant  la 
participation  des  leucocytes,  me  portent  à  penser  que,  dans  certains  cas,  le  foie  intervient. 

Rapports  des  éléments  antitoxiques,  bactéricides,  globulicides.  —  Carac- 
tères des  produits  antitoxiques.  —  Leurs  variations.  —  Pour  Bdchner,  les  anti- 
toxines, les  corps,  globulicides,  les  éléments  bactéricides  ne  seraient  que  des  manières 
d'être  variées  d'une  unique  substance.  — Cette  substance  supporte  l'action  des  alcalins,  de 
l'acide  chlorbydrique  faible,  du  chlorure  de  sodium,  de  l'extrait  de  sangsue,  tandis 
qu'elle  est  détruite  ou  altérée  par  les  bases  en  excès,  par  les  acides  forts,  par  la 
lumière,  la  dialyse,  les  congélations,  l'hydratation,  les  dilutions,  la  chaleur. 

Une  foule  de  conditions  sont  capables  de  faire  osciller  l'état  bactéricide  dans  l'éco- 
nomie vivante.  La  saignée,  la  faim,  la  soif,  le  surmenage,  l'ablation  de  la  rate, 
l'agonie,  etc.,  font  fléchir  cet  état  bactéricide;  parfois  le  bicarbonate  de  soude  l'augmente. 

Les  relations  qui  unissent  cet  état  au  pouvoir  antitoxique  permettent  de  penser  que 
les  agents  et  les  circonstances,  propres  à  agir  sur  le  premier,  agissent  aussi  sur  le 
second.  S'il  existe  des  relations  entre  ces  corps,  de  nature  albuminoïde  probable,  on 
sait,  nous  l'avons  indiqué,  qu'ils  sont  autres  que  les  toxines  proprement  dites,  puisque 
ces  corps  sont  détruits  à  7o°,  tandis  que  ces  toxines  conservent  certaines  propriétés, 
malgré  une  température  de  110°. 

Transmission  héréditaire  des  attributs  antitoxiques.  —  Il  est  établi  que  la 
création  des  antitoxines  est  une  propriété  cellulaire;  dès  lors,  comme  toutes  les  pro- 
priétés cellulaires,  elle  peut  être  transmise  des  ascendants  aux  descendants. 

Gley  et  Charrin  (Rech.  expérim.  sur  la  transmission  de  l'immunité.  A.  P.,  1893,  t.  v,  (.t), 
pp.  75-82  et  1894,  t.  vi,  (6)  p.  1-6)  ont  montré  que  l'état  bactéricide  constaté  chez  le 
père  ou  la  mère  se  retrouvait  parfois  chez  quelques  rejetons;  les  éléments  anatomiques 
qui,  chez  les  générateurs,  sécrétaient  des  principes  nuisibles  aux  germes  vivants,  con- 
tinuent chez  les  engendrés  à  sécréter  ces  principes.  On  ne  s'étonne  pas  de  voir  les 
attributs  qui  ont  trait  à  la  formation  de  la  bile  ou  de  la  salive  passer  des  uns  aux  autres; 
pourquoi  s'étonner  de  la  transmission  de  qualités  analogues  concernant  la  formation 
d'autres  humeurs  ? 

Toutefois,  il  s'agit  là  d'une  fonction  acquise,  d'une  fonction  de  luxe,  accessoire, 
nullement  indispensable  à  l'existence.  Aussi,  suivant  la  loi  commune,  cette  fonction 
tend-elle  à  disparaître,  si  on  ne  s'applique  pas  de  temps  à  autre  à  la  consolider. 

L'hérédité  de  l'immunité  implique  celle  des  antitoxines,  puisque  cette  immunité 
consiste,  pour  une  part,  en  la  mise  enjeu  de  ces  antitoxines  dans  leur  existence. 

Généralisation  des  propriétés  antitoxiques.  —  Virus  capables  d'engen- 
drer ces  propriétés.  —  On  a  remarqué  que  l'antitoxine  diphtéritique  ou  tétanique 
atténuait  les  effets  de  certains  venins;  son  action  ne  se  limite  pas  aux  sécrétions  du 
bacille  de  Lôffler  ou  de  Nicolaïer. 

Cette  sorte  d'extension  de  pouvoir  se  rattache  à  l'intéressante  question  des  vacci- 
nations réciproques.  Sobernheim  [Hyg.  Rundsch,  1893),  Cesaris-Deuel,  Orlandi,  Szerely 
et  SzANA  [Verànderungen  der  sogenanntcn  mikrobiciden  Kraft  des  Blutes,  ivâhrend  und 
nach  der  Infection  des  Organismus.  Centralbl.  f.  Bakt.,  t.  xu,  1892,  pp.  61-74,  139-142),  etc., 
ont  soutenu  que  des  animaux  immunisés  contre  le  B.  prodigiosus  et  le  bacille  typhique 
résistaient  au  vibrion  du  choléra.  Ces  faits  méritent  d'être  rapprochés;  ils  peuvent 
s'expliquer,  s'éclairer  mutuellement. 

Jusqu'à  ce  jour,  il  n'y  a  guère  que  le  virus  du  tétanos  ou  celui  de  la  diphtérie  qui 
paraissent  propres  à  faire  apparaître  les  antitoxines.  Pfeiffer  les  a  inutilement  recher- 
chées dans  le  choléra  indien;  Metchnikoff  {Immunité  des  lapins  vaccinés  contre  le  Hog- 
choléra.  Ann.  Institut  Pasteur,  1892,  t.  vi,  pp.  289-321)  dans  celui  des  porcs;  Issaef  dans 
la  pneumonie;  Sanarelli  dans  la  fièvre  typhoïde.  En  revanche  ces  corps  se  produisent 
chez  les  vipères,  d'après  Phisalix  et  Bertrand  {Propriété  antitoxique  du  sang  des  animaux 
vaccinés  contre  le  venin  de  vipère.  B.  B.,  1894,  p.  111)  et  d'après  Calmette  {ibid.,  p.  111- 
121). 

Toutefois,  l'abrine,  la  riciiie  seraient  capables  de  leur  donner  naissance,  ou  du  moins 
de  provoquer  la  formation  de   corps  qui,  sans  annuler  l'action  des  poisons  microbiens 


618  APERCEPTION. 

avec  l'énergie  des  sérums  des  animaux  vaccinés  contre  le  bacille  de  Lôffler  ou  de 
NicoLAÏER  diminueraient  cependant  l'intensité  des  effets  de  cette  abrine,  de  cette  ricine. 

Si  on  tient  compte  de  ces  anti-toxines  atténuées,  peut-être  faut-il  admettre  que  les 
humeurs  des  êtres  rendus  réfractaires  au  vibrion  cholérique,  au  pneumocoque,  au 
microbe  du  pus  bleu,  d'après  Chabbin,  contiennent  des  principes  jouissant,  dans  des 
mesures  variables,  de  ces  attributs  antitoxiques. 

Sérothérapie.  —  Il  est  légitime  de  se  demander  si  la  sérothérapie  ne  doit  pas  ses 
succès,  pour  une  part  au  moins,  à  ces  antitoxines;  la  réponse  ne  paraît  pas  douteuse 
pour  le  tétanos  ou  pour  la  diphtérie,  attendu  que  le  sérum  n'agit  qu'à  partir  du  moment 
où  ces  corps  ont  apparu,  attendu  que  le  sérum  cesse  d'être  actif,  si  on  le  chauffe  à  75°, 
c'est-à-dire  si  on  détruit  les  antitoxines. 

Toutefois,  il  est  difficile  de  préciser  par  quels  procédés  mterviennent  ces  antitoxines. 
Déjà  nous  avons  vu  que  probablement  ces  éléments  ne  neutralisent  pas  les  poisons  mi- 
crobiens à  la  manière  d'une  réaction  chimique;  mais  il  est  malaisé  d'aller  plus  loin.  Il 
semble  cependant  que  ces  éléments  interviennent  en  agissant  sur  les  germes,  en  actionnant 
les  tissus  plutôt  que  les  poisons,  en  excitant  les  réactions  nerveuses. 

De  l'ensemble  de  ces  faits  se  dégagent  des  notions  établissant  que  les  principes  anti- 
toxiques apparaissent  dans  l'organisme  à  l'occasion  d'une  vaccination,  et  qu'ils  existent 
probablement  dans  le  sang  des  animaux  réfractaires  à  une  infection.  —  Ces  principes 
dérivent  de  la  vie  des  cellules,  vie  modifiée  par  le  passage  et  l'action  des  toxines.  —  Ils 
s'opposent  aux  effets  nocifs  de  ces  toxines,  grâce  à  un  mécanisme  d'atténuation,  pour 
certains  auteurs  ;  de  protection  de  l'économie,  pour  d'autres.  —  Ces  principes  sont 
répandus  un  peu  partout  dans  les  tissus.  —  Diverses  cellules,  de  préférence  celles  du 
foie  et  de  la  rate,  les  leucocytes,  les  éléments  éosinophiles,  etc.,  concourent  à  leur  for- 
mation. —  Leurs  caractères,  leurs  réactions,  leurs  modifications,  etc.,  les  rapprochent 
des  produits  bactéricides,  comme  des  corps  globulicides. —  Ces  propriétés  antitoxiques 
sont  parfois  héréditaires,  bien  que,  si,  on  ne  vient  pas  les  renforcer  de  temps  à  autre,  elles 
aient  une  tendance  à  disparaître,  suivant  les  lois  de  la  nature.  —  Le  pouvoir  de  ces 
principes  peut  se  généraliser,  s'étendre  à  plusieurs  virus.  —  On  peut  les  utiliser  au  point 
de  vue  thérapeutique  (Sérothérapie  ou  héniatothérapie). 

Telles  sont  les  principales  données  actuelles  (avril  189b),  relatives'  aux  antitoxines. 
Il  est  bien  probable  que,  dans  peu  d'années,  comme  c'est  un  sujet  tout  récent,  et  étudié 
avec  ardeur  de  toutes  parts,  la  connaissance  des  antitoxines  aura  fait  de  très  grands 
progrès. 

CHARRIN. 

APERCEPTION  (On  écrit  aussi  APPERCEPTION).  -Motcréépar 
Leibniz  :  il  signifie,  dans  sa  langue,  perception  distincte  ou  réfléchie.  La  perception, 
cet  état  intérieur  de  la  monade  (substance  simple)  représentant  les  choses  internes, 
l'aperception,  la  connaissance  réflexive  de  cet  état  intérieur  qui  n'appartient  pas  à 
toutes  les  âmes,  ni  constamment  aux  âmes  qui  en  sont  douées.  Traduit  en  notre  langage 
psychologique  contemporain,  cela  se  ramène  à  dire  qu'il  faut  entendre  par  perception 
tout  phénomène  psychique  de  représentation,  par  aperception  les  phénomènes  psy- 
chiques seulement  qui  s'accompagnent  de  conscience  distincte  et  de  mémoire.  Leibniz 
a  appelé  encore  les  perceptions  :  petites  perceptions,  perceptions  sourdes';  elles  corres- 
pondent à  la  fois  aux  éléments  de  conscience  et  aux  états  subconscients  des  psycho- 
logues contemporains,  elles  s'opposent  à  la  claire  conscience,  à  la  réflexion  ou  aper- 
ception. Leibniz  admet  entre  les  deux  termes  opposés  une  série  indéfinie  de  degrés  :  les 
animaux  qui  possèdent  le  sentiment,  et  non  pas  encore  la  raison,  sont  doués  à  quelque 
degré  d'aperception.  Le  rapport  des  deux  termes  l'un  à  l'autre  est  très  net  dans  le 
passage  suivant  :  «  Quand  il  y  a  une  grande  multitude  de  petites  perceptions,  où  il  n'y 
a  rien  de  distingué,  on  est  étourdi;  comme  quand  on  tourne  continuellement  d'un 
même  sens  plusieurs  fois  de  suite,  où  il  vient  un  vertige  qui  peut  nous  faire  évanouir  et 
qui  ne  nous  laisse  rien  distinguer  de  bien  net,  et,  puisque,  réveillé  de  l'étourdissement, 
on  s'aperçoit  de  ses  perceptions,  il  faut  bien  qu'on  en  ait  eu  immédiatement  auparavant, 
quoiqu'on  ne  s'en  soit  point  aperçu  »  {Monadologie,  pp.  21-23).  Kant  a  repris  l'expression 


APHASIE.  til9 

à  son  compte  en  lui  donnant  un  sens  un  peu  différent  :  l'aperception  n'est  plus  pour  lui 
une  perception  d'une  espèce  particulière,  une  perception  qui  s'accompagne  de  con- 
science, de  mémoire  et  de  réflexion,  c'est  l'activité  synthétisante  de  l'esprit.  11  distingue 
deux  aspects  dilférents  de  l'aperception  :  l'aperception  empirique,  c'est-à-dire  l'unifi- 
cation, la  synthèse  opérée  par  la  conscience  entre  les  données  sensibles,  l'aperception 
pure  ou  unité  synthétique  et  primitive  de  l'aperception  ou  unité  transcendentale  de  la 
conscience,  c'est-à-dire  l'acte  par  lequel  nous  relions  au  «  je  pense  »  les  éléments  de  la 
conscience  empirique,  l'application  des  catégories  de  l'entendement  aux  sensations. 
Maine  de  Biran  a  désigné  à  son  tour  par  l'expression  d'aperception  immédiate  interne  le 
fait  primitif  de  conscience,  l'acte  par  lequel  le  mot  se  saisit  comme  cause  dans  l'ellort 
musculaire.  L'aperception  joue  dans  la  psychologie  d'HERBART  et  de  son  école  un  rôle 
particulièrement  important;  c'est  pour  les  Herbartiens  le  renforcement  que  reçoit  une 
sensation  de  la  résurrection,  de  la  revivification  dans  l'esprit,  des  images  qui  lui  sont 
apparentées,  ou,  si  l'on  veut,  l'assimilation  d'une  sensation  ou  d'une  idée  par  les  systèmes 
d'états  de  conscience  déjà  constitués  (V.  sur  ce  sujet  G. -F.  Stout.  The  Herbartian  Ps?/- 
chotogy,  Mind,  t.  xni).  Wundt  et  ses  élèves  font  un  grand  usage  du  mot  d'aperception, 
qu'ils  prennent  dans  un  seos  très  différent  de  celui  où  l'entendait  Herbart,  et  plus  voisin 
de  celui  qu'il  a  dans  la  critique  kantienne  (Wundt.  Physiologische  Psychologie,  t.  xv,  §  2, 
t.  XVI,  xvn,  §  3).  Wundt  oppose  les  liaisons  aperceptives  aux  liaisons  associatives,  le  cours 
des  représentations  à  leur  aperception  ;  l'aperception,  c'est  l'activité  mentale  consciente 
et  réfléchie,  la  perception  attentive  des  phénomènes  extérieurs  ou  des  événements 
internes;  on  ne  la  saurait  mieux  comparer  qu'à  la  vision  distincte.  Elle  est  soumise  en 
une  certaine  mesure,  comme  la  fixation  même  du  regard,  à  l'influence  de  la  volonté. 
Wundt  distingue  deux  formes  d'aperceptions,  l'aperception  passive  et  l'aperception 
active  :  la  première  est  immédiatement  déterminée  par  le  cours  des  représentations 
elles-mêmes  parmi  lesquelles  il  en  est  d'ordinaire  une  qui,  en  raison  de  son  intensité 
ou  de  sa  valeur  exceptionnelle  s'impose  à  l'attention.  K.  Lange.  Ueher  Apperception 
(1879).  —  Stande.  Philosophische  Studien,  t.  i.  —  Marïy.  Vierteljahrschift  fur  iviss.  Philo- 
sophie, t.  X. 

L.  MARILLIER. 

APHASIE.  —  I.  —  Le  langage,  c'est-à-dire  la  parole,  l'écriture  et  les  gestes, 
sert  à  exprimer  nos  états  de  conscience. 

Le  langage  et  l'idéation  ne  sont  pas  subordonnés  l'un  à  l'autre  d'une  façon  absolue, 
bien  que  chez  l'enfant  ils  se  développent  et  se  perfectionnent  parallèlement.  Les  mots 
parlés,  les  mots  écrits,  et  aussi,  mais  à  un  moindre  degré,  les  gestes,  ne  sont  que  les 
auxiliaires  des  idées  :  ils  servent  à  les  exprimer  et  à  faciliter  leur  formation. 

Comment  l'ejifant  apprend-il  à  parler"? 

Les  divers  mouvements  musculaires  des  lèvres,  des  joues,  de  la  langue,  du  voile  du 
palais,  etc.,  dont  la  combinaison  fort  complexe  sert  à  l'articulation  des  mots  sont,  pris 
isolément,  des  mouvements  réflexes  (mouvements  primaires). 

Grâce  aux  sens  musculaire  et  tactile,  et  peut-être  aussi  au  sens  d'innervation,  ces 
contractions  réflexes,  lorsqu'elles  ont  été  exécutées  plusieurs  fois,  finissent  par  engendrer 
dans  la  zone  motrice  de  l'écorce  cérébrale  des  images  ou  représentations  de  motilité. 
Dorénavant,  par  l'intermédiaire  de  ces  images,  les  mouvements  innés  peuvent  être 
exécutés  consciemment  (mouvements  secondaires  ou  volontaires). 

L'apprentissage  de  la  parole  est  un  acte  d'éducation  :  il  se  développe  d'abord  dans 
la  sphère  sensible  de  l'écorce  cérébrale  des  images  ou  représentations  auditives  des 
mots  entendus  :  centre  auditif  de  la  parole  découvert  par  Wernicke.  Grâce  à  ces  repré- 
sentations, le  cerveau  de  l'enfant  garde  le  souvenir  ou  l'écho  des  mots  parlés. 

Les  images  auditives  peuvent  être  éveillées,  soit  par  l'intermédiaire  du  nerf  acous- 
tique, lorsque  les  mots  sont  prononcés  à  haute  voix  (excitation  directe),  soit  par  l'inter- 
médiaire d'autres  centres  sensoriels,  c'est-à-dire  par  association  (excitation  indirecte). 

Les  représentations  verbales  auditives  constituent  la  parole  interne.  Bientôt  l'enfant, 
grâce  à  son  instinct  d'imitation,  s'efforce  de  répéter  les  mots  qu'il  entend.  L'enfant,  en 
effet,  apprend  à  parler  en  entendant  parler. 

Le  mot  entendu  éveille  son  image  auditive,  et  celle-ci,  à  l'aide  des  fibres  d'asso- 


620  APHASIE. 

ciaLion,  éveille  li-s  centres  psycho-moteurs  d'où  dépend  l'innervation  des  divers  muscles 
articulateurs.  Au  début,  le  mot  est  prononcé  incorrectement.  Ce  n'est  qu'après  uu  long 
et  laborieux  apprentissage  que  l'excitation,  partant  de  l'image  auditive,  aboutit,  soit 
simultanément,  soit  avec  la  succession  voulue,  à  ceux  des  centres  psycho-moteurs  dont 
l'intervention  est  absolument  nécessaire  à  l'articulation  correcte  du  mot. 

L'image  ou  la  représentation  motrice  du  mot  articulé  est  déposée  dans  ces  divers 

centres  psycho-moteurs  élémentaires  qui,  grâce  à  leur  intime  association  réciproque, 

fonctionnent  comme  un  centre  unique  :  centre  moteur  de  la  parole  découvert  parBROCA. 

Par  conséquent,  le  mot  parlé  est  constitué  par  deux  images,  une  image  auditive  et 

une  image  motrice,  associées  l'une  avec  l'autre. 

L'enfant  apprend  à  associer  le  mol  entendu  à  l'idée  cju'il  représente,  tantôt  avant, 
tantôt  après  avoir  appris  à  prononcer  lui-même  le  mot. 
Prenons  les  idées  concrètes. 

L'idée  concrète  d'un  objet  résulte  de  l'association  d'un  certain  nombre  d'images 

sensorielles.  L'idée  de  la  rose,  par  exemple,  est  formée  d'une  image  visuelle  qui  nous 

renseigne  sur  la  forme,  les  dimensions,  la  couleur,  etc.,  d'une  image  tactile  qui  nous 

renseigne  sur  la  consistance  et  en  même  temps  sur  la  forme  et  les  dimensions,  et,  en 

troisième   lieu,    d'une  image    olfactive.    Ces    trois    images    finissent  par  s'associer   si 

intimement  entre  elles  qu'il  suffit  que  l'une  d'elles  s'éveille  pour  que  les  autres  s'éveillent 

aussi,   soit   simultanément,   soit  successivement.   (Association   par  contiguïté  dans    le 

temps  et  dans  l'espace.)  L'association  des  idées  aux  mots  se  fait  lentement 

/  et  laborieusement. 

.    y     N.  Lorsque  l'enfant  se  trouve  en  présence  d'une  rose  et  qu'il  entend  pro- 

/       ^\        noncer  le   mot  (rose),  ou  qu'il  le    prononce  lui-même  à  haute  voix,   il 

"    s'établit  après  quelque  temps  une  association  étroite  entre  les  trois  images 

partielles  de  l'objet  (rose)  et  l'image  auditive  du  mot.  De  cette  façon,  le 

mot  entendu  éveille  instantanément  l'idée. 

Plus  tard   aussi,  d'après  Weknicke  et   Lichtheim,  les  images  partielles 
p      ,D         des    objets  s'associent    directement  avec  les    images    d'articulation   des 

mots. 
La  figure  schématique  48  résume  les  idées  de  WEBXicKEet  de  Lichtheim  sur  la  formation 
de  la  parole. 

A.  Centre  des  images  verbales  auditives. 

B.  Centre  des  images  d'articulation. 

AB.  Voie  qui  relie  entre  eux  le  centre  moteur  et  le  centre  auditif  de  la  parole. 

C.  Centres  partiels  des  objets.  (Idées  concrètes.) 

SA.   Voie  centripète  conduisant  l'excitation  acoustique  au  centre  auditif  des  mots. 

BM.  Voie  centrifuge  conduisant  l'excitation  du  centre  d'articulation  des  mots  vers 

les  noyaux  de  la  protubérance  annulaire  et  de  la  moelle  allongée. 

AC.  Voie   centripète   conduisant  l'excitation  du  centre    auditif   des    mots   vers    les 

centres  de  l'idéation. 

CB.  Voie  centrifuge  conduisant  l'excitation  des  centres  de  l'idéation  vers  le  centre 
d'articulation  des  mots. 

C'est  par  la  voie  S  A  B  i\I  que  l'enfant  apprend  à  parler  et  que  plus  tard  il  répète 
mécaniquement,  sans  comprendre  les  mots  entendus. 

Grâce  à  l'association  de  A  et  C  les  mots  entendus  sont  compris,  c'est-à-dire  éveillent 
les  idées  dont  ils  sont  le  symbole. 

La  parole  spontanée  s'effectue  par  la  voie  C  B. 

Lichtheim  et  Wernicke  admettent  que  dans  la  parole  spontanée  les  images  verbales 
auditives  jouent  un  rôle  correcteur.  D'après  Lichtheim,  le  centre  articulateur  B,  avant 
de  transmettre  l'excitation  qu'il  a  reçue  des  centres  conscients  C  vers  les  noyaux  péri- 
phériques, éveille  d'abord,  par  l'intermédiaire  de  la  voie  A  B,  le  centre  auditif  A.  Les 
centres  conscients  C,  percevant  les  images  auditives,  peuvent  contrôler  si  c'est  bien 
l'image  motrice  voulue  qui  a  été  éveillée  et  dans  l'affirmative  envoyer  l'excitation  à  la 
périphérie.  D'après  Wernicke,  au  contraire,  les  centres  de  l'idéation  C  éveille  direc- 
tement et  simultanément  les  centres  A  et  B;  et,  de  cette  façon,  ils  peuvent,  grâce  aux 
renseignements  fournis  par  le  centre  A,  contrôler  l'action  du  centre  B. 


APHASIE.  621 

Ainsi,  d'après  Wernicke,  la  voie  A  C  est  à  la  fois  centripète  et  centrifuge,  taudis  que 
pour  LicHTHEiM,  elle  est  exclusivement  centripète. 

Il  s'en  faut  que  tous  les  auteurs  admettent  avec  Webnigke  et  Lichtheim  l'existence  de 
la  voie  C  B.  Kussmaul,  Moeli  et  Freud,  entre  autres,  croient  que  c'est  toujours  par 
l'intermédiaire  des  images  auditives  que  l'idéation  éveille  les  images  motrices  d'arti- 
culation. i<  L'articulation  des  mots,  écrit  Kussmaul,  exige  que  l'excitation  émanant  du 
centre  de  l'idéation  traverse  la  même  station  que  celle  par  où  le  mot  a  passé  avant 
d'être  perçu  par  le  moi.  » 

Charcot  et  son  école  croient  à  l'existence  de  la  voie  CB,  sans  admettre  cependant, 
il  s'en  faut,  que  les  idées  ne  puissent  jamais  éveiller  le  centre  d'articulatiou  par  l'inter- 
médiaire du  centre  auditif  :  chez  les  moteurs,  le  centre  d'articulation  est  directement 
innervé  par  l'idée,  tandis  que  chez  les  auditifs,  l'innervation  franchit  d'ahord  le  centre 
auditif. 

Les  auditifs  entendent  leur  pensée  avant  de  la  parler.  «  Pour  peu  qu'on  veuille  se 
donner  la  peine,  écrit  Ballet,  de  s'observer  attentivement,  on  arrivera  aisément  en 
général,  et  sauf  cas  exceptionnel,  à  se  convaincre  du  rùle  capital  que  jouent,  chez  la 
plupart  d'entre  nous,  durant  la  réflexion,  les  représentations  auditives  verbales.  Nous 
entendons,  en  effet,  les  mots  qui  expriment  notre  pensée,  comme  si  une  voix  intérieure 
parlait  délicatement  à  notre  oreille.  C'est  là  certainement  ce  qu'a  voulu  dire  de  Bonald 
lorsqu'il  a  écrit  la  phrase  bien  connue:  «  ["homme  pense  sa  parole  {c'est-à-dire  l'entend 
mentalement  avant  de  parler  sa  pensée).  »  Et  plus  loin,  Ballet  écrit  encore  :  «  Si  le 
langage  est  rapide,  non  interrompu,  les  mots  se  suivent  et  s'enchaînent  automati- 
quement, et  la  parole  intérieure  n'est  pas  remarquée.  Lorsque,  au  contraire,  nous 
parlons  avec  lenteur,  quand  le  discours  présente  des  intervalles  et  des  suspensions,  an 
moment  de  ces  suspensions,  la  parole  intérieure  se  fait  entendre,  elle  joue  en  quelque 
sorte  le  rôle  de  souffleur,  elle  dicte  les  mots  qui  vont  suivre.  » 

Les  moteurs,  au  contraire,  parlent  leur  pensée.  «  Je  suis  porté  à  penser,  écrit  Ballet, 
que  le  type  moteur  n'est  pas  exceptionnel.  Pour  ma  part,  en  m'analysant  attentivement, 
je  suis  arrivé  à  me  convaincre  que  je  relève  de  ce  type.  Chez  moi,  en  effet,  les  images 
motrices  ont,  dans  les  conditions  ordinaires  de  la  réflexion,  une  intensité  très  grande  : 
.l'ai  la  sensation  très  nette  que,  sauf  circonstances  exceptionnelles,  je  ne  vois  ni  n'en- 
tends ma  pensée  :  je  la  parle  mentalement.  » 

Stricker,  professeur  à  Vienne,  se  déclare  aussi  un  pur  moteur. 

L'écriture  et  la  lecture  subissent  des  troubles  marqués  dans  différentes  formes 
d'aphasie.  Je  crois  donc  utile  d'indiquer  brièvement  comment  l'enfant  apprend  à  lire 
et  à  écrire. 

L'enfant  apprend  à  épeler  les  mots  parlés  après  avoir  déjà  appris  à  parler  correc- 
tement, mais  avant  d'apprendre  à  lire.  Chaque  lettre  parlée  est  formée,  à  l'instar  du 
mot  entier,  d'une  image  auditive  et  d'une  image  motrice,  intimement  associées  l'une 
à  l'autre.  Lorsque  le  mot  est  entièrement  épelè,  son  image  auditive  s'éveille,  et  le  mot 
est  compris. 

Par  conséquent,  le  mot  parlé  existe  en  double  dans  le  cerveau  :  d'abord  comme 
unité,  ensuite  comme  une  succession  de  lettres. 

Lorsque  l'enfant  voit  une  lettre,  une  image  visuelle  de  celle-ci  se  dépose  dans  l'écorce 
occipitale.  Cette  image  visuelle  ne  tarde  pas  à  s'associer  avec  l'image  auditive  et  par 
l'intermédiaire  de  celle-ci  avec  l'image  motrice  de  la  lettre. 

La  lecture  d'un  mot  se  fait  de  la  façon  suivante  :  chaque  lettre  vue  éveille  d'abord 
son  image  visuelle,  puis  son  image  auditive  et,  en  dernier  lieu,  son  image  motrice. 
Au  ravivement  successif  des  images  motrices  des  différentes  lettres  succède,  d'après 
Lichtheim,  par  réflexion,  le  ravivement  successif  des  images  auditives;  alors  l'image 
auditive  du  mot  entier  s'éveille  et  le  mot  lu  est  compris  (fig.  49,  0,  centre  de  la  lecture). 

Ce  qui  démontre  bien  la  subordination  du  centre  des  images  verbales  visuelles  au 
centre  des  images  verbales  auditives,  c'est  qu'en  jetant  un  coup  d'œil  sur  un  mot,  à 
l'instant  même  nous  entendons  intérieurement  le  son  du  mot. 

Cependant,  d'après  Charcot  et  ses  élèves,  cette  subordination  n'existe  pas  dans  tous 
les  cas;  quelquefois  le  centre  de  la  lecture  possède  une  indépendance  complète  vis-à-vis 
des  centres  de  la  parole. 


622 


APHASIE. 


Ferrier  croit  que  le  centre  de  la  lecture  est  relié,  non  pas  au  centre  auditif,  mais  au 
centre  d'articulation. 

Dans  l'écriture,  l'idée  du  mot  éveille  l'image  motrice,  tandis  que  dans  la  lecture, 
nous  venons  de  le  voir,  l'idée  du  mot  est  éveillée  par  l'image  visuelle. 

L'enfant  qui  apprend  à  écrire  imite  les  images  visuelles  des  lettres  par  l'intermé- 
diaire de  la  voie  0  E  (flg.  50,  E  centre  moteur  de  l'écriture).  La  voie  OE  a  donc  la  même 
signification  pour  l'apprentissage  de  l'écriture  que  la  voie  AB  pour  celui  de  la  parole. 

Wernicre  admet  que  pendant  l'apprentissage  les  images  optiques  s'associent  direc- 
tement non  seulement  aux  images  auditives  mais  aussi  aux  images  motrices.  C'est 
grâce  à  cette  double  association  que  d'après  l'auteur  allemand  s'accomplissent  l'écriture 
sous  dictée  et  l'écriture  spontanée. 

Dans  l'écriture  sous  dictée,  le  mot  entendu  éveille  la  notion  entière  du  mot,  c'est- 
à-dire  l'image  auditive  et  l'image  motrice.  Ensuite  le  mot  est  décomposé  en  ses  diverses 
lettres.  La  notion  de  chaque  lettre,  enfm,  éveille  l'image  visuelle,  et  celle-ci  l'image 
graphique.  Par  conséquent,  l'écriture  sous  dictée,  sans  compréhension,  se  fait  par  la 
voieMABOEF. 

Lorsque  la  voie  A  C  intervient,  la  dictée  est  comprise  (fig.  ol). 

L'écriture  spontanée  se  fait  de  la  même  manière  que  l'éciiture  sous  dictée,  avec  la 


seule  différence  que  l'idée  du  mot  est  éveillée  par  le  centre  conscient  C  et  non  par  le 
nerf  acoustique  (fig.  o2). 

Lorsqu'on  copie,  sans  comprendre,  par  exemple  une  langue  inconnue,  c'est  la 
voie  DOEF  seule  qui  fonctionne,  la  même  qui  a  servi  à  l'apprentissage  de  l'écriture 
(fig.  oO). 

Sachs  incline  à  croire  que  l'image  visuelle  de  la  lettre  n'est  pas  reliée  avec  l'image 
d'articulation,  mais  que  la  voie  0  A  qui  va  de  l'image  visuelle  à  l'image  auditive  suffit 
aussi  bien  pour  l'écriture  spontanée  et  l'écriture  sous  dictée  que  pour  la  lecture. 

LicHTHEiM,  dans  son  premier  schéma,  relie  le  centre  de  l'écriture  avec  le  centre  de 
l'articulation,  car  il  n'admet  pas  la  possibilité  d'écrire  spontanément,  si  on  n'associe 
pas  les  images  motrices  d'articulation  aux  images  motrices  graphiques  (fig.  33). 

Amsi,  la  notion  du  mot,  chez  les  gens  lettrés,  est  constituée  par  l'association  de 
quatre  images  :  auditive  (mot  entendu),  visuelle  (mot  lu),  motrice  d'articulation  (mot 
parlé)  et  motrice  graphique  (mot  écrit). 

II.  — L'étude  de  l'aphasie  date  de  Bouillaud.  Il  existe,  écrivait  celui-ci  en  1823,  dans 
a  partie  antérieure  du  cerveau,  un  centre  cérébral  qui  dicte,  pour  ainsi  dire,  et  coordonne 
les  mouvements  compliqués  par  le  moyen  desquels  l'homme  exprime  les  opérations  de 
on  entendement.  Lordat,  Dax  père  et  Dax  fils  ne  tardèrent  pas  à  partager  la  manière 
de  voir  de  Bouillaud.  Mais  en  1861,  Broca  localisa  plus  exactement  le  centre  d'articula- 
tion, dans  le  tiers  postérieur  de  la  troisième  circonvolution  frontale  et  décrivit  plus 
minutieusement  que  ses  devanciers,  sous  le  nom  d'aphémie,  les  troubles  du  langage 
articulé.  A  partir  de  1874,  grâce  aux  travaux  de  Wernicke  sur  l'aphasie  sensorielle,  de 
KussMAUL  sur  la  cécité  verbale,  de  Charcot,  de  Lichtheim  et  d'autres,  on  acquit  la  certi- 
tude qu'il  n'3'  avait  pas  une  seule,  mais  plusieurs  espèces  d'aphasies,  et  que  chacune 
d'elles  dépendait  de  l'altération  d'une  région  cérébrale  distincte.  A  partir  de  cette  époque 
datent  aussi  nos  connaissances  sur  la  véritable  formation  de  la  parole. 


APHASIE.  (123 

Sous  le  nom  générique  d'aphasie,  on  comprend  tous  les  troubles  psychiques  de  la 
parole  dus  à  des  lésions  situées  dans  ces  régions  cérébrales  que  Meynert  a  appelées  premier 
système  de  projection.  Par  conséquent  l'aphasie  ne  comprend  pas  les  troubles  de  la 
parole  qui  relèvent  soit  de  la  paralysie  des  muscles  articulateurs,  soit  de  l'altération 
des  masses  grises  subcorticales  et  des  nerfs  périphériques.  Généralement  on  ne  désigne 
pas  non  plus  du  nom  d'aphasie  les  troubles  de  la  parole  qui  résultent  d'une  altération 
primitive  de  l'intelligence. 

Beaucoup  de  schémas  du  développement  de  la  parole,  autres  que  celui  de  Lichtheim- 
Wernicke,  ont  été  construits  dans  le  but  d'expliquer  les  différentes  espèces  d'aphasie, 
notamment  par  Kussmaul,  Charcot,  Grashey,  Goldscheider,  Moeli  et  Freud. 

Nous  donnons  la  préférence  au  schéma  de  Lichtheim-Wernicke,  ainsi  qu'à  la  classifi- 
cation des  aphasies  adoptée  par  ces  auteurs;  mais  nous  leur  apporterons  des  modifi- 
cations et  des  réserves  que  nous  jugeons  nécessaires. 

LicHTHEiM  et  Wernicke  distinguent  quatre  grandes  classes  d'aphasies  : 

A.  Aphasies  corticales. 

Les  centres  A  et  B  sont  lésés'.  La  lésion  du  centre  B  engendre  Vaphasie  corticale 
motrice  et  la  lésion  du  centre  A  Vaphasie  corticale  sensorielle. 

B.  Aphasies  subcorticales. 

Les  voies  AS  et  B  M  sont  lésées.  La  lésion  de  la  voie  B  M  engendre  Vaphasie  subcorti- 
cale motrice  et  la  lésion  de  la  voie  A  S  Vaphasie  subcorticale  sensorielle. 
»C.  Aphasies  transcorticales. 

Les  voies  A  G  et  B  C  sont  lésées.  La  lésion  de  la  voie  B  G  engendre  Vaphasie  transcor- 
ticale motrice  et  la  lésion  de  la  voie  A  G  Vaphasie  transcorticale  sensorielle. 

D.  Aphasie  de  conductibilité. 

La  voie  BA  est  lésée. 

III.  —  A.  Aphasies  corticales. — I.  Aphasie  corticale  motrice  [k'çihèmi&  A%  Broca, 
aphasie  ataxique  de  Kussmaul,  aphasie  motrice  de  Charcot).  —  Les  représentations  d'ar- 
ticulation étant  perdues,  le  malade  ne  sait  plus  parler  spontanément  ni  répéter  les  mots 
qu'il  entend. 

L'aphasie  est  tantôt  complète,  le  malade  est  condamné  au  mutisme  absolu;  tantôt,  et 
c'est  le  cas  le  plus  fréquent,  elle  est  incomplète,  c'est-à-dire  ne  s'étend  qu'à  quelques 
mots,  aux  substantifs,  à  une  seule  langue  si  le  malade  en  connaît  plusieurs,  etc. 

Cependant  le  malade  continue  à  comprendre  la  parole  de  ses  interlocuteurs,  le  centre 
auditif  A  étant  resté  intact. 

LicHTHEiM  croit  que  les  images  auditives  ne  peuvent  plus  être  éveillées  spontanément; 
aussi  le  malade  est  incapable  d'indiquer,  à  l'aide  de  gestes  par  exemple,  le  nombre  de 
syllabes  dont  se  composent  les  noms  des  objets  qu'on  lui  montre.  Nous  avous  vu  plus 
haut  que,  d'après  Lichtheim,  l'innervation  spontanée  du  centre  verbal  auditif  se  fait  toujours 
par  l'intermédiaire  du  centre  verbal  d'articulation. 

La  lecture  mentale  est  conservée,  sauf  chez  les  gens  peu  instruits  qui  ne  comprennent 
l'écriture  qu'en  la  lisant  à  haute  voix. 

L'écriture  spontanée  et  l'écriture  sous  dictée  sont  nécessairement  abolies,  car  leur 
accomplissement  exige  l'intégrité  du  mot  entier,  aussi  bien  de  son  image  motrice  que 
de  son  image  auditive. 

La  faculté  de  copier,  sans  compréhension,  est  conservée. 

D'après  Charcot, l'agraphie  et  l'alexie  n'accompagnent  l'aphasie  motrice  que  dans  les 
cas  oii  les  centres  de  l'écriture  et  de  la  lecture  sont  altérés  en  même  temps  ([ue  le  centre 
de  Broca. 

Il  n'existe  aucun  autre  trouble  de  l'intelligence. 

11  n'est  pas  douteux  que  les  représentations  d'articulation  n'occupent,  comme  Broca 
l'a  affirmé  le  premier,  le  tiers  postérieur  de  la  troisième  circonvolution  frontale.  Mais  il 
n'est  pas  certain  qu'elles  ne  siègent  encore  dans  d'autres  régions.  Lichtheim,  entre  autres, 
est  d'avis  que  le  centre  de  Broca  s'étend  à  la  troisième  circonvolution  frontale  tout 
entière  ainsi  qu'au  tiers  inférieur  des  deux  circonvolutions  centrales.  Sachs  admet  que 

1.  D'après  Freud  et  Goldscheider,  toutes  les  aphasies  sont  dues  à  une  lésion  ou  à- une  alté- 
ration fonctionnelle  des  processus  d'association.  '        , 


62i  APHASIE. 

les  nerfs  hypoglosse  et  glossophar3'ngien  se  terminent  dans  la  troisième  circonvolution 
frontale,  les  fibres  du  facial  destinées  à  la  musculature  des  lèvres,  dans  la  partie  de  la 
troisième  circonvolution  frontale  qui  se  continue  avec  la  circonvolution  centrale  antérieure, 
les  fibres  du  facial  destinées  aux  autres  régions  buccales  et  la  branche  motrice  du  triju- 
meau, dans  la  circonvolution  centrale  postérieure  et  la  partie  postérieure  de  la  circonvo- 
lution centrale. 

Les  images  motrices  de  tous  les  mouvements  du  corps  occupent  les  deux  hémisphères 
cérébraux;  les  images  motrices  compliquées  de  la  parole  font  seules  exception;  elles 
n'occupent  qu'un  seul  hémisphère,  le  gauche  chez  les  droitiers  et  le  droit  chez  les 
gauchers. 

II.  Aphasie  corticale  sensorielle  (Surdité  verbale; ou  surdité  psychique  verbale.) —  Les 
représentations  verbales  auditives  étant  perdues,  le  malade  ne  sait  plus  comprendre  ni 
répéter  les  mots  entendus. 

Cependant  les  mots  aussi  bien  que  les  sons  et  les  bruits  continuent  à  être  perçus;  il 
n'y  a  donc  pas  de  surdité  corticale. 

Les  sons  et  les  bruits  peuvent  être  non  seulement  perçus,  mais  aussi  compris;  la  sur- 
dité psj'cliique  ne  s'étend  donc  qu'aux  mots. 

La  surdité  verbale  est  tantôt  complète,  tantôt  incomplète. 

La  surdité  incomplète  ou  partielle  peut  se  borner  à  certains  mots,  certaines  voyelles, 
certaines  consonnes,  certaines  syllabes,  etc.  Chose  curieuse,  elle  peut  se  borner  à  une 
seule  langue  seulement,  quand  le  malade  en  parle  plusieurs. 

La  surdité  verbale  et  la  surdité  musicale  peuvent  exister  simultanément  ou  isolément. 

D'après  Lichtheim  et  AA'epnicke  qui  admettent  la  voie  CB,  les  malades  atteints  de 
surdité  psychique  verbale  peuvent  encore  parler  spontanément;  mais,  privés  de  leurs 
images  auditives  qui  servent  à  contrôler  la  parole,  ils  confondent  à  chaque  instant  les 
mots  :  ils  sont  atteints  de  paraphasie. 

Les  auteurs  qui,  à  l'exemple  de  Kuss.maul,  nient  l'existence  de  la  voie  CB  et  croient 
que  la  parole  spontanée  ne  peut  s'accomplir  que  par  l'intermédiaire  des  images  auditives, 
doivent  nécessairement  ranger  l'abolition  de  la  parole  volontaire  parmi  les  symptômes 
de  la  surdité  verbale.  Aussi,  d'après  Freud,  ce  qui  caractérise  l'aphasie  sensorielle,  c'est 
l'abolition  de  la  parole,  malgré  une  impulsion  très  forte  à  parler. 

D'après  Charcot,  au  contraire,  la  surdité  verbale,  quand  elle  n'est  pas  poussée  trop 
loin,  n'empêche  pas  la  parole  spontanée,  même  correcte. 

LicHTHiîiM  est  d'avis  que  la  surdité  verbale  est  toujours  accompagnée  d'alexie  et 
d'agraphie  transcorticales.  Les  images  visuelles  étant  subordonnées  aux  images  auditives, 
les  mots  lus  ne  peuvent  être  compris  qu'à  la  condition  que  le  centre  auditif  soit  intact. 
Il  en  est  de  même  pour  l'écriture  spontanée  et  l'écriture  sous  dictée.  La  faculté  de  copier 
est  seule  conservée. 

Webnicku  admet  également  que  le  malade  frappé  de  surdité  verbale  ne  peut  plus 
écrire  ni  spontanément,  ni  sous  dictée.  Mais  l'alexie  n'existe  que  chez  les  malades  peu 
instruits.  L'homme  peu  habitué  à  lire  ne  comprend  l'écriture  qu'à  la  condition  de  la  lire 
à  haute  voix.  L'homme  instruit,  au  contraire,  parcourt  rapidement  des  phrases  entières 
dont  il  saisit  parfaitement  le  sens,  sans  devoir  fixer  son  attention  sur  chaque  mol  et  par 
conséquent  sans  que  les  images  auditives  ne  doivent  être  éveillées. 

D'après  Charcot  et  ses  élèves,  les  troubles  secondaires  qu'entraînent  la  surdité  ver- 
bale dépendent  des  différences  individuelles.  Chacun  de  nous,  dit  Ballet,  a  sa  formule 
psychique.  Chez  les  auditifs,  la  lectur'e,  l'écriture,  de  même  que  la  parole  articulée,  sont 
subordonnées  à  l'audition  mentale  et  par  conséquent  l'abolition  de  celle-ci  entraînera 
l'alexie  et  l'agraphie.  Mais  il  n'en  sera  pas  de  même  chez  les  visuels. 

Les  images  verbales  auditives  occupent  la  première  circonvolution  temporale  gauche  ; 
c'est  donc  d'une  lésion  de  celle-ci  que  dépend  l'aphasie  sensorielle. 

Puisque  les  images  verbales  auditives  sont  exclusivement  localisées  à  gauche  chez 
les  droitiers,  nous  sommes  forcés  d'admettre,  comme  le  fait  observer  Sachs,  que  le  cer- 
veau gauche  de  l'homme,  contrairement  à  celui  du  chien,  est  relié  avec  les  deux  nerfs 
acoustiques,  et  que  par  conséquent  les  nerfs  acoustiques  ne  subissent,  comme  les  nerfs 
optiques,  qu'une  décussation  partielle;  sinon  nous  ne  pourrions  comprendre  les  mots 
exclusivement  entendus  avec  l'oreille  gauche. 


APHASIE.  623 

On  donne  le  nom  d^amnésie  verbale  auditive  aux  formes  légères  de  la  surdité  verbale, 
celles  dans  lesquelles  les  images  auditives  ne  sont  pas  effacées,  mais  ne  peuvent  plus  être 
ravivées  aussi  facilement  qu'à  l'état  normal. 

Il  est  permis  de  croire  avec  Bastian  que  les  différents  centres  du  langage  s'éveillent  le 
plus  facilement  sous  l'influence  d'une  excitation  sensorielle  directe,  moins  facilement 
sous  l'influence  d'une  excitation  qui  émane  d'un  autre  centre,  c'est-à-dire  par  voie  d'asso- 
ciation, et  le  moins  facilement  sous  l'influence  de  la  volonté.  Les  malades  dont  les  ima- 
ges verbales  auditives  ne  peuvent  plus  être  éveillées  spontanément,  mais  seulement  par 
une  excitation  directe  et  par  voie  d'association,  sont  atteints  d'amnésie  verbale  audi- 
tive. 

Le  malade  de  Grashey  était  un  amnésique  :  il  comprenait  facilement  la  parole  d'au- 
trui,  mais  il  ne  parvenait  pas  à  nommer  spontanément  les  objets,  à  moins  de  voir  leurs 
noms  écrits.  Les  images  auditives  ne  pouvaient  donc  plus  être  éveillées  par  les  idées  ;  mais 
elles  pouvaient  encore  l'être  par  les  images  visuelles  des  mots  et  par  l'excitation  du  nerf 
acoustique.  Mais  l'amnésique  de  Grashey  présentait  encore  un  autre  symptôme  :  lors- 
qu'on prononçait  à  haute  voix  un  mot  en  sa  présence,  et  qu'on  détournait  immédiatement 
après  son  attention  sur  un  autre  mot,  il  lui  était  impossible  de  répéter  le  premier  mot; 
de  même  lorsqu'on  lui  montrait  un  objet  qu'il  i-econnaissait  parfaitement  et  que,  quelques 
instants  après,  on  lui  demandait  de  toucher  cet  objet,  il  ne  le  pouvait  pas;  car  il  avait 
oublié  de  quel  objet  il  s'agissait.  Grashey  attribue  ce  symptôme  à  la  trop  faible  durée  de 
la  perception  des  images  verbales  auditives  et  des  images  partielles  des  objets. 

Citons  encore  le  cas  relaté  par  Trousseau.  «  Vous  vous  rappelez,  dit  Trousseau, 
l'expérience  que  j'ai  souvent  répétée  au  lit  de  Marcou.  Je  plaçais  son  bonnet  de  nuit 
sur  son  lit  et  lui  demandais  ce  que  c'était.  Mais,  après  l'avoir  regardé  attentivement,  il 
ne  pouvait  dire  comment  on  l'appelait  et  s'écriait  :  «  Et  cependant  je  sais  bien  ce  que  c'est, 
mais  je  ne  puis  m'en  souvenir.  »  Lorsque  je  lui  disais  que  c'était  un  bonnet  de  nuit, 
il  répondait  :  <(  Oh  oui!  C'est  un  bonnet  de  nuit.  »  La  même  scène  se  répétait  pour  les 
divers  autres  objets  qu'on  lui  montrait.  ;» 

B.  Aphasies  subcorticales.  —  \.  Aphasie  subcorticale  motrice  (Anarthrie).  — 
L'aphasie  subcorticale  motrice  a  beaucoup  de  ressemblance  avec  l'aphasie  corticale 
motrice;  elle  n'en  diffère  que  par  la  conservation  de  la  lecture  et  de  l'écriture,  ainsi  que, 
d'après  Lichtheim,  par  la  possibilité  d'éveiller  spontanément  les  images  verbales  audi- 
tives, les  malades  pouvant  par  conséquent  indiquer  au  moyen  de  gestes  le  nombre  de 
syllabes  dont  se  composent  les  noms  des  objets  qu'on  leur  montre. 

Il  paraît  que  le  plus  souvent  les  fibres  nerveuses  qui  partent  du  centre  de  Broca  se 
dirigent  en  grande  partie  dans  [rhémisphère  droit  pour  descendre  par  la  capsule 
interne  et  le  pédoncule  cérébral  du  même  côté.  Cela  expliquerait  pourquoi  les  lésions 
de  la  capsule  interne  et  du  pédoncule  cérébral  du  côté  gauche  ne  sont  que  rarement 
suivies  d'aphasie. 

II.  Aphasie  subcorticale  sensorielle.  —  Les  mots  entendus  ne  sont  pas  compris,  contrai- 
rement aux  autres  sons  et  bruits.  Cette  dernière  particularité  distingue  l'aphasie  sub- 
corticale sensorielle  de  la  surdité  d'origine  périphérique. 

Le  malade  ne  peut  pas  répéter  les  mots  qu'il  entend  :  abolition  de  la  parole  en  écho. 

L'écriture  sous  dictée  n'est  plus  possible. 

D'autres  altérations  n'existent  pas,  ni  de  l'intelligence,  ni  de  l'écriture,  ni  de  la 
lecture.  La  parole  spontanée  est  également  conservée,  sauf  chez  les  enfants  dont  les 
images  verbales  auditives  ne  sont  pas  encore  assez  solidement  ou  en  assez  grand  nombre 
enracinées  dans  le  cerveau.  Les  enfants  qui  n'avaient  pas  encore  appris  à  parler,  avant 
d'être  atteints  d'une  lésion  de  la  voie  A  S,  restent  muets. 

Beaucoup  d'auteurs  n'admettent  pas  la  symptomatologie  attribuée  par  Lichtheim  et 
Wernicke  à  l'aphasie  subcorticale  sensorielle.  Ils  ne  croient  pas  qu'il  existe  dans  le  nerf 
acoustique  des  fibres  nerveuses  chargées  exclusivement  de  transmettre  les  sons  des  mots 
de  l'oreille  interne  au  centre  de  Wernicke;  par  conséquent,  d'après  eux,  une  lésion  du 
nerf  acoustique,  quelque  circonscrite  qu'elle  soit,  ne  peut  jamais  déterminer  la  surdité 
verbale  sans  altérer  en  même  temps  l'audition  des  autres  sons  et  bruits. 

C.  Aphasies  transcorticales.  —  I.  Aphasie  transcorticale  motrice.  —  Le  malade 
ne  peut  plus  parler  ni  écrire  spontanément. 

mOT.    DE  PHYSIOLOGIE.    —   TOME  I.  40 


696  APHASIE. 

La  faculté  de  copier,  l'écrilure  sous  dictée,  la  parole  en  écho,  la  compréhension  de  la 
parole  d'autrui  et  la  lecture  sont  restées  intactes. 

Pour  que  la  parole  et  l'écriture  spontanées  soient  totalement  abolies,  il  faut  que 
toutes  les  voies  qui  relient  le  centre  de  Broca  aux  différentes  images  partielles  dont  se 
composent  les  idées  concrètes  soient  interrompues.  Mais  il  peut  se  faire  qu'une  seule 
des  voies  transcorticales,  supposons  la  voie  olfactive,  soit  altérée;  dans  ce  cas  le  malade 
ne  pourra  prononcer  spontanément  le  mot  rose,  si  l'image  visuelle  ou  l'image  tactile  de 
la  rose  ne  sont  pas  éveillées  en  même  temps  que  l'image  olfactive. 

Par  conséquent,  il  existe  une  aphasie  transcorticale  motrice  olfactive,  optique, 
tactile,  etc. 

I^ous  avons  vu  précédemment  qu'un  grand  nombre  d'auteurs  nient  l'existence  de  la 
voie  GB;  mais  admettent,  au  contraire,  que  la  parole  spontanée  ou  volontaire  se  fait 
toujours  par  l'intermédiaire  du  centre  auditif,  c'est-à-dire  par  la  même  voie  par  où  s'ac- 
complit la  parole  en  écho.  Aussi  ces  auteurs  expliquent-ils  autrement  la  symptomalologie 
attribuée  par  Wermcke  et  Lichtheim  à  l'aphasie  transcorticale  motrice.  Sachs  les  rattache 
aune  diminution  de  l'excitabilité  du  centre  de  Broca;  celui-ci,  conformémentà  la  loi  établie 
par  Bastian,  se  laissant  plus  difficilement  raviver  par  la  volonté  que  par  le  centre  auditif 
(parole  en  écho  et  écriture  sous  dictée)  et  par  le  centre  visuel  des  mots  (lecture  à  haute 
voix  et  écriture  copiée). 

II.  Aphasie  transcorticale  sensorielle.  —  Le  malade  ne  comprend  pas  les  mots  entendus. 
Il  peut  répéter  les  mots  qu'il  entend,  mais  sans  les  comprendre. 

D'après  Lichtheim  et  Wernicke,  la  parole  spontanée  est  conservée,  mais  accompagnée 
de  parapliasie.  D'après  les  auteurs,  au  contraire,  qui  n'admettent  pas  la  voie  CB,  la 
parole  spontanée  n'est  plus  possible. 

La  lecture  peut  encore  se  faire,  mais  sans  être  comprise.  Il  en  est  de  même  de  l'écri- 
ture sous  dictée  et  de  la  faculté  de  copier. 

Le  malade  peut  même,  d'après  Lichtheim  et  Wernicke,  écrire  spontanément;  mais  il 
est  atteint  de  paragraphie. 

Comme  pour  l'aphasie  transcorlicale  motrice,  on  distingue  une  aphasie  transcorticale 
sensorielle  olfactive,  optique,  etc. 

D.  Aphasie  de  conductibilité.  —  La  parole  en  écho  est  abolie.  Les  mots  cepen- 
dant sont  entendus  et  compris. 

Le  malade  continue  à  pouvoir  parler  spontanément,  mais  en  confondant  à  chaque 
instant  les  mots.  D'après  Wernicke,  la  paraphasie  paraît  ici  un  peu  moins  accusée  que 
dans  l'aphasie  corticale  sensorielle,  parce  que,  les  images  verbales  auditives  étant  con- 
servées, le  malade  est  à  même,  en  prononçant  d'abord  les  mots  à  voix  basse,  de  se  ren- 
seigner si  les  mots  qu'il  veut  employer  sont  exacts  et  peut  par  conséquent  se-  corriger 
à  temps,  si  c'est  nécessaire,  avant  de  parler  à  haute  voix. 

Les  auteurs  qui  prétendent  que  la  parole  spontanée  ne  peut  s'accomplir  que  par 
l'intermédiaire  des  images  'auditives,  sont  forcés  d'admettre  que  l'interruption  de  la 
voie  K  B  est  suivie  d'un  mutisme  absolu.  C'est  l'opinion  également  de  Freud  qui  nie 
formellement  que  la  parole  spontanée  puisse  être  conservée  quand  la  parole  en  écho  est 
abolie. 

Wernicke  pense  que  le  malade  atteint  d'aphasie  de  conductilité  peut  encore  lire,  sauf 
lorsqu'il  est  obligé  d'épeler  chaque  mot  pour  comprendre  la  lecture.  D'après  Lichtheim, 
au  contraire,  l'alexie  s'observe  toujours,  quel  que  soit  le  degré  d'instruction. 

L'écriture  spontanée  et  l'écriture  sous  dictée  sont  abolies;  ce  n'est  que  la  facilité  de 
copier  qui  est  [conservée. 

Pour  Wernicke,  la  voie  AB  est  située  dans  l'Insula. 

IV.  —  Avant  de  terminer,  nous  croyons  utile  de  relever  brièvement  quelques  points 
importants. 

1°  L'enfant  commence  l'apprentissage  de  la  parole,  lorsque  son  cerveau  s'est  déjà 
enrichi  d'un  nombre  plus  ou  moins  considérable  d'idées. 

Il  serait  cependant  erroné  de  croire  que  ce  sont  les  idées  qui  créent  les  mots,  comme 
l'ont  prétendu  jadis  un  grand  nombre  de  philosophes  et  de  linguistes.  Si  réellement  les 
idées  déterminaient  la  formation  de  la  parole,  les  aveugles-nés,  comme  le  remarque 
Wernicke,  devraient  beaucoup  plus  être  frappés  de  mutisme  que  les  sourds-nés,  car  les 


APHASIE.  627 

représentations  visuelles  concourent  bien  plus  efficacement  à  la  formation  des  ide'es  que 
les  représentations  auditives. 

Nous  avons  vu  plus  haut  que  l'enfant  apprend  à  parler  en  entendant  parler,  c'est- 
à-dire  que  les  représentations  verbales  auditives  engendrent  directement  les  représenta- 
tions verbales  motrices.  Voilà  pourquoi  les  enfants  qui  naissent  sourds,  de  même  que 
ceux  qui  deviennent  accidentellement  sourds  dans  les  premières  années  de  leur  âge, 
restent  irrémédiablement  frappés  de  mutisme;  ils  restent  sourds-muets  pendant  toute 
la  vie. 

2°  Les  mots  parlés  et  les  idées  se  forment  dans  l'écorce  cérébrale  indépendamment 
les  uns  des  autres.  Cette  indépendance  réciproque  des  mots  et  des  idées  ne  peut  pas  être 
démontrée  d'une  façon  plus  convaincante  que  par  l'étude  de  l'aphasie.  Nous  voyons  des 
aphasiques  perdre  l'usage  total  de  la  parole,  sans  que  leur  intelligence  paraisse  en  souffrir. 

3°  Quoique  les  mots  et  les  idées  se  développent  parallèlement,  il  n'en  est  pas  moins 
vrai  qu'une  association  étroite  ne  tarde  pas  à  s'établir  entre  eux,  et  que  leur  indépen- 
dance réciproque  n'est  pas  absolue.  En  eflfet,  toutes  les  images  sensorielles  dont  se  com- 
pose l'idée  concrète  d'un  objet  sont  reliées  avec  l'image  auditive  du  mot  adéquat;  et 
cette  liaison  finit  par  devenir  si  intime  que  l'image  verbale  auditive  éveille  instantané- 
ment toutes  les  images  sensorielles  de  l'objet,  c'est-à-dire  l'idée  concrète  de  cet  objet,  et, 
réciproquement,  l'une  ou  l'autre  des  images  sensorielles  de  l'objet  éveille  instantané- 
ment, avec  l'idée  entière,  le  mot  correspondant. 

Les  images  verbales  auditives  sont  associées  avec  les  idées  générales  et  abstraites 
aussi  bien  qu'avec  les  idées  particulières  ou  individuelles. 

Une  idée  générale  résulte  de  l'association  d'un  nombre  souvent  très  considérable, 
soit  d'idées  particulières,  soit  d'images  sensorielles  soustraites  à  différentes  idées 
particulières.  Toutes  ces  idées  particulières  ou  ces  images  partielles  appartenant  à 
des  idées  particulières  différentes  se  réunissent  entre  elles  par  l'intermédiaire  de 
l'image  auditive  du  mot  adéquat.  Cela  explique  pourquoi  les  enfants  ne  possèdent  pas 
des  idées  générales  avant  d'avoir  appris  à  parler,  que  les  sourds-muets  n'en  gagnent 
qu'avec  beaucoup  d'efforts,  et  que  les  animaux  paraissent  ne  pas  en  avoir. 

Les  idées  abstraites  qui,  comme  s'exprime  H.  Beaunis,  ne  sont  qu'un  degré  supérieur 
des  idées  générales,  reposent  également  sur  une  association  d'idées  particulières  reliées 
entre  elles  par  les  images  auditives  des  mots  génériques. 

11  serait  cependant  erroné  de  croire,  avec  un  grand  nombre  de  psychologues,  que  ce 
sont  les  mots  qui  créent  les  idées  générales  et  abstraites;  car,  nous  venons  de  le  dire, 
les  sourds-muets  n'en  sont  pas  totalement  dépourvus.  Il  est  par  conséquent  permis  de 
croire  que,  si  les  idées  générales  et  abstraites  se  produisent  le  plus  facilement  par 
l'association  des  idées  particulières  avec  les  noms  génériques,  elles  peuvent  se  produire 
aussi  par  l'association  mutuelle  des  idées  particulières,  sans  l'intervention  de  la  parole. 

Ce  sont  également  les  images  verbales  auditives,  d'après  Wernicke,  qui  relient  les 
mots  écrits  aux  idées. 

L'association  intime  des  mots  parlés  et  écrits  avec  les  idées,  tant  abstraites  que 
concrètes,  nous  explique  pourquoi  nous  avons  l'habitude  de  pensera  l'aide  des  mots. 

L'importance  des  images  verbales  auditives,  au  point  de  vue  de  leur  nombre  et  de 
leur  relation  avec  toutes  les  autres  régions  du  cerveau,  explique  ce  fait  anatomique 
que  chez  l'homme  le  lobe  temporal  est  si  développé. 

4°  L'éveil  des  idées  par  l'intermédiaire  des  images  verbales  auditives,  et  récipro- 
quement, la  parole  et  l'écriture  spontanée  constituent  un  argument  puissant  en  faveur 
de  la  doctrine  de  l'association  des  représentations  établie  par  les  psychologues  anglais. 

So  Meynert  a  établi  la  loi  que  tous  les  mouvements  volontaires  ont  pour  origine  des 
mouvements  réflexes  innés.  Les  mouvements  de  la  parole,  les  plus  compliqués  de  tous 
nos  mouvements,  ne  font  pas  exception.  Si  nous  analysons  ces  mouvements,  nous 
constatons  qu'ils  sont  formés  par  la  combinaison  d'une  série  de  mouvements  simples 
que  le  nouveau-né  est  capable  d'exécuter  d'une  façon  réflexe. 

6°  Les  expériences  faites  par  les  physiologistes  sur  l'écorce  cérébrale  des  animaux, 
principalement  des  chiens  et  des  singes,  expériences  consistant  tantôt  eu  excitation 
électrique,  tantôt  en  extirpation  de  l'une  ou  l'autre  des  régions,  ont  démontré  que  les 
facultés  psychiques  des  animaux  sont  nettement  localisées. 


628  APHASIE. 

La  doctrine  des  localisations  cérébrales  ne  compte  plus  que  de  rares  adversaires, 
parmi  lesquels  se  trouve  Goltz  de  Strasbourg. 

Lorsqu'en  1861,  Bboca  trouva  qu'une  lésion  de  la  troisième  circonvolution  frontale 
gauche  engendre  toujours  l'aphasie  motrice,  et  que  plus  tard,  en  1874,  Wernicke  décou- 
vrit en  outre  que  l'aphasie  sensorielle  résulte  d'une  lésion  circonscrite  de  la  première 
circonvolution  temporale  gauche,  on  fut  presque  unanime  pour  admettre  que,  chez 
l'homme  aussi  bien  que  chez  l'animal,  les  fonctions  psychiques  élémentaires  se  locali- 
sent dans  des  territoires  distincts  du  cerveau. 

Mais  les  expériences  physiologiques  ont  démontré  que  la  localisation  ne  se  rapporte 
qu'aux  fonctions  psychiques  élémentaires.  Les  sensations  et  les  représentations  visuelles 
ont  pour  siège  la  région  où  se  trouvent  les  terminaisons  centrales  des  nerfs  optiques; 
les  sensations  et  les  représentations  auditives,  la  région  où  se  trouvent  les  terminaisons 
centrales  des  nerfs  acoustiques;  les  sensations  et  les  représentations  tactiles,  la  région 
où  se  trouvent  les  terminaisons  [centrales  des  nerfs  du  toucher;  les  sensations  et  les 
représentations  olfactives,  la  région  où  se  trouvent  les  terminaisons  centrales  des  nerfs 
olfactifs;  et  enfin  les  sensations  et  les  représentations  gustatives,  la  région  où  se 
trouvent  les  terminaisons  centrales  des  nerfs  gustatifs.  De  même,  les  sensations  et  les 
représentations  motrices  siègent  à  l'origine  cérébrale  des  nerfs  moteurs. 

Mais  les  fonctions  psychiques  plus  élevées,  à  commencer  par  les  idées  les  plus 
simples,  reposent  sur  une  association  de  divers  territoires  du  cerveau. 

L'idée  du  mot  parlé  est  formée  par  l'association  d'une  image  auditive  localisée 
dans  l'écorce  temporale  avec  une  image  motrice  localisée  dans  l'écorce  frontale.  Cette 
association  est  démontrée  par  l'aphasie  de  conductibilité  de  Wernicke,  résultant  d'une 
lésion  dans  l'insula  de  Reil. 

6°  Les  sensations  et  les  représentations  constituent  le  contenu  de  la  conscience. 

La  question  n'est  pas  élucidée  si  les  mêmes  cellules  peuvent  être  le  siège  à  la  fois 
de  sensations  et  de  représentations,  en  d'autres  mots,  si  les  sensations  et  les  représen- 
tations reconnaissent  le  même  substratum  anatomique.  Les  expériences  de  H.  Munk 
semblent  prouver  qu'il  n'en  est  pas  ainsi.  Lorsque  l'on  extirpe  chez  un  chien  ou  un 
singe  la  région  centrale  de  la  sphère  psycho-optique,  l'animal  est  frappé  de  cécité 
psychique.  Mais  celle-ci  s'améliore  graduellement,  et  (mit,  après  quelques  semaines, 
par  guérir  totalement,  parce  que  les  représentations  visuelles  se  déposent  dans  la 
région  périphérique  restée  intacte.  De  même,  après  l'extirpation  de  la  région  centrale 
de  la  sphère  psycho-acoustique,  l'animal  continue  à  entendre,  mais  sans  reconnaître 
ce  qu'il  entend  :  il  est  frappé  de  surdité  psychique.  Mais  celle-ci  finit  également  par 
disparaître,  la  région  périphérique  restée  intacte  devenant  à  son  tour  le  siège  des 
représentations  auditives,  remplaçant  ainsi  la  région  disparue. 

La  surdité  psychique  des  mots,  de  même  que  la  cécité  psychique  des  mots, 
constitue,  me  semble-t-il,  un  argument  précieux  en  faveur  de  l'hypothèse  de  Muink.  Les 
malades  atteints  d'aphasie  sensorielle  continuent  à  entendre  les  mots;  mais  ils  ne  les 
comprennent  plus,  parce  que  les  éléments  nerveux  où  sont  déposées  les  images  audi- 
tives verbales  sont  altérés,  tandis  que  ceux  oii  les  sensations  s'élaborent  sont  restés 
intacts. 

7°  Pour  bien  comprendre  le  mécanisme  de  la  formation  de  la  parole,  il  est  indis- 
pensable de  recourir  aux  notions  fournies  à  la  fois  par  la  psychologie,  la  physiologie 
du  cerveau  et  la  pathologie  cérébrale.  «  La  psychologie  et  la  physiologie  d'une  part, 
écrit  KussM.\UL,  et  la  pathologie  cérébrale  d'autre  part,  s'éclairent  mutuellement  pour 
expliquer  les  lois  qui  président  à  la  formation  de  la  parole.  » 

V.  Bibliographie.  —  Wernicke.  Gesamnielte  Aufsâlze  und  kritische  Referate  zvr 
Pathologie  des  Nervensystems.  Berlin,  1893. —  Lichtheim.  Ueber  Aphasie  {Deutsches  Archiv 
fur  Min.  Medicine,  1885,  t.  xxxvi,  fasc.  3  et  4).  —  Kussmaul.  Storungen  der  Sprache,  1877, 
aus  Ziemssen's  Handbuch  der  spec.  Fathol.  u.  Thérapie.  Leipzig.  — Moeli.  Veber  den  Gegen- 
wartigen  Stand  der  Aphasielehre  {Berliner  klin.  Wochenschrift,  1891,  n<«48  et49).  —  Freund. 
Zur  Auffassung  der  Aphasien,  eine  kritische Studie,  1891.  Leipzig  et  Vienne.  —  Charcot.  Leçons 
sur  les  maladies  du  système  nerveux,  t.  ni.  Paris,  1882,  2MSsim.  —  Ballet.  Le  langage 
intérieur,  etc.  Paris,  1888.  —  Stricker.  Studien  ùber  die  Sprachvorstellungen.  Wien,  1880. 


APHONIE.    —   APHRODISIAQUE.  629 

—  Ferries.  The  functions  of  the  brain.  London,  1886.  —  Sachs.  Vortràge  zur  Bau  und  Thà- 
tigkeit  des  Grosshmis.  Breslaii,  1892.  — Gr-^shey,  Ueher  Aphasie  und  ihre  Beziehungen  zur 
Wahmehmungr  (Archiv  fur  Psychiatrie,  t.  xvi,  1883).  —  Goldscheider.  Ueber  centrale 
Sprache-Schreib-und  LesestSrungen  {Berliner  kl.  Wochenschrift,  1892,  n'^  4,  S,  6,  7,  et  8).  — 
BouiLLAUD.  Traité  de  l'encéphalite.  Paris,  1825.  —  Broca.  Sur  le  siège  de  la  faculté  du 
langage  articulé  [Bull.  Soc.  Anat.  de  Paris,  p.  398,  1861).  —  Ch.  Bàstun.  On  différent 
kinds  of  Aphasie  {British  Médical  Journal,  1887,  9  oct.  et  3  nov.).  —  Freund.  Optische 
Aphasie  {Archiv  f.  Psychiatrie,  t.  xx,  fasc.  1). 

E.   LAHODSSE. 

APHONIE. — Privation  de  la  voix  par  un  trouble  dans  les  fonctions  du  larynx. 
11  faut  distinguer  l'aphonie  de  la  mutité  et  de  l'aphasie.  Quand  les  cordes  vocales,  pour 
une  cause  ou  une  autre  (paralysies,  ulcérations,  etc.),  ne  peuvent  plus  entrer  en  jeu,  la  voix 
ne  peut  plus  être  émise;  mais  le  langage  est  conservé.  De  là,  la  distinction  entre  l'Apho- 
nie et  les  affections  où  le  langage  est  aboli  comme  l'aphasie  et  la  mutité.  [Vo\t  Larynx 
et  Voix.) 


APH  RODISI AQUE.  —  L'aphrodisie  est  une  exagération  de  l'appétit  génital, 
elle  terme  Aphrodisiaque  ('AopoSi-Ti,  Vénus)  est  son  qualificatif.  Cette  surexcitation  du 
désir  porte  chez  l'homme  le  nom  de  Satyriasis  et  chez  la  femme  le  nom  de  Nymphomanie. 

Ce  que  nous  avons  dit  des  causes  de  l'anaphrodisie  est  également  applicable  ici;  il 
est  rare,  en  effet,  que  ce  trouble  dépende  de  causes  locales,  et  le  plus  souvent  il  est  dû 
à  des  modifications  de  la  nutrition,  et  plus  fréquemment  encore  à  des  altérations  du 
système  nerveux  cérébro-spinal.  Les  phénomènes  psychologiques  peuvent  revendiquer 
une  part  iniportante  dans  la  pathogénie  de  ce  trouble  ;  déjà,  il  était  aisé  de  le  prévoir 
en  considérant  le  rôle  que  jouent  les  représentations  mentales  dans  la  vie  sexuelle, 
rôle  que  dévoile  manifestement  l'étude  de  l'amour  normal  et  des  amours  morbides, 
mais,  de  plus,  l'association  de  l'excitation  génésique  à  un  grand  nombre  de  maladies 
mentales  dont  elle  figure  parfois  le  syndrome  initiateur  (comme  dans  le  tabès  et  dans 
la  paralysie  générale)  en  est  un  témoignage  tout  à  fait  convaincant. 

On  doit  également  distinguer  ici,  entre  l'exagération  des  désirs  sexuels  et  la  faculté 
de  les  satisfaire,  qui  peut  en  même  temps  faire  défaut;  il  arrive  de  la  même  façon  que 
l'organisme  génésique,  l'érection,  devienne  presque  permanente  sans  s'accompagner 
d'appétence  sexuelle  d'aucune  sorte. 

Il  est  plus  rare  qu'on  ne  le  dit,  que  les  affections  locales  des  organes  génitaux,,  les 
oxyures,  le  phimosis,  le  développement  hypertrophique,  puissent  être  considérées  comme 
de  vraies  causes  de  l'aphrodisie.  Le  plus  souvent  elles  ne  déterminent  de  phénomènes 
d'excitation  que  parce  qu'elles  existent  chez  des  sujets  prédisposés. 

L'aphrodisie  et  l'anaphrodisie,  d'une  part,  les  diverses  perversions  et  inversions 
sexuelles  d'autre  part,  par  l'origine  manifestement  psychique  que  révèlent  les  caractères 
de  leurs  complexus,  plaident  incontestablement  en  faveur  de  l'existence  dans  le  cerveau 
d'un  centre  génital.  Mais,  malgré  les  raisons  qu'on  a  fait  valoir,  pour  la  localisation 
supposée  de  celui-ci,  proche  du  centre  olfactif,  aucun  fait  anatomique  irréprochable  ne 
permet  jusqu'à  présent  d'en  admettre  l'existence. 

Il  existe  un  certain  nombre  de  médicaments  dits  aphrodisiaques,  dont  aucun,  on 
doit  le  remarquer,  ne  présente  d'action  élective  spécifique  :  tous  exercent  leurs  effets  sur 
le  système  nerveux  en  général.  Parmi  ceux-ci,  les  vertus  de  la  cantharide  méritent  d'être 
signalées  en  premier  lieu;  nous  citerons  aussi  la  noj'a;  t'omigMe,  dont  les  effets  excitateurs 
sur  la  moelle  épinière  ne  sont  pas  douteux,  et  le  phosphore,  dont  les  propriétés  à  cet 
égard  sont  moins  actives  (?) 

En  dehors  de  ces  médicaments,  il  est  des  aliments  dont  l'action  excitatrice  sur  les 
désirs  sexuels  est  réputée.  Tel  le  poisson  (auquel  on  attribue  les  qualités  prolifiques  des 
populations  du  littoral),  le  gibier,  les  truffes  :  parmi  les  condiments  on  considère  le  poivre, 
le  gingembre,  le  piment,  la  muscade,  la  cannelle  et  la  vanille  comme  aphrodisiaques  ("?). 

PAUL   BLOCQ. 


630  APNÉE. 

APNEE  {Apnoea,  ar.mia,  absence  de  respiration).  —  État  d'un  animal  vivant 
chez  lequel  les  mouvements  respiratoires  n'existent  pas  ou  sont  suspendus  momenta- 
nément par  suite  de  la  non-activité  des  centres  nerveux  respiratoires. 

Le  terme  d'apnée  se  trouve  déjà  chez  Galien  (De  locis  affectif,,  lib.  IV,  vol.  VIII,  p.  181, 
édit.  KtJHN,  cité  par  Rosenthal,  H.  H.,  t.  iv,  (2),  p.  264),  mais  pris  dans  un  sens  un  peu 
différent  de  celui  que  nous  y  attachons.  D'après  Burdon-Sanderson,  Hook  est  le  premier 
physiologiste  qui  ait  obteau  la  suspension  des  mouvements  respiratoires  en  insufflant 
de  l'air  dans  les  poumons  d'un  chien.  L'expérience  fut  faite  en  octobre  1667  devant  la 
Société  Royale  de  Londres.  L'auteur  ne  tira  aucune  conclusion  de  son  expérience. 

La  notion  moderne  et  la  dénomination  d'apwee  ont  été  introduites  en  physiologie 
par  les  beaux  travaux  de  Rosenthal  sur  l'innervation  de  la  respiration.  L'expérience 
à'cqmée  est  décrite  par  lui,  en  1862,  dans  les  termes  suivants  {Die  Athembeivegungen  und 
ihre  Beziehungen  zum  Nervus  vagus.  Berlin,  1862,  p.  137)  : 

«  Si  l'on  insuffle  de  l'air  aux  animaux  de  la  façon  qui  a  été  décrite,  on  peut  arriver 
à  ce  résultat  que  les  mouvements  du  diaphragme  deviennent  de  plus  en  plus  faibles  pour 
cesser  entièrement  à  la  fin.  On  pourrait  croire  l'animal  mort  si  le  cœur  mis  à  nu  ne 
continuait  pas  à  battre  vigoureusement,  et  si  l'attouchement  le  plus  léger  de  la  cornée 
de  l'œil  ne  provoquait  immédiatement  le  clignotement.  J'ai  même  réussi,  par  une 
manœuvi-e  énergique  du  soufflet  servant  à  la  respiration  artificielle,  à  saturer  telle- 
ment le  sang  d'oxygène  pendant  un  certain  temps  qu'après  cessation  complète  de  la 
respiration  artiflcielle,  le  diaphragme  restait  encore  immobile  pendant  longtemps,  cinq 
minutes  et  au  delà.  Alors  seulement  les  mouvements  reprenaient,  d'abord  faibles  et 
rares,  puis  de  plus  en  plus  fréquents  et  énergiques.  » 

L'explication  donnée  ici  par  Rosenthal  se  rattache  à  sa  théorie  de  la  respiration  des 
mouvements  respiratoires  par  la  composition  gazeuse  (teneur  en  oxygène)  du  sang  qui 
circule  dans  la  moelle  allongée,  au  niveau  des  centres  respiratoires. 

Avant  d'aborder  les  controverses  auxquelles  cette  explication  a  donné  lieu,  il  est 
nécessaire  de  rappeler  dans  ses  grandes  lignes  la  théorie  de  Rosenthal. 

Les  mouvements  de  tous  les  muscles  de  la  respiration  sont  réglés  par  l'activité  de 
centres  nerveux  situés  dans  la  moelle  allongée.  On  sait  que  l'intervention  de  la  volonté 
n'est  pas  nécessaire  pour  le  fonctionnement  régulier  de  ces  centres  :  en  effet,  les  mou- 
vements respiratoires  persistent  pendant  le  sommeil,  dans  l'anesthésie,  ou  chez  les 
animaux  auxquels  on  a  enlevé  les  hémisphères  cérébraux. 

L'activité  des  centres  respiratoires  ne  paraît  pas  non  plus  être  de  nature  réflexe, 
comme  le  croyaient  Volkmann  {Micller's  Archiv,  1841,  p.  342),  Vierordt  {Wagner's  Hand- 
worterhuch,  t.  ii,  p.  912),  et  jusqu'à  un  certain  point  Marshall  Hall  et  Schiff  {Lehrbuch  der 
Physiologie,  t.  i,  p.  413),  puis  plus  récemment  Bach  (Quo  niodomedulla  oblongata,ut  respi- 
randi  motus  efficiat,  incitatur.  Diss.  inaug.  Konigsberg,  1863). 

En  effet,  il  ne  s'agit  pas  d'une  action  consécutive  à  des  impressions  sensitives, 
puisque  l'on  peut  isoler  la  région  des  centres  respiratoires  du  reste  du  système  ner- 
veux sans  arrêter  leur  activité.  Rosenthal  [Studien  ùber  Athembeivegungen.  Archiv  f.  Anat., 
und  PhysioL,  1863,  p.  200)  a  vu  les  mouvements  respiratoires  du  diaphragme  persister 
chez  un  lapin  dont  les  hémisphères  cérébraux  étaient  enlevés,  dont  la  moelle  épinière 
était  coupée  au  niveau  de  la  première  vertèbre  dorsale  et  chez  lequel,  de  plus,  les  pneu- 
mogastriques et  toutes  les  racines  postérieures  sensibles  des  nerfs  du  cou  étaient 
également  sectionnés'. 

L'excitant  qui  provoque  l'activité  des  centres  respiratoires  ne  leur  est  donc  pas 
apporté  par  des  nerfs  centripètes  agissant  par  voie  réflexe.  Séparés  de  presque  tous  les 
nerfs  sensibles  du  corps,  ces  centres  continuent  à  agir  :  ils  trouvent  en  eux-mêmes  ou 
dans  leur  voisinage  immédiat  l'excitant  qui  les  met  enjeu.  Leur  fonctionnement  appar- 

1.  Ce  point  est  contesté  par  Marckwald  {Die  Athembewegungen  unâ  deren  Innervation  beim 
Kaninchen.  Z.  B.,  t.  xxni,  1887)  pour  le  lapin  et  par  Cat.  Schipiloff  pour  la  grenouille,  confirmé 
au  contraire  par  C.  Franck  et  Langendorfp  {Die  Automatie  des  Athemcentrums.  A.  Db..  1887, 
p.  284;  JJeber  die  automatische  Tkâtigkeit  des  Athmungscentrums  bei  Sûugethieren.  A.  Db.,  1888, 
p.  286).  Voir  aussi  Loewy  :  Ueber  das  Athemcemtrum  in  der  Med.  oblongata  und  die  Bedingungen 
seiner  Thiltigkeit  [A.  DB.,  1887,  p.  472). 


APNEE.  631 

tient  à  la  catégorie  d'actions  nerveuses  auxquelles  J.  Muller  a  donné  le  nom  d'actions 
automatiques. 

Quelle  est  la  cause  qui  provoque  l'activité  des  centres  respiratoires  au  moment  où 
l'enfant  vient  au  monde  et  qui  l'entretient  pendant  toute  la  vie?  Les  belles  expériences 
de  RosENTHAL  (1862)  ont  montré  qu'il  existe  un  rapport  intime  entre  le  degré  d'activité 
des  centres  respiratoires  et  la  composition  chimique  du  sang  qui  baigne  la  moelle 
allongée. 

Le  stimulus  sous  l'influence  duquel  les  centres  respiratoires  agissent  doit  être 
cherché  dans  un  certain  degré  de  veinosité  du  sang  qui  les  baigne.  Il  s'agit  à  la  fois 
d'un  déficit  d'oxygène  et  d'un  excès  de  CO^  d'après  les  travaux  de  Dohmen  et  de  Pflûger, 
confirmés  par  ceux  de  P.  Bert,  Heeter  et  Friedlânder,  S.  Fredericq,  etc.  (S.  W.  Dohmen. 
Untersuchungen  ûber  den  Einfiuss  den  die  Slutga^e  d.  i.  Sauerstoff  und  Eohlensàure,  auf 
die  Athembeivegungen  ausïiben.  Untersuchungen  aus  dem  physiologischen  Laboratoriiim. 
Bonn,  1867;  E.  Ppliiger.  TJeber  die  Ursache  der  Athembeivegungen,  soivie  der  Dyspnoè  und 
Apnoè.  A.  Pf.,  1868, 1. 1,  p.  60).  D'autres  substances  peuvent  contribuer  aussi  à  exagérer  la 
veinosité  du  sang'. 

Plus  le  sang  est  pauvre  en  oxygène,  riche  en  CO^,  plus  il  excite  puissamment  la 
moelle  allongée,  plus  les  mouvements  respiratoires  sont  nombreux  et  profonds.  C'est 
par  ce  mécanisme  remarquable  que  le  centre  respiratoire  accommode  à  chaque  instant 
l'énergie  de  la  ventilation  pulmonaire  aux  besoins  de  l'organisme. 

Je  me  borne  à  signaler  l'expérience  suivante  qui  me  semble  donner  de  la  théorie  de 
Rosenthal  une  démonstration  nouvelle  et  élégante. 

Je  prends  deux  chiens  ou  deux  très  grands  lapins,  A  et  B,  auxquels  je  lie  au  préalable 
les  vertébrales  et  sur  lesquels  je  prépare  les  carotides.  J'introduis  des  canules  dans  ces 
vaisseaux  de  manière  qu'il  y  ait  échange  de  sang  carotidien  ou  circulation  céphalique 
croisée  entre  les  deux  animaux.  Les  carotides  du  lapin  A.  envoient  leur  sang  dans  la 
tête  du  lapin  B;  pareillement,  la  tête  du  lapin  A  ne  reçoit  que  du  sang  provenant  du 
corps  de  B.  Si  à  ce  moment  je  fais  respirer  au  lapin  A  un  mélange  gazeux  pauvre  en 
oxygène,  ou  si  je  lui  ferme  la  trachée,  c'est  le  lapin  B,  celui  dont  la  tête  reçoit  le 
sang  asphyxique  de  A,  qui  montrera  de  la  dyspnée  ou  des  convulsions  asphyxiques, 
tandis  que  le  lapin  A  présentera  plutôt  une  tendance  à  l'apnée.  Il  y  a  donc  une  relation 
étroite  entre  la  composition  du  sang  qui  circule  dans  la  tête  et  l'activité  des  mouve- 
ments respiratoires  (Léon  Fredericq.  Sur  la  circulation  céphalique  croisée  ou  échange  de 
sang  carotidien  entre  deux  animaux.  Archives  de  Biologie,  t.  x,  p.  127,  et  Travaux  du  labora- 
toire, 1889-90,  p.  1.  Voir  aussi  Bienfait  et  Hogge.  Recherches  sur  le  rythme  respiratoire. 
Archives  de  Biologie,  t.  s,  p.  139). 

Toute  cause  tendant  à  exagérer  le  degré  de  veinosité  (excès  de  CO^,  défî-cit  d'oxy- 
gène) du  sang  qui  baigne  la  moelle  allongée,  provoque  une  vive  excitation  des  centres 
respiratoires  se  traduisant  par  une  ventilation  pulmonaire  plus  énergique.  La  respi- 
ration s'accélère,  mais  surtout  devient  plus  profonde,  comme  on  sait,  à  la  suite  d'un 
repas,  et  surtout  par  le  fait  de  l'exercice  musculaire.  Dans  les  deux  cas,  la  consom- 
mation de  l'oxygène  et  l'accumulation  de  l'anhydride  carbonique  augmentent  dans  le 
sang. 

La  veinosité  du  sang  s'exagère  pareillement  dans  beaucoup  de  maladies  du  poumon 
qui  portent  obstacle  aux  échanges  gazeux  du  poumon,  ou  lorsqu'on  respire  une  atmo- 
sphère trop  pauvre  en  oxygène  ou  trop  riche  en  CO^  :  il  se  produit  encore  de  la  dyspnée 
ou  gêne  respiratoire. 

En  élevant  artificiellement  la  température  du  sang  qui  baigne  la  moelle  allongée 
{placer  les  deux  carotides  dans  des  gouttières  creuses  où  circule  un  courant  d'eau 
chaude),  on  provoque  une  accélération  très  marquée  des  mouvements  respiratoires 
(polypnée  thermique  de  Ch.  Richkt). 

On  provoque  tout  aussi  sûrement  chez  le  lapin  un  accès  de  dyspnée  pouvant  aller 

1.  D'après  Geppert  et  Zuntz,  1886,  la  dyspnée  se  montre  à  la  suite  d'exercice  musculaire 
énergique  sans  qu'il  y  ait  accumulation  de  GO^  ou  déficit  d'oxygène  dans  le  sang.  Elle  est  due 
alors  à  la  présence  dans  le  sang  d'un  produit  (indéterminé)  de  la  combustion  organique,  autre 
que  C02. 


632  APNÉE. 

jusqu'aux  convulsions  générales  (Kussmaul  et  Tenner),  en  arrêtant  momentanément  le 
cours  du  sang  dans  les  carotides  et  les  vertébrales  :  le  sang  ne  se  renouvelant  plus  au 
niveau  de  la  moelle  allongée  y  devient  promptement  veineux.  La  dyspnée  qui  se  montre 
à  la  suite  d'une  hémorrhagie  s'explique  de  la  même  façon. 

Lorsqu'on  essaie  de  suspendre  volontairement  les  mouvements  de  la  respiration,  il 
est  clair  que  CO-,  continuant  à  se  produire,  s'accumulera  dans  le  sang  et  qu'en  même 
temps,  l'oxygène  y  diminuera  rapidement,  le  sang  deviendra  donc  d'instant  en  instant 
plus  veineux  et  la  stimulation  qu'il  exerce  sur  les  centres  respiratoires  croîtra  rapi- 
dement, pour  atteindre  en  peu  de  teaips  une  telle  intensité  que  l'action  de  la  volonté 
ne  sera  plus  capable  d'empêcher  le  fonctionnement  de  ces  centres  :  on  est  obligé  de 
se  remettre  à  respirer. 

L'explication  de  l'apnée,  telle  que  l'a  donnée  Rosenthal,  se  rattache  aux  considé- 
rations développées  pre'cédemment.  Si  le  sang  qui  baigne  la  moelle  allongée  est  trop 
artérialisé,  trop  riche  en  oxygène  ou  trop  pauvre  en  CO-,  le  stimulus  physiologique 
des  centres  respiratoires  fait  défaut  :  ceux-ci  suspendent  leur  action  et  l'animal  cesse 
momentanément  de  respirer.  Comme  l'a  montré  Rosenthal,  cet  état  d'apnée,  dans  lequel 
l'animal  n'exécute  plus  de  mouvements  respiratoires,  est  facile  à  obtenir  chez  le  chien 
et  chez  le  lapin.  Il  suffit  de  pratiquer  pendant  quelques  instants  la  respiration  artifi- 
cielle en  ayant  soin  de  ventiler  énergiquement  les  poumons  de  manière  à  artérialiser 
le  sang  au  maximum.  Si  l'on  cesse  alors  les  insufflations  artificielles,  l'animal  ne  se 
remet  pas  immédiatement  à  respirer,  il  peut  rester  à  l'état  d'apnée  pendant  plusieurs 
secondes,  pendant  une  demi-minute,  une  minute  et  davantage.  Le  sang  reprend  bientôt 
de  lui-même  son  degré  normal  de  veinosité;  les  mouvements  respiratoires  se  rétablis- 
sent, d'abord  faibles  et  presque  imperceptibles,  puis  ils  reprennent  peu  à  peu  leur  énergie 
normale.  La  preuve  que  la  suspension  de  la  respiration  est  due,  en  partie  au  moins,  à 
une  action  locale  d'un  sang  riche  en  oxygène  sur  la  moelle  allongée  nous  est  fournie 
par  ce  fait  que  la  hgature  des  carotides  et  des  vertébrales  met  immédiatement  fin  à 
l'apnée  (Rosenthal.  Ai'cMv  f.  Anat.  und  PhysioL,  1865,  p.  194). 

Fbanz  {Ueber  kùnstliche  Athmimg.  A.  Db.,  1880,  p.  398)  a  réussi  à  provoquer  l'apnée  sans 
insufflations,  par  des  excitations  rythmées  des  phréniques.  Il  a  constaté  que  le  sang 
artériel,  d'un  beau  rouge  pendant  l'apnée,  prenait  une  teinte  foncée  au  moment  de  la 
cessation  de  l'apnée. 

On  peut  faire  sur  l'homme  une  expérience  analogue.  Si  l'on  exécute  une  série  d'in- 
spirations très  profondes,  on  n'éprouve  plus,  pendant  plusieurs  secondes,  le  besoin  de 
respirer  :  on  est  à  l'état  d'apnée. 

Ajoutons  que,  pendant  l'npnée,  l'excitabilité  des  centres  respiratoires  paraît  diminuée 
sinon  suspendue  complètement  :  dans  cet  état  de  l'animal,  l'excitation  électrique  du 
bout  central  du  pneumogastrique  (Rosenthal.  Athembewcgungen,  1862,  p.  159),  celle  des 
centres  respiratoires  (Markwald  elKaoNECKER.  Arch.  f.  PhysioL,  1879,  p.  393)  n'est  suivie 
d'aucun  effet  respiratoire.  Cependant,  d'après  Christiani,  l'excitation  électrique  du  centre 
inspiratoire  du  cerveau  provoquerait  un  mouvement  d'inspiration  pendant  l'apnée. 
Head  {On  the  régulation  of  respiration,  J.  P.,  1889,  t.  x,  p.  1)  a  constaté  aussi  que  pen- 
dant l'apnée  les  centres  respiratoires  pouvaient  être  influencés  par  des  excitations 
réflexes  ayant  pour  point  de  départ  les  nerfs  du  poumon  et  par  voie  centripète  le 
tronc  du  pneumogastrique.  Pendant  l'apnée  les  changements  de  volume  provoqués 
dans  le  poumon  peuvent  amener  la  contraction  du  diaphragme  relâché  jusqu'à  ce 
moment  ou  le  relâchement  du  diaphragme  primitivement  contracté. 

Pendant  l'apnée,  il  y  a  diminution  d'activité  des  centres  vaso-moteurs  et  cardio- 
inhibiteurs. On  constate  chez  le  chien  la  dilatation  des  vaisseaux  des  viscères,  la  chute 
de  la  pression  artérielle,  l'accélération  des  pulsations  cardiaques  et  la  disparition  des 
inégalités  respiratoires  du  rythme  cardiaque. 

La  consommation  de  l'oxygène  et  l'exhalation  de  CO^  ne  paraissent  guère  modifiées 
par  l'apnée. 

Enfin,  l'excitabilité  réflexe  de  la  moelle  épinière  se  trouve  également  déprimée. 
Pendant  l'apnée,  la  strychnine  et  les  autres  poisons  des  réflexes  ne  provoquent  pas  de 
convulsions.  —  (Leube.  Arch.  f.  Anat.  u.  PhysioL,  1867,  p.  629..—  Uspensey.  Arch.  f. 
Anat.  und  PhysioL,  1868,  pp.  401,  522). 


APNEE.  633. 

H.  AnoNsoN  {Veber  Apnoe  bei  Kaltblûtern  und  neugeborenen  Sâugethiere.  A.  Dh.  \88'i, 
p.  266)  a  constaté  qu'il  est  impossible  de  provoquer  l'apnée  par  ventilation  pulmonaire 
chez  les  animaux  à  sang  froid  (grenouille,  tortue)  et  chez  les  mammifères  nouveau- 
nés  (chats  âgés  d'un  jour).  Cela  tient  sans  doute  à  ce  fait  que  le  sang  artérialisé  dans 
le  poumon  par  la  respiration  artificielle,  se  mélange  ultérieurement  avec  du  sang  vei- 
neux avant  d'être  distribué  aux  centres  respiratoires,  d'où  impossibilité  de  placer 
ceux-ci  dans  les  conditions  d'oxygénation  pour  amener  l'apnée.  L'impossibilité  de  pro- 
voquer l'apnée  chez  les  mammifères  nouveau-nés  avait  déjà  été  signalée  par  Mas  Runge 
{Zeitschrift  /'.  Geburtshidfe  und  Grynâkologie,  t.  ii,  p.  399),  et  par  Preyer  {Specielle  Physiologie 
des  Embryo). 

Ch.  RiCHET  a  constaté  que  la  polypnée  thermique  ne  peut  s'établir  que  si  le  chien  est 
en  état  d'apnée,  ou  plus  exactement  si  le  besoin  chimique  de  la  respiration  est  .sus- 
pendu. Le  chien  respire  sans  avoir  besoin  de  respirer;  il  respire  pour  se  refroidir.  Si 
on  oblitère  brusquement  la  trachée  d'un  chien  rendu  polypnéique,  le  rythme  accéléré 
restera  le  même  pendant  une  ou  deux  minutes,  quoiqu'il  y  ait  absence  complète  de 
renouvellement  de  l'air.  L'animal  vit  sur  la  provision  d'oxygène  accumulée  dans  son 
sang  jusqu'à  ce  que,  cette  provision  venant  à  s'épuiser,  les  premiers  signes  de  la  dyspnée 
se  manifestent  par  un  rythme  respiratoire  plus  lent  et  plus  profond.  On  sait  que  chez 
les  chiens  qui  ne  sont  pas  atteints  de  polypnée,  l'oblitération  de  la  trachée  provoque 
immédiatement  les  signes  de  la  dyspnée  (Ch.  Richet.  Nouvelle  fonction  du  bulbe  rachi- 
dien.  Régulation  de  la  température  par  la  respiration.  A.  P.,  1888,  t.  i,  (4),  p.  292). 

Cette  théorie  chimique  de  l'apnée  et  du  fonctionnement  des  centres  respiiatoires, 
telle  que  Rosenthal  l'avait  formulée,  a  été  vivement  attaquée  à  différents  points  de  vue 
par  un  assez  grand  nombre  de  physiologistes.  Nous  allons  passer  en  revue  les  objections 
qu'on  lui  a  faites. 

Paul  Bering  trouva  que  le  sang  artériel  du  chat  ne  contient,  pendant  l'apnée,  pas 
plus  d'oxygène  (même  moins)  que  chez  les  animaux  respirant  normalement  {Einige 
Vntersuchungen  ûber  die  Zusammensetzung  der  Blutgase  wàhrend  der  Apnoë.  Dissertation, 
Dorpat,  1867).  Pflijger  (A.  Pf.,  1. 1,  1868,  p.  100)  mit  en  doute  les  résultats  de  Paul  Hering 
et  y  signala  une  cause  d'erreur;  il  fit  reprendre  la  question  dans  son  laboratoire.  Aug. 
EwALD  démontra  sous  sa  direction  que  le  sang  artériel  du  chien  est,  pendant  l'apnée, 
toujours  un  peu  plus  riche  en  o.xygène  (0,1  à  0,9  p.  100  d'oxygène  en  plus)  et  notable- 
ment plus  pauvre  en  CO'^,  qu'immédiatement  avant  ou  après  l'apnée.  Le  sang  apnoïque 
est  à  peu  près  saturé  d'oxygène  (August  Ewald.  Zur  Kenntniss  der  Apnoé.  A.  Pf.,  t.  vu, 
1873,  p.  S75). 

Hoppe-Seyler,  s'appuyant  sur  les  déterminations  de  tension  de  l'oxygène  dans  le 
sang  artériel  faites  dans  son  laboratoire  par  Herter  {Veber  die  Spannung  des  Sauerstoffs  im 
arteriellen  Blute.  Zeits.  f.physiol.  Chemie,  1879,  t.  ni,  p.  98)  avait  admis  que  le  sang  artériel 
est  déjà  à  l'étal  normal  souvent  saturé  d'oxygène,  au  moins  en  ce  qui  concerne  l'oxygène 
fixé  sur  l'hémoglobine  et  que,  par  conséquent,  la  ventilation  pulmonaire  la  plus  éner- 
gique ne  pouvait  guère  augmenter  cette  saturation.  Tout  au  plus  la  tension  de  ce  gaz 
dans  le  sang  pourra-t-elle  s'élever  de  quelques  centièmes  d'atmosphère  par  le  fait  de 
la  respiration  artificielle.  Mais  s'il  suffit  d'augmenter  de  quelques  pour  cent  la  tension 
de  l'oxygène  dans  le  sang  pour  provoquer  l'apnée,  Hoppe-Seyler  trouve  inexplicable 
que  l'apnée  ne  s'établisse  pas  d'emblée  lorsqu'on  respire  de  l'ox-ygène  pur  ou  de  l'air 
comprimé  (F.  Hoppe-Seyler.  Ueber  die  Ursache  der  Athembeivegungen.  Z.P.  C,  1879,  t.  m, 
p.  104).  Il  fait  aussi  remarquer  que  la  teneur  du  sang  artériel  en  oxygène  varie  dans 
des  limites  extrêmement  larges,  sans  que  l'on  observe  des  variations  correspondantes 
dans  le  rythme  respiratoire.  Hoppe-Seyler  conclut  en  attribuant  l'apnée  à  l'épuisement 
des  muscles  respiratoires  maltraités  par  la  respiration  artificielle. 

Filehne  répondit  {Ein  Beitrag  zur  Physiologie  der  Athmung  und  der  Vasomotion; 
Nachtrag.  Arch.  f.  Physiol.,  1879,  p.  240)  à  Hoppe-Seyler  en  lui  opposant  les  chiffres  des 
analyses  d'EwALD  et  les  résultats  des  recherches  de  Hûfner  sur  la  détermination  photo- 
métrique de  l'hémoglobine  et  de  l'oxygène  du  sang  {Ueber  die  Bestimmung  des  Hâmo- 
globin-und  Sauei-stoffgehaltes  im  Blute.  Zeits.  f.physiol.  Chemie,  t.  m,  1879,  p.  1).  D'après' 
Hûfner,  le  sang  artériel  du  chien  n'est  nullement  saturé  d'oxygène  et  contient  encore 
de  l'hémoglobine  réduite.  Rosenthal  lui-même  fit  observer  que  l'apnée  chez  un  animal 


6U  APNEE. 

placé  dans  l'oxygène  serait  un  non  sens,  car,  sans  mouvements  respiratoirss,  l'oxygène 
pur  de  l'extérieur  ne  pourrait  diffuser  assez  rapidement  de  l'extérieur  dans  les  alvéoles 
pulmonaires  pour  maintenir  au  sang  le  degré  voulu  de  saturation.  Tout  au  plus  pour- 
rait-on donc  s'attendre  à  une  diminution  du  nombre  des  mouvements  respiratoires 
(RosENTHAL,  dans  H.  H.,  t.  IV,  (2),  p.  278). 

Les  déterminations  de  tension  d'oxygène,  faites  par  Léon  Fredericq  {Ueber  die  Tension 
des  Sauei-stoffes  im  arteriellen  PepotnbhU  bel  Erhohung  derselben  in  der  eingeathmeten  Luft. 
CentralUatt  fur  Physiologie,  1894,  p.  34)  dans  le  sang  artériel  de  chiens  respirant  des 
mélanges  gazeux  riches  en  oxygène,  ont  permis  de  trancher  cette  question  dans  ce  sens 
que  l'augmentation  de  l'oxygène  du  sang  doit  être  un  facteur  insignifiant  dans  la  pro- 
duction de  l'apnée.  En  effet,  la  tension  de  l'oxygène  peut  atteindre  70  p.  100  d'une  atmo- 
sphère dans  le  sang  d'un  chien  qui  respire  de  l'oxygène  pur,  sans  que  l'animal  montre 
de  l'apnée.  Tout  au  plus  sa  respiration  est-elle  un  peu  plus  lente. 

J'ajouterai  que  Speck  et  Dohmen  ont  constaté  ce  ralentissement  du  rythme  respira- 
toire par  suite  de  la  respiration  d'oxygène  et  que  G.  von  Liebig  signale  pareillement 
une  diminution  des  mouvements  respiratoires  sous  l'influence  de  l'air  comprimé. 

Enfin,  BiELETzKY  [Zur  Frage  ûber  die  XJrsache  der  Apnoe.  Biol.  Cenfralblatt,  t.  i,  1882, 
p.  743)  a  repris  sur  Astur  palumbarius  l'expérience  d'apnée  en  évitant  les  mouvements  de 
la  cage  thoracique  afin  de  ne  pas  donner  prise  au  reproche  formulé  par  Hoppe-Seyler 
et  concernant  la  fatigue  des  muscles  respiratoires.  Il  scia  en  travers  les  os  des  ailes  et 
des  pattes  de  l'oiseau  et  fixa  une  canule  dans  la  trachée,  puis  fit  passer  à  travers  les 
poumons  sous  pression  constante  un  courant  d'air  continu.  L'air  entrait  par  la  trachée 
et  sortait  par  les  surfaces  de  section  des  os  :  l'apnée  s'établit  facilement  dans  ces  con- 
ditions. 

Citons  encore  parmi  les  adversaires  de  la  théorie  de  Rosenthal,  Makckwald  et  Mosso. 
Marckwald  {Die  Athembewegungen  und  deren  Innervation  beim  Kaninchen.  Z.  B.,  1887, 
t.  xxiii)  insista  sur  ce  fait  que  la  respiration  peut  persister  pendant  longtemps  alors 
que  la  circulation  est  arrêtée  complètement  au  niveau  des  centres  respiratoires;  il 
rejeta  la  théorie  de  Rosenthal  et  affirma  que  la  régulation  normale  de  la  respiration 
ainsi  que  l'apnée,  «  n'ont  rien  à  voir  avec  les  gaz  du  sang  »;  il  constata  aussi  l'extrême 
difficulté  de  provoquer  l'apnée  et  de  supprimer  les  convulsions  respiratoires  par  la 
respiration  artificielle  chez  le  lapin  dont  les  pneumogastriques  sont  coupés  et  dont  la 
moelle  allongée  est  sectionnée  au  devant  des  centres  respiratoires. 

Dans  son  intéressant  mémoire  sur  la  respiration  superflue  ou  de  luxe  (A.  B.  1886, 
t.  vu,  p.  48.  La  respirazione  periodica  e  la  respirazione  superflua  e  di  lusso.  Reale  Academia 
dei  Lincei,  anno  CCLXXXII,  188b.  —  Periodischc  Athmung  und  Luxus  Athmung.  A.  Db., 
1886.  SuppL,  37)  Mosso  insiste  sur  les  variations  énormes  que  présente  le  rythme  res- 
piratoire en  dehors  de  toute  modification  des  besoins  respiratoires  de  l'organisme.  Il 
en  conclut  que  ce  rythme  n'est  pas  réglé  par  le  chimisme  respiratoire  et  est  indépen- 
dant de  ce  dernier.  Il  repousse  par  conséquent  la  théorie  de  Rosenthal. 

Il  me  semble  que  l'objection  la  plus  sérieuse  que  l'on  puisse  faire  à  la  théorie  chi- 
mique de  l'apnée,  c'est  que  l'insufflation  de  mélanges  gazeux  relativement  pauvres  en 
oxygène  ou  riches  en  GO^  peut  amener  l'apnée,  tant  que  les  pneumogastriques  sont 
intacts;  et  que,  par  contre,  lorsque  ces  nerfs  sont  coupés,  l'aération  la  plus  énergique 
des  poumons  pratiquée  avec  de  l'air  frais  ne  la  produit  pas  toujours.  En  1865,  Thiry 
{Rec.  des  travaux  de  la  Soc.  méd.  ail.,  Paris,  1865,  p.  69)  avait  réussi  à  provoquer  l'apnée 
en  insufflant  un  mélange  à  parties  égales  d'air  et  d'hydrogène.  D'autres  expérimenta- 
teurs étaient  arrivés  au  même  résultat  en  employant  pour  la  respiration  artificielle  la 
même  masse  d'air  confinée,  dont  la  composition  chimique  s'altérait  de  plus  en  plus 
par  le  fait  de  la  respiration  de  l'animal.  Head  {On  the  régulation  of  respiration.  J.  P .,  1889, 
t.  X,  p.  1)  a  même  obtenu  l'apnée  chez  le  lapin  en  faisant  des  insufflations  d'hydro- 
gène. L'apnée  s'obtiendrait  dans  ce  cas  aussi  vite  au  moyen  d'insufflations  d'oxygène  : 
mais  elle  serait  de  très  courte  durée.  D'autre  part,  Brown-Séqu.ahd  déclarait  (B.  B.,  1871, 
pp.  135  et  156)  que  l'intégrité  des  pneumogastriques  est  nécessaire  à  la  réussite  de 
l'expérience  d'apnée  «  et  que  l'insufflation  détermine  l'apnée  plutôt  par  une  action 
mécanique  «,  il  était,  il  est  vrai,  contredit  par  Rosenthal  qui  affirmait  que  l'apnée 
s'obtient  tout  aussi  facilement  par  insufflation  pulmonaire  après  section  des  pneumo- 


APNEE.  635 

gastriques  que  chez  l'animal  intact  (E.  fl.,  t.  iv,  (2),  p.  274,  4880).  Mais  d'autres  physiolo- 
gistes, FiLËHNE  {Archivf.  Anat.  u.PhijsioL,  1873,  p.  366),  KNOLL(Wiener  Sitzungsber,  t.  lxxxv, 
fasc.  3,  t.  Lsxsvi,  p.  3).  Rosen'bach  (Stud.  ùb.  den  Nervus  vagus.  Berlin,  1877,  p.  109)  et  Gad 
{Ueber  Apnoé.  Wurzbourg,  1880,  et  Die  Regulirung  der  normalen  Athmung.  A.  Db.,  1880,  1) 
montrèrent  que  la  vérité  se  trouve  entre  ces  deux  assertions  extrêmes  exclusives.  J'ai 
constaté  comme  eux  que  l'apnée  s'obtient  encore,  mais  plus  difficilement,  après  la 
section  des  pneumogastriques. 

C.  Franck  et  Langexdorff  {Ueber  die  automatische  Thâtigkeit  des  Athmung scentrums 
bei  Sàugethieren.  A.  Db.,  1888,  p.  296)  ont  obtenu  facilement  l'apnée  par  ventilation 
pulmonaire  chez  le  lapin  auquel  ils  avaient  pratiqué  la  section  transversale  des  centres 
nerveux  au-devant  des  centres  respiratoires  et  la  double  section  des  pneunio-gas- 
triques.  Ils  croient  que  l'on  a  exagéré  l'influence  des  pneumogastriques  sur  la  pro- 
duction de  l'apnée. 

D'après  Head,  les  insufflations  d'hydrogène  seraient  impuissantes  à  produire  l'apnée 
chez  le  lapin  dont  les  pneumogastriques  sont  intacts.  On  l'obtiendrait  au  contraire 
assez  facilement  après  section  de  ces  nerfs,  à  condition  d'employer  un  mélange  gazeux 
riche  en  oxygène,  et  de  ne  pas  tenter  l'expérience  immédiatement  après  la  section  des 
pneumogastriques.  11  faudrait  laisser  aux  centres  respiratoires  le  temps  de  s'habituer 
à  l'action  d'un  sang  plus  veineux  que  d'ordinaire. 

Il  me  parait  incontestable  que  les  pneumogastriques  jouent  un  certain  rôle  dans  la  pro- 
duction de  l'apnée.  Gad  [Die  Regulirung  der  normalen  Athmung .  A.  Db.,  1880,  p.  28)  a  montré 
qu'on  peut  écourter  notablement  la  durée  de  celle-ci  et  hâter  la  reprise  des  mouvements 
respiratoires  en  congelant  brusquement  le  tronc  des  pneumogastriques  (suppression 
des  innervations  centripètes  du  vague  sans  irritation  préalable).  Knoll  avait  constaté 
aussi  que,  si  l'on  provoque  l'apnée  chez  un  animal  à  pneumogastriques  intacts,  celte 
apnée  se  prolonge  bien  au  delà  du  temps  pendant  lequel  on  peut  admettre  une  suroxy- 
génatiou  du  sang.  A  la  fin  de  l'apnée,  le  sang  des  carotides  peut  avoir  une  teinte  mani- 
festement veineuse  :  et  l'on  peut  même  parfois  observer  de  véritables  symptômes  d'as- 
phyxie (hausse  de  la  pression  sanguine,  ralentissement  des  pulsations  cardiaques) 
avant  la  reprise  des  mouvements  respiratoires  spontanés. 

Dans  la  production  de  Vapnée,  l'influence  exercée  sur  les  centres  respiratoires  par 
le  sang  surartérialisé  se  combine  donc  avec  une  action  adjuvante  émanée  des  fibres 
centripètes  du  pneumogastrique.  11  s'agit  sans  doute  d'une  excitation  mécanique  des 
terminaisons  sensibles  des  rameaux  pulmonaires  du  pneumogastrique  par  le  fait  de 
l'insufflation  du  poumon  et  du  déplissement  de  ses  alvéoles.  Hering  et  Breuer  (Die 
Selbststeuerung  der  Athmung  ditrch  dem  Nervus  vagus.  Sitzungsber.  der  k.  Akad.  der  Wiss. 
Vienne,  1868,  t.  lvii,  p.  909)  ont  montré  en  effet  que  toute  insufflation  du  poumon  provo- 
quait par  voie  réflexe  un  arrêt  respiratoire,  tant  que  les  pneumogastriques  sont  intacts, 
et  que  cet  arrêt  respiratoire  a  pour  point  de  départ  une  irritation  (mécanique?)  des 
terminaisons  intrapulmonaires  du  vague  '. 

Head  (J.  P.,  1889,  t.  x,  p.  1)  a  constaté  récemment  que  l'apnée  présente  des  caractères 
différents  suivant  que  l'on  se  borne  à  faire  des  insufflations  rythmées  [ventilation  posi- 
tive) en  abandonnant  les  expirations  à  l'animal,  ou  suivant  que  l'on  se  borne  à  des 
succions  rythmées  sans  insufflations  (ventilation  négative),  ou  suivant  que  l'on  exécute 
alternativement  une  insufflation  et  une  succion  {ventilation  mixte).  Dans  le  premier 
ca.s  (ventilation  positive),  ]e  diaphragme  reste  relâché  pendant  l'apnée;  dans  le  second 
cas  (ventilation  négative),  le  diaphragme  reste  contracté  pendant  fapnée  qui  suit  la  ces- 
sation de  la  ventilation;  dans  le  troisième  cas  (ventilation  mixte),  le  diaphragme  prend 
une  position  intermédiaire  permanente  entre  le  relâchement  et  la  contraction  com- 
plète. Ces  différences  ne  se  montrent  que  tant  que  les  pneumogastriques  ont  été 
conservés. 

1.  A.  LoEWY  (Ueber  das  Athemcenlrum  in  der  Med.  oblongata  und  die  Bedingungen  seiner 
Thâtigkeit.  A.  Db.,  1887,  p.  472)  a  constaté  que  les  rameaux  pulmonaires  du  pneumogastrique 
envoient  aux  centres  respiratoires  des  excitations  toniques  (outre  les  excitations  découvertes 
par  Hkrinq  et  Breuer)  tant  que  les  poumons  sont  remplis  d'air.  Si  les  poumons  s'affaissent 
(atélectasie),  le  tonus  des  pneumogastriques  est  supprimé  :  il  se  rétablit  lorsqu'on  insuffle  de 
nouveau  le  poumon. 


63(j  APNEE. 

Tout  ceci  nous  conduit  à  distinguer  avec  Miescher-Rusch  {Bemerkungen  zur  Lehre  von 
den  Athembeivegungen.  A.  Db.,  1883,  p.  26o)  une  Apnoea  wra,  d'origine  purement  chi- 
mique (surartérialisation  du  sang  par  diminution  de  CO^,  plutôt  que  par  augmentation 
d'oxygène)  et  une  Apnoea  Vagi  d'origine  nerveuse.  L'Apnoect  Vagi  n'est  elle-même  qu'un 
cas  particulier  des  arrêts  respiratoires  qui  peuvent  s'obtenir  par  excitation  de  diverses 
parties  du  système  nerveux  (nerfs  laryngés,  fibres  nasales  du  trijumeau,  cauda  corporis 
striati  d'après  Danilewsky)  et  que  Miescher-Rusch  réunit  sous  le  nom  d'Ajmoeœ  spurisa 
et  pour  lesquelles  Danilewsky  a  proposé  le  nom  à'apnée  nerveuse  [Gehirn  und  Athmung. 
Biolog.  Centralbl,  t.  ii,  1882-83,  p.  692). 

L'arrêt  respiratoire  qui  se  montre  immédiatement  après  cessation  d'une  excitation 
du  bout  périphérique  du  pneumogastrique  (nerf  coupé)  doit  sans  doute  être  considéré 
comme  une  apnée  vraie.  S.  Meyer  [Experimenteller  Beitrag  zur  Lehre  von  den  Athembewe- 
gimgen.  Siizimgsber.  der  k.  Akad.  der  Wiss.  Math.  Naturw.  Cl.  3,  fasc,  t.  lxix,  p.  111)  en 
donne  l'explication  suivante  :  pendant  l'arrêt  du  cœur,  la  stagnation  du  sang  agit  comme 
excitant  sur  les  centres  respiratoires,  d'où  dyspnée,  ventilation  énergique  du  poumon 
et  surartérialisation  du  sang.  Aussitôt  qu'on  cesse  l'excitation  du  pneumogastrique,  le 
cœur  se  remet  à  battre;  l'arrivée  brusque  d'un  sang  surartérialisé  au  niveau  des  centres 
respiratoires  provoque  l'apnée.  Fr.  Franck  [Étude  sur  quelques  arrêts  respiratoires; 
apnée,  phénomène  de  Cheyne-Stokes,  arrêts  réflexes  de  cause  cardiaque.  Journ.  de  l'An,  et 
de  la  Physiol.,  1877,  p.  545)  admet  la  même  explication  pour  la  pause  qui  suit  l'excita- 
tion du  bout  central  du  pneumogastrique,  lorsque  cette  excitation  a  provoqué  des  mou- 
vements respiratoires  désordonnés,  exagérant  la  ventilation  pulmonaire.  Il  a  observé 
également  des  pauses  apnéiques  après  ouverture  de  la  trachée  chez  des  chiens  jeunes 
et  vigoureux.  L'ouverture  de  la  trachée  provoque  une  exagération  de  la  ventilation  pul- 
monaire. 

A  la  question  de  l'apnée  se  rattache  celle  de  l'étude  des  causes  du  premier  mouve- 
ment respiratoire.  Rosenth.\l  admet  que  le  fœtus,  encore  contenu  dans  l'utérus  ma- 
ternel est  à  l'état  d'apnée,  parce  que  la  circulation  placentaire  charge  son  sang  d'oxy- 
gène et  prévient  toute  accumulation  de  C0-.  D'ailleurs,  chez  le  fœtus,  la  consommation 
de  l'oxygène  est  réduite  à  un  minimum.  Entièrement  plongé  dans  un  bain  tiède,  il  n'a 
pas  à  intervenir  dans  le  chauiïage  de  son  organisme;  ses  glandes  digestives,  ses  mus- 
cles, son  système  nerveux  sont  dans  un  repos  presque  absolu  :  comme  le  fait  remarquer 
Pfluger,  le  cœur  est  chez  lui  le  seul  organe  qui  montre  quelque  activité.  Aussi  chez  le 
fœtus,  la  transformation  du  sang  artériel  en  sang  veineux  est-elle  à  peine  marquée,  et  le 
sang  des  artères  ombilicales  y  est  presque  aussi  rouge  que  celui  de  la  veine  qui  revient 
du  placenta  (Zweifel,  N.  Zuntz). 

Dès  que  l'enfant  est  né,  les  conditions  de  l'hématose  changent  brusquement.  D'une 
part,  la  circulation  maternelle  du  placenta  s'arrête  plus  ou  moins  :  ce  réservoir  d'oxy- 
gène n'est  plus  accessible  au  sang  de  l'enfant;  d'un  autre  côté,  l'impression  subite  du 
froid  extérieur  sur  la  peau  provoque  une  série  de  mouvements  musculaires.  La  con- 
sommation de  l'oxygène  éprouve  donc  brusquement  une  augmentation  colossale,  et  le 
renouvellement  de  l'oxygène  n'a  plus  lieu.  Ces  conditions  nouvelles  suffisent  sans 
doute  à  expliquer  la  cessation  de  Vajmée  intra-utérine,  au  moment  de  la  naissance 
(ScHWARTz.  Die  vorzeitigen  Athembeivegungen.  Leipzig,  1838).  On  possède  un  grand 
nombre  d'observations  authentiques  de  fœtus  encore  contenus  dans  leurs  membranes, 
suffisamment  protégés  contre  le  froid  et  chez  lesquels  l'interruption  de  la  circulation 
placentaire  a  suffi  pour  provoquer  des  mouvements  respiratoires.  Les  expériences 
récentes  d'ENCsiRoM  {Skand.  Arch.  f.  Physiologie,  t.  ii,  1891,  p.  158)  ont  démontré  le  fait 
pour  les  fœtus  de  cobayes  et  de  lapins. 

Il  ne  faut  cependant  pas  méconnaître  la  part  qui  peut  revenir  à  l'excitation  de  la 
peau  dans  la  production  du  premier  mouvement  respiratoire.  L'impression  du  froid 
extérieur  sur  les  nerfs  sensibles  de  la  peau  de  l'enfant  agit  sans  doute  d'une  façon 
réflexe  sur  le  centre  respiratoire  et  augmente  son  excitabilité.  Preyer  (Zeifs.  f.  Ge- 
burlshidfe,  t.  vu,  1880,  p.  241  et  Ueber  die  Ursache  der  ersten  Athembeivegungen.  Sitzungsber- 
d.  Jenaischen  Ges.  f.  Med.  u.  Naturw.,  1880.  Spec.  Physiologie  des  Embryo.  Leipzig,  188S) 
a  vu  qu'on  peut  provoquer  des  mouvements  respiratoires  réflexes  sur  des  fœtus  de 
cobayes  encore   enveloppés   de  leurs  membranes,  en  excitant  les  nerfs  de  la  peau  par 


APOCODEINE    —    APOMORPHINE.  637 

une  incision  ou  par  une  injection  de  substance  irritante  dans  le  liquide  amniotique. 

Pflûger  admet  que  le  déplissement  du  poumon  et  l'entrée  de  l'air  qui  accompagne 
le  premier  mouvement  respiratoire  place  les  centres  respiratoires  dans  des  conditions 
nouvelles  d'excitabilité.  Tant  que  le  fœtus  contenu  dans  ses  membranes  n'a  pas  respiré 
et  n'a  pas  dilaté  ses  poumons,  les  excitations  les  plus  fortes,  tant  réflexes  qu'automa- 
tiques, des  centres  respiratoires  ne  provoquent  que  des  mouvements  respiratoires  isolés 
ou  peu  nombreux.  Mais  dès  qu'on  permet  à  l'air  l'entrée  des  poumons,  la  respiration 
aérienne  une  fois  établie  ne  s'arrête  plus. 

Bibliographie.  —  Consulter,  pour  la  bibliographie,  les  mémoires  cités  dans  le 
texte,  surtout  ceux  de  F.  Miescher-Rusch,  Marckwald,  Rosenthal,  Filehne,  Gad,  puis 
RosENTHAL.  Uebev  Athembewegungeyi  {Bioi.  Centralbl.,  l.  i,  pp.  88,  llo,  185,  211,  et  Jf.  H., 
t.  iv). —  Grûtzner  {Deuts.  med.  Wochens.,  n°^  46  et  47,  1886)  ;  et  pour  la  bibliographie  de 
la  cause  du  premier  mouvement  respiratoire  :  Engstrôm  (Skand.  Arch.,  t.  ii,  1891,  p.  138). 

LÉON   FREDERICQ. 

APOCODEINE.  —  Produit  de  déshydratation  de  la  codéine.  Matiessen  et 
BuRNSiDE  l'ont  obtenue  en  chauffant  à  170»  ou  180°  la  codéine  avec  du  chlorure  de  zinc 
{Ann.  Chem.  Pharm.,  t.  CLvirr,  p.  131). La  formule  de  chlorhydrate  est  CH^NO^HCl; 
elle  diffère  de  l'apomorphine  C"H".NO^  par  la  substitution  de  CH-^  à  H;  c'est  donc  de  la 
méthylapomorphine,  comme  la  codéine  est  de  la  méthylmorphine. 

L'apocodéine  a  été  étudie'e  principalement  par  L.  Guin'ard  [Contribiit.  à  l'étude  physiol, 
de  l'apocodéine,  Th.  de  doct.  de  Lyon,  1893,  63  p.  et  B.  B.,  27  mai,  3  et  17  juin,  8  juil- 
let 1893)  dans  le  laboratoire  d'ARLOiNG.  —  V.  aussi  Fhôhner  {Unters.  uber  dus  Codein  und 
Apocodein  als  Ersatzmittel  des  Morphiums  und  Apomorphins  nebst  einigen  Beitràgen  zur 
Toxikol.  des  Morphiums.  Monatsh.  f.  pract.  Chem.,  t,  iv,  n°  6,  1893). 

GuiNARD  a  constaté,  ainsi  que  Frôhner,  que  l'apocodéine  n'a  pas  les  propriétés  vomi- 
tives de  l'apomorphine.  En  injection  intra-veineuse,  à  la  dose  de  Ok'',01o  par  kilogramme, 
elle  détermine  une  agitation  violente,  et  presque  des  convulsions  :  en  augmentant  la 
dose  à  05'',02  les  convulsions  deviennent  très  intenses.  En  injection  sous-cutanée,  c'est 
un  état  de  somnolence  qui  survient  à  la  dose  de  Oe'',02o  par  kilogramme.  Le  cœur  et  la 
respiration  se  ralentissent;  la  température  baisse  de  2°;  les  échanges  diminuent,  il  y  a 
hypersécrétion  de  la  salive  (Guinard  a  constaté  cet  effet  sur  lui-même).  Les  chats  sont 
sensibles  surtout  aux  effets  convulsivants,  plus  qu'aux  effets  déprimants. 

En  somme,  l'apocodéine  est  un  poison  du  système  nerveux  (probablement  avec  pré- 
dominance pour  l'appareil  cérébral),  déprimant  ou  convulsif  suivant  la  dose.  Elle  a  quel- 
que analogie  avec  la  morphine  qui,  à  dose  très  forte,  est  vraiment  convulsivante. 

CH.  R. 

APOMORPH INE.  —  L'apomorphine  est  un  alcaloïde  dérivé  de  la  mor- 
phine dont  il  ne  diffère  que  par  H-0  en  moins.  La  formule  atomique  de  la  morphine 
étant  C'H'^AzO',  celle  de  l'apomorphine  est  C'"H'' AzO-.  C'est  Arppe  qui  le  premier 
l'obtint  en  184o,  en  faisant  agir  de  l'acide  sulfurique  sur  la  morphine.  En  1848  Gerhardt 
et  Laurent  préparèrent  la  même  substance  qu'ils  appelèrent  sulphomorphine;  peu  après 
Anderson  prépara  de  l'apomorphine  en  faisant  agir  l'acide  sulfurique  sur  la  codéine. 

Il  faut  arriver  aux  travaux  de  Mathiessen  et  Wright  (1870)  pour  avoir  une  étude  com- 
plète de  la  constitution,  de  la  préparation  et  des  propriétés  de  cette  substance  qu'ils 
appellent  apomorphine.  Puis  les  travaux  se  multiplient,  il  faut  citer  parmi  les  princi- 
paux auteurs  qui  se  sont  occupés  de  cette  substance  Sieberi,  Mayer,  d'Espine,  Bourgeois, 
RoDTY,  GuBLER,  Max  Quehl,  Carville,  E.  Hartnack,  Verger,  Vulpian,  Jurasz,  Chodppe, 
Dojardin-Beaumetz,  etc. 

Propriétés  physiques  et  chimiques.  —  L'apomoi'phine  pure  se  présente  sous  la 
forme  d'un  corps  brun  noirâtre,  assez  soluble  dans  l'eau  et  surtout  dans  l'eau  légèrement 
acidulée  ;  sa  solution,  d'abord  légèrement  brune,  devient  rapidement  d'un  beau  vert  éme- 
raude  par  l'exposition  à  l'air.  On  emploie  rarement  l'apomorphine  pure,  son  chlor- 
hydrate est  le  sel  dont  on  fait  généralement  usage.  Le  chlorhydrate  d'apomorphine  se 
présente  sous  la  forme  d'une  poudre  d'un  gris  légèrement  brunâtre  mêlée  de  petites 
écailles  à  éclat  chatoyant.  11  est  très  peu  soluble  dans  l'eau  froide,  mais  il  se  dissout 


638  APOMORPHINE, 

dans  l'eau  bouillante,  l'alcool,  le  chloroforme,  l'éther.  Il  ne  renferme  pas  d'eau  de  cris- 
tallisation. Laissé  à  l'air,  il  se  colore  eu  vert  par  suite  d'une  oxydation,  avec  augmenta- 
tion de  poids.  La  solution  de  chlorhydrate  d'apomorphine,  d'abord  jaune  sale,  comme 
la  solution  d'apomorphine,  ne  tarde  pas  en  présence  de  l'air  à  prendre  la  teinte  vert 
émeraude.  Cette  substance  peut  néanmoins  se  conserver  au  sec  et  en  vase  clos.  Sa  réac- 
tion est  neutre,  son  odeur  nulle  et  sa  saveur  franchement  amère. 

Les  sels  d'apomorphine  en  solution  au  centième  donnent  les  réactions  suivantes  : 

Avec  le  carbonate  de  soude,  un  abondant  précipité  d'un  blanc  éclatant  devenant  rapi- 
dement vert  au  contact  de  l'air. 

Avec  la  potasse  et  l'ammoniaque  on  obtient  un  précipité  blanc,  devenant  rapidement 
noir,  soluble  dans  un  excès  de  réactif; 

Avec  l'eau  de  chaux,  un  précipité  blanc  noircissant  lentement; 

Avec  l'acide  nitrique  concentré,  une  coloration  rouge  sang,  palissant  à  la  chaleur; 

Avec  le  chlorure  ferrique,  une  coloration  d'améthyste  sombre; 

Avec  le  bichromate  de  potasse,  un  précipité  jaune,  facilement  décomposable  ; 

Avec  le  nitrate  d'argent,  une  réduction  très  rapide; 

Avec  l'iodure  de  potassium,  un  précipité  blanc  amorphe; 

Avec  le  bichlorure  de  potassium,  un  précipité  jaune; 

Avec  le  chlorure  d'or,  un  précipité  d'un  beau  rouge  pourpre,  qui  se  dissout  dans  un 
grand  excès  d'eau  et  se  colore  à  l'ébullition  en  rouge  brun  foncé. 

Cette  dernière  réaction  serait  caractéristique  des  sels  d'apomorphine. 

On  a  remarqué  que  c'étaient  surtout  les  vieilles  solutions  de  chlorhydrate  de  mor- 
phine qui  provoquaient  le  vomissement,  quand  on  en  faisait  des  injections  sous-cutanées, 
et  on  a  pensé  que  l'action  vomitive  était,  dans  ce  cas,  peut-être  due  à  la  formation 
d'apomorphine.  Mais  cette  hypothèse  n'est  pas  très  fondée,  puisque  d'une  part,  la  mor- 
phine à  l'état  de  pureté  absolue  produit  encore  le  vomissement,  et  que  d'autre  part, 
dans  les  solutions  anciennes,  la  quantité  d'apomorphine  formée  est  vraiment  insignifiante. 

Propriétés  physiologiques.  — Pour  étudier  l'action  physiologique  du  chlorhydrate 
d'apomorphine,  quelle  est  la  meilleure  voie  d'administration?  C'est  sans  contredit  l'in- 
jection hypodermique  qu'il  faut  choisir.  Outre  que  la  rapidité  d'action  par  cette  voie 
est  beaucoup  plus  rapide  que  par  la  voie  stomacale,  dans  la  proportion  de  3  à  1,  l'in- 
jection permet  toujours  de  doser  exactement  le  médicament,  et  de  connaître  la  dose 
physiologique  par  kilo  de  poids  de  l'animal. 

Les  recherches  expérimentales  montrent,  de  la  façon  la  plus  évidente,  que  l'apomor- 
phine  est  un  vomitif  énergique  et  simplement  un  vomitif,  puisque  les  autres  fonctions  ne 
semblent  pas  altérées.  En  effet,  peu  après  l'injection,  à  peine  quelques  minutes,  le  vomis- 
sement se  produit  sans  que  l'animal  paraisse  tourmenté  par  des  nausées  (Bourgeois)  ;  pen- 
dant la  période  de  vomissements,  l'animal  est  fatigué  et  dans  la  résolution,  puis  une 
demi-heure  après,  une  heure  au  maximum,  si  la  dose  n'a  pas  été  trop  forte,  il  reprend 
son  allure  antérieure  et  se  met  même  à  manger.  C'est  ce  qui  se  produit  lorsque  l'on  fait 
une  injection  hypodermique  de  1  centigramme  de  chlorhydrate  d'apomorphine  à  un 
chien  de  taille  moyenne. 

L'action  émétique  est  très  nette  et  très  rapide,  généralement  en  rapport  avec  la  dose 
administrée;  c'est  le  contraire  pour  l'émétine  (d'Ornellas).  Les  vomissements  se  produi- 
sent au  nombre  de  deux  ou  trois,  suivant  la  dose  et  la  susceptibilité  du  sujet,  puis,  au 
bout  de  trois  quarts  d'heure  à  une  heure,  l'effet  est  Uni. 

En  injection  intra-veineuse,  les  vomissements  se  produisent  très  vite,  durent  moins 
longtemps  et  sont  moins  nombreux  (Chouppe).  C'est  ainsi  qu'en  injectant  dans  les  veines 
d'un  chien  moyen  5  centigrammes  de  chlorhydrate  d'apomorphine,  le  vomissement  se 
produit  vingt  à  trente  secondes  après  l'injection,  et  quelquefois  même  avant  la  fin  de 
l'injection. 

Cette  rapidité  d'action  explique  parfaitement  pourquoi  la  période  nauséeuse  a  passé 
inaperçue  à  certains  expérimentateurs,  puisqu'il  suffit  de  quelques  miUigrammes  pour 
amener  très  rapidement  les  vomissements. 

Contrairement  à  Bourgeois,  Vulpian  a  toujours  constaté  la  période  nauséuse  précédant 
l'effet  vomitif;  seulement,  à  cause  de  la  rapidité  du  vomissement,  cette  période  est 
extrêmement  courte.  On  constate  très  bien  les  nausées,  la  tendance  syncopale,  chez  cer- 


APOMORPHINE.  639 

tains  malades  (Vulpian,  Routy);  état  syncopal  qui  peut  être  parfois  assez  sérieux.  Cette 
divergence  peut  tenir  soit  aux  dispositions  individuelles,  soit  à  la  dose  administrée. 

Les  injections  hypodermiques  ne  sont  pas  douloureuses  si  l'on  a  la  précaution 
d'employer  des  solutions  qui  ne  soient  pas  acides  et  de  les  pratiquer  dans  une  région 
peu  riche  en  filets  nerveux  et  où  le  tissu  cellulaire  soit  assez  abondant. 

Circulation.  —  Des  variations  légères  et  irrégulières  se  manifestent  dans  le  pouls 
sous  l'influence  de  l'apomorphine.  Dès  le  début  des  nausées  on  constate  de  l'accélé- 
ration, puis,  du  ralentissement,  quoique  le  nombre  des  pulsations  reste  au-dessus  de 
la  moyenne.  Avant  chaque  vomissement,  il  y  a  de  l'accélération,  puis  ensuite  du  ralen- 
tissement et  ainsi  de  suite  à  chaque  vomissement,  avec  petitesse  du  pouls.  C'est  du 
reste  ce  qui  se  produit  avec  presque  tous  les  émétiques. 

On  ne  constate  pas  de  modification  du  côté  de  la  pression  sanguine  (Siebert)  ni  du 
côté  de  la  température. 

Respiration.  —  La  fréquence  du  pouls  est  accompagnée  d'une  aocéle'ration  de  la 
respiration  qui  devient  en  même  temps  irrégulière.  Ces  phénomènes  respiratoires  coïn- 
cident au  début  des  vomissements,  ils  font  place  ensuite  à  un  ralentissement  qui  dure 
assez  longtemps;  le  rythme  respiratoire  étant  plus  lent  qu'à  l'état  normal.  On  constate 
pourtant  certaines  différences  suivant  les  animaux  sur  lesquels  porte  l'expérience. 
Chez  le  chien,  par  exemple,  la  respiration  est  généralement  accélérée.  Avec  de  fortes 
doses,  chez  le  lapin,  on  peut  l'arrêter.  Avec  10  milligrammes,  on  l'arrête  toujours  chez 
la  grenouille. 

Appareil  digestif.  —  L'apomorphine  ne  paraît  pas  avoir  d'action  sur  le  tube 
digestif,  quoique  Bordier  ait  avancé  que  l'effet  de  cette  substance  était  dii  à  son  action 
sur  la  muqueuse  gastrique,  son  élimination  se  faisant  par  cette  voie.  On  peut  opposer 
à  cette  interprétation  la  section  des  vagues,  qui  n'empêche  pas  le  vomissement;  la 
rapidité  étonnante  des  vomissements  après  l'injection  hypodermique  et  surtout  après 
l'injection  intra-veineuse.  A  l'appui  de  son  opinion,  Bordier  a  bien  prétendu  que  l'opium 
diminuant  les  sécrétions,  une  injection  préalable  de  morphine  empêchait  les  vomis- 
sements, mais  Chouppe  a  démontré  que,  malgré  une  injection  d'atropine,  dont  l'effet 
est  encore  plus  énergique  que  celui  de  la  morphine,  l'action  de  l'apomorphine  était  la 
•même. 

Ce  n'est  donc  pas  par  son  action  locale  sur  les  éléments  nerveux  de  la  muqueuse 
gastrique  qu'agit  cette  substance. 

D'après  Coy.ne  et  Budin,  on  constaterait  quelquefois  une  action  irritative  sur  la 
muqueuse  intestinale,  mais  ce  fait  n'est  pas  confirmé  pas  les  nombreux  auteurs  qui  ont 
fait  des  recherches  sur  l'apomorphine. 

Système  nerveux.  —  C'est  sans  contredit  le  système  nerveux  qui  est  le  plus 
impressionné  par  l'apomorphine,  et  l'action  semble  concentrée  sur  le  bulbe  qui  renferme 
le  centre  vomitif,  car  la  masse  cérébrale  ne  paraît  pas  atteinte.  On  constate  bien,  en 
effet,  quelquefois  un  peu  de  sommeil  invincible,  dû  à  l'impureté  de  la  substance  ou  à 
la  reconstitution  de  la  morphine  (comme  l'ont  prétendu  certains  auteurs,  mais  ce  sont 
là  des  effets  qui  ne  sont  pas  constants,  ainsi  que  les  phénomènes  de  manège  signalés 
par  Hartnack,  Siebert,  etc. 

Max  Quehl,  qui  a  fait  de  nombreuses  expériences,  n'a  constaté  aucune  modification 
ni  des  nerfs  moteurs,  ni  des  nerfs  sensitifs  ;  il  n'a  trouvé  non  plus  aucune  modification 
du  côté  des  vaso-moteurs.  Pourtant  Hartnack,  avec  des  doses  assez  fortes,  a  obtenu  des 
paralysies,  ce  qui  semblerait  indiquer  une  action  centrale.  Bergmeister  et  Ludwig  lui 
ont  trouvé  une  action  anesthésique  sur  la  conjonctive,  analogue  à  celle  de  la  cocaïne,  et 
Stocquart  l'a  employée  pour  calmer  les  douleurs  des  muqueuses,  dans  les  stomatites,  les 
glossites,  etc. 

La  véritable  action  de  l'apomorphine  se  manifeste  sur  le  centre  vomitif  bulbaire, 
il  n'y  a  aucun  effet  sur  les  terminaisons  périphériques  du  pneumogastrique,  puisque  la 
double  section  des  vagues,  contrairement  à  ce  qu'a  avancé  M.  Quehl,  n'empêche  pas  le 
vomissement  pour  lequel  la  dose  minimum  à  sa  production  est  la  même,  que  les  nerfs 
soient  ou  ne  soient  pas  coupés.  Mais  on  peut  se  demander  si  ce  centre  ne  serait  pas 
paralysé  par  de  fortes  doses,  car  elles  produisent  des  vomissements  très  rapides,  mais 
infiniment  moins  nombreux,  moins  prolongés,  "moins  abondants  que  les  doses  moyennes. 


6i0  APOMORPHINE. 

Hartnack  ayant  obtenu  des  paralysies  complètes  chez  le  chien  et  le  chat,  compare  l'ac- 
tion de  l'apomorphine  à  celle  de  la  morphine.  Dans  le  premier  stade  on  trouverait  l'ex- 
citation des  centres  nerveux  due  à  la  morphine  et  les  vomissements  qui  se  manifestent 
alors,  puis,  plus  tard,  l'action  paralysante. 

On  ne  peut  admettre  cette  interprétation,  la  différence  est  trop  manifeste  entre  les 
résnltats  expérimentaux  qne  l'on  obtient  d'un  côté  avec  l'apomorphine,  de  l'autre  avec 
la  morphine,  ne  serait-ce  que  le  vomissement  instantané  qui  est  provoqué  par  l'injection 
intra-veineuse  d'une  faible  dose  d'apomorphine.  On  peut  encore  trouver  une  différence 
capitale  dans  ce  fait,  démontré  par  Siebert,  que  l'organisme  ne  s'iiabitue  pas  à  l'apo- 
morphine :  or  on  sait  avec  quelle  facihté  s'établit  l'accoutumance  pour  la  mor- 
phine. Siebert  a,  pendant  lo  jours,  administré  tous  les  jours  une  injection  hypoder- 
mique de  1  milligramme  au  même  chien,  le  vomissement  se  produisait  invariablement 
trois  minutes  après  l'injection.  Injectant  alors  une  dose  de  1  décigramme,  l'animal 
vomit  pendant  quarante-cinq  minutes,  puis  revint  à  son  état  normal.  L'expérience,  ayant 
été  reprise,  donnée  les  mêmes  résultats. 

Action  sur  rhorame.  —  Dans  ce  qui  précède,  nous  avons  surtout  décrit  les  phéno- 
mènes que  l'on  constate  sur  les  animaux,  mais,  l'apomorphine  pouvant  sans  danger 
s'administrer  à  l'homme,  il  est  facile  d'analyser  son  action  sur  l'espèce  humaine.  Voici, 
d'après  Chouppe,  les  effets  observés.  Pendant  les  deux  ou  trois  premières  minutes  qui 
suivent  l'injection,  le  malade  n'éprouve  absolument  rien,  il  est  calme,  tranquille,  sans 
ressentir  le  moindre  malaise.  Bientôt  une  sensation  de  pesanteur  à  la  région  épigas- 
trique  est  suivie  d'une  légère  douleur  de  tête,  puis  la  salivation  devient  abondante,  le 
corps  se  couvre  de  sueur;  un  ou  deux  efforts  de  vomissement  secouent  le  thorax,  sans 
que  rien  soit  rendu;  au  troisième  effort,  plus  rarement  au  quatrième,  le  malade 
vomit.  Il  rejette  alors  des  liquides  en  abondance,  vomit  trois  ou  quatre  fois  de  suite, 
puis  survient  une  période  de  calme  ;  les  vomissements  s'arrêtent  pour  cinq  à  six  minutes, 
pendant  lesquelles  parfois  le  malade  sommeille.  Il  est  bientôt  éveillé  par  la  nausée,  et 
toute  la  scène  recommence;  le  même  phénomène  se  reproduit  à  cinq  ou  six  reprises 
différentes.  Enfin,  au  bout  d'une  demi-heure  environ,  le  malaise  se  dissipe  d'une  ma- 
nière définitive  et  le  malade  s'endort.  Ce  sommeil  très  calme  dure  en  général  d'une 
demi-heure  à  une  heure,  temps  au  bout  duquel  le  malade  s'éveille,  ne  conservant 
aucune  fatigue. 

Toxicité.  —  L'apomorphine,  aux  faibles  doses  de  0,01,  ou  0,02,  n'est  pas  toxique; 
c'est  du  moins  ce  qu'ont  constaté  les  expérimentateurs  sur  les  chiens  et  les  lapins 
(Bourgeois  et  Vulpian)  ;  sur  les  cobayes  (Carville)  ;  sur  les  chats,  les  pigeons  et  les  gre- 
nouilles (Hartnack,  D.avid).  On  ne  constate  même  rien  chez  les  animaux,  tels  que  les 
lapins  et  les  cobayes,  qui  ne  peuvent  pas  vomir.  Chez  ceux  qui  vomissent,  comme  les 
chiens  et  les  chats,  après  le  vomissement,  on  observe  de  la  fatigue,  quelquefois  du  som- 
meil plus  ou  moins  prolongé,  mais  toujours,  quelques  heures  après,  ils  reviennent  à 
leur  état  antérieur.  Pourtant  cette  innocuité  n'est  que  relative,  attendu  que,  si  l'on 
administre  de  très  fortes  doses,  20  à  40  centigrammes  par  exemple  pour  le  chien,  on 
voit  survenir  de  l'agitation,  des  mouvements  de  rotation,  et  la  mort  s'ensuit  (David, 
Kœhleb,  Moeller,  Quehl). 

Si  l'on  injecte  dans  le  péritoine  d'une  grenouille  de  taille  moyenne  0,03  d'apomor- 
phine, la  mort  survient  au  bout  de  quelques  heures;  ou  bien  il  se  produit  un  état  de  mort 
apparente,  sauf  persistance  des  mouvements  du  cœur;  et  le  retour  à  la  motilité  et  à  la 
sensibilité  n'a  lieu  que  longtemps  après.  Une  dose  de  0,009,  injectée  de  la  même  façon, 
produira  seulement  des  mouvements  vifs  et  fréquents  de  déglutition,  généralement 
dans  la  première  heure  qui  suit  l'injection. 

Comme,  avec  des  doses  faibles  ou  modérées,  il  y  a  eu  des  cas  de  collapsus  observés 
chez  certains  malades,  même  à  faible  dose,  il  est  probable  qu'il  s'agit  là  de  ces  idiosyn- 
crasies  qui  se  manifestent  si  fréquemment  quand  il  s'agit  de  la  sj^ncope  cardiaque. 

Toxicologie.  —  Malgré  ce  que  nous  venons  de  dire,  si  l'on  soupçonnait  un  empoi- 
sonnement par  cette  substance,  on  la  rechercherait  par  la  méthode  de  Stas;  puis  l'on 
rechercherait  ses  principales  réactions,  mais,  ce  qui  est  encore  préférable,  on  procé- 
derait à  des  expériences  de  physiologie  qui  constituent  le  réactif  le  plus  sensible  pour 
bien. faire  reconnaître  la  nature  de  la  substance. 


APOMORPHINE.  G4I 

Usages.  —  De  son  action  physiologique  il  est  facile  de  déduire  les  cas  dans  les- 
quels on  devra  employer  l'apomorphine.  Toutes  les  fois  qu'il  faut  provoquer  les  efforts 
de  vomissement  et  que  l'on  ne  craint  pas  une  excitation  du  bulbe,  on  pourra  l'admi- 
nistrer. 

Son  mode  d'emploi  facile,  rapide  et  sur,  par  injections  hypodermiques,  fait  qu'elle 
rend  de  grands  services  lorsque  l'on  ne  peut  rien  faire  absorlser  par  l'estomac,  l'œso- 
phage étant  obstrué  par  des  corps  e'trangers  que  les  efforts  de  vomissement  font  géné- 
ralement expulser  (Théod.  Verger).  Elle  donne  aussi  d'excellents  résultats  dans  les 
empoisonnements  et  dans  la  médecine  des  enfants  et  des  aliénés  à  cause  de  son  mode 
d'administration. 

L'apomorphine  présente  sur  les  autres  vomitifs  :  ipéca,  tartre  stibié,  l'avantage  de 
n'être  jamais  tolérée.  Aussi  est-elle  très-  utile  quand  il  faut  faire  vomir  fréquemment, 
comme  dans  certains  cas  d'intoxication  palustre.  Un  de  ses  avantages  étant  aussi  de  ne 
produire  presque  pas  ou  pas  de  troubles  des  fonctions  digestives  en  dehors  de  l'acte 
du  vomissement,  elle  peut  rendre  service  dans  les  cas  où  la  diarrhée  serait  nuisible, 
chez  les  tuberculeux  par  exemple,  et  pour  les  affections  gastriques  dans  lesquelles  on 
ne  doit  pas  porter  dans  l'estomac  des  substances  irritantes. 

Elle  a  été  employée  avantageusement  dans  les  affections  des  poumons  et  des  bron- 
ches, bronchite  chronique,  œdème  pulmonaire,  asthme,  emphysème,  coqueluche,  même 
chez  les  malades  réfractaires  aux  autres  vomitifs.  Mais  où  son  emploi  est  excellent, 
c'est  lorsqu'il  faut  faire  vomir  proraptement,  dans  l'asphyxie  croupale,  par  exemple. 
D'après  JuRAsz,  c'est  un  bon  expectorant  à  doses  réfractées  et  petites,  dans  les  phleg- 
masies  des  bronches;  l'expectoration  devient  plus  facile  et  plus  abondante,  les  râles 
secs  deviennent  humides,  les  mucosités  sont  rendues  plus  fluides.  Néanmoins,  Flies- 
BURG,  qui  Fa  employée  dans  des  bronchites  capillaires  et  des  croups,  la  considère  comme 
'  infidèle  et  dangereuse,  pouvant  produire  du  collapsus. 

C'est  dans  les  affections  des  voies  respiratoires  que  son  emploi  est  le  mieux  justifié  ; 
pourtant  on  a  employé  l'apomorphine  dans  bien  d'autres  cas.  A^allender  emploie  une 
solution  au  centième  dont  il  injecte  sous  la  peau  tO  à  13  gouttes  à  la  fois  comme  pré- 
servatif des  attaques  d'épilepsie.  Le  résultat  serait  d'autant  meilleur  que  l'intervalle  qui 
existe  entre  l'aura  et  l'attaque  serait  plus  grand,  attendu  que  l'injection,  étant  faite  au 
moment  de  l'aura,  aurait  plus  de  temps  pour  agir. 

Dans  l'apoplexie  cérébrale,  G.  Paul  a  conseillé  d'utiliser  l'état  nauséeux  pour  ralentir 
le  pouls;  toutefois  il  est  bon  de  faire  remarquer  que,  lorsque  le  phénomène  nausée 
doit  jouer  un  certain  rôle,  ce  n'est  pas  à  l'apomorphine  qu'il  faut  s'adresser,  puisque 
nous  avons  vu  que  cette  période  était  si  courte  qu'elle  a  été  niée  par  quelques  expéri- 
mentateurs. 

Elle  n'aurait  point  d'action  sur  l'écoulement  delabile  :  aussi  C.  Paul  conseille-t-il  de 
ne  pas  l'employer  comme  vomitif  lorsque  l'on  veut  favoriser  cette  sécrétion.  L'apomor- 
phine jouirait  aussi  de  propriétés  anesthésiques  analogues  à  celles  de  la  cocaïne  (Beh- 
GMEisTER  et  Ludwig).  Eli  instiUant  6,  8  et  même  18  gouttes  d'une  solution  à  2  p.  ,100  de 
chlorhydrate  d'apomorphine  cristallisée  dans  le  sac  conjonctival  de  l'homme  et  des  ani- 
maux, les  auteurs  piécités  auraient  constaté  l'insensibilité  de  la  cornée  dix  minutes 
après.  La  durée  de  cette  anesthésie  serait  proportionnée  à  la  dose,  mais  elle  serait 
précédée  de  douleurs  vives,  d'injection  passagère  de  la  conjonctive  et  des  paupières, 
et,  quand  l'anesthésie  se  produit,  on  constaterait  de  la  mydriase  et  des  nausées.  Il  y 
aurait  aussi  une  diminution  de  là  sécrétion  de  la  conjonctive  de  la  paupière  inférieure, 
allant  jusqu'à  la  sécheresse.  Stocquart  aurait  aussi  utilisé  cette  action  anesthésiante 
pour  calmer  les  douleurs  des  muqueuses  des  voies  respiratoires. 

L'emploi  de  l'apomorphine  et  de  ses  sels  doit  être  surveillé  minutieusement,  car  on 
a  observé  des  accidents  à  la  suite  de  son  administration.  On  rencontre  quelquefois 
des  individus,  ayant  une  susceptibilité  extrême  pour  cette  substance,  pris  immédiate- 
ment de  coliques,  de  nausées,  de  diarrhée,  ou  de  collapsus,  et  môme  de  troubles  du 
coté  du  cœur.  Ces  accidents  peuvent  provenir  de  la  faible  dose  administrée;  mais, 
comme  la  question  des  doses  est  loin  d'être  tranchée  en  clinique,  relativement  à  l'apo- 
morphine, le  plus  sage  est  d'aller  avec  prudence  :  c'est  du  reste  ce  que  conseillent 
tous  ceux  qui  en  ont  fait  usage.  Aussi  son  emploi  est-il  devenu  fort  restreint. 

MOT.   DE    PHYSIOLOGIE.    —   TOME.    I.  tt 


642  APOMORPHINE. 

Incompatibilités.  —  On  s'est  demandé  si  certaines  substances  étaient  incompa- 
tibles avec  l'apomorphine.  On  peut  dire  que  jusqu'ici  on  ne  connaît  point  de  substances 
qui,  administrées  simultanément  avec  l'apomorphine,  deviennent  toxiques. 

La  belladone  conserve  ses  propriétés  sans  empêcher  l'action  de  l'apomorphine.  En 
administrant  du  sulfate  d'atropine  à  un  animal,  on  tarit  la  sécrétion  salivaire.  Si,  à  ce 
moment,  on  donne  de  l'apomorphine,  il  y  a  vomissement,  mais  sans  salivation  pendant 
la  nausée. 

Les  agents  anesthésiques  s'opposent  aux  efïets  de  l'apomorphine.  Un  chien  profon- 
dément chloralisé  n'éprouve  plus  les  effets  de  l'apomorphine  (Vulpian),  du  moins  jus- 
qu'à son  réveil.  Le  chloroforme  donne  le  même  résultat  (Hartnack).  S'il  est  administré  à 
doses  résolutives,  l'effet  de  l'apomorphine  est  retardé  jusqu'au  réveil  (David).  Une  injec- 
tion préalable  de  3  centigrammes  de  chlorhydrate  de  morphine  chez  un  chien  empêche 
l'action  de  l'apomorphine  de  se  produire  (Bohdier).  On  ne  peut  attribuer  ce  fait  à 
l'assèchement  des  glandes  de  l'estomac,  comme  le  pense  cet  auteur,  puisque  l'atropine, 
qui  tarit  les  sécrétions  d'une  façon  plus  manifeste  que  la  morphine,  n'empêche  pas  le 
vomissement.  Aussi  de  ce  fait  doit-on  tirer  la  conclusion  que  ce  n'est  pas  l'apomorphine 
qu'il  faudrait  choisir  comme  vomitif  pour  vider  l'estomac  dans  un  empoisonnement 
par  la  morphine. 

Quoiqu'elle  soit  un  vomitif  rapide  et  sûr,  elle  peut  encore  ne  pas  faire  vomir,  admi- 
nistrée à  des  malades  à  la  dernière  extrémité  chez  lesquels  l'absorption  et  la  vitalité 
des  centres  nerveux  sont  fortement  diminuées. 

Mode  d'emploi.  Doses.  —  De  tous  les  sels  d'apomorphine,  c'est  le  chlorhydrate 
que  l'on  emploie  de  préférence.  On  l'administre  par  la  bouche,  mais  surtout  en  injec- 
tions hypodermiques,  son  action  par  cette  voie  étant  plus  active  dans  la  proportion 
de  3  à  1.  Un  point  important  est  de  n'employer  que  des  solutions  récentes  pour  être 
sûr  de  la  dose  du  médicament  administrée,  les  solutions  s'altérant  très  rapidement  au 
contact  de  l'air.  On  se  sert  d'une  solution  à  1  p.  100  dans  de  l'eau  stérilisée.  Bourgeois, 
qui  n'a  jamais  observé  de  résultat  chez  l'homme  avec  une  dose  inférieure  à  6  milli- 
grammes, fixe  les  doses  à  1  centigramme  pour  l'homme  adulte  par  la  voie  hypoder- 
mique; 8  milligrammes  pour  la  femme,  6  milligrammes  pour  les  enfants. 

Par  la  voie  stomacale,  la  dose  doit  être  triplée.  Lorsque  l'apomorphine  est  admi- 
nistrée en  potion,  contre  les  phlegmasies  des  bronches  (Jurasz),  la  dose  doit  être  de 
1  à  3  milligrammes  toutes  les  deux  heures.  Il  y  a  quelquefois  des  nausées  à  la  première 
dose,  mais  cet  effet  disparaît  ensuite. 

On  doit  ne  pas  oublier  qu'une  solution  renfermant  plus  de  1  p.  100  de  substance  est 
trouble  et  qu'il  faut  ajouter  une  ou  deux  gouttes  d'acide  chlorhydrique  ordinaire  pour 
l'éclaircir.  Mais  alors  on  a  un  liquide  acide  toujours  plus  désagréable  en  injections 
hypodermiques.  Il  faut,  pourlce  mode  d'administration,  tâcher  d'obtenir  toujours  des 
solutions  neutres. 

Les  solutions  d'apomorphine  additionnées  de  glycose  se  conserveraient  parfaitement, 
ainsi  que  les  solutions  dans  la  glycérine.  Mais,  comme  il  est  facile  de  conserver  dans  des 
tubes  scellés  de  faibles  quantités  de  cette  substance,  il  est  préférable  de  faire  la  dissolu- 
tion au  moment  de  l'injection. 

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CH.   LIVON. 


644  APPERCEPTION    —    ARACHNIDES. 

APPERCEPTION.  —  Voyez  Aperceptioti. 

APRAXIE.  — Ce  terme  sert  à  désigner  une  variété  très  importante  de  l'Asym- 
bolie  (ou  trouble  de  l'utilisation  des  signes  pour  comprendre  ou  pour  exprimer  les  sen- 
timents et  les  idées). 

L'apraxie  est  caractérisée  par  la  perte  de  la  faculté  de  l'appréciation  des  formes  des 
sujets.  Ceux-ci  sont  vus,  et  reconnus  quant  à  leur  couleur;  mais  le  malade,  bien  qu'ayant 
conservé  une  vision  et  une  intelligence  intactes,  est  devenu  incapable  de  saisir  leurs 
formes.  Nous  avons  émis  pour  notre  part  l'hypothèse  qu'il  s'agissait  dans  ces  cas  d'un 
trouble  localisé  au  centre  des  images  du  sens  musculaire  se  rappoitant  aux  mouvements 
des  veux,  et  concourant  à  la  fonction  visuelle,  dont  le  centre  lui-même  reste  alors  in- 
demne. Ce  désordre  serait  ainsi  comparable  à  ceux  que  l'on  peut  observer  dans  diverses 
formes  d'aphasie  (Voir  Aphasie).  ^^^^   ^^^^^ 

ARABINOSE.  —  Sucre  pentatomique  extrait  de  la  gomme  du  cerisier 
(C''H'-0").  Il  réduit  la  liqueur  de  Fehling,  surtout  à  chaud.  Scheibler,  qui  découvrit  ce 
corps,  avançait  que  l'arabinose  n'est,  pas  directement  fermeiitescible  en  présence  de  la 
levure  de  bière,  mais  il  est  prouvé  par  les  travaux  de  A.  Muntz  (1885)  qu'elle  présente 
tous  les  caractères  des  glucoses.  Avec  le  chloral  anhydre  elle  donne  un  chloralose  cris- 
tallisable(V.  Chloralose). 

ARACHNIDES-  —  Caractères  zoologiques.  —  Chez  l'individu  développé, 
point  d'appendices  comparables  aux  antennes  des  Myriopodes  ou  des  Insectes.  Tous  les 
serments  céphaliques  et  plusieurs  des  segments  suivants  entièrement  fusionnés  en  un 
céphalothorax  servant  seul  à  l'insertion  des  membres  au  nombre  de  six  paires.  Les  appen- 
dices de  première  paire  terminés  par  une  griffe  ou  par  une  pince  didactyle  sont  les 
chélicères ;  ceas-  de  seconde  paire  jouent  dans  beaucoup  de  cas  le  rôle  de  mâchoires 
parleur  base  et  portent,  en  outre,  du  côté  externe,  un  long  prolongement  multiarticulé, 
le  pédipalpe  ou  plus  simplement  ie  ■pallie,  parfois  aussi  transformé  en  pince.  Les 
appendices  des  quatre  paires  postérieures  sont  des  pattes  locomotrices.  L'abdomen 
segmenté  ou  indivis,  ou  même  soudé  au  céphalothorax,  n'offre  pas  de  membres.  La 
respiration  s'effectue,  soit  par  des  organes  à  structure  lamelleuse  [iKumona),  soit  par  ces 
organes  et  des  trachées  tubuleuses,  soit  enfln  par  des  trachées  seules. 

Subdivision  de  la  classe  des  Arachnides. 

Sous-classe  I.  —  Arihrogastres  (abdomen  segmenté). 

Ordre  I      Scorpionides Exemples  :  Euscorpius,  AndrocLonus,  Biithits; 

Ordre  II.    So^i/ujes  (ou  Solpugides) —  Galeodes; 

Ordre  III.  Pédipalpes —  Phrynus,  Thelyphomis ; 

Ordi-e  IV.  Chernétides  (ou  Pseudoscorpions)  .    .  —  Chelifev,  Obisium; 

Ordre  V.    Phalangides —  Phalangium,  Liobunum; 

Ordre  VI.   Cyphophthalmide^ —         Cyphophthalmus,  Gibocellum. 

Sous  CLASSE  II.  —  Hologaslres  (abdomen  non  segmenté). 

iTétrapneuraones.  Ex.  :  Mygale,  Cteniza,  Atypus: 
Dipneumones.        Ex.  :  Segestria,  Attus,  Salticns,  Lycosa,  Taran- 
tula,    Tegenaria,   Agelena.   Argyroneta, 
Latrodectus,    Therklium.    Epeira,  Meta; 
1  Ex.  :  Trombidium,  Hydrachna,  [xodes,  Tyrogly- 

Ordre  II.     Acariens   .    .   .    ." j  p/mx.  Sarcoptes,  Demodex; 

Ordre  III.  Lmguatulides Ex.  :  Peiitastomum; 

Ordre  IV.  Tardigrades Ex.^  :  Macrobiotus. 

Annexe  aux  x\rachnides  ? 
Pyctiogo?iides  [ou  Pantopodes).  Ex.  :  Nymphon.  Pycnocjonum. 


ARACHNIDES.  643 

Téguments,  mues.  — Les  téguments  des  Arachnides  offrent  la  constitution  com- 
mune à  tous  les  Anthropodes;  on  y  trouve,  de  dehors  en  dedans,  une  zone  superficielle 
chitineuse,  cuticulaire,  formée  de  lamelles  superposées,  percée  de  canaux  et  donnant 
lieu  aux  poils,  aux  piquants,  etc.;  puis  une  zone  profonde,  épithéliale,  à  structure  cel- 
lulaire plus  ou  moins  nette,  portant,  suivant  les  auteurs,  les  noms  de  couche  cMtino- 
géne,  d'hypoderme,  de  matrice,  etc. 

Gomme  tous  les  Arthropodes,  les  Arachnides  subissent,  dans  le  cours  de  leur  existence, 
une  série  de  mues,  d'abord  assez  rapprochées  les  unes  des  autres  et  généralement 
accompagnées  de  métamorphoses,  ensuite  espacées  et  en  relation  avec  la  croissance. 

La  mue  consiste  essentiellement  dans  le  décollement  des  anciennes  couches  cuticu- 
laires  chitineuses  et  leur  remplacement  par  des  couches  nouvelles.  Ce  phénomène  n'in- 
téresse donc  pas  seulement  les  téguments  proprement  dits  :  il  y  a  en  même  temps  renou- 
vellement du  revêtement  chitineux  de  tous  les  organes  internes  ou  externes  tapissés 
par  une  cuticule  de  cette  nature  (portion  chitineuse  des  yeux,  revêtement  de  la  pre- 
jnière  et  de  la  dernière  partie  du  tube  digestif,  des  canaux  excréteurs  des  glandes 
aboutissant  à  l'extérieur,  des  couches  chitineuses  des  poumons  ou  des  trachées,  des  ten- 
dons, etc.). 

Chez  les  Aranéides,  où  les  faits  ont  été  étudiés  de  très  près,  les  choses  se  passeraient 
comme  suit  :  une  mince  couche  de  plasma  granuleux,  interposée  entre  les  cellules  cliiti- 
nogènes  et  la  zone  cuticulaire,  se  modifie;  ses  granulations  disparaissent;  elle  prend  la 
propriété  de  se  colorer  au  contact  des  matières  tinctoriales  et  passe  à  l'état  de  cuticule 
nouvelle.  Celle-ci,  d'abord  en  contact  immédiat  avec  la  zone  chitineuse  ancienne,  s'en 
sépare  graduellement;  l'intervalle  qui  se  forme  ainsi  se  remplit  d'un  liquide  dont  la  quan- 
tité augmente  au  début  avec  l'agrandissement  de  la  cavité,  mais  qui  disparaît  par  résorp- 
tion quelques  heures  avant  le  dépouillement,  et  est  alors  remplacé  par  de  l'air.  La 
nouvelle  cuticule  s'accroît  très  rapidement,  et,  dans  les  régions  où  le  revêtement  ancien 
n'est  pas  extensible,  comme  au  céphalothorax,  elle  offre  momentanément  de  nombreux 
plis.  Puis,  à  un  moment  donné,  le  vieux  revêtement  extérieur  se  rompt  en  certains  points 
déterminés,  et  l'animal  en  sort,  en  retirant  ses  divers  appendices  des  étuis  qui  les 
enveloppaient.  11  apparaît  alors  avec  des  téguments  mous  et  plissés,  et,  comme  la  pro- 
duction de  couches  chitineuses  nouvelles  a  nécessité  une  dépense  énorme,  l'Araignée  est 
pendant  quelques  temps  tellement  affaiblie  qu'on  peut  la  toucher  et  la  déplacer  sans 
qu'elle  tente  de  fuir  ou  de  se  défendre  (W.  Wagner). 

Régénération  des  organes  perdus.  —  Les  Arachnides  sont  fréquemment  exposés, 
soit  dans  les  combats  entre  mâles,  soit  dans  une  lutte  avec  un  autre  ennemi,  à  perdre  un 
ou  plusieurs  appendices,  palpes  ou  pattes  (Voyez  plus  bas  Autotomie) .  — •  Comme  chez 
les  Crustacés,  ces  organes  perdus  repoussent  facilement;  mais,  au  moins  pour  les  Arai- 
gnées, ils  n'atteignent  finalement,  chez  l'adulte,  la  taille  des  autres,  que  si  l'amputation 
à  été  faite  dans  le  jeune  âge. 

Lors  de  la  rupture  d'une  patte,  l'Araignée  arrache  presque  toujours  elle  même  ce  qui 
reste  du  membre,  de  façon  à  ne  conserver  que  l'article  basilaire.  La  plaie  se  ferme  rapi- 
dement par  la  production  d'un  bouchon  chitineux;  les  muscles  et  les  autres  tissus  du 
moignon,  excepté  la  couche  chitinogène,  subissent  la  dégénérescence  graisseuse  et  dispa- 
raissent, détruits  par  les  éléments  figurés  du  sang  qui  se  comportent  comme  phagocytes. 
La  couche  chitinogène  restée  en  grande  partie  intacte  et  dont  les  extrémités  libres 
s'étaient  réunies  du  côté  du  bouchon,  se  rétracte  en  se  détachant  de  la  zone  cuticulaire, 
elle  forme  ainsi  une  sorte  de  cupule,  du  centre  de  laquelle  s'élève  une  petite  papille. 
Cette  papille  est  le  nouveau  membre  dans  l'axe  duquel  apparaissent  des  fibres  musculaires 
et  qui,  forcé  de  s'allonger  dans  l'espace  fort  restreint  compris,  dans  le  moignon,  entre 
sa  base  et  le  bouchon  chitineux,  se  tord  graduellement  en  spirale.  Ce  membre  spira- 
loide  acquiert  une  cuticule  et  se  divise  en  articles  (W.  W.^gner). 

La  nouvelle  patte  ainsi  formée,  naturellement  encore  petite,  perdra  sa  torsion  quand 
elle  sera  mise  en  liberté  par  une  mue  entraînant  le  moignon  de  l'ancien  membre  qui 
l'emprisonnait  et,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  plus  haut,  elle  n'atteindra  approximati- 
vement les  dimensions  des  autres  appendices  que  lorsque  l'Arachnide  aura  subi  plusieurs 
mues  ultérieures. 

Mouvement.  —  Les  muscles  des  Araignées  se  composent  de  fibres  striées  toutes 


646  ARACHNIDES. 

isolées  les  unes  des  autres  par  des  gaines  de  sarcolemme  montrant,  de  distance  en 
distance,  des  noyaux  fort  petits  qui  paraissent  appartenir  à  ces  gaines.  Dans  chaque 
fibre  existent  de  nombreux  noyaux  plus  considérables  disposés  sur  plusieurs  rangées 
longitudinales  (Leydig,  Abndt,  Schimkewitsch). 

Malgré  cette  conformation  qui  rappelle  la  fibre  musculaire  embryonnaire,  les  pro- 
priétés physiologiques  sont  celles  des  muscles  de  la  plupart  des  Articulés  ;  ainsi,  chez  la 
Mygale  «  les  différents  stades  de  la  contraction  présentent  le  même  aspect  des  stries 
que  chez  l'Hydrophile.  Les  dimensions  des  stries  paraissent  exactement  les  mêmes...  l'in- 
version se  produit  également  au  moment  où  le  segment  musculaire  offre  une  longueur 
de  4|j.,5  environ  »  (L.  Fredericq). 

Les  muscles  des  Arachnides  s'insèrent  par  des  tendons  chitinisés  sur  les  saillies 
internes  des  pièces  du  squelette  cutané.  Ils  fonctionnent  probablement  suivant  les  mêmes 
lois  que  chez  les  Insectes. 

La  locomotion  est  terrestre,  aquatique  ou  aérienne. 

A.  Locomotion  terrestre.  —  Elle  a  été  étudiée  chez  quelques  Araignées  (Caelet,  H.  Dixon, 
Marey)  et  chez  les  Scorpions  {Demoor,  Marey).  Dixon  a  employé  la  photographie  ins- 
tantanée, Makey  la  chronophotographie. 

Nous  résumons  ce  qui  concerne  la  marche  du  Scorpion  :  dans  cette  locomotion  octo- 
pode,  les  pattes  antérieures  et  postérieures,  c'est-à-dire  les  numéros  1  et  4,  sont  les  véri- 
tables organes  actifs  de  la  marche  ;  les  pattes  moyennes  2  et  3  sont  les  membres  d'ap- 
pui. Les  extrémités  des  membres  d'appui  forment  toujours  un  triangle  dont  la  base  passe 
alternativement  à  droite  et  à  gauche  de  la  ligne  droite  suivant  laquelle  l'animal  se  dé- 
place. Ainsi,  la  base  du  triangle  étant,  par  exemple,  à  droite,  les  extrémités  de  cette 
base  sont  occupées  par  les  bouts  des  pattes  2  et  3  droites,  tandis  qu'au  sommet  du 
triangle,  à  gauche,  se  trouvent  réunis  les  bouts  des  pattes  2  et  3  gauches.  La  forme 
triangulaire  de  celte  figure  est  analogue  à  la  surface  d'appui  des  Insectes.  Pendant  que 
les  pattes  moyennes  fonctionnent  ainsi  comme  appuis,  les  pattes  antérieure  et  posté- 
rieure situées  du  côté  du  sommet  du  triangle  sont  fortement  écartées  et  vont  agir,  au 
moment  du  changement  de  position  des  pattes  moyennes;  la  première  en  tirant,  la  der- 
nière en  poussant.  A  cet  instant  aussi,  le  corps  tombe  en  basculant  autour  du  côté 
antérieur  du  triangle  d'appui.  Le  mécanisme  de  la  marche  du  Scorpion  ressemble  donc 
à  celui  qu'on  observe  chez  les  Insectes;  mais,  chez  le  Scorpion,  la  bascule  du  corps  est 
obtenue  par  des  pattes  actives  indépendantes  du  triangle  de  sustentation  (Demoor). 

B.  Locomotion  aquatique.  —  Un  certain  nombre  d'Araignées  [Dolomeda;,  Lycosa)  courent 
facilement  à  la  surface,  de  l'eau.  Nous  n'entendons  pas  parler  de  ce  genre  de  locomotion, 
eu  somme  à  peu  près  identique  à  la  locomotion  terrestre,  mais  bien  de  la  natation  réelle, 
sous  la  surface  de  l'eau,  de  V Arcjyroneta  (Aranéide)  et  des  Hydrachna  (Acariens).  Personne 
ne  parait  l'avoir  étudiée. 

C.  Locomotion  aérienne.  —  On  entend  communément  par  vol  des  Araignées  un  moyen  de 
loconiolioQ  fort  curieux  offert  par  beaucoup  d'espèces.  Ces  animaux  peuvent  employer 
deux  procédés  :  dans  le  premier,  l'Arachnide  se  suspend  d'abord  verticalement  en  émet- 
tant, probablement  à  l'aide  de  filières  différentes,  deux  fils  distincts;  l'un,  tendu  par  le 
poids  du  corps,  est  le  fil  de  suspension  proprement  dit,  l'autre,  lâche,  forme  une  boucle 
dont  les  points  d'attache  sont:  1°  les  filières,  2°  le  fil  de  suspension  à  une  petite  dis- 
tance au-dessus  de  l'animal.  Le  moindre  souffle  suffit  alors  pour  faire  flotter  la  boucle, 
et,  comme  l'araignée  l'allonge  rapidement,  celle-ci  constitue  bientôt  un  long  appen- 
dice qui  s'accroche  aisément,  grâce  à  sa  forme,  au  premier  objet  solide,  feuille  ou 
rameau,  placé  sur  le  trajet  du  courant  d'air.  Dès  que  l'animal  a  constaté  par  de  légères 
tractions  que  la  boucle  est  fixée,  il  tire  sur  la  base  à  l'aide  de  ses  pattes,  la  pelotonne, 
la  tend  et  la  transforme  en  un  pont  dont  l'usage  se  devine  (F.  Terby). 

Le  second  procédé  est  surtout  employé  par  des  individus  jeunes,  peu  de  temps  après 
avoir  quitté  le  cocon  maternel.  On  l'a  observé,  par  exemple,  chez  de  jeunes  Lycoses  :  Ja 
petite  Araignée,  dressée  sur  ses  pattes,  élève  son  abdomen,  pointe  ses  filières  dans  la 
direction  du  vent,  émet  rapidement  un  véritable  jet  de  soie  d'une  ténuité  extrême  et  se 
laisse  entraîner  dans  l'espace  par  les  courants  aériens.  Des  Araignées,  telles  que  le 
Sarotes  venatorius  ont  été  disséminées  ainsi  par  les  vents  alizés  sur  toute  l'étendue  de  la 
ceinture  tropicale  de  la  terre  (Me  Cook); 


ARACHNIDES.  647 

Comme  le  phénomène  a  attiré  déjà  l'attention  des  plus  anciens  arachnéologues,  la 
bibliographie  de  cette  petite  question  spéciale  est,  fort  étendue. 

Émission  de  sons,  de  bruits.  —  Quelques  Araignées,  en  très  petit  nombre,  émettent 
des  sons  par  le  frottement  réciproque  de  certaines  parties  des  téguments  chitineux. 
Westring  a,  le  premier,  signalé  ce  détail  curieux  que  les  mâles,  mais  les  mâles  seuls, 
de  plusieurs  espèces  de  Theridium,  tels  que  Th.  hamatum,  castancum,  biptinctatum,  etc., 
produisent  un  son  très  faible,  analogue  à  celui  que  font  entendre  plusieurs  Insectes 
coléoptères  longicornes.  Le  fait  a  été  confirmé  et  réétudié  depuis  par  Landois  et  Gra- 
BER.  A  la  base  de  l'abdomen,  là  où  il  s'insère  sur  la  partie  postérieure  du  céphalothorax, 
existe,  du  côté  dorsal,  un  repli  semi-annulaire  de  la  cuticule  chitineuse,  garni,  comme 
une  scie,  de  petites  dents  saillantes.  Les  portions  droite  et  gauche  du  céphalothorax, 
immédiatement  en  contact  avec  cette  surface  rugueuse,  sont  un  peu  saillantes  et  mar- 
quées de  stries.  Pour  produire  la  friction,  le  Theridium  élève  et  abaisse  alternativement 
l'abdomen. 

Ajoutons  que,  malgré  l'assertion  de  Westring,  les  femelles  de  certains  Theridium, 
tels  que  Th.  guttatum,  posséderaient  un  organe  musical  presque  aussi  développé  que 
celui  du  mâle  (Maule  Campbell). 

Plus  récemment,  J.  Wood  Mason  a  décrit  l'organe  de  stridulation  d'une  grande 
Mygale  de  l'Inde,  M.  Stridulans  d'Assam.  Ici,  le  son  beaucoup  plus  intense  est  émis  par 
les  individus  des  deux  sexes.  Une  sorte  de  peigne  composé  de  dents  en  forme  de 
massues  garnit  la  face  interne  de  l'article  basilaire  du  palpe  et  frotte  contre  une  rangée 
d'épines  portées  par  la  face  externe  correspondante  de  l'avant-dernier  article  de  la 
chélicère. 

En  1880,  Maule  Campbell  a  observé  chez  le  mâle  et  la  femelle  d'une  Araignée 
d'Europe,  Linyphia  tenebricola,  des  organes  de  stridulation  constitués  par  des  cordes 
chitineuses  saillantes  placées  sur  la  chélicère  et  contre  lesquelles  viennent  gratter  des 
rugosités  transversales  du  palpe.  Cependant  le  bruit  que  cette  espèce  pourrait  émettre 
n'a  pas  encore  été  entendu.  Enfin  E.  Simon  vient  de  faire  connaître  chez  le  Sciarus  thomi-' 
soldes  un  organe  stridulatoire  représenté  par  une  série  de  tubercules  garnissant  le  palpe 
et  frottant  sur  une  plaque  ovale  finement  striée  en  travers  porté  par  la  face  externe  de 
la  chélicère. 

Inutile  de  vouloir  baser  sur  cette  production  de  sons  un  argument  en  faveur  de 
l'audition  chez  les  Arachnides.  Ces  animaux,  très  sensibles  aux  moindres  ébranlements 
de  l'atmosphère  ou  de  leur  support,  perçoivent  probablement  l'existence  de  vibrations, 
mais  n'entendent  pas,  dans  le  sens  que  nous  attachons  au  mot  entendre  (Voyez  plus  bas  : 
Sens  tactile  et  Audition). 

Innervation.  —  Le  système  nerveux  central  de  la  plupart  des  Arachnides  est  un 
système  nerveux  condensé,  dans  lequel,  comme  chez  les  [Crabes,  parmi  les  Crustacés, 
tous  ou  presque  tous  les  ganglions  de  la  chaîne  ventrale  sont  rapprochés  au  point  de 
former,  en  apparence,  une  seule  masse  sous-œsophagienne.  Les  Scorpions  font  seuls 
exception,  par  suite  du  grand  développement  de  la  portion  abdominale  de  leur  corps, 
La  masse  sous-œsophagienne  n'est  constituée  chez  eux  que  par  l'union  des  centres 
nerveux  thoraciques;  elle  est  suivie  d'une  véritable  chaîne  dont  les  paires  ganglion- 
naires, très  éloignées  les  unes  des  autres,  sont  au  nombre  de  sept  ou  huit. 

La  structure  du  cerveau  des  Arachnides  a  été  étudiée  par  Saint-Rémy  et  Viallanes. 
Cette  structure  démontre  que  les  Arachnides  forment,  avec  les  Limules,  un  type  à  part 
dans  l'embranchement  des  Arthropodes.  En  effet,  tandis  que,  chez  les  Crustacés,  les 
Insectes  et  les  Myriopodes,  le  cerveau  se  compose  de  trois  segments  répondant  aux 
trois  premiers  zoonites  céphaliques,  savoir  : 

i,.,  -i       ,1    .1  1  I  Innervant  les  yeux.  Sièo-e  des  centres  psychiques   et 

i"  zoonite.   Protocerebion.  ,  i-  ■       Ti  r  j       ^ 

(         des  perceptions  visuelles. 
2e    zoonite.  Deutocerebron.  l  Innervant  les   antennes.   Siège  des  perceptions  olfac- 
j        tives. 
3"    zoonite.   Tritocerebron.    (  Innervant   le   labre   et   les  parties   initiales    du   tube 
j        digestif.  Siège  des  perceptions  gustatives. 

chez  les  Arachnides,  le  tritocerebron  manque  totalement  ;  ces  animaux  ne  possèdent 


648  ARACHNIDES. 

donc  que  le  proto  et  le  deutocerebron.  Leur  protocerebron  innerve  les  yeux,  le  deulo- 
cerebron  innerve  les  cbélicères  et  le  rostre  (Viallanes). 

Soit  à  cause  de  la  grande  condensation,  soit  à  cause  de  la  difficulté  relative  avec 
laquelle  on  manie  les  Arachnides  vivants,  les  recherches  expérimentales  sur  le  systèrne 
nerveux  de  ces  articulés  sont  à  peine  ébauchées.  Emile  Blanchard  seul  a  fait  quelques 
expériences  sur  des  Scorpions  (Éuthiis  europœus)  :  en  voici  le  résumé  : 

Piqûre  du  cerveau.  — L'animal  manifeste  un  grand  trouble  et  ne  sait  plus  se  diriger. 
Piqûre  de  la  masse  sous-œsophagienne  thoradque.  —  L'Arachnide  ne  montre  qu'un  peu 
de  gêne  dans  les  mouvements  des  pattes;  il  se  dirige  comme  s'il  était  intact  et  prend  une 
attitude  menaçante  lorsqu'on  l'inquiète. 

Section  des  nerfs  se  rendant  aux  grands  yeux  médians.  —  Les  Scorpions  se  dirigent 
comme  auparavant;  cependant,  ils  paraissent  se  rendre  très  difficilement  compte  de 
la  présence  des  objets;  il  devient  impossible  de  les  déterminer  à  saisir  une  proie. 

Section  de  la  chaîne  nerveuse  au-dessus  du  premier  ganglion  caudal.  —  L'animal  con- 
tinue à  redresser  la  queue  en  marchant  parce  que  les  grands  muscles  releveurs  du 
post-abdomen  sont  innervés  par  la  dernière  paire  ganglionnaire  intacte  de  l'abdomen 
proprement  dit.  Les  ganglions  de  la  queue,  quoique  isolés  de  la  partie  antérieure  de 
la  chaîne,  conservent  leur  action  propre  pendant  quelque  temps.  Au  bout  d'une  heure, 
elle  est  déjà  affaiblie  et,  après  un  jour,  la  queue,  entièrement  paralysée  au-dessous  de 
la  section,  ne  se  redresse  plus  que  tout  d'une  pièce. 

Section  de  la  partie  caudale  de  la  chaîne  en  divers  points  de  sa  longueur.  —  Si  la  chaîne 
est  divisée  de  façon  que  la  partie  placée  en  arrière  de  la  section  conserve  encore  plu- 
sieurs centres,  l'action  de  ces  derniers  persiste  pendant  plus  ou  moins  longtemps,  et 
s'éteint  d'autant  plus  vite  que  les  ganglions  placés  en  arrière  de  la  section  sont  moins 
nombreux. 

Section  cFun  seul  des  deux  connectifs  longitudinaux  en  différents  points.  —  Toute  la 
portion  du  corps  située  en  arrière  de  la  section  s'incurve  du  côté  intact. 

Ces  expériences  prouvent  que  chez  les  Arachnides,  comme  chez  les  autres  Arthro- 
podes, tout  ganglion  de  la  chaîne  ventrale  est  le  centre  moteur  du  zoonite  auquel  il 
appartient. 

Autotomie  (mutilation  active  ou  mutilation  réflexe).  —  Beaucoup  de  Reptiles, 
d'Insectes,  de  Crustacés,  d'Échinodermes,  etc.,  «  échappent  à  l'ennemi  qui  les  a  saisis  par 
un  membre  ou  par  la  queue,  en  provoquant  activement,  mais  d'une  façon  inconsciente, 
■par  voie  réflexe...,  la  rupture  de  l'extrémité  captive  »  (Léo.\  Fredericq). 

Divers  Arachnides,  Phalangium,  Theridium,  Epcira  et  des  Pycnogonides  [Nymphon) 
nous  offrent  le  même  phénomène.  L'animal  peut  être  maintenu  captif  par  une  ou  plu- 
sieurs pattes  sans  qu'il  les  rompe,  tant  que  les  nerfs  sensibles  de  ces  appendices  ne 
sont  pas  irrités.  Ainsi,  malgré  une  assertion  de  P.  Parize,  l'Araignée,  dont  les  pattes 
sont  prises  dans  de  la  glu,  ne  brise  aucun  de  ses  membres.  Au  contraire,  l'Arthropode 
étant  soulevé  par  le  milieu  d'une  patte  tenue  entre  le  pouce  et  l'index  de  l'expérimen- 
tateur, rompt  celle-ci  à  la  base,  dès  qu'on  sectionne  l'extrémité  de  la  patte  avec  des 
ciseaux.  De  même  que  chez  les  Crustacés,  le  court  moignon  adhérant  ne  saigne  pas 
(Léon  Fredeeicq). 

L'identité  des  faits  extérieurs  observés  permet  de  supposer  que,  comme  chez  les 
Crustacés,  la  rupture  de  la  patte  de  l'Arachnide  résulte  d'une  contraction  réllexe  brus- 
que du  muscle  extenseur  qui  meut  la  base  de  l'organe;  contraction  déterminée  par 
l'irritation  du  nerf  mixte  sensible  du  membre.  Les  centres  nerveux  qui  président  au 
phénomène  seraient,  comme  chez  les  Crustacés,  les  ganglions  de  la  masse  nerveuse 
thoracique. 

La  rupture  autotomique  des  pattes  des  Phalangides  est  accompagnée  d'un  phéno- 
mène accessoire  intéressant  :  on  sait  que,  tandis  que  chez  les  Crabes  et  les  Araignées, 
la  patte  détachée  devient  immédiatement  immobile  en  contraction,  les  parties  amputées 
de  la  patte  du  Faucheur  présentent,  au  contraire,  pendant  quelques  minutes  des  mou- 
vements convulsifs.  Ces  mouvements,  au  moins  chez  le  Phalangium  opilio,  ont  lieu  sous 
l'influence  d'un  petit  centre  spécial  automoteur  représenté  par  un  ganglion  nerveux 
situé  sur  le  nerf  de  la  patte  à  l'origine  de  ses  ramifications  (Gaubert). 

Perceptions  sensorielles.  —  A.  Sens  tactile.  —  Le  toucher  est,  en  général,  extrê- 


ARACHNIDES.  649 

mement  délicat  chez  les  Arachnides.  Ces  animaux  perçoivent  immédiatement  le  plus 
léger  ébranlement  de  l'air,  du  sol  qui  les  porte  ou  de  la  toile  qu'ils  habitent  (Voir  plus 
bas  :  Audition).  Les  organes  servant  d'intermédiaires  sont  des  jxiih  Inclilcs  répandus  à 
profusion,  principalement  sur  les  appendices  (pattes  et  palpes),  et  garnissant  un  plus 
grand  nombre  d'articles  chez  les  Araignées  vagabondes  chasseuses  que  chez  les  espèces 
sédentaires  tissant  des  toiles. 

Chacun  de  ces  poils  (chez  les  Araignées)  est  implanté  dans  une  cupule  saillante 
formée  par  la  cuticule  chitineuse,  et  sous  le  fond  de  laquelle  existe  une  sorte  d'ampoule 
également  cuticulaire  remplie  par  des  éléments  de  la  zone  chitinogène.  Une  fibre  ner- 
veuse traverse  l'ampoule  et  s'engage  dans  l'axe  du  poil  dont  les  plus  petits  déplace- 
ments impressionnent,  par  conséquent,  le  système  nerveux.  La  tige  du  poil  tactile  peut 
offrir  des  formes  diverses,  être  cylindrique,  en  massue,  etc.  (W.  Wagner). 

Les  fentes  et  les  organes  lyriformes  dont  il  sera  question  ci-après  (Sens  thermique) 
ne  sont  peut-être  autre  chose  que  des  organes  du  toucher. 

Chez  les  Scorpions,  les  peignes  qui  garnissent  la  face  inférieure  de  l'abdomen  en 
arrière  de  la  quatrième  paire  de  pattes  font,  avec  les  pinces,  fonction  d'organes  explo- 
rateurs pendant  la  marche  et  jouent  le  rôle  d'organes  excitateurs  lors  de  l'accouple- 
ment (Ch.  Brononfaet  et  Gaubert).  Ils  sont  garnis  de  poils  tactiles  occupant  l'extrémité 
et  le  bord  interne  des  dents.  Enfin,  la  structure  histologique  des  raquettes  coxales 
portées  par  les  articles  de  la  base  des  pattes  de  dernière  paire  chez  les  Galéodes  permet 
de  supposer  qu'il  s'agit  encore  d'organes  du  toucher  (Gaubert).  En  résumé,  la  sensibilité 
tactile  des  Arachnides  est  telle  qu'un  bon  nombre  des  faits  cités  à  tort  comme  démon- 
trant la  vision,  l'audition,  etc.,  s'expliquent  par  la  perception  d'ébranlements  mécaniques. 
.  B.  Sens  thermique.  —  Les  Arachnides  sont  très  sensibles  aux  différences  de  tempéra- 
ture. Ainsi  Boys,  qui  employait  des  diapasons  dans  ses  expériences  sur  l'ouïe  (voir  plus 
loin  :  Audition},  yit  des  Araignées  fuir  épouvantées  quand  on  en  approchait  un  diapason 
chauffé,  mais  dont  la  température  permettait  cependant  de  le  tenir  à  la  main. 

Bien  que  ses  essais  soient  insuffisants,  Gaubert  place  le  sens  thermique  des  Arach- 
nides dans  les  fentes  et  les  organes  lyriformes.  Ce  sont  des  fentes  verticales  profondes 
-intéressant  presque  toute  l'épaisseur  de  la  cuticule  chitineuse,  sauf  la  couche  superfi- 
cielle qui  joue  le  rôle  de  membrane  protectrice  :  une  cellule  neuro-épithéliale  résul- 
tant d'une  modification  locale  de  la  couche  chitinogène  est  logée  dans  chacune  de  ces 
fentes.  Ces  productions  peuvent  se  rencontrer  isolées,  par  e.xernple  à  la  face  inférieure 
du  céphalothorax  des  Araignées;  mais,  le  plus  souvent,  les  fentes  sont  groupées  l'une 
près  de  l'autre,  en  nombre  plus  ou  moins  considérable,  chaque  petit  groupe  constituant 
alors  ce  que  l'on, a  appelé  un  organe  lyriforme.  On  trouve  généralement  les  organes 
lyriformes  sur  les  appendices  (pattes  et  palpes).  Ils  ont  été  observés  chez  les  Aranâides, 
les  Phrynes,  les  Thelyphoncs,  les  Phalangides  et  les  Chernétidcs.  Ils  manquent  chez  les 
Galéodes,  les  Scorpions  et  les  Acariens  (Gaubert). 

Gaubert  s'appuie  sur,  les  expériences  suivantes  :  il  enduit  d'une  légère  couche  de 
vernis  les  organes  lyriformes  de  plusieurs  Lycoses  ou  Tégénaires,  puis  il  met  ces  indi- 
vidus en  compagnie  d'autres  intacts,  dans  un  grand  bocal  posé  horizontalement  et 
renfermant,  vers  une  de  ses  extrémités,  des  objets  pouvant  servir  d'abri  aux  Araignées. 
Il  chauffe  ensuite  cette  région  du  bocal  en  la  plaçant  dans  l'eau  chaude.  Quand  la  tem- 
pérature commence  à  s'élever,  les  Araignées  n'ayant  subi  aucune  préparation  fuient 
vers  les  parties  plus  froides.  Celles  qui  ont  les  organes  lyriformes  vernis  ne  quittent 
leur  retraite  que  plus  tard,  lorsque  la  température  est  plus  élevée  (aucune  indication 
thermométrique).  L'auteur  fait  remarquer  que  la  couche  de  chitine,  épaisse  sur  tout 
le  reste  du  corps,  devient  fort  mince  dans  les  organes  lyriformes,  les  terminaisons 
nerveuses  y  étant  presque  en  contact  avec  l'extérieur. 

C.  Vision.  —  Un  certain  nombre  d'Arachnides  cavernicoles  ou  habitant  des  endroits 
obscurs  offrent  une  atrophie  partielle  des  organes  visuels.  Chez  d'autres  également, 
souterrains,  les  yeux  manquen,t  totalement;  tels  sont,  par  exemple,  parmi  les  Aranéides, 
les  Stalita  et  les  Haditcs  de  \à  Dalmatie  et  de  la  Carniole;  parmi  les  Pédipalpes,  les 
Nyctalops  de  Ceylan.  Les  Acariens  parasites  sont  aussi  généralement  aveugles. 

Chez  les  Arachnides  pourvus  d'yeux,  ces  organes  appartiennent  toujours  au  type 
auquel  on  a  donné  les  noms  à'Oeelles  et  d'Yeux  simples. 


650  ARACHNIDES. 

Les  nombreuses  expériences  effectuées  surtout  par  F.  Plateau  l'ont  amené  à  for- 
muler les  conclusions  suivantes  : 

Aranéides.  —  Les  Aranéides,  en  général,  perçoivent  à  distance  les  déplacements  des 
corps  volumineux.  Les  Araignées  chasseuses  {Attes,  Lycoses)  sont  probablement  les 
seules  qui  voient  les  mouvements  de  petits  objets;  elles  perçoivent  ces  mouvements  à 
une  distance  qui  oscille,  suivant  les  espèces,  entre  2  et  12  centimètres;  la  distance  à 
laquelle  la  proie  est  vue  assez  bien  pour  que  la  capture  en  soit  tentée  n'est  que  de  1  à 
2  centimètres;  même  à  cette  faible  distance  la  vision  n'est  pas  nette,  puisque  les  Arai- 
gnées chasseuses  commettent  de  nombreuses  erreurs,  capturant  de  grossiers  simulacres 
d'Insectes  figurés  par  des  fragments  de  plume,  des  boulettes  de  cire,  etc. 

Quand  aux  Araignées  tendant  des  toiles,  elles  ont  une  vue  détestable  à  toutes  les 
distances.  Elles  ne  constatent  la  présence  et  la  direction  de  la  proie  qu'aux  vibrations 
de  leur  filet  et  cherchent  à  prendre  de  petits  objets  tout  autres  que  des  Insectes,  dès 
que  la  présence  de  ces  objets  détermine  dans  le  réseau  des  secousses  analogues  à 
celles  que  produiraient  les  mouvements  d'Arthropodes  ailés. 

Scorpionides.  —  Des  observations  de  Ray  Lankester  sur  l'Androctonus  funcstus  et 
ÏEuscorjjius  italicus,  de  F.  Plateau  sur  le  Buthus  eiiropœus,  de  Pocock  sur  les  Parahu- 
ihiis  capcnsis  et  Euscorpius  carpathicus,  il  résulte  que  la  vue  des  Scorpions  est  très  mau- 
vaise; que  la  distance  de  vision  distincte  ne  dépasse  pas  1  centimètre  pour  les  yeux 
médians  du  Buthus  europœus,  et  2  1/2  centimètres  pour  les  yeux  latéraux  de  la  même 
espèce;  que  ces  animaux  ne  chassent  pas,  mais,  ou  bien  qu'ils  errent  au  hasard  jusqu'à 
ce  qu'une  proie  soit  à  leur  portée,  ou  bien  qu'ils  attendent  dans  leur  retraite  les  Arti- 
culés imprudents  qui  s'y  glissent;  que  ce  sont  leurs  pinces  et  non  leurs  yeux  qui  les 
avertissent  d'obstacles  placés  sur  leur  route  ;  enfin  que,  lorsqu'ils  ont  capturé  un  Insecte, 
c'est  surtout  par  le  toucher  qu'ils  jugent  de  l'endroit  où  doit  être  enfoncé  l'aiguillon. 

Phalangides.  —  Les  ctpériences  et  observations  de  F.  Plateau  conduisent  à  des 
résultats  analogues  à  ceux  fournis  par  les  Araignées  tissant  des  toiles.  La  vue  est  fort 
mauvaise,  et  il  semble  n'y  avoir  de  vision  distincte  à  aucune  distance.  Ces  Arthropodes 
compensent  l'insuffisance  du  sens  visuel  en  utilisant  la  sensibilité  tactile  exquise  de 
leurs  membres,  et  surtout  en  employant  comme  organes  explorateurs  les  longues  pattes 
de  la  seconde  paire  qui  jouent  à  peu  près  le  rôle  des  antennes  des  Myriopodes. 

D.  Perception  des  couleurs.  —  L'impossibilité  pratique  de  donner  à  deux  éclairages 
de  couleurs  dilférentes  la  même  intensité  absolue  rend  illusoires  toutes  les  expériences 
faites  pour  constater  si  les  animaux  autres  que  les  Vertébrés  perçoivent  les  couleurs. 
G.  et  E.  Peckhasi,  expérimentant  sur  des  Araignées  coureuses  du  genre  Lycose  placées 
dans  une  longue  boite  éclairée  par  une  série  de  vitres  vertes,  jaunes,  rouges  et  bleues 
rangées  à  la  suite  les  unes  des  autres  et  interchaugeables,  ont  vu  que  les  individus 
étudiés  allaient  se  placer  de  préférence  dans  la  région  rouge.  Cela  ne  j^'ouvc  pas  "du 
tout  la  distinction  des  coideui-s,  étant  donné  qu'on  sait,  depuis  les  recherches  de  Graber, 
que  les  animaux  leucophiles  soumis  à  des  lumières  colorées  choisissent  toujours  celle 
qui  correspond  aux  rayons  les  plus  réfrangibles;  que  ceux  qui  sont  leucophobes 
recherchent  constamment  les  rayons  de  moindre  réfrangibilitè,  le  rouge  leur  pro- 
duisant l'effet  de  l'obscurité. 

E.  Audition.  —  Par  suite  de  la  déplorable  tendance  des  zoologistes  à  accorder  aux 
Invertébrés  toutes  les  propriétés  des  Vertébrés  supérieurs  et  à  attribuer  gratuitement 
des  fonctions  à  des  organes  en  se  basant  sur  de  simples  analogies  morphologiques, 
on  a  admis  chez  les  Arachnides  l'existence  de  perceptions  auditives  et  considéré  succes- 
sivement des  organes  très  différents  comme  siège  de  ces  perceptions. 

Pour  Dahl,  les  organes  auditifs  des  Arachnides  sont  des  poils  sensitifs  qui  ne  sont 
évidemment  que  des  poils  tactiles;  pour  Bertkau,  Schimrewitsch,  Wagner,  les  organes 
de  l'audition  sont  les  fentes  et  les  organes  lyriformes  dont  nous  avons  parlé  (Voyez 
plus  haut  :  Sens  tactiles  et  Sens  thermique).  Ceci  rappelé,  disons  que  tous  ceux  qui  ont 
cru  observer  des  phénomènes  d'audition  chez  les  Arachnides  ont  été  trompés  par  des 
manifestations  résultant  de  la  grande  sensibilité  tactile  des  animaux  en  question. 

Les  expériences  proprement  dites,  effectuées  sur  les  Araignées,  sont  d'abord  celles 
de  Dahl  sur  une  Araignée  chasseuse,  l'Attus  arcuatus ;  elles  consistaient  à  produire  un 
bruit  bref  et  fort  en  frappant  le  plat  d'un  livre  à  l'aide  d'une  baguette  (des  précautions 


ARACHNIDES.  (iol 

étaient  prises  pour  que  l'Araignée  ne  put  voir  les  mouvements).  Presque  à  chaque 
coup,  l'Atte  réagissait,  soit  en  s'arrèlant  dans  sa  marche,  soit  en  effectuant  un  petit 
Baut.  Viennent  ensuite  les  expériences  de  Boys,  puis  de  G.  et  E.  Peckham  qui,  tous 
trois,  utilisèrent  des  diapasons.  Remarquez  que  ces  expériences  ne  donnèrent  quelque 
chose  qu'avec  les  araignées  tissant  des  toiles  et  placées  sur  leur  réseau.  Boys  constata  : 
1°  que  dès  qu'un  diapason  en  vibration  touche  un  des  fils  de  la  toile  ou  seulement  l'un 
des  rameaux  auxquels  celle-ci  est  fixée,  l'Araignée  trompée  par  les  trépidations  ressem- 
blant à  celles  que  produit  un  insecte  qui  se  débat,  suit  le  fil  secoué  et  se  précipite  vers 
le  diapason;  2"  que,  si  le  diapason  vibrant  est  simplement  approché  sans  toucher  la 
toile,  les  grosses  Épeires,  averties  évidemment  par  les  mouvements  de  l'air  analogues 
au  souflle  amené  par  les  battements  rapides  des  ailes  d'une  Guêpe  ou  d'une  Abeille, 
mouvements  qui  font,  encore  une  fois,  vibrer  la  toile,  prennent  une  attitude  défensive, 
tandis  que  les  petites  Araignées,  cherchant  leur  salut  dans  la  fuite,  se  laissent  immé- 
diatement tomber. 

Les  essais  de  G.  et  E.  Peckham,  plus  complets,  donnèrent  les  mêmes  résultats. 
Chose  très  importante  à  retenir,  ces  derniers  expérimentateurs  n'obtinrent  rien  chez 
les  Araignées  chasseuses,  Lycoses,  Dolomèdes,  etc.,  qui  ne  tissent  pas  de  toile;  le  dia- 
pason les  laisse  absolument  indifférentes.  La  chute  ou  la  descente  le  long  d'un  fil 
d'Araignées  tisseuses  dont  le  réseau  est  mis  en  vibration  par  le  voisinage  d'un  instru- 
ment de  musique  quelconque  explique  très  bien  la  plupart  des  anecdotes  inutiles  à 
répéter  que  l'on  recopie  dans  tous  les  livres  pour  prouver  la  soi-disant  audition  des 
Aranéides. 

Des  essais  sur  l'audition  chez  les  Scorpions  ont  été  tentés  par  Ant.  Dugès,  Ray 
Lankester  et  Pococr.  Les  deux  derniers  n'ont  réussi  à  constater  aucune  perception  audi- 
tive. Les  anciennes  expériences  de  Dugès  (1838)  sont  encore  plus  décisives  :  ni  le  son 
d'une  montre  à  répétition  approchée  très  près  d'un  Scorpion  d'Europe,  ni  le  sifflement 
le  plus  aigu  n'agitaient  l'animal;  mais  le  moindre  frottement  du  doigt  sur  le  sol  le 
faisait  tressaillir;  de  même  une  vive  secousse  de  tous  ses  membres  témoignait  de  sa 
sensibilité  aux  vibrations  de  l'air  quand  on  tendait  brusquement  une  feuille  de  papier  à 
distance,  et  même  derrière  un  écran.  L'ouïe,  dit  Dugès,  n'est  chez  eux  «  qu'une  dépen- 
dance du  tact  ». 

Comme  conclusion,  citons  cette  appréciation  de  P.  Bonnier  qui  résume  tout  :  <c  JNous 
les  croyons  (les  Araignées),  pour  notre  part,  absolument  sourdes,  presque  aveugles,  mais 
remarquablement  douées  au  point  de  vue  de  ce' qu'on  peut  appeler  te  sens  de  la  trépi- 
dation, sens  qui  suffit  aux  besoins  de  la  grande  majorité  des  animaux...  » 

F.  Odorat.  —  La  perception  de  la  présence  de  matières  volatiles  affectant  notre 
propre  muqueuse  olfactive  est  incontestable  chez  la  plupart  des  Araignées,  mais  nous 
ne  pouvons  pas  en  conclure  qu'il  existe  chez  ces  animaux  un  véritable  sens  de  l'odorat. 

Dahl  avait  constaté  cette  perception  chez  une  Epeire  et  une  Erygone  en  observant 
les  manifestations  extérieures  de  l'animal  lorsqu'on  en  approchait  un  pinceau  imbibé 
d'un  liquide  odorant.  Ses  résultats,  que  confirment  mes  observations  personnelles  sur 
une  Amaurobie,  montrent  que  la  sensibilité  aux  vapeurs  odorantes  est  faible,  que  la  per- 
ception est  lente  (exigeant  toujours  plusieurs  secondes),  enfin  que  la  nature  de  cette 
perception  n'est  pas  la  même  que  chez  l'homme,  l'ammoniaque,  par  exemple,  pro- 
duisant fort  peu  d'effet,  parfois  rien. 

Dahl  ayant  employé,  outre  l'essence  de  girolle,  l'essence  de  térébenthine  et  une 
solution  d'ammoniaque,  substances  que  les  Araignées,  à  l'état  de  nature,  n'ont  guère 
occasion  de  sentir,  ses  essais  soulevèrent  des  objections  multiples  qu'essayèrent  d'éviter 
■  G.  et  E.  Peckham  en  n'employant  que  des  matières  odorantes  végétales  analogues  à  celles 
que  produisent  les  fleurs.  Ces  habiles  observateurs  firent  plus  de  deux  cents  expériences 
portant  sur  vingt-sept  espèces  d'Araignées.  Leur  procédé  consiste  à  approcher  de  l'Arach- 
nide, tantôt  ostensiblement,  tantôt  sans  que  l'animal  puisse  voir  le  mouvement,  un  chaume 
de  graminée  d'abord  sec  et  propre,  ensuite  trempé  dans  l'un  des  liquides  suivants  : 
essence  de  menthe,  de  lavande,  de  cèdre,  de  girofle,  eau  de  Cologne.  Trois  espèces 
seulement,  une  Argyrœpeira,  une  Dolomède  et  un  Ho'pyUus,  ne  manifestèrent  jamais 
rien;  pour  toutes  les  vingt-quatre  autres  espèces,  il  était  évident  que  l'articulé  percevait 
quelque  chose.  Suivant  les  individus  et  la  nature  de  la  substance,  les  Araignées  mani- 


652  ARACHNIDES. 

festaient  la  perception,  soit  par  divers  mouvements  des  pattes,  des  palpes  et  de  l'abdo- 
men, soit  en  secouant  leur  toile,  soit  en  entourant  le  bout  de  la  baguette  de  fil,  comme 
s'il  s'était  agi  d'un  Insecte  capturé,  soit  enfin,  dans  le  cas  spécial  des  Altes,  en  s'appro- 
chant  avec  les  premières  pattes  et  les  palpes  dressés. 

Exisle-t-il  un  organe  particulier  qui  soit  le  siège  de  cette  perception  des  substances 
volatiles?  On  l'ignore  absolument.  Dahl  a  bien  décrit  sur  la  mâchoire  (organe  de  man- 
ducation  servant  de  support  au  palpe)  un  prétendu  organe  olfactif;  mais  il  est  même 
douteux  que  ce  soit  un  organe  sensoriel  (Vogt  et  Yung). 

La  sensibilité  des  Scorpions  aux  substances  odorantes  paraît  très  faible.  Ainsi,  j'ai 
constaté,  à  l'aide  d'une  baguette  de  verre  mouillée  de  divers  liquides,  que  le  Buthu» 
europœus  ne  perçoit  la  présence  ni  de  l'essence  de  térébenthine,  ni  de  l'éther,  ni  du 
chloroforme;  l'acide  phénique  seul  amenait  des  signes  de  répulsion.  Emile  Blanchard, 
opérant  autrefois  sur  la  même  espèce,  était  arrivé  aussi  à  cette  conclusion  que  la  per- 
ception est  généralement  nulle,  et  que  le  Scorpion  ne  manifeste  quelque  chose  que 
lorsque  des  substances  irritantes  affectent  ses  organes  respiratoires. 

G.  Goût.  —  Il  est  fort  probable  que  les  Arachnides  possèdent,  à  l'entrée  des  voies 
digestives,  un  ou  des  oiganes  leur  permettant  de  choisir  entre  les  aliments;  mais 
aucune  recherche  sérieuse  n'a  été  faite  à  cet  égard  et  l'on  ne  doit  pas  se  dissimuler  que 
les  expériences  où  il  faudra  éviter  les  erreurs  provenant  d'un  odorat  possible  seront 
fort  délicates. 

JV.  B.  —  Pour  tout  ce  qui  concerne  les  prétendues  facultés  mentales  des  Arachnides, 
le  physiologiste  aura  présent  à  la  mémoire  ceci,  que  la  plupart  des  actes  exécutés  par 
les  Arthropodes  sont  ou  des  actes  réflexes  ou  des  actes  instinctifs.  L'instinct  étant, 
d'après  la  définition  très  exacte  de  H.  Fol,  le  désir  ou  le  besoin  impérieux  que  ressent  un 
animal  d'effectuer  des  actes  dont  il  est  incapable  de  comprendre  la  signification.  Ce  principe 
général  mettra  le  lecteur  en  garde  contre  les  idées  souvent  exposées  dans  les  ouvrages 
de  vulgarisation. 

Alimentation.  — A  l'exception  d'une  partie  des  Acariens,  parasites  sur  des  végétaux, 
et  de  quelques  formes  vivant  au  milieu  de  substances  organiques  en  décomposition,  les 
Arachnides  se  nourrissent  tous  de  matières  animales  vivantes.  Les  uns,  comme  les 
Aranéides,  les  Phrj'iies,  beaucoup  d'Acariens,  les  Linguatules,  semblent  n'absorber  jamais 
que  des  corps  liquides  (les  parties  liquides  de  la  proie  ou,  spécialement  dans  le  cas  des 
Aranéides,  les  tissus  de  la  proie  liquéfiés  par  l'action  d'un  liquide  digestif  sécrété  par 
les  glandes  buccales,  glande  du  rostre,  glande  labiale)  (Bertkau)  ;  d'autres,  qui  sont  les 
Scorpions,  les  Thélyphones,  les  Phalangides  et  les  Tardigrades  avalent  réellement  une 
partie  de  leur  capture  constituée  par  les  portions  les  plus  molles  et  ne  rejettent  que 
les  portions  trop  dures.  Enfin,  la  manière  dont  la  nourriture  est  absorbée  par  certaines 
larves  parasites  d'Acariens  est  fort  remarquable  :  suivant  S.  Jourdain,  leur  rostre  se 
prolonge  au  milieu  des  tissus  de  leur  hôte  en  une  trompe  irrégulièrement  ramifiée, 
terminée  par  des  ventouses  multiples,  dont  le  rôle  serait  analogue  à  celui  des  tubes  ou 
stomatorhizes  des  Sacculines  parasites  des  Crabes. 

Nous  ne  parlerons  pas  ici  des  procédés  divers  employés  par  les  Araignées  pour  se 
procurer  du  gibier,  ce  sujet  n'étant  guère  du  domaine  de  la  physiologie;  mais  nous  de- 
vons ajouter  un  mot  quant  à  la  fonction  faussenlent  attribuée  à  certaines  pièces  buccales. 

Rôle  des  palpes.  —  D'après  les  arachnéologues,  les  Araignées  utiliseraient  leurs 
palpes  dans  la  capture  et  la  fixation  des  insectes  et,  peut-être,  dans  la  construction  de 
leurs  toiles.  Or,  de  nombreuses  expériences  longuement  prolongées,  sur  des  Tégénaires, 
des  Amaurobies,  des  Agelènes,  des  Épeires  et  des  Meta,  prouvent  que  les  Araignées,  pri- 
vées de  leurs  palpes,  tissent  des  toiles  normales,  prennent  les  Insectes  et  les  sucent,  abso- 
lument comme  des  Araignées  intactes  (F.  Plateau). 

Digestion.  —  Comme  dans  le  règne  animal  entier,  la  transformation  chimique  des 
aliments  s'opère  sous  l'action  de  trois  catégories  de  ferments  solubles  contenus  dans  des 
liquides  sécrétés  par  des  cellules  épithéliales.  Ce  sont  des  ferments  saccharifiants  ame- 
nant la  transformation  des  féculents  en  sucre  (Glucose),  des  ferments  saponifiants  dédou- 
blant les  corps  gras,  les  émulsionnant  et  les  saponifiant,  enfin  des  ferments  peptonisants 
transformant  les  albumines  en  peptones. 

Chez  les  A'ertébrés,  la  digestion  arrivée  à  son  dernier  degré  de  complication  est  frac- 


ARACHNIDES.  (io3 

tionnée  en  une  série  d'opérations  distinctes,  se  passant  chacune  dans  un  compartiment 
spécial  du  tube  digestif.  Cette  subdivision  du  travail  n'existant  pas  au  même  degré  cbez 
les  Arthropodes,  les  dénominations  d'estomac,  intestin  grêle,  gros  intestin,  etc.,  par  les- 
quelles, malgré  les  physiologiUes,  on  continue  à  désigner  arbitrairement  les  portions 
successives  du  canal  alimentaire  des  Articulés  n'ont  aucune  raison  d'être. 
On  observe,  chez  les  Arachnides  : 

A.  Un  intestin  buccal  ou  antérieur  [Stomodœum)  caractérisé  par  la  présence  d'un  revê- 
tement interne  chitineux  donnant  souvent  lieu  à  des  crêtes,  des  gouttières,  des  plaques 
de  formes  diverses;  il  se  compose  :  l"  de  la  bouche;  2°  d'ur.  sac  pharj'ngien  à  structure 
très  variable,  situé  en  avant  de  l'anneau  nerveux,  fonctionnant  [comme  organe  de  suc- 
cion, sauf  chez  les  Aranéides,  et  dont  les  parois  sont  mues  par  des  muscles  souvent  très 
nombreux  (Mag-Leod)  ;  3°  d'un  tube  d'accès  auquel  on  peut  conserver  le  nom  d'œsophage, 
se  terminant  exceptionnellement,  chez  les  Araignées  seules,  en  arrière  de  l'anneau 
nerveux,  par  une  portion  plus  ou  moins  dilatée,  garnie  de  plaques  de  chitine  mises 
en  mouvement  par  des  muscles  spéciaux  (estomac  suceur  des  auteurs).  Cette  partie  de 
l'intestin  antérieur  des  Aranéides  sans  homologue  chez  les  autres  Arachnides,  sert  à 
pomper  les  aliments  liquides;  rôle  rempli  ailleurs  par  le  sac  pharyngien. 

Des  glandes  s'ouvrant  dans  la  bouche,  ou  à  la  base  de  pièces  buccales,  ou  même  dans 
le  sac  pharyngien,  ont  été  décrites  chez  plusieurs  types;  leurs  fonctions  sont  incon- 
nues, et  la  dénomination  de  glandes  salivaires  qu'on  leur  donne  souvent  est  peut-être 
tout  à  fait  erronée. 

B.  Un  inteatln  moyen  [mesenteron),  dépourvu  du  revêtement  chitineux  interne,  siège 
réel  de  la  digestion,  et  comprenant  en  général  deux  régions  successives  (fusionnées  en 
une  seule  chez  les  Phalangides).  Chez  les  formes  nombreuses,  Aranéides,  Thélyphones, 
Phrynes,  Galéodes,  Scorpions,  où  les  deux  régions  sont  bien  distinctes,  la  première  ou 
antérieure  se  trouve  dans  le  céphalothorax,  la  seconde  occupe  une  grande  partie  de 
l'abdomen.  Chacune  est  munie  d'un  groupe  important  de  diverticules  spacieux,  simples 
ou  divisés,  et  dont  l'épitliélium  est  manifestement  sécrétoire.  Il  existe  donc  un  groupe 
de  diverticules  céphalothoraciques  et  un  groupe  de  diverticules  abdominaux. 

Les  diverticules  céphalothoraciques  offrent  souvent  l'aspect  de  cœcums  glandulaires 
rayonnant  vers  les  bases  des  pattes.  Leur  fonction  est  obscure.  Lei  recherches  faites  chez 
les  Aranéides  sur  la  nature  du  liquide  sécrété  et  sur  la  pénétration  possible  de  matières 
en  digestion  dans  les  cœcums  n'ont  pas  abouti  (F.  Plateau). 

Le  rôle  des  diverticules  du  second  groupe  ou  groupe  abdominal  est,  au  contraire,  en 
grande  partie  connu.  Nous  avons  donc  à  nous  en  occuper  plus  longuement.  Le  groupe 
des  diverticules  abdominaux  est  constitué  par  une  série  de  tubes  débouchant  dans  l'in- 
testin moyen  dont  ils  sont,  on  ne  saurait  trop  le  répéter,  de  véritables  branches,  compa- 
rables aux  cœcums  multiple  du  tube  digestif  des  vers  trématodes,  des  hirudinées,  etc. 
—  Ce  système  peut  offrir  des  degrés  divers  de  complication.  Ainsi  chez  les  Phalangides 
on  observe,  de  chaque  côté,  quinze  énormes  cœcums  simples  remplissant  presque  toute 
la  cavité  abdominale;  chez  certains  Acariens,  comme  Argas,  par  exemple,  les  diverticules 
aifectent  à  droite  et  à  gauche  la  forme  de  deux  poches  divisées  en  leur  fond  en  digita- 
tions  obtuses;  chez  les  Galéodes,  les  cœcums  proportionnellement  plus  petits  et  innom- 
brables ont  leurs  extrémités  périphériques  multifides,  l'abdomen  semblant  ainsi  rempli 
par  une  glande  tubuleuse  composée;  enfin,  chez  les  Aranéides,  les  Phrynes,  les  Thély- 
phones et  les  Scoi'pions,  les  diverticules  abdominaux  pj-JncipaMa:,  au  nombre  de  deux,  de 
quatre  ou  de  cinq  de  chaque  côté,  quelquefois  accompagnés  de  diverticules  impairs,  se 
subdivisent  d'une  façon  plus  ou  moins  arborescente  pour  se  terminer  par  des  follicules 
OQflCHiJ  groupés  en  petits  lobes  et  réunis  entre  eux  par  du  tissu  conjonctif,  le  tout  pré- 
sentant l'aspect  d'une  glande  volumineuse  désignée  sous  le  nom  de  foie  par  beaucoup 
de  naturalistes,  qui  oublient  qu'un  foie  véritable,  caractérisé  par  une  sécrétion  biliaire, 
n'existe  que  chez  les  Vertébrés. 

On  sait  aujourd'hui,  surtout  par  les  recherches  effectuées  par  F.  Plateau  sur  les  Pha- 
langides, par  Plateau  et  par  Bertkau  sur  les  Aranéides,  que  les  diverticules  abdominaux 
fonctionnent:  1°  d'une  façon  certaine  comme  glandes  digestives;  2°  avec  beaucoup  de 
probabilité  comme  organes  de  résorption.  Enfln,  à  ces  deux  propriétés,  il  faudra  pro- 
bablement en  ajouter  une  troisième,  l'excrétion. 


654  ARACHNIDES. 

Bertkau  a  constaté  que  l'épithélium  qui  tapisse  l'intérieur  des  follicules  terminaux 
du  prétendu  foie  des  Araignées  se  compose  de  cellules  de  deux  espèces  différentes,  fait 
qui,  on  le  verra  plus  loin,  a  probablement  une  grande  importance.  11  y  décrit  de  petites 
cellules  oviformes  en  contact  direct  avec  la  tunique  propre  et  dont  le  contenu  est  con- 
stitué presque  exelusivement  par  des  spbérules  homogènes  à  peu  près  incolores,  puis  de 
grandes  cellules  claviformes  dont  les  bases  étroites  s'insinuent  entre  les  petites  cellules 
et  dont  les  extrémités  libres  renflées  font  saillie  dans  le  follicule.  Ces  grandes  cellules 
contiennent,  outre  leur  protoplasme  incolore,  des  globules  ou  granules  très  Ans  dans  la 
base  effilée,  de  nombreuses  sphérules  graisseuses  dans  la  partie  large  et,  entre  tout 
cela,  de  microscopiques  cristaux  prismatiques.  Ce  sont  les  seules  cellules  pigmentées; 
le  pigment  jaune,  vert,  brun  ou  rougeâtre  qui  détermine  la  coloration  dominante  de  l'ab- 
domen existe  à  l'état  diiïus  dans  la  grosse  extrémité. 

Le  liquide  sécrété  où  l'on  retrouve  les  granulations  fines,  les  globules  graisseux  et  la 
substance  colorante  des  cellules  claviformes  des  Araignées  est  neutre  ou  très  légère- 
ment acide.  A  la  température  ordinaire  de  l'été,  il  dissout  activement  les  substances  albu- 
minoïdes,  muscles  d'articulés,  fibrine  fraîche  ou  albumine  cuite,  en  donnant  lieu  à  de  la 
peptone,  le  pouvoir  peptonisant  augmentant  par  l'addition  de  substances  alcalines  telles 
que  le  carbonate  de  sodium;  il  émulsionne  très  bien  les  graisses  et  presque  instantané- 
ment les  graisses  liquides  comme  l'huile  d'olive;  eniin,  suivant  Plateau,  il  a,  chez  les 
Araignées,  une  action  nette  sur  les  féculents  qu'il  transformerait  partiellement  en  sucre. 
Cette  dernière  propriété  n'a  pas  été  confirmée  par  Beetkad. 

L'organe  glandulaire  abdominal  dont  nous  parlons  contient  une  faible  quantité  de 
glycogène  observée  chez  le  Scorpion  par  E.  Blanchard,  chez  les  Phalangides  et  les  Ara- 
néidespar  F.  Plateau;  mais  le  liquide  qu'il  produit  n'a  aucune  des  propriétés  physiologi- 
ques de  la  bile,  ni  aucune  de  ses  réactions  colorées.  Cette  absence  de  caractères  hépatiques 
et  l'analogie  des  propriétés  du  liquide  sécrété  avec  le  suc  pancréatique  des  Vertébrés, 
démontrent,  sans  contestation  possible,  qu'il  faut  cesser  de  parler  du  foie  des  Arach- 
nides. (Nous  exposerons  plus  loin  ce  qui  concerne  la  résorption  et  l'excrétion.) 

C.  Intestin  terminal  {proctodœum.) . —  11  s'étend  de  l'intestin  moyen  à  l'anus;  il  est  ordi- 
nairement assez  court,  excepté  chez  les  Scorpions,  peut  se  renfler  et,  chez  les  Aranéides, 
est  accompagné  d'une  énorme  poche  stercorale,  ovoïde  ou  piriforme  reposant  dorsa- 
lement  sur  les  dernières  parties  du  canal.  Aucun  travail  digestif  ne  s'y  effectue,  et,  comme 
l'intestin  reçoit,  chez  presque  tous  les  Arachnides,  les  produits  de  sécrétion  des  tubes  de 
Malpighi.  le  contenu  se  compose  de  substances  ayant  deux  origines  différentes,  résidus  de 
la  digestion  ou  excréments  et  produits  de  désassimilation. 

Excréments.  —  Des  excréments  nettement  distincts  des  produits  urinaires  n'ont  été 
observés  que  chez  les  Phalangides  et  les  Aranéides.  Ce  sont  des  corps  plus  ou  moins  volu- 
mineux (variant  entre  un  demi  millim.  et  un  millini.  et  demi  de  longueur,  chez  nos  formes 
indigènes)  elliptiques  allongés,  composés  :  1°  d'un  contenu  noirâtre  ou  brunâtre  consti- 
tué par  de  fins  granules  auxquels  s'ajoutent  (Phalangides)  des  grains  de  sable,  des  cris- 
taux microscopiques  et  des  débris  chitineux  d'insectes  avalés,  au  bien  des  globules  grais- 
seux analogues  à  ceux  des  cellules  des  diveiticules  de  la  glande  abdominale  dont  ils 
proviennent  évidemment;  2°  d'une  enveloppe  membraneuse  translucide,  insoluble  dans 
l'eau,  l'acide  acétique  et  résistant  plus  ou  moins  longtemps  à  la  soude  caustique  (F.  Pla- 
teau). 

Ainsi  que  chez  les  Myriopodes  chilopodes,  c'est-à-dire  carnassiers,  l'enveloppe  qui 
entoure  chaque  masse  excrémentitielle  se  dépose  autour  de  celle-ci,  non  dans  l'intestin 
terminal,  mais  bien  dans  l'intestin  moyen,  comme  le  prouvent  des  observations  directes, 
oii  l'on  a  assisté  en  quelque  sorte  à  sa  formation,  et  l'absence  dans  le  contenu  des  produits 
urinaires  que  l'intestin  terminal  renferme  toujours  en  quantité.  —  Ajoutons  que  ce  sont 
ces  excréments  foncés  et  solides,  rencontrés  en  grand  nombre  dans  le  liquide  blanc  rem- 
plissant la  poche  stercorale  des  Araignées,  qui  ont  fait  croire  à  quelques  naturalistes 
que  ces  animaux  avalaient  réellement  des  débris  solides  d'Insectes   (Plateau). 

Résorption.  —  La  façon  dont  s'opère  la  résorption  chez  les  Arthropodes  a  été  long- 
temps un  problème,  aujourd'hui  en  voie  de  solution,  pour  les  Crustacés  et  les  Arachnides, 
c'est-à-dire  pour  les  formes  chez  lesquelles  l'intestin  moyen  se  prolonge  dans  les  nom- 
breux diverticules  digestifs  dont  l'ensemble  est  faussement  appelé  foie.  C.   de  Saint- 


ARACHNIDES.  655 

HiLAiRE  (1892)  et  'L.  Coenot  (1893)  ont  constaté,  en  efTet,  que  si  l'on  fait  manger  à  une 
Écrevisse  de  la  viande  mélangée  de  substances  colorantes,  les  coicums  de  la  glande 
digestive  se  remplissent  d'un  liquide  renfermant  en  dissolution  les  couleurs  employées. 
D'après Cdenot,  il  n'y  a  pénétration  que  des  portions  liquides  résultant  de  la  digestion; 
les  matières  non  digérées  continuent  au  contraire  leur  route  dans  l'intestin.  Presque 
toutes  les  couleurs  employées  sont  arrêtées  au  passage  et  ne  franchissent  pas  la  paroi 
épithéliale  qui  exerce  une  sélection,  possède  une  fonction  d'arrêt.  Cependant,  c'est  bien 
à  travers  l'épithélium  des  diverticules  que  passent  dans  le  sang  les  produits  nutritifs 
dont  la  matière  colorante  indique  exactement  le  cbemin,  car  C.  de  SAiNi-HiLAiREa  reconnu 
que  la  vésuvine,  injectée  par  la  voie  intestinale,  est  d'abord  absorbée  par  l'épithélium 
de  la  glande  digestive,  puis  traverse  celui-ci  pour  passer  dans  le  sang  du  Grustacé. 

Des  expériences  nouvelles  et  récentes  manquent  pour  les  Arachnides  ;  toutefois,  il  y  a 
une  quarantaine  d'années,  Emile  Blanchard  a  été  bien  près  de  résoudre  la  question  pour 
les  Scorpions.  Il  a  constaté,  en  nourrissant  ces  animaux  de  Mouches  dans  le  corps  des- 
quelles on  introduisait  de  l'indigo  ou  de  la  garance,  qu'après  plusieurs  jours  de  ce  régime, 
le  sang  était  bleu  ou  rose;  c'est-à-dire,  en  traduisant  suivant  les  vues  actuelles,  que  la 
matière  colorante,  avec  la  partie  liquide  des  produits  digestifs,  avait  pénétré  dans  les 
diverticules  de  la  glande  abdominale,  avait  été  absorbée  par  les  cellules  épithéliales, 
puis  était  passée  dans  les  lacunes  sanguines.  Plus  tard  (1884)  Bertkau  a  démontré 
expérimentalement  que,  chez  les  Araignées,  les  cellules  des  diverticules  absorbent  effec- 
tivement les  substances  colorantes  introduites  par  la  voie  intestinale  :  ayant  réussi  à 
faire  sucer  à  des  Aranéides  de  l'eau  chargée  de  poussière  de  carmin  et  ayant  tué  les 
animaux  six  heures  après,  il  retrouva  une  grande  partie  du  carmin  localisée  dans  l'épi- 
thélium du  pseudo-foie. 

Abstinence. —  La  plupart  des  Arthropodes  peuvent  supporter  pendant  longtemps 
la  privation  de  nourriture  et  vivre  alors  exclusivement  aux  dépens  de  leurs  réserves. 
Les  Aranéides  possèdent  à  un  haut  degré  cette  curieuse  propriété  qui  s'observe  non 
seulement  durant  l'hiver,  mais  aussi  durant  la  belle  saison.  Le  cas  le  plus  curieux  est 
celui  cité  par  Bl-ackwall  d'un  Theridium  quadripunctatum  qui  vécut  sans  manger  un  an 
et  cinq  mois. 

Désassimilation.  —  Les  produits  d'usure  de  l'organisme  des  Arachnides  sont  éli- 
minés par  deux  voies  principales  :  1°  d'une  façon  probable  par  les  diverticules  annexes 
de  l'intestin  moyen  (Glande  digestive  ou  faux-foie);  2°  d'une  manière  certaine  par  les 
tubes  de  Malpighi. 

A.  Excrétion  par  la  glande  digestive.  —  Nous  avons  vu  plus  haut  que  Bertkau  avait 
signalé,  dans  les  diverticules  des  Araignées  la  présence  de  deux  espèces  de  cellules,  diffé- 
rentes. Le  même  fait  capital  s'observe  dans  la  glande  digestive  des  Crustacés  où  l'on 
constate  l'existence  de  cellules  à  vacuoles  graisseuses  et  de  cellules  plus  petites,  les 
Fermentzellen  de  Frenzel.  Enfm,  chez  les  Mollusques  gastropodes  pulraonés,  on  sait, 
d'après  Babfurth,  Yong  et  Frenzel,  que  l'épithélium  de  la  glande  digestive  de  ces  ani- 
maux, outre  des  élémenls  à  granules  calcaires  destinés  à  la  réparation  de  la  coquille, 
comprend  aussi  au  moins  deux  espèces  de  cellules  sécrétoires,  des  cellules  à  vacuoles 
remplies  d'un  liquide  jaune  et  des  cellules  plus  petites  à  granules  jaunes  et  incolores. 

La  méthode  des  injections  physiologiques  a  permis  àCuENOT  de  déterminer  que,  chez 
les  Mollusques  gastéropodes,  les  ferments  digestifs  sont  sécrétés  par  les  petites  cellules, 
tandis  que  les  grandes  cellules  vacuolaires  sont  excrétoires.  En  effet,  lorsqu'on  injecte 
dans  le  coelome  d'un  de  ces  Mollusques  une  matière  colorante  de  la  série  des  couleurs 
d'aniline,  dissoute,  par  exemple,  dans  le  sang  de  l'animal,  les  cellules  des  organes  excré- 
teurs se  colorent,  et  entre  autres  les  cellules  vacuolaires  de  la  glande  digestive.  Les 
petites  cellules  de  cette  glande  restent  incolores,  de  sorte  que  les  matières  en  digestion 
dans  le  sac  stomacal  et  le  liquide  digestif  proprement  dit  ne  contiennent  pas  de  subs- 
tance colorante,  tandis  que  les  produits  d'excrétion  mis  en  liberté,  à  un  moment  ulté- 
rieur, sont  au  contraire  colorés  et  viennent  donner  une  teinte  caractéristique  aux 
excréments  qui  s'accumulent  dans  l'intestin.  C.  de  Saint-Hilaire  opérant  sur  l'Écre- 
visse  a  vu  des  phénomènes  du  même  ordre  :  diverses  matières  colorantes,  par  exemple 
le  bleu  de  méthyle,  injectées  dans  la  cavité  du  corps  de  l'animal,  sont  absorbées  par  cer- 
taines cellules  spéciales  des  acini  de  la  glande  digestive  (les  Fermentzellen  de  Frenzel) 


636  ARACHNIDES. 

avec  des  caractères  tout  autres  que  lorsqu'il  s'agit  d'une  simpk]  teinture.  Ces  matières  colo- 
rantes à  l'état  libre  ou  dans  des  cellules  détachées  passeraient  ensuite  avec  les  produits 
d'excrétion  dans  l'intestin.  De  tout  cela  résulte  que  la  glande  digestive  ou  pseudo-foie 
des  Arachnides  fonctionne  très  probablement  suivant  les  mêmes  lois  et,  comme  celle 
des  Mollusques  gastéropodes  et  des  Crustacés,  est  à  la  fois  un  organe  sécréteur  de  fer- 
ments digestifs,  un  organe  de  résorption  et  un  organe  d'excrétion. 

B.  Excrétion  par  les  tubes  de  Malpighi.  —  Des  tubes  excréteurs  très  analogues,  au 
point  de  vue  fonctionnel,  aux  tubes  de  Malpighi  des  Myriopodes  et  des  Insectes,  mais 
ayant  une  autre  origine  embryonnaire,  s'observent  chez  presque  tous  les  Arachnides  : 
Scorpions,  Galéodes,  Phrynes,  Thélyphones,  Aranéides  et  Acariens  (ils  manqueraient  chez 
les  Phalangides  et  les  Ghernétides).  Comme  chez  les  Insectes,  ces  tubes  glandulaires 
débutent  par  des  extrémités  closes  (parfois  renflées  eu  utricules)  et  débouchent  d'autre 
part  dans  le  canal  intestinal  où  s'accumule  le  produit  de  leur  sécrétion.  Offrant  d'in- 
nombrables ramifications  chez  les  Aranéides,  les  Galéodes,  etc.,  ils  parcourent  en  se 
contournant  le  tissu  conjonctif  qui  relie  entre  eux  les  diverficules  de  la  glande  diges- 
tive et  finissent  par  aboutir  à  l'intestin  par  des  troncs  terminaux  toujours  en  petit  nom- 
bre, parfois  quatre,  généralement  deux. 

C'est  chez  les  Aranéides  que  la  fonction  des  tubes  de  Malpighi  a  été  le  plus  nettement 
élucidée.  La  poche  stercorale  des  Araignées  est  en  général  distendue  par  un  liquide, 
ordinairement  blanc  comme  un  lait  de  chaux  et  dans  lequel  flottent  les  excréments 
solides  foncés  entourés  de  leur  membrane  d'enveloppe  (Voir  plus  haut). 

Le  liquide  blanc  que  les  Araignées  évacuent,  sous  forme  de  grosses  gouttes  déter- 
minant en  se  desséchant  des  taches  blanches,  est  le  produit  des  tubes  malpighiens.  Il 
se  compose  d'une  portion  fluide  incolore,  ou  légèrement  jaunâtre,  tenant  en  suspension 
d'innombrables  corpuscules  microscopiques  qu'on  retrouve,  du  reste,  identiques  dans  les 
tubes.  Ce  liquide  puisé  dans  ia  poche  stercorale  peut,  en  outre,  contenir  parfois  de  très 
petits  cristaux  prismatiques  ou  en  tables  rhoraboïdales,  dontl'origine  doit  probablement 
être  cherchée  dans  les  grandes  cellules  épithéliales  des  diverficules  de  la  glande  diges- 
tive. Chez  les  Aranéides,  d'après  Davv,  Will  et  Gorup-Besanez,  Plateau,  Weinland,  le 
liquide  maipighien  ne  contiendrait  ni  acide  urique,  ni  urates  en  quantités  appréciables, 
mais  un  autre  produit  de  désassimilation  de  l'azote,  la  guauine  (A.  Johnstone  et  A.  B. 
Griffiths  auraient,  au  contraire,  trouvé  de  l'urate  de  sodium  dans  l'extrait  aqueux  des 
tubes  de  Malpighi  de  la  Tégénaire  domestique?).  De  la  guanine  a  été  signalée  dans  les 
produits  de  désassimilation  des  Scorpions  (Davy,  Paul  Marchal).  Les  déjections  rendues 
parles  Ixodes,  parmi  les  Acariens,  se  composent  uniquement  d'urates  alcalins  (.Még.nin). 
Enfin,  bien  que  les  véritables  organes  urinaires  des  Phalangides  soient  encore  à  trouver, 
il  est  incontestable  que  le  liquide  brun,  qui  accompagne  les  excréments  solides  rendus 
par  ces  animaux,  donne  sous  le  microscope,  après  addition  d'acide  acétique  étendu,  des 
cristaux  caractéristiques  d'acide  urique  (Plateau). 

Glandes  coxales.  —  Depuis  que  Ray-La>.'kester  a  signalé,  en  1882  et  1884,  chez  les 
Arachnides,  l'existence  de  glandes  coxales  localisées  dans  le  céphalothorax  sous  les  diver- 
ticules  antérieurs  du  tube  dijiestif  et  en  rapport  avec  les  hanches  des  pattes,  on  consi- 
dère ces  organes  comme  homologues  des  glandes  du  test  et  des  glandes  antennaires  des 
Crustacés,  c'est-à-dire  qu'on  les  regarde  comme  organes  excréteurs. 

On  a  retrouvé  des  glandes  coxales  chez  des  Acariens,  des  Ghernétides,  les  Scorpions, 
les  Galéodes,  les  Phrynes,  les  Aranéides  et  les  Phalangides. 

Comme  on  ne  sait  rien  de  positif  sur  la  nature  de  la  sécrétion,  et  que,  de  plus,  il 
paraît  résulter  des  recherches  morphologiques  et  embryologiques  récentes  que,  sauf  chez 
les  Phalangides,  l'orifice  faisant  communiquer  la  glande  coxale  de  l'embryon  avec  l'exté- 
rieur est  oblitéré  chez  l'individu  développé,  de  sorte  que  la  glande  constitue  alors  un 
système  fermé  et  ne  fonctionne  pas  (J.  S.  (ûngsley)  nous  ne  nous  étendrons  pas  davan- 
tage sur  ce  sujet. 

Sécrétions  spéciales.  —  A.  Sécrétions  de  la  soie.  Des  glandes  de  la  soie  et  souvent 
des  filières  existent  chez  toutes  les  Araignées  proprement  dites,  chez  les  Ghernétides, 
quelques  Cyphophthalmides,  et  les  Acariens  du  genre  Tetranychus;  la  position  de  ces 
organes  et  de  leurs  orifices  variant  suivant  les  types  examinés. 

La  soie  des  Araignées  parait  avoir  la  même  composition  que  celle  des  chenilles  de 


ARACHNIDES.  657 

Lépidoptères.  Elle  serait  constituée  de  Fibrome  et,  en  outre,  pour  certains  fils,  d'une 
substance  agglutinante  (grès  des  éducateurs  de  vers  à  soie,  Seidenleim'j  la  Séricine. 

Fibroïne  et  séricine  ont  une  composition  tellement  voisine  de  celles  de  la  chitine,  de  la 
conchyoline,  de  la  cornéine  et  de  la  spongine,  que  tous  ces  corps  peuvent  être  réunis  sous 
une  dénomination, commune  de  Squelettine.  Leurs  caractères  généraux  sont  les  suivants  : 
substances  azotées  ne  contenant  pas  de  soufre  et  vraisemblablement  dérivées  d'hydrates 
de  carbone.  Toutes  renferment  dans  leur  molécule  30  atomes  de  carbone  et  seulement 
de  9  à  10  atomes  d'azote.  Toutes  offrent  une  grande  résistance  aux  alcalis  et  aux  acides, 
résistent  indéfiniment  à  l'action  de  l'eau,  de  l'alcool,  de  l'éther,  ainsi  qu'aux  ferments 
sacchariflants  ou  peptonisants.  L'iode  leur  donne  une  coloration  brune.  La  fibroïne  a, 
d'après  Cramer,  la  formule  C'"'H*^N"'0'-,  la  séricine  C^"'H»"N"'0'^  (Krukenberg). 

Il  est  rare  qu'un  fil  d'Araignée  se  compose  d'un  filament  unique;  on  peut,  au  con- 
traire y  distinguer  ordinairement  de  deux  à  quatre  filaments  parallèles,  non  fusionnés 
et  non  tordus.  —  Le  fil  spiral  caractéristique  de  la  toile  circulaire  de  l'Épéire  diadème 
est  constitué  par  deux  filaments  parallèles  unis  entre  eux  par  une  matière  visqueuse 
(probablement  séricine)  qui,  par  un  phénomène  capillaire  bien  connu,  affecte  l'aspect 
d'un  chapelet  de  globules.  —  Enfin  les  fils  servant  à  emmailloter  un  Insecte  capturé 
se  composent  chacun  d'un  nombre  considérable  de  filaments.  —  Les  filaments  entrant 
dans  la  constitution  d'un  fil  sont  d'une  excessive  ténuité  :  chez  l'Épéire,  leur  diamètre 
assez  constant  dans  chaque  partie  déterminée  du  réseau'  varie  entre  0,0016  millim.  et 
0,006  millim.  Les  filaments  du  cocon  sont  les  plus  gros  (G.  Warburton). 

Ajoutons  que  d'après  les  recherches  de  C.  Apstein  (1889)  et  de  Warburton  (1890)  les 
diverses  formes  de  glandes  séricigènes  et  chacune  des  filières  d'une  Araignée  donnée 
ont  leur  rôle  spécial  dans  la  confection  des  fils  de  la  toile,  du  cocon  protecteur  des  œufs, 
etc.  C'est  là  un  sujet  extrêmement  intéressant,  mais  que  nous  ne  pourrions  exposer  sans 
de  longues  descriptions  anatomiques. 

B.  Sécrétions  venimeuses.  Des  glandes  sécrétant  un  venin  très  actif  existent  au  nom- 
bre de  deux,  soit  dans  le  céphalothorax,  soit  dans  l'article  proximal  des  chélicères  des 
Aranéides,  le  canal  excréteur  de  chacune  d'elles  débouchant  par  un  pore  près  de  l'extré- 
mité du  crochet  de  la  chèlicère.  Des  glandes  à  fonction  semblable  occupent  le  dernier 
article  du  post-abdomen  des  Scorpions,  leurs  orifices  se  trouvent  à  droite  et  à  gauche 
près  de  la  pointe  du  crochet  courbe  qui  termine  cet  article.  Des  glandes  considérées 
comme  venimeuses  s'ouvrent  à  la  base  des  chélicères  des  Acariens  du  groupe  des  Garaa- 
sides.  —  Enfin  les  Galéodes  sont  réputées  dangereuses,  mais  on  ne  sait  si  ces  animaux 
sont  réellement  pourvus  de  glandes  vénénifiques. 

Chez  les  Aranéides  et  chez  les  Scorpions,  la  glande  venimeuse  est  un  sac  piriforme 
dont  la  cavité  centrale  sert  de  réservoir;  elle  offre  toujours  une  enveloppe  musculaire. 

La  contraction  brusque  de  cette  enveloppe,  par  voie  réflexe,  amène  l'éjaculation  du 
liquide. • 

La  morsure  de  certaines  Araignées  des  contrées  tropicales,  ou  subtropicales,  telles 
que  le  La/rodectiis  formidabilis  du  Chili,  étudié  par  F.  Puga  Borne  (1892),  non  seulement 
tue  des  Insectes,  mais  amène  la  mort  chez  les  Vertébrés  (grenouilles,  serpents,  lézards, 
oiseaux,  cochons  d'Inde,  lapins)  ;  les  accidents  mortels  chez  l'homme  ne  sont  pas  rares, 
-et  les  morsures  simultanées  de  cinq  Latrodectes  tuent  un  cheval. 

Les  Araignées  de  l'Europe  tempérée  et  septentrionale  sont,  au  contraire,  peu  à  craindre, 
et  il  faut  se  méfier  de  la  plupart  des  relations  reproduites  dans  des  traités  de  zoologie  ou 
dans  des  ouvrages  de  vulgarisation;  car  les  expériences  de  physiologistes  sérieux,  dont  le 
premier  fut  Harvey,  permettent  d'affirmer  que  la  morsure  n'a  jamais  de  suites  graves  : 
Blackwall,  qui  se  fit  mordre  par  de  grosses  Épéires,  ne  constata  jamais  autre  chose 
qu'une  douleur  locale  analogue  k  celle  que  produirait  une  piqûre  d'aiguille;  Forel, 
mordu  au  doigt  par  le  Chiracanthium  nutrix,  l'une  des  rares  formes  dont  il  faille  se 
méfier,  ressentit  une  vive  douleur  dans  la  main,  puis  dans  le  bras,  suivie  d'un  malaise 
général  avec  sueur  froide;  malaise  et  douleur  se  dissipèrent  assez  rapidement.  Il  y  a 
plus,  G.  Carusi  (1848)  et  P.  Panceri  (1868)  essayèrent  l'action  de  la  morsure  de  la 
fameuse  Tarentule  (Lycosa  tarantula)  sur  l'homme,  le  lapin,  des  oiseaux,  une  tortue,  un 
triton,  et  arrivèrent  à  cette  conclusion  que  tout  ce  qu'on  a  écrit  autrefois  sur  le  taren- 
tisme  est  pure  fable;  la  morsure  de  la  Tarentule,  bien  que  douloureuse,  n'est  accom- 

MCT.    DE   PHYSIOLOGIE.    —   TOME   I.  42 


658  ARACHNIDES. 

pagnée  que  de  phénomènes  locaux  :  enflure,  rougeur;  aucun  symptôme  général  même 
faible.  En  général  l'action  du  venin  des  Araignées  sur  les  Insectes  est  rapide,  mais  de 
courte  durée;  un  Insecte  un  peu  volumineux  est  stupéflé  pendant  quelques  minutes, 
puis  se  remet  bientôt  complètement. 

Les  auteurs  varient  quand  à  la  gravité  de  la  piqûre  des  Scorpions.  La  taille,  l'espèce 
de  Scorpion,  l'état  de  santé,  l'âge  de  la  victime,  contribuent  certainement  à  faire  varier 
les  résultats.  Les  expériences  de  Joteux-Laffuie  prouvent  qu'à  une  faible  dose  le  venin 
du  Buthus  europœiis  {Scorpio  occitaniis)  détermine  la  mort  de  grenouilles,  de  souris, 
de  lapins  et  de  chiens,  et  qu'une  très  petite  quantité  suffit  pour  tuer  immédiatement  un 
grand  crabe.  On  ignore  la  nature  de  son  principe  actif.  Cependant,  de  la  presque  iden- 
tité des  symptômes  observés,  on  peut  conclure  que  le  poison  sécrété  par  le  scorpion  est 
le  même  que  celui  produit  par  les  Aranéides. 

C'est  un  poison  du  système  nerveux  (Paul  Bert),  et,  lors  de  la  piqûre  du  Scorpion  ou 
de  la  morsure  par  une  Araignée  réellement  dangereuse,  les  phénomènes  d'empoisonne- 
ment apparaissent  dans  l'ordre  suivant  :  a,  douleur  au  point  piqué;  b,  période  d'excita- 
tion; c,  période  de  paralysie.  Ils  peuvent  être  accompagnés  de  symptômes  accessoires 
conflrmatifs  :  hallucinations,  tremblement,  convulsions,  nausées,  sueur  abondante,  ralen- 
tisseinent  du  pouls,  abaissement  de  la  température,  etc.  Comme  le  dit  Joyeux-Laffuie, 
les  phénomènes  qui  caractérisent  la  période  d'excitation  sont  dus  à  l'action  du  venin 
sur  les  centres  nerveux;  les  phénomènes  de  paralysie  sont  causés  par  l'effet  du  venin 
sur  les  extrémités  périphériques  des  nerfs  moteurs  dont  il  supprime,  à  la  façon  du 
curare,  l'action  sur  les  muscles  striés. 

Ajoutons  qu'il  résulte  des  expériences  de  C.  Lloyd  Mobgan  (1883)  et  de  Ag.  Bourse 
(1887)  ce  fait  remarquable,  signalé  déjà,  du  reste,  à  propos  de  serpents  venimeux,  que 
le  venin  du  Scorpion  est  sans  effet,  non  seulement  sur  l'individu  lui-même,  mais  sur 
d'autres  individus  et  sur  des  spécimens  appartenant  à  des  espèces  différentes. 

C.  Autres  sécrétions.  —  On  a  signalé  chez  les  Arachnides  d'autres  glandes  cutanées 
s'ouvrant  en  divers  points  de  la  surface  du  corps.  La  nature  exacte  de  leur  sécrétion  est 
en  général  inconnue. 

Circulation.  —  A.  Sang. —  Le  sang  des  Arachnides  dont  on  se  procure  facilement  quel- 
ques gouttes,  soit  par  la  section  des  pattes  des  Araignées  et  des  Faucheurs,  soit  par  celle 
du  dernier  article  post-abdominal  des  Scorpions,  se  compose,  comme  chez  tous  les  Arthro- 
podes, d'un  plasma  riche  en  albumines  coagulables  ou  précipitables  par  l'alcool,  le  ta- 
nin, etc.,  et  de  globules  animés  de  mouvements  amiboides,  les  amibocytes.  La  quantité 
de  ce  liquide,  par  rapport  au  volume  de  l'Arachnide,  est  faible  ;  deux  ou  trois  gouttes 
retirées  à  une  Araignée  l'épuisent  et  amènent  la  mort.  Légèrement  alcalin  (chez  les  Ara- 
néides), le  sang  offre  des  colorations  diverses,  parfois  en  rapport  avec  celle  de  l'animal 
lui-même  :  incolore  (Phalangides),  bleuâtre  ou  jaunâtre  (Aranéides),  d'un  jaune  clair 
{Epeira  diadema),  \ert  [Drassus  viridissinus),  bleu  verdàtre  (Scorpions).  Il  change  ordinaire- 
ment de  teinte  au  contact  de  l'air,  brunissant  ou  devenant  plus  foncé.  Dès  qu'il  est  sorti 
de  l'animal,  il  se  forme  un  coaguluni  de  fibrine  englobant  les  amibocytes;  le  liquide  lim- 
pide restant  renferme  un  protéide  dissous,  probablement  voisin  de  Vhémocyanine  des 
Céphalopodes  chez  les  Aranéides,  qui  est  l'hémocyanine  vraie,  chez  les  Scorpions,  comme 
l'a  reconnu  Ray-Lankester  ;  cette  bémocyanine  bleuit  à  l'air,  mais  d'une  façon  peu  intense. 

Les  amibocytes  murs,  plus  petits  chez  les  jeunes  Araignées  de  la  deuxième  ou  de  la 
troisième  mue  que  chez  les  adultes,  mesurent  9u  chez  le  Phalangium  Opilio,  15  ;-i  environ 
chez  les  Tegenaria  domestica  et  Epeira  diadema,  13  u.  chez  les  Scorpions  européens;  ils 
sont  remplis  de  granules  très  réfringents,  et,  sur  le  porte-objet  du  microscope,  émettent 
de  courts  pseudopodes.  Leur  nombre  est  assez  considérable;  dans  une  goutte  de  sang 
d'une  Trockosa  adulte,  répandue  en  couche  mince  sur  le  porte-objet,  les  amibocytes 
occupent  à  peu  près  le  quart  du  champ  visuel. 

Outre  les  amibocytes  intacts  ou  en  voie  de  régression,  on  peut  observer,  chez  les  Ara- 
néides, de  rares  cellules  de  grande  dimension,  mesurant  jusqu'à  28  u.,  nettement  ami- 
boides, dérivant  des  amibocytes,  et  renfermant  des  produits  variés,  de  fins  granules  ani- 
més de  mouvements  browniens,  parfois  des  prismes  cristallins  allongés,  de  nature 
protéique;  chez  les  Scorpions,  des  cellules  de  lo  a  bourrées  de  gros  granules  incolores 
réfringents.  Le  contenu  de  ces  éléments  représenterait  des  matériaux  de  réserve. 


ARACHNIDES.  639 

Enfin  les  Pycnogonides  offriraient  une  particularité  extrêmement  curieuse.  Chez 
toutes  les  espèces,  le  sang  renfermerait  à  la  fois  des  amibocytes  et  des  hématies  (W. 
Wagner,  L.  Cuenot). 

B.  Circulation  proprement  dite.  —  Un  cœur  et  des  vaisseaux  manquent  chez  les  Lin- 
guatulides  et  un  grand  nombre  d'Acariens.  Chez  les  autres  Arachnides,  il  existe  un  cœur 
artériel  dorsal  occupant  la  région  supérieure  de  l'abdomen,  ordinairement  tabulaire  et 
muni,  pour  l'entrée  du  sang,  pendant  la  diastole,  d'orifices  pairs  ou  ostioles  dont  le 
nombre  est  d'autant  plus  grand  que  le  type  étudié  est  plus  différencié.  Ce  cœur  est  logé, 
chez  les  Aranéides  et  les  Scorpionides,  dans  un  péricarde  oîi  aboutissent  les  courants  de 
retour. 

Les  vaisseaux  proprement  dits  se  réduisent  à  des  troncs  artériels  venant  tous  débou- 
cher dans  un  système  de  lacunes  où  le  sang  circule  suivant  des  sens  déterminés.  Chez  les 
Acariens  possédant  un  cœur,  chez  les  Cyphophthalmides,  les  Phalangides  et  les  Chernétides, 
il  n'existe,  en  tout,  qu'un  tronc  artériel  appelé  aorte  antérieure  et  partant  de  l'extrémité 
antérieure  du  cœur.  Chez  les  Aranéides,  et  surtout  les  Scorpionides,  l'arbre  circulatoire 
artériel  devient  plus  compliqué  :  ces  animaux  possèdent  une  aorte  antérieure  parcourant 
le  céphalothorax  et  donnant  des  troncs  à  divers  organes  et  aux  pattes,  une  aorte  posté- 
rieure et  enfin  des  artères  latérales  naissant  du  cœur  par  paires.  Lorsque  l'Arachnide  est 
muni  des  organes  respiratoires  lamelleux  auxquels  on  donne  ordinairement  le  nom  de 
poumons,  le  sang  veineux  ne  se  rend  jamais  à  ces  organes  que  par  des  courants  lacu- 
naires. 

La  circulation  chez  les  Araignées  a  été  vue,  pour  la  première  fois,  par  de  Geer  (1778)  dans 
les  pattes  d'un  jeune  individu  examiné  au  microscope  par  transparence.  Le  même  pro- 
cédé, pour  l'étude  de  l'ensemble  de  la  circulation  de  ces  animaux  a  été  employé  de  nos 
jours  avec  succès  par  Claparède  (1863)  qui  étudia  surtout  les  Lycoses  venant  d'éclore  et  par 
Marcel  Causard  (1892)  dont  les  investigations  portèrent  sur  les  jeunes  de  quinze  genres 
difTérents.  Enfin  W.  Wagner  (1893)  a  utilisé  la  facilité  avec  laquelle  on  voit  le  cœur  au 
travers  des  téguments  du  Sparassus  «trescens  pour  analyser  les  mouvements  de  cet  organe 
chez  une  araignée  adulte. 

Voici,  en  résumé,  les  faits  principaux  pour  les  Aranéides  :  Les  vaisseaux  artériels  pré- 
sentent des  pulsations  rythmiques  synchroniques  avec  celles  du  cœur.  A  chaque  systole 
le  cœur  chasse  une  partie  minime  de  son  contenu  en  avant  dans  l'aorte  antérieure  et  la 
plus  grande  masse  du  liquide  d'avant  en  arrière  dans  les  artères  latérales  et  l'aorte  posté- 
rieure. Le  cours  du  sang  dans  le  cœur  est  donc,  en  grande  partie  en  sens  inverse  de  la 
direction  observée  chez  les  Insectes.  Le  sang  qui,  sortant  des  artères,  passe  dans  les 
lacunes,  se  porte  ventralemenl  vers  les  poumons,  pour  la  totalité  du  céphalothorax  et 
pour  une  grande  partie  de  l'abdomen;  là  le  liquide  sanguin  circule  dans  les  lames  pul- 
monaires en  contact  avec  l'air  par  leurs  deux  faces,  puis  retourne  au  sac  péricardique  dans 
lequel  il  est  déversé  en  face  des  orifices  antérieurs  du  cœur.  Tout  le  sang  veineux  du 
céphalothorax  s'hématose  ainsi  avant  d'arriver  à  l'organe  propulseur.  Une  portion  de 
celui  de  l'abdomen  revient  directement  au  péricarde,  sans  passer  par  les  poumons,  et, 
dans  le  sac  péricardique  lui-môme,  chemine  d'arrière  en  avant,  pour  gagner  les  orifices 
postérieurs  et  moyens. 

Dans  les  membres  et  autres  appendices,  on  voit  les  amibocytes  des  courants  artériels 
se  suivre  en  file  étroite,  tandis  que  les  courants  veineux,  plus  larges,  forment  une  nappe 
sous  les  téguments.  Une  partie  seulement  du  sang  artériel  amené  dans  une  patte  pénètre 
jusqu'à  l'extrémité  de  celle-ci;  beaucoup  d'amibocytes  s'engagent  déjà  dans  le  courant 
veineux  avant  d'atteindre  le  bout  du  membre,  et  cela  en  passant  par  des  orifices  artério- 
veineux  à  position  constante  percés  dans  la  mince  membrane  qui  sépare  les  deux  cou- 
rants (Claparède,  Cadsahd).  Quant  aux  mouvements  du  cœur,  chez  le  Sparassus  vires- 
cens,  on  y  observe  la  succession  habituelle  :  systole,  diastole,  pause;  la  systole  offrant 
son  intensité  maxima  vers  le  milieu  de  la  longueur  de  l'organe. 

La  plus  légère  excitation  fait  monter  rapidement  le  nombre  de  pulsations  par  minute, 
et,  lorsque  l'excitation  de  l'animal  cesse,  le  retour  au  rythme  normal  s'opère  au  con- 
traire lentement.  Le  pouls  monte  chez  l'araignée  qui  suce  une  proie,  chez  la  femelle 
accouplée,  etc.  Une  température  élevée  accélère  les  battements,  une  température  basse 
les  ralentit  :  ainsi,  à  0»,  le  pouls  n'est  pas  perceptible;  à  46°,  il  monte  à  200  et  se  main- 


660  ARACHNIDES. 

tient  tel  chez  l'individu  calme.  Enfin  l'absLinence  prolongée  diminue  progressivement 
l'amplitude  des  mouvements  et  rend  en  même  temps  ceux-ci  de  plus  en  plus  rapides 
(W.  Wagner). 

Respiration.  —  Un  appareil  respiratoire  localisé  fait  défaut  chez  les  Linguatulides, 
un  grand  nombre  d'Acariens,  les  Tardigrades  et  les  Pycnogonides. 

Les  autres  Arachnides  respirent,  soit  à  l'aide  de  trachées  seules  {Galéades,Chernétides, 
Phalangides,  Cyphophthalmides  et  une  partie  des  Acariens),  soit  à  la  fois  à  l'aide  de  tra- 
chées de  ce  genre  et  de  poumons  lamelleux  (Aranéides  dipneumones),  soit  enfin  exclusi- 
vement au  moj'en  de  poumons  lamelleux  (Scorpionides,  Thélyphones,  Phrynes,  Aranéides 
tétrapneumones  ou  mygalides). 

Les  trachées  sont  ici  des  tubes  aérifères  offrant  intérieurement  un  revêtement  cuticu- 
aire  se  relevant  tantôt  en  crête  spirale,  comme  dans  les  trachées  si  connues  des  Insectes, 
tantôt  (Aranéides)  en  nombreux  appendices  spiniformes  ayant  beaucoup  d'analogie  avec 
les  saillies  ou  épines  des  lames  pulmonaires  que  nous  décrirons  plus  bas.  De  même  que 
les  trachées  des  Insectes,  elles  sont  baignées  extérieurement  par  le  sang,  de  sorte  que 
les  échanges  gazeux  sont  faciles. 

Quant  aux  organes  appelés  poumons  et  dont  l'homologie  est  encore  discutée,  chacun 
d'eux  se  compose  d'un  sac  résultant  du  refoulement  de  la  paroi  ventrale  du  corps  et 
communiquant  avec  l'extérieur  par  un  orifice  laissant  pénétrer  l'air.  La  paroi  antérieure 
du  sac  se  relève,  au-dedans  de  celui-ci,  en  un  nombre  plus  ou  moins  grand  de  replis  ou 
lames  pulmonaires  rappelant,  par  leurs  rapports  mutuels,  la  disposition  des  feuillets  d'un 
livre.  De  minces  couches  d'air  séparent  les  lames  pulmonaires  les  unes  des  autres, 
tandis  que  du  sang  circule  dans  leur  intérieur.  ' 

Toute  lame  pulmonaire  est  constituée  par  deux  lamelles  chitineuses  en  continuité  au 
bord  libre  de  la  lame.  La  surface  extérieure  de  la  lamelle  dorsale  est  garnie  d'innombra- 
bles tigelles  chitineuses,  maintenant  les  lames  pulmonaires  à  distance,  de  manière  a 
assurer  l'accès  constant  du  gaz  respirable.  Enfin,  les  deux  lamelles  chitineuses  d'une 
même  lame  pulmonaire  sont  reliées  de  distance  en  distance  par  des  cellules  transversales 
en  forme  de  ponts,  cellules  inlerlamcllaires,  considérées  comme  contractiles,  et,  par 
conséquent  comme  susceptibles  de  modifier  la  capacité  des  espaces  où  le  sang  circule 
(Mac  Léod,  Beeteaux). 

Mécanisme  respiratoire.  —  L'analogie,  sinon  l'homologie,  entre  les  appareils  respira- 
toires des  Arachnides  et  des  Insectes  permettait  de  supposer  que  l'on  observerait  chez  les 
premiers  des  mouvements  des  parois  de  l'abdomen  rappelant  ceux  que  les  Insectes  nous 
présentent.  Il  n'en  est  rien  :  les  divers  diamètres  de  l'abdomen  des  Scorpions,  des  Phalan- 
gides et  des  Aranéides  restent  constants;  jamais  on  ne  constate  les  diminutions  et  réta- 
blissements alternatifs  des  diamètres  vertical  et  tranversal  de  l'abdomen  qui  constituent 
les  mouvements  respiratoires  des  Insectes.  On  peut  s'en  assurer  nettement  par  trois 
procédés  :  l'observation  directe  à  la  loupe,  la  méthode  graphique  (applicable  seulement 
aux  Scorpions)  avec  cylindre  enfumé  tournant  et  leviers  inscripteurs  excessivement  légers, 
enfin,  surtout,  la  méthode  des  projections  (applicable  à  tous  les  types)  :  l'Arachnide,  con- 
venablement fixé  sur  un  support,  est  introduit  dans  une  grande  lanterne  magique  éclai- 
rée par  une  bonne  lampe.  En  ne  dépassant  pas  un  grossissement  de  7  à  10  diamètres 
on  obtient  une  silhouette  fort  nette  sur  laquelle  il  est  facile  de  voir  des  déplacements 
réels  d'une  fraction  de  millimètre, 

En  outre,  bien  que  le  contraire  ait  été  écrit,  les  orifices  stigmatiques  dos  sacs  pulmo- 
naires restent  toujours  légèrement  entr'ouverts;  leurs  lèvres  ne  bougent  pas,  même  lors- 
qu'on emploie  des  vapeurs  irritantes,  comme  la  fumée  de  tabac. 

Les  seuls  mouvements  rythmiques  que  révèle  la  méthode  des  projections  sont,  cl>ez 
les  Araignées  :  1°  des  oscillations,  dans  un  plan  vertical,  de  l'ensemble  de  l'abdomen  et 
de  ceux  des  appendices,  tels  que  les  palpes,  qui  ne  sont  pas  fixés  par  des  liens;  2»  des 
mouvements  rythmés  des  filières  qui  se  rapprochent  et  s'éloignent  alternativement  les 
unes  des  autres.  Les  oscillations  verticales  de  l'ensemble  de  l'abdomeu  sont  assez  rapides, 
130  par  minute  pour  la  Tégénaire  domestique,  147  pour  la  Meta  segmentata ;  leur  ampli- 
tude est  faible,  1/6  à  -1/7  de  millimètre  (F.  Plateao). 

Il  résulte  de  ce  qui  précède  que  les  divers  muscles  (muscles  dorso-venti'aux,  muscles 
des  stigmates,  etc.),  auxquels  les  anatomistes  ont  fait  jouer  un  rôle  respiratoire,  n'inler- 


ARACHNIDES.  661 

viennent  probablement  pas,  et  qu'aucune  des  méthodes  d'investigation  connues  ne  per 
met  de  déterminer  en  quoi  consistent  réellement  les  mouvements  respiratoires  des 
Arachnides.  On  en  est  donc  réduit  à  des  hypothèses  inutiles  à  reproduire  ici,  puisque 
l'on  n'a  pas  encore  fait  de  recherches  expérimentales  pour  s'assurer  de  leur  valeur. 

Respiration  aérienne  sons  l'eau.  —  Une  Araignée  extrêmement  intéressante,  l'Argyro- 
neta  aquatica,  bien  que  possédant  une  paire  de  poumons  et  un  système  de  trachées  très 
développé,  passe  presque  toute  sa  vie  sous  l'eau.  Elle  respire  l'air  en  nature  grâce  à  la 
propriété  suivante  :  son  abdomen  entier  et  la  face  inférieure  du  céphalothorax  sojit 
recouverts  d'une  couche  assez  épaisse  d'air  brillant  sous  l'eau  comme  de  l'argent  métal- 
lique. —  Dans  les  régions  ainsi  revêtues  de  gaz,  la  surface  de  la  peau  porte  de  nombreux 
poils  barbelés  traversant  la  couche  gazeuse  et  la  subdivisant  à  l'infini.  —  L'adhérence 
de  l'air  au  corps  de  l'Arachnide,  malgré  les  mouvements  de  natation  et  la  poussée  hydro- 
statique, s'explique  par  ce  fait  que  la  surface  de  contact  entre  l'air  et  un  liquide  offre 
une  grande  résistance  à  la  déformation  lorsque  l'étendue  de  cette  surface  est  suffi- 
samment petite.  Les  poils  qui  traversent  la  couche  d'air  divisent  en  effet,  ici,  la  surface 
générale  en  une  série  de  très  petites  surfaces  présentant  une  grande  stabilité  (F.  Plateau). 
Phénomènes  chimiques  de  la  respiration.  —  Les  recherches  sur  les  échanges  gazeux 
respiratoires  chez  les  Arachnides  se  réduisent  à.  peu  de  chose.  On  ne  peut  guère  citer 
que  les  très  anciennes  expériences  de  Hausmann  (1803)  et  de  Sorg  (ISOo)  qui  prouvent 
que  les  Aranéides  et  les  Phalangides  absorbent  de  l'oxygène  et  exhalent,  dans  l'unité  de 
temps,  une  quantité  d'acide  carbonique  analogue  à  celle  que  dégagent  beaucoup  d'In- 
sectes. 

Certains  pigments  paraissent  jouer  un  rôle  important  dans  la  respiration  interne  ou 
respiration  des  tissus  des  Invertébrés.  On  les  appelle  pigments  respiratoires.  Mac-Munn, 
qui  en  a  découvert  l'existence  à  l'aide  du  microspectroscope,  leur  donne  le  nom  général 
à'histohématines,  réservant  l'appellation  de  myohématine  à  l'histohématine  du  tissu  mus- 
culaire. Mac-Munn  a  retrouvé  de  la  myohématine  chez  des  Araignées  {Tegenaria  et 
Epeira). 

Reproduction.  —  La  reproduction  est  exclusivement  sexuelle.  Les  Tardigrades  seuls 
sont  hermaphrodites  suffisants;  toutes  les  autres  formes  ont  les  sexes  distincts. 

Les  glandes  génitales,  généralement  paires,  parfois  impaires  (ovaire  des  Chernétides, 
des  Phalangides,  des  Linguatulides  et  des  Gamases,  testicule  des  Phalangides  et  de 
quelques  Linguatulides),  appartiennent  presque  toujours  au  type  tubulaire;  elles  sont 
fréquemment  accompagnées  de  glandes  accessoires. 

L'orifice  génital,  souvent  impair,  occupe  ordinairement  la  partie  antérieure  de  la 
face  ventrale  de  l'abdomen. 

Les  spermatozoïdes  appartiennent  à  deux  types  morphologiques  différents  :  chez  les 
Scorpionides,  les  Aranéides,  et  probablement  d'autres  groupes,  ils  offrent  une  tête  renllée 
en  sphère,  quelquefois  en  cylindre  et  un  filament  caudal  très  fin,  court  et  mobile 
(Emile  Blanchard,  Leydig,  Bertkau).  Chez  les  Phalangides,  au  contraire,  ils  sont  circu- 
laires, en  forme  de  petites  lentilles  biconvexes,  avec  un  noyau  également  lenticulaire,  et 
paraissent  ne  posséder  aucun  mouvement  propre  (H.  Blanc). 

Dans  le  sexe  femelle,  on  observe  des  réceptacles  séminaux  où  s'accumulent  les  sper- 
matozoïdes lors  de  l'accouplement,  tantôt  comme  annexes  du  vagin  (Phalangides,  Lin- 
guatulides), tantôt  distincts  de  celui-ci  (Aranéides,  Acariens  du  genre  Trychodactylus). — 
La  présence  de  ces  réceptacles  séminaux  assure  la  fécondation  d'un  nombre  considérable 
d'œufs,  et  explique  ces  faits  signalés  plusieurs  fois  d'Aranéides  femelles  longtemps 
séquestrées  et  qui  pondent  des  œufs  féconds.  Blackwall,  par  des  expériences  bien 
conduites,  a  fait  justice  de  cette  prétendue  parthénogenèse. 

Les  œufs  ovariens  de  beaucoup  d'Aranéides  et  de  plusieurs  Phalangides  se  font 
remarquer  par  la  présence,  à  côté  de  la  vésicule  germinative,  d'un  noyau  vitellin  {Dotter- 
kern)  constitué  par  une  vésicule  centrale  entourée  par  une  série  de  lamelles  concentri- 
ques. Bien  que  le  noyau  vitellin  ait  été  observé  chez  d'autres  types  animaux,  les  œufs 
de  certaines  Araignées  et  surtout  de  la  Tégénaire  domestique  sont,  à  cet  égard,  un 
matériel  classique  (Balbiani). 

Les  Phalangides  mâles  offrent  souvent,  comme  les  Crapauds  parmi  les  Vertébrés  am- 
phibies, un  hermaphrodisme  rudimentaire  très  intéressant,  découvert  autrefois  parTRE- 


662  ARACHNIDES. 

viRANUs  et  réobservé  plusieurs  fois  depuis.  Il  consiste  dans  cette  particularité  que,  sur  la 
surface  externe  du  testicule,  existent,  en  des  points  divers,  des  grappes  de  follicules  sail- 
lants et  pédicules  contenant  chacun  un  véritable  ovule  identique  aux  ovules  de  la  femelle, 
avec  membrane  vitelline,  vésicule  germinative  et  noyau  vitellin  bien  évidents.  Comme 
ceux  du  Crapaud  mâle,  ces  ovules  restent  stériles  (H.  Blanc). 

Le  viviparisme  existe  chez  les  Scorpions,  les  Galéodes,  les  Phrynes  et  plusieurs  Aca- 
riens. 

La  ponte  des  œufs  dans  le  sol  ou  dans  des  cavités  spéciales  peut  être  assurée  par  un 
tube  ou  oviscapte  (Phalangides,  nombreux  Acariens). 

L'accouplement  des  Arachnides  s'effectue  par  des  procédés  divers,  parfois  fort  curieux  : 
les  Scorpions  s'appliquent  ventre  à  ventre  et  enchevêtrent  les  dents  de  leurs  peignes  qui 
fonctionnent  comme  organes  excitateurs  {André  Mares,  d'après  Brongkiart  et  Gaubert). 
L'introduction  du  sperme  dans  l'orifice  génital  de  la  femelle  a  lieu  au  moyen  d'un  double 
pénis  (Emile  Bla>xhard). 

Chez  les  Phalangides,  au  moment  de  l'accouplement,  le  mâle  et  la  femelle  se  rencon- 
trent face  à  face.  Le  mâle  maintenant  la  femelle  avec  les  pinces  de  ses  chélicères,  fait 
saillir  un  long  pénis  et  en  introduit  l'extrémité  dans  l'ouverture  génitale  de  l'autre 
sexe.  L'accouplement  ne  dure  que  quelques  secondes  (Meîn'ge,  Loman,  Simon). 

Enfin,  c'est  chez  les  Aranéides  que  l'acte  de  l'accouplement  est  le  plus  singulier.  On 
sait  en  effet  que  l'Araignée  mâle  ne  possède  pas  de  pénis  et  qu'elle  utilise  ses  palpes  pro- 
fondément modifiés  pour  introduire  le  sperme  dans  le  réceptacle  séminal  de  la  femelle. 

L'article  terminal  du  palpe  mâle  variant  beaucoup  d'un  groupe  à  l'autre,  nous  n'ex- 
poserons que  le  principe  de  sa  structure  et  de  son  fonctionnement,  en  évitant,  en  outre, 
les  nombreux  termes  spéciaux  employés  par  les  descripteurs.  Cet  article,  fortement  ren- 
flé, et  dont  la  cavité  communique  naturellement  avec  les  lacunes  sanguines  de  l'animal, 
offre,  sur  le  côté  externe,  une  dépression  profonde  logeant  l'organe  ropulateur  propre- 
ment dit.  Celui-ci,  rétracté  à  l'état  de  repos,  se  compose  d'une  ampoule  à  parois 
minces,  à  extrémité  libre  effilée  et  à  base  plissée  plus  ou  moins  tordue  contenant,  dans 
son  intérieur,  un  canal  chitineux  spiraloide  dont  l'extrémité  proximale  est  close,  tandis 
que  le  bout  distal  s'ouvre  au  sommet  effilé  de  l'ampoule.  —  Les  parois  du  canal  chiti- 
neux spiraloide,  au  voisinage  de  l'extrémité  close,  sont  percées  de  pores  fins. 

Pour  charger  ses  organes  copulateurs  de  liquide  spermatique,,  le  mâle  plonge  les 
extrémités  de  ses  palpes  dans  une  goutte  de  sperme  perlant  à  son  orifice  génital.  Les 
canaux  chitineux  spiraloïdes  se  rempliraient  alors  par  capillarité.  A  l'instant  de  l'ac- 
couplement proprement  dit,  le  mâle  applique  à  la  fente  génitale  de  la  femelle  la  face 
extérieure  d'un  de  ses  palpes  et,  au  moyen  de  contractions  de  la  musculature  de 
l'abdomen,  chasserait  du  sang  dans  l'article  terminal.  Ce  serait  sous  l'influence  de  cette 
augmentation  de  pression  que  l'ampoule  ferait  saillie  et  que,  le  canal  chitineux  se  vidant, 
l'éjaculation  du  sperme  aurait  lieu  (W.  Wagner). 

Menge  a  décrit,  chez  plusieurs  Aranéides  d'Europe,  les  positions  respectives  et  1res 
diverses  que  prennent  les  deux  sexes  pendant  l'accouplement  même,  et  G.  et  E.  Peckham 
ont  attiré  l'attention  sur  les  moyens  consistant  par  exemple,  en  attitudes  étranges, 
qu'emploient  les  mâles  de  quelques  espèces  américaines  pour  captiver  l'attention  de  la 
femelle  et  obtenir  ses  faveurs. 

Bibliographie.  Travaux  principaux.  —  L  Anatomie.  —  Emile  Blanchard. 
L'organisation  du  règne  animal.  Arachnides.  Paris,  1831-1 859.  —  C.  Vogt  et  E.  Yong.  Traité 
d' Anatomie  comparée  praêigite,  livraisons  14  et  fb.  —  A  Lang.  Traité  d' Anatomie  compa- 
rée et  de  Zoologie,   traduit  par  Curtel,  3°  fascicule,  Paris,  1892. 

IL  Anatomie,  physiologie  et  zoologie.  —  0.  P.  Cambrige.  Arachnida  (dans  :  Encyclo- 
paedia  britannica,  9=  édition,  vol.  ii,  p.  271,  1873). 

III.  Biologie.  —  A.  Menge.  JJeber  die  Lehensweise  der  Arachniden  {Neuesten  Schriften 
der  Naturforschenden  Gesellschaft  in  Danzig,i.  iv,  fasc.  1,  1843).  —  A.  Menge.  Ueber  die 
Lebensiveise  der  Afterspinnen,  Phalangida  (ibid.,  1830). 

IV.  Téguments,  mnes.  —  W.  Wagner.  La  mue  des  Araignées  {Annales  des  Sciences 
naturelles,  Zoologie,  38"  année,  7=  série,  t.  vi,  1888). 

V.  Régénération  des  organes  perdus.  —  W.  Wagner.  La  régénération  des  organes 
perdus  chez  les  Araignées  [Société  impériale  des  naturalistes  de  Moscou,  n"  4,  1887). 


ARACHNIDES.  663 

VI.  Locomotion  terrestre.  —  Carlet.  Sw  la  locomotion  des  Insectes  et  des  Arachnides 
{C.li.,  t.  Lxxxix,  p.  H24,  29  déc.  1879).  — Deuoor.  Recherches  sur  la  marche  des  Insectes 
et  des  Arachnides  {Archives  de  Biologie,  t.  x,  1890J.  —  H.  Dixon.  On  the  Walking  of 
Ai'thropoda  {Nature  anglaise,  t.  xlvii,  n°  1203,  17  novembre,  p.  56,  1892)  et  La  marche 
des  Arlhi-opodes  {Revue  Scientifique,  3"  série,  t.  xxiv,  p.  841,  1892). 

VII.  Vol  des  Araignées.  —  Terby.  Sur  le  procédé  qu'emploient  les  Araignées  pour 
relier  des  points  éloignés  par  un  fil  {Bulletins  de  l'Acad.  Roy.  de  Belgique,  %"  série,  t.  xxiii, 
n°  3,  1867).  —  Me  Cook.  The  Aeronautic  Flight  of  Spiders  {Proceed.  Acad.  of  Nat.  Science. 
Philadelphie,  part  m,  p.  308,  1877).  —  G.  Rogeron.  Sur  la  nature  des  fils  d'Araignée  con- 
nus sous  le  nom  de  fils  de  la  Vierge  {Revue  Scientifique ,  t.  xlviii,  n°  5,  l'''  avril  1891,  p.  154, 
extrait  de  la  Revue  des  Sciences  naturelles  appliquées).  — •  Terby.  Le  soi-disant  vol  des 
Araignées  et  l'étirage  de  leur  fil  par  le  souffle  {Revue  Scientifique,  t.  xLvrn,  10  octobre  1891, 
p.  464).  —  De  V.4RIGNY.  A  propos  du  vol  des  Araignées  {Revue  Scientifique,  t.  xlviii, 
n"  20,  14  novembre  1891,  p.  633). 

VIII.  Expériences  sur  le  système  nerveux.  —  Emile  Blanch.vrd  (voir  plus  haut  :  Ana- 
tomie). 

IX.  Autotomie.  —  Léûx  Fredericq.  L'autotomie  ou  la  mutilation  active  (Archives  de 
Zoologie  expérimentale,  1883;  Revue  Scientifique,  1886  ef  1887,  et  Travaux  du  laboratoire  de 
L.  Fredericq,  t.  ii,  p.  201,  1887-1888).  —  Gaubert.  Sur  un  ganglion  nerveux  des  pattes  du 
Phalangium  opilio  (C.  fi.,  t.  cxv,  n"  22,  p.  960,  1892), 

X.  Émission  de  sons.  —  H.  Landois.  Thierstimmen,  Fribourg-en-Brisgau,  1874.  — 
J.  WooD  Mason.  Note  on  Mygale  strididans  {Trans.Entomological  Society,  Londres,  part,  iv, 
p.  281,  déc.  1877).  — F.  Maule  Campbell.  On  supposed  stridulating  Organs  of  Steatoda 
guttata  and  Linyphia  tenebricola  {Journal  of  Linnean  Society,  vol.  xv,  17  juin  1880).  — 
E.  Simon.  Organe  stribulatoire  dans  le  genre  Sciarus  {Ann.  Soc.  entomol.  de  France,  vol.  lxii, 
3=  trim.,  Bull.,  p.  224  1893). 

XI.  Sens.  ■ —  Dahl,  Versuch  einer  Darstellung  der  psychischen  Vorgdnge  in  den  Spinnen 
{Vierteljahrschrift  f.  Wissensc/iaftl.  Philosophie,  t.  ix,  1,  1884).  —  G.  et  E.  Peckam.  Some 
Observations  on  the  mental  poivers  of  Spiders  {Journal  of  Morphology ,  vol.  i,  n°  2,  décembre 
1887,  Boston).  —  C.  V.  Boys.  Notes  on  the  Habits  of  some  common  english  Spiders  {Ncdure 
anglaise,  vol.  xliii,  n"  1098,  13  novembre,  1890,  p.  40).  —  Ray  Lankester.  Notes  on  some 
Habits  of  the  Scorpions  {Journcd  of  the  Linnean  Society,  Zoology,  vol.  xvi,  p.  435,  Londres, 
1883).  —  F.  Plateau.  Recherches  expérimentales  sur  la  vision  chez  les  Arthropodes  ;  deu- 
xième partie,  vision  chez  les  Arachnides  {Bullet.  Acad.  Roy.  de  Belgique,  3°  série,  t.  xiv, 
n"  11,  1887).  —  Gaubert.  Recherches  sur  les  organes  des  sens  et  sur  les  systèmes  tégumen- 
taire,  glandidaire  et  musculaire  des  appendices  des  Arachnides  {Annales  des  sciences  natu- 
relles, Zoologie,  vw  série,  t.  sni,  n°  1,  2,  3,  1892).  —  R.-L  Pocock.  Notes  upon  the  Habits 
of  some  living  Scorpions  {Nature  anglaise,  vol.  xlviii,  n°  1231,  1'=''  juin  1893,  p.  104).  — 
Les  mœurs  des  scorpions  {Revue  Scientifique,  t.  lu,  n"  o,  29  juil.  1893). 

XII  Rôle  des  palpes.  —  F.  Plateau.  Expéi'iences  sur  le  rôle  des  palpes  chez  les  Arthro- 
podes maxillés  ;  i"  pa7'tie, palpes  des  Myriapodes  et  des  Aranéides  {Bullet.  Soc.  zool.  de 
France,  t.  xi,  1886). 

XIII.  Digestion.  —  F.  Plateau.  Note  sicr  les  phénomènes  de  la  digestion  et  sur  la  struc- 
ture de  l'appareil  digestif  chez  les  Phalangides  {Bullet.  Acad.  Roy.  de  Belgique,  2=  série, 
t.  XLii,  n°  11,  novembre  1876).  —  F.  Pl.ateau.  Recherches  sur  la  structure  de  l' appareil  diges- 
tif et  sur  les  phénomènes  de  la  digestion  chez  les  Aranéides  dipneumones,  en  trois  parties 
{Bullet.  Acad.  Roy.  de  Belgique, '2"  série,  t.  xliv,  1877).  —  Ph.  Bertkau.  Ueber  den  Bau 
und  die  Funktion  der  sog.  Leber  bei  den  Spinnen  {Arch.  f.  mikroskop.  Anatomie,  t.  xxiii,  1884J. 

XIV.  Désassimilation.  —  Will  et  Gorup-Besanez.  Guanin,  ein  wesentlicher  Bes- 
tandtheil  geivisser  Secrète  Wirbelloser  Thiere  {Gelehrte  Anzeigen  herausgegeben  von  Mitglie- 
dern  der  K.  Bayer.  Akademie  der  Wissenschaften,  t.  xxvii,  n"  233,  col.  823,  juillet- 
décembre  1848).  —  Weinland.  Notiz  liber  das  Vorkommen  von  Guanin  in  den  Fxcrementen 
der  Kreuzspinne  {Z.B.,  t.  xxv,  pp.  390-393, 1888).  — Paul  Marchal.  Contribution  à  l'étude 
de  la  désassimilation  de  l'Azote.  L'acide  urique  et  la  fonction  rénale  chez  les  Invertébrés. 
Lille,  1889. 

XV.  Sécrétion  de  la  soie.  —  C.  Warburton.  The  spinning  Apparatus  of  géométrie  Spi- 
ders {Quarterly  Journal  of  Microscopical  Science,  avril  1890). 


664  ARÉCAINE    —    ARGENT. 

XVI.  Sécrétion  venimeuse.  —  P.  Panceki.  Esperienze  sopra  il  veleno  délia  Lycosa  taran- 
tula  {Rendiconti  deW  Accademiu  Pontaniana.  Naples,  1868).  —  Paul  Bert.  Contribution  à 
l'étude  des  venins  :  Venin  du  Scorpion  {B.  £.,4°  série,  i.  u,  p.  136,  186b).  —  Joyeux-Laffuie. 
Appareil  venimeux  et  venin  du  Scorpion  (D.  P.,  1883). 

XVII.  Sang.  —  W.  Wagner.  Du  sanrj  des  Araignées  {Archives  slaves  de  Biologie, 
Ib  novembre  1887).  —  L.  Cue.not.  Études  sur  le  sang  et  les  glandes  lymphatiques  dans  la 
série  animale;  2=  partie,  Invertébrés  (Archives  de  Zoologie  expérimentale,  2<=  se'rie,  t.  ix, 
n°3,  p.  401,  1891). 

XVIII.  Circulation.  —  Claparède.  Étude  sur  la  circulation  du  sang  chez  les  Araignées  du 
genre  Lyco.se  [Mém.  de  la  Soc.  de  physique  et  d'histoire  naturelle  de  Genève,  t.  xvii, 
1863).  —  Cadsard.  Sur  la  circulation  du  sang  chez  les  jeunes  Araignées  {C.  R.,  t.  cxiv, 
n"  18,  p.  1033,  1892).  —  W.  Wagner.  Étude  sur  l'activité  du  cœur  chez  les  Araignées. 
{Anyi.  se.  nat.,  zoologie,  viii"  série,  39"  année,  t.  xv,  n°  4-3,  1893). 

XIX.  Respiration.  —  F.  Plateau.  Observations  sur  l'Argyronète  aquatique  [Bullet. 
Acad.  Roy.  de  Belgique,  2^  série,  t.  xxiii,|1867).  —  F.  Plateau.  De  l'absence  demoupements 
respiratoires  perceptibles  chez  les  Arachnides  (Archives  de  Biologie,  t.  vu,  p.  331,  1886).  — 
C.-A.  Mac  Mv^s.  Researches  on  the  Myohœmalin  ancl  the  Histohœmatins (Philos.  Trans.  ofthe 
Royal  Soc.  London,  t.  clxxvii,  pour  1886,  p.  267,  publié  en  1887). 

XX.  Reproduction.  — •  Il  n'existe  pas  de  travail  spécial;  les  faits  sont  disséminés  dans 
des  travaux  de  zoologie  ou  d'embryologie. 

F.  PLATEAU. 

ARÉCAINE. —Voyez  Arécoline. 

ARECOLINE.  —  De  la  noix  d'Arec  E.  Jahns  a  e.xtrait  deux  alcaloïdes;  l'aré- 
caïne,  qui  crislallise  dans  l'eau  (C"H"AzO-,  H-0),  et  est  insoluble  dans  l'alcool;  et 
l'arécoline  (C'H^AzO-j,  qui  est  liquide,  soluble  dans  l'eau  et  l'alcool  (fl.  W.,  Supplém. 
p.  338).  Le  bromhydrate  d'arécoliue  cristallise  bien  et  paraît  assez  stable.  Il  a  été  étudié 
par  Frôhner  (Monatsh.  f.  pract.  Thierheilli.,  1894,  t.  v,  p.  333),  puis  par  C.  Grafe  [ibid. 
1894,  t.  VI,  p.  145)  et  par  Ehling  (Hamb.  Mittheil.  fur  Thieràrtzte,  1894,  p.  337).  Les  effets 
physiologiques  seraient  analogues  à  ceux  de  la  pilocarpine;  car  il  provociue,  à  dose  dix 
fois  moindre,  la  même  salivation  abondante  que  la  pilocarpine. 

La  salivation  commence  tout  de  suite  après  l'injection,  et  le  maximum  a  lieu  une 
demi-heure  après.  Chez  le  cheval,  l'arécoline  agit  comme  laxatif,  de  sorte  qu'on  peut 
l'employer  dans  la  médecine  vétérinaire  pour  succédané  de  l'ésérine. 

C'est  un  poison  extrêmement  violent  puisque,  chez  le  cheval,  la  dose  thérapeutique 
ne  doit  pas  dépasser  Os'',l. 

CH.  R. 

ARGENT  (Ag  =  108  .  —  Nous  ne  nous  occuperons  pas  de  l'action  attribuée  à 
l'argent  métallique  sur  le  système  nerveux.  Cette  action  forme  la  base  d'une  méthode  thé- 
rapeutique, encore  douteuse,  la  métallothérapie,  dont  nous  ne  pouvons  nous  occuper  ici. 

Lorsqu'on  étudie  l'action  physiologique  des  sels  d'argent,  on  se  sert  généralement 
d'un  seul  sel  soluble  stable,  comme  le  nitrate  d'argent.  C'est  donc  plutôt  de  la  physiolo- 
gie du  nitrate  d'argent  dont  nous  allons  nous  occuper. 

Action  locale.  —  Le  nitrate  d'argent  a  d'abord  une  action  locale  bien  définie  :  c'est  un 
des  caustiques  des  plus  puissauts  ;  il  y  a  alors  fixation,  soit  d'argent  métallique,  soit 
d'un  composé  oxygéné  inférieur,  qui  est  la  cause  de  cette  coloration  brune  noirâtre  que 
prennent  les  cellules  touchées  par  cet  agent.  L'élection  particulière  de  ce  réactif  pour  la 
substance  fondamentale  extra-cellulaire,  découverte  par  Recklinghadse.x,  a  été  mise  à 
profit  par  les  histologistes  pour  l'étude  des  tissus. 

Action  générale.  —  Voie  stomacale.  —  L'absorption  gastro-intestinale  est  assez 
difficile  :  on  peut  faire  absorber  par  des  animaux  des  quantités  relativement  considé- 
rable de  sels  d'argent  par  la  voie  stomacale,  sans  occasionner  la  mort. 

Il  y  a  cependant  absorption  réelle,  facilement  démontrée  par  le  phénomène  de  l'argyrie 
que  présentent  les  animaux  et  les  personnes  qui  ont  absorbé  des  sels  d'argent  (Mialhe, 
Charcot).  Les  sels  d'argent,  surtout  le  nitrate,  sont  des  poisons  violents. 

Orfila,  expérimentant  sur  le  chien,  a  constaté  que  de  fortes  doses  d'azotate  d'argent 


ARGENT.  6(io 

le  font  vomir,  mais  qii"il  se  relève  et  peut  échapper  à  l'intoxication;  qu'au  contraire, 
s'il  liait  l'œsophage,  l'animal  mourait  au  bout  de  1  à  2  jours.  A  l'autopsie  il  a  alors 
trouvé  que  l'estomac  et  les  intestins  étaient  ulcérés  et  vivement  enflammés.  Il  a  retrouvé 
des  traces  d'argent  dans  le  foie,  les  reins,  la  rate  et  l'urine. 

Dans  les  cas  d'empoisonnements  aigus  par  des  doses  de  4  à  b  grammes,  le  patient 
ressent  au  début  une  saveur  d'encre,  de  la  sécheresse  et  de  la  constriction  de  l'arrière- 
gorge,  des  sensations  de  cuisson,  de  chaleur.  Il  ne  tarde  pas  à  avoir  des  nausées,  des 
vomissements  mêlés  de  stries  blanchâtres  et  de  grumeaux  analogues  à  du  lait  caillé.  Il 
se  plaint  de  douleurs  épigastriques,  de  vertiges  ;  il  a  du  délire,  de  l'agitation,  et  perte 
de  connaissance. 

Dans  la  deuxième  phase  de  l'empoisonnement,  le  malade  est  en  résolution  complète, 
sauf  les  muscles  du  cou  et  des  mâchoires  qui  sont  contractures.  Les  pupilles  sont  dilatées 
et  insensibles  à  l'action  de  la  lumière.  Le  pouls  est  lent,  la  respiration  suspirieuse. 

Si  la  guérlson  survient,  la  raideur  cesse,  la  sensibilité  générale  reparait,  le  malade 
reprend  connaissance.  La  douleur  épigastrique  persiste  violente. 

Dans  deux  cas  le  malade,  après  avoir  repris  connaissance,  retombait  après  quelques 
mouvements  convulsifs  dans  le  coma. 

En  cas  de  guérlson,  ces  accidents  laissent  après  eux  des  ulcérations  en  voie  de  cicatri- 
sation, de  la  dyspepsie,  des  rétrécissements  et  du  ramollissement  de  l'estomac.  L'ingestion 
de  doses  médicamenteuses  trop  élevées,  ou  un  traitement  trop  prolongé  peuvent  donner 
naissance  à  un  empoisonnement  chronique.  On  observe  alors  que  le  malade,  dont  tout  le 
corps  se  colore  en  noir  ardoisé,  surtout  pour  les  parties  exposées  à  l'air  et  à  la  lumière, 
se  cacheclise,  quelquefois  on  a  observé  des  éruptions  érythémateuses. 

L'absorption  des  sels  d'argent  à  dose  médicamenteuse,  qui  ne  détermine  aucun  acci- 
dent toxique,  donne  à  la  peau  une  coloration  noir  violacé  ou  brun  brillant,  généralement 
indélébile,  même  lorsque  l'on  a  cessé  tout  traitement  depuis  longtemps.  Cette  coloration, 
appelée  par  Vdlpian  et  Charcot  argyrisme,  s'observe  surtout  dès  le  début  sur  les  lèvres, 
la  face  interne  des  joues,  les  narines  et  les  paupières. 

Les  animaux  présentent  ainsi  que  les  hommes  ce  même  phénomène.  Rabuteau  cite 
l'observation  d'un  rat  dont  les  pattes  et  le  nez  avaient  pris  une  coloration  noir  intense, 
parce  qu'on  l'avait  nourri  en  ajoutant  du  nitrate  d'argent  à  ses  aliments. 

La  cause  de  ce  phénomène,  qui  a  été  observé  pour  la  première  fois  par  Fourcroy,  n'est 
pas  encore  expliquée.  On  a  supposé  que  l'argent  avait  une  tendance  à  s'éliminer  par  la 
peau  ;  mais,  comme  no'us  le  verrons  tout  à  l'heure,  on  a  retrouvé  de  l'argent  dans  tous 
les  organes.  Paiterson  pense  que  l'argent  se  trouve  dans  la  peau  à  l'état  métallique  ; 
BRA^'DES  admet  qu  il  s'y  trouve  à  l'état  d'oxyde;  Krahmer,  à  l'état  d'albuminate  ;  mais 
aucun  des  auteurs  ne  donne  de  preuves  suffisantes  à  l'appui  de  son  opinion. 

Cette  coloration  peut  s'accompagner  de  démangeaisons  intolérables,  qui  ont  été 
observées  par  Charcot  et  Vclpian  chez  des  ataxiques  soumis  au  traitement  argyrique. 

Injection  directe  dans  la  circulation.  —  Les  sels  d'argent  sont  beaucoup  plus 
toxiques  lorsqu'on  les  injecte  directement  dans  la  circulation:  il  suffit  de  quelques  cen- 
tigrammes pour  occasionner  la  mort. 

Orfila  injecte  dans  la  veine  jugulaire  d'un  chien  2  centigrammes  d'une  solution  de 
nitrate  d'argent  :  l'animal  est  pris  de  convulsions,  sufl'oque  et  meurt. 

Charcot  et  Ball,  expérimentant  avec  l'albuminaLe  d'argent,  ont  constaté  qu'une 
injection  de  Os'',30  d'albuminate  en  dissolution  dans  de  l'eau,  a  déterminé  la  mort  au 
bout  d'une  demi-heure.  Ils  ont  observé  une  sécrétion  énorme  de  mucus  bronchique 
écumeux  qui  a  étouffé  l'animal,  sans  qu'il  y  eiit  d'autres  phénomènes  nerveux  que 
ceux  dus  à  l'asphyxie. 

Avec  l'hyposulfite,  0S'',20  d'hyposulfite  d'argent  en  dissolution,  la  mort  fut  presque 
instantanée,  elle  survint  après  quelques  convulsions.  O8'',0o  ont  amené  la  mort  au 
bout  de  7  à  8  minutes;  on  observe  dans  ce  cas,  outre  l'asphyxie,  une  paralysie  du  train 
postérieur  caractérisée  par  un  affaiblissement  des  pattes  de  derrière  et  une  diminution 
de  la  sensibilité. 

A  l'autopsie,  pas  d'autres  lésions  qu'un  œdème  du  poumon  et  du  mucus  écumeux 
dans  les  bronches. 

MouRiER   a  injecté    à    un    chien    Osr^Q^    d'azotate    d'argent    dissous    avec    Os'',oO 


6(36  ARGENT. 

d'hyposulfite  de  soude.  11  a  observé  un  ralentissement  des  battements  cardiaques,  de  la 
difficulté  dans  la  respiration,  des  râles  nombreux,  de  l'écume  abondante,  les  lèvres 
cyanosées,  les  pupilles  dilatées.  La  mort  est  survenue  par  asphyxie  8  à  10  minutes 
après  l'injection.  Le  cœur  s'est  arrêté  en  diastole,  les  poumons  sont  congestionnés. 
Avec  . OS'', 02  la  mort  ne  survient  qu'au  bout  de  20  minutes,  les  phénomènes  sont  les 
mêmes. 

Chaucot  et  Ball  concluent  de  leurs  expériences  que  :  1°  Si  la  cause  directe  de  la  mort 
est  l'asphyxie  causée  par  la  sécrétion  exagérée  de  l'écume  bronchique,  il  y  a  cependant 
une  action  manifeste  sur  le  système  nerveux;  2°  L'hypersécrétion  bronchique  est  le  résul- 
tat d'une  action  nerveuse  d'ordre  réflexe,  car  on  ne  peut  retrouver  d'argent,  par  analyse, 
dans  le  liquide  sécrété. 

Absorption  et  élimination.  —  Les  sels  d'argent  ingérés  par  la  voie  stomacale  sont 
difficilement  absorbés,  la  plus  grande  partie  est  éliminée  sans  avoir  passé  dans  l'orga- 
nisme, après  s'être  transformés  en  sulfure  daus  l'intestin  qu'ils  colorent  en  noir.  Cette 
absorption  est  cependant  réelle  et  est  démontrée  victorieusemeut  par  les  phénomènes 
d'argyrie. 

A  quel  état  l'argent  pénétre-t-il  dans  l'économie?  A  l'état  d'albuminate,  suivant  Char- 
COT  et  Ball;  à  l'état  de  chlorure,  suivant  Rabutead  [Thér.,  p.  o38). 

Si  l'absorptiou  est  difficile,  l'élimination  l'est  plus  encore.  L'argent  reste  réduit  dans 
la  profondeur  de  l'organisme;  les  colorations  de  la  peau,  des  nymphes  du  vagin,  de  la 
muqueuse  buccale,  le  liseré  bleu  des  gencives,  observé  par  Duguet,  signes  qui  restent 
presque  indélébiles  malgré  la  cessation  du  traitement,  en  sont  les  preuves.  On  a  du 
reste  retrouvé  l'argent  dans  les  diverses  parties  de  l'individu.  Brandes  a  retrouvé  de 
l'argent  dans  les  os,  le  pancréas,  le  plexus  choroïde.  Orfila,  Van  Genns,  Frohman,  Chab- 
coT,  Ball,  Vulpian,  Liouville,  en  ont  retrouvé  dans  le  foie,  les  reins,  les  bronches,  le  cer- 
veau, les  os. 

Il  s'en  élimine  pourtant  une  certaine  proportion  par  l'urine.  Cloez  a  pu  retirer  un 
globule  d'argent  des  urines  de  plusieurs  malades  de  Vulpian  etCuARCOT;  labile  et  la  sueur 
en  contiennent  aussi. 

LoEW  rapporte  le  cas  d'un  individu  atteint  de  tabès  et  traité  par  le  nitrate  d'argent 
pendant  deux  ans  :  il  avait  absorbé  94e=',032  de  ce  sel.  On  n'a  retrouvé  d'argent  en  quan- 
tité appréciable  que  dans  les  reins.  Il  semble  donc  que  l'argent  s'élimine,  au  fur  et  à 
mesure  de  son  absorption,  par  les  voies  urinaires. 

Analyse  et  recherche  toxicologique.  —  Pour  rechercher  l'argent  mélangé  à  des 
matières  organiques  il  suffit  de  détruire  ces  dernières  par  la  chaleur,  [reprendre  les 
cendres  par  l'acide  azotique  qui  dissout  l'argent  et  rechercher  l'argent  par  les  méthodes 
analytiques  ordinaires  dans  cette  liqueur. 

L'acide  chlorhydrique  donne  avec  tous  les  sels  d'argent,  sauf  l'hypo sulfite,  un  préci- 
pité blanc  de  chlorure  d'argent  insoluble  dans  les  acides,  soluble  dans  [l'ammoniaque. 

La  potasse,  la  soude  donnent  un  précipité  brun  clair  d'oxyde  soluble  dans  l'ammo- 
niaque. 

Le  carbonate  de  soude  donne  un  précipité  blanc  de  carbonate  soluble  dans  le  carbo- 
nate d'ammoniaque. 

L'hydrogène  sulfuré  et  le  sulfhydrate  d'ammoniaque  donnent  un  précipité  noir. 

Le  phosphate  de  soude,  un  précipité  jaune. 

Le  chromate  neutre  de  potasse,  un  précipité  rouge  soluble  dans  les  acides. 

Au  chalumeau  on  obtient  facilement  avec  de  la  soude  un  globule  d'argent  sur  le 
charbon. 

Bibliographie.  —  D.  W.  Article  Argent.  —  Ball.  Phénomènes  déterminés  par  l'in- 
jection directe  des  sels  d'argent  dans  le  système  circulatoire  (B.  B.,  186o,  p.  4).  —  Bogos- 
LowsKY.  Verânderungen  loelche  iinter  dem  Einflusse  des  Silbers  im  Blute  und  in  Bau  der 
Gewebe  erzeugt  werden  [A.  V.,  1869,  t.  xlvi,  p.  409).  —  Buchanan.  Effects  of  internai  use 
of  the  nitrate  of  silver  [Glascow  med.  Journ.,  1831,  t.  vi,  p.  175).  — Carci.  Azione  deW 
argento  sul  sistema  nervoso  e  musculare  [Sperimentale,  1875,  t.  xxxvi,  p.  636).  —  Delioux. 
Considérations  chimiques,  physiologiques  et  thérapeutiques  sur  les  sels  d'argent  {Gaz.  méd.t 
1851,  3°  série,  t.  vi,  pp.  336,  332,  383).  —  Dqguet.  Un  cas  d'argyrie  (B.   B.,  1874,  p.  31). 


ARGININE    —    ARISTOTE.  667 

—  FofiT.  Note  on  sUverstcUninij  {Dubl.  J.  of.  mcd.  se,  1888,  p.  203).  —  Frommann.  Ein  Fait 
von  Arfiyria  (A.  F.,  1839,  t.  xvii,  p.  13o).  —  Huet.  Recherches  sur  l'm-gyrie  [J.  de 
l'Anat.  et  de  la  Phys.,  1873,  t.  ix,  p.  408).  —  Jacobi.  Uber  die  Aufnahme  der  Silberprcipa- 
rate  in  den  Organismm  [A.  P.  P.,  1877,  t.  vin,  p.  198).  —  Jerosch.  Expérimentale  Unter- 
suchugen  uber  die  desinficirenden  Wirliung  von  HoUensteinlosimgen  {Beiir.  z.  Palh.  u.  z. 
allg.  Path.,  1889,  t.  vu,  p.  71).  —  Lœw.  Chemie  der  Argyria  (A.  Vf.,  t.  xsxiv,  1884,  p.  602). 

—  Levin.  De  l'argyrie  locale  des  ouvriers  en  argenterie  {Ann.  demi,  et  syph.,  1887,2"  série, 
t.  VIII,  p.  520).  —  Mayencon  et  Bergeret.  Rech.  de  l'argent  et  du  palladium  dans  les  hu- 
meurs et  les  tissus  par  la  méthode  électrolytique  (Journ.  de  l'An,  et  de  la  Phys.,  1873,  t.  ix, 
p.  389).  —  De  Mello  de  Sodza  Brandaoe  Menezez.  Considérations  sur  les  propriétés  physio- 
logiques et  thérapeutiques  du  nitrate  d'argent  (D.  P.,  1856).  —  Mitscherlisch.  Uber  die 
Einwirkung  des  Silbers  und  der  Verbindung  desselben  auf  den  thierischen  Organimus  {Med. 
Zeit.,  1839,t.  VIII,  p.  133).  — Riemer.  Ein  Fall  von  Argyrie  {Arch.  der  Heilk.,  1875,  t.  xvi, 
pp.  296  et  38b;  1876,  t.  xvu,  p.  330).  — Rozsahegyi.  Empoisonnement  chronique  par  l'ar- 
gent (A.  P.  P.,  1878,  t.  IX,  p.  289).  —  Scattergood.  A  case  of  poisoning  by  nitrate  of  silvcr 
(Brit.  med.  Journ.,  (1),  1871,  p.  527). 

A.    CHASSEVANT. 

ARGININE.  —  Base  extraite  par  Schcltze  et  Steiger  {Zeitschrift  fur  physiolo- 
gische  Chemie,  t.  xi,  p.  43)  des  graines  de  lupin.  Elle  dérive  probablement  des  matières 
albuminoïdes  de  la  graine  au  moment  de  la  germination. 

ARGON  (de  âpydî,  inactif).  —  L'argon  est  le  nouveau  gaz  découvert  dans  l'air 
atmosphérique  par  lord  Rayleigh  et  Ramsay.  Leur  première  communication  date  de  la 
réunion  de  la  British  Association  en  août  1894.  Mais  ils  n'ont  donné  l'exposé  détaillé  de 
leur  belle  découverte  qu'au  31  janvier  1895  à  la  Royal  Society  (V.  Revue  Scientifique, 
14  février  1895,  n°  7,  pp.  163,  207). 

Le  point  de  départ  de  leurs  recherches  a  été  le  suivant.  Si  l'on  compare  la  densité 
de  l'azote  extrait  des  combinaisons  azotées  (décomposition  du  bioxyde  d'azote,  de  l'urée, 
de  l'azotite  d'ammoniaque,  de  l'acide  azoteux)  avec  le  soi-disant  azote  atmosphérique, 
on  constate  une  différence  de  densité  constante,  2,299  au  lieu  de  2,310.  De  plus,  en  cher- 
chant à  absorber  par  divers  procédés  l'azote  atmosphérique,  par  l'étincelle  électrique  et 
l'oxygène;  par  la  combustion  de  l'azote  en  présence  du  carbone  et  de  la  baryte,  ou  du 
bore,  ou  du  silicium,  ou  surtout  du  magnésium,  on  obtient  toujours  un  gaz  résiduel, 
dont  la  densité  est  différente  de  celle  de  l'azote;  19,9  au  lieu  de  14,2;  et  qui  ne  peut 
plus  se  combiner  ni  au  magnésium,  ni  au  bore,  ni  à  l'oxygène,  par  l'étincelle  électrique. 

Ce  gaz  résiduel  présente  deux  raies  spectrales  différentes  des  raies  de  l'azote 
(W.  Crookes).  Soumis  à  une  pression  forte  et  au  froid,  il  se  condense  en  un  liquide  qui 
n'a  pas  le  même  point  d'ébuUition  que  l'azote,  —  187°  au  lieu  de  —  194°  (Olszewski).  Il 
s'agit  donc  bien  d'un  corps  nouveau,  différent  de  l'azote. 

Ce  corps  aurait  pour  caractéristique  principale  d'être  inerte  et  de  ns  se  combiner 
avec  aucun  corps.  Il  est  plus  soluble  dans  l'eau  que  l'azote;  car  100  parties  d'eau  en 
disolvent  4,05  à  13°  9. 

L'air  en  contient  environ  3,5  p.  100,  c'est  donc  une  quantité  relativement  considérable. 

Nous  ne  pouvons  prévoir  les  conséquences  de  cette  récente  découverte  pour  la  théorie 
de  la  respiration.  Le  fait  de  la  solubilité  de  l'argon,  supérieure  à  celle  de  l'azote,  pej-met 
seulement  de  supposer  que  le  sang  doit  dissoudre  une  certaine  quantité  d'argon.  La 
proportion  de  l'azote  étant  de  76  p.  100  dans  l'air,  avec  une  solubilité  de  1  ;  celle  de 
l'argon  étant  de  3,5,  avec  une  solubilité  de  2,5;  le  rapport  de  l'argon  dissous  à  l'azote 
dissous  doit  être  de  9  à  76;  soit,  si  le  sang  dissout  2,4  de  soi-disant  azote,  il  s'ensuit 
qu'il  y  aurait  environ  0,4  d'argon  pour  100  parties  de  sang(?). 

D'après  M.  Berthelot  {Observations  sur  l'argon  :  spectre  de  fluorescence.  C.  R.,  16  avril 
1895,  t.  cxx,  p.  797),  l'argon  pourrait  se  combiner  à  la  benzine,  sous  l'inlluence  de  l'ef- 
fluve électrique. 

CH.   R. 

ARISTOTE.  —  La  physiologie  d'ARisTOTE  n'est  pas  seulement  intéressante 
en  elle-même ,  par  les  aperçus  profonds  et  ingénieux  qu'on  y  trouve  ;  elle  l'est  surtout 


6(d8  ARISTOTE. 

par  l'influence  prépondérante  qu'elle  a  exercée  pendant  des  siècles.  Le  moj'en  âge  tout 
entier  a  vécu  sur  la  doctrine  aristotélique. 

A  vrai  dire,  le  physiologiste  de  l'antiquité,  ce  n'est  pas  Aristote,  c'est  Galien.  Le  génie 
grec,  qui  a  créé  toutes  les  sciences,  a  créé  aussi  l'anatomie,  la  médecine,  la  zoologie,  et 
la  physiologie  :  Hippocrate,  Aristote  et  Galien  sont  les  trois  savants  qui  représentent 
ces  trois  sciences.  Hippocr.ate  décrit  les  maladies,  les  épidémies,  les  causes  des  maux 
qui  affligent  les  hommes,  il  fait  des  observations  cliniques,  qui,  même  après  deux  mille 
ans,  sont  restées  véridiques  et  utiles  à  consulter;  mais  sa  physiologie  est  enfa,ntine,  ou 
plutôt  il  n'a  pas  fait  de  physiologie.  Le  seul  physiologiste  des  temps  anciens,  c'est 
Galien.  Celui-là  est  vraiment  le  précurseur  de  notre  science;  il  a  sur  la  biologie  géné- 
rale peut-être  moins  d'idées  qu'AEisTOTE,  et  il  ne  semble  pas  prendre  grand  intérêt  aux 
choses  de  la  nature;  mais  il  est  médecin,  et,  par  une  sorte  de  divination,  il  comprend 
que  la  médecine,  la  chirurgie,  et  la  thérapeutique  n'ont  pas  seulement  comme  base 
l'observation  clinique  et  la  méthode  hippocratique,  mais  encore  l'anatomie  et  la  phy- 
siologie. Aussi  fait-il  des  expériences,  et  sait-il  les  interpréter  avec  une  rare  sagacité.  Aris- 
tote, qui  a  observé  les  animaux  et  leurs  mœurs,  quia  disséqué  les  poissons,  les  poulpes, 
les  oursins,  les  insectes,  n'a  guère  fait  de  recherches  précises  en  physiologie.  En 
biologie  générale,  il  émet  souvent  des  idées  profondes  et  géniales;  mais  la  science  phy- 
siologique même,  celle  que  nous  cultivons  aujourd'hui,  et  dont  la  base  est  l'expéri- 
mentation, il  ne  la  connaît  pas,  et  ne  soupçonne  même  pas  qu'elle  existe.  Il  admet 
implicitement,  comme  celarésulte  de  tous  ses  écrits,  que  l'anatomie  est  la  seule  lumière 
qui  peut  éclairer  la  physiologie.  Il  faudra  arriver  jusque  à  Magendie  et  Claude-Bernard 
pour  que  cette  énorme  faute  de  méthode  soit  dissipée. 

Cependant  il  nous  paraît  important  de  résumer  aussi  brièvement  que  possible  les 
notions  d'ARiSTOTE  sur  la  physiologie.  On  verra  qu'elles  sont  parfois  admirables, 
ouvrant  sur  l'avenir  des  vues  merveilleuses,  mais  bien  souvent  aussi  tout  à  fait  ridicules. 
Les  unes  comme  les  autres  sont  utiles  à  mentionner,  ne  fût-ce  que  pour  faire  saisir 
quelles  immenses  difficultés  s'opposent  à  la  découverte  d'une  vérité,  même  quand  cette 
vérité,  après  qu'elle  a  été  reconnue,  paraissait  bien  simple  à  reconnaître. 

Nous  n'entrerons  évidemment  pas  dans  la  critique  bibliographique  relative  à  l'au- 
thenticité plus  ou  moins  certaine  de  tel  ou  tel  ouvrage  d'ARisTOTE.  Nous  considérerons 
toute  l'œuvre  comme  authentique,  et  nous  prendrons  pour  guide  la  grande  édition  in- 
folio de  Duval  (2  vol.  Paris,  1619)  ainsi  que  les  Commentaires  de  Magike  (1  vol.  in  12°, 
Francfort,  1612.)  Quant  aux  écrits  plus  modernes  sur  la  physiologie  aristotélique,  il  y  a 
à  citer  surtout  les  traductions  excellentes  de  Barthélémy  Saint-Hilaire,  une  thèse  de  la 
Faculté  de  médecine  de  Paris  par  Geoffroy,  sur  l'anatomie  et  la  physiologie  d'ARisTOTE, 
et  surtout  un  beau  travail  de  Georges  Pouchet,  dans  la  Revue  philosophique  (Biologie 
aristotélique,  t.  xviii,  1884,  pp.  .333  et  suiv.) 

La  physiologie  expérimentale  est  la  partie  faible  de  l'œuvre  d'ARisTOTE,  et  en  eliet, 
ce  qui  est  la  base  de  notre  science,  c'est-à-dire  la  chimie,  devait  échapper  com- 
plètement à  tous  les  savants  de  l'antiquité.  Comme  j'ai  eu  souvent  l'occasion  de  le 
dire,  il  faut  faire  remonter  la  physiologie  moderne  à  Lavoisier,  bien  plutôt  qu'à  Harvey. 
Lavoisier,  c'est  le  créateur  de  la  physiologie,  par  la  découverte  du  phénomène  essentiel 
de  la  vie,  la  combustion  respiratoire. 

Pour  Aristote  la  respiration  se  fait  par  le  poumon  et  la  trachée  artère  qui  donne 
passage  à  l'air  (non  aux  ahments,  comme  ou  le  soutenait  à  tort).  Tous  les  animau.v  qui 
vivent  sur  terre  ont  un  poumon,  car  ils  ont  tous  besoin  de  refroidir  le  sang  par  la  res- 
piration, et,  d'autre  part,  tous  les  animaux  qui  ont  du  sang  ont  besoin  que  ce  sang  soit 
refroidi;  mais,  pour  les  animaux  aquatiques,  le  refroidissement  se  fait  par  l'eau,  tandis 
qu'il  se  fait  par  l'air  pour  les  animaux  terrestres.  Le  cœur  est  l'organe  oti  le  sang  s'é- 
cbaulfe,  et,  pour  que  cet  échauffement  n'aille  pas  trop  loin,  il  faut  le  refroidissement 
par  la  respiration.  En  somme  la  respiration  agit  comme  un  soufflet  qui  aspire  et  rejette 
l'air  par  le  même  orifice.  Pour  prouver  ce  rôle  réfrigérant  du  poumon,  Aristote  donne 
un  curieux  exemple  qui  montre  combien  une  observation  vraie  peut  être  mal  interprétée 
et  conduire  à  des  conclusions  absolument  fausses.  Il  y  a,  dit-il,  des  maladies  qui  dur- 
cissent le  poumon;  alors  il  se  fait  une  chaleur  fébrile  trop  forte,  et  une  respiration  plus 
fréquente  pour  suppléer  à  l'absence  de  refroidissement.  Les  poissons  ne  respirent  pas 


ARISTOTE.  669 

l'air,  mais  ils  se  refroidissent  par  l'eau  qui  circule  dans  leurs  branchies,  et  en  effet  ils 
n'ont  pas  de  trachée  artère,  et,  quand  on  les  met  dans  l'eau,  on  ne  voit  pas  l'air  se 
dégager  par  le  fait  de  leur  respiration  ;  donc  ils  n'ont  pas  besoin  d'air  pour  vivre,  mais 
seulement  d'eau  qui  les  refroidit. 

Le  cerveau  est  l'organe  le  plus  froid  du  corps  ;  il  est  privé  de  sang  ;  c'est  lui  qui  est 
l'organe  du  sommeil  ;  mais  les  sensations  n'ont  pas  leur  siège  dans  le  cerveau  ;  c'est 
dans  le  cœur,  foyer  central  de  la  vie.  Sur  ce  point  Amstote  est  moins  avisé  qu'Hippo- 
ORATE  qui  avait  placé  dans  le  cerveau  l'intelligence. 

Ainsi  la  chaleur  animale,  naturelle,  est  fixée  dans  le  cœur  et  le  cerveau  ;  tandis  que  le 
poumon,  où  circule  de  l'air,  est  l'appareil  modérateur  de  cette  chaleur  naturelle,  née  du  cœur. 

Voilà  certes  une  physiologie  qui  nous  paraît  très  absurde;  mais,  à  côté  de  ces 
erreui's  énormes,  il  y  a,  dans  certains  passages,  des  observations  bien  curieuses  sur  le 
sommeil;  et  en  particulier  sur  cette  faculté  remarquable  de  discerner  d'une  nianièi'e 
inconsciente,  pendant  notre  sommeil,  telles  et  telles  excitations  qui,  sans  être  nettement 
iseroues,  arrivent  jusqu'à  l'âme  qui  n'est  jamais  complètement  endormie,  et  peuventpro- 
voquer  des  rêves. 

C'est  d'ailleurs  le  propre  de  ces  physiologies  anciennes  que  de  mêler  d'étonnantes 
vérités  à  de  non  moins  étonnantes  erreurs.  Aristote  connaissait  le  phénomène  des  phos- 
phènes;et  il  savait  qu'en  comprimant  l'œil,  on  fait  éprouver  une  vive  sensation  de 
lumière.  «  Il  y  a  des  sens,  dit-il,  agissant  médiatement,  comme  la  vue  et  l'ouïe,  et 
d'autres  agissant  par  le  contact  direct,  comme  le  goût,  le  toucher  et  l'odorat.  »  On  sait 
qu'une  des  plus  curieuses  expériences  delà  physiologie  psychologique,  celle  de  la  boule 
unique  perçue  comme  double  quand  on  la  touche  par  le  médius  et  l'index  inversés  de 
leur  position  naturelle  réciproque,  est  attribuée  à  Abistote. 

La  physiologie  du  cœur  ne  contient  pas  moins  d'erreurs  grossières  mêlées  à  quelques 
vérités. 

D'abord  il  est  dit  que  le  cœur  a  trois  cavités. 

Tous  les  animaux  qui  ont  du  sang  ont  un  cœur,  et  c'est  le  cœur  qui  est  le  siège 
de  la  chaleur  naturelle.  De  même  le  cœur  est  le  centre  des  veines,  et  le  point  de  départ 
des  nerfs  qui  se  continuent  avec  l'aorte  ;  c'est  aussi  le  cœur  qui  est  le  siège  des  sensations. 
Le  sang  est  dans  les  veines,  et  il  n'y  a  d'exception  que  pour  le  sang  du  cœur.  Là  en  effet 
le  sang  n'est  pas  contenu  dans  les  veines;  c'est  une  exception  unique  dans  l'être;  car  les 
artères,  le  cerveau  et  les  glandes  ne  contiennent  pas  de  sang.  Au  moment  de  la  forma- 
tion de  l'être,  le  premiei'  mouvement  qui  apparaisse,  c'est  le  mouvement  du  cœur  [punc- 
limi  saliens),  et  c'est  aussi,  par  une  conséquence  nécessaire,  le  dernier  organe  qui,  au 
moment  de  la  mort,  soit  encore  animé  de  mouvements. 

La  prédominance  du  cœur  sur  tous  les  autres  organes  est  un  des  fondements  de  la 
doctrine  physiologique  d'AmsTOTE.  En  effet  le  cœur  est  rattaché  à  la  trachée,  et,  si  l'on 
insuffle  le  poumon  par  la  trachée,  on  voit  l'air  pénétrer  dans  le  cœur  (erreur  expérimen- 
tale qu'il  est  difficile  d'expliquer).  Secondement  les  nerfs  partent  du  cœur,  qui  est  aussi 
le  centre  de  toutes  les  émotions  psychiques,  et  enfin  les  aliments  passent  dans  le  cœur 
pour  y  donner  naissance  à  la  chaleur  naturelle. 

Le  phénomène  du  pouls  n'avait  pas  échappé  à  Abistote;  mais  il  ne  le  rattache  pas 
au  cœur,  ou  du  moins  il  n'insiste  pas  sur  ce  sujet;  il  dit  seulement  que  la  respiration 
est  indépendante  du  pouls,  tandis  que  les  mouvements  du  cœur  et  ceux  du  pouls  se 
passent  en  même  temps. 

Relevons  aussi  cette  remarque  à  peu  prés  exacte,  c'est  que  le  cœur  est  un  des  organes 
qu'on  trouve  le  moins  souvent  malade  ;  car  son  importance  est  telle  que,  s'il  était  malade, 
la  vie  de  l'animal  serait  impossible. 

Le  sang  se  forme  dans  le  cœur,  en  môme  temps  que  le  cœur,  et  alors  que  dans  aucune 
partie  de  l'organisme  il  ne  s'est  formé  de  sang.  11  se  compose  de  deux  parties,  une  partie 
aqueuse,  froide,  qui  ne  se  coagule  pas;  une  autre  partie,  flbrineuse,  qui  est  susceptible 
du  coagulation.  Si  l'on  enlève  la  fibrine,  le  sang  ne  se  coagule  plus  :  c'est  comme  si,  de 
la  boue,  on  enlevait  la  partie  terreuse;  alors  il  ne  resterait  plus  que  le  liquide.  Le  sang 
de  tous  les  animaux  se  coagule;  sauf  celui  du  cerf  et  du  daim  qui  reste  toujours  liquide 
(ce  qui  est  évidemment  une  erreur,  .même  en  supposant  qu'il  s'agisse  d'observations 
faites  sur  des  animaux  forcés  à  la  chasse). 


670  ARISTOTE. 

Le  diaphragme  est  une  membrane  charnue  qui  sépare  le  ventre  et  le  thorax.  En  effet 
il  était  nécessaire  que  la  chaleur  produite  par  les  aliments  ne  vînt  pas  affecter,  d'une 
manière  fâcheuse,  le  cœur,  foyer  de  la  vie,  du  sang  et  des  sensations.  Les  parties  nobles 
où  est  l'âme  sont  au-dessus  du  diaphragme;  les  parties  non  nobles  sont  au-dessous. 

L'hj'polhèse  d'une  chaleur  venant  des  aliments  est  évidemment  une  des  parties  les 
plus  faibles  de  la  doctrine  aristotélique.  Les  vapeurs  chaudes  nées  de  l'aliment  remontent 
vers  le  cœur  et  troublent  la  pensée;  en  tout  cas  c'est  cette  chaleur  (qui  se  communique 
au  cœur)  qui  est  la  cause  déterminante  de  la  respiration  ;  car  elle  provoque  une  dilata- 
tion du  thorax,  et  par  conséquent  un  mouvement  respiratoire,  dont  l'effet  est  un  refroi- 
dissement immédiat  du  sang. 

Les  ahments  sont  introduits  par  la  bouche  dans  l'œsophage,  et  de  là  dans  l'estomac. 
C'est  une  grave  erreur  que  de  croire  qu'ils  passent  par  la  trachée;  car,  dès  qu'une  par- 
celle d'aliments  liquides  ou  solides  pénètre  dans  les  voies  aériennes,  elle  amène  aussitôt 
la  toux  et  la  suffocation.  L'épiglotle  est  là  précisément  pour  empêcher  les  aliments 
de  passer  dans  la  trachée;  et,  quand  on  vomit  le  vin  qu'on  a  ingéré,  ce  vin  ne  passe  pas 
par  la  trachée,  mais  par  l'œsophage. 

L'estomac  sert  à  recevoir  les  aliments  et  à  les  préparer  à  leur  transformation,  ou 
coction.  Mais,  si  toutefois  l'on  peut  bien  saisir  le  sens  que  donne  Aristote  à  la  fonction 
de  l'estomac,  il  s'agit  surtout  d'un  rôle  mécanique.  Les  animaux  qui  n'ont  pas  de  dents 
ou  peu  de  dents,  et  qui,  de  plus,  se  nourrissent  d'aliments  durs,  ont  quatre  estomacs;  ce 
sont  les  animaux  qui  ruminent.  Chez  certains  animaux  on  trouve  des  poches  appendues 
à  l'estomac  (appendices  pyloriques  des  poissons,  ou  double  cœcum  des  oiseaux)  qui  aident 
à  la  digestion. 

Après  l'estomac  vient  l'intestin  qui  achève  l'élaboration  de  l'aliment.  Cet  aliment  éla- 
boré passe  par  le  mésentère  qui  va  de  l'intestin  à  la  grande  veine  (veine  cave)  et  à  l'aorte. 
C'est  ainsi  que  les  animaux  se  nourrissent;  ils  vivent  comme  les  plantes  qui,  par  leurs 
racines,  tirent  la  nourriture  de  l'intestin. 

Le  foie  sert  aussi  à  la  coction  de  l'aliment;  mais  sur  ce  point  Aristote  est  aussi  peu 
explicite  que  possible,  et  il  n'y  a  pas  lieu  d'en  être  surpris,  puisque  aujourd'hui  encore, 
après  tant  de  laborieuses  recherches,  nous  connaissons  à  peine  quelques  unes  des  fonc- 
tions du  foie.  D'ailleurs  le  propre  des  théories  fausses,  n'est-ce  pas  de  se  contenter  de 
preuves  insuffisantes  et  de  ne  pas  saisir  les  contradictions  et  les  incohérences  qu'elles 
traînent  derrière  elles?'  La  rate  (qui  est  un  foie  bâtard,  comme  un  faux  foie)  produit  de 
la  chaleur,  parce  qu'elle  a  du  sang,  et  elle  attire  les  humeurs  excrémentitielles  venant 
de  l'estomac,  pour  leur  faire  subir  une  nouvelle  coction,  supplémentaire. 

Les  reins  contribuent  à  la  séparation  de  l'excrément  liquide,  mais,  comme  le  fait 
remarquer  G.  Pouchet,  Aristote  ne  dit  nulle  part  bien  clairement  que  ce  soient  les  reins 
qui  soient  chargés  de  l'excrétion  de  l'urine.  Toutefois  il  sait  distinguer  l'urine  des  vivi- 
pares, qui  est  liquide,  et  celle  des  ovipares  (reptiles  et  oiseaux)  qui  est  solide.  Quant  à 
la  distinction  des  muscles,  des  tendons  et  des  nerfs,  elle  est  assez  confuse. 

Aristote  s'est  aussi  beaucoup  préoccupé  des  fonctions  de  reproduction,  et  il  y  insiste 
à  diverses  reprises  :  d'ailleurs  ce  sont  des  études  relevant  plutôt  d'observations  zoolo- 
giques ou  médicales  que  d'expérimentations  physiologiques  proprement  dites. 

La  procréation  résulte  de  l'union  du  mâle  et  de  la  femelle;  le  mâle  apportant  le 
mouvement  et  le  principe,  la" femelle  apportant  la  matière.  Le  sperme  contient  l'âme; 
c'est  l'élément  actif  de  la  vie,  et  nécessaire  à  la  formation  du  nouvel  être.  Au  moment  de 
l'accouplement,  le  sperme  pénètre  dans  la  matrice  qui  l'attire  par  sa  chaleur  propre. 
Une  fois  dans  la  matrice,  il  coagule  les  menstrues  —  c'est-à-dire  le  sang  —  qui  s'y 
trouvent,  de  manière  à  former  des  membranes  qui  bientôt  vont  entourer  la  partie  essen- 
tielle du  sperme.  Alors  se  produisent  les  mêmes  phénomènes  que  chez  les  végétaux,  et 
l'animal  fœtus  qui  a  besoin  de  se  nourrir,  se  nouri'it  comme  les  plantes;  il  va  donc 
puiser  la  vie  dans  la  matrice,  comme  les  plantes  dans  la  terre.  Pour  cela  partent  du  cœur 
de  l'embryon,  qui  est  le  centre  de  sa  vie,  deux  veines  qui  forment  le  cordon  ombilical, 
et  vont,  ainsi  que  deux  racines,  chercher  leur  nourriture  dans  les  cotylédons  de  l'utérus. 

Vers  la  fin  de  la  grossesse,  le  sang  se  change  en  lait.  Le  lait  est  formé  d'une  partie 
liquide,  petit  lait  ou  sérum,  et  d'une  partie  solide,  caséum.  Le  lait  riche  en  caséum, 
comme  celui  des  ruminants,  est  plus  nourrissant,  mais  il  est  cependant  trop  épais  pour 


ARISTOTE.  671 

les  enfants.  Le  premier  lait  qui  sort  de  la  mamelle  n'est  pas  de  bonne  qualité,  il  est 
filant,  mais  on  a  tort  de  le  comparer  à  du  pus.  Le  suc  du  figuier,  et  l'estomac  des  ani- 
maux (présure)  déterminent  la  coagulation  du  lait. 

Sur  le  temps  de  la  gestation,  le  moment  de  laparturition,  le  diagnostic  des  grossesses 
de  garçons  ou  de  filles,  la  forme  du  fœtus,  la  copulation  chez  les  divers  animaux,  Aeis- 
TOTE  donne  de  nombreux  détails,  mais  qui  sont  toujours  plutôt  de  la  zoologie  que  de  la 
physiologie,  dans  le  sens  que  nous  entendons  aujourd'hui. 

Telle  est,  en  résumé,  la  physiologie  d'ARisTOTE,  très  imparfaite,  comme  on  voit,  et 
n'ayant  plus  qu'un  intérêt  historique;  car  l'observation  anatomique,  qui  était  sa  seule 
méthode  d'étude,  ne  peut  pas  conduire  à  la  physiologie.  Ignorance  absolue,  et  invrai- 
semblable, des  fonctions  du  cerveau,  des  nerfs  et  de  la  moelle;  ignorance  de  la  circula- 
tion et  de  l'essence  même  de  la  fonction  du  cœur;  ignorance  absolue  des  phénomènes 
mécaniques  de  la  respiration,  et  encore  plus,  si  c'est  possible,  de  leur  fonction  chimique; 
ignorance  des  relations  qui  existent  entre  les  aliments  et  la  nutrition.  Malgré  cela,  d« 
place  en  place,  jetant  dans  cette  ombre  épaisse  une  étrange  lueur,  une  appréciation 
juste  et  perspicace  de  certains  détails,  mais  le  plus  souvent  de  détails  anatomiques. 

En  somme,  comme  on  peut  s'en  rendre  compte  par  ce  rapide  exposé,  la  physiologie 
d'AmsïOTE,  malgré  quelques  curieuses  échappées  vers  la  vérité,  est  bien  loin  de  la  vérité; 
mais  en  revanche,  ses  notions  en  zoologie,  et  surtout  ses  vues  sur  la  biologie  générale 
sont  admirables. 

D'abord  les  détails  de  zoologie  physiologique  sont  innombrables.  Ainsi  le  fait  du 
sommeil  hibernal  ne  lui  avait  pas  échappé;  et  quelques  observations  qu'il  fait  à  cet 
égard  seraient  encore  aujourd'hui  bonnes  à  recueillir.  Il  sait,  par  exemple,  ([ue  les  ours 
hibernent,  et  que,  pendant  ce  temps,  c'est-à-dire  au  fort  de  l'hiver,  ils  ne  mangent  pas, 
si  bien  que,  lorsqu'on  les  prend  alors,  on  leur  trouve  l'estomac  et  les  intestins  absolument 
vides.  Il  connaît  la  mue  de  la  peau  des  serpents,  et  le  changement  de  carapace  des  crabes 
et  des  langoustes.  Il  fournit  sur  l'instinct  et  l'intelligence  des  animaux  des  notions  fort 
intéressantes  et  curieuses;  il  a  étudié  les  transformations  des  insectes  qui  commencent 
par  être  des  vers,  puis  des  chrysalides,  puis  des  adultes.  Il  a  vu  que  les  poissons  cartila- 
gineux ont  des  appareils  reproducteurs  et  une  vraie  copulation,  tandis  que  les  serrans 
sont  hermaphodites,  et  que  l'on  ne  connaît  pas  le  mode  de  génération  des  anguilles,  à 
la  vérité  presque  aussi  inconnu  de  nos  jours  qu'il  l'était  àAmsTOTE.  On  trouverait  facile- 
ment nombre  d'exemples  tout  aussi  curieux  que  ceux-là. 

Quant  aux  remarques  de  biologie  générale,  elles  abondent,  et  je  ne  peux  me  dis- 
penser d'en  citer  quelques-unes.  11  semble  que  parfois  certains  ouvrages  de  zoologie 
moderne,  remplis  de  détails  minuscules,  souvent  bien  peu  intéressants,  auraient  à  gagner, 
si  de  semblables  généralités  venaient  interrompre  l'aridité  des  détails  techniques.  Je  cite 
presque  au  hasard. 

«  Un  seul  sens  est  commun  à  tous  les  animaux  sans  exception,  c'est  le  toucher. 

«  Les  animaux  privés  de  sang  —  c'est-à-dire  les  invertébrés  —  sont  plus  petits  que 
les  animaux  qui  ont  du  sang,  à  l'exception  de  certains  mollusques  qui  sont  énormes.  » 

Mais  voici  un  passage  plus  intéressant  encore,  comme  une  vue  prophétique  du  grand 
savant  grec,  relativement  à  cette  lutte  pour  la  vie  que  Darwin  a  magistralement  déve- 
loppée deux  mille  ans  après. 

«  Toutes  les  fois  que  les  animaux  habitent  les  mêmes  lieux  et  qu'ils  tirent  leur  vie  des 
mêmes  substances,  ils  se  font  mutuellement  la  guerre.  Si  la  nourriture  est  par  trop  rare, 
les  bêtes,  même  de  race  semblable,  se  battent  entre  elles.  C'est  ainsi  que  les  phoques 
d'une  même  région  se  font  une  guerre  implacable,  mâle  contre  mâle,  femelle  contre 
femelle,  jusqu'à  ce  que  l'un  des  deux  ait  tué  l'autre,  ou  ait  été  chassé  par  lui;  les  petits 
se  battent  avec  non  moins  d'acharnement.  Tous  les  animaux  sont  en  guerre  avec  les 
carnivores,  qui,  mutuellement,  sont,  eux  aussi,  en  guerre  avec  tous  les  autres,  puisqu'ils 
ne  peuvent  vivre  que  d'animaux...  Les  plus  forts  font  la  guerre  aux  plus  faibles  et  les 
dévorent.  » 

Voici  un  autre  passage  que  Barthélémy  Saint-Hilaire  a,  non  sans  raison,  rapproché 
de  certains  discours  de  Ccvier  :  «  La  constitution  entière  de  l'animal  peut  être  assimilée 
à  une  cité  régie  par  de  bonnes  lois.  Une  fois  que  l'ordre  est  établi  dans  la  cité,  il  n'est 
plus  besoin  que  le   monarque  assiste  spécialement  à  tout  ce  qui  se  fait;  mais  chaque 


672  ARISTOTE. 

citoyen  remplit  la  fonction  particulière  qui  lui  a  été  assignée,  et  alors  telle  chose  s'ac- 
complit après  telle  autre,  selon  ce  qui  a  été  réglé.  Dans  les  animaux  aussi,  c'est  la 
Nature  (jui  maintient  un  ordre  tout  à  fait  pareil,  et  cet  ordre  subsiste,  parce  que  toutes 
les  parties  des  êtres  ainsi  organisés  peuvent  chacune  accomplir  naturellement  leur  fonc- 
tion spéciale.  » 

11  admet  comme  essentielle  la  notion  d'une  finalité  présidant  à  toutes  les  formes 
anatomiques,  notion  qui,  plus  tard,  inspirera  si  heureusement  Galien.  «  Dans  toutes  les 
oeuvres  de  la  Nature,  dit-il,  il  y  a  toujours  place  pour  l'admiration,  et  on  peut  leur 
appliquer  le  mot  de  Démocrite  à  des  étrangers  qui  venaient  pour  le  voir  et  s'entretenir 
avec  lui.  Comme  ils  le  trouvaient  se  chauffant  au  feu  de  la  cuisine  :  «  Entrez  sans  crainte, 
«  leur  dit  le  philosophe,  les  dieux  sont  toujours  ici.  »  De  même,  dans  l'étude  des  animaux, 
quels  qu'ils  soient,  il  n'y  a  jamais  à  détourner  nos  regards  dédaigneux,  parce  que  dans 
tous  il  y  a  quelque  chose  de  la  puissance  de  la  Nature  et  de  sa  beauté.  11  n'est  pas  de 
hasard  dans  les  œuvres  qu'elle  nous  présente;  toujours  ces  œuvres  ont  en  vue  une  cer- 
taine fin,  et  il  n'y  en  a  pas  où  ce  caractère  éclate  plus  fortement  qu'en  elles.  Si  quelqu'un 
était  porté  à  mépriser  l'étude  des  autres  animaux,  qu'il  sache  que  ce  serait  aussi  se 
mépriser  soi-même.  >> 

Mais,  de  toutes  les  idées  d'ARiSTOTE,  la  plus  importante,  et  sans  doute  la  plus  célèbre, 
est  celle  que  Leibniz  a  reprise  et  traduite  sous  la  forme  de  ce  fameux  axiome  :  «  Natara 
non  facit  saltus.  » 

Voici  comment  Ahistote  en  a  parlé  :  «  La  Nature  passe  des  êtres  sans  vie  aux  êtres 
animés  par  des  nuances  tellement  insensibles  que  la  continuité  nous  cache  la  limite  com- 
mune des  uns  et  des  autres,  et  qu'on  est  embarrassé  de  savoir  auquel  des  deux  extrêmes 
on  doit  rattacher  l'intermédiaire.  Ainsi,  après  la  classe  des  êtres  animés  vient  d'abord 
celle  des  plantes.  Déjà,  si  l'on  compare  les  plantes  entre  elles,  les  unes  semblent  avoir 
une  plus  grande  somme  de  vie  que  certaines  autres,  puis  la  classe  entière  des  végétaux 
doit  paraître  presque  animée  comparativement  à  d'autres  corps;  mais,  en  même  temps, 
quand  on  la  compare  à  la  classe  des  animaux,  elle  paraît  presque  sans  vie.  D'ailleurs  le 
passage  des  plantes  aux  animaux  présente  si  peu  d'intervalles  que,  pour  certains  êtres 
qui  habitent  la  mer,  on  hésite  et  on  ne  sait  pas  si  ce  sont  vraiment  des  animaux  ou  des 
plantes.  Ainsi  l'éponge  produit  absolument  l'effet  d'un  végétal;  mais  c'est  toujours  par 
une  différence  très  légère  que  ces  êtres,  les  uns  comparés  aux  autres,  semblent  avoir 
de  plus  en  plus  la  vie  et  le  mouvement.  11  n'y  a  presque  pas  de  différence  entre  l'organi- 
sation des  Téthj'es  (ascidies)  et  celle  des  plantes,  bien  que  lesTéthyes  doivent  être  consi- 
dérées comme  des  animaux,  à  plus  juste  titre  que  les  éponges;  car  ces  dernières  offrent 
absolument  les  conditions  d'une  plante.  C'est  que  la  Nature  passe  sans  discontinuité  des 
êtres  privés  de  vie  aux  animaux  vivants,  par  l'intermédiaire  d'êtres  qui  vivent  et  qui  sont 
animés,  sans  être  cependant  de  vrais  animaux.  Ces  êtres  étant  fort  rapprochés  entre  eux, 
il  semble  qu'ils  ne  présentent  qu'une  différence  imperceptible.  Ainsi,  par  cette  propi'iété 
qu'a  l'éponge  de  ne  pouvoir  vivre  qu'en  s'attachant  quelque  part,  et  de  ne  plus  vivre  dès 
qu'on  la  détache,  elle  est  tout  à  fait  comme  les  plantes.  Les  Holothuries  et  d'autres 
animaux  marins  différent  aussi  bien  peu  des  plantes,  et  présentent  le  même  phénomène 
quand  on  les  arrache.  Ces  êtres  n'ont  pas  trace  de  sensibilité,  et  ils  vivent  comme  des 
végétaux  détachés  du  sol.  Parmi  les  plantes  que  nourrit  la  terre,  il  en  est  qui  vivent  et 
poussent,  tantôt  sur  d'autres  plantes,  et  tantôt  même  après  qu'on  les  a  arrachées.  C'est 
le  cas  de  la  plante  du  Parnasse  qu'on  appelle  V épij)étron,  qui  vit  longtemps  encore  sur  les 
poteaux  où  on  la  suspend.  De  même  les  Ascidies  et  les  êtres  qui  y  ressemblent  et  se  rappro- 
chent beaucoup  de  la  plante,  en  ce  que,  d'une  part,  ils  ne  peuvent  vivre  qu'en  s'attachant 
comme  elle,  bien  que  d'autre  part,  on  puisse  y  découvrir  une  certaine  sensibilité,  puisque 
elles  ont  une  partie  qui  est  de  la  chair.  De  là  l'embarras  qu'on  éprouve  à  les  classer.  » 

L'idée  de  cette  chaîne  continue,  reliant  ensemble  les  différents  êtres  qui  peuplent  la 
terre,  chaîne  qui  semble  indiquer  la  notion  d'une  parenté  commune,  n'est  donc  pas 
moderne,  mais  antique;  et,  quant  à  cet  autre  axiome,  qu'on  croit  souvent  tout  à  fait 
moderne,  que  l'ontogénie  reproduit  la  phylogénie,  il  suffira  de  citer  un  admirable  pas- 
sage de  Harvey,  qui,  lui  aussi,  sur  ce  point  devance  la  science  de  son  temps  :  "  lisdemgra- 
dibus  in  formatione  cujuscumque  animalis,  transiens  per  omnium  animalium  constitutiones, 
ut  ita  clicum,  uvum,  vermem,  fetum,  perfectionem  in  singulis  acquirit.  » 


ARLOING    (S).  673 

En  pareille  matière,  les  citations  sont  plus  intéressantes  que  les  commentaires,  et  je 
ferai  encore,  pour  terminer,  la  citation  d'un  passage  d'ARrsTOTE,  qui  semble  avoir  été  écrit 
par  un  zoologiste  contemporain  :  «  Si,  dit-il,  on  veut  se  rendre  compte  de  ces  deus  organi- 
sations (celle  des  animaux  qui  ont  du  sang  —  vertébrés,  —  et  celle  des  animaux  qui 
n'en  ont  pas  —  invertébrés  —  )  on  n'a  qu'à  imaginer  une  ligne  droite  qui  représenterait 
la  structure  des  quadrupèdes  et  celle  de  l'homme.  D'abord,  au  sommet  de  cette  droite, 
serait  la  bouche  indiquée  par  la  lettre  A;  puis  l'œsophage,  indiqué  par  U  ;  le  ventre,  par 
C;  et  l'intestin,  dans  toute  sa  longueur  jusqu'à  l'issue  des  excréments,  indiqué  par  D. 
Telle  est  la  disposition  des  organes  chez  les  animaux  qui  ont  du  sang  et  chez  lesquels  on 
distingue  la  tête  et  ce  qu'on  appelle  le  tronc.  Quant  aux  autres  parties,  c'est  pour  le 
mouvement  que  la  Nature  les  a  ajoutées,  et  en  a  fait  des  membres  antérieurs  et  posté- 
rieurs. Dans  les  crustacés  et  les  insectes,  la  ligne  droite  se  retrouve  pour  les  organes 
intérieurs,  et  il  n'y  a  de  différences  essentielles  chez  les  animaux  qui  ont  du  sang  que 
par  la  disposition  des  organes  extérieurs  consacrés  à  la  locomotion.  Quant  aux  mollus- 
ques et  testacés  turbines,  s'ils  se  rapprochent  entre  eux  par  leur  organisation,  ils  sont 
tout  à  fait  différents  des  quadrupèdes.  L'extrémité  terminale  s'infléchit  sur  l'extrémité 
initiale,  comme  si  la  ligne  droite  centrale  était  repliée,  avec  le  point  D  incliné  vers  le 
point  A.  Les  parties  intérieures  se  trouvent  alors  enveloppées  par  cette  partie  qu'on 
appelle  le  manteau,  dans  les  mollusques,  et  que,  dans  les  poulpes,  on  appelle  exclusive- 
ment la  tète'.  » 

Il  semble  que  ces  citations  sont  suffisantes  pour  faire  juger  l'œuvre  du  Maître.  C'est 
bien  le  Maître  en  effet,  celui  qui  va  régner  sans  partage  dans  la  science  pendant  plus 
de  dix-huit  siècles.  Mais,  si  grand  qu'il  soit,  il  est  bon  qu'il  ait  été  détrôné.  La 
Nature  est  plus  riche  encore  que  les  ouvrages  des  plus  grands  entre  les  hommes,  et,  quand 
Harvey  essaiera  de  donner  la  démonstration  de  quelques-unes  des  grandes  lois  de  la  phy- 
siologie, on  lui  opposera  malheureusement  Aristote.  Dans  la  recherche  de  la  vérité  que 
nous  poursuivons  avec  ardeur,  nos  prédécesseurs  doivent  être  pour  nous,  non  un  obstacle, 
mais  un  appui. 

CH.   R. 

ARLOING  (S.)  —  Professeur  de  physiologie  à  la  Faculté  des  sciences  de 
Lyon  (1884),  actuellement  professeur  de  médecine  expérimentale  et  comparée  à  la  Fa- 
culté de  médecine  de  Lyon  et  à  l'École  vétérinaire,  1887. 

Outre  ses  travaux  de  physiologie,  Arloing  a  fait  des  travaux  nombreux  de  pathologie 
expérimentale  que  nous  ne  pouvons  mentionner  que  très  sommairement. 

Recherches  sur  la  sensibilité  des  tégumenls  et  des  nerfs  de  la  main(en  coll.  avec  L.  Tripier) 
(A.  P.,  1869,  t.  II,  pp.  33-60;  307-321).  —  Des  conditions  de  la  persistance  de  la  sensibilité 
dans  le  bout  périphérique  des  nerfs  sectionnés  (En  coll.  avec  L.  Tripier)  (A.  P.,  1876,  2=  série, 
t.  III,  pp.  H-44  et  pp.  103-132).  —  Contribution  à  la  physiologie  des  nerfs  vagues  (En  coll. 
avec  L.  Tripier)  (A.  P.,  1871,  t.  iv,  pp.  411-426;  588-601;  732-742  et  1873,  t.  v,  pp.  157- 
175).  —  Application  de  la  méthode  graphique  à  l'étude  du  mécanisme  de  la  déglutition 
chez  les  mammifères  et  les  oiseaux  (Th.  doct.  es  sciences  nat.,  i  vol.  8°.  Paris,  Masson,  1877). 

—  Détermination  des  points  excitables  du  manteau  de  l'hémisphère  des  animaux  solipédes. 
Applications  à  la  topographie  cérébrale  [Rev.  mens,  de  médec.  et  de  chir.,  1879,  p.  178).  — 
Une  addition  à  l'histoire  de  l'excitabilité  dic  manteau  de  l'hémisphère  cérébral  du  chien  {Rev. 
mens,  de  médec.  et  de  chir.,  1879,  pp.  177-186).  —  Recherches  comparatives  sur  l'action  du 
chloral,  du  chloroforme  et  de  l'éther,  avec  applications  pratiques  {D.  P.,  1  vol.  in-8°,  Mas- 
son, 1879).  — Contribution  à  l'étude  de  la  partie  cervicale  du  grand  sympathique  envisagé 
comme  nerf  secrétaire  (A.  P.,  janv.  1890,  (5),  t.  ii,  pp.  1-16).' —  Des  relations  fonctionnelles 
du  sympathique  cervical  avec  l'évolution  de  l'épiderme  et  des  glandes  (A.  P.,  janv.  1891, 

1.  Voici,  d'après  l'édition  de  Duval  (t.  i.  1619)  la  liste  des  ouvrages  où  Aristote  a  émis 
ses   idées  en  physiologie:  De  histuria  Animalium  (pp.  761-966).  —  De  respiratione  (pp.  714-732). 

—  De  animalium  incessu  (pp.  733-747).  —  De  spiritu  (pp.  748-736).  —  De  partibus  animaliam 
(pp.  966-1046).  —  De  qeneralione  animalium  (pp.  1047-1149).  —  De  anima  (pp.  616-661).  —  De 
sensu  et  sensili  (pp.  662-678).  —  De  animalium  motione  (pp.  708-710).  —  De  longitudine  et  bre- 
vitate  vitœ  (pp.  710-714).  Il  n'y  a  de  ces  différents  mémoires  que  l'Histoire  des  animaux  qui  ait 
été  traduite  en  français;  mais  la  grande  édition  in-fol.  de  Duval  contient  le  texte  latin  à  côté 
du  texte  grec. 

DICT.    DE    PHYSIOLOGIE.    —    TO.ME    I.  43 


674  ARSENIC. 

(5),  t.  m,  p.  160-172).  —  ISouvelle  contribution  à  l'étude  de  la -partie  cervicale  du  grand 
sympathique  envisagée  comme  nerf  secrétaire  chez  les  animaux  solipèdes  {A.  P.,  avril  1891, 
(b),  t.  m,  p.  241-282).  —  Poils  et  ongles  (anat.  etphys.)  {Th.  agr.,  Paris,  1880,  1  vol.  in-8°, 
Masson).  —  Modifications  de  la  circulation  sous  l'influence  de  la  saignée  {Rev.  de  méd.,  1882, 
pp.  97-111).  —  Modifications  des  effets  vaso-constricteurs  du  sympath.  cervical  produites 
parla  section  du  pneumogastrique  cliez  les  animaux  où  ces  deux  nerfs  sont  isolables  (B.  B., 
févr.  1882,  pp.  85-87).  —  Procédé  général  pour  évaluer  la  force  mécanique  de  l'élasticité 
des  gros  troncs  artériels  (ibid.,  pp.  87-88).  —  Note  sur  les  rapports  de  la  pression  à  la  vitesse 
du  sang  dans  les  artères  pour  servir  à  l'étude  des  phénomènes  vasomoteurs  {A.  P.,  janv. 
1889,  pp.  115-124).  —  Tétanos  du  myocarde  chez  les  mammifères  par  excitation  du  nerf 
pneumogastrique  (A.  P.,  janv.  1893,  (o),  t.  v,  pp.  103-113).  —  Remarques  sur  quelques 
troubles  du  rythme  cardiaque  (A.  P.,  janv.  1894,  (5),  t.  vi,  pp.  85-92).  —  Modifications 
rares  ou  peu  connues  de  la  contraction  des  cavités  du  cœur  sous  l'influence  de  la  section  et  de 
l'excitation  des  nerfs  pneumogastriques  {ibid.,  pp.  163-172).  —  Note  sitr  l'état  des  cellules 
glandul.  de  la  sous-maxillaire  après  l'excitation  de  la  corde  du  tympan  (En  coll.  avec 
J.  Renadt)  (C.  R.,  1879,  t.  lxsxviii,  p.  1366).  • — Rech.  sur  l'anat.  et  la  physiol.  des  muscles 
striés  pâles  et  foncés  (En  coll.  avec  Lavocat)  {Mém.  de  l'Acad.  de  Se,  inscript,  et  belles- 
lettres  de  Toulouse,  1875,  t.  vu,  pp.  177-194).  —  Dégénération  et  centre  trophique  des 
nerfs,  examen  critique  des  opinions  émises  sur  leur  nature;  applications  {B.  B.,  1886,  (8), 
t.  III,  p.  So3-oo6).  —  Appareil  simple  pour  déterminer  la  quantité  d'acide  carbonique  exhalé 
par  les  petits  animaux  à  l'état  de  santé  et  de  maladie  {A.  P.,  (3),  t.  vu,  1886,  pp.  322-345). 

—  Note  sur  les  effets  physiologiques  du  formiate  de  soude  {C.  R.,  1879,  t.  lsxxix,  p.  487). 

—  Note  sur  quelques  points  de  l'action  physiologique  de  la  cocaïne  {Mém.  Soc.  BioL,  188S, 
(8),  t.  n,  pp.  16-22). 

Traité  d'anatomie  comparée  (en  coll.  avec  Chauveau),  4=  éd.,  1  vol.  in-S»,  Paris,  J.  B. 
Baillière,  1890.  — Cours  élémentaire  d'anatomie  générale,  l  vol.  in-8'',  Asselin  et  Houzeau, 
Paris,  1890. 

De  l'existence  d'une  matière  phlogogéne  dans  les  bouillons  de  culture  et  dans  les  humeurs 
7itttU7'elles  oùont  vécu  certains  microbes  (C.  R.,  7mai  1888,  t.  cviii,  p.  1365).  —  Remarques  sur 
les  diastases  sécrétées  par  le  Bacillus  heminecrobiophilus  dans  les  milieux  de  culture  (C.  R., 
2  déc.  1889,  t.  cxi.,  p.  842).  —  Détermination  du  microbe  producteur  de  la  péripneumonie 
contagieuse  du  bœuf  {C.  R.,  16  sept.  1889,  t.  cxi,  p.  459).  —  Sur  la  propriété  immuni- 
sante des  cultures  de  Pneumobacillus  liquefaciens  bovis  contre  la  péripneumonie  contagieuse 
{Soc.  centr.  de  médec.  vétérin.,  10  mai  1894).  —  Du  charbon  bactérien  {charbon  symptoma- 
tique  de  Chabert)  ;  Pathogènie  et  inoculations  préventives  (En  coll.  avec  Cornevin  et  Thomas) 
2«  édit.,  1  vol.  in-8°.  Paris,  Asselin,  1887.  —  Influence  de  la  lumière  blanche  et  de  ses 
rayons  constituants  sur  le  déceloppement  et  les  propriétés  du  Bacillus  anthracis  {A.  P.,  1886, 
(3),  t.  vu,  pp.  209-235).  —  Fermentation  des  matières  azotées  sous  l'influence  de  virus  anaé- 
robies  (C.  R.,  1886,  t.  cm,  p.  1268).  —  De  l'exhalation  de  l'acide  carbonique  dans  les 
maladies  infectieuses  déterminées  par  des  microbes  aérobies  (C.  il.,  1886,  t.  cm,  p.  610).  — 
Les  virus,  1  vol.  in-8''.  Paris,  Alcan,  1891.  —  Leçons  sur  la  tuberculose  et  certaines  septi- 
cémies, 1  vol.  in-8°.  Paris,  Asselin,  1892. 

ARSENIC.  —  Notions  chimiques.  —  L'arsenic  se  rencontre  dans  la  nature 
à  l'état  natif  en  petites  masses  bacillaires  et  fibreuses,  dans  certains  gites  métallifères  : 
mais  on  le  trouve  surtout  à  l'état  de  sulfure  d'arsenic,  ou  de  sulfarséniure.  II  a  été 
signalé  en  très  petites  quantités  dans  un  certain  nombre  d'eaux  minérales,  en  particulier 
dans  les  eaux  ferrugineuses. 

L'arsenic  est  une  des  substances  les  plus  répandues  dans  la  nature.  Beaucoup  de 
terrains  sont  arsenicaux,  les  aliments  qui  y  croissent  peuvent  alors  renfermer  des  traces 
de  toxique.  Ce  sont  les  parties  les  plus  nutritives,  comme  les  semences,  qui  en  con- 
tiennent le  plus;  l'arsenic,  a-t-on  prétendu,  se  substituant  au  phosphore  (Dragendorkf). 
On  verra  plus  loin  que  la  possibilité  de  la  substitution  de  l'arsenic  au  phosphore  dans 
certains  tissus  animaux  a  également  été  admise. 

Les  eaux  qui  ont  traversé  des  terrains  naturellement  arsenicaux  ou  dans  lesquels  on 
fait  écouler  des  résidus  arsenicaux  provenant  des  laboratoires  de  chimie  ou  d'établisse- 
ments industriels  peuvent  renfermer  de  l'arsenic.  Sonnenschein  a  fait  remarquer  que 


ARSENIC.  675 

l'air  pouvait  renfermer  du  chlorure  d'arsenic  au  voisinage  des  fabriques  de  soude  artifi- 
cielle qui  consomment  de  l'acide  sulfurique  arsenical;  l'humidité  condensera  ce  corps. 

La  question  de  savoir  si  l'arsenic  du  sol  peut  s'introduire  dans  un  corps  inhumé  est 
discutée  dans  tous  les  traités  ou  articles  de  toxicologie.  Mais  Garnier  et  Schlagdenhauf- 
FEN  (Ann.  d'hygiène  publique,  1887,  t.  xvii,  p.  28)  ont  montré  que,  quelle  que  soitla  richesse 
naturelle  en  composés  arsenicaux  du  terrain  sur  lequel  est  établi  un  cimetière,  jamais 
l'arsenic  retrouvé  dans  un  cadavre,  pourvu  qu'il  n'y  ait  aucun  mélange  de  la  terre  de  la 
fosse  avec  les  débris  organiques  soumis  à  l'analyse,  ne  peut  provenir  du  sol  avoisinanl. 
L'arsenic  contenu  dans  le  sol  à  l'état  naturel  s'y  trouve  très  probablement  à  l'état  d'acide 
arsénique  combiné  à  la  chaux  ou  plutôt  au  fer  :  ces  deux  composés  ne  sont  jamais 
entraînés  par  les  eaux  de  pluie,  quelles  que  soient  les  conditions  climatériques  et  sai- 
sonnières; par  suite,  ils  ne  peuvent  venir  au  contact  des  cadavres  inhumés  et  s'y  intro- 
duire par  un  phénomène  d'imbibition.  Il  en  serait  de  même  de  l'arsenic  introduit  dans 
le  sol  sous  une  forme  soluble  ;  il  se  transforme  rapidement  à  courte  distance  en  dérivé 
insoluble.  C'est  du  reste  exactement  ce  que  dit  Orfila  (Article  Arsenic  du  Dict.  Encyclop.). 
E.  LuDwiG  et  MadthiN'er  sont  moins  affirmatifs  (176.  das  Vorkommen  von  Arsen  in  Fric- 
dliofserden  :  Wien.  klin.  Wochenschr.,  1890). 

L'arsenic  est  un  corps  solide,  d'aspect  métallique,  de  couleur  blanc  grisâtre.  Poids 
atomique  =  73;  poids  moléculaire  =  300.  Comme  celle  du  phosphore,  sa  molécule  con- 
tient donc  4  atomes  en  2  volumes.  Sa  densité  est  3,75.  Sous  l'influence  de  la  chaleur  il 
se  volatilise  à  180°  sans  fondre;  mais,  si  l'on  fait  intervenir  la  pression,  il  se  transforme 
en  un  liquide  transparent.  Sa  vapeur  est  jaune-citron,  elle  émet  une  odeur  alliacée, 
grâce  à  un  commencement  d'oxydation.  Elle  se  condense  sous  forme  d'un  dépôt  brun 
(tache  ou  anneau)  plus  ou  moins  brillant,  à  éclat  plus  ou  moins  métallique,  suivant 
l'épaisseur.  Une  solution  étendue  d'hypochlorite  de  soude  dissout  instantanément  ce 
dépôt.  Une  tache  arsenicale  est  transformée  en  une  tache  jaune  de  sulfure  d'arsenic 
lorsqu'on  la  mouille  avec  du  sulfure  d'ammonium  et  qu'on  évapore  avec  précaution  :  la 
tache  jaune  est  insoluble  dans  l'acide  chlorhydrique  mélangé  de  son  volume  d'eau.  Si 
l'on  dissout  la  tache  arsenicale  dans  l'acide  nitrique  pur,  on  obtient,  après  évaporation, 
un  résidu  blanchâtre  d'acide  arsénique.  Une  goutte  d'ammoniaque  ajoutée  au  résidu, 
donne  de  l'arséniate  d'ammoniaque.  Si  l'on  chasse  alors  à  100°  l'excès  d'ammoniaque, 
et  si  l'on  touche  le  résidu  blanchâtre  restant  au  fond  de  la  capsule  avec  une  solution 
faible  de  nitrate  d'argent,  on  obtient  une  coloration  rouge  brique  caractéristique  qui 
est  celle  de  l'arséniate  d'argent. 

Au-dessous  du  rouge  sombre,  l'arsenic  s'enflamme  dans  l'oxygène  ou  dans  l'air  et 
brûle  avec  une  lueur  livide  en  donnant  de  l'acide  arsénieux  et  dégageant  une  forte  odeur 
d'ail.  Il  s'oxyde  assez  rapidement  à  l'air,  et,  pour  le  conserver  brillant  on  le  garde  sous 
une  couche  d'eau  qui  dissout  les  petites  quantités  d'acide  arsénieux  qui  peuvent  se  for- 
mer. On  a  dit  qu'étant  insoluble  il  n'est  pas  toxique  :  mais  il  se  transforme  partielle- 
ment dans  le  suc  gastrique  en  acide  arsénieux.  Des  expériences  récentes,  dont  il  sera 
question  plus  loin,  ont  d'ailleurs  montré  qu'il  peut  donner  lieu  à  des  accidents.  On  s'en 
sert  pour  fabriquer  des  poudres  et  papier  tue-mouches,  après  l'avoir  pulvérisé  et 
humecté  d'eau. 

Composés  oxygénés.  —  L'arsenic  forme  avec  l'oxygène  deux  combinaisons  bien 
définies  :  l'anhydride  arsénieux  As^O''  et  l'anhydride  arsénique  As-O"". 

A.  Anhydride  arsénieux  et  arsénites.  — •  L'anhydride  arse'nieux,  acide  arsé- 
nieux, arsenic  blanc,  se  prépare  industriellement  par  le  grillage  du  mispickel,  et  acces- 
soirement par  le  grillage  des  minerais  arsénifères  de  cobalt  et  de  nickel.  Le  grillage  se 
fait  dans  de  grands  moutles  d'où  les  vapeurs  se  dirigent  dans  de  longs  canaux  légè- 
rement inclinés,  où  se  dépose  l'anhydride  arsénieux  à  l'état  de  farine  ou  de  fleurs  d'arsenic. 

Au  bout  d'un  certain  temps  on  racle  cette  poudre;  cette  opération  est  très  dange- 
reuse et  les  ouvriers  qu'on  y  emploie  sont  exposés  à  de  graves  accidents.  On  soumet  la 
farine  à  une  nouvelle  sublimation  dans  une  chaudière  en  fonte  surmontée  d'une  série 
de  cylindres  en  tôle,  sur  les  parois  desquels  se  condense  l'anhydride  en  masses  compactes 
qui  sont  ainsi  livrées  au  commerce  :  les  vapeurs  non  condensées  arrivent  dans  une  caisse 
en  bois  où  elles  se  déposent. 

Lorsque  les  fleurs  d'arsenic  sont  mélangées  de  soufre,  ce  qui  a  lieu  généralement, 


676  ARSENIC. 

on  en  fait  une  pâte  avec  de  la  potasse  et  on  soumet  cette  pâte  ù  la  sublimation.  Il  arrive 
quelquefois  que  le  produit  est  mélangé  d'arsenic  métallique;  celui-ci  se  combinant  avec 
le  fer  de  la  chaudière  peut  la  percer  et  le  produit  tombe  alors  dans  le  foyer  d'où  il  se 
répand  en  vapeur  dans  l'atelier  :  aussi  cette  opération  est-elle  une  des  plus  dangereuses 
de  l'exploitation  {D.  W). 

L'acide  arsénieux  se  présente  sous  deux  états.  Récemment  préparé  et  fondu,  c'est  une 
substance  amorphe,  incolore,  vitreuse,  transparente,  d'une  densité  de  3,74,  soluble  dans 
2o  fois  son  poids  d'eau  à  13°.  Lentement  à  froid,  plus  rapidement  à  chaud,  ou  bien  lors- 
qu'on le  triture,  il  perd  sa  transparence  et  prend  l'aspect  de  la  porcelaine.  Cette  trans- 
formation est  due  à  la  production  de  petits  cristaux  en  octaèdres  réguliers  microsco- 
piques. L'acide  porcelanique  ou  opaque  possède  une  densité  de  3,687  et  ne  se  dissout 
plus  que  dans  80  fois  son  poids  d'eau.  La  transformation  de  l'acide  vitreux  en  acide 
porcelanique  se  produit  en  allant  de  la  surface  des  fragments  vers  leur  centre  :  aussi, 
lorsqu'on  casse  un  fragment  ainsi  modilié,  trôuve-t-on  qu'il  a  encore  un  noyau  vitreux. 

La  question  de  la  solubilité  de  l'anhydride  arsénieux  est  intéressante  pour  la  toxico- 
logie. Nous  avons  donné  les  chiffres  classiques  :  les  différents  auteurs  ne  s'accordent  pas 
toujours  à  ce  sujet.  Dogiel  (A.  Pf.,  t.  sxiv,  p.  328,  1881)  en  a  réuni  un  grand  nombre. 
S'ils  varient,  d'après  les  expérimentateurs,  c'est  que  les  observations  n'ont  pas  toujours 
été  faites  dans  les  mêmes  conditions  :  comme  le  fait  remarquer  Dogiel,  il  faut  tenir 
compte:  i"  de  la  forme  de  l'anhydride  arsénieux;  2°  de  la  température  de  l'eau;  3°  de 
la  durée  du  contact  avec  l'eau  ou  de  celle  de  l'ébullilion;  4°  du  degré  de  refroidissement 
de  la  solution. 

C'est  ainsi  que  Taylor  a  trouvé  que  l'eau  froide  à  la  lempérature  ordinaire  ne  dissout 
que  I/oOO  à  l'/lOOO  de  son  poids;  l'eau  chaude  1/400;  et  qu'il  faut  une  ébullition  d'une 
heure  pour  qu'elle  arrive  à  en  dissoudre  1/24. 

Dogiel  donne  lui-même,  les  chiffres  suivants  :  à  13°,  l'acide  arsénieux  vitré  se  dissout 
dans  89  parties  d'eau.  L'acide  porcelané  se  dissout  dans  71,8  parties  d'eau  quand  le 
liquide  a  été  porté  à  100°,  puis  refroidi;  dans  35,1  parties,  quand  l'ébullition  a  duré  une 
heure.  La  présence  de  substances  organiques  dans  l'eau  diminue  sa  solubilité  :  il  est 
peu  soluble  dans  la  graisse  (0,6  p.  100),  il  se  dissout,  par  contre,  dans  les  solutions  alca- 
lines. 

As-0^  est  réduit  au  rouge  sombre  par  le  charbon,  l'hydrogène,  les  métaux.  Les  solu- 
tions le  sont  également  à  froid  par  le  zinc,  l'acide  phosphoreux,  etc.  En  présence  de 
l'hydrogène  naissant,  il  est  transformé  en  hydrogène  arsénié; 

As-^O'  +  12H  =  2AsH3  +  3H2  0. 

Cette  réaction  est  utilisée  pour  la  recherche  de  l'arsenic  par  l'appareil  de  Marsh.  La 
solution  bouillante  d'acide  arsénieux  (ou  arsénique)  dans  l'acide  chlorhydrique  se  réduit 
très  facilement  à  l'état  d'arsenic  sous  l'influence  du  chlorure  stanneux.  Le  métal  se  dépose 
sous  forme  d'un  dépôt  brun  volumineux  (Bettendorf). 

Les  agents  oxydants,  l'eau  régale,  l'acide  azotique,  le  chlore  ou  l'iode  en  présence  de 
l'eau  convertissent  l'acide  arsénieux  en  acide  arsénique. 

Les  arsénilesde  sodium  et  de  potassium  sontsolubles  dans  l'eau;  l'hydrogène  sulfuré 
ne  les  précipite  pas;  mais  si,  après  les  avoir  traitées  par  l'hydrogène  sulfuré,  on  y  ajoute 
ensuite  de  l'acide  chlorhydrique,  il  se  dépose  du  bisulfure  jaune  :  ils  donnent  avec  l'azo- 
tate d'argent  un  précipité  jaune  d'arsénite  d'argent  soluble  dans  l'ammoniaque  et  dans 
l'acide  azotique;  et  avec  le  sulfate  de  cuivre  un  précipité  vert.  On  emploie  en  médecine 
l'arsénite  de  potasse  sous  le  nom  de  liqueur  de  Fowler,  elle  se  compose  d'acide  arsénieux, 
0  parties;  carbonate  de  potasse,  o;  eau  distillée,  300,  alcoolat  de  mélisse,  \o  parties. 

L'arsénite  de  cuivre  (vert  de  Scheele  ou  vert  suédois),  est  insoluble  dans  l'eau  :  mais  il 
peut  se  dissoudre  dans  le  suc  gastrique,  grâce  à  l'acide  qu'il  renferme. 

L'acéto-arsénite  de  cuivre'^(vert  de  Schweinfurt,  de  Neuvied,  de  Murs),  est  dans  le  même 
cas  :  ces  composés  ont  été  employés  trop  fréquemment  dans  la  fabrication  des  papiers 
peints,  des  fleurs  artificielles,  des  tissus  et  même  pour  colorer  les  bonbons,  les  abat- 
jour,  etc. 

B.  Acide  arsénique  et  arséniates.  —  L'acide  arsénique  existe  sous  deux  états  : 
l'anhydride  arsénique  As-0''et  l'acide  normal AsO'*  H''.  Ce  dernier  s'obtient  en  oxydant 


ARSENIC.  r,77 

l'acide  arsénieux  avec  de  l'acide  azotique  ou  bien  avec  de  l'eau  régale:  l'anhydride  arsé- 
nique  en  chauffant  l'acide  arséniqueau  rouge  somhre. 

L'acide  arsénique  cristallisé  se  dissout  facilement  dans  l'eau  :  il  est  déliquescent,  sa 
solution  présente  une  réaction  acide  et  est  très  caustique.  Traitée  par  l'hydrogène  sul- 
furé elle  ne  donne  pas  de  précipité  immédiat:  ce  n'est  que  lentement  à  froid,  même  en 
liqueur  acide,  plus  vile  à  cliaud,  qu'il  se  dépose  en  précipité  jaune  clair  de  pentasulfure 
d'arsenic,  suivant  les  uns,  d'un  mélange  de  soufre  et  de  trisulfure  suivant  les  autres. 

L'hydrogène  à  l'état  naissant  transforme  l'acide  arsénique  en  hydrogène  arsénié; 
mais  cette  réduction  est  moins  nette  qu'avec  l'acide  arsénieux  :  aussi  est-il  bon  de  le 
ramener  d'abord  à  un  état  d'oxydation  inférieur  par  un  corps  réducteur,  tel  que  l'acide 
sulfureux.  Il  est  réduit  à  l'état  d'arsenic  au  rouge  naissant  par  le  charbon,  les  cyanures, 
l'hydrogène. 

L'acide  arsénique  est  utilisé  en  grandes  quantités  comme  oxydant  dans  la  fabrica- 
tion des  couleurs  d'aniline. 

Traités  par  le  nitrate  d'argent,  les'  arséniates  donnent  un  arséniate  triargentique 
AsO'' Ag-',  caractérisé  par  sa  couleur  rouge  brique  :  ce  précipité  se  dissout  dans  l'ammo- 
niaque comme  l'arsénite,  mais  plus  difficilement  dans  l'acide  azotique  :  le  sulfate  de 
cuivre  produit  un  précipité  bleu,  le  chlorure  de  magnésium  ammoniacal  un  précipité 
blanc  cristallin  d'arséniate  ammoniaco-magnésien. 

L'arséniale  de  soude  constitue  la  liqueur  de  Pearson:  o  centigrammes  sur  30  grammes 
d'eau  distillée  ;  on  emploie  également  l'arséniate  ferreux. 

C.  Sulfures  d'arsenic.  —  On  admet  qu'il  existe  plusieurs  sulfures  d'arsenic  :  nous 
ne  nous  occuperons  que  du  bisulfure  ou  réalgar  et  du  trisulfure  ou  orpiment. 

On  emploie  le  réalgar  en  peinture  et  dans  la  préparation  du  feu  blai\c  indien. 

Le  trisulfure  d'arsenic  ou  orpiment  existe  à  l'état  natif  sous  forme  de  cristaux  jaune 
vif,  brillants. 

Les  sulfures  d'arsenic,  lorsqu'ils  sont  purs,  sont  insolubles,  et  comme  tels,  théorique- 
ment au  moins,  non  toxiques.  On  attribue  habituellement  à  "V.  Schroff  la  démons- 
tration expérimentale  du  fait.  Mais  en  1760  dans  son  travail  :  Expérimenta  quœclam  circa 
venena,  Hillei'eld  a  déjà  observé  qu'un  lapin  pouvait  supporter  sans  inconvénient 
10  grammes  d'orpiment.  Husemann,  à  qui  j'emprunte  cette  indication,  a  également  rap- 
porté des  expériences  conflrmatives  :  chez  un  lapin  qui  avait  reçu  10  grammes  de  réal- 
gar en  une  semaine  le  foie  ne  renfermait  pas  trace  d'arsenic. 

Mais  au  point  de  vue  pratique,  il  faut  se  rappeler  que  l'orpiment  du  commerce  ren- 
ferme d'énormes  proportions  d'acide  arsénieux,  jusqu'à  94  p.  100  (Guibourt),  de  sorte  qu'il 
na  plus  d'orpiment  que  le  nom.  Aussi  son  application  sur  des  ulcères,  des  tissus  can- 
céreux, a-t-elle  donné  lieu  à  des  intoxications. 

Pour  les  recherches  médico-légales  il  est  intéressant  de  noter  aussi  que  d'après 
OssiKovsKY  {Journ  f.  praht.  Chemie,  t.  xxii,  p.  348,  analysé  in  Jahresb.  de  VnicHow  etHrascn, 
1880)  le  sulfure  d'arsenic  peut  en  présence  de  matières  albuminoides  en  putréfaction, 
donner  de  l'acide  arsénieux  et  même  une  certaine  quantité  d'acide  arsénique.  Déplus,  le 
trisulfure  d'arsenic  fraîchement  précipité,  peut,  à  la  température  del'étuve,  dans  de  l'eau 
distillée,  fournir  de  l'acide  arsénieux  même  en  l'absence  de  ces  matières  albuminoides. 
Enfin  Ossikovsky  ajoute  encore  que  la  formation  de  l'acide  arsénieux  aux  dépens  du  tri- 
sulfure est  favorisée  par  la  présence  de  carbonates  alcalins  :  en  présence  du  carbonate  de 
sodium  il  peut  former  du  sulfoarsénite  de  sodium,  qui  à  son  tour,  par  oxydation, 
pourra  donner  de  l'acide  arsénieux. 

Nous  n'avons  pas  à  nous  étendre  ici  sur  les  procédés  de  recherche  de  l'arsenic  dans 
les  tissus.  Le  principe  de  la  méthode  est  celui  de  Maiish  qui  imagina  de  séparer  l'arsenic 
contenu  dans  les  matières  suspectes  en  le  faisant  passer  à  l'état  d'hydrogène  arsénié,  . 
gaz  décomposable  à  chaud  en  hydrogène  et  en  arsenic  métalloïdique,  facile  à  caracté- 
riser par  ses  réactions.  Mais  il  faut  d'abord  isoler  complètement  l'arsenic  des  matières 
organiques,  et  dans  ce  but  différents  procédés  ont  été  indiqués,  pour  lesquels  nous  ren- 
voyons aux  traités  de  toxicologie. 

Causes  d'intoxication.  —  Les  intoxications  par  l'arsenic  sont  professionnelles, 
accidentelles  et  criminelles. 

A.  —   Dans  la  première  catégorie  d'intoxications,  tantôt  l'arsenic  est  directement 


678  ARSENIC. 

manipulé,  tantôt  il  n'intervient  que  comme  agent  d'impureté  des  substances  employées. 
Il  faut  d'abord  placer  en  tête  les  différentes  opérations  relatives  à  la  préparation  de 
l'arsenic  et  de  l'acide  arsénieux.  Les  [ourriers  qui  extraient  le  minerai  arsénifère  n'en 
éprouvent  aucun  inconvénient  particulier,  tout  au  plus  quelques  accidents  locaux.  Il 
n'en  est  plus  de  même  du  broyage,  surtout  quand  l'opération  se  fait  à  la  main  et  au  sec. 
Les  accidents  se  montrent  plus  particulièrement  dans  les  opérations  qui  ont  pour  but 
la  volatilisation  de  l'arsenic  et  le  raclage  de  l'acide  arsénieux  déposé  dans  les  chambres 
de  condensation  :  ce  sont  surtout  les  formes  chroniques  de  l'empoisonnement  qu'on 
observe. 

La  fabrication  des  couleurs  arsenicales,  comme  le  vert  de  Scheele  et  le  vert  de 
ScHWEiKFURT,  toutcs  les  professions  où  l'on  manipule  ces  couleurs  (fabricants  de  papiers 
peints,  de  fleurs  artificielles,  d'abat-jour  verts,  de  cartons  peints,  de  capsules  en  papier 
peint,  etc.),  l'empaillage  des  animaux  au  moyen  de  certaines  préparations,  exposent  les 
ouvriers  à  l'intoxication  arsenicale. 

Des  accidents  d'arsenicisme  ont  e'té  signalés  souvent  dans  les  fabriques  de  fuchsine 
où  l'on  oxyde  l'aniline  au  moyen  de  l'acide  arsénique  (voir  le  tableau  des  intoxications 
professionnelles  dans  Y  Encyclopédie  d'hygiène,  t.  ti,  p.  S02,  Les  intoxications  2')i'ofession- 
nelles,  par  Layet). 

Il  faut  noter  aussi  que  les  établissements  industriels  dans  lesquels  on  prépare  les 
arsenicaux  ou  bien  les  fabriques  de  produits  chimiques  oii  ces  substances  sont  employées 
à  divers  usages  peuvent  agir  sur  le  voisinage  :  les  nappes  souterraines  qui  alimentent 
les  puits  aux  alentours  de  l'usine  peuvent  être  intoxiquées.  Un  des  exemples  les  plus 
connus  est  celui  qui  a  été  observé  dans  le  voisinage  de  la  fabrique  de  fuchsine  de  Pierre 
Bénite  (Chevallier,  Ann.  d'hygiène,  2"  série,  t.  xxv,  p.  lo,  1866). 

B.  —  Les  causes  d'empoisonnement  accidentelles  sont  infiniment  variées.  C'est 
d'abord  l'usage  de  papiers,  fleurs,  étoffes  colorées  avec  des  verts  arsenicaux.  Ziurek 
de  Berlin  a,  dans  une  robe  de  tarlatane  de  vingt  aunes  pesant  5445'', 32,  trouvé 
300  grammes  de  couleur  dans  lesquels  le  composé  arsenical  s'élevait  à  60  grammes.  Le 
séjour  dans  des  chambres  tapissées  de  papiers  colorés  par  des  préparations  arsenicales 
a  été  souvent  la  cause  d'accidents.  Il  faut  signaler  encore  ici  le  cas  de  cet  amateur  de 
chasse  qui  avait  réuni  dans  son  cabinet  un  nombre  considérable  d'animaux  empaillés 
enduits  d'une  préparation  arsenicale,  et  qui  présentait  tous  les  symptômes  d'un  empoi- 
sonnement causé  par  la  présence  du  poison  dans  les  poussières  de  l'appartement 
(Delpech.  Ann.  d'hy g.  publique  et  de  inéd.lég.,-2''  série,  1870,  t.  xxxiii,  p.  314).  En  Russie, 
où  les  paysans  se  servent  souvent  de  l'acide  arsénieux  et  de  préparations  arsenicales 
pour  se  débarrasser  des  insectes  et  de  la  vermine,  les  intoxications  sont  de  ce  fait,  assez 
communes. 

Les  substances  alimentaires  peuvent  être  toxiques,  soit  quelles  aient  été  colorées  par 
des  couleurs  de  ce  genre  (pâtisseries,  bonbons,  saucisses),  soit  que  l'arsenic  y  ait  été 
directement  incorporé.  C'est  par  centaines  qu'on  a  compté,  à  Wurzbourg  en  1869,  à 
Saint-Denis  en  1883,  les  intoxications  produites  par  du  pain  dans  la  préparation  duquel 
était  entré  de  l'acide  arsénieux.  On  se  rappelle  également  les  fameux  et  récents 
empoisonnements  d'Hyères  et  du  Havre  par  du  vin  arsenical.  On  a  trouvé  de  l'arsenic  dans 
du  fromage  auquel  le  marchand  avait  eu  l'ingénieuse  idée  de  mêler  de  la  mort  aux  rats 
pour  y  empêcher  le  développement  de  vers,  dans  les  vinaigres  provenant  de  la  décom- 
position de  l'acétate  de  soude  par  de  l'acide  sulfurique  arsenical,  dans  le  glucose  où  c'est 
encore  l'acide  sulfurique  destiné  à  la  saccharification  qui  l'a  introduit  (Clouet.  Ann. 
d'hygiène  publ.  et  de  médecine  légale,  t.  xlix,  p.  145, 1878). 

Certains  médicaments,  le  bismuth,  le  chloroforme,  la  gl3'cérine,  renferment  sou- 
vent de  l'arsenic.  Chez  un  diabétique  qui  avait  pris  beaucoup  de  glycérine,  Joroschky  a 
observé  des  accidents  dus  très  vraisemblablement  à  ce  toxique  (Prag.  med.  Wochensch., 
1889,  analysé  in  Schmidt's  Jahrb.,  1889,  p.  2.34). 

L'empoisonnement  peut  être  dû  à  des  doses  trop  élevées  ou  trop  longtemps  prolon- 
gées, de  composés  arsenicaux  administrés  dans  un  but  thérapeutique,  ou  encore  à  leur 
application  sur  des  tumeurs,  ulcères,  etc. 

C.  — L'arsenic  a  été  autrefois  le  poison  le  plus  fréquemment  employé  dans  un  but  crimi- 
nel. L'acide  arsénieux  était  surtout  usité  en  raison  de  ses  propriétés  physiques  qui  le 


ARSENIC.  679 

rendent  si  facile  à  confondre  a"vec  toutes  les  poudres  blanches  alimentaires,  sucre,  farine, 
amidon.  Cependant  les  statistiques  de  Tardieu  montrent  que  les  empoisonnements  par 
Tarsenic  ont  subi  à  partir  d'une  certaine  époque  une  diminution  considérable  :  ce 
qui  tient  d'une  part  aux  mesures  restrictives  apportées  à  la  vente  de  l'arsenic,  et  d'autre 
part  à  ce  que  le  progrès  de  la  science  arrivant  à  déceler  la  moindre  trace  du  poison  a 
détourné  les  criminels  de  son  emploi. 

Historique.  —  Les  anciens  ne  paraissaient  avoir  connu  que  les  sulfures,  le  réalgar 
et  l'orpiment.  Le  pi'emier  s'appelait  la  sandaraque  ou  arsenic  rouge,  le  second,  l'arsenic 
proprement  dit  ou  arsenic  jaune.  Dioscoride(78  ans  après  J.-C),  Celse,  Galien  attribuent 
surtout  à  ces  substances  des  propriétés  caustiques,  dépilatoires,  parasiticides,  mais  signa- 
lent cependant  leur  influence  favorable  comme  médicament  interne  dans  les  toux  opi- 
niâtres, les  dyspnées,  les  affections  de  la  voix,  les  suppurations  des  organes  respiratoires. 
Pline  a  conseillé  de  faire  respirer  aux  asthmatiques  les  vapeurs  résultant  de  sa  com- 
bustion avec  du  bois  de  cèdre  :  la  calcination  donne  en  effet  naissance  à  de  l'acide  arsé- 
nieux. 

Après  avoir  perdu  de  sa  faveur  vers  la  fin  du  règne  des  Arabistes,  continuateurs 
des  pratiques  du  galénisme,  l'arsenic  reparait  de  nouveau  en  thérapeutique  à  partir  du 
xvi"  siècle.  Paracelse  (1493-1541)  s'en  est  servi  dans  le  cancer,  qui  est  d'après  lui  une 
affection  arsenicale  de  la  mamelle,  un  réalgar  qui  se  dépose.  Malgré  cette  opinion  sin- 
gulière, il  recommande  de  ne  pas  cautériser  ni  extirper  les  humeurs  cancéreuses,  parce 
que,  mis  en  contact  avec  l'air,  le  réalgar  s'échappe  et  va  exercer  sa  malice  ailleurs.  Il 
faut  donc  le  traiter  à  sa  manière,  c'est  à  dire  adoucir  et  combattre  les  accidents,  et  n'avoir 
recours  à  l'arsenic  que  pour  nettoyer  le  fond.  Fallope  (d523  à  1562)  a  employé  l'arsenic 
contre  la  gangrène  et  les  ulcères  cancéreux.  Van  Helmont  assure  que  le  réalgar  guérit 
plus  de  soixante  espèces  d'ulcères  et  en  opère  la  cure  à  raison  de  ses  qualités,vénéneuses. 

Communément  on  n'employait  alors  l'arsenic  qu'à  l'extérieur.  Cependant  Laugius 
rapporte  que  Georges  Werth,  médecin  de  Louis  l"  roi  de  Hongrie  (1380),  avait  coutume 
d'ordonner  contre  l'asthme  un  électuaire  dont  l'arsenic  formait  la  base.  C'est  au 
xvii°  siècle  qu'a  commencé  à  se  propager  son  usage  interne.  D'après  Sprengel,  les  premiers 
essais  que  l'on  tenta  en  vue  de  le  faire  prendre  intérieurement  furent  sans  doute  occa- 
sionnés par  l'ignorance  des  traducteurs  et  des  imitateurs  des  Arabes  qui  confondirent 
la  cannelle  (en  arabe  dar-zini)  avec  l'arsenic.  Quoi  qu'il  en  soit,  David  de  Planiscamp  le 
prescrit  dans  la  syphilis,  Jean  de  Gorres,  médecin  de  Louis  XIII,  le  recommande  contre 
plusieurs  maladies,  et  Lemery  s'élève  contre  l'usage  que  l'on  en  fait  dans  les  fièvres 
quartes. 

Au  xvm'=  siècle  la  lutte  fut  longue  entre  les  partisans  de  l'emploi  interne  de  l'arsenic 
et  ses  adversaires.  Dans  les  deux  camps  on  rencontre  des  noms  célèbres,  d'un  côté 
Wepfer,  Stœrck,  Stahl,  Peyrillhe,  Horn,  Hufeland  :  de  l'autre  Slevogt,  Keil, 
Berhardt,  Donald  Monro,  Jacobi,  Huermann,  les  deux  Plenatz,  Lefébure  de  Saint-Ildefond, 
qui  vanta  surtout  l'arsenic  contre  le  cancer,  Fowler,  Willan,  Peahson.  C'est  Jacobi  qui 
enseigna  le  premier,  dit  Sprengel,  à  se  servir  de  l'arsenic  blanc  avec  plus  de  circonspection 
en  le  faisant  digérer  avec  de  la  potasse  pour  le  saturer  et  en  le  dissolvant  ensuite  dans 
l'eau,  procédé  qui  a  été  suivi  plus  tard  par  Fowler.  Parmi  les  travaux  du  commence- 
ment de  ce  siècle,  il  faut  surtout  citer  ceux  de  Harles,  qui  en  1813  publia  une  remar- 
quable monographie  sur  l'arsenic,  de  Fodéra,  qui  contribua  à  répandre  en  France 
l'usage  de  l'arsenic,  de  Cazenave,  et,  plus  près  de  nous,  celui  de  Boudin.  Les  mémoires 
plus  récents  sur  l'action  thérapeutique  de  l'arsenic  seront  cités  dans  le  courant  de  cet 
article. 

Le  pouvoir  toxique  des  composés  arsenicaux  semble  avoir  moins  frappé  les  pre- 
miers observateurs  que  leurs  propriétés  curatives.  Celse  et  Galien  passent  ,sous  silence 
leur  action  délétère.  Dioscoride  a  écrit,  il  est  vrai,  que,  pris  en  breuvage,  le  sandaraque  et 
l'arsenic  occasionnent  de  violentes  douleurs  dans  les  intestins  qui  sont  vivement  corrodés, 
mais  il  ne  va  pas  plus  loin  et  recommande  de  combattre  les  effets  corrosifs  par  des 
émolhents.  Roger  Bacon,  qui  a  trouvé  le  moyen  de  préparer  l'acide  arsénieux,  ne  parle 
pas  des  propriétés  vénéneuses  de  ce  corps.  C'est  surtout  Pierre  de  Abano  (1250-1316),  pro- 
fesseur à  Padoue,  qui  a  bien  étudié  les  symptômes  de  l'intoxication  et  paraît  avoir  le 
premier  signalé  les  accidents  paralytiques  dus  à  l'arsenic  (De    Venenis  eorumque  reme- 


680  ARSENIC. 

diis).  Il  est  probable,  dit  Orfila  (Article  Arsenic  du  D.  D.),  que  l'arsenic  sublimé  et  les 
sulfures  ont  été  les  instruments  des  nombreux  cas  d'empoisonnement  dont  parlent 
les  chroniques  du  xiii°  et  du  xiv»  siècle.  Vers  le  milieu  du  xy°  siècle,  Ardoini  {Opuft  de 
venenis,  Venise,  1492)  donne  l'énumération  des  principaux  accidents  qui  suivent  l'in- 
jection des  composés  arsenicaux;  ils  ont  été  décrits  depuis  par  un  grand  nombre  d'au- 
teurs parmi  lesquels  il  faut  citer  le  fondateur  de  l'homceopathie,  Hahnemann,  et  dont 
on  trouvera  l'énumération  dans  un  travail  de  Dana  {On  j^seudo  tabès  froni  Arsenical 
poisoning,  Brain,  t.  is,  1887,  p.  436),  ainsi  que  dans  celui  d'iMBERT-GouKSEYKE  {Des  suites  de 
l'empoisonnement  arsenical,  Paris,  1881). 

Il  est  à  croire  que  l'acide  arsénieux  a  été  le  poison  des  Borgia,  et  qu'il  a  formé  la 
base  de  la  fameuse  acqua  Toffana,  ainsi  appelée  du  nom  de  la  célèbre  empoisonneuse, 
qui  s'en  servit,  du  moins  d'après  ses  aveux  arrachés  à  la  torture,  pour  donner  la  mort  à 
plus  de  600  personnes. 

Dose  toxique.  —  Des  manifestations  légères  d'intoxication  sont  constantes  après 
l'injection  de  2  à  3  centigrammes  d'acide  arsénieux:  l'arsénite  de  potassium,  plus  soluble, 
est  plus  toxique  que  l'acide  arsénieux.  Ce  dernier  peut  amener  la  mort  à  la  dose  de 
10  à  20  centigrammes,  lorsqu'il  est  dissous.  D'après  Lachèze  {Anii.  d'hygiène  et  de 
médecine  légale,  1834,  1"=  série,  t.  xvii,  p.  334),  6  milligrammes  d'As-0^  peuvent  pro- 
duire des  accidents  sans  gravité,  1  à  3  centigrammes,  des  symptômes  d'empoisonnement, 
o  à  10  centigrammes,  la  mort.  Cependant  il  faut  être  réservé  dans  l'appréciation  de 
ces  doses  mortelles.  «  Pouvons-nous  affirmer,  dit  Taylor,  qu'il  soit  impossible  qu'une 
personne  guérisse  après  avoir  pris  5  à  10  grammes  d'arsenic,  je  ne  le  pense  pas.  Tout 
ce  que  nous  sommes  fondés  à  dire,  c'est  qu'en  jugeant  d'après  les  effets  des  doses  plus 
petites,  ces  quantités  doivent  probablement  donner  la  mort,  mais  que  nous  ne  sommes 
nullement  certains  de  la  quantité  nécessaire  pour  constituer  la  dose  la  plus  faible  à 
laquelle  le  poison  puisse  être  fatal.  »  Le  dépouillement  attentif  d'un  grand  nombre 
d'observations,  dit  Tardieu  {Étude  médico-légale  et  clinique  sur  l' empoisonnement,  Paris, 
187o),  ne  permet  pas  de  douter  que  10  à  13  centigrammes  suffisent  dans  certains  cas, 
peu  fréquents  il  est  vrai,  à  donner  la  mort.  Orfila  croit  qu'il  faut  20  centigrammes  (Art. 
Arsenic  du  B.  B.);  il  dit  avoir  vu  un  cas  de  guérison  après  l'ingestion  de  2  grammes 
d'acide  arsénique. 

RouYER,  d'après  des  expériences  faites  sur  les  chiens,  a  donn»  les  chiffres  suivants 
{Essai  sur  les  doses  toxiques  et  les  contrepoisons  des  composés  arsenicaux.  Th.  Nancy,  1876). 
En  injection  veineuse  l'acide  arsénieux  est  toxique  à  la  dose  de  OBrjOOOô  par  kilo- 
gramme; il  détermine  des  symptômes  graves  d'empoisonnement,  et  quelquefois  la  mort 
en  vingt-quatre  à  trente-cinq  heures,  à  la  dose  de  OS',0023  par  kilogramme  :  la  mort 
est  certaine  quand  la  dose  injectée  atteint  0S'',003  par  kilogramme,  et  elle  arrive  alors 
au  bout  de  huit  heures.  Lorsqu'il  est  donné  par  la  voie  stomacale,  et  en  solution,  0e'',06 
par  kilogramme  produisent  presque  toujours,  et  0S'',07  toujours,  la  mort  :  à  la  dose 
de  0er,06  par  kilogramme  la  mort  arrive  ordinairement  au  bout  de  vingt-quatre  heures. 
Pour  l'arsénite  de  potassium  la  dose  mortelle  est  également  de  Oei'jOOS  par  kilogramme 
en  injection  veineuse  et  de  OEr.oe  per  os  :  dans  ce  dernier  cas  la  mort  arrive  en  six  à 
sept  heures.  L'arsénite  de  soude,  introduit  dans  l'estomac,  amène,  à  la  dose  de  0e'',15 
par  kilogramme,  des  symptômes  d'empoisonnement  très  graves  et  susceptibles  de  don- 
ner la  mort:  celle-ci  arrive  alors  au  bout  de  vingt-quatre  à  trente  heures,  mais  elle 
peut  aussi  ne  pas  arriver  :  la  dose  mortelle  du  même  composé  est  de  0S'',00o  par  kilo- 
gramme en  injection  veineuse. 

Tableau  résumé  des  doses  toxiques,  habituellement  mortelles. 

DANS  LE   SANG.  UANS   l'eSTOMAO. 

Acide  arsénieux 0  gr.  003  0  gr.  06       ) 

Arséniate  de  soude 0  gr.  003         '  0  gr.  13       >  par  kilogramme. 

Arsénite  de  potasse    ....     0  gr.  003  0  gr.  06      ) 

Lorsque  l'arsenic  est  ingéré  avec  les  aliments,  son  action  toxique  n'a  pas  la  même 
puissance  que  lorsque  l'ingestion  a  lieu  à  jeun,  sans  mélange  avec|les  aliments.  La  nature 
même  des  aliments  influe  beaucoup  sur  les  résultats  de  l'intoxication  {Rapport  de 
Brou.ardel  sur  les  empoisonnements  de  Saint-Denis,  Papadak[s(D.  P.,  1883). 


ARSENIC.  681 

On  a  attribué  en  particulier  aux  corps  gras  la  propriété  de  retarder  et  d'atténuer  les 
accidents  toxiques.  Chapuis  (Influence  des  corps  gras  sur  l'absorption  de  CArsenic.  Ann. 
d'hygiène  et  de  médecine  légale,  9™'=  série,  t.  in,  p.  414,  1880)  a  insisté  sur  ce  fait  que  l'arse- 
nic est  moins  toxique  lorsqu'il  est  mélangé  aux  corps  gras.  Il  a  été  contredit  cependant 
sur  ce  point  par  Papadakis.  Dans  ses  expériences  sur  les  chiens,  ce  dernier  a  trouvé  que 
le  beurre  n'exerce  aucune  influence  manifeste  sur  le  moment  oix  se  montrent  les  pre- 
miers symptômes  d'empoisonnement.  Il  est  vrai  qu'on  peut  observer  dans  certains  cas  un 
retard  plus  ou  moins  considérable,  mais  le  fait  est  rare,  et  il  se  produit  aussi  après 
l'injection  d'autres  substances.  C'est  surtout  quand  l'arsenic  avait  été  incorporé  à  du  pain 
cuit  que  Papadakis  a  vu  les  accidents  survenir  tardivement,  dans  la  majorité  des  cas; 
donné  dans  la  décoction  de  café,  l'arsenic  peut  aussi,  dans  certains  cas,  n'agir  que  long- 
temps après  son  ingestion,  de  2  heures  .30  à  6  heures  après  :  cependant  le  plus  souvent 
son  action  ne  se  fait  pas  attendre. 

Par  contre,  chez  les  chiens,  l'albumine  a  eu  une  influence  manifeste  et  constante  sur 
l'époque  d'apparition  des  premiers  accidents  :  ingérée  en  même  temps  que  l'arsenic,  elle 
hâte  notablement  l'apparition  des  premiers  symptômes,  c'est-à-dire  l'apparition  des 
vomissements,  et  augmente  leur  fréquence. 

Il  faut  tenir  compte  aussi  des  conditions  individuelles.  Dans  les  empoisonnements 
de  Saint-Denis,  le  vomissement  a  débuté  chez  les  adultes  plus  tardivement  que  chez 
les  enfants. 

Intoxication  aiguë.  —  Si  l'arsenic  a  été  pris  à  l'intérieur,  les  symptômes  appa- 
raissent en  général  au  bout  d'une  heure,  quelquefois  d'une  demi-heure;  mais  dans  cer- 
tains cas  ils  sont  plus  lents,  à  se  développer  et  ne  se  montrent  que  de  deux  à  quatre 
heures  après  l'administration  du  poison. 

Ils  peuvent  se  borner  à  ceux  d'une  gastro-entérite  intense.  Soif  vive,  sécheresse  de 
la  gorge,  douleurs  violentes  dans  l'estomac  et  l'intestin,  vomissements  continuels,  bilieux 
ou  sanguinolents,  diarrhée  muqueuse  ou  séreuse;  il  n'est  pas  rare  qu'il  se  produise  des 
selles  riziformes,  analogues  à  celles  du  choléra.  La  présence  du  sang  dans  les  vomisse- 
ments peut  avoir  quelque  importance  au  point  de  vue  du,  diagnostic;  Ollivier  rapporte 
que,  dans  l'épidémie  de  choléra  de  1885,  ce  signe  lui  a  fait  soupçonner  un  empoisonnement 
par  l'arsenic  chez  une  femme  envoyée  dans  son  service  comme  cholérique,  et,  en  elfet, 
dans  l'urine  on  trouva  la  substance  toxique. 

En  général  il  y  a  diminution  de  la  sécrétion  urinaire,  quelquefois  de  l'anurie  et  de 
l'albuminurie;  des  crampes  très  douloureuses  se  font  sentir  dans  les  membres.  En  même 
temps  on  observe  de  la  cyanose,  du  refroidissement,  des  sueurs  froides;  la  faiblesse  et 
l'irrégularité  du  pouls,  la  tendance  à  la  syncope  attestent  la  gravité  de  l'état  général. 
L'issue  peut  être  rapidement  fatale  au  bout  de  vingt-quatre  heures,  quelquefois  au  bout 
de  cinq  à  quinze  heures. 

Dans  la  forme  subaiguë,  plus  commune,  la  mort  n'arrive  qu'au  bout  de  deux  à  six  ou 
dix  jours  ;  on  voit  apparaître  alors  du  deuxième  au  cinquième  jour  des  éruptions  cutanées 
diverses,  papuleuses  ou  pustuleuses  :  les  crampes  s'accompagnent  de  fourmillements  et 
de  dimiiiution  de  sensibilité  dans  les  membres;  des  accidents  paralytiques  peuvent  se 
manifester  :  il  y  a  de  l'agitation,  de  l'insomnie,  quelquefois  du  vertige  et  du  délire.  Ces 
symptômes  nerveux  se  montrent  habituellemeut  après  que  les  troubles  gastro-intestinaux 
ont  cessé  ou  qu'ils  se  sont  notablement  amendés. 

«  Dans  certains  cas  rares  il  ne  survient  ni  vomissements  ni  évacuations  alvines  :  la  peau 
reste  fraîche;  le  pouls  normal,  il  y  a  une  grande  apparence  de  calme;  mais  une  faiblesse 
qui  se  marque  par  quelques  vomissements  et  qui  est  bientôt  suivie  d'une  somnolence  au 
milieu  de  laquelle  la  vie  s'éteint  sans  agonie,  mais  en  quelques  heures,  comme  dans  la 
forme  suraiguë.  C'est,  en  quelque  sorte,  une  forme  latente  de  l'empoisonnement,  dont 
Laborde  et  Renault  ont  rapporté  des  exemples  »  (ïardieu). 

Quant  au  traitement,  s'il  s'agit  d'une  intoxication  récente,  il  faut  évacuer  le  contenu 
de  l'estomac  à  l'aide  de  vomitifs  ou  de  la  pompe  stomacale.  En  même  temps  on  devra 
s'efforcer  de  neutraliser  le  toxique.  L'antidote  classique  est  le  peroxyde  de  fer  hydraté, 
préconisé  par  Bonsen,  qui  forme  des  combinaisons  insolubles  avec  l'acide  arsénieux,  les 
arsénites,  l'acide  arsénique  et  les  arséniates.  On  le  produit  au  moment  même  de  son 
emploi  par  addition  d'ammoniaque  à  une  solution   de  perchlorure  ou  de  persulfate  de 


682  ARSENIC. 

fer.  Il  doit  être  administré  en  grandes  quantités,  quatre  à  huit  grammes,  à  des  intervalles 
assez  rapprochés,  dix  minutes  à  peu  près. 

Un  autre  contre-poison  tout  aussi  efficace  (Bussy)  est  la  magnésie  hydratée  obtenue 
en  faisant  bouillir  extemporanément  dans  l'eau  la  magnésie  calcinée. 

En  Allemagne,  et  dans  divers  autres  pays,  on  associe  le  peroxyde  de  fer  gélatineux  à 
la  magnésie  hydratée.  On  ajoute  lo  grammes  de  magnésie  triturée  dans  2o0  grammes 
d'eau  à  30  grammes  de  sulfate  ferrique  dans  2oO  grammes  d'eau.  Il  se  forme  de  l'hydrate 
de  peroxyde  de  fer,  de  l'hydrate  de  magnésie  et  du  sulfate  de  magnésie.  Ce  dernier 
corps  a  l'avantage  de  provoquer  l'évacuation,  par  les  selles,  de  l'arsénite  de  fer  et  de 
l'arsénite  de  magnésie  formés  qui  sont  arrivés  dans  l'intestin  et  qui  ne  sont  pas  absolu- 
ment inoffensifs.  Si  l'on  ajoute  au  mélange  du  charbon  animal,  destiné  à  entraîner 
mécaniquement  l'acide  arsénieux,  on  obtient  l'antidote  multiple  de  Jeannel,  qui  se 
donne  chaque  fois  à  la  dose  de  30  à  100  grammes. 

Le  sulfure  de  fer  récemment  précipité  est  également  employé. 

Intoxications  chroniqnes.  —  «  Entre  les  formes  les  plus  aiguës,  celles  où  la  mort 
survient  en  quelques  heures  et  celles  qui  déterminent  des  accidents  dont  l'évolution  ne 
s'accomplit  qu'en  quelques  semaines  ou  quelques  mois,  il  y  a  presque  similitude.  Dans 
les  formes  les  plus  lentes,  il  ne  paraît  pas  de  nouveaux  symptômes,  mais  la  durée  de 
quelques-uns  d'entre  eux  permet  de  les  étudier  en  détail,  révèle  en  quelque  sorte  leur 
présence,  qui  passe  inaperçue  quand  tout  le  drame  s'accomplit  en  quelques  jours.  Dans 
les  deux  castes  mêmes  organes  sont  atteints,  les  mêmes  fonctions  sont  troublées.  »  C'est 
ainsi  que  s'exprime  Brouardel  dans  sa  communication  à  l'Académie  de  médecine,  au 
sujet  des  empoisonnements  d'Hyères  et  du  Havre  {Bullet.  de  l'Académie  de  médecine,  1889, 
3"  série,  t.  xxi,  p.  913). 

D'après  Brouardel,  on  pourrait  décrire  dans  ces  intoxications  chroniques  quatre  pha- 
ses :  1°  Troubles  de  l'appareil  digestif;  2°  Catarrhe  laryngé  et  bronchique,  période  dans 
laquelle  prédominent  les  éruptions;  3°  Troubles  de  la  sensibilité,  période  acrodynique; 
4°  Paralysies.  Hahnemakn  notait  déjà  trois  phases  dans  l'empoisonnement  arsenical, 
comme  le  fait  remarquer  Brouardel.  Il  disait  que,  lorsque  les  accidents  passent  à  l'état 
chronique,  il  y  a  des  accès  de  fièvre  avec  coliques,  de  la  rétraction  du  ventre,  de  la 
céphalalgie,  de  la  soif,  de  temps  en  temps  des  vomissements  et  de  la  diarrhée,  puis  sur- 
viennent des  douleurs  dans  les  membres,  des  tremblements  et  de  la  paralysie. 

iS'ous  reproduirons  en  grande  partie  la  description  donnée  par  Brodaruel,  en  y 
ajoutant  les  faits  signalés  par  d'autres  observateurs. 

i''  Période.  —  Troubles  digestifs.  Les  caractères  des  vomissements  sont  assez  spé- 
ciaux :  ils  différent  de  ceux  qu'on  observe  dans  l'empoisonnement  aigu  et  subaigu;  ils  ne 
s'accompagnent  pas  ordinairement  de  sensations  douloureuses  à  l'estomac,  ils  sur- 
viennent brusquement  et  ne  laissent  pas  de  douleurs  vives  ni  de  brûlures  à  leur  suite. 
Ils  sont  assez  abondants  et  se  composent  d'un  liquide  muqueux  mélangé  de  bile  :  enfin 
ils  sont  assez  fréquents.  —  La  constipation  est  plus  fréquente  que  la  diarrhée,  parfois  il 
y  a  eu  quelques  selles  sanguinolentes. 

2me  période.  —  Dans  les  observations  sur  lesquelles  s'appuie  la  description  de  Brouar- 
del, la  fréquence  du  catarrhe  laryngo-bronchique  a  été  telle  que  les  médecins  ont  pensé  à 
une  épidémie  de  grippe  :  quelques  sujets  ont  eu  presque  sans  toux  une  aphonie  qui,  chez 
l'un,  a  duré  plus  de  quinze  jours.  Il  y  a  des  signes  de  broncliite.  En  même  temps  parait 
un  coryza  intense,  quelquefois  avec  larmoiement  et  injection  de  la  conjonctive. 

Pendant  cette  période,  même  avant  le  catarrhe,  parfois  aussi  pendant  les  périodes  sui- 
vantes, paraissent  des  éruptions  cutanées  :  rougeur  et  bouffissure  des  paupières,  du  scro- 
tum, érythèmes  divers,  exfoliations  épidermiques  purpuracées  :  on  a  noté  la  chute  des 
ongles,  on  a  constaté  également  des  vésicules,  des  vésico-pustules,  de  l'urticaire,  des  érup- 
tions rubéoliques,  des  plaques  pigmentées. 

La  séparation  des  deux  périodes  n'est  cependant  pas  toujours  aussi  tranchée,  et  les 
symptômes  peuvent  se  manifester  dans  un  ordre  un  peu  différent  de  celui  qu'a  observé 
Brouardel  :  le  mode  d'absorption,  la  dose,  la  répétition  plus  ou  moins  fréquente  de  l'in- 
gestion de  la  substance  toxique  modifieront  le  tableau.  C'est  ainsi  que  d'après  Husemann 
[Ai'zneimittellehre,  1892,  p.  425)  lorsque  l'administration  prolongée  de  doses  médicinales 
d'arsenic  amène  un  état  d'intoxication  chronique,  on  en  est  d'abord  averti  par  de  la  rou- 


ARSENIC.  683 

geur  de  la  conjonctive  et  de  la  paupière  inférieure,  de  la  sécheresse  des  yeux,  du  nez, 
du  pharynx,  un  léger  enrouement,  parfois  des  douleurs  gastriques  et  de  la  diarrhée. 
IsN'ABD  avait  déjà  insisté  sur  la  signification  de  l'œdème  palpébral  dans  les  cas  de  ce 
genre.  Viennent  ensuite,  si  le  traitement  n'est  pas  suspendu,  les  accidents  plus  graves. 

D'autre  part,  chez  les  ouvriers  employés  à  l'extraction  de  l'arsenic,  les  premiers  acci- 
dents sont  occasionnés  par  l'action  directe  des  poussières  arsenicales  sur  la  peau  et  ses 
dépendances,  et  limités  à  ces  parties  :  il  se  développe  d'abord  des  éruptions  pustuleuses, 
appelées  autrefois  à  tort  eczéma  arsenical,  du  gonflement  de  la  peau,  du  scrotum  et  des 
aisselles,  des  abcès  des  doigts,  de  la  calvitie,  puis  surviennent  les  troubles  digestifs,  de 
la  dysurie  et  de  l'anurie,  enfin  des  altérations  de  la  sensibilité  et  du  mouvement. 

3mc  Période.  — -Les  troubles  de  la  sensibilité  précèdent  ceux  des  mouvements.  Un  phé- 
nomène douloureux  fréquent  et  assez  précoce  est  la  céphalalgie  qui  occupe  presque 
tout  le  crâne  et  persiste  longtemps.  Puis  le  malade  ressent  dans  les  membres  inférieurs, 
surtout  dans  les  jambes  et  les  pieds,  un  engourdissement  incommode.  A  un  degré  plus 
avancé  on  observe  des  douleurs  intenses;  quelquefois  ce  sont  des  élancements,  mais  sou- 
vent les  sujets  se  plaignent  d'une  sensation  de  broiement  très  pénible  siégeant  parti- 
culièrement dans  les  articulations  tibio-tarsiennes  et  tarso-métatarsiennes;  le  frottement 
des  couvertures  du  lit  sur  les  pieds  et  les  jambes  est  tout  à  fait  insupportable. 

Dans  ses  observations,  Brouardel  n'a  pas  trouvé  d'anestbésie  véritable,  mais  la  dimi- 
nution de  la  sensibilité  était  souvent  assez  prononcée,  surtout  aux  membres  inférieurs, 
notamment  aux  pieds.  Les  malades  perdent  alors  la  notion  exacte  de  la  résistance  du 
sol.  La  piqûre  est  moins  nettement  sentie  :  la  pression,  les  attouchements  peuvent  même 
n'être  pas  perçus  du  tout.  Aux  membres  supérieurs  des  troubles  de  la  sensibilité  ont 
aussi  été  constatés.  Chez  plusieurs  des  malades  dont  parle  Brouardel,  ils  étaient  assez 
prononcés  pour  qu'ils  ne  pussent  garder  des  objets  dans  leurs  mains  quand  ils  en  détour- 
naient les  yeux. 

Cependant  la  sensibilité  peut  être  plus  gravement  altérée  qu'elle  ne  l'a  été  dans 
les  cas  observés  par  Brouardel.  Scolosuboff  a  vu  les  sensations  du  tact  et  celles  de  la 
température  disparaître  entièrement  à  la  paume  des  mains,  à  la  plante  des  pieds, 
au  bout  des  doigts,  présenter  une  diminution  considérable  aux  côtés  externes  des  pieds 
et  des  mains,  des  jambes,  et  des  avant-bras,  moins  marquée  dans  la  moitié  inférieure 
des  cuisses  et  dans  le  tiers  inférieur  des  bras.  La  sensibilité  à  la  pesanteur  était 
affaiblie  profondément  aux  jambes  et  aux  avant-bras,  aux  mains  et  aux  pieds  :  un 
poids  de  150  grammes  mis  sur  le  membre  inférieur,  puis  sur  l'avant-bras  du  sujet,  n'a 
point  été  senti  par  lui.  La  sensibilité  à  la  douleur  était  exagérée  dans  les  endroits  où  il 
y  avait  le  moins  de  sensibilité  tactile;  une  légère  piqûre  aux  doigts  faisait  pousser  des 
cris  aux  malades.  Cette  hyperalgésie  paraît  assez  fréquente  :  elle  peut  s'accompagner 
d'une  sensibilité  excessive  aux  variations  de  température  [Gaz.  méd.  de  Paris,  1873, 
p.  396).  Quelques-uns  de  ces  faits  sont  intéressants  au  point  de  vue  de  la  dissociation 
des  sensations  thermiques.  Dans  les  cas  de  Scolosuboff  l'eau  chaude  paraissait  bouil- 
lante au  sujet;  et  l'eau  tiède,  glacée  :  mais  dans  un  cas  mentionné  par  Parkins  (cité  par 
Imbert-Gouhbeyre,  p.  50)  le  malade  ne  sentait  pas  l'eau  bouillante,  tandis  que  l'eau  glacée 
lui  causait  une  grande  douleur;  la  sensibilité  au  froid  était  telle  que,  quand  il  dormait, 
le  plus  léger  courant  d'air  sur  la  figure  le  réveillait,  l'ouverture  comme  la  fermeture 
d'une  porte  lui  causait  un  froid  désagréable. 

On  a  noté  presque  toujours  l'absence  des  réflexes  tendineux  au  niveau  des  membres 
inférieurs;  les  réflexes  cutanés  sont  plus  ou  moins  atteints  suivant  les  cas.  La  douleur 
à  la  pression  le  long  des  troncs  nerveux  a  été  signalée  par  divers  observateurs. 

Il  faut  encore  signaler  comme  une  des  conséquences  de  l'intoxication  arsenicale  chro- 
nique l'anesthésie  génitale,  l'anaphrodisie  observée  par  Biett,  Rayer,  Charcot,  à  la  suite 
de  l'emploi  prolongé  de  doses  trop  fortes  d'arsenic.  Devergie  s'était  inscrit  contre  ces 
faits,  ne  les  ayant  pas  observés  dans  sa  longue  pratique  :  il  rapporte  môme  un  cas 
où  la  médication  aurait  produit  une  excitation  considérable  du  côté  des  organes  géni- 
taux. Delioux  de  Savignac  (Art.  Arsenic  du  D.  D.)  dit  aussi  avoir  constaté  chez  quelques 
sujets,  sous  l'influence  d'une  dose  journalière  de  2  à  3  milligrammes  d'acide  arsénieux, 
un  véritable  état  d'éréthisme  du  sens  génital.  On  a  rapporté  également  que  les  man- 
geurs d'arsenic  étaient  sujets  à  l'orgasme  vénérien  ;  Imbert-Gourbeyhe  ajoute  aux  obser- 


684  ARSENIC. 

valions  précédentes  que  l'arsenic  peut  causer  en  effet  des  excitations  voluptueuses  et  du 
priapisme, — que  l'anaplirodisie  est  un  phénomène'  rare,  mais  qu'il  n'en  existe  pas 
moins. 

Quand  l'intoxication  est  peu  prqfonde,  les  troubles  moteurs  font  défaut  ou  n'existent 
qu'à  l'état  de  vestige.  Ils  débutent  par  un  certain  degré  d'affaiblissement;  puis  la  paresse 
augmente,  le  malade  se  fatigue  beaucoup  plus  vite,  il  jette  ses  jambes,  non  pas  latéra- 
lement en  fauchant,  mais  droit  devant  lui.  Bientôt  il  ne  peut  plus  marcher. 

11  semble,  dit  Brouardel,  que  la  paralysie  débute  par  l'extenseur  commun  des  orteils. 
C'est  dans  ce  muscle  qu'elle  persiste  le  plus  longtemps;  les  autres  muscles  de  la  région 
antéro-externe  sont  atteints  ensuite  :  de  prédilection,  le  jambier  antérieur,  l'extenseur 
propre  du  gros  orteil,  les  long  et  court  péroniers  latéraux.  Les  muscles  de  la  région  pos- 
térieure, les  fléchisseurs  des  orteils  sont  aussi  fortement  atteints;  les  jumeaux  et  le 
soléaire  sont  beaucoup  mieux  conservés,  le  pied  peut  être  quelquefois  fixé  en  équin 
par  suite  de  la  paralysie  des  extenseurs.  On  peut  constater  également  de  l'affaiblis- 
sement dans  la  partie  inférieure  des  muscles  de  la  cuisse,  vaste  interne  et  vaste  externe, 
alors  que  Je  droit  antérieur  est  respecté  (Bbouardel). 

Tous  les  muscles  où  la  paralysie  est  assez  prononcée  subissent  une  atrophie  très 
notable  :  les  muscles  des  pieds  sont  parmi  les  plus  atteints,  le  pédieux  peut  ne  plus 
avoir  trace  de  contractilité  volontaire,  il  en  est  de  même  des  muscles  interosseux  et  des 
muscles  propres  de  la  plante  du  pied. 

Les  membres  supérieurs  ne  se  prennent  que  plus  tardivement,  mais  non  chez  tous  les 
malades  :  ce  sont  encore  les  extenseurs  des  doigts  et  notamment  l'e.'ctenseur  commun 
qui  sont  tout  spécialement  atteints  :  l'atrophie  porte  plus  particulièrement  sur  ces  muscles, 
ainsi  que  les  interosseux,  les  muscles  des  éminences  thénar  et  hypothénar;  elle  est 
beaucoup  moins  marquée  au  bras. 

On  ne  peut  donc  pas  dire  avec  Imbert-Gourbeyre  que  la  paralysie  ne  dépasse  pas  les 
coudes  et  les  genoux  :  elle  est  habituellement  peu  prononcée  aux  cuisses  et  aux  bras, 
mais  elle  y  a  été  constatée.  Le  même  auteur,  sur  plus  de  cent  observations  de  paralysie 
qu'il  a  pu  recueillir,  en  trouve  plus  de  la  moitié  portant  sur  les  quatre  membres,  un 
quart  seulement  portant  sur  les  extrémités  inférieures  seules,  le  reste  pour  les  paralysies 
partielles.  Il  distingue  dans  la  première  catégorie  de  paralysies  deux  formes  principales, 
l'une  plus  fréquente,  dans  laquelle  les  mains  et  les  pieds  seraient  exclusivement  atteints, 
et  qu'il  appelle  chiro-podale,  l'autre  qui  s'étend  jusqu'aux  coudes  et  aux  genoux.  Il  ne 
semble  cependant  pas,  comme  il  a  déjà  été  dit,  que  la  délimitation  soit  d'habitude  si 
nettement  tranchée.  Par  contre  Imbert-Gourbeybe  fait  remarquer,  avec  raison,  l'action 
élective,  en  quelque  sorte,  de  l'arsenic  pour  les  extrémités  inférieures  qui  sont  presque 
toujours  plus  atteintes  que  les  supérieures,  quand  elles  ne  le  sont  pas  exclusivement. 

Les  muscles  de  la  face  et  les  sphincters  semblent  avoir  toujours  été  indemnes. 

L'excitabilité  des  muscles  à  la  pression,  à  la  percussion,  est  souvent  manifestement 
exagérée  :  les  mouvements  volontaires  sont  quelquefois  doulouieux.  La  contractilité 
faradique  des  muscles  atrophiés,  en  particulier  des  jambier  antérieur,  extenseur  commun 
des  orteils,  est  complètement  abolie  :  sur  les  muscles  moins  atteints  elle  est  seulement 
diminuée. 

La  contractilité  galvanique  est  d'ordinaire  affaiblie  seulement  :  l'inversion  des  for- 
mules a  été  assez  rare,  dans  les  cas  observés  par  Brouardel,  et  elle  ne  s'est  montrée  avec 
une  régularité  frappante  que  sur  deux  muscles  toujours  les  mêmes,  extenseur  commun 
des  orteils  et  vaste  interne,  AoSz  >■  KaSz;  sur  quelques  autres  muscles;  AnSz  =  KaSz. 

Seeligmulleh  {Deutsche  med.  Wochensch. ,  1880),  Da  Costa  {Philad.  med.  Times,  1880)  ont 
donné  des  accidents  nerveux  de  Tarsenicisme  une  description  qui  se  rapproche  beaucoup 
de  celle  que  nous  venons  de  tracer,  d'après  Brouardel.  Sef.ligmoller [indique,  de  plus,  les 
caractères  différentiels  qui  permettent  de  distinguer  la  paralysie  arsenicale  d'avec  la 
paralysie  saturnine.  La  première  apparaît  souvent  à  la  suite  d'une  intoxication  aiguë, 
la  seconde  seulement  dans  l'intoxication  chronique  :  celle-là  s'accompagne  de  troubles 
très  marqués  de  la  sensibilité,  qui  manquent  souvent  entièrement  dans  la  paralysie 
saturnine  :  l'une  atteint  principalement  les  membres  inférieurs,  tandis  que,  dans  la 
seconde,  ils  sont  plus  rarement  intéressés.  L'atrophie  musculaire  est  très  rapide  dans 
l'empoisonnement  arsenical  et  est  déjà  manifeste  au  bout  de  quatorze  jours;  enfin  elle 


ARSENIC.  683 

s'accompagne  des  troubles  trophiques  déjà  signalés,  chute  des  ongles,  des  cheveux,  etc. 
I.MBiîRT-GouBBEYRE  a  également  formulé  les  éléments  de  ce  diagnostic  (Voir  /oc.  cit.,  p.  b.S). 

Les  troubles  de  la  coordination  motrice  n'ont  pas  échappé  à  Brouardel  :  Seeligmdller 
a  fait  remarquer  que  dans  la  forme  chronique  de  l'empoisonnement  ils  rappellent  ceux 
du  tabès,  alors  que  les  phénomènes  paralytiques  proprement  dits  sont  moins  prononcés. 

Ch.  Dana,  qui  a  étudié  plus  particulièrement  cette  question  (toc.  cil.),  distingue  deux 
formes  de  paralysie  arsenicale;  une  forme  ordinaire,  mixte,  caractérisée  par  la  paralysie 
et  à  la  fois  motrice  et  sensitive  et  par  la  prédominance  des  troubles  moteurs  et  tro- 
phiques, et  la  forme  pseudo-tabétique  dans  laquelle  la  paralysie  motrice  cède  le  pas  aux 
troubles  sensitifs  et  à  l'ataxie  des  mouvements.  Qn  trouvera  dans  ce  dernier  auteur  une 
bibliographie  très  étendue  des  accidents  nerveux  dans  l'intoxication  arsenicale.  Comme 
observations  plus  récentes  je  citerai  encore  celle  de  KREHL(t/.6er  Arsenlàhmung ;  Arcli.  f. 
Min.  Med.,  t.  XLiv,  p,  32o),  celle  de  Kovacs  {Ein  Fallvon  Arsenlàhmung;  Wien.  med. 
Wochenschr.,  1887,  n°  33),  et  celle  de  Marik  {Uber  Arsenlàhmung  ;  Wien.  Min.  Wo- 
chenschr.,  1891). 

Les  contractures  accompagnent  quelquefois  la  paralysie  :  elles  paraissent  être  sur- 
tout une  conséquence  de  la  prédominance  d'action  des  muscles  respectés  par  le  poison. 
Cependant  Hahnema.nn  rapporte  un  cas  où  la  contracture  aurait  été  la  suite  immédiate 
de  l'empoisonnement. 

Imbert-Gourbeyre  a  réuni  un  grand  nombre  d'observations  de  tremblement  arsenical, 
qui  pourrait  exister  seul  ou  se  mêler  aux  autres  phénomènes  nerveux;  le  plus  souvent 
général,  il  est  quelquefois  localisé,  et  apparaît  habituellement  dans  les  premières  heures 
de  l'empoisonnement. 

Troubles  fonctionnels  et  lésions  anatomiques  du  tube  digestif.  —  Les  lésions 
anatomiques  les  plus  constantes  du  tube  digestif  consistent  en  une  coloration  rouge 
brun  de.  la  muqueuse  de  l'estomac  et  de  l'intestin,  qui  paraît  en  même  temps  gonllée.: 
mais  souvent  il  n'existe  à  la  surface  de  l'estomac  que  quatre  ou  cinq  plaques  de  forme 
oblongue  ou  arrondie  d'un  rouge  violacé  ou  noirâtre,  ou  bien  ce  sont  des  ulcérations 
de  même  forme.  La  plupart  des  auteurs  mentionnent  cette  dernière  lésion,  soit  d'après 
les  observations  sur  l'homme,  soit  d'après  les  expériences  sur  les  animaux,  contrairement 
à  Tabdieu  qui  reconnaît  que  les  plaques  prennent  quelquefois  un  caractère  gangreneux; 
<(  mais  la  membrane  muqueuse  reste  saine  dans  les  intervalles  des  parties  entlammées 
qui  ne  deviennent  jamais,  du  reste,  atteintes  d'ulcérations  ou  de  perforations  ». 

On  peut  aussi  ne  rencontrer  que  la  lésion  décrite  par  Virchow  sous  le  nom  de  gastro- 
adénite parench^^mateuse  et  caractérisée  par  une  tuméfaction  ti'ouble  et  la  dégénéres- 
cence graisseuse  de  l'épithélium  glandulaire  (A.  Y-,  t.  lvii). 

Dans  l'intestin,  ce  sont  des  lésions  de  même  nature,  rougeur  plus  ou  moins  étendue, 
ou  bien  suffusions  sanguines  disséminées,  altération  graisseuse  de  l'épithélium  des 
glandes  et  enfin  une  sorte  d'éruption  psorentérique  (Tabdieu)  formée  par  le  développe- 
ment des  follicules  isolés,  en  tout  semblable  à  celle  que  l'on  observe  dans  le  choléra.  Des 
phénomènes  d'irritation  se  rencontrent  aussi  quelquefois  dans  la  bouche  et  l'œsophage, 
mais  plus  rarement. 

Il  semble  que  les  altérations  du  tube  digestif  puissent  s'expliquer  facilement  par 
l'action  irritante  locale  des  préparations  arsenicales,  et  en  efïet  celle-ci  est  incontes- 
table quand  le  poison  a  été  ingéré  par  la  bouche.  C'est  ainsi  que,  dans  un  cas  de  Hofmann 
(A.  y.,  t.  L,  p.  433),  on  trouva  au-dessous  d'une  masse  agglutinée  d'arsenic  une  érosion  de 
même  grandeur  et  de  même  forme.  Mais,  comme  l'avait  déjà  signalé  Sprengel  en  17o3, 
les  mêmes  lésions  se  produisent  encore  quand  l'arsenic  a  été  résorbé  par  la  peau, 
et  le  fait  a  été  confirmé  souvent  depuis,  en  particulier  par  Obfila  et  Tabdieu,  par  Tay- 
LOB,  par  BoEHM  et  UiNterbebgeb  (Beit.  z.  Kenntniss  der  physiol.  Wirk.  der  Arsen.  Sauve. 
A.  P.  P.,  1874,  t.  II,  p.  89).  Taylob  a  invoqué  une  action  spécifique  du  poison  :  pour  les  deux 
auteurs  allemands  le  facteur  principal,  c'est  la  paralysie  des  vaisseaux  du  tractus  digestif. 

On  pourrait  supposer  que  c'est  l'arsenic  éliminé  par  le  réseau  vasculaire  à  la  surface 
de  la  muqueuse  gastro-intestinale  qui  occasionne  les  altérations  observées;  celles-ci 
seraient  encore,  de  la  sorte,  les  conséquences  d'une  irritation  locale.  Mais  Boeiim  et 
Unterberger  n'ont  trouvé  dans  le  contenu  de  l'intestin  que  des  traces  de  la  substance 
toxique,  et  ils  citent  Quincke  comme  ayant  obtenu  les  mêmes  résultats. 


686  ARSENIC. 

Lesser,  qui  combat  l'opinion  de  ces  deux  expérimentateurs,  objecte  que  Quincke  n'a 
analysé  que  le  suc  entérique  proprement  dit  et  non  le  contenu  intestinal  dans  sa  tota- 
lité. Celui-ci,  d'après  lui,  en  renferme  plus  que  des  traces  :  après  injection  de  Id  centi- 
grammes d'acide  arsénieux  dans  la  veine  pédieuse,  il  a  obtenu  avec  le  liquide  intesti- 
nal un  anneau  arsenical  correspondant  à  1  milligramme  de  la  substance.  Il  est  vrai, 
dit-il,  que  les  glandes  de  Libberkuhn  ne  sont  pas  la  voie  principale  d'élimination  de 
l'arsenic  :  car  l'inflammation  de  la  muqueuse  stomacale  est  toujours  plus  marquée  au 
voisinage  de  l'abouchement  du  canal  cholédoque  et  au  commencement  du  jéjunum,  abs- 
traction faite  de  la  muqueuse  stomacale.  Il  n'affirme  'pas  que  les  altérations  profondes 
du  tube  digestif  soient  dues  à  cette  faible  quantité  d'arsenic  trouvée  dans  le  tube 
digestif,  mais  il  faut  tenir  compte  aussi  de  celle  qui  est  incessament  résorbée  par  les 
lymphatiques  et  les  veines,  et  de  celle  qui  se  dépose  dans  l'intimité  des  tissus  de  la 
paroi  intestinale. 

BoEHsi  et  L'îiTERBERGER  avaient  décrit  également  à  la  surface  de  l'intestin  une  mem- 
brane pyogène  d'un  millimètre  d'épaisseur,  jaunâtre,  gélatineuse,  pouvant  se  déta- 
cher par  lambeaux  et  formée  d'une  matière  amorphe  englobant  un  grand  nombre  de 
globules  de  pus  ;  au-dessous  d'elle  ils  ont  trouvé  la  muqueuse  ecchymotique,  les  villo- 
sités  gonflées  et  dépourvues  d'épéthilium. 

Lesser  (A.  V.,  t.  lxxui  et  lxxiv)  n'a  rien  observé  de  semblable;  pour  lui,  cette  mem- 
brane n'est  autre  chose  que  le  revêtement  épithélial  desquammé.  Une  inflammation 
pseudomembraneuse  ne  s'observerait  que  quand  l'arsenic  a  été  administré  sous  forme 
de  poudre,  et  non  quand  il  a  été  donné  en  solution;  elle  serait  due  au  contact  direct 
de  la  substance  pulvérulente. 

PisTORius  [A.  P.  P.,  1883,  t.  XVI,  p.  188),  ayant  repris  ces  expériences,  confirme,  au 
contraire,  l'existence  de  la  membrane  décrite  par  Boehji  et  Ukterberger.  On  la  trouve, 
d'après  lui,  au  bout  de  2  à  3  heures,  après  une  injection  veineuse.  Elle  serait  formée 
d'une  masse  gélatineuse  englobant  l'épilhélium  intestinal  en  voie  de  dégénérescence 
graisseuse,  avec  des  boules  hyalines  et  des  cellules  rondes  :  dans  la  muqueuse  elle- 
même  on  trouve  le  réseau  capillaire  des  villosités  dilaté  et  gorgé  de  sang;  la  cou- 
che épithéliale  s'est  desquammée.  11  y  aurait  une  violente  hyperémie  des  vaisseaux  de 
l'intestin,  de  là  une  transsudation  abondante  d'un  liquide  flbrineus  facilement  coagu- 
lable,  qui,  en  se  concrétant,  englobe  l'épithélium  et  forme  ainsi  la  pseudo-membrane.  En 
définitive,  on  voit  que  Pistorids,  tout  eu  cherchant  à  démontrer  l'existence  d'une  mem- 
brane spéciale,  est  au  fond  d'accord  avec  Lesser,  quand  celui-ci  l'attribue  à  une  simple 
desquammation  épithéliale. 

Pour  expliquer  les  lésions  ulcéreuses  de  l'estomac,  Filehne  invoque  une  condition 
particulière;  d'après  lui  ni  la  dégénérescence  graisseuse  de  l'épithélium  glandulaire,  ni 
les  modifications  vasculaires  ne  sauraient  suffire  :  il  y  aurait  auto-digestion  de 
l'estomac  par  le  suc  gastrique  acide  (A.  V.,  t.  lxxxiii,  1881,  p.  1).- 

FiLEHNE  empoisonne  deux  lapins  de  même  poids  avec  la  même  dose  d'arsenic  en 
injection  sous-cutanée,  et  introduit  chez  l'un  d'eux,  d'heure  en  heure,  par  une  sonde 
œsophagienne,  une  substance  alcaline,  pour  neutraliser  l'acidité  du  suc  gastrique  :  la 
muqueuse  reste  intacte  chez  ce  dernier,  tandis  que  chez  l'autre  elle  présente  ses  lésions 
ordinaires.  On  pourrait  objecter  que  c'est  la  petite  quantité  d'acide  arsénieux  éliminée 
par  l'estomac  qui  agit  localement  pour  amener  l'ulcération,  et  que,  précipitée  par  la 
magnésie,  elle  serait  ainsi  rendue  inofl'ensive  :  mais  les  lésions  habituelles  ne  se 
modifient  pas  non  plus  lorsque  l'acidité  de  l'estomac  est  neutralisée  par  le  bicarbonate 
de  soude  qui  forme  avec  l'acide  arsénieux  un  composé  pourtant  soluble. 

D'après  Filehne,  si,  chez  l'homme,  c'est  surtout  la  paroi  postérieure  qui  est  le  siège 
des  ulcérations,  c'est  à  cause  de  la  position  horizontale  que  conservent  habituellement 
les  personnes  empoisonnées  :  de  môme  chez  le  lapin  on  les  trouve  surtout  dans  les 
régions  déclives,  soit  qu'on  maintienne  l'animal  dans  la  station  normale,  soit  qu'on  lui 
donne  une  position  anormale.  Chez  cet  animal  c'est  surtout  le  grand  cul-de-sac  qui  pré- 
sente des  ulcérations,  c'est-à-dire  la  région  où  se  forme  particulièrement  l'acide  :  la  por- 
tion pylorique  est  intacte.  Dans  les  expériences  où  l'estomac  n"a  pas  été  trouvé  altéré, 
c'est  que  le  poison  avait  été  absorbé  à  jeun,  et  que  l'estomac  n'était  pas  suffisamment 
acide  :  il  en  a  été  de  même  chez  des  chats  empoisonnés  à  jeun. 


ARSENIC.  687 

Différentes  conditions  paraissent  donc  concourir  à  produire  des  lésions  du  tube  diges- 
tif, alors  même  que  le  poison  n'a  pas  été  pris  par  la  bouclie  :  l'élimination  d'une  cer- 
taine quantité  d'arsenic  par  les  vaisseaux  de  la  muqueuse,  sa  résorption  ultérieure  à 
travers  cette  même  membrane,  sont  des  causes  d'irritation  locale,  auxquelles  viennent 
se  joindre  les  altérations  nutritives  de  l'épithélium  glandulaire  et  la  paralysie  des  vaso- 
moteurs  de  l'intestin  qui  dépendent  d'une  influence  générale  de  la  substance  toxique. 
Enfin  il  est  bien  vraisemblable  que,  dans  un  certain  nombre  de  cas,  le  mécanisme 
invoqué  par  Filehne  intex-vient  réellement.  La  dégénérescence  des  épithéliuras  doit  laisser 
la  muqueuse  en  quelque  sorte  sans  défense  contre  l'action  du  suc  gastrique.  Il  est  à 
remarquer  que  dans  certaines  observations  d'empoisonnements  terminés  parla  mort, 
on  a  noté  l'intégrité  absolue  de  la  muqueuse  du  tube  digestif. 

On  a  souvent  fait  ressortir  l'analogie  des  lésions  anatomiques  de  l'intestin  dans 
l'intoxication  arsenicale  avec  celles  qu'on  rencontre  dans  le  choléra;  Virchow  eu  a  rapporté 
un  cas  remarquable,  dans  lequell'examen  microscopique  montra  en  plus,  dans  le  contenu 
intestinal,  les  microrganismes  signalés  dans  le  choléra  {Chlokraàhnlicher  Befund  bei 
Arsenikergiftung ;  A.  V.,  1869,  t.  xlvh,  p.  324).  Il  est  vrai  qu'à  ce  moment  les  études 
bactériologiques  étaient  encore  peu  avancées.  Dans  un  travail  récent  Kraus  a  cherché 
à  établir  sous  ce  rapport  les  caractères  différentiels  entre  le  choléra  et  l'intoxication 
arsenicale.  Dans  ce  dernier  cas,  le  contenu  de  l'intestin  n'est  pas  riziforme,  mais  présente 
l'aspect  d'une  soupe  à  la  farine,  c'est-à-dire  jaune  brun,  ou  celui  d'une  gelée  vert  jau- 
nâtre. Je  ferai  remarquer  cependant  que  Virchow,  dans  l'observation  citée  plus  haut, 
compare  le  liquide  intestinal  à  l'eau  de  riz.  Quoi  qu'il  en  soit,  d'après  Kraus,  les  lésions 
de  l'intestin  ressemblent  surtout  à  celles  de  la  période  typhoïde  du  choléra  :  le  processus 
inflammatoire  est  particulièrement  développé  dans  le  duodénum  et  la  partie  supérieure 
de  l'intestin  grêle,  tandis  que  dans  le  choléra,  c'est  l'iléon  qui  est  habituellement  le  plus 
malade.  Les  microrganismes  sont  tout  autres  que  ceux  qu'on  trouve  dans  le  choléra  et 
semblables  à  ceux  qui  se  rencontrent  dans  l'intestin  normal.  Dans  les  expériences  faites 
sur  les  animaux,  si  la  mort  survient  à  la  suite  de  l'injection  de  fortes  doses  de  poison, 
le  nombre  des  microbes  est  beaucoup  diminué,  et  ils  peuvent  même  manquer  com- 
plètement. Pour  des  doses  moindres,  on  ne  trouve  dans  l'intestin  que  les  colonies  du 
bacterium  coli  commune,  tandis  que  d'autres  colonies  qui  normalement  existent  dans  l'in- 
testin du  chat  et  du  chien  manquent,  en  particulier  celles  qui  fluidifient  la  gélatine. 
A  dose  plus  petites  ni  le  nombre  ni  les  espèces  de  colonies  bactériennes  ne  sont 
modifiés,  jamais  on  n'a  rencontré  de  colonies  de  vibrions  (Eira  Beitr.  z.  Diffcrenzialdiagn. 
zwischen  Choiera  undArsenikvergift.  Analysé  in  Virchow's  Jahresber.,  1888).  11  y  aurait  donc 
là  deux  caractères  différentiels  entre  les  deux  états  pathologiques;  d'une  part  la  dimi- 
nution du  nombre  de  microrganismes  dans  l'intoxication  arsenicale,  et  d'autre  part 
l'absence  des  vibrions  caractéristiques  du  choléra  :  mais  il  faut  remarquer  que  récem- 
ment on  a  signalé  même  dans  l'intestin  normal  l'existence  de  ces  vibrions. 

Mentionnons  encore  à  la  surface  de  la  muqueuse  la  présence  de  petits  grains  blancs 
ou  jaunâtres  qui  y  adhèrent  plus  ou  moins  fortement.  Ils  sont  constitués,  les  blancs  par 
de  l'acide  arsénieux,  si  l'empoisonnement  a  eu  lieu  par  cette  substance,  les  jaunes  par  du 
sulfure  d'arsenic,  dont  il  est  facile  de  comprendre  la  formation  au  contact  de  l'hydro- 
gène sulfuré  de  l'intestin.  Mais  Tardieu  a  constaté  que  dans  certains  cas  ces  granulations 
jaunes  ou  blanches  étaient  exclusivement  formées  d'albumine  et  de  matière  grasse. 
D'après  Campbell  Brown  et  Edward  (Med.  Times,  mars  1889,  analysé  in  fi.  S.  M.,  t.  xxiv, 
p.  97),  les  grains  jaunes  sont  quelquefois  un  produit  de  décomposition  de  la  bile  ;  ils 
sont  formés  d'une  ou  de  plusieurs  substances  organiques,  dont  l'une  se  rapproche  du  pig- 
mentque  l'on  obtienten  traitant  une  solution  alcaline  de  bile  par  des  agents  réducteurs. 

Effets  de  l'arsenic  sur  la  circulation  et  la  respiration.  —  Sklarek  (1866)  avait 
avancé  que  l'acide  arsénieux  tue  les  grenouilles  par  arrêt  du  cœur;  chez  les  mammi- 
fères il  avait  observé  également  un  affaiblissement  de  cet  organe.  Ces  expériences  ont  déjà 
été  contredites  par  Cun'ze  (1866)  qui  a  vu  persister  les  contractions  de  l'oreillette  vingt-six 
heures  après  l'empoisonnement,  chez  les  grenouilles;  elles  l'ont  été  plus  tard  par  Boehm 
et  UiNTERBERGER  {loc.  cU.)  et  particulièrement  par  Lesser  (loc.  cit.).  Celui-ci  a  montré 
que  chez  les  batraciens  la  mort  ne  pouvait  être  attribuée  à  l'arrêt  du  cœur,  puis- 
que  l'animal   survit  pendant   trente  minutes  à   l'excision  de  cet  organe,  tandis  qu'il 


688  ARSENIC. 

succombe  au  bout  de  dix  minutes  à  rempoisonnement  par  l'arsenic.  Sydney  Ringf.r 
et  MuRBELL  (J.  P.,  t.  I,  p.  213,  1878)  ont  observé  également  que  des  grenouilles  intoxi- 
quées avec  l'acide  arsénieus  perdent  leur  excitabilité  médullaire  plus  vite  qu'après 
l'ablation  du  cerveau  et  du  cœur. 

Lesser  a  suivi  de  près  les  troubles  cardiaques  produits  par  le  poison  sur  la  grenouille. 
L'arrêt  du  co3ur  en  diastole  provoqué  par  l'arséniate  de  soude  ne  se  manifeste  pas 
immédiatement,  mais  au  bout  de  quatre  à  cinq  minutes.  Non  seulement  l'organe  se  ralen- 
tit et  s'affaiblit,  mais  son  rythme  se  modifie,  de  sorte  que  la  succession  normale  des  con- 
tractions de  l'oreillette  et  du  ventricule  est  troublée.  Après  que  le  cœur  s'est  arrêté,  il  se 
manifeste  de  nouveau,  au  bout  de  quelques  minutes,  des  contractions  du  ventricule  qui 
partent  du  sillon  auriculo-venlriculaire,  et  qui  disparaissent  après  vingt  à  trente  minutes. 
A  ce  moment  les  excitations  mécaniques  du  sillon  auriculo-ventriculaire  peuvent  encore 
provoquer  pendant  30  minutes  des  systoles  du  ventricule,  alors  que  des  excitations  plus 
fortes  du  sinus  ramènent  également  des  contractions  du  cœur  tout  entier,  mais  pendant 
une  période  moins  longue.  D'où  Lesser  conclut  que  les  ganglions  de  Remak  et  de  Bidder 
se  paralysent;  les  premiers  (considérés  par  Lesser  comme  excito-moteurs)  perdent  donc 
d'abord  leur  excitabilité,  puis  vient  le  tour  de  ceux  de  Bidder.  Les  mêmes  effets  s'ob- 
tiennent si  l'on  applique  directement  le  poison  sur  le  cœur  :  mais  on  observe  alors  une 
période  d'accélération  qui  manque  chez  la  grenouille  intacte,  et  qui  est  empêchée  chez 
elle  par  l'excitation  que  la  substance  toxique  détermine  sur  les  nerfs  vagues  :  si  l'on  dé- 
truit l'encéphale,  cette  augmentation  de  fréquence  se  produit  également  après. 

Chez  les  mammifères,  Boehm  et  Unterberger  ont  fait  jouer  dans  les  troubles  cir- 
culatoires un  rôle  prédominant  à  la  paralysie  vaso-motrice  du  réseau  abdominal.  A 
la  suite  de  l'injection  des  solutions  d'acide  arsénieux,  ils  ont  vu  se  produire  en  quelques 
minutes  une  diminution  progressive  de  la  pression  artérielle,  aussi  prononcée  par- 
fois que  celle  qui  succède  à  la  section  de  la  moelle  allongée,  sans  être  jamais  précédée 
d'une  augmentation  préalable.  Les  nerfs  vagues  avaient  conservé  leur  excitabilité  :  par 
contre  l'excitation,  soit  directe,  soit  réflexe,  de  la  moelle  épinière  n'arrivait  plus  à  relever 
la  pression  chez  des  animaux  qui  avaient  reçu  une  dose  suffisante  de  poison  :  ils  en 
ont  conclu  à  la  paralysie  des  vaisseaux,  et  ont  trouvé  de  plus  qu'elle  était  limitée  au 
domaine  du  nerf  splanchnique  :  l'excitation  de  ce  nerf  n'élevait  plus  la  pression  arté- 
rielle, comme  elle  fait  chez  les  animaux  normaux;  le  sympathique  cervical,  au  contraire, 
conservait  encore  son  action  sur  les  vaisseaux  de  l'oreille,  chez  les  lapins  intoxiqués.  On 
ne  pourrait  donc  invoquer  une  paralysie  centrale,  puisque  seuls  les  vaisseaux  qui  sont 
sous  la  dépendance  du  nerf  splanchnique  avaient  perdu  leur  tonicité. 

Ces  faits  ont  été  mis  en  doute  par  Lesser;  pour  ce  dernier  ni  les  centres  vasculaires, 
ni  les  nerfs  correspondants,  ni  les  parois  des  vaisseaux  ne  sont  paralysés.  En  examinant 
les  anses  intestinales,  mises  à  découvert,  chez  des  animaux  intoxiqués,  il  a  constaté  que 
l'excitation  directe  ou  asphyxique  de  la  moelle  provoque  encore  ses  effets  habituels, 
c'est-à-dire  la  contraction  des  vaisseaux. 

A.Vhyens  {Recherches  sur  l'intoxicatioti  arsenicale  aigué  A.  P.,  1881,  t.  vnr,(2),p.  780)  est 
arrivé  aux  mêmes  résultats  que  Lesser.  Il  trouve  que  les  vaisseaux  mésentériques, 
comme  ceux  de  l'oreille,  se  contractent  encore  sous  l'influence  de  l'excitation  du  grand 
sympathique,  que  l'excitation  de  la  moelle  épinière,  celle  des  nerfs  sensibles,  et  l'as- 
phyxie, continuent  à  élever  la  pression,  et  que,  d'autre  part,  l'injection  de  nitrite  d'amyle 
et  l'excitation  des  nerfs  dépresseurs  l'abaissent  ;  que  par  conséquent  l'appareil  vaso-moteur 
fonctionne  encore  à  peu  près  normalement. 

En  reprenant  l'étude  de  cette  question,  Pistorios  arrive  à  concilier  ces  opinions 
extrêmes.  Pour  lui,  à  une  certaine  période  de  l'intoxication,  les  nerfs  vasculaires  conser- 
vent leur  excitabilité  directe  et  rétlexe;  plus  tard  l'excitation  réflexe  des  centres  vaso- 
moteurs  n'a  plus  d'effet,  mais  l'excitation  directe  agit  encore,  quoique  d'une  façon  moins 
marquée.  Quand  l'empoisonnement  arrive  à  son  plus  haut  degré,  l'excitation  même 
de  la  moelle  est  inefficace,  et  alors  celle  du  splanchnique  le  devient  également  :  donc, 
d'après  Pistorius,  la  paralysie  vaso-motrice  existe  bien  réellement,  mais  elle  porte 
aussi  bien  sur  les  centres  que  sur  les  appareils  périphériques. 

Si  l'on  considère  que  Vrye.n's  accorde  aussi  que  l'excitabilité  de  ces  organes,  bien  que 
conservée,  est  cependant  affaiblie,  l'abaissement  de  la  pression  artérielle,  l'hyperémie 


ARSENIC.  689 

du  tube  digestif  trouvent  déjà  en  partie  leur  explication  :  il  faut  sans  doute  y  ajouter, 
avec  Lesser  et  Dogiel,  l'action,  exercée  par  le  poison  sur  le  myocarde  et  sur  ses  gan- 
glions intrinsèques.  L'abaissement  de  pression  n'est  pas  toujours  le  phénomène  primitif; 
elle  est  précédée  d'une  augmentation  préalable  si  le  poison  a  été  injecté  à  petite  dose. 
Dans  ce  dernier  cas  aussi,  la  fréquence  du  cœur  est  d'abord  accélérée  (PisTonius,  Dogiel, 
Lesser);  pour  des  doses  moyennes,  le  rythme  se  précipite  d'abord,  puis  se  ralentit;  pour 
des  doses  fortes,  le  ralentissement  est  immédiat  (Lesser).  Si  l'injection,  au  lieu  d'être  vei- 
neuse, est  sous-cutanée,  l'acce'lération  primitive  est  la  règle  d'après  ce  dernier. 

Ni  Vryens,  ni  Pistorius  n'ont  constaté  la  perte  de  l'excitabilité  du  pneumogastrique 
signalée  par  Lesser. 

Dogiel,  qui  a  étudié  au  moyen  du  compteur  de  Ludwig  la  vitesse  de  la  circulation  chez 
les  animaux  empoisonnés,  a  trouvé  qu'elle  était  d'abord  augmentée,  puis  diminuée. 

On  trouve  peu  de  renseignements  relatifs  à  l'action  de  l'arsenic  sur  les  centres  de 
la  respiration.  D'après  Lesser,  les  modifications  respiratoires  sont  indépendantes  de 
celles  de  la  circulation  :  c'est  d'abord  l'excitation,  puis  la  dépression,  qui  se  manifeste 
surtout  si  l'on  injecte  des  doses  progressives  et  si  les  nerfs  vagues  sont  intacts.  Lors- 
que l'injection  a  été  faite  dans  une  veine,  la  diminution  d'excitabilité  des  centres  amène 
le  ralentissement  et  l'affaiblissement  immédiats  de  la  respiration.  :  il  en  est  de  même 
si  le  poison  est  introduit  dans  une  carotide.  Les  battements  du  cœur  survivent  en 
général  à  la  respiration  chez  les  animaux  à  sang  chaud  :  c'est  le  contraire  chez  la  gre- 
nouille. 

Action  sur  le  sang.  —  L'arsenic  ou  pour  mieux  dire  les  acides  arsénieux  et  arsé- 
nique  ne  sont  pas  des  poisons  du  sang,  et  sous  ce  rapport  la  physiologie  pathologique 
de  ces  composés  doit  être  entièrement  séparée  de  celle  de  l'hydrogène  arsénié.  D'après 
les  documents,  peu  nombreux  d'ailleurs,  que  l'on  a  sur  ce  sujet,  il  apparaît  bien  que 
leur  action  sur  le  liquide  sanguin  est  peu  prononcée.  On  dit  que  l'arsenic  absorbé 
se  trouve  dans  le  caillot  et  non  dans  le  sérum  (ce  qui  prouverait  l'affinité  des  élé- 
ments figurés  pour  le  poison),  et  qu'il  diminue  le  pouvoir  absorbant  du  sang  pour 
l'oxygène. 

D'après  Dogiel,  lorsqu'on  ajoute  à  du  sang  déflbriué  de  chien  ou  de  grenouille  de 
l'acide  arsénieux  en  poudre,  au  bout  de  quelques  jours,  il  n'y  a  de  modification  ni 
dans  la  forme  des  globules  ni  dans  la  couleur  du  sang,  tandis  que  sous  l'influence  de 
l'acide  arsénique  la  forme  des  globules  s'altère  :  dans  le  sang  de  la  grenouille,  le  noyau 
devient  plus  net  en  même  temps  que  granuleux.  On  peut  se  demander  si  cet  effet  n'est 
pas  dû  uniquement  à  l'acidité  du  composé. 

Chez  l'homme  des  recherches  ont  été  faites  par  Cuttler  et  Brauford,  qui  ont  soumis 
des  anémiques  au  traitement  par  la  liqueur  de  Fowler,  et  disent  avoir  observé  d'abord 
une  augmentation  des  globules  rouges  et  blancs;  puis  une  diminution  de  ces  éléments. 
Hayem,  en  donnant  pendant  des  semaines  de  l'arsenic  à  des  chlorotiques,  n'a  rien  constaté 
de  particulier.  En  reprenant  ces  expériences  dans  le  laboratoire  de  Hayem,  Delpeuch 
{D.  P.,  1880)  a  trouvé  que  le  sang  ne  présente  pas  de  modifications  tant  que  la  dose 
d'arsenic  n'a  pas  atteint  0S'',01.  Quand  on  arrive  à  ce  chiffre,  le  résultat  est  constant  : 
le  nombre  des  globules  rouges  a  diminué  :  mais,  au  fur  et  à  mesure  que  cette  dimi- 
nution se  produit,  la  quantité  d'hémoglobine  augmente  dans  les  globules  intacts,  de 
sorte  que  la  richesse  du  sang  en  matière  colorante  ne  subit  que  peu  de  variations. 
D'autre  part  les  globules  blancs  et  les  hématoblastes  ne  présentent  que  d'insignifiantes 
modifications. 

A.  "Vryens  exagère  donc  l'action  destructive  des  composés  arsenicaux,  en  parlant, 
comme  le  font  beaucoup  d'autres  auteurs,  de  la  dissolution  des  globules  sanguins  par 
l'arsenic  :  il  suffit  de  faire  remarquer  que  les  composés  dont  il  est  ici  question  ne  pro- 
duisent qu'exceptionnellement  l'hémoglobinurie.  A.  Vryens  reconnaît  du  reste  que  la 
destruction  des  hématies  est  très  peu  importante  en  général,  dans  les  cas  où  la  quantité 
injectée  ne  dépasse  pas  Os"',01  d'As-0^  pour  1  kilogramme,  ce  qui  est  une  dose  considé- 
rable. L'animal,  dit-il,  se  porte  encore  assez  bien  immédiatement  après  l'intoxication,  et 
ce  n'est  qu'au  bout  de  quelques  heures  que  les  symptômes  graves  se  déclarent  :  cette 
sorte  de  période  d'incubation,  ajoute-t-il,  prouve  que  ce  n'est  pas  aux  troubles  de  la  com- 
position chimique   du  sang  que  l'on  peut  rattacher  les  symptômes  graves  qui  ne  sur- 

DICT.    DE   PHYSIOLOGIE.    TOME    I.  44 


690  ARSENIC. 

viennent  que  beaucoup  plus  tard.  Aussi  Binz  et  Schultz  ont-ils  pu  dire  avec  raison  que 
l'état  du  sang  a  peu  d'importance  dans  l'empoisonnement  par  l'arsenic. 

Récemment  Silberiia.n.\  a  cherché  à  prouver  que  l'arsenic  produit  des  coagulations 
intra-vasculaires  auxquelles  il  fait  jouer  un  rôle  prépondérant  dans  l'intoxication.  Sa 
méthode  consiste  à  injecter  à  l'animal  après  l'empoisonnement  une  matière  colorante 
telle  que  l'indigorosulfate  de  soude,  le  rouge  de  phloxéine;  les  parties  oii  il  s'est  formé 
des  caillots  restent  incolores,  tandis  que  celles  dont  les  vaisseaux  ne  sont  pas  obstrués 
sont  colorées.  Des  chiens,  des  lapins  rece%'aient  sous  la  peau  0s^•2o  à  0s"',30  d'acide 
arsénieux  :  le  poumon,  la  muqueuse  de  l'estomac,  le  foie  et  le  rein,  prenaient  après 
l'injection  de  la  matière  colorante  un  aspect  marbré,  résultant  de  ce  qu'un  certain 
nombre  de  ramifications  vasculaires  étaient  devenues  imperméables  dans  ces  différents 
organes.  Il  se  formerait  également  pendant  la  vie  des  caillots  dans  le  cceur  droit,  les 
gros  vaisseaux,  l'artère  pulmonaire,  les  veines  caves.  La  transfusion  à  un  animal  sain 
d'une  certaine  quantité  de  sang  d'un  animal  intoxiqué  produirait  les  mêmes  résultats 
[TJeber  das  Aiiftreten  mullipl.  intravitaler  Blutgerinnungen  nach  acut.  Intoxic.  durch  chlor- 
sâure  Salze,  Arsen.,  Fhosphoi;  etc.:  A.  V.,  1889,  t.  cxvii,  p.  288). 

Les  coagulations  se  produisent  sur  place  :  ce  sont  des  thromboses  et  elles  adhérent 
fortement  à  la  paroi  :  les  thromboses  capillaires  disséminées  dans  les  organes  amène- 
raient consécutivement  des  thromboses  par  stase  dans  les  gros  vaisseaux,  veines  caves 
et  artères  pulmonaires. 

L'auteur  croit  pouvoir  rapporter  aux  obstructions  capillaires  la  chute  de  pression 
dans  le  système  aortique,  ainsi  que  la  stase  veineuse  dans  le  domaine  de  la  veine  porte; 
dans  le  poumon  elles  amènent  d'une  part  des  stagnations  et  une  diminution  des  surfaces 
respiratoires,  d'autre  part  une  réplétion  moindre  du  système  artériel  :  l'anémie  à  son 
tour  a  comme  conséquence  la  dyspnée,  les  convulsions,  la  faiblesse  générale.  Enfin  les 
obstructions  vasculaires  auraient  leur  part  dans  la  pathogénie  des  dégénérescences 
nécrobiotiques.  La  formation  des  caillots  trouverait  son  point  de  départ  dans  une  altéra- 
tion des  éléments  figurés  du  sang. 

Falke.xberg  et  Fileh.ne  ont  contesté  les  résultats  obtenus  par  la  méthode  de  Silber- 
UAXx.  Heinz  est,  au  contraire,  arrivé  à  des  résultats  semblables  (Natiir  und  Enstehungs- 
art  der  bei  Arsenikvergift.  auftretenden  Gef'Ugverlegungen  :  A.  Y.,  t.  cxx\i,  p.  4951.  En 
injectant  sous  la  peau  o  cent,  cubes  d'une  solution  d'acide  arsénieux  à  b  p.  100,  il  trouve 
dans  la  muqueuse  intestinale  une  grande  quantité  de  capillaires  simplement  gorgés  de 
sang,  par  la  stase  :  mais  cette  stase  elle-même  est  provoquée  par  des  thromboses  vei- 
neuses. Les  concrétions  sanguines  sont  constituées,  non  par  de  la  fibrine,  mais  par  des 
amas  de  plaquettes  :  ce  qui  semble  démontrer  une  altération  du  sang,  soit  que  les  pla- 
quettes, si  elles  existent  normalement,  se  détruisent  et  s'agglomèrent,  soit  qu'elles  se  for- 
ment sous  l'influence  de  l'arsenic.  Plus  tard  le  thrombus  devient  mixte,  c'est-à-dife  qu'il 
s'y  ajoute  de  la  fibrine,  mais  il  ne  se  prolonge  pas  dans  les  capillaires.  Il  produit  un 
infarctus  hémorrhagique,  et,  si  l'animal  survit  pendant  24  ou  48  heures,  une  lésion 
ulcéreuse. 

Action  sur  la  nutrition.  —  Schmidt  et  Stcbzwage  iUeb.  den  Einfiuss  der  Arsenige 
Saûre  aiif  den  Stoffwechgel  :  ilolegchott'»  Untersuch.,  t.  vi,  p.  183,  1839!  avaient  trouvé 
que  sous  l'influence  de  l'arsenic  l'excrétion  de  l'urée  et  celle  de  CO-  diminuent.  Lolliot 
D.  P.,  1868  était  arrivé  pour  l'urée  à  des  résultats  semblables.  Voit  a  montré  que 
les  expériences  des  deux  auteurs  allemands  n'étaient  pas  probantes,  que  la  diminution 
de  l'urée  était  la  conséquence  du  rejet  par  le  vomissement  d'une  grande  partie  des 
matières  alimentaires.  Aux  recherches  de  Lolliot  on  a  objecté  que  cet  auteur  avait 
détermiué  la  proportion  centésimale  de  l'urée  sans  tenir  compte  de  la  quantité  d'urine 
éliminée  en  vingt-quatre  heures.  Cependant,  si  H.  vox  Bœck  Z.  B.,  t.  vu,  p.  430,  1871  . 
si  FoKKER  cité  par  Voit,  H.  H.,  t.  vi,  l'^  partie,  p.  1823  n'ont  reconnu  à  l'arsenic 
aucune  influence  sur  la  destruction  des  matières  albuminoïdes  lorsqu'ils  adminis- 
traient la  substance  à  des  chiens,  à  des  doses  en  quelque  sorte  médicinales,  par  contre, 
RtTTER  et  V.4.UDEY  Th.  Strasbourg,  1870)  ont  constaté  chez  l'homme  une  diminution  de 
l'urée  avec  augmentation  de  l'acide  urique  :  de  même,  Weisee,  en  donnant  l'arsenic  à 
"petites  doses  à  des  herbivores,  trouva  qu'en  même  temps  que  le  poids  des  animaux 
augmentait,  la  décomposition  des  matières  albuminoïdes  était  réduite  de  4  p.  100,  que 


ARSENIC.  691 

l'élimination  d'azote  par  les  matières  fécales  e'tait  réduite    de    0,3   p.   100,   et  il   émit 
l'opinion  que  l'arsenic  permet  une  assimilation  plus  complète  de  l'albumine. 

Il  n'y  a  guère  que  Sallet  qui  ait  trouvé  une  augmentation  journalière  de  2  grammes 
d'urée  pour  des  doses  thérapeutiques;  mais  Voit  fait  remarquer  que  c'est  seulement  par 
une  préparation  minutieuse  de  la  ration  alimentaire  que  l'on  peut  maintenir  à  un 
taux  régulier  la  quantité  d'azote  ingérée  et  éviter  des  variations  journalières  de 
2  grammes  d'urée  dans  l'urine. 

Si  pour  les  doses  faibles  les  résultats  sont  contradictoires,  les  expériences  de  Gaeth- 
GENS  et  de  KossEL  ont  par  contre  bien  établi  que  les  doses  fortes  d'arsenic  augmentent 
la  production  d'urée.  Un  chien  du  poids  de  21  kilogrammes  reçut  d'abord  pendant 
quinze  jours  une  ration  alimentaire  régulière,  mais  insuffisante  :  le  neuvième  jour, 
l'animal  éliminait  dans  son  urine  4  grammes  7  d'azote  :  pendant  les  six  jours  suivants 
on  lui  donna  de  l'arséniate  de  soude,  et  la  quantité  quotidienne  d'azote  fut  en  moyenne 
de  4s'',8.  Comme,  pendant  les  deux  derniers  jours,  l'animal  vomit  une  partie  de  sa 
nourriture,  on  pouvait  déjà  admettre  que  l'albumine  était  décomposée  plus  activement. 

Pour  éviter  l'influence  perturbatrice  du  vomissement,  l'animal  fut  alors  soumis  au 
jeûne  pendant  douze  jours,  tout  en  continuant  à  recevoir  de  l'arsenic,  et  l'excrétion 
journalière  de  l'azote  s'éleva  progressivement  de  3  grammes  à  SBr,?  (Gaethgens.  C.  W. 
1875,  p.  529;  Kossel.  Kenntniss  d.  Arsenikwirk. ;  A.  P.  P.,  1876,  t.  v,  p.  128). 

On  objecta  à  ces  expériences  que  l'inanition  pouvait,  par  elle-même,  amener  une 
production  plus  abondante  d'urée  (Forster,  Z.  B.,  t.  xi,  p.  522, 1875;  V.  BœcK,  ibid.  t.  xii 
p.  512,  1876).  Gaethgens  en  fit  de  nouvelles  pour  démontrer  que  l'augmentation  d'urée 
est  si  intimement  liée  à  l'administration  de  l'arsenic  que  cette  interprétation  ne  sau- 
rait être  admise.  Chez  un  chien  à  jeim,  l'élimination  d'azote  étant  devenue  régulière  dès 
le  troisième  jour,  on  commença  à  donner  de  l'arsenic,  et  l'on  obtint  les  chiffres  consi- 
gnés dans  le  tableau  suivant  (D'après  Voit,  loc.  cit.). 


JOU 

r  de  jeune. 

Arsenic. 

Axote  dans  l'urine. 

Jou 

■  de  jeune. 

Arsenic. 

Azote  dans  1 

3 

0 

4,.5 

7 

0 

5,0 

4 

arsenic 

4,4 

8 

0 

3,3 

5 

arsenic 

5,4 

9 

0 

3,7 

6 

arsenic 

5,8 

V.  Bœck  reconnut  du  reste  plus  tard  lui-même  la  réalité  du  fait,  tout  en  contestant 
les  conclusions  qu'en  avait  tirées  Gaethgens  pour  expliquer  les  effets  de  l'arsenic  (C.  W., 
1879,  p.  216). 

11  parait  donc  bien  démontré  qu'à  fortes  doses  l'arsenic  se  comporte  comme  le  phos- 
phore, c'est-à-dire  qu'il  augmente  l'excrétion  d'urée.  On  a  supposé  par  analogie,  mais 
sans  preuve  directe,  que,  comme  ce  dernier  corps,  il  diminue  dansées  mêmes  condi- 
tions l'exhalation  de  GO-  par  les  poumons,  ainsi  que  l'absorption  d'ox3'gène. 

L'arsenic  provoque  donc,  comme  le  phosphore,  à  un  moindre  degré  toutefois  que 
ce  dernier,  le  dédoublement  d'une  grande  quantité  d'albumine;  mais,  alors  que  l'azote 
de  la  molécule  d'albumine  est  éliminé  en  excès,  les  produits  de  décomposition  non 
azotés  qu'elle  fournit  sont  retenus  dans  l'organisme,  comme  le  prouve,  si  l'on  applique 
à  l'arsenic  les  faits  observés  pour  le  phosphore,  l'élimination  moindre  de  CO^  '. 

Cette  influence  sur  les  échanges  nutritifs  a  permis  d'expliquer  l'accumulation  de 
matières  grasses  qui,  an  premier  abord,  ne  semble  pas  se  concilier  avec  une  activité 
plus  grande  du  processus  de  désassimilation,  attestée  par  l'excrétion  plus  abondante 
d'urée.  Les  travaux  de  Voit  et  de  Bauer  ont  montré  que  les  deux  ordres  de  phéno- 
mènes sont  loin  d'être  incompatibles. 

Mais,   comme   le  dit  Bunge,   nous  ignorons  complètement  le  mode  suivant  lequel, 
dans  les  empoisonnements  par  le  phosphore  et  l'arsenic,  s'accomplit  la  réaction  qui 
fait  de  la  graisse  aux  dépens  du  contenu  azoté  des  cellules.  On  ne  sait  pas  mieux  ce 
qui  met  obstacle  à  la  désassiràilation  des  matières  grasses.  On  peut  supposer,  ce  qui  ' 
n'est  pas  prouvé,  que  l'apport  d'oxygène  a  diminué  à  cause  des  altérations  du  sang, 

1 .  Pfluger,  cependant,  a  mis  récemment  en  discussion  les  faits  et  les  conclusions  qu'on  on 
a  tirées  {A.  Pf.,  t.  Li,  i892,  p.  229). 


692  ARSENIC. 

ou  bien  que  le  protoplasma  cellulaire,  altéré  dans  sa  composition,  n'est  plus  apte  à 
décomposer  les  matières  grasses  en  produits  oxydables,  d'oii  résulterait  indirectement 
une  absorption  moindre  d'oxygène.  Ce  que  l'on  sait  de  l'état  du  sang  rend  la  deuxième 
hypothèse  plus  vraisemblable  que  la  première.  Enfin  il  faut  ajouter  qu'un  fait  qui  ne 
cadre  ni  avec  l'une  ni  avec  l'autre,  c'est  que  l'arsénite  et  l'arséniate  de  soude,  même  à 
dose  mortelle,  n'empêchent  pas  la  transformation  de  la  benzine  en  phénol  dans  l'orga- 
nisme animal  ;  preuve  pour  Nencri  et  Sieber  que,  contrairement  au  phosphore,  l'arsenic 
ne  met  pas  obstacle  aux  oxydations  organiques  (A.  Pf.,  t.  xxxi,  p.  329). 

Ce  dont  on  ne  doute  pas  cependant,  c'est  que  la  désorganisation  des  matières  albu- 
minoïdes  ne  soit  la  cause  de  la  de'générescence  graisseuse  des  organes,  qui  est  un  des 
caractères  de  l'intoxication  arsenicale  et  qui  a  été  bien  étudiée  expérimentalement  par 
Salkowsky  lA.  V.,  1863,  t.  xxxiv,  p.  73). 

Le  foie  est  particulièrement  atteint.  Tandis  que  chez  trois  lapins  normaux  la  quan- 
tité de  graisse  du  foie  était  de  6,10,  de  6,73,  de  3  p.  100;  chez  trois  autres  animaux  em- 
poisonnés avec  de  l'acide  arsénieux,  elle  s'est  élevée  à  8,  12,30,  11  p.  100  (Salk.owsbly). 
L'épithélium  des  canalicules  du  rein,  celui  des  glandes  de  l'estomac,  le  cœur  et  le 
diaphragme  avaient  subi  également  l'altération  graisseuse.  Dans  le  même  volume  des 
archives  de  Virchow,  Grohe  et  Mossler  rapportent  un  cas  d'empoisonnement  chez  un 
enfant  de  deux  ans  qui  mourut  en  l'espace  de  dix-sept  heures  et  chez  lequel  on  put 
constater  à  l'autopsie  les  lésions  que  Salkowsky  avait  signalées  chez  le  lapin.  Depuis 
lors,  elles  ont  été  souvent  étudiées.  Voir  en  particulier,  au  point  de  vue  histologique, 
CoRNiL  et  Brault  (Journ.  de  l'Anat.,  1881,  t.  xvni,  p.  1).  On  a  observé  la  dégénérescence 
graisseuse  de  l'épithélium  pulmonaire,  de  l'endothélium  des  vaisseaux,  et  des  ganglions 
mésentériques. 

Ici  vient  se  placer  aussi  l'augmentation  d'embonpoint,  la  tendance  à  l'obésité,  si 
souvent  signalées  comme  la  conséquence  de  l'usage  prolongé  de  l'arsenic,  soit  chez 
les  arsenicophages,  soit  chez  les  sujets  soumis  à  la  médication  arsenicale.  Le  dévelop- 
pement du  pannicule  adipeux,  soit  chez  l'homme,  soit  chez  les  animaux,  s'expliquait 
facilement,  tant  que  l'on  ne  reconnaissait  à  l'arsenic  d'autre  influence  que  celle  de 
diminuer  les  échanges  nutritifs.  La  cause  de  cette  surcharge  graisseuse  est  plus  com- 
plexe, puisque  c'est  à  la  désorganisation  de  l'albumine  que  l'excès  de  graisse  doit  en 
grande  partie  son  origine,  (Vaudey.  D.  P.,  1890).  Cependant  les  expériences  de  Rittek  (cité 
par  Vaudey)  et  de  Weiske  portent  à  croire  que,  quand  la  dose  n'est  pas  trop  élevée,  l'ar- 
senic ralentit  les  processus  de  désassimilation  dans  leur  ensemble. 

On  ne  peut  en  effet  se  refuser  à  admettre  que  dans  certaines  circonstances  cette 
substance  ne  permette  une  utihsalion  plus  parfaite  et  plus  complète  de  tous  les  maté- 
riaux de  la  nutrition.  Les  faits  sont  nombreux  qui  parlent  en  ce  sens.  Je  rappellerai 
ceux  qu'ont  signalé  Weiske  et  Fokker.  Ro'jssin,  ayant  nourri  pendant  trois  mois  de 
jeunes  lapins  avec  de  l'arséniate  calcaire,  de  telle  sorte  qu'ils  recevaient  jusqu'à 
Os^^0  d'acide  arsénique  par  jour,  note  qu'au  bout  de  ce  temps,  ils  étaient  vifs,  alertes 
«  et  d'une  grosseur  surprenante  ».  Giess  aussi,  comme  tant  d'autres,  a  constaté,  sous 
l'inlluence  de  faibles  doses  d'arsenic,  une  augmentation  du  poids  du  corps  chez  les 
animaux  en  expériences,  mais,  déplus,  un  accroissement  énorme  dans  le  développement 
sous-périostique  et  épiphysaire  des  os,  qui  étaient  devenus  à  la  fois  plus  longs  et  plus 
épais  (A.  P.  P.,  t.  vm).  Maas  avait  déjà  fait  la  même  observation.  Giess  rapporte 
encore  que  des  femelles  de  lapin,  soumises  à  l'intoxication  chronique  et  fécondées  par 
des  mâles  intoxiqués  également,  mirent  bas  des  petits  mort-nés,  mais  beaucoup  plus 
développés  que  ne  le  sont  les  fœtus  normaux,  et  il  attribue  leur  mort  à  la  lenteur  de 
l'expulsion  occasionnée  par  leur  volume. 

Dans  ces  conditions,  il  ne  s'agit  plus  d'un  simple  dépôt  de  graisse  ou  bien  d'une 
accumulation  de  certains  matériaux  produits  au  détriment  de  certains  autres,  mais 
l'arsenic  manifeste  ici  son  influence  sur  le  développement  général  des  tissus  et  des 
organes,  et  elle  parait  bien  être  telle  que  les  processus  d'assimilation  l'emportent  sur 
les  processus  contraires. 

On  a  cherché  encore  dans  la  combustion  moins  active  du  carbone,  dans  la  diminution 
hypothétique  des  oxydations,  la  cause  de  la  vigueur  musculaire  des  arsenicophages, 
de   la  facilité   avec  laquelle  ils   supportent  les  excursions  en  montagne,   et  de  leur 


ARSENIC.  b'93 

grande  capacité  de  travail,  en  général.  Comme  les  combustions  se  font  pour  la  ma- 
jeure partie  dans  les  muscles,  si  elles  deviennent  moins  actives,  il  en  résultera,  a-t-on 
dit,  une  production  moindre  d'acide  lactique  et  d'autres  substances  fatigantes. 

La  facilité  de  la  respiration,  qui  paraît  être  une  des  conséquences  de  l'usage  de  l'ar- 
senic, a  été  attribuée  de  même  au  ralentissement  des  échanges  dans  les  muscles  thora- 
ciques  :  d'autre  part,  le  sang  moins  chargé  de  CO-  serait  un  excitant  moins  puissant 
pour  les  centres  respiratoires  :  le  besoin  de  respirer  se  ferait  donc  moins  vivement 
sentir. 

Ces  explications  sont  peu  satisfaisantes.  Si,  en  effet,  les  combustions  diminuent 
dans  le  muscle,  forcément  il  produira  moins  de  travail,  puisque  l'énergie  qu'il  mani- 
feste n'est  qu'une  transformation  de  l'énergie  chimique  des  matériaux  combustibles  : 
forcément  aussi,  pour  peu  qu'il  se  contracte  avec  activité,  comme  par  exemple  dans  une 
course  en  montagne,  il  devra  produire  des  substances  ponogènes  et  excitantes  pour  les 
centres  respiratoires. 

Il  est  plus  vraisemblable  que  l'arsenic  agit  sur  la  motilité  par  l'intermédiaire  du 
système  nerveux,  soit  qu'en  stimulant  les  centres  moteurs  il  lui  permette  de  mieux 
utiliser  et  de  mieux  régler  l'emploi  de  l'énergie  mise  en  liberté,  soit,  au  contraire, 
qu'en  diminuant  l'excitabilité  des  nerfs  sensitifs  il  atténue  la  sensation  d'effort  et  de 
fatigue.  L'une  et  l'autre  de  ces  deux  hypothèses,  malgré  ce  qu'elles  ont  de  contradic- 
toire, sont  permises  si  l'on  considère  que,  dans  l'intoxication  arsenicale,  des  phénomènes 
d'excitation  très  marqués  du  système  nerveux  coexistent  avec  des  phénomènes  de 
dépression  non  moins  prononcés. 

Comme  dernière  manifestation  de  l'influence  exercée  par  l'arsenic  sur  la  nutrition, 
il  faut  signaler  la  diminution,  et  même  quelquefois  l'absence  totale,  de  glycogène  du 
foie,  qui  a  été  observée  d'abord  par  Salkowsky.  De  sorte  que  chez  les  animaux  intoxiqués 
par  l'arsenic  la  piqûre  diabétique,  le  curare  resteraient  inefficaces  pour  produire  la 
glycosurie.  Ce  fait  a  été  vérifié  par  divers  expérimentateurs,  en  particulier  par  Quin- 
QU.4UD.  Ce  dernier  trouve,  par  exemple,  qu'un  chien  non  intoxiqué  et  rendu  diabétique 
par  piqûre  da  quatrième  ventricule  excrète  en  vingt-quatre  heures  10S'',909  de  sucre, 
tandis  qu'un  autre  chien  de  même  poids,  intoxiqué  par  l'arsenic  et  soumis  ensuite 
à  la  piqûre,  n'excrète  que  0''''',I7o  de  sucre  (B.  B.,  1882,  p.  537).  Cependant,  Bria- 
MERMANN  a  vu  cncore  dans  ces  conditions  la  glycosurie  se  produire  par  l'action  du 
curare  et  du  nitrite  d'amyle  (In  Jahresber.  de  Virchow  et  Hirsch,  1879). 

Lehmann  (analysé  in  A.  P.  P.,  t.  ii,  p.  463,  1874),  dans  ses  expériences,  a  cherché 
à  élucider  le  mécanisme  de  la  disparition  du  glycogène.  Il  constate  d'abord,  sur  une 
première  série  d'animaux,  qui  n'avaient  reçu  que  de  petites  doses  de  liqueur  de  Fowler 
(OsrjlO),  que  la  quantité  de  glycogène  n'était  pas  sensiblement  modifiée.  Par  contre, 
quand  des  animaux,  qui  avaient  jeûné  deux  ou  trois  jours,  recevaient  un  repas  copieux 
en  même  temps  que  1  gramme  à  t^'',5  de  liqueur  de  Fowler,  on  trouvait  dans  leur 
foie  beaucoup  moins  de  glycogène  que  chez  ceux  qui,  ayant  été  également  soumis  au 
jeûne,  n'avaient  pas  pris  d'arsenic. 

Lehmann  avance,  d'autre  part,  que,  chez  les  animaux,  normaux,  à  jeun,  le  sucre  in- 
jecté dans  la  veine-porte  traverse  plus  facilement  le  foie  que  chez  les  animaux  bien 
nourris,  et  qu'il  reparaît  dans  l'urine;  mais,  si  les  animaux,  quoique  bien  alimentés, 
reçoivent  en  même  temps  de  l'arsenic,  la  glycosurie  s'établit  encore  après  l'injection  de 
sucre,  c'est-à-dire  que  le  foie  arsenical  se  comporterait  par  rapport  au  glycose, 
comme  le  foie  en  état  d'inanition  :  l'un  comme  l'autre  sont  devenus  moins  aptes 
à  transformer  les  matières  hydrocarbonées  en  glycogène. 

Les  expériences  de  Naunyn  montrent  aussi  que  l'arsenic  empêche  la  transformation 
du  sucre  en  glycogène  {Handb.  der  speciell.  Pathol.  de  Ziemssen,  t.  xv,  p.  351).  A  des 
lapins  à  jeun  pendant  trois  jours  ou  plus,  cet  expérimentateur,  ayant  donné  de  deux 
heures  en  deux  heures  4  à  10  grammes  de  sucre  additionnés  chaque  fois  de  Oe'',02  d'acide 
arsénieux,  ne  trouva  dans  leur  foie  que  de  faibles  quantités  de  matière  glycogène,  au 
maximum  0,13  p.  100  du  poids  de  l'organe  frais;  cependant  l'urine  ne  renfermait 
pas  de  sucre.  Par  contre,  Luchsinger  a  vu  le  sucre,  injecté  dans  le  sang  d'animaux 
intoxiqués,  reparaître  dans  l'urine,  tandis  que  le  foie  et  les  muscles  ne  contenaient  pas 
de  glycogène. 


694  ARSENIC. 

Il  est  probable  que  ce  n  esl  pas  le  sucre  seul  qui  ne  peut  plus  être  transformé  par 
le  foie  arsenical,  mais  que  tous  les  matériaux  qui  donnent  origine  au  gtycogène  sont 
dans  le  même  cas.  La  disparition  du  glycogène  n'a  rien  qui  puisse  surprendre,  si  l'on 
considère,  comme  l'a  fait  bien  remarquer  Roger,  que  cette  substance  est  en  quelque 
sorte  le  témoin  de  l'activité  des  cellules  he'paliques.  Quand  celles-ci  auront  subi  la 
dégénérescence  graisseuse,  l'élaboration  du  glycogène  ne  pourra  plus  avoir  lieu; 
mais,  avant  même  qu'elles  n'aient  éprouvé  des  altérations  grossières,  la  vitalité  de  leur 
protoplasma  pourra  être  assez  compromise  par  le  poison  pour  que  leur  fonctionnement 
s'en  ressente. 

Action  sur  le  système  nerveux.  —  Nous  avons  décrit  en  détail  les  accidents 
nerveux  de  l'intoxication  arsenicale.  Il  reste  encore  à  étudier  leur  pathogénie.-  Sont-ils 
d'origine  centrale  ou  périphérique  ? 

SiDNEY  Rincer  et  Murrell,  de  leurs  expériences  sur  la  grenouille,  ont  conclu  que  l'acide 
arsénieux  affecte  d'abord,  et  très  rapidement,  les  centres  nerveux,  puis,  qu'au  bout  de 
quelques  heures  il  détruit  la  conductibilité  des  nerfs  moteurs  et  l'irritabilité  muscu- 
laire; la  perte  de  ces  dernières  propriétés  n'est  pas  la  conséquence  de  l'arrêt  du  cœur; 
car  elles  disparaissent  au  bout  de  trois  à  neuf  heures  après  l'empoisonnement  par 
l'acide  arsénieux,  taudis  qu'elles  durent  en  moyenne  vingt-neuf  heures  quand  on  a 
détruit  le  cœur  et  le  cerveau. 

Chez  les  mammifères,  Scolosuboff  est  prubablemeut  le  premier  qui  ait  cherché  à 
étudier  par  la  méthode  expérimentale  le  mécanisme  des  troubles  nerveux,  et  il  est 
arrivé  à  cette  conclusion  qu'ils  résultent  de  l'altération  des  centres  nerveux  par  l'ar- 
senic :  cette  conclusion  se  fondait  sur  des  recherches  chimiques  dont  il  sera  question 
plus  loin.  Bien  que  la  donnée  même  qui  lui  servait  de  base  ait  été  contredite  par  la 
majorité  des  expérimentateurs,  l'opinion  de  Scolosuboff  fut  cependant  confirmée,  d'autre 
part,  par  les  recherches  anatomo-pathologiques.  Dans  des  expériences  entreprises  sous 
la  direction  de  Mierzejewsky,  Popoff  (Petersb.  med.  Wochenschi'.  analysé  in  Jahresb.  de 
ViRCHOW  et  HiRScii,  1880)  trouva  que,  chez  les  animaux  soumis  à  une  intoxication  suraiguë, 
il  se  produit  des  lésions  très  manifestes  de  la  moelle  ayant  les  caractères  d'une  polyo- 
myélite  aiguë.  Dans  les  cas  plus  chroniques,  l'intlammation  s'étendrait  à  la  substance 
blanche,  et  il  se  produirait  des  myélites  diffuses.  Les  nerfs,  examinés  à  leur  sortie  de  la 
moelle  aussi  bien  que  dans  leur  trajet  périphérique,  ne  montraient  aucune  altération, 
même  dans  les  cas  où  la  mort  n'était  survenue  que  trois  mois  après  l'intoxication. 

Plus  tard,  répondant  aux  objections  qui  lui  étaient  faites,  Popoff  décrivit,  dans  un  cas 
d'empoisonnement  chez  l'homme,  les  mêmes  altérations  qu'il  avait  observées  chez  les 
animaux  :  gonflement,  état  trouble,  décoloration  et  vacuolisation  des  cellules  nerveuses, 
hyperémie  et  diffusions  sanguines  dans  les  régions  cervicale  et  dorsale  de  la  moelle, 
au  voisinage  du  canal  central,  dans  les  cornes  postérieures  et  les  cordons  latéraux, 
exsudais  plastiques  dans  le  renflement  cervical.  Mais,  d'après  Kreysig  (A.  V.,  t.  en,  1885), 
la  décoloration  des  cellules  ganglionnaires,  la  formation  de  vacuoles  dans  leur  intérieur 
sont  produites  par  la  méthode  de  durcissement  employée  et  peuvent  se  rencontrer  sur 
la  moelle  d'animaux  normaux  :  après  l'empoisonnement  par  l'arsenic,  il  ne  constate 
dans  les  centres  nerveux  d'autres  lésions  que  quelques  hémorrhagies  capillaires  de  la 
substance  grise,  lesquelles  ne  sont  pas  constantes;  il  cite  Vulpiajn  comme  étant  arrivé 
également  à  des  résultats  négatifs. 

Sur  un  chien,  chez  lequel  de  fortes  doses  d'arsenic  données  pendant  dix  jours  avaient 
amené  une  paralysie,  Jaschre  n'a  de  même  Irouvé  que  quelques  petites  apoplexies 
dans  les  méninges,  sans  aucune  indication  de  myélite  centrale.  Cet  auteur  paraît  avoir 
été  le  premier  à  attribuer  les  troubles  moteurs  et  sensoriels  de  l'arsenic  à  des  lésions 
périphériques,  à  la  polynévrite;  et  cette  opinion  est  soutenue  aujourd'hui  par  la  plupart 
de  ceux  qui  se  sont  occupés  de  cette  question.  Jaschke  a  invoqué  les  motifs  suivants  : 
1°  la  localisation  des  troubles  de  la  sensibilité  et  du  mouvement  dans  le  domaine  de 
certains  nerfs  :  ainsi,  dans  un  cas,  une  auesthésie  très  prononcée  était  limitée  au  terri- 
toire du  nerf  médian;  2°  les  troubles  sensitifs  très  marqués,  les  phénomènes  ataxiques, 
la  douleur  à  la  pression  sur  le  trajet  du  nerf;  3°  l'absence  des  symptômes  habituels  des 
paraplégies  médullaires,  tels  que  les  troubles  de  la  miction;  4°  l'absence  de  l'atrophie 
rapide  et  intense  qui  accompagne  la  poliomyélite  antérieure;  b°  la  guérison  complète 


ARSENIC.  695 

et  relativement  rapide,  malgré  un  degré  très  prononcé  de  paralysie;  6°  l'existence  du 
zona;  7°  les  réactions  électriques  qui  sont  celles  des  paralysies  périphériques  légères; 
8°  la  sensibilité  des  muscles  paralysés. 

Dana  {loc.  cil.)  ajoute  à  ces  arguments  :  1°  l'existence  de  la  névrite  optique  qu'il  a 
observée;  2°  la  paralysie  motrice  localisée,  comme  par  exemple  celle  d'une  seule  corde 
vocale;  3°  le  fait  même  que  l'arsenic  peut  produire  une  forme  de  pseudo-tabès  sem- 
blable au  tabès  dû  à  l'alcool  ou  à  la  diphtérie  :  et  on  sait  que  daus  ces  derniers  cas,  il 
est  sous  la  dépendance  d'une  polynévrite. 

Lancereaux  s'était  déjà  appuyé  sur  cette  preuve  par  analogie  et  sur  le  tableau  cli- 
nique des  paralysies  arsenicales  pour  les  ranger,  avec  celles  de  l'alcool,  dans  le  groupe 
des  paralysies  d'origine  périphérique  (Gaz.  des  hôpit.,  1883,  n"  46). 

Dans  une  communication  au  congrès  médical  de  Berlin,  Naunyn  (Berl.  klin.  Wo- 
chenschr.,  1886,  p.  555)  fait  ressortir  également,  d'après  un  cas  qu'il  a  observé,  l'ana- 
logie des  symptômes  avec  ceux  de  la  polynévrite.  Cette  opinion  est  confirmée  par  les 
recherches  expérimentales  d'ALEXANDER  (Klin.  med.  experim.  Beitràge  zur  Kenntniss  der 
Lâhmungen  nach  Arsenik.  Vergiftung.  Th.  de  Breslau,  1889)  qui  a  observé  sur  des  lapins 
intoxiqués  de  l'atrophie  dégéuérative  des  nerfs  et  des  muscles,  sans  altérations  cen- 
trales. Mais  en  même  temps  l'auteur  arrive  à  cette  conclusion  que,  chez  les  animaux,  il 
est  difficile  de  déterminer  par  une  intoxication  chronique  l'apparition  tant  d'une  poly- 
névrite que  d'une  myélite.  Becq  (Arch.  de  neurologie,  1894,  p.  108)  dans  ses  expériences 
a  rencontré  les  mêmes  difficultés  :  dans  la  moelle,  pas  de  modification  de  structure  : 
dans  les  nerfs,  la  seule  particularité  à  signaler,  c'est  que  la  myéline,  au  lieu  d'avoir  lé 
reflot  bleuâtre  que  lui  donne  habituellement  l'acide  osmique,  avait  une  teinte  gris  noi- 
râtre, semblable  à  celle  qu'ont  trouvée  Pitres  et  Vaillard  dans  les  névrites  provoquées 
par  l'alcool  et  l'éther. 

Il  semble,  d'après  tous  ces  faits,  que  les  manifestations  nerveuses  doivent  être  ratta- 
chées dans  la  majorité  des  cas  à  des  altérations  périphériques  :  mais  il  ne  faudrait  pas 
généraliser  davantage,  puisque  tout  récemment  Henschen-  (Neurol.  Centralb.,  février  1894) 
a  publié  un  fait  dans  lequel  il  a  constaté  des  lésions  médullaires  primitives,  très  nettes 
et  très  étendues.  Le  syndrome  clinique  avait  du  reste  fait  admettre  la  participation  de 
la  moelle  au  processus  morbide. 

Action  sur  la  peau  et  les  muqueuses.  —  Les  manifestations  produites  par  l'ar- 
senic du  côté  de  la  peau  ont  été  déjà  signalées  plus  haut  dans  le  tableau  d'ensemble  de 
l'intoxication  arsenicale.  On  a  vu  que  les  altérations  les  plus  divei'ses  ont  été  observées, 
rougeur  avec  gontlement,  éruptions  papuleuses,  ortiées,  érysipélateuses,  pustuleuses, 
chute  des  cheveux,  des  poils,  des  ongles  :  elles  semblent  reconnaître  pour  cause  f  élimi- 
nation du  poison  par  la  peau.  Dans  l'arsenicisme  professionnel,  il  faut  faire  intervenir 
aussi  le  contact  direct  du  poison  avec  le  tégument;  enfln  on  n'a  peut-être  pas  tenu 
suffisamment  compte  des  troubles  trophiques  que  doivent  amener  les  altérations  des 
nerfs. 

Une  modification  curieuse  de  la  peau,  qui  a  souvent  été  observée  à  la  suite  de  l'usage 
prolongé  de  l'arsenic  à  dose  thérapeutique,  est  cette  pigmentation  anormale  que  l'on  a 
désignée  sous  le  nom  de  mélanose  arsenicale.  Wyss,  qui  a  fait  des  coupes  microscopiques 
sur  la  peau  des  sujets  qui  en  étaient  atteints,  a  trouvé  un  pigment  brun-jaune  ou  brun 
rougeâtre  déposé,  suivant  que  les  cas  étaient  plus  ou  moins  intenses  et  invétérés,  soit 
dans  les  lymphatiques  des  papilles  seulement,  soit  dans  le  réseau  lymphatique  du  derme. 
Il  pense  que  c'est  la  matière  colorante  du  sang  qui  forme  ces  granulations  pigmentaires, 
il  invoque  à  ce  sujet  les  recherches  de  Stierlin  qui  a  vu  l'usage  de  la  liqueur  de  Fowler 
réduire  le  chiffre  des  globules  rouges  et  la  quantité  d'hémoglobine.  Sur  ce  dernier  point, 
Delpeuch  est  arrivé,  comme  il  a  été  dit,  à  des  résultats  différents  :  mais  la  diminution 
du  nombre  des  hématies  peut  venir  à  l'appui  de  l'opinion  émise  par  Wyss. 

Aux  différentes  affections  des  muqueuses  déjà  mentionnées,  telles  que  conjonctivite, 
laryngite,  il  faut  ajouter  la  rhinite  ulcéreuse.  Dans  une  observation  de  Cartaz  la  mani- 
pulation et  la  préparation  du  vert  du  Schweinfurth  a  eu  comme  conséquence  des  ulcé- 
rations de  la  muqueuse  nasale  avec  destruction  complète  de  la  cloison;  la  maladie  rétrocé- 
dait quand  le  malade  cessait  son  métier.  Saint-Philippe  (Gaz.méd.  de  Bordeaux,  n">  42, 
1877)  a  cité  deux  observations  d'uréthrites  développées  en  dehors  de  toute  contamina- 


696  ARSENIC. 

tion  vénéneuse  et  qu'il  rapporte  à  l'abus  de  l'arsenic,  pris  dans  un  but  thérapeutique. 
L'irritation  produite  par  une  urine  chargée  d'arsenic  expliquerait  cette  inflammation  sur 
laquelle  Delatour  avait  déjà  attiré  l'attention. 

11  faut  sans  doute  expliquer  de  la  même  façon  le  chatouillement  de  l'urèthre  avec 
tendance  à  l'érection  observé  dans  des  cas  semblables,  ainsi  que  la  dysurie,  la  strangurisi 
et  Je  ténesme  vésical  signalés  comme  accidents  de  l'intoxication  arsenicale. 

Absorption,  localisation  et  élimination.  —  L'absorption  des  composés  arsenicaux 
peut  se  faire  par  les  muqueuses,  par  le  tissu  cellulaire  sous-cutané,  par  des  plaies,  des 
ulcères  de  la  peau. 

L'acide  arsénieux  introduit  en  solution  dans  le  tubedigeslif  pénètre  rapidement  dans 
le  sang;  car  au  bout  de  quelques  minutes  on  le  retrouve  déjà  dans  les  urines.  Il  est 
absorbé  dans  l'intestin  sous  forme  d'arsénite  de  soude  :  une  petite  partie  y  est  transfor- 
mée en  sulfure  d'arsenic  qui,  insoluble,  n'est  pas  soumis  à  la  résorption.  Il  est  vrai  que, 
sous  l'influence  de  la  putréfaction,  c'est-à-dire  de  l'activité  microbienne,  le  sulfure  en 
présence  de  l'eau  et  à  la  température  du  corps  peut,  d'après  Ossikowsky,  redevenir  de 
l'acide  arsénieux  et  même  de  l'acide  arsénique  :  mais  dans  les  expériences  de  cet  auteur 
le  sulfure  d'arsenic  restait  en  contact  au  moins  pendant  deux  jours  avec  le  pancréas,  à 
une  température  de  33  à  40°,  tandis  que  dans  l'intestin  il  est  rapidement  éliminé  avec 
les  matières  fécales. 

Dans  l'urine  on  peut  obtenir  en  certains  cas  un  précipité  de  sulfure  d'arsenic  en  y 
faisant  passer  directement  de  l'bydrogène  sulfuré  après  l'avoir  acidulé  avec  de  l'acide 
chlorhydrique.  11  ne  parait  pas  démontré  jusqu'à  présent  (Hdsemann.  Erwiesenes  und 
Hypothetisches  vom  Arsen.;  Deut.  med.  Wochenschr.,  1892,  p.  108)  que  l'acide  arsénieux 
reparaisse  dans  l'urine  à  l'état  d'acide  arsénique.  Par  contre,  l'arsenic  peut  s'y  trouver  à 
l'état  de  combinaison  organique.  Ainsi,  lorsque  l'hydrogène  sulfuré  n'a  pas  produit  de 
précipité,  il  ne  faut  pas  en  conclure  que  l'urine  soit  exemple  d'arsenic,  sa  présence  peut 
y  être  démontrée  si  l'on  a  recours  à  l'appareil  de  Marsh  après  avoir  détruit  les  matières 
organiques. 

Hasesianx  cite  à  ce  propos  le  passage  suivant  de  Morner  :  «  On  ne  sait  pas  encore  exac- 
tement à  quel  état  l'arsenic  s'élimine  par  les  urines.  En  général  on  a  admis  qu'il  doit 
s'y  trouver  sous  forme  d'arsénite  ou  d'arséniate.  Comme  preuve  de  cette  manière  de 
voir,  on  peut  faire  valoir  les  recherches  de  Schmidt  et  Brettschneider  qui,  dans  leurs 
expériences  sur  les  chevaux,  ont  trouvé  l'acide  arsénieux  non  transformé  dans  le  sang  et 
dans  l'urine.  En  outre  Reichardt  assure  que  l'arsenic  peut  sans  autre  préparation  être 
précipité  de  l'urine,  acidulée  par  HCl,  au  moyen  de  l'hydrogène  sulfuré.  Cependant  il  ne 
faut  pas  croire  que  l'arsenic  passe  toujours  dans  l'urine  à  l'état  d'acide  arsénieux  ou 
arsénique.  Dans  quelques  expériences,  je  n'ai  pu,  chez  des  personnes  qui  prenaient  de 
l'arsenic  comme  médicament,  précipiter  de  l'arsenic  dans  l'urine  acidulée  par  l'acide  chlo- 
rhydrique, bien  que,  tenant  compte  de  la  difficulté  de  précipiter  l'acide  arsénique,  j'aie 
à  plusieurs  reprises  et  à  quelques  jours  d'intervalle  fait  passer  de  l'hydrogène  sulfuré  :  et 
cependant  d'autres  procédés  permettaient  de  démontrer  facilement  la  présence  de  l'ar- 
senic dans  ces  mêmes  urines.  » 

Selmi  a  prouvé,  en  effet,  que  le  métalloïde  s'élimine  en  partie  sous  forme  de  combinai- 
son organique.  Chez  des  chiens  qui  ont  reçu  pendant  quelque  temps  de  l'acide  arsénieux, 
on  trouve,  du  troisième  au  septième  jour  de  l'intoxication,  une  arsine  volatile  à  propriétés 
tétaniques,  plus  tard  une  base  volatile  renfermant  encore  une  faible  quantité  d'arsenic, 
beaucoup  moins  toxique  ;  plus  tard  enfm,  une  autre  base  non  toxique  pour  la  grenouille, 
à  la  dose  de  0B'',02.  Pendant  tout  le  temps  de  l'empoisonnement  il  s'élimine  un  com- 
posé basique  et  volatil  renfermant  du  phosphore.  L'élimination  de  l'arsenic  sous  forme 
de  composés  inorganiques  commence  aussitôt  après  l'intoxication  et  peut  durer  encore 
quarante  jours  après  qu'on  a  cessé  d'administrer  l'arsenic. 

RoussiN,  ayant  donné  à  des  animaux  de  l'arséniate  calcaire,  suppose  qu'il  passe 
dans  les  urines  à  l'état'  d'arséniate  ammoniaco-magnésien. 

KiRCHGASSER  rapporte  une  observation  prise  sur  l'homme  où  l'on  put  retrouver  de 
l'arsenic  pendant  six  semaines  dans  les  urines  et  pendant  deux  semaines  dans  les  fèces, 
après  que  l'administration  du  toxique  eut  cessé  (cité  par  Dhagendorff). 

Dans  une  observation  de  Gaillard  de  Poitiers,  rappelée  par  Brou.ardel,  on  a  égale- 


ARSENIC,  697 

ment  constaté  la  présence  de  l'arsenic  dans  l'urine  jusqu'à  quarante  jours  après  l'empoi- 
sonnement. Il  semble  que  l'arsenic  éliminé  par  les  matières  fécales  doive  y  être  amené 
par  la  bile;  cependant  Orfila,  d'après  quelques  expériences  qu'il  a  exécutées,  se  croit 
autorisé  à  dire  qu'il  n'eu  est  rien.  Chez  les  chiens,  il  trouve  que  l'élimination  par  les 
sécrétions  est  terminée  au  bout  de  quinze  jours  :  on  a  vu  qu'elle  peut  durer  plus  long- 
temps, d'après  Selmi.  Chez  l'homme  ou  peut  admettre  par  induction  que  l'arsenic 
est  entraîné  par  les  sécrétions  en  six  semaines.  L'élimination  pourrait  même,  dans  cer- 
tains cas,  se  prolonger  davantage.  Wood  a  trouvé  encore  de  l'arsenic  dans  l'urine  au  bout 
de  93  jours  {Boston  Journal  1893).  Voir  aussi,  Putnam,  Boston  Journal,  1889. 

Notons  encore  que,  dans  le  rapport  sur  l'empoisonnement  du  duc  de  Praslin,  l'exa- 
men de  l'urine  rendue  dans  les  derniers  moments  de  la  vie,  c'est-à-dire  six  jours  après 
l'empoisonnement,  ne  donna  que  des  résultats  négatifs.  Roussm  rappelle  qu'il  a  depuis 
longtemps  signalé  le  fait,  qu'on  peut  trouver  de  l'arsenic  dans  l'urine  à  telle  époque 
de  l'empoisonnement  et  ne  pas  en  déceler  plus  tard.  D'après  Taylor  également,  l'excré- 
tion du  toxique  par  l'urine  pourrait  être  intermittente. 

Bebgeron  et  Lemattre  ont  avancé  que  l'arséniate  de  soude  et  l'arsénite  de  potasse  se 
retrouvent  en  nature,  non  seulement  dans  l'urine,  mais  encore  dans  la  suear  {Arch.  géné- 
rales de  médecine,  1864).  Leurs  expériences  toutefois,  d'après  Rabuteau,  ne  seraient  pas  très 
convaincantes.  Chatin  a  trouvé  de  l'arsenic  dans  la  sérosité  d'un  vésicatoire  chez  un 
sujet  qui  en  avait  absorbé  {Journ.  de  Chim.  méd.,  1847,  p.  328);  on  verra  aussi  plus  loin 
que  la  substance  passe  dans  le  lait. 

La  localisation  de  l'arsenic  dans  les  tissus  a  fait  l'objet  de  nombreuses  recherches. 
Orfila  et  Christison  avaient  noté  qu'il  se  dépose  surtout  dans  le  foie;  tel  était  aussi  l'avis 
de  Flandin  et  de  Taylor  qui  plaçaient  au  second  rang  les  reins,  et  en  dernier  lieu  le  cer- 
veau. Les  expériences  de  Scolosuboff  lui  avaient  donné  un  résultat  contraire.  Il  avait 
trouvé  que,  dans  les  empoisonnements  aigus,  le  métalloïde  se  localise  tout  spécialement 
dans  le  cerveau;  que,  dans  les  empoisonnements  chroniques,  il  se  concentre  surtout  dans 
le  cerveau  et  la  moelle,  qu'il  n'envahit  que  consécutivement  les  muscles  et  le  foie;  et 
qu'on  ne  le  trouve  jamais  dans  cet  organe  à  dose  aussi  considérable  que  dans  la  substance 
nerveuse  [A.  P.,  2"  série,  t  ii,  187b,  p.  6o3). 

Les  expériences  de  Scolosuboff  ont  été  faites  sur  des  chiens  et  des  lapins.  L'empoi- 
sonnement était  produit,  soit  en  moins  de  vingt-quatre  heures  par  des  injections  hypo- 
dermiques d'arséniate  de  soude,  soit  lentement  en  imprégnant  pendant  des  mois  les  ali- 
ments avec  la  même  solution.  Voici  un  exemple  de  ce  dernier  genre  :  un  chien  bouledogue 
prend,  du  28  mai  au  l'"' juin,  Ob',0  10  d'arsenic;  du  i"  juin  auU,  OE"',020;  du  il  au  16, 
0e'-,040:  du  16  au  26  juin,  0S"-,080;  le  26  juin,  OeMoO;  le  30  juin  et  le  1"  juillet,  Oe^lGO. 
Le  2  juillet  il  est  sacrifié.  On  a  trouvé  : 


Pour  100  grammes  de  muscle  Irais.    .    .    . 

—  de  foie 

—  de  cerveau  

—  de  moelle 

Ainsi  chez  ce  chien  on  trouva  dans  le  cerveau  une  quantité  d'arsenic  36  à  37  fois  plus 
grande  que  dans  le  même  poids  de  muscle  frais  et  4  fois  plus  grande  que  dans  le  foie. 

Dans  d'autres  cas  où  les  animaux  étaient  soumis  à  l'intoxication  aiguë  et  où  la  mort 
arrivait  en  quelques  heures,  l'anneau  arsenical  du  cerveau  était  très  notable,  moindre 
pour  la  moelle,  à  peine  sensible  pour  le  foie  et  pour  le  muscle.  Se  fondant  sur  les 
recherches  précédentes,  Caillol  de  Pon'cy  et  Livon  (B.  B.,  p.  202,  1879],  ayant  constaté 
que  chez  des  cochons  d'Inde  la  quantité  d'acide  phosphorique  éliminée  par  les  urines 
augmente  sous  l'influence  de  l'arsenic,  ont  émis  l'hypothèse  que  l'arsenic  remplace  le 
phosphore  dans  la  lécithine  de  la  substance  nerveuse.  Mais  on  a  objecté  à  ces  expériences 
que  la  quantité  d'arsenic  administrée  ne  suffisait  pas  à  compenser  les  pertes  en  phos- 
phore qui  se  faisaient  par  l'urine. 

■D'ailleurs,  à  la  même  époque,  E.  Ludwig  montrait,  d'après  des  expériences  sur  les 
animaux  et  des  observations  faites  chez  l'homme  lUb.  die  Localisation  des  Arsens  im 


Poids  total 

RapporI 

nneau  arseiii 

cnl. 

de  ce  nonil 

grammes. 

à  1 

/arsenic  du  r 

0,0002.0 

1 

0.00271 

10,8 

0,00885 

36,5 

0.00933 

37,3 

698  ARSENIC. 

thierischen  Organismus  nach  Einverleibung  von  Arsenig.  Saûre;  Wien.  med.  Blâtt.,  1879, 
analysé  in  Jahresb.  de  Virchow  et  Hirsch)  que  ce  n'est  pas  dans  les  centres  nerveux  que 
se  dépose  de  préférence  l'arsenic,  mais  bien  dans  le  foie  et  le  rein.  Dans  un  cas,  chez 
l'homme,  on  trouva,  pour  14-80  grammes  de  foie,  0s',l3S  d'arsenic,  pour  1481  grammes 
de  cerveau. Os%001o,  pour  14i  grammes  de  rein,  0e"-,019o  et  pour  «00  grammes  de  muscle, 
0SS002,  de  sorte  que  les  muscles  renfermaient  3  fois  plus,  le  foie  89  fois  plus  et  les  reins 
13b  fois  plus  que  le  cerveau.  Lddwig  a  constaté  également  chez  les  animaux  comme  chez 
l'homme  que  l'aisenic  est  assimilé  par  l'os  en  quantité  très  appréciable  :  en  donnant  à 
des  chiens  de  l'acide  arsénieux  pendant  quelque  temps,  les  os  renfermaient  encore 
de  l'arsenic  27  jours  après  qu'on  eût  administré  le  poison;  au  40™=  jour  ils  n'en  con- 
tenaient plus,  alors  qu'on  en  trouvait  encore  dans  le  foie. 

Ces  résultats  ont  été  souvent  confirmés.  Dans  une  observation  de  Bergeron,  Delens 
et  L'HoTE  (Ann.  d'hygiène  publ.  et  de  médec.  légale,  3"'<=  série,  1880,  t.  m)  oii  l'empoisonne- 
ment eut  lieu  par  du  vert  de  Mitis,  on  trouve  les  chiffres  suivants  :  dans  100  grammes 
de  cerveau,  0t'"',2  d'arsenic;  dans  42  grammes  d'estomac  et  de  pancréas,  0s%4;  dans 
•100  grammes  de  foie,  ie'',4;  dans  100  grammes  de  poumon,  OB'-, 7;  dans  10  grammes  de 
cœur,  traces;  dans  100  grammes  d'intestin,  Oe'.o;  dans  100  grammes  de  rein,  0S'-,4;  dans 
9  grammes  de  cheveux,  Oe\l;  dans  60  grammes  de  glande  mammaire,  0t''-,2;  dans 
40  grammes  de  muscle,  Oe--,!.  Le  poison  s'était  donc  particulièrement  localisé  dans  le  foie. 
De  même  Guarescri  (Localisazione  deU'arsenico  nell'organismo;  Rivista  di  chim.  med. 
e  farmacol.,  analysé  in  Jahresb.  de  Virchow  et  Hirsch,  1883)  a  trouvé  dans  l'estomac  0,0165 
d'arsenic  p.  100;  dans  le  foie,  0,00103;  dans  le  gros  intestin,  0,00138;  les  poumons  et  le 
cœur,  0,0006;  le  muscle,  0,00011  et  dans  le  cerveau  des  traces  seulement.  Il  cite  aussi 
Sahapp  et  MoiNARi  qui,  chez  une  vache  ayant  reçu  pendant  44  jours  0,4  à  0,o  d'acide 
arsénieux  par  jour,  trouvèrent  dans  l'estomac,  0,02o  p.  100  d'arsenic;  dans  le  foie, 
0,0013;  dans  la  rate,  0,001;  dans  les  reins,  0,0006;  dans  les  muscles,  0,0003;  dans  les  pou- 
mons, 0,0004  et  dans  le  sang,  0,003.  Après  l'estomac  c'est  donc  le  foie  et  la  rate  qui  con- 
tenaient le  plus  d'arsenic.  Voir  aussi  GAUiviER,  qui  donne  un  grand  nombre  de  chilfres 
déterminés  par  divers  observateurs  (Anii.  d'hyg.  publique  et  de  médecine  légale,  t.  ix, 
p.  310,  1883),  et  Bayley  (On  the  distrib.  of.  arsenic  in  the  bodies;Med.  Neivs,  1893). 

Au  point  de  vue  médico-légal,  Chitienden  croit  pouvoir  tirer  du  mode  de  répartition 
de  l'arsenic  dans  les  tissus  des  éléments  d'information  importants  {Significance  of  the 
absorpt.  and  éliminât,  of  poison  inmedico-legal  cases, -The  médico-légal  Journal,  i.ii,  p.  224, 
sept.  1884,  R.  S.  il/.).  Lorsque  l'arsenic  existe  dans  le  foie  en  très  grande  quantité,  30  ou  40 
centigr.  par  exemple,  on  peut  affirmer,  s'il  s'agit  d'acide  arsénieux,  qu'il  a  été  introduit 
au  moins  Ib  heures  avant  la  mort;  car  les  expériences  de  Geoghegan,  confirmées  par 
Dogiel,  ont  montré  que  c'est  à  ce  moment  que  l'arsenic  offre  un  maximum  d'assimila- 
tion dans  cet  organe.  L'absence  d'arsenic  dans  l'estomac,  coïncidant  avec  sa  présence  en 
proportion  considérable  dans  le  foie,  indique  nettement  que  le  poison  a  été  pris  plu- 
sieurs jours  avant  la  mort.  La  présence  d'une  quantité  relativement  considérable  dans 
le  cerveau  coïncidant  avec  son  abondance  dans  quelques  muscles,  sa  distribution  très 
inégale  dans  le  système  musculaire  et  son  absence  dans  les  os,  semble  indiquer  qu'on 
à  affaire  à  un  composé  très  soluble  et  à  un  empoisonnement  aigu.  Chitïenden  attribue 
en  effet  les  résultats  obtenus  par  Scolosdrof  à  ce  que  ce  dernier  a  employé  un  composé 
très  soluble,  l'arséniate  de  soude. 

Parmi  les  organes  dans  lesquels  l'arsenic  s'accumule  de  préférence,  il  faut  faire  une 
place  à  part  aux  os.  On  a  vu  plus  hautque,  d'après  Ludwig,  le  poison  aurait  déjà  disparu 
dans  le  tissu  osseux,  alors  qu'il  existe  encore  dans  le  foie.  Tout  autres  ont  été  les  résul- 
tats des  expériences  de  G.  Pouchet  et  Brouardel.  Lorsque  l'arsenic  est  donné  à  faibles 
doses  répétées,  on  retrouve  des  traces  nettement  appréciables  du  métalloïde  à  l'appareil 
de  Marsh,  huit  ou  dix  semaines  après  la  cessation  de  toute  absorption  arsenicale,  tandis 
qu'à  partir  de  la  troisième  semaine  les  différents  viscères  des  animaux  sacrifiés  n'en  ren- 
ferment plus  :  mais  ce  n'est  plus  alors  que  dans  les  os  riches  en  tissu  spongieux,  crâne, 
vertèbres  surtout,  omoplate,  que  l'analyse  permet  de  retrouver  l'arsenic.  Dans  les  os 
riches  en  tissu  compact,  tels  que  le  fémur,  on  ne  peut  plus  en  déceler  la  présence  au  bout 
d'un  certain  temps.  Il  se  trouve  au  contraire  en  petite  quantité  dans  ces  derniers  os, 
lorsque  l'arsenic  a  été  donné  à  doses  capables  de  déterminer  en  quelques  heures  des  acci- 


.ARSENIC.  699 

,  dents  manifestes  d"intoxication.  Chez  les  animaux  empoisonnés  par  des  doses  massives, 
on  obtient  une  sorte  de  diffusion  générale  de  l'arsenic  et  le  tissu  osseux  n'offre  rien  de 
particulier  au  point  de  vue  de  la  localisation.  Ces  conclusions  qui  résultaient  de  l'expéri- 
mentation ont  été  confirmées  par  les  recherches  toxicologiques  faites  au  sujet  des  empoi- 
sonnements du  Havre.  La  présence  de  l'arsenic  constatée  dans  les  os  du  crâne  et  des  ver- 
tèbres chez  les  sujets  ayant  succombé  à  l'intoxication,  doit  faire  ranger,  parmi  les  faits 
définitivement  acquis  à  la  toxicologie  humaine,  la  localisation  de  l'arsenic  dans  le  tissu 
spongieux  des  os. 

Il  faut  dire  que  Roussin  {Journ.  de  Pliarm.  et  de  Chimie,  186.3,  p.  121)  s'était  déjà 
occupé  de  cette  question.  Comme  les  arséniates  sont  isomorphes  avec  les  phosphates,  il 
.s'était  demandé  si  l'arséniale  calcaire  ne  se  fixerait  pas  dans  le  squelette  osseux.  Les 
.expériences  faites  sur  des  lapins,  dont  les  aliments  étaient  mélangés  avec  de  l'arséniate 
calcaire,  lui  montrèrent  que  l'arsenic  s'accumule  progressivement  dans  les  os,  alors  que 
les  muscles  n'en  fournissent  que  des  traces. 

Une  lapine  reçoit  environ  Os^jO  d'acide  arsénique  par  jour  pendant  un  mois,  sous 
forme  d'arséniate  calcaire.  Au  bout  de  ce  temps  elle  est  accouplée;  puis  elle  met  bas 
cinq  petits.  Au  bout  de  vingt-cinq  jours  un  des  petits  fut  tué;  la  mère  avait  toujours 
continué  à  recevoii  de  l'arsenic.  Dans  les  os  du  petit  on  trouva  une  quantité  assez  con- 
sidérable d'arsenic,  des  traces  seulement  dans  les  muscles.  La  lapine  mère  ayant  été 
sacrifiée  cinq  mois  après  qu'elle  eût  été.  privée  de  toute  alimentation  arsenicale,  la  pré- 
sence de  l'arsenic  fut  encore  constatée  dans  les  os  :  mais  pour  la  constater  il  fallut  opé- 
rer en  une  seule  fois  sur  les  deux  tiers  de  la  substance  osseuse.  Chez  l'homme,  après  un 
'long  usage  médical,  Gille  aurait  trouvé  de  l'arsenic  dans  les  os  et  le  foie  après  six  mois 
{Pdtnam,  loc.  cit.)K  RoussiN  n'a  pas  constaté  de  différences  appréciables  entre  les  os  du 
squelette.  Quoi  qu'il  en  soit,  ce  qui  est  certain,  comme  le  fait  remarquer  Bbouardel,  c'est 
qu'au  bout  de  cinq  à  six  semaines  il  peut  rester  dans  les  os  une  quantité  suffisante  d'ar- 
senic pour  démontrer  qu'il  y  a  eu  intoxication.  Quant  à  la  question  de  savoir  si  l'arse- 
nic qui  se  trouve  dans  les  os  y  joue  le  rôle  du  phosphore,  à  l'état  d'arséniate  remplaçant 
les  phosphates,  comme  on  l'a  supposé  aussi  pour  la  lécithine,  il  faudrait  en  faire  la 
preuve  et  retirer  des  os  l'arséniate  tribasique  de  chaux  :  cette  preuve  n'a  encore 
été  fournie  par  personne  (A.  Gautier.  Bull,  de  l'Acad.  de  médecine,  1889,  t.  xxii,  p.  33). 

L'élimination  de  l'arsenic  par  les  cheveux,  les  poils,  les  ongles,  les  productions  épi- 
dermiques  en  général,  doit>être  considérée  aussi  comme  un  fait  acquis.  Dans  100  gram- 
mes de  cheveux  et  de  poils,  Brouardel  et  Pouchet  ont  trouvé  un  anneau  arsenical  pesant 
de  un  à  deux  milligrammes. 

Chez  les  animaux  nouveau-nés,  d'après  les  mêmes  auteurs,  la  localisation  de  l'arsenic 
n'obéirait  plus  aux  mêmes  lois  :  elle  serait  à  peu  près  nulle  dans  le  tissu  osseux  ainsi 
que  dans  la  peau  et  les  poils.  Ainsi,  à  une  lapine  qui  avait  mis  bas  le  24  avril,  on  com- 
mença à  donner,  six  jours  après,  six  gouttes  de  liqueur  de  Fowler  par  jour  :  la  dose  fut 
progressivement  augmentée  de  six  gouttes  tous  les  jours,  et,  lorsque  l'animal  arriva  à  la 
proportion  de  trente  gouttes  parjour,  le  19  mai,  on  sacrifia  deux  des  petits.  La  recherche 
de  l'arsenic  futfaite  séparément  sur  chacun  et  conduisit  aux  résultats  suivants  :  1°''  lapin: 
poids  total,  240  grammes;  muscles,  viscères,  quelques  parties  d'os  et  de  cartilage,  traces 
notables  d'arsenic.  2™'=  lapin:  poids  total,  405  grammes;  muscles,  viscères,  traces  nota- 
bles; os  et  fragments  de  cartilage  des  deux  lapins  :  poids  total,  90  grammes  :  traces  à 
peine  perceptibles.  Peau  et  poils  des  deux  lapins,  poids  total,  16d  grammes  :  traces  d'ar- 
senic. 

Une  chienne  qui  avaitmis  bas  depuis  dix  jours  reçut  le  27  mai  vingt  gouttes  de  liqueur 
de  FowLER  :  le  lendemain  ni  elle  ni  ses  petits  ne  paraissent  avoir  éprouvé  le  moindre 
accident;  on  lui  fait  absorber  alors  soixante  gouttes  de  liqueur  de  Fowler;  dans  la  jour- 
née du  28  les  petits  sont  pris  de  diarrhée,  l'un  d'eux  a  des  vomissents  dans  la  soirée, 

1.  Contrairement  à  toutes  les  données  précédentes,  Severi  a  trouvé  que  chez  les  cochons 
d'Inde,  dans  les  intoxications  subaiguës,  l'élimination  de  l'arsenic  était  terminée  au  bout  de  quatre 
jours,  et  qu'à  ce  moment  ni  les  os  ni  le  foie  ne  renfermaient  de  poison.  Il  signale  aussi  le  cas  d'un 
sujet  mort  8  jours  et  demi  après  l'intoxication,  chez  lequel  l'examen  du  foie,  des  reins,  de  l'esto- 
mac ne  donna  que  des  résultats  négatifs  {Riforma  med.,  1892). 


700  ARSENIC. 

et  meurt  pendant  la  nuit  suivante.  La  recherche  de  l'arsenic  donna  chez  lui  les  résultats 
ci-après  ;  muscles,  tissu  cellulaire,  traces  notables;  foie  et  tissu  nerveux,  de  même; 
os  et  cartilage,  rien;  peau  et  poils,  rien. 

Les  expériences  précédentes  montrent  en  même  temps  que  l'arsenic  passe  dans  le  lait. 
Elles  ont  été  entreprises  précisément  par  Brouardel  et  G.  Pouchet  pour  répondre  à  la 
question  de  savoir  si  un  enfant  de  deux  mois  a  pu  mourir  empoisonné  en  absorbant  le 
lait  de  sa  mère,  à  laquelle  avait  été  administré  de  l'arsenic  dans  un  but  criminel,  alors 
qu'elle  donnait  le  sein  à  l'enfant  :  la  femme  avait  eu  des  vomissements  et  de  la  diarrhée, 
l'enfant  avait  été  pris  d'accidents  analogues  et  avait  succombé  en  quarante-huit  heures. 
En  donnant  à  des  nourrices  progressivement  de  deux  à  douze  gouttes  de  liqueur  de 
FowLER,  Brouardel  et  G.  Pouchet  n'ont  observé  de  symptômes  particuliers  ni  chez  l'en- 
fant ni  chez  la  mère;  mais  dans  le  lait  de  la  nourrice  ils  ont  toujours  constaté  la  pré- 
sence de  l'arsenic.  Dans  une  de  ces  expériences,  la  quantité  d'arsenic  contenue  dans 
100  grammes  de  lait  s'éleva  à  environ  un  milligramme,  après  que  l'absorption  de  la 
liqueur  de  Fowler  eût  été  continuée  pendant  six  jours  à  la  dose  quotidienne  de  douze 
gouttes.  On  est  donc  fondé  à  admettre  qu'à  la  suite  de  l'ingestion  d'une  dose  massive 
d'arsenic  sa  proportion  dans  le  lait  doit  pouvoir  atteindre  un  chiffre  tel  que  son  absorp- 
tion par  un  enfant  en  bas  âge  puisse  amener  des  accidents  d'intoxication. 

RouKSLN  déjà  avait  trouvé  une  proportion  notable  d'arsenic  dans  le  lait  des  lapines 
auxquelles  il  administrait  de  l'arséniate  calcaire.  De  même  Dolau(R.  S.  M.,  t.  xxi,  p.  85) 
avait  constaté  sa  présence  dans  le  lait  d'une  femme  qui  prenait  douze  milligrammes 
d'acide  arsénieux  parjour.  Les  résultats  négatifs  obtenus  par  Ewald  chez  une  nourrice 
qui  avait  pris  six  milligrammes  d'acide  arsénieux  parjour  pendant  cinq  jours  tiennent 
peut-être  à  la  faible  dose  employée  [Berl.  klin.  Woch.,  n"  33,  p.  544,  1882;  R.  S.  M., 
1885,  p.  25). 

L'influence  de  l'arsenic  sur  le  lait,  chez  la  vache,  a  été  étudiée  également  par  Selmi 
qui  est  arrivé  à  des  résultats  très  curieux.  Une  vache  âgée  de  huit  ans  prit  pendant 
quarante-quatre  jours  40  à  oO  centigrammes  d'anhydride  arsénieux  par  jour.  Elle  don- 
nait tous  les  jours  plus  d'un  litre  de  lait  qu'on  fit  prendre  pendant  vingt  jours  de  suite 
à  une  petite  chienne,  qui  cependant  ne  cessa  de  jouir  d'une  excellente  santé. 

Avant  qu'on  ne  commençât  à  administrer  l'arsenic,  Selmi  avait  fait  des  recherches  sur 
le  lait  de  la  vache  et  y  avait  trouvé  une  base  volatile  en  petite  quantité,  mais  qui  avait 
sur  les  grenouilles  une  action  to.xique  manifeste.  En  extrayant  les  bases  volatiles  après 
l'administration  de  l'arsenic,  Selmi  s'assura  pendant  toute  la  durée  de  l'expérience  qu'il 
ne  s'était  pas  produit  de  base  arsenicale,  mais  qu'au  contraire  la  base  toxique  du 
lait  normal  avait  disparu,  remplacée  par  une  autre  base  chimiquement  identique, 
mais  d'une  parfaite  innocuité  :  d'où  il  conclut  que  l'arsenic  jouit  d'une  action  reconsti- 
tuante. Un  autre  fait  curieux,  c'est  que  la  quantité  d'arsenic  contenue  dans  le  lait,  qui 
avait  d'abord  augmenté  de  façon  à  atteindre  la  proportion  de  Oe'',OOI8  par  litre,  dimi- 
nua peu  à  peu  les  jours  suivants,  alors  que  la  dose  administrée  à  l'animal  était  devenue 
plus  forte  :  et  même  bientôt  l'appareil  de  Maush  ne  décela  plus  la  présence  du  métalloïde, 
Il  se  trouva,  en  effet,  que  les  acides  sulfurique  et  nilrique  ne  suffisaient  plus  à  détruire 
les  combinaisons  de  l'arsenic  dans  le  lait,  et  il  fallut  avoir  recours  au  traitement  par  le 
chlorate  de  potassium  et  l'acide  cblorhydrique.  Selmi  supposa  que  l'arsenic  avait  dû  se 
combiner  avec  les  matières  grasses  du  lait.  En  effet,  séparant  le  beurre  du  sérum  et  du 
caséum,  il  s'assura  que  le  sérum  ne  donnait  qu'une  quantité  minime  d'arsenic,  à  peu 
près  un  vingtième  de  milligramme,  que  la  caséine  n'en  donnait  point  et  que  la  matière 
grasse  fournissait  un  anneau  abondant  (A.  B.  I.,  t.  v,  p.  22,  1884). 

Le  placenta  se  laisse  difficilement  traverser  par  l'arsenic  :  il  faut  employer  de  fortes 
doses  pour  amener  le  passage  de  la  substance  toxique  dans  l'organisme  du  fœtus  chez 
lequel  l'organe  électif  d'accumulation  serait  le  tégument  cutané  (Porak.  Aî'c/t.  de  jjathoL 
expérim.,  1894).  De  Argangelis  avait  déjà  étudié  cette  question  en  détail.  Il  a  constaté 
que  l'arsenic  peut  se  trouver  chez  le  fœtus  aussi  bien  dans  les  intoxications  aiguës  que 
dans  les  intoxications  chroniques,  et  qu'il  provoque  souvent  Taccouchement  prématuré  et 
l'avorlement.  (Riv.  sperim.  d.  fren.  e.  med.  kg.,  1891,  analysé  in  Jahresb.  de  Virchow  et 
HiRscH,  1892,  t.  I,  p.  520). 

Arsenic  mëtalloïdique.  —  L'arsenic,  étant  insoluble,  a  pu  être  considéré   comme 


ARSENIC.  701 

non  toxique.  Cependant,  d'après Pachkis  etOsERMEYER  {Wien.  med.JahrbericlU,  t.  m,  p.  H7, 
1888),  finement  pulvérisé,  il  peut  être  absorbé  parla  peau  quand  il  est  employé  en  fric- 
tions sous  forme  de  pommade,  comme  le  mercure,  ou  suspendu  dans  l'huile  et  injecté 
dans  le  tissu  cellulaire  sous-cutané.  Les  expérimentateurs  se  sont  servis  d'arsenic  pur 
sans  mélange  de  produits  d'oxj'dation. 

Un  chien  à  qui  'on  injecta,  sous  la  peau  du  dos,  Os'',l  d'arsenic  métallique,  ren- 
dait le  lendemain  une  urine  arsenicale  ;  le  troisième  jour,  les  fèces  renfermaient  de  l'ar- 
senic; puis  survint  delà  diarrhée,  et  l'animal  succomba  le  quatorzième  jour.  Le  résultat 
fut  le  même  chez  le  lapin:  on  trouva  à  l'autopsie  de  la  gastro-entérite  et  de  la  néphrite. 

En  appliquant  sur  la  peau  une  pommade  dans  laquelle  l'arsenic  était  incorporé  à  de 
la  lanoline,  on  trouva  également  de  l'arsenic  dans  l'urine  et  lés  matières  fécales;  mais 
sans  que  la  mort  survînt.  Pachkis  et  Obermeyer  ue  mettent  donc  pas  en  doute  que  l'arse- 
nic métallique  soit  absorbé  :  chez  les  animaux  sacrifiés  on  rencontra  du  reste  de  l'ar- 
senic dans  le  foie,  mais  non  dans  les  reins  et  le  cerveau. 

Action  des  combinaisons  organiques  de  l'arsenic.  —  Nous  passerons  seulement 
en  revue  ceux  de  ses  composés  dont  l'action  a  été  étudiée  expérimentalement.  La  pre- 
mière connue  de  ces  arsines  (combinaisons  de  l'arsenic  avec  des  radicaux  alcooliques)  a 
été  le  cacodyle  on  arsendiméthyle  As  (CH'^)-.  Cette  substance,  ainsi  nommée  à  cause  de 
son  odeur  désagréable,  se  trouve  mélangée  avec  l'oxyde  de  cacodyle,  dans  la  liqueur 
fumante  de  Cadet,  ainsi  nommée  du  chimiste  français  qui  l'obtint  en  1760  par  la  dis- 
tillation d'un  mélange  d'anhydride  arsénieux  et  [d'acétate  de  potassium  ;  spontanément 
inflammable,  il  s'oxyde  lentement  à  l'air  en  donnant  de  l'oxyde  de  cacodyle  et  de 
l'acide  cacodylique;  il  s'oxyde  très  rapidement,  lorsqu'on  le  met  en  contact  sous  l'eau 
avec  l'oxyde  mercurique,  et  donne  de  l'acide  cacodylique  (G  H')  -AsOOH  ou  acide  diméthyl- 
arsinique.  La  toxicité  du  cacodyle  et  de  son  oxyde  ont  toujours  été  reconnues;  il  n'en 
est  pas  de  même  de  celle  de  l'acide  cacodylique. 

Acide  cacodylique.  L'acide  cacodylique  est  un  corps  solide,  incolore,  très  soluble  dans 
l'eau  et  dans  l'alcool  étendu;  il  cristallise  de  sa  solution  alcoolique  en  gros  cristaux 
très  nets  sous  forme  de  prismes  clinorhombiques;  il  est  sans  odeur  ni  saveur,  et  sa  réac- 
tion est  légèrement  acide. 

Ce  corps,  qui  contient  environ  34  p.  100  de  son  poids  d'arsenic,  fut  considéré  pen- 
dant longtemps  comme  inactif.  Tels  avaient  été  du  moins  les  résultats  des  expériences  de 
Bunsen,  de  Kurschner,  de  Schmidt  et  Chomze.  V.  Renz  l'avait  employé  chez  quelques  ma- 
lades et  avait  constaté  de  l'accélération  du  pouls,  de  l'insomnie,  de  la  sécheresse  de  la 
bouche  avec  perte  de  l'appétit.  On  dut  suspendre  son  administration  à  cause  de 
l'odeur  nauséabonde  de  l'air  expiré,  de  la  sueur,  de  l'urine  et  des  gaz  intestinaux. 

Lebahn  a  montré  le  premier  que  l'acide  cacodylique  est  toxique.  Le  corps  est  pro- 
bablement réduit  en  totalité  ou  en  partie  dans  l'économie  en  oxyde  de  cacodyle 
(CH3)'-As^0;  sans  doute  aussi  en  cacodyle,  As(CH^)-,  comme  le  montre  l'odeur  des  excré- 
tions et  des  déjections  :  peut-être  se  décompose-t-il  partiellement  en  gaz  des  marais  ou 
en  acide  arsénique. 

(CH3)2  AsO.  OH  +  2H2  0  =  (CH')-  +  AsO*  HK 

H.  ScHULz  (A.  P.  P.,  1879,  t  xi,p.  131)  a  confirmé  les  recherches  de  Lebahn  et  a  montre' 
que  les  troubles  produits  par  l'acide  cacodylique  sont  semblables  à  ceux  que  provoquent 
les  autres  préparati:oiis  arsenicales. 

Mais  il  est  moins  toxique  que  l'acide  arsénieux  relativement  à  l'arsenic  qu'il  contient. 
Un  lapin  reçoit 'OB'",  15  d'acide  cacodylique,  et  un  autre  Osi^jOG  d'acide  arsénieux  (en 
injection  sous-cutanée)  ;  ce  qui  fait  pour  chaque  animal  [0S'',07o  d'arsenic.  Le  premier 
se  rétablit,  le  second  meurt  au  bout  de  39  minutes. 

Un  lapin,  auquel  on  donna  0s'^,2o  d'acide  cacodylique,  ce  qui  correspond  à  '08'', 17 
d'acide  arsénieux,  mourut  en  bjours:  un  autre,  qui  reçut  Ob'', 10  d'acide  arsénieux,  suc- 
comba au  bout  de  4  jours.  En  injection  sous-cutanée  il  faut  0i=''-,40  à  Osr.oO  d'acide  caco- 
dylique pour  amener  la  mort  en  o  ou  G  heures. 

Rabuteau,  qui  ne  paraît  pas  avoir  eu  connaissance  des  expériences  de  Schulz,  est  arrivé 
plus  tard  à  des  résultats  semblables  sur  la  grenouille,  le  cochon  d'Inde,  le  chien;  mais 
les  chiffres  qu'il  donne  pour  les  doses  toxiques  sont  plus  forts.  Il  a  décrit  également  les 


702  ARSENIC. 

altérations  de  la  muqueuse  stomacale,  la  dégénérescence  graisseuse  des  reins,  du  foie, 
des  muscles,  produite  par  le  composé  arsenical.  Il  a  constaté  de  plus  la  présence  de 
l'acide  cacodylique  dans  l'urine  par  le  procédé  suivant  :  l'urine  est  évaporée  à  siccité; 
le  résidu  traité  par  l'alcool  absolu,  et  la  solution  alcoolique  évaporée  :  le  résidu  dissous 
dans  un  à  deux  centimètres  cubes  d'eau,  et  traité  par  l'ébullition  avec  l'acide  phos- 
phoreux, dégage  des  vapeurs  blanches  de  cacodyle  faciles  à  reconnaître  à  leur  odeur 
alliacée  (B.  B.,  1882,  pp.  19S,  409,  443,  491). 

Acides  mono  et  diphénylarsinique.  —  La  toxicité  de  ces  corps  a  été  étudiée  par  Schulz. 

L'acide  diphénylarsinique  <^AsO.  OH,  agit  assez  rapidement,  et,  à  la  dose  de  0,1 

à  0,2,  produit  la  mort  au  milieu  d'accidents  convulsifs. 

Que  devient-il  dans  l'organisme?  Peut-être  en  fixant  deux  molécules  d'eau  se  trans- 
forme-t-il  en  acide  arsénique  et  benzine. 

(C6Hi:)2AsO.OH  -|-  2H2  0  =  (CGHf)2  +  AsO^H^. 

L'acide  raonophénylarsinique  C^H^  AsO.  (OH)-  agit  plus  lentement;  mais  tout  aussi 
sûrement.  Les  lésions  post  mortem  sont  semblables  à  celles  qu'on  trouve  dans  les  intoxi- 
cations arsenicales.  On  trouve  de  l'arsenic  dans  l'urine. 

Acide  benzarsinique  [Cfi  R''     f^,r,vi\i^-  —  ^°°  action  ne  diffère  pas  de  celle  de  ces 

derniers  composés  (Schroeter.  Beitr.  z.  chem.  Theor.  der  Arsenwirkung .  Erlangen 
Dissert.,  1881).  Les  manifestations  de  l'empoisonnement  et  les  résultats  de  l'autopsie  sont 
lés  mêmes.  Seulement  chez  la  grenouille  il  se  produit  des  convulsions  qui  devraient  être 
attribuées  à  l'effet  de  l'acidei  benzoïque  ou  de  corps  voisins. 

L'acide  henzarsinique  se  décompose  dans  l'économie  et  apparaît  dans  l'urine  sous 
forme  d'un  composé  analogue  à  l'acide  hippurique  et  contenant  de  l'arsenic  :  mais  il  en 
e.st  ainsi  le  premier  jour  seulement:  plus  tard  l'arsenic  passe  dans  l'urine  sous  une  autre 
forme.  Le  sang  présente  chez  la  grenouille,  mais  non  chez  le  lapin,  la  raie  de  la  méthé- 
lïioglobine,  ce  qui  est  dû  soit  à  des  composés  aromatiques,  soit  peut-être  à  de  l'acide 
arsénieux?  (Analysé  in  Jahresb.  de  Virchow  et  Hirsch,  1881). 

lodarede  tétvéthijlarsomum  (C-H'')*Asl.  —  L'action  de  ce  corps,  qui  contient  23,  a87p.  100 
de  son  poids  d'arsenic,  a  été  étudiée  par  Rabuteau  :  il  provoque  des  effets  de  paralvsie 
motrice  semblables  à  ceux  du  curare.  A  la  suite  de  l'injection  sous-cutanée  d'un  centi- 
gramme du  composé  à  des  grenouilles,  l'excitation  du  sciatique  était  devenue  inefficace, 
tandis  que  les  muscles  répondaient  encore  à  l'excitation  :  le  sciatique  restait  excitable, 
si  les  membres  avaient  été  préservés  du  poison  par  une  ligature  comprenant  tout  le 
membre,  sauf  le  lîerf. 

Chez  un  cobaye  du  poids  de  370  grammes  l'injection  sous-cutanée  de  Osi'jlO  d'io- 
dure  de  tétréthylarsonium,  ce  qui  correspond  à  3  centigrammes  d'acide  arsénieux,  n'a 
produit  que  des  effets  peu  marqués  et  passagers  :  un  autre  du  poids  de  600  grammes  reçut 
OB', 18  du  composé  et  mourut  au  bout  de  25  minutes  par  paralysie  des  muscles 
respiratoires,  comme  les  animaux  curarisés. 

Le  composé  passe  rapidement  dans  l'urine,  du  moins  si  on  en  juge  par  la  réaction 
de  l'iode  que  l'on  obtient  facilement;  mais  on  ne  peut  déceler  la  présence  de  l'arsenic 
dans  l'urine  :  en  effet,  même  si  l'on  traite  ce  liquide  par  l'acide  chlorhydrique  et  le  chlo- 
rate de  potasse,  on  n'obtient  rien  à  l'appareil  de  Marsh;  il  en  est  du  reste  de  même, 
d'après  Rabuteau,  si  l'on  introduit  directement  dans  l'appareil  de  l'iodure  de  tétréthyl- 
arsonium dissous  dans  l'urine  ou  dans  l'eau.  De  même  l'électrolyse  donne  de  l'iode 
métallique,  dont  il  est  facile  de  constater  la  présence,  mais  aucun  dépôt  d'arsenic  ni  au 
pôle  positif  ni  au  pôle  négatif.  L'arsenic  se  trouve  rivé  dans  les  composés  d'arsonium, 
aussi  intimement  que  l'azote  dans  les  composés  d'ammonium,  et  c'est  ce  qui  explique 
son  innocuité  relativement  très  grande. 

L'injection  d'iodure  double  de  tétréthylarsonium  et  de  zinc  [(C-H=)''A'I1- -j-Z"!-,  injecté 
à  une  grenouille  n'amena  pas  la  mort  à  la  dose  de  un  centigramme.  Ce  sel  ne  contient 
pas  une  quantité  suffisante  d'iodure  de  tétréthylarsonium  pour  être  mortel  :  mais,  à  la 
dose  de  deux  centigrammes,  il  amena  chez  les  grenouilles  la  paralysie  motrice,  qui  se 
compliqua  de  la  paralysie  du  cœur,  due  au  sel  de  zinc.  Injecté  à  un  cochon  d'Inde  de 
1100  grammes,  à  la  dose  de  Os'-,2P,  ce:  qui.  corresponde  4  <=™'"P,  14  d'anhydride  arsé- 


ARSENIC.  703 

nieux,  le  sel  double  ne  provoqua  que  des  symptômes  passagers  :  chez  un  aulre 
cobaye  de  300  grammes  il  amena,  à  la  dose  de  O8'',lo,  des  troubles  moteurs  peu 
durables. 

Rabuïrao  a  encore  expérimenté  l'iodure  double  de  tétréthylarsonium  et  de  cadmium  : 
mais  ici  c'est  surtout  l'action  du  cadmium  qui  domine  la  scène,  et  finit  même  par 
devenir  seule  évidente. 

Théorie  générale  de  l'action  de  l'arsenic.  —  Liebig  avait  avancé  que  l'arsenic 
entre  en  combinaison  avec  l'albumine  organique  et  que  les  éléments  anatomiques  per- 
dent ainsi  leurs  propriétés  vitales,  de  même  qu'ils  deviennent  imputrescibles.  On  a  déjà 
vu  ce  qu'ils  faut  penser  de  cette  dernière  allégation  ;  Liebig  a  du  reste  vainement  cherché 
à  obtenir  cette  combinaison  d'albumine  avec  l'arsenic.  Kendal  et  Edwards  n'ont  pas  été 
plus  heureux. 

L'explication  de  Bunsen  et  Bebthold  n'était  pas  plus  satisfaisante.  Ces  auteurs  admet- 
taient que  le  poison  agit  comme  excitant  direct  sur  les  tissus  avec  lesquels  il  entre  immé- 
diatement en  contact,  comme  excitant  indirect  par  l'intermédiaire  du  sang  sur  le  reste 
de  l'économie,  et  que  l'excitation  exagérée  aboutit  à  l'inflammation  et  à  la  para- 
lysie, 

BiNZ  et  ScHULTz,  dans  une  série  de  recherches  et  de  mémoires  (A.  P.P.,  t.  xi,  1879,  p.  200; 
t.  xm,  1881,  p.  256;  t.  xiv,  1881,  p.  343;  t.  xv,  1882,  p.  322.  —  H.  Schultz,  Deutsche' med. 
Wochenschr.,  1892,  p.  441)  ont  cherché  à  édifier  l'opinion  que  les  propriétés  toxiques  de 
l'arsenic  ne  seraient  dues  qu'à  la  facilité  extrême  avec  laquelle  ses  composés  cèdent  et 
enlèvent  de  l'oxygène  aux  molécules  d'albumine  organisée.  Les  désordres  observés  sont 
la  conséquence  de  l'ébranlement  qu'entraînent  dans  le  tissu  ces  oxydations  et  réductions 
rapides  de  l'albumine  organisée.  L'acide  arsénieux  est  un  puissant  agent  de  réduction; 
l'acide  arsénique,  un  puissant  agent  d'oxydation.  Les  deux  processus  se  suivent  sans 
inteiTuption  :  c'est  comme  un  va-et-vient  de  l'oxygène  entre  les  deux  acides  arsenicaux  : 
l'arsenic  est  un  remueur  d'oxygène,  un  véhicule  d'oxygène  actif,  et  la  cellule  se  désorga- 
nise par  suite  du  mouvement  intra-moléculaire  qui  résulte  de  ce  déplacement  ininter- 
rompu. 

Ils  ont  fait  de  nombreuses  expériences  pour  appuyer  cette  théorie.  Le  fait  fonda- 
mental, c'est  que  du  tissu  vivant  peut  transformer  l'acide  arsénieux  en  acide  arsénique, 
et  réciproquement.  Si  l'on  fait  digérer  des  fragments  de  cerveau  d'un  animal  récem- 
ment tué,  du  pancréas,  du  tissu  musculaire  frais,  de  la  muqueuse  de  l'estomac,  avec 
de  l'arséniate  de  soude,  dans  le  produit  dialyse  on  trouve  de  l'acide  arsénieux.  Le  pro- 
toplasma végétal,  comme  par  exemple  celui  des  jeunes  feuilles  de  laitue,  se  comporte  de. 
même. 

Ces  mêmes  tissus  transforment  une  partie  de  l'acide  arsénieux  qu'on  laisse  en  con- 
tact avec  eux  en  acide  arsénique.  C'est  le  foie  qui  possède  le  pouvoir  oxydant  le  plus 
actif.  Le  sang  oxyde  faiblement  l'acide  arsénieux;  mais  par  contre  il  a  une  action  réduc- 
trice très  marquée  sur  l'acide  arsénique. 

Pour  que  l'oxydation  se  produise,  il  est  nécessaire  que  l'on  fasse  agir  sur  l'acide 
arsénieux  du  protoplasma  vivant;  l'albumine  morte  oul'albumine  du  blaiic  d'œuf  réduit 
énergiquement  l'acide,  arsénique,  mais  n'a  pas  la  propriété  d'oxyder  de  nouveau  l'acide 
arsénieux  produit.  ■ 

BiNz  et  ScHULz  ont  fait  également  quelques  expériences  non  plus  in  vitro,  mais  in 
vivo.  En  injectant  à  des  chiens,  à  des  lapins,  à  des  chats,  de  l'acide  arsénique'  ou  de  l'ar-  ■ 
séniate  de  soude  dans  une  anse  intestinale  de  vingt  centimètres  liée  à  ses  deux  bouts,  ils  ' 
ont  constaté,  au  bout  d'une  heure,  dans  le  contenu  dialyse  de  l'intestin,  de  l'acide  arsé- 
nieux :  dans  les  mêmes  conditions,  de  l'acide  arsénieux  a  été  transformé  en  acide  arsé- 
nique. ■    .  ,  : 

Cette  théorie  a  été  attaquée  de  différents  côtés,  entre  autres  par  Dogiel  et  Husemann. 

DoGiEL  fait  valoir  d'abord  que  l'acide  arsénieux  introduit  dans  le  sang  ne  se  traiis- 
forme  pas  en  acide  arsénique  :  il  se  trouve  encore  au  bout  de  quelque  temps  sous  le 
même  état  dans  ce  liquide.  Binz  et  Schulz  répondent  à  cette  objection  cju'eii' efi'et, 
comme  ils  l'ont  reconnu  eux-mêmes,  le  sang  n'a  qu'une  action  oxydante  très  faible,  mais 
que,  d'ailleurs,  le  poison  abandonne  rapidement  le  sang. pour  se  déposerdansles  tissus  : 
aussi  celui-ci  ne  présente-t-il  pas  dans  l'intoxication  arsenicale  des  modifications  bien 


704  ARSENIC. 

caractéristiques.  DûGiEL  prétend  encore  que  l'albumine  du  blanc  d'œufn'a  sur  les  compo- 
sés arsenicaux  ni  action  réductive,  ni  action  oxydante.  Mais  Binz  et  Schulz  n'ont  jamais 
accordé  le  pouvoir  d'oxydation  à  l'albumine  morte,  et  ils  maintiennent  contre  Dogiel 
que  son  pouvoir  réducteur  est  très  manifeste. 

D'après  ses  expériences,  Dogiel  déclare  se  rattacher  à  l'opinion  de  Liebig,  en  se  fon- 
dant sur  les  faits  suivants  :  si  l'on  fait  cuire  de  l'acide  arsénique  avec  du  blanc  d'œuf,  on 
n'obtient  pas  de  coagulum,  mais  il  se  forme  une  masse  gélatineuse  qui  se  redissout  par 
la  coction,  après  addition  d'alcool  ethylique  ou  même  après  addition  d'eau.  Cette  masse 
gélatineuse  représenterait  une  combinaison  de  l'albumine  avec  l'arsenic. 

On  n'obtient  rien  de  semblable  avec  l'acide  arsénieux  qui  n'agit  pas  sur  l'albumine  du 
blanc  d'œuf.  Mais,  répondent  avec  raison  Bmz  et  Scholz,  si  l'acide  arsénieux  ne  se  combine 
pas  avec  l'albumine,  si,  d'autre  part,  comme  le  pense  Dogiel,  l'acide  arsénieux  ne  se  trans- 
forme pas  dans  l'économie  en  acide  arsénique,  comment  admettre  que  l'arsenic  ingéré 
à  l'état  d'acide  arsénieux  puisse  former  une  combinaison  avec  l'albumine? 

Des  objections  plus  importantes  ont  été  faites  à  la  théorie  de  Bi.xz  et  Schulz  par 
HcsEMANN.  De  ce  que  des  parties  détachées  du  corps  transforment  l'acide  arsénieux  en 
acide  arsénique,  et  réciproquement,  on  n'est  pas  en  droit  de  conclure  que  ces  transfor- 
mations s'accomplissent  chez  l'animal  intact. 

A-t-on  jamais  démontré  avec  certitude  la  présence  de  l'acide  arsénique  dans  l'urine 
des  malades  qui  ont  pris  de  la  liqueur  de  Fowler,  ou  de  l'acide  arsénieux?  .\-t-on  jamais, 
dans  les  expertises  médico-légales,  constaté  après  un  empoisonnement  par  l'acide  arsé- 
nieux la  présence  de  l'acide  arsénique  dans  les  produits  de  sécrétion  ou  dans  les 
organes? 

Enfin,  ce  qui  vient  plaider  surtout  contre  la  théorie  du  va-et-vient  d'oxygène,  c'est  la 
toxicité  relativement  moindre  de  l'acide  arsénique  comparée  à  celle  de  l'acide  arsénieux. 
Les  deux  composés  devraient  en  eflet  avoir  une  toxicité  égale,  ou  du  moins  proportion- 
nelle, à  la  quantité  d'arsenic  qu'ils  renferment,  et,  même  si  l'oxygène  actif  était  la  cause  de 
la  toxicité,  l'acide  arsénique  qui  abandonne  son  oxj"gène  aux  tissus  devrait  avoir  une 
action,  sinon  plus  marquée,  au  moins  plus  rapide  que  l'acide  arsénieux  qui  le  leur  enlève. 
C'est  le  contraire  que  l'on  observe,  comme  l'avaient  déjà  fait  remarquer  Wœhler  et 
Fberichs,  ainsi  que  Sawitsch. 

Il  faut  tenir  compte,  il  est  vrai,  de  la  quantité  d'arsenic  contenue  dans  chacun  des 
deux  acides  :  l'acide  arsénique  renferme  à  peu  près  la  moitié  de  son  poids  d'arsenic  ; 
l'anhydride  arsénieux,  à  peu  près  les  trois  quarts.  La  toxicité  de  l'acide  arsénique  com- 
parée à  celle  de  l'acide  arsénieux  devrait  donc  être  comme  2  :  3. 

Mais  en  réalité  elle  est  beaucoup  moindre  que  ne  le  comporte  la  quantité  d'arsenic 
qu'il  contient.  Hdsem.4.nn  a  montré  que  du  papier  imprégné  d'acide  arsénique  n'empoi- 
sonne pas  les  mouches.  Loew  a  prouvé,  pour  d'autres  organismes  inférieurs  et  pour  les 
plantes,  que  la  différence  de  toxicité  est  très  manifeste  entre  les  deux  composés.  Sydn'ey- 
Ri.NGER  et  Sai.\sbcry  en  ont  fourni  la  démonstration  pour  la  grenouille,  M.\riié  et  Flugge 
pour  les  mammifères. 

On  peut  dire  que  chez  ces  derniers,  si  le  poids  d'As  de  AsO''H^  est  au  poids  d'As 
de  As-0^  comme  2  :  3,  le  rapport  de  la  toxicité  n'est  que  de  1  :  2.  Les  lésions  trouvées 
à  l'autopsie  sont  les  mêmes,  quant  à  leur  nature,  qu'on  administre  l'un  ou  l'autre  composé; 
mais,  des  expériences  de  Marmé  et  Flugge,  il  résulte  que  les  altérations  du  tube  digestif 
sont  plus  marquées,  si  l'intoxication  est  due  à  l'acide  arsénieux  et  aux  arsénites,  surtout 
quand  ils  ont  été  donnés  per  os  :  l'injection  sous-cutanée  d'arséniale  ou  d'acide  arsé- 
nique peut  amener,  principalement  chez  le  lapin,  plus  rarement  chez  le  chien,  des 
hémorrhagies  et  des  ulcérations  de  la  muqueuse  stomacale  aussi  bien  que  l'injection 
d'acide  arsénieux  :  mais,  avec  le  premier  composé,  les  effets  sont  plus  lents  à  se  mani- 
fester. 

Chez  la  grenouille,  Ringer  et  Salxsbory  constatent  également  que  l'arséniate  de  soude 
n'amène  la  mort  que  si  on  donne  une  dose  renfermant  deux  fois  plus  d'arsenic  que  la 
dose  mortelle  d'arsénite.  En  particulier  chez  Rana  temporaria,  l'acide  arsénique  et  l'ar- 
séniate de  soude  abolissent  les  fonctions  des  centres  nerveux  au  bout  de  vingt  à  vingt  et 
une  heures  ;  les  doses  mortelles  d'acide  arsénieux  demandent  un  temps  dix  fois  moindre  : 
même  lorsque  la  dose  d'arséniate  renferme  cinq  fois  plus  d'arsenic  que  la  dose  d'acide 


ARSENIC.  705 

arsénieux,  la  perte  d'excitabililé  des  nerfs  el  des  muscles  exige  une  dufée  cinq  fois  plus 
longue. 

Sainsbury  et  Ringer  tirent  de  la  lenteur  d'action  de  l'arséniate  la  conclusion  que,  pour 
produire  son  effet,  il  doit  être  transformé  en  avsénite.  Ainsi,  quand  la  réduction  n'a  plus 
lieu,  l'arséniate  de  sodium  n'afiit  pas  autrement  qu'un  autre  sel  neutre  de  soude.  Si,  par 
exemple,  on  établit  à  travers  les  cavités  cardiaques  une  circulation  artificielle  avec  de 
l'arséniate  de  soude,  la  contractilité  du  cœur  s'affaiblit;  mais  elle  reparaît  après  qu'on 
a  fait  passer  par  l'organe  du  sang  frais,  tandis  qu'après  l'action  de  l'acide  arsénieux 
l'affaiblissement  du  muscle  cardiaque  ne  cède  plus  k  l'influence  du  liquide  réparateur. 
LoEW  aussi  a  admis  cette  réduction;  mais  Kusehann  objecte  qu'elle  n'est  pas  prouvée,  et 
qu'on  n'a  pas  démontré  qu'après  avoir  donné  de  l'acide  arsénique,  on  trouve  de  l'acide 
arsénieux  dans  les  tissus  et  les  orf^anes. 

Ce  qu'on  peut  dire  de  plus  certain,  c'est  que  l'arsenic  est  un  poison  du  protoplasma 
en  général,  et  que  sa  toxicité  diminue  lorsqu'il  est  enveloppé  en  quelque  soi'te  par 
d'autres  groupements  atomiques,  comme  le  prouve  l'innocuité  relative  de  ses  combinai- 
sons organiques.  On  pourrait  peut-être  s'expliquer,  de  la  même  façon,  sa  nocivité 
moindre,  lorsque,  à  l'étal  d'acide  arsénique,  il  est  combiné  avec  un  plus  grand  nombre 
d'atomes  d'oxygène. 

La  toxicité  de  l'arsenic  pour  le  protoplasma  végétal  avait  été  d'abord  niée  par  Loew 
(A.  Pf.,  t.  XXXII,  p.  H2,  1883).  Cet  auteuravait  trouvé  que  l'acide  arsénique  n'agit  sur  les 
algues  que  comme  acide,  et  qu'il  n'a  pas  plus  d'effet  que  l'acide  acétique  ou  l'acide  citri- 
que, par  exemple.  Des  spirogyres  se  développèrent  dans  une  solution  qui  renfermait 
■OK'^,2  d'arséniate  de  potassium  par  litre,  sans  rien  présenter  d'anormal;  transplantées 
dans  une  solution  à  1  p.  1000,  elles  se  développèrent  également.  Des  infusoires  aussi 
purent  vivre  dans  ce  liquide  pendant  des  semaines,  tandis  que  des  organismes  un  peu 
plus  élevés  succombèrent  dans  l'espace  de  vingt-quatre  à  quarante-huit  heures. 

Mais  bientôt  les  recherches  de  Nobbe  montrèrent  que  l'arsénite  de  potassium  est  un 
poison  très  actif  pour  les  plantes  élevées  en  organisation.  Des  pois  mouraient  au  bout  de 
quatre  jours,  lorsqu'une  solution  imtritive  renfermait  1/30000  d'arsenic  sous  forme  d'ar- 
sénite  de  potassium;  au  bout  de  douze  jours,  si  elle  en  contenait  1/300000.  L'action  du 
poison  porterait  d'abord  sur  les  cellules  épidermiques. 

Knop  trouva  peu  après  que  l'arsénite  de  K  est  un  violent  poison  pour  li'  maïs,  tandis 
que  l'arséniate,   à  la  dose  de  0S'',O0r)  par  litre,  n'amena  aucune  modincation. 

Ces  expériences  portaient  à  penser  que  l'arsenic  à  l'état  d'arsénite  agirait  peut-être 
aussi  sur  les  plantes  inférieures.  En  effet  Loew,  reprenant  ses  expériences,  vil  que  ce 
composé,  en  solution  à  1  p.  1000,  tua  des  spirogyres  dont  le  protoplasma  se  contracta  et 
devint  granuleux  alors  que  l'arséniate  à  la  même  dose  n'amena  aucun  effet  fâcheux. 
Des  algues,  des  diatomées  se  comportèrent  de  même  par  rapport  aux  deux  corps,  ainsi 
que  les  infusoires. 

Pour  les  schizom}-cètes,  pour  les  champignons  de  la  moisissure,  il  n'y  eut  pas  de 
différence  entre  les  deux  acides  ;  ces  organismes  restèrent  en  vie  dans  des  solutions  renfer- 
mant de  l'arsénite  de  K.  On  sait  du  reste  que  les  moisissures  se  développent  dans  des 
solutions  d'acide  arsénieux,  si  elles  renferment  des  traces  de  matière  organique.  11  est 
intéressant  de  rappeler,  à  ce  propos,  que  les  traités  de  pharmacie  signalent  la  présence 
fréquente  de  VHygrocrocus  ai'senicus  et  de  quelques  espèces  voisines  dans  la  liqueur  de 
FowLER  et  dans  la  liqueur  de  Pearson  (Bourgoin.  Trait/}  de  Pharm.,  1880,  p.  290). 

JoHANsoHN  {Ub.  die  Einioirhung  des  arsenic/.  Saîire  auf  Gâhriingsvorg  ;  A.  P.  P.,  187-i, 
t.  Il,  p.  99),  après  Savitsch,  avait  déjà  fait  des.  expériences  relatives  à  l'aclion  de  l'acicTe 
arsénieux  sur  la  levure  de  bière.  Il  trouva  que  ce  corps  n'empêche  pas  l'action  de  la 
levure,  qu'il  diminue  notablement  la  fermentation  pendant  les  deux  premiers  Jours, 
mais  que,  plus  tard,  le  processus  reprend  son  activité,  de  sorte  que  vers  le  quatrième 
jour  il  y  a  autant  de  sucre  disparu  qu'il  en  disparait  dans  un  mélange  normal. 

Ce  ralentissement  de  la  fermentation,  son  interruption,  son  réveil  ne  pourraient  s'ex- 
pliquer par  une  action  chimique  :  il  faut  admettre  que  l'activité  vitale  de  la  levure  est 
influencée  par  le  poison,  mais  que  cet  effet  n'est  que  passager  :  la  cellule  s'accoutume 
à  son  nouveau  milieu,  et  reprend  sa  vitalité  après  une  phase  de  dépression.  Scheltze  a 
même  constaté  que  l'acide  arsénieux  à  faible  dose,   1/40000,  augmente  l'activité  de  la 

MOT.    DE    PHYSIOLOGIE.    TOME    I.  40 


706  ARSENIC. 

levare  de  bière  {Uber  Hefegiftc:  A.Pf.,  t.  xlii,  p.  bl7,  1888).  Ch.  Richet  a  constaté  ce 
même  phénomène  paradoxal  d'accélération  par  les  doses  faibles  pour  toutes  les  subs- 
tances toxiques  et  antiseptiques  (C.  R.,  1892,  t.  ii,  p.  1494). 

Cependant',  si,  avant  de  mettre  en  contact  la  levure  avec  les  solutions  sucrées,  on 
la  soumet  à  l'action  prolongée  de  l'acide  arsénieux,  elle  perd  ses  propriétés,  non  pas  brus- 
quement, mai^  progressivement;  et  sa  structure  s'altère. 

JoHAKSûiix  note  également  que  le  développement  et  la  reproduction  des  cellules  de  la 
levure  sont  iniluencées  par  l'acide  arsénieux;  de  faibles  doses  (O^"',»)  leur  permettent 
encore  de  se  faire  :  des  doses  plus  fortes  (0S'',80  à  06',10)  l'empêchent  complètement. 
Il  en  fut  de  même  pour  le  Mlcrocûrcus  uress  et  pour  le  ferment  lactique. 

De  plus,  l'acide  arsénieux,  ajouté  en  certaine  quantité  à  la  levure  de  bière,  favorisait 
plutôt  sa  putréfaction,  ainsi  que  le  développement  des  moisissures  et  du  Bacterium 
termo.  Dans  ces  solutions  il  se  formait  de  l'hydrogène  arsénié.  Ces  organismes  inférieurs 
prennent  en  effet  aux  substances  organiques  en  solution  dans  le  liquide  de  culture  de 
l'oxygène  et  du  carbone;  l'hydrogène  naissant  mis  en  liberté  réduit  As-0^  en  AsH'. 

Suivant  Loew  [A.  Pf.,  t.  xl,  p.  444),  on  pourrait,  au  point  de  vue  de  l'action  de  l'arse- 
nic, ranger  en  3  groupes  les  organismes  :  1°  ceux  pour  lesquels  ni  l'acide  arsénieux, 
ni  l'acide  arsénique  ne  sont  toxiques  :  champignons  inférieurs;  2°  ceux  pour  lesquels 
l'acide  arsénieux  est  toxique,  mais  non  l'acide  arsénique  :  plantes  élevées  en  organisa- 
tion et  quelques  animaux  inférieurs;  3°  ceux  pour  lesquels  ils  sont  tous  deux  toxiques  : 
animaux  supérieurs. 

Il  faut  remarquer  cependant,  relativement  à  celte  classification  de  Loew,  que,  si  cer- 
tains végétaux  inférieurs  sont  en  effet  insensibles  à  l'action  de  l'arsenic,  il  en  est  dont 
la  vitalité  et  le  développement  sont  compromis  par  cet  agent,  comme  le  montrent  les 
expériences  de  Johansohn. 

Mais,  en  général,  son  influence  sur  les  microbes  saprogènes  ou  pathogènes  est 
peu  énergique.  Pour  arrêter  le  développement  de  la  bactéridie  charbonneuse,  il  faut 
que  la  solution  d'acide  arsénieux  renferme  10  à  30  fois  plus  de  substance  active  que  si 
l'on  a  recours  au  sublimé.  Pour  tuer  les  spores  il  faut  laisser  agir  une  solution  d'acide 
arsénieux  à  1/1000  pendant  dix  jours  (Husemann).  Si  à  des  matières  en  putréfaction  on 
ajoute  de  l'arsenic,  la  putréfaction  n'est  pas  empêchée. 

Aussi  ce  qu'on  a  dit  de  l'état  de  conservation  extraordinaire  des  cadavres  des  indivi- 
dus empoisonnés  par  l'acide  arsénieux  paraît  exagéré.  Dans  certains  cas,  la  putréfaction 
s'établit  comme  d'habitude;  dans  d'autres,  la  momilication  a  lieu,  mais  il  n'y  aurait  là 
rien  de  spécial  à  l'arsenic  (Lôwig.  Gericht.  med.  Abhandl.  in  Jahresh.  de  Virchow  et  Hirsch, 
1887,  p.  56(5).  D'après  Zaaiger  {Vieiietjahrsch.  f.  ger.  Med.,  t.  xuv,  p.  249  in  R.  S.  M.,  1887), 
la  momification  d'origine  arsenicale  n'existe  pas. 

Enfin  l'arsenic  n'a  aucune  action  sur  les  ferments  solubles,  émulsine,  myrosine,  pep- 
sine, trypsine  (Schakfer  et  Boehm.  R.  S.  M.,  1873,  t.  u,  p.  74). 

Tolérance  pour  l'arsenic.  —  On  sait  que  les  habitants  de  la  basse  Autriche,  de 
la  Styrie,  du  Tyrol,  ont  la  singulière  habitude  de  manger  de  l'arsenic.  Schallgrueber  et 
TscBUDi  {l'ebet-  die  Giftesscr;  Wien.  med.  Wochen^chi:,  1831,  p.  4o4,  n"  28  et  IS.oS,  p.  8)  ont 
attiré  l'attention  sur  cette  pratique  bizarre  par  laquelle  les  arsenicophages  cherchent  à  se 
donner  un  air  sain  et  frais,  de  l'embonpoint  et  un  surcroît  de  vigueur.  Ce  sont  surtout 
les  jeunes  paysans  et  paysannes  qui  ont  recours  à  cet  expédient  par  coquetterie;  mais 
ils  en  retirent,  paraît-il,  encore  un  autre  avantage  qui  est  de  faciliter  la  respiration  et 
la  marche  dans  les  excursions  à  travers  les  montagnes. 

Les  arsenicophages  commencent  ordinairement  par  un  petit  fragment  d'un  grain,  et 
arrivent  peu  a  peu  à  en  prendre  jusqu'à  0^%20  et  0o''^,40,  et  quelquefois  jusqu'à  1  gramme 
et  i^'t'à;  dans  les  observations  de  Marix  cependant,  les  plus  grandes  quantités  ingérées 
sans  aucun  accident  ont  été  de  0"'"',32  à  08^40  d'acide  arsénieux  {Mercredi  Médical, 
1892,  p.  12).  Ces  doses  sont  prises  soit  journellement,  soit  de  deux  jours  l'un,  soit  une  ou 
deux  fois  par  semaine.  Ils  évitent  en  général  de  boire  immédiatement  après;  ils  ne 
suivent  pas  de  régime  particulier;  dans  certains  districts  seulement,  ils  interrompent  de 
temps  en  temps  et  prennent  de  l'aloès  (Husemann.  liandb.  d.  Arzneimittellehre,  p.  423). 

L'habitude  de  prendre  l'arsenic  est  contractée  souvent  vers  17  ou  18  ans  et  se  con- 
tinue jusque  dans  un  âge  déjà  avancé.  Tschudi  rapporte  l'histoire   d'un  arsenicophage 


ARSENIC.  707 

âgé  de  63  ans  qui  faisait  usage  du  poison  depuis  l'âge  de  29  ans.  Il  avait  débuté  par  un 
fragment  d'un  grain,  et  était  arrivé  graduellement  à  trois  et  quatre  grains. 

Les  assertions  de  Tschudi  n'avaient  d'abord  été  reçues  qu'avec  méfiance,  mais  elles 
ont  été  confirmées  depuis  par  de  nombreux  observateurs,  Nothnagel  et  Rossbach  {Nou- 
veaux f'témcnts  de  matière  médicale  et.  de  thérap.,  trad.  française,  1880,  p.  18o)mettent  cepen- 
dant en  doute  les  récits  faits  au  sujet  de  la  tolérance  pour  l'arsenic,  et  font  valoir  que  la 
préparation  dont  se  servent  les  arsenicopbages  est  du  sulfure  d'arsenic,  c'est-à-dire  un  com- 
posé insoluble.  Ces  doutes  ne  paraissent  pas  fondés;  puisque,  comme  nous  l'avons  dit, 
le  sulfure  d'arsenic  est  ordinairement  mélangé  d'une  très  forte  proportion  d'acide  arsé- 
nieux.  D'autre  part  Knapp  a  présenté  au  congrès  des  naturalistes  à  Gratz,  en  187S 
{.Jahresb.  de  VmcHow  et  Hirsch),  deux  arsenicopbages  qui,  en  présence  des  membres  de 
la  section  de  médecine,  ingérèrent,  l'un  3  décigrammes  de  sulfure  d'As,  l'autre  4  déoi- 
grammes  d'acide  arsénique,  et  chez  lesquels  la  présence  de  l'arsenic  dans  l'urine  fut  dé- 
montrée. 

Cependant  ce  n'est  pas  toujours  impunément  que  des  doses  aussi  fortes  d'arsenic  sont 
ingérées,  et  l'on  a  signalé  des  accidents  d'intoxication  aiguë  et  même  des  cas  mortels 
(Parker.  Case  ofdeath  rcsidting  from  the  prcictice  of  arsenic  eating ;  Edimh.  Med.  Journ.,  1 864, 
pp.  116-123.  —  Li.N'DQUisT.  Perforation  de  l'estomac  à  la  suite  d'arsenicophagie.  Upsala 
Lakar.  Firh,  1867,  t.  m,  p.  216).  Chez  les  sujets  qui,  après  avoir  commencé  l'usage  de  l'ar- 
senic, le  suspendent  brusquement,  il  se  produirait  souvent  une  grande  faiblesse  et  des 
signes  de  cachexie  qui  amènent  à  en  renouveler  l'emploi. 

Dans  les  pays  on  l'arsenicophagie  est  en  honneur,  on  administre  aussi  la  substance 
toxique  aux  animaux  domestiques  dans  un  but  d'engraissement,  particulièrement  aux 
chevaux  pour  leur  donner  un  poil  plus  luisant,  des  formes  arrondies,  en  un  mot  une 
belle  apparence.  On  trouve  aussi,  dans  diverses  expériences,  des  exemples  remarquables 
de  la  tolérance  des  animaux  pour  l'arsenic.  Dans  le  mémoire  déjà  cité  de  Brodahdel,  il 
est  question  d'une  lapine  à  qui  on  faisait  prendre  jusqu'à  100  gouttes  de  liqueur  de 
FowLER  par  jour,  du  moins  pendant  quelques  jours,  sans  avoir  d'accidents  apprécia- 
bles. Les  expériences  de  Roussin  fournissent  aussi  des  preuves  de  cette  remarquable 
tolérance  chez  les  animaux.  Selmi  avait  entrepris,  à  ce  sujet,  des  recherches  méthodiques 
dont  sa  mort  subite  interrompit  malheureusement  le  cours  {Tolérance  des  animaux 
domestiques  pour  l'arsenic' A.  B.,  1884,  p.  22).Dans  le  fragment  publié,  on  signale  les  faits 
suivants  :  la  vache  dont  il  a  été  question  plus  haut,  à  propos  de  l'élimination  de  l'arsenic 
par  le  lait,  prit  pendant  44  jours  40  à  oO  centigrammes  d'anhydride  arsénieux  chaque 
jour,  et  une  quantité  ordinaire  de  foin;  son  poids  s'accrut  de  80  kilogrammes. 

Dans  le  but  de  savoir  s'il  était  vrai  qu'en  cessant  tout  à  coup  de  donner  de  l'arsenic 
aux  animaux  qui  y  étaient  habitués,  il  en  résultait  une  prompte  et  rapide  dénutrition,  on 
fit  prendre  pendant  un  mois  de  l'arsenic  à  deux  petits  cochons,  tous  deux  de  même 
poids.  Le  poids  de  ces  animaux  étant  resté  égal,  on  cessa  de  donner  de  l'arsenic  à 
l'un  d'entre  eux  pendant  13  jours,  et  cela  sans  constater  de  changement  de  poids.  Ce- 
pendant une  observation  de  Roussin  rappelle  les  faits  signalés  chez  les  arsenicopba- 
ges. Un  lapin  reçut  pendant  3  mois  environ  une  nourriture  arsenicale  ;  lorsqu'il  fut  privé 
de  sa  ration  quotidienne  d'arséniate  calcaire,  il  commença  amaigrir  visiblement;  quelques 
semaines  après,  il  n'était  pas  encore  revenu  à  son  état  d'embonpoint  ordinaire  et  parais- 
sait triste  et  oppressé.  Cependant  il  se  rétablit  à  peu  près  complètement. 

On  ne  saurait  donc  admettre  l'opinion  de  Nothnagel  et  Rossbach,  qui  déclarent 
erronée,  jusqu'à  preuve  scientifique  du  contraire,  la  croyance  d'après  laquelle  l'homme 
ou  les  animaux  pourraient  non  seulement  s'habituer  à  des  doses  toujours  croissantes 
des  composés  arsenicaux  absorbables,  mais  encore  y  gagner  une  santé  plus  florissante. 
On  a  cherché  à  expliquer  cette  tolérance  en  admettant  que  l'arsenic  se  localise  dans 
certains  organes,  en  particulier  dans  le  l'oie,  et  qu'il  n'est  repris  par  la  circulation 
que  progressivement,  et  en  quelque  sorte  à  petites  doses.  Mais  d'autres  substances,  qui 
s'éliminent  assez  vite  de  l'organisme,  peuvent  aussi,  par  l'accoutumance,  être  ingérées 
impunément  en  quantité  relativement  considérable. 

Le  mécanisme  de  cette  tolérance  reste  encore  à  trouver.  Rossbach  a  émis  au  sujet  de 
la  tolérance  pour  les  poisons  organiques  diverses  hypothèses,  dont  quelques-unes  pour- 
raient s'appliquer  à  l'arsenic  ([76.  die  Geœôhnung  an  Gifte;A.  P/'.,1880,  t.  xxi,  p.  213). 


708  ARSENIC. 

Emploi  thérapeutique.  —  Les  effets  physiologiques  de  l'arsenic  sont  si  complexes  et 
encore  en  partie  si  obscurs  qu'il  est  le  plus  souvent  difficile  de  se  rendre  compte  de  son 
action  thérapeutique  dans  les  diverses  affections  où  son  emploi  est  recommandé.  Il  en 
est  cependant  quelques-unes  dans  lesquelles  le  bénéfice  qu'on  en  retire  s'explique  ration- 
nellement. 

Dans  les  dermatoses,  l'arsenic  agit  favorablement,  sans  doute  en  s'éliminant  par  la 
peau;  mais  l'irritation  qu'il  produit  sur  son  passage  doit  détourner  de  son  emploi  dans 
les  affections  aiguës  de  la  peau.  C'est  surtout  dans  le  psoriasis  chronique  qu'il  réussit  le 
mieux,  et  aussi,  mais  à  un  moindre  degré,  dans  l'eczéma  de  même  nature. 

Le  tableau  des  intoxications  par  l'arsenic  démontre  que  le  poison  exerce  une  action 
très  marquée  sur  les  nerfs  sensibles  :  les  modifications  qu'il  imprime  à  la  vitalité  et  au 
fonctionnement  des  conducteurs  centripètes  permettent  de  se  rendre  compte  des  résul- 
tats favorables  qu'on  en  obtient  dans  le  traitement  des  névralgies.  Peut-être,  dans  les 
maladies  cutanées,  l'arsenic  agit-il  indirectement  par  l'intermédiaire  des  nerfs  sur  la 
nutrition  du  tégument. 

Il  y  a  longtemps  qu'on  a  fait  usage  de  cet  agent  comme  fébrifuge.  Mais  c'est  sur- 
tout Boudin  qui  l'a  préconisé  contre  les  fièvres  palustres.  Il  paraît  réussir  particulière- 
ment dans  les  formes  invétérées  qui  résistent  à  la  quinine  :  mais  il  ne  faut  pas  le  consi- 
dérer comme  le  succédané  de  cet  alcaloïde. 

L'acide  arsénieux,  dit  Laveran,  est  formellement  contre-indiqué  dans  les  formes  aiguës 
du  paludisme  et  surtout  pendant  la  période  endémo-épidémique.  Il  serait  au  contraire 
indiqué  dans  les  fièvres  intermittentes  rebelles  et  dans  la  cachexie  palustre  (Traité  des 
fièvres  palusiref:,  1884,  p.  516).  Dans  les  fièvre.s  pernicieuses  il  est  également  inutile. 

Les  conditions  spéciales  dans  lesquelles  l'arsenic  réussit  semblent  bien  prouver  qu'il 
n'agit  pas  comme  le  fait  la  quinine  sur  les  parasites  du  paludisme,  et  l'on  a  vu  en  effet 
que  son  influence  sur  les  micro-organismes  est  en  général  peu  énergique.  C'est  aussi 
ropinion  de  Lavehan  que  l'acide  arsénieux  réussit  beaucoup  plus  en  vertu  de  ses  pro- 
priétés toniques  qu'en  vertu  d'une  action  spécifique  comparable  à  celle  de  la  quinine. 

L'action  tonique  attribuée  par  Laveran  à  l'arsenic  a  été  beaucoup  vantée  et  exagérée 
par  Isnard  (De  l'arsenic  dans  la  pathologie  du  système  nerveux,  Paris,  1863)  qui  a  recom- 
mandé ce  médicament  dans  toutes  les  cachexies  en  général.  On  ne  peut  en  effet  douter, 
d'après  un  certain  nombre  d'expériences  bien  conduites,  telles  que  celles  de  Pioussin, 
Weiske,  Selmi,  etc.,  et  aussi  d'après  ce  qu'on  rapporte  des  résultats  obtenus  par  les 
arsenicophages,  que  l'acide  arsénieux  à  petite  dose,  ou  n)ême  à  dose  progressivement 
croissante,  n'influence  favorablement  la  nutrition  générale,  et,  sans  aller  aussi  loin 
qu'IsN.\RD,  on  doit  cependant  accorder  que,  dans  un  certain  nombre  de  cas,  la  nutrition  se 
trouve  améliorée  par  les  arsenicaux. 

Dans  ces  dernières  années  de  nombreux  succès  ont  été  enregistrés  à  l'actif  de  ces 
composés  dans  le  traitement  des  lymphomes  malins  par'  les  chirurgiens  allemands,  en 
particulier  par  Winiewarter  et  Billroth.  L'arsenic  est  administré  per  os,  et  en  même  temps 
injecté  dans  les  tumeurs  ganglionnaires.  Pour  expliquer  les  succès  à  l'égard  desquels  Quenu 
cependant  se  montre  sceptique  {Traité  de  chirurgie,  t.  i),  on  a  supposé  que  le  lymphadé- 
nome  était  peut-être  une  affection  infectieuse,  et  que  l'arsenic  aurait  une  élection  élective 
sur  le  micro-organisme  pathogène  (II.  Barth..  Grt;:.  hebdomad.,  1888,  p.  7ii8).  La  même 
opinion  pourrait  s'appliquer  aux  effets  favorables  qu'on  dit  avoir  obtenus  dans  le  traite- 
ment de  l'anémie  pernicieuse  par  l'arsenic.  Il  faut  se  rappeler  aussi  que  le  poison  à 
haute  dose  peut  amener  la  dégénérescence  graisseuse  des  éléments  anatomiques  :  et 
c'est  peut-être  de  la  sorte  qu'injecté  dans  les  niasses  ganglionnaires  en  même  temps 
qu'ingéré  par  la  voie  digestive  il  provoque  le  ramollissement  et  la  fonte  des  néoplasmes. 

Se  fondant  sur  la  propriété  que  possède  l'arsenic  d'enrayer  la  fonction  glycogénique 
on  a  eu  l'idée  de  recourir  à  son  emploi  dans  le  traitement  du  diabète.  Il  est  en  effet 
beaucoup  de  malades  qui  sous  cette  influence  voient  diminuer  la  glycosurie  et  la  polyurie. 
Qdi.nquaud  (lac.  cit.)  a  fourni  à  ce  sujet  quelques  chiff'res.  Un  malade,  qui  éliminait  en 
24  heures  .300  grammes  de  sucre  avantle  traitement  arsenical,  n'en  excrétait  plus  que  134 
après  un  mois  de  médication  :  en  même  temps  on  observa  un  abaissement  du  chiffre  de 
l'urée  et  de  la  quantité  des  urines.  Chez  un  deuxième  malade,  le  sucre  tomba  de  92  à 
60  grammes  en  12  jours.  Un  troisième,  rendant  133  grammes  de  glucose  avant  le  traite- 


ARSENIC.  709 

ment,  n'en  excrétait  plus  que  6^  grammes  après  10  jours  de  la  médication  arsenicale.  Chez 
certains  diabétiques,  la  diminution  était  nulle  ou  faible. 

Cependant  l'emploi  de  l'arsenic  dans  le  diabète  ne  paraît  pas  très  rationnel, 
puisque  c'est  non  pas  l'excès  de  production  du  sucre,  mais  l'insuffisance  de  sa  consom- 
mation qui  constitue  la  maladie.  Il  est  vrai  qu'au  moyen  de  l'arsenic  on  arrive  à  res- 
treindre la  production  de  glucose,  et  que  par  conséquent  la  glj'cosurie  doit  diminuer.  Ce 
résultat,  toutefois,  ne  sera  acquis  qu'au  détriment  de  la  vitalité  de  la  cellule  hépatique  et 
par  conséquent  aussi  au  détriment  des  autres  fonctions  importantes  qu'elle  doit  rem- 
plir. D'autre  part,  comme  l'a  constaté  Quinquaud  chez  ses  malades,  lorsque  le  sucre 
était  descendu  à  1.34,  60,  63  grammes,  on  avait  beau  continuer  la  médication,  le  glu- 
cose ne  diminuait  plus,  il  faut  interpréter  sans  doute  cette  observation  de  la  façon 
suivante  :  tant  qu'on  ne  va  pas  au  delà  des  doses  médicales,  l'altération  ou  le  trouble 
fonctionnel  de  la  cellule  glycogènique  ne  dépasse  pas  une  certaine  limite,  et  alors, 
comme  l'organisme  continue  à  ne  plus  détruire  le  sucre  produit,  la  glycosurie  reste  sta- 
tionnaire.  Si  l'on  forçait  les  doses,  on  arriverait  certainement  à  restreindre  davantage 
encore  la  production,  et  par  suite  l'élimination  du  sucre,  mais  on  aboutirait  alors  à  la 
stéatose  plus  ou  moins  complète  avec  les  conséquences  que  nous  ont  fait  connaître  les 
expériences  de  G.^ethgens,  c'est-à-dire  qu'on  provoquerait  la  désassirailation  excessive 
de  l'albumine,  qu'il  faut  au  contraire  chercher  à  enrayer  chez  le  diabétique  quand  elle 
existe. 

On  comprend  donc  que  Bouchard  veuille  réserver  l'arsenic  aux  cas  où  l'azolurie  vient 
compliquer  le  diabète  :  son  emploi  dans  ces  conditions  est  en  effet  justifié  parles  expé- 
riences dans  lesquelles  on  a  reconnu  à  l'arsenic  donné  à  petites  doses  la  propriété  de 
restreindre  la  production  d'urée. 

Les  heureux  effets  que  produit  l'arsenic  dans  la  chorée  (Wannebhoucq.  Bulletin  médical 
du  Nord,  1863)  peuvent  faire  penser  que  cet  agent  diminue  l'excitabilité  des  centres  ner- 
veux :  c'est  aussi  la  seule  explication  que  l'on  puisse  trouver  à  son  emploi  dans  l'asthme, 
puisque  cette  aff'ection  spasmodique  paraît  avoir  son  point  de  départ  dans  une  hyper- 
excitabilité  directe  ou  rétlexe  des  centres  respiratoires. 

Hydrogène  arsénié.  —  Ce  corps  est  un  toxique  des  plus  redoutables  :  son  histoire 
doit  être,  comme  nous  l'avons  dit,  complètement  séparée  de  celle  des  composés  oxygénés 
■et  organiques  de  l'arsenic,  bien  que  quelques  auteurs,  notamment  Rabuteau,  aient  attri- 
bué à  la  formation  d'hydrogène  arsénié  dans  l'organisme  la  toxicité  de  l'acide  arsénieux 
et  de  l'acide  arsénique. 

L'hydrogène  arsénié  est  un  type  des  poisons  du  sang  :  c'est  la  destruction  et  la  disso- 
lution des  hématies  qui  domine  la  scène.  Aussi  le  tableau  symptoinatique  des  empoison- 
nements par  ce  gaz  est-il  aussi  simple  que  celui  des  accidents  consécutifs  à  l'absorption 
des  composés  oxygénés  de  l'arsenic  est  complexe. 

Des  cas  assez  nombreux  d'intoxication  par  ce  corps  ont  été  observés  dans  les  labora- 
toires de  chimie;  les  plus  connus  sont  ceux  de  Gehlen  de  Stockholm  (1815),  de  Schien- 
DLER  de  Berlin  (1839),  de  Britton  de  Dublin.  Quelquefois  c'est  la  préparation  même  de 
l'hydrogène  arsénié  qui  occasionne  les  accidents;  mais  souvent  la  simple  préparation  de 
l'hydrogène  produit  cette  intoxication,  par  exemple  dans  les  manipulations  où  l'on  em- 
ploie du  zinc  impur  qui,  traité  par  de  l'acide  sulfuiique  ou  de  l'acide  chlorhydrique, 
dégage  de  l'hydrogène  arsénié.  Chevallier  a  publié  des  faits  de  ce  genre,  observés  chez 
des  ouvriers  travaillant  à  la  fabrication   du  blanc  de  zinc. 

Layet  rapporte  le  cas  suivant  :  dans  une  mine  de  plomb  argentifère,  à  Sollberg  près 
d'Aix-la-Chapelle,  on  fit  fondre  le  minerai  avec  du  zinc  afin  d'obtenir  du  zinc  argenti- 
fère. Ce  zinc  argentifère  fut  traité  par  l'acide  chlorbydrique,  afin  de  pouvoir  en  extraire 
l'argent.  L'opération  donna  lieu  à  un  dégagement  considérable  de  gaz.  Toutes  les  per- 
sonnes, au  nombre  de  neuf,  qui  prirent  part  à  cette  opération  tombèrent,  malades,  et 
trois  en  moururent. 

Waechteh,  d'.\ltona  {Casuistik  der  Araemvasserstoff  Intoxication.  Yierteljahrischer  f. 
gerich.  Med.,  t.  xxviii,  p.  231,  1878,  in  fi.  S.  M.,  t.  xiii,  1879),  a  publié  l'histoire  de  quatre 
Italiens,  marchands  de  ballons  en  caoutchouc  colorés  et  qu'ils  remplissaient  avec  de  l'hy- 
drogène. Pour  préparer  le  gaz  ils  achetaient  de  l'acide  sulfurique  du  commerce  et  des 
rognures  de  zinc.  L'hydrogène  produit  dans  un  ûacon  se  dégageait  par  un  tube  [de  verre 


"10  ARSONVAL    (A.    d'). 

qui  traversait  le  bouction  :  pour  renouveler  les  matières  premières,  il  fallait  nécessaire- 
ment soulever  ce  bouchon.  Durant  cette  manœuvre,  ainsi  que  dans  les  intervalles  fré- 
quents qui  s'écoulaient  entre  le  remplissage  du  ballon  et  sa  fermeture,  une  quantité 
notable  de  gaz  pouvait  se  répandre  dans  l'atmosphère.  Comme  ces  hommes  travaillaient 
dans  une  pièce  de  dimensions  très  restreintes,  ils  tombèrent  gravement  malades  tous  les 
quatre,  et  l'un  d'eux  mourut. 

Les  troubles  par  lesquels  se  manifeste  l'intoxication  consistent  en  maux  de  tête, 
prostration  générale,  dyspnée,  souvent  aussi  en  douleurs  gastriques  et  vomissements; 
mais  ces  derniers  symptômes  ne  sont  pas  dus  à  des  lésions  locales,  comme  le  montre 
l'autopsie;  les  signes  plus  caractéristiques  sont  une  hémoglobinurie  et  une  hématurie 
très  rapide  et  très  prononcée,  la  rareté  des  urines;  quelquefois  des  douleurs  lombaires  et 
des  selles  sanguinolentes,  enfin  de  l'ictère. 

Dans  une  observation  due  à  Valette  (Lyon  méd.,  1870,  p.  440),  au  bout  de  quelques 
jours  on  vit  apparaître  des  papules  très  peu  saillantes,  tout  à  fait  comparables  à  celles 
de  la  rougeole,  puis,  plus  tard,  des  suintements  sanguins  par  le  nez,  les  gencives  et 
toute  la  muqueuse  huccale;  l'éruption  cutanée  offrit  alors  une  teinte  violacée,  et  la 
muqueuse  du  gland  et  du  prépuce  laissa  aussi  transsuder  un  sang  pâle  et  décoloré  : 
la  mort  ne  survint  qu'un  mois  environ  après  l'accident;  mais  le  plus  souvent  elle  est 
beaucoup  plus  rapide. 

On  n'a  signalé  ni  les  accidents  cholériformes,  ni  les  troubles  de  la  sensibilité  et  du 
mouvement  observés  dans  les  intoxications  par  les  autres  composés  arsenicaux.  On 
trouve  de  l'arsenic  dans  l'urine,  mais  on  ne  sait  pas  exactement  sous  quelle  forme  il 
s'élimine. 

L'autopsie  ne  donne  que  des  résultats  à  peu  près  négatifs;  dans  les  canalicules  urini- 
fères  on  trouve  des  cristaux  d'hémoglobine  et  des  globules  rouges  altérés  :  l'épithélium 
rénal  peut  avoir  cependant  subi  la  dégénérescence  graisseuse;  mais  c'est  par  suite  de 
l'élimination  prolongée  de  la  matière  colorante  du  sang. 

Dans  ses  expériences  sur  les  chiens  et  les  lapins,  Stadelmann,  non  seulement  ne  men- 
tionne pas  les  altérations  cadavériques  qui  caractérisent  l'empoisonnement  par  l'arsenic; 
mais  il  note  expressément  à  plusieurs  reprises  l'absence  de  toute  inflammation  du  tube 
digestif;  chez  les  lapins  il  trouve  quelquefois  de  petites  hémorrhagies  sous  la  séreuse 
péritonéale  et  du  sang  dans  le  contenu  intestinal. 

Quant' au  mécanisme  des  accidents,  il  peut  se  résumer  en  un  mot  ;  la  dissolution  du 
sang,  avec  ses  conséquences  habituelles,  c'est-à-dire  l'hémoglobinurie  et  l'ictère. 

La  destruction  des  hématies  a  comme  résultat  une  production  plus  abondante  de 
pigment  biliaire  par  le  foie,  mais,  tandis  que  la  quantité  de  bilirubine  est  de  vingt  fois 
supérieure  au  chiffre  normal,  la  proportion  de  bile  et  des  acides  biliaires  diminue;  d'où 
Stadelmann  (A.  P.  P.,  t.  xvi,  1883,  p.  221)  conclut  que  la  matière  colorante  du  sang  sert  à 
former  les  pigments  biliaires, mais  non  les  acides. 

Quant  à  l'ictère,  ce  n'est  pas,  comme  on  pourrait  le  croire,  un  ictère  hématogène,  c'est 
un  ictère  hépatogène;  la  résorption  du  pigment,  sécrété  en  grande  abondance,  reconnaît 
comme  cause  l'obstruction  des  canalicules  excréteurs  par  une  bile  épaisse  et  consistante. 

Chez  les  animaux  ce  n'est  pas  exclusivement  de  l'hémoglobine  qu'on  trouve  dans 
l'urine  :  on  y  rencontre  beaucoup  de  globules  détruits.  Les  lapins  supportent  mieux 
l'intoxication  que  les  chiens,  et  surtout  que  les  chats,  qui  y  sont  beaucoup  plus  sensibles. 

E.    WERTHEIMER. 

ARSONVAL  (A.  d').  Professeur  au  Collège  de  France  (1894).—  Outre  ses 
travaux  de  physiologie  proprement  dite,  d'Absonval  a  fait  des  recherches  de  physique, 
qui  ne  seront  pas  mentionnées  ici. 

Électricité.  —  Le  téléphone  employé  comme  galvanoscope  (B.  B.,  2  mars  1878,  (6), 
t.  V,  pp.  82-83;  C.  B..,  1878,  t.  lx.xxvi,  p.  832).  —  Sur  les  causes  des  courants  électriques 
d'origine  animale,  dits  courants  d'action  et  sur  la  décharge  des  poissons  électriques  (B.  B., 
4  juin.  1885,  (8),  t.  ir,  pp.  4:-)3-4o6).  —  Sur  .un  phénomène  physique  analogue  à  la  con- 
ductibilité nerveuse  (B.  B.,  3  avril  1886,  (8),  t.  m,  pp.  170-171).  —  Production  d'électri- 
cité chez  l'homme  (B.  B.,  14janv.  et  11  févr.  1888,  (8),  t.  v,  pp.  142-144).  —  Compte  rendu 
de  la  commission  d'électro-physiologie  {Revue  Scientifique,  3  déc.  1881).  —  Ondes  électri- 


ARTEMISIME    —    ARTERES.  711 

qiics;  caractéristiques  cVexcUalioii  (B.  B.,  1'''  avril  1882,  (7),  t.  iv,  pp.  24-4-2io).  —  La 
mort  par  l'électricité  dans  l'industrie.  Ses  mécanismes  physioloniqucs.  Moijins  jiirsrrra- 
teurs  [B.  B.,  19  févr.  1S87,  (8),  t.  iv,  pp.  9S-97).  —  Actioyi  du  champ  maqnèliqn,:  -.iir  les 
phén.  chim.  et  physiologiques  {B.  B.,  22  avril  1882,  pp.  276-.377).  — Chronovirhr  rlnhiijiie 
mesurant  la  vitesse  des  impressions  nerveuses,  à  1/5000"  de  seconde  {B.  B.^  I.'i  ni.-u  InsO, 
(8),  t.  ni,  pp.  23,^-2.36).  —  Parallèle  entre  l'excitation  électrique  et  l'excitation  mecauiqiw  des 
nerfs  (B.  B.,  4  juillet  1891 ,  (9),  t.  ni,  pp.  So8-360).  —  Aclion physiologique  des  courants  alter- 
natifs (ibid.,  2  mai  1891,  pp.  283-287).  —  Production  de  courants  de  haute  fréquence  et  de 
grande  intensité;  leurs  effets  physiologiques  [B.  B.,  4  févr.  1893,  pp.  122-124,  et  A.  P.,  1893, 
(b),  t.  V,  pp.  4-01-408).  —  Becherches  d' électrothérapie;  la  voltaisation  sinusoïdale  (A.  P., 
1892,  (b),  t.  IV,  pp.  69-80). 

La  fibre  musculaire  est  directement  excitulAe  par  la  lumière  (B.  B.,  9  mai  1891,  (9),  t.  m, 
pp.  ,318-320). 

Respiration.  —  Bcch.  théor.  et  expérim.  sur  le  rôle  de  l'élasticité  pulmonaire  {D.  P., 
1887).  —  Becherches  démontrant  que  la  toxicité  de  l'air  expiré  dépend  d'un  poison  pirove- 
nant  des  poumons  et  non  de  l'acide  carbonique  {En  coll.  avec  R.  Brown-Séquabd)  (B.  B.,  1877, 
p.  819;  1888,  pp.  33,  34,  98,  99,  108,  110,  loi,  172;  C.  R.,  28  nov.  1887,  t.  cv;  9  et 
16  jauv.  1888,  t.  cvi;  M  févr.  et  24  juin  1889,  t.  cviit;  A.  P.,  1893,  (3),  t.  vi,  pp.  113- 
124).  —  Procédé  pour  absorber  rapidement  l'acide  carbonique  de  la  respiration  (B.  B., 
10  déc.  1887,  (8),  t.  iv,  pp.  7b0-7bl).  —  Durée  comparative  de  la  survie  chez  les  grenouilles 
plongées  dans  différents  gaz  et  dans  le  vide  (A.  P.,  1889). 

Chaleur  animale.  —  Rech.  sur  la  chaleur  animale  [Trav.  du  Lab.  de  Marey,  t.  iv, 
1880,  pp.  386-406).  —  Nouvelle  méthode  de  calorimétrie  (B.  B.,  V  déc.  1887,  (6),  t.  iv, 
pp.  436-437).  — Calorimètre  par  rayonnement  (Lumière  électrique,  18  oct.  1884).  —  L'ané- 
mocalorimètre  ou  nouvelle  méthode  de  calorimétrie  humaine  normale  et  pathologique  (A.  P., 
1894,  (b),  t.  VI,  pp.  360-370).  —  Beck.  de  caloriméirie  animale  (B.  B.,  27  déc.  1884,  (8), 
t.  I,  pp.  763-766).  —  Perfectionnements  nouveaux  apportés  à  la  calorimétrie  animale.  Ther- 
momètre différentiel  enregistreur  (B.B.,  17  févr.  1894,  (9),  t.  v).  —  Production  de  chaleur 
dans  le  muscle,  indépendamment  de  toute  contraction  (B.  B.,  13  mars  1886,  (8),  t.  ni, 
pp.  124-123). 

—  Filtration  et  stérilisation  rapide  des  liquides  organiques  par  l'emploi  de  l'acide  carbo- 
nique liquéfié  (B.  B.,  7  févr.  1891,  (9),  t.  m,  pp.  90-92  et  A.  P.,  1891,  (b),  t.  m,  pp.  382- 
391).  —  Actioti  des  très  basses  températures  sur  les  ferments  [B.  B.,  22  oct.  1892,  (9),  t.  iv, 
pp.  808-809).  —  Influence  des  agents  cosmiques  {électricité,  pression,  lumière,  froid,  ozone,  etc.) 
sur  l'évolution  delà  cellule  bactérienne  {En  coll.  avec  A.  Charrin)  (A.  P.,  (b),  t.  vi,  pp.  33b- 
362  et  B.  B.,  1893,  (9),  t.  v,pp.  37,  70,  121,  237,  337,467,  532,764  et  1028). 

Note  sur  la  préparation  de  l'extrait  fr^tinilaire  concentré  {A.  P.,  1893,  fo),  t.  v,  pp.  180- 
183).  —  Règles  relatives  à  l'emploidu  li^jniilr  li-^lirnlaire  {En  collab.  aven  R.  Brown-Séquard) 
{ibid.,  pp.  192-193).  —  Injection  dans  le  sang  d'extraits  liquides  du  pancréas,  du  foie,  du 
cerveau,  et  de  c/uelques  autres  organes  (A.  P.,  1894,  (3),  t.  vi,  pp.  148-lb7). 

.  ARTEMISINE.  —  Corps  obtenu  par  Merck  {Anna.les  de  1894,  p.  3)  dans  le 
traitement  des  semences  de  YArtemisia  maritima.  C'est  une  substance  qui  donne  avec  le 
chloroforme  une  combinaison  cristallisée.  Elle  est  très  analogue  à  la  santonine,  et  on 
peut  provisoirement  la  considérer  comme  de  l'oxysantonine  [(C'^'H'^0*). 

ARTERES.  —  Résumé  anatomique.  — Les  artères  sont  des  vaisseaux  dans 
lesquels  circule  du  sang  qui,  parti  du  cœur,  chemine  vers  les  capillaires.  Leur  forme 
est  celle  de  cylindres  plus  ou  moins  réguliers. 

Elles  proviennent  de  la  ramification  de  deux  artères  principales  :  l'aorte,  issue  du 
ventricule  cardiaque  gaucbe;  l'artère  pulmonaire,  venant  du  ventricule  droit. 

Elles  se  divisent  de  façons  diverses  '  ;  tantôt  une  artère  donne  naissance  à  deux  autres 
d'égale  importance  qu'on  appelle  branches  ou  troncs  ;  tantôt  l'une  est  moins  volumi- 
neuse, tandis  que  l'autre  semble  continuer  l'artère  primitive  ;  on  donne  à  la  première  le 

1.  V.  Roux.  Ueber  die  Verzweigung  der  Blutgefusse  {lenaische  Zeilschrift  f.  Med.  u.  Naliir. 
t.  xit). 


712  ARTERES. 

nom  débranche  collalérale.  L'angle  sous  lequel  se  détachent  les  collatérales  est  variable 
il  peut  être  aigu,  droit  ou  obtus.  Dans  ce  dernier  cas  les  artères  sont  dites  récurrentes. 
Cet  angle  est,  comme  l'avait  déjà  signalé  J.  Hu.nteb,  important  à  connaître  au  point  de 
vue  physiologique,  car  il  influe  sur  le  cours  du  sang.  Parfois,  au  point  où  elle  se  détache 
d'un  tronc,  une  branche  présente  une  dilatation'. 

Le  calibre  des  artères  est  extrêmement  variable,  depuis  l'aorte  jusqu'aux  plus  petites 
artérioles.  Il  dépend  de  l'importance  du  territoire  auquel  l'artère  se  distribue;  de  l'acti- 
vité fonctionnelle  de  l'organe  irrigué  bien  plus  que  de  son  étendue. 

Les  glaudes  reçoivent  des  artères  très  volumineuses;  le  cartilage  n'en  possède  pas. 

Le  calibre  relatif  diffère  suivant  les  périodes  de  la  vie.  La  carotide,  la  vertébrale,  la 
sous-clavière  sont  relativement  bien  plus  larges  chez  l'enfant  que  chez  l'adulte.  C'est 
l'inverse  pour  les  artères  iliaques  primitives. 

On  a  comparé  aussi  le  calibre  des  artères  avec  le  poids  des  organes.  Ces  évaluations 
présentent  souvent  une  difficulté  parce  que  certains  organes  se  rapetissent  ou  aug- 
mentent par  rapport  au  poids  total  du  corps.  Le  calibre  de  l'artère  augmente  avec  l'âge, 
quand  même  le  poids  de  l'organe  reste  constant-. 

En  général,  exception  faite  des  grosses  artères,  le  calibre  d'un  tronc  donné  est  infé- 
rieur à  la  somme  des  calibres  de  ses  ramifications  immédiates. 

L'épaisseur  des  artères  est  toujours  assez  forte,  comparativement  aux  veines  corres- 
pondantes; mais  elle  offre  de  grandes  variations,  en  rapport  avec  celles  du  calibre;  elle 
diminue  généralement  quand  le  calibre  augmente. 

Les  artères  peuvent  s'anastomoser  ensemble,  soit  simplement,  soit  en  formant  des 
réiSeaux.  On  appelle  réseaux  admirables  ceux  constitués  tout  à  coup  par  une  artère 
unique,  qui  se  divise  en  un  point  pour  former  un  riche  bouquet  de  branches  s'anasto- 
mosant  entre  elles.  Ils  peuvent  se  continuer  directement  avec  les  capillaires  et  sont  dits 
unipolaires;  nu  bien  être  bipolaires,  c'est-à-dire  se  réunir  pour  former  une  nouvelle 
artère  :  tel  est  le  cas  des  artères  glomérulaires  du  rein. 

Chez  les  animaux  plongeurs,  ces  formations  sont  assez  développées.  Elles  constituent 
nue  réserve  sanguine  permettant  une  assez  longue  résistance  à  l'asphyxie.  On  les  observe 
particulièrement  dans  la  paroi  thoracique  des  cétacés. 

Les  artères  suivent  la  surface  concave  du  tronc  et  des  membres.  C'est  là  que  les  mou- 
vements ont  le  moins  d'amplitude;  et  que  par  conséquent  les  vaisseaux  sont  le  moins 
iiujets  aux  tirnilleinenls^. 

Des  réseaux  vasculaires  situés  du  côté  opposé  parent  aux  effets  fâcheux  de  la  com- 
pression; ils  correspondent  généralement  à  l'aXe  du  mouvement.  A  la  péri|)hérie  les 
troncs  artériels  se  terminent  en  formant  des  anses  qui  facilitent  le  cours  du  sang.  C'est 
de  ces  anses  que  partent  les  réseaux  terminaux. 

En  certains  endroits  les  artères  sont  protégées  par  des  arcades  fibreuses  ou  osseuses. 
Elles  peuvent  être  contenues  dans  des  conduits  osseux,  comme  cela  existe,  par  exemple, 
pour  l'artère  vertébrale. 

Les  artères  sont  accompagnées  par  une  ou  plusieurs  veines.  11  semble  exister  parfois 
des  communications  directes  entre  les  deux  sortes  de  vaisseaux  :  tels  sont  les  canaux 
dérivatifs  de  Sucqcet. 

Ces  canaux  ont  été  décrits  chez  plusieurs  espèces  animales  et  à  des  endroits 
variés. 

Il  faut  en  rapprocher  ceux  démoutrés  par  nouRCERET*  à  la  pulpe  des  doigts.  Indépen- 
damment des  capillaires  qui  assurent  la  nutrilion  des  tissus,  il  existe  des  conduits  plus 

1.  Hans  Stahel.  Ui'/jcr  Arlerienspindeln  und  iiher  die  Beziehung  der  Wanddicke  der 
Arterienzum  Bluldnich    Arch.  f.  Anat.  ii.  PhysioL,  1880,  pp.  307-334). 

2.  NiKiFOnoFK.  IJcber  die  Proiiorlion  zwische7>  dem  Arlerienkaliber  einerseils  und  dem 
Geivichte,  Vmfange  der  Organe,  und  dem  Geiric/iie  der  Korperabsdmitt  anderseits.  Dissert. 
Saiut-Pétprsboui-g,  1S83  (anal,  iii  Jli.  l'..  1SS3  .  —  Valérie  Schiele  Wiegandt.  Ueher  Wand- 
diche  und  Umfcmg  der  Arterien  des  mensc/discken  Kijrpers  [A.  V.,  t.  lxxxii). 

3.  P.  Lesshaft.  Ile  la  loi  gênci-ale  qui  procède  à  la  distribution  des  artères  dans  le  corps  de 
l'homme  (Inlern.  Monaixli.  f.  An.  und  P/igs.,  t.  ir,  p.  234;. 

^.  BoL'RCERET.  Circulations  locales.  Procédé  d'injection  dés  veines  du  cœur  vers  les  extrémités, 
malgré  les  valcu/e.f    et  sans  les  forcer.  Paris,  ISS-'i. 


ARTÈRES.  "13 

larges,  ayant  pour  but  d'amener  une  plus  grande  quantité  de  sang  au  contact  de  ces 
organes  périphériques,  particulièrement  exposés  au  refroidissemeuL 

Testut'  a  signalé  l'existence  de  canaux  dérivatifs  sur  ia  pie-mère  de  cerveaux  adultes. 

Debierre  et  Gérard-  ont  publié  récemment  l'observation  de  communications  directes 
entre  les  artères  et  des  veines  volumineuses  par  des  conduits  de  calibre  assez  considé- 
l'able,  2  millimètres  et  demi  dans  un  cas  d'anastomose  entre  la  veine  et  l'artère  fémorales. 
Généralement  ces  communications  se  feraient  au  niveau  des  plis  articulaires  des 
membres;  mais  elles  peuvent  exister  entre  l'aorte  et  la  veine  cave  inférieure.  Malgré 
ces  faits,  on  peut  regarder  comme  à  peu  près  absolue  la  non-communication  du  sang 
artériel  et  du  sang  veineux  par  d'autres  voies  que  les  capillaires.  Chez  les  invertébrés  la 
disposition  des  vaisseaux  est  tout  à  fait  différente.  Les  artères  prennent  naissance  chez 
Je  fœtus,  aux  dépens  du  mésoderme,  par  des  cordons  cellulaires  pleins  qui  se  creusent 
ensuite. 

.  Le  cœur  émet  un  tronc  artériel  qui  se  bifurque  ;  les  deux  branches  se  recourbent  et 
redescendent,  pour  se  fusionner  et  donner  l'aorte  impaire.  Les  aortes  descendantes  sont 
en  relation  par  des  arcs  aortiques,  aux  dépens  desquels  se  formeront  les  principales 
artères  voisines  du  c-œur. 

Texture  des  artères.  —  La  texture  des  artères  diffère  suivant  que  l'on  considère 
les  petites  artères,  proches  de  la  périphérie,  ou  les  artères  volumineuses,  voisines  du 
cœur.  R.^-NviER-'  les  divise  ainsi  en  deux  grands  groupes;  le  premier  comprend  celles  à 
type  musculaire,  le  second  celles  à  type  élastique. 

Toutes  sont  formées  essentiellement  par  trois  tuniques  :  c'est  la  tunique  moyenne 
qui  offre  les  différences  caractéristiques. 

La  tunique  interne  est  constituée  par  une  couche  de  cellules  endothéliales  reposant, 
pour  ce  qui  est  des  artérioles,  sur  une  mince  membrane,  la  membrane  propre  ou  vitrée 
du  vaisseau. 

Dans  les  artères  plus  volumineuses,  entre  celte  membrane  et  la  couche  moyenne, 
séparée  de  cette  dernière  par  la  limitante  élastique,  se  trouve  l'endartère. 

REN'.iUT'  distingue  dans  l'endartère  deux  couches;  l'une  interne  ou  muqueuse,  l'autre 
externe  ou  striée. 

La  couche  muqueuse  comprend  deux  à  trois  lignes  de  cellules  plates,  puis  une  couche 
épaisse  de  substance  connective  avec  quelques  cellules  transversales.  La  couche  striée  se 
compose  de  lames  élastiques  disposées  en  systèmes  de  tente;  entre  ces  lames  se  trouvent 
de  grandes  cellules  longitudinales.  C'est  dans  le  sens  perpendiculaire  à  la  longueur  du 
vaisseau  qu'apparaît  la  striation. 

La  tunique  externe  est  formée  de  fibres  connectives  et  élastiques  longitudinales.  Elle 
sert  de  soutien  pour  les  ramifications  vasculaires  et  nerveuses. 

La  tunique  moyenne  diffère  suivant  les  types  artériels  que  l'on  considère. 

Dans  les  artères  à  type  musculaire,  la  tunique  moyenne  est  constituée  par  des  fibres 
lisses  circulaires;  elles  sont  superposées  de  telle  façon  que  l'ensemble  de  leurs  noyaux 
décrive  une  spirale  autour  du  vaisseau. 

Dans  l'autre  groupe  d'artères,  cette  tunique  moyenne  est  composée  d'une  série  de 
membranes  élastiques  réunies  entre  elles  par  des  travées  de  fibres  élastiques.  On  y  ren- 
contre aussi  des  faisceaux  du  tissu  conjonctif  et  des  fibres  musculaires  lisses.  Dans  les 
artères  de  volume  moyen,  comme  les  artères  principales  des  membres,  l'épaisseur  de 
cette  tunique  est  supérieure  à  la  somme  de  celles  des  deux  autres. 

Les  petites  artères  ne  renferment  pas  de  vaisseaux  dans  leur  paroi;  le  sang  qu'elles 
contiennent  peut  suffire  à  leur  nutrition.  Dans  les  artères  plus  volumineuses,  au  contraire, 
le  liquide  sanguin  ne  peut  pas  filtrer  au  travers  des  tuniques,  comme  l'a  montré  Stro- 
GANOw.  Des  vasa-vasorum  sont  compris  dans  la  tunique  externe.  Les  globules  blancs  qui 
en  partent  par  diapédèse  peuvent  arriver  jusque  dans  l'endartère. 

1.  L.  Te^tuï.  Traité  d'Anatomie  Iiumaine,  t.  ii,  p.  31. 

2.  Debierre  et  Gérard.  Sur  les  anastomoses  directes  entre  une  grosse  artère  et  une  grosse 
veine  [B.  23. ,189.3,  p.  27i. 

3.  Ranvier.  Traité  technique  d'histologie, 
i.  J.  Renaut.  Traité  d'Iiistologie  pratique. 


m  ARTÈRES. 

Les  artères  reçoivent  de  nombreux  filets  nerveux  :  ils  forment  des  plexus  dans  la 
tunique  externe.  De  ces  plexus  partent  des  fibres  amyéliniques  qui  viennent  se  terminer 
librement  par  des  extrémités  variqueuses  sur  les  cellules  musculaires.  Leur  mode  de 
terminaison  dans  la  tunique  interne  est  encore  mal  connu. 

Médecine  opératoire  physiologique.  —  La  texture  des  artères  explique  différents 
faits  que  l'on  observe  au  cours  d'opérations  sur  ces  vaisseaux. 

Une  section  incomplète  d'un  tronc  artériel  donne  lieu  à  une  hémorrhagie  consi- 
dérable, une  section  complète  détermine  généralement  une  perte  de  sang  moins 
forte.  En  effet,  par  suite  de  l'élasticité  artérielle  et  de  la  contraction  active  des  fibres 
musculaires,  dans  le  premier  cas,  les  lèvres  de  la  plaie  s'écartent,  livrant  passage  au 
sang  qui  s'échappe  par  jets  saccadés;  dans  le  second  au  contraire,  les  deux  bouts  du 
vaisseau  sectionné  se  rétractent  dans  leur  gaine  conjonctive  dépourvue  d'élasticité;  le' 
sang  ne  sort  plus  qu'en  bavant  et  ne  tarde  pas  à  se  coaguler. 

Le  même  fait  s'observe  patbologiquement;  dans  les  arrachements  de  membres, 
l'hémorrhagie  est  infiniment  moins  forte  que  dans  les  sections  franches. 

L'application  de  ce  fait  est  utilisée  dans  l'arrachement  ou  la  torsion  des  artères.  La 
torsion,  môme  pour  celles  qui  sont  de  fort  calibre,  remplace  avantageusement  la  ligature, 
particulièrement  au  cas  où  l'isolement  ne  peut  pas  être  effectué  avec  facilité. 

Pour  pratiquer  la  torsion,  on  saisit  l'artère  entre  les  mors  d'une  pince  à  pression 
continue,  à  laquelle  on  fait  exécuter  un  mouvement  de  rotation  suivant  son  axe  jusqu'à 
ce  que  survienne  la  rupture  spontanée.  Quand  on  exécute  cette  opération,  on  constate 
que  la  tunique  moyenne  se  rompt  ainsi  que  la  tunique  interne,  tandis  que  la  tunique 
externe  résiste,  grâce  à  sa  texture  lâche.  Les  deux  autres  tuniques  repoussées  par  la  tor- 
sion s'envaginent  dans  la  lumière  du  vaisseau  qu'elles  contribuent  à  obturer. 

La  ligature  agit  de  la  même  façon.  La  striction  du  fil  rompt  et  refoule  les  tuniques 
interne  et  moyenne  ;  la  tunique  externe  seule  résiste.  On  comprend  dès  lors  l'importance 
qu'il  y  a  à  ne  pas  pousser  trop  loin  la  dénudation  de  l'artère  mise  à  nu.  L'ablation  com- 
plète de  la  tunique  externe  risquerait  d'amener  une  section  transversale,  et  non  plus 
une  oblitération  du  vaisseau. 

Pour  effectuer  la  recherche  des  artères,  on  utilise  les  connaissances  anatomiques  que 
l'on  a  de  la  région  sur  laquelle  on  opère.  Les  rameaux  principaux  étant  généralement 
accompagnés  de  branches  veineuses  et  de  filets  nerveux,  c'est  avec  ces  éléments  qu'il 
faudra  éviter  de  les  confondre.  On  reconnaîtra  l'artère  à  sa  consistance  élastique,  aux 
pulsations  dont  elle  est  animée,  à  sa  coloration  rose  ou  rouge  clair.  Les  veines  échappent 
habituellement  à  l'exploration  digitale  et  apparaissent  à  l'œil  comme  des  vaisseaux  noi- 
râtres et  de  calibre  irrégulier.  Les  nerfs  sont  des  cordons  durs,  cylindriques,  non  dépres- 
sibles,  d'aspect  blanc  nacré.  En  comprimant  une  artère,  le  bout  périphérique  se  vide  et 
pâlit,  le  bout  central  se  gonfle  et  est  animé  de  battements  énergiques.  La  compression 
des  veines  vide  au  contraire  le  bout  central. 

L'artère  reconnue  est  isolée  des  éléments  voisins  et  dénudée  sur  une  largeur  juste 
suffisante.  On  la  charge  alors  sur  un  fil  que  l'on  passe  au  moyen  d'une  aiguille  mousse 
recourbée.  S'il  y  a  des  organes  à  ménager,  les  veines  satellites  en  particulier,  on  com- 
mence à  passer  le  fil  de  leur  côté. 

Les  opérations  que  l'on -a  le  plus  souvent  à  exécuter  sur  les  artères,  en  physiologie, 
sont  l'introduction  et  la  fixation  de  canules,  pour  recueillir  du  sang  ou  prendre  la  pression. 

On  ne  craindra  pas  de  faire  des  incisions  larges  des  diverses  couches  superposées  à 
l'artère.  De  cette  façon,  s'il  se  produit  des  réactions  douloureuses,  il  n'y  aura  pas  de 
compression  de  l'artère  par  les  muscles  de  la  plaie,  ce  qui  viendrait  fausser  les  résultats. 
On  dénude  le  vaisseau  sur  une  longueur  assez  grande,  et  on  lie  le  bout  périphérique.  Puis 
on  suspend  momentanément  le  cours  du  sang  dans  le  bout  central  en  le  comprimant.  11 
faut  employer,  pour  effectuer  cette  compression,  un  instrument  qui  ne  contusionne  pas 
les  tuniques  artérielles.  On  se  sert  avantageusement  du  compresseur  de  François-Franck, 
construit  sur  le  modèle  des  lithotriteurs.  On  peut  plus  simplement  exercer  une  traction 
modérée  sur  le  bout  central  à  l'aide  d'une  anse  de  fil.  Ou  soulève  l'artère  au  moyen  du 
fil  de  la  ligature  périphérique;  on  introduit  sous  elle  l'index  gauche  et  on  y  pratique,  cà 
l'aide  de  fins  ciseaux,  une  incision  en  V  à  pointe  tournée  vers  la  périphérie.  L'introduc- 
tion de  la  canule  est  faite  doucement  en  lui  faisant  exécuter  un  mouvement  de  rotation. 


ARTERES.  715 

On  la  fixe  à  l'aide  d'un  fil  placé  dans  ce  but  au  début  de  l'opéralion.  11.  est  bon,  après 
avoir  fait,  une  double  ligature,  de  nouer  les  deux  chefs  du  fil  avec  celui  qui  a  été  posé 
sur  le  bout  périphérique  de  l'artère.  On  en  laisse  pendre  un  au  dehors  de  la  plaie,  ce  qui 
permet,  le  cas  échéant,  de  retrouver  rapidement  l'artère  et  d'y  replacer  la  canule. 

Physiologie  (Voir  les  articles  ;  Circulation,  Vaso-moteurs,  Pouls.).  —  Si  l'on  fait  par 
la  pensée  des  sections  successives,  parallèles  entre  elles,  du  système  artériel,  en  com- 
mençant à  l'aorte  et  en  allant  jusqu'aux  capillaires,  la  somme  des  surfaces  comprises 
dans  chaque  section  ira  sans  cesse  en  augmentant,  et  chacune  de  ces  sommes  est  équi- 
valente à  un  cercle  déterminé.  La  superposition  de  ces  cercles  constitue  un  cône  qui 
schématisera  la  capacité  de  l'ensemble  des  artères,  augmentant  progressivement  du  cieur 
à  la  périphérie.  Un  cône  analogue  est  formé  par  l'artère  pulmonaire  et  ses  ramifica- 
tions. On  voit  que  le  sang  chemine  dans  un  ensemble  de  canaux  de  plus  en  plus  larges 
jusqu'au  lac  formé  par  les  capillaires.  Il  en  résulte  que  le  cours  se  ralentit  de  plus  en 
plus  et  qu'il  est  à  son  maximum  de  lenteur  là  où  les  échanges  doivent  se  produire 
(flg.  ;i4,  C.  C). 

Les  parois  du  cône  artériel  n'ont  pas  partout  la  même  composition,  ainsi  que  nous 
l'avons  déjà  signalé.  Élastiques  au  sommet,  elles  deviennent  musculaires  à  la  base  ;  le 
deux  tissus  sont  dans  la  partie  moyenne  en  proportions 
à  peu  près  égales.  Leur  présence  détermine  les  deux  pro- 
priétés essentielles  des  artères,  l'élasticité  et  ]acontractiUté. 

Élasticité  artérielle.  —  L'élasticité  des  artères  se  ma- 
nifeste par  les  modifications  de  forme  et  de  calibre  qu'éprou- 
vent ces  vaisseaux  à  chaque  battement  cardiaque. 

Les  artères  rectilignes  deviennent  sinueuses,  comme  cela 
est  facile  à  voir,  par  exemple  sur  l'artère  humérale,  chez 
les  sujets  amaigris. 

Lorsqu'il  existe  déjà  une  courbure,  elle  devient  plus  pro- 
noncée; si  elle  s'opère  brusquement,  son  rayon  augmente.        Fig  "il   —  schéma  du  coue 

Quand  il  y  a  un  obstacle  brusque  au  courant  sanguin,  l'ar-  aiWuei 

tère  s'allonge  au  moment  de  la  systole  du  cœur.  Cela  s'ob-    a,   aorte.  —  c,    capillaires.   — 

serve  aux  éperons  de  bifurcation,  ou  mieux  encore  au  cours       '.;  *'^'^"  musculaire.  —  2,  tissu 
,  ^       .  élastique. 

d  une  amputation.  Quand  on  a  lie  et  sectionné  une  artère 

au  ras  d'un  moignon,  on  la  voit  animée  de  mouvements  d'expansion  et  de  retrait  pério- 
diques. 

L'augmentation  de  calibre  par  la  contraction  ventriculaire  avait  déjà  été  observée 
par  Spallanzaki,  sur  l'aorte  de  la  salamandre.  11  entourait  ce  vaisseau  d'un  anneau  un 
peu  trop  large  pendant  les  repos  du  cœur,  mais  qui  devenait  pendant  l'activité  du  cœur,  ou 
systole,  juste  suffisant. 

Le  même  fait  peut  encore  être  mis  en  évidence  à  l'aide  du  dispositif  employé  par 
PoisEuiLLE  '.  Il  faisait  passer  une  artère  à  travers  une  boîte  portant,  ainsi  que  son  couver- 
cle, une  rainure  de  diamètre  juste  suffisant.  La  boîte,  hermétiquement  fermée  et  remplie 
de  liquide,  communique  avec  un  manomètre  dont  les  oscillations  indiquent  les  variations 
de  volume  du  vaisseau. 

Plusieurs  auteurs  ont  étudié  avec  soin  l'élasticité  artérielle.  Werthei.m^  a  vu  qu'elle  est 
parfaite  dans  des  limites  assez  étendues,  c'est-à-dire  que,  déformées,  les  artères 
reprennent  exactement  leur  forme  primitive.  Mais  leur  force  élastique  est  peu  considéra- 
ble; l'effort  nécessaire  pour  produire  une  déformation  n'a  pas  besoin  d'être  bien  grand. 
Cette  force  élastique  n'est  pas  proportionnelle  aux  efforts;  mais  elle  croît,  plus  vite  que 
la  pression,  en  raison  de  la  distension  qu'ont  déjà  subie  les  vaisseaux.  Pour  allonger  une 
bandelette  artérielle  de  1,  2,  3  millimètres,  il  faut  des  poids  croissant  plus  rapidement 
que  ces  nombres,  Wertheim  donne  comme  valeur  du  coefficient  d'élasticité  des  artères^ 
c'est-à-dire  du  poids  qui  allongerait  de  l'unité  un  tronçon  d'artère  ayant  l'unité  pour 
longueur  et  pour  section,  le  chiffre  0,032.  C'est  l'un  des  plus  faibles  des  principaux  tissus 
du   corps. 

1.  PoisEuiLLE.  Sur  la  pression  du  sang  dans  le  système  artériel  (C.  R-,  1860). 

2.  'Wertheim.  Élasticité  et  cohésion  des  principaux  tissus  du  corps  humain. 


716 


ARTERES. 


Le  cofficient. d'allongement,  qui  est  l'allongement  de  l'unité  de  longueur  sous  l'unité 
de  section  et  sous  l'unité  de  charge,  a  la  valeur  très  considérable  de  19,2308. 

Dans  ces  expériences  on  ne  s'est  occupé  que  de  l'allongement  linéaire  des  artères.  Il 
est  plus  intéressant  pour  le  physiologiste  d'étudier  l'allongement  produit  dans  tous  les 
sens  et  amenant  une  augmentation  de  capacité.  Ces  deux  phénomènes  ne  suivent  pas 
les  mêmes  lois.  Une  lanière  de  caoutchouc  s'allonge  proportionnellement  aux  efforts  de 
traction;  une  sphère  ou  un  cylindre  creux  subissent  des  augmentations  de  volume  qui 
croissent  plus  rapidement. 

Marey  '  a  mesuré,  par  la  méthode  des  déplacements,  les  changements  de  volume  de 
tronçons  artériels  soumis  à  des  pressions  intérieures  graduellement  croissantes.  Les 
recherches  ont  porté  surtout  sur  des  aortes  d'hommes  ou  de  grands  animaux.  Ce  choi.v 
était  déterminé  par  ce  fait,  déjà  signalé  plus  haut,  que  l'aorte  constitue  le  principal  réser- 
voir élastique  du  sang. 

L'appareil  de  Marey  consiste  en  un  manchon  rempli  de  liquide  portant  latéralement 
un  tube  horizontal  gradué.  Le  tronçon  d'artère  y  est  renfermé.  L'une  de  ses  extrémités  est 
fermée,  l'autre  livre  passage  à  un  tube  communiquant  avec  un  réservoir  dont  on  peut 
faire  varier  la  hauteur  :  quand  celle-ci  s'élève,  la  pression  augmente;  l'artère  se  distend 

par  suite  de  son  élasticité,  et  déplace  une  certaine 
quantité  du  liquide  du  manchon  dans  le  tube  gra- 
dué.  Ces    déplacements    servent   de    mesure  aux  ' 
changements  de  volume  artériels. 

En  opérant  sous  des  charges  graduellement 
croissantes,  on  observe  une  dilatation  de  moins  en 
moins  grande.  La  force  élastique  croît  plus  vite 
que  la  pression.  Si  l'on  représente  graphiquement 
le  phénomène,  on  obtient  une  courbe  surbaissée  à 
convexité  supérieure  (fig.  S'o). 

Les  expériences  de  Marey  sur  les  tronçons  arté- 
riels amènent  un  résultat  analogue  à  celles  de 
Wertiieim  sur  des  bandelettes  de  tissu  artériel  ;  mais 
ces  dernières  ne  pouvaient  le  faire  prévoir  a  priori. 
Il  existe,  comme  nous  l'avons  signalé,  des  corps 
dont  l'élasticité  ne  suit  pas  les  mêmes  lois,  sui- 
en    lanière    ou    en    cylindres   creux    dont    on    étudie    l'am- 


ol 

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Fig.  55.  —  Courbure  des  changements  de 
volume  d'un  tubo  élastique  pour  des  pres- 
sions régulièrement  croissanies  (Makiiy). 


vaut    qu'ils   sont   tail 
pliation. 

Si  l'on  voulait  comparer  entre  elles  les  courbes  d'élasticité  de  différentes  artères,  il 
faudrait  tenir  compte  de  leur  capacité  initiale  et  donner  aux  ordonnées  des  valeurs 
proportionnelles.  Les  artères  volumineuses,  permettant,  en  effet,  un  plus  grand  dépla- 
cement de  liquide,  donnent  des  courbes  s'élevant  plus  brusquement. 

Il  faut  avoir  soin,  au  début  de  l'expérience,  de  remplir  complèlement  l'artère.  Sans 
cette  précaution,  elle  se  laisserait  distendre  passivement,  et  l'élasticité  n'entrerait  en  jeu 
qu'au  bout  d'un  certain  temps. 

Roy-  a  employé  pour  l'étude  de  l'élasticité  artérielle  un  appareil  analogue  à  celui  de 
Marey  ;  mais  les  changements  de  volume  s'inscrivaient  automatiquejnent.  Suivant  cet  au- 
teur les  artères  seraient  distendues  à  leur  maximum  pendant  la  vie  sous  l'influence  de  la 
pression  sanguine. 

L'existence  de  l'élasticité  se  manifeste  pendant  la  vie  chez  l'homme  ou  les  animaux, 
quand  par  une  compression  on  force  le  sang  à  s'accumuler  dans  un  organe  ou  que  l'on 
soustrait  une  partie  du  corps  à  l'abord  du  sang.  Nous  en  donnons  ici  un  exemple  em- 
prunté à  Marey  (lig.  .56).  Lorsqu'on  comprime  les  veines  de  la  main  par  une  ligature,  le 
sang  s'accumule  dans  les  artères  sous  l'influence  de  l'impulsion  cardiaque  qui  reste  cons- 
tante. Il  en  résulte  qu'à  chaque  battement  du  cœur  le  volume  de  la  main  augmente; 
mais,  la  force  élastique  augmentant  en  même  temps,  ces  accroissements  sont  de  moins 


1.  Marey.   Recherches  sur    la  tension   artérielle.    Travau.i-  du    laboratoire, 
circulation  du  sang,  pp.  158  et  ss. 

2.  Roy,  The  elasiic  Properties  of  the  arlerial  Wall  [J.  P.,  1880,  t.  m,  pp.  12 


p.   17o.  La 


ARTÈRES.  Ti- 

en moins  considérables,  et  la  forme  générale  de  la  courbe  est  analogue  à  celle  que  l'on 
obtient  dans  les  expériences  de  Maiiey  sur  les   artères  détachées. 

De  même,  si  l'on  prend  la  pression  dans  une  artère  périphérique  et  qu'on  vienne  à  la 
comprimer  dans  une  portion  plus  voisine  du  cojur,  on  voit  la  courbe  s'abaisser  en  pré- 
sentant une  concavité  supérieure,  montrant  que  la  force  élastique  diminue  de  moins 
en  moins  vite. 

L'élasticité  artérielle  joue  un  rôle  important  dans  la  mécanique  circulatoire.  Elle  ré- 
gularise le  cours  du  sang  et  favorise  l'action  du  cœur  en  diminuant  les  résistances  que 
cet  organe  doit  surmonter. 

On  doit  à  Marey  la  démonstration  de  ce  fait.  Il  met  en  relation  un  vase  de  Mariotte 
rempli  de  liquide  avec  deux  tubes  de  même  calibre,  placés  au  même  niveau,  mais  de 
substance  diderente.    L'un  est  rigide,  en  verre;  l'autre  élastique,   en  caoutchouc.    Si  l'on 


FiG.  56.  —  Accroissements  graduels  du  volume  de  la  main  sons  l'influence  d'un  obstacle 
à  la  circulation  veineuse  'CV)  (Marev). 

ouvre  et  ferme  alternativement,  à  intervalles  réguliers  assez  rapprochés  imitant  le  rythme 
cardiaque,  le  robinet  qui  conduit  à  ces  tubes,  on  voit  que  l'écoulement  ne  s'effectue  pas 
de  la  même  façon  dans  chacun  d'eux.  Il  se  fait  par  saccades  synchrones  aux  ouvertures 
du  robinet  dans  le  tube  rigide.  Il  est  régulier  et  continu  dans  le  tube  élastique.  De  plus 
le  débit  de  ce  dernier  tube  est  supérieur  à  celui  de  l'autre.  Mais  cette  augmentation  du 
débit  ne  se  produit  que  dans  le  cas  d'afflux  intermittents.  La  force  agissant  brusquement 
sur  le  liquide  contenu  dans  un  tube  rigide  doit  déplacer  toute  sa  masse  et  vaincre  son 
inertie.  Le  tube  élastique  présente  l'avantage  de  se  laisser  distendre  et  de  restituer  sous 
forme  de  force  de  tension,  d'une  manière  progressive,  la  force  empruntée  au  moteur. 

La  force  élastique  influe  sur  la  vitesse  de  transport  des  ondes  liquides.  Cette  vitesse 
lui  est  proportionnelle. 

C'est  à  l'élasticité  artérielle  qu'est  dû  le  phénomène  da pouh  (Voy.  ce  mol). 

Contractilité  artérielle.  —  Les  anciens  auteurs  professaient  sur  la  contraclilité  des 
artères,  propriété  que  possèdent  ces  vaisseaux  de  modifier  activement  le  calibre  de  leurs 
parois,  des  opinions  diverses.  Des  notions  positives  ne  pouvaient  guère  se  faire  jour  à 
une  époque  où  le  microscope  n'avait  pas  encore  caractérisé  l'élément  contractile,  où  les 
expérimentateurs  pensaient  que  leur  examen  devait  porter  le  plus  avantageusement  sur 
les  gros  vaisseaux.  Or  nous  avons  vu  que  c'est  là  que  les  fibres  musculaires  sont  le 
moins  développées. 

.Haller',  sans  nier  absolument  l'existence  de  la  contractilité,  ne  trouvait  pas  suffi- 
santes les  expériences  qui  tendaient  à  la  démontrer.  Bichat^  pensait  que  les  changements 
de  volume  des  artères  reconnaissent  toujours  pour  cause  l'élasticité.  Magendie^  profes- 
sait une  opinion  analogue.  Pour  lui  c'était  l'élasticité  seule  qui  faisait  vider  le  bout 
périphérique  d'une  artère  lorsqu'on  y  avait  posé  une  ligature. 

Spallanzani'*  refusait  même  aux  artères  la  possibilité  de  se  resserrer  par  suite  de  leur 
élasticité. 

1.  Haller.  Mémoires  sur  la  nature  sensible  et  irritable  des  jjarties  du  corps  animal,  ITuB,  1. 1, 
p.  37. 

2.  BiciiAT.  Anatomie  générale,  1801,  t.  i,  p.  3-36. 

3.  Magendie.  Pre'cis  élémentaire  de  Pliijsiologie,  t.  ii,  p.  387. 

i.  Spallanzani.  Expérietices  sur  la  circulation  observée  dans  l'universalité  du  système  vascu- 
laire.  ïr.  Tourdcs,  Paris,  an  VIII,  p.  380. 


718  ARTERES. 

Cependant  d'autres  auteurs  avaient  affirmé  l'existence  de  la  contraclilité.  Sénac', 
Abh.  Ens  -,  avaient  même  reconnu  sa  dépendance  du  s^^stème  nerveux.  Mais  ils  se  fai- 
saient une  fausse  idée  de  son  utilité.  Ils  pensaient  que  les  artères  sont  douées  de  mou- 
vements propres  rythmiques,  aidant  à  la  progression  du  sang;  c'étaient,  suivant  eux,  de 
véritables  cœurs  périphériques. 

Il  faut  arriver  aux  expériences  de  J.  HcxiEn,  à  la  découverte  par  Hen'le'  des  éléments 
musculaires  dans  la  paroi  des  artères,  pour  voir  à  la  fois  la  contraclilité  démontrée  et 
sa  véritable  signification  reconnue.  On  vit  alors  que,  si  le  mouvement  du  sang  dépend 
du  cœur,  sa  répartition  est  dépendante  des  vaisseaux. 

J.  Hunier*  démontra  que  le  resserrement  du  bout  périphérique  d'une  artère  liée 
n'était  pas  dû  uniquement  à  l'élasticité.  Lorsqu'après  cette  ligature  on  pratique  une 
injection  dans  le  tronçon  artériel  et  qu'on  le  laisse  eiisuite  revenir  sur  lui-même,  le 
calibre  qu'il  prend  est  plus  considérable  que  celui  qu'il  avait  acquis  au  début  après  la 
ligature.  L'injection  a  détruit  l'état  de  contraction,  et  l'élasticité,  seule  persistante,  donne 
à  l'artère  une  largeur  plus  grande.  La  même  observation  peut  être  faite  sur  un  animal 
tué  par  hémorrhagie;  la  contraclilité  des  artères  disparaît  assez  rapidement,  tandis  que 
l'élasticité  persiste.  Une  injection  pratiquée  dans  le  système  artériel  y  reste  en  partie, 
tandis  qu'après  la  mort  les  artères  sont  vides  de  sang,  par  suite  de  la  contraction  de  la 
tunique  musculaire. 

Lorsqu'on  mesure  successivement  le  calibre  des  artères  après  qu'on  les  a  vidées  par 
hémorrhagie  et  après  qu'on  a  pratiqué  leur  distension  forcée,  la  différence  est  d'autant 
plus  considérable  qu'on  s'adresse  à  des  artères  plus  éloignées  du  cœur. 

Dans   une  expérience  de   Huxter.  la  différence   des  diamètres  de  l'aorte    était  dans 

ces    conditions    de    — .  L'aorte  s'était  donc  contractée  au  moment  de  la  mort  de  telle 

I 
façon  que  son  diamètre  fut  réduit  de  -^  .  Le  diamètre  de  la  fémorale  s'était  réduit  des 

deux  tiers. 

Les  considérations  qui  précèdent  permettent  d'affirmer  l'existence  de  la  contraclilité 
artérielle.  -Mais  la  démonstration  peut  être  poussée  plus  loin.  La  tunique  musculaire  des 
artères  est  excitable  par  les  divers  agents  mécaniques,  électriques,  thermiques,  chimi- 
ques. En  les  portant  directement  sur  ces  vaisseaux,  il  est  facile  d'y  constater  des  chan- 
gements de  volume. 

L'un  des  premiers  observateurs  qui  aient  signalé  l'action  sur  les  artères  des  excitants 
mécaniques  est  Verschuir^.  En  grattant  la  carotide  ou  la  crurale  d'un  chien  avec  la 
pointe  d'un  scalpel,  il  les  vit  se  resserrer  par  place.  Thomson^, 'Wharton-Jones'^,  Hastings*, 
Paget"  ont  fait  des  observations  analogues  sur  les  vaisseaux  de  la  grenouille,  sur  les 
grosses  artères  du  lapin,  sur  l'aile  de  la  chauve-souris. 

Reinarz  et  Burdach'"  démontrent  l'existence  de  la  contraclilité  par  une  expérience 
élégante.  Ils  introduisent  dans  un  tronçon  d'artère  un  petit  cylindre  de  cire,  de  calibre 
tel  que  sa  pénétration  s'elïectue  sans  effort.  Sous  l'influence  de  cette  excitation  mécani- 
que le  vaisseau  se  resserre  et  comprime  le  cylindre  de  cire  qui  ne  peut  plus  être  retiré 
qu'avec  peine. 

VcLPiAN^a  effectué  un  grand  nombre  d'expériences  sur  la  contraclilité  des  vaisseaux. 
I!  a  vu,  en  frottant  rapidement  une  artère  avec  la  pointe  d'une  paire  de  ciseaux,  ce  vais- 
seau diminuer  de  volume  d'une  manière  très  manifeste,  même  lorsqu'il  opérait  sur  des 

1.  SÉs.vc.  Traité  de  la  sti'ucture  du  cœur,  2"  éd.  Paris,  1777,  t.  ii.  p.  193. 

2.  Abr.  Exs.  De  causa  vices  cordis  alternas  producente.  Utrecht,  1745. 

3.  Hexle.  Wûchenschrift  fur  die  gesammte  Heilkunde,  1840,  ii°  21,  p.  329. 

4.  .J.  HuNTER.  Sur  le  sang  el  l'inflammation.  Œuvres  complètes,  t.  m,  p.  194,  trad,  Richelot. 
3.  Verschuir.  Dissertatio  medica  inaugularis  de  arteriarum  et  venarum  vi  irritabili,  1766. 

6.  Thomson".  Traite'  7ne'dico-c/nrurgical  de  l'inflammation,  p.  57. 

7.  Whap.ton-Joxes.  On  ttie  State  of  Blood  and  Blood-Vessel  in  Inflammation  [Giojs  Hospila^ 
Refiorts,  2=  série,  t.  vu.  p.   9). 

8.  Hastix'gs.  Disputatio  phys.  inaug.  de  vi  contractili  vasorum,  1818. 

9.  Paget.  Lectures  on  the  inflammation  [London  Médical  Gazelle,  1850). 
lu.  BuRDAca.  Traite'  de  physiologie,  t.  vi,  p.  333. 

M.  VcLPi.vx.  B.  B.,  1856,  p.  186.;  et  1838, p.  3.  — Leçons  sur  l'appareil  vaso-moteur,  t.  i,  p.  43. 


ARTÈRES.  719 

vaisseaux  de  fort  calibre.  Cependant  la  contraction  est  d'autant  plus  nette  qu'on  s'a- 
dresse à  des  artères  plus  petites.  Lorsqu'on  limite  l'excitation  mécanique  à  un  espace 
assez  restreint,  on  voit  après  quelques  instants  le  point  touché  se  resserrer,  pâlir;  les  pul- 
sations diminuent  ou  disparaissent.  La  contraction  dure  environ  vingt  secondes,  puis 
disparait  progressivement;  et  l'artère  prend  même  un  calibre  plus  considérable  qu'avant 
le  début  de  l'expérience;  les  battements  y  sont  prononcés;  puis  tout  rentre  dans  l'ordre. 

La  contraction  des  petits  vaisseaux  peut  s'observer  aisément  sans  la  moindre  vivi- 
section sur  l'oreille  du  lapin.  Les  artères  y  sont  visibles  par  transparence.  Il  suffit  de 
frotter  l'épiderme  à  leur  niveau  avec  un  instrument  mousse  pour  que,  excitées  ainsi  d'une 
façon  médiate,  elle  se  resserrent  aussitôt. 

Des  expériences  analogues  ont  été  faites  chez  l'homme,  principalement  par  Marey  . 
Lorsqu'on  trace  vivement  une  ligne  sur  la  peau  avec  une  pointe  mousse;  la  peau  pâlit 
tout  d'abord  à  cet  endroit,  parce  qu'on  en  a  chassé  mécaniquement  le  sang;  puis  les 
artérioles  excitées  se  resserrent";  on  éprouve  une  sensation  de  constriction,  et  la  ligne 
reste  blanche  un  moment  pour  acquérir  de  nouveau  progressivement  sa  coloration  nor- 
male, ou  même,  au  début,  la  dépasser.  Lorsque  l'excitation  est  faite  d'une  manière  plus 
énergique,  on  obtient  une  ligne  rouge  très  periistante,  saillante,  séparée  des  parties  voi- 
sines par  des  tiaînées  latérales  pâles. 

Il  faut  faire  intervenir  pour  l'explication  de  ces  faits  le  système  vaso-moteur  ;  mais  ils 
reconnaissent  en  partie  pour  cause,  selon  Vulpian,  la  contractilité  des  muscles  artériels. 
On  peut  les  observer  en  d'autres  endroits  qu'à  la  peau,  par  exemple  sur  certains  organes, 
comme  le  foie  ou  les  reins. 

La  faculté  qu'ont  les  artères  de  se  resserrer  sous  l'influence  d'excitants  mécaniques 
explique  que  la  section  de  certaines  artères  puisse  parfois  ne  donner  aucun  écoulement 
sanguin;  puis  secondairement  fournir  des  hémorrhagies  sérieuses  lorsque  la  contraction 
a  cessé. 

Cette  propriété  ne  doit  pas  être  perdue  de  vue  par  les  physiologistes.  Des  excitations 
mécaniques  intempestives  des  artères  peuvent  masquer  complètement  l'action  de  filets 
vaso-moteurs  que  l'on  se  propose  d'étudier. 

Les  excitations  électriques  permettent  mieux  encore  l'étude  de  la  contractilité  arté- 
rielle. 

"Wedemeyer-^,  en  galvanisant  une  aorte  de  grenouille,  ne  réussit  pas  à  y  constater  de 
changement  de  volume;  mais,  en  opérant  de  la  même  manière  sur  les  artères  mésenté- 
riques  de  cet  anmial,  il  les  vit  se  contracter  de  telle  sorte  que  leur  lumière  ne  possédait 
plus  que  la  moitié  ou  le  tiers  de  leur  diamètre  primitif. 

Les  frères  Weber-'  ont  fait  des  constatations  analogues  en  faradisant  de  petites 
artères.  La  réduction  de  volume  peut  être  suffisante  pour  arrêter  le  cours  du  sang. 

La  contraction  des  artères  sous  l'influence  de  l'électricité  a  été  observée  chez  l'homme 
après  amputations  par  Kôlliker''  sur  la  tibiale  et  la  poplitée. 

Dans  ses  expériences,  "Vulpian  {Ioc.  cit.)  a  vérifié  cette  action  de  l'électricité.  La  con- 
traction se  montre  tout  d'abord  à  l'endroit  où  étaient  appliqués  les  électrodes;  puis, 
l'afflux  sanguin  diminuant,  elle  se  propage  généralement  jusqu'à  l'anastomose  la  plus 
voisine.  Si  cette  anastomose  fait  défaut,  les  capillaires  et  les  veines  elles-mêmes  dimi- 
nuent de  volume.  Contrairement  à  l'assertion  de  VVebeii,  on  verrait  toujours  primitive- 
ment une  contraction,  jamais  une  dilatation,  même  lorsqu'on  emploie  des  courants  très 
intenses.  Le  sens  du  courant  n'intluerait  pas  sur  la  réaction  des  muscles  artériels.  Au 
dire  de  Legros  et  ONiMus,^les  courants  ascendants  produiraient  un  resserrement;  les  cou- 
rants descendants,  une  dilatation. 

Les  excitants  thermiques  ont,  comme  on  le  sait,  une  action  très  marquée  sur  la  fibre 
musculaire  lisse.  Aussi  les  variations  de  température  influent-elles  d'une  manière  con- 
sidérable sur   le  calibre  des  artères.  Wharton  Jo.n'es  (Ioc.  cit.)  avait  constaté  le  resser- 

1.  Marey.  Mémoire  sur  la  contractilité  vasculaire  [Ann.  des  Se.  nat.,  1858,  (4),  t.  ix,  p.  68). 

2.  Wede.meyee.  Untersuc/mngen  iiber  denKreislaufdes  Blutes.  Haunover,  1828,  p^   180. 

3.  Ed.  etE.  Weber.  Ue/jer  die  Wirkungen  welche  die  magnetoelectrische  Reizung  der  Bliit- 
gefàsse  bel  lebenderi  Thieren  hervorbringt  [Uûller's  Archiv,  1847,  p.  234). 

4.  Koi-LiKER.  Zeiisclu'ift  fiir  wi.s.sensch.  Zo  dogie.  1849. 


720  ARTÈRES. 

rement  des  arLères  de  la  membrane  interdigitaLe  de  la  grenouille  sous  l'influence  d'ins- 
tillation d'eau  froide.  Une  observation  de  ce  genre  se  fait  aisément  lorqu'on  ouvre 
l'abdomen  d'un  mammifère.  L'intestin  pâlit  tout  d'abord;  il  se  produit  ensuite  une 
vaso-dilatation. 

Les  effets  du  froid  sur  les  vaisseaux  des  doigts  sont  bien  connus.  Les  artères  se  con- 
tractent et  les  doigts  prennent,  par  suite  de  la  stase  veineuse,  une  teinte  rouge  violacée. 
Si  l'action  du  froid  se  prolonge,  les  extrémités  deviennent  complètement  blanches  et 
exsangues. 

La  chaleur  produit  généralement  un  effet  inverse,  une  dilatation  vasculaire.  Il  ne  faut 
pas  oublier,  dans  l'interprétation  des  faits  que  l'on  observe  sous  l'influence  de  ces 
excitants,  que  les  artères  sont  sous  la  dépendance  du  système  nerveux  ;  et  il  est  ne'ces- 
saire  de  faire  la  part  des  réactions  vaso-motrices. 

Le  fait  que  les  artères  se  contractent  sous  l'influence  du  froid  trouve  son  utilisation 
en  médecine  dans  l'emploi  de  la  glace  pour  arrêter  les  hémorrhagies. 

Les  excitants  chimiques  ont  été  appliqués  par  un  grand  nombre  d'auteurs  à  l'étude 
de  la  contractilité  artérielle,  mais  leurs  résultats  sont  assez  différents.  Suivant  Yl'lpian, 
toutes  les  substances  irritantes,  telles  que  les  acides,  les  alcalis,  l'essence  de  moutarde, 
la  cantharidine,  produiraient  la  contraction  des  artères;  puis  secondairement  leur 
dilatation. 

Ainsi  donc  non  seulement  l'histologie,  qui  caractérise  dans  les  parois  artérielles 
l'élément  contractile,  mais  encore  la  physiologie,  qui  avec  Hunter  montre  des  faits 
inexplicables  par  l'élasticité  seule,  et  qui,  avec  de  nombreux  expérimentateurs,  nous  fait 
assister  aux  modifications  des  artères  produites  par  les  divers  excitants,  prouvent  de  la 
manière  la  plus  nette  l'existence  de  la  contractilité  artérielle. 

Régie  par  le  système  nerveux,  cette  propriété  s'exerce  par  les  nerfs  spéciaux  qui  se 
rendent  aux  vaisseaux.  L'influx  nerveux  doit  prendre  place  en  première  ligne  à  côté 
des  excitants  que  nous  venons  d'énumérer,  et  la  découverte  par  Claude  Ber.nard  dé 
filets  qui  commandent  les  mouvements  actifs  des  artères  a  donné  la  preuve  la  plus 
décisive  de  leur  existence. 

Qu'on  la  produise  d'une  manière  quelconque,  la  contraction  des  artères  s'effectue 
avec  des  caractères  qui  la  rapprochent  de  celle  des  muscles  de  la  vie  organique.  Le 
temps  perdu,  c'est-à-dire  le  temps  qui  s'écoule  entre  l'excitation  et  le  début  de  la  réac- 
tion, est  toujours  considérable.  La  contraction  s'établit  lentement  et  augmente  d'une 
manière  progressive.  On  peut  la  produire  après  la  mort  pendant  un  temps  variant  de 
quelques  minutes  à  deux  ou  trois  heures.  La  persistance  de  la  contractilité  dépend  des 
artères  et  de  l'état  de  l'animal.  Elle  est  généralement  moins  forte  chez  les  individus 
affaiblis. 

Le  principal  rôle  de  la  contractilité  artérielle  est  de  permettre  l'existence  des  circu- 
lations locales  et  aussi  de  régler  l'afflux  sanguin  qui  se  rend  à  un  organe  déterminé  en 
suivant  les  variations  de  son  activité.  Pendant  le  repos  les  artères  sont  contractées, 
la  quantité  de  sang  est  peu  considérable;  pendant  le  fonctionnement  les  artères  se 
dilatent  de  manière  à  donner  un  débit  sanguin  plus  grand.  Parallèlement  à  ces  modi- 
fications vasculaires  se  passent  des  changements  de  volume  de  l'organe  entier.  Ces 
derniers,  aisément  constatables,  sont  souvent  employés  pour  déceler  les  variations  des 
parois  des  artères. 

Les  artères  sont,  pendant  la  vie,  dans  un  état  continu  de  demi-contraction,  auquel 
on  donne  le  nom  de  tonicité.  Cette  tonicité  est  commandée  par  ie  système  nerveux,  et 
peut-être  en  particulier  par  de  petits  ganglions  qui  seraient  disséminés  dans  les  parois 
des  vaisseaux  et  qui  leur  donneraient  une  autonomie  propre.  Le  tonus  vasculaire  ne 
garde  pas  toujours  une  valeur  rigoureusement  identique,  mais  oscille  autour  d'une 
moyenne.  Ce  fait  se  traduit  parfois,  sur  des  courbes  de  pression  sanguine,  par  des  ondu- 
lations régulières,  assez  lentes,  ne  dépendant  ni  du  conir  ni  de  la  respiration,  et  connues 
sous  le  nom  de  courbes  de  Tralbe. 

Les  mouvements  rythmiques  peuvent  être  observés  par  transparence  sur  l'artère 
médiane  dé  l'oreille  du  lapin  ;  ce  qui  lui  a  valu  de  Schiff  '  le  nom  de  cœur  accessoire.  Ces 

f .  ScniFF.  Sur  un  cœur  artériel  accessoire  dans  les  lapins  (C.  R..  18.34,  t.  lxxxix,  pjj.  30S  et  ss.). 


ARTÈRES.  721 

mouvements,  que  plusieurs  observateurs  ont  signalés  dans  un  grand  nombre  de  vaisseaux, 
seront  étudiés  à  l'article  Vaso-moteurs. 

Aussitôt  après  la  mort,  les  artères  se  contractent,  par  un  mécanisme  que  nous  ne 
pouvons  pas  envisager  ici.  Il  en  résulte  qu'elles  chassent  le  sang  qu'elles  contiennent  à 
travers  les  capillaires  dans  les  veines  qui  se  laissent  distendre  passivement.  Aussi  trouve- 
t-on  généralement,  aux  autopsies,  les  artères  vides.  Elles  ont  alors  une  forme  rubanée. 
Ce  fait  semble  dû  à  la  pression  atmosphérique  qui  aplatit  ces  vaisseaux  comme  elle 
aplatit  un  tube  de  caoutchouc  dans  lequel  on  fait  le  vide.  Vient-on  à  inciser  une  artère 
de  manière  à  permettre  à  l'air  d'y  pénétrer,  elle  reprend  aussitôt  la  forme  cylindrique. 
A  ce  moment  les  propriétés  des  fibres  musculaires  ont  disparu;  aussi  peut-on  penser 
que  la  forme  cylindrique  n'est  pas  la  forme  naturelle  des  artères.  Mais  il  est  difficile 
d'admettre  avec  Oger'  que  cette  forme  naturelle  soit  celle  d'un  ruban  aplati  par  suite 
d'un  compromis  entre  l'élasticité  et  la  contractilité.  Si  l'élasticité  tend  à  donner  à  l'ar- 
tère une  lumière  cylindrique  large,  et  la  contractilité  une  lumière  cylindrique  très 
réduite,  la  résultante  ne  peut  être  qu'une  lumière  de  calibre  intermédiaire,  mais  tou- 
jours cylindrique.  Il  n'en  est  autrement  que  si  les  parois  ne  sont  pas  homogènes. 

Pendant  la  vie,  les  artères,  distendues  par  le  sang  qu'elles  renferment,  ont  une  forme 
plus  ou  moins  cylindrique. 

Bruits  artériels.  —  L'auscultation  permet  de  percevoir  dans  les  artères  des  bruits 
variés.  Les  uns  ne  sont  que  la  propagation  des  bruits  du  cœur.  D'autres  bruits  de  choc 
ou  de  souffle  prennent  naissance  dans  les  vaisseaux  eu.x-mêraes.  Ils  peuvent  se  produire 
spontanément  ou  être  dûs  à  une  compression  extérieure. 

Les  bruits  spontanés  s'établissent  surtout  lorsqu'il  y  a  de  brusques  variations  de  la 
tension  artérielle,  et  particulièrement  aux  endroits  où  les  artères  présentent  des  cour- 
bures ou  des  sinuosités. 

Les  bruits  développés  se  perçoivent  aisément  quand  en  auscultant  une  artère  on  la 
comprime  à  l'aide  du  stéthoscope. 

Les  anciens  auteurs  pensaient  que  les  bruits  de  souffle  étaient  dûs  au  frottement  du 
sang  contre  la  paroi  des  vaisseaux.  Or  on  sait  aujourd'hui  que  le  sang  est  séparé  de  cette 
paroi  par  une  couche  liquide  immobile.  D'ailleurs  Chauveau-  a  montré  directement  que 
la  présence  de  rugosités  à  l'intéiieur  d'un  tube  ne  suffit  pas  à  y  faire  naître  un  bruit. 

Pour  lui  les  bruits  artéiiels  seraient  dûs  à  la  vibration  de  la  colonne  sanguine  passant 
brusquement  d'un  point  comprimé  dans  un  espace  dilaté.  Le  jet  de  sang  passe  avec  force 
et  pression  à  travers  l'orifice  rétréci,  et  détermine  des  tourbillons  du  courant  sanguin. 
La  compression  localisée  augmente  leur  intensité.  Marey  ''pense  qu'il  s'agit  de  vibrations 
périodiques  sonores. 

La  compression  détermine  une  augmentation  de  la  tension  sanguine  en  deçà  du 
point  comprimé,  une  diminution  au  delà.  Quand  la  pression  est  suffisante  dans  le  bout 
central,  le  sang  pénètre  dans  le  bout  périphérique  ;  la  pression  y  augmente,  tandis  qu'elle 
diminue  dans  l'autre.  Mais,  l'introduction  du  sang  se  faisant  avec  trop  de  force  dans  le 
bout  périphérique,  le  liquide  rellue  versle  boutcentral.  Les  phénomènes  se  répètent  pério- 
diquement dans  le  même  ordre,  et  une  vibration  prend  naissance. 

Cette  vibration  est  perceptible  non  seulement  à  l'oreille,  mais  encore  au  toucher  qui 
ressent  une  sensation  particulière,  à  laquelle  on  donne  le  nom  de  thrill. 

Les  bruits  de  souffle  s'établissent  d'autant  plus  facilement  que  les  variations  de  ten- 
sion qui  leur  donnent  naissance  trouvent  des  conditions  plus  favorables  à  leur  dévelop- 
pement. Pour  que  la  tension  baisse  rapidement  dans  le  bout  périphérique,  il  faut  que 
les  capillaires  soient  facilement  perméables.  L'importance  de  cette  condition  peut  se  véri- 
fier à  l'aide  du  schéma  de  la  circulation  de  Marey.  Les  bruits  que  l'on  perçoit  en  compri- 
mant le  tube  artériel  sont  d'autant  plus  développés  que  l'ajutage  représentant  les  capil- 
laires est  moins  rétréci. 

1 .  Oger.  Considérations  sur  la  forme  naturelle  et  la  forme  apparente  de  quelques  organes,  et 
en  particulier  sur  la  forme  apparente  des  artères  (Thèse  de  Strasbourg,  1870). 

2.  Chauveau.  Mécanisme  et  ttiéorie  générale  des  murmures  vosculaires  [C.  R.,  ISoS,  t.  xlvi, 
pp.  839  et  933).  Gazelle  médicale,  1857. 

3.  Marey.  Du  pouls  et  des  bruits  vasculaires  [Journal  de  la  physiologie,  1839  et  t.  ii,  pp.  259- 
280,  et  420-447)  et  la  circulation  du  sang,  p.  648  et  siiiv. 

DIOT.    DE    PHYSIOLOGIE.    TOME   1.  46 


722  ASCITE. 

Les  maladies,  qui  déterminent  un  abaissement  de  la  pression  sanguine,  en  facilitant 
l'écoulement  par  les  capillaires,  seront  favorables  à  l'apparition  des  bruits  de  souffle. 

Les  explications  précédentes  sont  applicables  aux  bruits  que  l'on  perçoit  dans  certains 
cas  particuliers,  comme  au  niveau  de  l'utérus  pendant  la  grossesse;  ou  à  l'état  patholo- 
gique, comme  lorsqu'il  existe  des  tumeurs  anévrysmales. 

Sensibilité  des  artères.  —  L'excitation  des  artères  est  généralement  insensible. 
Cependant,  d'après  Colin',  la  ligature  des  artères  des  principaux  organes  abdominaux, 
de  la  rate  particulièrement,  provoquerait  des  excitations  vives  et  douloureuses. 

Heger-  a  signalé  que,  lorsqu'on  injecte  une  solution  irritante  dans  les  artères  d'un 
membre  presque  complètement  sectionné,  n'étant  plus  en  relation  avec  le  corps  que  par 
son  nerf,  on  observe  des  troubles  circulatoires  réflexes.  Mais  il  faudrait  pour  les  pro- 
duire que  l'injection  pénétrât  jusqu'aux  capillaires. 

Mentionnons  aussi  ce  fait  que,  comme  pour  les  autres  vaisseaux,  l'endotliélium  arté- 
riel semble  avoir  sur  le  sang  une  action  anticoagulante  (Voir  Coagulation). 

Bibliographie.  —  Voir  les  articles  Circulation,  Pouls,  Vaso-moteurs. 

M.    LAMBERT. 

ASCITE  (de  amoi,  outre).  —  Définition.  Synonymie.  —  On  donne  le  nom 
dïasrÀie,  ou  d'hydropisie  ascitc,  ou  A'hijdvopèritonie  à  un  phénomène  morbide  consistant 
en  un  épanchement  de  sérosité  contenue^librement  dans  la  cavité  même  du  sac  péritonéal. 

Division  du  sujet.  —  L'ascite  est  un  symptôme;  c'est  une  variété  de  l'hydropisie; 
elle  peut  se  rencontrer  au  cours  de  toutes  les  maladies  qui  font  l'infiltration  séreuse. 
Il  en  résulte  que  le  ^énomène,  en  tant  qu'hydropisie,  est  dominé  d'abord  par  un 
ensemble  de  conditions  physiologiques  générales;  et  qu'ensuite  sa  localisation,  particulière 
au  péritoine,  le  soumet  à  des  conditions  spéciales. 

1.  Causes  générales.  —  Nous  ne  pouvons  insister  sur  les  causes  générales;  leur  étude 
se  place  d'elle-même  à  l'article  Hydropisie.  Elles  comprennent  : 

Les  altérations  humorales  qui  favorisent  la  transsudation  séreuse; 

Les  altérations  vasculaires  qui  l'activent;  et  les  modifications  de  l'hydraulique  cen- 
trale (asystolie)  qui  peuvent  la  préparer  en  faisant  la  stase  veineuse. 

Nous  devrons  toujours  avoir  en  vue  ces  éléments  primordiaux  et  les  invoquer  encore, 
alors  même  que  prédominent  les  causes  locales. 

IL  Causes  locales.  —  Pour  bien  apprécier  la  valeur  pathogénique  de  celles-ci,  il 
faut  envisager  tout  le  système  abdominal,  viscéral  et  séreux,  pariétal  aussi,  comme 
formant  une  grande  unité  physiologique,  avec  vascularisation  sanguine  et  lymphatique, 
et  avec  innervation  connexes;  mais  on  voit  alors  à  quel  point  cette  complexité  anato- 
mique  peut  rendre  toute  physiologie  expérimentale  impraticable  et  illusoire  dans  ses 
résultats.  11  y  a  plus  :  comme,  à  l'état  normal  et  pendant  la  vie,  il  n'y  a  pas  de  liquide 
péritonéal,  comme,  par  conséquent,  la  comparaison  est  impossible  entre  l'état  patho- 
logique (ascite)  et  l'état  physiologique,  le  premier  n'étant  pas  une  exagération  du 
second,  mais  bien  quelque  chose  de  spécial,  nous  n'avons  pas  à  nous  étendre  ici  sur  la 
physiologie  de  la  séreuse  et  à  nous  attacher  à  l'analyse  des  phénomènes  d'une  soi- 
disant  sécrétion  classée  par  certains  auteurs  au  nombre  des  sécrétions  dites  récrémenti- 
tielles  K 

1.  Colin.  Sur  la  sensibilité  des  artères  viscérales  (C.  R.,  18G2,  t.  lv,  p.  403). 

2.  Beger.  Einige  Versuche  ûber  die  Empfindlickheit  der  Gefiisse  [Beitruge  ztir  Physiologie  zu 
C.  Ludwg's  70  Geburtstage,  pp.  196-199). 

3.  Aussi  n'avons-DOus  pas  voulu  insister  ici  sur  des  exposos  d'analyses  dont  on  retrouvera  le 
détail'aux  articles  Sécrétions,  Séreuses.  Les  travaux  de  Gorup-Besanez,  de  Ch.  Robin,  de  Méhu, 
ont  donné  des  résultats  extrêmement  variables;  et  leurs  reclierclies  s'appliquent  à  des  liquides 
pathologiques  différents  ou  à  des  liquides  extraits  de  cadavres.  Les  chiffres  ijeuvent  varier,  pour 
tOOO  grammes  de  sérosité  péritonéale,  entre  les  limites  suivantes  : 

Eau 970  à  980  grammes. 

Albumine 10  à    30        — 

Fibrine 0,.5  à     1  — 

Mat.  oxtract 10  à    15        — 

Sels 4à      8        — 


ASCITE.  72.5 

Il  y  a  longtemps  que  Bichat  a  démonlré  qu'il  u'.y  avait  normalement,  ni  liquide,  ni 
«  vapeur  »  péritonéale  ou  pleurétique,  comme  on  disait  autrefois;  et  s'il  y  a  un  liquide 
ascitique,  c'est  un  liquide  tout  pathologique  qui  ne  saurait  être  le  résultat  d'un  accrois- 
sement d'une  sécrétion  normale  qui  n'existe  pas. 

Ce  liquide  d'ascite  provient  d'une  exhalation  morbide;  et,  ce  qu'il  convient  de  cher- 
cher, ce  sont  les  causes  déterminantes  immédiates  de  l'épanchement  insolite. 

Ces  causes  plus  ou  moins  directes  peuvent  être  ramenées  : 

a.  Soit  à  une  exagération  de  la  circulation  artérielle,  sous  l'influence  de  pertur- 
bations vaso-motrices,  d'où  apport  sanguin  exagéré,  d'où  congestion; 

6.  Soit  à  un  raientisssement  de  la  circulation  en  retour,  lymphatique  ou  veineuse; 

c.  Enfln,  parliellement,  ou  dans  l'ensemble,  le  péritoine  peut  être  lésé,  et  ['inflam- 
mation, toute  inconnue  qu'elle  soit  dans  son  essence,  joue  alors  dans  la  production  de 
l'ascite  un  rôle  prépondérant. 

Nous  devons  examiner  successivement,  avec  le  contrôle  de  l'expérimentation,  chaque 
fois  qu'il  sera  possible,  la  valeur  pathogénique  de  ces  divers  éléments  : 

(t.  Désordres  vaso-moteurs.  —  Le  système  nerveux,  bien  étudié  dans  ses  rapports 
avec  les  fonctions  sécrétoires  des  glandes,  est  reconnu  aussi,  inais  sans  preuves  précises, 
comme  un  intermédiaire  très  probable  dans  la  pathogénie  de  certains  œdèmes,  comme 
aussi,  peut-être,  de  certaines  hydropisies  séreuses  :  on  admet  alors  l'existence  d'une 
paralysie  vaso-motrice,  sous  l'inlluence  de  certains  agents  physiques  (le  froid  en  parti- 
culier) ou  chimiques  (tçxines  alimentaires,  médicamenteuses  ou  microbiennes).  Mais  de 
ce  que  ces  causes  diverses  peuvent  produire  des  congestions  et  des  œdèmes  circon- 
scrits, ou  plus  ou  moins  diffus  à  la  surface  du  corps,  peut-on  conclure  à  des  modifica- 
tions de  la  séreuse  péritonéale  comparables  à  celles  du  revêtement  cutané  ou  des 
muqueuses?  Rien  n'autorise  la  supposition.  Il  existe  toutefois  des  faits  d'expériences, 
sinon  d'expérimentation,  qui  permettent  d'attribuer  à  la  vaso-dilatation  neuro-paralytique 
un  rôle  non  douteux  ;  ce  sont  certains  faits  fréquents  en  pathologie  vétérinaire  :  des 
chiens  s'étant  plongés  dans  l'eau,  au  milieu  d'une  course  active,  ont  pu  présenter  des 
accidents  d'ascite  bien  accusés;  de  même  Reynal  a  signalé  des  quasi-épidémies  d'ascite 
frappant  des  colonies  de  lapins  enfermés  dans  des  endroits  humides.  Chez  l'homme, 
l'ascite  a  friyore,  après  action  périphérique  du  froid,  ou  après  ingestion  de  liquide 
glacé,  est  admise  par  certains  auteurs.  Mais  ces  faits,  qui  surviennent  spontanément, 
n'ont  pu  être  reproduits  par  l'expérimentation  et  ces  épanchements  séreux,  transitoires, 
ne  rappellent  qu'infidèlement  les  ascites  ordinaires,  plus  durables. 

b.  Gêne  de  la  circulation  en  retour.  —  Le  système  lymphatique  joue  certainement  un 
rôle  dans  la  production  de  l'ascite;  libre,  il  favorise  le  dégorgement  séreux;  obstrué, 
il  le  gêne;  mais,  même  dans  les  thromboses  complètes,  d'ailleurs  bien  rares,  du  canal 
thoracique  ou  dans  les  compressions,  énergiques  intra-médiastines,  la  lymphe  peut 
toujours  se  frayer  une  voie  de  retour. 

II  n'en  est  plus  de  même  quand  il  y  a  stase  veineuse.  —  Celle-ci  a  sur  les  hydropisies 
en  général  une  influence  prédominante  (surcharge  du  système  capillaire,  augmentation 
de  tension,  d'où  transsudation  séreuse  favorisée  souvent  par  l'altération  concomitante 
des  vaisseaux  et  par  les  modiflcations  du  sang).  Aussi,  les  connexions  intimes  des 
vaisseaux  porte  et  cave,  par  anastomoses,  l'étendue  de  leurs  ramifications  dans  le 
péritoine  et  au  voisinage  de  celui-ci,  désignent-elles  suffisamment  ces  deux  systèmes 
veineux  comme  devant  dominer  la  pathogénie  des  ascites. 

L'expérimentation  confirme  pleinement  ces  prévisions.  Déjà,  au  siècle  dernier, 
Van  Swietex  citait  une  expérience  de  Lov.er,  lequel  avait  pratiqué  chez  le  chien  une  liga- 
ture de  la  veine  cave  inférieure,  près  de  son  embouchure,  et  avait  ainsi  déterminé 
Vascite  expérimentale.  Mais,  pour  si  évidente  qu'elle  fût,  cette  explication  n'a  ou  cours 
que  longtemps  après,  et  n'a  été  bien  établie  que  par  les  grands  cliniciens  de  ce  siècle 
(Andral,  Chuveilhier,  Frerichs);  les  travaux  de  Virchow  sur  la  thrombose  lui  ont  encore 
donné  pleine  confirmation.  Aujourd'hui  il  est  bien  définitivement  reconnu  que  toute 
oblitération  du  tronc  cave  ou  du  tronc  porte,  ou  des  branches  spléniques  ou  hépatiques 
de  ce  dernier,  produit  l'ascite;  et  celle-ci  sera  d'autatd  plus  rapide,  d'autant  plus  intense, 
et  d'autant  plus  piersistante  cpt'une  circulation  collatérale  de  dérivation  aura  plus  de  peine  à 
s'établir;  ce  qui  est  très  fréquent  au  cours  des  affections  où  se  rencontre  l'ascite. 


724  ASCITE. 

c.  L'inflammation.  —  Telles  sont  les  conditions  générales  de  pathogénie  d'une  ascite; 
nous  les  voyons  réalisées  dans  les  cas  les  plus  simples,  en  apparence,  où  les  obstacles 
mécaniques  prédominent  (cas  de  compression  par  jles  tumeurs  du  médiastin);  elles  se 
rencontrent  également  dans  les  affections  du  cœur  qui  conduisent  à  l'asystolie,  c'est- 
à-dire  à  la  stase  veineuse  généralisée;  l'explication  pathogénique  est  encore  la  même 
pour  les  compressions  vasculaires  inlra-abdomiuales,  pour  les  thromboses  oblitérant  la 
veine  cave  inférieure,  ou,  plus  fréquemment,  le  tronc  de  la  veine  porte  (pyléphlébite)  ; 
la  même  aussi  pour  les  scléroses  diverses  de  la  rate,  ou  surtout  du  foie,  enserrant  les 
radicules  porte  (cirrhose  atrophique,  sclérose  syphilitique,  tuberculose,  etc.).  Mais  on 
se  tromperait  grandement  en  s'en  tenant  en  physiologie  humaine  à  cette  explication 
univoque;  d'autres  éléments  interviennent,  et,  en  dehors  des  altérations  de  dégénéres- 
cence des  vaisseaux  que  nous  avons  signalées,  en  dehors  des  modifications  dyscrasiques 
du  sang,  il  reste,  pour  augmenter  encore  l'incertitude,  à  faire  la  part  de  l'élrmcnt  in- 
flammatoire. 

Rien  n'est  plus  difficile  d'abord,  en  pathologie,  cjue  d'établir  la  part  respective  de  l'in- 
flammation dans  des  proce.s'.sîi.s  complexes,  où  elle  se  rencontre  à  des  degrés  fort  varia- 
bles; d'un  autre  côté,  rien  n'est  plus  mal  déterminé  que  la  réaction  de  la  séreuse  au 
contact  des  agents  irritants. 

A  cet  égard  l'expérimentation  'ne  donne  que  des  résultats  décevants.  Elle  comprend 
deux  ordres  de  faits  : 

1°  Introduit-on  dans  le  péritoine  des  corps  irritants  non  septiques  :  suivant  leur 
énergie  on  verra  se  produire  au  milieu  de  phénomènes  nerveux  d'intensité  variable 
une  réaction  inflammatoire  pouvant  donner  lieu  à  des  adhérences  avec  un  peu  de  séro- 
sité collectée;  mais  ce  n'est  pas  là  de  l'ascite.  D'ailleurs  les  voies  de  résorption,  bien 
perméables,  sont  si  actives  que,  si  c'est  un  liquide  qui  a  été  injecté,  on  le  voit  souvent 
se  résorber  fort  vite; 

2°  D'autre  part,  si  les  instruments  employés,  si  les  produits  inoculés  ou  injectés  sont 
septiques,  des  désordres  intenses  surviennent  :  mais,  si  marqués  qu'ils  puissent  être- 
(suppuration  rapide,  locale  ou  diffuse),  ils  ne  font  pas  l'ascite;  tout  au  plus  produisent- 
ils  un  peu  de  suintement  séreux. 

De  ces  deux  ordres  de  considérations  s'appuyant  sur  l'expérimentation,  il  ressort 
cette  conclusion  négative  que  l'irritation  péritonéale  aigué  ne  suffit  pas  à  faire  l'épan- 
chement  intra-séreux. 

Mais  ce  que  ne  fait  pas  un  processus  brusque,  une  marche  subaiguë  ou  chronique 
des  accidents  le  réalise  presque  à  coup  sur,  et  on  sait  qu'il  n'est  guère  de  péritonite 
chronique  qui  ne  s'accompagne  d'ascite  (cancer,  tuberculose,  tumeurs  kystiques  ou 
tumeurs  diverses;  inflammations  parenchymateuses  sous-jacentes,  etc.). 

Dans  ce  cas  l'explication  de  l'hydropisie  est  fort  difficile  à  fournir  :  pour  les  tumeurs, 
on  peut  penser  encore  aux  phénomènes  de  compression;  mais,  si  l'intlamniation  ne  se 
traduit  que  par  des  plaques  disséminées,  superficielles,  ou  périviscérales,  on  se  voit 
obligé  de  recourir  au  terme  vague  d'irritation,  sans  pouvoir  rien  préciser. 

Pour  nous,  il  est  un  élément  de  toute  importance  à  invoquer  alors;  c'est  la  gêne 
certaine  et  parfois  extrême  de  la  circulation  collatérale,  ainsi  que  nous  le  signalions. 
Chez  un  sujet  sain  et  chez-  les  animaux  en  expérience,  en  particulier,  les  suppléances 
veineuses  s'établissent  presque  d'emblée  :  aussi  l'ascite  est-elle  toujours  alors  transitoire; 
résorbée  grâce  aux  nouveaux  vaisseaux  supplémentaires. 

Au  contraire,  quand  il  y  a  inflammation  chronique,  celle-ci,  dans  son  travail  de 
scléi'ose,  enserre  non  seulement  les  voies  ordinaires  de  circulation,  mais  aussi  les 
l'adicules  des  canaux  de  dérivation;  il  y  a  apport  continuel,  sans  décharge  possible, 
d'où  l'accroissement  et  la  persistance  des  phénomènes  asciliques. 

Ceci  n'est  pas  une  hypothèse  gratuite;  la  clinique  nous  montre  la  réalité  du  fait 
dans  la  circulation  collatérale  cutanée  qui  accompagne  l'asoile,  et  dont  on  peut  parfois, 
au  cours  de  certaines  autopsies,  juger  toute  l'importance  :  certains  sujets  nieurent  sans 
ascite,  avec  un  foie  atrophié  de  cirrhose,  et  l'on  trouve  des  vaisseaux  sous-cutanés  qui, 
de  l'état  de  simples  veinules,  sont  passés  à  celui  de  canaux  veineux  considérables  et 
dilatés  en  permanence.  Ces  vaisseaux,  pendant  l'existence,  ont  joué  le  rôle  de  canaux 
de  dèrivalion,  empêchant  ou  modérant  l'épanchement;  par  contre,  s'ils  manquent  ou 


ASEPSIE    —    ASPARACINE.  7'io 

s'ils  viennenl  à  s'oblitérer,  les  accidents  d'ascite  se  produisent  au  maximum.  On  voit 
par  là  que,  si  nous  ne  savons  pas  comment  se  fait  l'épanchement,  nous  savons  du  moins 
pourquoi  W  persiste. 

Les  conside'rations  exclusivement  générales  que  nous  avons  développées  sur  l'ascite 
s'appliquent  surtout  à  la  collection  de  sérosité;  mais  l'épanchement  intra-péritonéal 
peut  se  présenter,  comme  on  sait,  sous  des  aspects  multiples  qui  tiennent  à  des  modifi- 
cations liistologiques  du  liquide  :  nous  avons  déjà  parlé  des  cas  d'ascite  p«n(?euie;  la- 
quelle est  fonction  de  diverses  infections  microbiennes.  Nous  n'avons  pas  à  nous  étendre 
sur  les  autres  variétés  qui  ne  répondent  |ias  à  des  conditions  physiologiques  suffisammenl 
bien  déterminées,  et  qui,  d'ailleurs,  s'expliquent  à  peu  |)rès  d'elles-mêmes  par  les  qua- 
lificatifs qu'on  leur  a  accordés.  —  De  ce  nombre  sont  les  A.  hémaliques,  à  teinte  rosée, 
ou  rouge,  plus  ou  moins  foncée,  accompagnant  habituellement  des  néoplasmes  cancé- 
reu.K;  les  A.  bilieuses,  qui,  si  elles  ont  la  coloration  de  la  bile,  n'en  ont  nullement  la  com- 
position chimique;  les  A.  gélatineuses  qui  annoncent  souvent  la  présence  de  tumeurs 
colloïdes  de  l'intestin  sous-jacentes;  enfin  nous  devons  signaler  surtout  les  A.  cliyleuscs 
ou  chyliformes  qui  ont  beaucoup  occupé  les  auteurs.  La  dénomination  appliquée  à -ces 
épanchements  pourrait  faire  supposer  que  les  troubles  de  la  circulatioji  lymphatique 
jouent  un  rôle  important  dans  leur  production;  il  n'en  est  rien.  Ces  ascites,  comme  l'a 
bien  indiqué  Letulle,  répondent  à  des  modifications  inflammatoires  chroniques  du 
péritoine,  le  plus  souvent  d'origine  tuberculeuse. 

Pour  être  complet,  nous  signalerons  encore  deux  variétés  de  l'ascite  :  l'ascite  de  lu 
grossesse  et  Vascite  congénitale.  Cette  dernière  s'accompagne  d'ordinaire  de  malforma- 
tions diverses  du  fœtus,  telles  que  l'imperforation  de  l'anus  et  de  l'urèthre  ou  de  maladie 
des  enveloppes,  plus  particulièrement  d'hydramnios.  Ces  faits,  signalés,  pour  mention, 
n'éclairent  en  rien  la  pathogénie  de  l'ascite  en  général. 

En  résumé,  si  l'on  s'en  tient  aux  seules  données  certaines  d'expérimentation,  l'ascite 
paraît  dépendre  d'un  obstacle  survenu  dans  la  circulation  veineuse  supérieure  de  l'ab- 
domen (système  cave,  système  porte),  puisqu'une  ligature  la  produit. 

L'expérience  clinique  confirme  cette  donnée  expérimentale  pour  bon  nombre  d'afl'ec- 
tions  où  la  circulation  cave  supérieure,  ou  bien  la  circulation  porte  sont  intéressées  par 
des  compressions  totales  ou  partielles.  Mais  déjà  beaucoup  de  ces  cas  cliniques,  et 
certains  autres  spécialement,  mettent  en  jeu  un  tout  autre  élément  patliogénique,  non 
soumis  encore  convenablement  à  nos  conditions  expérimentales  :  Vinflammation  de  la 
séreuse,  et  tout  particulièrement  son  inflammation  chronique. 

Ce  qui,  dans  tous  ces  cas,  distingue  nettement  le  phénomène  clinique  du  fait  expé- 
rimental, c'est  que,  tandis  que  ce  dernier  est  transitoire,  le  premier  est  durable;  el, 
pour  expliquer  cette  particularité,  il  faut  faire  intervenir  chez  le  malade  des  éléments 
de  toute  importance,  et  qu'on  ne  peut  apprécier  par  l'expérimentation,  ce  sont  des  alté- 
rations humorales  et  vasculaires  qui,  dans  certains  cas,  prennent  toute  la  part  dans  la 
production  des  accidents. 

Bibliographie.  —  Cii.  Robin.  Traité  des  humeurs.  —  Besnier.  Arlicle  «  Ascite  »  du 
Dict.  Dechambre.  —  Rendl'.  Article  «  Foie  «  du  Dict.  Dèciiambre. 

ASEPSIE.  -Voyez  Antisepsie. 

ASPARAGINE  (C-H^Az^O^).  —  Découverte  par  Yauquelin  et  Rodiquet  en  fSOo, 
analysée  par  Liebig,  l'asparagine  se  trouve  en  grande  quantité  dans  les  jeunes  pousses 
d'aperges,  daus  les  tiges  étiolées  des  vesces,  des  pois  et  dans  beaucoup  d'autres  tissus 
végétaux  en  voie  de  croissance.  On  ne  l'a  jamais  trouvée  dans  les  tissus  animaux. 

Chimie.  — Préparation.  —  Le  suc  des  asperges  ou  des  tiges  de  vesces  est  coagulé  par 
l'ébullition,  filtré  et  évaporé  à  un  petit  volume.  L'asparagine  ne  tarde  pas  à  cristalliser. 
10  kilogr.  de  vesces  ont  fourni  à  Piria  laO  grammes  d'asparagine.  Si  l'on  veut  rechercher 
l'asparagine  dans  des  liquides  contenant  une  grande  quantité  de  substances  étrangères, 
on  pourra  précipiter  l'asparagine  par  le  nitrate  de  mercure  (qui  précipite  également  la 
glutamine,  l'allantoïne,  l'hypoxanthine  et  la  guanine),  puis  décomposer  le  précipité  blanc 
par  l'hydrogène  sulfuré,  ce  qui  remet  l'asparagine  en  liberté.  On  peut  également  élimi- 
ner au  préalable  une  partie  des  impuretés  par  un  traileinent  par  l'acétate  de  plomb 


726  ASPARACINE. 

E.  ScHULZii.  Ber.  d.  d.  chem.  Ges.,  1882,  t.  xv,  p.  2833  et  Zeil.  f.  phijsiol.  Chemic,  188o,  t.  ix, 
p.  420). 

L'asparafjine  peut  être  obtenue  synthétiquement  (Voir  plus  loin). 

Propriétés  physiques  et  chimiques.  —  Cristaux  volumineux  du  système  ortho- 
rhoinbique,  durs,  cassants,  inaltérables  à  l'air,  transparents,  devenant  blancs  et  opaques 
à  100°,  en  perdant  une  molécule  d'eau  de  cristallisation  {12<'/o  d'eau),  inodores,  presque 
insipides.  L'asparagine  est  très  peu  soluble  dans  l'eau  froide,  plus  soluble  dans  l'eau 
bouillante  :  d'après  Gdareschi,  1  partie  d'asparagine  se  dissout  dans  eau  : 

à  0°  lO'o  28°  40°  .50°  78°  100° 

103  p.  33,9.  28,3  17,3  11,1  3,6  1,89 

elle  est  soluble  dans  les  acides  et  les  alcalis,  insoluble  dans  l'alcool  absolu,  l'éther,  les 
huiles  grasses  et  essentielles.  La  solution  rougit  légèrement  le  papier  de  tournesol  et 
est  faiblement  lévogyre,  a  TD]  ^  —  3"41  (en  solution  ammoniacale).  Les  acides  rendent 
la  substance  dextrogyre.  Chaleur  de  combustion  pour  1  gramme  =  3,314  calories  (Stoh- 
mann). 

L'asparagine  ordianaire  ou  œ  asparagine  gauche  doit  être  considérée  comme  l'acide 
de  l'acide  aspartique  (ou  acide  amido-succiniquej  : 

COAzH^ 
I 
CH 

I 
CH=AzH 

I 
CO=H= 

En  effet,  elle  se  transforme  en  aspartate  d'ammonium  par  l'action  de  l'eau  surchauf- 
fée, eu  acide  aspartique  ou  aspartate  alcalin  par  l'ébuUition  en  présence  des  acides  ou 
des  alcalis.  De  plus,  on  peut  l'obtenir  synthétiquement  par  l'action  à  chaud  de  l'ammo- 
niaque concentrée  sur  l'acide  éthyl-aspartique  inactif. 

L'asparagine  forme  avec  les  acides  des  sels  analogues  aux  sels  ammoniacaux  :  chlor- 
hydrate, azotate,  oxalate  d'asparagine.  Elle  peut  également  jouer  le  rôle  d'acide  mono- 
basique et  laisser  remplacer  un  H  par  un  métal  M'  :  asparagine  potassique,  calci- 
que,  etc. 

Les  solutions  impures  d'asparagine  fermentent  facilement,  se  putréfient  et  se  trans- 
forment pour  une  notable  partie  en  succinate  d'ammoniaque.  10  grammes  d'asparagine 
fournirent  à  Hoppe-Seyler  38"', o  de  succinate  calcique,  et  les  eaux  mères  contenaient 
encore  de  l'asparagine  non  altérée  \Z.  f.  ph.  Chemie,  1878,  t.  ii,  p.  13).  Voir  aussi  Miquel 
{Bull.  Sor.  Chim.,  1870,  (2),  t.  xxsi,  p.  101). 

Isomères.  —  Outre  l'asparagine  ordinaire  ou  l'asparagine  gauche,  on  a  découvert 
également  dans  les  sucs  végétaux  une  asparagine  droite  a  D  ^  -<-  '6"  41,  à  saveur  sucrée, 
qui  paraît  être  l'amide  de  l'acide  aspartique  droit. 

Enfin  PiDTTi  a  préparé  synthétiquement  une  asparagine  [î  inactive. 

Recherche  de  l'asparagine  (Voir  plus  haut  Préparation).  Bohodine  (Bot.  Zeitung, 
1878,  n"»  31  et  32)  a  utilisé  comme  réaction  micro-chimique  la  formation  des  cristaux 
d'asparagine  qui  se  produit  par  addition  d'alcool  aux  tissus  végétaux  qui  contiennent  de 
l'asparagine. 

E.  [ScHULzE  et  BossHAXD  (Z.  P.  C,  IX,.  1883,  p.  425  et  Zeits.  f.  anal.  Chemie,  t.  xxu, 
p.  323,  1883  elLandw.  Versuchssf,  t.  xix,p.  399,  1883)  recommandent  la  détermination  de 
l'eau  de  cristallisation  comme  moyen  d'identifier  l'asparagine  (12%  eau  de  cristallisation 
qui  se  volatilise  à  100").  Les  cristaux  sont  transparents;  ils  atteignent  des  dimensions 
considérables,  ils  deviennent  blancs  et  opaques  à  100°,  ils  montrent  à  la  lumière  polarisée 
de  superbes  jeux  de  couleurs.  La  solution  d'asparagine,  sature'e  à  chaud  par  l'hydrate  cui- 
vrique,  devient  bleu  d'azur  :  par  le  refroidissement,  il  se  dépose  de  petits  cristaux  d'une 
combinaison  cuivrique  d'un  bleu  légèrement  violacé. 

L'asparagine,  chauffée  avec  une  solution  diluée  de  potasse  caustique,  donne  un  abon- 
dant dégagement  d'ammoniaque.  Chauffée  avec  de  l'acide  chlorhydrique  très  dilué,  elle 
fournit  un  sel  ammoniacal  dont  on  reconnaît  la  présence  par  l'addition  du  réactif  de 
Nessler  (après  refroidissement  préalable  du  liquide). 


ASPARAGINE.  727 

Pour  la  comparaison  des  réactions  de  l'asparagine  et  des  autres  acides  amidés  voir  : 
Fn.EoFiiEisrEV..  SitzunQsber.  Wien.,p.  7o,t.ii,  1877,  anal. in.  MALY'sJ«/ire.s6.,  p.  78,  t.  vu,  1877. 

Dosage.  —  On  chauffe  pendant  deux  heures  à  l'ébullition  le  liquide  qui  renferme  l'as- 
paragine avec  un  excès  d'acide  chlorhydrique  concentré  et  on  dose  l'ammoniaque  pro- 
duite, soit  au  moyen  de  la  magnésie,  soit  en  mesurant  le  volume  d'azote  qui  se  dégage 
au  contact  de  l'hypobromite  de  sodium  :  une  molécule  d'ammoniaque  correspond  à  une 
molécule  d'asparagine,  l'acide  aspartique  n'étant  pas  décomposé  dans  ces  conditions 
(Voir  Sachsse.  Jowni.  f.prakt.  Chem.,  (2),  t.  vi,  p.  118,  Bull.  Soc.  Chim.,  t.  xvni,  p.  530). 

Physiologie.  —  Rôle  de  l'asparagine  dans  la  formation,  la  désassimilaiion  et  le  trans- 
port de  l'allntmine  végétale.  -^  L'asparagine  semble  jouer  un  rôle  important  dans  la  syn- 
thèse des  albuminoïdes  qui  se  réalise  dans  le  protoplasme  végétal  au  moyen  des  maté- 
riaux inorganiques  puisés  dans  le  sol.  L'ammoniaque  (ou  l'acide  nitrique)  s'unirait  aux 
acides  organiques  pour  former  des  acides  amidés  :  l'acide  malique  formerait  ainsi  de 
l'asparagine  (acide  amido-aspartique),  qui  elle-même,  se  combinant  ultérieurement  aux 
sulfates  et  à  des  substances  non  azotées  (sucre  par  exemple),  formerait  la  molécule  com- 
pliquée des  substances  albuminoïdes. 

Si  l'asparagine  a  en  général  dans  le  règne  végétal  la  signification  de  matériel  servant 
à  la  construction  des  molécules  plus  compliquées,  elle  parait  dans  certains  cas,  au  con- 
traire, constituer  un  produit  de  la  désassimilation  des  matières  albuminoïdes.  Schdlze  et 
KissER  ont  montré  que  les  plantes  coupées,  dont  on  plonge  les  tiges  dans  l'eau,  et  que 
l'on  conserve  dans  l'obscurité,  l'appauvrissent  en  matériaux  albuminoïdes,  et  que  la 
disparition  de  l'albumine  s'accompagne  d'une  production  considérable  d'asparagine. 
E.  SciiULZE  et  E.  KissER  [Landw.  Versuchs.  stat.,  t.  xxxvi,  t).  On  la  considère  également 
comme  représentant  la  forme  soluble  sous  laquelle  l'albumine  peu  diffusible  est  liquéfiée 
dans  les  endroits  de  dépôt  (cotylédons  de  la  graine,  racines,  tubercules,  etc.)  pour  être 
transportée  au  loiii  dans  la  plante  et  y  servir  à  reconstituer  l'albumine  primitive.  (Voir 
Pfeffer,  Pflanzenphysiol. ;  Bo'Romj^E,  Bot.  Zeitung,  1878;  Mûller,  Landw.  Versuchsst., 
1886,  p.  326;  E.  Schulze;  Z.  P.  Ch.,  t.  xii,  p.  403,  et  1892,  t.  xvn,  p.  193;  Landwirth. 
Jahr.,  1880,  t.  vni,  p.  689;  1888,  t.  svii,  p.  683;  1891,  t.  xxi,  p.  103.) 

Transformation  de  l' asparagine  dans  l'organisme  animal.  —  Lehma.nn  avait  constaté 
que  l'asparagine  ingérée  ne  se  retrouve  pas  dans  les  urines.  Le   fait    fut   confirmé    par 

HlLGËR. 

HiLGER  (Liebig's  Amialen,  t.  171,  p.  208)  trouva  dans  ses  urines  de  l'acide  succinique 
et  un  excès  d'ammoniaque,  après  ingestion  d'une  grande  quantité  d'asperges.  Il  ne  put 
déterminer  la  substance  qui  donne  dans  ce  cas  à  l'urine  son  odeur  désagréable  bien  con- 
nue. Ce  n'est  pas  l'asparagine. 

RuDZKi  confirma  l'apparition  d'acide  succinique  dans  les  urines  après  ingestion  d'aspa- 
ragine {Pet.  med.  Woch.,  1876,  n»  29,  d'après  Malt,  t.  vr,  1876,  p.  37). 

Von  Longo  (Z.  P.  Ch.,  t.  i,  p,  212,  1877)  reprit  la  question  et  constata  surlui-même 
l'absence  d'acide  succinique  et  d'acide  aspartique  dans  les  urines  après  ingestion  d'un 
kilo  d'asperges,  après  celle  de  10  grammes,  puis  de  38  grammes  d'asparagine  ingérés 
en  36  heures. 

Von  Knieriem  [Z.  B.,  t.  x,  p.  263,  1871  et  t.  xui,  p.  36, 1877),  expérimentant  sur  un  petit 
chien  de  7  kilos  auquel  il  faisait  prendre  jusqu'à  19  grammes  d'asparagine  par  jour, 
avait  d'ailleurs  retrouvé  presque  tout  l'azote  de  l'asparagine  sous  forme  d'urée  dans  les 
urines.  Il  n'observa  ni  hématurie,  ni  action  diurétique  {contra  Reil). 

Chez  le  poulet,  tout  l'azote  de  l'asparagine  ingérée  (4s'', 61  et  4Kr,8  par  jour)  fut 
retrouvé  dans  les  urines,  sous  forme  d'acide  urique. 

Il  semble  donc  établi  que  la  plus  grande  partie,  sinon  la  totalité  de  l'asparagine 
ingérée  est  transformée  dans  l'organisme  en  urée  ou  acide  urique.  La  formation  d'acide 
succinique,  paraît  douteuse.  Ajoutons  que  d'après  G.  Buf.alini  {Ann.  di  chim.  e  di  far- 
macol.,  1890,  t.  su,  p.  199),  l'excrétion  du  sucre  diminuerait  chez  les  diabétiques,  après 
l'ingestion  d'asparagine  ou  de  sel  ammoniaque. 

Valeur  nutritive  de  l'asparagine.  —  Les  nombreuses  expériences  de  H.  WEisKEet 
de  ses  élèves;  M.  Schrôdt,  St.  von  Dangel^G.  Kenxepohl,  B.  Schulze  (Z.  B.,  t.  ,xv,  p.  261, 
1879;  t.  xvn,  p.  413,  1882;  t.  xx,  p.  277,  1884),  ont  montré  que  l'asparagine  possède 
chez  les  animaux  herbivores  (agneaux,  brebis  laitières,  chèvres,  oies,  lapins,)  une  valeur 


728  ■  ASPHYXIE. 

alimentaire.  L'addition  d'asparagine  à  une  ration  alimentaire  pauvre  en  azote  permet 
d'y  réduire  encore  la  portion  d'albuminoïdes.  L'asparagine  empêche  la  destruction 
d'une  partie  de  l'albumine  alimentaire  :  il  paraît  peu  probable  qu'une  partie  de  l'aspa- 
ragine puisse  servir  à  reconstituer  par  synthèse  de  l'albumine  animale,  comme  cela  a 
lieu  dans  les  tissus  vége'taux. 

Les  recherches  de  N.  Kdtz  {A.  Db.,  1882,  p.  424)  et  celles  de  Potthast  {A.  Pf.,  t.  sxxn, 
p.  280,  1883)  faites  chez  le  lapin,  celles  de  Gabriel  faites  sur  des  rats  blancs  (Z.  B.,  1892, 
t.  sxix,  p.  113)  ont  confirmé  le  rôle  alimentaire  de  l'asparagine.  Celles  de  Gbaffenber- 
GER  (Z.  B.,  1892,  t.  xxix),  faites  sur  l'homme,  semblent  parier  dans  le  même  sens.  Graf- 
FE.NBERGRR  a  Constaté  sur  lui-même  que  les  80  p.  100  de  l'azote  de  l'asparagine  ingérée 
se  retrouvaient  dans  les  urines  pendant  les  dix  premières  heures.  L'asparagine  se  com- 
porte sous  ce  rapport  comme  la  gélatine  et  la  fibrine.  L'auteur  lui  attribue  en  outre  une 
action  diurétique  (MuiNK  également),  et  a  constaté  que  l'asparagine  lui  occasionnait  des 
palpitations  nerveuses.  On  sait  que  l'asparagine  a  été  employée  dans  la  thérapeutique  des 
maladies  du  cœur. 

Au  contraire  J.  Muxck  (A.  /.  path.  Ajiat.,  1883,  t.  xciv,  p.  436,  et  1884,  t.  xcvni,  p.  364) 
a  montré  que  chez  le  chien  Carnivore,  nourri  de  viande  ou  de  viande  et  d'iiydrocarbonés, 
avec  ou  sans  addition  d'asparagine,  cette  substance  non  seulement  ne  réduit  pas  la  des- 
truction organique  de  l'abumine,  mais  qu'à  en  juger  d'après  le  dosage  du  soufre  des 
urines,  il  y  a  plutôt  une  légère  (3,  o  à  7  p.  100)  augmentation  d'albumine  brûlée  dans 
l'organisme.  Voir  aussi  J.  Konig  (C.   W.,  1890,  n"  47). 

La  valeur  nutritive  de  l'asparagine  serait  insignifiante  d'après  PoLiTis(Ba!/,Acad.,  1883, 
p.  401,  et  Z.  B.,  t,  xxvin,  p.  492,  1892),  chez  le  rat  blanc,  et,  d'après  J.  Mauthner  (Z.  B., 
t.  xvni,  p.  o07,  1892),  chez  le  chien.  Citons  encore  le  travail  de  Dario  Baldi  (A.  B.,  1893, 
t.  XIX,  p.  2o6),  Sur  la  valeur  nutritive  de  l'asparagine.  L'auteur  à  nourri  un  pigeon  avec 
une  alimentation  contenant  de  l'asparagine  au  lieu  d'albumine.  L'animal  vécut 
27  jours  et  perdit  seulement  22  p.  100  de  son  poids.  L'auteur  admet  que  l'asparagine  a 
eu  une  influence  utile  sur  la  durée  de  la  vie. 

En  résumé,  la  valeur  alimentaire  de  l'asparagine,  comme  succédané  des  albuminoïdes 
ou  de  la  gélatine,  paraît  établie  dans  le  cas  d'une  ahmentation  pauvre  en  substances 
azotées.  Dans  les  autres  cas.  la  valeur  thermogêne  de  l'asparagine  découle  de  ce  fait  que 
l'asparagine  se  transforme  à  peu  près  intégralement  dans  l'organisme  par  combus- 
tion en  urée  ou  acide  urique.  Le  calorique  de  combustion  de  l'asparagine  est  de 
3  ol4calories;  celui  de  l'urée  de  2  342  calories.  En  supposant  qu'une  molécule  d'asparagine 
fournisse  une  molécule  d'urée,  il  y  a  mise  en  liberté  dans  l'organisme  de  2  338  micro-calo- 
ries par  gramme  d'asparagine  transformée,  1  gramme  d'asparagine  serait  donc  au  point 
de  vue  thermogène  isodyname  à  0B'',63  de  glycose.  L'asparagine  a  été  considérée  par 
plusieurs  auteurs  comme  légèrement  diurétique.  Ce  point  est  encore  controversé. 

D'après  Bufalini  (A.  jB.,  1890,  t.  xiii,  p.  82),  la  macération  d'une  solution  d'aspara- 
gine au  contact  du  tissu  du  foie  de  la  grenouille,  des  poumons,  des  muscles  et  du  fer- 
ment ammoniacal  de  l'urine,  amènerait  la  formation  de  quantités  notables  de  succinate 
ammonique. 

Ajoutons  que  l'asparagine  a  été  employée  en  thérapeutique  pour  former  une  combi- 
naison mercurielle  soiuble  employée  dans  le  traitement  de  la  sypiiilis  (J.  Neumann.  Wie- 
ner med.  Blatter,  anal.  in.  C'.  W.,  1892,  p.  344). 

Bibliographie.  —  La  bibliographie  des  travaux  de  chimie  pure  sur  l'asparagine 
est  donnée  à  l'article  Asparacjine  du  Dictionnaire  de  Chimie  de  Wurtz,  celle  des  travaux 
de  physiologie  animale  dans  les  Jahresberichte  de  Maly  et  dans  J.  Kônig  (C.  W.,  1890, 
n"  47),  celle  de  physiologie  végétale  dans  Pfeffer,  Pfkmzenphysiolorjie,  pour  la  biblio- 
graphie ancienne;  en  grande  partie  dans  les  Jahresber.  de  Maly,  pour  la  bibliographie 
récente,  et  dans  le  travail  de  Borodine. 

LÉON    FREDERICQ. 

ASPHYXIE.  — Le  mot  asphyxie,  d'après  son  étymologie  grecque,  signifie 
absence  de  pouls.  On  pourrait  donc  supposer  que  l'asphyxie  est  surtout  l'arrêt  de  la  cir- 
culation. Mais  de  fait  le  mol  asphyxie  a  été  peu  à  peu  détourné  de  son  sens  primi- 
tif,  si  bien  que,  dans  le  langage  scientifique  comme  dans  le  langage  usuel,  asphyxie 


ASPHYXIE.  '  729 

veut  dire  arrêt  de  la  respiration.  11  serait  tout  à  fait  oiseii.x  de  vouloir  modiûer  cette 
dénomination  universellement  acceptée. 

Ainsi  l'asphy-xie,  c'est  l'absence  de  la  respiration;  mais,  comme  la  respiration  est 
essentiellement  la  vie  des  tissus  dans  l'oxygène,  il  s'ensuit  que  le  mot  asplij-xie  veut  dire 
absence  d'oxygène.  Donc  on  peut  absolument  généraliser  le  phénomène  de  l'asphyxie,  et 
l'étendre  à  tous  les  êtres  qui  pour  vivre  ont  besoin  d'oxygène. 

A  vrai  dire  il  n'y  a  que  bien  peu  d'êtres  qui  puissent  vivre  sans  oxygène  ;  c'est  le  tout 
petit  groupe  des  microbes  anaérobies.  Ceux-là  évidemment  ne  peuvent  avoir  d'asphyxie 
à  subir,  puisque  l'oxygène  les  tue  au  lieu  de  les  faire  vivre  ;  et  le  mot  asphyxie  n'a  pas  de 
sens  pour  eux.  Mais,  à  part  cette  exception,  tous  les  êtres  vivants  peuvent  être  asphyxiés 
si  on  leur  supprime  l'oxygène. 

L'asphyxie,  à  proprement  parler,  n'est  pas  un  phénomène  physiologique  ;  car  c'est  un 
processus  de  mort,  et  non  de  vie.  Mais,  comme  l'étude  qu'on  peut  en  faire  est  fondée 
presque  exclusivement  sur  l'expérimentation;  comme  c'est  le  mode  de  mort  le  plus  fré- 
quent; comme  enfin  la  respiration  normale  ne  se  peut  comprendre  que  si  l'on  connaît 
bien  l'asphyxie,  nous  traiterons  l'asphyxie  avec  autant  de  détails  que  s'il  s'agissait  de 
physiologie  normale,  en  faisant  toutefois  remarquer  que  les  observations  des  médecins, 
et  spécialement  des  médecins  légistes,  nous  ont  apporté  de  précieux  documents. 

Nous  devons  au  préalable  faire  une  observation  importante.  Les  tissus,  et  l'être  lui- 
même,  qui  est  un  composé  de  diiîérents  tissus,  meurent  quand  ils  sont  privés  de  sang 
aussi  bien  que  quand  ils  sont  privés  d'oxygène,  de  sorte  qu'il  y  a  une  mort  par  anémie, 
comme  il  y  a  une  mort  par  asphyxie.  Il  est  fort  possible  que  le  mécanisme  soit  dans  les 
deux  cas  à  peu  près  le  même,  et  qu'un  tissu,  quand  il  meurt  par  défaut  de  sang  oxygéné, 
meure,  en  somme,  de  la  même  manière  que  quand  il  est  privé  de  sang.  Ainsi,  en  fin  de 
compte,  c'est  toujours  la  privation  d'oxygène  qui,  dans  l'anémie  cooime  dans  l'asphyxie, 
entraîne  la  mort.  Mais,  si  essentiellement  le  phénomène  est  identique, les  symptômes  et  la 
marche  dilfèrent  assez  pour  qu'on  ait  le  droit  de  dissocier  l'anémie  et  l'asphyxie.  Quand 
on  enlève  le  cœur  d'une  grenouille,  elle  meurt  au  bout  d'une  heure  environ  par  anémie; 
mais,  si  on  la  plonge  dans  un  gaz  irrespirable  comme  l'hydrogène,  elle  ne  mourra  qu'au 
bout  de  plusieurs  heures.  L'anémie  est  donc,  si  l'on  veut,  en  dernière  analyse,  de  l'as- 
phyxie ;  mais  c'est  une  asphyxie  si  soudaine  et  si  spéciale,  qu'il  vaut  mieux  traiter  à  part 
les  phénomènes  de  l'anémie  ^Voy.  Anémie,  p.  492).  Sans  qu'il  soit  besoin  d'insister,  on 
comprendra  qu'il  est  impossible  de  confondre  ces  deux  genres  de  mort,  tout  en  i-econ- 
naissant  qu'ils  relèvent  de  la  même  cause  essentielle. 

Puisque  les  tissus  vivent  dans  l'oxygène,  il  est  clair  que  chaque  tissu  peut  être  isolément 
asphyxié,  et  que  l'on  devrait  distinguer  les  asphyxies  de  chaque  tissu.  Le  muscle,  le 
nerf,  la  cellule  glandulaire  subissent,  chacun  à  sa  manière,  les  efl'ets  de  la  privation 
d'ox3''gène,  de  sorte  qu'il  y  a  une  asphyxie  pour  le  muscle,  ou  le  nerf,  ou  la  cellule 
glandulaire.  La  respiration  élémentaire,  fonction  propre  à  chaque  tissu  vivant,  comporte 
donc  aussi  une  asphyxie  élémentaire  qui  mériterait  une  étude  spéciale. 

Mais  cette  étude  spéciale  a  été  faite  à  l'article  Anémie,  si  bien  qu'il  est  inutile  d'y 
revenir;  et  nous  ne  traiterons  que  l'asphyxie  de  l'être  total,  non  l'asphyxie  difl'érentielle 
de  chacun  des  tissus  qui  le  composent.  A  vrai  dire,  comme  ce  qui  constitue  l'être,  c'est  le 
système  nerveux  régulateur  et  coordinateur,  l'asphyxie  de  l'être  total,  c'est  l'asphyxie  de 
son  système  nerveux. 

Nous  verrons  d'ailleurs  par  la  suite  que  tous  les  éléments  du  système  nerveux  ne 
subissent  pas  en  même  temps  les  effets  de  l'asphyxie. 

Historique.  —  Avant  Lavoisier,  on  ne  pouvait  évidemment  rien  savoir  de  précis  sur 
l'asphyxie.  Ce  grand  homme,  le  vrai  créateur  de  la  physiologie,  en  nous  faisant  con- 
naître la  composition  de  l'air  et  la  nature  du  phénomène  de  la  respiration,  nous  a  du 
même  coup  appris  la  cause  de  l'asphyxie;  car  les  idées  des  anciens  physiologistes  sur 
ce  sujet  étaient  aussi  absurdes  que  leur  idées  sur  la  fonction  respiratoire.  Néanmoins 
LàvoisiER  ne  s'est  pas  occupé  spécialement  de  l'asphyxie,  et  ce  n'est  qu'indirectement  que 
son  nom  se  trouve  mêlé  à  l'historique  de  l'asphyxie. 

.\u  contraire  Bichat  a  fait  sur  l'asphyxie  toute  une  série  d'expériences  mémorables  et 
exactes.  Haller,  et  surtout  le  médecin  anglais  Goodwix,  avaient  supposé  que  la  mort  par 
l'asphyxie  était  due  à  l'arrêt  de  la  circulation  du  sang  dans  les  poumons,  et  par  consé- 


T30  ASPHYXIE. 

quent  à  l'accumulation  du  sang  dans  le  cœur.  Cette  opinion  était  confirmée  par  ce  fait 
d'observation  vulgaire  que,  chez  les  individus  asphyxiés,  le  cœur  est  gorgé  de  sang  noir, 
et  énormément  distendu  par  ce  sang  accumulé.  Or  Bichat  a  pu  démontrer  que  pendant 
l'asphyxie  la  circulation  du  sang  continue  :  le  sang  continue  à  couler  dans  les  artères; 
mais  c'est  un  sang  noir,  et  par  conséquent,  d'après  Bichat,  impropre  à  la  vie. 

En  même  temps  que  Bichat,  Spallanzam,  dans  d'admirables  expériences,  prouvait  que 
certains  animaux,  les  animaux  à  sang  froid  et  les  animaux  hibernants,  peuvent  sup- 
porter la  privation  d'oxygène  beaucoup  plus  longtemps  que  les  autres,  et  que  cette  résis- 
tance à  l'asphyxie  est  due,  au  moins  en  partie,  à  ce  qu'ils  consomment  moins  d'oxygène. 

Puis  sont  venues  les  belles  expériences  de  William  Edwards  qui  a  consigné  dans  un 
livre  excellent  et  qu'il  faut  toujours  relire  —  Influence  des  agents  physiques  sur  la  vie  — 
le  résultat  de  ses  nombreuses  et  ingénieuses  expérimentations  (182d!. 

Enfin  les  recherches  des  physiologistes  plus  modernes,  parmi  lesquels  eu  première 
ligne  il  faut  citer  Pacl  Bert,  ont  apporté  beaucoup  de  faits  nouveaux  et  intéressants, 
mais  non  pas  essentiels,  puisque  aussi  bien  Bichat,  Spallaxzaxi,  et  W.  Edwards  avaient 
vu  à  peu  près  tout  ce  cpi'il  y  a  de  fondamental  dans  l'asphyxie. 

Nous  distinguerons  l'asphyxie  aiijuè  et  l'asphyxie  lente. 

Asphyxie  aiguë.  —  Mécanisme  de  Tasphyxie  aiguë.  — Les  causes  de  l'asphyxie 
aiguë  peuvent  être  multiples. 

A.  —  Le  milieu  extérieur  devient  irrespirable,  par  suite  de  l'absence  d'oxygène  libre. 
C'estle  cas  de  la  submersion;  le  cas  d'un  animal  introduit  dans  une  cloche  contenant 
un  gaz  inerte,  comme  l'azote,  l'hydrogène,  ou  le  gaz  d'éclairage,  ou  encore  d'un  animal 
placé  dans  le  vide  pneumatique,  ou  d'un  poisson  que  l'on  met  dans  de  l'eau  privée  d'air. 

B.  —  Les  voies  aériennes  sont  oblitérées.  L'occlusion  peut  porter  sur  la  trachée,  comme, 
par  exemple,  dans  la  strangulation  ou  la  pendaison.  Quelquefois  la  trachée  est  fer- 
mée par  une  ligature,  dans  un  but  expérimental.  Quelquefois  c'est  un  corps  étranger 
qui  pénètre  dans  le  larynx,  et  de  là  dans  les  bronches  rupture  d'un  abcès  dans  les  bron- 
ches). Tantôt  ce  sont  des  membranes  diphtéritiques  qui  oblitèrent  le  larynx,  et  inter- 
ceptent le  passage  de  l'air.  Ou  bien  encore  c'est  la  section  des  récurrents  ou  des  vagues 
qui,  chez  les  jeunes  animaux,  par  exemple,  détermine  la  mort  par  paralysie  des  cordes 
vocales. 

Ou  bien,  il  y  a  un  obstacle  mécanique  à  l'inspiration  ou  à  l'expiration,  par  exemple 
quand  on  fait  respirer  un  animal  à  travers  une  soupape  de  Muller,  où  la  hauteur  de  la 
colonne  mercurielle  interposée,  soit  à  l'expiration,  soit  à.  l'inspiration,  dépasse  10  centi- 
mètres de  mercure.  Plus  rarement  ce  sont  les  premières  voies  aériennes  qui  sont  oblité- 
rées, comme  après  la  section  des  deux  nerfs  faciaux  chez  le  cheval.  Enfin  il  peut  y  avoir 
une  contracture  des  cordes  vocales  (spasme  de  la  glotte),  ou  de  l'œdème  de  la  glotte,  ou 
encore  une  compression  des  nerfs  du  larynx  entraînant  la  paralysie  des  cordes  vocales 
ou  leur  spasme;  les  tumeurs  du  cou  déterminent  la  mort  par  ce  procédé  plutôt  que  par 
la  compression  même  de  la  trachée:  car  dans  ce  cas  il  y  a  une  lente  asphyxie. 

C.  — La  respiration  est  suspendue  par  suite  d'un  défaut  d'innervation.  Par  suite  de  la 
multiplicité  des  nerfs  inspirateurs,  la  section  d'un  ou  de  plusieurs  nerfs  ne  suffit  pas  pour 
empêcher  la  respiration.  Même  quand  les  fréniques  ont  été  coupés,  l'inspiration  peut 
encore  s'effectuer;  mais  le  centre  respirateur  peut  être  atteint  par  un  traumatisme.  Les 
chiens  dont  on  pique  le  bulbe  meurent  d'asphyxie;  les  lapins  à  qui  on  donne  un  coup 
sur  la  nuque  fcoup  du  lapin)  meurent  asphyxiés  par  suite  de  la  déchirure  du  bulbe 
qui  entraine  la  paralysie  du  centre  respiratoire. 

La  paralysie  dans  ce  cas  peut  être  due  à  une  action  réflexe  inhibitoire.  On  a  signalé 
des  morts  subites  dues  à  la  compression  violente  du  larynx,  ou  à  un  coup  sur  l'épigastre, 
ou  à  une  violente  commotion  cérébrale:  mais  il  est  permis  de  douter  que  ce  soit  là  de 
l'asphyxie  véiitable;  car  la  mort  est  plus  rapide  que  ne  le  comporterait  une  asphyxie 
vraie,  se  déroulant  avec  toutes  ses  périodes  régulières.  Il  s'agit  plutôt,  comme  l'admet 
Beown-Séqcard,  d'un  arrêt  des  échanges,  ou  d'une  sorte  de  sidération  du  nœud 
vital,  comme  Pacl  Bert  penche  à  l'admettre,  en  voyant  mourir  subitement  des  animaux 
dont  il  excite  vigoureusement  par  l'électricité  le  pneumogastrique  (bout  central)  [Leçons 
sur  la  respiration,  1870,  p.  484). 

Enfin  le  centre  nerveux  inspirateur  peut  être  paralysé  par  des  substances  toxiques 


ASPHYXIE.  731 

et  eu  particulier  par  les  anestliésiques.  Quand  on  a  empoisonné  un  chien  ou  un  lapin  par 
une  forte  dose  de  cliloral,  on  voit  souvent  le  cœur  continuer  à  battre,  alors  que  la  respi- 
ration a  cessé.  Si  l'on  ne  fait  pas  la  respiration  artificielle,  l'asphyxie  finira  par  survenir, 
sans  que  les  mouvements  respiratoires  spontanés  aient  reparu.  C'est  ce  qu'on  a  souvent, 
assez  mal  à  propos,  appelé  la  syncope  reqjiiatoire:  mais  cette  syncope  respiratoire  n'est 
pas  dangereuse,  si  l'attention  du  médecin  ou  du  physiologiste  est  en  éveil;  car  elle  ne 
persiste  jamais  très  longtemps,  et,  tant  que  le  cœur  bat,  il  n'y  a  pas  de  danger  réel 
pour  la  vie  de  l'animal. 

Aussi,  dans  les  cas  de  mort  par  le  chloroforme,  ne  doit-on  pas  incriminer  l'asphyxie. 
Sauf  le  cas  de  faute  lourde  du  chirurgien,  il  ne  peut  y  avoir  de  mort  que  par  la  syncope. 
La  syncope  tue  immédiatement,  sans  retour  possible  à  la  vie,  tandis  que  ia  mort  par 
asphyxie  est  toujours  longue,  et  plus  longue  encore  chez  les  individus  chloroformés  que 
chez  les  autres,  de  sorte  qu'il  est  difficile  d'admettre  qu'un  chirurgien  laisse  pendant 
huit  à  dix  minutes  son  malade  asphyxier,  sans  songer  à  regarder  comment  se  font  les 
inspirations. 

D.  — La  respiration  est  suspendue  par  suite  de  la  paralysie  ou  de  la  contracture  des  mus- 
cles respirateurs.  —  C'est  le  cas  du  curare  qui  paralyse  les  terminaisons  motrices  des  nerfs 
dans  les  muscles,  ou  de  la  strychnine  qui  détermine  la  contraction  tétanique  de  tous  les 
muscles  ;  dans  un  cas  comme  dans  l'autre,  la  respiration  artificielle  empêche  la  mort.  Le 
tétanos  traumatiqne  peut  tuer  aussi  par  la  contracture  des  muscles  inspirateurs. 

E.  —  Le  sang  est  empoisonné  de  manière  à  ne  plus  pouvoir  fixer  l'oxygène.  —  C'est  le 
cas  de  l'erapoisonuement  par  l'oxyde  de  carbone  qui  a  été  si  merveilleusement  analysé  par 
Claude  Bernard.  La  circulation  est  intacte:  les  voies  aériennes  sont  libres:  les  mouve- 
ments respiratoires  continuent  à  se  faire,  et  le  milieu  extérieur  n'a  pas  changé:  mais  le 
sang  ne  peut  plus  absorber  de  l'oxygène  et  le  porter  aux  tissus.  Aussi  la  mort  par  l'oxyde 
de  carbone  et  par  quelques  autres  gaz,  dont  l'étude  toxicologique  est  moins  bien  faite, 
est-elle  en  somme  une  Traie  asphyxie  (asph^-sie  toxique''. 

Évidemment  ces  diverses  formes  d'asphyxie  ne  peuvent  s'observer  que  chez  les  ani- 
maux supérieurs,  possédant  un  appareil  respiratoire  compliqué.  Chez  les  animaux  ou 
végétaux  qui  ne  respirent  que  par  diffusion  et  qui  sont  dépourvus  d'organes  respira- 
toires proprement  dits,  l'asphyxie  ne  peut  être  produite  que  par  la  suppression  de  l'oxy- 
gène ambiant;  et,  même  chez  les  animaux  pour\-us  de  poumons,  ou  de  branchies,  quand 
la  peau  est  nue,  une  respiration  cutanée,  encore  assez  active,  intervient,  qui  permet  la 
continuation  de  la  vie,  malgré  la  suppression  complète  des  organes  respiratoires. 

Durée  de  l'asphyxie  chez  l'homme.  —  La  durée  de  l'asphyxie,  c'est  le  temps  qui 
s'écoule  entre  le  moment  où  commence  la  privation  d'oxygène  et  le  moment  même  de 
la  mort.  Rien  de  plus  important  que  la  détermination  exacte  de  cette  durée  pour  le 
médecin  comme  pour  le  physiologiste.  Mais  une  pareille  précision  est  impossible  à 
obtenir,  par  cette  simple  raison  que  le  moment  même  de  la  mort  ne  peut  être  défini. 

La  physiologie  générale  nous  apprend  que  les  divers  tissus,  dont  l'être  est  composé, 
possèdent  chacun  leur  autonomie,  et  que,  lorsque  la  même  cause  de  mort  ou  de  destruc- 
tion, par  exemple  la  privation  d'oxygène,  vient  à  agir  sur  eux,  ils  restent  encore  vivants 
pendant  un  temps  variable  pour  chaque  tissu.  Le  cerveau  mourra  avant  le  bulbe,  et  la 
moelle  avant  le  cœur.  Alors  quand  dira-l-on  que  l'individu  est  mort? 

On  pourrait  difficilement  adopter  pour  la  mort  de  l'individu  le  moment  de  la  mort 
de  la  conscience;  car  la  conscience  se  dissout  très  vite,  et,  dès  que  le  cerveau  n'est  plus 
traversé  par  du  sang  bien  arterialisé,  la  conscience  disparaît,  cependant  que  l'individu 
continue  à  respirer,  à  se  mouvoir,  et  garde  les  apparences  de  la  vie.  Quelques  bouffées 
d'air  pur  vont  faire  reparaître  la  conscience;  c'était  l'anéantissement  passager,  et  non 
définitif,  de  l'intelligence,  et  le  sommeil  plutôt  que  la  mort. 

Dirons-nous  alors  que  la  mort  survient  quand  tout  mouvement  a  cessé,  et  qu'il  n'y  a 
plus  ni  réflexe,  ni  respiration?  Ce  serait,  à  ce  qu'il  me  semble,  une  conclusion  assez 
téméraire;  car,  si  le  cœur  est  animé  encore  de  quelques  battements,  la  vie  peut  repa- 
raître, dès  qu'on  pratique  la  respiration  artificielle.  Certes,  si  l'individu  est  abandonné 
à  lui-même,  la  mort  survient  fatalement;  mais  ce  n'est  pas  une  raison  pour  dire  qu'il 
est  mort.  Il  va  mourir,  si  on  ne  le  secourt  pas.  mais  il  n'est  pas  mort,  puisque,  si  on  le 


732  ASPHYXIE. 

secourt,  le  cœur  se  remettra  à  battre  avec  force,  la  respiration  reviendra  et  la  conscience 
aussi. 

On  serait  donc  tenté  de  dire  que  le  moment  de  la  mort,  c'est  le  moment  où  le  cœur  a 
cessé  de  battre;  mais  ce  serait  encore  une  détermination  imparfaite;  car  d'une  part  on 
n'est  jamais  bien  certain  que  le  cœur  ne  bat  plus.  Dans  la  pratique  des  médecins  comme 
dans  celle  des  physiologistes,  rien  n'est  plus  délicat  que  de  faire  cette  aflirmatiou.  Des 
mouvements  de  l'oreillette  peuvent  faire  croire  à  une  systole  ventriculaire,  et  les  mouve- 
ments des  ventricules  sont  parfois  assez  peu  marqués  pour  qu'on  ne  puisse  les  apprécier. 
Quelquefois  même  les  ventricules  ont  des  frémissements  qui  peuvent  faire  croire  à  la 
vie,  et  qui  ne  sont  en  réalité  que  des  frémissements  agoniques.  D'autre  part  il  y  a  des 
cas,  relativement  assez  nombreux,  oti,  le  cœur  s'étant  arrêté,  la  respiration  artificielle  a 
pu  ranimer  ses  battements.  Cela  se  voit  admirablement  sur  les  animaux  refroidis,  en 
particulier  les  lapins,  dont  le  cœur  cesse  parfois  de  battre  pendant  une  demi-heure  pour 
reprendre  parle  fait  de  la  respiration  artificielle. 

Cependant,  comme  en  pareille  matière  il  faut  adopter  une  solution,  même  si  elle 
n'est  pas  irréprochable,  je  serais  tenté  d'admettre  comme  étant  le  vrai  moment  de  la 
mort  Varrét  définitif  du  cœur,  et  je  dirais  que  (sauf  l'exception  des  animaux  refroidis), 
l'arrêt  est  définitif  çiuand  il  s'est  prolongé  pendant  plus  d'une  minute. 

Ce  n'est  pas  d'ailleurs  une  simple  curiosité  phj'Siologique  que  cette  détermination 
du  moment  de  la  mort.  Il  y  a  en  médecine  légale  nombre  de  cas  bien  intéressants,  où  le 
médecin  a  été  appelé  à  se  prononcer  sur  le  moment  même  de  la  mort  dans  des  cas  d'as- 
phyxie. A  l'article  Submersion  du  Dictionnaire  encyclopcdic/ue  on  trouvera  l'exposé  de 
l'affaire  Rivoire,  et  de  l'affaire  de  la  pointe  de  Penmark.  Dans  l'un  et  l'autre  de  ces  cas 
il  y  avait  de  gros  intérêts  engagés,  il  s'agissait  de  savoir  à  qui  reviendrait  la  fortune 
considérable  du  premier  survivant. 

La  question  se  posait  ainsi  pour  l'expert  :  deux  personnes  étant  asphyxiées  en  même 
temps,  quelle  est  celle  qui  est  morte  la  première?  Les  raisons  qu'on  a  données  pour  affir- 
mer la  survie  de  telle  ou  telle  ne  sont  peut-être  pas  satisfaisantes,  et,  pour  nôtre  part, 
nous  nous  rallierons  volontiers  à  l'opinion  de  Bbouabdel  qui,  à  propos  du  crime  de 
Pranzini,  disait  :  Mieux  vaut  dire  à  temps  devant  le  juge  d'instruction  «  je  ne  sais  pas  » 
que  d'être  obligé  de  dire  plus  tard  devant  le  jury  «  je  ne  savais  pas  ». 

Durée  de  l'asphyxie  chez  rhomme.  —  Dans  son  admirable  ouvrage  :  Elementa 
physiûlofjix,  t.  111, 1. viii,  §xix,  p.  260,  Haller  s'exprime  ainsi  :  n  Si  alla'  historia;  exstant 
hominum  qui  suscitati  fuerunt  cuni  sub  aqua  fuissent  lo  minutis,  et  20  et  22  et  23  et  30, 
et  hora,  et  novem  horis,  et  16  et  42  et  40  horis,  et  aliis  teniporibus  etiam  longioribus,  si 
de  natatorum  legimus  qui  13  et  30  minutis,  et  quatuor  horis,  et  integrum  diem,  et  triduum 
sub  aquis  edurarunt,  eœ  hislorife  partim  ab  ignaris  hominibus,  nequc  ad  observandam 
minutius  rerum  curam  adhibentibus  profectae  sparguntur,  partim  ad  alias  causas  perti- 
nent. »  Nous  devons  évidemment  imiter  la  réserve  de  Haller,  et  même  être  plus  réservés 
encore,  ce  qui  nous  fera  considérer  comme  apocryphes  les  récits  de  survie  piolongée 
sous  l'eau. 

Disons-le  tout  de  suite.  En  général,  les  individus  qui  se  noient  meurent  au  bout  de 
deux  ou  trois  minutes  tout  au  plus;  c'est  là,  comme  on  le  verra  tout  à  l'heure,  le  terme 
moyen,  mais,  tout  en  étant  sceptique,  il  est  difficile  de  se  reiuser  ;i  admettre  des  survies 
bien  plus  prolongées;  même  si  l'on  refuse  l'authenticité  au  fait  (cité  par  Tourdes,  article 
Submersion  du  Dictionnaire  encyclopédique)  Ae  Pouteau,  qui  aurait  observé,  en  1749,  un 
noyé  revenu  à  la  vie  après  trois  heures  de  séjour  sous  l'eau.  Ainsi,  pour  citer  les  prin- 
cipaux cas  de  survie  prolongée.  Bourgeois  (Arch.  de  méd.,  t.  xx,  p.  220)  rapporte  un 
cas  de  retour  à  la  vie  après  20  minutes  de  submersion.  Pope  {Laiicet,  oct.  1881,  p.  603) 
raconte  l'histoire  d'un  individu  qui  resta  sous  l'eau  pendant  12  à  13  minutes  et  fut 
ranimé.  Dans  Index  Catalogue  (articles  Asphyxia  [Trcatmemt  of]  et  Drowning),  nous 
trouvons  les  cas  suivants  dont  les  titres  sont  suffisamment  explicites  pour  ne  pas  néces- 
siter de  plus  longues  descriptions  :  Bourre.  Resuseitation  of  a  child  after  ten  minutes  of 
total  submersion  in  water.  —  Douglass  (1842).  Recovcry  after  fourteenminides  submersion.  — 
Laur.  Retour  à  la  vie  après  I  o  minutes  d'immersion  (1868).  —  Povall.  Successful  resuseitation 
after  suspen.ded  animation  by  submersion  for  23  minutes  (1829).  —  Smeet.  Retour  à  la  vie 
après  10  minutes  d'immersion  et  mort  apparente  (1840).   —  Damoiseau  [^TJnion  médicale, 


ASPHYXIE.  733 

1872,  p.  293)  parle  d'un  individu  qui  resta  dix  minutes  au  fond  de  l'eau  et  put  être 
ranimé.  Il  attribue  sa  résurrection  à  la  violente  contracture  des  mâchoires  qui  aurait 
empêché  l'eau  de  pénétrer.  Mais  vraiment  cette  explication  est  assez  peu  satisl'aisanle  ; 
car  la  contracture  des  mâchoires  n'empêche  pas  les  fosses  nasales  d'être  perméables. 

Il  ne  faut,  ce  me  semble,  accepter  ces  faits  qu'avec  les  plus  expresses  réserves;  et 
cela  pour  deux  raisons  principales.  D'abord  à  cause  de  la  mesure  très  imparfaite  du  temps. 
Quand  quelqu'un  est  tombé  ji  l'eau,  la  terreur  et  l'émotion  des  assistants  ne  permettent 
guère  une  juste  appréciation  de  la  durée  du  temps  qui  s'écoule.  Souvent,  en  faisant  sur 
des  chiens  quelque  expérience  d'asphyxie,  j'étais  surpris  de  la  lenteur  avec  laquelle  le 
temps  semblait  marcher,  si  bien  que,  si  je  n'avais  mesuré  le  temps  avec  une  montre  à 
secondes,  j'aurais  commis  les  plus  grosses  erreurs  dans  l'appréciation  de  la  durée  du 
temps  écoulé,  et  tous  les  assistants  se  trompaient  comme  moi.  D'autre  part  est-on 
jamais  assuré  que  l'individu,  dans  les  efforts  qu'il  fait  pour  se  sauver,  n'est  pas,  au  moins 
pendant  un  temps  très  court,  remonté  à  la  surface  de  l'eau  pour  aspirer  quelques  bouf- 
fées d'air?  Même  dans  les  expériences  physiologiques,  où  cependant  cette  erreur  peut 
facilement  être  évitée,  je  vois  qu'on  a  noté  que  l'animal  est  revenu  à  la  surface,  et  mal- 
gré cela  on  commet  la  faute  de  compter  comme  valable  tout  le  temps  écoulé  depuis  le 
début  de  l'asphyxie,  par  exemple  dans   le  très  bon   travail  de  Lecoquil  (fl.  P.,  1893). 

Nous  admettrons  difficilement  que  chez  l'homme  la  submersion  puisse  être  prolongée 
plus  longtemps  que  chez  le  chien.  Le  contraire  serait  plutôt  vrai,  car,  tout  compte  fait, 
l'homme  est  plus  sensible  que  le  chien.  Or,  chez  le  chien,  la  physiologie  expérimentale 
nous  apprend  que  la  mort  survient  fal^alement  quand  la  submersion  dépasse  deux  mi- 
nutes; nous  tendrons  donc  à  considérer  cette  limite  comme  exacte  aussi  pour  l'homme,, 
d'autant  plus  que  les  cas  de  mort  après  une  immersion  d'une  minute  ou  une  minute  et 
demie  sont  très  fréquents.  Wolley,  médecin  de  la  Société  humaine  de  Londres,  qui  a 
secouru  un  grand  nombre  de  noyés,  exagère  probablement  dans  un  sens  favorable  en 
disant  qu'on  ne  peut  espérer  sauver  un  noyé  quand  il  a  séjourné  plus  de  trois  minutes 
et  quelques  secondes  dans  l'eau. 

Mais,  si  cette  durée  de  trois  minutes  est  trop  longue  au  point  de  vue  ph3'siologique, 
elle  est  beaucoup  trop  courte  au  point  de  vue  médical.  .le  veux  dire  par  là  que,  même 
après  un  long  séjour  sous  l'eau,  un  n'a  pas  le  droit  de  se  décourager  et  de  cesser  de  secourir 
le  noyé.  Il  faut  espérer,  contre  toute  espérance,  pratiquer  sans  se  lasser  une  respiration 
artificielle  énergique.  Dans  le  doute  il  faut  agir,  et  non  s'abstenir,  suivant  un  axiome 
très  absurde.  Après  tout  il  est  certain  que  le  contact  de  l'eau  froide  provoque  parfois 
une  syncope  (|ui  suspend  la  respiration  et  les  échanges,  empêche  par  conséquent  l'eau 
de  pénétrer  dans  les  poumons,  et  préserve  ainsi  de  la  mort  rapide.  On  sait  qu'on  a  dis- 
tingué les  noyés  blancs  (syncope  cardiaque)  qui  réchappent  parfois,  des  no3'ès  bleus  qui 
ne  peuvent  être  ranimés. 

La  mort  par  la  pendaison  est  aussi  une  mort  due  exclusivement  à  l'asphyxie.  Des 
expériences  de  ConT.\GNE  et  surtout  de  Tamassia,  ont  bien  montré  que,  si  la  trachée 
était  exceptée  du  lien  qui  sert  à  la  pendaison,  la  mort  ne  survenait  que  très  lentement, 
et  inversement,  qu'en  exceptant  du  lien  constricteur  les  vaisseaux  du  cou,  et  en  prenant 
simplement  la  trachée,  on  obtenait  une  mort  tout  aussi  rapide. 

De  même  les  lésions  de  la  moelle  sont  extrêmement  rares  dans  la  pendaison;  la 
mort  relève  donc  uniquement  de  l'asphyxie.  Mais  cette  asphyxie  n'est  pas  toujours  com- 
plète; car  il  est  fort  possible  qu'une  petite  quantité  d'air  passe  encore  par  la  trachée 
incomplètement  comprimée. 

Cela  explique  bien  comment,  dans  quelques  cas,  la  mort  a  été  notalalement  retardée. 
On  en  trouvera  des  cas  intéressants  dans  l'excellent  article.  Pendaison  [de  Tourdes 
{Dictionnaire  enmjclopédique,  t.  xxii,  p.  477).  Le  récit  le  plus  curieux  est  assurément  celui  du 
pendu  de  Bloomfield,  en  Amérique,  qui,  au  bout  de  dix  minutes  de  suspension,  paraît  tout 
à  fait  mort.  Après  14  minutes  on  le  détache  et  on  le  remet  aux  médecins  qui  ne  constatent 
plus  de  battements  cardiaques.  La  respiration  artificielle  est  alors  pratiquée,  mais  sans 
résultats.  Alors  un  courant  électrique  est  appliqué  aux  nerfs  pneumogastriques.  Quel- 
ques signes  de  respiration  spontanée  apparaissent.  Mais  le  shériff  s'interpose,  et  les 
expériences  sont  interrompues.  Une  heure  après  la  pendaison  les  médecins  les  repren- 
nent, et  le  cœur  recommence  à  battre.  Alors  de  nouveau  le  shérifï  intervient  et  emporte 


734  ASPHYXIE. 

les  rhéophores.  Une  demi-heure  se  passe  encore,  et  au  bout  de  ce  temps  de  nouveau  les 
médecins  se  remettent  à  essayer  de  ranimer  le  pendu.  Ils  3'  réussissent  si  bien  que  le 
pouls  reparait,  les  paupières  se  rouvrent,  et  l'individu  revient  à  la  vie.  11  meurt  pour- 
tant le  lendemain,  après  lo  heures  de  survie. 

A  côté  de  ces  cas  de  survie  prolongée,  qui  sont  extrêmement  rares,  les  cas  de  mort 
très  rapide  ont  été  observés,  et  assez  souvent.  Esquirol  rapporte  l'histoire  d'un  aliéné 
qu'on  vit  de  loin  s'accrocher  à  une  fenêtre.  Les  témoins  étaient  dans  la  cour,  et  ils  mon- 
tèrent à  la  hâle,  comme  bien  on  pense.  Pourtant  ils  arrivèrent  trop  tard,  et  le  malheu- 
reux était  mort.  En  tout  cas,  ce  qui  est  remarquable  dans  la  mort  par  pendaison,  c'est  la 
rapidité  avec  laquelle  l'individu  pendu  perd  la  conscience.  Au  bout  d'une  demi-minute, 
et  parfois  même  au  bout  d'un  quart  de  minute,  il  a  perdu  connaissance,  et  cependant 
les  mouvements  réflexes  persistent  pendant  2  ou  3  minutes  encore.  Fleisciimann,  qui 
a  essayé  sur  lui-même  les  effets  de  la  suspension,  aurait  certainement  couru  quelques 
dangers  s'il  n'avait  été  promptement  détaché  par  la  personne  qui  était  à  côté  de  lui. 
On  a  d'ailleurs  fait  remarquer  qu'il  n'est  pas  d'exemple  de  pendu  s'étant  détaché  lui- 
même. 

L'étude  expérimentale  de  la  pendaison  et  de  la  submersion,  faites  sur  les  animaux, 
donne  des  résultats  plus  précis  que  les  observations  faites  sur  l'homme.  On  verra  plus 
loin  quelles  conclusions  elles  comportent.  Mais  sur  l'homme  l'e.'samen  des  plongeurs  et 
des  apnées  volontaires  donne  des  indications  assez  utiles. 

D'abord  on  sait  que,  dans  certains  exercices  de  cirque,  des  acrobates,  hommes  ou 
femmes,  entrent  dans  des  cuves  pleines  d'eau  et  y  séjournent  pendant  un  assez  long 
temps.  Ce  temps  paraît  fort  long,  grâce  à  la  multiplicité  des  exercices  accomplis;  mais, 
quand  on  regarde  l'heure  à  la  montre,  on  constate  que  ce  temps  de  submersion  est 
moins  long  que  celui  qui  est  indiqué  sur  l'affiche,  et,  si  la  durée  est  de  trois  minutes, 
c'est  déjà  fort  long.  Les  récits  de  plongeurs  restant  sous  l'eau  pendant  dix  minutes  sont 
des  récits  fabuleux,  et,  au  dire  des  témoins  sérieux,  les  meilleurs  plongeurs  ne  peuvent 
rester  plus  de  trois  minutes  sous  l'eau.  Lacassagne  {Arch.  d'Aiithr.  crim.)  raconte  l'his- 
toire du  capitaine  James  qui  pouvait  demeurer  sous  l'eau  probablement  plus  longtemps 
que  tout  autre  individu,  et  pourtant  il  n'a  jamais  pu  y  rester  plus  que  quatre  minutes 
et  14  secondes.  Encore,  par  suite  d'un  mécanisme  particulier,  que  je  ne  saurais  décrire 
ici,  pouvail-il  emmagasiner  dans  son  œsophage  une  certaine  quantité  d'air. 

Il  parait  même  qu'un  prix  de  5  000  francs  avait  été  proposé  à  Londres  pour  le  plon- 
geur capable  de  rester  o  minutes  sous  l'eau,  et  que  le  capitaine  James  ne  put  le  gagner. 

On  peut  facilement  étudier  sur  soi-même  dans  quelles  conditions  et  combien  de  temps 
la  respiration  peut  être  suspendue.  Pour  cela  on  se  met  en  état  d'apnée,  c'est-à-dire 
qu'on  fait  une  énergique  et  prolongée  ventilation.  Avec  un  peu  d'exercice,  on  arrive 
bientôt  à  être  assez  habile  dans  cette  mécanique  respiratoire.  On  fait  une  série  de 
grandes  et  de  petites  respirations  très  rapides,  assez  pour  déterminer  par  l'effet  de  ces 
inspirations  répétées  une  vraie  anémie  cérébrale  de  cause  mécanique;  les  éblouissements 
et  les  vertiges  qu'on  observe  alors  sur  soi  n'ont  rien  de  pénible  ni  de  dangereux.  Quand 
l'état  d'apnée  est  ainsi  obtenu,  on  cesse  de  respirer,  on  ferme  légèrement  les  narines 
avec  la  main,  et  on  tient  la  bouche  fermée.  Je  suppose  qu'on  a  devant  soi  une  montre  à 
secondes  qui  marque  les  temps.  Surtout  il  faut  s'asseoir  commodément,  de  manière  à 
pouvoir  demeurer,  pendant  le  temps  de  l'expérience,  tout  à  fait  immobile;  car  le 
moindre  mouvement  diminue  énormément  la  durée  de  l'apnée.  J'ai  souvent  fait  cette 
simple  expérience,  et  je  suis  arrivé  à  pouvoir  ainsi  rester  au  maximum  2  minutes 
13  secondes,  sans  éprouver  de  gêne;  mais  à  la  rigueur  j'aurais  pu  encore  rester 
lo  secondes  de  plus  sans  respirer  :  ces  15  secondes  d'ailleurs  sont  trop  pénibles  pour 
qu'on  veuille  pousser  l'expérience  jusque-là,  et  il  faut  s'arrêler  dès  que  la  gêne  et 
l'angoisse  commencent. 

Cette  durée  de  2  minutes  30  secondes  est  bien  en  rapport  avec  la  quantité  d'oxygène 
dissous  dans  le  sang,  ainsi  qu'un  simple  calcul  va  le  montrer. 

Un  homme  de  70  kilogrammes  a  à  peu  près  5400  grammes  de  sang,  et  ce  sang  arté- 
riel, d'après  de  très  nombreuses  analyses  citées  par  Vieroriit  [Daten  und  Tabellcn, 
1888,  p.  115)  contient  18  p.  100  d'oxygène.  Par  conséquent,  il  y  a  dans  le  sang  d'un  homme 
de  70  kil.,  en  supposant  que  tout  son  sang  est  aussi  oxygéné  que  le  sang  artériel,  par 


ASPHYXIE. 


733 


suite  des  respirations  fréquentes  longtemps  continuées,  une  réserve  de  972  centimètres 
cubes  d'os.ygèue.  A  ce  chiffre  il  faut  ajouter  la  quantité  d'oxygène  qui  est  dans  l'air 
inspiré,  soit,  en  supposant  une  très  grande  inspiration,  4000  centimètres  cubes  d'air, 
c'est-à-dire  800  centimètres  cubes  d'oxj'gène.  Mais  ces  _800  centimètres  cubes  ne  peuvent 
être  jamais  entièrement  consommés,  et  l'expérience  prouve  que  nous  ne  pouvons  utili- 
ser, et  cela  dans  les  meilleures  conditions,  que  8  p.  100  en  oxygène  de  l'air  intra-pulmo- 
naire.  Or,  en  supposant  cela,  c'est  une  provision  de  320  centimètres  cubes  utilisable,  que 
nous  avons  dans  le  poumon,  après  une  inspiration  de  4  litres  d'air.  En  additionnant  ces 
320  centimètres  cubes  aux  972  centimètres  cubes  du  sang  cela  nons  donne  un  total  de 
J292  centimètres  cubes  d'oxygène  dont  nous  pouvons  disposer  dans  ces  conditions 
d'apnée  expérimentale. 

Venons  maintenant  à  la  consommation  d'oxygène;  elle  est,  d'après  les  auteurs  auto- 
risés, en  moyenne,  de  380  centimètres  cubes  par  kilogramme  et  par  heure,  ce  qui  fait, 
pour  un  homme  de  70  kil.,  440  centimètres  cubes  parminute. 

Ce  chiffre,  étant  multiplié  par  2  minutes  30  secondes,  temps  que  dure  l'apnée  la  plus 
prolongée  qu'on  puisse  vraisemblablement  supporter,  nous  donne  MOO  centimètres  cubes, 
chiffre  qui  se  rapproche  beaucoup  de  la  réserve  de  1292  centimètres  cubes  qui  est  dans 
les  poumons  et  dans  le  sang.  Il  ne  reste  eu  somme  que  192  centimètres  cubes;  c'est- 
à-dire  de  quoi  supporter  une  prolongation  d'asphjxie  d'une  demi-minute  à  peine. 

Durée  de  l'asphyxie  chez  les  animaux  à  sang  chaud.  —  A.  Chiens.  —  Nous  avons 
de  nombreux  documents,  et  principalement  les  expériences  du  Comité  de  Londres, 
rapportées  intégralement  par  Tardieu  (Annales  d'Hygiène,  1863,  t.  xix,  p.  312-360).  Dans 
0  expériences,  l'occlusion  de  la  trachée  ayant  été  faite  complètement,  la  cessation  des 
mouvements  respiratoires  eut  lieu,  en  moyemie,  après  4'.5",  avec  un  maximum  de 
4'40"  et  un  minimum  de  3'30".  Le  cœur  cessa  de  battre  après  7'H",  en  moyenne;  avec 
un  maximum  de  7'4o",  et  un  minimum  de  C'2.';".  On  doit  donc  admettre,  en  chili'res 
ronds,  4'  pour  la  fm  des  respirations  et  7'  pour  la  mort  du  cœur. 

Il  était  important  de  rechercher  au  bout  de  combien  de  temps  l'asphyxie  est  irrémé- 
diable sans  respiration  ai'tificielle.  Les  savants  expérimentateurs  du  Comité  de  Londres 
ont  constaté  dans  o  expériences  que  la  vie  revenait  après  des  asphyxies  durant  2',  3'o", 
3'3o"  et  3'oO".  Au  contraire,  après  une  occlusion  trachéale  de  4'10",  le  retour  à  la  vie,  par 
la  respiration  spontanée,  fut  impossible. 

La  submersion  détermine  une' mort  bien  plus  prompte  que  l'occlusion  trachéale,  et 
surtout  elle  se  fait  dans  des  conditions  telles  que  le  retour  à  la  vie  est  impossible.  Ainsi 
dans  dix  expériences  du  Comité  de  Londres,  des  chiens  furent  mintenus  sous  l'eau  2'. 

1.  Quelques  chiflres  de  statistique  prouveront  que,  pour  les  accideats  comme  pour  les  suicides, 
l'asphyxie  est  le  genre  de  mort  le  plus  fréquent. 

Les  chifl'res  sont  empruntés'à  l'article  de  Tourdes. 


a>;nées. 

SUBMERSION 

ACC1DE>."TKLLE. 

SUBMERSION 

VOLOKTAIRE. 

PENDAISON. 

TOTAL. 

1875 

4  366 

IGIO 

2  439 

8413 

1876 

S  689 

1681 

2  519 

9  889 

1877 

3120 

1^36 

2488 

6  844 

1878 

3162 

1293 

2  808 

7  263 

1879 

4  071 

1342 

2838 

8  271 

1880 

3781 

1937 

2774 

8  492 

1881 

3  942 

1934 

2  908 

8  784 

Ils  se  rapportent  aux  années  1873  à    1881. 

Ainsi,  sur  3300  suicides,  chiffre  moyen  annuel  des  suicides  en  France,  il  yen  a  environ  4  300  qui 
s'e.lectuent  par  l'asphyxie,  soit  80p.  100;  et,  sur  1400  morts  accidentelles,  la  submersion  compte 
pour  400,  c'est-à-dire  qu'elle  représente   à  peu  prés  30  p.  100. 


736  ASPHYXIE. 

Ils  moururent  tous,  sans  exception.  La  mort  est  aussi  survenue  après  des  submersions  de 
i'4o",  1'30",  i'30",  l'30".  Mais  il  y  a  eu  survie  après  submersion  de  1'  et  l'Iîi",  P.  Bert 
a  vu  chez  un  chien  la  mort  après  submersion  de  i'20",  et  la  survie  après  l'iO".  Pour  ma 
part,  j'ai  constaté  la  mort  après  submersion  de  l'4o"et,  dans  un  autre  cas,  la  survie  après 
submersion  de  t'30".  Encore  cette  survie  n'a-t-elle  pas  été  définitive;  car  le  chien  ainsi 
submergé  est  mort  le  lendemain. 

En  réunissant  ces  données  diverses,  nous  voyons  que,,  si  la  .  mort  par  l'occlusion 
trachéale  a  lieu  au  bout  de  4',  la  mort  par  submersion  a  lieu  au  bout  de  1  '30". 

Ces  expériences,  faites  sur  les  animaux  dans  des  conditions  de  parfaite  rigueur  scien- 
tifique, sont  plus  précises  que  les  observations  faites  sur  l'homme,  de  sorte  que  nous 
pouvons  admettre  pour  l'homme  les  chiffres  analogues  pour  l'asphyxie. 

La  cause  de  cette  énorme  différence  entre  la  mort  par  submersion  et  la  mort  par 
occlusion  de  la  trachée  n'est  pas  difficile  à  comprendre.  Elle  est  due  évidemment  à  un 
phénomène  constant  dans  l'asphyxie  par  submersion,  à  savoir  l'entrée  de  l'eau  par 
les  poumons.  P.  Bert  a  vu  qu'un  chien  de  10  kilos  peut  aspirer  jusqu'à  1  kilo  d'eau, 
ce  qui  est  une  quantité  probablement  bien  supérieure  à  ce  que  peut  absorber  la  muqueuse 
pulmonaire,  malgré  toute  sa  puissance  résorbante.  Brou^rdel  et  Loye,  dans  une  élude 
approfondie  de  la  mort  par  submersion  (A.  P.,  1889,  pp.  408  et  .578)  ont  montré  que 
cette  absorption  d'eau  (souvent  considérable,  420  centimètres  cubes  pour  un  chien 
de  5  kil.  et  780  centimètres  cubes  pour  un  chien  de  la  kil.)  avait  lieu  presque  toujours 
à  la  fin  de  la  première  minute  et  au  commencement  de  la  deuxième  minute  de  submer- 
sion. C'est  à  ce  moment  que  l'animal  rejette  l'air  qui  était  dans  le  poumon.  Or  on  com- 
prend que  d'abord  il  se  prive  ainsi  d'une  certaine  réserve  d'oxygène  intra-pulmonaire, 
mais  surtout  il  introduit  dans  l'arbre  aérien,  et  cela  jusqu'aux  dernières  ramifications 
bronchiques,  de  l'eau  irrespirable,  qui  fait  obstacle  à  l'hématose,  et  empêche  les  respira- 
tions qu'il  peut  faire  encore  d'être  efficaces. 

Ce  qui  prouve  bien  que  la  mort  si  rapide  par  la  submersion  est  due  à  la  pénétration 
de  l'eau  dans  les  poumons,  c'est  que,  si  l'on  fait  au  préalable  la  ligature  de  la  trachée,  et 
qu'on  submerge  un  chien  à  trachée  ligaturée,  de  telle  sorte  qu'il  subit  tous  les  effets  de 
la  submersion,  sauf  l'introduction  d'eau  dans  le  poumon,  il  peut  alors  supporter  une 
longue  submersion,  .l'ai  ramené  sans  peine  à  la  vie  un  chien  dont  la  trachée  avait  été 
liée,  et  qui  était  resté  sous  l'eau  pendant  3'30".  Des  expériences  analogues,  peut-être 
moins  probantes,  ont  été  faites  par  le  comité  de  Londres  sur  des  chiens  chloroformés. 

Si  le  retour  à  la  vie  est  possible  spontanément  sans  respiration  artificielle  après 
4  minutes  d'asphyxie,  ce  temps  est  bien  plus  prolongé  si  on  essaye  de  ranimer  l'animal 
par  la  respiration  artificielle.  Les  expérimentateurs  du  Comité  de  Londres  ont  pu,  par 
l'insufflation,  ranimer  un  chien  après  asphyxie  de  4' 50",  un  autre  après  K'2S";  mais  la 
respiration  artificielle  échoua  quand  elle  fut  pratiquée  après  fi' 50",  et  6'10".  Toutefois, 
autant  que  j'en  puis  juger  par  les  expériences  que  j'ai  faites,  le  chiffre  de  6'  me  paraît 
compatible  avec  un  retour  possible  à  la  vie  par  la  respiration  artificielle.  Piot  (D.  P., 
1882)  a  ramené  à  la  vie  des  chiens  après  asphyxie  de  8',  de  8',  de  6',  de  7'. 

Il  faut  considérer  évidemment  comme  erronée  l'expérience  (unique)  de  Gerue  {Redi. 
sur  les  lois  de  la  circul.  pulm.,  1  vol.  in-S°,  Masson,  Paris,  1895),  d'après  laquelle  un  chien 
trachéotomisé  (p.  271)  put  vivre  une  demi-heure  en  ne  respirant  que  de  l'azote.  11  est 
évident  que  ce  soi-disant  azote  était  de  l'air  plus  ou  moins  pauvre  en  oyygène.  Il  a  cher- 
ché inutilement  à  ressusciter  la  théorie  de  la  mort  par  arrêt  de  la  circulation  pulmo- 
naire. 

Nous  verrons  tout  à  l'heure  que  dans  certaines  conditions  la  durée  de  l'asphyxie  peut 
être  encore  bien  plus  prolongée.  Il  nous  suffit  d'établir  que,  dans  les  conditions  ordi- 
naires, chez  le  chifin,  la  durée  de  l'asphyxie  est  de  six  à  sept  à  huit  minutes,  et  qu'au 
bout  de  ce  temps  la  respiration  artificielle  peut  le  ranimer. 

Certains  phénomènes  interviennent  qui  modifient  beaucoup  la  durée  de  l'asphyxie. 
D'abord  les  mouvements  de  l'animal.  Si  en  effet  on  prend  un  chien  vigoureux,  se  débat- 
tant énergiquement,  il  est  clair  que  ses  efforts  musculaires,  épuisant  la  réserve  d'oxygène 
qui  est  dans  son  sang,  vont  contribuer  à  hâter  sa  fin.  Un  chien  profondément  anes- 
thésié,  et  qui  ne  se  débat  pas,  résistera  longtemps  à  l'asphyxie,  alors  que  les  chiens  qui 
s'agitent  meurent  bien  plus  vite.  Sur  les  lapins,  j'ai  souvent  montré  dans  mes  cours  le 


ASPHYXIE.  737 

lapin  strychnisé  qui  meurt    d'aspliyxie,  moins   de  deux  minutes   après    lijrnlni-e   de  la 


trachée,  tandis  que  le  lapin   chloralisé  ne  meurt  qu'au  bout  de  trois  à   cinq   minutes, 
toutes  autres  conditions  étant  les  mêmes. 


d;ct.  de  physiologie.   —  tome  i. 


738 


ASPHYXIE. 


Mais,  de  toutes  les  iiilluences,  celle  qui  paraît  être  la  pins  importante,  pour  modifier 

la    durée    des   phénomènes  asphyxiques, 

"  ~  -1  c'est  la  température.  J'ai   fait  à  cet  effet 

J  I  «  une   série  d'expériences  méthodiques,  qui 

g  1 .2  permettent  de    préciser  tant   soit  peu  la 

^  °-  S  durée  de  la  vie  après  ligature  de  la  trachée 

■=  -  S  (La  mort  du   cœur  dans  l'asphyxie.  A.  P. 

|ëd  1894,  pp.  654-668). 

I  ^.i;  Je  n'ai  jamais  vu  survivre  un  chien  à  une 

S'S'Z  occlusion  de  plus  de  16';  mais,  dans  un  cas, 

»J=°  un  chien  refroidi  à   2b°  ne  mourut  pas, 

"Sjs  après    qu'on   lui    eut   oblitéré   la   trachée 

2  '=•'.!  H  pendant  16'. 

>.  g,f  J  A  29°,  la  mort  survient  après  13',  et  on 

^  £  s  .2  peut   souvent  conserver  des  chiens  ayant 

^2'^'^  vécu  13'  et  14';  à  33"  la  durée  de  la  vie 

S  ij  S  £  n'est  plus  que  de  11'.   Bien   entendu,  il  y 

t-  ""c^  a  toujours  des  variations  individuelles  assez 

s  £  g  S  considérables. 

4  .B  °  s  D'ailleurs  de  vraies  difficultés  se  présen- 
ta ^  "  §  tent  pour  déterminer  le  moment  de  la  mort 

5  !B  I -^  définitive.  En  premier  lieu,  on  ne  peut 
'".if  guère  faire  servir  le  même  chien  plus  de 

2  ,i  rt  I  deux  ou  trois  fois,  non  par  raison  d'huma- 

=  -  ?»^  nité,    puisqu'il    s'agit    d'animaux    chloro- 

P   »;  ^"~  formés,  ou,  dans  mes  expériences,  chlora- 

'^.Bs'Z  losés    jusqu'à  insensibilité    complète    par 

!E  f  â'^  une  dose  moyenne  de  0,13  de  chloralose 

£   o  "  S  P'^''  kilogramme,  mais  parce  que  chaque 

1.  D  §  .J  période  d'asphyxie  épuise  l'animal  de  ma- 

g  =  ,|  ^  nière  à  le  rendre  de  plus  en  plus  sensible 

I  <  S  S  à  la  privation  d'oxygène. 

a  "  J  §  Pourtant  ce  n'est  pas  là  la  plus  grande 

0  -2  £  a'  difficulté.  Il  s'agit  de  savoir  quand  survient 
s  .î  "S  §  la  mort  véritable,  sans  retour  possible  à  la 
£  o  'l-s  vie. 
j  g  £  'S.  En    effet,  d'une  part    on  n'est  jamais 

1  '^  f  £  certain  d'avoir  poussé  l'asphyxie  jusqu'à 
g  .2  I  s  E  ses  dernières  limites,  et,  d'autre  part,  si 
£  S  £  ^  g  l'on  va  trop  loin,  on  court  risque  de  ne 
8  "  I  ^2  plus  pouvoir  réveiller  le  cœur.  Il  m'a 
s'  »  J  s'a  semblé  que,  tant  que  le  cœur  est  ralenti, 
i''  ^  a  Ë  -  il  peut  encore  être  ranimé.  Après  ce  ra- 
''   «^.Ë  I  "  lentissement  survient  une  période  d'accé- 

"5  ë  o"  S  lération  qui  dure  une  demi-minute  à  peu 

^l^.is  près.  C'est  ce  moment  qui  est  grave  ;  car 

g  S  K  .s  l'accélération  cardiaque  est  un  signe  précur- 

■S  -a  -g  g  seur  de  la  mort  du  cœur,  et,  pour  peu  qu'on 

^  f  Z  S  tarde,  le  cœur  se    ralentit  de   nouveau; 

o  "^  1  S  ralentissement  secondaire  qui  est  l'indice 

■^"^  i  g  falal  de  la  mort;  car  le  cœur,  ainsi  ralenti 

■i-S'c  o  après  accélération,  ne  peut  pas  être  rap- 

■f  I  -f  1  pelé  à  la  vie.  A  vrai  dire  il  y  a  quelques 

.°  ~  "  différences   dans    cette   dernière    période, 

""  mais  presque  toujours  on  peut  considérer 

comme  la  flu  du  cœur  le  lalentissement   qui   succède  immédiatement  à   l'accélération 

finale. 


ASPHYXIE. 


739 


En  prenant  comme  terme  ultime  de  la  vie  du  cûjur  le  moment  où,  après  ralentisse- 
ment, il  s'accélère,  j'ai  obtenu  les  chiffres  suivants  : 


ACCÉLÉRATION 

MOYENNE 

MAXIM  A    ET    MINIMA 

TEMPERATURE 

DU      CŒUR 

DE     ?     BXPÉR. 

DE     TEMPERATURE 

MOYENNE. 

après  UDO  dui-ee  moyenne 
(le  ■?  minutes. 

Il 

41»2  à  41"0 

41°12 

3'10" 

I 

39-2 

39«2(l 

3'40" 

111 

37°5  il  H.'ioS 

36°70 

7'15" 

IV 

34-9  il  34"i 

34°60 

9'30" 

VI 

33»5  à  32"2 

32°70 

IU'4.3" 

VI 

30»5  à  28"8 

29"70 

12' 

I 

27»4 

27°40 

13'45" 

II 

25»5  à  24»9 

23-20 

'13'30" 

II 

23°7  à  23»6 

23»6o 

IS' 

Dans  sept  expériences,  la  respiration  artificielle  a  été  inefficace,  après  des  asphyxie; 
de  durée  variable  et  de  température  variable. 


Tempcjraturo. 

Dur.ie 

de  l'asphyxie 

41-0.5 

3'20" 

39''20 

4" 

32-80 

'10'30" 

32-30 

14' 

30»00 

13' 

23-70 

20' 

23-60 

19' 

Au  contraire  la  respiration  artificielle   a  été   efficace  et  a  ramené  la  vie  après  les 
périodes  suivantes  : 


41-2 

4' 

37-3 

9' 

36-9 

6'30" 

36'>8' 

3' 

3S-8 

7'30" 

34-9 

8' 

34-5 

10' 

34-5 

9'30' 

34-4 

12' 30 

34° 

8' 

33-0 

10'30 

33-1 

1(1' 

32-3 

12' 

32-2 

11 

30-3 

13 

30-0 

12 

29-6 

12 

29-2 

11' 

28-8 

12' 

27-4 

13' 

23-3 

16' 

24-9 

16.' 

Comme  moyen  mnémotechnique,  on  voit  que,  quand  la  température  baisse  de  39" 
à  20°,  soit  de  14°,  la  durée  de  l'asphyxie  se  prolonge  de  7'  à  16';  soit  de  9';  c'est-à-dire 
sensiblement  pour  j  3  degrés  d'abaissement  une  prolongation  dans  l'asphyxie  de 
2  minutes. 

Un  autre  élément  intervient  encore  dans  la  prolongation  de  l'asphyxie;  c'est  le  ralen- 
tissement du  cœur;  mais  nous  aurons  l'occasion  d'y  revenir  à  propos  des  symptômes 
mêmes  de  l'asphyxie. 

En  définitive,  pour  les  chiens,  on  peut  admettre  les  moyennes  suivantes. 

Submergés  :  l'30". 

A  trachée  fermée  :  4'  (sans  respiration  artificielle). 

Retour  possible  à  la  vie  par  respiration  artificielle  :  7' 30". 

Refroidis  à  20°  :  16'. 


740 


ASPHYXIE. 


B.  Chats.  —  L'étude  de  l'asphyxie  sur  les  chats  a  été  très  bien  faite  par  Boehm  (Wie- 
derbelebiingcn  nach  Vergiftimgcn  und  A^phijxie.  A.  P.  P.,  877,  t.  viii,  pp.  68-101). 

Dans  ses  expériences  Boehsi  compare  la  mort  par  asphyxie  à  la  mort  par  l'empoison- 
nement avec  les  sels  de  potassium,  et  avec  le  chloroforme  qui  arrêtent  le  cœur.  Il 
constate  d'abord  ce  fait  très  intéressant  et  qui  paraîtrait  extraordinaire  et  invraisem- 
blable s'il  n'était  établi  par  un  aussi  bon  observateur,  que,  10'  après  arrêt  complet  du, 
cœur  par  le  chloroforme,  le  coïur  peut  se  remettre  à  battre.  Mais  c'est  là  un  résul- 
tat  exceptionnel;    et,  en   général,  au  bout   de  4   à  b   minutes  d'arrêt,  le  coîur  ne  peut 


Fiti.  60.  —  Influence  de  la  température  sur  la  mort  du 
aphiquc  résultant  de    la  moyenne   de   viugt-sopt  expériences.  A   l'c 


températui-es  ;  à  l'ordonnée  latérale,  les  lemps 

la  trachée  est  ouverte  jusqu'au  monieut  où  le  cfour 


QUte.s.  1 
î'accélère:  accél 


dans  l'asphyxie. 

ée  inférieure  sont  marquées  les 

temps  sout  comptés  depuis  le  moment  où 

on  qui  précède  immédiatement 


être  rappelé  à  la  vie.  Au  contraire,  quand  le  conir  s'était  arrêté  par  suite  du  défaut 
d'oxygène,  c'est-à-dire  par  asphy.\ie,  il  n'a  pu  rester  arrêté  (sans  mourir  définitivement) 
que  pendant  un  temps  très  couri,  de  20  à  30  secondes  tout  au  plus,  sauf  quelques 
cas  fort  rares.  I,a  durée  de  l'asphyxie  a  éié  de  4,  5,  0,  7,  8,  et  même  il  minutes;  et, 
au  bout  de  ce  temps  même,  la  mort  dans  un  cas  n'a  pas  été  fatale.  Cependant  en 
général  la  mort  survenait  après  une  asphyxie  de  7  minutes,  c'est  à-dire  à  peu  près  aussi 
longtemps,  ni  plus  ni  moins,  que  'Chez  le  chien.  Peut-être,  dans  ces  grandes  variations 
de  durée,  la  température,  qui  n'a   pas  été  pi'ise,  a-t-elle  joué  un  rôle. 

G.  lioiujeurs.  —  Les  expériences  faites  d'autres  animaux  sont  moins  nombreuses.  Elles 
sont  dues  à  Paul  Bert,  qui,  dans  ses  Leçons  xur  la  respiration,  nous  en  donne  de  bons 
exemples. 


ASPHYXIE.  7il 

Chez  les  lapins,  après  submersion,  le  dernier  mouvement  respiratoire  a  eu  lieu,  en 
moyenne,  3  minutes  après  le  début  de  l'aspbyxie.  Chez  les  cobayes,  c'a  été  ù  peu  près 
aussi  le  même  temps.  La  commission  de  Londres  a  vu,  en  plongeant  un  cobaye  dans  du 
mercure,  les  mouvements  cesser  après  2  minutes.  \A'.  Edwards  admet  pour  les  cobayes 
une  durée  plus  longue,  de  3' .3b";  Paul  BEnT,chez  les  rats  d'égout  et  chez  les  rats  d'eau, 
2'17";  en  somme,  mêmes  o.biffres.  Le  Coquil,  après  11  expériences  faites  sur  des  rats, 
adopte  le  chiffre  de  3'  pour  la  durée  de  la  vie  dans  la  submersion.  W.  Edwards,  en  met- 
tant une  chauve-souris  dans  l'hydrogène,  l'a  vue  mourir  en  4'. 

D.  Animaux  nouveau-né^.  —  Il  y  a  luie  condition  qui  modifie  énormément  la  durée  de 
l'asphyxie,  c'est  l'âge  de  l'animal.  On  sait  tjue  les  animaux  nouveau-nés  résistent  très 
longtemps,  et  on  peut  se  demander  aussi  pourquoi  le  fœtus,  qui  supporte  si  bien  l'ab- 
sence d'oxygène,  devient  sensible  à  l'asphyxie,  dès  qu'il  a  commencé  à  respirer.  Le 
problème  a  été  posé  par  Hahvey,  et  on  nous  permettra  de  reproduire  ses  paroles,  car 
on  en  parle  souvent,  sans  connaître  les  termes  mêmes  dont  il  s'est  servi  [De  gcneratione 
animaliiim,  édit.  de  Leyde,  i737,  p.  333)  :  «  Débet  interea  problema  hoc  viris  doctis  pro- 
ponere  :  quomodo  nempe  enibryo  post  septimum  mensem  in  utero  matris  persevci'et? 
qUum  tamen  eo  tempore  e.'îclusus  statim  respiret,  imo  vero  sine  respiratione  ne  horulam 
quidem  superesse  possit,  in  utero  autein  manens,ut  dixi,  ultra  nonura  mensem^  absquo 
respirationis  adminiculo  vivus  et  sanus  degaf?  Dicam  planius  :  qui  Ot  ut  fœtus,  in  lucem 
editus  ac  membranis  integris  opertus,  et  etiamnum  in  aqua  sua  manens,  per  aliquot 
horas,  citra  suffocationis  pei-iculum,  superstes  siL,  idem  tamen,  secundis  exutus,  si  semel 
aerem  intra  pulmones  attraxerit,  postea  ne  momenlum  quidem  temporis  absque  eo  du- 
rare  possit,  sed   confestim  moriatur?  » 

Or,  ainsi  que  Haller  l'a  bien  montré,  le  problème  de  Harvey  ne  doit  pas  être 
posé  dans  ces  termes.  Le  fœtus,  tant  qu'il  respire  par  le  placenta,  ne  peut,  au  point  de 
vue  de  la  respiration,  être  comparé  à. un  adulte;  car  les  procédés  d'oxygénation  sont 
tout  à  fait  différents.  En  outre  la  petite  circulation  du  fœtus  se  fait  tout  autrement  que 
chez  l'adulte. 

C'est  un  fait  connu  de  toute  antiquité  que  la  mère  peut  mourir,  et  que  le  fœtus  reste 
vivant  encore,  quoique  la  circulation  du  sang  maternel  à  travers  lé  placenta  ait  absolu- 
ment cessé.  Si  la  persistance  de  la  vie  du  fœtus  tenait  à  l'existence  du  trou  de  Botal 
et  du  canal  artériel,  il  faudrait  admettre  que  la  mort  des  adultes  dans  l'asphyxie 
est  due  à  un  trouble  de  la  circulation  pulmonaire;  mais  c'est  là  évidemment  une  théorie 
tont  à  fait  erronée,  et  la  mort  par  asphyxie  est  due  uniquement  à  la  privation  d'oxygène, 
comme  cela  a  été  prouvé  par  Bichat  et  tous  les  autres  physiologistes. 

La  seule  explication  acceptable  qu'on  puisse  donner  de  la  résistance  plus  grande  du 
fœtus  à  l'asphyxie,  c'est  que  les  tissus  du  fœtus,  et  spécialement  le  système  nerveux,  peu- 
vent longtemps  résister  à  la  privation  d'oxygène.  Une  belle  observation  de  Buffon  prouve 
que,  même  chez  les  animaux  nouveau-nés  qui  ont  respiré,  la  résistance  à  la  privation 
d'oxygène  est  encore  beaucoup  plus  grande  que  chez  l'adulte.  Ce  grand  naturaliste,  en 
plongeant  des  chiens  nouveau-nés  dans  du  lait  tiède,  les  a  vus  rester  plus  d'une  demi- 
heure  sans  mourir.  Expérience  fondamentale,  répétée  par  Haller,  par  Legallois,  par 
W.  Edwards,  par  Paul  Bert,  et  qui  a  toujours  donné  le  même  résultat,  de  sorte  que  ce 
fait,  malgré  sa  singularité,  est  un  des  mieux  démontrés  de  la  physiologie. 

Paul  Bkrt,  plongeant  dans  l'eau  déjeunes  rats  d'une  même  portée,  a  vu  que,  sui- 
vant l'âge,  la  résistance  à  l'asphyxie  varie  de  la  manière  suivante. 

Rat  de  12  à  15  lieurcs   ...*..       Dernier  mouvement  à  .30' 

—  :^  joiM-s —  —  2T 

—  6     —      —  —  13' 

—  10  —      —  —  11'30" 

—  13  —      —  —  T20" 

—  14  —      —  —  ■    -i'iii" 

—  20  —      —  —  r33" 

Ainsi,  dit  Pall  Bert,  un  jeune  rat  périt  sous  l'eau  en  même  temps  qu  un  rat  adulte, 


742  ASPHYXIE. 

seulement  lorsqu'il  est  âgé  de  20  jours,  et  pourtant  depuis  longtemps  la  circulation  des 
jeunes  rats  est  tout  à  fait  la  même  que  celle  des  adultes. 

Dans  son  ouvrage  sur  l'influence  des  agents  physiques  sur  la  vie,  W.  Edwards  donne 
de  très  nombreux  cas  de  cette  extrême  résistance  des  jeunes  animaux;  les  jeunes 
cobayes  de  2  à  3  jours  ne  meurent  asphyxiés  qu'au  bout  de  3'  25",  tandis  que  les 
cobayes  adultes  meurent  au  bout  de  3'  33". 

Chez  les  oiseaux,  il  y  a,  comme  ou  sait,  deux  groupes  bien  distincts  :  les  oiseaux  qui 
naissent  avec  leurs  plumes,  capables  de  se  mouvoir  et  de  chercher  eux-mêmes  leur  vie, 
et  les  oiseaux  qui  naissent  sans  plumes,  et  les, yeux  fermés.  Par  exemple,  les  gallinacés 
sortent  de  la  coquille  tout  à  fait  vivaces,  et  déjà  presque  adultes,  si  je  puis  dire,  tandis 
que  les  tout  jeunes  passereaux  sont  encore,  au  moment  de  l'éclosion,  dans  un  état  à 
demi  embryonnaire.  Or  les  jeunes  gallinacés  ne  présentent  pas  plus  de  résistance  à  l'as- 
phyxie que  les  adultes,  tandis  que  les  jeunes  passereaux  se  comportent,  par  leur  grande 
résistance,  comme  les  mammifères  nouveau-nés. 

Une  autre  expérience  vient  prouver  encore  que  ce  n'est  pas  par  suite  de  leur  appa- 
reil fœtal  de  circulation  que  les  nouveau-nés  résistent  si  longtemps  à  l'asphyxie.  En 
effet,  si  l'on  enlève  le  cœur  d'un  chat  ou  d'un  chien  nouveau-né,  il  est  clair  qu'alors  on 
ne  peut  plus  invoquer  pour  expliquer  la  persistance  de  la  vitalité  du  système  nerveux 
une  cause  de  mécanique  circulatoire,  puisque  alors  toute  circulation  est  complètement 
supprimée.  Cependant,  après  ablation  du  cœur  chez  les  nouveau-ne's,  la  vitalité  des 
tissus  est  prodigieusement  longue,  non  certes  par  rapport  à  ce  qu'on  peut  observer  chez 
les  animaux  à  sang  froid,  mais  par  rapport  à  ce  qui  existe  chez  les  mammifères  adultes. 
Après  cessation  de  la  circulation  chez  l'adulte,  il  y  a  arrêt  des  réflexes  presque  immé- 
diat, au  bout  d'une  demi-minute  tout  au  plus.  Eh  bien,  chez  les  chats  et  les  chiens  nou- 
veau-nés, comme  je  m'en  "suis  assuré  à  maintes  reprises  avec  P.  Langlois,  on  voit 
encore  des  (réflexes,  et  notamment  des  respirations  réflexes,  12  et  parfois  14  minutes 
après  que  le  cœur  a  été  enlevé.  Comment  expliquer  cette  persistance,  sinon  en  suppo- 
sant que  les  tissus  nerveux  du  nouveau-né  présentent  une  résistance  bien  plus  grande 
que  les  tissus  nerveux  de  l'adulte  à  la  mort  par  privation  de  sang  ou  d'oxygène? 

De  fait  c'est  la  seule  hypothèse  admissible,  et  nous  verrons  que,  chez  les  animaux  à 
sang  froid,  les  variations  de  la  température  organique  ne  suffisent  pas  pour  expliquer 
les  différences  énormes  qu'on  constate  dans  la  résistance  à  l'asphyxie,  mais  bien  qu'il 
faut  reconnaître  une  autre  influence,  c'est-à-dire  une  résistance  variable  du  système  ner- 
veux chez  les  divers  animaux. 

E.  Oiseaux  et  animaux  plongeurs.  —  Chez  les  oiseaux  la  durée  de  l'asphyxie  est  variable. 
Les  petits  oiseaux,  dont  la  respiration  est  extrêmement  active,  et  le  système  nerveux 
très  fragile,  meurent  bien  vite.  Ainsi  les  moineaux,  les  alouettes,  d'après  Paul  Beat, 
meurent  au  bout  d'une  demi-minute.  Les  pigeons  meurent  en  l't3".  Ce  chiffre  me  paraît 
tout  à  fait  exact;  car  j'ai  vu  mourir  un  pigeon,  après  asphyxie  de  1' 30'',  et  un  autre  sur- 
vivre après  asphyxie  de  f  10".  A  mesure  que  l'oiseau  est  plus  gros,  et  par  conséquent 
produisant,  par  rapport  à  son  poids,  une  moins  grande  quantité  d'oxygène,  la  durée  de 
la  vie  se  prolonge.  Ainsi,  dans  six  expériences,  Paul  Bert  a  vu  que  les  poules  ne  meu- 
rent qu'après  3'  31".,, 

C'est  là  d'ailleurs  un  fait  facile  à  comprendre,  et  nous  avons  vu  la  même  loi  chez  les 
mammifères,  puisque  les  rats,  par  exemple,  succombent  en  deux  minutes,  tandis  que 
les  chiens  ne  succombent  qu'en  six  minutes. 

Parmi  les  oiseaux,  il  en  est  qui  méritent  au  point  de  vue  de  l'asphyxie  une  étude 
toute  spéciale;  ce  sont  les  oiseaux  plongeurs,  dont  le  tj'pe  est  le  canard,  sur  lequel  on 
peut  facilement  expérimenter. 

Or,  les  canards,  placés  sous  l'eau,  résistent  admirablement  à  l'asphyxie.  Au  bout  de 
11  minutes  (moyenne  de  8  expériences  de  Paul  Bert)  ils  donnent  encore  quelques 
signes  de  vie,  et  en  général,  plongés  sous  l'eau  pendant  7  à  8  minutes,  ils  ne  paraissent 
nullement  incommodés,  tandis  qu'un  poulet  de  même  taille  succombe  en  moins  de 
3  minutes. 

Cherchant  à  étudier  la  raison  de  cette  différence,  Paul  Bert  a  supposé  que  la  vraie 
cause  était  une  plus  grande  quantité  de  sang  dans  l'organisme  du  canard,  et,  pour  cela, 
il  a  fait  une  abondante  hémorragie  à  un  canard,  et  il  a  vu  alors  ce  canard  qui  avait 


ASPHYXIE.  743 

perdu  du  sang,  ne  résister  pas  plus  qu'un  poulel.  Il  a  donc  supposé  que  la  résistance 
du  canard  était  due  précisément  à  une  plus  grande  quantité  de  sang.  Mais  cette  e.vplica- 
lion  ne  me  paraît  pas  satisfaisante,  et  un  simple  calcul  va  nous  montrer  que  l'hypothèse 
de  Paul  Bert  est  inadmissible. 

En  effet,  la  quantité  de  sang  contenue  dans  l'organisme  du  canard  serait,  d'après 
Paul  Bert  lui-même,  de  un  seizième  du  poids  du  corps.  Par  conséquent  un  canard  de 
i  kilogramme  ne  peut  guère  avoir  que  60  grammes  de  sang.  Supposons  un  chiffre  plus 
fort;  soit  100  grammes  de  sang.  Ces  tOO  grammes  ne  représenteront  au  plus  que  30  cen- 
timètres cubes  d'o.xygène.  Or  la  consommation  d'un  canard  en  oxygène  est  au  moins  de 
400  centimètres  cubes  par  kilogramme  et  par  heure,  soit  de  7  centimètres  cubes  par 
minute.  Ainsi,  avec  ces  chiffres  manifestement  exagérés,  il  n'y  a  d'oxygène  que  pour 
une  durée  de  4  minutes  au  plus.  Pourtant  nous  voyons  le  canard  résister  H  minutes. 
Donc  cette  longue  résistance  ne  peut  tenir  à  une  quantité  de  sang  plus  grande  que  chez 
les  autres  oiseaux. 

L'expérience  directe  vient  confirmer  l'inexactitude  de  la  théorie  de  Paul  Bert  (Ch. 
RiCHET,  Résistance  des  canards  à  l'asphyxie.  B.  B.,  18  mars  1894,  pp.  244-245;  789-790).  En 
elfet,  en  faisant  subir  une  grave  hémorragie  à  un  canard,  je  n'ai  diminué  que  dans  une 
bien  faible  proportion  sa  résistance  à  l'asphyxie.  Un  canard  de  880  grammes,  à  qui  j'ou- 
vris les  deux  veines  jugulaires,  perdit  en  quelques  minutes  40  grammes  de  sang,  soit 
près  des  deux  tiers  de  la  quantité  totale  de  son  sang.  Cette  hémorragie  l'afl'aiblit  beau- 
coup; mais,  une  demi-heure  après,  il  paraissait  remis.  Alors  je  le  plongeai  dans  l'eau 
pendant  4  minutes,  et,  au  bout  de  ce  temps,  il  ne  sembla  pas  incommodé.  Un  autre 
canard,  pesant  exactement  le  même  poids,  subit  une  hémorragie  de  3o  grammes  de 
sang.  Une  heure  après  il  fut  submergé  pendant  6'  30";  quoique  assez  incommodé  quand 
on  le  retira  de  l'eau,  au  bout  de  quelque  temps  il  était  parfaitement  remis.  Comme 
contrôle,  je  plongeai  sous  l'eau,  5  minutes  après  que  le  canard  hémorragie  y  était 
déjà,  un  gros  pigeon  presque  de  même  poids,  et  je  les  retirai  en  même  temps  l'un  et 
l'autre.  Mais  le  pigeon  était  mort,  tandis  que  le  canard  se  rétablit  très  vite.  Donc 
cette  ingénieuse  hypothèse  sur  l'influence  d'une  grande  quantité  de  sang  n'est  pas 
défendable. 

D'ailleurs  Paul  Bert  n'a  fait  que  très  peu  d'expériences  (une  seule!),  et  il  n'est  pas 
aussi  affirmatif  que  les  auteurs  semblent  le  dire.  En  tout  cas  il  est  évident  que  la  résistance 
du  canard  ne  tient  pas  au  sang  très  abondant,  mais  bien  plutôt  à  la  résistance  vitale  plus 
grande  de  ses  tissus,  et  spécialement  de  son  système  nerveux. 

Ajoutons  une  autre  condition,  probablement  très  efficace,  pour  hâter  la  fin  des  ani- 
maux non  plongeurs  submergés;  c'est  que,  placés  sous  l'eau,  ils  se  débattent  avec  vio- 
lence, sans  doute  leur  agitation  incessante  active  la  dépense  de  l'oxygène  que  leur  sang 
tient  en  réserve.  Au  contraire  le  canard  reste  presque  absolument  immobile  quand  on 
le  plonge  dans  l'eau. 

Il  ne  faut  pas  non  plus  oublier  qu'il  y  a  tout  un  système  de  sacs  aériens,  osseux  et 
viscéraux,  chez  les  gallinacés,  et  que  la  capacité  de  ces  appareils  est  assez  notable. 
Gréhant  évalue  à  300  centimètres  cubes  la  quantité  d'air  contenue  ainsi  dans  le  corps 
d'un  canard,  c'est-à-dire  60  centimètres  cubes  d'cxygène.  En  supposant  qu'il  puisse  en 
utiliser  le  tiers,  ce  qui  est  possible,  cela  fait  encore  à  peu  près  assez  d'oxygène  pour  pro- 
longer la  vie  pendant  trois  minutes. 

Les  oies  résistent  moins  bien  que  les  canards,  mais  mieux  que  les  poulets.  Dans  une 
expérience,  j'ai  trouvé  pour  l'asphyxie  ^d'une  oie  o'40";  chez  une  autre  oie  décapitée, 
les  mouvements  n'ont  cessé  qu'au  bout  de  8'10".  Il  est  vrai  que,  dans  ce  cas,  l'animal 
avait  été  antérieurement  refroidi. 

Puisque  nous  parlons  des  animaux  plongeurs,  il  faudrait  aussi  étudier  les  causes  qui 
permettent  à  certains  mammifères,  comme  les  phoques  et  les  baleines,  de  résister  long- 
temps au  besoin  de  respirer. "Mais,  dans  ces  cas,  l'expérimentation  n'est  pas  facile  :  il  faut 
donc  se  contenter,  d'une  part  des  considérations  anatomiques,  toujours  insuffisantes, 
d'autre  part  des  données  plus  ou  moins  précises  recueillies  parles  voyageurs.  Bert  a  vu 
qu'un  phoque,  déjà  malade  il  est  vrai,  et  probablement  refroidi,  a  eu  encore  des  mou- 
vements après  28'  d'asphyxie.  Gratiolet,  cité  par  Paul  Bert,  dit  que  les  hippopotames 
peuvent  rester  15  minutes  sans  respirer.  J'ai  vu,  au  jardin  zoologique  d'Amsterdam,  un 


lii.  ASPHYXIE. 

hippopotame  rester  8  minutes  sous  l'eau,  et,  d'après  Scobesby,  une  baleine  peut  plonger 
pendant  30  minutes,  fait  que  m'a  confirmé  récemment  E.  Rettesep. 

On  a  cherctié  à  expliquer  cette  résistance  par  une  plus  grande  quantité  de  sang  — 
ce  qui  nous  semble  une  explication  insuffisante  —  ou  par  la  présence  d'un  sphincter 
puissant  autour  Je  l'oiifice  de  la  veine  cave  inférieure.  Mais  ce  sphincter  ne  peut  guère 
ctie  qu'une  condition  adjuvante,  pour  retarder  de  très  peu  de  temps  la  mort  du  cœur; 
puisque  nous  savons  que  la  mort  dans  t'asphyxie  est  due,  non  à  un  défaut  de  la  cir- 
culation pulmonaire, .mais  à  l'absence  d'oxygène  dans  les  centres  nerveux  et  dans  le 
cœur. 

En  réalité,  comme  l'admettent  Gratiolet  lui-même,  le  délVnseur  de  l'ingénieuse 
théorie  du  sphincier  de  la  veine  cave,  et  Paul  Bert,  qui  a  soutenu  l'hypothèse  du  sang 
plus  abondant,  il  faut,  pour  les  plongeurs  comme  pour  les  nouveau-nés,  reconnaître  que 
la  firincipale  cause  de  la  résistance  prolongée  à  l'aspliyxie,  c'est  une  résistance  plus 
grande  des  centres  nerveux  et  du  ca^ur  à  la  privation  d'oxygène.  Le  ralentissement  du 
ceeur  exerce  aussi  quelque  intlucnce.  En  effet,  en  donnant  à  un  canard  une  dose  d'à 
Iropine,  tout  à  fait  insufli.-ante  pour  le  tuer,  soit  Osi'jOlo,  mais  suffisante  ponr  paralyser 
les  terminaisons  du  pneumogastrique,  j'ai  pu  diminuer  énoi-ménient  la  résistance  à  la 
submersion,  qui  n'est  plus  que  de  3  ou  4  minutes  à  peine  (B.  B.,  181)4,  l.  i,  pp.  244,  789). 
DissARD  a  constaté  le  même  phénomène  chez  les  poissons  {B.B.,  1894,  p.  833). 

Résumé.  Hiérarchie  physiologique.  —  Il  y  a  entre  les  différents  animaux  une 
hiérarchie  physiologique,  bien  différente  de  la  hiérarchie  zoologique.  Certains  êtres  son'. 
très  sensibles  à  l'asphyxie,  comme  le  moineau,  comme  l'iiomme  adulte;  d'autres  au 
contraire,  comme  le  nouveau-né  ou  l'animal  plongeur,  sont  très  résistants.  C'est  le  sys- 
tème nerveux  qui  meurt  plus  ou  moins  vite  chez  les  uns  et  les  autres,  et  cette  donnée,  au 
lieu  d'être  absurde,  est  au  contraire  tout  à  fait  nécessaire.  Comment  admettre  que  des 
tissus  appartenant  a  des  êtres  divers  soient  exactement  semblables?  A  priori  ils  ne  peu- 
vent être  identiques,  et  ce  qui  est  surprenant,  c'est  plutôt  leur  étonnante  ressemblance  et 
Ja  similitude  de  toutes  leurs  réactions  vitales  que  leurs  minimes  diversifications. 

Il  est  remarquable  de  voir  que,  dans  la  mort  par  submersion.,  l'élévation  de  la  tem- 
pérature, au  lieu  d'accélérer  la  mort,  comme  on  pourrait  le  supposer  a  priori,  tend  au 
contraire  k  la  ralentir,  au  moins  sur  les  jeunes  animaux. 

Les  expériences  de  W.  Edwards  le  prouvent  nettement. 


IX  Chats   (de  2  jours) 

à  0°  ont 

vécu  4'33" 

(moyenne) 

III     —            — 

10° 

— 

10'23" 

— 

II      —            — 

20° 

— 

38'4b" 

— 

I        —            

26° 



34'30" 

— 

II      —            — 

30° 

_ 

29'00" 

_ 

IV   —           — 

42° 

_ 

10'2T' 

— 

II  Chiens  de  '6  jours  ;' 

1       0» 

_ 

12'05" 

— 

I       —            — 

22°D 

— 

5S'30" 

— 

VI  Moineaux  adultes 

à     0° 

— 

0'30" 

— 

Vit  —            _ 

20° 

— 

0'46" 

— 

VI   —              - 

40° 

— 

0'39" 

— 

Mais,  en  réfléchissant  à  cette  influence,  on  comprend.,bien  que  le  froid  d'un  bain  à  0°  doit 
provoquer  une  réaction  énergique  :  le  système  nerveux  commande  alors  des  combus- 
tions plus  actives.  En  un  mot  l'abaissement  de  la  tempe'rature  extérieure  ne  diminue  pas 
la  durée  de  l'asphyxie;  au  contraire;  car  il  provoque  des  combustions  plus  intenses.  Ce 
qui  diminue  la  durée  de  l'asphyxie,  c'est  l'abaissement  de  la  température  organique 
des  animaux  eux-mêmes,  tandis  que  celle  du  milieu  ambiant  a  un  effet  absolument 
opposé. 

Durée  de  l'asphyxie  chez  les  animaux  à  sang  froid.  —  Chez  les  animaux  à 
sang  froid,  la  diversité  est  bien  plus  grande  que  chez  les  mammifères  et  les  oiseaux,  et 
cette  diversité  lelève  de  deux  causes  essentielles;  d'une  part  la  température,  d'autre  part 
la  résistance  propre  des  tissus. 

D'une  manière  générale,  comme  les  animaux  à  sang  froid  vivent  à  des  tempéralures 
nolablement  plus  basses  que  les  homéothermes,  il  s'ensuit  que  leurs  combustions  sont 


ASPHYXIE.  745 

beaucoup  moins  actives,  et  par  conséquent  que  la  durée  de  l'asphyxie  est  beaucoup  plus 
longue.  Une  expérience  simple,  un  peu  trop  simple  peut-être,  que  je  fais  dans  mes 
cours,  élablira  bien  cette  distinction. 

[.'oxygène  dissous  dans  le  sang  constitue  en  réalité  une  réserve  de  comburant;  et  on 
peut  comparer  l'animal  dont  la  trachée  est  oblitérée  à  une  flamme  qui  brûle  dans  un 
espace  clos.  Que  l'on  preime  une  cloche  d'air,  et  qu'on  fasse  brûler  dans  cette  cloche 
un  gros  bec  de  gaz,  pour  peu  que  le  débit  de  gaz  soit  rapide,  en  quelques  secondes  tout 
l'oxygène  de  la  cloche  aura  disparu,  et  la  flamme  s'éteindra;  ce  sera,  si  l'on  veut,  l'as- 
phyxie  dé  la  flamme.  Mais  que  l'on  fasse  brûler  dans  cette  même  cloche  un  petit  bec  de 
gaz  avec  débit  très  faible,  il  faudra  quelques  minutes,  au  lieu  de  quelques  secondes, 
pour  épuiser  la  réserve  d'oxygène  contenue  dans  la  cloche.  J'ai  l'usage,  dans  mes  cours, 
de  faire  cette  expérience  1res  simple,  presque  enfantine,  pour  bien  montrer  aux  élèves 
comment  un  animal  à  sang  chaud  et  un  animal  à  sang  froid  se  comportent  très  diflërem- 
ment  dans  le  même  milieu. 

On  peut  comparer  à  la  pelitetlamme  du  gaz  l'animal  à  sang  froid.  Comme  il  brûle 
peu,  il  mettra  longtemps  à  s'asphyxier,  et  il  y  a  une  relation  étroite  entre  la  quantité 
des  échanges  interstitiels  et  la  durée  même  de  l'asphyxie. 

En  dehors  de  toute  influence  thermique,  voyons  dans  quelles  conditions  survient  l'as- 
phyxie des  animaux  à  sang  froid. 

Je  mentionnerai  d'abord  les  faits  très  extraordinaires  et  presque  invraisemblables  de 
la  longue  survie  de  certains  animaux  enfermés  dans  du  plâtre  ou  conservés  dans  les 
troncs  des  vieux  arbres.  Nous  avons.  Rondeau  et  moi,  rapporté  ces  curieuses  observations 
d'autrefois.  {Sur  la  vie  des  animaux  enfermés  dans  du  plâtre;  B.B.,  1882,  t.  iv,  (7),  p.  692). 
Pour  la  bibliographie  voir  ce  mémoire  et  un  article  critique  de  A.  de  Rochas  {Nature, 
188o)  (1).  Nous  y  avons  ajouté  quelques  expériences  nouvelles.  Hérissant  avait  montré 
que  des  crapauds,  qui  vivent  longtemps  quand  on  les  a  enfermés  dans  du  plâtre  laissé 
simplement  à  l'air  libre,  meurent  bientôt  si  on  plonge  la  masse  de  plâtre  dans  l'eau,  de 
sorte  que  c'est  probablement  à  travers  le  plâtre  perméable  aux  gaz  que  se  fait  la  diffu- 
sion de  l'oxygène.  W.  Edwards,  répétant,  cette  expérience  de  diverses  manières,  l'a 
pleinement  confirmée.  En  réalité  il  s'agit  dans  ce  cas  d'une  sorte  de  respiration  cutanée 
qui  se  fait  à  travers  le  plâtre  et  qui  supplée  à  la  respiration  normale,  par  les  poumons. 
Mais  pour  les  tortues,  l'explication  est  plus  difficile;  car  l'épaisse  carapace  de  ces  reptiles 
à  peau  écailleuse  s'oppose  presque  absolument  à  la  diffusion  gazeuse,  et  cependant  des 
tortues  immobilisées  dans  du  plâtre  peuvent  vivre  trois  mois  ainsi,  conservant  leur 
vitalité  et  leurs  réflexes.  Cette  expérience  d'ailleurs  ne  prouve  qu'une  chose,  mais  avec 
toute  évidence,  c'est  que  la  consommation  de  gaz  oxygène  peut  dans  certains  cas  devenir 
extrêmement  faible.  Il  serait  très  curieux  de  reprendre  ces  faits  et  de  faire  alors  les 
dosages  des  échanges  gazeux  (Voy.  Respiration). 

Assurément,  pour  expliquer  cette  absence  d'asphyxie,  il  faut  admettre  que  les  phéno- 
mènes chimiques,  encore  qu'ils  continuent  sans  doute,  sont  extrêmement  ralentis;  car, 
c'est  tout  au  plus,  si,  au  niveau  du  bec  coi'né  de  la  tortue,  il  peut  y  avoir  un  petit  espace 
libre  servant  pour  ainsi  dire  de  chambre  à  air. 

De  nombreuses  observations  ont  été  faites  sur  l'asphyxie  des  poissons.  On  sait  qu'un 
poisson  ne  peut  vivre  dans  de  l'eau  privée  d'air,  ou  même  seulement  dans  un  vase  con- 
tenant une  petite  quantité  d'eau  qui  est  recouverte  d'une  couche  d'huile  de  manière  à 
empêcher  l'air  extérieur  de  se  dissoudre  dans  l'eau  du  vase.  Or  dans  ces  conditions  la 
durée  de  l'asphyxie  est  extrêmement  variable,  même  quand  la  température  ne  varie  pas, 
selon  les  diverses  espèces  de  poissons  sur  lesquels  on  expérimente.  Il  en  est  qui  meu- 
rent presque  immédiatement  quand  on  les  retire  de  l'eau.  Tous  les  pêcheurs  savent  que 
parmi  les  poissons  divers  qu'on  retire  du  fllét,  il  en  est  qui  survivent  au  bout  d'une 
heure,  tandis  que  d'autres  périssent  dés  (lu'on  les  retiie  de  l'eau.  Par  exemple  les  sar- 
dines et  les  maquereaux  meurent  tout  de  suile,  tandis  que  les  anguilles  et  les  squales 
restent'!  longtemps  en  vie.  Récemment  Dissart  et  NoÉ  ont  essayé  d'établir  que  les 
migrateurs,  chez  qui  les  phénomènes  chimiques  sont  très  intenses,  ont  une  existence 
fragile,  tandis  que  les  poissons  sédentaires,  qui  en  général  ne  sortent  guère  de  l'étroit 
espace  où  ils  vivent,  résistent  bien  mieux  à  l'asphyxie,  comme  s'ils  avaient  en  quelque 
sorte  pris  l'habitude  de  vivre  dans  un  milieu  presque  confiné  [Résistance  des  poissons  à 


746  ASPHYXIE. 

l'asphyxie  dans  l'air.  B.  B.,  30  déc.  1893,  t.  v,  (9),  pp.  1049-1052  et  Résistance  des  poissons 
aux  substances  toxiques.  Ibid.,  10  fév.  1893,  t.  vi,  (9),  p.  140). 

On  a  souvent  essaye'  d'expliquer  cette  différence  en  supposant  que  les  poissons  qu'on 
retire  de  l'eau  continuent  à  absorber  par  leurs  branchies  de  l'oxygène,  prenant  non  plus 
l'oxygène  dissous  dans  l'eau,  mais  l'oxygène  libre  de  l'air  atmosphérique.  Cependant 
cette  explication  n'est  guère  valable,  et  il  n'est  pas  besoin  de  supposer  que  la  disposi- 
tion des  branchies  est  différente  ;  car,  même  dans  l'hydrogène  ou  dans  l'azote,  alors  que 
les  branchies  ne  peuvent  plus  absorber  d'oxygène,  il  y  a  encore  à  peu  près  les  mêmes 
différences  de  survie.  Certes  les  poissons  exposés  à  l'air  continuent  à  prendre  de  l'oxygène, 
et  j'ai  souvent  constaté,  entre  autres  avec  P.  Rondeau,  dans  des  expériences  déjà  anciennes, 
faites  au  Laboratoire  de  Physiologie  du  Havre,  que  la  survie  dans  l'air  pour  les  poissons 
était  bien  plus  longue  que  dans  l'hydrogène.  D'ailleurs  Humboldt  et  Provençal  avaient, 
au  commencement  de  ce  siècle,  bien  établi  ce  fait  important.'Mais,dans  le  cas  actuel,  cela 
importe  peu,  puisque  la  diversité  dans  la  durée  de  l'asphyxie  s'observe  avec  l'hydrogène 
comme  avec  l'air.  Par  'conséquent  la  seule  explication  rationnelle  est  d'admettre  une 
variation  dans  la  vitalité  des  tissus  nerveux  sous  l'influence  de  la  privation  d'oxygène. 

Il  y  a  donc  pour  les  animaux  à  sang  froid,  encore  plus  que  pour  les  animaux  à  sang 
chaud,  une  hiérarchie  physiologique;  les  uns  sont  très  fragiles,  les  autres  au  contraire  très 
résistants. 

Les  différences  de  résistance  ne  sont  même  pas  en  rapport  avec  l'intensité  des  échan- 
ges interstitiels;  car,  à  quelques  différences  insignifiantes  près,  la  consommation  d'oxy- 
.gène  semble  être  à  peu  près  la  même  chez  les  uns  et  les  autres. 

Il  serait  très  intéressant  de  dresser  une  liste  des  divers  animaux  à  sang  froid  selon 
leur  degré  de  résistance  et  l'activité  de  leurs  échanges.  On  verrait  que  les  moins  résis- 
tants de  tous  sont  probablement  les  poissons  migrateurs,  tandis  qu'il  faudrait  placer  à 
l'extrémité  de  l'échelle  les  vers  intestinaux  qui  vivent  dans  des  milieux  presque  complè- 
tement dépourvus  d'oxygène,  les  gaz  intestinaux,  où  la  proportion  d'oxygène  n'est  par- 
fois que  de  2  p.  100.  Buxge  a  directement  constaté  que  les  vers  intestinaux  vivent 
encore  dans  des  milieux  absolument  dépourvus  d'oxygène,  au  bout  de  Ib  jours.  Ce  qui 
est  extraordinaire,  ce  n'est  pas  tant  le  fait  même  de  la  survie  prolongée  qui  a  été  obser- 
vé pour  d'autres  animaux  à  sang  froid,  et  qui  n'est  pas  spécial  aux  vers  intestinaux; 
mais  la  continuation  de  la  mobilité  :  car,  en  même  temps  qu'ils  vivent,  les  vers  intes- 
tinaux restent  actifs,  tandis  que  les  grenouilles  ou  les  tortues,  placées  dans  de  l'hydro- 
gène, perdent  bientôt  la  faculté  de  se  mouvoir. 

En  résumé  il  est  presque  impossible  actuellement  de  déterminer  par  un  chiffre  uni- 
que la  durée  de  l'asphyxie  chez  les  animaux  à  sang  froid;  car  elle  peut  varier  depuis 
cinq  minutes  jusqu'à  quinze  jours,  chez  les  espèces  différentes,  dans  les  mêmes  condi- 
tions de  température. 

Il  va  sans  dire  que,  lorsque  nous  parlons  de  l'asphyxie,  il  s'agit  de  l'asphyxie  totale, 
et  non  d'une  demi-asphyxie,  comme  par  exemple  lorsqu'on  enlève  le  poumon  d'une 
grenouille,  ou  lorsqu'on  submerge  une  grenouille  dans  de  l'eau  aérée.  En  eflet,  dans 
ces  conditions,  une  grenouille  peut  vivre  fort  longtemps;  car  l'oxygène  de  l'eau  diffuse 
à  travers  la  peau,  et  passe  par  la  circulation.  On  peut  garder  en  vie  pendant  plusieurs 
semaines,  d'après  W.  Edwards,  des  grenouilles  que  l'on  empêche  de  venir  respirer  à  la  sur- 
face. Sans  doute  les  tortues  mi mobilisées  dans  du  plâtre  se  trouvent  aussi  soumises  à  une 
sorte  d'asphyxie,  mais  assez  incomplète  pour  pouvoir  rester  en  vie  durant  plusieurs  mois. 

Marcacci,  étudiant  l'asphyxie  des  grenouilles,  a  contredit  sur  plusieurs  points 
l'opinion  classique.  On  sait  que,  pour  la  plupart  des  auteurs,  si  les  grenouilles  survivent 
à  l'ablation  des  poumons,  c'est  parce  que  la  respiration  cutanée  supplée  à  la  respiration 
pulmonaire.  Mais  Marcacci  ne  pense  pas  qu'il  en  soit  ainsi,  et  il  attribue  une  certaine 
importance  aux  mouvements  de  déglutition  qui  font  circuler  de  l'air  dans  la  cavité 
buccale,  ce  qu'il  appelle  le  vestibule  respiratoire.  Si  on  bâillonne  une  grenouille  de 
manière  à  empêcher  ses  mouvements  de  déglutition,  on  la  verra  s'asphyxier  rapidement, 
malgré  la  conservation  de  la  respiration  cutanée,  qui,  d'après  Marcacc[,  serait  toujours 
inefticace  (A.  B.,  t.  xxi,  fasc.  1,  1894,  p.  1). 

W.  Edwards  [loc.  cit.,  pp.  600-606)  a  constaté  de  grandes  différences  dans  la  résis- 
tance, même  chez  des  espèces  très  voisines. 


ASPHYXIE. 


747 


Dans  un  litre  d'eau  aérée  à  20",  un  Cijprinus  alburnuf:  a  vécu  1  h.  1*',  un  Cî/pr/mis 
gobio  a  vécu  2  h.  19';  et  deux  Cyprinus  auratufi  ont  vécu  [6  h.  10'30"  (moyenne).  A  10"  un 
Cyprinitë  alhurnus  a  vécu  4  h.  27';  et  un  Cyprinus  gobio  a  vécu  9  h.  45'. 

Il  faut  aussi  faire  des  réserves  sur  les  submersions  prolongées  auxquelles  on  pourrait, 
paraît-il,  soumettre  des  fourmis  et  des  insectes;  car,  au  moment  où  on  les  immerge,  ces 
petits  animaux,  garnis  de  poils  très  fins,  entraînent  avec  eux  une  certaine  quantité  d'air, 
et  par  là  même  l'expérience  se  trouve  viciée  ;  mais  il  suffit  d'attirer  l'attention  sur  ce 
point  pour  que  l'erreur  ne  soit  pas  commise. 

On  comprend  d'ailleurs  que,  puisque  il  y  a  des  êtres  anaérobies,  on  doit  trouver  tous 
les  intermédiaires  entre  les  aérobics,  tels  que  sont  la  plupart  des  êtres,  et  les  anaérobies, 
comme  certains  microbes.  Si  générale  que  soit  la  fonction  respiratoire,  elle  comporte 
quelques  exceptions,  et  comme  une  gradation  successive,  entre  les  différentes  cellules 
nerveuses,  celle  des  animaux  supérieurs  qui  meurent  dès  que  l'oxygène  leur  fait  défaut, 
et  celles  des  vers  intestinaux  qui  supportent  la  privation  d'oxygène  pendant  des  semai- 
nes entières. 

L'influence  de  la  température  sur  la  durée  de  l'asphyxie  est  encoi'e  plus  importante 
chez  les  animaux  à  sang  froid  que  sur  les  animaux  à  sang  chaud,  et  les  faits  qu'on  peut 
invoquer  à  ce  sujet  sont  nombreux  et  importants. 

En  premier  lieu  je  citerai  les  belles  expériences  de  W.  Edwards. 

Des  tortues  ont  vécu,  sous  l'eau 


Des  lézards  gris,  mis  sous  l'eau,  ont  été  asphyxiés  : 


Tempe;  rature 

Durée 

à  /.0° 

en 

6' 

à  30» 

_ 

42' 15" 

à  20° 

_ 

100'30" 

à  10° 

_ 

123'22" 

à     0° 

— 

313'30" 

AuBERT  {A.Pf.,  t.  XXVI,  p.  293,  1881)  a  fait  aussi  une  étude  attentive  delà  question. 
Voici  le  tableau  qu'il  donne  de  la  durée  de  l'asphyxie  d'après  la  température  de  l'animal. 
Il  considère  l'asphyxie  comme  achevée  lorsqu'il  n'y  a  plus  ni  mouvements  spontanés  ni 
mouvements  réflexes  (p.  313,  tableau  vi). 


Temps  nécessaire 

Temps 

nécessaire 

Température. 

à  la  cessation 

Température. 

la 

cessation 

des  mouvements. 

de 

î  mouvements 

2° 

U540' 

18-0 

138' 

6« 

1750' 

19»6 

165' 

8° 

1383' 

19°7 

113' 

10°.ï 

427' 

21H 

101' 

H"8 

480' 

22°5 

92' 

12°7 

353' 

22»8 

83' 

13»S 

250' 

26°D 

45' 

13°9 

330' 

27° 

37' 

14»5 

280' 

27°5 

40' 

IS'S 

182' 

27°5 

30' 

la-o 

175' 

28° 

15' 

n°o 

218' 

29» 

12' 

18°2 

288' 

Il  semble  que  rien  ne  soit  aussi  démonstratif  que  cette  expérience  pour  prouver  à 
quel  point  l'asphyxie  dépend  de  la  température.  Une  grenouille,  placée  à  une  tempéra- 
ture de  2",  peut  pendant  plusieurs  jours  continuer  à  faire  des  mouvements  réflexes  dans 
un  milieu  privé  de  toute  trace  d'oxygène,  alors  que,  si  la  température  est  de  29°,  en 
12  minutes  elle  a  perdu  toute  excitabilité  nerveuse. 

J'ai  pu  établir  un  fait  analogue,  en  étudiant  la  durée  de  la  persistance  des  réflexes 
chez  les  grenouilles  en  l'absence  de  toute  circulation,  et,  pour  le  prouver,  j'ai  fait  l'abla- 
tjon  du  cœur,  de  manière  à  obtenir  l'arrêt  total  de  la  circulation.  Au  fond,  il  s'agit  du 


7i8  ASPHYXIE. 

même  phénomène  que  de  l'asphyxie,  puisque,  si  les  tissus  meurent,  c'est  parce  qu'ils 
ont  épuisé  leur  réserve  d'oxygène.  Seulement  il  faut  s'attendre  à  trouver  par  l'anémie 
une  mort  un  peu  plus  rapide  que  par  l'asphyxie.  C'est  en  effet  ce  qu'on  observe,  mais 
en  somme  les  chiffres  que  j'ai  donnés  se  rapprochent  beaucoup  de  ceux  qu'a  fournis 

AUBERT. 


Mort 

au  bout  de 

12° 

180' 

12° 

180' 

11' 

80' 

19" 

sr 

25° 

42' 

27° 

27' 

Comme,  d'autre  part,  il  a  été  prouvé  que  les  échanges  sont  d'autant  plus  actifs  que 
la  température  est  plus  élevée,  on  est  amené  à  regarde-r  comme  très  vraisemblable  que, 
si  l'asphyxie  dure  si  longtemps  chez  les  grenouilles  refroidies,  c'est  qu'elles  épuisent 
très  lentement  leur  réserve  d'oxygène,  tandis  que  les  grenouilles  chauffées  l'épuisent 
très  vite.  Même  lorsque  le  cœur  a  été  enlevé,  il  reste  encore  dans  les  tissus  une  certaine 
quantité  d'oxygène  qui  peut  servir  à  l'entretien  de  la  vie;  mais,  si  cette  réserve  est  vite 
épuisée,  la  mort  survient  promptement  (chez  les  grenouilles  échauffées),  tandis  que  la 
réserve  dure  longtemps  chez  les  grenouilles  refroidies. 

Sur  les  poissons,  comme  sur  les  grenouilles,  on  retrouve  aussi  l'influence  de  la  tem- 
pérature sur  la  persistance  des  fonctions.  J'ai  fait  à  cet  égard  plusieurs  expériences  que 
je  ne  rapporle  pas  ici;  car  elles  ne  font  que  confirmer  la  loi  générale,  et  n'apportent 
aucun  fait  nouveau. 

Il  serait  intéressant  de  comparer  la  durée  de  l'asphyxie  chez  les  animaux  à  sang  froid 
avec  la  quantité  d'oxygène  qu'ils  absorbent,  quantité  très  variable  selon  l'espèce  animale; 
mais  les  chiffres  que  les  physiologistes  ont  donnés  là-dessus  sont  assez  peu  concordants, 
et  d'ailleurs  peu  nombreux.  Nous  renvoyons  à  l'article  Respiration,  où  la  question  sera 
traitée  dans  son  ensemble. 

Symptômes.  —  Nous  n'envisagerons  ici  que  les  symptômes  de  l'asphyxie  aiguë,  en 
prenant  pour  types  les  animaux  dont  on  lie  la  trachée,  et  chez  lesquels  ont  peut  alors 
suivre  avec  une  grande  précision  la  marche  des  phénomènes. 

D'après  les  auteurs  classiques,  on  peut  diviser  l'asphyxie  en  trois  périodes  ;  mais  nous 
croyons  préférable  de  séparer  en  quatre  groupes  les  phénomènes,  selon  qu'ils  sont  accom- 
pagnés de  la  disparition  de  telle  ou  telle  fonction  organique.  Nous  aurons  alors  succes- 
sivement :  1°  la  mort  de  la  conscience;  2°  la  mort  des  réflexes;  3°  la  mort  des  respira- 
tions; 4°  la  mort  du  cœur. 

A.  La  première  période,  celle  qui  se  termine  par  la  mort  de  la  conscience,'ne  peut 
guère  être  bien  étudiée  que  chez  l'homme.  Dès  le  début,  les  respirations  se  ralentissent, 
et  deviennent  plus  amples  et  plus  profondes,  prenant  le  type  dyspnéique  ou  asphyxique. 
Si  elles  étaient  fréquentes,  elles  se  ralentissent  (par  exemple  dans  le  cas  de  la  polypnée 
thermique  qui  est  énormément  ralentie  par  rasph3'xie);  si  elles  étaient  rares,  elles 
deviennent  fréquentes,  de  manière  à  revêtir  un  type  uniforme,  quel  qu'ait  été  le  point 
de  départ  au  moment  où  l'asphyxie  a  commencé.  Le  cœur  s'accélère,  bat  avec  plus  de 
force.  Une  sensation  d'angoisse  affreuse  émeut  la  conscience;  des  mouvements  involon- 
taires, presque  convulsifs,  se  produisent  dans  tous  les  membres.  Un  vertige  passe  devant 
les  yeux,  la  vue  se  trouble,  les  oreilles  bruissent,  et  quand  ce  summum  de  douleur  et 
d'angoisse  est  atteint,  tout  d'un  coup  la  conscience  disparaît. 

Est-ce  bien  la  conscience,  ou  seulement  la  mémoire?  C'est  là  un  point  à  discuter.  Il 
est  possible  que,  sous  l'influence  de  l'asphyxie,  il  y  ait  une  sorte  d'amnésie  rétrograde, 
comme  celle  qu'on  a  signalée  dans  les  commotions  et  les  empoisonnements,  comme 
celle  qu'on  observe  dans  la  chloroformisation.  Toujours  est-il  que,  dans  la  pendaison 
par  exemple,  les  individus  qu'on  vient  à  dépendre  racontent  que  la  suffocation  n'a  pas 
duré  longtemps,  et  qu'ils  ont  presque  immédiatement  perdu  connaissance.  Quelques 
noyés  rapportent  aussi  que  leur  angoisse  a  été  très  courte,  et  l'anéantissement  de  la  con- 


ASPHYXIE.  749 

science  presque  subit,  précédé  souvent  d'un  court  moment  de  délire  avec  certaines  hallu- 
cinations, parfois  l'évocation  soudaine  de  tous  les  faits  anciens,  endormis  dans  la  mé- 
moire du  passé. 

Eu  tout  cas,  quelque  variables  que  soit,  selon  les  conditions  mêmes  de  l'asphyxie, 
la  durée  de  cette  période,  elle  est  fort  courte,  et  ne  dépasse  probablement  pas  une  mi- 
nute. Même  il  esfpossible  que  cette  durée  d'une  minute  soit  souvent  amoindrie  encore, 
et  je  croirais  volontiers  que,  dans  les  asphyxies  totales,  la  perte  de  connaissance  est 
plus  rapide. 

On  remarquera  à  quel  point  ces  phénomènes  ressemblent  à  ceux  qu'on  a  si  bien  étu- 
diés dans  l'ivresse  et  dans  la  chloroformisation,  et  l'explication  doit  sans  doute  être  à 
peu  près  la  même.  De  tous  les  tissus,  le  plus  fragile  est  assurément  le  tissu  nerveux  cé- 
rébral, celui  qui  préside  à  l'idéalion.  Qu'il  s'agisse  d'un  poison  de  la  cellule  nerveuse 
comme  l'alcool  ou  le  chloroforme  ;  ou  de  l'absence  d'oxygène,  qui  peut  être  considérée 
comme  un  vrai  empoisonnement;  la  marche  des  symptômes  doit  se  l'essembler;  carc'est 
le  tissu  le  plus  délicat  qui  doit  périr  le  premier.  En  outre,  sa  susceptibilité  doit  s'exer- 
cer dans  le  même  sens,  c'est-à-dire  qu'il  doit  périr  de  la  même  manière,  et  passer  suc- 
cessivement pardes  périodes  d'excitabilité  exagérée,  puis  d'anesthésie  et  de  mort.  D'abord 
l'ivresse,  puis  la  stupeur;  c'est  ainsi  que  meurt  toujours  la  cellule  cérébrale. 

Y  a-t-il  encore  conscience,"alors  que  la  mémoire  est  abolie?  qui  donc  oseiait  le  dire? 
Mais  à  vrai  dire  c'est  là  une  subtilité,  et,  dès  que  la  mémoire  n'est  plus  là  pour  fixer  les 
souvenirs  des  sentiments  passés,  on  peut  soutenir  que  la  conscience  n'existe  plus. 
Ainsi  que  je  l'ai  dit  jadis  à  propos  du  chloroforme,  une  douleur  qui  ne  laisse  pas  de 
traces  dans  la  mémoire  est  absolument  comme  si  elle  n'existait  pas. 

La  détermination  rigoureuse  de  la  durée  de  la  conscience  est  donc  une  question  de 
psychologie  plus  que  de  physiologie,  et  on  comprend  que  c'est  sur  l'homme  seul  qu'on  peut 
juger  de  ces  phénomènes  de  conscience  abolie;  car  l'apparence  de  l'intelligence  persiste, 
encore  qu'elle  n'existe  plus. 

B.  Les  mouvements  rétlexes  au  début  de  la  deuxième  période  sont  encore  très  accen- 
tués, et  même  presque  convulsifs.  L'animal  asphyxié  donne  alors  tous  les  signes  de  la 
plus  violente  douleur,  quoiqu'il  n'y  ait  vraiment  .pas  de  douleur,  puisque  la  conscience 
est  morte.  Quant  aux  mouvements  respiratoires^  ils  commencent  à  se  ralentir;  ils  sont 
même  moins  forts  qu'au  début.  En  enregistrant  la  force  déployée  par  les  muscles  inspi- 
rateurs à  ce  moment,  P.  L.^nglois  et  moi,  nous  avons  établi  que  la  force  en  était  notable- 
ment amoindrie. 

La  première  période  dure  une  minute,  et  on  peut  aussi,  au  moins  comme  moyen 
mnémotechnique,  adopter  le  chiffre  moyen  d'une  minute  pour  la  seconde  période. 

A  la  fin  de  celte  période,  c'est-à-dire  vers  la  deuxième  minute  et  le  commencement 
de  la  troisième,  l'asphyxie  est  déjà  très  avancée  :  la  pupille  est  dilatée;  il  y  a  émission 
de  matières  fécales  et  d'urine;  car,  par  l'absence  d'oxygène,  la  moelle  est  excitée  et 
commande  des  contractions  de  tous  les  muscles  lisses;  les  intestins  se  contractent  avec 
force  et  on  voit  leurs  mouvements  péristaltiques  se  dessiner  sous  la  peau  de  l'abdomen 
(chez  le  lapin  notamment).  Les  respirations  sont  de  plus  eu  plus  espacées.  Quant  au 
cœur,  il  est  accéléré  et  bat  avec  force,  ne  paraissant  modifié  que  dans  le  sens  d'un 
surcroit  d'énergie. 

En  assignant  une  minute  à  la  première  période,  nous  l'avons  quelque  peu  allongée; 
mais,  en  assignant  une  minute  à  la  seconde  période,  nous  tendons  à  la  raccourcir;  car, 
le  plus  souvenl,  c'est  seulement  au  bout  de  deux  minutes  et  demie  que  les  réflexes  onl 
complètement  disparu. 

Alors  les  respirations  et  les  battements  du  cœur  persistent  seuls  chez  l'animal  inerte; 
plus  de  sensibilité  ni  de  mouvements,  spontanés  ou  réflexes;  le  sang  est  complètement 
noir,  et  il  se  produit  des  congestions  viscérales  par  accumulation  et  stase  veineuse.  En 
effet,  tout  en  n'attribuant  pas,  comme  ont  fait  les  auteurs  qui  ont  précédé  Bichat,  la 
mort  à  l'arrêt  de  la  circulation,  il  faut  bien  reconnaître  que  l'absence  de  circulation 
gêne  énormément  la  circulation  du  sang  à  travers  les  poumons  et  le  cœur. 

C.  La  troisième  période,  qui  commence  au  milieu  et  souvent  au  début  même  de  la 
troisième  minute,  est  caractérisée  par  la  continuation  des  mouvements  respiratoires,, 
alors  que  les  mouvementé  réflexes  ou  volontaires  ont  tout  à  fait,  disparu.  La  respiration 


750  ASPHYXIE, 

est  déjà  profondément  atteinte;  ce  sont  de  grandes  inspirations  qui  naturellement 
sont  inefficaces  et  qui  vont  en  se  ralentissant  de  plus  en  plus  de  manière  à  être  espa- 
cées de  près  de  dix  à  quinze  secondes.  Finalement  elles  cessent,  et  il  ne  reste  plus  de 
vivant  dans  l'organisme  que  le  cœur,  plus  résistant  que  tous  les  autres  tissus  et  conti- 
nuant à  battre,  alors  qu'il  y  a  mort  des  centres  nerveux  et  même  des  centres  respira- 
toires. 

Ainsi,  dans  cette  hiérarchie  des  tissus,  nous  avons  d'abord  les  centres  nerveux  intel- 
lectuels, puis,  en  second  lieu,  les  centres  nerveux  médullaires,  qui  président  aux 
réflexes,  puis  les  centres  nerveux  bulbo-respirateurs,  puis  les  centres  nerveux  médul- 
laires et  cardiaques  qui  commandent  les  mouvements  du  cœur. 

Évidemment,  nous  ne  parlons  pas  des  cellules  nerveuses  conductrices;  car  il  est  bien 
entendu  qu'à  aucun  moment  de  l'asphyxie,  ni  les  troncs  nerveux,  ni  les  fibres  muscu- 
laires n'ont  eu  le  temps  de  mourir.  Ces  tissus  ont  admirablement  supporté  la  privation 
d'oxygène,  et  il  n'y  a  que  les  centres  nerveux  qui  soient  vraiment  atteints. 

J).  La  quatrième  période  commence  en  général  au  milieu  de  la  troisième  minute,  et 
elle  dure  près  d'une  minute  et  demie,  mais  c'est  la  période  la  plus  variable,  comme 
durée  et  comme  manifestations.  On  voit  des  animaux  garder  deux  minutes,  et  même 
davantage,  des  contractions  du  cœur,  sans  aucun  mouvement  respiratoire  et,  inverse- 
ment, il  est  des  cas,  assez  rares  d'ailleurs,  où  le  cœur  faiblit  presque  en  même  temps 
que  la  respiration.  • 

Le  plus  souvent,  au  début  de  la  quatrième  minute,  il  n'y  a  plus  de  respiration  et  le 
cœur  est  très  ralenti.  11  se  ralentit  de  plus  en  plus,  et  cependant  sa  force  ne  paraît  pas 
diminuée.  La  pression  reste  élevée,  et,  sur  l'animal  immobile  et  inerte,  on  voit  parfois 
la  poitrine  complètement  soulevée  par  les  battements  énergiques  des  ventricules  du 
cœur.  Pendant  quelque  temps  les  battements  du  cœur  sont  à  la  fois  lents  et  réguliers; 
puis  ils  s'affaiblissent  sans  se  ralentir,  et  alors  tout  d'un  coup  survient  un  phénomène 
presque  constant;  c'est  un  renforcement  du  cœur  accompagné  d'une  énorme  accélé- 
ration. C'est  là  le  moment  critique,  et  qui  indique  qu'on  ne  peut  plus  attendre  plus 
longtemps  sans  faire  courir  les  plus  grands  risques  au  muscle  cardiaque  et  aux  ganglions 
nerveux  qui  déterminent  le  consensus  synergique  de  ses  mouvements. 

Cette  accélération  indique  que  l'appareil  modérateur  du  cœur  est  mort;  car,  ainsi 
que  l'a  bien  vu  Dastre,  si,  pendant  la  phase  de  ralentissement,  on  fait  la  section  des 
nerfs  pneumogastriques,  on  voit  aussitôt  le  cœur  s'accélérer;  ce  qui  prouve  bien  que  le 
ralentissement  était  dû  à  l'action  du  nerf  modérateur. 

On  reconnaît  que  la  vie  du  cœur  va  s'éteindre  quand  on  voit  s'affaiblir  ces  mouve- 
ments accélérés.  Alors  il  faut,  sans  perdre  un  instant,  faire  la  respiration  artificielle  et 
presser  le  thorax  pour  faciliter  encore  le  passage  du  sang  à  travers  les  poumons,  main- 
tenant remplis  d'air  respirable.  Mais,  si  on  laisse  l'asphyxie  continuer,  ne  fiît-ce  que 
quelques  secondes,  le  cœur  s'arrête  définitivement.  Quelquefois  même,  dès  que  l'accé- 
lération s'est  produite,  il  est  trop  tard  pour  faire  vivre  le  coi'ur,  et  la  respiration  artifi- 
cielle est  inutile.  Alors  les  oreillettes  continuent  encore  à  battre;  vains  battements, 
car,  dès  que  la  phase  des  frémissements  ventriculaires  s'est  produite,  le  retour  du  cœur 
à  la  vie  est  devenu  impossible. 

Le  ralentissement  du  cœur  dans  l'asphyxie  exerce  une  influence  protectrice  remar- 
quable que  j'ai  essayé  de  mettre  en  lumière. 

Reportons-nous,  en  effet,  au  tableau  précédemment  donné,  où  on  voit  la  durée  de 
l'asphyxie  être,  en  chiffres  ronds,  de  4'  à  39°,  de  9'  à  35°,  de  12'  à  30°,  de  15'  à  2o». 
Quand  un  chien  a  ses  nerfs  vagues  intacts,  telle  est  à  peu  près  la  durée  de  l'asphyxie; 
mais,  s'il  n'a  pas  ce  ralentissement  protecteur,  alors  l'asphyxie  est  bien  plus  rapide, 
comme  l'indiquent  les  chiffres  suivants  (p.  751). 

Ainsi  les  pneumogastriques  retardent  la  mort  par  l'asphyxie  en  ralentissant  le  rythme 
cardiaque.  C'est  un  exemple  remarquable  d'une  défense  de  l'organisme  qui  réagit  contre 
une  fréquente  cause  de  mort;  le  nerf  vague  est  le  protecteur  du  cœur,  et,  quand  la  quan- 
tité d'oxygène,  comme  dans  le  cas  d'asphyxie,  est  en  petite  proportion,  alors  il  faut  que 
la  consommation  en  soit  réduite  au  minimum,  et  c'est  pour  cela  que  le  cœur  bat  très 
lentement.  Si  le  cœur  ne  ralentit  pas  ses  battements,  l'asphyxie  survient  très  vite;  elle 
est  presque  foudroyante,  malgré  l'abaissement  de  la  température. 


ASPHYXIE. 


-51 


TEMPÉRATURE. 

MORT    APRiiS 

asphyxie  de 

DIFFÉRENCE 

avec  la  durée 

de 

l'asph^-xie 

chez  des  chiens 

intacts. 

2608 
27,6 
2S,"i 
3.3,7 
37,2 

8' 
4 
6 
5 

4 

—  6'00" 

—  8  30 

—  6  30 

—  a  110 

—  :;  00 

Section  des  pneumogastriques.    . 

Nous  arrivons  donc  à  ce  résultat,  en  apparence  paradoxal  et  cependant  nettement 
constaté,  que,  même  lorsque  le  cœu-r  bat  encore,  même  lorsque  la  respiration  artificielle 
supplée  à  l'impuissance  de  la  respiration  spontanée,  si,  pendant  une  asphyxie  de  quel- 
ques minutes,  le  cœur  ne  s'est  pas  ralenti,  il  meurt  asphyxié. 

Gela  nous  conduit  directement  à  une  constatation  de  grande  importance.  Il  est  évident 
en  effet  que  ce  qui  détermine  la  durée  moindre  de  l'asphyxie,  ce  n'e.st  pas  la  quantité 
d'oxygène  plus  ou  moins  grande  consommée  par  les  contracjions  cardiaques.  Celte  quan- 


31.  —  chien  atropinisé.  L'asphy.^ie  terminer 
îuinial  a  alors  des  respirations  spoutauées;  : 
xquels  succèdent,  à  droite   de  la  figure,  des 


on  a  fait  la  respiration  artificielle;  le  cœur  bat  encore. 
lis  malgré  cela  le  cœur  meurt.  Frémissements  fibriUaires 
espirations  spontanées,  agoniques. 


tité  est  en  somme  assez  faible  pour  être  à  peu  près  négligeable.  Certes,  un  cœur  qui  se 
contracte  vite,  ou  un  cœur  qui  se  contracte  lentement  brûlent  des  quantités  d'oxygène 
différentes;  mais,  dans  la  masse  totale  du  sang,  la  mesure  de  cette  ditïérence  serait  diffi- 
cile; on  comprendrait  bien  que  la  mort  fiît,  par  cette  moindre  consommation  d'oxy- 
gène, ralentie  de  quelques  secondes,  mais  non  de  quelques  minutes,  comme  c'est  le  cas. 
Il  y  a  donc  autre  chose  qu'une  consommation  d'oxygène  dans  le  sang. 

Par  conséquent,  même  en  forçant  les  chiffres,  on  voit  bien  que  ce  n'est  pas  la  con- 
sommation plus  rapide  de  l'oxygène  du  sang  qui  fait  que  le  non-ralentissement  du  cœur 
dans  l'asphyxie  est  une  cause  d'asphyxie  prompte. 

Il  faut  donc  de  toute  nécessité  admettre  que  ce  qui  fait  la  mort  du  cœur  dans 
l'asphyxie,  ce  n'est  pas  la  consommation  de  l'oxygène  conlemi  dans  In  masse  sanguine. 

Mais  alors,  pourquoi  les  contractions  fréquentes  du  cœur  dans  l'asphyxie  amènent- 
elles  la  mort,  que  n'amènent  pas  des  contractions  lentes?  L'hypothèse  la  plus  vraisem- 
blable, c'est  que  la  contraction  musculaire  détermine  dans  la  trame  même  de  la  fibre 
musculaire  (ou  des  cellules  nerveuses  ganglionnaires),  soit  l'usure  de  certaines  substances 
qui  ne  peuvent  être  réparées  que  par  l'oxygène,  soit  la  production  de  certains  poisons 
qui  ne  peuvent  être  détruits  que  par  l'oxygène. 


732  ASPHYXIE. 

L'impuissance  de  la  théorie  de  l'hématose  simple  à  expliquer  les  phénomènes  de 
l'asphyxie  concorde  bien  avec  les  recherches  de  Geppert  et  Zuntz  {Rctjulation  der  Athmung. 
A.  Pf.,  1888,  t.  XLii,  pp.   189  et  26o). 

Celte  description  de  l'asphyxie  s'applique  au  chien;  elle  comporte  quelques  diffé- 
rences, au  moins  dans  la  durée  des  phénomènes,  chez  les  autres  animaux. 

D'abord,  chez  le  lapin,  elle  est  sensiblement  plus  courte,  d'après  S.  Fredericq,  qui 
a  étudié  avec  soin  les  périodes  et  distingué  ce  qui  est  dû  à  l'absence  d'oxygène  et  à 
l'excès  d'acide  carbonique.  D'après  lui,  la  durée  totale  de  l'asphyxie  jusqu'à  l'arrêt  des 
contractions  cardiaques  est  de  4'40"  par  le  fait  de  la  privation  d'oxygène  (T.  L.,  t.  i, 
p.  221).  Il  y  aurait  une  première  phase  do  dyspnée,  durant  3b",  puis  une  seconde  phase 
de  convulsions,  durant  3b",  puis. une  troisième  période  d'épuisement  qu'on  peut  diviser 
en  deux  temps;  un  premier  temps  pendant  lequel  les  mouvements  respiratoires  conli- 
nuent,  temps  qui  est  de  l'30",  et  un  autre  do  i',  pendant  lequel  il  n'y  a  plus  que  des 
contractions  du  cœur  sans  respirations.  On  voit  que  les  symptômes  sont  en  somme  les 
mêmes  que  chez  le  chien,  mais  qu'ils  se  passent  avec  plus  de  rapidité. 

Une  autre  différence  importante,  c'est  que  le  cœur  du  lapin,  après  qu'il  a  complè- 
tement cessé  de  battre,  peut  encore  reprendre  ses  battements.  Alors  l'animal  reste- 
dans  un  état,  qui  peut  être  très  prolongé,  de  mort  ;ipparente,  avec  des  contractions  car- 
diaques nulles  ou  à  peu  près.  Des  lapins  très  refroidis,  aux  environs  de  20°,  demeurent 
pendant  une  demi-heure,  et  parfois  davantage,  sans  que  le  coiur  ait  le  moindre  mou- 
vement, lout  à  fait  comme  morts,  et  on  est  stupéfait,  si  on  les  réchauffe  et  qu'on  fait 
la  respiration  artificielle,  de  voir  d'abord  les  battements  cardiaques  et,  plus  tard,  les 
respirations  spontanées,  revenir. 

Cette  différence  entre  l'asphyxie  du  chien  et  celle  du  lapin  tient  à  deux  causes  prin- 
cipales; d'abord  on  peut  refroidir  les  lapins  beaucoup  plus  que  les  chiens,  jusqu'à  10° 
et  même  13°,  tandis  que  les  chiens  meurent  aux  environs  d'un  abaissement  de  23°, 
malgré  la  respiration  artificielle.  Ensuite  le  cœur  du  lapin,  après  qu'il  a  eu  les  frémis- 
sements fibrillaires  ultimes,  ne  meurt  pas  définitivement  comme  le  cœur  du  chien. 
L'excitation  électrique  directe,  qui  tue  instantanément  fe  cceur  du  chien,  est  impuissante 
à  tuer  le  cœur  du  lapin,  moins  fragile,  quant  à  son  consensus  synergique,  que  le  cœur 
du  chien. 

Tels  sont  les  phénomènes  fondamentaux  de  l'asphj'xie  aiguë;  mais  il  est  d'autres 
phénomènes  secondaires  concomitants  qui  méritent  aussi  l'attention.  D'une  manière 
générale,  ils  sont  dus  à  l'excitation  des  centres  nerveux  médullaires  par  l'absence 
d'oxygène. 

Pour  ce  qui  concerne  l'influence  sur  les  vaso-moteurs  et  la  circulation,  nous  avons 
à  signaler  principalement  un  travail  remarquable  de  Dastre  et  Mor\t  (A.  P.,  1884,  p.  1). 
Après  avoir  constaté  que  l'asphyxie  amène  l'accélération  du  cœur  (chez  un  animal  à  qui 
a  été  faite  la  section  des  pneumogastriques)  et  prouvé  que  l'asphyxie  produit  l'excita- 
tion des  centres  accélérateurs  du  cœur,  ces  physiologistes  ont  étudié  la  circulation 
périphérique,  et  ils  ont  constaté  un  fait  d'un  grand  intérêt,  c'est  qu'il  y  a  un  antago- 
nisme entre  la  circulation  périphérique  et  la  circulation  cutanée.  Pendant  que  les 
vaisseaux  cutanés  sont  extrêmement  dilatés,  les  vaisseaux  de  l'intestin  sont  rétrécis  et 
exsangues. 

Tout  se  passe  comme  si  les  centres  nerveux  vaso-constricteurs  et  vaso-dilatateurs™ 
étaient  tous  deux  excités,  le  résultat  étant  dû  à  l'effet  prédominant  de  l'un  ou  l'autre 
appareil  antagoniste.  Dans  ce  cas,  il  faut  évidemment  admettre  une  sorte  de  prévoyance 
de  la  nature  qui,  pour  assurer  dans  ce  danger  de  mort  par  privation  d'oxygène  une 
oxygénation  plus  active,  tend  à  faire  aftluer  le  sang  à  la  périphérie  cutanée,  où  il  peut 
s'artérialiser,  au  moins  chez  les  animaux  inférieurs,  en  même  temps  que  la  constriction 
des  vaisseaux  intestinaux  et  des  viscères,  comme  de  la  rate  par  exemple,  tend  à  ralentir 
le  cuMir  et  à  épargner  à  ces  organes  essentiels  l'abord  d'un  sang  noir,  impropre  à 
la  vie  "? 

S'agit-il  là  de  la  mise  en  jeu  de  centres  distincts,  vaso-moteurs  de  la  peau  et  vaso- 
moteurs  viscéraux,  subissant  différemment  les  effets  du  sang  noir  ou  bien,  comme  l'a 
supposé  récemment  Stefani,  d'une  simple  différence  dans  la  résistance  élastique  et 
musculaire  des  artériolea  de  chacun  de  ces  départements  vasculaires?  {MiUamenti  fisici  e 


ASPHYXIE.  753 

mutamenti  psicologici  del  hune   (Ici  vasi  {Alli.  dell'  xi  Congr.  mclic.  Torino,  ISQ-t,  t.  a, 
p.  86-104).  C'est  ce  que  nous  ne  pouvons  discuLer  ici  (Voy.  Vaso-Moteurs). 

Comme  Dastre  et  Morat  le  font,  remarquer  avec  raison,  lous  ces  phénomènes  de 
l'asphyxie  sont  des  phénomènes  d'e.'scitation,  el  lout  se  passe  comme  si  la  moelle  était 
énergiquement  stimulée,  de  manière  à  exercer  sur  tous  les  organes  qu'elle  innerve  un 
effet  excitateur. 

Mais,  ce  qui  est  surprenant,  c'est  que  la  pression  reste  alors  très  élevée  et  que  cette 
pression  élevée  coïncide  avec  une  énorme  dilatation  des  vaisseaux  cutanés.  C'est  peut- 
être  le  seul  exemple  d'une  dilatation  vasculaire  coïncidant  avec  une  pression  artérielle 
forte. 

Par  le  fait  de  l'asphyxie,  toutes  les  friandes  sécrètent  plus  abondamment.  Les  glandes 
sudoripares  (chez  le  chat  par  exemple),  é,mettent  des  gouttes  de  sueur  qu'on  voit  perler 
sur  les  pulpes  digitales  (Luchsinger).  La  sueur  froide  qui  couvre  la  peau  des  mourants 
est  due  sans  doute  à  ce  même  effet  excitateur- (Voy.  Agonie).  Bochefoxtaime  a  vu  la 
salive  sécrétée  en  grande  abondance.  Dastre  a  bien  observé  le  phénomène  important 
de  la  glycémie  asphyxique.  Voici  comment  il  résume  ce  fait,  et  nous  ne  saurions  mieux 
faire  que  de  rapporter  ses  propres  paroles.  «  Entre  la  teneur  des  gaz  et  la  teneur  du 
sucre  dans  le  sang  il  y  a  un  rapport  constant,  et  tel  que,  lorsque  l'o.xygène  diminue,  le 
sucre  augmente,  et  inversement.  Ce  résultat  s'explique  précisément  par  l'action  excitante 
du  sang  noir  asphyxique  sur  l'organe  hépatique;  disons  mieux,  sur  l'appareil  nerveux 
qui  régit  les  fonctions  de  cet  organe.  Cette  excitation  se  traduit  par  une  augmentation 
de  l'activité  glycogénique  du  foie;  le  sucre  s'accumule  dans  le  sang  k  tel  point  qu'il 
excède  de  beaucoup  la  proportion  centésimale  sous  laquelle  bous  le  trouvons  dans  les 
conditions  normales;  il  atteint  bientôt  celle  de  3  pour  1000,  à  partir  de  laquelle  il  s'éli- 
mine de  l'organisme  par  la  voie  de  l'excrétion  rénale.  La  question  est  de  savoir  si  l'acti- 
vité fonctionnelle  du  foie  est  sous  la  dépendance  exclusive  de  l'appareil  nerveux  vaso- 
moteur  hépatique  ou  si  elle  reçoit  en  plus  l'influence  excitatrice  et  directe  d'un  appareil 
nerveux  spécial  en  connexion  directe  avec  la  cellule  hépatique,  comparable  et  équivalant, 
en  un  mot,  aux  nerfs  sécréteurs  des  glandes  ordinaires.  » 

Les  muscles  de  la  vie  végétative,  muscles  à  fibres  lisses,  subissent  les  effets  de  l'as- 
phyxie aussi  bien  que  les  muscles  de  la  vie  animale  :  seulement  les  effets  convulsifs  sont 
plus  retardés.  Au  bout  de  la  deuxième  mirmte  il  n'y  a  déjà  plus.ds  convulsions  géné- 
rales du  tronc  et  des  muscles;  et  le  relâchement  musculaire  est  absolu.  Cependant,  à  ce 
moment  même,  les  muscles  lisses,  ceux  des  intestins,  par  exemple,  ou  des  divers  canaux  . 
excréteurs,  sont  encore  contractiles;  et  c'est  au  moment  de  la  mort  du  cœur,  et  seule- 
ment à  ce  moment,  que  survient  la  contraction  générale  de  tous  ces  appareils.  Doyox  a 
montré  le  rôle  de  l'excitation  asphyxique  sur  la  contractilité  biliaire;  elle  provoque  la 
contraction  de  tous  les  appareils  excréteurs  de  la  bile,  comme  l'indiquent  les  figures 
très  claires  qu'il  en  donne  {Étude  analij.  des  organes  moteurs  des  voies  tnliaires.  Tti.  doct., 
Lyon,  1893,  pp.  100-118). 

Ainsi,  pour  résumer,  on  observe  une  excitation  générale  :  contractions  de  la  vessie 
qui  expulsent  l'urine,  contractions  des  intestins  qui  cliassent  les  matières  fécales  au 
dehors;  et  aussi  dilatation  de  la  pupille  qui  contraste  avec  le  myosis  du  début.  On  sait 
(pie,  dans  la  chloroformisation  des  patients  soumis  à  une  opération  chirurgicale,  cette 
étude  des  phénomènes  pupillaires  a  une  grande  importance.  Pendant  tout  le  temps  que 
dure  la  chloroformisation,  la  pupille  est  très  resserrée,  et  comme  punctiforme;  mais  si, 
pour  une  cause  ou  pour  une  autre,  apparaissent  des  phénomènes  d'asphyxie,  alors  aussi- 
tôt on  voit  la  pupille  se  dilater  énormément. 

Cette  dilatation  est  due  à  l'excitation  de  la  moelle  par  le  sang  noir;  le  centre  cilio- 
spinal  étant  sans  doute  plus  résistant  que  le  centre  protubérantiel,  qui  préside  aux  mou- 
vements de  contraction  de  la  pupille. 

Quant  aux  mouvements  vermiformes  de  l'intestin,  ils  indiqueraient  la  cessation  de  l'in- 
fluence nerveuse  centrale  plutôt  qu'une  excitation  de  ces  centres.  Il  est  vraisemblable 
qu'il  y  a  antagonisme  entre  les  centres  ganglionnaires  des  tuniques  intestinales  et  les 
centres  innervateurs  qui  sont  dans  l'axe  encéphalo-médullaire.  Quand  la  moelle  est 
paralysée  par  l'asphyxie  totale,  alors  l'inliibition  des  mouvements  intestinaux  ne  peut 
plus  s'exercer,  et  les  centres  ganglionnaires,  plus  résistants  à  l'asphyxie  queja  moelle 

DICT.    DE    PHYSIOLOGIE.    —    TOME    I.  48 


Tài 


ASPHYXIE. 


elle-même,  peuvent,  sans  être  arrêtés  dans  leur  action,  déterminer  d'énergiques  mouve- 
ments péristaltiques. 

D'ailleurs,  pour  l'étude  plus  approfondie  de  ces  phénomènes,  nous  renvoyons  aux 
articles  Agonie,  Anémie,  Iris,  Intestin,  Vaso-Moteurs. 

Causes  de  l'asphyxie.  —  La  vraie  cause  de  l'asphyxie  et  de  tous  les  phénomènes 
qui  l'accompagnent,  c'est  l'absence  d'o.xygène.  Sur  ce  point,  il  y  a  à  peu  près  accord 
unanime.  Mais  il  faut  cependant  discuter  les  autres  hypothèses,  et  voir  quelles  sont  les 
conditions  précises  de  la  mort  par  l'absence  d'oxygène. 

D'abord,  ainsi  que  nous  le  disions  en  commençant,  la  théorie  des  auteurs  qui  ont 
précédé  Bichat  doit  être  abandonnée.  Il  n'y  a  pas  arrêt  de  la  circulation.  Elle  est  trou- 
blée, et  assez  gravement  troublée,  puisque  le  cœur  ralentit  ses  battements  ;  mais  elle 
persiste  suffisamment  pour  que  l'irrigation  sanguine  soit  assurée. 

Défait,  il  s'agit,  comme  cause  de  l'asphyxie,  ou  de  l'absence  d'oxygène  ou  de  l'excès 
d'acide  carbonique,  puisque  dans  la  plupart  des  cas  les  deux  phénomènes  vont  de  pair, 
mais  des  expériences  très  simples  mettent  l'acide  carbonique  hors  de  cause. 

En  effet,  si  l'on  fait  respirer  un  animal  à  sang  chaud  dans  un  milieu  riche  en  oxy- 
gène, on  peut  élever  jusqu'à  une  proportion  considérable  la  quantité  d'acide  carbo- 
nique du  milieu  gazeux  sans  amener  la  mort.  Et,  quand  nous  parlons  de  grandes  pro- 
portions d'acide  carbonique,  c'est  2.t  p.  100  et  même  35  p.  100  que  nous  voulons  dire. 
Un  chien  ou  un  lapin  peuvent  vivre  presque  indéfiniment  quand  l'air  qu'ils  respirent 
contient  '23  p.  100  d'oxygène  et  2o  p.  100  d'acide  carbonique.  Certes,  alors  la  respiration 
est  modifiée  dans  son  rythme,  et  je  ne  sais  si  la  vie  pourrait  continuer  pendant  plu- 
sieurs jours;  mais  en  tout  cas  elle  continue  pendant  plusieurs  heures,  de  sorte  que  par 
cette  seule  expérience  on  peut  affirmer  que  dans  l'asphyxie  simple  l'acide  carbonique 
n'«st  pas  la  cause  déterminante  de  la  mort  (N.  Gréhant). 

Une  autre  expérience,  tout  aussi  probante,  amène  la  mêm-e  conclusion.  Si  l'on  fait 
respirer  un  chien  dans  l'hydrogène  pur  ou  dans  l'azote,  la  mort  sera  tout  aussi  rapide 
que  si  on  lui  oblitère  la  trachée;  et  cependant,  quand  il  respire  dans  l'hydrogène,  il  peut 
se  débarrasser  du  gaz  carbonique  du  sang  aussi  bien  que  s'il  respirait  dans  l'air  pur. 
Par  conséquent,  ce  qui  tue  dans  l'asphyxie  par  l'hydrogène,  ce  ne  peut  être  que  l'ab- 
sence d'oxygène,  puisque  l'acide  carbonique  ne  peut  s'accumuler  dans  les  tissus. 

Les  analyses  du  sang  faites  dans  ces  conditions  ont  fourni  la  preuve  de  cette  absorp- 
tion d'oxygène. 

Voici  quelques  chiffres  indiquant,  d'après  Stroganoff  [Oxydationsprocesse  im  normalem 
■mul  ErsiicJiungsblute.  A.  Pf.,  t.  xii,  p.  18,  1877),  la  teneur  en  oxygène  du  sang  artériel 
asphyxique  (pour  100  parties)  : 


1,161 

SETsciiENorr. 

traces 

— 

traces 

— 

traces 

— 

1,1 

Pflugeu. 

2.4 

— 

0,81 

SCHMIDT. 

0,00 

— 

2,71 

— 

0,20 

— 

0,00 

— 

0,81 

— 

0,00 

SCIIMIDT 

2,98 



1,94 

— 

1,51 

1  44 

Afanassiep 

o'io 

z 

0,09 

— 

0,70 

p.  Bert. 

0,00 

— 

0,00 

— 

0,40 

— 

0,33 

— 

Ainsi  la  proportion  d'oxygène  dans  le  sang  a  diminué  énorme'ment  jusqu'à  devenir 
dans  beaucoup  de  cas  tout  à  fait  nulle. 

Quant  aux  proportions  de  CO-  dans  le  sang  artériel,  nous  trouvons  (P.  Bert)  pour 
l'asphyxie  lente. 

Fiu  do  l'asphj-xie  Début  de  l'asphvxie 

20,6  48,0 

2j,0  .50,8 

29.0  47,3 

23,6  45,0 

34, j  29,4 

24,0  49,0 


ASPHYXIE. 


Il  importe  de  faire  celte  constatation,  en  ap- 
parence paradoxale,  que  le  sang  artériel  asphyxi- 
que  contient  moins  de  CO-  que  le  sang  artériel 
normal.  Nous  avons  donc  parfaitement  le  droit 
de  conclure  que  l'asphyxie  n'est  pas  due  k  l'acide 
carbonique;  puisque,  par  les  progrès  de  l'as- 
phyxie l'acide  carbonique  ne  s'accumule  pas 
dans  le  sang. 

Bi'CHXER  (Die  Kohlensuure  in  der  Lymphe  ■ 
des  Athmenden  und  deserstickten  Thierc.  R.  S.  M., 
1878,  t.  XII,  p.  43)  à  constaté  un  fait  assez  para- 
doxal, au  sujet  de  l'accumulation  de  CO-  dans  le 
sang  et  dans  la  lymphe  pendant  l'asphyxie.  Il  a 
cru  voir  qu'il  s'établissait  une  sorte  d'équilibre, 
et  que,  pendant  l'asphy-xie,  le  sang  se  chargeait 
de  GO-,  mais  que  la  lymphe  en  contenait  moins. 
Voici  le  résultat  d'une  de  ses  expériences. 

de  la  lymphe,     du  saug. 

Respiration  normale 42,56  34,39 

Asphyxie 38.69  40,17 

En  même  temps  que  l'oxygène  disparaît  du 
sang,  la  couleur  du  sang  se  modifie.  Le  sang  ar- 
tériel qui  était  rutilant,  rouge  vermeil,  devient 
très  vile  violacé  et  noir;  ce  changement  de  colo- 
ration est  dû,  comme  on  le  sait,  à  la  réduction 
de  l'oxy-bémoglobine  (Voy.  Hémoglobine). 

Mais  il  se  passe  aussi  sans  doute  d'autres  phé- 
nomènes plus  complexes,  production  de  substances 
réductrices,  probablement  toxiques.  Le  fait  a  été 
établi  par  Strog.\noff  qui  a  constaté  que  le  sang 
asphyxique  absorbe  plus  d'oxygène,  quand  on 
l'agite  avec  de  l'air,  qu'on  ne  peut  eu  retrouver 
par  l'extraction  à  l'aide  du  vide.  Par  conséquent 
il  se  fait  des  combinaisons  chimiques  stables, 
c'est-à-dire  des  oxydations  de  certaines  substances 
qui  ont  pris  naissance  dans  le  sang  asphyxique. 

J'ai  fait  indirectement  la  même  démonstration, 
en  étudiant  les  phénomènes  posl-asphyxiques. 
Un  chien,  quand  il  a  été  asphyxié,  puis  ramené 
à  la  vie  par  la  respiration  artificielle,  ne  retrouve 
pas  immédiatement  l'intégrité  de  son  innervation. 
Le  retour  de  l'oxygène  ne  suffit  pas  pour  le  réta- 
blir dans  le  statu  quo  ante.  Il  ne  faut  pas  moins 
d'une  demi-heure  àuue  heure  pour  qu'il  revienne 
parfaitement  à  l'état  précédent  (frisson  ther- 
mique, rythme  respiratoire,  rythme  cardiaque, 
intensité  des  réflexes,  etc.).  Nécessairement  donc 
on  doit  admettre  qu'il  y  a  autre  chose  que  le 
simple  déficit  d'oxygène;  probablement  une  in- 
toxication par  certaines  substances  qui  se  for- 
ment, anormalement,  quand  la  tension  de  l'oxy- 
gène dans  le  sang  a  diminué  (Voy.  flg.  63,  64,  63). 
Ottolexghi  vient  de  constater  encore  le  même 
fait  en  étudiant  la  toxicité  du  sérum  des  ani- 
maux asphyxiés,  beaucoup  plus  grande  que  celle 
du  sérum  des  animaux  normaux. 


Fia.  62.—  Phénomènes  posi-asphyxiques  (se 
lit  de  bas  en  haut).  En  bus  frisson  avant 
l'asphy.Kie.  Ligne  2,  asphy.^cie.  1j^  3,  la  tra- 
chée est  libérée.  Respiration  ralentie. 
Six  minutes  d'intervalle  entre  chaque 
tracé.  Or,  36'  après  l'asphyxie,  le  frisson 
n'est  pas  encore  revenu.  —  Inscription 
cardiographique;. 


756 


ASPHYXIE. 


Quant  aux  phénomènes  qui  fe  passent  dans  le  sang  veineux,  ils  sont  tout  à  fait  de 
même  ordre  que  ceux  du  sang  artériel,  avec  cette  particularité  intéressante  que  la  diiïé- 
renoe  d'oxygène  dans  les  deux  snngs  reste  à  peu  près  constante,  jusqu'à  ce  que  la  quan- 
tité d'oxygène  dans  le 
sang  veineux  soit  ré-  - 
duite  à  son  minimum 
(P.  Bert). 

Les  altérations  mor- 
phologiques du  sang 
dans  l'asphyxie  ont 
été  étudiées  surtout 
par  les  médecins  lé- 
gistes. Ottolenghi  a 
donné  une  honne  ana- 
lyse des  travaux  qui 
ont  été  faits  sur  ce 
sujet  [Osservazioni  spe- 
rimentali    sul    langue 

usfiitko.  Arch.  pcr  le  scienzc  medichc,  t.  xvii,  fasc.  4,  p.  34;;)).  Il  admet  que  la  résistance 
des  globules  (à.  la  dissolution  par  le  sel  marin)  diminue  da:ns  l'asphyxie,  qu'il  y  a  un 
ralentissement  notable  dans  le  moment  de  la  coagulation  (chez  le  cobaye,  20'  au  lieu 
de  6');  et  enfin  que  le  sang  asphyxique  s'oxyde  moins  rapidement  que  le  sang  normal. 

Nous  devons  donc,  en  fin  de  compte,  reconnaître  que  la  cause  vraie  de  l'asphyxie,  c'est 
l'absence  d'oxygène  dans  les  tissus  ;  mais  en  y  ajoutant  comme  probable  cette  hypothèse 
que,  par  la  vie  anaérohie  des  tissus,  il  se  produit  des  substances  toxiques  qui  hâtent  la 
mort. 

Que  l'acide  carbonique  exerce  quelque  influence  sur  la  marche  des  phénomènes,  cela 
paraît  être  bien  douteux  :  car  d'abord   la  proportion  centésimale  de  CO-  dans  le  sang 


iG.  6:1.  —  Cœur  du  chien  avant  1  asphyxie.  (T.  3U«.  Chloralose), 
oscillations  sont[les  respirations  de  l'aninial.  —  Euregistreme 
dio^it-aphe.  Voy.  (la  figure  6j  où  les  mêmes  phénoraùnes  son 
après  l'asphyxie. 


it  par  I 


poét-asphyxiques.  (Jfuui 
ig.  G-t.)  Toutes  conditions 


et    res['iration    six    minutes  api'ès    la  tin  do  l'as[iliy> 
étant  les  mêmes  que  dans  la  figure  précédente. 


e.^t  moindre  qu'à  l'étal  normal  dans  l'asphyxie  ;  et  d'ailleurs  l'intoxication  par  de  fortes 
doses  de  CO-  diffère  beauooup  des  phénomènes  produits  par  l'absence  d'oxygène  (S.  Fre- 
DERicQ,  Gttiiii.vN'T).  liii  soiuine  l'acide  carbonique,  s'il  est  un  poison,  est  un  poison  faible, 
tandis  que  les  autres  poisons  (inconnus  encore)  qui  se  produisent  dans  l'asphyxie  sont 
]irobablement  beaucoup  plus  énergiques. 

Keconnaissons  toutefois  que,   si  l'acide   carbonique  en  excès  ne  hâte  pas  la  mort, 
il  modifie  singulièrement  la  foime  des  respirations  qui  prennent  alors  un  type  spécial 

(W.     RoSKrsTHAL). 

De  l'asphyxie  lente.  —  Nous  ne  pouvons, entrer  dans  tous  les  détails  de  l'asphyxie 
lente  ;  car  elle  existe  à  tous  les  degrés,  et  relève  de  la  médecine  plus  que  de  la  physiolo- 


ASPHYXIE.  7û7 

gie  ;  par  exemple,  lorsque,  par  suite  d'une  imperforatioii  du  trou  de  Botal  (Voy.  Cyanose), 
le  sang  artéi'iel  et  le  sang  veineux  se  raélaugent  dans  le  cœur,  une  sorte  d'asphyxie  fait 
succomber  le  petit  être  nouveau-né.  De  même,  cjuand,  par  le  fait  d'une  congestion  pul- 
monaire, les  poumons  sont  devenus  imperméables  à  l'air,  c'est  encore  une  variété 
d'asphyxie  lente. 

On  peut  en  dire  autant  de  la  période  terminale  de  la  plupart  des  maladies.  Comme 
l'individu  doit  finir  par  succomber  à  une  perversion  fonctionnelle  quelconque,  c'est  très 
souvent  par  l'asphyxie  que  se  termine  la  scène;  mais,  dans  l'état  de  dépression  extrême 
des  forces  de  l'organisme,  on  ne  peut  pas  'dire  que  la  vraie  cause  de  la  mort  soit  l'as- 
phyxie ;  c'est  seulement  le  mode  de  la  mort. 

L'histoire  de  l'asphyxie  lente  est  en  réalité  l'histoire  de  la  respiration  dans  de 
l'air  confiné;  car  les  variations  de  la  pression  barométrique,  si  elles  provoquent  des 
phénomènes  essentiellement  identiques  au.x  phénomènes  asphyxiques,  doivent  être 
étudiées  par  des  méthodes  trop  spéciales  pour  que  nous  en  abordions  ici  l'exposé  (Voy. 
Barométrique  (Pression);  Respiration;  Mal  des  montagnes).  Nous  nous  liornerons  donc  à 
l'étude   de  la  respiration  dans  l'air  conlîné. 

Plusieurs  méthodes  peuvent  èlre  employées;  d'abord  la  plus  simple,  qui  consiste  à 
placer  un  animal  dans  une  enceinte  limitée,  où  il  n'y  a  pas  renouvellement  de  l'air; 
puis  laconstilulion  de  mélanges  f,'azeux  artificiels,  où  lesproporlioiis  d'oxygène  sont  moin- 
dres que  dans  l'air  atmosphérique,  avec  l'analyse  des  phénomènes  physiologiques  qu'on 
voit  alors  survenir;  enfin  on  peut  faire  simplement  respirer  l'animal  dans  un  long  tube 
■où  le  va-et-vient  de  l'air  n'est  pas  suffisant  pour  amener  un  renouvellement  de  l'air  inlra- 
pulmonaire  ;  mais  de  fait  c'est  toujours  le  même  principe,  c'est-à-dire  le  non-renouvel- 
lement de  l'air. 

Les  symptômes  de  cette  asphyxie  lente  sont  à  vrai  dire  les  mêmes  que  ceux  de  l'asphy- 
xie aiguë;  mais  naturellement  ils  se  passent  avec  plus  de  lenteur  et  se  déroulent  pendant 
une  demi-heure,  ou  une  heure,  ou  parfois  plus  longtemps  encore.  On  y  retrouve,  comme 
dans  l'asphyxie  aiguë,  l'angoisse,  puis  l'accélération  respiratoire,  |)ius  l'arrêt  des  respi- 
rations volontaires,  puis  enfin  la  mort  du  cœur. 

Voici  comment  P.  Bert  retrace  ce  tableau  de  l'asphy.xie  lente  : 

«  Lorsqu'un  animal  est  placé  sous  une  cloche,  on  le  voit,  après  un  temps  plus  ou 
moins  long,  donner  tous  les  signes  de  malaise.  Son  poil  se  hérisse;  il  s'agite  dans  le 
vase;  si  quelque  fissure  laisse  entrer  un  peu  d'air  frais,  il  y  applique  avidement  ses  na- 
rines. Sa  respiration  s'est  accélérée;  elle  devient  haletante.  Puis  elle  se  ralentit  en  même 
temps  que  l'animal  semble  se  calmer,  ou  du  moins  ne  s'agite  plus  avec  la  même  énergie; 
plus  lente,  elle  devient  plus  ample;  enfin  l'animal  tombe  au  fond  de  la  cloche;  il  n'a 
plus  que  quelques  rares  mouvements;  la  gêne  respiratoire  est  devenue  maintenant  de 
l'angoisse;  il  ouvre  béantes  les  narines  et  la  bouche;  il  fait  d'énormes  efforts;  ses  pu- 
pilles se  dilatent;  son  intelligence,  sa  sensibilité  sont  de  moins  en  moins  actives;  enfin  la 
mort  survient.  » 

En  général,  dans  l'asphyxie  aiguë,  il  n'y  a  pas  d'hypothermie,  ou  du  moins  l'abaisse- 
ment thermique  est  faible;  parfois  même  la^tempéiature  augmente,  tandis  que,  dans 
l'asphyxie  lente,  le  plus  souvent  on  note  une  diminution  de  la  température  organique 
de  quelques  degrés.  Est-ce  à  cette  cause  qu'il  faut  attribuer  l'absence  presque  complète 
de  convulsions  dans  l'asphyxie  lente  par  les  progrès  de  l'altération  de  l'air? 

P.  Bert,  étudiant  avec  beaucoup  de  soin  les  modifirations  de  la  composition  de  cet 
air  confiné  au  moment  même  de  la  mort  de  l'animal,  est  arrivé  à  cett-î  conclusion  que  la 
mort  coïncide  avec  une  proportion  moyenne  de  2  p.  100  d'oxygène,  et  de  17  p.  100 
d'acide  carbonique,  les  oiseaux  et,.les  man^iifères  ne  présentant  à  ce  point  de  vue  que 
des  différences  insignifiantes.  M 

W.  MuLLER,  et  après  lui  P.  Brrt,  ont  (^staté  que,  si  l'enceinte,  à  air  pauvre  en  oxy- 
gène, où  respire  l'animal,  était  très  vaste,  l'oxygène  ne  pouvait  pas  être  consommé  en 
totalité,  tandis  que,  dans  des  milieux  confinés  très  limités,  la  consommation  de  l'oxy- 
gène était  presque  totale.  Le  type  de  cet  air  confiné  est  alors  évidemment  l'air  contenu 
dans  les  bronches  mêmes  et  la  trachée  de  l'animal  dont  la  trachée  a  été  liée.  Alors  la 
proportion  d'oxygène  descend  à  1  p.  100,  même  encore  au-dessous.  On  comprend  sans 
peine  cette  différence.  En  effet,  tant  que  la  circulation  continue,  le  sang  se  charge  d'oxy- 


758  ASPHYXIE. 

gène,  et  dépouille  l'air  de  tout  l'oxygène  qu'il  contenait.  Or,  si  la  circulation  et  la  respi- 
ration se  continuent  pendant  quelque  temps,  alors,  malgré  l'asphyxie,  la  petite  quantité 
d'oxygène  qui  reste  peut  être  consommée  en  totalité. 

Il  n'y  a  alors  rien  d'étonnant  à  trouver  que,  dans  un  vase  très  vaste,  un  petit  animal 
ne  peut  absorber  avant  de  mourir  que  la  moitié  tout  au  plus  de  l'oxygène  qui  y  est  con- 
tenu, tandis  que,  dans  un  petit  vase,  un  gros  animal,  pendantles  quelques  minutes  de  circu- 
lation et  de  respiration  qui  lui  restent,  peut  absorber  presque  tout  l'oxygène  qui  s'y  trouve. 
Il  est  évident  que,  pour  les  animaux  à  sang  froid,  la  mort  par  l'air  confiné  survient 
bien  plus  tardivement;  et  qu'il  en  est  de  même  pour  les  animaux  hibernants.  Spallan- 
ZANi  avait  admis  qu'une  marmotte  peut  vivre  dans  de  l'acide  carbonique  pur  quand  elle 
est  en  hibernation,  et  Saissy  a  cru  aussi  constater  que  des  hibernants  peuvent  rester  vi- 
vants plus  d'une  heure  dans  une  enceinte  dont  ils  ont  absorbé  tout  l'oxygène.  Valentin, 
qui  conteste  ces  affirmations,  dit  cependant  qu'il  a  vu  vivre  un  hérisson  en  hibernation 
quand  l'air  ne  contenait  plus  que  4  p.  100  d'oxygène  avec  H  p.  100  d'acide  carbonique. 
D'ailleurs  on  conçoit  que  l'asphyxie  aiguë,  qui,  chez  les  animaux  à  sang  froid,  survient  si 
lentement,  môme  dans  des  atmosphères  privées  d'oxygène,  doit  survenir  bien  plus  len- 
tement encore  quand  il  reste   des  quantités  notables  d'oxygène. 

Les  hygiénistes  se  sont  préoccupés  avec  raison  des  proportions  niinima  d'oxygène 
compatibles  avec  la  vie,  et  ils  sont  arrivés  à  des  résultats  assez  concordants. 

D'abord  il  faut  distinguer  les  altérations  de  l'air  confiné  proprement  dit  et  le  défaut 
d'oxygène.  Tout  le  monde  sait  que  l'air  où  ont  vécu  et  respirent  plusieurs  personnes 
exhale  une  odeur  fétide.  Il  est  chargé  de  vapeur  d'eau,  et  contient  des  produits  volatils^ 
dus  en  partie  à  la  transpiration  cutanée,  en  partie  aux  exhalations  intestinales,  en  par- 
tie peut-être  aux  substances  (encore  hypothétiques)  qui  seraient  exhalées  avec  la  respi- 
ration. Mais  en  tout  cas  la  proportion  d'oxygène  n'a  pas  beaucoup  varié.  Dans  les 
analyses  d'air  confiné  (salles  de  spectacle,  salles  d'hôpital,  chambrées  de  caserne)  on  n'a 
jamais  trouvé  une  diminution  d'oxygène  de  plus  de  1  p.  100,  et  encore  ce  chiffre  est-il 
rarement  atteint,  si  bien  qu'on  pourrait  croire  que  l'air  devient  irrespirable,  quand  la 
proportion  d'oxygène  diminue  de  t  p.  100.  Mais  ce  serait  une  erreur;  car  on  peut  faire 
vivre  presque  indéfiniment  des  animaux  dans  des  atmosphères  plus  pauvres  encore  en 
oxygène,  si  l'on  a  soin  d'éliminer  les  produits  d'exhalation,  tels  que  la  vapeur  d'eau,  et 
^es  substances  solubles  dans  l'eau.  Nous  avons  donc  ce  paradoxe  que  l'air  confiné  est 
toxique  par  d'autres  causes  que  le  déficit  d'oxygène  ou  l'excès  d'acide  carbonique. 

On  sait  d'ailleurs  que  d'ArsOiNval  et  Brown-Séquard  ont  prouvé  que  l'air  confiné 
contient  des  substances  toxiques  volatiles,  dues  à  l'exhalation  pulmonaire.  La  démons- 
tration de  ce  fait  important  n'a  pas  encore  été  établie  d'une  manière  irréprochable; 
toutefois,  d'après  leurs  dernières  recherches,  elle  semble  bien  probable'  {La  toxicité  de 
l'air  expiré  dépend  d'un  poison  provenant  des  poumons  et  non  de  l'acide  carbonique,  A.  P., 
1894,  t.  VI,  (o;,  p.  113).  Voy.  Respiration. 

Quoiqu'il  soit  impossible  d'assigner  un  chiffre  précis  à  la  composition  gazeuse  de  l'air 
asphyxique,  nous  voyons  cependant  que,  lorsque  l'air  ne  contient  plus  que  ta  ou  16  p.  100 
d'oxygène,  les  animaux  commencent  à  donner  quelques  signes  de  malaise.  Ils  peuvent 
encore  quelque  temps  vivre  dans  ces  atmosphères  pauvres  en  oxygène;  mais,  quand  il 
n'y  a  plus  que  12  ou  10  p.  dOO  d'oxygène,  alors  l'asphyxie  est  presque  fatale.  Encore 
faut-il  tenir  compte  de  bien  des  conditions  accessoires,  la  brusquerie  plus  ou  moins 
grande  des  altérations  de  l'air,  la  température  extérieure,  celle  de  l'animal,  l'intensité 
de  ses  contractions  musculaires,  toutes  causes  qui  augmentent  ou  diminuent  ses  besoins 
en  oxygène. 

A  la  vérité  on  peut  faire  vivre  quelque  temps  des  animaux  dans  des  milieux  contenant 
moins  de  10  p.  100  d'oxygène,  et  nous  venons  de  voir  que,  si  l'on  analyse  les  mélanges 
gazeux  dans  lesquels  ont  succombé  des  animaux  divers,  on  trouve  que  la  proportion 
d'o.xygène  est  moindre  que  4  p.  100;  mais  il  est  certain  que  la  vie  ne  pouvait  continuer, 
et  qu'un  animal  à  sang  chaud  ne  peut  vivre  que  peu  de  temps  quand  l'air  ne  contient 
que  10  p.  100  d'oxygène. 

On  rapprochera  de  ce  chiffre  de  10  p.  100  le  chiffre  qui  résulte  de  l'étude  des  pres- 
sions basses;  car  c'est  précisément  quand  la  pression  s'est  abaissée  à  50  p.  100  de  la 
pression  normale  que  l'animal  meurt  asphyxié.  Or  une  diminution  de  BO  p.  100  de  la 


ASPHYXIE.  T.Si) 

pression  correspond  à  une  diminution  de  proportionnalité  de  l'oxygène  de  "A)  p.  lOil. 
Si  donc  je  devais  formuler  d'une  manière  schématique,  et  trop  sciiématique  pour 
être  exacte,  les  proportions  convenables  d'oxygène  dans  l'air,  je  dirais  :  au-chvsnus  de 
20p.  100,  malaise;  au-dciminiii  de  i6  p.  100,  aiijjhywie  lente:  au-desf:ous  de  6  p.  100,  aaphfj- 
xie  rapide. 

On  n'a  guère  étudié  les  modifications  que  fait  subir  à  l'organisme  le  fait  de  respirer 
pendant  longtemps  dans  un  air  pauvre  en  oxj'gène.  On  peut  citer  cependant  les  expé- 
riences de  Albitski  (An.  in  Jahrcsber.  fur  Physiol.  1883,  t.  xii,  p.  290).  Il  a  placé  des  chiens 
dans  des  enceintes  où  d-e  l'hydrogène  était  mêlé  à  l'air,  de  manière  que  la  proportion 
de  l'oxygène  ne  fût  plus  que  de  16,  Ib,  14  et  S  p,  100.  L'acide  carbonique  produit  était 
éliminé  au  fur  et  à  mesure  de  sa  production.  Quand  la  quantité  d'oxygène  était  supé- 
rieure à  10  p.  100  dans  l'air  inspiré,  (les  échanges  interstitiels  n'étaient  pas  modifiés. 
Mais,  si  ces  proportions  d'oxygène  deviennent  inférieures  à  9,  8,  7  p.  100,  alors  on  voit 
la  respiration  devenir  très  profonde,^dyspnéique  et  laborieuse.  Le  cœur  se  ralentit;  la 
température  s'abaisse  de  8°  ou  10°,  et  l'animal  est  plongé  dans  une  sorte  de  demi-coma. 
Des  phénomènes  curieux  se  passent  du  côté  du  rein.  Après  quatre  ou  cinq  heures  de 
respiration  dans  ce  milieu  asphyxique,  l'animal  émet  une  urine  sanguinolente,  riche  en 
globules  sanguins.  Les  globules  du  sang  qui  circule  dans  les  vaisseaux  sont  eux  aussi 
profondément  altérés.  Si  Poxygène  est,  dans  l'air,  en  proportion  plus  faible,  soit  inférieure 
à  5  p.  100,  il  y  a  anurie  complète  (les  canalicules  du  rein  sont  remplis  de  cristaux 
d'hémoglobine)  et  l'urée  filtre  dans  le  tube  digestif.  Jones  (cité  par  H.  Milne  Edwards 
(r.  P.,  1857,  t.  I,  p.  529)  avait  noté  que  chez  les  tortues  l'asphyxie  altère  la  forme  des  glo- 
bules rouges  du  sang. 

Il  est  à  noter  que  presque  toujours,  en  revenant  à  l'air  libre,  ces  phénomènes  graves 
s'amendent  rapidement,  si  bien  qu'au  bout  de  quelques  heures  l'animal  est  revenu  à  son 
état  primitif. 

C'est  à  une  conclusion  à  peu  près  identique  qu'est  arrivé  LACL.-vrviÉ  [MmcUe  des  altéra- 
tions de  l'air  dans  l'asphyxie  en  vase  elos.  A.  P.,  1894,  p.  vi,  (5),  pp.  842-859).  Le  chimisme 
respiratoire  ne  se  modifie  pas  tant  que  la  tension  de  l'oxygène  [est  égale  ou  supérieure 
là  12  p.  100  environ. 

Quant  à  l'acide  carbonique,  il  faut  répéter  ce  que  j'ai  souvent  déjà  dit,  à  savoir  que 
sa  toxicité  est  faible,  et  que  l'on  peut  presque  impunément  respirer  des  mélanges  où  il 
y  a  4  et  8  p.  100  de  ce  gaz.  La  mort  par  l'asphyxie  dans  l'air  confiné  n'est  certainement 
pas  due  à  l'acide  carbonique;  car,  si  l'on  remplace  l'oxygène  consommé  par  du  nouvel 
oxygène,  on  peut  faire  vivre  longtemps  des  animaux  dans  ce  milieu  riche  en  oxygène 
riche  et  aussi  en  acide  carbonique.  Aussi  voit-on  souvent  dans  les  expériences  des 
physiologistes  vivre  des  animaux  qui  respirent  20  et  même  .30  p.  100  d'acide  carbo- 
nique. 

Nous  arrivons  donc  finalement  à  cette  conclusion  générale  que  la  mort,  dans  l'as- 
phyxie lente  comme  dans  l'asphyxie  aiguë,  est  due  à  l'absence  d'oxygène  et  que  l'acide 
carbonique,  dans  l'un  et  dans  l'autre  cas,  ne  joue  qu'un  rôle  médiocre,  et  même  à  peu 
près  nul,  pour  provoquer  les  phénomènes  de  l'asphyxie. 

Un  autre  procédé  pour  déterminer  l'asphyxie  lente  consiste  à  diminuer  non  la  pro- 
portion de  l'oxygène  de  l'air,  mais  la  ventilation  pulmonaire,  par  exemple  en  dimi- 
nuant le  calibre  de  la  trachée  par  un  moyen  expérimental  quelconque,  ou  bien  en  inter- 
posant à  l'inspiration  ou  à  l'expiration  une  colonne  d'eau  ou  de  mercure  assez  haute 
pour  faire  une  résistance  mécanique  importante. 

Marey  a  employé  le  premier  moyen;  mais  il  n'a  pas  poussé  jusqu'à  l'asphyxie  la 
diminution  du  calibre  trachéal,  puisque  ses  expériences  ont  été  faites  sur  l'homme,  et 
il  s'est  surtout  attaché  à  l'étude  des  changements  de  forme  de  type  respiratoire  du 
rylhme {Méthode  graphique,  p.  553). 

P.  Beht  a  aussi  fait  quelques  études  sur  le  chien  à  ce  point  de  vue,  mais  surtout  pour 
la  forme  de  la  respiration  {Leçons  sur  la  respiration,  p.  412). 

Quant  à  l'interposition  d'une  colonne  liquide  résistante,  il  n'y  a  guère  à  citer  que  les 
expériences  que  j'ai  faites  avec  P.  Langlois.  Nous  sommes  arrivés  ainsi  à  diminuer, 
dans  des  proportions  qui  varient  avec  la  hauteur  de  la  pression,  la  ventilation  des 
chiens  en  expérience;  et  par  conséquent  nous  avons  pu  tant  bien  que  mal  préciser  le 


760  ASPHYXIE. 

chiffre  minimum  de  la  venlilatioa  r.ompal.ible  avec  ia  vie  [Influence  dcf.  presaionn  exté- 
rieures, sur  la  ventilation  pulmonaire.  T.  L.,  t.  ii,  p.  340). 

La  ventilation  diminue  avec  la  pression  à  vaincre,  et,  si  nous  supposons  la  ventila- 
tion normale  d'un  cliien  é^ale  à  100,  elle  sera  diminuée  de  50  p.  100  quand  la  pression 
sera  de  30  centimètres  d'eau.  Si  la  pression  atteint  40  centimètres,  alors  la  venti- 
lation diminue  de  60  p.  100,  et  il  y  a  asphyxie  imminente;  par  conséquent  on  ne  peut 
diminuer  la  ventilation  normale  de  plus  de  60  p.  100  sans  qu'il  y  ait  péril  d'asphyxie. 

Ce  chiffre  de  60  p.  100  n'est  évidemment  pas  absolu,  et,  chez  les  chiens  chloralisés  ou 
morphines,  on  peut  encore,  par  rapport  à  la  respiration  normale,  diminuer  la  venti- 
lation de  70  p.  100,  sans  que  l'asphyxie  soit  imminente. 

Toutes  ces  expériences  d'ailleurs  ne  nous  l'enseignent  pas  beaucoup  sur  les  phéno- 
mènes physiologiques,  chimiques  ou  nerveux  qui  se  passent  dans  l'asphyxie  lente.  Ce 
serait  sans  doute  une  intéressante  étude  à  faire,  et  toute  nouvelle;  car  il  n'existe  à  ce 
point  de  vue  que  peu  de  données  précises. 

Traitement  de  l'asphyxie.  —  Rien  de  plus  simple  en  principe  queletraitementde 
l'asphyxie.  11  consiste  en  ceci  qu'il  fautfaire  respirer  l'animal  asphyxié  et  introduire  de  l'air 
dans  les  poumons;  mais  diverses  considérations  préalables  méritent  d'être  mentionnées. 

Nous  pouvons  d'abord  établir  en  principe  que  ce  qui  domine  la  situation,  c'est-à-dire 
la  possibilité  de  la  survie,  c'est  l'état  du  cœur.  Tant  que  le  cœur  bat,  le  retour  à  la  vie 
est  possible.  Au  contraire,  dès  que  le  cœur_a  cessé  de  battre,  il  est  malheureusement 
très  probable  que  tous  les  efforts  pour  ranimer  l'asphyxié  seront  inutiles.  C'est  dans 
des  cas  font  à  fait  exceptionnels  qu'on  voit  les  contractions  cardiaques  reparaître  après 
avoir  disparu  pendant  quelque  temps. 

Toutefois  ce  n'est  pas  une  raison  pour  se  décourager;  et  même,  en  cas  de  syncope 
prolongée,  il  faut  faire  comme  si  la  syncope  n'existait  pas. 

Donc,  puisqu'on  ne  peut  rien,  quoi  qu'on  en  dise,  sur  le  cœur,  il  faut  introduire  de 
.  l'air  dans  les  poumons  par  la  respiration  artificielle.  Mais  quel  est  le  meilleur  procédé 
de  respiration  artificielle? 

1°  Compression  du  thorax.  —  C'est  assurément  le  moyen  le  plus  simple,  et  il  n'est 
pas  le  plus  mauvais,  tant  s'en  faut.  11  ne  nécessite  aucune  instrumentation,  et  les  per- 
sonnes les  moins  expérimentées  peuvent  l'employer. 

Voici  comment  on  peut  opérer.  On  comprime  le  thorax  qui,  par  son  élasticité  propre^ 
revient,  après  avoir  été  comprimé,  à  sa  position  primitive,  et  on  continue  cette  ma- 
nœuvre jusqu'à  ce  que  la  respiration  naturelle  soit  revenue.  Un  des  avantages  importants 
de  celte  méthode,  c'est  que,  par  la  compression  du  thorax,  on  n'agit  pas  seulement 
sur  la  respiration;  on  peut  aussi  comprimer  quelque  peu  le  cœur  qui,  à  cette  période 
d'asphyxie  profonde,  est  notablement  asphyxié  et  se  trouve  alors  gorgé  de  sang  noir. 
Le  ventricule  droit  est  plein  de  sang  asphyxique,  et  la  compression  tend  à  faciliter  la 
déplétion  du  ventricule  droit  surchargé  de  sang  toxique.  .J'ai  vu  quelquefois,  par  la 
compression  du  thorax,  revenir  à  la  vie  des  chiens  asphyxiés  que  la  respiration  artifi- 
cielle n'avait  pas  pu  ranimer. 

2°  Élévation  des  bras.  —  C'est  le  procédé  qu'on  appelle  souvent  de  Sylvester;  il  n'est 
pas  aussi  efficace,  semble-t-il,  que  la  compression  du  thorax;  c'est  d'ailleurs  une  mé- 
thode simple  et  qu'on  peut  combiner  à  la  compression  du  thorax. 

3°  Élcclrisation  des  nerfs  phréniques.  —  Moyen  d'une  exécution  difficile,  plus  théo- 
rique que  pratique,  et  qui  me  parait  assez  mal  conçu;  car,  en  somme,  il  importe  peu 
que  l'air  arrive  dans  les  poumons  par  la  contraction  du  diaphragme  ou  par  la  com- 
pression du  thorax.  Au  fond  cette  méthode  de  l'électrisation  des  nerfs  phréniques  n'est 
jamais  employée,  et  on  a  raison. 

4"  Procédé  de  Maushall-Hall.  —  Ce  procédé  consiste  à  mettre  l'asphyxié  sur  la  face 
au  lieu  de  le  placer  dans  le  décubitus  dorsal  et  à  pratiquer  alors  la  respiralion  artifi- 
cielle par  compression  du  thorax.  A  vrai  dire,  ce  n'est  pas  un  procédé  général  contre 
rasph3'xie,  mais  seulement  dans  le  cas  d'asphyxie  par  submersion;  la  position  du 
patient  facilite  ainsi  l'écoulement  de  l'eau  qui  a  pénétré  dans  la  trachée. 

o"  Aspiration  thoracique.  —  C'est  encore  là  un  moyen  peu  employé  qui  consisterait 
à  faire  le  vide  dans  la  poitrine  au  moyen  d'une  aspiration  mécanique  (M.  Perbin',  article 
Asphyxie  du  Dict.  encycl.,  p.  61 1). 


ASPHYXIE.  761 

C  Insufflation  pulmonaire.  —  Elle  peut  se  faire  de  diverses  manières,  tantôt  par  la 
bouche,  tantôt  par  le  larynx,  tantôt  par  la  trachée.  En  réalilé,  l'insufflation  par  la 
bouche  ou  le  pharj'nx  sont  assez  peu  efficaces;  car  l'épiglotte  est  là  qui  oppose  un 
sérieux  obstacle  à  la  pénétration  de  l'air  dans  la  trachée,  de  sorte  qu'en  fin  de  compte 
c'est  l'insufflation  trachéale  qu'il  faudra  faire.  Certes  la  trachéotomie  est  un  moyen 
héroïque,  et  de  cette  manière  on  est  absolument  sûr  de  faire  bien  pénétrer  de  l'air  dans 
les  vésicules  pulmonaires;  mais  d'abord  la  trachéotomie  exige  un  certain  temps  et  la 
nécessité  d'un,  secours  urgent  se  compte  ici  non  par  minutes,  mais  par  secondes;  enfin 
c'est  une  opération  grave  qu'un  chirurgien  habile  est  seul  en  état  de  faire,  et  elle  laisse 
après  elle  une  nmtilation.  Donc,  sur  l'homme,  tout  au  moins  (si  dans  un  laboratoire  de 
physiologie  on  peut  songer  à  la  trachéotomie),  le  médecin  doit  renoncer  résolument 
à  la  trachéotomie,  et  pour  faire  la  respiration  artificielle  et  l'insufflation  pulmonaire, 
pénétrer  dans  la  trachée  par  une  canule  introduite  par  la  bouche.  Divers  appareils  ont 
été  proposés,  surtout  par  des  médecins  accoucheurs,  car  il  faut  remédier  activement 
à  l'asphyxie  des  nouveau-nés  qui  se  présente  fréquemment.[Mais  nous  ne  pouvons  entrer 
dans  le  détail  technique  de  ces  instruments,  très  nombreux. 

L'insufflation  trachéale,  à  condition,  bien  entendu  qu'elle  soit  pratiquée  avec  une  cer- 
taine modération,  ne  parait  entraîner  aucun  accident  grave,  et  c'est  bien  à  tort  que 
Leroy  d'Étiolles,  en  1829,  dans  un  mémoire  célèbre,  l'a  considérée  comme  amenant 
des  déchirures,  de  l'emphysème,  et  tout  un  cortège  d'accidents  qui  me  paraissent 
illusoires. 

7°  Tractions  ri/thmôes  de  la  langue.  Procédé  de  V.  Laborde.  —  Ce  moyen  combiné 
avec  la  respiration  artificielle  paraît  avoir  donné  d'excellents  résultats  {Tractions  rythmées 
de  la  langue,  i  vol.  in-8,  Paris,  1894).  Dans  le  livre  que  V.  Laborde  a  pubhésur  ce  sujet, 
on  trouvera  un  grand  nombre  d'observations  où  le  rappel  à  la  vie  a  été  obtenu  par 
les  tractions  rythmées  de  la  langue  dans  les  cas  les  plus  divers,  submersion,  intoxica- 
tions, tétanos,  éclampsie,  fulguration,  asphyxie  des  nouveau-nés,  chloroformisation, 
diphtérie,  etc.  On  peut  s'assurer  que  ce  procédé  a  fait  ses  pi'euves  et  qu'il  est  préfé- 
rable à  tous  les  autres,  sauf  cependant  celui  de  l'insufflation  pulmonaire,  comme  Tarnieb 
et  Pinard  l'ont  bien  montré  dans  une  discussion  à  l'Académie  de  médecine  (1894); 
d'autant  plus  qu'il  est  facile  à  mettre  en  usage  et  qu'il  n'est  pas  besoin  d'un  médecin 
pour  le  pratiquer.  Markschal  en  a  indiqué  nettement  les  termes  dans  une  instruction 
adressée  aux  pontonniers. 

Le  principe  de  ce  traitement  consiste  à  faire  la  respiration  artificielle  combinée  avec 
les  tractions  de  la  langue.  Mais,  tout  en  reconnaissant  la  valeur  de  ce  procédé,  je  ne 
pense  pas  que  l'explication  physiologique  que  donne  Laborde  soit  suffisante.  Pour  lui, 
en  effet,  ce  serait  par  une  action  réflexe  dont  le  point  de  départ  est  dans  les  nerfs  de 
la  langue  que  seraient  réveillées  les  respirations.  11  me  paraît  difficile  d'admettre  qu'il 
peut  se  produire  un  réflexe;  car,  à  cette  période  ultime  de  l'asphyxie,  il  n'y  a  plus 
aucun  signe  de  vie.  Toute  activité  du  système  nerveux,  spontanée  ou  réflexe,  a  dis- 
paru par  le  fait  de  l'absence  d'oxygène.  Le  bulbe  et  la  moelle  sont  dans  un  état  de  mort 
apparente.  Comment  alors  se  produirait-il'des  réflexes? 

Le  cœur  bal  encore;  on  ne  doit  pas  l'oublier.  Par  conséquent,  il  suffira  de  faire 
revenir  de  l'air  dans  le  poumon  pour  ranimer  la  vie  du  bulbe  et  de  la  moelle.  Quelle 
que  soit  la  dépression  du  système  nerveux  respiratoire,  tant  que  le  cœur  bat,  il  y  a 
espoir;  car,  dans  ce  cas,  on  est  à  peu  près  sûr,  dès  qu'on  rend  de  l'air  aux  poumons, 
même  si  pendant  une  demi-heure  les  respirations  spontanées  ne  reviennent  pas,  qu'elles 
finiront  par  revenir  tôt  ou  tard,  de  sorte  que  la  méthode  des  tractions  rythmées  de  la 
langue  ne  paraît  pas  du  tout  agir  par  un  mécanisme  réflexe,  mais  uniquement  parce 
qu'elle  est  le  meilleur  procédé  de  respiration  artificielle. 

En  effet,  si  nous  analysons  son  mode  d'action,  nous  voyons  que  c'est  en  somme  une 
respiration  artificielle  avec  trachée  ouverte,  c'est-à-dire  dans  des  conditions  qui 
assurent  un  renouvellement  efficace  de  l'air  des  poumons.  On  ne  peut  en  dire  autant 
des  procédés  de  respiration  qui  laissent  l'épiglotte  reposer  sur  la  glotte  et  constituent 
ainsi  un  obstacle  faible,  mais  réel,  à  la  respiration.  Nous  avons  démontré,  P.  Langlois 
et  moi,  que,  dans  l'anesthésie  par  le  chloroforme,  par  exemple,  le  moindre  obstacle 
mécanique  à  l'expiration  devenait  infranchissable.  Donc  je  tendrais  à  croire  qu'il  n'y  a 


762 


ASPHYXIE. 
Durée  de  l'asphyxie  aiguë. 


^ 

GENRE 

EIPERIMEN'TATEUIIS. 

ANIMAI'X. 

""■        K 

OBSERVATIONS. 

o    -J 

D    ASPHYXIE. 

Paul  Bert 

Chiens. 

IV 

4'23" 

Submersion. 

Dernier  mouvemeut  à  — . 

Comité  de  Londres. 

— 

V 

3'd.V' 

Occlusion 
de  la  trachée. 

Dernière  respir.ition  à  —  -   Dernier 
battement  de  cœur  après  7'. 

PlOT 

— 

IV 

T 

Occlusion 
delà  trachée. 

Dernier  battement  de  cœur  :i  — , 
Retour  à  la  vie  par  la  respiration 
artificielle. 

Comité  de  Londres. 

" 

X 

l'30" 

Submersion. 

Retour  à  la  vie  impossible  par  la 
respiration  artificielle  ;  un  retour 
à  la  vie  après  l'l.i"  de  submersion. 

—         

~~ 

VI 11 

5'25" 

Occlusion 
delà  trachée. 

Retour  à  la  vie  possible. 

Ch.  Richet.  .    .    .    . 

— 

m 

rso" 

Submersion. 

Retour  à  la  vie  après  1  'Id"  impos- 



" 

11 

16' 

Occlusion 
delà  trachée. 

Chiens  refroidis  à  31»  et  chloralisi^s  ■ 
Retours  ta  vie  possible  après  Ib'. 

Brouardel  et  Loye. 

— 

IV 

3'40" 

Submersion. 

"W.  Edwards.    .    .    . 

Chiens  (u.-nés). 

II 

12'.5" 

— 

Eau  à  0". 

—         

— 

I 

D.V30" 

— 

Eau  à  22». 

Paul  Bert 

Chats. 

III 

2'5.5" 

— 

Dernic  mouvemçnt  à  — . 

BOEEM  

— 

XII 

3' 

Occlusion 

Dernière  respiration  spontanée  i  — . 
Retour  à  la  vie  après  4'  pour  cer- 

W. Edwards.  .    .    . 

Chats  (n.-né.s). 

11 

38'45" 

Submersion. 

tains  par  la  respiration  artilicielle. 
Eau  il  20». 

Paul  Bert 

Cobayes. 

1 

2' 



Dernier  mouvement  à  — 

W.  Edwards.    .    .   . 

— 

m 

3'2o" 



— 

Cobayes  'n.-nés). 

VI 

o'2.o" 

_ 

Le  Coquil 

Cobayes. 

V 

3' 

- 

Retour  à  la  vie  par  respiration  ar- 
tificielle après  l'40"  de  submer- 

Paul  Bert 

Lapins. 

VI 

3' 



Comité  de  Londres. 

— 

III 

3'20" 

— 

Dernière  respiration  à  — .  Dernier 

Le  Coquil  ...._. 

Rats. 

IX 

3' 



Paul  Bert 

Rats  blancs. 

II 

2'e" 

_ 

Dernier  mouvement  à  — . 

—         

Rats   d'eau. 

IV 

2'17" 

_ 

Dernier  mouvement  à  — . 

—          

Phoque. 

I 

28' 

_ 

Dernier  mouvement  il  — . 

— 

Chouette  effraie. 

I 

2'or' 



Dernier  mouvement  à  — . 

_ 

Moineaux. 

II 

37" 

_ 

Dernier  mouvement  à  — . 

— 

Alouette. 

II 

3.5" 

_ 

Dernier  mouvement  à  — . 

-         

Roitelet   huppé. 

I 

20" 

- 

Dernier  mouvement  ii  — . 



Hirondelle. 

I 

45" 

_ 

Dernier  mouvement  ii  — . 

— 

Etourneau. 

I 

l'30" 

_ 

Dernier  mouvement  a  — . 

Cii.  Richet 

Pigeon. 

I 

45" 

— 

Ne  meurt  pas. 

~         

— 

I 

rio" 

Ligature, 
de  la  trachée. 

Mort. 

Paul  Bert 

— 

V 

l'16" 

Submersion. 

Dernier  mouvement  a  — . 

—          

Poule. 

VI 

3'31" 

— 

Dernier  mouvement  à  — 

—          

Perdrix. 

II 

2'10" 

— 

Dernier  mouvement  à  ,-. 

—          

Râle   d'eau. 

I 

4'30" 

— 

Dernier  mouvement  à  — . 

—          

Goéland  brun. 

I 

4'43" 

— 

Dernier  mouvement  i  ~. 

—          

Canard  sarcelle. 

II 

T15" 

— 

Dernier  mouvement  à  — . 

— 

Canard. 

VIII 

iri7" 

— 

Dernier  mouvement  à  — . 

Ch.  Richet.    .    .    . 

Canard. 

VIII 

7'30" 



Aucuns  troubles. 

—          

Canard. 

I 

4' 

— 

L'animal  est  submerpé  après  avoir 
éprouvé  une  perte  de  sang  de  40 

Paul  Bert 

Dindon. 

1 

2'3(J" 

— 

Dernier  mouvement  à  — 

W.  Edwards.   .   .    . 

Moineaux 
adultes. 

vu 

(J'30" 

— 

Eau  à  Ou. 

Moineaux- 
adultes. 

vu 

0'46" 

—                 Eau  à  20«- 

ASPHYXIE.  763 

pas  de  rappel  à  la  vie  par  un  réflexe,  puisque  tous  les  réllexes  sont  abolis.  Si  la  trac- 
tion de  la  langue  agit,  c'est  parce  qu'elle  ouvre  largement  la  trachée  et  assure  le  renou- 
vellement de  l'air  inira-pulmonaire. 

Aux  procédés  de  respiration  artificielle  il  faut  ajouter  des  moyens  adjuvants  qui  ont 
leur  importance,  mais  une  importance  qu'il  ne  faudrait  pas  exagérer;  car  nous  sommes 
impuissants  à  agir  sur  le  cœur  quand  il  est  arrêté,  et,  quant  à  la  respiration,  une  fois 
que  l'air  a  pénétré  dans  les  poumons,  si  le  cœur  vil,  on  peut  être  sûr  du  succès.  Cepen- 
dant il  y  a  des  cas,  surtout  quand  il  s'agit  d'asphyxies  toxiques,  où,  le  cœur  continuant 
à  battre,  la  respiration  spcuitanée  reparait  pendant  quelque  temps  pour  cesser  ensuite 
définitivement.  Il  faut  en  effet  se  rappeler  ce  que  nous  avons  dit  plus  haut,  c'est  que 
l'état  asphyxique  crée  une  intoxication  véritable,  plus  ou  moins  prolongée,  dont  les 
centres  nerveux  ne  se  remettent  pas  immédiatement.  Aussi,  dans  quelques  cas  exception- 
nels, malgré  le  retour  de  la  circulation  et  de  la  respiration,  les  centres  nerveux  ne 
peuvent-ils  revenir  à  leur  fonction  normale. 

On  peut  supposer  ainsi,  avec  Hoehu,  que  la  respiration  artificielle  est  efficace  pour 
combattre  certains  empoisonnements,  par  exemple  l'intoxication  par  la  potasse;  de  sorte 
que  la  dose  toxique  n'est  pas  la  même,  selon  qu'on  fait  ou  non  la  respiration  artificielle, 
même  lorsque  la  cause  de  la  mort  n'est  pas  l'asphyxie.  Dans  les  maladies  infectieuses, 
même  quand  la  fonction  respiratoire  n'est  pas  paralysée  complètement,  peut-être  la 
respiration  artificielle  ne  serait-elle  pas  sans  influence;  comme  si  une  lente  asphyxie 
contribuait  à  rendre  plus  graves  tous  les  phénomènes  d'intoxication. 

Bibliographie.  —  Articles  Asphyxie,  Submersion,  Strangulation,  Pendaison,  des 
Dictionnaires  de  médecine;  Traités  de  physiologie  et  de  Médecine  légale;  art.  Asphyxia  de 
Y  Index-Catalogue  (t.  i,  p.  6.35,  1880).  —  T.  Ackermann.  Vntsrs.  ub.  den  Einfluss  der  Ersti- 
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of  the  disease  of  the  nature  they  produce;  its  distinction  from  death  itself  and  the  most  effec- 
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7(U  ASPIDOSPERMATINE    —    AS  PI  DOS  P  E  R  M  I  N  E. 

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l'asphyxie  poussée  jusqu'à  la  mort  apiparente  et  offerts  par  les  animaux  rappelés  à  la  vie  par 
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tion {B.B.,  1890,  t.  u,{Ç)),pp.m-231).  — Innervation  cardiaque  et  variations  périodiques  des 
rythmes  du  cœur  au  cours  de  l'asphyxie  chez  le  chien  {B.  B.,  8  juill.  1893,  p.  722).  — 
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versit.  di  Palermo.  Pisa,  1893,  8°,  37  p.)  —  Marchant.  Asphyxie  et  insufflation  pulmonaire 
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précédée  de  quelques  réflexions  sur  la  respiration  du  fœtus  {D.P.,  1872).  — L.  Traube.  We- 
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—  TscHiRiEw.  Die  Unterschiede  der  Blut  und  JAjmphgase  des  crstickten  Thieres  {Arb.a.  d.  phy- 
siol.  Anstalt  zu  Leipzig,  1874,  t.  ix,  pp.  38-50).  —G.  Vai.entin.  Erstickung  im  geschlossew-n 
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Woch.,  29  avril  1895,  n»  17,  pp.  361-364). 

Voir  aussi,  dans  ce  Dictionnaire,  les  articles  Oxygène,  Respiration,  Sang. 

CH.    R. 

ASPIDOSPERMATINE.  —  Alcaloïde  retiré  de  l'écorce  àe  VAspido- 
sperma  quebracho.  Voj'ez  Aspidospermine. 

ASPIDOSPERMINE  (C"H">AZ'-02).  —  L'aspidospermine  est  un  alca- 
loïde retiré  pour  la  première  fois  par  Froude  de  l'écorce  de  i'Aspidosperma  quebracho  ou 
quebracho  blanco,  arbre  de  la  famille  des  apocynées. 

Outre  l'aspidospermine,  l'écorce  du  quebracho  blanco  fournit  d'autres  principes  'actifs 
qui  sont  :  la  québrachine,  l'aspidospermatioe,  l'hypoquébrachine,  l'aspidosamine,  la 
québrachamine;  du  québrachol  analogue  aux  alcools;  de  l'amidon  et  du  tanin. 

C'est  le  mélange  des  quatre  premiers  alcaloïdes  qui  constitue  l'aspidospermine  du 
commerce,  qu'il  faut  distinguer,  au  point  de  vue  des  propriétés,  de  l'aspidospermine  pure. 

Préparation.  —  Dans  un  appareil  à  déplacement,  on  épuise  loOO  grammes  d'écorce 
finement  concassée,  par  a  kilogrammes  d'eau  froide  additionnée  de  100  grammes 
d'acide  sulfurique.  Par  un  léger  excès  d'acétate  de  plomb,  on  débarrasse  la  liqueur  obte- 
nue du  tanin  et  des  matières  colorantes.  Après  fillration,  on  fait  passer  un  courant 


ASPIDOSPERMINE.  7tio 

d'acide  siilfhydrique  pour  enlever  le  plomb  en  excès;  on  lîllre,  on  ajoute  du  cai'bonale 
de  soude  jusqu'à  réaction  alcaline;  on  obtient  un  dépôt  caséeux  que  l'on  recueille,  que 
l'on  sèche  et  que  l'on  épuise  par  l'alcool.  Le  résidu  est  constitué  par  du  carbonate  de 
chaux.  On  fait  bouillir  assez  longtemps  la  solution  alcoolique  avec  du  noir  animal,  on 
filtre,  on  distille  presque  tout  l'alcool  et  l'on  mélange  le  résidu  à  un  e'gal  voluine  d'eau 
bouillante;  on  abandonne  à  l'évaporation  spontanée.  Peu  à  peu  il  se  dépose  des  cristaux 
colorés  d'alcaloide.  On  les  essore,  et  on  les  dissout  dans  de  l'alcool.  Ou  fait  de  nouveau 
bouillir  avec  du  noir  animal  et  on  traite  comme  précédemment.  C'est  après  4  à  b  traite- 
ments du  même  genre  que  l'on  obtient  l'alcaloïde  cristallisé  et  décoloré  (Dcpuy). 

Propriétés  physiques  et  chimiques.  —  L'aspidospermine  pure  cristallise  en  petits 
cristaux  prismatiques  ou  en  fines  aiguilles.  Très  soluble  dans  l'alcool,  la  benzine,  le 
chloroforme  et  l'éther,  elle  est  très  peu  soluble  dans  l'eau  :  1  pour  6000;  elle  estlévogyre, 
très  amère  et  fond  à  20o°-206".  Avec  les  acides  sulfurique,  chlorhydrique,  acétique,  citri- 
que, elle  donne  des  sels  qui  cristallisent  difficilement  et  qui  sont  plutôt  amorphes.  Ces 
sels  sont  solubles  dans  l'eau  et  l'alcool. 

Chauffée  avec  luie  solution  d'acide  perchlorique,  l'aspidospermine  donne  une  réaction 
rouge.  Si  à  de  l'aspidospermine  arrosée  d'une  goutte  de  SO''H-,  on  ajoute  une  par- 
celle de  peroxyde  de  plomb,  on  obtient  une  coloration  d'abord  brune,  puis  rouge  cerise. 
Si  la  base  est  impure,  la  couleur  est  violette. 

Propriétés  physiologiques.  —  Bien  des  auteurs  out  étudié  les  propriétés  de 
l'écorce  de  quebracho,  mais  c'est  à  Ch.  Eloy  et  H.  Huchard  (A.  P.,  1886,  p.  236)  que  l'on 
doit  une  étude  détaillée  de  l'action  des  principaux  alcaloïdes  de  cette  écorce  sur  les  diver- 
ses fonctions  de  l'organisme.  L'aspidospermine  pure  agit  s\Jn-la.motilité,  elle  provoque,  à 
doses  élevées,  des  convulsions;  à  faibles  doses,  des  tremblements;  à  doses  massives^ 
la  paralysie.  Un  fait  à  noter,  c'est  l'enrouement  que  l'on  constate  chez  les  animaux 
en  expérience,  par  suite,  sans  doute,  de  la  paralysie  des  muscles  tenseurs  des  cordes 
vocales. 

Elle  n'altère  pas  ] a.  sensibilité  périphérique,  mais  on  constate,  sous  son  influence,  une 
augmentation  de  l'excitabilité  électrique  du  nerf  phrénique. 

La  circulation  est  modifiée  en  ce  sens  que  les  battements  cardiaques  sont  ralentis  de 
la6  à  126  par  exemple. 

La  respiration  est  la  fonction  qui  est  le  plus  modifiée  par  l'aspidospermine.  On  cons- 
tate en  effet,  au  bout  de  8  à  la  minutes,  une  augmentation  non  du  nombre  des  mou- 
vements respiratoires,  mais  de  leur  amplitude;  cette  augmentation  se  fait  dans  la  pro- 
portion de  1  à  5.  Un  moment  après,  le  rythme  change,  la  fréquence  |est  accrue  dans  le 
rapport  de  il  à  12  (lapin)  ou  do  10  à  H  (chien).  Cette  augmentation  de  fréquence  se 
manifeste  environ  un  quart  d'heure  après  l'administration  de  l'aspidospermine,  elle  per- 
siste pendant  deux  à  quatre  heures  et  n'est  pas  transitoire  comme  l'augmentation  de 
l'amplitude. 

Si  l'on  dépasse  la  dose  physiologique  [o  à  10  centigrammes  pour  le  chien)  ou  si  l'éli- 
mination de  la  substance  active  est  nulle  ou  insuffisante,  on  constate  l'arythmie  des 
mouvements  respiratoires  et  la  diminution  de  leur  étendue  qui  va  en  s'accenluant  jns- 
qu'cà  la  mort. 

La  méthode  graphique  permet  de  constater  que  la  fréquence  de  la  respiration  costale 
est  plus  modifiée  que  celle  de  la  respiration  abdominale. 

La  température  subit  uu  abaissement  très  marqué.  Ainsi,  chez  le  lapin,  i  centi- 
gramme de  chlorhydrate  d'aspidospermine  fait  baisser  la  température  en  49  minutes, 
de  39°  à  Sô-S. 

Le  sanij  veineux  est  modifié  dans  sa  coloration,  chez  un  animal  intoxiqué  par  l'aspi- 
dospermine. Il  est,  en  effet,  rouge  groseille  ou  rosé,  comme  chez  les  animaux  qui  suc- 
combent après  la  piqiîre  du  bec  du  calamus,  par  arrêt  des  échanges.  Il  est  facile  de 
constater  par  la  méthode  d'HÉNOCQUE,  que  l'hémoglobine  n'est  pas  diminuée,  qu'elle 
n'est  pas  non  plus  réduite;  les  globules  sanguins  restent  intacts.  L'aspidospermine  pro- 
duirait donc  l'arrêt  des  échanges  entre  le  sang  et  les  tissus. 

Elle  agit  aussi  sur  les  sécrétions  des  roins,  des  glandes  intestinales  et  des  glandes 
salivaires  en  produisant  une  hypersécrétion. 

Ce  que  nous  venons  de  dire  prouve  que  celte  substance  peut  devenir  toxique,  car  elle 


766  ASSIMILATION. 

peut  amener  la  mort  par  asphyxie,  par  paralysie  des  muscles  respiratoires  ou  par  arrêt 
des  échanges. 

Son  action  semble  s'exercer  sur  le  centre  respiratoire.  Pour  Gutman'n,  chez  les  ani- 
maux à  sang  chaud,  l'action  primitive  se  fait  sentir  sur  le  cœur;  les  ganglions  cardiaques 
seraient  atteints;  la  température  baisse  parallèlement,  puis  surviennent  les  troubles 
respiratoires.  Pour  Harnack  et  Hoffmann  l'aspidospermine  produirait  un  abaissement  de 
l'excitabilité  du  centre  respiratoire  (Zei^sc/u'.  f.  klin.  Med.,  1884,  t.  viii,  pp.  471-516). 

Ce  qui  précède  se  rapporte  à  l'aspidospermine  pure.  L'action  de  l'aspidospermine  du 
commerce  en  diffère  un  peu,  car  elle  n'est  qu'un  mélange  de  quatre  alcaloïdes  :  de  l'as- 
pidospermine, de  la  québrachine,  de  l'aspidospermatine  et  de  l'hypoquébrachine. 

La  québrachine  (C--H-^Az-0-)  cristallise  en  aiguilles  déliées,  qui  jaunissent  à  l'air^' 
Soluble  dans  l'eau,  l'alcool,  le  chloroforme  bouillant,  elle  dévie  à  droite  le  plan  de  pola- 
risation. Le  lactate  de  québrachine  est  le  seul  sel  soluble.  Sa  solution  additionnée  d'un 
cristal  de  bichromate  de  potasse  se  colore  en  bleu  ou  en  violet. 

L'aspidospermatine  [C-'R-'^Az-O-]  est  très  soluble  dans  l'alcool,  l'éther,  le  chloroforme; 
elle  forme  avec  les  acides  des  sels  amorphes  dont  le  lactate  est  assez  soluble. 

V hypoqufbraciiine  est  analogue  à  la  québrachine  ;  avec  les  acides  elle  l'orme  des  sels 
dont  le  sulfate  est  le  plus  soluble. 

C'est  le  mélange  de  ces  substances  qui  constitue  l'aspidospermine  du  commerce, 
poudre  blanc  jaunâtre,  riche  en  matière  colorante,  se  dissolvant  dans  des  liquides  aci- 
dulés et  dont  la  composition  est  moins  définie.  Elle  a  toutes  les  propriétés  essentielles 
de  l'aspidospermine  pure,  avec  cette  différence  que  l'action  sur  la  circulation  et  la  res- 
piration est  moindre  et  que  l'action  hypothermique  au  contraire  est  plus  prononcée,  à 
cause  de  la  québrachine  qui  est  l'alcaloïde  le  plus  aulithermique. 

L'aspidospermine  du  commerce  est  aussi  toxique  que  la  pure;  elle  peut  amener  la 
mort,  soit  par  paralysie  des  muscles  de  la  respiration,  soit  par  arrêt  des  échanges.  Il  est 
donc  important  de  bien  connaître  les  effets  physiologiques  signalés  précédemment  pour 
pouvoir  faii'e  une  bonne  application  thérapeutique. 

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t.  XVII,  pp.  I'i9-132  et  565-b67).  —  L.  M.  Pétrone  {Sperimentale,  1883,  t.  lu,  pp.  129-142). 
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L.  E.  Strœbel  {Th.  doct.,  Montpellier,  1882). 

CH.   LIVON. 

ASSIMILATION.  —  Pour  la  plupart  des  auteurs  qui  se  sont  occupés 
de  cette  importante  question,  il  faut  entendre  par  assimilation  l'acte  intime  par  lequel 
les  substances  absorbées  deviennent  parties  intégrantes  des  éléments  anatomiques, 
c'est-à-dire  deviennent  de  la  substance  vivante,  du  protoplasme,  au  sens  le  plus  large  de  ce 
mot. 

Pour  se  faire  une  idée  nette  de  cette  transformation,  il  faudrait  par  conséquent  avoir 
des  notions  exactes  sur  la  composition  chimique  de  celte  jnatière  vivante. 

Malheureusement,  si  nous  connaissons  la  nature  des  éléments  hydrocarbonés  et  des 
graisses  que  l'on  trouve  dans  le  protoplasme,  nous  en  sommes  réduits  à  des  hypothèses 
quand  il  s'agit  de  déterminer  la  structure  du  constituant  principal,  de  l'albumine. 

La  théorie  de  Sghïjtzenbergek  qui  considère  l'albumine  comme  une  uréide  complexe, 
une  combinaison  de  l'urée  avec  des  glycoproléines  ne  cherche  pas  à  rendre  compte  des 
difl'érences  entre  la  matière  inerte,  morte,  et  la  matière  active,  vivante.  PflCger  est  le 
premier  qui  ait  tenté  d'interpréter  ces  différences.  Pour  lui  l'azote  serait  dans  l'albu- 
mine morte  combiné  sous  forme  d'amide  (AzH-),  tandis  qu'il  se  trouverait  dans  l'albu- 
mine vivante  sous  forme  de  cyanogène  (C-Vz).  —  Dans  l'assimilation  de  l'albumine  inerte, 
la  molécule  de  cette  dernière  formerait  avec  la  molécule  de  l'albumine  vivante  une  com- 
binaison éthérée  avec  dégagement  d'eau.  L'azote  devenu  libre  par  la  mise  en  liberté  de 
l'hydrogène  se  combinerait  au  carbone  pour  donner  naissance  au  radical  peu  stable  du 
cyanogène. 


ASSIMILATION.  767 

Une  différence  plus  grande  entre  l'albumine  morte 'et  l'albumine  vivante  consisterait 
dans  la  présence  en  cette  dernière  de  plusieurs  groupements  aldéhydiques,  extrême- 
ment instables  par  conséquent  (Pflûger,  Nencki). 

Peut-être  aussi  faut-il  attribuer,  avec  Lœw,  une  grande  importance  à  la  présence 
dans  l'albumine  vivante  de  groupements  aldéhydiques  et  amidés  qni  hérisseraient  en  quel- 
que sorte  la  surface  de    la  molécule 

I  /H 

H  — C  — AzC" 


'\H 
—  C 
I 


et  qui  pourraient,  par  un  simple  glissement,  se  transformer  en  groupements  semblables 
à  celui-ci  : 

H_C  — Az— H 

I  \" 

Ce  court  aperçu  montre  bien  que  nous  en  serons  encore  longtemps  réduits  à  des 
hypothèses  sur  la  nature  intime  de  l'assimilation.  —  Mais,  même  abstraction  faite  de 
ces  délicates  transpositions  d'atomes,  ie  gros  du  phénomène  ne  nous  est  encore  qu'im- 
parfaitement connu. 

A.  Gautier  (Chimie  phj/siologique)  admet  que  l'assimilation  consiste  en  une  modifi- 
cation des  principes  immédiats  suivant  laquelle  ceux-ci  sont  transformés  en  variétés  de 
même  espèce,  mais  différentes  suivant  les  tissus.  Ainsi  les  hydrates  de  carbone,  les  corps 
amidés,  les  substances  protéiniques,  les  sels  qui  se  tro'uvent  également  dans  les  plantes 
et  dans  les  différentes  espèces  animales  subissent  par  le  pa?sage  des  éléments  les  uns 
dans  les  autres  une  modification  qui  semble  ne  porter  que  sur  les  annexes  de  la  molé- 
cule; c'est-à-dire  que  les  transformations  ne  porteraient  pas  sur  les  éléments  qui  don-' 
nent  à  ces  corps  leurs  caractères  fondamentaux.  Il  en  serait  par  exemple  des  transfor- 
mations assimilatrices  à  peu  près  ce  qui  en  est  des  transformations  des  graisses  dans 
l'organisme  :  celles-ci  peuvent,  en  efïet,  voir  se  changer  l'acide  qui  entre  dans  leur 
composition,  tandis  que  le  radical  glycérique  reste  le  même.  Il  faut  bien  noter,  dès  main- 
tenant, que  l'assimilation  ne  consiste  pas  dans  un  choix  effectué  dans  le  sang,  par  les 
éléments  cellulaires,  de  l'élément  [qui  leur  convient.  La  transformation,  quelle  qu'elle 
soit,  a  lieu  dans  l'intérieur  même  de  l'élément.  C'est  celui-ci,  ou  les  produits  directs 
de  celui-ci,  qui  en  sont  les  facteurs. 

C'est  donc,  suivant  A.  GAUiiER,  grâce  à  l'assimilation  que  l'albumine  végétale,  la  caséine 
végétale,  la  conglutine  des  amandes,  la  légumine  des  pois,  la  gluten-caséine  du  blé  se 
transforment  en  albumine  de  l'œuf,  caséine  du  lait,  fibrine,  myosine,  osséine,  ou  que 
ces  dernières  se  transforment  les  unes  dans  les  autres. 

Mais  c'est  là  ne  considérer  que  les  deux  termes  les  plus  éloignés  l'un  de  l'autre  dans  la 
série  des  transformations  multiples  que  doit  subir  l'albumine  morte  avant  de  s'élever  au 
rang  d'albumine  vivante.  C'est  constater  l'absorption  d'un  corps  étranger,  sa  dissolu- 
tion, son  intégration  par  la  cellule,  sans  se  demander  ce  qui  se  passe  entre  la  dissolu- 
tion et  l'intégration  et  pendant  l'intégration  elle-même.  C'est,  par  exemple,  chez  les 
animaux  supérieurs,  laisser  inexploré  l'espace  immense  qui  sépare  la  peptonisation  des 
albumines  de  leur  transformation  en  myosinogène. 

Aussi  l'étude  des  organismes  inférieurs  donne-t-elle  peu  de  résultats  dans  cette  ques- 
tion de  l'assimilation.  11  faut,  pour  arriver  à  des  conclusions  plus  nettes,  s'adresser  à  des 
êtres  plus  complexes,  ctieX  lesquels  les  modifications  sont  en  quelque  sorte  plus  lentes 
ou  plutôt  moins  condensées,  réparties  successivement  en  un  nombre  plus  ou  moins 
grand  d'organes  que  l'on  pourrait  appeler  différenciateurs. 

En  supposant  un  enfant  nourri  avec  une  quantité  convenable  de  lait,  les  albumines 
du  lait  serviront  bien  chez  lui  à  produire  une  étonnante  variété  de  substances  albumi- 
noïdes;  mais  celles-ci  ne  sont  pas  formées  directement  des  albumines  du  lait,  pas  plus 
que  de  lapeptone  qui  en  dérive.  Cette  peplone,  elle-même,  est  en  partie. déjà  transformée 


768  ASSIMILATION. 

dans  la  paroi  inlestinale  et  plus  tard,  dans  le  courant  sanguin  qui  la  ramène  au  foie,  en 
albumine  du  sang;  et  c'est  aux  dépens  de  celte  albumine,  ou  plutôt  de  ces  malièi'es  albu- 
minoïdes  du  sang  que  les  cellules  des  différents  tissus  forment  leurs  propres  matières 
albuminoides. 

Ces  cellules  ne  peuvent  pas  assimiler  n'importe  quoi.  Popoff  et  Bri.nk  ont  démontré, 
par  exemple,  que  la  peptone  pure  élaic  impuissante  à  entretenir  les  battements  du  cœur 
de  la  grenouille,  mais  qu'elle  acquérait  cette  propriété  par  un  séjour  plus  ou  moins 
prolongé  dans  le  canal  gastro-intestinal. 

S'agit-il  là,  comme  ces  auteurs  ont  conclu  de  ce  dernier  fait,  d'une  transformation 
de  la  peptone  en  albumine  du  sérum  ou  en  un  corps  très  voisin  de  cette  dernière  ? 

Tout  porte  à  le  croire,  ainsi  qne  nous  aurons  l'occasion  de  le  démontrer  quand  nous 
nous  occuperons  spécialement  de  l'assimilation  des  substances  albuminoides. 

On  peut  donc,  jusqu'à  un  certain  point,  considérer  la  digestion  comme  un  des  premiers 
faits  de  l'assimilation.  Elle  fusionne  en  quelque  sorte  loutes  les  matières  albuminoides, 
en  fait  de  l'albumine  du  sang  qui  se  transforme  ensuite  par  une  série  de  processus  en- 
core inconnus  en  albumines  des  différents  tissus.  Dans  cette  série  de  modifications,  il 
s'opère  une  espèce  de  triage,  grâce  auquel  certaines  substances  très  analogues  aux 
substances  albuminoides,  les  gélatines,  par  exemple,  sont  rejetées  de  l'organisme. 

Klug  {Uebcr  die  Verdaiilichkeitdcs  Leims,  A.  Pf.,  1891,  t.  xLvm,  p.  100,)  a  démontré  que 
■ces  dernières,  introduites  dans  l'instestin  telles  quelles,  ou  sous  forme  de  peptones  de 
gélatines,  ou  dans  la  circulation  sous  forme  de  peptones,  étaient  complètement  élimi- 
nées. 

A  cet  égard,  on  peut  donc,  jusqu'à  un  certain  point,  parler  d'une  sélection  faite  par 
les  cellules  des  tissus  dans  les  matières  nutritives  qui  leur  sont  offertes.  Le  même  fait 
s'observe  d'ailleurs,  comme  nous  le  verrons  plus  tard,  pour  certains  sucres  que  l'orga- 
nisme rejette  impitoyablement,  quelle  que  soit  leur  voie  d'entrée. 

Ce  serait  une  erreur  de  croire,  d'après  ce  court  aperçu,  que  l'assimilation  ne  consiste 
qu'en  transformations  superficielles  de  molécules.  Nous  ne  pouvons  nous  résigner,  en 
effet,  avec  A.  Gautier,  à  considérer  la  formation  de  graisse  aux  dépens  des  albumines 
■comme  un  processus  tout  différent  de  l'assimilation.  A  raisonner  de  la  sorte,  on  ne 
considérera  plus  le  fait  bien  démontré  de  la  création  de  graisse  aux  dépens  d'hydrates 
de  carbone  comme  de  l'assimilation.  On  pourra  nous  objecter,  il  est  vrai,  que,  pour 
former  de  la  graisse  avec  de  l'albumine,  il  faut  une  décomposition  de  cette  dernière  et 
que  toute  décomposition,  tout  effondrement  d'une  molécule  suppose  ime  désassimilation 
commençante  de  cette  dernière.  Nous  pouvons,  croyons-nous,  répondre  que  tout  ce  qui 
reste  fixé  dans  l'organisme,  prêt  à  être  utilisé  au  moment  du  besoin,  doit  être  considéré 
comme  assimilé  par  lui. 

Une  dernière  question  serait  à  résoudre  avant  de  quitter  le  terrain  des  généralités. 
Par  quels  processus  une  cellule  est-elle  capable  de  transformer  les  substances  qui  lui 
■sont  offertes  en  sa  propre  substance  ?  Comment,  par  exemple,  les  fibres  musculaires 
peuvent-elles  transformer  les  albumines  du  sang  en  myosinogène  "? 

Faut-il  admettre  l'existence  de  corps  ayant  une  action  analogue  aux  ferments?  .S'il 
«st  vrai  que  D.\nhabdt  a  retiré  des  glandes  mammaires  une  substance  capable  de  trans- 
former l'albumine  en  caséine,  on  pourrait  se  rattacher  à  cette  hypothèse;  mais  l'igno- 
rance où  nous  sommes  encore  de  l'action  intime  des  ferments  et  des  différences  qui  sé- 
parent les  diverses  albumines  nous  impose  de  grandes  réserves. 

Assimilation  des  graisses.  —  Il  semblerait  puéiil  aujourd'hui  d'affirmer  que  la 
plus  grande  partie  des  graisses  de  l'organisme  provient  de  la  graisse  alimentaire.  Cepen- 
dant on  comprend  qu'on  en  ait  pu  douter  dans  un  temps  où  l'on  admettait  que  la  graisse 
insoluble  ne  pouvait  comme  telle  traverser  la  paroi  intestinale,  et  où  l'on  n'était  guère 
disposé  à  admettre  une  synthèse,  une  recomposition  des  savons  et  delà  glycérine  au  delà 
de  la  paroi.  Ce  sont  les  recherches  de  Hofman.x  (Z.  B.,  t.  vin,  p.  153,  1882),  de  Pette.n- 
KOFEE,  et  'Voit  (Z.  B.,  t.  ix,  p.  i  (1873)  et  surtout  celles  de  Lebedeff  (f/eôcr  Fcttansatz 
im  Thierkôrper.  C.  W.,  1882,  n°  8)  et  de  Munk  {Uebcr  dic  Bildung  von  Fctt  ans  Fet- 
tsàuren  im  Thierkôrper.  A.  Db.,  1883,  p.  273)  qui  ont  nettement  établi  ce  fait.  Nous  ne 
rapporterons  pour  le  démontrer  que  l'histoire  des  chiens  de  I.ededeff.  Après  les  avoir, 
•dégraissés  "complètement  par  un  jeûne  prolongé,  on  les  nourrissait,  soit  avec  du  suif  de 


ASSIMILATION.  -(iÇI 

mouton,  soit  avec  de  l'huile  de  lin.  Dans  le  pieniier  cas  on  retrouvait  à  l'autopsie  une 
grande  quantité  de  graisse  ayant  un  point  de  fusion  élevé  comme  le  suif  de  mouton  ;  dans 
le  second  une  graisse  très  lluide  à  point  de  fusion  très  bas.  Plus  concluantes  encore  sont 
les  recherches  île  Munk  où  les  chiens  étaient  nourris  avec  de  l'huile  de  colza;  à  l'autop- 
sie on  retrouvait  dans  la  graisse  de  l'animal  l'acide  érucique  caractéristique  de  cette 
huile. 

On  a  déjà  dénioniré  à  l'article  Absorption  qu'une  partie  de  la  graisse  se  résorbait 
comme  telle  sous  l'orme  de  graisse  neutre,  une  autre  partie  sous  forme  de  savons  qui 
se  reconibinaieut  dans  la  paroi  intestinale  à  la  ^lvc(hine  pour  retbi'mer  de  la  graisse 
neutre.  La  quantité  de  savon  ou  d'acides  gras  libn.'S  que  l'on  rencontre  dans  le  canal 
thoracique  est  en  efl'et  très  peu  élevée.  Mais  un  fait  intéressant  démontié  par  Munk  {loc. 
cit.)  est  que,  si  l'on  administre  à  un  chien  des  acides  gras  libres  au  lieu  de  graisse  . 
neutre,  c'est  encore  de  la  graisse  qui  est  assimilée.  Il  y  a  donc  ici  encore  synthèse  de  ces 
acides  avec  la  glycérine  au  niveau  de  la  muqueuse  intestinale.  Minkowsky  a  d'ailleurs 
pu  faire  la  même  observation  chez  un  homme  atteint  d'ascite  ohyleuse  {Ueber  die  Syn- 
thèse des  Feiles  aus  Fettsàuren  im  Organismitë  des  McnscJien.  A.  P.  P.,  t.  xxi,  p.  373,  1886). 
Munk  a  pu,  à  l'occasion  de  ces  recherches,  établir  ce  fait  intéressant  que  les  graisses 
sont  d'autant  moins  assimilables  que  le  point  de  fusion  de  leur  acide  est  plus  élevé.  Le 
suif  de  mouton,  dont  les  acides  fondent  entre  49°  et  ol»,  est  encore  très  facilement  assimi- 
lable (7/8  ne  sont  pas  retrouvés  dans  les  selles);  tandis  que  la  lanoline  est  pour  ainsi 
dire  rejelée  telle  quelle  (96  p.  100)  avec  les  selles.  Le  point  de  fusion  le  plus  élevé  pour 
des  acides  résorbables  serait  donc  au-dessous  de  ;i3"  {ht  das  Laiiolin  vom  Barm  rcsorbir- 
bitr?  TherapctU:  Monatshefte,  mars  1888). 

Nous  venons  de  voir  que  l'administration  d'acides  gras  sans  glycérine  donnait  nais- 
sance à  des  graisses  utilisables.  Il  faut  évidemment  pour  cela  que  ces  acides  trouvent  au 
niveau  de  la  muqueuse  intestinale  la  glycérine  nécessaire;  mais  nous  igilorons  l'origine 
de  ce  corps.  On  pourrait  a  priori  supposer  que,  inversement,  l'administration  de  glycé- 
rine peutjusqu'à  un  certain  point  suppléer  aux  graisses  que  l'on  retirerait  de  l'alimenta- 
tion. Les  lecberclies  de  Munk  {Dir  plu/siologische  Bcd£uliinij  und  das  Yeidudicn  des  Glyccrim 
im  Ihirrisrlirii  Oi'<iii>iisiiiiis,  A.  V..  l.  Lxxvi,  p.  119,  1878)  et  de  Lewi.n  {l'cber  den  Einfl.uss 
des  Cili/r,-jiiis  (iiif  dcii  Eiireissuiiisiilz,  Z.  B.,  t.  XV,  p.  293,  1879)  semblent  démontrer  qu'il 
n'en  est  rien.  La  graisse  administrée  à  l'animal  diminue  l'excrélion  d'azole  ce  que  ne 
fait  pas  la  glycérine.  Toutefois  des  recherches  plus  récentes  extiuléis  par  Ara-schikk 
(Ueber  den  Einfluss  des  Glycerins  aiif  die  Zersetzunf/en  im  Thierkùrper  und  idjer  den  Ndhr- 
werth  dessetben,  Z.  B.,  t.  xxiii,  p.  413,  1887)  tendraient  à  faire  ci-oire  que  la  glycérine 
peut,  jusqu'à  un  certain  point,  remplacer  la  graisse  de  l'alimentation.  Bunge  [Lehrbucli 
der  physiolog .  undpalholog.  Cliemie,  1887,  p.  335)  arrive  aux  mêmes  conclusions  queABNS- 
cHijNK  en  se  basant  sur  l'équivalent  tbermique  de  la  glycérine,  qui  estplus  élevé  que  celui 
des  sucres. 

Nous  avons  vu  plus  haut  que  la  synthèse  des  graisses  alimentaires,  leur  assimilation 
par  conséqueni,  s'opère  au  niveau  de  la  muqueuse  intestinale.  Quels  sont  les  éléments 
de  cette  dernière  qui  prennent  part  à  cette  combinaison?  Il  est  probable  que  les  cellules 
épithéliales  ne  sont  pas  tout  à  l'ait  inactives;  mais  l'aftlux  considérable  de  leucocytes, 
qui  se  fait  dans  cette  muqueuse  au  moment  de  la  digestion,  sa  richesse  eu  tissu  adé- 
noïde, rendent  très  vraisemblable  pour  Hofmeister  la  participation  quasi-exclusive  des 
globules  blancs  de  cette  assimilation.  Nous  pouvons  donc  conclure  de  cet  exposé  que  la 
graisse  de  l'ulimenlation  est  résorbée  et  assimilée. 

Mais  une  autre  question  se  pose.  L'albumine  ne  peut-elle  former  de  la  graisse  dans 
l'organisme  animal'.'  Prenant  en  considération  ce  qiri  se  passe  en  anatouiie  patholo- 
gique, la  dégénérescence  graisseuse  des  tissus,  on  pourrait  croire  qu'il  est  facile  et  jus- 
tifié de  répondre  afrn-mativement.  Malbeureusemenl.  les  pi-ocessus  qui  accompagnent 
cette  dégénérescence  graisseuse  sont  trop  lents  pour  i|u'on  puisse  les  soumettre  à  un 
examen  physiologique  approfondi.  Ce  n'est  qu'en  étudiant  ce  qui  se  passe  dans  le  cas 
d'empoisonnement  subaigu  par  le  pbospliore  que  l'on  a  pu  faire  des  observations  rigou- 
reuses. 

Bauer  (Z.  B.,  1871,  t.  vji,  p.'  63,  et  1878,  t.  xiv,  p.  327),  ayant  fait  jeûner  des  chiens 
et  ayant  mesuré  l'élimination  d'azote  et  d'acide  carbonique,  les  empoisonna  ensuite  par 

DICT.    DE    PHYSIOLOGIE.    —  TOME    I.  49 


770  ASSIMILATION. 

le  phosphore.  A  Ja  suite  de  l'administration  journalière  de  petites  doses  il  vit  augmenter 
l'excrétion  d'azote  de  plus  du  double,  tandis  que  sa  quantité  d'oxygène  absorbée  et  d'acide 
carbonique  exhalée  tombait  de  moitié.  Il  y  avait  donc  une  grande  quantité  d'albumine 
détruite  dont  toute  la  partie  azotée  était  éliminée,  tandis  qu'une  partie  non  azotée 
restait  dans  l'organisme.  A  l'autopsie  on  trouvait  une  dégénérescence  graisseuse  de  tous 
les  organes.  Une  e.xpérience  tentée  en  1883  par  Lebedeff  enlève  un  peu  de  valeur  cepen- 
dant à  celle  de  Bauer.  Lebedeff  {Woraus  bildet  sich  das  Fett  in  Fallen  der  aciiten  Fett- 
bildimg?  A.  Pf.,  t.  xsxi,  p.  H,  1883)  faitjeiiner  un  cbien  jusqu'à  lui  faire  perdre  toute  sa 
graisse,  puis  le  nourrit  avec  de  l'albumine,  des  substances  hydrocarbonées  et  de  l'hoile 
de  lin.  Quand  il  est  suffisamment  rengraissé,  le  chien  est  empoisonné  par  le  phosphore. 
A  l'autopsie,  on  constate  également  de  la  dégénérescence  graisseuse  des  organes;  mais 
la  graisse  qu'ils  renferment  se  rapproche  beaucoup  de  l'huile  de  lin  {23  p.  100  d'acides 
solides,  67  p.  100  d'acides  liquides  contenant  I/o  d'acide  oléique  et  4/3  d'acide  lino- 
léique).  Ces  résultats -n'ont  malheureusement  pas  beaucoup  de  valeur  contre  les  bilans 
nutritifs  soigneusement  établis  de  Bauer. 

Une  autre  observation  qui  semble  venir  à  l'appui  de  la  transformation  de  l'albumine 
en  graisse  est  celle  que  Hofmann  a  faite  chez  les  mouches  à  viande  (Z.  B.,  t.  vin, 
p.  159,  1872).  Les  larves  de  ces  mouches  sont  séparées  en  deux  portions  :  l'une  sert  à 
doser  la  graisse  des  larves,  l'autre  est  placée  sur  du  sang  dont  on  a  soigneusement 
évalué  la  teneur  en  graisse.  Or,  quand  les  larves  ont  suffisamment  grandi,  elles 
contiennent  plus  de  graisse  que  le  sang,  y  compris  la  graisse  et  même  le  sucre  du  sang 
n'aurait  pu  leur  en  fournir.  Pflûger  {Ueber  die  Entstehung  von  Fett  aits  Ehveiss  im 
Kôrper  der  Thiere,  A.  Pf.,  p.  229,  1891)  prétend  expliquer  la  chose,  en  admettant  que 
les  bactéries  ont  elles-mêmes  créé  de  la  graisse  dans  le  sang  aux:  dépens  de  l'albu- 
mine. 

Enfin,  il  nous  reste  à  signaler  les  expériences  de  Pettenkofer  et  Voit  (  Z.  £.,  t.  vi, 
p.  377,  1870  et  t.  vu,  p.  433,  1871).  Un  chien  est  nourri  exclusivement  avec  de  la  viande 
de  muscles  et  l'on  mesure  tous  ses  ingesta  et  ses  excréta.  Tout  l'azote  de  l'alimentation 
est  retrouvé  dans  les  urines  et  les  excréments.  Il  n'y  a  donc  pas  d'albumine  assimilée. 
Mais  une  bonne  partie  du  carbone  de  cette  albumine  n"a  pas  reparu  dans  l'air  expiré 
sous  forme  de  C0-.  L'augmentation  de  poids  de  l'animal,  considérée  comme  graisse, 
correspondait  exactement  à  la  quantité  de  carbone  fixé  dans  les  tissus. 

Nous  devons  ajouter  cependant  que  Pfluger  conteste  l'exactitude  des  calculs  de  Voit 
et  Pettenkofer. 

Il  est  en  somme  assez  difficile  de  décider,  avec  les  données  actuelles,  si  Forganisme 
fabrique  de  la  graisse  aux  dépens  de  l'albumine  ;  mais,  comme  le  fait  remarquer  Bunge 
[loc.  cit.),  cela  est  très  probable,  si  l'on  considère  que  le  glycogène  de  l'organisme  peut 
provenir  de  l'albumine,  et  que  la  graisse  elle-même,  comme  nous  allons  le  voir,  peut 
provenir  des  hydrates  de  carbone. 

Dans  le  même  ordre  d'idées,  Pfli'ger  {Ueber  die  sy nthetischen  Procefse  und der  Bildungs- 
art  des  Glycoyens  im  thierisdten  Organismus.  A.  Pf-,  t.  xm,  p.  144,  1888)  dit  que  la  for- 
mation de  graisse  aux  dépens  de  l'albumine  ne  dépend  pas  d'une  simple  décompo- 
sition de  la  molécule,  mais  a  son  origine  dans  une  synthèse  de  produits  de  décomposi- 
tion moins  riches  en  carbone. 

Quant  à  la  formation  de  graisse  aux  dépens  des  hydrocarbones,  c'est  un  fait  qui 
résulte  surtout  des  expériences  d'engraissement  sur  les  animaux.  L'exemple  le  plus 
démonstratif  à.  côté  de  ceuxdeKûHNE  (I868J,  deWEisKE  et  Wildt  (1874),  de  Schulze  (1882), 
de  SoxHLET  (1881),  de  Chaniewsky  (1884),  est  peut-être  celui  qu'ont  signalé  Meissel  et 
Strobuer  (S(tc!»i5s6er.  der  K.  Akad.  d.  Wisscmch  in  Wien,  t.  lxxxviu,  (3),  p.  203,  1883). 

Un  porc  de  140  kilogrammes  est  nourri  pendant  7  jours  avec  du  riz  (peu  de  graisse 
et  d'album.ine,  beaucoup  d'hydrates  de  carbone).  Le  riz  avait  été  analysé.  On  recueillait 
l'urine  et  les  fèces.  Le  3^  et  le  6"  jour,  l'animal  fut  placé  dans  l'appareil  à  respiration  de 
Pettenkofeh  pour  mesurer  l'élimination  de  CO*.  On  constata  que  du  carbone  absorbé  tous 
les  jours,  289  grammes  restaient  dans  l'organisme.  Pour  l'azote  il  en  restait  6  grammes, 
correspondant  à  38  grammes  d'albumine,  contenant  ,28  grammes  de  carbone.  269  gram- 
mes de  carbone  devraient  donc  être  restés  dans  l'organisme  sous  forme  de  graisse,  car 
on  ne  peut  admettre  une  rétention  journalière  de  glycogène  correspondant  à  une  telle 


ASSIMILATION.  771 

quanlité  de  carbone.  D'où  provenait  cette  graisse?  L'animal  avait  digéré  .osr^3  dégraisse 
et  104  grammes  d'alljumine  par  jour;  de  cette  dernière  38  grammes  avaient  été  assi- 
milés comme  telle.  Le  restant,  60  grammes  et  oS"',.?  de  graisse,  ne  pouvaient  pas  avoir 
fourni  269  grammes  de  charbon  pour  fabriquer  de  la  graisse.  Celle-ci  devait  donc  provenir 
des  hj'drates  de  carbone. 

MuNK(DJe  Fettbildwuj  aus  Kohlehydraten  beim  Hundc.  A.  Y-,  t.  ci,  p.  9(,  1883)  et  Rub- 
NKR  {TJeher  die  Fettbiklung  aus  Kohlehydraten  im  Kôrper  des  Fleischfressers.  Z.  B.,  t.  x.'ch, 
p.  272,  1886)  ont  d'ailleurs  démontré  que  la  formation  des  graisses  aux  dépens  des 
hydrates  de  carbone  s'opérait  aussi  bien  chez  les  carnivores  (chien)  que  chez  les 
omnivores. 

M.  Hanriot,  plus  récemment  {Sur  l'assimilation  des  hydrates  de  carbone,  C.  R.,  t.  c.fiv, 
p.  371,  1892)  a  fourni  une  démonstration  plus  élégante  et  plus  scientifique  de  cette  trans- 
formation ;  quand  on  donne  à  un  individu  à  jeun  des  hydrates  de  carbone  dans  une 
grande  quantité  d'eau,  le  quotient  respiratoire  dépasse  régulièrement  l'unité.  C'est  donc, 
pense  H.4.nriot,  que  les  hydrates  de  carbone  fournissent  à  côté  de  CO-  une  substance 
moins  riche  en  o.'cygène  que  C0-.  S'agit-il  d'un  processus  tel  que  la  fermentation  but3'ri- 
que,  qui  se  passerait  dans  l'intestin?  Il  ne  le  croit  pas,  se  basant  sur  les  résultats  négatifs 
que  lui  a  donnés  l'antisepsie  intestinale  par  le  naphtol.  Le  processus  se  passe  donc,  non 
dans  l'intestin,  mais  dans  l'organisme  lui-même.  Hanriot  a  pensé  que  la  glycose  pouvait 
fOrmer  de  la  graisse  d'après  l'équation  : 

ta  CeiH^Oe  =  C'^HioiO»  -t-  23  CO-^  +  26  H^O. 

Il  a  choisi  la  formule  de  l'oléostéaropalmitine  comiiie  graisse  de  composition  moyenne. 
D'après  cette  équation  100  gi'amraes  de  glycose  donneraient,  en  se  transformant  en 
graisse,  21  litres  de  C0-.  Or,  en  évaluant  le  quotient  respiratoire  d'un  individu  à  jeun,  et 
en  lui  donnant  ensuite  une  certaine  quantité  de  glycose  dans  beaucoup  d'eau,  en  éva- 
luant ensuite  l'absorption  d'oxygène  et  l'excrétion  de  CO- jusqu'au  moment  où  le  quo- 
tient respiratoire  reprend  sa  valeur  primitive,  l'acide  carbonique  trouvé  en  trop  corres- 
pond à  l'acide  carbonique  produit  d'après  l'équation  indiquée. 

A.  Gautier  avait  d'ailleurs  {Chimie  biologique)  signalé  une  équation  analogue  et  démon- 
tré qu'il  se  passe,  dans  l'organisme  des  animaux  supérieurs,  des  processus  de  fermenta- 
tion qui  n'ont  rien  à  voir  avec  l'oxydation. 

C'est  ici  le  moment  de  faire  remarquer  avec  Pfli  ger  (loco  cilato)  que  les  mêmes 
féculents  administrés  à  différents  animaux  produisent  des  graisses  dilîérentes  chez  les 
uns  et  chez  les  autres.  De  quoi  cette  variété  dépend-elle?  Il  ne  s'agit  pas  évidemment  de 
processus  différents  s'exécutant  au  niveau  de  l'intestin,  attendu  que  les  féculents  sont 
absorbés  à  ce  niveau  sous  la  forme  d'hydrocarbonés  et  non  sous  celle  de  graisse.  Il  nous 
faut  bien  admettre  dès  lors  que  l'organisme,  en  fabriquant  de  la  graisse  aux  dépens  des  hy- 
drates de  carbone  de  ses  tissus,  l'élabore  d'une  façon  spéciale  suivant  les  espèces;  tandis 
que,  lorsqu'il  s'assimile  la  graisse  qu'il  trouve  dans  sa  nourriture,  il  ne  peut  modifier  la 
forme  sous  laquelle  elle  lui  a  été  fournie. 

Assimilation  des  substances  hydrocarbonées.  —  Xous  n'avons  à  nous  occuper  ic- 
que  de  la  question  de  savoir  quelles  sont  les  substances  hydrocarbonées  qui  sont  assi- 
milées et  sous  quelle  forme  elles  sont  assimilées.  Leur  sort  ultérieur  dans  l'organisme 
sera  mieux  étudié  à  l'article  Glycogène. 

L'absorption  des  sucres  par  la  muqueuse  inlestinale  en  amène  une  quantité  plus  ou 
moins  considérable  dans  le  territoire  de  la  veine  porte  au  moment  de  la  digestion.  11 
est  probable  que,  dans  les  conditions  ordinaires,  la  majeure  partie  de  ce  sucre  est  con- 
stituée par  de  la  dextrose.  La  maltose,  produit  de  l'action  du  suc  pancréatique  sur  la 
fécule,  serait  en  effet  transformée  par  la  muqueuse  intestinale  en  dextrose  (Philips,  18SI  ; 
Shobe  et  Telb  (J.  P.,  t.  xni,  p.  19,  1892). 

Il  ne  semble  plus  douteux  aujourd'hui  que  l'accumulation  de  glycogène  dans  le  foie 
après  un  repas  riche  en  féculents  soit  due  à  la  combinaison  de  plusieurs  molécules  de  ce 
sucre  avec  dégagement  d'eau  (théorie  de  la  déshydratation.)  Une  autre  théorie  (théorie 
de  l'épargne)  qui  considère  l'albumine  comme  source  principale  du  glycogène  et  qui  ne 
regarde  les  sucres  que  comme  des  corps  pouvant  empêcher  la  destruction  de  l'albumine 
et  favoriser  ainsi  la  formation  de  glycogène  aux  dépens  de  cette  dernière,  est  certaine- 


772  "  ASSIMILATION. 

ment  applicable  dans  les  cas  où  la' nourriture  est  pauvre  en  hydrates  de  carbone.  Mais, 
dans  le  cas  contraire,  il  faut  bien  admettre  la  théorie  de  la  déshydratation.  Ce  sont  sur- 
tout les  belles  recherches  faites  dans  ces  dernières  années  par  l'école  de  Munich  C[ui  ont 
contribné  à  établir  ce  fait.  Nous  ne  signalerons  que  celles  faites  par  Erw.  Voit  {Die  Gly- 
kogenbikhmfi  av>i  Kohlchydratcn;  Z.  B.  2o,  .■)4.3.  1888).  Une  oie,  que  l'on  avait  débarrassée 
de  son  glycogéne  par  un  jeiine  de  4  jours  et  demi,  reçut  en  5  jours  766*'''', 2  de  riz.  Après 
ce  temps  1a  i[uantité  totale  de  glycogène  était  de  44S'^,17.  Or  le  bilan  nutritif  établissait 
qu'il  ne  pouvait  y  avoir  que  iJS'',o  de  carbone  assimilés  aux  dépens  de  l'albumine  alimen- 
taire; si  l'on  suppose  que  cette  quantité  est  entièrement  transformée  en  glycog'ène,  elle 
ne  représente  quand  même  que  12?', 60  de  cette  substance.  Il  y  a  donc  3l5'',.'i7  qui  doivent 
fatalement  provenir  des  hydrates  de  carlione  de  la  nourriture.  •     ' 

Mais  tous  les  sucres  peuvent-ils  s'assimiler  sons  forme  de  glycogène?  Des  expériences 
de  Carl  Vorr  et  de  ses  élèves  (Ueher  die  Glykogenbihing  nach  Aiifiiahme  i'çc.sc/i/«7«)cr  Zuc- 
herartcn.  Z.  B.,  t.  x.xvur,  p.  245,  d892)  semblent  démontrer  qu'il  n'en  est  l'ien. 

La  dextrose  est  de  beaucoup  la  mieux;  utilisée.  Puis  viennent  le  sucre  de  canne,  la 
lévulose,  la  maltose.  et  enfin  la  galactose  et  le  sucre  de  lait,  ces  deux  derniers  fournis- 
sant très  peu  de  glycogène.  Des  recherches  plus  récentes,  communiquées  par  Cremer 
au  Congrès  de  physiologie  de  1892,  ont  prouvé  que  l'isomaltose  augmente  également  la 
quantité  de  glycogène,  tandis  que  la  dextromannose  se  comportait  à  peu  près  comme  la 
galactose  et  reparaîtrait  pour  ainsi  dire  complètement  dans  les  urines.  Peut-être  pour- 
rait-elle contribuer  à  augmenter  le  glycogène  du  foie  en  épargnant  les  matières  albumi- 
noides. 

Enfin,  il  était  intéressant  de  voir  comment  différents  sucres  se  comportaient  injectés 
dans  le  tissu  sous-cutané  au  point  de  vue  de  la  formation  du  glycogène.  Carl  Voit  (loc. 
cit.)  a  constaté  que,  dans  ces  conditions,  il  se  formait  beaucoup  moins  de  glycogène,  ce 
que  les  recherches  de  Lépine  sur  le  pouvoir  glycolytique  du  sang  pourraient  peut-être 
expliquer.  Néanmoins  ce  sont  encore  le  sucre  de  raisin  et  la  lévulose  qui  donnent  le 
meilleur  rendement  en  glycogène;  chose  remarquable,  ni  le  sucre  de  canne,  ni  le  sucre 
de  lait  ne  fournissent  de  glycogène;  ils  ne  sont  donc  intervertis,  c'est-à-dire  rendus 
assimilables,  que  quand  ou  les  administre  par  la  voie  gastro-intestinale. 

Un  autre  procédé  pour  se  rendre  compte  de  l'assimilation  ou  plutôt  de  l'utilisation 
des  substances  hydrocarbonées  consiste  à  rechercher  le  passage  de  sucre  dans  l'urine.  11 
serait  à  désirer  cependant  qu'eu  même  temps  on  établît  le  bilan  nutritif  de  l'animal  pour 
voir  ce  que  ces  substances  sont  devenues.  Hofsieister,  dans  cet  ordre  d'idées,  recherche 
ce  qu'il  appelle  les  limites  de  l'assimilalion  des  différents  sucres  [TJeber  die  AaaimilnlioïK- 
yrenze  der  ZAïekcnnten  A.  I'.  P.,  t.  xxv,  p.  240,  1889),  c'est-à-dire  la  quantité  minimum 
que  l'on  doit  donner  pour  voir  ap|iarailre  le  sucre  dans  l'urine.  Comme  on  devait  s'y 
attendre,  ce  sont  le  sucie  de  lait  et  la  galactose  qui  possèdent  la  limite  la  plus  basse. 
Voir  plus  haut  les  résultats  de  l'injection  de  lactose  dans  le  sang  (Vorr). 

Dastre  (pli  s'est  également  occupé  de  l'assimilation  des  sucres  et  qui  s'est  servi 
aussi  de  l'analyse  des  urines  pour  la  coiitrùler  est  arrivé  à  des  résultats  assez  intéres- 
sants. 1\  a  montré,  par  exemple  (Dastre  et  Bol'rquklot.  De  l' assimilation  dumallosc.  G-Ii-, 
i.  xcviii,  n°  26,  1884),  que  le  maltose,  injecté  sous  la  peau  ou  dans  une  veine,  reparaît  en 
assez  grande  quantité  dans  l'urine;  mais  qu'il  reparaît  en  plus  grande  proportion  encoie, 
si  l'on  injecte  en  même  temps  du  sucre  de  raisin,  en  inoins  grande  quantité,  au  con- 
traire, si  l'on  injecte  en  même  temps  du  sucre  de  canne. 

Ces  résultats,  antérieurs  d'ailleurs  à  ceux  de  l'École  de  Munich,  concordent  avec  ces 
derniers,  bien  qu'ils  aient  été    obtenus  par  un  procédé  différent. 

Plus  tard  enfin,  Dastrk  a  montré  (Pouvoir  nutritif  direct  du  siirrc  de  luit.  A.  P.,  -1889, 
p.  718  et  1891,  p.  718,  et  Transformation  du  lactose  dans  rorganisnic.  Ibid.  1891,  p.  103) 
que  le  sucre  de  lait  ne  devient  un  peu  assimilable  que  s'il  a  passé  par  le  tube  gastro- 
intestinal, où  il  peut  être  légèrement  interverti  par  les  bactéries;  si  on  l'intervertit  préa- 
iablemenl  à  son  introduclion  dans  l'organisme  (voie  intestinale  ou  veineuse),  il  est  en 
grande  partie  assimilé  directement. 

Pour  lui,  les  sucres  se  rangeraient  pour  leur  facilité  d'assimilation  (injection  dans  le 
sang)  dans  l'ordre  suivant  :  saccharose,  sucre  de  lait,  maltose  et  glucose. 

Gomme  on  le  voit,  ces  résultats  ne  sont  pas  en  contradiction  avec  ceux  de  Voit  et  de 


ASSIMILATION.  773 

ses  élèves,  si  ce  n'est  peut-être  au  point  de  vue  de  l'assimilation  du  gal^L'Iose;  mais 
n'oublions  pas  que  Voit  évalue  le  sucre  transformé  en  glycogène,  tandis  que  Dastre 
dose  le  sucre  qui  n'a  été  ni  assimilé,  ni  utilisé;  il  est  certain  qu'une  partie  du  galactose 
a  pu  être  détruite  dans  l'organisme;  mais  c'est  là  une  question  qui  sera  traitée  à  l'ar- 
ticle Glycogène.  Nous  avons  signalé  plus  haut  déjà  la  formation  des  graisses  aux 
dépens  des  hydrocarbacés;  nous  n'y  reviendrons  pas. 

Assimilation  des  matières  albuminoïdes.  —  Nous  avons  déjà  précédemment 
considéré  la  peptonisation  comme  un  des  premiers  actes  de  l'assimilation.  Certains 
faits  cependant  tendraient  à  faire  croire  que  ce  n'est  pas  un  acte  absolument  nécessaire 
et  que  l'albumine  résorbée  telle  quelle  peut  être  assimilée.  Ainsi  s'explique  la  valeur 
des  lavements  nutritifs  pratiqués  dans  des  conditions  toiles  que  l'on  pouvait  éliminer 
une  action  du  suc  pancréatique  sur  l'albumine  injectée  (Czehny  et  Latsciieniierger. 
A.  V.,  t.  Lix,  p.  161,  1874).  Ajoutons  cependant  qué'si,  dans  ces  expériences,  il  y  a  eu 
de  l'albumine  résorbée,  le  bilan  nutritif  n'a  pas  été  établi,  et  qu'on  n'a  par  conséquent 
pas  démontré  scientifiquement  l'assimilation. 

Le  blanc  d'œuf  administré  tel  quel,  non  coagulé,  par  la  voie  intestinale  ou  par  injec- 
tion intra-péritonéale,  ou  par  injection  intra-veineuse,  est  bien  entraîné  comme  lel  dans 
la  circulation;  mais  il  est  éliminé  immédiatement  par  les  reins.  Tout  tend  même  à  l'aire 
croire  que,  dans  le  premier  cas,  la  partie  résorbée  est  celle  qui  a  pu  échapper  à  la 
peptonisation.  L'albuminurie  que  l'on  observe  chez  les  chlorotiques  à  la  suite  d'admi- 
nistration de  blanc  d'œuf  pourrait  être  due  par  conséquent,  non,  comme  on  l'a  cru,  à 
un  défaut  d'assimilation,  mais  à  une  résorption  plus  facile  de  blanc  d'œuf  non  pepto- 
nisé. 

11  est  vrai  que  dans  cette  question  nous  n'avons  guère  pour  nous  éclairer  que  des 
observations  cliniques  forcément  plus  incomplètes  que  des  expériences  de  laboratoire. 
Cependant  les  faits  précis  observés  par  Ludwig  et  TscumrEW  [Arbeiten  ans  der  plii/sloUi- 
ilhclien  Amtalt  zu  Leipzig,  1874,  p.  441)  nous  porte  à  croire  que  cette  interprétation  est 
la  bonne.  En  injectant  à  un  chien  dans  la  veine  jugulaire  du  sang  défibriné  d'un  autre 
chien,  ils  n'ont  observé  qu'une  augmentation  insignifiante  de  l'excrétion  d'azote.  Si 
l'animal  au  contraire  absorbait  la  même  quantité  de  sang  par  la  voie  gastrique,  l'ex- 
crétion d'azote  augmentait  d'une  quantité  proportionnelle  à  la  quantité  de  sang  intro- 
duite. La  conclusion  qui  s'impose  en  quelque  sorte  est  donc  que  l'albumine,  pour  être 
assimilée,  doit  subir  les  processus  de  digestion,  la  peptonisation. 

Il  est  hors  de  doute  aujourd'hui,  après  les  recherches  de  Plosz  et  Gyergyai  (A.  Pf.,  t.  x, 
p.  biS,  1873),  de  Maly  {ibid.,  t.  ix,  p.  38o,  1874),  d'ADAMiuEWicz  {Vie  Nalur  iind  der  Ndhnoerth 
dea  Peptons,  Berlin,  Hirschwald,  1877),  de  Zu.ntz  (A.  Pf.,  t.  xxxvu,  p.  313,  1885)  et  de 
PoLLiTZER  [ibid.,  p.  301)  que  les  peptones  ont  une  valeur  nutritive  égale  ou  à  peu  près 
à  celle  de  l'albumine,  qu'elles  sont  par  conséquent  assimilables.  Exception  serait  faite, 
nous  l'avons  déjà  vu,  pour  les  peptones  de  gélatine  qui,  bien  qu'absorbables,  ne  sont 
pas  assimilables.  Voyez  au  surplus  à  ce  sujet  les  recherches  de  Lehman.x  signalées  dans 
Bu.N'GE  (ie/tr6.  der  physiolocj.  Chemie,  p.  62). 

Dans  quel  endroit  de  l'organisme  se  fait  l'assimilation  des  peptones?  Nous  avons 
déjà  signalé  les  résultats  que  les  élèves  de  Kronecker  (Popoff  et  BaiNOv  spécialement) 
avaient  obtenus  en  laissant  séjourner  de  la  peptone  dans  le  tube  gastro-inteslinal.  Si 
leurs  recherches  n'ont  pas  démontré  chimiriuement  la  transformation  de  peptone  en 
albumine,  elles  ont  au  moins  prouvé  que  la  muqueuse  gastro-intestinale  rendait  cette 
peptone  assimilable  par  les  tissus  de  l'organisme. 

Le  mérite  d'avoir  démontré  directement  cette  transformation  de  la  peptone  en 
albumine  revient  surtout  à  Hof.meister.  Nous  ne  citerons  parmi  les  nombreuses  contri- 
butions de  cet  auteur  à  cette  importante  étude  que  les  faits  suivants  (Z.  P.  C,  t.  vi, 
p.  69,  et  A.  P.  P.,  t.  XIX,  p.  8,  1883).  Si  l'on  divise  en  deux  moitiés  aussi  égales  que 
possible  la  muqueuse  gastrique  d'un  chien  en  pleine  digestion,  et,  si  l'on  analyse  la 
première  moitié  tout  de  suite,  la  seconde  vingt-cinq  à  quarante  minutes  plus  tard,  on 
trouve  beaucoup  moins  de  peptone  dans  la  seconde  que  dans  la  première.  Si  on  la  met 
pendant  trois  à  quatre  heures  à  l'étuve  humide  à  40°,  on  n'y  rencontre  plus  de  pep- 
tone. Si,  au  contraire,  on  la  jette  d'emblée  dans  de  l'eau  à  60°  et  qu'on  l'y  laisse 
séjourner  quelques  minutes,  sa  teneur  en  peptone  reste,  à  peu  de  chose  près,  la  même 


774  ASSIMILATION. 

que  celle  de  la  première  moitié.  Des  expériences  analogues  ont  conduit  au  même  résultat 
pour  la  muqueuse  intestinale.  La  transformation  des  peptones  est  donc  bien  liée  à  la 
vie  des  cellules  de  cette  muqueuse. 

Salvioli  [A.  Db.,  1880,  SuppL,  p.  112)  est  plus  explicite  encore.  Dans  une  anse  intes- 
tinale isolée  du  corps  et  dans  laquelle  on  pratique  une  circulation  artificielle,  on  intro- 
duit une  solution  de  1  gramme  de  peptone  dans  10  centimètres  cubes  d'eau.  Après 
quatre  heures  le  contenu  intestinal  est  analysé  et  contient  1  demi-gramme  d'albumine 
coagulable  et  seulement  des  traces  de  peptone.  Le  sang  qui  avait  servi  à  la  circulation 
artificielle  ne  contenait  pas  de  peptone  du  tout.  Il  y  a  plus,  et  nous  aurons  à  revenir 
.plus  tard  sur  ce  fait,  si  l'on  ajoute  de  la  peptone  à  ce  sang  la  circulation  artificielle  ne 
fait  pas  disparaître  cette  peptone. 

Mais  le  rôle  assimilateur  de  la  muqueuse  digestive  ressort  encore  plus  clairement 
des  expériences  qui  consistent  à  injecter  de  la  peptone  pure  dans  le  sang.  Quand  la 
quantité  injectée  est  peu  considérable,  Schmidt-Mûhlheim  [A.  Db.,  1880,  p.  46),  G.  Fano 
{ibid.,  1881,  p.  281)  et  Hofmeister  constatent  que  les  4/b  au  moins  de  la  peptone  se 
retrouvent  au  bout  de  vingt-quatre  heures  dans  les  urines.  Si  la  Viose  est  plus  forte, 
l'élimination  est  moins  rapide,  comme  le  fait  observer  Hofmeister,  à  cause  de  [la  baisse 
considérable  de  pression  sanguine  que  la  peptone  détermine;  mais,  contrairement  à 
ce  que  Schmidt-Mùlheim  affirme,  on  peut  en  retrouver  des  quantités  considérables  dans 
l'urine,  si  la  vie  se  prolonge  suffisamment. 

NEuaEiSTER  (Z.  B.,  t.  ssv,  p.  877  et  t.  sxvii,  p.  .309,  1890)  qui  a  répété  les  expériences 
de  Hofmeister  en  se  servant  de  produits  purs,  a  constaté  que,  si  l'on  injectait  de  la  proto 
ou  de  l'hétéro-albumose  dans  le  sang,  elle  reparaissait  sous  forme  de  deutéro-albumose 
dans  l'urine,  que  la  deutéro-albumose  reparaissait  sous  forme  de  peptone,  et  la  pep- 
tone telle  quelle.  Si  l'on  jette  dans  du  sang  contenant  de  la  peptone  de  petits  mor- 
ceaux de  muqueuse  intestinale  et  si  l'on  fait  passer  un  courant  d'air  en  maintenant  le 
mélange  à  la  température  du  corps,  la  majeure  partie  de  la  peptone  disparait  sans 
qu'on  puisse  la  retrouver  dans  la  muqueuse  intestinale.  Aucun  autre  organe,  si  ce  n'est 
le  foie  du  lapin,  ne  possède  cette  curieuse  propriété. 

De  cet  ensemble  de  faits  une  conclusion  bien  nette  se  dégage  :  la  peptone  introduite 
directement  dans  le  sang  n'est  pas  assimilable;  elle  est  rejetée  à  l'extérieur  comme  un 
corps  étranger.  Neumeisier  va  même  plus  loin,  et  ce  que  nous  avons  déjà  dit  plus  haut 
semble  confirmer  une  partie  de  ses  vues  :  pour  lui,  quand  on  introduit  directement  dans 
le  sang  (chez  le  chien)  des  corps  albuminoïdes,  ceux-là  sont  assimilés  qui,  en  suivant 
les  voies  ordinaires  (estomac,  intestin)  peuvent  arriver  dans  les  tissus  sans  subir  les 
processus  de  la  digestion.  Ainsi  en  est-il  de  la  syntonine  des  muscles,  de  la  pbytovitel- 
line  et  de  l'albumine  du  sérum.  Au  contraire,  les  tissus  se  débarrassent  comme  de  corps 
étrangers  des  substances  qui  ne  peuvent  arriver  jusqu'à  eux  sans  subir  de  transfor- 
mation :  albumine  du  blanc  d'œuf,  caséine,  hémoglobine,  alburaoses  et  peptones.  Fai- 
sons toutefois  remarquer  que  l'albumine  du  sérum  ne  serait  pas  assimilée  par  cette  voie 
d'après  LuDwiG  et  Tschiriew  (voir  plus  haut). 

Une  difficulté  cependant  se  soulève  à  propos  de  la  peptone.  ScHinDT-MtJHLHEiM  et  Hof- 
meister ont  toujours  constaté  dans  la  veine  porte  d'un  animal  en  train  de  digérer  des 
quantités  assez  notables  de  peptone.  Comment,  d'après  ce  qui  a  été  dit  plus  haut,  cette 
peptone  peut-elle  être  assimilée"?  Hofmeisteiî  avait  dû  être  frappé  de  ce  fait;  car  la 
quantité  de  peptone  que  l'on  retrouve  dans  le  sang  après  une  injection  sous-cutanée  de 
cette  substance  est  toujours  beaucoup  moindre  que  celle  que  l'on  retrouve  dans  le 
sang  d'animaux  en  pleine  digestion,  et  qui,  elle,  ne  se  retrouve  pas  dans  les  urines. 
Pour  expliquer  celte  contradiction,  Hofmeister  admet  que  la  peptone  arrivant  dans  le 
sang  par  la  voie  intestinale  n'est  pas  contenue  dans  le  plasma,  mais  dans  les  leucocytes. 
Voici  tes  faits  sur  lesquels  il  s'appuie  :  1°  Dans  le  pus  on  retrouve  toujours  des  quan- 
tités notables  de  peptone,  et  cela  surtout,  mais  pas  exclusivement,  dans  les  leucocytes. 
2°  En  examinant  le  sang  d'un  animal  en  voie  de  digestion,  on  ne  trouve  pas  de  peptone 
dans  le  sérum  ;  mais  bien  dans  la  couche  supérieure  du  caillot,  la  plus  riche  en  leucocytes. 
.3°  La  proportion  centésimale  de  peptone  contenue  dans  la  rate  (très  riche  en  leucocytes) 
est  toujours  plus  élevée  que  celle  du  sang  chez  un  animal  en  voie  de  digestion.  4°  Le 
tissu  adénoïde  qui,  chez  les  animaux  à  jeun,  contient  relativement  peu  de  leucocytes,  en 


ASTHME.  775 

est  littéralement  bourré  chez  un  animal  qui  digère.  S"  Enfin  les  cellules  de  ce  tissu 
chez  un  animal  en  voie  de  digestion  présentent  beaucoup  plus  de  figures  karyokynéliques 
que  chez  un  animal  à  jeun. 

Il  semble  donc,  dit  Bunge,  que  les  cellules  lymphatiques  ne  servent  pas  uniquement 
à  transporter  les  peptones  dans  le  courant  sanguin.  Leur  accroissement,  leur  multipli- 
cation semblent  en  rapport  avec  la  résorption  et  l'assimilation  des  aliments  azotés.  Le 
nombre  des  leucocytes  étant  à  peu  près  constant  à  mesure  que  l'albumine  est  résorbée 
et  que  de  nouvelles  cellules  sont  produites,  il  doit  s'en  détruire  une  quantité  correspon- 
dante. 

Ainsi  s'expliquerait  la  destruction  rapide  et  considérable  d'albumine  qui  suit  la 
résorption  d'une  grande  quantité  d'albumine.  Pour  Hofmeister,  la  peptone  ainsi  accu- 
mulée serait  cédée  aux  tissus  dans  les  capillaires;  car  le  sang  des  veines  de  la  grande 
circulation  n'en  contient  pas  du  tout. 

Il  y  a,  on  ne  peut  se  le  dissimuler,  bien  des  contradictions  dans  l'élégante  théorie  de 
Hofmeister,  et,  pour  notre  part,  nous  sommes  bien  plus  disposés  à  admettre  les  résultats 
que  Neuueisïer  a  communiqués  en  1889  (Sitzungsbcrichte  der  physik.  medic.  Gesellsch.  zii 
Wûrzbiirg,  p.  64).  Pour  lui,  si  l'on  a  retrouvé  dans  le  sang  de  la  veine  porte  de  la 
peptone  chez  des  animaux  en  voie  de  digestion,  c'est  que  la  méthode  employée  était 
défectueuse.  Il  n'en  a  jamais  trouvé,  pas  plus  que  dans  Je  sang  d'un  autre  organe,  en 
s'entourant  de  toutes  les  précautions  désirables.  Pour  lui,  la  conclusion  à  tirer  de  tous 
ces  faits  est  que  la  peptone  n'est  assimilable  que  quand  elle  arrive  dans  l'organisme 
par  l'estomac  ou  l'intestin  et  que  la  transformation  en  albumine,  ou  assimilation  se  fait 
au  niveau  de  la  muqueuse  intestinale.  Nous  n'avons  pas  à  nous  occuper  ici  de  l'impor- 
tance considérable  que  peuvent  avoir  les  expériences  pour  la  signification  de  la  pep- 
tonurie. 

Une  autre  question  d'une  grande  importance  est  celle  de  savoir  si  l'organisme  peut 
fabriquer,  synthétiser  de  l'albumine  de  toutes  pièces.  Rudzki,  qui  s'en  est  occupé 
{S.  Petersburger  med.  Wochenschrift,  1876,  n°  29),  prétend  que  la  chose  est  possible.  Un 
animal  auquel  il  fournissait  des  amides  {extrait  de  Liebig  ou  acide  urique)  et  des 
hydrocarbonés,  a  pu,  prétend-il,  se  maintenir  en  équilibre  nutritif.  Nous  croyons  que 
ces  constatations  sont  très  sujettes  à  caution  et  n'ont  été  vérifiées  par  personne. 

Dans  le  même  ordre  d'idées,  on  s'est  demandé  si  l'asparagine  ne  pouvait  pas,  non 
pas  se  synthétiser  avec  des  hydrocarbonés  pour  former  de  l'albumine,  mais  remplacer, 
économiser  en  quelque  sorte  cette  dernière.  Les  expériences  de  Munk  (1883)  et  de 
Mauthner  (Z.  £.,  t.  xxvm,  p.  307,  1892)  ont  résolu  la  question  négativement  en  ce  qui 
concerne  les  carnivores.  Politis  {ibid.,  p.  492)  et  Gabriel  (ihid.,  t.  xxix,  p.  lia)  croient 
que  l'asparagine  peut,  chez  le  rat,  remplacer  jusqu'à  un  certain  point  l'albumine,  mais 
seulement  quand  cette  dernière  fait  défaut  dans  la  nourriture. 

Il  nous  resterait,  pour  terminer  cette  analyse,  à  nous  demander  ce  que  devient 
l'albumine  une  fois  introduite  dans  le  sang,  quels  processus  elle  doit  subir  pour  être 
dans  la  suite  transformée  eu  albumine  des  différents  tissus. 

iMais  nos  connaissances  à  ce  sujet  sont  trop  rudimentaires  encore.  Tout  au  plus 
pouvons-nous  supposer  que,  dans  le  sang  lui-même,  d'après  Al.  Schuidt  {Zur  Blutlehre, 
Leipzig,  1892),  il  se  produit  une  transformation  incessante  des  albumines  les  unes  dans 
les  autres.  Les  cellules  du  sang  ne  contiendraient  pas  d'albumine  proprement  dite, 
mais  des  corps  d'une  structure  plus  compliquée  :  la  cytine  et  la  cytoglobine.  Ces  corps 
fourniraient  sans  cesse  par  leur  destruction  de  la  paraglobuline  et  du  fibrinogène  entre 
autres  substances  albuminoïdes. 

F.   HENRIJEAN    et  G.  CORIN. 

ASTHME.  —  En  clinique,  l'asthme,  asthme  vrai,  essentiel,  est  décrit  comme 
une  affection  une  matériel,  névrose,  bien  distincte  des  asthmes  faux  ou  symptomatiques, 
états  pathologiques  divers  avec  lésions  reconnues,  au  cours  desquels  se  montre  de  la 
dyspnée  pouvant  simuler  l'asthme. 

La  physiologie  pathologique,  qui,  seule,  nous  occupera  ici,  doit  être  plus  éclectique; 
mais  son  rôle  est  fort  difficile,  l'étude  ne  pouvant  s'appuyer  :  A,  ni  surl'anatomie  patho- 
logique; B,  ni  sur  l'expérimentation. 


776  ASTHME. 

A.  Il  n'y  a  pas,  en  effet,  à  tenir  compte  des  renseignements  anatomiques,  puisqu'on 
peut  voir  l'asthme  typique  sans  nulles  lésions  apparentes;  puisqu'on  peut  le  voir  surve- 
nir avec  des  lésions  diverses;  puisque  enfin,  avec  les  mêmes  lésions,  on  peut  n'avoir  nulle 
manifestation  asthmatique. 

B.  D'autre  part,  l'expérimentation,  limitée  à  l'homme,  nous  indique  à  peine  l'existence 
de  certaines  circonstances  extérieures  favoi'ables  à  l'éclosion  des  accidents;  entreprise 
sur  les  animaux,  elles  nous  montre  des  analogies  dans  certaines  pertuiiiations  respira- 
toires, mais  elle  ne  peut  rien  nous  apprendre  sur  les  conditions  intimes  qui  préparent 
le  phénomène. 

Toutefois  il  est  une  indication  majeure  qui  doit  guider  dans  l'étude  de  ce  sujet. 
Ouoi  qu'il  en  soit  de  leur  nature;  que,  pour  l'étude  physiologique  on  les  sépare  ou  on  . 
les  réunisse,  les  asthmes  vrais  ou  faux  présentent  cette  particularité  dominante  :  c'est 
de  répondre  à  un  état  transitoire,  alors  que  la  prédisposition,  réelle  ou  supposée, 
est  permanente.  L'asthme,  quel  qu'il  puisse  être,  procède  par  accès.  Aussi  faut-il,  à 
l'exemple  de  beaucoup  d'anciens  (Avicenne,  van  Helmont,  Willis,  etc.),  et  de  la  généra- 
lité des  modernes,  voir  dans  la  marche  de  cette  atî'ection  une  influence  centrale  domi- 
nante; influence  nerveuse,  puisqu'il  y  a  paroxysmes  :  et  cette  influence  nerveuse,  comme 
on  en  ignore  la  nature,  on  l'appelle  névrose. 

La  déflnition  de  l'asthme  peut  devenir  aloi's  celle  de  Bbissaud  :  o  L'asthme  est  une 
névrose  consistant  en  crises  de  dyspnée  spasmodique,  le  plus  souvent  accompagnées  de 
troubles  vaso-secrétoires  des  muqueuses  des  voies  aériennes,  »  déllnition  moins  aljsolue, 
parlant  plus  médicale,  que  celle  de  Pabrot,  qui  voit  dans  l'asthme  «  une  attaque  de 
nerfs  de  nature  seorétoire  »,  moins  anatoniique,  partant  plus  généralisable,  que  celle 
de  G.  Sée,  qui  de'crit  l'asthme  comme  «  une  maladie  chronique  composée  de  trois 
éléments  :  une  dyspnée  intermittente  spéciale,  une  exsudation  chronique  et  un'e  lésion 
secondaire  des  vésicules  pulmonaires,  ou  emphysème  »,  ou  comme  «  un  composé  défini 
l'éléments  nerveux  (dyspnée),  secrétoire  (catarrhe)  et  mécanique  (emphysème)  ». 

Nous  en  tenant  à  la  déflnition  de  Brissaud,  nous  avons  à  rechercher,  pour  les 
analyser,  les  éléments  de  la  physiologie  pathologique  d'une  névrose.  Nous  rappellerons 
tout  d'abord  cette  donnée  indispensable,  comme  aussi  tout  incoimue  :  la  prédisposition, 
héréditaire  ou  acquise.  L'hérédité  pouvant  être  similaire,  quand  un  astlimatii|ue  est  flls 
de  père  ou  de  mère  asthiiiHtKfni' :  ou  dissenflilable,  quand  l'asthmatique  est  issu  de  souche 
neuro-àrthritiijue  ave^'  uu  >,iii^  asthme  chez  les  ascendants  ou  chez  les  collatéraux. 

Quant  à  la  prédisposition  aci[nise,  elle  l'est  sous  certaines  iufldenoes  que  nous  igno- 
rons encore  (l'âge,  le  sexe  ne  paraissent  pas  avoir  une  importance  spéciale). 

Chez  ce  prédisposé,  chez  cet  asthmatique  en  puissance,  pourquoi  et  comment  les 
accès  ou  crises  surviennent-ils  ?  (luels  sont  les  pliéuomènes  observés  alors  1  Voilà  réel- 
lement ce  que  nous  devons  étudier  dans  un  chapitre  de  physiologie  pathologique;  mais 
nous  suivrons  l'ordre  inverse,  examinant  d'abord  les  faits  et  leurs  allures  physiolo- 
giques. 

I.  L'asthme.  Ses  accès.  Physiologie  des  accidents.  —  Nous  n'avons  pas  à  faire 
ici  une  description  symptomatique    de  l'asthme,  mais  recherchons  ce  que  peut  actuel-' 
lement  nous  fournir  de  renseignements  la  physiologie,  au  sujet  des  phénomènes  obser- 
vés ; 

Nous  ne  possédons  rien  en  explication  des  allures  de  névrose  :  crises  à  début  brusque, 
ou  avec  prodromes  à  retour  souvent  périodique;  quant  aux  autres  phénomènes  :  troubles 
respiratoires  (sensation  anormale),  besoin  de  respirer  (dyspnée);  attitudes  du  corps,  con- 
traction des  muscles  respiratoires,  avec  allongement  du  thorax;  type  de  respiration  à 
rythme  renversé,  d'expiration  deux  et  même  trois  fois  plus  longue  que  l'inspiration; 
réplétion  exagérée  des  alvéoles;  toux,  expectoration,  etc.  Tous  ces  désordres  qui  font 
partie  de  l'accès  relèvent  de  troubles  de  l'innervation  que  la  physiologie  a  plus  ou  moins 
heureusement  expliqués. 

Cette  dyspnée  asthmatique  n'est  pas  une  dyspnée  mécanique  liée  au  catarrhe,  puisque 
la  gène  respiratoire  précède  le  flux  catarrhal  ;  ce  n'est  pas  non  plus  une  dyspnée  chi- 
mique, liée  à  l'altération  des  milieux  ambiants,  puisque  l'accès  peut  survenir  dans  l'at- 
mosphère la  plus  parfaitement  pure.  C'est  une  dyspnée  d'origine  nerveuse.  Dans  les 


ASTHME.  777 

conditions  pliysiologiques,  à  des  excitatiiins  péripliériques  multiples  (cutanées,  pulmo- 
naires, digeslives),  ou  centrales  (émotions)  répondent  des  modifications  du  centre  res- 
piratoii'e  bulbaire,  qui,  à  son  tour,  influence  le  pneumogastrique,  lequel,  enfin,  par  ses 
branches  pulmonaires,  modifie  le  rhythme  de  la  respiration.  C'est  donc  par  l'intermé- 
diaire du  nerf  vague  et  de  son  centre  bulbaire  que  peut's'établir  une  dyspnée  d'inner- 
vation. 

Deux  inlluences  peuvent  entrer  en  cause  :  soit  la  paralysie,  soit  l'excitation. 

f°  La  pai'rdij.-iic.  A.  La  dyspnée  asthmatique  n'est  pas  une  paralysie  du  vague.  —  F^a 
physiologie  expérimentale  nous  apprend  en  effet  que  I9.  section  du  pneumogas- 
trique entraîne  uji  ralentissetnent  notable  de  la  respiration,  a,  sans  dyspnée  proprement 
dite;  p,  avec  inspiration  anxieuse  et  profonde;  7,  avec  expiration  courte,  trois  élé- 
ments qui  sont  à  l'inverse  de  ceux' qu'on  observe  dans  l'asthme.  B.  Cette  dyspnée  ne 
tient  pus  duvanltnjc  ù  une  paralysie  du  phrénique,  état  qui  n'entraine  que  la  dyspnée 
d'effort. 

2°  Si  l'on  envisage  V excitation,  if  y  a  deux  façons  de  la  faire  intervenir  :  on  suppose 
("tune  excitation  centrifuge;  b  une  excitation  centripète. 

a.  Pour  justifier  l'hypothèse  d'une  excitation  centrifuge,  on  a  admis  que  l'asthme  se 
composait  d'un  accès  de  spasme  bronchique.  (Auteurs  anciens;  —  auteurs  modernes 
invoquant  les  constatations  anatomiques  de  Reiseissén  sur  les  muscles  bronchiques; 
LEFÈvnE,  Valter.)  —  Or,  quand  on  parle  du  spasme  bronchique,  on  suppose  qu'il  y  a 
contraction  avec  rétrécissement  plus  ou  moins  serré  de  la  bronche,  d'où  difficulté  d'in- 
troduction de  l'air,  d'oh  dyspnée.  Mais  alors,  il  devrait  y  avoir  introduction  de  l'air 
au  minimum  dans  le  poumon,  et  il  se  trouve  que  cet  organe  est,  dans  l'accès  d'asthme, 
distendu  plus  qu'à  l'ordinaire.  U  y  a  là  contradiction,  et  l'hypothèse  de  l'excitation  cen- 
trifuge n'est  pas  valable,  d'autant  moins  encore  que  l'excitation  du  bout  périphérique 
d'un  pneumogastrique  coupé  ne  donne  pas  lieu  à  des  effets  bien  évidents  de  spasme 
bronchique. 

6.  Si  l'on  invoque  l'excitation  centripète,  il  faut,  dit  G.  Sée,  comprendre  les  choses 
,  de  la  façon  suivante  :  une  irritation  part  des  extrémités  du  vague,  ou  d'extrémités  péri- 
phériques quelconques  (en  particulier  du  nerf  laryngé  supérieur),  impressionne  le  nœud 
vital;  puis  par  la  moelle  agit  sur  les  nerfs  phréniques,  sur  les  nerfs  intercostaux;  il  en 
résulte  une  inspiration  tétaniforme,  d'où  distension  forcée  du  thorax,  ce  qui  est  réel;  dis- 
tension suivie  bientôt  elle-même  d'un  retour  en  expiration  prolongée  sous  l'influence 
de  lépuisenient  nerveux  et  musculaire,  qui  suit  la  tétanisation  ;  l'élasticité  propre  du  pou- 
mon retrouve  progressivement  son  iniluence.  —  Eu  résumé,  il  y  aurait  successivement 
tétanisation,  puis  paralysie  transitoire  du  pneumogastrique,  jusqu'à  la  fin  de  l'accès 
d'asthme  où  alors  prédomine  l'étal  paralytique. 

Les  mêmes  considérations  sont  invoquées  par  G.  Sée  pour  assigner  au  catarrhe, 
qui  suit  si  souvent  l'accès  d'asthme,  une  pathogénie  rationnelle.  Le  catarrhe  se  niontre 
à  la  période  terminale  de  l'accès,  quand  il  y  a  paralysie  du  vague,  et  résulte  vraisembla- 
blement d'une  vaso-dilatation  paralytique.  On  ne  peut,  en  effet,  admettre,  ainsi  que  le 
font  beaucoup  d'auteurs,  que  ce  catarrhe  soit  fonction  d'excitation  de  filets  sécrétoires 
contenus  dans  le  pneumogastrique,  car  alors  il  devrait  se  montrer  toujours  dans 
l'asth'me,  ce  qui  n'est  pas  nécessairement;  et  s'y  montrer  en  oiiti'e  au  début,  ce  qui 
n'est  pas. 

Les  limites  de  cet  article  ne  nous  permettent  pas  de  nous  étendre  en  détails  sur  la 
justification  de^ces  données  physiologiques;  ce  que  nous  en  avons  dit  concorde  bien  avec 
les  constatations  diverses  de  la  clinique,  et  nous  nous  en  tenons  là. 

Il  s'agit  maintenant  d'aborder  la  seconde  partie  de  notre  sujet  et  de  voir  sous  quelles 
influences  périphériques,  ou  centrales,  sont  mises  en  jeu  les  perturbations  nerveuses 
pneumobulbaires  que  nous  avons  invoquées  en  explication  des  phénomènes. 

II.  Pathogénie  de  l'asthme.  —  Ce  que  nous  a^ons  dit  du  substratum  nerveux  de 
l'astlime  (nœud  respiratoire  bulbaire)  nous  montre  le  bulbe  comme  le  centre  nécessaire 
du  réflexe  qui  fait  l'asthme;  nous  savons  aussi  que  la  voie  centrifuge  du  léllexe  aboutit 
à  une  byperactivité  des  muscles  inspirateurs,  par  l'intermédiaire  probable  de  la  moelle 
et  des  nerfs  phréniques  et  intercostaux,  alors  que  le  pneumogastrique  ne  paraît  agir. 


778  ASTHME. 

ainsi  que  le  laryngé  supérieur,  que  comme  voie  centripète  du  réflexe.  Dans  ces  condi- 
tions, pour  l'étude  patliogénique  nous  devons  envisager  : 
Les  influences  qui  peuvent  agir  sur  le  centre  bulbaire, 

A,  directement; 

B,  indirectement,  à  distance  (point  de  départ  périphérique  du  réilexe). 

A.  Influences  qui  actionnent  directement  le  bulbe.  —  En  dehors  des  dyspnées  liées  à 
des  lésions  des  centres  bulbo-médullaires  par  des  tumeurs,  par  exemple,  dyspnées  qui 
peuvent  être  à  forme  asthmatique,  mais  qui  n'ont  rien  de  l'asthme  proprement  dit, 
peut-on  croire  à  un  asthme  purement  dynamique,  émotionnel,  par  exemple,  ou  bien 
encore  à  un  asthme  hystérique?  Nous  n'avons  pas  a  insister  sur  ce  sujet,  et,  tant  que 
l'asthme  n'est  pour  nous  qu'une  névrose,  uue  affection  d'essence  inconnue,  une  hypo- 
thèse de  ce  genre  reste  permise. 

Cette  même  ignorance  nous  obligerait  à  faire  mention  des  diverses  altérations 
humorales  vraies  ou  supposées  dont  l'action  n'est  nullement  une  certitude,  mais  qui 
peuvent  se  montrer  à  l'état  de  coïncidences  vraiment  surprenantes  par  leur  fréquence, 
à  l'origine  et  au  cours  de  certains  états  de  dyspnée  dite  asthmatique. 

Parmi  le  nombre  des  diathèses  dont  ont  fait  justice  les  recherches  modernes,  il 
reste,  pour  les  esprits  non  prévenus,  certains  états  constitutionnels  au  cours  desquels 
l'asthme  peut  se  montrer  comme  première  manifestation,  ou  dans  lesquels  la  dispa- 
rition d'un  état  fonctionnel  morbide  quelconque  est  suivie  de  l'apparition  de  l'asthme 
(telles  sont  les  métastases  dites  dartreuse,  goutteuse,  rhumatismale). 

Dans  un  ordre  d'idées  plus  concrètes,  chez  un  sujet  indemne,  ou  chez  un  sujet 
déjà  entaché  d'asthme,  certaines  altérations  humorales,  aujourd'hui  bien  connues, 
en  particulier  l'état  d'albuminurie  avec  la  surcharge  toxique  du  sérum  qui  l'accom- 
pagne, peut  agir  sur  le  nœud  bulbaire  et  provoquer  des  crises  de  dyspnée  asthmatique. 
C'est  affaire  au  diagnostic  clinique  de  distinguer  ces  accidents  respiratoires  de 
l'asthme  vrai,  en  tenant  compte  des  phénomènes  qui  ont  précédé,  accompagné  ou 
suivi  l'accès.  Pour  la  physiologie  pathologique,  nous  l'avons  dit,  cette  distinction 
serait  arbitraire,  et,  pour  elle,  les  mêmes  éléments  nerveux  (centre  respiratoire  bul- 
baire) étant  mis  en  action,  les  etïets  produits  sont  les  mêmes  pour  l'excitation, 
les  mêmes  pour  la  paralysie,  les  différentes  causes  ne  pouvant  agir  que  sur  le  degré, 
la  durée,  les  intermittences,  etc.  (respiration  ralentie,  précipitée,  rjHhme  de  Cheyne- 
Stohes,  etc.).  Ce  qui  s'ajoute  pour  faire  l'asthme,  et  ses  accès  caractéristiques,  est  ce 
quid  ignotum  dont  nous  parlions  et  que  nous  appelons  encore,  faute  de  mieux,  la  pré- 
disposition. 

B.  Influences  qui  peuvent  agir  indirectement  et  à  distance  sur  le  bulbe.  —  Cette  partie 
de  la  question  a  trait  à  l'étude  des  points  de  départ  périphériques  possibles  du  réflexe. 
Or  les  voies  centripètes  qui  peuvent  conduire  au  centre  respiratoire  bulbaire,  au  nœud 
vital,  sont  multiples,  et  nous  devons  les  envisager  toutes  successivement,'|puisque  toutes 
peuvent,  après  excitation,  actionner  ce  centre  et  mettre  en  jeu  les  phénomènes  dysp- 
néiques,  ceux  de  l'asthme  tout  aussi  bien. 

Parmi  ces  influences  centripètes,  il  en  est  de  supposées,  d'empiriquement  connues, 
qu'on  ne  peut  soumettre  aune  véritnble  expérimentation.  Il  en  est  enfin  d'indiscutables, 
que  l'expérience  de  chaque  jour  a  rendues  évidenles. 

a.  Parmi  les  premières,  nous  citerons  ces  causes  d'ordre  interne  qui  sont  des  irri- 
tations génitales  (mal  définies);  des  irritations  gastro-intestinales,  des  dyspepsies 
d'effet  parfois  assui'é  (asthme  dyspeptique),  des  irritations  cutanées  (froid)  d'effet  sou- 
vent certain. 

b.  Parmi  les  influences  indiscutables,  nous  signalerons  toutes  les  irritations  de  la 
muqueuse  des  voies  respiratoires  (nez,  pharynx,  larynx,  bronches,  alvéoles)  avec  les  nerfs 
trijumeau  et  pneumo-gastrique  (branche  laryngée  et  branche  pulmonaire)  comme  point 
de  départ  du  réflexe.  Sur  les  filets  terminaux  de  ces  nerfs  peuvent  agir  l'impression  de 
certaines  poussières  (ipéca,  foin  pour  ne  citer  que  les  plus  actives)  l'action  de  certaines 
vapeurs,  de  certains  gaz,  de  la  fumée,  etc.;  l'influence  de  l'atmosphère,  du  climat,  des 
saisons,  etc.;  toutes  ces  causes,  éminemment  variées  et  variables,  agissant  cependant 
d'ordinaire  dans  les  mêmes  conditions  pour  le  même  sujet.  Peuvent  agir  encore  incon- 
testablement les  lésions  de  bronchite,  d'œdème  pulmonaire,  sans  que  parfois  chez  les 


ASTIGMATISME.  779 

vieux  asthmatiques  on  puisse  reconuaitre  la  part  d'intervention  de  ces  désordres  comme 
cause  ou  comme  eU'et. 

Avant  de  terminer,  nous  reconnaissons  avec  la  plupart  des  auteurs  l'ensemble 
clinique  décrit  sous  le  nom  d'asthme  d'été,  asthme  des  foins,  comme  une  modalité  de 
l'asthme  et  nullement  comme  une  affection  à  part.  Ce  qui  distingue  celle  variété,  c'est 
le  siège  et  l'intensité  des  réactions  catarrhales  limitées  souvent  à  la  zone  de  distribution 
du  trijumeau. 

Quant  au.'s  dyspnées  qui  accompagnent  certains  états  morbides  aujourd'hui  bien 
reconnus,  c'est  par  abus  de  langage  qu'on  a  pu  leur  conserver  le  nom  d'asthme,  comme 
sj'nonyme  de  dyspnée,  tel  l'asthme  cardiaque. 

Nous  en  dirons  autant  de  synonymies  mal  appropriées  qui  font  du  spasme  de  la 
glotte,  l'asthme  thymique  (hypothèse  de  la  compression  du  récurrent  par  le  thymus 
hypertrophié)  qui  font  du  faux-croup  ou  laryngite  striduleuse,  l'asthme  deMjLLASD. 

L'expectoration  de  l'asthme  a  donné  lieu  à  des  recherches  importantes.  Leyden, 
en  1872,  et  Charcot,  vers  la  même  époque,  ont  signalé  la  présence  de  cristaux  qui 
pouvaient,  pensaient  ces  savants,  irriter  la  muqueuse  bronchique  et  provoquer  l'accès. 
CursghmaN'N',  en  1883,  constata  que,  si  les  cristau.x;  manquaient  assez  souvent,  par  contre, 
on  rencontrait  un  produit  beaucoup  plus  constant  :  des  spirales  organiques,  non  pas 
cause  des  accidents,  mais  produit  d'une  bronchite  exsudative.  En  1889,  Fr.  Muller 
signala  l'abondance  des  cellules  éosinophiles  dans  l'expectoration  de  l'asthme,  et  plus 
tard  dans  le  sang  des  asthmatiques.  Tour  à  tour  contestées,  ces  données,  qui  ont  peut- 
être  entre  elles  de  grands  rapports  (présence  des  cristaux,  des  spirilles  et  des  cellules 
éosinophiles),  ont  servi  à  des  essais  d'explications  multiples.  Dans  les  cas  où  il  y  a  accès 
d'asthme,  puis  catarrhe,  la  physiologie  établit  les  relations  suivantes  entre  les  phéno- 
mènes :  ce  L'asthme  débute  par  de  la  dyspnée  avec  tous  sèche;  ce  n'est  que  lorsque  la 
toux  devient  humide  que  l'accès  se  calme;  la  substance  toxique  irritante,  cause  de 
l'asthme  et  origine  des  cristaux,  est  peu  à  peu  englobée  par  l'exsudation  qu'elle  pro- 
voque ;  et  en  quelque  sorte  enrobée  par  les  cellules  éosinophiles,  elle  est  rendue 
inotîensive.  » 

Tout  cela  est  acceptable  pour  l'asthme  avec  catarrhe,  mais  l'asthme  sec  est  un 
asthme  tout  aussi  typique,  et  il  faut  bien  alors  d'autres  irritations  que  celles  dues  aux 
cristaux  de  Charcot-Leyden  pour  exciter  le  vague. 

Bibliographie.  — ■  G.  Sée.  Blal.  simples  du  'poumon.  —  Brissaud.  Art.  Ast/ime,  Traité 
de  médecine.  —  .\rthaud  et  Butte.  Du  nerf  pneumogastrique,  1892,  8°,  218  p.  —  Leyden 
(Deutsche  med.  Woch.,  1891,  p.  1083). 

H.  TRIBOULET. 

ASTIGMATISME.  —  Sous  le  nom  d'astigmatisme  (de  a  privatif,  et  5Tiyjj.a, 
•point),  on  désigne  différents  états  de  réfraction  de  la  lumière  dans  l'œil,  dont  le  carac- 
tère commun  est  que,  après  passage  à  travers  les  milieux  transparents,  des  rayons  lumi- 
neux homocentriques  ^(partis  d'un  point),  ne  se  réunissent  plus,  et  même  ne  tendent 
plus  à  se  réunir  en  un  point  focal. 

Dans  un  œil  normal  (il  en  est  de  même  de  l'œil  myope  et  de  l'œil  hypermétrope,  la 
réfraction  de  la  lumière  est  telle  que  les  rayons  partis  de  chaque  point  lumineux  d'un 
objet,  et  qui  pénètrent  dans  l'œil,  se  réunissent  sur  la  rétine  ou  tendent  à  s'y  réunir  en 
un  point  focal,  qui  est  l'image  du  point  lumineux.  La  formation  de  points  focaux  sur  la 
rétine  est  la  condition  sine  quel  non  d'une  bonne  vision,  qui  suppose  la  formation,  sur 
la  rétine,  d'images  nettes  des  objets  extérieurs.  A  l'article  Dioptrique  de  l'œil,  on  verra 
comment  la  netteté  des  images  est  réalisée.  Il  faut,  à  cet  eflet,  non  seulement  :  1"  que 
les  rayons  tombant  sur  un  méridien  de  l'œil  se  réunissent  en  un  point  focal,  mais 
encore  :  2°  que  les  différents  méridiens  des  milieux  transparents  soient  identiques  au 
point  de  vue  dioptrique. 

Le  desideratum  de  la  formation  d'images  nettes  ne  serait  pas  réahsé  si  (dans  un 
œil  sans  cristallin)  la  cornée  transparente  avait  une  courbure  sphérique.  Après  réfrac- 
tion de  rayons  homocentriques  par  une  surface  sphérique,  ceux  qui  passent  par  des 
portions  périphériques  de  la  surface  se  réunissent  (en  foyer)  sur  l'axe  optique  plus 
près  de  la  surface  réfringente  que  ceux  qui  passent  par  le  centre  de  cette  surface.  En 


780  ASTIGMATISME. 

fait,  la  cornée  a  une  courbure  ellipsoïdale,  c'esl-i'i-dire  que  ses  portions  périphé- 
riques sont  moins  convexes  que  les  centrales  :  l'aberration  de  spliéi'icité  est  ainsi 
plus  ou  moins  évitée  pour  chaque  méridien  pris  isolément.  La  réfringence  particulière 
du  cristallin  concourt  au  môme  but.  Nous  vejTons  cependant  (à  propos  de  l'astig- 
matisme irrégulier  de  l'œil)  que  la  correction  de  l'aberration  sphérique  de  l'œil  n'est 
jamais  complète,  que  l'œil  le  plus  normal  n'est  jamais  «  aplanétique  ». 

L'aberration  de  sphéricité  relève  donc  d'une  forme  spéciale  des  différents  méridiens 
réfringents  de  l'œil,  mais  ces  méridiens  sont  sensiblement  égaux  entre  eux,  et,  de  plus, 
les  deux  moitiés  d'un  même  méridien  sont  égales  entre  elles. 

Ces  deux  conditions,  égalité  des  différents  méridiens,  et  égalité  des  deux  moitiés  de 
chaque  méridien  (S3'métrie  autour  de  l'axe  optique)  ne  sont  pas  toujours  réalisées.  En. 
ce  qui  regarde  la  cornée  notamment,  il  faudrait  à  cet  effet  que  sa  surface  antérieure 
fût  une  partie  d'un  ellipsoïde  de  révolution,  qu'on  obtient  en  faisant  tourner  un  méri- 
dien cornéen  autour  de  J'axe  optique.  Or  souvent  cette  surface  fait  partie  d'un  ellip- 
soïde à  trois  axes  ;  les  difl'érents  méridiens,  tout  en  étant  des  ellipses,  ont  des  cour- 
bures inégales.  Des  irrégularités  du  même  ordre  peuvent  exister  dans  le  cristallin.  On 
conçoit  que,  de  ce  chef,  la  réfringence  doit  varier  d'un  méridien  à  l'autre  du  système 
dioptrique. 

L'irrégularité  de  courbure  peut  être  plus  grande  encore.  Une  moitié  ou  une  partie 
plus  petite  d'un  méridien  peut  avoir  une  courbure  plus  forte  ou  plus  faible  que  ne  le 
veut  la  forme  de  l'ellipse.  La  réfringence  variera  le  long  du  même  méridien;  mais  dans 
des  dii'ections  très  diverses. 

Lorsque  ces  deux  conditions,  courbure  ellipsoïdale  de  chaque  méridien  et  égalité 
des  dilférents  méridiens,  ne  sont  pas  réalisées,  par  un  vice  de  conformation,  soit  de  la 
surface  cornéeiine,  soit  des  autres  surfaces  réfringentes  (cristalliniennes)  de  l'ccil,  les 
raj'ons  homocentriques,  ayant  pénétré  dans  l'œil,  ne  tendent  plus  à  se  réunir  en  un  point 
focal,   on  parle  «  d'astigmatisme  ». 

On  prévoit  qu'un  caractère  commun  à  tous  ces  états  est  la  formation  d'images  réti- 
niennes plus  ou  moins  diffuses,  c'est-à-dire  une  vision  plus  ou  moins  défectueuse. 

On  distingue  dans  l'œil  Va>itigmati^mc  régulier  et  Vastigmutisine  irrégidier. 

Dans  l'astigmatisme  l'égulier,  la  réfringence  est  régulière  en  chaque  méridien 
pris  isolément  ;  mais  les  différents  méridiens  sont  inégaux  entre  eux.  La  plupart  du  temps, 
il  a  son  siège  dans  la  cornée,  dont  la  surface,  au  lieu  d'être  celle  d'un  solide  de  révo- 
lution, fait  partie  d'un  ellipsoïde  à  trois  axes  inégaux.  Il  y  a  un  méridien  de  plus  forte 
courbure  et  un  autre,  perpendiculaire  au  premier,  de  plus  faible  courbure.  Les  autres 
diminuent  de  couibure  à  partir  du  premier.  Le  qualificatif  de  régulier  lui  vient  de 
cette  régularité  dans  l'asymétrie.  Il  peut  généralement  être  corrigé,  neutralisé  par  des 
verres  appropriés. 

On  donne  le  nom  générique  d'astigmatisme  irrégulier  aux  circonstances  très  diverses' 
dans  lesquelles  (soit  par  des  anomalies  de  courbure,  soit  par  des  anomalies  de  l'indice 
de  réfraction)  la  réfringence  varie  d'un  endroit  à  l'autre  d'un  méridien  du  système 
dioptrique,  et  cela  d'une  autre  façon  que  par  suite  d'une  courbure  sphérique  ou  ellip- 
soïdale. Les  causes  de  cet  astigmatisme  siègent  en  grande  partie  dans  le  cristallin;  il  en 
est  cependant  aussi  dans  la  cornée. 

Des  degrés  modérés  d'astigmatisme  régulier  et  irrégulier  existent  dans  tout  ceil.  Des 
degrés  plus  prononcés  constituent  une  infirmité,  une  maladie. 

Astigmatisme  l'égulier.  —  Pour  nous  rendre  compte  de  la  léfiaction  dans  un 
système  analogue  à  celui  de  l'œil  alfecté  d'astigmatisme  régulier,  nous  supposons  les 
diverses  surfaces  réfringentes  de  l'œil  réduites  à  une  seule.  Cela  est  d'autant  plus  licite 
que  l'anomalie  en  question  est  presque  toujours  due  à  une  courbure  asymétrique  de 
la  cornée.  Dans  nos  développements  théoriques,  nous  considérons  donc  des  rayons 
homocentriques  pénétrant  dans  un  milieu  plus  réfringent  par  une  surface  convexe  qui 
fait  partie  d'un  ellipsoïde  à  trois  axes  inégaux.  Cette  surface  a  donc  u\\  méridien  à 
courbure  maximale,  et  un  autre,  perpendiculaire  au  premier,  avec  un  minimum  de 
courbure.  Les  méridiens  intermédiaires  diminuent  graduellement  de  courbure  à  partir 
du  premier  jusqu'au  second. 

En  tant  que  nos  développements  supposent  des  expériences,  il  faut  avoir  recours  à 


ASTIGMATISME. 


781 


un  artifice,  attendu  qu'on  ne  sait  pas  encore  falirii|uer  ries  surfaces  irréprochables  de 
verre  faisant  paitie  d'un  ellipsoïde  à  trois  axes  inégaux.  Cet  artiHce  consiste  à  combiner 
une  lentille  spliérique  positive  avec  une  lentille  cylindrique  positive. 

"  Un  fragment  découpé  dans  un  cylindre  de  verre  à  base  circulaire,  par  un  plan  paral- 
lèle à  l'axe  du  cylindre  (fig.  6(3)  est  une  lentille  cylindrique  positive.  Ce  fragment  a  un 
maximum  de  courbure  suivant  sa  section  transversale.  Dans  le  sens 
perpendiculaire,  suivant  l'axe  du  cylindre,  la  courbure  est  nulle.  Dans 
les  directions  intermédiaires,  elle  Ta  en  diminuant  vers  la  direction 
à  courbure  minimale.  Un  pian  de  rayons  lumineux  qui  ];iénètrent 
dans  le  verre  suivant  la  section  borizontale  subit  une  réfraction  splié- 
rique régulière.  Un  pian  lumineux,  pénétrant  par  la  ligne  droite  géné- 
ratrice du  cylindre,  par  son  «  axe  »,  ne  subit  pas  de  réfraction  du  tout. 
Pour  des  plans  à  directions  intermédiaires,  la  réfraction  diminue  à 
mesure  que  le  plan  s'éloigne  de  la  section  transversale.  De  plus,  les 
rayons  traversant  un  méridien  intermédiaire  ne  tendent  plus  à  se 
réunir  en  un  point  focal.  Les  choses  sont  assez  compliquées  pour  ces 
directions  intermédiaires  et,  du  reste,  nous  pouvons  nous  dispenser  de 
leur  exposé  théorique. 

L'industrie  nous  fournil  de  tels  morceaux  de  verres,  arrondis  aux  angles,  des  len- 
tilles eijlindriques  [lositives  de  diverses  forces,  selon  la  courbure  du  cylindre.  On  a  de 
même  des  lentilles, cylindriques  négatives,  ayant  une  face  cylindrique  concave. 

Un  tel  cylindre  convexe  a  donc  un  foyer  principal  sous  forme  de  ligne  parallèle  à 
l'axe  du  cylindre.  La  distance  entre  cette  ligne  et  la  lentille,  distance  focale  principale, 
est  d'autant  plus  courte  que  le  cylindre  est  plus  convexe,  plus  réfringent. 

Nous  pouvons  associer  une  lentille  cylindrique  positive  (ayant  une  surface  plane, 
l'autre  cylindrique  convexe)  avec  une  lentille  sphérique  positive;  par  exemple  le 
cylindre  ayant  .30  centimètres  de  distance  focale  et  la  lentille  sphérique  10  centimètres. 
Le  système  dioptrique  résultant  jouit  de  toutes  les  propriétés  dioptriques  d'une  surface 
réfringente  ellipsoïdale  à  trois  axes.  Il  a  un  méridien  où  la  réfringence  a  un  maximum; 
de  là  celle-ci  va  en  diminuant  jusqu'au  méridien  qui  a  la  plus  faible  réfringence  et  qui 
est  perpendiculaire  au  premier. 

Reprenons  donc  notre  surface  réfringente  ellipsoïdale  à  trois  axes.  On  appelle  méri- 
diens in'ineipiiiix  celui  de  la  plus  forte  et  celui  de  la  plus  faible  courbure  fet  réfringence). 
Pour  la  simplicité  de  l'exposé,  nommons  le  premier  «  méridien  maximal  »,  et  le  second 
«  méridien  minimal  ».  L,a  ligure  67  représente  la  réfraction  suivant;  les  deux  méridiens 
principaux.  S  figure  une  lentille  de  ce  genre  ou  plutôt  une  surface  ellipsoïdale  à  trois 
axes  inégaux  vue  plus  ou  moins  de  profil.  Le  lumière  est  sensée  venir  de  bas  en  haut, 
et  de  loin;  elle  se  réfracte  sur  la  surface  S,  qui  est  supposée  séparer  deux  milieux  dont 
le  second  est  plus  réfringent,  .rr'  est  l'axe  optique,  la  ligne  perpendiculaire  au  centre 
de  la  surface;  «6  est  le  méridien  maximal,  cd  le  méridien  minimal  de  la  surface. 
Expérimentalement,  on  peut  isoler  les  deux  méridiens  principaux  en  plaçant  devant 
le  système  un  diaphragme  opaque,  percé  d'une  fente  qu'on  oriente  tantôt  dans  l'un 
et  tantôt  dans  l'autre  méridien  principal.  On  peut  aussi  se  servir  d'un  éci'an  à  deux 
fentes,  une  perpendiculaire  à  l'autre,  chacune  placée  suivant  un  méridien  principal. 
Supposons  un  point  lumineux  situé  à  l'infini  (ti'ès  loin,  a  o  mètres  par  exemple)  sur 
l'axe  optique  xx'. 

La  trace  que  les  rayons  passant  à  travers  un  méridien  forment  sur  un  écran  tenu  à 
diverses  distances  de  S  sera  d'abord  une  ligne  parallèle  au  méridien  en  question;  cette 
ligne  va  se  raccourcissant,  pour  devenir  un  point  (en  /'pour  le  méridien  maximal,  en  f 
pour  le  méridien  minimal).  Passé  le  point  focal,  la  ligne  reparait,  et  elle  va  s'agrandis- 
sant  indéfiniment.  Dans  le  foyer,  les  rayons  s'entrecroisent,  ce  qu'on  peut  rendre  visible 
en  colorant  une  partie  des  rayons  par  un  verre  coloré,  masquant  une  moitié  du  sys- 
tème réfringent  S. 

En  plaçant  simultanément  les  deux  fentes  suivant  les  deux  méridiens  principaux,  on 
jugera  comparativement  de  l'effet  des  deux,  ainsi  que  le  représentent  les  croix  placées 
à  gauche  (resp.  en  haut)  dans  la  figure  67.  Ces  figures  représentent,  vues  de  champ,  les 
apparences  qui,  dans  le  schéma  précédent,  sont  vues  plus  ou  moins  de  profil.  En  1,  les 


782 


ASTIGMATISME. 


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ASTIGMATISME.  783 

rayons  passant  à  travers  le  méridien  maximal  sont  déjà  un  peu  ramassés,  condensés  dans 
la  longueur  a[3.  Ceux  qui  ont  traversé  le  méridien  minimal  le  sont  moins;  ils  forment 
la  ligne  un  peu  plus  longue  yS.  Les  deux  ensemble  forment  une  croix  à  branches  iné- 
gales. En  reculant  encore  l'écran,  les  branches  de  la  croix  diminuent  de  plus  en  plus. 
En  2,  dans  le  foyer  du  méridien  maximal,  les  rayons  ayant  traversé  ce  dernier  for- 
ment un  foyer  punctiforme,  c'est-à-dire  que  la  croix  se  réduit  à  une  ligne  parallèle 
au  méridien  minimal.  Au  delà  de  cette  limite,  la  ligne  du  méridien  maximal  reparaît  et 
s'allonge  —  ces  rayons  divergent  après  entrecroisement  —  tandis  que  la  ligne  lumi- 
neuse du  méridien  minimal  va  encore  se  raccourcissant.  On  arrive  donc  en  un  endroit, 
3,  où  les  quatre  branches  de  la  croix  sont  égales.  Plus  loin  encore,  la  ligne  du  mé- 
ridien minimal  diminue;  elle  devient  plus  courte  que  l'autre,  et,  dans  le  foyer  du  méri- 
dien minimal  4,  elle  se  réduit  à  un  point  :  on  voit  sur  l'écran  récepteur  une  ligne  paral- 
lèle au  méridien  maximal.  Si  on  recule  encore  l'écran,  la  ligne  du  méridien  minimal 
reparait  —  ces  rayons  aussi  sont  entrecroisés  —  elle  va  en  augmentant  de  longueur, 
mais  toujours  elle  reste  plus  petite  que  la  ligne  du  méridien  ^maximal  :  la  croix  a  tou- 
jours ses  branches  inégales. 

L'expérience  est  très  démonstrative  si  on  couvre  d'un  verre  rouge  une  moitié  de  la 
croix  :  en  avant  des  deux  fo3'ers,  les  branches  sont  colorées  du  même  côté  que  les  fentes 
correspondantes;  en  arrière  des  foyers,  c'est  l'inverse  qui  a  lieu  :  démonstration  de 
l'entrecroisement  des  rayons  dans  les  foyers. 

Ainsi  des  rayons  lumineux  homocentiiques,  après  passage  à  travers  les  deux  méri- 
diens principaux  de  notre  système,  ne  se  réunissent  nulle  part  en  un  point,  ils  forment 
tantôt  une  croix  avec  prédominance  de  l'une  ou  l'autre  branche;  en  un  point  c'est  une 
croix  à  branches  égales;  et  aux  deux  foyers  des  méridiens,  on  ne  voit  que  des  lignes 
perpendiculaires  au  méridien  dont  c'est  le  foyer. 

Si  l'on  avait  opéré  avec  un  système  à  courbure  sphéroïdale,  ou  plutôt  ellipsoïdale,  à 
deux  axes  (ellipsoïde  de  révolution'),  les  croix  auraient  toujours  eu  les  branches  égales, 
et  au  foyer  (commun  aux  deux  méridiens),  la  croix  se  serait  réduite  à  un  point. 

Il  n'est  pas  sans  intérêt,  avant  de  considérer  la  réfraction  dans  le  système  entier,  de 
voir  ce  qu'il  advient  de  la  réfraction  dans  les  méridiens  intermédiaires.  A  cet  effet,  plaçons 
la  fente  unique  de  notre  diaphragme  dans  ces  positions,  puis  recevons  toujours  les 
rayons  réfractés  sur  un  écran.  Tout  près  de  la  surface  réfringente,  dans  la  position  1, 
nous  voyons  sur  l'écran  une  bande  lumineuse  assez  large  et  presque  parallèle  à  la  fente; 
elle  est  même  plus  large  que  celle-ci;  preuve  qu'il  y  a  des  cercles  de  diffusion  trans- 
versaux, en  réalité  obliques,  par  rapport  à  la  bande.  Plus  loin,  cette  strie  lumineuse 
diffuse  se  raccourcit,  devient  de  plus  en  plus  nette,  et  s'incline  vers  le  méridien  minimal 
qu'elle  atteint  dans  le  foyer  f  du  méridien  maximal.  Plus  loin  encore,  elle  continue  à 
tourner  (s'allonge  de  nouveau  et  s'élargit),  c'est-à-dire  qu'elle  dépasse  dans  son  mou- 
vement rotatoire  le  méridien  minimal;  enfin,  au  foyer  f  du  méridien  minimal,  elle  se 
place  dans  le  méridien  maximal,  et  ainsi  de  suite.  Ainsi  les  rayons  qui  passent  par  un 
méridien  intermédiaire  ne  concourent  nulle  part  en  un  foyer  punctiforme.  Il  se  croisent, 
mais  dans  des  plans  diffe'rents;  le  lieu  géométrique  de  ces  entrecroisements  est  une 
espèce  d'hélice.  De  plus,  l'intersection  de  ces  rayons  par  un  plan,  c'est-à-dire  l'image 
du  point  lumineux,  est  toujours  plus  ou  moins  élargie,  diffuse;  la  ligne  qui  est  cette 
image  n'est  nulle  part  aussi  nette  que  si  elle  est  formée  par  les  méridiens  principaux 
dans  leurs  foyers  respectifs. 

Complétons  maintenant  cette  démonstration  expérimentale  en  recevant  sur  un 
écran,  au  sortir  du  système  en  question,  tout  le  faisceau  lumineux  qui  tombe  sur  la 
surface  réfringente.  Supposons  toujours  un  faisceau  de  raj'ons  lumineux  venus  d'un 
point  très  éloigné  et  tombant  sur  la  surface  réfringente  parallèlement  à  son  axe  xx'.  A 
droite  (c'est-à-dire  en  bas),  dans  la  ligui-e  2,  sont  représentées  les  sections  successives 
des  rayons  émergents,  telles  qu'elles  se  dessinent  sur  un  écran  qu'on  déplace.  Ces  sec- 
tions représentent  évidemment  les  images  d'un  point  lumineux. 

Si  la  courbure  de  la  surface  était  celle  d'un  ellipsoïde  de  révolution,  comme  celle  de 
la  cornée  théoriquement  normale,  le  cylindre  lumineux  serait,  après  réfraction,  un  cône 
à  section  circulaire,  et  dont  le  sommet  serait  au  foyer  (unique)  de  la  surface.  Avec  une 
surface  d'ellipsoïde  à  trois  axes,  la  section  du  cylindre  lumineux,  après  réfraction,  est 


78i  ASTIGMATISME. 

une  ellipse  l'i),  d'abord  à  petit  axe  parallf'le  au  méridien  maximal,  et  à  grand  axe  paral- 
lèle au  méridien  minimal  :  ou  plutôt  les  images  de  diffusion  formées  par  les  deux  méi'i- 
diens  principaux  sont  les  axes  de  ces  ellipses.  A  partir  de  la  surface  réfiingenle,  l'ellipse 
devient  de  plus  en  plus  ])etite,  et  son  excentricité  augmente.  Dans  le  foyer  (principal)  du 
méridien  maximal,  elle  se  réduit  à  une  ligne  (2i  parallèle  au  méridien  minimal.  Plus  loin 
de  la  surface  réfringente,  l'ellipse  reparaît,  plus  petite,  très  excentrique,  toujours  avec 
le  grand  axe  parallèle  au  méridien  minimal.  Son  excentricité  diminue  de  plus  en  plus, 
et  en  un  point  l'ellipse  se  transforme  eu  cercle (.3),  au  delà  duquel  nous  vo3'ons  survenir' 
une  ellipse,  peu  excentrique  d'abord,  mais  avec  grand  axe  parallèle  au  méridien  maxi- 
mal. L'excentricité  augmente  ensuile,  et  dans  le  foyer  (principal)  du  méridien  maximal, 
l'ellipse  se  réduit  à  une  ligne  ii)  parallèle  au  méridien  maximal  (perpendiculaire  au 
méridien  du  foyer  en  question  i.  Reculant  encore  l'écran  récepteur,  l'ellipse  reparait  (o  , 
avec  son  grand  axe  parallèle  au  méridien  maximal,  et  d'abord  très  excenliiqne.  L'ex- 
centricité va  ensuite  en  diminuant,  pendant  que  la  grandeur  totale  de  l'ellipse  (6)  aug- 
mente, et  que,  partant,  sa  clarté  diminue. 

L'image  d'un  point  lumineux,  formée  par  un  système  »  astigmate  »,  ne  peut  donc 
jamais  être  un  point.  Elle  est  une  ellipse,  ou  bien  un  cercle  (en  un  point),  ou  enfin  une 
ligne  (en  deux  points).  Les  deux  lignes  sont  désignées  du  nom  de  première  et  de  seconde 
ligne  focale;  celle-là  se  trouve  à  l'endroit  du  foyer  (principal)  du  méridien  le  plus  réfrin- 
gent, la  seconde  au  foyer  du  méridien  minimal.  La  distance  enfreles  deux  lignes  focales 
est  la  ligne  inlerfocale  ou  li?ue  de  Stubm.  L'image  d'un  point,  ou  d'un  objet  éloigné, 
formée  par  le  système  astigmate,  n'est  nette  nulle  part.  Sa  netteté  est  relativement 
grande  sur  toute  l'étendue  de  la  ligne  focale;  mais  elle  atteint  un  maximum  aux  deux 
lignes  focales,  et  nullement  au  point  où  l'image  d'un  point  est  un  petit  cercle. 

Un  point  lumineux  silué  plus  près  du  système  dioptrique  donne  lieu  aux  mêmes  pbé- 
nomènes.  Seulement,  les  lignes  locales  «conjuguées  <>  sont  situées  plus  loin  du  syslème 
réfringent  que  la  ligne  focale  «  principale  ». 

La  longueur  de  la  ligne  ou  distance  interfocale  ff  est  d'autant  plus  grande  que  l'asy- 
mélrie  du  système,  autrement  dit  l'astigmatisme,  est  plus  prononcée. 

Là  figure  i  fait  voir  aussi  que  la  première  ligne  focale  est  plus  courte  que  la  seconde. 
Cette  inégalité  est  d'autant  plus  grande  que  l'astigmatisme  est  plus  grand.  Enfin  l'en- 
droit où  l'image  d'un  point  est  un  cercle  n'est  pas  au  milieu  de  la  ligne  interfocale;  il 
est  plus  rapproché  de  la  première  ligne  focale,  et  cela  d'autant  plus  que  l'astigmatisme 
est  plus  grand. 

Ce  qui  précède  nous  met  à  même  de  comprendre  la  vision  de  l'œil  u^ligmate,  affecté 
d'astigmatisme  régulier.  Supposons,  ce  qui  du  reste  est  le  cas  habituel,  que  ce  soit  le 
méridien  vertical  du  svstème  dioptrique  de  l'œil  qui  soit  le  plus  léfringent;  la  première 
ligne  focale  est  donc  horizontale. 

Nous  verrons  que,  relativement  à  la  réfraction  absolue,  tous  les  cas  imaginables 
peuvent  se  présenter.  La  rétine  peut  se  trouver  au-devant  (plus  près  de  la  cornée) 
de  la  première  ligne  focale;  elle  peut  se  trouver  dans  cette  ligne,  ou  entre  les  deux 
ignés  focales,  ou  encore  dans  la  seconde  ligne  (dans  le  foyer  principal  du  méridien 
minimal,  qui  est  horizontal),  ou  enfui  en  arrière  des  deux  lignes  focales.  Autrement 
dit,  les  deux  méridiens  principaux  (et  par  conséquent  tous  les  méridiens)  peuvent  être 
hypermétropes  (voir  l'article  Hypermétropie  .  mais  à  divers  degrés;  un  seul  peut  être 
emmétrope,  l'autre  hypermétrope;  l'un  peut  être  myope  (voyez  Myopie)  et  l'autre 
hypermétrope  ou  emmétrope;  enfin  tous  les  méridiens  peuvent  être  myopes.  Le  cas 
habituel  est  celui  où  tous  les  méridiens  ont  la  même  amétropie,  et  sont  hypermétropes 
ou  myopes.  Toutefois  il  n'est  pas  rare  de  trouver  un  méridien  principal  emmétrope, 
l'autre  myope  ou  hypermétrope.  Exceptionnellement  l'un  de  ces  méridiens  est  myope, 
l'autre  hypermétrope.  Les  phénomènes  sont  surtout  frappants  lorque  les  deux  méri- 
diens principaux  sont  myopes,  ce  qu'au  besoin  on  peut  réaliser  en  munissant  l'œil 
d'un  verre  biconvexe  suffisamment  fort  :  on  augmente  ainsi  la  réfr'action  également 
dans  tous  les  méridiens.  S'il  le  faut,  on  se  rend  astigmate  en  munissant  l'œil  d'un  verre 
cylindrique  positif  (avec  l'axe  horizontal);  on  observe  ainsi  les  phénomènes  visuels 
suivants.  ' 

1°  Un  point  n'est  jamais  vu  sous  forme  d'un  point,  mais  sous  forme  d'ellipses,  d'un 


ASTIGMATISME.  7So 

cei'cle  ou  de  lignes.  Dans  une  chambre  obscure,  on  masque  la  lumière  d'une  lampe  par 
un  carton  percé  d'un  trou  d'aiguille.  L'astigmate  mjopique,  en  s'éloignant  et  en  se  rap- 
prochant de  ce  point  lumineux,  trouve  aisément  une  distance  à  laquelle  lé  petit  cercle 
lumineux  lui  paraît  rond  :  la  rétine  se  trouve  au  point  interfocal  caractérisé  plus  haut. 
Si  maintenant  on  s'éloigne  de  plus  en  plus  de  la  lampe,  la  seconde  ligne  focale  (verticale 
perpendicula-re  au  méridien  minimal  (horizontal),  se  rapproche  de  la  rétine  et  la 
dépasse  :  le  cercle  s'allonge  en  une  ellipse  verticale,  qui  se  transforme  en  une  ligne 
verticale,  puis  de  nouveau  en  une  ellipse  verticale  de  plus  en  plus  grande  et  de  moins  en 
moins  claire  (en  raison  de  son  agrandissement).  Si,  au  contraire,  à  partir  du  point  de 
départ  on  se  rapproche  de  la  source  lumineuse,  la  première  ligne  focale  (horizontale) 
recule  vers  la  rétine,  et  la  dépasse  :  le  petit  cercle  devient  une  petite  ellipse  horizontale, 
puis  une  ligne  horizontale;  en.suite  reparaît  l'ellipse  horizontale,  qui  va  grandissant.  La 
distance  entre  les  deux  distances  auxquelles  le  point  paraît  sous  forme  de  ligue  est 
d'autant  plus  grande  que  l'astigmatisme  est  plus  fort.  Le  phénomène  n'est  guère  appa- 
rent avec  un  faible  astigmatisme. 

2°  Des  lignes  de  directions  différentes  ne  sont  jamais  vues  à  la  fois  avec  une  égale 
netteté;  quand  l'astigmate  voit  nettement  les  unes,  les  autres  paraissent  pâles,  dilfuses. 
Une  ligue  en  effet  est  une  succession  de  points.  Soit  (fig.  68)  C  un  dessin  composé  de  deux 
lignes  pointillées,  l'une  verticale,  l'autre  horizontale.  Dans  notre  hypothèse,  le  méridien 
maximal  étant  vertical,  si  l'éloignement  de  l'objet  est  tel  que  la  première  ligne  focale 


B     -- 


tombe  sur  la  rétine  (à  une  distance  assez  rapprochée),  chaque  point  sera  vu  allongé 
horizontalement,  il  y  aura  à  chacun  d'eux  des  cercles  de  diffusion  horizontaux.  Ceux-ci 
se  couvrent  pour  une  ligne  horizontale,  et  sont  comme  non  avenus,  sauf  que  la  ligne 
paraît  un  peu  allongée  (B);pour  une  ligne  verticale,  les  cercles  de  diffusions  ne  se 
couvrent  pas;  la  ligne  paraîtra  élargie  et  plus  pâle  que  la  première.  L'inverse  a  lieu  si 
(A),  soit  en  éloignant  les  lignes,  soit  en  accommodant,  nous  faisons  en  sorte  que  la  seconde 
ligne  focale  tombe  sur  la  rétine.  Lorsque  ni  l'un  ni  l'autre  des  méridiens  principaux 
n'est  adapté  à  la  distance  de  l'objet,  toutes  les  lignes  paraîtront  dilfuses. 

Lorsque  la  ligne  se  trouve  dans  un  méridien  intermédiaire,  elle  n'est  vue  nettement 
nulle  part;  d'après  ce  que  nous  avons  vu  plus  haut,  les  rayons  émanés  d'un  de  ses 
points  ne  sont  nulle  part  réunis  en  un  foyer  punctiforme. 

A  ce  même  point  de  vue  s'explique  le  chatoiement  particulier  à  une  figure  composée 
de  cercles  concentriques  noirs  et  blancs,  suffisamment  serrés.  Des  rayons  plus  pâles 
tournent  autour  du  centre  pendant  qu'on  regarde  le  dessin.  C'est  que,  l'accommodation 
intervenant,  tantôt  l'une,  tantôt  l'autre  ligne  focale  est  plus  près  de  la  rétine.  Le  phé- 
nomène est  apparent  pour  presque  tous  les  yeux,  attendu  qu'à  peu  près  tous  les  yeux 
sont  affectés  d'un  certain  degré  d'astigmatisme,  ainsi  que  nous  le  verrons  plus  loin. 

3°  Un  œil  astigmate  voit  mieux  à  travers  nue  mince  fente  (fente  sthénopéiquei  ou  un 
trou  étroit  percés  dans  un  écran  opaque.  A  l'aide  de  la  fente,  on  ne  laisse  passer  dans 
l'œil  des  rayons  lumineux  qu'à  travers  un  seul  méridien  ou  à  peu  prés.  Dans  les  deux 
méridiens  principaux,  la  fente  ne  laisse  pénétrer  que  des  i-ayons  qui  peuvent  se  réunir 
en  foyers  punctiformes,  au  besoin  l'accommodation  aidant.  Les  images  rétiniennes  seront 
donc  plus  nettes  ;  l'acuité  visuelle  sera  augmentée.  Cette  augmentation  sera  moins 
prononcée  lorsque  la  fente  coïncide  avec  un  méridien  intermédiaire,  pour  des  raisons 
indiquées  déjà.  —  Le  point  étant  un  élément  d'une  ligne,  on  conçoit  que  le  trou  percé 
dans  un  écran  augmente  également  l'acuité  visuelle. 

4°  L'astigmate  voit  plus  mal  qu'un  emmétrope,  et  de  plus  les  objeh  mml  vus  déformés. 

DICT.    DE    PHYSIOLOGIE.    —   TOME    I.  30 


786  ASTIGMATISME. 

L'acuité  visuelle  défectueuse  de  l'astigmate  se  comprend,  puisque  à  aucune  distance  un 
objet  ne  peut  former  sur  la  rétine  une  image  nette.  L'amblyopie  sera  d'autant  plus  forte 
que  l'astigmatisme  est  plus  prononcé.  Toutefois  la  question  de  savoir  comrnerd  volent  les 
astigmates  est  un  problème  assez  compliqué. 

D'abord,  l'astigmate  préfère-t-il  porter  (en  accommodant,  par  exemple)  sur  sa  ré- 
tine une  ligne  focale,  ou  bien  un  point  de  la  distance  interfocale,  par  exemple  celui 
où  un  point  lumineux  apparaît  sous  forme  d'un  cercle?  Il  parait  bien  prouvé  que  l'astig- 
mate voit  le  mieux  lorsqu'une  ligne  focale  tombe  sur  la  rétine  (Javal,  Macthn'er'.  A  ce 
propos,  on  fait  observer  (Mal'thner)  qu'un  myope  ou  un  hypermétrope)  imparfaitement 
corrigé  iportant  un  verre  trop  faible  alTectionne  d'incliner  la  tête  de  façon  à  regarder 
obliquement  à  travers  les  verres  trop  faibles.  Par  celte  manœuvre,  il  augmente  la  force 
du  verre  dans  le  méridien  parallèle  à  l'inclinaison;  ainsi  faisant,  il  diminue  et  efface  les 
cercles  de  difïusion  dans  ce  méridien  seul,  tandis  qu'on  les  laisse  persister  dans  l'autre. 
Le  myope  se  rend  ainsi  astigmate,  et  il  gagne  au  change.  Le  myope  non  corrigé  obtient 
le  même  effet  par  le  clignotement,  si  caractéristique  pour  ce  genre  d'affection.  Pour  un 
motif  analogue,  les  astigmates  préfèrent  reporter  (si  possible)  sur  la  rétine  la  ligne  focale 
verticale,  ne  laissant  persister  que  les  cercles  de  diffusion  verticaux  iJaval),  qu'il  dimi- 
nue par  le  clignotement. 

Les  cercles  de  diffusion  d'une  seule  direction  ont  sur  les  images  diffuses  circulaires 
un  très  grand  avantage,  surtout  pour  la  lecture  et  l'écriture.  Dans  les  caractères  imprimés 
ou  écrits  prédominent  les  traits  d'une  direction,  ou  les  verticaux  et  les  borizontaux.  On 
comprend  que  des  images  diffuses  dans  une  seule  direction,  pourvu  que  celle-ci  coïncide 
avec  celle  des  traits,  gêne  la  vision  beaucoup  moins  que  des  images  diffuses  circulaires 
de  mêmes  dimensions,  et  que  certaines  lettres  des  échelles  visuelles  l'voyez  Acuité  visuelle) 
sont  reconnues,  alors  que  d'autres,  beaucoup  plus  grandes,  ne  le  sont  pas.  On  com- 
prend que,  pour  la  lecture,  le  myope  ou  l'amétrope  préfère,  par  une  inclinaison  appro- 
priée de  la  tête,  ou  par  le  rapprochement  des  paupières,  transfoi'mer  son  amétropie  en 
un  astigmatisme  du  même  degré. 

L'astigmate  voit  les  objets  déformés,  des  lettres  par  exemple  allongées  dans  un  sens, 
dans  celui  du  méridien  principal  qui  a  la  plus  forte  courbure.  Une  personne  non  astigmate 
peut  s'en  convaincre  en  regardant,  soit  à  travers  un  verre  cylindrique,  soit  à  travers  un 
verre  sphérique  incliné.  D'abord,  un  cercle,  par  exemple,  sera  vu  plus  grand  suivant  le 
méridien  le  plus  réfringent,  qui  grossit  comparativement  au  méridien  minimal.  En  second 
lieu,,  les  cercles  de  diffusion,  dirigés  habituellement  dans  un  seul  sens,  allongeront 
également  les  objets  dans  cette  direction.  Les  deux  facteurs  n'agissent  pas  toujours  dans 
le  môme  sens,  et  peuvent  se  contre-balancer.  Les  objets  sont  surtout  étirés  en  un  sens 
lorsque  les  deux  facteurs  agissent  dans  le  même  sens,  ce  qui  est  le  cas  lorsque  l'astigmate 
regarde  en  ayant  la  seconde  ligne  focale  (verticale)  sur  la  rétine;  alors  des  lignes  verticales 
paraissent  allongées,  d'une  part  en  vertu  du  grossissement  plus  grand  dans  le  sens  ver- 
tical, celui  du  méridien  le  plus  réfringent,  et  d'autre  part  en  vertu  des  cercles  de  diffu- 
sion, qui  allongent  les  lignes,  par  exemple  dans  le  seul  sens  vertical. 

On  a  soutenu  aussi,  non  seulement  que  l'astigmate  voit  toujours  les  objets  allongés 
dans  un  sens,  mais  encore  qu'en  les  dessinant  il  les  reproduit  toujours  déformés, 
allongés  dans  un  sens.  On  a  même  voulu  par  ce  moyen  reconnaître  l'astigmatisme  des 
peintres  décédés,  rien  que  par  l'inspection  de  leurs  œuvres.  Pour  ce  qui  est  du  premier 
point,  nous  venons  de  voir  que  l'astigmate  ne  voit  les  objets  étirés  que  dans  certaines 
circonstances.  Quant  au  second,  il  semble  impossible  que  l'astigmate  dessine  les  objets 
étirés,  bien  que  peut-être  il  les  voie  déformés.  S'il  voit  un  cercle  sous  forme  d'ellipse,  il 
doit  le  dessiner  sous  forme  de  cercle,  pour  que  son  dessin  lui  représente  la  même  ellipse 
que  la  vue  de  l'objet.  Et,  s'il  lui  donnait  la  forme  d'une  ellipse,  l'excentricité  de  celle-ci 
serait  pour  lui  plus  grande  que  celle  qu'il  voit  au  cercle  objet.  L'opinion  que  nous 
avons  en  vue  ici,  et  qui  a  fait  quelque  bruit  dans  le  monde,  repose  donc  sur  une  inter- 
prétation fautive  des  choses. 

Un  chapitre  intéressant  au  double  point  de  vue  physiologique  et  pratique  est  celui  de 
l'accommodation  chez  les  astigmates.  Pour  bien  le  comprendre,  il  faut  savoir  d'abord  où 
siège  la  cause  de  l'astigmatisme  régulier,  et  en  quoi  consiste  cette  cause. 

Dans  V immense  majorité  des  cas,  l'astigmatisme  régulier  est  dû  à  une  courbure  anormale 


ASTIGMATISME.  787 

de  la  cornée  traïKiparenlr.  Au  lieu  d'avoir  une  courbure  sphérique,  ou  plutôt  celle  d'un 
ellipsoïde  de  révolution,  sa  face  antérieure  a  celle  d'un  ellipsoïde  qui  n'est  pas  de  révo- 
lution, mais  qui  a  trois  axes  inégaux.  Chaque  méridien  est  une  portion  d'ellipse;  mais  il 
y  en  a  un  dont  la  courbure  est  la  plus  forte;  la  convexité  va  de  là  en  diminuant,  pour 
devenir  un  minimum  dans  le  méridien  perpendiculaire  au  premier.  La  réfraction  dans  le 
cristallin  est  régulière.  Nous  avons  ainsi  un  système  dioptrique  astigmatique,  tel  que 
nous  venons  de  le  décrire.  Généralement  le  méridien  maximal  (à  la  plus  forte  courbure) 
est  vertical,  le  méridien  minimal  est  horizontal.  Assez  souvent  le  méridien  maximal 
dévie  plus  ou  moins  à  droite  ou  à  gauche  de  la  verticale.  Dès  lors,  il  faut  en  tenir  compte 
dans  les  développements  qui  précèdent.  Pour  la  lecture,  par  exemple,  un  tel  astigmate 
aime  à  incliner  la  tète  latéralement,  à  l'effet  de  faire  coïncider  un  méridien  principal 
avec  les  traits  prédominant  dans  les  caractères  qu'il   lit.  • 

Pour  expliquer  le  fait  que  c'est  le  méridien  vertical  qui  est  le  plus  convexe,  on  invoque, 
avec  une  apparence  de  raison,  la  compression  exercée  sur  le  globe  oculaire  par  les  pau- 
pières, qui  l'aplatiraient  à  l'équateur,  et  augmenteraient  la  courbure  cornéenne  dans  le 
sens  vertical. 

Dans  des  cas  relativement  rares,  c'est  le  méridien  oculaire  horizontal,  ou  un  autre 
approchant,  qui  estleplus  réfringent.  Dans  ce  cas  l'anomalie  n'est  qu'exceptionnellement 
le  fait  de  la  courbure  cornéenne. 

L'observation  clinique  des  astigmates  a  démontré  que,  dans  la  proportion  d'un 
quart  environ  des  cas,  le  cristallin  contribue  à  produire  l'astigmatisme  de  l'œil.  Rarement 
1  est  seul  en  cause;  le  plus  souvent  il  y  intervient  concurrenmient  avec  la  cornée.  On 
distingue  donc  entre  l'astigmatisme  cornéen,  l'astigmatisme  cristallinien  et  l'astigma- 
tisme total. 

L'astigmatisme  cristallinien  est  un  des  problèmes  les  plus  discutés  de  la  pratique 
oculistique,  problème  qui  intéresse  en  même  temps  la  ph3-siologie  à  plus  d'un  titre.  Avant 
d'aller  plus  loin,  il  convient  de  dire  quelques  mots  sur  la  manière  dont  on  détermine 
l'astigmatisme. 

Mesure  de  l'astigmatisme.  —  Pour  évaluer  la  pai't  revenant  soit  à  la  cornée,  soit 
au  cristallin,  dans  la  production  de  l'astigmatisme  total,  le  mieux  serait  de  pouvoir 
mesurer  exactement  la  courbure  cornéenne  et  celles  des  deux  faces  du  cristallin  (dans 
leurs  différents  méridiens).  Malheureusement,  ces  déterminations  à  l'aide  de  l'ophtal- 
momètre  de  Heluholtz  (voyez  à  l'article  Accommodation),  instrument  qui  semblerait  tout 
désigné  à  cet  eifet,  sont  tellement  laborieuses,  surtout  en  ce  qui  regarde  le  cristallin, 
qu'on  a  dû  y  renoncer.  Elles  n'ont  abouti  que  dans  des  cas  tout  à  fait  isolés. 

Javal  et  ScHiôTz  ont  fait  subir  à  l'ophtalmomètre  de  Heluholtz  une  modification 
qui  le  rend  plus  pratique.  Mais,  même  sous  cette  forme,  il  ne  peut  guère  servir  qu'à 
déterminer  l'astigmatisme  cornéen.  Pour  ce  dernier  but,  c'est  du  reste  un  instrument 
d'une  valeur  absolument  supérieure,  et  dont  l'emploi  a  permis  de  résoudre  plusieurs 
questions  de  la  plus  haute  importance  théorique  et  pratique.  En  combinant  ses  données 
avec  la  détermination  de  l'astigmatisme  total,  on  arrive  dans  une  certaine  mesure  à 
faire  la  part  de  l'astigmatisme  cristallinien. 

A  l'aide  de  l'ophtalmomètre,  on  calcule  la  courbure  cornéenne  d'après  la  grandeur 
de  l'image  catoptrique  d'un  objet  (à  grandeur  connue),  formée  sur  le  miroir  cornéen'. 

Voyons  donc  les  méthodes  servant  à  déterminer  l'astigmatisme  total  de  l'œil  humain. 

1.  Cette  image  par  réflexion  a  été  employée  encore  plus  directement  pour  constater  l'exis- 
tence de  l'astigmatisme  cornéen,  et  même  pour  en  mesurer  le  degré,  la  valeur  absolue.  —  Les 
images  formées  par  réflexion  sur  un  miroir  convexe  se  ressentent  de  la  forme  de  ce  dernier;  elles 
peuvent  même  servir  à  mesurer  la  courbure  du  miroir  dans  ses  différents  méridiens.  Si  la  cour- 
bure du  miroir  est  sphérique,  l'image  d'un  objet  à  contours  réguliers  est  régulière  aussi,  sem- 
blable à  l'objet.  Si  la  courbure  diminue  vers  un  méridien,  l'image  est  étirée,  agrandie,  dans  ce 
sens.  Cette  déformation,  facile  à  constater,  est  révélatrice  de  l'astigmatisme  cornéen.  PL.iCiDO  a 
vulgarisé  l'emploi  d'un  disque  portant  des  lignes  concentriques,  qu'on  fait  réfléchir  sur  la  cornée 
pendant  que  l'examinateur  regarde  la  cornée  examinée  à  travers  une  ouverture  centrale  du 
disque,  et  que  l'œil  examiné  regarde  le  centre  du  disque  Si  la  surface  cornéenne  est  une  surface 
de  révolution,  la  petite  image  sera  régulière.  De  Wecker  et  M.vsselon  ont  donné  à  cette  expé- 
rience une  forme  qui  permet  de  déterminer  avec  un  certain  degré  d'exactitude  le  degré  de  l'asy- 
métrie cornéenne. 


\ 


788  ASTIGMATISME. 

Il  y  a  de  cela  quelques  années  seulement,  on  n'avait  à  cet  effet  que  la  méthode 
laborieuse  consistant  à  essayer  d'augmenter  l'acuité  visuelle  à  l'aide  de  verres  cylin- 
driques, combinés  au  besoin  avec  des  verres  sphériques.  On  commençait  d'abord  par 
déterminer  les  directions  des  méridiens  de  la  plus  forte  et  de  la  plus  faible  courbure, 
à  rechercher  l'axe  de  l'astigmatisme,  détermination  par  laquelle  aujourd'hui  encore 
doivent  commencer  toutes  les  mensurations  de  ce  genre.  A  cet  effet,  on  peut  se  servir 
soit  de  points  lumineux,  soit  de  systèmes  de  lignes  différemment-orientées,  disposées, 
par  exemple,  en  étoile.  Pour  ce  qui  est  des  points  lumineux  (percés  dans  un  écran  por- 
tant la  graduation  d'un  cercle),  on  n'a  qu'à  faire  en  sorte  (voir  plus  haut)  qu'ils  se  pré- 
sentent sous  forme  de  lignes.  La  direction  de  celles-ci  donne  celle  soit  du  méridien 
maximal,  soit  du  méridien  minimal.  Si  on  se  sert  de  systèmes  de  lignes  différem- 
ment orientées,  celjes  qui  apparaissent  le  plus  nettement  sont  dans  le  méridien  maximal 
ou  dans  le  minimal. 

La  direction  des  méridiens  principaux  étant  connue,  on  élimine  préalablement,  s'il  y 
a  lieu,  toute  trace  de  myopie  ou  d'hypermétropie,  en  augmentant  le  plus  possible 
l'acuité  visuelle  à  l'aide  de  verres  sphériques.  Si  maintenant  il  reste  encore  de  l'astigma- 
tisme, ou  le  corrige  en  essayant,  avec  des  verres  cylindriques  de  diverses  forces,  placés 
avec  leur  axe  dans  l'un  ou  l'autre  méridien  principal,  d'obtenir  le  maximum  possible  de 
l'acuité  visuelle.  La  valeur  du  cylindre  correcteur  donne  la  valeur  de  l'asymétrie  astig- 
matique  de  l'œil. 

Le  côté  faible  de  cette  détermination  subjective  de  l'astigmatisme  total  est  qu'on  est 
réduit  à  interpréter  les  réponses  du  sujet  examiné,  qui  se  fatigue,  donne  des  réponses 
erronées  et  ainsi  déroute  l'examinateur.  Enfin,  cette  méthode  n'est  guère  applicable 
aux  enfants.  Telle  qu'elle  est,  cependant,  elle  rend  encore  de  grands  services;  et  surtout 
il  faut  toujours  finir  par  contrôler,  à  l'aide  d'elle,  les  résultats  fournis  par  les  méthodes 
qui  servent  à  déterminer  objectivement  l'astigmatisme  total. 

Poar  déterminer  objectivement  l'astigmatisme  total  de  rœil,nous  possédons  aujourd'hui, 
dans  la  «  skiascopie  «  imaginée  par  Cuignet  (et  développée  par  La.ndolt,  Parent, 
f.HiBRET,  etc.,  etc.),  une  méthode  absolument  rigoureuse.  En  voici  les  principes  expéri- 
mentaux (pour  la  théorie  et  les  règles  plus  pratiques,  voir  l'article  Skiaskopie)  : 

Si  on  éclaire  le  fond  d'un  œil  à  l'aide  d'un  ophtalmoscope  (le  mieux  tenu  à  un  peu 
plus  d'un  mètre  de  l'œil  examiné),  la  pupille  paraît  rouge  dans  toute  son  étendue.  Qu'ar- 
rive-t-il  si  on  éclaire  le  disque  pupillaire  peu  à  peu,  en  déplaçant  le  retlet  ophtalmosco- 
pique  vais  le  centre  pupillaire,  ce  qu'on  obtient  en  inclinant  de  plus  en  plus  le  miroir 
ophtalmoscopique?  Lorsque  ce  retlet  s'avance  sur  la  pupille,  celle-ci  ne  paraît  d'emblée 
rouge  dans  toute  son  étendue  que  dans  un  seul  cas,  celui  d'une  réfraction  emmétropiqne 
de  l'œil.  Si  l'œil  est  myope,  et  si  le  miroir  employé  est  plan,  la  pupille  de  l'œil  myope 
s'éclaire  partiellement  d'abord,  puis  tout  à  fait,  en  commençant  par  le  bord  opposé  à 
celui  d'où  vient  (sur  la  face  du  sujet  examiné)  l'éclairage,  le  reflet  ophtalmoscopique. 
Si  l'œil  est  hypermétrope,  l'éclat  pupillaire  marche  dans  le  même  sens  que  le  reflet 
ophtalmoscopique.  Avec  un  miroir  concave,  la  marche  du  reflet  pupillaire  est  inverse.  Le 
verre  sphérique,  placé  devant  l'œil  examiné,  qui  fait  que  la  pupille  s'éclaire  d'emblée 
dans  toute  son  étendue,  doime  le  degré  de  l'amétropie. 

Rien  n'est  changé  aux  phénoriiènes  si  on  avance  le  reflet  lumineux  vers  la  pupille,  sui- 
vant ses  méridiens  les  plus  divers.  Mais,  s'il  y  a  astigmatisme,  le  verre  correcteur  d'un 
méridien  ne  l'est  plus  pour  un  autre.  Et  la  différence,  d'une  part  entre  le  verre  qui  cor- 
rige le  méridien  le  moins  amétrope,  et  d'autre  part  entre  celui  qui  corrige  le  méridien  le 
plus  amétrope,  donne  le  degré,  la  valeur  de  l'astigmatisme  total  avec  une  rigueur  assez  • 
grande. 

Dans  la  skiascopie  aussi,  il  faut  commencer  par  déterminer  l'axe  de  l'astigmatisme, 
c'est-à-dire  la  direction  des  méridiens  principaux,  ce  qui  se  fait  facilement  et  d'emblée. 
En  réalité  on  voit  se  mouvoir  sur  la  rétine  une  image  plus  ou  moins  diffuse  de  la  source 
lumineuse,  ovale  dans  l'œil  astigmate.  Cette  image,  et  partant  sa  ligne  de  démarcation 
avec  la  partie  obscure  de  la  pupille,  ne  sera  perpendiculaire  au  sens  du  mouvement  de 
l'ophlalmoscope,  que  si  ce  dernier  a  lieu  dans  un  des  méridiens  principaux.  Si  le  reflet 
lumineux  s'avance  dans  un  méridien  intermédiaire,  la  ligne  de  démaixalion  est  oblique 
par  rapport  au  sens  du  mouvement,  et  placée  toujours  dans  un  des  méridiens  principaux. 


ASTIGMATISIVIE.  789 

La  direction  d'un  de  ceux-ci   devient  manifeste  dès  le  commencement  de   l'épreuve. 

En  fin  de  compte,  il  s'est  trouvé  que,  dans  la  grande  majorité  des  cas  (les  trois  quarts), 
l'astigmatisme  cornéen  est  égal  à  l'astigmatisme  total,  et  que,  par  conséquent,  il  est  seul 
à  produire  ce  dernier. 

Et  lorsqu'il  y  a  un  astigmatisme  imputable  au  cristallin,  il  est  la  plupart  du  temps 
K  contraire  à  la  règle  »  ;  c'est-à-dire  qu'au  contraire  de  ce  qui  est  vrai  pour  la  cornée, 
c'est  le  inéridien  horizontal  (ou  à  peu  près)  du  cristallin  qui  a  la  plus  forte  courbure. 

Cet  astigmatisme  cristallinien  est  rare  en  somme,  comparativement  à  l'astigmatisme 
en  général;  de  plus,  sa.  valeur  absolue,  son  degré  est  relativement  faible,  en  regard 
de  l'astigmatisme  cornéen.  II  corrige  donc  plus  ou  moins  ce  dernier.  Dans  le  cas,  abso- 
lument exceptionnel,  où  l'astigmatisme  total  est  (c  contraire  à  la  règle  »,  c'est-à-dire 
lorsque  le  méridien  maximal  est  horizontal,  il  dépend  ordinairement  du  cristallin  (Javal). 
Il  se  trouve  enfin  des  cas  où  l'axe  de  l'astigmatisme  cristallinien  n'est  pas  absolument 
perpendiculaire  à  celui  de  l'astigmatisme  cornéen  :  l'axe  de  l'astigmatisme  total  est  inter- 
médiaire entre  celui  de  la  coi-née  et  celui  du  cristallin. 

Quanta  la  cause  de  l'astigmatisme  cristallinien,  elle  pourraitrésider  dans  la  courbure 
du  cristallin,  qui  serait  celle  d'un  ellipsoïde  à  trois  axes  inégaux,  comme  pour  la  cornée. 
Il  résulte  des  recherches  de  Tchehning  que,  dans  le  plus  grand  nombre  au  moins  des 
cas  de  l'espèce,  il  est  dû  à  une  position  oblique  du  cristallin.  Ce  dernier  est  décentré; 
comme  s'il  avait  subi  une  rotation  autour  de  son  diamètre  équatorial  vertical.  Nous  avons 
vu  plus  haut  que  dans  ces  circonstances  la  réfraction  du  cristallin  normal  devient  astig- 
mate, que  le  méridien  horizontal  acquiert  un  pouvoir  réfringent  plus  fort. 

Mais  les  ophtalmologistes  avaient  cru  pouvoir  conclure  de  leurs  expériences  qu'une 
courbure  inégale  des  différents  méridiens  du  cristallin  serait  une  cause  très  fréquente 
d'astigmatisme  cristallinien,  et  que  cette  couibure  inégale  était  le  résultat  d'une  con- 
traction partielle  de  certains  segments  du  muscle  ciliaire.  Ces  contractions  partielles 
donneraient  lieu  à  un  astigmatisme  «  dynamique  »,  passager,  du  cristallin,  qui  pourrait 
corriger,  diminuer,  surcorriger,  augmenter  l'astigmatisme  résultant  de  la  cornée,  ou 
enfin  produire  un  astigmatisme  à  lui  seul.  Cet  astigmatisme  dynamique  serait  très  fré- 
quent, surtout  chez  les  jeunes  astigmates  (de  par  la  cornée.)  Par  sa  longue  durée,  il 
pourrait  même  finir  par  octroyer  au  cristallin  une  forme  asymétrique  permanente, 
devenir  «  statique  ». 

En  tant  que  cet  astigmatisme  dynamique  pourrait  corriger  un  astigmatisme  cornéen, 
qui  aux  épreuves  visuelles  ne  devient  manifeste  que  pendant  le  repos  ou  la  paralysie  de 
l'accommodation,  on  parle  d'astigmatisme  «  latent  »,  tout  comme  on  parle  de  l'hypermé- 
tropie latente. 

Les  partisans  des  contractions  partielles,  «  astigmates  »,  du  muscle  ciliaire  ne 
manquent  pas  de  rappeler  que,  d'après  les  expériences  faites  par  Hensen  et  Voelkers 
(sur  le  chien),  la  lésion  d'un  seul  filet  des  nerfs  ciliaires  postérieurs  paralyse,  et  son  exci- 
tation fait  contracter  une  partie  isolée  du  muscle  ciliaire.  Mais  leurs  arguments  princi- 
paux sont  tirés  d'observations  faites  sur  des  yeux  humains  astigmates. 

DoBROwoLSKY,  et  à  sa  suite  beaucoup  d'oculistes  (G.  Martin,  etc.),  ont  trouvé  qu'après 
atropinisation  d'un  œil  astigmate  (paralysie  du  muscle  ciliaire),  souvent  l'astigmatisme 
(subjectif)  total  de  l'œil  est  plus  fort  ou  plus  faible,  ou  même  que  l'axe  en  est  déplacé  un 
peu.  L'atropine  n'exerçant  pas  d'action  sur  la  courbure  de  la  cornée,  ils  concluent  que, 
chez  les,  astigmates,  il  se  produit  souvent  des  contractions  partielles  du  muscle  ciliaire, 
contractions  «  astigmates  »  en  tant  qu'elles  agissent  sur  le  cristallin.  Tantôt  ces  contrac- 
tions diminuent  et  neutralisent  même  l'astigmatisme  cornéen,  tantôt  elles  l'augmentent.  Il 
peut  aussi  se  produire  ainsi,  au  dire  de  ces  auteurs,  un  astigmatisme  «  latent  »,  un  œil 
d'abord  emmétrope  aux  épreuves  visuelles  se  révélant  après  atropinisation  comme  atteint 
d'astigmatisme,  siégeant  dans  la  cornée,  ainsi  que  le  dénoterait  l'ophtalmomètre.  On  parle 
d'astigmatisme  «  dynamique  »  lorsqu'un  œil  astigmate  aux  épreuves  visuelles  apparaît 
(aux  épreuves  visuelles)  après  atropinisation,  dépouvu  d'astigmatisme.  On  cite  même  des 
cas  d'astigmatisme  où  le  méridien  maximal  est  myope,  le  minimal  emmétrope  ;  une 
contraction  astigmate,  portant  sur  le  méridien  minimal,  transformerait  l'astigmatisme 
en  myopie  simple.  Enfin,  tous  les  effets  imaginables  de  ces  contractions  astigmates  ont 
été  décrits  comme  avant  été  observés  réellement. 


790  ASTIGMATISME. 

On  compare  les  contractions  astigmates  du  muscle  ciliaire  avec  celles  qui  produisent 
rh5'permétropie  latente.  Elles  se  produisent,  toujours  au  dire  de  ces  auteurs,  chaque  fois 
que  l'individu  vent  voir  quelque  chose  ;  l'intention  de  voir  quoi  que  ce  soit  suffit  à  cet 
effet.  Elle  disparaissent,  et  avec  elles  leur  effet  sur  le  cristallin,  par  l'atropinisation,  et 
lorsque  le  sujet  laisse  errer  le  regard  sans  but  visuel,  notamment  à  l'examen  ophtal- 
moscopique  ou  skiascopique.  Cet  examen  peut  donc  les  déceler.  —  De  même  que  les 
contractions  du  muscle  ciliaire  qui  rendent  latente  l'hypermétropie,  les  contractions 
astigmates  ont  pour  but  d'améliorer  l'acuité  visuelle.  Seulement  elles  peuvent  dépasser 
le  but,  ou  même  se  produire  dans  un  sens  fautif.  —  Comme  elles  existent  à  peu  près 
toujours  à  l'état  de  veille,  on  met  sur  leur  compte  les  phénomènes  asthénopiques 
(douleurs  autour  des  yeux,  larmoiement,  etc.)  dont  se  plaignent  si  souvent  les  astig- 
mates. 

G.  Martin  distingue  même  dans  l'astigmatisme  résultant  de  contractions  partielles  du 
muscle  ciliaire  deux  parts  :  l'une  céderait  au  port  de  verres  appropriés,  et  au  moment 
où  le  sujet  n'a  pas  l'intention  de  regarder  quelque  chose  ;  l'autre  ne  céderait  qu'à  l'usage 
prolongé  de  l'atjopine. 

Les  contractions  astigmates  étant,  au  dire  de  Dobrowolsky,  etc.,  un  fait  très  général 
surtout  chez  de  jeunes  sujets,  on  a  essayé  de  les  provoquer  en  rendant  des  yeux  artifi- 
ciellement astigmates,  au  moyen  de  lunettes  cylindriques.  S'il  survenait  dans  ces  condi- 
tions des  contractions  astigmates  correctrices,  le  trouble  visuel  produit  par  l'astigma- 
tisme artificiel  devrait  disparaître.  C'est  ce  que  divers  auteurs  prétendent  avoir  observé 
réellement.  Mais  les  auteurs  en  question  n'ont  pas  pris  toutes  les  précautions  nécessaires 
pour  exclure  d'autres  facteurs  qui  pourraient  dans  ces  circonstances  neutraliser  plus  ou 
moins  l'effet  du  verre  cylindrique. 

Bdll  a  récemment  publié  une  critique  remarquable  des  travaux  que  nous  avons  en 
vue;  il  a  montré  comme  quoi  les  conclusions  de  Dobrowolsky  et  de  ses  continuateurs  ne 
s'imposent  pas. 

En  ce  qui  regarde  les  contractions  astigmates  provoquées  par  le  port  de  verres  cylin- 
driques, Bull  montre  qu'il  se  peut  que  la  neutralisation  du  verre  cylindrique  soit  obtenue 
par  une  contraction  générale  du  muscle  ciliaire  qui  rend  verticaux  tous  les  cercles  de 
diffusion,  et  alors  ceux-ci  sont  supprimés  par  un  clignotement  qui  transforme  la  fente 
palpébrale  en  fente  sthénopéique.  Le  même  phénomène  se  produit  dans  beaucoup  de 
cas  d'astigmatisme  réel  ou  apparent,  dans  lesquels  l'atropinisation  aurait  diminué, 
quelquefois  même  augmenté  l'astigmatisme,  ou  bien  dans  ceux  où  le  port  de  verres 
cylindriques  aurait  à  la  longue  diminué  l'astigmatisme  subjectif.  Ici  encore  Bull  fait 
voir  comment  la  plupart  du  temps  une  variation  survenue  entre  temps  dans  l'accom- 
modation totale,  aidée  ou  non  d'un  clignotement,  explique  les  phénomènes  au  moins 
aussi  bien  que  l'hypothèse  d'une  contraction  astigmate  du  muscle  ciliaire.  Des  observa- 
tions de  ce  genre  peuvent  même  être  faites  dans  les  3'eux  privés  de  cristallin  (opérés  de 
cataracte). 

La  réalité  d'efforts  accommodateurs  à  peu  près  constants  chez  les  astigmates,  jeunes 
surtout,  semble  mise  hors  de  doute.  Seulement,  ce  sont  des  efforts  étendus  à  tout  le 
muscle  ciliaire.  D'après  les  observations  de  Bull,  ils  ont  réellement  pour  effet  d'aug- 
menter souvent  l'acuité  visuelle,  ne  fût-ce  qu'en  obtenant  de  faire  tomber  une  des  lignes 
focales  sur  la  rétine.  Souvenons-nous  aussi  que  les  objets  que  nous  regardons  ,ont  les 
lignes  de  contour  les  plus  diverses,  et,  pour  les  voir  le  plus  nettement  possible,  l'astig- 
mate trouve  avantage  à  faiire  tomber  sur  la  rétine,  tantôt  la  première,  tantôt  la  seconde 
ligne  focale,  ce  qui  ne  peut  s'obtenir  que  par  une  modification  de  l'accommodation.  Cette 
nécessité  de  modifier  incessamment  l'accommodation  (totale)  existe  même  pour  les  yeux 
myopes  qui  sont  astigmates  en  même  temps,  alors  que  dans  la  myopie  simple  l'accom- 
modation est  généralement  superflue.  Mais  le  problème  de  l'accommodation  est  des  plus 
compliqués  chez  l'astigmate,  et  on  se  figure  aisément  des  cas  où  d'aucune  façon  elle  ne 
saurait  améliorer  la  vision,  et  où  même  elle  l'empire,  par  exemple  dans  l'astigmatisme 
myopique.  Quoi  d'étonnant  alors  à  ce  que  le  muscle  ciliaire,  surmené,  entre  en  une  con- 
traction tétanique,  spasmodique,  et  simule  de  la  myopie,  cas  qui  s'observe  réellement? 
L'asthénopie,  les  phénomènes  douloureux,  les  obscurcissements  passagers  de  la  vue, 
l'apparition  d'un  état  névrosique  pouvant  aller,  au  dire  de  certains  auteurs,  jusqu'à  la 


ASTIGMATISME.  791 

névrose  grave,  tout  cela  se  comprend  sans  qu'on  soit  forcé  de  recourir  à  l'iiypothèse  des 
contractions  astigmatiques  du  muscle  ciliaire. 

Les  expériences  faites  sur  des  yeux  avec  et  sans  atropinisation  sont  du  reste  entachées 
d'une  autre  cause  d'erreur.  Il  suffisait  à  certains  cliniciens  de  constater  aux  épreuves 
visuelles  une  différence  dans  l'astigmatisme  total  avant  et  après  atropinisation  de  l'œil 
pour  mettre  la  différence  au  compte  du  muscle  ciliaire,  que  l'atropine  paralyse;  on 
négligeait  même  souvent  de  mesurer  la  courbure  cornéenne  à  l'ophtalmomètre.  Or 
l'atropine  produit  dans  l'œil  encore  d'autres  changements  importants  au  point  de  vue 
dioptrique.  Elle  dilate  notamment  la  pupille  et  démasque  ainsi,  pour  la  lumière  inci- 
dente, des  portions  plus  périphériques  de  la  cornée  et  du  cristallin,  dont  la  réfraction 
diffère  souvent  notablement  de  celle  des  parties  avoisinant  l'axe  optique;  il  peut  en 
résulter  une  modification  de  l'acuité  visuelle,  qui  est  une  fonclioii  de  la  réfraction  de 
tous  les  rayons  lumineux  qui  pénètrent  dans  l'œil. 

Jackson  a  reconnu  par  l'examen  skiasoopique  que  très  souvent  la  réfraction  d'une 
partie  périphérique  du  champ  pupillaire  (avec  la  pupille  un  peu  dilatée)  est  sensible- 
ment différente  de  celle  du  centre.  Une  partie  de  cette  inégalité  de  réfraction  peut  reve- 
nir au  cristallin.  Mais  Sulzer  a  démontré  récemment  que  la  cornée  y  entre  aussi  pour 
une  large  part.  A  l'aide  de  mensurations  ophtalmométriques,  cet  auteur  a  démontré  que 
très  souvent  la  cornée  est  loin  de  présenter  la  courbure  d'un  ellipsoïde  de  révolution, 
ou  même  celle  d'un  ellipsoïde  à  trois  axes  (dans  le  cas  d'astigmatisme)  telle  que  nous 
l'avons  supposée  dans  ce  qui  précède.  La  cornée  peut  avoir  une  courbure  à  peu  près 
idéale,  si  on  ne  considère  qu'une  aire  de  deux  millimètres  autour  du  centre  cornéen. 
Mais  cette  régularité  n'existe  plus  si  on  envisage  une  plus  grande  aire  cornéenne,  telle 
qu'elle  est  utilisée  dans  la  vision  d'un  œil  atropine.  Un  méridien  donné  diffère  beaucoup 
d'une  ellipse;  ses  deux  branches,  prises  à  partir  du  centre  cornéen,  ont  ordinairement  des 
courbures  inégales,  ce  qui  produit  de  l'astigmatisme  irrégulier.  A  notre  point  de  vue 
actuel,  il  importe  de  relever  surtout  les  conclusions  suivantes  du  travail  de  Sulzer  : 
i°  Des  cornées,  ne  présentant  pas  d'astigmatisme  dans  les  parties  centrales,  sont  astig- 
matiques dans  leurs  parties  périphériques.  2°  Les  diverses  zones  périphériques  d'une 
cornée  astigmatique  présentent  des  degrés  différents  d'astigmatisme,  différents  de  celui 
des  parties  centrales.  3°  Les  parties  périphériques  des  cornées  sans  astigmatisme  ce'ntral 
présentent  la  plupart  du  temps  un  astigmatisme  contraire  à  la  règle.  4°  Les  parties 
périphériques  des  cornées  à  astigmatisme  central  un  peu  fort  sont  plus  astigmates  que 
les  parties  centrales.  Il  en  résulte  que,  de  par  la  courbure  cornéenne,  les  yeux  sans  astig- 
matisme subjectif,  lorsque  leur  pupille  est  étroite,  présentent,  après  atropinisation,  un 
faible  astigmatisme  subjectif  contraire  à  la  règle,  l'astigmatisme  subjectif  d'un  œil  à 
pupille  étroite  peut,  après  atropinisation,  être  diminué,  corrigé,  ou  renversé,  ou  enfin 
augmenté;  enfin,  l'axe  de  l'astigmatisme  subjectif  peut  être  déplacé  après  atropinisation. 
Dès  lors  une  conclusion  s'impose.  Les  matériaux  amassés  par  les  cliniciens,  par  la 
détermination  de  l'astigmatisme  total  subjectif,  avec  et  sans  l'atropinisation  de  l'œil,  ne 
prouvent  rien  dans  la  question  de  l'astigmatisme  cristallinien,  et  surtout  dans  celle  de 
l'astigmatisme  cristallinien  dynamique  résultant  de  contractions  partielles  du  muscle 
ciliaire.  Bien  qu'ils  ne  soient  pas  dépourvus  de  toute  valeur,  ils  ont  besoin  d'une  revision 
critique  sérieuse,  qui  peut-être  ne  pourra  guère  être  tentée  fructueusement  avant  que 
nous  disposions  d'un  moyen  pratique  pour  mesurer  la  courbure  des  faces  du  cristallin 
dans  différents  méridiens.  La  plupart  du  temps,  les  écarts  constatés  entre  l'astigmatisme 
subjectif  avec  et  sans  atropinisation  sont  d'une  valeur  telle  qu'ils  peuvent  s'expliquer 
parfaitement  par  la  différence  de  courbure  existant  entre  la  périphérie  et  le  centre  cor- 
néen. 

En  résumé  donc,  les  faits  allégués  par  Dobrowolsky,  G.  Martin,  etc.,  ne  sont  pas  dé- 
monstratifs dans  la  question  des  contractions  astigmates  du  muscle  cUiaire.  Il  est  prouvé 
dès  maintenant  que  dans  un  grand  nombre  de  cas  de  l'espèce,  il  ne  s'agissait  nullement 
de  contractions  astigmates  du  muscle  ciliaire. 

Voici  encore  quelques  points  relatifs  à  l'astigmatisme  régulier,  et  qui  n'ont  pas  trouvé 
place  dans  ce  qui  précède. 

Degré  de  Tastigmastisiue.  —  L'asymétrie  astigmate  de  l'œil,  mesurée  par  la  dif- 
férence de  réfringence  dans  les  deux  méridiens  principaux,  peut  être  plus  ou  moins  pro- 


792  ASTIGMATISIVIE. 

noiicée.  De  même  que  l'hypermétropie  et  la  myopie,  l'astigmatisme  peut  être  repré- 
senté par  le  verre  qui  corrige  rasj'métrie.  L'astigmatisme  est  évalué  par  le  verre  cylin- 
drique (positif  ou  négatif)  qui  fait;  disparaître  l'inégalité  de  réfringence  dans  les  deux 
méridiens  pi'incipaux.  Il  peut  y  avoir  en  même  temps  hypermétropie  ou  myopie  totale 
de  l'œil,  mais  cela  n'entre  pas  en  ligne  de  compte  pour  l'évaluation  de  l'astigmatisme. 

Quant  à, l'évaluation  du  pouvoir  réfringent  des  lentilles  cylindriques,  elle  se  fait  de  la 
même  façon  que  celle  des  lentilles  sphériques  (voyezà  l'article  Hypermétropie),  au  moyen 
des  distances  focales  des  lentilles  à  comparer.  Les  pouvoirs  réfringents  de  différentes 
lentilles  à  comparer  sont  inversement  proportionnels  aux  distances  focales  de  ces  mêmes 

lentilles  Fï'  :  =  —  ;  et  D/'^  — .  Une  lentille  deux,  quatre,  etc.,  fois  plus  réfringente  qu'une 

autre  a  une  distance  focale  qui  n'est  que  la  moitié,  le  quart,  etc., de  celle  de  la  dernière. 

Les  ophtalmologistes  comparent  toutes  les  forces  réfringentes  à  celle  d'une  lentille 
ayant  un  mètre  de  distance  focale.  Celle-ci  est  donc  prise  comme  unité;  on  lui  donne 
le  nom  de  dioptrie.  Des  lentilles  ayant  deux,  trois,  etc.,  mètres  de  distance  focale  ont 
des  pouvoirs  réfringents  de  1/2,  de  un  tiers,  etc.,  de  dioptrie.  Ce  sont  là  les  lentilles  les 
plus  faibles  dont  on  tienne  compte  en  pratique;  plus  faibles,  elles  n'influencent  plus  la 
vision  d'une  manière  sensible.  Des  lentilles  de  deux,  trois,  cinq,  etc.,  dioptries  (de  2,  3, 
!j  unités  de  force  réfringente)  ont  des  distances  focales  de  1/2,  1/3,  I/o,  etc.,  de 
mètre.  Ce  qui  se  détermine  aisément  en  pratique,  c'est  la  distance  focale.  Celle-ci  alors 
sert  à  calculer  la  force  réfringente  en  dioptries. 

Les  verres  correcteurs  de  l'oculiste  sont  numérotés  dans  le  système  des  dioptries.  Le 
verre  correcteur  qu'il  trouve  corriger  l'astigmatisme  lui  donne  du  même  coup,  exprimé 
en  dioptries,  le  degré  de  l'astigmatisme.  Supposons  des  astigmatismes  qui  sont  corrigés 
par  des  verres  cylindi-iques  de  1,  2,  3  dioptries.  La  valeur  dioptrique  de  ces  astigma- 
tismes sera  de  1,  2,  3  dioptries. 

De  môme,  à  l'examen  skiascopique,  la  différence  des  deux  verres  qui  corrigent  les 
deux  méridiens  principaux  donne  la  valeur  de  l'astigmatisme,  exprimée  en  dioptries. 

Quand  aux  valeurs  absolues  des  astigmatismes  qu'on  observe  réellement,  il  est  excep- 
tionnel d'en  rencontrer  de  cinq  et  six  dioptries  et  même  plus  (corrigés  par  des  verres  de  20, 
18  et  de  16  centimètres  de  distance  focale).  Un  astigmatisme  de  deux  dioptries  est  déjà 
qualifié  de  fort.  Un  œil  emmétrope,  muni  d'un  tel  verre,  n'a  qu'une  acuité  visuelle  qui  n'est 
que  la  moitié  de  la  normale,  quatre  dioptries  la  réduisent  à  un  septième.  Une  dioptrie 
d'astigmatisme  est  déjà  très  sensible  à  la  vision.  Un  astigmatisme  de  1/2  et  de  d/4  de 
dioptrie  (corrigé  par  un  verre  de  2  et  de  4  mètres  de  distance  focale)  ne  produit  pas  une 
diminution  bien  sensible  de  l'acuité  visuelle.  Mais,  de  même  que  les  astigmates  plus 
forts,  ces  sortes  de  gens  se  plaignent  souvent  beaucoup  de  ce  que  la  lecture  est  fatigante, 
occasionne  des  douleurs  du  front,  du  larmoiement,  etc.,  bref,  ils  accusent  les  symptômes 
dits  asthénopiques.  Selon  toutes  les  apparences,  la  cause  des  phénomènes  asthénopiques 
réside  dans  des  contractions  pins  ou  moins  spasmodiques  du  muscle  ciliaire.  Nous 
avons  vu  plus  haut  que  l'astigmatisme,  même  myopique,  donne  lieu  à  des  contractions 
incessamment  variées  du  muscle  ciliaire,  à  l'effet  de  faire  tomber  ou  de  rapprocher 
le  plus  possible  de  la  rétine,  tantôt  l'une,  tantôt  l'autre  ligne  focale,  de  préférence  même, 
si  c'est  possible,  la  ligne  verticale.  Pour  beaucoup  d'objets,  ces  efforts  accommoda- 
teurs  améliorent  la  vision,  surtout  s'ilb  sont  aidés  du  clignotement  des  paupières.  De 
même  que  dans  l'hypermétropie,  l'attention  de  voir  quelque  chose  suffit  bientôt  pour 
faire  contracter  le  muscle  ciliaire.  Cette  contraction  permanente  doit  donner  lieu  aux 
phénomènes  d'asthénopie  (larmoiement,  douleurs,  etc.),  tout  comme  dans  l'hypermé- 
tropie; et  les  verres  correcteurs  les  font  disparaitre.il  semble  même  que,  dans  l'astig- 
matisme, ces  contractions  deviennent  souvent  comme  spasmodiques,  dépassent  le  but, 
probablement  parce  que  dans  telles  circonstances,  par  exemple  avec  une  direction 
déterminée  des  lignes  de  contour  des  objets,  l'effet  voulu,  c'est-à-dire  la  vision  nette, 
ne  saurait  être  obtenu  par  aucune  contraction  du  muscle  ciliaire  dans  son  ensemble.  Il 
semblei'ait  aussi  que  le  clignotement  longtemps  continué  peut  suffire  à  lui  seul  pour 
produire  des  sensations  douloureuses. 

Un  faible  degré  d'astigmatisme  régulier,  de  un  quart  de  dioptrie  environ  (4  mètres 
de  distance  focale),  peut  être  décelé  dans  à  peu  près  tous  les  yeux  réputés  normaux. 


ASTIGMATISME.  793 

Une  preuve  en  a  été  déjà  donnée  plus  haut,  à  l'aide  des  cercles  concentriques.  Ce  faible 
astigmatisme  de  tout  œil  ressort  aussi  de  ce  fait  que  tous  les  yeux  voient  avec  une  netteté 
inégale  des  systèmes  de  lignes  parallèles,  difïéremment  orientés,  ou  enfin  des  lignes 
disposées  en  étoile.  — ■  Donders  donne  de  cet  astigmatisme  faible,  propre  à  tout  œil,  la 
preuve  suivante.  Pendant  qu'on  regarde  des  épreuves  visuelles  à  distance,  on  tourne 
autour  de  son  axe  optique  un  verre  cylindrique  très  faible,  de  un  quart  de  dioptrie  par 
exemple  placé  au-devant  de  l'œil.  On  remarquera  que  dans  une  orientation  du  cylindre 
l'acuité  visuelle  est  un  peu  augmentée,  et  diminuée  dans  une  autre,  perpendiculaire 
à  la  première.  Évidemment,  si  la  réfraction  était  la  même  dans  tous  les  méridiens  de 
l'œil,  on  devrait  voir  à  peu  près  également  bien  (ou  mal)  avec  toutes  les  orientations 
du  cylindre.  Dans  une  position  le  cylindre  corrige,  et  dans  l'autre  il  renforce  l'astig- 
matisme régulier  dont  tout  œil  est  affecté. 

Les  astigmates  se  plaignent  souvent  de  polyopie  (monoculaire).  Avec  un  seul  œil,  ils 
voient  doubles,  triples,  des  points  et  des  lignes.  L'astigmatisme  régulier  n'est  guère 
capable  à  lui  seul  de  produire  le  phénomène.  Ce  dernier  est  une  conséquence  de  l'astig- 
matisme irrégulier  dont  les  yeu-x  de  ce  genre  sont  tous  atteints.  L'astigmatisme  régulier 
non  corrigé  est  une  circonstance  favorable  à  la  manifestation  de  cette  polyopie  (Voyez 
plus  bas  Astigmatisme  irrégulier). 

L'astigmatisme  régulier,  même  s'il  est  fort,  est  une  malformation  congénitale  et  sou- 
vent héréditaire.  Le  vieillard  est  aussi  astigmate  qu'il  l'était  comme  enfant.  Seulement, 
avec  la  diminution  de  l'accommodation  résultant  de  l'âge,  ie  trouble  visuel  devient  plus 
appareiit.  L'anomalie  est  souvent  héréditaire  :  un  enfant  issu  de  parents  fortement 
astigmates  a  beaucoup  de  chance  de  l'être  à  son  tour;  et,  si  on  rencontre  un  astigmate 
dans  une  famille,  il  est  plus  que  probable  qu'il  y  en  a  encore  d'autres.  D'après  L.vndolt, 
DE  'Wecker,  etc.,  les  astigmates  présenteraient  souvent  des  asymétries  notables  de  la 
face  et  du  crâne  :  la  cause  dernière  produisant  l'asymétrie  oculaire  devrait  donc  être 
recherchée  dans  le  développement  embryonnaire.  A  ce  point  de  vue  nous  avons  plus 
haut  appelé  l'attention  sur  l'inlluence  exercée  sur  l'œil  par  la  pression  des  paupières. 
On  a  aussi  incriminé,  sans  grand  succès,  l'influence  des  contractions  des  muscles  droits 
de  l'œil. 

Souvent  les  deux  yeux  sont  astigmates  à  la  fois;  et  alors  ordinairement  les  axes  de 
l'astigmatisme  sont  symétriques. 

Très  souvent,  malgré  la  correction  la  plus  soignée,  l'acuité  visuelle  de  l'œil  astigmate 
reste  défectueuse.  Cette  »  amblyopie  astigmatique  »,  on  l'a  souvent  mise  sur  le  compte 
d'une  malformation  congénitale,  d'un  développement  défectueux  du  fond  de  l'œil, 
spécialement  des  éléments  rétiniens.  Jusqu'à  plus  ample  informé,  il  est  plus  rationnel 
de  la  mettre  sur  le  compte  des  anomalies  concomitantes  des  courbures  cornéennes  et 
cristalliniennes  qui  ne  se  laissent  pas  corriger  par  des  verres  cylindriques.  C'est  là  de 
l'astigmatisme  irrégulier,  anomalie  dont  chaque  œil  est  plus  ou  moins  atteint  et  qui 
est  particulièrement  prononcée  dans  les  yeux  affectés  d'astigmatisme  régulier. 

Dans  ce  qui  précède,  nous  n'avons  parlé  que  de  l'astigmatisme  régulier  congénital, 
qui  est  l'état  physiologique  de^  certains  yeux.  Une  asymétrie  cornéenne  produisant  de 
l'astigmatisme  régulier  est  très  souvent  la  conséquence  d'ulcères  ou  de  plaies  acciden- 
telles ou  opératoires  (iridectoraie,  extraction  de  la  cataracte)  de  la  cornée,  et  souvent 
dans  une  mesure  très  prononcée.  Cet  astigmatisme  acquis,  qui  du  reste  peut  être  souvent 
corrigé  avec  avantage,  est  du  domaine  de  la  pathologie. 

Signalons  enfin  que  les  yeux  des  mammifères,  et  spécialement  des  mammifères 
domestiques,  sont  toujours  affectés  de  degrés  très  notables  d'astigmatisme  cornéen 
(régulier)  et  d'astigmatisme  irrégulier  ayant  son  siège  dans  le  cristallin  (Berlin). 

Historique.  —  La  connaissance  pratique  de  l'astigmatisme  régulier  date  de  l'an- 
née 1862,  de  l'apparition  à  peu  près  simultanée  des  travaux  de  Donders  et  de  K,n.^.pp. 
Mais  ici  se  reproduit  le  fait  bien  connu  :  à  chaque  nouvelle  découverte  il  se  trouve 
qu'elle  a  été  entrevue  ou  môme  effectuée  plus  ou  moins  par  des  prédécesseurs.  Seule- 
ment, pour  des  raisons  très  diverses,  leurs  démonstrations  n'ont  pas  été  assez  complètes 
pour  s'imposera  l'attention  du  monde  savant.  Les  annales  de  la  science  signalent  Thomas 
YouNG  comme  un  précurseur  devançant  de  loin  son  siècle,  en  cette  question  comme  en 
beaucoup  d'autres.  En  1793,  il  décrivit  [Philos.  Transact.,  t.  lxxxiii,  p.  169)  son  propre 


79i  ASTIGMATISME. 

astigmatisme  régulier  qu'il  mit  sur  le  compte  du  cristallin;  il  supposa  la  lentille  décen- 
trée. Parmi  les  savants  qui,  dans  la  suite,  décrivirent  l'astigmatisme  oculaire,  citons 
GouLiER,  officier  d'artillerie  à  Metz,  qui  envoya,  en  1852,  à  l'Académie  des  sciences  un  pli 
cacheté  dans  lequel  furent  signalées  la  fréquence  de  l'astigmatisme  et  la  manière  de  le 
corriger  à  l'aide  de  verres  cylindriques.  Le  contenu  de  ce  pli  fut  publié  en  1865.  Voyez 
du  reste  l'histoire  ancienne  et  détaillée  de  l'astigmatisme  dans  Donders  (A?iomai(es  de  la 
réfrarMon,  etc.,  1866)  et  dans  Javal  [Ann.  d'OcuL,  1866,  p.  lOo). 

Un  travail  capital  en  la  question  fut  celui  du  mathématicien  Sturm,  qui  (C.  R.,  t.  xx, 
pp.  oo4,  767)  développa  la  théorie  mathématique  de  la  réfraction  sur  des  surfaces 
asymétriques. 

Son  travail  fut  utilisé  plus  tard  par  Donders  et  Knapp  et  forme  encore  aujourd'hui  la 
base  mathémathique  de  l'astigmatisme. 

Ce  furent  donc  Donders  et  Knapp  qui  firent  voir  à  tout  le  monde  l'importance  théo- 
rique et  pratique  de  l'astigmatisme  oculaire.  Depuis  leurs  mensurations  ophtalmo- 
métriques on  savait  bien  que  cette  anomalie  a  surtout  son  siège  dans  la  cornée.  Mais 
la  détermination  pratique  de  l'astigmatisme  était  toujours  très  laborieuse,  vu  qu'elle 
était  basée  à  peu  près  exclusivement  sur  des  procédés  subjectifs.  Le  mérite  d'avoir 
inventé  des  procédés  pratiques  pour  déterminer  objectivement  l'astigmatisme  revient 
à  deux  savants  français.  En  1881,  Javal  nous  dota  de  son  ophtalmomètre,  qui  permit  de 
résoudre  une  foule  de  questions  relatives  à  l'astigmatisme.  Mais  dès  1874,  Cuignet 
avait  publié,  sous  le  nom  de  kératoacopie,  son  procédé,  si  ingénieux  et  si  facile  à  mettre 
en  pratique.  Landolt,  Pare.\t,  Chibret,  Zieminsri  et  d'autres  en  développèrent  la 
théorie  et  fixèrent  les  règles  pratiques  de  son  emploi.  Cuignet  employa  le  nom  de 
kératoscopie.  Parent  préféra  celui  de  «  rétinoscopie  »,  et  Chibret  celui  de  «  skiascopie  » 
(de  oxi'a,  ombre). 

En  1868,  DoBROwoLSKY  suscita  la  question  des  contractions  astigmates  du  muscle.  Il 
convient  de  citer  encore  G.  Martin,  Bull,  Tcherning,  Sulzer,  etc.,  comme  ayant  pris 
une  large  part  aux  discussions  qui  durent  toujours  sur  ce  dernier  point. 

Bibliographie  de  l'astigmatisme  régulier.  —  A.  et  R.  Ahrens.  Neue  Yersieche 
ùber  anisomorphe  Akkommod.  (Klin.  MonaMA.,  1889,  p.  291).  —  G.-J.  Bull.  Dm  rapport  de 
la  contraction  irrégul.  du  muscle  ciUaire  avec  Vast.  {Ann.  d'OcuL,  février  1892).  —  Chaenley. 
On  the  theory  of  the  so  called  kératoscopie  {Ophlh.  Ho.sp.  Rep.,  t.  x,  p.  2o7).  —  Ccignet. 
Kératoscopie  {Rec.  d'Opht.,  1873,  p.  14;  1874,  p.  316;  1877,  p.  39;  1880,  juin,  et  Soc.  franc. 
d'Opht.,  1887,  p.  23).  —  Chibret  (Ann.  d'OcuL,  nov.  1882;  Arch.  dOpht.,  1886,  p.  146  et 
1890).  —  DoBROwoLSKY.  Ucber  die  Verdnder.  des  Ast.,  etc.  (Arch.  f.  Opht.,  1868,  p.  al). 

—  Donders.  Astigm.  en  cylindr.  glazen  (in  Comptes  rend,  de  la  clinique  opht.  d'Vtrecht, 
1862).  L'ensemble  des  recherches  de  Donders  est  consigné  dans  les  Anomalies  de  la  réfrac- 
tion et  de  l'accommod.,  publiées  en  1864  par  la  Sydenham  Society;  traduction  allem. 
en  1866,  Vienne.  —  Helmholtz.  Optique  physioL,  éd.  franc.  1867,  Paris.  —  Eow.  Jackson. 
Symmetr.  aberrat.  of  the  eye  (Transact.  of  the  americ.  ophth.  Soc,  1888,  p.  141).  — 
Javal  n'a  cessé  de  s'occuper  d'une  manière  prépondérante  de  la  question  de  l'astig- 
matisme régulier;  ses  nombreux  travaux  sont  épars  dans  les  revues  et  les  comptes 
rendus  des  congrès.  L'ophtalmomètre  de  Javal  et  Schiôtz  fut  décrit  sous  sa  forme  pri- 
mitive en  1882.  Sous  sa  dernière  forme,  l'instrument  est  décrit  dans  les  Bull.  Soc.  franc, 
d'opht.,  1889,  p.  91.  Voir  aussi  Contrib.  à  l'ophtalmométrie  (Ann.  d'OcuL,  1881, juillet  1882, 
p.  213,  1883,  p.  1). —  L'Ophtalmométric  clinique  (in  Livre  jubilaire  de  EEL}iEoi.TZ,  1891).  — 
Knapp.  Ueber  die  Asymétrie  des  Auges,  etc.  (Arch.  f.  Ophth.,  1862,  pp.  108,  220  et  333).  — 
C.-J.-A.  Leroy.  Théorie  de  l'astigm.  (Arch.  d'Opht.,  t.  i,  1881).  —  Influence  des  muscles  de 
l'œil  sur  la  forme  normale  de  la  cornée  humaine  (C.  R.,  1888,  n°  18,  et  A.  P.,  1889,  p.  14). 

—  Landolt.  Astigmatisme  (dans  le  Traité  complet  d'ophtalm.  publié  pai'  de  Wecker  et 
Landolt,  1883).  —  Mauthner.  Die  optischen  Fehler  des  Aiujes,  Vienne,  1872-1873,  p.  706.  — 
MiDDELBURG  (et  DoNDERs).  De  Zitjilaats  van  het  Astigmatisme  (Compte  rendu  de  la  clinique 
opht.cVTJtrecht,  1863).  — Mangin.  De  la  kératoscopie  (Rec.  d'Opht.,  avril  1873).  —  G.  Martin. 
Études  sur  les  contractions  astigmates  chi  muscle  ciliaire  (Ann.  d'OcuL,  1887,  pp.  o,  142 
et  277;  1886,  p.  217).  —  Nouvelles  études  sur  les  contractions  astigmates.  Paris,  1888.  — 
Nagel.  Astigmatisme  cristallinien  chez  les  animaux  (Zeitschr.  f.  vergleichemie  Augenheil- 
kunde,  1887,  p.  1).  —  Priestley  Smith.  Transient  Astigmatism  due  to  paralysis  of  ocular 


ASTIGMATISME.  793 

miiscks  [Ophth.  revieiv,  I880,  p;  334).  —  Pabent.  De  la  MratoscOTpie  {Rec.  d'Opht.,  1880, 
pp.  62  et  424).  —  Diagnostic  et  délennin.  de  l'nstigm.  Paris,  1881,  p.  13.  — Placido.  Nouvel 
instrument  pour  la  recherche  rapide  des  irrégularités  de  courbure  de  la  cornée,  etc.  [Period. 
di  oftal.  pyatica,  1880).  —  W.  Raeder.  Ueber  Entstehimg  des  Astigmatismus  {Centralbl.  f. 
Augenheilk.,  1888,  p.  138).  —  Sulzer.  La  forme  de  la  cornée  humaine  et  son  influence  sur 
la  vision  {Soc.  franc,  d'opht.,  6  mai  1891,  et  A/'c/t.  d'Op/ii.,  déc.  1891,  et  janvier  1892,  p.  32). 
—  TcHERNiNG.  Une  nouvelle  méthode  pour  mesurer  les  rayons  de  courbure  du  cristallin 
décentré  {Soc.  franc.  cVopht.,  8  mai  1890).  — Notice  sur  un  changement,  etc.,  que  subit  le 
cristallin  pendant  l'accommodation  {Arch.  d'ophtalm.,  1892,  p.  168).  —  Sur  la  position 
du  cristallin  de  l'ceil  humain  {Soc.  franc,  d'opht.,  1889,  p.  78).  —  De  Wegker  et  Masselon. 
Astigmomètre  {Ann.  d'Ocul.,  juillet  1882).  —  Zieminski.  Détermination  du  degré  de  l'amé- 
tropie  par  la  rétinoskiascopie  {Soc.  franc,  d'opht.,  1887,  p.  29). 

Astigmatisme  irrégulier.  —  Dans  l'œil  théoriquement  normal,  les  rayons  lumi- 
neux homocentriques  se  réunissent,  après  réfraction,  en  un  point,  en  un  foyer  punctiforme. 
Dans  l'œil  aflecté  d'astigmatisme  régulier,  il  en  est  de  même  pour  les  rayons  homocen- 
triques réfractés  dans  un  méridien  (principal),  à  l'exclusion  des  autres;  l'anomalie 
astigmatique  peut  être  supposée  obtenue,  dans  ce  cas,  par  l'addition  d'une  valeur  diop- 
trique  cylindrique  au  système  normal,  sphérique.  Enfin,  l'astigmatisme  régulier  est  tel 
qu'on  peut  le  neutraliser  au  moyen  de  verres  cylindriques  appropriés  :  il  est  établi 
d'après  certaines  règles  simples,  d'où  le  nom  de  «  régulier  »  qu'on  lui  a  donné. 

On  pouvait  prévoir  que  des  milieux  dioptriques  organisés  ne  réaliseront  guère  les 
conditions  nécessaires  pour  l'obtention  d'une  réfraction  aussi  parfaite  que  le  supposent 
les  yeux  théoriquement  normaux,  ou  même  affectés  d'astigmatisme  régulier.  Effective- 
ment, dans  tous  les  yeux,  la  réfringence  de  chaque  méridien  est  telle  que  non  seule- 
ment les  rayons  homocentriques  qui  le  traversent  ne  se  réunissent  plus  en  un  foyer 
punctiforme,  mais  encore  que  l'une  des  moitiés  du  méridien  a  une  réfringence  différente 
de  celle  de  l'autre.  L'anomalie  ne  saurait  être  corrigée  ni  par  des  verres  sphériques,  ni 
par  des  verres  cylindriques.  Les  imperfections  de  ce  genre,  inhérentes  à  des  degrés 
divers  à  tous  les  yeux,  sont  réunies  sous  le  nom  générique  d'astigmatisme  irrégulier. 

L'astigmatisme  irrégulier  ne  comprend  donc  pas  l'aberration  de  sphéricité,  anoma- 
lie dont  tout  œil  est  également  affecté,  et  qui  consiste  en  ceci  :  les  rayons  homocen- 
triques qui  traversent  une  lentille  biconvexe  ordinaire  ne  se  réunissent  en  un  foyer  punc- 
tiforme que  s'ils  passent  par  une  petite  partie  centrale,  autour  de  l'axe  optique.  Ceux 
qui  traversent  des  parties  plus  périphériques  de  la  lentille  coupent  l'axe  optique  plus 
près  de  la  lentille.  —  L'image  d'un  point  formée  sur  un  écran  par  des  rayons  traversant 
un  large  champ  de  la  lentille  doit  être  toujours  diffuse,  même  si  l'écran  est  placé  dans 
le  foyer  principal.  —  Des  phénomènes  de  cette  aberration  existent  dans  chaque  œil,  si 
la  pupille  est  un  peu  larg:e.  Ils  sont  moins  prononcés,  ou  même  font  défaut  si  la  pupille 
est  étroite.  Dans  un  tel  système,  la  réfraction  est  symétrique,  par  rapport  à  l'axe  optique, 
non  seulement  dans  un  seul  méridien,  mais  dans  tous;  et  de  plus  les  différents  méridiens 
se  ressemblent.  Chaque  zone  concentrique  autour  du  centre  de  la  lentille  a  un  foyer  à 
part,  situé  sur  l'axe  optique,  d'autant  plus  rapproché  de  la  lentille  que  la  zone  est  plus 
périphérique.  Dans  l'astigmatisme  irrégulier,  cette  symétrie  autour  de  l'axe  optique 
n'existe  plus;  différents  segments  des  zones  concentriques  du  système  dioptrique  ont  des 
foyers  à  part,  et  l'asymétrie  ne  peut  plus  être  sensée  réalisée  par  l'addition  d'une  lentille 
cylindrique  à  un  système  réfringent  sphérique. 

D'une  manière  générale,  l'astigmatisme  irrégulier,  quel  qu'en  soit  le  siège,  aura  pour 
effet  de  diminuer  l'acuité  visuelle,  puisqu'il  rend  les  images  rétiniennes  plus  ou  moins 
diffuses.  Des  phénomènes  plus  caractéristiques  seront  la  vision  double,  triple,  etc.,  d'un 
point  {polijopie  monoculaire.)  Il  faut  dès  lors  opérer  avec  un  seul  point  lumineux,  pour 
éviter  que  les  doubles  images  de  points  lumineux  voisins  ne  se  superposent  sur  la  rétine, 
ce  qui  embrouillerait  les  phénomènes. 

Il  s'agit  avant  tout  d'examiner  les  apparences  visuelles  que  revêt  un  point  clair  sur 
fond  obscur  (ou  vice  versa),  d'abord  au  delà  de  la  distance  de  la  vision  distincte,  et  enfin 
en  deçà  de  cette  limite,  de  plus  en  plus  près  de  l'œil.  — Pour  pouvoir  placer  le  point,  ou 
un  petit  disque  lumineux  au  delà   du  punctum  remotum,   il  faut   opérer  sur   un   œil 


796 


ASTIGMATISME. 


myope,  ou  rendu  mj'ope  pur  l'apposition  d'un  verre  sphérique  posilif.  Le  point  lumi- 
neux (sur  fond  noir)  sera  donné,  par  exemple,  par  des  grains  de  craie  grattée,  soit  par 
un  retlet  lumineux  quelconque  punctiforme,  pj-oduit  par  un  corps  brillant,  une  goutlelette 
de  mercure,  par  exemple,  soit  encore  par  l'image  que  produit  une  lentille  positive  d'une 
lumière  placée  assez  loin.  Certains  détails  deviennent  très  apparents  si  on  remplace  le 
point  par  un  disque  éclairé  d'un  centimètre  de  diamètre,  qu'on  regarde  à  la  distance  de 
5  mètres  avec  un  œil  rendu  faiblement  myope.  L'emploi  d'un  trou  étroit  percé  dans 
un  écran  opaque  ne  convient  pas  à  cause  des  phénomènes  de  diffraction  qui  compli- 
queraient les  apparences  visuelles. 

Placé  dans  les  limites  de  la  vision  distincte  (entre  le  punctum  remotum  et  le  punc- 
lum  proximum),  le  point  lumineux  paraît  à  peu  près  sous  forme  de  point.  A  peu  près, 
disons-nous,  car,  presque  sans  exception,  on  le  verra  allongé  dans  l'un  ou  l'autre  sens,  ou 
même  doublé,  triplé  selon  les  yeux.  Cette  polyopie  monoculaire  s'accuse  lorsque  le  point 
lumineux  dépasse  légèrement  les  limites  du  tei'rain  d'accommodation,  ou  lorsque  l'œil 
n'est  pas  exactement  accommodé  pour  la  distance.  Enfin,  lorsque  l'adaptation  de  l'œil 
est  défectueuse,  les  images  multiples  s'allongent  en  rayonnant  à  partir  du  centre;  il  eu 
apparaît  de  nouvelles,  etc.  En  d'autres  mots,  placé  dans  les  limites  du  terrain  d'accommo- 
dation de  l'œil  myope,  le  point  lumineux  paraît  plus  ou  moins  sous  forme  de  point; 
mais  jamais  ce  n'est  un  point  mathématique;  souvent  il  est  double,  triple  :  cela  dépend 
des  yeux.  Au  delà  du  punctum  remotum  et  en  deçà  du  punctum  proximum,  chaque  fois 
enfin  que  l'œil  n'est  pas  adapté  pour  sa  distance,  le  point 
lumineux  paraît  sous  forme  d'un  cercle  de  diffusion,  d'un 
disque  pâle  a  bord  frangé,  d'autant  plus  grand  que  l'adap- 
tation de  l'œil  pour  sa  distance  est  moins  exacte.  Mais  ce 
cercle,  loin  d'être  homogène,  comme  dans  le  cas  où  il  est 
foimé  par  une  lentille  biconvexe  et  reçu  sur  un  écran, 
présente  en  nombre  plus  ou  moins  grand  des  taches  plus 
lumineuses,  dont  chacune  a  son  maximum  d'intensité 
vers  le  centre  du  disque  et  envoie  des  prolongements 
rayonnes  vers  la  périphérie. 

La  figure  69  reproduit  cette  apparence  telle  qu'elle  se 
FiG.  68.  présente    dans  notre  œil  droit,  le  point   lumineux   étant 

placé  au  delà  du  punctum  remotum.  Les  noirs  de  la  figure 
indiquent  les  intensités  lumineuses  relatives  du  cercle  de  diffusion.  L'éclairage  n'y  est 
nulle  part  égal  à  zéro.  Les  points  lumineux  centraux  ne  se  louchent  pas;  ils  sont  du  reste 
les  plus  clairs;  l'intensité  lumineuse  moyenne  diminue  du  centre  vers  la  périphérie.  Le 
nombre  des  points  lumineux  périphériques  augmente  avec  la  dilatation  de  la  pupille 
obtenue  en  couvrant  l'autre  œil.  On  se  convaincra  aisément  que  les  taches  plus  intenses 
correspondent  chacune  à  une  des  images  multiples  (puncti formes)  qu'on  voit  quand 
l'œil  est  adapté  pour  la  distance. 

Un  écran  qu'on  avance  au-devant  de  la  pupille  éteint  successivement  les  différents 
points,  à  commencer  du  même  côté,  si  le  point  lumineux  est  placé  au  delà  de  la  distance 
de  la  vision  distincte.  Une  petite  ouverture,  percée  dans  un  écran  opaque  promené  au- 
devant  de  la  pupille,  fait  apparaître  tantôt  l'un,  tantôt  l'autre  point  lumineux.  Dans 
ces  expériences  d'extinction  partielle,  il  devient  très  apparent  que  les  points  lumineux 
avec  leurs  rayons  ont  des  bords  colorés  :  le  bord  central  est  rouge,  le  bord  périphérique 
l'extrémité  des  rayons,  est  bleu  violacé.  —  Soit  dit  en  passant,  cette  expérience 
démontre  clairement  que  l'œil  n'est  pas  achromatique.  —  Enfin  toutes  les  apparences 
diffèrent  d'un  œil  à  l'autre,  quant  au  nombre  et  à  l'arrangement  des  points  et  des 
rayons. 

Si  le  point  lumineux  est  placé  en  deçà  du  punctum  proximum,  l'apparence  est  en 
somme  la  même,  sauf  que  la  périphérie  du  cercle  est  relativement  claire,  pour  les  rai- 
sons optiques  qui  font  que  le  cercle  de  diffusion  plus  homogène,  formé  par  une  lentille 
sphérique  dans  des  circonstances  analogues,  est  dégradé  vers  la  périphérie,  si  l'écran 
récepteur  est  en  avant  du  foyer  du  point  lumineux,  et  plus  clair  vers  la  périphérie  si 
l'écran  récepteur  est  plus  reculé  que  ce  foyer.  Un  corps  opaque  (écran)  qu'on  avance 
au-devant  de  la  pupille  éteint  maintenant  les  points  du  bord  opposé  du  disque,  et  alors 


ASTIGMATISME. 


797 


aussi  la  chromasie  des  poinls  devient  très  manifeste.  Seulement,  c'est  maintenant  le  bleu 
qui  est  vers  le  centre  du  disque,  le  bord  péripbérique  est  rouge.  En  somme,  les  différents 
secteurs  du  cercle  sont  de  véritables  spectres. 

Lorsqu'on  place  une  parcelle  lumineuse  très  petite  en  deçà  du  terrain  de  la  vision 
distincte,  les  taches  allongées  du  cercle  de  diffusion  prennent  l'apparence  de  rayons  très 
fins;  l'apparence  ressemble  à  une  étoile  rayonnée  si  le  point  lumineux  est  au  delà  du 
punctum  remotum.  S'il  se  trouve  en  deçà  du  punctum  proximum,  les  rayons  en  question 
ne  se  dégradent  pas  vers  la  périphérie;  et  lorsque  le  point  arrive  dans  le  foyer  antérieur 
de  l'œil  (à  13  millimètres  environ  au-devant  de  la  cornée),  ils  constituent  les  lignes 
rayonnées  intenses  de  la  figure  70  (Donders).  Cette  ligure  représente  l'apparence  entop- 
tique  du  cristallin  (voyez  Vision  entop- 
tique);  les  rayons  du  disque  sont  donc 
l'e.ïpression  entoptique  de  la  composi- 
tion en  secteurs  du  cristallin.  Dès  lors, 
comme  le  dit  Uonders,  la  polyopie  mo- 
noculaire, l'apparence  rayonnée  du  cer- 
cle de  diffusion,  le  fait,  notamment, 
qu'en  dehors  des  limites  de  la  vision 
distincte,  un  point  peut  se  'présenter 
sous  forme  d'une  étoile  (rayonnée),  en- 
fin l'apparence  entoptique  de  la  figure  70, 
tout  cela  repose  sur  une  seule  et  même 
particularité  structurale  de  l'œil.  Ainsi 
que  cela  est  démontré  à  l'article  Vision 
entoptique,  la  cause  en  réside  dans  la 
structure  particulière  du  cristallin,  len- 
tille composée  de  secteurs,  dont  cliacun 
a  une  structure  fibriUaire  qui  se  traduit 
dans  la  striation  rayonnée  plus  fine  de 
la  figure  70.  Rien  Je  tout  cela  ne  s'ob-  p,g_  g,, 

serve  dans  les  yeux  privés  de  cristallin 

(opérés  de  cataracte).  Les  points  lumineux  principaux,  centraux,  de  la  flgure  68  sem- 
blent correspondre  aux  parties  centrales  des  grands  secteurs  du  cristallin.  Les  points 
périphériques  plus  pâles,  nombreux  surtout  avec  la  pupille  dilatée,  semblent  être  pro- 
duits par  la  réfraction  dans  les  subdivisions  (périphériques)  de  chaque  secteur  prin- 
cipal. 

Les  images  multiples  sous  lesquelles  peut  se  présenter  un  point  ont  déjà  été  étudiées 
par  DE  n.  HiRE  {1694)  et  Th.  You.ng  (1801).  C'est  Doxders  (1846)  qui  en  à  localisé  la  cause 
dans  le  cristallin.  Les  choses  se  passent,  dit  Donders,  comme  si  les  différents  secteurs 
cristallioiens  avaient  des  distances  focales  différentes.  Toutefois  il  avoue  ne  pouvoir  don- 
ner une  explication  satisfaisante  des  détails  du  phénomène. 

Stellwag  et  C.4D.i.\Tont  invoqué  la  polarisation  de  la  lumière  pour  expliquer  les  phé- 
nomènes, mais  à  tort,  puisque  l'œil  muni  d'un  prisme  de  Nikol  voit  parfaitement  ces 
apparences,  même  si  on  tourne  le  prisme. 

S.  Ex.ner  a  essayé  de  serrer  de  plus  près  l'ex[)lication,  dans  l'hypotlièse  d'une  simple 
inégalité  de  réfringence  entre  les  différents  segments  du  cristallin,  que  cette  inégalité 
soit  produite  par  des  courbures  inégales  ou  par  des  différences  dans  l'indice  de  réfrac- 
tion. 11  donne  la  figure  71,  qui  est  donc  explicative  de  l'opinion  de  Donders.  C'est  une 
surface  réfringente  dont  un  segment  a  possède  un  applatissement  relatif,  et  un  segment 
6  une  courbure  plus  forte  que  le  restant  de  la  surface.  En  f,  il  se  forme  un  foyer  des 
T'ayons  qui  tombent  sur  la  surface,  foyer  (]ui  approche  plus  ou  moins  de  la  forme  d'un 
point.  Le  faisceau  partiel  qui  traverse  a  forme  un  foyer  en  f-,  en  arrière  de  f,  et  le  fais- 
ceau qui  traverse  6  forme  foyer  en  /'.  Un  écran  blanc  placé  successivement  en  f,  puis  en 
arrière  et  au  delà,  montre  des  cercles  de  diffusion  qui  reproduisent  plus  ou  moins  les 
apparences  perçues  par  l'œil  humain.  Exner  rappelle  à  ce  propos  l'effet  que  les  petites 
bosselures  d'un  verre  à  vitre  produisent  sur  la  lumière  solaire  directe.  Une  surface 
éclairée  par  la  lumière,  qui  a  passé  à  travers  une  glace  non  polie,  montre  un  éclairage 


ASTIGMATISME. 


inégal,  comme  un  dessin  de  vagues  figées.  Ce  serait  là  un  phénomène  du  même  ordre 
que  ceux  qui  nous  occupent. 

Cependant  cette  conception  est  loin  d'expliquer  toutes  les  modalités  des  phénomènes 
en  question.  Elle  nous  rend  bien  compte  du  fait  que,  d'après  la  situation  du  point  lumi- 
neux, un  corps  opaque  s'avançant  au-devant  de  la  pupille  éteint  tantôt  des  parties  d'un 
côté  du  cercle  de  dilîusion,  tantôt  du  côté  opposé.  Dans  un  cas,  les  rayons  se  sont  entre- 
croisés au-devant  de  la  rétine  :  on  éteint  l'image  rétinienne  par  le  bord  opposé  ;  dans  un 
autre  cas,  c'est  l'inverse  qui  a  lieu,  le  foyer  global  est  reporté  en  arrière  de  la  rétine. 
Mais  le  schéma  de  la  figure  71  n'explique  pas  suffi- 
samment lamanière  d'être  des  bords  colorés  des  taches 
plus  claires  dans  le  cercle  de  diffusion;  chaque  tache 
devrait  être  bordée  de  la  même  couleur  sur  tout  son 
parcours.  Enfin  il  n'explique  pas  pourquoi  beaucoup 
d'yeux,  dont  l'astigmatisme 
régulier  est  corrigé,  conti- 
nuent à  voir  étiré  dans  l'une 
ou  l'autre  direction  le  point 
lumineux  pour  lequel  l'œil  est 
adapté.  Il  reste  surtout  im- 
puissant devant  les  yeux  assez 
nombreux  qui  voient  tou- 
jours multiple  un  point  très 
petit. 
DoNDERS  avait  déjà  compris  que  la  manière  dont 
se  comportent  les  bords  colorés  des  images  multiples 
d'un  point  s'expliquent  par  l'existence  d'une  aberra- 
tion de  sphéricité  des  différents  secteurs  du  système 
dioplrique,  jointe  à  la  chromasie  du  même  système. 
Ouajit  à  la  polyopie  de  certains  yeux,  même  quant  ils  sont  bien  adaptés  pour  la  dis- 
tance du  point  lumineux,  il  avait  songé  à  une  inclinaison  différente  (en  avant  ou  en  ar- 
rière) des  différents  secteurs  du  cristallin,  à  une  décentration  de  certains  de  ces  sec- 
teurs. 

Des  recherches  récentes  de  Tcherning  démontrent  que  l'aberration  sphérique  du 
système  dioptrique  peut  être  inégale  pour  les  différents  secteurs  du  système  dioplrique; 
que  cette  aberration  sphérique  sectorale  entre  pour  beaucoup  dans  la  production  des 
phénomènes  qui  nous  occupent,  qu'elle  explique  notamment  pourquoi  certains  j'eux 
voient  le  point  lumineux  toujours  étiré  dans  un  ou  plusieurs  sens;  enfin,  que  la  polyopie 
dans  l'espace  de  la  vision  distincte  peut  reposer  sur  la  même  aberration  sectorale  du 
système  dioptrique. 

TcHER.NLNG  est  lui-même  atteint  d'un  astigmatisme  irrégulier,  avec  cette  apparence 
de  décentration  d'un  secteur  de  son  système  dioptrique.  D'abord  le  cercle  de  diffusion 
formé  par  un  point  pour  lequel  son  œil  n'est  pas  adapté  n'est  pas  un  cercle,  mais  un 
disque  rétréci  d'un  côté.  Nous  avons  dit  plus  haut  que,  lorsque  dans  des  expériences  on 
couvre  partiellement  la  pupille,  la  tache  lumineuse  se  rétrécit  du  même  côté  si  le  point 
lumineux  est  plus  éloigné  que  ïe  panctum  remotum  (de  l'œil  myope  ou  rendu  myope),  et 
par  le  côté  opposé  si  le  point  lumineux  objectif  est  en  deçà  du  punctum  proximum.  Cela 
n'est  pas  vrai  pour  l'œil  de  Tcher.mng,  lorsque  le  point  lumineux  approche  du  terrain 
d'accommodation.  Dans  ces  circonstances,  en  avançant  de  divers  côtés  l'écran  opaque 
au-devant  de  la  pupille,  dans  un  cas  c'est  du  même  côté  qu'il  fait  disparaître  un  sec- 
teur du  disque,  et  dans  un  autre  cas  il  éteint,  ou  au  moins  il  diminue  l'éclairage 
d'un   secteur  du  côté  opposé. 

La  figure  72  représente  la  marche  des  rayons  lumineux  dans  un  méridien  C  de  ce  sys- 
tème dioptrique.  Les  rayons  passant  par  la  moitié  inférieure  du  système  ont  déjà  passé 
l'axe  optique,  alors  que  ceux  de  la  moitié  supérieure  ne  font  que  se  rapprocher  de  cet 
axe.  Si  la  rétine  est  placée  très  en  arrière  du  foyer  global,  en  R,  c'est-à-dire  si  le  point 
lumineux  est  beaucoup  au  delà  de  la  distance  delà  vision  distincte,  le  cercle  de  diffusion, 
très   grand,  sera  éteint  du  côté  d'où  l'on    avance   un  écran   opaque   au-devant   de  la 


ASTIGMATISME. 


799 


pupille'.  Dans  la  même  situation  du  point  lumineux  objectif,  le  cercle  de  diffusion  sera 
vu  échancré  d'un  côté,  puisque  le  centre  de  l'image  rétinienne  est  en  a.  Cette  même 
échancrure  existera  si  le  point  lumineux  est  plus  rapproché,  si  la  rétine  est  située  en  1  ou 
en  2.  Mais,  dans  la  position  1,  l'écran  qu'on  avance  au-devant  de  la  pupille  éteint  le  cercle 
de  diffusion,  une  fois  du  même  côté,  l'autre  fois  par  son  bord  opposé. 

La  même  figure  72  représente  l'aberration  sphérique  de  chaque  secteur  partiel  du 
système  dioptrique.  Cette  aberration  est  plus  forte  pour  les  rayons  qui  passent  i)ar  la 
partie  inférieure  du  méridien  réfringent.  Il  en  résulte  que  l'image  diffuse  qui  se  forme 


sur  la  rétine  est  comme  échancrée  en  bas,  dans  le  cas  où  le  point  lumineux  est  placé 
au  delà  du  terrain  de  la  vision  distincte. 

Le  schéma  de  la  figure  71  ne  tient  aucun  compte  de  l'aberration  en  question.  Il  devrait 
de  ce  chef  subir  une  correction  importante.  Le  faisceau  6  (figure  71),  outre  qu'il  forme 
son  foyer  en  avant  des  autres,  devrait  passer  la  ligne  médiane  en  avant,  et  ses  rayons 
devraient  subir  une  transposition  résultant  de  l'aberration  de  sphéricité,  conformément 
au  tracé  de  la  figure  72. 

TcHERNiN'G  a  du  reste  démontré  de  la  manière  suivante  que  son  système  dioptrique 
est  affecté  d'aberration  sphérique,  et  que  les  diff'érents  secteurs  de  ce  système  ont  une 
aberration  inégale.  Recevons  sur  un  écran  le  cercle  de  diffusion  d'un  point  lumineux,  à 
l'aide  d'une  lentille  convexe  placée  de  manière  à  ce  que  le  foyer  conjugué  par  rapport 
au  point  lumineux  ne  tombe  pas  sur  l'écran.  On  place  contre  la  lentille  une  lif;ne  droite 
(épingle)  dont  on  verra  l'image  dilfuse  dans  le  cercle  de  diffusion,  sur  l'écran.  Cette 
image  ne  sera  droite  que  si  la  ligne  passe  par  l'axe  optique.  Si  l'épingle  couvre  une 
partie  périphérique  de  la  lentille,  son  ombre  sera  courbe,  avec  la  convexité  tournée  vers 
le  centre  (si  le  foyer  est  en  avant  de  l'écran)  ;  elle  est  tournée  vers  la  péripbérie  du  cercle, 
si  le  point  lumineux  est  rapproché  de  la  lentille  au  point  que  son  foyer  tend  à  se  former 
derrière  l'écran.  Ces  mflexious  résultent  de  l'aberration  de  sphéricité,  avec  cette  circon- 
stance que,  dans  la  lentille,  la  réfraction  augmente  pour  des  rayons  qui  en  traversent 
des  zones  de  plus  en  plus  périphériques.  Ce  moyen  a  été  employé  déjà  par  You.ng 
pour  étudier  l'aberration  de  sphéricité  de  l'œil.  Tcherning  se  sert  à  cet  effet  d'une 
lentille  plane  convexe  de  b2  centimètres  de  distance  focale  (pour  rendre  l'œil  myope), 
portant  sur  la  face  plane  un  micromètre  tracé  en  forme  de  quadrillé.  On  regarde  un 
point  éloigné  à  travers  cette  lentille  (nommée  «  aberroscope  »),  tenue  de  10  à  20  centi- 
mètres de  l'œil.  Les  traits  périphériques  du  quadrillé  ne  sont  vus  droits  (fig.  7H,  A) 
que  si  la  réfraction  est  la  même  dans  tout  l'espace  pupillaire.  Si  la  réfraction  totale 
augmente  vers  la  périphérie  du  champ  pupillaire,  les  lignes  s'infléchissent,  avec  leur 
convexité  vers  le  milieu  ;  si  elle  diminue  vers  la  périphérie  (aberration  négative),  elles 
sont  au  contraire  concaves  vers  le  milieu'. 


1.  En  tenant  compte  du  renversement  des  images  rétiniennes. 

2.  La   moitié    seulement   des   yeux   exaiuiaés  par   ïcuerning 


voient   les    lignes  droites   (a 


800 


ASTIGMATISME. 


Dans  l'œil  de  Tcherning  les  lignes  (fig.  73,  B)  sont  convexes  vers  le  centre  en  bas,  à  droite 
et  à  gauche,  elles  sont  concaves  en  haut.  La  réfringence  de  son  système  dioptrique  aug- 
mente vers  la  périphérie  du  champ  pupillaire,  mais  seulement  en  bas  et  sur  les  deux 
côtés;  elle  diminue  vers  le  haut  (lignes  concaves  vers  le  centre).  Il  faudrait  même  faire 
subir  au  schéma  de  la  figure  71  une  modification  résultant  de  ce  qu'en  haut  l'aberration 
est  négative,  c'est-à-dire  que,  dans  la  moitié  supérieure,  les  rayons  extrêmes  sont  moins 
réfractés  que  les  centraux. 
■  Cette  aberration  sphérique  inégale  des  différents  secteurs  du  système  dioptrique  pro- 
duit une  espèce  de  déviation  pris- 
matique inégale,  telle  que  nous 
l'avons  signalée  plus  haut.  Ellesuffit 
pour  mettre  en  évidence  la  polyopie 
monoculaire,  ou  plutôt  c'est  grâce 
à  elle  que  la  structure  du  cristallin 
peut  se  manifester  sous  forme  de 
polyopie,  même  lorsque  le  point  lu- 
mineux est  placé  dans  l'espace  de 
la  vision  la  plus  distincte.  Dans  l'œil 
de  ÏCHERNi.N'G,  elle  étire  le  point 
lumineux  pour  lequel  l'œil  est 
î'iG.  "2.  adapté.  On  entrevoit  des  conditions 

dioptriquesdecegenre,  notamment 
une  plus  grande  asymétrie  sectorale,  qui  produisent  de  la  polyopie  franche.  Il  suffit  à  cet 
effet  que  deux  ou  trois  centres  de  l'image  diffuse  d'un  point  soient  séparés  par  un  éclai- 
rage du  fond  assez  faible  pour  qu'il  disparaisse  devant  celui  des  centres  eux-mêmes. 

De  même  aussi,  l'astigmatisme  régulier  (cornéen)  non  corrigé  est  une  condition  suf- 
flsante  pour  manifester  la  polyopie,  qui  cependant,  en  dernière  analyse,  repose  sur  la 
structure  du  cristallin. 

A  la  rigueur,  l'aberration  sphérique  sectorale  (de  l'œil)  pourrait  résider  également 
dans  le  cristallin.  Il  est  cependant  plus  que  probable  que,  dans  la  plupart  des  cas, 
nous  devons  la  rechercher  (et  qu'on  la  trouvera)  dans  les  asymétries  nombreuses  de  la 
courbure  cornéenne,  asymétries  si  fréquentes  d'après  les  recherches  de  Sulzer  (voyez 
plus  haut  :  Astigmatisme  régulier).  La  cause  prochaine  de  la  polyopie  monoculaire  réside  donc 
dans  le  cristallin;  les  asymétries  cornéennes  sont  des  circonstances  favorables  pour  qu'elle 
se  manifeste  dans  certains  yeux,  même  lorsque  le  point  lumineux  est  placé  dans  les 
limites  de  la  vision  distincte. 

Une  asymétrie  cornéenne  n'est  guère  capable  de  produire  à  elle  seule  de  la  polyopie, 
à  moins  d'être  excessive,  par  exemple  dans  le  cas  de  facettes  cornéennes  résultant  d'ul- 
■cères  mal  cicatrisés  ;  et  jamais  cette  polyopie  ne  revêt  les  caractères  typiques  décrits  plus 
haut.  Un  œil  privé  de  son  cristallin  voit  le  cercle  de  diffusion  d'un  point  sous  forme  d'un 
cercle  à  peu  près  homogène.  Et  si  cet  œil  est  affecté  d'astigmatisme  régulier,  ce  qui  en 
somme  est  le  cas  habituel,  et  si  la  pupille  est  ronde,  le  cercle  (d'après  nos  expériences) 
devient  une  ellipse  plus  ou  moins  prononcée.  Mais,  pas  plus  que  Donders,  nous  n'avons 
pu  y  déceler  des  phénomènes  bien  manifestes  de  polyopie.  Et  cependant  ces  yeux  pré-  , 
sentent  les  asymétries  cornéennes  au  môme  degré  que  les  yeux  munis  de  cristallins. 

Revenons  encore  un  moment  à  l'aberration  sphérique  et  chromatique  sectorale  de 
l'oeil.  A  l'aide  du  sphéroscope  de  Tcherning,  on  peut  démontrer  que  l'aberration  sphé- 
rique existe  dans  la  moitié  à  peu  près  des  yeux.  Le  même  instrument  sert  à  démontrer 
que  cette  aberration  peut  différer  d'un  secteur  k  l'autre  du  système  dioptrique;  que  par 
■conséquent  la  réfraction  s'y  opère  suivant  le  schéma  de  la  figure  72. 

Les  bords  colorés  des  images  multiples  d'un  point  montrent  d'autre  part  que  chaque 
secteur  du  système  dioptrique  de  l'œil  est  all'ecté  de  l'aberration  chromatique.  L'inver- 


moins  avec  les  pupilles  non  dilatées).  Parmi  les  autres,  la  plupart  voient  les  lignes  conveses  en 
dedans;  ils  ont  une  aberration  positive, la  périphérie  du  système  dioptrique  est  plus  réfringente. 
Quelques-uns  les  voient  concaves  eu  dedans;  ils  ont  une  aberration  négative;  la  réfringence  y 
■diminue  vers  la  périphérie. 


ASTIGMATISME..  801 

siou  des  bords  colorés,  selon  qu'on  place  le  point  lumineux  au  delà  ou  en  deçà  du  ter- 
rain de  la  vision  distincte,  s'explique  très  bien  dans  l'hypothèse  d'une  aberration  sphé- 
rique  du  système  dioptrique  en  son  ensemble,  et  de  chacun  de  ses  secteurs  pris  iso- 
lément. Eu  ce  sens,  les  bords  colorés' des  images  multiples  d'un  point  constituent  même 
une  preuve  de  l'aberration  sphérique  de  l'œil.  Ils  démontrent  que  la  réfraction  s'opère 
d'après  le  schéma  de  la  fij^ure  71,  et  non  d'après  celui  de  la  figure  70. 

lin  degré  plus  au  moins  prononcé  d'astigmatisme  irrégulier,  cornéen  et  cristallinien, 
existe  donc  dans  chaque  œil  normal.  Les  images  rétiniennes  sont  de  ce  chef  plus  ou 
moins  diffuses,  selon  le  degré  de  l'anomalie.  Si  elle  est  un  peu  forte,  l'acuité  visuelle  se 
trouve  abaissée  en  dessous  de  la  normale.  Bon  nombre  d'yeux  prétendus  amblyopiques 
par  suite  d'une  anomalie  congénitale  de  l'appareil  nerveux  visuel  sont  en  réalité  affectés 
d'astigmatisme  régulier  dépassant  la  moyenne.  L'examen  du  cercle  de  diffusion  d'un 
point  et  l'emploi  de  l'aberroscope  de  ïschebning  pourront  élucider  la  chose;  le  premier 
procédé  renseigne  sur  des  différences  de  réfringence  dans  des  secteurs  plus  petits  que  le 
second. 

Malheureusement,  si  dès  maintenant  nous  sommes  à  même  la  plupart  du  temps  de 
diagnostiquer  l'anomalie  et  même  d'en  préciser  le  siège,  nous  ne  saurions  y  remédier 
par  des  moyens  bien  pratiques. 

Voici  encore  quelques  manifestations  visuelles  reposant  sur  l'astigmatisme  irrégulier. 

En  premier  lieu,  il  y  a  l'apparence  des  points  lumineux  et  surtout  des  étoiles,  qui  ne 
nous  apparaissent  pas  sous  forme  de  points  simples,  mais  sous  celle  de  points  à  rayons 
(variables  d'un  œil  à  l'autre).  On  a  remarqué  que  les  gens  à  acuité  visuelle  exception- 
nellement bonne  voient  les  rayons  des  étoiles  peu  développés;  on  cite  quelques  hommes 
ayant  vu  les  étoiles  sous  forme  de  points;  ils  avaient  des  acuités  visuelles  extraordi- 
nairement  bonnes. 

C'est  en  grande  partie  à  l'astigmatisme  irrégulier  qu'est  dû  le  phénomène  de  la 
V.  goutte  noire  »,  qui  gêne  tant  les  observations  astronomiques,  et  qu'on  peut  démontrer 
en  rapprochant  jusqu'au  contact  le  pouce  et  l'index  tenus  au-devant  d'une  lumière.  Avant 
que  les  doigts  ne  se  touchent,  ils  semblent  réunis  par  uue  goutte  noire  étendue  entre 
eux  :  la  goutte  noire  est  l'expression  des  images  multiples  des  doigts,  dont  les  lignes  de 
contour  se  juxtaposent.  De  môme  aussi  une  planète,  par  exemple,  qui  entre  en  conju- 
gaison avec  le  soleil  semble  confluer  avec  le  disque  solaire  avant  qu'il  y  ait  contact 
réel. 

Certains  yeux  voient  la  lune  double  et  triple,  au  moins  dans  certaines  circonstances. 
La  polyopie  monoculaire  se  manifeste  facilement  pour  des  lignes  droites  isolées. 

Il  n'y  a  cependant  pas  que  du  mal  à  dire  de  l'astigmatisme  irrégulier.  Plus  haut 
nous  avons  mis  en  évidence  la  chromasie  de  l'œil  en  couvrant  une  partie  de  la  pupille. 
Cette  chromasie  est  à  l'ordinaire  peu  sensible,  parce  que  les  spectres  d'un  point  lumi- 
neux produits  par  les  différents  secteurs  du  système  dioptrique  se  superposent.  Elle 
devient  plus  apparente  si  nous  supprimons  les  spectres  d'une  moitié  du  champ  pupillaire, 
si  nous  les  enlevons  de  l'image  compliquée  d'un  point,  c'est-à-dire  si  nous  enlevons  cer- 
tains effets  de  l'astigmatisme  irrégulier. 

Nous  n'avons  fait  intervenir  la  cornée  qu'en  tant  que  sa  courbure  peut,  par  son  asy. 
métrie,  constituer  une  condition  favorable  pour  la  manifestation  de  l'astigmatisme  irré- 
gulier du  cristallin.  Il  est  cependant  certain  que,  si  les  irrégularités  de  courbure  de  la 
cornée  atteignent  un  certain  degré,  elles  peuvent  donner  lieu  à  des  phénomènes  visuels 
du  même  ordre.  Toutefois  elles  ne  pourront  guère  donner  lieu  à  l'image  de  diffusion  si 
caractéristique  d'un  point,  décrite  plus  haut.  Nous  avons  déjà  dit  que  dans  les  cas  de 
facettes  anormales  de  la  surface  cornéenne,  résultant  par  exemple  d'ulcères  mal 
cicatrisés,  on  observe  de  la  polyopie  monoculaire  très  prononcée,  et  une  fort  mauvaise 
acuité  visuelle. 

Lin  fait  d'astigmatisme  cornéen  curieux  est  le  suivant.  Après  avoir  travaillé  quelque 
temps  au  microscope,  la  vision  de  l'œil  inactif  se  montre  brouillée  pendant  un  quart 
d'heure  et  plus.  Cet  œil  voit  doubles  et  triples  les  seules  lignes  horizontales;  les  verti- 
cales sont  vues  simples.  La  polyopie  ne  disparaît  pas  si  on-  regarde  à  travers  divers 
verres  sphériques  ou  cylindriques.  Pour  notre  part,  nous  trouvons  qu'en  même  temps 
la  rétraction  totale  de  cet  œil  a  notablement  augmenté.  —  Le  siège  et  la  cause  du 

DICT.     DE    PHYSIOLOGIE.   TOME  I.  31 


802  ATAVISME. 

phénomène  sont  imparfaitement  connus.  Tandis  que  Leroy  incrimine  le  cristallin,  Bull, 
avec  beaucoup  d'apparence  de  raison,  en  cherche  la  cause  dans  la  cornée;  Bull  croit 
avoir  trouvé  par  la  méthode  entoptique  que  le  clignotement  prolongé  de  l'œil  inactif 
plisse  pour  quelque  temps  la  cornée  suivant  son  diamètre  horizontal,  et  la  transforme 
en  une  espèce  de  prisme,  qui  doit  occasionner  la  polyopie  des  lignes  horizontales,  mais 
non  des  lignes  verticales. 

L'astigmatisme  irrégulier  augmente  avec  l'âge,  parce  que,  chez  les  vieilles  gens,  les 
inégalités  de  réfringence  dans  le  cristallin  se  prononcent  de  plus  en  plus,  ainsi  que  cela 
ressort  du  fait  que,  chez  les  personnes  âgées,  on  peut  mieux  voir  la  surface  du  cristallin; 
on  voit  même  chez  eus  l'étoile  de  la  surface  cristallinienne  antérieure,  résultant  de  la 
juxtaposition  des  différents  secteurs.  Dans  la  cataracte  commençante,  caractérisée  par 
une  inégalité  très  forte  des  différents  secteurs  du  cristallin,  les  malades  sont  molestés 
par  une  polyopie  monoculaire  très  grande. 

Bibliographie  de  rastigmatisme  irrégulier.  —  Voir  dans  Donders  et  Helmholtz 
la  bibliographie  plus  complète.  —  Bull.  De  la  diplopie  monocul.  asymétr.  {Soc.  franc, 
d'opht.,  1891,  p.  208).  —  Câblât  [B.  B,  13  janvier  1877.)  —  Donders.  Over  entopt.  Gesichts- 
verschijnselen,  etc.  [Nederl.  Lancet,  1846-47,  pp.  343,  432  et  537).  —  Voir  aussi  Anomalies 
de  la  réfr.  et  de  l'accommod.,  édit.  ail.,  1866,  p.  437.  —  De  la  Hire.  Accidents  de  la  vue 
(Uém.  Acad.  des  se.  Pari.s,  1694,  p.  400).  —  Helmholtz.  Physiologie  optique,  1867.  —  C.-l.-A. 
Leroy.  De  la  polyopie  monoculaire  asymétrique  (Soc.  franc,  d'ophtalm.,  1869,  p.  81).  — 
Stellwag  V.  Carion.  TJeber  doppelte  Brechung,  etc.  [Compt.  rend.  Acad.  Vienne,  1833, 
p.  172).  —  Solzer.  La  forme  de  la  cornée  humaine,  etc.  (Soc.  franc,  d'opht.,  6  mai  1891  ; 
Arch.  d'Opht.,  déc.  1891,  et  janvier  1892).  —  Tscherning.  L'aberroscope  {Arch.  d'Opht.,  1893, 
p.  613).  —  Th.  VoUiNG.  Phil.  Transact.,  1801,  p.  43. 

NUEL. 

ATAVISME.  ■ — A  s'en  tenir  à  l'étymologie  de  ce  mot,  atavisme  signifie  «  héré- 
dité des  aptitudes  caractéristiques  spéciales  des  aïeux».  Or,  comme  toutêti'e  a  pour  aïeux 
non  pas  seulement  ses  aïeux  véritables,  les  parents  de  ses  parents,  mais  toute  la  lignée 
antérieure  à  ceu.v-ci,  il  en  résulte  que  si  l'on  ne  limite  point  le  sens  du  mot  aïeul  en 
l'attribuant  exclusivement  aux  grands  parents  (ce  qu'on  ne  fait  ni  en  matière  d'état 
civil,  ni  en  zootechnie,  ni  encore  en  horticulture),  ce  mot  signifie  forcément  l'hérédité 
des  aptitudes  ou  caractéristiques  de  tous  les  individus  antérieurs  aux  parents.  On  voit 
par  là  l'extension  qu'il  peut  prendre  et  qu'il  prend  effectivement,  car  à  la  vérité  on  ne 
sait  ofi  s'arrêtent  les  aïeux.  Les  êtres  vivants  ont  certainement  commencé  à  un  moment 
quelconque  de  l'histoire  du  globe  :  si  l'on  accepte  le  dogme  biblique,  les  aïeux  consis- 
tent en  toute  l'ascendance  jusqu'au  premier  couple  de  l'espèce;  si  l'on  préfère  le  dogme 
transformiste,  la  limite  est  reculée  indéfiniment.  Il  n'y  a  pas  de  raisons,  en  effet,  pour 
ne  pas  comprendre  parmi  les  aïeux  toute  l'ascendance  jusqu'à  la  première  forme  de  vie, 
à  supposer  les  formes  diversifiées  actuelles  comme  provenant  de  formes  antérieures 
moins  diversifiées,  et  celles-ci  provenant  à  leur  tour,  par  de  nombreuses  étapes  d'ailleurs, 
d'une  même  et  unique  souche  ou,  ce  qui  est  moins  compréhensible,  d'an  petit  nombre 
de  souches  différentes.  Sans  compliquer  la  question  déjà  ardue  de  l'atavisme  de  cette 
autre  question  plus  ardue  encore  de  l'enchaînement  des  formes  animales,  tenons-nous- 
en  à  l'atavisme  à  l'intérieur  de  l'espèce.  Nous  considérerons  comme  atavistiques  les 
formes  et  aptitudes  héritées  des  aïeux  à  partir  des  grands  parents.  La  définition  est  sans 
doute  excellente,  parfaitement  claire  et  suffisante.  Le  malheur  est  qu'on  aura  toutes  les 
peines  du  monde  à  l'appliquer.  Il  faudrait,  en  effet,  pour  affirmer  le  caractère  atavique 
de  telle  ou  telle  particularité  morphologique,  physiologique  ou  psychique,  il  faudrait 
avoir  connu  les  aïeux,  et  tous  les  aïeux.  Or,  nous  ne  les  connaissons  pas,  naturellement, 
et  dans  les  rares  cas  où,  pour  l'homme,  la  collection  des  documents  relatifs  aux  aïeux 
est  la  plus  complète,  —  je  parle  des  familles  royales  —  ces  documents  sont  insuffisants, 
trop  peu  étendus,  sans  compter  que  la  naturelle  «  fragilité  de  la  chair»  rend  très  pro- 
blématique toute  spéculation  sur  la  descendance,  et  la  laissera  telle  tant  que  le  nom  et 
la  transmission  légale  appartiendront  à  l'homme  et  non  à  la  femme,  comme  il  serait  natu- 
rel, et  plus  sûr.  L'histoire  ne  nous  fournit  que  des  documents  incomplets,  sur  un  trop 
petit  nombre  d'individus  en  ligne  directe,  et  par  surcroît  elle  nous  montre  combien  est 


ATAVISME.  803 

souvent  détruite  cette  dernière.  A.  vrai  dire  des  expériences  sur  des  ctiiens  ou  sur  des 
cobayes  seraient  cent  fois  plas  probantes,  et  plus  assurées.  Cette  ignorance  véritable  où 
nous  sommes  des  aïeux  tant  soit  peu  reculés  fait  qu'il  est  très  difficile  de  reconnaître  si 
certains  caractères  sont  ataviques  ou  non.  L'ancêtre  qui  aurait  présenté  le  caractère 
reparu  chez  le  descendant  n'est-il  pas  trop  reculé  dans  le  temps,  aussitôt  on  crie  à  l'ata- 
visme. L'ignore-t-on,  et  de  suite  on  crie  au  sport,  à  la  variation  brusque,  individuelle.  Et 
remarquons  que  ce  cas  se  présente  chaque  jour,  non  seulement  pour  les  formes  relative- 
ment compactes,  s'il  est  permis  de  parler  ainsi,  pour  les  espèces  bien  caractérisées,  mais 
pour  les  formes  les  plus  étroitement  limitées,  pour  les  races  dont  la  ferme,  l'écurie,  la 
basse-cour  et  le  pigeonnier  sont  remplis.  Beaucoup  d'entre  ces  dernières  ont  une  ori- 
gine déjà  reculée,  et  quand  un  caractère  divergent  apparaît  chez  un  individu,  nous  ne 
saurions,  le  plus  souvent,  décider  s'il  y  a  là  un  sport,  ou  la  réapparition  d'un  caractère 
possédé  par  quelque  individu  antérieur. 

Du  moment  où  forcément  l'atavisme  peut  et  doit  sortir  des  limites  de  l'espèce,  le 
problème  se  complique  plus  encore.  Le  caractère  nouveau  a  pu  exister  chez  l'un  des 
aucètres  dont  tel  descendant  a  été  pour  moitié  dans  l'origine  de  la  race,  mais  nous  n'en 
savons  naturellement  rien.  Et  c'est  sans  doute  cette  difficulté  qui  a  fait  que  l'on  a  appli- 
qué et  que  l'on  applique  encore  le  mot  atavisme  dans  des  cas  autrement  difficiles.  C'est 
ainsi  que  certaines  anomalies  musculaires  chez  l'homme  (la  présence  de  l'abducteur  du 
cinquième  métatarsien  par  exemple)  sont  expliquées  comme  étant  des  «souvenirs»  du 
singe,  qu'ALBRECHT  considère  le  développement  du  temporal  par  deux  points  d'ossifica- 
tion comme  un  souvenir  de  la  condition  sauro-mammifère,  et  que  Tesiut  regarde  le 
muscle  sternal  comme  un  retour  du  présternal  des  ophidiens.  A  la  vérité,  tout  cela 
est  difficile  à  accepter. 

En  effet,  les  explications  qu'on  donne  de  ces  anomalies  sont  un  cercle  vicieux  bien 
caractérisé.  On  montre  d'abord  telle  ou  telle  anomalie,  et  l'on  affirme  qu'elle  est  la 
reproduction  pure  et  simple  de  conditions  qui  étaient  normales  chez  des  organismes 
très  différents.  Ensuite,  ces  alfirmations  servent  à  prouver  que  l'espèce  présentant  cette 
anomalie  descend,  par  un  escalier  d'ailleurs  très  compliqué,  du  groupe  très  différent 
chez  qui  les  conditions  considérées  sont  l'état  normal.  On  n'a  absolument  rien  prouvé 
dans  tout  cela,  et  une  hypothèse  a  simplement  servi  à  en  élever  une  autre.  Nous 
sommes  en  pleine  spéculation.  Remarquons  aussi,  en  passant,  qu'avec  ce  procédé  qui  con- 
siste à  toujo-urs  trouver  l'explication  d'une  anomalie  de  l'homme  chez  un  mammifère 
quelconque  si  on  ne  le  trouve  chez  les  primates,  chez  le  reptile  si  le  mammifère  refuse 
de  la  donner,  au  besoin  chez  le  poisson,  si  le  reptile  ne  peut  rien  fournir,  on  arrive  à 
construire  à  l'homme  l'arbre  généalogique  le  plus  variable  et  le  plus  fantaisiste  qui 
puisse  être.  Sans  doute,  cet  arbre  est  encore  bien  hypothétique,  mais  ce  serait  singu- 
lièrement comprendre  la  descendance  de  l'homme  que  de  lui  donner  pour  ancêtres  tout 
le  règne  animal,  alors  que  selon  toute  probabilité  il  est  seulement  une  branche  entre 
plusieurs,  et  que  la  branche  homme,  au  lieu  d'être  insérée  sur  la  branche  reptile  par 
exemple,  tient  à  un  même  tronc,  à  un  niveau  plus  élevé.  Bref,  chercher  dans  l'anatomie 
du  type  reptilien  le  plus  différencié,  le  plus  récent,  l'explication  d'une  anomalie  chez 
l'homme  semble  de  la  haute  fantaisie.  Car,  s'il  y  a  du  reptile  dans  l'ascendance  de 
l'homme,  ce  n'est  pas  dans  le  reptile  actuel  et  très  spécialisé  qu'il  faut  chercher  les  points 
communs;  c'est  dans  le  type  reptilien  le  plus  vague,  le  plus  reculé,  le  moins  reptilien, 
le  plus  généralisé. 

Si  par  atavisme  nous  désignons  tout  caractère  autre  que  ceux  de  nos  parents,  la 
question  de  savoir  où  commence  et  où  finit  celui-ci,  déjà  fort  embrouillée,  s'obscurcit 
davantage.  Voici  un  être,  un  homme  par  exemple;  cjue  doit-il  à  ses  ancêtres,  et  quoi 
à  ses  parents  ?  Il  possède  une  grande  quantité  de  caractères  anatomiques,  physiologiques 
et  psychologiques.  En  doit-il  plus  à  ses  parents,  ou  à  ses  ancêtres?  N'est-il  pas  évident 
qu'il  doit  beaucoup  plus  à  ceux-ci  qu'à  ceux-là,  et  que,  si  l'on  fait  une  part  des  caractères 
généraux  communs  à  l'espèce,  et  une  part  des  caractères  spéciaux  aux  parents,  la  part 
ancestrale  chez  le  descendant  est  autrement  importante  que  celle  des  parents  directs? 
Son  anatomie,  sa  physiologie,  sa  psychologie,  ce  sont  ses  parents  qui  les  lui  ont  don- 
nées, mais  les  ont-ils  inventées?  Non  pas  !  il  les  tiennent  de  leur  ascendance,  et  les  ont 
simplement  transmises  à  leur  descendance,  sans  grandes  modifications,  avec  des  altérations 


804  ATAVISME. 

de  détails  infinitésimales.  En  un  mot  nous  sommes  les  flls  de  nos  ancêtres  bien  plus  que  de 
nos  parents.  Il  ne  saurait  être  question  ici  d'entrer  dans  la  discussion  du  sujet  des  carac- 
tères acquis  et  de  leur  transmission  héréditaire  :  mais  il  est  manifeste,  atout  le  moins,  que 
les  caractères  acquis  par  une  génération  quelconque  ne  se  traijsmettent  guère  à  la  géné- 
ration suivante,  à  moins  que  les  conditions  dans  lesquelles  ils  ont  été  acquis  pour  la 
première  persistent  pour  la  seconde.  Dans  ces  conditions,  en  thèse  générale,  la  conclu- 
sion qui  précède  prend  plus  de  force  encore. 

Mais  alors,  l'atavisme  n'est  autre  chose  que  l'hérédité  tout  entière,  ou  peu  s'en  faut? 
C'est  la  suite  logique  de  ce  qui  précède,  et,  si  l'on  ne  limite  ce  terme  de  façon  à  lui 
faire  signifier  l'hérédité  des  particularités  des  aïeux  jusqu'à  une  génération  donnée,  ou 
des  grands  parents  seuls,  il  faut  assurément  y  voir  toute  l'hérédité. 

Quelques  auteurs  ont  voulu  pourtant  établir  une  limite.  B.iUDEMENT,  par  exemple,  a  fait 
de  l'atavisme  l'expression  de  l'hérédité  de  la  race.  Mais  qu'est-ce  que  la  race?  Une 
variété  constante  de  l'espèce,  dit  de  Quatrefages.  C'est  le  sens  généralement  accepté, 
et  alors  l'atavisme  semblerait  avoir  des  limites  fixes.  Mais  n'est-il  pas  évident  que  le  créa- 
teur de  la  race,  que  l'individu,  ou  le  couple  qui  a  présenté  une  variation  sensible,  et 
procréé  des  descendants  pourvus  de  la  même  variation,  doit  lui  aussi,  les  99  centièmes, 
pour  le  moins,  de  ce  qu'il  transmet  à  ses  descendants,  à  ses  ascendants?  Et  la  limitation 
devient  impossible.  Mais  aussi  le  mot  race  a  d'autres  significations.  Sanson'  rappelle  un 
passage  de  Bdffon  :  «  L'espèce  de  l'aigle  commun  est  moins  pure,  et  la  race  en  paraît 
moins  noble  que  celle  du  grand  aigle.  »  .N'est-il  pas  clair  que  pour  Boffon,  race  veut 
dire  espèce,  et  que  la  race,  c'est  l'espèce  pro  tempore  et  pro  loco?  La  limitation  est  plus 
impossible  encore:  mais  il  reste  ceci,  quel'atavisme  est  encore  l'ensemble  des  puissances 
héréditaires;  c'est  toute  l'hérédité. 

Ceci  dit,  il  suffira  de  rappeler  en  quelques  mots  les  principaux  phénomènes  de  l'ata- 
visme tel  qu'il  s'entend  dans  le  langage  courant,  c'est-à-dire  de  la  transmission  des 
particularités  des  grands  parents  ou  arrière-grands  parents,  des  aïeux  les  plus  rap- 
prochés. Ce  sont  surtout  des  caractères  psychologiques  et  physiologiques  dans  la  race 
humaine,  ce  sont  des  façons  d'agir,  des  gestes,  des  attitudes,  ou  bien  des  traits  de  carac- 
tère, d'humeur,  de  méthode  mentale,  parfois  des  similitudes  de  visage  ou  de  conforma- 
tion. L'atavisme  est  parfois  collatéral,  tel  est  le  cas  quand  la  particularité  passe  de  l'oncle 
ou  grand-oncle,  au  neveu  ou  petit-neveu  (il  va  de  soi  que  le  cas  est  le  même  entre  tante 
ou  grande-tante  et  neveu  ou  nièce).  Dans  ce  cas,  il  faut  admettre  qu'il  y  a  atavisme  plus 
lointain,  le  grand-oncle  et  la  'petite-nièce  par  exemple  tenant  assurément  le  trait  com- 
mun d'un  ascendant  commun  plus  reculé,  et  le  grand-oncle  n'étant  pour  rien  dans  le 
phénomène. 

C'est  dans  les  hybrides  et  métis  que  l'atavisme  est  le  plus  fréquent  et  le  plus  net.  Dans 
ce  cas,  en  effet,  l'héritage  des  parents  est  plus  hétérogène,  et  il  est  plus  facile  de  faire 
chez  les  descendants  la  part  des  deux  héritages  reçus.  Chez  les  métis  et  hybrides,  il  y  a 
tendance  très  forte  à  la  réversion,  au  retour  atavique.  Leur  progéniture  rappelle  bien 
vite  l'un  ou  l'autre  des  grands  parents,  et  ceci  confirme  encore  ce  qui  a  été  dit  plus  haut  de 
notre  parenté  plus]profonde  avec  nos  aïeux  qu'avec  nos  propres  parents.  Chez  les  léporides, 
par  exemple,  les  descendants  reviennent  bientôt  à  l'un  ou  l'autre  des  types  primitifs; 
chez  les  plantes  hybrides  si  nombreuses,  on  ne  peut  assurer  la  permanence  de  la 
variété  nouvelle  qu'en  la  reconstituant  sans  cesse  par  le  croisement  nécessaire,  sans  quoi 
l'un  des  types  finit  par  l'emporter  entièrement  sur  l'autre.  Mais  cette  question  sera 
traitée  au  mot  Hybridité. 

Pour  la  théorie  de  l'atavisme,  elle  ne  se  distingue  point  de  celle  de  l'hérédité.  Nous 
n'en  sommes  plus  à  admettre  l'hérédité  par  influence  en  quelque  sorte,  la  théorie  qui  a 
pour  contre-partie  celle  de  Yaura  seminalis  par  laquelle  on  expliquait  la  fécondation.  Si 
petit  que  soit  l'œuf  ou  le  spermatozoïde,  c'est  en  lui,  et  en  lui  seul,  c'est  dans  cette 
petite  masse  de  matière  vivante  qu'il  faut  chercher  l'explication  de  l'hérédité,  et  celle-ci  a 
une  base  matérielle,  incontestable,  tout  incompréhensible  qu'elle  soit  encore.  La  théorie 
provisoire  de  la  pangénèse,  des  gemmules  de  Darwin,  celle  des  pangènes  de  De  Vries, 
celle  du  plasma  germinatif  enfin  de  'Weis.maxn,  constituent  des  tentatives  d'explication 

1.  L'hérédité  normale  et  pathologique.  Paris,  Asselin  et  Houzeaii,  1893. 


ATAXIE.  805 

très  imparfaites  encore,  mais  dont  l'orientation  parait  bonne.  Comme  la  question  de 
l'atavisme  se  ramène  à  celle  de  l'hérédité  tout  entière,  il  sera  inutile  de  dire  ici  ce  qui 
devra  être  répété  à  l'article  Hérédité,  et  il  suffira  de  renvoyer  le  lecteur  au  chapitre  de 
Darwin,  au  mémoire  de  De  Vbies,  et  aux  deux  derniers  livres  de  Weismann  :  Les  essais  de 
l'hérédité,  dont  j'ai  donné  une  traduction  française,  et  Das  Keimplasma,  eine  Théorie  dcr 
Vererbung,  traduit  en  anglais  sous  le  titre  de  The  Germ  plasm,  a  Theory  of  kerediiij,  par 
M.  N.  H.  Pabker  et  M""  RôNNEFELDT  (1893,  Walter  Scott,  Londres).  —  Voir  encore  Cor- 
NEViN  :  Traité  de  Zootechnie  générale;  H.  F.  Osborn  :  Présent  Problems  in  Evolution  and 
Heredily  ;  Delage  (Y.)  :  La  structure  du  protoplasma  et  l'hérédité,  1895. 

HENRY  DE  VARIGNY. 

AXAXIE.    (a  privatif,    taÇic,    ordre.)  —  De  l'ataxie  en   général.  —  Par   son 

étymologie,  le  mot  ataxie  signifie  absence  d'ordre  :  on  lui  donne  comme  synonyme 
incoordination.  L'excellent  mémoire  de  Topinard  (1864)  contient  un  abrégé  historique  des 
phases  par  lesquelles  ce  mot  est  passé  avant  d'acquérir  sa  signification  définitive. 

Ce  mot  était  en  effet,  à  son  origine,  un  terme  vague,  général,  puisque  Hippocrate 
l'appliquait  inconsidérément  aux  désordres  morbides  déviant  de  leur  évolution  normale; 
que,  plusieurs  siècles  après,  Galien  l'employait  pour  signaler  les  inégalités  du  pouls,  et 
qu'il  y  a  deux  cents  ans,  Sydenham,  imbu  des  idées  de  son  temps,  rapportait  un  grand 
nombre  d'états  nerveux  à  l'ataxie  des  esprits  animaux. 

On  sait  le  rôle  que  l'ataxie  a  joué  ensuite  dans  les  formes  cliniques  des  fièvres  :  les 
fièvres   élaient  ataxiques  parce  qu'elles  étaient  désordonnées. 

Andral  a  précisé  le  terme  du  mot  ataxie  en  lui  donnant  la  signification  de  :  «  les 
contractions  anormales  et  irrégulières  du  muscle  ».  L'ataxie  devra  donc  désigner  la 
chorée,  le  tremblement,  les  convulsions,  le  nystagmus,  la  carphologie. 

BouiLLACD  considérait,  du  reste,  le  bégaiement  et  le  bredouillement  comme  des 
ataxies  partielles,  et  la  chorée  n'était  à  ses  yeux  qu'une  sorte  d'ataxie  de  l'action  ner- 
veuse qui  préside  aux  mouvements.  Topinard  a  essayé  de  classer  ces  did'érents  phéno- 
mènes dits  ataxiques  ;  distinguant  l'ataxie  musculaire  et  l'ataxie  locomotrice  ;  «  l'ata.'îie  mus- 
culaire consiste  en  des  mouvements  brusques  et  désordonnés  ou  dans  une  incapacité  de 
marcher  et  de  se  tenir  debout,  paraissant  liés  à  un  défaut  de  coordination  musculaire  ». 

Ataxie  locomotrice.  Symptômes. —  Depuis  que  DucHENiNE,  de  Boulogne,  en  1864, 
décrivit  un  nouvel  état  morbide,  caractérisé  principalement  par  «  l'abohtion  progressive 
de  la  coordination  des  mouvements,  et  la  paralysie  apparente,  coïncidant  avec  l'inté- 
grité de  la  force  musculaire  »  et  qu'il  lui  donna  le  nom  d'ataxie  locomotrice  progressive, 
le  mot  ataxie  ne  représenta  plus  que  le  syndrome  si  admirablement  décrit  par  son 
auteur.  Il  différencia  l'ataxie  locomotrice  ainsi  comprise  des  autres  troubles  du  mouve- 
ment; un  peu  plus  tard,  il  insistait  sur  la  différence  fondamentale  qui  sépare  l'ataxie 
et  les  troubles  nerveux  d'origine  cérébelleuse  :  «  Les  lésions  cérébelleuses  produisent 
une  sorte  d'ivresse  des  mouvements  et  non  leur  incoordination  »  et  dans  un  autre  rapport 
«  il  est  facile  de  distinguer  cette  titubation  vertigineuse  produite  par  les  affections  céré- 
belleuses de  la  titubation  asynergique  observée  dans  l'ataxie  locomotrice  ».  Il  ne  faut 
pas  désigner  la  titubation  cérébelleuse  par  le  terme  d'ataxie,  car  la  titubation  cérébel- 
leuse, comme  l'a  si  bien  démontré  Luciani,  n'est  pas  de  l'incoordination. 

Il  faut  donc  comprendre  l'ataxie  dans  le  sens  que  lui  a  donné  Duchenne,  c'est-à-dire 
dans  le  sens  d'incoordination. 

WiNSLow  avait  entrevu  les  synergies  musculaires  ;  et  Duchenne  lui  emprunte  cette 
phrase  caractéristique  :  «  Pour  mouvoir  quelque  partie,  ou  pour  la  tenir  dans  une  situa- 
tion déterminée,  tous  les  muscles  qui  la  peuvent  mouvoir  y  coopèrent.  » 

La  faculté  coordinatrice  de  locomotion  met  en  jeu  deux  ordres  d'associations  mus- 
culaires :  les  unes  impulsives,  les  autres  antagonistes. 

Les  impulsives  sont  destinées  à  imprimer  à  une  partie  du  corps  tout  mouvement 
volontaire  vers  une  situation  ou  une  attitude  quelconque. 

Les  associations  musculaires  antagonistes  sont  de  deux  ordres  :  modératrices  et 
collatérales. 

Celles-là  ne  s'unissent  aux  associations  impulsives  que  pour  les  modérer  :  celles-ci 
assurent   le   mouvement   en  l'empêchant  de   s'écarter    latéralement    de    sa  direction 


806  ATAXIE. 

(enarthroses  et  arthrodies).  C'est  là  l'harmonie  des  antagonistes.  Il  y  a  entre  cette  coor- 
dination des  mouvements  volontaires  des  membres  et  les  synergies  musculaires,  qui 
sont  en  action  dans  la  station  verticale,  une  analogie  frappante. 

Voici  les  caractères  de  l'ataxie  observée  par  Duchenne  au  cours  de  la  maladie  dite 
ataxie  locomotrice  progressive.  Pendaat  la  station  debout,  le  corps  est  agité  par  des  oscil- 
lations, petites  d'abord,  et  qui  deviennent  progressivement  plus  grandes,  jusqu'à  rendre 
la  station  impossible;  les  oscillations  sont  causées  par  la désharmonie  (harmonie  difficile) 
des  muscles  antagonistes,  moteurs  du  tronc  et  des  membres  inférieurs.  On  constate 
en  effet  qu'elles  sont  produites  par  des  contractions  musculaires  irrégulières,  sous  l'in- 
fluence des  efforts  que  fait  le  malade  pour  se  maintenir  dans  la  ligne  de  gravité,  i"  Ces 
petits  spasmes  sont  très  visibles  dans  la  station  debout  sur  les  membres  nus;  2°  Pendant 
la  marche,  l'harmonie  ne  régnant  plus  dans  les  associations  modératrices  et  collatérales, 
le  pas  n'est  plus  mesuré,  le  membre  dévie  en  dehors  ou  en  dedans,  et,  dépassant  le  but, 
retombe  lourdement  et  avec  bruit  sur  le  sol;  3°  Aux  membres  supérieurs,  surtout  à  la 
main,  la  désharmonie  des  antagonistes  occasionne  les  mouvements  les  plus  désordonnés 
et  abolit  rapidement  l'habileté  et  l'usage  manuels;  4°  Le  tronc  lui-même  perd  l'haimonie 
de  ses  antagonistes,  et,  à  un  moment  donné,  la  station  assise  et  sans  appui  devient 
impossible.  Alors  le  tronc  est  agité  par  des  contractions  brusques,  irrégulières,  pro- 
voquées par  des  efforts  d'équilibration  qui  jettent  le  malade  hors  de  son  siège;  o"  Enfm, 
dans  une  période  plus  avancée  de  la  maladie,  les  associations  musculaires  impulsives  se 
perdent  complètement,  et  la  station  et  la  marche  deviennent  impossibles,  quoique  le 
sujet  possède  la  force  manuelle  et  ses  mouvements  partiels. 

De  l'ataxie  locomotrice  dans  quelques  maladies.  —  Ce  qui  précède  démontre 
surabondamment  que  l'ataxie  est  un  trouble  fonctionnel,  d'abord  constaté  chez 
l'homme.  Mais  ce  phénomène  appartient-il  exclusivement  à  la  maladie  appelée  par 
DucHENNE  ataxie  locomotrice  progressive"?  n'y  aurait-il  pas  d'autres  états  morbides  ca- 
pables de  l'engendrer"?  n'y  a-t-il  pas  au  cours  de  ces  états  morbides  des  symptômes  qui 
puissent  être  dits  ataxiques,  c'est-à-dire  se  manifestant  par  de  l'incoordination?  Or 
aujourd'hui  il  est  bien  démontré  que  l'ataxie  n'est  pas  l'apanage  exclusif  de  la 
maladie  de  Duchenne  :  l'ataxie  n'est  plus  synonyme  de  sclérose  des  cordons  posté- 
rieurs. Du  reste,  comme  nous  le  verrons  ultérieurement,  il  n'y  a  pas  de  raison  sérieuse 
pour  faire  synonymes  l'ataxie  locomotrice  et  la  sclérose  des  cordons  postérieurs. 
Dejerine  a  montré,  à  l'aide  d'observations  cliniques  suivies  d'autopsie,  que  la  plupart 
des  symptômes  de  la  sclérose  des  cordons  postérieurs  pouvaient  être  produits  par  des 
lésions  des  nerfs  périphériques,  et  sans  que  la  moelle  épinière  pût  être  mise  en  cause. 
Voici  donc  deux  maladies,  différentes  comme  localisations  anatomiques,  qui  ont  déter- 
miné l'ensemble  des  mêmes  phénomènes. 

Au  cours  de  la  paralysie  générale,  les  phénomènes  ataxiques  sont  fréquents,  et  c'est 
sur  le  compte  de  l'incoordination  que  Magnan  et  Sérieux  mettent  les  troubles  moteurs 
observés  au  cours  de  cette  maladie;  pour  eux,  la  paralysie  générale  apparaît  constituée 
par  l'association  d'un  état  d'affaiblissement  psychique  généralisé  avec  une  incoordination 
motrice  généralisée  :  la  comparaison  est  d'autant]plus  légitime  que,  dans  les  cas  où  l'ata- 
xie est  très  prononcée,  il  existe  concurremment  des  troubles  de  la  sensibilité;  l'autopsie 
révèle  une  sclérose  des  cordons  postérieurs.  Il  y  a  peut-être  quelques  différences  cliniques 
qui  doivent  entrer  en  ligne  de  compte,  telles  que  la  marche  descendante  de  l'ataxie  dans 
la  paralysie  générale,  et  sa  marche  au  contraire  le  plus  souvent  ascendante  dans  l'ata- 
xie locomotrice;  pour  Ballet,  l'incoordination  de  la  paralysie  générale  ne  ressemblerait 
pas  absolument  à  celle  du  tabès,  les  contractions  musculaires  auraient  plus  d'ampleur  et 
de  brusquerie  ;  il  y  a  de  véritables  décharges  que  Chambard  a  signalées,  et  qui  sont  repré- 
sentées sur  les  graphiques  sous  forme  de  séries  d'oscillations  de  grande  amplitude. 

D'autre  part,  l'embarras  de  la  parole,  le  tremblement  des  lèvres  et  de  la  langue 
(mouvements  décrits  par  Mag.nan  sous  le  nom  de  mouvements  de  trombonej,  qui  sont 
constants  dans  la  paralysie  générale  et  relativement  rares  dans  l'ataxie  locomotrice, 
peuvent  être  sous  la  dépendance  d'un  mécanisme  analogue.  Enfin,  il  est  bon  de  rappe- 
ler que  certains  auteurs,  ayant  découvert  des  lésions  cérébrales  dans  des  cas  de  tabès  qui 
n'étaient  pas  accompagnés  de  troubles  psychiques,  ont  proposé  une  théorie  cérébrale  de 
l'ataxie  locomotrice.  Nous  reviendrons   plus  tard  sur  ce    sujet.   Signalons    seulement 


ATAXIE.  807 

Jes  ataxies  réflexes,  les  ataxies  verraineuses  (Eise.nmann),  les  ataxies  hystériques,  un  cas 
d'ataxie  locomotrice  chez  un  saturnin  avec  puissance  musculaire  intacte.  Nous  ne  trouvons 
là  rien  qui  puisse  nous  venir  en  aide  pour  le  but  que  nous  nous  proposons. 

Des  causes  de  l'incoordination  des  mouvements  d'après  l'anatomie  patho- 
logique et  la  clinique.  —  L'ataxie  étant  l'incoordination,  c'est-à-dire  un  trouble  de  la 
coordination  des  mouvements,  nous  ne  pouvons  en  discuter  le  mécanisme  intime  qu'en 
connaissant  l'ensemble  des  actes  physiologiques  qui  président  normalement  à  l'accom- 
plissement d'un  mouvement.  Ce  sont  là,  malheureusement,  des  données  qui  nous  man- 
quent, ou  du  moins  qui  sont  très  incomplètes.  Nous  devons  au  moins  rechercher  s'il  est  pos- 
sible, en  nous  basant  sur  la  pathologie  et  la  physiologie  expérimentale,  d'éclairer  la 
question  de  l'ataxie.  La  pathologie  nous  fournit  deux  espèces  de  renseignements:  cli- 
niques, anatomiques.  L'ataxie  est  le  signe  le  plus  caractéristique  et  le  plus  constant  de 
la  maladie  de  Duchenne;  à  côté  de  lui  se  groupent  d'autres  symptômes  également  très 
fréquents  :  c'est  à  ces  symptômes  ou  à  leur  groupement  qu'on  a  cru  pouvoir  attribuer  la 
production  de  l'ataxie. 

On  a  incrimiué  la  perte  des  réflexes  cutanés  et  tendineux  comme  la  cause  directe  de 
l'ataxie;  l'arc  réflexe  de  Marshall  Hall  serait  interrompu,  la  contraction  des  muscles 
impulsifs  ne  déterminant  plus  par  réflexe  la  contraction  des  antagonistes  et  des  syner- 
giques, l'incoordination  en  serait  la  conséquence  nécessaire;  mais  il  y  a  de  grandes 
objections  à  faire  à  cette  théorie  :  sans  s'arrêter  aux  expériences  de  Burckardt,  de 
TscEiRiEW,  de  Waller,  qui  tendent  à  démontrer  que  le  temps  qui  s'écoule  entre  le 
moment  où  on  percute  le  tendon  et  celui  où  la  jambe  se  soulève,  est  beaucoup  plus 
court  que  le  temps  nécessaire  à  la  production' d'un  mouvement  réflexe  consécutif  à  une 
excitation  cutanée  (expériences  qui  sont  très  contestables),  il  n'est  pas  prouvé  que  les 
associations  musculaires  se  fassent  par  voie  réflexe,  ou  plutôt  c'est  là  précisément  ce 
qu'il  faudrait  justement  démontrer. 

Les  troubles  de  la  sensibilité  ont  été  plus  souvent  invoqués  comme  causes  :  nous  ne 
parlons  bien  entendu  que  des  troubles  objectifs  divers,  diminution  ou  abolition  de  la 
sensibilité  sous  différents  modes,  ses  modifications  ou  paresthésies,  retard  des  sensations, 
métamorphose  des  sensations,  défaut  de  localisation,  anesthésies  dissociées,  rappels  de 
sensations,  tétanos  sensitif,  polyesthésie,  épuisement  des  sensations,  etc. 

Pour  que  ces  troubles  sensitifs  eussent  une  valeur,  il  faudrait  qu'ils  fussent  constants 
dans  l'ataxie  locomotrice;  or  on  a  relevé  des  cas  où  les  modiflcations  de  la  sensibilité 
étaient  peu  marquées,  et  l'ataxie  très  intense-  Par  contre,  ce  serait  un  tort  de  s'appuyer 
sur  la  rareté  de  l'incoordination  dans  l'hystérie,  maladie  qui  s'accompagne  de  ^troubles 
sensitifs  très  accentués,  pour  leur  refuser  toute  valeur.  En  effet  l'hystérie  laisse  intacts 
les  conducteurs  de  la  sensibilité;  le  plus  souvent,  les  sensations  sont  conduites  :  elles  ne 
sont  pas  perçues. 

Une  objection  plus  sérieuse  est  la  suivante  :  l'anesthésie  cutanée  due  à  des  lésions 
organiques,  telle  qu'on  en  observe  au  cours  de  certaines  névrites,  n'entraîne  pas  forcé- 
ment l'nicoordination.  Aussi  doit-on  considérer  l'anesthésie  cutanée  comme  n'entraînant 
absolument  pas  l'ataxie  ;  au  contraire,  l'intégrité  des  sensibilités  profondes,  de  la  sensi- 
bilité osseuse  et  articulaire,  la  perte  du  sens  musculaire  de  Ch.  Bell,  du  sentiment 
d'activité  musculaire  de  Gerdy,  sensibilité  commune  ou  profonde  d'AxENFELD,  anesthésie 
musculaire  des  auteurs  allemands  ;  voilà  ce  qu'on  a  tour  à  tour  considéré  comme  la 
condition  nécessaire  de  la  coordination  des  mouvements.  Pour  DucheiNxe,  de  Boulogne, 
toutes  ces  espèces  ou  degrés  de  sensibilité  ne  font  que  perfectionner  l'exercice  de  la  fa- 
culté coordinalrice  :  «  Ecrire  que  la  coordination  motrice  est  subordonnée  en  tant  qu'opé- 
ration volontaire  à  l'intégrité  du  sens  tactile,  c'est  professer  une  hérésie  physiologique.  » 
DucHENNE  avait  entrevu,  toutefois,  l'importance  de  l'intégrité  de  la  sensibilité  osseuse  et 
articulaire  dans  le  fonctionnement  régulier  des  mouvements  :  c'est  lorsque  les  articulations 
des  membres  où  siège  l'insensibilité  musculaire  sont  elles-mêmes  insensibles  aux  mou- 
vements qui  leur  sont  imprimés,  que  l'on  voit  apparaître  les  symptômes  altribués  à  tort 
a.  la  paralysie  de  la  sensibilité  musculaire.  Si  Diichenne  a  accordé  si  peu  d'importance 
aux  troubles  de  la  sensibilité,  c'est  qu'il  n'a  pas  différencié  les  troubles  sensitifs  de  l'hys- 
térie et  ceux  des  lésions  névritiques  (au  point  de  vue  de  leur  mécanisme). 

Cette  influence  des  troubles  sensitifs  devait,  en  effet,  avoir  un  appoint  plus  sérieux     , 


808  ATAXIE. 

dans  le  nervotabes,  où  ils  sont  constants  et  très  marqués;  lorsque  Dejerine  fit  ses  pre- 
mières communications  sur  le  nervotabes,  il  insista  sur  l'influence  de  ces  troubles  de  la 
sensibilité  sur  l'incoordination  ;  mais  il  ajouta  que  c'était  à  l'inégalité  de  la  lésion 
dans  les  nerfs  cutanés  et  dans  les  nerfs  musculaires  qu'il  attribuait  les  symptômes 
observés  chez  ses  malades  (marche  possible,  mais  très  incoordonnée,  troubles  de  la  sen- 
sibilité, signe  de  Rojiberg). 

DucHENN'E  de  Boulogne  avait  signalé  quelques  cas  d'individus  perdant  la  faculté  d'exer- 
cer leurs  mouvements  volontaires,  lorsqu'on  les  empêche  de  voir,  et  c'est  de  là  qu'était 
née  sa  théorie  de  l'aptitude  motrice  indépendante  de  la  vue  ou  de  la  conscience  muscu- 
laire :  Ddchenne  en  rapporte  3  ou  4  cas  :  peut-être  une  altération  de  celte  faculté  inter- 
viendrait-elle dans  la  production  de  l'ataxie"? 

Cette  théorie  n'a  pas  de  bases  bien  solides.  A  côté  des  faits  cliniques,  il  faut  placer 
les  renseignements  fournis  par  l'anatomie  pathologique;  il  ne  s'agit  pas  de  discuter  sur 
la  lésion  primitive  du  tabès,  mais  de  rechercher  celle  qu'on  observe  le  plus  fréquemment. 

La  lésion  des  cordons  postérieurs  fut  considérée,  à  l'origine  des  études  faites  sur  le 
tabès,  comme  le  substratum  anatomique  de  cette  maladie  :  pour  Pierret  et  Chakcot, 
il  y  aurait  des  fibres  commissurales  reliant  entre  eux  les  centres  spinaux  étages  à 
différents  niveaux  dans  la  moelle;  ces  fibres  commissurales  seraient  situées  précisément 
dans  les  cordons  postérieurs.  Poincarré  se  rattache  à  une  théorie  analogue  :  les  cordons 
postérieurs  ne  seraient  autres  que  les  voies  commissurales  de  la  coordination  innée. 
Mais  il  y  a  un  parallèle  remarquable  entre  l'intensité  des  lésions  des  cordons  postérieurs 
et  celle  des  racines  postérieures,  de  sorte  que  celles-là  ne  seraient  que  la  conséquence 
de  celles-ci  :  c'est  du  moins  l'opinion  soutenue  par  Leyden,  Déjerine,  Schultze,  Marie, 
Redlich  :  on  a  objecté  à  ces  auteurs  qu'à  l'autopsie  de  quelques  cas  de  tabès  au  début, 
il  aurait  été  constaté  des  lésions  des  cordons  sans  lésions  concomitantes  des  racines;  ces 
cas  sont  très  rares,  exceptionnels,  et  peut-être  les  racines  n'ont-elles  pas  été  soumises 
à  un  examen  très  rigoureux.  11  n'est  pas  fréquent  du  reste  de  faire  des  autopsies  de 
tabès  au  début  ;  lorsque  les  altérations  sont  encoi-e  peu  prononcées,  peut-être  le  seg- 
ment périphérique  des  racines  est-il  plus  touché  que  le  segment  médullaire.  Nous  ne 
ferons  que  signaler  les  altérations  des  cellules  des  ganglions  spinaux,  qui  sont  très 
légères  et  inconstantes. 

Au  cours  du  tabès  il  n'est  pas  rare  de  constater  des  troubles  de  la  sensibilité  qui  ne 
sont  nullement  en  proportion  avec  les  lésions  radiculo-médullaires. 

Dejerlne  a  trouvé  la  clef  de  ce  phénomène  dans  les  lésions  des  nerfs  périphériques; 
il  a  attiré  l'attention  sur  leur  fréquence  et  sur  le  rôle  qu'elles  peuvent  jouer  dans  la 
détermination  des  modifications  de  la  sensiblité:  Oppenheim  et  Simuerling  se  sont  ral- 
liés à  cette  opinion. 

On  a  supposé  ici  des  fibrc:<  cuordhiatric.es  descendant  par  les  cordons  postérieurs 
(Woroschiloff);  Erb  (188oj  ;  mais  d'abord  c'est  une  hypothèse  toute  gratuite  ;  et  ensuite  il 
y  a,  comme  nous  l'avons  dit,  dans  certains  cas  bien  authentiques,  à  la  fois  ataxie  sans 
lésion  des  cordons  postérieurs,  et  lésions  des  cordons  postérieurs  sans  ataxie.  Mention- 
nons aussi  l'opinion  de  Takacz  (1878)  qui  rattache  l'mcoordination  au  retard  de  la  sensi- 
bilité. Chaque  contraction  provoque  en  même  temps  que  le  mouvement  musculaire  une 
excitation  centripète,  qui  va  mettre  en  jeu  une  série  de  contractions  musculaires  nou- 
velles harmonisées  avec  la  première.  S'il  y  a  un  relard  dans  cette  transmission,  la 
synergie  fait  défaut.  C'est  une  théorie  ingénieuse,  mais  bien  hypothétique  encore. 

L'ataxie  ne  porte  pas  seulement  sur  les  mouvements  volontaires;  dans  certains  cas, 
il  y  a  des  mouvements  désordonnés  qui  sont  involontaires:  c'estune  athétose  qui  coïn- 
cide avec  le  tabès  (V.  Athétose).  Mais  on  comprend  qu'ici  nous  n'ayons  pas  à  insister 
sur  les  modalités  cliniques  qui  sont  innombrables. 

Les  lésions  de  l'encéphale  sont  moins  rares  qu'on  ne  le  supposait  il  y  a  quelques 
années,  surtout  depuis  les  recherches  de  Jendrassik,  reprises  par  iNageotte.  Mais  faut-il, 
avec  le  premier,  admettre  que  le  tabès  est  avant  tout  une  maladie  cérébrale,  que  la 
lésion  primitive  est  localisée  dans  les  fibres  tangentielles  et  que  l'ataxie  est  étroitement 
liée  à  cette  lésion  :  que  les  lésions  spinales  ne  sont  que  secondaires?  Il  est  plus  que 
probable  qu'il  ne  s'agit  là  que  d'une  coïncidence  de  deux  lésions,  et  peut-être  d'un 
rapport  entre  deux  maladies  :  la  paralysie  générale  et  l'ataxie.  Au  contraire,  il  faut 


ATAXIE.  809 

rapprocher  les  altérations  des  voies  de  la  sensibilité  d'une  part,  les  modifications  de 
la  sensibilité  et  l'incoordination  d'autre  part  :  le  parallélisme  de  ces  trois  faits, 
existant  da;is  l'ataxie  locomotrice,  comme  dans  le  nervotabes,  est  frappant. 

Enfin,  DucHENNE  de  Boulogne  s'était  demandé  si,  dans  l'ataxie  locomotrice,  le  grand 
sympathique  peut  offrir  des  altérations  anatomiques,  et  si  un  travail  morbide  dont  il 
est  le  siège  pourrait  exercer  une  influence  sur  la  dégénérescence  atrophique  des  cor- 
dons postérieurs  de  la  moelle  et  de  leurs  tubes  nerveux  :  les  lésions  du  sympathique 
ont  été  en  effet  signalées.  Mais  leur  existence  est  loin  encore  d'être  démontrée. 

Rôle  de  la  sensibilité  dans  la  coordination  du  mouvement.  Expériences.  — 
La  physiologie  n'a  pas  encore  réussi  à  expliquer  méthodiquement  le  mécanisme  de 
la  coordination  (et  par  conséquent  de  l'ataxie),  soit  en  s'appuyant  sur  les  données 
cliniques  et  anatomo-pathologiques,  soit  en  se  basant  sur  des  phénomènes  présentant 
des  analogies  avec  l'ataxie,  mais  observés  au  cours  d'expériences  instituées  dans  un  but 
tout  différent.  De  fait  une  explication  rationnelle  manque  encore,  pour  nous  faire  savoir 
par  quel  mécanisme  a  lieu  l'ataxie  des  malades  atteints  de  tabès. 

Le  système  nerveux,  depuis  la  terminaison  seusitive  jusqu'aux  centres  supérieurs, 
jusqu'à  l'écorce,  a  été  interrogé  vainement.  En  s'appuyant  sur  ce  fait  clinique  que 
l'anesthésie  était  fréquemment  observée  et  presque  constante  au  cours  du  tabès,  cer- 
tains auteurs  s'étaient  demandé  si  en  provoquant  cette  anesthésie  on  ne  provoquerait 
pas  par  là  même  le  tabès.  Aussi  Vierobdt  et  Heid,  puis  Rosexthal,  avaient  pensé  pro- 
voquer l'incoordination  par  l'anesthésie  plantaire,  Heid  aurait  obtenu  des  oscillations 
du  corps  dans  la  station  verticale,  après  anesthésie  de  la  plante  du  pied  par  le  chloro- 
forme. Egenhrodt  (d'après  Topinakd)  aurait  également  constaté  une  incertitude  assez 
grande  de  la  marche  et  de  la  station  après  la  section  des  nerfs  cutanés. 

Quaut  au  rôle  des  racines  postérieures,  il  a  été  déterminé  par  les  expériences  clas- 
siques de  Van  Deen,  Longet,  Cl.  Bernard,  Brown-Séquard.  Van  Deex  avait  constaté  que 
les  grenouilles  éprouvaient  une  difficulté  dans  la  locomotion  après  la  section  des  racines 
postérieures.  Pannizza  le  premier  aurait  remarqué  qu'en  coupant  les  racines  postérieures 
des  chiens  on  déterminait,  outre  l'abolition  de  la  sensibilité,  des  troubles  moteurs  spé- 
ciaux :  les  mouvements  conservent  leur  force,  mais  ils  sont  mal  assurés,  maladroits; 
l'animal  en  est  peu  maître.  C'est  ce  que  Vulpian  exprime  de  la  manière  suivante  : 
«  L'intensité  volontaire  ne  peut  se  porter  avec  précision  sur  les  groupes  musculaires 
destinés  à  accomplir  tel  ou  tel  mouvement,  qu'à  la  condition  que  les  régions  de  l'en- 
céphale d'oli  émane  cette  incitation  soient  en  possession  bien  nette  de  la  notion  de 
la  position  de  la  partie  à  mouvoir,  et  qu'elles  puissent  juger  de  la  direction  prise 
par  cette  partie,  pendant  que  le  mouvement  s'exécute  :  ce  sont  là  des  impressions  qui 
font  défaut  ou  sont  affaiblies  chez  les  ataxiques.  »  Cl.  Bernard,  à  la  suite  d'expé- 
riences faites  sur  la  sensibilité  récurrente,  se  demandait  si  «  le  mouvement  d'une 
partie  privée  de  sensibilité  peut  s'effectuer  aussi  bien  qu'auparavant  ».  Comme  ses 
expériences  lui  avaient  démontré  que  les  muscles  recevaient,  outre  les  filets  moteurs, 
des  filets  sensitifs,  il  concluait  qu'il  existe  dans  ces  organes  une  sensibilité  particulière 
à  laquelle  on  peut  donner  le  nom  de  sens  musculaire;  sensibilité  qui,  permettant 
d'apprécier  Jusqu'à  un  certain  point  l'énergie  des  actions  musculaires,  la  portée  d'un 
effort  donné,  serait  nécessaire  pour  assurer  aux  mouvements  d'ensemble  la  coordination 
qui  leur  est  indispensable. 

A  la  suite  d'expériences  sur  les  grenouilles  dont  il  avait  insensibilisé  une  ou  deux 
pattes,  il  avait  semblé  à  Cl.  Bernard  que  les  mouvements  d'un  membre  privé  de  sen- 
sibilité sont  déterminés  ou  entraînés  par  ceux  du  membre  opposé.  Dans  une  autre  série 
d'expériences,  il  sectionne  les  racines  postérieures  ou  lombaires,  soit  d'un  côté  seule- 
ment, soit  des  deux  côtés  à  la  fois  :  dans  tous  les  cas,  il  voit  des  troubles  du  mouve- 
ment en  rapport  avec  la  sensibilité  :  mais  non  pas  de  la  sensibilité  cutanée,  puisqu'une 
grenouille  dont  Cl.  Bernard  avait  écorché  les  quatre  membres,  n'avait  rien  perdu  de 
l'agilité  de  ses  mouvements. 

Ainsi,  à  mesure   qu'on  détruit   la  sensibilité  on  détruit  le  mouvement  volontaire. 

Cl.  Bernard  a  montré  le  peu  d'importance  de  la  sensibihté  cutanée  sur  la  précision 
du  mouvement,  en  sectionnant  les  filets  cutanés  de  la  serre  sur  un  épervier  :  après  l'opé- 
ration il  ne  présentait  aucun  trouble  du  mouvement. 


810  ATAXIE. 

De  mênae,  chez  un  chien  sur  lequel  il  avait  coupé  les  nerfs  cutanés  qui  se  rendent 
aux  quatre  pattes,  on  pouvait  voir  les  mouvements  de  la  marche  s'exécuter  parfaite- 
ment. 

Après  la  section  des  racines  postérieures  droites  chez  le  chien,  les  mouvements 
étaient  restés  les  mêmes  qu'antérieurement  dans  la  patte  gauche  qui  avait  conservé  sa 
sensibilité,  alors  que  la  patte  droite  insensible  était  traînante  :  elle  était  agitée  par  des 
mouvements  incertains  et  sans  but.  Sur  un  autre  chien,  il  sectionna  les  racines  posté- 
rieures des  cinq  premières  paires  lombaires  et  des  paires  sacrées,  puis  en  une  deuxième 
fois  il  sectionna  la  racine  de  la  sixième  paire  lombaire.  A  ce  moment  seulement  se  pro- 
duisent des  troubles  du  mouvement  :  ce  qui  prouverait,  dit  Cl.  Bernard,  que,  tant  qu'il 
reste  un  peu  de  sensibilité,  les  mouvements  conservent  une  certaine  régularité  qu'ils 
perdent  à  l'instant  même  où  cette  sensibilité  est  enlevée.  Il  y  a  dans  ces  expériences  la 
preuve  d'une  influence  très  nette  de  la  sensibilité  générale,  dont  l'étude  a  été  reprise  par 
ScHiFF,  GoLTz  et  tout  récemment  parC.  Schipiloff  pour  la  respiration  et  l'absorption  relie 
tend  à  démontrer  également  qu'il  suffit  d'un  très  petit  nombre  de  rameaux  appartenant 
à  la  sensibilité  générale  pour  assurer  ces  fonctions. 

Les  expériences  de  Cl.  Bernard  démontrent  d'une  manière  péremptoire  l'influence 
de  la  section  des  racines  postérieures  sur  le  mouvement,  et  partant,  celle  de  la  sensibilité 
sur  l'acte  musculaire,  mais  s'agissait-ii  bien  dans  ce  cas  d'incoordination  réelle,  d'ataxie? 
Du  reste  Van  Deen  pense  qu'après  la  section  des  racines  postérieures,  ce  n'est  pas  tant  la 
perte  du  sentiment  réel  qui  détermine  les  troubles  locomoteurs,  que  celle  du  sentiment 
de  réflexion  :  ainsi,  pendant  la  marche,  c'est  le  contact  du  pied  avec  le  sol  qui  détermine 
le  mouvement  du  côté  opposé.  Si  par  le  fait  d'une  lésion  des  racines  postérieures  le  con- 
tact n'était  conduit  que  d'une  façon  incomplète  à  la  moelle,  elle  ne  mettrait  en  activité 
les  cellules  excito-motrices  du  côté  opposé  que  très  incomplètement.  Vulpian  fait  remar- 
quer à  ce  propos  que  certains  mouvements  automatiques  des  membres  supérieurs 
pendant  la  marche,  mouvements  bien  étudiés  par  Duchenne  de  Boulogne,  pourraient 
ne  pas  avoir  d'autre  point  de  départ.  Cl.  Bernard  ne  précise  pas  suffisamment  :  il  parle 
de  membres  insensibles  et  privés  de  mouvements  volontaires,  animés  de  mouvements 
désordonnés  et  sans  but  déterminé.  Mais  ce  n'est  pas  là  de  l'ataxie.  Du  reste  Leyden  et 
Rosenthal,  qui  ont  répété  ces  expériences  en  en  modifiant  les  conditions,  n'ont  pas 
obtenu  des  désordres  tels  que  ceux  de  l'ataxie,  mais  une  inertie  spéciale  des  membres. 

Dans  les  expériences  de  C.  Schipiloff  (1891),  il  est  bien  remarquable  de  voir  que  les 
grenouilles,  dont  toutes  les  racines  postérieures  ont  été  coupées,  n'ont  pas  d'incoordina- 
tion motrice;  c'est  l'immobilité  qu'on  observe  et  non  l'ataxie  :  de  même  Héring  ^,1893) 
coupant  à  des  grenouilles  excérébrées  toutes  les  racines  postérieures,  ne  voit  pas  l'ataxie, 
mais  l'immobilité;  il  en  conclut  que  l'automatisme  de  la  moelle  n'existe  pas.  Ces  expé- 
riences ne  nous  renseignent  guère  sur  la  nature  même  de  l'ataxie,  ou  plutôt  elles  ten- 
dent à  nous  faire  admettre  que  l'ataxie  est  plutôt  un  trouble  fonctionnel  dans  l'activité 
des  centres  médullaires  sensitifs,  excito-moteurs  des  actions  réflexes,  qu'une  abolition 
de  l'activité  de  ces  centres.  Peut-être  trouverait-on  quelque  analogie  entre  ces  faits 
et  quelques  faits  cliniques,  dans  lesquels  l'incoordination,  très  marquée  au  début,  s'est 
peu  à  peu  transformée  en  un  état  parétique. 

Mentionnons  enfln  de  récentes  expériences  faite  en  Angleterre,  par  Mon  et  Sher- 
RiNGTON,  sur  des  singes,  et  en  France,  sur  des  chiens  par  Chauveau,  et  par  Tissot  et 
Contejean  (1895).  Ces  expériences  sembleraient  prouver,  comme  l'avaient  fait  les  belles 
recherches  de  C.  Schipiloff,  que  la  section  des  racines  postérieures  détermine  plutôt 
la  perte  de  mouvement  et  la  paralysie  motrice  que  l'ataxie  et  le  trouble  de  la  motilité. 
La  rupture  de  ce  que  Chauveau  appelle  le  circuit  sensitivo-moteur  provoque  des  irrégu- 
larités du  mouvement,  qui  peuvent  aller  jusqu'à  la  paral3'sie  complète.  Chez  un  chien 
qui  avait  subi  l'extirpation,  dans  le  même  côté,  des  ganglions  intervertébraux  des 
quatre  dernières  paires  lombaires  et  des  deux  premières  sacrées,  il  y  eut,  quand  la  gué- 
rison  de  la  plaie  fut  complète,  une  ataxie  formidable,  dans  certains  mouvements;  mais 
d'autres  mouvements  coordonnés  persistaient  dans  leur  intégrité. 

Il  y  a  ici  lieu  de  noter  une  expérience  ingénieuse  de  Brown-Séquard  (1863).  Chez  les 
pigeons,  si  l'on  pique  légèrement  la  partie  inférieure  de  la  moelle  épinière  (sinus  rhom- 
boïdal),  on  voit  que  l'animal  ne  peut  plus  se  tenir  en  équilibre;  il  y  a  un  trouble  dans 


ATAXIE.  8H 

la  locomotion  tel  que  les  chutes  sont  incessantes;  et  cet  état  persiste  plusieurs  semaines. 

Toutefois  il  reste  d'assez  notables  diiTérences  entre  ces  troubles  de  l'incoordination  et 
l'ataxie  véritable,  de  sorte  que,  si  nous  devions  dire  à  quelles  autres  perturbations  fonc- 
tionnelles ressemblent  les  troubles  de  ces  pigeons,  dits  ataxiques,  ce  serait  plutôt  aux  per- 
versions de  l'équilibre,  résultant  des  lésions  du  cervelet  et  des  canaux  semi-circulaires. 

A  ces  troubles,  on  peut  rattacher  peut-être  les  ataxies  dites  réflexes,  fort  rares  d'ail- 
leurs, dans  lesquelles  des  traumatismes  ou  des  excitations  périphériques  ont  déterminé 
une  vraie  incoordination  motrice. 

Rôle  de  la  tonicité  musculaire.  —  Ou  a  supposé  que  les  racines  postérieures 
ouent  un  grand  rôle  dans  la  locomotion,  en  exerçant  une  influence  sur  la  tonicité  des 
muscles.  Habless  a  montré,  par  des  expériences  myographiques,  que  la  forme  de  la 
secousse  musculaire  change  lorsque  les  racines  postérieures  ont  été  coupées,  ou  lors- 
qu'elles sont  excitées  simultanément.  Cyon,  et  après  lui  Tschiriew  et  Anbep,  avaient 
démontré  que,  si  l'on  coupe  les  racines  postérieures,  toute  tonicité  dispai'aît  dans  le 
muscle,  aussi  bien  que  si  l'on  avait  coupé  les  racines  antérieures;  il  aurait  montré 
d'autre  part  que,  si  l'on  excite  une  racine  antérieure  de  manière  à  provoquer  une 
secousse  musculaire,  la  secousse  est  brève,  dès  que  le  nerf  n'est  plus  en  relation  avec  la 
moelle  :  au  contraire,  si  le  nerf  est  uni  à  la  moelle,  la  secousse  est  prolongée,  comme  si 
l'excitation  remontant  vers  la  moelle  avait  déterminé  par  action  réflexe  une  prolongation 
de  la  contraction.  Marcacci  (1880)  a  vu  que,  si  l'on  excite  la  racine  antérieure,  l'exci- 
tabilité de  cette  racine  est  moins  grande  lorsque  la  racine  postérieure  est  intacte.  Peut- 
être  y  aurait-il,  venant  de  la  périphérie,  des  nerfs  sensitifs  qui  provoquent  un  réflexe 
d'arrêt  de  la  contraction  musculaire? 

Défaut  de  synergie  dans  l'action  musculaire.  —  On  a  objecté  avec  raison  que 
les  lésions  des  racines,  déterminées  par  Van  Deem,  Panizza,  Cl.  Bernard,  n'avaient  pas 
pour  résultat  des  phénomènes  ataxiques,  mais  des  phénomènes  paralytiques:  c'est  à 
tort  aussi  qu'on  a  fait  un  rapprochement  entre  ces  expériences  et  l'ataxie  locomotrice  : 
dans  les  premières,  on  supprime  les  racines  brusquement,  dans  l'ataxie  locomotrice, 
au  contraire,  la  suppression  est  lente;  il  serait  étonnant,  de  prime  abord,  que  la  sup- 
pression brusque  de  plusieurs  filets  nerveux  amenât  le  même  résultat  que  la  sup- 
pression lente.  Pour  reproduire  expérimentalement  l'ataxie  telle  qu'on  l'observe  dans 
la  clinique,  il  faudrait  pouvoir  supprimer  ou  plutôt  altérer  progressivement  les  voies 
conductrices  de  la  sensibilité.  L'ataxique  ne  devient  pas  tel  du  jour  au  lendemain,  si 
bien  qu'il  est  déjà  ataxique,  alors  que  ses  proches  et  lui-même  ne  s'en  sont  pas  encore 
aperçus  :  c'est  insensiblement  qu'il  devient  ataxique:  il  ne  lance  pas  ses  jambes  dès  le 
début,  comme  il  le  fera  aune  période  plus  avancée  de  la  maladie,  mSiis  il  talonne  très  légè- 
rement, et  ce  sera  un  obstacle  ou  la  marche  dans  l'obscurité  qui,  un  jour  ou  l'autre, 
l'avertiront  qu'il  ne  marche  plus  comme  autrefois.  Après  avoir  talonnC',  il  lancera  ses 
jambes  en  avant;  plus  tard  les  membres  supérieurs  et  le  tronc,  qui  participent  à  l'équi- 
libre pendant  la  marche,  lui  feront  défaut;  enfin  tout  mouvement  deviendra  impossible; 
l'ataxique  sera  devenu  impotent. 

De  même,  pour  les  membres  supérieurs.  Au  début,  ce  seront  les  mouvements  très 
limités  qui  sont  troublés;  le  malade  éprouvera  de  la  difficulté  à  prendre  une  épingle  ;  plus 
tard  il  ne  pourra  porter  sûrement  un  verre  à  ses  lèvres  sans  le  regarder  avec  soin.  Or, 
comment  évoluent  les  lésions?  Les  lésions  des  racines  sont  progressives,  elles  n'existent 
pas  au  même  degré  sur  toutes  les  racines,  et  le  nombre  des  racines  envahies  augmente 
aussi  progressivement.  11  en  résulte,  physiologiquement,  que  les  centres  médullaires  qui 
participent  à  un  même  mouvement  d'ensemble  ne  sont  pas  excités  au  même  instant  et  avec 
la  même  intensité;  il  s'ensuit  nécessairement  que  la  simultanéité  des  contractions  mus- 
culaires qu'exige  la  simultanéité  des  impressions  n'existe  plus:  il  y  a  incoordination, 
ataxie. 

Lorsque  les  cyhndres-axes  sont  complètement  détruits,  les  racines  atrophiées,  le 
mal  ide  devient  non  pas  paralysé,  mais  impotent  :  il  est  comme  l'animal  auquel  on  a  sec- 
tionné toutes  les  racines  des  membres  inférieurs. 

Pour  expliquer  comment  peut  se  faire  le  trouble  des  mouvements  par  l'altération  de 
l.=i  sensibilité,  il  faut  distinguer,  parmi  les  mouvements  que  nous  exécutons,  ceux  dont 
nous  avons  l'habitude  et  ceux  auxquels  nous  ne  sommes  pas  exercés.  Au  début  de 


81^2  ATAXIE. 

l'ataxie,  ce  sont  les  premiers  qui  sont  touchés:  c'est  un  barbier  qui  laisse  échapper  son 
rasoir,  une  couturière  qui  ourle  maladroitement,  un  musicien  qui  fait  des  fausses  notes. 
Parmi  les  autres,  ce  sont  les  plus  délicats  dont  l'exécution  est  le  plus  difficile.  Dans 
ces  deux  espèces  de  mouvements,  la  volonté  n'a  pas  une  part  égale:  dans  les  premiers, 
elle  s'exerce  surtout  au  début,  elle  n'agit  ensuite,  pour  ainsi  dire,  que  d'une  manière 
latente;  la  première  impulsion  donnée,  les  centres  médullaires,  prévenus  successive- 
ment par  les  diverses  sensations,  interviennent  suivant  le  moment  et  l'intensité  de  ces 
sensations  :  ces  mouvements  peuvent  être  considérés  comme  la  résultante  de  plusieurs 
actes  réflexes  :  il  n'y  a  rien  d'étonnant,  par  conséquent,  à  ce  qu'ils  soient  les  premiers 
altérés.  Lorsque  les  mouvements  sont  délicats,  ils  s'exécutent  par  l'action  synergique  de 
groupes  musculaires  très  voisins,  innervés  le  plus  souvent  par  des  filets  nerveux  dont 
l'origine  radiculaire  est  la  même.  Si  cette  racine  est  très  altérée,  il  est  évident  que  le 
mouvement  sera  lui-même  très  difficile  à  exécuter.  Dans  le  cas  de  mouvements  oii  la 
volonté  intervient  pour  une  large  part,  ceux  dont  nous  n'avons  pas  une  grande  habitude, 
le  cerveau  peut  suppléer  en  partie  à  la  moelle;  cette  suppléance  sera  d'autant  moins  effi- 
cace que  la  volonté  agira  sur  un  centre  anatomique  plus  restreint. 

Lorsque  l'ataxie  est  très  marquée,  la  volonté  intervient  grâce  aux  renseignements 
que  lui  fournit  la  vue.  C'est  dire  que,  si  on  supprime  la  vue,  on  augmente  l'ataxie.  Il 
semble  même  que  la  vue  agisse  comme  provoquant  par  une  sorte  de  stimulation  réflexe 
une  synergie  musculaire  plus  parfaite;  car  tel  malade,  qui  ne  peut  voir  ses  membres 
inférieurs,  mais  à  qui  on  laisse  les  yeux  ouverts,  a  des  désordres  de  motilité  bien  moin- 
dres que  si  on  lui  fait  l'occlusion  complète  des  yeux  (Jaccoud). 

Pour  les  mêmes  raisons  que  celles  exposées  précédemment,  les  physiologistes  qui 
ont  tenté  de  provoquer  l'ataxie  par  lésions  ou  sections  des  cordons  postérieurs  n'ont 
pas  été  plus  heureux.  Vulpian  et  Philippeaux  avaient  fait  sur  les  faisceaux  posté- 
rieurs d'un  chien,  au  milieu  de  la  région  dorsale,  une  section  transversale  qui  les  divi- 
sait complètement.  Les  mouvements  volontaires  des  membres  postérieurs  étaient  trou- 
blés, affaiblis,  mais  il  n'y  avait  pas  incoordination.  Du  reste,  dans  ce  cas  la  sensibilité 
n'est  que  très  légèrement  touchée  :  Bbown-Séquahd  et  Schiff  ont  démontré  que  plusieurs 
sections  transversales  incomplètes  de  la  moelle  épinière  au  niveau  de  la  région  dorsale 
laissent  persister  la  sensibilité  dans  les  membres  postérieurs,  pourvu  que  chaque  section 
n'ait  pas  divisé  entièrement  la  substance  grise.  La  sensibilité  disparaît  au  contraire  entiè- 
rement dès  que  cette  substance  est  complètement  interrompue.  Brown-Séqdard,  à  la  suite 
d'expériences  sur  les  cordons  postérieurs,  avait  établi  que,  dans  les  altérations  limi- 
tées aux  cordons  postérieurs,  mais  occupant  toute  leur  épaisseur  et  toute  leur  lon- 
gueur ou  la  totalité  du  renflement  lombaire,  il  y  a  impossibilité  de  se  lever  et  de 
marcher,  à  cause  de  la  perte  de  l'activité  réflexe. 

Conclusions.  Résumé.  —  En  résumé,  la  physiologie  de  l'ataxie  n'est  pas  complè- 
tement élucidée;  la  coïncidence  de  ce  symptôme  avec  les  troubles  de  la  sensibilité  et 
les  lésions  des  voies  de  la  sensibilité,  et  leur  parallélisme,  établissent  entre  eux  un  rap- 
port manifeste,  sans  que  ce  rapport  puisse  être  considéré  absolument  comme  un  rapport 
de  causalité.  Aucune  des  théories  proposées  n'est  complètement  satisfaisante.  Les  troubles 
de  la  sensibilité  n'expliquent  pas  le  défaut  de  coordination  :  et  d'autre  part  l'existence 
d'un  système  spécial  de  coordination,  soit  cérébral,  soit  bulbaire,  soit  médullaire,  est 
très  hypothétique. 

Toutes  réserves  faites,  il  nous  sera  permis  d'admettre,  au  moins  provisoirement,  que 
l'intégrité  du  mouvement  (au  point  de  vue  de  l'harmonie  et  de  la  synergie  et  du  relâ- 
chement ou  de  la  contraction  des  antagonistes)  nécessite  l'intégrité  des  segments  médul- 
laires (cornes  antérieures,  cornes  postérieures,  racines  antérieures,  racines  postérieures) 
qui  servent  à  ce  mouvement.  S'il  s'agit  d'un  mouvement  volontaire,  le  cerveau  y  sup- 
plée. S'il  s'agit  au  contraire  d'un  mouvement  habituel,  automatique,  non  volontaire, 
dans  lequel  le  cerveau  n'intervient  pas,  alors  la  moelle  malade  ne  peut  plus  l'exécuter; 
de  sorte  que  l'ataxie  est  surtout  un  trouble  dans  l'automatisme  coordinateur  de  la 
moelle. 

Bibliographie.  —  Nous  n'avons  à  présenter  ici  que  la  bibliographie  qui  porte  sur 
la  pathogénie  de  l'ataxie.  Pour  les  travaux  anciens,  on  consultera  surtout  Topinard 
(1864)  et  Jaccoud  (1864);  pour  les  ti-avaux  récents,  Raymond  (189i). 


ATHETOSE.  SI.-} 

Voici  le  résumé  des  principaux  documents  utiles  à  la  connaissance  de  la  physiologie 
pathologique'  de  l'ataxie: 

1838.  —  Bkrnard  (Claude).  Leç.  sur  la  jihysiol.  et  la  path.  du  syst.  nerveux,  i,  246- 
328.  —  DucHENNE  (de  Boulog-ne).  De  l'ataxie  locomotrice  progressive  (Arch.  gén.  de  méd., 
Paris,  1888,  (2),  641;  1859,  (1);  36;  138;  417), 

1863.  —  Brown-Séquard.  Production  d'ataxie  musculaire  par  l'irritation  d'une  petite 
portion  de  la  moelle  épiiiière  chez  les  oiseaux  (Journ.  de  lap>hys.  de  l'h.  et  des  unim.,  Paris, 
VI,  701-703). 

1864.  —  Jaccoud.  Les  paraplégies  et  l'ataxie  du  mouvement.  8°,  Paris.  — Topinard  (P.). 
De  l'ataxie  locomotrice  et  en  particulier  de  la  maladie  appelée  ataxie  locomotrice  progres- 
sive (D.  P.). 

1867.  —  Cyon  (E.  dk).  Ziir  Lehre  von  der  Tabcs  dorsalis  {A.  V.,  xli,  333-384). 

1869.  —  Leyden  (E.).  Ueber Muskelsinnund Ataxie,  nebstFâllen  {A.  V.,  1869,  xlviii,  321- 
331).  —  Arlojng.  Ataxie  locomotrice  chez  un  chien  {Mém.  Soc.  de  méd.  de  Lyon,  vrii, 
103-106). 

1872.  —  Ber-\hardt  (M.).  Zur  Lehre  vom  Muskelsinn  {Arch.  f.  Psych.,  Beriin,  m,  618-633). 

1874.  —  WoRoscHiLoi-i'.  Der  Ver  l  au  f  der  motorischen  iind  sensiblen  Bahncn  durch  das 
Lendenmark  des  Katiinchen  [Arb.  a.  d.  pliysiol.  Anstall,  Leipzig,  ix,  99-153). 

1 876.  —  Cyon  (E.  de).  Sur  la  secousse  musculaire  produite  par  l'excitation  des  racines  de 
la  moelle  épinière  (B.  B.,  134).  —  Friedreich.  Ueber  statische  Ataxie  and  ataktischen  Nys- 
tagmus  {Arch.  f.  Psych.  Berl.,  vu,  235-238). 

1878.  —  Takags   (A.).  Eine  neue  Théorie   der  Ataxia    locomotrix  (C.  W.,  xvi,  897). 

1879.  —  Kahler  (0.).  Ueber  Ataxie  als  Symptom  von  Erkrankungen  des  Centralnerven- 
systcms  {Prag.  med.  Woch.,  iv,  13,  21).  —  Petit  (L.-H.).  De  l'ataxie  locomotrice  dans  ses 
rapports  avec  le  traumatisme  {Rev.  mens,  de  méd.  et  de  chir.,  Paris,  m,  209-224). 

1880.  —  Debove  et  Boudet.  Note  sur  l'incoordination  motrice  des  ataxiques  (B.B.,  83-86). 
—  Marcacci  (A.).  Influence  des  racines  sensitives  sur  l'excitabilité  des  racines  motrices  {B. 
B.,  397). 

1883.  —  Dejerine  (J.).  Des  altérations  des  nerfs  cutanés  chez  les  ataxiques,  de  leur  nature 
périphérique,  et  du  rôle  joué  par  leurs  altérations  dans  les  productions  des  troubles  de  la 
sensibilité  qu'on  observe  chez  ces  malades  {A.  P.,  72-92). 

1884.  —  Dejeri>'e.  Élude  sur  le  nervo-tabes  périphérique.  {Ataxie  locomotrice  par  névrites 
périphériques,  avec  intégrité  absolue  des  racines  postérieures,  des  ganglions  spinaux  et  de  la 
moelle  épinière.)  {A.  P.,  231-268). 

1883.  —  Jendrassik.  (Deutsches  Arch.  f.  klin.  Med.,  xliii,  343).  — Raymond  (F.).  Art. 
Tabès  dorsalis  {D.  D.,  xv,  (3),  288-416). 

1886.  —  Ebb  (W.).  Contribution  à  la  théorie  de  l'ataxie  spinale  (An.  in  Arch.  de  Neuro- 
logie, su,  213). 

1890.  — Brown-Séquard.  T/KÎorte  des  mouvements  involontaires  coordonnés  des  membres 
et  du  tronc  chez  l'homme  et  les  animaux  [A.  P.,  (3),  ii,  411-424).  —  Goldscheider.  Ueber 
einen  l'ail  von  tabischer  Ataxie  mit  scheinbar  intacter  Sensibilitàt  {Berl.  klin.  Woch.,  xxvii 
1033-1053).  — Mader.  Zur  Théorie  der  tabischen  Bewegungsstôrungen  {Wien.  klin.  Woch., 
m,  357-383).  — Rumpf.  Des  troicbles  de  la  sensibilité  dans  l'ataxie  (An.  in  Ai'ch.  de  Neu- 
rologie, Paris,  XIX,  259-260). 

1891.  • —  Bauuler.  Présentation  d'un  cas  d'affection  chronique  de  la  moelle  avec  ataxie 
inhérente  à  des  troubles  très  profonds  de  la  sensibilité  (An.  in  Arch.  de  NcuroL,  Paris,  xxi. 
133).  —  ScHipiLOFF  (Catherine).  Difluence  de  la  sensibilité  générale  sur  quelques  fonctions  de 
l'organisme  {Arch.  d.  sc.phys.  et  natur.  Genève,  xxv,  n°  7). 

1893.  —  Hering  (H.  E.).  Ueber  die  nach  Durchschneidung  der  hinteren  Wurzeln  auftre- 
tende  Bewegwigslosigkeit  des  Riickenmarkfrosches  (A.  Pf.,  liv,  614-636). 

1894.  —  Raymond  (F.).  Maladies  du  syst.  nerveux.  Scléroses  systémat.  de  la  moelle.  S", 
Paris,  Doin,  chap.  xiii,  204-230. 

1893.  —  TissoT  (J.)  et  CoNTEJEAN  (Cii.).S!()'  les  effets  de  la  rupture  du  circuit  sensitivo- 
moteur  des  muscles  dans  sa  portion  centripète  {B.  B.,  369-371). 

THOMAS 

ATHETOSE  (de  à  privatif,  T'Or,rj.'.,  mettre  hors  place).  Ce  phénomène,  décrit 


814  ATMOSPHERE    —    ATROPHIE. 

pour  la  première  fois,  eu  1871,  par  Hamuond,  est  un  trouble  moteur  consistant  dans 
des  mouvements  involontaires,  atteignant  principalement  les  doigts  et  les  orteils,  moins 
souvent  les  mains  et  les  pieds,  rarement  les  muscles  de  la  face,  du  cou,  de  la  nuque. 

Ces  mouvements  sont  pour  ainsi  dire  incessants  et  persistent  ordinairement,  même 
pendant  le  sommeil  :  ils  se  produisent  avec  une  certaine  lenteur,  avec  un  certain 
rythme  :  ils  sont  fort  amples  et  donnent  lieu  aux  attitudes  les  plus  variées  et  les  plus 
changeantes. 

L'athétose  se  présente  rarement  comme  maladie  per  se  :  le  plus  souvent,  elle  accom- 
pagne une  affection  cérébrale,  telle  que  l'hémiplégie  infantile,  ou  une  autre  névrose. 

Bibliographie.  —  Hammond.  Traite  des  maladies  du  système  nerveux;  trad.  française 
par  Labadie-Lagrave.  Paris,  1890. 

X.  FRANCOTTE. 

ATMOSPHÈRE.  —  Voyez  Air,  Barométrique  (Pression)  et  Res- 
piration. 

ATROPHIE.  —  Définition.  —  Atrophie  veut  dire  privation  de  nourriture, 
insuffisance  de  la  nutrition  et,  comme  conséquence  directe  de  cette  insuftlsance,  état  de 
dépérissement  dont  la  première  et  plus  évidente  manifestation  est  la  diminution  de 
volume  de  la  partie,  de  l'organe  ou  de  l'élément  atrophié.  Les  mots  amaigrissement, 
macilence,  marasme,  consomption  expriment  à  peu  près  la  même  idée,  mais  chacun  avec 
un  sens  plus  restreint  et  plus  spécial  :  beaucoup  plus  étendu  est  le  sens  du  mot  atro- 
phie. Si,  d'une  part,  en  effet,  ce  dernier  terme  est  souvent  employé  pour  indiquer  la 
simple  l'éduction  quantitative  de  la  nutrition  d'un  élément  anatomique  (ou  d'un  composé 
d'éléments)  sans  altération  notable  de  sa  structure  ou  de  sa  composition  chimique,  on  a 
pris  aussi  l'habitude  en  pathologie  de  comprendre  dans  l'atrophie  les  conséquences 
plus  ou  moins  lointaines  de  cet  état  de  dénutrition,  conséquences  en  vertu  desquelles 
les  principes  immédiats  de  la  cellule  sont  changés,  son  type  morphologique  dévié,  sa 
qualité  histologique  et  chimique  modifiée  dans  une  certaine  mesure.  Dans  ce  cas,  qu'il 
faut  envisager  comme  le  prolongement  ou  l'extension  du  précédent,  l'atrophie  n'est 
plus  simple;  elle  est  devenue  dégénérative  :  c'est  le  groupe  des  dégénérescences  qui 
mérite  une  description  à  part  et  sera  étudié  avec  les  développements  qu'il  comporte. 

Lorsqu'en  effet  autour  d'un  élément  viennent  à  cesser  ou  se  modifier  les  conditions 
nécessaires  à  l'entretien  de  sa  vie,  il  est  nécessaire  que  la  composition  de  cet  élément 
lui-même  change;  cela  est  fatal  d'après  tout  ce  que  nous  savons  de  ses  réactions  et  de 
sa  physiologie  intime.  Mais,  suivant  que  ce  changement  extérieur  est  brusque  ou  lent, 
total  ou  partiel,  et  suivant  aussi  sa  modalité  particulière  dans  chacun  des  cas,  l'atteinle 
portée  à  la  nutrition  cellulaire  présentera  des  caractères  bien  différents.  Dans  le  cas  de 
suppression  brusque  et  totale  des  conditions  de  milieu,  la  mort  de  l'élément  survient 
avant  que  des  altérations  bien  notables  de  sa  constitution  aient  eu  le  temps  de  se  pro- 
duire :  ces  altérations  sont  bien  réelles,  mais  doivent  rester  en  dehors  des  phénomènes 
évolutifs  qu'il  s'agit  ici  de  décrire.  Que  si,  au  contraire,  les  conditions  de  milieu  viennent 
à  manquer,  non  plus  soudainement,  mais  d'une  façon  lente  et  graduée,  c'est-à-dire  si  la 
nutrition  de  la  cellule  est  réduite  dans  son  ensemble,  mais  non  supprimée,  la  vie  alors 
reste  compatible  avec  ce  nouvel  état  de  choses;  elle  est  devenue  précaire,  mais  elle  est 
encore  possible.  Seulement,  pour  qu'elle  puisse  continuer  de  s'entretenir,  son  champ  se 
restreint;  l'élément  diminue  de  volume.  Cette  élasticité  des  conditions  qui  maintiennent 
l'existence  de  l'être  vivant  est  précisément  une  de  ses  caractéristiques  principales, 
comparée  à  la  rigidité  de  celles  imposées  aux  êtres  non  doués  de  vie.  L'être  vivant, 
dans  de  certaines  limites,  s'adapte  aux  conditions  de  son  milieu.  Cette  faculté  d'adap- 
tation peut  être  poussée  très  loin,  et  les  diverses  atrophies  dégéiiératives  en  sont  une 
preuve.  Troublée  dans  sa  nutrition  et  son  fonctionnement,  privée  peu  à  peu  d'une  ou 
plusieurs  des  conditions  qui  maintiennent  son  existence,  la  cellule  fait  plus  que  réduire 
sa  consommation  d'aliments,  elle  change  dans  .une  certaine  mesure  le  type  de  ses 
réactions  habituelles;  non  seulement  ses  réserves  disparaissent,  mais  sa  partie  essen- 
tielle, son  protoplasme  se  décompose  partieUement  :  des  substances  qui  préalablement 


ATROPHIE.  81o 

n'existaient  pas  (ou  seulement  à  l'état  de  trace),  y  apparaissent  :  parmi  elles  surtout  la 
graisse  sous  forme  de  fines  particules  {dégénérescence  granulo-graisseme).  Mais  au  lieu 
de  la  graisse  on  peut  trouver  d'autres  substances.  La  nature  variable  des  produits 
anormaux  formés  par  la  cellule  ou  déposés  dans  sou  intérieur  ou  parfois  seulement 
leur  apparence  a  même  servi  de  base  à  une  classification  des  atrophies  dégénératives. 
Citons,  à  côté  de  l'atrophie  graisseuse,  l'atrophie  pigmentaire  caractérisée  par  la  pré- 
sence dans  les  "cellules  de  grains  foncés  d'une  nature  chimique  encore  assez  mal  déter- 
minée, la  calcification  qui  atteint  surtout  la  tunique  moyenne  des  artères  et  qui  ne  va 
du  reste  guère  sans  la  présence  de  graisse  accompagnant  le  dépôt  calcaire.  Citons 
encoi'e  la  dégénérescence  vitreuse  des  muscles  qui  accompagne  certaines  pyrexies,  la 
dégénérescence  cireuse  ou  amyloide  des  artères  et  de  certains  parenchymes,  bien  qu'avec 
ces  derniers  exemples  nous  nous  éloignions  beaucoup  de  l'atrophie  proprement  dite. 
Chaque  élément,  chaque  tissu  peut,  suivant  les  cas,  présenter  des  altérations  diverses 
de  sa  composition;  mais,  à  la  vérité,  chacun  d'eux  aussi  a  sa  manière  de  dégénérer 
plus  fréquente  et  plus  habituelle. 

Tl  ne  peut  entrer  dans  le  cadre  de  cet  article  de  décrire  individuellement  tous  ces  cas 
particuliers  de  dégénération  ou  d'atrophie.  Outre  que  cette  description  se  trouve  natu- 
rellement à  sa  place  dans  les  ouvrages  de  pathologie,  nous  ne  pourrions,  dans  la  plupart 
des  cas,  la  faire  suivre  d'une  explication  véritablement  scientifique  dans  l'état  actuel 
de  nos  connaissances  sur  ce  sujet.  Seuls  les  cas  les  plus  typiques  seront  l'objet  à"un 
examen,  comme  il  a  été  déjà  fait  pour  le  tissu  musculaire  dans  l'article  Amyotrophie. 
Nous  devons  au  contraire  envisager  ici  le  processus  de  l'atrophie  dans  ce  qu'il  y  a  de 
plus  général  et  de  plus  facilement  explicable  d'après  les  données  actuelles  de  la  physio- 
logie cellulaire.  Même  ainsi  réduite,  la  tâche  n'est  pas  facile. 

L'atrophie  peut  porter  sui'  l'organisme  entier,  sur  une  de  ses  parties,  sur  un  tissu, 
sur  un  organe,  sur  un  système.  Elle  peut  résulter  d'une  cause  accidentelle  ou,  en 
d'autres  termes,  pathologique,  c'est-à-dire  hors  des  conditions  normales  de  la  vie;  ou 
bien  être  le  fait  de  l'évolution  naturelle  de  l'organisme,  comme  il  arrive  chez  le 
vieillard  dont  la  plupart  des  tissus,  sinon  tous,  s'atrophient  d'une  certaine  façon  et 
dans  une  certaine  mesure  (marasme  sénile).  Elle  s'observe  non  seulement  comme  terme 
ultime  de  l'évolution  des  tissus  et  des  organes,  mais  elle  fait  partie  en  quelque  sorte 
du  développement  de  l'organisme,  puisque  ces  organes  et  ces  tissus,  avant  d'avoir 
la  forme  typique  et  définitive  que  nous  leur  connaissons  chez  l'adulte,  en  ont  revêtu 
d'autres  successivement  depuis  l'apparition  des  premiers  tissus  dans  les  feuillets  du 
blastoderme  jusqu'à  leur  complet  développement  chez  l'individu  adulte,  témoin  le  rein 
qui  succède  à  une  première  ébauche  (on  peut  même  dire  à  plusieurs  ébauches)  d'un 
appareil  sécréteur  ou  dépurateur  de  l'organisme  ou  témoin  encore  le  thymus  qui  dis- 
paraît après  la  vie  embryonnaire;  mais  cela,  sans  qu'on  observe  à  sa  place  un  autre 
organe  qui  le  continue  à  proprement  parler.  A  côté  de  ces  processus  réguliers  d'atro- 
phie qui  rentrent  dans  l'évolution  normale  de  l'individu  nous  en  pouvons  placer  d'autres 
qui,  en  supprimant  certaines  parties  du  germe,  en  entravant  le  développement  de 
l'embryon,  sont  l'origine  d'atrophies  d'ordre  tératologique  [agénésie).  Cette  atrophie, 
par  suppression  des  germes  cellulaires  ou  par  perte  de  leur  faculté  de  reproduction, 
peut  s'observer  jusque  chez  l'adulte,  s'il  s'agit  non  plus  d'un  tissu  dont  le  nombre  des 
éléments  constituants  soit  arrêté  de  bonne  heure,  tel  que  les  tissus  musculaires  et 
surtout  nerveux,  mais  d'un  tissu  dont  les  cellules  continuent  de  se  diviser  et  de  se 
multiplier  comme  certaines  variétés  d'épithélium  (aplasie). 

Considérant  plus  particulièrement  le  processus  atrophique  ou  dégénératif  tel  qu'il 
peut  résulter  chez  un  adulte  du  fait  de  la  maladie  ou  de  nos  expériences,  si  nous  l'esa- 
nunons  dans  un  tissu  ou  un  organe  en  particulier  (muscle,  foie,  nerfs,  centres  ner- 
veux, etc.),  nous  reconnaissons  bientôt  combien  ce  processus  est  complexe  et  synthétisant 
de  phénomènes  divers  et  parfois  opposés.  C'est  le  fait  de  la  complexité  de  ces  organes 
eux-mêmes  dans  chacun  desquels,  à  côté  de  l'élément  qui  lui  donne  sa  caractéristique 
fonctionnelle,  il  en  est  d'autres  associés  synthétiquement  aux  premiers  et  sur  lesquels  le 
trouble  de  la  nutrition  retentit  à  son  tour  nécessairement.  Seulement,  lorsque  l'atrophie 
le  frappe  jaarallèleraent  et  également,  il  arrive  au  contraire  très  souvent  que  l'atrophie 
de  l'élément  noble  coïncide  avec  l'hypertrophie  des  éléments  interstitiels  ou  de  soutien 


8t6  ATROPHIE. 

au  point  qu'une  atrophie  réelle  d'un  tissu  peut  se  traduire  par  l'augmentation  de  volume 
de  l'appareil  ou  organe  qu'il  constitue  essentiellement  :  c'est  ce  qu'on  peut  observer 
d'une  façon  très  particulière  dans  la  surcharge  graisseuse  des  muscles  ou  pseudo-hyper- 
trophie musculaire.  La  question  de  savoir  si  la  dénutrition  de  l'élément  essentiel  est 
d'origine  primitive  ou  si  elle  est  le  résultat  de  l'exagération  nutritive  du  tissu  conjouctif 
interstitiel  est  le  plus  souvent  délicate  à  trancher,  même  dans  le  cas  de  scléroses  alro- 
phiques  les  plus  ordinaires. 

Mécanisme.  —  Atrophie,  avons-nous  dit,  signifie  restriction  de  la  nutrition  avec  ou 
sans  modification  notable  de  son  type  normal  et  régulier.  Cette  définition  semblerait 
impliquer  que  nous  savons  ce  qu'est  la  nutrition.  Or,  qu'est-ce  donc  exactement  que  la 
nutrition?  Il  est  peu  de  mots  qui  reviennent  plus  souvent  que  celui-ci  dans  le  langage 
physiologique  et  médical;  il  en  est  peu  dont  au  premier  abord  le  sens  paraisse  plus 
banal  et  plus  simple;  il  en  est  peu  dont  en  réalité  la  signification  soit  plus  vague,  plus 
équivoque,  plus  mal  définie.  Cette  incertitude,  ce  défaut  de  sens  précis  se  retrouvent 
naturellement  dans  l'étude  des  processus  physiologiques  ou  pathologiques  ayant  pour 
base  la  nutrition  :  il  faut  convenir  qu'il  n'en  peut  guère  être  autrement,  vu  la  com- 
plexité extrême  de  l'ensemble  de  phénomènes  qu'on  réunit  sous  ce  nom;  à  cause  de 
cette  complexité  même,  il  faut  y  distinguer  un  certain  nombre  de  points  de  vue. 

L'animal  use  sa  substance;  il  doit  la  remplacer  par  les  aliments  qu'il  prend  jour- 
nellement. Ces  aliments  digérés  et  absorbés  forment  une  réserve  qui  s'épuise  seulement 
peu  à  peu.  Mais  chaque  cellule  est  individuellement  dans  le  même  cas  que  l'animal 
lui-même;  pour  remplir  sa  fonction  propre,  elle  dépense  une  provision  intérieure  qu'elle 
s'était  constituée  :  c'est  la  création  de  cette  réserve  qui  constitue  l'acte  nutritif  propre- 
ment dit.  Compris  de  la  sorte,  le  terme  nutrition  indique  un  acte  chimique  d'une  nature 
particulière  opposé  à  l'acte  du  fonctionnement  et  dont  il  constitue  comme  le  terme 
inverse  :  mais  ce  point  de  vue  est  beaucoup  trop  restreint,  il  n'envisage  d'abord  que 
l'individu  ou  la  cellule  complètement  développés,  et  dans  ceux-ci  qu'un  côté  de  la 
question.  Cette  cellule,  avant  d'avoir  acquis  sa  forme  spéciale  et  définitive,  en  a  revêtu 
d'autres  ;  elle  a  été  d'abord  une  cellule  embryonnaire,  susceptible  de  s'accroître  jus- 
qu'à un  certain  degré,  à  partir  duquel  elle  se  divise  en  cellules  nouvelles  qui  s'accrois- 
sent et  se  divisent  à  leur  tour.  Ces  phénomènes  d'accroissement  et  de  multiplication 
dans  un  certain  ordre  représentent  eux  aussi  la  nutrition,  mais  dans  son  plus  haut 
degré  de  complexité,  opposés  à  l'exemple  précédent  qui  la  montre  sous  son  aspect  le 
plus  rudimentaire  et  le  plus  simple.  Entre  ces  cas  extrêmes  il  en  est  d'autres.  Ainsi, 
par  exemple,  dans  la  vie  embryonnaire,  un  moment  vient  pour  ces  cellules  (pour  cer- 
taines tout  au  moins)  oti  elles  cessent  de  se  diviser  et  de  se  multiplier,  le  nombre  en  étant 
désormais  compté;  il  leur  reste  alors  seulement  à  s'organiser,  à  prendre  la  structure 
intérieure  et  l'aptitude  particulière  qu'elles  garderont  dans  la  suite.  Au  sein  de  leur 
protoplasme  embryonnaire  il  s'en  édifie  un  autre  plus  ou  moins  diflfèrencié  et  qui  donne 
sa  caractéristique  à  la  cellule.  Ainsi,  à  titre  d'exemple  particulier,  la  fibre  musculaire, 
alors  qu'elle  commence  à  avoir  ces  disques  caractéristiques  qui  sont  l'instrument  de  sa 
contraction  et  qui  lui  permettent  déjà  de  se  contracter,  continue  d'en  édifier  d'autres 
dans  son  intérieur  jusqu'à  ce  que  sa  croissance  soit  complète.  Et  cet  acte  d'accroisse- 
ment de  la  fibre  musculaire  ne  peut  être  confondu  ni  avec  la  contraction  même,  ni 
avec  la  création  des  réserves  qui  lui  fournissent  l'énergie  nécessaire  à  sa  contraction. 
La  mise  en  place  de  toutes  ces  fines  particules,  l'édification  de  ces  organes  intra-cellu- 
laires  est  encore  un  acte  nutritif,  acte  moins  complexe  que  le  précédent,  puisque  la 
multiplication  y  est  en  moins,  acte  qui  est  au  fond  de  nature  chimique,  mais  d'une 
chimie  extrêmement  compliquée,  et  formé  par  l'association  et  l'évolution  d'une  série  de 
phénomènes  chimiques  d'ordres  plus  simples,  à  l'ensemble  desquels  on  donne  commu- 
nément les  noms  divers  de  nutrition  formative  (Virchow),  de  synthèse  morphologique 
(Cl.  Bernard),  d'histopoiése  (Ch.\.uveau). 

Tant  que  nous  ne  serons  pas  fixés  sur  le  mécanisme  intime  de  ces  actes  nutritifs, 
nous  n'aurons  point  de  base  solide  pour  l'étude  et  l'explication  des  phénomènes  atro- 
phiques  et  dégénératifs.  Un  premier  pas  vers  cette  connaissance  sera  néanmoins  fait,  si 
nous  savons  distinguer  ces  difïérents  aspects  de  la  nutrition.  Ces  deux  points  de  vue, 
que  nous  aide  à  bien  distinguer  et  à  comprendre  l'exemple  plus  haut  cité  d'une  cellule 


ATROPHIE.  817 

qui  fonctionne  déjà,  alors  ([u'elle  n'a  pas  cessé  de  s'accroître,  représentent  deux  actes 
nutritifs  parallèles,  et  jusqu'à  un  certain  point  distincts,  qui  persistent  encore  parallè- 
lement, alors  même  que  l'élément  a  acquis  son  complet  développement.  «  La  nutrition, 
a  dit  Cl.  Bernaud,  est  un  développement  continué.  »  L'édifice  construit  est  en  équilibre 
mobile;  des  matériaux  de  remplacement  s'y  ajoutent  continuellement  pendant  que 
d'autres  s'en  détachent.  Chez  l'embryon  et  chez  l'enfant  il  y  a  accroissement,  parce  que 
l'apport  excède  la  dépense;  chez  l'adulte  normal  il  y  a  équilibre  à  quelques  oscillations 
près;  dans  l'atrophie  il  y  a  perte  de  volume  et  de  substance  parce  que  la  dépense  excède 
l'apport  nutritif.  Cette  atrophie,  nous  la  voyons  se  réaliser  d'une  façon  rapide,  aiguë  en 
quelque  sorte  chez  l'animal  mis  en  état  d'inanition.  Elle  frappe  les  divers  tissus  d'une 
façon,  il  est  vrai,  très  inégale;  l'un  d'eux,  le  tissu  musculaire  avec  le  tissu  adipeux  moins 
important  en  fait  presque  tous  les  frais.  Et  c'est  non  seulement  la  provision  de  glyco- 
gène  musculaire  qui  disparaît,  mais  encore  le  protoplasme  même  du  muscle  qui  se 
détruit,  témoin  les  déchets  azotés  qui  sont  éliminés  par  l'urine  pendant  tout  le  temps 
de  l'inanition  sous  forme  d'urée,  déchets  qui  n'augmentent  pas  sensiblement  quand  les 
muscles  fonctionnent  et  qui,  pour  celte  raison  même,  paraissent  indépendants  de  ce 
fonctionnement,  ce  qui  donne  une  consécration  expérimentale  à  la  distinction  établie 
plus  haut  entre  l'acte  nutritif  qui  fait  face  à  la  dépense  exigée  par  la  fonction,  et  celui 
qui  conserve  sa  structure  à  l'élément  lui-même  (Chauveau). 

Division.  —  Ces  considérations  nous  amènent  à  établir  dans  l'étude  du  mécanisme 
et  des  conditions  de  l'atrophie  une  distinction  importante.  Indépendamment  du  point 
de  vue  qui  vient  d'être  développé,  ces  conditions,  comme  celles  mêmes  de  la  vie  cellulaire, 
sont  doubles.  En  premier  lieu,  la  vie  dans  la  cellule  s'entretient  en  vertu  d'un  méca- 
nisme et  de  rouages  intérieurs,  lesquels,  plus  ou  moins  faussés  ou  mutilés,  sont  cause  de 
maladie  ou  de  mort.  D'autre  part,  chez  les  animaux  hautement  organisés  que  nous 
avons  en  vue,  elle  dépend  encore  de  conditions  extérieures  multiples,  en  quelque  sorte 
échelonnées  les  unes  sur  les  autres.  Il  est  devenu  banal  de  dire  que  les  éléments  de  notre 
corps  vivent  dans  le  sang  et  les  liquides  interstitiels  comme  dans  un  milieu  qui  sert 
d'intermédiaire  entre  eux-mêmes  et  le  milieu  cosmique;  mais,  comme  la  composition 
du  sang  et  de  ces  liquides  eux-mêmes  dépend  des  éléments  anatomiques  qui  les  créent, 
les  modifient  et  les  renouvellent,  il  s'ensuit  que  les  cellules  jouent  le  rôle  de  milieu  à 
l'égard  les  unes  des  autres,  sans  compter  que,  si  les  matériaux  de  la  nutrition  viennent 
bien  à  la  cellule  par  le  sang,  l'excitation  dont  elle  ne  peut  non  plus  se  passer  lui  vient 
par  la  voie  du  système  nerveux  dont  il  y  a  à  tenir  compte  comme  d'une  condition  de 
premier  ordre.  Il  nous  reste  à  examiner  rapidement  la  part  de  ces  différents  facteurs 
dans  la  production  des  lésions  atrophiques. 

Atrophies  primitives.  —  L'atteinte  directe  de  la  cellule  par  quelque  lésion  qui 
dérange  son  mécanisme  intérieur  et  par  là  même  ralentit  ou  pervertit  sa  nutrition  doit 
se  réaliser  dans  un  grand  nombre  de  cas  par  les  substances  toxiques,  poisons  absorbés 
du  dehors  ou  fabriqués  par  l'organe  sur  lui-même  :  malheureusement  ces  exemples 
apportent  peu  d'éclaircissement  à  la  pathogénie  des  atrophies  à  cause  de  l'ignorance 
très  grande  où  nous  sommes  encore  de  ces  mécanismes  intérieurs  en  vertu  desquels 
chaque  cellule  fonctionne  et  vit,  un  de  ces  exemples  a  néanmoins  pour  nous  un  intérêt 
particulier,  parce  qu'il  est  le  seul  ou  à  peu  près  qui  établisse  une  sorte  de  localisation 
des  influences  trophiques  intra-cellulaires  et  qu'il  peut  être  réalisé  par  un  véritable 
traumatisme  cellulaire  dirigé  à  volonté  sur  telle  ou  telle  partie  de  l'élément  considéré, 
.l'ai  en  vue  la  dégénération  atrophique  qui  frappe  la  portion  d'une  fibre  nerveuse  qui  a 
été  séparée  de  son  germe  nutritif  ou  centre  trophique  tel  qu'il  résulte  des  expériences 
de  Waller  {Dégénération  iDallérienne).  En  raison  de  son  importance  et  de  la  netteté  de 
son  déterminisme,  cet  exemple  sera  étudié  à  part  et  en  détail  :  il  suffit  ici  d'en  montrer 
la  portée  générale,  car  c'est  une  induction  assurément  légitime  que  celle  qui  étend  aux 
autres  tissus  les  conséquences  tirées  d'une  expérience  que  seul  le  tissu  nerveux  permet 
de  réaliser  concurremment.  La  section  d'un  nerf  sur  son  trajet,  disons  mieux,  la  section 
de  fibres  nerveuses  en  amont  ou  en  aval  de  leurs  cellules  d'origine  (telle  surtout  qu'on 
peut  la  pratiquer  sur  les  nerfs  sensitifs  des  racines  postérieures),  équivaut  à  partager  un 
élément  cellulaire  en  deux  parties  dont  l'une  des  deux  conserve  ses  relations  avec  le 
noyau  de  cellule,  et  l'autre  pas.  L'expérience  a  appris  que,  de  ces  deux  parties,  l'une 

DICT.    DE    PHYSIOLOGIE.    —   TOMIi  I.  S2 


818  ATROPHIE. 

continue  à  vivre  et  travaille  à  la  reconstitution  de  la  partie  mutilée,  tandis  que  l'autre 
est  vouée  à  l'atrophie  et  à  la  mort.  Ainsi  donc,  le  centre  qui  dans  la  cellule  est  le  point 
de  départ  des  phénomènes  de  multiplication  et  de  division  est  le  même,  comme  il- 
fallait  s'y  attendre,  que  celui  qui  préside  à  sou  accroissement,  témoin  le  bourgeonne- 
ment qui  s'opère  à  l'extrémité  de  la  fibre  coupée  pour  le  rétablir  dans  sa  longueur  et 
ses  rapports  primitifs  ;  mais  ce  centre,  indépendamment  de  tout  phénomène  d'accroisse- 
ment, est  encore  nécessaire  à  la  nutrition  de  l'élément,  témoin,  la  désagrégation  et  la 
disparition  progressives  de  la  portion  de  fibre  séparée  de  lui  au  bout  de  quelque  temps. 
Ce  centre,  c'est  le  noyau  de  cellule,  auquel  il  convient  d'ajouter  sans  doute  cette  portion 
de  protoplasme  granuleux  qui  l'entoure  directement;  ce  qui  justifie  la  déduction  établie 
plus  haut  entre  un  protoplasme  à  proprement  parler  fonctionnel,  c'est-à-dire  chargé  de 
la  fonction  particulière  à  chaque  cellule,  et  un  protoplasme  nutritif  auquel  incombe  le 
soin  de  maintenir  cette  cellule  dans  son  intégrité,  tellement  que  l'altération  de  ce  dernier 
compromet  nécessairement  l'existence  du  premier. 

Une  atrophie  nerveuse,  d'un  mécanisme  tout  différent,  est  celle  qui  amène  la  diminu- 
tion de  volume  des  cordons  nerveux  et  des  parties  correspondantes  des  centres,  à  la  suite 
de  l'amputation  d'un  membre.  Cette  réduction  de  volume,  qui  est  le  signe  d'une  réduction 
de  la  nutrition  de  ces  parties,  est  imputée  à  l'inertie  de  ces  segments  nerveux  qui  n'ont 
plus  à  leur  disposition  les  organes  par  lesquels  ils  puissent  manifester  leur  activité. 
Comme  l'atrophie  dans  ce  cas  n'est  jamais  complète,  il  semble  bien  que  ces  nerfs  privés 
de  leurs  muscles  reçoivent  encore  quelques  excitations,  ce  qu'on  peut  expliquer  par  la 
synergie  qui  existe  entre  les  deux  moitiés  de  la  moelle  ou  des  autres  centres;  il  suffit 
d'admettre  que  ces  excitations  sont  très  réduites  en  nombre  et  eu  intensité,  probablement 
parce  que  la  volonté  cesse  de  s'adresser  à  des  muscles  qui  n'existent  plus  et  supplée 
aux  mouvements  qu'ils  exécutaient  par  l'activité  d'autres  groupes  musculaires,  symé- 
triques ou  non. 

Atrophies  secondaires.  —  Nombreux  sont  les  cas  d'atrophie  ou  de  dégénération 
dans  lesquels  la  lésion  n'est  pas  primitive,  mais  résulte  de  la  suppression  plus  ou  moins 
totale  de  quelque  condition  prochaine  ou  éloignée  de  la  vie  cellulaire.  La  privation  d'ali- 
ments, avons-nous  dit,  entraîne  l'inanition;  l'alimentation  insuffisante  entraîne  l'amai- 
grissement; les  lésions  ou  obstructions  du  tube  digestif  aboutissent  au  même  résultat; 
la  diète  (ou  prescrite  ou  forcée)  qui  accompagne  les  pyrexies  fait  de  même,  et  avec  plus 
de  rapidité,  parce  que  l'élévation  de  la  température  précipite  la  destruction  des  tissus, 
l'hyperthermie  intervient  du  reste  à  la  fois  comme  cause  et  comme  etfet  dans  cette  dénu- 
trition. Ce  sont  là  des  conditions  à  la  fois  simples  et  générales  agissant  sur  les  premières 
voies  d'absorption  :  on  y  pourrait  joindre  toutes  les  altérations  des  organes  qui  ont  un 
rôle  dans  la  formation  et  la  reconstitution  du  liquide  sanguin,  et  ces  organes  sont  nom- 
breux; mieux  vaudrait  dire  que  tous  y  contribuent,  puisqu'il  n'en  est  pas  un  qui  ne  soit 
en  échange  de  matériaux  avec  le  sang,  lui  prenant  ou  lui  cédant  quelque  chose. 

A.  Origine  vascidaire.  —  Le  S3'stème  circulatoire,  par  ce  fait  qu'il  distribue  le  sang 
aux  organes  et  aux  cellules,  représente  une  condition  de  premier  ordre  dans  l'accom- 
plissement des  phénomènes  de  la  nutrition.  La  cellule  dépend  de  lui  comme  le  sang 
dépend  des  fonctions  et  appareils  qui  lui  apportent  du  dehors  les  matériaux  de  son 
renouvellement.  Par  les  vaisseaux  qui  l'entourent,  la  cellule  reçoit  ses  aliments.  Si  le  rôle 
du  vaisseau  n'est  pas  celui  qu'on  se  figurait  dans  l'ancienne  pathologie  où  on  lui  attri- 
buait la  fonction,  non  seulement  de  pourvoir  à  la  nutrition,  mais  encore  de  la  diriger  ;  si 
l'on  sait  bien  maintenant  que  le  choix  des  matériaux  n'est  pas  fait  par  lui,  mais  par  les 
tissus,  suivant  leurs  aptitudes  ou  activités  spéciales,  son  pouvoir  sur  ceux-ci  n'en  est  pas 
moins  encore  très  grand.  Si  en  effet  il  ne  règle  pas  leur  qualité,  il  règle  leur  quantité,  et 
ce  point  de  vue  est  à  lui  seul  très  important.  C'est  dans  ce  sens  qu'on  peut  dire  que  le 
vaisseau  est  actif;  car  il  est  contractile;  il  peut  affamer  la  cellule  en  la  privant  d'ali- 
ment comme  la  sténose  de  l'intestin  affame  l'organisme;  dans  un  cas  comme  dans 
l'autre  cette  sténose,  suivant  qu'elle  est  complète  ou  partielle,  amène  la  mort  ou  une 
réduction  plus  ou  moins  considérable  de  la  nutrition,  amaigrissement  dans  un  cas,  et, 
dans  l'autre,  atrophie  locale  par  ischémie. 

S'il  est  un  minimum  d'aliments  que  le  système  circulatoire  doit  assurer  à  la  cellule, 
il  ne  faudrait  pas  croire,  comme  cette  opinion  a  encore  quelque  peu  cours,  même  en 


ATROPHIE.  819 

physiologie,  que  l'augmentation  indéfinie  de  leur  quantité  par  exagération  de  la  circu- 
lation autour  des  cellules  puisse  accroître  parallèlement  la  nutrition;  ce  serait  retomber 
par  un  détour  dans  l'erreur  médicale  signalée  plus  haut,  et  du  reste  les  faits  sont  con- 
traires à  celte  manière  de  voir.  Si  en  effet  l'ischémie  entraîne  l'atrophie,  l'hyperémie  n'a 
pas  pour  conséquence  obligatoire  l'hypertrophie  des  cellules  ou  des  organes.  La  circu- 
lation dans  les  tissus  est  subordonnée  à  un  maximum  qu'elle  ne  doit  pas  dépasser  sous 
peine  de  créer  à  son  tour  des  conditions  défectueuses  résultant  des  désordres  qu'entraîne 
cette  exagération  même  (exsudations,  œdème,  compression,  etc.).  Le  trop  est  préjudi- 
ciable comme  le  trop  peu,  ainsi  que  nous  avons  souvent  l'occasion  de  le  voir  en  physio- 
logie. 

Entre  ce  maximum  et  ce  minimum  imposés  à  la  circulation  locale  dans  un  organe  ou 
un  tissu  pris  en  particulier,  une  marge  très  grande  est  laissée  aux  vaisseaux  pour  e.xercer 
leur  fonction  sans  désordre  du  côté  des  cellules.  Cette  marge  était  nécessaire  pour 
laisser  un  champ  suffisant  aux  oscillations  de  la  circulation  rendues  elles-mêmes  utiles 
sinon  nécessaires  par  les  intermittences  du  fonctionnement  et  les  oscillations  parallèles 
de  la  nutrition.  Ces  alternatives  de  constriction  et  de  dilatation  vasculaires  qui  (dans  un 
sens  comme  dans  l'autre)  ne  deviennent  dangereuses  pour  la  nutrition  qu'étant  exa- 
gérées, sont  soumises  à  l'action  de  certains  nerfs  spéciaux,  les  vaso-moteurs.  Le  système 
circulatoire  qui  dépend  déjà  d'autres  appareils,  comme  ceux  de  l'absorption  ou  de  l'ex- 
crétion, sans  lesquels  sa  fonction  serait  incomplète  ou  troublée,  dépend  à  un  autre  point 
de  vue  du  système  nerveux.  Comme  tout  autre  appareil,  il  est  inerte  par  lui-même  et  a 
besoin  d'excitations  qui,  on  le  sait,  lui  viennent  par  la  voie  du  nerf.  Si  donc  le  vaisseau 
est  la  cause  prochaine  de  l'ischémie  qui  engendre  l'atrophie  dans  un  territoire  donné, 
une  cause  plus  lointaine  de  cette  atrophie  est  donc  le  S3'stème  nerveux  sollicité  à  son 
tour  dans  un  sens  ou  dans  l'autre  par  des  influences  qui  ont  retenti  plus  ou  moins  direc- 
tement sur  lui-même  (poisons,  toxines,  etc.).  Une  atrophie  de  cause  vasculaire  peut  donc 
être  en  réalité  d'origine  nerveuse  (vaso-motrice).  Malgré  cela  il  sera  bien  convenu  que 
nous  ne  devons  pas  la  confondre  avec  les  atrophies  dites  neurotiques,  justement  parce 
que  l'influence  nerveuse  qui  la  détermine  est  non  seulement  indirecte,  mais  lointaine; 
tandis  que  dans  l'atrophie  neurotique  cette  influence  est  soupçonnée  d'être  directe,  en 
tout  cas  prochaine  et  sans  la  participation  des  vaisseaux.  C'est  cette  action  qu'il  va  nous 
rester  à  examiner  et  à  discuter.  —  Pour  ce  qui  concerne  le  vaisseau  et  son  rôle  dans 
l'atrophie,  nous  devons  nous  en  tenir  à  ce  déterminisme  véritablement  physiologique 
pris  comme  type  de  son  action  sur  la  nutrition  et  laisser  de  côté  les  mécanismes  ou 
accidents  divers  par  lesquels  il  peut  s'oblitérer  (artérites,  scléroses,  athérome,  embolies, 
compression  extérieure  ou  de  voisinage,  etc.,  etc.)  qui  ressortissent  à  l'étude  de  la  patho- 
logie aussi  bien  que  les  altérations  elles-mêmes,  très  variées,  de  la  nutrition,  qui  en 
résultent. 

B.  Origine  nerveuse.  — •  Les  nerfs  influencent-ils  directement  la  nutrition?  y  a-t-il 
des  nerfs  à  proprement  parler  trophiques?  s'ils  existent,  comment  les  comprendre? 
sont-ils  distincts  des  nerfs  centrifuges  ordinaires,  ou  font-ils  double  emploi  avec  eux?  — 
Voilà  ce  qui  ne  cesse  pas  d'être  discuté,  et  cela  tient  bien  certainement,  comme  je  l'ai  dit 
déjà  à  plusieurs  reprises,  à  la  façon  défectueuse  dont  est  posée  la  question,  à  l'incerti- 
tude du  point  de  départ,  c'est-à-dire  au  vague  de  la  définition  du  processus  nutritif.  Cela 
tient  aussi  à  la  variété  très  grande,  autant  encore  qu'à  la  complexité  de  ces  phénomènes 
que  l'on  appelle  trophiques  et  qu'on  examine  tour  à  tour  dans  des  organes  dont  la 
physiologie  nerveuse  est  loin  d'être  entièrement  connue. 

Les  faits  qui  ont  servi  de  point  de  départ  à  la  discussion  ont  été  fournis  les  uns  par  la 
clinique,  les  autres  par  la  physiologie.  La  question  ne  fera  de  progrès  sérieux  qu'autan 
que  la  physiologie  saura  les  reproduire  tous  à  volonté  pour  en  faire  une  étude  métho- 
dique et  détaillée. 

Parmi  les  tissus  qui  peuvent  être  frappés  d'atrophie  dégénérative  du  fait  de  leurs 
nerfs,  il  faut  citer  en  premier  lieu  les  muscles.  La  lésion,  la  destruction  des  nerfs 
moteurs  à  leur  origine  dans  le  centre  ou  sur  leur  continuité  a  pour  conséquence  l'atro- 
phie des  muscles,  dans  lesquels  ils  se  distribuent  (ainyotrophie).  Quelle  que  soit  la  cause 
première  ou  originelle  qui  produira  la  lésion  nerveuse,  la  conséquence  en  est  la  même 
pour  le  tissu  musculaire  qui  reçoit  le  contre-coup  de  cette  lésion  (Voyez  Ainyotrophie). 


S-2Q  ATROPHIE. 

La  phvsiologie  sur  ce  point  particulier  est  d'accord  avec  la  clinique  en  ce  sens  que  la 
section  espérinientale  d'un  nerf  moteur  a  bien  pour  etfet  chez  l'animal  comme  chez 
l'homme  des  modifications  du  volume  et  de  la  structure  du  muscle,  comparables  à  celles 
qui  s'observent  iVcxpiix:  Erb"  en  clinique  dans  les  mêmes  circonstances. 

La  question  qui  nous  intéresse  au-dessus  de  toutes  les  autres  est  celle-ci  :  comment 
le  défaut  d'énervation  du  muscle  entraine-t-il  son  atrophie"?  ou,  ce  qui  revient  au  même, 
comment  le  nerf  moteur  par  son  activité  lui  conserve-t-il  son  volume,  sa  structure  et  ses 
propriétés  normales.  Il  y  a  donc  d'abord  une  explication  fondée  sur  un  rapprochement 
qu'on  serait  tenté  de  faire  et  qu'il  faut  tout  de  suite  indiquer.  Le  nerf  altéré  dans  son 
origine  ou  sur  son  trajet  dégénère;  on  pourrait  donc  penser  que  la  dégénération  du 
muscle  n'est  pas  à  vrai  dire  nue  conséquence,  mais  une  simple  extension  de  celle  du 
nerf  lui-même  par  propagation  d'un  tissu  à  l'autre.  Cette  explication  a  été  proposée, 
notamment  pour  l'atrophie  oculaire  qui  suit  la  section  du  trijumeau  :  elle  n'est  admissible 
ui  pour  ce  cas  particulier  ni  pour  celui  du  muscle.  Si  la  propagation  était  directe, 
l'altération  musculaire  devrait  suivre  immédiatement  la  dégénération  nerveuse.  Or  la 
première  est  une  question  de  jours,  la  seconde  une  question  de  semaines  ou  de  mois. 
Le  retard  de  l'une  sur  l'autre  est  par  trop  grand.  —  Il  y  a  plus,  il  ne  serait  pas  absolu- 
ment nécessaire  que  l'altération  nerveuse  portât  sur  le  segment  contigu  au  muscle  lui- 
même  :  elle  pourrait  résider  dans  quelque  segment  plus  élevé,  dans  le  cerveau  par  exem- 
ple et  atteindre  le  muscle  par  l'intermédiaire  d'un  segment  sain  :  le  nerf  moteur  étant 
resté  intact  depuis  la  substance  grise  de  la  moelle  jusqu'au  muscle.  C'est  du  moins  ce  qui 
a  été  affirmé,  sur  la  foi  il  est  vrai  d'observations  qui  demanderaient  une  confirmation 
exphcite;  mads,  même  si  cet  argument  venait  à  manquer,  il  faudrait  encore  récuser  l'ex- 
plication d'une  propagation  du  phénomène  atrophiqne  du  nerf  au  muscle  ou  à  tout  autre 
tissu  qui  serait  sous  sa  dépendance  fonctionnelle. 

En  fait  l'observation  clinique,  au  même  titre  que  l'espérimentation  physiologique, 
nous  montre  que  non  seulement  l'exercice  de  la  fonction  du  muscle  '^la  contraction 
musculaire-  dépend  du  système  nerveux,  mais  aussi  la  conservation  de  son  intégrité 
de  composition  et  de  structure  intime.  Privé  des  excitations  qui  lui  viennent  du  nerf  mo- 
teur, le  muscle  1"  est  condamné  au  repos;  ce  qu'on  exprime  en  disant  qu'il  est  para- 
lysé; 2"  il  s'atrophie,  c'est-à-dire  que  peu  à  peu  il  disparait  en  tant  que  muscle.  La  ten- 
dance en  pathologie  est  de  considérer  les  deux  résultats,  l'un  immédiat,  l'antre  lointain, 
de  la  suppression  de  l'excitation  nerveuse,  comme  indépendants  l'un  de  l'autre  et  dépen- 
dants au  contraire  de  deux  activités  distinctes  et  parallèles  situées  dans  le  système  ner- 
veux. C'est  presque  une  nécessité  qu'il  en  soit  ainsi  dans  une  science  aussi  complexe  que 
la  nôtre.  Les  deux  points  de  vue  d'une  même  fonction  sont  d'abord  considérés  comme 
deux  fonctions  différentes  autant  de  temps  qu'on  ne  saisit  pas  exactement  les  rapports 
qu'il  y  a  entre  eux,  parce  que  la  plus  simple  de  nos  fonctions  est  encore  très  complexe. 

La  question  des  nerfs  trophiques  sera  discutée  ailleurs  dans  le  cours  de  cet  ouvrage, 
mais  il  faut  sinon  discuter  longuement,  au  moins  indiquer  ici  les  raisons  qui  plaident  con- 
tre leur  existence  en  tant  qu'ils  formeraient  des  conducteurs  distincts  des  nerfs  moteurs 
ou  centrifuges  ordinaires. 

Il  y  a  d'abord  contre  «ux  une  fin  de  non-recevoir  qu'il  faut  s'étonner  de  n'avoir  pas 
vu  être  élevée  plus  tôt.  Si,  en  effet,  reprenant  la  conception  de  Cl.  Bernard  en  lui  don- 
nant une  formule  plus  conforme  au  langage  physiologique  actuel,  on  fait  de  la  nutrition 
l'enseçnble  des  réactions  endothermiques  opérées  dans  nos  tissus,  il  est  facile  de  com- 
prendre que  le  système  nerveux  ne  peut  avoir  sur  elle  aucune  action  directe,  par  cette 
raison  évidente  d'elle-même  que  le  système  nerveux  n'apporte  aucune  énergie  aux 
organes  ou  cellules  auxquels  il  commande,  mais  qu'agissant  toujours  comme  un  exci- 
tant, il  ne  peut  que  dépenser  les  énergies  intrinsèques  qui  y  sont  contenues.  Ainsi  tout 
ce  qui  est  synthèse,  recréation  du  potentiel  dépensé,  lui  échappe  nécessairement  et  pour 
ainsi  dire  par  définition.  Mais  si.  récusant  cette  façon  de  déûnir  le  processus  nutritif,  on 
l'envisage  comme  une  somme  complexe  de  réactions  à  la  fois  endothermiques  et  exother- 
miques, cette  façon  antre  de  définir  la  nutrition  en  y  comprenant  le  fonctionnement  ne 
chanse  encore  rien  au  fond  des  choses,  et  les  seules  réactions  que  les  nerfs  puissent  faire 
apparaître  dans  un  tissu  sont  celles  de  la  seconde  catégorie,  celles  qui  dégagent 
ou  libèrent  de  l'énergie.  De  cette  façon  on  comprend  très  bien  que  les  nerfs  prétendus 


ATROPHIE.  821 

trophiques  rentrent  dans  la  classe  des  nerfs  moteurs.  Toute  la  question  est  seulement  de 
savoir  si  le  muscle  où  tout  organe  auquel  on  suppbse  des  nerfs  de  ce  genre  est  sous  la 
dépendance  d'une  seule  ou  de  deux  ou  plusieurs  catégories  de  nerfs  moteurs;  si,  en  pre- 
nant toujours  le  muscle  comme  exemple,  ses  fibres  nerveuses  motrices  qui  commandent 
au  mouvement  visible  de  la  contraction  musculaire  sont  doublées  d'autres  fibres  com- 
mandant au  mouvement  évolutif  intime  de  son  protoplasme  en  tant  seulement  que  ce 
mouvement  dépend  de  réactions  chimiques  capables  de  dégager  de  l'énergie.  Celte 
seconde  hypothèse  est  théoriquement  encore  admissible,  mais,  à  coup  sûr,  elle  manque 
de  vraisemblance;  en  tout  cas,  il  faut  avouer  qu'elle  manque  d'une  base  expérimentale 
suffisante;  il  n'est  point  de  fait  d'expérience  qui  l'impose  d'une  façon  catégorique. 

Mais  si  le  nerf  n'a  probablement  aucune  influence  directe  sur  le  mouvement  évolutif 
des  tissus,  il  a  par  contre  sur  lui  une  influence  indirecte  très  réelle  et  il  parait  presque 
impossible  qu'il  en  soit  autrement.  Ces  deux  phases  inverses  (très  inégales  du  reste  au 
point  de  vue  de  l'énergie  recréée  ou  libérée)  qui  entretiennent  cet  état  d'oscillation  con- 
tinu d'où  dépend  la  vie  elle-même,  ces  deux  ordres  de  réactions  que  nous  envisageons 
séparément,  en  réalité  ne  sont  point  isolées;  mais  au  contraire  elles  s'enchaînent  et 
réagissent  l'une  sur  l'autre,  et  c'est  assez  que  le  système  nerveux  ait  prise  sur  l'une  des 
deux,  même  partiellement,  pour  qu'il  les  gouverne  et  les  règle  l'une  et  l'autre.  L'expé- 
rience du  reste  le  prouve.  L'exercice  répété  d'un  organe,  son  activité  et  même  sa  surac- 
tivité, tant  qu'elle  reste  dans  certaines  limites,  a  pour  conséquence  son  hypertrophie, 
comme  cela  est  bien  prouvé  pour  le  cceur,  et  sans  que  nous  songions  dans  ce  cas  à  faire 
intervenir  des  nerfs  particuliers,  autres  que  les  nerfs  moteurs:  pourquoi  son  inactivité 
n'aurait-elle  pas  pour  conséquence  un  effet  précisément  inverse,  l'atrophie"?  —  Le  sur- 
menage peut,  du  reste,  aussi  avoir  cette  dernière  conséquence  pour  des  raisons  qui 
s'expliquent  suffisamment  d'elles-mêmes;  l'atrophie  survient  alors  par  usure  immo- 
dérée du  tissu  sans  possibilité  d'une  compensation  nutritive  suffisante. 

Dans,  le  débat  sur  l'influence  possible  du  système  nerveux  à  l'égard  des  phénomènes 
trophiques  ou  atrophiques,  il  y  a  par  le  fait  l'et  c'est  ce  qui  complique  beaucoup  le  pro- 
blème) deux  questions  à  résoudre  :  1°  Cette  influence  est-elle  directe  ou  indirecte"?  C'est 
ce  que  nous  venons  de  discuter;  et  2°  quel  est  le  degré  de  généralité  de  cette  influence? 
C'est  ce  qui  reste  à  examiner.  —  L'action  du  système  nerveux  d'abord  limitée  aux  seuls 
muscles  de  la  vie  de  relation  s'est  peu  à  peu  étendue  à  d'autres  tissus,  aux  vaisseaux, 
aux  glandes.  Il  n'est  guère  probable  qu'elle  doive  rester  localisée  dans  ces  deux  classes' 
d'éléments  avec  leurs  sous-classes,  les  muscles  et  les  glandes.  Les  progrès  de  l'analomie 
de  structure  ou  de  nouvelles  expériences  peuvent  a.  l'avenir  nous  obliger  d'admettre  la 
participation  des  nerfs  à  la  fonction  d'éléments  avec  lesquels  nous  ne  leur  connaissons 
présentement  aucune  relation  ou  anatomique  ou  fonctionnelle.  C'est  un  point  qu'il  faut 
réserver.  Seulement  cette  influence  des  nerfs  (dont  nous  connaissons  théoriquement  la 
possibilité  (sur  la  plupart,  sinon  sur  tous  les  éléments  fixes  de  l'organisme)  devra,  si 
notre  façon  de  la  comprendre  est  juste,  reconnaître  toujours  le  même  mécanisme  à 
mesure  qu'on  l'établira  sur  de  nouveaux  tissus  :  lautrement  dit,  tous  les  nerfs  centri- 
fuges sont  des  nerfs  fonctionnels,  tous  ne  peuvent  que  libérer  une  énergie,  exciter  à  la 
dépense,  et  c'est  par  ce  seul  moyen  qu'ils  atteignent,  conservent  ou  modifient  le  proces- 
sus évolutif  des  éléments  avec  lesquels  ils  sont  en  contact. 

C'est  dans  l'état  actuel  de  notre  science  la  seule  explication  qu'on  puisse  donner  des 
trophonévroses.  L'exemple  le  plus  particulier  de  ce  genre  d'atrophie  est  celui  qui  s'ob- 
serve le  plus  habituellement  à  la  face  i hémiatrophie  faciale]  et  dans  lequel  on  voit  la 
.peau  s'amincir  par  places  en  même  temps  que  le  tissu  cellulaire  puis  la  lésion  envahir 
les  os,  les  cartilages,  les  dents  et  jusqu'aux  régions  profondes  comme  la  langue  et  le 
voile  du  palais.  Les  muscles  participent  à  l'atrophie,  tant  ceux  de  la  région  que  les 
petits  muscles  contenus  dans  l'épaisseur  de  la  peau  et,  avec  eux,  les  glandes  sudoripares 
et  surtout  sébacées  dont  la  sécrétion  diminue  ou  disparaît;  par  contre,  les  vaisseaux 
sont  respectés,  et  l'égalité  de  la  température  des  deux  cotés  de  la  face  accuse  une  circu- 
lation normale  dans  la  région  atrophiée.  —  La  cause  de  l'hémiatrophie  faciale  ne  pouvant 
donc  être  attribuée  au  tissu  vasculaire  (c'est  du  moins  ce  que  l'on  suppose  générale- 
ment sans  qu'on  puisse  en  donner  de  preuve  absolue,  tant  s'est  présentée  rarement  l'oc- 
casion de  faire  un  examen  anatomique  complet  de  cette  affection',  on  est  porté  à  lâcher- 


82'2  ATROPINE. 

cher  dans  le  système  nerveux,  on  y  est  conduit  également  par  les  symptômes  parfois 
douloureux  du  début  de  l'affection  (névralgie  faciale)  accompagnée  ou  non  de  mouve- 
ments convulsifs  de  la  région.  L'affection  frapperait  primitivement  le  nerf  trijumeau 
dans  le  champ  d'innervation  duquel  se  montrent  surtout  nés  altérations,  et  aussile  facial, 
et  un  peu  les  nerfs  voisins. 

Sous  le  nom  de  sclérodermie  ou  trophonévrose  disséminée  on  décrit  d'autre  part  une 
variété  d'atrophie  de  la  peau  ayant  de  grandes  analogies  avec  la  précédente  et  à 
laquelle  conviennent  les  mêmes  remarques,  les  mêmes  explications  et  aussi  les  mêmes 
réserves. 

En  résumé,  comme  la  nutrition  dont  elle  représente  un  des  aspects  plus  ou  moins 
réduits,  l'atrophie  dépend  de  conditions  extrêmement  nombreuses.  Ces  conditions  né 
sont  pas  simplement  à  énumérer  les  unes  à  la  suite  des  autres,  mais  elles  sont  dans  un 
état  de  dépendance  réciproque  ou  hiérarchique  ;  il  faut  faire  un  classement.  L'atrophie 
comme  la  nutrition  a  son  siège  primitif  dans  la  cellule;  cette  cellule  à  laquelle  nous 
donnons  encore  souvent  le  nom  d'élément  est  déjà  un  organisme  en  petit;  elle  est  com- 
posée elle-même  d'organes  ou  rouages  intérieurs  de  l'arrangement  et  des  propriétés 
desquels  dépend  sa  vitalité  ou  possibilité  de  se  nourrir  et  de  fonctionner.  L'atrophie 
comme  la  nutrition  dépend  donc  en  premier  lieu  de  conditions  intra-cellulaires  encore 
très  mal  connues  dont  à  peine  nous  distinguons  quelques-unes.  —  Mais  la  cellule  ne 
peut  pas  vivre  seulement  des  échanges  qui  se  font  entre  ses  parties  constituantes,  elle 
doit  échanger  avec  le  monde  extérieur,  avec  le  milieu  cosmique  d'où  tout  lui  vient,  où 
tout  est  rejeté  par  elle  après  modification  ou  transformation  chez  les  êtres  d'organisa- 
tion élevée  que  nous  avons  plus  particulièrement  en  vue  ;  cet  échange  n'est  pas  direct, 
mais  se  fait  par  étapes,  par  l'intermédiaire  de  milieux  interposés,  spécialement  chargés 
d'assurer  ces  échanges  :  delà  tout  un  ordre  nouveau  de  conditions  qui  se  commandent 
entre  elles  et  qui  gouvernent  la  nutrition,  la  maintiennent  en  bon  état  si  elles  sont 
remplies  dans  leur  plénitude  ou  la  laissent  en  souffrance  s'il  n'y  est  satisfait  que  partiel- 
lement; ces  conditions  sont  de  deux  ordres  :  à  savoir  d'une  part  celles  qui  assurent  la 
provision  d'aliments  et  qui  ont  pour  organes  les  vaisseaux  avec  tous  les  appareils  greffés 
sur  le  système  circulatoire,  et  d'autre  part  celles  qui  apportent  à  la  cellule  les  excitations 
sans  lesquelles  elle  resterait  inerte  :  or  ces  excitations  pour  la  plupart  (tout  au  moins  en 
ce  qui  concerne  les  tissus  les  plus  hautement  différenciés)  lui  parviennent  par  la  voie  des 
nerfs. 

Chacun  de  ces  deux  groupes  est  susceptible  de  nombreuses  subdivisions,  ce  qui 
contribue  à  multiplier  les  variétés  du  processus  atrophique. 

Il  convient  néanmoins  de  faire  remarquer  en  finissant  que  toutes  ces  conditions  d'or- 
ganisation ou  de  milieu  ne  sont  envisagées  ici  qu'au  point  de  vue  du  mécanisme  pro- 
prement dit  de  la  nutrition,  autrement  dit  des  transformations  de  la  matière  et  de 
l'énergie  par  lesquelles  elle  s'entretient. 

Une  autre  condition  est  nécessaire,  sans  laquelle  toutes  les  précédentes  seraient  sans 
effet,  condition  première  de  toute  vie,  de  toute  évolution,  de  toute  nutrition  normale  ou 
troublée,  l'irritabilité  de  la  cellule;  il  suffit  de  la  signaler  seulement  ici,  car  elle  sera 
étudiée  ailleurs  dans  sa  généralité. 

Nous  renvoyons,  pour  la  bibliographie,  à  l'article  Amyotrophie,  et  aux  ouvrages  de 
Samuel,  ViBCHOvi^,  Vulpian,  S.  Mayer,  Hayem,  sur  les  nerfs  trophiques. 

J.  P.  MORAT. 

ATROPINE.  —  C'H^'AzO'   ou  C>H'.  C^H'-O.  CO.  CH  /  ^^^'n^^  \  Az-  CH'. 

C'est  une  composition  éthérée  de  la  tropine  (basique)  avec  l'acide  tropique. 

La  tropine  est  peu  active  au  point  de  vue  physiologique.  Combinée  aux  acides,  elle 
forme  des  sels  ayant  ces  propriétés  plus  accusées.  Les  sels  des  acides  aromatiques  sont 
les  tropéines  (Ladenburg);  l'atropine  est  de  ce  nombre. 

L'atropine  est  donc  un  tropate  de  tropine.  Elle  se  trouve  dans  les  différents  organes, 
notamment  dans  les  racines,  les  tiges,  les  feuilles,  ainsi  que  dans  les  baies  (mûres)  de  la 


ATROPINE.  823 

belladone  (Atropa  Bellaclona,'  L.),  plante  de  la  famille  des  Solanées.  Dans  ces  diverse 
parties,  elle  est  mélangée  avec  son  isomère,  l'hyoscyaniine,  également  un  tropate  de 
tropine,  et  qui  présente  à  peu  près  les  mêmes  propriétés  chimiques  que  l'atropine. 
L'hyoscyamine  tourne  à  gauclie  le  plan  de  polarisation;  l'atropine  n'agit  pas  sur  le  plan 
de  polarisation.  Les  propriétés  physiologiques  des  deux  isomères  diffèrent  un  peu. 
L'atropine  existe  également,  accompagnée  de  l'hyoscyamine,  dans  les  graines  de  stra- 
nioine  {Oatura  Stramonium).  La  prétendue  daturine,  le  principe  actif  de  la  stramoine  ne 
serait,  d'après  Ladenburg  et  E.  Schmit,  qu'un  mélange  d'atropine  et  d'hyoscyamine  (ou 
seulement  de  l'atropine  d'après  Schmiedeberg). 

D'après  les  mêmes  auteurs,  la  duboisine  (extraite  de  ]eL  Buboisia  myaporoides)  n'est 
pas  non  plus  un  individu  chimique  spécial,  mais  tantôt  de  l'hyoscyamine,  tantôt  une 
autre  tropéine,  ou  un  mélange  de  plusieurs. 

Une  tropéine  souvent  employée  en  oculistique  est  Vhomatropine,  l'oxytoluylate  de 
tropine  (Ladexburg). 

Préparation.  —  Le  physiologiste  ne  se  donnera  pas  la  peine  de  préparer  l'atropine. 
Aussi  renvo3'ons-nous  aux  Traités  de  chimie  et  de  pharmacie  et  au  Bict.  de  chimie  de 
WuRTz  (et  à  ses  deux  suppléments).  La  préparation  est  basée  sur  les  propriétés  chi- 
miques générales  des  alcaloïdes  et  sur  la  solubilité  de  l'atropine  dans  l'alcool  et  le  chlo- 
roforme. 

Propriétés.  —  Aiguilles  cristallines  soyeuses  de  forme  prismatique;  incolores  et 
inodores,  à  saveur  acre  et  amère,  fondant  à  1 13°,  se  volatilisant  à  140°  en  se  décomposant 
en  partie,  bleuissant  fortement  le  tournesol  rouge,  solubles  dans  600  parties  d'eau  froide, 
un  peu  plus  solubles  dans  l'eau  bouillante,  assez  solubles  dans  l'alcool  éthylique  froid 
(solubles  dans  2  1/2  parties  d'alcool  froid),  dans  l'alcool  amylique,  dans  le  chloroforme, 
solubles  dans  oO  parties  d'éther  froid  ou  de  benzine,  dans  f!  parties  d'éther  bouillant,  à 
peine  solubles  dans  l'essence  de  pétrole. 

L'atropine  présente  les  propriétés  et  les  réactions  générales  des  alcaloïdes.  Une 
solution  au  dix  millième  est  encore  précipitée  par  l'acide  phosphomolybdique  et  l'iodure 
de  potassium  iodurè.  Ce  dernier  réactif  produit  un  précipité  brun  rougeâtre  dans  les 
solutions  des  sels  d'atropine,  précipité  qui  se  transforme  ultéi'ieurement  en  lamelles 
d'un  bleu  verdàtre,  à  éclat  métallique. 

Lorsqu'on  arrose  un  peu  d'atropine  (ou  un  de  ses  sels)  avec  de  l'acide  nitrique 
fumant,  que  l'on  évapore  à  sec  au  bain  de  vapeur,  et  que  l'on  ajoute  au  résidu  refroidi 
une  goutte  d'une  solution  de  potasse  dans  l'alcool  absolu,  il  se  produit  immédiatement 
une  coloration  violette  qui  passe  bientôt  au  rouge.  La  coloration  violette  est  seule 
caractéristique,  car  la  strychnine  donne  également  une  belle  coloration  rouge.  Dans 
les  mêmes  conditions,  la  brucine  se  colore  en  verdàtre.  Cette  réaction  de  Vitali  est  à 
même  de  déceler  un  centième  de  milligramme  d'atropine  (Dragendohf). 

Si  l'on  verse  une  solution  aqueuse  de  sublimé  corrosif  dans  une  solution  alcoolique 
d'atropine,  il  se  forme  un  précipité  jaune  qui  passe  au  rouge  par  l'ébullition. 

L'atropine  colore  en  rose  la  phtaléine  du  phénol. 

L'acide  sulfurique  concentré  dissout  l'atropine  sans  la  colorer;  si  l'on  chauffe  la 
solution  jusqu'à  ce  qu'elle  commence  à  brunir,  qu'on  ajoute  ensuite  un  égal  volume 
d'eau,  il  se  produit  un  boursouflement  de  la  liqueur,  et,  en  même  temps,  il  se  dégage 
une  odeur  d'éther  salicylique;  lorsqu'on  ajoute  à  la  liqueur  un  peu  de  permanganate 
de  potassium,  il  se  dégage  une  odeur  d'amandes  amères.  L'acide  nitrique  concentré 
dissout  l'atropine  sans  se  colorer,  et,  lorsqu'on  ajoute  de  l'eau,  il  se  précipite  de  l'apoa- 
tropine;  C'Ml^'AzO-. 

Lorsqu'on  fait  bouillir  une  solution  d'atropine  avec  une  solution  d'hydrate  barytique, 
elle  se  dédouble  en  tropine  et  acide  atropique. 

C^B^AzO-i      =     C8Hi:iAzO     +      C0HSO2. 

Atropine.  Tropine.  Acide  atropique. 

L'acide  chlorliydrique  fumant  dédouble  l'atropine  en  tropine  et  acide  tropique. 
CnHS-'iAzOs     +     H2  0     =    CSHi'AzO     +     C9Hi«0^.    , 

Atropine-  Tropine.  Acide  tropique. 


8U  ATROPINE. 

La  tropine  et  l'acide  tropique  additionnés  d'acide  clilortiydrique  et  chauffés  au  bain- 
marie  peuvent  régénérer  l'atropine  (synthèse  partielle  de  l'atropine  réalisée  par 
Ladenburg). 

L'atropine  forme  des  sels.  Elle  est  généralement  employée  sous  forme  de  sulfate. 
Le  sulfate  d'atropine  (C''H--'AzO')"-H-SO'*  forme  des  aiguilles  cristallines  blanches, 
solubles  dans  1  partie  d'eau  ou  d'alcool  absolu  et  dans  3  parties  d'alcool  à  90°  en  don- 
nant une  solution  neutre,  d'une  saveur  amère  et  acre;  presque  insoluble  dans  l'éther, 
le  chloroforme  et  la  benzine.  Il  fond  à  187°. 

Le  sulfate  d'atropine  pur  doit  se  volatiliser  sans  laisser  de  résidu;  sa  solution  au 
centième  ne  doit  pas  précipiter  par  addition  d'ammoniaque  qui  indiquerait  la  présence 
d'alcaloïdes  étrangers.  Il  doit  se  dissoudre  dans  l'acide  sulfurique  en  donnant  un  liquide 
incolore,  même  après  addition  de  quelques  gouttes  d'acide  nitrique.  Il  dégage  une 
odeur  agréable,  lorsqu'on  le  traite  par  l'acide  sulfurique  et  un  peu  d'eau.  L'addition  d'un 
petit  fragment  de  permanganate  de  potassium  dégage  alors  l'odeur  d'amandes  amères. 
Le  valérianale  et  le  salicylate  d'atropine  sont  moins  employés. 

L'atropine  n'imprime  pas  de  rotation  au  plan  de  la  lumière  polarisée.  L'hyoscyamine 
le  tourne  à  gauche. 

Absorption.  —  C'est  ordinairement  du  sulfate,  très  soluble  dans  l'eau,  qu'on  se 
sert.  Ce  sel  est  résorbé  en  somme  par  toutes  les  voies,  par  toutes  les  muqueuses,  par  la 
peau  dénudée,  par  les  plaies,  par  les  séreuses,  ou  bien  il  est  injecté  dans  les  tissus 
(voie  hypodermique).  On  l'administre  par  ces  différentes  voies.  L'excrétion  s'en  fait  assez 
rapidement  par  les  urines.  On  l'y  retrouve  toutefois  encore  après  trente-six  heures. 

Doses.  —  Les  différents  animaux  révèlent  une  sensibilité  très  différente  à  l'action 
de  l'atropine.  L'homme  y  est  très  sensible,  le  singe,  le  chat  et  le  chien  le  sont  déjà 
moins;  le  lapin,  le  cobaye,  le  rat,  la  chèvre,  le  pigeon  sont  encore  moins  sensibles.  Les 
poissons  ne  réagissent  guère.  Le  porc  mange  impunément  la  racine  de  belladone.  Les 
lapins,  chèvres,  moutons  en  broutent  impunément  l'herbe.  Les  limaces  peuvent  être 
nourries  sans  inconvénient  pendant  des  semaines  de  feuilles  de  belladone,  alors  que 
deux  ou  trois  feuilles  peuvent  être  mortelles  pour  l'homme. 

Chez  l'homme  on  produit  un  effet  sensible  par  des  doses  de  0,000.ï  à  0,001  gramme 
de  sulfate  pris  par  la  bouche  et  surtout  en  injection  hypodermique.  Les  doses  de  0,005 
à  0,008  gramme  produisent  des  symptômes  très  prononcés,  et  il  s'y  joint  des  phéno- . 
mènes  cérébraux,  plus  difficiles  à  produire  que  les  effets  périphériques.  0,01  gramme 
produit  des  phénomènes  très  graves  pouvant  se  terminer  par  la  mort.  Le  pigeon,  le 
rat,  le  cobaye,  le  lapin  peuvent  supporter  jusqu'à  1  gramme  de  sulfate. 

Chez  le  chat  et  le  chien  (de  4,  S  kilogrammes)  0,002  à  0,003  gramme  en  injection 
sous-cutanée  ou  intra-veineuse  produisent  des  effets  sensibles.  On  a  vu  des  chiens  sur- 
vivre à  un  demi-gramme  et  même  plus,  c'est-à-dire  à  des  doses  absolument  mortelles 
pour  l'homme.  Une,  deux  ou  trois  gouttes  d'une  solution  de  '6  p.  100  de  sulfate  d'atro- 
pine, injectées  dans  le  sac  lymphatique  de  la  grenouille,  suffisent  pour  faire  apparaître 
les  effets  de  l'atropine. 

Il  paraîtrait  que  pour  l'atropine  aussi  il  se  produirait  à  la  longue  une  certaine 
accoutumance,  c'est-à-dire  que  pour  obtenir  les  mêmes  effets  il  faudrait,  après  un 
usage  prolongé,  des  doses  plus  élevées.  Si  cette  accoutumance  existe,  elle  n'est  certai- 
nement pas  aussi  forte  que  pour  d'autres  narcotiques  (morphine,  nicotine,  etc.). 

L'atropine  est  rangée  dans  la  classe  des  narcotiques.  La  désignation  de  (c  narcotique  » 
serait  cependant  foncièrement  erronée  si  elle  devait  tendre  à  identifier  plus  ou  moins 
son  action  avec  celle  de  la  morphine.  A  certains  égards,  l'action  de  l'atropine  est  anta- 
goniste de  celle  de  la  morphine,  surtout  en  tant  qu'elle  agit  sur  le  système  nerveux 
central. 

L'atropine  agit  puissamment  et  d'une  manière  élective  sur  diverses  parties  du  sys- 
tème nerveux.  Elle  sert  donc  dans  bien  des  circonstances  à  dissocier  physiologiquement 
certaines  fonctions  nerveuses.  Les  éléments  nerveux  particulièrement  influencés  sont 
les  uns  péripliéi'iques,  les  autres  centraux.  Les  premiers,  les  périphériques,  sont  les 
extrémités  de  certains  nerfs  centrifuges,  les  uns  franchement  moteurs,  ceux  qui  inner- 
vent des  fibres  musculaires  lisses  dans  les  organes  les  plus  divers;  les  autres  sont  sécré- 
teurs. D'autres  enfin  exercent  des  actions  d'arrêt,  d'inhibition  périphérique. 


ATROPINE.  825 

Pour  ce  qui  est  des  actions  exercées  sur  les  centres  nerveux,  elles  aboutissent  éga- 
lement à  la  paralysie.  Mais  cette  action  paralysante  est  précédée  d'un  stade  caractérisé 
par  des  symptômes  dits  d'excitation  violente,  absolument  caractéristiques.  Il  y  a  lieu  de 
se  demander  si  les  symptômes  d'excitation  cérébrale  notamment  ne  s'expliqueront  pas 
plus  tard  également  par  la  suppression  primordiale  de  certaines  fonctions  (d'inhibition), 
tout  comme  pour  certains  efl'ets  périphériques,  où  la  suppression  d'une  inhibition  nor- 
male produit  une  suractivité  (du  cœur  par  exemple). 

Action  sur  l'œil.  —  Elle  est  sensible  chez  l'homme  pour  les  doses  dites  faibles, 
prises  à  l'intérieur.  Elle  est  très  marquée  à  la  suite  de  l'instillation  d'une  goutte  d'une 
solution  aqueuse  de  sulfate  (à  l  p.  100)  dans  le  sac  conjonctival.  Dans  ce  cas,  l'action 
est  purement  locale;  elle  est  l'effet  de  la  diffusion  de  l'alcaloïde  à  travers  la  cornée  et 
l'humeur  aqueuse  jusqu'aux  organes  intra-ooulaires.  L'iris  est  donc  atteint  en  premier 
lieu,  puis  seulement  le  muscle  ciliaire,  en  raison  de  sa  situation  plus  profonde.  Chez 
les  animaux  moins  sensibles  à  l'ingestion  de  l'atropine,  les  effets  oculaires  locaux  sont 
aussi  moins  prononcés';  énergique  chez  l'homme,  le  chien  et  le  chat,  relativement  forte 
chez  la  grenouille,  cette  action  est  très  faible  (et  même  niée)  chez  les  oiseaux  (dont  les 
muscles  intra-oculaires  sont  striés);  elle  est  nulle  ou  k  peu  près  chez  les  poissons. 
Enfin,  cette  action  est  très  marquée  déjà  chez  le  fœtus  humain  de  huit  mois. 

Toutes  choses  égales  d'ailleurs,  l'atropine  agit  plus  énergiquement  sur  des  yeux 
jeunes,  et  ceux  à  cornée  plus  mince. 

Cinq  à  dix  minutes  après  l'instillation,  la  pupille  se  dilate  progressivement;  la 
dilatation  (=  mydriase,  d'oti  le  nom  de  mydriatiques  donné  aux  principes  qui,  comme 
l'atropine,  dilatent  la  pupille)  augmente  peu  à  peu,  et,  surtout  si  on  répète  l'instillation, 
la  mydriase  devient  maximale.  C'est  à  peine  si  on  voit  encore  un  petit  bord  de  l'iris 
derrière  le  limbe  conjonctival  opaque.  La  pupille  reste  dans  cet  état  pendant  deux, 
trois,  cinq  jours;  cela  dépend  de  la  quantité  d'atropine  pénétrée  dans  l'œil;  puis  elle 
revient  peu  à  peu  à  ses  dimensions  normales.  Si  la  dilatation  est  complète,  ou  même 
seulement  un  peu  prononcée,  le  réflexe  pupillaire  sous  l'intluence  de  la  lumière  ne  se 
produit  plus.  En  temps  normal,  l'éclairement  d'une  rétine  fait  contracter  les  deux 
pupilles. 

La  pupille  de  l'œil  atropinisé  ne  se  resserre  pas  non  plus  lors  de  la  convergence 
(ou  des  efforts  accommodateurs),  dans  la  vision  de  près.  La  dilatation  de  la  pupille 
produit  un  éblouissement  pénible  dû  à  la  grande  quantité  de  lumière  qui  pénètre  dans 
l'œil.  Les  objets  paraissent  plus  clairs. 

L'atropine  paralyse  aussi  le  muscle  ciliaire  et  abolit  l'accommodation.  Pour  être 
complète,  cette  paralysie  demande  des  instillations  répétées. 

Le  punctum 'proximum  recule  de  plus  en  plus,  et  finalement  l'œil  reste  adapté  pour 
son  punctum  remotum.  Un  emmétrope  atropinisé  ne  peut  donc  voir  nettement  qu'à 
distance,  et  encore  la  vision  à  distance  est  sensiblement  réduite,  attendu  que  la  dila- 
tation de  la  pupille  laisse  passer  des  rayons  lumineux  à  travers  la  périphérie  du  sys- 
tème dioptrique,  périphérie  qui  réfracte  la  lumière  moins  régulièrement  que  le  centre, 
et  dont  le  pouvoir  réfringent  diffère  sensiblement  de  celui  du  centre.  Un  œil  hypermé- 
trope atropinisé  voit  notablement  plus  mal  à  distance  aussi;  car,  sans  accommodation, 
les  objets  éloignés  eux-mêmes  forment  une  image  ditîuse  sur  la  rétine.  Le  myope  se 
plaint  moins  de  la  mauvaise  vision;  son  punctum  remotum  étant  plus  rapproché  de 
l'œil;  l'atropinisation  ne  l'empêche  pas  même  de  lire,  si  sa  myopie  est  un  peu  forte. 

Un  œil  atropinisé  voit  les  objets  notablement  plus  petits.  Cette  micropsie  est  due  à 
la  parésie  et  à  la  paralysie  de  l'accommodation.  LeS'  objets  sont  vus  diffusément, 
malgré  le  maximum  de  l'accommodation.  On  les  suppose  donc  plus  près  qu'ils  ne  sont 
en  réalité;  et  comme  néanmoins  l'image  rétinienne  (ou  l'angle  visuel)  est  relativement 
petit  (pour  la  distance  supposée)  on  conclut  que  les  objets  sont  plus  petits. 

On  obtient  un  effet  sensible  sur  la  pupille  par  l'instillation  d'une  goutte  de  solution 
encore  plus  diluée.  Les  effets  sont  seulement  plus  lents  à  se  produire  ;  ils  sont  moins 
intenses  et  disparaissent  plus  vite.  Donders  a  même  pu  dilater  un  peu  la  pupille  en 
instillant  dans  un  œil  de  l'humeur  aqueuse  extraite,  au  moyen  d'une  ponction  cor- 
néenne,  d'un  œil  préalablement  atropinisé. 

Il  suffit  donc,  pour  produire  l'etîet  pupillaire,  d'instiller  chez  l'homme  des  quantités 


826  ATROPINE. 

extrêmement  faibles  d'atropine.  La  quantité  qui,  après  pénétration  dans  la  chambre 
antérieure  ou  injectée  dans  l'humeur  aqueuse,  se  révèle  par  cette  action  a  été  évaluée 
à  un  200  millième  de  milligTamme,  et  même  moins!  C'est  de  là  que  cette  réaction  pupil- 
laire  est  devenue  un  des  moyens  principaux  pour  déceler  l'atropine  en  médecine  légale. 

Chez  la  grenouille  et  chez  les  mammifères,  l'atropine  dilate  encore  la  pupille  si  on 
l'applique  sur  l'œil  extrait  du  corps.  11  semble  donc  que  la  dilatation  de  la  pupille  et  la 
paralysie  du  muscle  ciliaire  résultant  de  l'ingestion  de  l'atropine  sont  elles  aussi  une 
action  locale,  exercée  par  l'atropine  que  le  sang  amène  dans  l'œil. 

Selon  toutes  les  apparences,  l'atropine  dilate  la  pupille  en  paralysant  les  extrémités 
périphériques  des  fibres  nerveuses  motrices  du  sphincter  de  la  pupille,  fibres  provenant 
du  nerf  oculomoteur  commun.  Si  l'atropinisation  n'est  pas  trop  forte,  un  courant 
induit  passant  à  travers  le  segment  antérieur  de  l'œil  resserre  encore  la  pupille  dilatée 
par  l'atropine  (chez  le  chien  par  exemple),  alors  que  l'excitation  directe  du  nerf  oculo- 
moteur commun  n'a  plus  cet  effet.  Si  l'atropinisation  est  très  forte,  la  faradisation  de 
l'œil  n'influe  plus  sur  la  pupille  :  les  fibres  lisses  du  sphincter  finissent  par  être  elles- 
mêmes  paralysées. 

On  a  soutenu  que  l'atropine,  outre  qu'elle  paralyse  les  fibres  nerveuses  motrices  du 
sphincter,  excite  le  muscle  dilatateur  de  la  pupille,  ou  au  moins  les  terminaisons  péri- 
phériques de  ses  fibres  nerveuses  motrices  (provenant  du  grand  sympathique  cervical). 
En  effet,  après  section  du  nerf  oculo-moteur  commun,  la  dilatation  de  la  pupille  aug- 
mente encore  sous  l'influence  de  l'atropine. 

Mais  l'existence  de  fibres  musculaires  dilatant  la  pupille  étant  très  problématique, 
on  suppose  que  la  section  du  nerf  oculo-moLeur  laisse  persister  un  tonus  du  muscle 
sphincter,  qui  serait  aboli  par  l'action  de  l'atropine.  On  a  notamment  soutenu  que 
l'atropine  exerce  son  action  sur  des  cellules  nerveuses  intercalées  sur  la  périphérie  des 
fibres  motrices  du  sphincter  de  la  pupille.  L'existence  môme  de  ces  cellules  est  au 
moins  problématique. 

Enfin,  l'excitation  du  grand  sympathique  au  cou  dilate  encore  un  peu  la  pupille 
préalablement  dilatée  par  l'atropine.  Cela  paraît  tenir  à  une  constriction  maximale  des 
vaisseaux  iridiens. 

Pour  ce  qui  regarde  l'action  sur  le  muscle  ciliaire,  on  suppose  également  que  l'atro- 
pine paralyse  les  extrémités  périphériques  des  fibres  motrices  (du  nerf  oculo-moteur 
commun). 

Somme  toute,  il  s'agirait  là  d'une  action  analogue  à  celle  exercée  par  le  curare  sur 
les  extrémités  périphériques  des  neifs  innervant  les  muscles  striés  ordinaires. 

L'atropine  est  un  médicament  très  employé  dans  les  maladies  de  l'iris  et  de  la 
cornée.  Dans  ces  cas,  il  faut  des  quantités  beaucoup  plus  grandes,  des  instillations  répé- 
tées pour  obtenir  un  effet  pupillaire.  La  dilatation  de  la  pupille  éloigne  l'iris  du  contact 
avec  le  cristallin,  et  empêche  ainsi  la  formation  d'adhérences  pathologiques  entre  les 
deux  organes;  elle  peut  aussi  rompi'e  celles  qui  existent.  En  second  lieu,  l'iris  retiré 
vers  son  insertion  ciliaire  occupe  un  moindre  volume;  ses  vaisseaux  sont  comprimés  : 
l'atropine  décongestionne  l'iris.  Enfin  l'atropinisation  calme  les  douleurs  dans  les  mala- 
dies de  l'iris  et  dans  certaines  maladies  cornéennes.  On  admet  donc  souvent  que  l'atro- 
pine anesthésie  les  fibres  nerveuses  sensibles  de  ces  organes.  Toutefois,  cet  effet  ne  s'ob- 
tient que  dans  les  cas  oii  l'atropine  parvient  à  dilater  la  pupille,  qui  est  resserrée  dans 
ces  maladies.  Il  est  donc  possible  que  les  douleurs  se  calment  parce  que  l'atropine  fait 
cesser  un  tiraillement  produit  par  l'extension  de  la  membrane  indienne. 

L'atropine  augmente  la  tension  intra-oculaire  dans  certains  cas  pathologiques  (glau- 
come). On  a  soutenu  que  le  même  effet  s'obtient  sur  l'œil  normal,  mais  la  chose  est 
plus  que  douteuse.  Dans  ces  cas  pathologiques,  la  paralysie  des  muscles  intra-oculaires 
met  à  l'élimination  de  l'humeur  aqueuse  des  obstacles  mécaniques  imparfaitement  con- 
nus encore.  L'humeur  aqueuse  est  surtout  éliminée  dans  l'extrême  angle  cornéo-iri- 
dien,  et  cet  angle  est  plus  ou  moins  obstrué  par  l'iris  rétracté  périphériquement  et 
épaissi. 

Action  sur  le  cœur.  —  Schiff  trouva,  et  il  a  été  confirmé  en  cela  par  tous  les  expé- 
rimentateurs, que  l'empoisonnement  par  l'atropine  supprime  les  actions  cardio-inhibi- 
trices  exercées  par  le  nerf  pneumogastrique.  Au  moyen  des  circulations  artificielles,  chez 


ATROPINE.  827 

la  grenouille  notamment,  on  a  démontré  que,  dans  ce  cas  aussi,  le  point  d'attaque  de 
l'atropine  est  périphérique,  dans  la  paroi  du  cœur. 

Chez  les  animaux  (homme,  chien,  moins  chez  le  chat)  où  la  section  d'un  ou  des  deux 
nerfs  vagues  accélère  les  mouvements  cardiaques,  où  par  conséquent  on  doit  admettre 
que  les  nerfs  vagues  exercent  toujours  un  tonus  d'arrêt,  d'inhibition  sur  le  cœur,  l'injec- 
tion de  l'atropine  accélère  notablement  les  mouvements  cardiaques  (jusqu'au  double),'  et 
la  pression  sanguine  générale  augmente  (Schmiedeberg).  Chez  le  lapin  et  surtout  chez  la 
grenouille,  l'atropine  n'accélère  guère  ou  pas  du  tout  (grenouille)  le  cœur;  mais  aussi 
chez  eux  la  section  des  nerfs  vagues  n'a  pas  non  plus  cette  action.  Chez  tous  ces  ani- 
maux, l'atropine  supprime  l'action  d'arrêt  (ralentissement  ou  arrêt  diastolique)  exercée 
sur  le  cœur  par  une  excitation  du  nerf  vague  ou  des  sinus  cardiaques.  L'atropine  fait 
reparaître  aussi  les  systoles  d'un  cœur  de  grenouille  arrêté  en  diastole  par  des  doses 
très  petites  de  muscarine.  Pour  le  reste,  le  cœ,ur  se  comporte  normalement,  au  moins 
si  l'empoisonnement  n'est  pas  excessif.  Pour  des  doses  mortelles,  la  contractilité  du 
muscle  cardiaque  lui-même  est  plus  ou  moins  atteinte. 

Les  nerfs  accélérateurs  du  cœur  atropinisé  agissent  encore  parfaitement. 

Portée  sur  le  cœur,  l'atropine  paralyse  donc  le  nerf  vague  en  tant  que  nerf  modéra- 
teur du  coîur.  Les  propriétés  du  muscle  cardiaque  (les  résultats  contractiles  de  son  exci- 
tation) n'étant  pas  modifiées  dans  un  empoisonnement  modéré  par  l'atropine,  il  faut 
admettre  que  l'atropine  paralyse  les  extrémités  intra-cardiaques  des  fibres  d'arrêt  du 
nerf  vague  (Schmiedeberg).  Souvent  on  veut  préciser  davantage,  et  on  admet  que  l'atropine 
porte  son  action  sur  les  ganglions  intra-cardiaques  moteurs,  auxquels  aboutiraient  les 
fibres  du  nerf  vague.  Bien  qu'il  y  ait  de  nombreuses  cellules  ganglionnaires  intercalées 
sur  le  trajet  intra-cardiaque  du  nerf  vague,  c'est  cependant  une  hypothèse  seulement 
que  de  limiter  à  ces  cellules  l'action  de  l'atropine. 

Enfin  il  ne  manque  pas  d'auteurs  qui  essayent  d'interpréter  les  effets  cardiaques  de 
l'atropine  par  une  action  directe  sur  les  fibres  musculaires  (Luchsinger  et  ses  élèves, 
Khf.hl  et  Romberg).  L'action  cardiaque  a  donc  donné  lieu  aux  mêmes  discussions  que 
l'action  oculo-pupillaire,  à  savoir  si  l'alcaloïde  agit  plutôt  sur  les  terminaisons  nerveuses 
périphériques  que  sur  les  éléments  contractiles. 

La  même  question  se  présente  du  reste  partout  ori  l'atropine  exerce  une  action  sur 
des  éléments  contractiles. 

Dans  les  vaisseaux  sanguins,  les  doses  fortes  d'atropine  diminuent  et  suppriment  tout 
à  fait  l'effet  vaso-constricteur  de  l'excitation  des  nerfs  vaso-moteurs.  De  plus,  le  tonus 
normal  des  petites  artères  diminue  et  disparaît;  la  pression  sanguine,  préalablement  aug- 
mentée par  l'effet  cardiaque,  baisse  fortement. 

Dans  le  tube  digestif,  l'action  de  l'atropine  est  très  marquée.  Les  mouvements  péristal- 
tiques  normaux,  ceux  qu'on  suppose  excités  par  les  ganglions  moteurs  situés  dans 
l'épaisseur  des  parois  intestinales,  se  ralentissent  et  disparaissent,  quelquefois  après  une 
augmentation  initiale.  Par  contre,  les  contractions  qui  paraissent  dues  à  l'irritation  di- 
recte des  fibres  musculaires,  persistent,  et  peuvent  même  devenir  tétaniques.  L'excitation 
directe  de  l'intestin  les  provoque  encore  (Schmiedeberg).  La  muscarine,  la  pilocarpine  et 
la  nicotine  restent  sans  effet  (constricteur)  sur  un  intestin  atropinisé,  tandis  que  l'ésé- 
rine,  qui  semble  exciter  plus  directement  la  musculature,  y  fait  naître  une  péristaltique 
intense.  —  L'atropine  semble  donc  porter  son  action  surtout  sur  certains  éléments 
nerveux  moteurs  situés  dans  la  paroi  intestinale,  probablement  sur  les  cellules  ganglion- 
naires. Pourtant,  des  doses  excessives  du  poison  suppriment  également  la  contractibilité 
directe  des  fibres  contractiles  de  l'intestin. 

On  tend  à  admettre  que  l'innervation  motrice  de  l'intestin  est  double.  Le  nerf  vague 
est  moteur  pour  les  fibres  circulaires,  et  inhibiteur  pour  les  libres  longitudinales.  Le  nerf 
moteur  pour  les  fibres  longitudinales  (grand  sympathique,  nerf  splanchnique)  est  nerf 
d'arrêt  pour  les  fibres  circulaires  (Ehrm.^nn,  1885).  II  y  aurait  lieu  d'examiner,  si  à  ce 
point  de  vue  l'action  exercée  par  l'atropine  sur  l'intestin  n'est  pas  comparable  à  son 
effet  cardiaque. 

On  a  étudié  également  l'action  de  l'atropine  sur  les  autres  organes  à  fibres  muscu- 
laires lisses,  notamment  sur  l'estomac,  la  rate,  la  vessie  et  l'utérus.  L'effet  paralysant 
n'y  est  bien  sensible  que  si  ces  organes  sont  le  siège  de  contractions  physiologiques  ou 


828  ATROPINE. 

provoquées  par  la  muscarine  et  la  pilocarpine.  L'atropine  alors  fait  cesser  ces  contrac- 
tions. La  muscarine  et  la  pilocarpine  ne  provoquent  plus  de  contractions  dans  ces 
organes  atropinisés,  tandis  que  l'ésérine  a  encore  parfaitement  cet  effet  (Schikedeberg). 

En  thérapeutique,  l'atropine  est  utilisée  pour  faire  cesser  certaines  constipations  qui 
semblent  être  plutôt  de  nature  .spasniodique  (colique  de  plomb). 

Un  effet  anesthésique  sur  la  périphérie  des  nerfs  sensibles  a  été  admis  par  beaucoup 
d'auteurs,  surtout  en  pathologie.  Elle  parait  du  reste  ressortir  d'expériences  faites  par 
FiLEHNE.  Cette  action  est  certainement  moins  apparente  que  les  précédentes.  Toutefois, 
la  cessation  de  certaines  douleurs  oculaires  sous  l'influence  de  l'atropine  s'explique  par 
le  relâchement  mécanique  de  l'iris  (voir  plus  haut).  De  même  la  cessation  des  coliques 
de  plomb  s'explique  par  la  suppressiou  des  crampes  intestinales.  Une  anesthésie  des 
fibres  nerveuses  sensibles  du  poumon  a  été  admise  par  von  Bezold,  pour  expliquer  cer- 
taines modifications  de  la  respiration. 

La  respiration  est  d'abord  un  peu  ralentie,  puis  précipitée  et  rendue  plus  excursive, 
saccadée.  Le  ralentissement  initial  ne  se  produit  plus,  si  au  lieu  d'injecter  l'atropine  sous 
la  peau  ou  dans  une  veine,  on  la  pousse  dans  une  artère  carotide.  Von  Bezold  suppose 
que  le  poison  anesthésie  d'abord  l'extrémité  périphérique  des  fibres  sensibles  que  le 
nerf  vague  amène  au  poumon.  Puis  l'alcaloïde,  arrivant  au  cerveau,  y  produit  une  exci- 
tation générale,  notamment  celle  des  centres  respiratoires. 

Dans  les  empoisonnements  graves,  la  respiration  devient  extrêmement  rapide.  La^ 
précipitation  de  la  respiration  et  l'augmentation  de  la  profondeur  des  mouvements 
respiratoires  est  très  prononcée  si  la  respiration  a  été  préalablement  ralentie  par  l'in- 
gestion de  la  morphine  (Heubach,  Vollmer). 

Action  sur  les  glandes.  —  Une  des  actions  les  plus  curieuses  de  l'atropine  est 
celle  qu'elle  exerce  sur  la  plupart  des  glandes.  Par  une  action  exercée  directement  sur 
les  glandes,  elle  en  supprime  totalement  l'activité  sécrétoire.  Chez  l'animal  atropinisé, 
les  glandes  salivaires  cessent  de  sécréter  dans  les  conditions  oîi  elles  le  font  habituel- 
lement. Le  plus  souvent  on  a  expérimenté  sur  la  glande  sous-maxillaire  du  chien.  L'effet 
est  le  même,  que  l'on  incorpore  le  poison  dans  la  circulation  générale,  ou  qu'on  l'injecte 
dans  la  seule  artère  de  la  glande,  en  prenant  soin  de  l'y  localiser  (Heidenhain).  L'action 
s'exerce  donc  sur  la  glande  elle-même.  Ce  qui  est  supprimé,  c'est  l'elfet  sécrétoire  de 
l'excitation  de  la  corde  du  tympan.  L'elfet  vaso-dilatateur  de  cette  excitation  continue 
à  se  produire.  Ce  qui  n'est  pas  non  plus  supprimé,  c'estl'effetnutritif  que  (suivant  Heiden- 
hain)  l'excitation  du  grand  sympathique  exerce  sur  les  protoplasmes  glandulaires.  La 
sécrétion  sudorale  cesse  chez  l'homme,  la  peau  est  sèche;  l'excitation  du  nerf 
sciatique,  pratiquée  sur  de  jeunes  chats,  ne  fait  plus  apparaître  la  sueur  aux  pattes 
(Luchsinger). 

La  sécrétion  du  lait  peut  être  supprimée  chez  l'homme;  chez  la  chèvre,  la  quantité 
du  lait  diminue,  et  sa  concentration  augmente.  La  sécrétion  de  mucus  diminue  dans  la 
bouche  et  dans  les  bronches  notamment,  ce  qui,  joint  à  la  suppression  de  la  salive,  produit 
la  sécheresse  à  la  gorge.  La  quantité  de  bile  diminue  (Prévost);  et  la  sécrétion  du  pan- 
créas, préalablement  augmentée  par  la  muscarine,  diminue  et  s'arrête  (Pri5vost).  Enfin, 
l'hypersécrétion  de  toutes  ces  glandes  produite  par  )a  muscarine  et  surtout  par  la 
pilocarpine  est  supprimée  par  l'atropine.  L'administration  préalable  de  petites  doses 
d'atropine  laisse  la  muscarine  et  la  pilocarpine  sans  influence  sur  l'activité  sécrétoire  des 
glandes. 

L'atropine  supprime  donc  l'effet  sécrétoire  exercé  par  une  excitation  des  nerfs  sécré- 
teurs les  mieux  caractérisés.  Encore  une  fois,  la  discussion  est  ouverte  sur  le  point  de 
savoir  si  l'atropine  paralyse  les  extrémités  périphériques  des  nerfs  sécréteurs  (Heidenhain, 
Keuchel),  ou  bien  si  elle  exerce  cet  elfet  paralysant  sur  les  éléments  sécréteurs  eux- 
mêmes.  La  première  hypothèse  compte  le  plus  d'adhérents.  Des  agents,  tels  que  l'es- 
sence de  moutarde,  qui,  en  application  locale,  provoquent  la  sécrétion  de  la  peau  de  la 
grenouille,  selon  toutes  les  apparences  en  agissant  directement  sur  les  protoplasmes 
sécréteurs  montrent  encore  cet  effet  aux  endroits  où  la  sécrétion  a  été  préalablement 
supprimée  par  l'atropine  (Schûtz). 

En  ce  qui  regarde  la  glande  sous-maxillaire  (du  chien),  Heidenhain  fait  observer 
qu'après  atropinisation  l'excitation  du  grand  sympathique  (au  cou)  produit  encore  sur 


ATROPINE.  829 

les  protoplasmes  glandulaires  son  effet  nutritif  spécial.  Ce  sont  donc  les  extrémités 
périphériques  (des  fibres  sécrétoires)  de  la  corde  du  tympan  qui  sont  paralysés. 

L'action  sur  les  glandes  est  souvent  utilisée  en  pathologie,  par  exemple,  pour  modé- 
rer une  hypersécrétion  de  salive,  ou  les  sueurs  profuses  des  phtisiques. 

Chez  l'homme,  l'intoxication  par  l'atropine  est  quelquefois  accompagnée  d'une  rou- 
geur prononcée  du  tégument  externe,  surtout  au  cou  et  à  la  face,  rougeur  qui  peut  aller 
jusqu'à  l'éruption  de  petits  boutons.  En  guise  d'explication,  on  invoque  l'augmentation 
de  la  pression  sanguine  générale. 

Action  sur  le  système  nerveux  central.  —  L'atropine  augmente  d'abord  l'exci- 
tabilité du  système  nerveux  central,  et  même  provoque  des  excitations,  en  apparence 
sans  l'intervention  d'excitants  extérieurs.  Cette  augmentation  de  l'excitabilité  ressort 
surtout  de  l'observation  des  cas  d'intoxication  chez  l'homme;  en  partie  elle  a  pu  être 
établie  par  des  expériences  directes.  A  l'excitation  initiale  succède  dans  les  cas  extrêmes 
une  paralysie  complète.  L'alcaloïde  produisant  de  préférence  et  d'emblée  des  symptômes 
paralytiques,  même  sur  certaines  parties  du  système  nerveux  central,  on  peut  se 
demander  si  certains  symptômes  de  l'atropinisation,  interprétés  dans  le  sens  de  l'exci- 
tation de  certaines  parties  du  système  nerveux  central  ne  résultent  pas  plutôt  de  la 
paralysie  primitive  d'autres  portions  des  centres,  qui  normalement  exercent  une  inhi 
bition  sur  les  premières. 

D'autre  part,  il  ne  manque  pas  d'auteurs  prétendant  que,  partout,  le  premier  effet  de 
l'atropine  est  une  excitation,  plus  ou  moins  passagère,  et  suivie  bientôt  d'une  paralysie 
durable  (Alms). 

Parmi  les  symptômes  centraux  provoqués  par  l'atropine,  nous  avons  en  premier 
lieu  des  phénomènes  d'excitation  cérébrale,  surtout  de  l'écorce  cérébrale.  D'abord  des 
vertiges,  excitation  psychique;  il  y  a  absence  de  sommeil,  agitation,  mouvements  cho- 
réiformes,  besoin  de  se  déplacer.  A  cela  peut  venir  s'ajouter  du  délire  véritable,  rare- 
ment tranquille,  ordinairement  furieux  avec  accès  maniaques,  quelquefois  dès  le  début 
avec  propension  au  rire. 

Souvent  il  y  a  des  hallucinations  visuelles;  rarement  excitation  sexuelle. 

Avec  tout  cela  on  a  constaté  de  l'analgésie,  et  de  l'anesthésie  plus  ou  moins  géné- 
rale. 

Par  moments,  ces  phénomènes  sont  remplacés  par  un  état  comateux  passager.  Il  peut 
y  avoir  guérison  malgré  ces  symptômes  alarmants. 

La  mort  arrive  enfm  avec  un  cortège  de  symptômes  de  paralysie  cérébrale. 

De  l'action  de  l'atropine  sur  les  fonctions  psychiques,  il  faut  rapprocher  une  augmen- 
tation générale  du  pouvoir  réflexe,  sensible  surtout  au  début  de  l'intoxication.  Cet  effet 
est  très  marqué  si  préalablemeut  le  pouvoir  réflexe  a  été  diminué  ou  même  aboli  par 
la  morphine,  à  telles  enseignes  que  l'atropine  est  recommandée  comme  antidote  dans 
l'intoxication  par  la  morphine.  —  Cela  est  vrai  surtout  chez  les  mammifères.  Chez  la 
grenouille,  on  signale  que  l'atropine  supprime  très  tôt  le  pouvoir  réflexe  de  la  moelle 
épinière. 

Le  centre  vaso-moteur  de  la  moelle  allongée  semble  être  paralysé  dans  là  forte  into.xi- 
cation. 

Des  intoxications  faibles  s'observent  assez  fréquemment  à  la  suite  de  l'administration 
médicamenteuse  de  l'atropine  ou  de  préparations  pharmaceutiques  de  la  belladone.  Les 
simples  instillations  dans  l'œil  (absorption  par  la  muqueuse  de  l'œil,  du  nez,  de  la 
gorge)  produisent  souvent  de  la  sécheresse  à  la  gorge,  de  la  difficulté  d'avaler,  déglu- 
tition douloureuse,  vertiges.  Les  mêmes  symptômes  peuvent  résulter  de  quelques 
doses  de  0,01  gramme  administrées  à  l'intérieur.  Aux  symptômes  signalés  s'ajoutent, 
dans  des  cas  plus  prononcés,  la  sécheresse  de  la  peau,  la  congestion  de  la  peau  du 
visage,  de  la  céphalalgie.  Puis  surviennent  les. symptômes  cérébraux,  qui  deviennent  pré- 
dominants. 

Un  chapitre  remarquable  dans  l'histoire  de  l'atropine  est  celui  de  son  antagonisme 
physiologique.  Telle  de  ses  actions  est  mitigée  ou  même  annulée  par  celle  d'un  autre 
alcaloïde,  et  vice  versa.  On  s'est  même  servi  beaucoup  de  ces  actions  antagonistes  pour 
localiser  l'action  de  l'atropine  dans  telles  ou  telles  parties  de  nos  organes.  Le  raison- 
nement est  ordinairement  le  suivant.  Un  antagoniste  de  l'atropine  semble  exei'cer  son 


830  ATROPINE. 

action  sur  un  élément  anatomique  bien  délimité,  donc  l'atropine  agit  sur  le  même  élé- 
ment. Ou  bien,  l'atropine  augmente  encore  l'effet  d'un  autre  alcaloïde,  qui  de  son  côté 
produit  un  effet  analogue  à  celui  de  l'atropine  :  il  faut  donc  que  les  deux  agissent  sur 
des  éléments  distincts.  Dans  beaucoup  de  ces  cas,  la  conclusion  repose  sur  une  espèce 
de  pétition  de  principe,  attendu  que  le  point  d'attaque  physiologique  de  l'antagoniste  de 
l'atropine  est  plus  ou  moins  sujet  à  discussion. 

Aucun  de  ces  corps  n'est,  d'ailleurs,  antagoniste  pour  toutes  les  actions  de  l'atropine. 
Ils  le  sont  pour  les  unes  et  pas  pour  les  autres.  —  La  morphine  l'est  pour  la  plupart 
des  actions  exercées  par  l'atropine  sur  le  système  nerveux  central.  —  L'atropine  aug- 
mente encore  la  dilatation  pupillaire  obtenue  par  la  cocaïne,  comme  celle-ci  paraît 
renforcer  la  mydriase  atropinique  :  les  deux  auraient  donc  des  points  d'attaque  diffé- 
rents (la  cocaïne  excite  le  dilatateur  pupillaire?).  —  L'ésérine  (physosligmine)  paraît 
être  antagoniste  de  l'atropine  pour  son  action  pupillaire.  Or,  tandis  que  la  muscarine, 
la  pilocarpine  et  la  nicotine  (excitateurs  des  mouvements  péristaltiques  de  l'intestin) 
resterd;  sans  action  sur  un  intestin  atropinisé,  l'ésérine  y  provoque  des  mouvements. 
L'ésérine  semble  donc  agir  directement  sur  les  fibres  musculaires  lisses  (Schmiedeberg)  et 
non  sur  les  extrémités  périphériques  de  leurs  fibres  motrices.  Harnack  et  Schmiedeberg 
prétendent  que  l'ésérine  agit  sur  le  muscle  sphincter  de  la  pupille,  et  l'atropine  sur  le 
nerf  moteur,  en  se  basant  sur  ce  que  l'ésérine  resserre  encore  la  pupille  dans  un 
œil  atropinisé.  Le  fait  est  que  l'ésérine  ne  produit  cet  effet  que  si  l'atropinisation 
n'est  pas  trop  forte.  Si  celle-ci  est  très  prononcée,  l'éséritie  reste  sans  effet  sur  la  pupille. 
La  question  des  doses  employées  ne  semble  pas  toujours  avoir  été  suffisamment 
envisagée  dans  les  discussions  de  ce  genre.  La  muscarine  et  la  pilocarpine  paraissent 
exciter  les  éléments  périphériques  (cœur,  intestin,  glandes)  que  l'atropine  paralyse. 
(Schmiedeberg).  Mais  d'un  autre  côté,  l'an  et  cardiaque  produit  par  la  muscarine  peut 
être  plus  ou  moins  empêché  par  des  poisons  (ésérine,  digitaline,  camphre)  etc.,  qui 
excitent  plutôt  directement  la  musculature  du  cœur.  Il  faudrait  donc  conclure  que,  dans 
le  cœur,  la  muscarine  agit  plutôt  (en  les  paralysant)  sur  les  fibres  musculaires,  et  non 
sur  l'extrémilé  du  nerf  vague.  Dans  les  glandes,  la  pilocarpine  et  la  muscarine  (efi'et 
sécréteur)  paraissent  agir  sur  les  extrémités  périphériques  des  nerfs  sécréteurs,  tout 
comme  l'atropine,  mais  en  sens  opposé.  L'atropine  supprime  leur  effet  sécréteur.  De 
même  l'ésérine  supprime  l'effet  de  l'atropine  (HeidEiNHain  contre  Rossbach),  pourvu  qu'on 
l'administre  localement  (par  injection  dans  une  artère  glandulaire)  en  quantité  suffi- 
sante. Encore  une  fois,  cela  dépend  donc  des  doses.  Certains  agents,  tels  que  l'essence 
de  moutarde,  provoquent  la  sécrétion  dans  la  peau  de  grenouille,  probablement  par 
une  action  exercée  directement  sur  les  protoplasmes  glandulaires;  or  ils  la  provoquent 
encore  sur  un  endroit  de  la  peau  préalablement  atropinisé.  On  en  a  inféré  que  l'atropine 
n'agit  pas  directement  sur  les  protoplasmes  glandulaires. 

Somme  toute,  quelque  intéressante  que  soit  l'étude  des  antagonistes  physiologiques 
de  l'atropine,  elle  ne  permet  guère  de  décider  en  dernier  ressort  la  question  du  point 
anatomique  sur  lequel  l'atropine  exerce  exclusivement  ou  de  préférence  son  action  para- 
lysante. 

Bibliographie.  —  Pour  la  bibliographie  chimique,  nous  renvoyons  à  l'article  Atropine 
dans  le  Dictionnaire  de  Wurtz,  y  compris  le  premier  et  le  deuxième  suppléments.  Les 
plus  grands  progrès  récents  ont  été  réalisés  parLADENBURG  et  ses  élèves. 

Ladendurg  {Ann.  der  Chemie,  t.  ccvi,  p.  299;  Chein.  Berichte,  t.  xiii,  p.  2o7  ;  t.  xiv, 
p.  1870;  t.  XX,  p.  1661;  t.  xxv,  p.  2388). 

M.  Afanassiew  et  J.  Pawlow.  Beitr.  zur  Physiol.  des  Pancréas  {A.  Pf.,  1878,  t.  xvi, 
pp.  173-189). — ■  H.  Alms.  Sensible und  motorische  Peripherie  in  ihrem  Verhulten  gegen  die 
Kôrper  der  Physostigmingruppe  einerseits  und  der  Atropin-Cocain-Gruppe  anderseits 
(A.  Db.,  1888,  p.  416).  —  B.  Anrep.  Chronische  Atropinvergiftung  (A.  Pf.,  1880,  t.  xxi, 
pp.  188-212).  —  Claude  Bernard.  Action  toxique  de  l'atropine  sur  le  tournoiement 
(B.  B.,  1849,  p.  7).  —  V.  Bezold  et  F.  Bloebaum.  Physiol.  Wirk.  (Unters.  a.  d.  phys.  Lab. 
Wùrtzburg^  1867,  t.  i,  pp.  3-72).  —  Binz.  Erregende  Wirkungen  des  Atropins(D.  Arch.  f. 
klin.  Med.,  1887,  t.  xli,  pp.  174-178).  —  Wirkung  des  Morphins  und  Atropins  auf  die 
Athmung  (an.  in  Ç.  P.,  1893,  t.  vu,  p.  782).  —  R.  Brown-Séquahd.  Act.  de  l'atropine  et  de 
l'ergot  de  seigle  sur  les  vaisseaux  sanguins  {A.  P.,  1870,  t.  m,  p.  434).  —  R.  Buchheim. 


ATTENTION.  831 

Pharmakologische  Grappe  des  Atropins  {A.  P.  P.,  1876,  t.  v,  pp.  463-472).  —  Dastre.  Les 
anesthésiques.  Paris,  1890.  —  K.  Dehio.  A.  und  arythmische  Herzthàtigheit  (D.  Arch.  f.  kl. 
Med.,  1893,  t.  lu,  p.  97).  —  Donders.  Anomalies  de  réfractionet  de  l'accommoda  (édit.  ail., 
1866,  p.  493).  —  DuBUJADOux.  Action  sur  l'iris  et  l'accommodation  {D.  P.,  1873).  — 
F.  EcKHARD.  Wirk.  der  zu  pharmak.  Griippe  des  Atropins  gehorigen  Stoffe  {Beitr.  zur  An.  u. 
Pkys.,  1877,  t.  VIII,  pp.  l-b2).  —  G.  Fano  et  S.  Sciolla.  Azione  di  alcuni  veleni  sulle  oscil- 
lazioni  del  tono  auricolare  nel  cuore  deW  Emys  europaea.  Mantova,  1887,  de  15  pp.  — 
FiLEHNE.  Anesthésie  locale  par  l'atropine  (Berl.  klin.  Woch.,  1887,  p.  77).  ,—  1.  R.  Fraser. 
Vndescribed  tétanie  symptoms  produced  by  atropia  in  cold  blooded  animais,  with  a  compari- 
son  of  the  paralytic  and  convulsant  symptoms  produced  by  atropia  in  frogs  and  in  varions 
mammals  [Journ.  of  An.  a.  Phys.,  1869,  t.  m,  pp.  357-369).  —  S.  Fubini  et  0.  Bonauni.  Aus- 
scheidung  des  Atropins  mittelst  der  Milch  {Molesch.  Unters  z.  Naturlehre,  1891 ,  t.  xiv,  p.  al 5  ; 

A.  B.  I.,  t.  IV,  p.  47).  —  GiGUEL(i).  P.,  1873).—  E.  Harnack.  Wirk.  des  Atropins  iindPhy- 
sostigmin  auf  Pupille  und  Herz  {A.  P.  P.,  1874,  t.  ii,  pp.  307-334).  —  R.  Heidenhain. 
Glandes  salivaires  [H.  H.,  1880,  t.  v,  p.  8b).  Wirk.  einiger  Gifte  auf  die  Nei-ven  der  Glandula 
submaxiUaris{A.  Pf.,  1872,  t.  v,  pp.  309-318;  et  1874,  t.  is,  p.  43o).  —  H.  Hôltzke.  Phy- 
siolog.  Wirkung  des  Atropin  auf  das  Auge  {Monastsbl.  f.  Augenheilk.,  1887,  p.  104).  — 
P.  KwcEEh.  Atropin  und  Hemmungsnerven  {Th.  D.  Dorpat,  1868).  —  J.  N.  Langley.  On 
the  physiol.  of  the  salivary  sécrétion  [J.  P.,  1878,  t.  i,  pp.  96  et  339).  —  H.  Lenhartz.  Anta- 
gonismus   zwischen  Morphin   und  Atropin    [A.  P.   P.,  1887,    t.    sxii,    pp.    337-366).    — 

B.  LucHsiNGER.  Wirkung  von  Pilocarpin  und  Atropin  auf  die  Schioeissdrusen  der  Katze 
(A.  Pf.,  1877,  t.  XV,  p.  482).  —  A.  Marcacci.  Acf.  p%s.  de  la  cinchonamine  (A.  B.  L,  1888, 
t.  X,  pp.  208-236).  —  Mayet.  Une  action  déformante  exercée  par  l'atropine  sur  les  globules 
du  sang  (A.  P.,  1883,  p.  397).  —  A.  Meuriot.  Méth.  physiol.  en  thérapeutique  et  ses  appli- 
cat.  à  l'étude  de  la  belladone  (D.  P.,  1868).  —  A.  Moriggia.  Fréquence  cardiaque  chez  les 
animaux  à  sang  froid  (A.  B.  L,  1889,  t.  xi,  pp.  42-48).  —  W.  Ogle.  Comparative  immu- 
nity  of  rabbits  to  the  poiso7ious  action  of  atropine  {Med.  Times  and  Gaz.,  1867,  t.  i, 
pp.  466-468).  —  Panow.  Effets  sur  la  sécrétion  d'acide  chlorhydrique  par  l'estomac  {Bull, 
gén.  thérapeut.,  1890,  p.  431).  —  J.  L.  Prévost.  Antagonisme  de  l'atropine  et  de  la  musca- 
rine  {G.  R.,  1877,  t.  lxxxv,  p.  630).  —  W.  Preyer.  Antagonismus  der  Blausâure  und  des 
Atropins  (A.  P.  P.,  187S,  t.  m,  pp.  381-396).  —  A.  Rabuteau.  Action  comparative  de 
l'atrop.  chez  l'homme  et  chez  certains  animaux  {Union  médicale,  1873,  t.  xvi,  pp.  1006-1010). 
—  Ch.  Richet.  Act.  comparée  de  l'atropine  chez  l'homme  et  chez  le  singe  {B.  B.,  1892, 
p.  238).  —  S.  RiNGER  et  W.  Murrell.  Effects  on  the  [nervous  System  of  frogs  {Journ.  of 
Anat.  a.  Phys.,  1877,  t.  xi,  pp.  321-331).  —  M.  J.  Rossbach.  Physiol.  Wirk.  des  Atropins 
und  Physostigmin{A.  Pf.,  1873,  t.  x,  pp.  383-464).  —  Antagonismus  der  Gifte  {ibid.,  1880, 
t.  XXI,  pp.  1-38).  —  G.  Rhmmo.  Act.  physiol.  et  mécanique  de  l'atropine  et  son  appl.  dans 
les  maladies  cardio-vasculaires  (A.  B.  L,  1891,  t.  xiv,  pp.  197-198).  —  L.  Sabbatani 
(A.  B.I.,  1891,  t.  XV,  p.  196).  —  Schmiedeberg.  Act.  sur  le  cœur  et  les  fibres  musculaires 
lisses  {Ber.  d.  sach.  Gesell.  f.  Wiss.,  1870,  p.  130)  et  Élém.  de  pharmacodynamie  (trad. 
franc.,  1893,  p.  68).  —  M.  Schiff.  Act.  sur  le  cœur  {Molesch.  Unters.,  186b,  p.  57;  1873, 
p.  189).  —  G.  Stigker.  Sympt.  Antagonismus,  etc.  {Centr.  f.  klin.  Med.,  1892,  p.  232).  — 
B.  J.  Stokvis.  Atropinvergiftung  (A.  V.,  1870,  t.  xlix,  pp.  450-453).  —  Suhminsky.  Wir- 
kungsiveise  der  ISicotin  und  Atropin  auf  das  Gefâssnervensystem  {Zeitsch.  f.  rat.  Med.,  1869, 
l.  XXXVI,  pp.  205-238).  ^  I.  Wharton  Jones.  Circulation  in  the  extrême  vessds  in  atropine 
and  cocaine poisoning  {Lancet,  1889,  no  3  442,  p.  309).  —  H.  Wood.  Physiol.  act.  of  atro- 
pia, influence  on  pigeons  {Am.  J.  of  med.  science,  1871,  t.  lxi,  pp.  335-345;  1873,  t.  lxv, 
pp.  332-342). 

NUEL. 

ATTENTION.  —  I.  Définition  de  l'attention.  —  Quand  notre  intelligence 
est  employée  à  l'étude  d'un  objet  particulier,  quand  elle  est  dirigée  vers  cet  objet  à 
l'exclusion  des  autres,  nous  constatons  dans  notre  esprit  un  phénomène  particulier  que 
l'on  désigne  sous  le  nom  d'attention  [ad,  tendere). 

Cette  direction  particulière  de  l'esprit  dans  un  sens  déterminé  est  certainement  un 
des  phénomènes  psychologiques  et  physiologiques  les  plus  importants  pour  comprendre 
le  mécanisme  de  l'intelligence  humaine.  Depuis  longtemps  les  philosophes  ont  indiqué 


832  ATTENTION. 

quel  rôle  essentiel  joue  l'attention  dans  le  travail  intellectuel.  Helvétius  (De  l'esprit, 
ch.  m  et  iv)  remarquait  que  tous  les  hommes  n'ont  pas  les  passions  assez  fortes  pour 
exercer  et  diriger  l'attention  malgré  la  fatigue,  et  Dugald-Stewart  (Philosophie  de  fes- 
prif /(Mmain,  t.  II,  p.  54)  ajoutait  que  «cette  puissance  de  certains  individus  pour  agir  par 
la  volonté  sur  la  suite  de  leurs  pensées  est  une  des  causes  les  plus  frappantes  de  la 
capacité  intellectuelle».  L'attention  joue  aussi  un  rôle  capital  dans  la  volonté  (Wu.ndt, 
Psychologie  'physiologique,  traduct.  1880,  t.  ii,  p.  444)  et  plusieurs  auteurs,  comme  Bastian 
(Revue  philosophique,  i89'i,  t.  [,  p.  .337),  vont  jusqu'à  dire  que  «  l'attention  est  la  facullé  vrai- 
ment primordiale  dont  la  volonté  ne  serait  qu'un  développement  ultérieur  »  (Voir  Volonté). 

D'une  manière  inverse,  des  modifications  graves  de  ce  phénomène  caractérisent 
toutes  les  altérations  de  l'esprit.  «  C'est  par  la  perte  de  l'attention...,  remarquait 
Ch.  RiCHET,  que  se  caractérisent  les  premiers  effets  de  l'ivresse  (L'homme  et  l'intelligence, 
1884,  p.  93).  >>  La  plupart  des  aliénistes  ont  noté  la  disparition  de  l'attention  chez  les 
imbéciles  et  les  idiots.  «  Plus  ils  sont  faibles  d'esprit,  moins  ils  sont  attentifs,  disait 
en  résumé  Sollier,  plus  ils  sont  paresseux,  indisciplinables,  inéducables  (Psych.  de 
l'idiot  et  dé[l'imbéàle,  1891,  p.  73).  >>  Souvent  ils  ont  caractérisé  les  folies  par  les  troubles 
de  l'attention.  «  Esquirol,  disait  Moreau  (de  Tours)  qui  partage  en  grande  partie  ses 
idées,  admettait  que  le  trouble  de  l'attention  était  la  lésion  essentielle  dans  la  folie, 
incapable  de  s'arrêter  dans  la  manie,  affaiblie  dans  la  démence,  elle  serait  concentrée 
dans  les  idées  fi.\es  [Le  Haschiscli,  p.  366).  »  L'importance  de  ce  phénomène  justifie  le 
résumé  rapide  que  nous  faisons  ici  des  études  particulièrement  ph3;siologiques  qui  ont 
été  faites  sur  l'attention. 

L'attention  semble  avoir  été  peu  étudiée  par  l'école  anglaise  du  début  de  ce  siècle,  et 
peut-être  doit-on  admettre,  pour  expliquer  cette  négligence,  la  raison  que  donnait 
William  James  (Principles  of  psychology,  1890,  t.  i,  p.  402).  L'attention  présente,  au  moins 
en  apparence,  un  caractère  d'activité,  de  spontanéité  qui  embarrassait  les  psychologues 
anglais  plus  disposés  à  décrire  les  phénomènes  passifs  de  l'esprit.  On  remarquera  parmi 
les  premières  descriptions  de  l'attention  celles  d'un  philosophe  allemand  du  début  du 
xviii°  siècle,  Wolf  (Psychologia  empirica).  Sa  définition  du  phénomène  est  fort  intéres- 
sante :  «  Facultas  efficiendi  ut  in  perceptione  composita  partialis  una  majorem  clarilatem 
ceteris  habeat  dicitur  attentio.  »  Ce  caractère  essentiel  de  l'attention  est  également  signalé 
dans  les  études  de  Dugald-Stewart,  de  Reid,  de  Bonnet.  11  devient  le  point  de  départ  des 
définitions  de  l'attention  données  par  les  psychologues  modernes.  William  James  en 
fait  «  une  concentration  de  la  conscience  sur  un  seul  objet  avec  exclusion  du  reste  du 
monde  »  (Principles  of  pisi/chology,t.  i,  p.  403).  Wundt,  Bastian,  Baldwin  emploient  éga- 
lement à  ce  propos  le  mot  concentration  de  l'esprit,  ou  des  expressions  analogues. 
James  Sully  (dans  son  Handbook  of  psychologij,  1892,  t.  i,  p.  142)  précise  cette  concep- 
tion. «  On  peut  définir  l'attention,  dit-il,  comme  une  activité  mentale  qui  amène  à  sa 
plus  grande  intensité,  à  son  achèvement,  à  sa  définition  précise,  certaine  sensation  ou 
certain  fait  psychologique  et  qui  produit  une  diminution  correspondante  des  autres  phé- 
nomènes présentés  simultanément.  »  En  un  mot,  on  sait  que  les  phénomènes  psychologi- 
ques déterminés  parles  impressions  extérieures  subissent  dans  notre  esprit  une  élabora- 
tion compliquée  avant  de  se  transformer  en  idées  et  en  jugements;  cette  élaboration 
des  données  de  la  conscience  est  très  inégale:  tandis  que  certains  phénomènes  restent  à 
l'état  élémentaire,  d'autres  sont  énormément  développés  par  le  travail  de  l'esprit,  et  c'est 
cette  inégalité  de  l'élaboration  intellectuelle  que  l'on  désigne  sous  le  nom  d'attention. 

3.  Les  effets  de  l'attention.  —  L'attention  se  caractérise  par  les  modifications  des 
phénomènes  psychologiques  sur  lesquels  elle  porte  d'une  manière  particulière  :  elle  mo- 
difie leur  intensité,  leur  durée,  leur  rapidité,  elle  augmente  le  souvenir  et  l'intelligence 
que  nous  avons  de  ces  faits. 

1°  Un  phénomène  psychologique  sur  lequel  porte  l'attention  semble  être  augmenté; 
un  bruit  si  faible  qu'il  n'était  pas  perçu  peut  être  entendu  si  nous  fécoutons  avec  atten- 
tion ;  il  semble  donc  avoir  augmenté.  Quelquefois  même  une  impression  visuelle  qui  aura 
été  fixée  avec  attention  laissera  une  image  consécutive,  tandis  qu'il  n'en  sera  pas  de 
même,  si  notre  attention  n'est  pas  fixée  sur  elle  avec  énergie.  «  L'attention,  disait 
Ch.  RicHET  pour  résumer  cette  opinion,  change  non  la  nature  ou  la  forme  des  images, 
mais  leur  intensité  (Essai  de  psychologie  générale,  1887,  p.  182).  » 


ATTENTION.  833 

Cependant  cet  accroissement  de  l'intensité  des  pliénomènes  sous  l'inlluence  de  l'atten- 
tion a  été  discuté  et  mis  en  doute  par  la  plupart  des  observateurs  contemporains.  (Voir 
à  ce  propos  les  discussions  de  Fechner,  Révision  der  Psychophysik,  xix.  —  G.  E.  iMuller. 
Zur  Théorie  d.sinnlichen  Aufmerkmmkeit.  §  I.  —  Stumpf,  Tonpf.ychologic,  I,  71 .  —  W.  James, 
Principles  of  psychology,  i,  42o.  —  H.  Munsterberg  et  Kozaki,  L'augmentation  d'intensité 
produite  par  l'attention.  Psycfiol.  Review,  t.  i,  p.  39.  —  J.  G.  Hibben,  Sensory  stimidation  by 
attention.  Psycholog.  Review,  New- York,  t.  ii,  189b,  p.  369-376.)  Nous  ferons  remar- 
quer que  cette  discussion  avait  déjà  été  commencée  par  un  psychologue  français  qui 
mériterait  d'être  plus  connu.  Gerdy,  dans  sa  Psychologie  physiologique  des  sensations, 
écrivait  déjà  en  1846  :  «  Cette  différence  d'intensité  n'est  qu'une  pure  illusion...  l'atten- 
tion ne  rend  pas  la  main  et  les  yeux  plus  sensibles,  mais  l'intelligence  plus  puissante 
et  plus  juste.  »  Une  des  remarques  les  plus  intéressantes  faite  à  ce  propos  par  Stumpf, 
c'est  que  nous  ne  pourrions  plus  apprécier  les  différences  d'intensité  ni  reconnaître  une 
intensité  faible,  si  l'attention  avait  pour  effet  de  transformer  la  force,  le  degré  de  la  sen- 
sation. Peut-être  faut-il  simplement  conclure  que  cet  accroissement  apparent  de  l'inten- 
sité n'est  qu'un  accroissement  de  la  clarté,  de  l'intelligence  des  phénomènes.  C'est  là 
une  question  à  propos  de  laquelle  peuvent  être  faites  un  grand  nombre  d'expériences 
psychologiques. 

2°  Un  autre  effet  apparent  de  l'attention  qu'il  est  nécessaire  d'interpréter,  c'est  qu'elle 
parait  augmenter  la  durée  pendant  laquelle  un  phénomène  psychologique  reste  présent 
à  notre  conscience  ;  l'attention  semble  être  un  processus  de  fixation,  de  détention  des 
faits  dans  la  conscience.  Des  observations  précises  n'ont  pas  complètement  vérifié  cette 
remarque  populaire.  Sauf  des  cas  fort  rares  où  le  phénomène  change  de  nature,  comme 
dans  la  catalepsie  l'attention  ne  peut  rester  fixée  longtemps  sur  le  même  objet.  Quand  on 
essaye  de  fixer  ainsi  l'attention  d'une  manière  continue  sur  un  même  fait,  par  exemple 
sur  une  impression  sensible  uniforme,  on  constate  qu'au  bout  de  quelques  instants  la 
conscience  des  faits  diminue,  puis  augmente  de  nouveau;  en  un  mot,  l'attention  subit 
des  oscillations. 

Ce  phénomène  des  oscillations  dans  l'attention,  signalé  pour  la  première  fois  par 
WuNDT  {Psych.  physioL,  ii,  53),  a  été  l'objet  d'un  très  grand  nombre  d'études  expérimen- 
tales. Munsterberg  (Beitrâge  z.  exper.  Psychol.,  u,  p.  69)  rattache  ces  oscillations  à  des 
phénomènes  de  fatigue  dans  les  muscles  qui  contribuent  à  l'accommodation  des 
organes  sensoriels.  Urbantschitsch  {A.  Pf.,  t.  xsiv,  p.  o74;  t.  xxviir,  p.  440;  C.  W.,  1873, 
p.  626)  et  Marbe  {Die  Schwankimgen  der  Gesichtsempfindimgen.,  Phit.  Studien,  t.  vin, 
p.  614-637)  les  expliquent  aussi  par  des  modifications  de  l'organe  externe.  Lange,  au  con- 
traire {Phil.  Stud.,  t.  IV,  p.  390)  et  surtout  H.  Eckener  (Untersucli.  ûber  die  Schivankungen 
der  Auffassung  minimaler  Sinnesreizen.  Phil.  Slud.  t.  viii,  p.  343-387)  les  rattachent  à  des 
phénomènes  qui  ont  lieu  dans  les  centres  nerveux.  Le  dernier  croit  qu'un  autre  phé- 
nomène psychologique,  la  persistance  des  images  très  vives,  joue  le  rôle  le  plus  impor- 
tant dans  les  oscillations  de  l'attention. 

Quoiqu'il  en  soit,  comme  le  montre  bien  W.  James  (PrùicipL  of  Psych., t.  i,  p.  423),  l'at- 
tention ne  peut  se  prolonger  que  si  son  objet  change.  Notre  étude  d'un  même  objet  se 
prolonge,  parce  que  nous  voyons  sans  cesse  de  nouveaux  détails,  parce  que  nous  renou- 
velons sans  cesse  les  questions.  C'est  ainsi  que  l'attention  prolongée  enrichit  l'esprit  de 
connaissances  nombreuses. 

3°  Un  fait  dont  la  constatation  est  plus  facile,  c'est  la  rapidité  que  l'attention  commu- 
nique aux  phénomènes  psychologiques.  On  sait  l'importance  que  l'étude  du  temps  de 
réaction  a  prise  dans  la  psychologie  expérimentale.  Wl'ndt  a  été  l'un  des  premiers  à 
démontrer  que  le  temps  de  réaction,  le  temps  qui  s'écoule  entre  une  impression  péri- 
phérique et  le  petit  mouvement  par  lequel  le  sujet  manifeste  qu'il  a  éprouvé  une  sensa- 
tion, diminue  considérablement  quand  le  sujet  est  attentif.  Le  temps  de  réaction  que  l'on 
obtient  quand  on  impressionne  le  sujet  qui  n'a  pas  été  prévenu  est  beaucoup  plus  long 
que  celui  qui  est  constaté  quand  on  prévient  le  sujet  par  un  signal  quelques  instants 
avant  de  lui  faire  subir  une  impression.  Citons  comme  exemple  les  chiffres  suivants 
donnés  par  Wundt  :  l'impression  est  auditive  et  assez  forte,  le  temps  de  réaction  pour  le 
sujet  non  prévenu  est  en  moyenne  0"2.o3  ;  il  devient  chez  un  sujet  prévenu  0"070.  Si  le 
bruit  est  faible,  le  temps  de  réaction  est  pour  le  sujet  non  prévenu  0"266,  pour  le  sujet. 

DICT.    DE    PHYSIOLOGIE.    —    TOME  1.  33 


834 


ATTENTION. 


prévenu  0"[lo  {Psychol.  physiol. ,\,.ii,  p.  226).  WendtAI  à  ce  propos  une  série  remarquable 
de  recherches;  il  montra  que  pour  une  sensation  prévue  le  temps  de  réaction  peut  des- 
cendre jusqu'à  0,  et,  dans  certains  cas  curieux,  devenir  négatif.  L'attention  expectante 
donnait  dans  ce  cas  au  sujet  l'illusion  de  la  sensation  réelle.  Inversement  une  distraction, 
une  impression  accessoire  et  troublante  pendant  l'expérience  allonge  énormément  le 
temps  de  réaction. 

Ces  études  furent  reprises  par  un  grand  nombre  d'auteurs.  Signalons  les  recherches 
de  Vo.\  TscHiscH  [Phil.  Stud.,  t.  ii,  p.  621),  de  J\K•^!STEHBERG  surtout  {Beitrwjez.  exp.  Psycli., 
1889,  t.  1,  pp.  7.3-106)  qui  montre  les  modifications  du  temps  de  réaction  sous  l'influence  de 

l'attention  dans  une  foule  de  circon- 
stances variées,  de  Obersteiner  {Expéri- 
mental research  on  attention,  Brain,  1879, 
1. 1,  p.  439).  BuccoLA  [La  legge  del  tempo 
nei  fenomeni  del  pensiero.  Milan,  1883) 
résume  ces  recherches  en  déclarant  que 
l'équation  personnelle  peut  être  consi- 
dérée comme  le  dynamomètre  de  l'at- 
tention. 

En  1886,  un  élève  de  Wundt,  L.Laxge 
{Phil.  Stud.,  t.  IV,  p.  479)  ajouta  une 
notion  nouvelle.  Il  soutint  que  la  réac- 
tion est  plus  longue  quand  le  sujet  fixe 
son  attention  sur  la  sensation  qui  sert  de 
signal,  que  s'il  fixe  son  attention  sur  le 
mouvement  à  exécuter.  La  différence  de 
temps  entre  ces  deux  réactions  pourrait 
être  de  10  centièmes  de  secondes.  Les 
études  récentes  ont  surtout  porté  sur 
la  discussion  de  la  théorie  émise  par 
Lange.  Ces  discussions  sont  indiquées 
dans  les  travaux  de  Cattell  {Mind,  t.  si, 
p.  33  et  Phil.  Stud.,  t.  viii,  p.  403),  de 
A.  Bartels  [Versuche  ùberdie  Ablenkung 
der  Aufmerksamkeit,  Dorpat,  1889),  de 
Bliss  (Études  sur  le  temps  de  réaction  et 
Vattention.  Studies  from  the  Yale  psychot. 
lahor.,  1893,  p.  IS). 

Parmi  les  études  les  plus  intéres- 
santes sur  les  rapports  entre  le  temps 
de  réaction  et  l'attention,  nous  devons 
signaler  le  travail  de  Patrizzi  {La  gra- 
phique psychométrique  de  l'attention. 
A.B.,i.  xxn,fasc.  2).  Cet  auteur  chercha 


i'iG.  74.  —  Réponse  à  un  signal,  d'après  Pairizz 


a  mscnre  un  grand  nombre  de  temps  de  réaction  en  rapport  avec  des  excitations 
repétées  à  des  intervalles  constants  et  toujours  avec  la  même  intensité,  par  exemple  de 
deux  en  deux  secondes.  Les  excitations  inscrites  par  le  signal  électrique  se  disposent 
suivant  une  des  ordonnées  du  C3'lindre  en  E(fig.  74).  Les  réactions  inscrites  en  Ries  unes 
au-dessous  des  autres  sont  réunies  par  une  ligne  tracée  à  la  main;  l'inscription  d'un 
diapason  en  D  permet  de  mesurer  le  temps  de  réaction  ER.  Cette  disposition  permet 
de  suivre  les  modifications  de  l'attention  pendant  une  expérience  prolongée.  Dans  le 
tracé  qui  se  lit  de  bas  en  haut,  on  voit  que  le  temps  physiologique  va  d'abord  en 
s  abrégeant  graduellement;  puis  il  augmente,  quand  l'attention,  après  avoir  touché  l'opti- 
mum, commence  à  se  ralentir  et  à  se  fatiguer.  Patrizzi  pense  même  que  sa  méthode 
pourrait  servir  à  l'examen  psychique  d'un  sujet  et  établir  une  courbe  individuelle  de 
l'attention. 

Cette  recherche,  qui  pourra  rendre  de  si  grands  services  dans  la  pathologie  mentale, 
mérite  d'être  continuée.  Peut-être  cependant  ne  faut-il  pas  uniquement  mesurer  l'atten- 


ATTENTION.  835 

tion  par  le  temps  de  la  réaction,  lesmouvements  peuvent  facilement  devenir  automatiques 
et  ne  plus  être  en  rapport  avec  l'attention  consciente.  T)ans  un  grand  nombre  d'expé- 
riences, qui  ne  sont  pas  encore  publiées,  j'ai  constaté  que  des  individus  abouliques,  sans 
aucune  attention  réelle,  peuvent  cependant  effectuer  d'une  façon  automatique  les  mou- 
vements demandés,  et  présentent  quelquefois  des  temps  de  réaction  très  courts. J'ai  étu- 
dié à  ce  propos  une  malade  bien  singulière  :  quand  on  mesure  le  temps  de  réaction  à  des 
impressions  tactiles  faites  surla  main  gauche  qui  est  sensible,  on  constate  des  temps  de 
réaction  très  longs,  dépassant  souvent  une  seconde  et  très  irréguliers,  en  rapport  avec 
une  attention  très  faible,  très  vacillante  et  très  pénible.  Mais  on  peut  obtenir  des  réac- 
tions tout  à  fait  automatiques  et  subconscientes  en  rapport  avec  des  excitations  faites 
sur  la  main  droite  qui  est  insensible  (Voy.  Anesthésie)  :  les  temps  de  réaction  sont  alors 
très  courts  et  assez  réguliers.  Des  faits  du  même  genre  ont  été  déjà  signalés  par  0.\anof 
(Archives  de  neurologie,  1890,  p.  372).  Lequel  de  ces  deux  temps  de  réaction,  laquelle  de 
ces  deux  courbes  pourrait-on  prendre  comme  mesure  de  l'attention  chez  une  pareille 
malade?  Cette  remarque  nous  montre  combien  il  est  nécessaire,  dans  ces  expériences  psy- 
chologiques, de  tenir  compte  de  l'état  mental  du  sujet,  des  phénomènes  conscients  qui 
accompagnent  les  expériences.  Celles-ci  sont  souvent  plus  compliquées  qu'elles  ne 
paraissent  être  et  sont  accompagnées  de  sentiments  variés  qu'il  ne  faut  pas  oublier. 

4°  Une  des  conséquences  les  plus  importantes  de  l'attention,  c'est  qu'elle  devient  le 
point  de  départ  des  associations  d'idées  et  des  souvenirs. 

Les  anciens  philosophes  avaient  déjcà  fait  souvent  cette  remarque.  «  La  mémoire 
dépend  de  l'attention  »,  disait  Locke  {Essais  sur  l'entendement  humain,  i.  i,  ch.  10).  «  Le 
premier  effet  de  l'attention,  disait  Con'dillac,  l'expérience  nous  l'apprend,  c'est  de  faire 
substituer  dans  l'esprit,  en  l'absence  des  objets,  les  perceptions  qu'ils  ont  occasionnées.  » 
{Essai  sur  l'origine  des  connaissances  humaines,  1746). 

Les  éludes  de  psychologie  expérimentale  sur  les  maladies  de  l'esprit  permettent  de 
constater  d'une  manière  précise  cette  relation  entre  l'attention  et  la  mémoire.  J'ai  décrit 
à  plusieurs  reprises  des  malades  abouliques  incapables  de  fixer  leur  attention,  et  j'ai 
constaté  dans  leur  mémoire  des  altérations  bien  caractéristiques:  l^Les  perceptions  aux- 
quelles le  malade  n'a  pu  faire  attention,  qu'il  n'a  pas  pu  comprendre,  ne  laissent  aucun 
souvenir  conscient,  et,  quand  cette  absence  d'attention  se  prolonge,  elle  entraîne  une 
amnésie  de  tous  les  événements  récents  à  mesure  qu'ils  se  produisent;  c'est  cette  for- 
me d'oubli  continuel  que  j'ai  étudiée  sous  le  nom  d'amnésie  continue  (Voy.  Amnésie). 
2°  Quand  l'attention  du  malade  a  pu  être  éveillée  pendant  un  instant  et  fixée  sur  une 
perception,  le  souvenir  de  cette  perception  persiste  dans  la  conscience  et  il  apparaît 
isolé  au  milieu  de  l'amnésie  de  tout  le  reste.  .3°  Ces  perceptions,  qui  en  raison  de  l'ab- 
sence de  l'attention  n'ont  pas  laissé  de  souvenirs  conscients,  ont  cependant  laissé  des 
traces,  et  celles-ci  peuvent  dans  certaines  circonstances  permettre  la  reproduction  de 
souvenirs  subconscients,  automatiques.  On  voit  encore  par  ce  fait  combien  il  est  impor- 
tant dans  l'étude  de  l'attention  de  distinguer  ce  qui  est  conscient  et  ce  qui  est  subcon- 
scient (Pierre  Janet.  Étude  sur  un  cas  d'aboulie  et  d'idées  fixes;  Bévue  philosophique,  1891 
t.  I,  p.  383.  —  Amnésie  continue;  Revue  générale  des  sciences,  1893,  p.  175.  —  Stigmates 
mentaux  des  hystériques,  1893,  pp.  94,  133). 

0°  L'influence  de  l'attention  sur  la  mémoire  nous  conduit  à  signaler  son  influence 
prépondérante  sur  la  perception,  sur  l'intelligence  des  choses.  Ce  caractère  signalé  par  tous 
les  philosophes  a  été  beaucoup  moins  que  les  précédents  l'objet  d'études  expérimentales 
précises.  Il  est  probable  cependant  que  l'étude  de  ce  caractère  sera  la  plus  féconde  et 
contribuera  à  expliquer  les  autres.  L'attention  permet  de  distinguer  un  objet  des  autres 
(Leibniz,  Condillac,  Euler),  mais  elle  permet  surtout  de  distinguer  des  parties,  des 
éléments  dans  cet  objet  qui  est  mis  à  part  des  autres.  Elle  n'est  pas  purement  une  sim- 
plification de  la  connaissance,  une  réduction  du  nombre  des  idées,  elle  augmente  et  com- 
plique la  connaissance  en  rendant  conscients  des  détails  qui  sans  efie  resteraient  ina- 
perçus. Mais  ces  détails  ne  restent  pas  isolés  les  uns  des  autres;  l'attention  tend  toujours 
vers  l'unité,  et  les  diiférents  détails  sont  réunis,  synthétisés,  dans  l'unité  d'une  même  con- 
science (W.  James,  Princ.  of  psych.,  1. 1,  p.  403).  La  perception  des  objets  extérieurs,  la  per- 
ception de  notre  propre  personnalité,  le  jugement,  la  notion  des  rapports,  la  croyance, 
la  certitude  disparaissent  d'une  façon  en  apparence  complète  quand  la  puissance  d'atten- 


836  ATTENTION. 

tion  s'évanouit  (Pierre  Janet,  Étude  sur  un  cas  d'ahoulie  et  d'idées  fixes.  Revue  philo- 
sophique, 1891,  t.  I,  p.  383.  —  Histoire  d'une  idée  fixe.  Revue  philosophique,  1894,  t.  i, 
p.  151). 

Dans  les  laboratoires  de  psychologie  ce  caractère  de  l'attention  a  surtout  été  étudié  à 
un  point  de  vue  particulier.  On  a  cherché  à  déterminer  le  nombre  des  phénomènes  psy- 
chologiques qui  pouvaient  se  développer  simultanément  dans  la  conscience,  et  pouvaient 
être  réunis  par  un  seul  effort  d'attention.  La  question  posée  par  Hamilton'  {Lectures,  14) 
a  été  bien  étudiée  par  Wundt,  Dietze,  Cattell,  Bechterew,  Paulhax,  W.  James  {Prin- 
ciples  ofpsych.,  t.  i,  p.  40o).  Ce  problème  sera  étudié  à  propos  du  champ  de  la  conscience 
(Voyez  Conscience).  Je  rappelle  seulement  ici  la  conclusion  de  W.  James  :  il  est  difficile  d'ap- 
précier ce  nombre  des  idées  simultanées,  car  d'un  côté  chacune  d'elles  semble  se  subdi- 
viser en  parties  nombreuses  et,  d'autre  part,  elles  sont  toujours  réunies  de  manière  à 
former  dans  la  pensée  une  unité. 

6°  En  même  temps  que  ces  phénomènes  en  quelque  sorte  positifs,  l'attention  déter- 
mine dans  l'esprit  des  effets  négatifs,  elle  supprime  des  faits  de  conscience,  elle  empêche 
leur  souvenir  et  leur  développement  intellectuel  (Dugald  Stewart,  Philosophie  de  l'esprit 
humain,  1. 1,  p.  lo9.  —  Bo.Ninet,  de  Genève,  Essai  ancdy tique  sur  les  facultés  de  l'âme,  1775, 1. 1, 
p.  91).  Cette  diminution  de  certains  phénomènes  psychologiques  qui  ne  rentrent  plus 
dans  la  synthèse  consciente  est  désignée  sous  le  nom  de  distraction.  Mais  il  existe  bien 
des  espèces  de  distractions;  de  là  des  confusions  et  des  obscurités.  La  distraction  peut  être 
naturelle  et  primitive  et  se  rattacher  à  la  faiblesse  cérébrale.  Certains  individus  sont  dis- 
traits, en  ce  sens  qu'ils  n'ont  aucune  attention  et  ne  peuvent  S3'nthétiser  ni  comprendre 
les  phénomènes  qui  se  passent  dans  leur  esprit.  Cette  faiblesse  de  la  faculté  de  sj'nthèse 
a  déjà  été  signalée  à  propos  de  l'anesthésie  hystérique  (Voyez  Aneslhésie).  La  distraction 
peut  aussi  être  secondaire  et  se  produire  chez  des  esprits  puissants  qui  accordent  toute 
leur  attention  à  une  idée,  et  ne  se  préoccupent  plus  des  autres  faits  (Hirth,  les  Localisations 
cérébrales  en  psychologie.  Pourquoi  sommes-nous  distraits?  Iraduct.  L.  Arréat,  189b). 

Ces  distractions,  quelle  que  soit  leur  origine,  ont  une  grande  importance  et  jouent 
un  grand  rôle  dans  de  nombreux  faits  normaux  et  pathologiques.  J'ai  eu  l'occasion  de 
montrer  à  plusieurs  reprises  qu'elles  peuvent  donner  naissance  à  des  amnésies,  à  des 
anesthésies  véritables.  Un  fait  curieux  de  ce  genre  que  j'ai  communiqué  au  Congrès  de 
psychologie  de  1889,  et  étudié  depuis  à  plusieurs  reprises  (Stigmates  mentaux  des  hysté- 
riques, 1893,  p.  76),  consiste  dans  les  modifications  du  champ  visuel  déterminées  par 
l'attention.  Si  l'attention  du  sujet  est  fortement  attirée  sur  le  point  central  du  périmètre, 
le  champ  visuel  se  rétrécit  à  la  périphérie.  Chez  les  individus  normaux  ce  procédé  mo- 
difie peu  le  champ  visuel,  mais  chez  les  hystériques,  et  en  général  chez  les  malades  dont 
l'attention  est  modifiée,  on  constate  des  rétrécissements  surprenants.  La  puissance  de 
perception  consciente  ne  peut  pas,  quand  elle  est  petite,  se  porter  sur  un  point  sans 
abandonner  les  autres.  Enfin  il  serait  peut-être  possible  de  constater  dans  cette  expé- 
rience l'effort  de  l'attention  pour  synthétiser  les  phénomènes.  C'est,  semble-t-il,  parce 
qu'il  y  a  plus  de  détails  à  percevoir  au  centre  du  périmètre  que  le  champ  visuel  péri- 
phérique diminue. 

Tels  sont  les  principaux  phénomènes  qui  ont  été  signalés  dans  l'attention  et  les  prin- 
«îipaux  problèmes  soulevés  par  chacun  d'eux. 

Les  variétés  de  l'attention.  —  Lorsqu'on  étudie  les  caractères  de  l'attention,  il  faut 
toujours  songer  au  vague  et  à  l'ambiguïté  des  termes  du  langage  psychologique.  Le  mot 
attention  est  employé  indifféremment  pour  désigner  des  phénomènes  qui  ne  sont  pas 
entièrement  comparables.  Il  est  toujours  important  de  distinguer  la  variété  de  l'attention 
que  Ton  examine. 

Degrés  de  l'attention.  —  L'attention  est  évidemment  plus  ou  moins  puissante,  quoique 
nousn'aj'ons  guère  le  moyen  de  mesurer  avec  précision  son  degré.  Certains  hommes  ont 
une  attention  très  puissante,  capable  de  se  fixer  fortement  sur  un  objet  nouveau,  de  l'ana- 
lyser dans  ses  détails,  de  le  bien  comprendre,  sans  que  l'esprit  soit  distrait  par  la  repro- 
duction automatique  d'autres  idées  étrangères  :  «  Les  nouvelles  heureuses  ou  malheu- 
reuses de  l'Egypte,  disait  Taine  en  parlant  de  Napoléon,  ne  sont  jamais  venues  le  dis- 
traire du  Code  civil,  ni  le  Code  civil  des  combinaisons  qu'exigeait  la  sûreté  de  l'Egypte; 
jamais  homme  ne  fut  plus  entieràce  qu'il  faisait»  (Régime  moderne,  1. 1,  p.2o).  Au  contraire. 


ATTENTION.  837 

d'autres  ne  peuvent  fixer  leur  attention  sur  rien,  changent  à  chaque  instant  l'objet  de 
leurs  pensées,  sont  distraits  par  la  moindre  sensation  ou  le  moindre  souvenir.  On  a 
souvent  remarqué  que  l'attention  est  faible  chez  l'enfant  (B.  Pérez,  l'Enfant  avant 
trou  ans,  p.  138);  chez  la  femme,  du  moins  en  général  (Ridot,  Maladies  de  la  volonté, 
p.  104)  ;  LoMBROso  a  fait  la  même  remarque  à  propos  des  criminels  {l'Homme  criminel,  p.  426). 
Dans  bien  des  maladies  mentales  l'attention  est  tout  à  fait  absente  ou  réduite  au  plus 
faible  degré  (Voyez  Aboulie).  Entre  ces  deux  degrés  extrêmes  se  placent  une  foule  de 
degrés  intermédiaires,  désignés  par  les  mots,  intérêt,  réflexion,  application,  méditation 
contention,  contemplation. 

Objets  de  l'attention.  —  L'attention  varie  également  suivant  les  objets  auxquels  elle 
s'applique.  L'attention  sensorielle  n'est  déterminée  que  par  les  phénomènes  sensibles; 
c'est  la  forme  de  l'attention  qui  se  présente  la  première  chez  les  animaux,  chez  les 
enfants.  Chacun  de  nos  sens  peut  être  modifié  par  l'attention,  et  le  langage  populaire 
lui-même  dislingue  entre  «  toucher  »  et  «  palper  «,  «  goûter  »  et  «  déguster  »,  «  sentir» 
et  «  flairer  »,  «  entendre  »  et  «  écouter  »,  «  voir  »  et  «  regarder  ».  "L'attention  intellectuelle 
s'applique  aux  idées  et  particulièrement  aux  idées  abstraites,  elle  est  évidemment  posté- 
rieure à  la  seconde  et  ne  se  développe  que  chez  l'homme  adulte.  Il  serait  important  de 
déterminer  les  relations  de  ces  deux  attentions  qui  présentent  certainement  des  carac- 
tères communs  sous  leurs  diflerences  apparentes.  Ribot,  dans  sa  Psychologie  de  l'atten- 
tion, 1889,  a  fortement  insisté  sur  ce  point  que  l'attention  sensorielle  est  primitive,  tan- 
dis que  l'attention  intellectuelle  est,  sinon  toujours,  au  moins  le  plus  souvent,  dérivée. 
D'après  cet  auteur  les  phénomènes  sensibles  fixeraient  d'une  façon  immédiate  l'atten- 
tion par  leur  caractère  émotionnel,  les  idées  abstraites  ne  deviendraient  intéressantes, 
c'est-à-dire  ne  fixeraient  l'attention  que  par  association  avec  quelque  phénomène 
sensible. 

Formes  de  l'attention.  —  La  distinction  de  beaucoup  la  plus  importante  est  celle  de  l'atten- 
tion aîftomah'gwe  et  de  l'attention  volontaire.  Dans  la  première,  une  sensation  où  une  série 
d'images  s'imposent  et  dominent  par  elles-mêmes  sans  que  la  personnalité  ni  la  volonté 
jouent  un  rôle  bien  grand.  Dans  la  seconde,  au  contraire,  il  semble  que  ce  soit  l'idée  de 
la  personnalité,  les  phénomènes  que  nous  appelons  volontaires  qui  déterminent  la  direc- 
tion de  l'attention  en  des  points  qui  ne  seraient  pas  importants  par  eux-mêmes  sur  des 
phénomènes  qui  ne  se  développeraient  pas  spontanément  dans  l'esprit.  Dans  la  première 
nous  écoutons  un  bruit  violent,  une  conversation  agréable  en  elle-même,  dans  la  seconde 
nous  écoutons  un  bruit  léger,  un  discours  peu  agréable.  «  Toutes  les  formes  de  l'effort 
attentif,  disait  W.  James,  sont  réunies  quand  pendant  un  dîner  un  individu  écoute  atten- 
tivement un  voisin  qui  lui  donne  à  voix  basse  un  avis  insipide  et  désagréable,  pendant 
que  tout  autour  les  autres  convives  rient  haut  et  causent  de  choses  intéressantes.  »  [Princ. 
ofPsych.,t.i,  p.  420.)  Cette  distinction  est  si  capitale  que  l'on  peut  se  demander  s'il  s'agit 
de  deux  variétés  d'un  même  phénomène  ou  bien  de  deux  phénomènes  distincts  soumis 
à  des  lois  différentes.  Quoiqu'il  en  soit,  la  seconde  attention  s'accompagne  d'un  sentiment 
d'effort  et  de  fatigue  qui  n'existe  pas  dans  la  première;  c'est  surtout  dans  cette  forme 
d'attention  que  se  constate  l'augmentation  des  souvenirs,  le  développement  de  l'intelli- 
gence que  nous  avons  précédemment  décrits. 

Lies  théories  de  l'attention.  —  Nous  ne  signalerons  dans  cette  étude  qu'un 
petit  nombre  d'hypothèses  qui  ont  été  proposées  pour  expliquer  l'attention,  celles  qui 
ont  pu  diriger  les  recherches  expérimentales  et  qui  peuvent  provoquer  des  observations 
nouvelles. 

i"  Le  rôle  des  mouvements  dans  l'attention.  —  Une  des  remarques  les  plus  intéres- 
santes et  les  plus  vraies,  si  on  ne  lui  donne  pas  une  trop  grande  généralité,  c'est  que 
l'attention  s'accompagne  de  mouvements  corporels  et  que  la  sensation  de  ces  mouve- 
ments corporels  inévitables  joue  un  grand  rôle  dans  la  conscience  de  l'attention  elle- 
même.  Dans  l'attention  sensible  le  fait  est  facile  à  constater,  nous  tournons  la  tète,  nous 
fermons  à  demi  les  paupières,  nous  dirigeons  le  mouvement  des  yeux  pour  voir,  nous 
adaptons  également  nos  organes  pour  toucher  ou  pour  entendre.  M.iiNE  de  Biran,  Gerdy 
avaient  déjà  signalé  le  fait;  la  plupart  des  psychologues  modernes  ont  insisté  sur  la 
nécessité  de  cet  ajustement  musculaire  des  organes  des  sens.  Il  faut  ajouter  que  pendant 
l'attention  se  produisent   des   modifications  de  la  respiration  analogues  à  celles  qui 


838  ATTENTION. 

accompagnent  tout  effort.  Ces  mouvements  sont  sentis  d'une  façon  plus  ou  moins  vague, 
et  c'est  l'ensemble  de  ces  modifications  qui  produisent  notre  sentiment  de  l'attention. 

L'existence  d'une  attention  purement  intellectuelle  ne  constitue  pas  une  difficulté 
insoluble,  car  nos  idées  se  composent  d'images,  et  il  est  facile  de  constater  que  ces 
images  n'existent  pas  dans  l'esprit  sans  qu'il  se  produise  en  même  temps  dans  le  corps 
des  modifications  musculaires  analogues  à  celles  qui  ont  accompagné  les  sensations 
elles-mêmes,  et  l'on  peut  dire  avec  Fechner  que  toujours  l'attention  dépend  d'un  méca- 
nisme corporel.  Parmi  les  auteurs  qui  ont  le  plus  contribué  à  développer  cette  théorie, 
nous  citerons  Fechner  {P^ychophysik,  t.  ii,  p.  475),  Muller,  Lange,  Munsterberg  dans  les 
travaux  déjà  cités,  Th.  Ribot  {Psychologie  de  l'attention,  1889),  Lehuann  (Ueber  Beziehung 
zwischen  Athmung  imd  Aufmerksamkeit ;  Phil.  Stud-,  t.  ix,  p.  66)  et  N.  Lange,  qui  dans 
un  ouvrage  récent  expose  et  défend  cette  théorie  (Études  psychologiques.  Loi  de  la  per- 
ception et  théorie  de  l'attention  volontaire  (en  russe),  Odessa,  1894).  «  Le  rôle  fondamental 
des  mouvements  dans  l'attention,  disait  en  résumé  Ribot,  consiste  à  maintenir  l'état 
de  conscience  et  à  le  renforcer...  l'attention  consiste  en  un  état  intellectuel  exclusif  et 
prédominant  avec  adaptation  spontanée  ou  artificielle  de  l'individu.  » 

On  a  opposé  à  cette  théorie  deux  arguments  principaux.  D'abord  il  semble  que  dans 
certains  cas  l'attention  se  produise  sans  mouvements.  Helmholtz  et  Wundt  ont  insisté  sur 
une  expérience  curieuse  qui  consiste  à  fixer  l'œil  sur  un  point,  puis,  sans  remuer  l'œil,  à, 
diriger  l'attention  sur  les  points  situés  à  la  périphérie  du  champ  visuel.  Nos  propres 
observations  sur  les  modifications  du  champ  visuel  par  l'attention  pourraient  se  rap- 
procher des  précédentes  et  contribuent  à  prouver  qu'il  existe  des  phénomènes  d'atten- 
tion dans  lesquels  n'entrent  pas  de  véritables  mouvements.  D'autre  part  les  modifications 
organiques  qui  accompagnent  l'attention  comme  tout  autre  phénomène  psychologique  sont 
secondaires  et  résultent  de  la  fixation  de  l'attention  sur  un  objet  choisi,  fixation  et  choix 
déterminés  par  des  phénomènes  psychologiques  différents.  Cette  discussion  se  trouve 
signalée  d'une  manière  intéressante  dans  l'ouvrage  de  W.  James,  dans  un  article  de 
L.  Martllier  (Le  Mécanisme  de  l'attention;  Rev.pMlosoph.,  1889,  p.  S67)  à  propos  du  livre 
de  Ribot  et  dans  un  travail  de  Bastian  (L'Attention  et  la  volonté;  Uevue  philosophique, 
189-2,  1. 1,  p.  360). 

2°  Mécanisme  de  l'attention  automatique,  l'idée  anticipante.  —  Un  autre  groupe  de 
théories  se  préoccupe  donc  des  phénomènes  psychologiques  qui  accompagnent  l'atten- 
tion. CoNDiLLAC,  comme  on  sait,  expliquait  simplement  l'attention  par  la  force  de  la  sen- 
sation :  «  Une  sensation  devient  attention,  soit  parce  qu'elle]est  seule,  soit  parce  qu'elle  est 
plus  vive  que  les  autres  «  [Traité  des  sensations).  Quelques  auteurs  modernes  ont  repris 
cette  même  théorie  d'une  façon  un  peu  plus  précise.  Ce  qui  fait  l'attention,  disait  Maril- 
LTER  dans  l'article  précédemment  cité,_ c'est  la  force  d'un  phénomène  psychologique,  quelle 
qu'elle  soit,  que  cette  force  soit  due  à  la  vivacité  de  la  sensation,  à  l'habitude,  à  l'émotion 
ou  à  des  idées  associées.  F.  H.  Bradley  {Is  there  a  spécial  activity  of  attention,  Mind,  t.  xi, 
p.  303),  insiste  dans  le  même  sens. 

W.  James  semble  préciser  beaucoup  cette  théorie  et  montrer  en  quoi  consiste  cet  état 
psychologique  qui  prépare  et  produit  l'attention.  C'est  une  image  anticipante  de  la  chose  à 
laquelle  on  fait  attention.  L'esprit  est  préparé  à  la  sensation  qui  va  survenir  parce  qu'il 
l'imagine  déjà,  et  c'est  cette  préparation  qui  donne  au  phénomène  les  caractères  de 
l'attention  {Principics  of  PsychoL,  1. 1,  p.  441). 

3°  La  synthèse  mentale  dans  l'attention.  —  Toute  attention  se  réduit-elle  à  cette  atten- 
tion automatique  déterminée  par  la  présence  et  par  la  force  d'une  idée  anticipante"?  On 
peut  se  demander  quelle  a  été  l'origine  de  cet  état,  d'où  vient  sa  force,  sa  prépondérance 
actuelle.  On  peut  aussi  rechercher  comment  se  fait  la  perception  des  objets  nouveaux  qui 
ne  sont  pas  déjà  représentés  dans  notre  esprit  par  des  images  antérieures.  Ce  sont  là  des 
problèmes  déjà  signalés  à  propos  des  troubles  de  la  volonté  (voyez  Aboulie),  et  qui  ont 
rarement  été  l'objet  d'études  expérimentales  précises.  D'après  l'étude  de  certains  troubles 
de  l'attention  chez  des  malades  capables  de  percevoir  des  objets  déjà  connus  et  inca- 
pables de  faire  attention  à  des  objets  nouveaux,  il  semble  qu'il  y  ait  dans  l'attention  des 
phénomènes  plus  complexes.  L'attention  ne  se  borne  pas  à  maintenir  une  image  présente 
dans  l'esprit,  mais  elle  travaille  encore  à  combiner  cette  image  avec  les  autres,  à  consti- 
tuer des  synthèses  qui  deviendront  plus  tard  le  point  de  départ  d'un  nouvel  automatisme. 


ATTENUATION.  839 

Cette  interprétation  se  rattache  à  la  philosophie  de  Herdart  (Voir  Stoot,  On  the  Her- 
bartian  psychology,  Minci,  t.  xiii,  p.  48-i)[;  elle  est  discutée  dans  les  ouvrages  de  Lotze,  de 
«VoLKMANN,  de  Ward,  dans  mon  étude  sur  l'automatisme  psychologique,  1889,  dans  les 
écrits  de  W.  James,  de  J.  Sully,  de  Baldwin,  de  Paulhan  (Activité  mentale  et  les  éléments 
de  l'esprit).  Il  me  semble  que,  en  dehors  des  spéculations  philosophiques,  ce  phénomène 
de  la  synthèse  mentale  peut  être  étudié  plus  facilement  chez  les  individus  qui  présentent 
des  troubles,  des  affaiblissements  de  l'esprit.  Ce  sont  les  phénomènes  de  l'aboulie  et 
de  l'amnésie  qui  seront  sur  ce  point  particulièrement  instructifs. 

La  bibliographie  de  cette  question  est  déjà  considérable;  la  plupart  des  travaux 
importants  ont  été  cités  dans  cet  article.  On  peut  consulter  d'ailleurs  sur  ce  point  tous  les 
traités  et  tous  les  recueils  de  psychologie  expérimentale. 

PIERRE   JANET. 

ATTENUATION.  —  Tout  être  vivant  possède  une  activité  moyenne  qui 
varie  suivant  les  périodes  de  son  existence  ;  cette  activité  se  traduit  par  les  manifesta- 
tions de  chacune  des  fonctions,  de  chacune  des  facultés  de  cet  être;  la  somme,  l'ensem- 
ble de  ces  facultés,  de  ces  fonctions  forment  le  taux  de  cette  activité  moyenne;  chaque 
fois  que  ce  taux  n'est  pas  atteint  dans  une,  dans  plusieurs,  dans  la  totalité  de  ces 
manifestations,  on  peut  dire  qu'il  y  a  atténuation,  partielle,  ou  générale. 

Sevrez  un  enfant,  à  l'heure  de  la  pleine  croissance,  des  principaux  aliments,  des 
principaux  incitants  qui  dérivent  de  la  lumière,  du  soleil;  sa  taille  demeurera  inférieure 
à  ce  qu'elle  doit  être;  la  composition  de  ses  humeurs,  de  ses  tissus  sera  défectueuse; 
cette  atténuation  portera  sur  la  nutrition,  sur  ce  phénomène  qui,  disséqué,  analysé, 
comprend  trois  actes  :  1°  l'apport  de  dehors  en  dedans;  2°  l'assimilation  ou  utilisation; 
3°  les  principes  nuisibles  ou  indifférents,  c'est-à-dire  la  désassimilation. 

On  peut  même,  à  la  rigueur,  voir  l'amoindrissement  se  faire  sentir  uniquement  à 
propos  de  l'un  de  ces  trois  actes. 

Atténuation  dans  la  nutrition  et  le  développement.  —  Cette  alténuation  est 
assurément  la  plus  importante,  attendu  qu'elle  frappe  la  vie  elle-même  dans  ses 
origines,  dans  son  essence;  on  peut  concevoir  un  être  sans  mouvements,  sans  sécrétion, 
sans  traduction  extérieure  de  ses  opérations  intimes;  on  ne  peut  le  supposer  privé  d'une 
nutrition  aussi  réduite  qu'on  le  voudra;  cette  nutrition,  avec  ses  mutations  d'arrivée, 
d'entretien,  de  départ,  ne  saurait  être  supprimée,  sans  que,  du  même  coup,  tout  sujet 
ainsi  traité  cesse  d'appartenir  au  monde  vivant.  Aussi  a-t-on  pu  soutenir  que  vie  et  nuti'i- 
tion  étaient  synonymes. 

Atténuation  dans  les  fonctions.  Motilité.  Sécrétions.  —  A  côté  des  affaiblisse- 
ments qui  ont  trait  à  ces  mutations  nutritives,  il  en  est  qui  pèsent  sur  les  actes  fonc- 
tionnels. 

Prenez  la  marmotte  pendant  l'hiver;  chez  elle,  le  mouvement  et  la  sensibilité  sont 
réduits  dans  leur  presque  totalité. 

De  Id  nutrition,  de  la  sensibilité,  'de  la  motilité,  passez  aux  sécrétions,  à  d'autres 
fonctions.  Suivant  les  latitudes,  les  venins,  principalement  ceux  de  la  vipère,  le  musc  du 
chevrotain  varient;  ils  varient  également  avec  l'alimentation,  à  l'exemple  des  éléments 
gras  de  certains  poissons,  de  certains  animaux. 

Du  règne  animal  passez  au  monde  végétal.  Transplantez,  dans  les  plaines  du  midi, 
les  ceps  de  la  Bourgogne,  ceux  des  clos  de  Chambertin;  vous  ne  tarderez  pas  à  obtenir 
un  vin  qui,  pendant  deux  ou  trois  années,  rappellera  les  crus  de  la  Côte  d'Or,  mais  qui 
promptement,  malgré  les  levures,  malgré  les  cultures,  verra  les  bouquets  disparaître, 
s'atténuer,  au  point  de  devenir  méconnaissables. 

La  digitale  pousse  superbe  aux  environs  de  Paris,  dans  la  vallée  de  la  Bièvre,  en  par- 
ticulier ;  cependant,  elle  ne  livre  pas  des  produits  actifs,  analogues  à  ceux  qu'elle  fournit, 
quand  elle  croit,  en  Auvergne;  pourtant,  elle  a  à  sa  disposition  de  la  silice  dans  les  deux 
cas;  ce  n'est  plus,  comme  pour  la  marmotte,  une  question  de  température;  ce  n'est  plus, 
comme  pour  la  vigne,  une  simple  affaire  de  terrain;  le  problème  ici  est  plus  délicat,  plus 
complexe. 

L'aconit  des  Alpes  est  riche  en  aconitine,  alors  que  l'aconit  de  l'Ecosse  en  possède  à 
peine. 


SiO  ATTENUATION. 

Lesexemples  d'atténuation  sont  innombrables.  On  peutmêmelesemprunterau  domaine 
physique;  on  peut,  par  exemple,  atténuer  un  courant  électrique,  une  source  de  lumière, 
de  chaleur,  etc.,  etc.;  il  suffit,  le  plus  souvent,  de  diminuer  l'élément  quantitatif. 

C'est  également  en  faisant  varier  les  doses  qu'on  affaiblit  les  virus,  comme  aussi  en 
s'adressant  à  la  qualité.  Ces  exemples  d'atténuation  sont  d'autant  plus  clairs,  et  plus 
saisissants  qu'ils  ont  pour  objet  des  espèces  plus  éloignées  du  sommet  de  l'échelle,  par- 
ticulièrement des  bactéries.  Nous  ne  traiterons  donc  ici  que  de  l'atténuation'des  bactéries. 

Influence  des  milieux  sur  l'atténuation.  —  Néanmoins,  à  tous  les  degrés  de  cette 
échelle,  on  s'aperçoit  bien  vite  que  ces  atténuations,  quelles  qu'elles  soient,  sont  l'œuvre 
des  conditions  ambiantes,  des  agents  extérieurs,  c'est-à-dire  du  milieu,  lorsqu'elles  ne 
sont  pas  la  conséquence  de  l'hérédité,  et  encore,  même  dans  ce  cas,  celui  qui  remonte 
aux  origines  retrouve  ce  rôle  du  milieu. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  aisé  de  placer  en  lumière  les  fonctions  d'atténuation  d'une 
série  de  facteurs  choisis  parmi  ceux  qui  nous  entourent,  surtout  si  on  les  fait  agir  sur 
des  microbes. 

Rôle  des  agents  atmosphériques  dans  Tatténuation.  —La  pression  est  capable 
d'atténuer  les  bactéries;  toutefois,  cette  action  appartient  plutôt  au  domaine  théorique. 
Quand,  en  efîet,  on  soumet  des  cultures  à  cette  influence,  on  voit  qu'il  est  nécessaire 
d'atteindre  des  centaines  d'atmosphères  pour  obtenir  quelques  modifications.  On  remé- 
die à  ce  défaut  d'intervention,  en  établissant  ces  pressions  sous  des  gaz,  capables  par 
eux-mêmes  d'affaiblir  les  infiniment]  petits.  C'est  là  un  côté  technique  qui  caractérise 
les  expériences  de  d'Arsonval  et  Charri.n;  une  donnée  qui,  dans  ces  expériences,  prouve 
clairement  le  peu  d'influence  relative,  dans  les  limites  de  ces  recherches,  du  facteur 
ph3'sique  pur,  c'est  que  les  résultats  enregistrés  ont  oscillé  suivant  la  mise  en  jeu  de 
l'acide  carbonique  ou  de  l'azote,  suivant  que  ces  pressions  étaient  réalisées  à  l'aide  de 
l'un  ou  de  l'autre  de  ces  corps,  sans  que  le  nombre  des  atmosphères  ait  changé;  Paul 
Bert,  Regnaru  ont  nettement  mis  ces  faits  en  évidence. 

En  ayant  recours  à  ces  procédés,  on  peut,  à  l'exemple  de  'Chauveau,  faire  fléchir  la 
virulence  delà  bactéridie;  il  est  également  possible  d'imposer  des  oscillations  aux  fonc- 
tions de  sécrétion,  de  multiplication  des  germes  pathogènes;  mais  ce  sont  là  des  études 
dont  l'utilité  franchit  à  peine  les  murs  du  laboratoire.  Dans  le  laboratoire,  il  est  aussi 
permis  de  montrer  que  la  pesanteur  change  la  forme  des  cultures,  intervient  dans  la 
direction  des  stries  que  le  bacille  de  Koch  dessine  sur  agar  en  [se  de'veloppant.  Il  sem- 
ble que,  dans  ces  dispositions,'il  y  ait  quelque  chose  qui  laisse  soupçonner  la  mise  enjeu 
de  l'influence  des  lignes  de  foi'ce  de  Faraday. 

De  fait,  nous  ne  pensons  pas  que  les  grandes  dégradations  de  virulence  soient  attri- 
buables  à  ces  agents  naturels;  il  serait  cependant  téméraire  de  leur  refuser  toute  action, 
d'autant  que,  dans  l'atmosphère,  il  est  possible  de  rencontrer  tel  principe,  différent  de 
l'air,  qui,  en  prêtant  son  concours,  puisse  accroître  la  puissance  de  ces  facteurs. 

L'électricité  a  encore  trop  de  progrès  à  réaliser  pour  que  l'on  soit  autorisé  à  porter 
sur  son  rôle  vis-à-vis  des  germes,  au  moins  dans  la  nature,  un  jugement  définitif. 
Plusieurs  auteurs,  parmi  eux  Prochownich,  Spoeth,  Eohne,  Bessmer,  Mendei.sohx,  Spilker, 
CoTTSTEiN,  Gautier,  Apostoli,  Laquerhière,  etc.,  ont  cherché  à  délimiter  la  part  mani- 
feste appartenant  à  ce  fluide.  On  a  constaté,  notion  facile  à  prévoir,  que  les  effets 
dépendaient  de  l'intensité,  de  la  durée  du  courant;  avec  30  milli-ampères,  par  exemple, 
on  ne  tue  pas  leS.  aureus,  qui,  au  contraire,  succombe  à  60  milli-ampères.  D'unautre  côté, 
sans  changer  ni  le  voltage,  ni  l'intensité,  on  détruit  les  spores  du  charbon,  lorsqu'elles 
subissent,  durant  une  heure,  cette  influence,  tandis  qu'elles  conservent  leur  vitalité, 
quand  on  réduit  cette  durée  à  quinze  minutes.  Ces  effets,  pour  la  majorité  des  expé- 
rimentateurs, ont  paru  plus  sensibles  au  pôle  positif  qu'au  pôle  négatif. 

Malheureusement,  dans  beaucoup  de  ces  travaux,  l'action  isolée  de  l'électricité, 
agissant  par  elle-même,  en  tant  que  fluide  spécial,  se  dégage  péniblement.  Fréquem- 
ment, si  on  analyse  ces  recherches,  on  s'aperçoit  qu'en  définitive  le  courant  a  dû  inter- 
venir en  produisant  de  la  chaleur  ou  en  mettant  en  liberlé  les  substances  nuisibles  aux 
bactéries,  en  dégageant  l'énergie  sous  des  formes  physiques  ou  chimiques  spéciales; 
on  revient  alors  aux  attributs  du  calorique  ou  des  antiseptiques  dont  le  pouvoir  n'est 
plus  à  démontrer. 


ATTENUATION.  SU 

Grâce  à  la  haute  compétence  de  d'Absonval,  les  expériences  auxquelles  ce  savant 
m'a  permis  de  collaborer  échappent  à  ces  critiques;  les  influences  secondaires  ont  été 
écartées  avec  soin;  seul  le  fluide  a  été  mis  en  cause  dans  des  conditions  de  puissance 
qui  n'avaient  jamais  été  réalisées.  En  le  subissant,  le  bacille  pyocyanogène  perd  peu  à 
peu  la  faculté  de  sécréter  des  pigments;  puis  la  multiplication  est  atteinte  à  son  tour. 
Plus  d'une  fois  nous  avons  affaibli  dans  d'énormes  proportions  sa  vitalité;  mais,  en 
dépit  de  l'usage  des  courants  à  haute  ou  à  basse  fréquence,  nous  n'avons  pas  réussi  à 
l'éteindre  complètement.  On  sait  que  les  courants  de  forme  sinusoïdale  font  fléchir 
la  pression,  provoquent  de  la  vaso-dilatation,  de  la  sudation,  des  osciUations  dans  les 
échanges,  dans  l'urée,  le  chlore,  l'acide  phosphorique. 

Il  est  juste  cependant  de  remarquer  que,  dans  une  série  de  tentatives,  si  nous 
n'avions  pas  eu  recours  à  un  a'gent  chromogène,  nous  aurions  nettement  déclaré  qu'il 
ne  se  produisait  aucune  modiflcation;  pourtant,  en  raison  de  la  contingence  de  cette 
propriété,  les  changements  étaient  manifestes.  Ces  données  expliquent  urte  fois  de  plus 
combien  il  est  facile  d'obtenir  des  résultats  discordants,  même  en  mettant  en  œuvre, 
avec  la  plus  entière  bonne  foi,  une  technique  que  l'on  croit  identique  à  celle  qui  a  été 
instituée  pour  poursuivre  une  expérience  que  l'on  contrôle. 

L'état  hygrométrique,  l'humidité,  dans  la  majorité  des  cas,  interviennent  d'une 
façon  opposée;  il  suffit,  pour  s'en  convaincre,  de  parcourir  les  études  de  Dempster  sur 
le  bacille  d'EsERiH,  celles  d'AsciiER  sur  les  pyogènes,  celles  de  Diatroptow  sur  le  contenu 
de  la  vase  des  puits,  etc.;  les  grands  mouvements  de  terrain  qui  aident  à  la  diffusion 
des  agents  conservés  à  l'abri  de  la  sécheresse  réveillent  les  épidémies. 

L'ozone  a  une  action  bien  inférieure  à  celle  de  l'oxygène;  Christm.\s  l'a  reconnu;  je 
l'ai  constaté  avec  d'Arsonval. 

La  dessiccation  favorise  ces  résultats;  de  nombreux  travaux,  ceux  de  Walliczek,  de 
GuYON,  d'ALEssi,  de  Momout,  de  Sirena,  d'UrPELsiANN,  de  Marpm.an,  entre  autres,  sur  le 
bacille  du  côlon,  sur  le  germe  du  choléra,  de  la  dothiénentérie,  de  la  tuberculose,  le 
prouvent  aussi  bien  que  ceux  qui  ont  eu  pour  objet  le  pneumocoque,  l'agent  du 
tétanos,  etc.  Suivant  les  niveaux  aériens,  Christian!  recueille  des  agents  variables  au 
point  de  vue  quantitatif  ou  qualitatif. 

On  a  rencontré  des  microbes  dans  la  glace,  dans  la  grêle,  dans  la  neige;  c'est  dire 
que  le  froid,  le  plus  souvent,  les  atténue,  sans  parvenir  à  les  détruire.  Avec  d'ARSONv.AL, 
nous  avons  dû  atteindre  — ■  40», —  60°,  pour  supprimer  toute  manifestation  vitale  chez  le 
bacille  du  pus  bleu.  Aussi,  contrairement  à  la  légende,  voit-on  des  épidémies  sévir  en 
plein  hiver.  Assurément,  les  abaissements  thermiques  modèrent  l'activité  des  infiniment 
petits,  mais  ces  abaissements,  nous  l'avons  établi,  ont  également  sur  nos  cellules  un 
fâcheux  retentissement. 

Par  contre,  la  chaleur  exerce  une  influence  réelle.  Quand  l'eau  et  l'humidilé  ne 
protègent  pas  les  germes,  et  même  en  dépit  de  ces  protections,  cette  influence  se 
fait  sentir.  Voilà  pourquoi,  malgré  certaines  opinions,  les  journées  sèches,  lumineuses, 
chaudes,  ne  sont  pas  spécialement  à  redouter. 

A  côté  de  la  chaleur,  et  peut-être  avant  elle,  parmi  les  agents  atmosphériques  pro- 
pres à  influencer  la  marche  des  virus,  leur  gravité  ou  leur  bénignité,  prend  place  la 
lumière.  Arloing,  Roux,  Strads  l'ont  prouvé  pour  la  bactéridie  ;  Palerme  pour  le  vibrion 
cholérique;  Janowski  pour  le  bacille  d'EBERTu;  Ledoux-Lebard  pour  celui  de  Lùkfler; 
BucHNER  pour  celui  du  côlon,  pour  le  B.  p)'odi(/iosMS  ;  Bordoni-Ufreouzzi  pour  le, pneumo- 
coque; Chmielewski,  Hubbert  pour  les  pyogènes;  d'ArsOiNval  et  Charrin  pour  le  germe 
du  pus  bleu;  Geisler,  Raspe,  Kotllar,  Downes  et  Blunt,  Marschall  Ward,  etc.,  ont  éga- 
lement étudié  le  rôle  du  spectre. 

Les  courants  atmosphériques,  les  agitations,  les  déplacernents,  conséquences  des 
vents,  des  orages,  des  tempêtes,  des  pluies,  par  le  fait  du  mouvement,  et  sans  doute 
pour  d'autres  raisons,  telles  que  la  participation  de  l'oxygène,  etc.,  sont  capables  de 
modérer  l'activité  des  microbes;  on  a  pu  restreindre  celte  activité,  en  soumettant  ces 
microbes  à  l'action  des  appareils  centrifuges,  suivant  une  technique  préconisée  par 
ScHEURLEN,  PoEHL,  Bang,  ctc.  ;  Lezé,  de  son  côté,  a  étudié  la  part  à  faire  aux  intempéries. 

Multiplicité  des  agents  d'atténuation.  —  Agents  physiques  ou  chimiques. 
Agents  naturels  ou  artificiels.  —  Allonger  cette  liste  des  agents  d'atténuation  serait 


842  ATTENUATION. 

chose  aisée  ;  à  ne  tenir  compte  que  des  agents  de  i'air,  on  pourrait  décomposer  cet  air, 
analyser  le  rôle  de  chacun  des  gaz  qui  entrent  dans  sa  composition,  des  gaz  fondamen- 
taux, de  ceux  qui  se  trouvent  partout,  aussi  bien  que  des  principes  volatils  qui,  par  le 
fait  de  certaines  causes  occasionnelles,  peuvent  se  répandre  dans  l'atmosphère.  On 
pourrait  également  opposer  aux  facteurs  naturels,  physiologiques,  de  détérioration,  l'âge, 
ce  vieillissement  qui  n'épargne  personne,  les  facteurs  artificiels  tels  que  les  poisons. 
Analyse  des  effets  de  ratténuation.  Atténuation  totale  ou  partielle.  —  Si  les 
facteurs  physiques  sont  en  effet  nombreux,  ceux  qui  sont  de  nature  chimique  ne  sont 
pas  exceptionnels  ;  les  premiers,  comme  les  seconds,  peuvent  faire  porter  leur  influence 
sur  l'ensemble  des  fonctions,  ou  ne  viser  qu'une  seule  ou  plusieurs  de 'ces  fonctions. 
L'atténuation  influence  la  morpliologie.  —  Il  n'est  pas  rare,  lorsque  des 
entraves  atteignent  un  être  vivant  dans  son  évolution  et  sa  vitalité,  de  voir  des  modi- 
fications se  produire  dans  la  forme  de  cet  être.  —  L'homme  lui-même,  à  la  suite  d'une 
maladie  infectieuse,  plus  particulièrement  d'une  fièvre  typhoïde,  ne  fait  pas  exception  à 
cette  loi,  surtout  si  cette  maladie  l'a  frappé  au  cours  de  son  développement;  on  constate 
alors,  dans  certains  cas,  que  la  croissance  s'est  effectuée  d'une  façon  exagérée;  l'allon- 
gement des  os  a  été  si  rapide  que  plus  d'une  fois,  suivant  la  remarque  de  Bouchaed,  la 
peau,  impuissante  à  suivre  cet  allongement,  a  dû  céder;  des  éraillures  du  derme,  des 
vergetures,  cicatrices  indélébiles  de  cette  activité  anormale,  se  sont  réalisées.  —  Le  défaut 
d'aliments  solides  ou  liquides,  l'absence  d'oxygène  raccourcit  la  taille  de  l'enfant;  le 
manque  de  matières  minérales  cause  des  déformations  qui  font  dévier  la  colonne  verté- 
brale; cet  enfant,  amoindri  dans  son  taux  nutritif,  acquiert  une  morphologie  défec- 
tueuse, pour  ainsi  dire,  et  dans  la  quantité,  et  dans  la  qualité;  son  corps  n'atteint 
pas  les  dimensions  voulues;  il  ne  revêt  pas  des  aspects  réguliers. 

Si  vous  privez  un  végétal  de  ses  excitants  naturels,  de  la  lumière,  par  exemple,  si 
vous  abaissez  la  ration  d'entretien,  vous  faites  fléchir  ses  échanges;  les  échanges  sont 
moins  intenses;  et  la  plante  est  moins  vigoureuse;  de  même,  la  rapidité  du  développe- 
ment, la  coloration  des  feuilles,  des  tiges  traduisent  ces  souffrances. 

Pour  les  espèces  placées  au  bas  de  l'échelle,  il  n'en  va  pas  autrement;  bien  au  con- 
traire, quand  une  bactérie  se  trouve  dans  des  conditions  telles  que  son  activité  chimique, 
et  sa  virulence  sont  en  décroissance,  l'apparence  extérieure  qu'elle  revêt  à  l'état 
normal  est  modifiée. 

C'est  en  utilisant  les  antiseptiques  que  Guignard  et  Charrin  sont  parvenus  à  fournir 
la  vraie  démonstration  du  polymorphisme.  —  Cohn,  on  le  sait,  avait  classé  les  microbes 
eu  se  basant  sur  la  forme,  en  coques  ou  éléments  sphériques,  en  bâtonnets  courts,  en 
bacilles  allongés,  en  spirilles.  Zopf  attaqua  cette  manière  de  voir,  mais  en  se  servant,  à 
titre  de  milieu  de  culture,  de  l'eau  non  stérilisée  de  la  Sprée;  dès  lors,  il  était  impossible 
de  pouvoir  affirmer,  dans  ce  milieu  aussi  impur,  si  la  variation  observée  était  la  consé- 
quence d'un  changement  apporté  dans  les  dimensions  d'une  espèce  donnée  ou  le 
résultat  de  l'examen  successif  de  deux  êtres  différents. 

En  faisant  vivre  le  germe  pyocyanique  dans  des  bouillons  additionnés,  les  uns  d'acide 
borique,  les  autres  d'alcool  ou  de  bichromate  de  potasse,  Gdignard  et  Charrin  ont  pu 
transformer  cet  agent,  qui  régulièrement  est  un  bactérium,  en  filaments  plus  ou  moins 
longs,  en  coccus,  en  spirillum;  ils  ont  pu  ramener  chacune  de  ces  sortes  de  monstruo- 
sités au  point  de  départ,  prouvant  ainsi  qu'ils  n'avaient  eu  affaire  qu'à  un  seul  parasite. 
Le  B.  prodiijiosus,  après  une  évolution  plus  ou  moins  prolongée  au  contact  des  acides, 
continue  à  se ,  reproduire  en  bacilles  effilés.  —  Suivant  les  degrés  du  thermomètre  de 
l'étuve,  le  streptocoque  offre  des  nuances  multiples  au  point  de  vue  de  la  flexuosité  des 
chaînettes,  et  au  point  de  vue  du  nombre  de  leurs  grains.  —  Cultivé  à  des  températures 
dysgénésiques,  le  bacille  d'EBERTH  apparaît  grêle  ou  épais,  sensiblement  ovoïde,  ou  très 
long.  —  En  présence  de  60°,  le  microbe  héminécrobiophile  d'AaLoiNG  atteint  20  [i,  au 
lieu  de  4.  —  Le  spirobacillus  Cienkowski,  si  on  atténue  sa  vitalité,  est  tantôt  ovale,  tan- 
tôt recourbé,  tantôt  rectiligne.  —  Le  germe  du  lait  bleu,  d'après  Neelse.n,  mis  dans  un 
liquide  antiseptisé,  gagne  en  largeur,  tout  en  perdant  sa  mobilité.  —  Le  pneumocoque, 
dans  les  bouillons  inertes,  perd  la  capsule  qui  l'entoure  au  sein  des  humeurs  de  l'économie. 
Sans  changer  d'animal,  un  parasite  peut  se  montrer  dans  le  sang  autre  que  ce  qu'il 
est   dans  la   lymphe,  dans  le  foie;  tout  diffèrent  de  ce   qu'il  apparaît  dans  le   rein; 


ATTENUATION.  843 

Arloing,  Chantre,  pour  le  streptocoque  pyogène,  Teissier,  Roux,  Pittiox,  pour  l'orga- 
nisme ijui,  d'après  eux,  engendrerait  la  grippe,  ont  signalé  le  fait. 

Dans  les  cultures  ordinaires,  quand  bien  môme  les  entraves  à  l'évolution  font  défaut, 
on  enregistre  parfois  des  variations  :  la  biologie  daB.  anthracis,  plus  encore  celle  du  Pro- 
teus  vulgaris,  le  démontrent. 

Ces  entraves  apportées  au  développement  par  le  fait  du  défaut  d'aliments  conduisent 
certains  microbes  à  passer  à  l'état  de  spores;  aux  modifications  de  morphologie,  ils 
joignent  ainsi  des  changements  dans  la  résistance  et  la  pullulation. 

Les  atténuations  morphologiques  et  le  nombre  des  germes.  —  D'ailleurs,  ce 
n'est  point  là  le  seul  lien  qui  rattache  ces  changements  de  pullulation  à  ces  modifi- 
cations de  morphologie.  Le  plus  habituellement,  en  effet,  un  bacille  atténué  s'allonge; 
il  se  segmente  moins  promptement;  ses  articles  sont  moins  courts;  l'activité  de  repro- 
duction fléchit. 

Ce  phénomène  est  loin  d'être  sans  importance,  et  de  se  réduire  à  une  pure  curiosité 
théorique,  attendu  que  la  question  de  nombre  se  relie  à  ces  oscillations.  —  Les  germes 
qui  subissent  ces  influences  se  multiplient  plus  lentement;  de  celte  lenteur  dans  les 
multiplications  dérive  une  diminution  du  virus  au  point  de  vue  de  l'élément  quantité; 
or,  en  pareille  matière,  cet  élément  quantité,  contrairement  aux  anciennes  doctrines, 
n'est  pas  négligeable  ;  les  recherches  de  Chauveau,  de  Watson-Cheyne,  de  Bouchard,  etc., 
ont  mis  en  lumière  la  part  qui  revient  à  ce  facteur.  Si  la  dose  fait  défaut,  le  mal  ne  se 
développe  pas,  ou  bien  il  évolue  d'une  manière  plus  ou  moins  complète;  un  ou  plusieurs 
symptômes  manquent;  en  fait  de  lésions,  quelquefois,  les  processus  se  bornent  à  un 
foyer  local. 

L'observation  de  pareils  faits  conduit  à  admettre  que  l'atténuation  d'une  bactérie 
ne  comporte  pas  simplement  des  anomalies  dans  son  aspect  extérieur;  cette  observation 
amène  le  chercheur  à  s'enquérir  des  modifications  qui  peuvent  se  produire  du  côté  des 
différents  attributs;  or,  parmi  ces  attributs,  ceux  qui  concernent  la  fabrication  des 
produits  solubles,  en  raison  surtout  du  rôle  pathogène,  ou  mieux  du  mécanisme  de 
Faction  des  germes,  sont  parmi  les  plus  importants. 

Atténuations  dans  les  sécrétions.  Atténuation  de  la  fonction  chromogène. 

—  De  toutes  les  fonctions  de  sécrétion  des  bactéries,  celle  qui  a  trait  à  la  production 
des  pigments  est,  en  général,  l'une  des  plus  mobiles,  l'une  des  plus  contingentes;  la 
moindre  perturbation  apportée  dans  la  vie  d'un  ferment  figuré  chromogène,  l'atté- 
nuation la  plus  légère,  la  plus  passagère,  se  traduisent  par  des  oscillations  marquées 
dans  la  fabrication  des  matières  colorantes.  Aussi,  fréquemment,  des  modifications 
imposées  à  l'évolution  d'un  microbe  passeraient-elles  inaperçues,  si  ce  microbe  n'ap- 
partenait pas  au  groupe  des  générateurs  de  composés  bleus,  verts,  rouges,  etc. 

Quand  il  s'agit,  par  exemple,  des  principes  germicides,  principes  dont  la  puissance 
est  limitée,  l'entrave  apportée  au  fonctionnement  peut  passer  inaperçue,  si  on  ne 
s'adresse  pas  à  l'un  de  ces  microbes  ;  Charrin  et  Roger  ont  nettement  mis  le  fait  en 
lumière;  ils  ont  obtenu  des  résultats  analogues,  en  utilisant  le  sulfure  noir  de  mercure, 
corps  insoluble,  en  restreignant  l'arrivée  de  l'air  ou  en  permettant  à  l'o.'sygène  d'exercer 
une  énergique  influence. 

Cette  donnée  est,  à  coup  sûr,  des  plus  intéressantes;  pas  de  pigment  sans 
oxygène,  mais  aussi,  pas  de  pigment,  si  ce  gaz  est  par  trop  abondant;  l'élément  néces- 
saire, indispensable  à  la  vie,  devient  un  poison,  s'il  est  en  excès.  Or  qui  ne  sait  que 
pour  la  cellule  animale  les  choses  ne  vont  pas  difl'éremment?  pas  de  santé  possible  k 
l'abri  de  ce  corps  vivifiant;  accidents  certains  si  rien  ne  tempère  son  action. 

J'ai  vu,  avec  GuigiNard,  l'atténuation  du  bacille  pyocyanogène  traduire,  au  contact 
du  thymol,  du  bichromate  de  potasse,  des  antiseptiques,  par  le  passage  aux  agents  fila- 
menteux ou  spirillaires;  j'ai  vu  aussi  la  coloration  verdàtre  des  cultures  disparaître 
parallèlement.  —  Winogradsky  a  reconnu  qu'à  l'état  de  monades  le  ferment  nitrique  est 
bien  plus  actif  que   sous  forme  de  zooglées.  —  Ces  faits  méritent  d'être  rapprochés. 

—  Laissez  vieillir  dans  les  milieux  inertes,  hors  de  l'animal,  le  staphylocoque  doré; 
bientôt  l'aspect  jaune-orange  des  colonies  sur  agar  ou  gélatine  s'effacera.  —  L'agent  du 
choléra-hog,  à  en  croire  Selandeh,  celui  du  rouge  de  Kiel  ne  se  comportent  pas  différem- 
ment. —  Ce  rôle  de  l'âge  est  placé  en  lumière  par  ce  fait,  à  savoir  que,  sur  une  même 


844  ATTENUATION. 

plaque,  des  colonies  que  rien  ne  distingue,  si  ce  n'est  l'ancienneté,  offrent  plus  ou 
moins  de  coloration.  Alcalinisez  un  peu  fortement  les  bouillons,  au  point  d'affaiblir, 
d'après  Sgholl,  Heim,  Behr,  Wasserzug,  Gessard,  le  parasite  du  lait  bleu  ou  le  B.  pro- 
digiosus,  ces  bouillons  ne  tarderont  pas  à  se  montrer  incolores.  Quand  le  bacille  de  la 
morve  fléchit  dans  sa  virulence,  il  devient  chromogène;  Smith,  le  premier,  l'a  observé. 

Atténuations  dans  les  fonctions  de  sécrétion  des  produits  aromatiques, 
fermentatifs,  etc.  —  Ces  atténuations  provoquent  dans  les  sécrétions  des  modifications 
autres  que  celles  qui  portent  sur  les  composés  pigmentaires. 

ViGNAL  a  prouvé  que  les  oscillations  de  la  richesse  nutritive  des  cultures,  en  dimi- 
nuant la  vitalité  du  BaciUus  mesentericus  vitlgatus,  abaissaient  la  production  d'amylase 
de  sucrase,  de  présure.  — PÉRÉa  établi  que  l'absence  de  peptones  influençait  l'apparition 
de  l'indol  qu'engendre  le  Bacterium  coli.  —  Roux,  Yersin  ont  montré  que,  plus  l'aération 
était  considérable,  plus  la  bactérie  de  la  diftérie  donnait  naissance  à  des  corps  toxi- 
ques. —  Grotenkeld  a  reconnu  que  des  inflniment  petits,  capables  de  faire  fermenter  la 
lactose,  perdaient  ce  pouvoir,  lorsqu'on  les  privait  de  lait  pendant  un  temps  assez  long. 
—  Le  chauffage,  la  dessiccation,  une  évolution  déjà  ancienne,  surtout  en  dehors  des 
tissus,  etc.,  et  bien  d'autres  conditions,  restreignent  les  attributs  de  fermentation,  de  liqué- 
faction, de  coagulation;  à  83",  suivant  Fitz,  le  BaciUus  butyricus  n'engendre  plus  d'acide. 

En  faisant  varier  cette  série  d'influences,  ou  se  persuade  promptement  qu'il  est  mal- 
aisé de  séparer  entre  elles  deux  bactéries;  les  caractères  basés  sur  ia  formation  d'acides, 
sur  la  qualité  de  ces  acides,  sur  l'apparition  de  l'indol,  sur  l'odeur  des  cultures,  sur  les 
déviations  polarimétriques,  etc., paraissent  plus  que  suffisants  pour  proclamer  que  le  ba- 
cille d'EBERTH  est  tout  autre  que  celui  du  côlon  ;  toutefois,  celui  qui  soumet  successivement 
ces  deux  bacilles  à  une  catégorie  de  causes  d'atfaiblissement  s'aperçoit  rapidement  que 
ces  distinctions  ne  sont  pas  aussi  aisées  à  établir  qu'on  pourrait  le  croire  au  premier  abord. 

Atténuations  dans  les  fonctions  chimiques  ou  physiques,  et  dans  la  repro- 
duction.—  En  somme,  on  se  persuade  bien  vite  que  ces  différents  facteurs  d'atténuation 
déterminent  des  changements  dans  la  forme,  dans  la  fabrication  d'une  foule  de  com- 
posés solides,  liquides  ou  gazeux,  stables  ou  volatils,  alcaloïdiques,  protéiques  ou  nucléi- 
niques,  dans  les  propriétés  chromogènes,  dans  les  attributs  fermentatifs,  etc.  Ces  causes, 
le  plus  souvent  d'ordre  dysgénésique,  provoquent  également  des  oscillations  dans  les 
modes  de  développement,  dans  l'apparence  des  colonies,  dans  la  mobilité,  dans  la  pul- 
lulation  plus  ou  moins  prompte,  dans  la  sporulation,  dans  l'accoutumance  aux  tempé- 
ratures basses  ou  élevées,  dans  la  tolérance  des  antiseptiques;  tel  agent  qui  ne  vivait 
pas  dans  un  liquide  trop  chaud,  trop  froid  ou  frop  riche  en  acide  borique,  au  bout  d'un 
temps  plus  ou  moins  long,  supportera  ces  conditions  insolites;  sa  descendance  surtout 
s'habitue  à  cette  existence  quelque  peu  anormale. 

Ces  données  permettent  de  comprendre  par  quels  procédés  un  microbe  qui  était 
impuissant  à  envahir  une  espèce,  ou  un  viscère,  peut  conquérir  la  faculté  de  devenir  pa- 
thogène pour  cette  espèce,  peut  obtenir  les  qualités  voulues  pour  se  multiplier  dans  ce 
viscère,  pour  s'adapter  à  ce  milieu. 

Atténuation  dans  la  formation  pathogène.  —  De  toutes  les  métamorphoses 
imposées  aux  bactéries  par  les  atténuations,  les  plus  importantes  sont  celles  qui  ont  trait 
aux  fonctions  toxiques.  Chacun  sait,  en  effet,  que  les  bactéries  causent  la  maladie  en 
fabriquant  des  poisons;  il  n'est  plus  nécessaire,  depuis  les  travaux  de  Pasteur  sur  une 
septicémie  des  poules,  de  Bouchard  sur  le  choléra  indien,  de  Charrin  sur  l'infection  pyo- 
cyanique,  de  se  dépenser  en  efforts  pour  établir  cette  donnée  fondamentale  entre  toutes. 

Eninjectant  les  cultures  stérilisées,  on  fait  naître,  aussi  bien  qu'en  inoculant  lemicrobe, 
la  fièvre,  l'entérite,  l'albuminurie,  les  hémorragies,  les  éruptions,  les  accidents  nerveux.  Ces 
phénomènes  sont  dus  à  la  toxicité  des  produits  solubles  fabriqués  par  les  ferments  figurés. 

Or  une  série  de  facteurs  physiques  ou  chimiques  sont  propres  à  affaiblir  la  vitalité 
de  ces  ferments  figurés;  dès  lors,  ils  n'engendrent  ces  produits  que  d'une  façon  plus  ou 
moins  complète. 

Tous  les  jours,  dans  un  laboratoire,  on  inocule  sans  résultat  un  bacille  qui,  quelque 
temps  auparavant,  tuait  promptement  l'animal;  ce  bacille,  sous  l'action  de  l'âge,  de  la 
lumière,  de  la  dessiccation,  du  défaut  d'aliments,  de  la  présence  de  matières  empêchantes, 
a  perdu  une  partie  de  sa  vitalité. 


ATTENUATION.  Sib 

Les  atténuations  font  varier  l'intensité  de  la  virulence.  — '  Ces  oscillations 
peuvent  porter  sur  l'intensité  de  cette  virulence  ou  sur  sa  modalité. 

Un  virus  charbonneux,  qui  a  subi  les  effets  de  l'air,  du  calorique,  ou  plus  simplement 
qui  s'est  modifié  parle  fait  de  l'ancienneté,  facteur  naturel,  physiologique,  d'atténua- 
tion, va  provoquer  une  maladie  de  quelques  heures  ou  de  plusieurs  jours,  suivant  l'in- 
tensité de  ces  effets. 

11  est  possible  de  faire  varier  à  l'infini  les  caractères  de  bénignité  du  mal,  quand  on 
possède  à  sa  disposition  la  gamme  entière  de  ces  modes  d'affaiblissement;  il  est  pos- 
sible de  reproduire  l'affection  dans  son  ensemble  ou  de  la  réduire  à  un  nombre  de 
symptômes  plus  ou  moins  considérable. 

Un  seul  de  ces  symptômes,  l'hyperthermie,  par  exemple,  pourra  comprendre  tous  les 
degrés,  depuis  le  maximum  jusqu'à  l'apyrexie.  D'autre  part,  dans  une  infection  qui  nor- 
malement comporte  de  la  fièvre,  de  l'entérite,  de  l'albuminurie,  des  hémorragies,  on 
supprimera  la  première,  ou  la  seconde,  ou  la  troisième,  ou  la  quatrième  de  ces  mani- 
festations, ou  les  quatre  à  la  fois,  ou  trois,  ou  deux.  En  faisant  varier  l'élément  quantité, 
au  lieu  de  s'adresser  à  la  qualité,  on  aboutit  à  des  résultats  analogues;  Chauveau, 
Watson-Cheyne,  BoncHABD  l'ont  établi. 

Influence  des  atténuations  sur  les  phénomènes  morbides.  —  Influence  des 
passages,  des  portes  d'entrée  sur  les  atténuations.  —  Peut-on  produire  un  chan- 
gement tel  que  le  micrc.be  ainsi  traité  engendre  une  maladie  toute  différente  de  celle 
.qu'il  déterminait  auparavant?  Il  est  difficile  de  répondre  à  cette  question,  parce  que  cette 
réponse  dépend  de  la  façon  de  concevoir  le  terme  de  maladie. 

_  A  coup  sûr,  si  on  définit  cette  expression  en  se  basant  sur  les  signes  apparents  et  les 
lésions,  ce  changement  est  des  plus  réalisables.  Prenez  un  staphylocoque  exalté; 
injectez-le;  une  septicémie  se  déroule.  —  Soumettez  cet  agent  à  la  lumière;  son  inocula- 
tion ne  causera  plus  qu'un  abcès,  qu'une  détérioration  locale.  On  arrive  au  même  but, 
en  augmentant  la  résistance  du  terrain.  — •  Le  bacille  pyocyanique  détermine  une  sorte 
d'œdème  circonscrit  chez  le  lapin,  soit  lorsqu'on  a  partiellement  vacciné  ce  lapin,  soit 
lorsqu'on  a  atténué  le  bacille. 

En  définitive,  les  processus  sont  identiques.  Rendre  réfractaire  un  sujet,  c'est  créer 
chez  lui  des  humeurs  bactéricides,  c'est-à-dire  des  humeurs  qui,  toutes  proportions  gar- 
dées, agissent  sur  les  infiniment  petits  à  la  façon  des  antiseptiques.  Déposer  un  de  ces 
infiniment  petits  au  sein  de  ces  humeurs  revient  à  modérer  son  activité  par  des  moyens 
chimiques;  toutefois,  dans  ce  cas,  cette  influence  se  réalise  dans  l'économie,  à  l'heure 
de  cette  inoculation,  au  lieu  de  survenir  in  vitro,  avant  cette  inoculation. 

Ces  données  font  comprendre  pourquoi,  comment,  le  passage  dans  tel  ou  tel  être 
vivant  parfois  atténue,  parfois  exalte  un  ferment  figuré.  —  L'agent  du  rouget,  suivant 
qu'il  se  trouve  chez  le  porc  ou  le  pigeon,  subit  la  première  ou  la  seconde  de  ces  actions. 

Le  rôle  singulier  des  portes  d'entrée  ne  s'explique  pas  autrement;  le  virus  du 
charbon  symptoniatique,  placé  dans  un  vaisseau,  conduit  à  l'étal  réfractaire,  tandis  que 
déposé  dans  le  tissu  cellulaire,  il  amène  une  mort  rapide.  —  Le  vibrion  septique  ne  se 
comporte  pas  différemment. 

Ces  diversités  tiennent  à  ce  que  l'organisme  n'est  pas  un  milieu  unique,  mais  bien  un 
ensemble  de  milieux  distincts  juxtaposés  ;  suivant  les  aptitudes,  telle  bactérie  rencontre 
dans  quelques-uns  de  ces  milieux  des  causes  d'affaiblissement,  alors  que,  dans  d'autres, 
elle  trouve  des  facteurs  jouissant  de  propriétés  opposées. 

Les  atténuations  font  varier  la  modalité  de  la  virulence.  —  Ce  sont,  en  tout 
cas,  ces  oscillations  sans  nombre  dans  les  fonctions  pathogènes,  qui,  jointes  à  ces  inter- 
ventions, elles-mêmes  mobiles,  du  terrain,  font  qu'un  microbe  peut  faire  naître  des  affec- 
tions si  distinctes  au  point  de  vue  du  siège,  des  signes,  des  altérations;  le  streptocoque 
engendre  la  fièvre  puerpérale,  l'érysipèle,  une  phlébite,  une  endocardite,  une  péritonite, 
une  pleurésie,  une  arthrite, une  dermite,  une  lymphangite,  une  cystite,  une  néphrite,  une 
angiocholite,  une  broncho-pneumonie,  une  angine,  une  méningite,  etc.  Le  pneumo- 
coque, qui  pénètre  chez  le  fœtus  par  la  voie  sanguine,  évolue  dans  sa  circulation,  tandis 
que,  chez  l'adulte,  entré  par  les  bronches,  il  se  cantonne  le  plus  souvent  dans  le  pou- 
mon. —  Avec  le  bacterium  coli,  la  liste  des  affections  s'étend  encore. 

En  somme,  un  seul  infiniment  petit  crée  une  foule  d'états  morbides  distincts  entre 


8i6  ATTENUATION. 

eux,  états  morbides  qui  sont,  au  point  de  vue  pratique,  des  maladies  différentes,  à  s'en 
tenir  aux  ptiénomènes  pliysiologiques  ou  anatomiques,  états  morbides  dont  l'ensemble 
constitue  la  staphylococcie,  la  streplococcie,  la  pneumococcie,  la  bacillo-colie,  etc.,  si 
toutefois  on  exige,  avant  tout,  que  l'état  pathogène  soit  défini  par  le  microbe. 

Ces  modifications  sont,  ou  ascendantes,  ou  le  plus  ordinairement  descendantes; 
quelquefois  elles  vont  successivement  dans  les  deux  sens.  Le  rouget,  nous  l'avons  rap- 
pelé, voit  sa  virulence  s'accroître  chez  le  pigeon,  alors  qu'elle  baisse  chez  le  porc. 

Ces  grandes  variations  dans  la  modalité  des  fonctions  pathogènes  portent  surtout  sur 
les  bactéries  vulgaires,  mal  différenciées,  sur  celles  qui  existent  dans  l'air,  l'eau,  le  sol,  à  la 
surface  de  nos  muqueuses  ;  aussi  la  notion  d'espèce  est-elle  dans  ces  cas  difficile  à  préciser. 

Pour  les  parasites  hautement  spécifiques,  pour  ceux  du  charbon,  de  la  morve,  de  la 
tuberculose,  vraisemblablement  pour  ceux,  que  nous  ne  connaissons  pas  encore,  de  la 
syphilis,  de  la  rage,  ces  dégradations  ont  trait  à  l'intensité  de  ces  fonctions  pathogènes. 

Mesure  des  atténuations.  — Limite  des  oscillations.  —  En  tout  cas,  partout  on 
décèle  le  rôle  du  milieu.  — Arnaud  et  Charrin  mesurent  l'azote  qui  entre  dans  la  constitu- 
tion des  toxines  du  bacille  du  pus  bleu,  lorsqu'on  fournit  des  peptones  à  ce  bacille;  ils 
mesurent  également,  à  la  balance  de  précision,  le  volume  d'azote  fixé,  quand  on  supprime 
ces  peptones;  dans  ce  cas,  les  chiffres  diminuent  de  plus  de  moitié.  Or,  comme  les  para- 
sites agissent  en  grande  partie  à  l'aide  de  leurs  toxines,  cette  expérience  équivaut  au 
dosage,  en  quelque  sorte,  des  atténuations  de  cette  virulence.  Ainsi  la  virulence 
lléchit  dans  d'énormes  proportions  à  l'occasion  d'un  changement  dans  le  milieu  nutritif. 
—  Les  divers  agents  physiques  iju  chimiques  sont  capables  d'en  faire  autant,  bien  que  ces 
oscillations  aient  des  limites. 

Limites  des  atténuations.  —  Ces  atténuations  peuvent-elles  être  absolues,  peuvent- 
elles  réduire  un  agent  pathogène  au  rôle  de  saprophyte  pur  et  simple?  Nâgeli  répond 
par  l'aflirmative  ;  Chauveau  par  la  négative,  en  ce  sens  que  la  propriété  vaccinale,  le 
plus  habituellement,  persiste. 

On  sait  les  dégradations,  les  dégénérescences,  les  monstruosités,  pour  ainsi  dire,  que 
ce  savant  a  imposées  à  la  bactéridie,  au  point  de  la  rendre  inoffensive  pour  la  jeune  souris; 
même  à  ces  limites  extrêmes  de  l'atténuation,  cette  bactéridie  a  conservé  un  reste 
d'action  sur  l'accroissement  de  la  résistance. 

Atténuation  de  la  virulence  —  Vaccins.  —  Hérédité  de  l'atténuation.  —  En 
affaiblissant  divers  virus,  on  leur  donne  un  degré  d'activité  tel  que  ces  virus  inoculés 
engendrent  des  maladies,  le  plus  souvent  légères,  suivies  de  l'état  réfractaire. 

Pasteur  a  d'abord  atténué  le  microbe  du  choléra  des  poules;  seul,  dans  ce  cas,  le  pro- 
cédé de  dégradation  naturelle,  le  temps,  le  vieillissement,  est  intervenu.  Pour  le  charbon 
bactéridien,  avec  Toussaint,  on  a  chauffé  à  oj°,  avec  Pasteur  à  42°-43''.A  ce  degré,  la  cul- 
ture se  fait  sans  spores;  cette  culture  sans  spores  exposée  à  l'air,  à  cette  température  dys- 
génésique,  s'atténue;  de  plus,  fait  capital,  cette  atténuation  se  transmet  aux  cultures  filles. 

Cette  notion  de  l'hérédité  est  une  des  bases  de  la  création  de  ces  vaccins  figurés; 
cette  hérédité  distingue  ces  véritables  atténuations  des  atténuations  individuelles. 

Chauveau  a  suivi  plusieurs  méthodes.  — Il  a  soumis  des  filaments  charbonneux  à  42°; 
il  a  porté  à  88°  des  spores,  en  particulier  des  spores  nées  de  ces  filaments;  il  a  fait  vivre  la 
bactéridie  sous  l'oxygène  comprimé  à  3  atmosphères.  Cette  méthode  de  l'oxygène  fournit 
des  races  qui,  d'abord,  ne  tuent  plus  les  ruminants,  qui,  à  la  fin,  sont  sans  danger  pour 
la  souris;  ces  caractères  se  transmettent,  même  en  dehors  de  la  présence  de  cet  oxy- 
gène, dont  les  effets  ne  sont  nécessaires  qu'au  début. 

Les  antiseptiques,  entre  les  mains  de  Roux  et  de  Ghamberland,  la  lumière,  avec 
Arloing,  ont  permis  de  nouveaux  affaiblissements  du  virus  du  sang  de  rate,  virus 
qui  se  prête,  par  son  passage  dans  le  cobaye,  à  des  développements  ascendants. 

Le  virus  rabique,  celui  du  charbon  symptomatique,  ou  du  rouget,  les  streptocoques,  les 
pyogènes,  le  pneumocoque,  etc.,  se  dégradent  également  sous  l'action  du  temps,  des 
antiseptiques,  de  la  chaleur,  etc.;  l'électricité,  d'après  Smirnow,  permettrait,  de  son  côté, 
de  créer  des  vaccins. 

La  découverte  des  attributs  immunisants  des  produits  solubles  a  restreint  l'impor- 
tance de  ces  vaccins  figurés;  si,  en  effet,  cette  dégradation  est  trop  forte,  l'accroisse- 
ment de  la  résistance  est  nul;  si  elle  est  insuffisante,  la  mort  peut  en  résulter. 


ATTENUATION.  847 

On  comprend  donc  bien  maintenant  le  mode  d'intervention  des  virus  atténués.  — Ils 
provoquent  une  maladie  légère,  en  fabriquant  des  toxines  peu  actives;  or,  la  patliolo- 
gie  des  infections,  pour  les  fièvres  éruptives,  les  oreillons,  le  typhus,  pour  la  déter- 
mination de  la  staphylococcie,  de  la  streptococcie,  de  la  pneumococcie,  de  la  coli-ba- 
cillose,  etc.,  est  riche  en  formes  abortives. 

Toutefois,  ces  toxines  modifient  la  nutrition  des  tissus;  il  en  résulte  que  ces  tissus 
engendrent  des  principes  nuisibles  à  l'évolution  des  agents  pathogènes,  principes  bac- 
téricides, ou  des  éléments  qui  annulent  le  pouvoir  offensif  des  sécrétions  de  ces  agents, 
éléments  anti-tosiques. 

D'autre  part,  au  contact  de  ces  composés  bactériens  peu  énergiques,  ou  plus  encore 
de  ces  germes  affaiblis,  les  propriétés  défensives,  phagocytaires,  des  cellules  s'exaltent. 

En  somme,  ce  mécanisme  se  réduit  à  la  suppression  d'une  partie  des  fonctions  de 
sécrétion  chez  les  parasites  soumis  à  la  chaleur,  à  l'oxygène,  à  la  lumière,  au  vieillisse- 
ment, aux  antiseptiques,  ou  encore  chez  les  parasites  introduits  par  des  voies  spéciales, 
déposés  dans  des  organismes  particuliers;  déjà  l'étude  de  l'atténuation  a  fait  connaître 
ces  faits. 

Résumé.  —  Les  bactéries,  on  le  voit,  subissent  des  atténuations  sous  l'influence 
d'un  grand  nombre  d'agents,  agents  physiques  ou  chimiques,  naturels  ou  artificiels, 
atmosphériques  ou  terrestres,  agents  qui  consistent  le  plus  souvent  dans  des  modifications 
du  milieu  ;  modifications  de  pression,  de  chaleur,  de  lumière,  de  gaz,  de  composition,  etc., 
agents  le  plus  ordinairement  extérieurs. 

Ces  influences,  durables  ou  passagères,  intenses  ou  légères,  se  réduisent  à  des  con- 
ditions dysgénésiques;  les  microbes,  dans  ces  circonstances,  sont  modifiés  dans  leur  en- 
semble,ou  dans  quelques-unes  de  leurs  fonctions;  ces  modifications  descendantes  sont 
totales  ou  partielles.  — Elles  portent  sur  la  nutrition,  sur  les  sécrétions,  sur  la  fabrica- 
tion des  pigments,  des  produits  aromatiques,  fermentatifs,  gazeux,  volatils  ou  stables, 
alcaloïdiques,  albumosiques  ou  nucléiniques;  elles  ont  entre  elles  des  rapports  ou  sont 
indépendantes.  Elles  ont  trait  aux  fonctions  physiques,  à  la  résistance  à  la  chaleur,  à 
la  mobilité,  à  la  reproduction,  à  la  façon  de  pousser,  de  former  des  colonies.  Elles  tou- 
chent à  la  fabrication  des  principes  toxiques,  à  la  fonction  pathogène;  elles  indiquent, 
en  général,  la  souffrance  de  ces  êtres. 

Cette  fonction  pathogène  peut  subir  des  atténuations  d'intensité,  de  quantité,  ou  de 
modalité,  de  qualité,  principalement  pour  les  bactéries  non  spécifiques.  Ces  atténuations 
peuvent  avoir  tous  les  degrés  possibles,  toucher  au  saprophytisnie,  au  moins  théorique- 
ment, sinon  l'éteindre,  causer  au  cours  des  maladies,  de  grandes  mobilités  dans  les  symp- 
tômes, les  lésions,  le  pronostic.  A  une  limite  donnée,  ces  atténuations  transforment  les 
germes  en  vaccins  figurés  ;  ces  vaccins  figurés  ne  sont  autre  chose  que  des  microbes 
dépourvus  du  pouvoir  de  fabriquer  des  toxines  actives,  tout  en  conservant  celui  d'en- 
gendrer des  substances  vaccinantes;  ils  font  apparaître  l'état  réfractaire,  en  changeant 
la  nutrition,  en  amenant  les  tissus  à  donner  naissance  à  des  plasmas  bactéricides  ou  an- 
titoxiques, conduisant  les  cellules  à  détruire  les  parasites.  Cet  état  de  vaccin,  cette  atté- 
nuation sont  transmissibles. 

En  définitive,  à  l'hérédité,  plus  encore  aux  influences  de  milieu,  se  ramène  le  méca- 
nisme de  l'atténuation  des  bactéries. 

Bibliog^raphie.  —  La  bibliographie,  si  l'on  voulait  citer  toutes  les  expériences  dans 
lesquelles  l'atténuation  a  été  observée,  serait  trop  vaste  pour  être  traitée  ici.  Nous  signa- 
lerons seulement  parmi  les  ouvrages  d'ensemble  où  la  question  a  été  traitée  : 

S.  Arloing.  Les  virus,  8°,  Paris,  1891.  —  A.  Charrin.  Pathol.  génér.  infectieuse  (in  Traité 
de  médecine  de  Ch.\rcot,  Bouchard  et  Brissaud,  i,  1-240,  1891.  —  J.  Girode.  JMa/adï'es  micro- 
biennes en  général  (in  Traité  de  médecine  et  de  thérapeutique  de  Brodardel,  Gilbert  et 
GiRODE.  Paris,  1895,  i,  3-12o).  — G.  Nageli.  Théorie  der  Gdhrmig,  Miinchen,  1879,8°,  lb6  p. 
—  RoDET  (A.).  De  la  variabilité  dans  les  microbes,  au  point  de  vue  morphologique  et  physio- 
logique), 8o,  Paris,  J.-B.  Baillière,  1894,  224  p. 

Quant  aux  ouvrages,  ou  mémoires  spéciaux,  nous  nous  contenterons  de  donner  les 
plus  récents  et  les  plus  importants.  Avec  les  documents  ci-joints  on  pourra  connaître 
dans  son  ensemble  l'histoire  de  l'atténuation  :  mais  il  est  évident  que  pour  une  étude 
complète,  la  bibliographie  résumée  ici  est  tout  à  fait  insuffisante. 


848  ATTENUATION. 

Apostoli  et  Laquerrièhe.  De  l'influence  du  courant  continu  sur  les  microbes  et  particuliè- 
rement sur  la  bactéridie  charbonneuse  {Rev.  intern.  d'électroth.,  Paris,  1891,  ii,  2-20).  — 
Arnould  (E.).  Influence  de  la  lumière  sur  les  animaux  et  sur  les  microbes;  son  rôle  en 
hygiène;  revue  critique  {Revue  d'hyg.  et  de  pol.  sanit.,  Paris,  1893,  xvir,  668-677).  — 
D'Absonval  (A.)  et  Charrin  (A.).  Action  de  divers  agents  {pression,  ozone)  sur  les  bactéries 
(B.  R.,  1893,  d028-1030).  —  Électricité  et  microbes:  action  des  courants  induits  de  haute 
fréquence  sur  le  bacille  pyocyanique  (B.  R.,  1893,  467-469).  —  Influence  des  agents  atmosphé- 
riques, en  particulier  de  la  lumière,  du  froid,  sur  le  bacille  pyocyanogène  {C.  R-,  1894, 
cxviii,  lol-lS3).  —  Bacigalupi  (E.  G.).  L'immunité  par  les  leucomaïnes.  i"  é.dit.,  Paris, 
Berthier,  8°,  162  p.  —  Boyce{R.)  et  Es'ans  {A.  E.).  Upanthe  action  ofgravity  on  Racterium 
Zopfii  {Proc.  Roy.  Soc.  London.  liv,  1893,  48-o0).  ■ —  Burci-Frascani.  Contr.  à  l'étude  de 
l'action  bactéricide  du  courant  continu  (A.  R.,  1894,  sx,  227).  —  Chamberland.  Rôle  des 
microbes  dans  la  production  des  maladies.  Paris,  Gauthier-Villars,  1882,  32  p.,  6  pi.  — 
Charbin  (A.)  et  Courmont.  Atténuation  de  la  bactéridie  par  des  principes  microbiens  ;  ori- 
gine de  ces  principes  (B.  R.,  1893,  299-301).  —  Charrin  (A.)  et  Dissard  (A.).  Les  propiriétés 
du  bacille  pyocyanogène  en  fonction  des  qualités  nutritives  du  milieu  [R.  B.,  1893, 182-186). — 
Ch.arrin  (A.).  La  maladie  pyocyanique  {D.  P.,  1889,  122  p.  2  pi.).  —  Charrin.  Einfluss  der 
Atmosphârilien  auf  die  Mikroorganismen  {Congrès  de  Rome,  1893,  An.  in  Centr.  f.  Rakt.  u. 
Par.  léna,  1894,  xv,  83.9-860).  —  Chauveau  (A.).  Atténuation  directe  et  rapide  des  cultures 
virulentes,  par  l'action  de  la  chaleur  (C.  R.,  1883,  xcvi,  5S3).  —  Faculté  prolifi'que  des  agents 
viridents  atténués  par'  la  chaleur,  et  ti-ansmission  par  génération  de  l'influence  atténuante 
d'un  premier  chauffage  {ibid.,  612).  —  Rôle  de  l'oxygène  de  l'air  dans  l'atténuation  cjuasi 
instantanée  des  cultures  virulentes  par  l'action  de  la  chaleur  {ibid.,  678).  —  Rôle  respectif 
de  l'oxygène  et  de  la  chaleur  dans  l'atténuation  du  virus  charbonneux  par  la  méthode  de 
M.  Pasteur.  Théorie  générale  de  l'atténuation  par  l'application  de  ces  deux  agents  aux 
microbes  aérobies  {ibid.,  1471).  —  De  l'inoculation  avec  les  cultures  charbonneuses  atténuées 
par  la  méthode  des  chauffages  rapides  {ibid.,  1883,  xcvii,  1242).  —  De  l'atténuation  des  cul- 
tures virulentes  par  l'oxygène  comprimé  {ibid.,  1884,  xcvin,  1232).  —  Applicat.  à  l'inocul. 
préventive  du  sang  de  rate,  ou  fièvre  splénique,  de  la  méthode  d'atténuat.  des  virus  par 
l'oxygène  comprimé  {ibid.,  1885,  ci,  45).  —  Nature  des  transformat,  que  subit  le  virus  dii  sang 
de  rate  atténué  par  culture  dans  l'oxygène  comprimé  {ibid.,  142).  —  Chmiliewski.  Zur  Frage 
ùber  den  Einfluss  des  Sonnen  und  des  elehtrischen  Lichtes  auf  pyo gène  Mikrobien  (An.  in 
Centibl.  f.  Bakt.  u.  Par.  le'na,  xvi,  1893,  983).  — Dreyfus  (R.).  Ueber  die  Sehwankungen  iri 
der  Virulcnz  des  Racterium  coli  commune  (An.  in  Centr.  f.  Rakt.  u.  Par.  léna,  1894,  xvi, 
581-582).  — Ferban  (J.).  La  inoculacion  prevcntiva  contra  et  colera  morbo  asiatico  {con  la 
collab.  de  GmE.\o  Saint-Pauli),  8"  Valencia,  1886,  337  p.  —  Geisler  (T.).  Zur  Frage  ûber 
die  Wirkung  des  Lichtes  auf  Bakterien  {Cent.  f.  Rakt.  u.  Par.,  léna,  1892,  ,xi,  161-173). 
—  Gessard  (C).  De  la  pyocyanine  et  de  son  microbe  {D.  P.,  1882,  66  p.).  —  Nouvelles 
recherches  sur  le  microbe  piyocyanique  {Ann.de  l'Inst.  Pasteur,  Paris,  1890,  m,  88-102).  — 
Fonctions  et  races  du  bacille  cyanogène,  microbe  du  lait  bleu  {Ann.  de  Vlnst.  Pasteur,  Paris, 
V,  63-78).  —  Grimbert  (L.).  Fermentation  anaêrobie  produite  par  le  B.  orthobutylicus,  ses 
variations  sous  certaines  influences  biologiques  {Ann.  de  l'Inst.,  Pasteur,  Paris,  1893,  vu. 
333-402).  —  HÉRicouRT  (J,).  Les  maladies  contagieuses  atténuées  {Revue  scientif.  Paris,  1893, 
LU,  231-241).  —  Hermann  (M.).  De  l'influence  de  quelques  variations  du  terrain  organique  sur 
l'action  des  microbes  pyogénes  {Ann.  de  l'Institut  Pasteur.  Paris,  1891,  v  ,  224-336.  — 
Kruse  (W.)  etPANsiNi  (S.).  Untersuchungen  uber  den  Diplococcus  Pneumonix  und  verwandte 
Streptokokken  {Zeitsch.  f.  Hyg.,  xi,  1893,  279-380).  —  Momont.  Action  de  la  dessiccation,  de 
l'air  et  de  la  lumière  sur  la  bactéridie  charbonneuse  filamenteuse  {Ann.  de  l'Institut  Pasteur, 
Paris,  1892,  21).  — Montefusco.  Azione  délie  basse  température  sulla  viridenza  degli  spi- 
rilli  ciel  colera  (An.  in  Centrbl.  f.  Rakt.  u.  Par.,  xv,  1894,  254).  —  Onimus  (H.).  De,  l'action 
de  la  lumière  sur  les  microbes  (D.  P.,  1889,  60  p.).  —  Pan'sini  (S.).  Dell'azione  délia  luce 
solare  sui  microrganismi  (An.  in  Centr.  f.  Rakt.  u.  Par.,  léna,  1890,  vin,  107-109).  —  Pas- 
teur (L.).  Sur  les  maladies  virulentes  et  en  particulier  sur  la  maladie  appelée  vidgairement  cho- 
léra des  poules  (C.  R.,  1880,  xc,  239,  952,  1030).  —  Sanfelice  (F.).  Délia  in fluenza  degli 
agenti  fisico-chimici  sugli  anaerobi  patogeni  del  terreno  (An.  in  Centralb.  f.  Rakt.  u.  Par., 
léna,  XVI,  1894,  258-262).  —  Schikhardt  (H.).  Ueber  die  Einwirkung  des  Sonnenlichtcs  auf 
den  menschlichen  Organismus  und  auf  Mikroorganismen  und  die  hygienische  Redcutung  des- 


AUBERT    (Hermann)    —    AUDITION.  849 

selbcn  (An.  in  Ccntrbl.  f.  Bakt.  ti.  Par.  léna,  1894,  xv,  -1020).  —  Schilow  (P.).  Uebcr  den 
Einfiuss  des  Wasserstoffsupcroxijdes  auf  einicjc  'pathogène  Mikrorganismen  (An.  in  Centr.  f, 
Bakt.  u.  Paras.  léna,  xvi,  1894,  42-43).  —  Selander.  Contribut.-  à  l'étude  de  la  maladie 
infectieuse  des  porcs,  connue  sous  tes  noms  de  Hog-Cholera,  etc.  {Ann.  de  l'Inst.  Pasteur, 
Paris,  1890,  m,  o4o-o69).  —  Smith  (T.).  Modification,  temporary  and  permanent,  ofthephy- 
siological  characters  of  bacteria  in  mixed  cultures  {Tr.  Ass.  Americ.  physicians,  Philad. ,  1 894, 
IX,  85-109).  —  SpiLKiiR  (W.)  et  Gottstein  (A.).  Veber  die  Vernichtung  von  Mikrorganismen 
durch  die  Induktions  electricitat  (Centrbl.  f.  Bakt^  u.  Par.,  léna,  1891,  ix,  77-88).  —  Stern- 
BERG  (G.)  et  Dezendorf.  The  action  of  sunlight  on  micro-organisms  [Med.  Bec.  New-York, 
1894,  xLvi,  607).  —  Terni  (C).  Aumento  délia  viridenza  negli  stafilococchi  piogene  (S.  au- 
reus,  albus,  cilreus)  {Rif.  med.,  Napoli,  1893,  ix,  472-477).  —  Verhoogen  (R.).  Action  du 
courant  électrique  constant  sur  les  microrganismes  pathogènes  {Bull.  Soc.  belge  de  micr., 
Bruxelles,  1890,  xvii,  168-191).  —  Ward  (H.  M.).  The  action  of  light  on  bacteria  {Proc. 
Roy.  Soc.  London,  1893-4.,  liv,  472-475)  et  Revue  scientifique,  1894,  (4),  n,  193,  229).  — 
WuRTz  (R.).  Le  bacterium  coli  commune  [Arch.  de  méd.  exp.  et  d'anat.  palh.  Paris,  1893, 
V,  131-162).  —  Zagari  (G.).  Sul  mecanismo  delV  attenuazione  del  virus  rubico  {Giorn.  intern. 
délie  scienze med.,  1890,  669).  CHARRIN. 

AUBERT  (Hermann)  1826-1892.   Professeur  de  physiologie  à    Rostock. 

—  Phy^iol.  der  Netzhaul.  Breslau,  Morgenstern,  8°,  xii,  394  pp.,  67  lîg.  —  Physiol.  Optik 
{Grâfe-Sâmisch's  Handb.  der  gesammten  Augenheilkunde,  t.  ii,  [i"  partie.  Leipzig,  1876). 

—  Beitr.  z.  Kenntniss  des  indirecten  Sehens  {Graefe's  Arch.  f.  OphtalmoL,  1857,  et  Moles- 
chott's  Uniers.  z.  Naturl.  1858).  —  Ueb.  die  durch  den  elektrischen  Funken  erzeugten 
Nachbilder  {Moleschott's  Unters.  z.  Naturl.,  1858).  —  Unters.  iib.  die  Sinnesthâtigkeiten  der 
Netzhaut  (Poggendorffs  Ann.,  1862-1863).  —  Beitr.  zur  Physiol.  der  Netzhaut  (Moleschott's 
Unters.  z.  Naturl.,  1862).  —  Beobachtimgen  ilb.  die  Accommodât,  des  Auges  u.  die  z.  accom- 
modativen  Krùmmungsànderung  der  vorderen  Linsenkapsel  erforderlichen  Zeiten,  en  coUa- 
bor.  avec  Angelucci  [A.  Pf.,  t.  xxii,  1880,  pp.  69-87).  — ■  Die  Helligkeit  des  Schiuarz  u. 
Weiss  (A.  Pf.,  t.  XXXI,  1884,  pp.  219-231).  —  Nahert  sich  die  Hornhautkrûmmung  am  meisten 
der  Ellipse?  (A.  Pf.,  t.  xxsv,  1884, pp.  597-621).  — Bas  binoculare  Perimikroskop  {A.  Pf., 
t.  xLvii,  1890,  pp.  341-347).  — Die  Genauigkeit  der  Ophthalmometermessungen  (A.  Pf., 
t.  xLix,  1891,  pp.  628-638). 

Physiol.  Studien  îtb.  die  Orientirung.  Tabingen,  1888. —  Die  Bewegungsempfindung  [A. 
Pf.,  t.  xxxix,  1886,  pp.  3i7-371  et  t.  xl,  1887,  pp.  459-480;  623-624).  —  Die  innerliche 
Sprache  u.  ihr  Verhalten  zu  den  Sinnesivahrnehmungen  u.  Bewegunge.n  [Zeitschr.  f.  Psy- 
ehol.  u.  Physiol.  d.  Sinnesorgans,  t.  i). 

Die  Innervation  der  Kreislaufsorgane  [H.  H.,  t.  iv,  1880).  —  Reflectorische  Beziehungen 
des  Nervus  vagus  zu  den  motorischen  Nerven  der  Alhemmuskeln  (Inaug.  Diss.  Giessen,  1856). 

—  Vasomotorische  Wirkung  des  Nervus  vagus,  laryngeus  und  sympathicus  (en  collabora- 
tion avec  G.  Roever)  (A.  Pf.,  -t.  i,  1878,  pp.  211-255).  —  Coffeïngehalt  des  Kaffeegetrànkes 
u.  iib.  die  Wirkùngen  des  Coffeîns  [A.Pf.,  1872,  t.  v,  pp.  589-629).  —  Wirk.  des  Kaffees, 
Fleischestractes  u.  der  Kalisalze  auf  Herzthàligkeit  u.  Blutdruck,  en  collaborât,  avec  Dehn 
[A.  Pf.,  1874,  t.  IX,  p.  115).  —  Unters.  ûb.  die  Irritabilitàt  u.  Bythmicitât  des  nerven- 
haltigen  u.  nervenlosen  Froschherzens  [A.  Pf.,  1881,  t.  xxiv,  pp.  357-391  et  xxv, 
pp.  189-193).  —  Unters.  ûb.  die  Menge  der  durch  die  Haut  des  Menschen  ausgeschiedenen 
Kohlensaùre  (A.  Pf.,  1872).  —  Einfiuss  der  Temperatur  auf  die  Kohlensaûreausscheidung  u. 
die  Lebensfàhigheit  der  Frôsehe  in  Sauerstoffloser  Luft  (A.  Pf.,  1881,  t.  xxvi,  pp.  293- 
323).  —  Physiolog.  Practicum  (A.  Pf.,  1882). 

Aristoteles  Zeugung  u.  Entwickelung  der  Thiere  ùbersezt  u.  erlaùtert  (en  collaboration 
avec  Wiener)  Leipzig,  1860.  —  Aristoteles  Thierkunde.  Kritisch  berichtigter  Text  mit 
deutsch.  Ueberselzung,  sachlichen  und  sprachlichen  ErkUirungen  u.  vollstândigem  Index 
(en  collaborât,  avec  Wiener)  Leipzig,  1868.  .        j.  G. 

AUDITION.  —  Notions  générales  d'acoustique.  — ^  Acoustique  biolo- 
gique. —  Audition  des  sons  simples,  des  voyelles,  de  la  parole.  —  L'audition  est 
la  fonction  de  Toreille.  L'oreille  est  apte  à  recevoir,  à  éprouver,  et  à  ressentir  les  ébran- 
lements et  les  mouvements  vibratoires  de  la  matière  ;  ceux-ci  lui  sont  transmis  par  l'air. 

DICT.   DE  physiologie.   —  TOME  ï,  54 


SoO  AUDITION. 

Les  vibrations  de  l'air  pénètrent  l'organe  et  l'agitent  ;  elle  déterminent  ainsi  la  for- 
malion  de  mouvements  identiques  des  parties  constituantes  de  l'oreille  et  l'excitation  du 
nerf  auditif;  ainsi  naît  la  sensation  sonore.  L'audition  étudie  cette  sensation  et  tout  ce 
qui  a  trait  à  la  fonction  qui  la  procure  et  aux  pliénomènes  qui  se  passent  dans  l'oreille 
quand  les  ondes  sonores  lui  arrivent. du  dehors. 

Par  contre  la  physique  étudie  les  mouvements  élastiques  des  corps  qui  donnent  nais- 
sance à  des  sons  quand  ils  agissent  sur  l'oreille.  En  acoustique,  on  expose  les  propriétés 
de  la  matière,  les  modes  et  la  propagation  des  vibrations,  de  l'excitant  du  nerf  auditif;  en 
acoustique  biologique,  ainsi  que  le  fait  remarquer  Helmhùltz,  c'est  la  transmission  à  l'in- 
térieur de  l'organe  de  l'ouïe,  le  rôle  de  chaque  pièce  dans  la  réception,  le  transport  et 
la  communication  des  vibrations  aux  parties  sensibles,  que  Ton  analyse  et  que  l'on 
discute. 

Ce  sont  deux  faces  distinctes  de  la  question  ;  l'acoustique  phyùque  doit  être  séparée 
de  l'acoustique  physiologique,  bien  que  l'oreille  soit  toujours  le  réactif  indispensable  à 
ces  recherches,  sur  l'excitant,  l'excitation,  la  perception  dans  l'audition. 

L'audition  est  une  sorte  de  loucher  à  distance,  c'est  l'air  qui  sert  d'intermédiaire 
entre  le  corps  vibrant  et  l'organe  chargé  de  percevoir  l'ébranlement  :  c'est  lui  qui  touche 
l'oreille.  Celle-ci  est  donc  un  organe  aérien. 

Certaines  vibrations  des  corps  qui  sont  insuffisantes  à  émouvoir  l'organe  de  l'ouïe  ne 
sont  pas  perçues;  mais  elles  peuvent  être  senties  par  le  toucher  ou  manifestes  pour  la 
vue.  Une  certaine  amplitude  des  vibrations  est  donc  nécessaire  pour  qu'elles  soient  appré- 
ciables: l'influence  prépondérante  du  milieu,  la  distance  du  corps  sonore,  la  résonance 
des  parties  avoisinantes,  etc.^  toutes  conditions  étudiées  en  physique,  peuvent  accroître 
ou  diminuer  la  force  du  courant  sonore  et  son  action  sur  l'appareil  de  l'ouïe. 

Le  silence  rend  la  finesse  de  l'ouïe  plus  grande,  et  l'on  perçoit  de  nuit  des  sons  fai- 
bles, ou  éloignés,  tandis  que  de  jour  certains  sons  plus  forts  échappent  à  l'observation  au 
milieu  du  bruit  ambiant.  C'est  par  la  même  raison  qu'en  fermant  une  oreille  on  entend 
mieux  de  l'autre. 

Tout  son  qui  ébranle  l'oreille  n'est  pas  nécessairement  perçu;  c'est  d'abord  le  plus 
intense  qui  force  l'attention;  mais  ailleurs,  grâce  à  celle-ci,  des  sons  plus  faibles  seront 
mieux  entendus  au  milieu  du  bruit:  avec  elle  l'éducation  du  sens  se  fait,  la  mémoire  au- 
ditive se  développe,  l'ouïe  s'afflue;  les  aptitudes  musicales  apparaissent;  ainsi  se  forment 
autant  de  facultés  musicales  qui  montrent  combien  les  centres  nerveux  sont  actifs  dans 
la  perception  et  commandent  en  somme  toute  la  fonction.  , 

Quelle  que  soit  la  rapidité  de  l'impression,  il  faut  que  l'excitation  ait  une  certaine 
durée  pour  que  le  son  soit  perçu  et  apparaisse  à  la  conscience.  Ce  phénomène  est  plus 
facile  à  observer  chez  un  individu  dur  d'oreilles;  voici  comment  : 

'Ex-périencc  :  Dans  un  premier  temps  on  s'assure  de  la  portée  de  l'ouïe  à  la  montre; 
puis  dans  ses  limites  on  fait  plus  ou  moins  vite  passer  la  montre,  tenue  à  pleine  main, 
au  devant  de  l'oreille  :  on  s'aperçoit  que,  dès  que  le  passage  est  quelque  peu  rapide,  l'au- 
dition devient  impossible,  et  cependant  la  montre  au  repos,  à  la  même  distance  est 
très  nettement  perçue...  En  passant  aussi  vite  le  son  ne  fait  pas  une  impression  suffi- 
sante sur  l'organe  :  quelques  secondes  de  plus  et  la  sensation  a  lieu.  Cette  expérience 
pratique  a  été  disposée  scientifiquement  par  Gellé  de  façon  à  calculer  le  temps  néces- 
saire pour  qu'un  son  donné  fasse  impression. 
-    Voici  ce  dispositif  (fig.  7o)  : 

Un  diapason,  la  .3  (9  centimètres  de  long)  oscille  avec  l'extrémité  d'une  lame  d'acier 
de  60  centimètres  de  longueur  placée  de  champ,  et  solidement  tenue  à  son  extrémité 
fixe,  au  dessus  d'un  demi-cercle  gradué,  dont  le  0  central  marque  le  point  de  repos. 

En  face  de  ce  0,  une  planche  percée  d'une  fenêtre  qui  reçoit  l'oreille  du  sujet  et 
qui  l'isole  partout  ailleurs.  En  éloignant  plus  ou  moins  le  bout  de  la  lame  de  sa  position 
fixe,  du  zéro,  on  lui  imprime  des  oscillations  d'autant  plus  grandes  qu'on  l'en  écarte 
davantage;  plus  le  diapason  est  porté  loin  du  0,  plus  le  temps  du  passage  au-devant  de 
l'oreille  est  court,  puisque  ces  oscillations  ont  lieu  dans  le  même  temps  l'iois  du  pendule). 
La  durée  de  l'impression  se  mesure  ainsi,  et  l'acuité  de  l'ouïe  de  même.  L'oreille  qui 
entend  le  diapason  à  son  passage,  après  un  grand  écartement,  une  grande  oscillation, 
qui  lui  donne  une  vitesse  d'autant  plus  grande  et  une  durée  de  passage  d'autant  plus 


AUDITION. 


Soi 


petite,  est,  on  le  conçoit,  bien  supérieure  à  celle  qui  exige  pour  la  perception  une  courte  et 
lente  oscillation  de  la  lame  vibrante,  et  un  passage  d'une  durée  relativement  plus  longue. 
On  obtient  ainsi  par  un  calcul  simple  la  mesure  de  l'acuité  auditive,  basée  sur  celle  de 
la  durée  de  l'excitation  nécessaire  à  la  perception. 

La  durée  de  l'oscillation  étant  d'un  quart  de  seconde,  si  on  écarte  la  lame  du  0  de 
10  centim.,par  exemple  (20  centim.  d'oscillation  totale),  la  durée  du  passage  au  0  sera 
d/80<=  de  seconde.  Avec  lo  centim.  d'écart  (30  centim.  d'oscillation),  c'est  une  durée 
d'excitation  de  1 /120"  de  seconde.  Les  oreilles  saines  seules  possèdent  une  sensibilité 
égale:  ces  résultats  expérimentaux  peuvent  être  rapprochés  de  ceux  d'HELMuoLTz.  Ce 
savant  a  pu  très  nettement  observer  les  intervalles  de  battements  de  1:J2  à  la  seconde; 
son  oreille  exercée  a 
donc  perçu  un  son 
d'une  durée  de  1/132 
de  seconde. 

C'est  la  limite  ex- 
trême pour  la  percep- 
tion auditive  distincte. 

Nous  avons  dit  que 
Je  son  est  d'abord  une 
impression  faite  sur 
l'oreille  par  les  vibra- 
tions des  corps,  trans- 
mises par  le  milieu, 
vibrant  aussi  à  l'unis- 
son. On  peut  formuler 
ceci  : 

«  L'audition  est  un 
mouvement  vibratoire 
propagé  à  l'oreille.  » 

Si  le  mouvement 
vibratoire  est  com- 
plexe, confus,  irrégu- 
lier, indistinct,  peu 
analysable,  la  sensa- 
tion donnée  est  celle 
du  bruit. 

Les  caractères  des 
bruits  se  tirent  de 
l'impression  qu'ils 
nous  causent  et  de 
l'idée  qu'ils  éveillent 

dans  notre  esprit;  on  les  compare  à  des  sons  connus,  bruit  de  vent,  de  choc,  de  pétil- 
lement, etc.  On  les  qualifie  de  faibles,  forts,  agaçants,  douloureux,  etc.  Ils  prennent 
ainsi  une  valeur  conventionnelle  et  deviennent  alors  des  signes  comme  les  gestes.  . 

Les  sons  musicaux,  au  contraire,  naissent  des  vibrations  périodiques,  régulières,  uni- 
formes, qui  sont  plus  ou  moins  nombreuses  dans  un  temps  donné. 

Le  mouvement  vibratoire  peut  avoir  une  grande  énergie,  ou  force  vive  ;  des  ondes 
peuvent  être  plus  ou  moins  lentes  ou  rapides,  ou  courtes  ou  étendues. 

Le  son,  d'après  ces  allures  diverses,  prend  des  caractères  que  l'oreille  distingue  par- 
faitement; l'exercice  et  l'éducation  du  sens  de  l'ouïe  développent  cette  aptitude. 

On  reconnaît  trois  qualités  des  sons,  leur  hauteur  ou  tonalité,  leur  intensité  et  leur 
timbre. 

Hauteur  du  son.  —La  sensation  aiguë  ou  grave  donnég  par  un  son  est  exclusive- 
ment en  rapport  avec  la  durée  de  la  vibration,  c'est-à-dire  avec  le  nombre  des  vibra- 
tions exécutées  en  une  seconde.  Le  fait  est  physiquement  démontré  depuis  les  travaux 
de  Savart  (roue  dentée)  et  les  expériences  d'IlELJiHOLTz  au  moyen  de  la  sirène  de  Seebeck  . 
(L'idée  première  de  la  sirène  est  de  Cagnard-Latour.) 


Pjç;   75.  Appareil  pour  mesurer  la  durée  de  l'excitation  nécessaire 

à  Taudition. 

La  lame  d'acier  est  un  pendule,  oscillant  en  un  quart  de  seconde  ;  le  diapa- 
son ou  le  téléphone  passent  en  face  de  l'anneau  où  se  pose  l'oreille  du  sujet, 
d'autant  plus  vite  que  l'écart  à,  partir  du  zéro  est  plus  grand.  Par  conséquent 
la  durée  du  passage  est  d'autant  plus  courte.  Le  demi-cercle  gradué  per- 
met de  mesurer  l'étendue  do  l'oscillation;  un  simple  calcul  donne  la  du- 
rée de  l'excitation  sonore. 


852  AUDITION. 

ce  sont  des  notions  classiques.  Un  son  est  à  une  octave  d'un  autre  quand  il  est  fourni  par 
tin  nombre  de  vibrations  double  ;  pour  la  quinte,  le  rapport  est  de  2  à  3  ;  pour  la  quarte, 
de  3  à  4  ;  pour  la  tierce  majeure,  de  4  à  3. 

Certains  sons  aigus  sont  particulièrement  insupportables  à  l'oreille,  celui  du  liège  que 
l'on  coupe,  du  grattoir  sur  la  pierre,  etc.  Ils  semblent  exciter  les  dents,  comme  un 
acide.  L'alliance  du  nerf  auditif  avec  le  nerf  trijumeau  se  trabit  ainsi.  D'autres  causent 
dans  la  profondeur  de  l'organe  la  sensation  d'une  pointe  blessante,  davantage  cbez  les  per- 
sonnes névropathiques  ou  affaiblies. 

Les  affections  de  l'appareil  auditif  modifient  souvent  cette  faculté  de  distinguer  les 
sons  plus  ou  moins  différents  de  tonalité  :  il  en  résulte  ce  qu'on  nomme  une  oreille 
fausse.  D'ailleurs,  des  individus  même  sans  aucune  maladie  des  organes  auditifs  n'ont 
pas  cette  faculté  de  distinguer  nettement  les  sons  de  tonalité  différente.  On  naît  avec  une 
oreille  juste  ou  fausse.  L'éducation  peut  développer  énormément  la  faculté  de  distinguer 
les  plus  faibles  variations  de  la  tonalité. 

Le  nerf  sensible  ne  perçoit  bien  que  les  sons  que  l'oreille  moyenne  lui  apporte.  Mais 
le  nerf  lui-même  peut  être  incapable  de  discerner  ces  nuances,  et  sans  doute  aussi  il 
faut  un  certain  degré  d'éducation  pour  différencier  les  sons  à  ce  point  de  vue.  Souvent 
les  individus  n'ont  qu'une  sensation  atone;  ainsi  il  est  imprudent  en  séniiotique  auricu- 
laire de  se  contenter  du  mot  :  j'entends,  dit  au  bruit  du  diapason  la  3,  par  exemple.  Le 
son  est-il  aigu  ou  grave?  le  sujet  peut  l'ignorer;  ou  bien  ce  qu'il  perçoit  est  loin  de  ce 
qui  est. 

Il  ne  faut  au  reste  point  oublier  que  ces  analyses  des  qualités  du  son  montrent  en 
même  temps  celles  de  l'organe  auditif.  Le  son  donné,  l'oreille  est  le  réactif. 

Depuis  Pyteagore,  on  sait  que  les  rapports  des  intervalles  des  sons  consonnants,  d'une 
octave  «  sont  des  nombres  entiers  et  les  plus  petits  de  ces  nombres  (1,  2,  3,  4,  5,)  ». 
Harmonie  préétablie,  dit  Bernstein. 

Ainsi  l'organisation  de  l'organe  de  l'ouïe  est  telle  qu'elle  s'adapte  d'emblée  à  ces  rap- 
ports simples;  c'est  là  un  phénomène  à  coup  sur  remarquable  et  mystérieu.x.  Inexpli- 
cable aussi  ce  fait  absolument  certain  :  les  sons  dont  les  nombres  sont  dans  ces  rap- 
ports simples  donnent  lieu  aux  sensations  les  plus  agréables  à  l'oreille.  La  capacité  de 
l'oreille  pour  reconnaître  la  hauteur  des  sons  se  développe,  avons-nous  dit,  par  l'étude 
«t  l'exercice.  Il  est  curieux  de  constater,  à  ce  propos,  que  2  sons  à  l'octave  qui  forment 
la  consonnance  la  plus  parfaite,  sont  facilement  confondus  par  les  plus  habiles,  car  c'est 
le  rapport  le  plus  simple,  1 :  2. 

Cette  faculté  de  percevoir  les  tonalités  diverses  a  une  limite;  à  un  certain  point  les 
sons  graves  ou  aigus  ne  donnent  plus  que  la  sensation  peu  nette,  vague,  d'un  bruit.  Tous 
les  physiciens  s'accordent  pour  reconnaître  que  le  son  rendu  par  un  tuyau  d'orgue  de 
32  pieds  ouvert  est  le  son  musical  le  plus  grave  que  l'oreille  puisse  apprécier  :  ce  son 
a  16™,62o  de  longueur  d'onde. ^^ 

On  observe  que  tous  les  sons  graves  au-dessous  de  32  vibrations  (16  allemandes),  ut  2 
des  grandes  orgues,  lit  du  piano  (33  vibr.),  le  mi  1,  de  la  contrebasse  qui  a  40  vibrations 
sont  très  désagréables,  et  n'offrent  rien  de  musical. 

En  effet  ces  sons  donnent  plutôt  une  sensation  tactile,  celle  d'une  suite  de  chocs.  Pour 
obtenir  une  sensation  continue,  il  faut  donc  au  moins  32  excitations  du  nerf  acoustique 
par  seconde.  Nous  sommes  ici  à  la  limite  de  la  fonction  ;  et  l'excitation  de  l'organe  cesse 
d'être  régulière;  l'instrument  chargé  de  la  récolte  et  de  la  fusion  des  excitations  ne  peut 
plus  associer  ces  ondes  trop  lentes  et  qui  font  des  secousses  isolées  dénuées  de  tonalité. 

Helmholtz  remarque  avec  intérêt  que  l'éducation  est  impuissante  à  modifier  ce  résul- 
tat :  c'est  donc,  dit-il,  un  phénomène  dû  à  la  conformation  de  l'organe. 

Par  contre,  la  faculté  d'entendre  les  sons  de  tonalité  élevée  (vibrations  de  durée  courte 
et  de  rapidité  extrême  par  seconde),  est  très  développée. 

Ainsi  on  peut  percevoir  le  son  du  n!  6  de  la  pelite  flûte  d'orchestre,  qui  donne  9  304 
vibrations  par  seconde  (4730  allemandes).  Despretz  a  pu  atteindre  avec  ses  petits  diapa- 
sons jusqu'auj'é  9,  auquel  correspondent  76032  vibrations  (38  019  allemandes)  ;  la  lon- 
gueur d'onde  ici  est  de  quatre  millimètres.  Cependant  on  remarque  également  que 
ces  sons  si  hauts  deviennent  peu  distincts,  peu  nets,  et  désagréables  à  l'oreille  ;  nous 
avons  fait  tout  à  l'heure  la  même  réflexion  à  propos  des  sons  placés  à  la  limite  des  graves. 


AUDITION.  8o3 

Malgré  l'énorme  étendue  de  ce  clavier  des  sons  perceptibles,  on  n'emploie  avec  avan- 
tage en  musique  que  ceux  qui  sont  compris  entre  40  vibrations  et  4000  vibrations  (aile» 
mandes). 

En  somme,  l'organe  auditif  possède  un  clavier  de  11  octaves;  c'est-à-dire  qu'il  est  sen- 
sible à  cette  masse  d'excitations  sonores  de  tonalités  différentes  étendue  jusqu'à  la  11° 
octave.  Quelle  variété  de  sensations!  et  le  son  n'est  considéré  ici  qu'au  seul  point  de 
vue  de  sa  bauteur. 

Le  nerf  acoustique  est,  d'après  ce  qui  précède,  assez  lent  à  s'émouvoir;  il  lui  faut  un 
certain  nombre  d'excitations  successives  rapides  pour  être  mis  en  action  continue;  et, 
intensité  à  part,  tout  son  continu  est  un  excitant  supérieur;  c'est  la  différence  qui  se 
constate  entre  la  montre  et  le  diapason  pris  comme  moyens  de  mesurer  l'acuité  audi- 
tive. Au-dessus  de  16  chocs  ('32  vibrations)  par  seconde,  nous  n'avons  pas  conscience 
de  la  succession  si  rapide  des  excitations  qui  donnent  la  sensation  d'un  ton  élevé 
continu. 

Une  somme  de  ces  excitations  rapides  combinées  dans  le  cerveau  donne  la  notion  du 
son  :  un  seul  choc,  s'il  est  faible,  passe  facilement  inaperçu;  on  saisit  l'influence  de  la 
durée  ou  de  la  répétition  des  excitations.  Dans  l'étude  des  sons  combinés,  des  sons  si- 
multanés de  hauteurs  diverses,  ces  synthèses  se  montrent  plus  évidentes  dans  les  accords 
de  consonnances  et  de  dissonnances  et  dans  les  sons  résultants. 

A'ous  verrons  plus  loin  comment  l'appareil  auditif  peut  arriver  à  conduire  cette 
foule  de  sons  variés  qu'apporte  l'air  ambiant,  et  que  perçoit  le  nerf  sensoriel. 

Certaines  affections  de  l'oreille  ont  pour  effet  de  nuire  à  son  aptitude  fonctionnelle  à 
vibrer  à  l'unisson;  il  en  résulte  la  sensation  d'un  ton  qui  diffère  du  son  émis  :  c'est 
l'oreille  fausse.  Le  malade  entend  juste  d'un  côté,  et  faux  par  l'autre. 

D'autre  part  l'état  de  sensibilité  des  filets  nerveux  de  l'auditif  n'influence  pas  moins 
ce  résultat,  car  on  sait  des  cas  de  surdités  partielles  pour  un  ou  plusieurs  tons,  et  des 
faits  très  précis  d'hyperesthésies  partielles.- 

La  capacité  de  l'oreille  pour  recevoir  et  distinguer  une  succession  d'impressions 
sonores  si  rapides,  ainsi  qu'HELMuoLTz  l'a  établi,  montre  aussi  la  rapidité  avec  laquelle 
la  sensation  sonore  s'éteint,  disparaît,  pour  faire  place  à  une  nouvelle  sensation. 

La  construction  de  l'appareil  de  transmission  doit  répondre  à  cette  exigence  de  pou- 
voir étouffer  le  son  aussitôt  perçu  pour  faire  place  aux  sons  suivants.  L'élément  nerveux 
joue  aussi  un  rôle  important  dans  cette  limitation  de  la  durée  de  l'impression  sonore 
indispensable. 

Dans  certaines  affections  l'organe  perd  cette  faculté  ;  et  les  sujets  se  plaignent  de  sen- 
tir les  sons  se  prolonger  après  que  le  corps  sonore  a  cessé  de  vibrer;  d'autres  fois  ce  sont 
d'autres  sons  que  l'excitation  première  a  fait  naître;  et  quelquefois  ce  sont  toujours  les 
mêmes,  comme  si  certains  filets  sensitifs  conservaient  plus  longtemps  l'irritation  (sons 
persistants;  sons  consécutifs).  Ces  phénomènes  subjectifs  reconnaissent  pour  cause  ordi- 
naire surtout  un  trouble  de  l'appareil  nerveux. 

Les  sons  qui  frappent  l'oreille  avec  une  grande  intensité,  lancés  avec  violence,  ont 
aussi  pour  effet  de  produire  ces  fâcheux  retentissements  par  une  sorte  de  commotion  de 
l'oreille  interne. 

Intensité  du  son.  —  L'intensité  de  la  sensation  est  en  rapport  avec  l'énergie  du  mou- 
vement vibratoire  du  corps  sonore,  de  l'air,  et  de  celui  qui  a  envahi  l'oreille  moyenne. 
Un  choc  suffisant  donne  une  certaine  force  vive  aux  ondes  aériennes  qui  se  propagent; 
un  air  dense,  un  lieu  clos,  une  voie  directe,  en  rendent  le  transport  plus  facile  :  ce  sont 
les  conditions  physiques  qui  favorisent  l'audition. 

L'ampleur  du  mouvement  ondulatoire  produit  l'intensité  du   son.  On  peut  ainsi  voir 
vibrer  les  deux  lames  du  diapason,  les  cordes  et  les  membranes  fortement  ébranlées. 
Le  son  perd  en  intensité  comme  le  carré  de  la  distance  de  l'oreille  au  corps  sonore. 
De  toutes  les  qualités  du  son  l'intensité  est  la  plus  indispensable  à  son  audition. 

Une  masse  d'air  doit  être  traversée;  l'appareil  de  conduction  doit  être  mis  en  branle  : 
il  faut  des  ondes  sonores  suffisamment  énergiques  pour  communiquer  le  mouvement 
jusqu'au  labyrinthe  et  pour  impressionner  le  nerf  sensoriel. 

La  distance  à  laquelle  l'oreille  perçoit  donne  Vacuité  de  l'ouïe;  la  durée  de  l'excita- 
tion, nous  l'avons  montré,  est  aussi  un  facteur  de  l'intensité  de  la  sensation  éprouvée. 


851  AUDITION. 

Comment  se  produisent  ces  transmissions  des  ébranlements  du  corps  sonore  à  l'air 
et  de  celui-ci  à  l'oreille,  enfin  aux  filets  nerveux  du  labyrinthe  ? 

Comment  l'appareil  transmetteur  subit-il  ces  vibrations  propagées  par  le  milieu,  et  se 
trouve-t-il  associé  au  mouvement  du  dehors"? 

L'oreille  reçoit  surtout  les  chocs  des  ondes  aériennes;  la  proportion  de  celles  que 
propagent  les  corps  solides  du  corps  est  très  inférieure;  nous  verrons  au  reste  qu'elles 
aboutissent  au  même  chemin. 

L'organe  de  l'ouïe  est  frappé  par  les  sons  à  distance;  il  les  perçoit  par  l'influence  du 
milieu  et  non  au  contact;  car  c'est  l'air  qui  conduit  les  ondulations  jusqu'à  l'entrée  de 
l'oreille. 

Là  se|  fait  la  communication  du  mouvement  de  l'air  aux  tissus  auriculaires,  c'est-à- 
dire  l'action  par  influence,  la  transmission  à  distance  de  l'énergie  vibratoire. 

C'est  là  un  phénomène  physique  général  :  ces  propagations  du  mouvement  vibratoire 
à  distance  se  démontrent  par  des  expériences  fort  simples,  mais  se  constatent  à  chaque 
instant  dans  le  milieu  aérien  et  sur  les  corps  qui  nous  entourent.  C'est  la  vitre  qui  vibre 
et  sonne  au  passage  d'un  certain  bruit;  c'est  le  diapason  qui  met  en  mouvement  sonore 
un  diapason  semblable,  c'est  la  corde  du  piano  qui  'résonne  sous  l'influence  des  vibra- 
tions d'une  corde  voisine,  etc. 

Chladni,  Savart,  pour  les  membranes,  Helmholtz,  Koenig,  pour  les  flammes  et  les 
gaz,  ont  montré  par  de  belles  expériences,  classiques,  les  communications  du  mouvement 
vibratoire  en  dehors  de  tout  contact.  Muller  a  montré  ce  qu'il  perd  en  intensité  en  pas- 
sant de  l'air  aux  solides. 

Il  est  établi  que  les  vibrations  par  influence  se  produisent  dès  que  les  deux  corps  en 
présence  (diapason,  corde,  plaque  ou  membrane)  sont  susceptibles  de  vibrera  l'unisson; 
mais  qu'il  en  lest  aussi  de  même  tant  que  les  ondes  émises  sont  des  composantes  du 
son  propre  de  l'instrument  (V.  plus  loin,  Harmoniques). 

L'oreille,  on  le  voit,  peut,  à  distance,  recevoir  et  éprouver  les  ébranlements  vibratoires 
que  l'air  lui  apporte,  et  vibrer  à  l'unisson  des  corps  sonores  :  ce  sont  ces  vibrations  oti- 
ques  que  le  nerf  acoustique  perçoit. 

Nous  verrons  tout  à  l'heure  comment  et  par  quels  organes  se  fait  cette  pénétration 
du  mouvement  vibratoire  dans  l'oreille;  il  était  important  de  rappeler  qu'il  y  a  là  un 
phénomène  physique  général,  et  comment  le  transport  du  son  à  distance  jusqu'à  l'oreille, 
par  influence,  est  assuré. 

Timbre  du  son.  —  Les  deux  qualités  du  son  que  nous  venons  d'étudier  étaient 
bien  connues  de  Galilée,  de  Newton,  d'EuLER,  de  Bernouilli;  il  n'en  est  pas  de  même 
de  la  troisième  qualité,  celle  du  timbre,  sur  lequel  on  a  pendant  longtemps  émis  les 
hypothèses  les  plus  vagues.  C'est  Helmholtz  qui  a  élucidé  ce  sujet  par  sa  théorie 
physiologique  (1874)  de  la  musique,  à  laquelle  nous  emprunterons  largement  pour  cet 
article. 

En  1864,  Gavarret  écrivait  encore  ceci  :  «  Les  véritables  causes  des  variations  de  tim- 
bre ne  sont  pas  encore  bien  connues  »  {Acoustique.  Dict.  de  méd.,  1864,  p.  623). 

Un  son  de  même  intensité  et  de  même  hauteur  peut-être  produit  par  divers  instru- 
ments, et  chacun  de  nous  cependant  sait  reconnaître  que  l'un  des  sons  est  fourni  par  le 
violon,  l'autre  par  un  instrument  à  vent,  etc.  Ce  qui  revient  à  dire  que,  suivant  l'instru- 
ment ou  la  personne  qni  donne  un  son,  la  sensation  auditive  peut  être  ditïérente,  bien  que 
les  deux  autres  qualités  de  ce  son,  l'intensité  et  la  hauteur,  soient  exactement  les  mêmes. 

On  dit  que  ces  sons  diffèrent  par  leur  timbre.  A  quoi  tient  cette  nouvelle  qualité  du 
son?  On  juge  déjà  d'après  les  modes  divers  de  sa  production  qu'elle  résulte  des  conditions 
nouvelles  qui  dépendent  de  la  nature  de  chaque  corps  vibrant,  si  bien  que  le  timbre 
caractérise  suffisamment  et  nous  indique  la  source  du  son  (voix,  flûte,  violon,  instru- 
ment à  cordes).  Il  a  un  rapport  éti'oit  avec  la  nature  et  l'état  moléculaire  du  corps  sonore. 

Les  musiciens  connaissaient  les  sons  harmoniques  de  tonalité  élevée  qui  se  produisent 
en  même  temps  que  le  son  fondamental.  De  même  les  facteurs  d'orgues  avaient  mis  à 
profit  la  remarque  que  l'adjonction  de  certains  tuj'aux  d'orgues  au  principal  donne  au 
son  du  corps,  de  l'éclat,  tout  en  lui  conservant  sa  hauteur. 

L'expérience  classique  de  Sauveur,  qui  montre  au  moyen  de  petits  chevalets  de 
papier  posés  sur  la  corde,  la  formation  de  nœuds  et  de  ventres,  rend  bien  manifeste  celle 


AUDITION.  853 

des  ébranlements  partiels  et  multiples.  Savart  et  Seebeck  (1823)  les  ont  démontrés 
dans  les  niasses  d'air  au  moyen  des  membranes  sensibles.  Magendie  dit  en  propres 
termes  :  «  Le  timbre  dépend  de  la  nature  du  corps  sonore,  ainsi  que  du  plus  ou  moins 
grand  nombre  d'harmoniques  qui  se  produisent  en  même  temps  que  le  son  principal.  » 
(Magendie.  Précis  de  physiol.,  troisième  édition,  1833,  t.  ii ,  p.  127.) 

Raueal',  au  dire  d'HELiiHOLiz,  aurait  également  partagé  la  même  idée,  énoncée  dans  ses 
études  sur  la  voix  humaine  (Rameau.  Éléments  de  musique,  Lyon,  1762)  ;  et  Monge  avait 
aussi  fait  des  recherches  à  ce  sujet. 

Les  travaux  d'HEL.uiiOLTZ  ont  aujourd'hui  complètement  élucidé  laformation  du  timbre. 

Il  est  vrai  qu'il  se  forme  par  l'addition  au  son  fondamental  des  sons  partiels,  des 
sons  harmoniques,  c'est-à-dire  par  l'association  de  vibrations  secondaires,  qui  se  con- 
fondent avec  le  son  fondamental,  sans  faire  varier  sa  hauteur. 

C'est  ici  que  se  montre  avec  le  plus  d'évidence  la  faculté  que  possède  le  sens  auditif 
d'associer,  de  fondre,  d'analyser,  de  combiner  les  ondes  sonores  simples  et  d'en  former 
des  unités  nouvelles. 

Au  moyen  de  ses  résonnateurs,  Helmholtz  a  décomposé  le  timbre,  et  montré  les  sons 
partiels  qui  accompagnent  le  son  principal,  et  lui  donnent  cette  qualité  qui  l'individualise, 
qui  lui  ajoute  le  coloris,  comme  le  dit  d'Alembert.  Du  même  coup  il  a  démontré  l'apti- 
tude si  remarquable  de  l'oreille  à  percevoir  les  vibrations  simples,  pendulaires;  c'est- 
à-dire  les  éléments  les  plus  simples  du  son. 

Fourier  avait  établi  mathématiquement  cette  loi  que  tout  mouvement  vibratoire  peut 
être  reconnu  comme  la  somme  de  mouvements  vibratoires  simples  pendulaires. 

Helmholtz  prouve  que  l'organe  de  l'ouïe  opère  cette  analyse  délicate;  et,  dans  un  ton, 
que  notre  conscience  nous  représente  comme  un  tout,  découvre,  perçoit  et  isole  des  sons 
partiels,  des  vibrations  simples,  composantes,  dont  l'addition  au  ton  fondamental  plus 
intense  lui  donne  la  qualité  du  timbre.  Au  moyen  de  résonnateurs  accordés,  le  savant 
physicien  renforce  ces  sons  partiels,  les  rend  perceptibles  à  l'oreille  et  les  classe  :  ainsi 
le  timbre  est  décomposé  en  ses  parties  constituantes  et  chacune  d'elles  est  étudiée.  Puis, 
faisant  une  opération  inverse,  l'auteur  en  opère  la  synthèse;  il  ajoute  expérimentalement 
au  ton  un,  puis  deux,  puis  plusieurs  de  ces  sons  pendulaires,  partiels,  de  ces  harmoniques, 
et  il  fait  apparaître  la  sensation  du  timbre  :  c'est  ainsi  que  Kœnig  formera  expérimenta- 
lement les  sons  voyelles. 

Il  a  surpris  ainsi  la  fusion  des  vibrations,  et  trouvé  les  lois  de  cette  association 
curieuse,  méconnue  jusque-là. 

Le  son  fondamental  prédomine;  c'est  lui  que  le  moi  perçoit  comme  hauteur;  les  sons 
harmoniques  sont  faibles,  et  d'une  tonalité  en  général  plus  aiguë;  ils  sont  plus  ou  moins 
nombreux;  on  y  constate  des  vibrations  à  l'octave,  à  la  quinte,  à  la  tierce,  etc.  de  la 
vibration  primaire. 

Par  l'étude  des  vibrations  partielles  des  cordes  vibrantes  on  peut  comprendre  la  for- 
mation, la  multiplicité  et  la  faiblesse  relative  des  vibrations  secondaires,  qui  accompa- 
gnent le  ton  propre  de  la  corde;  car  [cette  corde  se  divise  en  2,  en  3,  en  4,  en  a,  etc. 
parties,  qui  toutes  entrent  en  vibrations,  dont  la  somme  s'ajoute  à  la  vibration  générale; 
ce  sont  là  les  harmoniques  du  son  propre  de  la  corde  ;  on  voit  par  leur  origine  pourquoi 
ils  sont  plus  aigus  que  le  ton  fondamental.  Le  nombre  et  la  force  de  ces  harmoniques 
diffèrent  dans  les  divers  instruments  de  musique,  et  produisent  ainsi  le  timbre  particulier 
à  chacun  d'eux. 

En  réalité,  à  un  moment  donné,  la  vibration  produite  est  la  somme  de  toutes  les 
vibrations  de,  même  sens  et  de  sens  contraire;  et  la  multitude  des  vibrations  du  milieu 
ambiant  coexiste  dans  notre  oreille  sans  s'altérer  ni  se  détruire  ;  car  celle-ci  distingue  les 
divers  modes  de  ces  vibrations. 

Cependant  nous  ne  prenons  pas  d'ordinaire  connaissance  de  cette  analyse;  elle  se  fait 
à  noire  insu;  elle  résulte  de  l'organisation  de  notre  oreille  autant  que  de  la  nature  des 
vibrations  des  corps  (Taixe,  H.  Spencer). 

Helmholtz  a  isolé  les  sons  partiels  et  analysé  la  sensation  en  faisant  ressortir  au 
milieu  d'un  groupe  de  vibrations  celle  qu'il  voulait  révéler  et  étudier,  au  moyen  de  ses 
résonnateurs  accordés  qui  amplifiaient  ce  ton  seul,  à  l'exclusion  des  autres. 

En  effet,  ces  vibrations  existent  dans  le  son  apporté  à  l'oreille  :  elles  le  constituent; 


856  AUDITION. 

le  ton  fondamental  domine  et  les  harmoniques  se  confondent  avec  lui.  Ces  sons  élémen- 
taires, l'organe  de  l'ouïe  a  donc  le  pouvoir  de  les  percevoir  et  de  s'en  pénétrer;  car  ils 
peuvent  toujours  être  ramenés  à  une  somme  de  vibrations  simples,  pendulaires  (loi  de 
Ohu)  ;  et,  bien  que  la  sensation  soit  une,  cependant  elle  est  due  à  un  bouquet  de  vibra- 
tions élémentaires  (Taine,   Spenceb). 

Les  harmoniques  sont  les  multiples  du  son  fondamental  ;  le  sensorium  perçoit  ce  seul 
ton,  mais  l'oreille  a  reçu  et  analysé  plusieurs  vibrations  simultanées. 

Par  l'étude  et  l'exercice,  on  peut  arriver,  sans  le  secours  des  résonnateurs,  à  isoler 
nettenrent  certains  de  ces  sons  partiels  ou  harmoniques. 

Rameau,  Thomas  Young  avaient  reconnu  ainsi  quelques  harmoniques  (Rameau.  Nouveau 
système  de  musique  théorique.  Paris,  1726.  —  Thomas  Voung.  FMI.  Trans.  Lond.  1800,  t.  i, 
p.  137). 

D'après  Helmholtz  il  est  plus  facile  de  reconnaître  les  sons  partiels  impairs  (quarte, 
tierce,  septième,  etc.)  du  son  fondamental  ;  nous  avons  dit  que  2  sons  à  l'octave  se  con- 
fondent facilement;  de  même,  la  première  harmonique  est  plus  difficile  à  découvrir, 
c'est  l'octave  du  ton  fondamental. 

D'autre  part  les  vibrations  simples  élémentaires,  la  vibration  pendulaire,  se  rencon- 
trent rarement;  le  diapason  isolé  donne  un  son  simple  cependant. 

La  plupart  des  instruments  et  des  corps  vibrants  fournissent  des  tons  complexes,  d'oii 
le  timbre  qui  les  caractérise  chacun.  Un  diapason  porté  sur  un  corps  quelconque  suscep- 
tible de  vibrer  l'associe  à  son  mouvement  tonal:  le  son  est  modifié  aussitôt  par  l'associa- 
tion des  sons  partiels  du  corps  qu'il  touche;  il  prend  im  tout  autre  caractère;  et  le 
timbre  est  modifié. 

Un  diapason  muni  d'une  pointe  trace  sur  le  rouleau  de  l'appareil  enregistreur  une 
ligne  ondulée,  au-dessus  et  au-dessous  de  la  ligne  horizontale,  à  courbes  parfaitement 
égales  de  longueur  et  de  hauteur. 

Chaque  courbe  est  l'image  d'une  demi-vibration  pendulaire  :  c'est  là  la  forme  d'une 
vibration  élémentaire,  rendue  par  la  méthode  graphique. 

Ajoutons  un  ton  harmonique,  le  premier,  et  nous  voyons  l'image  se  modifier  ;  sa  forme 
générale  représente  une  moyenne  entre  les  formes  des  deux  ondes  associées  dans  le  même 
temps.  La  courbe  est  changée;  l'onde  monte  plus  vite  au-dessus  de  l'abscisse  et  s'abaisse 
plus  lentement;  sa  partie  concave  subit  la  même  modification.  La  hauteur  du  ton  est 
restée  la  même,  puisque  la  durée  des  deux  tons  associés  estla  même;  mais  le  timbre  du  ton 
est  différent.  Helmholtz  en  conclut  que  le  timbre  dépend  de  la  forme  de  l'onde  sonore; 
laquelle  varie  suivant  la  qualité  et  le  nombre  des  tons  partiels  ajoutés.  C'est  ainsi  que  la 
science  est  parvenue  à  décomposer  la  sensation,  qui  nous  semble  un  tout,  une,  et  à,  y 
découvrir  un  ton  fondamental  et  des  tons  harmoniques. 

Cette  analyse  des  aptitudes  de  l'organe  et  du  sens  de  l'ouïe  a  jeté  la  plus  vive  lumière 
sur  le  mode  d'excitation  du  nerf  acoustique. 

Pour  comprendre  cette  puissance  de  réception  des  vibrations  élémentaires,  réalités 
objectives  que  ressent  nettement  l'oreille,  il  faut  admettre  qu'elle  possède  des  éléments 
de  perception  en  suffisante  proportion. 

C'est  dans  le  labyrinthe,  nous  le  verrons,  que  sont  e.'iposées  aux  excitations  des  ondes 
transmises  les  extrémités  des  filets  du  nerf  spécial.  On  peut  admettre  que  chaque  vibra- 
tion simple  touche  un  élément  auditif  spécial.  Le  son  fondamental  et  les  tons  harmoni- 
ques exciteraient  chacun  une  fibre  nerveuse  particulière,  et  chacune  de  ces  fibres  trans- 
mettrait une  sensation  spéciale  aux  centres  nerveux. 

C'est  dans  le  cerveau  que  se  fait  la  réunion  des  excitations  partielles  et  la  formation 
des  unités  que  nous  sentons  par  l'agglomération  et  la  fusion  des  sensations  élémentaires 
inconscientes  (Taine,  De  l'intelligence). 

De  même  s'explique  la  possibilité  de  recevoir  dans  le  même  temps  plusieurs  excita- 
tions; celles-ci  sont,  en  effet,  soit  simultanées,  soit  successives. 

L'oreille  est  le  juge  suprême  de  ces  combinaisons  sonores  ;  et,  suivant  qu'elles  lui  sont 
agréables  ou  désagréables,  elle  les  classe  en  consonnances  et  dissonnances. 

En  général,  les  intervalles  simples,  les  rapports  simples  des  nombres  de  vibrations 
fournissent  une  sensation  de  consonnance,  tels  l'octave,  la  quinte,  la  tierce,  etc.,  qui 
sont  :  :  2,  3,  i,  etc. 


AUDITION.  857 

Au  contraire  les  dissonnances  se  produisent  surtout  dans  les  tons  plus  rapprochés.  Hel- 
MEOLTz  a  montré  qu'elles  résultent  de  la  formation  de  battements  alternatifs,  d'autant 
plus  désagréables  qu'ils  sont  plus  fréquents. 

Ces  battements,  on  le  sait,  sont  produits  par  la  rencontre  de  deux  ondes  de  vitesses 
différentes,  mais  très  rapproctiées  ;  ils  apparaissent  également  quand  deux  ondes  se 
fusionnent,  soit  qu'elles  s'ajoutent,  soit  quelles  s'annulent,  étant  de  sens  contraire  :  il  y 
a  ainsi  des  affaiblissements  ou  des  augmenlations  d'intensité  alternatifs,  qui  ont  une 
action  très  mordante  sur  l'oreille.  Je  les  ai  employés  pour  l'exploration  de  l'acuité  audi- 
tive dans  les  fortes  surdités  (Gellk.  Étude  sur  les  battements,  in  Etudes  d'otologie,  t.  i). 

Ces  associations  de  vibrations  sont  des  plus  diverses,  les  accords  et  les  dissonnances 
peuvent  exister  entre  les  tons  fondamentau.\,  et  aussi  entre  leurs  harmoniques;  et  il  en 
est  de  même  des  interférences.  On  conçoit  que  de  là  naissent  des  qualités  très  diffé- 
rentes des  sons  au  point  de  vue  du  timbre,  et  de  l'effet  qu'ils  produisent  sur  l'oreille. 

Les  battements,  les  interférences  fréquentes  donnent  au  son  un  timbre  criard,  aigu, 
ou  sourd,  suivant  le  phénomène  vibratoire,  et  les  éléments  prédominants.  En  réalité 
c'est  un  son  complexe  qui  frappe  l'oreille;  et  sa  perception  comme  unité  est  un  acte  psy- 
chique; la  notion  du  plaisir  et  du  déplaisir  l'indique  déjà;  la  connaissance  du  corps  ou 
de  l'instrument  qui  fournit  le  son,  violon,  cor,  flûte,  etc.,  montre  qu'il  se  fait  en  nous 
une  représentation  ou  image,  que  certains  timbres  éveillent  dans  notre  esprit. 

Avec  le  timbre,  noire  intellect  prend  ainsi  connaissance  des  propriétés  de  la  matière 
par  l'audition  des  vibrations  moléculaires,  qui  trahissent  l'état  des  corps;  lin  vase  fêlé, 
une  lige  de  fer  rompue,  même  d'une  façon  invisible,  ne  donnent  plus  le  même  son;  et 
l'oreille  indique  la  fracture. 

Les  harmoniques,  que  nous  avons  montrés  peu  évidents,  peuvent  cependant  prendre 
une  grande  importance:  c'est  ainsi  que  nous  verrons  tout  à  l'heure,  à  propos  de  l'audi- 
tion du  langage  articulé,  queKosNiG,  appliquant  la  théorie  d'HELsiaoLTz,  a  pu,  en  fournis- 
sant au  son  fondamental  d'une  voyelle  l'harmonique  qui  le  fait  valoir,  son  «  vocable  » 
ainsi  qu'on  l'appelle,  reproduire  clairement  la  voyelle  voulue. 

L'audition  est  facilitée  en  général  par  les  harmoniques;  car  les  sons  simples  sont 
sourds  ou  faibles  ;  les  harmoniques  donnent  de  l'ampleur,  de  l'éclat,  du  corps  au  son 
ainsi  que  les  jeux  de  fourniture  des  grandes  orgues  l'avaient  depuis  longtemps  prouvé. 

Quelques  vibrations  non  harmoniques  sont  signalées  par  Helmholtz  comme  utiles  à 
l'audition.  Un  diapason  trop  brusquement  frappé  résonne  dans  les  tonalités  aiguës  bien 
supérieures  à  son  ton  propre,  et  dont  le  son  est  très  pénétrant.  Avis  au  médecin  qui 
explore  l'audition;  il  y  a  là  une  cause  d'erreur  très  facile  à  éviter. 

Dans  l'émission  des  sons  delà  voix,  suivant  la  façon  dont  on  la  produit,  il  se  forme 
de  légers  bruits,  frôlements,  râpcments  qu'on  remarque  surtout  pour  1'/,  Vu,  et  l'ou,  le 
y  allemand.  Fou  et  le  u' anglais  (Donders).  Ces  bruits  se  perçoivent  plus  en  parlant  qu'en 
chantant.  Tout  le  monde  connaît  les  sons  de  ràpements,  frottements,  etc.,  qui  accompa- 
gnent les  attaques  des  instruments  à  cordes,  à  vent,  à  anche,  etc. 

L'émission  des  sons  b,  d,  gu,  t,  p,  k,  en  montre  aussi  par  la  façon  même  dont  ils  se 
forment.  Ces  sons  additionnels  inharmoniques  sont  en  général  assez  pénétrants,  et  facili- 
tent l'audition. 

Harmoniques  de  la  voix.  Expériences  de  Kœnig.  Reproduction  de  la  voix. 
—  L'audition  de  la  voix  humaine  est  trop  importante  pour  que  nous  n'en  disions  pas 
quelques  mots,  sans  crainte  de  sortir  du  domaine  de  la  biologie. 

Helmholtz  nous  a  présenté  les  tons  simples  comme'dénués  de  force  et  d'éclat;  l'oîfest 
un  son  presque  simple;  et  on  sait  qu'il  est  sourd  et  éteint;  les  sons  nasaux  sont  aussi 
sans  éclat,  et  ce  sont  les  premiers  qui  disparaissent  parl'éloignement. 

Les  sons  à  harmoniques  brillent  au  contraire  par  leur  netteté  et  leur  pénétration  ;  or 
à  ce  point  de  vue  la  voix  humaine  est  véritablement  privilégiée. 

On  sait  que  les  cordes  vocales  résonnent  à  la  façon  de  l'anche  membraneuse;  et  que 
dans  l'anche  le  son  est  formé  par  l'ébranlement  périodique  de  la  colonne  d'air.  En 
réalité  c'est  l'air  qui  vibre  plus  que  l'anche  (Helmholtz,  p.  133). 

La  colonne  d'air  vibrante  traverse,  au  sortir  du  lai'ynx,  les  cavités  pharyngées,  nasales 
et  buccales,  qui  jouent  le  rôle  d'appareil  de  résonnance,  appareil  mobile  dans  sa  forme, 
dans  son  calibre,  et  dans  la  tension  de  ses  parois. 


8S8  AUDITION. 

Or  ces  cavités  résonnantes  renforcent  bien  plus  les  harnioniques  que  le  son  fonda- 
mental, et  surtout  certains  d'entre  eux. 

La  «  vo3'elle  »  est  ce  son  harmonique  produit,  renforcé,  à  l'exclusion  presque  du 
son  fondamental;  et  suivant  la  capacité,  la  forme  des  cavités  et  de  leurs  parois,  c'est 
tantôt  un  des  harmoniques  qui  est  prédominant,  tantôt  l'autre  ;  ainsi  se  différencient 
les  voyelles. 

La  résonnance  de  la  bouche  joue  le  plus  grand  rôle  dans  ces  modifications,  pour 
l'émission  et  la  production  des  sons  voyelles.  Nos  connaissances  sur  ce  sujet  résultent  de 
travaux  d'HELiiHOLTz,  de  Willis,  de  Seiler,  de  Kœnig  surtout;  nous  leur  emprunterons 
quelques  notions  qui  intéressent  l'étude  de  l'audition. 

La  parole  articulée.  ■ —  La  parole  articulée  est  une  collection  de  phénomènes 
sonores  devenus  des  signes  qui  permettent  de  transmettre  notre  pensée  à  travers  l'es.- 
pace  à  l'oreille  de  nos  semblables.  Ces  bruits  associés,  ces  signes  conventionnels 
s'adressent  donc  aux  centres  nerveux;  ils  entrent  dans  le  domaine  psychique  et  leur 
production  compliquée  met  en  œuvres  plusieurs  facultés,  l'attention,  la  mémoire  et  les 
centres  moteurs;  l'éducation  les  apprend;  et  dans  l'esprit  de  chacun  le  son  et  l'idée  ne 
font  qu'un.  La  perte  de  l'audition  de  la  parole  est  le  plus  grand  tourment  du  sourd; 
étudions  rapidement  la  formation  de  la  voyelle,  de  la  consonne,  des  syllabes,  des  mots 
et  des  phrases. 

Les  sons  consonnes,  non  musicaux,  sont  ces  petits  bruits  associés  au  son  laryngien 
par  les  obstacles  que  l'onde  rencontre  en  traversant  les  cavités  bucco-pharyngées.  La 
consonne  est  aphone;  elle  s'entend  aussi  bien  dans  la  voix  chuchotée  que  dans  la  voix 
forte;  la  sonorité  laryngée  n'est  pas  nécessaire  à  sa  production. 

DoNDERS  a  bien  étudié  ce  sujet;  ces  petits  bruits  additionnés  au  son  laryngé  sont 
faibles;  et  leur  émission  accompagne  celle  des  voyelles;  elle  dépend  de  la  façon  dont 
celles-ci  sont  émises;  on  les  rencontre  plus  accusés  dans  le  P,  T,  C,  Gu,  et  dans  quelques 
voyelles  i,  u,  ou. 

Par  l'affaiblissement  de  l'ouïe,  ce  sont  ces  bruits,  ces  sons  consonnes,  faibles,  qui  dis- 
paraissent les  premiers;  l'articulation  des  sons  n'est  plus  indiquée  alors;  et  le  sujet  ne 
perçoit  plus  qu'une  suite  de  sons  voyelles  plus  ou  moins  éclatants.  Le  mot  a  perdu  sa 
physionomie;  il  est  méconnaissable;  l'audition  du  langage  articulé  est  devenue  impos- 
sible. Instinctivement  le  sourd  tâche  de  saisir  sur  les  lèvres  de  celui  qui  parle  le  travail 
d'articulation  qui  produit  à  la  fois  la  voyelle  et  la  consonne;  les  yeux  cherchent  à 
suppléer  l'oreille  défaillante. 

Les  voyelles,  par  contre,  sont  la  voix  même,  ce  sont  des  bruits  musicaux;  c'est  le  son 
laryngé  modifié  par, certaines  dispositions  des  cavités  que  l'air  expiré  traverse. 

Nous  avons  dit  que  la  voix  est  riche  en  harmoniques  sonores;  il  résulte  des  travaux 
d'HELMHOLTz,  de  Kœni&  surtout,  que  le  son  fondamental  est  fourni  par  le  larynx  et  que  les 
cavités  buccales,  pharyngées  et  nasales  fournissent  les  harmoniques. 

A  certaines  notes  correspondent  les  sons  harmoniques  de  la  voix,  que  Jamtn  a  nom- 
més «  les  vocables»,  parce  que  ces  sons  renforcés  dans  l'appareil  bucco-pharyngé  ren- 
dent le  son  de  la  voyelle. 

Helmholtz,  Kœnig,  nous  l'avons  dit,  par  des  dispositifs  plus  ou  moins  compliqués  ont 
pu  obtenir  les  sons  voyelles.  En  faisant  résonner  en  face  de  la  bouche,  par  exemple,  un 
diapason  choisi,  accordé,  tandis  que  la  cavité  est  disposée  comme  pour  prononcer  ou,  la 
voyelle  ou  retentit. 

L'analyse  a  été  à  ce  point  de  vue  poussée  aussi  loin  que  possible;  et  Kœnig  donne  la 
liste  suivante  des  vocables  au  moyen  desquels  on  peut  produire  à  volonté  sur  le  vivant, 
ou  au  moyen  d'appareils,  la  voyelle  demandée  : 

h'ôu  répond  au  si  i,2. 470  vibrations. 

0        —  si  [,3 940  — 

a        —  si  l,, 1 880  _        — 

e        —  si  1,5 3760  — 

i        —  si  [,» 7520  — 

On  voit  qu'il  existe  un  intervalle  d'une  octave  entre  les  vocables  des  diverses  voyelles. 


AUDITION.  839 

En  résumé,  dans  la  parole,  les  voyelles  sont  les  parties  éclatantes  et  [évidentes  du 
bruit  perçu;  tandis  que  les  consonnes  sont  de  faibles  et  légers  bruits  qui  résultent  de  l'ar- 
ticulation, c'est-à-dire  du  travail  d'appropriation  des  cavités  bucco-pharyngées  pour 
l'émission  de  la  voyelle. 

Dans  la  voix  chuchotée,  la  voyelle  ,  son  laryngé,  disparaît;  les  petits  bruits  de  l'arti- 
culation persistent  seuls. 

Les  cavités  nasales,  buccales,  pharyngées  jouent  le  rôle  de  résonnateurs;  avec  un 
résonnateur  et  un  son  accordés,  Helmholtz  a  reproduit  la  voyelle  voulue. 

Dans  l'émission  de  la  parole,  le  courant  sonore  ne  passe  pas  toujours  uniquement 
par  le  canal  bucco-pbarynge':  les  voies  nasales  s'ouvrent  par  l'abaissement  du  voile, 
pour  la  formation  de  certains  sous  vocaux,  qui  empruntent  là  un  timbre  spécial,  par 
l'addition  d'harmoniques  particuliers,  le  timbre  nasal.  Celui-ci  caracte'rise  à  nouveau  la 
série  des  voyelles. 

Le  résonnateur  nasal  accroît  donc  et  double  le  nombre  des  sons  vocaux,  par  une 
modification  spéciale  du  timbre,  très  distincte. 

Ce  timbre  est  plein,  mais  sourd  ;  et  l'intensité  aussi  varie  suivant  les  races  et  les 
individus. 

Les  affections  nasales,  comme  celles  des  cavités  buccales  et  du  pharynx,  altèrent  pro- 
fondément les  sons  émis, et  peuvent  même  s'opposer  à  leur  formation;  les  lésions  du 
voile  sont  à  ce  point  de  vue  très  nuisibles;  celles  du  cavum  rétro-nasal  ne  le  sont  pas 
moins  ("baba  pour  maman);  tantôt  le  timbre  nasal  s'ajoute  aux  voyelles  qui  ne  le  doi- 
vent pas  posséder;  et  tantôt  celles  qui  [le  possèdent  d'ordinaire  perdent  ce  caractère 
si  particulier. 

On  voit  que,  grâce  à  cette  double  voie  prise  par  le  courant  sonore  laryngé,  les  sons 
voyelles  offrent  une  plus  grande  variété  et  un  nombre  plus  élevé. 

Helmholtz  a  le  premier  signalé  la  sensibilité  remarquable  de  l'oreille  pour  certains 
sons,  ceux  de  l'indice  5,  c'est-à-dire  pour  ceux  qui  se  rapprochent  le  plus  des  harmo- 
niques de  la  parole  (si  bs,  pour  lui  ;  et  si  U  pour  Kœnig). 

Le  premier  îl  a  également  noté  une  diff'érence  entre  la  facilité  de  perception  des  sons 
graves  et  des  aigus  :  il  a  montré  qu'un  trille  de  dix  notes  par  seconde  donne  une  sen- 
sation confuse  dans  les  notes  graves,  et  très  distincte  au  contraire  dans  les  aiguës  :  il  en 
a  conclu  que  l'étouffement  des  notes  graves,  grâce  à  l'organisation  de  l'organe  auditif, 
est  incomplet,  et  plus  difficile  que  pour  les  sons  élevés  ;  la  cause  en  est  inconnue.  La  sen- 
sibilité évidemment  plus  étendue  de  l'oreille  pour  les  sons  élevés  ne  plaide  pas  en  faveur 
de  l'opinion  que  les  sons  graves  causent  une  impression  plus  vive,  et  plus  durable. 

De  cette  étude  des  sons,  des  harmoniques  et  du  timbre,  on  conclut  que  l'organe 
sensitif  de  l'oreille  doit  contenir  autant  de  filets  sensitifs  qu'il  existe  de  sons  élémen- 
taires, de  vibrations  simples,  pendulaires,  pour  assurer  cette  perception  indiscutable. 

Dès  lors  l'explication  de  la  formation  du  timbre  est  claire;  le  timbre  naît  de  la  mul- 
tiplicité des  fibres  nerveuses  spécifiques  auditives  qui  ont  été  frappées  par  les  ondes 
sonores;  et  oelles-ci  contiennent,  en  puissance,  la  somme  de  toutes  les  vibrations 
simples  émises  par  le  corps  sonore  :  c'est  la  conclusion  des  travaux  de  Helmholtz. 

«  L'énergie  spécifique  du  nerf  auditif  se  compose  des  énergies  de  chacune  des  fibres 
nerveuses  qui  le  constituent.  La  diversité  de  nos  sensations  acoustiques  naît  de  la  diver- 
sité et  de  la  différence  des  éléments  nerveux  excités.  » 

IS'ous  devions  commencer  l'étude  de  la  fonction  de  l'ouïe  par  cet  exposé  succinct  des 
travaux  et  conquêtes  de  Helmholtz  qui  éclairent  toute  la  physiologie  du  sens  de  l'ouïe. 

On  a  vu  combien  l'acoustique  physiologique  se  confond  avec  l'acoustique  physique; 
cela  deviendra  de  plus  en  plus  évident  à  mesure  que  nous  pénétrerons  plus  loin  dans 
cette  étude  de  l'oreille  et  de  sa  fonction. 

Nous  allons  suivre  la  vibration  sonore  à  travers  l'appareil  auditif,  et  nous  montrerons 
le  rôle  de  chaque  partie,  au  point  de  vue  de  la  récolte,  de  la  transmission  et  de  la  per- 
ception des  ondes. 

Nous  conduirons  alors  l'impression  au  delà  de  l'oreille  ;  nous  étudierons  son  action 
sur  les  divers  foyers  nerveux,  soit  qu'elle  cause  la  sensation  auditive,  soit  qu'elle  excite 


860 


AUDITION. 


le  foyer  de  la  parole,  soit  qu'elle  provoque  les  mouvements  de  protection  ou  d'accom- 
modation locaux  ou  généraux  nécessaires. 

L'oreillCr  —  La  sensation  sonore  est  exclusivement  apportée  à  la  conscience  par 
le  nerf  acoustique. 

Ce  nerf  possède  donc  une  sensibilité  propre,  que  les  vibrations  du  dehors  mettent 
en  éveil;  mais  dans  l'organe  auditif  la  partie  sensible  n'est  pas  en  contact  immédiat  avec 
le  milieu  extérieur;  au-devant  d'elle  plusieurs  parties  de  l'oreille  se  présentent  tout  d'abord 
pour  recevoir  le  choc  de  l'onde  apportée  par  l'air.  Le  nerf  auditif  ne  ressent  que  les  mou- 
vements vibratoires  que  lui  communique  l'appareil  de  transmission,  constitué  par  l'oreille 
interne  et  par  l'oreille  moyenne  ou  caisse  du  tympan.  En  définitive  tout  mouvement 


FiG.  76.  —  Coupe  transversale  de  l'appareil  auditif. 

1,  Pavillon  et  conduit  auditif  externe.  —  2,  membrane  du  tj'mpan  coupée  pour  laisser  voir  la  caisse.  — 
3,  fenêtre  ovale.  —  4,  canaux  semi-circulaires.  —  5,  limaçon  et  fenêtre  ronde  (fossette).  —  G.  trompe 
d'Eustachs.  —  7,  artère  carotide  interne  dans  le  canal  carotidien  (paroi  interne  de  la  trompe  osseu.se).  — 
8,  veine  jugulaire  interne  (paroi  inférieure  de  la  caisse).  —  0,  nerf  pneumogastrique.  —  10,  nerf  facial, 
sortant  du  canal  de  Falt.ope.  —  11,  apophyse  styloïde  du  temporal.  —  12,  cellules  mastoïdiennes.  (D'après 
Debière.  Traité  d'anatomie.) 

ondulatoire  est  d'abord  ressenti  par  l'appareil  transmetteur;  et  le  nerf  ne  perçoit  que 
par  l'oreille. 

Avant  de  devenir  une  sensation  sonore,  les  vibrations  doivent  ébranler  les  divers 
segments  de  celle-ci  et  se  propager  en  dernier  lieu  au  liquide  labyrinthique  qui  baigne 
les  divisions  ultimes  de  l'acoustique. 

L'organe  possède  donc  un  appareil  périphérique  de  transmission  et  une  partie  inté- 
rieure sensible  :  l'un  mène  à  l'autre. 

Tout  obstacle  capable  d'arrêter  le  courant  ondulatoire  sur  un  point  de  ce  trajet 
intra-auriculaire  nuit  à  l'audition,  puisque  le  nerf  est  situé  en  dedans  des  parties 
chargées  de  lui  conduire  les  vibrations. 

Toute  altération  des  membranes  et  milieux  traversés  trouble  la  fonction,  puisqu'elle 
empêche  le  contact  de  l'onde  et  du  filet  nerveux  spécial,  ou  en  diminue  le  choc;  mais, 
si  le  nerf  sensible  est  paralysé  par  la  maladie,  la  fonction  est  supprimée  absolument  : 
le  mouvement  ondulatoire  n'est  pas  senti.  Deux  énergies  sont  en  présence  ;  celle  du  moi, 
et  celle  du  courant  sonore. 


AUDITION.  861 

En  résumé,  l'oreille  humaine  reçoit  les  vibrations  ae'riennes  par  l'oreille  externe; 
celle-ci  les  communique  à  la  caisse  du  tympan,  ou  oreille  moyenne;  par  là,  l'oreille 
interne  ou  labyrinthiciue  les  e'prouve  à  son  tour,  et  l'ébranlement  va  enfin  frapper  le 
nerf  doué  de  la  sensibilité  acoustique. 

I.  Pavillon  de  l'oreille.  —  L'oreille  externe  se  compose  du  pavillon  et  du  conduit 
auditif  externe  ;  c'est  la  portion  la  plus  extérieure  de  l'appareil  de  transmission. 

Le  pavillon  est  la  partie  évasée  du  cornet  acoustique  que  forme  l'oreille  externe 
des  mammifères.  Très  développé  et  très  mobile  chez  la  plupart,  il  manque  chez  les 
cétacés,  la  taupe;  car  c'est  un  appendice  aérien.  Il  est  chez  l'homme  très  réduit, 
aplati  et  fixé  sur  l'apophyse,  mastoïde.  Son  bord  externe  se  détache  cependant  sur  la 
surface  crânienne,  et  fait  une  saillie  plus  ou  moins  accentuée  sur  les  côtés  de  la  tête. 
Chez  l'homme,  la  rotation  si  facile  delà  tête  remplace  l'action  du  cornet,  si  mobile,  des 
animaux. 

A  ce  point  de  vue,  ne  nous  y  trompons  pas,  c'est  une  qualité  pour  l'oreille  humaine 
que  cette  absence  de  cornet  saillant  et  long.  En  effet  la  recherche  d'un  corps  sonore  est 
absolument  gênée  par  un  long  tuyau  ajouté  au  conduit  de  l'oreille;  cela  exigerait  une 
rotation  et  des  déplacements  angulaires  énormes. 

L'expérience  est  simple  :  adaptez  un  tube  de  10  à  20  centimètres  à  une  oreille, 
l'autre  oreille  étant  close;  vous  constaterez  aussitôt  le  temps  et  les  mouvements  perdus 
à  rechercher  le  bruit  de  la  montre  qui  est  placée  sous  vos  yeux,  sur  la  table.  Un  sem- 
blable dispositif  empêche  absolument  de  suivre  un  bruit  qui  se  déplace  dans  l'es- 
pace. 

Avec  un  pavillon  court  et  la  rotation  facile,  la  tête  explore  vite  tous  les  points  de 
l'horizon.  Au  reste,  bien  qu'à  demi  collé  sur  la  région  latérale  de  la  tête,  le  pavillon 
de  l'homme  ne  lui  est  pas  inutile,  quoi  qu'en  aient  dit  Itard,  Richeraxd,  Leschevin, 
Wepfer  et  d'autres. 

La  perte  du  pavillon  laisse  l'ouïe  intacte,  il  est  vrai;  mais  elle  nuit  à  l'orientation. 

Avec  Valsalva,  Duvernoy,  Bartholin,  Haller,  Cooper,  Boerhave,  Savart,  Lon'get, 
BucHAXAx,  W'eber,  Duchenne,  de  Boulogne,  Kuss,  M.  Duval,  etc.,  d'accord  avec  Jolyet 
et  Beaunis,  je  lui  accorde  un  rôle  sérieux  dans  l'orientation  au  bruit. 

Si  l'on  supprime  par  un  artifice  expérimental  l'action  des  pavillons  auriculaires, 
l'orientation  est  entravée;  il  y  a  de  plus  une  perte  très  appréciable  éprouvée  par  l'audi- 
tion, puisque  les  oreilles,  comme  les  autres  sens  élevés,  explorent  surtout  la  zone  de 
l'espace  qui  nous  fait  face.  Nous  faisons  en  effet  face  à  tout  ce  qui  frappe  nos  sens,  et 
nous  jugeons  sur  des  sensations  bilatérales  comparées  de  la  situation  des  corps  par 
rapport  à  nous. 

Expériejice  de  Weber  :  Placez  une  montre  sur  la  table,  en  face  de  vous;  écrasez  les 
deux  pavillons  sur  la  tête;  ell'acez  leur  saillie;  aussitôt  le  son  n'arrive  plus  aux  oreilles; 
laissez  les  organes  libres  se  redresser,  et  la  sensation  du  tic  tac  reparaît. 

Expérience  de  G  elle  :  Adaptez  un  tube  de  caoutchouc  de  20  centimètres  à  l'un  des 
méats  auditifs,  la  montre  placée  sur  la  table  devant  vous;  vous  ne  la  percevez  plus 
si  l'autre  oreille  est  obturée.  C'est  en  vain  que  vous  promenez  le  tube  en  tous  sens,  si 
les  yeux  sont  fermés  et  la  situation  du  corps  sonore  ignorée,  vous  n'arrivez  pas  à  le 
découvrir,  à  vous  orienter.  .Mais  adaptez  au  bout  libre  du  tube  une  carte  faisant  écran, 
et  assez  vite  la  montre  sera  perçue  et  sa  direction  trouvée. 

Le  rôle  du  pavillon  est  celui  de  cette  carte,  c'est  un  écran  placé  en  arrière  du  trou  de 
l'oreille,  qui  refoule  vers  celui-ci  les  ondes  sonores  qui  frappent  sa  face  antérieure  et 
ainsi  facilite  leur  audition.  Placez  autour  du  pavillon  la  paume  do  votre  main  roulée 
en  cornet,  l'écran  en  est  élargi,  la  somme  des  ondes  rétléchies  est  accrue,  et  l'audition 
devient  meilleure,  mais  se  limite  aux  sons  venus  de  face. 

De  tout  temps  les  sourds  ont  eu  recours  a  ce  moyen  d'amplifier  la  sensation  en 
augmentant  la  récolte  des  vibrations  sonores. 

Boerhave  n'a  pas  dédaigné  de  calculer  l'action  des  courbures  et  des  concavités  du 
pavillon  à  ce  point  de  vue  :  et  il  a  constaté  qu'elles  dirigent  toutes  vers  l'orifice  de 
l'oreille  les  ondes  réfléchies;  Savart  a  montré  les  conditions  de  cette  réflexion. 

De  même  Boucheron,  ayant  fait  du  pavillon  une  surface  réfléchissante,  a  re- 
marqué que  les  rayons  lumineux  incidents   sont  tous  ramenés  vers  le  conduit  auditif. 


862  AUDITION. 

N'a-t-on  pas  ainsi  une  explication  très  suffisante  de  l'abaissement  de  l'ouïe  constaté 
par  Schneider,  quand  il  comble  avec  de  la  cire  les  creux  et  les  sillons  du  pavillon? 

Faut-il  croire  que  c'est  la  suppression  de  la  sensation  tactile  ainsi  produite  qui  donne 
seule  ce  résultat"?  Les  vibrations  transmises  au  pavillon  se  propagent  aussitôt  à  l'air  du 
conduit  :  bouchez  celui-ci,  le  son  s'affaiblit. 

L'expérience  de  Harley  qui  laisse  le  méat  ouvert,  le  reste  étant  plein  de  cire,  prouve 
que  l'audition  est  conservée,  mais  ne  peut  servir  à  nier  l'influence  du  pavillon,  ni 
comme  écran  réflecteur,  ni  comme  organe  vibrant. 

Weber,  Savart,  Longet,  Voltolini  admettent  qu'il  conduit  les  ondes  sonores  en 
vibrant  lui-même.  Pour  ma  part  j'ai  parfaitement  perçu  les  bruits  causés  par  les 
spasmes  des  muscles  auriculaires,  quand  j'étudiais  par  la  méthode  grapbique  les  mou- 
vements du  tympan  :  ces  bruits  musculaires  sont  très  bien  transmis  et  renforcés  par 
l'air  inclus  dans  le  conduit  clos.  Les  tracés  caractéristiques  obtenus  au  moment  même 
ne  laissent  aucun  doute  à  cet  égard.  D'autre  part,  si  l'on  pose  le  diapason  sur  le  pavillon, 
tandis  que  le  tube  interauriculaire  est  ajusté  aux  deux  méats,  on  obtient  un  son  très  fort 
que  le  tube  renforce  encore. 

De  même  en  obturant  simplement  le  méat  avec  le  doigt,  toujours  le  son  passe; 
même  si  l'on  éloigne  quelque  peu  le  diapason  du  bord  de  l'organe,  le  son  passe  encore, 
quelque  précaution  que  l'on  prenne  de  bou:her  solidement  le  méat. 

Au  point  de  vue  du  rôle  de  la  sensibilité  cutanée  du  pavillon,  on  ne  peut  nier  que 
nous  ne  sentions  les  vibrations  du  pavillon  produites  par  le  vent,  par  exemple,  qui 
siffle  aux  oreilles,  comme  on  dit;  Weber  et  Savart  ont  admis  cette  influence,  et  son 
rôle  dans  l'orientation.  Peut  être  a-t-on  tort,  dans  cet  ordre  d'idées,  de  ne  pas  tenir 
compte  des  sensations  musculaires  données  par  les  petits  muscles  auriculaires,  chargés, 
comme  le  veulent  Dughenne,  de  Boulogne,  Yung,  Zeimse.n,  de  dresser  le  pavillon,  de  le 
raidir;  à  la  sensation  tactile  se  joindrait  donc  une  sensation  musculaire.  A.  Cooper 
avait  déjà  constaté  combien  certains  sourds  arrivent,  par  l'effort  d'attention,  à  ampli- 
fier très  visiblement  les  mouvements  d'écartement,  de  redressement,  d'élévation  de 
l'oreille.  Faut-il  ajouter  que,  du  moment  où  l'on  remplit  le  conduit  auditif  de  cire,  toutes 
ces  transmissions  cessent  (Bernstein),  bien  que  le  pavillon  reste  libre? 

D'autre  part,  Leschevin  voit  un  rapport  entre  la  finesse  de  l'ouïe  et  la  profondeur  de 
la  conque  :  je  crois  qu'il  serait  difficile  de  prouver  le  contraire;  la  profondeur  de  la 
conque  est  certainement  une  excellente  condition  pour  l'audition  ;  l'oreille  musicale 
offre  le  plus  souvent  une  conque  bien  proportionnée  et  un  pavillon  mince  et  translucide. 

Buchaxan'  signale  l'influence  de  l'angle  d'attache  du  pavillon  sur  le  crâne;  il  est 
clair  que,  comme  écran,  le  rôle  du  pavillon  ne  peut  que  gagner  s'il  fait  une  forte  saillie 
à  la  surface  de  la  tête;  au  point  de  vue  esthétique,  c'est  bien  différent. 

Malgré  les  critiques  de  Savart,  de  Kupper  et  Wach,  il  y  a  donc  une  part  de  vérité 
dans  toutes  ces  opinions;  mais  le  rôle  le  plus  utile  et  le  plus  important  de  cet  organe, 
c'est  celui  d'écran  réflecteur  des  ondes  sonores. 

Rien  de  plus  net  comme  démonstration  à  cet  égard  que  l'expérience  de  Weber,  pla- 
çant la  main  en  conque  en  avant  du  conduit  et  constatant  qu'il  en  résulte  une  erreur 
d'orientation.  (L'auteur  avait  bien  ici  un  autre  but,  celui  de  démontrer  l'influence  de  la 
sensibilité  du  pavillon  dans  l'orientation.)  C'est  le  rôle  admis  par  Kûss  et  M.  Duval  et 
par  Beauxis  également;  c'est  par  là  que  le  pavillon  sert  à  l'orientation. 

Les  sensations  latérales  différentes  indiquent  l'orientation  droite  ou  gauche;  mais 
au  moyen  du  pavillon  on  va  plus  loin,  on  peut  distinguer  la  direction  d'un  son  qui  vient 
devant  ou  derrière  nous;  voici  comment  : 

Placé  en  arrière  de  l'orifice  du  conduit  ,1e  pavillon  auriculaire  réfléchit  et  dirige  vers 
celui-ci  les  ondes  sonores  qui  viennent  frapper  sa  face  antérieure  ;  l'audition  des  ondes 
venant  dans  ce  sens  est  donc  aidée  par  suite.  A  l'inverse,  les  ondes  postérieures  se  trou- 
vent arrêtées  par  l'écran,  et  ne  pénètrent  pas. 

Il  existe  donc  en  arrière  des  deux  pavillons  une  zone  de  l'espace  dont  les  vibrations 
arrivent  plus  difficilement  dans  l'oreille. 

L'écran  auriculaire  divise  ainsi  la  masse  des  ondes  sonores  latérales  en  deux  parts; 
les  antérieures  restent  plus  nombreuses  et  plus  intenses;  les  postérieures  sont  écartées, 
éteintes  même  jusqu'à  un  certain  point;  il  y  a  là  une  différenciation  que  l'orientation  utilise. 


AUDITION.  863 

Dans  le  cas  de  surdité  les  différences  deviennent  très  sensibles;  et,  au  lieu  du  simple 
affaiblissement  de  l'audition  des  sons  qui  viennent  par  derrière  la  tête,  c'est  le  silence 
complet  qui  existe;  c'est-à-dire  que  la  perte  de  l'audition  est  très  accentuée  pour  tous 
les  bruits  qui  viennent  de  derrière  ;  et  c'est  par  là  qu'elle  se  trahit  tout  d'abord. 

Il  sufflt  de  promener  une  montre  horizontalement  autour  de  l'oreille;  en  avant,  puis 
sur  le  côté, et  enfin  derrière  la  tète,  pour  constater  que,  si  l'on  éloigne  la  montre,  c'est  en 
arrière  du  pavillon  qu'elle  cesse  en  premier  lieu  d'être  perçue.  Sur  la  ligne  qui  prolonge 
le  conduit  de  l'oreille  en  dehors,  perpendiculairement  à  la  surface  de  la  tête  (axe  auditif), 
l'audition  reste  le  plus  longtemps  possible;  la  portée  de  l'ouïe  offre  là  son  maximum;  le 
minimum  est  en  arrière  de  la  tête. 

Dans  le  sens  de  cette  ligue  axile  les  ondes  pénètrent  directement  dans  le  conduit 
sans  subir  de  réflexion;  elles  conservent  toute  leur  force  vive;  de  là  une  impression  supé- 
rieure, qui  dirige  l'orientation  :  celle-ci  se  guide  en  effet  sur  le  maximum.  Quand  l'oreille 
éprouve  le  maximum  de  sensation,  nous  savons  que  le  corps  sonore  se  trouve  situé  dans 
l'espace  sur  la  direction  de  la  ligne  axile  qui  prolonge  idéalement  le  conduit  auditif. 

Une  expérience  que  je  fais  dans  mes  cours  rend  le  rôle  du  pavillon  évident  dans 
l'orientation  (Gellé.  Etude  de  l'audition  au  moyen,  du  tube  interauricidaire). 

Expérience  de  Gellé  :  Un  tube  de  caoutchouc  de  '60  centimètres,  armé  d'embouts,  est 
adapté  hermétiquement  aux  deux  oreilles  par  ses  extrémités  (remarquons  que  dans  cette 
situation  le  rôle  des  pavillons  est  annulé)  ;  puis  une  montre  est  posée  sur  le  milieu  de  l'anse 
de  ce  tube,  sous  les  yeux  du  sujet.  La  sensation  sonore  est  médiane  et  une,  puisqu'elle 
est  égale  pour  les  deux  oreilles,  la  distance  étant  la  même.  Ceci  constaté,  faites  fermer 
les  yeux  du  patient;  puis,  passez  doucement,  à  son  insu,  l'anse  de  caoutchouc  d'abord 
au-dessus  de  la  tête,  puis  derrière  elle;  voici  la  montre  et  l'anse  vers  l'occiput.  La  sen- 
sation n'a  pas  changé  ;  les  rapports  entre  les  oreilles  et  le  corps  sonore  sont  restés 
identiques. 

Demandez  alors  au  sujet,  qui  a  toujours  les  yeux  fermés,  où  se  trouve  la  montre 
qu'il  entend  toujours;  et  invariablement,  il  répondra  que  la  montre  bat  devant  lui,  sous 
ses  yeux,  là  où  il  l'a  vue  au  début  de  l'expérience. 

Gomment  saurait-il  qu'on  l'a  déplacée,  puisque  ses  deux  oreilles  ont  toujours  perçu 
le  même  bruit,  que  rien  n'a  été  changé  dans  l'audition  par  le  transport  du  tube,  et  qu'il 
n'a  fait  lui-même  aucun  mouvement".'  seulement  le  rôle  des  pavillons  est  supprimé,  car 
supposez  le  tube  ôté,  le  son  de  la  montre  arrivée  derrière  la  tête  perd  de  son  intensité; 
et  cela  suffit  à  appeler  l'attention  sur  le  déplacement  du  corps  sonore. 

Autre  expérience  :  La  montre  bat  devant  le  sujet;  on  lui  fait  fermer  les  yeux;  on  lui 
appuie  les  deux  pavillons  sur  le  crâne  de  façon  a  ks  effacer;  il  peut  croire  aussitôt  qu'on 
a  enlevé  la  montre;  il  ne  l'entend  plus. 

La  peau  du  pavillon  est  sèche  ;  on  doit  signaler  l'existence  de  glandes  sébacées  et 
sudoripares  dans  la  conque  (Coyne  et  Sapi'Ey). 

La  circulation  sanguine  et  lymphatique  du  pavillon  est  extrêmement  active;  les 
troubles  de  la  respiration  et  les  affections  cardiaques  lui  donnent  parfois  une  colo- 
ration violacée,  noirâtre. 

Gratiolet  a  été  frappé  de  la  saillie  en  pointe  de  l'hélix  qui  lui  rappelle  l'oreille  du 
faune.  Darwin  y  voit  un  vestige  de  l'oreille  pointue  des  animaux.  G.  Schwalbe  a  bien 
étudié  ces  analogies  {Arch.  fur  Anat.  und  Phys..,  1889). 

La  forme  du  pavillon  a  été  étudiée  au  point  de  vue  esthétique  (Jeux)  et  plus  pratique- 
ment comme  moyen  d'identification  anthropométrique  par  Bertillon.  Lombroso,  Grade- 
NiGO,  récemment,  ont  cherché  à  classer  les  formes  et  les  déformations  typiques  de  cet 
organe  au  point  de  vue  de  l'anthropologie  criminelle.  Lan.nois,  Féré,  Séglas  ont 
démontré  que  les  déformations  ne  sont  pas  plus  fréquentes  chez  les  aliénés  et  les  crimi- 
nels que  chez  les  gens  sains  d'esprit  et  sans  casier  judiciaire  (Lannois.  Archives  de  l'an- 
ikrojiologie  criminelle  et  des  sciences  pénales.  Lyon.  —  Féré,  Séglas.  Revue  d'Anthropo- 
logie, p.  226, 1886.  —  Gradenigo.  Annales  d'otologie  et  laryngologie,  1892). 

L'émotion  colore  le  pavillon  comme  la  face;  sa  transluciditè  permet  d'observer  les 
variations  de  la  circulation. 

Claude  Bernard,  Schut  ont  montré  que  la  section  du  sympathique  cervical  et  l'arra- 
chement du  ganglion  cervical  supérieur  produisent  l'hypèrémie,  avec  élévation  de  tem- 


su  AUDITION. 

pérature  du  pavillon  et  des  altérations  de  nutrition  constatées  par  Brow.n-Séquard  et  par 
Gellé.  Au  cours  des  recherches  de  M.  Duval  et  Laborde  (1877-78)  sur  l'origine  de  la 
branche  sensitive  du  trijumeau,  Gellé  a  observé  des  lésions  identiques  ivascularisation, 
hémorrhasies,  etc.)  des  cavités  cliques  après  les  blessures  de  cette  racine. 

Le  pavillon  est  un  apprendice  foliacé  dont  la  fonction  est  aérienne;  il  fait  saillie  dans 
l'air  ambiant  pour  récolter  les  vibrations  ;  on  ne  l'observe  plus  chez  les  mammifères  qui 
vivent  dans  un  milieu  autre  que  l'air,  tels  que  les  cétacés.  Il  est  nul  chez  les  oiseaux 
cependant;  mais  ils  jouissent  d'une  telle  mobilité  de  la  tête  qu'il  est  devenu  inutile. 

Il  est  extrêmement  développé  chez  les  chéiroptères,  chez  les  oreillards  surtout;  chez 
la  chauve-souris,  le  tragus  forme  une  sorte  de  valvule  à  l'entrée  du  conduit.  Il  n'existe 
pas  chez  la  taupe,  dont  la  vie  est  souterraine. 

Les  muscles  qui  meuvent  cet  appendice  se  développent  dans  la  série  animale  en 
rapport  avec  l'étendue  des  mouvements  utiles;  et  ils  subissent  certaines  modifications 
liées  à  l'association  des  deux  cornets  acoustiques  chez  certaines  espèces. 

Ces  mouvements  du  cornet  voulus  par  l'animal  lui  donneut  la  notion  de  la  direction  du 
son  dans  l'espace.  Les  muscles  du  pavillon  sont  commandés  par  la  v=  paire;  la  destruction 
de  celle-ci  est  suivie  de  l'abaissement  du  cornet  chez  les  lapins  (Fileh.ne). 

II.  Conduit  auditif  externe.  —  On  nomme  ainsi  la  partie  tubulaire  de  l'entonnoir 
écrasé  formé  par  l'oreille  externe.  C'est  un  tuyau  plein  d'air. 

Les  ondes  aériennes  venues  directement  dans  le  sens  du  cylindre  (li^ne  axile),  celles 
qui  ont  été  rétléchies  par  le  pavillon,  celles  enfin  qui  se  propagent  par  les  os  crâniens 
sont  transmises  aux  parties  situées  plus  profondément  (oreille  moyenne)  par  cet  air 
du  conduit  dont  l'ouverture  extérieure  est  toujours  béante. 

Ce  tuyau,  dont  l'air  est  en  communication  avec  celui  du  dehors  et  de  densité  égale, 
a  une  résonnance  particulière  (Muller)  et  fait  à  son  tour  valoir  et  ressortir  quelques 
harmoniques  dont  la  tonalité  est  élevée  (3  000  vibrations,  Helmholtz). 

Kœnig  indique  le  renforcement  des  sons  de  l'indice  6;  or  on  n'a  pas  oublié  la  sen- 
sibilité remarquable  de  l'oreille  pour  les  sons  de  cet  indice;  il  y  a  là  une  coïncidence 
remarquable,  signalée  par  divers  physiciens  et  par  Helmholtz  surtout. 

Bernsteix  y  voit  l'explication  du  renforcement  de  certains  tons  et  de  la  sensation 
désagréable  qu'ils  causent  (grattage  du  verre,  sons  suraigus  du  violon)  ;  il  a  pu  adoucir 
cet  effet  en  introduisant  de  petits  tuyaux  de  papier  dans  le  conduit  auditif  qui  amènent 
l'abaissement  de  son  ton  propre. 

Si  l'on  oblitère  à  demi  les  trous  ou  orifices  des  conduits  auditifs,  on  obtient  une 
résonnance  remarquable  des  bruits  ambiants  ;  ce  bruit,  analogue  au  bruit  de  coquillage, 
est  heureusement  moins  fort  que  celui  qu'on  fait  naître  en  couvrant  les  deux  oreilles, 
des  mains  arrondies  en  conque,  en  laissant  un  seul  point  libre  :  c'est  la  même  expé- 
rience avec  une  cavité  artificielle  plus  grande. 

De  même,  on  rend  manifeste  la  résonnance  du  conduit  en  lui  ajoutant  un  simple' 
tube  de  caoutchouc  épais,  long  de  quelques  centimètres;  de  même  dans  les  rétrécisse- 
ments du  conduit,  le  renforcement  produit  suffit  à  latéraliser  de  ce  côté  le  son  crânien. 

Nous  avons  vu  Helmholtz  adapter  à  l'oreille  ses  résonnateurs  accordés  pour  ren- 
forcer un  ton  dans  l'analyse  du  timbre  et  modifier  ainsi  cette  résonnance.  Les  lésions 
otiques  ont  le  même  effet. 

D'autre  part,  au  moyen  d'une  poire  à  air,  dirigez  un  fort  courant  d'air  de  bas  eu 
haut  auprès  du  méat,  et  l'oreille  siffle;  le  vent  produit  le  même  effet  :  c'est  le  tube 
auriculaire  qui  résonne  avec  sa  tonalité  propre. 

La  nature  des  parois  n'est  pas  indifférente  à  la  fonction.  La  douceur  des  sons  transmis 
lient  à  la  constitution  même  du  canal  fibro-cartilagineux,  élastique  dans  sa  portion 
externe,  et  osseux  seulement  à  l'intérieur. 

Introduisez,  comme  on  l'ordonne  si  inconsidérément  aux  sourds,  un  tube  de  métal 
dans  le  conduit  ou  bien  le  tuyau  d'un  appareil  acoustique  quelconque;  les  sons  pren- 
nent aussitôt  un  timbre  aigu,  métallique,  cassant,  aigre  et  offensent  l'oreille. 

Les  sourds  à  cornets  acoustiques  en  font  la  dure  expérience;  avec  l'appareil  tabu- 
laire de  caoutchouc  on  remarque  que  les  sons  passent  ronds,  pleins  et  adoucis  au  con- 
traire. 

Les  courbures  du  conduit  de  l'oreille,  tant  qu'elles  ne  causent  pas  une  diminution 


AUDITION.  865 

de  son  calibre,  n'ont  aucune  action  sur  l'audition;   chacun  peut  y  adapter  un  tube  de 
caontchouc  et  donner  à  celui-ci  toutes  les  courbures  sans  modifier  la  sensation  perçue. 

La  direction  générale  des  deux  conduits  et  leur  ouverture  sur  deux  surfaces  opposées 
du  corps  ne  doivent  pas  passer  inaperçues;  chaque  oreille  veille  sur  une  partie  séparée 
de  l'horizon  et  reçoit  le  courant  sonore  de  points  dilférents  :  les  deux  organes  n'ont  pas 
deux  actions  convergentes,  bien  qu'ils  concourent  simultanément  à  l'audition. 

L'expérience  suivante  montre  quel  degré  de  finesse  les  oreilles  possèdent  et  quelle 
faible  différence  entre  deux  sons  suffit  à  les  latéraliser  à  droite  ou  à  gauche. 

Un  tube  interauriculaire,  long  d'un  mètre,  est  bien  adapté  aux  deux  méats,  et  son 
anse  est  passée  derrière  le  sujet;  au  milieu  de  celle-ci  un  trait  est  tracé;  le  diapason 
passe-t-ii  à  droite  ou  à  gauche  de  ce  trait  médian,  le  sujet  annonce  que  le  sou  est 
perçu  par  l'oreille  droite  ou  par  la  gauche  immédiatement,  comme  si  l'on  pinçait 
le  tube  du  côté  opposé. 

Les  deux  organes  entendent  donc  le  diapason;  mais  c'est  le  diapason  le  plus  rap- 
proché (et  combien  peu)]  de  l'oreille  qui  est  le  plus  fortement  entendu  :  ainsi  l'orien- 
tation latérale  a  lieu.  Les  champs,  ou  mieux  les  sphères,  où  leurs  activités  s'exercent 
sont  diamétralement  opposés.  Ils  apporteront  ainsi  au  moi  des  notions  distinctes  dont 
la  comparaison  sert  de  base  à  l'orientation. 

On  notera  aussi  leur  rapport  avec  l'axe  de  rotation  de  la  tête;  la  ligne  transversale  qui 
les  réunit  passe  au-devant  des  surfaces  articulaires  de  l'occipital  et  les  touche.  C'est- 
à-dire  que  Jes  trous  des  oreilles  sont  facilement  et  rapidement  portés  et  tournés  vers 
les  divers  points  de  l'horizon. 

A  ce  propos,  j'ai  montré  que  l'apophyse  mastoïde  forme  l'extrémité  du  bras  de 
levier  sur  lequel  agissent  les  muscles  agents  de  la  rotation  de  la  tète  dans  l'orientation 
au  bruit  (Gkllé,  Études  d'otologie,  t.  II,  1880). 

Nous  avons  dit  que,  indépendamment  des  vibrations  de  l'air  extérieur,  l'air  du 
conduit  est  ébranlé  aussi  par  les  vibrations  des  solides  de  la  tête. 

C'est  ainsi  qu'on  observe,  soit  en  se  bouchant  le  méat,  ou  le  soir,  la  tête  couchée 
latéralement,  les  battements  de  ses  artère^,  les  bruits  nasaux,  pharyngés  et  muscu- 
laires, etc.,  qui  ne  sont  pas  ou  peu  perçus,  l'oreille  étant  ouverte. 

De  même  la  montre  ou  le  diapason  étant  mis  au  contact  de  la  tête  sont  perçus  par 
l'auscultation  au  moyen  d'un  tube  de  caoutchouc  (otoscope)  adapté  à  l'orifice  du 
conduit;  mais  les  vibrations  se  propagent  mal  des  solides  à  l'air  (Mullek,  Schwartz),  c'est 
parle  tympan  que  se  fait  surtout  la  propagation  des  sons  de  la  tête  à  l'air  inclus;  et 
•on  le  démontre  clairement  en  tendant  le  tympan,  par  une  pression  soit  extérieure 
(poire  à  air,  pressions  centripètes  de  Gellé),  soit  intérieure,  par  l'expérience  de  Valsalva 
(souffler  par  le  nez  fermé);  on  constate,  en  effet,  que  le  son  otoscopique  s'abaisse 
aussitôt.  D'autre  part,  si  l'on  obture  doucement  l'oreille  pendant  que  le  diapason 
vibrant  touche  la  tête,  on  constate  un  renforcement  très  net  du  son  perçu  ;  et  si  la 
sensation  était  presque  éteinte,  elle  renaît  aussitôt  par  suite  de  la  résonnance  de  la 
cavité,  et  sans  doute  de  l'arrêt  de  l'écoulement  au  dehors  du  courant  sonore  qui  ébranle 
l'air  de  ce  conduit  (Lucae);  une  pression  plus  vive,  au  contraire,  ali'aiblit  le  son. 

Il  est  bon  de  savoir  que  l'orifice  du  conduit  et  sa  partie  cartilagineuse  s'évasent 
dans  l'abaissement  de  la  mâchoire;  la  paroi  antérieure  suit  le  condyle  de  la  mâchoire 
inférieure  et  se  porte  en  avant.  Dans  certains  cas,  ces  mouvements  causent  de  la  dou- 
leur et  expliquent  certains  bruits  dus,  soit  au  décollement  des  deux  parois  du  méat 
gonflées,  soit  de  la  paroi  antérieure  et  d'un  corps  étranger  quelconque  (bouchon  de 
cire,  liquide,  etc.)  retenu  dans  ce  canal. 

Il  est  intéressant,  au  point  de  vue  de  la  physiologie  de  l'audition,  et  aussi  pour  com- 
prendre la  séméiotique  auriculaire,  d'expliquer  les  causes  du  renforcenient  du  son 
crânien  qui  se  produit  lorsqu'on  oblitère  le  méat  sans  efl'ort;  on  a  beaucoup  discuté  à 
ce  sujet. 

LucAE  attribue  le  phénomène  à  la  pression  légère  transmise  par  l'air  refoulé  au 
labyrinthe;  l'air  est  condensé  ainsi  et  réagit  sur  l'appareil  de  transmission  qui  conduit 
jusqu'au  labyrinthe  celte  pression.  En  ouvrant  celui-ci,  comme  l'a  fait  Tovn'BEE  sur  le 
cadavre,  on  constate  en  elfet  un  mouvement  du  liquide  labyrinthique  à  chaque  poussée 
exercée  sur  le  méat  auditif. 

DICT.    DE   PHYSIOLOGIE.    —   TOME    1.  33 


866  AUDITION. 

D'autre  part,  il  est  certain  que  les  sons  solidiens  ne  se  propagent  à  l'air  du  conduit 
que  par  le  tympan;  une  membrane  est  nécessaire  pour  ce  transport  du  solide  au  gaz 
(lois  de  Muller)  et  nous  savons  que  la  plus  légère  condensation  de  l'air  inelus  agit  en 
tendant  la  membrane  du  tympan;  or  cela  arrêterait  aussitôt  le  courant  sonore  solidien, 
mais  aussi  l'audition;  l'occlusion  n'agit  donc  pas  comme  une  pression;  il  y  a  simple 
fermeture  de  la  voie  extérieure. 

Aussi,  pour  Hi.nton,  est-ce  l'arrêt  de  l'écoulement  sonore  vers  le  debors,  par  l'occlu- 
sion du  méat,  qui  agit  surtout  en  ce  cas  pour  renforcer  le  son  solidien.  À  mon  sens,  on 
peut  admettre  que  les  trois  éléments  signalés  concourent  à  produire  le  renforcement  de 
la  sensation  sonore;  la  pression  douce  exercée  sur  le  labyrinthe,  comme  le  dit  Lucae; 
l'arrêt  du  courant  sonore  à  sa  sortie,  ainsi  que  le  pense  Hinton;  enfin,  la  condensation 
de  l'air  amenant  la  résonnance  de  ces  cavités  closes,  ce  que  l'expérience  démontre 
également;  10  centimètres  de  tube  de  caoutchouc  ajoutés  au  méat  latéralisent  le  son 
crânien  de  ce  côté. 

L'expérience  suivante  prouve  qu'une  très  légère  pression  suffit  à  produire  le  renfor- 
cement; elle  est  disposée  de  façon  à  empêcher  l'erreur  due  à  un  arrêt  de  l'écoulement 
des  vibrations  sonores   à  l'extérieur. 

Expérience  de  Gellé  :  Un  diapason  la  3  a  sa  tige  emmanchée  dans  le  bout  d'un 
tube  de  caoutchouc  de  30  centimètres  et  pend  librement;  l'autre  extrémité  du  tube  est 
adaptée  à  l'oreille  ;  le  tube  est  tenu  entre  les  doigts  par  l'observateur.  Le  diapason  donne 
un  son  ;  on  observe  qu'à  la. plus  légère  pression  de  la  pulpe  du  doigt  correspond  tou- 
jours une  augmentation  du  son;  une  pression  un  peu  accusée  l'éteint  ou  l'atténue  : 
on  voit  qu'il  n'y  a  ici  qu'une  pression  graduée.  —  Autre  ex-périence.  On  adapte  un 
tube  court,  mais  de  paroi^épaisse,  à  l'oreille;  la  montre  sonne  sur  le  côté  droit  du  front; 
dès  qu'on  bouche  le  bout  du  tube,  le  son  est  plus  clair,  mais  on  a  la  sensation  nette  que: 
le  silence  relatif  ainsi  obtenu  est  certainement  cause  d'une  sensation  meilleure,  l'isolement 
est  en  effet,  comme  le  silence,  une  condition  d'augmentation  de  l'acuité  auditive.  —  Autre, 
expérience  de  Gellé.  —  Un  tube  de  caoutchouc  de  60  centimètres  est  adapté  aux  deux 
oreilles;  le  diapason  sonne  à  droite  sur  le  front;  à  ce  moment,  pincez  le  tube  interauri- 
culaire à  gauche  et  près  de  l'oreille  gauche;  et  aussitôt  le  son  que  l'observateur  percevait 
à  droite,  devient  gauche  uniquement;  il  s'est  déplacé. 

Le  pinçage  du  tube  auprès  de  l'oreille  gauche  a  arrêté  l'écoulement  du  son  par  le 
tube  et  produit  un  renforcement,  phénomène  sur  lequel  l'orientation  se  fait  aussitôt. 

Si  l'on  n'adaptait  le  tube  qu'à  une  seule  oreille,  le  résultat  serait  le  même;  mais  il  y 
a  déjà  pour  une  oreille  instruite  une  légère  augmentation  de  sensation  du  côté  où  est 
placé  le  tube  qui,  lui  aussi,  joue  le  rôle  de  résounateur;  avec  le  tube  binauriculaire  on 
évite  cette  cause  d'erreur. 

On  remarquera  dans  cette  dernière  expérience  combien  vite  et  facilement  le  son  passe, 
de  droite  à  gauche,  par  suite  d'un  léger  renforcement;  on  saisit  là  sur  le  fait  la  rapide' 
extinction  du  son  perçu,  et  son  remplacement  par  le  suivant.  Journellement  la  séméiotique 
auriculaire  utilise  ces  données  expérimentales  (otoscopie). 

L'air  contenu  dans  le  conduit  auditif  vibre  à  l'unisson  de  tous  les  sons  que  l'air  exté- 
rieur lui  apporte;  et  Helmholtz  ajoute  que  la  petite  masse  d'air  qui  touche  le  tympan 
contient  et  résume  la  fouie  des  vibrations  de  l'espace  aérien  qui  nous  entoure. 

C'est  ainsi  que  s'explique  leur  transmission  par  influence  aux  parties  profondes. 

La  sensibilité  de  la  peau  du  conduit  est  exquise;  des  vibrisses  implantées  sur  la  face 
postérieure  du  tragus  protègent  l'entrée  du  conduit;  des  glandes  cérumineuses  sécrètent 
une  cire  prolectrice  à  demi  concrète  qui  retient  les  poussières. 

Les  attouchements,  même  légers,  des  téguments  de  ce  conduit  provoquent  chez 
beaucoup  de  personnes  des  accès  de  toux  réflexe,  et,  chez  quelques  individus  prédisposés, 
de  l'aphonie;  c'est  enetïet  un  rameau  du  pneumogastrique  (ou  du  spinal?)  qui  anime  en 
partie  la  peau  du  conduit;  le  nerf  auriculo-temporal  du  trijumeau  lui  donne  la  sen- 
sibilité générale.  ÏSous  savons,  d'autre  part,  que  le  grand  sympathique  exerce  sur  la 
région  une  action  trophique  et  de  calorification.  La  cinquième  paire  également  montre 
là  son  influence  vaso-motrice  (Claude  Bernard). 

Au  point  de  vue  de  l'orientation,  répétons  que  les  conduits  marquent  une  direction 


AUDITION.  867 

lalérale  précise  au  courant  sonore  qui  les  traverse;  de  plus,  j'ai  dit  que  la  force  de 
celui-ci  variera  suivant  que  les  ondes  seront  directes  ou  réfléchies  par  le  pavillon. 

D'ailleurs,  c'est  aussi  par  les  mouvements  de  rotation  de  la  tète  exécutés  dans  la 
rec.'lierche  de  la  source  du  son  que  nous  prenons  conscience  de  sa  direction  et  de  ses 
déplacements.  L'orientalion  est  le  produit  de  sensations  multiples  associées  (Béclard). 

Le  conduit  auditif  est  absolument  réduit  chez  les  cétacés  dont  l'organe  baigne  dans 
l'eau,  chez  les  atnphibiens  et  les  reptiles.  Chez  la  taupe,  il  offre  une  adaptation  curieuse 
à  l'audition  des  sons  solidiens;  chez  cet  animal,  il  a  un  orifice  extérieur  très  petit,  et 
son  tube  se  dilate  en  forme  d'ampoule;  c'est  là  une  cavité  résonnante  nouvelle  sura- 
joutée qui   facilite  sûrement  l'audition  souterraine. 

Nous  parlions  à  l'instant  des  notions  fournies  à  l'orientation,  pour  la  recherche  de  la 
direction  du  cor'ps  sonore,  par  les  sensations  des  mouvements  ell'ectués  dans  un  sens  ou 
dans  l'autre.  La  conscience  de  ces  mouvements  et  des  actes  moteurs  sert  aussi  à  nous 
assurer  de  l'extériorité  de  la  source  des  sons;  certains  bruits  perçus  par  l'oreille  ressem- 
blent assez  aux  bruits  connus  de  l'extérieur  pour  faire  croire,  par  exemple,  à  la  présence 
de  mouches,  de  grillons,  etc.,  auprès  de  nous  :  l'impossibilité  où  nous  sommes  de  nous 
débarrasser  de  la  sensation  en  déplaçant  notre  conduit,  en  tournant  la  tête,  nous 
confirme  dans  l'idée  que  c'est  en  nous  que  le  bruit  se  produit. 

III.  Oreille  moyenne.  —  Caisse  du  tympan.  Membrane  du  tympan.  Appareil  de  transmis- 
sion des  vibrations.    Chaîne  des  osselets  et  ses  moteurs. 

Nous  suivons  le  chemin  parcouru  par  le  mouvement  vibratoire.  L'air  du  conduit  le 
propage  jusqu'au  seuil  de  l'oreille  moyenne  à  la  membrane  tympanique,  seule  partie 
accessible  aux  ondes  aériennes. 

A.  Caisse  du  tympan.  — •  Cette  cavité  à  parois  osseuses  contient,  au  milieu  de  l'air 
inclus,  l'appareil  de  transmission  des  vibrations  au  labyrinthe.  Cette  seconde  partie  de 
l'oreille  est  close.  La  caisse  pleine  d'air  isole  et  protège  les  parties  profondes;  elle  com- 
mande l'accès  du  labyrinthe.  Celui-ci  se  dissimule  derrière  l'oreille  moyenne,  véritable 
chambre  noire  de  l'organe  auditif.  Ces  dispositions  tutélaires,  cet  abord  réservé,  cette 
situation  cachée  de  la  partie  sensible,  la  limitation  à  une  seule  voie,  celle  du  conduit, 
de  l'entrée  des  ondes,  ont  pour  but  d'assurer  la  fonction  délicate  de  l'ouïe  chargée  de 
l'analyse  et  de  la  différenciation  des  sous;  elles  permettent  l'orientation  en  latéralisaut 
nettement  la  direction  du  courant  sonoie. 

La  caisse  répond  de  plus  à  une  autre  nécessité  ;  la  membrane  du  tympan  doit  conser- 
ver une  tension  toujours  égale  sur  ses  deux  faces,  et  l'air  intérieur  vient  ainsi  faire  équi- 
libre à  la  pression  atmosphérique,  et  en  annule  l'effet  de  surtension,  tant  que  l'aération 
de  la  cavité  est  régulière. 

Dans  ce  but,  un  appareil  et  une  fonction  annexes  sont  chargés  de  cette  ventilation 
indispensable;  c'est  la  trompe  d'EusiACHE);  de  plus  les  cellules  mastoïdiennes  aérées,  qui 
communiquent  avec  la  caisse,  augmentent  cette  masse  d'air  incluse,  et  diminuent  ainsi 
l'intluence  des  variations  de  tension  du  gaz  intra-tympanique. 

L'appareil  conducteur  des  ondes  vibratoires  se  compose  de  la  cloison  membraneuse 
et  de  lachaine  des  osselets  de  l'ouïe,  dont  le  dernier,  l'étrier,  est  reçu  dans  la  fenêtre 
labyrinthique,  au  contact  du  liquide  même  de  l'oreille  interne. 

Les  vibrations  se  propagent  de  la  petite  colonne  d'air  du  conduit  à  la  membrane  ;  de 
là  elles  se  transmettent  aux  osselets,  et  par  l'étrier  au  liquide  du  labyrinthe. 

Ainsi,  dans  son  parcours  intra-auriculaire,  l'onde  est  d'abord  aérienne  dans  le  conduit, 
membraneuse  sur  le  tympan,  solidienne  sur  les  osselets,  enfin  liquidienne  dans  la  der- 
nière partie  de  l'organe. 

Chacune  de  ces  transformations  successives  est  intéressante  à  étudier;  elle  a  un  but; 
et  la  vibration  subit  à  chaque  pas  une  modification  particulière  et  nécessaire. 

D'autre  part,  l'oreille  n'est  pas  un  instrument  d'acoustique  passif;  elle  possède  des 
moyens  de  protection  plus  que  d'accommodation  ;  elle  peut  par  l'action  de  ses  muscles 
propres  modifier  la  conduction  dès  l'entrée  même  des  ondes,  en  agissant  sur  la  mem- 
brane qui  les  reçoit  et  les  récolte,  et  de  plus,  dans  la  profondeur,  sur  l'étrier  placé  au 
seuil  du  labyrinthe;  ainsi  peut  être  influencée  la  transmission  des  vibrations  avant  leur 
pénétration  dans  l'oreille  interne.  L'énergie  vibratoire  peut  forcer  la  porte;  mais  l'oreille 
se  défend. 


868  AUDITION, 

Plus  loin  ces  muscles  et  leur  fonction  seront  décrits  ainsi  que  l'action  des  leviers 
osseux  et  de  leurs  jointures. 

L'organe  doit  être  étudié  comme  simple  appareil  acoustique,  à  l'état  statique;  puis, 
pendant  le  Jeu  des  parties,  à  la  période  dynamique  ou  fonctionnelle. 

En  réalité,  le,  tympan  est  le  premier  anneau  de  la  cliaine  de  transmission  ;  il  fait  corps 
avec  elle;  il  est  soumis  à  son  influence;  mais  les  osselets  ne  vibrent  que  des  vibrations 
qu'il  a  éprouvées  d'abord.  A  ce  point  de  vue,  placé  à  l'entrée  même  de  l'organe,  il 
commande  absolument  la  transmission;  or,  à  l'état  statique,  à  tout  ébranlement  vibra- 
toire de  la  cloison  membraneuse  correspond  un  semblable  mouvement  de  l'élrier. 

B.  Membrane  du  tympan.  —  Le  tympan  est  mis  en  vibration  par  les  ondes  de 
l'air  extérieur;  de  plus,  il  subit  les  ébranlements  que  lui  apportent  les  solides  de  la 
tête,  par  le  cadre  tympanal  qui  la  tend,  et  par  l'air  inclus  dans  la  caisse  tympanique 
qui  résonne  :  vibrations  par  influence  d'un  côte',  et  vibrations  au  contact  de  l'autre. 

Ces  dernières,  dont  la  propagation  semble  inévitable,  chose  fâcheuse,  sont  heureu- 
sement soumises  à  l'influence  de  l'état  de  conductibilité  de  l'étrier,  comme  les 
aériennes.  Les  abords  de  l'oreille  sont  donc  protégés  jusqu'à  un  certain  point  de  tous  côtés. 

La  membrane  ou  cloison  tympanique  jouit,  au  point  de  vue  de  la  conductibilité,  de 
toutes  les  propriétés  des  membranes  minces  tendues,  si  bien  étudiées  par  Muller  et 
Savart. 

Le  cadre  du  tympan  n'a  pas  plus  d'un  centimètre  de  diamètre;  mais  la  membrane 
qu'il  supporte,  grâce  à  sa  forme  conique,  offreune  surface  plus  étendue. 

Son  obliquité  par  rapport  à  la  direction  du  conduit  l'accroit  encore. 

Cette  obliquité,  très  accusée  à  la  naissance,  diminue  avec  le  développement  de  l'écaillé 
du  temporal  et  de  l'apophyse  mastoïde.  Bon.nafont,  Helmholtz,  Schwartz,  Lucae,  pen- 
sent que  l'on  rencontre  une  très  faible  obliquité  chez  les  musiciens  et  les  personnes 
bien  douées  au  point  de  vue  des  aptitudes  musicales. 

Il  résulte  des  recherches  de  Fick.  qu'un  tympan  plus  droit  conduirait  mieux  les  ondes 
sonores,  et  que  la  condition  opposée  nuirait  à  l'audition. 

Enfin  Lucae  au  moyen  de  sou  «  otoscope  interfèrent  »  a  constaté  expérimentalement 
que  les  tympans  très  obliques  ou  très  concaves  réfléchissent  vivement  au  dehors  les 
ondes  qui  les  frappent  et  en  sont  ainsi  moins  influencés. 

La  cloison  a  une  très  faible  épaisseur  (1  vingtième  de  millimètre)  surtout  dans  sapor- 
tion  inférieure.  Sur  la  portion  supérieure  le  derme  du  conduit  se  prolonge,  assez  épais,  de 
sorte  qu'en  tirant  le  pavillon  de  l'oreille,  la  peau  du  conduit  attirée  tend  le  tympan,  si  la 
traction  est  assez  énergique.  Si  l'on  en  juge  par  la  facile  transmission  des  sons  de  la  pa- 
role par  le  téléphone  dont  la  plaque  est  beaucoup  plus  épaisse  que  le  tympan,  sa  minceur 
ne  serait  pas  une  condition  aussi  indispensable  qu'il  semble  à  la  fonction. 

En  clinique  otologique  ou  fait  jouer  un  assez  grand  rôle  à  l'épaississement,  mais  il 
n'est  pas  limité  à  la  cloison  en  général. 

Malgré  cette  minceur,  le  tympan  est  extrêmement  résistant,  il  est  presque  inexlensible; 
c'est  un  tissu  de  fibres  radiées  tendineuses  externes,  épanouies  en  cône,  que  contiennent 
des  fibres  circulaires  assez  élastiques  plus  intérieures;  ces  dernières  donnent  à  la  cloison 
conique  une  courbure  légère  de  sa  surface  extei-ne. 

PiLCKER,  à  la  suite  de  ses  expériences,  a  formulé  ceci  :  1°  la  cloison  vibre  proportion- 
nellement aux  sons;  2°  une  tension  exagérée  accroît  la  perception  des  sons  aigus; 
3°  les  sons  graves  peuvent  au  contraire  affaiblir  la  tension. 

Nous  avons  vu  que  l'oreille  jouit  de  la  faculté  de  percevoir  les  sons  de  tonalités  les 
plus  étendues,  depuis  33  vibrations  jusqu'à  30000,  et  les  associations  de  vibrations, 
timbre,  accords,  etc.,  les  plus  diverses;  la  membrane  a  donc  cette  aptitude  à  transmettre 
une  foule  de  vibrations,  toutes  celles  que  lui  apporte  le  milieu  ambiant;  elle  les  subit 
et  les  transmet  intégralement. 

A  ce  point  de  vue,  on  compare  avec  raison  la  cloison  à  la  membrane  de  l'appareil 
de  Reiss,  laquelle,  au  moyen  d'une  petite  pièce  solide,  qui  la  tend,  réagit  parfaitement 
et  conduit  les  sons  pour  toute  l'étendue  de  la  voix  ordinaire.  Comme  elle,  la  membrane 
du  tympan  peut  vibrer  en  totalité  ou  dans  quelques-unes  de  ses  parties  seulement  (vi- 
brations partielles),  parce  qu'elle  n'offre  pas  partout  la  même  tension,  et  que  cette  tension 
est  éminemment  variable. 


AUDITION.  869 

De  plus,  elle  n'a  pas  de  ton  propre;  elle  ne  cause  pas  de  résonnance  particulière,  qui 
nuirait  à  la  netteté  de  l'audition;  elle  vibre  à  l'unisson  de  tous  les  tons  quelconques, 
sans  en  modifier  aucun.  Helmiioltz  a  bien  montré  que  ces  propriétés  tiennent  à  la  forme 
en  entonnoir  de  la  cloison  et  à  la  charge  qu'elle  supporte  par  suite  de  sa  connexion 
avec  la  chaîne  des  osselets.  Elles  résultent  aussi  de  sa  faible  tension,  sur  laquelle  on  ne 
saurait  trop  insister,  puisqu'un  léger  accroissement  dans  ce  sens  abaisse  immédiatement 
la  conduction. 

Nous  avons  dit  que  la  membrane  est  déprimée  en  dedans  vers  la  caisse  où  elle  fait 
une  saillie  conique  ;  elle  est  cependant  légèrement  bombée  en  dehors,  dans  son  segment 
inférieur  surtout. 

Cette  disposition  arquée  des  fibres,  si  évidente  sur  les  moulages  du  conduit  (S.\ppey, 
Helmholtz,  Testut,  Poirier),  leur  donne  une  flexibilité  particulière;  il  en  résulte  pour 
le  tympan  une  grande  impressionuabilité  aux  vibrations  de  l'air;  et  une  plus  grande 
conductibilité;  cela  permet  aussi  une  certaine  mobilité  de  la  membrane  indépendante 
de  celle  du  manche  du  marteau,  de  dehors  en  dedans  (Helmholtz,  Gellé). 

Grâce  à  ces  connexions  avec  la  chaîne  des  osselets,  qui  la  chargent,  les  sons  consé- 
cutifs sont  évités,  comme  on  l'a  vu  pour  la  membrane  tendue  de  l'appareil  de  Reiss. 
Ainsi,  pas  de  résonnance,  pas  de  sons  consécutifs,  une  tension  suffisante,  mais  faible  au 
repos,  et  une  vibratililé  extrême,  telles  sont  les  qualités  du  tympan;  elles  s'ajoutent  à 
toutes  celles  qui  sont  communes  aux  membranes  élastiques  si  bien  exposées  par  Savart 
et  MuLLER  (vibrations  par  influence,  vibrations  partielles,  conductions  multiples,  etc.). 

ÎN'ous  verrons  tout  à  l'heure  que,  par  suite  aussi  de  cette  forme  conique  et  de  l'adjonc- 
iion  à  la  portion  vibrante  et  tendue  de  la  membrane  d'une  partie  supérieure  molle  et 
flexible,  la  partie  flaccide  (ou  membrane  de  Schrapnell),  la  cloison  tympanique  possède 
une  certaine  mobilité,  compatible,  fait  très  remarquable,  avec  la  tension  normale  ou 
d'équilibre  de  tout  l'appareil  de  transmission. 

Cette  tension  moyenne  de  la  cloison,  due  à  la  tonicité  des  muscles  tenseurs,  à  laquelle 
le  tympan  fait  résistance,  règle  la  tension  de  toute  la  chaîne,  et  celle  du  labyrinthe 
également;  toutes  ces  parties  sont  commandées  à  ce  point  de  vue  par  elle;  nous  le  redi- 
sons à  dessein.  L'appareil  de  transmission  est  un  :  il  oscille  autour  d'un  axe;  le  moin- 
dre relâchement  du  tympan  rompt  l'équilibre,  car  il  se  déplace  en  dedans  sous  l'action 
persistante  de  l'antagoniste. 

PoLiTZER  a  étudié  les  vibrations  de  la  membrane  du  tympan  dans  l'expérience  sui- 
vante :  une  soufflerie,  des  tuyaux  d'orgue  sont  en  communication  avec  des  résonna- 
leurs  d'HELMHOLTz,  auxquels  il  ajoute  un  tube  de  caoutchouc  aboutissant  à  l'oreille;  le  cou- 
rant vibratoire  est  ainsi  amené  au  tympan.  La  voûte  de  la  caisse  a  été  ouverte,  et  des 
fils  de  verre,  ou  de  fines  pailles  de  riz,  ont  été  collés  soit  aux  têtes  des  osselets,  soit  à  la 
surface  tympanique,  et  leurs  extrémités  libres  inscrivent  les  mouvements  sur  un  cylin- 
dre enregistreur.  Au  moyen  de  ce  dispositif  ingénieux,  Politzer  a  pu  constater  que  le 
tympan  possède  toutes  les  propriétés  des  membranes  tendues,  et  confirmer  les  lois  de 
PiLCKER.  Nous  parlerons  encore  de  ces  expériences  quand  nous  étudierons  la  tension  active 
et  ses  effets  sur  la  conduction. 

La  tension  moyenne  du  tympan  est  due  à  sa  forme  conique  maintenue  par  le  manche 
du  marteau  attiré  vers  la  paroi  interne  par  un  ligament  élastique,  gaine  du  tendon  du 
tenseur,  bien  décrit  par  Toynbee. 

La  section  de  ce  tendon  produit  une  détente  brusque  de  la  membrane  saine,  mais 
sans  changement  de  forme,  les  autres  connexions  étant  conservées  (ligaments  du  mar- 
teau, articulations  des  osselets,  ligament  de  l'étrier,  tendon  du  stapédius);  seulement, 
si  l'on  refoule  la  cloison  en  dehors  par  une  insufflation  d'air  par  la  trompe,  on  observe 
qu'elle  reprend  très  difficilement  sa  position  normale.  On  voit  que  la  tonicité  du  muscle 
tenseur  maintient  également  la  tension  normale  du  tympan.  L'entonnoir  tympanique 
fait  une  saillie  conique  dans  la  caisse;  et  la  pointe  du  cône,  qui  répond  à  l'ombilic,  n'est 
distante  que  de  deux  millimètres  au  plus  de  la  paroi  interne;  cela  donne  déjà  la  mesure 
du  peu  de  mouvements  en  dedans  dont  le  tympan  est  susceptible. 

En  pathologie  on  comprend  que,  par  le  gonflement  des  parties,  soit  par  le  relâchement 
de  la  membrane,  après  l'otite,  celle-ci  et  la  paroi  labyrinlhique  arrivent  facilement  au 
contact;  ce  qui  éteint  forcément  une  grande  partie  des  vibrations  aériennes. 


870 


AUDITION. 


Au  niveau  de  l'ombilic,  partie  la  plus  étroite  du  cône,  les  vibrations  du  tympan  ont 

moins  d'amplitude;  les  plus  étendues  se  produisent  entre  l'ombilic  et  le  cadre  tympanal. 

D'après  Bernstein,  cette  diminution  d'amplitude  au  centre   coïnciderait  avec  une 

augmentation   de  la  force  de  l'onde.  La  diminution  de  l'amplitude   de  l'onde  est  en 

effet  une  nécessité,  car  la  platine  de  l'étrier  ne  saurait  la  subir  telle. 

Nous  verrons  tout  à  l'heure  comment  la  transformation  de  l'onde  membraneuse  en 
solidienne  résout  ce  délicat  problème  de  transmission  du  mouvement  vibratoire,  sans 
lui  faire  perdre  aucune  force. 

Le  même  auteur  indique  que  c'est  sur  l'ombilic  que  l'effort  vibratoire  s'accumule; 
il  a  calculé  que  l'accroissement  serait  dans  la  proportion  de 
1  à  20  dans  la  force  des  vibrations.  N'oublions  pas  que  le 
manche  du  marteau  en  entier  sert  à  la  conduction;  la  force 
se  perdrait  dans  cette  translation  aux  solides.  Le  manche  du 
marteau  fait  corps  avec  la  membrane  du  tympan,  dont  il  est 
comme  un  rayon;  c'est  le  1"  osselet  de  la  chaîne  conduc- 
trice; c'est  sur  lui  que  se  propage  le  mouvement  vibratoire 
complexe  qui  agite  le  tympan  ;  de  toute  la  surface  du  cône 
tympanique  il  converge  vers  lui. 

Toutes  les  vibrations  de  la  membrane  s'écoulent  par  cette 
ligne  osseuse;  c'est  donc  par  le  manche  du  marteau  que  pénè- 
trent les  ondes  dans  la  caisse  tympanique;  or,  Buch  a  montré, 
par  ses  expériences,  que  les  oscillations  de  l'enclume  sont 
déjà  de  moitié  plus  faibles  que  celles  du  marteau,  et  celles 
de  l'étrier  sont  encore  la  moitié  de  celles  de  l'enclume. 

Les  lois  de  Muller  nous  ont  appris  que  les  membranes 
conduisent  sûrement  et  facilement  les  vibrations  aux  corps 
solides,  tandis  que  celles-ci  dans  leur  passage  de  l'air  aux 
solides  sont  très  affaiblies.  D'autre  part  nous  savons  que  les 
vibrations  aériennes  se  propagent  sans  amoindrissement 
aucun  de  l'air  aux  membranes;  là  se  montre  le  rôle  du  tym- 
pan, et  le  but  de  son  interposition  entre  l'air  ambiant  et  les 
leviers  solides  de  l'appareil  transmetteur.  C'est  un  intermé 
diaire  indispensable  à  la  fonction  de  l'ouïe. 

Dans  l'orientation  nous  latéralisons  ainsi  d'après  l'intensité 
du  son  et  nous  nous  guidons  sur  le  côté  où  se  constate  ce 
maximum. 

Nous  nous  rappelons  que  Savart  et  d'autres  observateurs 
pensent  que  la  sensibilité  du  pavillon  de  l'oreille  joue  un  rôle 
dans  la  notion  de  la  direction  des  sons:  on  sait  que  la  peau 
peut  percevoir  certains  ébranlements  vibratoires,  j'ai  de  plus 
ajouté  un  autre  élément  d'information,  le  sens  musculaire,  à 
ces  sensations  tactiles. 

On  s'est  demandé  si  la  sensibilité  cutanée  de  la  membrane 
joue  un  rôle  dans  l'orientation  au  bruit. 
Hermax.";  {Traité  de  phijsiologie,  1869)  est  de  cet  avis,  que  partagent  au  reste  Ktiss  et 
M.  DavAL  (Traité  de  physiol.).  Sur  ce  sujet  j'ai  lu  à  la  Société  de  Biologie  une  observation 
qui  paraît  probante.  Il  s'agit  d'un  malade  atteint  d'anesthésie  générale,  avec  conser- 
vation de  l'activité  des  organes  des  sens,  et  sur  lequel  j'ai  pu  constater  l'impossibilité 
de  reconnaître  si  le  son  venait  de  droite  ou  de  gauche;  il  entendait  très  bien  cependant; 
mais  il  n'éprouvait  aucune  sensation  au  contact  du  stylet  sur  les  tympans.  Son  intelli- 
gence semblait  suffisante;  il  distinguait  bien  avec  les  yeux  la  position  des  objets  et 
s'orientait  normalement. 

J'ajouterai,  à  propos  de  l'orientation,  qu'il  est  admissible  que  la  sensibilité  musculaire 
sollicitée  par  le  passage  des  ondes,  et  lors  de  la  tension  d'accommodation,  peut-être 
synergique,  contribue  à  nous  faire  connaître  de  quel  côté  vient  l'excitation  acoustique; 
il  y  aurait  donc  comme  guides  à  la  fois  une  sensation  tactile,  une  sensation  musculaire 
et  une  sensation  acoustique. 


FiG.  77.  —  Coupe  verticale 
transversale  de  la  caisse 
du  tympan  (schématique). 

T,  membrane  du  tympan.  — 
M,  marteau  et  apophyse 
grêle  en  avant  ;  son  liga- 
ment suspenseur  en  haut. 

—  E,  enclume,  branche 
horizontale  postérieure,  et 
branche  verticale  articulée 
avec  rétrier.  —  e,  étrier 
dans  la  fossette  ovale.  — 
P.  promontoire,  saillie  du 
limaçon  dans  la  caisse.  — 
F,  canal  de  Fallope  coupé 
en  travers  au-dessus  delà 
fenêtre  ovale.  —  1,  mus- 
cle du  marteau  dont  le 
tendon  traverse  la  caisse 
pour  s'insérer  sur  l'apo- 
physe du  marteau.  —  2, 
muscle  de  l'étrier,  et  py- 
ramide en  pointillé,  paroi 
postérieure   de   la  caisse. 

—  3,  corde  du  tympan 
coupée. 


AUDITION.  871 

En  terminant,  mentionnons  la  lomarque  faite  par  Helmholtz,  que  la  surface  du 
tympan  est  couverte  d'un  épithélium  dont  les  cellules  contiennent  de  la  graisse  ;  peut- 
être  aussi  est-ce  l'enduit  cérumineux  qui  fait  que  sur  l'oreille  saine  l'eau  coule  à  la 
surface  de  la  cloison  sans  la  mouiller. 

C.  Chaîne  des  osselets.  Étrier.  Fenêtre  ovale.  Fenêtre  ronde.  —  Le  manche  du 
marteau  a  réuni  et  comme  canalisé  la  multitude  des  ondes  sonores  récoltées  par  le 
tympan,  et  les  propage  aux  autres  osselets  jusqu'à  la  platine  de  l'étrier. 

Quel  est  le  but  de  cette  interposition  des  osselets  entre  la  membrane  et  le  liquide' 
labyrinthique,  aboutissant  définitif  et  ultime  du  courant  vibratoire? 

Comment  se  fait  le  transport  de  l'onde  par  ces  solides?  La  chaîne  osseuse  est-elle  la 
seule  voie  offerte  aux  vibrations  qui  traversent  la  caisse?  Nous  allons  répondre  à  ces 
questions. 

Rappelons  d'abord  que  le  marteau,  l'enclume,  et  l'étrier,  les  trois  osselets  de  l'ouïe, 
sont,  grâce  à  leurs  dispositions  et  à  la  tonicité  musculaire,  en  rapport  parfait,  en  con- 
nexion intime;  c'est  ainsi  que  la  propagation  des  vibrations  de  l'un  à  l'autre  est  possible 
et  complète. 

Si  l'on  ouvre,  avec  Toynbee,  le  canal  demi-circulaire  supérieur,  plein  d'exolymphe,  et 
qu'on  repousse  avec  un  stylet  l'ombilic  du  tympan  en  dedans,  vers  la  caisse,  on  voit 
aussitôt  le  liquide  inclus  osciller  et  miroiter:  le  labyrinthe  a  reçu  la  pression  transmise. 

De  plus,  on  peut  sur  la  pièce  fraîche  recommencer  l'expérience  avec  le  même  résultat, 
ce  qui  prouve  qu'après  le  déplacement,  l'appareil  entier  revient  à  sa  position  première; 
il  y  a  là  un  mouvement  en  bloc  évident;  on  dirait  d'un  corps  unique  rigide,  qui  se  déplacé; 
le  va-et-vient  est  comme  pendulaire.  Par  une  poussée  plus  douce,  celle  de  l'air  con- 
densé dans  le  conduit,  on  obtient  le  même  résultat. 

En  elTet,  l'ensemble  des  osselets  se  meut  et  oscille  autour  d'un  axe  fixe  de  rotation 
formé  par  l'apophyse  grêle  antérieure  du  marteau  en  avant,  et  la  branche  horizontale  de 
l'enclume  en  arrière.  C'est  grâce  à  ces  connexions  intimes  que  le  choc  reçu  par  le  tympan 
ébranle  du  même  coup  la  platine  de  l'étrier. 

Mais,  au  moment  où  le  son  passe,  l'onde  a  toujours  une  ampleur  telle  que  la  petite 
masse  des  osselets  est,  suivant  Weuer  et  Helmholtz,  un  point  infiniment  petit  de  l'espace 
qu'elle  parcourt.  Ce  point  est  franchi  en  un  moment;  il  n'y  a  pas  une  suite  de  vibrations 
longitudinales  :  un  seul  mouvement  de  totalité,  transversal,  a  lieu  :  toute  la  chaîne  oscille 
comme  un  corps  rigide. 

Cela  suffit-il  pour  comprendre  la  faible  étendue  des  déplacements  subits  par  l'étrier, 
alors  que  certaines  ondes  aériennes  ont  un  mètre  et  plus  de  longueur?  Je  ne  le  pense 
pas.  Je  crois  qu'il  s'ajoute  à  la  théorie  proposée  cette  condition  toute  spéciale  de  la  pro- 
pagation des  sons  par  les  solides.  Savart  nous  a  appris  que  le  passage  des  vibrations  lon- 
gitudinales dans  les  tiges  solides,  dans  les  verges  métalliques,  offre  ceci  de  remarquable 
qu'il  ne  se  produit  qu'une  déformation  «  insignifiante  »  de  la  tige,  une  élongatlon  d'une 
étendue  presque  négligeable  dans  le  sens  du  courant.  Savart  l'a  mesurée  dans  quelques 
expériences  devenues  classiques  ;  sur  des  tiges  solides  de  1  mètre  et  plus,  il  a  con- 
taté,  des  vibrations  longitudinales  énergiques  et  trouvé  une  extension  à  peine  appré- 
ciable (six  dixièmes  de  millimètre). 

Je  persiste  à  croire  que  c'est  dans  le  but  d'éviter  ces  mouvements,  ces  changements 
nuisibles  de  forme  au  niveau  de  la  fenêtre  ovale,  que  l'onde  récoltée  par  la  membrane  du 
tympan  passe  sur  la  chaîne  osseuse,  aux  leviers  si  petits,  avant  d'arriver  au  labyrinthe; 
c'était  pour  l'intégrité  de  la  fonction  une  condition  principale,  une  nécessité. 

11  fallait  éviter  les  secousses  nuisibles  d'oscillations  d'une  amplitude  démesurée,  la 
fenêtre  ovale  ne  pouvant  exécuter  des  vibrations  telles  que  celles  du  tympan,  vingt  fois 
plus  grand,  et  le  labyrinthe  ne  pouvant  les  supporter. 

La  transmission  par  l'intermédiaire  des  osselets  a  résolu  le  problème. 

Les  expériences  de  Politzer,  Buch  n'ont-elles  pas  rendu  évidentes  les  vibrations  des 
osselets?  Et  puis  quelle  difïérence  trouvera-t-on  entre  les  sons  que  transmet  si  bien 
une  poutre  énorme,  dont  on  ne  peut  dire  que  l'onde  si  grande  la  franchit  comme  un  point 
de  l'espace  et  ceux  que  propagent  au  labyrinthe  les  osselets  de  l'ouïe? 

Les  deux  voies  de  transmission  ont  ceci  de  commun,  par  contre,  qu'une  modification 
de  forme  à  peine  appréciable  des  solides  manifeste  le  passage  du  courant  vibratoire  d'ori- 


872  AUDITION. 

gine  aérienne;  avec  des  leviers  aussi  réduits  que  les  osselets  de  l'ouïe,  on  peut  admettre 
que  cet  effet  est  à  peu  près  nul.  Aujourd'hui  n'a-t-on  pas  l'expérience  du  phonographe? 

Nous  verrons  plus  loin  que  les  osselets  sont  aussi  les  leviers  de  la  tension  et  de  la 
détente,  et  que  la  nature  sait  obtenir  double  bénéfice  d'une  même  disposition  organique. 

La  chaîne  des  osselets  intéresse  le  ph3'siologiste  à  d'autres  points  de  vue  encore. 

Bebnstei.n  calcule  d'après  la  longueur  proportionnelle  des  leviers  que  la  vibration 
arrive  à  la  platine  de  l'étrier  renforcée  d'une  façon  prodigieuse  (30  fois).  Pour  ma  part 
ce  renforcement  me  semble  très  contestable;  la  longueur  des  leviers  est  autrement  im- 
portante au  point  de  vue  de  la  détente.  Les  vibrations  sont  réunies  en  un  faisceau,  par 
leur  passage  sur  les  osselets  ;  on  voit  ainsi,  à  mesure  qu'il  avance,  le  courant  sonore 
recueilli,  s'isoler,  se  simplifier  dans  sa  forme  et  dans  sa  marche,  pour  pénétrer  dans  l'o- 
reille interne,  réduit  de  volume.  Les  éléments  anatomiques  si  délicats  du  labyrinthe  peu- 
vent le  supporter j  et  il  est  ainsi  conduit  au  seul  orifice  qui  lui  livre  accès.  Comment  ne 
pas  comparer  au  phonographe  l'appareil  conducteur  otique,  jusqu'à  l'étrier"?  la  pointe  de 
celui-là  inscrit  les  vibrations,  comme  l'extrémité  de  la  branche  de  l'enclume  les  transmet 
à  la  tête  de  l'étrier,  partie  libre  saillante  de  la  paroi  du  labyi'inthe. 

La  sphère  aérienne  où  l'oreille  a  puisé  les  vibrations,  est  énorme,  en  effet;  et,  dans 
le  fond  de  l'organe,  c'est  une  fenêtre  de  2  à  3  millimètres  au  plus,  qui  sert  d'entrée.  L'ap- 
pareil de  transmission  terminé  par  les  osselets  joue  absolument,  pour  les  ondes  sonores, 
le  rôle  du  cristallin  et  de  l'iris,  pour  les  ondes  lumineuses  :  isolement,  concentration, 
atténuation  au  seuil  de  l'organe  sensible. 

On  conçoit  par  cette  vue  synthétique  de  la  fonction  de  conduction  que  les  osselets 
soient  mobiles  et  que  l'étrier  glisse  dans  la  fenêtre  ovale.  Ce  léger  mouvement,  d'après 
Helmholtz,  ne  dépasse  par  1/18  à  1/14  de  millimètre  en  dedans;  mes  mensurations  des 
mouvements  du  tympan  au  moyen  de  la  méthode  graphique  m'ont  conduit  à  admettre 
qu'il  n'atteint  pas  plus  de  1/10  de  millimètre. 

Cette  mobilité  fait  de  l'étrier  une  partie  de  la  chaîne  conductrice;  car  l'étrier  libre 
conduit  le  mouvement  vibratoire  au  liquide  intra-labyrinthique;  soudé, sa  conductibilité 
est  restreinte,  sinon  complètement,  du  moins  en  majeure  partie. 

D'après  ce  qu'on  vient  de  lire,  c'est  donc  par  la  fenêtre  ovale  que  pénètre  dans 
l'oreille  interne  la  plus  grande  masse  des  vibrations  transmises,  et  la  chaîne  des  osselets 
est  la  voie  la  plus  directe  de  cette  propagation. 

La  base  de  l'étrier  est  une  mince  lamelle  ovale  qui  reçoit  par  les  deux  branches  de 
l'osselet,  insérées  aux  deux  foyers  de  l'ellipse  stapédienne,  les  vibrations  propagées  par 
la  chaîne  et  le  tympan  ;  et,  placée  par  sa  face  interne,  vestibulaire,  au  contact  du  liquide 
exolymphique,  elle  les  lui  communique  aussitôt. 

La  vibration,  de  solidienne  devient  liquidienne,  pour  rayonner  dans  toutes  les  cavités 
du  labyrinthe;  conduction  nouvelle,  nécessitée  par  des  besoins  différents.  Dans  le  laby- 
rinthe liquide,  le  faisceau  des  vibrations  s'éparpille,  se  divise,  se  différencie  à  l'infini,  et 
chacune  d'elles  reprend  sa  liberté  et  son  unité  au  contact  des  épithéliums  terminaux  des 
filets  nerveux  sensoriels. 

Cette  platiné  de  l'étrier  est  encadrée  mollement,  mais  très  exactement  sertie,. dans  la 
fenêtre  ovale,  le  ligamentorbiculaire  permet  au.';  deux  bords  cartilagineux  articulaires 
concentriques  de  glisser  d'une  étendue  très  faible  l'un  sur  l'autre. 

Ces  mouvements  seront  de  nouveau  envisagés  tout  à  l'heure  à  propos  de  l'étude  de 
l'appareil  de  conduction  en  action,  c'est-à-dire,  cjuand  nous  parlerons  de  la  tension  et 
delà  détente  du  tympan,  dont  tous  les  auteurs  s'occupent,  et  de  l'immobilisation  ou  de 
la  charge  de  l'étrier  qu'on  oublie  trop,  et  qui  est,  au  point  de  vue  de  l'audition,  tout 
aussi  importante  à  connaître. 

En  ce  qui  regarde  la  conduction,  on  sait  depuis  les  travaux  de  Mdller  et  de  Savart 
qu'une  plaque  transmet  intégralement  aux  liquides  à  son  contact,  et  à  l'air,  les  vibra- 
tions reçues;  tel  est  le  rôle  de  la  platine  de  l'étrier  au  point  de  vue  de  la  transmission", 
elle  en  a  un  autre,  au  point  de  vue  de  la  protection  de  la  fonction,  que  nous  apprécierons 
plus  loin. 

D.  Rôle  de  la  fenêtre  ronde.  —  Le  labyrinthe  s'ouvre  sur  l'oreille  moyenne  par  un 
autre  orifice  fermé  par  une  membrane,  la  fenêtre  ronde.  Le  liquide  intra-labyrinthique, 
par  la  rampe  tympanique  du  limaçon  qui  lui  correspond,  reçoit-il  l'influence  des  vibrations 


AUDITION,  873 

de  l'air  de  la  caisse  du  tympan  ?  Autrement  dit  cette  fenêtre  ronde,  membraneuse,  sert- 
elle  à  l'audition? Posons  les  conditions  de  ce  problème.  En  réalité,  l'élrier  est  une  saillie 
de  la  paroi  labyrintbique. 

La  tète  de  l'étrier,  par  la  chaîne  osselétique,  reçoit  des  vibrations  au  contact; 
c'est  un  point  qu'on  ne  saurait  trop  envisager  ici;  tandis  que  les  sons  ne  peuvent  émou- 
voir la  fenêtre  ronde  que  par  influence,  à  travers  l'air  d'une  cavité  close,  de  la  caisse 
tympanique. 

Déjà,  de  ce  fait,  les  ondes  qui  lui  parviennent  par  l'air  intérieur,  sont  plus  faibles  que 
celles  qui  suivent  directement  le  manche  du  marteau,  instrument  de  récolte  par  excel- 
lence des  vibrations  du  tympan.  Mûller  a  formulé  son  opinion  très  nette  guidée  sur 
l'expérimentation,  à  savoir  :  «  que  des  vibrations  qui  passent  de  l'air  à  une  membrane  ten- 
due, de  celle-ci  à  des  parties  solides,  limitées,  libres;  et  de  celles-ci  à  l'eau,  se  commu- 
niquent avec  beaucoup  plus  d'intensité  au  liquide,  que  des  vibrations  qui  passent  de  l'air 
à  une  membrane,  puis  à  l'air,  et  puis  encore  à  une  membrane  tendue,  et  enfm  à  l'eau  ". 
Ce  qui  fait  voir  que  le  passage  du  courant  est  assuré  et  qu'il  passe  entier,  par  la  voie  des 
osselels  de  l'ouïe,  sans  perte  aucune  au  point  de  vue  de  l'intensité. 

Mais  l'intensité  des  sons  au  contact  est  toujours  plus  énergique,  et  la  vitesse  de  pro- 
pagation est  également  bien  plus  grande  par  les  solides  de  la  chaîne  que  par  l'air  de  la 
caisse.  J'ai  expérimentalement  montré  que  le  son  du  diapason  vibrant  en  face  du  cor- 
net d'un  téléphone  à  ficelle,  séteint  à  la  moindre  tension,  tandis  que  le  son  au  contact 
persiste,  quel  que  soit  l'effort  de  tension;  ne  sait-on  pas  aussi  combien  une  couche 
d'air  interposée  entre  deux  parois  amortit  les  vibrations  sonores?  Et  si  l'on  admet 
la  conduction  par  l'air  de  la  caisse,  quel  retentissement  par  résonnance  de  cette  cavité! 

L'expérience  la  plus  simple  montre  la  grande  supériorité  de  la  transmission  par  un 
corps  solide  interposé  à  deux  surfaces  ou  membranes;  c'est  l'âme  du  violon  qui  associe 
les  deux  tables  d'harmonie  de  cet  instrument  et  lui  donne  sa  grande  sonorité  et  son 
unité;  c'est  la  poutrelle  qui  porte  au  loin  le  son  d'un  frottement  d'épingle  imperceptible 
par  voie  aérienne,  etc.  La  platine  est  la  plaque  conductrice  par  excellence  des  vibrations 
solides  au  liquide  inclus. 

La  vitesse  des  ondes,  d'autre  part,  est  tellement  différente  par  les  deux  voies,  qu'il  y 
aurait  une  véritable  cacophonie  si  les  sons  arrivaient  ainsi  l'un  après  l'autre  frapper 
l'oreille.  Ainsi  par  l'air  de  la  caisse,  par  la  fenêtre  ronde,  les  ondes  arrivent  affaiblies  en 
intensité  et  en  vitesse;  il  existe  encore  d'autres  arguments  en  faveur  de  l'adoption  d'une 
voie  unique,  la  voie  stapédienne. 

Nous  ne  parlerons  pas  de  la  rapidité  avec  laquelle  on  atténue  le  courant  sonore,  en 
agissant  sur  l'étrier,  parce  qu'on  objecte  avec  raison  que  les  pressions  exercées  sur  cet 
osselet  (fenêtre  ovale)  sont  transmises  à  l'autre  feiiêtre,  par  le  liquide  inclus,  et  que  la 
tension  est  ainsi  produite  des  deux  cùtés  à  la  fois.  Mais  on  ne  peut  pas  n'être  pas  frappé 
des  rapports  distincts  des  deux  fenêtres  avec  l'organe  sensible. 

La  platine  de  l'étrier  et  la  fenêtre  ovale  sont  en  contact  avec  le  liquide  de  la  rampe 
vestibulaire  du  limaçon,  rampe  sensorielle,  celle  qui  contient  les  cellules  auditives  et  les 
plexus  nerveux  terminaux  de  l'acoustique,  de  plus  avec  les  vestibulaires,  l'utricule  et  la 
saccule  à  peine  distants,  tandis  que  la  fenêtre  ronde  s'ouvre  sur  la  rampe  tympanique, 
dont  le  contenu  unique  est  le  liquide  périlymphique. 

Le  vestibule  n'est-il  pas  d'une  importance  physiologique  bien  autre  que  cette  rampe 
cochléenne  veuve  de  parties  sensibles,  à  laquelle  répond  la  fenêtre  ronde,  lui  qui  ren- 
ferme les  parties  fondamentales  de  l'appareil  nerveux  de  l'ouïe? 

On  ne  peut  pousser  plus  loin  l'argumentation;  quelques-uns  ont  émis  l'idée  que  cette 
voie  peut  parfois  remplacer  l'autre;  oubliant  que  les  deux  fenêtres  se  commandent,  et 
qu'une  tension,  immobilisation  ou  pression  exercées  sur  l'une  frappe  immédiatement 
l'autre.  En  définitive,  ce  qui  abaisse  la  conductibilité  de  l'une  enlève  tout  autant  à  la  con- 
duction de  la  seconde.  Toutes  deux  jouissent  des  propriétés  conductrices  des  membranes 
tendues,  qu'une  légère  tension  accroît,  qu'une  tension  forte  détruit  :  les  ondes  entrent 
donc  dans  le  labyrinthe  par  une  seule  voie,  par  l'étrier. 

E.  Mobilité  de  la  chaîne  des  osselets.  —  Muscles  moteurs.  —  Antagonisme .  — 
Mouvements  associds.  —  Mouvements  de  tension,  de  détente  de  l'appareil  de  transmission,  du 
tympan  à  l'étrier.  —  Nous  avons  étudié  l'appareil  de  transmission  des  ondes  sonores  au 


AUDITION. 


point  de  vue  de  ses  qualités  de  conduction  à  l'état  statique,  au  repos;  nous  allons 
maintenant  analyser  les  mouvements  de  la  chaîne  osseuse,  le  rôle  de  ses  moteurs  et  leur 
action  sur  la  propagation  des  sons.  On  sait  depuis  les  expériences  de  Savart  et  de  Mijller 
qu'une  membrane  vibre  d'autant  moins  qu'elle  est  plus  tendue.  Pilcker  a  confirmé  cette 
loi;  PoLiTZER,  LucAE,  FicK,  Mach  l'ont  rendue  expérimentalement  sensible  sur  le  tympan. 
Mais  ce  sont  les  sons  graves  qui  s'éloignent  surtout  par  le  fait  de  la  tension  du  tympan  ; 
et  les  sons  aigus  jusqu'à  un  certain  point,  par  le  fait  même  de  la  tension,  sont  rendus 
plus  pénétrants. 

La  contraction  du  muscle  interne  du  marteau,  pour  Savart,  Mijller  et  Wollaston, 
remplit  le  rôle  de  tendre  la  cloison  et  d'abaisser  l'intensité  du  son. 

Déjà  Valsalva  et  Duverney  avaient  bien  interprété  cette  action  du  muscle  interne  du 
marteau.  Helmholtz,  après  Politzer,I^ucae,  Mach,  etc.,  a  formulé  des  conclusions  identiques  ; 
les  ingénieuses  dispositions  expérimentales  de  Bdck  (New-York)  ont  complété  cette  démons- 
tration. Pour  Helmholtz,  l'appareil  transformerait  le  mouvement  de  grande  amplitude  et  de 
faible  énergie  apporté  par  le  tympan,  en  un  mouvement  de  faible  amplitude  et  de  force 
plus  grande,  servant  à  la  propagation  à  la  chaîne  des  osselets  et  au  labyrinthe. 

Le  muscle  du  marteau,  que  quelques  'personnes  peuvent  contracter  à  volonté,  obéit 

physiologiquement  à  une  action  réflexe;  celle- 
ci  est  bien  exposée  dans  les  lignes  suivantes  de 
.1.  MiJLLER  (Traité  de  physiologie,  t.  ii). 

MûLLER  dit  :  «  Si  l'on  admet  qu'à  l'occasion 
d'un  son  très  intense  le  muscle  du  tympan 
entre  en  action  par  l'effet  d'un  mouvement 
réflexe,  de  même  que  font  l'iris  et  le  muscle 
orbiculaire  des  paupières  lors  d'une  impres- 
sion de  lumière  très  vive,  attendu  que  l'irri- 
tation est  transmise  par  les  nerfs  sensoriels 
au  cerveau,  et  de  celui-ci  aux  nerfs  moteurs, 
il  devient  évident  que,  quand  un  bruit  intense 
frappe  l'oreille,  le  muscle  du  tympan  peut  as- 
sourdir l'ouïe  par  son  mouvement  réflexe.  » 

La  membrane  du  tympan  suit  le  manche  du 
marteau  dans  ses  déplacements  en  dedans  et 
en  dehors;  mais,  dans  les  mouvements  dirigés 
vers  la  caisse,  toute  la  chaîne  des  osselets 
se  meut  complètement  dans  le  même  sens,  au 
même  instant;  et  l'étrier  est  légèrement  en- 
foncé dans  la  fenêtre  ovale,  tendant  ainsi  simultanément  le  ligament  orbiculaire  qui 
l'unit  aux  bords  de  celle-ci. 

Il  suffit  d'une  pression  très  légère  pour  obtenir  ce  résultat  double,  la  tension  accrue 
du  tympan  et  la  fixation  de  l'étrier  dans  son  cadre,  grâce  à  l'exiguïté  de  la  course  possi- 
ble de  la  platine  de  l'osselet  et  de  la  cloison  elle-même  (1/10  millim.). 

L'expe'rience  suivante  de  Gellé  montre  l'effet  de  ces  tensions  imposées  au  tympan 
sur  la  conduction. 

Un  tube  de  caoutchouc  est  adapté  à  l'oreille  de  l'observateur;  à  son  extrémité  libre 
une  baudruche  tendue  sur  un  tube  rigide  est  introduite;  un  second  tube  s'a.jouteà  cette 
partie,  et  communique  avec  la  poire  à  air  :  le  tout  se  tient;  si  la  tige  d'un  diapason 
vibrant  touche  le  tube  en  dehors  de  la  cloison  de  baudruche,  le  son  passe;  mais, 
à  la  moindre  pression  du  doigt  sur  la  poire  à  air,  il  s'affaiblit;  la  tension  imprimée  à 
la  baudruche  a  suffi  à  atténuer  très  sensiblement  le  son  ;  s'il  est  faible,  elle  peut 
l'éteindre. 

Placez  maintenant  le  diapason  vibrant  en  dedans  de  la  cloison  de  baudruche,  entre 
celle-ci  et  l'oreille  de  l'observateur;  puis  faites  la  pression  sur  la  poire  à  air;  aussitôt,  et 
à  chaque  poussée,  le  son  perçu  s'accroît.  C'est  que  la  tension  accrue  de  la  cloison  de  bau- 
druche s'oppose  à  l'écoulement  au  dehors  du  son;  et  qu'il  s'ensuit  une  vive  résonnance 
sentie  par  l'oreille. 

On  voit  ainsi  l'effet  immédiat  de  légères  augmentations  de  la  tension  du  tympan  sur 


FiG.  78,    —   Dispositif  pour  montrer  l'elfet  des 
tensions  du  tympan  sur  l'audition. 

P,  poire  à  air,  dont  le  tube  s'adapte  à  l'oreille. 
—  T,  membrane  de  baudruche  intercalée  dans 
le  tube.  —  E,  diapason  posé  vibrant  en  dehors 
d'elle  ;  dès  que  l'on  presse  la  poire,  le  tympan 
artificiel  tendu  arrête  et  atténue  le  courant 
sonore.  —  I,  diapason  posé  en  dedans  de  la 
baudruche  :  la  pression  sur  la  poire  à  air  tend 
cette  cloison  ;  arrête  le  courant  sonore  ;  et  le 
son  est  perçu  renforcé  par  le  sujet  à  chaque 
fois  en  O. 


AUDITION.  875 

la  conduction  des  vibralions  :  elles  affaiblissent  la  transmission,  et  enlèvent  à  celle-ci 
sa  conductibilité  partiellement  et  momentanément. 

Ceci  acquis,  enlevons  la  cloison  de  baudruche;  alors  le  tube  et  la  poire  ù  air  s'a- 
daptent directement  à  l'oreille  de  l'observateur,  bien  hermétiquement. 

Posez  maintenant  le  talon  du  diapason  vibrant  sur  le  tube;  puis  pressez  d'un  petit 
coup,  très  léger,  la  poire  à  air,  aussitôt  le  son  s'atténue,  passe  plus  sourd,  semble 
s'éloigner. 

Le  tympan  artificiellement  tendu  ne  livre  plus  que  difficilement  passage  aux  ondes 
sonores  vers  l'oreille  :  c'est  l'analogue  de  notre  première  expérience  de  toiità  l'heure. 

Autre  épreuve  :  Placez  le  diapason  sur  votre  vertex  et  puis  exercez  la  délicate  pression 
brusque  sur  la  poire  à  air  adaptée  à  votre  oreille,  et  écoutez  le  son  crânien.  A  chaque 
coup,  il  faiblit.  Cette  fois,  le  son  ne  subit  donc  pas  l'influence  de  la  tension  imprimée  au 
tympan,  car  il  devrait,  comme  dans  l'épreuve  précédente,  oti  le  diapason  sonore  vibre 
en  dedans  de  la  cloison  de  baudruche,  être  renforcé  au  contraire.  Qu'arrive-t-il?  C'est 
que  l'appareil  de  transmission,  la  chaîne  des  osselets,  a  suivi  le  mouvement  de  pression 
en  dedans  imprimé  au  tympan  ;  l'étrier  s'est  porté  en  dedans;  il  s'est  immobilisé  dans  la 
fenêtre  ovale,  tendant  aussi  à  chaque  coup  les  deux  membranes  des  fenêtres  labyrin- 
thiques;  par  suite,  le  courant  sonore  arrêté  n'arrive  plus  qu'affaibli  au  labyrinthe;  et 
c'est  ainsi  que  la  sensation  est  atténuée,  bien  que  le  diapason  vibre  sur  la  tête  {Pressions 
centripètes,  Gshht,  ISSO, Études  d'otologie,  t.  ii). 

Cette  expérience  met  en  évidence  le  jeu  et  le  rôle  des  diverses  parties  de  l'appareil 
de  transmission. 

F.  Axe  de  rotation.  Ligaments  du  marteau.  —  Le  manche  du  marteau  de 
l'ombilic  à  son  apophyse  externe  fait  corps  avec  la  membrane;  du  tympan  à  partir  de 
2  millimètres  au-dessous  du  cadre  tympanal,  l'osselet  quitte  la  membrane  presque  à 
angle  droit;  son  col  se  porte  en  dedans  dans  l'aire  de  la  caisse. 

Mais,  au  niveau  de  l'épine  tympanique  antérieure,  il  se  détache  de  sa  partie  anté- 
rieure une  apophyse  grêle  cachée  et  retenue  dans  une  rainure,  au  niveau  de  la  scissure 
de  Glaser,  par  des  ligaments  fibreux  épais  (ligaments  antérieurs  du  marteau). 

Ces  fibres  vont  s'insérer  au  col  de  cet  osselet  au-dessus  de  cette  saillie  osseuse  anté- 
rieure, et  descendent  jusqu'à  l'apophyse  externe;  elles  limitent  donc  les  oscillations  du 
manche  et  de  la  membrane  en  dehors. 

C'est  là  un  des  points  fixes  du  marteau,  et  une  attache  solide  à  l'écaillé  temporale, 
au-dessus  du  cadre  tympanal,  qui  permet  certains  déplacements.  D'autres  fibres  (liga- 
ment postérieur)  unissent  la  face  postérieure  du  col  du  marteau  au  temporal,  dans  la 
direction  même  du  ligament  antérieur  ;  de  leur  association  il  résulte  que  c'est  le  centre 
autour  duquel  s'accomplissent  les  mouvements  du  marteau. 

Helmholtz  les  nomme  «  la  bande-axe  du  marteau  )>;  ces  ligaments  maintiennent  le 
marteau  en  place,  même  isolé  de  ses  connexions. 

TI  est  bon  de  remarquer  ici  que  les  tractions  énergiques  sur  le  tendon  tenseur,  qui 
portent  le  manche  en  dedans  avec  la  cloison  et  rejettent  la  tête  du  marteau  en  dehors, 
tirent  sur  le  ligament  qui  unit  le  col  de  cet  os  au  temporal;  ainsi  se  trouvent  limités  en 
dedans  les  déplacements  du  manche. 

De  ces  attaches  à  la  paroi  tympanique  externe,  il  résulte  que  la  cloison  peut,  par  suite 
d'états  pathologiques,  devenir  susceptible  d'être  fortement  poussée  en  dehors  ou  en 
dedans  sans  que  le  manche,  bien  retenu,  ne  suive  ces  déplacements. 

Le  tendon  du  muscle  interne  du  marteau  vient  du  bec  de  cuiller,  sur  la  paroi  interne 
de  la  caisse,  se  jeter  perpendiculairement  sur  le  manche  (partie  antérieure),  un  peu 
au-dessous  des  points  fixes  d'attache  du  col  (ligaments  antérieurs,  externes  et  posté- 
rieurs, bande-axe  d'HELiiHOLTz),  auxquels  tout  l'appareil  est  suspendu. 

Toutes  ces  parties  se  meuvent,  mais  dans  de  très  faibles  limites,  vu  le  petit  déplacement 
nécessaire  à  la  tension  du  tympan.  Le  muscle  penniforme  est  reçu  dans  sa  gaine  osseuse 
parallèle  à  la  trompe;  et  le  tendon  se  réfléchit  au  niveau  de  la  fenêtre  ovale. 

Cette  réflexion  a  son  importance;  elle  assure  la  précision  de  l'effort,  et  sa  direction 
constante;  mais  de  plus  elle  a  pour  effet  utile  d'éteindre  toute  conduction  vibratoire 
de  ce  côté. 

L'apophyse  grêle  du  marteau  maintenu  par  des  ligaments  solides  qui  laissent  un  cer- 


876 


AUDITION. 


tain  jeu,  surtout  dans  le  sens  de  la  rotation  du  manche  en  dedans  et  en  dehors,  est  le 
point  d'appui  antérieur  de  Vaxe  de  rotation  autour  duquel  s'exécutent  les  oscillations 
qu'amènent  la  tension  et  la  détente  du  tympan  et  de  l'appareil  conducteur. 

L'autre  partie  de  cet  axe  de  rotation  est  constituée  par  la  branche  horizontale  de 
l'enclume,  reçue  dans  une  encoche  de  la  paroi  postérieure  de  la  caisse  (point  fixe). 
Comme  les  deux  têtes  de  l'enclume  et  du  marteau  sont  articulées,  ainsi  se  trouve  établi 
l'axe  des  mouvements  de  l'appareil. 

G.  Mouvements  du  manche  du  marteau  et  du  tympan  se  communiquant  à, 
l'enclume  et,  par  cet  osselet,  à  Tètrier.  —  Les  deux  têtes  sont  articulées  par  emboî- 
tement réciproque,  quand  le  tympan  s'enfonce,  la  tète  du  marteau  oscille  et  se  porte  en 
dehors  et  en  haut;  à  ce  moment  l'articulation  malléo-incudienne  est  serrée  ;  et  la  saillie 
osseuse  qu'offre  le  bord  inférieur  de  la  surface  articulaire  du  marteau  repousse  en  dedans 
la  branche  inférieure  de  l'enclume;  ce  qui  revient  à  dire  que  le  déplacement  vers  le 
dedans  du  manche  cause  aussitôt  un  déplacement  égal  de  la  branche  incudienne  dans 
le  même  sens,  et  l'enfonçure  de  l'élrier;  le  manche  du  marteau  ne  peut  se  porter  en 
dedans  sans  entraîner  l'enclume  dans  la  même  direc- 
tion. 

Il  n'en  est  pas  de  même  dans  le  sens  opposé:  grâce 
à  la  laxité  des  ligaments  articulaires,  et  à  la  forme  des 
surfaces  articulaires  que  le  mouvement  du  tympan 
en  dehors  desserre,  les  deux  osselets  ne  sont  associés 
que  dans  de  certa-nes  limites  dans  la  rotation  en  ce 
sens  ;  Heluholtz  a  bien  étudié  ce  mécanisme  (Helm- 
HOLTz.  Le  mtScanisme  des  osselets  de  l'oreille  et  de  lamem- 
brane  du  tympan,  1886,  trad-  Rattel). 

11  a  expérimentalement  établi  que  les  deux  sur- 
faces articulaires  de  ces  osselets  s'écartent  l'une  de 
l'autre  sur  presque  toute  leur  étendue,  tandis  que 
l'enclume  leste  immobile,  dans  les  déplacements  très 
accusés  de  la  tète  du  marteau  vers  le  dedans;  le  car- 
tilage articulaire  remplit  les  vides.  Le  ligament  capsu- 
laire  qui  unit  les  deux. osselets  n'est  pas  très  fort,  et 
céderait  facilement. 

Le  savant  physiologiste  a  calculé  que  la  rotation 
en  dehors  du  manche  sur  l'enclume  qui  disjoint  l'arti- 
culation des  deux  têtes,  n'atteint  pas  o  degrés  (p.  26). 

Par  une  expérience  délicate,  Politzer  a  montré  que  l'axe  de  rotation  du  système  a  bien 
ses  points  fixes  en  arrière  à  la  branche  horizontale  de  l'enclume,  en  avant  au  niveau  de 
l'apophyse  grêle  du  marteau.  Expérience  :  De  fines  tiges  de  verre  sont  attachées  aux  tètes 
des  deux  osselets  ;  puis  l'air  du  conduit  est  comprimé  ;  alors  il  a  constaté  nettement 
que  le  déplacement  général  en  dedans  des  parties  a  lieu  par  une  oscillation  autour  de 
ces  deux  points  fixes  ;  il  a  observé  aussi  de  légers  mouvements  au  niveau  de  la  jointure 
des  deux  tètes  osseuses. 

Le  ligament  dit  suspenseur  du  marteau  se  trouve  relâché  dans  l'oscillation  en  dedans 
et  aussi  par  l'action  du  tenseur,  à  l'inverse  de  tous  les  autres  ligaments  malléens. 

D'après  cette  analyse  on  voit  que  l'enclume  suit  l'impulsion  du  manche  du  marteau 
et  du  tympan,  s'ils  s'enfoncent  et  basculent  en  dedans;  et  que  l'extrémité  arrondie  de 
sa  branche  verticale  appuie  alors  sur  la  tête  cupuliforme  de  l'étrier  qu'elle  pousse  et 
fait  glisser  dans  la  fenêtre  ovale. 

L'articulation  incudo-stapédienne  est  lâche  et  très  mobile;  c'est  une  énarthrose 
maintenue  par  une  capsule  molle  qui  offre  beaucoup  de.  fibres  élastiques. 

H. Mouvements  de  l'étrier.  —  Les  mouvements  de  l'étriersont  extrêmement  limités. 
Helmholtz  a  réussi,  au  moyen  de  leviers  amplificateurs,  à  mesurer  la  course  de  la  platine 
de  l'étrier,  que  mouvaient,  soit  la  raréfaction  de  l'air  du  conduit,  soit  sa  condensation 
au  contraire  ;  et  il  a  trouvé  une  moyenne  de  7/18  millièmes  à  1/14  millième  de  milli- 
mètre, ainsi  que  nous  l'avons  dit  déjà. 

La  laxité  de  lajointure  incudo-stapédienne  est  telle  que,  dans  les  déplaceinentsexagérés 


^IG.  79.  —  Osselets  de  louïe,  articulés. 

4,  tête  du  marteau.  —  st,  manche.  — 
1,  apophyse  antérieure,  grêle.  —  E, 
branche  horizontale,  fixe  de  l'en- 
clume. —  E',  branche  descendante 
ou  verticale  de  l'enclume.  —  E",  s'ar- 
ticulant  avec  la  tête  de  l'étrier  S. 


AUDITION.  877 

du  manche  du  marteau  en  dehors,  cet  observateur  a  pu  constater  que  l'extrémité  de  la 
branche  de  l'enclume  s'écarte  de  la  surface  articulaire  de  la  lète  de  l'étrier;  cet  écar- 
tement  peut  atteindre  1/4  de  millimètre  à  1/2  millimètre  :  ce  sont  là,  à  mon  sens,  des 
observations  de  première  importance.  Quand  le  manche  du  marteau  est  refoulé  en 
dehors,  et  que  la. jointure  incudo-malléaire  s'ouvre,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  l'ar- 
ticulation de  l'étrier  et  de  l'enclume  peut  cependant  rester  serrée,  les  deux  surfaces 
articulaires  au  contact  :  nous  avons  expliqué  plus  haut  le  mécanisme  de  ces  mouve- 
ments de  dissociation  du  marteau  et  de.  l'enclume  qui  isolent  l'étrier  jusqu'à  un  certain 
point:  Cela, est  d'autant  plus  important  à, connaître  que  la  chaîne  osseuse  est  un  appareil 
chargé  de  la  transmission  des  sons,  bien  que  formée  de  segments. 

Ces  sortes  de  disconnexions,  si  elles  sont  possibles  physiologiquement,  expliquent 
peut-être  l'action  tutélaire  du  stapédius  ou  muscle  de  l'étrier. 

On  se  rappelle  que  le  premier  effet  de  la  tension  est  d'appliquer  toutes  ces  surfaces 
osseuses  les  unes  aux  autres,  pour  transformer  la  chaîne  brisée  en  un  corps  rigide;  or, 
si  ces  jointures  peuvent  être  relâchées,  s'il  peut  même  y  avoir  disconnexion,  la  trans- 
mission est  de  ce  fait  seul  interrompue  ou  rendue  plus  difficile,  et  l'antagonisme  du 
muscle  de  l'étrier  et  du  tenseur  est  clair  et  son  utilité  manifeste;  )e  mécanisme  de  l'in- 
terruption du  courant  sonore  consisterait  dans  le  relâchement  des  contacts. 

La  platine  de  l'étrier,  d'après  Helmholtz,  ne  se  meut  pas  en  volet  ni  en  basculant  comme 
l'ont  admis  Huschke,  Lucae,  Politzer;  son  mouvement  en  dedans  est  total,  et  quand  on 
l'observe  du  côté  du  vestibule,  il  se  fait  d'un  seul  bloc,  c'est-à-dire  que  ses  deux  bords 
supérieur  et  inférieur  sont  à  la  fois  poussés  en  dedans  ou  en  dehors.  Sur  un  appareil 
que  j'ai  construit  pour  étudier  l'action  des  divers  leviers  arliculés  qui  composent  la 
chaîne  des  osselets,  j'ai  pu  constater  que  le  mouvement  transmis  à  l'étrier  est  un  glis- 
sement, dans  le  sens  horizontal  à  peu  près  (Celle,  B.  B.,  1894);  je  me  range  donc  à  l'opi- 
nion d'HELMHOLTz;  au  reste  aucun  ligament  ne  permet  de  mouvements  partiels.  Cepen- 
dant par  la  contraction  du  stapédius,  agissant  seul,  la  base  de  l'étrier  peut  sans  doute 
basculer  dans  de  faibles  limites;  mais  sa  tête  décrit  un  aro  plus  sensible;  le  déplace- 
ment est  alors  transmis  à  la  branche  verticale  de  l'enclume.  J'ai  constaté  sur  le  cadavre, 
après  ToYNBEE,  que  dans  ce  mouvement  le  labyrinthe  est  décomprimé  et  sa  tension  inté- 
rieure abaissée  :  là  l'antagonisme  des  deux  muscles  tympaniques  est  visible. 

Dans  les  mouvements  en  dedans  du  tympan,  et  lors  des  contractions  du  muscle 
tenseur,  l'étrier  éprouve  en  défmitive  un  mouvement  en  dedans  égal  et  simultané  ;  et 
celui-ci  ne  dépasse  pas  1  dixième  de  millimètre.  A  ce  déplacement  succède  une  oscilla- 
tion en  retour  par  l'élasticité  des  parties,  dès  que  la  cause  a  cessé.  Politzer  a  montré 
l'action  de  ces  tensions  tympaniques  sur  la  conduction,  par  l'abaissement  de  la  courbe 
inscrite  et  l'affaiblissement  des  tracés  des  oscillations  des  osselets  et  du  tympan  quand 
le  tenseur  agit,  dans  ses  expériences  au  moyen  de  liges  de  verre  adaptées  aux  osselets 
et  que  le  courant  sonore  ébranle;  le  muscle  est  excité  soit  directement,  soit  par  action 
réflexe  sur  la  v=  paire;  et  les  modifications  des  vibrations  s'inscrivent  sur  le  cylindre 
enregistreur. 

Helmholtz  calcule  que  la  pression  exercée  par  l'extrémité  de  la  branche  verticale  de 
l'enclume  sur  l'étrier,  dans  les  mouvements  du  manche  et  du  tympan  vers  le  dedans, 
est  une  fois  et  demie  aussi  grande  que  la  force  exercée  sur  le  marteau  même. 

11  est  à  remarquer  que  la  longueur  de  la  branche  verticale  de  l'enclume  est  spéciale 
à  l'homme  :  je  l'ai  nommée  le  levier  de  la  détente;  il  semble  qu'à  ce  point  de  vue 
l'homme  soit  mieux  armé  aussi  pour  la  protection  et  la  détente  de  l'organe  auditif;  c'est 
le  stapédius  ou  muscle  de  l'étrier  qui  meut  ce  levier  de  la  détente.  L'étendue  des  mou- 
vements du  tympan  et  du  manche  en  dehors  peut  atteindre  o  millimètres,  grâce  à  la 
laxité  des  jointures  de  l'étrier  et  de  l'enclume  et  surtout  de  l'enclume  et  du  marteau. 

J'ai  fait,  à  ce  sujet,  des  expériences  au  moyen  de  VendotoscojJe,  manomètre  adapté 
au  conduit  et  calibré  de  telle  sorte  que  la  colonne  liquide  de  la  branche  ascendante 
graduée  est  trois  fois  plus  étroite  que  l'autre  :  j'obtiens  ainsi  une  amplification  des 
déplacements  du  tympan  provoqués  soit  par  l'épreuve  de  Valsalva,  soit  par  celle  de  Po- 
litzer, soit  par  la  déglutition  (Celle,  Précis  d'Otologie,  1876).  Or,  dans  la  propulsion  du 
tympan  en  dehors,  par  l'expérience  de  Politzer,  l'ascension  de  la  colonne  liquide  de  l'en- 
dotoscope  sur  l'oreille  saine  atteint  1  et  1/2  à  2  centimètres,  répondant  à  4  ou  3  milli- 


878 


AUDITION. 


mèlres  de  déplacement  de  la  cloison.  D'autre  part,  dans  mes  études  sur  les  mouve- 
ments tympaniques  au  moyen  de  la  méthode  graphique,  les  tracés  montrent  que  le 
mouvement  de  la  déglutition  retentit  sur  la  cloison  et  la  déprime  très  légèrement, 
voussure  suivie  de  retour  immédiat.  Le  crochet  inscrit  est  plus  fort,  si  l'on  pince  le  nez; 
c'est  un  brusque,  mais  très  léger,  abaissement  de  niveau,  avec  retour  instantané  à  la  nor- 
male, qui  l'indique.  L'épreuve  de  Valsalva  et  surtout  l'insulflation  avec  la  poire  de 
PoLiTZER  provoquent,  au  contraire,  une  élévation  brusque  de  niveau,  et  la  formation  d'une 
ligne  d'ascension  très  élevée,  dont  la  courbe  plus  étendue  de  descente  se  divise  en  deux 
zones;  l'une  immédiate  à  descente  vive,   l'autre  plus  lente,   oblique,  et  d'autant  plus 


FiG,  80.  —  Tracés  des  mouvements  du  tympan  (très  amplifit^'s)  ;  pendant  l'épreuve  de  Valsalva. 
éprouve  de  Valsalva  qui  refoule  le  tympan  en  dehors  de  a  à  i  ;  de  là  descente  graduelle  activée  en  c  par 
une  déglutition.  —  c,  c',  crochets  de  la  déglutition  ;  retour  immédiat  à  la  ligne  d'équilibre. 


longue  que  la  trompe  est  moins  perméable  {Études  d'Otologie,  t.  i,  1876,  et  Précis  d'Oto- 
logie,  1880).  On  voit  ainsi  sur  ces  tracés  les  différences  de  mobilité  en  dehors  et  en 
dedans  de  la  cloison  tympanique. 

Comment  les  pressions  sur  l'cirier  affaiblissent-elles  le  courant  sonore,  aérien  ou  soli- 
dien?  —  Les  pressions  sur  le  tympan,  les  tensions  intra-lympaniques  dues  à  l'aération 
artificielle  de  la  caisse  (Savart,  Wollaston)  atténuent  d'une  façon  sensible  l'audition 
aérienne.  Quant  à  la  perception  crânienne,  j'ai  montré  que  le  fait  existe  aussi  bien 
pour  elle  que  pour  la  première  ;  de  plus,  j'en  ai  donné  l'explication  en  montrant  que  ces 
mêmes  pressions  refoulent  l'étrier  et  l'immobilisent  momentanément  (Voyez  plus  haut. 
Pressions  centripètes),  coupant  alors  le  courant  vibratoire. 

C'est  ainsi  que  le  son  est  arrêté  à  l'entrée  du  labyrinthe.  La  charge  apportée  en 
excès  sur  cette  plaque  vibrante  suffit  donc  à  alïaiblir  sa  conductibilité  ;  les  plaques  minces 
se  comportent  en  ce  cas  comme  les  membranes  tendues. 

L'étrier,  dont  la  course  est  si  peu  étendue,  en  a  bientôt  atteint  la  limite;  la  poussée 
en  dedans  continuant  tend  le  ligament  orbiculaire,  et  l'os  est  fixé,  immobilisé;  et  du 
même  coup,  ses  vibrations  diminuent  d'amplitude;  il  y  a  arrêt  de  la  transmission 
ou  affaiblissement  immédiat. 

Telle  est  l'explication  des  atténuations  du  son  crânien  observées  dans  l'expérience 
des  pressions  centripètes.  Ces  modifications  de  la  sensation  sonore  sont  instantanées; 
elles  sont  identiques  à  ce  que  produit  l'action  du  muscle  tenseur  et  disparaissent  avec  la 
pression  qui  les  cause  sur  l'oreille  saine.  C'est  ainsi  que  les  contractions  du  muscle 
interne  du  marteau  agissent  sur  l'intensité  du  son  transmis. 

On  sait  que  certaines  personnes  jouissent  du  privilège  de  pouvoir  contracter  à  volonté 
leur  muscle  tenseur,  un  léger  bruit  de  claquement  annonce  la  contraction  ;  le  triangle 
lumineux  du  tympan  s'agite  au  même  moment.  Helmholtz,  Politzer,  Gellé  ont  montré 
que,  dans  le  bâillement,  le  tenseur  se  contracte  énergiquement,  et  assourdit  l'oreille 
presque  complètement.  J'ai  observé  que  les  sons  crâniens  étaient  également  atténués, 
mais  non  aussi  fortement  (Gellé,  Comptes  rendus  du  Congrès  méd.  internat.,  1890,  Berlin). 

En  1876,  j'ai  étudié  les  causes  des  variations  de  tension  du  tympan  et  leur  influence 
sur  la  conduction  ,au  moyen  du  dispositif  suivant.  Dans  l'extrémité  libre  d'un  otoscope 
de  iJO  centimètres  bien  assujetti  à  l'oreille  j'engage  la  lige  d'un  diapason  /a  3  de  9  centi- 
mètres; celui-ci  est  tenu  suspendu  par  la  main  qui  tient  le  tube  de  caoutchouc. 

On  peut  facilement  constater  ainsi  que  le  son  du  diapason  s'éteint  brusquement  si 
l'on  serre  vivement  les  mâchoires;  la  contraction  énergique  a  toujours  ce  résultat;  et  le 
son  renaît  dès  que  celle-ci  a  cessé.  Cela  s'explique  bien  par  la  communauté  d'innerva- 


AUDITION. 


879 


R 


tioii  des  masticateurs  et  du  tenseur  auriculaire.  L'effort  de  la  mastication  amène  la  con- 
traction synergique  du  muscle  tenseur  innervé  par  le  même  nerf  que  les  masticateurs, 
ainsi  que  le  montre  l'embryologie  (M.  Dcval).  Si  l'étrier  est  soudé,  rien  n'est  modifié. 
Par  l'expérience  de  Valsalva,  déjà  faite  et  étudiée  à  ce  point  de  vue  par  Savart,  le 
ton  s'abaisse  aussi;  et  il  en  est  de  même  par  la  déglutition,  le  nez  pincé  surtout.  Toutes- 
ces  actions  ont  pour  effet  d'ac- 
croître soit  passivement,  soit 
activement,  la  tension  de  l'ap- 
pareil conducteur  et  l'enfon- 
çure  de  l'étrier,  et  finalement 
agissent  sur  sa  conductibi- 
lité. 

Épreuve  des  réflexes  d'accom- 
modation biimuricidaire.  — J'ai 
obtenu  également  ces  atté- 
nuations de  l'audition  des  sons 
aériens  en  agissant  au  moyen 
des  pressions  centripètes  sur 
l'une  des  oreilles;  le  diapa- 
son vibrant  est  présenté  au- 
devant  de  l'autre  oreille, 
libre.  Or,  à  chaque  pression 
exercée  sur  la  poire  à  air 
adaptée  à  l'un  des  organes, 
le  son  aérien  baisse  du  côté 
libre.  L'audition  à  droite  est 
intluencée  par  les  pressions 
exercées  sur  l'oreille  gauche. 

Ceci  s'explique  si  l'on  rétlé- 
chit  que  les  deux  oreilles 
sont  associées  dans  l'audition 
binauriculaire,  et  que  la  dé- 
pression tympanique  expé- 
rimentale de  l'oreille  droite 
amène  le  travail  d'adaptation 
synergique  du  côté  gauche. 
Or  remarquons  que  c'est  la 
contraction  du  tenseur  qui  est 
ainsi  provoquée  dans  l'organe 
libre  par  la  pression  centri- 
pète opposée  :  c'est  donc  le 
rôle  du  tenseur  pris  sur  le 
vif. 

Phénomènes  curieux,  d'a- 
près Helmholtz,  certains 
bruits  très  appréciables  se 
produisentau  moment  oùl'ar- 


Fie.  81.  — Épreuve  des  pressions  centripètes  de  Gelle,  montrant 
les  effets  sur  l'audition  des  pressions,  1»  exercées  sur  la  mem- 
brane; 2"  sur  l'étrier;  3«  sur  une  oreille,  le  diapason  vibrant  en  face 
de  l'autre. 

0,0,  les  deux  caisses  tympaniques.  —  D^V,  diapason  vertex  ;  deux 
lignes  ponctuées  aboutissent  aux  étriers  :  chemin  des  ondes  so- 
nores crâniennes.  —  DT,  diapason  posé  sur  le  tube  de  la  poire  à 
air,  le  son  suit  le  tubo  et  frappe  le  tympan  T.  —  P,  poire  à  air, 
en  la  pressant  la  cloison  T  se  tend,  par  suite  le  son  venu  par  le 
tube  s'afi'aiblit;  et  en  même  temps,  la  pression  étant  transmise  il 
l'étrier,  le  son  crânien,  DV,  s'atténue  aussi.  —  oto,  si  on  ausculte 
en  même  temps  le  son  crânien  avec  l'otoscope  placé  k  l'autre 
oreille,  on  sent  le  ton  faiblir  aussi.  —  R,  si  on  ôte  l'otoscope,  le 
diapason  qui  vibre  en  face  de  cette  autre  oreille,  est  perçu  atTaibli 
en  même  temps  que  l'on  presse  avec  la  poire  sur  l'oreille  opposée. 
Le  muscle  tenseur  du  coté  libre  est  actionné  par  la  pression 
exercée  do  l'autre  coté  avec  la  poire  à  air  (Synergie  d'accommo- 
dation binauriculaire).  —  M,  ligne  fictive  reliant  le  labyrinthe  à  la 
moelle  cervicale  en  F,  où  je  place  le  foyer  de  l'accommodation 
binotique  (Gei.lé,  Études  d'otoloç/ie,  t.  II,  p.  38). 


ticulation    incudo-malléenne 

subit  ses  déplacements  étendus,  concordant  avec  la  propulsion  du  tympan  en  dehors, 

et  par  le  retour  à  la  normale. 

I.  Rôle  du  stapèdius  ou  muscle  de  l'étrier.  —  Mécanisme  de  la  détente  ;  synergie- 
antagonisme.  —  Le  muscle  tenseur  augmente  la  tension  normale  de  l'appareil  du  tym- 
pan, le  serrement  des  surfaces  articulaires,  et  comprime  l'étrier  fixé  dans  la  fenêtre 
ovale;  et  tend  la  fenêtre  ronde;  tous  ces  eflfets  de  l'action  du  tenseur  tendent  à  éteindre 
la  conduction,  s'il  agit  seul.  Une  faible  tension,  celle  sans  doute  que  commande  l'at- 
tention auditive,  accroît  la  conduction  au  contraire  (Vals.alva.  Politzer,  Lucae,  Mach). 

Le  tendon  du  muscle  stapèdius  sort  de  sa  gaine  osseuse,  derrière  la  tête  de  l'étrier,. 


880  AUDITION. 

s'infléchit  pour  s'y  insérer  ainsi  qu'à  la  capsule  articulaire.  Envisagé  isolément,  le 
muscle  attire  cette  tête  en  arrière,  et  un  peu  en  dehors,  ditToYNBEE;  mais  il  tire  en 
arrière  en  même  temps  rextrémité  inférieure  du  «  levier  de  la  détente  »,  de  la  branche 
verticale  de  l'enclume.  Celle-ci  bascule  sur  son  point  fixe;  et  la  tête  de  l'enclume 
appuie  et  pèse  sur  la  tète  du  marteau;  ainsi  la  traction  en  arrière  du  levier  de  la 
détente  aboutit  à  une  rotation  du  manche  du  marteau  en  dehors  avec  le  tympan. 

Sappey  a  bien  décrit  ce  mouvement  comple.'ce  par  lequel  tout  d'abord  la  tête  de 
l'étrier  et  la  branche  de  l'enclume  étant  tirées  en  arrière,  la  tète  de  l'enclume  vient 
déprimer  en  dedans  celle  du  marteau,  emboitée  avec  elle;  et  par  suite,  autour  de  l'axe 
de  rotation,  fait  osciller  le  manche  du  marteau  et  le  tympan  en  dehors.  11  se  produit 
alors  une  détente  manifeste,  tout  au  moins  un  efTort  dans  un  sens  opposé  à  l'action  du 
tenseur,  et  à  la  rotation  inverse  :  l'antagonisme  apparaît  évident  par  conséquent  dans 
les  mouvements  associés  et  synergiques. 

Peut-être  se  produit-il  encore  quelque  chose  de  plus,  si  le  stapédius  agit  d'une 
façon  prédominante. 

Le  relâchement  des  parties  de  la  chaîne  va-t-il  jusqu'à  produire  un  peu  de  discon- 
nexion"? Cela  est  difficile  à  démontrer,  mais  se  déduit  sans  effort  des  notions  anatomi- 
ques  si  remarquables  d'HELMUOLiz,  que  nous  avons  à  dessein  exposées  en  détail  tout  à 
l'heure,  mais  dont  l'auteur  ne  tire  point  de  conclusion  à  ce  point  de  vue. 

On  conçoit  la  rigidité  élastique  de  la  chaîne  articulée  par  l'action  du  tenseur,  et  son 
relâchement  allant  jusqu'au  contact,  à  peine  serré,  résultat  de  celle  du  stapédius. 

Ces  deux  étaj;s  doivent  modifier  absolument  et  d'une  façon  totalement  opposée  la 
transmission  du  courant  vibratoire  :  dans  le  premier  cas  elle  est  augmentée,  dans  le 
second  diminuée  ou  éteinte. 

Une  expérience  de  mes  cours  rend  le  phénomène  manifeste.  Je  tiens  du  bout  du  doigt 
l'extrémité  d'une  chaîne  de  montre  enfoncée  fermement,  bouchant  tout,  dans  le  trou 
auditif;  or  la  montre  n'est  perçue  ainsi  que  si  je  tends  fortement  la  chaîne,  en  tirant 
sur  la  montre;  et  le  son  cesse  de  passer  dès  que  la  tension  finit;  les  anneaux  de  la 
chaîne  ne  conduisent  bien  que  s'ils  sont  en  contact  serré.  De  même,  placez  un  dia- 
pason vibrant  sur  le  menton;  la  bouche  ouverte  il  passe  peu  de  son;  si  les  dents  se  fer- 
ment il  en  passe  davantage,  mais  le  son  est  bien  plus  intense  si  l'on  serre  les  dents. 

Dans  les  mouvements  en  dedans  du  tympan,  dans  les  contractions  du  tenseur  le 
stapédius  limite  les  poussées  en  dedans  de  l'étrier,  et  fait  dans  une  certaine  mesure 
équilibre  au  tenseur  :  antagonisme  nécessaire.  Les  deux  actions  combinées  assurent 
la  fonction  d'accommodation  et  de  protection  de  l'organe.  En  effet,  M.  Duval  voit  dans  ces 
actions  musculaires  sur  ces  leviers  un  but  d'adaptation  et  d'accommodation;  il  pense 
qu'ainsi  l'oreille  possède,  comme  l'œil,  des  parties  chargées  de  l'accommoder,  pour  les 
tons  bas  et  aigus,  et  de  graduer  la  pénétration  des  vibrations,  comme  l'iris  a  pour  mis- 
sion de  graduer  la  pénétration  des  ondes  lumineuses. 

Nous  dirons  qu'il  y  a  là  surtout  un  appareil  actif  de  protection  du  sens  de  l'ouïe.  On 
ne  saurait  en  effet  admettre  que  les  contractions  des  moteurs  puissent  accommoder  à 
chaque  instant  la  tension  pour  le  passage  des  sons  suivant  leur  tonalité;  la  multitude 
des  vibrations,  la  simultanéité  de  sons  de  tonalités  les  plus  opposées,  rend  inadmis- 
sible cette  conception. 

Mais  il  est  logique  de  croire  que,  par  l'eff'et  de  leurs  contractions  réflexes,  les 
délicats  conducteurs  se  disposent  de  telle  sorte  que  la  transmission  puisse  être  ou  faci- 
litée, comme  dans  l'attention,  ou  au  contraire  affaiblie  autant  que  possible,  comme  dans 
l'audition  douloureuse,  par  exemple. 

Dans  les  deux  cas,  il  y  a  effort  et  fatigue,  comme  lors  de  tout  acte  musculaire  répété. 
Le  rôle  protecteur  du  stapédius  est  évident  :  pour  Toynbee,  il  ouvre  la  voie  que  le  ten- 
seur ferme  au  contraire  :  leurs  actions  associées  donnent  à  l'appareil  une  grande  élas- 
ticité, et  évitent  les  mouvements  brusques;  leur  antagonisme  règle  et  gradue  les  dépla- 
cements. Dans  le  cas  d'hémiplégie  faciale,  le  stapédius  étant  paralysé,  l'action  du  ten- 
seur reste  sans  contrepoids;  or,  il  en  résulte  de  l'affaiblissement  de  l'ouïe,  de  l'audition 
douloureuse,  par  les  secousses  qui  se  produisent  dans  la  tension  brusque  que  provo- 
quent les  bruits  intenses  [hyperacousie)  (Laindouzy). 

J.  Aération  de  l'oreille  moyenne.  —  Nous  ne  pouvons  ici  étudier  en  détails  cette 


AUDITION.  881 

fonction  annexe,  la  ventilation  de  la  caisse  du  tympan  et  son  mécanisme.  Xous  en 
dirons  ce  qui  est  indispensable  à  connaître  au  point  de  vue  de  l'audition. 

L'air  de  la  cavité  tympanique  fait  équilibre  à  l'air  atmosphérique,  de  sorte  que  les 
de  us  faces  du  tympan  subissent  la  même  pression;  c'est  une  condition  de  l'équilibre 
statique  de  l'appareil  conducteur,  et  de  la  constance  de  cet  état  moyen  de  tension  du 
tympan  et  de  tout  l'appareil  sur  lequel  nous  avons  déjà  parlé  :  c'est  la  déglutition  de  la 
salive,  intermittente,  qui  assure  cette  ventilation.  Dès  que  l'air  intra-tympanique  n'est 
plus  renouvelé  suffisamment,  la  pression  extérieure  refoule  la  cloison  et  l'étrier;  ainsi 
se  rompt  l'équilibre  de  la  pression  labyrinthique  nécessaire.  Mais  de  là,  de  ces  tensions 
des  membranes  tympanique  et  de  la  fenêtre  ronde  naissent  des  sensations  transmises 
par  le  plexus  tympanique,  et  la  déglutition  de  la  salive  recommence. 

Un  conduit  spécial  amène  l'air  du  pbarynx  nasal  dans  l'oreille  moyenne  et  satisfait 
à  ce  besoin  d'aération  :  c'est  la  trompe  d'EosTACHE.  Celle-ci  n'est  pas  constamment 
béante;  ses  deux  parois  s'écartent  au  moment  de  la  déglutition,  les  muscles  qui 
meuvent  alors  le  voile  étant  les  moteurs  de  la  trompe,  la  trompe  s'ouvre;  l'air  esté- 
rieur  pénètre  et  rétablit  l'équilibre  des  tensions  auriculaires  ;  une  légère  oscillation  du 
tympan,  visible  sur  les  tracés  et  à  la  vue,  et  manifeste  sur  l'endotoscope,  accompagne  ce 
mouvement  de  l'air.  Ainsi,  un  Ilot  de  salive  s'écoule;  on  la  déglutit;  la  trompe  s'ouvre  ; 
l'air  s'y  introduit:  le  tympan  qui  a  été  aspiré  en  dedans  reprend  sa  position  d'équili- 
bre :  l'aération  est  faite.  Telle  est  la  série  des  phénomènes  qui  se  succèdent  pour  assurer 
la  ventilation  de  l'organe. 

Si  Ton  se  rappelle  la  faible  course  que  le  tympan  est  susceptible  de  faire  vers  le 
dedans,  on  comprend  combien  il  importe  que  l'air  arrive  à  temps  dans  la  caisse  pour 
éviter  toute  tension  et  tout  déplacement  en  ce  sens,  qui  causeraient  vite  l'immobilité  de 
la  platine  de  l'étrier  dans  la  fenêtre  ovale  et  par  conséquent  l'affaiblissement  de  l'audi- 
tion. Voyons  chez  l'homme  le  mécanisme  et  les  conditions  de  cette  «  ventilation)),  comme 
l'appelle  de  Trœltsch.  Nous  dirons  plus  loin  comment  elle  s'opère  chez  les  autres  vertébrés. 

La  caisse  est  chez  l'enfant  ample  et  large  ;  elle  n'ofîre  qu'une  seule  cellule  osseuse 
comme  diverticulum,  c'est  l'antre  mastoïdien.  La  trompe  est  assez  large,  courte  et 
presque  droite  et  bien  ouverte  (de  Trœltsch),  même  au  niveau  de  l'isthme.  Le  va-et-vient 
de  l'air  du  pharynx  vers  la  caisse  est  bien  facile  à  cet  âge. 

Chez  l'adulte,  le  volume  de  celle-ci  est  relativement  plus  faible;  qiaisde  vastes  cellules 
aériennes  se  sont  développées  dans  l'épaisseur  de  l'apophyse  mastoïde  ;  et  il  y  a  com- 
pensation. 

La  caisse  est  une  cellule  osseuse  isolée  de  l'extérieur;  l'étendue  du  réservoir  d'air  a 
de  l'importance;  car  elle  s'oppose  à  sa  raréfaction  trop  rapide. 

RûDixGER  cependant  admet  l'existence  d'un  petit  canal  aérien  permanent  situé  dans 
la  partie  supérieure  du  conduit  tubaire  où  l'aceolement  des  parois  serait  incomplet. 

Les  expériences  d'HARiMANN,  très  bien  conduites,  ont  absolument  démontré  que  la 
trompe  est  toujours  close  à  l'état  de  repos,  ainsi  que  de  Trœltsch,  Politzer,  etc.,  l'avaient 
admis  et  prouvé  déjà.  Hartmann  a  expérimentalement  montré  qu'il  faut  toujours  une 
certaine  pression  de  l'air  pour  qu'il  franchisse  la  trompe  en  dehors  de  la  déglutition.  Il 
évalue  cette  pression  nécessaire  à  20  et  parfois  jusqu'à  60  millimètres  de  mercure  :  au 
moins  est-ce  la  pression  qu'on  produit  en  exécutant  l'épreuve  dite  de  'V'alsalva  (action 
de  pincer  le  nez,  en  poussant  l'air  dans  les  narines  comme  pour  se  moucher). 

De  mon  côté,  je  suis  arrivé  à  peu  près  aux  mêmes  chiffres,  60  à  80  millimètres  de  mer- 
cure dans  des  expériences  faites  dans  le  laboratoire  de  J.  Béglard  (Gellé,  Études 
d'otologie,  t.  r,  p.  .303).  D'ailleurs  la  pression  nécessaire  s'accroît  avec  la  diminution 
de  calibre  de  la  voie  tubaire,  dans  les  otopathies  et  les  rhino-pharyngites.  D'autre 
part  Hartmann  a  prouvé  l'occlusion  de  la  trompe  à  l'état  de  repos  en  soumettant  des 
adultes,  placés  dans  une  chambre  pneumatique,  à  des  pressions  aériennes  graduellement 
croissantes.  Or,  chez  tous,  la  déglutition  seule  fit  pénétrer  l'air  dans  les  cavités  tympa- 
niques  et  cesser  la  douleur  aiguë  causée  par  la  pression  poussée  jusqu'à  200  milHmêtres 
de  mercure  (Hartmann,  1879). 

Ainsi,  il  est  établi  que  le  canal  de  la  trompe,  fermé  à  l'état  de  repos  par  l'aceolement 
de  ses  deux  parois,  s'ouvre  d'une  façon  intermittente  sous  l'influence  de  l'acte  de  la 
déglutition.  La  salive  flue  dans  la  cavité  buccale  et  de  temps  en  temps,  plusieurs  fois 

DICT.    DE  PHYSIOLOGIE.    —    TOME    I.  56 


882  AUDITION. 

par  minute,  un  mouvement  de  déglutition  l'emporte  à  travers  l'isthme  du  gosier;  alors 
aussi  le  voile  se  redresse,  et  les  trompes  s'ouvrent. 

Quels  sont  les  agents  de  cette  ouverture  "? 

Cet  organe  tubulé  est  constitué  dans  sa  moitié  interne  par  une  gouttière  solide,  car- 
tilagineuse, fixée  à  la  base  du  crâne  par  son  bord  supérieur.  Cette  gouttière  fait  saillie 
dans  le  haut  du  pharynx;  elle  est  oblique  en  dedans,  en  bas  et  en  avant,  s'étend  du 
rocher  à  l'apophyse  ptérygoïde,  à  1  centimètre  au-dessus  du  voile  du  palais. 

La  paroi  externe  est  membraneuse  et  mobile. 

Cette  paroi  externe  membraneuse  est  doublée  du  muscle  péristaphylin  externe,  ou 
tenseur  du  voile,  dont  les  fibres  de  plus  en  plus  verticales  se  jettent  sur  un  tendon  infé- 
rieur qui  se  réfléchit  au-dessous  du  crochet  de  l'apophyse  ptérygoïde,  et  va  se  confondre 
avec  le  plan  fibreux  du  voile;  c'est  là  le  point  fixe  des  deux  muscles,  de  sorte  que  quand 
ils  se  contractent  synergiquement,  au  moment  d'avaler,  le  voile  du  palais  se  trouve  ten- 
du, et  en  même  temps  les  trompes  sont  ouvertes.  La  paroi  membraneuse  est  attirée 
en  bas  et  en  dehors,  et  se  décolle  de  la  paroi  interne  fixe,  et  l'écartement  a  lieu  dans 
toute  l'étendue  du  conduit,  ouvert  ainsi  d'un  bout  à  l'autre  (Valsalva).  Les  muscles 
tenseurs  du  voile  du  palais  sont  donc  les  agents  les  plus  actifs  de  l'ouverture  des 
trompes. 

Il  y  en  a  d'autres,  moins  énergiques.  C'est  ainsi  qu'un  faisceau  de  fibres  musculaires 
se  porte  du  pharynx  à  la  pointe  du  pavillon  tubaire  de  chaque  côté  (pharyngo-staphylin)  ; 
au  moment  de  la  déglutition,  leur  contraction  tire  cette  pointe  cartilagineuse  en  arriére, 
en  même  temps  que  la  paroi  pharyngée  se  porte  en  avant. 

Le  muscle  péristaphylin  interne,  fascicule,  couché  le  long  de  la  gouttière  cartilagineuse 
au-dessous  et  en  dehors  d'elle,  soulève  le  pavillon  de  la  trompe  au  moment  où  les 
fibres  vont  s'épanouir  en  éventail  dans  le  voile  du  palais  pour  se  fixer  au  raphé 
médian;  l'insertion  fixe  est  à  la  base  de  crâne. 

Les  muscles  de  chaque  côté  se  contractent  synergiquement  dans  l'acte  d'avaler;  la 
courbe  qu'ils  décrivent  pour  descendre  de  chaque  côté  dans  l'épaisseur  du  voile  mobile 
se  redresse;  celui-ci  se  relève,  le  pavillon  tubaire  obéit  à  ce  mouvement,  en  même  temps 
que  sa  pointe  s'écarte  en  arrière;  par  suite  le  pavillon  s'évase. 

Les  rapports  fonctionnels  du  voile  du  palais  et  des  trompes  sont  donc  intimes;  et  les 
tenseurs  du  voile  sont  les  agents  les  plus  actifs  de  l'ouverture  des  trompes  (Valsalva). 

Dans  la  paralysie  du  voile,  les  trompes  cessent  d'être  perméables;  et,  la  circulation 
de  l'air  devenant  nulle,  l'audition  s'en  trouve  bientôt  altérée.  Les  perforations  et  destruc- 
tions de  cet  organe  ont  la  même  conséquence  nuisible,  faute  du  point  d'appui  nécessaire 
à  l'action  musculaire  du  dilatateur  par  excellence  (tenseurdu  voile). 

La  trompe  d'Eustache  est  un  conduit  long  de  -ia  millimètres  (de  Trœltsch),  de  35  à 
40  millimètres  (Sappey,  Bezold).  Sa  portion  osseuse,  tympanique,  est  limitée  à  13  à  14  mil- 
limètres au  plus;  sa  portion  cartilagineuse  est  close  dans  la  plus  grande  partie" de  son 
étendue;  c'est  sur  celle-ci  que  le  muscle  tenseur  du  voile  agit,  en  écartant  en  dehors 
brusquement  la  paroi  extérieure  nienbraneuse  de  la  gouttière  cartilagineuse  et  posté- 
rieure dans  l'action  de  déglutir.  Les  trompes  s'ouvrent  au  moment  même  où  le  voile 
relevé  ferme  le  passage  du  pharynx  vers  les  voies  nasales.  Par  suite,  au  moment  où  les 
trompes  sont  rendues  ainsi  perméables  à  l'air,  la  seule  voie  d'entrée  de  l'air  extérieur 
est  la  narine  correspondante.  Mais  les  deux  surfaces  de  2  centimètres  presque,  accolées, 
qui  se  détachent  brusquement  l'une  de  l'autre,  en  produisant  un  léger  claquement 
caractéristique  (otoscopie),  causent  par  là  même,  ipso  facto,  une  légère  aspiration  sur  la 
caisse;  c'est  ce  qu'indiquent  les  tracés  graphiques;  au  premier  instant,  un  petit  crochet 
au-dessous  de  la  ligne  des  x  annonce  le  décollement  des  surfaces  et  parois  tubaires; 
c'est-à-dire  que  le  tympan  est  légèrement  aspiré  vers  le  dedans  dans  ce  premier  temps. 

En  fermant  la  narine  (seule  voie  d'entrée  de  l'air,  au  moment  où  l'on  avale),  le  cro- 
chet s'exagère  sur  le  tracé,  c'est-à-dire  que  le  tympan  subit  une  aspiration  plus  accusée 
et  se  déprime  fortement  vers  la  caisse;  en  effet,  s'il  y  a  perforation  du  tympan  et  si  on 
introduit  un  liquide  dans  la  cavité  otique,  celui-ci  disparaît  aussitôt,  aspiré  instanta- 
nément (PoLiTZEH,  Urbantschitsch,  Gellé).  L'aspiratiou  du  début  (f"  temps)  est  donc 
accrue  par  l'occlusion  de  la  narine  :  or  c'est  ce  que  font  les  alfections  nasales  avec  sté- 
nose. Nous  allons  voir  quelle  est  l'importance  de  cette  notion. 


AUDITION. 


883 


Fia.  82.  —  Tracés  des  mouvements  du  tympan  (amplifiés)  pendant  la  déglutition 

et  l'épreuve  de  Valsalva. 
j  par  l'épreuve  de  Valsalva,  —  h,  pendant  la  déglutition 

déglutition,  le  nez  pincé.  —  a',  par  la  douche  d'air.  —  ô 

l'épreuve  de  Valsalva. 


mple.  —  c,  pendant    la 
par  la  déglutition  après 


Mais  voici  le  dégagement  des  deux  parois  accompli;  la  voie  tubaire  est  libre;  l'air 
pénétrerait  par  le  fait  de  la  pression  atmosphérique.  Or  c'est  par  l'efTet  des  difîérences 
entre  la  pression  aérienne  intra-tympanique  et  celle  du  dehors  que  cette  pénétration  a 
lieu  vers  la  ca- 
vité de  l'oreille 
moyenne.  Le 
bruit,  causé  par 
l'arrivée  de  l'air 
dans  un  espace 
où  la  tension  est 
plus  faible,  est 
d'autant  plus  in- 
tense que  le  vide 
est  plus  complet 
(otoscopie).  En 
même  temps  que 
l'air  arrive  dans 
la  caisse,  le  tym- 
pan, qui  a  été,  comme  je  l'ai  dit,  légèrement  attiré  en  dedans,  se  porte  en  dehors,  revient 
à  sa  position  d'équilibre  par  une  oscillatiou  en  retour  très  nettement  indiquée  sur  le 
tracé,  et  qui  se  manifeste  à  l'examen  de  visu  et  par  l'otoscopie  (bruit  de  claquement 
tympanique  et  oscillation  du  triangle  lumineux). 

Poirier  {Traité  ct^anat.  méd.  chirurgicale.  l"fasc.,  p.  202)  n'accorde  pas  à  l'élasticité 
du  tympan  un  rôle  dans  cette  aération  de  la  caisse  :  c'est  l'air  qui  refoule  le  tympan,  et 

non  le  tympan  excavé  qui  aide  à  l'intro- 
duction de  celui-ci  par  son  retour  élastique 
à  sa  position  normale,  d'où  la  légère  aspi- 
ration première  l'avait  écarté.  Me  basant 
sur  l'étude  des  tracés  graphiques  des  mou- 
vements de  la  cloison  tympanique  pen- 
dant l'acte  de  la  déglutition,  de  plus  sur 
l'inspection  de  la  membrane  et  du  mano- 
mètre, je  crois  devoir  maintenir  mon  opi- 
nion, sur  l'existence  de  l'aspiration  notée 
au  début  de  la  déglutition.  Elle  reçoit 
encore  une  confirmation  sérieuse  de  l'ana- 
lyse de  ce  qui  se  passe  dans  le  cas  de  relâ- 
chement du  tympan,  à  la  suite  d'atïections 
otiques.  En  effet,  en  pareil  cas  on  constate 
que  le  tympan,  son  élasticité  perdue,  obéit 
passivement  à  cette  aspiration  par  laquelle 
débute  l'ouverture  de  la  trompe,  et  reste 
déprimé,  excavé,  enfoncé.  N'est-ce  pas 
pour  obvier  à  cette  suite  inévitable  que  le 
médecin  ordonne  alors  l'aération  métho- 
dique de  la  caisse  tympanique  par  l'insuf- 
flation d'air  ? 

L'aération  de  l'oreille  moyenne  rétablit 
à  chaque  instant  l'équilibre  entre  les  tensions 
intérieures  et  celle  de  l'atmosphère.  A  ce  propos,  il  est  opportun  de  rappeler  que  le 
labyrinthe  subit  complètement  l'effet  de  ces  oscillations  de  pression  et  qu'il  peut  souffrir 
autant  de  leur  excès  que  de  leur  défaut.  Nous  avons  déjà  dit  qu'un  individu  soumis  dans 
une  chambre  pneumatique  à  des  pressions  aériennes  élevées,  éprouve  à  l'oreille  une  dou- 
leur aiguë,  que  l'acte  d'avaler  soulage  aussitôt,  en  rétablissant  l'égalité  de  pression  au 
dedans  et  au  dehors  de  l'organe.  La  perméabilité  de  la  trompe  apparaît  dès  lors  comme 
indispensable;  cependant  il  faut  encore  une  autre  condition  :  la  perméabihlé  des  voies 
nasales;  leur  obstruction  est  en  effet  pleine  de  périls  pour  l'audition,  parce  qu'ylle  gêne 


palai 


6,  sa  paroi 


'iG.  83.  —  IMusoles  tubaires  et  du  voili 
(schéma). 

:.  coupe  du  cartilage  de  la  trompe, 
fibreuse,  externe.  —  c,  sa  cavité,  au  niveau  du 
pavillon.  —  d,  crochet  de  l'apophyse  ptcrygoïde. 
—  E,  aponévrose  du  voile  du  palais.  —  f,  couche 
glanduleuse  sous-muqueuse,  inférieure.  —  g, 
couche  glanduleuse  supérieure.  — N,  orifices  pos- 
térieurs des  fosses  nasales.  —  i,  muscle  pérista- 
phylin  externe.  —  2,  muscle  péristaphylin  in- 
terne. —  3,  muscle  stapiiylo-pharyngien.  —  5, 
muscles  palato-staphylins. 


AUDITION. 


A 


ou  annule  la  circulation  de  l'air.  Quelques  auteurs  ont  observé  des  oscillations  du  tym- 
pan liées  aux  mouvements  de  la  respiration.  Il  s'agit  là  de  cas  pathologiques.  Politzer 
a  constaté  la  possibilité  d'entendre  par  la  trompe,  et  Bing  a  cherché  à  utiliser  cette 
voie  en  otologie  :  il  est  certain  qu'on  perçoit  bien  un  bruit  continu;  par  exemple,  celui 
d'une  cascade,  les  deux  oreilles  hermétiquement  closes,  dans  le  moment  où  la  trompe 
s'ouvre  en  avalant  (Gellé). 

La  muqueuse  de  la  trompe  d'Eustache  est  tapissée  d'une  couche  de  cellules  cylindri- 
ques vibratiles,  de  cellules  caliciformes  (Cornil,  Gellé)  et  des  glandes  acineuses  en 
grand  nombre  versent  à  la  surface  un  mucus  clair  abondant,  indispensable  aux  glisse- 
ments et  déplissements  si  répétés  des  parties. 

Après  la  dilatation  active  de  la  trompe,  le  retour  au  contact  des  deux  parois  se  pro- 
duit aussitôt,  grâce  à  l'élasticité  du  tissu,  mais  aussi  par  suite  d'une  disposition  curieuse 
du  cartilage  tubaire;  au  niveau  de  son  bord  supérieur  il  fait  un  crochet,  que  les  coupes 
transversales  montrent  très  manifeste  (Rûdinger,  de  Trœltsch,  Zockerhandl,  etc.);  ce 
crochet  récliné  reçoit  l'attache  de  la  paroi  membraneuse,  c'est-à-dire  du  muscle  péri- 
staphylin  externe,  et  son  élasticité  assure  le  rappel  automa- 
tique de  celle-ci  au  contact  du  cartilage  (Urbantschitsch, 
Schtv'albe). 

Le  pavillon  tubaire  est  doué  d'une  grande  sensibilité 
qu'il  reçoit  de  la  v°  paire. 

La  muqueuse  de  la  trompe  est  animée  par  un  long  filet 
nerveux  né  du  nerf  de  Jacobson  ;  la  portion  gutturale  reçoit 
du  ganglion  sphéno-palatin  (2'^  branche  du  trijumeau); 
souvent  les  attouchements  du  pavillon  et  de  la  muqueuse 
à  son  pourtour  sont  l'origine  de  réilexes  éloignés;  tels,  la 
raucité  de  la  voix,  l'aphonie,  la  douleur  constante  au  niveau 
de  la  corne  de  l'os  hyoïde  dans  le  cathétérisme,  et  le  lar- 
moiement unilatéral  ;  de  même  les  efforts  de  déglutition, 
ou  de  vomissement;  ce  sont  les  preuves  de  relations  inti- 
mes, par  le  plexus  tympanique,  avec  la  vii'=  paire,  le  pneu- 
mogastrique, le  spinal,  et  le  glossopharyngien. 

Des  expériences  de  Vulpian  il  résultait  que  le  rôle  attri- 
bué au  facial  dans  la  paralysie  du  voile  du  palais  était  trop 
exclusif,  et  que  le  nerf  spinal  devait  être  regardé  comme 
tenant  jusqu'à  un  certain  point  sous  sa  dépendance  Ja  tension  et  l'élévation  de  cet 
organe.  Livon  a  étudié  plus  récemment  la  question  ;  et  il  ressort  de  ses  expériences 
que  le  spinal  actionne  réellement  les  deux  muscles  péristapliylins,  l'externe,  le  tenseur 
surtout,  et  que  le  nerf  pneumogastrique  animerait  par  contre  les  spharyngo-staphy- 
lins  et  les  palato-staphylins  (Livon,  Médecine  moderne,  7  juillet  1894). 

Comme  la  salivation  commande  l'acte  de  la  déglutition,  autant  que  celle-ci  l'aération 
de  la  cavité  auriculaire,  il  serait  très  intéressant  de  connaître  quel  est  le  point  de  départ 
de  cette  excitation  sécrétoire  initiale;  il  y  a  là  une  sécrétion,  intermittente  comme  celle 
des  larmes,  facilitant  et  amenant  le  phénomène  du  clignement.  Est-ce  le  plexus  pharyn- 
gien qui  transmet  au  sensorium  la  sensation  de  sécheresse  de  la  muqueuse  et  ainsi  pro- 
voquerait le  réflexe  salivaire?  Ou  bien  la  salive  coulant  d'une  façon  continue  remplit  à  un 
moment  donné  la  cavité  buccale,  et  provoque,  comme  le  bol  alimentaire,  le  besoin  de  la 
déglutition;  en  effet,  le  phénomène  se  multiplie  quand  la  salivation  se  fait  plus  abondante. 
IV.  Oreille  interne.  —  Labyrinthe.  —  L'oreille  interne  comprend  une  suite  de 
cavités  osseuses  contenues  dans  le  rocher,  communiquant  entre  elles,  et  remplies  de 
liquide.  Cette  situation  au  centre  du  rocher,  cet  isolement  dans  la  profondeur  doivent 
attirer  l'attention.  La  solidité,  l'épaisseur  des  parois  osseuses  inextensibles,  montrent 
que  là  s'arrête  tout  mouvement,  et  que  toute  pression  sera  ressentie  dans  la  cavité 
close.  La  platine  de  l'étrier  transmet  au  liquide  inclus  les  vibrations  de  l'appareil 
de  transmission  tympanique;  ainsi  s'accomplit  la  propagation  à  la  dernière  section  de 
l'oreille,  où  siège  la  partie  sensible  des  ondes  vibratoires  venues  de  l'air  extérieur. 

A  ce  niveau,  les  vibrations,  de  solidiennes  qu'elles  sont,  à  leur  passage  par  l'étrier, 
deviennent  liquidiennes,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit  :  or  les  liquides  ont  des  pro- 


FiG.  84.   —  Labyrinthe   osseux 

Fy,  fenêtre  ovale  ou  vestibu 
laire.  —  Fc,  fenêtre  ronde  oi 
cochléaire,  — •  a,  vestibule  c 
receveur  vestibule.  —  b,  ca- 
naux semi-circulaires.  —  c 
limaçon. 


AUDITION. 


883 


priétés   de    conduire    les  vibrations    particulières;  ils  en   propagent    le   courant   dans 
tous  les  sens. 

Le  liquide  répandu  dans  les  cavités  labyrinthiques,  largement  ouvertes  les  unes  dans 
les  autres,  sert  de  véhicule  au  courant  vibratoire  dans  l'oreille  interne,  et  transmet  les 
vibrations  et  les  pressions  dans  toutes  ses  parties.  Le  nerf  acoustique,  épanoui  sur  les 
diverses  membranes  du  lab\Tinthe,  ne  peut  être  touché  que  par  les  vibrations  qui  agitent 
ce  liquide  conducteur;  ainsi  toutes  les  excitations  des  filets  de  ce  nerf  spécial  viennent 
de  lui,  et  naissent  de  ses  vibrations  et  de  ses  mouvements.  La  mobilité  et  l'élasticité 
des  fenêtres  ovale  et  ronde,  rendent  possibles  ces  mouvements  ondulatoires  de  la  masse 
liquide    intra-labyrin- 

thique  et  pallient  l'effet  *  

des  pressions  subies. 

Le  courant  vibratoire 
pénètre  par  la  fenêtre 
ovale  ;  il  se  propage 
aussitôt  dans  le  vesti- 
bule, cavité  centrale  du 
labyrinthe,  qui  contient 
l'utricule  et  le  saccule  ; 
de  là  il  envahit  le  lima- 
çon (la  rampe  senso- 
rielle ou  vestibulaire), 
et  les  canaux  semi-cir- 
culaires ;  enfin  il  s'é- 
coule par  la  rampe  tym- 
panique  de  la  cochlée  et 
sort  par  la  fenêtre  ronde; 
tel  est  le  circuit  de 
l'onde  à  travers  les  cavi- 
tés de  l'oreille  interne. 

Dans  chacune  des  ca- 
vités osseuses,  on  trouve 
plusieurs  appareils 
membraneux  ;  les  uns 
vésiculaires,  les  autres 
cylindriques,  extrême- 
ment délicats,  qui  bai- 
gnent dans  la  périlym- 
phe  et  sont  remplis 
d'un  liquide  analogue, 
l'endolymphe  {Bres- 
chet)  ;  etauxquels  abou- 
tissent les  pinceaux  ner- 
veux des  divisions  de 
l'auditif. 

La  pluralité  des  cavités  et  des  appareils  inclus  dans  l'oreille  interne,  et  des  divisions 
de  l'acoustique  fait  supposer  des  fonctions  particulières  réservées  à  chacune  des  parties 
du  labyrinthe  membraneux. 

Nous  allons  étudier  successivement  les  fonctions  du  vestibule,  des  canaux  semi-circu- 
laires et  du  limaçon. 

A.  Vestibule.  Utricule.  Saccule.  —  Dans  cette  cavité  centrale  sur  laquelle 
s'ouvre  la  fenêtre  ovale  et  dont  la  base  de  l'étrier  ou  platine  fait  une  partie  de  la 
paroi,  se  trouvent  au  milieu  de  la  périlymphe  deux  vésicules,  l'utricule  et  le  saccule. 

Toutes  deux  adhèrent  à  l'os  par  un  point,  celui  où  les  rameaux  nerveux  de  l'auditif 
les  pénètrent;  elles  communiquent  par  un  fin  canal. 

Chacune  d'elles  est  remplie  de  liquide  (endolymphe);  et  leur  paroi  présente,  au 
niveau  du  pinceau  nerveux,  une  partie  épaissie,  la  tache  auditive.  Celle-ci  est  constituée 


FiG.  85.  —  Oreille  iuterne  ;  canaux  et  sac  endolymphatiques. 
Diagramme  de  l'organe  auditif  de  l'homms  (d'après  Debiî^re). 

1,  pavillon  de  l'oreille.  —  2,  conduit  auditif  externe.  —  .3,  membrane  du 
tympan  coupée  verticalement.  —  4,  étrier;  sa  base,  dans  la  fenêtre  ovale, 
fait  paroi  du  vestibule,  7.  —  5,  portion  osseuse  de  la  trompe  d'Eustache.  — 
6,  portion  cartilagineuse;  et  6'  pavillon  tubaire  ou  sou  orifice  guttural. 
—  8,  canaux  semi-circulaires,  et  utricule.  —  9,  promontoire.  ^  10,  fenêtre 
ronde;  orifice  tympanique  du  limaçon,  indiqué  par  une  flèche.  —  11,  caisse 
du  tympan.  —  12,  canal  cochléaire  uni  au  saccule  dans  le  vestibule  par  un 
canal.  —  13,  rampe  vestibulaire.  —  14,  rampe  tympanique  aboutissant  à  la 
fenêtre  ronde.  —  15,  sommet  du  canal  cochléaire,  où  les  deux  rampes 
communiquent,  en  15'.  —  16,  aqueduc  du  limaçon.  —  17,  aqueduc  du  ves- 
tibule. —  18,  sac  cndolymphatique.  —  19,  parotide. 


886  AUDITION. 

par  une  base  épaisse  sur  laquelle  se  trouve  une  couche  de  cellules,  ciliées  et  fusiformes, 
cellules  auditives  spécifiques  qui  couvrent  les  plexus  nerveux  terminaux  des  nerfs  ves- 
tibulaires.  A  leur  niveau  on  remarque  une  poussière  blanche,  l'otoconie,  ou  sable  audi- 
tif, constituée  par  des  cristaux  de  carbonate  de  chaux  retenus  par  une  trame  fine  con- 
jonctive. 

Le  rôle  de  l'otoconie  est  encore  discuté.  D'après  Helmholtz,  ces  cristaux  prolongent  la 
durée  de  l'excitation  des  extrémités  nerveuses  saillantes  sur  les  plateaux  de  cellules 
ciliées;  ils  la  renforcent,  pour  J.  Muller  et  A.  Siebold.  Waldeyer  et  P.  Meyer  veulent 
qu'ils  amortissent  et  étouffent  les  vibrations. 

Ranke,  Béclaed,  admettent  cette  dernière  opinion. 

Le  courant  vibratoire  les  secoue,  tes  soulève  ;  ainsi  les  cristaux  agités  s'éparpillent 
et  augmentent  la  surface  des  points  excités  de  la  tache  auditive;  peut-être  leur  petite 
masse  contribue-t-elle  aussi  à  supprimer  les  vibrations  consécutives.  Leur  intime  rapport 
avec  les  parties  sensibles  tend  à  leur  attribuer  un  rôle  utile  sur  les  points  où  se  per- 
çoivent les  chocs  de  l'onde  liquide  et  les  changements  de  la  tension  intérieure. 

Quelle  est  dans  l'audition  la  fonction  de  l'utricule,  et  quelle  est  celle  du  saccule?  Quelle 
sensation  nait  de  l'excitation  des  taches  auditives,  à  peu  près  identiques  dans  l'utricule 
et  le  saccule? 

Ces  deux  organes  délicats,  centraux,  sont  presque  en  contact  avec  la  platine  de 
l'étrier,  et  reçoivent  à  travers  une  mince  couche  de  liquide  périlymphique  les  premières 
impressions  du  courant  ondulatoire. 

Peut-être  sont-elles  ainsi  le  point  de  départ  de  la  sensation  sonore  d'éveil,  d'accom- 
modation, de  défense  de  l'appareil;  de  celle  qui  provoque  l'attention,  la  recherche,  etc.; 
sensation  vague  de  son  indistinct,  de  bruit:  c'est  le  rôle  que  leur  attribue  Helmholtz: 

«  L'analyse  de  la  sensation  ne  serait  faite  qu'au  moyen  des  autres  parties  qui  apportent 
une  plus  grande  somme  de  vibrations  et  de  sensations,  d'après  lesquelles  nous  prendrons 
conscience  et  nous  analyserons  le  phénomène  sonore;  mais  du  premier  coup  c'est  le  son, 
la  vibration  d'un  corps  à  distance  et  la  présence  de  ce  corps  qui  sont  ainsi  annoncés;  et 
c'est  l'intensité  surtout  qui  frappe.  C'est  là  une  sensation  générale  non  analysée  encore, 
mais  suffisante  pour  une  sorte  de  :  Garde  à  vous  !  »  M.  Ddval  expose  la  même  opinion 
(Traité  de  physiologie).  Pour  lui  les  nerfs  vestibulaires  nous  fournissent  la  notion  de  l'in- 
tensité des  sons. 

On  ne  sera  pas  étonné  dès  lors  de  voir  que  ces  deux  vésicules  vestibulaires  soient,  de 
toutes  les  parties  de  l'oreille  interne,  celles  que  l'on  trouve  les  plus  constantes  dans  la 
série  animale.  C'est  par  une  vésicule  que  se  manifestent  les  premiers  linéaments  d'un 
appareil  auditif  chez  les  méduses.  Une  vésicule  contenant  un  otolithe,  des  cellules 
ciliées,  et  à  laquelle  aboutit  un  filet  nerveux  :  c'est  l'oreille  à  sa  première  apparition 
(Aurélia  aurista,  Phialidium,  etc.). 

Dans  les  dispositions  générales  de  la  structure  de  l'oreille  interne,  on  voit  que  toutes 
tendent  à  éviter  les  contacts  et  les  pressions  extérieures,  excepté  en  un  point  :  un  seul 
point  de  la  paroi  s'ouvre  sur  le  monde  extérieur.  Comme  toutes  les  parties  incluses  dans 
la  cavité  osseuse  labyrinthique,  les  organes  vestibulaires  doivent  être  influencés,  être  sen- 
sibles aux  variations  de  la  tension  intérieure  de  ces  cavités,  à  la  pression  variable  que 
l'étrier  exerce  nécessairement,  de  même  aussi  aux  accidents  de  la  circulation  sanguine  et 
lymphatique  facilités  par  l'inextensibilité  des  parois. 

J'ai  dit  que  l'oreille  interne  pourrait  être  comparée  à  une  sorte  de  manomètre  de  la 
pression  sanguine;  ce  n'est  point  là  une  vue  théorique;  la  clinique  nous  montre,  en 
effet,  que  des  troubles  nerveux,  dépendant  du  labyrinthe,  naissent  des  pressions  acciden- 
tellement accrues  dans  les  maladies  qui  font  obstacle  au  courant  circulatoire  (Cardio- 
pathies, etc.),  et  dans  celles  où  la  tension  sanguine  s'accroît  démesurément  (Artério- 
sclérose). Les  excès  de  pression  de  l'étrier  agissent  de  même;  de  même,  sans  doute, 
ceux  de  la  tension  intra-cranienne  par  leur  extension  aux  voies  périlymphatiques  auri- 
culaires (Voyez  Liquide  labyrinthi([ue). 

Cette  sensibilité  de  l'oreille  interne  à  la  pression  'en  fait  une  source  de  notions  sur 
la  tension  vasculaire  générale,  dans  l'effort,  sur  la  tension  intra-cranienne,  sur  la  tension 
intra-labyrinthique,  fonctionnelle  ou  pathologique.  Il  est  probable  que,  par  action 
réflexe,  ces  sensations  labyrinthiques  provoquent  les  accommodations  utiles  en  excitant 


AUDITION.  8S7 

cerlains  centres  nerveux;  le  choc  vibratoire  est  la  principale  de  ces  excitations.  L'utricule 
et  le  saccule  paraissent  être  les  parties  fondamentales  de  l'organe  sensible;  les  autres 
segments  du  labyrinthe  membraneux  sont  des  appareils  de  perfectionnement  en  rapport 
-  avec  d'autres  besoins  fonctionnels  plus  élevés.  Flourens  a  pu  détruire  les  filets  nerveux 
qui  se  rendent  aux  autres  parties  du  labyrinthe  sans  anéantir  l'audition,  tant  que  les 
rameaux  vestibulaires  du  saccule  et  l'utricule  restaient  intacts. 

Le  limaçon  peut  disparaître,  ainsi  que  l'ont  observé  bien  des  médecins  otologistes 
(VALSALv.i,  Moos,  LocAE,  GuYE,  etc.)  sans  que  l'audition  disparaisse.  Les  canaux  semi-cir- 
culaires membraneux  ont  été  détruits  de  même  sans  nuire  à  la  fonction  principale. 
J'ai  pu,  au  cours  de  recherches  sur  le  limaçon,  le  détruire  par  le  broiement  sans 
provoquer  la  surdité  des  cobayes;  celle-ci  n'apparaissait  que  par  suite  du  travail  inflam- 
matoire consécutif  au  traumatisme;  et,  en  ce  cas,  je  trouvais  le  vestibule  envahi  et  altéré 
(Gellé,  Des  fonctions  du  limaçon.  Études  d'otologie,  t.  i,1880). 

Les  taches  auditives  de  l'utricule  et  du  saccule  reçoivent  chacune  un  nerf  particulier: 
de  sorte  que,  si  toutes  les  deux  sont  frappées  par  la  même  excitation,  vibration,  ou  pres- 
sion du  liquide  inclus,  il  en  résulte  deux  notions  distinctes  transmises  à  des  centres 
nerveux  sans  doute  séparés. 

D'ailleurs  on  doit  aussi  remarquer  les  rapports  différents  de  chaque  vésicule  avec  les 
autres  parties  du  labyrinthe  membraneux.  Le  saccule  s'abouche  avec  le  canal  spiral  du 
limaçon  (rampe  sensorielle)  et  l'utricule  reçoit  les  trois  canaux  semi-circulaires;  on  peut 
croire  que,  dès  l'apparition  des  deux  vésicules,  deux  sortes  d'excitations  et  de  notions 
peuvent  naître  des  impressions  sonores,  et  d'autres  qu'on  peut  a  priori  juger  analogues 
à  celles  que  fournissent  les  ampoules  des  canaux  semi-circulaires,  c'est-à-dire  qu'elles 
ont  rapport  aux  mouvements. 

Au  point  de  vue  de  la  sensibilité  générale,  le  labyrinthe  membraneux  relève  de  la 

vi=  paire  et  c'est  elle  aussi  qui  y  manifeste  son  action  trophique;  nous  verrons  plus  loin 

combien  sont  étroits  les  rapports  de  l'acoustique  et  du  trijumeau  à  leur  origine  bulbaire. 

B.  Limaçon;  rampe  sensorielle.  Organe  de  Corti.  Cellules  auditives.  — 

Nous  ne  donnerons  ici  que  l'anatomie  indispensable  pour  comprendre  les  opinions 

émises  sur  la  fonction  de  la  cochlée  dans  l'audition. 

Le  limaçon  s'ouvre  dans  la  partie  antérieure  du  vestibule,  par  sa  rampe  sensorielle, 
dite  vestibulaire. 

C'est  un  cône  creux  contourné  en  hélice  autour  d'un  cône  [solide;  il  est  intérieure- 
ment partagé  en  deux  rampes  par  la  lame  osseuse  spirale  et  la  membrane  basilaire  qui  la 
prolonge  jusqu'à  la  paroi  externe  :  la  rampe  vestibulaire  et  la  rampe  tympanique  qui 
aboutit  à  la  fenêtre  ronde.  La  périlymphe  remplit  la  rampe  tympanique  totalement  et 
la  vestibulaire  au-dessus  du  canal  spiral.  Celui-ci  est  une  émanation  du  saccule,  et 
couvre  la  lame  spirale  et  la  basilaire  :  il  contient  les  organes  de  Corti,  les  cellules  audi- 
tives spécifiques  et  les  extrémités  des  plexus  nerveux  terminaux  de  l'acoustique. 

Ce  nerf  monte  dans  l'intérieur  du  cône  solide  et  se  divise  dans  la  lame  spirale  qui 
conduit  les  filets  nerveux  et  les  vaisseaux  aux  cellules  de  la  crête  acoustique,  portée  sur 
les  arcs  de  Corti. 

La  partie  importante  de  la  cochlée  est  cette  papille  spirale,  comme  l'appelle  Huschke, 
organe  de  Corti,  crête  acoustique,  pour  les  auteurs,  contenue  dans  le  canal  spiral.  Ce 
canal  membraneux,  sorte  de  rampe  moyenne  située  entre  les  deux  autres,  et  mouillé 
parla  périlymphe  sur  les  deux  faces,  contient  de  l'endolymphe  au  contact  des  éléments 
cellulaires  étages  sur  l'arcade  de  Corti. 

On  compte  sur  cette  saillie  ou  crête  acoustique  du  canal  spiral  quatre  rangées  de 
cellules  cylindriques  ciliées,  dont  les  plateaux  se  touchent  comme  un  carrelage;  à  ces 
cellules  auditives  spécifiques  aboutissent  les  cylindres-axes  de  l'auditif,  sortis  du  bord 
libre  de  la  lame  spirale  au-dessus  de  la  basilaire. 

L'arcade  de  Corti  est  constituée  par  une  série  de  piliers  élastiques  formant  une  voûte 
au-dessus  de  la  membrane  basilaire  en  s'arc-boutant  par  les  sommets;  on  en  a  compté 
3  000  et  plus. 

Ce  système  élève  la  papille  au-dessus  de  la  membrane  basilaire  et  de  la  striée. 
Au  dessus  de  la  crête  flotte  la  membrane  de  Corti,  au  contact  des  éléments  ciliés  et 
nerveux  des  plateaux  de  cellules  auditives. 


888  AUDITION. 

La  partie  externe  de  la  membrane  basilaire,  qui  partage  la  cochlée  en  deux  rampes, 
est  d'aspect  strié,  et  formée  de  fibres  radiées,  rayonnantes,  tendues  et  inextensibles, 
unies  dans  une  trame  cellulaire.  Helmholtz,  dans  sa  Ihéorie,  fait  jouer  un  rôle  principal 
aux  vibrations  de  ces  fibres  radiées  de  la  basilaire  dans  la  transmission  des  ébranle- 
ments aux  filets  nerveux  de  l'acoustique.  Leur  largeur  s'accroît  en  effet  de  la  base  au 
sommet  du  limaçon.  A  un  point  de  vue  général,  ce  qui  frappe  dans  cette  structure 
d'apparence  compliquée,  c'est  la  simplicité  des  éléments,  identiques  de  forme  et  de  con- 
stitution; leurs  limites  bien  précises,  la  régularité  des  dispositions,  la  saillie  nette  et 


FiG.  86.  —  Organe  de  Corti.  Coupe  du  limaçon. 

A,  rampe  vestibulaire.  —  B,  rampe  tjmpanique.  —  C,  canal  cochléaire.  —  1,  lame' spirale.  —  2,  protubé- 
rance de  HûscHKK  et  dents  de  la  première  rangée;  insertion  de  la  membrane  de  Reisker,  en  haut,  et  de 
la  membrane  de  Corti  au-de.ssous.  —  3,  sillon  spiral  interne.  —  4,  pilier  interne,  et  5,  pilier  externe  do 
l'organe  de  Corti  (arcades,  tunnel  de  Corti,  6).  —  7,  cellules  ciliées  internes.  —  8,  cellules  ciliées 
externes.  —  8'  cellules  de  soutien.  —  9,  membrane  basilaire.  —  10,  vaisseau  spiral.  —  11,  membrane  de 
Corti.  —  11',  vaisseaux  de  la  zone  vasculaire  du  ligament  spiral.  —  12,  crête  spirale.  —  13,  ligament 
spiral.  —  14,  nert'  cochléaire  dans  les  canaux  de  la  lame  spirale,  et  15,  ganglion  spiral  ou  de  Rosenthal; 
d'oii  partent  les  filets  nerveux  qui  se  rendent  aux  plexus  et  aux  cellules  sensorielles  étagées  sur  l'arcade 
de  Corti.  —  16,  lame  des  contours  et  rocher  qui  contient  l'organe. 


mobile  de  la  crête  sensorielle  ainsi  composée,  la  multiplicité  des  éléments  sensitifs  de  . 
type  unique,  l'élasticité  des  arcades  de  Corti,  et  le  parfait  isolement  de  l'ensemble  au 
milieu  du  liquide  des  deux  rampes,  qui  communiquent  au  sommet  du  limaçon. 

La  disposition  en  hélice  permet,  sous  un  petit  volume,  un  grand  développement  en 
surface,  où  trouve  place  l'immense  clavier  spiral  auquel  on  a  comparé  l'organe  cochléen. 

D'après  cette  disposition  structurale,  le  limaçon,  organe  de  perfectionnement,  apparu 
tard  dans  la  série  animale,  présente  à  l'excitation  des  chocs  vibratoires,  que  nous  savons 
multipliés  à  l'infini,  une  multitude  d'éléments  sensitifs  étalés,  s'offrant  au  contact  du  cou- 
rant sonore,  et  capables  de  vibrations  simultanées  ou  successives,  simples  ou  pendulaires 
ou  complexes,  graves  ou  aiguës,  lentes,  rapides,  avec  les  sons  fondamentaux  et  leurs 
harmoniques,  etc. 

C'est  un  instrument  chargé  de  la  récolte,  non  du  bruit,  mais  des  bruits,  des  ondes 


AUDITION. 


S89 


quelconques  dont  la  réceplion  est  assurée,  quel  que  soit  leur  nombre.  C'est  pourquoi  on 

en  a  fait  Torgane  de  la  musique,  oubliant  qu'il  ne  peut  être  qu'un  instrument  dont  le 

jeu  s'apprend  ailleurs.  A  ce  point  de  vue  le 

limaçon  est  sans  doute  le  point  de  départ 

de  l'analj'se  des  sons,  de  leurs  associations, 

de  leur  formation  en  groupes  simples  ;  ce 

n'est  point  l'organe  qui  perçoit  le  rythme 

ni  la   cadence,  notions   d'ordre  déjà   plus 

musculaire,  si  l'on  peut  ainsi  dire. 

On  ne  s'étonnera  pas  que  cet  organe 
n'existe  bien  développé  que  chez  les  mam- 
mifères, qu'il  soit  à  peu  près  nul  chez  les 
reptiles,  chétif  chez  l'oiseau,  même  chez 
les  chanteurs;  et  nul  chez  les  poissons. 

Comment  HEi.imoi.T7^  explique-t-il  l'action 
des  vibrations  sur  les  éléments  sensitifs  de  la 
cochlée?  ' 

Le  grand  physicien  pense  que  c'est  par 
les  vibrations  des  fibres  radiées  (cordes  de 
Hensen,  de  iNuel)  que  l'ébranlement  est 
porté  aux  extrémités  nerveuses.  II  remar- 
que que  ces  fibres  tendues  peuvent  vibrer 
isolément;  que  leur  grandeur  va  croissant 
de  la  base  du  cône  au  sommet  et  qu'elles 
ont  un  rapport  étroit  avec  le  pilier  externe 
des  arcs  de  Cokti.  Waldeyer  a  calculé  qu'il 
y  en  a  3000,  et  Retzius  4000;  Weber  et 
Bernstein  ont  montré  le  nombre  de  tons 
dont  une  semblable  disposition  permet 
l'accès. 

Après  la  découverte  des  arcs  de  Corti, 
on  lui  avait  tout  d'abord  attribué  le  rôle 
principal;  mais  Hensen,  et  d'autres,  ayant 
observé  que  ces  organes  manquent  dans 
le  limaçon  des  oiseaux,  cette  idée  a  été 
abandonnée.  C'est  aux  cordes  de  Nuel  que 
la  transmission  est  dévolue;  et  Helmholtz 
professe  que  ces  fibres  radiées,  tendues, 
inégales,  vibrent  chacune  pour  un  ton 
pour  lequel  elles  sont  accordées;  à  la  suite 
tout  le  système  est  ébranlé. 

C'est  la  théorie  généralement  admise 
aujourd'hui,  grâce  à  l'autorité  du  grand 
physiologiste  allemand. 

Dès  1888,  et  mêmeauparavant,dansmes 
leçons  de  1876  à  1882,  j'ai  émis  une  autre 
opinion.  Pour  moi,  la  propagation  des 
vibrations  se  fait  par  le  liquide  inclus  ; 
elles  circulent  dans  les  rampes  et  frap- 
pent les  éléments  cellulaires  ciliés  à  leur 
passage  au-dessus  de  la  crête  acoustique 
saillante. 

Le  choc  est  celui  des  ondes  liquides;  et  c'est  leur  action  directe  sur  les  plateaux 
ciliés  qui  donne  lieu  à  la  sensation.  Les  cils  qui  forment  un  champ  mobile  à  la  sur- 
face de  la  crête,  baignant  dans  le  liquide  endolymphique,  en  suivent  le  mouvement 
vibratoire  que  les  ondulations  de  la  membrane  de  Corti  accroissent  sans  doute  :  ainsi 
se  fait  l'excitation,  à  mon  avis. 


FiG.  87.  —  Organes  de  Corti  ;  vus  du  côté  de  la 
rampe  vestibulaire  (d'après  Waldeyer). 

1,  zone  denticulée  de  Corti.  —  3,  zone  pectinée 
(ToDD,  Bowiun).  —  3,  organe  de  Corti. —  a,  por- 
tion de  la  lame  spirale.  —  a,  ligue  d'insertion  de 
la  membrane  de  Reisner  enlevée.  —  e,  épithélium 
de  la  protubérance  spirale  interne.  — f,  dents  de 
la  première  rangée,  avec  les  sillons  intermé- 
diaires. —  fir,  g',  épithélium  du  sillon  spiral  interne. 
—  A,  cellules  épithéliales  intei-nes,  en  dedans  do 
l'organe  de  Corti.  —  k,  zone  perforée  (Kulliker), 
trous  à  travers  lesquels  les  nerfs  arrivent  aux 
cellules  sensorielles,  au-dessus  de  la  membrane 
basilaire.  —  i,  rangée  de  cellules  cylindriques, 
ciliées  internes,  au-  dessous  on  voit  :  —  /,  les  piliers 
internes  de  l'arcade  de  Corti.  —m,  leurs  têtes,  au 
sommet  de  l'arcade  formée  par  leur  contact  avec  : 
n  les  têtes  des  piliers  externes,  o,  —  p,  cellules 
ciliées  externes,  en  trois  rangs  parallèles,  sup- 
portées par  les  piliers  externes.  —  g,  piliers  ex- 
ternes déplacés  dans  la  préparation.  —  s,  épithé- 
lium qui  couvre  la  membrane  striée  en  dehors 
des  piliers,  enlevé  pour  montrer  les  points  d'at- 
tache des  cellules  ciliées  auditives  externes. 


890  AUDITION. 

La  comparaison  des  fibres  radiées  à  des  cordes  (Ndel)  et  de  l'organe  de  Corti  à  un 
clavier,  vient  naturellement  à  l'esprit,  et  leur  longueur  graduellement  croissante,  de  la 
base  auprès  de  la  fenêtre  ovale,  au  sommet  du  cône  cochléen,  semble  confirmer  cette 
opinion.  Cependant  il  faut  voir  les  choses  dans  leurs  proportions;  il  semble  de  prime 
abord  difficile  d'admettre  que  ces  fibres  radiées,  capables  de  vibrer  pour  les  tons 
graves  ou  aigus  suivant  leur  situation,  mais  qui  n'olTrent  qu'une  longueur  de  1/20  de 
millimètre  au  plus  à  la  base  de  la  cochlée,  et  au  sommet  1/2  millimètre  au  maximum, 
puissent  vibrer  à  l'unisson  des  sons  de  longueurs  d'ondes  considérables. 

J'ajoute  que  la  structure  même  de  l'appareil  de  Corti  s'oppose  à  l'admission  de  ce 
rôle  pour  les  fibres  radie'es. 

En  effet,  il  est  démontré  que  plusieurs  fibres  radiées  se  rendent  au  même  pilier 
externe  de  l'arcade  de  Corti;  de  plus,  on  est  frappé  de  la  distance  qui  sépare  la  fibre 
radiée  et  les  plexus  nerveux  associés  aux  éléments  cellulaires,  terminaisons  des  nerfs 
auditifs.  Bien  au  contraire,  le  contact  par  le  courant  vibratoire  liquidien  est  facile  et 
direct,  la  crête  faisant  saillie  dans  la  rampe  vestibulaire  et  s'ofi'rantaus  cbocs  des  ondes. 
Pour  Waldeyer  et  P.  Meyer,  la  fonction  auditive  appartiendrait  aux  crins  des  cellules 
auditives  ;  mais  n'est-il  pas  bien  exagéré  de  comparer  ces  éléments  microscopiques 
criniformes,  au  point  de  vue  de  leur  rigidité,  à  «  des  barres  d'acier  »?  J'y  vois,  pour  ma 
part,  surtout  combien,  délicatesse  à  part,  les  formations  organiques,  auditives,  sont 
analogues  à  celles  des  appareils  du  tact.  Certaines  autopsies,  il  faut  le  dire,  ont  cepen- 
dant paru  confirmer  la  théorie  d'HELUHOLTZ  en  montrant  des  lésions  limitées  à  la  base 
de  la  cochlée  coïncidant  avec  la  perte  de  l'audition  des  sons  aigus  (Politzer,  Guye, 
Schwartze,  Moos).  Depuis  la  publication  de  ma  théorie  exclusivement  liquidienne  du 
conUlt  des  ondes  et  des  organes  sensibles  auditifs,  je  l'ai  vue  acceptée,  professée  par 
■E.  Gley,  et  admise  par  Bonnier  dans  son  excellente  thèse  {Du  sens  auriculaire 
de  l'espace,  1890).  Hensen  a  voulu  trop  prouver  quand  il  a  cru  voir  une  démonstra- 
tion du  rôle  des  fibres  radiées  d'après  l'ébranlement  des  cils  des  Mysis  par  certains 
courants  sonores.  Helmholtz  et  Bernsteln  ont  cependant  utilisé  l'argument  dans  l'intérêt 
de  leur  théorie.  Plus  récemment,  A.  B.  Waller  a  discuté  le  rôle  de  la  membrane  basi- 
laire  dans  l'excitation  auditive  (auditary  excitation)  ;  il  rappelle  qu'HEUioLTz  a  fait  de  cette 
membrane  un  clavier  de  piano  ;  que  Rochefort  au  contraire  l'assimila  et  la  compara  à 
une  membrane  de  téléphone  reproduisant  tels  quels  les  sons  que  le  tympan  a  pi'opagés. 
On  voit  que  les  idées  de  Hensen  et  Baginsky  se  trouvent  appuyées  par  cet  auteur,  qui  les 
adopte.  Pour  lui  la  membrane  basilaire  est  un  tympan  interne,  supportant  la  papille  de 
cellules  ciliées  spécifiques  qui  se  trouvent  excitées  par  la  pression  qu'elles  subissent  de 
la  membrane  tectoria  {Proceeding  o/'  the  }]hysiol.  Society,  juin  1891),  analysé  par  Dasthe 
{R.  S.  il/.). 

On  voit  là  une  variante  de  la  théorie  d'HsLMOLTz,  et  une  explication  du  rôle  de  la 
membrane  de  Corti. 

Au  surplus,  rappelons-nous  qu'en  définitive  Helmholtz  conclut  qu'il  y  a  lieu  d'admettre 
l'énergie  spécifique  de  chaque  fibre  de  l'acoustique,  l'individualité  de  chacune  d'elles;  ce 
qui  conduit  à  rendre  au-  cerveau  la  formation  des  sensations  particulières,  celles  des 
tons  comme  les  autres  et  enlève  à  ces  a  priori  minutieux  beaucoup  de  leur  intérêt. 

On  ne  s'était  point  encore  préoccupé  de  la  forme  conique  du  limaçon  osseux,  et  l'on 
ne  s'est  pas  jusqu'ici  demandé  le  pourquoi  de  cette  forme;  cependant  l'opposition  si 
nette  qui  se  montre  entre  la  cochlée  et  les  canaux  semi-circulaires  indique  qu'ils 
répondent  à  des  conditions  différentes  de  l'action  du  courant  vibratoire  sur  les  éléments 
sensoriels. 

J'ai  cherché  à  élucider  ce  point  délicat  (j'ai  publié  ce  travail  et  les  expériences  qui 
lui  servent  de  base,  dans  mes  Études  d'otoloçjle  (1881-88),  et  B.  B.  (1878).  J'ai  trouvé  que 
la  forme  du  contenant  n'est  pas  indifférente  à  la  fonction;  qu'il  en  résulte  dans  la 
circulation  du  courant  sonore  des  changements  très  intéressants  à  connaître. 

La  distribution  des  éléments  sensoriels  sur  la  membrane  basilaire  au  milieu  d'un 
cône  plein  de  liquide  ajoute  des  propriétés  nouvelles  et  modifie  la  transmission;  cela 
avantage  Tune  des  cavités  coniques  ainsi  formées  aux  dépens  de  l'autre.  J'ai  pu  constater, 
en  effet,  que  cette  forme  biconique  (deux  cônes  parallèles  séparés  par  la  lame  spirale 
et  l'organe  sensoriel)  concentre  les  vibrations  venues  de  la  platine  de  l'étrier  dans  la 


AUDITION. 


891 


rampe  vestibulaire  ou  sensorielle,  de  telle  sorte  qu'elles  sont  moindres  dans  la  rampe 
tympaniqpe,  et  que  la  plus  légère  pression  de  l'osselet  éteint  le  courant  dans  ce  deuxième 
cône.  Quand  l'étrier  est  repoussé  en  dedans,  la  fenêtre  ronde  se  tend,  et  la  rampe  t3'm- 
panique  devient  silencieuse  et  close. 

Le  limaçon,  apparu  tard  dans  la  constitution  des  êtres,  est  un  organe  de  perfection- 
nement; il  répond  à  une  fonction  auditive  plus  délicate,  supérieure,  en  rapport  avec  le 
développement  cérébral  plus  parfait  des  organismes;  il  fournit  des  notions  multiples, 
complexes;  il  étend  l'horizon  des  connaissances  sur  les  propriétés  du  milieu  et  sur  les 
mouvements  moléculaires  des  corps;  il  apporte  au  moi  un  ordre  de  sensations  nouvelles, 
voisines  du  toucher,  mais  bien  plus  subtiles,  puisqu'on  a  dit  que  c'est  un  toucher  à 
distance. 

La  cochlée  n'est  donc  pas  indispensable  à  la  perception  du  phénomène  simple  de  la 
sensation  sonore,  mais  elle  est  l'instrument  délicat  de  son  analyse  chez  les  êtres  supé- 
rieurs. On  a  constaté  qu'elle  peut  disparaître  ou  être  détruite  par  la  maladie  sans  que  la 
surdité  suive.  Les  observations  de  Lucae,  Politzer,  Schwahtze,  Moos,  etc.,  ne  laissent 
aucun  doute  à  cet  égard. 

D'autre  part,  dans  mes  recherches  sur  les  fonctions  du  limaçon,  j'ai  observé  qu'à  la 
suite  du  broiement,  de  la  dilacératiou  du  limaçon  chez 
le  cobaye,  où  les  dispositions  anatomiques  le  montrent 
bien  isolé  et  très  abordable,  il  ne  se  produit  pas  de 
surdité  immédiate;  celle-ci  n'apparaît  que  du  huitième 
au  douzième  jour  de  l'opération,  par  suite  de  l'envahis- 
sement du  vestibule  par  le  travail  inflammatoire  consé- 
cutif au  traumatisme  (Gellé,  Études  d'otologie,  1880, 1. 1, 
p.  313  et  t.  II). 

La  sensibilité  acoustique  persistetant  que  les  organes 
vestibulaires  fonctionnent. 

Ces  expériences  sur  le  limaçon  des  cobayes,  que  je 
viens  de  rappeler,  ont  établi  un  point  de  physiologie    des  taches  et  des  crêtes  acoustiques, 
très  important.  On  devait  en  effet  se  demander  si  cet    i,  paroi  du  vestibule  osseux;  coupe 
organe   ne  possède  que  la  sensibilité  auditive,   s'il  ne 
peut  être  le   point  de   départ  d'autres  excitations  di- 
rectes que  celles  qui  intéressent  l'ouïe. 

Je  crois  pouvoir  conclure  de  mes  expériences  que,  en 
l'éalité,  la  cochlée  n'en  possède  point  d'autres.  En  effet, 
elles  établissent  clairement  que  les  blessures  de  cette 

partie  de  l'oreille  interne  (isolément  touchée  chez  le  cobaye)  n'entraînent  à  leur  suite 
aucun  trouble  de  l'équilibration  et  ne  provoquent  aucune  excitation  motrice,  et  rien  qui 
rappelle  les  désordres  des  mouvements  et  de  la  stabilité  que  l'on  observe  à  la  suite  des 
lésions  des  canaux  semi-circulaires.  Le  cobaye  opéré  se  comporte  comme  tous  les  autres, 
va,  vient,  mange  à  l'ordinaire. 

Ainsi  le  nerf  cochléen  est  un  nerf  sensoriel;  par  suite,  une  autre  conclusion  peut  se 
tirer  des  résultats  expérimentaux  précédents,  c'est  qu'il  faut  abandonner  la  théorie  du 
vertige  auditif,  en  ce  qui  touche  au  moins  l'explication  des  effets  des  lésions  des  canaux 
semi-circulaires,  les  blessures  de  la  partie  sensorielle  du  nerf  auditif  ne  provoquant 
aucun  réflexe  moteur. 

Le  vertige  auditif,  né  de  sensations  auditives,  est  cérébral. 

C.  Canaux  semi-circulaires.  —  L'apparition  précoce  des  canaux  semi-circulaires 
dans  la  série  zoologique,  bien  avant  que  le  limaçon  ne  soit  distinct,  montre  l'importance 
de  ces  organes  auditifs  et  indique  que  leur  fonction  est  d'un  ordre  plus  général,  dif- 
férent, c'est-à-dire  moins  spécialisé.  La  fonction  auditive  est,  par  suite  du  dévelop- 
pement, sortie  de  la  fonction  plus  générale  du  toucher;  sans  doute  les  premiers  appa- 
reils de  l'organe  de  l'ouïe  sont  déjà  différenciés  pour  recevoir  les  vibrations  des  corps; 
mais  ils  sont  encore  bien  près  du  premier  état  de  sensibilité  à  la  pression,  au  choc, 
notion  d'ordre  plus  général  et  utile  à  tous  les  animaux  libres  de  leurs  mouvements. 

On  trouve  les  canaux  demi-circulaires  chez  la  lamproie,  les  myxines,  et  ils  sont  très 
développés  chez  les  poissons  :  chez  ceux-ci  les  rapports   du  labyrinthe  avec  la  vessie 


FiG.  8S.  —  Schéma  de  la  structure 


au  niveau  de  la  tache  criblée.  ■ 
périoste  icterne.  —  3,  paroi  du  ves- 
tibule membraneux.  —  4,  membrane 
basale.  —  5,  cellules  ciliées.  —  6, 
cellules  de  soutien.  —  7,  filet  du 
nerf  vestibulaire.  —  8,  plexus  ner- 


AUDITION. 


natatoire  sont  des  plus  curieux  au  point  de  vue  de  l'appropriation  de  l'organe  au  milieu. 
Les  canaux  semi-circulaires  gardent  dans  toute  l'échelle  des  vertébrés  la  même 
disposition  immuable  et  caractéristique,  suivant  trois  plans  qui  rappellent  les  trois 
dimensions  de  l'espace.  Chaque  oreille  possède  trois  canaux  .osseux  contenant  chacun 
un  canal  membraneux  qui  présente  une  extrémité  dilatée  en  ampoule  dans  laquelle  se 
jette  le  nerf  ampullaire.  Il  y  a  autant  de  branches  ampullaires  que  de  canaux.  Partout 
les  canaux  semi-circulaires  membraneux  baignent  dans  le  liquide  péri-lj'mphique  du 
labyrinthe;  et  c'est  de  ce  liquide  que  proviennent  les  excitations  des  extrémités  ner- 
veuses. Celles-ci,  en  eiîet,  se  rendent  aux  cellules  ciliées  auditives  spécifiques  étalées  sur 
les  crêtes  auditives  saillantes  dans  les  ampoules  et  mouillées  par  l'endolymphe. 

Si  les  lésions  expérimentales  du  nerf  cochléen  ne  causent  aucune  réaction  motrice, 
il  n'en  est  plus  de  même  de  celles  que  l'on  fait  subir  aux  canaux  demi-circulaires. 
Flourens  (1828-1842)  a  montré  qu'il  en  résulte  au  contraire  une  incoordination  motrice 

remarquable  et  des  troubles  de  l'équilibre  :  ces 
organes  ont  donc  des  fonctions  bien  distinctes. 
On  voit  combien  s'accentuent  la  différenciation  des 
fonctions  de  l'acoustique  et  la  dualité  de  ses  fibres 
d'origine;  c'est  la  première  conclusion  des  tra- 
vaux de  Flourens.  Suivant  le  canal  semi-circulaire 
blessé,  le  pigeon  offre  des  mouvements  dans  une 
direction  sensiblement  différente  au  milieu  du  dés- 
ordre général.  L'illustre  physiologiste  conclut  que 
ces  organes  sont  doués  d'une  fonction  modératrice 
des  mouvements  et  que  l'ataxie  post-opératoire 
résulte  des  troubles  apportés  à  cette  fonction.  Mais, 
au  point  de  vue  de  l'audition  et  de  son  orgaue, 
comment  a  lieu  l'excitation  des  crêtes  acoustiques 
des  ampoules  et  à  quoi  aboutissent  physiologique- 
ment  ces  excitations  et  les  notions  qu'elles  four- 
nissent aux  centres  nerveux? 

Ici  se  présente  une   foule    d'interprétations    et 
d'explications. 

Nous  avons  dit  que  l'excitant  physiologique  de 
la  crête  ampullaire  est  la  vibration  du  liquide 
inclus  dans  le  labyrinthe;  les  chocs  de  Fonde,  les 
pressions  intérieures  variables  suivant  l'état  de  la 
circulation,  et  surtout  suivant  l'action  de  l'étrier  et 
de  l'appareil  moteur,  sont  les  modes  d'excitation 
du  nerf  ampullaire;  il  faut,  suivant  quelques  auteurs,  ajouter  l'effet  des  déplacements 
du  sable  auditif,  de  l'otoconie. 

D'après  Mach,  Crl'm  Bbown,  Brewer,  ce  serait  le  choc  de  l'endolymphe  se  déplaçant 
dans  le  sens  du  mouvement  de  la  tête  qui  produirait  l'excitation  de  la  crête  sensible. 
De  là  la  notion  des  mouvements  effectués  et  de  leur  direction  et  la  station  en  équilibre. 
Dans  cette  opinion,  le  vertige  naîtrait  de  l'irritation  des  canaux  semi-circulaires.  Pour 
Browk-Séquard  et  Vulpian  le  vertige  est  sensitif  :  ils  l'ont  produit  en  irritant  le  nerf 
auditif. 

GoLTz  a  insisté  sur  l'excitation  due  au  déplacement  de  l'endolymphe  et  il  consi- 
dère les  canaux  semi-circulaires  comme  fournissant  toutes  les  sensations  de  l'équilibre 
et  les  notions  nécessaires  à  la  condition  des  mouvements. 

PuRKi.xjE,  on  se  le  rappelle,  a  émis  la  théorie  suivante  :  le  vertige  résulterait  des 
déplacements  de  la  masse  cérébrale  dans  les  mouvements  de  la  tète  et  du  corps;  de  là, 
des  mouvements  provoqués  et  le  sentiment  de  vertige  s'expliquent  par  les  efforts 
inconscients  pour  rétablir  l'équilibre. 

Cyon  a  montré  en  enlevant  la  columelle  (étrier  des  pigeons  et  des  grenouilles) 
comme  l'avait  fait  Flodrens,  que  l'on  ne  peut  accepter  l'excitation  par  l'endolymphe, 
puisqu'elle  s'écoule  dans  son  expérience  sans  qu'on  puisse  constater  aucun  trouble  de 
l'équihbration.  Disons  que  cet  écoulement  du  liquide  labyrinthique  amène  la  surdité. 


' j\r 


i'iG.    89.    —    Section    à   travers  l'ampoule 

(d'après   Bernstein). 
^.  nerf  ampullaire.  —  Z,   cellules  neuro- 
épithéliales.  —  /*,  poils  auditifs. 


AUDITION.  S93 

Cyo.v  (1873-1878)  élargit  le  débat;  il  l'ait  des  cauaiix  semi-circulaires  «  l'organe  péri- 
phérique du  sens  de  l'espace  ». 

Par  eux  nous  prenons  connaissance  de  la  situation  de  la  tête  et  de  nos  mouvements. 
Ils  sont  la  source  des  notions  qui  nous  permettent  de  juger  de  leur  direction  et  de 
leurs  rapports;  leur  destruction  prive  l'individu  de  ces  sensations  sur  lesquelles  se  base 
l'équilibration;  de  là  les  troubles  moteurs  produits  sur  les  animaux. 

Chaque  canal  a  rapport  avec  une  des  dimensions  de  l'espace;  et  c'est  par  la  somme 
des  sensations  inconscientes  que  nous  leur  devons  que  nous  connaissons  la  situation  du 
corps,  de  notre  tête  et  le  sens  de  ses  mouvements  dans  l'espace. 

Nul  doute  que  l'organe  de  l'ouïe,  et  sans  doute  les  canaux  semi-circulaires,  ne  nous 
fournissent  des  notions  utiles  au  point  de  vue  des  mouvements  et  de  l'équilibration;  ils 
analysent  l'espace  à  un  point  de  vue  particulier,  celui  des  mouvements  vibratoires, 
comme  l'œil  apporte  les  notions  visuelles,  la  peau,  celles  du  toucher,  etc.,  mais  il  y  a 
loin  de  là  à  faire  spécialement  des  canaux  semi-circulaires  l'organe  du  sens  de  l'espace. 
Nous  explorons  celui-ci  par  tous  nos  organes  des  sens  et  par  la  sensibilité  générale 
ils  apportent  chacun  à  la  conscience  des  notions  spéciales,  et  de  leur  réunion  naît  la 
connaissance  nécessaire  à  nos  mouvements  et  à  leur  direction.  L'oreille  fournit  sa  part, 
et  non  tout. 

Nous  verrons,  de  plus,  que  d'autres  régions  du  système  nerveux  jouissent  de  la  faculté, 
de  provoquer,  quand  on  les  irrite,  des  mouvements  involontaires  absolument  compara- 
bles à  ceux  que  produisent  les  lésions  des  canaux. 

L'opinion  de  Browx-Séquard  et  de  Vulpiax  admettant  que  le  vertige  est  sensitif  a  été 
combattue,  et  le  résultat  opératoire  nié  même  par  Schiff  {Lehrbuch  der  P.hijsiol.,  18.58-39, 
p.  396).  J'ai  montré  expérimentalement  qu'en  détruisant  cette  portion  sensorielle  de 
l'acoustique  dans  la  cochlée  on  n'a  donné  naissance  à  aucun  trouble  moteur  (V.  plus 
haut,  Limaçon,  p.  891). 

En  1862,  LoEWENiiERG  est  arrivé  aux  conclusions  suivantes  qui  marquent  un  grand 
progrès  dans  l'étude  de  la  question  : 

1°  Les  troubles  de  locomotion  produits  par  la  lésion  des  canaux  semi-circulaires  sont 
dus  à  une  excitation,  et  non  à  une  paralysie; 

2»  L'excitation  de  ces  canaux  produit  les  mouvements  convulsifs  par  voie  réflexe,  sans 
aucune  participation  de  la  conscience; 

3°  La  transmission  de  cette  excitation  réflexe  se  fait  dans  les  couches  optiques  (Lœwen- 
BERG.  Ueber  die  nach  Durch^chneidung  de?'  Bogengànge...  etc.,  Arch.  f.  Augen  iind  Ohren- 
heilkunde,  t.  m). 

Depuis  lors,  cependant,  Steiner,  qui  a  repris  toutes  les  expériences  de  Flourens,  a  donné 
des  conclusions  inattendues;  pour  lui  la  destruction  des  canaux  semi-circulaires  ne  provoque 
aucun  accident  de  déséquilibration,  aucune  excitation  de  mouvements;  à  cela  on  peut 
répondre  qu'un  organe  détruit  ne  réagit  plus. 

Delage  a  de  nouveau  refait  toutes  ces  expériences  sur  les  organes  auditifs  des 
céphalopodes,  et  il  en  tire  cette  autre  conclusion  que  l'appareil  labyrinthique  n'a  point 
rapport  à  l'orientation;  il  nie  les  déplacements  de  l'endolymphe,  sur  laquelle  les  précé- 
dents auteurs  basaient  l'excitation  des  nerfs  ampullaires,  etc.  (p.  23).  Il  résume  ainsi 
ses  idées.  «  La  vésicule  auditive  simple  du  vertébré  primitif  aurait  eu  pour  fonc- 
tion, comme  l'otocyste  de  l'invertébré,  de  percevoir  les  bruits  et  de  régulariser  la  loco- 
motion Elle  se  serait  d'abord  séparée  en  deux  parties  affectées  chacune  à  l'une  de  ces 
fonctions,  le  saccule  pour  la  première,  l'utricule  pour  la  seconde.  Enfin  peu  à  peu  se 
seraient  développés  les  diverlicules  de  ces  parties  centrales,  le  lim-içon  pour  percevoir 
les  sons  avec  leurs  qualités  de  hauteur  el  de  timbre  et  non  plus  sous  la  forme  de  bruits  ne 
différant  entre  eux  que  par  leur  intensité;  et  les  canaux  semi-circul.iires  peut-être  pour 
provoquer  les  mouvements  des  yeux,  compensateurs  de  ceux  de  la  tête,  afln  d'éviter  les 
illusions  visuelles  qui  se  produisent  quand  ils  sont  immobiles.  » 

Tout  récemment  Laborde  a  soumis  au  contrôle  de  l'expérimentation  les  diverses  théo- 
ries émises,  et  a  confirmé  les  deux  premières  conclusions  de  Lœwenberg  :  l'incoordina- 
tion résulte  d'une  excitation  d'ordre  réflexe. 

Je  dois  encore  faire  mention  des  récentes  expériences  et  des  conclusions  de  Bœ- 
KiiER  et  B.  BagiiNsky.  Ces  opérateurs  ayant  produit  un  traumatisme  sans  limites  sûres 


894  AUDITION. 

n'en  ont  pas  moins  cru  être  autorisés  à  conclure  que  les  troubles  moteurs  reconnaissent 
pour  cause  des  lésions  cérébrales.  Laborde  n'accorde  pas  de  valeur  à  ces  expériences  peu 
précises. 

Quand  il  s'agit  du  vertige,  l'opinion  de  Charcot  ne  doit  pas  être  oubliée.  Or,  pour  lui, 
les  blessures  et  lésions  des  canaux  et  de  l'oreille  qui  amènent  l'apparition  de  phéno- 
mènes de  déséquilibration  et  de  l'impulsion  motrice  sont  provoqués  par  des  réflexes  céré- 
belleux :  c'est  le  clinicien  qui  juge,  comme  on  voit. 

Cette  opinion  vient  à  l'appui  de  ceJle  de  Lœwenberg,  et  concorde  avec  les  résultats 
expérimentaux  de  Laborde  {Bull.  Soc.  Anthropologie,  i"  déc.  1881). 

D'autre  part,  les  coupes  micrographiques  de  M.  Duval  montrent  :  1°  que  la  racine 
postérieure  de  l'acoustique,  racine  cochléenne,  se  perd  dans  les  barbes  du  Calanms  scri- 
ptorius  (origine  apparente,  origine  sensitive)  ;  2°  que  la  racine  profonde,  antérieure, 
née  des  ampoules,  contourne  le  corps  restiforme  en  avant,  aboutit  là  à  un  noyau  de  cel- 
lules motrices,  puis  se  confond  avec  les  fibres  du  corps  restiforme,  c'est-à-dire  avec 
les  fibres  du  pédoncule  cérébelleux  inférieur  (origine  cérébelleuse). 

Or  Laborde  prouve  que  les  blessures  de  ce  corps  restiforme  reproduisent  parfaitement 
les  troubles  moteurs  observés  après  lésion  des  canaux  semi-circulaires. 

Un  point  connexe  intéressant  à  noter,  c'est  que  l'on  blesse  là  la  racine  descendante 
sensitive  du  trijumeau,  et  que  l'œil  et  l'oreille  présentent  par  la  suite  des  lésions  trophiques 
remarquables.  Ces  rapports  intimes  du  trijumeau  et  de  l'acoustique  ne  doivent  pas  être 
oubliés. 

Ainsi  les  crêtes  ampuUaires  sont  sensibles;  leur  excitation  transmise  au  cervelet  pro- 
voque par  acte  réflexe,  inconscient,  la  série  des  actes  moteurs  incoordonnés,  étudiés 
par  Flodrens.  L'opinion  de  Lœwenberg  reçoit  ainsi  une  confirmation  entière.  Toute  cette 
discussion  aboutit  à  ceci  :  l'organe  de  l'ouïe  possède  un  appareil  sensitivo-moteur  spécial. 

La  sensation  de  vertige  naît  du  trouble  psychique  qui  résulte  de  ce  désordre  de  la 
stabilité  (vertige,  hallucination,  agoraphobie,  inhibition,  etc.). 

En  1886,  dans  un  travail  lu  à  l'Académie  de  médecine,  j'exposais  mes  idées  parti- 
culières sur  la  fonction  ou  les  fonctions  des  canaux  semi-circulaires.  Je  disais  que 
Charcot  avait  apprécié  en  chnicien  le  rôle  de  ces  organes  et  avait  montré  l'excitation 
réflexe  du  cervelet  que  lui  découvrait  le  tableau  symptomatique  du  vertige  de  j\Iénière. 

J'ai  de  même  rappelé  que  la  clinique  donne  la  clé  du  mode  de  production  des  exci- 
tations anormales  des  crêtes  ampullaires;  car,  si  l'on  accroît  brusquement  la  pression 
intra-labyrinthique  (condition  fréquente  dans  l'état  morbide),  on  provoque  le  vertige 
facilement  dans  certaines  maladies  otiques. 

Lussana  a  bien  prouvé  que  c'est  l'irritation  des  crêtes  acoustiques  et  non  celle  du 
canal  membraneux  lui-même  qui  est  le  point  de  départ  du  réflexe. 

De  tout  ceci,  il  ressort  que,  en  plus  de  la  sensation  sonore,  le  nerf  acoustique  trans- 
met des  sensations  tout  autres,  spéciales,  celles  du  choc  des  ondes,  sans  doute  aussi 
celle  des  pressions  intra-labyrinthiques,  d'où  naissent  certains  mouvements  en  rapport 
avec  l'intensité,  la  direction  latérale  ou  non  de  l'excitation  ou  la  force  de  la  pression 
que  l'appareil  de  conduction  transmet  à  l'étrier.  C'est  là  l'origine  des  actes  réflexes 
inconscients,  des  mouvements  tubaires,  tympaniques,  des  mouvements  de  rotation  de 
la  tête,  des  mouvements  généraux,  des  attitudes  d'attention,  ou  au  contraire  des  gestes 
de  protection,  puis  des  modifications  circulatoires  et  sécrétoires  et  des  actes  vaso- 
moteurs  consécutifs  à  l'impression  sonore.  Quand  l'excitation  ampùllaire  est  patho- 
logique, traumatique  et  sort  de  la  normale,  la  réaction  motrice  prend  d'autres  allures; 
les  mouvements  sont  incoordonnés,  excessifs,  ou  au  contraire  inhibés,  suivant  la  gra- 
vité de  l'irritation. 

Je  disais  dans  mon  étude  que  l'oreille  possède  des  tutamina,  et  que  j'attribuais 
volontiers  ce  rôle  aux  réflexes  physiologiques,  nés  de  l'excitation  des  canaux  semi- 
circulaires  (Gellé,  Études  cTotologie,  t.  u,  p.  249);  l'action  tutélaire  du  stapédius  est 
sans  doute  sous  leur  influence  :  la  transmission  est  ainsi  soumise  à  l'excitation  du 
labyrinthe.  Bien  qu'il  soit  maintenant  prouvé  que  l'excitation  des  crêtes  des  ampoules 
n'est  pas  due  aux  chocs  du  liquide  labyrinthique  ou  des  cristaux  d'otoconie  (opinion 
d'HELMHOLTz),  il  est  admissible  que  la  sécrétion  exagérée  de  ce  liquide  dans  l'oreille 
interne  peut,  Politzer  le  pense,  agir  par  une  pression  irritante  sur  ces  organes  et  causer 


AUDITION.  893 

Je  vertifie.  Cet  état  d'hj'pertension  pathologique  ressemblerait  à  celui  de  l'œil  dans  le 
glaucome;  et  je  l'avais  nommé  aussi  glaucome  auriculaire  (Morisset.  D.  P.  De  la  préci- 
sion intra-labyrinthique). 

Le  retentissement  des  lésions  du  labyrinthe  sur  la  motilité  persiste  en  dehors  des 
spasmes  et  impulsions  qui  caractérisent  leurs  effets  immédiats. 

R.  EwALD  a  été  conduit  à  conclure  que  le  labyrinthe  de  l'oreille  est  d'une  façon  perma- 
nente le  point  de  départ  d'excitations  sensibles  qui  remontent  vers  les  centres  nerveux, 
et  dont  l'action  est  indispensable  au  fonctionnement  normal  des  muscles  striés  (Ewald] 
Centralblait  f.  PhysioL,  1891).  Il  constate  le  relâchement  musculaire  des  animaux  qui 
ont  subi  l'extirpation  du  labyrinthe,  avec  perte  d'excitabilité;  la  sensibilité  cutanée  est 
intacte,  mais  le  sens  musculaire  est  affaibli,  d'une  façon  plus  accusée  sur  les  muscles 
antérieurs  du  corps,  et  de  la  tête. 

Je  rapprocherai  de  ces  conclusions  d'EwALD  les  résultats  que  M.  Verworn  a  obtenus 
en  étudiant  chez  les  Cténophores  le  njle  des  appareils  otocystiques  :  sa  conclusion  est 
que  ces  appareils  ne  jouent  aucun  rôle  acoustique;  mais  que  ce  sont  des  organes  de 
l'équilibre;  et  il  propose  de  les  dénommer  stafocystes  et  statolithes,  au  lieu  de  otolithes  et 
otocystes.  (An.  par  Dastre,  R.  S.  M.  1893,  t.  xli.) 

D'autre  part,  Lee  {Sur  le  sens  de  l'équilibre,  Centralblait.  f.  PhysioL  vi,  p.  308,  1892, 
a  étudié  les  mouvements  compensateurs  des  yeux  et  des  nageoires  qui  se  produisent  chez 
le  requin,  (/(î7eî(S  canis,  quand  on  déplace  son  corps  autour  de  l'axe  longitudinal,  vertical 
ou  transversal;  or,  de  semblables  mouvements  se  produisent  quand  on  excite  méca- 
niquement les  différentes  ampoules  des  canaux  semi-circulaires;  ce  qui  s'accorde  avec 
l'idée  que  les  canaux  constituent  des  organes  par  lesquels  l'animal  apprécie  le  change- 
ment de  position  de  son  corps  dans  l'espace. 

Cet  expérimentateur  sectionne  isolément  chacun  des  différents  nerfs  qui  se  rendent 
au  labyrinthe,  et  constate  que  cela  modifie  jusqu'à  un  certain  point  les  mouvements  com- 
pensateurs dont  il  a  été  question. 

La  section  de  tous  ces  nerfs  les  supprime,  et  l'animal  nage  en  toutes  positions;  mais 
son  attitude  est  anormale. 

R.  Wlassack,  dans  une  étude  sur  les  organes  centraux  des  fonctions  statiques  de 
l'acoustique,  a  observé  que  l'extirpation  unilatérale  du  labyrinthe  chez  la  grenouille  amène 
une  prédominance  d'action  des  fléchisseurs  et  adducteurs  d'une  moitié  du  corps,  et 
des  extenseurs  et  abducteurs  de  l'autre  moitié.  Il  en  résulte  que  l'expérience  d'Ew'ALD  est 
confirmée.  Par  l'intermédiaire  des  centres  nerveux,  le  labyrinthe  influence  le  tonus  mus- 
culaire. Or  l'ablalioii  des  hémisphères  cérébraux,  des  lobes  optiques  et  du  cervelet  ne 
modifie  pas  les  résultats  de  l'expérience  de  l'ablation  unilatérale  du  labyrinthe;  c'est 
donc  par  l'intermédiaire  des  centres  situés  dans  la  moelle  allongée,  dans  le  voisinage 
de  l'acoustique,  que  le  labyrinthe  influencerait  le  tonus  musculaire.  Cet  auteur  a  pour- 
suivi sa  recherche  sur  les  voies  par  lesquelles  cette  influence  labyrinthique  se  fait  sentir 
dans  la  moelle  épinière. 

Les  expériences  de  J.  Lœb  sont  venues  montrer  toute  la  complexité  de  semblables 
recherches  et  les  difficultés  de  leur  interprétation.  En  effet,  chez  le  Scyllium  canicula  et  le 
S.  catulus,  il  constate  que  l'extirpation  unilatérale  du  mésencéphale  provoque  du  côté 
opposé  des  mouvements  de  manège  et  une  inclinaison  du  corps;  effets  analogues  obtenus 
par  la  section  de  la  moitié  de  la  moelle  cervicale;  mais,  si  l'on  fait  la  section  des  deux  nerfs 
acoustiques  successivement,  les  mouvements  sont  supprimés.  Lœb,  se  basant  sur  ce  que 
l'anatomie  enseigne  qu'il  y  a  continuité  entre  les  fibres  de  l'acoustique  et  ses  régions  de 
l'encéphale,  conclut  que  les  prétendus  centres  cérébraux  de  l'équilibre  ne  sont  que  des 
dépendances  du   nerf  acoustique. 

Ces  études  nous  montrent  incidemment  les  voies  et  moyens  de  forientation  auditive, 
et  de  la  recherche  de  la  direction  du  son. 

La  contre-partie  des  expériences  de  Lœb  et  de  BAGi:«sRy'a  été  donnée  parB.  Lange  qui 
a  vu,  après  l'ablation  totale  du  cervelet,  la  destruction  du  labyrinthe  accroître  les  symp- 
tômes consécutifs  à  la  première  opération  (tremblement,  démarche  oblique,  titubation, 
etc.);  en  opérant  dans  l'ordre  inverse,  il  obtient  les  mêmes  effets  plutôt  exagérés.  11  en 
conclut  que  l'on  ne  saurait  dès  lors  admettre  l'opinion  de  Baginsky  et  Lœb  qui  rapportent 
aux  lésions  du  nerf  acoustique  les  effets  des  lésions  du  cervelet. 


896  AUDITION. 

L'opinion  de  Charcot  sur  la  théorie  du  vertige  de  Ménière  se  trouve  ainsi  appuyée  par 
les  vivisections. 

Le  travail  de  Kreidl  éclaire  certains  points  de  cette  fonction  labyrinthique,  et  con- 
firme l'influencB  du  labyrinthe  sur  l'équilibration  [Physiologie  du  labyrinthe,  d'après  des 
recherches  sur  les  sourds-muets,  1892).  On  sait,  d'après  James,  que  les  sourds-muets  ne 
seraient  point  sujets  au  vertige  de  rotation.  Kreidl  a  examiné  à  ce  point  de  vue  109  enfants 
sourds-muets,  en  recherchant  si,  soumis  à  la  rotation,  ils  présentent  les  mouvements 
compensateurs  de  l'œil. 

Dans  la  moitié  des  cas  les  mouvements  ont  fait  défaut.  Or,  comme  la  surdité-mutité 
coïncide  avec  une  lésion  labyrinthique,  dit-il,  dans  la  même  proportion  (diagnostic  des 
plus  discutables),  l'auteur  en  conclut  que  le  labyrinthe  est  l'organe  de  perception  pour 
les  mouvements  de  la  tête  et  du  corps  :  13  sur  62  de  ces  enfants  n'ont  pas  non  plus  senti 
l'illusion  causée  par  la  rotation  dans  la  verticale  (chevaux  de  bois)  ;  et  les  mêmes  enfants 
ne  pouvaient  marcher  ou  se  tenir  sur  une  jambe,  les  yeux  fermés  (signe  de  Romberg). 

Dans  les  travaux  de  Kraidl,  M.  Schiff,  R.  Ewald,  Schrader,  J.  Loeb,  M.  Verwobn, 
Y.  Delage,  Lange,  Bagl\sky,  Steiner,  W.  Preyer,  etc.,  toutes  les  hypothèses  ont  été 
tour  à  tour  émises  sur  la  fonction  des  canaux  semi-circulaires  :  tantôt  on  en  a  fait  un 
organe  d'excitation  centrale,  et  donnant  la  notion  du  sens  des  mouvements  (Schiff,  Mach, 
GoLTz,  Brewer,  Baginsky,  etc.);  tantôt  on  le  regarde  comme  servant  à  juger  de  la  direc- 
tion du  son  (Preyer);  ailleurs,  comme  source  d'excitation  médullaire  (Steiner);  puis 
comme  organe  du  sens  de  l'espace  (Cyon).  On  a  pu  voir  que  le  rôle  de  l'endolyraphe  et 
de  l'otoconie  a  été  également  très  diversement  interprété  par  les  auteurs,  nié  par  ceux- 
ci  (Cyon),  très  précisé  par  ceux-là  (Mach,  Baginsky,  etc.).  H.  Girard,  à  son  tour  (A.  P. 
5"  série,  t.  iv,  1892  (p.  3o.3),  arrive  aux  conclusions  suivantes  sur  les  rapports  du  laby- 
rinthe et  des  fonctions  d'équilibration. 

Au  moyen  d'excitations  électriques  unipolaires  (méthode  de  Schiff)  faciles  à  graduer, 
il  a  constaté  sur  les  grenouilles  auxquelles  il  avait  fait  la  section  unilatérale  de  l'acous- 
tique et  la  destruction  du  labyrinthe,  que  les  muscles  du  côté  opposé  à  la  lésion  olTraient 
un  grand  accroissement  d'excitabilité.  Pour  cet  opérateur,  l'équilibration  des  attitudes 
et  la  coordination  des  mouvements  de  translation  sont  probablement  régies  par  des 
sensations  qu'il  propose  d'appeler  symétriques;  l'animal  privé  d'un  des  labyrinthes  se 
trouve  désorienté;  les  deux  appareils  vestibulaires,  apportant  des  sensations  dilférentes, 
donnent  l'impression  de  la  perte  de  l'équilibre,  d'où  les  attitudes  défensives,  et  les  ten- 
dances à  se  mouvoir  du  côté  non  opéré.  Chez  les  mammifères,  nous  l'avons  dit,  Schiff  a 
montré  d'autre  part  que,  grâce  sans  doute  à  certaines  suppléances,  la  section  des  nerfs 
auditifs  ne  cause  pas  de  trouble  appréciable  de  la  locomotion. 

Brown-Séquard  fait  la  critique  du  travail  de  Girard,  et  conclut  qu'il  n'existe  pas  de 
centres  nerveux  affectés  à  telle  ou  telle  fonction;  et  que  les  effets  observés  à  la  suite  des 
lésions  des  nerfs  acoustiques  et  du  labyrinthe  s'expliquent  par  des  troubles  actifs,  soit 
des  pertes  de  fondions  (dynamogénies  ou  inhibitions),  appartenant  en  réalité  à  des 
éléments  nerveux  disséminés  dans  l'encéphale;  la  lésion  agit  à  distance  (A.  P.  avril 
1892).  Enfin,  plus  récemment,  d'une  série  de  recherches  expérimentales  et  d'observa- 
tions cliniques  comparées,  G.  Masini  conclut  que  les  canaux  semi-circulaires  ne  sont 
pas  seulement  des  organes  présidant  au  sens  de  l'équilibre,  mais  qu'ils  sont  aussi  des  or- 
ganes complémentaires  de  l'appareil  auditif  [SuUe  vertigine  auditivi.  Arch.  ilal.  di  Oto- 
logia,   t.  iv). 

D'autre  part  certains  physiologistes  n'admettent  point  lerôle  des  canaux  semi-circu- 
laii'es  sur  l'équilibration  et  la  station. 

En  1877,  les  expériences  de  Tomaszewics  faites  au  laboratoire  d'HERjiANN  démontrèrent 
que  chez  les  poissons  la  destruction  des  ampoules  et  des  canaux  n'apportait  aucun  chan- 
gement à  l'équilibre  du  corps  de  ces  animaux.  De  même  à  Naples,  J.  Steiner  ne  constate 
en  pareilles  conditions  aucun  trouble  de  l'équilibre. 

La  fonction  statique  des  canaux  est,  on  le  voit,  encore  bien  discute'e  et  discutable 
Milne-Edwahds)  et  l'on  peut  toujours  rapporter  à  des  excitations  cérébelleuses,  et  non  aux 
(lésion.s  mêmes  des  canaux  semi-circulaires,  les  troubles  des  mouvements  observés.  Pour 
être  complet,  j'ajouterai  que  Bruckner  émet  à  propos  des  fonctions  du  labyrinthe  une 
opinion  nouvelle  et  originale.  Pour  lui,  les  canaux  semi-circulaires  servent  à  transmet- 


AU  DITION. 


807 


tre  les  bruits;  mais  ils  ne  fonctionnent  que  dans  le  plan  horizontal;  dans  la  station 
assise,  c'est  le  canal  horizontal  qui  est  actif.  Dans  la  position  infléchie  delà  tète,  c'est  le 
canai  transversal  ou  antérieur  qui  devient  horizontal,  et  agit  à  son  tour;  dans  le  décu- 
bitus latéral,  c'est  au  contraire  le  canal  antéro-postérieur  ou  interne  auquel  par  sa  posi- 
tion nouvelle  est  dévolue  l'activité  fonctionnelle.  Il  y  aurait  donc  toujours  un  canal  placé 
horizontalement  dans  toute  situation  de  la  tète.  Pour  l'auteur,  quand  nous  dirigeons  les 
mouvements  de  la  tète  dans  la  recherche  du  son,  c'est  un  canal  que,  instinctivement,  nous 
portons  dans  la  direction  qui  donne  à  l'audition  le  plus  d'acuité  (Retterer,  R.  S.  M). 

Au  milieu  de  ces  opinions  contradictoires  il  n'est  que  juste  de  rappeler  que  le  rôle  des 
canaux  semi-circulai- 
res nous  apparaît  en 
efïet,  anatomiquement 
et  embryologiquement, 
lié  à  la  fonction  de 
l'ouïe  ;  et  qu'on  doit  en 
définitive,  au  milieu  de 
ces  nombreux  résultats 
et  de  ces  multiples  in- 
terprétations de  leur 
valeur  fonctionnelle, 
étudiée  expérimentale- 
ment, isolée  de  toute 
intervention  d'une  ex- 
citation normale,  vibra- 
toire, acoustique,  en 
somme,  chercher  à  dé- 
couvrir les  usages  et  fa- 
cultés que  leurs  aptitu- 
des spéciales  confèrent 
à  l'organe  auditif;  c'est, 
on  ne  saurait  l'oublier, 
ce  qu'il  nous  importe 
absolument  de  savoir, 
dans  un  travail  sur 
l'audition. 

Eh  bien  !  on  peut, 
éclairé  par  l'idée  géné- 
rale qui  se  dégage  des 
faits  expérimentaux  ou 
pathologiques  et  de 
leur  explication,  ad- 
mettre que  l'organe  de 
l'ouïe  de  l'homme 
transmet  au  sensorium 
commun,  en  plus  des 

sensations  acoustiques,  des  sensations  centripètes  de  pression,  de  choc,  de  travail  eiilin, 
en  rapport  avec  l'énergie  vibratoire  d'où  naissent  les  excitations  centrifuges  les  plus 
diverses.  Mais,  parmi  celles-ci,  il  en  est  d'un  ordre  particulier,  souvent  tutélaire,  d'une 
importance  générale  et  primordiale,  oîi  lacérébration,  quelque  développées  que  soient  les 
facultés,  ne  joue  pas  le  premier  rôle,  où  la  volonté  ni  l'éducation  n'interviennent  pas  en- 
core, qui  préexistent  aux  manifestations  de  la  mémoire  et  de  l'intelligence  :  ce  sont 
celles-là  que  l'excitation  des  canaux  semi-circulaires  provoque  par  action  réflexe,  soit  pour 
accommoder  l'organe  à  la  fonction,  soit  pour  protéger  l'individu,  l'aider,  le  défendre. 
EnelTetles  excitations  de  ces  canaux  sont  aussitôt  suivies  de  mouvements  tantôt  unilaté- 
raux et  limités  au  côté  opposé,  tantôt  bilatéraux;  tantôt  leur  intensité  cause  une  exagé- 
ration des  réllexes  et  la  multiplicité  des  retentissements  qui  se  généralisent,  si  bien  qu'ils 
-sont  de  vrais  gestes  de  défense.  Dans  le  cas  de  blessures  ou  d'affections  de  ces  canaux, 

DIOT.    DE  PHYSIOLOGIE.    —   TOME    I.  37 


FiG.  t'O.  —  Oreille  interne  ;  canaux  et  sac  endolymphatiques. 
Diagramme  de  l'organe  auditif  de  l'homme  (d'après  Deblere). 

,  pavillon  de  l'oreille.  —  2,  conduit  auditif  externe.  —  3,  membrane  du 
tympan  coupée  verticalement.  —  4,  étrier;  sa  base,  dans  la  fenêtre  ovale, 
fait  paroi  du  vestibule,  7.  —  5,  portion  osseuse  de  la  trompe  d'Eustache.  — 
6,  portion  cartilagineuse;  et  6'  pavillon  tubaire  ou  son  orifice  guttural. 
—  S,  canau.^  semi-circulaires,  et  utricule. — 9,  promontoire.  —  10,  fenêtre 
ronde;  orifice  tympanique  du  limaçon,  indiqué  par  une  flèche.  —  11,  caisse 
du  tympan.  —  12,  canal  cochlêaire  uni  au  saccule  dans  le  vestibule.  — 
13,  rampe  vestibulaire.  —  14.  rampe  tympanique  aboutissant  à  la  fenêtre 
ronde.  —  15,  sommet  du  canal  cochlêaire,  où  les  deux  rampe 
niquent,  en  15'.  —  16,  aqueduc  du  limaçon.  — 17,  aqueduc  du  vestibule 
18,  sac  ondolymphatique.  —  19,  parotide. 


898  AUDITION. 

c'est  souvent,  comme  après  toute  excitation  excessive,  un  réflexe  d'inhibition  qui  se  pro- 
duit, tantôt  musculaire  (tremblement,  vertige,  chute),  tantôt  respiratoire  (anxiété),  tantôt 
circulatoire  (syncope),  tantôt  vaso-motrice  (rougeur,  pâleur,  sudation). 

Il  y  a  loin  de  là  aux  délicates  excitations  vibratoires  physiologiques  qui  provoquent 
l'adaptation  de  l'appareil,  la  vascularisation  et  les  actes  musculaires,  auriculaires  ou 
généraux,  de  recherche  ou  de  défense,  en  même  temps  que  tous  les  départements  du 
système  nerveux  unis  par  l'attention  dans  une  même  direction  et  une  même  concentra- 
tion fonctionnelles  subissent  une  excitation  concordante,  dont  le  point  de  départ  est  le 
choc  de  l'onde  vibratoire  transmis  aux  ampoules  des  canaux  semi-circulaires  et  aux 
nerfs  de  l'audition  tout  à  la  fois. 

D.  Liquide  labyriiithique  :  endolymplie  et  périlymphe.  —  Aqueducs  du  vesti- 
bide  et  du  limaçon.  —  Sécrétion  et  cÀrculation  de  ce  liquide.  Rùlc  [ihi/^iiologique.  —  Le  liquide 
aqueux  qui  remplit  les  cavjtés  osseuses  et  membraneuses  du  labyrinthe  est  presque 
de  l'eau  ;  Valsalva,  le  premier,  en  a  parlé.  C'est  ce  liquide  qui  maintient  une  pression 
égale  sur  toutes  les  parois  des  cavités  communicantes;  c'est  grâce  à  lui  que  tout  accrois- 
sement de  tension  est  perçu  en  tous  sens  et  que  les  vibrations  stapédiennes,  transmises 
à  sa  masse,  se  distribuent  et  circulent  par  toute  l'oreille  interne. 

Les  solides  de  la  chaîne  ont  apporté  le  mouvement  sonore  isolé,  canalisé  en  un 
point  de  la  paroi  du  labyrinthe,  à  l'étrier;  le  liquide  inclus  transmet  les  vibrations  dans 
toutes  les  directions  au  contact  des  crêtes  auditives  et  acoustiques,  dans  les  canaux  et 
les  rampes;  c'est  l'agent  de  la  transmission  multiple,  de  la  dispersion  des  ondes  vers 
les  divers  points  qu'elles  doivent  toucher. 

En  eïï'et,  si  l'on  provoque  la  sortie  de  ce  liquide,  comme  l'ont  fait  Floube.ns,  et  après 
lui  E.  0E  Cyon,  particulièrement  dans  sa  critique  de  l'opinion  de  Goltz;  ainsi  que  je 
l'ai  fait  sur  les  pigeons  et  les  grenouilles  par  l'ablation  de  la  columelle;  et  Botey, 
depuis,  on  remarque  l'assourdissement  complet  de  l'opéré. 

Assez  rapidement,  le  liquide  se  reproduit;  et,  si  l'on  a  remis  l'étrier  en  place,  l'au- 
dition renaît  (E.  de  Cyon,  Botey,  Flourens),  la  transmission  est  rétablie. 

Le  liquide  est  interposé  partout  à  la  paroi  solide,  excepté  au  niveau  des  taches  de 
l'utricule  et  du  saccule  :  il  baigne  complètement  les  ampoules  suspendues  au  pinceau 
nerveux  qui  les  relie  à  la  paroi  :  c'est  la  périlymphe  de  Breschet. 

Dans  le  limaçon,  elle  remplit  la  rampe  vestibulaire  (au-dessus  de  la  membrane  de 
Reisner)  et  totalement  la  rampe  tympanique. 

Dans  le  vestibule  la  périlymphe  isole  la  platine  de  l'étrier  de  l'utricule  et  du  saccule; 
c'est  par  la  périlymphe  (exolymphe)  que  les  ondes  se  propagent. 

D'autre  part  toutes  les  cavités  membraneuses,  vésicules,  canaux  semi-circulaires  et 
cochléaire,  sont  pleines  d'un  liquide  nommé  endolymphe,  à  peu  près  semblable  au 
premier;  et  toutes  ces  cavités  communiquent  entre  elles  et  avec  les  aqueducs  du  ves- 
tibule et  du  limaçon. 

La  fenêtre  ronde  sert  de  soupape  de  stireté:  elle  cède  dans  une  certaine  limite  aux 
poussées  de  l'étrier  et  se  tend  en  même  temps  que  la  fenêtre  ovale.  Nous  avons  expliqué 
pourquoi  la  voie  de  conduction  suit  la  chaîne  des  osselets  et  l'étrier.  Si  la  fenêtre  ronde 
perd  sa  mobilité,  la  compression  du  contenu  labyrinthique  est  inévitable  dans  les  mou- 
vements en  dedans  de  l'étrier  (Toynbee,  de  Trœltsch,  Duplay-). 

Les  aqueducs  et  les  voies  lymphatiques  jouent  un  grand  rôle  dans  le  maintien  de  la 
tension  normale  intra-labyrinthique. 

E.  Canal  et  sac  endolymphatiques.  Aqueduc  du  limaçon.  —  L'aqueduc  du 
limaçon  fait  communiquer  par  un  canal  étroit  la  cavité  cochléaire  périlymphatique  avec 
la  cavité  de  l'arachnoïde,  auprès  du  trou  déchiré  postérieur.  Les  expériences  de 
■V^^eber  Liel  (1879,)  ont  démontré  le  trajet  direct  entre  les  cavités  crâniennes  et  la 
cocblée. 

D'autre  part,  un  autre  aqueduc  s'étend  du  vestibule  sous  la  dure-mère;  il  contient 
un  canal  né  des  deux  vésicules  vestibulaires;  arrivé  sous  la  dure-mère,  il  se  dilate  en 
une  ampoule  qui  la  soulève,  à  la  surface  du  rocher,  au-dessus  du  confluent  de  la  jugu- 
laire (Hasse).  Le  canal  et  le  sac  qui  le  terminent  contiennent  de  l'endolympbe  :  par 
suite  de  ces  rapports  du  sac  sous-duremérien  avec  la  cavité  crânienne,  la  tension  laby- 
rinthique se  trouve  dans  une  certaine  mesure  placée  sous  l'influence  de  la  tension  intra- 


AUDITION.  899 

crânienne.  On  peut  donc  affirmer  que  les  variations  de  pression  dans  le  crâne  reten- 
tissent fatalement  dans  l'oreille  interne  (Weber-Liel,  Retzius,  Key,  Testut,  M.  Duval). 

Cette  subordination  est  moins  immédiate  qu'on  pourrait  le  ci'oire,  cependant,  grâce 
à  la  finesse  des  canaux,  mais  surtout  grâce  à  l'abouchement  du  canal  de  l'aqueduc  du 
limaçon  à  la  surface  de  l'araclinoïde.  Si  le  sac  lymphatique  se  trouve  seul  comprimé, 
c'est  là  une  voie  par  laquelle  l'équilibre  rompu  peut  se  rétablir  dans  l'intérieur  du 
labyrinthe. 

D'autres  voies  de  communications  ont  encore  été  reconnues  par  les  gaines  lympha- 
tiques du  nerf  acoustique  et  des  vaisseaux  (Siebemmann);  ainsi  que  cela  résulte  des  expé- 
riences de  Retzius,  Schwalbe  et  A.  Key,  sur  les  animaux;  mais  Weber-Liel  ne  les  admet 
pas  chez  l'homme  (Poirier,  Testut). 

La  tension  intérieure  des  cavités  de  l'oreille  interne  subit  déjà  l'action  des  fluctua- 
tions de  la  circulation  crânienne  et  des  troubles  de  la  circulation  en  retour.  Or,  au 
moyen  des  canaux  et  des  sacs  lymphatiques,  la  tension  intra-cranienne  agit  encore  sur 
elle.  On  voit  de  combien  de  côtés  cette  petite  cavité  close  peut  être  atteinte,  et  com- 
bien la  pression  s'y  exagère  facilement  et  doit  être  énergiquement  perçue. 

Une  hémorrhagie,  un  exsudât,  un  choc,  une  enfonçure  brusque  de  l'étrier,  la  raideur 
de  la  fenêtre  ronde  (ou  vice  versa),  la  congestion,  l'anémie  changent  brusquement  ou 
graduellement  la  tension  intérieure  et  provoquent  toute  la  série  des  troubles  subjectifs 
et  moteurs  connus  sous  le  nom  de  vertige  de  Ménière,  le  premier  médecin  qui  a  su  asso- 
cier cette  symptomatologie  curieuse  à  la  lésion  des  canaux  semi-circulaires. 

Mais  ce  liquide,  d'où  vient-il?  est-il  fourni  par  l'arachnoïde?  Je  ne  serais  pas  éloigné 
d'admettre  qu'il  est  sécrété  dans  le  canal  cochléaire  par  la  zone  du  ligament  spiral 
externe  connue  sous  le  nom  de  zonevasculaire.  Boucheron,  en  1889,  a  émis  cette  opinion 
qui  paraît  être  admise  par  Testut,  par  Poirier  (1892,  Traité  d'anatomie)  et  par  M.  Duval 
{Traité  de  physiologie) . 

Cette  partie  est  constituée  par  une  couche  de  grosses  cellules  à  gros  noyau  au  milieu 
desquelles  et  avec  lesquelles  entrent  en  contact  une  foule  de  vaisseaux  capillaires  san- 
guins formant  un  réseau  sous-épithélial  tellement  adhérent  à  cette  couche  cellulaire 
solide  qu'on  le  trouve  toujours  associé  à  elle  dans  les  préparations  par  dissociation. 
J'ai  décrit,  après  Schwalbe,  des  houppes  vasculaires  sur  la  protubérance  spirale  externe 
à  ce  niveau. 

Il  est  nécessaire  de  remarquer  enfin  que  l'augmentation  autant  que  la  diminution 
du  liquide  labyrinthique  provoquent  l'irritation  des  organes  sensibles  inclus  dans  le 
labyrinthe  et  causent  ainsi  les  bruits  subjectifs  et  le  vertige. 

V.  Nerf  auditif  ou  VHP  paire.  —  C'est  le  nerf  sensoriel  destiné  à  transmettre  aux 
centres  nerveux  certaines  excitations  causées  par  les  ébranlements  rythmiques,  pério- 
diques ou  non,  de  l'espace,  qui  donnent  la  sensation  sonore. 

Le  son  étant  en  définitive  le  produit  des  mouvements  moléculaires,  le  nerf  auditif 
reçoit  l'impression  de  ces  mouvements,  des  ondes  vibratoires  de  l'air  qui  les  apporte, 
et  la  transmet  à  divers  foyers,  sensitifs  ou  réflexes,  du  système  nerveux  central. 

Si  l'on  se  reporte  aux  chapitres  où  l'audition  a  été  traitée,  on  pourra  apprécier  la 
multiplicité  des  notions  que  l'auditif  transmet  au  moi,  la  diversité  et  la  nature  com- 
plexe des  sensations  qu'il  procure  ;  on  y  verra  aussi  les  nombreux  rapports  qui  existent 
entre  la  sensibilité  sensorielle  et  la  sensibilité  générale  dans  le  fonctionnement  de 
l'organe  auditif. 

Dans  l'accommodation  de  l'oreille,  dans  l'aération  de  la  caisse,  dans  les  gestes  de  la 
tête  et  du  corps  qui  adaptent  l'oreille  et  tournent  le  conduit  dans  la  direction  du  son, 
dans  le  phénomène  complexe  de  la  recherche  du  corps  sonore,  dans  l'accommodation 
binauriculaire,  dans  l'association  des  divers  sens  de  la  vue,  de  l'ouïe,  et  du  toucher, 
et  des  divers  mouvements  qui  les  unissent  pour  un  même  but  sous  l'influence  de  l'at- 
tention auditive,  on  saisit  des  rapports  nombreux,  intimes,  entre  le  nerf  de  l'audition  et 
un  grand  nombre  de  nerfs  voisins,  glosso-pharyngien,  pneumogastrique,  spinal,  moteurs 
oculaires,  facial,  trijumeau.  On  comprend  de  même  l'association  de  centres  nerveux 
divers  au  foyer  de  l'audition,  point  de  départ  des  actions  conscientes  ou  inconscientes, 
réflexes,  etc.,  auriculaires  et  autres,  qui  concourent  à  la  fonction  auditive. 

En  présence  d'une  pareille  complexité  de  fonctions,  on  voit  l'intérêt  qui  s'attache-à 


900 


AUDITION. 


nédian 


la  connaissance  des  origines  et  des  rapports  du  nerf  auditif  et  à  sa  distribution  dans 
l'organe  périphérique. 

L'étude  de  cette  dernière  partie  a  été  faite  à  l'article  audition;  nous  y  renvoyons 
donc  pour  tout  ce  qui  regarde  la  distribution  du  nerf  auditif  au  labyrinthe;  et  nous 
conduirons  notre  description  jusqu'à  son  entrée  dans  l'oreille  interne. 

A.  Origines  de  l'acoustique,  a.  Origine  apparente.  —  Ce  nerf  se  détache  du 
bulbe  par  deux  racines  nettement  distinctes,  une  racine  antérieure  et  une  racine 
postérieure. 

A.  —  La  racine  antérieure  nait  dans  la  fossette  latérale  du  bulbe,  immédiatement  en 
arrière  de  la  protubérance,  un  peu  en  dehors  du  nerf  facial  et  de  l'intermédiaire  de 
Wrisbebg;  elle  a  la  forme  d'un  petit  faisceau  aplati. 

B.  —  La  racine 'postérieure,  ou  racine  ventriculaire,  nait  sur  le  plancher  du  quatrième  ven- 

tiicule  par  une  série  de  petits  fila- 
ments blanchâtres,  appelés  barbes  du 
calamus  scriptorius.  Parties  de  la  ligne 
médiane  ou  de  son  voisinage,  ces  radi- 
cules de  l'auditif,  très  variables  par 
leur  nombre  et  par  leur  volume,  se  por- 
leiit  en  dehors  en  convergeant  les  unes 
vers  les  autres.  Elles  se  ramassent  ainsi, 
à  la  limite  du  ventricule,  en  un  petit 
ruban  nerveux  qui  contourne  le  corps 
restiforme,  et  vient  rejoindre  la  racine 
antérieure  avec  laquelle  elle  se  confond 
entièrement. 

|î.  Origine  réelle.  —  1°  Racine  anté- 
rieure. —  La  racine  ante'rieure,  appelée 
encore  racine  principale  ou  grosse  ra- 
cine, pénètre  dans  le  névraxe  au  ni- 
veau de  la  fossette  latérale  du  bulbe; 
se  portant  obliquement  en  arrière  et 
en  dedans,  elle  passe  entre  le  corps 
restiforme  et  la  racine  inférieure  du' 
trijumeau,  et  se  divise  alors  en  deux 
groupes  de  fibres;  les  unes  internes,  les 
autres  externes. 

Les  fibres  internes  viennent  se  perdre 
dans  un  amas  de  substance  giise  qui  occupe,  sur  le  plancher  du  quatrième  ventricule, 
la  région  appelée  aile  blanche  externe. 

Cet  amas  de  substance  grise,  assez  mal  délimité,  s'étend  jusqu'au  voisinage  du 
raphé  médian  ;  il  constitue  le  noyau  interne  de  l'acoustique. 

Les  /lires  externes,  s'infléchissant  en  dehors,  aboutissent  à  de  petits  amas  de  sub- 
stance grise,  irrégulièrement  disséminés  dans  l'épaisseur  du  corps  restiforme  et  de  la 
pyramide  postérieure;  leur  ensemble  constitue  ce  qu'on  appelle  le  noyau  externe  de 
l'acoustique. 

Les  fibres  nerveuses  qui  entrent  en  relation  avec  ce  noyau  ne  font  probablement  que 
le  traverser.  D'après  HuGUE^'lN  elles  gagneraient  le  cervelet  en  suivant  le  côté  interne  du 
pédoncule  cérébelleux  inférieur. 

2°  Racine  -pOôtérieure.  —  La  racine  postérieure  ou  ventriculaire  contourne  d'avant  en 
arrière  le  corps  restiforme  et  arrive  ainsi  sur  le  plancher  du  quatrième  ventricule.  Un 
certain  nombre  de  ses  fibres  (fibres  profondes)  se  terminent  dans  le  noyau  interne  de 
l'acoustique  ci-dessus  indiqué.  Les  autres  (iibres  superficielles)  constituent  ces  filets  très 
déliés  et  divergents  décrits  sous  le  nom  de  barbes  du  calamus.  Ces  filets  gagnent  la 
ligne  médiane  et  s'y  terminent  (Pierret,  M.  Duval)  dans  un  groupe  de  plusieurs  noyaux 
qui  s'échelonnent  de  chaque  côté  du  raphé,  entre  la  colonne  de  l'hypoglosse  et  Vemi- 
nentia  teres.  Ces  petits  noyaux  (noyaux  inuomés  de  Clarke)  ont  été  considérés  long- 
temps comme  les  noyaux  d'oiigine  du  fasciculus  teres  et  rattaches  par  cela  même  au 


FiG.    91.  —  Coupe  transversale  du  bulbe  raohidie 
partie  supérieure  (d'après  Mathi.vs  Ddvai.) 

n,  substance  grise  du  40  ventricule.  —  i.  raphé 
du  bulbe.  —  c,  noyau  du  trijumeau  {tête  de  la  corne 
postérieure  de  la  moelle).  —  f,  noyau  propre  du  facial 
(tête  de  la  corne  antérieure  de  la  moelle).  —  (/.  genou 
du  facial.  —  n,  noyau  commun  au  facial  et  à  l'oculo- 
moteur  (base  de  la  corne  antérieure  de  la  moelle).  — 
r,  corps  restiforme.  —  1,  pyramide  antérieure.  —  2, 
cordon  latéral.  —  3,  cordon  postérieur.  —  6,  nerf 
ocu^lo-moteur  externe.  —  7,  nerf  facial.  —  S.  nerf 
acoustique.  —  8'  et  8",  racines  internes  et  externes  de 
l'acoustique. 


AUDITION.  901 

facial.  IIucuENiN  a  décrit,  et  M.  Ddval  a  figuré  des  fibres  qui  du  noyau  auditif  externe 
divergent  vers,  le  cervelet. 

3°  Noyau  antérieur  de  l'auditif.  Aux  trois  noyaux  d'origine  de  l'acoustique  que  nous 
venons  de  décrire,  il  convient  d'en  ajouter  un  quatrième  que  l'on  désigne  communément 
sous  le  nom  de  noyau  antérieur.  Il  est  formé  par  une  petite  masse  de  substance  grise, 
qui  est  située  sur  le  côté  externe  de  la  racine  principale  de  l'acoustique,  en  avant  du 
corps  restiforme. 

En  raison  de  sa  situation  et  de  ses  rapports  avec  le  nerf  auditif  on  a  comparé  cet 
amas  ganglionnaire  au^;  ganglions  spinaux  (Onufrowicz). 

La  signification  anatomique  et  les  connexions  du  noyau  antérieur  de  l'auditif  sont 
encore  fort  obscures.  Tout  ce  qu'on  peut  dire,  c'est  que  sa  structure  est  très  différente 
(Meynert,  Huguentn)  suivant  qu'on  l'examine  dans  sa  partie  supérieure  ou  dans  sa  par- 
tie inférieure.  Sa  partie  inférieure  renferme  des  éléments  cellulaires  qui  rappellent  par 
la  plupart  de  leurs  caractères  les  cellules  des  régions  motrices  (point  de  départ  du  nerf 
de  Wrisberg,  d'après  Erlitzky).  La  partie  supérieure,  au  contraire,  présente  des  cellules 
toutes  spéciales  ayant  la  plus  grande  analogie  avec  celles  des  ganglions  spinaux  et  du 
ganglion  de  Gasser. 

«  Leur  forme  est  arrondie,  vésiculeuse;  elles  n'ont  que  des  prolongements  rares  et 
très  fins  et  possèdent  une  enveloppe  cellulaire  et  délicate  avec  de  petits  noyaux.  En 
dedans  de  cette  membrane,  se  voit  un  protoplasma  dépourvu  d'enveloppe.  Les  noyaux 
des  cellules  sont  arrondis,  assez  gros,  et  renferment  un  ou  plusieurs  nucléoles  :  ces  cel- 
lules mesurent  de  15  à  21  jj..  »  (Huguen'in.) 

(Lire  au  sujet  des  origines  de  l'acoustique  :  Monakow.  Rev.  méd.  Suisse  romande,  1881. 
—  Bechterew.  Neurol.  Centralblatt,  1883,  p.  145.  —  Edinger.  Klin.  Woch.,  Berlin,  1886.  — 
Baginski.  a.  V.,  t. cv, p. 28, et  K/in.  Woc/i.,  Berlin,  1889,  p.  1132.) 

D'après  Edi.xger,  la  racine  postérieure  de  l'auditif  se  termine  non  pas  sur  le  plancher 
du  quatrième  ventricule,  mais  bien  dans  cet  amas  de  cellules  que  nous  avons  appelé  le 
noyau  antérieur.  Ce  noyau  antérieur  donne  naissance  d'autre  part  à  des  fibres  antéro- 
postérieures  et  à  des  fibres  transversales. 

A.  Les  fibres  antéro-posténeures  sont  de  deux  ordres  : 

1"  Les  unes,  sous  le  nom  de  stries  acoustiques,  ou  barbes  du  calamus,  se  rendent  au 
plancher  du  ventricule,  en  contournant  le  corps  restiforme;  les  stries  acoustiques  ne  se 
jettent  donc  pas  directement  dans  la  racine  postérieure  de  l'auditif; 

2°  Les  autres  se  rendent  au  noyau  interne  de  l'acoustique  et  unissent  ainsi  ce  noyau 
interne  au  moyen  antérieur. 

B.  Quant  aux  fibres  transversales,  elles  se  dirigent  en  dedans  et  se  terminent:  les  unes 
dans  l'olive  supérieure  du  côté  correspondant,  les  autres  dans  l'olive  supérieure  du  côté 
opposé.  Ce  système  de  fibres  transversales  est  entièrement  recouvert,  chez  l'homme,  par 
les  faisceaux  protubéranliels,  mais  chez  les  animaux  oii  la  protubérance  est  relativement 
peu  développée,  il  devient  libre,  et  forme  alors  au-devant  du  bulbe,  de  chaque  côté  des 
pyramides,  une  espèce  de  nappe  quadrilatère  à  laquelle  on  donne  le  nom  de  corps  trapé- 
zoide. 

D'après  Schrœder  vaiN  der  Kolr,  certaines  fibres  radiculaires  traversent  le  raphé  et 
vont  se  rendre  dans  le  noyau  opposé;  d'autres  se  rendraient  au  noyau  du  facial. 

Van  der  Kolk  explique  ainsi  les  réflexes  qui  lient  l'acoustique  aux  noyaux  moteurs  ; 
comme  lorsque,  par  un  bruit  soudain  qui  nous  saisit  d'eifroi,  nous  nous  mettons  en  posi- 
tion de  défense  instinctive  et  involontaire. 

LuYs  à  son  tour  décrit  des  fibres  qui,  des  noyaux  de  l'acoustique,  se  rendraient  au 
pulvinar  de  la  couche  optique,  et  de  là  par  les  fibres  radiées  dans  la  substance  corticale 
des  hémisphères.  D'après  Bischoff,  il  existe  éventuellement  des  anastomoses  entre  le 
nerf  intermédiaire  et  le  facial  et  l'auditif. 

Au  dire  de  Valsalva,  \enerf  iiniacéen  peut  manquer,  et  le  limaçon  aussi,  sans  porte  de 
l'audition. 

D'après  un  travail  récentde  A.  Cannieu  faitau  laboratoire  de  Goyne  (1894),  nous  pou- 
vons ajouter  à  cette  description  quelques  notions  nouvelles  très  intéressantes  ;  l'auteur 
donne  des  conclusions  parmi  lesquelles  je  prends  les  suivantes  : 

Le  nerf  auditif  des  mammifères  est  constitué  par  deux  nerfs,  s'insérant  séparément 


902  AUDITION. 

sur  les  parties  latérales  du  bulbe  :  le  nerf  vestibulaire  et  le  nerf  cocliléaire  ;  chez  l'homme 
ils  forment  un  tronc  unique  par  leur  réunion. 

Les  fibres  du  nerf  vestibulaire  et  celles  du  nerf  cochléaire  se  partagent  pour  chacun 
d'eux  en  deux  faisceaux  ;  l'un  antérieur,  l'autre  postérieur,  morphologiquement  compa- 
rables aux  racines  ascendantes  et  descendantes  des  racines  postérieures  des  nerfs  spinaux. 

Ces  racines  ne  s'arrêtent  pas  dans  le  noyau  antérieur;  mais  au  niveau  des  amas  de  sub- 
stance grise,  situés  sous  le  plancher  du  quatrième  ventricule. 

Ces  racines  se  terminent  au  niveau  de  cet  amas  comme  les  fibres  postérieures  de  la 
moelle,  c'est-à-dire  que  leurs  cylindres-axes  ne  sont  pas  en  connexion  avec  les  prolonge- 
ments de  Deiters  des  cellules  nerveuses. 

Quant  aux  rapports  de  l'acoustique  et  du  facial,  Cannieu  montre  qu'une  bande  dé 
cellules  ganglionnaires  les  réunit  chez  la  souris. 

Dans  une  autre  partie  de  ce  travail,  l'auteur  démontre  que  chez  la  souris  le  facial  se 
réunit  au  ganglion  de  Scarpa.  Or  les  recherches  embryologiques  de  His  ont  établi  que 
chez  l'embryon  humain  les  ganglions  de  l'acoustique  et  le  ganglion  géniculé  forment  un 
seul  et  même  ganglion,  se  séparant  dans  le  cours  du  développement  (A.  CA^^NIEu, 
Lille,  1S94;  Recherches  sur  le  nerf  auditif ,  ses  vaisseaux,  ses  ganglions).  Pour  cet  auteur,  les 
faisceaux  nerveux  qui  du  ganglion  de  Scarpa  se  rendent  au  ganglion  géniculé  doivent 
être  considérés,  chez  la  souris,  comme  les  équivalents  morphologiques  du  nerf  inter- 
médiaire de  Wrisberg,  qui  se  séparerait  entièrement  de  l'acoustique  chez  les  êtres 
supérieurs  (chat,  homme);  encore  chez  ceux-ci  existe-t-il  des  anastomoses  entre  l'in- 
termédiaire et  le  ganglion  de  Scarpa. 

y.  Trajets  et  Rapports.  —  Le  nerf  auditif  se  poi'te  en  dehors,  en  avant  et  en  haut.  Il  con- 
tourne le  pédoncule  cérébelleux  moyen,  longe  le  côté  interne  du  lobule  du  pneumogas- 
trique et  arrive  au  conduit  auditif  interne  ;  il  s'y  engage  et  le  parcourt  daus  toute  son 
étendue. 

Durant  tout  ce  trajet,  le  nerf  auditif  est  accompagne'  par  le  nerf  facial  et  le  nerf 
intermédiaire  de  Wrisberg,  auxquels  il  forme  une  gouttière  ouverte  en  haut  et  en  avaut. 
Ces  trois  nerfs  sont  reliés  entre  eux  par  un  tissu  cellulaire  lâche,  dont  les  faisceaux  ont 
souvent  été  pris  pour  des  anastomoses  nerveuses.  Ils  cheminent  en  outre  sous  une  gaine 
arachnoïdienne  commune,  qui  les  accompagne  jusqu'au  fond  du  conduit  auditif  interne. 
0.  Distribution.  —  En  atteignant  le  fond  de  ce  conduit,  le  plus  souvent  même  avant  de 
l'atteindre,  le  nerf  auditif  se  partage  e<n  deux  branches  principales. 

A.  Une  branche  antérieure  ou  coehléenne. 

B.  Une  branche  postérieure  ou  vestibulaire. 

Ces  branches  terminales,  analogues  en  celaaux  nerfs  olfactif  et  optique  qui  traver- 
sent :  le  premier,  la  lame  criblée  de  l'ethmoïde  ;  le  second,  la  lame  criblée  de  la  sclérotique, 
se  tamisent,  elles  aussi,  à  travers  les  fossettes  criblées,  qui  ferment  en  dehors  le  conduit 
auditif  interne. 

Elles  arrivent  alors  dans  les  différentes  portions  de  l'oreille  interne  (limaçon,  ves- 
tibule, canaux  semi-circulaires). 

Y).  Structure.  —  Le  nerf  auditif  se  compose  de  deux  parties  qui  sont  bien  distinctes  au 
point  de  vue  histologiquè. 

La. partie  postéro-supérieure,  qui  répond  à  la  branche  vestibulaire,  est  formée  par  des 
fibres  volumineuses,  qui  rappellent  les  fibres  motrices  des  nerfs  spinaux  (Horbaczewski), 
tandis  que  la  partie  antéro-inférieure  qui  représente  la  branche  coehléenne,  ne  comprend 
que  les  fibres  relativement  grêles  (gaine  de  myéline  rare). 

En  outre,  le  nerf  auditif  présente  à  sa  surface  ou  dans  son  épaisseur  de  nombreuses 
cellules  nerveuses,  soit  éparses,  soit  réunies  en  îlots  considérables.  Ces  amas  ganglion- 
naires de  la  branche  vestibulaire  sont  décrits  sous  le  nom  de  ganglion  de  Scarpa.  Le 
tronc  cochléaire  de  même  traverse  au  niveau  de  la  lame  spirale  une  masse  ganglion- 
naire, le  ganglion  spiral  de  Corti.  A  ce  propos  rappelons  l'hypothèse  émise  par  Erlitsky 
[Archives  de  Neurologie,  1882,)  que  ces  cellules  donneraient  naissance  à  un  certain  nombre 
de  fibres  qui  s'échapperaient  du  nerf  auditif  pour  aller  se  jeter  dans  le  nerf  intermédiaire 
de  Wrisberg.  Si  une  pareille  hypothèse  était  fondée,  il  faudrait  admettre  pour  le  nerf 
intermédiaire  une  double  origine  :  une  origine  centrale,  et  une  origine  périphérique  qui 
serait  située  dans  l'épaisseur  même  du  nerf  auditif. 


AUDITION.  903 

Le  tronc  de  l'auditif,  formant  une  gouttière  où  logent  le  nerf  facial  et  le  nerf  inter- 
médiaire de  Wrisberg,  est  entouré  iFune  gaine  que  lui  fournit  l'arachnoïde  et  l'enve- 
loppe dans  le  conduit  auditif  interne  jusqu'à  la  taclie  criblée  où  ses  divisions  pénètrent 
vers  l'oreille  interne. 

La  branche  auditive  de  la  basilaire  l'accompagne  et  s'engage  avec  elle  dans  l'oreille 
interne:  un  rameau  profond  s'anastomose  avec  l'artériole  mastoïdienne,  suivant  le  facial 
dans  l'aqueduc  de  Fallope. 

Nous  avons  dit  ailleurs  que  ces  dispositions  anatomiques  mettent  en  communication 
les  espaces  périlymphatiques  de  l'oreille  avec  les  cavités  arachnoïdiennes. 

B.  Noyaux  de  l'auditif,  leurs  rapports  avec  les  divers  centres  nerveux.—  Nous 
avons  décrit  dans  l'étude  anatomique  des  origines  du  nerf  acoustique  les  noyaux  bul- 
baires de  ce  nerf  où  aboutissent  ses  deux  branches  fondamentales.  Malgré  bien  des  points 
encore  obscurs  sur  les  rapports  des  fibres  d'origines  bulbaires  de  ce  nerf,  c'est  cependant 
ce  que  l'on  en  connaît  le  mieux  jusqu'ici. 

Maintenant,  nous  allons  essayer  de  montrer  les  rapports  de  ces  noyaux  primaires 
avec  les  diverses  parties  de  l'encéphale;  nous  comprendrons  mieux  ensuite  le  rùle  de 
celles-ci  dans  l'audition. 

Par  le  noyau  antérieur,  l'acoustique  est  mis  en  rapport  :  1°  avec  le  noyau  interne 
du  même  côté;  2°  avec  l'olive  supérieure  du  même  côté;  3°  avec  l'olive  supérieure  du 
côté  opposé  ;  4°  par  le  corps  trapézoïde  avec  le  tubercule  quadrijumeau  postérieur  du 
côté  opposé. 

Par  ce  dernier,  des  fibres  le  relieraient  à  la  couche  optique  (Bechterew),  et  d'autres 
au  corps  genouillé  interne.  Par  ce  dernier  rapport  l'auditif  serait  relié  aux  lobex  tempo- 
raux, suivant  Mo.n'akow,  c'est-à-dire  au  centre  auditif  cérébral. 

Le  noyau  interne  est  en  rapport  avec  le  précédent  (l'antérieur)  ;  aussi  avec  l'olive 
supérieure  du  même  côté;  mais,  de  plus,  avec  le  noyau  du  toit  des  deux  côtés.  Or,  ces 
derniers  sont  reliés  au  noyau  rouge  de  Stilltng,  et,  par  là,  aux  circonvolutions  pariétales 
(région  psycho-motrice). 

D'autre  part,  le  noyau  de  Deiters  communique  avec  le  cervelet  et  avec  les  cordons 
late'raux  de  la  moelle  (centres  moteurs,  réflexes,  de  coordination  motrice). 

Par  l'olive  supérieure,  ces  deux  noyaux,  l'antérieur  et  l'interne,  sont  mis  en  relation 
avec  le  noyau  de  la  vi»  paire  et  les  oculo-moteurs;  mais  surtout  avec  les  tubercules 
quadrijumeaux  postérieurs  qui  conduisent  vers  les  lobes  temporaux. 

Les  noyaux  du  raphé,  les  noyaux  innomés  de  Clarke  émettent  des  fibres  vers  le 
noyau  interne  du  côté  opposé;  mais  la  masse  se  fond  dans  le  faisceau  central  des  cor- 
dons sensitifs;  et,  par  suite,  ils  sont  reliés  aux  lobes  temporaux  (centre  auditif). 

En  définitive,  le  nerf  vestibulaire  est  mis  en  rapport  :  1»  avec  le  cervelet,  par  des  fais- 
ceaux directs,  par  le  noyau  interne,  l'olive,  le  noyau  de  Deiters  et  le  noyau  de  Bech- 
terew (mouvements  coordonnés  et  d'équilibration);  2°  avec  le  cerveau  :  A,  au  niveau  des 
lobes  temporaux  (centre  de  la  perception  des  sons)  par  l'olive  supérieure,  les  tubercules 
quadrijumeaux  postérieurs  et  le  corps  genouillé  interne;  B,  aux  lobes  pariétaux 
(région  psycho-motrice)  indirectement  par  le  cervelet  et  le  noyau  de  Stilling;  3°  avecles 
noyaux  moteurs  bulbo-médullaires  par  l'olive  supérieure  et  le  faisceau  longitudinal  pos- 
térieur, pour  le  facial  et  le  nerf  oculo-moteur,  le  nerf  de  AVrisberg,  et  le  spinal  (mouve- 
ments de  la  tête  et  des  membres);  4°  avec  le  (jlosso-phanjnglen  et  le  pmumogastrùiue,  qui 
ont  une  grande  influence  sur  la  fonction  auditive  pour  l'aération  de  la  caisse,  entre 
autres  par  la  déglutition. 

On  voit  ainsi  que  la  branche  vestibulaire  ou  excito-motrice  a  les  rapports  les  plus 
intimes  avec  le  cervelet,  et  surtout  une  relation  directe;  et  qu'il  en  est  de  même  avec 
le  facial  et  les  nerfs  glosso-pharyngien,  pneumogastrique  et  spinal  dans  le  bulbe. 

Le  limaçon,  d'autre  part,  est  mis  en  relation  :  1°  avec  le  cervelet,  par  des  fibres  du 
noyau  interne  et  l'olive  supérieure;  2°  avec  le  cerveau  (lobes  temporaux),  par  les  stries 
acoustiques  et  le  faisceau  sensitif  pédonculaire  ;  par  le  noyau  antérieur  et  le  corps 
trapézoïde,  et  aussi  l'olive  supérieure;  3"  auec  le  noyau  moteur  de  la  moelle,  avec  le  facial, 
l'oculo-moteur,  par  l'olive  supérieure  et  le  faisceau  longitudinal  postérieur;  4°  arec  la 
région  psycho-motrice,  qui  commande  ces  noyaux,  par  le  cervelet,  les  noyaux  internes  et 
celui  de  Deiters. 


9C4  AUDITION. 

La  racine  cochléenne  est  donc  surtout  sensitive  et  cérébrale. 

C.  Centre  nerveux  de  l'audition. — A  quelle  partie  du  cerveau  est  dévolue  la  fonc- 
tion de  percevoir  les  sensations  sonores  ? 

La  sensation  sonore  est  perçue  au  niveau  du  centre  de  l'audition  (K"  circonvolution 
temporale,  Ferrier);  elle  peut  déterminer  des  mouvements  conscients  de  recherche  (lobes 
pariétaux  et  région  psycho-motrice);  elle  peut  provoquer  des  actes  réflexes  par  le  cer- 
velet, mais  elle  agit  aussi  sur  les  centres  sensitifs  voisins;  et  ceux-ci  à  leur  tour  l'in- 
fluencent (V  paire,  glosso-pharyngien,  pneumogastrique,  etc.). 

Il  résulte  de  l'analyse  des  faits  expérimentaux  et  cliniques  que  la  perte  de  l'audition 
a  coïncidé  avec  les  lésions  de  la  surface  des  circonvolutions  (t  et  2)  occipitales,  du 
pli  courbe,  de  la  circonvolution  du  coin  (Luys);  Roxdot  y  ajoute  celles  du  pied  de  la 
2'^  temporale  adjacente;  LucrANi  tout  le  lobe  temporal.  Peut-être  faut-il  admettre  un 
centre  double,  bilatéral  pour  l'audition  simple;  et  un  autre  unique  à  gauche  pour  la- 
perception  des  mots. 

D'autre  part,  les  autopsies  ont  montré  l'existence  de  lésions  au  niveau  du  tiers  posté- 
rieur de  la  capsule  interne,  dont  les  fibres  forment  la  portion  postérieure  de  la  couronne< 
rayonnante  de  Reil,  qui  s'étalent  dans  les  circonvolutions  sphéno -occipitales,  dans  les 
hémiplégies  avec  perte  de  l'ouïe  et  dans  les  paralysies  sensitivo-sensorielles  (Char- 
COT,  Raymond).  Luys  a  décrit  une  lésion  de  la  circonvolution  du  coin.  Veissière  a  montré 
d'ailleurs  que  la  destruction  de  cette  partie  postérieure  de  la  capsule  interne  amène  de 
l'insensibilité  dans  le  cùté  opposé  à  la  lésion. 

On  peut  ajouter  que  l'excitation  de  ces  régions  du  cerveau  (sphéno-occipitales)  ne 
provoque  jamais  de  phénomènes  moteurs  {Ferrier,  Laxdois;  Leçons  de  Charcot)  (Voir 
pour  plus  de  détails  Cerveau  [Localisations]  ). 

Les  expériences  de  Nothnagel  ont  montré  du  reste  que  la  lésion  des  zones  pariétales 
du  cerveau  cause  des  troubles  des  sensibilités  cutanée  et  musculaire,  et  celles  de 
Rechtere^'  que  les  irritations  de  ces  parties  agissent  sur  l'équilibration. 

D'autre  part,  R.  Bagi.\ski,  reprenant  les  vivisections  de  Ferrier  et  de  ses  successeurs, 
a  découvert  que  l'excitation  de  la  partie  tout  à  fait  inférieure  du  lobe  temporal  du  cer- 
veau du  chien  provoquait  des  mouvements  de  l'oreille.  Ainsi  l'excitation  électrique  des 
parties  inférieures  des -S' et  4°  circonvolutions  temporales  (numération  allemande),  en 
arrière  de  la  scissure  de  Sylvius,  produit  des  mouvements  des  yeux  et  des  secousses  dans 
le  pavillon  de  l'oreille  opposée.  Une  lacune  inexcitable  sépare  cette  région  de  celle  sur 
laquelle  a  opéré  Ferrier  (^4.  P.,  p,  227,  1891,  sphère  auditive). 

A  ce  point  de  vue,  l'étude  du  cerveau  de  Bertillon  par  Manouvrier  est  des  plus 
instructives.  Le  cerveau  de  Rehtillo.x,  qui  était  privé  de  l'ouïe  à  gauche,  offrait  une 
atrophie  évidente  de  la  première  temporale  droite  et  de  la  pariétale  ascendante  droite. 
Cette  dernière  circonvolution  était  au  contraire  extrêmement  développée  à  gauche,  en 
correspondance  avec  l'audition  par  l'oreille  droite  persistante  (P.  Bornier,  V.  Laborde). 

Centre  de  la  mémoire  des  mots;  rentre  psycho-acoustique  ;  amnésies  'partielles;  aphasie 
sensorielle.  —  On  adresse  la  parole  à  un  individu,  il  entend  le  bruit  de  la  vois,  mais  il 
ne  peut  comprendre  l'idée  que  le  mot  signifie  :  il  entend  tous  les  sons,  et  la  portée  de 
l'ouïe  pour  les  bruits  simples  est  conservée;  mais  il  ne  peut  converser,  il  ne  saisit  plus 
rien  aux  discours;  il  peut  cependant  souvent  lire  et  comprendre  ce  qu'il  lit,  dans  le 
même  temps  (aphasie  sensorielle).  Chez  lui  le  bruit  du  mot  n'éveille  plus  l'idée  :  sa 
signification  a  disparu  de  sa  mémoire. 

Des  expériences  de  Wernicre,  de  Ferrier,  Hitzig,  Luciani  et  Tamburini,  des  études 
cliniques  de  Charcot,  Magnan  (Swortskoff,  D.  P.,  1887),  etc.,  il  résulte  que  la  localisa- 
tion du  centre  auditif  des  mots  est  précise.  La  surdité  verbale  se  produit  quand  une 
lésion  intéresse  la  première  circonvolution  temporale. 

KôHLER  et  PicK,  d'après  Urba.ntschitsch,  auraient  constaté,  en  même  temps  que  la 
surdité  verbale,  la  surdité  pour  la  musique,  la  perte  de  la  mémoire  des  tons  et  de  leurs 
valeurs.  Un  musicien  de  mes  malades  entendait  encore  les  tons  et  la  parole,  mais  ne 
pouvait  plus  reconnaître  les  accords  du  piano  (Gellé). 

D.  De  l'accommodation  synergique  des  deux  organes  dans  l'audition  binau- 
riculaire,  du  réflexe  d'accommodation  biotique,  du  foyer  ou  centre  réflexe  oto- 
spinal. —  Les  yeux  convergent   dans  l'acte  de  la  vision  binoculaire;  au  contraire,  les 


AUDITION.  905 

deux  organes  de  l'ouïe  sont  absolument  séparés  au  point  de  vue  des  étendues  de  l'es- 
pace dont  ils  reçoivent  les  ébranlements. 

Cependant  les  deux  oreilles  sont  associées  dans  la  recherche  de  la  direction  du  corps 
sonore,  dans  l'orientation,  qui  se  latéralisé  du  côté  du  maximum  de  sensation  auditive  : 
cela  implique  la  comparaison  entre  les  notions  fournies  par  chaque  oreille;  c'est-à-dire 
deux  centres  de  perception  et  un  centre  de  jugement  et  d'anal3'se. 

Cette  synergie  d'action,  mise  en  activité  par  l'attention,  se  manifeste  par  le  jeu  des 
pavillons  chez  les  animaux,  et  pour  nous  par  l'adaptation  des  organes  au  moyen  des 
contractions  musculaires  qui  accomplissent  la  rotation  de  la  tête,  le  redressement  du 
pavillon  et  les  tensions  utiles  des  appareils  conducteurs  des  sons. 

J"ai  démontré  espérimentalenient  l'association  des  mouvements  intra-auriculaires, 
leur  synergie  dans  l'expérience  dite  des  réflexes  auriculaires,  décrite  plus  haut.  On  se 
rappelle  qu'un  diapason  sonnant  à  Foreille  droite,  les  pressions  centripètes  étant  opé- 
rées sur  la  gauche,  il  en  résulte  une  atténuation  de  4a  sensation  sonore  droite  par 
chaque  pression.  Le  tenseur  droit  entre  en  action  avec  le  tenseur  gauche. 

D'autre  part,  la  participation  des  deux  oreilles  dans  l'audition  est  rendue  manifeste, 
même  dans  le  cas  où  la  sensation  étant  bien  latérale,  on  peut  croire  qu'elle  n'existe 
que  pour  ce  seul  côté;  j'ai  démontré  cela  en  latéralisant  le  son  crânien  et  déplaçant 
alors  le  maximum  vers  le  côté  opposé  par  un  aftifice  expérimental  sans  rien  changer 
à  la  situation  du  corps  sonore  (Voir  plus  haut:  p.  876). 

J'ai  essayé,  de  reconnaître  le  siège  du  foyer  de  ces  associations  des  mouvements 
réflexes  de  l'accommodation  binauriculaire  dont  j'ai  le  premier  parlé. 

Pour  cela,  j'ai  analysé  les  faits  cliniques  dans  lesquels  cette  association  synergique 
faisait  défaut  ;  c'est  ainsi  que  j'ai  pu  observer  la  perte  du  réflexe  d'accommodation 
dans  certaines  aff'ections  de  la  moelle  bien  nettement  limitées  à  sa  portion  cervicale. 
C'est  sur  des  sujets  atteints  de  pachyméningite  cervicale  (service  de  Charcot)  que  j'ai 
pu  constater  le  fait  d'une  façon  assez  fréquente  pour  pouvoir  en  induire  que  ce  foyer 
réflexe  de  l'accommodation  binauriculaire  est  situé  au  niveau  de  l'union  du  tiers  moyen 
avec  le  tiers  inférieur  de  la  région  cervicale  d^e  la  moelle  (Celle.  Études  d'otologie,  t.  n; 
L'un  foijer  réfle.xe  oto-spinal,  p.  61). 

Quant  au  point  de  départ  de  cette  action  réflexe,  l'examen  des  faits  pathologiques 
indique  que  le  réflexe  manque  dès  que  le  labyrinthe  est  atteint;  tandis  qu'il  existe  très 
net  dans  la  surdité  d'origine  centrale,  dans  la  surdité  hystérique  (hémi-anesthésie),  et 
dans  celle  qui  est  consécutive  aux  lésions  cérébrales. 

La  surtension  labyrinthique  due  à  l'accommodation  d'une  oreille  éveille  donc  celle  du 
côté  opposé  (Gellé.  Valeur  des  pressions  centripètes  dans  les  affections  nerveuses.  Bulletin 
Soc.  d'otologie  et  laryngologie  de  Paris,  t892).  Le  point  d'origine  du  réflexe  est  le  laby- 
rinthe, et,  dans  celui-ci,  les  nerfs  aiiipuUaires  en  sont  sans  doute  les  éléments  centripètes. 
E.  De  l'innervation  des  oreilles.  Rôle  de  la  cinquième  paire,  du  facial,  du 
glosso-pharyngien,  du  pneumogastrique  et  du  spinal;  le  plexus  tympanique. 
—  En  plus  des  expansions  périphériques  de  l'acoustique,  l'oreille  reçoit  des  nerfs  de 
sensibilité  générale,  des  nerfs  moteurs,  des  rameaux  du  grand  sympathique,  des  nerfs 
trophiques. 

La  sensibilité  lui  est  donnée  par  la  cinquième  paire,  le  glosso-pharyngien,  le  pneumo- 
gastrique; deux  ganglions  voisins  ont  des  rapports  évidents  avec  la  fonction  auditive  :  le 
ganglion  otique  et  le  ganglion  sphéno-palatin. 

Nous  avons,  au  cours  de  cette  étude  de  la  fonction  de  l'ouïe,  montré  les  nombreuses 
influences  du  nerf  trijumeau  sur  l'organe. 

ÏVous  avons  vu  que  la  sensibilité  du  pavillon  aide  à  l'orientation,  ainsi  que  celle  de  la 
membrane  du  tympan  ;  celle  du  conduit,  exquise,  protège  l'entrée  de  l'oreille.  La  mu- 
queuse et  les  muscles  tympaniques  reçoivent  une  partie  de  leur  innervation  de  la  cin- 
quième paire,  et  nous  devons  signaler  son  action  trophique  énergique. 

L'audition  douloureuse  montre  les  rapports  intimes  de  ce  nerf  avec  l'acoustique,  dès 
leur  origine  bulbaire  :  les  retentissements  douloureux  causés  par  certains  bruits,  par 
certains  modes  d'excitation  de  l'auditif,  qui  éveillent  des  sensations  sur  les  dents,  sur  les 
yeux,  à  l'état  normal  ou  pathologique,  etc.,  tiennent  à  la  même  condition. 

Nous  avons  vu,  avec  Filehne,  l'action  tonique  des  muscles  du  pavillon  soumise  à  son 


906  AUDITION. 

influence;  probablement  il  en  est  de  même  des  muscles  intra-tympaniques,  car  les  exci- 
tations anormales  de  la  sensibilité  d'une  partie  quelconque  de  l'organe  provoquent  aus- 
sitôt des  spasmes  musculaires  et  des  bruits  subjectifs. 

D'autre  part  la  brandie  motrice  du  trijumeau  innerve  le  muscle  interne  du  marteau. 

Le  rameau,  détaché  du  ganglion  otique,  a  bien  pour  origine  cette  branche  motrice, 
ainsi  que  le  développement  embryogénique  l'indique  au  reste  suffisamment  (M.  Duval). 
PoLiTZER  et  LuDwiG  Ont  provoqué  des  contractions  du  tenseur  par  excitation  directe  du 
trijumeau.  D'ailleurs,  Vulpian  a  constaté,  après  sa  section,  l'atrophie  des  fibres  mus- 
culaires du  tenseur.  Ce  muscle  fait  partie  du  groupe  des  masticateurs  que  la  cinquième 
paire  innerve  :  aussi  se  contracte-t-il  dans  la  déglutition  toujours  précédée  d'une  contrac- 
tion des  mâchoires.  Déplus,  parle  ganglion  otique,  les  excitations  se  transmettent  à  ce^ 
petit  muscle  de  tous  les  départements  animés  par  la  cinquième  paire. 

Le  nerf  facial  anime  les  muscles  du  pavillon  :  les  contractions  violentes  des  peauciers 
de  la  face  provoquent  en  même  temps  celles  de  ces  petits  muscles,  et  font  naître  des 
bruits  intenses. 

Simultanément  le  petit  muscle  stapédius,  qui  reçoit  un  filet  du  facial,  entrerait  aussi  en 
action,  d'après  FicKet  Lucae.  Cependant  on  n'obtient  plus  de  bourdonnements  si  l'on  sai- 
sit avec  la  main  le  pavillon  en  laissant  libres  les  deux  orifices  du  conduit.  Les  bruits 
sont  sans  doute  surtout  dus  aux  secousses  du  pavillon  et  amplifiés  par  la  résonnance 
du  conduit;  d'ailleurs,  le  son  du  diapason  vibrant  sur  la  tête  n'est  pas  modifié  pendant 
ces  contractions  bruyantes  des  peauciers  auriculaires.  C'est  le  nerf  facial  qui  anime 
directement  le  muscle  stapédius,  l'antagoniste  du  muscle  du  marteau,  du  tenseur. 

Dans  l'hémiplégie  faciale,  le  muscle  de  l'étrier  est  paralysé;  le  tenseur  prédomine; 
l'équilibre  est  rompu;  la  membrane  tympanique  est  attirée  en  dedans  et  tendue  en  excès; 
aussi  le  diapason  posé  sur  le  vertex  est-il  latéralisé  du  côté  paralysé. 

On  voit  c[ue  les  deux  muscles  tympaniques  antagonistes  sont  innervés  par  des  nerfs 
différents.  Au  moment  des  efforts  de  l'adaptation  de  l'organe,  dans  les  bruits  forts  sur- 
tout, le  muscle  tenseur,  sans  frein,  refoule  spasmodiquement  l'étrier;  il  s'ensuit  des 
secousses  douloureuses  de  l'appareil,  qui  cessent  quand  l'antagonisme  est  rétabli;  enfin 
il  y  a  de  ce  fait  affaiblissement  de  l'ouïe. 

Les  rapports  du  facial  avec  la  caisse  tympanique,  les  cellules  mastoïdes  et  le  conduit 
auditif  externe  osseux  expliquent  la  coïncidence  fréquente  des  paralysies  de  ce  nerf  dans 
les  affections  de  l'oreille. 

Un  rameau  du  facial  traverse  la  caisse  du  tympan  sans  s'y  distribuer,  c'est  la  corde 
du  tympan  ;  irritée  dans  certaines  affections  otiques,  elle  cause  de  la  salivation  et  parfois 
un  état  dystrophique  de  la  muqueuse  linguale  du  côté  lésé  (Politzeb,  Ubbantschitsch) 
dans  les  cas  chroniques,  et  l'altération  du  goût. 

L'influence  de  ce  petit  nerf  sur  la  salivation,  les  rapports  de  celle-ci  avec  la  dégluti- 
tion, et  par  suite  avec  l'aération  de  la  caisse  du  tympan,  lui  donnent  une  certaine  impor- 
tance au  point  de  vue  spécial  de  la  fonction  auditive. 

L'oreille  reçoit  un  rameau  du  pneumogastrique  qui  se  distribue  à  la  paroi  externe  de 
la  caisse,  au  tympan,  et  surtout  à  la  partie  interne  du  conduit  auditif  externe,  et  au 
canal  de  Fallope. 

C'est  ce  rameau  qui  est  l'origine  des  curieux  retentissements  observés  sur  le  larynx 
et  sur  la  fonction  pulmonaire  (aphonie,  toux,  voix  enrouée,  accès  d'étouffement)  au 
moindre  contact  de  la  peau  du  conduit.  On  sait  du  reste  que  la  respiration  se  suspend 
quand  on  écoute  ;  ce  nerf  auriculaire  est  donc  un  nerf  d'arrêt  excité  au  choc  de  l'onde 
sonore. 

L'acoustique  a  de  plus  par  ses  racines  des  rapports  très  étroits  avec  les  noyaux  du 
pneumogastrique  et  du  glosso-pharyngien.  D'après  les  recherches  récentes  de  G.  Fano  et 
G.  Masini,  de  Gènes  {Intorno  airapporti  fonzionali  tra  apparecchio  auditive  e  centra  res- 
piralorio,  1893),  les  lésions  de  l'appareil  auditif,  celles  du  labyrinthe  surtout,  amèneraient 
des  troubles  notables  de  la  respiration. 

L'arrêt  de  la  respiration  en  inspiration  forcée,  par  exemple,  a  été  inscrit  sur  les 
appareils  enregistreurs  au  moment  de  la  dilacération  des  canaux  semi-circulaires;  ces 
perturbations  seraient  bien  moindres  si  on  lèse  le  limaçon. 

Les  auteurs  insistent  sur  le  caractère  inhibitoire  de  ces  actions  réflexes  d'origine 


AUDITION.  907 

otique;  et  proposent  comme  moyen  d'étudier  la  sensibilité  acoustique,  l'inspection  des 
mouvements  respiratoires;  ces  faits  se  rapprochent  de  ce  qu'a  vu  F.  Franck.  D'ailleurs 
les  rapports  de  l'audition  avec  la  phonation  et  l'articulation  sont,  on  le  sait,  des  plus  in- 
times. On  observe  également  que  les  lésions  du  larynx  s'accompagnent  souvent  de  dou- 
leurs otiques  symptomatiques  bien  remarquables;  j'ai  constaté  en  pareil  cas  des  lésions 
scléreuses  trophiques  de  l'oreille  correspondante  avec  surdité. 

Dans  deux  autopsies  de  lapins  auxquels  Laborde  avait  sectionné  ou  lié  les  pneumo- 
gastriques, j'ai  trouvé  les  bulles  comblées,  remplies  d'un  magma  muco-purulent  épais 
et  la  muqueuse  pâle  plissés  et  très  épaissie.  On  doit  rapprocher  ces  effets  trophiques  de 
ceux  que  produisent  les  lésions  bulbaires,  celles  de  la  v=  paire,  et  du  sympathique 
(M.  DuvAL  et  Labobde.  Racine  descendante  du  trijumeau;  Trav.  du  lab.  de  physiologie,  t.  i). 

Les  trompes  d'EusiACHE  et  les  caisses  tympaniques  ne  sont-elles  pas  des  diverticu- 
lums  de  l'appareil  respiratoire? 

Le  nerf  glosso-pharyngien  est  le  nerf  de  la  gorge,  et  aussi  de  la  caisse  tympanique, 
par  le  nerf  de  Jacobson.  Beaucoup  de  sujets  rapportent  à  la  gorge  les  sensations  causées 
par  les  attouchements  de  la  paroi  interne  de  l'oreille  moyenne. 

L'innervation  de  la  paroi  externe  (tympan)  est  plutôt  fournie  par  le  pneumogastrique 
et  le  trijumeau;  aussi  les  irritations  limitées  au  pavillon  tubaire,  que  ce  nerf  anime 
également,  sont-elles  perçues  du  côté  de  l'oreille  externe  et  rapportées  au  fond  du  con- 
duit ;  le  nerf  de  Jacobson  couvre  la  paroi  interne  de  ses  branches  (plexus  tympanique). 

VoLpiAN  irrite  la  caisse  et  provoque  l'hyperémie  immédiate  de  la  gorge  et  de  la  moi- 
tié de  la  langue  correspondante.  Le  nerf  glosso-pharyngien  préside  à  la  déglutition,  à  la 
salivation  et  au  goût.  La  déglutition,  la  salivation  sont  indispensables  à  l'aération  de  la 
caisse;  l'excitation  de  ce  nerf  sert  donc  à  l'accomplissement  de  cette  fonction.  Cette 
innervation  commune  du  pharynx  et  de  l'oreille  rend  celle-ci  tributaire  des  affections  de 
la  gorge. 

F.  Le  nerf  de  "Wrisberg.  Ganglion  otique.  —  Ce  petit  nerf  intermédiaire  que  nous 
avons  dit  s'amastomoser  avec  l'acoustique  au  niveau  du  ganglion  de  Scarpa,  c'est-à-dire 
avec  la  branche  vestibulaire  ou  excito-motrice  de  ce  nerf,  s'unit  également  avec  le  facial, 
et  se  rend  au  ganglion  géniculé,  d'où  partent  les  deux  nerfs  pétreux,  dont  l'un  va  au 
ganglion  otique. 

Du  ganglion  otique  un  rameau  se  porte  en  arrière  dans  le  muscle  interne  du  marteau. 

Lo.\GET  croit  que  les  filets  du  nerf  intermédiaire  se  rendent  au  muscle  de  l'étrier  et 
au  muscle  interne  du  marteau  :  aussi  le  nomnie-t-il  le  nerf  moteur  tympanique.  Lus- 
SANA  le  fait  venir  du  glosso-pharyngien,  M.  Duval  a  confirmé  cet  a  j^riori  par  ses  coupes 
du  bulbe;  le  nerf  intermédiaire  naîtrait  du  noyau  du  glosso-pharyngien. 

L'origine  du  nerf  intermédiaire  de  Wrisberg  n'est  bien  connue  que  depuis  les  belles 
recherches  de  M.  Duval  sur  le  bulbe. 

Cet  anatomiste  a  démontré  qu'il  n'est  qu'une  racine  ei'ratique  du  nerf  glosso-pha- 
ryngien. Il  naît  par  deux  racines  :  l'une,  sensitive,  qui  part  du  noyau  sensilif  de  la 
IX''  paire,  l'autre,  sympathique,  naît  de  l'extrémité  antérieure  du  faisceau  solitaire  de 
Stilling  ou  colonne  grêle,  situé  sur  le  côté  interne  du  corps  restiforme. 

Ce  petit  nerf  est  donc  à  la  fois  sensible  et  doué  d'une  action  trophique. 

De  plus,  nous  avons  vu  que  le  nerf  facial  ofl're  avec  le  ganglion  d'ANDERSCH  un  rameau 
anastomotique  qui  l'atteint  au-dessous  de  l'origine  du  rameau  du  stapédius.  J'ai  toujours 
pensé  que  le  glosso-pharyngien  fournissait  aux  muscles  tympaniques  un  élément  pour 
associer  leur  contraction  avec  la  déglutition. 

Le  spinal  est  le  nerf  moteur  de  l'orientation  et  de  la  rotation  de  la  tête  ;  il  obéit  à  la 
sensation  acoustique  (réflexe)  et  à  la  volonté.  Je  n'ai  pas  à  rappeler  le  rôle  des  muscles 
sterno-mastoïdiens  et  de  ceux  du  cou  dans  les  mouvements  de  recherche  du  corps 
sonore.  C'est  au  niveau  du  bulbe  que  se  font  ces  excitations  de  voisinage  des  noyaux 
contigus  à  l'acoustique,  et  des  faisceaux  de  la  moelle  allongée.  La  zone  psycho-motrice  au 
contraire  commande  les  mouvements  volontaires  et  conscients;  mais  la  sensation  d'ac- 
tion musculaire  peut  suffire  à  donner  l'orientation. 

G.  Des  centres  trophiques  de  l'oreille;  centres  vaso-moteurs.  — Centres  bul- 
baires. —  Tout  le  monde  connaît  les  belles  expériences  de  Claude  Bernard  relatives  aux 
influences  vaso-motrice  et  trophique  sur  l'oreille  des  sections  du  sympathique  cervical  ou 


908  AUDITION. 

de  l'arrachement  du  ganglion  cervical  supérieur;  la  dilatation  vasculaire,  la  chaleur 
accrue,  etc. 

Les  lésions  du  hulbe  oculaire  et  des  parties  profondes  de  l'oreille,  sur  lesquelles  j'ai 
appelé  déjà  l'attention,  montrent  l'influence  de  ces  rameaux  du  sympathique  qui  se 
jettent  dans  le  plexus  tympanique  et  se  distribuent  avec  les  vaisseaux  de  l'oreille  interne. 
En  second  lieu  nous  venons  de  mentionner  l'action  trophique  du  nerf  trijumeau. 

WiETT  d'autre  part  rapporte  et  flgure  des  lésions  trophiques  observées  après  les 
traumatisnies  et  sections  des  nerfs  pneura  ogastriques  sur  le  lapin.  Ces  faits  indiqueraient 
donc  une  action  trophique  réflexe  évidemment  par  le  bulbe  (Wiett.  D.  P.,  1881). 

Les  lésions  bulbaires  ont  en  efl'et  sur  l'oreille  une  action  trophique  remarquable.  Au 
cours  de  leurs  recherches  sur  la  racine  descendante  du  trijumeau,  Labohde  et  M.  Duval 
ont  observé  des  troubles  trophiques  très  caractérisés  de  l'œil,  tandis  que  dans  la  bulle 
et  dans  l'oreille  interne  des  opérés,  je  constatais  des  héraorrhagies,  des  inflammations, 
de  la  suppuration,  etc.,  sur  les  cobayes  ou  lapins  qui  survivaient  aux  expériences:  un 
d'entre  eux  fut  même  atteint  tardivement  de  vertige  de  Ménière,  dû  aux  mêmes  alté- 
rations consécutives  du  labyrinthe  et  de  la  bulle  (B.  B). 

Il  n'est  pas  rare  de  rencontrer  des  sujets  frappés  à  la  fois  de  cécité  et  d'otorrhée  uni- 
latérales dès  l'enfance.  Le  rapport  de  cause  à  effet  des  deux  afi'ections  n'est  peut-être 
point  difficile  à  établir;  la  lésion  du  rocher  qui  cause  l'otorrhée  peut  en  effet  avoir  lésé 
le  ganglion  de  Gasser,  si  proche  du  tcgmen  tympani,  et  provoqué  des  lésions  trophiques 
consécutives. 

Au  reste  j'ai  observé  et  constaté  ces  lésions  consécutives  de  la  cornée  sur  un  cobaye 
auquel  j'avais  dilacéré  et  fait  suppurer  la  bulle  dans  mes  recherches  sur  le  limaçon  : 
l'abcès  avait  soulevé  et  envahi  le  isanglion  de  Casser  (B.  B.). 

H.  Les  sensations  acoustiques  ;  leur  perception;  l'attention;  la  mémoire, 
l'imitation,  l'éducation,  la  phonation  identique.  —  La  psychologie  de  la  sensation 
acoustique,  c'est-à-dire  l'analyse  des  états  de  conscience  et  de  l'intellect  qui  sont  provo- 
qués par  elle  ou  qui  la  modifient  et  réagissent  sur  sa  perception  forment  une  étude  nou- 
velle. 

Elle  a  été  surtout  systématisée  et  fouillée  au  moyen  des  procédés  et  méthodes  d'ana- 
lyse scientifique  actuellement  usités  dans  ce  qu'on  appelle  «  la  psychologie  expéri- 
mentale ». 

Au  cours  de  cette  étude  de  l'audition  j'ai  montré  à  chaque  pas  les  rapports  intimes 
qui  unissent  l'excitant,  l'excitation  et  la  perception.  La  réaction  individuelle  psychique, 
l'action  de  l'éducation  du  sens,  de  l'attention,  de  l'excitation  imprévue,  ou  attendue,  de 
la  fatigue,  des  aptitudes  personnelles,  modifient  absolument  l'effet  produit,  indépen- 
damment des  sensations  de  plaisir  ou  de  déplaisir  qui  accompagnent  la  perception  des 
sons.  Nous  ne  répéterons  pas  tout  ce  qu'après  Helmholtz  nous  avons  dit  à  ce  sujet  au 
chapitre  de  l'audition  par  lequel  débute  ce  travail. 

On  a  pu  étudier  l'attention  auditive,  l'aptitude  fonctionnelle,  l'eft'et  de  la  fatigue;  la 
durée. de  Fexcilation,  sa  persistance,  l'association,  la  fusion  de  ces  éléments  simples 
acoustiques  au  moyen  des  sensations  auditives  même;  au  moins  tout  cela  a  été  tenté. 

D'un  autre  côté  on  a  cherché  à  étudier  par  la  sensation  la  fonction  psychique  supé- 
rieure qu'elle  excite,  jugement,  imagination,  attention,  mémoire,  etc.  La  sensation  étant 
connue,  on  peut  en  effet  analyser  et  comparer  ses  divers  modes  d'action  sur  les  centres 
nerveux. 

Ainsi  on  a  démontré  expérimentalement  que  la  sensation  auditive,  comme  la  sensa- 
tion tactile,  offre  des  alternatives  d'intensité  et  d'affaiblissement  suivant  que  l'attention 
est  vive  ou  se  fatigue;  et  qu'il  en  résulte  pour  elle  des  oscillations  qui  sont  manifestes  : 
l'attention  auditive  s'est  montrée  ainsi  subissant  des  modifications  telles  que  la  sensation 
semble  intermittente  (V.  Attention). 

J'ajouterai  que  le  phénomène  est  déjà  évident  chez  les  femmes,  les  enfants  et  dans 
l'état  pathologique,  où  nous  constatons  les  intermittences  très  nettes  dans  le  phénomène 
sonore  perçu  à  la  limite  de  la  perception  auditive  du  sujet  (Urbantschitsch,  loc.  cit.  — 
Gellé.  Études  d'otologic,  1880,  t.  i).  —  Lange,  Études  psi/chologiques, 'p.  178  (en  russe), 
Odessa,  1893).  —  Munsterbebg  [Beitràge  f.  exp.  Psych.,  t.  ni,  et  E.  Place  {Phii. 
Stud.).  — A.  Bi.NET  [Introduction  à  la  psychologie  expérimentale,   1894,   p.   4o).  On   a  pu 


AUDITION.  909 

calculer  ainsi  expérimentalement  la  durée  d'une  oscillation  de  l'attention  (lie  tac  de 
la  montre)  qui  serait  égale  à  4  secondes.  Ces  études  intéressantes,  encore  à  leur  début, 
n'ont  qu'un  inte'rêt  relatif  au  point  de  vue  de  l'audition  :  nous  ne  pouvons  nous  y  arrêter, 
mais  nous  devions  les  signaler. 

La  mémoire  auditive,  celle  des  images  auditives,  a  été  analysée  dans  les  études  connues 
de  Ballet,  Ribot,  Sthickee,  etc.  Je  note  encore  qu'on  a  calculé  la  durée  du  temps  de  réac- 
tion, de  l'acte  réflexe  consécutif  à  une  audition.  Le  temps  serait  égal  à  îiO  o  (le  a  équi- 
vaut à  1  millième  de  seconde);  tandis  que  l'acte'volontaire,  la  réaction  voulue,  a  été  re- 
connu se  produire  à  un  intervalle  de  ISO  <s.  (Ch.  Richet.  Essai  de  psychologie  générale. 

—  BiNET,  loc.   cit.  —  WuNDT.  Éléments  de  psychologie  physiologique,  trad.  Élie  Rouvier. 

—  Reaunis.  Revue  phil.,  xxv,p.  369,  —  Féré.  Sensation  et  mouvement.  —  Buccola.  La  leggc 
del  tempo  nei  fenomeni  del  pensiero,  1881,  p.  229.  —  Jastrow.  The  times  of  mental  phe- 
noma,  New- York,  1890.) 

Au  point  de  vue  de  l'accommodation  des  oreilles,  la  faible  durée  du  temps  de  l'exci- 
tation réflexe  est  très  importante  à  signaler. 

A  l'égard  de  la  mémoire  on  a  vu  par  l'étude  récente  de  Cbarcot  sur  Inaudi  qu'elle 
est  aidée  par  la  mémoire  de  l'articulation  (Charcot  et  Binet.  Un  calculateur  du  Jype 
visuel.  Bévue  philos.,  1893).  Au  moyen  du  microphone  enregistreur  de  l'abbé  Rousse- 
lot,  ces  auteurs  ont  pu  noter  les  essais,  les  tâtonnements  de  Jacques  Inaudi  avant 
l'émission  du  chifîre  qu'on  lui  a  lu.  Ces  modes  de  rappel  sont  marqués  sur  les  graphiques 
d'une  façon  très  lisible  (Binet,  loc.  cit.).  D'ailleurs  Charcot  a  montré  qu'iNAUDi  est  un  au- 
ditif, et  qu'il  répèle  mentalement  et  sur  les  lèvres  en  même  temps  les  notes  et  les  chif- 
fres qu'il  retient. 

On  voit  là  combien  de  sensations,  de  mouvements,  d'associations  complexes  senso- 
rielles et  psychiques  se  groupent  autour  du  phénomène  et  de  l'acte  de  l'audition. 

La  différenciation  s'opère  dans  l'organe  périphérique;  l'intégration,  lacoordination  est 
un  acte  cérébral;  là  encore,  il  se  produit  des  excitations  nouvelles,  des  éveils  d'idées, 
dont  l'audition  colorée  est  un  exemple.  On  sait  d'autre  part  l'influence  de  l'ouïe  sur 
l'éducation  de  la  parole  et  du  chant;  une  voix  juste  naît  d'une  oreille  juste. 

En  fait  d'excitations  dues  à  celles  de  l'ouïe,  il  en  est  une  dont  je  veux  dire  quelques 
mots  plutôt  pour  provoquer  à  son  sujet  de  nouvelles  recherches. 

J'ai  constaté  que  l'audilion  prolongée  de  bruils  intenses  échauffe  le  pavillon  et  l'o- 
reille ;  souvent  la  température  générale  s'en  trouve  accrue.  Le  phénomène  est  plus  pro- 
noncé après  une  audition  musicale  (opéra),  de  masses  instrumentales  et  chorales,  sur- 
tout après  les  chants  bien  rythmés. 

Ne  peut-on  rapprocher  ces  faits  des  conclusions  du  travail  de  Max  Ott  (1889)  sur  les 
centres  thermo-génétiques  cérébraux;  en  eft'et,  cet  auteur  a  signalé  comme  l'un  de  ces 
centres  la  région  temporo-sphénoïdale,  siège  du  centre  acoustique,  on  le  sait.  Landois 
(1888),  sur  le  chien,  d'autre  part,  avait  montré  l'élévation  de  la  température  due  aux 
lésions  expérimentales  de  la  zone  psycho-motrice. 

I.  Centres  d'associations  motrices  des  mouvements  coordonnés  de  l'œil  et 
du  pavillon  auriculaire.  —  Je  ne  puis  que  rappeler  que  Ferrier  ayant  excité  la  pre- 
mière circonvolulion  temporale,  a  constaté  que  l'oreille  du  côté  opposé  se  dresse  et  que 
les  yeux  se  portent  dans  le  même  sens;  l'association  motrice  est  évidente. 

Ch.  Richet  enlève  les  circonvolutions  temporales  du  lapin;  celui-ci  devient  absolument 
sourd;  ses  yeux  seuls  lui  indiquent  les  mouvements  qui  se  font  autour  de  lui;  on  voit 
son  pavillon  auriculaire  se  tourner  d'avant  en  arrière,  avec  l'œil  qui  suit  l'observateur, 
montrant  la  synergie  fonctionnelle  des  deux  organes  des  sens  et  leur  association  au  point 
de  vue  de  l'orientation. 

J.  Perception  centrale. —  L'influence  prépondérante  du  système  nerveux  central  se 
manifeste  dans  la  perception  unique  avec  deux  sensations  latérales,  difl'érentes  d'inten- 
silé,  de  timbre,  de  tonalité. 

L'expérience  suivante  montre  bien  cette  puissance  des  centres  nerveux  pour  l'analyse 
des  sons  jusqu'au  phénomène  de  la  vibration  simple  inclusivement.  Nous  avons  exposé, 
d'après  Helmholtz,  la  décomposition  des  sons  en  leurs  composants  telle  que  le  sens  de 
l'ouïe  l'opère.  Cette  flnesse  d'analyse  apparaît  de  même  dans  l'audition  des  baltements. 
On  sait  comment  ils  se  forment;  c'est  un  résultat  d'interférence.  Deux  diapasons  la  3 


910  AUDITION. 

fournissent  des  ondes  qui  évoluent  dans  le  même  temps  ;  mais  l'un  d'eus  est  légèrement 
de'saccordé  par  l'addition  à  l'une  de  ses  branches  d'une  petite  masse  de  cire  ;  ces  deux 
diapasons  la  3  sonnant  en  face  d'une  oreille  donnent  la  sensation  de  ronflement  du  son 
si  les  intermittences  et  les  renforcements  sont  rapides,  et  de  battements  s'ils  sont  plus 
lents.  Les  ondes  se  fusionnent  dans  l'air,  dit  la  théorie,  et  périodiquement  une  onde  plus 
faible  ou  plus  forte  se  produit  qui  modifle  la  sensation  aussitôt. 

L'expérience  suivante  de  Gellé  montre  que  les  ondes  n'onl  pas  besoin  de  se  fusionner 
dans  le  milieu  aérien,  pour  que  les  battements  apparaissent.  En  effet  si,  par  un  disposi- 
tif simple,  on  fait  arriver  à  chaque  oreille  isolément  le  son  de  l'un  des  diapasons  désac- 
cordés, la  fusion  aérienne  n'a  plus  lieu  ;  et  cependant  la  sensation  du  battement  se  pro-' 
duit.  Il  suffit  donc  de  deux  excitations  latérales,  isolées,  de  l'espèce  indiquée,  c'est-à-dire 
de  deux  sons  très  proches,  comme  ceux  des  deux  diapasons  désaccordés,  pour  qu'il  se 
forme  dans  le  sensorium  commun,  l'impression  de  battements.  J'ai  réalisé  ce  dispositif 
expérimental  comme  suit  :  On  adapte  à  chaque  conduit  auditif,  un  tube  de  caoutchouc 
long  de  quatre  à  cinq  mètres  et  dont  les  extrémités  aboutissent  chacune  dans  une  pièce 
séparée  et  isolée;  à  un  signal  donné,  les  deux  diapasons  mis  en  vibration  sont  portés 
à  l'Qritîce  des  tubes;  le  phénomène  du  battement  apparaît  aussitôt.  On  ne  peut  admet- 
tre qu'il  y  ait,  ici,  aucune  participation  du  milieu  ambiant  à  la  production  du  phénomène. 

Ainsi  deux  excitations,  agissant  isolément  sur  chaque  organe,  vont  directement  aux 
centres  qui  les  associent  et  perçoivent  les  variations  interférentielles  par  le  simple  effet 
de  l'action  des  deux  impressions  l'une  sur  l'autre.  Cette  expérience  met  en  évidence 
l'unité  psychique.  On  voit  que  la  présence  du  milieu  aérien  n'est  pas  indispensable  à  la 
genèse  des  battements. 

On  peut  en  conclure,  de  plus,  que  tessons  arrivent  dissociés  en  leurs  éléments  simples 
dans  le  cerveau;  les  excitations  composantes  s'unissent  là  seulement  de  telle  façon  que 
les  renforcements  et  les  affaiblissements  de  la  sensation  peuvent  y  naître. 

Ainsi  le  deriiier  mot  appartient  aux  centres  nerveux;  c'est  là  que  se  noue  ce  qui  a  été 
dénoué  par  les  organes  périphériques.  Dans  le  cerveau,  ce  sont  des  excitations  nerveuses 
et  non  des  vibrations  qui  s'associent;  dans  les  battements  l'excitation  unifiée  est  périodi- 
quement atténuée  et  renforcée. 

Des  appareils  de  l'audition  dans  la  série  animale.  —  Tout  ce  que  nous  con- 
naissons du  monde  extérieur  se  réduit  à  une  série  d'états  de  conscience  se  déroulant 
dans  le  temps,  dont  nous  objectivons  les  causes  dans  Vesjmce,  à  l'aide  des  sensations,  et 
que  nous  localisons  dans  des  organes  spéciaux,  les  sens  (H.  Bouasse,  1895,  Introduction 
à  l'étude  des  théories  de  la  mécanique). 

L'oreille  est  un  instrument,  celui  du  sens  de  l'ouïe.  Les  vibrations  qui  agitent  le 
milieu  agissent  mécaniquemenl  sur  elle,  soit  par  pression,  soit  par  choc;  il  s'y  ajoute 
un  travail,  déplacement  ou  ébranlement  moléculaire,  puis  un  effort  d'adaptation  d'où 
naît  la  fatigue,  caractéristique  du  travail  de  l'appareil  sensoriel  en  rapport  avec  la  force 
du  courant  vibratoire.  L'oreille  est  un  instrument  acoustique;  elle  éprouve  et  conduit 
les  vibrations  ;  son  nerf  les  perçoit. 

Nous  allons  étudier  le  développement  de  l'organe  de  l'ouïe  dans  la  série  animale  et 
montrer  en  quel  point  de  cette  série  l'appareil  se  différencie,  se  spécialise  des  autres 
organes  du  tact,  et  quelles  sont  les  parties  qui  apparaissent  les  premières  dans  cette 
évolution  progressive  qui  aboutit  à  la  constitution  du  labyrinthe  de  l'homme,  coiffé  de 
deux  appareils  de  transmission  et  de  perfectionnement. 

La  fonction  auditive  est  la  résultante  de  pressions,  de  chocs,  d'un  travail  intra-auri- 
culaire  qui  leur  succède  et  que  l'acoustique  ressent;  certes,  ce  sont  là  les  éléments  de 
la  mécanique. 

La  sensation  auditive  naît  d'une  communication  de  mouvements. 

L'appareil  auditif  est  dérivé  de  l'ectoderme;  cela  indique  assez  combien  l'audition 
a  de  rapports  avec  le  sens  tactile  ;  mais  le  sens  de  l'ouïe  apporte  à  la  conscience  la 
notion  d'un  mouvement  spécial  du  milieu,  bien  différent  du  contact,  bien  qu'on  ait  dit, 
avec  raison,  que  l'audition  est  un  toucher  à  distance. 

Il  n'y  a  qu'un  pas  du  choc,  de  la  pression,  à  la  vibration;  en  effet,  celle-ci  naît  d'un 
choc,  mais  suivi  du  retour  élastique  de  la  partie  touchée,  et  dure  jusqu'au  retour  à  la 
position  d'équilibre. 


AUDITION. 


911 


/" 


i- 


92.  —  Organe  auditif  de  VUnio  :  for 

sèment, 
i  nerf.  —  6,  la  vésicule  auditive.  —  ( 
Iules  vibratiles.  —  d,  l'otolithe. 


Dans  le  toucher,  l'action  de  celui-ci  s'arrête  au  contact;  dans  l'oreille,  l'e.\citation  se 
propage,  s'étend;  c'est  un  courant  qui  passe  sur  les  éléments  sensoriels.  On  sait  que 
beaucoup  de  sons  graves  impressionnent  la  peau  d'une  façon  très  caractéristique;  sans 
doute  l'impression  pénètre  plus  loin.  Mais  si  une -pression,  un  choc  sont  les  excitants 
des  organes  tactiles  et  le  point  de  départ  des  sensations  du  toucher,  l'énergie  vibratoire 
se  manifeste  d'autre  façon,  par  une  transmis- 
sion de  mouvements,  grâce  à  l'élasticité  de  la 
partie  influencée,  laquelle  se  meut  à  son  tour 
et  propage  le  courant  dans  le  sens  donné. 

L'énergie  vibratoire  estune  force  spéciale  ; 
elle  associe  certains  ébranlements  des 
corps  entre  eux.;  et  cette  union  dans  le  mou- 
vement oscillatoire  est  une  source  de  la  con- 
naissance; d'ailleurs  la  vibratilité  est  une 
propriété  générale  des  corps  élastiques. 
Dans  les  organes  auditifs,  elle  s'affine  et 
prend  une  puissance  particulière  grâce  aux 
appareils  délicats,  susceptibles  d'éprouver 
et  de  transmettre  aux  centres  nerveux  les 
plus  légères  oscillations  du  milieu  vecteur. 
Par  suite,  toutes  les  dispositions  organi- 
ques qu'on  a  découvertes  chez  les  animaux 
inférieurs  et  qu'on  admet  comme  adaptées 
à  la  fonction  de  l'ouïe,  devront  satisfaire  à 
certaines  exigences  de  structure  pour  subir 
l'énergie  du  courant  vibratoire  à  son  pas- 
sage, et  le  propager. 

Un  appareil  spécial  vibratile  est  donc  nécessaire  pour  éprouver  les  ébranlements  et 
pour  orienter,  limiter  la  perception,  et  un  nerf  spécifique  indispensable  pour  constituer 
un  organe  du  sens  de  l'ouïe. 

Cet  organe  d'analyse  apparaît  en  même  temps  qu'un  système  nerveux  chez  les  inver- 
tébrés; il  s'y  montre  dans  sa  plus  grande  sim- 
plicité. C'est  un  début  dans  la  différencia- 
tion. 

Les  Cœtedtéî'és  offrent  les  premiers  vestiges 
d'un  système  nerveux  en  communication 
avec  des  cellules  sensorielles  de  l'ectoderme, 
dites  neuro-épithéliales  (L.ank.-vster),  et  d'un 
organe  de  transmission  des  ébranlements. 
Une  vésicule,  sur  sa  paroi  interne,  une  cou- 
che de  cellules  neuro-épithéliales  et  des 
nerfs  afférents;  à  l'intérieur  une  masse  so- 
lide, mobile,  l'otolithe  ;  telle  est  la  première 
composition  d'un  organe  auditif. 

Chez  les  Méduses  apparaissent  les  pre- 
mières formations  otocystiques  (vésicules 
auditives). 

Chez  Phialidium,  d'aprèsO.et  R.  Hertwig, 
une  vésicule  de  dimensions  assez  grandes, 
renfermant  un  otolithe,  est  en  rapport  intime  avec  un  renflement  de  l'anneau  nerveux 
marginal  (voir  fig.  93). 

Sa  paroi  intérieure  est  tapissée  d'une  couche  de  cellules  auditives  (cellules  cylin- 
driques) à  plateaux  ciliés  (soies  auditives).  Entre  elles  se  voient  les  pointes  des  cellules 
fusiformes  sensitives  qu'elles  soutiennent;  celles-ci  envoient  au  cumulus  de  cellules 
nerveuses  un  prolongement  variqueux  qui  les  met  en  rapport  direct  avec  l'anneau 
nerveux  supérieur  de  l'ombrelle  (0.  et  R.  Hertwig). 

Il  est  bon  de  remarquer  que  les  cellules  de  l'anneau  nerveux  inférieur,  qui  reçoit 


épithélii 


■  Organe  auditif  de  Phialidium 
(Hertm-ig). 

de  la  surface  supérieure  du  ve- 
,  épitliélium  de  la  surface  infé- 
rieure. —  hh.  poils  auditifs.  —  A,  cellules  audi- 
tives. —  up,  coussinet  nerveux.  —  ni\  faisceau 
nervcu.\.  —  ?*,  canal  circulaire  bordant  le  ve- 


912 


AUDITION. 


FiG.  94.  —  Organe  auditif  de  îiltopalonema.  montrant 
encore  un  petit  orifice  (d'après   Hert\vigj. 

hk.  tentacule  modifié.  —  o,  organe  auditif. 


du  supérieur  de  nombreuses  fibrilles,  fournissent  aux  muscles  surtout.  Ainsi  que  le 
remarque  Be.^unis  (p.  140),  il  y  a  déjà  là  une  différenciation  du  système  sensitif  et  du 
système  moteur.  L'action  réflexe  partie  du  neuro-épilhélium  vient  exciter  le  muscle. 
Les  rapports  de  ces  vésicules,  auditives  multiples  avec  les  organes  des  mouvements 
chez  les  Cténophores  en  font,  au  dire  de  ce  physiologiste,  peut-être  des  organes  de  direc- 
tion déterminant  le  sens  des  mouve- 
ments. 

La  vésicule  auditive  est   ouverte  ou 
close  suivant  les  espèces. 

Chez  Rhopaloïiema,  la  concrétion 
otolithique  est  portée  sur  une  tige 
flexible;  et  tout  autour  s'étendent  de 
longs  poils  raides  qui  hérissent  la  paroi. 
Dans  le  pédicule  s'épanouit  le  nerf 
qui  se  distribue  aux  cellules  de  l'oto- 
cysLe. 

Telle  est  la  disposition  générale  des 
formations  otocystiques.  Disons  tout  de 
suite  que  nous  retrouvons  constamment 
ces  deux  cellules  associées  comme  base 
de  l'appareil  auditif. 
De  la  Méduse  à  l'homme  l'élément  fondamental  restera  ce  groupe  de  cellules  cylin- 
driques ciliées  et  de  cellules  fusiformes  accolées  (H.\sse,  Leydig,  0.  et  R.  Hertwig, 
Paul  Meyer).  De  plus,  nous  retrouverons  toujours  aussi  ces  concrétions  incluses  dans 
les  vésicules  auditives;  car  ce  sont  là  les  parties  indispensables  dans  la  structure  d'un 
organe  du  sens  de  l'ouïe.  L'otolilhe  mobile,  simple  ou  multiple,  transmet  aux  extré- 
mités des  cellules  neuro-épithéliales  les  oscillations  reçues,  el  sans  doute  le  sens  du 
mouvement.  On  comprend  qu'ici  ces 
sensations  sont  d'un  ordre  inférieur; 
mais  elles  diffèrent  cependant  de  celles 
du  tact  par  la  durée  des  ébranlements 
subits  en  r  apport  avec  la  nature  et  l'in- 
tensité de  la  force  agissante  :  c'est 
l'annonce  et  l'effet  d'un  mouvement 
vibratoire  extérieur. 

D'après  H-\sse,  Waldeyek,  Deiters, 
Key  et  Retzius,  Leydig,  Paul  Meyer, 
Schdltze,  Lakkaster,  Beauregabd, 
Chatin,  CûYiNE,  etc.,  les  filaments  al- 
longés qui  naissent  des  plateaux  des 
cellules  cylindriques,  les  cils  s'agglo- 
mèrent souvent  et  forment  alors  une 
saillie  compacte,  tantôt  conique,  tan- 
tôt triangulaire  ou  en  bâtonnets  à 
laquelle,  dans  son  étude  sur  le  sens 
auriculaire  de  l'espace,  Bonmeb  (p.  2.^) 
accorde  un  rôle  particulier. 

Verworn,  analysant  le  rôle  de  l'otolithe,  y  voit  les  premiers  linéaments  de  l'organe 
du  sens  de  Téquilibre,  de  la  station  et  de  la  direction  des  mouvements. 

L'étude  de  la  vésicule  auditive  et  de  l'otolithe  de  Callianina  bialala  est  très  suggestive 
à  ce  point  de  vue  (de  Varigny,  L  Breuer,  etc.). 

Les  Echinodermes  ont  ces  appareils  spéciaux  peu  distiHcts;  on  trouve  cependant 
dans  Elpidia  giacialis  {holothurie)  des  vésicules  avec  otolithes  (Beadnis,  p.  32). 

Les  Vers  n'offrent  que  de  rares  vésicules  auditives  qui  contiennent  un  otolithe  :  elles 
siègent  soit  sur  l'extrémité  céphalique,  soit  sur  les  segments  suivants.  Beaunis  remarque 
que  ces  organes  existent  surtout  chez  les  genres  dépourvus  de  taches  oculaires,  fait 
qui  a  été  constaté  aussi  chez  les  Cœlentérés  (Brehm). 


FiG.    95.    —    Organe    auditif   de    Ptfrotrachea    Friderici 
(d'après  Claus). 

Nrt.  nerf  auditif.  —  c,  cellules  centrales.  —  rf,  plaque  de 
support.  —  6,  cercle  e.xterne  de  cellules  auditives.  — 
rt,  cellules  à  cils. 


AUDITION. 


913 


FiG.  96.  —  Queue  de  IMj'sis  montraut 
l'organe  auditif  découvert  par  Frey 
et  Leuckart. 


Chez  les  Crustacés  les  organes  auditifs  sont  constitués  par  des  vésicules  auditives 
ouvertes  (écrevisse),  ou  closes  (homard)  et  situées  dans  l'article  basilaire  des  antennules 
(Milnk-Edwards,  Fabre,  Huxley,  Beaunis,  Leuckart,  Claus,  Beauregard,  Chatin,  Hensen). 
He.nsen',  dans  une  expérience  restée  célèbre  et  citée  à  l'appui  de  sa  théorie  par 
Helmholtz,  a  pu  constater  les  osciilalions  des  poils  auditifs  de  la  surface  du  corps  de  la 
Mysis  sous  l'action  de  sons  déterminés.  Il  a  observé 
aussi  que  l'otolithe  offrait  les  oscillations  les  plus  éten- 
dues du  côté  des  bâtonnets  les  plus  longs,  et  vice  versa. 
Depuis,  on  a  fait  des  observations  analogues  sur  les 
poils  auditifs  du  Carcinus  menas  (Hensen,  Gegejnbaur, 
Huxley,  Leydig). 

Les  organes  auditifs  des  Arachnides  sont  inconnus.  On 
ne  peut  toutefois  leur  refuser  le  sens  de  l'ouïe  qui,  au 
contraire,  est  fort  développé  chez  l'araignée  (Voyez  sur 
ce  point  les  développements  ingénieux  donnés  plus  haut 
par  Plateau,  (Art.  Arachnides). 

Chez  les  Insectes  dont  la  masse  nerveuse  cérébrale 
est  déjà  développée,  on  est  étonné  de  ne  point  aper- 
cevoir un  centre  ou  renflement  cérébral  auditif,  ana- 
logue à  celui  qui  existe  pour  l'oeil^  très  différencié 
déjà  (LuBBOCK,  Leydig,  Chatin).  Les  fossettes  décrites 
sur  les  antennes,  au  fond  desquelles  s'insèrent  des 
cônes  olfactifs,  ont-elles  rapport  à  l'audition?  on  ne  sait. 
D'après  les  expériences  de  Lubbocr,  la  sensibilité  audi- 
tive serait  très  obtuse  chez  les  abeilles,  les  guêpes,  les  fourmis.  Beaunis  fait  à  ce  propos 
cette  réflexion  pleine  de  sens  :  les  sons  mêmes  qu'émettent  les  insectes  démontrent 
chez  eux  l'exislence  de  l'audition  (p.  123). 

Cependant  chez  les  acridiens,  les  locustides-gryllides,  on  a  pu  s'assurer  qu'il  existe 
de  véritables  organes  de  l'ouïe,  logés  tantôt  dans  la  partie  postérieure  du  niétathorax, 

tantôt  dans  les  jambes  antérieures. 
Parfois  une  vésicule  trachéenne  cor- 
respond à  la  membrane  vibrante. 
Leydig  figure  l'appareil  auditif  d'une 
sauterelle.  On  y  voit  un  nerf  auditif 
terminé  par  une  intumescence  gan- 
glionnaire, touchant  une  membrane 
vibrante  enchâssée  dans  un  cadre 
corné;  et  à  la  surface  de  celle-ci 
trois  pièces  chitineuses  rayonnant  du 
ganglion  nerveux,  une  cylindrique, 
une  en  marteau,  l'autre  aiguë  à  son 
extrémité,  dont  la  fonction  est  peu 
connue  (Chatin,  H.  Faure,  Nuhn  et 
ViTus  Graber)  (1881). 

Les    Brachiopodes   sont  dépourvus 
d'organes  sensitifs   spéciaux;   mais  à 
l'état  larvaire  quelques-uns  possèdent 
des  vésicules  auditives  qui  disparais- 
sent dans  le  cours  du  développement. 
Chez  les  Mollusques,  les  organes  au- 
ditifs sont  très  répandus  et  des  mieux 
connus. 
L'olocyste  est  proche  des  ganglions  sous-œsophagiens  (escargot,  paludine,  limace)  ; 
mais,  d'après  de  Lacaze-Duthiers,  le  nerf  acoustique  vient  des  ganglions  cérébraux  (li- 
mace des  champs). 

Il  y  a  en  général  deux  otocystes;  contenant  tantôt  unseul  otolithe  pédicule,  ou  non, 
arrondi,  et  tantôt  plusieurs  (poulpe). 

DICT.    DE    PHYSIOLOGIE.    —  TOME    I.  t;S 


FiG.  97.  —  Partie  externe  d'une  coupe  de  tibia  de  Giillus 
vlridissimu.^  (d'après  Graber). 

A,  surface  postérieure  de  la  jambe.  —  p,  paroi  de  la  tra- 
chée. —  o\V,  paroi  trachéale.  —  TN,  nerf.  —  gz,  cellules 
ganglionnaires.  —  E.  Sch,  tubes  terminaux  des  cellules 
ganglionnaires  contenant  chacune  un  bâtonnet  auditif. 
—  Ffl,  filaments  terminaux  de  ces  tubes. 


9U 


AUDITION. 


Chez  les  Céphalopodes  la  vésicule  otocystique  offre  des  saillies;  elle  est  comme 
lobulée  (Sepia),  et  elle  est  enclose  dans  le  cartilage  céphalique  (dibranches),  condition 
très  importante,  ainsi  qu'on  le  verra  plus  loin. 

Les  Décapodes  ont  également  des  vésicules  inégales,  à  dépressions  et  saillies. 

Chez  certains  Céphalopodes  cette  fragmentation  incomplète  de  la  vésicule,  par  des 
sillons,  a    déjà  donné  l'idée   d'une    ébauche  de    canaus  J  semi-circulaires    (Kovalesky, 

OWSJANNIKOW,  ReTZIDS). 

p.  BoNNiER  insiste  sur  la  division  de  l'otolithe  en  plusieurs  parties,  sur  sa  multi- 
plicité; malgré  l'import-ance  donnée  par  tant  d'auteurs  à  l'otoconie,  il  en  tire  cette 
conclusion  que  son  influence  est  abaissée;  c'est  le  liquide  intra-vésiculaire  (endolym- 
phatique)  dont  désormais  les  oscillations  vont  jouer  le  premier  rôle  dans  l'acte  d'exciter 
le  nerf  auditif  en  circulant  dans  les  cavités  surajoutées.  Les  frottements  du  liquide 
au  passage  des  sillons,  bientôt  transformés  en  canaux,  deviendraient  l'origine  du  sens 
de  la  direction  des  courants  liquidiens  inlra-otocystiques.  A  ce  propos,  il  faut  noter 

aussi  que  chez  les  Céphalopodes  on 
e  rencontre  de  véritables  crêtes  acous- 

tiques correspondant  à  des  nerfs  et 
couvertes  de  cellules  sensorielles, 
comme  chez  les  vertébrés  (Ranke, 
BoLL,  Leydig,  de  Lacaze-Duthiers),  au 
niveau  des  rudiments  d'ampoule. 

Les  Gastéropodes  offrent  le  même 
type  d'otocystes,  mais  plus  simple. 
Les  lamellibranches  de  même 
(de  Lacaze-Duthiers,  Claparède,  Wal- 
DEYER,  Leydig)  n'ont  qu'un  seul  oto- 
lithe. 

On  voit  le  développement  que 
l'organe  auditif  prend  peu  à  peu; 
les  appareils  de  différenciation  de- 
venus bilatéraux  se  subdivisent  et  se 
compliquent  pour  répondre  à  des 
fonctions  nouvelles.  Quelles  que 
soient  les  interprétations  plus  ou 
moins  hâtives  et  hypothétiques  des 
auteurs,  on  constate  une  gradation 
continue  dans  l'évolution  de  la  vésicule  première  et  une  complication  graduelle  de  sa 
forme  et  de  sa  structure  et  dans  la  distribution  nerveuse. 

Chez  les  Tuniciers  (larves  d'Ascidie  par  exemple)  on  trouverait  tournée  vers  la  cavité 
cérébrale  une  crête  acoustique  surmontée  d'un  otolithe;  parties  qui  disparaissent  à 
l'état  de  complet  développement  (Kupffer,  Kowlaesky,  Hœckel).  Chez  l'Amphioxus 
(Huxley)  on  ne  trouve  aucun  vestige  de  ces  formations  d'organes  sensoriels. 

Chez  la  Myxine  les  essais  de  segmentation  de  l'otocyste  sont  accomplis.  Retzius 
a  décrit  chez  la.  Mi/œine,  dont  l'appareil  otocystique  en  anneau  est  inclus  dans  le  cartilage 
céphalique,  l'apparition  d'un  canal  annexe  de  la  cavité  vésiculaire  en  forme  de  cylindre 
semi-circulaire,  offrant  une  crête  sensorielle  au  niveau  de  l'ampoule  par  laquelle  une 
de  ses  extrémités  s'ouvre  dans  la  grande  vésicule  centrale  auditive. 
Il  n'y  a  qu'un  canal  chez  la  Myxine. 

Il  faut  insister  ici  sur  cette  addition  récente  de  l'enveloppement  de  l'appareil  vési- 
culaire dans  une  carapace  solide,  cartilagineuse  et  close. 

Cette  condition  nouvelle  apparaît  chez  les  arthropodes.  La  vésicule  molle  primordiale 
est  incluse  dans  un  réceptacle  résistant;  cela  modifie  avantageusement  sa  fonction;  cela 
exige  une  fenêtre  ouverte  sur  le  dehors  pour  l'accès  du  courant  vibratoire;  et,  par  suite, 
l'orientation  est  instituée,  les  appareils  étant  doubles. 

Mais  il  y  a  plus  ;  cette  résistance,  que  l'enveloppe  oppose  au  choc  vibratoire,  dote 
ipso  facto  l'organe  du  pouvoir  de  percevoir  les  variations  de  la  pression  intérieure 
(intra-vésiculaire,  intra-labyrinthique);  ces  cavités  étant  remplies  d'un  liquide  péri-vési- 


FlG.  98.  —  Organe  de  l'i 
cm-tilesceus)  vu  à 


(ÎQ  duue 
m  faible  : 


ïauterelle  {Acr 
grossissement. 


:.  nerf  acoustique  terminé  par  un  ganglion.  —  6,  c,  d,  trois 
saillies  épineuses  situées  à  la  surface  du  tympan.  —  '?.  sur- 
face oii  se  trouvent  les  terminaisons  du  nerf.  —  /*,  châssis 
corné  de  la  membrane  du  tympan. 


AUDITION.  915 

culaire;  et  l'on  ne  s'étonnera  pas  de  ]a  remarquable  coïncidence  de  l'apparition  des 
canaux  semi-circulaires  à  ce  degré  de  l'éclielle  zoologique. 

Il  3'  a  là  une  disposition  nouvelle  ajoutée  à  l'otocyste  primitif,  et  sans  doute  les  pre- 
miers indices  d'une  nouvelle  fonction  annexe  de  l'audition. 

Il  existe  deux  canaux  chez  les  Pétromyzontes  et  les  Ammocètes  (Breschet). 

Mais,  dès  lors,  dans  la  série  zoologique,  en  même  temps  que  se  développe  et  se 
complique  la  structure  des  centres  nerveux,  tous  les  animaux  offrent  dans  chaque 
appareil  auditif  labyrinthique  trois  canaux  semi-circulaires  (poissons,  amphibies,  rep- 
tiles, oiseaux,  mammifères). 

Ainsi,  après  la  vésicule  otolithique,  premier  indice  d'un  organe  spécial  de  l'audition, 
apparaissent,  avec  leur  disposition  caractéristique  presque  invariable,  ces  canaux, 
annexes  de  la  vésicule  centrale,  qui  se  montrent  bien  avant  le  limaçon;  ce  qui  indique 
qu'ils  remplissent  une  fonction  plus  générale,  prépondérante  et  commune  à  tous  les 
vertébrés,  c'est-à-dire  aux  animaux  pourvus  d'une  moelle  et  de  vésicules  cérébrales. 

J'ai  insisté  sur  cette  simultanéité  de  développement  des  masses  nerveuses  (moelle, 
bulbe,  cerveau)  et  des  trois  canaux  bilatéraux  que  j'ai  pensé  leur  correspondre  (Gellé, 
Études  d'otologie,  ii,  Canaux  semi-circulaires,  1888). 

Parallèlement,  les  autres  parties  de  l'organe  auditif  se  développent  graduellement; 
leur  formation  est  surtout  influencée  par  le  milieu  dans  lequel  vit  l'animal.  Un  appareil 
de  perfectionnement  intermédiaire  se  place  entre  le  milieu  vecteur  et  la  partie  seusi- 
tive;  mais  l'élément  principal  est  le  bâtonnet  auditif,  soutenu  par  les  cellules  cylindriques 
ciliéesincluses  dans  un  labyrinthe  (R.iNKE,  Leydig,  Huxley,  Balfour,  Weber,  de  Lacaze-Dl'- 

THIERS). 

La  fenêtre  qui  fait  communiquer  la  vésicule  auditive  avec  le  milieu  extérieur  est 
membraneuse  d'abord;  puis  c'est  une  plaque  calcaire  (poissons);  enfin  l'étrier  fait 
saillie,  confondu  avec  la  columelle  (oiseaux),  puis  différencié  totalement  (chéloniens, 
mammifères). 

Chez  les  Poissons,  l'oreille  est  réduite  au  labyrinthe,  lequel  se  compose  d'une  cavité 
centrale  ou  vestibule,  dans  laquelle  on  trouve  au  milieu  du  liquide  périlymphique  ou 
exolymphique  l'utricule;  et  de  trois  canaux  semi-circulaires  en  général  très  développés; 
mais  il  n'y  a  pas  de  limaçon. 

Chez  la  Murène  (Hasse  et  Nuhn),  et  chez  la  plupart  des  poissons,  on  trouve  une  forme 
de  saccule,  et  un  vestige, rudiment  probable  de  limaçon, indistinct;  l'apparition  du  sac- 
cule  est  à  noter  surtout,  ainsi  que  son  union  par  un  canal  avec  l'utricule  et  avec  le  canal 
endolymphatique  (Retzius,  Hasse).  Les  ampoules  des  canaux  semi-circulaires  offrent 
des  crêtes  acoustiques  couvertes  de  cellules  sensorielles;  l'utricule  et  le  saccule  ont  tous 
deux  une  plaque  sur  laquelle  les  éléments  neuro-épithéliaux  sont  disposés;  l'endolyniphe 
remplit  les  cavités,  et  l'otoconie  (ou  sable  auditif)  retenu  dans  une  formation  cellulaire 
couvre  surtout  les  éléments  ciliés  criniformes  et  les  bâtonnets  sensoriels:  enfin  un 
énorme  otolithe,  oblong,  plat  et  dur,  oscille  dans  l'utricule. 

Chez  les  Sélaciens,  ces  organes  offrent  un  degré  plus  perfectionné  de  développement, 
mais  restent  analogues. 

Ciiez  les  Plagiostomes,  un  passage  ou  canal  (canal  ascendant),  aboutissant  à  la  région 
occipitale  et  s'y  ouvrant,  fait  communiquer  la  vésicule  auditive  avec  l'extérieur  (Gefitioy, 
Weber,  Breschet,  Duméril,  Wiedershein);  ainsi  se  transmet  la  pression  du  milieu. 

Chez  les  Poissons,  cette  vésicule  offre  aussi  dans  certaines  espèces  des  rapports 
étroits  avec  la  vessie  natatoire,  soit  directement,  soit  par  l'intermédiaire  d'une  chaîne 
d'osselets  (appareil  de  Weber)  ou  de  diverticulums  aboutissant  à  un  réservoir  basilaire 
(A.  Moreau).  Wiedershein,  Testut,  Bonnier  regardent  les  sacs  endolymphatiques  de 
l'homme  comme  le  vestige  des  canaux  si  remarquablement  développés  ici. 

On  doit  conclure,  de  ces  importants  et  curieux  rapports,  que  l'organe  auditif  est 
influencé  par  les  variations  de  pressions  et  susceptible  de  les  percevoir. 

L'augmentation  de  volume  de  l'air  de  la  vessie  natatoire  provoque  l'ascension  du 
poisson,  et,  par  suite,  une  diminution  de  la  pression  sur  le  labyrinthe.  L'appareil  des 
osselets  de  Weber  et  ses  muscles  auraient  pour  but  de  protéger  le  labyrinthe  contre 
ces  écarts. 

Le  cysticule,  diverticulum  du  saccule,  n'a  pas  l'importance  que  Deiters  a  voulu  lui 


916  AUDITION. 

donner;  Breschet  a  bien  vu  qu'il  ne  reçoit  aucun  filet  nerveux  distinct  (Chatin,  p.  377). 
Chez  les  Batraciens  l'endolymphe  a  une  consistance  plus  visqueuse   et  prend    un 
aspect  lactescent. 

La  trompe  d'EusTACHE  est  large  (grenouille)  et  s'ouvre  dans  la  cavité  pharj'ngée;  les- 
cils  vibratiles  de  la  muqueuse  entraînent  les  poussières  dont  on  couvre  celle-ci  du  côté 
du  pharynx  (M.  Duval). 

Le  tympan  est  à  fleur  de  peau;  une  columelle,  tigelle  mince,  de  forme  variable,  le 
met  en  rapport  avec  la  fenêtre  ovale;  l'étrier  est  indistinct. 

Il  n'y  a  pas  d'oreille  externe;  mais  l'oreille  moyenne  est  pour  la  première  fois  très 
évidente;  c'est  un  diverticulum  du  pharynx;  cependant,  chez  cevtaines  espèces  (prêtée, 
bombinator,  salamandre),  la  caisse  manque;  et  chez  beaucoup  la  columelle  manque 
aussi  (axolotl). 

Une  remarque  importante,  c'est  que  le  labyrinthe  ne  s'ouvre  sur  cette  caisse  tym pa- 
nique que  pai  une  seule  fenêtre,  fenêtre  ovale  qui  reçoit  l'extrémité  de  la  columelle, 
formant  un  rudiment  d'étrier. 

L'absence  de  limaçon  explique-t-elle  suffisamment  celle  de  la  fenêtre  ronde?  La 
conformation  de  la  caisse  et  la  constitution  du  tympan,  plan,  tendu,  épais,  dur,  et  demi- 
ossifié  parfois,  rendent  sans  doute  inutile  un  second  orifice  de  dégagement  du  laby- 
rinthe chez  ces  animaux.  Retzius  et  Hasse  signalent  chez  la  salamandre  un  indice  de- 
limaçon. 

Chez  les  Reptiles,  l'organe  auditif  offre  des  différences  extrêmes  de  développement 
suivant  les  espèces;  dans  les  Crocodiliens,  il  rappelle  les  types  les  plus  parfaits  des 
oiseaux,  et  chez  les  Ophidiens,  il  se  rapproche  de  celui  des  Batraciens. 

Il  n'y  a  pas  d'oreille  externe;  à  peine  un  repli  ou  bourrelet  cutané  chez  les  Croco- 
diliens. 

Chez  les  Serpents,  la  peau  recouvre  le  tympan  qui  est  indistinct;  chez  eux  la  caisse 
manque  aussi,  mais  elle  est  assez  développée  chez  les  Chéloniens  et  Crocodiliens. 

Ces  derniers  out  des  trompes  d'EusiACHE  souvent  réunies  en  un  seul  orifice  pha- 
ryngien (OwEN,  in  Chatin,  p.  370). 

De  plus,  les  cellules  mastoïdiennes  se  montrent  chez  les  Crocodiliens  et  quelques 
Sauriens  (Milne-Edwards). 

La  chaîne  des  osselets  est  représentée  par  une  columelle  souvent  garnie  de  pointes 
qui  rappellent  les  apophyses  du  marteau  chez  les  animaux  supérieurs. 

Chez  les  Sauriens,  on  distingue  assez  bien  un  étrier  et  un  marteau;  et  un  muscle 
s'insère  sur  l'extrémité  tympanique  de  cette  tige  complexe. 

Chez  les  Serpents,  la  fenêtre  ovale  est  couverte  d'une  plaque  d'où  part  une  tigelle 
comprise  et  englobée  dans  la  peau  et  le  tissu  sous-cutané. 

11  faut  remarquer  que  dans  cette  classe  toutes  les  espèces  ont  un  labyrinthe  offrant 
deux  fenêtres  constantes.  Le  labyrinthe  est  composé  d'un  vestibule,  avec  une  caisse 
acoustique  et  des  otolithes,  de  canaux  semi-circulaires  comparables  à  ceux  des  oiseaux; 
mais  chez  les  Crocodiliens,  de  dimensions  très  inégales,  à  peine  indiqué  chez  les  Amphi- 
biens.  Le  limaçon  ici  apparaît  complet  pour  la  première  fois;  il  est  extrêmement  simple, 
il  se  sépare  du  saccule,  il  a  deux  rampes,  une  vestibulaire,  une  tympanique;  et  la  dis- 
tribution des  filets  nerveux  rappelle  celle  du  limaçon  des  animaux  supérieurs;  il  décrit 
environ  un  quart  de  spire. 

Sur  le  plancher  du  quatrième  ventricule,  en  dehors  des  cordons  ronds,  on  voit  en 
avant  et  de  chaque  côté  un  tubercule,  tubercule  acoustique,  qui  donne  naissance  au  nerf 
acoustique;  on  trouve  même  chez  les  crocodiles  une  sorte  d'ébauche  du  lobe  temporal 
(BeAUiMS,  loc.  cit.). 

L'ouïe  est  obtuse  chez  la  tortue;  et  très  fine  chez  le  lézard  et  les  crocodiles,  égale- 
ment plus  intelligents. 

Le  système  nerveux  des  oiseaux  s'élève  d'un  degré  encore  dans  l'échelle  du  dévelop- 
pement au-dessus  de  celui  des  amphibies  et  des  poissons;  leur  cervelet  est  très  volu- 
mineux. 

Les  organes  des  sens  cependant,  à  part  l'œil,  n'offrent  pas  une  différence  bien  grande 
avec  ceux  des  classes  précédentes.  Le  tympan  est  saillant  en  dehors;  la  caisse  res- 
semble à  celle  des  reptiles,  et  les  osselets  sont  réduits  à  une  columelle. 


AUDITION.  917 

Chez  les  Aigles  cependant  on  trouve  un  indice  de  chaîne  des  osselets;  une  sorte 
d'étrier,  un  marteau  et  des  muscles  tympaniques  (MiL>iE-EDWAHDs). 

Le  labyrinthe  offre  trois  canaux  semi-circulaires  et  un  limaçon,  il  est  vrai  encore 
rudimentaire,  court,  infundibuliforme  et  dont  l'organisation  est  bien  différente  de 
celle  des  mammifères.  Windeschmann  décrit  au-dessus  des  cellules  ciliées  une  lame  très 
vasculaire  qui  rappelle  la  membrane  de  Reisner  (Coyne). 

La  rampe  tympanique  est  séparée  par  une  cloison  membraneuse  qui  l'isole  de  la 
caisse  (Scarpa,  Breschet,  Hasse).  Les  fenêtres  labyrinthiques  étroites  sont  à  peu  prés 
égales  (Paul  Meyer). 

Les  liquides  du  labyrinthe,  humeur  de  Valsalva  (périlymphe),  humeur  de  Scarpa 
(endolymphe),  présentent  les  mêmes  caractères  que  chez  les  mammifères. 

L'otoconie  est  constituée  par  de  petits  cristaux  très  abondants.  On  observe  un  vesti- 
bule; puis  un  saccule  petit  avec  une  tache  acoustique  à  laquelle  aboutissent  les  pin- 
ceaux nerveux;  sur  les  crêtes  et  taches  on  retrouve  les  mêmes  cellules  ciliées,  les 
mêmes  bâtonnets  auditifs  que  dans  les  mammifères  et  dans  les  otocystes  déjà  décrits. 
Chez  les  oiseaux,  les  canaux  semi-circulaires  sont  très  développés  :  ils  ont  chacun  une 
crête  acoustique  et  une  ampoule  dont  la  structure  est  identique  à  celle  des  mammifères 
(Leydig,  ÎSuiin,  Breschet,  Milne-Edwards,  Scarpa). 

Les  oiseaux  chanteurs  n'ofl'rent  point  un  développement  particulier  du  limaçon. 
Le  conduit  auditif  est  à  peine  indiqué;  large  et  court,   il  a  son  orifice  caché  sous 
des  plumes;  chez  les  plongeons  le  conduit  est  si  petit  qu'on  a  peine  à  le  trouver. 

La  caisse  communique  en  général  avec  de  vastes  cellules  osseuses  mastoïdiennes  et 
occipitales  par  de  larges  voies  ou  sinus  qui  font  correspondre  les  deux  caisses  au  milieu 
du  crâne. 

Certaines  dispositions  des  plumes  qui  garnissent  le  méat  auditif  semblent  suppléer 
le  pavillon  absent  (Chatin)  (hiboux,  chouettes,  etc.).  Seul  l'effraie  montre  un  rudiment 
de  conque  (Milne -Edwards). 

Chez  les  Mammifères,  l'appareil  de  l'ouïe  s'épanouit  dans  tout  son  développement, 
le  labyrinLhe  offre  un  limaçon  contourné  s'ouvrant  sur  la  cavité  tympanique  par  la 
fenêtre  ronde  et  bien  développé;  les  canaux  semi-circulaires  à  ampoules,  un  utricule 
et  un  saccule  ;  puis  des  appareils  endolymphatiques. 

L'oreille  moyenne  s'élargit,  se  complique  d'un  appareil  d'aération  systématique;  les 
cellules  mastoïdiennes  se  développent  graduellement  suivant  les  espèces;  et  l'oreille 
externe  prend  une  importance  particulière  chez  les  animaux  aériens. 

Mais  sur  les  crêtes  acoustiques  des  canaux,  aussi  bien  que  sur  les  lâches  des  vésicules 
vestibulaires  et  sur  la  papille  sensorielle  en  hélice  du  limaçon,  on  retrouve  toujours, 
étalés  et  symétriquement  rangés,  les  éléments  neuro-épithéliaux  que  montrent  les 
premiers  otocystes  et  qui  sont  le  fondement  même  de  l'organe  auditif.  Suivant  les 
espèces,  suivant  les  milieux,  suivant  la  hauteur  dans  l'échelle  animale,  les  autres 
parties  se  développent,  de  plus  en  plus  compliquées,  et  les  fonctions,  remplies  par  une 
seule  cellule,  par  une  seule  vésicule  tout  d'abord,  se  répartissent  peu  à  peu  entre  les 
diverses  formations  nouvelles,  de  plus  en  plus  individualisées,  sans  cependant  sortir  de 
l'unité  organique  et  de  la  synthèse  fonclionnelle  qui  caractérisent  l'organe  et  le  sens 
de  l'ouïe.  C'est  toujours  le  milieu  qui  agit  par  chocs,  pressions,  vibrations  et  fait  tra- 
vailler l'organe;  et  celui-ci  transmet  à  de  multiples  foyers  nerveux  l'influence  de 
l'énergie  du  courant  vibratoire  extérieur,  propagé  de  tous  les  points  de  l'espace, 
recherché  vers  tous  les  points  de  l'horizon,  jugé,  étudié,  reconnu  dans  sa  vitesse,  son 
intensité  et  toutes  ses  combinaisons,  et  susceptible  de  provoquer  sans  réflexion  tous  les 
actes  musculaires  d'accommodation  et  de  défense  nécessaires  à  la  protection  de  l'ouïe  et 
de  l'individu  lui-même.  Sensation  et  mouvement  sont  toujours  l'équation  du  phénomène. 
Les  Cétacés  ont  leur  trompe  d'EusiACHE  ouverte  dans  l'évent  et  armée  de  replis  val- 
vulaires  (Owen).  Les  osselets  son  massifs,  peu  mobiles,  et  la  cavité  où  ils  sont  logés  est 
séparée  de  la  caisse.  On  observe  d'un  groupe  à  l'autre  des  différences  assez  marquées. 
Le  conduit  auditif  externe  est  étroit  à  son  entrée  et  plus  ou  moins  long.  Chez  le  dau- 
phin il  est  soutenu  par  des  plaques  solides;  le  pavillon  fait  défaut  chez  ces  aquatiques. 
Chez  les  Monotrèmes  les  osselets  sont  réduits  à  une  forte  columelle  où  l'on  distingue 
deux  parties  osseuses  réunies. 


918  AUDITION. 

Il  en  est  de  même  chez  les  Marsupiaux  ;  chez  les  kangourous  cependant,  l'étrier 
ressemble  à  celui  des  Vertébrés  plus  élevés.  Chez  les  Fourmiliers,  les  osselets  se  rap- 
prochent de  ceux  des  Carnivores. 

Les  Édentés,  les  Tatous  offrent  une  caisse  considérable;  un  marteau  en  fer  à  cheval 
dont  une  branche  fait  saillie  hors  la  caisse. 

Chez  le  Cheval  (ongulés),  le  conduit  osseux  est  très  long,  le  pavillon  très  mobile  et 
très  développé,  la  caisse  plutôt  étroite,  les  cellules  mastoïdes  sont  formées  de  traverses 
osseuses  divergentes  qui  rayonnent  autour  du  cadre  tympanal;  l'étrier  est  relativement 
gros  et  le  manche  du  marteau  court. 

La  trompe  d'EusTACHE  est  un  conduit  libro-cartilagineux  qui  s'étend  de  la  cavité  tymr 
panique  jusqu'à  la  partie  supérieure  du  pharynx  où  elle  s'ouvre  dans  une  poche  très 
vaste  «  poche  gutturale  ». 

Les  deux  poches  gutturales,  d'après  Lavocw,  remplaceraient  les  cellules  mastoïdes 
(Milne-Edwards,  Chatin). 

Chez  les  Ruminants,  la  caisse  est  plutôt  étroite,  la  trompe  courte  :  les  osselets  res- 
semblent à  ceux  des  Solipèdes. 

Chez  le  Porc,  la  caisse  est  petite  et  les  cellules  aériennes  et  diploétiques  abondantes; 
les  osselets  plus  finis  et  mieux  proportionnés. 

Chez  les  Rongeurs,  la  caisse  tympanique  se  dégage  de  la  masse  osseuse  du  rocher 
sous  forme  d'une  huile  volumineuse  ;  la  trompe  est  petite,  les  osselets  déliés.  Le  limaçon 
s'isole  et  fait  dans  la  bulle  une  saillie  cylindrique  horizontale  chez  le  cobaye.  J'ai  utilisé 
cette  disposition  pour  l'étude  des  fonctions  cochléaires  (voir  plus  haut). 

Chez  quelques  rongeurs  l'étrier  présente  une  disposition  curieuse;  entre  ses  branches 
écartées  parait  passer  une  artère. 

La  caisse  forme  chez  les  Carnivores  une  bulle  ovoïde  très  vaste;  de  plus  une  lamelle 
osseuse  la  partage  en  deux  compartiments;  l'un,  externe,  qui  renferme  la  chaîne  des 
osselets  et  la  fenêtre  ovale;  l'autre,  plus  vaste,  qui  couvre  la  fenêtre  ronde;  cette  lamelle 
est  incomplète  chez  les  Canidés. 

La  bulle  du  lion  atteint  le  volume  de  la  moitié  d'un  œuf  de  poule.  Celle  du  chat  est 
globuleuse  et  translucide,  et  presque  aussi  grosse  qu'un  grain  de  chasselas. 

La  trompe  est  courte  et  aplatie,  le  manche  du  marteau  est  long  et  arqué;  le  muscle 
du  marteau,  pyriforme,  volumineux,  les  osselets  sont  cachés  dans  la  partie  sus-tympa- 
nique  de  la  caisse,  la  branche  descendante  de  l'enclume  courte  y  est  incluse  (Celle, 
Études  d'otologie,  t.  \,  pp.  189  et  23.5). 

Chez  la  Taupe,  le  conduit  auditif  se  dilate  au  fond  en  ampoule;  puis  la  caisse  est 
longue  et  aplatie. 

Les  cellules  mastoïdiennes  sont  étendues;  les  branches  de  l'étrier,  ainsi  que  nous 
l'avons  dit,  s'écartent  et  reçoivent  un  petit  os  spécial  «  le  pessulus  »  ;  les  deux  caisses 
se  touchent  sous  la  voûte  de  l'apophyse  basilaire. 

Chez  les  Chéiroptères,  dont  l'ouïe  est  si  fine,  l'oreille  externe  est  remarquablement  dé- 
veloppée, étalée,  le  méat  est  défendu  en  avant  par  une  pièce  saillante  ;  la  bulle  et  la  caisse 
sont  vastes,  et  les  osselets  très  grands.  L'appareil  atteint  un  haut  degré  de  perfectionne- 
ment. 

Partout  où  l'on  trouve  la  caisse  à  forme  bullaire  les  cellules  mastoïdiennes  font  défaut. 

Les  Lémuriens  (propithèques,  maki)  ont  une  caisse  saillante  sous  la  base  du  crâne, 
et  globuleuse. 

Les  Ouistitis,  les  plus  inférieurs  des  singes,  ont  encore  leurs  caisses  tympaniques  en 
forme  de  larges  bulles  allongées,  couchées,  visibles  sous  la  paroi  crânienne.  Il  en  est 
de  même  chez  le  Cebus,  chez  le  macaque. 

Cependant,  chez  les  Semnopithèques,  déjà  une  saillie  se  montre  arrondie,  en  arrière 
du  conduit  auditif;  mais  les  bulles  sont  toujours  distinctes  à  la  face  inférieure  du  crâne. 

A  mesure  que  l'on  s'élève  dans  la  série,  la  bulle  disparaît,  et  peu  à  peu  les  cellules 
mastoïdiennes,  et  souvent  occipitales,  se  montrent  comme  réservoirs  d'air  attenant  à 
l'oreille. 

Chez  l'orang.  le  gorille,  le  chimpanzé,  les  saillies  mastoïdes  sont  très  nettement 
accusées,  sans  atteindre  pourtant  la  forme  pyramidale  et  le  volume  qu'elles  prennent 
chez  l'homme  adulte. 


AUDITION. 


919 


Pour  tout  le  reste,  l'oreille  moyenne  et  l'interne  sont  à  peu  près  disposées  comme 
chez  l'homme. 

.En  définitive,  des  singes  inférieurs  aux  primates,  l'organe  auditif  se  rapproche  de 
celui  de  l'iiomme,  sauf  les  proportions  et  le  siège  de  la  cellule  osseuse  qui  le  contient 
(bulle  sous-cranienne  ou  cellules  mastoïdiennes). 

L'apparition  du  développement  en  saillie  de  l'apophyse  mastoide  est  en  rapport 
avec  la  station  debout  des  primates;  cette  apophyse  donne  attache  aux  muscles  chargés 
de  la  rotation  de  la  tète  et,  par  conséquent,  de  l'orientation  des  oreilles  (Gellé, 
p.  253,  t.  i).  Par  contre,  le  pavillon  de  l'oreille  offre  dans  |ses  anomalies  des  formes 
simiesques  très  caractéristiques. 

C'est  ainsi  que  D.^nwiN  considère  le  tubercule  qui  fait  saillie  sur  le  bord  de  l'hélix 
(en  avant  si  l'ourlet  est  formé,  en  arrière  si  le  bord  est  plat),  comme  l'homologue  de 
la  pointe  aiguë  qui  termine  le  pavillon  des  animaux. 

Anormal  chez  l'homme,  le  tubercule  de  Darwin  existe  normalement  chez  les  cercopi- 
thèques, le  macaque,  le  cynocéphale;  à  ce  titre,  chez  l'homme,  c'est  une  anomalie 
réversive. 

ScHWALBE  a  depuis  démontré  que  ce  tubercule  existe  constamment  chez  l'embryon. 
En  dernier  lieu,  Chiarugé  (188:))  a  trouvé  que  les  poils  du  pavillon  convergent  vers  le 
tubercule  chez  l'homme  comme  chez  les  singes  (Testut). 

En  terminant,  j'ajouterai  que  l'on  est  frappé  du  fait  indéniable  de  la  transmission 
héréditaire  des  anomalies  de  cet  organe  (Laloy,  Féré  et  Séglas,  Lannois,  His). 

Du  développement  de  l'oreille   humaine,    embryologie.  —   Nous    étudierons 
successivement    l'origine    et    l'évolution    de 
l'oreille  interne  et  de  l'auditif,  puis  de  l'oreille 
moyenne,  enfin  de  l'externe. 

Développement  de  Voreille  interne.  —  Dans 
son  développement  chez  les  mammifères  et 
l'homme,  l'oreille  passe  par  les  phases  suc- 
cessives que  nous  avons  précédemment  dé- 
crites dans  la  série  zoologique.  C'est  d'abord 
un  renflement  épithélial,  puis  une  vésicule  à 
laquelle  graduellement  s'ajoutent  des  canaux 
semi-circulaires,  des  canaux  lymphatiques  et 
un  limaçon;  puis  apparaissent  la  trompe 
d'EusTACHE,  une  caisse,  un  conduit,  des  cellules 
mastoïdes,  une  membrane  du  tympan,  etc., 
et  tous  les  perfectionnements  accomplis  dans 
l'oreille  de  l'homme  adulte.  C'est  l'oreille  in- 
terne qui  apparaît  en  premier  par  la  formation 
d'un  utricule  et  d'un  saccule. 

(On  peut  suivre  cette  évolution  dans  Kôl- 
LiKER    et   dans   le    magnifique    atlas    de  Mathias   Duval,   ou  dans   Balfour    et    Forster 
Élér)ients  d'embryologie). 

Au  niveau  de  la  première  fente  branchiale,  auprès  de  l'extrémité  externe  du  premier 
arc  branchial,  on  voit  d'abord  de  chaque  côté  de  l'extrémité  céphalique  de  l'embryon, 
au  niveau  de  l'arrière  cerveau  (3°  vésicule  cérébrale),  une  fossette  légère  ou  dépression 
superficielle,  fossette  auditive  (M.  Duval,  pi.  VI,  fig.  38-103,  poulet,  2=  jour,  36=  heure  ; 
Balfour,  loc.  eit.),  peu  après,  cette  dépression  s'accroît,  s'invagine,  s'enfonce;  une  vési- 
cule, ouverte  d'abord,  puis  close,  se  forme  (M.  Dvv al,  Embryon  du  poulet,  pi.  XXI, 
48=  heure,  vésicule  ouverte,  fig.  33,  —  ^"i"  heure,  vésicule  close,  pi.  XXII,  fig.  356).' 

L'épaississement  primitif  de  l'ectoderme  est  donc  transformé  en  une  capsule  ecto- 
dermique,  noyée  peu  à  peu  dans  l'épaisseur  du  mésoderme;  un  épithélium  cylindrique 
la  constitue. 

Bientôt  celte  vésicule  offre  trois  divisions  :  une  supérieure,  recessus  vcstibuU;  puis 
l'ébauche  des  canaux  semi-circulaires;  et  enfin  celle  du  limaçon  sous  forme  d'un  pro- 
longement conique  inférieur.  Un  pédicule  se  porte  de  la  vésicule  auditive  vers  les 
vésicules  cérébrales  en  arrière;  il  formera  l'aqueduc  du  vestibule. 


Fig.  99.  —  Développement  de  l'oreille  interne  ; 
I  premier  stade,  II  deuxième  stade. 

1,  ectoderme.  —  2,  mésoderme.  —  3,  corde 
dorsale.  —  4,  canal  médullaire.  —  5,  ébauche 
de  la  vésicule  simple^  dépression  ouverte  de 
Tectoderme.  —  6,  vésicule  auditive  close 
fermée,  au  milieu  du  mésoderme. 


920  AUDITION. 

En  même  temps,  le  nerf  auditif,  proche  de  l'arrière  cerveau,  arrive  au  contact  de 
la  vésicule  auditive  (pi.  XXIV,  lig.  397,  M.  Duval,  Atlas  d'embryologie,  pi.  VII,  flg.  3; 
pi.  IX,  flg.  131,  133;  et  Kôlukeb,  Balfour,  2'=  jour,  p.  133,  flg.  34,  p.  137,  flg,  36; 
Séjour,  flg.  32,  p.  1.30). 

Leâ  canaux  semi-circulaires  se  développent  par  des  bourgeonnements  épithéliaux  à 
travers  le  blastème  mésodermique  (Bœttcheh,  KuLLiKEn,  Vogt),  ou  par  segQientation 
intérieur  de  la  vésicule  (Pouchet). 

Un  tissu  cartilagineux, enveloppe  toutes  les  cavités  labyrinthiques.  D'après  Pouchet, 
les  enveloppes  conjonctives  périlymphatiques  et  cartilaginéo-osseuses  proviendraient 
du  mésoderme  et  de  l'ectoderme  à  la  fois;  pour  KOlliker  et  Vogt,  c'est  le  tissu  qui  enve- 
loppe les  canaux,  d'abord  gélatiniforme,  qui  se  transforme  graduellement  et  donne 
naissance  au  périoste  et  au  réticulum  fibreux  délicat  qui  rattache  les  canaux  mem- 
braneux à  la  paroi  osseuse. 

Aqueduc  du  vestibule  (flg.  36,  Balfoub,  p.  137).  —  Il  nait  de  la  partie  interne  du  pro- 
longement qui  de  la  vésicule  se  porte  en  haut  et  en  arrière  vers  les  vésicules  cérébrales. 
C'est  d'abord  une  vésicule  tubulée,  puis  courbée  (conduit  endolymphatique)  et  renflée  à 
son  extrémité  (sac  endolymphatique);  ce  diverticulum  s'ouvre  dans  la  vésicule  par  un 
oriflce  séparé,  au-dessus  de  celui  du  canal  semi-circulaire  (pi.  XXXIII,  flg.  509,  olO, 
M.  Duval,  Séjour). 

Formation  de  l'utricule  et  du  saccule.  —  En  même  temps  apparaît  un  pli  de  la  paroi 
vésiculaire,  qui  la  sépare  en  deux  cavités  secondaires:  l'utricule  et  le  saccule  plus  infé- 
rieur. On  trouve  alors  que  l'aqueduc  est  divisé  en  deux  canaux  :  l'un  pour  l'utricule, 
l'autre  pour  le  saccule,  l'autre  extrémité  borgne  de  l'aqueduc  du  vestibule  se  porte  au 
niveau  du  sinus  pétreux  supérieur  qu'il  côtoie. 

Le  canalis  reunicns  (Hensen)  est  formé  par  le  rétrécissement  progressif  de  l'embou- 
chure du  saccule  avec  le  canal  cochléaire;  cet  abouchement  a  lieu  de  telle  sorte  qu'une 
partie  en  cul-de-sac  se  trouve  séparée  du  canal  cochléaire  même  (cela  très  accusé  chez 
le  mouton);  Balfoub,  p.  137,  flg.  36). 

Limaçon.  —  Nous  avons  vu  qu'un  cône  épithélial  se  développe  à  la  partie  inférieure 
de  la  vésicule  et  fait  saillie  en  un  cylindre  contourné;  dans  la  courbe  de  celui-ci  est 
logé  le  ganglion  de  l'acoustique;  lequel  vient  aboutir  à  la  vésicule  cérébrale  (Duval, 
pi.  XXIV,  flg.  397,  399). 

A  mesure  qu'il  se  développe,  le  canal  cochléaire  s'enroule  en  spirale. 

L'épithélium  cylindrique  qui  le  constitue  est,  dès  les  premiers  moments,  oontigu 
aux  éléments  nerveux  (Coy.ne,  p.  119;  Balfoub,  p.  133,  flg.  3b;  M.  Duval,  loc.  cit.). 

Bœttcher  a  constaté  sur  un  canal  long  d'une  spirale  et  demie  seulement  l'existence 
de  niets  nerveux  qui  se  rendaient  des  cellules  ganglionnaires  à  l'épithélium  sensoriel. 

Chez  l'embryon  humain,  à  la  huitième  semaine,  le  canal  fait  un  tour  entier;  à  la 
douzième  semaine  son  développement  est  complet. 

Le  cône  épithélial,  premier  élément  du  limaçon,  est  inclus  dans  un  tissu  conjonctif 
embryonnaire  qui  plus  tard  se  transformera  en  cartilage.  C'est  dans  la  capsule  cartila- 
gineuse limitante  que  le  canal  se  contourne  et  que  la  lame  spirale  se  forme  graduel- 
lement. 

De  même  le  tissu  conjonctif  de  la  périphérie  du  cône  d'épithélium  primaire  se  trans- 
forme en  os  et  périoste;  tandis  que  celui  qui  est  plus  proche  du  cône  se  liquéfie  autour 
de  lui  et  constitue  les  deux  rampes  tympanique  et  vestibulaire. 

En  réalité,  la  capsule  osseuse  qui  enveloppe  le  limaçon  provient  du  tissu  conjonctif 
de  la  capsule. 

Au  voisinage  de  la  vésicule  le  tissu  du  mésoderme  prend  une  consistance  molle, 
gélatineuse,  et  s'atrophie;  des  lacunes  pleines  de  liquide  s'y  développent,  grandissent, 
et  finalement  tout  autour  de  la  vésicule  se  trouve  un  espace  plein  de  liquide,  espace 
périlymplialique. 

La  portion  la  plus  externe  du  mésodernie  environnant  se  transforme  en  cartilage, 
puis  s'ossifle  :  c'est  le  labyrinthe  osseux. , 

Canal  cochléaire.  ■ —  Sur  la  membrane  basilaire,  Kôlliker  a  découvert  deux  saillies  ou 
bourrelets  épithéliaux  :  un  grand  qui  disparait,  un  petit  qui  devient  l'organe  de  Corti, 
papille  spirale  de  Huschke,  suivant  Hensen  (Coyne,  p.  121). 


AUDITION. 


921 


Cliaque  pilier  des  arcades  de  Corti  nait  d'une  cellule  de  ce  bourrelet;  au-dessus  de 
la  voûte  sont  les  cellules  auditives  (Bœttcher),  cellules  ciliées  de  Corti  et  cellules  à 
bâtonnet  supérieur  (Deiters,  Lœ-wenberGiBocttcher)  une  rangée  en  dedans  et  trois  rangées 
en  dehors  de  l'arcade;  des  plexus  nerveux  sont  sous-jacents. 

Chaque  cellule  est  double;  une  à  pédicule,  insérée  sur  la  basilaire;  l'autre,  plus  éle- 
vée, s'effile  et  se  continue  avec  les  filets  nerveux;  c'est  le  tableau  décrit  plus  haut  de  la 
structure  de  l'appareil  de  Corti. 

La  membrane  de  Corti,  pour  Waldeyer,  Goyne,  est  constituée  par  les  cils  des  cellules, 
allongés,  agglutinés  et  accolés  en  nappe. 

Le  ligament  spiral  offre  un  bourrelet  spiral  conjonctif  recouvert  de  cellules  épithé- 
liales;  et  la  bande  vasculaire  oii  les  vaisseaux  sanguins  abondent  intimement  mêlés  aux 
prolongements  des  cellules. 

La  lame  basilaire,  la  zone  siriée  naissent  de  la  condensation  du  tissu  muqueux  pri- 
mitif de  la  rampe  coçhléenne. 

Nerf  auditif.  — D'après  Remak  et  Kùllikeb,   ce  nerf  se  développe  isolément   entre 
l'oreille    interne    et   le    cerveau    (S»   vésicule    cérébrale)    auquel    il  s'unit    rapidement 
(M.  DuvAL,  Embryon  de  poulet,  pi.  XXIV, 
fig.  391-397). 

D'après  Bcettcher,  la  racine  posté- 
rieure de  l'auditif  se  rend  à  la  cochlée 
(en  bas)  et  l'antérieure  à  la  vésicule  (en 
haut  et  en  arrière);  la  première  offre  le 
ganglion  de  Rosenthal  au  contact  du  li- 
maçon; la  deuxième,  celui  de  Scarpa, 
avant  d'aboutir  aux  ampoules  des  canaux 
semi-circulaires  et  à  l'u  tricule  (M.  Duval, 
pl.XXXVl,  fig.  477;  pi.  XXXIII,  fig.  509, 
S 10,  et  pi.  XXIX,  fig.  463,  464,  em- 
bryon de  poulet  au  6'^  jour,  pi.  XXVIII, 
fig.  446).      , 

Les  veines  cardinales  côtoient  le  la- 
byrinthe; le  nerf  trijumeau,  le  glosso- 
pharyngien  sont  voisins;  et  toutes  ces 
parties  se  développent  de  chaque  côté 
de  la  troisième  vésicule  cére'brale. 

L'oreille  externe  et  l'oreille  moyenne 
proviennent  de  transformations  conti- 
nues de  la  première  fente  branchiale. 

Les  deux  bords  de  cette  fente  se  soudent  dans  la  partie  pharyngée  profonde;  il  en 
résulte  une  gouttière  dont  les  bords  externes  se  soudent  à  leur  tour;  d'où  naît  un  canal 
qui  s'ouvre  au  pharynx  d'un  côté  et  à  la  surface  du  crâne  d'autre  part. 

Graduellement  le  labyrinthe  et  le  canal  se  trouvent  accolés,  l'un  au  devant  de 
l'autre;  puis  une  cloison  sépare  en  deux  parties  ce  conduit  :  c'est  la  membrane  tympa- 
nique;  en  dehors  d'elle  sera  le  conduit;  en  dedans  la  caisse  du  tympan  et  la  trompe. 

Dans  la  caisse,  on  voit  en  effet  au  milieu  du  tissu  muqueux  se  développer  peu  à  peu 
(KôLLiKER,  p.  12,  fig.  U)  le  marteau,  l'enclume,  enfin  l'étrier  logé  dans  la  paroi  laby- 
rinthique  :  ces  osselets  et  leurs  muscles  sont  sous-muqueux  et  non  inclus  dans  la  cavité 
même. 

Nous  avons  rappelé  que  le  pharynx  supérieur  se  prolonge  en  avant  du  labyrinthe  ; 
or,  d'après  Urbantschitch,  la  caisse  serait  formée  par  une  invagination  pharyngienne, 
tandis  que  le  conduit  résulterait  d'une  invagination  de  l'ectùderme,  sans  que  la  fente 
branchiale  y  soit  pour  rien. 

Entre  les  deux  dépressions  se  trouve  la  cloison  qui  sépare  du  conduit  externe  la 
caisse  aplatie  et  le  marteau  bien  visible  (4=  mois). 

Né  du  premier  arc  branchial,  le  muscle  tenseur  est  innervé,  comme  tous  les  masti- 
cateurs, par  le  trijumeau;  au  contraire,  le  stapédius,  issu  du  deuxième  arc,  est  innervé 
par  le  facial  (M.  Duval,  etc.). 


Fig.  100.  —  Coupe  transversale  de  la  tête  d'un  embryon 
de  brebis  de  16  millimètres. 

1.  cavité  du  cerveau  postérieur.  —  2,  corde  dorsale.  — 
3,  cavité  du  pliarynx.  —  4,  ganglion  spiral  et  nerf 
acoustique.  —  5,  vestibule.  —  6,  ébauche  de  Taqueduc 
du  vestiljule.  —  7  et  8,  canaux  serai-circulaires.  — 
9,  ébauche  du  limaçon. 


922  AUDITION. 

Au  quatrième  mois,  l'oreille  est  déjà  toute  développée,  et  ses  diverses  parties  ressem- 
blent, au  volume  près,  à  celles  de  l'adulte. 

On  voit  alors  très  nettement  que  la  cavité  de  l'oreille  moyenne  est  virtuelle  ;  qu'elle 
est  remplie  par  un  «  bourrelet  gélatiniforme  »  formé  par  la  muqueuse  qui  couvre  la 
paroi  interne  ou  labyrinthique;  ce  bourrelet  contient  la  tète  du  marteau  et  la  chaîne 
des  osselets  incluse,  comme  je  l'ai  dit. 

La  cloison  en  est  séparée  par  un  épithélium  pavimenteux  manifeste;  l'insufflation 
sépare  les  deux  surfaces  contiguës,  libres. 

Ce  tissu  gélatiniforme  est  constitué  par  des  cellules  de  tissu  conjonctif  embryon- 
naire, des  vaisseaux  et  contient  des  plexus  nerveux  avec  des  cellules  bipolaires  (Gellé) 
(plexus  tympanique). 

Ce  tissu  muqueux  englobe  les  osselets,  la  corde  du  tympan;  comble  l'attique  et 
couvre  la  paroi  labyrintbique  (flg.  de  Gellé,  Tmv.  du  laboratoire,  Laborde,  t.  i).  La  caisse 
reste  ainsi  virtuelle  jusqu'à  la  naissance.  A  ce  moment,  sous  l'influence  de  la  déglutition 
et  de  la  respiration,  le  bourrelet  disparaît,  lamuqueusese  modèle  surles  saillies  osseuses 
qu'elle  recouvre,  formant  les  plis  et  replis  qui  sous-tendent  les  parties  saillantes,  et  l'air 
pénètre. 

Sur  les  fœtus  de  chat,  de  veau,  etc.,  on  enlève  le  tympan;  et  la  surface  lisse,  molle, 
gélatiniforme,  sous-jacente  conserve  l'empreinte  du  manche  et  fait  saillie;  c'est  la 
muqueuse,  comme  œdématiée,  couverte  de  son  épithélium  pavimenteux. 

Le  marteau  est  très  visible,  très  net  au  quatrième  mois  (Balfour,  fig.  70,  p.  270, 
d'après  Parker). 

Plus  tôt,  il  fait  corps  avec  le  cartilage  de  Meckel,  dont  il  est  l'extrémité  tyrnpanique 
(Kôlliker,  Parker,  Gegenbaur,  A.  Robin  et  Magitot). 

La  tête  est  très  volumineuse  et  très  longue  relativement  au  manche  longtemps  car- 
tilagineux et  dépasse  de  beaucoup  la  cloison  encore  incomplète. 

La  tète  de  l'enclume  est  aussi  incluse  dans  le  magma  gélatiniforme  qui  comble  les 
anfractuosités  de  l'oreille  moyenne;  l'étrier  est  plus  profondément  situé  au  niveau  de 
la  dépression  de  la  paroi  labyrinthique  qui  répond  au  vestibule. 

Le  tendon  du  muscle  interne  du  marteau  se  porte  perpendiculairement  de  la  paroi 
interne  sur  l'osselet. 

Au  cinquième  mois,  on  constate  que  la  membrane  de  Schrappnel  est  constituée  par 
le  périoste  de  l'écaillé  temporale  dont  les  deux  couches  s'accolent;  du  côté  du  conduit, 
la  peau  recouvre  cette  lamelle  fibreuse  d'origine  périostique;  du  coté  de  la  caisse,  c'est 
le  magma  gélatiniforme  qui  est  en  contact  immédiat  avec  la  lame  périostique  interne; 
par  suite,  on  voit  qu'il  n'existe  en  ce  point  aucune  perforation  :  il  n'y  a  pas  de  trou  de 

RlVINUS. 

Au  moment  de  la  résorption  du  bourrelet  gélatiniforme,  à  la  naissance,  la  mu- 
queuse s'atrophie  et  se  moule  sur  toutes  les  saillies,  engaiiie  tous  les  organes  qui  s'y 
trouvaient  englobés;  tels  la  corde  du  tympan,  le  tendon  du  muscle  du  marteau,  le 
ligament  suspenseur  du  marteau  et  l'ensemble  des  osselets  et  de  l'étrier  qui  tous  se 
dégagent  et  s'isolent. 

Pavillon  de  Voreille.  —  Le  développement  de  cette  partie  de  l'organe  a  été  étudié 
sur  l'embryon  humain  et  diversement  décrit  (Kôlliker,  Hirtz,  Grademgo,  P.  Poirier, 
p.  203  et  suiv.,  fig.  de  His;  etTEsrur,  p.  276,  d'après  Schwalbe). 

On  observe  d'abord  un  bourgeonnement  multiple  de  la  partie  de  la  première  fente 
branchiale  qui  avoisine  la  vésicule  auditive. 

Il  y  a  six  bourgeons  dont  l'inférieur  formera  le  lobule.  Des  deux  situés  au-dessus; 
l'un  antérieur  sera  le  tragus  ;  l'autre  postérieur,  l'antitragus;  les  autres  forment  l'hélix. 
Mais,  dans  ses  planches  sur  le  développement  du  pavillon,  Gradenigo  montre  une  autre 
évolution  de  ces  parties  (1888). 

Pour  lui  les  six  premiers  bourgeons  de  cette  région  formeraient  la  conque;  le  reste 
naît  de  bourgeonnements  secondaires  successifs.  Kôlliker  ne  donne  point  non  plus  la 
même  description  que  His  (Poirier);  et  Schwalbe  a  publié  des  figures  du  pavillon,  an  cin- 
quième et  au  sixième  mois,  dont  les  contours  et  cavités  sont  déjà  bien  indiqués  ;  il  y 
trouve,  avons-nous  dit  ailleurs,  le  tubercule  simiesque  de  Darwin. 

Au  cinquième  mois  le  tragus  est  bien  séparé,  quelquefois  double  (tubercule  supra- 


AUDITION.  923 

trajicum);  l'incisura  aiiris  est  bien  nette,  et  l'ourlet  de  l'hélix  formé,  ainsi  que  l'anli- 
tragus  et  le  lobule  ;  la  conque  est  peu  ouverte. 

On  remarque  que  le  méat  est  oblitéré  par  l'accolement  et  renchevêtrement  solide 
des  plis  cutanés  dans  une  certaine  étendue  vers  l'entrée  du  conduit.  Plus  loin,  du  côté 
du  tympan,  les  deux  parois  de  celui-ci  accolées  sont  libres.  Les  cavités  otiques  sont 
virtuelles  jusqu'à  la  naissance. 

Alors  une  couche  mince  de  cérumen  sépare  le  tympan  de  la  paroi  inférieure  du 
conduit. 

Le  conduit  tubo-tympanique  membraneux  est  court  d'abord;  puis  il  se  rétrécit  et 
s'allonge;  il  s'ouvre  dans  le  pharynx,  auprès  du  voile  (nouveau-né),  et  dans  l'oreille 
moyenne  entre  le  cadre  tympanal  et  le  limaçon;  son  épithélium  est  cylindrique  cilié. 

Il  faut  noter  sur  la  région  pharyngée  supérieure,  intertubaire,  l'existence  de  replis, 
restes  de  la  séparation  de  la  bouche  et  du  pharynx  (au  3=  jour)  et  de  l'hypophyse  pha- 
ryngée, que  Resel  croit  être  le  rudiment  de  la  tonsille  pharyngée  (M.  Do  val,  pi.  XXIV, 
Qg.  392  et  p.  70,  explication). 

De  cette  évolution  embryologique  on  peut  déduire  certains  rapports  intéressants. 

Tout  d'abord,  l'oreille  interne  estune  formation  ectoderraique  directe,  et  non,  comme 
la  rétine,  une  émanation  des  vésicules  cérébrales. 

L'oreille  interne  n'a  de  rapports  qu'avec  la  troisième  vésicule  cérébrale. 

Le  nerf  auditif  naît  isolément;  cela  explique  qu'on  l'ait  trouvé  absent,  sans  autre 
lésion. 

L'oreille  moyenne  et  l'externe  se  développent  avec  l'appareil  branchial;  cela  permet 
de  comprendre  la  coïncidence  du  bec  de  lièvre  et  des  arrêts  de  développement  ou  mal- 
formations otiques. 

L'oreille  moyenne  et  l'oreille  externe  naissent  au  niveau  de  la  première  fente  bran- 
chiale; mais  l'oreille  moyenne  est  d'origine  mésodermique,  tandis  que  le  conduit  et  le 
pavillon  proviennent  de  l'ectoderrae,  comme  l'oreille  interne. 

La  trompe  est  bien  un  diverticulum  pharyngé;  le  trijumeau  innerve  l'oreille  externe 
née  du  premier  arc  branchial,  et  le  facial,  le  stapédius,  né  du  deuxième  arc  branchial. 

La  formation  des  fistules  dites  branchiales  n'est  pas  encore  totalement  éclairée  par 
nos  connaissances  embryologiques;  on  en  a  signalé  sur  le  pavillon. 

Audition  de  l'enfant  nouveau-né.  —  Les  recherches  de  Siebenneuann  et  ses  prépa- 
rations du  labyrinthe  par  corrosion  lui  ont  permis  de  confirmer  l'opinion,  généralement 
admise  depuis  de  Trœltsch,  que  chez  le  nouveau-né  le  laljyrinthe  a  déjà  des  dimensions 
très  peu  inférieures  à  celle  qu'il   aura  chez  l'adulte  (Ber/»».   klin.    Woc/i.,  p.   10,  1891). 

Poli  a  étudié  l'audition  des  nouveau-nés,  et  il  a  trouvé  qu'ils  sont  sensibles  aux  sons 
dès  le  premier  jour;  et  que  l'excitation  des  sons  un  peu  forts  provoque  de  l'agitation  et 
des  spasmes  moteurs;  ce  sont  des  réactions  que  tous  les  médecins  ont  observées. 

Cependant  l'audition  peut  être  entravée  dès  la  naissance  par  des  lésions  datant,  soit 
de  l'époque  embryonnaire  (arrêts  de  développement  à  l'époque  branchiale,  absence  du 
nerf,  coloboraa,  absence  de  conduit,  etc.),  soit  de  la  période  fœtale  (suppuration,  des- 
truction de  la  muqueuse  gélaliniforme,  ostéo-périostite  diathésique);  enfin,  au  moment 
de  la  parturition,  par  des  hémorrhagies,  des  suffusions  sanguines  plus  ou  moins  étendues, 
de  l'oreille  moyenne  surtout  (Gellé). 

Les  travaux  de  Wexdt,  Wrede.'^,  Blumenstock,  Rinecke,  Steiner,  Hirsch,  de  Trœltsch, 
Netier,  Lannois,  Parrot,  Renaut  et  Baréïy,  Gellé,  sur  ce  sujet  ont  montré  l'extrême 
fréquence  des  lésions  de  l'oreille  moyenne  au  moment  de  la  naissance.  On  conçoit  que 
ces  altérations  du  tissu  de  la  muqueuse  qui  comble  la  cavité  de  l'oreille  moyenne 
puissent  nuire  à  la  résorption  normale  du  bourrelet  gélatineux  et,  par  suite,  à  l'aéra- 
tion de  la  caisse. 

Dans  les  planches  de  son  étude  Sur  un  signe  nouveau  de  la  respiration dunouveau-nè, 
Gellé  montre  les  altérations  variées  qu'il  a  observées  dans  un  assez  grand  nombre 
d'autopsies  de  fœtus  et  de  nouveau-nés  (63);  et  il  insiste  sur  leurs  rapports  avec  les 
lésions  de  l'appareil  pulmonaire  (Pour  le  point  de  vue  médico-légal  de  cette  question, 
lire  Vibert,  Lannots,  Brouardel,  Gellé,  en  France). 

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9U  AUDITION. 

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BucH.  On  mecanisinus  of  Rearing  (anal,  in  Arch.  f.  Ohren.,  1871).  —  Hitzig.  Weitere 
Untersuchungen  zur  Physiologie  des  Gehirns  (A.  Db.  1871,  5).  —  Leydig.  Lehrb.  der 
Histol.  Francfort,  1867,  p.  262.  —  Ueb.  das  Gehôrorgan  der  Gusteropoden  (Arch.  f. 
mikr.  Anat.,  1871).  —  A.  Politzer  (Arch.  f.  Ohren.,  t.  vu,  1871).  —  De  Rossi.  Le  malatte 
del  Orrechio.  Genova,  1871;  2°  éd.,  1884  (Chap.  Physiologie).  —  Blaee.  Rcsults  of  exp. 
on  tlie  perception  of  the  musical  tones  (Boston  med.  a.  surg.  Journ.,  1872).  —  Duchenne,  de 
Boulogne.  De  l'électricité  localisée,  3"  éd.,  1872  (Chap.  Surdité).  —  De  Lacaze-Duthiers. 


AUDITION.  925 

Ofocystes  des  mollusques  {Arch.  de  zool.  expér.,  i.  i,  1872).  —  Mach  et  Kessel.  Versuche 
ûb.  Accommod.  des  Ohrs  (Sitzgsber.  d.  Wien.  Akad.  iSli;  Arch.  f.  Ohrcn.,  t.  ix,  p.  12|). 
—  Die  Function  der  Trommelhohle  u.  des  Tuba  Eustachi  {Wien.  Akad.  Berichte,  1872).  — 
OsvvALD  Baër.  Ueb.das  Verhâltnis.  der  heutlçj.  Standpunkte  der  Anat.  des  cortischen  Organs 
z.  Théorie  der  Tonempfindungen,  28  oct.  1872.  —  Berthold.  Ueb.  die  Function  der  Bogen- 
gànge  des  Ohrlabyrinths  {Arch.  f.  Ohren.,  1873).  — Breuer.  Ueb.  die  Function  der  Bogen- 
gûnge  des.  Ohrlabyrinths  {ibid.,  1873).  —  Blirnett.  Unters.  ûb.  den  Mechanismits  Gehôrkno- 
chelchen  u.  der  Membran  der  runden  Fenstern  {ibid.,  1873).  —  Kupfer.  Ueb.  die  Bedeutung 
der  Ohrmusckel  des  Menschen  {ibid.,  1873).  — ■  Hasse.  Die  vergleichende  Morphol.  u. 
Histol.  der  hailtigen  Gehôrorganes  der  Wirbelthiere  Physiologie  (Suppl.  aux  Analom.  Stud., 
Leipzig,  t.  I,  1873).  —  Mach.  Physiol.  Versuche  ûb.  den  Gleichgewichlssinn  des  Menschen 
{Sitz.  d.  k.  Akad.  d.  Wissensch. ,  t.  lxviii,  fasc.  3,  nov.  1873).  — Wendt.  J7e6.  das  Verhalten 
der  Paukenholle  beim  Fœtus  u.  belm  Neugeborenen  {Arch.  f.  Ohren.,  1873).  — Bheschet.  Org. 
de  l'ouïe  des  oiseaux  (Ann.  se.  nat.,  (2),  t.  v,  p.  36).  —  Weber.  De  aure  et  anditu  hominis 
et  animalium.  —  Mathias-Duval.  Atlas  d'embryogénie.  —  Maillard.  De  l'audiomètre  et  de 
quelques  phénomènes  peu  connus  de  l'audit.,  Strasbourg. 

1874.  —  Bain.  Les  sens  et  l'intelligence,  —  I.  Breuer.  Ueb.  die  Function  der  Bogengânge 
{Med.  Jahrb.).  —  Ueb.  die  Function  der  Otoiithenapparate  (A.  Pf.,  t.  xlviii).  —  J.  Budge. 
ÏJ6e?'  die  Function  der  M.  Stapedius  {A.  Pf.,  t.  ix,  p.  460).  —  A.  Crum  Brown.  On  the 
sensé  of  rotation  and  analyse  and  physiology .  of  the  semi-circular  Canals  of  the  internai 
Ear  {Roy.  Soc.  Edimburgh,  t.  viii,  p.  2S8,  19  janv.  —  Curschmann.  Die  Erscheinungen  ges- 
tôrter  Coordination  der  Muskelbeweg.  dusseren  sich  am  Kopfe,  dem  Rumpfe  u.  den  Extre- 
mitaten,  ibid.,  17  avr.  —  Helmholtz.  Théorie  physiol.  de  la  musique,  trad.  Guéroult.  — 
M.  Mach.  Versuche  ùb.  den  Gleichgewchtssinn  {Wien.  Sitzber.).  —  Bemerk.  ûb.  die  Function 
der  Ohrmuskeln  {Arch.  f.  Ohren.).  —  Mach  et  Kessel.  Beitr.  z.  Topographie  u.  Mechanik  des 
Mittelohrs  {Sitzungsber.  der  Wiei2er  Akad.,  t.  m).  —  Moos.  Beitr.  z.  normalen  u.  pathol. 
Anat.  u.  z.  Physiol.  der  Eustachischen  Rôhre  {Arch.  f.  Ohren.,  t.  ix). —  Toynbee.  Maladies 
de  l'or.,  trad.  par  Darin  avec  annot.  par  Hi.\to.\,  Paris.  —  Wernicke.  Der  aphasische 
Symptomencomplex.  Breslau,  p.  39.  —  Ose.  Wolff.  Neue  Unters.  ùb.  Hiirprufung  u. 
Hôrstorungen  {Arch.  f.  Aug,  u.  Ohren.,  t.  iv,  p.  124). 

1873.  —  Breuer.  Jahrbùcher  der  Gesellsch.  der  Aertze.  Vienue,  1874-187b.  —  Buch. 
On  Mecanism  of  hearing  {Arch.  f.  Ohren.,  t.  ix).  —  Hughlings  Jackson.  Bemerk.  ùber  die 
Mèniéresche  Krankheit  {Med.  Times  a.  Gazette,  7,  8).  — Mendel.  Tempérât,  du  conduit  auditif 
externe  (J.  Anat.  Ot.).  —  I.  Ranke.  Der  Gehôrorgang.  u.  das  Gehororgan  bel  Pterotrachea 
{Zeiisch.  f.  leiss.  Zoologie,  t.  xxv,  Suppl.,  pp.  77-102,  tabl.  v,  8  juin).  —  Zuckerkandl. 
Z.  Anat.  u.  Physiol.  der  Tuba  Eustachiana  {Arch.  f.  Ohren.).  —  Mach.  Grundlinien  der 
Lehre  von  den  Beivegungempfindiingen.  Leipzig. 

1876.  —  E.  Cyon.  Rapport  entre  l'acoust.  et  l'appareil  moteur  de  l'œil  {C.  R.).  —  Garan 
DE  Balzan.  Théor.  phys.  de  l'audit.  Th.  d'agrég.,  Paris.  —  S.  Exner.  Z.  Lehre  von  den 
Gehôrsempfindungen  (A.  Pf.,  t.  xiii,  et  t.  xi).  —  D.avid-Février.  Vom  Labyrinth  ausgehende 
Schwindel' Ménièrsche  Krankheit  {Arch.  f.  Ohren.,  l.  xv,  p.  191).  —  G  elle.  De  l'explorât, 
de  la  sensibil.  acoustique  au  moyen  du  tube  interauricul.  {Trib.  médic).  —  Signe  nou- 
veau de  la  respirât,  du  nouveau-né,  avec  pL  —  Lucae.  Die  Accommodât,  u.  Accommoda- 
tionsstôrungen  des  Ohres  {Arch.  f.  Ohren.,  t.  u).  —  Ranke.  Das  akustiche  Organ  in  Ohre  der 
Pterobrachea  {Arch.  f.  mikr.  Anat.,  t.  xii).  —  Stefani.  Unters.  ûb.  die  Physiol.  der  halb- 
kugelformigen  Kanctle  {Arch.  f.  Ohren.).  —  Wiedersheim.  Développem.  du  syst.  nerveux 
dans  la  série  animale. 

1877.  —  F.  Balfour  et  Fo:^TER.  Élém.  d'embryoL,  trad.  par  Rochefort.  —  Blanchard. 
Les  métamorph.,  mœurs  et  inHincts  des  insectes,  2=  édit.  —  Delbœuf.  Du  rôle  des  sens 
dans  la  format,  de  l'idée  d'espace  {Rev.  philos.,  août).  —  Gavarret.  Phénom.  phys.  de  la 
phonat.  et  de  l'audit.,  Paris.  —  Gellé.  Études  des  mouvem.  du  tympan  par  la  méthode  gra- 
phique {Et.  d'otol.,  t.  i  et  Trib.  médic).  — La  métallo-thérapie;  la  découverte  du  transfert 
de  la  sensibilité  ;  Rapport  par  Charcot,  Dumontpallier  et  Luys  (B.  d'otol.,  t.  i,  p.  213;  B. 
B.).  —  L  Keffel.  Ueb.  das  mobilisiren  des  Steigbûgeldurch  Ausschneiden  des  Trommel- 
felles,  Hammers  und  Ambossen  bei  Undurchgàngkeit  der  Tuba  {Arch.  f.  Ohren.,  t.  siii, 
p.  86). 

1^78.  —  Hartmann.  Ueb.  Function  der  Tuba  Eustachii  {A.  Db.,  1877  et  A.  V.).  —  Ponsot. 


926  AUDITION. 

—  Article  Oreille  {Dict.  de  méd.  et  dechintrg.  x>rat-,  t.  xsvj.  —  M. -Dlval.  Article  Ouie 
libid.,  t.  xsv).  —  Gellé.  Et.  expériment.  sur  les  fonctions  de  la  trompe  d'Eustache  (C.  R.). 

—  Et.  expériment.  du  phénomène  de  l'écoulement  au  dehors,  par  le  conduit  auditif  externe 
des  ondes  sonores  venues'  du  crâne  {B.  B.;  Trib.  médic.;  Et.  d'Otol.,  t.  i,  p.  509).  — 
R.  Heiden'hain.  Ueb.  den  Ein/luss  der  Luftdruckschivankungen  des  Labyrinth-inhalt  [A. 
Ff.,  t.  xsii).  —  V.  Hensen.  Beobachtungen  îib.  die  Thàtigkeit  der  Trommelfellspanners  bel 
Hund  u.  Katze  {A.  Db.).  —  A.  Mobeau.  Rech.  physiol.  sur  la  vessie  natatoire  {Mém.  dePhy- 
sioL).  —  MuNK.  Ein  Fall  v.  einseitigen  Fehlen  aller  Bogengânge  bei  einer  Tauberi  [A.  Db.): 

—  0.  et  R.  Hertwig.  Das  Nervensystem  u.  die  Sinnesorgane  der  Medusen.  Leipzig. —  Mo- 
RISSET.  La  pression  intra-laby rinthique  (D.  P.).  —  De  Quatrefages.  L'espèce  humaine.. 
Paris,  Baillière,  4"  édit.  —  Thompson.  On  binaural  audition  (Phil.  Magaz.,  1877-78).  —  Ed. 
VoAKEs.  The  connexion  betw.  stomachic  a.  labyrinthic  vertigo  [Amer.  Journ.  ofmed.  Se, 
avril).  / 

1879.  —  BlaseRiNa  et  Heluholtz.  Le  son  et  la  musique.  Paris.  —  J.-H.  Fabre.  Sou- 
venirs entomologiques.  —  Hartmann.  Expériment.  Stud.  ùb.  die  Function  der  Eustachi'schen 
Rdhre,  etc.  Leipzig-.  —  Sensibil.  de  l'or,  et  courants  électr.  Audiométre  [R.  S.  M.,  n"  26). 

—  NoTaNAGEL.  Topische  Diagnostic  der  Gehirnkrankheiten.  Berlin.  —  "Weber-Ltel.  Expé- 
riment. Nachweiss  einer  freien  Communicat.  des  endolymphut.  u.  perilymphat.  Raûme  des 
menschl.  Ohrlabyrinths  mit  extralabyrinthischen  intracraniellen  Raûmen  [A.  T.,  t.  lxxvii). 

1880.  —  Bernstein.  Les  sens,  Paris.  —  F.  Bezold.  Expériment .  Unters.  ûb.  den  Schall. 
Apparat  des  menschl.  Ohres  (Arch.  f.  Ohren.,  t.  xvi,  pp.  1-50,  avril).  —  A.  Bockendahl.  l'eb. 
die  Beu-egungen  des  M.  Tensor  Tympani  nach  Beobachtungen  am  Hund  (ibid.,  t.  xvi,  p.  240, 
10  déc).  —  A.  Bôttcher.  Physiol.  des  Gehôrs  (H.  H.,  t.  m,  p.  102).  — M.-Duval.  Le  nerf 
acoust.  et  le  sens  de  l'espace  (B.  B.).  —  Gellé.  Des  modifie,  morphol.  de  l'or,  moyenne 
et  des   annexes  dans  la  série  des  vertébrés  (Et.  d'otoL,  p.  189,  t.  i;   Trib.  médic,  1878). 

—  Et.  sur  la  structure  du  ligament  spiral  externe  (Gaz.  médic).  —  Fatigue  de  l'or., 
arrêt  d'accommod.  (Et.  d'otol.,  t.  u).  —  Article  Surdité  (D.  D.,  t.  xx.xiv).  —  Rôle  de  la 
sensibil.  du  tympan  dans  l'orientât,  auditive  (B.  B.  et  Et.  d'otol.,  t.  ii,  1888,  p.  28).  — 
Transform.  de  l'or,  dans  la  série  des  vertébrés.  Valeur  de  l'apophyse  mastoide,  etc.  {Études 
d'otol.,  t.  I,  p.  235).  —  Troubles  trophiques  de  l'or,  moyenne  et  de  l'interne  à  la  suite  des 
blessures  expériment.  des  racines  descend,  du  trijumeau  [expér.  de  M.-Ul'val  et  Laborde) 
(B.  B.).  —  R.  Hertwig.  TJei.  Ctenophoren.  léna.  —  Hense.n.  Physiol.  der  Gehôrorganen 
(H.  H.,  t.  III,  (2),  p.  107).  —  Luc.ve.  Die  bei  Schwerhûrigen  zu  beobachtende  gute  Perception 
der  tieferen  musikal.  Tone  {Arch.  f.  Ohren.,  t.  xv,  p.  273,  2  févr.).  —  Pick  et  Kohler. 
Z.  Geschichte  der  Worttaubheit  {Prager  Viertelj.  f.  Reilk.,  t.  i,  fasc.  1  ).  —  H.  Spencer.  Prin- 
cipes depsychol.,  t.  i,  p.  6,  chap.  1.  —  A.  Graham  Bell.  Experim.  relat.  to  binaural  audi- 
tion [Americ.  Journ.  ofOtol.,  p.  169).  —  Lœwenberg.  TJeb.  die  nach  Durchschneid.  der  Bogen- 
gânge des  Ohrlabyrinths  auftretenden  Beviegungstorungen  [Arch.  f.  Aug.  u.  Ohren.,  t.  v.; 
Knapp  u.  Moos,  t.  m,  p.  1).  —  J.  Breuer.  The  function  of  Otolithes  [A.  Pf.,  t.  xlviii, 
pp.  195-306).  —  Keissel.  Ueb.  des  Gehororgan  des  Cyclostomes  [Arch.  f.  mikr.  Anat.,  fasc.  3, 
p.  419).  —  Robin  et  M.a.gitot.  Sur  le  cartilage  de  Mecrel  [An.  des  se.  natur.,  (4%  t.  xvni, 
fasc.  4).  — Paulhan.  Physiol.  de  l'esprit,  pp.  56-60.  —  L.  0.  Richey.  The  primary  physiol. 
purpose  ofthe  membrana  tympani  [Med.  Neivs,  t.  lui,  n»  14,  p.  401).  —  Physiol.  des  muscles 
tympaniques  [Journ.  de  méd.  et  d'anat.,  t.  xiii,  p.  249).  —  Toplnard.  Mouvements  de 
l'oreille  [Ann.  de  l'or,  et  du  larynx,  t.  iv.  p.  2).  —  C.  Lorenz.  Investigat.  iip.  the  percept.  of 
différences  of  Sound  [Philos.  Studien,  t.  v,  p.  26).  —  Urbantschitsch.  Influence  ofiveak  im- 
pulser of  Sound  up.  the  incrément  of  acustic  sensation  [Arch.  f.  Ohren.,  t.  xxx,  p.  186).  — 
A.  Kreidl.  Beitrdge  z.  Physiol.  des  Ohrlabyrinths  auf  Grand  von  Versuchen  an  Taubstum- 
men  [A.  Pf.,  t.  li).  —  Wbeden.  Beitrùye  z.  BegrCmdung  einer  Lehre  ùb.  die  electrische  Rei- 
zung  der  Binnenmuskeln  des  Ohres.  —  J.  Chatin.  Des  organes  des  sens  dans  la  série  ani- 
male, p.  323.  —  Gh.  Ferrari.  Indirizzo  pract.  alla  diagnosi  e  cura  délie  malatte  d'orrechio. 
[Fhysiol.,  p.  70).  —  C.  Vogt  et  Yung.  Traité  d'anat.  comparée.  —  W.  Wcndt.  Grundzùge 
der  physiol og .  Psychologie,  t.  i,  pp.  284,  303,  390. 

1881.  —  Urbantschitsch.  Lehrb.  der  Ohrenheilkunde,  Vienne,  1880,  trad.  Calmette, 
Paris.  —  L.  Landois.  Lehrb.  der  Physiol.  des  Menschen  (p.  713).  —  J.  Miot  et  Baratodx. 
Considér.  anat.  et  physiol.  sur  la  trompe  d'Eustache  (Progrès  méd.).  —  Brœhm.  Les  mer- 
veilles de  la  nature,  vers,  mollusques,  céphalopodes,  p.  453.  —  Kuhn  (C.  R.  du  3°  congres 


AUDITION.  927 

internat,  de  pathoL).  —  Retzius.  L'organe  de  l'ouïe  chez  les  vertébrés.  Stockholm.  — 
Sapolini.  Commetit  l'onde  sonore  arrive  au  centre  acoustique  {Congr.  de  méd.  de  Londres). 

M"°  N.  Skwortzoff.  Cécité  et  surdité  des  mots  dans  l'aphasie  (D.  P.).  —  Urban  Prit- 

CHARD.  The  cochlea  [Limaçon)  of  the  Ornithorynchus  Platypus  {Philos.  Transact.  of  the 
Royal  Soc,  t.  ii). —  Wiet  et  Gellé.  Lésions  de  l'or,  interne  et  de  l'or,  moyenne  après  éton- 
gation  du  pneumo-gastrique  (B.  B.).  —  W.  James.  The  sensé  of  dizzines  in  deaf-mutes  {Amer. 
Journ.  ofOtol.,  t.  tv,  J  6  sept.). 

1882.  —  J.  Baratoux.  biologie  pathol.  et  thérapeut.  —F.  Bezold.  L'anat.  de  l'or,  étudiée 
par  corrosion.  Munich.  —  Burnett.  Aurai  vcrtigo  (Med.  Neius,  p.  687).  —  G.  Ciniselli. 
Notes  histolog.  sur  l'organe  de  l'ouie  [Glandes  cérumin.)  {Arch.  p.  l.  se.  mediche,  t.  v,  (3).  — 
Mathias-Duval.  Innervât,  du  M.  interne  du  Marteau  (B.  B.,  n"  34,  21  oct.).  —  Erlttzry. 
Nerf  auditif  [Arch.  de  Neurol.).  —  Ferré.  Crète  auditive  chez  les  vertébrés.  Th.  de  Bordeaux. 

—  Gellé.  Auscultât,  transauricul.  [B.  B.,  n°  13).  —  Procédé  d'explorat.  de  l'audit,  sur  soi- 
même  [ibid.).  —  ViTUS  Graber.  Die  Chordotonalen  Sinnesorgane  u.  das  Geh'or  der  Insècteti, 
I.  Morphologie  [Arch.  f.  mikr.  Anat.,  t.  xx,  p.  540)  ;  II.  Physiologie  [ibid.,  t.  sxi,  pp.  6b- 
1^45).  _-  KôLLiKER.  Embryologie;  trad.  franc.  —  Kœnig.  Expér.  d'acoustique.  Paris.  — 
'^.KœssEhBkcn.  Z.  Function  der  halb:.irkelfôrriiigen  Kanàle  ['Verein  z.  Erlangen,  déc.  1881; 
Arch.  f.  Ohren.,  t.  xviii,  p.  152,  mars).  —  Laborde.  Rôle  des  canaux  semi-circidaires 
[B.  B.,  n"^  22,  23).  —  René.  De  la  sensibilité  acoustique.  Nancy.  —  Steinbrûgge.  De  la 
décalcificdt.  du  rocher  (Corresp.-Bl.  f.  schiveizer.  Aèrtze,  n°  22,  13  nov.  p.  734). 

1883.  —  Brown-Séquard.  Lésions  du  cervelet  et  des  canaux  semi-circul.  chez  les  oiseaux 
[B.  B.).  —  Mac  Bride.  Nouv.  théorie  delà  fonction  des  canaux  semi-circul.  [.Journ.  of  Anat. 
a.  PhysioL,  t.  xvn,  2).  — ■  J.  Crombie.  Sur  la  membr.  du  tympan  [ibid.,  t.  ïvii,  juil.l.  — 
Hein'sen.  Studien  ùb.  Gehbrorg.  der  Decapoden  [Zeits.  f.  iviss.  ZooL).  —  0.  Maubrac.  Rech. 
anatom.  etphys'iol.  sur  le  m.  sterno-mastoidien,  Paris,  Doin.  —  C.  Von  Noorden.  Dévelop. 
du  labyrinthe  chez  les  poissons  osseux  [Arch.  f.  Anat.  u.  PhysioL;  Anat.  Abtheil.,  fasc.  3). 

—  Pauchon.  Limite  su^jér.  de  la  perceptibilité  des  sons  [C.  R.,  9  avr.).  —  H.  Sewall. 
Experim.  up.  the  ears  of  Fish.,  with  refer.  to  the  funct.  of  Equilibrion  [.J.  P.,  t.  iv, 
p.  339).  —  Streinbrugge.  Préparât,  de  l'org.  de  Corti  [Berl.  klin.  Woc/i.,p.  731,  26  nov.). 

—  S.  Sexto.n'.  Et.  sur  la  transmission  du  son  par  les  os  du  crâne  [N. -York  med.  record, 
28juil.).  — A.  Tafani.  Les  épithéliums  acoust.  [A.  B.,  p.  62,  avr.).  —  Vulplan.  Expér. 
relat.  aux  troubles  de  la  motilité  par  lésions  de  l'appar.  auditif  (C.  R.,  t.  xcvi,  pp.  90,  93 
et  304).  — Wikdersheisi.  Lehrb.  der  vergleichend.  Anat.  der  Wirbelthiere. 

1884.  —  B.  Baginsky.  Les  fond,  du  limaçon  {A.  V.,  t.  xciv,  fasc.  1).  —  Z.  PhysioL  der 
Bogengânge  {Arch.  f.  Anat.  u.  Phys.,  p.  233).  —  Baratoux  et  Miot.  Traité  des  malad.  de 
l'or.  —  A.  Eitelberg.  Résuit,  de  pesées  des  ossel.  de  l'or,  chez  l' homme  [Monatsch.  f.  Ohren., 
n°  b).  —  Gellé.  Précis  d'otol.  —  Giraodeau.  Des  vertiges  [D.  P.).  —  A.  Politzer.  Traité 
des  malad.  de  l'or.,  tr.  Jolly  de  Lyon.  —  S.  Moos  et  Steinbrûgge.  Absence  de  tout  le 
labyrinthe  de  chaque  côté  chez  un  sourd-muet  [Zeits.  f.  Ohr.,  t.  xi,  4,  p.  281).  —  E.  Zucker- 
KANDL.  Anatom.  de  l'or,  de  l'homme  [Monatsch.  f.  Ohren.,  n"  11,  nov.). 

1883.  ' —  B.  Baginsky.  z.  PhysioL  der  Bogengânge  [A.  Db.).  —  Bechterew  (Neurol.  Cen- 
tralbl.,  p.  145).  —  Ferré.  Et.  du  nerf  auditif  [Bullet.  Soc.  zool.  de  Bordeaux,  t.  x).  —  Des 
ganglions  intra-rocheux  du  nerf  auditif  chez  l'homme  [C.  R-,  23  mai).  —  E.  Giraudeau. 
De  l'audit,  colorée  [Encéphale,  n"  3,  p.  9).  —  A.  Gouguenheim  et  M.  Lermoyez.  PhysioL  de 
la  voix  et  du  chant.  —  Meyersoj».  Infl.  des  excitât,  périphér.  du  trijumeau  sur  l'org.  auditif 
[Wien.  med.  Presse,  n°  44).  —  Br.  Onufeovicz.  Contrib.  expèrim.  à  la  connaissance  de  l'orig. 
centr.  du  n.  acoustique.  Thèse  de  Zurich.  —  S.  Stricker.  Du  langage  et  de  la  musique,  tr. 
p.  F.  Schwiedland. 

1886.  —  Zdckerkandl.  De  la  trompe  d'Eustache  chez  le  tapir  et  le  rhinocéros  {Arch. 
f.  Ohren.,  t.  xxii,  p.  222,  n°s  3  et  4).  —  E.  Weill.  Des  vertiges.  Paris.  —  Voltolini. 
Einiges  Anatomisches  ans  der  Gehôrschnecke,  etc.  [A.  V.,  t.  c,  fasc.  1,  p.  27).  —  Tafani. 
L'organe  de  l'ouïe  [Ann.  univers,  di  med.,  mars).  —  Ch.  Bichet.  Expér.  sur  le  réflexe  de 
direct,  de  l'or,  chez  le  lapin  (B.  B.,  29  juin).  —  J.  Pollak.  Fonction  du  M.  tenseur  du  tym- 
pan {Wien.  med.  Jahr.,  p.  333).  —  P.  Novitzky.  Propriét.  physiol.  des  fibres  de  la  corde  du 
tympan  chez  l'homme  {Med.  Obosr.,  n°  11).  —  C.  vox  Monakow.  Orig.  du  nerf  acoust.  [Rev. 
méd.  Suisse  Romande,  t.  vi,  p.  390,  sept.).  —  Ménière.  Développ.  anormal  du  pavillon  de 
l'or.  [Rev.  mens,  de  laryng.,  l"  déc.  p.  677).  —  E.  Mach.  Beitrage  z.  Analyse  der  Empfin- 


928  AUDITION. 

dungen.  léna,  p.  118.  —  Heluholtz.  Le  mécan.  des  osselets  de  Vor.  et  de  lamemhr.  du  tym- 
■pan,  trad.  Rattel.  — Gkubkr.  Z.  Anat.  des  Hôrenorgans  {Berlin,  klin.  Woch.,  n"  48,  p.  838, 
29  nov.).  —  De  l'anat.  de  l'or.  {oQ"  réunion  des  natur.  allem.,  18  sept.).  —  G.  Grade- 
NiGO.  Die  embryon.  Anlacje  des  Mittelohres,  etc.  (Med.  Centralbl.).  —  Le  développ.  embryon- 
naire des  osselets  de  l'ouïe  et  de  la  cavité  tubo -tympan.;  valeur  morphol.  des  osselets  {Ri- 
form.  med.,  n"  190).  —  Gellé.  Rôle  de  la  sensibil.  du  tympan  dans  l'orientât,  auditive 
{Trib.  niéd.,  24  oct.).  —  Fatigues  de  l'accommod.;.  arrêt  de  l'accommod.,  etc.  {Ann. 
mal.  de  l'or.,  du  larynx  et  du  nez,  mai).  —  De  la  durée  de  l'excitât,  sonore  nécessaire  à  la 
percept.  (B.  B.,  30  janv.).  —  W.  Kiesselbach  et  J.-L.  Eckert.  Apropos  des  fondions  des 
canaux  semi-circul.  {Corrcsp.  Blatt  fur  schiv.  Aerzte,  IS  mai).  —  J.-L.  Eckert.  Fonction  des 
canaux  semi-circul.  {ibid.,  n°  1,  p.  11,  l"'  jaov.).  -^  J.  Delage.  Fonction  nouvelle  des  oto- 
cystes  chez  les  invertébrés  (C.  R.,  2  nov.).  —  Sur  la  fonction  des  canaux  semi-circul.  de 
l'or,  interne  (C.  R.,  26  oct.).  —  Gilb.  Ballet.  Le  langage  intér.  et  les  div.  formes  de 
l'aphasie.  —  d'Arsonval.  ApjMr.  pour  mesurer  l'acuité  audit,  ou  acoumétre  à  entre-cou- 
rant (B.  B.,  3  avril). 

1887.  —  D.  Tataroff.  Glandes  sudorip.  de  lapeauet  dupavillon  de  l'homme  {Arch.  f.  Anat. 
u.  Phys).  —  Sur  les  muscles  du pavillonde  l'or,  {ibid.,  t.i).  —  Viguier.  Fonctions  des  canaux 
semi-circul.  (C.  R.,  21  mars).  — Steiner.  Fonctions  des  canaux  semi-circid.  {Ibid. ,21  mars).  — 
Spear.  Rem.  sur  la  membrane  du  tympan  {Boston  med.  Journ.,  23  août).  —  G.  Schwalbe. 
Lehrb.  der  Anat.  des  Ohres,  Erlangen,  p.  508).  —  Schrader.  Z.  Physiol.  des  Froschgehirnes 
{A.  Pf.,  t.  XLi).  —  w.  Rutrerford.  A  lecture  on  the  sensé  of  hearing  {Lancet,  l"  janv.).  — 
Rûdjnger.  Sur  le  canal  de  décharge  de  l'endolymphe  de  l'or,  interne  {Sitz.  d.  h.  bayer.  Akad. 
d.  Wiss.,  t.  m).  —  Roulleaud.  Anomalie  de  l'or,  externe  {Prog.  méd.,  9  janv.).  —  Le.nuard. 
L'or,  moyenne  du  nouveau-né  {T.  D.  P.,  16  nov.).  —  Lannois.  De  l'infl.  de  la  mastication 
sur  l'acuité  auditive  {Lyon  méd.,  12  juin).  —  De  l'or,  au  point  de  vue  anthropol.  et  médico- 
légal  {Arch.  Anthrop.  crimin.,  IS  sept.).  —  Knapp.  Examen  de  l'acuité  auditive  {Amer, 
otol.  Soc,  19  juil.).  —  Jacodson'.  Du  rapport  entre  l'acuité  auditive  et  la  durée  de  la  per- 
ception {ArcJi.  f.  Ohren.,  p.  39).  —  A.  Herze."*.  Le  cerveau  et  l'activité  cérébr.  au  point  de 
vue  psycho-physiol.,  Paris.  —  Katz.  Procédé  d'étude  du  labyrinthe  membraneux  {Berl.  klin. 
Woch.,  24  oct.).  —  Gradenigo.  Embryol.  de  l'or,  moyenne  {Wien  med.  Jahrb.,  p.  61).  — 
Gellé.  Étude  expérim.  sur  le  rôle  du  limaçon  osseux  dans  l'audition  {Gaz.  des  hôpit., 
19  mai).  —  Physiol.  du  limaçon  (B.  B.,  2  avr.}.  —  Anal,  de  qq.  troubles  de  l'audition  aux 
différ.  âges  de  la  vie  (B.  B.,  o  nov.,  p.  6o9).  —  Réflexes  auricul.  {ibid.,  juin,  p.  aû;o).  — 
FiCK.  Considér.  sur  le  mécanisme  de  la  membrane  du  tympan  {Arch.  f.  Ohren.,  p.  167).  -^ 
Ch.  Feré.  Sensat.  et  mouvem.;  étude  expériment. — W.  Engelmann.  Ueb.  die  F  miction  der 
Otlithen  {Zool.  Anzeiger,  août,  n"  258,  p.  439).  —  H.  Dennert.  Rech.  sur  l'acoustique  et 
laphysiol.  de  l'ouïe  {Arch.  f.  Ohren.,  p.  171).  — Cozzolino.  L'or,  et  lamédec.  légale  etmilit. 
{Morgagni,  avril).  —  H.  Chatellier.  Sur  la  prétendue  insertion  externe  de  la  memb.  de  Gorti 
{Bull.  soc.  Anat.,  p.  372).  —  Bulle.  Beitrâge  zw  Anat.  des  Ohi'es  {Arch.  f.  mikr.  Anat. 
t.  XXIX,  fase.  2,  p.  27,  1  pi.).  —  Barth.  Rech.  sur  l'anat.  de  l'or.  {Zeit.  f.  Ohren.,  t.  xvji, 
n"^  3  et  4).  —  Baratoox.  De  l'audit,  colorée  {Prog.  méd.,  24  déc,  1017).  —  B.  Baginsky. 
Z.  Entivicklung  der  Gehôrschnecke  {Arch.  f.  mikr.  Anat.,  t.  xxviii,  fasc.  1). 

1888.  —  ViRCHOw.  Sur  les  siries  acoust.  de  l'homme  {A.  V.,  p.  392).  —  V.  Pritchard. 
Préparât,  microsc.  de  l'or,  interne  des  oiseaux  et  des  mammifères  (4°  Congr.  d'otoL,  Bru- 
xelles). —  Steiner.  Die  Functionen  des  Centralnervenssyst.  u.  ihre  Phylogenese. 
Braunschweig.  —  E.  M.  Stépanow.  ùmtrib.  expériment.  à  l'ét.  des  fonctions  du  limaçon  {Mo- 
natsch.  f.  Ohren.,  avril).  —  S.  Sexton.  TÀe  £«?•  a.  its  fZîsefl.se.s.  New-York.  —  Richey.  Le  rôle 
physiol.  du  primordial  du  tympan  {Amer.  otol.  Soc,  18  sept.)  —  J.  Pollak  et  Gaertner.  De 
l'eœcitab.  électr.  du  nerf  acoust.  {Wien.  klin.  Woch.,  1"  nov.).  —  Perron.  De  l'exist.  d'un 
tissu  érectile  dans  lamuqueuse  de  l'or,  moyenne  {Gaz.  hebd.  se.  méd.,  Bordeaux,  27 mai). — 
M.4.LL.  Développ.  de  la  trompe  d'Eustache,  de  l'or,  moyenne,  du  tympan  sur  le  poulet  {Stud. 
of  biol.  labor.,  t.  iv,  3  et  4).  —  Kerr  Love.  Rech.  sur  les  limites  de  l'audit.  {Glasgow  med. 
Journ.,  août).  —  Katz.  Et.  sur  la  forme  et  la  réunion  des  cellules  deDEiTER  et  de  Cort[  dans 
l'org.  de  Gorti  {Monatsh.  f.  Ohren.,  août).  — ■  Julia.  De  l'oreille  au  point  de  vue  anthropol. 
et  médico-légal.  Th.  de  Lyon,  n"  453.  —  L.  Jacobso.\.  Déterminât,  de  l'acuité  audit,  et  du 
minimum  perceptible  dans  les  variât,  d'intens.  du  son,  au  moyen  de  courants  élect.  {A.  V., 
p.  189).   —  Gradenigo.    Ueb.    die    Conformât,  der  Ohrmuskel    bel   der    Verbrecherinnen 


AUDITION.  929 

(Zcit.  f.  Ohren.,  t.  xxn).  —  La  reaziono  elettr.  del  JV.  acustico  {Riv.  vcneta;  C.  W.,  n"'  39, 
40,  41).  —  Il  valore  pratico  del  esame  elettrico  del  nervo  acustico  {BoU.  del.  mal.  dcW  ovccchio, 
n"  6).  —  Développ.  de  la  forme  du  pavillon  deior.  en  rapport  av.  la  morphol.  et  la  tératol. 
de  l'or.  {Arch.  p.  l.  se.  med.,  t.  xii,  n°  3).  —  Développ.  des  cartilages  de  l'or,  externe  av.  des 
considcr.  particul.  sur  leur  morphol.  et  la  tératol.  [C.  W.,  n°  S).  —  Réaction  dlectr.  du 
nerf  audit.  (4=  Congr.  d'otol.,  Bruxelles).  —  Gellé.  Importance  de  la  chaîne  des  osselets 
dans  la  transmission  des  sons  {B.  B.,  13  oct.).  —  De  la  fonction  du  limaçon  dans  l'audit. 
{B.  B.,  1880  et  1887;  Et.  d'otol.,  1880,  t.  i,  p.  332  et  1888,  t  ii,  p.  218).  —  Des  réflexes 
binauric.  ou  de  l'accommod.  binauric.  synergique  {B.  B.,  Trib.  méd.;  Et.  d'otol.,  t.  ii).  — 
Des  réflexes  auricul.  [Ann.  mal.  or.,  sept.).  —  Des  pressions  centripètes  en  séméiotique 
auriculaire  ;  applications  physiolog.  {Études  d'otol.,  t.  ii).  —  Fonctions  des  canaux  semi- 
circul.  (Acad.  demédec,  1886;  Études  d'otol.,  t.  ii,"  1888).  —  Origines  des  ré/le.res  binau- 
riculaires;  d'un  centre  réflexe  oto-spinal  {Études  d'otol.,  t.  ii,  et  B.  B.).  —  J.  Pollak 
et  B.  Gartner.    Ueb.  dieelectr.  Erregbarkeit  der  Hôrnerven  {Wien.  Idin.  yVoch.,  n""  31-32). 

—  Frigkbio.  L'or,  externe  (Arch.  anthr.  crim.,  sept.).  —  R.  Ewald.  Physiol.  des  canaux 
semi-circid.  {Berlin,  klin.  Woch.,  29  oct.  p.  899).  —  Contrib.  à  la  physiol.  des  canaux  semi- 
circul.  (A.  Pf.,  t.  xu,  p.  463).  — Alzheuier.  Glandes  cérumineuses  de  l'or.  {Fortsch.  d.  Med., 
15  déc).  — C.  Brûckner.  Z.  Function  des  Labyrinths  {A.  V.,  t.  cxiv,  p.   291,  nov.).  — 

B.  Baginsky.  Ueb.  den  Ménièreschen  Sijmptomen  complex  [Berlin,  klin.  Woch.,  n°  45,  p.  46, 
23  févr.).  —  'Ueb.  den  Ursprung  u.  den  centralen  \erlauf  des  N.  acusliciis  des  Kaninchens 
{A.  V..  t.  cv,  fasc.  1,  p.  28j. 

1889.  — ■  ScHWALDE.  Critique  de  la  doctrine  darwinienne  sur  la  significat.  des  or.  poin- 
tues {Berlin.  klin.Woch.,  n"  30,  p.  686,29  juil.).  —  Das  Darwin'sclie  Spilzohr  beim  menschl. 
Embryo  (Anal.  Anzeig).  —  J.  Heiner.  Der  Méniêr'sche  Schwindel  u.  die  Halbcirkelform. 
Canale  {Deutsche  med.  Woch.,  n°  47).  —  H.  Heinbrugge.  Fin  seltener  Fall  v.  Acuslicus- 
Reflexen  {Zeitsch.  f.  Ohren.,  t.  xix,  mai,  p.  328).  —  Rohrer.  Sur  le  labyrinthe  des  oiseaux 
(C.  R.  Congr.  d'otol.,  Paris,  p.  99).  —  W.  Preyer.  Ueb.  Komb 'mations tône  {Wiedemann's 
Annal.,  t.  xxxviii,  p.  131). —  J.  Ott.  Centres  cérébr.  thermogènes  {Bruin,  p.  433).  — W.  His. 
Z.  Anatom.  des  Ohrlàppchens  {Arch.  f.  Anat.  u.  Phys.;  partie  d'Anatom.).  —  Féré  de 
Lancy.  Sur  la  physiol.  du  pavillon  de  l'or.  {Bull.  Soc.  Anat.,  mars,  p.  237).  —  Kerr  Love. 
Limites  de  l'audit.  (Journ.  of  Anat.  janv.).  — G.  Killian.  Significat.  morphol.  des  mal.  de 
l'or.  (Berlin.  Klin.  Woch.,  n"  49,  p.  1078,  9  déc).  —  L  Katz.  Ueb.  die  Endigungen  des 
N.  Cochlear.  im  Corti'schen  Organ  (Ibid.,  n"  49,  p.  1078,  9  déc).  —  Jourdan.  Les  sens  chez 
les  animaux  inférieurs,  Paris.  —  L.  J.acobson.  Déterminât,  de  l'acuité  audit.  (Berlin,  klin. 
Woch.,  p.  146,  18  fév.).  —  Rech.  sur  l'audit.  (Arch.  f.  Ohren.,  t.  xxviii,  1  et  2).  —  Féké  et 
Lamy.  Physiol.  du  pavillon  de  l'or.  (Soc.  Anat.,  Bull,  méd.,  21  avril).  —  Grdber.  De  l'audit, 
colorée  (Confér.  de  psychol.  physiolog.  Ibid.,  18  août).  —  Gellé.  De  l'audit,  au  milieu  du 
bruit  (Rev.  de  LaryngoL,  15  juin).  —  Ghadenigo.  Le  pavillon  de  l'or,  au  point  de  vue 
anthropolog.  (Ann.  mal.de  l'or.,  sept.).  — Gartxer.  Expér.  d' excitât,  électr.  du  nerf  ac oust. 
(Berlin,  klin.  Woch.,  18  févr.  p.  146).  —  R.  Ewald.  Z.  Physiol.  der  Bogengànge.  Ueb.  Bewe- 
gung  der  Perilymphe  (A.  Pf.,  t.  xliv,  p.  319).—  H.  Dennert.  Akustisch.  physiol.  Unters.  u. 
Studien  f.  die  prakt.  Ohrenheilk.  (Arch.  f.  Ohren.,  t.  xxlx,  18  déc.  p.  68).  —  J.  Delage. 
Les  sensat.  de  mouvem.  et  la  fonction  de  l'or,  interne  (Rev'.  Scientif.,  16  nov.). —  Chiarugi, 
Il  tubercolo  di  Darwin  e  la  direzione  deipeli  nel  padiglione  delV  orrecchio  umano  (Bollet. 
del  sezione  dei  cultori  dei  se.  med.  di  Siena,  fasc.  2).  —  Cane.  L'Audit,  chez  les  marins 
(Lancet,  13  avr.).  —  G.   Brûckner.   Z.  Funktion  des  Labyrinths  (A.   V.,  t.    cxiv,  fasc.  2). 

—  J.  Breuer.  Neue  Vevsuche  an  den  Ohrbogengiinge  (A.  Pf.,  t.  xliv,  p.  135).  — 
Boucheron.  Des  épithél.  sécrét.  des  humeurs  de  l'or,  interne  (C.  R.,  Congr.  d'OtoL, 
Paris).  —  Bloch.  L'or,  des  faiseurs  de  saut  périlleux  (Zeit.  f.  Ohren.,  t.  xx,  1).  —  Barth. 
Méth.  deprépar.  du  labijrintho  membraneux  (A.  Db.;-p.  345)  — Baginsky.  Trajet  de  la  racine 
poster,  du  nerf  auditif.;  significat.  des  stries  médullaires  (Berlin,  klin.  Woch.,  n"  oO, 
p.    1132,  30  déc).   —  Amadei.  Morphol.  du  pavillon  de  l'or.  (Riv.  spcrim.  di  freniat., 

t.   XV,   1). 

1890. — Testuï.  Un  cas  d'apophyse  paramasto'ide  cliezl'homtne  (Province  m.i'd.,8  févr.).  — 

C.  Stumpf.  Tonpsychol.  Leipzig,  t.  i,  p.  1,  1883,  et  t.  i  et  n.  —  Suahez  de  Mendoza.  De 
l'audition  colorée.  Paris,  Doin.  —  Fr.  Siebenmann.  Anat.  des  Knôcheren  Labyrinths  des 
menschl.  Ohres.  {Berlin,   klin.  Woch.,   17  nov.).   —  Secchi.   Rech.  sur  la  physiol.  de  l'or. 

DICÏ.    DE    PHYSIOLOGIE.    —    TOME   I.  59 


930  AUDITION. 

moyenne  (Ibid.,  Tl  oct.).  —  Randall.  Le  labyrinthe  de  l'or.  (Med.  Neivs,  10  mai).  — 
0.  D.  PoMEROY.  Pathogcnic  du  vertige  auditif  {Nexo  York  medic.  Journ.,  t.  ci,  p.  716).  — 
Perrelet.  Réactions  électr.  de  l'ap'pareil  auditif.  Th.  de  Lyon.  —  Havelock  Elus.  L'or, 
des  criminels  (Lancet,  23  janv.).  —  Lœb.  Ueb.  Geotropismus  bei  Thieren  {A.  Pf.,  t.  xlix).  — 
Wabner.  Forme  d'or,  comme  signe  de  développem.  imparfait  (Lancet,  15  févr.).  —  Kessel. 
Fond,  de  la  conque  auricul.  [Berlin  klin.  Woch.,  24  févr.,  p.  183).  —  R.  Khause.  Entwi- 
ckelungsgeschichte  der  Bogengànge  (Arch.  f.  mik.  Anat.,  t.  xv).  —  Katz.  Histologie  de  la 
strie  vasculaire  du  canal  du  limaçon  (Berlin,  klin.  Woch.,  13  oct.  p.  950).  —  0.  Israël. 
Angeborne  Spalten  des  Ohrlàppchens  (A.  V.,t.  cxix,  fasc.  2).  —  Imbert.  De  l'acuité  auditive 
(Gaz.  hebdom.  se.  méd.  de  Montpellier,  8  nov.).  —  Gellé.  Otite  et  paralysie  faciale  ;  action 
des  muscles  du  tympan  (Congrès  médic.  internat,  de  Berlin,  ;  Ann.  de  l'or,  et  du  larynx). 

—  Geadenigo.  Étude  morpholog.  de  l'ànthélix  dans  le  pavillon  humain  (Ann.  mal.  de  l'or., 
sept.).  —  Conformât,  du  pavillon  de  l'or,  chez  l'homme  sain,  les  aliénés  et  les  délinquants 
(Giorn.  Accad.  di  Med.,  Torino,  juin).  —  De  l'excitab.  électr.  du  nerf  acoustique  et  de  sa 
valeur  diagnost.  dans  les  malad.  cérébr.  et  du  syst.  nerveux  (Boll.  d.  mal.  dcll'or.,  t.  vin, 
p.  4.).  —  Eichler.  Méth.  de  préparât,  du  labyrinthe  par  corrosion  (Arch.  f.  Ohren., 
t.  XXX,  3.1.  —  J.-R.  EwALD.  Ueb.  motorische  Stôrungen  nach  Verletzungen  der  Bogengànge 
(C.  W.,  pp.  114  et  130).  —  Die  Abhdngigkeit  des  galvanisch.  Schiuindcls  vom  inneren  Obr 
(Centralh.f.  d.  med.  Wiss.,  p.  7o3).  —  E.  Draispul.  Embryog.  de  l'articul.  du  marteau  avec 
l'enclume  (Berlin.  Klin.  M'och.,  13  cet.,  p.  950).  —  De  lamembrane  propre  du  tympan  (Ibid., 
13  cet.).  — ■  Charpentier.  Bech.  sur  l'intenfité  comparât,  des  sons  d'après  leur  tonalité  (A. 
P.,  n°  3).  —  Bwiai'siKii.  Labyrinth-formation  (Zeitsch.  f.  Ohren.,  t.  xix,  févr.,  p.  357).  — 
Beaun'is.  L'évolut.  du  syst.  nerveux.  Paris.  —  B.  Baginski.  Hôrsphdre  u.  Ohrbewegungen 
(Neurol.  Centralb.,  août,  p.  458).  —  J.  Bheder.  Ueb.  die  Fonction  der  Ololiten-apparate 
(A.  Pf.,  t.  xLvm,  déc,  p.  195).  —  P.  Bo.xnier.  L'audit,  chez  les  invertébrés  (Rev.  Scientif., 
déc).  —  Boulland.  Des  plis  du  pavillon  de  l'or,  au  point  de  vue  de  l'identité  (Gaz. 
méd.,  13  sept.).  — ■  Barth.  Beitrag  z.  Anat.  der  Schnecke  (Berlin,  klin.  Woch.,  n°  8,  p.  18o, 
24  févr.).  —  Bo.xNiER.  Le  sens  auricul.  de  l'espace  (D.  P.,  14  mai).  —  E.  Birmingham.  Anat. 
top.  de  la  région  mastotd.  (Brit.  med.  Journ.,  sept.,  p.  683).  —  J.  Breder.  Fonction  de 
l  appareil  des  otolithes(A.  Pf.,  t. xlviii,  p.  194).  —  Th.  Albaraccuis.  Microphotogr.  de  quel- 
ques-unes des  parties  de  l'or,  les  plus  importantes  pour  la  connais,  des  impress.  sonores 
(Sitzbcr.  der  K.  Akad.  der  Wiss.,  Wien,  t.  xcix). 

1891.  —  Y EKWOTiN.  G leichgewicht  u.  Otolithenorgan  (A.  Pf.,  t.  L,  p.  423).  — ■  Equilibrium 
u.  otolitic  organs  (Icna  Lecture,  Bonn).  —  Stuart.  ihisclcs  de  l'or,  rudimentaire  (Journ.  of 
A/iaf.,  avril).  —  Schwalbe.  De  l'anthrop.  de  l'or.  (Int.  Eeitr.  z.  w.  Med.,  Festchr.  Virchoiv,  i). 

—  Schwalbe.  Ueb.  Auricular  Bôcker  bei  Reptilien  (Anat.  Anzciger,  t.  vi,  n''2).  —  L.  S.ala. 
Sur  l'orig.  de  l'acoust.  (A.  B.,  t.  xv;,  fasc.  1,  p.  196).  —  F.  Rohreu  (de  Zurich).  Lehrb.  d. 
Ohren.,  p.  25).  — •  Randall.  La  méth.  de  corrosion  dans  l'étude  de  l'anatom.  de  l'or. 
(Americ.  journ.  of.  med.  science,  janv.).  —  C.  W.  Preyer.  Die  Wahrnehmung  der  Schall- 
richtung  mittelst  der  Bogengànge  (A.  Pf.,  t.  li).  —  Nunier.  De  l'audit,  colorée  {Gaz.  hebd., 
Paris,  21  mars).  —  Mills.  Di  la  localisât,  du  centre  auditif.  Brain,  p.  56.  —  Lussana.  Les 
canaux  demi-circul.  et  la  maladie  de  Méniére  (Giorn.  int.  di.  se.  med.,  avr.).  —  Lubbock.  Les 
sens  et  l'instinct  chez  les  animaux.  —  J.  Lieb.  Participât,  du  nerf  acoust.  dans  la  product. 
des  mouvem.  et  attitudes  forcées  et  des  déplacem.  des  yeux  observés  à  la  suite  de  destruct. 
du  cerveau  (A.  Pf.,  t.  l,  p.  66).  —  Larsen.  Anatom.  physiol.  des  osselets  de  l'or.  (Nordiskt. 
med.  Arkiv,  t.  xxii,  16).  —  B.  Lange.  Jusqu'à  quel  point  les  symptômes  que  l'on  observe 
après  lu  destruct.  du  cervelet  peuvent-ils  être  rapportés  à  une  destruct.  du  nerf  acoust.? 
(A.  Pf.,  t.  L,  p.  613).  —  Alois  Kreidl.  Phys.  du  labyrinthe  d'après  des  recherches  sur  les 
sourds-muets  (A.  Pf.,  t.  L,  p.  119).  —  S.  Kiriltseff.  Sur  l'orig.  et  le  trajet  centr.  du  nerf 
acoust.  (Rev.  méd.  de  Moscou,  t.  xx.^vii,  n"  17,  p.  495).  —  Korner.  Bech.  sur  qq.  rapports 
topograph.  du  temporal  (Zeits.  f.  Ohren.,  t.  xxii,  3  et  4).  —  L.  Hermann.  Théor.  des  com- 
binais, des  sons  (A.  Pf.,  t.  xlii,  p.  499).  —  H.  Girard.  Le  sens  de  l'orientât,  chez  les  gre- 
nouilles privées  des  labyrinthes  membraneux  (Rev.  méd.  Suisse  romande,  déc,  p.  773).  — 
Rech.  sur  la  fonction  des  canaux  semi-circul.  de  l'or,  interne  de  la  grenouille  (A.  P., 
p.  353).  —  Ferguson.  Le  centre  auditif  (Journ.  of.  Anat.,  janv.  1891).  —  G.  Fano  et  G. 
Masini.  Beitr.  z.  Physiol.  des  inneren  Ohres  (C.  P.,  t.  iv,  p.  787;  Gaz.  degl.  ospedali,  19).  — 
Axo.xYME.  Sur  l'orig.  du  nerf  acoust.  (A.  B.,  t.  xvi,  2  et  3).  —  R.  Ewald.  Bedeut.  des  Ohres 


AUDITION.  931 

f.  die  normalen  Muskelcontractionen  (C.  P.,  p.  4).  —  Eyle.  Anomalies  de  développetn.  de 
Vor.  (Th.  de  Zurich).  —  Corradi.  De  l'import.  fonctionnelle  du  limaçon  {Arch.  f.  Ohve.n., 
t.  xxxH,  \).  —  CoHN.  Influence  de  l'or.  moy.  sur  l'appar.  moteur  ocul.  (Berl.  klin.  Woch., 
d9   et  26  oct.).  —  Brown-Sequard.  Localisât,  prétendue...  des  org.  auditifs  {A.  P.,  p.  366). 

—  RoNNiEa.  Physiolog.  de  l'espace  (C.  ft.,26  oct.).—  BiRaiNGHAM.  Anat.de  la  régionmastoî- 
dienne  [Roy.  Acad.  of.  med.  Ireland,  9janv.).  —  Bertelli.  Structure  de  la  couche  moyenne 
de  la  membrane  tympanique  chez  le  cobaye  {\6'  congr.  de  l'assoc.  méd.  ital.,  Sienne, 
16-20  août).  —  W.  Bechterew.  Les  Bai'bes  du  Calamits  scriptorius  {Rev.  méd.  de  Moscou, 
t.  XXXVII,  n"  0,  p.  470).  —  B.  Baginsky.  Horsphàre  u.  Ohrbeioegungen  (A.Db.,  p.  227).  — 
A.  D.  Waller.  a  possible  part  played  by  the  membrana  basilaris  in  auditory  excitât.  [Pro- 
ceed.  of.  the  physiol.  soc,  juin). 

1892.  —  St.  de  Stein.  Traité  sur  les  fond,  des  diverses  parties  de  l'or.,  Moscou,  t.  i 
et  II.  —  Rand-all.  Et.  craniométr.  par  rapp.  à  l'anat.  de  l'or.  {Americ.  otol.  soc,  19  juil.). 

—  Millet.  Audit,  colorée  (Th.  Montpellier).  —  Morel.  Et.  histor.,  crit.  et  expér.  de  l'act. 
des  courants  continus  sur  le  nerf  acoust.  (Th.  Bordeaux).  —  F.  S.  Lee.  Sur  le  sens  de  l'équili- 
bre (C.  P.,  t.  VI,  p.  308).  — A.  Kreidl.  Beitr.  z.  PItysiol.  des  Ohrlabyrinths  auf  Crrund  von 
'Versuchen  an  Taubstummen  (A.  Pf.,  t.  li,  p.  119).  —  Dreyfuss.  Anat.  et  cmbryol.  de  l'or, 
moyenne  et  de  la  membrane  du  tympan  chez  l'homme  et  chez  les  mammifères  (Arch.  int.  de 
laryng.,  t.  v,  5)  —  Cheatle.  L'antre  mastoïd.  chez  les  enfants  {Lancct,  3  déc).  —  Chauveau. 
Anat.compar.  des  animaux  domestiques,  p.  890.  —  K.  Charles.  The  localisât,  of  the  hearing 
centre.  Brain,  p.  465.  —  Chatin.  Sur  l'organe  de  Corti  (B.  B.,  23  juin).  —  Chatellier.  Sur 
l'anat.  de  l'or,  moyenne  [Bull.  soc.  laryng.,  t.  ii,  2).  —  Bonnier.  Sur  les  fonctions  tubo- 
tympaniqucs  [B.  B.,  26  uov.)  —  Bertelli.  Sur  la  membrane  tympanique  de  Rana  escu- 
lenta  [A.  B.,  t.  xviii,  3).  —  Beauhegard.  Anat.  comparée  de  l'or,  interne  [B.  B.).  — 
Sur  le  rôle  de  la  fenêtre  ronde  [B.  B.,  18  juin).  —  Sur  le  rôle  de  l'appar.  de  Corti  dans 
l'audit.  [Ibid.,  H  juin).  —  Spear.  Fonction  des  canaux  semi-circul.  {Med.  News, 
23  janv.). 

1893.  —  R.  Wlassak.  Die  Centralorg.  der  statisch.  Fonctionen  des  Acusticus  (C.  P., 
t.  VI,  p.  437).  —  Treitel.  État  de  l'audit,  chez  47  vieillards  de  70  à  90  ans  {Berlin,  klin. 
Woch.,  8  mai).  —  L.  Sala.  Ueb.  den  Ursprung  des  N.  acusticus  {Arch.  f.  mikr.  Anat., 
t.  xLii,  1 ,  p.  18).  —  Sachs.  Et.  physiol.  de  l'or,  des  nouveau-nés  {Arch.  f.  Ohren . ,  t.  xxxv,  1  ). 

—  A.  PoLiTZERi  Lehrb.  der  Ohrenheilk,  Stuttgart.  —  G.  Poli.  L'udito  neineonati  {Arch. 
ital.  di  otol.,  t.  I,  4).  —  Mingazzini.  Sur  le  temps  de  réaction  du  stimulus  audit,  et  sur  le 
sens  auricul.  de  l'espace  {Arch.  ital.  di  otol.,  t.  i,  3).  —  G.  Masini.  Suite  vertigine  auditivi 
{Ibid.,  t.  I,  4).  — Jannin.  Contrib.  à  l'ét.  des  sensat.  subject.  de  l'ouie  (Th.  Genève,  1892  et 
Rev.  méd.  Suisse  romande,  t.  xiii,  p.  392).  —  L.  Hove.  Aiiat.  compar.des  osselets  {Amer, 
otol.  Soc,  18  juin,  in  New  York  med.  Rec,  29  juill.).  —  Hamon  du  Fougehay.  Note  sur 
quelques  points  de  l'anat.  chirurgie,  de  la  caisse  du  tympan  {Ann.  mal.  or.,  janv.).  — 
Grurer.  L'aud.  color.  et  les  phénom.  similaires  {Rev.  Scientif.,  i"  avril).  —  G.  Fano  et 
G.  Masini.  Intorno  ai  rapporti  funzionali  fra  appareechio  audit,  e  centra  respiratorio,  nota 
sperim.  {Labor.  phys.  de  Genèue).  —  Gellé.  Un  point  de  physiol.  de  l'étrier  {B.  B., 
21  oct.).  —  F.  Galton  et  E.  Grurer.  Color.  hearing  and  simil.  phenomena  {Congr.  of 
exper.  psychol.  at  London,  1892;  Rev.  neurol.,  p.  231).  —  H.  Daal.  Sur  l'audit,  double 
{Norsk.  Magaz.,  juin).  —  Cuperus.  Les  limites  de  l'audit,  pour  les  sons  bas  et  élevés  en  rap- 
port avec  l'âge  (Th.  de  Leyde).  —  Courtade.  Anat.  topogr.  comparée  de  l'or,  moyenne 
chez  les  noimeaû-nés  et  chez  l'adulte  {Ann.  mal.  or.,  août).  —  Cannieu.  Rech.  sur  l'or, 
interne  {Journ.méd.  Bordeaux,  7  mai).  —  P.  Bonnier.  Le  vertige,  Paris.  —  Sur  les  fonc- 
tions otocyst.  {B.  B.,  13  avr.).  —  Bezold.  Some  further  investigat.  up.  the  continuons 
tone-stries,  loith  refer.  to  the  physiolog.  upper  a.  lawer  tone-limit  {Arch.  of.  otol.,  t.  xxii, 
n"  2,  p.  216,  avr.).  —  Beauregard.  Rech.  sur  l'appar.  audit,  chez  les  mammifères  {Journ. 
anat.,  t.  xxix,  2).  —  M"''  Astier.  Observât,  sur  un  cas  d'audit,  colorée  {Gaz.  hebdom. 
Paris,  16  déc,  p.  600).  —  Gellé.  Le  mouvement  de  l'étrier  est  un  glissement  en  totalité 
{B.B.). — St.  von  Stein.  Appar.  servant  à  déterminer  les  déviât,  des  fonctions  statiques  du 
labyrinthe  de  l'or,  et  sa  démonstrat.  Moscou,  1893  (Cowgr.  internat,  de  zooL). 

1894.  —  H.  ZwAARDEMAKER.  Prcsbycnsis  laio  {Arch.  of  otol.,  t.  xxiii,  juil.).  —  De  Vabig.ny. 
Des  ory.  audit.  {Gr.  Encyclop.).  —  Poli.  L'influence  de  la  fatigue  sur  la  fonction  audit. 
Arch.  ital.  di  otol.,  fasc.  4).  —  Luzzatti.  Le  sens  statique  et  les  mal.  de  l'or.  {Giorn.  Accad. 


932  AUDITION    COLOREE. 

di  med.  di  Torino,  n"^  9  et  10).  —  Contrib.  à  l'ét.  du  sens  statique  chez  les  sujets  sains  et 
chez  ceux  qui  sont  atteints  d'affect.  de  l'or.  {Arch.  ital.  di  otoL,  fasc.  3).  —  Livon.  Innervât, 
des  muscles  du  voile  du  palais  [Médec.  mod.,  7  juill.)  —  A.  Cannieu.  Rech.sur  le  nerf  audit., 
ses  vaisseaux  et  ses  ganglions.  Lille. 

1895.  —  CoYNE  et  CANl^'IEU.  Rech.  sur  l'épithélium  sensoriel  de  l'org.  audit.  (Ann.  mal. 
de  l'or.,  n"  o).  —  Rech.  sur  lamembrane  de  Corti  (Ibid.,  n"  b).  GELLÉ 

AUDITION  COLOREE.  —  Sous  le  nom  d'audition  colorée,  on  décrit 
certaines  apparences  visuelles  qui  ne  naissent  pas  à  la  suite  d'une  excitation  de  l'appareil 
nerveux  visuel  par  la  lumière,  mais  à  la  suite  de  l'excitation  de  l'appareil  nerveux 
acoustique  par  des  vibrations  de  l'air.  Il  est  des  personnes  chez  lesquelles  l'audition 
de  certains  sons  provoque  des  sensations  chromatiques  déterminées,  et  cela  de  ma- 
nière qu'à  un  son  donné  corresponde  toujours  une  couleur  bien  déterminée,  mais 
variable  d'après  le  son  entendu,  et  d'après  la  personne  qui  l'entend. 

Les  faits  de  ce  genre  seraient  donc  plus  ou  moins  en  opposition  avec  le  principe  des 
énergies  spécifiques  des  organes  des  sens,  principe  d'après  lequel  :  a)  l'excitation  d'un 
appareil  nerveux  sensoriel  produit  toujours  la  même  sensation;  et  h)  une  sensation 
déterminée  est  toujours  le  résultat  de  l'excitation  du  même  appareil  nerveux  sen- 
soriel. 

Les  premières  communications  relatives  à  l'audition  colorée  ont  passé  à  peu  près 
inaperçues,  ou  bien  ont  suscité  un  mouvement  très  prononcé  d'incrédulité.  On  est  tenté 
de  mettre  ces  observations  au  compte  d'une  imagination  excessive,  ou  de  n'y  voir 
qu'une  manière  de  s'exprimer,  comme  lorsque  nous  parlons  de  sons  <(  élevés  »,  ou 
«  bas  ».  Cependant,  il  résulte  des  publications  récentes  que  les  observations  de  ce  genre 
sont  relativement  fréquentes;  elles  ont  été  faites  par  les  personnes  absolument  dignes 
de  confiance,  par  des  médecins, des  personnes  habituées  à  analyser  leurs  sensations  sub- 
jectives. On  s'est,  d'autre  part,  entouré  de  précautions  suffisantes  pour  exclure  toute 
erreur  volontaire  de  la  part  des  sujets  examinés.  Tout  concourt  donc  à  faire  de  l'audi- 
tion colorée  un  phénomène  digne  de  l'attention  du  physiologiste. 

Au  cours  de  ces  recherches,  il  s'est  même  trouvé  que  l'audition  colorée  n'est  qu'un 
cas  spécial  d'une  classe  de  phénomènes  s'étendant  à  tous  les  organes  des  sens.  Plus 
souvent  qu'on  ne  le  pense,  une  sensation  d'un  organe  quelconque  s'associe  avec  une 
qualité  sensorielle  de  l'un  ou  l'autre  organe  des  sens,  celle-ci  étant  provoquée  de  la 
manière  habituelle.  C'est  ainsi  que  des  sensations  visuelles  peuvent  évoquer  des  sen- 
sations acoustiques;  des  sensations  gustatives,  olfactives,  tactiles  .peuvent  susciter  des 
sensations  visuelles,  et  vice  versa.  On  a  ainsi  l'audition  colorée,  la  vision  auditive,  la 
vision  gustative,  taclile,  la  gustation  tactile,  etc. 

Diverses  sortes  de  ces  pseudesthésies  peuvent  coexister  chez  le  même  individu.  Ordi- 
nairement cependant  chaque  personne  n'en  manifeste  qu'une  ou  deux.  Les  plus  connues, 
les  mieux  étudiées,  consistent  dans  l'association  de  sensations  visuelles  (de  clarté,  de 
couleurs)  aux  sensations  acoustiques  produites  par  des  sons  objectifs;  on  donne  le 
nom  d'audition  colorée  à  l'ensemble  de  ces  derniers  phénomènes.  Quant  aux  apparences 
visuelles  elles-mêmes,  on  leur  donne  le  nom  de  i^hotismes  (Bleuler  et  Lehman'm).  Sensa- 
tions visuelles  secondaires,  fausses  sensations  (de  couleur  et  de  lumière),  pseudopho- 
testhésie,  pseudochromesthésie,  etc.,  sont  des  désignations  employées  dans  les  mêmes 
circonstances. 

Pour  une  première  orientation,  donnons  la  relation  abrégée  de  quelques  cas  publiés. 
Les  phénomènes  se  manifestent  le  mieux  avec  les  sans  des  voyelles.  Il  faut  aussi  que 
les  sons  aient  une  certaine  intensité  pour  donner  lieu  à  ces  photismes. 

Le  tableau  p.  933  met  en  regard  les  associations  phonoptiques  de  trois  personnes 
parentes,  la  sœur  et  le  frère,  puis  la  lille  de  ce  dernier  (Observations  de  Suarez  de  Men- 
doza). 

La  mère  de  ces  déui  personnes,  décédée,  associait  aux  différentes  voyelles  en  somme 
les  mêmes  teintes  que  sa  fille,  sauf  pour  l't  qui  lui  paraissait  jaune,  et  pour  1'»,  qui  pa- 
raissait rouge.  Il  est  intéressant  de  constater  les  ressemblances  entre  les  registres  pseu- 
doptiques  de  ces  trois  personnes,  en  vue  de  leur  parenté,  ou  de  leur  cohabitation  au 
point  de  vue  intellectuel. 


AUDITION    COLOREE. 


933 


SONS 

TEINTES  ASSOGIÉES 

TEINTES  ASSOCIÉES 

TEINTES   ASSOCIÉES 

PAR 

PAR 

ÉMIS. 

PAR  M-    B. 

M.  J.,  KRIÎRErK  M»'B. 

M""  J.,   FILLE  DU   PRÉCÉDENT. 

a 

Bleu. 

Bleu. 

Rouge  rosé. 

à 

Bleu  foncé. 

Bleu  foncé. 

Rouge  foncé. 

(i 

Gris. 

Gris  jaunâtre. 

Bleu. 

è 

Gris  Terdâtre. 

Gris  jaune. 

Bleu  foncé. 

i 

Rouge  vif. 

Noir. 

Noir. 

0 

Noir. 

Blanc  rosé. 

Rouge  plus  loncé  que  a. 

au 

Noir  violacé. 

Bleu. 

u 

Jaune. 

Vert  jaune. 

Brun. 

an 

Bleu  violacé. 

Bleu  violacé  très  foncé. 

in 

Bleu  rosé. 

Gris  de  fer. 

un 

Jaune  biche. 

Gris  verdàtre. 

eu 

Gris  sale. 

Brun  de  chevreuil. 

on 

Idem. 

RoULÇe  clair. 

ou 

Brun. 

Blanc  laiteux. 

Rouge  brun. 

Ainsi  midi,  est  (pour  M" 

—  respect  — 
— ■     enfant  — 

—  plainte  — 

—  Varis  — 


Les  consonnes  n'ont  pas  de  couleur  propre  (pour  ces  trois  personnes),  mais  elles 
influencent  les  voj'elles  accolées,  en  les  épaississant  ou  en  les  éclaircissant. 

Les  mots  présentent  des  images  colorées  diversement,  suivant  leurs  voyelles  com- 
posantes. 

B.)  rouge  vermillon, 
gris, 
bleu. 

jaune  citron, 
bleu  et  rouge. 

Les  noms  des  nombres  donnent  une  couleur  correspondant  aux  voyelles  composantes 
Il  en  est  de  même  des  noms  de  notes  de  musique. 

Les  sons  musicaux  proférés  par  des  instruments  sont  moins  colorés  que  les  voyelles 
et  les  mots.  Les  sons  graves,  dit  Suarez,  paraissent  sombres  à  M™'  B.;  mais  à  mesure 
qu'ils  s'élèvent  vers  les  sons  aigus,  ils  passent  graduellement  à  des  teintes  plus  claires. 

Pour  la  même  personne,  chaque  morceau  de  musique,  chaque  partition  a  sa  couleur 
propre  ou  sa  teinte  générale. 

Ces  sensations  de  couleurs  sont  liées  à  l'audition  des  sons,  mais  aussi  à  leur  évo- 
cation mentale,  et,  dans  l'un  et  l'autre  cas,  aussi  bien  dans  l'obscurité  ou  avec  les  yeux 
fermés  qu'à  ta  clarté  ou  avec  les  yeux  ouverts. 

M™'=  B.  n'extériorise  guère  ou  pas  du  tout  ses  sensations  pseudophotesthésiques. 
Celles-ci  ne  constituent  pas  pour  elle  une  gêne,  mais  plutôtune  jouissance.  Elle  présente 
du  reste  quelques  autres  associations  sensorielles  pseudesthésiques. 

De  l'inspection  du  tableau  ci-dessus,  il  résulte  certainement  un  certain  degré  de 
parenté  entre  les  sensations  pseudesthésiques  de  ces  (juatre  personnes  parentes.  Il  n'en 
est  plus  ainsi  si  nous  considérons  d'autres  sujets,  n'ayant  eu  aucun  rapport  entre  eus. 

Passons  maintenant  une  revue  des  différentes  faces  sous  lesquelles  on  peut  envisager 
les  faits  d'audition  colorée. 

Les  auteurs  sont  unanimes  pour  déclarer  que  de  loin  la  plupart  des  sujets  en 
question  ne  présentent  rien  d'anormal,  ni  du  côté  des  yeux,  ni  du  côté  cérébral  et 
psychique.  Les  associations  sensorielles  existent  dès  l'enfance,  et  les  sujets  les  ont 
toujours  regardées  comme  naturelles.  Ils  sont  même  étonnés  d'apprendre  que  tout  le 
monde  ne  les  fait  pas. 

les  couleurs  les  plus  habituelleynent  vues  sont,  dans  l'ordre  approximatif  de  leur  fré- 
quence décroissante,  le  blanc  (et  ses  nuances  grises),  le  rouge,  le  jaune,  l'orangé,  le 
bleu,  le  violet  et  le  noir.  Il  est  tout  à  fait  exceptionnel  de  voir  signalé  le  vert.  Enfin, 
beaucoup  de  ces  personnes  accusent  ainsi  des  sensations  chromatiques  qu'elles  n'ont 
jamais  éprouvées  autrement. 


934  AUDITION    COLOREE. 

D'une  manière  générale,  les  photismes  sont  le  mieux  accusés  pour  les  voyelles  pro- 
noncées et  pour  des  sons  complexes,  surtout  pour  ceux  caractérisés  par  des  «  timbres  » 
accentués.  C'est  donc  avec  ces  sons  compliqués  que  les  observateurs  ont  opéré  de  pré- 
férence. En  vue  d'une  analyse  physiologique  fructueuse  des  phénomènes,  on  aurait  dû 
se  tenir  davantage  à  la  distinction  physiologique  des  sons.  Au  lieu  de  s'attacher  surtout 
aux  sons  qui  donnent  les  résultats  visuels  les  plus  «  frappants  »,  on  aurait  mieux  fait 
de  procéder  du  simple  au  composé.  A  l'article  Audition,  on  a  vu  que  le  phénomène 
sonore  simple,  au  point  de  vue  physiologique,  est  la  sensation  acoustique  provoquée 
par  une  vibration  pendulaire,  dont  la  courbe  est  une  sinusoïde.  Ce  son  simple,  il  faudrait 
le  faire  varier  d'intensité  et  de  hauteur.  Puis  seulement  il  conviendrait  de  passer  à  des 
sons  composés,  c'est-à-dire  à  des  sons  de  timbre  variable.  C'est  de  cette  manière  seule- 
ment qu'on  arrivera  à  étudier  l'influence  exercée  sur  les  photismes  par  les  trois  qualités 
propres  à  chaque  son  :  par  son  intensité,  sa  hauteur  et  son  timbre. 

Les  sons  simples  n'ont  donc  guère  été  expérimentés  à  notre  point  de  vue,  parce 
qu'ils  produisent  moins  facilement  des  sensations  visuelles  que  les  sons  compliqués. 
Il  serait  important  de  savoir  s'ils  sont  toujours  inefficaces,  notamment  lorsqu'ils  sont 
très  intenses  et  très  élevés  —  deux  qualités  que  les  auteurs  confondent  même  quel- 
quefois. 

Les  sons  musicaux  sont  tous  plus  ou  moins  compliqués,  à  timbres  caractérisés 
par  des  sons  partiels.  Moins  souvent  que  les  sons  de  voyelles,  ils  provoquent  des  pho- 
tismes. 

Il  est  de  ces  personnes  qui  avec  une  hauteur  croissante  du  son  émis  par  un  instru- 
ment de  musique,  c'est-à-dire  avec  un  nombre  croissant  des  vibrations  du  son  fonda- 
mental, accusent  la  succession  suivante  dans  leurs  photismes.  Les  sons  bas  produisent 
un  photisme  sombre,  brun,  qui  passe  au  rouge  sombre,  puis  au  rouge,  à  l'orangé,  au 
jaune  et  au  blanc;  chez  d'autres,  le  jaune  passe  au  bleu,  puis  au  noir  éclatant;  rarement 
en  passant  encore  par  le  violet. 

Cette  succession  semble  assez  générale.  Elle  est  remarquable  en  ce  que,  somme 
toute,  elle  reproduit  la  suite  naturelle  des  couleurs  du  spectre  solaire,  arrangées  suivant 
leur  réfrangibilité  croissante. 

Pour  beaucoup  de  personnes  à  audition  colorée,  la  couleur  est  peu  prononcée  darfe 
les  photismes  des  sons  musicaux.  Le  gris,  c'est-à-dire  le  blanc,  dans  ses  différentes 
nuances,  prédomine  généralement.  Viennent  ensuite  les  teintes  jaunes  et  rouges.  Le 
bleu  est  déjà  relativement  rare,  et  le  vert  exceptionnel.  Les  sons  bas  sont  dits  sombres; 
un  peu  plus  élevés,  ils  sont  dits  gris,  pour  devenir  franchement  blancs  s'ils  sont  très 
élevés.  Toutefois,  ils  semble  que  les  sons  musicaux  sont  d'autant  plus  colorés  que  leur 
timbre  est  plus  prono.ncé,  en  d'autres  mois,  qu'un  ou  plusieurs  sons  partiels  y  prédo- 
minent davantage. 

On  doit  se  demander  si  la  teinte  d'un  son  musical  ne  résulte  pas  du  mélange  des 
teintes  propres  à  chaque  son  partiel,  harmonique.  Il  est  en  effet  de  ces  personnes,  rares 
il  est  vrai,  qui,  à  l'audition  de  sons  musicaux,  perçoivent  des  couleurs  multiples  dont 
chacune  paraît  liée  à  un  son  partiel.  Nussb.\umer  voit  dans  un  seul  son  du  piano  jusqu'à 
quatorze  teintes  différentes,  tout  comme  il  y  distingue  par  l'ouïe  jusqu'à  quatorze  sons 
partiels.  Ce  sont  du  reste  les  seuls  sons  musicaux  que  cet  auteur,  comme  nous  allons 
voir,  résout  en  leurs  composantes  optiques.  Il  est  de  règle  que  chaque  son  musical 
produise  une  teinte  unique  et  générale.  Mais,  comme  dans  d'autres  circonstances,  les 
photismes  sont  combinés  entre  eux  en  une  teinte  unique,  d'après  les  lois  du  mélange 
des  couleurs  objectives,  la  question  posée  a  sa  raison  d'être. 

L'intensité  d'un  son  musical  de  hauteur  constante  ne  paraît  pas  avoir  d'influence  sur 
la  teinte.  Une  intensité  faible  ne  produit  pas  de  photisme.  Avec  l'intensité  croissante, 
la  teinte  spéciale  apparaît,  d'abord  sombre,  puis  plus  claire;  la  teinte  devient  de  plus 
en  plus  lumineuse,  mais  aussi  de  moins  en  moins  saturée,  pour  passer  au  blanc  écla- 
tant. Très  exceptionnellement,  les  fortes  intensités  modifient  la  teinte,  qui  alors  devient 
de  plus  en  plus  réfraiigible,  passe  au  jaune,  puis  au  blanc  (observations  de  de  Rochas,  et 
de  Bleuler  et  Lehm.-vnn).  Chez  ces  sujets  exceptionnels,  en  revanche,  les  changements 
de  hauteur  des  sons  semblent  ne  modifier  que  la  clarté  des  teintes  pseudesthésiques. 

Rest'Brait  à  décider  si  ces  changements  de  teinte  exceptionnels  ne  sont  pas  dus  à  ce 


AUDITION    COLOREE.  935 

qu'avec  une  plus  forte  inlensité  du  son  total  on  ne  renforce  pas  spécialement  la  couleur 
de  l'un  ou  l'aulre  son  partiel. 

Plusieurs  sons  énis  simultanément,  les  accords,  sont,  au  point  de  vue  physiologique, 
des  sons  musicaux  dont  la  complication  est  seulement  plus  grande.  Déjà  pour  les  sons 
musicaux  simples,  émis  par  un  seul  instrument,  il  peut  se  faire  exceptionnellement 
que  les  sons  partiels  donnent  lieu  chacun  à  un  pholisme  spécial.  Telle  semble  être  la 
règle  dans  le  cas  présent  (celui  de  sons  émis  simultanément).  Il  arrive  cepeudant  que 
les  photismes  correspondant  à  des  sons  spéciaux  se  combinent  entre  eux,  donnent  une 
résultante,  et  cela,  paraît-il,  plus  ou  moins  d'après  les  lois  réglant  les  mélanges  des 
couleurs  objectives.  Ce  cas  semble  se  produire  de  préférence  pour  les  sons  provenant  du 
même  endroit  de  l'espace. 

Le  timbre  de  l'instrument  musical  imprime  souvent  aux  sons  musicaux  une  teinte 
spéciale.  C'est  en  somme  le  cas  de  plusieurs  sons  émis  simultanément.  Rarement  le 
timbre  est  dissocié  dans  ses  composantes  chromatiques.  Lorsque  le  timbre  est  très 
caractérisé,  c'est  lui  qui  imprime  la  couleur  au  photisme;  la  hauteur  du  son  ne  fait 
que  renforcer  la  clarté  de  la  couleur. 

Voilà  donc  déjà  deux  éléments  du  son  musical  compliqué  qui  déterminent  la  teinte 
du  pliotisme  :  la  hauteur  du  son  total  et  le  timbre  de  l'organe  phonétique.  Tantôt  c'est 
l'influence  de  l'un,  tantôt  c'est  celle  de  l'autre  qui  prédomine.  Les  lois  qui  président  à 
cette  lutte  des  deux  éléments  ne  sont  guère  étudiées. 

Les  bruits  s'accompagnent  de  photismes,  tout  comme  les  sons  musicaux.  Ordinai- 
rement ces  couleurs  sont  grises  nu  brunes.  Elles  se  renforcent,  deviennent  plus  claires, 
et  même  se  teintent  de  jaune  si  le  bruit  se  renforce.  On  sait  que  le  renforcement  d'un 
bruit  change  du  tout  au  tout  l'intensité  relative  des  sons  composants;  de  là  probable- 
ment les  changements  de  teinte. 

Des  sons  musicaux  qui  se  suivent  dans  le  temps  sous  forme  de  mélodie  provoquent 
ordinairement  une  succession  de  teintes  correspondant  aux  notes  successives.  Il  arrive 
cependant  qu'une  phrase  musicale,  une  mélodie  entière,  soit  caractérisée  par  une  teinte 
dominante.  Il  y  a  plus,  pour  tel  sujet,  la  musique  d'un  compositeur  est  qualifiée  d'une 
teinte  générale,  celle  d'un  autre  d'une  autre  teinte.  On  ne  sait  trop  à  quel  élément 
sonore  correspond  cette  teinte.  Le  timbre  de  l'organe  vocal  intervient  ici  au  moins 
dans  certains  cas  :  la  m.ême  mélodie  a  une  teinte  et  surtout  une  clarté  différente  d'après 
l'instrument  sur  lequel  elle  est  jouée. 

Tous  ces  photismes  naissent  à  l'occasion  de  l'évocation  mentale  des  sons,  dans  le 
silence  le  plus  absolu.  Toutefois,  il  parait  y  avoir  sous  ce  rapport  des  diiférences  indi- 
viduelles sensibles. 

Localisation  des  photismes.  —  Il  est  de  règle  que  les  photismes  soient  extério- 
risés, projetés  en  dehors  du  sujet.  Ce  qu'il  y  a  de  curieux,  c'est  qu'ils  ne  sont  pas  loca- 
lisés dans  le  champ  visuel,  mais  dans  le  «  champ  auditif  »;  par  conséquent  tout  autour 
de  l'individu.  Cette  particularité  donne  lieu  à  des  réponses  (Bleuler  et  Lehmanx)  souvent 
difficifes  à  interpréter.  Le  plus  souTcnt,  ils  sont  localisés  à  l'endroit,  réel  ou  supposé, 
d'où  proviennent  les  ondes  sonores.  De  plus,  ils  sont  localisés  suivant  les  trois  dimen- 
sions de  l'espace.  La  «  limitation  »  des  photismes  est  très  incertaine  pour  les  sons 
musicaux;  la  teinte  se  perd  insensiblement  vers  la  périphérie.  La  forme  peut  se  rap- 
procher, selon  les  individus,  du  carré,  du  cercle,  de  l'ellipse.  Lors  de  l'émission  de 
sons  compliqués  ou  de  sons  simultanés,  les  teintes  peuvent  être  juxtaposées.  Il  arrive 
aussi  que  les  teintes  fondamentales,  plus  ou  moins  sombres,  constituent  des  fonds  sur 
lesquels  se  disposent  les  teintes  plus  claires.  Dans  le  cas  de  consonance,  les  teintes 
passent  insensiblement  l'une  dans  l'autre.  S'il  y  a  dissonance,  la  teinte  de  la  note  dis- 
sonante se  délimite  plus  nettement;  elle  est  comme  coupée  à  sa  limite. 

Pour  les  sons  qui  se  suivent  dans  le  temps,  les  photismes  peuvent  se  suivre  de  même. 
Souvent  ils  se  juxtaposent  dans  l'espace.  A  l'audition  d'un  concert,  la  plupart  des 
sujets  voient  une  succession  rapide  de  teintes  dans  le  temps  et  dans  l'espace,  produisant 
une  impression  générale  plus  ou  moins  grisâtre.  L'attention,  en  suivant  le  son  de  tel 
ou  de  tel  instrument,  peut  renforcer  la  teinte  correspondante.  Il  en  est  aussi  qui  ne 
perçoivent  qu'une  teinte  uniforme,  grisâtre,  se  renforçant  successivement  par  endroits. 
Lorsque  les  sensations  visuelles  sont  provoquées  par  des  tintements  d'oreilles  (qu'on 


936  AUDITION    COLOREE. 

localise  dans  la  tête),  les  photismes  sont  perçus  dans  la  tète.  De  rares  sujets  perçoivent 
tous  les  photismes  dans  la  tête,  «  étendus  depuis  l'oreille  vers  le  front  »  comme  ils 
disent  habituellement. 

Parole  humaine.  Voyelles.  —  Chez  les  individus  doués  de  l'audition  colorée,  ce 
sont  les  sons  des  voyelles  qui  3'  donnent  le  plus  souvent  lieu.  Les  photismes  des  voyelles 
sont  presque  sans  exception  teintés  de  couleurs,  et  de  couleurs  relativement  vives,  com- 
parées à  celles  des  sons  musicaux. 

Le  blanc  et  ses  nuances  grises,  fréquentes  pour  les  sons  musicaux,  sont  plus  rares  pour 
les  voyelles. 

Le  noir  est  relativement  rare  aussi;  néanmoins  il  est  souvent  très  prononcé,  «  écla- 
tant »  en  quelque  sorte.  Au  point  de  vue  physiologique,  le  noir  n'est  d'ailleurs  pas 
l'absence  de  sensation  visuelle;  c'est  une  sensation  positive  au  même  titre  que  le  blanc, 
le  rouge,  le  bleu,  etc. 

Les  consonnes  sont  peu  actives  à  notre  point  de  vue.  Prononcées  au  courant  des  mots, 
elles  n'ont  pas  de  son  propre;  elles  modifient  plutôt  le  commencement  ou  la  fin  du  son 
d'une  voyelle.  De  même  aussi  elles  obscurcissent  seulement  ou  éclaircissent  le  photisme 
de  la  voyelle  accolée.  Prononcées  isolément,  6  par  exemple  sous  la  forme  phonétique  bé, 
elles  donnent  lieu  au  photisme,  éclairci  ou  rembruni,  de  la  voyelle  accolée.  11  est  cepen- 
dant des  consonnes  dont  le  son  est  prolongé,  m,  ?i,  par  exemple;  elles  peuvent  produire 
une  vague  sensation  lumineuse. 

.  Le  tableau  de  la  deuxième  page  de  cet  article  donne  des  exemples  des  teintes 
accolées  par  trois  personnes  aux  différentes  voyelles.  Généralement,  des  gens  pris 
au  hasard  attribuent  aux  différentes  voyelles  des  teintes  absolument  différentes.  Les 
trois  sujets  du  tableau  en  question  (examinés  par  Suarez  de  Mkndoz.\)  accolent  à  certaines 
voyelles  les  mêmes  teintes,  et  des  observations  du  môme  genre  ont  été  faites  par  d'autres 
auteurs.  Généralement  les  voyelles  à  sons  sourds  produisent  des  teintes  moins  accusées, 
sombres;  les  voyelles  à  sons  plus  clairs  donnent  des  teintes  plus  prononcées  et  plus 
claires.  Le  i  est  en  général  jaunâtre  ou  même  blanchâtre. 

En  partie  donc,  ces  différences  semblent  tenir  à  une  différence  de  hauteur;  en  par- 
tie à  ce  que  différentes  oreilles  distinguent  davantage  certains  sons  partiels  dans  le  son 
composé  de  la  voyelle. 

Pour  le  même  individu,  ces  teintes  sont  très  constantes,  au  moins  pour  les  voyelles 
prononcées  -par  le  môme  organe  vocal.  Le  timbre  de  l'organe  vocal  producteur  du  son 
n'est  pas  cependant  sans  influence;  il  éclaircit  notamment  ou  assombrit  le  photisme 
vocal,  selon  que  la  voix  est  plus  ou  moins  claire,  perçante. 

Certains  sujets  attribuent  au.x  photismes  des  voyelles  des  formes  constantes  et  carac- 
téristiques, de  cercles,  de  cônes,  etc. 

Les  diphtonguex,  prononcées  à  la  française,  sont  des  voyelles  :  au  a  donc  la  teinte  de 
l'o,  chez  la  même  personne.  Prononcées  à  l'allemande,  c'est-à-dire  chacune  des  deux 
voyelles  plus  ou  moins  à  part,  elles  peuvent  produire  un  mélange  (dans  le  temps  ou  dans 
l'espace)  des  deux  consonnes  constituantes. 

Los  photismes  des  mots  composés  de  plusieurs  syllabes  repré'sentent  ordinairement 
une  succession  des  photismes  des  syllabes  constituantes.  Ces  couleurs  peuvent  se  juxta- 
poser, à  la  manière  de  celles  du  spectre.  —  Chez  certaines  personnes,  le  photisme  d'une 
voyelle  dominante  (comme  son)  peut  être  prédominant  au  point  qu'il  semble  colorer  le 
mot  dans  son  ensemble. 

Les  noms  de  personnes,  de  mois  et  de  jours,  ceux  des  sons,  etc.,  suivent  généralement 
la  même  règle.  Les  exceptions  semblent  cependant  être  assez  fréquentes.  Les  associations 
semblent  souvent  être  ici  absolument  arbitraires,  et  dues  à  des  circonstances  plus  ou 
moins  accidentelles.  En  allemand,  les  mois  de  l'année  par  exemple  ont  plusieurs  noms, 
absolument  différents  comme  sons.  Néanmoins,  il  y  a  des  personnes  qui  voient  de  la 
même  couleur  tous  ces  noms.  La  couleur  paraît  donc  attachée  à  la  chose,  ou  plutôt  à  la 
représentation  psychique  de  la  chose.  Une  de  ces  personnes  voit  le  dimanche  bleu,  parce 
que,  dit-elle,  étant  enfant,  on  l'habillait  le  dimanche  en  bleu.  Le  mercredi  lui  parait 
blanc,  parce  que,  toujours  à  son  dire,  étant  enfant,  elle  demanda  en  voyage  le  nom  du 
jour;  la  réponse  «  mercredi  >>  lui  fut  faite  au  moment  où  elle  fixait  un  mur  blanc. 

Des  phrases  entières,  des  discours  sont  le  plus  souvent  colorés  d'une  teinte  générale. 


AUDITION    COLOREE.  937 

qui  semble  dépendre  da  timbre  de  l'organe  qui  les  émet.  D'autres  fois  cette  teinte  est 
celle  des  voyelles  prédominantes.  Pour  une  phrase  bien  articulée  et  lentement  prononcée, 
il  peut  se  faire  que  les  photisnies  desvoj'elles  constituantes  se  succèdent  avec  leurs  cou- 
leurs propres,  dans  le  temps  et  dans  l'espace. 

Voici  encore  quelques  remarques  générales  relatives  à  l'audition  colorée. 

Nous  avons  dit  que  les  personnes  en  question  ne  se  souviennent  généralement  pas 
d'un  commencement  de  ces  ptiénomènes.  Elles  les  ont  toujours  remarqués,  et  sont  même 
étonnées  d'entendre  dire  que  certaines  personnes  ne  les  voient  pas.  Aucune  maladie, 
aucun  état  névrosique  ne  paraît  en  être  la  cause.  Il  est  des  familles  où  beaucoup 
de  personnes  sont  dans  ce  cas;  il  faut  donc  admetti'e  une  certaine  influence  de  l'héré- 
dité. 

Chez  la  même  personne,  les  pholismes  sont  absolument  constants  dans  leur  teinte. 
Le  même  son  a  pour  elle  toujours  la  même  teinte.  Elle  colore  les  sons,  soit  qu'ils  soient 
émis  réellement,  soit  qu'ils  soient  évoqués  mentalement. 

Rendus  attentifs  à  la  chose,  beaucoup  de  ces  sujets  ont  quelque  difficulté  à  voir  ces 
apparences  visuelles.  Ils  les  aperçoivent  de  mieux  en  mieu.x,  à  mesure  qu'ils  s'en  occu- 
pent. Il  en  est  des  photisnies  sous  ce  rapport  comme  de  toutes  les  sensations  subjectives. 

Il  n'est  guère  possible  d'évaluer  en  chiffres  la  proportion  des  personnes  éprouvant 
l'audition  colorée.  On  peut  bien  dire  que,  sur  100  personnes  prises  au  hasard,  il  y  en  a 
une  dizaine  au  moins  qui  éprouvent  de  ces  sensations  phonoptiques. 

Il  semblerait  que,  si  toutes  les  personnes  avaient  l'expérience  nécessaire  pour  ces 
observations,  la  proportion  serait  encore  plus  forte. 

Enfin  la  plupart  des  personnes  à  audition  colorée  sont  susceptibles  d'éprouver  encore 
d'autres  sensations  pseudesthésiques.  11  en  est  qui  éprouvent  des  sensations  acoustiques 
à  la  vue  de  telle  ou  de  telle  couleur,  ou  de  tel  objet.  Il  en  est  même  qui  attribuent  des  cou- 
leurs spéciales  à  des  formes  de  même  genre,  perçues  par  la  vue.  Les  sensations  tactiles 
«  secondaires  »  semblent  être  assez  fréquentes. 

Théories  de  l'audition  colorée.  —  Il  ne  saurait  être  question  de  songer  à  une  expli- 
cation satisfaisante  de  phénomènes  sensoriels  aussi  peu  étudiés  encore.  Au  courant  des 
pages  précédentes,  nous  avons  signalé  à  l'attention  des  observateurs  à  venir  quelques 
desiderata  en  vue  d'une  théorie  future  de  ces  phénomènes. 

Ces  desiderata  sont  relatifs  aux  teintes  perçues  et  aux  sons  qui  les  provoquent.  Il  fau- 
dra surtout  essayer  d'opérer  avec  des  sons  simples,  de  hauteurs  différentes,  pour  voir 
si  chez  ces  sujets,  ou  bien  chez  un  d'eux  pris  isolément,  il  n'y  a  pas  de  relation  con- 
stante entre  le  photisme  et  la  hauteur  du  son  qui  le  produit.  Puis  seulement  il  faudra 
passer  à  des  sons  complexes,  sons  musicaux,  parole,  etc.,  etc. 

Le  mécanisme,  la  théorie  de  ces  phénomènes  devra  probablement  être  cherchée  dans 
l'une  ou  l'autre  des  deux  directions  suivantes;  l'explication  se  trouvera,  soit  dans  un 
mécanisme  physiologique,  soit  dans  un  mécanisme  psychique. 

i"  Il  se  pourrait  que  chez  les  personnes  en  question  chaque  son  simple,  ou  certains 
sons  simples,  à  vibration  pendulaire,  provoquent  toujours  une  même  sensation  visuelle. 
Les  teintes  des  sons  compliqués  seraient  le  résultat  du  mélange  des  teintes  de  leurs  sons 
composants,  mélange  qui  dans  beaucoup  de  cas  s'opère  entre  photisnies  plus  élémen- 
taires, et  d'après  les  lois  ordinaires  qui  régissent  le  mélange  des  couleurs  objectives.  Une 
sensation  acoustique  élémentaire,  l'excitation  d'un  élément  du  centre  psycho-acoustique 
se  propageraient  dans  l'écorce  cérébrale  à  un  centre  visuel  (chromatique)  déterminé. 
Il  faudrait  songer  ici  aux  nombreuses  fibres  d'association  qui  (dans  l'écorce  cérébrale) 
relient  entre  eux  les  divers  centres  psycho-sensoriels,  et  qu'on  invoque  notamment  pour 
expliquer  la  genèse  de  la  représentation  (psychique)  d'un  objet  au  moyen  des  qualités 
sensorielles  différentes  qu'il  produit  dans  nos  divers  organes  des  sens. 

Plusieurs  auteurs  ont  exprimé  des  opinions  de  ce  genre.  Urb.4.ntchitsch  fait  remarquer 
à  ce  propos  que  des  sensations  quelconques,  que  nous  percevons  par  les  procédés  habi- 
tuels, sont  souvent  influencées  (au  moins  dans  leur  interprétation  corporelle)  par 
d'autres  sensations  coexistantes,  provoquées  elles  aussi  par  la  voie  habituelle.  Une 
personne  regardant  une  surface  grise,  on  fait  vibrer  un  diapason  contre  son  oreille;  la 
plupart  du  temps,  elle  ne  tardera  pas  à  voir  survenir  des  lignes  ou  des  zones  de  clarté 
différente  dans  la  surface  uniforme. 


938  AURA. 

Enfin  des  partisans  d'une  théorie  plus  physiologique  font  observer  que  pour  décrire 
les  sensations  d'un  organe  des  sens,  notre  langage  emprunte  des  termes  appliqués  habi- 
tuellement aux  sensations  d'un  autre  organe  des  sens,  l.a  description  d'une  pièce  de 
musique  notamment  peut  fourmiller  de  qualificatifs  visuels.  Ils  veulent  y  voir  l'expres- 
sion de  rapports  sensoriels,  absolument  physiologiques,  mais  peu  conscients  pour  notre 
sens  intime,  et  non  pas  le  résultat  de  la  pauvreté  de  la  langue. 

2°  L'association  entre  les  sons  et  les  couleurs  pourrait  aussi  être  le  résultat  d'une 
opération  de  l'esprit,  dans  le  genre  de  celle  qui  associe,  par  exemple,  une  sensation 
acoustique  à  un  caractère  graphique.  L'association  en  question,  de  nature  psychique, 
acquise  dans  l'enfance  déjà,  pourrait  reposer  sur  une  disposition  générale  de  l'esprit; 
elle  s'opérerait  réellement  sous  l'influence  de  circonstances  fortuites.  Nous  avons  plus 
haut  cité  deux  exemples  qui,  tout  en  n'étant  pas  absolumentldémonslratifs,  plaident  du 
moins  en  faveur  de  la  théorie  psychique.  Dans  cet  ordre  d'idées,  les  circonstances  les 
plus  diverses  pourraient  déterminer  les  associations  en  question,  et  les  auteurs  ne  man- 
quent pas  d'en  citer  des  exemples  suggestifs. 

Tantôt  le  photisme,  la  couleur  semble  avoir  été  associée  à  l'idée  d'un  objet,  parce 
que  le  sujet  regardait  une  surface  colorée  au  moment  où  cet  objet  a  fait  sur  le  .sujet 
une  première  et  forte  impression;  puis  la  couleur  est  restée  associée  pour  toujours  à 
la  voyelle  principale  du  nom  de  l'objet.  D'autres  fois,  la  couleur  a  été  associée,  par  un 
procédé  analogue,  du  son  (nom)  qui  éveille  l'idée  de  l'objet,  et  non  à  l'idée  elle-même, 
et  la  couleur  reste  accolée  à  la  voyelle  principale  de  ce  nom.  Enfin,  il  parait  que  l'asso- 
ciation psychique  peut  s'établir  aussi  directement  entre  la  couleur  et  un  son. 

Toutefois,  les  souvenirs  ayant  rapport  aux  faits  survenus  dans  l'enfance  ne  nous 
donnent  guère  de  renseignements  à  utiliser,  et  il  conviendra  d'attendre  de  nouvelles 
observations  avant  de  pouvoir  songer  à  établir  une  théorie  acceptable  de  l'audition 
colorée  et  des  sensations  pseudesthésiques  en  générai. 

Bibliographie.  —  Depuis  que  les  faits  de  pseudesthésie,  et  surtout  ceux  d'audition 
colorée,  ont  suscité  un  certain  intérêt  dans  le  monde  physiologique,  surtout  à  la  suite 
des  publications  de  Nussbaumer,  de  Bleuler  et  Lehmann,  on  trouve  dans  la  littérature 
médicale  et  autre,  relativement  ancienne,  des  preuves  démontrant  que  ces  phénomènes 
ont  été  observés  depuis  longtemps.  Un  travail  d'ensemble,  résumant  les  travaux  parus 
avec  indications  bibliographiques  assez  complètes,  est  celui  de  Suarez  de  Mendoza.  (1890). 
Nous  signalerons  les  travaux  suivants  : 

Bar.atoox.  De  l'audition  colorée.  Paris,  1888,  (et  Revue  d'ophtalm.,  1888,  n"  3  et  n°  0). 

—  E.  Bleuler  et  K.  Lehmann.  Lichtempfindungen  durch  Schcdl,  etc.  Leipzig,  1881.  — 
Ch.-A.-E.  Cornaz.  Des  abnormités  congénitales  des  yeux,  etc.  Lausanne,  1848.  — 
Chabalier  {Jown.  de  Méd.  de  Lyon,  août  1864).  —  E.  Grùber.  L'audit,  colorée  et  les  phéno- 
mènes similaires  {Internat.  Congr.  of  experim.  psycholog.  London,  1892,  p.  10).  —  Lussana 
{Giornale  internaz.  délie  se.  med.,  1884,  n°  9).  —  L.-V.  Macé.  Des  altérations  de  la  sensi- 
bilité. Thèse,  Paris,  1860.  —  F.  A.  Nussbaumer  {Wiener  med.  Woc/ictscTm-.,  janvier  1873). 

—  Perroud  {Blém.  soc.  méd.  de  Lyon,  1863).  —  A.  de  Rochas  {La  Nature,  avril  et  mai 
1883).  —P.  Raymo.nd  {Gaz.  des  Hop.,  1889, n-  74).  —  Suarez  de  Mendoza.  L'audition  colorée. 
Paris,  1890.  —  URBANTScmscH  (Bull,  méd.,  1889,  n°  3). 

.  NUEL. 

AURA.  —  Sensation  vague  remontant  de  la  périphérie  au  centre,  qui,  dans  cer- 
tains cas  'd'épilepsie  ou  d'hystéro-épilepsie,  précède  l'attaque  convulsive.  De  là  cette  opi- 
nion que  l'attaque  d'épilepsie  aune  origine  périphérique  (Baudoin,  D.  P.,  1862). 

Les  expériences  de  Brown-Séouard  ont  donné  un  appui  considérable  à  la  théorie 
de  l'origine  périphérique  de  l'épilepsie.  Sur  des  cobayes,  certaines  lésions  des  nerfs 
périphériques,  par  exemple  la  section  du  nerf  sciatique,  produisent  l'aptitude  aux 
attaques  épileptiformes.  Brow.n-Séqdard  a  mentionné  un  grand  nombre  de  faits  démon- 
trant qu'une  irritation  quelconque  produite  sur  le  siège  de  l'aura  peut  guérir  l'épi- 
lepsie (S.  B.,  1870,  p.  9). 

Dans  d'autres  expériences,  il  a  pu  faire  avorter  une  attaque  d'épilepsie  par  la  liga- 
ture du  membre  qui  semble  être  le  siège  de  l'aura.  Mais,  suivant  lui,  cette  ligature  n'agit 
pas  en  supprimant  le  courant  centripète  d'une  excitation  nerveuse,  d'ailleurs  hypothé- 


AUSCULTATION.  939 

tique.  C'est  en  produisant  une  irritation  qui  va  provoquer  des  phénomènes  d'inliibition 
dans  les  centres  nerveux. 

Pour  plus  de  détails,  voir  l'article  Épilepsie.  Consulter  aussi  :  Note  sur  les  Travaux 
scientifiques  de  Brown-Séquard.  Paris,  Masson,  1886. 

On  admettait  jadis  une  aura  vitalis  (van  Helmont)  présidant  à  la  vie  et  à  l'organisation 
des  êtres;  et  ane  aura  seminalis,  vapeur  fécondante  se  dégageant  du  sperme.  Spallanzani 
a  démontré  que  l'aura  seminalis  n'existait  pas  (V.  Sperme). 

AUSCULTATION.  —  L'étude  de  l'auscultation  abeaucoup  fourni  àla  phy- 
siologie particulière  de  certains  organes  (poumon,  cœur  par  exemple).  Elle  est  un  moyen 
complémentaire  d'investigation;  mais,  au  point  de  vue  très  général  où  nous  l'envisageons, 
il  n'y  a  que  peu  de  chose  à  dire,  car,  en  ce  qui  a  trait  à  ses  applications  aux  divers 
organes,  nous  n'avons  qu'à  renvoyer  le  lecteur  aux  chapitres  consacrés  à  chacun  d'eux 
séparément. 

L'auscultation  est  l'exploration  par  l'oreille  des  différentes  régions  du  corps,  destinée 
à  fournir  un  complément  de  renseignements  sur  tel  ou  tel  des  organes  qui  s'y  trouvent; 
aussi,  presque  limitée  par  l'usage  à  l'examen  des  viscères  thoraciques,  a-t-elle  en 
réalité  une  extensioji  bien  plus  considérable,  puisqu'il  n'est  guère  de  région  ou  d'organe 
qui  ne  puisse  être  soumis  à  l'auscultation  :  larynx,  trachée,  système  vasculaire,  tube 
digestif,  (œsophage,  estomac,  intestin,  péritoine),  muscles  mêmes  dont  la  contraction 
produit  un  bruissement  caractéristique. 

Certains  auteurs  ont  encore  conseillé  l'auscultation  de  la  tête  et  du  rachis  des  très 
jeunes  sujets,  chez  lesquels  on  peut  rencontrer,  en  ces  régions,  spécialement  au  niveau 
des  fontanelles,  des  souffles  vasculaires;  enfin,  on  sait  quels  précieux  renseignements 
fournit  l'auscultation  en  obstétrique. 

L'auscultation  ne  date,  à  vraiment  parler,  que  de  Laennec.  Avant  lui,  quelques 
remarques  d'HippocBATE,  de  C.elius  Aurelianus,  de  Paul  d'ÉoixE,  d'AuBROisE  Paré  étaient 
restées  à  l'état  de  faits  isolés.  Laënnec  recueillit  des  faits  nombreux,  et  en  tenta  l'inter- 
prétation. 11  montra  que  l'auscultation  peut  être  pratiquée  directement  en  appliquant 
l'oreille  sur  la  région  à  examiner,  c'est  là  l'auscultation  immédiate,  ou,  indirectement, 
par  l'intermédiaire  d'un  cylindre  de  bois  plein,  destiné  à  isoler  le  son,  ou  à  le  renfor- 
cer, —  telle  est  l'auscultation  mddiate  pratiquée  à  l'aide  du  stéthoscope.  —  Cet  instru- 
ment a  reçu  des  modifications  multiples,  le  principe  en  reste  le  même.  On  a  été  plus 
loin  dans  l'auscultation  médiate,  et  l'on  se  sert  pour  certaines  recherches  délicates  de 
physiologie  d'appareils  de  renforcement,  les  micrûphones. 

L'auscultation,  médiate  ou  immédiate,  a  surtout  pour  but  d'explorer  le  poumon,  le 
cœur  et  les  vaisseaux.  Les  détails  constituent  un  sujet  d'études  médicales  pour  lequel 
nous  renvoyons  aux  traités  spéciaux'.  Contentons-nous  de  quelques  aperçus  géné- 
raux : 

Pour  le  poumon,  il  y  a  avantage  à  ausculter  toujours  immédiatement,  c'est-à-dire 
directement.  Les  points  de  la  poitrine  à  choisir  de  préférence  sont  ceux  où  la  masse 
musculaire  est  moins  puissante  :  région  sous-claviculaire,  creux  axillaire  ;  ceux  encore 
où  la  grosse  bronche  est  la  plus  rapprochée  de  la  paroi  thoracique  ;  gouttière  vertébrale, 
au  niveau  du  quatrième  espace  intercostal.  Si  l'on  ausculte  aussi  fréquemment  les 
régions  supérieures  du  thorax,  c'est  que  l'expérience  a  appris  que  les  altérations  sont 
plus  fréquentes  au  sommet  du  poumon. 

L'auscultation  différencie  bien  l'inspiration  de  l'expiration  trois  fois  plus  courte,  elle 
apprécie  leur  degré  de  fréquence,  et  toutes  les  variations  du  rythme  ;  elle  fait  encore  la  part 
de  chaque  bruit  isolable  (larynx,  trachée,  bronches,  alvéoles,  plèvre)  dont  la  résultante 
est  cet  ensemble  complexe  dénommé  murmure  respiratoire  ;  et,  à  l'état  pathologique, 
elle  saisit  les  modifications,  en  plus  ou  en  moins,  des  phénomènes  et  leurs  altérations  ^. 

\.  Traite  d'auscultation  de  Barth  et  R,oger. 

2.  Dans  certains  cas  pathologiques, l'auscultation  doit  s'aider  de  procédés  accessoires:  telle  est 
la  succussion  signalée,  dit-on,  déjà  par  Hippocrate,  et  qui  consiste  à  secouer  le  malade  qu'on 
ausculte;  telle  est  aussi  la  recherche  du  bruit  d'airain,  où  la  percussion  se  pratique  conjointement 
à  l'auscultation. 


940  AUTOMATISME. 

Pour  le  cœur,  l'auscultation  peut  être  ioimédiate,  ou  médiate.  On  ausculte  le 
cœur  à  tous  les  âges  :  chei;  le  fœtus,  l"étude  des  battements  cardiaques,  faite  avec  le  sté- 
thoscope, peut  fournir  de  bons  renseignements  sur  la  position  de  l'enfant  dans  ie  bassin, 
et  faire  connaître  son  état  de  santé  et  de  souffrance. 

Chez  l'enfant  et  chez  l'adulte,  avec  le  cœur  proprement  dit,  on  ausculte  les  gros  vais- 
seaux de  la  base,  et  la  révolution  cardiaque  complète  offre  à  l'oreille  la  succession  con- 
nue de  deux  bruits,  dont  le  second  plus  fort,  séparés  par  deux  intervalles   ou  silences. 

L'auscultation  phj'siologique  et  médicale  nous  apprend  que  ces  bruits  du  cœur  sont 
mieux  perçus  en  certains  points  de  la  région  précordiale,  ou  lieux  d'élection,  qui  répondent 
à  des  maximums  :  le  premier  bruit  s'entend  de  préférence  à  la  pointe,  et  le  second  à  la 
base.  A  la  pointe  même,  on  constate  ce  qui  appartient  à  la  systole  ventriculaire  gauche, 
en  se  reportant  vers  l'appendice  xiphoïde,  on  détermine  mieux  ce  qui  se  rapporte  à  la 
systole  ventriculaire  droite.  A  la  base,  et  à  droite  du  bord  sternal,  on  entend  le  claque- 
ment valvulaire  pulmonaire. 

Pour  /es  vahseaux,  l'auscultation  est  forcément  médiate  :  le  stéthoscope,  simplement 
appliqué  sur  les  artères,  fait  entendre  les  deux  bruits  de  va-et-vient  de  l'ondée  sanguine; 
appuyé  plus  fortement,  il  'peut  les  supprimer;  enfin,  en  graduant  la  pression,  on  peut 
modifier  les  caractères  du  phénomène,  et  ce  sont  là  des  éléments  dont  les  recherches 
pathologiijues  peuvent  tirer  'profit. 

L'auscultation  des  troncs  veineux  se  fait,  comme  celle  des  artères,  par  l'intermédiaire 
du  stéthoscope. 

H.  TRIBOULET. 

AUTOMATISME.  —  Définition  de  rautomatisme.  —  Le  mot  automa- 
tisme, si  on  le  prenait  dans  sou  acception  étymologique  rigoureuse,  serait  un  véri- 
table non-sens;  il  est  bien  évident  qu'il  ne  peut  y  avoir  mouvement,  c'est-à-dire  déga- 
gement de  force,  sans  une  certaine  dépense  d'énergie.  L'automatisme  véritable  n'existe 
donc  pas  plus  que  le  mouvement  perpétuel. 

Cependant  l'usage  a  donné  au  mot  automatisme  une  signification  un  peu  différente. 
Ainsi,  quand  la  tension  d'un  ressort  d'acier  fait  pendant  quelque  temps  exécuter  à  un 
objet  quelconque  une  série  de  mouvements  que  nulle  force  extérieure  ne  parait  déter- 
miner, on  dit  que  c'est  un  automate.  Les  montres,  les  régulateurs  sont  des  apppareils 
qui  paraissent  automatiques.  On  peut  donc  excuser  l'emploi  de  cette  expression;  car  il 
est  permis  de  considérer  une  montre,  par  exemple,  comme  un  tout,  qui,  sans  aucune 
force  extérieure,  est  capable  de  mouvement  pendant  vingt-quatre  heures. 

C'est  ainsi  qu'on  peut  appliquer  ce  mot  à  la  physiologie.  Voici  un  cœur  de  grenouille 
qui,  sans  innervation,  sans  excitation  chimique,  physique  ou  mécanique,  fournit  des  con- 
tractions rythmiques  pendant  plusieurs  heures;  c'est  un  véritable  automate,  quoique  en 
réalité  ce  mouvement  ne  s'accomplisse  pas  sans  une  certaine  dépense  de  force  vive  ;  mais 
les  substances  amassées  dans  la  fibre  musculaire  suffisent  à  cette  dépense  ;  et,  comme 
l'ensemble  du  cœur  se  contracte  sans  le  secours  d'une  énergie  extérieure,  on  peut  appli- 
quer à  ces  mouvements  la  qualification  d'automatique. 

Régulation  automatique.  —  D'autre  part,  si  un  mouvement  n'est  jamais  vraiment 
automatique,  puisqu'il  faut  toujours  dépense  de  force,  la  régulation  du  mouvement  peut 
être  automatique.  Cela  n'exige  évidemment  qu'une  disposition  mécanique  spéciale,  et 
non  une  consommation  de  force  vive.  Dans  l'industrie,  par  exemple,  il  existe  quantité 
de  régulations  automatiques;  et  même  presque  tous  les  appareils  se  règlent  automati- 
quement^, c'est-à-dire  que  l'accélération  d'un  mouvement  entraîne  la  mise  en  jeu  d'un 
frein  qui  ralentit  le  mouvement,  jusqu'à  le  faire  revenir  à  un  niveau  régulier.  Cette  régu- 
lation automatique  peut,  dans  certains  instruments,  comme  les  chronomètres,  arriver  à 
une  extrême  perfection. 

En  physiologie  la  régulation  automatique  est  constante.  L'organisme,  sans  le  secours 
d'aucune  force  extérieure,  se  règle  lui-même.  On  comprend  que  nous  ne  puissions  ici 
traiter  les  régulations  automatiques  ;  car  ce  serait  presque  faire  l'histoire  de  la  physio- 
logie entière. 

Le  cœur,  si  les  battements  s'accélèrent,  augmente  la  pression  artérielle;  et  cette  aug- 
mentation de  pression  ralentit  le  cœur.  Inversement  le  ralentissement  du  cœur  abaisse 


AUTOMATISME.  941 

la  pression,  ce  qui  permet  au  cœur  de  battre  plus  vite.  Si  tel  ou  tel  sel  est  en  excès  dans 
le  sang,  l'élimination  augmente;  s'il  est  en  propoi-tion  inférieure  à  la  normale,  l'élimi- 
nation diminue,  de  sorte  qufe  finalement  la  teneur  du  sang  en  sel  reste  invariable.  Si  la 
température  s'élève,  la  sudation  ou  la  polypnée  augmentent  la  déperdition  de  calorique; 
si  la  température  s'abaisse,  la  constriction  des  vaso-moteurs  et  le  frisson  la  relèvent  aus- 
sitôt. Les  grandes  inspirations  provoquent  l'excitation  des  fibres  inbibitoires  du  nerf 
vague,  et  les  grandes  expirations  provoquent  l'action  des  fibres  inspiratoires  du  même 
nerf.  Par  l'excitation  de  tel  ou  tel  ordre  de  fibres,  l'inspiration  appelle  l'expiration,  et 
l'expiration  appelle  l'inspiration.  Tous  les  réflexes  protecteurs,  pour  l'iris,  le  larynx,  le 
tympan,  les  sécrétions,  sont  des  appareils  de  régulation  automatique. 

Bref,  on  peut  considérer  l'organisme  comme  une  machine,  d'une  complication 
extrême,  et  d'une  perfection  admirable,  qui  se  règle  toute  seule,  et  par  conséquent  qui 
se  règle  automatiquement,  de  manière  à  rester  à  peu  près  identique  à  elle-même,  mal- 
gré les  variations  incessantes  du  milieu  extérieur. 

Automatisme  en  physiologie.  —  Mais  ce  n'est  pas  le  vrai  sens  dans  lequel  il  faut 
prendre  le  mot  automatisme,  et  on  doit,  ce  semble,  lui  attribuer  une  signification  plus 
restreinte,  c'est-à-dire  considérer  non  plus  la  régulation  du  mouvement  (qui  est  évidem- 
ment automatique),  mais  le  mouvement  lui-même,  et  chercher  quels  sont  les  mouve- 
ments vraiment  automatiques. 

Nous  dirons  par  définition  que  les  mouvements  automatiques  sont  ceux  dans  lesquels 
nulle  excitation  étrangère  à  l'appareil  moteur  n'intervient  comme  cause  de  mouvement, 
C'est  à  peu  près  la  définition  de  J.  Muller,  qui  a  le  premier  nettement  introduit  la  no- 
tion de  l'automatisme  en  physiologie. 

Cela  posé,  étudions  d'abord  l'automatisme  des  cellules  :  nous  étudierons  ensuite 
celui  des  appareils. 

Automatisme  cellulaire.  —  Existe-t-il  des  cellules  qui  se  meuvent  et  sont  activées 
indépendamment  de  toute  excitation  extérieure?  Pour  les  cellules,  cela  n'est  pas  douteux. 
Les  cils  vibratils,  les  spermatozoïdes,  les  amibes,  les  bactéries,  paraissent  être  animés  de 
mouvements  automatiques;  car  il  ne  semble  pas  qu'une  cause  extérieure  détermine 
leur  mouvement. 

11  est  vrai  qu'on  a  invoqué  les  changements  du  milieu  comme  étant  une  cause  d'ex- 
citation; et  de  fait,  il  est  à  peu  près  impossible  de  maintenir  une  stabilité  telle  dans  le 
milieu  ambiant,  comme  température,  comme  lumière,  comme  électricité,  comme  ten- 
sion en  0  ou  en  CO-,  comme  ébranlement  mécanique,  qu'on  puisse  parler  rigoureuse- 
ment d'un  milieu  stable.  Le  radiomètre  entre  autres  nous  apprend  combien  certains 
changements  du  milieu  ambiant,  imperceptibles  à  nos  sens,  peuvent  atteindre  d'ampli- 
tude, par  la  sensibilité  de  tel  ou  tel  appareil.  Ne  serait-il -pas  possible  que  les  cellules  ne 
fussent  sensibles  à  ces  changements  du  milieu  ambiant,  inappréciables  pour  nous?  Cer- 
taines bactéries  sont  capables,  d'après  Enoeliiax,\,  d'apprécier  un  cent  millionième  de 
gramme  d'oxygène. 

Il  me  paraît  cependant  que  cette  discussion  est  un  peu  subtile.  Quand  nous  voyons, 
dans  un  milieu  qui  nous  paraît  homogène  et  invariable,  un  mouvement  régulier  rythmi- 
que se  produire,  nous  n'avons  guère  le  droit  d'admettre  qu'il  s'est  produit  des  variations 
du  milieu  extérieur,  inappréciables  à  nos  instruments  de  mesure,  pour  déterminer  ces 
mouveme[its  périodiques,  admirablementréguliers.  Par  conséquent  la  vibration  des  cils 
vibratiles,  les  mouvements  oscillatoires  des  anthérozoïdes,  des  spermatozoïdes,  des  bac- 
tériacées,  toutes  ces  manifestations  motrices  de  l'activité  intra-cellulaire  peuvent  être 
appelées  automatiques,  et  il  serait  peu  rationnel  d'invoquer  un  stimulus  extérieur. 

Il  y  a  cependant  un  stimulus;  car  ce  serait  un  non-sens  que  d'admettre  un  mouve- 
ment sans  stimulation  et  sans  dépense  d'énergie.  Mais  ce  stimulus  est  tout  intérieur.  Il  se 
fait  dans  le  protoplasme  cellulaire  des  décompositions  et  des  recompositions  chimiques 
qui  ont  précisément  pour  ell'et  ces  alternatives  de  mouvement  ou  de  repos.  C'est  un  phé- 
nomène qu'on  a  le  droit  d'appeler  automatique,  puisque  aucune  cause  n'intervient,  étran- 
gère à  la  constitution  même  de  la  cellule.  L'oxygène  et  les  matières  nutritives  ambiantes 
n'ont  pas  d'autre  effet  que  de  maintenir  la  cellule  dans  le  même  état  chimique,  de 
réparer  les  pertes,  et  de  compenser  les  combustions  qui  sans  doute  s'opèrent  constam- 
ment, et  sont  la  cause  même  du  mouvement. 


94'^  AUTOMATISME. 

Ainsi  donc  nous  sommes  autorisés  à  dire  qu'il  y  a  des  cellules  dont  le  mouvement 
est  automatique,  dû  uniquement  aux  forces  de  tension  intra-cellulaires  qui  se 
dégagent,  et  simultanément  se  reconstituent,  quand  les  cellules  sont  placées  dans  un 
milieu  nutritif  approprié. 

Automatisme  organique.  —  Ce  que  nous  venons  de  dire  de  l'automatisme  des 
cellules  nous  permettra  de  comprendre  plus  facilement  l'automatisme  des  organes. 
Toutefois  une  difficulté  se  présente;  c'est  que  dans,  l'individu,  les  organes  ne  sont  pas, 
comme  les  cellules  d'une  plasmodie,  indépendants  les  uns  les  autres.  Il  y  a  un  sys- 
tème nerveux  qui  relie  les  cellules  diverses,  qui  règle  et  souvent  commande  leurs  mou- 
vements, de  sorte  que  l'automatisme,  dans  l'individu  vivant,  est  lié  à  l'indépendance  des 
organes  du  système  nerveux  central. 

Il  est  assurément  des  cellules,  comme  les  cils  vibratiles  ëpithéliaux,  comme  les  leuco- 
cytes et  les  spermatozoïdes,  qui,  chez  l'animal,  ont  des  mouvements  automatiques.  Le 
système  nerveux  ne  peut  être  mis  en  cause,  puisque  ils  sont  sans  lien  direct  avec  le 
système  nerveux. 

La  question  devient  plus  complexe  quand  il  s'agit  d'appareils  reliés  au  système  ner- 
veux, et  soumis  à  son  influence.  On  peut  par  exemple  se  demander  si  le  cœur  a  un  mou- 
vement automatique;  autrement  dit  si  le  cœur  peut  se  mouvoir  sans  être  stimulé  au 
mouvement  par  le  système  nerveux. 

Cela  ne  paraît  pas  douteux,  au  moins  pour  les  vertébrés  inférieurs.  On  peut  extraire 
un  cœur  de  grenouille  et  de  tortue,  et  observer  pendant  longtemps  ses  contractions 
rythmiques.  Supposer  qu'elles  sont  provoquées  par  un  stimulus  extérieur,  ce  n'est  pas 
admissible;  puisque  le  cœur  de  grenouille  peut  battre  dans  le  vide  barométrique,  sans 
le  secours  d'aucune  circulation  artificielle.  Même  la  circulation  artificielle,  qui  rend  beau- 
coup plus  prolongées  les  contractions  du  cœur,  n'est  pas  du  tout  identique  à  un  stimulus. 
C'est  la  nutrition  de  l'appareil  cardiaque  qu'elle  détermine,  et  on  peut  comparer  les  bat- 
tements d'un  cœur  de  tortue  soumis  à  une  circulation  artificielle  aux  oscillations  d'une 
bactérie  placée  dans  un  bon  milieu  de  culture. 

Chez  les  animaux  supérieurs,  les  connexions  du  cœur  avec  l'appareil  nerveux  central 
deviennent  plus  nombreuses  et  plus  compliquées;  la  dépendance  du  cœur  de\*ient  plus 
grande.  Cependant,  quand  on  enlève  de  la  poitrine  un  cœur  de  lapin  par  exemple,  on  le 
voit  battre  avec  force  pendant  quelque  temps;  la  durée  de  ces  mouvements  automatiques 
est  beaucoup  moins  grande  que  dans  un  cœur  de  tortue  ou  de  grenouille;  mais  le  phé- 
nomène n'en  est  pas  moins  manifeste  et  suffit  à  prouver  l'automatisme  du  cœur  (Voirla 
figure  donnée,  d'après  Waller  et  Reid,  par  Biederman.\,  Elektrophysiologie,  1. 1, 1893,  p.  80; 
fig.  44).  Fr.  Franck  a  pu  sur  le  chien  enlever  à  peu  près  toutes  les  connexions  avec  l'ap- 
pareil central  ;  et  les  battements  du  cœur  n'en  continuaient  pas  moins. 

Nous  n'avons  pas  à  entrer  ici  dans  l'explication  détaillée  de  ces  faits,  ni  à  chercher  si 
la  cause  de  cet  automatisme  réside  dans  la  fibre  musculaire  elle-même  ou  dans  les  gan- 
glions cardiaques.  Il  nous  a  suffi  de  montrer  que,  malgré  la  dépendance  étroite  établie, 
au  point  de  vue  centrifuge,  entre  le  cœur  et  les  centres  nerveux,  le  cœur  est  un  appareil 
automatique  qui  a  en  lui-même  son  stimulus. 

Les  cœurs  lymphatiques  des  anoures  se  comportent  à  ce  point  de  vue  comme  les  cœurs 
sanguins;  c'est-à-dire  que,  quand  on  a  détruit  toute  connexion  avec  les  centres  nerveux, 
par  exemple  quand  on  a  détruit  la  moelle,  ils  continuent  à  battre,  et  durent  indéfini- 
ment, c'est-à-dire  jusqu'à  ce  qu'un  atîaiblissement  de  la  nutrition  générale  ou  locale 
mette  fin  à  la  vie  de  l'animal  (M.  Schiff.  Remarques  sur  l'inneroalion  des  cœurs  lymp/tat. 
des  Batraciens  anoures.  Recueil  des  mém.  phtjsiol.  Lausanne,  1894,  t.  ii,  p.  747).  A  ce 
propos  M.  Schiff  énonce  une  loi  physiologique  assez  contestable  :  que  la  forme  rythmi- 
que d'un  mouvement  ne  peut  jamais  être  attribuée  à  l'activité  d'un  centre. 

Il  y  a  sans  doute  dans  l'organisme  bien  des  appareils  qui  se  contractent  par  eux- 
mêmes,  indépendamment  du  système  nerveux  cent  rai.  Ranvier  a  montré  que  l'estomac  peut 
donner  des  alternatives  de  resserrement  et  de  dilatation  quand  il  a  été  extrait  du  corps. 
Engelmann  a  vu  que  les  mouvements  des  uretères  se  continuaient  après  la  mort.  Proba- 
blement on  trouverait  dans  les  appareils  excrétoires  (les  conduits  biliaires  par  exemple) 
des  mouvements  rythmiques  qui  ne  sont  pas  dus  à  l'innervation  centrale,  plus  qu'à  des 
stimulations  extérieures,  et  qui  sont  des  preuves  manifestes  de  l'activité  automatique. 


AUTOMATISME.  943 

Il  me  parait  même  probable  qu'en  étudiant  la  question  de  plus  près,  —  et  elle  n'a 
guère  été  jusqu'à  présent  examinée  dans  son  ensemble  —  on  trouverait,  chez  les  ani- 
maux inférieurs  surtout,  nombre  d'organes  pourvus  de  mouvements  rythmiques  et  auto- 
matiques, c'est-à-dire  soustraits  à  l'intluenoe  du  système  nerveux  central. 

On  pourrait  aussi  rattacher  à  l'automatisme  les  fonctions  glandulaires,  et  les  consi- 
dérer à  un  certain  point  de  vue  comme  indépendantes  du  système  nerveux,  et  de  toute 
excitation  venue  du  dehors,  dues  seulement  à  l'activité  spontanée  des  cellules  sécré- 
tantes. Mais  cette  conception  de  l'automatisme  nous  entraînerait  sans  doute  trop  loin. 

D'ailleurs  au  fond  nous  revenons  toujours  à  ce  grand  principe  de  la  physiologie 
générale,  que  toute  cellule  a  en  elle-même  de  quoi  vivre,  se  mouvoir,  ou  sécréter,  selon 
sa  nature:  elle  est  automatique;  le  sang  sert  à  sa  nutrition,  et  le  nerf  à  sa  régulation. 
Voilà,  ce  me  semble,  comment  il  faut  concevoir  l'activité  des  cellules  et  par  conséquent 
des  organes,  amas  de  cellules. 

Automatisme  dans  le  système  nerveux.  —  Le  système  nerveux  ne  se  trouve  pas 
dans  les  mêmes  conditions  que  les  autres  appareils.  En  effet  il  est  constamment  en  rap- 
port avec  la  périphérie  par  l'intermédiaire  des  nerfs  sensitifs,  de  sorte  que  la  question 
peut  se  poser  ainsi.  Le  système  nerveux  est-il  encore  actif,  alors  que  nulle  excitation 
extérieure  ne  vient  stimuler  son  activité? 

Si  l'on  répond  par  la  négative,  il  s'ensuit  que  le  système  nerveux  n'a  pas  de  pouvoir 
automatique;  il  a  un  pouvoir  automatique  au  contraire,  si  l'on  admet  qu'il  est  par  lui- 
même,  sans  excitation  périphérique  stimulante,  capable  d'activité  autonome. 

On  peut  donner  à  ce  même  important  problème  de  physiologie  générale  une  autre 
forme,  peut-être  plus  facile  à  saisir.  Les  actions  nerveuses  sont-elles  automatiques  ou 
réflexes"? 

Qu'il  y  ait  un  grand  nombre  d'actions  réflexes,  ce  n'est  pas  douteux.  On  peut  même 
dire  que  presque  toutes  les  actions  nerveuses  sont  réflexes.  Il  s'agit  seulement  de  savoir 
si  (oî/tes  ou  seulement  presgz(c  toutes  les  actions  nerveuses  sont  réflexes. 

C'est  là  un  problème  des  plus  délicats;  et  nous  allons  voir  qu'il  n'est  pas  résolu. 

D'abord  pour  la  tonicité  musculaire  (V.  Tonicité),  on  sait  qu'elle  est  en  grande  partie 
d'origine  réflexe,  comme  le  prouve  l'expérience  classique  de  Brondgeest.  A  vrai  dire, 
même  lorsque  on  a  coupé  tous  les  nerfs  sensitifs  allant  à  la  moelle  lombaire  (chez  la 
grenouille),  après  section  aussi  de  la  moelle  au-dessus  du  renflement  lombaire,  il  y  a 
encore  une  certaine  tonicité  qui  détermine  le  raccourcissement  du  muscle,  raccourcisse- 
ment très  faible,  dû  peut-être  à  ce  que,  par  les  racines  motrices  qu'on  a  conservées, 
passent  encore  quelques  filets  sensitifs. 

Mais  ces  faits  sont  encore  assez  mal  étudiés  (Landois,  T.  P.,  trad.  franc.,  p.  723,  §  364)  ; 
et  il  n'est  guère  qu'un  seul  point  bien  certain,  c'est  que  la  tonicité  musculaire  commandée 
par  le  système  nerveux  est  presque  complètement  d'origine  réflexe.  On  remarquera  que 
cela  ne  résout  pas  la  question  posée,  et  qu'il  ne  nous  est  pas  permis  de  dire  qu'elle  est 
exclusivement  d'origine  réflexe,  et  que  l'activité  automatique  des  cellules  nerveuses  du 
tronçon  médullaire  intact  est  devenue  absolument  nulle,  quand  toute  voie  sensitive  a 
été  abolie. 

Pour  les  ganglions  du  grand  sympathique  la  même  difficulté  se  présente.  Il  est  cer- 
tain, comme  Vulpian  l'a  prouvé,  que  les  ganglions  exercent  une  action  tonique  sur  cer- 
tains muscles,  l'iris,  les  muscles  des  vaisseaux,  etc.  Mais  qui  pourra  dire  s'il  s'agit  là 
d'une  action  réflexe?  Il  faudrait  s'assurer  d'abord  que  toutes  les  connexionsdu  ganglion 
avec  les  autres  nerfs  oui  été  détruites,  et  ensuite  que  le  filet  moteur  ne  contient  aucune 
fibre  sensitive.  On  conçoit  la  difficulté  de  cette  double  démonstration,  qui  n'a  pas  encore 
été  faite  (V.  Eckard.  Allr/emeine  Physiol.  der  Ganglienzelle ,  H.  H.,  t.  ii,  (2),  p.  19). 

Ainsi  l'automatisme  du  système  nerveux  n'est  rien  moins  que  prouvé.  Toutefois,  par 
analogie,  je  serais  tenté  d'admettre  que  cet  automatisme  existe,  au  moins  partiellement, 
et  que  l'activité  du  système  nerveux  n'est  pas  exclusivement  d'origine  réflexe.  Nous  voyons 
l'automatisme  des  cellules  mobiles,  des  appareils  tels  que  le  cœur,  l'estomac  et  les 
uretères.  Pourquoi  les  cellules  nerveuses  seraient-elles  privées  d'un- automatisme  ana- 
logue. 

Il  y  a  un  centre  nerveux  dans  lequel  on  a  cru  pouvoir  trouver  la  preuve  de  l'automa- 
tisme; c'est  le  centre  nerveux  respiratoire.  Quoique  l'étude  détaillée  ne  puisse  en  être 


9ii  AUTOMATISME. 

faite  ici  (V.  Bulbe,  Pneumogastrique,  Respiration),  il  faut  cependant  nettement  poser  la 
question,  encore  que  nous  ne  puissions  pas,  à  présent  tout  au  moins,  la  résoudre  com- 
plètement. 

Deux  théories  sont  en  présence  :  la  théorie  de  Rosenthal  ou  de  Mîjller,  et  la  théorie  de 
ScHiFF,  ou  de  Marshall  Hall,  que  nous  appellerons  théorie  de  la  respiration  réflexe,  et 
théorie  de  la  respiration  automatique. 

La  théorie  réflexe  (Schiff,  Marshall  Hall)  suppose  qu'aucune  incitation  respiratoire, 
mettant  enjeu  les  inspirations,  ne  peut  avoir  lieu  sans  un  stimulus  extérieur. 

La  théorie  automatique  (MCller,  Rosenthal)  suppose  au  contraire  que  les  incitations 
respiratoires,  quoique  sans  cesse  modifiées  parles  réflexes,  ont  pour  cause  l'activité  auto- 
matique du  bulbe,  qu'influence  la  teneur  du  sang  en  0  et  en  C0-.  Un  sang  pauvre  en  0 
excite  le  bulbe,  et  cette  excitation  est  suffisante  pour  provoquer  une  inspiration.  C'est 
donc  un  véritable  automatisme,  puisque  le  sang  circulant  dans  le  bulbe  ne  peut  être 
assimilé  à  un  stimulus  extérieur.  C'est  un  stimulus  intérieur,  analogue  à  toutes  les  modi- 
fications chimiques  internes  qui  se  passent  évidemment  dans  les  cellules  animées  de 
mouvements  automatiques.  Quoique  le  phénomène  soit  de  plus  longue  durée,  il  est 
assurément  de  même  ordre. 

Des  expériences  directes  ont  été  invoquées  à  l'appui  de  l'une  et  l'autre  théorie. 

D'après  Rosknthal,  si  l'on  fait  la  section  du  bulbe  au-dessous  du  centre  respiratoire, 
puis  si  l'on  fait  une  section  au-dessus  de  ce  centre,  et  qu'enfin  on  sectionne  les  deux 
pneumogastriques,  on  voit  persister  les  mouvements  respiratoires.  Rach  (cité  par  Schiff, 
Eii>flitss  der  NeiTencentra  auf  die  Reapirafionsbeu-egungen;  Rec.  de  mém.  phystol.,  1894, 
t.  I,  p.  44)  aurait  fait  ta  même  expérience  (pour  la  bibliographie  détaillée,  voir  Rosen- 
thal, Physlol.  der  Athembewegiingen,  H.  H.,  1880,  t.  iv,  a,  p.  261  et  suiv.),  quoique  avec 
des  résultats  différents. 

Il  est  vrai  que  Rosenthal  dit  lui-même  qu'il  avait  coupé  non  pas  tous  les  nerfs  sensi- 
tifs,  se  rendant  au  tronçon  de  moelle  allongée  qui  contient  le  centre  respiratoire,  mais 
presque  tous  les  nerfs  sensitifs;  ce  qui  n'est  pas  du  tout  la  même  chose  (p.  270),  de 
sorte  que  cette  belle  expérience  ne  peut  être  considérée  comme  absolument  décisive. 

Cath.  Schipiloff  a  fait,  sous  la  direction  et  dans  le  laboratoire  de  M.  Schiff,  des 
expériences  très  importantes,  qui  sembleraient  prouver  que  le  stimulus  de  la  respira- 
tion est  d'origine  réflexe.  Sur  des  grenouilles,  dont  beaucoup  de  racines  sensitives  ont 
été  sectionnées,  la  respiration  spontanée  s'arrête  absolument,  et  cela  pendant  des 
mois  entiers;  la  respiration  cutanée  suffit  à  entretenir  la  vie.  Schiff,  développant  les 
idées  de  C.  Schipiloff,  estime  que  c'est  la  preuve  que  la  respiration  est  d'origine  réflexe. 
H  me  paraît  pourtant  qu'une  pareille  conclusion  dépasse  notablement  les  données  expé- 
rimentales; car  en  réalité  les  grenouilles  ne  respirent  pas  spontanément;  mais  ellas 
sont  capables  de  mouvements  respiratoires  énergiques,  trèscomplets,'pavle  fait  de  l'hémor- 
rhagie  et  de  rasph3'xie,  de  sorte  que  je  serais  tenté  de  déduire  des  expériences  de  M.  Schiff 
et  C.  Schipiloff  une  conclusion  tout  opposée  à  la  leur.  S'il  n'y  a  pas  de  respiration  spon- 
tanée, c'est  que  la  respiration  cutanée  suffit  à  déterminer  une  hématose  du  sang  qui 
entretient  la  vie,  ce  qui  est -prouvé  par  le  fait  même  de  la  survie  des  grenouilles. 

Pourquoi  ne  pas  admettre  que  les  excitations  réflexes  favorisent  et  excitent  la  respi- 
ration; mais  que  les  respirations  d'origine  automatique  ne  se  manifestent  que  si  le 
sang  atteint  un  certain  degré  de  vénosité  (absence  d'O),  qui  ne  peut  pas  être  obtenue 
chez  la  grenouille,  à  cause  de  la  respiration  cutanée? 

En  définitive  nous  voyons  que,  si  l'on  est  très  rigoureux,  ni  la  théorie  réflexe,  ni  la 
théorie  automatique  ne  sont  sévèrement  démontrées.  Pourtant,  par  suite  des  raisons 
invoquées  plus  haut,  à  cause  de  l'expérience  de  Rose.nthal  qui  est  incomplète,  peut-être, 
mais  bien  proche  de  la  vérité  complète,  à  cause  de  l'expérience  de  Schiff,  qui  prouve 
qu'après  section  de  toutes  les  racines  postérieures,  il  y  a  encore  des  respirations  de  cause 
interne,  je  tendrais  à  admettre  l'automatisme  du  centre  respiratoire,  comme  celui  de 
tous  les  centres  nerveux  ganglionnaires,  bien  entendu  sans'  méconnaître  l'influence 
puissante,  perpétuelle,  que  les  stimulations  externes,  par  l'entremise  des  nerfs  sensitifs, 
exercent  sur  tous  ces  appareils  automatiques. 

Psychologie  des  mouvements  automatiques.  —  Parmi  les  stimulations  qui  peu- 
vent agir  sur  le  système  nerveux  central,  pour  nous  conformer  au  langage  psychologique 


AUTOMATISME.  943 

habituel,  nous  ferons  rentrer  la  volonté  consciente.  De  sorte  que  pour  les  mouvements 
d'ensemble  exécutés  par  l'organisme,  il  faut  mettre  il  part  d'un  côté  les  mouvements  auto- 
matiques et  d'un  autre  côté  les  mouvements  soit  réflexes,  soit  volontaires,  qui  ne  sont,  ni 
les  uns  ni  les  autres,  automatiques. 

Nous  examinerons  d'abord  ces  mouvements  automatiques;  et  nous  verrous  ensuite 
jusqu'à  quel  point  la  volonté  consciente  se  rapproche  des  phénomènes  automatiques 
proprement  dits. 

Au  premier  abord,  la  distinction  est  facile  à  faire  entre  les  mouvements  réflexes, 
automatiques  et  volontaires.  Notons  en  effet  que  le  fait  d'être  ou  non  conscient  ne 
modifie  en  rien  leur  caractère  Les  réflexes  sont  tantôt  conscients,  tantôt  inconscients; 
la  dilatation  réflexe  de  la  pupille  est  inconsciente,  la  toux  réflexe  est  consciente,  tan- 
dis que  les  mouvements  volontaires,  par  définition  même,  sont  toujours  conscients. 
Quant  aux  mouvements  automaliques,  ils  peuvent  être  inconscients,  comme  par  exemple 
la  déambulation  dans  l'état  de  mal  épileptique,  ou  conscients,  comme  par  exemple  les 
mouvements  d'imitation  que  provoque  la  musique.  En  tout  cas  ce  n'est  pas  le  fait  d'être 
conscients  ou  inconscients  qui  leur  donne  tel  ou  tel  caractère. 

Ajoutons  que  la  conscience  existe  à  tous  les  de{»rés;  qu'il  y  a  une  série  d'étapes  suc- 
cessives entre  la  conscience  franche,  complète,  d'un  acte,  et  l'inconscience  absolue 
(V.  surtout  sur  ce  point  spécial  Pierre  Janet,  Automatisme  psychologique,  1889,  p.  237  et 
suiv.).  Dans  le  sommeil,  dans  le  somnambulisme  à  tous  les  degrés,  il  y  a  des  mouve- 
ments qui  sont  à  demi  conscients,  à  demi  inconscients,  et  il  est  presque  impossible  de 
dire  où  s'arrête  la  conscience  et  où  elle  commence. 

Au  contraire,  il  est  plus  facile  de  savoir  où  s'arrête  la  volonté,  quoique,  à  la  limite, 
ainsi  que  pour  tous  les  phénomènes  naturels,  la  distinction  soit  presque  impossible  à 
faire  entre  un  mouvement  voulu  et  un  mouvement  automatique. 

Nous  verrons  plus  loin  que  la  volonté  est  elle-même  automatique,  mais  provisoirement 
nous  considérerons  la  volonté  comme  tout  à  fait  différente  de  l'automatisme.  Ainsi,  par 
exemple,  le  pianiste  qui  joue  un  air  qu'il  connaît  bien,  peut  suivre  une  conversation,  par- 
ler, causer,  rire,  penser  à  tout  autre  chose,  et  cependant  il  continue  à  jouer.  Dans  ce  cas 
on  ne  peut  pas  dire  qu'il  accomplisse  un  mouvement  non  volontaire,  puisque  la  première 
impulsion  a  été  manifestement  donnée  par  la  volonté  !  Il  en  est  de  même  des  individus 
qui,  presque  endormis,  continuent  à  marcher,  le  long  de  la  route.  Il  y  a  aussi  les  gestes 
habituels  que  chacun  fait  plus  ou  moins  sans  presque  vouloir  les  faire.  Tous  ces  mou- 
vements ne  sont  pas  automatiques,  puisqu'ils  ne  sont  soustraits  ni  à  la  volonté  ni  à  la 
conscience. 

J'ai  proposé  d'appeler  machinal  le  mouvement  qui  est  presque  automatique,  mais  qui 
cependant  est  délerniiné  par  la  volonté.  Nous  aurons  alors  la  classification  suivante 
qui,  si  elle  ne  répond  pas  absolument  à  toutes  les  variétés  réelles,  au  moins  facilite 
l'étude. 

a.  Mouvements  réflexes,  déterminés  par  un  stimulus  extérieur. 

fi.  —  automatiques,  déterminés  par   un  stimulus  intérieur  qui  n'est   pas  la 

volonté. 

Y-  ' —  machinaux,  déterminés  par  la  volonté,  mais  qui  se  continuent  sans  que 

la  volonté  intervienne. 

3.  —  volontaires,  déterminés  par  la  volonté  et  se  poursuivant  par  le  fait  de  la 

volonté. 

En  somme  le  mouvement  automatique  peut  être  défini  ainsi  :  mouvement  qui  n'est 
déterminé  ni  par  un  stimulus  extérieur,  ni  par  la  volonté. 

Cependant  il  faut  que  ces  mouvements,  qui  né  sont  ni  réflexes,  ni  volontaires,  soient 
bien  déterminés  par  une  cause  quelconque;  un  stimulus  intérieur  est  nécessaire.  Ce  n'est 
pas  la  volonté;  mais  c'est  cependant,  de  toute  évidence,  un  stimulus  psychique,  lequel 
doit  ressembler  beaucoup  à  la  volonté,  à  cela  près  que  ce  stimulus  n'est  plus  conscient. 
Nous  en  sommes  réduits  aux  hypothèses,  mais  il  semble  qu'une  volonté  accompagnée 
d'une  amnésie  absolue  expliquerait  assez  bien  quelques-uns  de  ces  mouvements  automa- 
tiques; la  déambulation  post-épileptique  par  exemple,  avec  l'amnésie  et  l'inconscience 
absolues,  est  un  phénomène  nettement  automatique;  et,  si  nous  supposons  la  volonté 
persistante,  mais   atteinte  d'amnésie    immédiate,  le  phénomène  automatique  ressem- 

DICT.    DE    PHYSIOLOGIE.    —    TOME    I.  60 


9i6  AUTOMATISME. 

blera  tout  à  fait  au  phénomène  volontaire,  au  souvenir  près.  Or  nous  savons  que  les 
phénomènes  de  conscience  exigent  une  certaine  dose  de  mémoire;  sans  mémoire  il  n'y 
a  pas  de  conscience;  on  peut  dire  que  sans  mémoire  il  n'3'  a  pas  davantage  de  volonté. 

Au  fond,  le  mouvement  automatique  ne  diffère  du  mouvement  volontaire  que  par  le 
défaut  d'une  volonté  consciente,  douée  de  mémoire  et  s'affîrmant  elle-même.  Mais,  quant 
à  ce  qui  concerne  la  cause  efficiente  des  mouvements;  elle  est  probablement  la  même,  à 
peu  de  chose  près,  dans  un  cas  comme  dans  l'autre,  et  la  difficulté  de  l'explication  est 
aussi  grande  pour  le  mouvement  automatique  que  pour  le  mouvement  volontaire. 

Les  mouvements  automatiques,  qui  ne  sont  ni  machinaux,  ni  réflexes,  ni  volontaires, 
sont  lelalivement  assez  rares  chez  l'individu  sain,  normal.  A  l'étal  de  veille,  nous  n'exé- 
cutons guère  que  des  mouvements  voulus;  parfois  machinalement  nous  accomplissons 
tel  ou  tel  acte;  mais  on  ne  peut  pas  dire  qu'ils  ne  soient  pas  volontaires;  c'est  une 
volonté  moins  nette  que  lorsqu'il  s'agit  d'une  résolution  délibérée  et  énergiquement  exé- 
cutée; ce  n'en  est  pas  moins  une  demi-volonté  à  demi  consciente.  Pendant  le  sommeil 
normal,  la  plupart  des  mouvements  effectués  sont  de  vrais  réflexes,  quoique,  dans  le 
sommeil  d'individus  parfaitement  normaux,  il  y  ait  déjà  de  grands  mouvements  non 
voulus,  et  qu'il  est  difficile  d'expliquer  par  l'excitation  réflexe. 

Nous  arrivons  ici  par  transitions  successives  à  l'état  qu'on  peut  vraiment  appeler 
automatique,  c'est-à-dire  cet  état  presque  pathologique  qui  caractérise  le  somnambu- 
lisme naturel  ou  provoqué  (V.  Somnambulisme).  Alors  la  conscience  est  à  demi 
endormie,  et  la  volonté  n'existe  plus,  surtout  dans  le  somnambulisme  naturel,  presque 
normal,  au  moins  dans  ses  plus  légères  formes,  chez  les  enfants.  Qu'au  milieu  de  la  nuit, 
une  mère  embrasse  son  enfant,  il  répondra  :  «  Bonsoir,  maman  >>  ;  pourra  même  se 
retourner,  dire  quelques  paroles.  Ce  sera  un  vrai  automatisme;  car  la  volonté  est 
presque  totalement  absente  ;  et  l'amne'sie  sera  complète.  Un  degré  de  complication  de  plus, 
et  l'enfant  se  lèvera,  fera  quelques  pas  dans  la  chambre,  pour  se  recoucher  ensuite. 
Encore  un  degré  de  plus,  et  le  somnambule  exécutera  toute  une  série  d'actes,  desquels 
la  volonté,  dans  le  sens  qu'on  donne  d'ordinaire  à  ce  mot,  n'interviendra  en  rien,  et 
dont  le  souvenir  sera  absolument  perdu.  Les  somnambules  qui  se  promènent  ainsi  pen- 
dant la  nuit  peuvent  être  assimilés  à  de  vrais  automates;  car  la  délibération  est  nulle; 
les  actes  qu'ils  exécutent  sont  toujours  les  mêmes,  très  simples  d'ailleurs;  la  volonté 
fait  totalement  défaut;  et,  s'il  y  a  conscience  au  moment  même  de  l'acte  accompli, 
cette  conscience  est  si  fragile  qu'aucune  trace  n'en  persiste  dans  la  mémoire,  si  faible 
qu'elle  soit. 

Dans  le  somnambulisme  provoqué,  l'automatisme  est  loin  d'être  aussi  marqué. 
D'ailleurs,  il  affecte  des  formes  si  variées,  suivant  les  suggestions,  les  auto-suggestions, 
l'éducation  hypnotique,  qu'il  est  impossible  de  lui  assigner  des  caractères  bien  nette- 
ment tranchés.  Cependant,  en  général,  l'individu  hypnotisé,  magnétisé  ou  somnam- 
bulisé,  ou  suggestionné  —  peu  importe  l'expression  qu'on  adopte  —  conserve  le  pou- 
voir de  délibe'rer,  de  réfléchir  sur  ses  actes;  il  témoigne  souvent  d'une  intelligence 
brillante;  il  a  des  fantaisies  plus  ou  moins  étranges;  en  un- mot,  il  n'est  rien  moins 
qu'un  automate.  Certes,  dans  certains  états  hypnotiques,  on  peut  observer  un  automa- 
tisme complet;  mais  c'est  affaire  d'éducation  pour  ainsi  dire;  et,  si  la  volonté  est  moins 
marquée  que  dans  l'état  de  veille,  on  ne  peut  pas  dire  qu'elle  soit  tout  à  fait  absente. 
A  vrai  dire  —  et  je  ne  crains  pas  d'insister  sur  ce  point  —  ces  divers  sujets  hypnotiques 
diffèrent  assez  entre  eux  pour  qu'on  n'ait  guère  le  droit  de  poser  de  règle  absolue. 

Des  formes  d'automatisme  se  rencontrent  aussi,  quoique  moins  fréquemment,  à  la 
suite  des  commotions  cérébrales  violentes;  de  tumeurs  cérébrales  avec  compression;  de 
lésions  du  cerveau,  par  hémorrhagie  ou  pour  tout  autre  cause.  Des  actes  involontaires 
sont  exécutés,  qui  ne  sont  pas  déterminés  par  la  volonté,  et  qui  ne  semblent  laisser 
aucune  trace  dans  la  conscience. 

Cet  automatisme,  avec  perte  de  la  conscience,  a  été  étudié  avec  soin  par  les  médecins 
aliénisles.  J'indiquerai  seulement  quelques-uns  des  derniers  travaux  qui  ont  été  exécutés 
à  ce  sujet. 

Géhin.  Contribution  à  l'étude  de  l'automatisme  ambulatoire  du  vagabondage  im'puUif 
[T.  D.,  Bordeaux,  1893,  n°  28).  —  Régis  (E).  Un  cas  d'automatisme  ambulatoire  hysté- 
rique {Journ.  de  méd.  de  Bordeaux,  1893,  N"»  8  et  26).  —  Séglas  (J).  Hystérie  avec  automa- 


AUTOMATISME.  947 

Usine  dans  la  ■période  d'aura  des  attaques;  variations  spontanées  de  la  sensibilité  cl  surtout 
du  champ  visuel  correspondant  aux  phénomènes  d'automatisme  [Arch.  de  neuroL,  Paris,  1892, 
t.  XXIV,  p.  321-32o).  —  Souques  (A).  Automatisme  ambulatoire  chez  un  dipsomane  {Arch. 
de  neuroL,  Paris,  1892,  t.  xxiv,  p.  61-67). 

On  peut  aussi,  dans  une  certaine  mesure,  considérer  comme  automatiques  les  actes 
exécutés  dans  le  délire,  l'ivresse  et  les  intoxications  cérébrales.  L'individu  complète- 
ment ivre,  qui  se  livre  à  des  actes  furieux  et  ineptes,  a  une  volonté  tellement  pervertie 
par  le  poison  qu'on  peut  presque  dire  que  sa  volonté  est  anéantie.  Il  est  devenu  un 
véritable  automate,  et,  de  fait,  on  le  considère  à  bon  droit  comme  irresponsable,  aussi 
bien  que  l'épileptique  et  le  somnambule. 

A  ces  divers  mouvements  automatiques,  il  faut  en  ajouter  d'autres  qui  forment  une 
catégorie  toute  spéciale.  On  ne  les  a  bien  étudiés  que  récemment,  encore  qu'ils  soient 
connus  depuis  longtemps.  Chevreul  a  le  premier  appelé  l'attention  sur  ce  genre  de 
phénomènes,  d'abord  en  1833,  puis,  plus  tard,  d'une  manière  plus  méthodique,  dans  un 
livre  intitulé  :  De  la  baguette  divinatoire,  du  pendule  explorateur  et  des  tables  tournantes, 
i  vol.  in-8,  Paris,  1834. 

Essentiellement,  le  phénomène  consiste  en  un  mouvement  qui  n'est  ni  réflexe,  ni 
volontaire,  ni  conscient,  exécuté  par  un  individu  d'ailleurs  parfaitement  maître  de  lui- 
même  et  qui  ne  parait  pas  au  premier  abord  différer  de  tout  autre  individu  normal.  Ce 
qui  est  étrange,  c'est  que  ces  actes,  involontaires  et  inconscients,  constituent  quel- 
quefois une  série  d'actes  intelligents,  tout  comme  s'ils  étaient  exe'cutés  par  une  person- 
nalité douée  de  volonté,  de  conscience  et  d'intelligence. 

Ce  phénomène  étrange,  qui  a  excité  tant  de  superstitions,  a  été  considéré  comme 
étant  la  preuve  que  des  êtres  étrangers  à  l'humanité,  des  espi'its,  viennent  se  mêler  à 
notre  existence  pour  nous  faire  connaître  leurs  idées  (en  général  enfantines  et  stupides) 
et  leurs  désirs.  De  là  ce  déluge  d'ouvrages  plus  ou  moins  absurdes  qu'il  est  inutile  de 
mentionner. 

C'est  sous  deux  formes  principales  que  se  manifestent  ces  mouvements  automatiques, 
et,  en  pratique,  il  n'y  a  guère  que  les  tables  tournantes,  et  l'écriture  dite  automatique, 
qui  puissent  en  être  citées  comme  exemple. 

J'ai  pu,  après  une  étude  assez  compliquée,  montrer  en  1884  [Rev.pjhilosoph.,  (2),  p.  6oO) 
que  ces  actes  automatiques  se  ramenaient  en  réalité  à  une  sorte  de  dédoublement  de 
la  personnalité;  d'une  part,  il  y  a  la  personne  consciente,  volontaire,  qui  semble  rester 
normale,  d'autre  part,  il  y  a  une  autre  personnalité  qui  se  forme  dans  l'intelligence,  et 
qu'on  peut  à  bon  droit  appeler  automatique,  puisque  les  actes  qu'elle  exécute  ne  sont 
pas  voulus  et  restent  inconscients  [Les  mouvements  inconscients,  in  Hommage  à  M.  Che- 
vreul, à  l'occasion  de  son  centenaire,  i  vol.  in-4.  Paris,  Alcan,  1886,  pp.  79-94).  L'expli-  ^ 
cation  que  j'ai  donnée  a  été  adoptée  complètement  par  Pierre  JA^'ET  {loc.  cit.,  1889),  et 
par  tous  les  auteurs  qui  se  sont  occupés  de  la  question,  entre  autres  par  Bi.\et  et  FÉnÉ 
(Recherches  expérimentales  sur  la  physiologie  des  mouvements  chez  les  hijstéric[ues.  A.  P., 
1887,  (3),  t.  X,  pp.  320-373).  Quant  à  l'écriture  automatique,  elle  a  été  admirablement 
étudiée  par  Fr.  Myers  {Automatic  writing.  Proceed.  of  the  Soc.  of  Psych.  Researches,  1883, 
I.  m,  pp.  1-63). 

Quoique  évidemment  de  pareils  phénomènes  ne  relèvent  que  d'une  explication 
rationnelle,  relativement  très  simple,  ils  n'en  sont  pas  moins  intéressants  à  étudier. 

Ce  qui  frappe  tout  d'abord  dans  l'écriture  automatique,  c'est  l'inconscience  presque 
toujours  complète  de  la  personne  qui  écrit.  Comme  le  pianiste  qui  peut  causer  et 
parler  tout  en  jouant  du  piano,  le  scripteur  automatique  peut  suivre  une  conversation 
difficile  avec  les  personnes  présentes,  et  cependant  il  continue  à  écrire.  Ce  qu'il  écrit 
lui  est  à  peu  près  inconnu,  et  ce  sont  quelquefois  des  phrases  assez  compliquées;  sou- 
vent la  phrase  est  mise  à  l'envers,  et  le  début  se  fait  par  la  dernière  lettre.  Quelquefois 
il  y  a  des  vers;  le  plus  souvent  des  coq-à-l'àne,  des  calembours  piteux:  parfois  aussi 
des  obscénités,  des  injures;  bien  souvent  des  banalités  misérables,  vaguement  teintées 
de  phrases  philosophiques.  Mais,  si  pauvre  que  soit  cette  intelligence  automatique,  ce 
n'en  est  pas  moins  de  l'intelligence.  Dans  des  cas  plus  rares,  ce  sont  de  longues  his- 
toires, récits  qu'on  n'a  pas  dédaigné  d'imprimer  (exemple  :  le  Pharaon  Ménêphtah).  En 
somme,  l'analyse  des  formes  diverses  de  l'écriture  automatique  comporterait  de  nom- 


948  AUTOMATISME. 

breux  détails  dans  lesquels  nous  ne  pouvons  entrer;  car  c'est  de  la  pathologie  plus  que 
de  la  physioloi^ifi,  et,  d'ailleurs,  dans  les  ouvrages  de  Pierre  Janet  et  de  Fréd.  Myers,  on 
trouvera  des  indications  très  suffisantes. 

On  sait,  ainsi  que  Claude  Bernard  le  répétait  sans  cesse,  qu'un  phénomène  dit 
pathologique  n'est  que  le  développement,  l'exagération  d'un  phénomène  normal.  Il 
n'est  donc  pas  surprenant  que  nous  trouvions,  chez  les  individus  parfaitement  normaux, 
à  l'état  rudimentaire,  quelque  chose  d'analogue  à  cet  automatisme  pendant  la  veille. 
Nous  exécutons  tous,  plus  ou  moins,  des  mouvements  musculaires,  non  voulus,  en 
général  extrêmement  faibles,  et  qui  passent  inaperçiis,  mouvements  qui  trahissent  nos 
émotions  intimes  et  qu'une  analyse  délicate  seule  peut  déceler.  Ce  n'est  pas  tout  à  fait 
identique  à  une  longue  série  d'actes  automatiques,  paraissant  témoigner,  comme  dans 
l'écriture,  d'une  personnalité  distincte  coïncidant  avec  la  personnalité  normale;  mais 
c'est  déjà  un  mouvement  qui  n'est  pas  voulu,  qui  n'est  pas  réflexe,  el  qu'on  peut  appeler 
automatique,  puisqu'il  lui  manque  l'excitation  volontaire,  aussi  bien  que  l'excitation 
périphérique.  (Voir  sur  ce  point  Ch.  Richet,  A  propos  de  la  mçjgestion  mentale.  B.  B., 
1884,  pp.  .36a-367.  —  H.  de  Varigny,  Sur  la  suggestion  mentale,  ibid.,  pp.  381-382.  — 
E.  Gley.  Sur  /es  mouvements  musculaires  inconscients  en  rapport  avec  les  images  ou  repré- 
sentations mentcdes,  ibid.,  pp.  430-434.) 

Nous  pouvons  donc,  en  dernière  analyse,  considérer  les  mouvements  automatiques 
comme  existant  à  un  degré  rudimentaire  chez  l'homme  sain  et  éveillé;  se  montrant  déjà, 
avec  un  peu  plus  d'intensité,  chez  l'homme  sain  et  endormi;  et  enfin,  dans  certains  cas, 
quand,  pour  une  cause  ou  une  autre,  la  volonté  et  la  conscience  sont  perverties,  finissant 
par  acquérir  une  grande  intensité.  C'est  donc  en  réalité  surtout  un  phénomène  patholo- 
gique. 

Automatisme  de  la  moelle  épinière.  —  C'est  à  un  autre  point  de  vue  que  les 
physiologistes  ont  étudié  l'automatisme  de  la  moelle  épinière,  en  lui  donnant  un  sens 
un  peu  dilTérenl.  de  ceux  que  nous  lui  avons  donné  tout  à  l'heure.  Il  ne  s'agit  plus  en 
efl'et  de  savoir  s'il  y  a  un  stimulus  extéi'ieur  précédant  la  manifestation  motrice,  mais 
bien  si  certaines  actes,  exécutés  par  les  muscles  et  commandés  par  la  moelle,  ont  un 
caractère  psychologique.  Autrement  dit  encore,  la  moelle  peut-elle  adapter  ses  ordres 
au  but  à  atteindre,  puisque  en  somme  c'est  cette  adaption  à  un  but  déterminé  qui  con- 
stitue le  caraclèi  e  psychologique  d'un  phénomène. 

Chez  l'homme,  malade  ou  normal,  chez  le  somnambule,  nous  venons  de  constater 
la  persistance  de  phénomènes  adaptés  à  un  but,  avec  abolition  de  la  conscience;  mais 
l'abolition  de  la  conscience  ne  signifie  pas  l'absence  d'innervation  cérébrale,  attendu  que 
bien  des  phénomènes  cérébraux  se  produisent,  sans  qu'il  y  ait  conscience.  L'expérience 
doit  donc  être  faite  in  anima  vili,  afin  de  savoir  si  l'ablation  totale  du  cerveau  entraine 
l'abolition  totale  du  caractère  psychologique  des  mouvements. 

Sur  les  animaux  et  les  mammifères  supérieurs,  il  paraît  bien  que  l'abolition  de  l'en- 
céphale enlève  tout  caractère  psychologique  aux  mouvements;  il  n'y  a  donc  pas 
d'automatisme  dans  la  moelle.  Mais  il  est  possible  que  les  ganglions  cérébraux  (corps 
opto-striés,  et  noyaux  de  la  protubérance)  accomplissent  certains  mouvements  d'en- 
semble, ayant  bien  le  caractère  d'adaptation  à  un  but.  Goltz  a  longtemps  observé  des  chiens 
n'ayant  plus  qu'un  rudiment  de  cerveau,  et  accomplissant  cependant  certains  actes.  J'ai 
constaté  que  des  chiens  chloralosés,  et  habitués,  par  une  progressive  accoutumance, 
à  en  supporter  de  fortes  doses,  pouvaient  errer  dans  le  laboratoire,  sans  spontanéité 
apparente,  et  ayant  perdu  toute  sensibilité  optique  ou  auditive.  Vraisemblablement 
tout  le  cerveau  était  paralysé  par  l'intoxication,  et  la  moelle  restait , active;  elle  avait 
pris  l'hahiluderfese  passer  du  cerveau,  pour  l'exécution  des  mouvements  de  déambulation. 

Mais  ce  sont  là  des  expériences  peu  précises,  et  qui  ne  nous  renseignent  que  d'une 
manière  fort  imparfaite  sur  la  fonction  psychologique  delà  moelle,  encore  qu'elles  prouvent 
bien  le  rôle  des  centres  cérébraux  ganglionnaires  sur  les  fonctions  motrices,  à  caractère 
psychologique. 

En  toutcas,  après  décapitation,  si  l'on  entretient  lavie  du  tronc,  en  arrêtant  l'hémor- 
rhagie  et  en  faisant  la  respiration  artificielle,  on  ne  voit  jamais  apparaître  de  phénomène 
psychologique,  et  on  n'observe  que  des  mouvements  réflexes,  plus  ou  moins  coordonnés. 

Mais,  chez  les  oiseaux,  ces  réflexes  prennent  un  caractère  de  coordination  plus  par- 


AUTOMATISME.  W9 

faite.  Tarchanoff,  opérant  sur  des  canards  décapités,  a  bien  vu  tout  un  ensemble  de 
mouvements  parfaitements  synergiques  (progression,  natation;  redressement  du  cou, 
agitation  de  la  queue,  etc.);  à  vrai  dire  ces  mouvements  n'ont  pas  de  caractère  psyclio- 
logique;  il  semblent  dus  à  l'excitation  traumalique  de  la  moelle;  car  ils  sont  réveillés 
par  une  piqûre  au  lieu  de  la  section,  et  on  ne  les  observe  pas  si  on  soustrait  la  plaie  au 
contact  de  l'air.  D'après  ïarchanoff  {Uber  automatischo  Bewegungen  bel  enthaupteten 
Enten.  A.  Vf.,  1884,  t.  ssxni,  p.  619-622),  ces  phénomènes  seraient  non  pas  précisément 
automatiques,  mais  dus  au_traumatisrae,  cause  permanente  d'excitation. 

Les  reptiles  ou  les  batraciens,  dont  le  cerveau  a  été  enlevé,  ou  dont  la  tête  a  été 
coupée,  peuvent,  sans  respiration  artificielle,  vivre  pendant  fort  longtemps.  Redi  a  con- 
servé pendant  plusieurs  mois  des  tortues  décapitées.  Or  ces  tortues  privées  de  tête  con- 
tinuent à  exécuter  des  mouvements,  et  des  mouvements  fort  compliqués,  qui  ont  été 
admirablement  étudiés  par  G.  Fano  (Saggio  speriin.  sul mecanismo  clei  movimenti  volontari . 
îîe/to  testuggine  palustre,  Emys  europaea.  4°,  Firenze,  Le  Monnier,  1884,  01  p.,  27  pi.).  — 
Rech.  exp.  sur  un  nouveau  centre  automatigue  dans  le  tractus  bulbo-spinal.  A.  B.  t.  m,  1883. 
p.  36.'J-3G8).Les  tortues  privées  de  cerveau,  mais  ayant  conservé  leur  bulbe,  continuent  à 
marcher,  et  ont  gardé,  dans  une  certaine  mesure  tout  au  moins,  le  sens  de  léquilibre. 
Ces  mouvements  sont-ils  conscients  ou  inconscients?  assurément  il  est  impossible  de  le 
savoir,  puisque  tout  ce  que  nous  pouvons  dire  sur  la  conscience  des  êtres  atitres  que 
l'homme  sera  toujours  hypothétique;  mais  ce  qu'on  peut  affirmer,  c'est  que  ces  mou- 
vements ont  un  certain  caractère  presque  intelligent.  Une  excitation  périphérique  les 
arrête  pendant  longtemps.  Le  seul  caractère  nettement  différentiel  entre  une  tortue  avec 
cerveau  et  une  tortue  sans  cerveau,  c'est  qu'une  tortue  normale  ne  se  meut  pas  conti- 
nuellement, mais  seulement  quand  elle  y  est  stimulée  par  un  motif  quelconque,  une 
impulsion  idéomotrice,  c'est-à-dire,  comme  on  l'exprime  vulgairement  en  disant,  quand 
elle  veut.  Au  contraire  la  déambulation,  chez  une  tortue  décapitée,  est  perpétuelle.  Fano 
considère  alors  l'état  normal  comme  la  résultante  entre  les  hémisphères  cérébraux, 
qui  stimulent,  et  les  couches  optiques  qui  inhibent  le  mouvement  automatique  propre- 
ment dit,  dû  au  bulbe  et  à  la  moelle. 

Ce  sont  des  faits  du  même  ordre  qui,  observés  chez  la  grenouille  par  Pflûger  et  par 
AuERBACH,  ont  conduit  certains  physiologistes  à  admettre  une  fonction  psychologique 
de  la  moelle.  Mais  ce  n'est  pas  ici  que  la  discussion  de  cette  difficile  et  importante  ques- 
tion peut  être  faite  (V.  OEhl.  Sulla  diffusione  dei  centri  di  volonta  nel  nddollo  spinale 
di  alcunivertebrati  inferiori.  Congr.  d.  Ass.  med.  ital.,  1880.  Genova,  1882,  t.  ix,  p.  369-373). 

Toutefois  nous  devons  concevoir  dans  la  série  animale  le  cerveau  comme  exerçant 
une  inlluence  d'autant  moindre  qu'on  descend  plus  bas  dans  l'échelle,  de  sorte  que  les 
mouvements  généraux  de  l'être  dans  la  vie  normale  paraissent,  à  mesure  qu'il  est  plus 
inférieur,  dépendre  de  plus  en  plus  de  son  bulbe  et  de  sa  moelle.  Si  donc  l'on  donne  au 
mot  automatisme  le  sens  spécial  que  nous  lui  avons  donné  (c'est-à-dire  indépendance 
de  l'excitation  cérébrale),  on  voit  que  dans  la  série  animale  l'automatisme  de  la  moelle 
doit  aller  en  croissant,  suivant  la  prépondérance  du  cerveau.  Parce  que  VAniphioxus 
n'a  pas  de  cerveau,  dit  Pplûger  [Teleolog.  Mcchan.  der  lebendigen  Natur.  A.  Pf.,  1875, 
t.  XV,  p.  61)  devons-nous  en  conclure  qu'il  n'a  pas  de  conscience? 

Nous  pourrons  donc  admettre  que  l'automatisme  de  la  moelle,  qui  consiste  à  coor- 
donner des  actes,  et  à  les  conformer  à  l'excitation  périphérique,  va  en  croissant  dans  la 
série  animale,  à  mesure  que  le  rôle  du  cerveau  va  en  diminuant. 

Mais,  à  vrai  dire,  ces  divers  phénomènes  médullaires,  qui  sont  peut-être  d'ordre  psy- 
chologique, au  moins  chez  les  animaux  inférieurs,  ne  peuvent  être  dus  qu'à  un  stimulus 
quelconque.  Tarchanoff  estime  qu'il  y  a  une  excitation  traumatique  comme  point 
de  départ.  Fano  pense  qu'il  s'agit  d'une  sorte  d'accumulation  d'énergie  (d'origine  chi- 
mique, sans  doute)  produisant  la  décharge  sous  forme  d'impulsions  rythmiques. 

Il  faut  examiner  maintenant  jusqu'à  quel  point  les  phénomènes  psychologiques, 
de  la  vie  encéphalique,  idéation  et  conscience,  peuvent  être  considérés  comme  auto- 
matiques. 

Automatisme  des  phénomènes  intellectuels.  —  Dans  tout  ce  qui  précède,  nous 
avons  considéré  la  volonté  comme  une  force  distincte,  et  nous  n'avons  appelé  automa- 
tiques que  les  phénomènes  non  volontaires;  mais  il  faut  pousser  l'analyse  plus  loin,  et 


950  AUTOMATISME. 

voir  jusqu'à  quel  point  les  phénomènes  intellectuels  eux-mêmes,  l'idéation  et  la  volonté, 
peuvent  rentrei'  dans  le  groupe  des  phénomènes  automatiques.  C'est  pour  la  commodité 
du  langage  que  nous  avons  séparé  si  nettement  les  phénomènes  automatiques  et  les 
phénomènes  volontaires;  car  au  fond  le  mécanisme  de  production  est  le  même. 

Autrement  dit,  l'idéation  reconnaît-elle  constamment  pour  cause  une  excitation 
périphérique,  ou  bien  est-elle  spontanée,  automatique?  Il  faut  admettre,  bien  entendu, 
que,  si  l'idéation  est  déterminée  par  des  modifications  de  la  composition  chimique  du 
sang  Jrrigateur  ou  des  cellules  nerveuses,  cela  n'empêchera  pas  le  phénomène  d'être 
automatique;  caria  production  d'un  phénomène  psychique  ou  moteur  exige  évidem- 
ment un  changement  d'élat.  Mais  il  s'agit  de  savoir  si  un  changement  d'état,  de  cause  . 
interne,  suffit  à  provoquer  des  phénomènes  d'idéation  ou  si,  au  contraire,  un  stimulus 
extérieur  est  nécessaire. 

On  conçoit  que  le  problème  soit  presque  impossible  à  résoudre  par  la  voie  expéri- 
mentale. D'abord  l'expérience  in  anima  vili  serait  difficilement  concluante.  Les  gre- 
nouilles de  C.  ScniPiLOFF  et  de  Schiff,  lorsque  toutes  les  racines  sensitives  ont  été 
coupées,  sont  dans  un  état  d'inertie  qui  se  rapproche  tant  de  la  mort  qu'on  est  forcé, 
pour  savoir  si  ces  grenouilles  sont  encore  vivantes,  d'examiner  au  microscope  la  circu- 
lation périphérique  des  membranes  interdigitales.  Quant  aux  animaux  supérieurs,  la 
mutilation  qui  produirait  l'anesthésie  complète  ne  leur  permettrait  pas  de  vivre;  et  les 
anestliésiques  qui  portent  d'abord  leur  action  sur  les  cellules  psychiques  ne  peuvent  être 
d'aucun  secours  pour  la  solution  du  problème.  On  ne  peut  donc  guère  espérer  que 
dans  la  pathologie  humaine.  S'il  se  présentait  un  cas  d'anesthésie  absolue,  totale,  sen- 
sitive  et  sensorielle,  ce  cas  serait  décisif  et  permettrait  de  répondre. 

Mais  cette  anesthésie  absolue  n'existe  pas.  Les  cas  célèbres  de  Strumpell,  de  G.  Ballet 
(voir  Anesthésie)  ne  sont  pas  de  vraies  anesthésies;  ce  sont  des  anesthésies  hystériques; 
c'est-à-dire  que  la  sensibilité  paraît  abolie;  mais  rien  ne  prouve  qu'elle  soit  réellement 
abolie.  (Outre  les  faits  mentionnés  plus  haut  à  Anesthésie,  je  signalerai  Heyne,  Uber 
einen  Fatl  von  allgememer  cutaner  iind  sensorischer  Anaesthesie  [D.  Arch.  f.  klin.  Med.,  1890, 
t.  xLvii,  p.  73),  et  ZiEiissEN  (Allg.  eut.  und  sens.  Anaesth.,  ibid.,  p.  89.  An.  in  C.  P.,  1890, 
p.  827.)  Les  excitations  sensorielles  et  sensitives  de  la  périphérie  ne  viennent  pas  jusqu'à 
la  conscience;  mais  elles  arrivent  jusqu'aux  centres  nerveux,  comme  le  prouvent  la 
persistance  des  réilexes  et  le  retour  soudain  de  la  sensibilité,  suivant  certaines  sugges- 
tions. Donc  on  ne  peut  comparer  l'anesthésie  hystérique,  dans  laquelle  il  y  a  persistance 
des  excitations  centripètes,  à  l'anesthésie  vraie,  due  à  la  section  d'un  nerf  par  exemple, 
avec  suppression  radicale  de  toute  transmission  de  la  périphérie  au  centre. 

On  sait  que,  d'après  Stbumpell  et  G.  Ballet,  il  suffisait  sur  leurs  malades  de  faire 
l'occlusion  des  paupières,  d'intercepter  par  conséquent  les  seules  voies  sensitives  qui 
persistaient  et  mettaient  l'individu  en  relation  avec  le  monde  extérieur  pour  provoquer 
aussitôt  le  sommeil  et  l'état  aidéique.  Mais  il  ne  me  paraît  nullement  prouvé  que  cet 
état  aidéique  ainsi  obtenu  ne  soit  pas  un  simple  phénomène  d'hypnose  dû  à  la  sug- 
gestion ou  à  toute  autre  cause. 

La  question  reste  donc  en  suspens,  au  moins  au  point  de  vue  de  l'expérimentation; 
et,  comme  il  est  presque  impossible  de  concevoir  chez  l'homme  une  anesthésie  totale  et 
vraie  (l'anesthésie  hystérique  étant  une  pseudo-anesthésie),  on  voit  que  le  problème  n'est 
pas  directement  soluble;  il  faut  recourir  à  des  inductions  et  à  des  analogies,  ce  qui  ne 
peut  guère  conduire  qu'à  une  hypothèse. 

D'abord,  ce  qu'on  ne  peut  méconnaître,  les  excitations  périphériques  exercejit  une 
très  grande  influence  sur  la  puissance  de  l'idéation.  La  vue  et  l'ouïe  étant  totalement 
supprimées,  toute  idéation  deviendra  difficile. 

Les  mouvements  musculaires,  exerçant  la  sensibilité  musculaire,  constituent  une  des 
excitations  périphériques  les  plus  efficaces;  et  vraiment  seraiL-il  possible  de  coordonner 
des  idées,  de  comparer,  de  penser,  si  l'on  était  forcé  d'être  absolument  immobile,  et  à 
plus  forte  raison  en  demeurant  dans  une  obscurité  absolue  au  milieu  d'un  silence 
absolu?  L'absence  de  stimulus  extérieur  ne  serait  cependant  pas  totale  ;'car  les  excita- 
tions tactiles  persisteraient  encore. 

Autant  qu'on  peut  le  supposer  cependant,  l'idéation  ne  serait  pas  absolument  abolie  : 
tout  au  moins  ne  le  serait-elle  pas  immédiatement.  Le  silence,  l'obscurité  et  l'immobilité 


AUTOMATISME.  95I 

de  la  nuit  sont  des  conditions  évidemment  favorables  à  la  suppression  de  l'idéation 
volontaire;  elles  ne  me  paraissent  pas  suffisantes  pour  l'entraîner  nécessairement.  A  ce 
compte  il  n'y  aurait  pas  d'insomnie  rebelle,  Nous  savons  bien  qu'on  objectera  que  les 
excitations  tactiles  persistent;  que  ni  l'obscurité,  ni  le  silence,  ni  l'immobilité  ne  peu- 
vent être  absolues;  mais  il  y  aurait  tout  de  même,  je  crois,  quelque  exagération  à  pré- 
tendre que,  si  l'idéation  persiste,  c'est  seulement  à  cause  de  ces  très  faibles  excitations 
périphériques. 

D'autre  part,  quoique  l'absence  de  stimulus  extérieur  soit  favorable  au  sommeil,  c'est- 
à-dire  à  l'affaiblissement  de  la  conscience,  de  la  volonté  et  de  l'idéation,  on  ne  peut  dire 
que  ce  soit  une  condition  indispensable;  car,  dans  bien  des  cas,  le  sommeil  survient  au 
milieu  des  excitations  les  plus  fortes.  On  s'endort  parfaitement  à  l'Opéra,  malgré  la 
lumière  et  le  bruit;  la  marcbe  n'empêche  pas  de  dormir;  et  les  cavaliers  qui  voyagent  la 
nuit  s'endorment  sur  leur  cheval;  le  bruit  du  chemin  de  fer,  avec  les  sifflements  de  la 
machine,  le  fracas  du  wagon,  permet  un  sommeil  très  profond;  on  s'endort  de  même, 
dans  les  casemates,  malgré  le  fracas  des  obus  qui  éclatent  de  toutes  parts,  de  sorte  que 
la  théorie  du  sommeil  par  défaut  de  stimulus  extérieur  n'est  vraiment  pas  défendable. 
Si  on  manipule  des  grenouilles,  de  manière  à  les  mettre  dans  un  certain  état  d'hypnose 
ou  même  de  cataplexie,  on  ne  peut  prétendre  expliquer  leur  sommeil  par  l'absence  de 
stimulus  périphérique,  comme  E.  Heubel  a  essayé  de  le  faire  [Abhângigkeit  des  wachen 
Gehirnzustandes  von  âusseren  Erregungen,  A.  Pf.,  1877,  t.  xiv,  pp.  138-21 8),  car  il  serait  plus 
exact  de  dire  de  ces  grenouilles  qu'elles  sont  soumises  à  des  stimulations  périphériques 
exagérées,  au  lieu  de  dire  qu'elles  sont  soustraites  aux  excitations  périphériques. 

Il  résulte  de  ce  double  fait  :  insomnie  sans  excitants  périphériques;  sommeil  avec 
excitants  périphériques,  que  l'hypothèse  d'une  idéation  nécessairement  liée  à  des  exci- 
tations extérieures  me  paraît  difficile  à  soutenir. 

Et  en  effet,  si  nous  examinons  la  nature  des  mouvements  réflexes,  nous  voyons  une 
excitation  déterminer  un  mouvement;  et  le  plus  souvent  ce  mouvement  est  simple,  con- 
sistant en  la  contraction  de  quelques  groupes  musculaires  tout  au  plus:  mais  quelque- 
fois ce  rétlexe  provoque  une  contraction  d'ensemble;  et  non  seulement  un  mouvement 
général,  mais  encore  une  série  de  mouvements  généraux  qui  peuvent  se  prolonger  pen- 
dant longtemps. 

Ce  sont  toujours  des  réflexes;  mais  parfois  ils  sont  si  éloignés  de  l'excitation  primitive 
qu'on  serait  tenté  de  les  considérer  comme  automatiques.  Cela  est  vrai  surtout  dans 
les  cas  d'actes  à  demi  volontaires  provoqués  par  un  stimulus.  Voici  par  exemple  une  gre- 
nouille intacte,  immobile;  qu'on  vienne  à  l'exciter  fortement;  elle  va  sauter,  essayer  de 
fuir,  se  débattre,  et  son  agitation  pourra  durer  plusieurs  minutes,  un  quart  d'heure 
même,  et  davantage  encore. 

Je  veux  bien  que  l'on  regarde  cette  tangue  série  de  mouvements  comme  phéno- 
mènes réflexes;  pourtant  il  faut  avouer  que  la  prolongation  et  la  complication  font 
ressembler  beaucoup  ce  phénomène  à  un  phénomène  de  pur  automatisme. 

Le  cerveau  qui  a  conservé  la  trace  de  toutes  les  excitations  antérieures  est  un  appa- 
reil d'une  si  prodigieuse  complexité  que  l'apparition  d'une  seule  idée  provoquée  par  une 
sensation  périphérique  en  fera  jaillir  immédiatement  une  foule  d'autres,  puis  d'autres 
encore,  et  ainsi  de  suite,  sans  qu'on  puisse  presque  eu  prévoir  la  fin;  tant  l'évocation 
d'une  idée  amène  fatalement  l'évocation  d'une  autre  idée.  C'est  cette  succession  ininter- 
rompue de  phénomènes  de  conscience  et  d'idées  qui  constitue  vraiment  l'automatisme 
psychique.  Certes  le  point  de  départ  a  pu  en  être  une  excitation  périphérique,  et  à  ce 
compte  on  peut  dire  qu'elle  est  d'origine  réflexe;  mais  c'est  un  point  de  départ  devenu 
si  lointain  que  l'idéation  réflexe  me  semble  vraiment  devoir  être  considérée  comme 
une  idéation  automatique. 

Quant  à  savoir  jusqu'à  quel  point,  pour  continuer  ces  phénomènes  de  conscience 
et  d'idéation,  les  stimulants  périphériques  sont  nécessaires,  personne,  je  crois,  ne  saurait 
le  dire.  Probablement  les  notions  que  nous  donnent  incessamment  nos  sens  sur  le  monde 
extérieur  interviennent,  sinon  pour  provoquer  les  idées,  au  moins  pour  les  régler,  les 
indiquer,  nous  rappeler  à  la  réalité.  On  peut  supposer  que  le  rêve,  dans  la  période  dite 
hypnagogique  du  sommeil  normal,  nous  fournit  un  exemple  de  ce  qu'est  l'idéation, 
lorsque  elle  n'est  plus  réfrénée  par  l'influence  modératrice  des  actions  périphériques. 


952  AUTOTOMIE. 

Si,  dans  le  rêve,  bientôt  i'idéation  s'arrête,  ce  n'est  pas  parce  que  les  stimulations 
périphériques  font  défaut;  mais  parce  qu'il  y  a  une  sorte  de  fatigue  cérébrale  qui  em- 
pêche la  conscience,  et  la  mémoire,  et  la  volonté,  de  continuera  rester  actives. 

Donc  quoique  la  preuve  rigoureuse  ne  puisse  pas  en  être  donnée,  je  dirais  que  l'au- 
tomatisme des  phénomènes  intellectuels  est  très  probable  ;  certes  les  excitations  senso- 
rielles et  sensitives  agissent  puissamment,  comme  régulateurs  et  stimulants;  mais,  même 
en  supposant  l'absence  de  pareilles  excitations,  l'appareil  intellectuel,  une  fois  excité, 
soumis  sans  doute  à  des  changements  intimes  de  nutrition,  continue  pendant  longtemps 
à  vibrer,  et  cela  avec  tant  de  force,  et  si  longtemps,  qu'on  a  le  droit  d'appeler  automa- 
tique cette  série  de  phénomènes  qui  succède  à  une  petite  excitation  périphérique. 

Toutes  ces  notions  sur  l'automatisme  du  système  nerveux  ne  sont  aucunement  modi- 
fiées par  les  recherches  histologiques  admirables  de  Golgi  et  Ramon  y  Cajal.  C'est  en  s'ap- 
puyant  sur  ces  travaux  récents  que  récemment  R.  Lépine  {Théorie  mécanique  de  la  paralysie 
hystérique;  Rev.  de  Méd.,  août  1894,  p.  727  et  B.  B.,  189S,  9  févr.  p.  8o)  ainsi  que  Mathias 
DuvAL  (Théorie  mécanique  du  sommeil.  B.  B.  2  et  9  févr.  I89i),  pp.  76-86),  ont  développé 
une  théorie  ingénieuse,  d'après  laquelle  les  éléments  cellulaires  nerveux  se  mettraient  en 
rapport  les  uns  avec  les  autres  au  moyen  de  prolongements  pseudopodiques  analogues  à 
ceux  des  amibes.  Si  cette  hypothèse  se  trouvait  vérifiée,  l'automatisme  nerveux  aurait, 
même  au  point  de  vue  mécanique,  une  analogie  saisissante  avec  l'automatisme  des  êtres 
inférieurs,  et  des  cellules  simples.  Mais  il  n'est  pas  besoin  de  supposer  des  phénomènes 
mécaniques  pour  admettre  l'automatisme  du  système  nerveux.  Des  vibrations  dyna- 
miques suffisent  parfaitement  pour  autoriser  à.  admettre  de  l'automatisme. 

Conclusions  générales.  —  Nous  pouvons  maintenant  nous  faire  une  idée  d'en- 
semble de  l'automatisme  dans  la  hiérarchie  cellulaire. 

Tout  d'abord,  chez  les  cellules  inférieures,  alors  que  la  division  du  travail  n'existe 
pas,  il  y  a  un  automatisme  évident.  Par  le  seul  fait  de  leur  constitution  chimique,  dont 
l'équilibre  est  sans  doute  instable,  il  se  fait  des  mouvements  rythmiques,  réguliers,  qui 
ne  sont  pas  provoqués  par  un  stimulus  extérieur. 

Chez  l'individu  constitué  par  des  cellules  dissemblables  que  relie  le  système  nerveux, 
chaque  appareil  possède  un  certain  degré  d'automatisme:  il  y  a  l'automatisme  du  cœur; 
celui  des  glandes,  celui  des  appareils  excréteurs,  celui  des  vaisseaux.  Mais  la  présence  du 
système  nerveux  rend  l'automatisme  moins  complet;  quoique  le  rôle  du  système  ner- 
veux soit  plutôt  celui  d'un  régulateur  (pour  stimuler  ou  pour  ralentir)  que  d'un  stimulus 
nécessaire. 

Dans  le  système  nerveux,  il  y  a  aussi  un  certain  degré  d'automatisme;  la  volonté 
consciente  et  les  excitations  périphériques  ne  sont  pas  nécessaires  pour  qu'il  y  ait  pro- 
duction de  phénomènes  nerveux,  et,  quoique  l'excitation  volontaire  ou  cosmique  ne 
fasse  presque  jamais  défaut,  on  voit  cependant  des  phénomènes  nerveux  purement  auto- 
matiques dus  exclusivement  aux  changements  chimiques  intérieurs  des  cellules  nerveuses. 
Même  les  phénomènes  intellectuels  peuvent  être  appelés  à  bon  droit  automatiques, 
puisque,  quoique  succédant  à  une  excitation  périphérique,  ils  se  manifestent  pendant 
si  longtemps,  avec  une  telle  intensité  et  une  telle  complication  qu'ils  relèvent  tout  à  fait 
de  l'automatisme.  C'est  à  une  conclusion  assez  analogue  que  semble  arriver  Pfluger 
{Théorie  des  Schlafes,  A.  Pf-,  p.  473). 

En  définitive  l'automatisme  est  uu  des  phénomènes  les  plus  généraux  de  la  vie  des 
cellules,  des  appareils,  des  organes.  Cela  revient  à  dire  qu'il  y  a  dans  chaque  cellule  une 
source  d'énergie  qui,  sans  le  secours  d'une  force  extérieure,  est  capable  de  se  transfor- 
mer en  mouvement.  Mais  l'importance  d'une  force  extérieure,  stimulatrice,  —  autrement 
dit  la  relation  avec  le  milieu  ambiant  —  va  en  grandissant,  à  mesure  que  la  cellule 
acquiert  une  individualité  et  une  complication  organique  plus  grandes. 

CHARLES    RICHET. 

AUTOTOMIE  (de  auToç  et  TEfxvco,  action  de  s'amputer  soi-même).  — Acte  par 
lequel  beaucoup  d'animaux(Orvets,  Lézards,  Crabes,  Araignées,  Sauterelles)  échappent  à 
l'ennemi  qui  les  a  saisis  par  un  membre  ou  par  la  queue,  en  provoquant  activement,  mais 
d'une  façon  inconsciente,  par  voie  réflexe,  la  rupture  de  l'extrémité  captive. 

L'autotomie  a  été  surtout  étudiée  chez  le  Crabe.  Je  commencerai  par  résumer  ce  que 


AUTOTOMIE.  953 

nous  savons  sur  le  mécanisme  physiologique  de  la  cassure  des  pattes  des  Criislacrs,  puis 
je  passerai  en  revue  les  dilt'érents  groupes  d'animaux  cliez  lesquels  on  a  signale  des 
exemples  d'autotomie. 

I.  Autotomie  chez  le  Crabe.  —  Le  fait  de  l'amputation  spontanée  des  pattes  chez  le 
crabe  était  connu  de  Réaumur  :  «  Si  on  tient  ime  écrevisse  par  la  patte,  et  de  même  si  on 
tient  un  crabe,  l'effort  que  ces  animaux  font  pour  se  retirer  détache  souvent  leur  jambe;  ils 
la  laissent  dans  les  mains  de  celui  qui  la  tient,  et  s'en  vont  avec  celles  qui  leur  restent  » 
(Sur  les  diverses  reproductions,  etc.  Mémoire  Acad.  des  Se,  1712,  cité  par  P.  Hallez  :  Bidl. 
se  du  Nord,  1887).  Huxley  s'exprime  en  ternies  analogues  dans  son  livre  sur  l'écrevisse. 

Cette  rupture  des  pattes,  si  fréquente  chez  les  Crustacés  vivants,  n'est  pas  le  résultat 
d'un  accident  dû  à  la  fragilité  exagérée  de  ces  appendices.  L'expérience  directe  prouve 
que,  chez  un  crabe  mort,  les  pattes  sont  fort  résistantes  et  supportent  avant  de  se  rompre 
un  effort  de  traction  représentant  près  de  cent  fuis  le  poids  du  corps  entier  de  l'animal. 

Dans  l'expérience  exécutée  par  l'auteur  devant  le  2'  congrès  de  Physiologie  à 
Liège,  en  1892,  il  fallut 'suspendre  un  poids  de  4  kilogrammes  pour  arracher  la  seconde 
patte  sur  un  petit  Carcinus  maenas  ne  pesant  pas  40  grammes. 

Lorsqu'on  arrache  ainsi  une  patte  par  traction,  sur  l'animal  mort,  elle  se  rompt  d'or- 
dinaire soit  entre  le  céphalothorax  et  le  premier  article,  soit  entre  le  premier  et  le 
second  article  :  la  surface  de  rupture  porte  une  houppe  de  muscles  (extenseur  et  fléchis- 
seur longs  du  second  article,  extenseur  et  fléchisseur  du  premier  article)  qui  se  sont 
détachés  de  leurs  insertions  dans  la  loge  quadrilatère  de  la  cavité  épimérienne  du 
corps. 

Au  contraire,  la  rupture  qui  se  produit  sur  le  vivant  par  le  mécanisme  spécial  que 
nous  allons  étudier,  se  fait  toujours  dans  la  continuité  du  second  article,  au  niveau  d'un 
sillon  préexistant.  Ce  sillon  marque  la  trace  de  la  soudure  des  deux  pièces  {basipo- 
dite  et  ischiopodite  de  Huxley)  dont  se  compose  chez  le  Crabe  le  second  article  de  la  patte. 
La  cassure  est  circulaire  et  nette  ;  les  tissus  mous  ne  présentent  d'autre  déchirure  que 
celle  du  nerf  et  des  vaisseaux.  Un  diaphragme  spécial,  la  membrane  obturatrice,  tendu  à 
travers  l'extrémité  distale  du  basipodite,  assure  l'hémostase  dans  le  moignon  de  la  patte 
autotomisèe.  Le  nerf  mixte  et  les  vaisseaux  traversent  cette  membrane  au  niveau  d'un 
orifice  étroit  situé  excentriquement. 

J'ai  montré  que  la  rupture  de  la  patte  est  ici  provoquée  par  un  mouvement  actif.  Le 
Crabe  rompt  lui-môme  sa  patte  à  l'endroit  d'élection,  par  une  contraction  musculaire 
énergique. 

La  rupture  de  la  patte,  Vautotomie,  s'obtient  chaque  fois  que  le  nerf  sensible  de  la 
patte  est  vivement  excité,  soit  mécaniquement,  par  une  section  transversale  de  la  patte, 
soit  par  l'électricité  ou  la  chaleur,  soit  |]arune  action  chimique. 

La  meilleure  façon  de  provoquer  à  coup  sûr  l'autotomie  consiste  à  suspendre  un 
crabe  (privé  au  préalable  de  ses  pinces),  en  Je  tenant  par  le  milieu  d'une  patte  ambula- 
toire et  à  sectionner  brusquement  au  moyen  de  ciseaux  l'extrémité  supérieure  de  la 
patte,  par  exemple  au  niveau  de  l'articulation  entre  le  3'  et  le  4°  article.  L'autotomie  se 
produit  chaque  fois  à  l'endroit  d'élection  et  l'animal  tombe  à  terre.  L'expérience  peut 
être  répétée  successivement  avec  le  même  résultat  sur  les  dix  pattes  du  crabe. 

Il  s'agit  d'un  acte  puvement  réflexe,  auquel  la  volonté  de  l'animal  n'a  aucune  part.  Un 
Crabe  qu'on  retient  parla  patte,  sans  froisser  celle-ci,  n'aura  jamais  recours  à  Vautotomie 
pour  se  délivrer.  11  y  a  plus  :  si  l'on  coupe  brusquement,  au  moyen  de  ciseaux,  l'extré- 
mité d'une  autre  patte  que  celle  qui  retient  l'animal,  le  Crabe  brisera  non  celte  dernière 
patte,  ce  qui  le  rendrait  à  la  liberté,  mais  la  patte  mutilée,  celle  dont  la  perte  ne  lui  est 
d'aucune  utilité.  L'absence  d'intention  intelligente  est  manifeste  ici  :  nous  avons  affaire 
à  un  mécanisme  nerveux  préétabli,  qui  fonctionne  en  aveugle,  à  la  façon  des  centres 
réflexes  des  animaux  supérieurs. 

Ce  mécanisme  nerveux  qui  préside  au  réflexe  d'autotomie  est  indépendant  des  (jan- 
glions  sus-œsophagiens,  siège  de  l'intelligence  chez  les  Crustacés.  11  est  localisé  dans  la 
masse  nerveuse  ventrale  du  ganglion  étoile,  qui  est  l'analogue  physiologique  de  la  moelle 
épinière  des  Vertébrés.  La  destruction  de  ce  ganglion  rend  l'autotomie  impossible  : 
l'excitation  électrique  portée  directement  sur  le  ganglion  peut  provoquer  la  rupture  des 
pattes. 


954 


AUTOTONIIE. 


L'amputation  d'une  paltepar  voie  réllexe  suppose  l'intervention  des  parties  suivantes  : 
{0  voie  nerveuse  centripète  :  les  fibres  sensibles  du  nerf  mixte  de  la  patte.  Ces  fibres  sem- 
blent ne  pas  s'étendre  au  delà  de  l'extrémité  de  l'avant  dernier  article  de  la  patte.  On 
peut  impunément  sectionner  ou  exciter  le,  dernier  article,  ou  Fexlrémité  distale  de  l'avant 
dernier  article  sans  risquer  de  provoquer  l'autotomie;  2°  centre  nerveux  réflexe  :  la  masse 
ganglionnaire  ventrale  chez  les  Crabes,  la  chaîne  ventrale  ehez  les  Macroures;  3"  voie  ner- 
veuse centrifuge  :  les  nerfs  moteurs  du  muscle  dont  la  contraction  provoque  la  cassure  de 
la  patte. 

La  cassure  de  la  patte  est  due  à  la  contraction  d'un  seul  muscle,  le  long  extenseur  du 
second  article.  On  peut  en  effet  couper  (sections  pratiquées  au  moyen  d'un  petit  scalpel  ■ 
dont  on  glisse  la  pointe  sous  la  membrane  articulaire)  les  tendons  de  cinq  des  six  mus- 
cles fléchisseur  et  extenseur  du  premier  article  (court  et  long  fléchisseurs  du  second 
article,  court  extenseur  du  second  article)  qui  s'attachent  à  la  partie  non  caduque  de  la 
patte  et  sectionner  également  les  muscles  contpnus  dans  la  partie  caduque,  sans  que  le 
réflexe  d'autotomie  soit  rendu  plus  difficile  qu'avant  l'opération.  Au  contraire,  l'auto- 
tomie ne  se  produit  plus  jamais  après  la  section  isolée   du  tendon  du  long  extenseur 

du  deuxième  article  [l  e- 
fig.  101).  Ce  muscle 
mérite  donc  le  nom  de 
muscle  disjoncteur  ou 
de  muscle  autotomiste. 
Pour  que  l'autotomie 
soit  réalisée  par  la  con- 
traction du  muscle  dis- 
joncteur, il  faut  que  la 
portion  distale  de  la 
patte,  celle  qui  va  tom- 
ber, trouve  un  point 
d'appui,  soit  contre  le 
doigt  de  l'opérateur, 
soit  contre  les  parties 
dures  de  la  carapace 
de  l'animal  (tergum 
pour  la  première  patte;  parties  dures  d'une  patte  voisine,  tubercule  articulaire  du  pre- 
mier article  de  la  patte  située  en  avant,  lorsqu'il  s'agit  d'une  patte  ambulatoire).  En 
effet,  dès  qu'on  irrite  le  nerf  sensible  d'une  patte,  on  provoque  par  voie  réflexe  uue  con- 
traction énergique  du  long  extenseur  du  deuxième  article,  ce  qui  amène  une  extension 
forcée  de  la  patte  (Voir  fig.  102).  Supposons  que  le  troisième  article  soit  arrêté  dans  ce 
mouvement  d'extension,  en  C;  le  long  extenseur  a  continuant  à  se  contracter  exerce  une 
traction  sur  la  partie  proximale  2'  (en  forme  d'anneau)  du  deuxième  article  et  finit  par 
la  séparer  de  la  portion  distale  2"  qui  se  trouve  retenue. 

Il  est  facile  de  mesurer  -l'effort  nécessaire  pour  provoquer  la  cassure  du  deuxième 
article  :  On  arrache  une  patte  à  un  crabe  mort,  on  fixe  le  tendon  a  entre  les  mors  d'une 
petite  pince  à  ressort  à  laquelle  on  suspend  des  poids.  On  verra  que  dans  ces  conditions, 
il  sufflt  de  2b0  grammes  en  moyenne  pour  produire  la  rupture  à  l'endroit  d'élection. 

La  patte  qui  résiste  à  une  traction  de  3  à  4  kilogrammes,  dirigée  suivant  son  axe  et 
se  répartissant  sur  sa  circonférence  entière,  cette  même  patte  se  rompt  sous  un  effort 
de  traction  douze  ou  quinze  fois  plus  faible,  quand  la  traction  s'exerce  au  niveau  de  l'in- 
sertion du  tendon  du  long  extenseur,  c'est-à-dire  à  un  point  limité  de  sa  périphérie. 
(Léon  Fbedericq.  Arch.  de  Biologie,  1882,  p.  233;  et  1892,  p.  169;  Arch.  zool.  exp.,  1883, 
p.  413;  Revue  Scient.,  13  nov.  1886,  p.  613;  Trav.lab..  t.  ii,  p.  201,  1888  et  t.  iv,  p.  1,30  et 
217 ;  A.  PA,  t.  L,  p.  600,  1 89 1 .  —  De  Varig.ny.  Revue  Scient.,  4  sept.  1 886,  p.  309.  —  H.  Dewitz. 
Biol.'Centrabl.,  1"  juin  1884.  —  J.  Frenzel.  A.  Pf.,  t.  L,  p.  191,  1891.  —  Demoor.  Arch. 
zool.  exp.,  1891,  p.  216,  8  suiv.) 

II.  Autotomie  dans  la  série  animale.  —  Vertébrés.  —  Extrémité  cutanée  de  la 
queue  de  Muscardinus  avellanarius  (J.  Frenzet.,  A.  Pf.,  t.  l,  p.  204,  1891).  —  Queue  de 
quelques  oiseaux?  (Parize.  Revue  Scient.) 


Fig.  101.  — Patte  ambulatoire  gauche  de  Crabe  tourteau,  détacliée  du  corps  et 
reposant  sur  son  bord  dorsal  (Côté  veatral  eu  haut).  La  face  antérieure 
a  été  enlevée  au  niveau  des  articles  i.  ii",  in,  iv,  v  et  vr,  les  tendons 
des  muscles  extenseurs  e' .  e-,  e',  e*,  e'>  et  des  muscles  fliSchisseurs  /^',  /'■', 
/!  ont  été  conservés,  le-,  long  extenseur  du  deuxième  article  ou  muscle 
autotomiste.  L'autotomie  se  produit  entre  le  basipodite  n'  et  l'ischiopo  - 
dite  II'. 


AUTOTOMIE. 


9oo 


Queue  de  l'orvet,  des  lézards.  Lorsqu'on  se  borne  à  maintenir  doucement  l'animal , 
ou  qu'on  le  suspend  par  la  queue,  il  ne  songe  pas  à  la  briser  pour  s'échapper.  Dès  qu'on 
irrite  cet  apendice,  soit  par  section,  soit  par  froissement,  la  queue  autotomise  au-des- 
sous du  point  lésé.  La  rupture  de  la  colonne  vertébrale  a  lieu  au  milieu  d'une  vertèbre, 
point  restant  fibro-cartilagineux  chez  les  individus  adultes. 

La  rupture  se  produit  encore  sur  un  animal  décapité,  c'est-à-dire  privé  de  cer- 
veau. CoNTEJEAN  a  montré  que  le  centre  du  réflexe  se  trouve  dans  la  moelle  épinière  au 
niveau  des  pattes  postérieures. 

Pour  arracher  la  queue  par  traction  sur  un  orvet  mort,  il  faut  y  suspendre  un  poids 
représentant  vingt  fois  celui  de  l'animal.   La  queue  autotomisée  repousse   facilement 


t'IG.  102  (demi-schématique),  destinée  à  illustrer  le  mécanisme  de  la  cassure  du  deuxième  article  de  la  patte 
du  Crabe.  L'animal  est  placé  sur  le  dos;  la  figure  représente  une  patte  de  gauche,  vue  par  sa  face  anté- 
rieure. 

1,  premier  article  logeant  le  long  fléchisseur  b  et  long  extenseur  a  du  deuxième  article. 

2,  deuxième  article  :  la  fente  entre  2'  et  2"  indique  le  niveau  de  la  rupture  du  deuxième  article. 

3,  4,  troisième  et  quatrième  articles. 

C,  doigt  de  l'expérimentateur,  ou  parties  dures  du  corps  de  l'animal  retenant  la  patte.  La  patte  étant  fixée, 
le'muscle  a  continue  à  se  contracter  et  sépare  2'  de  2".  Dans  d'autres  circonstances,  c'est  au  niveau  de  l'i.s- 
chiopodite,  en  A,  que  s'opère  la  fixation  de  la  partie  caduque  de  la  patte.  A  vient  butter  contre  la  base  de  la 
patte  précédente. 


comme  on  sait  (Léon  Feedericq,  Bull.  Acad.  Belg.,  août  1882.  —  Conte.ie.\n.  C.  R., 
27  octobre  1890). 

Mollusques.  —  Appendices  dorsaux  (Pliœnicurus)  de  la  Tethijs  leporina.  —  C.  Paron.\. 
Atti  délia  R.  Universita  dlGenova,  1891,  et  Zool.  Anzeiger,  1891,  n°  371).  — Papilles  dor- 
sales d'Aeolis  (Gi.wd,  Revue  Scient.,  14  mai  1887.  Frenzel,  loc.  cit.).  Portion  du  man- 
teau de  Doris  cruenta.  (Quoy  et  G-4.iM.iRD,  Voijage  de  l'Astrolabe,  1830,  t.  i,  p.  261,  cité  par 
D.  Œ..  Revue  Scient.,  27  novembre  1886,  p.  701).  —  Portion  postérieure  du  pied  de  Harpa 
ventricosa  (Quoy  et  G.\im.4rd,  loc.  cit.,  p.  617),  de  plusieurs  espèces  d'Hélicarion  (Semper, 
Existenzbed.  der  Thiere,  1880,  t.  ii,  p.  242),  et  de  Stenopus  (Guilding)  cité  par  Seuper,  loc. 
cit.).  —  Pied  de  Hélix  crassilabris,  H.  imperator  (Guxdl.4ch),  cité  par  D.  CE.,  loc.  cit.  —  Pied 
de  Solen  margitmtus  (D.  CE.,  loc.  cit.). 

Crustacés.  —  Pinces  de  l'écrevisse  et  du  homard.  —  Pinces  et  pattes  de  la  langouste, 
des  galathées  et  des  crabes.  —  Pinces  et  pattes  ambulatoires  des  gros  Pagures  (Voir 
plus  haut).  Dewitz  a  rapporté  le  cas  d'écrevisses  qui  perdirent  leurs  deux  pinces  au 
moment  où  il  les  plongea  dans  l'eau  chaude  (Dewitz,  loc.  cit.).  Certains  crustacés  aban- 


956  AUTOTOMIE. 

donnent  levirs  pattes  quand  on  les  plonge  dans  l'alcool  (communication  verbale  de 
Ed.  Van  Beneden),  ou  dans  l'essence  de  térébenthine  (J.  Demgor). 

Insectes.  —  Pattes  de  plusieurs  diptères  (Tipules)  et  Lépidoptères  (Giard,  loc.  cit., 
L.  Fredehicq,  loc.  cit.).  Pattes  sauteuses  des  sauterelles  et  des  grillons.  «  Si  l'on  attache 
une  sauterelle  par  une  de  ses  pattes  sauteuses,  l'insecte  poursuivi  par  une  baguette  de 
fer  rouge,  ne  parvient  jamais  à  se  délivrer  en  se  débarrassant  du  membre  entravé,  tandis 
que  ce  membre  se  rompt  aussitôt,  si  la  cautérisation  porte  sur  lui.  L'expérience  d'auto- 
tomie  réussit  très  bien,  non  seulement  sur  un  animal  décapité,  mais  sur  un  métathorai 
isolé.  On  est  donc  bien  en  présence  d'un  acte  réflexe,  ayant  pour  centre  la  troisième 
paire  de  ganglions  Ihoraciques.  L'autotomie  a  lieu  au  niveau  de  l'articulation  de  la 
hanche  et  du  fémur;  dans  les  pattes  sauteuses,  le  -trochanter  fait  défaut.  »  (Contejean. 
C.  R,  27  octobre  1890.  —  L.  Fbedericq.  Revue  Scient.,  13  novembre  1886,  p.  018.  — 
Frenzel,  loc.  cit.) 

Ailes  des  mâles  et  femelles  de  fourmis.  Aiguillon  de  l'abeille.  Pénis  des  mâles 
d'abeilles. 

Ailes  des  mâles  de  Termites.  Frenzel  a  constaté  que  l'aile  des  Termites  porte  une 
strie  transversale  constituant  un  lociis  minoris  l'esistentiœ  au  niveau  duquel  l'aile  se 
déchire  quand  elle  est  saisie  et  que  l'animal  fait  des  efforts  pour  s'échapper.  L'aile  du 
termite  est  comparable  à  une  lamelle  de  verre,  dit-il,  dans  laquelle  on  aurait  fait  un 
léger  trait  en  diamant.  Si  l'on  vient  à  ployer  la  lamelle,  elle  se  brise  suivant  le  trait 
préformé  (Frenzel,  A.  Pf.,  t.  l,  p.  202,  1891). 

Les  sauterelles  que  l'on  fait  mourir  en  les  soumettant  à  l'action  des  vapeurs  de 
chloroforme,  d'essence  de  térébenthine  ou  d'alcool  amylique,  cassent  leurs  pattes  sau- 
teuses. L'autotomie  ne  m'a  pas  semblé  se  produire  chez  les  mêmes  espèces  {(Edipa, 
Thamnotrizon,  Slenobothrus)  soumises  à  l'action  des  vapeurs  d'éther,  d'alcool  ou  de 
quelques  autres  substances  volatiles  (recherches  inédites). 

Arachnides.  —  Pattes  des  Phalangiwn,  Epeira,  Lycosa,  Tegeneria,  etc.,  P.  Parize, 
Revue  Scient.,  18  sept.  1886,  p.  3/9.  Léon  Fbedericq,  ibid.,  13  nov.   1886,  p.  619. 

Vers  et  Annélides  (Voir  plus  loin). 

Echinodermes.  —  Bras  ou  pinnules  des  étoiles  de  mer.  —  Tube  digestif  ou  glandes 
des  Holothuries.  —  Preyer  a  fait  à  la  station  zoologique  de  Naples  des  expériences  d'au- 
totoraie  sur  un  assez  grand  nombre  d'étoiles  de  mer. 

11  suffit  de  saisir  brusquement  un  rayon  d'Asterias  glacialia,  de  le  blesser  ou  de  l'exci- 
ter par  l'électricité  pour  provoquer  sa  rupture.  Un  seul  rayon  isolé  est  capable  de  repro- 
duire l'animal  entier,  comme  on  le  savait  depuis  longtemps.  Si  on  place  l'animal  à  che- 
val sur  une  baguette  tendue  horizontalement  à  une  petite  distance  au-dessous  du  niveau 
de  l'eau,  de  manière  que  le  corps  soit  dans  l'air  et  que  l'extrémité  des  rayons  plonge 
seule  dans  l'eau,  on  observera  fréquemment  que  l'astérie,  au  lieu  de  s'incliner  sur  le 
côté  pour  se  laisser  ensuite  choir  dans  l'eau,  préférera  se  couper  en  morceaux  et  laisser 
tomber  soit  un  seul  rayon,  soit  deux,  l'un  après  l'autre. 

Les  mêmes  expériences  furent  répétées  avec  succès  sur  plusieurs  autres  espèces, 
notamment  LutVZia  ciKaciS.  Les  bras  détachés  de  cette  espèce  sont  eux-mêmes  capables  de 
se  subdiviser  ultérieurement  en  deux  ou  trois  morceaux,  sous  l'intluence  d'une  violente 
excitation  électrique.  L'autotomie  peut  donc  être  provoquée  sans  l'intervention  de  l'an- 
neau nerveux  pentagonal.  Il  suffit  que  la  moelle  nerveuse  ventrale  du  rayon  soit  intacte. 

L'autotomie  atteint  chez  les  Comatules  un  degré  de  développement  incroyable,  dont 
je  me  borne  à  citer  un  exemple.  Une  Comatule,  plongée  dans  l'eau  de  mer  à  37  à  38°, 
exécute  encore  des  mouvements  pendant  quelques  secondes,  se  roule  souvent  en  boule, 
puis  se  brise  en  un  grand  nombre  de  morceaux,  chacun  des  dix  rayons  se  subdivisant 
en  plusieurs  segments  et  perdant  ses  pinnules.  Frenzel  a  constaté  que  la  dénomination 
de  fragili^  donnée  à  plusieurs  Ophiures  ne  convient  qu'à  l'animal  vivant.  Sur  une 
Ophiure  morte,  les  bras  sont  fort  résistants  {Pheyéb..  Mitthcil.  zool.  Slat.  ■zu  Neapel,  t.  vu, 
p.20.ï,  1887.  Anal,  dans  Revue  Scient  if.,  7  mai  1887,  p.  389.  Frenzel,  A.  Pf.,t.h,  p.  197,1891). 

GuRD  a  signalé  un  certain  nombre  de  cas  d'autotomie  chez  les  Annélides,  les  Gépby- 
riens,  les  Ectiiriodermes  et  les  Cœlentérés. 

11  divise  les  divers  cas  d'autotomie  en  deux  grands  groupes  : 

1.  —  Autotomie  défensive. 


AUTOTOMIE.  937 

II.  —  Autoloraie  reproductrice  {gonophorique  ou  schizogoniale). 

Dans  cette  seconde  catégorie  doivent  trouver  place,  à  côté  de  l'hectocotylisation  des 
bras  de  Céptialopodes  (autotomie  };onophorique),  une  bonne  partie  des  cas  observés  par 
PuEYKR,  et  antérieurement  par  Lutken  et  bien  d'autres  zoologistes  chez  les  Echiiio- 
dermes  (Ophiactis,  Brisinga,  etc.). 

Dans  cette  catégorie  rentre  également  l'autotomie  si  nette  des  Ligules,  et  la  proche 
parenté  de  ces  animaux  avec  les  Botycépbales  et  les  Ténias  nous  amène  à  considérer  la 
formation  des  Proglottis  chez  les  Cestodes  comme  un  terme  extrême  de  cette  série. 

L'autotomie  défensive  peut  à  son  tour  se  subdiviser  en  deux  groupes  : 

I.  —  L'autotomie  évasive. 

II.  —  L'autotomie  économique. 

Le  premier  groupe  renferme  les  cas  très  nombreux  où  l'animal  s'autotomise  pour 
échapper  a  ses  ennemis  (Crustacés,  Insectes,  Balunoglos,  etc.). 

Le  second  groupe  comprend  les  cas  où  l'animal  réduit  son  volume  par  amputation 
volontaire,  parce  qu'il  se  trouve  dans  des  conditions  défavorables  au  point  de  vue  de  la 
nutrition,  ou  même  au  point  de  vue  de  la  respiration.  On  l'observe  généralement  chez 
les  animaux  tenus  en  captivité  (cas  de  la  Synapte,  des  Tabulaires,  des  Phoronix,  des 
Némertiens,  etc.)  (Giard.  Revue  Scient.,  14  mai  1887,  p.  629  et  Bull,  scient,  du  Nord, 
t.  XVII,  p.  308). 

III.  Signification  de  l'autotomie.  —  Si  nous  nous  demandons  comment  s'est  déve- 
loppé le  mécanisme  si  remarquable  qui  fait  à  propos  éclater  et  rompre  la  patte  du  Crabe, 
nous  en  sommes  réduits  à  des  conjectures  plus  ou  moins  vraisemblables.  Mais,  hypo- 
thèse pour  hypothèse,  celle  de  l'évolution  semble,  dans  l'état  actuel  de  nos  connais- 
sances, la  seule  qui  puisse  donner  une  explication  tant  soit  peu  satisfaisante. 

Prenons,  pour  fixer  les  idées,  l'exemple  des  Crustacés.  Il  est  probable  que  les  pre- 
miers Crustacés  qui  ont  pratiqué  l'autotomie  l'ont  fait  à  la  façon  de  l'oiseau  que  l'on 
retient  par  quelques  plumes.  Ils  se  sont  tant  et  si  bien  débattus  de  tout  le  corps  qu'ils 
ont  fini  par  déchirer  l'attache  du  membre  qui  les  retenait  captifs.  Cette  façon  brutale 
de  se  délivrer  s'est  perfectionnée  dans  le  cours  des  générations.  Les  contractions  des 
muscles,  primitivement  désordonnées,  se  sont  faites  avec  plus  d'ensemble,  partant  avec 
plus  d'efficacité.  Les  muscles  ont  concentré  leurs  efforts  sur  un  seul  point  de  la  patte. 
La  coque  de  celle-ci  s'est  modifiée  en  ce  point,  de  manière  à  éclater  facilement  à  un 
moment  donné,  sans  nuire  cependant  d'une  façon  générale  aux  usages  habituels  de  la 
patte.  Ce  perfectionnement  anatomique  s'est  réalisé  conformément  aux  lois  de  l'évolu- 
tion que  je  n'ai  pas  à  exposer  ici  :  production  de  variations  accidentelles  utiles,  trans- 
mission et  exagération  de  variations  utiles  par  la  génération  sexuelle  et  l'hérédité, 
combinée  avec  la  survivance  des  plus  aptes. 

Les  Crustacés  de  la  nature  actuelle  nous  présentent  à  l'état  permanent  quelques-uns 
des  stades  de  cette  évolution.  Aux  deux  extrémités' de  la  série  se  trouvent  d'une  part 
le  Homard  et  de  l'autre  le  Crabe. 

Le  Homard,  que  l'on  saisit  par  une  patte  autre  que  celles  qui  portent  les  pinces, 
entre  dans  une  véritable  fureur;  tout  son  corps  est  agité  de.  violents  soubresauts.  Grâce 
à  ces  mouvements  désordonnés,  l'animal  se  libère  souvent,  la  patte  saisie  s'arrachant 
au  niveau  de  la  membrane  qui  sépare  le  deuxième  article  du  troisième.  C'est  l'exemple 
de  l'autotomie  primitive,  brutale,  provoquée  par  la  peur  et  par  l'instinct  de  la  conser- 
vation. Ici,  les  mouvements  faits  par  l'animal  pour  se  délivrer  sont  sans  doute  des  mou- 
vements volontaires. 

Les  choses  se  passent  tout  autrement  chez  le  Crabe.  Pincez  l'une  des  pattes  à  son 
extrémité  :  aussitôt  l'animal  s'arrête,  soulève  légèrement  le  membre  saisi,  de  manière 
à  l'appuyer  contre  les  parties  dures  voisines.  On  entend  un  léger  craquement  :  l'éclate- 
ment s'est  produit  au  même  niveau  que  chez  le  Homard,  et  la  patte  tombe.  La  cassure 
est  réalisée  par  la  contraction  d'un  seul  muscle,  le  muscle  autotomiste  ;  elle  se  produit 
au  niveau  d'un  sillon  circulaire  préexistant,  qui  marque  la  place  de  la  soudure  du 
deuxième  et  troisième  article  de  la  patte.  Ces  deux  articles  qui,  chez  le  Homard,  sont 
séparés  par  une  membrane,  sont  ici  soudés  en  une  seule  pièce.  Cette  pièce  présente 
une  grande  résistance  à  la  traction  dans  le  sens  de  l'axe  du  membre;  elle  éclate  au 
contraire  avec  facilité  sous  l'influence  d'un  effort  léger,  dirigé  dans  le  sens  du  tendon 


958  AZOTATES. 

du  muscle  autotomiste.  Nous  avons  affaire  à  un  mécanisme  très  spécialisé,  très  perfec- 
tionné, bien  mieux  adapté  à  son  rôle  que  les  contractions  générales  dont  use  le  Homard. 
De  plus,  comme  nous  l'avons  vu,  le  mouvement  d'autotomie  qui,  chez  le  Hojnard, 
paraissait  sous  la  dépendance  de  la  volonté  de  l'animal.  S'est  transformé,  chez  le 
Crabe,  en  un  mouvement  réflexe. 

L'aatotomie  serait  donc  un  mouvement  primitivement  volontaire  et  intentionnel, 
ayant  pour  point  de  départ  l'instinct  de  la  conversation  et  tendant  à  arracher  violem- 
lemment  le  corps  de  l'animal  à  l'étreinte  ennemie,  quitte  à  sacrifier  la  partie  saisie.  Ce 
mouvement  se  serait  peu  à  peu  perfectionné  et  adapté  d'une  façon  plus  parfaite  au  but 
à  atteindre  :  en  même  temps,  il  aurait  perdu  son  caractère  intentionnel  et  serait  devenu 
un  réflexe  pur. 

C'est  d'ailleurs  une  règle  d'une  portée  générale  que  les  mouvements  volontaires  fré- 
quemment répétés  se  transforment  insensiblement  en  mouvements  réflexes,  pour  la 
production  desquels  l'intervention  de  la  volonté  n'est  plus  nécessaire.  Tout  le  monde 
sait  que  l'éducation  des  exercices  corporels  chez  l'homme  est  basée  en  grande  partie 
sur  ce  phénomène  (L.  Fredericq.  Bull.  Acad.  Beig.  1893,  p.  738). 

Bibliographie  générale.  —  Les  mémoires  cités  plus  haut  de  l'auteur,  de  Giard, 
CoNTEJEAx,  Fhexzel,  Paro.na,  etc.,  et  l'article  Autotomie  de  de  Varigny  dans  la  Grande 
Encyclopédie.  Voir  aussi  :  Léon  Fbedericq.  Vautotomie  ou  la  multiplication  active  dans 
le  lègne  animal.  Bull.  Acad.  roy.  Belgique.,  1893,  p.  7b8,  t.  xxvi. 

LÉON  FREDERICQ. 

AZOTATES.  —  Les  azotates  sont  des  sels  presque  tous  solubles,  produits  de  la 
combinaison  de  l'aride  azotique  avec  une  base.  Au  point  de  vue  phj'siologique  on  n'étu- 
diera ici  que  l'action  des  nitrates  unis  à  des  bases  peu  otfensives  (potassium,  sodium, 
calcium).  De  fait,  on  n'a  guère  expérimenté  qu'avec  les  nitrates  de  sodium  et  de  potas- 
sium. Quoique  cette  étude  soit  faite  aux  mots  Potassium,  et  Sodium,  nous  devons  pour- 
tant en  dire  quelques  mots,  ne  fût-ce  que  pour  indiquer  les  différences  d'action  entre 
les  nitrates,  les  chlorures  et  les  sulfates  de  la  même  base. 

La  toxicité  des  nitrates  de  potasse  et  de  soude  a  été  considérée  par  Bouchard  et 
Tapret  (v.  plus  haut  I».  Ph.  p.  609,  t.  i),  comme  égale  à  0,17  par  kilogramme  pour  le 
nitrate  de  potasse  et  2,30  pour  le  nitrate  de  soude.  Chiffres  sensiblement  égaux  à  ceux 
que  donnent  les  sels  correspondants  (0,18  par  kilogramme  pour  le  chlorure  de  potas- 
sium; 3,03  pour  le  phosphate  de  soude,  2,03  pour  le  sulfate  de  soude).  Ces  faits  sem- 
blent prouver  que  nitrates,  chlorures,  sulfates  ont  la  même  puissance  toxique.  Ch.  Richet, 
eu  étudiant  la  toxicité  des  différents  sels  de  sodium  sur  des  poissons  mis  dans  des 
solutions  de  titre  différent  (B.  B.,  1880,  t.  sxxvm,  p.  486),  a  constaté  que,  pour  une 
même  dose  de  sodium,  le  chlorure  était  le  moins  toxique,  et  il  a  dressé  l'échelle  sui- 
vante : 

DOSE      TOXIQUE     EX     POIDS     DE     SODIUM     PAR     LITRE. 

Chlorure 16     grammes. 

Azotate 5,4 

Sulfate 5,3 

Fluorui-e 3,3 

Bromure 3,3 

Formiate 2,2 

Azotite 1,9 

Acétate 1,9 

Citrate 1,6 

lodure 1 

Oxalate 0,8 

Salicylate 0,22 

On  peut  déduire  de  ces  faits  que  les  nitrates  sont  toxiques  par  leur  métal  plus  que 
par  leur  radical  électro-positif.  M.airet  et  Combem.ale  ont  déterminé  {B.  B.,  1887, 
t.  XXXIX,  p.  o7  et  p.  63)  la  dose  toxique  du  nitrate  de  potasse,  et  ont  trouvé  une  dose 
de  2e"-,D  par  kilogramme  d'animal  sur  le  chien.  Ce  chiffre  revient,  en  somme,  à  celui  de 
Bouchard;  car  il  s'agit,  dans  les  expériences  de  Mairet  et  Combemale,  d'injections  sto- 
macales, et  dans  celles  de  Bouchard  d'injections  intra-veineuses.  Or,  comme  l'a  constaté 


AZOTE.  939 

Ch.  RiCHET  dans  d'autres  recherches  {Travaux  du  laboratoire,  1893,  t.  n,  p.  448),  quand  il 
s'agit  de  sels  de  potasse,  la  dose  mortelle  pour  l'injection  inlra-veineuse  est  dix  ou 
quinze  fois  plus  faible  que  pour  l'injection  stomacale. 

D'après  Mairet  et  Cohbemale,  à  dose  forte,  le  nitrate  de  potasse  (qui,  k  dose  faible, 
provoque  de  la  diurèse)  produit  de  l'anurie,  de  la  diarrhée,  l'accélération  du  cœur, 
de  la  faiblesse  générale,  un  notable  abaissement  de  la  pression  artérielle,  et  ils  expliquent 
la  mort  par  une  action  sur  les  globules  du  sang.  Il  est  probable  en  effet  que,  comme 
tous  les  sels  de  potasse,  le  nitrate  agit  sur  les  globules  du  sang  et  le  myocarde.  Quant 
à  l'hypothèse  de  Mairet  et  Combemale,  que  l'action  diurétique  du  nitrate  Je  potasse  est 
due  à  une  déshydratation  des  globules  du  sang,  elle  est  impossible  à  vérifier,  et  n'est 
d'ailleurs  pas  vraisemblable. 

Les  effets  diurétiques  des  nitrates  ont  été  utilisés  en  thérapeutique,  et  de  nombreux 
travaux  ont  été  publiés  a.  ce  sujet.  Il  est  probable  que  leur  effet  diurétique  n'est  pas 
spécifique,  et  que  tous  les  sels  de  potasse  ingérés  à  faible  dose  auraient  le  même  effet. 
En  somme,  si  le  nitrate  de  potasse  a  une  action  spécifique,  c'est  moins  sur  la  sécrétion 
urinaire  que  sur  le  sang,  dont  il  diminue  la  fibrine;  sur  les  globules,  qu'il  rend  cré- 
nelés; et  sur  le  cœur  dont  il  affaiblit  la  force. 

Nitrates  des  eaux.  —  Certaines  eaux  minérales  contiennent  des  quantités  notables  de 
nitrates,  celle  de  Prieuré  Deudeville  (Eure)  contiennent  0,36  de  nitrates  alcalins  par 
litre  (Rabuteau).  L'eau  de  Kissingen,  0,009. 

Nitrates  dans  les  plantes.  —  Certaines  plantes,  comme,  par  exemple,  VAmaranthus, 
d'après  BouTiN,  contiennent  jusqu'à  lo  p.  100  de  leur  poids  de  nitrate  de  potasse. 
Chatin  (B.  B.,  1874,  t.  xxvi,  p.  101)  en  a  trouvé  de  b  à  8  p.  100  dans  différentes  plantes 
sèches  et  jusqu'à  8  ou  9  p.  100  dans  les  morènes.  11  s'ensuit  qu'avec  nos  aliments  végé- 
taux nous  ingérons  des  quantités  appréciables  de  nitrates.  D'après  Fh(;hling  et  Grouven, 
il  y  en  ajusqu'à  un  millième  dans  les  jeunes  légumineuses  et  graminées.  Cette  proportion 
peut  monter  jusqu'à  3  millièmes  dans  les  choux  elles  betteraves  (Ko.\ig,  Menschlichen 
Nahrungs  und  Genussmittel).  Ainsi  rien  de  surprenant  si  dans  l'urine  normale  il  y  a 
élimination  d'une  certaine  quantité  de  nitrates.  D'après  Weyl  et  Meyer,  cette  quantité 
d'acide  nitrique  éliminé  par  l'urine  sous  forme  de  sel  serait  de  0,02o  à  0,0.o0  par  litre. 

Weyl  [A.  V.  1884,  t.  xcvi,  p.  462)  a  donné  la  bibliographie  détaillée  de  toutes  les  recher- 
ches relatives  à  la  présence  des  nitrates  dans  l'urine,  et  lui-même  a  consacré  plusieurs 
mémoires  à  l'étude  approfondie  de  cette  question  [A:  V.  1883,  t.  ci,  p.  175;  1886,  t.  f:v, 
p.  187,  et  A.  Pf.,  t.  X.XXVI,  p.  4o6). 

Il  s'est  proposé  de  rechercher,  d'une  part,  si  l'ammoniaque  ingérée  se  transformait  en 
acide  nitrique,  d'autre  part,  si  l'acide  nitrique  introduit  de  l'économie  subit  des  trans- 
formations. La  conclusion  tirée  de  ses  expériences,  c'est  que  les  résultats  sont  différents 
suivant  qu'on  expérimente  sur  l'homme  ou  sur  le  chien.  Celui-ci,  après  ingestion  d'am- 
moniaque, ne  produit  pas  de  nitrates;  et  non  seulement  il  n'en  produit  pas  après 
ingestion  d'ammoniaque  ou  de  viande,  mais  même  après  ingestion  d'acide  nitrique  ou 
de  nitrates.  Il  est  alors  possible,  comme  l'a  dit  Zuntz,  à  propos  d'une  communication 
faite  par  un  élève  de  \A'eyl,  Kossel,  à  la  Société  physiologique  de  Berlin,  qu'après  inges- 
tion d'ammoniaque  une  certaine  quantité  soit  éliminée  sous  forme  d'azote  libre  par  les 
voies  respiratoires. 

Chez  l'homme,  au  contraire,  il  y  a  des  nitrates  dans  l'urine,  et,  quand  on  en  ajoute 
dans  l'alimentation,  on  retrouve  l'acide  nitri(jue  produit.  Des  observations  sur  les  oiseaux 
ont  fourni  les  mêmes  résultats. 

Il  est  donc  prouvé  que  l'homme  élimine  de  l'acide  nitrique  en  petite  quantité,  et, 
comme  nous  le  disions  plus  haut,  les  nitrates  éliminés  proviennent  très  certainement 
des  aliments  végétaux  ingérés.  Peut-être  aussi  une  très  petite  quantité  est-elle  fournie 
par  les  oxydations  et  transformations  des  sels  ammoniacaux  et  des  aliments  azotés. 

Pour  le  rôte  des  azotates  dans  la  vie  des  plantes,  nous  renvoyons  à  l'article  Azote. 

CH.  R. 

AZOTE.  —  Corps  simple,  gazeux,  formant  les  quatre  cinquièmes  de  l'air 
atmosphérique  (P.  at.  =  14j.  Un  litre  d'azote  pur  pèse  lsr,2o6  (à  0°  "X  0^,760).  Sa  den- 
sité est  égale  à  0,971. 


960  AZOTE. 

i;air  contient  79,2  p.  dOO  d'azote  et  d'argon,  soit  environ  7S  p.  100  d'azote. 

L'azote  estsoluble  dans  cinquante  fois  son  volume  d'eau. 

Il  se  liquéfie  par  le  froid  et  la  pression  et  bout  à  —  213°.  L'évaporalion  de  l'azote 
liquide  amène  la  congélation  en  cristaux  neigeux,  volumineux,  d'une  partie  de  la  masse 
liquide. 

L'azote  à  la  température  ordinaire  ne  se  combine  directement  avec  aucun  corps. 
Par  l'étincelle  électrique  on  peut  le  combiner  à  l'oxygène  et  à  l'eau  ;  et  on  obtient 
ainsi,  suivant  les  conditions  de  l'expérience  du  biox3'de  d'azote,  de  l'anbydride  hypo- 
azotique,  de  l'ammoniaque,  de  l'acide  azotique,  de  l'azotate  d'ammoniaque. 

Le  bore,  le  magnésium,  le  potassium,  chauffés  dans  un  courant  d'azote,  forment  des 
azolures.  Le  carbone  forme  avec  l'azote  du  cyanogène,  en  présence  des  alcalis. 

On  prépare  l'azote  soit  en  absorbant  l'oxygène  de  l'air  (par  le  phosphore,  par  le 
cuivre  au  rouge,  par  le  cuivre  ammoniacal),  soit  en  dissociant  l'azotite  d'ammoniaque 
par  la  chaleur,  soit  en  décomposant  l'ammoniaque  ou  un  sel  ammoniacal  par  le  chlore 
ou  le  brome. 

On  peut  évaluer  la  quantité  d'azote  contenue  dans  l'atmosphère  à  environ  300  mil- 
lions de  milliards  de  tonnes  (en  kilogrammes).  Cette  quantité  de  l'azote  atmosphérique 
est  si  considérable  que  l'azote  contenu  dans  le  corps  des  êtres  vivants  et  dans  les  diffé- 
rents minerais  peut  être  regardé  comme  une  quantité  négligeable.  Cependant,  d'après 
ScHLŒSiNG,  l'eau  de  mer  contient  0'»'"'S'-,4  d'ammoniaque  par  litre;  ce  qui  ferait  par 
conséquent  une  énorme  provision  d'azote  dans  la  mer  :  loOOO  millards  de  tonnes, 

L'azote,  malgré  ses  faibles  affinités,  est  un  élément  essentiel  de  la  vie  des  êtres, 
puisqu'il  entre  dans  la  composition  des  matières  albuminoïdes  qui  font  partie  intégrante 
de  la  constitution  des  végétaux  et  des  animaux.  On  peut  évaluer  à  environ  3  p.  100  en 
moyenne  la  proportion  d'azote  contenu  dans  le  corps  des  êtres  vivants  (la  proportion 
d'eau  étant  d'environ  73  p.  dOO). 

Cet  azole  n'est  pas  introduit  dans  l'organisme  par  la  respiration.  Il  n'y  a  pas  de 
fixation  d'azote  libre  par  les  êtres  supérieurs.  On  verra  plus  loin  (voir  Azote,  fixation  par 
le  sol  et  les  végétaux)  que  l'azote  atmosphérique  est  directement  assimilé  par  les 
organismes  végétaux  inférieurs.  Les  produits  de  cette  assimilation  sont  des  matières 
azotées,  des  nitrates,  des  sels  ammoniacaux  qui  servent  à  la  nutrition  des  êtres  supé- 
rieurs. 

L'azote  assimilé  est  ensuite  désassimilé  et  excrété  sous  forme  de  combinaisons  azotées 
multiples,  variant  avec  la  nature  de  l'espèce  animale  pu  végétale.  Mais  il  est  probable 
qu'une  partie  de  cet  azote  excrété  est  rendu  sous  forme  gazeuse;  de  sorte  que,  d'une 
manière  générale,  on  peut  concevoir  les  êtres  supérieurs  comme  chargés  de  détruire  les 
combinaisons  azotées  formées  par  les  micro-organismes  du  sol  et  de  certaines  plantes 
(légumineuses). 

Si  l'on  admet  que  1  kilogramme  de  tissu  vivant  contienne  30  grammes  d'azote  dans 
ses  tissus;  la  dénutrition  azotée  est  pour  cet  animal  de  d  kilogramme  (à  sang  chaud), 
environ  08'',3  d'azote  par  vingt-quatre  heures.  Autrement  dit  la  destruction,  et  par 
conséquent,  la  rénovation  de  l'azote  des  tissus  porte  sur  la  centième  partie  de  ses  tissus 
par  vingt-quatre  heures. 

L'azote  gazeux  existe  en  dissolution  dans  le  sang  et  aussi  dans  toutes  les  humeurs.  Le 
sang  contient  environ  l'''=,o  de  gaz  azote  pour  iOO  centimètres  cubes  (Voyez  Sang,  Respi- 
ration). Les  autres  liquides  organiques  en  contiennent  des  proportions  analogues. 

Quant  à  l'élimination  d'azote  gazeux  par  la  respiration,  c'est  un  problème  très  diffi- 
cile, non  résolu  encore.  On  tend  à  admettre  que  nous  exhalons  par  les  poumons  une 
minuscule  quantité  d'azote  libre. 

Si  les  pressions  élevées  sont  mortelles,  c'est  par  l'action  toxique  de  l'oxygène, 
comme  l'a  montré  P.  Bebt.  L'action  chimique  de  l'azote  est  tout  à  fait  nulle,  même  si 
la  pression  est  élevée. 

De  fait  il  semble  que  la  fonction  de  l'azote  par  rapport  à  la  nature  vivante  soit 
d'abord  de  faire  des  combinaisons  qui,  par  leur  instabilité,  se  prêtent  aux  combinaisons 
et  aux  dissociations  protoplasmiques,  et  ensuite  de  diminuer  l'intensité  des  oxydations, 
en  diluant  des  4/3  l'oxygène  atmosphérique. 

Voir  Albuminoïdes,  Aliments,  Air,  Respiration,  Nutrition,  Urée. 


AZOTE.  .  961 

AZOTE  {Fixation  de  l'azote  ijazeux  par  le  sol  et  les  végétaux).  —  La  question  de 
l'absorption  de  l'azote  gazeux  par  le  sol  et  les  végétaux  est  une  de  celles  sur  lequelles 
les  connaissances  bactériologiques  ont  jeté  dans  ces  dernières  années  la  plus  vive 
lumière.  Nous  envisagerons  surtout  les  rapports  de  l'azote  libre  avec  le  sol  et  avec  les 
végétaux  et  nous  traiterons  incidemment  ce  qui  est  relatif  au  rôle  que  jouent  les  nitrates 
et  les  sels  ammoniacaux  dans  la  nutrition  azotée  des  plantes. 

Niée  par  Boussingault,  défendue  par  G.  Ville,  il  y  a  quarante  ans,  finalement  non 
acceptée  de  la  plupart  des  physiologistes,  bien  que  des  observations  de  tous  les  jours 
parlassent  en  sa  faveur,  la  fixation  de  l'azote  par  le  sol  et  par  certaines  plantes  est 
universellement  admise  aujourd'hui.  C'est  qu'en  effet,  à  la  suite  de  minutieuses  recher- 
ches que  nous  exposerons  plus  loin,  cette  question  est  entrée  récemment  dans  une  phase 
nouvelle,  dès  qu'on  a  entrevu  la  part  que  les  infiniment  petits  prenaient  dans  l'ac- 
complissement du  phénomène. 

Nous  présenterons  les  faits  dans  l'ordre  suivant  : 

I.  Recherches  de  Boussingault  et  de  G.  Ville. 

II.  Phénomènes  naturels  et  expériences  dans  lesquels  intervient  l'azote  libre. 

IIL  Théorie  de  la  circulation  de  l'ammoniaque  atmosphéric^ue,  son  rôle  dans  la  nutrition 
des  plantes.  — ■  Fixation  électrique  de  l'azote. 

IV.  Fixation  de  l'azote  sur  la  terre  végétale  avec  le  concours  des  microorganismes.  Fixa- 
tion de  l'azote  par  les  légumineuses. 

V.  Nature  des  tubercules  radicaux  des  légumineuses.  —  Expériences  d'inoculation. 

VI.  Premiers  essais  de  culture  des  microbes  fixateurs  d'azote  existant  dans  le  sol;  résultats 
expérimentaux. 

I.  Recherches  de  Boussingault  et  de  G.  Ville.  —  Quelques  mots  d'abord  sur 
l'historique  de  la  question  sont  nécessaires.  Dès  que  la  composition  de  l'air  fut  connue, 
on  se  demanda  quel  était  le  rôle  que  jouait  l'azote  vis-à-vis  des  plantes.  Priestley,  puis 
Ingenhousz,  conclurent  de  leurs  expériences  que  l'azote  de  l'air  peut  servir  à  la  nutrition 
des  plantes.  Priestley  crut  reconnaître  que  l'EpHobium  hirsutum,  placé  dans  un  vase  clos, 
avait  absorbé  au  bout  d'un  mois  les  sept  huitièmes  de  l'air  que  contenait  le  récipient. 
Inge.nhousz  voulut  généraliser  cette  observation  :  pour  lui  toutes  les  plantes  doivent  absor- 
ber l'azote  gazeux.  Cependant  Saussure,  en  répétant  les  essais  de  Priestley,  obtient  un 
résultat  tout  différent;  le  célèbre  physiologiste  montre  que  les  plantes  ne  condensent 
pas  l'azote  gazeux  et  que  leur  nutrition  azotée  se  fait  aux  dépens  de  l'ammoniaque 
contenue  dans  l'atmosphère.  L'azote  de  fair  n'intervient  donc  pas  directement  et  n'a 
d'autre  rôle  que  celui  de  tempérer  les  affinités  trop  vives  de  l'oxygène.  «  On  ne  peut  dou- 
ter, dit  Saussure,  de  la  présence  des  vapeurs  ammoniacales  dans  l'atmosphère,  lorsqu'on  voit 
que  le  sulfate  d'alumine  peut  se  changer,  à  l'air  libre,  en  sulfate  ammoniacal  d'alumine.  »  Il 
faut  cependant  noter  que  les  plantes,  dans  le  dispositif  employé  par  Saussure,  ne 
pouvaient  prospérer  au  sein  d'une  atmosphère  confinée;  celle-ci  doit  être  renouvelée  et 
on  ne  peut  conclure  à  la  non-absorption  de  l'azote,  puisque  les  conditions  de  cette  végé- 
tation étaient  essentiellement  anormales. 

Il  faut  arriver  aux  travaux  de  Boussingault  (.4)i)i.  Chim.,  (2),  t.  lxvii,  p.  5,  18.38)  pour 
trouver  l'emploi  d'une  méthode  rigoureuse  d'investigation.  Les  expériences  que  nous 
venons  de  rapporter  étaient  faites  sous  une  cloche  et,  de  la  différence  entre  les  composi- 
tions initiale  et  finale  des  gaz  enfermés,  on  concluait  à  l'absorption  ou  à  la  non-absorp- 
tion de  l'azote  gazeux.  Or  de  semblables  essais  présentent  de  trop  grandes  difficultés  et 
de  trop  grandes  incertitudes  pour  qu'on  puisse  se  prononcer  nettement  dans  un  sens 
ou  dans  l'autre  :  il  eût  fallu  pouvoir  toujours  compter  sur  des  changements  considé- 
rables de  volume.  Aussi  Boussingault  emploie-t-il  le  procédé  suivant  :  il  compare  la 
composition  des  semences  à  celle  des  récoltes  obtenues  aux  dépens  seuls  de  l'eau  et 
de  l'air.  Ce  mode  d'expérimentation  d'ailleurs  a  été  suivi  toujours  depuis  les  mémorables 
recherches  que  nous  allons  résumer  brièvement.  D'une  part,  dosage  initial  de  l'azote 
contenu  dans  la  graine  employée,  le  sol  et  même  les  vases  mis  en  usage,  d'autre  part, 
dosage  final  de  l'azote  dans  les  plantes,  le  sol  et  le  vase.  A  ces  données,  il  convient 
d'ajouter  l'azote,  que  contient  l'eau  d'arrosage  (à  moins  que  celle-ci  n'ait  été  préalable- 
ment privée  d'ammoniaque  par  distillation)  à  l'azote  apporté  par  l'eau  de  pluie  (ammo- 
niaque et  acide  nitrique)  si  l'expérience  a  été  faite  en  plein  air;  on  devra  aussi  tenir 

DICT.    DE   PHYSIOLOGIE.    —    TOME    l.  61 


962  .  AZOTE. 

compte,  dans  ce  dernier  cas,  de  l'ammoniaque  gazeuse  que  renferme  l'atmosphère,  car 
nous  verrons  dans  la  suite  qu'on  a  fait  jouer  longtemps  à  cette  ammoniaque  un  rôle 
considérable  dans  la  nutrition  azotée  des  végétaux  tant  que  l'absorption  directe  de  l'azote 
a  été  un  fait  contesté.  Telle  est,  nous  le  répétons,  la  méthode  suivie  dans  toutes  les  re- 
cherches de  ce  genre.  Quant  à  l'azote,  on  dosait  soit  en  volumes  (procédé  de  Dumas) 
soit  à  l'état  d'ammoniaque  par  la  chaux  sodée. 

Revenons  aux  recherches  de  Boussingault.  Le  sol  dans  lequel  germait  la  graine  était 
un  sable  siliceux,  tamisé  d'abord,  puis  chauffé  au  rouge  pour  détruire  toute  matière 
organique.  Une  fois  humecté  d'eau  distillée,  ce  sable  recevait  les  graines.  A  la  fln  de 
l'expérience,  on  comparait  le  poids  du  végétal,  séché  à  HO",  avec  celui  de  la  graine  au 
même  état  de  dessiccation.  Les  premiers  essais  exécutés  avec  le  trèfle  et  le  froment  se 
développant  à  l'air  libre  et  à  l'abri  de  la  pluie  ont  fait  voir  que,  pendant  leur  germina- 
tion, le  trèfle  et  le  froment  «  ne  gagnent  ni  ne  perdent  une  quantité  d'azote  qui  soit  indi- 
quée par  l'analyse  ».  Nous  ne  retenons  ici  que  ce  qui  est  relatif  à  l'azote  seul.  Après  avoir 
végété  un  certain  temps,  le  trèlle  accusa  un  gain  non  douteux  d'azote  pris  à  l'atmo- 
sphère, gain  qui  n'avait  pas  eu  lieu  pendant  la  germination  de  la  graine  ainsi  que  nous 
l'avons  vu.  A(in  d'éliminer  une  cause  d'erreur  possible  dans  ces  expériences,  à  savoir  la 
chute  sur  l;i  vase  de  culture  des  poussières  organiques  en  suspension  dans  Fatmo- 
sphère,  Boussingault  répéta  ces  mêmes  essais  sous  une  cloche  traversée  par  un  courant 
d'air  qui  barbotait  au  préalable  dans  un  vase  plein  d'eau  :  le  trèfle  accusa  encore  un 
gain  d'azote.  Cultivé  dans  les  mêmes  conditions,  le  froment  ne  perdit  ni  ne  gagna 
d'azote.  Boussingault  ajoute  que  le  froment  aurait  peut-être  accusé  un  gain,  ainsi  que 
le  trèfle  par  une  culture  suffisamment  prolongée,  mais  qu'il  a  bien  moins  supporté  que 
le  trèfle  les  conditions  défavorables  dans  lesquelles  ces  deux  plantes  étaient  placées. 
Dans  un  second  mémoire  {Ann.  Chim.,  (2),  t.  lxxx,  p.  3o3,  1838),  Boussingault  répète, 
en  partie,  les  expériences  qu'il  a  déjà  exécutées;  il  constate  sur  le  pois  ce  qu'il  a  déjà 
constaté  sur  le  trèfle,  mais,  chose  curieuse,  le  pois  a,  de  plus,  fleuri,  et  donné  des  graines 
d'une  maturité  parfaite,  bien  qu'il  ait  été  cultivé  dans  du  sable  calciné.  La  quantité 
d'azote  de  la  récolte  est  plus  que  le  double  de  celle  de  l'azote  de  la.  semence.  Cette 
remarquable  expérience  ne  reçut  pas  d'explication.  Ce  n'est  qu'à  la  suite  de  recherches 
toutes  récentes,  ainsi  que  nous  le  verrous,  qu'une  interprétation  rationnelle  peut  en  être 
donnée.  Un  autre  point  visé  par  Boussingault  dans  son  mémoire  est  le  suivant  :  Des 
plantes,  douées  d'une  organisation  complète,  assimilent-elles  l'azote  quand  elles  sont 
transplantées  et  cultivées  dans  un  sol  absolument  privé  de  matières  organiques?  L'expé- 
rience a  porté  sur  le  trèfle  qui,  retiré  d'un  champ,  fut  transplanté  dans  du  sable  calciné 
puis  humecté  et  mis  ensuite  à  l'abri  des  poussières  de  l'atmosphère;  des  pieds  témoins 
servaient  à  l'analyse.  Après  avoir  été  languissantes,  les  trois  plantes  employées  prirent 
bientôt  une  vigueur  remarquable  et  donnèrent  des  fleurs.  «  Ainsi,  après  deux  mois  de 
végétation  aux  dépens  de  l'air  et  de  l'eau,  le  trèfle  aurait,  pour  ainsi  dire,  triplé  le  poids 
de  sa  matière  élémentaire  et  l'azote  se  trouverait  doublé.  »  Boussingault  voulut  répéter 
avec  le  froment  une  expérience  de  transplantation,  mais  cette  plante  mourut  constam- 
ment. Il  s'adressa  alors  à  l'avoine  qu'il  plaça  dans  l'eau  distillée  :  dans  ces  conditions, 
le  végétal  s'allongea  et,  sept  semaines  après,  les  graines  étaient  mûres.  Mais,  au  lieu 
d'accuser  un  gain  d'azote  durant  la  végétation,  l'analyse  signala,  au  contraire,  une 
légère  perte  de  cet  élément.  A  la  suite  de  ces  diverses  expériences,  l'auteur  ne  se  pro- 
nonce pas  d'une  façon  absolue  sur  l'origine  de  l'azote  gagné  par  le  trèfle  et  le  pois;  il 
attribue  ce  gain,  soit  à  l'azote  gazeux,  soit  aux  vapeurs  ammoniacales  contenues  dans 
l'atmosphère,  soit  au  nitrate  d'ammonium  qui  se  rencontre  fréquemment  dans  l'eau  de 
pluie  d'orage.  Telles  sont  les  conclusions  formulées  par  Boussingault  comme  conséquence 
de  ses  premières  recherches.  Liebig  fut  plus  catégorique  et  se  prononça  nettement  en 
faveur  de  l'absorption  par  les  plantes  de  l'ammoniaque  atmosphérique.  Mulder  faisait 
provenir  celle-ci  de  la  combinaison  de  l'azote  de  l'air  avec  l'hydrogène  dégagé  dans  la 
décomposition  des  corps  organiques  privés  d'azote. 

Douze  ans  après  la  publication  des  travaux  que  nous  venons  d'analyser,  Boussingault 
reprit  en  1831  et  1833  la  question  du  rapport  de  l'azote  avec  la  végétation  :  ses  nouvelles 
expériences  le  conduisent  à  des  conclusions  différentes  (A?hi.  Chim.,  (3),  t.  xli,  p.  3;  t.  xlih, 
p.  149  ;  Agronomie,  Chimie  agricole  et  Physiologie  par  Boussingault  ;  Paris  1 860,  t.  I,  p.  d ). 


AZOTE.  963 

BocssiNGAULï  remarque  d'abord  que,  la  proportion  des  substances  azotées  élaborées  par 
une  plante  en  sol  stérile  étant  très  faible,  même  si  la  végétation  est  prolongée  pendant 
plusieurs  mois,  il  semble  peu  rationnel  d'admettre  que  l'azote  gazeux  intervienne,  puis- 
qu'il domine  dans  la  composition  de  l'air.  On  conçoit  mieux,  ati  contraire,  dit-il,  l'exiguité 
de  la  dose  d'azote  assimilé  dans  l'hypothèse  de  l'intervention  unique  lii.s  r(iii::iirs  ammonia- 
cales, par  cette  raison  que  l'atmosphère,  ne  renfermant  pour  ain^i  ilirr  ^iin-  des  traces  de 
carbonate  d'ammoniaque,  elle  ne  peut  fournir  qu'une  quantité  très  lindltc  d'cl&ments  azotés  à 
une  végétation  accomplie  sous  la  seule  influence  de  l'air  etde  l'eau.  Ce  raisonnement,  attaquable 
par  plus  d'un  côté,  a  été  néanmoins  accepté  presque  universellement  pendant  trente 
ans  et  l'on  peut  dire  que  la  théorie  de  la  nutrition  ammoniacale  a  régné  sans  conteste 
pendant  cette  période  de  temps. 

Dans  ses  expériences  de  1851-1833,  Bocsslngault  ne  fait  plus  végéter  les  plantes  sous 
cloche  dans  un  courant  d'air  :  en  effet,  ce  courant  devant  être  rapide  afln  que  l'acide 
carbonique  amené  par  lui  fût  suffisant,  il  était  à  craindre  que  l'ammoniaque  atmosphé- 
rique ne  fût  pas  retenue  intégralement  par  les  réactifs  appropriés.  De  plus,  en  supposant 
que  cette  purification  fût  complète,  si  l'on  constate  cependant  un  gain  d'azote,  on  pourra 
.seulement  conclure  que  cet  azote  ne  provient  pas  de  l'ammoniaque,  car,  pour  admettre 
qu'il  provienne  de  l'état  gazeux,  il  faudrait  pouvoir  affirmer  que  indépendamment  de 
composés  ammoniacaux  volatils  et  des  poussières  d'origine  organique,  l'atmosphère  ne  contient 
pas  en  proportion  assez  faible  pour  échapper  aux  procédés  ordinaires  de  l'analyse,  d'autres 
principes  capables  de  concourir  à  la  formation  de  substances  azotées  dans  les  végétaux. 
Aussi,  dans  les  nouvelles  e.xpériences,  la  plante  végète-t-elle  dans  une  atmosphère  non 
renouvelée.  L'appareil  consiste  en  une  cloche  de  trente-cinq  litres  reposant  sur  une  vaste 
soucoupe  pleine  d'eau  acidulée  dans  laquelle  la  cloche  entre  sur  une  longueur  de  quel- 
ques centimètres.  L'air  est  ainsi  confiné,  mais  non  d'une  façon  absolue,  puisque  son  vo- 
lume change  par  suite  des  variations  de  pression  et  de  température  et  que  la  diflusion 
s'opère,  lentement  sans  doute,  l'air  pouvant  pénétrer  dans  la  cloche  à  travers  la  liqueur 
acide.  Cet  air  abandonne  nécessairement  l'ammoniaque  et  les  poussières  organiques  qu'il 
contient.  Un  vase  de  cristal  plein  d'eau^se  trouve  porté  par  un  support  de  verre  au 
centre  de  la  soucoupe.  L'eau  de  ce  vase  sert  à  arroser  par  imbibition  le  sol  contenu  dans 
le  pot  à  expérience  qui  repose  sur  lui.  Un  tube  deux  fois  coudé  permet  de  remettre  de 
l'eau  dans  le  vase,  un  autre  tube  sert  à  introduire  de  l'acide  carbonique  préparé  et  puri- 
fié comme  il  convient.  La  calcination  du  sol  est  elTectuée  dans  un  creuset  percé  au  fond 
et  servant  directement,  sans  transversement,  aux  expériences.  Quand  ce  creuset  est  re- 
froidi, on  humecte  son  contenu  avec  de  l'eau  privée  d'ammoniaque,  dans  laquelle  sont 
délayées  les  cendres  qu'on  veut  faire  agir  sur  la  végétation.  Les  graines  soumises  à  l'expé- 
rience étaient  additionnées  de  cendres  de  fumier.  Ou  déterminait  au  préalable  la  quan- 
tité d'azote  contenue  dans  des  graines  semblables,  puis,  à  la  fin  de  l'expérience,  l'azote  con- 
tenu: l°dans  les  plantes  récoltées  ;  2°  dans  le  sol  qui  avait  porté  ces  plantes.  Les  méthodes 
analytiques  ainsi  que  les  précautions  prises  pour  leur  exécution  sont  d'ailleurs  ii'répro- 
cbables  :  nous  ne  pouvons  nous  y  arrêter  davantage.  Les  conclusions  que  l'auteur  tire  de 
cette  nouvelle  série  d'expériences  peuvent  se  résumer  en  quelques  mots  :  il  n'y  a  pas  eu, 
dans  l'espace  de  deux  à  trois  mois,  fixation  d'azote,  ni  dans  les  essais  portant  sur  les 
haricots,  ni  dans  ceux  ayant  porté  sur  l'avoine.  Dans  une  nouvelle  suite  de  recherches 
exécutées  en  1833,  Boussingault  fit  usage,  non  de  cloches,  mais  de  grands  ballons  de 
verre  de  70  à  80  litres  de  capacité.  Le  sol  était  composé  comme  précédemment;  on 
l'additionnait  de  cendres  de  fumier  et  on  l'arrosait  avec  de  l'eau  exempte  d'ammo- 
niaque. Un  ballon  contenant  six  à  sept  litres  de  gaz  carbonique  était  adapté  de  temps 
en  temps  au-dessus  de  la  tubulure  du  grand  ballon.  La  durée  de  cette  série  d'expériences 
a  été  moindre,  en  général,  que  la  précédente;  on  examinait,  en  effet,  les  plantes  dans 
toute  leur  vigueur  et  avant  la  chute  d'aucune  feuille.  La  conclusion  formulée  par  Bous- 
singault ne  diffère  pas  de  la  précédente  :  il  n'y  a  pas  de  fixation  d'azote  en  quantité 
appréciable.  Cependant  une  plante  peut  se  développer  normalement  en  vase  clos  si  le 
sol  qui  la  supporte  et  l'atmosphère  dans  laquelle  elle  se  di'esse  renferment  une  propor- 
tion suffisante  de  principes  nécessaires  à  son  existence.  Des  résultats  négatifs  furent 
également  obtenus,  soit  en  cultivant  les  plantes  (lupin,  haricot,  cresson  alénois)  dans  de 
grandes  cages  vitrées,  traversées  par  un  i-ourant  d'air  mêlé  d'acide  carbonique  en  propor- 


964  AZOTE. 

tionsufflsanle,  soit  eu  les  faisant  végéter  en  plein  air,  à  l'abri  delà  pluie  dans  le  même  genre 
de  sol,  c'est-à-dire  dans  la  ponce  calcinée.  Cependant,  dans  celte  dernière  série  d'expé- 
riences, il  y  eut  de  très  faibles  traces  d'azote  provenant,  soit  de  l'ammoniaque  atmo- 
sphérique, soiL  des  matières  organiques  eu  suspension  dans  l'atmosphère  et  dont  la  pré- 
sence se  révélait  par  l'apparition  d'une  substance  verte  couvrant  parfois  la  partie  infé- 
rieure des  pots,  parfois  aussi  s'attachant  à  la  surface  du  sol  humide.  Remarquons,  en 
passant,  que  le  dispositif  qui  consiste  à  faire  végéter  des  plantes  sous  une  cloche  dont 
l'atmosphère  n'est  pas  renouvelée  a  été  emploj'é  bien  des  fois  par  divers  expérimenta- 
teurs. Mai?,  si  cette  disposition  garantit  la  présence  d'une  atmosphère  bien  connue  et 
sans  communication  avec  l'extérieur,  elle  ne  met  pas  à  l'abri  de  l'inconvénient  suivant  : 
les  plantes  et  la  terre  arable  (au  cas  oii  l'on  ferait  usage  de  celle-ci)  dégagent  des 
principes  azotés  volatils  qui  peuvent  être  toxiques  vis-à-vis  des  êtres  qui  les  ont  sé- 
crétés. 

De  cette  longue  série  de  recherches,  Boussingault  conclut  à  la  non-absorption  de  l'azote 
gazeux.  Nous  avons  vu  cependant  que  les  expériences  de  l'année  1838  donnaient  cons- 
tamment lieu  à  un  gain  faible,  mais  réel,  d'azote.  Boussingault  pense  qu'à  cause  des 
progrès  de  l'analyse,  des  soins  particuliers  par  lui  apportés  dans  ces  derniers  essais,  par 
exemple,  l'emploi  de  l'eau  distillée  absolument  privée  d'ammoniaque,  il  faut  rejeter  les 
premières  expériences  pour  n'adopter  que  les  conclusions  des  secondes.  Il  convient  de 
remarquer  ici  qu'une  plante  à  laquelle  on  ne  donne  aucune  nourriture  azotée,  comme 
c'est  ici  le  cas,  se  développe  tant  que  l'azote  de  sa  graine  lui  suffit,  mais  le  développe- 
ment ne  saurait  être  de  longue  durée.  Non  seulement  feuilles  et  tissus  n'ont  pas  les 
dimensions  et  la  couleur  normales,  mais  la  matière  sèche  représente,  eu  général,  un 
très  petit  nombre  de  fois  seulement  le  poids  de  la  graine  qui  lui  a  donné  naissance.  Chez 
une  plante,  au  contraire,  qui  a  végété  dans  un  terrain  normal-,  le  poids  de  la  matière 
sèche  peut  atteindre  cent  et  même  mille  fois  le  poids  de  la  graine  initiale.  Un  végétal 
qui  ne  se  nourrit  qu'aux  dépens  de  l'azote  de  sa  graine  et  de  l'acide  carbonique  de  l'air 
a  été  nommé  par  Boussi.ngault  une  plante-limite. 

Continuons  à  suivre  les  travaux  de  Boussingault  dans  cette  voie,  et  arri-vons  à  une  série 
d'expériences  que  le  savant  agronome  fit,  en  1838,  sur  «  la  terre  végétale  considérée  dans 
ses  effets  sur  la  végétation  »  {Agronomie,  t.  i,  p.  283).  Bien  que  sortant  un  peu  de  notre 
sujet,  ce  nouveau  travail,  par  certains  côtés,  va  nous  offrir  des  aperçus  très  dignes  d'inté- 
rêt. Ayant  cultivé,  soit  dans  de  grands  ballons  de  verre  semblables  à  ceux  que  nous 
avons  déjà  décrits,  soit  en  plein  air,  des  lupins,  du  chanvre,  des  haricots,  plantés  dans  un 
sol  formé  de  130  grammes  de  terre  végétale  très  fertile  (contenant  2s"',o  d'azote  total  par 
kilogramme)  et  de  1300  grammes  de  quartz,  Boussingault  remarque  que  ces  divers  végé- 
taux, après  un  séjour  plus  ou  moins  prolongé  dans  le  sol  artificiel  sus-indiqué,  sem- 
blaient souffrir  d'une  insuffisance  de  matières  fertilisantes.  En  fait,  le  poids  de  la  matière 
sèche  représentait  à  peine  le  triple  ou  le  quadruple  du  poids  de  la  graine  employée, 
comme  si  ces  plantes  avaient  crû  dans  un  sol  stérile,  calciné  au  préalable.  Celles-ci 
n'avaient  utilisé  que  quelques  centièmes  à  peine  de  l'azote  qui  leur  était  offert.  Boussin- 
gault, entre  autres  conclusions  que  lui  suggèrent  ces  expériences,  émet  l'idée  que,  puis- 
que la  plus  grande  partie  de  l'azote  contenu  dans  le  sol  employé  n'est  pas  intervenue, 
le  petit  volume  de  terre  végétale  mis  en  expérience  en  est  cause  :  la  majeure  partie  de 
son  azote  n'est  pas  immédiatement  assimilable.  Dans  un  potager,  au  contraire,  de  sem- 
blables plantes  disposeraient  de  cent  et  mille  fois  plus  de  terre  et  pourraient  assimiler 
cent  et  mille  fois  plus  d'azote.  Voilà  donc  un  premier  résultat  intéressant,  puisqu'il  nous 
.indique  qu'il  ne  suffit  pas  qu'il  existe  de  l'azote  combiné  dans  un  sol,  mais  qu'il  faut 
encore  que  cet  azote  soit  assimilable.  Ces  expériences  nous  montrent  encore  autre  chose  : 
sans  doute  ces  plantes  s'étaient  mal  développées,  cependant  elles  renfermaient  un  peuplus 
d'azote  que  leurs  graines.  Cet  azote  vient  du  sol;  mais  celui-ci,  loin  de  s'être  appauvri,  a 
fait  également  un  gain  d'azote,  qui  s'est  élevé  parfois  à  1  cinquième  de  l'azote  initial  : 
en  somme,  c'est  le  sol  qui  a  fixé  l'azote.  Dans  le  cas  da  chanvre,  le  sol  n'a  rien  fixé,  bien 
que  la  plante  se  soit  légèrement  enrichie  en  azote.  Une  expérience,  exécutée  comme  les 
précédentes,  mais  avec  de  la  terre  non  ensemencée  (jachère),  a  montré  que,  à  côté  d'une 
combustion  lente  du  carbone,  il  n'y  pas  eu  perte  d'azote,  mais  plutôt  léger  gain.  Ces  divers 
résultats  furent  corroborés  par  de  nouvelles  recherches  faites  l'année  suivante  {toc.  cit.,. 


AZOTE.  965 

p.  330).  L'expérience  répétée  avec  la  terre  en  jachère  accusa  de  nouveau  une  fisation 
d'azote  en  même  temps  qu'il  y  eut  nitrification  intense.  Il  est,  de  plus,  une  remarque 
fort  intéressante  que  fit  Boussingal-lt  et  dont  la  signification  physiologique  ne  devait 
être  donnée  que  beaucoup  plus  tard.  «  Sur  les  racines  (d'un  haricot  cultivé  en  sol  sté- 
rile) d'ailleurs  très  saines,  on  apercevait  -plusieurs  tubercules  spongieux  de  la  grosseur  d'un 
grain  de  colza.  Cette  particularité  s'est  aussi  présentée  sur  les  racines  du  haricot  venu  dans  la 
terre  végétale.  »  Cornme  complément  à  ces  expériences,  Boussingault  montra  que  pen- 
dant la  végétation  des  niycodermes  et  en  particulier  de  celle  du  Pénicillium  glaucum, 
au  sein  d'un  liquide  fertile,  il  n'y  a  pas  fixation  d'azote  (toc.  ct<.,p.  340)  (voir  encore  à 
ce  sujet  :  F.  Sestini  et  G.  delTorre,  Landw-  Vers.  Stat.  t.  xix,  p.  8). 

Nous  avons  tenu  à  présenter  avec  détails  les  expériences  de  Boussingault  :  elles  ont 
en  effet  un  intérêt  considérable,  tant  à  cause  du  soin  avec  lequel  elles  ont  été  exécutées, 
indépendamment  de  toute  idée  préconçue,  qu'à  cause  de  l'iniluence  qu'elles  ont  eue 
pendant  de  longues  années  sur  le  développement  de  cette  question.  A  peine  quelques 
voix  discordantes  s'élèvent-elles  à  cette  époque  ;  la  non-absorption  de  l'azote  par  les  plan- 
tes fut  admise  par  la  majorité  des  physiologistes,  et  cela  jusqu'à  ces  dernières  années. 
Cependant,  au  moment  où  les  expériences  de  Boussingault  exécutées  enl8Sl-l8o3  sem- 
blaient entraîner  la  conviction  et  faire  rejeter  définitivement  la  doctrine  de  l'absorption 
de  l'azote  gazeux,  Georges  Ville  publiait  une  série  de  recherches  dont  nous  allons 
donner  un  rapide  aperçu,  et  qui  conduisaient  à  des  conclusions  diamétralement  opposées 
[Recherches  expérimentales  sur  les  végétations,  Paris,  1833  ;  C.  fi.,  t.  xxxi,  p.  o78;  t.  xxxv, 
pp.  464,  630;  t.  xxxvm,  pp.  703,  723).  Voici  le  raisonnement  qui  est  le  point  de  départ 
des  expériences  de  G.  Ville.  Pour  savoir  si  l'azote  que  les  plantes  tirent  de  l'air  est 
absorbé  à  l'état  d'ammoniaque  ou  à  l'état  d'azote  libre,  il  suffit  de  déterminer  la  quan- 
tité d'ammoniaque  contenue  dans  un  certain  volume  d'air,  puis  de  faire  passer  un  vo- 
lume d'air  égal  dans  l'intérieur  d'une  cloche  dans  laquelle  on  aura  enfermé  des  plantes 
semées  dans  du  sable  calciné.  Si  l'ammoniaque  de  l'air  est  l'origine  de  l'azote  absorbé 
par  les  végétaux,  les  plantes  ne  pourront  absorber  plus  d'azote  que  l'air  n'en  contient  à 
l'état  d'ammoniaque.  Mais,  si  les  plantes  se  trouvent  avoir  fixé  plus  d'azote  qu'il  n'en 
existe  dans  l'ammoniaque  aérienne,  il  faudra  chercher  autre  part  la  source  de  cette  ab- 
sorption. Pour  éliminer  les  poussières  de  l'air,  on  pourra,  dans  une  expérience,  faire 
passer  cet  air  sur  de  la  ponce  sulfurique  qui  retiendra  à  la  fois  et  les  poussières  et 
l'ammoniaque.  Si  dans  ce  dernier  cas  les  plantes  absorbent  encore  de  l'azote,  celui-ci  pro- 
viendra nécessairement  de  l'azote  gazeux  de  l'atmosphère.  Aussi  G.  Ville  s'applique-t-il 
à  doser  d'abord  l'ammoniaque  contenue  dans  l'air,  après  avoir  fait  la  critique  des  expé- 
riences de  Grager,  de  Kemp,  de  Frésemus  et  d'IsiuoRE  Pierre  sur  le  même  sujet.  Nous 
n'avons  pas  à  décrire  ici  cette  première  partie  des  recherches,  et  nous  arrivons  aux 
expériences  relatives  à  la  fixation  de  l'azote.  Celles-ci  ont  été  exécutées  dans  de  grandes 
cloches  traversées  par  un  courant  d'air,  tantôt  privé  au  préalable  d'ammoniaque  et 
tantôt  simplement  débarrassé  des  poussières  par  passage  dans  un  tube  en  U  rempli 
de  fds  de  verre.  Le  sol  employé  était  de  la  ponce  calcinée  dans  laquelle  se  faisait  l'ense- 
mencement ou  le  repiquage  de  plantes.  On  mêlait  au  sol  des  cendres  fournies  par  la 
combustion  des  plantes  identiques  à  celles  qu'on  voulait  cultiver  et  on  ajoutait  arti- 
ficiellement de  l'acide  carbonique. 

Les  expériences  exécutées  en  184,9  et  1830  sur  du  cresson,  du  lupin,  du  colza,  du  blé, 
du  seigle,  du  mais,  indiquent  toutes  une  fixation  d'azote.  Or  la  quantité  d'ammoniaque 
de  l'air  ayant  passé  dans  les  cloches  était  insuffisante  pour  rendre  compte  de  l'azote 
absorbé  par  les  plantes.  Celui-ci  ne  peut  donc  provenir  que  de  l'azote  libre  de  l'atmo- 
sphère :  la  dernière  de  ces  expériences,  entre  autres,  montre  que  les  plantes  ont  gagné 
quinze  fois  autant  d'azote  qu'il  y  en  avait  dans  les  semences.  Cependant  l'ammoniaque 
exerce  une  action  heureuse  sur  la  végétation,  et  des  expériences,  qu'il  serait  hors  de 
propos  de  rappeler  ici,  montrèrent  à  G.  Ville  qu'en  petite  quantité  cet  alcali  favorise 
singulièremant  leur  développement. 

A  partir  des  essais  de  1831,  l'ammoniaque  de  l'air  n'intervient  plus;  on  retient  cet 
alcali  au  moyen  de  ponce  sulfurique.  Or,  dans  une  expérience  exécutée  avec  des  pieds 
de  soleil  et  de  tabac,  l'azote  des  récoltes  a  été  trente-huit  fois  égal  à  celui  des  semences; 
quant  au  poids  des  récoltes  sèches,  il  excédait  celui  des  semences  d'une  quantité  consi- 


966  AZOTE. 

dérable  :  plus  de  cent  quatre-vingt-dix  fois  dans  le  dernier  cas.  De  l'ensemble  de  ces 
faits,  G.  Ville  tire  la  conclusion  suivante,  c'est  que  l'azote  de  l'air  est  absorbé  par  les 
plantes  et  sert  à  leur  nutrition.  Nous  sommes  ici  loin  des  chiffres  et  des  conclusions  de 

BOUSSINGAULT. 

Voici  encore  quelques  données  importantes  que  G.  Ville  tira  de  ses  recherches  pos- 
térieures (1 800- !  836)  {Ann.  Chim.,  (3),  t.  xlis,  p.  168).  Ayant  semé  du  blé  ou  du  colza  dans 
1  kilogramme  de  sable  calciné  additionné  d'un  peu  de  nitre,  il  constate  que  les  plantes 
absorbaient  et  s'assimilaient  l'azote  du  nitre,  mais  que  si  le  sol,  ainsi  que  ceux  précé- 
demment employés,  est  uniquement  composé  de  sable  calciné  et  de  cendres  végétales, 
il  ne  se  produit  pas  spontanément  de  nitre  aux  dépens  de  l'azote  et  de  l'oxygène 
atmosphériques. 

Voici  maintenant  une  démonstration  indirecte  de  la  fixation  de  l'azote  sur  les  plantes, 
tirée  par  G.  Ville  de  la  nature  des  produits  qui  se  forment  pendant  la  décomposition 
des  fumiers  {loc.  cit.,  p.  -185).  Reiset  a  montré,  en  effet,  que,  pendant  la  fermentation 
putride  des  matières  organiques,  une  partie  importante  de  leur  azote  est  e'iiminée  à 
l'état  gazeux.  Vers  la  même  époque,  G.  Ville  constate  que,  pendant  la  décomposition 
des  graines  de  lupin,  l'azote  était  éliminé,  partiellement  sous  forme  d'ammoniaque, 
partiellement  sous  forme  d'azote  libre.  Il  disposa,  de  la  façon  suivante,  une  expérience 
dont  la  durée  fut  de  quatre  mois.  Il  introduisit  dans  du  sable  calciné  un  certain  poids 
de  graines  de  lupin  contenant  Oe'jSSS  d'azote;  le  vase,  renfermant  le  sable,  fut  placé 
dans  une  cuvette  pleine  d'eau  distillée;  puis  on  recouvrit  le  tout  avec  une  cloche  laquelle 
fut  traversée  journellement  par  .500  litres  d'air.  On  recueillit  ainsi  0S'',0o8  d'azote  à 
l'état  d'ammoniaque;  il  ne  restait  plus  dans  le  sable  que  Ob'',093  d'^azote.  Donc, 
Os^238  — 0F^15^  =0E',087  d'azote  avaient  disparu  à  l'état  gazeux,  soit  36  p.  100  de 
l'azote  initial.  Qu'arrive-t-il  quand  la  même  quantité  de  grailles  de  lupin  se  décompose 
dans  du  sable  qui  est  cultivé?  On  disposa  sept  vases  comme  celui  de  l'expérience  pré- 
cédente, et  chaque  vase  reçut  vingt  grains  de  blé  ;  engrais  et  semence  renfermaient 
OB'', 239  d'azote  par  vase.  Après  quatre  mois,  on  analysa  le  contenu  de  cinq  de  ces  pots; 
le  sable  renfermait  en  moyenne  Osi',090  d'azote,  celui  du  vase  sans  végétation  de  l'expé- 
rience citée  plus  haut  en  contenait  0B"',093  :  la  perte  d'azote  est  donc  indépendante  de 
la  végétation.  L'expérience  destinée  à  faire  connaître  la  quantité  d'ammoniaque  perdue 
par  la  graine  de  lupin  a  appris  que  cette  perte  s'élevait  à  0b'',0o8  :  S'il  est  vrai  que  les 
plantes  ne  peuvent  s'assimiler  l'azote  qu'à  l'état  d'ammoniaque  et  de  nitre,  les  récoltes  des 
cinq  expériences  rap]]ortées  plus  haut  ne  devront  pas  contenir  plus  de  0"'',0o8  d'azote,  les- 
quels, augmentés  de  0E'',02i  contenus  dans  la  semence,  font  un  total  de  0ô'',079.  Or,  toutes 
ces  récoltes  contiennent  beaucoup  plus  d'azote  que  ce  dernier  chiffre,  soit,  en  moyenne, 
0e%0i24,  ce  dont  l'ammoniaque  de  l'engrais  ne  peut  rendre  compte.  Puisqu'il  ne  s'est 
pas  formé  de  nitrates,  il  ne  reste  donc  plus  qu'une  absorption  directe  et  immédiate  d'azote 
gazeux.  L'auteur  continue  ainsi  :  A  cet  égard,  nous  remarquons  même  qu'une  perle  d'azote, 
si  faible  qu'on  la  suppose,  implique  la  nécessité  d'une  absorption  directe;  car,  comment 
s'y  prendrait-on  pour  expliquer  l'expérience  du  pot  n"  5  dans  laquelle  l'azote  fixé  par  la 
récolte  égale  juste  l'azote  perdu  par  le  fumier?  En  effet,  avant  l'expérience  : 

20  grains  de  blé 06"-,021  azote. 

46"',015  de  graine  de  lapiQ. .    .    .     0er,23S 
Ot-S2o9 

Après  expérience  : 

17sr,15  de  récolte 06r,l52  azote. 

Restant  dans  le  sable Ob'',  106 

0Kr,2.jS 

Nous  avons  tenu  à  rappeler  complètement  une  des  expérience  de  G.  Ville.  Nous 
ferons  remarquer  en  passant  qu'en  ce  qui  concerne  la  seconde  expérience  dans  laquelle 
on  a  ensemencé  des  grains  de  blé  au  sein  d'un  sable  pourvu  de  graines  de  lupin,  il 
semble  difficile  d'admettre  que  celles-ci  se  soient  comportées  de  la  même  façon  que 
dans  l'expérience  où  elles  étaient'  seules  dans  le  sable  :  la  quantité  d'ammoniaque 
qu'elles  ont  ainsi  dégagée  ne  saurait  être  la  même  dans  le  second  cas  que  dans  le 
premier,  et  la  mesure  exacte  de  ce  dégagement  est  impossible  à  apprécier. 


AZOTE.  967 

Les  travaux  de  G.  Ville  peuvent  donc  se  résumer  en  cette  simple  proposition  :  les 
plantes  assimilent  l'azote  gazeux;  non  seulement  les  expériences  de  laboratoire  que 
nous  avons  relatées  le  démontrent,  mais,  mieux  encore,  ce  qui  se  passe  dans  la  pratique 
agricole  parle  dans  le  même  sens  :  les  plantes  cultivées  dans  les  champs  tirent  de  l'air 
un  excédent  d'azote.  Ni  la  quantité  d'ammoniaque  contenue  dans  l'ea.u  de  pluie,  en 
supposant  cette  ammoniaque  absorbée  intégralement  par  les  végétaux,  ni  les  nitrates 
formés  au  sein  de  l'atmosphère  par  les  actions  électriques  ne  contiennent  une  suffijante 
quantité. d'azote  pour  rendre  compte  des  excédents  considérables  de  cet  élément  qu'on 
trouve  dans  certaines  récolles.  Cette  opinion  devait  triompher  plus  tard,  sous  certaines 
réserves;  malheureusement,  à  cette  époque,  G.  Ville  n'était  pas  maître  de  ses  expé- 
riences et  ne  connaissait  pas  les  conditions  exactes  de  cette  fixation. 

D'où  vieiment  ces  divergences  entre  les  expériences  de  Boussingault  et  celles  de 
G.  Ville?  surtout,  pourquoi,  dans  ces  dernières,  ces  gains  énormes  d'azote  avec  des 
plantes  appartenant  à  des  familles  très  différentes,  alors  que  dans  les  expériences  de 
Boussingault,  quand  il  y  a  eu  gain  d'azote,  ce  gain  s'est  chiffré  par  des  nombres  très 
petits  par  rapport  à  la  dose  d'azote  initial  contenue  dans  la  graine'?  A  ces  diverses 
questions  il  est  impossible  de  répondre  d'une  manière  satisfaisante;  c'est  pourquoi 
nous  avons  tenu  à  mettre  sous  les  yeux  du  lecteur,  aussi  sommairement  que  possible, 
mais  sans  rien  oublier  d'essentiel,  les  pièces  du  procès.  11  convient  également  de  dire 
que  les  expériences  de  G.  Ville  furent  répétées  devant  une  commission  de  l'Académie 
des  Sciences  dont  Chevreul  était  le  rapporteur  (C.  R.,  t.  xli,  p.  757,  18oo)  et  que  celui-ci 
termine  ainsi  son  rapport  :  L'expérience  faite  au  Muséum  par  M.  Ville  est  conforme  aux 
conclusions  qu'il  avait  tirées  de  ses  travaux  antérieurs. 

II.  Phénomènes  naturels  et  expériences  dans  lesquels  intervient  l'azote 
libre.  —  Résumons  ce  qui  précède  en  disant  qu'à  la  suite  des  travaux  de  Boussingault 
et  de  ceux  de  G.  Ville,  la  question  de  la  fixation  de  l'azote  n'a  pas  fait  un  seul  pas  :  on 
ne  trouve,  en  effet,  dans  ces  travaux  aucune  expérience  absolument  démonstrative 
capable  d'entraîner  la  conviction  dans  un  sens  ou  dans  l'autre.  Il  convient  de  dire 
immédiatement  que  trois  savants  agronomes  anglais,  Lawes,  Gilbert  et  Pugh,  à  la  suite 
de  patientes  recherches,  conclurent  dans  le  même  sens  que  Boussingault.  L'azote 
gazeux  ne  peut  profiter  aux  plantes  {Proc.  Roy.  Society,  t.  x,  p.  b44,  IStil).  Aussi  la 
majeure  partie  des  physiologistes  se  rangèrent  à  cette  dernière  opinion  et  n'admirent 
la  fixation  de  l'azote  gazeux  ni  par  le  sol  ni  par  les  plantes.  Quelques-uns  accordèrent 
toutefois  à  l'azote  une  sorte  de  rôle  indirect  dans  la  nutrition  des  végétaux.  C'est  ainsi 
que  Harting  (C.  R.,  t.  xli,  p.  942)  prétend  que  les  plantes  absorbent  uniquement  les 
sels  ammoniacaux  et  les  nitrates,  mais  que  l'azote  libre  sert  indirectement  à  leur 
nutrition  en  contribuant  à  la  formation  de  ces  sels  dans  le  sol.  Le  phénomène  intime 
de  la  nitrifleation  n'était  pas  connu  à  cette  époque;  Harting  attribue  évidemment  à 
l'azote  libre  un  rôle  direct  dans  la  nitrifleation.  Tout  récemment  encore,  à  la  suite 
d'études  très  longues  et  remplies  de  faits  curieux,  Lawes  et  Gilbert  maintenaient  leur 
opinion  première  {Ann.  agronomiques,  t.  ix,  pp.  393,  4ol). 

Et  cependant  un  certain  nombre  de  phénomènes  naturels  parlent  en  faveur  de  la 
fixation  de  l'azote  libre  de  l'atmosphère.  Les  forêts,  par  exemple,  ne  reçoivent  jamais 
d'engrais;  leur  exploitation  régulière  enlève  à  chaque  coupe  une  quantité  notable 
d'azote  qui  ne  leur  est  restituée  sous  aucune  forme.  Or  le  soi  de  la  forêt  reste  indéfi- 
niment fertile;  il  y  a  donc  intervention  certaine  de  l'azote  atmosphérique  pour  réparer 
ces  pertes  continuelles.  Cette  intervention  est  également  manifeste  dans  les  prairies 
des  hautes  montagnes.  Truchot  (C.  il.,  t.  lxxxi,  p.  943)  a  remarqué  que  l'azote  est 
d'autant  plus  abondant  dans  le  sol  que  le  carbone  s'y  trouve  lui-même  en  plus  grande 
quantité.  Les  sols  volcaniques  de  l'Auvergne  donnent  en  abondance  une  herbe  qui 
nourrit  pendant  six  mois  de  l'année  des  troupeaux  de  vaches.  Ces  sols  fournissent  donc 
indéfiniment  de  l'azote  qui  ne  leur  est  rendu  que  par  l'atmosphère;  car  les  déjections 
des  animaux  ne  leur  restituent  qu'une  bien  faible  quantité  d'azote  en  comparaison  de 
celle  qu'ils  contiennent.  Or,  ces  sols  étant  très  riches  eu  matières  carbonées,  Truchot 
a  émis  l'opinion  que  ce  sont  les  matières  humiques  qui  fixent  l'azote  {voir  aussi  Duber- 
WARD,  Chem.  Centralb.,  1887,  p.  1236).  Quelques  années  auparavant,  Dehérain  (C.  R., 
t.  Lxxiii,  p.  1332;  t.  Lxvi,  p.  1390)  avait  tenté  de  démontrer  que,  pendant  la  combustion 


968  AZOTE. 

lente  des  matières  organiques,  l'azote  atmosphérique  entre  en  combinaison.  Pour  ce 
dernier  savant,  toute  plante  qui  abandonne  des  débris  sur  le  soi  qui  l'a  portée  est  donc 
l'occasion  d'une  fixation  d'azote  plus  ou  moins  considérable.  Mais  les  expériences 
théoriques  instituées  par  lui  et  qui  consistaient  à  faire  absorber  de  l'azote  gazeux  par 
des  substances  ternaires  (glucose)  en  milieu  alcalin  ne  purent  être  répétées  par  Schlœ- 
siNG  (C.  R.,  t.  Lxxxii,  p.  1202)  (Voir  aussi  Armsby,  Ann.  agron.,  t.  n,  p.  141;  Bretsch- 
NETDKR,  même  volume,  p.  626;  Dehérain,  même  volume,  p.  630).  Ajoutons  encore  que  la 
grande  culture  nous  enseigne  un  certain  nombre  de  faits  qui  parlent  en  faveur  d'une 
fixation  de  l'azote  libre.  Déterminons,  comme  l'a  fait  Boussi.ngault,  d'une  part  la  teneur 
en  azote  des  engrais  distribués  à  une  teri-e  soumise  à  un  assolement  régulier  et,  d'autre 
part,  celle  des  récoltes,  et  nous  verrons  que  celles-ci  contiennent  plus  d'azote  que  les 
fumures  qu'on  leur  a  fournies.  Notons  aussi  en  passant  les  conclusions  d'un  intéressant 
travail  de  Debébain  {Ann.  agron.  t.  vm,  p.  321;  t.  xii,  pp.  17,  97;  Sur  les  perles  el  les 
gains  que  subit  la  terre  arable)  et  dans  lequel  l'auteur  constate  que  l'enrichissement  du 
sol  en  azote  est  lié  à  l'abondance  de  la  matière  carbonée  et  son  appauvrissement  à  la 
disparition  de  cette  même  matière. 

IVous  devons  aussi  mentionner  les  expériences  de  Atwater  {Jahresb.  f.  Agrik.Chemie, 
t.  vji],  p.  139)  qui,  exécutées  à  ia  veille  en  quelque  sorte  de  la  solution  définitive  de  la 
question,  renferment  des  résultats  dignes  d'intérêt.  Cet  auteur  cultivait  à  l'air  libre, 
mais  à  l'abri  de  la  pluie,  des  pois  dans  du  sable  calciné  arrosé  de  solutions  nutritives. 
Les  plantes,  parvenues  au  terme  de  leur  existence,  contenaient  plus  d'azote  que  n'en 
contenaient  la  graine  et  l'engrais  réunis.  Cet  excès  était  faible  quand-  les  plantes 
s'étaient  mal  développées,  il  était  considérable  quand  les  plantes  avaient  vécu  normale- 
ment. Quatre  expériences,  conduites  dans  les  conditions  qui  semblaient  les  plus  avanta- 
geuses, ont  fait  voir  que  les  plantes  ont  emprunté  à  l'atmosphère  le  tiers  et  jusqu'à  la 
moitié  de  leur  azote  total  suivant  la  richesse  ou  la  pauvreté  des  solutions  nutritives 
mises  à  leur  disposition.  Atwater  incline  donc  à  croire  que  c'est  l'azote  libre  qui  inter- 
vient dans  ce  phénomène,  grâce  à  l'influence  de  l'électricité  atmosphérique  qui  facilite 
cette  union,  d'après  les  idées  de  Berthelot  exposées  plus  loin  (Consulter  aussi  les 
expériences  contradictoires  de  Dibtzell.  Botan.  Centralb.,  t.  xx,  p.  1H7  ').  ■ 

C'est  donc  cette  intervention  évidente  de  l'azote  libre  dans  la  végétation  qu'il  fallait 
mettre  en  lumière  par  des  expériences  précises  et  dirigeables  à  volonté.  Le  problème 
est  actuellement  résolu  :  nous  allons  pénétrer  le  mécanisme  de  cette  fixation  dans  un 
instant. 

III.  Théorie  de  la  circulation  de  rammoniaque  atmosphérique,  son  rôle 
dans  la  nutrition  des  plantes.  Fixation  électrique  de  l'azote.  —  Mais  avant 
d'arriver  aux  expériences  récentes  qui  ont  définitivement  résolu  la  question  de  la 
fixation  de  l'azote  dans  un  sens  positif,  il  nous  faut,  pour  ne  rien  omettre,  exposer  en 
quelques  lignes  deux  théories  relatives  à  la  nutrition  azotée  des  végétaux,  théories  qui 
forment  en  quelque  sorte  le  point  de  passage  entre  les  expériences  contradictoires  de 
Ville  et  de  Boussingault,  et  les  recherches  récentes  dans  lesquelles  il  est  démontré  que 
les  micro-organismes  jouent  un  rôle  prépondérant  dans  le  phénomène.  Nous  voulons 
parler:  A.  De  la  genèse  et  de  la  circulation  de  rammoniaque  atmosphêricjue  et  de  son 
absorption  par  les  plantes;  celle  théorie  est  duc  à  Schlœsing  ;  B.  lie  la  fixation  électrique 
de  l'azote  sur  les  corps  ternaires;  d'après  les  expériences  de  Berthelot. 

A.  Les  expériences  de  Schlœsing  relatives  à  l'ammoniaque  atmosphérique  sont 
exposées  dans  l'opuscule  intitulé  :  Contribution  à  l'élude  de  la  chimie  agricole  (Encyclo- 
pédie Frémy).  Paris,  188S,  p.  23  et  suivantes.  Après  avoir  décrit  une  méthode  très  pré- 
cise de  dosage  de  l'ammoniaque  atmosphérique,  l'auteur  donne  des  tableaux  du  taux 
des  variations  de  cet  alcali  existant  dans  l'air  pendant  chaque  mois  de  l'année  et  sous 
l'influence  des  différents  vents;  puis  il  se  demande  si  cet  alcali  est  de  quekjue  secours 
pour  la  végétation.  La  quantité  en  est  très  faible,  puisque  la  moyenne  générale,  pour 

1.  Dans  un  mémoire  intitulé  :  Les  relations  entre  les  plantes  et  l'azole  de  leur  nourriture 
(Ann.  Chim.,  (fi),  t.  n,  p.  322),  Atwater  fail  remarquer  que  le  inaïs  semble  s'accommoder  largement 
des  agents  minéraux  et  faiblement  de  l'azote  des  engrais,  il  possède  à  un  très  haut  degré  le  pou- 
voir de  s'emparerde  l'azote  des  sources  naturelles;  sous  le  rapport  botanique,  il  se  rapproche  des 
graminées;  sous  le  rapj^ort  physiologique,  des  le'gumineitses . 


AZOTE.  969 

l'année  entière,  est  de  0i'''',00225  pour  !00  nièlres  cubes  d'air.  Des  expériences  précises 
montrent  que  l'absorption  de  l'ammoniaque  par  un  liquide  légèrement  acide  exposé  à 
l'air  est,  pour  vingt-quatre  heures,  de  0e^020  par  métré  superficiel  pour  un  taux  de 
2  milligrammes  d'ammoniaque  dans  100  mètres  cubes  d'air.  On  en  conclut  qu'une  sur- 
face liquide  de  1  hectare  absorberait  en  un  jour  200  grammes,  et,  dans  une  année, 
73  kilogrammes  d'ammoniaque.  Partant  de  ce  fait  bien  connu  que  les  feuilles  des 
végétau.'j.  renferment  d'énormes  quantités  d'un  liquide  très  légèrement  acide,  Schlœsing 
assimile  les  feuilles  à  dos  lamelles  d'eau  suspendues  dans  l'air,  et  capables,  à  cause  de 
leur  grande  surface,  d'emprunter  largement  de  l'ammoniaque  à  l'atmosphère:.  Or  la 
surface  des  feuilles  appartenant  à  des  végétaux  qui  couvrent  un  hectare  dépasse,  et  de 
beaucoup,  la  surface  du  sol  sous-jacent.  Mais,  dit  Schlœsing,  réduisons-la  à  la  même 
valeur  et  admettons  que  les  feuilles  se  comportent  à  l'égard  de  l'ammoniaque  comme  l'eau 
acidulée  dans  notre  expérience.  Les  feuilles  de  l  hectare  absorbent  annuellement  73  kilo- 
ijrammes  d'ammoniaciue,  soit  61  kilogrammes  d'azote,  chiffre  du  même  ordre  que  celai  qui 
représente  l'azote  fixé  par  hectare  dans  une  récolte  du  foin.  Les  terres  sèches  absorbent 
également  cet  alcali  jusc/u'à  une  limite  pour  laquelle  la  tension  de  l'alcali  dans  la  terre 
correspond  à  sa  tension  dans  l'air  et  varie  dès  lors  dans  le  même  sens.  Nous  reviendrons 
plus  loin  sur  ce  point.  Remarquons  en  passant  que  le  dosage  de  l'ammoniaque  dans  la 
terre,  tel  qu'il  est  pratiqué  journellement  (action  de  l'acide  chlorhydrique  dilué  sur  la 
terre),  n'offre  aucune  garantie  de  précision  et  qu'un  mode  de  dosage  exact  de  cet  alcali 
reste  à  trouver  (Berthelot  et  AndrIî.  Ann.  Chim.,  (6),  t.  xi,  p.  368;  Sur  les  principes 
azotés  de  la  terre  végétale).  Quand  la  terre  végétale  est  humide,  l'absorption  de  l'ammo- 
niaque est  bien  plus  considérable,  car,  d'après  Schlœsing,  celle-ci  y  nitrifie  rapidement. 

Pour  entrer  plus  avant  dans  la  question,  il  fallait  connaître  la  loi  des  échanges  de 
l'ammoniaque  entre  les  mers,  l'atmosi^hére  et  les  continents.  Schlœswg  formule  ainsi 
le  problème  qu'il  s'est  posé  :  Étant  données  deux  masses  de  milieux  différents  et  une 
quantité  d'ammoniaque  très  petite,  déterminer  le  partage  de  l'alcali  entre  les  deux  milieux, 
partage  variable  suivant  leur  nature,  leur  quantité,  la  température,  le  mode  de  combinaison 
de  l'ammoniaque  avec  l'acide  carbonique.  Ce  problème  a  été  résolu  pour  le  cas  des 
échanges  d'ammoniaque  entre  l'air  et  l'eau  :  il  serait  trop  long  de  résumer  ici  ces 
travaux  qui  sortent  de  notre  sujet.  Voici  l'application  que  Schlœ.sing  a  faite  de  ses  expé- 
riences et  les  idées  qu'il  a  émises  relalivement  à  la  circulation  de  l'ammoniaque,  à  la 
surface  du  globe. 

La  mer  est  une  source  importante  d'ammoniaque,  elle  contient  environ  0"""'ô'',i  de 
cet  alcali  par  litre.  L'ammoniaque  marine  peut,  en  vertu  de  sa  tension,  passer  dans 
l'air  et  en  réparer  les  pertes. 

Mais  d'où  vient  l'ammoniaque  de  la  mer?  Voici,  en  deux  mots,  quelle  est  son  origine, 
d'après  Schlœsing.  L'ammoniaque  empruntée  à  l'air  par  le  sol  nitrifie  rapidement, 
l'ammoniaque  fixée  par  les  végétaux  se  change  en  matière  protéique,  laquelle,  après  la 
mort  des  plantes,  fournit,  soit  de  rammoniaq,ue,  restituée  ainsi  à, l'atmosphère,  soit  des 
nitrates.  Ou  bien  ceux-ci  sont  absorbés  par  la  racine  des  plantes,  ou  bien  ils  passent 
dans  les  eaux  de  drainage  et  de  là  se  rendent  dans  les  fleuves,  puis  à  la  mer.  La  quantité 
de  nitrates  ainsi  perdue  est  considérable.  L'eau  de  la  mer  reçoit  en  outre,  par  la  pluie, 
une  partie  de  l'acide  nitrique  formé  dans  l'air  par  les  décharges  électriques.  Or, 
d'après  Schlœsing,  l'eau  de  la  mer  ne  renferme  que  0™'"'sr- ,2  à  0™""=''-, 3  d'acide  nitrique 
par  litre.  Celui-ci,  constamment  détruit,  est  sans  doute  employé  par  la  végétation  à  la 
formation  des  composés  azotés  destinés  à  la  nutrition  des  animaux  marins.  La  des- 
truction de  ces  composés  azotés,  dans  un  milieu  peu  oxygéné,  doit  donner  de  l'ammo- 
niaque, laquelle  passe  dans  l'atmosphère  pour  être  distribuée  de  nouveau  aux  continents 
où  elle  nitrifie  et  ainsi  de  suite.  Telle  est  la  théorie  de  la  circulation  d'e  l'ammoniaque 
entre  la  mer,  l'air  et  la  terre.  La  mer,  ainsi  que  nous  l'avons  vu,  beaucoup  plus  riche 
en  ammoniaque  que  l'atmosphère,  est  non  seulement  le  réservoir  de  cet  alcali,  mais 
encore  le  régulateur  de  sa  distribution. 

Quelle  est  la  source  destinée  à  couvrir  les  pertes  occasionnées  par  la  décomposition 
des  principes  organiques  azotés  après  la  mort  des  êtres  auxquels  ils  appartiennent? 
Quelle  est,  en  un  mot,  l'origine  de  l'ammoniaque  et  de  l'acide  nitrique  qu'emploient 
les  plantes   et,  par  conséquent,  les  animaux    pour  fabriquer  leurs  éléments   quater- 


9"0  AZOTE. 

naires"?  Il  résulte,  en  effet,  de  nombreuses  recherches  que  la  destruction  spontanée  de 
la  matière  azotée  laisse  dégager,  à  l'état  d'azote  libre,  l  septième  environ  de  l'azote 
total  que  contient  cette  matière.  Adoptant  les  idées  émises  par  Boussingault  à  ce 
sujet,  ScHLŒsiNG  estime  qu'on  peut  trouver  la  cause  réparatrice  cherchée  dans  la  pro- 
duction d'acide  nitrique  dans  l'atmosphère  par  combinaison  directe  de  l'azote  et  de 
l'oxygène  sons  l'influence  des  décharges  électriques.  Les  calculs  de  ce  dernier  savant 
sont  basés  sur  plusieurs  observations  dues  à  divers  expérimentateurs  concernant  la 
quantité  d'acide  nitrique  contenue  annuellement  dans  l'eau  de  pluie  sous  diverses  lati- 
tudes. Or  cette  production  d'acide  nitrique  suffirait,  et  au  delà,  à  couvrir  les  pertes  en 
azote  faites  incessamment  par  les  phénomènes  de  décomposition.  Telles  sont,  succincte- 
ment résumées,  les  idées  ingénieuses  émises  par  Schlœsing  (voir  aussi  Berthelot  et 
André.  Rech.  sur  la  décomposition  du  bicarbonate  d'ammonium  par  l'eau  et  par  la  diffu- 
sion de  ses  composants  à  travers  l'atmosphère,  Ann.  Chim.,  (6),  t.  xi,  p.  341).  Schlœsing,  a 
de  plus  constaté  directement  (C.  R.,  t.  lxxvui,  p.  1700),  que  les  feuilles  absoi'bent  les 
vapeurs  ammoniacales  très  diluées.  Il  s'est  servi,  à  cet  effet,  d'une  grande  caisse  con- 
tenant 73  kilogrammes  de  terre  végétale.  Un  bassin  circulaire  placé  sur  la  caisse 
laissait  passer  seulement  la  tige  de  la  plante  de  façon  que  la  partie  aérienne  de  celle-ci 
n  eût  aucune  communication  avec  le  sol.  Cette  partie  était  recouverte  d'une  grande 
cloche  de  250  litres.  Le  fond  du  bassin  contenait  une  dissolution  très  faible  de  ses- 
quicarbonate  d'ammonium  de  titre  connu  qu'on  renouvelait  tous  les  jours;  la  cloche 
était  traversée  par  un  courant  d'air  (1200  litres  par  jour)  contenant  1  p.  100  d'acide 
carbonique.  Le  tabac,  sur  lequel  a  porté  l'expérience,  renferme  dans  ces  conditions 
plus  d'azote  qu'un  tabac  témoin  élevé  en  l'absence  du  sel  ammoniacal.  On  avait  offert 
à  la  plante  IS'.OQ.S  d'azote  à  l'état  ammoniacal  pendant  toute  la  durée  de  l'expérience 
et  on  a  trouvé  que  le  végétal  avait  assimilé  Os%800,  soit  les  trois  quarts  environ.  Les 
composés  azotés  dérivés  de  l'ammoniaque  assimilée  ne  sont  pas  restés  en  totalité  dans 
les  feuilles,  ils  se  sont  répandus  dans  le  végétal  entier. 

"Vers  la  même  époque,  A.  Mayer  {Landiv.  Vers.  Slat.,  t.  xvu,  pp.  129,  329)  fit  connaître 
ses  expériences  exécutées  dans  des  conditions  semblables  (séparation  absolue  des  racines 
et  de  la  partie  supérieure  de  la  plante).  Il  opérait,  soit  en  badigeonnant  les  plantes  avec 
une  solution  faible  de  carbonate  d'ammonium,  soit  en  faisant  passer  un  courant  d'air 
dans  une  solution  de  ce  sel.  Cet  auteur  conclut  que  les  végétaux  supérieurs  s'emparent, 
dans  ces  conditions,  par  leurs  parties  vertes,  du  carbonate  d'ammonium  gazeux.  Nous  no 
pouvons,  sans  sortir  de  notre  sujet,  nous  étendre  sur  ce  travail  fort  intéressant  (Voir 
aussi  Bretschnkider.  Jrt/icesfc.  Agrik.  Chemie,  t.  xiii,  p.  8b).  Revenons,  pour  un  instant,  à  la 
théorie  delà  circulation  de  l'ammoniaque  de  Schlœsing;  on  doit  se  demander  s'il  n'existe 
pas  d'autres  sources  naturelles  de  cet  alcali.  La  chose  n'est  pas  douteuse  actuellement  et 
nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de  faire  ici  quelques  remarques  relatives  à  laformation, 
dans  le  sol  même,  d'ammoniaque  et  son  émission  dans  l'atmosphère.  Les  expériences 
faites  à  ce  sujet  sont  très  concluantes  et  les.  conséquences  qui  en  découlent  naturellement 
permett|ent  de  concevoir  une  circulation  inverse  de  celle  que  ScpLŒSiNG  a  admise  à  la 
suite  de  ses  expériences'.  D'ailleurs,  et  avant  d'exposer  ces  idées  nouvelles,  rappelons 
qu'au  moment  même  où  Schlœsing  publiait  ses  théories,  Audoynaud  faisait  connaître  des 
expériences  qui  l'obligeaient  à  conclure  dans  un  sens  tout  différent.  Dans  un  mémoire 
intitulé  Recherches  sur  l'ammoniaque  contenue  dans  les  eaux  marines.  {Ann.  agron,  t.  i, 
p.  397),  cet  agronome,  voulant  soumettre  au  contrôle  de  l'expérience  la  théorie  de  l'émis- 
sion de  l'ammoniaque  par  l'eau  de  mer,  cherche  à  savoir:  1°  si  la  mer  intervient  dans  la 
restitution  de  l'azote  assimilable  ;  2°  dans  quelles  limites  elle  contribue  à  cette  restitution. 
A  cet  effet  Audoynaud  dose  l'ammoniaque  libre  et  combinée  contenue  dans  les  eaux 
marines  de  Palavas  (près  Montpellier),  en  se  servant  de  l'appareil  de  Boussîngault.  Il  fait 

1.  ScHLCEsiNG  est  reveiiu  récemment  sur  cette  question  de  l'absorption  de  l'ammoniaque  atmo- 
sphérique par  la  terre  végétale  (C.  fi.,  t.  ex,  pp.  429,  499,  612).  Pour  ce  savant,  la  fixation  de 
l'azote  libre,  ne  pouvant  avoir  lieu  par  un  sol  nu  (nous  verrons  tout  à  l'heure  ce  qu'il  faut  pen- 
ser do  cette  assertion),  tout  gain  d'azote  réalisé  par  les  terres  mises  en  expérience  par  lui  doit  être 
exclusivement  attribué  aux  composés  azotés  de  l'atmosphère  (Voir  pour  la  critique  de  ces  expé- 
riences Berthelot.  C.  R.,  t.  ex,  p.  558,  ainsi  que  ce  qui  va  suivre). 


AZOTE.  971 

d'abord  remarquer  que  la  distillation  de  l'eau  de  mer,  soit  sans  addition  de  base,  soit 
avec  addition  de  magnésie,  soit  avec  addition  de  potasse,  ne  fournit  pas  les  mêmes 
résultats  dans  les  trois  cas.  La  magnésie  peut  donner  lieu  à  des  dosages  d'ammoniaque 
un  peu  faibles;  mais  la  potasse  en  fournit  de  trop  élevés  à  cause  de  la  destruction  par- 
tielle des  matières  organiques.  Or  cette  matière  organique,  très  variable  suivant  les 
lieux  et  les  saisons,  est  constituée  par  des  organismes  morts  et  des  organismes  vivants, 
qui,  parleur  décomposition,  fournissent  des  sels  ammoniacaux  fixes  ou  volatils  :  il  faut 
donc  tenir  compte  du  temps  écoulé  entre  la  prise  d'eau  et  l'analyse.  Les  expériences  - 
dans  lesquelles  on  a  dosé  l'ammoniaque  des  eaux  marines  par  simple  distillation  et  sans 
addition  d'alcali  montrent  qu'une  eau  traitée  peu  de  temps  après  sa  récolte  ne  contient 
pas  d'ammoniaque  volatile;  avec  le  temps,  il  peut  s'en  former.  De  nombreux  essais  ont 
fait  voir  que  le  transport  des  échantillons  d'eau  depuis  la  merjusqu'au  laboratoire  n'avait 
aucune  intluence  sensible  sur  les  résultats  observés.  D'où  cette  conclusion  que  l'eau  de 
mer,  prise  limpide,  dans  son  état  normal,  ne  contient  pas  de  sels  ammoniacaux  volatils,  et 
n'exhale  pas  d' ammoniaque  ;  elle  renferme  une  quantité  d'ammoniaque  fixe  variant  entre 
certaines  limites,  dont  la  moyenne  paraît  être  de  0"'™,18,  par  litre.  L'eau  des  étangs  et 
des  marais  salants  ne  contient  pas  davantage  de  sels  ammoniacaux  volatils,  si  cette  eau  est 
limpide,  et  si  la  végétation  aquatique  manque.  Si  l'eau  est  peu  profonde  et  que  des  végé- 
tations se  développent,  l'ammoniaque  volatile  apparaît. 

Quelques  mots  maintenant  sur  l'émission  de  l'ammoniaque  par  le  sol.  La  constata- 
tion de  ce  fait  que  le  sol  émet  de  l'ammoniaque  n'est  d'ailleurs  pas  nouvelle  dans  la 
science.  Boussingaulï  (Agronomie,  etc.,  t.  i,  p. 292)  se  demande  si,  pendant  ladessiccation  à 
l'air  et  l'exposition  au  soleil,  un  sol  ne  perd  pas  la  plus  grande  partie  de  son  ammonia- 
que. Cet  agronome  avait,  en  effet,  déjà  reconnu  qu'une  terre  humide  renfermant  des  car- 
bonates alcalins  ou  terreux  laisse  dégager,  à  l'état  de  carbonate  volatil,  pendant  tout  le 
temps  que  dure  sa  dessiccation,  une  partie  notable  de  l'ammoniaque  des  sels  fixes  qu'elle 
renferme.  Cependant  Boussingaulï  fit  à  ce  sujet  une  expérience  qui  consistait  à  doser 
l'ammoniaque  avant  et  après  dessiccation  dans  une  étuve  à  100°  :  il  ne  trouva  pas  de  dif- 
férence sensible  entre  les  deux  taux  de  cet  alcali. 

Néanmoins,  ainsi  que  nous  allons  le  voir,  le  dégagement  d'ammoniaque  par  le  sol  es  t 
un  phénomène  constant  et  d'une  observation  facile.  L'ammoniaque  émise  spontanément 
par  la  terre  végétale  peut  être  dosée  sans  qu'on  soit  obligé  d'ajouter  à,  la  tei-re  aucun 
réactif  (Berthelot  et  André.  A.  C,  (6),  t.  xi,  p.. 37a).  Si  on  fait  passer  un  courant  d'air  sur  de 
la  terre  contenue  dans  un  ballon  et  qu'on  dirige  les  gaz  dans  de  l'acide  sulfurique  titré, 
on  constate  que,  la  terre  étant  humide  et  prise  à  la  surface  du  sol,  celle-ci  émet  des 
traces  d'ammoniaque  (0™™,012  par  kilogramme  de  terre  supposée  sèche  dans  une 
expérience).  Si  au  même  endroit,  mais  à  une  certaine  profondeur,  on  fait  au  même  mo- 
ment une  prise  de  terre,  celle-ci,  soumise  à  l'essai  précédent,  fournit  encore  de  l'ammo- 
niaque (0™™,  03o  dans  une  expérience).  En  ce  point,  la  couche  superficielle  a  donc  perdu 
au  contact  de  l'atmosphère  quelque  peu  de  l'ammoniaque  libre  contenue  dans  la  terre 
prise  plus  profondément,  loin  d'en  avoir  emprunté  une  dose  excédante  à  l'atmosphère. 
Pendant  la  conservation  des  terres  dans  des  critallisoirs  à  fond  plat,  rémission  de  l'am- 
moniaque continue.  On  dose  celle-ci  en  mettant  à  la  surface  de  ces  terres  un  petit  vase 
contenant  un  volume  connu  d'acide  sulfurique  titré;  on  reprend  le  titre  au  bout  de  quel- 
ques jours.  L'expérience  montre  encore  que,  lorsqu'une  terre  n'a  subi,  par  le  fait  de  l'ab- 
sence des  pluies,  aucun  lavage  depuis  un  certain  temps,  la  quantité  d'ammoniaque 
émise  est  plus  considérable  que  si  la  terre  a  été  lavée  par  des  pluies  prolongées.  De  même 
l'addition  d'eau  et  de  carbonate  de  calcium  à  une  terre  favorise  l'émission  d'ammo- 
niaque par  suite  de  la  décomposition  progressive  des  amides  du  sol  :  la  production  de 
l'ammoniaque  est  donc  attribuable  à  la  lente  décomposition  des  principes  amidés.  Cette 
décomposition  peut  être  due  à  la  fois  et  à  des  actions  purement  chimiques  et  à  des  phé- 
nomènes microbiens.  Si  maintenant  on  opère  en  plein  air:  1°  sur  une  surface  gazonnée 
recouverte  d'un  pot  de  grès  d'une  certaine  circonférence  afin  d'isoler  autant  que  possible 
le  sol  sous-jacent  et  la  végétation  qu'il  porte  et  sous  lequel  on  dispose  un  petitvase  con- 
te,nant  de  l'acide  sulfurique  étendu;  2°  en  exposant  simplement  à  ciel  ouvert  un  pelit 
yase  contenant  de  l'acide  étendu,  l'expérience  montre  que  l'ammoniaque  cédée  à  l'acide 
étendu  par  l'atmosphère  ilhinitée  varie  d'une  expérience  à  l'autre  sur  le  même  point  et 


972  AZOTE. 

qu'il  n'y  a  pas  proportionnalité  nécessaire  entre  la  durée  de  contact  d'une  même  terre 
avec  l'atmosphère  et  la  dose  d'ammoniaqne  que  celle-ci  est  susceptible  de  lui  apporter. 
L'ammoniaque  difTusée  dans  l'atmosphère  n'a  donc  pas  une  tension  régulière  et  uniforme 
en  tout  temps.  Au  contraire,  dans  le  premier  cas,  c'est-à-dire  dans  le  cas  d'une  atmo- 
sphère confinée,  l'émission  de  l'ammoniaque  par  une  surface  couverte  de  végétation  s'est 
accrue  avec  le  temps. 

Nous  ne  pouvons  insister  davantage  sur  ces  phénomènes  dont  on  comprend  immé- 
diatement toute  l'importance  dans  les  questions  de  végétation.  Signalons  en  terminant  un 
travail  récent  de  MuNTz  et  CouDON  sur  la  F(?rme)i<o(Jon  «mmontacftie  delà  terre  {C.R.,  t.  gxvi, 
p.  395).  Ces  savants  ont  constaté  que  la  formation  d'ammoniaque  a  été  entièrement  arrêtée 
dans  la  terre  par  la  suppression  des  micro-organismes  (chauffage  à  120"  à  l'autoclavej. 
Cette  production  ammoniacale  ne  serait  donc  qu'une  conséquence  de  la  vie  microbienne 
et  ne  proviendrait  pas  d'une  action  chimique  proprement  dite.  En  réensemençant  la  terre 
stérilisée  avec  une  parcelle  de  terreau,  celle-ci  redevi-ent  apte  à  fournir  de  l'ammoniaque. 
Les  micro-organismes,  origine  du  phénomène,  sont  très  résistants;  il  ne  sont  détruits  que 
par  une  température  de  120°.  Cette  fermentation  ammoniacale  de  la  terre  est  une  fonc- 
tion banale  à  laquelle  concourent  un  grand  nombre  d'espèces  (jui  peuplent  le  sol  (Voir 
aussi   :  Hébert,  Aim.  Agron.,  t.  xv,  p.  3o.o). 

B.  Voyons  maintenant  en  quoi  consistent  les  recherches  de  Berthelot  sur  la  fixation 
de  l'azote  libre  au  moyen  de  l'effluve  électrique  (décharge  silencieuse)  (A.  C.,  (.ï),  t.  x,  p.  51  ; 
t.  XII,  p.4o3;.  A  froid,  la  benzine  en  vapeurs,  ou  en  couches  très  minces,  l'essence  de  térében- 
thine, le  gaz  des  marais,  l'acétylène  absorbent  le  gaz  azote  pur  sous  l'inlluence  de  l'ef- 
fluve électrique.  Voilà  pour  les  composés  binaires.  La>cellulose  légèrement  humectée,  la 
dextrine  sirupeuse  étalée  en  couches  minces,  absorbent  le  gaz  azoté  sous  la  même  in- 
fluence, sans  qu'il  y  ait  formation  ni  d'ammoniaque,  ni  de  nitrates.  De  semblables  réactions 
sont  assimilables  à  celles  qui  doivent  se  produire  au  contact  des  matières  végétales  et 
de  l'air  électrisé  :  Berthelot  fait  alors  remarquer  que,  dans  un  espace  clos,  les  expé- 
riences de  BoussiNGAULT  relatives  à  la  fixation  de  l'azote  ne  devaient  fournir  aucun 
résultat,  l'électricité  atmosphérique  ne  pouvant  agir  dans  ces  essais  t'n  v'itro  (Nous 
trouverons  plus  loin  une  autre  explication).  Des  phénomènes  analogues  doivent  se  mani- 
fester en  temps  d'orage,  et  même  chaque  fois  que  l'air  est  électrisé.  Aussi,  d'après  Ber- 
thelot, cette  absorption  d'azote  doit  surtout  être  marquée  dans  les  montagnes  et  sur  les 
pics  isolés  où  la  tension  électrique  est  souvent  considérable  :  la  richesse  de  la  végétation 
des  hautes  prairies  des  montagnes  témoignerait  de  l'intensité  de  cette  action. 

Berthelot  a  également  réussi  à  constater  cette  fixation  de  l'azote  sous  l'influence  de 
tensions  électriques  beaucoup  plus  faibles,  telles  que  celles  qui  se  produisent  incessam- 
ment dans  l'atmosphère.  Nous  renvoj^ons  au  mémoire  pour  la  description  de  l'appareil 
employé.  L'auteur  conclut  de  ses  recherches  que,  dans  l'étude  des  causes  naturelles  capa- 
bles d'agir  sur  la  fertilité  du  sol  et  sur  la  végétation,  il  convient  de  faire  désormais  inter- 
venir l'état  électrique  de  l'atmosphère. 

Dans  une  autre  série  d'essais,  Berthelot  a  fait  agir,  pour  déterminer  la  fixation  de 
l'azote  sur  divers  composés  organiques,  cinq  éléments  Leclanché  formant  une  pile  à  cir- 
cuit non  fermé.  Sur  la  moitié  de  la  surface  extérieure  d'un  grand  cylindre  de  verre  ter- 
miné par  une  calotte  sphérique,  on  pose  une  feuille  de  papier  Berzélius  pesée  à  l'avance 
et  mouillée.  L'autre  moitié  de  celte  surface  extérieure  a  été  enduite  d'une  solution  siru- 
peuse de  dextrine  titrée  et  pesée.  La  surface  intérieure  du  cylindre  a  été  recouverte  d'une 
feuille  d'étain  qui  constitue  l'armature  interne.  Posé  sur  une  plaque  de  verre,  le  cylindre 
est  recouvert  d'un  cylindre  de  verre  absolument  semblable,  laissant  un  espace  annulaire 
très  petit.  La  surface  intérieure  de  ce  dernier  est  libre,  mais  sa  surface  extérieure  est 
recouverte  d'une  feuille  d'étain  (armature  externe).  L'armature  interne  communique  avec 
le  pôle  -\-  d'une  pile  Leclanché  de  cinq  éléments,  l'armature  externe  avec  le  pôle  — .  Il 
existe  donc  une  difi'érence  de  potentiel  constante  entre  les  deux  lames  d'étain  séparées 
par  les  deux  épaisseurs  de  verre,  la  lame  d'air  et  la  couche  de  papier  ou  de  dextrine. 
L'analyse  finale  des  produits  a  montré  qu'il  y  avait  fixation  d'azote  sur  la  dextrine  et  sur  le 
papier,  c'est-à-dire  sur  les  principes  immédiats  non  azotés  des  végétaux,  sous  l'influence 
de  ces  faibles  tensions  électriques.  La  lumière  ne  joue  aucun  rôle  dans  cette  fixation. 
On  voit  que  ces  expériences  sont  tout  à  fait  d'accord  avec  celles  du  même  auteur  men- 


AZOTE.  973 

tioiinées  plus  haut.  Toutefois  Berthelot  fait  remarquer  que  ces  actions  ne  sauraient  être 
que  très  limitées. 

Un  certain  nombre  d'oxydations  lentes  s'accompagnent  de  fixation  d'azote.  Telle  est 
l'oxydation  lente  de  l'éther  avec  production  de  traces  d'acide  nitrique,  celle  de  l'essence 
de  térébenthine,  laquelle  contient  alors  des  traces  d'azote  sous  forme  organique  (Ben- 
TiipLOT,  Ann.  Chim.,  (6),  t.  xvn,  p.  500). 

IV.  Fixation  de  l'azote  sur  la  terre  végétale  avec  le  concours  des  micro-orga- 
nismes. Fixation  de  Tazote  parles  légumineuses.  —  Avec  les  expériences  récentes 
de  Berthelot  sur  k  la  fixation  de  l'azote  atmosphérique  sur  la  terre  végétale  »  {A.  C.,  (0), 
t.  xni,  p.  o)  exécutées  pendant  les  années  1884  et  188n,  l'incertitude  se  dissipe.  On  voit  entrer 
en  jeu  un  nouveau  facteur,  négligé  jusqu'alors,  dont  on  peut  à  volonté  provoquer, 
entraver  et  suspendre  l'action  :  ce  sont  certains  micro-organismes  qui  pullulent  dans  le 
sol.  Les  expériences  suivantes  méritent  qu'on  s'y  arrête  à  cause  de  la  netteté  des 
résultats  obtenus.  Les  sols  mis  en  œuvre  par  Berthelot  sont  des  sols  stériles,  très  pauvres 
originairement  en  azote  et  'ue  contenant,  vers  la  fln  des  expériences,  que  de  là 
3  grammes  de  matière  organique  par  kilogramme.  En  voici  la  nomenclature  :  1°  un 
sable  argileux  jaune,  pauvre  en  azote  et  en  matière  organique;  2"  un  autre  échantillon 
de  ce  même  sable,  différant  peu  du  précédent  et  sorti  d'une  fouille  récente;  3°  un 
kaolin  brut  lavé,  venant  de  la  manufacture  de  Sèvres  (contenant  4,8  p.  100  de  potasse); 
i°  une  argile  blancbe  de  même  provenance  que  le  kaolin  précédent,  contenant  6  p.  100 
de  potasse.  Cinq  séries  d'expériences  ont  été  exécutées  avec  ces  divers  sols'  :  1"  Con- 
servation dans  une  chambre;  exclusion,  par  conséquent,  de  la  pluie,  des  poussières 
et  autres  matières  amenées  par  une  atmosphère  illimitée  et  incessamment  renouvelée; 
2°  Séjour  dans  une  prairie  sans  abri;  exclusion  seule  de  la  pluie;  3"  Séjour  au  haut  d'une 
tour  de  29  mètres  sans  abri;  iniluence,  par  conséquent,  de  la  pluie,  des  poussières 
de  l'atmosphère,  de  l'électrisation  de  l'air;  4"  Séjour  dans  de  grands  llacons  clos,  ce  qui 
exclut  tout  apport  extérieur;  5°  Stérilisation  destinée  à  détruire  la  vie  microbienne. 

1"^"  série  :  En  chambre  close.  —  1°  Sable  argileux  jaune,  au  sortir  de  la  fouille  séchée 
à  l'air;  état  initial  le  29  mai  1884  :  Azote  total  par  kilog.  :  Or,0709. 

Après  cinq  mois Azote  :  05\0933  (nilrifîcation  peu    active). 

Le  30  avril  1883 —         05',0910   (le  phénomène  paraît  se   ralentir, 

quand  la  température  s'abaisse). 

Le  10  juillet  1885 —        OsMlOO 

Octobre     188S. —         OsMl"!) 

L'azote  nitrique  ne  représente  que  le  cinquième  de  l'azote  total  fixé.  D'ailleurs,  la 
nitrification  ne  pouvant  porter  sur  l'azote  libre  a  dû  porter  sur  la  matière  azotée  pré- 
existante. L'azote  a  donc  été  fixé  sous  forme  organique  et  vraisemblablement  par  l'inter- 
médiaire d'êtres  vivants.  Un  tel  accroissement  ne  saurait  être  indéfini  ;  il  est  subordonné 
à  la  dose  de  matière  organique  contenue  dans  le  sol,  laquelle  est  très  faible  dans  l'échan- 
tillon employé. 

2°  Sable  argileux  jaune,  (2"  écbantillon),  au  sortir  de  la  fouille  non  séchée  à  l'air, 
état  initial  le  30  avril  ISS.'i  :  Azote  total  par  kilog.  sec  :  0e'',1119. 

Le  10  juillet  1883 Azote  :  Os-, 1432  (légère  nitrification). 

Octobre     1883 —        Ûî',l(i39 

Il  ne  s'est  nitrifié  que  le  sixième  de  l'azote  fixé. 

3°  Kaolin  brut,  très  humide  au  début;  état  initial  le  16  juin  1884  :  Azote  total  par 
kilog.  sec  :  0e"-,0214. 

Le  30  avril  1885 Azote  :  0e%0210 

1 .  Berthelot  avait  effectué  en  1884  une  série  d'expériences  préliminaires  dont  celles  de  1883 
ne  sont  que  le  développement  et  la  généralisation.  Des  vases  contenant  un  kilogramme  de  sablo 
argileux  mêlé  à  des  matières  organiques  (coton,  amidon)  disposés,  les  uns  au  haut  d'une  tour 
de  29  mètres,  les  autres  au  pied  de  cette  tour,  ont  fixé  des  doses  notables  d'azote  dans  l'espace 
de  quelqties  mois. 


974  AZOTE. 

Le  taux  de  l'azote  a  peu  varié,  problablement  à  cause  de  l'humidité  trop  grande  de 
la  masse,  qui  s'est,  d'ailleurs,  peu  à  peu  desséchée. 

Le  16  juillet  1885 Azote  :  Os',0329 

Le  21  octobre  1885 —       06',0407  (traces  de  nitrates). 

4°  Argile  blanche. 

Le  16  juin  1884.  {état  initial) Azote  total  pour  1  kilog.  sec:   Oe',0660 

Le  10 'juillet  1885 —  —  —  "  08^,0651 

Le   4   mai  1886 —  —  —  06^,0706 

L'état  initial  n'a  pas  changé  par  suite  du  manque  de  porosité  de  la  masse,  mais, 
à  partir  de  ce  moment,  la  fixation  d'azote  a  eu  lieu. 

Le  19  octobre   1886 Azote:  Os',1078 

Il  y  a  donc  concordance  absolue  entre  ces  diverses  expériences;  et  l'accroissement  de 
l'azote  qui  se  fait  dans  toute  la  masse  n'est  pas  corrélatif  de  la  nitrifîcation. 

2=^  série:  En  prairie.  —  Les  vases  étaient  disposés  sous  un  abri,  ils  contenaient  1  ki- 
logramme de  matière  que  l'on  a  arrosée  de  temps  en  temps  avec  de  l'eau  distillée, 
laquelle  a  apporté  eu  tout  0S'',0010  d'azote  ammoniacal. 

1°  Sable  argileux  jaune. 

Le  30  avril  1885 1  kilog.  sec  renferme  :  Azote  :  Os'.OOlO 

Le    3    juillet  1883 —  —  —         Os',0916 

Le  10  octobre  1885 —  —  —         0e',U9S3 

Les  nitrates  ont  été  enlevés  par  l'eau  de  pluie  ayant  pénétré  obliquement  sous  l'abri, 
Comme  dans  la  série  précédente,  les  nitrates  ne  sont  pas  l'origine  de  celte  fixation 
de  l'azote. 

2°  Sable  argileux  jaune  (2"  échantillon). 

Le  30  avril  1883 1  kilog.  sec  renferme  :  Azote  :  0k',1H9 

Le  3    juillet  1885 —,  —  —      '  Ok',1164 

Le  10  octobre  1883 —  —  —         Oe',1293 

Même  remarque  que  pour  l'essai  précédent. 
3°  Kaolin  brut. 

Le  30  avril  1883 1  kilog.  sec  renferme  :  Azote  :  Ob', 0210 

Le    3  juillet  1885 —  —  —         Ob',0406 

Le  10  octobre  1883 —  —  —         Ob',0333 

Ce  dernier  échantillon  était  gorgé  d'eau  par  des  lavages  trop  fréquents. 
4°  Argile  blanche. 

Le  30  avril   1885 1  kilog.  sec  renferme  :  Azote  :  Oe',1065 

Le    3  juillet  1885 —  —  —        0eM040 

Le  10  octobre  1885.   . —  —  —         0b-',H44 

3"  série  :  Stir  une  tour  de  29  mètres  de  haut.  Les  vases  ont  été  fréquemment  traversés 
par  l'eau  de  pluie;  dans  les  périodes  de  sécheresse  on  a  arrosé,  mais  la  dessiccation  s'est 
produite  rapidement  à  cause  de  l'activité  de  l'évaporation  à  cette  hauteur.  Les  résultats 
observés  relativement  à  l'azote  sont  donc  un  minimun. 

Azote  total  pour  un  kiiog.  sec  : 

SABLE  SABI.E 

ARGILEUX  JAUNE.         2'  ÉCHANTILLON.        KAOLIN    BRUT.  ARGILE   BLANCHE. 

30  avrU  1885 0b',091Û  0^,1119  Ob',0210  0^,1065 

0  juillet  1885 OB', 0940  0b'.1279  Ob', 0414  Ob',1188 

10  octobre  1885.   .    .    .     'brisé  par  accident)     Ob',1396  0e',0575  Os',1497 

D'après  les  analyses,  l'azote  combiné  provenant  de  la  pluie  s'est  élevé  à  Oe^OOlO. 
L'azote  fixé  sur  les  sols  examinés  n'a  donc  pas  été  apporté  par  les  eaux  atmosphériques; 
il  est  même  certain  que  la  perte  due  au  drainage  a  dû  être  supérieure  au  gain  prove- 


AZOTE.  975 

nant  des  eaux  météoriques.  Sans  entrer  dans  les  détails,  disons  que  des  dosages  précis 
ont  montré  que  ce  gain  d'azote  n'était  pas  dû  davantage  à  l'ammoniaque  atmospliérique. 
i"  série  :  Flacons  clos  de  4  litres.  —  La  dose  de  matière  organique  contenue  dans 
les  sables  étant  peu  considérable,  l'oxygène  enfermé  dans  le  flacon  n'a  pas  été  absorbé 
en  totalité,  ce  qui  aurait  eu  évidemment  lieu  si  on  avait  opéré  avec  de  la  terre  végétale 
proprement  dite  :  d'oîi  changement  dans  les  conditions  d'existence  des  microbes  qui  vi- 
vent dans  le  sol.  Deux  séries  parallèles  ont  été  mises  en  expériences,  l'une  à  la  lumière, 
l'autre  à  l'obscurité.  On  a  obtenu  pour  1  kilogramme  sec  : 

SABLE  SABLE 

ARGILEUX   JAUNE.  2""^  ÉCHANTILLON.  KAOLIN  BRUT.  ARriÎLE  BLANCHE. 

lumière     oltscurité  lumière     obscurité  lumière       obscurité      lumière       obscurité 
30  avril  1883.  .   .    .              Oiî',0910                      Ot-,1119  Oiî',0210  UeMOSS 

6  juillet  1885.    .    .      Oe',0979     ûe',0925  Oe',1188     0e',12o9  Os',0394     Os',0348    perdu  par    06',U48 

10  octobre  1885  .    .      Ue',1289     Ob',1099  Oe',1303     QE^lSTi  Oe',0494     0e'-,0433     accident.     0e'1236, 

Comme  dans  les  expériences  des  séries  précédentes,  la  nitriflcation  a  été  excessi- 
vement faible,  parfois  nulle;  elle  ne  joue  donc  aucun  rôle  dans  le  phénomène.  Quant  à 
la  fixation  de  l'azote,  elle  s'est  faite  progressivement  dans  cette  série  comme  dans  les 
autres,  et  les  nombres  qu'elle  a  fournis  sont  du  même  ordre  de  grandeur  que  ceux  obte- 
nus à  l'air  libre. 

o'  Série.  Stérilisation  à  100°.  —  Dans  toutes  ces  expériences,  l'azote  est  resté  station- 
naire  et  même  a  un  peu  diminué  (après  trois  mois  d'observation).  Cette  diminution  est 
probablement  due  à  quelque  réaction  qui  s'est  produite  au  moment  de  la  stérilisation, 
par  la  vapeur  d'eau  aux  dépens  de  la  matière  azotée,  avec  élimination  consécutive  d'un 
peu  d'ammoniaque.  La  cause  de  la  fixation  de  l'azote,  c'est-à-dire  la  présence  évidente 
des  êtres  vivants  dans  le  sol,  a  donc  été  ainsi  abolie.  De  plus,  on  a  trouvé  que  les  échan- 
tillons ainsi  stérilisés  ne  reprenaient  pas  leur  aptitude  à  fixer  l'azote  pendant  la  même 
période  de  temps  (trois  mois),  ni  sous  l'inlluence  de  l'air  libre,  ni  par  addition  d'une 
petite  quantité  de  terre  originelle  non  stérilisée. 

En  résumé,  la  faculté  de  fixer  l'azote  gazeux  dépend  essentiellement  de  la  vie  mi- 
crobierme  et  ne  résulte  pas  d'une  action  purement  chimique.  Cette  aptitude  est  indépen- 
dante de  la  nitriflcation,  aussi  bien  que  de  la  condensation  de  l'ammoniaque  atmosphé- 
rique. Elle  n'a  pas  lieu  à  basse  température;  elle  est  détruite  à  100",  et  s'exerce  aussi  bien  en 
vase  clos  qu'à  l'air  libre,  moins  à  la  lumière  qu'à  l'obscurité.  Généralisant  ensuite  les  consé- 
quences de  ses  dernières  expériences,  Berthelot  cherche  dans  quelle  mesure  les  résultats 
précédents  peuvent  être  appliqués  aux  terres  végétales  proprement  dites  {A.  C,  (6),  t.  xiii, 
p. 78).  Une  semblable  fixation  d'azote  nesauraitêtre  indéfinie,  étant  corrélative  de  l'accrois- 
sement des  êtres  vivants  qui  accumulent  l'azote  dans  leurs  tissus.  Les  expériences  ont  été 
exécutées  sur  de  la  terre  végétale  tamisée  et  renfermée  dans  de  grands  vases  de  grès  de 
oO  L'ilogrammes,  les  uns  abrités,  les  autres  laissés  à  l'air  libre.  Il  résulte  de  cette  série 
d'essais,  dont  nous  ne  pouvons  donner  les  chiffres,  que  la  terre  végétale  fixe  continuelle- 
ment l'azote  atmosphérique  en  dehors  de  toute  végétation  proprement  dite  et  que  ce 
gain  ne  peut  être  attribué  à  l'azote  combiné  apporté,  soit  par  l'atmosphère,  soit  par  les 
eaux  pluviales.  En  effet,  la  pluie  qui,  dans  certaines  expériences,  a  traversé  le  sol  des 
vases,  a  enlevé,  sous  la  seule  forme  de  nitrates,  plus  d'azote  qu'elle  n'en  avait  apporté,  à 
surface  égale,  sous  forme  d'ammoniaque,  de  nitrates  et  d'azote  organique,  ainsi  que  des 
essais  comparatifs  l'ont  montré. 

Berthelot  a  aussi  examiné,  le  cas  d'un  sol  couvert  de  végétation,  celle-ci  s'exerçant  à 
l'air  libre  {loc.  cit.,  p.  93).  Les  expériences  ont]  été  disposées  comme  les  précédentes;  on 
a  repiqué  dans  les  vases  des  pieds  d'Amarante,  et  l'analyse  a  montré  qu'il  y  avait  eu  fixation 
d'azote  et  sur  la  terre  et  sur  la  plante.  D'ailleurs  des  essais  exécutés  en  1884  avec  le  sable 
argileux  jaune  n"  1  et  le  kaolin  brut  ensemencés  de  végétaux  variés  avaient  déjà  fourni 
un  résultat  semblable,  bien  que  moins  caractéristique,  à  cause  du  peu  de  vigueur  de  la 
végétation  (p.  107).  Les  nombres  obtenus  dans  cette  dernière  série  sont  de  l'ordre  de 
grandeur  de  ceux  que  Boussingault  avait  observés  autrefois  :  seulement,  Boussingault 
opérait  avec  des  sols  stériles;  Berthelot,  au  contraire,  ne  faisait  subir  aucun  traitement 
préalable  aux  sols  mis  en  œuvre  par  lui.  Ces  expériences  font  voir  que,  dans  de  tels  sols. 


A. 


976  AZOTE. 

et  en  présence  d'une  végétation  languissante,  la  fixation  de  l'azote  est  faible  et  parfois 
même  incertaine,  la  plante  consommant  pour  ses  besoins  l'azote  fixé  par  le  sol. 

Tout  ce  qui  précède  autorise  donc  Bebthelot  à  formuler  nettement  ce  principe  fon- 
damental :  la  fixation  de  l'azote  llhre  s'opère  par  la  terre  végétale.  La  culture  intensive 
épuise  les  réserves  azotées  que  contient  le  sol  plus  vite  que  celui-ci  ne  récupère  cet  élé- 
ment par  le  jeu  des  actions  microbiennes  dont  nous  venons  de  parler.  Mais,  s'agit-il,  au 
contraire,  de  végétation  spontanée,  la  richesse  du  sol  en  azote  tend  à  s'accroître  jusqu'à 
un  certain  état  d'équilibre  où  les  causes  de  fixation  et  celles  de  déperdition  se  compen- 
sent. 

C'est  à  partir  de  la  publication  de  ces  expériences  que  date  une  ère  nouvelle  dans 
l'histoire  de  cette  grande  question  du  rapport  de  l'azote  libre  avec  le  sol  et  avec  les 
plantes.  11  n'y  a  désormais  plus  d'incertitude,  et,  si  le  mécanisme  intime  de  cette  fixation 
ainsi  que  le  ou  les  agents  fixateurs  restent  encore  inconnus  dans  leur  essence,  il  n'en 
demeure  pas  moins  établi  qu'on  est  maintenant  en  présence  de  faits  solidement  établis 
et  d'expériences  dirigeables  à  volonté.  Tous  les  travaux  qui  vont  suivre  porteront  fem- 
preinte  d'un  cachetvraiment  scientifique,  et  tous,  presque  sans  exception,  viendront  con- 
firmer les  notions  qui  précèdent  et  élargir  le  champ  des  investigations. 

Dans  ses  publications  ultérieures  sur  ce  sujet,  Bbrtheloï  a  tenté  de  préciser  le 
mécanisme  de  cette  fixation  de  l'azote  (A.  C,  (tV),  t.  xiv,  p.  473).  Celle-ci  a  lieu  sous 
forme  de  composés  organiques  complexes  paraissant  appartenir  aux  tissus  de  certains 
microbes  contenus  dans  le  sol  et  non  sous  forme  d'qmmoniaque  ou  d'acide  nitrique.  Si 
on  rapporte  l'azote  à  la  composition  des  albuminoïdes,  on  trouve  que,  dans  les  sables 
argileux,  ces  derniers  principes  renferment  le  tiers  ou  la  moitié  du  carbone  total  de»  com- 
posés insolubles.  11  est  certaines  conditions  qui  favorisent  l'absorption  de  l'azole  :  poro- 
sité de  la  terre  permettant  la  circulation  des  gaz,  présence  d'une  certaine  dose  d'eau  (de 
3  à  15  p.  100),  présence  de  l'oxygène,  mais  non  en  quantité  suffisante  pour  amener  la 
nitriflcalion,  élévation  convenable  de  la  température  (supérieure  à  10°,  moindre  que  43"). 
La  dose  d'eau  nécessaire  à  la  fixation  de  l'azote  est  sensiblement  moins  élevée  que  celle 
qui  est  nécessaire  à  la  nitrification.  La  fixation  de  l'azote,  nous  l'avons  déjà  dit,  est  un 
hénomène  limité;  celte  action  s'épuise  et  peut  même  rétrograder,  sans- doute  parce  que 
les  microbes  ont  épuisé  la  transformation  de  la  dose  limitée  de  matière  organique  nutri- 
tive pour  eux. 

Ces  résultats  positifs  de  fixation  de  l'azote,  ainsi  que  d'autres  dont  nous  aurons  bien- 
tôt occasion  de  parler,  obtenus  par  Berthelot  sur  des  sols  non  ensemencés,  ont  été  niés 
par  ScHLŒSiNG.  Il  nous  semble  inutile  d'entrer  dans  les  détails  de  cette  discussion,  les 
conclusions  de  Berthelot  étant  actuellement- admises  par  presque  tous  les  physiologistes 
(Voir  ScHLŒSiNG.  G.  R..  t.  cvi,  pp.  80o,  898,  082,  I  I23;t.  cvii,  p.290;t.  cxv,  pp.  636,  703). 
Peu  de  temps  après  la  publication  des  expériences  de  Berthelot,  Joulie,  {Ann.  agron., 
t.  xii,  p.  5)  faisait  connaître  des  faits  du  même  ordre  qu'il  avait  observés  depuis  plusieurs 
années  (1883-1883).  L'auteur  dispose  dans  une  serre  à  toit  de  verre  un  certain  nombre 
de  vases  en  verre  remplis  de  terre  végétale  (loOO  grammes  renfermant  \^','66  d'azote), 
les  uns  sans  engrais,  les  autres  avec  engrais  minéral  plus  ou  moins  complet  avec  ou  sans 
azote.  Tous  ces  vases  étaient  ensemencés  avec  du  sarrasin.  Celui-ci  fut  coupé  au  bout  de 
deux  jnois  et  demi;  on  sema  alors  du  ray-grass  et  du  trèfle,  dont  on  fit  trois  coupes,  puis 
on  procéda  à  l'analyse  finale.  Dans  tous  les  essais,  il. y  a  eu  gain  d'azote,  à  la  fois  et  par 
le  sol  et  par  les  plantes;  l'expérience  avait  duré  environ  quatorze  mois.  Une  autre  série 
d'expériences  fut  entreprise  avec  un  soi  non  argileux  consistant  simplement  en  sable  de 
Fontainebleau  pourvu,  soit  d'engrais  minéral  seul,  soit  d'engrais  minéral  avec  azote.  On 
sema  du  sarrasin.  Après  quatre  mois,  l'analyse  montra  un  gain  d'azote  réel,  mais  moins 
important  que  dans  l'expérience  précédente  à  cause  de  la  faible  durée  de  la  végétation. 
L'auteur,  relevant  des  différences  considérables  au  point  de  vue  de  la  fixation  de  l'azote 
dans  ses  diverses  expériences,  conclut  à  une  absorption  directe  de  cet  élément,  se  fixant 
soit  sur  le  sol,  soit  sur  les  plantes  :  Joulie  attribue  cette  fixation  par  la  plante  aux  phé- 
nomènes électriques  dont  celle-ci  est  le  siège.  La  composition  du  sol  et  des  engrais 
employés  exerce  sur  le  phénomène  fixateur  une.  influence  bien  plus  notable  que  le  déve- 
loppement de  la  végétation;  en  effet,  on  ne  constate  aucun  parallélisme  entre  la  fixation 
de  l'azote  et  l'intensité  de  la  végétation.  L'addition  de  chaux  et  de  calcaire  fournit  au  plus 


AZOTE.  977 

haut  degi'é  celle  fixalion;  l'absence  de  polasse  et  d'acide  phosphoriqiie  eiUiave  la  marche 
du  phénomène.  Les  conclusions  de  Joulie  sont,  dans  leur  ensemble,  analogues  à  celles 
que  Bertiielot  avait  tirées  de  ses  Lra<vaux  relatifs  au  sol  :  la  fixation  d'azote  reconnaît  une 
cause  physiologique,  mais  la  présence  de  l'argile  n'est  pas  indispensable.  Cependant, 
d'après  Piciiard  (Ann.  ugron.,  t.  xv,  p.  .oO.ï  ;  t.  xvin,  p.  108),  le  plâtre  et  l'argile  jouent 
un  rôle  considérable  dans  la  conservation  de  l'azote  du  sol,  dans  la  fixation  de  l'azote 
atmosphérique  et  dans  la  nitrification. 

En  même  temps  que  Berthelot  exécutait  les  recherches  que  nous  venons  de  résu- 
mer, la  question  de  la  fixation  de  l'azote  par  les  légumineuses,  plantes  connues  depuis 
très  lonf^lemps  sous  le  nom  d'améliorantes,  recevait  une  solution  remarquable;  Un  agro- 
nome allemand,  Hellhiegel,  qui  étudiait  depuis  plus  de  vingt  ans  le  problème  delà  nutri- 
tion azotée  des  végétaux,  annonça,  au  mois  d'aoïit  1886,  à  la  cinquante-neuvième  réunion 
des  naturalistes  allemands  assemblés  à  Berlin,  le  fait  suivant  très  digne  d'attention  : 
Lc!<  aourccu  d'ijzotc  offertes  par  l'atmosphère  suffisent  à  produire  chez  les  légumineuses  un 
dévelopq'icment  normal  et  même  luxuriant:  c'est  l'azote  libre  qui  entre  ici  en  jeu.  Les  tuber- 
cules que  les  légumineuses  portent  sur  leurs  racines  sont  en  relation  directe  avec  cette  assimi- 
lation. On  peut  provoquer  à  volonté  l'éclosion  des  tubercules  radicaux  et  le  développement  des 
légumineuses  dans  des  sols  dépourvus  d.  azote  si  on  ajoute  à  ceux-ci  une  petite  cjiiantité  d'une 
infusion  de  terre  cidtivée.  Ces  expériences  échouent  en  l'absence  des  micro-organismes  {Landiv. 
vers,  stat.,  t.  xxxiii,  p.  464'.  Nous  reviendrons  plus  loin  sur  la  nature  des  nodosités  ou 
tubercules  radicaux.  L'auteur  continuant  ses  recherches  dans  l'année  1887,  fit  connaître, 
en  d888,  avec  la, collaboration  de  H.  Wilf.vhïh,  toutes  les  conditions  de  la  fixation  de 
l'azote  par  les  légumineuses.  Le  mémoire  très  étendu  publié  par  ces  savants  éclaire  d'un 
jour  absolument  nouveau,  non  seulement  la  question  de  la  nutrition  azotée  des  légumi- 
neuses, mais  celle  du  rôle  des  bactéries  que  renferme  le  sol,  ainsi  que  ce  curieux  phéno- 
mène de  symbiose,  c'est-à-dire  d'association  d'un  végétal  avec  des  organismes  inférieurs 
profitable  aux  deux  êtres.  C'est  de  ce  remarquable  mémoire  que  nous  allons  nous  occu- 
per maintenant.  [Beilagsckrift  zu  der  Zeitsehrift  des  Verein  f.  d.  Mhenzucker industrie, 
novembre  1888,  p.  234.  On  trouvera  la  traduction  de  ce  mémoire  dans  les  Annales  de  la 
Science  agronomique  française  et  étrangère,  t.  i,  1890;  un  résumé  a  paru  dans  les  Annales 
agronomiques  de  Dehér.^in,  t.  xv,  p.  '6.) 

Hellriegel  commence  par  rappeler  que,  depuis  de  longues  années,  il  avait  entrepris 
de  déterminer  quel  est  l'effet  nutritif  de  chaque  élément  donné  à  une  plante  :  certains 
composés  sont  indispensables  à  la  nutrition  végétale,  chacun  d'eux  doit  avoir  un  effet 
nutritif  proportionnel  à  sa  quantité.  Mais,  au  moins  en  ce  qui  concerne  l'azote,  les  résul- 
tats ne  s'accordèrent  pas  avec  celte  manière  de  voir.  Entre  la  croissance  et  la  quantité 
d'azote  assimilable  contenue  dans  le  sol  il  y  avait  une  étroite  relation,  surtout  pour  les 
céréales;  si  on  diminuait  la  quantité  d'azote  alimentaire,  il  y  avait  abaissement  corres- 
pondant de  la  récolte  ;  si  Ton  supprimait  l'azote,  les  plantes  restaient  misérables.  Au 
contraire,  dès  les  années  1862  et  1863,  des  expériences  exécutées  avec  les  légumineuses 
papilionacées  (trèfle,  pois),  cultivées  dans  du  sable  dépourvu  d'azote,  firent  voir  que 
ces  végétaux  prospéraient  très  bien  dans  ces  conditions  et  qu'ils  pouvaient  fleurir  et 
même  porter  des  graines.  Mais  parfois,  chose  singulière,  les  mêmes  plantes  cultivées 
dans  le  même  milieu  mouraient  d'inanition.  Les  essais  de  contrôle  montrèrent  qu'à  côté 
d'une  plante  à  développement  normal  pouvait  s'en  trouver  une  autre  qui,  sans  cause  de 
maladie  apparente,  se  développait  mal.  Il  fallait  donc  soumettre  à  une  étude  approfondie 
les  facteurs  nombreux  et  complexes  qui  agissent  sur  un  végétal  pendant  le  cours  de  son 
existence.  Dès  l'année  1883,  les  expériences  précédentes  furent  reprises  et  fournirent  des 
conclusions  identiques  à  celles  que  nous  venons  de  mentionner  :  relations  étroites  entre 
la  croissance  des  céréales  et  le  taux  de  l'azote  du  sol,  possibilité  pour  les  légumineuses 
de  vivre  dans  un  sol  dépourvu  d'azote,  irrégularités  inexplicables  dans  les  résultats  obte- 
nus en  cultivant  des  pois.  Il  était  évident  que  les  anomalies  constatées  dans  le  dévelop- 
pement de  ces  derniers  végétaux  étaient  purement  accidentelles  et  qu'on  ne  devait  en 

1.  Disons  tout  de  suite,  pour  ne  plus  revenir  sur  cepoint  et  pour  aller  au-devaat  des  objections, 
qu&la  quantité  d'azote  apportée  par  la  délayure  de  terre  n'excède  dans  aucun  cas  /  miltir/ramme, 
et  ne  peut,  par  conséquent,  pas  rendre  compte  des  doses  énormes  d'azote  fixées  dont  nous  parle- 
rons plus  loin. 

DICT.    DE    PHYSIOLOGIE.    —   TO.ME   I.  62 


978  AZOTE. 

accuser  ni  la  nature  du  terrain,  ni  les  autres  conditions  de  l'expérience.  Hellriegel  et 
WiLF.^RTH  se  demandèrent  aloi-s  s'il  n'y  avait  pas  lieu  de  chercher  dans  ce  phénomène 
l'intervention  des  microbes,  en  s'appuyant,  comme  ils  le  disent  expressément,  sur  les 
expériences  que  Berihelot  avait  publiées  au  mois  d'octobre  188K. 

Voici  le  dispositif  adopté  dans  leurs  expériences.  Le  sol  de  culture  mis  en  œuvre  est 
un  sable  quartzeux  renfermant  un  peu  de  chaux,  de  potasse,  de  soude,  des  traces  d'acide 
pliosphorique  et  d'azote.  On  fait  usage  de  vases  de  verre  de  grandeur  variable,  contenant 
de  4  à  8  kilogrammes  de  sable  auquel  on  ajoutait  les  éléments  minéraux  précités  dans  une 
proportion  fixée  par  des  essais  antérieurs.  Les  graines  soigneusement  choisies  sont  mises 
à  germer  dans  du  papier  à  filtre,  puis  plantées  en  nombre  double  de  celui  qu'on  veut 
conserver.  On  arrache  de  bonne  heure  lesplantules  dont  on  veut  se  débarrasser  aiusi  que 
les  débris  des  graines.  Les  vases  sont  exposés  à  l'air  libre,  mais  peuvent  être  rais  à 
l'abri  dans  les  cas  de  pluie,  leur  arrosage  s'effectue  avec  de  l'ean  distillée  privée  d'am- 
moniaque. 

Voici  les  résultats  généraux  obtenus  avec  les  cultures  des  années  1883-1883  :  en  ce  qui 
concerne  les  graminées  mises  en  expérience,  orge  et  avoine,  leur  accroissement  est  lié  à 
la  .quantité  d'azote  contenu  dans  le  sol.  Si  les  nitrates  font  défaut  d'une  façon  absolue, 
l'orge  et  l'avoine  ne  produisent  à  peu  près  rien,  et  cependant  leur  végétation  dure  aussi 
longtemps  que  celle  des  plantes  nourries  normalement.  Les  graminées  ne  donnent  le 
maximum  de  récolte  que  si  on  leur  offre  une  quantité  suffisante  et  déterminée  de 
nitrates.  Au-dessous  de  cette  dose  la  récolte  dimiciue  proportionnellement  avec  la  dose 
de  nitrate  ajoutée,  la  même  quantité  de  nitrates  donnant  toujours  la  même  récolte,  non 
seulement  si  on  compare  les  expériences  d'une  même  année,  mais  même  celles  de  dif- 
férentes années.  L'orge  et  l'avoine  ne  puisent  donc  leur  azote  que  dans  la  graine,  le  sol, 
et  l'engrais; 

Au  contraire,  les  expériences  de  cultures  faites  dans  les  mêmes  conditions  avec  des 
pois  conduisent  à  un  tout  autre  résultat.  L'accroissement  de  ces  (liantes  n'est  pas  en 
rapport  avec  la  quantité  d'azote  contenu  dans  le  sol,  car  celles-ci  prennent,  mais  non 
pas  toutes,  un  développement  normal,  et  peuvent  même  acquérir  une  vigueur  exception- 
nelle dans  un  sol  privé  d'azote. 

11  est  une  période  pendant  laquelle  ces  végétaux  semblent  souffrir  de  ce  manque 
d'azote,  puis,  subitement,  l'allure  générale  de  leur  végétation  change  et  rien  ne  peut  les 
faire  distinguer  des  plantes  venues  dans  des  conditions  normales.  C'est  à  cette  époque 
de  transition  que  les  auteurs  ont  donné  le  nom  de  faim  d'azote.  Qu'on  abaisse  ou  qu'on 
augmente  la  quantité  de  nitrates  ajoutée  au  sol,  le  poids  de  la  récolte  ne  sera  nullement 
proportionnel  au  poids  de  l'engrais  azoté,  alors  que  pour  les  graminées  cette  proportion- 
nalité existe  clairement.  On  ne  peut  donc  chercher  à  déterminer  par  des  chifl'res  l'in- 
tluence  d'une  quantité  quelconque  d'azote  sur  la  végétation  des  légumineuses.  Il  résulte 
de  ce  qui  vient  d'être  dit  que  les  pois  peuvent  prendre  leur  azote  ailleurs  que  dans  le 
sol,  les  engrais  ou  la  graine  :  en  effet,  certains  individus  ayant  végété  dans  un  milieu 
presque  absolumctit  dépourvu  d'azote,  renfermaient,  au  moment  de  la  récolte,  beaucoup 
plus  d'azote  que  les  autres;  de  plus,  la  quantité  de  cet  élément  dépassait  de  beaucoup 
la  moyenne  de  l'azote  que  contenaient  des  plantes  semblables  venues  en  plein  champ. 
11  est  donc  évident  que  le  pois,  placé  dans  les  mêmes  conditions  de  végétation  au  point 
de  vue  de  l'assimilation  de  l'azote  que  l'orge  ou  l'avoine,  se  comporte  d'une  façon  com- 
plètement dilférente  de  celle  de  ces  deux  graminées. 

Ainsi  que  Hellriegel  et  Wilfarth  le  font  remai'quer,  les  dernières  expériences  sont  en 
concordance  absolue  avec  celles  qu'ils  avaient  exécutées  antérieurement  et  que  nous 
avons  rappelées  plus  haut.  De  plus,  pour  le  pois,  les  mêmes  irrégularités  et  les  mêmes 
contradictions  frappantes  s'étaient  renouvelées,  tantôt  végétation  luxuriante,  égale  et 
supérieure  même  à  la  végétation  normale,  parfois,  au  contraire,  végétation  misérable 
semblable  à  celle  d'une  graminée  privée  d'azote.  Tout  ceci  va  trouver  dans  un  instant 
son  explication. 

Béllriegel  et  Wilfarth  passent  donc  en  revue  les  diverses  hypothèses  déjà  proposées 
pour  expliquer  l'assimilation  de  l'azote  par  les  légumineuses  et  démontrent  l'insuffisance 
de  chacune  d'elles  :  1°  On  a  supposé  que  les  légumineuses  absorbaient  directement  l'azote 
de  l'atmosphère,  comme  toutes  les  plantes  vertes  le  font  pour  le  gaz  carbonique,  i"  On 


AZOTE.  979 

a  attribué  aux  légumineuses  la  faculté  exceptionnelle,  grâce  à  leur  puissant  feuillage  et 
à  leur  période  plus  longue  de  végétation,  d'accumuler  et  de  s'approprier  mieux  que  les 
autres  plantes  les  faibles  traces  d'azote  combiné  existant  dans  l'atmospbère.  3»  On  a 
affirmé,  d'autre  part,  que  les  légumineuses,  qui  possèdent  des  racines  pénétrant  très 
profondément  dans  le  sol,  peuvent  puiser  dans  le  sous-sol  l'azote  dont  elles  ont  besoin, 
alors  que  les  autres  plantes  cultivées  ne  peuvent  le  faire.  4°  On  a  refusé  aux  légumineuses 
une  faculté  spéciale  d'assimilation  de  l'azote  et  on  a  cherché  à  expliquer  l'enrichisse- 
ment du  sol  en  disant  que  ces  plantes,  par  leur  vie  même,  entretenaient  dans  la  terre 
certaines  combinaisons  azotées  indépendantes  d'elles  et  qu'elles  les  empêchaient  de  se 
perdre  dans  le  sol. 

La  première  hypothèse  qui  accorde  aux  légumineuses  un  pouvoir  exceptionnel  d'assi- 
milation ne  peut  plus  être  discutée  depuis  les  expériences  de  Boussingault,  Lawes,  Gil- 
bert et  Pugh.  La  seconde  hypothèse  tombe  d'elle-même  devant  les  expériences  des  auteurs. 
Cette  source  de  composés  azotés  contenus  dans  l'atmosphère  est  trop  peu  abondante 
pour  expliquer  le  gain  considérable  réalisé  dans  certaines  expériences  et  dont  les  grami- 
nées devraient  également  profiter.  Comment,  d'ailleurs,  pourrait-on  comprendre  qu'à 
côté  de  certains  pois  d'une  végétation  luxuriante  il  fût  possible  d'en  rencontrer  d'autres 
contenant  des  quantités  d'azote  plus  faibles,  d'autres  enfin  ayant  un  aspect  misérable. 
La  troisième  hypothèse  soutenue  par  Lawes  et  Gilbert  {Jahresb.  Agrik.  Chemie,  t.  viii,  p.  23, 
1883),  n'est  pas  discutable,  puisque,  dans  les  vases  employés  dans  les  expériences,  il 
n'existe  pas  de  sous-sol.  Enfin,  la  quatrième  hypothèse  s'appuie  sur  ce  fait  bien  connu 
que  le  sol  absorbe  en  partie  l'azote  combiné  de  l'atmosphère,  que  les  poussières  de  l'air 
ne  sont  pas  dépourvues  d'azote,  que  les  eaux  météoriques  apportent  au  sol  de  l'ammo- 
niaque et  de  l'acide  nitrique,  que  l'électricité  atmosphérique  transforme  l'azote  libre  en 
acide  nitrique  et  qu'enfin  l'azote  libre  se  fixe  sur  le  sol  avec  le  concours  des  micro-orga- 
nismes (Besthrlot).  a  côté  de  ces  causes  d'enrichissement  du  sol  en  azote,  existent  des 
causes  incessantes  de  déperdition,  telles  que  l'entraînement  par  les  eaux  pluviales  des 
nitrates  formés  parles  organismes  nitriflcateurs  dans  le  sol,  les  fermentations  capables 
de  transformer  la  matière  azotée  en  protoxyde  d'azote  et  même  en  azote  libre.  Cepen- 
dant Hellriegel  et  Wilearth  sont  loin  de  regarder  comme  négligeable  l'apport  fait  au 
sol  par  les  agents  atmosphériques.  Mais  aucune  expérience  de  culture  de  légumineuses 
ne  démontre  que  celles-ci  ne  peuvent  s'assimiler  directement  l'excédent  d'azote,  toujours 
trouvé  après  leur  végétation,  et  qu'au  contraire  cette  assimilation  a  lieu  indirectement. 
En  eiîet,  graminées  et  légumineuses  se  trouvaient  dans  les  mêmes  conditions  de  végé- 
tation :  celles-là  restaient  misérables  en  l'absence  des  nitrates,  celles-ci  avaient  un  déve- 
loppement normal  et  même  luxuriant.  Si,  pour  expliquer  ce  fait,  on  suppose  que  le  sol 
a  absorbé  d'avance  un  peu  d'ammoniaque  et  un  peu  d'acide  nitrique  provenant  de 
l'atmosphère,  et  que  cette  faible  acquisition  d'azote  s'est  accrued'unefaçonquelconque  par 
suite  de  la  végétation  des  légumineuses,  il  faut  admettre  que  le  sol  porteur  de  gra- 
minées s'est  enrichi  également  d'acide  nitrique  dans  la  même  mesure  :  or  les  grami- 
nées n'ont  pas  profité  de  cette  faible  dose  d'azote  que  le  sol  aurait  ainsi  acquise.  Quelle 
sera,  en  un  mot,  celle  de  ces  hypothèses  qui  rendra  compte  du  fait  suivant  observé  en 
1885?  Des  poids  plantés  deux  à  deux  dans  seize  vases  ont  présenté  dans  leur  développe- 
ment des  anomalies  inexplicables:  tantôt  les  deux  pieds  d'un  même  vase  étaient  dans  un 
état  de  végétation  luxuriante,  tantôt,  dans  un  vase  voisin,  les  deux  pieds  étaient 
misérables,  tantôt,  dans  un  troisième,  un  des  pieds  végétait  normalement,  tandis  que 
l'autre  mourait  d'inanition.  Notons  enfin  ce  fait  curieux,  que  dès  que  certains  pieds, 
croissant  dans  un  milieu  dépourvu  d'azote,  avaient  triomphé  de  la  période  d'ina- 
nition, ils  se  développaient  ensuite  avec  une  vigueur  et  une  rapidité  parfois  éton- 
nantes. 

Que  conclure  de  tout  ce  qui  précède?  Aucune  des  théories  émises  jusqu'à  ce  jour 
sur  la  fixatioii  de  l'azote  par  les  légumineuses  n'étant  capable  d'expliquer  les  phénomènes 
observés  par  Hellriegel  et  Wilfarth,  ces  agronomes  sont  donc  obligés  de  prendre 
comme  point  de  départ  les  deux  nouvelles  hypothèses  suivantes:  ["la  source  à  laquelle 
les  légumineuses  puisent  leur  azote  doit  être  l'azote  libre  de  l'atmosphère.  Cette  idée 
peut  seule  s'accorder  avec  le  gain  considérable  d'azote  que  font  ces  plantes  dans  un 
aussi  court  espace  de  temps;  2°  la  cause  fixatrice  doit  exister  en  dehors  des  conditions 


980  AZOTE. 

dans  lesquellps  les  auteurs  faisaient  volontairement  leurs  expe'riences;  le  gain  constaté 
n'était  qu'accidentel,  ainsi  que  le  démontre  l'irrégularité  de  la  teneur  en  azote  révélée 
par  l'analyse  des  végétaux,  irrégularité  sur  laquelle  nous  avons  déjà  insisté.  Il  fallait 
donc  entreprendre  des  recherches  dans  lesquelles  on  pourrait  faire  entrer  enjeu,  soit 
les  micro-organismes  du  sol  fixateurs  d'azote,  d'après  les  expériences  de  Behthelot,  relatées 
plus  haut  (C.  jR.,  t.ci,  p.  775),  soit  certains  champignons  qui,  d'après  de  nombreuses  obser- 
vations antérieures,  peuvent,  par  attraction  réciproque,  avoir  une  existence  commune 
avec  des  plantes  phanérogames  plus  puissamment  organisées.  En  efïet,  ainsi  que  Hel- 
LRiEGEL  et  WiLFAHTH  le  font  remarquer,  les  observations  faites  par  eux  ne  sont  pas  en  con- 
tradiction avec  celles  des  savants  qui  les  ont  précédés  dans  cette  voie.  On  peut  admet- 
'  tre  que  le  sol  employé  était  pauvre  en  micro-organismes  et  en  germes  mycogéniques, 
mais  n'en  était  pas  absolument  privé  après  le  double  lavage  qu'il  avait  subi  avant  l'ex- 
périence. Il  est  certain  que  ces  germes,  dont  l'ubiquité  est  évidente,  pouvaient,  selon  les 
caprices  du  hasard,  se  déposer  sur  tel  ou  tel  vase  à  l'exclusion  de  tel  autre.  Dans  cet 
ordre  nouveau  d'idées,  on  pouvait  se  guider,  d'une  part,  sur  les  expériences  précitées 
de  Berthelot,  et,  d'autre  part,  sur  ce  fait  d'une  observation  très  ancienne,  à  savoir  que 
les  légumineuses  possèdent  dans  les  proiuhcranccs  dont  sont  garnies  leurs  racines  des 
organes  caractéristiques  qui,  pour  certains  botanistes,  seraient  remplis  par  des  bactéries 
et  des  tissus  mycoiques.  Nous  reviendrons  plus  loin  sur  la  nature  de  ces  nodosités  radi- 
cales. 

Les  nouvelles  expériences  doivent  donc  répondre  aux  deux  questions  suivantes  :  l'in- 
troduction, dans  le  sol,  des  micro-organismes  favoi'ise-t-elle  le  développement  des  légu- 
mineuses en  supprimant,  partiellement  du  moins,  les  inégalités  d'accroissement,  et,  dans 
ces  conditions,  les  légumineuses  ne  meuieut-elles  plus  d'inanition,  ainsi  qu'il  ari-ive  aoix 
graminées  dans  un  sol  privé  d'azote  et  stérilisé  au  préalable?  Voici  donc  comment  il 
conviendra  d'opérer.  On  mélangera  les  micro-organismes  à  la  solution  nutritive,  préala- 
blement stérilisée,  en  délayant  un  peu  de  terre  arable  avec  cinq  fois  son  poids  d'eau 
distillée.  Les  vases  et  le  sablé  employés  pour  la  culture  seront  stérilisés  par  la  chaleur, 
les  graines  seront  trempées  pendant  deux  minutes  dans  du  sublimé  à  1  millième  et  la 
surface  du  sol  sera  recouverte  d'ouate  stérilisée.  Quanta  l'eau  d'arrosage,  on  n'emploiera 
que  de  l'eau  bouillie. 

Voici  les  résultats  expérimentaux  obtenus  dans  l'année  1886-1887.  On  prépara  42 
vaseb  identiques  contenant  même  solution  nutritive,  mais  dépourvue  d'azote.  Trente 
d'entre  eux  furent  abandonnés  à  eus-mènies,  dix  reçurent  chacun  25  centimètres  cubes 
de  l'infusion  préparée  avec  o  grammes  de  terre,  deux  furent  stérilisés  et  recouverts 
d'ouate  stérilisée  :  chaque  vase  reçut  deux  graines  de  pois.  Peu  de  jours  après  la  ger- 
mination, on  ne  constata  aucune  différence  entre  les  plantes;  puis,  toutes  commencè- 
rent à  jaunir  par  suite  de  l'épuisement  de  leurs  réserves.  Un  mois  environ  après  l'ense- 
mencement, les  plantes  de  la  seconde  série  (ayant  reçu  de  l'infusion  de  terre)  pi'ésen- 
tèrent  une  coloration  plus  verte  que  celles  de  la  première  série,  et  cette  dilTérence  s'accusa 
de  jour  en  jour.  Cependant  quelques-unes  des  plantes  de  la  première  série  se  mirent  à 
verdir,  alors  que  d'autres  restèrent  jaunes;  quant  à  celles  de  la  seconde  série,  elles  con- 
tinuèrent toutes  à  s'accroître  rapidement.  Au  bout  d'un  mois,  dans  les  deux  vases  stéri- 
lisés, toute  trace  de  verdure  avait  disparu,  et  aucun  organe  nouveau  ne  s'était  montré. 

Jusqu'à  la  fm  de  l'expérience  (durée  de  trois  mois  et  demi),  ces  particularités  que 
nous  venons  de  mentionner  ont  subsisté.  Il  est  donc  permis  de  conclure  ainsi  :  Dans  la 
première  série,  l'irrégularité  de  la  végétation  doit  être  la  règle,  comme  dans  les  expérien- 
ces antérieures,  puisque  l'ensemencement  est  abandonné  au  hasard;  dans  la  seconde 
série,  l'ensemencement  avec  les  bactéries  du  sol  ayantétéfait  régulièrement,  les  plantes 
ont  présenté  l'aspect  que  nous  avons  décrit,  elles  ont  toutes  fourni  des  graines  en  hori 
état  et  le  poids  de  la  substance  sèche  était  supérieur  à  trente  fois  le  poids  delà  semence 
alors  que,  dans  la  première  série,  cet  excédent  n'a  été  constaté  que  chez  certains  vases 
seulement.  Quant  à  la  troisième  série,  elle  est  restée  stérile. 

D'un  très  grand  nombre  d'autres  expériences  entreprises  ultérieurement,  tant  sur  les 
graminées  que  sur  diverses  espèces  de  légumineuses,  on  peut  détacher  les  résultats  qui 
suivent  : 

A.  Relativement  aux  graminées,  les  expériences  faites  sur  l'avoine  et  sur  l'orge  pen- 


AZOTE.  981 

dant  les  années  1886-87  ont  confirmé  de  tous  points  les  résultats  obtenus  antérieurement 
en  1883  et  1883  :  Ces  végétaux  croissent  proportionnellement  à  la  quantité  de  nitrates 
qui  leur  est  offerte;  en  dehors  des  nitrates  existant  dans  le  sol,  ces  deux  plantes  n'ont 
assimilé  l'azote  d'aucune  autre  source.  Une  addition  de  carbonate  de  chaux  augmente 
le  rendement  et  favorise  l'assimilation  de  l'azote,  mais  le  gain  est  très  petit.  On  a  con- 
staté, de  plus,  qu'une  infusion  terreuse,  correspondant  à  3  grammes  de  terre  pour  4  kilo- 
grammes de  sable,  est  restée  sans  influence  et  que  les  nitrates  du  sol  sont  assimilés 
même  quand  ils  sont  dans  un  grand  état  de  dilution. 

B.  Relativement  aux  légumineuses.,  les  expériences  exécutées  en  1886  ont  d'abord  con- 
firmé les  résultats  obtenus  précédemment  et  elles  ont  mis  en  lumière  les  faits  suivants  : 
1°  Les  pois  végétant  dans  du  sable  et  ne  recevant  comme  aliment  qu'une  solution 
exempte  d'azote  peuvent  végéter  vigoureusement  et  assimiler  l'azote  en  quantité  appré- 
ciable. Ce  développement  de  la  plante  et  cette  faculté  d'assimilation  ne  se  montrent  pas 
chez  tous  les  sujets  et  dépendent  évidemment  d'une  cause  accidentelle  dont  l'action  est 
irrégulière.  2°  Si  on  stérilise  les  vases  et  le  sable  de  culture  et  si  on  recouvre  celui-ci 
d'ouate  stérilisée,  les  légumineuses  qu'on  ensemence  se  comportent  comme  les  graminées, 
leur  croissance  est  peu  appréciable  ou  même  nulle  et,  dans  les  produits  récoltés,  on 
trouve  toujours  moins  d'azote  que  la  semence  et  le  sol  n'en  contenaient  au  début.  3°  On 
peut,  sans  ajouter  de  nitrates,  obtenir  une  végétation  normale  avec  des  légumineuses,  si 
on  incorpore  au  sol  stérilisé  une  infusion  de  terre;  rien  de  semblable  pour  les  graminées. 
4"  Les  infusions  des  différentes  sortes  de  terre  n'ont  pas  la  même  influence,  une  infusion 
faite  avec  une  terre  sableuse  n'ayant  jamais  reçu  d'engrais  et  rarement  cultivée  est  infé- 
rieure à  celle  qui  provient  d'une  terre  bien  cultivée.  De  plus,  telle  infusion  peut  profiter 
à  telle  espèce  de  légumineuses  et  être  sans  action  sur  telle  autre  (nous  reviendrons  plus 
loin  sur  ce  point  intéressant).  o°  L'infusion  terreuse  chaufl:ée  assez  longtemps  à  100" 
perd  toute  influence.  6°  Les  légumineuses  absorbent  et  utilisent  les  nitrates  contenus  dans 
le  sol;  si  on  leur  fournit  une  dose  additionnelle  de  nitrate  de  chaux,  on  ne  remarque  pas, 
chez  ces  végétaux,  ce  passage  à  la  période  d'inanition  après  épuisement  de  la  réserve 
contenue  dans  la  graine.  7"  Dans  un  sol  stérilisé,  les  légumineuses  se  comportent  comme 
les  graminées  vis-à-vis  des  nitrates  :  le  rendement  en  substance  sèche  est  proportionné 
au  poids  de  l'azote  nitrique  qui  leur  est  fourni;  l'analyse  montre  que  la  récolte  contient 
moins  d'azote  qu'il  n'existait  primitivement  de  cet  élément  dans  la  semence,  le  sol  et  la 
solution  nutritive.  8°  Mais  si,  en  même  temps  que  les  nitrates,  on  donne  aux  plantes 
un  peu  d'infusion  terreuse,  celle-ci  ajoute  son  action  à  celle  des  nitrates  et  le  rende- 
ment cesse  d'être  en  rapport  direct- avec" Iti  quantité  d'azote  contenue  dans  le  sol.  La 
teneur  en  azote  de  ,1a  récolte  est  bien  plus  considérable  que  la  teneur  primitive.  0°  Le 
gain  d'azote  qu'on  peut  atteindre  en  donnant  aux  plantes  une  infusion  terreuse  est  tou- 
jours plus  faible  lorsqu'il  y  a  en  même  temps  des  nitrates  dans  le  sol  que  lorsqu'il  n'y  en 
a  pas.  10°  Rien  n'indique  que  les  légumineuses  possèdent  une  faculté  spéciale  pour  décou- 
vrir, mieux  que  les  graminées,  de  très  petites  quantités  d'azote  assimilable  incorporées 
au  sol  ou  offertes  en  solution  très  diluée.  11°  Une  addition  de  carbonate  de  chaux  ne 
change  rien  aux  précédents  résultats. 

Il  est  évident  maintenant  que  l'accumulation  de  l'azote  dans  les  légumineuses  ne  peut 
être  due  qu'à  la  présence  des  micro-organismes  qui  pullulent  dans  le  sol.  Hellriegel  et 
■WiLEAimi,  faisant  un  pas  de  plus  dans  la  question,  sont  amenés  à  penser  que  cette  action 
repose  sur  une  symbiose  des  micro-organismes  et  des  légumineusesjet  qu'à  chaque  légu- 
mineuse  doit  correspondre  un  micro-organisme  spécial.  Les  faits  découverts  par  Beh- 
THELOT  et  analysés  plus  haut  ne  peuvent  rendre  compte,  dans  le  cas  présent,  du  gain 
d'azote  considérable  réalisé  par  les  légumineuses.  En  effet,  pourquoi  les  pois,  par  exem- 
ple, peuvent-ils  utiliser  les  sources  d'alimentation  qui  s'offrent  ainsi  à  eux,  tandis  que, 
malgré  leur  végétation  d'une  égale  durée,  l'orge  et  l'avoine  ne  peuvent  en  tirer  qu'un 
profit  insignifiant  '  ? 

Résumons  les  faits  qui  prouvent  la  présence  des  micro-organismes  fixateurs  dans  l'in- 

1.  On  pourrait  répoudre  à  cela  que  le  phénomène  de  la  fixation  de  l'azote  par  le  sol  est,  d'une 
part,  trop  lent  à  s'exercer  pendant  une  durée  de  végétation  aussi  rapide,  et  que  cette  fixation, 
ainsi  que  l'a  fait  observer  13erthei,ot,  étant  corrélative  de  la  quantité  de  matières  organiques 
existant  dans  le  sol,  ne  saurait  être,  dans  le  cas  présent,  qu'extrêmement  faible. 


982  AZOTE. 

fusion  de  terre,  i"  Effets  produits  par  cette  infusion,  même  à  dose  très  minime.  2"  Alors 
que  les  légumineuses,  qui  croissent  dans  un  sol  non  azoté,  semblent  périr  d'inanition 
sitôt  que  leurs  graines  sont  vidées,  elles  renaissent  subitement  à  la  vie  dès  que  le  sol  a 
reçu  de  l'infusion  terreuse.  3°  Cette  infusion  est  rendue  stérile  par  l'ébullition  et  même 
par  l'application  prolongée  d'une  température  de  70".  4"  Les  infusions  de  terre  de 
diverses  provenances  n'ont  pas  la  même  influence  sur  toutes  les  légumineuses.  C'est 
ainsi  qu'une  infusion  provenant  de  deux  terres  à  betteraves  s'est  montrée  très  efficace 
dans  le  développement  du  pois  et  qu'elle  est,  au  contraire,  restée  sans  action  sur  les 
autres  légumineuses  mises  en  expériences.  5°  Les  légumineuses  peuvent  se  développer 
normalement  dans  un  sol  stérilisé,  et  sans  addition  d'infusion  terreuse,  si  on  n'empêche 
pas  soigneusement  l'accès  des  germes  apportés  par  l'air. 

Il  est  donc,  nous  le  répétons,  une  idée  qui  s'impose  à  notre  attention,  c'est  celle  d'une 
symbiose  entre  les  légumineuses  et  certains  micro-organismes  spécifiques  pour  chaque 
espèce  de  légumineuse.  Hellriegel  et  Wilfarth  conçoivent  ici  la  symbiose  comme  un 
rapport  dans  lequel  deux  végétaux  de  nature  différente  exercent  réciproquement  une 
influence  active  sur  les  fonctions  de  leur  existence.  Enfin,  pour  répondre  à  cette  dernière 
objection  que,  d'après  Frank,  il  y  a  fixation  d'azote  sur  un  sol  dont  la  surface  est  couverte 
d'algues  ou  de  mousses,  les  auteurs  font  remarquer  qu'ils  ont  observé  plusieurs  fois, 
dans  les  vases  non  stérilisés  et  non  couverte  d'ouate,  des  végétations  vertes  s'étendant 
souvent  jusqu'au  fond  du  vase,  et  que  cette  végétation  cryptogamique  n'a  eu  aucune 
influence, dans  leurs  expériences,  sur  la  fixation  de  l'azote  (voir  plus  loin  ce  qui  est  relatif 
à  la  présence  des  algues  vertes). 

Dans  la  dernière  partie  de  leur  mémoire,  Hellriegel  et  Wilfarth  traitent  la  question 
de  la  présence  des  tubercules  sur  les  racines  des  légumineuses,  sujet  dont  nous  parlerons 
un  peu  plus  loin  avec  quelques  détails.  Mais,  pour  ne  pas  interrompre  l'exposé  de  leur 
important  travail,  donnons  de  suite  les  idées  émises  à  ce  sujet  })ar  les  deux  savants.  Hell- 
riegel rappelle  qu'à  l'occasion  de  sa  première  communication  il  avait  déjà  indiqué  que 
les  organes  qu'on  appelle  tulérosiiés  des  légumineuses  sont  en  relation  directe  avec  l'assimila- 
tion de  l'azote. 

La  connaissance  de  ces  tubercules  est  très  ancienne,  mais  aucune  explication  satisfai- 
sante de  leur  présence  et  de  la  nature  de  leur  contenu  n'a  encore  été  donnée  (ceci,  bien 
entendu,  au  moment  où  Hellriegel  et  Wilfarth  publient  leur  mémoire  :  1888). 
Les  peti  ts  corpuscules  qui  se  rencontrent  dans  les  cellules  du  parenchyme  intérieur  de 
ces  tubérosités  ont  été  longtemps  considérés  comme  des  champignons,  telle  était 
l'opinion  de  Lundstroem  et  celle  de  Marshall  Ward.  Mais  Brunchorst,  Tschirch,  Frank 
les  ont  plus  tard  décrits  comme  des  coips  albumineux  se  liant  à  la  vie  même  de  la  plante. 
Si  leur  nature  est  inconnue,  leurs  fonctions  sont  également  l'objet  de  nombreuses  dis- 
cussions. Pour  les  uns,  ce  sont  des  formations  pathologiques,  pour  d'autres,  au  contraire) 
ce  sont  des  créations  normales  intimement  liés  à  l'économie  de  la  plante  ;  Bru.nxhorst, 
regarde  les  bactéroides  contenus  dans  les  tubercules  comme  des  productions  normales 
du  plasma  cellulaire.  En  un  mot,  tandis  que  certains  expérimentateurs  considèrent  ces 
tubérosités  comme  des  greniers  d'abondance  dans  lesquels  les  plantes  accumulent  des 
réserves  azotées,  d'autres  en  font  des  organes  d'assimilation  :  les  uns  regardent  les 
tubérosités  comme  la  conséquence,  les  autres  comme  la  cause  effective  de  la  croissance 
des  plantes.  Voici  ce  que  Hellriegel  et  Wilfarth  ont  observé  au  sujet  des  relations 
entre  l'assimilation  de  Fazote  et  la  présence  des  tubercules  sur  les  racines  des  légumi- 
neuses. Si  on  cultive  celles-ci  en  milieu  stérile  dans  un  sable  dépourvu  d'azote,  leurs 
racines  ne  portent  pas  de  tubercules.  Dans  ces  conditions,  les  plantes  ne  croissent  pas 
et  n'assimilent  de  l'azote  qu'en  quantité  très  minime.  Dans  un  sol  non  stérilisé,  mais 
privé  d'azote,  la  production  de  tubérosités  nombreuses  sur  les  racines  des  légumineuses 
est  chose  normale  :  la  végétation  est  alors  active  et  il  y  a  assimilation  énergique  d'azote. 
Si  les  plantes  se  développent  dans  un  sable  stérilisé  pourvu  de  nitrates,  leurs  racines 
ne  porteront  pas  de  nodosités,  et  il  n'y  aura  pas  de  gain  d'azote.  Enfin,  dans  un  sol 
non  stérilisé  et  renfermant  de  l'azote,  on  observe  la  formation  de  tubercules  radicaux 
plus  ou  moins  nombreux  avec  végétation  parfaite  et  gain  d'azote  constant.  La  conclusion 
générale  de  tout  ce  qui  précède  doit  donc  être  ainsi  formulée  :  la  formation  des  tuber- 
cules radicaux  dépend  de  la  présence,  dans  le  sol,  d'un^ferment  organisé  actif. 


AZOTE.  983 

Quelques  mots  maintenant  sur  cette  période  d'inanition  que  traversent  les  plantes 
avant  que  rinl'iision  terreuse  manifeste  son  action.  L'extrait  de  terre  était  toujours  incor- 
poré en  même  temps  que  la  solution  nutritive  dès  le  début  de  l'expérience,  mais  son 
iniluence  ne  s'est  jamais  révélée  dès  le  commencement  de  la  végétation.  La  période  de 
germination  s'étant  accomplie  normalement,  les  plantes  entraient  dans  la  phase 
d'inanition  dès  que  les  matériaux  de  réserve  étaient  consommés  ainsi  qu'il  arrive 
lorsqu'une  plante  quelconque  croît  dans  un  sol  absolument  stérile.  Alors  seulement 
l'infusion  terreuse  fait  sentir  son  influence  :  la  teinte  verte,  qui  avait  momentanément 
disparu,  reprend  sa  couleur  normale  et  la  plante  entre  dans  la  période  d'assimilation 
proprement  dite.  Constatons,  de  plus,  que,  chez  les  végétaux  placés  dans  de  bonnes 
conditions,  la  formation  des  thbérosités  se  produit  dans  la  période  d'inanition,  c'est- 
à-dire  avant  le  commencement  de  l'assimilation  et  de  la  croissance.  Hellkiegel  et 
WiLFARTH  ont  examiné  à  ce  sujet  de  nombreux  pieds  de  pois,  de  seradclle,  de,  lupin,  et 
ils  ont  toujours  noté  que, pendantia  période  de  germination  ainsi  que  pendant  les  premiers 
temps  de  celle  d'inanition,  il  n'existait  pas  de  tubercules  sur  les  racines,  mais  que 
ceux-ci  apparaissent  sitôt  le  reverdissement  accompli,  ou,  tout  au  moins,  dans  les 
derniers  temps  de  la  période  d'inanition,  si  celle-ci  se  prolongeait.  11  restait  à  démontrer 
que  c'est  bien  à  l'azote /tire  de  l'atmosphère  que  les  plantes  empruntent  leur  azote.  Pour 
effectuer  cette  démonstration,  les  savants  ag-ronomes  employèrent,  soit  une  grande  cage 
vitrée  traversée  par  un  courant  d'air  privé  d'azote  combiné,  mais  additionné  d'une  dose 
suflisante  de  gaz  carbonique,  cage  dans  laquelle  se  trouvaient  les  vases  à  ensemencer, 
soit,  comme  dans  les  expériences  de  Boussingault,  un  grand  ballon  de  verre.  On  mit  en 
œuvre,  ainsi  que  dans  les  expériences  précédentes,  le  même  soi  stérilisé,  la  même  solu- 
tion nutritive,  la  même  infusion  terreuse  :  seuls  les  pois  assimilèrent  l'azote  dans 
une  proportion  considérable,  tandis  que  l'avoine  et  le  sarrasin .  ne  fixèrent  cet  élé- 
ment qu'en  minime  proportion. 

On  a  prétendu  que  Hellriegel  et  Wilfartii  n'avaient  pas  donné  de  preuve  péremptoire 
delà  fixation  de  l'azote  libre  par  les  légumineuses,  puisqu'ils  opéraient  dans  un  courant 
d'air,  privé  sans  doute  d'ammoniaque  par  son  passage  au  travers  de  réactifs  appropriés, 
mais,  en  somme,  dans  une  atmosphère  constamment  renouvelée.  Or,  en  supposant  que 
quelque  gaz  azoté  inconnu,  non  absorbé  par  les  réactifs  jusqu'ici  employés,  existât  à  l'état 
de  traces  dans  l'air  que  nous  respirons,  aucune  analyse,  si  précise  qu'elle  puisse  être,  ne 
saurait  le  faii'e  découvrir  :  on  pourrait  donc  penser  que  c'est  précisément  ce  gaz  que  les 
légumineuses  absorbent  (Remarque  faite  déjà  par  Boussingault).  Mais  cette  dernière  expé- 
rience exécutée  dans  un  ballon  clos  nous  paraît  donner  la  démonstration  irréfutable  de 
l'absorption  de  l'azote  gazeux  libre.  Un  gaz  azoté  inconnu  qu'assimileraient  les  légumi- 
neuses ne  pourrait  être  contenu  qu'à  l'état  de  trace  dans  ce  ballon,  et  ne  permettrait  en 
aucun  cas  d'expliquer  les  quantités  considérables  d'azote  que  renferment  les  plantes 
après  l'expérience. 

11  restait  enfin  à  examiner  dans  quelle  mesure  le  sol  s'est  enrichi  après  la  culture 
des  légumineuses.  Les  chiffres  fournis  par  les  analyses  faites  sur  le  sol  après  enlève- 
ment de  la  récolte  (cultures  de  pois  de  l'année  1887)  suggèrent  les  remarques  suivantes  : 
1°  Pendant  la  durée  des  expériences,  le  sable  quartzeux  s'est  enrichi  en  azote  dans  tous 
les  cas.  2°  Cet  accroissement  est  plus  important  lorsqu'il  y  a  végétation,  active  que  lors- 
que les  plantes  restent  chétives  et  ne  produisent  à  peu  près  rien.  3°  Le  gain  n'est  pas 
considérable,  et  les  nombres  obtenus  sont  plus  faibles  que  ceux  qui  ont  été  fournis  par 
d'autres  observateurs,  lesquels  opéraient  sur  des  terres  argileuses  ou  riches  eu  humus, 
-i"  Presque  tout  l'excédent  d'azote  accumulé  se  trouvait  dans  le  sable  sous  forme  de 
combinaison  organique. 

Hellrtegel  et  Wilfarth  terminent  leur  important  mémoire  par  une  série  de  conclu- 
sions qui  le  résument  en  quelques  propositions  fondamentales.  Nous  croyons  qu'il  est 
inutile  de  transcrire  ce  résumé,  les  points  importants  ayant  été  suffisamment  mis  en 
lumière  dans  cette  analyse  déjà  trop  longue.  Toutefois,  voici  ce  qu'il  convient  de  dire  en 
quelques  mots  :  certaines  variétés  de  légumineuses,  sinon  toutes,  ont  la  faculté,  avec  le 
concours  des  micro-organismes,  d'utiliser  l'azote  libre  de  l'atmosphère  et  de  l'em- 
magasiner sous  la  forme  de  matières  alhuminoïdes.  Cette  source  d'azote  est  inépuisable; 
elle  peut,  si  les  conditions  sont  favorables,    suffire  à  elle  seule  aux    exigences  de  ces 


984  AZOTE. 

plantes,  lesquelles  atteignent  alors  un  développement  normal  et  même  luxuriant,  ce  qui 
justifie  celte  ancienne  affirmation  connue  de  tous  les  praticiens  :  les  légumineuses  doi- 
vent être  regardées,  en  économie  rurale,  comme  des  plantes  améliorantes. 

—  Un  travail  d'une  pareille  importance  devait  évidemment  provoquer  des  expériences 
de  contrôle  dont  nous  allons  parler  dans  ce  qui  suit.  Mais  la  plupart  des  recherches  faites 
ultérieurement  ont  démontré  la  justesse  des  vues  de  Hellriegel  et  Wilfarth  et  les  ont 
complétées.  A  peine  trouve-t-on  quelques  idées  discordantes  dont  il  convient  cependant 
de  faire  mention,  étant  donnée  la  valeur  des  savants  qui  les  ont  émises. 

Dans  un  long  et  intéressant  mémoire  intitulé  :  Recherches  sur  la  nutrition  azotée  des 
plantes  [Landw.  Jahrb.,  t.  xvii,  p.  421,  1888,  traduction  complète  dans  les  Annales  de  la 
science  agronom.,  t.  ii,  p.  24,  1888),  B.  Frank  fait  un  historique  de  la  question  de  l'azote, 
puis  il  met  en  évidence,  d'une  part,  les  expériences  négatives  de  Boussingault  et,  d'autre 
part,  ce  fait,  d'une  observation  journalière,  à  savoir  que  les  plantes  cultivées  laissent  le 
sol  plus  riche  en  azote  après  la  récolte  qu'avant  quand  on  compare  l'azote  de  l'engrais 
et  celui  que  contient  la  récolte.  Ses   propres  essais   l'amènent  à   conclure  que   l'azote 
élémentaire  provenant  de  l'air  est  fixé  par  les  végétaux;  les  composés  azotés  du  sol 
augmentent,  la  masse  végétale  s'accroît.  Étant  données  certaines  conditions,  les  plantes 
de  la  grande  culture  peuvent,  sans  engrais  azotés,  s'alimenter  d'azote  puisé  dans  l'air. 
Mais  ce  gain  d'azote  se  trouve  constamment  diminué  par  les  pertes  qui  résultent  d'une 
série  de  processus  contraires.  L'azote,  en   effet,  retourne  partiellement  à  l'état  gazeux 
pendant  la  germination,  la  putréfraction  (Reiset),  la  décomposition  des  principes  azotés 
du  sol,  la  réduction  des  nitrates  dans  un  sol  privé  d'air;  il  s'en  perd  une  certaine  quan- 
tité à  l'état  combiné  dans  la  volatilisation  de  l'ammoniaque  des  fumiers  et  dans  l'entraî- 
nement par  l'eau  pluviale  des  nitrates  du  sol  (Voir  aussi  :   Tacke,  Landw.  Jahrb.,  t.xvni, 
p.  439,  1889).  Les  plantes  absorbent    directement  l'azote,   mais  les  racines  ne  jouent 
aucun  rôle  spécial  dans  ce  phénomène.  Cette  absorption  atteint  son  maximum,  ou  bien 
devient  seulement  appréciable,  quand  la  plaiite  est  arrivée  au  stade  de  son  plus  grand 
développement  ou  quand  elle  porte  des  graines  mûres.  Les  différentes  espèces  végétales 
déploient  une  énergie  très  inégale  dans  l'assimilation  de  l'azote,  d'où  gain  inégal  suivant 
qu'on  considère  telle  ou  telle  plante.  Le  résultat  le  plus  faible  appartient  à  la  jachère 
dans  laquelle  les  petits  végétaux  agissent  seuls;  s'il  s'agit  de  plantes  supérieures,  le 
gain  est  plus  considérable;  les  légumineuses  donnant  sous  ce  rapport  le  maximum  d'as- 
similation. L'azote  combiné,  acquis  sous  forme  végétale,  enrichit  le  sol  :  en  effet,  celui-ci 
conserve  les  racines   que  lui  abandonnent  les  végétaux  supérieurs  et  dont  la  matière 
azotée  par  une  série  de  réactions  se  transforme  en  ammoniaque,  puis  eu  acide  nitrique. 
Les  cryptogames  verts  microscopiques  meurent,  puis  sont  remplacés  par  une  nouvelle 
génération  et  enrichissent  ainsi  le  sol  en  azote.  iNous  verrons  bientôt  que  ce  sont   les 
recherches  de  Schlœsing  fils  et  Laurent  qui  ont  précisé  le  rôle  des  algues,  mais  il  convient 
de  reconnaître  que  ce  rôle  a  été  néanmoins  découvert  d'abord  par  Frank  {Chem.  Centralb., 
1888,  p.  1439).  Quoiqu'il  en  soit,  ce  savant  botaniste  n'admet  pas,  comme  un  fait  hors  de 
doute,  l'existence  dans  le  sol  d'organismes  fixateurs  d'azote,  et  il  nie  que  les  tubercules 
radicaux  des  légumineuses  remplissent,  chez  les  plantes,  les  fonctions  que  Hellriegel 
leur  a  attribuées  à  la  suite  de  ses  expériences.  Frank  est  revenu  plusieurs  fois  sur  le 
rôle  que  jouent  les  algues  dans  la  fixation  de  l'azote  [Jahresb.  Agï^ik.  Chemie,i.  xn,  pp.  49, 
127);  d'ailleurs  cette  faculté  semble  être  une  propriété  de  tous  les  végétaux  pourvus  de 
chlorophylle  sans  qu'il  soit  besoin  d'admettre  l'intervention  d'organes  particuliers.  Chaque 
fois  qu'un  sol  absorbe  l'azote  atmosphérique  et  le  change  en  azote  organi(jue,  c'est  qu'il 
est  habité  par  des  algues,  tandis  que  seul,  privé  de  végétation,  il  ne  possède  pas  cette 
aptitude.  La  propriété  qu'ont  les  végétaux  pourvus  de  chlorophylle  de  fixer  l'azote  élé- 
mentaire semble  être  un  phénomène  aussi  général  que  la  décomposition  du  gaz  carbo- 
nique par  leurs  parties  vertes  (Frank)  (Consulter  à  ce  sujet  les  expériences  de  Bréal  sur 
le  Cresson  dans  Annal,  açiron-,  t.  xvin,  p.  396  et  celles  de  Pagnoul  dans  C.  R.,  t.  ex, 
p.  910).  Cependant  Frank  a  constaté  ultérieurement,  conformément  aux  vues  de  Berthe- 
LOT,  que  les  micro-organismes  exempts  de  chlorophylle  enrichissent  en  azote  les  terres 
pauvres,  même  celles  qui  sont  maintenues  sans  culture. 

Quel  est  le  lieu  de  l'assimilation  de  l'azote  dans  les  plantes  vertes  ordinaires?  Frank 
et   Otto  [Ber.  botan.  GcselL,  i.  vni,  p.  331)   ont  institué  à  ce  sujet  des  expériences  qui 


AZOTE.  985 

leur  ont  montré  que  la  feuille,  siège  de  l'assimilation  du  carbone,  est  également  le  lien 
de  formation  des  composés  azotés.  Après  une  journée  d'assimilation,  les  feuilles,  riches 
en  amidon  le  soir,  perdent  pendant  la  nuit  une  certaine  quantité  de  cet  hydrate  de  car- 
bone. De  même,  les  feuilles  vertes  sont  plus  riches  en  azote  le  soir  que  le  matin  suivant. 
Les  légumineuses  présentent  à  cet  égard  de  difîérences  considérables,  différences  moins 
accentuées,  mais  ce|  endant  réelles,  dans  les.  autres  familles. 

WiLP.\HTH  a  relevé  dans  les  travaux  de  Frank  de  nombreuses  inexactitudes  qui 
infirment  en  partie  les  conclusions  de  ce  dernier  auteur  {Jahresb.  Agrikidturchemie,  t.  xiir, 
p.  118).  Eu  efîet,  le  fait  de  la  fixation  de  l'azote  par  les  légumineuses,  dit  Wilfarth,  a  été 
vérifié  dans  toutes  ses  conséquences  par  de  nombreux  expérimentateurs;  de  plus,  les 
recherches  de  Frank  ne  sauraient  entraîner  la  conviction  en  ce  qui  concerne  la  fixation 
de  l'azote  par  fe  chanvre  et  le  colza,  les  nombres  fournis  à  cet  égard  étant  de  l'ordre  des 
erreurs  qu'on  peut  commettre  dans  les  analyses  (voir  encore  sur  le  sujet  les  derniers 
travaux  de  Frank  dans  Landw.  Jahrb.,  t.  xxi,  p.  1). 

Il  résulte  d'expériences  plus  anciennes  entreprises  par  Gautier  et  Drouin  pendant  les 
années  1886  et  1887  que  le  sol  non  ensemencé,  mais  pourvu  de  matières  organiques,  em- 
prunte de  l'azote  à  l'atmosphère  et  le  transforme  en  azote  organique  :  la  perméabilité, 
la  division  et  le  tassement  de  la  masse  jouent  un  rôle  considérable  dans  le  phénomène. 
Quant  à  l'apport  d'ammoniaque  atmosphérique,  il  ne  suffit  pas  à  expliquer  l'accumu- 
lation de  l'azote.  Il  existe  donc  d'autres  origines  de  l'azote  assimilé  (poussières  orga- 
niques, azote  libre).  L'intervention  d'un  végétal  double  la  quantité  de  l'azote  total  fixé;  ■ 
de  plus  certains  organismes  unicellulaires  aérobies,  et  particulièrement  certaines  algues, 
interviennent  dans  le  phénomène  de  la  flxation  de  l'azote  sur  le  sol,  même  lorsque  celui- 
ci  est  privé  de  toute  autre  végétation  et  dépourvu  de  matière  organique.  Mais,  à  aucun 
moment,  les  auteurs  ne  se  prononcent  d'une  manière  catégorique  en  faveur  de  la  flxa- 
tion de  l'azote  gazeux  libre  (C.  fi.,  t.  cvi,  pp.  7o4,  863,  944,  1098,  1174,  1232,  1603;  t.  cxiir, 
p.  820;  t.  cxiv,  p.  19). 

Revenons  maintenant  sur  les  travaux  relatifs  aux  légumineuses  et  voyoïis  quelles 
conséquences  nouvelles  peuvent  en  découler. 

L'année  même  où  paraissait  le  travail  magistral  de  Hellriegel  et  Wilfarth  (1888), 
Berthelot,  de  son  côté,  précisait  de  nouveau  les  rapports  de  l'azote  libre  avec  le  sol 
sans  culture  et-étendait  ses  expériences  à  un  sol  ensemencé  avec  des  légumineuses  (A.  C, 
(6),  t.  XVI,  p.  433).  Voici  les  points  les  plus  saillants  du  mémoire  considérable  publié  à  cette 
occasion  par  l'auteur  précité.  Les  expériences  ont  porté  sur  la  terre  végétale  disposée  : 
1"  en  vase  clos;  2°  exposée  à  l'air  libre  sous  abri;  3°  à  l'air  libre  sans  abri.  Dans  le 
premier  cas,  sous  cloche,  à  l'abri  par  conséquent  des  poussières  de  l'atmosphère  et 
des  compose's  azotés  que  celle-ci  peut  apporter,  trois  essais  exécutés  avec  trois  terres 
de  richesse  difîérenle  en  azote  ont  donné  lieu  à  une  flxation  d'azote.  Ces  terres  étaient 
des  terres  végétales  n'ayant  subi  au  préalable  aucune  manipulation  telle  que  chauffage, 
calcination,  mélange  avec  du  terreau,  etc.,  l'azote  qu'elles  ont  fixé  était  évidemment 
l'azote  gazeux  contenu  dans  la  cloche.  Une  des  terres  dont  la  teneur  initiale  en  azote 
était,  par  kilogramme  sec,  de  0S'',974,  a  fait,  en  deux  mois,  un  gain  de  8,6  p.  100  de 
l'azote  initial;  la  seconde  terre,  qui  contenait  au  début  ls^663  d'azote,  a  gagné  2,2 
p.  100  d'azote  dans  le  même  espace  de  temps;  la  troisième  terre,  dont  la  teneur  initiale 
en  azote  était  de  ls'',744,  a  gagné  4,3  p.  100.  Les  expériences  faites  à  l'air  libre  et  sous 
abri  on  donné  lieu  à  des  gains  d'azote  du  même  ordre  de  grandeur  que  les  précédents. 
Enfin,  les  expériences  exécutées  en  plein  air  entraînent  la  même  conclusion,  défalcation 
faite  de  l'azote  ammoniacal  qu'elles  ont  reçu  par  l'eau  de  pluie,  le  gain  d'azote  étant 
dans  tous  les  cas  plus  marqué  pour  la  terre  la  plus  pauvre  au  début.  Ces  mêmes  terres, 
mélangées  avec  une  infusion  provenant  du  contenu  des  tubercules  radicaux  des  légu- 
mineuses, ne  fixent  pas  l'azote  en  quantité  plus  considérable  qu'en  l'absence  d'infusion, 
peut-être  parce  que  le  concours  de  la  vie  végétale  proprement  dite  est  nécessaire  à 
l'activité  des  êtres  que  renferment  ces  tubercules. 

Il  resterait,  avant  d'aller  plus  loin,  à  régler  défliiitivement  la  question  des  relations  de 
l'ammoniaque  atmosphérique  avec  la  terre  végétale,  afin  de  savoir  quelle  est  la  quantité 
d'azote  que  cet  alcali  apporte  au  sol  dans  les  conditions  naturelles.  Berthelot  [loc.  cit., 
p.  484)  expose  une  des  terres  précédemment  étudiées  à  l'action  de  l'air  sous  un  hangar 


986  AZOTE. 

librement  ouvert,  et  l'additionne  d'un  peu  de  carbonate  calcique.  Au  bout  de  six  mois, 
la  dose  d'ammoniaque  libre  et  de  sels  ammoniacaux  soluhles  dans  Veau  pure  ne  s'était 
pas  accrue  d'une  façon  sensible,  ainsi  que  la  dose  d'ammoniaque  qu'on  peut  extraire  par 
l'actiou  d'uQ  acide  étendu  en  suivant  l'ancien  procédé  incorrect  de  dosage.  Une  autre 
expérience  d'une  durée  de  dix-huit  mois  a  conduit  au  même  résultat.  On  voit  donc  que 
l'absorptiou  de  l'ammoniaque  atmosphérique  par  la  terre  végétale  est  un  phénomène 
extrêmement  restreint,  sinon  douteux  et  que  l'apport  d'azote  par  cette  voie  est  presque 
négligeable  :  ce  qui  infime  en  grande  partie  les  conclusions  qu'on  avait  tirées  autrelbis 
de  l'enrichissement  du  sol  par  cet  alcali  et  dont  nous  avons  parlé  précédemment.  Il 
résulte,  en  outre,  de  ce  que  nous  venons  de  dire,  que  cette  absorption  de  l'ammoniaque 
par  les  sols  ne  peut  être  mesurée  par  la  dose  d'ammoniaque  absorbée  par  une  surface 
donnée  recouverte  d'acide  sulfurique  étendu  et  exposée  à  l'air.  En  effet,  l'acide  absorbe 
l'ammoniaque  et  n'en  restitue  pas  la  moindre  fraction;  le  sol,  au  contraire,  en  émet 
ainsi  que  nous  l'avons  déjà  montré  et,  entre  lui  et  l'air,  se  font  des  échanges  continuels. 
Berthelot  rend  compte  ensuite  d'une  série  d'expériences  qu'il  a  faites  sur  la  terre 
avec  le  concours  de  la  végétation  de  six  espèces  de  légumineuses  (resce,  lupin,  jurasse, 
trèfle,  luzerne,  Medicago  lupidina).  Comme  dans  la  série  précédente,  les  plantes  étaient  : 
i°  sous  une  cloche  ;  2°  à  l'air  libre  sous  abri  ;  3°  à  l'air  libre  sans  abri. 

I.  L'atmosphère  des  plantes  sous  cloche  a  été  additionnée  tous  les  jours  de  quelques 
centièmes  de  gaz  carbonique;  on  vérifiait  de  temps  en  temps  la  composition  de  cette 
atrriosphère.  Sous  cloche,  les  deux  échantillons  lupin  et  vesce  ont  gagné  de  l'azote,  mais  le 
gain  a  eu  lieu  par  la  terre.  La  plante,  en  effet,  n'a  pas  atteint  le  terme  de  son  dévelop- 
pement où  elle  commence  à  assimiler  l'azote  et  le  carbone  des  milieux  extérieurs.  Ce 
résultat  n'est  pas  surprenant;  sous  cloche,  en  effet,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  fait 
remarquer,  la  saturation  de  l'atmosphère  par  la  vapeur  d'eau,  l'émission  des  produits 
volatils  toxiques,  le  potentiel  électrique  nul,  le  surchaufîage  possible  des  parois  du  vase 
par  la  concentration  solaire  sont  autant  de  causes  qui  entravent  le  processus  végétatif. 

II.  Les  expériences  exécutées  à  l'air  libresoiig  abri  transparent ai\ecla.  terre  dite  de  l'enclos 
(Ob'^,974  d'azote  dans  un  kilogramme)  ensemencée  avec  les  six  espèces  de  légumineuses 
précitées,  ont  constamment  donné  lieu  à  un  gain  d'azote  malgré  la  diversité  dans  les 
conditions  et  la  durée  inégale  de  l'évolution  des  plantes  (de  deux  à  cinq  mois).  Ce  gain, 
sauf  pour  le  lupin,  surpasse  de  beaucoup  les  gains  observés  en  vase  clos,  soit  avec  les 
légumineuses,  soit  avec  la  terre  seule;  pour  la  luzerne,  il  s'est  élevé  jusqu'à  37,3  centièmes. 
Ce  gain  a  porté  dans  tous  les  cas  sur  la  terre  ainsi  que  sur  la  plante,  sauf  dans  le  cas 
du  lupin.  Dans  les  expériences  les  plus  courtes,  c'est  la  terre  qui  a  gagné  le  plus;  mais, 
dans  les  expériences  les  plus  longues,  le  gain  de  la  plante  en  azote  a  surpassé  le  gain  de 
la  terre.  Les  racines  des  plantes  sont  très  abondantes,  leur  matière  minérale  forme  les 
86  centièmes  du  poids  total.  Berthelot  émet  l'idée  que  l'incorporation  d'une  si  forte 
dose  de  matières  minérales  de  la  terre  aux  racines  répond  bien  à  la  notion  d'une  sorte 
de  rie  commune  où  la  terre  et  la  plante  entrent  en  participation. 

Dans  une  autre  série  d'expériences  exécutées  avec  la  même  terre,  mais  à  l'air  libre  et 
sans  abri,  toutes  les  plantes. ont  gagné  de  l'azote,  le  gain  est  du  même  ordre  de  grandeur 
que  dans  la  série  précédente,  il  est  maximum  avec  la  luzerne  sans  abri  (41,3  centièmes), 
comme  avec  celle  placée  sous  abri  (37, o  centièmes). 

m.  Les  essais  exécutés  avec  la  terre  dite  de  la  terrasse  (renfermant  dans  un  kilo) 
gramme  lf,6boo  d'azote)  donnent  lieu  à  des  remarques  analogues  à  celles  que  nous 
venons  de  faire  pour  la  terre  de  Venclos.  Sous  cloche,  les  plantes  ont  gagné  de  l'azote  et 
le  gain  a  eu  lieu  par  la  terre,  la  plante  n'ayant  pas  atteint  dans  son  développement  la 
limite  à  laquelle  elle  commence  à  fixer  l'azote  et  le  carbone  tirés  du  dehors.  A  l'air 
libre,  aussi  bien  sous  abri  que  sans  abri,  il  y  a  eu  fixation  à  la  fois  sur  la  terre  et  sur  la 
plante.  Le  lupin,  comme  dans  les  expériences  précédentes,  est  toujours  la  plante  qui 
fixe  le  moins  d'azote,  la  luzerne  donne  le  maximum  de  fixation. 

W.  Avec  la  terre  dite  du  parc  (renfermant  dans  un  kilogramme  sec  1S'',744  d'azote, 
des  phénomènes  analogues  à  ceux  que  nous  venons  de  décrire  ont  été  observés  :  les  con- 
clusions sont  les  mêmes  que  celles  qui  précèdent.  On  consultera  avec  fruit  les  tableaux 
des  pages  624  et  suivantes  de  ce  mémoire  dans  lesquels  l'auteur  a  reproduit  les  chiffres 
qu'ont  donnés  toutes  ses  expériences. 


AZOTE.  987 

En  résumé,  le  gain  d'azote  ne  porte,  le  plus  souvent,  que  pour  une  fraction  sur  la 
terre,  une  fraction  plus  considérable  étant  fixée  sur  la  plante.  Le  gain  de  celle-ci  a  lieu, 
en  général,  à  peu  piès  également  sur  sa  partie  aérienne  et  sur  la  partie  souterraine 
(vesce,  luzerne),  quelquefois  même  il  est  prédominant  dans  cette  dernière  partie.  Ainsi 
apparaît  nettement  le  rôle  prépondérant  que  jouent  les  racines  des  légumineuses  dans 
la  fixation  de  l'azote  de  concert  avec  la  terre.  Nous  avons  déjà  signalé  cette  sorte  d'union 
intime  et  de  vie  commune  entre  la  terre  et  les  racines  due  à  l'intervention  des  microbes 
du  sol  et  en  vertu  de  laquelle  l'azote  fixé,  grâce  à  ceux-ci,  se  transmettrait  à  la  plante 
elle-même. 

L'influence  de  l'électricité  sur  la  végétation  a  donné  lieu  à  bien  des  expériences  contra- 
dictoires que- nous  ne  pouvons  rappeler.  Cette  influence  dont  certains  avaient  pressenti 
l'efficacité  plutôt  qu'ils  ne  l'avaient  démontrée,  a  fait  l'objet  d'un  travail  de  Berthelot 
qui  trouve  ici  sa  place  naturelle,  ce  travail  n'étant,  en  effet,  que  le  complément  des  expé- 
riences que  nous  venons  de  rapporter.  C'est  en  1889  que  Berthelot  a  étudié  cette 
influence  de  l'électricité  sur  la  fixation  de  l'azote,  tant  en  présence  qu'en  l'absence  des  végé- 
taux supérieurs  (A  C,  (6),  t.  xix,  p.  433).  La  terre,  seule  ou  plantée,  a  été  placée  dans  un 
champ  électrique  en  maintenant,  au  moyen  d'une  pile,  ouverte,  une  dilïérence  de 
potentiel  constante  entre  la  terre  et  la  surface  extérieure  du  champ  électrique  limitée 
par  des  feuilles  métalliques.  Le  vase  ou  l'assiette  contenant  la  terre  était  posé  sur  un 
gâteau  de  résine;  fixées  sur  le  rebord  du  vase  et  à  distances  égales,  trois  lames  de  pla- 
tine plongeaient  dans  le  sol  du  vase  et  communiquaient  entre  elles,  puis  avec  le  pôle 
d'une  pile.  L'autre  pôle  était  en  relation  avec  un  disque  de  toile  métallique  en  cuivre 
rouge  aussi  rapproché  que  possible  de  la  surface  de  la  terre  que  contenait  le  vase  (Voir 
les  détails  de  ces  expériences  page  443  et  suivantes  du  mémoire  précité).  Les  expériences 
ont  été  faites,  soit  sous  cloche,  soit  à  l'air  libre,  mais  sous  abri.  Trois  sols  différents 
ont  été  employés  :  1°  une  terre  contenant  isr, 702  d'azote  par  kilogramme  sec  ;  2°  une  autre 
renfermant  fsr,'il8  d'azote;  3°  un  kaolin  renfermant  0e"',0323  d'azote.  On  a  opéré  de  la 
façon  suivante  :  un  des  échantillons  était  électrisé,  l'autre  ne  l'était  pas.  Le  potentiel  a 
été  pris  tantôt  égal  à  33  volts  et  tantôt  à  132.  Chaque  expérience  a  été  faite  simultané- 
ment à  l'air  libre  sous  abri  et  sous  cloche. 

Les  essais  exécutés  avec  la  terre  seule  non  plantée  montrent  que  l'électricité  joue  un 
rôle  dans  la  fixation  de  l'azote.  Cette  fixation  est  due  aussi  bien  aux  microbes,  dont  la 
vitalité  a  été  exaltée,  qu'à  la  fixation  directe  par  voie  purement  électro-chimique.  Remar- 
quons que  dans  des  expériences  exécutées  parallèlement  avec  des  assiettes  non  électrisées 
contenant  une  mince  couche  de  terre  il  n'y  a  pas  eu  de  fixation.  Cette  terre  était  sou- 
mise à  des  alternatives  de  sécheresse  et  d'humidité  et  peut-être  une  oxydation  exces- 
sive y  faisait-elle  périr  les  microbes  fixateurs. 

Les  expériences  entreprises  avec  le  concours  de  la  végétation  ont  fourni  les  résultats 
suivants.  La  uesce,  soumise  à  l'influence  électrique,  a  fixé  plus  d'azote  (22,5  p.  100)  que 
la  même  plante  placée  dans  les  mêmes  conditions  mais  non  électrisée  (1  p.  100).  La 
plante  électrisée  aurait  fourni  un  gain  bien  plus  fort  si,  par  suite  du  dispositif  employé, 
l'appareil  n'avait  pas  empêché  en  partie  la  lumière  d'éclairer  le  végétal  :  ces  résultats  se 
rapportent  à  la  terre  la  moins  riche  en  azote.  En  ce  qui  concerne  la  teiTe  la  plus  riche, 
il  y  a  toujours  eu  fixation  d'azote,  sous  cloche  comme  à  l'air  libre,  mais  faiblement,  car  la 
terre  était  presque  saturée  d'azote.  Dans  tous  les  cas,  sauf  un,  le  vase  électrisé  a  fixé 
plus  d'azote  que  l'autre  (Voir  loc.  cit.  les  tableaux  des  pages  489,  490,-  491).  La  conclusion 
qu'on  peut  tirer  de  ces  expériences  est  la  suivante  :  il  est  vraisemblable  qu'une  action 
propre  de  l'électricité  s'exerce  dans  le  phénomène  de  la  fixation  de  l'azote. 

—  Tels  sont,  résumés  dans  leurs  grandes  lignes,  les  travaux  principaux  qui  ont  défi- 
nitivement fait  entrer  la  question  de  l'azote  dans  une  voie  nouvelle;  la  fixation  de  ce 
corps  à  l'état  gazeux,  tant  sur  le  sol  que  sur  les  plantes,  y  apparaît  avec  toute  la  rigueur 
d'une  démonstration  vraiment  scientifique.  Ajoutons  que  les  travaux  de  Hellriegel  et 
WiLFARTH  ont  reçu  une  confirmation  pleine  et  entière  à  la  suite  d'expériences  récentes 
entreprises  par  Lawes  et  Gilbert  [Proc.  Roy.  Society,  t.  xlvii,  p.  83,  1890).  Voir  également  à 
ce  sujet  les  expériences  confirmatives  de  A.  Petermann  [Rech.  de  chimie  et  "physiologie  appli- 
quées à  l'agriculture,  t.  ii,  pp.  207,  229,  26o  ;  Bruxelles,  Liège  et  Paris,  1894).  Il  n'est  même 
pas  fait  mention  du  nom  de  M.  Berthelot  dans  le  courant  des  trois  mémoires  de  l'auteur. 


98S  AZOTE. 

11  nous  reste  maintenant,  pour  achever  cette  première  partie  de  notre  exposé,  à 
parler  d'un  travail  dans  lequel  l'absorption  de  l'azote  libre  par  les  légumineuses  est 
mise  hors  de  doute  au  moyen  de  mesures  rigoureuses  effectuées,  avant  et  après 
expérience,  sur  les  gaz  mis  en  contact  avec  les  végétaux.  Ces  expériences  ont  été 
réalisées  en  1890  par  Schlœsing  fils  et  Laurent  {Ann.  de  ritixtUitt  Pafileur,  t.  vi,  p.  65).  Les 
conclusions  auxquelles  arrivent  ces  auteurs  sont  d'ailleurs  absolument  conformes  à 
celles  de  Hellriegel  et  Wilfarth.  U  s'agit  de  faire  absorber  à  des  légumineuses  bultivées 
dans  un  vase  clos  une  certaine  quantité  d'azote  pur  dont  le  volume  devrait  être  exacte- 
ment connu  au  début;  on  fera  à  la  fin  une  extraction  des  gaz  qui  restent  :  de  la  com- 
paiaison  de  ces  deux  volumes  ou  pourra  conclure  à  l'absorption  ou  à  la  non  absorption 
de  l'azote  gazeux.  Des  expériences  témoins  dans  lesquelles  on  fait  usage  de  sols  non 
plantés  permettent,  en  cas  d'affirmative,  de  décider  si  c'est  le  sol  ou  si  ce  sont  les 
plantes  qui  absorbent  l'azote.  De  plus,  et  comme  contrôle,  on  a  dosé  par  les  méthodes 
connues  à  la  fin  de  l'expérience  après  démontage  des  appareils  l'azote  du  sol  et  celui  des 
plantes.  Dans  les  cas  oii  il  y  a  fixation,  le  chiffre  fourni  par  ce  dernier  dosage  est 
nécessairement  supérieur  à  la  terreur  iniliale  en  azote,  et  l'excédent  trouvé  doit  corres- 
pondre à  l'azote  gazeux  disparu,  mesuré  directement.  Or,  dans  les  expériences  où  ces 
deux  niélbodes  ont  été  employées,- il  y  a  eu  concordance  entre  les  deux  résultats  analy- 
tiques dans  les  limites  des  erreurs  possibles  :  la  seconde  méthode  de  dosage  montre 
qu'il  y  a  gain  d'azote  au  cours  de  la  végétation,  et  la  méthode  en  volume  montre  que  le 
gain  provient  de  l'azote  gazeux  libre.  On  trouvera  dans  le  mémoire  précité  la  description 
complète  de  l'appareil  employé  ainsi  que  les  précautions  minutieuses  qui  ont  été  prises 
pour  la  mesure  et  l'introduction  du  g'az  azote,  préparé  à  l'état  de  pureté  absolue,  pour 
son  extraction  ainsi  que  pour  l'introduction  de  l'oxygène  et  de  l'acide  carbonique 
nécessaires  à  la  végétation.  Voici  la  description  succincte  des  expériences  elles-mêmes. 
On  a  cultivé' des  pois  dans  du  sable  quartzeux  stérilisé  par  la  chaleur  et  presque  com- 
|)lètement  dépourvu  d'azote  et  on  a  ensemencé  ce  sable  avec  des  microbes  producteurs 
de  nodosités  radicales.  Les  pois  ont  emprunté  à  l'azote  libre  plus  de  la  moitié  de  l'azote 
qu'ils  contenaient  finalement,  leurs  graines  leur  ayant  fourni  le  reste.  Le  sot  s'est  égale- 
ment enrichi  en  azote.  Des  pois  cultivés  en  même  temps  et  dans  un  Sol  semblable  au 
précédent,  mais  non  ensemencé  de  microbes,  n'ont  pas  fixé  d'azote. 

Une  seconde  série  de  recherches  {loc.  cit.,  p.  98)  entreprises  l'année  suivante 
(1891)  a  eu  pour  but  d'élucider  la  question  de  l'absorption  de  l'azote  par  les  plantes  de 
diverses  familles,  et  cela,  en  faisant  usage  des  mêmes  méthodes  et  des  mêmes  appareils 
que  ceux  qui  viennent  d'être  décrits.  Le  sol  n'était  plus  du  sable  calciné,  mais  une  terre 
naturelle,  peu  riche  en  azote,  pourvue  des  différents  organismes  vivants  qui  se  ren- 
contrent dans  les  bonnes  terres.  Dans  la  première  partie  de  ces  essais,  on  a  mis  en  expé- 
rience le  topinambour ,  l'avoine,  le  tabac  et  le  pois,  ainsi  que  trois  sols  témoins,  sans 
culture,  idenliqu(!S  à  ceux  qui  étaient  ensemencés.  Or,  dans  toutes  ces  expériences,  sauf 
pour  les  deux  derniers  sols  témoins,  il  y  a  eu  disparition  d'une  certaine  quantité  d'azote 
gazeux,  plus  ou  moins  grande,  suivant  les  cas,  supérieure  néanmoins  aux  erreurs  de 
mesure.  Mais  il  faut  remarquer,  avant  de  conclure,  que  la  surface  de  tous  ces  sols  s'était 
recouverte  peu  à  peu,  et  à  divers  degrés,  sauf  chez  les  deux  derniers,  de  plantes  vertes 
inférieures  que  le  microscope  montra  être  un  mélange  de  mousses  et  de  certaines  algues. 
Un  des  sols  témoins  s'est  recouvert  de  cette  végétation  cryptogamique  et  a  notablement 
gagné  de  l'azote;  seul,  il  n'aurait  accusé  aucun  gain,  ainsi  que  le  prouvent  les  analyses 
des  deux  témoins  non  couverts  de  végétation.  On  a  isolé  chez  le  premier  témoin,  recou- 
vert d'une  couche  verte,  la  partie  superficielle  épaisse  de  quelques  millimètres  et  on  a 
analysé  la  couche  sous-jacente,  laquelle  n'avait  pas  fixé  d'azote  :  tout  l'azote  gagné  se 
trouvait  dans  les  plantes. 

Il  résulte  de  ce  qui  vient  d'être  dit  que  certaines  plantes  vertes  inférieures  sont 
capables,  ainsi  que  le  font  les  légumineuses,  de  fixer  l'azote  gazeux. 

Dans  la  deuxième  partie  de  ces  essais,  on  a  éliminé  l'influence  des  plantes  vertes 
inférieures  en. recouvrant  la  surface  des  sols,  après  enfouissement  des  graines  et  addition 
de  délayure.de  terre,  d'une  couche  de  sable  quartzeux  calciné.  Aucune  trace  de  matière 
verte  ne  s'est  montrée  et,  sauf  pour  les  piois,  on  n'a  plus  observé  d'absorption  d'azote 
libre.  Les  plantes  mises  en  expérience  étaient  l'avoine,  la  moutarde,  le  cresson,  la  sper- 


AZOTE.  9S9 

gule.  Les  sols  nus,  c'est-à-dire  ne  portant  pas  de  végétation  apparente,  ne  fixent  donc  pas 
l'azote,  bien  qu'ils  soient  pourvus  des  êtres  microscopiques  variés  qu'on  trouve  dans  les 
bonnes  terres. 

ScHLŒsiNG  fils  et  Laurent  abordèrent  de  nouveau,  en  1892,  cette  question,  mais  ils  em- 
ployèrent, non  plus  des  sols  très  pauvres  en  azote,  mais  des  sols  plus  riches  ayant  reçu 
des  doses  d'azote  nitrique  assez  importantes  et  dans  lesquels  le  développement  des  végé- 
taux était  normal  (Ann.  Instit.  Pasteur,  t.  vi,  p.  824).  On  a  retrouvé  pour  les  plantes  supé- 
rieures, autres  que  les  légumineuses,  les  mêmes  résultats  négatifs  que  précédemment  en 
ce  qui  concerne  la  fixation  de  l'azote.  Revenant  ensuite  sur  la  fixation  par  les  végétations 
cryptogamiques,  Schlœsing  fils  et  Laurent  s'efforcèrent  d'avoir  affaire,  non  plus  à  un 
mélange  de  beaucoup  d'espèces,  mais  à  des  cultures  moins  complexes  et  même  pures. 
Dans  les  deux  premières  expériences,  on  a  fait  usage  de  la  même  terre  que  plus  haut 
pourvue  d'une  solution  nutritive  de  nitrates  et  de  quelques  centimètres  cubes  d'une 
délayure  provenant  d'un  mélange  intime  de  cinq  ou  six  échantillons  de  terre  riche  de 
jardin  avec  un  peu  d'eau.  Après  six  mois,  la  Surface  du  sol  était  couverte  d'algues  (du 
genre  Nostoc,  principalement)  :  dans  ces  deux  expériences,  il  y  a  eu  une  importante 
fixation  d'azote.  Pour  les  deux  essais  suivants,  on  a  pris,  comme  sol,  du  sable  quartzeux 
calciné,  additionné  d'une  solution  minérale  et  de  délayure  de  terre,  mais  on  n'a  pas 
ajouté  de  nitrates.  Un  des  vases  était  couvert,  après  cinq  mois,  d'une  culture  à  peu  près 
pure  de  Nostoc  jninctiforine ;  l'autre,  bien  que  couvert  de  iV.  punctiforme,  coniena.it  une 
colonie  de  Phormidium  papyraceum  et  un  peu  de  Nostoc  minutum  :  on  a  également  con- 
staté, dans  ces  deux  essais,  des  gains  d'azote  notables.  Dans  les  deux  premières  expé- 
riences, les  plantes  avaient  prélevé  sur  le  sol  plus  d'azote  qu'il  n'en  avait  reçu  d'elles,  ce 
sol  était,  en  effet,  pourvu  d'azote  primitivement;  dans  les  deux  dernières,  au  contraire, 
le  sol,  dépourvu  d'azote,  ne  pouvait  iqu'en  recevoir  :  aussi  l'azote  des  plantes  est-il 
inférieur  à  l'azote  fixé.  Dans  une  autre  expérience,  le  sol  consistait  en  une  terre 
végétale  sur  laquelle  on  avait  planlè  de  petites  touffes  de  mousse  :  il  n'y  a  pas  eu  fixation 
d'azote  dans  ce  cas.  Un  sol  porteur  d'une  .'ullure  à  peu  près  pure  de  Micrococcus  vagina- 
tus  s'est  comporté  de  même.  Cette  dernière  algue,  à  rencontre  des  précédentes,  a  donc 
fourni  un  résultat  négatif,  peut-être,  ainsi  que  le  font  remarquer  les  auteurs,  parce  que 
la  culture  employée  était  dans  un  état  de  pureté  beaucoup  plus  grande  que  dans  le  cas 
des  autres  algues,  pureté  défavorable  à  la  fixation,  si  celle-ci  demande  le  concours  de 
plusieurs  êtres.  Des  expériences  témoins,  sans  ensemencement,  ont  également  donné  des 
résultats  négatifs. 

De  tout  ce  qui  précède  il  résulte  que  certaines  algues  communes  à  la  surface  de  la 
terre  végétale  peuvent  fixer  l'azote  gazeux  en  quantité  considérable.  L'entrée  en  combi- 
naison de  l'azote  libre  ainsi  absorbé  a  pu  tro^wer  dans  l'action  chlorophyllienne  l'énergie  cpU 
lui  est  nécessaire.  Les  algues  peuvent-elles  agir  seules  ?  Y  a-t-il  quelque  symbiose  entre  elles 
et  des  bactéries?  Celles-ci,  cependant,  étaient  rares  là  où  les  algues  étaient  en  pleine 
vigueur.  Ainsi  que  le  font  remarquer  en  terminant  Schlœsing  fils  et  Laurent,  l'essentiel 
au  point  de  vue  de  la  pratique,  est  le  fait  même  de  ia  fixation  de  l'azote  par  les  algues, 
puisque  celles-ci,  universellement  répandues  sur  les  sols,  doivent  être  regardées  comme 
un  élément  important  dans  l'étude  de  la  statique  de  l'azote  en  agriculture.  Rappelons 
encore  que  c'est  Frank  qui,  le  premier,  a  reconnu  le  rôle  des  algues  dans  la  fixation  de 
r azote. 

Il  ressort  nettement  de  ce  qui  précède,  qu'à  la  question  de  la  fixation  de  l'azole  par 
le  sol  et  les  plantes,  se  rattache  intimement,  d'une  part,  l'étude  des  nodosités  radicales 
que  portent  les  légumineuses  et,  d'autre  part,  celle  des  microbes  extrêmement  nombreux 
qui  habitent  toute  terre  végétale.  Parlons  d'abord  des  nodosités  radicales. 

V.  Nature  des  tubercules  radicaux  des  légumineuses. —  Expériences  d'ino- 
culation. —  Dans  ce  chapitre,  nous  allons  étudier  la  nature  et  le  développement  des 
tubercules  qui  se  fixent  sur  les  racines  des  légumineuses  ainsi  que  les  phénomènes  qui 
se  passent  lorsqu'on  inocule  le  contenu  de  ces  tubercules  dans  le  corps  d'une  racine. 
Nous  examinerons  ensuite  les  relations  qui  existent  entre  l'apparition  de  ces  nodosités 
radicales  et  la  fixation  de  l'azote  gazeux.     « 

Nous  serons  brefs  sur  les  détails  purement  histologiques;  leur  importance  est,  sans 
doute,  considérable,  mais  l'observation  microscopique  présente  encore  à  cet  égard  bien 


990  AZOTE. 

des  lacunes:  aussi  nous  attacherons-nous  surtout  à  exposer  la  partie  pliysiologique  du 
sujet.  La  divergence  des  vues  relativement  à  la  structure  et  au  rôle  même  des  nodosités 
radicales  nous  oblige  à  passer  en  revue,  et  autant  que  possible  dans  leur  ordre  de  publi- 
cation, les  principaux  travaux  publiés  sur  cette  question.  Il  est,  en  effet,  difficile  de  faire 
actuellement  un  résumé  qui  les  comprenne  tous,  et  qui,  surtout,  les  rattache  les  uns  aux 
autres  d'une  manière  satisfaisante.  A  propos  du  travail  de  Hellriegel  et  Wilfarth,  nous 
avons  déjà  sommairement  parlé  de  ces  tubercules;  mais  reprenons  ici  complètement  le 
sujet  à  son  début. 

Est-il  besoin  de  dire,  en  commençant  ce  chapitre,  que  l'obscurité  la  plus  profonde 
règne  encore  sur  le  mécanisme  intime  de  cette  assimilation,  et  que  nous  ne  pouvons 
actuellement  nous  faire  aucune  idée  de  la  façon  dont  les  êtres  microscopiques  qui  peu- 
plent les  tubercules  radicaux  des  légumineuses  (algues  et,  sans  doute,  d'autres  végétaux 
pourvus  ou  non  de  chlorophjdle),  absorbent  l'azote  libre  et  le  transforment  en  composés 
albuminoïdes? 

Nous  ne  saurions  trop  recommander  la  lecture  de  deux  mémoires  très  importants 
publiés  sur  les  tubercules  radicaux  et  dans  lesquels,  à  côté  d'une  bibliographie  et  d'un 
historique  complets,  on  trouve  des  observations  personnelles  très  intéressantes  sur  la 
morphologie  de  ces  nodosités.  Ces  mémoires,  auxquels  nous  empruntons  un  certain  nom- 
bre des  détails  qui  vont  suivre,  sont  dus  à  Vuillemin  {Annal,  de  laScience  agronom.,  1888, 
1. 1,  p.  121)  et  à  Laurent  (Ann.  Instit.  Pasteur,  t.  v,  p.  103,  1891). 

Les  nodosités  radicales,  dont  la  présence  a  été  constatée  il  y  a  très  longtemps,  se 
rencontrent  sur  presque  toutes  les  racines  des  légumineuses,  tant  exotiques  qu'indigè- 
nes; très  communes  surtout  dans  les  genres  Trifolium,  Pisum,  Vicia,  Lupinus,  elles  sont 
plus  rares  dans  les  autres  et  ne  sont  pas  toujours  également  abondantes  dans  la  même 
espèce.  Les  papilionacées  cultivées  dans  l'eau  en  sont  souvent  dépourvues.  On  rencon- 
tre des  productions  semblables  sur  les  racines  des  Aulnes  et  des  Eloeaijnus ;  mais,  à  l'état 
normal,  il  n'existe  de  nodosités  comparables  à  celles  des  légumineuses  chez  aucun  végé- 
tal. Une  observation  déjà  ancienne  de  Kùhn  et  Rautenberg  {Landw.  Vers.  Stat.,  t.  vi,  p.  358), 
faite  sur  des  cultures  de  fève,  a  conduit  ces  auteurs  à  admettre  que,  dans  l'eau  comme 
dans  la  terre,  la  production  des  tubercules  est  inversement  proportionnelle  à  la  richesse 
du  milieu  en  azote'.  H.  de  Vries,  en  cultivant  du  trèfle  rouge  dans  des  sols  très  riches  en 
principes  azotés,  obtenait  des  plantes  qui,  parvenues  au  terme  normal  de  leur  végétation, 
ne  portaient  pas  de  tubercules  radicaux,  tandis  que  des  individus  chétifs,  qui  s'étaient 
développés  au  sein  d'un  milieu  pauvre  en  principes  azotés,  en  présentaient  de  nombreux. 
Ce  résultat  fut  d'abord  confirmé  par  Schindler,  mais  le  dernier  constata  ultérieurement 
qu'il  n'y  avait  pas  une  concordance  aussi  absolue  entre  l'apparition  des  tubercules  et  la 
pauvreté  en  azote  du  substratum,  Schindler  mit  néanmoins  en  lumière  la  concordance 
habituelle  entre  le  développement  des  tubercules  et  la  puissance  du  travail  d'assimilation. 
Phillieux  et  Frank,  presque]en  même  temps  (1879),  remarquèrent  que  le  développement 
des  nodosités  radicales  peut  être  provoqué  si  on  introduit  dans  le  milieu  de  culture  des 
racines  pourvues  d'organes  semblables.  Cette  inoculation  a  été,  dans  la  suite,  pratiquée 
avec  succès  par  plusieurs  expérimentateurs;  nous  y  reviendrons.  Mais  c'est  à  Hellriegel 
qu'on  doit  d'avoir  démontré  la  relation  qui  existe  entre  l'apparition  des  tubercules,  lors- 
qu'on ajoute  aux  milieux  de  culture  des  germes  vivants,  et  le  développement  de  la  plante  : 
nous  nous  sommes  suffisamment  étendus  sur  les  travaux  de  ce  savant.  Ajoutons  que 
Schindler  avait  déjà  émis  l'idée  que  les  champiguons  que  l'on  rencontre  dans  les  tuber- 
cules vivent  en  symbiose  avec  les  légumineuses  et  qu'ils  transforment  ou  fabriquent  des 
aliments  au  profit  de  l'association. 

La  nature  de  ces  tubercules  radicaux  a  donné  lieu  aux  opinions  les  plus  variées.  Ils 
ont  été  considérés  d'abord  comme  des  galles,  puis  comme  des  excroissances  produites 
par  des  anguillules  ou  comme  de  simples  excroissances  des  tissus  de  la  racine,  et  enfin, 
comme  une  forme  particulière  de  racines.  Actuellement,  la  plupart  des  botanistes  pen- 

1.  Il  est  très  important  de  dire  ici  que  Kuhn  et  RA.UTENbER.G  rappellent  dans  leur  mémoire,  daté 
de  l'année  1864,  que  Lachmann  avait  déjà  émis  l'idée  que  la  présence  des  tubercules  sur  les  raci- 
nes des  légumineuses  pouvait  bien  être  en  relation  avec  l'assimilation  de  l'azote.  (Nous  ne  savons 
dans  quelle  pubUcation  a  paru  cette  remarque.) 


AZOTE.  991 

sent  que  c'est  à  l'action  d'un  cryptogame  que  sont  dues  leur  forme  et  leur  structure  spé- 
ciales. Ou  a  fait  successivement  de  ce  cryptogame  une  bactérie,  un  myxomycète  et 
même  un  oliampignon  plus  élevé.  Pour  les  uns,  cet  être  est  un  parasite,  pour  les  autres 
un  symbiote. 

C'est  WoRONiN  qui,  le  premier,  en  1866,  montra  que  dans  l'intérieur  des  tubercules 
radicaux  se  trouvaient  des  corpuscules  fuis;  cet  auteur  les  décrit  comme  des  bâtonnet-; 
mobiles  et  les  considère  comme  des  bactéries.  Nor.BE  (Landw.  Vers.  Stat.,  t.x,  p.  99)  regarde 
ces  tubercules  comme  des  organes  d'emmagasinement  des  produits  nutritifs  azotés,  ceux- 
ci  sont  épuisés  au  moment  de  la  période  de  fructilication.  ScumoLEW.  Jahcrsb.  AgrikuUw- 
Chcm.,  t.  VIII,  p.  141  ;  Journal  fàrLandw.,  t.  sxsni,  p.  331)  pense,  avec  de  Vries,  que  ces  tuber- 
cules sont  des  productions  normales  en  mesure  d'élaborer  des  quantités  importantes  de 
matière  azotée:  c'est  là  que  se  formeraient  les  albuminoïdes.  Prillieox  rappelait  réceni- 
ment(C.  fl.  t.  cxi,  p.  926)  que,  dès  l'année  \  879,  il  avait  établi  que  les  corpuscules  découverts 
par  WoRONiN  n'ont  pas  la  forme  de  bacilles,  mais  sont  souvent  courbés,  fourchus,  ramifiés 
en  forme  d'x  ou  d'y,  et  qu'ils  ne  possèdent  que  des  mouvements  browniens. 

VuiLLEsiiN  a  fait  de  ces  tubercules  un  examen  approfondi,  et  de  ses  longues  recher- 
ches cet  auteur  conclut  que  «  les  tubercules  radicaux  sont  des  mycorhizes,  c'est-à-dire,  des 
racines  unies  à  un  champignon  vivant  en  symbiose  avec  elles  ».  Vuillemi.x  a  donné  une  des- 
cription soignée  du  développement  des  tubercules,  de  leur  ordre  d'apparition,  du  tissu 
qui  leur  donne  naissance,  de  leur  structure;  nous  ne  pouvons  le  suivre  dans  cette  partie 
de  son  travail.  Les  corpuscules  qui  s'échappent  du  protoplasme  cellulaire  ne  sont  pas  de 
nature  cryptogamique,  d'après  Brunchorst,  mais  leur  composition  serait  celle  d'une 
substance  albuminoïde.  Ce  dernier  savant  nomme  ces  corpuscules  des  Bactéroïdes  :  leur 
multiplication  se  produit  par  fragmentation. 

Faut-il  considérer  ces  tubercules  comme  de  simples  réservoirs?  On  sait  que  Hellrie- 
CEL,  cultivant  des  pois  dans  un  sol  pauvre  en  azote,  a  constaté  deux  périodes  bien  dis- 
tinctes dans  leur  végétation.  Tant  que  dure  la  semence,  la  plante  s'accroît  régulièrement, 
sa  couleur  est  normale,  mais  lorsque  la  plante  a  vidé  ses  cotylédons,  une  phase  d'inani- 
tion succède  à  celte  première  période  :  c'est  à  ce  moment  que  les  tubercules  grossissent 
et  se  gorgent  d'albuminoïdes.  Ceux-ci  ne  peuvent  donc  être  des  réservoirs,  car  on  ne  conce- 
vrait pas  que  la  plante  leur  cédât  les  matériaux  assimilables  dont  elle  a  elle-même  si  grand 
besoin.  Ce  qu'il  est  permis  de  conclure,  c'est  que  les  substances  accumulées  dans  les  tuber- 
cules radicaux  sont  employées  à  nourrir  la  plante,  et  que  cet  approvisionnement  d'albu- 
minoïdes s'y  effectue  après  que  les  organes  assimilateurs,  feuilles  et  racines,  ont  acquis 
un  certain  développement  réalisé  aux  dépens  des  réserves  de  la  graine.  Les  tubercules  ne 
sont  donc  pas  de  simples  dépôts  :  ce  sont  des  lieux  de  fabrication  d'albuminoïdes. 
TscHiRCH  {Fortschritte d.Agrik. Physik.  t.  x,  p.  230  ;  Berichte  botan.Gesells.,t.  v,  p.  38) distingue 
deux  types  de  tubercules;  chez  le  lupin  les  saillies  ressemblent  à  des  épaisissements 
locaux  de  la  racine.  Chez  toutes  les  autres  légumineuses,  les  tubercules  sont  fixés  sur  le 
côté  de  la  racine.  Leurs  cellules  renferment  des  corpuscules;  mais  rien,  d'après  Tschibch, 
.  n'autorise  à  regai'der  ceux-ci  comme  des  bactéries;  ils  ne  semblent  être  autre  chose  que 
de  la  matière  albuminoïde.  Ces  tubercules  sont  des  magasins  chargés  d'une  réserve  d'albu- 
minoïdes, et  non  pas  des  organes  d'absorption  ;  il  n'est  pas  démontré  qu'ils  constituent  au- 
tant de  petits  laboratoires  destmés  à  effectuer,  au  moyen  de  matières  azotées  inorgani- 
ques ou  organiques,  la  synthèse  des  albuminoïdes,  ni  qu'ils  puissent  assimiler  l'azote 
libre.  Pour  Marshall  Ward{Aîmi.  agronom.,  t.  xiv,  p.  331),  les  tubercules  radicaux  se  con- 
duisent comme  des  champignons  parasites  dont  on  peut  provoquer  le  développement 
par  une  infection  artificielle.  Lorsque  les  tubercules  meurent,  les  cellules  du  cham- 
pignon se  répandent  dans  le  sol  et  viennent  infecter  d'autres  racines. 

Prazmowski  (Ann.  rtgrfOîioîîi.,  t.xv,  p.  137;  t.  xvi,  p. 44 ;Lanrf,  Vers. Stat.,  t.  xxxvii,  p.  161  ; 
t.xxxviii,p.5)  a  publié  sur  les  nodosités  radicales  d'importants  travaux  dont  voici  les  points 
principaux.  Ces  excroissances  sont  des  racines  déformées.  Elles  résultent  du  parasitisme 
d'une  bactérie,  ou  plutôt,  d'une  symbiose  entre  la  racine  et  le  micro-organisme  d'oîi  pro- 
viendrait, pour  la  légumineuse,  le  pouvoir  d'assimiler  l'azote.  Les  tubercules  radicaux  ne 
sont  pas  des  productions  normales,  ils  ne  se  rencontrent  sur  les  racines  qu'à  la  suite 
d'une  infection  par  certains  organismes  qui  habitent  celle-ci  et  dont  les  germes  se, trou- 
vent également  dans  le  sol  :  c'est  ce  que  prouvent  de  nombreuses  expériences  exécutées 


992  AZOTE. 

à  ce  sujet  par  PnAzsiowsiîi.  De  plus,  l'infection  n'a  lieu  que  sur  de  jeunes  racines  et  au 
moment  du  développement  des  poils  radicaux.  Si  on  examine  la  coupe  de  très  jeunes 
tubercules,  on  y  trouve  des  filaments  analogues  à  des  hyphes  qui  traversent  les  poiis 
radicaux  de  l'épiderme,  puis  pénètrent  dans  les  tissus  sous-épidermiques.  Les  tuber- 
cules ne  se  développent  qu'à  l'endroit  où  les  filaments  ont  pénétré  dans  la  racine.  Praz- 
MowsKi  décrit  alors  le  mécanisme  de  l'infection  et  la  formation  du  tubercule;  puis  il  émet 
les  trois  propositions  suivantes  :  1"  C'est  un  champignon  qui,  pénétrant  dans  la  racine, 
occasionne  la  formation  des  tubercules  radicaux,  ces  tubercules  ne  sont  pas  des  produc- 
tions normales.  2°  Le  tissu  central  ou  tissu  à  bactérohlcs,  qui  constitue  la  partie  la  plus 
caractéristique  de  ces  tubercules,  est  en  même  temps  la  partie  oîi  le  champignon  domine, 
absolument  ou  presque  absolument,  le  tissu  de  la  plante  nourricière.  3°  Les  bacté- 
roïdes  qui  remplissent  les  cellules  de  ce  tissu  ne  sont  ni  des  corpuscules  albuininoïdes 
de  forme  définie,  ni  des  spores  détachées  des  filaments,  mais  ils  naissent  à  l'intérieur 
des  filaments  longtemps  avant  la  formation  du  tissu  àbaotéroïdes.  D'abord  très  petits,  en 
forme  de  bâtonnets  simples,  ils  grossissent  et  semblent  se  reproduire  par  scissiparité 
bien  que  leur  division  n'ait  jamais  été  directement  observée.  Quant  ils  ont  atteint  leur' 
complet  développement,  leur  forme  varie  avec  la  plante  nourricière  :  ou  bien  ils  affec- 
tent la  forme  de  bâtonnets  simples  (haricot,  lupin)  ou  bien  ils  sont  fourchus  ou  ramifiés 
(pois,  vesce,  luzerne).  L'organisme  qui  habile  les  tubercules  semble  donc  être  un  cham- 
pignon voisin  des  myxomycètes  chez  lequel  le  plasma  prend  dans  la  jeunesse  la  forme 
de  filaments  siniulant  des  hyphes  et  renferme  une  multitude  de  corpuscules  en  bâton- 
nets :  les  bacléi'oidcs;  ceux-ci  constituent  peut-être  les  corps  reproducteurs.  Les  essais 
d'infection  directe  ne  prouvent  rien;  car,  en  même  temps  que  les  bactéroïdes,  on  a  pu 
inoculer  aux  plantes  hospitalières  des  portions  de  plasma.  Prazmowski  se  prononce  nette- 
ment en  faveur  de  l'idée  que  les  tubercules  radicaux  sont  des  productions  symbio- 
tiques communes  à  certaines  bactéries  du  sol  et  à  certaines  parties  de  végétaux  très  élevés 
en  organisation  et  utiles  à  la  fois  aux  bactéries  et  aux  plantes  supérieures.  Une  série 
d'expériences  faites  en  inoculant  des  pois  ont  montré  à  ce  savant  botaniste  que  les 
végétaux  fixaient  l'azote,  mais  Prazmowsei  n'affirme  pas,  contrairement  aux  conclusions 
de  IIelluiegel,  que  l'azote  ainsi  fixé  soit  plutôt  l'azote  libre  de  l'air  que  l'azote  combiné 
dont  l'atmosphère  contient  des  traces.  Nous  avons  vu  plus  haut  que  les  expériences  pos- 
térieures de  ScHLŒSiNG  fils  et  Laurent  ont  définitivement  tranché  la  question  en  faveur 
de  l'azote  libre.  Vers  la  même  époque,  Beyerinck  {Jalir.  Agrikult.  t.  xi,  p.  li9;ForsehrUte 
Agrik.  Physik.,t.  xn,  p.  lOo;  Ann.  agronom.,  t.  xv,  p.  90)  a  fait  voir  que  les  tubercules  ne 
prennent  pas  naissance  dans  un  milieu  stérilisé  et  que,  même  dans  un  sol  cultivé,  cer- 
tains individus  peuvent  ne  pas  être  infectés.  Le  Bacillus  radicicola  {te\  est  le  Inom  que 
Beyerinck  donne  au  microbe  générateur  des  tubercules)  ne  forme  pas  de  spores  et  meurt 
entre  60  et  10  degrés.  Ce  bacille  est  aérobie  et,  malgré  les  apparences  diverses  qu'il  peut 
affecter  dans  les  différentes  cultures  au  sein  desquelles  il  se  développe,  cet  être  semble 
appartenir  à  une  espèce  unique.  Déplus,  il  ne  provoque  ni  oxydation,  ni  réduction,  ni 
fermentation  :  ni  la  dessiccation,  ni  la  congélation  ne  le  tuent.  Une  culture  de  ce  bacille 
n'assimile  pas  l'azote  libre  et  ne  nitrifie  pas  les  sels  ammoniacaux  :  on  peut  en  conclure, 
ou  bien  que  l'assimilation  [de  l'azote  est  très  lente,  ou  bien  qu'elle  n'a  lieu  que  si  le 
bacille  vit  en  symbiose  sur  la  racine  d'une  légumineuse.  Pour  Beyerinck  comme  pour 
Prazmowski,  les  tubercules  radicaux  sont  des  racines  métamorphosées  contenant  des 
corpuscules  particuliers  :  les  Bactéroïdes.  Ceux-ci  proviennent  d'un  genre  spécial  de 
bactéries,  le  Bacillus  radicicola,  lequel  pénètre  de  l'extérieur  dans  la  racine.  Les  bacté- 
roïdes sont  des  bactéries  métamorphosées,  incapables  de  s'accroître. 

Voici  quelle  est,  à  ce  sujet,  l'opinion  un  peu  différente  de  Frank  {Ber.  botan.  Gesclls., 
,t.  VI,  p.  322, 1839  ;  Landiv.  Jahrb.,  t.  xix,  p.  rj23i.  Les  bactéroïdes  sont  produits  par  les  légu- 
mineuses sous  l'influence  des  bactéries  dont  le  parasitisme  provoque  la  formation  des 
tubercules.  L'infection  peut  se  produire  de  deux  façons  :  ou  bien  l'immigration  aurait  lieu 
par  l'intermédiaire  d'un  filament  d'infection,  lequel  serait  une  production  du  plasma  de  la 
plante  nourricière  spécialement  adapté  à  la  capture  et  à  l'introduction  des  bactéries  mo- 
biles, ou  bien,  au  contraire,  ce  filament  d'infection  manquerait,  ce  qui  est  le  cas  pour  le 
lupin  et  le  liaricot.  Le  parasite  que  Frank  compare;à  un  micrococcus  reçoit  de  lui  le  nom 
de  Rhizobium  leguminosarum.  Celui-ci  trouve  vraisemblablement  dans  le  sol  de  quoi  se 


AZOTE.  993 

nourrir;  on  le  rencontre,'  en  effet,  bien  qu'en  proportions  très  inégales,  dans  tous  les 
sols.  On  peut  observer  la  présence  des  bactéroïdes,  non  seulement  dans  les  tubercules, 
mais  aussi  dans  les  cellules  des  racines  ordinaires,  ainsi  que  l'avait  déjà  remarqué  Beye- 
niNCK.  Frank  les  a,  de  plus,  rencontrés  dans  les  organes  aériens,  tiges  et  feuilles;  les 
fruits  eux-mêmes  du  haricot  en  renfermeraient.  Si  on  cultive  en  sol  stérilisé  des  pois  et 
des  lupins,  il  ne  se  développe  pas  de  tubercules  sur  les  racines  et  on  ne  trouve  pas  de 
bactéroïdes  dans  les  organes  aériens  du  végétal,  mais,  quand  il  y  a  parasitisme,  tout  le 
plasma  de  la  légumineuse  est  infecté.  Chez  le  haricot,  on  trouve  des  bactéroïdes  dans 
les  cellules  des  cotylédons  d'un  embryon  en  voie  de  développement.  Aussi,  puisque  la 
plante  mère  infecte  l'embryon,  voit-on  constamment,  d'après  Frank,  les  racines  du 
haricot  se  couvrir  de  tubercules,  même  quand  on  cultive  la  plante  dans  un  sol  stêriliaé. 
(Nous  verrons  plus  loin  que  cette  observation  est  inexacte.)  Quelques  légumineuses 
semblent  ne  retirer  aucun  profit,  pour  leur  nutrition,  de  la  présence  du  champignon; 
celui-ci  se  conduit  alors  comme  un  parasite  vulgaire.  Si  on  compare  une  plante  non 
infectée  avec  une  plante  qui  vit  en  symbiose  avec  le  parasite,  cette  dernière  présente, 
toutes  les  circonstances  extérieures  étant  égales,  une  énergie  vitale  bien  plus  consi- 
dérable qui  s'étend  à  tous  les  organes.  La  chlorophylle  se  forme  eu  plus  gfande  abon- 
dance, et  l'assimilation  du  carbone,  ainsi  que  celle  de  l'azote  libre,  se  font  plus  active- 
ment. Or  ces  divers  processus  ont  lieu  d'autant  mieux  que  le  sol  est  plus  pauvre  en 
matières  organiques  et,  même,  si  celles-ci  font  défaut.  La  plante,  au  contraire,  trouve- 
t-elle  dans  le  substratum  les  matériaux  nutritifs  dont  elle  a  besoin,  on  voit  alors  le 
champignon  se  comporter  comme  un  parasite  vulgaire. 

Quoi  qu'il  en  soit,  un  grand  nombre  d'autres  plantes  chez  lesquelles  on  n'a  jamais 
observé  de  phénomènes  symbiotiques  assimilent  l'azote  gazeux;  il  en  est  de  même  des 
algues  vertes  ainsi  que  des  légumineuses  non  infectées.  L'intensité  de  cette  assimilation 
varie  avec  la  quantité  d'humus  que  contient  le  sol  :  nous  avons  déjà  parlé  plus  haut  des 
idées  émises  par  Frank  à  ce  sujet.  Ce  savant  botaniste  trouve  donc  qu'il  n'y  a  aucune  rai- 
son pour  regarder  la  fixation  de  l'azote  gazeux  comme  étant  liée  à  l'activité  spécifique 
d'un  champignon;  il  n'admet  pas  davantage  qu'à  chaque  espèce  de  légumineuse  corres- 
ponde un  Bliizobium  dilférent.  Beyerinck  et  presque  tous  les  auteurs  sont  d'un  avis  con- 
traire (Voir  aussi  :  Fruwirth,  Ann.  agron.,  t.  xvm,  p.  142). 

Cultivé  dans  des  solutions  artificielles,  le  microbe  des  tubercules  radicaux  des  légu- 
mineuses s'accomrhode  le  mieux  d'une  solution  à  1  p.  100  de  sucre  de  canne  et  d'aspara- 
gine;  seule,  l'asparagine  paraît  même  suffire  à  son  développement,  tandis  que  le  sucre 
seul,  malgré  l'azote  libre  de  l'air,  ne  fournit  qu'un  développement  très  faible,  mais  réel 
cependant.  Certains  autres  champignons  cultivés  dans  un  milieu  non  azoté  assimilent 
également  l'azote  libre  de  l'air  avec  lenteur  (Frank  et  Otto). 

Une  autre  question  se  pose  maintenant  à  nous.  Les  légumineuses,  ainsi  que  nous 
l'avons  vu,  peuvent  prendre  dans  l'air  la  totalité  de  leur  azote;  mais,  si  on  offre  à  la 
plante  plusieurs  sources  d'azote  à  la  fois,  quel  choix  celle-ci  fera-t-elle?  Frank  s'est  alors 
proposé  de  résoudre  les  problèmes  suivants  (Ann.  agronom.,  t.  xviir,  p.  414),  Si  la  plante 
trouve  dans  le  sol  des  combinaisons  azotées  en  apparence  plus  accessibles  pour  elle, 
conserve-t-elle  la  même  énergie  avec  laquelle  elle  prend  l'azote  de  l'air?  toutes  les  légu- 
mineuses se  comportent-elles  de  la  même  façon  sous  ce  rapport?  l'azote  combiné  n'est-il 
pas  superflu,  ou  même  nuisible,  puisqu'il  peut  diminuer  la  part  de  l'énergie  à  employer 
dans  l'assimilation  de  l'azote  libre?  Si  la  plante  enfin  puise  aux  deux  sources,  l'efi'et  d'en- 
semble est-il  augmenté?  Les  expériences  ont  été  exécutées  dans  des  vases  remplis  d'un 
sable  quartzeux  muni  des  éléments  minéraux  non  azotés  nécessaires.  Une  partie  des 
vases  demeurait  privée  d'azote,  une  autre  recevait  de  l'azote  en  quantité  égale  pour  cha- 
que vase  mais  sous  des  formes  différentes  :  nitrates,  sels  ammoniacaux,  urée.  Les  vases 
qui  devaient  porter  des  légumineuses  recevaient,  en  outre,  un  peu  de  terre  de  jardin 
destinée  à  y  introduire  les  bactéries  des  tubercules  radicaux.  Voici  les  faits  observés  : 
Si  l'organisme  de  la  symbiose  manque,  le  lupin  jaune  et  le  pois  peuvent  se  développer 
complètement  lorsque  le  substratum  renferme  un  engrais  azoté,  mais  la  symbiose  seule, 
sans  engrais  azoté,  agit  plus  efficacement  que  l'engrais  azoté  sans  symbiose.  L'engrais 
azoté  semble  même  nuire  au  lupin  quand  il  y  a  symbiose,  celui-ci  assimile  moins 
d'azote  ;  le  pois,  au  contraire,  malgré  la  symbiose,  profite  de  l'azote  contenu  dans  l'en- 

DICT.    DE    PHYSIOLOGIE.    —   TOME   I.  63 


994  AZOTE. 

grais  et  fournit  alors  un  supplément  de  récolte.  Dans  les  bonnes  terres,  le  lupin  jaune 
et  le  pois  peuvent  assimiler  l'azote  libre  directement  en  se  passant  de  la  symbiose,  mais 
cette  assimilation  est  inférieure  à  celle  qu'on  observe  dans  les  terres  légères,  pauvres 
en  azote,  là  où  le  gain  d'azote  ne  doit  être  rapporté  qu'à  la  symbiose.  Le  pois  et  le  trèfle 
assimilent  l'azote  libre  dans  une  laige  mesure  quand  ils  sont  dans  de  bonnes  terres  et 
la  symbiose  exagère  encore  celte  faculté.  Insistons  sur  ce  fait  que,  d'après  Fran'k,  les 
légumineuses  peuvent  assimiler  l'azote  de  l'air  dans  les  bonnes  terres  sans  le  concours 
de  l'organisme  des  tubercules  radicaux.  Nous  avons  déjà  signalé  des  résultats  analogues 
obtenus  par  le  même  savant  en  contradiction  avec  les  expériences  d'HELcwEGEL  (pour 
l'étude  plus  complète  des  phénomènes  symbiotiques,  voir  :  Frank.  Jahresb.  f.  Agrikult 
Chemie,  t.  xiv,  p.  189). 

jNous  avons  plusieurs  fois,  dans  le  cours'  de  ce  chapitre,  parlé  de  l'inoculation  artifi- 
cielle des  racines  des  légumineuses.  C'est  à  Bréal  qu'o[i  doit  à  ce  sujet  les  premières 
expériences  suivies;  celles-ci  remontent  à  six  années.  Voici  quelques  détails  sur  les  essais 
auxquels  s'est  livré  ce  savant  {Ann.  (içjronom.,  t.  xiv,  p.  481 ,  1888).  Ceux-ci  ont  trait  à  la 
culture  et  à  l'ensemencement  sur  divers  milieux  du  contenu  des  tubercules  radicaux  des 
légumineuses  et  complètent  fort  heureusement  les  remarquables  travaux  d'HELLRiEGEL  et 
"WiLFARTH,  bien  que  Bréal  n'ait  pas  cherché  à  pratiquer  ses  inoculations  avec  des  cultures 
pures. 

Bréal  a  observé  que,  si  on  écrase  des  tubercules  de  luzerne,  il  s'en  échappe  un  liquide 
blanchâtre  dans  lequel  le  microscope  révèle  la  présence  de  grains  arrondis  très  réfran- 
gibles  :  autour  de  ceux-ci  on  trouve  un  très  grand  nombre  de  corps  allongés  bactéri- 
formes.  Ce  sont  des  filaments  très  fins,  rentlés  aux  extrémités,  quelquefois  bifurques  en 
Y  et  doués  de  mouvements  de  rotation.  Bréal  pense  que  ces  corpuscules  constituent  des 
bactéries,  car  on  peut  faire  apparaître  les  nodosités  qui  les  renferment  par  des  ensemen- 
cements et  'des  inoculations,  ainsi  qu'il  va  être  dit.  Si  on  prépare  avec  des  racines  de 
légumineuses  un  bouillon  qu'on  stérilise  ensuite  à  100°,  on  peut  ensemencer  le  liquide 
en  y  plongeant  une  fine  pointe  de  verre  préalablement  trempée  dans  un  tubercule  prove- 
nant de  la  racine;  après  quelques  jours,  le  liquide  est  rempli  de  bactéries.  Les  tuber- 
cules radicaux  d'autres  légumineuses  possèdent  également  cette  même  forme  de  filaments 
renflés  aux  deux  bouts.  De  toutes  les  parties  d'une  légumineuse,  les  tubercules  sont  les 
plus  riches  en  azote  (de  3  à  7  p.  100  de  la  matière  sèche).  On  peut,  d'après  cela,  prévoir 
leur  rôle  de  distributeurs  de  matière  azotée  dans  les  diverses  parties  de  la  plante.  Seuls 
les  graines  et  les  champignons  renferment  une  aussi  forte  proportion  d'azote.  Voici  les 
résultats  fournis  par  la  culture  de  ces  bactéries  sur  divers  milieux.  Des  pois  furent  mis 
à  germer  dans  un  liquide  nourricier  exempt  d'azote;  dans  le  liquide,  on  écrasa  un 
tubercule  de  luzerne  :  peu  de  temps  après,  les  racines  du  pois  se  couvrirent  de  tubercules 
et  le  végétal  atteignit  une  hauteur  de  70  centimètres  après  avoir  fleuri.  Les  bactéries  de 
la  luzerne  se  sont  donc  multipliées  et  ont  formé  des  tubercules  sur  les  pois.  L'analyse 
mit  ensuite  en  évidence  le  gain  notable  d'azote  que  ceux-ci  avaient  réalisé.  Deux  graines 
de  lupin  furent  mises  en  même  temps  en  germination;  la  racine  de  l'un  d'eux  fut  piquée 
avec  une  aiguille  trempée  d'abord  dans  un  tubercule  de  luzerne,  et  les  deux  plantules 
furent  enracinées  côte  à  côte  dans  du  gravier.  Tandis  que  la  plante  inoculée  se  dévelop- 
pait bien,  portait  des  fleurs  et  des  fruits,  la  plante  non  inoculée  restait  cbétive.  Celle-ci 
ne  porta  pas  de  tubercules  radicaux  et  ne  gagna  pas  d'azote  ;  la  première,  au  contraire, 
portait  des  tubercules  et  fixait  deux  fois  et  demie  la  quantité  d'azote  contenue  dans  sa 
graine.  Même  résultat,  mais  avec  une  fixation  bien  plus  considérable,  lorsqu'aprés  avoir 
fait  germer  un  pois  dans  une  terre  à  luzerne,  on  transplanta  celui-ci  dans  un  pot  conte- 
nant du  gravier:  les  racines  étaient  garnies  de  tubercules.  Les  bactéries,  en  effet,  s'étaient 
fixées  SUT  les  racines,  tandis  que  celles-ci  étaient  en  contact  avec  la  terre  à  luzerne  ou 
bien  avaient  été  transportées  avec  la  terre  adhérente  aux  racines.  L'analyse  montre,  de 
plus,  que,  dans  ces  diverses  expériences,  les  légumineuses  ont  exercé  une  action  mani- 
feste sur  la  fixation  de  l'azote  sur  le  sol  :  ces  végétaux  abandonnent  au  sol  par  la  chute  de 
leurs  feuilles  et  par  leurs  racines  qui  occupent  le  sol  jusqu'à  une  très  grande  profondeur 
une  importante  réserve  d'azote  combiné  :  d'où  l'explication  de  ce  fait  qu'une  terre  ana- 
lysée en  1879  par  Dehérain  et  renfermant  à  cette  époque  1,43  p.  1000  d'azote,  a  fourni 
après  huit  années  consécutives  de  culture  de  légumineuses,  1 ,80  p.  1  000  d'azote  à  l'analyse. 


AZOTE.  995 

Des  expériences  plus  récentes  de  Bréal  {Ann.  agronom.,  t.  xv,  p.  î)29)  ont  montré  que 
les  bactéries  contenues  dans  les  tubercules  radicaux  de  la  luzerne  se  développent  sur 
les  racines  d'un  pois;  ces  bactéries  peuvent  vivre  sous  l'eau;  et  le  pois,  dont  les  racines 
portent  des  tubercules  à  la  suite  de  cette  inoculation,  assimilera  l'azote  de  l'air  après 
avoir  traversé  la  période  caractérisée  par  l'expression  de  faim  d'azote  et  qui  correspond 
à  cette  époque  de  la  vie  de  la  plante  oii  les  cotylédons  sont  vides  de  matière  nutritive.  Ces 
bactéries  ou  au  moins  leurs  spores  (?)  en  suspension  dans  l'eau,  peuvent  supporter  des 
gelées  prolongées  sans  périr,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  signalé. 

Non  seulement  les  légumineuses  hei'bacées  absorbent  l'azote  atmosphérique,  mais, 
d'après  Frank  [Jaliresb.  Ayrik.  Chemie,  t.  sni,  p.  213),  une  légumineuse  arborescente,  le 
Robinia  pseudo-acacia  se  comporte  de  même.  Des  graines  de  cet  arbre,  semées  dans  un 
sable  siliceux  calciné  et  additionné  d'un  peu  de  terre  prise  dans  un  endroit  où  pous- 
saient des  robiniers,  ont  fourni,  au  bout  de  cent  vingt-cinq  jours,  des  plantes  de  23  cen- 
mètres  de  hauteur  dont  les  racines  étaient  abondamment  pourvues  de  tubercules.  L'ana- 
lyse a  montré  que  ces  plantes  renfermaient  trente-huit  fois  plus  d'azote  que  les  graines 
dont  elles  provenaient  (Voir  encore  au  sujet  de  l'inoculation  des  lupins  :  Salfeld,  Ann. 
agronom.,  t.  xv,  p.  334;  t.  six,  p.  304;  FRUTi'iRTii,  Ann.  agronom.,  t.  xvni,  p.  142;  t.  xix, 
p.  305). 

BsYEmNCK.  {Jahresb .  Agrik.  Chemie,  t.  xiii,  p.  213;  1890),  inoculant  des  racines  de  fèves 
avec  le  Bacilliis  radicicola ,  remarqua,  que  la  présence  ou  l'absence  de  nitrate  de  calcium 
ou  de  sulfate  d'ammonium  sont  sans  influence  sur  la  marche  de  l'infection.  On  pouvait 
reconnaître,  en  voyant  la  répartition  des  tubercules  radicaux,  de  quel  côté  du  pot  avait 
été  versé  le  liquide  chargé  de  bactéries.  Notons  la  dilîérence  qui  existe  entre  les  bacté- 
ries qui  habitent  les  diverses  papilionacées,  différence  sur  laquelle  nous  reviendrons 
plus  loin.  Ainsi  la  fève  ne  porte  pas  de  tubercules  radicaux  alors  qu'on  l'inocule  avec  le 
bacille  de    VOrtiithopus  sativus: 

Sans  vouloir,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  au  début  de  ce  chapitre,  entrer  dans  le 
fond  de  la  question  au  point  de  vue  histologique,  signalons  cependant  les  faits  les 
plus  remarquables  que  contient  le  travail  de  Laurent  (toc.  cit.),  un  des  derniers  parus  sur 
cette  matière.  Nous  y  trouverons  des  expériences  curieuses  d'inoculation  et  de  culture  du 
microbe  des  nodosités. 

Un  tubercule  adulte  présente  deux  catégories  de  cellules  :  les  unes,  centrales,  relati- 
vement] très  grandes,  remplies  d'un  contenu  dense  et  granuleux,  autour  desquelles  se 
trouvent  des  couches  formées  de  cellules  plus  petites  et  hyalines.  On  rencontre  dans  les 
grandes  cellules,  surtout  dans  celles  situées  vers  la  base  du  tubercule,  des  e'iéments  bac- 
térifornies  abondants  doués  du  mouvement  brownien.  Si  on  écrase  sur  une  lame  de 
verre  un  fragment  de  tubercule,  on  remarque  que  les  bactéroîdes,  qui  ont  environ  1  ;j. 
de  diamètre  transversal,  affectent  tantôt  la  forme  des  bacilles  les  plus  vulgaires,  tantôt 
celle  d'un  T  ou  d'un  Y  suivant  les  espèces  végétales  examinées.  Frank  et  Beyerinck  ont 
déjà  noté  que  la  forme  des  bactéroïdes  est  assez  constante  chez  une  même  espèce.  Il 
faut  signaler  de  plus  la  présence  de  grains  d'amidon  dans  la  plupart  des  cellules  à  bac- 
téroïdes, ainsi  que  dans  celles  qui,  arrivées  à  l'état  adulte,  n'en  contiennent  pas  encore. 

Dans  les  cellules  les  plus  jeunes  du  parenchyme  à  bactéroïdes,  on  observe  des  fila- 
ments protoplasmiques  non  cloisonnés,  irréguliers,  traversant  les  membranes  cellu- 
laires et  se  renflant  çà  et  là  en  masses  ovoïdes  ou  sphériques.  Ces  filaments,  très  bien 
colorés  par  une  solution  de  violet  dahlia,  ont  été  signalés  d'abord  par  Prillieux  et  par 
Frank,  puis  décrits  par  Vuillemin.  Marshall  Ward  et  Beyerinck  les  virent  pénétrer  dans 
les  racines  par  les  poils  radicaux.  Ces  filaments  muqueux  traversent  les  cellules  et 
présentent,  le  plus  souvent,  un  épaissisement  local  au  niveau  des  cloisons  cellulosiques 
qu'ils  traversent.  Le  violet  dahlia,  après  quelques  minutes,  donne  à  la  plupart  des 
masses  globuleuses  un  aspect  mamelonné,  parfois  hérissé;  chacune  présente  un  certain 
nombre  de  ramifications  très  courtes  qui  constituent  l'origine  dés  bactéroïdes.  La  pré- 
sence de  ces  hyphes,  constatée  par  plusieurs  observateurs,  a  été  niée  par  d'autres. 

A  la  suite  de  cette  description,  Laurent  revient  .sur  la  nécessité  d'une  inoculation 
pour  qu'il  y  ait  apparition  de  tubercules  sur  les  racines,  et  il  examine  l'influence  de  la 
potasse,  de  la  chaux,  de  l'acide  phosphorique,  du  fer,  sur  la  production  des  nodosités. 
Lorqu'une  racine  est  piquée  avec  une  aiguille  plongée  au  préalable  dans  une  nodosité 


996  AZOTE. 

radicale,  il  faut  environ  dix  jours  pour  observer  l'apparition  des  premiers  tubercules 
si  le  temps  est  favorable  à  la  végétation.  Ces  tubercules  sont  disséminés  sur  la  racine  et 
ne  se  trouvent  pas  limités  au  point  contaminé.  En  eiîet,  une  partie  des  germes  qu'apporte 
l'opération  se  mélange  au  liquide  de  culture  et  même  se  propage  de  proche  en  proche 
à  l'intérieur  des  tissus.  Si  on  mêle  simplement  la  semence  au  liquide  de  culture,  sans 
blesser  la  racine,  il  faut  quatre  jours  de  pi  us  pour  voir  apparaître  les  nodosités.  Remplace- 
t-on,  dans  les  piqûres,  le  contenu  des  nodosités  par  un  peu  de  terre  ayant  porté  des 
légumineuses,  il  faut  attendre  plus  longtemps  pour  constater  l'éclosion  des  tubercules; 
le  microbe,  se  trouvant  sans  doute  dans  la  terre  à  l'état  de, repos,  a  besoin  d'un  certain 
temps  pour  pénétrer  dans  la  racine.  On  a  pu  inoculer  au  pois  les  microbes  des 
nodosités  de  plus  de  trente  espèces  de  légumineuses,  et  cependant  le  nombre,  la  dimen- 
sion des  nodosités  et  l'aspect  des  microbes  qu'on  y  rencontre  varient  avec  la  nature  des 
espèces  auxquels  on  a  emprunté  la  semence.  Si  on  veut,  d'après  Beyerixck,  que  les  ino- 
culations soient  couronnées  de  succès,  il  faut  s'adresser  à  des  tubercules  portés  par  des 
plantes  dont  la  végétation  ne  soit  pas  trop  avancée.  Nous  ne  reviendrons  pas  sur  les 
différentes  opinions  qu'on  a  émises  sur  la  nature  du  microbe  des  nodosités.  Marshall 
Ward,  après  avoir  observé  que  les  filaments  mycéliens  pénètrent  par  les  poils  radicaux 
de  la  fève  dans  le  parenchyme  des  racines  et  eij  provoque  l'hypertrophie,  regarde  les  bac-  . 
téroïdes  comme  des  bourgeons  produits  par  ces  filaments  mycéliens. 

Nous  venons  de  voir  que  Laurent  a  établi  que  le  microbe  des  nodosités  est  constitué 
par  des  filaments  qui  traversent  l'écorce  des  racines  et  qui,  après  s'être  abondamment 
ramifiés,  produisent  par  bourgeonnement  les  bactéroïdes.  A  cet  organisme,  Laurent 
conserve  le  nom  de  Rhizobium  leguminosariim  donné  par  Frank.  Pour  se  convaincre 
qu'une  culture  de  cet  organisme  est  pure,  il  faut  l'inoculera  de  jeunes  pois;  les  bactéries 
banales  ne  possèdent  pas,  en  effet,  le  pouvoir  de  former  des  tubercules.  Le  bouillon  de 
pois  gélatinisé  fournit  un  bon  milieu  de  culture;  or  on  retrouve  dans  de  semblables 
cultures  les  formes  en  Y  et  en  T,  et  même  des  formes  plus  compliquées  observées 
dans  les  nodosités  :  ces  organismes  sont  dépouvus  de  mouvements  propres.  L'optimum 
de  température  pour  la  culture  du  Rhizobhim  est  de  22  à  26°;  et  il  ne  croit  plus  à  30°. 
Des  nodosités  en  voie  de  croissance  et  intactes  doivent  être  chauffées  dans  l'eau  à  90- 
93°  pendant  cinq  minutes  pour  perdre  leur  pouvoir  infectant;  une  culture  pure  chauffée 
à  '6a°  dans  de  petites  ampoules  de  verre  devient  stérile.  La  durée  pendant  laquelle  une 
cultui'e  conserve  son  activité  paraît  être  assez  courte.  Prazmowski  avait  déjà  ob- 
servé (voir  plus  haut)  —  et  Laurent  confirme  ce  fait  —  que  le  microbe  des  nodosités 
peut  végéter  dans  des  solutions  privées  d'azote  et,  par  conséquent,  qu'il  semble  assi- 
miler l'azote  gazeux  de  l'air,  ce  qui  n'a  pas  lieu  avec  les  bactéries  banales.  On  peut 
faire  des  cultures  avec  des  milieux  privés  ou  non  d'azote.  Les  milieux  employés  à 
cet  effet  étaient  de  l'eau  distillée  privée  de  combinaisons  azotées  et  contenait  du  phos- 
phate de  potassium  et  de  sulfate  de  magnésium.  On  obtient  aussi  de  bonnes  cultures 
si,  à  ce  liquide,  on  ajoute  i  p.  fOÛO  d'asparagine,  1  à  10  p.  100  de  peptone;  mais  le 
développement  se  fait  le  mieux  lorsqu'on  additionne  ces  divers  mélanges  d'une  sub- 
stance sucrée. 

Le  Rhizobium  est  un  organisme  aérobie;  l'action  de  l'air  semble  surtout  nécessaire 
dans  les  milieux  privés  d'azote  combiné  :  l'air  paraît  donc  agir  et  comme  source  d'oxy- 
gène et  comme  source  d'azote;  dans  l'azote  pur,  le  rhizobium  peut  continuera  croître 
pendant  quelque  temps.  Le  rhizobium  n'est  pas  une  bactérie  proprement  dite;  les  bacté- 
roïdes naissent  par  bourgeonnement  des  filaments  mycéliens  et  leur  reproduction  a 
encore  lieu  par  le  même  procédé.  Or,  les  vraies  bactéries  se  reproduisent  par  division 
transversale.  Par  leur  bourgeonnement  les  bactéroïdes  se  rapprochent  des  champignons 
inférieurs  du  groupe  des  levures.  Laurent  réunit  en  un  même  groupe  le  Rhizobium  et  le 
Pastcuria  de  Metchnikokf,  et  fait  de  ce  groupe  un  état  intermédiaire  entre  les  bactéries 
authentiques  et  les  champignons  filamenteux  les  plus  inférieurs  (ustilaginées,  levures). 

Voiei  encore  quelques  remarques  faites  par  le  même  savant  sur  les  propriétés  phy- 
siologiques du  rhizobium.  Les  pois,  munis  de  tubercules,  mais  insuffisamment  aérés,  ne 
fixent  qu'une  quantitéinsignifîante  d'azote,  et  végètent  mal.  Dans  les  tubercules  mal  aére's, 
les  bactéroïdes  sont  rares,  et  il  faut  supposer  que  leur  apparition  coïncide  avec  la  fixa- 
tion de  l'azote  libre.  L'amidon  disparait  complètement  dans  les  nodosités  qui  renfer- 


AZOTE.  9i)7 

ment  beaucoup  de  bactéroïdes.  Cel  hydrale  de  carbone  sert  à  fabriquer  des  substances 
albuminoïdes  aux  dépsns  des  produits  de  rassimilaliou  de  l'azote  libre. 

Quel  est  le  sort  des  nodosités?  Les  bactéroïdes  qu'elles  contiennent  ont  une  assez 
courte  durée,  et  leur  digestion  semble  être  due  à  une  di'astase  qui  les  transforme  en  pro- 
duits solubles.  On  peut  ainsi  expliquer  la  diminution  et  la  perte  de  vitalité  :  en  elfet, 
une  inoculation  pratiquée  avec  un  tubercule  cueilli  sur  un  pois  ou  une  fève  en  fleurs 
ou  en  fruits  réussit  rarement.  Lorsque  les  bactéroïdes  sont  digérés,  les  tubercules  se 
vident  et  entrent  en  putréfaction  quand  ils  sont  envahis  par  les  micro-organismes 
banaux  du  sol.  Quant  au  microbe  desiiodosités,  il  se  conserve,  soit  par  des  spores  nées 
dans  les  bactéroïdes,  soit  par  des  kystes  persistant  après  résorption  des  filaments 
mycéliens  :  ses  germes  se  mélangent  à  la  terre  lorsque  les  tubercules  pourrissent  dans 
le  sol. 

Nouvelles  expériences  d'inoculation.  —  Voici  l'exposé  de  quelques  essais  d'inoculation 
récemment  exécutés,  lesquels  démontrent,  malgré  les  incertitudes  inhérentes  à  la  dif- 
ficulté du  sujet,  qu'à  chaque  espèce  de  léguniineuse  correspond  un  organisme  iufectant 
spécial  donnant  le  maximun  d'action  au  point  de  vue  de  la  fixation  de  l'azote. 

Les  expériences  entreprises  en  1890  par  Nobbe,  Schmid,  Hiltneh,  et  Hotter  {Lanchu. 
Vers.Stat.,  t.  xxxix,  p.  329)  ont  eu  pour  but  d'inoculer  aux  légumineuses,  soit  des  extraits 
de  terre,  soit  des  cultures  pures  de  bactéries  provenant  de  nodosités  radicales.  Ces 
auteurs  ont  résolu  d'une  manière  assez  satisfaisante  la  question  de  savoir  si,  chez  toutes 
les  légumineuses;  une  seule  et  même  bactérie  produit  les  nodosités,  ou  si  cette  propriété 
appartient  à  plusieurs  espèces.  On  a  mis  en  œuvre  six  espèces  de  légumineuses;  le  sol 
dont  les  auteurs  ont  fait  usage  consistait  en  un  mélange  de  sable  quartzeux  avec  5  p.  100 
de  tourbe  pulvérisée  additionnée  de  carbonate  calcique.  Le  tout  était  arrosé  par  ime 
solution  nutritive  étendue  (chlorure  de  potassium,  sulfate  de  magnésium,  phosphate  de 
potassium).  Le  sol,  les  graines  devant  servir  à  l'ensemencement,  l'eau  d'arrosage,  ont 
été  stérilisés.  La  terre  destinée  à  fournir  des  extraits  était  une  terre  ayant  porté  de- 
puis plusieurs  années  des  plantes  semblables  à  j  celles  sur  lesquelles  on  voulait  pra- 
tiquer l'inoculation.  Ces  extraits  de  différentes  provenances  étudiés  au  point  de  vue 
bactériologique  ne  contenaient  pas  seulement  un  nombre  très  inégal  de  bactéries  suscep- 
tibles de  se  développer,  mais  les  colonies  du  Bacillus  radicicola  étaient  en  nombre  très 
variable. 

Nous  laisserons  de  côté  bien  des  détails  intéressants  pour  ne  retenir  que  les  résultats 
,  les  plus  saillants  de  cette  étude.  Voici,  sous  forme  de  tableau,  ceux  qu'a  fournis  le  pois, 
dont  une  graine  sèche  pèse  Oe^lTO  et  contient  0sr,00S74  d'azote. 


INOCULATION    AVEC 


i.  Infusion  de  terre  de  lupin 

2.  Sans  infusion 

3.  —  —       

4.  Inoculation  avec  les  bactéries  du  pois 

5.  Sans  infusion,  addition  de  nitrate  de  calcium.   . 

6.  Infusion  de  terre  du  pois 

7.  Sans  infusion,  addition  de  sulfate  d'ammonium. 

8.  Infusion  de  terre  de  Robinia 

9.  —  —  Cytisus  Labumum 

10.        —  —  Gleditschia 

Toutes  les  plantes  inoculées  avec  succès  possèdent  des  tubercules  radicaux  en  grand 
nombre.  Parmi  celles  qui  n'ont  pas  été  inoculées,  mais  qui  ont  reçu  des  engrais  azotés, 
seuls  les  pois  auxquels  on  a  ajouté  du  nitrate  de  calcium  ont  présenté  quelques  tubercules 
radicaux  provenant  d'une  infection  accidentelle..  Chez  toutes  les  plantes  qui  possèdent 
des  tubercules,  ceux-ci  se  trouvent  presque  exclusivement  dans  la  partie  supérieure  du 
sol. 


Différence 

Excès 

entre  l'azote 

de  la  substance 

de  la  récolte 

sèche   de  la  plante 

et  celui 

sur  celle 

de  la  graine. 

de  la  graine. 

miiligr. 

iniUigr. 

—    2,66 

+      67 

—    0,33 

-1-    273 

—    0,58 

-1-    194 

+    3,30 

-1-    643 

+  2S,26 

4-  1988 

-f  30,66 

+   636 

+  31,54 

-1-2273 

-1-42,00 

-1-  2188 

-1-  57,66 

-(-3166 

+  62,92 

-1-  3148 

998  AZOTE. 

Robinia.  Une  graine  sèche  pèse  Os^OlGO,  elle  contient  0^"', 00107  d'azote. 

Différence  Excès 

entre  l'azote  de  la  substance 

INOCULATION  AVEC  :                                  de  la  récolte  sèche  de  la  plante 

et  celui  sur  celle 

de  la  graine.  de  la  {]craiDe. 

milligr.  milligr. 

1.  Sans  infusion. +      0,18  +      BO 

2.  Infusion  de  terre  de  lupin +      0,93  +    163 

3.  —  —  pois +      0,93  +    156 

4.  Inoculation  avec  les  bactéries  du  pois +      1,10  +    132 

0.  Sans  infusion +      1,16  +    199 

6.  —  —        addition  de  nitrate  de  calcium.   .   .         4-   28,23  +2029 

7.  —         —        addition  de  sulfate  d'ammonium.    .         +    33,21  +2933 

8.  Infusion  de  terre  de  Cytisus +    82,14  +  2758 

9.  —  —  GlediLschia +  108,49  +3430 

10.  —  —  Bobinla +108,69  +3700 

11.  Inoculation  avec  les  bactéries  du  iîo6/nia +112,33  +3489 

Mêmes  observations  que  plus  haut  sur  la  présence  des  tubercules  radicau.^;  mais  ceux- 
ci,  moins  nombreux  qtie  chez  le  pois,  étaient  plus  volumineux.  On  a  également  remarqué 
l'apparition  de  tubercules  sur  des  plantes  non  inoculées.  La  présence  de  ces  tubercules 
sur  des  plantes  non  inoculées,  ou  inoculées  avec  les  bactéries  du  pois,  n'a  eu  aucune 
influence  sur  la  croissance  des  végétaux  qui  les  portaient.  En  ce  qui  concerne  les  deux 
vases  pourvus  d'engrais  azotés,  il  faut  noter  que,  dans  le  même  vase,  les  plantes  présen- 
tant de  nombreux  tubercules  ont  végété  de  la  même  façon  que  celles  qui  n"en  possédaient 
pas.  Il  semble  donc,  ainsi  que  l'admet  Fr.vnk,  que  la  présence  des  bactéries  des  tuber- 
cules ne  joue  aucun  rôle  dans  la  nutrition  des  plantes  qui  végètent  dans  un  sol  conte- 
nant de  l'azote.  Il  ressort  également  des  expériences  précitées,  exécutées  avec  le 
Robinia,  ce  fait  que  l'inoculation  a  été  plus  efticace  qu'une  riche  fumure  de  sels  ammo- 
niacaux ou  de  nitrates. 

Voici  ce  qui  a  été  observé  avec  le  Gledisohia  triacanthos  :  les  racines  ne  possèdent  pas 
de  tubercules,  ainsi  qu'il  résulte  d'observations  déjà  faites  sur  cette  plante  vivant  en 
liberté;  l'inoculation  est  donc  restée  sans  eflets.  Or  le  genre  Gleditschia  appartient  aux 
groupes  des  Césalpiniées  :  des  recherches  ultérieures  montreront  si  ce  groupe  se  comporte 
autrement  que  celui  des  Papilionacécs. 

Les  résultats  qui  précèdent  confirment  les  travaux  de  Hellriegel;  ils  montrent  égale- 
ment que  les  infusions  de  différentes  terres  ont  une  influence  très  inégale  sur  les 
diverses  légumineuses  étudiées,  et  que  cette  influence  ne  provient  pas  seulement,  comme 
l'admet  Frank,  du  plus  ou  moins  grand  nombre  de  bactéries  que  renferme  le  sol.  Une 
papilionacée  donne  le  maximum  de  récolte,  lorsque  l'inoculation  a  lieu  avec  une  infu- 
sion de  terre  ayant  déjà  porté  celte  papilionacée  :  les  bactéries  que  contiennent  les 
diverses  infusions  terreuses  diffèrent  donc  les  unes  des  autres  sous  certains  rapports  : 
c'est  ce  qui  résulte  clairement  des  expériences  d'inoculation  pratiquées  sur  le  robinia 
avec  des  cultures  pures  de  bactéries  du  pois  et  de  bactéries  de  robinia.  Quant  aux  ino- 
culations pratiquées  avec  des  infusions  terreuses,  elles  fournissent  toujours  des  résultats 
incertains,  seules  celles  qui  sont  pratiquées  avec  des  cultures  pures  doivent  permettre  de 
conclure  d'une  façon  positive. 

De  nouvelles  recherches  sur  lesquelles  nous  ne  pouvons  nous  étendre  ont  montré 
que  le  pois,  contrairement  à  ce  qui  s'était  passé  lors  de  la  première  expérience  men- 
tionnée plus  haut,  donne  le  maximum  de  récolte  et  de  fixation  d'azote  lorsqu'il  est  ino- 
culé avec  une  culture  p«re  de  bactéries  du  pois.  Au  contraire,  l'inoculation  d'une  culture 
pure  de  bactéries  de  lupin  n'a  fourni  qiie  la  moitié  des  chiffres  précédents  ;  une  culture 
pure  de  robinia  est  restée  sans  effets  au  point  de  vue  de  l'azote  fixé. 

Les  auteurs  ont  ensuite  entrepris  une  série  d'essais  avec  le  haricot  pour  voir  si  sur  les 
racines  de  cette  plante  végétant  dans  un  sol  stérilisé,  apparaissaient  des  nodosités  radi- 
cales, sans  qu'on  fit  d'inoculation.  Frank,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit,  a  prétendu,  en 
effet,  que  les  graines  du  haricot  renfermaient  des  bactéries,  et  que  les  tubercules  radi- 
dicaux  n'étaient  chez  cette  plante  que  des  parasites.  Voici  les  résultats  obtenus  : 


AZOTE. 

Haricot.  1  graine  sèche  pèse  0e',Z69  et  contient  Osr,0i2lo  azote. 


999 


INOCULATION 


Non  inoculé 

Culture  pure  de  bactéries  d'une  terre  à  lupin  . 
—  —  de  tubercules  de  lupin 

Non  inoculé 

Infusion  de  terre  de  haricots 

Culture  pure  de  bactéries  d'une  terre  de  robinia 
Non  inoculé,  addition  de  nitrate  de  calcium.  .  . 
Culture  pure  de  bactéries  de  tubercules  du  pois. 
Culture  pure  de  bactéries  d'une  terre  à  pois   ...         +  10,92 


Différence 

E.vcès 

entre  l'azote 

de  la  substance 

de  la  récolte 

sèche  de  la  planti 

et  celui 

sur  celle 

de  la  graine. 

de  la  graine. 

milligr. 

miUigr. 

+    1,50 

+    S33 

+    1,84 

+    597 

+    1,97 

+    590 

+    3,09 

+    674 

+    3.92 

+    519 

+    S,47 

+    674 

+    5,51 

+    704 

+    6,26 

+    736 

+    850 


Les  plantes  des  séries  2,  3,  4,  6,  7  étaient  complètement  exemptes  de  nodosités  radi- 
cales ;  on  trouvait,  au  contraire,  de  nombreux  tubercules  dans  les  séries  3,  8,  9  :  les 
observations  de  FR.iNK  sont  donc  erronées.  L.^urent  était  déjà  arrivé  à  la  même  conclu- 
sion. 

Les  expériences  précédentes  ont  encore  mis  en  lumière  ce  fait  que  les  nodosités  radi- 
cales se  rencontrent  dans  les  couches  supérieures  du  sol,  dans  le  tiers  supérieur  environ 
du  corps  libre  de  la  racine;  les  racines  profondes  n'en  possèdent  pas.  Il  semble  donc 
que  les  bactéries  ne  jouissent  que  d'un  faible  pouvoir  de  diffusion.  On  comprend  d'après 
cela  les  insuccès  d'une  inoculation  tardive,  cette  inoculation  ne  pouvant  atteindre  les 
jeunes  racines  faciles  à  infecter,  puisque  celles-ci  se  développent  alors  à  une  plus  grande 
profondeur  dans  le  sol.  Quant  à  la  présence  des  bactéries  dans  la  partie  supérieure  du 
sol,  on  peut  l'expliqiter  de  deux  façons  :  ou  bien  celles-ci  ont  besoin  pour  vivre  d'une 
quantité  d'oxygène  plus  considérable  que  celle  qu'elles  rencontreraient  dans  les  couches 
profondes,  ou  bien  elles  ne  peuvent  pénétrer  plus  avant  :  on  peut  supposer  alors  qu'elles 
résistent  à  l'entraînement  par  l'eau  à  cause  de  l'adhérence  qu'elles  contractent  avec  les 
particules  terreuses  et  les  radicelles. 

Les  auteurs  instituèrent  en  1891  une  série  d'expériences  afin  de  décider  à  laquelle  de 
ces  deux  causes  était  due  cette  répartition  des  bactéries  {Landw.  Vers.  Stat.  t.  xli,  p.  137). 
Cinq  pois  semés  le  16  mai  dans  un  sol  stérilisé  et  exempt  d'azote  furent  inoculés  le 
26  juin  à  20  centimètres  de  profondeur  avec  une  émulsion  d'une  culture  pure  de  bactéries 
de  tubercules  du  pois.  Le  20  juillet  les  plantes  qui  auparavant  présentaient  la  faim  d'azote 
caractéristique  se  mirent  à  végéter  vigoureusement.  La  récolte  eut  lieu  le  2  octobre  :  on 
trouva  des  nodosités  précisément  à  l'endroit  où  l'inoculation  avait  été  faite,  r'est-à  dire  sur 
les  racines  profondes,  tandis  que  les  parties  supérieures  du  système  radiculaire  n'en  pos- 
sédaient pas.  On  peut  donc,  à  volonté,  faire  apparaître  les  tubercules  à  un  endroit  quel- 
conque de  la  racine.  Aussi  longtemps  qu'elles  sont  munies  de  poils  radicaux,  les  jeunes 
racines  peuvent  être  infectées;  on  comprend  donc  pourquoi  une  inoculation  tardive  faite 
à  la  partie  supérieure  échoue  souvent. 

L'observation  montre  que  les  bactéries  qui  pénètrent  dans  les  racines  se  multiplient 
rapidement,  et  qu'après  leur  transformation  en  bactéroïdes  elles  sont  fmalement  résor- 
bées par  la  plante  injectée.  Cette  transformation  à  l'intérieur  des  nodosités  se  produit 
de  bonne  heure,  et  la  résorption  des  bactéroïdes  a  lieu  longtemps  après  que  l'assimila- 
tion de  l'azote  a  coiumencé.  Cette  assimilation  peut  cependant  n'être  pas  une  consé- 
quence de  la  dissolution  des  bactéroïdes,  et  d'ailleurs  elle  est  trop  considérable  pour  que 
la  quantité  d'azote  contenue  dans  la  masse  totale  des  bactéroïdes  lui  corresponde.  Quoi 
qu'il  en  soit,  le  rôle  des  tubercules  dans  l'assimilation  de  l'azote  est  encore  obscur.  Noble 
et  HiLTNER  {Landw.  Vers.  Stat.,  t.  xlii,  p.  439)  pensent  que  cette  assimilation  est  en  relation 
avec  la  formation  des  bactéroïdes.  Cette  conclusion,  les  auteurs  précités  l'ont  tirée  de  la 
curieuse  expérience  que  voici.  Des  pois  furent  inoculés  avec  une  culture  pure;  mais, 
par  un  hasard  inexpliqué,  ces  végétaux  ne  se  développèrent  pas  mieux  que  des  individus 
semblables,  soumis  aux  mêmes  conditions,  mais  non  inoculés.  Cependant  leurs  racines, 


iOOO  AZOTE. 

fort  peu  développées  d'ailleurs,  portaient  des  tubercules  nombreux  et  volumineux  ayant 
fait  leur  apparition  de  très  bonne  heure.  On  était  donc  en  présence  d'une  singulière 
anomalie;  or,  au  lieu  de  trouver  dans  ces  tubercules  les  bactéroïdes  caractéristiques,  on 
y  rencontra  une  quantité  considérable  de  bactéries  transformées  qui  remplissaient  les 
cellules.  L'année  suivante,  de  semblables  faits,  sur  lesquels  nous  ne  pouvons  nous  éten- 
dre, furent  encore  observés.  Il  en  résulte  que  les  tubercules  dans  lesquels  la  transfor- 
mation des  bactéries  en  bactéroïdes  n'a  pas  lieu  sont  plus  nuisibles  qu'utiles  à  la  plante 
qui  les  porte;  ces  bactéries  jouent  le  rôle  de  simples  parasites  et  ne  sont  pas  en  relation 
avec  l'assimilation  de  l'azote  par  laplante,  observation  déjà  faite  par  Môller  (Ber.  Botan. 
Gesells.  t.  x,  p.  ■242).Nobbe  et  Hiltneh  ont,  de  plus,  conclu  dateurs  nombreuses  expériences 
que,  plus  les  bactéries  sont  vigoureuses,  moins  est  prononcée  leur  tendance  à  former  des 
bactéroïdes,  plus  les  plantes  qui  possèdent  des  nodosités  sont  vigoureuses,  plus  facile  est 
chez  elles  la  transformation  des  bactéries  en  bactéroïdes  :  il  semble  donc  bien  que  l'assi- 
milation de  l'azote  commence  avec  la  transformation  des  bactéroïdes.  Cette  dernière 
proposition  se  trouve  encore  confirmée  par  une  série  de  recherches  et  de  remarques 
qu'il  serait  trop  long  d'énumérer  ici. 

Quel  est  le  mécanisme  intime  de  cette  assimilation  de  l'azote?  Les  bactéroïdes  qui 
remplissent  le  tissu  du  tubercule  affectent  une  disposition  réticulaire,  ainsi  qu'il  résulte 
des  observations  de  Prazmowski,  de  Frank,  de  Nobbe  et  Hiltner.  Il  parait  donc  vraisem- 
blable que,  dans  la  fixation  de  l'azote  par  l'intermédiaire  des  tubercules,  il  se  passe  un 
phénomène  analogue  à  la  respiration  animale,  et  surtout  à  la  respiration  branchiale.  En 
effet,  les  bactéroïdes,  en  vertu  de  leur  disposition  spéciale,  de  leur  mode  particulier  de 
groupement  offrent,  au  milieu  contenant  l'azote  gazeux  une  surface  considérable.  Cette 
comparaison  des  tubercules  radicaux  avec  les  branchies  paraît  d'autant  plus  acceptable 
que  Bouquet  a  émis  l'hypothèse  suivante  qu'il  faudrait  vérifier,  à  savoir  que  l'eau  ab- 
sorbée par  les  plantes  et  dégagée  par  l'évaporation,  abandonne  à  ces  plantes  l'azote 
qu'elle  a  dissous.  On  sait  qu'il  se  forme  des  tubercules  sur  les  racines  des  légumineuses 
élevées  dans  une  solution  aqueuse,  surtout  si  celle-ci  est  privée  d'azote;  mais  l'effica- 
cité de  ces  tubercules,  sous  le  rapport  de  l'accroissement  des  plantes;  est  bien  moins 
marquée  que  lorsque  ceux-ci  se  sont  développés  dans  un  milieu  solide.  Dans  les  cultures 
en  milieu  liquide,  en  effet,  la  circulation  de  l'azote  a  lieu  avec  une  rapidité  moindre 
que  dans  les  espaces  capillaiies  du  sol.  Aussi  devra-t-on  constater  une  absorption 
d'azote  par  les  tubercules  bien  plus  notable  si  on  fait  circuler  au  travers  du  liquide  un 
courant  d'air  ou  d'azote.  C'est  ce  que  Nobbe  et  Hilt.ner  se  proposent  de  vérifier  '. 

Sans  vouloir  tirer  ici  toutes  les  conséquences  pratiques  qui  résultent,  au  point  de  vue 
agricole,  de  la  découverte  de  la  fixation  de  l'azote  par  les  légumineuses,  on  peut  dire, 
avecWiLFARTH(Boian.  Centralbl.,  t.  sxn,p.  181)  que  c'est  surtout  l'engrais  vert  qui  permettra 
de  profiter  de  l'azote  libre  qu'assimilent  ces  végétaux.  Dans  les  sols  légers,  les  terres  à 
betteraves,  préalablement  inoculées  avec  de  la  terre  à  lupins,  on  cultivera  le  lupin;  on 
ensemencera  dans  les  terres  légères,  pas  trop  sèches,  la  sénadelle  et  la  vesce  des  sables; 
la  vesce  ordinaire  et  les  trèlles  conviennent  aux  terres  de  meilleure  qualité.  On  enfouira 
les  plantes  au  moment  de  leur  richesse  maxima  en  azote,  entre  la  floraison  et  la  matu- 
ration des  graines.  11  faut  évidemment  que  les  autres  éléments  minéraux  nécessaires 
aux  légumineuses  existent  dans  le  sol;  si  une  terre  est  trop  pauvre  en  azote,  on  fera 
bien  d'y  introduire  un  peu  de  nitrate  d'ammonium  destiné  à  favoriser  le  premier  déve- 
loppement de  la  plante  lui  permettant  d'attendre  l'apparition  des  tubercules  radicaux. 
En  ce  qui  concerne  le  sol,  il  faut  que  celui-ci  contienne  la  bactérie  destinée  à  vivre  en 
symbiose  avec  la  plante  à  cultiver;  il  doit  être  pauvre  en  azote,  autrement  l'efl'et  ne 
serait  pas  appréciable.  On  inoculera  le  sol  lorsque  la  légumineuse  qu'on  aura  semée  ne 
végétera  qu'imparfaitement,  en  supposant  toutefois  qu'aucun  aliment  minéral  ne  fasse 

1.  Les  légumineuses  seules  présentent-elles  cette  propriété  caractéristique  de  tiser  l'azote 
atmosphérique,  alors  qu'elles  vivent  en  symbiose  avec  les  bactéries?  Nobbe.  Schmid,  Hiltner  et 
HoTTEa  (Land.  Kecs.  Stef.,t.xii,p.  138)ont  planté  dans  un  sol  stérile  des  graines  à'Eloeagims  aiiç/iis- 
tifolius,  et,  au  bout  de  quelques  semaines,  ils  ont  inoculé  les  jeunes  plantes  arec  une  infusion  de 
terre  ayant  porté  des  Eloeagnus.  Les  racines  de  celles-ci  se  sont  garnies  de  tubercules,  et  ces 
végétaux  ont  assimilé  l'azote  libre.  Les  tubercules  de  VEloeagnits  sont  d'ailleurs  produits  par  un 
organisme  très  différent  du  Bacillus  radickola. 


AZOTE.  1001 

défaut.  Si  les  racines  sont  garnies  de  nodosités,  l'inoculation  sera  inutile;  si  celjes-ci 
manquent  ou  sont  rares,  on  procédera  à  l'inoculation.  Le  lupin  et  la  sénadelle  ont  géné- 
ralement besoin  d'être  inoculés,  les  autres  légumineuses  réussissent  bien  dans  les  sols 
incultes  fraîchement  défrichés.  La  terre  qui  doit  servir  à  l'inoculation  proviendra  d'un 
champ  ayant  fourni  une  bonne  récolte  de  la  légumineuse  elle-même  qu'on  veut  cultiver. 
Cette  inoculation  sera  faite  une  fois  pour  toutes,  si  les  légumineuses  sont  cultivées  sans, 
interruption  sur  le  sol. 

VI.  Premiers  essais  de  culture  des  microbes  fixateurs  d'azote  dans  le  sol. 
—  Résultats  expérimentaux.  —  Nous  avons  principalement  envisagé  dans  ce  qui 
précède  la  fixation  de  l'azote  libre  par  les  microbes  vivant  en  symbiose  avec  une  plante 
verte.  Cependant,  en  parlant  des  expériences  de  G-IOtier  et  Drouin,  de  Frank,  de  Schlœ- 
siNG  fils  et  Laure.nt,  nous  avons  dit  que  certaines  algues,  qu'on  rencontre  fréquemment 
à  la  surface  du  sol,  étaient  également  capables  de  fixer  l'azote  libre.  Demandons-nous 
s'il  n'existe  pas  d'autres  crj-ptogames  (mucédinées)  qui  possèdent  cette  propriété.  Un 
second  problème,  non  moins  important  à  résoudre,  sera  celui  qui  consistera  à  cultiver  le 
ou  les  organismes  fixant  l'azote  sur  le  sol,  indépendamment  de  toute  végétation  appa- 
rente, et  dont  l'existence  est  indiscutable  à  la  suite  des  recherches  de  Berthelot  résu- 
mées plus  haut. 

Le  travail  suivant  de  Berthelot  répond  à  ces  deux  questions  [Ann.  Chim.,  (ti),  t.  xxx, 
p.  411).  Les  micro-organismes  mis  en  œuvre  sont  :  1°  des  bactéries  extraites  du  sol  et 
employées  soit  à  l'état  de  mélange,  soit  à  l'état  d'espèces  isolées;  2°  les  bactéries  fixées 
sur  les  racines  du  lupin;  3°  des  semences  pures  d'Aspergillm  niger;  4°  des  semences 
pures  à' AUcryiaria  tenuis;  a"  un  Gymnoasciis ;  6"  diverses  espèces  de  champignons. 

Des  bactéries  extraites  d'une  parcelle  de  terre  végétale  par  les  procédés  ordinaires  de  la 
microbiologie,  les  unes  liquéfiaient,  les  autres  ne  liquéfiaient  pas  la  gélatine.  On  a  ainsi 
isolé  sept  espèces  ;  on  s'est  également  servi,  pour  ensemencer  les  sols  artificiels,  d'un  ballon 
de  culture  qui  renfermait  un  mélange  des  divers  microbes  contenus  dans  une  parcelle  de 
terre  végétale.  Quant  aux  milieux  sur  lesquels  devait  porter  la  fixation  de  l'azote,  ils 
contenaient  une  quantité  notable  d'éléments  hydrocarbonés  et  une  petite  dose  d'azote 
destinée  à  entretenir,  au  début,  la  vie  des  êtres  qu'on  y  ensemençait.  Les  ballons  ou 
flacons  mis  en  expériences  avaient  une  capacité  de  500  centimètres  cubes  à  six  litres;  ils 
renfermaient  des  mélanges  divers,  dans  la  constitution  desquels  entraient  de  l'acide 
humique,  du  kaolin,  de  l'acide  tartrique,  du  sucre  et  quelques  centimètres  cubes  de  la 
liqueur  de  Cohn  diluée.  Après  stérilisation  à  l'autoclave,  ces  flacons  ont  été  ensemencés 
et  exposés  pendant  plusieurs  mois  à  une  température  de  20  à  23°.  A  peine  est-il  besoin 
de  dire  qu'on  a  eu  soin  de  disposer  en  même  temps  des  flacons  témoins  non  ensemencés, 
mais  renfermant  le  même  contenu  que  les  premiers.  Remarquons  que  les  phénomènes 
d'oxydation  ne  doivent  pas  être  trop  actifs;  s'il  en  était  ainsi,  si  la  couche  ensemencée 
était  trop  mince,  les  organismes  fixateurs  de  l'azote  cesseraient  d'exercer  leur  fonction; 
aussi,  dans  les  ballons  de  six  litres,  les  résultats  ont-ils  été  négatifs  la  plupart  du  temps, 
tandis  que  dans  les  ballons  de  600"="  à  un  litre,  renfermant  des  mélanges  identiques  placés 
dans  les  mêmes  conditions,  la  fixation  de  l'azote  a  toujours  eu  lieu.  Les  résultats  ont  été 
les  suivants  avec  les  bactéries  du  sol.  Le  mélange  de  ces  bactéries  cultivé  sur  acide 
humique,  a  fixé  S7  p.  100  de  l'azote  initial;  sur  acide  humique  et  kaolin,  32  p.  100;  sur 
kaolin  seul,  150  p.  100.  Parmi  les  bactéries  isolées,  les  unes  ont  fourni  des  gains  s'éle- 
vant  de  .37  à  80  p.  100  de  l'azote  initial,  d'autres  ont  donné  lieu  à  des  résultats  nuls  ou 
négligeables. 

On  a  obtenu,  dans  les  mêmes  conditions  de  milieu,  une  fixation  d'azote  avec  le 
liquide  des  tubercules  radicaux  des  lupins  écrasés. 

•  La  culture  de  ï Aspei-gillus  niger  sur  liquide  de  Cohn  additionné  d'acide  tartrique  a 
fourni  un  gain  d'azote  variant  de  18  à  33  p.  100  de  l'azote  initial.  Dans  deux  expériences 
réalisées  avec  cette  mucédinée,  on  a  fait  intervenir  un  champ  électrique  dont  l'intluence 
ne  s'est  pas  fait  sentir  sur  le  développement  de  VAspergillus. 

La  culture  de  VAlternaria  tcmdssnv  kaolin,  additionnéde  sucreet  de  liqueur  de  Cohn, 
a  fourni  un  gain  d'azote  variant  de  36  à  98  p.  100  de  l'azote  initial,  le  végétal  s'est 
d'ailleurs  bien  développé  et  la  culture  était  pure.  Un  Gymnoascus  développé  sur  un  sub- 
stratum  analogue  au  précédent,  à  la  suite  d'un  ensemencement  par  une  parcelle  de 


1002  AZOTE. 

sable  argileux,  a  donné  lieu  à  une  fixation  du  même  ordre  de  grandeur  que  celles  que 
nous  avons  citées  un  peu  plus  haut. 

Concluons  donc  :  le  sol  contient  des  micro-organismes  dépourvus  de  chlorophylle, 
aptes  à  fixer  l'azote,  et  dont  la  nutrition  est  corrélative  de  la  destruction  de  certains 
principes  hydrocarbonés,  tels  que  le  sucre  ou  l'acide  tartrique.  11  semble  utile  que 
ces  micro-organismes  rencontrent,  au  début,  une  petite  quantité  de  principes  azotés 
afin  d'acquérir  la  vitalité  nécessaire  à  l'absorption  de  l'azote  libre.  Si  ces  principes  azotés 
sont  trop  abondants,  la  bactérie  vivra  seulement  à  leurs  dépens. 

Peu  de  temps  après  la  publication  des  expériences  de  Berthelot,  Winograbsky,  dans 
une  note  préliminaire,  exposait  des  résultats  du  même  ordre  (C.  R.  t.  cxvi,  p.  1388).  Cet 
auteur,  se  proposant  de  chercher  s'il  existe  dans  le  sol  des  espèces  déterminées  de 
microbes  fixateurs  d'azote,  fit  une  série  de  cultures  méthodiques  dans  un  milieu  dépourvu 
.  d'azote,  mais  contenant  des  sels  minéraux  et  du  sucre.  Bientôt  les  cultures  présentèrent 
des  caractères  constants  :  dégagement  gazeux,  production  d'un  acide  (acide  butyrique) 
présence  de  masses  zoogléiques  mamelonnées.  Ces  masses  étaient  formées  par  un 
grand  bacille,  bien  développé,  colorable  par  les  couleurs  d'aniline  et  contenant  sou- 
vent des  spores.  Cet  organisme  n'a  pas  encore  été  isolé  à  l'état  de  pureté  absolue;  il 
est  mélangé  avec  deux  autres  espèces  distinctes,  souvent  très  peu  développées.  Ces  deux 
bacilles,  ensemencés  à  l'état  de  pureté  dans  le  même  milieu  indiqué  plus  haut  exempt 
d'azote,  n'y  croissent  pas,  ne  dégagent  pas  de  gaz  et  ne  produisent  pas  d'acides.  Ces  deux 
derniers  phénomènes  ayant  toujours  été  les  symptômes  sûrs  de  l'assimilation  de  l'azote, 
les  deux  espèces  dont  il  s'agit  ne  semblent  donc  pas  pouvoir  produire  l'assimilation. 
Quant  au  grand  bacille  décrit  en  premier  lieu,  il  possède  cette  propriété  fixatrice,  et 
ressemble  au  Bacillus  butylicus  ainsi  qu'à  plusieurs  autres  organismes  du  groupe  des  fer- 
ments butyriques.  Il  fixe  des  quantités  considérables  d'azote,  et  peut-être  existe-t-il  un 
rapport  constant  entre  la  quantité  de  sucre  décomposé  et  celle  de  l'azote  assimilé. 
WiNOGRADSKY  a  d'ailleurs  entrepris  une  série  d'expériences  que  nous  analysons  plus 
loin  (v.  p.  1003)  sur  l'ensemble  de  cette  question. 

Les  nombreuses  expériences  que  nous  venons  de  rappelermontrent  par  quelles  phases 
les  recherches  sur  la  fixation  de  l'azote  ont  passé  avant  d'atteindre  à  ce  degré  de  préci- 
sion auquel  elles  sont  arrivées  aujourd'hui.  Nous  pensons  avoir  fait  ressortir  tout  l'inté- 
rêt qui  s'attache  à  cette  question  de  physiologie  pure;  celle-ci  ne  constitue  sans  doute 
qu'un  des  chapitres  de  la  nutrition  des  végétaux,  mais  les  avantages  immenses  que 
la  pratique  agricole  peut  en  retirer  n'échapperont  à  personne. 

Appendice.  —  Depuis  la  rédaction  de  cet  article  (1894),  il  a  paru  un  certain  nom- 
bre de  mémoires  intéressants  sur  la  question  qui  nous  occupe. 

P.  KossowiTCH  (Botan.  Zeit.,  1892,  43,  47)  a  cherché  quels  étaient  les  organes  (feuilles 
ou  racines)  qui,  chez  les  légumineuses,  absorbaient  l'azote  libre,  Framk  ayant  prétendu 
que  les  feuilles  seules  étaient  capables  de  cette  fonction.  Kossowitch  isole,  à  l'aide  d'un 
dispositif  approprié  et  dont  chacun  peut  se  faire  une  idée,  l'atmosphère  qui  entoure  la 
racine,  soit  celle  qui  entoure  les  tiges  et  les  feuilles  des  plantes  soumises  .a  l'expé- 
rience :  il  fait  circuler  dans  l'espace  ainsi  confiné  un  mélange  artificiel  de  gaz  exempt 
d'azote  (oxygène  mêlé  d'hydrogène,  avec  addition  d'acide  carbonique  lorsqu'il  s'agit 
des  feuilles).  Le  sable  qui  sert  de  support  à  la  plante  est  calciné,  on  y  introduit  des 
pois  garnis  de  tubercules.  L'auteur  conclut  de  son  expérience  que  les  légumineuses 
prennent  à  l'air  leur  azote  seulement  par  les  racines  :  il  n'y  a  pas  eu  absorption  sensible 
de  ce  gaz,  lorsque,  les  feuilles  étant  plongées  dans  l'air  ambiant,  l'atmosphère  des 
racines  ne  se  composait  que  d'un  mélange  d'hydrogène  et  d'oxygène.  Il  est  également 
vraisemblable  que  les  racines  sont  le  lieu  où  l'azote  passe  de  l'état  libre  à  l'état  com- 
biné. 

Nous  avons  étudié  la  fixation  de  l'azote  par  les  algues  d'après  les  travaux  de 
ScHLŒsiNG  fils  et  Laurent.  Ce  n'est  que  lorsque  ces  algues  se  développent  à  la  lumière 
que  ce  phénomène  a  lieu  :  à  l'obscurité  il  n'y  a  pas  de  développement,  et,  partant,  pas  de 
fixation  (Koch  et  Kossowitch,  Botan.  Zeit.,  1893,  n"  21,  p.  321). 

Revenons  sur  cette  fixation  de  l'azote  par  les  algues.  Les  nouvelles  expériences  de 
Kossowitch    ont  éclairci   plus  d'un  point   important    de   ce  problème  et  marquent  en 


AZOTE.  1003 

quelque  sorte  la  transition  entre  les  travaux  que  nous  venons  de  mentionner,  à  la  suite 
desquels  il  semble  que  la  fixation  n'ait  lieu  sur  le  sol  que  par  l'intermédiaire  de  cer- 
taines algues,  et  ceux  tout  récents  de  Winogradsrv  dans  lesquels,  conformément  aux 
idées  de  Berthelot,  la  fixation  de  l'azote  n'est  qu'une  œuvre  microbienne. 

KossowiTcn  (Unters.  ûb.  die  Frage  oh  die  Algen  freien  Stichstoff  fixieren.  Botan.  Zeit., 
1894,  97)  s'est  d'abord  attaché  à  faire  des  cultures  dalgues  à  l'état  de  pureté.  De  même 
que  Beyerinck,  il  se  sert  comme  substnitiim  de  silice  gélatinisée,  laquelle  n'est  pas  liqué- 
fiée par  les  bactéries  accompagnant  les  algues.  Celles-ci  furent  également  cultivées  sur 
gélatine,  et  le  morceau  de  gélatine,  porteur  de  la  culture,  fut  déposé  sur  du  sable  sté- 
rilisé. L'espèce  obtenue  en  culture  pure  est  voisine  des  genres  Cystococeus  et  Chlorella. 
Les  llacons  munis  de  sable  calciné  destinés  aux  expériences  étaient  traversés  par  un 
courant  d'air  filtré  mêlé  d'un  peu  d'acide  carbonique.  Le  liquide  nutritif  doit  contenir, 
suivant  les  espèces  {Cystococeus  ou  SHchococcus)  tantôt  du  phosphate  neutre,  tantôt  du 
phosphate  acide  de  potassium;  l'addition  de  sucre  est  parfois  indispensable.  Si  le  sable 
ne  renferme  pas  d'azote,  les  algues  ne  se  développent  pas,  ce  qui  signifie  que  les  algues 
ne  fixent  pas  l'azote  libre,  ou,  du  moins,  qu'elles  ont  également  besoin  d'azote  combiné; 
ce  senties  nitrates  qui,  sous  ce  rapport,  réussissent  le  mieux.  Le  Stichococcus  a  été  cul- 
tivé sur  sable  calciné  (70  grammes)  mêlé  d'une  solution  renfermant,  dans  1000  grammes 
d'eau,  0S',2oP0'HK^  05^25  PO^H^K,  Os',37  SO^Mg,  0e^20  NaCl  avec  traces  de  phosphate 
de  fer,  de  sulfate  et  de  nitrate  de  calcium.  Quelques  cultures  étaient  additionnées  dp . 
i  gramme  de  sucre  de  canne.  Les  appareils  étant  stérilisés  après  addition  de  liqueur 
nutritive,  on  les  a  ensemencés,  soit  avec  des  cultures  sur  sable  ou  sur  gélatine  de 
Cystococeus,  soit  avec  ces  mêmes  cultures,  additionnées  d'une  culture  pure  de  bac- 
téries du  pois.  L'expérience  a  été  poursuivie  pendant  trois  mois,  bien  qu'au  bout  de  trois 
semaines  les  cultures  eussent  atteint  tout  leur  développement.  Celui-ci  se  fait  d'autant 
mieux  qu'il  y  a  plus  de  nitrate  en  présence.  Là  où  existaient  les  bactéries  de  pois,  les 
algues  se  développèrent  moins  bien;  car  ces  bactéries  avaient  emprunté  une  partie  de 
l'azote  combiné.  Avant  d'interrompre  l'expérience,  on  introduisit  dans  deux  des  vases 
quelques  centimètres  cubes  d'une  solution  nitratée  :  aussitôt  la  couche  d'algues  se  colora 
en  vert  intense  :  ce  qui  déjà  semble  parler  en  faveur  d'une  non-fixation  d'azote;  le 
dosage  final  confirme  d'ailleurs  cette  présomption.  Une  culture  de  Cystococeus  pure  ou 
mêlée  de  bactéries  de  pois  ne  fixe  donc  pas  l'azote  libre. 

Dans  une  autre  série  d'expériences,  on  a  emplo3é  des  cultures  impures  provenant, 
par  exemple,  de  l'ensemencement  d'une  parcelle  de  terre,  et  on  a  procédé,  comme  il 
vient  d'être  dit,  avec  ou  sans  addition  de  sucre.  Voici  les  résultats  obtenus  dignes  d'être 
mentionnés;  ni  le  Stichococcus,  ni  le  Cytococcus  purs  n'ont  fixé  d'azote;  le  Micrococcus 
vaginatus  des  expériences  de  Schlœsixg  fils  et  L.^urent  fournissait  le  même  résultat 
négatif.  Mais,  lorsqu'il  y  a  mélange  avec  les  diverses  bactéries  du  sol,  on  observe  une 
fixation,  sans  qu'il  soit  possible  d'attribuer  à  un  organisme  particulier  cette  propriété 
fixatrice.  Cependant,  pour  Kossowitch,  les  algues  seraient  en  relation  avec  la  fixation  de 
l'azote,  mais  à  la  lumière  seulement,  en  ce  sens  que  celles-ci  seraient  peut-être 
capables  de  fournir  aux  bactéries  fixatrices  les  hydrates  de  carbone  qu'elles  ont  elles- 
mêmes  élaborés  à  la  lumière.  Dans  les  cultures  impures,  la  fixation  est  plus  consi- 
dérable, en  présence  qu'en  l'absence  de  sucre.  Jusqu'à  présent  on  tirait  une  preuve  de 
la  fixation  de  l'azote  par  les  algues  des  expériences  faites  à  la  lumière  et  à  l'obscurité  : 
dans  le  premier  cas,  il  y  avait  fixation;  dans  le  second,  pas  de  fixation.  Nous  venons  de 
voir  que  l'explication  probable  de  ce  fait  doit  être  cherchée  dans  l'impossibilité  où  se 
trouvent  les  algues  à  l'obscurité  d'assimiler  le  carbone,  et  de  nourrir,  par  conséquent, 
les  bactéries.  Concluons  donc  (.[aentre  les  algues  et  les  bactéries  existe  une  sijmbiose  : 
celles-ci,  fixatrices  d'azote,  tirant  leur  nourriture  hydrocarbonée  des  produits  d'assimi- 
lation des  algues.  L'opinion  précédente  est  d'autant  plus  acceptable  que  l'on  sait  que  les 
légumineuses,  [jourvues  de  nodosités  radicales,  ne  fixent  pas  l'azote  à  l'obscurité.  Ber- 
thelot, d'ailleurs,  avait  déjà  fait  voir  qu'un  sol  ne  peut  fixer  l'azote  que  jusqu'à  une  cer- 
taine limite  qui  dépend  de  sa  richesse  en  matériaux  hydrocarbonés.  On  ne  peut  affirmer 
qu'aucune  algue  ne  fixe  l'azote;  mais,  dans  tous  les  cas,  un  sol  dépourvu  de  bactéries 
n'en  fixe  pas. 

F.  Noble,  Hilt.xer  et  Schmid  [Landw.  Vers.  Stat.,  t.  xlv,i)  ont  repris  de  nouveau  la  ques- 


1004  AZOTE. 

tion  de  la  spécificité  des  bactéries  qui  vivent  dans  les  tubercules  des  légumineuses.  Ils 
ont  fait  usage  de  vases  parfaitement  stérilisés  et  de  cultures  absolument  pures  des  diffé- 
rentes bactéries  provenant  des  nodosités  radicales  dont  ils  ont  étudié  l'action  sur  diverses 
espèces  de  Légumineuses.  Leur  intéressant  travail  peut  se  résumer  ainsi  :  Les  plantes 
suivantes  :  Robinia  pseudo-acacia,  Acacia  lophanta,  Vicia  villosa,  Pisum  sativum  ont  été 
inoculées  cbacune  avec  les  bactéries  de  leur  propre  espèce,  tandis  que  des  pieds  sembla- 
bles recevaient  des  bactéries  des  trois  autres  espèces.  Or  l'expérience  a  montré 
qu'en  ce  qui  concerne  la  quantité  d'eau  évaporée,  la  hauteur  totale  du  végétal,  le  poids 
de  la  matière  sècbe,  la  teneur  finale  en  azote,  les  plantes  inoculées  avec  les  bactéries  de 
leur  propre  espèce  l'emportent  de  beaucoup  sous  ces  différents  rapports  sur  celles  ino- 
culées avec  des  bactéries  étrangères.  Les  bactéries  d'espèces  voisines  peuvent  se  rempla- 
cer dans  une  certaine  mesure,  mais  elle  restent  inférieures  comme  action  à  celles  de 
l'espèce  propre.  Les  bactéries  appartenant  à  des  espèces  éloignées,  ou  bien  sont  sans 
influence,  ou  bien  produisent  des  tubercules  incapables  de  fixer  l'azote  (page  12  du  mé- 
moire cité).  Dans  une  autre  série  d'expériences,  on  inocule  un  certain  nombre  de  légu- 
mineuses avec  des  cultures  pures  de  bactéries  de  Pois  et  de  Robinia.  Les  sols  mis  en 
œuvre  contenaient  au  début  un  peu  d'azote,  afin  de  décider  si  les  différences  constatées 
avec  les  sols  privés  d'azote  de  l'expérience  précédente  se  retrouvent  dans' les  conditions 
de  la  culture  naturelle.  Chaque  plante  fut  inoculée  avec  une  culture  pure  de  Pois  et  une 
culture  pure  de  Robinia.  Ces  essais  ont  montré  que  les  bactéries  des  pois  fournissent 
des  tubercules  avec  les  Viciées  et  les  Phaséoiées,  mais  restent  sans  effet  sur  les  Hédysarées, 
les  Génistées,  les  Trifoliées,  les  Galégacées;  les  bactéries  de  Robinia,  outre  le  Robinie,  n'ont 
donné  de  résultats  favorables  qu'avec  les  Phuséolées.  Ceci  peut  s'expliquer  si  on  se  rappelle 
quelles  corrélations  étonnantes  existent  entre  le  développement  des  bactéries  des  tuber- 
cules et  celui  de  la  plante  hospitalière.  Les  bactéries  de  nodosités  fournissent  un  excel- 
lent exemple  de  la  propriété  remarquable  que  possèdent  beaucoup  d'organismes  de  subir 
des  transformations  profondes  lorsque  changent  les  conditions  physiques  et  chimiques  du 
milieu  dans  lequel  ils  vivent;  ils  s'adaptent  à  ce  nouveau  milieu,  et  leur  action  physiolo- 
gique se  trouve  alors  modifiée.  Les  cultures  pures  provenant  des  différents  tubercules 
radicaux  ne  représentent  donc  pas  autant  d'espèces  distinctes,  mais  seulement  des  formes 
distinctes. 

—  Dans  le  courant  de  cet  article  nous  avons  examiné  à  maintes  reprises  la  question 
de  la  fixation  de  l'azote  par  les  plantes  appartenant  à  d'autres  familles  que  celle  des 
légumineuses.  P.  Noble  et  L.  Hiltner  (Landw.  Vers.  Stat.,  t.  xlv,  p.  loo)  cultivent  dans  des 
pots  contenant  une  bonne  terre  de  jardin  les  quatre  espèces  suivantes  :  Pois,  Chanvre, 
Sarrasin,  Moutarde.  A  la  fin  de  l'expérience,  ces  quatre  espèces  accusent  un  gain  d'azote  ; 
mais,  seul,  le  pois  a  profité  de  ce  gain,  les  autres  plantes  sont  restées  chétives  et  n'ont 
pu  s'assimiler  l'azote  dont  le  sol  s'est  enrichi.  C'est  qu'en  effet,  d'après  Berthelot  et 
WiNoGRADSKY,  le  sol  coutieut  des  bactéries  capables  d'assimiler  l'azote  libre,  mais  cet 
azote  ne  profite  pas  aux  plantes,  du  moins  immédiatement;  il  demeure  dans  le  sol,  il 
nitrifie  et  n'est  utilisé  que  par  les  végétations  ultérieures.  Les  légumineuses  occupent 
donc  bien  un  rang  à  part  au  point  de  vue  de  la  manière  dentelles  fixent  et  utilisent  im- 
médiatement l'azote  libre  de  l'air. 

Il  nous  reste  maintenant  à  analyser  en  quelques  lignes  le  mémoire  complet  de 
^YI^"0GRADSKY  SUC  l'assimilation  de  l'azote  libre  de  l'atmosphère  par  les  microbes,  mémoire 
paru  récemment.  Mous  avons  gardé  ce  travail  pour  la  fin,  non  pas  qu'il  soit,  à  notre  avis, 
le  dernier  mot  de  la  question,  mais  il  constitue  néanmoins  un  pas  très  important  fait  en 
avant  dans  la  longue  série  de  recherches  que  nous  venons  de  résumer  et  il  met  en  relief 
la  méthode  à  suivre  pour  les  expériences  ultérieures  (Arch.  Se.  biol.  Saint-Pétershourg , 
t.  m,  n°  4;  1895). 

L'auteur  ensemence  une  trace  de  terre  sur  la  liqueur  suivante,  absolument  exempte 
d'azote,  et  dont  chaque  élément  a  été,  à  cet  effet,  soigneusement  purifié  :  Eau 
=  1000  grammes;  phosphate  de  potassium  =  l  gramme;  MgSO''=  Osr.b;  NaCl,FeSO''Mn 
=  Ot''',01  à  O6'',02.  100  centimètres  cubes  de  cette  solution  reçoivent  de  doux  à  quatre 
^'ranimes  de  glucose  pur  additionné  ou  non  de  carbonate  de  calcium;  les  vases  sont 
traversés  par  un  courant  d'air  filtré.  Après  un  certain  nombre  de  cultures,  on  ne  décou- 
vre dans  la  liqueur  que  les  trois  organismes  suivants  :  1°  un  Clostridium  qui  prédomine; 


AZOTE.  1005 

2°  Un  très  fin, bacille  à  longs  filaments  sinueux;  3°  un  gros  bacille,  large  de  2  ;j.,  à  longs 
filaments  se  transformant  en  chaînettes  d'articles  asporogènes  arrondis.  La  couche  de 
craie  se  dissout  complètement  en  même  temps  que  se  déclare,  dans  la  plupart  des  vases, 
une  fermentation  butj-rique  qui  consomme  tout  ou  partie  du  sucre  présent.  La  marche 
des  expériences  est  souvent  irrégulière  :  tantôt  la  fermentation  commence  au  bout  de 
deux  ou  trois  jours,  tantùt  au  bout  de  plusieurs  semaines.  Les  premiers  dosages  ont 
montré  que,  là  où  lu  fermentation  butyrique  avait  eu  lieu,  on  pouvait  constater  une 
fixation  d'azote,  alors  que  dans  les  liquides  n'ayant  pas  fermenté  il  n'y  avait 
pas  eu  de  fixation.  L'optimum  de  température  est  situé  vers  20°.  Ces  irrégularités 
dans  la  mise  en  train  du  phénomène  disparurent  lorsque,  après  plusieurs  tâtonnements, 
l'auteur  ajouta  au  liquide  de  culture  des  quantités  très  faibles  d'azote  nitrique  ou  ammo- 
niacal dont  nous  verrons  bientôt  la  mode  d'action.  Ces  traces  d'azote  combiné  ne  font 
qu'fl7?!orcer  la  fermentation  ;  mais  sont  sans  influence  sur  la  fixation  de  l'azote  libre.  II 
suffit  également  de  faire  traverser  les  cultures  par  un  courant  d'air  plus  lent  pour  ren- 
dre le  début  de  la  végétation  plus  facile  et  plus  régulier.  Ces  premières  expériences  ont 
fait  voir  que  la  fixation  de  l'azote  s'élève  de  0S'',002o  à  0=,003  pour  un  gramme  de  glucose 
détruit  dans  des  conditions  de  culture  aérobie.  Ce  rapport  décroît  si  la  quantité  de  sucre 
ajouté  s'accroît.  La  fixation  de  l'azote  diminue  lorsqu'il  y  a  aération  insuffisante  ou 
lorsque  la  quantité  d'azote  combiné  ajouté  au  début  est  très  forte.  Le  rapport  limite,  au- 

,  ,  ,  ■,,.■■,         ,     ,     ,         .   ■■     ,  ,         1  1    6  (azote  combiné  ajouté) 

dessus  duquel  un  gam  d  azote  libre  n  est  plus  réalisable,  est  de — „„  ,  , ^ . 

°  '  1000  (glucose) 

Dans  les  premières  expériences  que  nous  venons  de  rapporter,  Win-ogradsky  s'est 
borné  à  épurer  le  mélange  des  microbes,  autant  qu'il  pouvait  l'être,  par  la  culture  élec- 
tive, laquelle  élimine  toutes  les  espèces  incapables  de  vivre  dans  ce  milieu  spécial;  un 
chauffage  ultérieur  à  80°  a  détruit  de  plus  toutes  les  espèces  asporogènes;  il  ne  reste 
que  trois  espèces  sporogènes.  Winogradsky  procède  ensuite  à  la  séparation  des  trois 
espèces  sus-mentionnées.  Sur  milieu  solide,  on  isole  le  gros  bacille  (bacille  a)  et  le 
bacille  fin  (bacille  [3)  :  le  Clostridium  ne  se  développe  pas.  Ces  deux  premières  espèces, 
une  fois  isolées,  ont  pu  être  cultivées  à  l'état  de  pureté  dans  des  tubes  à  essais  conte- 
nant de  la  gélose  sucrée  :  le  bacille  a  est  aérobie,  le  bacille  ,3  anaérobie  facultatif. 
Aucune  de  leurs  cultures  ne  montre  de  dégagement  gazeux,  aucune  n'a  l'odeur  d'acide 
but)-rique.  Ces  deux  bacilles  ne  fixent  pas  l'azote  libre,  et  leur  rôle  semble  secondaire 
dans  le  phénomène  fixateur.  Quant  au  Clostridium,  il  a  pu  être  cultivé  sur  des  tranches 
de  carotte,  mais  dons  le  vide;  on  l'obtient  ainsi  à  l'état  pur,  les  deux  bacilles  qui  l'ac- 
compagnaient n'ayant  pu  se  développer  sur  ce  nouveau  milieu  :  de  plus,  il  y  a  dégage- 
ment gazeux.  Ensemencé  seul  sur  le  liquide  sucré  primitif,  ce  Clostridium  ne  produit 
pas  de  fermentation  bien  franche;  il  semble  donc  que  le  concours  des  deux  premiers 
bacilles  soit  indispensable  à  son  développement.  Or  l'expérience  montre  que,  si  on  re- 
constitue dans  le  milieu  sucré  l'association  des  trois  espèces,  il  y  a  fermentation  :  un 
microbe  strictement  anaérobie  (Clostridium)  peut  donc  vivre  normalement,  et  pendant  un 
nombre  de  générations  indéfini,  dans  un  milieu  aéré,  s'il  est  protégé  de  l'action  de  l'oxy- 
gène par  l'association  d'espèces  aérobies.  L'action  favorisante  des  deux  bacilles  n'a  rien  de 
spécifique;  des  vases  de  culture  contenant  le  Clostridium  ensemencé  sur  une  couche  de 
liquide  peu  épaisse  restaient  stériles  aussi  longtemps  que  la  culture  était  pure;  mais,  si 
on  introduisait  dans  ces  vases  un  Pénicillium  ou  un  Aspergiltus,  la  fermentation  com- 
mençait bientôt.  Les  espèces  favorisantes  doivent  précéder  dans  son  développement  l'es- 
pèce anaérobie,  ou,  du  moins,  se  développer  concurremment  avec  elle  ;  mais,  comme  cette 
dernière  est  seule  apte  à  fournir  l'azote  combiné  au  milieu,  puisque  les  aérobies  en  sont 
incapables,  la  croissance  de  celles-ci  est  subordonnée  à  l'activité  de  l'espèce  anaérobie. 
D'où  l'utilité  qu'il  y  a  à  introduire  au  début  dans  la  culture  une  faible  dose  d'azote  com- 
biné. 

Il  résulte  de  tout  ceci  qu'un  organisme  quelconque  favorisera,  dans  ce  cas  spécial, 
le  développement  du  microbe  anaérobie,  si  cet  organisme  est  capable  de  vivre  dans  un 
milieu  très  pauvre  en  azote,  d'en  utiliser  les  dernières  traces,  et,  surtout,  d'absorber  éner- 
giquement  l'oxygène  de  l'air. 

Des  cultures  pures  du  ferment  anaérobie  ensemencées  dans  le  liquide  primitif  ira- 
versé  par  un  courant  de  gaz   azote  pur   ont  déterminé    une    énergique   fermentation 


1006  AZOTITES. 

(1  gramme  de  sucre  décomposé  en  moins  de  deux  jours)  et  il  y  a  eu  fixation  d'azote 
libre.  Le  problème  est  donc  résolu  :  on  possède  une  espèce  pure,  anaérobie,  isolée  du 
sol,  capable  de  sj'nlhèse  azotée  aux  dépens  de  l'azote  de  l'air,  et  pouvant  se  développer 
dans  un  milieu  rigoureusement  dépourvu  d'azote  combiné.  Ce  microbe  n'a  pu  être  iden- 
tifié avec  aucun  des  ferments  butyriques  actuellement  connus;  morphologiquement  il 
se  rapproche  le  plus  du  Clostridium  butyricum  de  Prazmowski.  AYinogradsky  propose  d'ap- 
peler ce  nouvel  être  :  Clostridium  pasleurianum. 

Au  sein  de  cultures  pures,  ce  microbe  dégénère  peu  à  peu:  il  peut  devenir  complète- 
ment asporogène,  même  sur  un  milieu,  comme  la  carotte,  éminemment  propre  à  sa  mul- 
tiplication. Pour  éviter  cette  dégénérescence,  il  faut  faire  usage  d'un  courant  de  gaz 
azote  suffisamment  énergique  pour  traverser  continuellement  ia  masse  liquide;  il  faut 
également  employer  une  culture  pure  faite  directement  avec  le  microbe  du  soi. 

Voici  donc  comment  l'auteur  opère  définitivement.  Une  trace  de  terre  fut  introduite 
dans  un  flacon  dans  lequel  barbottait  jour  et  nuit  de  l'azote  pur;  au  bout  de  trois  jours, 
à  la  température  ordinaire,  apparut  la  fermentation  :  le  liquide  ne  contenait  que  le 
Clostridium  connu.  Avec  cette  première  culture  on  ensemence  un  second  flacon,  puis  un 
troisième,  et  cela  jusqu'à  vingt  flacons.  Alors  la  fermentation  débutait  régulièrement  au 
bout  de  24  heures,  le  microbe  ne  dégénérait  plus  et  sa  culture  était  parfaitement  homo- 
gène. La  formation  des  spores  coïncide  avec  un  ensemble  de  conditions  capables  d'entraver 
le  développement  actif  du  microbe  :  un  accès  d'air,  pas  trop  brusque,  au  sein  d'une  cul- 
ture anaérobie,  est  suivi  de  sporulation. 

Vers  la  fin  des  cultures  apparut  le  bacille  p  des  cultures  aérobies;  lorsque  la  fermen- 
tation était  achevée,  ce  bacille  se  montrait  en  grande  abondance,  et  on  accélérait  son 
développement  en  laissant  pénétrer  l'air  dans  les  flacons  :  le  Clostridium  mourait  alors 
en  masse. 

En  résumé,  le  meilleur  procédé  pour  isoler  du  sol  le  Clostridium  fixateur  consiste  : 

1°  à  introduire  une  trace  de  terre  fraîche  dans  le  liquide  sucré  exempt  d'azote  com- 
biné; on  fera  passer  dans  ce  liquide  un  courant  d'azote  pur. 

2°  A  faire  4  à  6  passages  dans  le  même  milieu. 

3°  A  chauffer  à  80°  les  spores  bien  mûres  pendant  un  quart  d'heure  pour  détruire  les 
germes  étrangers. 

4°  A  cultiver  ensuite  le  microbe  sur  plaques  de  pommes  de  terre  strictement  anaéro- 
bies. 

Le  Clostridium.  est  un  ferment  butyrique  vrai;  après  fermentation,  on  trouve  dans  les 
liquides  des  acides  butyrique  et  acétique  dans  la  proportion  de  4  à  1  dans  une  des  expé- 
riences, de  3  à  1  dans  une  autre.  Il  se  fait  en  même  temps  une  trace  d'alcool  supérieur 
et  pas  d'acides  fixes;  les  gaz  de  la  fermentation  sont  l'acide  carbonique  et  l'hydrogène 
(ce  dernier  représente  de  (iO  à  73  p.  100  du  gaz  total). 

Ayant  ensuite  isolé  du  sol  un  certain  nombre  d'autres  microbes,  et  ceux-ci  n'ayant 
donné  lieu  à  aucune  fixation  d'azote,  Winogradsky,  tout  en  faisant  des  réserves  formelles 
sur  les  expériences  à  venir,  formule  cette  conclusion  :  l'aptitude  à  fixer  l'azote  est  une 
fonction  spécifique;  seul  le  clostridium  isolé  manifeste  celte  propriété. 

L'auteur  (C.  R.,  t.  cxviu,  p.  3bo)  pense  que  ce  phénomène  de  la  fixation  de  l'azote 
apparaît  comme  l'effet  de  la  rencontre  de  l'azote  gazeux  et  de  l'hydrogène  naissant  au  sein 
du  protoplasma  vivant,  et  il  est  permis  de  supposer  que  la  synthèse  de  l'ammoniaque  pourrait 
en  être  le  résultat  immédiat. 

G.  ANDRÉ. 

AZOTITES.  —  Les  azotites  ou  nitrites  sont  les  sels  de  l'acide  azoteux  ou 
nitreux,  AzO-H.  Ils  sont  en  général  solubles  dans  l'eau;  cependant  l'azotite  d'argent  n'est 
que  faiblement  soluble.  Ces  sels  sont  décomposés  au  rouge.  Traitée  par  de  l'acide  sulfu- 
rique  étendu,  leur  dissolution  dégage  du  bioxyde  d'azote,  en  même  temps  qu'il  se  forme 
de  l'acide  azotique.  Si  l'on  ajoute  en  même  temps  du  sulfate  ferreux,  ce  sel  absorbe  le 
bioxyde  formé  et  se  colore  en  brun.  Si  l'on  ajoute  à  la  dissolution  d'un  azotite  un  mélange 
d'iodure  de  potassium  et  d'amidon  et  de  l'acide  sulfurique  étendu,  il  y  a  mise  en  liberté 
d'iode,  et  formation  d'iodure  d'amidon  bleu. 

Apparition  dans  l'organisme.  —  Schonbein,  et  plus  tard  Ruhmamn,  ont  montréque 


AZOTITES.  1007 

les  azotites  que  l'on  trouve  parfois  dans  l'urine,  à  côté  des  azotates,  proviennent  de  la  ré- 
duction de  ces  derniers  sous  l'iniluence  des  phénomènes  putréfactifs.  L'urine  fraîche  ne 
contient  jamais  de  nitrites.  Ces  sels  n'apparaissent  que  lorsque  l'urine  commence  à 
se  troubler,  mais  leur  formation  n'est  pas  constante.  Ajoutons  qu'on  les  voit  appa- 
raître indifféremment  dans  l'urine  acide  ou  dans  celle  qui  est  primitivement  alcalme 
(ScHONBEiN,/oz(ni.  f.pfalil.  Chcm.,  t.  xoii,  p.  lo2,  1864.  —F.  Roemann,  Z.  P.  C,  t.  v,  p.  241, 
1881). 

C'est  également  une  réduction  des  azotates  en  azotites  qui  explique,  d'après  Barth, 
les  empoisonnements  observés  chez  les  animaux  de  ferme,  lorsqu'il  y  a  mélange  acci- 
dentel, à  l'eau  servant  de  boissons,  d'engrais  chimiques  à  base  de  salpêtre  (Babth,  cité 
par  BiNZ,  A.  P.  P.,  t.  xiii,  p.  133,  1881).  On  sait  au  surplus  que  Gayon  et  Dupetit  ont 
démontré  la  transformation  des  nitrates  en  nitrites  sous  l'influence  d'un  micro-organisme 
anaérobie  que  l'on  trouve  dans  les  eaux  d'égout  et  dont  la  présence  dans  l'intestin  des 
herbivores  n'a  rien  que  de  très  vraisemblable  (Gayon  et  DoPEirr,  C.  R.,  t.  xcv,  pp.  644  et 
1363,  1882). 

Action  physiologique.  —  Elle  a  été  surtout  étudiée  par  Gamgee  (1868),  RABaTEAO 
(1870),  GiACOSA  (1874),  Jolyet  et  Regxard  (1876)  et  Binz  (1883). 

D'après  Binz  les  sj-mptômes  de  l'empoisonnement  par  le  nitrite  de  soude  se  succèdent 
de  la  manière  suivante  (Bi.nz,  .1.  P.  P.,  t.  xm,  p.  135,  1881).  Les  animaux  deviennent 
d'abord  mous,  somnolents;  ils  titubent  comme  s'ils  étaient  sous  l'influence  d'un  narco- 
tique puissant.  On  observe  en  même  temps  des  contractions  fibrillaires  des  muscles  du 
tronc  ou  des  extrémités  et,  chez  le  chien,  régulièrement  des  vomissements.  Plus  tard  la 
respiration  devient  haletante,  difficile,  et  se  ralentit  peu  à  peu  jusqu'au  moment  de,  la 
mort.  Ces  symptômes  sont  les  mêmes,  quelle  que  soit  la  voie  d'introduction  (buccale  ou 
cutanée)  du  toxique.  Avec  une  dose  de  O^'',!  de  nitrite  de  soude,  un  lapin  meurt  en  deux 
heures.  Dans  une  expérience  de  Binz,  un  chien  de  4  ,o  est  mort  en  quatre  heures  et 
demie  après  une  injection  sous-cutanée  de  0e^,2'6  du  même  sel. 

Le  nitrite  de  soude  agit  à  la  fois  sur  le  système  nerveux  qu'il  paralyse,  et  sur  le  sang 
dont  il  transforme  la  matière  colorante  en  méthémoglobine.  Il  agit  en  outre,  à  la  manière 
de  l'arsenic,  comme  un  caustique  interne  (Binz). 

La  paralysie  du  système  nerveux  commence  par  le  cerveau,  puis  descend  peu  à  peu. 
Elle  paraît  être,  au  moins  chez  la  grenouille,  indépendante  de  l'altération  du  sang  et 
résulter  d'une  action  directe  du  toxique.  Si  l'on  décapite  la  grenouille  intoxiquée,  on 
constate  que  l'excitation  de  la  section  de  la  moelle  à  l'aide  d'une  aiguille  ne  produit  pas 
le  moindre  mouvement.  Le  nerf  iscbiatiiiue  ne  réagit  plus  à  l'excitation  électrique,  pas 
plus  que  les  niasses  musculaires. 

L'action  sur  le  sang  est  très  Iremarquable.  Elle  a  été  observée  pour  la  première  fois 
par  Gaugee  avec  divers  nitrites  ou  avec  des  étliers  nitreux  tels  que  le  nitrite  d'amyle 
(Gamgee,  Transact.  Roy.  Soc.  Edimburgh,  mai  1868).  Le  sang  prend  une  couleur  chocolat 
ou  terre  de  sienne,  dont  l'apparition  a  été  également  étudiée  par  Rabuteau  {Gazette  hebd., 
1870,  p.  116;  Éléments  de  toxicologie,  Paris,  1873,  p.  198).  La  capacité  respiratoire  du  sang 
est  considérablement  abaissée  (Jolyet  et  Regnard,  Gazette  méd.  de  Paris,  1876,  etREGNARO, 
Variât,  path.  des  combustions  respirât.,  D.  P.,  1878).  Ce  fait  est  dû  à  la  transformation  de 
la  matière  colorante  du  sang  en  méthémoglobine,  altération  dont  la  nature  exacte  a 
été  déterminée  d'abord  par  Giacosa  (Das  Amylnitril  u.  seine  therap.  Anwend.  2"  éd. 
Berlin,  1877). 

Un  phénomène  directement  lié,  d'après  Kobert,  à  la  production  de  méthémoglobine 
est  la  dilatation  des  vaisseaux  et  la  congestion  des  organes.  Du  moins  Kobert  soutient 
que  tous  les  agents  producteurs  de  méthémoglobine  dans  le  sang  provoquent  en  même 
temps  une  telle  dilatation.  En  même  temps  la  pression  sanguine  s'abaisse  (Kobert, 
Lehrb.  d.  Intoxikationen,  Stuttgart,  1893,  p.  494). 

Enfin  Binz  décrit  encore,  comme  symptôme  constant  de  l'intoxication  parles  nitrites, 
la  rougeur,  la  congestion  et  les  taches  ecchymotiques  de  la  muqueuse  de  l'estomac.  Tous 
les  organes  abdominaux  sont  fortement  congestionnés,  fait  déjà  signalé  par  Rabutead. 
Même  injecté  sous  la  peau,  le  nitrite  de  soude  agit,  de  même  que  l'arsenic,  comme  un 
caustique  interne. 

Binz  explique  tous  ces  accidents  par  une  théorie  analogue  à  celle  qu'il  propose  pour 


1008  AZOTURIE. 

l'intoxication    par   l'arsenic  et  toute  une   série  d'autres   composés.  L'acide  nitreux  se 
transformerait  en  acide  nitrique  par  la  série  des  réactions  que  voici  : 

SAzO^H  =  H^O  +  AzOni  +  2  AzO; 

AzO  +  0=  Az02; 

•3Az02  +  H20  =  2Az03H  +  AzO. 

Dans  cette  transformation  eu  azotates,  déjà  admise  par  R.\buteau,  l'oxydation  de 
l'acide  azoteux  s'accompagnerait  de  la  production  d'oxygène  actif  (par  dédoublement  de 
la  molécule  0'-^,  avec  production  d"oxygèue  atomique,  0).  Ces  phénomènes  se  produisant 
dans  les  tissus  (tissu  nerveux,  muqueuse  et  glandes  de  l'estomac,  etc.),  les  protoplasmes 
cellulaires  se  trouvei-aient  par  le  fait  désorganisés  et  arrêtés  dans  leur  fonctionnement. 

On  ne  possède  que  peu  d'indicationsen  ce  qui  concerne  la  toxicologie  des  nitrites 
chez  l'homme.  Raboteau  a  pu  avaler  1  à  2  grammes  d'azotite  de  sodium  sans  éprouver 
rien  de  bien  appréciable.  A  la  dose  d'un  gramme  l'azotite  de  potassium  a  produit,  chez 
le  même  expérimentateur,  de  l'inappétence  et  de  là  pâleur  du  visage. 

CoLLiscHORM  a  décrit  une  intoxication  par  le  nitrite  de  soude  chez  deux  malades  qui 
en  ingérèrent  par  doses  successives,  en  tout:  l'une  ll,b  et  l'autre  o,o  grammes.  Les 
symptômes  furent  des  selles  diarrhéiques,  de  la  cyanose,  et,  chez  le  premier  patient,  un 
exanthème  d'aspect  rubéolique.  Baines  a  observé  une  intoxication  par  de  très  petites 
doses  et  qui  a  duré  plus  de  trois  mois  (Collischorm,  Deutsche  Med.  Woch.,  1889,  n">  14.  — 
Baines,  Pharm.  Rundschau,  1884,  p.4o2J. 

Il  est  possible  que  les  accidents  de  l'intoxication  par  les  nitrates  soient  dus  en  partie 
à  la  transformation  fermentative  de  l'acide  azotique  en  acide  azoteux  dans  le  tube 
digestif.  IvoBERT  dit  que  la  coloration  rouge  de  la  muqueuse  stomacale  dans  l'empoison- 
nement par  les  nitrates  (voy.  le  cas  de  LviTLEioim,  Edinbwcjh  Med.  JoMrn.,  août  188o, 
p. 97)  s'expliquerait  très  simplement  par  l'action  du  nitrite  alcalin  résultant  d'une  réduc- 
tion partielle  du  nitrate  (Koberï,  Ibc.  cit.,  p.  493). 

Recherche.  —  Une  solution  d'iodure  de  potassium  (ou  mieux  d'iodure  de  zinc),  acidu- 
lée par  de  l'acide  sulfurique  étendue  et  mêlée  d'un  peu  d'empois  d'amidon,  est  bleuie  lors- 
qu'on l'additionne  d'une  dissolution  contenant  des  nitrites.  C'est  cette  réaction  qui  a 
servi  à  Scuoenbein  pour  la  recherche  des  nitrites  dans  l'urine.  Elle  est  moins  sensible  que 
les  suivantes. 

On  chauffe,  d'après  Weyl,  le  liquide  suspect  (urine)  avec  le  quart  ou  le  cinquième  de 
son  volume  d'acide  sulfurique  et  on  couvre  le  ballon  dans  lequel  se  fait  l'opération  avec 
un  papier  imprégné  des  réactifs  suivants:  1°  Métaphéuylène-diamine;  il  se  produit  une 
coloration  jaune  (triamidoazobenzène).  2"  Acide  sulfaniliqueet  chlorhydrate  d'a-naphty- 
lamine;  il  se  produit  une  coloration  rouge  (acide  azobenzène-naphtylamine-sulfonique). 
—  D'après  Rohmann,  de  petites  quantités  d'acide  azoteux  (0,1  milligramme  dans  20  cent, 
cubes)  dissoutes  dans  l'urine  ne  peuvent  plus  être  reconnues  avec  certitude  (Weyl,  A. 
V.,  t.  xcvi,  p.  467,  1884.  —  Rohman.n',  loc.  cit.,  p.  Hb). 

£.  LAMBLING. 

AZOTURIE.  — Élimination  exagérée  d'azote  par  l'urine  (V.  Urée). 


B 


BACTERIES.  —  On  donne  le  nom  de  Bactéries  à  des  êtres  ceUulaires  dont  les 
éléments  affectent  le  plus  soavent  la  forme  d'un  bâtonnet  ((jaz-cepîa,  bâton). 

On  attribue  généralement  àLEUWENHOECK,,  l'un  des  premiers  micrographes,  la  décou- 
verte des  bactéries.  A  l'aide  des  combinaisons  optiques  imparfaites  dont  il  disposait,  il 
en  a  reconnu  et  décrit  sommairement  plusieurs  espèces  rencontrées  dans  les  infusions 
végétales,  le  tartre  dentaire,  les  matières  fécales  où  il  signale  leur  augmentation  considé 
rable  dans  les  cas  de  diarrhée,  premier  fait  de  pathologie  microbienne. 

Pour  trouver  un  progrès  sensible  dans  ces  études,  il  faut  attendre  près  d'un  siècle. 
La  découverte  du  microscope  composé  était  nécessaire  pour  de  telles  investigations.  Le 
naturaliste  danois  Otto  Fheueric  Muller  réussit  le  premier  à  mettre  un  ordre  relatif  dans 
ce  monde  des  êtres  microscopiques,  que  le  grand  LiNiNé  lui-même  avait  totalement  laissé 
de  côté,  le  considérant  comme  un  inextricable  chaos. 

Muller  répartit  les  bactéries  dans  les  deux  genres  Monas  et  Vibrio,  dénominations  que 
l'on  reconnaît  pour  être  encore  actuellement  usitées.  Toutefois,  à  côté  de  bactéries  vraies, 
il  réunit  là  des  êtres  plus  élevés,  des  algues,  des  infusoires,  même  des  anguillules. 

Ces  données  se  retrouvent  intactes  dans  les  œuvres  de  la  plupart  des  naturalistes  du 
commencement  de  ce  siècle  qui  se  sont  occupés  des  êtres  microscopiques,  Lamarcr,  Brd- 
GunÏRE,  BoRY  DE  Saint-Vincen't,  principalement. 

Le  grand  ouvrage  d'EHRENBERC,  Die  Infusionsthierchen  als  vollkommene  Organismen 
(1833),  marque  un  grand  progrès.  Il  sépare  les  êtres  qui  nous  occupent  de  ceux  bien  diffé- 
rents qui  en  avaient  été  rapprochés,  et  en  forme  la  famille  des  Vibrionia  qu'il  caracté- 
rise de  la  façon  suivante  :  «  Animalcules  filiformes,  sans  intestin,  nus,  sans  organes 
externes,  réunis  en  chaînes  ou  séries  filiformes  par  l'etîet  d'une  division  spontanée  incom- 
plète. »  Cette  famille  comprenait  les  quatre  genres  suivants  : 

Bàcteriiim  :  Bâtonnets  rigides  à  mouvements  vacillants. 

Vibrio  :  Corps  filiforme,  susceptible  de  mouvements  ondulatoires  comme  un  serpent. 

SpiriUum  :  Corps  filiforme,  en  hélice  inflexible. 

Spirochaete  :  Corps  en  hélice,  formant  un  long  cordon  flexible. 

DujARDiN,  dans  son  Histoire  naturelle  des  ZoopJujtes,  adopte  les  données  d'EHRENBERo  et 
donne  des  détails  nouveau.^  et  intéressants  sur  le  développement  des  bactéries  dans 
divers  milieux  et  sur  la  manière  de  les  obtenir  et  de  les  étudier. 

Les  bases  de  l'étude  des  bactéries  étaient  dès  lors  posées  ;  les  résultats  obtenus  à  cette 
époque  sont  restés  dans  la  science;  certains  ont  été  bien  des  fois  confirmés  et  font  en- 
core actuellement  loi. 

Pour  les  observateurs  précédemment  cités,  les  bactéries  faisaient,  sans  aucun  doute, 
partie  du  règne  animal.  La  présence  de  mouvements  bien  évidents  chez  certaines  espèces 
les  éloignaient,  pour  eux,  forcément  des  plantes.  Les  travaux  de  Cohn  et  de  iNaegeli  sur 
les  algues  et  les  champignons  inférieurs  appelèrent  l'attention  sur  les  rapports  intimes 
qui  unissent  certaines  de  ces  formes  aux  bactéries  et  en  provoquèrent  le  rapprochement. 

Jusqu'alors  l'étude  de  ces  êtres  était  considérée  comme  d'un  intérêt  purement  spécu- 
latif; leur  apparition  en  grand  nombre  dans  les  infusions  paraissait  n'être  qu'un  simple 
jeu  du  hasard.  On  observait  bien  en  même  temps  des  altérations  très  appréciables  des 
milieux  en  question,  mais  il  n'était  venu  à  l'idée  de  personne  de  supposer  qu'il  existait 
entre  ces  deux  ordres  de  faits  des  rapports  très  étroits.  Si  même  on  cherchait  à  rappro- 
cher l'une  de  l'autre  ces  deux  manifestations  d'un  même  phénomène,  c'était  pour  faire 
provenir  les  êtres  vivants  de  l'altération  de  la  matière  organique,  comme  le  faisaient  les 
partisans  de  la  génération  spontanée  en  intervertissant  l'ordre  des  facteurs. 

C'est  à  Pasteur  que  revient  le  grand  honneur  d'avoir  établi  avec  certitude  les  con- 
nexités  étroites  ou  les  rapports  de  causalité  qui  unissent  les  altérations  de  certains  liqui- 
des, certaines  fermentations,  au  développement  et  à  la  vie  de  bactéries  dans  leur  masse. 

DICT.    DE    PHYSIOLOGIE.   TOME  I.  64 


1010  BACTERIES. 

Il  a  posé  les  premières  bases  certaines  de  l'étude  phj'siologique  de  ces  êtres  dans  son 
beau  travail  sur  la  fermentation  lactique  que  l'on  doit  considérer  comme  le  fondement 
de  la  bactériologie  actuelle  (18o7). 

Dès  1831,  Braconxot,  observant  que  certaines  substances,  telles  que  le  chlore,  l'acide 
sulfureux,  l'acide  nitrique,  employés  comme  destructeurs  des  agents,  tout  à  fait  inconnus 
alors,  des  maladies  contagieuses,  possédaient  aussi  des  propriétés  antifermentescibles 
énergiques,  concluait  au  rapprochement  de  la  contagion  et  de  la  fermentation.  Guidé  par 
les  résultats  des  premiers  travaux  de  Pasteuh,  Davaine,  en  1863,  établit  que  le  charbon 
des  animaux:  et  de  l'homme  avait  pour  cause  l'infection  de  l'organisme  par  les  bactéries 
en  bâtonnets  qu'il  avait  signalé,  quinze  ans  avant,  avec  Rayer,  sans  y  attacher  d'impor- 
tance, dans  le  sang  des  morts  ou  des  malades,  et  qui  avaient  été  retrouvés  depuis,  sans 
qu'ils  en  aient  pu  démontrer  le  rôle  primordial,  par  Pollendeh,  Brauell  et  Delafond. 
Pasteur  avait  créé  la  physiologie  des  bactéries;  Davaine  venait  ainsi  de  fonder  la  patho- 
logie bactérienne. 

Il  n'y  avait  plus  qu'à  étendre  les  données,  à  multiplier  les  faits,  en  perfectionnant  les 
moyens  d'investigation.  Pasteur  a  tracé  la  voie  à  suivre,  en  élucidant  dans  tous  leurs 
détails  de  terribles  maladies,  la  ruine  des  éleveurs  de  vers  à  soie,  la  pébrine,  causée  par 
des  êtres  inférieurs  d'un  autre  groupe  que  les  bactéries,  et  la  pwhcrie  d'origine  mani- 
festement bactérienne.  Ce  sont  les  premières  études  complètes  d'une  atfection  contagieuse, 
qui  peuvent  actuellement  encore  être  prises  comme  exemple;  on  y  trouve,  traitées  de 
main  de  maître,  ces  mêmes  questions  de  contagion,  de  milieu,  de  réceptivité,  d'hérédité^ 
qui  jouent  un  si  grand  rôle  dans  l'étiologie  et  la  pathogénie  des  maladies  infectieuses. 

L'extension  que  prit  cette  science  nouvelle  fut  rapide,  grâce  à  ses  attraits  qui  amenè- 
rent à  elle  tant  de  travailleurs  illustres  de  différents  pays. 

L'intérêt  et  l'éclat  des  données  pathologiques  que  l'on  croyait  pouvoir  considérer 
comme  certaines,  firent  reléguer  au  second  plan  l'étude  physiologique  des  bactéries  que 
l'on  considérait  comme  moins  importante  pour  la  médecine.  Les  modifications  souvent 
profondes  que  ces  agents  infectieux  produisaient  dans  l'organisme  atteint  étaient  consi" 
dérées  comme  dues  simplement  à  leur  pullulation  aux  dépens  du  milieu  intérieur.  Pas- 
teur avait  cependant  signalé,  dans  ses  recherch  es  sur  le  chol&rades  poules,  la  production 
dans  les  bouillons  de  culture  où  il  obtenait  la  multiplication  de  la  bactérie,  cause  de 
cette  affection,  d'un  principe  spécial,  sécrété  par  elle,  qui  déterminait,  indépendamment 
de  toute  trace  d'agent  infectieux,  certains  des  symptômes  particuliers  à  cette  maladie 
épidémique,  surtout  cette  tendance  au  sommeil  si  marquée  chez  tous  les  individus  infec- 
tés naturellement  ou  expérimentalement.  Dans  un  autre  ordre  de  faits,  les  travaux  de 
DucLAUx,  de  HiJppE,  de  Miller,  de  Vi  gnal  sur  certaines  fermentations  bactériennes,  dé- 
montrèrent que  les  modifications  produites  dans  le  cours  de  ces  phénomènes  étaient 
sous  la  dépendance  directe  de  la  sécrétion  par  ces  êtres  vivants  de  principes  particuliers, 
sortes  de  ferments  solubles,  auxquels  on  peut  attribuer  le  nom  général  de  diastases. 
Bouchard  et  Charrin,  Roux  et  Yersin,  Brieger,  Christman,  Hânkin  l'econnurent  bientôt 
qu'il  en  était  de  même  pour  plusieurs  importantes  espèces  vivant  aux  dépens  de  l'orga- 
nisme, en  prouvant  que  la  totalité  ou  une  partie  des  symptômes  observés  pendant  l'infec- 
tion étaient  dues  à  des  substances  solubles,  sécrétées  par  les  éléments  du  parasite,  de 
même  nature  que  les  diastases  précédentes  ou  de  constitution  différente.  Étendues  à 
d'autres  espèces,  ces  recherches  permettent  de  poser  ce  principe  qu'on  doit  considérer 
avec  Bouchard  comme  une  notion  fondamentale  de  la  pathologie  bactérienne,  que  les 
bactéries  agissent  sur  les  êtres  vivants  par  les  matières  qu'elles  sécrètent.  L'application 
la  plus  féconde  de  ces  principes  est  sans  contredit  la  vaccination. 

On  a  vu  que  les  premiers  observateurs  cités  classaient  les  bactéries  dans  le  règne 
animal,  se  basant  surtout  sur  la  mobilité  des  principales  espèces  connues  par  eux. 
Depuis,  la  découverte  d'un  grand  nombre  d'espèces  absolument  immobiles  dans  tout  le 
cycle  de  leur  existence,  les  rapports  que  d'autres  présentent  avec  des  algues  ou  des 
champignons  inférieures,  ont  modifié  cette  opinion.  Les  uns,  avec  Van  Tieghem,  les 
classent  parmi  le  premier  de  ces  groupes  à  côté  des  oscUlaires  et  des  7iostocs,  en  une 
série  parallèle  caractérisée  surtout  par  le  manque  de  chlorophylle.  Il  est  peut-être  plus 
rationnel,  en  se  fondant  sur  toute  une  série  de  propriétés  biologiques,  avec  Naegeli,  de 
Bary,  Cohn,  etc.,  d'en  faire  des  champignons.  La  production  des  fermentations,  les  rap- 


BACTERIES.  1011 

proche  des  SaccharomijciHes ;  ils  s'en  distinf^nent  par  leur  mode  de  muUiplical.ion  végé- 
tative qui  est  la  division.  C'est  cette  dernière  particularité  qui  les  a  fait  dénommer 
Schizomycètes  par  Naegeli. 

Ce  sont  les  bactéries  qui  forment  la  majeure  partie  du  groupe  des  iVicrobes  où  l'on 
réunit  des  levures,  des  moisissures,  des  animaux  inférieurs  qui  n'ont  d'autres  rapports 
entre  eux  que  leurs  conditions  de  vie  aux  dépens  des  milieux,  vivants  ou  morts,  où  ils 
se  trouvent;  de  telle  sorte  que  la  plupart  du  temps  les  dénominations  de  Bactéries  ou 
Microbes  peuvent  êtres  considérées  comme  synonymes. 

■  Ces  êtres  sont  très  répandus  dans  la  nature.  Ils  abondent  dans  l'air,  l'eau,  le  sol; 
ils  pullulent  sur  nous  ou  autour  de  nous,  se  multipliant  avec  rapidité  dès  que  se  rencon- 
trent des  circonstances  favorables  à  leur  développement.  Leur  apparition  rapide  dans 
des  liquides  nutritifs  purs  en  apparence,  conséquence  de  leur  grande  dispersion,  a  été 
une  des  principales  objections  des  partisans  de  la  génération  spontanée,  affirmant  qu'ils 
s'y  produisaient  de  toutes  pièces  aux  dépens  des  subtances  organiques  en  voie  de  décom- 
position. Pasteur  a  mis  à  néant  ces  assertions,  dans  un  débat  mémorable,  en  prouvant 
que  le  développement  de  ces  êtres  inférieurs  se  faisait  uniquement  à  la  suite  de  l'apport 
de  germes  extrêmement  ténus,  en  suspension  dans  l'air. 

Dans  l'histoire  générale  de  ces  êtres,  nous  passerons  rapidement  sur  la  morphologie, 
n'en  donnant  que  ce  qui  est  tout  à  fait  indispensable  à  connaître,  pour  étudier  avec  plus 
de  détails  leur  physiologie,  qui  est  d'un  si  grand  intérêt. 

Forme  et  structure  des  bactéries.  —  Les  cellules  des  bactéries  sont  tantôt  disso- 
ciées, tantôt  unies  en  plus  ou  moins  grand  nombre.  Leur  forme  varie.  Elles  peuvent  être 
rondes,  plus  ou  moins  régulièrement;  ces  formes  sont  nommées  iWtcroeoccîis  ou,  d'un  ter- 
me plus  général,  Coccus.  Ce  sont  des  bâtonnets  quand  la  longueur  l'emporte  sur  la  lar- 
gueur;  tantôt  courts,  des  Bacteriums ;  twatôl  plus  allongés,  des  Bacilles;  tantôt  plus  allon- 
gés encore,  des  filaments.  Bâtonnets  ou  filaments  peuvent  être  courbés,  donnant  les 
formes  en  virgule  ou  Spirilles. 

Ces  caractères  de  forme  ont  été  pris  par  les  premiers  observateurs  comme  base  pour 
la  division  en  genres  et  en  espèces.  On  est  encore  obligé  d'agir  ainsi  actuellement,  tout 
en  reconnaissant  qu'il  n'est  pas  encore  possible  d'établir  une  classification  véritablement 
rationnelle  de  ces  êtres. 

La  structure  des  bactéries  est  des  plus  simples.  Chaque  élément  possède  une  mem- 
brane, rigide  ou  souple,  entourant  une  masse  protoplasmique  hyaline  qui  a  semblé  pen- 
dant longtemps  être  complètement  homogène  ;  on  lui  reconnaît  maintenant  une  fine 
structure  réticulaire  et  des  granulations  plus  ou  moins  grosses  qui  présentent  certaines 
réactions  des  noyaux  cellulaires.  Dans  certains  cas,  le  protoplasme,  trouble,  grisâtre, 
semble  contenir  des  granulations  graisseuses.  D'autres  fois,  l'emploi  de  l'iode  y  décide 
la  présence  de  matière  amylacée  qu'il  teint  en  bleu.  Les  Berjgiatoa,  qui  vivent  dans  les 
eaux  sulfureuses,  renferment  souvent  en  grande  abondance  de  petits  cristaux  de  soufre, 
biréfringents  dans  la  lumière  polarisée,  solubles  dans  le  sulfure  de  carbone. 

Ce  protoplasraa  est  souvent  incolore;  parfois  cependant  il  est  teinté  de  nuances 
diverses,  plus  ou  moins  vives,  apparaissant  souvent  très  nettes  lorsqu'un  grand  nombre 
d'éléments  se  trouvent  accolés  les  uns  aux  autres,  comme  c'est  le  cas  pour  les  cultures 
dans  des  milieux  artificiels.  Nous  reviendrons  plus  loin  sur  la  nature  et  la  production 
de  ces  matières  colorantes. 

Les  dimensions  des  bactéries  sont  toujours  très  petites;  elles  se  chiffrent  par  quel- 
ques millièmes  de  millimètre,  ou  même  par  des  fractions  de  cette  grandeur. 

Certaines  espèces  sont  mobiles;  c'est  un  des  caractères  qui  avaient  le  plus  frappé 
les  anciens  observateurs.  Les  mouvements  sont  très  divers.  Il  en  est  qui  traversent 
comme  des  flèches  le  champ  du  microscope,  il  peut  même  être  ^difficile  de  les  examiner  à 
loisir.  D'autres  sont  animées  d'un  mouvement  de  déplacement  lent  qu'on  peut  facilement 
décomposer  en  deux,  un  mouvement  d'oscillation  autour  d'un  axe  idéal  perpendiculaire  à 
l'axe  longitudinal  de  l'élément  et  un  'mouvement  de  translation  le  long  de  cet  axe  lon- 
gitudinal. Les  formes  courbées  ou  spiralées  possèdent  souventjune  sorte  de  mouvement 
tourbillonnant  en  tire-bouchon,  parfois  très  vif;  certaines  d'entre  elles,  qu'EHBENBERc 
désignait  sous  le  nom  de  Spiroehaete,  présentent  en  outre,  un  mouvement  d'ondulations 
semblables  à  celles  du  corps  d'un  serpent.  Bien  des  Micrococcus  montrent  un  mouvement 


1012  BACTÉRIES. 

net,  régulier,  ressemblant  à  une  sorte  de  trépidation,  ayant  beaucoup  de  rapports  avec 
le  mouvement  hroumien.- 

Ces  mouvements  sont  souvent  produits  par  des  cils  vibratis  répartis  en  nombre  variable 
sur  un  ou  plusieurs  points  de  l'élément.  En  usant  de  certains  artifices  de  préparation,  il 
est  possible  de  teindre  ces  prolongements  avec  diverses  matières  colorantes  et  de  les 
rendre  facilement  visibles. 

11  arrive  fréquemment  que  la  coucbe  externe  de  la  membrane  jouisse  de  la  propriété 
de  gonfler  beaucoup  en  absorbant  de  l'eau,  de  se  gélifier.  Il  se  forme  ainsi  une  sorte  de 
gelée,  plus  ou  moins  consistante,  souvent  très  abondante,  qui  réunit  en  une  masse  com- 
pacte un  plus  ou  moins  grand  nombre  d'éléments.  Ces  amas,  dont  l'aspect  et  les  dimen- 
sions varient  suivant  l'espèce  qui  les  constitue,  sont  nommées  zooglées.  Les  masses  géla- 
tineuses, hyalines,  qui  se  développent  souvent  dans  les  jus  sucrés  de  betteraves  et  que 
l'on  appelle  la  gomme  des  sucreries,  sont  les  zooglées  du  Leuconostoc  mesenterioides.  La 
membrane  visqueuse,  plus  ou  moins  épaisse,  que  l'on  observe  sur  les  liquides  alcoo- 
liques qui  subissent  la  fermentation  acétique,  la  mère  de  vinaigre,  est  la  zooglée  du 
Bacillus  (iceti;  cette  dernière  forme  de  zooglée  reçoit  souvent  le  nom  de  voile. 

Reproduction  des  bactéries.  —  L'extension  d'une  espèce  se  fait  d'habitude  par 
deux  moyens,  la  multiplication  par  division  et  la  production  de  spores. 

La  multiplication  par  division  est  de  beaucoup  le  mode  d'extension  le  plus  commun. 
A  vrai  dire,  on  ne  peut  guère  reconnaître  qu'il  se  forme  alors  des  individus  nouveaux, 
puisque  rien  d'ordinaire  ne  peut  faire  distinguer  un  élément  producteur  d'un  élément 
produit.  Lorsqu'un  élément  a  atteint  certaines  dimensions  qui  semblent  flxes  pour  l'espèce, 
il  apparaît  en  son  milieu  une  mince  cloison  qui  le  divise  en  deux  parties  égales.  Les  élé- 
ments ainsi  produits  peuvent  rester  unis  en  flle  longitudinale,  en  nombre  plus  ou  moins 
considérable,  ou  se  séparer.  Pour  les  Hicrococais,  dans  le  premier  cas,  si  les  éléments 
restent  unis  deux  par  deux,  on  a  les  formes  dites  de  diplocoques ;  s'ils  restent  unis  en  plus 
grand  nombre,  ce  sont  les  formes  en  chaînettes  ou  en  strepiocoqiies.  Si  la  bipartition  s'opère 
suivant  deux  plans  perpendiculaires,  les  quatre  éléments  ainsi  produits  peuvent  rester 
unis  et  former  des  tétrades.  Enfin,  chez  les  Sarcines,  le  phénomène  se  complique  encore. 
Une  cellule  se  divise  successivement  suivant  trois  directions  par  trois  plans  perpendicu- 
laires. Le  résultat  est  un  petit  cube  de  huit  éléments  qui  se  diviseront  ensuite  comme  la 
sphère  primitive.  On  obtient  ainsi,  lorsque  le  phénomène  s'est  répété  plusieurs  fois,  des 
masses  cubiques  plus  ou  moins  volumineuses. 

Chez  les  bactéries  en  bâtonnets,  les  éléments  qui  restent  unis  peuvent  former  des 
filaments  atteignant  parfois  une  grande  longueur.  La  division  ne  s'opère  généralement 
que  lorsque  l'espèce  trouve  dans  le  milieu  les  conditions  nécessaires  à  son  existence; 
elle  se  fait  d'autant  plus  vite  que  ces  conditions  sont  meilleures.  C'est  ce  qui  explique 
l'envahissement  si  rapide  de  certains  milieux  par  les  bactéries.  D'après  Cohn,  il  faut 
environ  deux  heures  aux  deux  bâtonnets,  issus  de  la  division  d'un  bâtonnet  primitif, 
pour  se  diviser  à  leur  tour.  En  calculant  sur  cette  base,  un  élément  qui  trouverait  réu- 
nies de  bonnes  conditions  de  milieu  et  n'aurait  à  subir  aucune  influence  mauvaise,  arrive- 
rait à  en  produire,  au  bout  de  trois  jours,  quatre  mille  sept  cent  soixante-douze  billions, 
D'après  les  évaluations  de  Buchner,  le  bacille  virgule  du  chtdéra  met,  pour  se  diviser, 
de  19  à  40  minutes;  en  moins  de  10  heures,  un  seul  élément  pourrait  en  engendrer  un 
milliard.  Heureusement  pour  l'homme,  cette  fécondité  se  trouve  enrayée  à  chaque 
instant,  par  des  conditions  très  diverses. 

La  reproduction  par  spores  s'observe  surtout  quand  les  conditions  de  milieu  devien- 
nent moins  favorables  à  la  vie  de  l'espèce.  Pour  résister  à  ces  circonstances  qui  feraient 
périr  les  éléments  végétatifs  ordinaires,  il  se  forme  dans  les  cellules,  par  condensation 
du  protoplasme,  des  éléments  résistants,  capables  de  traverser  les  périodes  mauvaises 
et  de  donner  des  éléments  nouveaux  quand  la  vie  devient  à  nouveau  possible,  ce  sont 
les  spores.  A  l'inverse  des  éléments  végétatifs  ordinaires,  la  spore  semble  avoir  besoin, 
pour  se  développer,  d'arriver  dans  un  milieu  nouveau,  même  alors  que  celui  où  elle 
s'est  formée  contiendrait  encore  en  suffisance  les  substances  nécessaires  à  la  vie  de 
l'espèce.  Les  spores  sont  d'ordinaire  sphériques  ou  ovalaires,  très  réfringentes,  munies 
d'une  membrane  épaisse.  La  partie  de  l'élément  oîi  la  spore  s'est  formée  ne  se  dis- 
tingue pas  du  reste  ou  se  renfle  plus  ou  moins  pour  la  contenir. 


BACTÉRIES.  1013 

Le  caractère  principal  de  la  spore  est  sa  résistance  à  des  conditions  de  vie  que  les 
simples  cellules  végétatives  ne  pourraient  pas  supporter  sans  périr.  Beaucoup  subissent 
des  températures  supérieures  à  100°  sans  perdre  leurs  facultés  germinatives.  La  priva- 
tion prolongée  de  nourriture,  le  manque  d'oxygène,  la  dessiccation,  bien  des  actions 
cbimiques  ou  pbysiques,  qui  tuent  les  cellules  végétatives,  sont  sans  effet  sur  les  spores. 
On  croit  que  cette  résistance  très  grande  est  due  à  l'exlrême  cohésion  de  la  membrane. 

Chamberlaind  et  Roux  ont  réussi  à  faire  perdre  au  bacille  du  charbon  la  propriété  de 
produire  des  spores  en  faisant  agir  sur  cette  espèce  une  solution  faible  de  bichromate 
de  potasse.  Cette  sorte  de  race  «sporoseîie  conserve  cependant- toutes  les  autres  pro- 
priétés physiologiques  de  l'espèce. 

Conditions  de  vie  des  bactéries.  —  Si  les  particularités  morphologiques  que 
présentent  les  bactéries,  sont  curieuses  à  connaître  et  peuvent  donner  parfois  de  pré- 
cieuses indications  à  l'observateur,  leurs  conditions  de  vie,  les  diverses  manifestations 
qui  en  résultent,  ont  un  intérêt  beaucoup  plus  grand  pour  le  physiologiste.  A  un  point 
de  vue  général  d'abord,  il  est  bien  des  côtés  communs  à  la  vie  de  tous  les  éléments  cellu- 
laires, à  quelque  degré  de  complication  organique  qu'ils  appartiennent,  et  bien  souvent 
alors  il  peut  être  plus  facile  d'étudier  certains  phénomènes  vitaux  chez  les  êtres  simples 
où  l'élément  en  ^question  s'isole  facilement,  que  de  s'adresser  aux  êtres  plus  élevés  où 
il  est  difficile  de  faire  la  dissociation  physiologique  nécessaire.  L'intérêt  est  peut-être  plus 
grand  encore  à  un  point  de  vue  tout  à  fait  spécial,  à  cause  de  la  portée  pratique  des 
conséquences  qui  en  découlent,  et  ceci  surtout  pour  le  médecin  qui  étudie  les  espèces 
nuisibles  à  l'honime;  car  on  peut  dire  que  la  physiologie  de  ces  bactéries  est  véritable- 
ment la  pathologie  de  l'homme.  Nombreux  points  de  la  pathogénie  des  maladies  infec- 
tieuses n'ont  pu  être  élucidés  que  par  la  connaissance  de  la  physiologie  des  microbes. 
Les  phénomènes  vitaux  de  ces  organismes  ont  expliqué  leur  manière  d'être  dans  le 
milieu  extérieur,  les  moyens  de  contamination,  leur  mode  de  pénétration  dans  l'orga- 
uisnie.  Il  a,  dès  lors,  été  possible  d'instituer  une  prophylaxie  et  une  thérapeutique  ration- 
nelles de  ces  affections. 

Le  rôle  que  jouent  ces  êtres  dans  la  nature  est  immense.  D'une  façon  générale,  ce 
sont  les  gi'ands  destructeurs  de  la  matière  organique  morte,  des  substances  usées  par  la 
vie  des  êtres  plus  élevés,  animaux  ou  plantes  vertes,  toutes  substances  qui,  sans  eux, 
seraient  immobilisées  dans  cet  état,  sans  possibilité  de  retour  dans  le  tourbillon  vital. 
Les  bactéries  décomposent  ces  produits  souvent  complexes,  en  des  composés  plus  simples 
dont  les  principaux  sont  l'acide  carbonique  et  l'ammoniaque,  facilement  assimilables 
par  les  végétaux  à  chlorophylle;  elles  sont  sous  ce  rapport  les  compléments  obligés  de 
l'énergie  solaire. 

Nutrition  des  bactéries.  —  Au  premier  rang  des  besoins  vitaux  des  bacléries 
doivent  se  placer  les  fonctions  de  nutrition.  Toute  cellule  vivante  doit  avoir  à  sa  portée 
de  quoi  fournir  à  l'énergie  qu'elle  dépense,  de  quoi  compenser  les  pertes  occasionnées 
par  les  actes  vitaux,  autrement  dit  les  aliments  qui  lui  sont  nécessaires.  Pour  tous  les 
êtres  vivants,  ces  aliments  doivent  nécessairement  renfermer  les  corps  simples  qui 
entrent  dans  la  constitution  du  corps  cellulaire. 

On  ne  connaît  pas  encore  d'une  façon  suffisamment  complète  la  composition  chi- 
mique des  bactéries.  La  raison  en  est  dans  les  difficultés  que  présente  ce  genre  de 
recherches,  où  le  point  le  plus  délicat  est  d'obtenir  une  masse  assez  forte  de  bactéries 
absolument  exempte  d'impuretés,  dépourvue  particulièrement  de  toutes  traces  de 
milieu  nutritif.  Ce  que  l'on  en  sait  permet  cependant  d'affirmer  qu'on  y  rencontre  des 
composés  ternaires,  des  matières  grasses,  des  substances  azotées,  des  sels  et  de  l'eau. 
D'après  les  analyses  de  Nencri  et  de  Briecer,  l'eau  se  rencontrerait  dans  la  proportion 
de  8.3  à  85  p.  100.  Le  résidu  sec  serait  riche  surtout  en  matière  azotée,  comprenant  prin- 
cipalement une  albumine  spéciale  que  jNencki  nomme  mycuprotéine ;  il  en  existe  en 
moyenne  86  p.  100.  Cette  mycopi'otéine  se  distingue  des  autres  matières  albuminoïdes 
par  sa  faible  teneur  en  azote.  i\e  se  dissolvant  pas  complètement  dans  l'eau,  elle  préci- 
pite par  l'ébuUition,  puis  se  redissout  même  à  chaud  par  addition  d'acide  nitrique 
étendu.  En  la  traitant  par  le  sulfate  de  cuivre  et  la  lessive  de  soude,  on  obtient,  déjà  à 
froid,  la  réaction  du  biuret. 

Les  matières  grasses  se  trouvent  en  proportions  très  variables,  de  2  à  8  p.  100;  qlles 


1014  BACTERIES. 

semblent  être  plus  abondantes  lorsqu'il }'  a  eu  formation  de  spores.  Les  composés  ter- 
naires n'existent  généralement  qu'en  très  petite  quantité,  formant  probablement  la 
majeure  partie  d'un  résidu  de  2  à  o  p.  100  dont  la  nature  est  encore  peu  déterminée.  On 
a  signalé  chez  quelques  espèces  de  la  cellulose,  entrant  probablement  dans  la  constitu- 
tion de  la  membrane;  toutefois  Vandevelde  et  Vincenzi  n'ont  pas  rencontré  de  cellulose 
chez  le  Bacillus  mhtilis,  où  la  substance  de  la  membrane  serait  un  corps  azoté.  Il  existe 
chez  certaines  espèces,  Bacillus  butyricus,  Spirillum  nigula,  de  la  matière  amylacée  qui 
bleuit  nettement  par  l'iode,  mais  n'apparait  dans  les  éléments  qu'au  moment  de  la  for- 
mation des  spores.  On  obtient,  en  cendres,  de  .3,04  à  4,72  p.  100,  du  résidu  sec;  les  sels 
dominants  seraient,  d'après  Brteger  qui  a  opéré  sur  le  Pneumo-bacille  de  Frieblander, 
le  pbospbate  de  chaux,  le  chlorure  de  sodium,  le  sulfate  de  soude  et  le  phosphate  de 
magnésie.  Outre  l'eau  et  les  sels,  que  les  bactéries  trouvent  abondamment  dans  le  milieu 
extérieur,  les  éléments  chimiques  qui  dominent  sont  donc  le  carbone,  l'hj-drogène, 
l'oxygène  et  l'azote.  Ils  doivent  forcément  se  trouver  dans  les  aliments. 

A  part  des  cas  spéciaux  que  nous  étudierons  tout  à  l'heure,  les  bactéries,  comme 
tous  les  êtres  vivants,  ont  un  besoin  absolu  d'oxygène;  elles  doivent  respirer.  Elles 
peuvent  prendre  ce  gaz  dans  l'air,  libre  ou  dissous  dans  les  milieux  où  elles  vivent,  ou  à 
l'état  de  combinaison  faible  avec  d'autres  substances  qui  en  sont  avides,  tout  comme  les 
différentes  cellules  du  corps  de  l'homme  qui  respirent  en  enlevant  l'oxygène  à  l'oxyhé- 
moglobine  du  sang.  Duclaux  le  démontre  par  une  élégante  expérience.  Si  l'on  colore  du 
lait  en  bleu,  à  l'aide  de  quelques  gouttes  de  carmin  d'indigo,  et  qu'on  y  sème  des  bac- 
téries communes  de  l'air  ou  de  l'eau,  on  verra  le  liquide  se  décolorer  au  fur  et  à  mesure 
du  développement  des  organismes  dans  sa  masse;  le  carmin  d'indigo  est  réduit  par  les 
bactéries  qui  lui  prennent  son  oxygène.  En  agitant  le  liquide  en  présence  de  l'air,  la 
coloration  bleue  réapparaît,  indice  de  la  pénétration  d'oxygène.  Dans  le  charbon  des 
animaux  ou  de  l'homme,  on  attribue  la  teinte  noirâtre  du  sang  à  la  réduction  de  l'oxyhé- 
moglobine  parles  bactéridies. 

En  examinant  au  microscope  une  goutte  d'une  macération  de  substances  animales  ou 
végétales  s'opérant  à  l'air  libre  où  l'on  trouve  d'ordinaire  de  nombreuses  bactéries 
mobiles,  il  est  facile  de  se  rendre  compte  de  ce  besoin  d'oxygène.  Dans  une  telle  prépa- 
ration, on  voit,  au  bout  de  très  peu  de  temps,  toutes  les  bactéries  mobiles  se  rapprocher 
des  bords  de  la  lamelle  et  s'y  accumuler.  En  empêchant  l'accès  de  l'air  par  un  lut  à  la 
cire  on  à  la  paraffine,  ces  bactéries  s'amassent  toutes  autour  des  bulles  d'air  que  peut 
contenir  le  liquide;  l'oxygène  manquant  bientôt,  toutes  ces  cellules,  très  mobiles  tout  à 
l'heure,  tombent  dans  un  état  de  mort  apparente,  qui  sera  bientôt  suivie  d'une  perte 
totale  de  la  vie  si  la  privation  d'air  continue. 

Dans  la  préparation  précédente,  on  peut  cependant  rencontrer  des  espèces,  avides 
d'air,  que  la  présence  d'oxygène  en  grande  abondance  parait  gêner;  ce  sont  sur- 
tout des  formes  spiralées.  Ces  spirilles  se  tiennent  toujours  assez  loin  des  bulles  d'air  au 
début,  évitant  leurs  abords  immédiats  où  la  tension  de  losygène  est  trop  forte  pour  eux; 
ils  ne  s'en  rapprochent  qu'au  fur  et  à  mesure  de  la  consommation  de  ce  gaz  par  les 
autres  bactéries.  Nous  verrons  plus  loin  qu'à  une  forte  tension,  l'oxygène  est  capable  de 
faire  périr  les  bactéries  les  plus  résistantes. 

Les  spores  de  toutes  ces  espèces  peuvent  supporter  impunément  et  pendant  longtemps 
la  privation  absolue  d'oxygène.  Pour  germer  toutefois,  elles  ont  besoin  de  ce  gaz. 

Engelmann  a  donné  une  excellente  preuve  de  l'avidité  pour  l'oxygène,  que  possèdent 
-certaines  espèces.  En  faisant  tomber  un  spectre  microscopique  à  l'aide  d'un  appareil 
spécial,  son  microspectral-objectif  que  construit  Zei<s,  sur  un  filament  de  ces  algues 
vertes  quol'on  trouve  communément  dans  l'eau,  on  voit  les  bactéries  en  suspension  dans 
le  liquide  se  masser  en  deux  points  contre  le  filament  vert.  Le  plus  fort  amas  est  dans  le 
rouge,  entres  les  raies  B  et  C  de  Fracxhofer;  on  trouve  un  second  groupement  moins 
considérable  dans  la  partie  la  plus  réfrangible  au-delà  de  la  raie  F.  C'est  en  effet  à  ces 
deux  endroits  que  se  trouvent  les  bandes  d'absorption  du  pigment  chlorophyllien  et  où 
se  limite,  dans  le  spectre,  le  mode  d'activité  de  ce  pigment,  décomposition  de  l'acide 
cai'bonique,  fixation  du  carbone  et  dégagement  de  l'oxygène. 

Cet  oxygène  sert  ici,  comme  partout,  à  la  production  d'énergie  par  suite  d'oxydation 
de  principes  contenus  dans  le  protoplasma.  Le  résidu  de  cette  véritable  respiration  est 


BACTÉRIES.  1015 

de  l'acide  carbonique  qui  se  dégage  et  dont  la  présence  est  toujours  facile  à  constater, 
et  de  l'eau,  qui  se  mélange  au  milieu  ambiant. 

A  côté  de  ces  espèces  qui,  comme  tous  les  êtres  vivants  des  antres  groupes,  ont  un 
besoin  absolu  d'oxygène  libre  pour  vivre,  ces  aérobics,  comme  les  a  nommés  Pasteur,  il 
s'en  trouve  d'autres  qui  peuvent  très  bien  végéter  sans  lui.  La  présence  de  ce  gaz  entrave 
leur  développement,  l'ai-rête  même  complètement  et  va  jusqu'à  faire  périr  toutes  les 
cellules  végétatives  sur  lesquelles  il  peut  agir.  Ce  sont  ces  formes  que  Pasteur  a  appe- 
lées aîia^ro&zes.  Le  type  en  est  son  Vibrion  butyrigiie,' agent  de  la  fermentation  butyrique 
type.  Cette  fermentation  butj-rique  s'observe  fréquemment  aux  dépens  des  hydrocarbo- 
nés. Certains  sucres,  la  glycérine,  les  lactates  alcalins  la  subissent  fréquemment.  Elle 
ne  se  produit  qu'en  l'absence  d'oxygène,  obtenue  soit  directement  par  diverses  méthodes 
employées  dans  les  laboratoires,  soit  indirectement  par  suite  de  l'absorption  de  la  tota- 
lité de  ce  gaz  contenu  dans  le  milieu  par  la  vie  antérieure  d'espèces  aérobies.  On  l'ob- 
serve fréquemment  dans  le  lait  qui  a  subi  la  fermenlation  lactique  et  où  l'excès  d'acide  a 
été  neutralisé  par  addition  de  craie  ;  elle  s'y  produit  aux  dépens  du  lactate  de  chaux 
formé.  Tout  l'oxygène  du  liquide  a  été  bientôt  enlevé  par  la  vie  du  bacille  de  la  fermen- 
tation lactique,  espèce  nettement  aérobie  ;  il  ne  reste  plus  de  bactéries  de  cette  espèce 
que  dans  les  couches  surperficielles  du  liquide  où  l'oxygène  a  facilement  accès.  Dans 
les  couches  profondes,  privées  d'air,  se  développe  alors  l'autre  espèce,  manifestement 
anaérobie,  dont  l'action  sur  le  milieu  est  entièrement  différente;  on  observe  un  dégage- 
ment actif  de  bulles  de  gaz,  que  l'analyse  montre  être  surtout  de  l'hydrogène,  et  on 
perçoit  une  forte  odeur  d'acide  butyrique. 

En  examinant  rapidement  au  microscope  une  goutte  de  ce  liquide  en  fermentation 
butyrique,  les  phénomènes  observés  sont  inverses  de  ceux  que  nous  ont  présentés  les 
aérobies.  Les  grands  bâtonnets  très  mobiles  qu'on  y  rencontre  fuient  les  places  où  ils 
peuvent  être  atteints  par  l'air  qui  diffuse  aux  bords  de  la  lamelle;  en  ces  endroits  leurs 
mouvements  cessent;  si  le  contact  de  l'air  est  prolongé,  ils  meurent.  La  vitalité  ne  con- 
tinue à  se  montrer  qu'au  centre  de  la  préparation,  où  l'oxygène  pénètre  difficilement. 
Pour  les  observer  assez  longtemps,  il  faut  user  d'un  artifice  de  préparation,  les  examiner 
par  exemple  dans  la  chambre  à  gaz  de  Ranvier  remplie  d'un  gaz  inerte,  acide  carbo- 
nique ou  hydrogène;  on  peut  alors  suivre  facilement  les  diverses  phases  de  leur  évolu- 
tion. 

Dans  le  même  ordre  d'idées,  on  voit  s'arrêter  la  fermentation  dans  la  masse  du 
liquide,  dès  qu'on  3'  fait  barboter  de  l'air. 

Si  les  cellules  végétatives  des  bactéries  anaérobies  sont  si  sensibles  à  l'action  nuisible 
de  l'oxygène,  il  n'en  est  pas  de  même  de  leurs  spores.  Lorsque  celles-ci  sont  formées, 
elles  peuvent  supporter,  sans  en  souffrir,  le  contact  même  prolongé  de  l'oxygène;  peut- 
être  même  ce  contact  est-il  nécessaire  à  leur  développement  ultérieur,  ce  qui  serait  un 
lien  entre  les  aérobies  et  les  anaérobies. 

Les  bactéries  ne  sont  pas  les  seuls  êtres  qui  présentent  ces  phénomènes  de  vie  sans 
air,  bien  qu'ils  se  rencontrent  chez  elles  dans  leur  épanouissement  le  plus  complet.  Cer- 
taines levures,  des  parties  de  végétaux  supérieurs  riches  en  matériaux  de  réserve, 
peuvent,  dans  des  conditions  spéciales  et  pour  un  temps  limité,  vivre  en  anaérobies.  Il 
se  produit  alors  toujours  des  phénomènes  chimiques  que  l'on  peut  considérer  comme 
des  fermentations;  on  retrouve  souvent,  en  particulier,  de  l'alcool  dans  le  milieu. 

Bien  qu'on  ne  puisse  pas  encore  donner  une  explication  décisive  de  ces  phénomènes 
de  vie  sans  air,  il  semble  qu'il  y  ait  des  liens  intimes  entre  eux  et  la  fernaentation  qui 
les  accompagne.  L'oxygène,  que  la  majeure  partie  des  êtres  vivants  absorbe  à  l'état 
libre  par  la  respiration,  est  destiné  à  produire,  par  sa  combinaison  avec  certains  ali- 
ments, particulièrement  les  hydrocarbonés  et  les  graisses,  la  somme  d'énergie  néces- 
saire à  l'accomplissement  des  divers  actes  vitaux.  Si  certains  êtres  peuvent  trouver  ail- 
leurs le  quantum  d'énergie  dont  ils  ont  besoin,  ils  sont  affranchis  de  l'obligation  de 
respirer;  c'est  ce  qui  arrive  dans  les  fermentations,  où  l'énergie  en  excès,  produite  par 
la  dissociation  du  composant  en  des  composés  moins  riches  en  chaleur  latente,  peut 
même  être  perçue  sous  forme  de  chaleur.  Duclaux  estime  que  100  grammes  de  sucre,  en 
se  transformant  en  alcool  et  acide  carbonique,  dégagent  dix  fois  moins  de  chaleur  qu'en 
subissant  la  combustion  à  l'air.  L'énergie  manquante  est  destinée  aux  actes  vitaux  du 


i016  BACTERIES. 

ferment  qui  vit  en  anaérobie.  Ce  qui  raltaclie  toutefois  le  processus  vital  de  la  vie  sans 
air  à  la  vie  aérobie,  r.'est  la  formation  d'acide  carbonique  dans  les  deux  cas,  ce  qui 
semble  démontrer  que  le  processus  fondameutal  est  identique. 

Entre  les  espèces  qui  ont  un  besoin  absolu  d'oxygène  libre  et  les  anàérobies  vrais, 
ou  obligés,  dont  la  vie  ne  peut  se  manifester  en  présence  de  traces  minimes  de  ce  gaz,  il 
existe,  faisant  en  quelque  sorte  une  transition,  des  espèces  qui  présentent  sous  ce  rap- 
port une  indifférence  assez  complète.  Elles  se  développent,  peut-être  au  mieux,  en  pré- 
sence de  l'air,  mais  croissent  également  dans  des  milieux  totalement  dépourvus  d'ox}*- 
gène.  On  les  désigne  sous  le  nom  à'anaérohies  facultatifs. 

Nous  verrons  plus  loin  les  effets  nuisibles  que  peut  avoir  sur  la  vitalité  des  bactéries 
le  contact  de  rox3'gène,  soit  prolongé,  soit  à  une  forte  tension. 

On  ne  connait  encore  que  d'une  façon  approximative  les  subtances  les  plus  favorables 
à  la  nutrition  des  bactéries;  du  reste,  bien  que  beaucoup  de  points  soient  sous  ce  rapport 
communs  à  plusieurs  espèces,  il  en  est  qui  semblent  posséder  des  besoins  particuliers.  A 
l'instar  des  cbampignons,  les  bactéries,  dépourvues  de  cblorophylle,  ne  peuvent,  comme 
les  plantes  vertes,  retirer  leur  carbone  de  l'acide  carbonique  de  l'atmosphère  ;  elles  sont 
obligées  de  le  prendre  à  des  composés  complexes,  formés  par  des  êtres  supérieurs.  La 
source  en  est,  d'ordinaire,  des  substances  ternaires,  les  sucres,  les  matières  amylacées,  la 
cellulose,  la  glycérine,  l'acide  lartrique,  etc.  La  plupart  de  ces  substances,  pour  devenir 
assimilables,  doivent  subir  des  modiflcations  importantes,  sous  l'influence  de  produits 
spéciaux,  sécrétés  par  les  cellules  vivantes,  qui  seront  étudiés  plus  loin. 

Les  matières  albuminoïdes  sont,  sans  contredit,  la  plus  importante  source  d'azote 
pour  tous  les  microbes,  et  au  tout  premier  rang  celles  qui  sont  très  solubles  et  facile- 
ment diffusibles,  les  peptones  par  exemple.  Celles-ci  paraissent  être  assimilées  directe- 
ment; les  autres,  pour  servir  à  la  nutrition,  doivent  être  modifiées  par  avance  à  l'aide  de 
ferments  particuliers,  sécrétés  par  la  cellule  vivante  et  dont  la  production  est  en  rapport 
tellement  direct  avec  la  fonction  nutritive  qu'ils  ne  sont  formés  par  les  éléments  qu'au 
moment  où  ils  sont  nécessaires.  Au  second  rang  des  substances  azotées  assimilables  pour 
les  bactéries,  viennent  les  sels  ammoniacaux,  et  tout  d'abord  ceux  à  acide  organique, 
lactate  et  tartrate  d'ammoniaque  surtout.  L'urée  est  une  bonne  source  d'azote;  certaines 
espèces,  les  ferments  de  l'urée,  semblant  même  en  faire  leur  aliment  de  prédilection.  L'as- 
paragine,  la  leucine,  la  tyrosine,  en  fournissent  aussi.  C'est  même  grâce  à  la  décompo- 
sition de  l'urée  et  de  ces  derniers  corps  par  les  bactéries  que  la  majeure  partie  de  l'azote 
excrété  sous  ces  formes  par  les  êtres  vivants  peut  rentrer  dans  la  circulation  vitale.  Les 
nitrates,  principalement  ceux  de  potasse  et  de  soude,  peuvent  aussi  servir  à  la  nutrition 
azotée,  mais  il  faut  qu'ils  soient  accompagnés  d'une  matière  organique.  Il  peut  en  être 
parfois  de  même  pour  l'urée;  d'après  Ch.  Richet,  le  Micrococcus  urex  ne  produit  bien  sa 
fermentation  de  l'urée  que  lorsqu'il  trouve  des  matières  albuminoïdes  dans  la  solution. 
C'est  peut-être  pourquoi  il  n'y  a  fermentation  ammoniacale  dans  la  vessie  que  lorsqu'il 
y  a,  dans  l'urine,  de  la  mucine  ou  de  l'albumine  provenant  de  l'inflammation  de  cet 
organe.  La  petite  quantité  de  matière  albuminoïde  est  probablement  nécessaire  à  la 
production  du  ferment  diastasique  actif. 

Il  paraît  bien  démontré  à  l'heure  actuelle  que,  dans  des  conditions  déterminées,  cer- 
taines bactéries  peuvent  assimiler  l'azote  gazeux  de  l'atmosphère.  Le  phénomène  ne  se 
produirait  que  dans  les  sols  d'une  certaine  constitution  et  en  présence  de  végétaux,  d'une 
série  donnée.  (Voir  plus  haut  Azote,  pp.  990.  et  suiv.,  les  développements  donnés  à  cette 
importante  question.) 

L'hydrogène  se  trouve  en  abondance  dans  tous  les  composés  ternaires  et  quater- 
naires. 

On  ne  connaît  rien  de  positif  sur  le  rôle  des  matières  grasses  dans  la  nutrition  des 
bactéries;  les  altérations  qui  accompagnent  le  développement  de  ces  organismes  dans 
leur  masse  sont  probablement  dues  uniquement  à  des  actions  secondaires. 

Les  bactéries  ont  en  outre  besoin  d'éléments  minéraux  que  nous  avons  vu  exister  en 
quantité  très  notable  dans  leurs  cendres.  Les  principaux  sont  le  soufre,  le  phosphore,  le 
potassium,  le  calcium,  le  magnésium,  le  chlore;  accessoirement  le  fer  et  le  silicium. 

La  raison  de  l'importance  de  ces  matières  minérales  dans  la  nutrition,  ici  comme 
ailleurs,  nous  échappe.  Et  cependant,  les  belles  recherches  de  R.4ulin  sur  le  développe- 


BACTERIES.  1017 

ment  de  VAsperyillus  niger,  une  des  moisissures  les  plus  communes,  ont  jeté  une  vive 
lumière  sur  cette  question.  Comme  les  bactéries  présentent,  sous  le  rapport  de  la  nutri- 
tion, de  très  grandes  affinités  avec  ces  champignons  inférieurs,  il  paraît  très  probable 
qu'on  peut  leur  appli(juer  les  résultats  observés  chez  ces  derniers.  Celte  moisissure, 
très  abondamment  répandue  dans  la  nature,  envahit  très  vite  les  milieux  nutritifs,  sucrés 
ou  bydrocarbonés,  un  peu  acides,  les  tranches  de  citron,  le  pain  mouillé  d'un  peu  de 
vinaigre,  par  exemple.  Ral'lin  est  arrivé,  après  de  nombreux  tâtonnements,  à  constituer 
un  milieu  purement  minéral  où,  les  conditions  de  temps,  de  lumière,  de  température, 
d'aération  étant  égales,  la  récolte  de  la  plante  est  toujours  supérieure  en  poids  à  celle 
que  fournit  un  milieu  quelconque  des  milieux  habituels.  Ce  milieu  nutritif,  connu  sous 
le  nom  de  liquide  Raulin,  a  la  composition  suivante  : 

Eau °  1300 

Sucre  candi 70 

Acide  tartrique 4 

Nitrate  d'ammoniaque 4 

Phosphate  d'ammoniaque  .  ^ 0.60 

Carbonate   de   potasse 0,60 

—         —    magnésie 0,40 

Sulfate  d'ammoniaque 0,23 

—  de  zinc 0,07 

—  —  fer 0,07 

Silicate  de  potasse 0,07 

Si  l'on  vient  à  modifier  la  proportion  de  l'une  des  substances  de  cette  liste  ou  à  la 
supprimer  complètement,  même  pour  celles  qui  n'entrent  que  pour  une  1res  faible  pro- 
portion, la  récolte  diminue  dans  des  limites  parfois  très  larges.  Ainsi,  la  suppression  du 
sel  de  zinc,  qui  n'entre  pourtant  que  pour  7  centigrammes  dans  cette  solution,  donne 
une  récolte  qui  ne  représente  en  poids  que  le  dixième  de  celle  du  liquide  normal.  Dans 
un  liquide  sans  potasse,  la  récolte  tombe  au  vingt-cinquième  de  la  normale;  sans  ammo- 
niaque, au  cent  cinquantième;  sans  acide  phosphorique,  au  deux  centième.  Cet  effet  du 
zinc  fait  juger  de  suite  de  l'importance  des  composés  minéraux  dans  la  vie  cellulaire, 
sans  qu'on  puisse  toutefois  expliquer  le  rôle  qu'ils  jouent  dans  les  réactions  vitales. 

Les  bactéries  peuvent  parfaitement  vivre  dans  des  solutions  purement  minérales,  à 
la  condition  qu'elles  y  trouvent,  à  l'état  assimilable  pour  elles,  les  éléments  dont  elles 
ont  besoin;  elles  y  prospèrent  cependant  moins  bien  que  lorsqu'elles  ont  des  albuminoï- 
des  à  leur  disposition.  La  liqueur  de  Cohn  a  été  longtemps  en  faveur;  sa  composition  est 
la  suivante  ; 

grammes. 

Eau  distillée 200 

Tartrate  d'ammoniaque 2 

Phosphate  de   potasse 2 

Sulfate  de  magnésie 1 

Phosphate  tiibasique  de  chaux 0,1 

Il  faut  toutefois  reconnaître  que  de  telles  solutions  sont,  en  général,  peu  propices  au 
développement  des  bactéries;  beaucoup  d'espèces  ne  peuvent  même  pas  y  vivre  ;les  levu- 
res et  les  moisissures  s'en  trouvent  mieux  et  y  prospèrent.  De  tels  milieux  nutritifs,  de 
composition  chimique  bien  déterminée,  peuvent  cependant  rendre  de  grands  services 
dans  des  cas  particuliers,  par  exemple  pour  l'étude  des  produits  dérivés  de  l'action 
vitale  des  êtres  que  l'on  peut  y  faire  vivre;  les  recherches  ne  sont  pas  troublées  par  la 
présence  de  substances  de  composition  variable  ou  problématique  comme  celle  de  beau- 
coup de  corps  organiques. 

Enfin,  il  est  des  espèces  dont  le  développement  ne  se  fait  pas,  dans  les  milieux  de 
culture  artificiels,  en  présence  de  matières  organiques  même  en  faibles  proportions.  Les 
Nitromonàdes,  étudiées  par  Winogr.adsky,  qui  déterminent  la  nitrification  des  produits 
ammoniacaux  dans  le  sol,  sont  dans  ce  cas.  Il  n'est  possible  de  les  isoler  et  de  les  culti- 
ver qu'en  employant  des  milieux  de  culture  absolument  dépourvus  de  substances  orga- 
niques. 


1018  BACTERIES. 

Le  choix  des  aliments  exerce  une  grande  influence  sur  le  développement  de  bien  des 
espèces.  En  général,  plus  un  milieu  est  nutritif  pour  une  espèce,  plus  elle  y  prospère,  les 
autres  conditions  étant  égales.  On  doit  même  pouvoir  arriver  à  obtenir  une  multiplica- 
tion plus  active  par  addition  de  certaines  substances  en  proportions  très  minimes;  le  zinc 
du  liquide  B.AVLIS  en  est  la  preuve. 

Lorsqu'une  espèce  trouve  réunies,  dans  le  milieu  où  elle  évolue,  plusieurs  substances 
alimentaires  qui  peuvent  servir  à  sa  nutrition,  elle  ne  s'adresse  pas,  au  hasard,  à  la  pre- 
mière venue,  mais  toujours  à  celle  qu'elle  assimile  le  plus  facilement,  celle  qui  lui 
demande  le  moins  de  travail;  Ce  n'est  qu'alors  que  ce  premier  aliment  est  épuisé,  qu'elle 
s'attaque  à  un  autre  de  digestion  moins  aisée.  Ainsi,  quand  on  donne  au  bacille  de  ta 
fermentation  butyrique  à  la  fois  du  sucre  et  de  la  cellulose,  il  consomme  d'abord  tout  le 
sucre,  et,  plus  tard  seulement,  attaque  la  cellulose  qu'il  est  forcé  de  modifier  profondé- 
ment pour  s'en  nourrir.  De  même,  pour  la  plupart  des  espèces,  dans  un  mélange  d'albu- 
minoïdes  et  de  matières  ternaires,  ce  sont  les  premiers  de  ces  éléments  qui  servent  de 
préférence  aux  autres. 

Il  est  rare  que  les  bactéries  trouvent,  dans  les  milieux  naturels  où  elles  vivent,  leurs 
aliments  sous  une  forme  directement  assimilable.  Elles  doivent,  le  plus  souvent,  les 
modifier  d'une  façon  plus  ou  moins  profonde.  Certaines  de  ces  substances  nutritives  sont 
solides  et  insolubles,  l'amidon,  la  cellulose,  l'albumine,  la  fibrine.  D'autres,  bien  qu'en 
dissolution,  ne  peuvent  être  assimilées  qu'après  un  changement  d'état;  le  sucre  de  canne 
par  exemple  a  besoin  d"être  interverti.  Ces  transformations  s'opèrent  sous  l'influence  de 
principes  spéciaux,  produits  par  la  cellule  vivante  au  moment  du  besoin,  véritables  fer- 
ments solubles,  auxquels  on  donne  le  nom  général  de  diastases.  Les  conditions  de  nutri- 
tion des  bactéries  sont,  de  ce  côté,  identiques  à  celles  des  êtres  supérieurs. 

Les  bactéries  qui  attaquent  l'amidon  le  saccharifient  à  l'aide  d'une  diastase  spé- 
ciale, Vamylase,  tout  comme  la  plante  qui  redissout  l'amidon  emmagasiné  dans  ses  ré- 
serves, l'embryon  qui  germe  dans  la  graine,  ou  l'animal  qui  le  digère  à  l'aide  de  son  pan- 
créas. Huppe  a  signalé  l'amylase  chez  le  bacille  de  la  fermentation  lactique;  Wortmann  a 
pu  isoler  d'une  culture  de  bactéries  de  putréfaction  de  matières  amylacées  un  ferment 
soluble  sacchariflant  très  promptement  l'amidon  ;  Vignal  a  reconnu  cette  propriété  à 
plusieurs  des  espèces  qui  vivent  en  commensales  dans  la  bouche  de  'l'homme  et  au  x- 
quelles  on  peut  rapporter  une  partie,  mais  une  partie  seulement,  l'action  saccharifiante 
de  la  salive. 

Le  sucre  de  canne  et  le  sucre  de  lait  ne  peuvent  servir  directement  aux  échanges 
nutritifs  des  animaux  ou  des  plantes.  Pour  pouvoir  les  assimiler,  l'animal  les  intervertit 
à  l'aide  de  rinversine  que  sécrète  son  intestin.  Les  plantes  qui  ont  du  sucre  cristallisable 
dans  leurs  réserves,  la  betterave,  la  canne  à  sucre  par  exemple,  produisent,  au  moment 
où  elles  doivent  l'utiliser,  une  diastase  spéciale,  la  sucrase,  qui  le  transforme  en  sucre 
interverti,  mélange  de  glucose  et  de  lévulose,  directement  assimilable.  C'est  ce  que  fait 
aussi  la  levure  de  bière  lorsqu'on  lui  donne  du  sucre  de  canne  comme  aliment.  C'est  ce 
que  doivent  faire  les  nombreuses  espèces  de  bactéries  pouvant  vivre  de  sucre  cristallisa- 
ble. La  sécrétion  de  sucrase  a  déjà  été  reconnue  par  Huppe  chez  le  bacille  de  la  fermen- 
tation butyrique  et  le  bacille  de  la  fermentation  lactique  ;  Vigt^xi,  signale  plusieurs  bactéries 
de  la  bouche,  entre  autres  le  Bacillus  subtilis,  qui  intervertissent  rapidement  le  sucre  de 
canne. 

La  cellulose  même,  si  réfractaire  aux  sécrétions  digestives  de  la  plupart  des  animaux 
supérieurs,  peut  être  transformée  en  matière  sucrée,  et  dissoute  par  une  diastase, 
non  encore  isolée,  que  sécrètent,  entre  autres  bactéries,  le  bacille  butyrique  et  le  Spiril- 
lum  rugula.  Ce  ferment  soluble  n'agit  pas  sur  toutes  les  variétés  de  cellulose.  Il  attaque 
surtout  facilement  la  cellulose  des  membranes  végétales  jeunes;  celles  qui  ont  été  dur- 
cies par  l'âge  ou  l'incrustation  lui  résistent,  aussi  bien  que  celle  des  plantes  aquatiques. 

Les  plus  intéressantes  de  ces  modifications  sont  sans  contredit  celles  qui  portent  sur 
les  substances  albuminoïdes.  Comme  partout,  pour  entrer  dans  la  nutrition  des  bactéries, 
elles  doivent  subir  une  transformation  complexe,  devenir  solubles  et  se  changer,  en 
s'hydratant,  en  des  produits  dialysables,  non  coagulables  par  la  chaleur,  auxquels  on 
donne  le  nom  général  de  pepiones.  Cette  transformation  peut  s'opérer  sous  l'influence 
d'un  seul  ferment  diastasique  très  voisin  de  la  pepsme  ou  identique  à  elle,  ou  sous  l'ac- 


BACTERIES.  1019 

tion  successive  de  plusieurs  de  ces  diastases,  opérant  les  unes  après  les  autres  de  telle 
sorte  que  la  précédente  prépare  l'action  de  la  suivante  et  lui  est  nécessaire  pour  déter- 
miner ces  effets  spéciaux.  Un  grand  nombre  de  bactéries  possède  la  propriété  de 
transformer  les  albumines  en  peptones.  Elle  existe,  en  particulier,  très  marquée  chez  les 
espèces  qui  occasionnent  les  putréfactions  des  matières  animales.  La  putréfaction,  dnns 
ce  cas,  débute  toujours  par  une  peptonisalion  ;  avant  l'apparition  des  phénomènes  putri- 
des proprement  dits,  caractérisés  surtout  par  l'apparition  de  gaz  fétides,  le  milieu  est 
si  riche  en  peptones  que  l'on  peut  facilement  en  retirer  par  l'ébullition  et  l'évaporation 
après  flitration.  Cette  peptonisalion  s'accomplit  bien  certainement  toujours  sous  l'in- 
fluence de  diastases  sécrétées  par  les  bactéries.  On  a  pu,  pour  quelques  espèces,  isoler 
ces  ferments  solubles  qui  se  rapprochent  de  la  pepsine  par  leur  action. 

La  liquéfaction  de  la  gélatine,  phénomène  qui  a  son  importance  dans  la  pratique  des 
cultures,  est  une  véritable  peptonisalion,  Rietsch  en  a  isolé  le  ferment  dont  il  a  reconnu 
la  présence  chez  toutes  les  espèces,  liquéfiant  la  gélatine,  qu'il  a  examinées;  il  manquait 
au  contraire  chez  les  espèces  ne  liquéfiant  pas,  le  bacille  typhique  et  le  bacille  tuberculeux 
par  exemple.  Il  est  probable  qu'il  existe  plusieurs  sortes  de  ferments  solubles  dans  ce 
même  groupe;  ils  semblent  se  rapprocher  plutôt  de  la  trypsine  du  pancréas  ou  de 
la  papaïne,  en  ce  qu'ils  sont  surtout  actifs  dans  un  milieu  alcalin  ou  neutre. 

Dans  SCS  études  si  complètes  sur  le  lait,  Duclaus  a  démontré  la  production  par  cer- 
taines bactéries,  agents  de  la  fermentation  de  la  caséine,  les  Tyrolhrix,  comme  il  les 
nomme,  d'une  diastase  spéciale,  lacasease.  Cette  caséase  n'attaque  que  la  caséine  coagulée. 
La  précipitation  se  produit  sous  l'influence  d'un  autre  ferment  soluble,  la  présure,  qui  se 
trouve  sécrétée  côte  à  côte  avec  la  caséase  par  les  bactéries  de  la  fermentation  de  la 
caséine.  Quelques  espèces  ne  produisent  que  de  la  présure,  le  bacille  de  la  fermentation 
lactique  par  exemple;  la  coagulation  du  lait  se  fait  alors  sous  son  iniluence;  mais  le 
coagulum  reste  inattaqué,  si  d'autres  espèces  n'interviennent  pas.  Ces  phénomènes  de 
la  digestion  de  la  caséine  par  les  microbes  sont,  on  le  voit,  identiques  à  ceux  qui  se 
passent  dans  l'estomac  du  jeune  mammifère  en  lactation;  la  caséine  pour  être  digérée 
a  également  besoin  d'être  précipitée  par  avance  au  moyen  d'une  présure  semblable  à 
celle  produite  par  les  bactéries,  que  l'organe  sécrète  en  abondance  à  ce  moment. 

C'est  encore  une  diastase,  sécrétée  par  le  Micrococcus  urese  et  d'autres  bacilles  de 
même  action  bien  étudiés  par  Miquel,  qui  produit  la  transformation  de  l'urée  en 
carbonate  d'ammoniaque.  Cette  urase  a  été  isolée  par  Musculus,  et  sa  production  par 
la  bactérie  a  été  mise  hors  de  doute  par  les  recherches  de  Pasteur  et  Joubert. 

La  production  de  ces  ferments  diastasiques  n'est  pas  obligée  dans  la  vie  du 
microbe;  elle  ne  s'opère  que  si  les  besoins  nutritifs  l'exigent.  Si  l'espèce  trouve  à  sa 
portée  des  matériaux  directement  assimilables,  elle  s'en  sert  sans  sécréter  le  ferment 
alors  inutile. 

Une  même  espèce  peut,  du  reste,  parfois  produire,  suivant  les  besoins,  plusieurs 
de  ces  diastases.  D'après  Fermi,  le  Bacillus  megaterium  pourrait  sécréter  du  ferment 
protcolytique,  de  l'amylase  et  du  ferment  inversif,  suivant  qu'on  lui  offre,  comme 
milieu,  de  l'albumine,  de  la  matière  amylacée  ou  du  sucre  de  canne. 

-Parmi  les  conditions  que  doit  remplir  un  milieu  pour  être  propice  au  développe- 
ment des  bactéries,  la  réaction  de  ce  milieu  a  une  grande  importance.  En  général, 
ces  êtres  ne  se  développent  bien  que  dans  un  milieu  neutre  ou  légèrement  alcalin, 
à  l'inverse  des  moisissures  qui  se  plaisent  surtout  dans  les  milieux  acides.  Il  est 
cependant  des  espèces  qui  végètent  abondamment  dans  les  milieux  acides,  par  exemple 
les  divers  ferments  acétiques. 

D'ordinaire,  lorsque,  pour  une  raison  ou  pour  une  autre,  un  milieu  n'est  pas  très 
apte  au  développement  d'une  espèce,  mais  lui  permet  quand  même  de  végéter,  ou  se 
trouve  épuisé  par  elle,  cette  espèce  y  vit  mal,  péniblement;  ses  caractères  habituels, 
ses  propriétés  physiologiques  mêmes  se  modifient,  souvent  profondément.  Sa  forme 
normale  change,  on  observe  la  production  d'éléments  tout  à  fait  différents,  par- 
fois véritablement  monstrueux;  c'est  ce  qu'on  appelle  formes  d'involution.  Ces  formes 
variées  ne  jouissent  d'aucune  stabilité,  mais  font  très  vite  retour  à  la  forme  normale 
lorsque  les  conditions  défavorables  cessent  d'agir. 

S'il  fallait   s'en  rapporter  au  hasard   des  circonstances,  il  serait  bien  rare  et  bien 


1020  BACTERIES. 

difficile  de  pouvoir  se  faire  une  idée  un  peu  complète  des  conditions  biologiques  et 
des  propriétés  physiologiques  des  espèces.  L'observateur  qui  veut  étudier  une  espèce, 
a  grand  avantage  à  l'isoler,  à  la  faire  vivre  à  part,  à  l'abri  des  influences  défavorables 
à  sa  vie,  en  lui  fournissant  des  aliments  qui  lui  conviennent.  Il  lui  est  alors  facile 
d'obtenir  des  notions  exactes  sur  les  phénomènes  produits,  sur  l'action  des  dilTérents 
agents  qu'il  peut  employer,  assuré  dès  lors  que  les  résultats  ne  seront  pas  troublés  par  des 
inconnues  de  milieu  ou  par  des  interventions  étrangères.  On  a  donc  cherché  à  faire  vivre 
les  bactéries  dans  des  milieux  nutritifs  artificiels;  c'est  le  procédé  des  cultures. 

En  tenant  compte  des  besoins  nutritifs  qui  viennent  d'être  étudiés,  ou  est  parvenu 
à  constituer  un  certain  nombre  de  milieux  de  culture  où  peuvent  vivre  la  plupart  des 
espèces  connues.  Ces  milieux  sont  :  les  uns  liquides,  les  autres  solides.  Les  premiers' 
sont  une  simple  solution  de  principes  nutritifs  dans  l'eau.  Le  type  en  est  le  bouillon  de 
viande.  Les  seconds  sont  surtout  des  gelées  à  base  de  gélatine  ou  de  gélose,  auxquelles 
on  a  au  préalable  ajouté  les  aliments  les  plus  favorables,  sous  forme  de  peptones,  de 
sucres,  de  sels  minéraux.  Il  faut  se  rappeler  que  ces  milieux  doivent  être  neutres  ou  légè- 
rement alcalins.  A  l'aide  de  procédés  divers,  mis  en  œuvre  dans  les  laboratoires,  il 
est  possible  d'isoler  les  espèces  bactériennes,  qui,  très  souvent,  se  rencontrent  en 
mélange  dans  la  nature,  et  obtenir  alors  des  cultures  pures  où  se  manifestent,  d'une 
façon   certaine,  les  caractères  propres  à  chacune  d'elles. 

Autres  conditions  de  vie.  —  Influence  des  agents  chimiques.  —  Les  conditions 
d'aliment  ne  sont  pas  les  seules  qui  aient  une  action  directe  sur  la  vie  des  bactéries; 
ces  organismes  sont,  au  même  titre  que  les  autres  êtres  vivants,  soumis  à  l'influence  des 
diverses  conditions  des  milieux  où  ils  vivent  et  peuvent  voir  leurs  propriétés  se  modifier 
lorsqu'ils  s'y  trouvent  en  présence  de  différents  facteurs,  composés  chimiques  ou  agents 
physiques.  Il  est,  pour  elle,  des  substances  et  des  conditions  favorables  à  l'accroisse- 
ment, d'autres  qui  entravent  leur  multiplication  ou  suppriment  même  complètement  la 
possibilité  de  vivre. 

Nous  avons  vu  que  l'oxygène  libre  était  nécessaire  à  un  grand  nombre  d'espèces, 
les  plus  nombreuses  probablement,  les  aérobies.  En  l'absence  de  ce  gaz,  elles  ne  mani- 
festent aucun  développement.  Il  paraît  cependant  leur  nuire  dans  certaines  conditions. 
Ainsi  DucLAUx  a  reconnu  que  bien  souvent,  quand  une  bactérie  a  épuisé  son  milieu 
nutritif,  si  elle  trouve  de  l'oxygène  en  abondance,  elle  s'affaiblit  peu  à'peu  et  périt  même 
toutefois  au  bout  d'un  temps  très  long.  Par  contre,  si  elle  n'a  à  sa  disposition  qu'une 
minime  quantité  de  ce  gaz,  sa  vitalité  se  conserve  bien  plus  longtemps  que  dans  le 
premier  cas. 

Pendant  cette  diminution  de  vitalité,  les  différentes  fonctions  sont  atteintes  et  baissent 
successivement,  entre  autres  la  virulence,  que  l'on  voit  diminuer  graduellement,  s'rtfiéiu/er, 
comme  on  dit,  pour  arriver  à  disparaître  même  entièrement.  C'est  ce  que  Pasteur  a 
observé  le  premier  en  laissant  vieillir  à  l'air  des  cultures  du  Micrococcus  du  choléra  des 
poules,  alors  que  d'autres  cultures  toutes  semblables  de  la  même  bactérie,  maintenues 
à  l'abri  de  l'air,  conservaient  indéfiniment  leur  virulence  initiale. 

Cet  elfet  atténuateur  de  l'oxygène  parait  n'avoir  d'action  que  sur  les  éléments  végé- 
tatifs. Les  spores  résistent,  et  conservent  la  faculté  de  germer  même  après  un  temps 
très  long.  C'est  la  raison  pour  laquelle,  lorsqu'on  veut  obtenir,  par  l'action  de  l'air,  des 
cultures  à  virulence  atténuée  pour  les  vaccinations,  il  est  nécessaire  d'empêcher  la  pro- 
duction des  spores,  lorsque  la  bactérie  peut  en  former  dans  les  conditions  où  elle  se 
trouve.  Pasteur  et  ses  savants  collaborateurs  Chamberland  et  Roux  sont  parvenus  à  le 
faire  pour  le  Bacille  du  charbon,  en  le  cultivant  dans  des  bouillons  à  une  température 
de  420-43''.  A  cette  température,  en  efîet,  le  développement  est  encore  abondant;  mais 
la  formation  de  spores  est  arrêtée. 

Ce  que  fait  à  la  longue  l'oxygène  de  l'air  dans  les  conditions  ordinaires,  l'oxygène 
sous  pression  le  produit  en  très  peu  de  temps.  P.  Bert  a  démontré  que  l'oxygène, 
comprimé  à  8  ou  10  atmosphères,  arrêtait  rapidement  la  fermentation  et  la  putréfaction. 
Les  cellules  végétatives  sont  tuées;  mais  les  spores,  comme  l'a  montré  Pasteur  à  propos 
du  charbon,  résistent  pendant  un  temps  très  long. 

ScouTETTF.N,  ayant  annoncé  que  la  viande  putréfiée  perdait  son  odeur  dans  une  atmo- 
sphère ozonisée,  on  attribua  bien  vite  à  l'ozone  un  pouvoir  antiseptique  que  n'ont  pas 


BACTERIES.  1021 

confirmé  les  recherches  récentes  de  Son.ntag  el  de  Christmas.  D'après  ce  dernier  cepen- 
dant, il  est  loin  d'être  tout  à  fait  inactil',  car  il  suffit  de  un  dizièrae  de  volume  d'ozone 
pour  cent  dans  l'air  pour  arrêter  le  développement  des  germes  sur  la  surface  des 
objets  placés  dans  une  telle  atmosphère.  A  cette  dose  l'air  est  très  odorant  et  irrespirable. 
Au-dessous  de  la  proportion  indiquée,  on  n'observe  plus  aucun  effet.  D'Arsonval  et 
Charkin  assurent  cependant  que  l'ozone,  même  très  dilué,  modifie  la  vitalité  de  certains 
microbes,  le  Bacille  pijocyanique,  entre  autres,  auquel  il  fait  perdre  en  grande  partie 
son  pouvoir  cbromogène. 

L'hj'drogène  et  l'azote  semblent  n'avoir  aucune  action  sur  les  bactéries.  Aussi  est-ce 
à  eux,  au  premier  surtout,  à  cause  de  la  facilité  plus  grande  de  sa  préparation,  que 
l'on  doit  s'adresser  lorsqu'on  veut  obtenir  une  atmosphère  inerte,  pour  la  culture'  des 
anaérobies  par  exemple. 

D'après  Kolbe,  l'acide  carbonique  peut  empêcher  pendant  longtemps  la  putréfac- 
tion de  la  viande.  On  l'emploie,  du  reste,  comme  agent  conservateur  des  viandes 
fraîches.  Sa  présence,  en  proportions  un  peu  forte,  paraît  nuisible  au.x.  aérobies.  D'après 
D'Arsonval,  sous  une  forte  pression,  l'acide  carbonique  est  un  antiseptique  puissant; 
une  pression  de  90  atmosphères  détruit  tous  les  germes  vivants.  Des  expériences 
récentes  de  Sabhazés  et  Bazin,  il  ressort  au  contraire  que  des  pressions  d'acide  carbo- 
nique, égales  et  même  supérieures  à  90  atmosplières,  ne  détruisent  ni  le  staphylocoque 
doré  ni  la  bactéridie  charbonneuse  et  n'iutlueut  point  sur  la  virulence  de  cette  der- 
nière. 

Il  est  de  nombreuses  bactéries  qui  ne  manifestent  aucun  développement  dans  l'acide 
carbonique;  le  Bacille  du  charbon,  le  Spirille  du  choléra  sont  du  nombre.  D'autres,  qui 
paraissent  anaérobies  facultatifs,  y  vivent  bien,  tout  en  se  développant  plus  lentement; 
c'est  le  cas  du  Bacille  typhic/iw,  du  Bacille  du  côlon,  du  Bacille  de  Friedlànder.  Nourry  et 
Michel,  étudiant  l'action  de  l'acide  carbonique  sur  le  lait,  ont  observé  que  ce  gaz  ne  tue 
pas  les  micro-organismes,  mais  qu'il  en  retarde  seulement  le  développement.  FbaiNKEL  el 
San  Felice  ont  vu  les  spores  du  Vibrion  scptique  et  du  Bacille  du  charbon  symptomatique 
résister  à  l'acide  carbonique,  mais  ne  pas  pouvoir  germer  en  sa  présence. 

L'oxyde  de  carbone,  d'après  les  recherches  de  Frankland,  retarderait  considérable- 
ment le  développement  du  Bacille  pyocyanic^ue,  du  Spirille  du  choléra  et  du  Spirille  de 
Flngkler.  Le  protoxyde  d'azote  aurait  à  peu  prés  les  mêmes  effets. 

D'assez  nombreuses  bactéries  peuvent  vivre  et  prospérer  dans  des  milieux  contenant 
de  fortes  proportions  d'hydrogène  sulfuré.  Dans  les  putréfactions  de  matières  animales, 
il  se  trouve  des  espèces  qui  développent,  aux  dépens  du  soufre  des  albuminoïdes  du 
milieu,  des  quantités  assez  fortes  de  ce  gaz  pour  le  rendre  très  nettement  perceptible  à 
l'odorat.  Si  l'on  vient  à  ajouter  à  de  telles  cultures,  celles  de  Proteus  vulgarig  par  exem- 
ple, de  la  fleur  de  soufre  lavée,  on  obtient  souvent  des  flots  d'hydrogène  sulfuré.  Malgré 
cela,  le  développement  se  poursuit  très  bien.  Miquel  a  rencontré  en  abondance,  dans  les 
eaux  d'égout  et  dans  certaines  eaux  potables,  une  bactérie,  qu'il  appelle  Bacillus  iulfhy- 
drogemis,  qui  s'attaque  à  l'albumine  insoluble,  la  détruit  lentement  et  élimine  la  majeure 
partie  de  son  soufre  à  l'état  d'acide  sulfhydrique  libre.  En  quarante-huit  heures,  dans 
une  culture  de  quatre  litres  d'eau  bouillie  additionnée  de  tartrate  d'ammoniaque  et  d'un 
excès  de  soufre,  on  observe  la  transformation  d'un  gramme  de  soufre.  Lorsque  l'hydro- 
gène sulfuré  a  cependant  atteint  une  certaine  tension,  il  devient  toxique  pour  la  bactérie  ; 
en  le  chassant  par  un  courant  d'acide  carbonique,  la  réaction  continue.  Dans  tous  les 
milieux  oti  cet  organisme  trouve  du  soufre  à  l'état  libre  ou  en  combinaison  avec  des 
matières  plastiques,  il  produit  de  l'hydrogène  sulfuré  ;  par  contre,  il  ne  s'attaque  jamais 
aux  sulfates.  Cette  production  d'hydrogène  sulfuré  par  les  espèces  que  nous  venons  de 
citer,  n'est  du  reste  pas  un  phénomène  direct  ;  c'est,  il  semble,  au  contraire,  une  réaction 
secondaire  provenant  de  l'action  sur  le  soufre,  libre  ou  faiblement  combiné,  d'hydrogène 
naissant  dérivant  de  la  nutrition  du  microbe.  Dans  un  milieu  dépourvu  de  soufre,  ces 
espèces  donnent,  en  effet,  comme  produits  de  dénutrition,  de  l'acide  carbonique  et  de 
l'hydrogène.  L'hydrogène  sulfuré,  très  toxique  pour  les  plantes  vertes,  l'est  bien  moins 
ici  à  cause  de  l'absence  de  chlorophylle,  sur  laquelle  se  porte  surtout  son  action  nuisible. 

Le  gaz  ammoniaque  parait  plus  nuisible  encore.  D'après  Rigler,  le  Spirille  du  choléra 
et  le  Bacille  typhique,  exposés  aux  vapeurs  d'ammoniaque,  sont  tués  après  deux  heures  : 


1022  BACTERIES. 

le  Bacille  du  charbon  et  ses  spores  après  trois  heures,  le  Bacille  de  la  diphtérie  après 
quatre  heures.  Aussi  ne  doit-on  pas  s'étonner  de  voir,  chez  les  espèces  qui  produiseut  de 
l'ammoniaque  dans  leurs  cultures,  le  développement  s'arrêter  assez  tôt  si  l'alcali  ne  se 
trouve  pas  neutralisé  ou  soustrait  presque  à  mesure  de  sa  production. 

Les  anesthésiqubs,  chloroforme  ou  éther,  n'ont  pas  sur  ces  cellules  d'action  bien 
énergique.  L'activité  vitale  est  ralentie,  et,  par  suite,  ses  manifestations.  Mais  de  hautes 
doses  même  n'arrivent  pas  à  la  suspendre  complètement.  Jalan  de  la  Croix  n'a  pas 
réussi  à  rendre  stériles  des  bouillons  additionnés  de  fortes  proportions  de  chloroforme. 

Les  substances  chimiques  qui  entravent  ou  arrêtent  le  développement  des  bactéries 
dans  un  milieu  propice,  inerte  ou  vivant,  sont  nombreuses.  On  leur  donne  le  nom  général 
d'Antiseptiques  (V.  ce  mot). 

Parmi  les  plus  notables  influences  auxquelles  se  trouvent  soumises  les  bactéries, 
dans  les  milieux  de  cultures  ou  les  milieux  naturels,  se  trouvent  les  agents  atmosphé- 
riques, température,  lumière,  électricité  et  magnétisme,  dessiccation,  pression,  agitation. 
L'action  considérable  qu'ils  peuvent  exercer  sur  le  développement  et  les  manifestations 
de  diverses  fonctions  explique  le  haut  intérêt  de  leur  étude  spéciale.  On  peut  tout  résu- 
mer en  disant  que  dans  l'air  il  existe  de  nombreuses  causes  qui  semblent  concourir  à  un 
même  but,  la  diminution  de  la  vitalité  des  bactéries,  à  leur  atténuation. 

Influence  de  la  température.  —  Parmi  les  causes  qui  agissent  sur  le  développe- 
ment, se  trouve,  au  premier  rang,  la  température. 

Il  existe  pour  les  bactéries  une  limite  de  température  inférieure,  un  minimum  et  une 
supérieure,  un  maximum.  Au-dessous  de  la  première  et  au-dessus  de  la  seconde,  tout 
développement  s'arrête,  la  mort  peut  même  survenir,  beaucoup  plus  facilement  toute- 
fois dans  le  second  cas  que  dans  le  premier. 

Beaucoup  de  bactéries  peuvent  supporter  sans  périr  un  froid  très  intense.  Pasteub 
avait  annoncé,  en  1860,  que  ces  germes  résistaient  très  bien  à  un  froid  de  —  30°.  Frisch  a 
pu  abaisser  la  température  d'un  liquide,  où  plusieurs  espèces  de  bacilles  pullulaient  et 
avaient  formé  des  spores,  jusqu'à  —  HO"  sans  les  tuer,  en  prenant  la  précaution  de  ne 
les  faire  revenir  que  lentement  à  la  température  ordinaire.  Le  degré  de  résistance  paraît 
du  reste  varier  suivant  l'espèce  sur  laquelle  on  expérimente.  Ainsi  Gibier  a  pu  soumettre 
des  cultures  de  £actHe  du  charbon  et  du  Vibrion  scptique  à  un  froid  de  — 45°  pendant 
cinq  heures  sans  leur  faire  perdre  leur  virulence  ;  par  contre,  il  a  remarqué  que  le 
Microcoque  du  choléra  des  poules  ne  résistait  jamais  à  une  température  de  —  35°.  Les 
expériences  de  Pictet  et  Yung  fournissent  des  résultats  plus  précis.  A  l'aide  de  procédés 
spéciaux,  ils  ont  soumis  des  espèces  bien  déterminées,  en  cultures  pures,  à  des  tempé- 
ratures très  basses,  maintenues  pendant  un  temps  assez  long.  Après  avoir  fait  agir  un 
froid  de  — 70°  pendant  cent  huit  heures  et  un  de  — 130°  pendant  vingt  heures,  ils  ont 
observé  les  faits  suivants.  Une  culture  de  Bactéridie  charbonneuse,  ne  renfermant  que 
des  spores,  garde  toute  sa  virulence  ;  par  contre,  du  sang  charbonneux  devient  tout  à  fait 
iuofïensif.  Le  Bacille  du  charbon  symptomatique  conserve  son  pouvoir  pathogène.  Les  cul- 
tures de  Bacillus  subtilis  et  de  Bacillus  ulna  ne  perdent  rien  de  leur  vitalité.  Dans  des 
colonies  de  Microccus  luteus  et  d'un  Microcoque  blanc  abondant  dans  l'air,  la  plupart  des 
éléments  sont  morts;  quelques-uns  cependant  ont  résisté.  La  lymphe  vaccinale  d'un  veau, 
soumise  aux  mêmes  actions,  a  donné  quand  même,  après  inoculation,  des  pustules 
caractéristiques.  Il  semble  ressortir  de  ces  expériences,  qu'ibexiste  une  différence  entre 
la  résistance  des  spores  et  celle  de  la  simple  cellule  végétative;  il  se  pourrait,  par 
exemple,  que  le  degré  de  résistance  d'une  espèce  pour  ces  températures  extrêmes  fût 
en  raison  directe  de  la  résistance  de  sa  spore.  On  peut  eu  tout  cas  en  induire  que  beau- 
coup de  bactéries  résistent  à  des  froids  intenses. 

On  ne  doit  dès  lors  pas  s'étonner  de  voir  que  la  plupart  des  espèces  supportent  sans 
périr  les  froids  modérés.  Ici,  les  expériences  sont  plus  précises  et  présentent  un  beaucoup 
plus  grand  intérêt  pour  l'hygiéniste,  qui  doit  savoir  en  quoi  il  peut  compter  sur  les  cir- 
constances naturelles  pour  combattre  le  développement  de  certaines  espèces  dangereuses 
pour  l'homme.  Or  il  a  été  prouvé,  dans  ces  dernières  années,  que  des  températures  peu 
inférieures  à  0°  n'avaient  que  très  peu  d'effet  sur  les  bactéries.  L'analyse  bactériologique 
d'échantillons  de  glace  y  a  révélé  la  présence  d'un  grand  nombre  de  bactéries,  lorsque 
la  glace  provenait  d'eaux  impures.  La  glace  peut  donc  transmettre  des  germes  patho- 


BACTERIES.  10^23 

gènes,  tout  comme  l'eau  dont  elle  provient.  Bordoni,  Budjwid,  Frankel  ont  trouvé  des 
bactéries  dans  la  f^rèle  ;  JanowskI,  dans  la  neige.  Maintenues  longtemps  à  ces  tempéra- 
tures, certaines  espèces  semblent  disparaître  peu  à  peu,  d'autres  supporter  la  congé- 
lation pendant  un  temps  assez  long.  Mitchell  a.  remarqué  que  le  Staphylocoque  duré  et 
le  Bacille  typhique  résistaient  parfaitement  à  cent  trois  jours  de  congélation.  Par  contre, 
le  Micrococcus  prodigiosus  et  le  Protcus  vulgaris  périraient  après  cinq  jours  de  congélation. 
La  conclusion  à  tirer  de  ces  observations  et  des  recherches  de  Fhankel  et  de  Prudden 
est  qu'une  congélation,  même  prolongée,  ne  tue  pas  la  plupart  des  bactéries,  et  ne 
fait  qu'enrayer  leur  développement  qui  reprend  aussitôt  qu'est  atteinte  une  tempé- 
rature suffisante  ;  un  froid  prolongé  peut  cependant  en  diminuer  considérablement  le 
nombre. 

La  température  la  plus  basse  à  laquelle  peuvent  croître  les  bactéries,  le  minimum, 
paraît  être  très  variable  suivant  l'espèce  que  l'on  considère.  D'après  Forster  et  Fischer, 
quelques-unes  pourraieut  déjà  végéter  à  zéro:  une  bactérie  phosphorescente  trouvée  sur 
des  poissons  morts  de  la  mer  du  Nord  serait  dans  ce  cas.  C'est,  en  général,  à  des  tempéra- 
tures un  peu  supérieures  que  se  place  le  début  de  la  végétation  de  la  plupart  des  espèces. 
La  plupart  des  espèces  saprophytes  de  l'air  ou  des  eaux  ne  commencent  à  croître  que  de 
3°  à  10°.  D'après  Seitz,  le  développement  du  Bacille  typhique  est  déjà  sensible  à  4°. 
D'autres  espèces  ont  leur  minimum  de  croissance  reporté  beaucoup  plus  haut.  Ce  sont 
d'abord  des  espèces  pathogènes  qui  s'attaquent  aux  organismes  présentant  une  tem- 
pérature constante  élevée;  ainsi  le  Vneumocoque  ne  se  développe  guère  dans  les  milieux 
artiliciels  qu'à  pai'tir  de  20°  à  23°,  le  Bacille  de  la  tuberculose  ne  commence  à  s'y  cultiver 
qu'à  partir  de  28°.  Le  Bacillus  thermophilus,  très  intéressante  espèce  que  Miquel  a  isolée 
de  l'eau,  ne  se  développe  dans  les  bouillons  et  la  gélose  qu'au-dessus,  de  40»;  c'est  là  un 
fait  absolument  exceptionnel. 

La  limite  supérieure  de  température,  le  maximum,  paraît  moins  variable  que  le  mini- 
mum. Elle  se  tient,  en  géuéral,  aux  environs  du  degré  de  chaleur  qui  paralyse  et  tue 
tout  protoplasme  vivant,  vers  42°.  C'est  à  cette  température  que  s'arrête  la  végétation  de 
nombreuses  espèces  saprophytes  et  d'un  certain  nombre  d'espèces  pathogènes,  le  Pneu- 
mocoque et  le  Bacille  de  la  tuberculose  par  exemple.  D'autres  ont  leur  maximum  plus  bas  ; 
le  Bacillus  rosaceus  métalloïdes,  très  belle  espèce  à  pigment  rouge  carmin,  ne  croît  plus 
au-dessus  de  3b°;  le  Bacille  phosphorescent,  de  Forster,  cité  plus  haut  comme  végétant 
déjà  à  0°,  périt  rapidement  à  37°.  Quelques-unes  l'ont  plus  haut;  le  Bacille  du  charbon  ne 
cesse  de  végéter  qu'à  43°;  le  Bacille  typhique  et  le  Bacille  du  coion  n'arrêtent  leur  multi- 
plication qu'à  46°.  Le  Bacillus  thermophilus  croît  encore  bien  à  70°  ;  et  ne  périt  qu'à  72°  ;  V.^n 
TiEGHEM  a  observé  deux  espèces  qu'il  était  encore  possible  de  cultiver  à  74°  en  prenant 
la  précaution  de  les  faire  vivre  dans  un  milieu  parfaitement  neutre  ou  légèrement  alca- 
lin, la  moindre  trace  d'acide  arrêtant  le  développement. 

Entre  ces  deux  stades  extrêmes,  minimum  et  maximum,  il  est  un  point  où  la  vie  se 
manifeste  avec  la  plus  grande  énergie,  où  la  végétation  est  la  plus  abondante,  et  où  les 
fonctions  particulières  aux  espèces  s'opèrent  avec  la  plus  grande  intensité;  c'est  l'opti- 
mum de  température  de  l'espèce. 

Cet  optimum  est,  cela  se  comprend,  en  relations  dii'ectes  avec  le  minimum  et  le  maxi- 
mum, pluscepead.iil,  avec  le  second  dont  il  se  rapproche  toujours  beaucoup,  le  Bacillus 
rosaceus  metcdloidcs  a  son  optimum  à  i'â".  Chez  ]e  Bacille  typhique  il  se  trouve  entre  2o° 
et  30°;  chez  te  Pneumocoque  à  3o°;  chez  le  Bacille  de  la  tuberculose  à  38°;  chez  le  Bacillus 
thermophilus  il  est  placé  entre  6o°  et  70°.  Il  est  assez  difficile  de  fixer  d'une  manière 
précise  ce  point  optimum;  on  ne  peut,  en  effet,  se  baser,  pour  le  faire,  que  sur  l'inten- 
sité apparente  de  la  croissance  dans  les  cultures,  épaisseur  de  la  culture,  trouble  plus 
ou  moins  prononcé  dans  les  bouillons.  Ces  rapports  de  température  peuvent  aussi 
varier,  quoique  dans  des  limites  restreintes,  suivant  le  milieu  pour  une  même  espèce. 
C'est  ce  qui  semble  résulter  de  l'intéressante  remarque  de  Koca  que  le  Bacille  de  la 
tufiercM^osê  a,  chez  les  animaux  à  sang  chaud,  un  minimum  et  un  optimum  de  tempé- 
rature plus  élevés  que  dans  les  cultures. 

On  peut  conclure  de  ces  faits  que,  sauf  quelques  exceptions,  une  température  de  60» 
environ  suffit  pour  tuer  les  cellules  végétatives  des  bactéries. 

Mais  il  n'en  est  pas  de  même  des  spores  qui,  comme  le  prouvent  les  expériences, 


\0U  BACTERIES. 

résistent  à  une  chaleur  notablement  plus  forte.  Bbëfeld  a  pu  obtenir  la  germination  de 
spores  du  Bacillus  subtllis  qui  avaient  été  portées  à  100°  pendant  une  heure;  elles 
n'étaient  toutes  mortes  qu'après  trois  heures  d'ébullition.  A  103°,  il  faut  quinze  minutes 
pour  les  tuer,  dix  à  107°  et  cinq  à  110°.  Koch  a  obtenu  le  développement  de  spores  de 
Bacillus  subtilis  et  de  Bacillus  anthracis  préalablement  chauffées  à  123°  dans  l'air  sec. 
MiQUEL  a  pu  porter  des  germes  à  110°,  120°,  130°,  et  même  14.0°,  dans  l'air  sec,  certains 
ont  encore  rajeuni;  à  loO"  il  a  toujours  obtenu  une  stérilisation  complète.  Dans  les  liqui- 
des ou  la  vapeur  d'eau,  la  résistance  est  beaucoup  moindre  que  dans  l'air  sec.  Sauf  des 
cas  très  spéciaux,  une  température  de  Ho"  à  120°  obtenue  dans  l'autoclave,  maintenue 
pendant  un  court  espace  de  temps,  suffit  pour  faire  périr  les  spores  les  plus  résistantes. 
La  réaction  du  milieu  influe  considérablement  sur  la  résistance  à  la  chaleur;  un  très 
léger  de^ré  d'acidité  la  fait  baisser  dans  des  limites  notables,  comme  le  démontrent  les 
observations  de  DucLAUx.sur  les  Tyrotlirix. 

Les  actes  ply'siologiques  qu'accomplissent  les  bactéries  se  ressentent,  d'une  manière 
très  nette,  des  variations  de  température.  Il  y  a  entre  ces  propriétés  et  la  vitalité  des 
individus  qui  les  possèdent  une  corrélation  intime  et  un  rapport  direct;  l'un  de  ces 
termes  diminuant,  l'autre  doit  infailliblement  baisser  à  son  tour,  et  inversement. 

Cii.  RicHET  a  montré  que  l'activité  de  la  fermentation  lactique  va  en  croissant  depuis 
une  température  assez  basse  jusqu'à  44°;  de  44°  à  b3°  elle  reste  presque  constante,  puis 
décroit.  D'après  Schlœsing  et  Muntz,  la  nitrification  est  nulle  ou  très  faible  à  5°,  elle  s'éta 
blit  bien  nettement  à  12°  et  augmente  jusqu'à  37°,  où  elle  présente  son  maximum,  puis 
diminue  de  telle  sorte  qu'à  .o0°  on  n'obtient  plus  que  de  très  minimes  quantités  de 
nitrates. 

Entre  le  degré  de  chaleur  le  plus  favorable  à  la  vie  d'une  espèce  et  celui  qui  l'abolit 
complètement,  il  existe  un  intervalle  dans  lequel  les  propriétés  vitales  de  l'espèce,  et  en 
particulier  la  virulence  des  espèces  pathogènes,  diminuent  de  plus  en  plus,  au  fur  et 
à  mesure  que  la  température  se  rapproche  du  degré  mortel.  La  virulence,  qui  est  à  son 
maximum  dans  une  culture  maintenue  à  son  optimum  de  température,  s'atténue  gra- 
duellement lorsque  la  température  s'élève,  et  peut  fmir  par  disparaître  complètement  si 
elle  atteint  un  degré  trop  élevé  quoique  compatible  encore  avec  la  végétation  de  l'es- 
pèce. On  peut  ainsi  obtenir  des  cultures  atténuées  pour  les  vaccinations. 

Influence  de  la  lumière.  —  La  lumière  semble  ne  pas  être  nécessaire  à  la  vie  des 
bactéries.  L'n  grand  nombre  d'espèces,  en  effet,  évoluent  normalement  dans  des  milieux 
complètement  à  l'abri  de  toute  radiation;  nombre  d'espèces  pathogènes  vivant  au  sein 
des  organes  massifs,  d'autres  qui  se  trouvent  dans  les  couches  inférieures  du  sol,  doivent 
pouvoir  s'en  passer  complètement  sans  que  pour  cela  leur  vitalité  en  souffre.  Des  cul- 
tures développées  dans  l'obscurité  ne  diffèrent  pas  d'autres  de  même  espèce  faites  dans 
les  mêmes  conditions  à  la  lumière  diffuse  du  jour. 

11  est  cependant  des  espèces  qui  sont  attirées  vers  les  rayons  lumineux.  Dans  un  vase 
contenant  de  l'eau  de  macération  de  plantes,  qui  fourmille  de  bactéries,  et  que  l'on 
éclaire  d'un  côté  seulement,  on  reconnaît,  par  le  trouble  plus  intense,  que  ces  êtres  se 
massent  du  côté  éclairé.  Les  divers  rayons  du  spectre  n'ont  pas  une  égale  attraction.  Si 
l'on  fait  tomber,  à  l'aide  d&l'objectif  microspectral  d'ENOELM.iNN,  un  spectre  sur  une  pré- 
paration contenant  des  bactéries  mobiles,  on  les  voit  affecter,  au  bout  de  quelque  temps, 
une  disposition  particulière  constante.  Elles  s'accumulent  surtout  dans  l'ultra-rouge;  on 
en  trouve  déjà  bien  moins  dans  le  jaune;  l'amas  est  faible  dans  le  vert  et  diminue  de 
plus  en  plus  dans  le  bleu  et  le  violet.  Il  semblerait,  d'après  cela,  que  les  rayons  calori- 
fiques sont  bien  plus  favorables  à  la  vie  de  ces  êtres  que  les  rayons  chimiques.  Les  actions 
chimiques  produites  parla  lumière  dans  le  milieu  jouent  peut-être  un  rôle  qui  n'est  pas 
élucidé.  Engelmanx  assure  qu'une  bactérie,  qu'il  dénomme  Bacterium  photomelricum,  ne 
devient  mobile  que  sous  l'influence  de  radiations  lumineuses  d'une  certaine  intensité. 

La  lumière  ne  paraît  pas  avoir  d'action  sur  la  production  du  pigment,  chez  les  espèces 
ehromogènes.  La  coloration  se  développe  tout  aussi  bien  à  l'obscurité;  elle  serait  plu- 
tôt moins  intense  dans  les  cultures  exposées  aux  rayons  lumineux.  Dcbois  a  remarqué  que 
des  cultures  très  brillantes  de  bactéries  phosphorescentes  perdaient  presque  entièrement 
leur  luminosité,  si  on  les  laissait  exposées  pendant  quelques  jours  à  l'action  de  la  lumière 
directe. 


BACTERIES.  1025 

Les  nombreuses  expériences  faites  sur  ce  sujet  tendent  au  contraire  à  établir  que  la 
lumière  exerce  sur  la  vitalité  de  nombreuses  espèces  bactériennes  une  action  nuisible 
réelle,  qui  peut  même  aboutir  à  la  mort  des  cellules,  lorsque  cet  agent  agit  pendant' 
assez  longtemps  ou  que  les  radiations  possèdent  une  intensité  suffisante.  Dow.nes  et 
Bldnt,  les  premiers,  ont  montré  qu'une  forte  lumière  était  nuisible  aux  cultures  bacté- 
riennes et  pouvait  même  être  mortelle  pour  beaucoup  d'entre  elles.  Duclaux,  en  expé- 
rimentant sur  des  espèces  définies,  est  arrivé  aux  mêmes  résultats  et  signale  la  plus 
forte  résistance  des  spores.  Arloog  et  Roux  ont  observé  les  mêmes  faits  pour  le  Bacille 
du  charbon;  Paksini,  Geisler,  Santori,  RAsrE,  pour  d'autres  espèces,  pathogènes  ou  sapro- 
phytes. Trois  heures  d'insolation  suffiraient  presque  pour  faire  périr  la  Bactéridie  char- 
bonneuse ;  il  en  faut  six  pour  le  Bacille  du  rourjet  du  porc;  les  Staphylocoques  23yogénes,  le 
Spirille  du  choléra,  le  Spirille  de  Finkler,  le  Bacille  typhique,  le  Pneumocoque,  le  Micrococcus 
prodigiosus,  sont  à  peine  infiuencés  après  ce  dernier  laps  de  temps  ;  le  Bacille pyocyanique 
supporte  les  rayons  solaires  pendant  240  minutes  et  plus,  sans  perdre  complètement 
son  pouvoir  cbromogène,  qui  cède  si  facilement  sous  d'autres  influences.  Les  spores  même 
périssent  rapidement  lorsqu'on  les  expose  à  une  lumière  intense,  comme  celle  des  rayons 
solaires  directs  ;  celles  du  Vibrion  septiqiie,  du  charbon  symptomatique  meurent  au  bout 
de  douze  à  trente  heures  d'insolation,  comme  le  prouvent  les  expériences  de  Penzo,  de 
TizzoOT  et  Cattani,  de  Vaillard  et  Vincent,  de  San  Felice  ;  d'après  Roux,  la  plus 
grande  résistance  des  spores  du  charbon  a  été  de  84  heures. 

La  virulence  des  espèces  pathogènes  est  tout  aussi  bien  modifiée  par  la  lumière 
solaire;  elle  s'atténue  graduellement;  mais,  pour  le  charbon  au  moins,  ces  cultures  atté- 
nuées n'ont  pas  d'action  vaccinale,  les  cultures  suivantes  font  récupérer  la  force  primi- 
tive. 

On  a  recherché,  sans  beaucoup  de  résultats,  l'action  des  différentes  radiations  du 
spectre  :  Arloins  en  est  arrivé  à  dire  qu'on  devrait  incriminer  la  lumière  complète. 
Toutefois,  Charrin,  sur  le  bacille  pyocyanique,  a  observé  que  c'était  avec  la  lumière  verte 
qu'on  obtenait  la  végétation  la  plus  abondante,  la  moindre  avec  la  lumière  jaune  ou  vio- 
lette. Janowski  croit  que  les  lumières  colorées  qui  préservent  le  plus  longtemps  du 
noircissement  un  papier  sensible,  sont  aussi  celles  qui  préservent  le  mieux  de  la  mort  le 
Bacille  typhique.  Ce  sont  les  rayons  chimiques  qui  paraissent  être  les  plus  actifs. 

L'action  de  la  lumière  semble,  du  reste,  intimement  liée  à  celle  de  l'oxygène.  Sous 
l'influence  de  radiations  d'une  force  suffisante,  il  se  produirait  une  très  forte  oxydation, 
amenant  une  désassimilation  rapide,  nuisible  à  la  vie.  L'hygiéniste  doit  tirer  de  là  cette 
conclusion  importante,  que  l'air  et  le  soleil  sont  des  barrières  excellentes  à  opposer  à 
la  pullulatiou  des  espèces  à  craindre. 

Action  de  l'électricité.  —  On  n'a  encore  que  peu  de  données  sur  l'action  de  l'élec- 
tricité sur  les  microbes.  Les  premiers  observateurs,  Coen  et  Mendelsohn,  Apostoli  et 
Delaquerrière,  Prochownick  et  Spaeth,  ont  signalé  des  effets  variables  qu'il  faut  rap- 
porter, sans  aucun  doute,  à  des  actions  chimiques.  D'Arsonval  et  Charrin,  en  expéri- 
mentant sur  le  Bacille  pyocyanique  à  l'aide  de  courants  indirects  de  haute  fréquence, 
ont  cependant  établi  d'une  façon  certaine  l'influence  de  l'électricité  sur  son  évolution; 
la  puissance  chromogène  est  d'abord  atteinte,  plus  tard  la  végétation  pàtil. 

On  connaît  encore  moins  les  effets  du  magnétisme.  Dubois  a  signalé  l'influence  de  forts 
aimants  sur  l'orientation  des  colonies  du  Micrococcus  prodigiosus,  sans  toutefois  chercher 
à  éviter  de  nombreuses  causes  d'erreurs.  D'Arsonval  a  vu  la  fermentation  alcoolique 
de  la  Levure  de  bière  être  manifestement  retardée  par  l'influence  du  champ  magné- 
tique. En  est-il  de  même    des  fermentations  bactériennes"? 

Action  de  la  pression.  —  P.  Beht  a  démontré  que  les  fermentations  et  les  putré- 
factions s'arrêtent  rapidement  en  présence  d'ox^-gène  comprimé  à  dix  atmosphères. 
Mais  Certes  croit  avoir  fait  agir,  sur  des  liquides  putréfiés,  de  l'air  à  une  pression 
de  430  à  500  atmosphères  sans  avoir  arrêté  leur  putréfaction.  L'oxygène  serait  donc, 
dans  les  expériences  de  P.  Bert,  le  principal  facteur.  En  faisant  agir  l'air  sous  pression, 
Chauveau  a  cependant  obtenu  des  résultats  conformes  aux  premiers,  quoique  moins 
marqués.  Il  est  parvenu,  en  graduant  la  pression,  à  atténuer  la  virulence  de  cultures 
du  Bacille  du  charbon  de  façon  à  pouvoir  les  employer  en  toute  assurance  dans  la 
pratique  des  vaccinations.  D'Arsonval  et  Charrin,  expérimentant  sur  le  Bacille  pyocya- 

DICT.   DE   PHYSIOLOGIE.    —    TOME  I.  65 


102(3  BACTERIES. 

nique,  sont  arrivés  à  le  voir  périr  en  le  soumettant  à  une  pression  de  30,  40,  50  atmo- 
sphères d'acide  carbonique,  durant  deux,  trois,  quatre  et  cinq  heures.  En  deçà  de  cette 
pression,  on  n'observe  qu'une  atténuation  variable.  Ici  toutefois,  il  faut  tenir  compte  de 
l'action  de  l'acide  carbonique,  nuisible  pour  cette  bactérie.  En  se  basant  sur  ces  recher- 
ches et  sur  d'autres  précédentes,  d'Arsonval  s'est  cru  en  mesure  d'affirmer  qu'une 
pression  de  90  atmosphères  détruit  tous  les  germes  vivants,  alors  que,  dans  un  tra- 
vail tout  récent,  Sabrazès  et  Bazin  assurent  que  des  pressions  égales  et  même  supé- 
rieures à  90  atmosphères,  ne  détruisent  ni  le  Staphylocoque  doré  ni  la  Bactéridie 
charbonneuse,  et  n'influent  pas  sur  la  virulence  de  cette  dernière.  On  voit  que  le  sujet 
est  loin  d'être  épuisé. 

Autres  influences.  —  L'agitation  des  milieux  liquides  où  vivent  les  bactéries  est 
une  condition  défavorable  au  développement.  Scheurben,  Bang  prétendent  que  la  force 
centrifuge  affaiblit  le  Bacille  typhique,  le  spirille  du  choléra,  le  Proteus  vulgaris.  Pôhl 
assure  que  le  mouvement  tourbillonnant,  déterminé  par  une  puissante  turbine,  fait 
baisser  dans  des  proportions  considérables  le  nombre  des  Bactéries  de  l'eau  soumise  à 
son  action.  Ici  encore,  le  phénomène  est  probablement  complexe;  la  rapide  oxydation 
qui  se  produit,  l'action  de  la  force  centrifuge  sur  les  molécules  solides  en  suspension, 
doivent  entrer  en  jeu. 

La  dessiccation  absolue  n'épargne  pas  plus  les  Bactéries  que  les  autres  êtres  vivants; 
elle  les  tue  dans  un  temps  qui  varie  sans  doute  suivant  la  difficulté  qu'éprouve  le  proto- 
plasme à  perdre  toute  son  eau.  La  plupart  des  espèces  cependant  supportent  très  bien 
une  dessiccation  relative,  surtout  à  l'état  des  spores.  Une  dessiccation  lente,  à  basse 
température,  3S°  par  exemple,  semble  au  contraire  rendre  les  éléments  plus  résistants 
à  l'égard  d'un  excès  de  chaleur.  Il  est  cependant  des  espèces,  et  elles  doivent  être 
nombreuses,  qui  ne  supportent  pas  longtemps  les  pi-ivations  d'eau  ;  le  Bacierium  terme 
périrait  après  sept  jours  de  dessiccation.  Les  spores  des  différentes  espèces  résistent 
pendant  un  temps  très  long.  Celles  du  Bacille  du  charbon,  celles  des  anaérobies  patho- 
gènes du  sol,  supportent  des  mois  entiers  la  dessiccation  spontanée  sans  perdre  leur 
virulence  ;  les  crachats  tuberculeux,  desse'chés  lentement,  restent  aussi  très  longtemps 
actifs. 

De  ces  actions  des  agents  physiques  sur  les  Bactéries,  il  est  possible  de  conclure 
qu'en  général  ils  paraissent  tous  concourir  à  un  même  but  fmal,  l'atténuation  et 
même  la  suppression  complète  de  la  vitalité  de  ces  germes;  les  agents  météorologiques 
ont  sur  eux  une  action  nuisible,  même  parfois  mortelle. 

Modifications  que  subissent  les  milieux.  —  En  vivant  aux  dépens  des  milieux, 
les  bactéries  font  subir  des  modifications  profondes  aux  principes  qu'ils  contiennent  et 
aux  dépens  desquels  elles  se  nourrissent.  Le  protoplasraa  vivant  s'assimile  certaines  par- 
ties et  rejette  le  reste.  Cette  dernière  portion  s'accumule  dans  le  milieu,  qu'elle  peut 
même  rendre  impropre  au  développement  ultérieur  de  l'espèce  lorsqu'elle  a  atteint  une 
limite  déterminée.  Le  milieu,  privé  des  cellules  vivantes,  devient  souvent  réfractaire  à 
toute  tentative  nouvelle  d'ensemencement  avec  la  môme  espèce;  on  dit  qu'il  est  vacciné 
contre  cette  espèce,  et  de  fait  cette  particularité  n'est  pas  sans  jeter  du  jour  sur  le  phé- 
nomène de  la  vaccination. 

Il  n'est  pas  encore  possible  d'arriver  à  une  généralisation  de  ces  phénomènes.  Ils 
peuvent  donner  lieu  à  un  simple  dédoublement;  dans  la  fermentation  ammoniacale  de 
l'urée  par  exemple,  la  molécule  d'urée  se  dédoublerait  en  deux  molécules  de  carbonate 
d'ammoniaque.  Ils  aboutissent  parfois  à  une  oxydation  extrême  dont  les  produits  ultimes 
sont  de  l'acide  carbonique  et  de  l'eau.  Souvent  il  ne  se  fait  qu'une  oxydation  partielle, 
comme  on  le  voit  dans  la  fermentation  acétique.  Les  phénomènes  observés  peuvent  être 
des  phénomènes  de  réduction  dus  à  l'action  secondaire  d'hydrogène  naissant  produit 
par  la  bactérie;  c'est  ce  qui  se  passe  pour  de  nombreux  organismes  des  putréfactions, 
qui  réduisent  alors  les  sulfates  de  l'eau  ou  du  sol  en  produisant  un  dégagement  d'hydro- 
gène sulfuré. 

Les  produits  formés  dans  cette  action  des  bactéries  sur  les  milieux  sont  de  nature 
très  diverse.  Ils  peuvent  être  des  gaz,  des  produits  volatils  ou  des  substances  fixes. 
Parmi  les  gaz,  le  plus  commun  est  sans  contredit  l'acide  carbonique;  puis  viennent 
l'hydrogène  et  l'hydrogène  sulfuré.  Au  premier  rang  des  produits  volatils  se  trouvent 


BACTERIES.  1027 

l'ammoniaque  et  les  ammoniaques  composés,  surtout  les  triméth3'lamines;  puis  viennent 
des  acides,  formique,  acétique,  butyrique;  quelquefois  des  alcools.  Les  substances  fixes 
peuvent  être  des  acides,  comme  l'acide  lactique,  l'acide  oxalique;  des  amides,  comme 
la  leucine;  des  corps  de  la  série  aromatique,  comme  la  tj'rosine,  le  phénol,  l'indol,  le 
scatol;  des  matières  colorantes,  qui  se  répandent  plus  ou  moins  uniformément  dans  le 
protoplasma  vivant  ;  des  peptones  provenant  de  la  transformation  en  excès  des  sub- 
stances albuminoïdes  du  milieu,  enfin,  des  ptomaïnes  et  des  matières  albuminoïdes  spé- 
ciales, qui,  par  leur  constitution  et  leurs  propriétés  chimiques,  semblent  se  rapprocher 
des  diastases,  et  qui,  pour  les  bactéries  pathogènes,  doivent  jouer  un  grand  rôle  dans 
les  effets  produits  sur  les  organismes  attaqués.  Ces  dernières  catégories  de  substances 
fixes  méritent  une  étude  plus  approfondie. 

Matières  colorantes  des  bactéries.  —  Les  matières  colorantes  sont  produites  par 
le  protoplasma  cellulaire.  La  plupart  du  temps,  elle  ne  diffusent  jamais  dans  le  milieu 
ambiant  pendant  la  vie  des  cellules  qui  les  ont  formées,  mais  seulement  après  leur 
mort  et  peut-être  aussi  dans  ces  sortes  de  dégénérescences  désignées  sous  le  nom  de 
formes  d'involution.  Elles  existent  en  quantité  trop  minime  dans  chaque  élément  pour 
lui  donner  une  nuance  perceptible,  même  à  de  très  forts  grossissements,  et  ne  devien- 
nent sensibles  que  lorsque  de  nombreux  éléments  sont  réunis  en  amas  plus  ou  moins 
compacts.  D'autres  fois,  au  contraire,  la  matière  colorante  diffuse  plus  ou  moins  loin 
dans  le  milieu  auquel  elle  donne  une  teinte  spéciale;  c'est  le  cas  des  matières  colorantes 
du  pus  bleu,  des  Bacilles  fluorescents  de  l'eau,  du  pigment  brun  que  produisent  en  parti- 
culier certaines  Cladothrix;  les  colonies  bactériennes  restent  souvent  même  incolores, 
le  pigment  n'apparaissant  qu'autour  d'elles. 

La  nuance  varie  considérablement  suivant  l'espèce.  Les  Sarcina  lutea,  Micrococcus  luteus 
donnent  des  colorations  jaune  citron;  les  Bacilhis  luteus,  Micrococcus  pijogenes  aureus, 
des  zooglées  d'un  jaune  orangé;  le  Bacillus  ruber  donne  du  rouge  vif;  le  Micrococcus pro- 
digiosus  du  rouge  carmin;  le  Beygiatoa  roseo-persicina  du  rose  violet;  le  Micrococcus  cin- 
nabareus  du  rouge  cinabre  ;  le  Micrococcus  roseus  du  rose  chair. 

Le  Bacillus  syncyanus,  du  lait  bleu,  produit  du  bleu  de  ciel  ou  du  bleu  grisâtre;  le 
Bacillus pyocyaneus,  du  pus  bleu,  du  bleu  vert. 

Le  B.  violaceus  possède  un  pigment  violet  noir;  le  B.  janthinus  un  violet  tendre. 

Les  bacilles  fluorescents  de  l'eau,  \e  Bacille  de  la  diarrhée  verte  des  nourrissons,  colorent 
en  vert  plus  ou  moins  foncé  les  substrats  solides  sur  lesquels  on  le  cultive.  On  est  moins 
fixé  sur  la  coloration  verte  des  Bacillus  viridis  et  Bacillus  virens  de  Van  Tieghe.\i  et  du 
Bacillus  chlorinus  d'ENOELsiANN,  que  ces  auteurs  regardent,  sans  grandes  preuves  à 
l'appui,  comme  colorés  par  de  la  chlorophylle. 

La  nature  de  ces  pigments  est  très  peu  connue.  Quelques-uns  sont  solubles  dans 
l'eau;  la  plupart  ne  s'y  dissolvent  pas,  ils  sont  solubles  dans  l'alcool  absolu,  l'éther  ou 
le  chloroforme  ;  d'autres,  insolubles  dans  tous  ces  réactifs,  demandent  l'emploi  de  pro- 
cédés spéciaux  pour  être  isolés.  Leur  composition  chimique  ir'est  pas  établie.  Certains 
semblent  se  rapprocher  des  couleurs  d'aniline  par  les  propriétés  optiques  de  leurs  solu- 
tions. Les  mieux  étudiés  sont  certainement  le  pigment  rose  du  Beggiatoa  rosea-persicina 
et  le  pigment  bleu  fourni  par  le  Bacille  du  pus  bleu. 

La  matière  colorante  des  Beggiatoacés  roses  a  été  isolée  et  étudiée  par  Ray  Lankesteb, 
qui  a  donné  à  ce  pigment  tantôt  rose  rouge,  tantôt  couleur  Heur  de  pêcher  ou  violet 
intense,  le  nom  de  bactério-purpurine.  Elle  est  insoluble  dans  l'eau,  l'alcool,  le  chloro- 
forme, l'ammoniaque,  les  acides  acétique  et  sulfurique.  L'alcool  bouillant  fait  virer  sa 
teinte  au  brun.  Elle  montre,  au  spectroscope,  des  bandes  d'absorption  toutes  spéciales  : 
une  large  bande  dans  le  jaune  près  de  la  raie  D  de  Fraunhofer;  deux  faibles  dans  le 
vert  près  des  raies  E  et  b;  une  faible  dans  le  bleu  près  de  la  raie  F;  puis,  à  partir  de  la 
raie  G,  un  assombrissement  de  la  partie  la  plus  réfrangible  du  spectre.  En  se  basant  sur 
l'analyse  spectrale,  on  devrait  plutôt  rapprocher  la  bactério-pui-purine  de  l'alizarine  ou 
de  la  purpurine  que  des  rouges  d'aniline,  comme  on  l'a  fait  tout  d'abord.  La  teinte  varie 
beaucoup  suivant  l'âge  et  l'activité  de  la  cellule,  elle  passe  du  rose  clair  au  pourpre 
violet;  elle  tourne  au  brun  après  la  mort  de  l'élément. 

Le  Bacille  du  pus  bleu  produit  dans  les  milieux  où.  il  se  développe,  deux  matières  colo- 
rantes au  moins,  une  bleue,  la  pyocyanine,  et  un  autre  pigment  verdâtre  qui  commu- 


1028  BACTERIES. 

nique  au  substralum  une  belle  fluorescence  verte.  La  pyocyaiiine  a  étéisole'e  par  Fordos 
en  traitant  par  l'eau  ammoniacale  les  linges  de  pansement  bleuis  par  la  sécrétion  spé- 
ciale; le  liquide,  agité  avec  du  chloroforme,  lui  cède  la  pyocyanine  que  l'on  peut  obtenir 
cristallisée  par  évaporation.  Gessahd  a  perfectionné  ce  procédé  et  l'a  appliqué  aux  cul- 
tures, ce  qui  permet  d'obtenir  des  quantités  beaucoup  plus  grandes  du  produit.  Il  con- 
seille d'opérer  de  la  façon  suivante.  Les  bouillons  de  culture  où  le  microbe  est  en  plein 
développement  sont  alcalinisés  avec  de  l'ammoniaque  et  agités  avec  du  chloroforme. 
Ce  dernier  s'empare  de  la  pyocyanine  et  se  colore  en  un  beau  bleu  de  ciel  foncé.  Il  a 
dissous  en  même  temps  des  impuretés,  surtout  des  matières  grasses.  Il  est  filtré  et  agité 
avec  de  l'eau  acidulée  à  l'acide  sulfurique  ou  à  l'acide  chlorhydrique.  La  pyocyanine 
passe  dans  l'eau  acidulée  à  l'état  de  combinaison  rouge.  Le  chloroforme  retient  les  ma- 
tières grasses  et  une  matière  colorante  jaune  qui  provient  d'une  oxydation  de  la  pyocya- 
nine, \apyoxanthosc.  La  dissolution  aqueuse  rouge,  décantée,  est  saturée  par  la  potasse 
ou  l'ammoniaque  ;  elle  passe  au  bleu.  On  filtre  et  on  traite  par  le  chloroforme  qui  entraîne 
la  pyocyanine,  qu'il  abandonne  pa.r  évaporation.  C'est  une  masse  confuse  de  petits  cris- 
taux, d'un  bleu  foncé,  rappelant  l'indigo.  En  reprenant  par  l'eau  distillée  et  abandon- 
nant à  l'évaporation  lente,  on  obtient  de  belles  aiguilles  isolées  ou  réunies  en  aigrettes 
ou  en  étoiles,  des  octaèdres  ou  des  tables  rhombiques. 

La  pj'ocyanine  est  soluble  dans  l'eau,  plus  à  chaud  qu'à  froid,  dans  l'alcool,  le  chlo- 
roforme, moins  dans  l'éther;  elle  a  une  saveur  amère.  Les  acides  la  font  passer  au  rouge 
et  forment  avec  elle  des  composés  crisfcallisables;  on  doit  la  considérer  comme  une  base 
et  la  rapprocher  peut-être  des  ptomaïnes.  L'air  et  toute  oxydation  la  font  passer  à  l'état 
de  pyoxanthose  qui  cristallise  en  petites  aigrettes  jaunes.  La  pyocyanine  ne  semble  pas 
toxique,  même  à  fortes  doses. 

La  matière  colorante  du  Bacillus  violaceus  ne  diffuse'pas  dans  le  milieu  comme  celle 
produite  par  le  Bacille  pyocijanogène,  mais  reste  au  contraire  dans  le  protoplasme  cellu- 
laire ou  dans  la  matière  gélatiniforme  qui  réunit  les  cellules  en  zooglées.  Elle  est  inso- 
luble dans  l'eau  et  très  soluble  dans  l'alcool  absolu  en  donnant  une  liqueur  d'un  beau 
violet  foncé,  prenant  la  teinte  d'une  solution  de  violet  d'aniline  lorsque  la  proportion  de 
culture  est  assez  forte.  En  solution,  l'ammoniaque  la  fait  passer  au  bleu  puis  au  vert;  il 
se  produit  en  peu  de  temps  une  décoloration  totale;  par  neutralisation  avec  l'acide  acé- 
tique, il  réapparaît  une  légère  teinte  violette.  La  potasse  donne  du  vert,  puis  du  jaune 
orange;  la  couleur  ne  se  régénère  plus  après  neutralisation.  L'acide  acétique  ne  change 
pas  la  nuance,  même  après  un  long  contact;  l'acide  azotique  fait  virer  au  vert,  puis  au 
jaune  un  peu  verdàtre. 

Les  conditions  de  milieu  ont  ici  une  influence  très  variable. 

La  lumière  ne  semble  pas  du  tout  nécessaire  à  la  production  du  pigment.  Des  cul- 
tures de  Micrococcus  prodigiosus  et  de  Bacillus  violaceus,  faites  à  l'obscurité  et  conservées  à 
la  chambre  noire,  se  sont  montrées,  après  quelques  semaines,  tout  aussi  colorées  que 
que  d'autres,  faites  en  même  temps  et  maintenues  au  grand  jour.  Elle  exerce  une 
action  nuisible  sur  beaucoup  de  ces  pigments  en  solution  aqueuse  ou  alcoolique;  la 
solution  aqueuse  de  pyocyanine  et  la  solution  alcoolique  de  pigment  de  Micrococcus  pro- 
digiosus, exposées  à  la  lumière  difl'use,  pâlissent  vite,  prennent  une  teinte  jaunâtre  et 
arrivent  à  se  décolorer  presque  complètement. 

L'oxygène  paraît  nécessaire  à  la  formation  du  pigment.  Lorsque  l'espèce  se  déve- 
loppe dans  un  milieu  confiné,  elle  se  colore  mal;  quand  l'air  fait  presque  complètement 
défaut,  elle  ne  se  colore  pas  du  tout.  Les  bactéries  à  couleurs  vives  que  l'on  fait  se  déve- 
lopper sous  une  petite  couche  d'huile  donnent  des  colonies  blanches,  qui  peuvent  pren- 
dre leur  nuance  spéciale,  si  la  couche  préservatrice  vient  à  être  supprimée.  L'oxygène 
pur  serait  nuisible;  c'est  du  moins  ce  que  prouvent  les  expériences  de  Charrin  et  Rogkr 
sur  le  Bacillus  pyocyaneus. 

La  puissance  chromogène,  comme,  du  reste  toutes  les  autres  fonctions  des  microbes, 
est  en  relations  intimes  avec  la  vitalité,  de  telle  sorte  que  toutes  les  conditions  qui  dimi- 
nuent l'activité  du  développement  d'une  espèce  font  aussi  décroître  sa  puissance  chro- 
mogène. En  première  ligne,  pour  beaucoup  d'espèces,  se  trouvent  les  cultures  succes- 
sives dans  les  milieux  artificiels  ordinaires.  C'est  ainsi  que  le  Bacillus  violaceus,  qui  donne 
sur  gélose  peptonisée,  en  première  culture  au  sortir  du  milieu  naturel  d'où  on   l'a  isolé, 


BACTÉRIES.  1029 

l'eau  le  plus  souvent,  des  colonies  colorées  en  violet  noir,  perd  rapidement  dans  des 
cultures  suivantes,  son  pouvoir  chromogène  et  ne  donne  plus  que  des  colonies  entière- 
ment blanches. 

Il  en  est  de  même  lorsqu'on  ajoute  aux  cultures  des  produits  nuisibles,  comme  des 
antiseptiques  en  quahté  assez  minime  toutefois  pour  ne  pas  tuer  la  bactérie.  Charrin  et 
Roger  ont  démontré  qu'on  pouvait  graduer  en  quelque  sorte  la  production  de  pyocya- 
nine  par  le  Bacille  du  pus  bleu,  en  ajoutant  aux  cultures  des  proportions  de  plus  en  plus 
fortes  de  sublimé  corrosif.  Tandis  qu'avec  des  proportions  de  06"',0lo  à  0S'',02  de  sublimé 
par  litre,  on  ne  fait  que  retarder  la  production  de  la  matière  colorante,  on  l'arrête  bien- 
tôt en  augmentant  progressivement  la  dose. 

La  nature  du  milieu,  la  présence  et  les  proportions  de  certains  principes  nutritifs, 
jouent  un  très  grand  rôle  dans  la  production  du  pigment;  on  ne  sait  encore  là-dessus 
que  bien  peu  de  choses.  Gessard  a  reconnu  que  la  fluorescence  verte  due  aux  bacilles  fluo- 
rescents communs  dans  les  eaux,  était  intimement  liée  àla  présence  de  phosphate  dans  le 
milieu.  Enfin,  un  changement  de  milieu  peut  modifier  complètement  la  nature  de  la 
matière  colorante;  ainsi  le  bacille  du  lait  bleu,  qui  produit  dans  le  lait  un  pigment  bleu 
foncé,  cultivé  sur  gélatine  ou  sur  gélose,  colore  la  gelée  ambiante  en  brun  foncé,  alors 
que  sa  colonie  reste  blanche. 

Fonction  photogène.  — •  La  fonction  photogène  que  présentent  certains  microbes 
très  intéressants  est  à  rapprocher  de  la  fonction  chromogène.  Il  est  un  certain  nombre 
d'espèces  de  bactéries  qui  possèdent  la  propriété  de  luire  dans  l'obscurité,  tout  comme 
les  animaux  et  les  plantes  inférieures  dits  pour  ce  laoûf  phosphorescents. 

Ces  bactéries  phosphorescentes  ont  été  surtout  observées  sur  les  poissons  de  mer  et 
les  viandes  de  boucheries.  Elles  peuvent  se  développer  sur  des  plantes  et  des  animaux 
vivants  qu'elles  rendent  phosphorescents.  Giard  a  observé  ce  phénomène  sur  de  petits 
crustacés  marins,  les  taiitres,  dû  à  l'infestation  par  un  microbe  phosphorescent  qui  sem- 
ble spécial  et  qui  détermine, chez  ces  animaux,  de  véritables  manifestations  épidémiques. 
C'est  sans  doute  aussi  à  une  bactérie  lumineuse  qu'est  due  la  phosphorescence  que  pré- 
sentent souvent  plusieurs  animaux  inférieurs,  en  particulier,  dans  nos  régions,  les  géo- 
philes.  D'après  Patouillard,  la  phosphorescence  de  certains  agarics  serait  aussi  due  à 
leur  envahissement  par  des  bactéries  photogènes. 

La  phosphorescence  des  viandes  est  le  phénomène  qui  a  le  plus  frappé  au  début  et  a 
été  le  mieux  étudié.  La  viande  sur  laquelle  se  sont  développées  des  bactéries  phosphores- 
centes émet  dans  l'obscurité  des  lueurs  blanches,  parfois  un  peu  verdâtres,  en  traùiées 
mobiles,  irrégulières,  ressemblant  aux  sillons  qu'une  allumette  phosphorique  laisse  sur 
les  objets  lorsqu'on  la  frotte  légèrement  à  leur  surface.  Cette  phosphorescence  est  conta- 
gieuse de  proche  en  proche;  Nuesch  rapporte  qu'en  une  nuit  toute  la  viande  d'une  bou- 
cherie a  été  envahie.  En  transportant  une  petite  portion  de  la  glaire  phosphorescente 
qu'on  recueille  à  la  surface,  sur  un  morceau  de  viande  fraîche,  celle-ci  devient  rapide- 
ment phosphorescente.  Ces  espèces  végètent  bien  aussi  sur  les  milieux  artificiels  qu'elles 
rendent  alors  lumineux.  Elles  peuvent  même  subsister  assez  longtemps  dans  de  l'eau 
légèrement  salée,  comme  l'eau  de  mer,  en  produisant  à  la  surface  leur  curieuse  réaction; 
certains  cas  de  phosphorescence  de  la  mer  doivent  leur  être  rapportés. 

Le  temps  pendant  lequel  le  substratum  reste  phosphorescent  est  variable.  Nuesch  a 
eu  de  la  viande  qui  est  restée  lumineuse  pendant  sept  semaines  à  une  température  ne 
dépassant  pas  10°.  La  putréfaction  fait  disparaître  le  phénomène,  les  espèces  qui  l'occa- 
sionnent l'emportant  sur  les  bactéries  lumineuses  et  en  déterminant  la  rapide  disparition. 
La  température  influe  assez  peu,  dans  de  certaines  limites.  Ludwig  a  observé  de  la  viande 
de  veau  qui  luisait  encore  à  —  10°  et  même  faiblement  à  —  14°.  Cette  viande  mise  au  bain- 
marie  dans  un  tube  était  encore  phosphorescente  à  .30°,  mais  à  47°  toute  lueur  avait 
disparu.  Par  contre,  une  bactérie  lumineuse  que  Fischer  a  trouvée  dans  l'eau  de  la  mer 
des  Indes  et  sur  des  animaux  marins  morts  devenus  lumineux  ne  croît  plus  et  n'émet 
pas  de  lueur  perceptible  au-dessous  de  10°;  la  phosphorescence  présente  un  optiumm 
à  23°  et  disparaît  à  40°. 

La  lumière  émise  est  blanche  et  contient,  par  conséquent,  les  différentes  radiations 
du  spectre.  Avec  des  cultures  de  Microcoecus  phosphoreus,  Ludwig  a  obtenu  un  spectre 
continu  depuis  la  raie  B  de  Fraunhofer  jusque  dans  le  violet. 


1030  BACTERIES. 

L'air  est  nécessaire  à  la  production  du  pliénornène.  Les  cultures  ne  luisent  pas  en 
l'absence  d'oxygène;  les  parties  profondes,  où  ce  gaz  ne  pénètre  pas,  ne  sont  pas  lumi- 
neuses. Si  l'on  chasse  l'air  par  un  courant  d'hydrogène  ou  d'acide  carbonique,  la  phos- 
phorescence disparaît. 

La  phosphorescence  est  sous  la  dépendance  immédiate  des  cellules  vivantes,  car  les 
bouillons  de  cultures  filtrés  ne  sont  jamais  phosphorescents. 

La  nuance  de  la  lumière  est  variable  suivant  l'espèce  de  bactérie  lumineuse  que  l'on 
observe  et  un  peu  aussi  suivant  l'âge  et  la  vitalité  de  la  culture.  C'est  tantôt  une  lumière 
bleuâtre  avec  une  petite  pointe  de  vert;  tantôt  une  lumière  d'un  vert  émeraude  ;  tantôt 
d'un  blanc  d'argent  doux. 

On  en  est  réduit  à  de  pures  hypothèses  sur  le  mode  de  production  de  la  matière  pho- 
togène. R.  Dubois  pense  que  les  microbes  lumineux  produisent  une  diastase  spéciale,  la 
luciférase,  donnant  lieu  au  phénomène  de  la  phosphorescence  au  contact  des  produits 
organiques  phosphatés  contenus  dans  le  milieu  où  ils  vivent. 

C'est  très  probablement  à  la  présence  de  telles  bactéries  qu'il  faut  attribuer  le  curieux 
phénomène  de  la  phosphorescence  de  liquides  de  l'organisme,  normaux  ou  pathologi- 
ques, le  lait,  l'urine,  la  sueur,  la  salive,  le  pus.  On  eu  trouve  mention  de  quelques  cas 
dans  les  anciens  auteurs.  Henkel  rapporte  l'histoire  d'un  fait  bien  net  de  sueurs  phos- 
phorescentes. Le  sujet  suait  beaucoup,  lorsqu'il  se  déshabillait  dans  l'obscurité,  la  sur- 
face de  son  corps  et  sa  chemise  étaient  parcourues  en  tous  sens  par  des  traînées  lumi- 
neuses semblables  à  des  sillons  d'allumettes  phosphoriques.  Tout  disparaissait  à  la  lumière 
et  on  remarquait  sur  la  peau  de  petites  macules  rouges.  L'individu  exhalait  une  odeur 
spéciale  urineuse,  plutôt  acide  qu'ammoniacale,  rappelant  la  choucroute  trop  fermentée. 
Ce  phénomène  n'a  du  reste  rien  qui  doive  étonner  et  rappelle  les  cas  de  coloration  de 
plusieurs  sécrétions  normales,  sueur,  lait,  salive  par  des  bactéries  qui  les  teignent  en 
bleu,  rouge,  etc. 

Ptomaïnes.  —  Dans  des  décompositions  qui  s'opèrent  sous  l'influence  des  bactéries 
et  dans  les  cultures  pures  d'un  certain  nombre  d'espèces,  on  a  découvert  des  bases 
azotées  présentant  beaucoup  d'analogies  avec  les  alcaloïdes  végétaux.  Selmi,  qui  en  a 
l'etiré  des  cadavres  humains  putréfiés,  leur  a  donné  le  nom  de  ptomaïnes  (;iTco[j.a,  cada- 
vre). Ces  substances,  d'un  haut  intérêt,  devant  faire  l'objet  d'un.article  spécial,  nous  n'en 
dirons  ici  que  ce  qui  a  trait  plus  particulièrement  à  la  vie  des  bactéries. 

Les  unes  paraissent  être  sans  action  sur  l'organisme  animal  ou  n'ont  que  des  effets 
peu  marqués  et  passagers.  D'autres,  au  contraire,  déterminent  des  troubles  plus  ou 
moins  prononcés,  souvent  considérables,  amenant  rapidement  la  mort  à  doses  très  faibles; 
elles  sont  en  tout  comparables  aux  poisons  végétaux  les  plus  énergiques,  surtout  la 
morphine,  l'atropine,  la  muscarine  des  champignons  vénéneux.  Les  troubles  occa- 
sionnés par  des  ptomaïnes  produites  par  des  bactéries  pathogènes  peuvent  ressembler, 
en  totalité  ou  en  partie,  à  ceux  des  maladies  infectieuses  où  elles  se  rencontrent.  Dans  ses 
belles  recherches  sur  le  choléra  des  poules,  Pasteur  a  montré  que  le  bouillon  de  culture, 
dépourvu,  par  flltration  sur  porcelaine,  de  tout  élément  vivant,  tenait  en  solution  une  sub- 
stance qui  déterminait,  par  injection  sou.s-cutanée,  un  des  symptômes  les  plus  frappants 
de  la  maladie,  la  somnolence.  Depuis,  Bohchaed  a  retiré  des  urines,  dans  les  cas  de  ma- 
ladies infectieuses,  des  quantités  notables  de  ptomaïnes  qui  proviennent,  pour  lui,  du 
développement  dans  l'organisme  des  bactéries  pathogènes,  causes  de  l'affection.  Les  re- 
cherches de  Lépine  et  Guérin,  Villiers,5Pouchet,  Griffith,  sont  venus  confirmer  les  siennes. 
Dans  les  premières  études  sur  les  ptomaïnes,  particulièrement  dans  celles,  si  intéres- 
santes de  Â.  Gautier,  plusieurs  espèces  bactériennes,  se  développant  côte  à  côte,  mélan- 
geaient leurs  produits  d'excrétion.  En  opérant  sur  des  cultures  pures,  il  a  été  possible 
d'arriver  à  une  précision  plus  grande.  Briegeh,  Christmas  l'ont  fait  récemment  pour 
quelques  espèces.  Un  très  intéressant  essai  vient  d'être  fait  par  Tito  Carbone  avec  des 
cultures  du  Proteiis  vidgaris,  bactérie  très  commune  dans  les  putréfeotions  animales. 
De  grandes  quantités  de  viande  stérilisée,  finement  hachée,  ont  été  ensemencées  avec 
des  cultures  pures  de  l'espèce  en  question.  L'auteur  a  reconnu  la  présence,  dans  ces 
cultures  où  ne  végétait  que  la  seule  espèce  en  question,  de  dilférentes  bases  trouvées 
dans  la  putréfaction  de  chair  de  poisson;  en  particulier  la  cboline,  l'éthylène-diamine, 
la  gadinine,  la  trimé  thylamine. 


BACTERIES.  1031 

Il  semble  que  la  composition  du  milieu  ait  une  influence  prépondérante  sur  la  forma- 
tion des  ptomaïnes,  de  sorte  que  telle  espèce,  qui  en  produit  lorsqu'elle  vit  aux  dépens 
d'albuminoïdes,  n'en  fournit  plus  avec  des  sucres  comme  aliment.  Les  recherches  sont 
encore  peu  avancées  sur  ce  point. 

Parmi  les  produits  résultant  de  l'activité  vitale  des  bactéries,  nous  avons  signalé,  en 
dernier  lieu,  des  matières  albuminoïdes  spéciales  qui,  par  leur  constitution  et  leurs  pro- 
priétés, se  rapprochent  des  diastases  en  général  et  en  particulier  de  celles  que  nous 
avons  vues  produites  par  les  microbes  pour  servir  directement  à  leur  nutrition.  On  les  a 
dénommées,  un  peu  au  hasard,  albumoses  ou,  pour  certaines,  albumines  toxiques  ou  to.xal- 
bumines,  à  rause  de  leur  action  toxique  à  haut  point.  Leur  histoire  complète  sera  faite 
sous  cette  dernière  dénomination. 

La  plupart  de  ces  substances  ont  des  effets  toxiques  très  marqués,  qui,  pour  plusieurs 
espèces  pathogènes  bien  connues,  rappellent  des  symptômes  dominants  ou  des  phéno- 
mènes secondaires  que  l'on  observe  dans  le  cours  des  infections  déterminées  par  elles. 

Il  en  est  qui,  inoculées  dans  le  tissu  conjonctif,  déterminent  des  phénomènes  d'inflam- 
mation très  nets.  Telle  est  cette  diastase  jMogogène  qu'ARLOiNG  a  retirée  des  cultures  d'un 
des  microbes  de  la  péripneumonie  bovine.  Christsias  a  reconnu  dans  les  cultures  de  Sta- 
phylocoque doré  la  présence  d'une  diastase  qui  provoque,  par  inoculation  dans  la  cham- 
bre antérieure  de  l'œil,  une  suppuration  légère.  D'autres  produisent  de  la  fièvre,  comme 
le  pyrétogénine  que  Roussy  a  retiré  de  la  levure  de  bière.  La  toxalbumine  du  Bacille  du 
tétanos,  inoculée  au  cobaye,  lui  donne  un  tétanos  typique.  L'étude  plus  complète  de  ces 
substances  se  trouve  au  mot  Toxalbumine. 

Classification  des  Bactéries.  —  Nous  avons  vu  que  les  premiers  classificateurs, 
Ehrenberg  et  Dujardin,  s'en  étaient  teuus  à  la  forme  apparente  des  éléments  pour  établir 
une  classification  des  bactéries.  Il  faut  reconnaître  qu'aujourd'hui  c'est  encore  la  forme 
qui  doit  servir  de  caractère  dominant;  les  autres  propriétés  dépendant  plus  encore  des 
circonstances  ambiantes.  Est-ce  à  dire  que  ce  caractère  ait  une  constance  absolue  ou 
même  suffisante  pour  satisfaire  complètement  l'esprit"?  Assurément  non.  Les  conditions 
de  milieu  agissent  aussi  beaucoup  sur  lui,  comme  sur  toutes  les  autres  propriétés  vitales 
des  bactéries,  mais  c'est  lui  qu'on  voit  le  plus  souvent  ramené  à  un  type  normal,  ou  qui 
peut  être  considéré  comme  tel  parce  que  c'est  celui  qu'affectent  les  éléments  dans  leurs 
conditions  naturelles.  On  est  forcé  d'admettre,  et  les  partisans  du  polymorphisme  des 
bactéries  le  font  aussi,  que  pour  chaque  espèce  il  est  une  forme  normale,  une  sorte  de 
moyen  terme,  que  revêt  toujours  l'espèce  lorsqu'elle  vit  dans  des  conditions  qu'on  peut 
supposer  naturelles,  autour  duquel  il  peut  se  produire  des  variations  en  plus  ou  en  moins 
lorsqu'on  fait  intervenir  des  conditions  défavorables,  mais  auquel  l'espèce  revient  toujours 
quand  elle  se  retrouve  dans  le  milieu  qui  lui  convient.  C'est,  en  somme,  la  conclusion  logi- 
que des  expériences  de  Charrin  et  Guignard  sur  le  polymorphisme  du  Bacille  pyocy unique. 
Prenant  comme  base  la  forme  des  éléments  normaux,  nous  avons  proposé  la  classifi- 
cation suivante  : 

1"=  famille:  Coccacées.  —  Bactéries  à  éléments  normalement  sphériques,  se  reproduisant  d'habi- 
tude par  division,  quelquefois  par  spores.  La  division  peut  se  faire  suivant  une  ou  plusieurs 
directions. 

Genres:  1.  Micrococciis .  —  Éléments  sphcriqucs,  isolés,  réunis  doux  à  deux  ou  quatre  à  quatre, 
ou  disposés  en  chapelets. 

2.  Sarcina.  —  Éléments  formant  des  paquets  cubiques,  provenant  de  la  division  qui  se 

fait  suivant  trois  directions  successives. 

3.  Ascococcus.  —  Éléments  réunis  en  colonies  massives  entourées  d'épaisses  enveloppes 

de  gelée. 

4.  Leuconostoc.  —   Eléments    disposés   en   chaînes  entourées  d'épaisses  enveloppes  de 

gelée. 
2"=  famille  :  Bactériacées.  —  Éléments  en  bâtonnets  plus  ou  rhoins  longs,  parfois  en  très  courts 
cylindres,  ou  en  filaments.  Les  articles  sont  droits  ou  courbés  et  ne  présentent  aucune  dis- 
tinction en  partie  basilaire  et  sommet.  Beaucoup  ont  de  vraies  spores  endogènes. 
Genres:  1.  Bacillus.  —  Éléments  en  bâtonnets  qui  peuvent  être  courts  et  trapus,  ou  dont  la  lon- 
gueur excède  un  certain  nombre  de  fois  l'épaisseur. 

2.  Spirillum.  —  Éléments  courbés  formant  souvent  une  spire  à  plusieurs  tours. 

3.  Leptothrix.  —  Éléments  formant  des  filaments  droits  parfois  très  longs. 

4.  Cladothi  ix.  —  Longs  filaments  présentant  des  ramifications  latérales.  De  vraies  spores. 


1032  BACTERIES. 

3"  famUle  :  Beggiatoacées.  —  Éléments  en  bâtonnets  ou  en  tilaments,  où  l'on  distingiie  une  partie 
basilaire,  souvent  fixée,  et  un  sommet  libre.  Il  se  forme  à  l'intérieur  des  articles  des  corps 
sphériques  qui  sont  pi'obablement  des  spores. 

Genres  :  1.  Beggiatoa.  —  Filaments  sans  gaine  de  gelée. 

2.  Crenothrix.  —  Filaments  avec  une  gaine  gélatineuse. 

Cette  dernière  famille  doit  probablement  être  détachée  du  groupe  des  bacte'ries  et 
rapprochée  de  certaines  algues  d'eau  douce,  les  oscillaires,  dont  elle  ne  diffère  que  par 
l'absence  de  chlorophylle  et  du  pigment  spécial,  la  phycocyanine. 

La  classification  exposée  n'est  pas  donnée  comme  devant  satisfaire  toutes  les  exi- 
gences; bien  au  contraire,  elle  doit  n'être  considérée  que  comme  provisoire.  Plus  on 
avancera  dans  cette  étude  des  bactéries,  plus  il  faudra  tenir  compte  des  affinités  mises 
en  lumière  par  les  recherches  de  chaque  jour  et  donner  une  part  plus  large  aux  parti- 
cularités biologiques  des  espèces.  Toutefois  les  seules  fonctions  physiologiques  ne 
paraissent  pas  pouvoir  jamais  suffire,  comme  on  l'a  déjà  proposé,  à  cause  de  leur  contin- 
gence. On  a  vu,  en  effet,  que  bien  souvent  elles  pouvaient  être  considérées  comme  secon- 
daires par  rapport  à  la  vie  de  l'espèce,  soit  qu'elles  ne  se  manifestent  que  lorsque  le  mi- 
crobe est  mis  en  présence  de  conditions  particulières,  de  facteurs  spéciaux,  ou  qu'elles 
puissent  se  voir  supprimées  sans  que  la  vie  proprement  dite,  la  multiplication  des  élé- 
ments, paraisse  en  souffrir.  C'est  ainsi  que  pour  de  nombreuses  espèces  pathogènes,  l'ac- 
tion pathogène  peut  s'atténuer  et  s'éteindre  malgré  une  végétation  qui  reste  luxuriante; 
pour  des  espèces  chromogènes,  la  sécrétion  de  pigment  disparaît  sous  l'influence  de  con- 
ditions banales.  Ainsi,  pour  des  espèces  ferments,  la  puissance  de  ferment  peut  être 
annihilée  ou  ne  se  manifeste  souvent  qu'en  présence  des  corps  fermentescibles;  leSaci//e 
de  la  fermentation  acétique  ne  détermine  son  action  spéciale  qu'en  présence  d'alcool  à 
transformer,  il  se  multiplie  abondamment  cependant  dans  le  simple  bouillon  de  peptone 
en  n'y  laissant  rien  paraître  de  sa  puissance  de  ferment. 

Malgré  ses  imperfections,  une  telle  classification  rendra  cependant  des  services  incon- 
testables. 

Il  est  absolument  impossible,  dans  les  limites  fixées  pour  ce  dictionnaire,  de  donner 
l'histoire  un  peu  complète  des  espèces  bactériennes  connues;  même  en  se  bornant  aux 
seules  espèces  qui  intéressent  les  physiologistes  au  premier  chef,  bactéries  pathogènes 
ou  ferments  par  exemple,  il  faudrait,  pour  le  faire,  disposer  d'une  marge  beaucoup  plus 
grande.  Nous  nous  en  tiendrons  à  une  énumération  un  peu  sèche,  suivie  de  l'exposé  des 
caractères  dominants  des  espèces  principales,  renvoyant  pour  leur  étude  complète  aux 
traités  spéciaux  ou  aux  mémoires  qui  seront  indiqués  dans  la  bibliographie. 

Pour  diviser  les  genres,  parfois  très  riches  en  espèces,  il  es't  certainement  avanta- 
geux, pour  la  seule  commodité  du  travailleur  cependant,  d'adopter  un  mode  de  groupe- 
ment basé  sur  la  fonction  physiologique  saillante,  tout  en  reconnaissant  que  des  espèces 
à  caractère  assez  différent  se  trouvent  de  cette  façon  réunies  côte  à  côte.  Ce  n'est,  je  le 
répète,  que  lorsqu'on  connaîtra  d'une  manière  à  peu  près  complète  tous  les  caractères 
morphologiques  et  biologiques  d'un  assez  grand  nombre  d'entre  elles,  qu'il  sera  possible 
d'apprécier  nettement  les  affinités  réelles  et  d'établir  une  classification  véritablement 
rationnelle.  En  attendant  nous  trouvons  commode  de  former  dans  les  grands  genres  des 
groupes  différents  pour  les  espèces  pathogènes,  chromogènes,  ferments  à  action  indif- 
férente ou  non  connue. 

Nous  allons  passer  les  genres  rapidement  en  revue  dans  l'ordre  énoncé  précédemment. 

Genre  Micrococcus.  Espèces  pathogènes.  —  Mic7'ococcu!<  pyogenes  aureus  {Staphylo- 
coque pyogène  doré).  — C'est  l'espèce  la  plus  fréquente  dans  le  pus;  son  nom  vient  de  la 
couleur  jaune  orangée  de  ses  cultures  sur  les  milieux  solides.  Les  éléments  sont  des  coc- 
cus  sphériques  de  0,9  à  1,2  ij.  de  diamètre,  isolés,  ou  plus  souvent  groupés  en  petits  amas. 
Ce  microbe  liquéfie  la  gélatine,  se  colore  facilement  par  les  couleurs  d'aniline  et  ne  se 
décolore  pas  par  la  méthode  de  Gbau.  Lebeh  a  isolé  des  cultures  une  substance  cristalli- 
sable,  soluble  dans  l'acool,  qu'il  a  nommée  phtoyosine,  déterminant  rapidement,  lors- 
qu'on l'injecte  en  faible  quantité  dans  les  tissus,  une  inflammation  suppurative.  Christ- 
mas  y  a  trouvé,  de  son  côté,  une  toxalbumine  occasionnant  la  suppuration  par  inoculation 
dans  la  chambre  antérieure  de  l'œil  du  lapin.  Les  cultures  de  cette  espèce  sont  virulentes 
et  conservent  longtemps  leur  activité. 


BACTÉRIES.  1033 

C'est  le  microbe  pj-ogène  qu'on  trouve  le  plus  communément  dans  les  suppurations, 
en  particulier  dans  le  pus  des  furoncles,  des  anthrax,  de  l'ostéomyélite,  de  beaucoup  de 
phlegmons,  de  l'empyôrne  souvent;  pénétrant  dans  le  sang,  il  peut  déterminer  de  l'in- 
fection purulente,  de  l'endocardite  ulcéreuse,  etc. 

lia  été  signalé  dans  le  tartre  dentaire,  l'enduit  lingual,  sur  la  peau,  à  l'état  normal; 
on  l'a  en  outre  rencontré  dans  l'air,  dans  les  eaux  souillées,  dans  la  terre  végétale. 

Micrococcus  pyogenes  alhus  (staphylocoque  pyogène  blanc).  Il  accompagne  très  souvent 
le  précédent,  dont  il  partage  presque  tous  les  caractères;  les  cultures  toutefois  sont  tou- 
jours incolores. 

Micrococcus  pyogenes  {Streptocoque  pyogéne).  Il  est  aussi  fréquent  dans  le  pus  où  le 
microscope  le  décèle  facilement  à  cause  de  sa  disposition  en  chaînettes  de  5  à  10  éléments 
en  moyenne.  11  reste  coloré  par  la  méthode  de  Gram.  Il  se  cultive  facilement  sur  les 
milieux  habituels,  sans  liquéfier  la  gélatine  par  exemple,  mais  la  vitalité  s'éteint  souvent 
après  trois  ou  quatre  générations.  La  virulence  des  cultures  varie  dans  de  très  larges 
limites  suivant  leur  âge  et  aussi  suivant  la  source  où  elles  ont  été  puisées.  Leur  inocula- 
tion au  lapin  peut  déterminer  une  inflammation  très  vive,  produisant  un  véritable  pheg- 
mon,  ou  une  infection  purulente  rapidement  mortelle;  ou  bien  on  peut  n'observer  que 
des  symptômes  locaux,  comme  la  formation  de  petits  abcès,  ou  même  simplement  des 
rougeurs  au  point  d'inoculation. 

Ce  microbe  se  rencontre  dans  beaucoup  de  suppurations,  surtout  dans  le  phlegmon 
diffus,  dans  certaines  ostéomyélites.  C'est  lui  qui  est  presque  toujours  la  cause  de  l'in- 
fection purulente  chirurgicale,  de  la  septicémie  puerpérale,  de  l'érysipèle.  Il  vient  com- 
pliquer par  sa  présence  un  grand  nombre  d'autres  affections  microbiennes  :  scarlatine, 
diphtérie,  pneumonie,  fièvre  typhoïde,  produisant  des  infections  secondaires  redou- 
tables. 

Micrococcus  cereus  alhus  et  Micrococcus  cereus  flavus.  Ce  sont  deux  espèces  qui  accom- 
pagnent souvent  les  précédentes  dans  le  pus.  Elles  ne  paraissent,  toutefois,  pas  avoir 
d'action  pyogène.  Leurs  cultures  sur  gélatine,  qu'elles  ne  liquéfient  pas,  ressemblent  à 
des  gouttes  de  cire  blanche  ou  jaune,  d'où  leur  nom. 

Micrococcus  Pasteuri  (Pneumocoque  de  Talamon  et  Frânkel).  C'est  l'agent  essentiel  de  la 
pneumonie;  il  pénètre  souvent  dans  la  circulation  générale  et  provoque  des  inflamma- 
tions métastatiques  qui  affectent  surtout  les  grandes  séreuses.  11  existe  dans  la  bouche  à 
l'état  normal;  c'est  à  lui  que  sont  dues  les  septicémies  consécutives  aux  injections  de 
salive.  On  a  dit  l'avoir  isolé  de  l'air  ou  des  poussières  de  salles  d'hôpitaux. 

Il  est  facilement  reconnaissable  à  la  forme  de  ces  éléments.  Ce  sont  des  coccus  ovales 
allongés,  de  1  [j.à  1  u.  .ï  de  long  sur  1  [j.  de  large;  en  forme  de  grain  de  blé  ou  d'orge  ou  eu 
forme  de  lancette.  Ils  sont  rarement  isolés,  bien  plus  souvent  en  diplocoques  ;  ou  en 
courtes  chaînes  et  toujours  immobiles.  Ils  sont  toujours  entourés  d'une  zone  gélati- 
neuse épaisse,  sorte  de  capsule,  très  visible  dans  les  préparations  de  crachats  ou  de 
l'exsudat  de  méningite.  Cette  capsule  se  décolore  difficilement  et  manque  très  sou- 
vent chez  les  microbes  provenant  de  cultures.  Tous  restent  colorés  par  la  méthode  de 
Gram. 

Il  se  cultive  du  reste  facilement,  mais  ne  se  développe  bien  qu'à  24°  et  pas  du  tout  à 
16°.  Les  cultures  sont  très  virulentes  et  font  périr  les  animaux  d'expérience  d'une  véri- 
table septicémie.  La  virulence  s'accroît  par  passage  à  travers  l'organisme  animal.  Une 
température  un  peu  élevée,  40-42°,  l'affaiblit  et  l'éteint  même  complètement. 

Ces  caractères  le  font  distinguer  facilement  d'un  court  bacille  que  Frieolander  a 
décrit  comme  facteur  de  la  pneumonie  et  qui  est  encore  connu  sous  le  non  de  Pneumo- 
coque de  Friedliinder.  Ce  dernier  est  un  saprophyte  commun  dans  la  bouche,  sur  la 
muqueuse  des  voies  respiratoires,  qui  peut  occasionner  des  troubles  de  cette  muqueuse, 
peut-être  le  rhinosclérome,  et  même  envahir  le  poumon  lui-même.  Mais  il  ne  joue  qu'un 
rôle  très  restreint  ou  même  nul  dans  la  production  de  la  pneumonie  vraie.  On  le  recon- 
naît facilement  à  ce  qu'il  se  décolore  par  la  méthode  de  Gram  et  qu'il  se  cultive  faci- 
lement à  la  température  de  13  à  16°.  Il  est  aussi  entouré  d'une  capsule  et  est  pathogène 
pour  certains  animaux  d'expérience,  surtout  pour  les  souris. 

Micrococcus  tetragenus.  C'est  encore  une  espèce  de  la  salive  qui  se  reconnaît  à  ce  que 
ses  éléments  forment  très  souvent  des  tétrades.  Ses  cultures  sont  virulentes  pour  les 


1034  BACTERIES. 

souris  blaaches  et  les  cobayes;  les  souris  de  champ  et  de  maison,  les  lapins,  les  chiens 
paraissent  peu  sensibles  ou  réfractaires. 

Micrococcus  gonorrhese  [gonocoque).  C'est  l'agent  spécifique  de  la  blennorrhagie  et  des 
alïeetions  liées  à  la  blennorrhagie,  l'ophtalmie  et  l'arthrite.  Ses  éléments  sont  des  coc(;us 
d'un  diamètre  moyen  de  0,'à  ;j.,  réunis  d'habitude  par  couples;  la  face  tournée  vers  l'in- 
térieur du  couple  est  plane  ou  même  légèrement  creusée,  l'élément  a  l'aspect  rénifornie. 
Ces  couples  existent  souvent  en  grand  nombre  dans  l'inlérieur  des  globules  de  pus,  don- 
nant au  pus  blennorrhagique  un  aspect  bien  spécial.  Ces  microbes  se  colorent  facile- 
ment avec  toutes  les  couleurs  d'aniline  usitées  ;  traités  par  la  méthode  de  Gram,  ils  se 
décolorent  toujours.  Les  cultures  sont  difficiles  à  obtenir  et  perdent  très  vite  toute  viru- 
lence. 

On  trouve  dans  le  pus  blennorrhagique  plusieurs  espèces,  commensales  probablement, 
qui  ressemblent  au  gonocoque  vrai  :  deux  caractères  semblent  cependant  permettre  de 
reconnaître  ce  dernier,  sa  présence  constante  à  l'intérieur  des  globules  de  pus  et  sa 
décoloration  par  la  méthode  de  Gram. 

Micrococcus  du  choléra  des  poules.  Il  a  été  trouvé  par  Pasteur  dans  le  sang  des  poules 
mortes  ou  malades  de  cette  affection.  On  en  obtient  très  facilement  des  cultures  sur  les 
divers  milieux.  Ces  cultures,  très  virulentes  au  début,  s'atténuent  en  avançant  en  âge,  si 
on  les  laisse  en  présence  d'ox3'gène.  Elles  peuvent  ainsi  constituer  des  séries  de  vaccins  à 
l'aide  desquels  il  est  possible  d'obtenir  l'immunité.  Les  bouillons  de  culture,  filtrés  sur 
porcelaine  et  privés  ainsi  de  tout  élément  vivant,  renferment  des  produits  solubles  qui, 
introduits  chez  les  poules  saines,  occasionnent  certains  des  phénomènes  observés  sur  les 
poules  malades,  particulièrement  la  somnolence  si  caractéristique. 

Les  poules  ne  sont  pas  les  seuls  animaux  sensibles  à  l'action  de  ce  microbe.  Toutes 
les  volailles  sont  réceptives,  beaucoup  d'oiseaux  sauvages  également.  Les  lapins,  les 
souris,  succombent  aux  inoculations  virulentes;  chez  les  cobayes,  elles  ne  produisent 
qu'une  réaction  locale,  un  petit  abcès  au  point  d'inoculation. 

On  accuse  d'autres  Micrococcus  d'être  les  agents  spécifiques  de  la  scarlatine  ;  la 
variole,  la  rougeole,  la  scarlatine,  la  rage;  rien  n'est  encore  certain  pour  ces  affections 
éminemment  contagieuses. 

Espèces  chromogènes.  —  Micrococcus  prodigiosus.  C'est  une  espèce  très  commune  dans 
l'air  et  dans  les  eaux.  Sa  propriété  principale  est  de  produire  un  pigment  rouge-carmin 
de  toute  beauté.  Elle  se  cultive  sur  tous  les  milieux  habituels  en  produisant  sa  nuance 
bien  reconnaissable;  elle  liquéfie  rapidement  la  gélatine.  On  obtient  facilement  la  ma- 
tière colorante  en  traitant  des  amas  de  microbes  par  l'alcool. 

Ce  microbe  paraît  pouvoir  vivre  dans  l'organisme;  c'est  à  lui  probablement  qu'il  faut 
rapporter  les  phénomènes  de  sueurs  rouges,  de  salive  rouge,  de  lait  rouge,  assez  rares 
chez  l'homme  et  encore  très  peu  étudiés. 

1!  existe  dans  l'air,  les  eaux,  le  sol,  un  assez  grand  nombre  de  Micrococcus  chromo- 
gènes,  dont  les  colonies  sont  jaunes,  roses,  brunes,  verdâtres;  aucune  ne  présente  d'in- 
térêt spécial. 

Espèces  ferments.  —  Micrococcus  urex.  Plusieurs  espèces  de  Micrococcus  ont  la  pro- 
priété de  transformer  l'urée  en  carbonate  d'ammoniaque;  leurs  caractères  principaux 
sont  décrits  à  l'article  Ammoniacale  (Fermentation)  de  ce  Dictionnaire. 

Micrococcus  nitrificans.  C'est  le  ferment  nitrique,  entrevu  par  Schlœsing  et  MiJNTZ, 
isolé  et  très  bien  étudié  par  Winogradsky.  Très  commun  dans  le  sol,  les  eaux,  il  a  la 
propriété  de  produire  de  l'acide  nitrique  aux  dépens  des  sels  ammoniacaux  et  de  former 
par  conséquent  la  très  grande  partie  des  nitrates  du  sol,  base  de  la  nutrition  azotée  des 
plantes.  Dans  le  sol,  l'action  de  cette  espèce  est  intimement  liée  à  celle  des  ferments 
de  l'urée,  qui  produisent  tous  de  grandes  quantités  de  carbonate  d'ammoniaque  qui  n'est 
pas  assimilable  pour  les  plantes;  ce  composé  ne  le  devient  que  par  suite  de  sa  transfor- 
mation en  nitrates  alcalins  par  les  microbes  de  la  nitriflcation,  l'azote  rentre  ainsi  dans 
la  circulation  vitale. 

Micrococcus  oblongus.  C'est  l'agent  de  la  fermentation  glyconique  trouvé  par  Boutrodx 
dans  de  la  bière  fermentée. 

Micrococcus  viscosus.  Pastedr  a  prouvé  que  ce  microbe  est  la  cause  de  l'altération 
spéciale  du  vin  et  de  la  bière  connue  sous  le  nom  de  gi-aisse.  Le  liquide  envahi  prend 


BACTERIES.  1035 

rapidement  une  consistance  visqueuse  et  peut  devenir  filant  comme  du  blanc  d'œuf.  Les 
coccus  ont  1  [J.  de  diamètre  et  sont  le  plus  souvent  unis  en  longues  chaînes  flexueuses. 

De  nombreuses  espèces  de  Micrococcus  à  action  indifférente  ou  non  connue  se 
trouvent  dans  l'air,  les  eaux,  le  sol  ;  une  énuméralion  plus  longue  ne  pouiTait  que  com- 
pliquer cet  article. 

Genre  Sarcina.  —  Sarcina  ventriculi  {Sarcine  de  l'estomac).  Cette  espèce  est  fréquente 
dans  le  contenu  stomacal  de  l'homme  et  des  animaux;  elle  abonde  d'ordinaire  quand  la 
fermentation  des  produits  accumulés  dans  l'estomac  est  favorisée  par  leur  stagnation 
occasionnée  par  un  état  de  souffrance  de  l'organe.  On  la  reconnaît  facilement  à  son 
aspect.  Les  éléments,  ronds  ou  légèrement  ovales,  mesurent  environ  2,b  [j.  et  sont  réunis 
en  petites  masses  cubiques,  à  coins  ronds,  formées  d'un  nombre  plus  ou  moins  considé- 
rable de  cellules,  toujours  en  multiple  de  4  à  cause  du  mode  tout  spécial  de  division, 
8-16-32-64. 

Ce  n'est  probablement  pas  un  microbe  pathogène  vrai,  mais  plutôt  un  simple  sapro- 
phyte qui  vit  aux  dépens  du  contenu  stomacal  lorsque  l'estomac  ne  se  protège  plus 
d'une  manière  efficace  par  sa  sécrétion  normale. 

On  a  retrouvé  d'autres  sarcines  dans  les  produits  d'expectorations  pathologiques,  dans 
la  gangrène  pulmonaire,  dans  la  dilatation  des  bronches,  dans  les  cavernes  tubercu- 
leuses; elles  ne  paraissent  avoir  aucune  action  pathogène,  mais  se  trouver  là  en  simples 
saprophytes,  comme  beaucoup  d'autres  microbes  du  reste.  Il  en  est  dans  l'air,  les  eaux, 
qui  produisent  des  pigments  jaunes,  roses,  bruns.  Une  sarcine  détermine  une  fermen- 
tation secondaire  des  bières,  une  autre  est  un  ferment  assez  énergique  de  l'urée. 

Genre  Leuconostoc.  —  Leuconostoc  m.esenteroides.  On  observe  fréquemment  cette 
espèce  dans  les  sucreries,  sur  les  appareils  qui  servent  à  l'obtention  des  jus  de  bette- 
raves, plus  rarement  dans  les  sirops  cuits.  Les  zooglées  forment  des  masses  gélatineuses 
parfois  grosses  comme  le  poing,  à  surface  mamelonnée,  de  consistance  ferme  et  élas- 
tique. Leur  apparence  et  leur  consistance  leur  fait  donner  en  France  le  nom  vulgaire 
de  gomme  de  Sucrerie  et  en  Allemagne  celui  de  frai  de  grenouille. 

Les  éléments,  ronds,  de  1  ,u.  de  diamètre  moyen,  sont  réunis  en  chapelets  très  lâches, 
entourés  chacun  d'une  gaine  gélatineuse  épaisse  de  6  à  20  |j.,  formant  ainsi  des  boudins 
gélatineux  qui  se  pelotonnent  en  se  serrant  fortement. 

Ce  microbe  intervertit  le  sucre  à  l'aide  d'invertine  qu'il  sécrète,  puis  brûle  com- 
plètement le  sucre  interverti.  Lorsqu'il  pullule  dans  les  sucreries,  il  peut  de  ce  fait  occa- 
sionner rapidement  de  grandes  perles. 

Genre  Ascococous.  —  Ascococcus  Billrothii.  Il  a  été  trouvé  par  Billroth  dans  de 
l'eau  de  viande  putréfiée.  Les  éléments  arrondis  s'accolent  en  grand  nombre  pour  former 
des  masses  rondes  ou  ovoïdes,  régulières  ou  mamelonnées,  qui  atteignent  jusque  160  [j. 
de  diamètre  et  s'entourent  d'une  épaisse  capsule  transparente,  de  consistance  dure, 
cartilagineuse.  On  est  peu  fixé  sur  son  action. 

Genre  Bacillus.  —  Espèces  pathogènes.  —  Bacillus  anthracis  (Bacille  du  Charbon,  Bactè- 
ridie  charbonneuse) .  Il  occasionne  l'alfection  connue  chez  l'homme  sous  le  nom  de  charbon 
ou  pustule  maligne,  chez  le  cheval  sous  celui  de  fièvre  charbonneuse,  chez  le  mouton  sous 
celui  de  sang  de  rate,  chez  la  vache  sous  le  nom  de  maladie  du  sang. 

Dans  le  sang  d'un  animal  mort  du  charbon,  il  se  trouve  en  bâtonnets  d'une  longueur 
moyenne  de  5  à  6  [i  sur  une  largeur  de  1  à  1,5  jj.,  isolés  ou  réunis  en  courtes  chaînes. 
En  culture  dans  les  milieux  liquides,  il  donne  au  contraire  de  très  longs  filaments 
onduleux,  enchevêtrés,  qui  produisent  très  vite  des  spores  dans  leur  intérieur. 

Il  se  cultive  facilement  sur  les  gelées  nutritives  ou  les  bouillons  habituels,  avec  des 
caractères  qui  permettent  de  le  reconnaître  aisément.  Toutes  ces  cultures  possèdent  une 
virulence  identique  à  celle  du  sang  pris  sur  un  animal  charbonneux;  on  en  a  isolé  plu- 
sieurs toxalbumines  très  actives. 

Sous  certaines  influences,  la  virulence  des  cultures  du  Bacille  du  Charbon  ne  se 
maintient  pas  à  son  degré  maximum,  mais  décroît  peu  à  peu  et  finit  même  par  s'éteindre, 
si  l'action  affaiblissante  agit  pendant  assez  de  temps.  Pasteur  a  montré  qu'on  pou- 
vait obtenir  des  cultures  de  plus  en  plus  atténuées  en  exposant  des  bouillons  viru- 
lents à  l'action  combinée  de  l'air  et  d'une  température  de  43°  pendant  un  temps  de 
plus  en  plus  long.  Au  bout  de  huit  jours,  la  virulence  est  perdue,  bien  que  la  végétation 


1036  BACTERIES. 

se  fasse  encore  très  bien;  entre  le  premier  et  le  huitième  jour,  la  culture  passe  par 
des  degrés  divers  d'atténuation,  pouvant  ainsi  fournir  des  vaccins  de  moins  en  moins 
actifs. 

Bacillus  tubei'culosis  {Bacille  de  la  tuberculose).  Tous  le  reconnaissent  maintenant 
comme  la  cause  réelle  de  la  tuberculose.  Depuis  les  découvertes  de  Koch,  il  est  facile 
de  le  retrouver  dans  les  crachats  ou  les  produits  tuberculeux,  en  mettant  à  profit  ses 
particularités  de  coloration  et  surtout  la  résistance  qu'il  offre  à  l'action  des  agents  déco- 
lorants énergiques.  On  y  parvient  facilement  en  usant  du  procédé  préconisé  parEuRLicn, 
qui  est  certainement  un  des  plus  commodes  à  employer.  Le  bain  colorant  est  formé 
d'eau  anilinée  addilionnée  de  violet  de  gentiane  ou  de  fuchsine;  on  l'emploie  chaud, 
vers  SO".  Les  lamelles  chargées  de  produits  à  examiner,  ou  les  coupes  de  tissus,  sont 
laissées  dans  le  bain  jusqu'à  très  forte  coloration,  puis  traitées  par  l'acide  nitrique  au 
tiers  jusqu'à  décoloration  apparente  complète.  Les  Bacilles  de  la  tuberculose  restent 
seuls  colorés,  s'il  en  existe.  Aucune  autre  espèce  bactérienne  ne  possède  ce  caractère 
de  grande  résistance  à  la  décoloration,  sauf  le  Bacille  de  la  lèpre  que  d'autres  particula- 
rités peuvent,  du  reste,  faire  distinguer  aise'ment. 

Le  Bacille  de  la  tuberculose  se  cultive  aisément  sur  divers  milieux  solides;  il  exige, 
pour  se  développer,  une  température  relativement  élevée,  au  moins  30°  :  Voptimum  est 
vers  38°.  Les  cullures  sont  très  virulentes;  par  inoculation,  elles  donnent  la  tuberculose 
aux  animaux  d'expérience,  particulièrement  au  cobaye  qui,  très  réceptif,  peut  être  con- 
sidéré comme  un  réactif  précieux. 

Les  cultures  dans  les  bouillons  renferment  divers  produits  actifs  encore  peu  connus, 
qui  constituent  en  partie  la  fameuse  lymphe  de  Koch,  sur  laquelle  on  avait  fondé  tant 
d'espérances  trop  rapidement  déçues.     , 

Bacillus  leprse  {Bacille  de  la  lèpre).  Ces  Bacilles  se  trouvent  dans  la  peau,  au  niveau  des 
tubercules  le'preux  récents,  enfermés  souvent  dans  des  éléments  cellulaires.  Ils  résistent 
plus  encore  que  les  Bacilles  tuberculeux  aux  agents  de  décoloration;  c'est  un  caractère 
précieux  pour  les  reconnaître.  On  les  cultive  aussi,  mais  plus  difficilement.  L'inocula- 
tion de  produits  de  cultures  n'a  pas  encore  donné  de  résultats  satisfaisants. 

Bacillus  typhosus  {Bacille  typhique,  bacille  de  la  fièvre  typhoïde).  Ce  sont  des-  bâtonnets 
de  2  à  3  [j.  de  long  sur  0,7  ^  de  large,  animés  d'un  mouvement  très  vif.  Ils  se  colorent 
difficilement  par  les  couleurs  d'aniline,  et  se  décolorent  à  la  méthode  de  Gram.  Ce  bacille 
abonde  dans  tous  les  organes  des  typhiques,  principalement  dans  la  foie  et  la  rate. 

On  en  obtient  facilement  des  cultures  dans  les  milieux  habituels;  la  gélatine  n'est 
jamais  liquéfiée.  Le  développement  est  déjà  sensible  à  4°  et  présente  un  optimum  entre 
25°  et  35°;  il  ne  s'arrête  qu'à  46°.  La  culture  sur  pommes  de  terre,  incolore,  souvent  dif- 
ficile à  apercevoir,  est  caractéristique. 

Bacillus  septicus  {Vibrion  septique  de  Pasteur).  Pasteur  l'a  isolé  de  la  terre,  où  il  est 
très  commun,  et  qui  semble  être  son  habitat  ordinaire.  Par  inoculation  aux  animaux,  il 
détermine  une  septicémie  grave,  rapidement  mortelle.  Il  se  développe  presque  toujours 
un  œdème  considérable  au  point  d'inoculation,  d'où  le  nom  à'cedème  malin  qu'on  donne 
à  l'infection  causée  par  ce  microbe;  souvent  cet  œdème  est  accompagné  de  crépitation 
des  tissus  environnants,  c'est  la  gangrène  gazeuse,  encore  trop  fréquente  chez  l'homme, 
mais  qui  diminue  beaucoup  depuis  l'extension  de  la  méthode  antiseptique. 

Les  éléments  de  ces  bacilles  sont  des  bâtonnets  de  3  ij.  de  long  en  moyenne  sur  1  [a  de 
large,  unis  souvent  en  filaments  à  mouvements  lents,  mais  bien  nets,  donnant  facilement 
des  spores. 

C'est  un  anaérobie  type,  aussi  ne  réussit-on  aie  cultiver  qu'en  l'absence  totale  d'oxy- 
gène. Il  décompose  l'albumine  en  donnant  les  produits  ordinaires  des  putréfactions.  Les 
cultures  sont  très  virulentes'pour  les  animaux  d'expérience.  Roux  et  CnAiinERLAND  sont 
parvenus  à  vacciner  complètement  des  cobayes  en  injectant  dans  la  cavité  abdominale,  à 
plusieurs  reprises,  de  fortes  doses  de  cultures  achevées,  sûrement  privées  de  tout  élé- 
ment vivant  par  un  chauffage  de  dix  minutes  à  10o-H0°. 

Bacillus  Chauvœi  {Bacille  du  charbon  symptomatique) .  Il  est  la  cause  du  charbon  symp- 
tomatique  qui  décime  souvent  la  race  bovine.  Comme  le  précédent,  c'est  un  anaérobie  vrai. 
Les  bâtonnets  mesurent  de  S  à  8  [j.  de  long  sur  d  [j.  de  large;  ils  sont  animés  de  mouve- 
ments très  vifs. 


BACTERIES.  1037 

Bacilius  inallei  {Bacille  de  la  morve).  Il  se  rencontre  dans  la  morve  qui  sévit  sur  les 
chevaux,  les  ânes  et  les  mulets,  et  peut,  par  contagion  directe,  se  développer  chez 
l'homme.  On  trouve  les  bacilles  dans  les  sécrétions  pathologiques  des  animaux  atteints, 
pus  et  jetage  surtout;  ils  sont  nombreux  dans  les  nodules  qui  s'observent  souvent  dans 
les  poumons  et  la  rate  des  animaux  morveux.  On  en  obtient  facilement  des  cultures; 
celles  sur  pomme  de  terre,  jaunâtres  ambrées,  sont  caractéi'istiques. 

Bacilius  diphteriie  [Bacille  de  la  diphtérie).  Il  se  trouve  en  abondance  dans  les  fausses 
membranes  de  la  diphtérie,  accompagné  souvent  d'autres  microbes  de  la  cavité  bucale. 

Ce  sont  des  bâtonnets  droits  ou  légèrement  courbés,  toujours  immobiles,  mesurant 
de  2,5  à  3  [j.  de  long  sur  0,7  |j.  de  large,  se  colorant  bien  à  l'aide  d'une  solution  alcaline 
de  bleu  de  méthylène.  Ils  se  cultivent  assez  facilement,  mais  ne  se  développent  qu'aune 
température  supérieure  à  20°  et  cessent  de  croître  à  42°.  Toutes  les  cultures  sont  d'une 
grande  virulence.  Elles  contiennent  une  substance  toxique  voisine  des  diastases  qui,  dans 
la  diphtérie,  produite  par  les  bacilles  des  fausses  membranes,  se  répand  dans  l'orga- 
nisme et  occasionne  les  phénomènes  généraux  d'intoxication  si  graves  que  l'on  observe 
souvent  dans  cette  affection. 

Bacille  telani  (Bacille  du  tétanos).  Comme  le  Vibrion  septique,  le  Bacille  du  tétanos  est 
une  bactérie  du  sol.  En  inoculant  à  des  cobayes,  sous  la  peau,  de  la  terre,  une  partie 
meurt  toujours  de  septicémie,  le  reste  du  tétanos.  C'est  aussi  un  anaérobie  type;  on  en 
obtient  facilement  des  cultures  à  l'abri  de  l'oxygène.  Le  développement  ne  se  fait  pas 
au-dessous  de  14°;  à  18°,  il  est  encore  lent;  vers  38°,  il  est  rapide. 

Les  bacilles  du  pus  de  la  plaie  d'un  tétanique  ou  des  cultures  jeunes  sont  des  bâton- 
nets longs  et  grêles,  de  3  à  5  jj.,  légèrement  mobiles,  se  renflant  souvent  à  une  extrémité 
par  suite  de  la  formation  d'une  spore. 

Dans  l'infection,  les  bacilles  n'envahissent  pas  l'organisme  ;  mais,  comme  pour  la 
diphtérie,  restent  localisés  au  point  d'inoculation,  sécrétant  des  produits  solubles  toxi- 
ques qui  vont  agir  au  loin  par  diffusion. 

Bacilius  coli  communis  (Coli-bacille).  C'est  une  des  espèces  que  l'on  rencontre  presque 
constamment,  même  à  l'état  normal,  dans  l'intestin  de  l'homme  et  des  animaux.  Il 
abonde  souvent  dans  les  maladies  inflammatoires  du  tube  digestif. 

Par  la  plupart  de  ses  caractères,  leBacille  du  côlon  se  rapproche  beaucoup  du  Bacille 
typhique  dont  il  peut  être  difficile  à  distinguer.  Il  est  possible  de  le  reconnaître  à  sa 
culture  sur  pomme  de  terre,  qui  est  jaunâtre,  abondante,  et  à  sa  propriété  de  coaguler 
le  lait,  due  à  la  formation  d'acide  lactique  aux  dépens  du  sucre. 

Peu  virulent  ou  même  dépourvu  de  toute  virulence  à  l'état  normal,  il  peut,  sous  l'in- 
lluence  de  conditions  pathologiques,  acquérir  une  grande  activité  et  produire  des  affec- 
tions graves,  dues  à  sa  pénétration  directe  dans  l'organisme  ou  à  la  résorption  de 
substances  toxiques  qu'il  forme  dans  l'intestin. 

Bien  près  de  cette  espèce  se  trouve  le  Bacilius  lactis  acrogenes,  espèce  qui  habite  aussi 
l'intestin  et  qu'on  trouve  souvent  dans  les  matières  fécales  avec  la  précédente.  Elle 
est  aussi  pathogène  pour  les  animaux  d'expérience  et  est  un  ferment  lactique  actif. 
Le  Bacilius  enteriditis  de  Gartner,  trouvé  dans  une  viande  dont  l'ingestion  avait  causé 
une  intoxication  grave,  les  diff'érents  bacilles  signalés  dans  les  urines  pathologiques, 
paraissent  bien  voisines  de  ces  deux  espèces  et  doivent  même  probablement  leur  être 
identifiés,  en  partie  au  moins. 

Ont  encore  des  propriétés  pathogènes  similaires  le  Bacille  de  la  dysenterie  épidémique, 
trouvé  par  Chantemesse  et  Widal  dans  la  dysenterie  des  pays  chauds,  le  Bacille  de  la  diar- 
rhée verte  infantile  trouvé  par  Lesage  dans  la  diarrhée  verte  bacillaire,  si  fréquente  chez 
les  enfants  du  premier  âge  ;  cette  dernière  espèce  produit  un  pigment  verdâtre  spécial, 
très  peu  connu  encore. 

Bacilius  pyocyaneus  (Bacille  pyocyanique,  Bacille  du  pus  bleu).  C'est  une  des  espèces  les 
mieux  connues,  grâce  surtout  aux  belles  recherches  de  Charrin.  On  le  trouve  dans  le 
pus  bleu,  signalé  depuis  si  longtemps  par  les  chirurgiens  ;  il  s'y  rencontre,  non  pas  comme 
agent  pyogène  actif,  mais  plutôt  comme  commensal,  venant  peut-être  du  contenu  intes- 
tinal. 

Ses  éléments  sont  de  courts  bâtonnets,  de  1  à  t,S  (j.  de  long  sur  0,6  (j.  de  large,  très 
mobiles  ;  aérobies  vrais,  ils  se  cultivent  facilement  sur  tous  les  milieux  habituels. 


1038  BACTERIES. 

La  propriété  la  plus  intéressante  de  cette  espèce  est  la  sécrétion  d'un  pig-ment  bleu, 
qui  donne  au  pus  où  elle  se  trouve,  la  coloration  gris  bleuâtre  caractéristique,  la.pyocya- 
nine  (Voir  l'article  Pyocyanine). 

Ce  microbe  est  pathogène  pour  la  plupart  des  animaux  d'expérience,  le  lapin  surtout 
oij  il  détermine  une  infection  spéciale,  la  maladie  jjijocijaniquc,  qui  évolue,  suivant  les 
cas,  d'une  façon  aiguë  ou  chronique.  On  connaît  actuellement  chez  l'homme  plusieurs 
cas  de  celte  afîection,  où  le  développement  du  microbe  en  question  constitue,  non  plus 
un  simple  e'piphénoraène  d'influence  presque  insignifiante  comme  dans  le  pus  bleu,  mais 
une  véritable  infection  générale  grave,  ressemblant  à  la  maladie  pyocj-anique  expéri- 
mentale du  lapin. 

On  a  cru  trouver  des  bactéries  pathogènes  dans  plusieurs  autres  maladies  infectieuses 
de  l'homme.  Ldtsgahten  a  décrit  un  Bacille  de  la  syjMlis,  qui  ne  paraît  être  qu'un 
saprophyte  du  smegma  préputial;  Klebs  et  Tommasi-Crudeli  ont  cru  avoir  isolé  un  Badlle 
de  la  malaria,  qui  n'a  rien  à  voir  avec  cette  affection,  produite  par  un  hématozoaire 
découvert  par  Laveran;  on  a  signalé  d'autres  bactéries  dans  la  coqueluche  sans  apporter 
rien  de  certain.  On  a  décrit  des  Bactéries  du  cancer  encore  plus  incertaines. 

Espèces  chromogénes.  — ■  Bacilliix  syncyanus  {Bacille  du  lait  bleu).  C'est  un  saprophyte 
qui  envahit  souvent  le  lait,  lui  donnant  une  teinte  bleue  due  à  un  pigment  qu'il  sécrète. 
Il  peut  également  se  développer  dans  le  beurre  et  le  fromage  qu'il  colore  en  bleu  ou  en 
bleu-verdâtre. 

Bacilles  violets.  On  rencontre  dans  l'eau,  dans  les  liquides  de  putréfaction,  dans  les 
matières  amylacées  exposées  à  l'air,  plusieurs  espèces  de  bacilles  violets,  qui  se  distin- 
guent par  les  caractères  de  leurs  éléments  et  leur  manière  de  se  développer  dans  les 
milieux  de  culture.  Us  produisent  tous  un  pigment  d'un  violet  noir  intense,  que  l'alcool 
extrait  facilement. 

Bacilles  verts.  Us  sont  encore  très  peu  connus.  Rien  en  tout  cas  n'autorise  à  dire  que 
le  pigment  qu'ils  sécrètent  est  identique  à  la  chlorophylle.  Plusieurs,  nommés  bacilles 
fluorescents,  produisent  un  pigment  vert  dichroïque  qui  diffuse  dans  le  milieu  où  ils  se 
développent;  une  espèce,  que  j'ai  rencontrée  plusieurs  fois  dans  l'eau,  produit,  dans  la 
gélatine  qu'elle  liquéfie,  de  très  belles  macles  de  cristaux  vert  foncé. 

Bacilles  rouges.  11  existe  plusieurs  espèces  qui  donnent  une  matière  colorante  rouge, 
plus  ou  moins  intense.  Bacillus  rosaeus  metalloides  est  un  des  plus  beaux;  il  est  commun 
dans  l'eau;  ses  colonies,  sur  milieux  solides,  prennent  souvent  une  teinte  rouge  vermil- 
lon foncé,  à  reflets  métalliques.  Il  est  fréquent  dans  l'eau. 

Bacilles  6runs.  On  en  trouve  aussi  fréquemment  dans  l'eau;  ils  produisent  un  pig- 
ment brun  plus  ou  moins  foncé. 

Bacilles  phosphorescents.  C'est  plutôt  des  espèces  chromogènes  qu'on  doit  rapprocher 
ces  bacilles  qui  possèdent  la  curieuse  propriété  d'émettre  des  lueurs  dans  l'obscurité. 
Il  existe  plusieurs  espèces  qui  présentent  ce  caractère;  on  peut  les  distinguer  à  l'aspect 
des  éléments  et  aux  modifications  à  leurs  particularités  de  vie  qu'ils  font  subir  aux  mi- 
lieux de  culture. 

On  en  a  signalé  depuis  longtemps  sur  les  viandes  de  boucherie;  ils  sont  beaucoup 
plus  communs  sur  les  poissons  de  mer  morts,  ou  sur  certains  animaux  marins  chez 
lesquels  ils  déterminent  de  véritables  infections.  On  en  trouve  aussi  dans  les  eaux  de 
certaines  mers  ;  ils  semblent  jouer  un  rôle  important  dans  la  phosphorescence  de  la 
mer.  Pour  plus  de  détails  sur  le  phénomène  voir  Phosphorescence. 

Espèces  ferments.  —  Bacillus  aceli  (Bacille  de  la  fermentation  acétique).  On  connaît 
plusieurs  espèces  de  bactéries  qui  transforment  l'acool  eu  acide  acétique.  Voir  l'article 
Acétique  (Fermentation).  Bacillus  lacticus  (Bacille  de  la  fermentation  lactique).  Il  est  très 
commun  dans  le  lait,  où  il  produit  la  transformation  du  sucre  en  acide  lactique.  Voir 
l'article  Lactique  (Fermentation). 

Bacillus  bulyvicus  (Bacille  de  la  fermentation  butiryque.  C'est  le  Vibrion  buthyrique  de 
Pasteub.  anae'robie  vrai.  Il  produit  la  fermentation  butyrique  des  hydrocarbonés.  Voir 
l'article  Butyrique  (Fermentation). 

Bacillus  urcx.  Plusieurs  espèces  de  bacilles  déterminent  la  transformation  de  l'urée 
en  carbonate  d'ammoniaque.  Voir  l'article  Ammoniacale  (Fermentation). 

Bacillus  viscosus  (Bacille  de  la  fermentation  visqueuse).  Plusieurs  espèces  de  bactéries 


BACTERIES.  1039 

en  bâtonnets  produisent,  dans  les  liquides  sucrés,  un  composé  ternaire  spécial,  parais- 
sant assez  voisin  de  certaines  transformations  de  la  cellulose,  qui  communique  au  milieu 
une  viscosité  très  grande,  parfois  telle  qu'il  possède  une  consistance  gélatineuse.  Quel- 
ques-unes s'attaquent  aux  vins  et  aux  bières  qu'ils  rendent  filants,  graisseux  comme  on 
dit.  Le  lait  subit  aussi  facilement  cette  altération  visqueuse. 

Espèces  saprophytes  simples  à  action  indifférente.  —  On  doit  classer  dans  ce  groupe  de 
nombreuses  espèces  qui  s'attaquent  à  la  matière  organique  morte  pour  la  détruire, 
qui  vivent  en  véritables  saprophytes.  Ils  se  trouvent  un  peu  partout  où  il  y  a  de  l'aliment  à 
à  utiliser..  Il  n'est  possible  ici  que  de  citer  les  principales  espèces  sans  insister  sur  leurs 
caractères;  ce  sont  les  Bacillus  subtilis,  Baciltiis  termo,  Bacillus  meseniericus,  Bacillus 
mycoîdes,  Bacillus  Zopfii,  Bacillus  (Proteus)  vulgaris  et  mirabilis,  parmi  tant  d'autres. 

Genre  Spirillum.  -^  Spirillum  Cholerax  [Bacille  virgule  du  choléra).  On  le  considère 
comme  le  microbe  spécifique  du  choléra  asiatique.  Il  abonde  dans  le  contenu  intes. 
tinal  des  individus  morts  du  choléra,  surtout  dans  la  couche  crémeuse  qui  recouvre 
la  muqueuse  de  l'intestin  grêle.  Les  éléments  sont  de  courts  bâtonnets  courbés  de  1,5  à 
.3  [1.  de  long  sur  0,4  à  0,6  de  large  ;  leur  courbure  est  souvent  peu  prononcée,  en  simple 
virgule,  ou  atteint  presque  la  demi-circonférence;  ils  présentent  un  mouvement  vif,  dû 
à  l'action  d'un  long  cil  vibratile  qui  se  trouve  à  une  extrémité. 

On  arrive  facilement  à  cultiver  cette  espèce  dans  les  milieux  habituels.  L'inoculation 
ou  l'ingestion  des  cultures  produit  chez  le  cobaye  un  véritable  choléra  expérimental. 

On  a  signalé  des  espèces  à  caractères  voisins  dans  les  eaux,  la  salive,  la  carie  den- 
taire, le  vieux  fromage  ;  elles  s'en  distinguent  par  certaines  particularités  des  cultures 
et  surtout  l'absence  de  tout  pouvoir  pathogêne. 

Spirillum  Obermeieri.  C'est  un  long  spirille,  onduleux,  faisant  de  six  à  vingt  tours  de 
spire,  atteignant  de  15  à  20  [j.  de  long  sur  1  a  de  large,  qui  se  rencontre  toujours  dans 
le  sang  des  malades  atteints  de  fièvre  récurrente.  Du  sang  qui  en  contenait,  inoculé 
à  des  singes,  leur  a  transmis  une  véritable  fièvre  récurrente. 

Genre  Leptothrix.  —  Leptothrix  buccalis.  Ce  sont  de  longs  filaments  qui  forment  des  araas 
floconneux  blanchâtres  ou  de  véritables  touffes  blanches  dans  la  salive,  dans  le  tartre  den- 
taire, dans  les  cryptes  des  amygdales.  On  les  trouve  chez  l'homme  ou  les  carnivores, 
plus  rarement  chez  les  herbivores.  Leur  mode  de  développement  et  leurs  cultures  pures 
sont  encore  très  peu  connus. 

Genre  Cladothrix. — Cladothrix  dichotoma.  C'est  une  espèce  qui  abonde  dans  les  eaux, 
l'air  et  le  sol.  Elle  forme  de  longs  filaments  immobiles,  présentant  des  ramifications  laté- 
rales nombreuses.  Arrivés  à  un  certain  âge,  ces  filaments  se  segmentent  en  articles  courts, 
carrés,  ou  en  longues  séries  de  corps  sphériques,  qui  restent  unis  en  longs  chapelets. 

Des  espèces  voisines  produisent  des  pigments  roses  ou  violets.  Toutes  semblent 
n'être  que  de  simples  saprophytes. 

Actinomijces  bovis.  C'est  un  parasite  très  voisin  des  Cladothrix,  qui  produit  ['Actino- 
mycose,  affection  fréquente  chez  les  bovidés  et  chez  l'homme.  Chez  le  bœuf  elle  porte 
surtout  sur  la  mâchoire;  chez  l'homme,  souvent  sur  l'intestin  ou  les  organes  voisins;  le 
tube  digestif  semble  être  sa  porte  d'entrée.  L'Actinomyces  forme  le  plus  souvent  de 
petites  granulations  rondes  constituées  par  la  réunion,  en  disposition  rayonnée,  d'élé- 
ments en  massue  allongée,  de  13  à  30  [^  de  long,  se  continuant,  vers  la  partie  centrale, 
en  filaments  qui  se  feutrent  les  uns  dans  les  autres.  Cultivé  dans  les  milieux  habituels, 
ce  microbe  donne  des  colonies  et  des  formes  rappelant  en  tout  celles  des  Cladothrix 
vrais  dont  il  doit  être  rapproché  (V.  Actinomycose). 

Technique  bactériologique.  —  Lorsqu'on  veutfaire  l'étude  complète  d'une  bactérie, 
il  est  nécessaire  de  l'examiner  au  microscope  pour  connaître  ses  caractères  de  forme,  de 
dimensions,  les  particularités  de  sa  structure  et  de  son  évolution,  et  de  la  faire  se  déve- 
lopper, en  cultures  pures,  dans  des  milieux  propices  à  sa  vie. 

L'étude  au  microscope  doit  naturellement  se  faire  à  de  forts  grossissements  à  cause  de 
l'extrême  petitesse  de  ces  microbes.  On  ne  peut  que  rarement  se  contenter  de  l'examen 
à  l'état  naturel  des  bactéries  vivantes  à  cause  de  la  grande  transparence  de  leur  corps 
cellulaire  et  de  son  peu  de  réfringence,  ce  qui  rend  leur  distinction  difficile  dans  les 
liquides  qu'on  est  forcé  d'employer.  Il  est  bien  préférable  de  les  soumettre  à  l'action 
préalable  de  réactifs  colorants  qui  fixent  leur  nuance  sur  leurs  éléments  et  les  rendent 


1040  BACTÉRIES. 

faciles  à  distinguer.  Il  est  même  possible  de  mettre  à  profit  des  méthodes  spéciales  de 
coloration  qui  permettent  de  fixer  sur  les  bactéries  seules  une  matière  colorante,  tandis 
que  d'autres  éléments,  s'il  en  existe,  restent  indemnes  ou  peuvent  être  teints  à  leur  tour 
d'une  nuance  autre  que  la  première,  formant  ainsi  un  contraste  facile  à  saisir.  C'est 
ainsi  que,  dans  un  organe  contenant  des  bactéries,  ou  dans  un  liquide  riche  en  éléments 
fiaurés,  sang  ou  pus  par  exemple,  on  parvient  aisément  à  colorer  les  bactéries  d'une 
nuance  donnée  et  à  donner  aux  autres  éléments  une  teinte  tout  autre;  ce  qui  aide  puis- 
samment à  leur  distinction  et  à  l'étude  de  leurs  rapports. 

Avant  d'user  des  procédés  de  coloration,  il  est  nécessaire  de  faire  intervenir  la  fixa- 
tion qui  permet  de  conserver  la  forme  et  les  rapports  des  éléments  divers  à  étudier. 
Pour  Jes  coupes  de  tissu,  c'est  encore  l'alcool  qui  est  à  préférer;  pour  les  bactéries  en 
suspension  dans  les  liquides,  il  faut  uniquement  recourir  à  la  chaleur.  Dans  ce  dernier 
cas,  l'opération  doit  être  conduite  de  la  façon  suivante.  Une  goutte  du  liquide  à  exa- 
miner, pur  ou  dilué  dans  de  l'eau  soigneusement  filtrée,  est  déposée  sur  une  lamelle 
bien  propre  et  étalée  à  sa  surface  avec  le  fil  de  platine  flambé.  La  lamelle  est  desséchée 
avec  soin  à  une  chaleur  douce,  puis  soumise  à  une  température  élevée  en  la  passant 
à  trois  reprises  dans  la  ilamme  d'une  lampe  à  alcool  ou  d'un  bec  de  Bunse.n  brûlant 
à  bleu,  en  ayant  soin  de  tourner  en  haut  la  face  sur  laquelle  se  trouve  la  couche  de  des- 
siccation. 

La  fixation  ainsi  obtenue,  on  peut  soumettre  les  préparations  à  l'action  des  bains 
colorants.  Les  couleurs  à  employer  sont  surtout  les  couleurs  d'aniline  basiques,  princi- 
palement les  violets,  violet  de  gentiane  ou  violet  SB,  la  fuchsine,  le  bleu  de  méthylène. 
Les  couleurs  acides,  éosine,  safranine,  ont  beaucoup  moins  d'élection  et  sont  surtout 
employées  comme  colorants  de  fond. 

Il  est  parfois  nécessaire,  pour  aider  à  la  fixation  de  la  couleur  sur  les  bactéries, 
d'ajouter  aux  bains  colorants  des  substances  qui  jouent  pour  ainsi  dire  le  rôle  de  mor- 
dants. Ce  sont  surtout  les  alcalis,  potasse,  soude,  eau  anilinée;  d'autres  fois  l'acide  phé- 
nique,  le  tannin,  etc.  Ces  mordants  ne  doivent  être  ajoutés  qu'en  minimes  proportions. 

Certaines  bactéries  cédant  plus  facilement  que  d'autres  la  couleur  qu'elles  ont  retenue 
aux  réactifs  décolorants  tels  que  l'alcool,  les  solutions  acides,  il  devient  parfois  précieux 
de  rechercher  ce  caractère  en  faisant  agir,  après  coloration,  ces  agents  décolorants.  On 
peut  employer  l'alcool  seul  ou  après  action  de  l'iodé.  Dans  ce  dernier  cas,  on  a  intérêt  à 
employer  la  méthode  dite  de  Gram.  Les  préparations,  sorties  du  bain  colorant,  sont 
plongées  dans  la  solution  de  Grau  (iode  i  gramme,  iodure  de  potassium  2  grammes, 
eau  distillée  300  grammes)  jusqu'à  noircissement  complet,  puis  lavées  à  l'alcool  absolu 
jusqu'à  décoloration.  C'est  une  méthode  employée  couramment  en  bactériologie;  il 
est  des  espèces  qui  restent  colorées  après  le  traitement,  d'autres  au  contraire  qui  se 
décolorent. 

Les  acides,  agents  décolorants  très  énergiques,  ne  sont  guère  employés  que  pour 
rechercher  quelques  espèces  qui  retiennent  très  énergiquement  leurs  colorants.  Le 
Bacille  de  la  tuberculose  et  le  Bacille  de  la  lèpre,  colorés  au  bain  d'eau  anilinée,  ne  se  déco- 
lorent pas,  ou  seulement  après  un  temps  assez  long,  lorsqu'on  les  soumet  à  l'action  d'une 
solution  d'acide  nitrique  au  tiers. 

Les  préparations  gagnent  à  être  éclaircies  avec  un  peu  d'essence  de  girofles  et  mon- 
tées dans  le  baume. 

Cultiver  des  bactéries,  c'est  les  faire  vivre  et  se  multiplier  dans  des  milieux  qui  con- 
tiennent des  substances  dont  elles  peuvent  se  nourrir.  Lorsque  les  milieux  sont  purs  de 
germes  et  qu'on  n'y  ensemence  sûrement  qu'une  seule  espèce,  on  obtient  des  cultures 
pures.  L'obention  et  l'emploi  des  cultures  pures  sont  la  véritable  clef  de  la  bactériologie. 

Les  milieux  usités  sont  liquides  ou  solides. 

Parmi  les  milieux  liquides,  il  faut  placer  en  première  ligne  les  bouillons  de  viande, 
obtenus  par  décoction.  Les  infusions  végétales  ou  les  liqueurs  exclusivement  minérales 
sont  en  général  moins  favorables;  elles  peuvent  cependant  rendre  des  services. 

Les  milieux  solides  sont  surtout  des  gelées;  les  unes,  à  base  de  gélatine,  ont  le  défaut 
de  se  liquéfier  au  dessus  de  22°;  les  autres,  à  base  de  gélose,  supportent  même  des  tem- 
pératures supérieures  à  40°.  On  emploie  encore  fréquemment  le  sérum  sanguin  solidifié 
par  une  température  de  68°  et  des  tranches  de  pommes  de   terre  cuites.  Pour  priver 


BACTÉRIES.  1041 

ces  milieux  des  germes  qui  abondent  un  peu  partout,  on  use  surtout  de  la  chaleur 
que  l'on  fait  agir  après  avoir  disposé  la  substance  nutritive  dans  des  vases  stérilise's  et 
fermés  avec  de  bons  tampons  d'ouate.  11  est  à  recommander,  lorsque  cela  est  possible, 
d'employer  une  température  de  llo°  environ,  obtenue  facilement  à  l'aide  des  auto- 
claves; tous  les  germes  périssant  d'une  façon  sûre  à  ce  degré  de  chaleur  dans  la  vapeur 
d'eau. 

La  stérilisation  par  filtration  sur  une  bougie  de  porcelaine  est  plus  délicate  à  mellre 
en  œuvre;  on  y  a  l'ecours  lorque  la  chaleur  nécessaire  peut  altérer  le  milieu. 

On  ensemence  les  milieux  stérilisés  en  y  introduisant,  à  l'aide  d'un  fil  de  platine  préa- 
lablement flambé,  puis  refroidi,  une  minime  partie  d'un  produit  ne  contenant  que  l'es- 
pèce dont  on  veut  obtenir  des  cultures  pures.  Si  on  ne  l'a  qu'en  mélange,  il  faut  avant 
tout  l'isoler  en  employant  des  méthodes  spéciales  et  particulièrement  la  méthode  des 
cultures  sur  plaques. 

Les  espèces  anaérobies,  ne  pouvant  vivre  en  présence  d'oxygène,  nécessitent  l'emploi 
de  procédés  particuliers.  On  les  cultive  dans  une  atmosphère  d'acide  carbonique,  d'hy- 
drogène, de  gaz  d'éclairage,  ou  dans  les  couches  inférieures  de  gelées  bouillies  pour 
chasser  l'air  qu'elles  contiennent,  puis  refroidies  et  recouvertes  aussitôt  d'uue  couche 
d'huile  stérilisée. 

Enfin,  pour  observer  les  effets  des  bactéries  sur  les  animaux,  il  est  nécessaire  de  les 
introduire  dans  l'organisme.  Diverses  voies  de  pénétration  sont  à  la  disposition  de  l'ex- 
périmentateur; il  peut  y  parvenir  par  injection  sous-cutanée,  par  injection  intra-vei- 
neuse,  par  inhalation,  par  introduction  dans  l'estomac,  ou  d'autres  moyens  encore 
selon  la  voie  qu'il  lui  paraît  préférable  d'emprunter. 

Répartition  des  bactéries  dans  dififérents  milieux  naturels.  —  Nous  savons 
déjà  que  les  bactéries  sont  très  répandues  dans  la  nature  ;  on  les  rencontre,  et  souvent 
en  très  grande  abondance,  dans  l'air,  l'eau,  le  sol,  et  à  la  surface  ou  dans  les  cavités 
naturelles  des  êtres  vivants  en  contact  avec  ces  milieux.  Leur  ténuité  leur  permet  d'être 
transportées  facilement  à  de  grandes  distances  ou  de  pénétrer  par  des  ouvertures 
des  plus  réduites.  Il  est  probable  que  toutes  peuvent  vivre,  dans  ces  milieux,  aux 
dépens  de  matières  organiques  mortes,  en  sa-propinites,  comme  on  dit.  Si  l'on  n'en 
a  pas  encore  isolé  certaines  espèces  pathogènes,  c'est  qu'elles  ne  rencontrent  pas 
facilement  les  conditions  suffisantes  pour  pulluler,  celles  de  température  et  d'alimen- 
tation surtout. 

La  preuve  que  l'air  tient  en  suspension  beaucoup  de  bactéries  s'obtient  facilement, 
en  laissant  à  découvert  des  milieux  de  culture  préalablement  stérilisés.  Si  l'on  s'est 
servi  de  milieux  solides,  on  trouve,  au  bout  de  quelques  jours,  réparties  à  leur  surface, 
un  nombre  plus  ou  moins  considérable  de  petites  colonies  issues  du  développement  des 
germes  vivants  qui  s'y  sont  déposés.  Cette  expérience  est  du  reste  la  base  de  divers 
procédés  pratiques  de  numération  et  d'isolement  des  germes  de  l'air  ;  on  fait  passer 
lentement  un  volume  déterminé  d'air  à  la  surface  de  milieux  solides  ou  dans  des  milieux 
liquides  et  on  recherche  les  germes  qui  s'y  trouvent. 

Lés  travaux  de  Miquel,  de  Hesse,  de  Frankland,  de  Pëtri,  de  Straus  ont  donné  de  très 
intéressants  résultats  au  point  de  vue  de  la  numération  des  germes  de  l'air  ;  leur  déter- 
mination est  encore  peu  avancée. 

Les  patientes  recherches  de  Miuuel  ont  cependant  conduit  à  la  connaissance  de  don- 
nées particulièrement  importantes.  Elles  ont  montré  que  le  nombre  des  bactéries  en 
suspension  dans  l'atmosphère  variait  en  plus  ou  en  moins  dans  des  rapports  directs  avec 
certaines  circonstances  climatériques  et  météorologiques,  avec  l'altitude  des  lieux,  avec 
la  distance  du  sol  au  point  où  se  fait  la  prise  d'air,  avec  la  présence  de  l'homme,  et  sur- 
tout l'encombrement. 

Dans  une  même  journée,  on  observe  des  variations  qui  Se  produisent  régulièrement 
à  des  heures  déterminées;  il  y  a  un  minimum  vers  deux  heures  du  matin,  et  un  autre 
vers  deux  heures  du  soir,  un  maximum  vers  huit  heures  du  matin  et  un  autre  vers  sept 
heures  du  soir.  Dans  le  courant  d'une  année,  les  changements  sont  tout  aussi  accusés; 
le  nombre  des  bactéries  aériennes  baisse  rapidement  à  la  fin  de  l'automne,  reste  peu 
élevé  pendant  tout  l'hiver,  puis  s'accroît  et  se  maintient  haut  pendant  toute  la  saison 
chaude. 

DICT.    DE    PHYSIOLOGIE.    —    TOME    1.  ti6 


1042  BACTERIES. 

Les  crues  bactériennes  ont  généralement  lieu  sous  les  hautes  pressions  ;  les  maxima 
semblent  correspondre  aux  périodes  de  sécheresse.  Une  pluie  de  quelque  durée  purifie 
l'air  en  entraînant  les  corps  en  suspension.  Lorsque  le  sol  est  humide,  il  retient  fortement 
les  germes,  le  vent  ne  s'en  charge  pas  facilement;  lorsqu'il  est  sec  au  contraire,  le  vent 
soulève  des  tourbillons  de  poussières  riches  en  germes,  le  nombre  des  bactéries  de  l'air 
augmente  beaucoup. 

Les  couches  élevées  de  l'atmosphère  paraissent  privées  de  germes.  Pasteur  a  démon- 
tré, il  y  a  longtemps,  que  l'air  pris  au  sommet  de  hautes  montagnes  était  presque  pur. 
MiQUEL  a  reconnu  qu'en  plein  Paris  le  nombre  des  bactéries  de  l'air  diminuait  à  mesure 
qu'on  s'élevait,  comme  le  prouvent  les  numérations  suivantes,  faites  à  des  niveaux 
extrêmes  différant  d'une  centaine  de  mètres: 

Sommet  du  Panthéon 28  bactéries  par  mètre  cube. 

Parc  de   Montsouris 45        —        —  — 

Mairie  du  IV'  arrondissemeul •  .       462        —        —  — 

La  plupart  des  espèces  qu'on  a  isolées  de  l'air  sont  des  saprophytes.  Quelques  espèces 
pathogènes  y  ont  cependant  été  rencontrées,  le  Pneumocoque,  le  Streptocoque  ptjogène,  le 
Staphylocoque  doré,  par  exemple.  Il  est  infiniment  probable  que  l'air  est  une  voie  de 
transmission  certaine  de  nombreuses  maladies  infectieuses,  rougeole,  scarlatine,  fièvre 
typhoïde,  tuberculose  surtout.  Il  faut  cependant  reconnaître  que  ces  microbes  trouvent 
dans  l'air  plus  qu'ailleurs  des  causes  d'atténuation  et  de  destruction  très  actives  ;  nous 
savons  l'action  nocive  qu'exercent  sur  eux  la  lumière  solaire,  l'oxygène,  la  dessiccation. 

L'eau  est  pour  les  bactéries  un  meilleur  milieu  que  l'air;  on  comprend  facilement 
que,  d'une  façon  générale,  elle  en  contienne  un  plus  grand  nombre  que  lui.  Pasteur  et 
JouBERT  ont  démontré  que  les  bonnes  eaux  de  source,  prises  avec  toutes  les  précautions 
voulues,  sont  pures  de  germes.  Leur  contamination  se  fait  toutefois  rapidement,  au  sortir  de 
terre,  par  l'air  qui  laisse  choir  des  germes  qu'il  contient,  le  contact  d'objets  souillés,  ou 
le  mélange  de  liquides  riches  en  bactéries.  Aussi  une  eau  est-elle  d'autant  plus  riche 
en  germes  qu'elle  a  été  plus  exposée  à  ces  contaminations  douteuses;  c'est  ce  que 
prouve  avec  la  dernière  évidence  le  tableau  suivant  établi  par  Miquel. 

Eau  de  pluie .'i3  bactéries  par  centimètre  cube. 

—  de  la  Vanne 62        —         —  — 

—  de  la  Seine  à  Bercy 1400         —        —  — 

—  de  la      —    à  Asnières .3200        —        —  — 

—  d'égout   prise  à  Clicliy 20  000         —         —  — 

On  a  rencontré  souvent  dans  l'eau  des  espèces  dangereuses  pour  l'homme,  en  premier 
lieu  le  Bacille  typhique  et  le  Bacille  virgule  du  choléra,  puis  le  Bacille  du  charbon,  les  Sta- 
phylocoques pyog(:nes,  le  Bacille  pyocyaniqite,  le  Bacille  du  côlon  jouant  tous  un  rôle  cer- 
tain dans  i'étiologie  des  principales  maladies  infectieuses. 

Le  sol  est  en  généi-al  très  riche  eh  bactéries,  ce  qui  est  dû  surtout  à  la  ricliesse  en 
matières  organiques,  et  à  un  certain  degré  d'humidité;  lorsqu'il  se  trouve  souillé  par 
des  infiltrations  de  matières  fécales,  d'urine,  d'eaux  ménagères,  il  peut  même  devenir  un 
excellent  milieu  pour  leur  pullulation.  Aussi  peut-on  dire  que  c'est  par  l'intermédiaire 
du  sol  que  se  font  les  principales  contaminations  de  l'air  et  des  eaux. 

Ce  sont  surtout  les  couches  superficielles,  plus  riches  en  oxygène  et  en  matières  orga- 
niques, qui  renferment  un  nombre  très  élevé  de  bactéries;  à  mesure  qu'on  pénètre  dans 
la  profondeur,  elles  diminuent  rapidement  jusqu'à  faire  complètement  défaut.  Cepen- 
dant, comme  les  recherches  ont  porté  presque  exclusivement  sur  les  aérobies  qui  ne  peu- 
vent pas  vivre  là  où  rox3'gène  ne  dilfuse  plus,  il  n'est  pas  encore  permis  de  généraliser 
complètement  les  résultats.  Les  espèces  anaérobies,  en  efîet,  sont  communes  et  fréquen- 
tes dans  le  sol;  le  ferment  butyrique  s'y  trouve  presque  toujours,  et  très  souvent  les  ger- 
mes pathogènes  du  tétanos,  du  charbon  symptomatique  et  de  la  septicémie  de  Pasteur.  Mi- 
quel  évalue  de  huit  cent  mille  à  un  million  le  nombre  de  microbes  que  contient  un  gram- 
me de  terre  de  l'observatoire  de  Montsouris. 


BACTÉRIES.  1043 

On  peut  se  faire  une  idée  de  la  distribution  des  bactéries  dans  le  sol  d'après  le  tableau 
suivant,  établi  par  Reiuers  : 

Terre  delà  surface  d'un  champ 2S64800  germes  par  centimètre  cube. 

—  prise  à  2  mètres  de  profondeur  (argile)  .    .    .  2IJ100        —       —  — 

—  _      3       _       1/2        —  (gravier)   .    .  6170       —       —  — 

—  _      4       _       _         _  (sable)   .    .    .  1320       —       —  — 

—  -      6       -  -  (grès).    ...  0        -      -  - 

De  tels  résultats  doivent  varier  dans  de  très  larges  limites,  on  le  comprend  aisément, 
suivant  la  nature  même  du  sol,  sa  richesse  en  matières  nutritives,  etc.,  etc. 

Les  espèces  qu'on  peut  rencontrer  dans  le  sol  sont  nombreuses.  On  ne  connaît  pas 
d'action  spéciale  à  beaucoup  d'entre  elles,  qui  sont  alors  considérées  comme  des  sapro- 
phytes ordinaires.  Il  en  est  qui  y  jouent  un  rôle  important  dans  la  transformation  des 
matières  organiques;  tels  le  Micrococcus  urese  et  les  nombreux  Bacilles  ferments  de  l'urée 
qui  y  sont  fréquents,  tel  le  ferment  de  la  nitrification.  Enfln,  un  certain  nombre  d'espèces 
pathogènes  pour  l'homme  s'y  rencontrent  fréquemment;  en  première  ligne,  les  trois 
anaérobies  pathogènes  du  sol,  le  Bacille  du  télanoa,  ]e  Bacille  du  charbon  symptomatic/ue  et 
le  Vibrion  septique;  plus  rarement  la  Bactéridie  charbonneuse,  comme  l'a  montré  Pasteur; 
le  Bacille  typhique  et  lejJBaci'Hc  du  côlon  que  j'y  ai  signalés  en  1888.  Toutes  ces  espèces  sont 
bien  moins  exposées  que  dans  l'air  et  l'eau,  aux  causes  qui  peuvent  nuire  à  leur  vitalité; 
le  sol  peut  donc  être  regardé  comme  le  milieu  le  plus  propice  aux  bactéries. 

L'intérieur  même  des  organismes  vivants,  et  principalement,  chez  les  animaux,  le 
milieu  intérieur  proprement  dit,  le  sang,  lorsqu'il  est  contenu  dans  un  système  abso- 
lument clos,  sont,  à  l'état  normal,  absolument  inaccessibles  aux  bactéries.  Il  n'en 
est  plus  de  même  pour  les  parties  du  corps  en  communication  directe  avec  l'exté- 
rieur. 

Chez  l'homme,  en  particulier,  la  peau  est  l'habitat  de  nombreuses  espèces.  La  plu- 
part sont  des  saprophytes  déposés  par  l'air  qui  les  tient  en  suspension.  Certains  peuvent, 
en  pullulant,  donner  lieu  à  des  phénomènes  particuliers;  le  Micrococcus  prodigiosus, 
envahissant  les  glandes  sudoripares,  donne  lieu  au  phénomène  fréquent  des  sueurs 
rouges;  le  BacUlus  phosphorescens,  à  celui  très  rare  des  sueurs  phosphorescentes.  D'autres, 
moins  nombreux,  sont  pathogènes;  tels  sont  les  microbes  pyogènes. 

Le  tube  digestif,  dans  ces  différentes  portions,  renferme  toute  une  collection  d'es- 
pèces qui  y  sont  introduites  avecles  ingesta  ou  proviennent  de  l'air.  La  bouche  en  ren- 
ferme beaucoup  qui  pullulent  dans  le  tartre  dentaire,  l'enduit  lingual  ou  les  follicules  des 
amygdales;  le  Pneumocoque,  les  microbes  pyogènes  y  sont  fréquents.  Il  en  est  qui  possè- 
dent une  action  digeslive  évidente  sur  différentes  substances  alimentaires,  et  jouent 
probablement  quelque  rôle  dans  l'action  digestive  de  la  salive.  L'estomac  en  montre 
moins  à  cause  de  l'acidité  du  suc  gastrique  qui  leur  est  très  nuisible.  Elles  n'y  pullulent 
que  dans  des  conditions  pathologiques. 

L'intestin,  dont  le  contenu  a  une  réaction  alcaline,  est  un  bien  meilleur  milieu  pour 
les  espèces  qui  ont  pu  échapper  aux  effets  destructeurs  du  suc  gastrique.  Elles  s'y  ren- 
contrent en  abondance  et  concourent  certainement,  par  les  diastases  puissantes  qu'elles 
sécrètent,  à  la  transformation  des  matières  alimentaires  ;  il  existe  une  véritable  diges- 
tion bactérienne,  qui  agit  dans  le  même  sens  que  la  digestion  physiologique.  On  dit 
même  que  la  digestion  de  certaines  celluloses,  toutes  réfractaires  aux  ferments  diasta- 
siques  de  l'organisme,  est  sous  la  dépendance  immédiate  de  certaines  bactéries. 

Le  poumon,  les  voies  génito-urinaires,  en  retiennent  un  grand  nombre  dont  cer- 
taines leur  sont  spéciales.  Il  s'y  trouve  des  espèces  véritablement  pathogènes  dont 
l'action  est  entravée  par  l'activité  des  éléments  épithéliaux  jouant  le  rôle  de  phagocytes 
fixes. 

On  peut  penser  que  toutes  ces  espèces  parasites  ou  commensales  d'êtres  plus  élevés 
étaient  primitivement  des  saprophytes  qui,  peu  à  peu,  se  sont  adaptés  à  des  conditions 
de  vie  parasitaire;  pour  quelques-unes  cette  adaptation  est  telle  que  la  possibilité'  de 
vivre  librement  dans  le  milieu  extérieur  a  disparu  presque  complètement,  ou  même  com- 
plètement pour  certaines.  Beaucoup  de  parasites  plus  élevés  sont,  du  reste,  dans  les 
mêmes  conditions  sous  ce  rapport. 


lOii  BACTERIES. 

Bibliographie.  —  La  bibliographie  concernant  les  bactéries  a  une  étendue  bien  trop 
considérable,  même  en  se  bornant  aux  dernières  années,  pour  pouvoir  être  donnée  ici. 
On  trouvera  tous  les  renseignements  désirables  à  ce  sujet  dans  un  certain  nombre  de 
traités  généraux,  et  dans  les  journaux  et  revues  spéciales  à  cette  partie  de  la  science, 
dont  nous  donnons  l'énumération  ci-après. 

CoRNiL  et  Babès.  Les  Bactéries,  2°  éd.,  1890.  —  Duclaux.  Microbiologie,  dans  l'Encyclo- 
•pédie  chimique  de  Frémy,  1883.  —  Flûgge.  Die  Mikroorganismen,  1887.  — Macé.  Traité  pra- 
tique de  Bactériologie,  2°  éd.,  1892.  —  Baumoarten'.  Lehrb.  der  pathologischen  Mykologie, 
1890.  —  Charrin.  La  maladie  jiyocyanique,  1890.  —  Boochard.  Les  microbes  pathogènes, 
1893.  —  Arloin'g.  Les  virus,  1892.  —  Brieger.  Plomaines  et  maladies,  1888.  —  Vignal.  Le 
Bacillus  mesentericus  vulgatus,  1889.  —  Annales  de  l'Institut  Pasteur,  publiées  depuis 
1887.  — Annales  de  micrographie,  publiées  depuis  1889.  —  Centralblatt  fur  Bakteriologie 
und  Parasitenkunde,  t.  i  à  xviii,  depuis  1887.  —  Bauugaeten's  Jahresbericht  iiber  die 
Fortschritte  in  der  Lehre  von  den  pathugenen  Mikroorganismen,  depuis  1885.  —  Koch's 
Jahresbericht  ùber  die  Fortschritte  in  der  Lehre  von  den  Gâhrungs-Organisinen,  depuis  1890. 
—  Ces  trois  dernières  publications  seront  particulièrement  utiles  à  consulter  par  suite 
du  grand  nombre  de  travaux  qui  y  sont  analj'sés  ou  cités  dans  un  ordre  très  propice 
à  la  facilité  des  recherches. 

MACÉ. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


DU   PREMIER    VOLUME 


Abasie-Astasie  .... 

X.  Francotte  . 

1 

Abcès.    (V.    Suppura- 

tion)  

1 

Abeille 

F.  Plateau    .    . 

1 

9 

9 

9 

Aboulie.  ....    .    .    .    . 

Pierre  Janet.    . 

9 

Absinthe  (Essence  d'). 

Ch.  Livon   .    .   . 

13 

Absinthe  (Hygiène)  .   . 

E.  Macé  .   .   .   . 

1fi 

90 

Absinthisme 

Ch.    Livon  .   .    . 

20 

Absorption.    .    .    .     Henrmean  et  Corin. 

2:{ 

Absorption    (des    gaz) 

(V.  Solubilité).  .   .   . 

38 

Absorption  (Spectre d') 

(V.  Spectroscopc)    . 

38 

Acclimatation    .... 

H.  DE  Varigny  . 

38 

Accommodation    .    .    . 

WERTHEI.\tER    .     . 

45 

Acétal 

Cn.  Livon  .   .   . 

83 

Acétamide  ,   .   i  ,   .    . 



83 

Acétanilide 



83 

Acétates  ....... 

_ 

8fi 

Acétique  (Acide) .    .    . 

—          .    .    . 

86 

Acétique      (Fermenta- 

tion) ........ 

E.  Macé   .    .    .    . 

90 

Acétone 

Cn.   Livon  .   .   . 

92 

Acctonurie 



9i 

Acétylène    ....•., 

98 

Achilléine  ...... 

98 

Acholie 

98 

NUEI 

98 

Achroodextrines   .    .    . 

102 

ClI.  RlCHET    .     .     . 

102 

Aconelline 

Cn.  Livon.   .    .    . 

104 

Aconitine 

Hbnrijean    .    .    . 

104 

Acoriuc 

108 

Acrodynie  ....    ...    . 

.1.   HÉRICOURT    .     . 

108 

Acroléine 

Cn.  Livox.    .    .    . 

109 

Acromcgalie 

P.  Blocq .... 

109 

Acromélalgie 

—         .... 

110 

Acroparesthésie.   .   .    . 

—         .... 

110 

Acrosc 

110 

Acrosone 

HO 

Actinomycose    .... 

F.  Heim 

110 

Acuité  (visuelle)  .    .    . 

Nuel 

122 

Adaptation 

— 

136 

Addison  (Maladie  d')  . 

P.  Langlois.   .   . 

136 

Addition Cii.  Richet  .    .    .  143 

Adénine L.Lapique.    .    .  151 

Adonidine jtjj 

Aération Ch.  Richet  ."    '    '.  151 

Aérobie jgg 

Aérotonomètre .    .    .    .     L.  Fredericq.    .  133 

Aéropléthysmographe.     J.  Gau 156 

Agaricine B.  Bourquelot  .  158 

Agaricique  (Acide)  .   .  —  .138 

Agonie Ch.  Richet.    .    '.  139 

Agraphic P.  Blocq  ....  162 

Agueusie ....  163 

Ail" .J.  HÉRICOURT .    .  163 

Albinisme H.  de  Varigny   .  167 

Albumine  (de  l'œuf).   .     L.  Fredericq.    .  169 

Albumine  (du  sérum) .               —           .   .  172 

Albuminoïdes E.  Ahelous.    .   .  m 

Albuminurie —          ...  207 

Alcalins     (Métaux     et 

sels) Ch.  Richet  .    .   .  210 

Alcalins  (Milieux)   (Y. 

Basiques    [Milieux]) 213 

Alcaloïdes G.  Pouchet.   .   .  215 

Alcaptone 234 

Alcools R.  Dubois    ...  234 

Alcools  (Toxicologie  gé- 
nérale)  Cn.  Richet.    .    .  244 

Alcoolique   (Fermenta- 
tion)  E.  Macé  ....  249 

Aldéhyde ■  .    .    .    .  262 

Alexie   (V.    Aphasie) 263 

Alexine(V. Immunité) 263 

Algésiinètre. 263 

Algidité 263 

Algues F.  Hi;iM     ....  263 

Aliments..    .     L.  Lapique  et  Cn.  Richet.  294 
Allaitement    (V.     Lac- 
tation)   382 

AUantoïde E.  Retterer  .   .  382 

Alhmtoïne L.   Fredericq.    .  384 

AUochirie P.  Blocq.    ...  386 

AUocinésic 386 

AUoxane L.  Fredericq  .   .  386 

AUoxantinc L.  Fredericq.    .  387 

Aloès 388 

Altitudes Carvallo  et  Pachon.  388 

Aluminium Ciiassevant    .   .  391 

Alun   (V.  Aluminium) 394  > 


1046 


TABLE   DES    MATIÈRES. 


Pasi's. 
,     394 


Amétropie Nuel 

Amibes  et  Amiboïdes 
(Mouvements).  ...     F.  Heim    .    .   . 

Ammoniacale  (F  ermen- 
tation) E.  Macé  .    .    . 

Ammoniaque E.  LAiiDLnNc  . 

Ammoniaque  et  sels 
ammoniacaux  (toxi- 
cologie)  Cn.  RicHET.   . 

Amnésie Pikrre  Janet. 

Amnios E.  Retterer  . 

Amusie P.  Blocq.    .   . 

Amygdaline Ch.  Ltvon   .   . 

Amylacées E.  Aeelous.  . 

Amylc  (Dérivés  de  1') 

Amyle  (Nitrite  d').    .   .     P.  Langlois    . 

Amylène 

Amylène  (Hydrate  d') 

Amyloïde  (Substance) .     Han.semann  .    . 

Amyotaxiç P.  Blocq  .    .   . 

Amyotrophie  .    ....     H.  Triboulet. 

Anabiose  (V.  Revivis- 
cence)  

Anagyrine 

Analgésie Cii.  Richet.    . 

Anaphrodisiaque  .    .    .     P.  Blocq.    .   . 

Anatomic P.  Séeileau    . 

Anélectrotonus     (Voir 

Électrotonus) 

Anémie. Cu.  Richet.   . 

Anesthésie Pierre  Janet  . 

Anesthésiques   ....     Ch.  Richet.    . 

Angélique  (Essence  d') 

Anhalonine 

Aniline Wertheimer  . 

Animisme ...'..     564 

Anis  (Essence  d') S64 

Anisométropie  ....     Nuei 364 

Anode  (V.    Electricité) 564 

Anorchidie 565 

Anorexie 565 

Anosmie  (V.   Odorat) 565 

Antagonisme J.  P.  Morat   .    .     5G3 

Anthropologie   ....     L.  Lapique  .    .    .     579 

Antidote  (V.  Antago- 
nisme)  582 

Antifébrine  (V.  Acé- 
tanilide) 582 

Antimoine A.  Chassevant  .     582 

Antipeptone  (V.  Pcp- 
tone). 587 

Antipéristaltiquc      (V. 

Péristaltique) 587 

Antipyrétiques  (Voir 
Chaleur  et  Fièvre) 587 

Antipyrinc P.  Langlois   .    .     587 

Antisepsie  et  Asepsie.     E.Trouessart    .     592 


394 


414 
416 


421 
431 
436 
443 
443 
445 
463 
463 


468 
470 
470 

478 
478 
478 
480 
482 

491 
492 
506 
513 
350 
550 
550 


Antiseptiques  ....  E.  Trouessart  . 
Antispasmodiques   (V. 

Convulsions) 

Antithermiques     (Voir 

Chaleur  et  Fièvic) 

Antitoxines Charrin.    .    .    . 

Aperception L.  Marillier.    . 

Aphasie E.  Lahousse  .   . 

Aphonie  (V.  Voix) 

Aphrodisiaque.    ...     P.  Blocq  .   .   .   . 

Apnée L.  I^redericq.   . 

Apocodéine ,   .    .    . 

Apomorphine Cii.  LivoN.   .    .    . 

Apraxie 

Arabinose 

Arachnides F.  Plateau  .    .    . 

Arécaine 

Arécoline 

Argent A.    Chassevant. 

Arginine 

Argon 

Aristote Cn.  Ricuet..  .    . 

Arloing .   .    . 

Arsenic E.    Wertheimer. 

Arsonval  (d') .   . 

Artémisine 

Artères M.  Lambert.   .    . 

Ascite. H.  Triboulet.   . 

Asepsie  (V.  Antisepsie) 

Asparagine L.  Fredericq.    . 

Asphyxie Ch.   Richet.   .    . 

Aspidosperminc.  .  .  .  Ch.  Livon  .  .  . 
Assimilation.    .    .     Henruean  et  Corin. 

Asthme H.  Triboulei  .   . 

Astigmatisme Nuel 

Atavisme.   ......     H.  de  Varigny. 

Ataxie Thomas 

Athétose X.  Francotte.  . 

Atmosphère  (  V.  Air) 

Atrophie J. -P.  Morat..    . 

Atropine Nuel.   .   .   .,  .   . 

Attention. Pierre  Janet.    . 

Atténuation Charrin 

Aubert  (Hermann) .    .    . 

Audition Gellé 

Audition  (colorée).   .   .     Nuel 

Aura 

Auscultation H.  Triboulet.   . 

Automatisme Ch.  Richet.    .   . 

Autotomie L.  Fredericq.   . 

Azotates Cn.  Richet.    .    . 

Azote —         .   .   . 

Azote  (.assimilation  par 

les  jilantes) G.André.    .  .   . 

Azotites.    .    .    .    ...     Lambling.,  ...    . 

Azoturie  (V.    Urée) .    .    . 

Bactéries E.  Macé.     .   .   . 


PaKCS. 

.  601 


610 
610 
618 
619 
629 
629 
630 
637 
637 
644 
644 
644 
664 
664 
664 
667 
667 
667 
673 
674 
710 
711 
711 
722 
725 
725 
728 
.  764 
766 
775 
779 
802 
805 
813 
814 
814 
822 
831 
839 
849 
849 
932 
938 
9.39 
940 
952 
938 
959 

961 
1006 
1008 
1009 


CHAMEIiOT    ET    RENOUARD 

19,  rue  des  Saints-Pères,  19 


PARIS