COtï-i
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DICTIONNAIRE
PHYSIOLOGIE
TOME PREMIER
DICTIONNAIRE
ni/, unVTRuiY
DE
PHYSIOLOGIE
CHARLES RICHET
PROFESSEUR DE PHYSIOLOGIE A LA FACULTÉ DE MEDECINE DE PARIS
AVEC LA COLLABORATION
DE
MM. P. LANGLOIS ET L. LAPICQUE
i: T D E
MIW. E. ABELOUS - ANDRÉ — P. BLOCQ — E. BOURQUELOT — CHARRIN
A. CHASSEVANT — CORIN — A. DASTRE ~ W. ENGELMANN — X. FRANCOTTE — L. FREDERICQ
J. CAD — CELLE — N. GRÉHANT — HÉDON — F. HEIIVI
P. HENRIJEAN — J. HÉRICOURT — F. HEYWANS — P. JANET — LAHOUSSE — E. LAMBLING
CH. LIVON — E. IWACÉ — E. IVIEYER ~ J.-P. mORAT — J.-P. NUEL
F. PLATEAU — G. POUCHET — E. REITERER - SÉBILEAU — TRIBOULET
E. TROUESSART — H. DE VARiGNY — E. WERTHEIMER
TOME PREMIER
A-B
AVEC GRAVURES DANS LE TEXTE
PARIS
ANCIENNE LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE ET C
FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR
i08, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 108
1895
Tous droits réservés.
•M. W,',^. Il . I ,;
C^Yi .1^
PRÉFACE
Il y a déjà tant de dictionnaires, et certains d'entre eux sont si bien faits et si
complets, que la production d'un Dictionnaire de physiologie pai-aîtra au premier
abord assez inutile. Nous ne le croyons pas, et nous allons essayer de prouver
le contraire.
Nous tâcherons aussi d'indiquer le plan et la méthode de ce nouveau dic-
tionnaire.
Tout d'abord on sait qu'il n'y a pas encore de dictionnaire spécial pour la
physiologie. Il y en a pour la chimie, pour l'électricité, pour la botanique, pour
la géographie, pour la philosophie ; voire même pour la mythologie, les syno-
nymes et les locutions proverbiales. Mais nul dictionnaire de physiologie
n'existe encore. Cela tient sans doute à ce que la constitution de la physiologie,
comme science distincte, est de date assez récente. Au milieu de ce siècle,
Magendie, J. Muller, Plourens, Claude Bernard, ont pu, par leur enseignement,
leurs écrits et leurs expériences, donner à la science physiologique une auto-
nomie que ni Haller, ni Legallois ne lui avaient pu apporter. A présent il n'est
plus permis de confondre la physiologie avec l'anatomie, l'anthropologie, l'em-
bryogénie, la chimie et la physique. Non certes que ces sciences n'aient
constamment recours à la physiologie, et que de son côté la physiologie ne
fasse de fréquentes incursions dans le domaine de ces sciences; mais la sépa-
ration est faite; les physiologistes se sont spécialisés, et un traité de physiologie
est complètement distinct d'un traité de chimie, ou d'histologie, ou d'embryo-
logie.
Il est vrai que tous les dictionnaires de médecine font avec raison une
grande part à la physiologie. On pourrait sans peine concevoir un abrégé du
beau Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, dans lequel on ferait choix
des articles de physiologie y contenus pour en extraire quelques volumes qui
seraient encore assez intéressants. Il semble toutefois que ce choix serait diffi-
cile, et qu'un tel abrégé ne répondrait nullement à ce que nous comptons pré-
senter au public.
D"aboi'd, en effet, le Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales et le
Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques commencent, au moins pour les
premiers volumes, à être assez anciens. De 1864 à 1893, il s'est écoulé, si je ne
me trompe, le tiers d'un siècle. Et, pendant cette longue durée, la science phy-
siologique a été tant soit peu renouvelée. Si l'on voulait, en fait de physiologie,
s'en tenir à ce qui se trouve dans les deux, dictionnaires, on serait, je m'ima-
gine, assez en arrière de la science actuelle contemporaine.
D'autre part, quoique plusieurs de ces articles soient fort bons, ils ont, en
général, été rédigés par des médecins, et pour des médecins, de sorte que l'élé-
ment médical de la physiologie a pris le pas sur l'élément scientifique propre-
ment dit. Par conséquent la physiologie qui se trouve dans ces dictionnaires
était suffisante pour les médecins instruits d'il y a trente ans; mais elle est
tout à fait insuffisante pour les médecins d'aujourd'hui, et, à bien plus forte
raison, pour les physiologistes.
Il m'a paru bon de confier à des physiologistes les articles de physiologie;
et c'est peut-être, par rapport aux Dictionnaires que nous avons vus paraître
jusqu'ici, une des innovations de cet ouvrage.
Je sais bien qu'on répondra en disant que les traités de physiologie sont là;
et que nous avons d'assez bons traités de physiologie pour nous dispenser des
dictionnaires. Mais, à vrai dire, un traité et un dictionnaire ne rendent pas les
mêmes offices. Quand on cherche un renseignement précis, sur un point quel-
conque, on le trouve difficilement dans un dictionnaire, mais on ne le trouve
jamais dans un traité dogmatique. Et cependant combien de renseignements
sont à chaque instant nécessaires! Je suppose [que je veuille savoir, par
exemple, pour telle expérience que je prépare, la dose toxique exacte de
strychnine qui doit tuer un chien ; dans quelle partie d'un traité de physiolo-
gie irai-je chercher cette indication? A supposer qu'elle y soit, ce qui est dou-
teux, je ne la trouverai qu'après de longs tâtonnements; tout au plus, en
feuilletant dans la table des matières finale, pourrai-je voir s'il est ou non
question de la strychnine; si bien que, dans les bons ouvrages classiques,
il y a constamment à la fin du volume une table alphabétique et analytique des
matières, table qui constitue un véritable dictionnaire, grâce auquel on peut
consulter le livre lui-même.
Ce n'est pas tout. Les traités de physiologie qui ont paru en France sont,
pour des raisons diverses, et surtout parce que les livres classiques doivent être
courts et peu coûteux, insuffisamment détaillés. Même l'admirable livre de
M. Beaunis devrait, pour être véritablement scientifique et représenter dans son
ensemble l'état actuel de la science physiologique, comporter une étendue
double. L'excellent Handbuch der Physiologie,' àoni M. H"ermann a entrepris il y a
une quinzaine d'années la publication, est plus complet, quoique inférieur à
bien des points de vue. Mais il est écrit en allemand; il date de quinze ans ; et
certaines parties sont manifestement faibles. Enfin, par suite de son étendue, il
est parfois difficile à consulter, et, quand on y cherche un document précis,
positif, on perd beaucoup de temps avant de pouvoir le trouver, même quand on
connaît bien le livre.
Il est donc permis de supposer qu'un Dictionnaire de physiologie, tel que
celui que nous projetons, mes amis et moi, tiendra lieu du traité complet et
détaillé de physiologie qui n'existe pas chez nous, et qu'il sera plus facile à con-
sulter et plus utilisable qu'un traité classique, dont l'ordre n'est pas alphabétique,
et qui par cela même se prête mal à une recherche rapide.
Quoique un des grands avantages d'un dictionnaire soit précisément la faci-
lité des recherches par le fait d'un vocabulaire détaillé, nous avons la prétention
de pouvoir remplacer les traités classiques par le grand développement donné à
certains articles. Les articles Alcaloïdes, — Cerveau, — Cœur, — Glycogénie, —
Moelle, — Nerfs, — Reins, — Respiration, constituent de véritables monographies
qui suffiront largement à l'enseignement et à l'expérimentation physiolo-
giques.
Ainsi, d'une part, par le grand nombre d'articles divers et la nomenclature
aussi complète que possible de tout ce qui touche à la physiologie, nous faci-
literons les recherches faites en vue de la bibliographie ou de l'expérimentation ;
d'autre part nous développerons certaines questions fondamentales, de manière
à en faire comme les chapitres séparés d'un grand traité de 'physiologie qui
serait disposé par ordre alphabétique.
Donc, pour résumer les raisons qui militent en faveur de l'utilité d'un pareil
ouvrage, nous dirons que : 1° un dictionnaire de physiologie n'existe pas; 2° les
traités classiques de physiologie sont trop écourtés ou trop anciens; 3° les trai-
tés classiques, si parfaits qu'ils soient, ne peuvent suppléer à un dictionnaire.
Pour prendre un exemple entre mille, quels services ne rend pas chaque jour
le Dictionnaire de Chimie de Wurtz? et cependant il y a peut-être vingt-cinq traités
de chimie qui sont bien faits, et, parmi ces vingt-cinq traités de chimie, il en est
au moins cinq ou six qui sont tout à fait excellents. Est-ce que leur connaissance
empêche le Dictionnaire de Chimie d'être d'un usage quotidien et perpétuel dans
un laboratoire quelconque, de chimie ou de biologie?
A dire vrai, toutes ces raisons, quelle que soit leur importance, ne seraient
pas suffisantes pour justifier notre entreprise, si nous n'avions pas nettement la
pensée que la physiologie doit, pour être complète, sortir des limites trop étroi
tes où on la tient souvent enchaînée, et envahir des domaines qui lui étaient
autrefois interdits. LaPhysique, la Bactériologie, la Médecine, laChimie,laThéra-
peutique, la Psychologie doiventêtre, en maintes parties, traitées aupointde vue
physiologique. C'est cela qui n'avait pas été fait encore dans un ouvrage d'en-
semble, et c'est cela que nous avons, nous, les uns et les autres, physiologistes
de profession qui entreprenons ce dictionnaire, la prétention d'essayer.
Prenons quelques exemples qui rendront cette affirmation plus claire.
Voici l'article Cocaïne, par exemple. Il est clair qu'un médecin et un chirur-
gien peuvent l'un et l'autre très bien traiter cette question. Mais dans quel ouvrage
ira-t-on chercher les documents physiologiques nécessaires? Les mémoires ori-
ginaux, les expériences ingénieuses ne manquent pas assurément; et la biblio-
graphie complète de tout ce qui a été dit sur la cocaïne, comme l'a si bien fait
notre savant collègue M. Dastre, tiendrait déjà trois ou quatre pages. Mais ce
n'est pas tout que de faire la bibliographie de la cocaïne; c'est un travail qui est
à la portée de tout homme laborieux, instruit, et connaissant superficiellement
l'anglais, l'allemand et l'italien. Il faut davantage; il faut pouvoir traiter à fond
la question, choisir dans le nombre immense, presque inûni, des expériences
réalisées, celles qui valent la peine d'être mises en rehef, négliger les autres,
détacher ce qui est directement applicable à l'art de guérir, sans passer dédai-
gneusement sous silence ce qui n'a, pour le moment présent au moins, qu'un
intérêt physiologique, non thérapeutique. En un mot l'article Cocaïne doit être
traité comme un chapitre de physiologie, sans qu'il soit besoin d'insister sur les
formules de potions ou de liniments, mais de façon à mettre en pleine lumière
les effets physiologiques, et par conséquent thérapeutiques, de cet admirable
médicament.
Prenons encore un autre exemple : l'article Hystérie. Certes, pour que l'hys-
térie soit complètement étudiée, il faut un médecin. L'étiologie, la symptoma-
tologie, avec ses formes innombrables et changeantes, le diagnostic, le pronostic,
le traitement, tout cela est trop complexe, et trop embrouillé, et trop riche en
détails cliniques, parfois contradictoires, pour qu'un savant, enfermé dans son
laboratoire, puisse avoir l'extraordinaire prétention de traiter ex professa de
l'hystérie. Autant vaudrait demander à un ingénieur de sculpter une statue, ou
à un sculpteur de construire un pont. Mais, dans l'étude de l'hystérie, il y atout
un élément expérimental qui relève absolument de la physiologie, et pour
lequel l'explication physiologique est nécessaire. L'anesthésie, par exemple,
peut-elle être bien comprise et expliquée si l'on ne connaît pas très bien la sen-
sibilité cutanée normale et ses diverses formes? Les contractures, les hémi-
anopsies, les altérations de la perception des couleurs, les troubles de la volition,
de la nutrition, de l'assimilation, de la respiration, comment s'en rendre compte
sans partir comme point de départ des phénomènes normaux qui ont lieu dans
l'organisme sain? L'état morbide bizarre, protéiforme, des hystériques a ses
analogies dans les phénomènes que nous produisons expérimentalement.
Quoique la ressemblance soit souvent lointaine et difficile à saisir, elle s'impose
à ce point que tous les médecins qui traitent de l'hystérie ne se contentent
pas d'en décrire les symptômes, mais encore essaient [d'en faire la physiolo-
gie pathologique. Souvent même ils emploient les méthodes expérimentales en
usage dans nos laboratoires : méthode graphique, analyses chimiques, appa-
reils électriques, etc.; or n'est-il pas rationnel de considérer comme relevant
de la physiologie tout ce qui, dans les sciences de la vie, est acquis par l'inves-
tigation expérimentale?
Au fond la Physiologie et la Médecine ne sont différentes que par le but
différent qu'elles se proposent. La médecine se propose de guérir, et la phy-
siologie de savoir; mais, quand le médecin chei'che à savoir, et essaie, par des
méthodes variées, d'arriver à la connaissance des choses extérieures, il devient
à son tour physiologiste, et nous n'avons pas le droit de faire fi des résultats
qu'il obtient; car ils sont au moins aussi utiles à notre science que nos expé-
riences de laboratoire sont utiles aux médecins.
Le physiologiste a-t-il le droit d'ignorer qu'il y a une atrophie musculaire
progressive, avec des symptômes admirablement nets, et une étonnante disso-
ciation des fonctions de l'axe gris de la moelle? L'aphasie et ses différentes
formes, n'est-ce pas un des plus curieux et instructifs chapitres de la physio-
logie cérébrale? La sclérose, la syringomyélie, et les autres affections de la
moelle épinière ne donnent-elles pas sur le rôle des centres nerveux rachidiens
des indications d'une précision et d'une variété étonnantes?
Si nous passons à la Bactériologie, cette science toute jeune, et déjà si puis-
sante, créée tout entière par le génie de notre grand Pasteur, nous retrouvons
dans bien des cas le point de conctact avec la physiologie. A vrai dire souvent
la bactériologie n'est que de la physiologie.
Certes notre intention n'est pas de traiter la bactériologie avec tous les détails
que comporterait son étude méthodique; mais certaines parties relèvent abso-
lument de notre programme.
Il y a en effet dans l'histoire des bactéries un élément liiorphologique qui ne
regarde guère la phj^siologie. Que le bacille d'EBERTH ou le Bactermm coli com-
mune soient identiques ou différents, c'est un problème très intéressant pour le
médecin, mais qui, au point de vue de la physiologie, est bien accessoire. La dose
antiseptique nécessaire pour stériliser les crachats tuberculeux; la recherche du
bacille de la fièvre typhoïde dans les eaux; ou l'analyse minutieuse des micror-
ganismes du pus, tout cela n'a rien à faire avec notre programme. Mais il n'est
pas permis à un physiologiste d'ignorer les phénomènes de l'infection, de l'in-
cubation, de la vaccination, de l'atténuation, de l'antisepsie; toutes questions
de biologie générale qui, pour être bien traitées, exigent la connaissance d'in-
nombrables expériences disséminées un peu partout, non réunies encore en un
corps de doctrines, et que nous espérons pouvoir dans ce dictionnaire grouper
systématiquement, en dégageant l'élément expérimental de l'élément médical
proprement dit.
La physiologie a, sur la médecine, ce précieux avantage que les expériences
qui constituent la trame même de la science de la vie ne passent pas, comme
passent les théories et les applications médicales. Que i-estera-t-il des théories
multiples, rapidement échafaudées, de l'immunité et de la vaccination? Peu de
chose peut-être, dans quelques années, tandis que la mémorable expérience de
Pasteur sur la vaccination (par le choléra des poules atténué) contre le choléra
des poules virulent restera toujours inébranlée et inébranlable, au milieu des
théories qui s'écroulent.
La physiologie n'est pas seulement la science des fonctions de l'homme ;
c'est encore la science des fonctions de tout être vivant. A ce titre les microbes
ont, eux aussi, leur physiologie. Eh bien ! toute cette étude de l'immunité, de
l'infection, de la vaccination, si c'est la pathologie de l'homme, c'est la physiolo-
gie du microbe. Est-ce que la distinction (faite par Pasteur) des êtres vivants en
anaérobies et aérobies ne doit pas être à la base de la physiologie générale? Les
fermentations alcoolique, lactique, acétique, butyrique, sont un des exemples
les plus nets des phénomènes chimiques produits par des êtres vivants; et,
puisque nous étudions l'urée et l'acide carbonique, résultant de la désassimila-
tion organique des cellules chez les vertébrés, nous devons aussi étudier les
ptomaïnes qui résultent de la désassimilation organique des microbes.
Les questions de bactériologie seront donc dans cet ouvrage traitées au point
de vue non de la pathologie humaine, mais de la physiologie générale, et je crois
que personne n'osera en conclure que ce sera inutile pour la pathologie humaine.
La Chimie et la physiologie sont tellement unies que vraiment je concevrais
la physiologie comme étant un des chapitres de la chimie. C'est dire que la
chimie prendra dans ce dictionnaire une très grande place.
On sait que cette chimie physiologique comporte deux parties bien diffé-
rentes, et aussi importantes l'une que l'autre : la première, c'est l'étude des
changements chimiques des tissus, des oxydations, hydratations, dédouble-
ments produits par le processus vital. Il y là quantité de substances diverses,
bien observées par les chimistes, et dont l'étude est tout à fait à sa place dans
un dictionnaire; car l'ordre alphabétique est très commode pour la description
de ces innombrables substances, et nous ne croyons pas que même le vocabu-
laire en ait jamais été fait d'une manière complète. En tout cas, comme ce
vocabulaire s'accroît incessamment, les anciens dictionnaires n'en peuvent
donner qu'un exposé qui est insuffisant aujourd'hui.
Mais la chimie physiologique touche aussi à la toxicologie ou à la pharma-
codynamique. Aussi presque tous les mots de la chimie minérale ou organique
auront-ils leur place dans notre dictionnaire : il y aura des articles pour l'Ar-
gent, l'Antimoine, l'étain, le Plomb, etc., pour la Benzine, la Naphtaline, la Résor-
cine, la Térébenthine, etc. Il est clair que le côté exclusivement chimique sera
traité sommairement, et que ce qui sera développé, ce sera l'action de ces
diverses substances sur l'organisme vivant; spécialement sur les êtres supé-
rieurs; car l'étude physiologique complète d'une substance chimique est la base
de la thérapeutique. Personne n'en peut concevoir d'autre.
Toutes ces considérations montrent que le Dictionnaire de physiologie ne
peut faire double emploi ni avec un dictionnaire de chimie, ni avec un diction-
naire de médecine, ni avec un traité de bactériologie.
De même pour la Zoologie, la Botanique et V Embryologie. 'Nous devons donner
de ces sciences ce qu'il y a de plus intéressant en fait de physiologie : or
l'élément purement physiologique de ces sciences descriptives n'est, semble-t-il,
présenté méthodiquement nulle part. Certes nous ne tirerons ces documents
que des livres connus, et des mémoires déjà publiés, et aucun de nos collabo-
rateurs n'aura la prétention de créer la physiologie comparée ; mais ce sera déjà
une œuvre bien importante que de rassembler les données éparses, de manière
à les présenter dans leur ensemble. Les articles Oiseaux, Reptiles, Poissons, ne
peuvent être traités dans un Dictionnaire de physiologie comme dans un traité
de zoologie, et nous pensons que des articles de cette sorte n'ont pas été écrits
encore. Ils seront, croyons-nous, d'une extrême utilité. Toutes les études sur
les venins et les animaux venimeux (serpents, insectes, etc.), sur les ani-
maux électriques et lumineux, relèvent absolument de la phj'siologie, et nous
avons l'intention de donner à ces sujets toute l'importance qu'ils méritent, en
eux-mêmes d'abord et ensuite par les déductions qu'on en peut faire pour la
physiologie générale.
Parlerai-je de la Physique, de la Psychologie ? il me semble que cela est
inutile, puisque aussi bien ce serait pour redire toujours la même chose, c'est-
à-dire que nous prendrons dans ces belles sciences l'élément physiologique :
nous le mettrons en lumière, et' nous espérons que le physicien et le psycho-
logue pourront en faire leur profit.
Je dois aussi mentionner V Histoire de la physiologie, qui n'est guère traitée
que dans les dictionnaires biographiques, et qui doit trouver sa place ici. Quand
on expose la circulation ou les phénomènes chimiques de la respiration, les vies
d'AfiisïOTE, de Galien, de Harvey, de Haller feraient une digression : et pourtant
n'est-ce pas dans tous nos livres classiques une lacune vraiment regrettable que
cette omission de l'histoire des hommes qui ont rendu tant de services à notre
science. Les opinions — voire même les erreurs — d'un grand savant ont tou-
toujours un caractère singulièrement instructif, et je ne conçois pas qu'on
attache peu de prix à l'histoire des sciences. N'y a-t-il pas en Angleterre un
traité classique de physiologie, tout récent, où l'auteur, pour simplifier, a sup-
primé les noms propres, et s'est contenté d'indiquer les faits, sans mentionner
ceux qui les ont découverts? Donc, sans nous attarder à mentionner les noms
de tous les auteurs qui ont écrit sur la physiologie — tâche assez fastidieuse
et stérile, en somme, — nous ferons l'histoire, parfois assez détaillée, des
principaux maîtres de la science; essayant de dégager les faits nouveaux trou-
vés par eux, de justifier les théories plus ou moins fausses qu'ils ont imaginées
et de mettre en relief les services rendus au patrimoine commun.
Nous aurons soin de donner une Bibliographie exacte. Sur ce point il faut
être intraitable. De bibliographie complète, il n'y en a pas, et il ne peut y en
avoir. Mais au moins la bibliographie doit être consciencieuse et loyale, c'est-
à-dire qu'on ne citera un auteur que quand on aura tenu en main le livre et le
mémoire qu'on cite. Rien n'est plus facile que d'entasser des titres d'ouvrages
ou de mémoires se rapportant à telle ou telle question particulière. Il suffit le
plus souvent de copier les bibliographies antérieures, en les démarquant plus
ou moins ; par exemple, de puiser dans V Index Catalogue de notre savant con-
frère, M. BiLLiNGS, une page qu'on reproduit avec beaucoup de fautes d'impres-
sion, d'y incorporer quelques indications cueillies dans la Revue des sciences
médicales de M. Hayem, pour les deux ou trois dernières années; et le tour est
joué. La bibliographie est faite. Mais une bibliographie de ce genre est vraiment
frauduleuse, et elle ne doit être en aucun cas construite ainsi. Il faut avoir,
sinon lu, au moins parcouru le mémoire qu'on cite, ou alors ne pas donner la
citation.
Il existe actuellement tant de publications, tant de niémoires, tant d'auteurs
divers, que toute énumération sera nécessairement incomplète. Mais quelques
lacunes sont sans gravité, et on ne peut avoir la prétention de ne rien omettre.
11 faut même, dans une bibliographie consciencieuse, plus souvent éliminer
qu'ajouter : en effet bien des mémoires consultés sont sans importance, et
n'ajoutent rien à nos connaissances. Par exemple, la bibliographie de l'article
Cœur pourrait facilement comprendre dix pages de notre dictionnaire. Vrai-
ment cette longue hste serait tout à fait superflue. Nous renvoyons aux livres
où la bibliographie est faite suffisamment, et nous ne mentionnons que les
mémoires fondamentaux, ceux qu'il n'est pas permis d'ignorer ou de mécon-
naître. Quand tin auteur fait une étude spéciale sur un point limité de la science,
il doit faire lui-même la bibliographie spéciale qui lui est nécessaire, et il ne
peut espérer trouver dans aucun ouvrage, quelque complet qu'il puisse être,
la bibliographie dont il a besoin. Je suppose, par exemple, qu'un physiologiste
veuille étudier l'action du pneumo-gastrique sur le cœur chez les reptiles; il
lui faudra chercher longtemps et lire beaucoup d'ouvrages pour savoir tout ce
qui a été tenté sur ce sujet. Une bibliographie ne pourra jamais lui donner
que certaines indications, qu'il aura le devoir de compléter par lui-même.
Ainsi donc, pour simplifier les trop longues bibliographies, voici le plan que je
propose. Le premier mémoire indiqué, et indiqué immédiatement après le mot
même, sera le mémoire fondamental, oii les indications bibliographiques prin-
cipales ont été déjà données avant nous, et bien données. Les indications con-
tenues dans ce mémoire, nous ne les répéterons plus, et nous nous contenterons
de rapporter, sans autre citation, les résultats scientifiques obtenus par les
auteurs qui y sont cités; mais, pour tout le reste, il y aura l'indication, aussi
exacte que possible, des sources auxquelles nous avons puisé; car l'Index Cata-
logue n'est pas toujours à la disposition de tous les travailleurs, et dans certains
cas il sera bon de répéter quelques-unes des origines qu'il donne.
D'ailleurs chaque collaborateur aura parfaitement le droit, pour l'article
rédigé par lui, de donner l'indication des mémoires qui lui paraissent, au point
de vue bibliographique, les meilleurs; et alors, naturellement, cette citation le
dispensera de recommencer les citations des mémoires secondaires indiqués
avec détails dans le mémoire fondamental qu'il prend pour guide.
En un mot nous ferons en sorte qu'avec notre Dictionnaire on puisse rapi-
dement se faire, sur une question quelconque, une bibliographie complète, sans
cependant qu'elle soit donnée par nous complètement; car nous prendrons pour
auxiliaires les excellents livres que nous avons soin d'indiquer.
Si l'on a eu la patience de suivre les ditlérents points que nous venons de
traiter, tant au point de vue de la Thérapeutique, de la Médecine et de la
Zoologie que de la Bibliographie, de la Chimie et de l'Histoire, on comprendra
que le plan de ce Dictionnaire de physiologie est vraiment nouveau, et que son
utilité sera considérable, aussi bien pour les médecins et les chimistes que pour
les physiologistes proprement dits.
D'ailleurs, pour résumer tout ce- que nous venons de dire, il suffira de par-
courir même superficiellement la liste des articles traités. Par exemple, en
prenant au hasard, je trouve : Sueur, Sugg'estion, Sulfates, Sulfonal, Suppuration,
Surmenage, Surrénales, Sympathique, Synesthésie, Syringomyélie, Systole,
Swammerdam. Je crois que tout le monde sera bien vite convaincu de la variété
de notre œuvre, variété qui en constitue la principale difficulté.
Il est évident que ce dictionnaire s'adresse surtout aux physiologistes. Nous
avons devant les yeux un certain idéal; c'est pour tout laboratoire de physiolo-
gie, l'emploi perpétuel de ce dictionnaire, riche en renseignements de toutes
sortes, en chiffres, en mesures, en formules, en sources bibliographiques. C'est là
notre but, et nous avons voulu avant tout, les uns et les autres, en faire le livre
indispensable à la bibliothèque d'un physiologiste expérimentateur ou profes-
seur. Quoique jamais la réalité ne réponde complètement à l'idéal qu'on s'est
formé, il est clair que, plus ou moins, tous les physiologistes de profession, soit
en France, soit à l'étranger, auront besoin de consulter ce dictionnaire; mais
nous avons aussi une ambition plus haute. En effet, de toutes les sciences, la
physiologie est peut-être celle qui touche l'homme de plus près. Elle confine,
comme nous venons de le montrer, à beaucoup de sciences; à la médecine
surtout, puis à la chimie, à la psychologie, à l'histoire naturelle. Or, pour les
médecins, les chimistes, les psychologues et les naturalistes, le recours aux
traités classiques (et à plus forte raison aux mémoires originaux) est souvent
fort difficile. La tâche est bien simplifiée par le dictionnaire, qui peut donner,
tout de suite et sans grand effort, le renseignement voulu. On raconte qu'EDisoN,
le célèbre inventeur américain, a une bibliothèque constituée uniquement par
des dictionnaires. Gela lui épargne, paraît-il, beaucoup de temps; et il peut
ainsi trouver rapidement l'information dont il a besoin. Il semble que tous ceux
qui auront besoin d'un document physiologique — et ils sont nombreux, puisque
ce sont les médecins, les pharmaciens, les chimistes, les psychologues, les
naturalistes, — le trouveront sans trop de peine dans notre Dictionnaire, alors
qu'ils le chercheraient longuement ailleurs souvent sans pouvoir le rencontrer.
Ne voyons-nous pas que le dictionnaire de Wurïz (et je reviens toujours à
cet exemple, car j'espère une utilité analogue) n'est pas seulement entre les mains
de tous les chimistes, mais qu'il est aussi sans cesse consulté et feuilleté par les
physiciens, les physiologistes, les photographes, les industriels, par tous ceux en
un mot qui font indirectement de la chimie. Eh bien ! je crois que tous ceux qui
font indirectement de la physiologie auront besoin de ce dictionnaire, et ne pour
ront guère s'imaginer pourquoi, pendant si longtemps, il n'y avait pas à leur dis-
position cet utile instrument de travail qui leur économise autantde leur temps.
Enfin, — mais c'est peut-être une illusion en faveur de la science que je pré-
fère, — la physiologie, si technique qu'elle soit parfois, est une des sciences
les plus faciles à comprendre et les plus attrayantes à étudier, si bien que, même
pour les profanes, des chapitres de physiologie ne seront pas sans quelque inté-
rêt. Mais, à vrai dire, si nous avons tenté Vextension de la physiologie, en enva-
hissant quelque peu la chimie, la médecine, l'histoire naturelle et la psycholo-
gie, nous n'avons voulu rien faire qui ressemblât à de la vulgarisation, et nous
avons cherché, tout en étant aussi compréhensible qu'il faut l'être quand on
écrit dans notre belle langue française, à donner l'exposé complet et scientifique
des faits connus aujourd'hui.
Abordons un autre sujet; le procédé de composition des divers articles.
C'est là la difficulté réelle d'un dictionnaire. Il s'agit de limiter chaque arti-
cle, et de préciser ce qui revient à l'article principal, et ce qui revient aux petits
articles accessoires. Je prends un exemple dans la physiologie des muscles.
Comment faut-il concevoir l'article Muscle? Il est clair que l'article Myographe
ne pourra être supprimé; par conséquent il faudra mettre dans l'article Myo-
graphe toute la technique de la myographie. Secousse musculaire doit aussi
fournir un article, comme Bruit musculaire, et Onde musculaire, et Contracture.
Toutes ces parties de la physiologie du muscle devront être traitées isolément;
car cette dissémination d'un sujet, c'est le vrai but d'un dictionnaire. Il faut
que, pour savoir les faits connus sur le bruit musculaire, je les cherche à l'article
Bruit, et que je les y trouve.
La physiologie du muscle se trouve ainsi décomposée en ces divers éléments ;
mais il reste encore quantité de faits qui ne pourraient trouver place qu'à
l'article Muscle : car, si l'article Muscle est plus général que les articles : Onde,
Myographie, Contracture et Bruit, il est moins général que les articles Sang et
Irritabilité; de sorte qu'il faudra pour l'étude de l'Irritabilité renvoyer à l'article
Muscle, et à l'article Nerfs tout en traitant de l'Irritabilité en général.
De même les conclusions d'un article sur la Myographie et l'Onde et le Bruit
musculaire, quand elles comporteront quelque généralité, seront à leur place
dans l'article Muscle.
C'est plutôt d'ailleurs, pour ces noms divers, une question de tact et de
mesure que de principes. En principe, c'est l'article le plus spécial qui compor-
tera surtout la description. Ainsi on ne fera pas l'étude du cervelet à Encéphale.
Mais le cervelet fera un article spécial, et, pour l'étude du cervelet, dans l'article
Encéphale, on renverra au mot Cervelet. L'article Vision ne comprendra pas
toute l'optique physiologique ; car c'est un mot plus général qu'Accommodation,
Iris, Rétine. Mais, comme il faut s'arrêter dans cette spécialisation, les fonctions
de la rétine seront décrites à Rétine et non à Tache jaune.
Toute classification, tout arrangement méthodique est essentiellement arbi-
traire; car il n'y a rien dans les faits eux-mêmes qui soit disposé pour ces
classements artificiels : aussi peut-t-on dire que tout système est bon, pourvu
qu'il soit appliqué avec modération, sans être poussé à l'absurde. Ainsi l'histoire
chimique du sang ne peut vraiment pas être dédoublée dans toutes ses parties.
Certes il faudra parler de la coagulation du sang aux articles Caillot, Coagula-
tion et Fibrine; mais c'est l'article Sang qui aura évidemment le plus de détails;
car on ne peut isoler la coagulation des autres fonctions du sang. Ce seront
évidemment des redites, des répétitions, mais peut-on les éviter? Même dans
un traité de physiologie, on est forcé de reprendre en un chapitre la question
qu'on avait traitée en partie dans le chapitre précédent. A plus forte raison dans
un dictionnaire.
Il y aura donc, pour nous résumer, des articles généraux et des articles
spéciaux. Tout ce qui pourra, sans porter dommage à l'unité et à l'harmonie de
l'article général, être traité dans un article spécial, sera réservé à cet article
spécial (par exemple, le vomissement peut être traité à Vomissement, sans que,
dans les articles Estomac et Digestion, on insiste sur la mécanique du vomisse-
ment). Le plus souvent donc il y aura des articles spéciaux.
Mais cette spécialisation ne peut aller presque à la mutilation d'une question
qui doit être prise dans son ensemble; et alors il y aura un article général. Il
serait absurde de faire un article spécial pour Cordons antérieurs de la moelle ;
un autre pour Cordons postérieurs et un autre pour Axe gris-central. Pour le
cerveau, cette spécialisation est déjà plus acceptable, et je comprendrais assez
bien qu'il y eût les articles : Corps calleux, Circonvolutions cérébrales, Corps
opto-striés, quoique, assurément, un article d'ensemble sur le cerveau soit
nécessaire et peut-être suffisant.
Quanta la rédaction des aiiicles eux-mêmes, une fois le plan général adopté
et convenu, nous n'avons pas eu de conseils à- donner à nos collaborateurs. Sur
ceux-là nous n'avons rien à révéler à nos lecteurs. Il est évident que la méthode
expérimentale, le respect du fait, respect scrupuleux et presque servile, ont
inspiré tous ceux qui ont collaboré à ce livre. Peu ou point de théories; car les
théories vieillissent et sont en quelques années démodées; tandis que les faits
restent immuables, et sont aussi intéressants au bout de cent ans, que l'année
dernière.
Surtout les chiffres, les mesures, les tableaux, les graphiques. L'idéal de la
Physiologie, ce serait presque l'absence de texte, avec des tableaux numériques,
des moyennes, et de grands graphiques, méthodiquement disposés. C'est ainsi
qu'on peut supprimer quantité de détails inutiles, et faire rapidement compren-
dre un grand nombre de vérités qui auraient eu, sans cela, besoin de longues et
fastidieuses explications.
On pourrait appliquer aux faits de notre science la maxime de l'Ecclésiaste :
Omnia in numéro et pondère.
Il est inutile de présentera nos lecteurs les physiologistes distingués qui ont
collaboré à cet ouvrage. D'ailleurs on jugera de leur œuvre. Je dois cependant
les remercier publiquement de leur abnégation; il faut un dévouement pres-
que héroïque pour passer plusieurs mois de travail à écrire un article aussi utile
à ceux qui le lisent, que peu glorieux pour celui qui l'a composé et qui s'est ou-
blié lui-même en faisant une œuvre impersonnelle.
Nous n'ignorons pas l'imperfection de notre œuvre; mais, si imparfaite qu'elle
soit, elle nous paraît cependant constituer un progrès.
CHARLES RICHET.
ABREVIATIONS
DES INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
Annales de Chimie et de Physique A. C.
Archives de Physiologie A. P.
Archives italiennes de Biologie A. B.
Archiv fiir die Gesammle Physiologie (Pflûger's) A. Pf.
Archiv fur Physiologie (Du Bois-Reymomd's) A. Db.
Archiv fur experimentelle Pathologie und Pharmakologie ... A. P. P.
Archiv fiir pathologische Anatomie und Physiologie (Vihchow). A. V.
Bulletins de la Société' de Biologie B. B.
Bulletins de la Société chimique de Paris B. S. C.
Centralblatt fiir die medicinischen Wissenschaften CM''.
Gentralblatt fur Physiologie C. P.
Comptes rendus de l'Académie des Sciences de Paris C. R.
Dictionnaire de Chimie de Wurtz D. W.
Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales (Dechamdre). D. D.
Hermann's Handbuch der Physiologie H. H.
Index Catalogue I. C.
Jahresbericht ftir Thierchemie (Maly) J. B.
Jahresbericht {tir Physiologie (Hermann) Jb. P.
Journal of Physiology J. P.
Revue des Sciences médicales (Hayem) R. S. M.
Thèse de doctorat de la faculté de Médecine de Paris D. P.
Traité de Physiologie (Longet, Beaunis, Colin, Béclard, etc.) . . T. P.
Zeitschrift fur Biologie Z. B.
Zeitschrift fiir Physiologische Chemie Z. P. C.
DICTIONNAIRE
DE
PHYSIOLOGIE
A
ABASIE-ASTASIE. — ■ L'abasie (à privatif et {iai:;, marche) est la perle
plus ou moins complète de la faculté de marcher, et l'aslasie(à privatif et a-cacj'.;, station)
la perte plus ou moins complète de la faculté de garder la station verticale, sans trouble
de la sensibilité, delà force musculaire, delà coordination, de sorte gue, sauf la marche
et la station verticale, 'tous les mouvements des membres inférieurs s'exécutent régu-
lièrement. L'abasie et l'astasie coexistent d'ordinaire.
Elles se rencontrent chez des hystériques et constituent un phénomène du même
ordre que la paralysie hystérique. Les causes occasionnelles sont les émotions vives,
les traumatismes, les maladies infectieuses. On peut produire expérimentalement l'as-,
tasie-abasie, dans l'hypnotisme, en suggérant à l'individu hypnotisé qu'il ne peut plus
se tenir debout ou marcher.
Pour expliquer l'astasie-abasie, il faut se rappeler que la station et la marche ne s'ap-
prennent qu'à la suite d'un long apprentissage : les centres corticaux qui président à ces
mouvements doivent, dans les débuts, déployer une attention incessante; alors, à la
Jongue, ils finiraient par créer un centre spinal agissant d'une façon quasi automatique,.
à la suite d'une simple impulsion corticale. On peut, avec Blocq, imaginer que, dans
l'astasie-abasie, il s'agit d'une influence d'arrêt, portant soit sur le centre cortical, cas.
dans lequel l'impulsion initiale fera défaut, soit sur le centre spinal, et alors l'ordre
donné n'est pas exécuté.
Bibliographie. — Bloco. Sur une affection caractérisée par de l'astasie et de l'abasie
{Archives de Neurologie, t. xv, 1888). — Charcût. Leçons sur le système nerveux à la Salpé-
trière, mi-m^. ' ^^^^^^ fRANCOTTE.
ABCÈS. — Voir Suppuration.
ABEI LLE. — Insecte de l'ordre des Hyménoptères, sous ordre des Porte-aiguillons
(abdomen pédicule, un aiguillon venimeux ou tout au moins des glandes anales sécrétant un
liquide acide chez les femelles); tribu des Apiens (antennes coudées, lèvre inférieure et
mâchoires longues, et formant par leur association une sorte de trompe; pattes posté-,
rieures des femelles conformées pour récolter le pollen, avec jambe (tibia) élargie creusée
en cuiller sur la face externe et premier article du tarse très grand en palette carrée ou
triangulaire) ; famille des Apides ; genre A^ris.
Le genre exclusivement propre à l'ancien continent comprend dix ou douze espèces,
dont la plus connue est l'abeille proprement dite. Apis mellifica Linn., probablement
originaire de la Grèce, ou de l'Asie-Mineure. Elle oifre une variété ou i-ace méridionale,
Apis ligustica Spinala, dite vulgairement abeille italienne ou abeille jaune.
Pour les faits physiologiques" que l'abeille possède en conmiun avec tous les autres
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 1
2 ABEILLE.
Arthropodes ailés, nous renvoyons à l'article Insectes; nous ne parlerons ici que de ce qui
est plus ou moins spécial à l'abeille.
Mœurs en généraL — Nous résumons brièvement sous ce titre la vie des abeilles
domestiques, dont les particularités curieuses sont aujourd'hui connues dans les plus
petits détails, grâce aux travaux de Swammerdam, Fr. Huber, Dzierzon, etc., etc., et de
nombreux apiculteurs. Notre guide principal a été l'excellente monographie de JVIaurice
Girard.
Une colonie d'abeilles se compose : 1° d'une seule femelle féconde, ordinairement
appelée reine, munie d'un aiguillon et qui ne sort de la ruche que dans deux cas, au
moment de l'accouplement et lors de l'essaimage; 2° d'innombrables neutres ou ouvrières
chargées de la récolte du pollen ainsi que de la production du miel et de la cire; elles
possèdent aussi un aiguillon et doivent être considérées comme des femelles dont l'appa-
reil reproducteur est avorté (découverte due àM"' Jurine); 3° des mâles ou faux-bour-
dons privés d'organes vénénifiques : leur existence dans la colonie n'a, comme nous allons
le voir, qu'une durée limitée; 4° enfin, accidentellement, d'un certain nombre d'ouvrières
fertiles, c'est-à-dire d'individus au faciès de neutres et impropres à l'accouplement,
mais possédant des ovaires développés. Elles pondent irrégulièrement des œufs parthé-
nogénétiques dont nous parlerons plus tard.
Une seule ruche contient de 30 à 50 000 ouvrières et de 2 000 à 3 000 faux-bourdons.
Quelques jours après son éclosion, pendant les heures les plus chaudes, la jeune
reine sort de la ruche et est bientôt suivie dans ses évolutions aériennes par une troupe
de mâles. L'un de ceux-ci l'ayant atteinte, l'accouplement a lieu, soit en l'air pendant le
vol, soit, dans d'autres cas, durant un court repos, sur la tige ou les feuilles d'un végétal.
Pendant cet acte qui est rapide, le pénis du mâle se retourne comme un doigt de gant,
elles spermatozoïdes sont introduits dans les organes femelles, réunis en un spernuUo-
phore piriforme. Lors de la désagrégation de ce dernier, les spermatozoïdes devenus
libres, et au nombre de plusieurs millions, sont accumulés dans un réservoir sphérique
spermathèque ou receptaculum seminis annexé au vagin de la femelle. Celte quantité con-
sidérable de spermatozoïdes explique comment un seul accouplement suffit pour assurer
la fe'condation de tous les œufs de femelles et d'ouvrières que la reine pondra durant
toute sa vie, qui est ordinairement de trois années.
Fécondée, la femelle rentre à la ruche qu'elle ne quittera plus à moins d'essaimage,
c'est-â-dire de départ en masse d'une partie notable de la population à la recherche
d'une autre habitation. Ce fait a lieu, dans les ruches de faible capacité, lors del'éclosion
d'une reine nouvelle. Ce sont donc, la vieille reine, un grand nombre d'ouvrières et une
certaine quantité de faux-bourdons qui partent, dans le double but de faire de la place
au logis primitif et d'aller ailleurs créer une deuxième colonie. Si, au contraire, l'es-
pace habitable est très grand, comme dans certaines ruches sauvages établies dans des
arbres creux, dans l'intervalle entre le plafond et le plancher de vieux bâtiments, etc.,
l'essaimage ne parait pas se produire, ce qui permet de croire que plusieurs colonies
vivent alors en bons termes côte à côte.
Ainsi que nous le disions plus haut, l'existence des faux-bourdons ou mâles est
limitée; elle ne dure guère que deux ou trois mois. Lorsque la période d'essaimage et
de fécondation des jeunes reines est passée, les mâles impropres au travail ne sont plus
que des bouches inutiles qui doivent disparaître. Les ouvrières les chassent de la ruche
et en tuent un grand nombre; le reste, dispersé de tous côtés, meurt de faim.
Architecture. — Les abeilles ouvrières emploient pour leurs constructions deux subs-
tances très différentes : l^la cire, produit spécial de glandes cutanées et par conséquent
sécrété par elles; 2" la propolis, matière résineuse d'origine végétale que ces insectes
vont récoller sur les bourgeons de divers arbres, des peupliers, des bouleaux, des
ormes, des saules, etc.
La propolis sert à boucher les fentes, à coller à la voûte les premières assises des
gâteaux, à envelopper les cadavres d'animaux introduits dans la ruche et trop volumi-
neux pour être transportés au dehors.
Les gâteaux de cire pendent verticalement comme de petites murailles et sont creusés
sur leurs- deux faces d'alvéoles dont il faut distinguer trois types à rôles déterminés :
i" les alvéoles d'ouvrières destinées au couuawi (larves et nymphes) des neutres, ce sont les
ABEILLE. 3
plus petites (12 millimètres de profondeur) et de beaucoup les plus nombreuses; 2° les
alvéoles de mâles, plus grandes (15 millimètres de profondeur); 3° enfin, quelques cellules
relativement énormes, ou cellules royales, pour les larves qui vont donner naissance aux
femelles fécondes.
Les alvéoles des deux premières catégories ont la forme de prismes hexagonaux
ouverts du côté externe par oti se fera la ponte et fermés du côté interne par un pointe-
ment à trois faces composé de trois losanges égaux. De plus, les alvéoles des deux faces -
du gâteau ne se correspondent pas; les parois du fond pyramide d'une cellule appar-
tenant en même temps aux fonds de trois cellules de la face opposée.
On a mathématiquement démontré que par cette forme des alvéoles les abeilles sont
arrivées au moindre développement de la surface des parois et, par suite, à la plus
petite dépense possible de cire.
Quant aux alvéoles, royales, elles sont ovoïdes, à parois épaisses, assez irrégulières,
comprenant près de cent fois autant de cire qu'une cellule d'ouvrière. On les observe près
des bords des gâteaux, et on en compte, dans une ruche, de cinq à douze, mais quel-
quefois beaucoup plus.
Toutes les cellules ne sont pas destinées à recevoir des œufs et à contenir, par suite,
des larves, puis des nymphes. Un certain nombre de ces loges servent simplement de
récipients pour l'excès de miel et de pollen apporté par les ouvrières pendant la belle
saison et mis en réserve en vue des périodes de disette. D'une manière générale, ce sont
les cellules des rangées supérieures de chaque gâteau. Dès qu'une de ces alvéoles
magasins est remplie, des ouvrières la ferment avec un couvercle de cire.
La femelle ou reine parcourt la surface des gâteaux en pondant dans chaque alvéole
vide un œuf ovoïde très allongé, œuf qui, dans la règle ordinaire et pour des causes
dont il sera question à la fm de cet article, donnera lieu à un insecte d'un sexe appro-
prié aux dimensions de l'alvéole.
D'après des observations répétées, une reine vigoureuse peut pondre ainsi journel-
lement environ 3000 œufs.
L'éclosion a lieu le quatrième jour après la ponte et, dés que la larve apode s'est
débarrassée de la paroi de l'œuf, les ouvrières lui apportent une bouillie formée d'eau, de
pollen et de miel. La composition de cette nourriture change à mesure que la larve se
développe, la proportion du miel pur augmentant progressivement. La larve étant
arrivée au terme de sa croissance, les ouvrières ferment l'alvéole par un couvercle de
cire légèrement convexe : puis, après une phase nymphale dont la durée varie selon le
sexe, l'insecte parfait coupe à l'aide de ses mandibules le couvercle de sa loge et entre
dans la vie active.
Tel est le tableau forcément écourté de ces mœurs assurément dignes d'exciter le
plus vif intérêt, mais qu'i,l faut se garder d'interpréter avec l'enthousiasme irréfléchi des
littérateurs et des poètes qui vont jusqu'à voir dans la colonie d'abeilles le modèle
d'une société humaine parfaite. Société cependant bien misérable, si l'on remarque :
■1° que tous les actes y convergent vers un seul but, la reproduction; 2o que les individus
sont absolument sacrifiés à l'équilibre de l'ensemble; 3° qu'il n'y existe aucune ten-
dance au progrès, puisque, sauf de petits détails résultant de l'action de l'homme, les
abeilles travaillent aujourd'hui exactement de la même façon qu'à l'époque où les
observait Abistote.
Cette vie en commun d'individus nombreux entre lesquels sont réparties d'une
manière presque invariable des besognes distinctes, vie en commun dont l'équivalent
se retrouve chez des Névroptères, les Termites, et chez de nombreux Hyménoptères
sociaux, Mélipones, Bourdons, Guêpes et Fourmis, représente un grand degré de compli-
cation se traduisant par la subdivision du travail.
Quelques exemples feront saisir immédiatement ce principe : si de l'animal mono-
cellulaire qui, pour se reproduire, n'a qu'à se scinder en deux moitiés, nous passons à
l'être polycellulaire, hermaphrodite suffisant, dont la reproduction s'efl'ectue a. l'aide de
deux groupes de cellules différentes, ovules et spermatozoïdes, il y a subdivision du
travail; si, après l'animal hermaphrodite, nous considérons, par exemple, les Hymé-
noptères solitaires, tels que les Anthophores, où les glandes sexuelles produisant ovules
et spermatozoïdes sont portées par deux individus; l'un femelle, l'autre mâle, nouvelle
4 ABEILLE.
subdivision du travail; et si enfin de l'Anthophore, dont la femelle à elle seule effeolue
les multiples opérations de la construction des cellules, de la ponte, de la recherche de
la nourriture, etc., nous arrivons aux Hyménoptères sociaux avec mâles destinés à
assurer la fécondation, femelles pondeuses, neutres constructeurs et nourriciers, nous
atteignons le plus grand degré de complication dans la subdivision du travail que l'on
puisse constater chez les Insectes.
La colonie d'abeilles n'est donc pas un modèle de société humaine parfaite; s'il
faut une comparaison, nous la trouvons dans les immenses industries modernes où la
subdivision du travail conduit à la production en grand à bon marché, mais oij, hélas,
l'ouvrier qui, isolé autrefois et devant alors tout faire, pouvait exercer son intelligence,
n'est plus aujourd'hui qu'un automate condamné à répéter sans cesse le même mou-
vement machinal.
Prétendu sens de la direction. — Les abeilles ne se transportent généralement
pas à plus de 2 kilomètres de la ruche. Cependant, dans certaines circonstances spéciales
où les (leurs mellifères étaient exceptionnellement éloignées, on a trouvé ces insectes
butinant à o et même 7 kilomètres. Ce dernier fait et la sûreté avec laquelle la plupart
des individus retournent à la colonie a fait admettre pendant longtemps chez l'Abeille
et chez d'autres Hyménoptères un prétendu sens de direciion.
i. H. Fabke, en partie sur les conseils de Ch. Darwin, avait effectué, à l'aide de
Chalicodomes, des expériences consistant, en l'ésumé, à lâcher, à 3 kilomètres de dis-
tance de leur demeure, des individus préalablement marqués et qui se trouvaient ren-
fermés chacun dans un cornet de papier distinct. Les cornets étaient réunis dans une
boite. L'observateur, pour dérouter les Hyménoptères, avait pris d'abord une direction
opposée à celle qu'il voulait suivre; en outre, et plus tard, au lieu du lâcher, il avait
imprimé à la boite de rapides mouvements de rotation.
Un certain nombre de Chalicodomes retrouvèrent effectivement leur chemin, mais,
comme le remarque Lubbock, ces essais sont loin de prouver l'existence d'un sens de
direction. En effet, la proportion des retours fut faible, puisque, dans l'ensemble des
6 expériences effectuées à l'aide de 144 insectes, 47 seulement parvinrent à reconnaître
leur route, et 97 se perdirent.
G.-J. Romanes expérimentant à son tour et, cette fois, sur des abeilles proprement
dites, put démontrer que ces animaux ne retrouvent leur ruche que si, par des voyages
de. plus en plus longs autour de la colonie, ils ont acquis une expérience suffisante de la
contrée. Voici la façon ingénieuse dont il opéra : une habitation située à une certaine
distance de la mer se trouvait placée entre deux grands jardins fleuris placés l'un à
droite, l'autre à gauche. Devant l'habitation et jusqu'au rivage, uniquement des pelouses.
Les abeilles partant de la maison avaient donc l'habitude de visiter les deux jardins,
mais ne fréquentaient pas, ou bien rarement, les pelouses à peu |près dénuées de fleurs.
Ceci constaté, une ruche fut mise devant une fenêtre ouverte, dans une des chambres
du rez-de-chaussée ayant vue vers la mer. Lorsque les abeilles furent bien accoutumées,
on ferma la fenêtre le soir, après la rentrée de toutes les travailleuses, et on boucha
l'orifice de la ruche au moyen d'une plaque de verre. Cette disposition permit le len-
demain matin de ne laisser sortir qu'un certain nombre d'insectes qui furent capturés
et enfermés momentanément dans une boîte. La ruche resta fex'mée par sa plaque de
verre, mais une planchette abondamment enduite, de glu fut placée à l'entrée. La
fenêtre de la chambre étant de nouveau largement ouverte, on, comprend que toute
abeille lâchée au loin et revenant à la ruche devait se prendre dans la glu et être ainsi
aisément reconnue.
Un premier lot d'abeilles mis en liberté au bord de la mer se perdit complètement:
aucune ne retrouva son chemin. Il en fut de même d'un second lot lâché sur les pelouses
en un point intermédiaire entre la plage et l'habitation; aucune abeille ne parvint à
rentrer, quoique la distance ne fût que de 200 mètres. Enfin, à titre de comparaison,
un troisième groupe d'abeilles ayant été lâché dans l'un des jardins, reconnut admira-
blement son chemin; tous les individus se collèrent dans la glu, bien que, par suite
de l'étendue du parc, la .distance à parcourir fût supérieure à celle où la deuxième
expérience sur les pelouses avait été tentée.
G. W. et Eg. Pbckham, après des essais variés sur des guêpes, mais que nous ne
ABEILLE. 3
pouvons détailler ici, sont aussi arrivés à la conclusion que ces Hyménoptères sociaux
ne possèdent aucun sens spécial de direction.
Communications et rapports entre individus. — On dit communément que si,
dans ses pérégrinations, une abeille a rencontré une provision inespérée de nourriture,
d'autres abeilles, en nombre de plus en plus considérable, ne tardent pas à arriver ù la
curée.
Comme Lubrock le fait observer, si, après son retour à la ruche, l'insecte qui a décou-
vert le trésor est simplement suivi par ses compagnes lors, d'un second voyage, la
chose est peu importante, puisque les abeilles peuvent avoir été averties par l'odeur
qu'exhale celle qui vient de rentrer. Mais si, au lieu de cela, l'abeille revenue restant à
la ruche, des émissaires étaient expédiés de la tolonie vers l'objet rencontré, le phéno-
mène aurait une bien autre valeur et prouverait l'existence de transmissions de véri-
tables raisonnements d'individu à individu.
Afin d'élucider la question, Lubbock a effectué de nombreuses expériences; trans-
portant une abeille marquée au bord d'un vase plein de miel où elle se gorgeait à
plaisir avant de s'envoler, puis attendant patiemment le retour de l'insecte et l'arrivée
possible d'autres individus. Les essais ont été répétés en plein air et aussi dans une
chambre où une ruche spéciale avait été placée.
Or, en plein air, non seulement l'abeille, instruite cependant de la présence du miel,
n'y retourne presque jamais — et il faut se livrer à une véritable éducation progres-
sive pour l'amener à revenir, — mais, de plus, aucune autre ne l'accompagne.
Dans une chambre, une éducation semblable est encore nécessaire et quoique la dis-
tance à parcourir soit bien petite, les individus accompagnant les abeilles marquées et
dressées sont excessivement rares; parfois durant de longues heures il n'envient aucun.
L'opinion courante est donc probablement une de ces nombreuses légendes d'api-
culteurs basées sur des observations défectueuses.
On répète aussi partout que, dans une ruche, toutes les abeilles se reconnaissent et
que, si un individu provenant d'une autre colonie pénètre dans l'habitation, il est immé-
diatement découvert et attaqué.
Ce sont encore d'intéressantes expériences de Lubbock qui infirment absolument ces
prétendus faits de reconnaissance d'insectes par leurs compagnons de travail. Il a répété
nombre de fois l'essai consistant à marquer une ou plusieurs abeilles provenant d'une
ruche donnée et à les placer à l'orifice d'une autre. Or les étrangères entraient comme
chez elles, restaient plus ou moins longtemps à l'intérieur, sortaient, volaient quelque
temps, puis, presque toujours, rentraient dans leur nouvelle demeure. Pai-fois, elles
retournaient pour quelques instants à l'ancienne ruche.
Enfin, on parle, dans les ouvrages sur les mœurs des animaux, de l'affection des
abeilles pour la reine ou femelle pondeuse. Lubbock aussi a montré que ce prétendu
attachement est bien faible. Désirant substituer dans une ruche une reine italienne ■
(var. Ligustica) à une reine de race ordinaire, il enleva cette dernière et la mit, avec
quelques ouvrières, dans une boite munie d'une ouverture et contenant un rayon de mieL
Revenu d'une absence quelques jours après, il constata que la reine avait été complète-
ment abandonnée. Cette même reine mise ensuite auprès d'un certain nombre d'abeilles
n'attira aucunement leur attention et, cependant, dès qu'elle fut réintroduite dans la
ruche, elle se vit entourée d'une troupe empressée d'ouvrières. Conclusion : les rapports
entre les neutres et la femelle ne sont donc pas réglés par des associations d'idées, mais
encore une fois par simple instinct.
Rappelons que tous ces désaccords entre les croyances vulgaires et les résultats de
Romanes et de Lubbock proviennent de la différence énorme existant entre l'observation
superficielle de l'apiculteur ou de l'amateur et l'expérimentation sévère et ingénieuse
du vrai naturaliste qui ne se contente pas des seules apparences.
Production du miel. — L'abeille qui butine récolte deux matières principales, le
pollen, dont nous ne parlerons pas spécialement, et le nectar.
Pour se procurer cette dernière substance, elle plonge, dans les nectaires des corolles,
une espèce de trompe formée par l'association . en faisceau d'une série d'organes buc-
caux étroits et allongés qui sont: au milieu, la, languette, prolongement de la lèvre infé-
rieure, long, strié transversalement et garni de nombreuses soies ; autour de la languette.
(i ABEILLE.
d'abord les palpes labiaux, puis, plus extérieurement et enveloppant le tout, les mâ-
choires (les mandibules n'interviennent pas dans la récolte des liquides).
L'animal n'aspire pas les sucs à la façon des papillons, il lèche en quelque sorte;
c'est-à-dire que la languette velue est introduite dans le liquide visqueux dont elle se
recouvre abondamment, puis est soumise, de la part des mâchoires, à des pressions qui
font refluer la liqueur dans la bouche, l'œsophage, et enfin le jabot.
Les abeilles recherchent, du reste, avidement, toutes les matières sucrées, telles que
le sucre des raffineries, les liquides sucrés qui découlent spontanément de certains
végétaux, et ceux enfin que sécrètent beaucoup de pucerons.
Le jabot non seulement joue le rôle d'une poche de dépôt, mais il est, en outre, le siège
de phénomènes chimiques divers, résultant, peut-être, de l'action du liquide sécrété par
une des trois paires de glandes salivaires de l'animal, et, très certainement, de l'action
de liquides digestifs produits par la paroi de l'intestin moyen ou portion élargie du
canal qui fait suite au jabot; liquides qui refluent dans cette poche d'arrière eu avant
comme chez tous les insectes.
Sous l'influence de ces liquides, le sucre de canne ou saccharose que le nectar ren-
ferme toujours en quantité assez considérable est presque entièrement dédoublé en un
mélange de dextrose (sucre de raisin) et de lévulose (sucre de fruit incristallisable).
Le miel ainsi formé a à peu près la composition suivante, variant légèrement suivant
les provenances :
Eau 19,21
Dextrose 33,30
Lévulose 40,00
Saccharose 1,95
Matières non sucrées 5,54
100,00
L'arome du miel provient des substances volatiles odorantes des fleurs.
C'est donc sous cet état que l'abeille arrivée à la ruche dégorge le miel dans l'une
des cellules.
La totalité du miel produit par l'insecte n'est naturellement pas destinée à la com-
munauté; une certaine partie passe dans les portions du tube digestif qui suivent le
jabot; là elle est digérée, et sert à la nutrition des tissus ainsi qu'à la production de la cire.
Production de la cire. — La cire est une matière grasse dans le sens vulgaire, mais
ce n'est pas une graisse dans le sens chimique. Une graisse chimique est, en eiîet, tou-
jours un éther glycérique, c'est-à-dire qu'elle peut être obtenue synthétiquement par
l'action d'un acide riche en carbone de la série des acides gras sur un alcool triato-
mique, la glycérine. Tandis que la cire d'abeille consiste principalement en un mélange
d'acide cérotinique (14 p. 100) et de palmitate de myricyle (86 p. 100) ou éther palmitique
d'un alcool monoatomique, l'alcool myricyliqiie (C™H^-0).
En traitant la cire par l'alcool bouillant, on sépare deux principes immédiats,: l'un,
soluble, qui a porté le nom de cérine (Lewy), comprend surtout de l'acide cérotinique
libre (H-'C"*0-) et un peu d'acide palmitique; l'autre, insoluble, nommé souvent myri-
cine (Lewy) est constitué par l'éther palmitique de l'alcool myricylique (autrefois
mélissique) plus quelques acides gras mal définis et en petite quantité.
On crut longtemps que la cire e'tait ou bien récoltée à l'extérieur parmi les matières
cireuses des végétaux (Swammerdam, Maraldi), ou bien dégorgée par l'insecte à la façon
du miel (Réaumdh). Ce n'est qu'à partir de 1768, époque où un apicuUeur de la Lusace
découvrit que l'abeille ouvrière produit la cire à l'état de lamelles sous le bord infé-
rieur de certains anneaux de l'abdomen, et de 1792, date de la publication du remar-
quable mémoire {Observations on Bées] dans lequel J. Hunter signale la même découverte,
que l'on comprit que cette substance est le résultat d'une sécrétion cutanée.
Un grand nombre d'insectes sécrètent des matières cireuses, sinon identiques à la
cire des abeilles, du moins très voisines ; tantôt à l'état de granules formant alors une
sorte de poussière [Libellula depressa), tantôt à l'état de filaments (puceron lanigère)
tantôt enfin sous l'aspect de lamelles minces.
Toujours ces exsudations sont produites par de petites glandes, ordinairement uni-
ABEILLE. 7
cellulaires, dont les tubes excréteurs aboutissent à des canaux poreux percés dans le
revêtement chitineux de la peau.
L'abeille femelle (féconde) et les mâles ne sécrètent pas de cire ; à l'ouvrièi'e ou neutre
seule est dévolue cette fonction. Si donc on examine la face inférieure de l'abdomen
d'une ouvrière, on voit que les anneaux chevauchent largement l'un sur l'autre, et que,
lorsqu'on étire artificiellement cette re'gion du corps, on met facilement à nu quatre
paires d'aires membraneuses à peu près pentagonales et d'un blanc jaunâtre situées sur
les parties habituellement recouvertes des segments 2, 3, 4 et 5.
C'est à la surface de chacune de ces aires pentagonales que se développe une mince
lamelle de cire à structure finement fibreuse ; les fibres étant perpendiculaires à la
surface sécrétante (F. Dujardin).
L'examen microscopique d'une aire cirière montre d'innombrables pores auxquels
répondent, sous la couche chitineuse, ici très mince, autant de délicates glandules
cylindriques. Cette disposition anatomique explique immédiatement la texture fibreuse
de la lamelle de cire exsudée.
La cire étant donc incontestablement sécrétée par l'animal, il restait à déterminer
où celui-ci puise les matériaux de cette sécrétion. Les expériences de F. Hubeh (1804),
de GuNDELACH (1842), enfin de J.-B. Dumas et H. Milne Edwards (1843) démontrèrent
qu'elle a pour point de départ le miel absorbé et digéré par l'abeille.
Il résulte, en effet, de ces recherches (faites au moyen de colonies enfermées dans une
chambre dont les fenêtres sont garnies d'un treillis métallique et auxquelles on ne
donne que des nourritures spéciales), que les abeilles nourries exclusivement soit au
pollen, soit au sucre, sont ou absolument incapables de produire de la cire ou n'en
forment qu'une quantité fort minime, que celles seules que l'on nourrit au miel offrent
leur sécrétion cireuse normale et construisent des gâteaux.
C'est ainsi que Dumas et H. Milne Edwards, tenant compte : 1° de la petite quantité de
matière grasse contenue à l'état de tissu adipeux dans le corps des insectes; 2° d'une
trace de cire (8 dix-millièmes) que renfermait le miel, constatèrent qu'en onze jours un
essaim d'ailleurs faible, — car il ne comptait qu'un peu moins de 2000 ouvrières, — ■
nourri au miel, avait formé trois gâteaux contenant H'''%45l de cire pure.
Sécrétion venimeuse. — Les Hyménoptères porte-aiguillon sont presque tous pourvus
d'un appareil venimeux de défense se composant de glandes sécrétant le liquide et d'un
aiguillon mu par des muscles. La piqûre est une véritable injection hypodermique de
poison.
L'aiguillon est tantôt barbelé (Xylocopes, Chalicodomes, Abeilles, Bourdons, Guêpes,
Polistes), tantôt lisse (Philanthes, Pompiles, etc.).
Chez l'abeille, l'aiguillon et ses glandes manquent aux mâles ou faux-bourdons.
Nous laisserons de côté les détails anatomiques pour parler plus spécialement du
venin.
11 était généralement admis que celui-ci se compose surtout d'acide formique CH-0^ ,
mais G. Carlet (1884-1888) a approfondi la question et montré que les faits sont assez
compliqués.
D'après lui, le venin des Hyménoptères à aiguillon barbelé, toujours acide, est cons-
titué par le mélange de deux- liquides, l'un fortement acide, l'autre faiblement alcalin.
Ces deux liquides différents sont sécrétés, par exemple chez l'abeille, par deux glandes
distinctes : le liquide acide par la glande tubuleuse longue et bifide aboutissant au fond
d'un réservoir piriforme; et connu depuis longtemps; le liquide alcalin par une glande
beaucoup plus petite, appelée faussement glande sébacée par certains auteurs et insérée
près de la base de la gaine de l'aiguillon.
Ainsi que l'indiquent les expériences ci-dessous, le concours des deux liquides serait
indispensable pour déterminer la totalité des effets de la piqûre de l'abeille et des guê-
pes : 1° une grosse mouche bleue [CalUphora vomiloria] piquée par une abeille meurt
comme foudroyée; 2° l'inoculation d'un seul des deux liquides à une mouche de la
même espèce ne détermine pas la mort ou ne la détermine que lentement; 3° au con-
traire, l'inoculation successive des deux liquides amène la mort du Diptère dès que le
mélange s'effectue.
Il est probable que le liquide acide seul ne produit qu'une action stupéfiante ; en
8 ABEILLE.
effet )a plupart des Hyménoptères à aiguillon lisse chez lesquels la glande alcaline
manque, approvisionnent leur nid d'Insectes ou d'Araclinides vivants, mais rendus immo-
biles par une ou plusieurs piqûres effectue'es au voisinage des ganglions nerveux thora-
ciques.
Parthénogenèse et Arrénotokie. — Nous ne referons pas l'historique, fort long du
reste, de cette question curieuse; disons seulement qu'il résulte des observations et des
découvertes successives de Dzierzon (1843), de von Berlepsch (18o3-18b4), de Leuc-
KART (1853), de VON Siebold (1836) et de quelques autres, que la femelle ou reine pond
en réalité des œufs tous identiques, mais que, suivant les circonstances, elle contracte
par [voie réflexe ou ne contracte pas la tunique musculaire du réceptacle du sperme,
(plus exactement du col de ce réceptacle), de sorte que parmi les œufs les uns ne sont
pas fécondés, tandis que les autres le sont au contraire à l'instant de la ponte.
Les œufs fécondés donnent toujours lieu à des larves de femelles (larves de reines ou
femelles pondeuses et larves d'ouvrières, ou femelles à ovaires avortés). Les œufs non
fécondés, non seulement donnent lieu à des embryons, ce qui constitue le phénomène
si remarquable de la 'parthénogenèse, mais, de plus, ils ne produisent jamais que des
mâles, parthénogenèse spéciale à laquelle on donne le nom à' Arrénotokie (kir^i'/'i-ry/.itii ,
engendrer un mâle).
Dans l'acte de féconder ou de ne pas féconder les œufs, n'interviennent ni raisonne-
ment ni volonté. Les pontes de l'un ou de l'autre sexe ont généralement lieu à des épo-
ques déterminées, par des influences purement extérieures. Ainsi, à une grande abon-
dance de fleurs mellifères et à une forte population d'ouvrières, répond en général une
ponte de mâles.
A ces faits, aujourd'hui hors de doute, s'en ajoutent d'autres non moins intéressants
concernant la production de femelles fécondes aux dépens d'œufs qui, dans les circon-
stances ordinaires, n'auraient donné que des ouvrières, la transformation possible d'ou-
vrières en pondeuses et la reproduction arrénotoque de ces dernières.
Lorsque, pour une cause ou l'autre, la reine ou femelle pondeuse unique vient à dis-
paraître, les abeilles, comme l'a signalé Schirach dès 1771, détruisent les cloisons sépa-
rant plusieurs cellules d'ouvrières, et forment ainsi, après coup, des cellules plus grandes,
dites cellules royales artificielles qu'elles allongent encore. Elles retirent les jeunes larves
qui occupaient les anciennes cellules périphériques du groupe, et ne conservent que la
larve centrale.
Celle-ci, au lieu d'être nourrie de la bouillie ordinaire servie aux larves de neutres
et de mâles, reçoit en abondance la bouillie plus nutritive et plus riche en éléments
azotés, appelée gelée prolifique, et que les ouvrières donnent normalement aux larves des
cellules royales proprement dites. Sous l'influence de cette alimentation abondante, les
ovaires de l'animal qui, dans les circonstances ordinaires, auraient avorté, se déve-
loppent complètement et à l'éclosion apparaît une femelle fertile.
Ce cas exceptionnel explique parfaitement un des faits ordinaires, c'est-à-dire,
comment les œufs fécondés, tous identiques, donnent lieu à des ouvrières lorsqu'ils
sont pondus dans les petites alvéoles et à des reines quand ils sont déposés dans les
cellules royales oii les travailleuses viennent déverser instinctivement une alimentation
plus riche.
Nous avons dit que, dans la ruche, on peut observer un certain nombre d'ouvrières
pondeuses, impropres à l'accouplement (surtout par l'état rudimentaire du réceptacle
du sperme). Ces ouvi-ières fertiles ou bourdonneuses sont inévitablement arrénotoques;
les œufs qu'elles pondent assez irrégulièrement ne donnent jamais lieu qu'à des
mâles.
Relativement rares chez les abeilles, les ouvrières fertiles et parthénogenétiques
seraient, au contraire, fréquentes dans d'autres groupes d'Hyménoptères (Polistes,
Guêpes, Bourdons, etc.) (Ledckart, von Siebold).
Enfin l'ouvrière stérile, adulte, peut être transformée en ouvrière féconde et arréno-
toque : c'est encore par l'action d'une alimentation spécialement nutritive absorbée
cette fois par l'insecte parfait. Ce phénomène biologique des plus curieux vient récem-
ment d'être prouvé expérimentalement, pour les guêpes, par Padl Marchal (iR. S.,
pp. 223 et 33, 1893). Il vit, dans une première expérience, 1/3, et, dans une seconde, 1/6
ABOULIE. 9
des ouvrières devenir fertiles, sous l'intluence d'une vie sédentaire et d'une nourriture
consistant principalement en miel et viande crue.
Biliographie abrégée. — A. Mœurs et Anatomie. — J. Swammerdam (observait vers
1680). Biblia nalurx, t. ii, pp. 367 et suiv., pi. xvn à xxv, Leyde, 1738. — Réaumur.
Mémoires pour servir à l'histoire des Insectes, t. v, Mémoires V à XIII inclus. Paris, 1740. —
Fr. Hdber. Nouvelles observations sur les Abeilles. Genève, 1792 ; et 2= édition, considéra-
blement augmentée en deux volumes. Paris et Genève, 1814. — Maurice Girard, les
Abeilles. Paris, 1878. — Maurice Girard. Traité élémentaire d'entomoloijie, t. ii, pp. 613 et
suiv. Paris, 1879.
B. Prétendu sens de direction. — J. H. Fabre. Nouveaux souvenirs entomologiques,
pp. 99 et suiv. Paris, 1882. — G. J. Romanes. Homing faculty of Hymenoptera {Nature, vol.
sxxii, 29 oct. 1885, p. 630). — G. W. et E. G. Peckiiam. Some observations on spécial sensés
of Wasps {Proceed. nat. histor. Soc. Wisconsin. April, 1887). — Sir JohiN' Lubbock. On the
Sensés, Instinct and Intelligence of Animais {International scientific séries), p. 262. Londo'n,
1888.
C. Rapports entre individus. — Sir John Lubbock. Ants, Bées and Wasps {International
scientific séries), pp. 274-289. London, 1882.
D. Composition du miel. — J. Kônig. Chemische Zusammensetzung der menschlichen
Nahrungs und Genussmiltel, t. i, pp. 760 et suiv. Berlin, 1889.
E. Composition et production de la cire. — K. B. Hofmann. Lehrbuch der Zoochemie, pp. 65
et suiv. Wien, 1876. — F. Dujardin. Mémoire sur l'étude microscopique de la cire {Atin.
des se. nat., Zoologie, série m, t. xii, p. 230, 1849). — Dumas et Milne Edwards. Note sur la
production de la cire des Abeilles {Ann. des se. nat.. Zoologie, série ir, t. xx, p. 174, 1843).
F. Sécrétion venimeuse. — G. Carlet. Sur le venin des Hyménoptères et ses organes excré-
teurs (C. R., t. xcviii, p. 15o0, 1884). — G. Carlet. Du venin des Hyménoptères à aiguillon
lisse et de l'existence d'une chambre à venin chez les Mellifères {Ibid.,t.^cvi,ip. 1737, 1888).
G. Parthénogenèse et Arrénotokie. — C. Th. E. von Siebold. Wahre Varthenogenesis
bei Schmetterlingen und Bienen. Leipzig, 18o6. — G. Th. E. von Siebold. Beitràge zur
Parthenogenesis der Arthropoden. Leipzig, 1871.
F. PLATEAU.
ABIETINE. — Matière cristallisable neutre extraite de la térébenthine.
ABIÉTIQUE (Acide) [C"H'='*Os]. — Acide cristallisable bibasique qu'on
extrait de la colophane (Malt. A. C. P., t. cxxxii, p. 249).
ABIOGENESE. — Expression employée par Huxley {British Association,
Liverpool, 1870) pour exprimer la génération spontanée. — Voir Huizinga, A. Pf., t. xii,
p. S49 et t. vni, p. o31 (Voy. Génération).
ABOULIE. — Le mot aboulie (à, |3ouXr], volonté), désigne un syndrome, un
ensemble de phénomènes psychologiques anormaux qui peut être observé au cours d'un
grand nombre de maladies mentales. 11 consiste essentiellement dans une altération de
tous les phénomènes qui dépendent de la volonté, les résolutions, les actes volontaires,
les efforts d'attention. Très important au point de vue pathologique, il n'est pas sans
intérêt pour la physiologie, car il nous présente des analyses, de véritables expériences
réalisées par la maladie sur les fonctions encore si obscures de la volonté. Après avoir
décrit sommairement les caractères essentiels de l'aboulie et ses principales variétés,
nous montrerons comment son étude peut nous aider à comprendre les phénomènes
psychologiques normaux.
I. Description de l'aboulie. — La volonté semble déterminer deux séries de phé-
nomènes, en apparence différents, quoique en réalité très voisins l'un de l'autre :,des
mouvements de nos membres, c'est-à-dire des actes ; et des phénomènes intellectuels dont
le principal est l'attention. L'aboulie la plus simple, la plus typique, se présentera donc
sous deux aspects presque toujours réunis, mais que la description peut séparer : l'abou-
lie motrice et l'aboulie intellectuelle.
L'aboulie motrice est bien nette dans un grand nombre d'observations célèbres dont
10 ABOULIE.
es premières remontent à Pinel', à EsquirolS à Leuret '. Billod, en 1847, résu-
mait les faits qu'il avait observés en disant : « Les sujets de nos observations, jugeant
comme tout le monde de ce qu'il convient de faire, le désirant même, ne peuvent arri-
ver à l'accomplir et auront la conscience d'en être empêchés par une puissance inté-
rieure qu'ils ne peuvent définir et comprendre, car il n'existe du côté des fonctions
d'exécution aucun empêchement organique, tel, par exemple, qu'une paralysie du mou-
vement*. » En effet, quand on propose à ces malades de faire un mouvement, d'étendre
la main pour prendre sur la table un objet qu'on leur montre ou de signer un papier,
ils semblent comprendre ce qu'on leur demande, et même y consentir. Ils essayent de
faire l'acte, avancent un peu la main, mais immédiatement ils s'arrêtent, reculent,
recommencent ou restent en suspens, et en définitive ne parviennent que très difficile-
ment, après un temps fort long, ou même ne parviennent pas du tout à prendre l'objet
désigné. Cette hésitation et cette impuissance existent dans tous leurs actes : les mala-
des ne peuvent se lever, ni s'habiller, ni marcher, ni même parler; tous les actes
volontaires deviennent impossibles.
Il est facile de reconnaître que ces troubles du mouvement ne s'expliquent par
aucune paralysie, mais il est quelquefois difficile de distinguer cette aboulie de certains
délires qui modifient aussi les actes les plus communs. Le délire du contact, l'idée fixe
que les objets sont répugnants ou dangereux provoque souvent des hésitations du même
genre. On remarquera que le délire du contact est ordinairement limité (du moins
quand il est primitif) à quelques objets qui ont frappé l'imagination [du malade, les
boutons de porte ou les objets en cuivre, les épingles, un meuble, etc., tandis que l'hé-
sitation des abouliques est d'ordinaire générale et s'applique à tous les objets indistinc-
tement.
Une petite expérience peut encore trancher la question; dans le délire du contact, le
malade non seulement ne peut toucher lui-même l'objet, mais encore il en redoute le
contact, si on l'approche de lui. Les abouliques ne redoutent pas le contact passif des
objets que l'on approche de leurs mains, ils ne présentent des troubles que dans le
contact actif, c'est-à-dire dans les mouvements qu'ils doivent accomplir eux-mêmes
pour toucher un objet. L'altération porte essentiellement sur les phénomènes psycholo-
giques qui président aux mouvements. L'aboulie intellectuelle joue un rôle plus considé-
rable encore dans les névroses et les maladies mentales. La difficulté de l'attention était
déjà signalée dans les plus anciennes observations sur l'aboulie. Un médecin d'Amsterdam,
GuGE '', ayant observé des- troubles analogues au cours de certaines afl'ections nasales,
leur donna le nom d'aprosexie {k, r.po(si-/jrj, s'attacher à, être attentif); le mol a paru
juste, et a été appliqué même aux troubles de l'attention dans les névroses. L'attention
est lente, très dificile à fixer, elle s'accompagne de toutes sortes de souffrances, elle ne
se prolonge, que peu de temps et surtout elle ne donne que des résultats incomplets et
insuffisants. Ces caractères se manifestent bien dans un fait particulier, celui de la
lecture. Le malade est capable de lire à haute voix; il a donc conservé les sensations;
il peut même réciter d'une façon plus ou moins complète les mots qu'il a lus, il ne
manque donc pas de mémoire, et cependant il ne comprend pas le sens du paragraphe
qu'il vient de lire : il lit du français comme s'il lisait une langue étrangère, il comprend
à la rigueur chaque mot isolément, mais il n'entend rien à leur ensemble.
On constate donc dans l'aboulie une altération des actes volontaires, de l'attention et
même de la perception qui semble considérable, quoique les éléments qui entrent
comme parties constituantes dans ces phénomènes, les mouvements, les sensations et
les images, paraissent être restés absolument normaux.
II. "Variétés cliniques du syndrome. — Ces symptômes essentiels peuvent
varier de bien des manières : ils peuvent d'abord être modifiés dans leur intensité.
1° Quand l'aboulie est faible, comme dans certains états dits neurasthéniques, les
1. H. PiNEL. Traite' me'dico-philosophigue de la manie, an IX, p. 80.
2. EsQuiROL. Des maladies mentales, 183S, t. i, p. 420.
3. Leuret. Fragments psychologiques sur lafolie, 1834, p. 384.
4. Billod. Maladies de la volonté [Annales medico-psychologiques, juillet 1847).
5. Biologisches Centralblatt, 1" janvier 1888. — Revue de laryngologie etd'otologie, 1889, p. 54.
ABOULIE. H
actes volontaires sont simplement lents, pénibles, de courte durée, entrecoupés d'arrêts
innombrables. Les malades éprouvent surtout une peine énorme à prendre une réso-
lution : ils s'arrêtent au plus petit obstacle et renoncent à tout travail prolongé. L'at-
tention n'est pas supprimée totalement; mais elle est fort difficile et de courte durée et
l'altération porte moins sur l'intelligence des choses que sur la conviction et la croyance.
Dans quelques cas, le délire du doute est une véritable idée fixe, qui porte uniquement
sur quelques interrogations, toujours les mêmes; mais, dans d'autres observations, le
délire du doute est un état général, une impuissance constante, sinon à comprendre,
du moins à croire, qui se rattache naturellement à l'aboulie.
2° Cet état maladif peut, au contraire, être exagéré; l'hésitation augmente et porte
sur tous les actes même les plus simples, les plus habituels, et le malade est de plus en
plus réduit à l'immobilité. Les troubles de l'attention et de l'intelligence ne portent
plus seulement sur la lecture, mais sur la simple perception des objets extérieurs. La
parole n'est plus comprise, les objets ne sont plus reconnus. Les états décrits sous le
nom de confusion mentale, de stupeur, ne sont, au point de vue purement symplomatique,
que des aboulies parvenues à leur plus haut degré.
3° Cette altération de la volonté peut ne pas être toujours égale dans toutes les
circonstances, et il est juste de distinguer des aboulies systématisées, des impuissances
de la volonté portant non sur l'ensemble des actions, mais sur un acte particulier ou un
système d'actes spéciaux. Certains malades cessent momentanément de pouvoir parler,
ou manger, ou se lever de leur chaise, ou bien ils ne peuvent plus se décider à faire
les actes de leur profession (impuissance professionnelle de Levillain). Il est difficile de
distinguer dans ces cas si l'altération porte sur la volonté de l'action ou sur l'exécution
de cette action, s'il s'agit d'une aboulie systématisée ou d'une amnésie systématisée de
certains mouvements. C'est le sujet de la querelle entre le « non-vouloir et le non-pou-
voir » qui a partagé en deux camps les auteurs qui ont étudié l'aboulie*. Il semble
cependant que dans certains cas l'aboulie porte plus spécialement sur certaines actions
particulières.
4° Enfin nous signalerons une forme particulière de l'aboulie, c'est le délire de résis-
tance : dès que l'on demande au malade de faire une action, ou même dès qu'il désire
spontanément en faire une, immédiatement surgit dans son esprit la pensée opposée,
l'idée de refuser, de faire le contraire. « Je veux et ne veux pas, dit-il alors, je veux et
quelque chose s'y oppose, qui me défend d'agir. >> Cette forme d'aboulie semble fort
distincte et cependant se rattache fort étroitement aux précédentes.
Cette maladie donne naissance à des troubles psychologiques très variés : nous signa-
lerons seulement la conséquence la plus importante. La volonté est aussi bien perdue
comme pouvoir de résistance et d'arrêt que comme pouvoir d'action. Ces malades qui
agissent si difficilement ne peuvent plus s'arrêter quand ils ont une fois commencé une
action, ils ne peuvent plus se débarrasser d'une idée quand ils l'ont une fois comprise.
La suggestibilité, les idées fixes et tous les désordres qu'elles entraînent peuvent être
considérés bien souvent comme des conséquences de l'aboulie.
La docilité de certains malades, le besoin singulier qu'ils éprouvent d'être commandés
et dirigés, des troubles des sentiments, des altérations de la mémoire, en particulier
Vamnésie continue (voyez Amnésie) s'y rattachent également. Enfin, les lésions de la volonté,
plus que tout autre trouble psychologique, s'accompagnent d'altérations dans la notion
de la personnalité -, et ne tardent pas à donner lieu à des délires plus ou moins com-
plexes.
III. Interprétations et caractères psychologiques. — Nous ne pouvons signaler
ici qu'un petit nombre des théories qui ont été proposées pour interpréter ces phéno-
mènes, chacune envisage une partie du problème : i° Beaucoup d'aliénistes, et en par-
ticulier BiLLOD, ont montré que l'aboulie dépendait quelquefois d'un trouble préexistant
des sentiments ou de l'intelligence, « d'une monomanie de la peur qui déprime la
volonté ^ ». Cela est vrai, et toute idée fixe qui absorbe l'esprit du malade diminue sa
1. J. Rivière. Contribution à l'étude clinique des aboulies, tS91, p. M.
2. J. CoTARD. Étude sur les maladies cérébrales et mentales, 1S91, p. 370.
3. BiLLOD. Op. cit., p. d93.
12 ABOULIE.
volonté et son attention, mais eetle remarque ne s'applique qu'aux aboulies secon-
daires, consécutives à un autre accident.
2° Pour MM. Magnan, Legrain, Dejerine, il n'y a aboulie que lorsque le malade fait
effort pour accomplir un acte et ne peut y parvenir; le trouble consiste essentiellement
dans un arrêt : c'est nn phénomène inhibitoire ' . M. Langle caractérise également l'aboulie
par « la prédominance de l'élément inhibitoire sur l'élément impulsif dans l'acte volon-
taire ^ ». Enfin cette théorie a été très complètement analysée et défendue par M. Raggi ^
et M. Paulhan* qui rattachent ces phénomènes à la prédominance de certaines associa-
tions par contraste. Au moment d'accomplir un acte les malades auraient dans l'esprit,
automatiquement, l'idée opposée à l'acte qu'ils veulent faire, et cette idée arrêterait leur
action. Cette explication s'applique assez bien à une catégorie d'aboulie caractérisée
parle délire de résistance; elle ne semble pas complète dans tous les cas.
3° M. RiBOT ajustement observé que l'ardente envie d'agir affirmée par ces malades
n'est souvent qu'une simple illusion de leur conscience. Ce manque d'activité tiendrait
au contraire à ce que les sensations, les sentiments, les passions, en un mot les motifs
d'agir seraient trop faibles pour exercer une influence efficace sur la volonté^. Il est vrai
que souvent les sentiments sont très affaiblis chez les abouliques, et cet affaiblissement
doit contribuer à l'altération de leur activité; mais il n'en est pas ainsi toujours, et on
peut, dans certains cas, considérer cet affaiblissement des sentiments, non comme le
principe, mais comme la conséquence de l'abouhe.
4° Nous avons essayé nous-mème de compléter un peu les théories précédentes ^ :
notre explication cherche seulement à être un peu plus compréhensive et à faire entrer
dans la formule de l'aboulie quelques faits précis et intéressants dont on n'avait pas
tenu, à notre avis, suffisamment compte.
Tous les actes ne sont pas également supprimés chez l'abouliciue. Déjà Billod remarquait
que H les mouvements instinctifs de la nature de ceux qui échappent à la volonté pro-
prement dite n'étaient pas, chez les malades, entravés comme ceux que l'on peut
appeler ordonnés' ». M. Ribot ajoutait que « l'activité automatique, celle qui constitue
la routiue ordinaire de la vie, persiste^ ». Il est facile de constater en effet que tous les
actes automatiques, depuis les actes instinctifs et habituels jusqu'aux impulsions et aux
suggestions les plus compliquées, s'accomplissent sans aucune des difficultés et des
hésitations de l'aboulie. Quel est donc le caractère essentiel de ces actes ainsi conservés?
C'est d'abord qu'ils sont des actes anciens déjà exécutés autrefois, qui ne sont pas voulus
aujourd'hui pour la première fois; ensuite ce sont des actes qui méritent le nom de
subconscients; ils sont exécutés à i'insu de la personne, sans que le malade ait la con-
science d'agir lui-même. Les actes qui sont perdus, sav lesquels porte l'aboulie, ont préci-
sément les deux caractères inverses : 1° Ils sont nouveaux, au moins par un petit détail
ils nécessitent une combinaison nouvelle, une adaptation des phénomènes psycholo-
giques à des circonstances nouvelles. Dans un travail récent, MM. Raymond et Arnaud
vérifiaient l'importance de ce caractère et l'impossibilité pour les abouliques de com-
mencer un acte, de comprendre et d'apprendre quelque chose de nouveau". 2° Ces
actes que le malade cherche en vain à accomplir sont des actes conscients qui devraient
être rattachés à sa personnalité. Dans plusieurs travaux, M. Séglas constatait aussi
cette perte de la conscience personnelle des actes dans l'aboulie'". En un mot, ces actes
sont des sijnthèses psychologigues. Ils réunissent en un tout des sensations, des souvenirs,
des images motrices et l'idée anciennement formée de la personnalité. L'aboulie, au
1. Magnan. Leçons cliniques sur tes maladies mentales, 1893, p. 172.
2. Langle. De l'action d'arrêt ou inhibition dans les phénomènes psychiques, 1886, p. lÔ.
y. Raggi. Fenomejii di contrasto psychico in una alienata [Arch. liai. p. l. mal. nerv., 1887).
4. Paulhan. L'activité mentale el les éléments de l'esprit, 1889, pp. 341-357.
5. Ribot. Maladies de la volonté', 1883, p. 50.
6. Étude sur un cas d'aboulie et d'idées fixes {Revue philosophique, 1891, 1. 1, pp. 259, 382) et
Stigmates mentaux des hystériques, 1893, p. 122.
7. Billod. Op. cit., p. 182.
S. R.IBOT. Op. cit., p. 49.
9. Raymond et Arnaud. Quelques cas d'aboulie {Annales médico-psychologiques, 1892, t. ii, p. 74).
10. J. Séglas. Congrès des aliénistes à Blois (Archives de neurologie, 1892, t. ii, p. 321) et Trou-
bles du langage chez les aliénés, 1892, p. 28. ,
ABSINTHE (Essenced'). 13
contraire, est essentiellement un affaiblissement de l'esprit, caractérisé par la diminution du
pouvoir de synthèse. A propos d'une action le sujet a dans l'esprit une foule de pensées
qui surgissent par le jeu automatique des associations anciennement formées, et en
particulier des images antagonistes provoquées par le contraste; la maladie consiste en
ce qu'il ne sait plus coordonner, synthétiser tous ces éléments en un phénomène nou-
veau et conscient, l'acte à accomplir. Cette lésion fondamentale se retrouve dans la
sensibilité; les sensations nouvelles sont mal perçues (voyez Anesthésie), dans les senti-
ments, les émotions anciennes persistent, mais des émotions nouvelles ne se forment
plus; dans la mémoire, les souvenirs anciens sont conservés, tandis que les souvenirs
nouveaux ne peuvent plus être évoqués consciemment (voyez Amnésie continue). En
un mot, ce trouble qui existe dans les actes frappe toutes les fonctions psychologiques.
L'étude de l'aboulie est donc importante, non seulement pour comprendre le caractère
essentiel des actes volontaires, mais encore pour comprendre le mécanisme de beaucoup
d'autres phénomènes.
Nous n'insisterons pas sur les maladies dans lesquelles on peut observer des phéno-
mènes d'aboulie; c'est un symptôme extrêmement commun qui se trouve au point de
départ de la plupart des aliénations. L'impossibilité de diriger la volonté et l'attention
était déjà signalée par Esquuiol ' dans la manie ; on la retrouve dans les diverses intoxi-
cations par l'opium ou l'alcool ^, par exemple, et même dans les trauraatismes du crâne ' ;
on la constate surtout dans les diverses mélancolies, dans la période dépressive de la
folie circulaire; enfin elle joue un rôle extrêmement important dans les états neurasthé-
niques ''et dans l'hystérie.
Nous ne croyons pas nécessaire de répéter la bibliographie des études sur l'aboulie
après avoir cité déjà la plupart des travaux récents. Une bibliographie complète des
travaux anciens se trouve dans la thèse de doctorat de Paris de M. Rivière, Contribution
à l'étude clinique des aboulies, 1891, et dans celle de M. H. Hugonin, Contribution à l'étude
des troubles de la volonté chez les aliénés, 1892.
PIERRE JANET.
ABSINTHE (Essence d'). — L'absinthe est une plante de la famille des
Synanthérées ou Composées, du genre Armoise [Artemisia] présentant quatre espèces
importantes :
1 " La grande absinthe {Artemisia absinthium) ;
2" La petite absinthe (Art. pontica);
3° L'absinthe maritime (Art. maritima) ;
4° L'absinthe glaciale (Art. glacialis).
La seule espèce officinale est la grande absinthe, qui par distillation donne une essence
verte à laquelle la plante doit ses principales propriétés.
Caventou et LûcK ont étudié en outre deux principes amers; un azoté, Yabsinthine,
(voy. ce mot) et l'autre résineux, qui ne paraissent pas avoir une grande importance. Nous
aurons pourtant quelques mots à dire de Tabsinthine.
L'essence d'absinthe (C-''H'^0-) bout à 204° et a une densité de 0,973 à -|- 24°.
Elle possède des propriétés toxiques spéciales, qui ont été étudiées surtout par Magnan,
Cadéac et Meunier, et Laborde.
Ces effets viennent se joindre à ceux de l'alcool et des autres essences dans l'intoxi-
cation par la liqueur d'absinthe, liqueur dont nous ne nous occupons absolument pas
ici, et qui, par sa complexité, donne naissance à des phénomènes très compliqués aussi.
Plusieurs voies peuvent être employées pour étudier l'action physiologique de l'essence
d'absinthe :' la voie stomacale ; la voie hypodermique; la voie intra-veineuse, et même
la voie respiratoire. A la dose près,- les résultats sont les mêmes ; mais la méthode qui
permet Je mieux d'apprécier l'action physiologique de la substance est celle des injec-
tions intra-veineuses.
1. EsQuiROL. Maladies mentales, 1838, t. i, p. 21.
2. RiBOT. Op. cit., p. 42.
3. DuNiN. Traumatische Neurosen (Deutsche Arc hiv f. /clin. Uedic, t. xlvii, p. .5^0).
4. RÉGIS. Manuel de médecine mentale, t892, p. 143.
14 ^ ABSINTHE (Essence d').
A quelle dose faut-il administrer l'essence d'absinthe pour produire les effets physio-
logiques?
En parcourant les travaux publiés sur ce sujet, on voit que la dose varie, mais il ne
faut pas perdre de vue que toutes les essences n'ont pas la même pureté chimique ;
d'où les divergences qui existent dans les résultats obtenus.
Naturellement les doses varient suivant la voie de pénétration. Par la voie stomacale
Magnan a constaté que 2b-', 50 pour un chien de S""', S pour un autre de 14 kilos, étaient
des doses qui produisaient l'intoxication avec son cortège de symptômes. Dans des
expériences de contrôle je suis arrivé au même résultat. Mais la voie stomacale ne
permet pas toujours de mesurer exactement la dose ingérée ; car les animaux sont pris
très rapidement de vomissements et on ne peut faire tolérer la substance injectée dans
l'estomac avec la sonde œsophagienne, qu'en suspendant un certain temps l'animal pour
empêcher l'effort du vomissement.
Au contraire, par la voie intra-veineuse, on peut apprécier exactement la dose admi-
nistrée. Ainsi que Laborde, sur des chiens de 12 à 15 kilogrammes, je suis arrivé à déter-
miner des accidents toxiques avec une dose maximum de vingt centigrammes.
Les phénomènes qui ont le plus frappé les premiers expérimentateurs, tels que Marge,
E. Decaisne, etc., sont les convulsions épileptiformcs dont sont atteints les animaux
auxquels on administre de l'essence d'absinthe.
Ces phénomènes ne sont pourtant pas les seuls, car les divers systèmes et appareils
de l'organisme sont touchés en même temps que le système neuro-musculaire.
Appareil digestif. — Si l'on en croit la plupart des auteurs qui parlent des propriétés
del'absinthe, cette substance serait pour l'estomac un stimulant et un tonique, mais il ne
faut voir dans cet effet que l'action de la substance amère azotée connue sous le nom
d'absinthine. Car, si l'on expérimente avec l'essence d'absinthe, on constate bien vite que
celte dernière n'est nullement bienfaisante; administrée par l'estomac, elle donne assez
rapidement naissance à des vomissements alimentaires, d'abord glaireux et quelquefois
sanguinolents; ces vomissements persistent un certain temps; ils se produisent aussi de
la même façon avec les mêmes caractères, lorsque l'essence a été introduite dans l'orga-
nisme par la voie intra-veineuse. C'est un fait que j'ai constaté comme tous ceux qui se
sont occupés de cette question. En même temps les animaux sont pris de selles abon-
dantes et diarrhéiques qui indiquent une hypersécrétion dans le tube digestif.
Appareil circulatoire. — Pour MM. Gadéac et Meunier, l'essence d'absinthe est un
sédatif de la circulation. Je ne crois pas qu'on puisse arriver à cette conclusion en obser-
vant les désordres qui se produisent dans la circulation sous l'inlluence des injections
intraveineuses d'essence d'absinthe. Généralement au moment de l'injection la pression
subit une chute brusque, c'est ainsi que je l'ai souvent vu tomber de 0™,t4 de Hg à 0,06
ou 0,07; mais elle ne tarde pas à revenir à son point normal pour le dépasser même
pendant les accès épileptiformes. Quant au nombre des pulsations, il est toujours assez
élevé et a plutôt de la tendance à augmenter. Il est vrai que, lorsque l'on approche de la
mort par intoxication absinthique, la pression baisse peu à peu, les battements du cœur
deviennent très irréguliers et moins nombreux jusqu'à ce que le cœur s'arrête définiti-
vement. On doit distinguer deux ordres de troubles dans cette série de phénomènes :
1° ceux dus à l'action directe, irritante, de la substance sur la paroi interne de l'appareil
circulatoire; 2" ceux dus à l'action sur les centres nerveux, surtout les centrés ganglion-
naires du cœur, que l'on trouve généralement à l'autopsie distendu par des caillots noi-
râtres. Du reste, sous l'influence de cette intoxication, tous les tissus sont congestionnés
par suite d'une action paralysante qui se fait sentir sur les vaisseaux. Le fait se constate
à l'autopsie, et même sur le vivant, comme je le dirai à propos du cerveau.
Température. — La température ne paraît pas subir de bien grandes variations.
Quelques dixièmes en plus ou en moins suivant l'excilation ou le repos de l'animal, mais,
dans la majorité des cas, la température revient assez vite au chiffre normal; avec les
attaques elle peut pourtant s'élever de 2° (Magnan, Cadéac et Meunier).
Sécrétions. — L'action sur les sécrétions est la même, quelle que soit la voie de péné-
tration; elles sont généralement augmentées, nous l'avons déjà signalé pour le tube
digestif à propos des selles qui indiquent une augmentation de sécrétion de suc intesti-
nal et de bile; il en est de même de la salive et des larmes. On remarque quelquefois que
ABSINTHE (Essence d'). 15
les ui'ines ont pris la teinte verdâtre de l'essence (?). Les reins participent du reste à
l'hyperhémie générale que l'on constate.
L'essence d'absinthe serait aussi pour Gadéac et Meunier un diaphorétique puissant.
Expérimentant sur un cheval, ces auteurs ont constaté une sudation abondante inondant
l'animal.
Appareil respiratoire. — Les modifications propres que l'on observe du côté de cet
appareil ne sont pas bien considérables, elles paraissent n'être que le contre-coup de
l'action sur la circulation et sur le système neuro-musculaire. Je ne crois pas que l'es-
sence d'absinthe soit, comme le disent Gadéac et Meunier, un sédatif de la respiration,
car, d'une façon générale, le nombre des mouvements respiratoires est plutôt accéléré.
Ce n'est que vers la fin de l'intoxication que, comme pour le cœur, la paralysie bulbaire
gagnant peu à peu, le rythme respiratoire diminue pour s'arrêter ensuite. A l'autopsie
les poumons sont, comme tous les autres organes, congestionnés, et présentent des
marbrures (Magnan).
Système neuro-musculaire. — C'est celui sur lequel l'essence d'absinthe agit avec
le plus d'énergie. C'est en effet par de violentes convulsions que débute l'empoisonne-
ment chez tous les animaux sur lesquels les expériences ont porté, et, chez tous, c'est la
partie antérieure du corps qui a été la première atteinte, tête, cou, membres antérieurs;
en somme la région qui est sous l'intluence de la portion bulbo-cervicale de la moelle.
Les convulsions généralisées arrivent ensuite.
Quand on observe un chien qui est sous l'influence d'une certaine dose d'essence
d'absinthe, il n'est pas rare de constater chez lui un habitus [indiquant qu'il est en proie
à des hallucinations.
Quand l'intoxication est assez profonde, l'on voit survenir des accès épileptiformes.
Les mouvements convulsifs sont très énergiques, surtout dans la face, le cou et les mem-
bres antérieurs. L'intensité des secousses fait croire à un empoisonnement strychnique.
Tous les membres sont agités par des mouvements convulsifs violents et rapides; souvent
l'animal, sous l'influence des contractions spasmodiques des muscles, est atteint d'opi-
sthotonos ou de pleurosthotonos; d'autres fois c'est 1-a flexion qui prédomine. Ces
•attaques épileptiformes sont très intenses, c'est ce qui en fait la gravité plutôt que leur
fréquence : aussi les animaux ne tardent-ils pas à succomber épuisés, dans une adynamie
profonde, avec paralysie du cœur et du poumon.
Ces phénomènes convulsifs sont les mêmes chez tous les animaux sur lesquels on a
expérimenté, tels que chien, chat, lapin, cochon d'inde, rat, oiseaux.
L'essence d'absinthe agit sur tout le système cérébro-spinal ; c'est ce qui ressort des
expériences de Magnan. L'ablation des hémisphères cérébraux, en effet, n'empêche nulle-
ment la production de l'attaque épileptique absinthique. De même, en sectionnant la
moelle chez le chien, de manière à séparer le bulbe de la moelle, on voit survenir sous
l'influence de l'empoisonnement absinthique, tantôt une attaque d'épilepsie par le bulbe,
tantôt une attaque d'épilepsie par le reste de la moelle.
Étudiant l'action de l'absinthe sur le cerveau, Magnan a pu constater, en examinant
le fond de l'œil, que le début de la période convulsive coïncidait avec une forte conges-
tion cérébrale et une dilatation pupillaire qui persistent pendant toute la durée des
attaques. Cette congestion du cerveau, dont les traces sont très manifestes à l'autopsie,
peut aussi se constater sur le vivant au moyen d'une trépanation, qui permet de suivre
la marche de la congestion des circonvolutions.
A l'autopsie, on constate une forte hyperémie du bulbe et de la portion supérieure
de la moelle, quelquefois même des hémorrhagies dans l'épaisseur ou à la surface de
la pie-mère de cette région.
D'après S. Danillo, l'évolution des effets toniques de fessence d'absinthe serait pour
diviser en cinq périodes distinctes et successives : i" période tonique; 2° période clonique;
3° période choréiforme; 4° période de délire, a» période de résolution.
Un fait important à signaler, c'est qu'une injection d'alcool, à raison de 1 gramme à
2 grammes par kilo du poids de l'animal, arrête complètement la marche de l'empoi-
sonnement dans les quatre premières périodes : il en est de môme du chloral. Pourtant
il ne faudrait pas considérer ces substances comme les antagonistes véritables de l'es-
sence d'absinthe.
16 ABSINTHE (Hygiène).
Pour le même auteur, sous l'influence de petites doses d'essence d'absinthe, l'excita-
bilité de la région corticale, de même que la réflectivité médullaire, sont exaltées consi-
dérablement pendant les intervalles des convulsions et du délire. Dans la période de
résolution, la réaction cérébro-musculaire paraît s'affaiblir progressivement, tandis que
l'excitabilité neuro-musculaire persiste encore au degré normal.
D'ailleurs, pour plus de détails, comme les effets de l'essence d'absinthe ne diffèrent
pas fondamentalement de ceux des autres essences, nous renvoyons à l'article
Essence.
L'absinthe plante s'emploie en thérapeutique comme stimulant, tonique, vermifuge,
fébrifuge et emménagogue.
Bibliographie. — L. V. Marge. Sur l'action toxique de l'essence d'absinthe (C. R.,
1864, t. Lviii, p. 628). — E. Decaisne. Étude médicale sur les buveurs d'absinthe, précédée de
quelques considérations sur l'abus des alcooliques {C . R., 1864, t. lix, p. 229). — Lancereaux.
De l'absinthisme aigu {R.S. M., 1881, t. xvii, p. 231). — Lancereaux. Absinthisme chronique
et absinthisme héréditaire (R. S. M., 1881, t. xviii, p. 218). — Magnan. Recherches de phy-
siologie pathologique avec l'alcool et l'essence d'absinthe : ÉjMepsie (A. P., 1873, t. v, p. US).
— St. Danillo. Contribution à la physiologie pathologique delarégion corticale du cerveau et
delà moelle, dans l'empoisonnement par l'alcool éthylique et l'essence d'absinthe (A. P., 1882,
2' série, t. x, p. 388). — L. Gautier. Étude clinique sur l'absinthisme chronique {D. P.,
1882, fl. S. il/., 1883, t. XXI, p. 6o3). — -CADÉAcet A. Meunier. Sur les propriétés physiologiques
de l'essence d'absinthe {Lyon médical, 1889, t. lxi, p. 443). — J. V. Laborde. Sur un tra-
vail présenté à l'Académie de médecine par MM. Cadéac et Albin Meunier, relatif à l'étude
physiologique de la liqueur d'absinthe, au nom d'une commission composée de MM. Ollivier
et J. V. Laborde, rapporteur [Bullel. Académie de Médecine, 1889, 3"= série, t. xxii, p. 270).
— Cadéac et A. Meunier. Contribution à l'Étude de la liqueur d'absinthe {Lyon médical,
1889, t. Lxii, p. 456).
CH. LIVON.
ABSINTHE (Hygiène.) — L'absinthe ou l'essence qu'on en retire forment
la base d'une série de préparations alcooliques dont la plus usitée est la liqueur d'ab-
sinthe.
Celte liqueur d'absinthe est un produit complexe, solution alcoolique d'un certain
nombre d'essences, parmi lesquelles se trouve celle qui lui a donné son nom.
L'article précédent a fait connaître les propriétés toxiques de l'essence d'absinthe. Les
recherches de Laborde et de Magnan prouvent avec la dernière évidence que c'est bien
à elle, contrairement à l'opinion de Cadéac et Meunier, que la liqueur d'absinthe doit ses
propriétés principales. Il est, en effet, démoutré, que l'abus de ce produit détermine chez
l'homme des accidents en tout comparables à ceux qu'occasionnent chez les animaux
en expérience l'ingestion par voie stomacale ou l'injection intra-veineuse d'essence d'ab-
sinthe, accidents caractérisés surtout, suivant les doses employées, par une véritable
attaque d'épilepsie ou un état épileptiforme semblable à ce qu'on désigne en clinique
sous le nom depe/tJ mal. Ces accidents sont même si particuliers qu'on leur applique avec
raison la dénomination à.' absinthisme et qu'on en fait une forme bien distincte de l'alcoo-
lisme, bien que souvent, en fait, les effets de l'essence et de l'alcool se mêlent et se con-
fondent.
Pour pouvoir raisonner sur la question en connaissance de cause, il est nécessaire de
connaître à peu près la composition de cette liqueur.
On obtient la liqueur d'absinthe par deux procédés différents, par la distillation de
la macération dans l'alcool d'un certain nombre de plantes fraîches ou par l'addition à
l'alcool d'un mélange de différentes essences commerciales. Le premier procédé, assez com-
plexe et assez coûteux, est de plus en plus délaissé pour le second, beaucoup plus simple à
mettre en œuvre. Le produit obtenu dans les deux cas est ensuite coloré de diverses ma-
nières pour obtenir la teinte verte qu'on recherche. Les proportions d'alcool et déplantes
ou d'essences varient suivant la qualité et par, conséquent le prix de la liqueur à obtenir;
le commerce dislingue d'habitude quatre sortes de liqueurs d'absinthe : l'absinthe ordi-
naire, l'absinthe demi-fine, l'absinthe fine et l'absinthe suisse. Ces mêmes proportions et
même la nature des composants peuvent également dilférer suivant la marque; il y a
600
600
600
>,
200
125
125
125
200
100
100
25
223
■iOO
800
1000
„
400
225
230
830
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225
225
750
12 000
16 300
500
8 000
4 000
ABSINTHE (Hygiène). 17
presque autant de formules que de fabricants et beaucoup font de celle qu'ils exploitent
un secret industriel pour rendre la concurrence moins facile.
La formule suivante a l'avantage de montrer les différences qui peuvent exister
entre les trois sortes d'absinthes provenant d'une même fabrication.
N o 1 Feuilles et flevirs de grande absinUie . .
Feuilles de petite absinthe
Citronelle
Sommités fleuries d'Hysope
Angélique (racine)
Ànis vert
Badiane
Fenouil
Coriandre
Alcool à 85° 11
Eau 9
On fait macérer pendant vingt-quatre heures les plantes incisées dans le tiers envi-
ron de la quantité d'alcool et d'eau, on distille avec précaution pour retirer le volume
d'alcool à 85° employé et on ajoute le restant d'alcool et d'eau.
Les absinthes suisses ont à peu près la même constitution que l'absinthe fine, mais
les proportions de grande absinthe sont plus fortes et peuvent atteindre celles de l'anis.
Certains fabricants disent remplacer dans leurs formules tout ou partie de l'absinthe par
des génipis, plantes voisines des absinthes vraies; la chose est loin d'être prouvée. L'alcool,
en outre, est à un degré plus élevé.
L'obtention de liqueur d'absinthe au moyen des essences demande moins de mani-
pulations et permet d'éviter l'emploi de certaines plantes, souvent difficiles à se procurer
en état convenable dans quelques régions. La formule suivante donne un produit simi-
laire de l'absinthe fine obtenue par la formule n" 1 :
N° 2 Essence de grande absinthe. . 30 grammes.
— de petite absinthe. . . 10 —
— d'hysope 6 —
— de mélisse 6 —
— d'anis 100 —
de badiane 100 —
— de fenouil 30 —
— de coriandre 2 —
Alcool à 85° 80 litres.
Eau 20 —
Celle que Cadéac et Meunier ont pris comme type dans leur travail, qui forme, d'après
eux, une sorte de moyenne entre un grand nombre de formules fournies par divers
fabricants, a une teneur en essences notablement plus forte; la voici :
Essence d'anis 6 grammes.
— de badiane 4 —
— de fenouil 2 —
— d'absinthe. ....... 2 —
— de coriandre 2 —
— d'hysope 1 —
— d'angélique 1 —
— de mélisse 1 —
— d'origan 1 —
Alcool à 70° 1 litre.
Il est rare cependant de trouver des absinthes où la proportion d'essence d'absinthe
soit si faible ; par contre, ici, les doses d'essence d'anis et d'essence de badiane sont
exagérées.
Deux facteurs entrent enjeu dans la nocivité de la liqueur d'absinthe : l'alcool et les
essences.
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 2
18 ABSINTHE (Hygiène).'
Il serait injuste de méconnaître complètement les eflfets de l'alcool dans l'intoxication
par l'absinthe pour tout attribuer aux essences. Certains des symptômes sont communs
à l'alcoolisme proprement dit (voir Alcoolisme); le fait s'explique ])ar la richesse en alcool
de ces liqueurs d'absinthe. En efïet, tandis que 30 centimètres cubes de bonne eau-de-vie
de Cognac contiennent au plus 16 centimètres cubes d'alcool pur, la même quantité
d'absinthe fine en renferme plus de 20, et certaines absinthes suisses jusqu'à 2b. Un
buveur d'absinthe absorbe donc, à volume égal, notablement plus d'alcool qu'un buveur
d'eau-de-vie.
De plus, il est reconnu que les absinthes, surtout de qualité inférieure, sont souvent
fabriquées avec des alcools industriels peu ou pas rectifiés, par conséquent riches en
alcools supérieurs réellement toxiques; on en a même rencontré qui étaient faites avec
de l'alcool dénaturé parla régie. L'odeur et la saveur des essences sont assez fortes pour
masquer complètement les qualités organoleptiques de ces alcools et faire passer la
fraude. Dans ces conditions, il est certain qu'il y aura plus encore à redouter les effets
de l'alcool, parce que certaines impuretés peuvent lui donner des propriétés spéciales;
l'aldéhyde salicylique et le furfurol, par exemple, lui confèrent des propriétés épilepti-
santes.
Mais l'action des essences est infiniment plus à redouter que celle de l'alcool; et
parmi elles, il y a des différences delà plus haute importance.
Les premières recherches de Magna.n avaient conclu à incriminer exclusivement l'es-
sence d'absinthe, qui seule pouvait déterminer chez les animaux en expérience la véri-
table attaque d'épilepsie caractéristique de l'absinthisme ; elles avaient démontré, en parti-
culier, que les essences d'anis vert et de badiane jouissaient d'une innocuité assez marquée,
puisqu'on pouvait en faire absorber 20 et 22 grammes à un chien, par voie stomacale,
sans provoquer de symptômes bien notables, alors que, par le même procédé, 2à4 gram-
mes d'essence d'absinthe déterminaient les accidents violents de l'attaque épileptique et
du délire hallucinatoire.
Les expériences de Cadéag et Meunier semblaient devoir renverser cette opinion,
admise sans conteste, et ne tendaient rien moins qu'à incriminer l'essence d'anis que
Magnan avait trouvée si peu nocive. Ces expérimentateurs allaient jusqu'à proclamer que
l'essence d'absinthe ne pouvait avoir, dans le mélange, qu'une action véritablement bien-
faisante.
Les nouvelles recherches de Labobde et Magnan sont venues infirmer ces derniers résul-
tats et appuyer au contraire ceux obtenus dans les premières expériences, en démontrant
de nouveau la réelle toxicité de fessence d'absinthe et les effets bien moins marqués des
autres essences qui l'accompagnent habituellement dans la liqueur. Ces physiologistes
ont établi que 10 à ta centigrammes, 20 centigrammes au plus d'essence d'absinthe, déter-
minent, chez un chien de 112 à 15 kilogrammes, une attaque épileptique intense; qu'on
pouvait même arrriver à ce résultat chez les jeunes animaux avec une dose de o centi-
grammes. Ils ont montré que la toxicité du mélange des essences autres que l'essence
d'absinthe était de beaucoup inférieure, puisqu'on pouvait introduire dans l'estomac d'un
chien (de 10 à 15 kilogrammes) 15 à 20 grammes de ce mélange sans obtenir de réaction
autre qu'une accélération de la respiration et du pouls, et en tout cas jamais de convul-
sions épileptiformes; et qu'il ne fallait pas moins de 1 gramme de ce mélange en injec-
tion inlra-veineuse pour produire des phénomènes toxiques caractérisés par de l'excitation
et du tremblement localisé, phénomènes qui disparaissent alors en quelques minutes. En
ajoutant au mélange la proportion d'essence d'absinthe indiquée par la dernière formule,
un gramme du mélange, en injection inlra-veineuse au chien, suffit pour faire apparaître
l'effet spécial à cette essence, l'attaque d'épilepsie. Quant à l'essence de coriandre, l'es-
sence d'hysope, l'essence de fenouil, qui avaient été accusées par Cadéac et Meunier, les
effets qu'elles produisent se bornent à une excitation passagère, qu'accompagnent parfois
quelques petites secousses, puis à une somnolence bien marquée qui s'observe fréquem-
ment aussi chez les buveurs d'absinthe à un certain moment, vraisemblablement produite
par ces essences. Les essences d'angélique, de menthe, de mélisse peuvent être considé-
rées comme indifférentes.
En résumé, pour adopter les conclusions du rapport de Laborde, l'essence d'absinthe
vraie est, de toutes les essences qui entrent dans la composition de la liqueur d'absinthe, la
ABSINTHE (Hygiène).
19
plus toxique et conséquemmejit la plus danger-euse; elle est seule capable de produire
l'attaque épileptique vraie. C'est elle qui imprime son cachet particulier à l'intoxication
causée par l'abus si commun de ce produit et justifie sa dénomination spéciale, l'absin-
tliisme. Cette intoxication a des signes caractéristiques certains, qui permettent de la
différencier nettement de l'alcoolisme simple et doivent la faire considérer comme une
véritable intoxication absinthique; ce sont l'attaque épileptique, le vertige, le délire hal-
lucinatoire précoce, symptômes qu'on retrouve dans l'expérimentation avec l'essence
d'absinthe aussi bien qu'au cours de l'observation clinique.
Les recherches de Cadéac et Meunier ont cependant servi à montrer qu'il y avait des
essences d'absinthe moins nocives que les autres; il semble malheureusement que ce
soient les moins estimées et conséquemment les moins employées pour la fabrication
des liqueurs, de qualité fine au moins. Laborde dit, en particulier, qu'on vend eu Algé-
rie, sous le nom d'essence d'absinthe, une essence retirée des bulbes d'asphodèle, qui sert
à fabriquer une liqueur d'absinthe que les indigènes et les soldats consomment en grande
quantité à cause de son bas prix.
Cette essence d'Algérie doit avoir des effets nocifs peu marqués, car les buveurs
n'éprouvent que les effets dus ordinairement à l'ingestion d'alcool, alors que les officiers
qui consomment presque exclusivement de l'absinthe véritable en ressentent les incon-
vénients spéciaux. Rentrés en France, l'habitude perd ceux des soldats accoutumés à
beaucoup boire de ce produit peu offensif; se livrant alors à une consommation abon-
dante, ils montrent rapidement les accidents caractéristiques de l'absintliisme.
Malheureusement, pour l'absinthe, peut-être plus que pour toute autre boisson alcoo-
lique, l'abus suit d'ordinaire de près l'usage modéré qu'on en fait au début; ceci se voit
surtout dans les pays chauds où la soif est grande. De plus, l'habitude qu'on a de con-
sommer cette liqueur à jeun alors que l'absorption en est plus rapide et plus sûre, favo-
rise son action. Aussi doit-on être persuadé qu'elle est un facteur important dans le
nombre toujours croissant des cas d'épilepsie, d'aliénation mentale, de ces névroses pro-
téiformes qui sont si répandues à notre époque. Enfin, elle ne nuit pas seulement à l'in-
dividu qu'elle empoisonne : on retrouve ses effets délétères sur les enfants qu'il engendre,
auxqurls elle transmet l'une ou l'autre de ces tares héréditaires, faiblesse congénitale,
racliitisme, épilepsie, qui encombrent les hôpitaux d'enfants.
La liqueur d'absinthe n'est pas seule à contribuer à ce triste bilan. On retrouve de
l'essence d'alisinthe dans une série de produits similaires, qu'on dénomme faussement
apéritifri, parce que leur absorption à jeun provoque des tiraillements d'estomac pris à tort
pour de la faim. Les bitters, vermouths, amers, ne renferment, il est vrai, que peu d'ab-
sinthe ou d'essence d'absinthe, mais contiennent d'autres produits actifs, entre autres du
salicylate de méthyle (essence de winter-green), et de l'aldéhyde salicylique, tous deux
convulsivants énergiques, moins actifs que l'essence d'absinthe, mais agissant dans le
môme sens. L'eau d'arquebuse, très usitée comme vulnéraire et cordial dans certaines
régions, renferme plus de 4 grammes par litre d'essences, en tête desquelles se trouve
l'essence d'absinthe et l'essence de rue. Ces produits ont certainement une bonne part,
plus grande peut-être que celle des alcooliques vrais, dans ces manifestations d'irritabi-
lité, d'indo''ilité, de violence, qui se produisent un peu de tous côtés.
Répartition, par espèces, des quantités d'alcools frappées des droits.
{Le^ chiffres du .présent tableau représentent des hectoliti-es d'alcool pur.)
ANNÉES.
.,z,..
et
B,„...
:z...
LIQUEURS.
.'i l'eau-cJe-vie
et ilivevs.
.......
1885. . . .
■1 138 623
H4958
30 214
37 732
74 051
8 806
1444 3S6
1886
U 33 037
109 244
29 887
65 268
71 954
10 498
1419 888
1887
1 161644
112 862
30 267
74178
75 738
12941
1467 630
1888
1 108 822
158 340
30 932
81342
74 513
14 497
1 468 446
1889 ....
1 142 044
162 012
34 706
90 498
75 536
12131
1 516 927
1890
1 253 857
172112
36 072
105 238
81990
13 519
1662 808
1891
1 248 222
173 218
40510
110 598
8i 818
13 001
1 669 367
1892
1282 684
183 824
39 445
129 670
82 923
14 823
1733 369
20 ABSINTHINE — ABSI NTH ISWI E.
Ainsi la consommation de ce véritable poison, qui est l'absinthe, est très grande; et,
ce qui est pire, elle augmente tous les jours. Alors que la consommation des alcooliques
vrais croît, mais dans des proportions assez faibles, celle de l'absinthe monte avec une
rapidité inouïe, comme on peut s'en rendre compte par le tableau précédent, établi par
la régie pour la période de huit années i888-1892.
Et encore cette statistique est-elle, pour plusieurs raisons, au-dessous de la réalité.
Certes, en présence de semblables résultats, on doit comprendre qu'il y a là un point
capital pour l'évolution physique et morale de nos races, qu'il y a lieu de considérer de
tels poisons comme un véritable péril social et de chercher à protéger la société contre
leur extension envahissante; mais le moyen reste encore à trouver.
Bibliographie. — Dcplais. Traité de la fabrication des liqueurs et de la distillation
des alcools. Paris, Gauthiers-Villars. — Magnan. Accidents déterminés par l'abus de la
liqueur d'absinthe {Union médicale, 1864, t. xxui, p. 258). — Conférences cliniques sur l'alcool
et l'absinthe {Gazette des hôpitaux, 1869)'. — Recherches de physiologie pathologique sur
l'alcool et l'essence d'absinthe; épilcpsie {A. P., 1873, p. 127). — Action respective
de l'alcool et de l'absinthe {Congrès international pour l'étude des questions rela-
tives à l'alcoolisme. Paris, 1878). — Claude (des Vosges). Rapport au Sénat fait au nom de
la commission d'enquête sur la consommation de l'alcool en France, février 1889. — Lance-
heaux. Absinthisme aigu, absinthisme chronique et absinthisme héréditaire {Bull. Acad. de
médecine, 1880). — Hardy et Magnan. Analyse de l'essence d'absinthe, étude clinique et expé-
rimentale. {B.R., 1882). — Laborde et Magnan. De la toxicité des alcools dits supérieurs et
des bouquets artificiels {Revue d'Hygiène, 1887). — Cadéag et Meunier. Étude physiologique
de la liqueur d'absinthe :\ Mémoire lu à l'Académie de médecine dans la séance du 10 sep-
tembre 1889. — Laborde. Étude physiologique de la liqueur d'absinthe {Rapport sur le
mémoire précédent). Académie de médecine, i"^ octobre 1891. — Cadéag et Meunier. Contri-
bution à l'étude de la liqueur d'absinthe {Revue d'Hygiène, 1889). — Magnan. Des prin-
cipaux signes cliniques de l'absinthisme {Revue, d'Hygiène, 1890).
E. MACÉ.
ABSINTHINE (C^ H-- O»). — Principe amer de l'absinthe qui se présente
sous la forme de cristaux brillants, prismatiques. Très soluble dans l'alcool, un peu
moins dans l'éther, peu soluble dans l'eau. Avec l'iicide sulfurique concentré elle prend
une coloration jaune rougeâtre, tournant vile au bleu. Avec l'acide chlorhjdrique une
coloration rouge acajou, avec l'acide azotique aucune réaction.
Expérimentée par Fern. Roux, l'absintbine n'est pas toxique, même à forte dose
(2 grammes pour une poule). Son action semble se localiser sur le tube digestif; elle
paraît très manifestement favoriser l'expulsion des matières fécales, sans pour cela
occasionner de la diarrhée. D'après une communication de Terray à la Société de méde-
cine de Buda-Pesth, en 1891, sur l'action des amers sur les mouvements de l'estomac,
l'absintbine diminuerait ces mouvements.
Bibliographie. — Fernand Roux. Étude sur l'absinthine {principe amer de l'absinthe)
{Bulletin général de thérapeutique, 1884, t. ovn, p. 438). — Terray. Action des amers
sur les mouvements de l'estomac {Société de médecine de Buda-Pesth, in Tribune médicale,
28 mai 1891, p. 341).
ABSI NTH ISME. — On donne ce nom à l'ensemble des symptômes que l'on
rencontre chez ceux qui font abus de la liqueur d'absinthe. Si cet abus est isolé, on se
trouve en présence de l'absinthisme aigu; s'il est le résultat d'un usage prolongé et
quotidien, on a alors la forme chronique qui constitue le véritable absinthisme.
L'alcool étant le véhicule des essences de la liqueur d'absinthe, on peut dire que l'absin-
thisme ne va pas sans l'alcoolisme; pourtant ces deux états se présentent avec des carac-
tères tels qu'il n'est pas possible de les confondre. Les caractères de l'alcoolisme seront
décrits dans un article spécial, il ne sera question ici que de ceux qui peuvent être
attribués à la liqueur d'absinthe.
Il ne faut pas oublier que dans cette liqueur, l'essence d'absinthe n'est pas la seule
ABSINTHISME. '21
coupable, elle se trouve mélangée avec d'autres essences telles que celles d'aiiis, de
badiane, de fenouil, d'hysope, d'origan, d'angélique, de menlhe, de mélisse, qui ont
chacune une action spéciale, dont il sera question à l'article Essences. Ce mélange rend
donc l'étude physiologique de la liqueur d'absinthe beaucoup plus complexe qu'on ne le
croit, et l'absinthisme ne peut pas être considéré comme le résultat de l'intoxication par
une seule substance, car dans ce cas ce qui est dit àfpropos de l'action physiologique de
l'essence d'absinthe serait largement suffisant. L'absinthisme est le fait d'une intoxication
très compliquée à symptômes prédominants.
L'absinthisme aigu constitue un véritable empoisonnement dû à la saturation des
éléments organiques parte poison. C'est l'ivresse absinthique, beaucoup plus intense que
l'ivresse alcoolique, beaucoup plus prolongée, turbulente, tapageuse, agressive, carac-
térisée par des hallucinations et des convulsions épileptiformes avec évacuations involon-
taires, écume aux lèvres et respiration stertoreuse. Après cette période caractéristique
survient un accablement très marqué, une stupeur profonde qui persiste jusqu'à l'élimi-
nation du poison. Mais celte ivresse peut quelquefois se terminer assez rapidement par
la mort et les autopsies démontrent qu'elle est occasionnée par de l'apoplexie méningée.
La mort peut aussi se produire subitement par sidération, après un excès isolé, chez des
sujets qui n'ont pas l'habitude de boire.
L'absinthisme chronique se manifeste chez le véritable buveur d'absinthe, il est le
résultat de lésions organiques qui apparaissent peu à peu sous l'influence de la répé-
tition de l'excitant artificiel. Les symptômes de l'intoxication se développent assez vite
avec leurs caractères propres, mais souvent ils sont mélangés aux symptômes de l'alcoo-
lisme.
Au commencement de l'intoxication, on constate, surtout aux membres inférieurs, une
hyperesthésie particulière : ie réflexe plantaire est tellement exagéré que le plus petit
chatouillement des pieds peut déterminer chez le malade une véritable crise hystéro-
épileptique.
Cette hyperesthésie, beaucoup plus marquée à l'extrémité des membres qu'à la racine,
finit par envahir peu à peu tout le corps.
Lorsque l'intoxication est plus ancienne, cette hyperesthésie peut faire place à de
l'anesthésie, sauf sur certaines régions, véritables zones hystérogènes, comme en rap-
porte un cas très intéressant M. Vill.a.rd dans ses leçons sur l'alcoolisme. Ces troubles
de la sensibilité peuvent arriver jusqu'à une anesthésie absolue, aussi bien de la peau ■
que de certaines muqueuses, buccale, oculaire, nasale. Avec ces troubles de sensibilité
générale arrivent bientôt les vertiges, les hallucinations. Ces troubles hallucinatoires
attaquent tous les sens. Les intoxiqués entendent des menaces, des provocations, des
injures ; ils voient des chiens, des chats, des rats, des animaux de toute sorte, des flammes
qui les environnent, des gens armés qui se jettent sur eux; ils perçoivent des odeurs de
soufre, des puanteurs qui les suffoquent; les aliments et les boissons ont les saveurs
les plus désagréables; ils sentent la lame du couteau traverser les chairs, des serpents
ramper et glisser sur la peau ou pénétrer profondément (Magn.\n). En un mot tous les
sens sont désagréablement impressionnés. Ces symptômes se rencontrent aussi dans
l'alcoolisme, mais la caractéristique de l'absinthisme ne larde pas à se manifester. En
effet, au milieu de ce cortège de symptômes, le malade pousse tout à coup un cri; il
éprouve un véritable aura el tombe dans un accès de convulsions épileptiformes qui
dure plus ou moins longtemps. L'accès passé, le malade reste un moment inconscient,
et présente de nouveau le délire hallucinatoire qui a précédé la crise.
Les malades cités par Magxan se mordaient même profondément la langue, et avaient
des évacuations involontaires pendant l'accès.
On peut dire par conséquent que ce qui caractérise l'absinthisme, c'est le délire hal-
lucinatoire précoce, l'attaque convulsive épileptiforme et le délire inconscient qui la suit.
Cette rapidité des troubles intellectuels est propre à l'absinthisme, l'alcool met plus de
temps à produire des troubles pareils, il a besoin en quelque sorte de préparer le
terrain.
Cette différence provient de ce que l'absinthe agit d'abord sur la région bulbo-cer-
vicale, tandis que l'alcool agit sur la région dorso-lombaire de la moelle.
Dans quelques cas, on rencontre des convulsions à forme clonique, celles-ci relèvent
22 ABSINTHISME.
des préparations de liqueur d'absinthe et notamment de l'introduction du salicylate de
méthyle opérée par certains fabricants (Magnan).
L'appareil musculaire ne reste pas indemne au milieu de ces troubles du système
nerveux; il présente un état très marqué d'incertitude et d'indécision. Les malades
éprouvent des sensations musculaires diverses, de la pesanteur et de l'engourdisse-
ment.
M. Motet a signalé le cachet spécial d'hébétude que présentent ces malades, la tré-
mulation fibrillaire des lèvres, de la langue et des muscles de la face ; le regard triste
et terne, la dyspepsie, l'amaigrissement, la coloration jaunâtre de la peau, la teinte
violacée des muqueuses, la perte des cheveux, les rides et tous les caractères de la
caducité.
Parallèlement à ces troubles de la motilité, les lésions des centres nerveux progres-
sent continuellement, le sommeil est agité ou constamment troublé par des rêves
pénibles, des cauchemars, des réveils brusques; les hallucinations ne font qu'augmenter
en nombre et en horreur. Il y a de la céphalalgie, du délire, et peu à peu se dessine
la période de dépression; la parole est' embarrassée, l'intelligence s'engourdit, la para-
lysie générale fait de rapides progrès, les accidents congestifs ne font qu'augmenter
les convulsions épileptiformes, et la mort arrive, ou par hémorrhagie cérébrale ou à la
suite de ramollissement chronique.
Le tableau qui précède indique assez combien sont graves les accidents produits
par l'intoxication absinthique. Aussi peut-on justement être effrayé en jetant les yeux
sur la progression démesurément croissante de la consommation de la liqueur d'ab-
sinthe.
Comme le dit Legrand du Saulle, les résultats moraux d'une aussi funeste passion
sont pour le moins aussi désastreux que les désordres physiques et intellectuels qu'elle
amène à sa suite ; car ils s'adressent à la meilleure partie de l'homme, à son intelligence,
à son cœur et à sa volonté. L'intelligence fait place à l'hébétude, l'affection à l'égoïsme
brutal, la volonté à l'irrésistible entraînement vers les stupides satisfactions de l'ivresse.
Le scandale entre dans les familles, l'artisan, sans songer au pain que lui demandent sa
femme et ses enfants, court au poison et la misère prend à son foyer la place qu'il a
désertée pour le cabaret; car «il faut plus d'argent pour nourrir un vice que pour élever
trois enfants » (Franklin). Non seulement le buveur enlève à ses enfants le pain de
chaque jour, mais il leur enlève le plus précieux de tous les biens: la santé. Car le
buveur n'engage pas seulement sa personne, mais encore, ce qui est beaucoup plus
grave au point de vue social, sa descendance (La.nceheaux). L'habitude se transmet
alors, et prépare des populations de dégénérés. Alors l'intoxication semble répondre à un
besoin de la nature de l'homme. Quoique ce besoin, né de l'habitude, ne soit qu'appa-
rent, dans bien des circonstances il existe à l'état impérieux. C'est que l'influence
héréditaire se fait sentir. L'usage de certains poisons cérébraux, comme l'alcool et
l'absinthe, se perpétue quelquefois parla descendance, avec cette fatalité lamentable qui
régit toutes les lois de l'hérédité (Legraix).
On doit donc considérer l'absinthisme comme une véritable plaie sociale, et l'on peut
dire que c'est une question qui doit non seulement préoccuper les hygiénistes, mais
encore ceux que touche la fierté nationale.
Uq fait que les statistiques établissent, c'est le nombre toujours croissant des épilep-
tiques. Ne les doit-on pas à l'influence de l'absinthe et des poisons similaires sur la
descendance?
Quelle triste perspective que celle qui attend le buveur d'absinthe! Pour lui, la
paralysie générale, les congestions ou les hémorrhagies cérébrales, le ramollissement;
pour ses enfants, la folie, l'idiotie, la scrofule et l'épilepsie!
On ne saurait trop placer ce tableau devant les yeux des populations et les législateurs
eux-mêmes devraient bien se pénétrer des conséquences désastreuses à tous les points
de vue de cette funeste habitude. Malgré tous les efforts de ceux que préoccupent ces
graves conséquences, le seul résultat des travaux entrepris sur la question c'est, par la
statistique, de constater que la consommation va toujours en augmentant et que l'ha-
bitude devient irrésistible. Aussi est-il permis de dire avec Jolly : « Et qu'est-il donc de
plus triste, de plus humiliant pour la dignité de l'homme, pour l'honneur de l'humanité
ABSORPTION. 23
de s'avouer vaincu devant l'attrait de deux poisons (l'absintlie et le tabac) également
funestes, d'obéir servilement à une habitude qui est à la fois un attentat à la santé
individuelle, à la santé publique, à l'ordre social, à l'intelligence, à la morale, à la
virilité d'une nation! » En présence de ce fléau a-t-on pris quelques mesures énergiques?
Loin de là. Les débits vont sans cesse en augmentant. Ils étaient, au l"^"" janvier 1886, au
nombre de 422 303 en France, soit un par 90 habitants. L'ouvrier qui, sa journée finie,
rentre dans sa famille, est invité à chaque pas à se laisser aller à son penchant. Il ne ren-
contre sur sa route que débits ou bars. Quoi d'étonnant alors qu'il succombe à la tenta-
tion !
Les malades qui peuplent les asiles d'aliénés vont toujours en augmentant. On ne
doit pas en être surpris, lorsque, connaissant les résultats de l'intoxication absiiithique
avec ses effets directs ou héréditaires, on jette les yeux sur la consommation démesu-
rément croissante de cette liqueur. Un fait acquis, c'est que le nombre des aliénés para-
lytiques suit fidèlement le mouvement de consommation de l'absinthe.
Voici quelques chiffres d'une éloquence terrible, tirés du relevé du service des con-
tributions indirectes.
En 1884, les droits ont été appliqués à 1 489 000 hectolitres d'alcool dont oOOOO hec-
tolitres d'absinthes et similaires.
En 1892, c'est-à-dire huit ans après, les droits ont été appliqués à 1 733 369 hectolitres
d'alcool, dont 129 670 hectolitres d'absinthes et similaires.
C'est-à-dire que dans la période des huit années écoulées entre 1884 et 1890, la con-
sommation de l'absinthe a augmenté de plus du double, et que, pour une augmentation
d'alcool de 160 000 hectolitres, on trouve une augmentation de 80 000 hectolitres d'ab-
sinthe. Quel est le résultat moral que l'on peut tirer de ces chift'res"? C'est que, si les
législateurs ne prennent une mesure radicale pour mettre un terme à cette cause de
déchéance humaine, d'affaiblissement moral, physique et numérique de la nation, la
seule préoccupation qu'ils puissent raisonnablement avoir, c'est de bâtir de vastes éta-
blissements de de'générés et d'aliénés.
Bibliographie. — Legrand du Saulle. Les buvew'S d'absinthe (Gazette des hôpi-
taux, 1860). — Voisin. Absinthisme chronique {B. B. 1862). — Marcé. Accidents déterminés
par l'abus de la liqueur d'absinthe {Union médicale, 1864). — Challand. Étude expérimen-
tale et clinique sur l'absinthisme et l'alcoolisme. Paris, 1871. — Jolly. L'absinthe et le tabac
{Académie de médecine, 1871). — Dastre. L'alcooliwie et l'absinthisme {Revue des deux
Mondes, 1874). — Gourmet. Alcool et absinthisme. Thèse de Montpellier, n" 91 , 187S. — Lan-
CEREADX. De l'absinthisme aigu {Académie de médecine, 2™" série, t. ix, 1881). —
Lancereaux. Absinthisme chronique et absinthisme héréditaire (Académie de médecine,
2"° série, t. ix, 1881). — Gautier. Étude clinique sur l'absinthisme chronique (B. P., 1882).
— Al. de Foville. La France économique, 1887. — Allas de statistique financière,
Ministère des finances, 1889. — Magnan. Des principaux signes cliniques de l'absinthisme
(Revîte d'hygiène, 1890). — Legrain. Étude sur les poisons de l'intelligence .{Anncdes médico-
psychologiques, t. XIV, 1891). — Lancereaux. Alcoolisme et absinthisme héréditaires (Bulletin
médical, 1891. Revue scientifique (2), 1892). — Villabd. Leçons sur l'alcoolisme, 1892.
— Magnax. Recherches sur les Centres nerveux (alcoolisme, folie des héréditaires dégénérés,
paralysie générale ; médecine légale), 2™"= série, Paris, 1893.
CH. LIVON.
ABSORPTION. — On entend par absorption la pénétration des substances
solubles jusque dans le milieu intérieur, sang ou lymphe des vaisseaux ou des tissus,
sans qu'il y ait effraction des revêtements organiques.
Peau. — Personne ne met en doute le fait que des gaz peuvent passer au travers de
la peau; qui joue ainsi un certain rôle dans la respiration. Elle absorbe notamment
une certaine quantité d'oxygène. Mais, où l'accord cesse d'exister, c'est lorsque l'on
étudie l'influence de la peau au point de vue de l'absorption des liquides ou des sub-
stances dissoutes. De nombreuses expériences ont été faites pour résoudre cette question,
et les résultats obtenus ont très souvent été contradictoires. Cette contradiction s'ob-
serve d'ailleurs pour beaucoup de points relatifs à l'absorption en général; ce qui
est une preuve que les facteurs qui interviennent ne sont pas uniquement du domaine
24 ABSORPTION.
de la physique, comme il était d'habitude de l'admettre il y a un certain nombre
d'années.
Les procédés employés pour étudier la résorption par la peau sont de trois espèces :
i° les pesées avant et après un bain simple ou tenant en solution certaines substances;
2° l'étude des urines; 3° l'examen des phénomènes physiologiques résultant de l'appli-
cation de certaines substances actives à la surface de la peau. Il va de soi que, dans
toutes ces méthodes, il faut rigoureusement se mettre à l'abri des causes d'erreurs et
notamment de celles qui pourraient résulter de l'introduction des substances à étudier
par des solutions de continuité de la peau, ou encore par la bouche. (Voir, pour la
bibliographie ancienne, R. H. et Dictionnaire de médecine de Dechambre, art. Peau et
Absorption.) ^
La méthode des pesées est très défectueuse : aussi Fleischer a-t-il tenté de la rem-
placer par l'emploi du pléthysmographe de Mosso. Les résultats obtenus par cette der-
nière méthode ont été négatifs. Il semble, à première vue, que l'étude des substances
qui traversent l'organisme, c'est-à-dire l'étude des urines et du sang, soit mieux à même
de renseigner sur le rôle de la peau dans l'absorption. Mais plusieurs causes d'erreur
sont inhérentes à celte méthode; en effet, s'il s'agit d'étudier l'absorption de substances
qui font partie intégrante de l'organisme, la méthode ne peut donner de résultats, et,
si l'on emploie des bains, ceux-ci peuvent agir sur la circulation cutanée, de façon à
retarder ou accélérer l'élimination par une simple action vaso-motrice. Si l'on utilise
des substances qui n'entrent pas dans la catégorie des composés normaux de l'orga-
nisme, la contradiction dans les résultats obtenus résulte du fait que plusieurs d'entre .
celles qui ont servi aux expériences agissent sur la peau pour la ramollir, la cautériser,
en un mot pour mettre la substance en contact avec le derme proprement dit. Les
mêmes objections s'appliquent naturellement aux expériences durant lesquelles on a
recherché l'action physiologique de certaines substances. D'autres causes d'erreur peu-
vent encore résulter de véritables défauts d'expérimentation inhérents à la méthode.
RôHRiG {Die Physiologie der Haut. Berlin,! 876) pulvérisait des solutions de morphine, de
curare, de digitaline sur la peau de lapins, et il a, de cette façon, obtenu des empoi-
sonnements, tandis que von Wittich {Mittheil. a. d. physiol. Laborat. Kœnigsberg, 1878)
obtenait des résultats négatifs. Il faut tenir compte de la nature de l'animal employé
et aussi, dans certains cas, des conditions vraiment extraordinaires des expériences. Il
n'y a, en effet, rien d'étonnant à ce que, comme cela a eu lieu dans quelques expériences,
le lapin, fixé plusieurs heures sur une planchette, présente du coma, des paralysies, dii
ralentissement du cœur. Enfin, le dissolvant lui-même a une grande influence, ainsi que
Pabisot {C.R., t. Lvu, 1863) l'avait déjà établi précédemment. On a d'ailleurs tenu compte
des objections précédentes dans plusieurs des travaux effectués en ces dernières années;
toutefois elles sont encore applicables à certains d'entre eux, et c'est sans doute ce qui
explique la persistance des divergences dans les résultats avec la variation possible des
facteurs physiologiques qui interviennent dans la résorption et dont les conditions peu-
vent varier sous l'influence de causes qui échappent encore aux investigations des expé-
rimentateurs. Quoi qu'il en soit, voici l'opinion des auteurs qui se sout occupés de cette
question. L. V. Kopff {Zur Frage ilber die Résorption durch die Haut. Przeglad leckarski,
1886, 43) admet que la peau résorbe les solutions de sublimé corrosif de 1 à 2 p. 100;
mais la quantité résorbée est très faible. La peau dégraissée résorberait mieux, natu-
rellement, que la peau recouverte de son enduit sébacé. D'après Paschris et F. Obehmayer
[Centralbîatt f. Uin.Medic.,t. xn, pp, 65-69); le lithium étant appliqué sous forme de pommade
sur le dos, ou bien des solutions de chlorure de lithium à 10 p. 100 pulvérisées sous forme
de spray, retrouverait le lithium à l'examen spectroscopique dans les urines. Muller
[Arch. f. loissench. u.pract. Thierheilk, t. xvi, p. 309) prétend que le mercure appliqué sur
la peau se retrouve dans les urines (par électrolyse) et dans les matières fécales. Il y
aurait également absorption du plomb appliqué en pommade, tandis que, en solution,
en bains notamment, il ne serait pas résorbé, pas plus que l'iodure de potassium
quand on plonge les pieds dans une solution de ce sel. L'acide borique en application
extérieure ne serait pas non plus résorbé; l'iode, au contraire, serait déjà reconnais-
sable dans les urines après deux heures. L'absorptinn de l'iodure de potassium dans les
conditions signalées plus haut aurait lieu suivant Kopff. On retrouverait en effet, dans ce
ABSORPTION. 25
cas, dans les urines, l'iodure comme tel, ou combiné aux substances organiques (Iîopff,
Przelad leharski, n" 44, 43). R. Wimïernitz {Arch. f. exp. Pathol. u. PharmakoL, t. sxviii,
1887, p. 405) s'est occupé de l'absorption par la peau en tenant compte de l'influence du
dissolvant. La résorption de la str5'chnine parla peau du lapin se fait facilement quand
on emploie la solution chloroformique; elle est moins facile an contraire avec les solu-
tions éthérées et alcooliques. Ou n'observe de résorption de la solution aqueuse que si
l'endroit de l'exjiérience est rasé et imbibé de chloroforme (lo'à 20'), d'étber (5' à lo')ou
d'alcool (li)'). L'absorption est alors la plus rapide après application du chloroforme et
la moins rapide après celle de l'alcool. Dans ces conditions mêmes l'absorption des
solutions aqueuses ou huileuses est très restreinte. La peau humaine, qui possède un
épidémie plus résistant que celui du lapin, est moins susceptible encore de résorber les
solutions aqueuses d'alcaloïdes, par exemple, ou de sels de lithium (employés également
par Paschkis et Obermayer : voir plus haut). Les solutions éthérées permirent seules la
résorption, tandis que celle-ci ne s'observait pas avec les solutions alcooliques ou chlo-
roformiques. Les lavages d'étber permirent également seuls la résorption des solutions
aqueuses, tandis que le chloroforme et l'alcool demeuraient sans action. — Valentin
JuHL {Untersuchimgen ûb. das Resorptionvermûgen d. menschl. Haut fur zerstaùhte Flussigk.
I). Arc/i./'.A/in. i¥ed., t. xsxv, pp. ol4-523) qui a expérimenté chez l'homme l'effet des pulvé-
risations sur la peau, pense que l'absorption est possible, au moins pour les solutions al-
cooliques de tanin, de salicylate de soude ou d'acide salicylique. Le ferrocyanure de
potassium en solution à 3 p. 100 se trouve en quantité minime dans les urines, déjà
après six heures. G. M.aas {Ueber die Résorption fein zerstaiibt. Flitssigk. d. mensch.
Haut. Wtirzburg. Dissert., 1886) et Ritter {Zur Frage der Hautresorption. B. klin. Woch.,
1886, no 47) qui ont essayé l'effet des pulvérisations de solutions d'iodure de potassium
et de salicylate de soude continuées pendant une demi-heure admettent qu'il n'y a pas
la moindre résorption cutanée. L'emploi de l'acide salicylique a donné une seule fois
un résultat positif; mais alors, la concentration 4 à o p. 100 était telle qu'il se produisit
des ulcérations qui favorisèrent l'absorption même de sels indilïérents. L'emploi des
onguents, même de la lanoline, ont donné des résultats négatifs à Ritter et à P?eiffer
{Inaug. Dissert. Wtirzburg, 1886). Ces résultats sont très différents, on le voit, de ceux
qu'a obtenus Champouillon (C. R., t. Lxxsn, pp. lOM-1013) qui prétend que la peau
résorbe le fer et le manganèse des eaux minérales. Guinabd et Bouret {Lyon médical,
1891), dans leurs recherches sur la résorption par la peau des substances incorporées
dans la graisse, la vaseline, la lanoline, ont admis que, même après plusieurs heures
d'application, ni l'iodure de potassium, ni la strychnine, ni l'atropine, ni le chlorure
mercurique ne sont absorbés, et cela, pas plus chez l'homme que chez les animaux, tels
que le chien, le bœuf, le lapin, quand on prend la précaution nécessaire pour qu'ils ne
puissent lécher le médicament.
L'absorption d'iode après application de pommade iodurée doit dépendre, d'après
ces auteurs, de la mise en liberté d'iode. Cette mise en liberté aurait lieu surtout dans
les graisses, puis dans la lanoline, enfin dans la vaseline. On a cru, pendant un certain
temps, que la lanoline favorisait la résorption des médicaments par la peau. Celte idée
est abandonnée aujourd'hui (Guttmann. Z.f. klin. Med., t.xn, pp. 274, 289). Des travaux plus
récents, tels que ceux de Schum {Experiment. Beiiriige zur Frage der. Resorpt. v. der menschl.
Haut. Dissert., Wurzburg, 1892) concluent à l'absorption par la peau de l'acide phénique,
de l'acide salicylique, du salol en solutions alcooliques ou aqueuses, tandis que l'iodure
de potassium, le salicylate de soude, le tanin, la résorcine ne seraient pas résorbés.
Les premières comprendraient les substances oxydantes et kératolytiques, les secondes,
les substances réductrices et kératoplastiques. Bourget {Ueber die Résorption der Sali-
cylsâure durch d. Haut. Therap. Monatshefte, Nov. 1893) a employé les pommades à
l'acide salicylique dans le traitement d'affections rhumatismales, et il conclut, des
résultats obtenus et aussi de l'examen des urines, à la résorption du principe actif. Ces
conclusions sont d'ailleurs les suivantes : l'acide salicylique est rapidement et active-
ment résorbé par la peau. La peau des individus jeunes résorbe plus activement que
celle des individus âgés, celle des blonds mieux que celle des individus à cheveux foncés.
Le véhicule employé a une grande influence. Le véhicule le plus favorable est la
graisse ordinaire; avec la vaseline ou la glycérine, la résorption est nulle ou très faible.
26 ABSORPTION.
L'absorption par le tissu cellulaire sous-cutané est journellement démontrée sur
l'homme. On a injecté des quantités considérables de liquides physiologiques, de sang dé-
fibriné et même de substances graisseuses tenant en solution des matières médicamen-
teuses. On a tenté, notamment, de remplacer le liquide perdu par une hémorrhagie au
moyen d'injection sous-cutanée de liquides physiologiques ou de sang déflbriné (Pala-
T>m\. Gazzettamedica, 1883. — Bareggi. Cf. klin.Med., 1884, p. 216. — Arch.p. lesci. medic,
vn, f. l. — V. ZiEMssEN. Arch. f. klin. Med., 188S. — Cantani, Lyon médical, t. xlviii, 1885,
p. 165). Sahli a proposé de faire un lavage de l'organisme dans le cas de fièvre typhoïde
en injectant de grandes quantités d'eau dans le tissu cellulaire sous-cutané, eau qui,
résorbée, s'élimine par les reins [Sammlung Klin. Vortràge de Volkmann, 1889. Therap.
Monatshefte, 1890), en entraînant, espérait-on, les toxines. On a même essayé de nourrir
des malades par la méthode des injections sous-cutanées. Cette méthode, au point de
vue pratique, donne de faibles résultats (Hoffmann. Vorlesungen ilb. allgem. Thérapie.
Leipzig, 1892, p. 189). Pick, dès 1879 (Ernàhrung mittelst subcutaner Injection. D. med.
Wochenschi'ift, no 3) avait répété les expériences de Menzel et Perco, 1869, de Krueg,
1875, Whitïacker, 1876, sur cette question. Il observe l'absorption des huiles, du sang
déflbriné, de divers sels de fer, d'albumine. Mais ce sont surtout, parmi les albumines, la
peptone, le sang déflbriné et le sérum qui sont les mieux absorbés par cette voie. —
EicHHORN {Zur kCmstlichen Ernàhrung durch subcut. Injectionen, Wiener med. Woch.,
1881, pp. 32-33-34) montre que l'albumine, l'huile d'olive, l'huile de foie de morue, l'huile
d'amandes douces, la peptone, le lait, le sucre, le sang déflbriné sont bien supportés et
sont résorbés. Le blanc d'œuf ne le serait pas. G. Daremberg (B. B., 1888, p. 702: Sur
les injections sous-cutanées d'huile chez les cobayes et les lapins) a montré que ces
injections tuent les animaux en produisant une péritonite localisée surtout autour de
la rate (périsplénite graisseuse). Une observation d'un intérêt tout général est celle qui
a été faite par Asher [Ein Beitrag zur Résorption durch die Blutgefâsse,Z.B.,l. xxix, p. 249).
Cet auteur a montré que les capillaires sanguins résorbent certains sels, l'iodure de
sodium par exemple. Le sang cède ensuite ce corps à la lymphe qui finit par en contenir
plus que le sang lui-même. Si l'on admet la diffusion quand il s'agit de résorption, le
fait du contenu plus riche delà lymphe en sel de sodium permet difficilement d'invoquer
la même cause pour ce phénomène. Il faudrait donc admettre la diffusion dans un cas,
non dans l'autre, ce qui est irrationnel. D'ailleurs, le fait que la fibre musculaire qui
baigne dans la lymphe ne contient pas d'iodure sodique, parle aussi contre l'idée d'une
simple diffusion. La résorption continue par les vaisseaux sanguins est donc une
résorption active.
Conjonctive oculaire. — L'absorption par la conjonctive est admise par tous les au-
teurs, et la clinique fournit journellement l'occasion d'expérimenter sur l'homme à ce
sujet (atropine). Cependant Bellarminoff l'a étudiée en détail dans ces derniers temps {Die
colorimetrische Méthode angew. bei der Untersuchung der Resorpt. in dem vorderen Augen-
hammer. C. W., 1892, p. 802). Il s'est servi, à cet effet, de fluorescéine. Le passage de
cette substance dans la chambre antérieure de l'œil d'animaux récemment tués est plus
lent que pour les yeux vivants ; la section du sympathique cervical ou de son ganglion
supérieur diminue le coefficient de résorption. L'excitation du cordon cervical l'active
au contraire. La section du trijumeau, au début, la diminue de 1 fois et demie à 2 fois,
puis, plus tard, l'augmente, pour l'amener en 24 heures à 150 à 250 fois ce qu'elle était
au début. L'excitation réflexe du trijumeau par la nicotine diminue le coefficient de
résorption de 1 fois et demie à 2 fois. La cocaïne en instillations, les processus inflamma-
toires de la cornée avec ramollissement de son tissu, l'enlèvement de la couche épithé-
liale superficielle accélèrent la résorption parla conjonctive oculaire.
Muqueuses de l'appareil digestif. — La résorption par la muqueuse du canal digestif
commence déjà dans la cavité buccale. Les sensations gustatives, à elles seules, le prouvent
{H. H., p. 265). Mais des expériences directes montrent également qu'il en est ainsi.
Un rat trachéotomisé auquel on a lié l'œsophage avec la partie supérieure de la trachée
meurt, quand on place sous la langue un fragment de cyanure de potassium. La
résorption par les parties supérieures du tube digestif est, en tous cas, très lente, mais
elle est réelle. Il suffit d'examiner le contenu de l'estomac immédiatement après la
déglutition pour s'en convaincre. La résorption se fait par l'estomac et l'intestin; le
ABSORPTION. 27
fait est incontestable naturellement; mais cette résorption varie avec les différents
points du tube digestif, et elle n'est pas aussi générale qu'on l'a cru.
Sans parler de la résorption des matières alimentaires, qui sera étudiée ultérieu-
rement, nous passerons en revue les travaux qui ont été exécutés dans ces dernières
années sur cette importante question. Pbntzold et A. Faber {Ueber die Résorption sfahig-
keit d. menschlichen MageyiscIUeimh. u. ihre diagn. Verwerth., Beii. Uin. Wochensch.,
1882, no 21), étudiant la résorption de l'iodure de potassium par la muqueuse gastrique,
trouvent que 3 heures après la digestion, ce sel est résorbé après 6 à 11 minutes, tandis
qu'il est absorbé seulement après 20 à 37 minutes, 22 à 4o minutes immédiatement
après le repas. Dans le gros intestin, suivant les mêmes auteurs, l'iodure commencerait
déjà à être absorbé après 9 minutes. Pour Wolff {Centr. f. Min. Medic, 1882, p. 29), la
résorption commencerait déjà dans l'estomac après 6 minutes. Mais les faits ne se passent
pas ainsi, dans tous les cas, quelle que soit la substance ou le dissolvant. Tappeïner {Ueber
Résorption imMagen,Z.B., t. x\i, pp. i91-D01) a.în\t à ce sujet des expériences très intéres-
santes. Cet auteur injecte, chez des chiens ou des chats à jeun auxquels il a lié le pylore,
des solutions faciles à doser. Voici les résultats obtenus :
S'il injecte dans l'estomac d'un chien ainsi préparé ^ff^73 de sucre de raisin, après
3 heures et demie, il relire de l'estomac ls''63. S'il emploie 0S'',56o de sulfate de soude
après 3 heures et demie il retire encore 0S'',477. Chez le chat, quand on introduit dans
l'estomac 1E"',2o de sucre de raisin, on retire la même quantité après 3 heures, avec une
injection deOB"',670 de taurine, après 3 heures, on retire 06^,394. 13 heures après l'injection
à un chien de 10s'',7 de peptone, on trouve encore 9'^',ë. Le sulfate de strychnine qui tue
un chat en 8 minutes demande dans les conditions qui précèdent 1 h. et demie à 3 heures
pour agir. Il en est tout autrement, si l'on remplace les solutions aqueuses par des
solutions alcooliques ; la strychnine, par exemple, dissoute dans S ce. d'alcool à 9'6° et
IScc. d'eau agirait en 10 minutes. Les résultats obtenus avec une solution légèrement
alcoolisée de chloral sont identiques à ceux que l'on obtiendrait sur un animal à pylore
non lié, tandis qu'une solution aqueuse de même concentration n'agirait pas sur un
animal à pylore lié. Les résultats obtenus par von Anrep {Die Aufsaugung im Magen des
Hundes. A.D6., 1881, pp. o04-5l4) sont différents des précédents. Il est bon d'ajouter que le
manuel opératoire est différent. Dans les expériences de ce dernier auteur le pylore n'est
pas lié ; mais on le ferme au moyen d'un ballon que l'on introduit dans le duodénum
par une fistule gastrique, et que l'on gonfle après son introduction. — Voici les résul-
tats obtenus par Anrep. Diverses solutions, de sucre de raisin ont perdu 36 p. 100,
S4 p. 100, 61, 1 p. 100,78 p. 100 en 1 heure et demie à 2 heures. S'agit-il dans ce cas, se
demande l'auteur, d'une simple osmose? Mais alors on devrait retrouver une quantité
déterminée d'eau dans l'estomac, et il n'en est rien ; pour 1 gramme de sucre on trouve dans
l'estomac 53, 42, 11,17 ce. d'eau, c'est-à-dire des quantités fort variables. La syntonine,
les peptones disparaissent du contenu de l'estomac dans la proportion de 23,3 à 33,9,
p. 100. — Segall {Versuche ùber die Résorption d. Zuckers im Magen. C. W., 1889, p. 610)
pense que la résorption de sucre par l'estomac a lieu, mais qu'elle est plus active pour
les solutions alcooliques que pour les solutious aqueuses. Cette question de la résorption
du sucre par les parois de l'estomac a d'ailleurs été l'objet de nombreux travaux. Déjà,
en 1884, Smithhead {Die Résorption des Zuckers u. des Eiiveisses im Magen. A. Db., 1884,
p. 481) a démontré que chez des grenouilles à pylore lié la résorption du sucre à l'état
solide est, au début, plus rapide que pour les solutions et, pour ces dernières, que la
résorption est en raison du degré de concentration! Elle est, à 9 p. 100 près, terminée
dans les 24 heures. V. Mering {Ueber die Function des Magens. Therap. Monatshefte,
mai 1893) a repris en détail cette question de la résorption par les parois de l'estomac.
■ — A la suite de l'observation clinique qui nous apprend que les individus atteints de
dilatation d'estomac souffrent de soif, de constipation, d'oligurie et aussi à la suite de
ce fait d'observation que les estomacs dilatés gardent longtemps les liquides ingérés,
l'auteur s'est demandé s'il y a résorption dans l'estomac, et dans l'affirmative, ce qui est
résorbé. Sur un grand nombre de chiens, il pratique la section du duodénum au-dessous
du pylore. Les deux ouvertures de l'intestin sont alors suturées à la peau de façon à con-
stituer deux ouvertures qui conduisent, l'une dans l'intestin grêle, l'autre vers le pjdore.
On fait boire à ces animaux une assez grande quantité d'eau; déjà, pendant qu'ils
28 ABSORPTION.
boivent, l'eau s'écoule par saccades, et, si l'on met le doigt dans l'ouverture pylorique,
on sent très nettement qu'il s'ouvre et se ferme rylhmiquemenl deux à dix fois à la
minute. Chaque fois il sort une quantité d'eau correspondant à 2 à 13 centimètres
cubes.
L'alcool se comporte tout différemment de l'eau ; on introduit par exemple, au moj'en
de la sonde, dans l'estomac d'un gros chien opéré comme il est dit plus haut,
300 ce. d'une solution d'alcool à 23 p. 100. 11 s'écoule, en tout, par la fistule duodénale,
496 ce. de liquide contenant en totalité 28 ce. d'alcool. C'est-à-dire que 47 ce. d'alcool
ont été résorbés. Il faut remarquer que la quantité d'eau éliminée est de 468 ce, alors
que seulement 223 ce. ont été administrés. Ce résultat, confirmé plusieurs fois, montre
que la résorption de l'alcool s'accompagne d'une forte excrétion d'eau. Le sucre, suivant
VON Mehing, serait également résorbé par l'estomac. Dans une expérience faite au moyen
du sucre en solution, les chiffres obtenus ont été les suivants : SurlOO grammes de sucre,
20 sont résorbés dans l'estomac, 350 ce. d'eau sont introduits et 337 sortent. Avec les
peptones, 300 ce. d'une solution à 20 p. 100 donnent 473 ce. de liquide sorti par 1
fistule, liquide contenant 12 p. 100 de peptones, c'est-à-dire que 3 grammes seulement
sont absorbés. 7 grammes sur 30 de chlorure sodique sont également absorbés dans
l'estomac. La résorption par l'estomac, dans tous ces cas, fait penser à la diffusion, contrai-
rement à la résorption dans l'intestin grêle. Ces résultats concordent partiellement
avec ceux de Hirsch(C. f. Min. Med., 1892, p. 18). La résorption des sels par festomac est
encore admise par Janowsky (Z. B., t. xix, pp. 397-443. Versuche ïibcr die Résorption derMittel-
salze im menschl. Magen). Zweifel (lleher Resorptionsverhâlt. der menscM. Magenschleim-
haut zu diagnost. Zwecken u. im Fieber. D. Arch. f. klin. Medic, t. xxxix. p. 349) admet aussi la
résorption d'iodure de potassium, plus rapide quand l'estomac est vide que lorsqu'il est
rempli. C'estaussiune opinion semblable queprofesseKuEHL(Z.B., t. xxni, pp. 460-479. Kiin-
nen von der Schleimhaut des Magens auch Bromide u. lodide zerlegt werden). Klempeber et
ScHEUERLEN (Das Verhalten des Fettes im Magen. Zeitsch . f. Med. , p. 370, t. sv) ont pratiqué aussi
des expériences sur des chiens à pylore lié; 70 p. 100 du sucre de raisin introduit dans
ces conditions sont résorbés, tandis que la graisse ne l'est nullement. Il faut, dès
maintenant, faire remarquer que les expérimentateurs, qui admettent cependant la ré-
sorption d'une substance, ne sont nullement d'accord sur la façon dont cette résorption
se fait. Ainsi Hofmeister {Das Verhalten des Pe-ptons im Mugenschleimhaut, Z. P. C, t. vi,
pp. 69-74) pense que la peptone traverse l'estomac autrement que ne le ferait un liquide
traversant une membrane en vertu de la diffusion, ce qui est différent de la manière de
voir de von Mering (Voir plus haut).
La résorption par la muqueuse de l'intestin a été l'objet de travaux innombrables.
C'est surtout dans la moitié supérieure de l'intestin grêle que se fait l'absorption
(Lépine et L.vNNOis.iJ. B.,1882), à cause des replis transversaux (valvules conniventes) et
du nombre considérable de villosités qui les tapissent. Toutefois, pour la résorp-
tion de l'eau par l'intestin, quand on a aboli les mouvements péristaltiques par la mor-
phine ou l'atropine, le gros intestin agirait plus activement. L'intestin grêle, dans la par-
tie antérieure, résorberait beaucoup moins, l'estomac n'absorberait presque plus, comme
dans les expériences de von Mering (Edkins. The absorption of water in the alimentary
canal. J. P. t. v, 3, p. 333). La résorption des sels par l'intestin est aussi incontestable.
Lehmann [Notiz ûber die Résorption einiger Salze aus dem Darm.. A. Pf., t. xxxiii, p. 188), en
opérant sur des lapins, des chiens et des chats en pleine digestion, démontre que des
sels, tels que l'iodure de potassium et le sulfocyanure d'ammonium, sont résorbés par
une anse intestinale fermée et extraite de la cavité abdominale, anse dont on entretient
les fonctions par un courant d'eau chaude. Cette résorption se ferait également par les
vaisseaux sanguins et les lymphatiques, comme le prouve l'examen du contenu des uns
et des autres. Leubuscher [Versuche ûber die Résorption im Darmcanal. Chem. Cenlrahl.,
t. XVI, p. 737) conclut de ses recherches que la résorption par rintestiu augmente en même
temps que la pression, jusqu'à 100 millimètres d'eau ; elle diminue avec des pressions
supérieures à ce chiffre. Une solution de chlorure sodique de 0,23 à 50 p. 100 est plus
rapidement résorbée, toutes choses égales, que de l'eau pure. Les solutions de sels
sodiques seraient, selon le même auteur, plus résorbables que les solutions de sels potas-
siques, bien que la diffusibilité de ceux-ci soit plus grande. La résorption serait enfin plus
ABSORPTION. 29
rapide pendant la digestion, peut-être à cause de .la dilatation plus grande des vais-
seaux. Suivant Gumilewski {Ueber Résorption ini Dimndarm. A. PI"., t. xsxix, p. 536), si l'on
remplit, sous même pression, une anse intestinale 2 ou 3 fois de suite, on remarque que
la résorption augmente chaque fois. Il y aurait, en même temps que résorption, sécré-
tion par les parois intestinales. Comme Leubuscher, l'auteur précédent admet que la
résorption de l'eau augmente quand on y ajoute 2o p. 100 de chlorure sodique; avec
0,6 p. 100 de sel marin il y a plus de sel résorbé, que d'eau. La sécrétion augmente
avec la quantité de sel; avec 10 p. 100 de sel marin, la sécrétion dépassant notable-
ment la résorption, le contenu intestinal augmente au lieu de diminuer. Une solution
à 0,123 p. 100 de sulfate sodique est résorbée presque aussi vite que de l'eau. La quan-
tité absolue de sel de Gl.^-UBER résorbée croît avec la concentration de la solution. Le
gros intestin lui-même résorbe les sels, ainsi que le prouvent les expériences de
Backiewicz [Pamietnik. Warsz Tow._ Leh. vol. lxsxviii, t. i, p. H2). Heidenhain, dans un
tout récent travail (Arch. f. die ges. Physiologie, t. lvi, 1894. Neite Versuche iibe'- die
Aufsaugung im Dunndarm), étudie à nouveau cette question de la résorption des sels par
l'intestin, en se servant de l'appareil de Beoem-^nn, employé la première fois par Dreser
{Arch. f. exp. Pathol. u. Pharmuk., t. xxix), dans un but physiologique. L'appareil sert
à déterminer la valeur de A qui représente l'abaissement du point de coagulation
d'une solution. Cette valeur varie avec le degré de concentration. Il résulte des recher-
ches faites par Heidenh.\in que la résorption de solutions salines se fait, partiellement
du moins, contrairement aux lois de l'osmose et de la diffusion. Le seul fait de la
résorption des sels du sérum de l'animal en expérience par l'intestin suffit pour mon-
trer qu'il intervient quelque chose d'autre que les lois physiques de l'osmose et de la
diffusion, au moins telles que nous les connaissons actuellement. Évidemment, pour
l'absorption d'une partie des solutions salines employées, il faut admettre que les forces
physiques jouent un rôle.
Avec des solutions de chlorure sodique les résultats sont les suivants :
1° Lorsque la concentration des solutions introduites dans l'intestin augmente (voir
Manuel opératoire dans le [mémoire original de Heidenh.\in), les quantités absolues et re-
latives d'eau résorbée diminuent.
2° Avec des degrés de concentrations qui augmentent, la quantité absolue de sel
résorbée (S) augmente, tandis que la quantité relative (S') diminue. Les rapports entre
les quantités de sel et d'eau résorbées varient de la manière suivante : la quantité rela-
tive d'eau résorbée diminue plus rapidement que la quantité de sel.
Le fluorure sodique ajouté à une solution de chlorure fait baisser le chiffre de l'eau
résorbée plus fortement que celui du sel. L'iodure de potassium en lavements ou en sup-
positoires est rapidement absorbé, et cette résorption «st moins active dans le cas de trou-
bles circulatoires. L'absorption des gaz, déjà connue de Nysten, et bien établie par
Cl. Bernard en 1836, par des expériences classiques sur l'intluence de l'introduction
d'hydrogène sulfuré dans le rectum, a été fréquemment confirmée chez l'homme pendant
ces dernières années, lorsque Bergeron a préconisé le traitement de la tuberculose pul-
monaire par les lavements gazeux. Cette résorption peut être assez active dans certains
cas pour produire la mort des animaux en expériences, contrairement à l'hypothèse de
Cl. Bernard (Peyron. Bull. Biologie, 1886, p. 51o). Lauder-Brunton (Ueber Absorption
der Gase in Darmkanal und Uber die Wirkung der Carminative. Rer. d. d. chem. Ges. t. xxi).
divise les gaz en deux groupes; ceux qui sont difficilement solubles dans l'eau (H, CH*)
qui sont difficilement absorbés, et ceux, comme CO- et H-S, facilement solubles et
absorbables. Il faudrait de nouvelles recherches pour établir l'action des différentes par-
ties de l'intestin sur cette résorption gazeuse, parfois fort peu active.
La résorption des peptones par le tube digestif a été, elle aussi, l'objet de nom-
breuses recherches, parce que, en effet, on ne trouve dans le sang, même en pleine diges-
tion, que des traces insignifiantes de ce corps quand on en trouve, ce qui n'arrive pas
toujours. Mas Wassermann n'en a pas trouvé dans le sang de la veine-porte pris en pleine
digestion (B. B., p. 1883, 170) contrairement à l'opinion émise par Drosdoff(Z. P. C.,1877).
ScHMiDT MuELHEiM n'en a d'ailleurs rencontré ni dans le canal thoracique, ni dans le
liquide transsudé dans la cavité péritonéale à la suite de la ligature du canal thoracique.
Les peptones se rencontrent cependant dans le sang, comme le prouve le tableau suivant
30
ABSORPTION.
emprunté à F. Hofmeister {Zw Lehre voni Pepton. Die Verbreitung des Peptons im Thier-
Urper. Z. P. C, t. si, pp. 31-6S).
Contenu 0/0 en peptones des différents organes.
TEMPS ÉCODLB
INTESTIN
GROS
depuis le dernier repas.
SANG.
ESTOMAC.
RATE.
PANCREAS.
(en heures.)
grêle.
intestin.
2
0,0.34
Traces.
0,070
0
0
0
A
0
0,130
0,092
0,070
0
0
6
0,029
0,0.50
0,.302
0,032
0
0
7
0,05b
0,109
0,432
0
0
0
9
0,048
0,257
0,139
0,055
0
0
12
0,037
0,068
0,091
0,052
0
0
15
0,026
0,200
0,100
0,085
0,295
0,338
120
0
0,016
0,032
0
0
0
La quantité de peptones du sang est bien inférieure à celle que l'on trouve dans l'es-
tomac et l'intestin. Encore que le calcul, ainsi établi, ne se prête pas très bien à des
comparaisons, le fait d'une quantité de peptones plus grande dans la cavité digestive que
dans le sang est cependant évident. D'autres expériences le prouvent d'ailleurs. Neumeister
{Ueber die Einfûhrung der Albumosen und Peptone in dem Organismus, Z.B., t. xsv, p. 877)
trouve que le sang du lapin ne contient pas trace de peptones après introduction de
peptone et d'albumose dans l'intestin, pas plus que la lymphe; confirmant en cela les
données de Schmidt-Muelheim. Hofmeister {Vntersuchungen iibei- Résorption u. Assimilation
der Ndhrstoffe, Arch. f. exper. Paihol. u. Pharmak. 133., t. xxs, pp. 29!, 303) admet qu'une
partie des peptones passe dans la circulation générale par absorption dans les vaisseaux
sanguins exclusivement. Tous ces faits prouvent qu'une partie de la peptone disparait
dans l'épaisseur même delà muqueuse intestinale, comme elle disparaît dans l'épaisseur
de la muqueuse gastrique (Hofmeister. Loc. cit.). Des expériences directes de Neumeister
le prouvent d'ailleurs : si l'on ajoute à de l'intestin frais du sang peptonisé, une grande
quantité disparaît, sans qu'on puisse la retrouver dans les fragments de tube digestif. Il
en est de même quand on se sert d'albumose; il y aurait seulement, dans ce cas, trans-
formation préalable en peptone. Tous les intestins d'animaux examinés et le foie de
lapin (non celui du chien) jouiraient de la même propriété. Les reins, les muscles, le
sang ne la posséderaient pas. Cette action de la paroi intestinale est admise par Salvioli
(A. 06, 1880. Supplément, p. 212). La transformation des peptones se ferait vraisembla-
blement sous l'intluence des leucocytes de l'appareil lymphatique intestinal. Il y a
augmentation considérable de ces leucocytes dans le tractus pendant la digestion
(RoHMANN. Ueber Résorption u. Assimilation von Ndhrstoffen. A. fur exper. Path. u.
Pharmak., t. xxii,p. 306), Cette augmentation s'observe surtout dans le tissu qui réunit les
glandes gastriques, les glandes de Liberkûhn et les follicules clos qui renferment beau-
coup plus de cellules pendant la digestion que pendant l'inanition. La présence de
noyaux en voie de division prouve qu'une partie des cellules est formée sur place, vrai-
semblablement sous l'influence d'une excitation provoquée par tes produits de la diges-
tion. Il faut citer ici l'opinion de G. Fano [Sperimentale, sett., ott'., 1882) qui prétend
avoir découvert une nouvelle fonction des globules rouges, grâce à laquelle ils résor-
beraient les peptones et les céderaient peu à peu aux tissus, jouant vis-à-vis de
ceux-ci le rôle d'élément de réserre alimentaire (?), quelque chose d'analogue au rôle
que ces éléments exercent à l'égard de l'oxygène dans la respiration. La résorption des
peptones a3'ant cependant lieu en partie, c'est-à-dire une partie passant à l'état de pep-
tone dans le sang, suivant Hofmeister (loc. cit.), l'auteur s'est demandé par quelle voie se
faisait cette résorption. Il conclut de ses recherches, qu'à côté du transport par les
leucocytes, il y a une résorption directe qui se fait uniquement par les vaisseaux san-
guins (opinion de Schuidt-Muelheim).
ABSORPTION. 31
L'absorption des graisses par l'inlestin a été l'objet de travaux plus considérables
encore que celle des substances qui précèdent. On a, en effet, cherché par de nom-
breuses expériences à déterminer sous quelle forme la graisse était absorbée, et aussi
comment elle pénétrait dans la circulation générale. Perowoznikoff (cité par AVill. A. Pf.,
pp. 2oo, 262) a prétendu que les graisses sont d'abord détruites dans l'intestin, puis recon-
stituées dans l'épithélium intestinal. Will. {loc. cit), expérimentant sur des grenouilles
auxquelles il injectait dans l'intestin soit de l'huile d'olive, soit de l'acide palmitique et
un peu de glycérine, soit un palinitate alcalin et de la glycérine, a observé que l'absorp-
tion était nulle avec l'huile d'ohve seule, tandis que les autres substances donnaient un
résultat positif. L'hypothèse de Perowoznikoff se trouvait donc confirmée, dans ce cas.
EwALD ( Uebei' Fetthildunq durch die ùberlebende Darmschleimhaut. Arch. f. Anat. u. Physiol.,
1883, p. 302, 311), a aussi démontré la formation de graisse neutre par la muqueuse intes-
tinale vivante au moyen de savons de glycérine. Munck [Ueber die Résorption der Fettsàure
und ihre Venuerlhung im Organismus 1879, p. 371, 374) nourrit un chien dont l'équilibre
nutritif est établi pour la graisse et les matières azotées, en remplaçant la graisse par
une quantité correspondante d'acides gras. L'animal reste en équilibre ; les acides gras
s'émulsionnent, d'ailleurs, exactement comme les graisses avec les cai'bonates alcalins.
Dans le chyle d'animaux nourris avec des acides gras, on trouverait des traces d'acides
libres et beaucoup de graisses neutres. — Walther {Zur Lehre von der Fettresorplion
A.Db., 1889, p.b29), confirme les résultats obtenus par Munck. Il est certain, dit-il, que
les acides gras se transforment déjà en glycérides (graisses neutres) dans l'intestin. Alors
même que l'on n'a pas donné des graisses neutres dans la nourriture, si l'on tue un
animal 8 à 10 heures après un repas avec acides gras, on trouve d'abondantes goutte-
lettes de graisses neutres dans l'intestin, plus ou moins d'acides gras libres et assez
peu de savons. La quantité de graisse que l'on retrouve dans l'estomac et l'intestin,
plus celle qui s'est écoulée par une fistule du canal Ihoracique, est bien inférieure à
celle qui a été donnée en nourriture. Une partie des acides gras doit donc avoir suivi
un autre chemin : lequel? On l'ignore. Le chyle et l'intestin sont dans les expériences de
Walther plus riches en lécithine que normalement. Dans un travail ultérieur {Ueber die
Synthèse der Fettsàure im thierischen Organismus. Wratch n°^ 12, 14, 15, 1890.6'. P., t. iv, p.
19, 590-392), il revient encore sur l'hypothèse que les acides gras subissent dans l'intestin
une modification encore inconnue qui a peut-être un certain rapport avec la lécithine.
— Il était très important, pensait-on, de déterminer si les graisses se transforment en
savons solubles; la muqueuse intestinale imprégnée d'eau est, en effet, évidemment peu
favorable à la' pénétration des graisses. 0. Minkowski {Zur Lehre von der Fettresorption.
Berl. kl. Woc/iensc/tnf<, 1889, p. 13) conclut des recherches à' Abeluann {Ueber die Ausnùtzung
der Nahrungsstoffe nach Pankreasextirp. besonderer Berucksicht. m. der Lehre von Fettre-
sorption. Dissert. Dorpat, 1889), que, à l'état normal, les graisses ne sont pas résorbées
sous forme de savons, car la décomposition en acide se faisant dans l'intestin, c'est-à-
dire en milieu alcalin, les conditions étant éminemment favorables à leur formation, on
devrait certainement en rencontrer. D'autre part, penser qu'une partie seule est sapo-
nifiée, et que le savon dissous émulsionne le reste de la graisse pour en favoriser la
résorption, ce n'est pas non plus vraisemblable. Les conditions sont réalisées dans les
expériences d'AsELMANN, sur des animaux à pancréas enlevé et cependant les graisses
ne s'absorbent pas. Ce fait est, soit dit en passant, de nature à montrer l'obscurité qui
plane sur cette question, encore à l'heure actuelle. En effet le pancréas, qui favorise la
résorption des graisses et des acides gras, agit, pourrait-on dire, en influençant d'une
manière particulière les cellules de la muqueuse intestinale; mais Abelmann a démontré
que la graisse du lait est absorbée d'une manière relativement facile, même chez les
chiens à pancréas extirpé. Il n'est pas d'ailleurs nécessaire d'invoquer pour l'absorption
des graisses, plus que pour celle des peptones, les lois simples de la filtration ou de la
diffusion; on sait aujourd'hui positivement que le phénomène est d'un tout autre ordre;
aussi ne reviendrons-nous pas sur l'importance plus ou moins grande que le suc pan-
créatique ou la bile peuvent exercer sur le passage des graisses à travers les membranes.
Nous continuerons, pour le moment, à constater la réalité de l'absorption de la graisse,
sa rapidité et nous aborderons ensuite l'étude do l'influence exercée sur elle par la bile
ouïe suc pancréatique. Chez un homme porteur d'une fistule lymphatique, Munck et Ro-
32 ABSORPTION.
sENSTEiN {Weiteres ziir Lehre von der Spaltung und Résorption der Fette. A. Db., 1889, p. 481)
ont observé que iS p. 100 de la quantité de blanc de baleine, administré à cet homme, se
retrouvaient après 13 heures dans la lymphe, mais sous forme de palmitine. Il y a donc
eu dédoublement probable en alcool cétylique et acide palmitique, transformé, ensuite,
en palmitine. L'oléate amylique passe dans le chyle à l'état d'oléine. La rapidité et l'im-
portance de la résorption des graisses varient d'ailleurs avec le point de fusion de celles-ci.
LnûwiG Arnschinck {Versuche ùber die Résorption verschiedener Fette in dem Darmkanal,
Z. B., t. XXVI, pp. 434-431. 'Inaiigur. Dissert. Milnchen, Zurich, 1890) a classé les graisses au
point de vue de la quantité résorbée comme suit : les graisses dont le point de fusion est
inférieur à la température du corps (graisses de porc, d'oie, huile d'olives), étaient
résorbées à 2 à 3 p. 100 près par l'intestin; les graisses dont le point de fusion est un peu
supérieur (graisses de mouton et mélange de graisse liquide et stéarine) laissent une
perte de 7 à 11 p. 100; cette perte est de 86 à 91 p. 100, pour celles dont le point de
fusion est plus élevé encore. Les substances grasses qui apparaissent alors dans les selles
sont constituées; pour les graisses de porc, d'oie, de mouton, de 2 tiers à 3 quarts d'acides
graslibres et de savon; pour la stéarine, de 9 dixièmes comme telle, de 1 vingtième à 1 qua-
torzième comme savon. Quand à la rapidité de la résorption, J. F. Munck et A. Rose.nstein
{Ueber Darmresoi'ption nach Beobachtitngen an einer lymph. Fistelbeim Menschen. A. D6.,1889,
p. 376) ont trouvé, en recueillant la lymphe qui s'écoulait par une fistule, lymphe qui
contenait oo à 60 p. 100 de la graisse absorbée, que, pour les graisses solides (suif de
mouton), le maximum de résorption se produit vers la 7'-' ou 8° heure, mais pour les
liquides déjà à la '6'^" heure. La graisse du chyle, pour la couleur, la consistance, le
point de fusion, correspondait à la graisse incorporée. En donnant de l'acide érucique le
même auteur a trouvé dans le chyle des graisses correspondantes à l'érucine. Il y a
donc, pour la graisse, des transformations dans l'intestin et dans la paroi, qui peuvent être
rapprochées de celles que subissent les albumines. L'absorption des graisses, pour cer-
tains auteurs, serait très lente et se continuerait régulièrement pendant très longtemps.
(Z.\wiLSKi, Arbeiten mis der physiol.' Anstalt zu Leipzig, t. xi, p. 147, 1876. Voir aussi H. H.,
pp. 290 et suivantes), et, plus récemment, FRXfiCK{DieResorptiond.Fettesàuren der Nahrungs-
fette mit Vmgehung des Brustganges Arch. f. Physiol., 1892-492. — Forlschritt. d. Medic,
1893, p. 3o6, n° 9;, expérimentant surtout au moven des acides gras, trouve que, même dans
les cas où il y a peu de nourriture dans l'estomac, il faut à celui-ci presque 24 heures
pour se débarrasser des acides gras. Celte évacuation se fait régulièrement pendant la
digestion de sorte que 4 p. 100 des acides gras abandonnent en moyenne chaque heure
l'estomac. La quantité trouvée dans l'intestin grêle est constamment en moyenne b,34
p. 100 de laquantité absorbée. Chaque portion de graisse séjourne en moyenne une heure
dans l'intestin grêle.
La bile et le suc pancréatique exercent une grande influence sur l'absorption des
graisses. Ce que nous savons du rôle du suc pancréatique dans la digestion nous permet
de concevoir cette importance en ce qui concerne ce liquide. Mais déjà depuis longtemps
le rôle de la bile a été considéré comme très important (Voir pour la bibliographie ancienne
H. H., pp. 290 etsuivantes). Quand on interrompt le cours de la bile dans l'intestin (Muel-
LER, Ueber Fettresorplion, 1886, p. 484), la résorption des graisses se modifie, en ce sens que
les acides gras des selles ont un point de fusion moins élevé. Mdnck {Ueber die Résorp-
tion von Fetten an festenFettesdurennach AiisschlussderGalleamDarmkanul, Virchow's Arch.
t. cxxii, p. 302) dit que les recherches de Bidder et ScHami, deVoir {Ueber die Bedeutung der
Galle fur die Aufnahme der Nahrungsto/fe im Darmkanal, A. P/'.,t.xxxis, deRoBMANN(iJeo6ac/r
tungenauHundenmit Gallenfistel,A.Pf., t. xxix, p. o09, o36) de MvELi,ER{Untersuchungenùb.
Icterus,Z.f..K.lin Medic, t.xn,pp. 43, 113) ont établi que les animaux à fistule biliaire ou les
individus ictériques ne résorbent que 30 à 60 p. 100 des graisses qu'ils résorbent normale-
ment, de plus, que 7 huitièmes à 9 dixièmes se retrouvent dans les matières fécales sous
forme d'acides gras. Dans les recherches que cet auteur a entreprises avec de la graisse
de- porc à la dose de 3e''5 par kilogramme d'animal, 67 p. 100 étaient cependant
résorbés, malgré l'absence de bile. Les acides gras étaient mieux assimilés encore (6 p. 100
en plus). Comme les acides gras sont mieux résorbés que les graisses, et que, dans le cas
d'administration de ces dernières, on trouve cependant des acides gras dans les selles, il
faut admettre, avec Nencke, que les graisses neutres, en l'absence de bile, se dédoublent
ABSORPTION. 33
moins, ou moins vite, sous l'influence du suc pancréatique; peut-être même une partie
ne se dédouble-t-elle que dans le gros intestin, c'est-à-dire en un point où la résorption
des graisses est réduite à un minimum. Dastre (B. B., t887, pp. 782, 787) a, par une expé-
rience très élégante, montré que la bile a une grande importance pour l'absorption des
graisses. Cl. Bernabd avait depuis longtemps déjà établi que, chez le lapin, après injec-
tion de graisse dans l'estomac, on ne voit apparaître la graisse dans les vaisseaux
cliylifères que beaucoup en dessous de l'ouverture du canal hépatique au point où se
déverse le suc pancréatique. Dastre, en faisant déboucherie conduit biliaire beaucoup en
dessous du canal pancréatique et en montrant que l'injection des lymphatiques appa-
raissait seulement en ce point, a prouvé l'importance de la bile pour l'absorption des
graisses. Dastre {Étude de la digestion des graisses, Arch. de physiologie, 1892, p. 186.
Recherches sur l'utilisation des aliments gras. Ibid., p. 711) a ci"u pouvoir établir de
recherches faites sur des chiens à fistule biliaire, que la bile est plus active que le suc
pancréatique pour la résorption des graisses. Mais on peut faire aux expériences de
ce savant certaines objections qui diminuent leur portée. C'est ainsi que les graisses
n'ont pas été dosées dans le lait avant les expériences. Nous avons parlé plus haut du
rôle du pancréas d'après les expériences d'AsELMANN.
La recherche de la voie par laquelle les graisses pénètrent dans l'intérieur même des
tissus a donné lieu à de nombreux travaux dont les conclusions ne concordent pas tou-
jours. La plus grande partie des graisses se retrouve, il est vrai, dans les vaisseaux lym-
phatiques; mais ce n'est pas une raison suffisante pour admettre que ce sont là les
seules voies suivies par ces substances. Déjà Zawilsky en 1876 {lac. cit.) a admis la
pénétration des graisses par une autre voie que les chylifères ; Walther ( A. Db., 1889,
p. 329) dit, ainsi que nous le rappelions plus haut, qu'une partie de la graisse doit avoir
pris une autre voie que les chylifères, pour pénétrer dans l'organisme, puisque la quan-
tité de graisse recueillie par une fistule du canal thoracique additionnée de celle que
l'on retrouve dans l'estomac et l'intestin est inférieure à celle de la nourriture. Franck
(A. Db., 1892) dit, comme Zawilsky, que la totalité des graisses n'est pas résorbée par les
lymphatiques et, selon lui, le déficit serait supérieur à celui admis par Zawilsky.. Quand
on lie le canal thoracique, dit-il, et qu'on nourrit l'animal avec beaucoup d'acides
gras, la plus grande partie est cependant résorbée ('?). Comment se fait la pénétration
de la graisse dans les lymphatiques ou dans les vaisseaux sanguins? Vraisembla-
blement par les cellules cylindriques des villosités de l'intestin, cellules cylindriques
dont le plateau strié ne serait pas constitué par du protoplasma traversé par des canaux,
mais bien par de fins prolongements protoplasmiques qui se détachent sur un rebord
cellulaire entourant la base de la cellule (Th^nhoffek, 1876, cité par Landois. T. P., § 191),
ces prolongements saisiraient les globules graisseux qui progresseraient dans l'inté-
rieur, et seraient déversés dans les espaces lymphatiques limités par les prolongements
de la cellule, et les éléments du tissu sous-jacent avec lesquels ils s'anastomosent. Dans
ces espaces se trouvent des leucocytes (Landois) qui peuvent absorber une partie de
la graisse et l'entraîner ainsi dans la circulation lymphatique ou sanguine. Suivant cer-
tains auteurs, Schafer, Zawarykin [A.Pf., t.xssi,pp.231-240, t.xxxv, p. Uo.j.Wiedersheim,
Stôhr, etc., les cellules mobiles iraient se charger de granulations graisseuses en péné-
trant jusqu'entre les cellules cylindriques, puis retourneraient vers le centre de la
villosité où se trouve le chylifère central. Cependant Wiener Otto [A. Pf., t. xxxiii,
fasc. 12) conclut de ses recherches que, seules, les cellules cylindriques épithéliales
jouent un rôle actif dans la résorption des graisses. Cette manière de voir doit être
considérée comme trop absolue. Klug (Beitrdge zur Kenntniss der Verdauung der Vôgel,
insbesondere der Ganse. Ber. d.u internat-ornithol. Cong. Buda Pesth) a constaté des délabre-
ments considérables de la partie antérieure de l'intestin grêle; tels que la disparition
complète de l'épithélium cylindrique chez les animaux suralimentés, et cependant la
résorption de la graisse a lieu. Klug admet, comme Hofmeister, que les leucocytes (très
nombreux dans la paroi et les follicules de l'intestin) jouent un grand rôle dans l'ab-
sorption des granulations graisseuses (Voir également. J. Pohl. IJeber Resorptionund Assi-
milation der Ncihrstoffe.Arch.f. exp. Pathol. u. Pharmak, t. xxv, pp. 31-50). Sehrwald, Zur
Résorption im Darme (Thuringer Correspond, blatt, 88-406) a réussi à empêcher, dit-il, la
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 3
U ABSORPTION.
réplétion des cellules épithéliales de l'intestin de la grenouille par la graisse, en don-
nant une solution saturée de quinine avant introduction de l'huile d'olive. Il faut rap-
peler que Perowoznikoff (voir plus haut) admet que l'huile d'olive seule n'est pas résor-
bée par l'intestin de grenouilles. Cassaet (De l'absorption des corps solides. Arch. de méd.
expër.,t. X, p. 270) dit que, partout où il y a absorption d'éléments solides, cette absorption
a lieu par la phagocytose, sauf toutefois dans l'intestin grêle, où il n'a pu, dit-il, trouver
de motif pour admettre que l'absorption des graisses se fasse ainsi. L'absorption de
la graisse par les cellules de l'intestin paraît donc démontrée; il faut cependant se
demander comment la graisse seule est ainsi absorbée (Greenwood. On retructile Cilia in
the intestine of lumbricus terrestris. J. P., t. xiii, p. 239) et comment d'autres liquides ou
solides ne suivent pas la même voie. Les hydrates de carbone sont également absorbés
dans l'intestin et cette résorption serait assez lente. Le sucre de l'intestin est absorbé
surtout par la veine-porte. Rôhmann (Ueber Sécrétion u. Résorption im Dùnndarm, A.
Vf. t. xLi, pp. 411-462), expérimentant sur des chiens à fistules intestinales plus ou moins.
élevées, arrive aux conclusions suivantes :
1" Dans l'intestin grêle, sous l'influence d'un ferment diastatique, des quantités nota-
bles d'amidon sont facilement résorbées, et cela en plus grande quantité dans la partie
supérieure que dans la partie inférieure ;
2° Il en serait de même pour le sucre de canne (résorption), Pour le sucre de raisin
le pouvoir de résorption doit être le même partout, ou peu s'en faut;
3° La résorption de la peptone serait plus lente que celle du sucre, un peu plus
rapide dans la partie supérieure ;
4° Les différentes solutions (sucre, peptones) excitent en même temps la sécrétion
par les parois du tube digestif, mais celle-ci est toujours moins active que la résorption.
(V. Mering. Arch. f. Anat. u. Physiol. 1877, 394. Voir aussi: T. P., Landois, Fhedericq,
et H. H.) L'intestin résorbe encore des sels de chaux (Léopold Perl. Ueber Résorption der
Kalkscdze. Virchow's Archiv., t. lxxiv, p. 54. — Forster. Arch. f.Hygiene, t. n, p. 383), les
sels de fers (Hamburger. Ueber d. Auf. des Eisens.Z. P. C., t. iir, p. 191, t. iv, p. 248). — Voir
aussi Nothnagel et Rossbacu. ÉUim. Thérapeutique. Paris, 1889. Enfin l'intestin absorberait
des produits de fermentation susceptibles de produire des troubles graves dans l'orga-
nisme (Bouchard. Les Auto-intoxications. Savy, Paris, 1887).
Certaines substances ne sont pas absorbées par la muqueuse gastro-intestinale, comme
le virus rabique, le poison de la vipère. D'autres, le curare, notamment, le sont fort
peu. Toutefois, on peut empoisonner un animal en administrant cette substance par la
voie gastrique si l'on prend soin de retarder l'élimination de façon à permettre l'accu-
mulation, dans le sang, d'une quantité toxique (Cl. Bernard. Revue Scientifique, 188S).
L'absorption des graisses par les cellules épithéliales de l'intestin grêle, telle que
nous l'avons vue jusqu'à présent, doit nous faire admettre, tout au moins théorique-
ment, la résorption possible de certaines substances solides, susceptibles d'irriter les fila-
ments protoplasmatiques des cellules à plateaux striés. Tomasini (Sur l'absorption intes-
tinale des substances insolubles. Arch. italiennes de Biologie, t. xix, fasc. 1 , p. 176, 1873), élève
de Marcacci, qui a fait des recherches analogues, a isolé une anse de l'intestin grêle. Il
réunit les deux bouts de façon que la circulation intestinale continue, il lave ensuite
l'anse isolée avec de l'eau à 40°, ferme une des extrémités et introduit ensuite de l'ami-
don ou de la poudre de lycopode ou du caiomel par l'extrémité demeurée ouverte. II
ferme ensuite l'ouverture et remet le tout dans la cavité peritonéale. Après 24 heures il
examine, et il trouve alors : 1° que l'amidon s'absorbe comme tel ; on retrouve ses grains,
faciles à caractériser, entre l'épithélium des villosités, les glandes de Liherkûhn, dans les
espaces lymphatiques. Pour que l'absorption se fasse, il faut que la muqueuse ne soit
pas sèche.
2° Les grains de lycopode peuvent traverser différentes couches des parois intestinales,
mais ne sont pas pris par les villosités, et ne sont pas transportés dans la circulation géné-
rale. Peut-être, dans ce cas, le passage est-il dû à de petites lésions de l'épithélium, l'au-
teur ayant, en effet, constaté l'existence d'une véritable entérite.
3° L'absorption du caiomel se fait également comme tel sans qu'il y ait une transfor-
tion préalable en chlorure mercurique.
Il faut vraisemblablement rattacher à l'absorption des matières solides, en se rappe-
ABSORPTION. 35
lant ce qui a été dit du rôle des leucocytes et de leur migration jusqu'entre les épilhé-
liums, il faut rattacher, dis-je, le fait, signalé par plusieurs auteurs, d'une tuberculose
pulmonaire primitive, consécutivement à l'introduction de bacilles par les voies diges-
tives (Strauss et Gamaleïa).
Mais, même dans ces cas, on ne doit pas croire à une propriété banale de la muqueuse
intestinale. Ce qui le prouverait, c'est que des corps gras tels que la lanoline (combinaison
d'acides gras avec la cholestérine) retirée du suint des moutons ne serait pas résorbée
(J. MuNCK. Ist das Lanolin vom Darmre sorbirbm'? Ther. Monatshefte, 1888). Il semble que, pour
les graisses, la limite pour la résorption est fixée à celles qui ont un point de fusion
inférieur à 53°.
La résorption par la voie pulmonaire est incontestable, et certains travaux ont établi
qu'elle était extraordinairement rapide (H. H., 266, vol. v. Wasbietzky. Ueber die Résorp-
tion durch die Lunge. Dissert., Kônigsberg, 1879). L'absorption des substances gazeuses ou
volatiles, par cette voie, est incontestable (chloroformisation, intoxication par CO, gaz
d'éclairage, gaz des égoûts, etc.). 11 est probable que des bactéries peuvent pénétrer dans
l'orgauisme parcelle porte d'entrée. Des expériences directes ont d'ailleurs prouvé la réa-
lité de cette absorption, même pour certaines particules solides. Gohier, Levi, Colin,
Sujalas, Jousset de Beleyme, Coupard, Bouchard, Pignol (C. R. Sociélé Biologie, 7 février,
1891, p. 81) disent que l'on peut injecter de grandes quantités de liquide dans les voies
pulmonaires sans grand inconvénient. Bouchard pense que l'on peut aller jusqu'à 650 ce.
par heure. Pignol donne des chiffres plus élevés encore. On a administré de la sorte
de l'eau oxygénée, de l'huile de foie de morue créosotée, de l'eau iodée, du sérum de
chien, ce dernier à d»s lapins, des chiens, des hommes, sans aucun accident. La réalité de
l'absorption était, ensuite, expérimentalement établie. Peiper {Ueber die Résorption durch
die Lungen. Zeittch. f. Klin. Med. t. vni, pp. 293, 301 ) a laissé couler de l'eau et des solutions
aqueuses dans les poumons de chiens, de lapins. Chaque fois, il a constaté une résorp-
tion extraordinairement rapide, surtout aveî des solutions de poisons. Pour la strych-
nine lo à 80 secondes suivant la quantité, 80 secondes avec OS"', 000123. L'absorption est
plus rapide dans la position verticale. La section des vagues, des phréniques, des sym-
pathiques est sans influence, aussi bien que l'état fébrile, asphyxique ou rinflltralion
pneumonique. — -Nous ne citons ici que les expériences relativement récentes, nous en
rapportant pour les recherches anciennes au travail de Wasbietzky et à l'article du Diction-
naire de Dechambre écrit par Béclard (Bibliographie).
Les séreuses (plèvre, péritoine, cavité vaginale du testicule) sont susceptibles de
résorber très rapidement les liquides et subtances solubles qu'ils renferment. C'est ainsi
que déjà Magendie (Mémoire sur les organes d'absorption chez les mammifères, 1809. Paris),
a expérimenté avec des solutions des strychines qui étaient résorbées par la plèvre en
6 minutes; le ferrocyanure se retrouve dans les urines après 10 à 12 minutes. On voit
très souvent des phénomènes de résorption d'acide phénique (urines noires) consécuti-
ment au lavage des cavités séreuses par une solution phéniquée.
Il peut y avoir pour une cause locale ou générale transsudation de liquide dans une
cavité séreuse. Mais, même dans ce cas, on ne peut pas affirmer que le pouvoir absorbant
de la séreuse soit aboli.
On a vu, notamment, le contenu d'un tel épanchement devenir plus riche en albumine
par suite de la résorption d'eau. Fubini (S. velocila di assorbimento délia cavita peritoneale.
Osservazioni fatle coWamigdalina e coll'cmulsitia. Arch. per le Scienze mediche, t. xv, p. 149)
injecte successivement dans la cavité péritonéale, dans le but de rechercher la rapidité
d'absorption, des solutions aqueuses d'émulsine et d'am3'gdaline, et de noter le temps
le plus court pour que l'action mortelle de l'acide cyanhydrique produit par l'action de
ces corps l'une sur l'autre ne s'observe pas. — Pour le lapin, le cobaye et le Mus alexan-
dricus ce temps varie entre 4 et 6 heures (Voir R. Dubois et Remy. Notions anatomiques et
physiologiques sur l'absorption par le péritoine. Journal de l'anatomie et de physiologie). La
méthode des injections intrapéritonéales de sang a été employée quelque temps en théra-
peutique, démontrant la réalité de l'absorption par cette voie, chez l'homme (Ponfick.
Berl. klin. Wochensch., 1879, n° 39. Hayeu, Revxie Scientif., 1884, p. 407).
La question de l'absorption par la muqueuse vésicale a été l'objet de nombreux tra-
vaux, qui, tour à tour, ont admis et nié la perméabilité de cette muqueuse. Treskin
36 ABSORPTION.
(A. tf., 1872, t. V, 291) admit d'abord que la muqueuse vésicale résorbait. Ségalas
(Dictionnaire de Dechambbe, article Vessie) croit aussi à la résorption de substances très
actives. Hache pense que, dans les cas où il y a résorption c'est que la muqueuse a été
lésée. — Les travaux de Kuss, Susini, Cazeneuve, Livon, (Dictionnaire de Dechambre) con-
cluent à la non-absorption par la muqueuse intacte. Ceus de Kuss, Guyon et Alling, à
l'absorption irrégulière par la muqueuse altérée. Mais les faits n'ont pas cette certitude,
AsHDOwN (On absorption from the mucous membrane of the urinary blodder. J. of anat. and
physiolog., t. xxi, p. 299) constate, au contraire, que la strychnine, l'ésérine, la morphine,
le curare, l'atropine, l'éther, le chloroforme, l'urée, l'eau sont absorbés par la muqueuse
vésicale, ce qui était donc douteux jusqu'alors. Suivant le même (J. of. Anat. and Pliysiol.,
p. 298), la résorption des toxiques est d'autant plus active que la vessie est plus distendue
par la solution. Si l'on met des canules dans les uretères on peut constater que l'iodure
de potassium, le salicylate de soude sont résorbés. Une solution d'urée est beaucoup plus
résorbée (10 à 19 p. 100) que de l'eau pure (3 à 4 p. 100) ; mais cette résorption est tou-
jours très peu active. Elle serait pour Phelip (Note expérimentale sur le pouvoir absorbant
de l'urèthre normal, 1888. Lyon médical, 1, 46, 124) 40 fois moindre dans la vessie et l'urèthre
que dans le tissu cellulaire sous-cutané.
L'absorption par la vésicule biliaire a été admise en se basant d'abord sur le fait que
la bile qui a séjourné un certain temps dans la vésicule biliaire serait plus visqueuse
que celle qui s'écoule directement dans l'intestin, de même, disait-on, que l'urine qui a
séjourné dans la vessie est plus riche en urée par suite de la résorption d'eau. Rosen-
BERG (Zur Résorption von der Gallenblase. Virchoiu's. Archiv., t. cxxiv, p. 1T6) croit, d'ac-
cord en cela avec Virchovv, que la muqueuse de la vésicule est susceptible de résorber la
graisse, en quantité très limitée il est vrai. La résorption de la bile à la suite de la
ligature du canal cholédoque se fait uniquement par les vaisseaux lymphatiques, ainsi
que le prouvent les expériences de Vaughan Harley (Leber ii. Galle wàhrend dauernden
Verschlusses von Gallenu. Brustgang. A. Db., 1893, p. 294). Déjà Von Fleischl (Berichte der
Gesellschaft der Wissensck.in Leipzig, 1874) et KiMKEL(i6i!(i., 1873) ont démontré que, le canal
cholédoque étantlié, on trouve beaucoup de bile dans la lymphe. Kufferath (A. D6., 1880),
liant en même temps le canal thoracique, ne trouvait pas de bile dans le sang. La bile
est donc bien résorbée, mais par les lympliatiques seulement. Les expériences récentes
de Tobias, dans le laboratoire de L. Fredericq, montrent que le ferro-cyanure et l'iodure
de sodium, ainsi que la strychnine et l'atropine résorbés à la surface des voies biliaires
passent directement dans les vaisseaux et non dans les lymphatiques.
Après avoir étudié ainsi en détail les différentes voies d'absorption il faut se demander
quelles forces interviennent pour déterminer la pénétration dans le milieu intérieur
des différentes substances que nous avons envisagées. Ces forces sont, suivant beaucoup
d'auteurs, l'endosmose, la difiusion, la flitration. Nous n'avons pas à étudier ici ces
forces; nous renvoyons pour cela à ces différents mots, mais nous devons nous demander
jusqu'à quel point elles entrent réellement en jeu. Il est incontestable, dit Landois (T. P.,
p. 348), qu'd se produit, dans le tube digestif, des phénomènes d'endosmose à travers
la membrane muqueuse et à travers les parois minces des capillaires sanguins et lym-
phatiques. D'un côté de la membrane, dans le tube digestif, se trouvent des solutions
aqueuses relativement concentrées, de sels, de sucre, de savon, de peptones, qui sont très
diffusibles; de l'autre côté, dans les vaisseaux, le sang et la lymphe, renfermant des ma-
tières albuminoïdes à peine diffusibles, et, surtout à jeun, une très petite quantité de
substances qui se trouvent dans l'intestin. — La flitration a lieu, dit le même auteur,
pour les substances dissoutes dans l'intestin : 1° quand les parois de l'intestin se con-
tractent et exercent, par suite, une pression directe sur son contenu, mais cette action est
très faible ; 2" quand il s'établit une pression négative dans les viUosités (Briicke). Lorsque
les viUosités se contractent, le contenu de leurs vaisseaux sanguins et chylifères se vide.
Ces. derniers en particulier restent vides, en raison des nombreuses valvules qu'ils ren-
ferment. Quand les viUosités se relâchent, les liquides susceptibles de filtrer pénètrent
dans leur intérieur. Mais, outre l'objection de Spée et Heidenhain, que les contractions
de fibres musculaires des viUosités provoquent la dilatation du chylifère central, beaucoup
d'autres objections encore peuvent être formulées, concernant la réalité de ces phéno-
mènes (Voir H. H. et T. Phys. de Fredericq et Nuel, etc.). Ainsi, tandis que Siuthhead
ABSORPTION. 37
(.4. Dh., 1884, p. 481) pense que la résorption des albumines doit être considérée comme
un phénomène de diffusion, beaucoup de savants sont d'une opinion toute différente.
L'auteui' qui précède appuie sa manière de voir sur le fait que la résorption est tardive,
ce qui est nécessité probablement par la transformation de l'albumine en peptone;
sur le passage du liquide dans l'estomac (l'estomac renferme toujours plus de liquide
après la digestion qu'avant, dans le cas de pylore lié), enfin, sur la structure de l'épi-
thélium, la couche de mucus qui revêt l'intérieur de l'estomac pouvant difficilement
avoir des propriétés vitales particulières. Le seul fait de la possibilité de l'absorption
d'une certaine quantité d'albumine non transformée, par les muqueuses gastrique ou
intestinale, est déjà une preuve que le phénomène de l'absorption n'est pas aussi simple.
Enfin ce que nous avons vu de la transformation des peptones dans l'épaisseur même
des muqueuses gastrique et intestinale, de même que la synthèse des graisses au moyen
des éléments de celle-ci (Munck. Loc. cit.), parlent en faveur d'une action très spéciale des
éléments des muqueuses du tube digestif. Mais même la résorption par les vaisseaux
sanguins ne peut être considérée comme étant simplement un phénomène physique,
tout au moins si nous nous rappelons ce qui a été dit plus haut de l'absorption de
l'iodure sodique (Asher, Loc. cit.). Mais, pour en revenir à l'absorption parles voies
digestives, certains auteurs ont cependant soutenu qu'il s'agissait principalement de dif-
fusion, tout au moins pour les phénomènes de résorption se passant dans la cavité de la
l'estomac (Voir V. Mering. Ther. Monatsheft, 1893, mai). Mais ce n'est certainement pas
le facteur principal de l'absorption ; le fait de la sélection des éléments absorbés par les
muqueuses le prouve. Pour ce qui est de l'intestin, par exemple, une simple altération de
la muqueuse suffit pour provoquer un renversement du sens du courant liquide à travers
la paroi. LEaBuscHER(C/iem. Centralbl., t.xvi, p. 157) n'a-t-il pas démontré que la muqueuse
intestinale résorbe plus activement les sels de sodium que les sels de potassium, bien
que la diffusibilité de ceux-ci soit plus grande? Rùhmann dit d'ailleurs aussi (A. Pf.,t. xli,
p. 411), que ni la sécrétion, ni la résorption n'ont lieu suivant des lois simples. Des solu-
tions de sucre de raisin ou de sulfate de soude ayant à peu près le même pouvoir de dif-
fusion, sont très inégalement résorbées. A. Spina {Untersuchungen ùber die Mechanik der
Darm u. Hautresorption. Wiener Sitzbe)', \88[, Abthlg., t. m, p. 191) adémontré que chez les
grenouilles la résorption de l'eau est plus forte quand la circulation est conservée que
lorsqu'elle est abolie. Quand on paralyse la vessie par destruction de la partie infé-
rieure de la moelle, la vessie gonfle considérablement par suite de la résorption d'eau.
Ces faits prouvent aussi l'importance de l'intégrité des fonctions physiologiques pour la
résorption.
Quoi qu'il en soit des fonctions physiologiques des épithéliums ou des éléments de
parois vasculaires ou autres, la possibilité d'une certaine intluence sur l'absorption
exercée par les forces physiques dont nous avons parlé nous oblige, pour être complets,
à signaler les importants travaux qui ont été faits pour élucider cette question. Runeberg
(Zur Frage der FUtration von Eiweisslôsungen durch thier. Membran. Z. P. C, 6, 508) a
démontré que, lorsqu'on emploie l'uretère humain comme membrane de filtration,
la perméabilité de cette membrane augmente peu à peu par l'action d'une faible pression
ou par une diminution de pression, qu'elle diminue, au contraire, par l'action de pressions
plus élevées. Au bout d'un certain temps d'action d'une pression déterminée, il se produit
une constante. J.-C. Van Beck {Sur la filtration des liquides àtravers les membranes poreuses.
Arch. néerlandaises des se. natur., 1884, p. 241) confirme les résultats de Runeberg qui
ont amené Heidenhein à conclure que, quand on filtre des solutions albumineuses à
travers des membranes animales, le contenu pour cent en albumine du filtrat diminue,
tandis [que la quantité absolue d'albumine augmente. Il confirme en outre, avec
Runeberg, l'observation de EcivHardt sur la diminution progressive, avec le temps, de la
rapidité de filtration des solutions salines sous pression constante et sur le fait que cette
membrane se remet, en quelque sorte, par une suspension temporaire de cette pression,
et cela, d'autant plus complètement que la pression a duré moins et le repos plus
longtemps. V. Bëgeczy [Beitrdge z. Lehre der Diffusion v. Eiweisslôsungen, A. Pf., t. xxxiv,
p. 431) a, de son côté, fait des recherches qui confirment et étendent les opinions
anciennes de Graham, von Witiich et Bruegke. Voici les conclusions de ce travail :
A. L'albumine diffuse plus facilement vers des solutions salines que vers l'eau distillée.
38 ABSORPTION — ACCLIMATATION.
B. Plus la solution saline est concentrée, plus la diffusion de l'albumine est active.
C. La diffusion de l'albumine commence plus facilement pour les solutions diluées
que pour les solutions concentrées.
B. Si les sels sont mélangés à la solution albumineuse, la diffusion vers l'eau distillée
est fortement retardée.
E. Plus grande est la quantité de sels de la solution albumineuse, plus lente est la
diffusion de celle-ci vers l'eau distillée.
F. D'une dissolution d'albumine mélangée de sels, l'albumine ne commence à.
diffuser qu'après le sel, et seulement quand la différence en sels des deux liquides
séparés par la membrane est descendue en dessous d'un certain niveau.
G. Plus serrée et plus épaisse est la membrane, moins grande est la différence de
densité qui empêche le passage de l'albumine.
H. L'albumine diffuse à travers une membrane assez serrée et assez épaisse pour
que l'albumine ne diffuse pas vis-à-vis de l'eau.
Chittenden et Geo. Amermann (A comparison of artificial and natural gastric digestion.
J. P., t. XI, p. 312) ont établi que les albumoses sont diffusibles inégalement. Le deutéro-
albumose diffuse plus rapidement que la prolo-albumose. Un mélange de deutéro-albu-
mose et de proto-albumose diffuse plus rapidement que la proto-albumose seule. La
peptone pure est plus diffusible que les deux substances qui précèdent. Waymouth
Reid. J. p., t. xi) a montré que, dans une membrane vivante, il faut compter avec une
force absorbante dépendant, sans aucun doute, de l'activité du protoplasme et compa-
rable à la force d'excrétion de la cellule. De plus, dit cet auteur, l'étonnant pouvoir
de sélection du protoplasme est beaucoup plus grand qu'on ne l'imagine. Citons enfin
les expériences de Tii. Kaiser {IJeher den Einfiuss von Alkohol. u. Gtycerin auf die Yor-
gànge der Diffusion. Inaug. Dissert., Marburg, 1891) qui sont à rapprocher de ce que
nous avons dit plus haut du rôle de l'alcool sur l'absorption. Ces substances ajoutées à
des solutions salines augmentent la rapidité du courant endosmotique salin (iodure,
ferrocyanure, sulfocyanure de potassium, bleu de méthylène). La rapidité de diffusion
du sucre n'est pas augmentée par l'alcool, mais bien par la glycérine. L'auteur a fait ses
expériences avec la paroi intestinale fraîche de bœuf.
HENRIJEAN et CORIN.
ABSORPTION DES GAZ. — Voyez Solubilité.
ABSORPTION (Spectre d') — Voyez Spectroscope.
ACCLIMATATION. — L'acclimatation, terme général qui se doit étendre
à tous les êtres vivants, de l'homme au protozoaire unicellulaire, est un fait sur le sens
exact duquel on se méprend souvent. Tautôt on lui donne une signification trop étendue,
tantôt on restreint celle qu'il lui faut accorder. Dans un cas on en fait un synonyme
de naturalisation, dans l'autre il n'a guère que le sens de domestication; et il y a là deux
erreurs, dont la première est incontestablement la plus grave. On doit dire qu'il y a
naturalisation quand une espèce animale ou végétale introduite, artificiellement ou
naturellement, dans une contrée où elle n'est point indigène et ne se trouve point à l'état
spontané, y devient prospère et arrive à se maintenir et à propager, malgré ses enne-
mis naturels, sans l'intervention de l'homme, sans culture, sans soins quelconques de la
part de celui-ci. Quelques naturalistes ont nié la possibilité de la naturalisation. L'opi-
nion semble paradoxale au premier abord, mais elle peut se défendre'. Pour bien mon-
trer qu'une espèce animale ou végétale introduite dans un habitat nouveau s'y natura-
lise, il faudrait la placer dans un milieu où l'homme n'existerait point, et ne pourrait ni
:. Neumann {Bull. Soc. Roy. et Centr. d'Agriculture, 1845-6, t. i, 2» série, p. 256) a entre-
pris, entre autres, de « démontrer l'impossibilité de la naturalisation des végétaux, afin de désa-
buser ceux qui espèrent encore d'après cette théorie mal fondée, pouvoir enrichir notre sol
d'arbres exotiques que la nature a fait naître dans des climats favorisés d'une plus haute tempé-
rature moyenne que la nôtre « [Notice tendant à démontrer que la naturalisation des végétaux est
impossible).
ACCLllVIATATION. 39
directement ni indirectement en favoriser la propagation, et ceci est difficile à réaliser.
Il existe pourtant des cas de naturalisation bien nets (par exemple] l'acclimatation de
Valose de l'Atlantique dans le Pacifique), mais en somme ils sont plus rares qu'on ne le
croirait à première vue.
L'acclimatation est en somme une naturalisation subordonnée, à des degrés qui
varient, à l'intervention permanente de l'homme. L'animal, ou la plante, est acclimaté
quand il s'accommode d'un habitat nouveau et s'y reproduit grâce à des soins plus ou
moins intermittents de l'homme; sans l'bomme il disparaîtrait. Cette influence de
l'homme peut être très indirecte, et beaucoup de faits qui semblent devoir être rangés
parmi les cas de naturalisation sont en définitive des cas d'acclimatation. Un botaniste
américain, M. Byron D. H-^lsted, faisant le dénombrement des « mauvaises herbes » du
New Jersey, en trouve un nombre total de 26d; mais sur ce chiffre 130 espèces sont
d'origine étrangère, et sur les 20 plus malfaisantes, seize sont des espèces importées'.
Beaucoup de cas similaires se pourraient rencontrer. Il y aurait quelque témérité à voir
là des exemples de naturalisation : ces « mauvaises herbes », en effet, vivent dans les
cultures, — et c'est à cela qu'elles doivent leur nom — elles accompagnent les plantes
cultivées et ne se propagent pour ainsi dire pas en dehors des champs. Au demeurant,
elles font ce que font beaucoup de plantes indigènes qu'on ne trouve que rarement en
dehors des cultures; elles appartiennent à ce groupe de plantes anthropophiles formé
par la flore des cultures, la flore des décombres, la flore des talus de chemin de fer, et,
sans la présence de l'homme qui indirectement les protège et soutient, elles disparaî-
traient le plus souvent. C'est dire, en définitive, qu'entre l'acclimatation et la natura-
lisation il y a des accointances intimes, et, dans bien des cas, en cherchant avec sQin,
on s'apercevrait que tel exemple de naturalisation considéré comme particulièrement
probant n'est à tout prendre qu'un cas d'acclimatation ; et encore une fois, les défini-
tions étant admises, la véritable naturalisation ne pourrait exister que là où n'existe
point l'homme, que là où ce dernier ne peut, le sachant ou inconsciemment, exercer une
influence quelconque, si indirecte puisse-t-elle être. Il n'y a pas à entrer ici dans cette
étude, mais les modes d'action à distance de l'homme sur la nature, avec répercus-
sion inévitable sur tous les êtres, sont infiniment variés et nombreux, et souvent très
détournés, de sorte qu'on ne les aperçoit pas toujours à première vue. C'est en raison
de la multiplicité de ces modes qu'il me parait sage de n'admettre les naturalisations
qu'avec une extrême réserve, et de considérer la plupart d'entre elles comme des cas
d'acclimatation, sauf, bien entendu, quand il s'agit de naturalisations dans des contrées
où l'action de l'homme n'existe point, et dans la mer où cette action peut être con-
sidérée comme affaiblie ou même nulle.
Le rôle de l'homme dans l'acclimatation est constant, mais d'importance très
variable. Telle espèce a besoin de soins plus assidus que telle autre ; mais il n'y a pas a
s'étendre ici sur ce côté pratique de la question : telle espèce s'acclimatera facilement,
telle autre difficilement. Il y a à ces différences beaucoup de raisons, sans doute;
mais nous nous estimons fort heureux d'en apercevoir seulement deux ou trois.
C'est en effet chose très complexe que l'acclimatation. Acclimater c'est habituera
Vivre dans un climat nouveau''. Mais qu'est-ce qu'un climat? La plupart, sans chercher
bien loin, se contentent de le définir un ensemble de conditions physiques, principale-
ment thermométriques et météorologiques. A. P. de C.\ndolle lui-même, dans sa Théorie
générale des naturalisations'-' s'exprime en ce sens : « Comme la plupart des pays ne
diffèrent pas entre eux d'une manière importante quant à l'action de la lumière, que
ce qui tient au terrain et à l'arrosement présente peu de difficultés, toute l'attention des
physiciens et des cultivateurs a dû naturellement se diriger sur ce qui a rapport à la
température ». Or, il est bien clair que la question ainsi posée demeure très incom-
plète. Sans doute le facteur température a son importance, mais qui ne voit que, d'une
1. Résumé dans Mechan's Monthhj, avril 1892, p. 52.
2. N. JoLY, dans son Essai de Réponse (à la question de la possibilité de l'acclimatation), dit de
l'acclimatation que « c'est habituer peu à peu une plante ou un animal étranger à un climat
autre que celui dans lequel ils sont nés; c'est en obtenir des produits de plus en plus aptes à
s'harmoniser avec les circonstances diverses où ils se trouvent placés. »
3. Page 1123 de la Physiologie végétale, t. m, Paris, 1832.
^0 ACCLIMATATION.
part ce facteur dans certaines conditions a une importance des plus médiocres, et que
d'autre part bien d'autres conditions se présentent qui peuvent rendre une acclimatation
impossible ou difficile, quand bien même la température serait suffisante. Dans un
même océan, par exemple, où nous savons que la température présente beaucoup moins
de variations que cela n'a lieu sur terre, les mêmes animaux ont une distribution très
spéciale, qui est déterminée par des facteurs autres que celui dont parle de Candolle.
Au reste, de Caindolle n'a en vue que l'acclimatation sur les parties fermes du globe ;
mais n'est-il pas évident que la question est plus large et plus générale, et qu'il n'y a
nulle raison d'exclure l'étude de l'acclimatation en milieu liquide? Cela étant admis —
et je ne pense pas qu'il y ait là matière à discussion — il y a lieu d'étendre la significa-
tion du mot climat, ou encore, si nous définissons l'acclimatation l'accoutumance à un
milieu nouveau, de bien définir ce qu'est le milieu.
Autant que je le puis voir, il y a trois groupes d'éléments dans tout milieu naturel,
et il y a un quatrième groupe qui se trouve non plus dans ce milieu, mais dans l'orga-
nisme même, et dont l'importance est elle aussi considérable. Ici nous avons la physio-
logie générale de l'espèce; là nous avons le milieu extérieur proprement dit dans lequel
il y a lieu de reconnaître les trois groupes que voici : le milieu physique, le milieu chi-
mique et le milieu organique. Tout être transporté de son habitat dans un autre a besoin
de s'adapter à ces milieux, s'ils ne se trouvent appropriés à lui. Quelques mots au sujet
de ces trois subdivisions du milieu extérieur ou ambiant sont de mise ici.
Le milieu i:>hijsique, c'est l'ensemble des éléments physiques : tentpérature, proportion
d'humidité, mouvement de l'atmosphère, lumière, pesanteur, pression atmosphé-
rique, etc. Nul ne contestera l'influence de ces différents facteurs : chacun d'eux: a son
influence sur les phénomènes vitaux, chacun d'eux, par l'excès ou le défaut, peut devenir
et devient effectivement une cause d'exclusion à l'égard de tels ou tels organismes. Nous
savons par exemple que quelques degrés de température moyenne de plus ou de moins
rendent l'acclimatation de beaucoup d'organisme impossible. Voyez, par exemple, com-
bien la limite septentrionale de la culture de l'olivier est nettement accusée dans le midi
de la France : les agriculteurs savent très bien qu'il est parfaitement inutile de chercher
à cultiver l'olivier — de façon industrielle, cela s'entend, car autrement il est clair qu'avec
■des serres ou des chambres froides on peut théoriquement tout cultiver en tout lieu du
globe en dehors de la zone où il se trouve actuellement acclimaté au nord d'une ligne
très nettement accusée. _Mème fait pour la vigne, pour l'oranger, même fait pour tous les
végétaux cultivés, en un mot, et l'on a pu de façon générale, en prenant la carte de
répartition des principales cultures, montrer la concordance des lignes limites de celles-ci
avec des isothermes déterminés. Cela est de connaissance si banale qu'à peine y a-t-il
lieu de s'arrêter sur ce point. Il serait très intéressant de pouvoir entrer dans le détail
et d'étudier les façons différentes par lesquelles la température s'oppose à l'acclima-
tation de tant d'espèces, d'analyser tant de mécanismes délicats et compliqués, mais
cela nous entraînerait trop loin de la question présente. Je me contenterai de rappeler
la théorie de la somme de températures formulée par Bous-tngault, de Gasparin, etc.,
théorie basée sur 'des faits nombreux, et d'où il ressort qu'en définitive il existe une
relation nette entre la somma de chaleur mise par la nature à la disposition de toute
plante en activité, et la maturation de cette dernière nécessaire à la propagation de
l'espèce, ou au moins à la fructification, avec cette réserve indispensable que cette
somme doit être la somme de températures qui ne dépassent point certaines limites
moyennes. En telle localité, si l'on additionne la température moyenne de six ou huit
mois de végétation d'une plante qui y réussit bien, on arrive à un chiffre n, et partout
où s'obtiendra le même chiffre pour une même période, sans extrêmes compensateurs, la
même plante pourra vivre : ou, si elle ne vit point, il faut chercher la raison ailleurs
que dans une question de température. Et chaque plante ayant des exigences thermiques
légèrement ou fortement différentes, il résulte que la température seule suffirait déjà
à expliquer certaines différences de distribution.
La. température est un facteur puissant; mais ce n'est pas le seul parmi les facteurs
d'ordre physique. Les différences dépression barométrique rendent impossibles à certains
animaux des habitats déterminés : la pression y est trop faible, ou elle est trop forte.
Quand bien même les conditions thermométriques seraient suffisantes, ils n'y peuvent
ACCLIMATATION. 41
subsister. Séménof, dans le récit de son voyage aux Itfonts-Célestes, parle des millions de
carcasses de chevaux, bœufs et chiens qui ont péri dans les hauteurs par le mal des mon-
tagnes; et PoEPPiG, dans la narration de son voyage au Chili et au Pérou, rapporte que le
bétail, le chat et la poule sontréfractaires à l'acclimatation aux grandes hauteurs. Le chat
en particulier est très sensible : d'après Tschudi, il ne peut vivre à des hauteurs supé-
rieures à 4 000 mètres sans être pris après quelques heures, ou jours, de convulsions mor-
telles. Le chien, par contre, est peu sensible, et, au cours de l'expédition de Forsyth, en
1870, dans l'Asie Centrale, on a noté la présence de papillons à l'altitude de 5 900 mètres,
différents oiseaux s'élèvent également à des hauleurs considérables.
La lumière est un autre facteur : nous savons son importance biologique, son action
sur les organismes : elle joue, aussi son rôle. Est-il besoin de rappeler l'importance
de la proportion d'eau, de rappeler que telle espèce veut le sec et telle l'humide?
Le milieu chimique, c'est la composition chimique de l'air, de l'eau, du sol, et
ce sont les matières alimentaires ambiantes. En mettant dans la même catégorie l'oxy-
gène, les sels minéraux de l'eau et du sol, et les aliments proprement dits, je ne pense
point commettre de grave faute, si ce n'est peut-être au regard des vieilles classifications:
mais alors cela est sans importance. L'idée d'aliment n'est qu'élargie, sans pourtant
que sa précision soit diminuée. La composition de l'air étant identique en tous points, il
n'y a point là de facteur pouvant jouer de rôle dans l'acclimatation : mais la composi-
tion des eaux salées ou douces varie, et dès lors tel milieu peut être défavorable, alors
que tel autre, qui semble identique, est favorable. Est-il besoin de rappeler les expé-
riences de Raulin sur l'Aspergillus, celles delVAEGELi sur les SfArogyra, et tant d'autres
observations dues aux microbiologistes? La composition chimique du sol n'a-t-elle pas
son importance? Ne savons-nous pas qu'il y a parmi les végétaux des préférences mar-
quées pour telle ou telle nature de sol, et que dès lors telle structure géologique exclut
telle flore et attire telle autre? Et enfin chaque espèce n'a-t-elle point son régime alimen-
taire plus ou moins spécial, et n'en est-il pas un grand nombre qui ne vivent que d'une
autre espèce déterminée?
Le milieu organique, trop méconnu, mériterait une longue mention. Mille liens réci-
proques unissent entre eux les organismes les plus disparates, en apparence les plus
indépendants : et pour tout être, l'ensemble des autres êtres constitue un milieu dont il
faut tenir compte. Les relations sont infiniment nombreuses et variées, souvent à tel
point lointaines et indirectes qu'à peine les imaginerait-on. Ici, c'est tout un groupe de
plantes dont les fleurs ne peuvent être fécondées que par certains insectes : si vous
voulez acclimater la plante, acclimatez en même temps l'insecte. Là, c'est toute la
phalange des parasites, temporaires ou permanents, des commensaux; les accliraatera-
t-on si l'on n'a au préalable acclimaté l'espèce dont ils vivent à un moment de leur
existence, si ce n'est durant toute celle-ci? Plus loin, ce sont certains microbes, par
exemple ceux qui forment les nodosités des racines des légumineuses : ne faut-il pas
les acclimater en même temps que l'on cherche à acclimater celles-ci? Et ainsi de suite.
Et qu'on remarque bien aussi que ce ne sont là que des exemples d'intervention directe,
de relations très simples : il en est de bien autrement complexes et indirectes. Songez
par exemple à tout ce qui peut venir se grouper sous cette rubrique « préparation ou
modification du milieu général par les êtres vivants ». De combien de milliers de
manières l'organisjne ne peut-il pas façonner le milieu, le rendant par là propre ou
impropre, selon le cas, à la vie d'autres organismes? Que pouvaient devenir, sur les ri-
vages de Krakatao desséché et brûlé, les graines apportées par la mer ou transportées
par les oiseaux ? Germer peut-être, mais non pas vivre : le soleil devait les dessécher,
et nulle terre n'était prêle à les recevoir. Il fallait qu'au préalable des espèces végé-
tales inférieures, moins difficiles, mieux adaptées aux conditions, eussent pris pied, et
préparé en quelque sorte un sol capable de retenir un peu d'eau, et comme l'a montré
Melchior Treub qui a visité Krakatao en 188fi (l'éruption avait eu lieu en 188.3) et re-
laté sa visite dans sa Notice sur la Nouvelle Flore de Krakato', et ce sont sans doute des
Algues, des Cyanophycées qui ont accompli cette œuvre. Ces Algues, des genres Toly-
pothrix, Anaboena, Symploca et Lyngbrya ont formé sur la pierre ponce une couche ver-
1. Annales du jardin Botanique de Buitenzory, t. vu, 1888, p. 213.
42 ACCLIMATATION.
dâtre, gélatineuse, hygroscopique, où les spores des fougères se sont beaucoup dévelop-
pées, formant un tapis épais (comme à Juan Fernandez et à l'Ascension), et constituant
ainsi un sol organique où les graiues de Phanérogames apportées par les oiseaux, ou
poussées par les vagues, ont pu germer et croître, et même chasser les fougères plus
tard. J'ai fait allusion aux cas de parasitisme : n'est-il pas évident que nombre d'espèces
sont incapables de vivre dans un milieu en apparence très favorable, mais où manque
la plante ou l'animal aux dépens duquel ils ont coutume de vivre? Que peut faire ï'Oeci-
dium Berberidis dans une région sans épine-vinette et sans graminée ? Que sert-il
encore de chercher à acclimater — en Nouvelle-Zélande* — tel ou tel poisson européen,
si rustique soit-il, si par l'extermination des oiseaux de proie, les passereaux sont deve-
nus à tel point nombreux que les insectes ont presque totalement disparu, et de quoi
se nourrira le poisson? Faire des plantations d'arbres est chose excellente; mais l'espèce
la mieux adaptée périra si l'on n'en protège les jeunes plants contre le bétail, et la des-
truction du cheval en Amérique s'explique probablement fort bien par le nombre des
pumas (Hudsoin).
Les exemples de ce genre se pourraient multiplier indéfiniment, et montreraient de
la façon la plus claire l'importance extrême du milieu organique. Il n'a guère été fait
d'expériences exactes sur cette question : quelques bactériologistes cependant ont noté
des faits intéressants sur l'antagonisme existant entre espèces microbiennes différentes.
Mais ce qui est plus intéressant que ces faits d'antagonisme, — car en définitive l'état
dénature, c'est l'état de guerre,' — ce sont les faits d'association, de mutuelle entente, s'il
est permis de parler ainsi. Robert Warington - a fait là dessus, voici quelque quarante
ans, des expériences très simples mais d'une réelle portée. Deux poissons rouges furent
placés dans un aquarium de 20 litres de capacité environ, au fond duquel on avait mis
un peu de sable, de boue et de cailloux. Pour éga3'er la prison, et aussi pour l'aérer, il y
fut joint une plante de Vallisnérie. Tout alla bien quelque temps; mais les vieilles feuilles,
en se décomposant, menaçaient de corrompre l'eau. Alors l'observateur anglais joignit
aux poissons rouges cinqou six Lymnées qui firent fonction d'agents sanitaires. Ils détrui-
sirent les feuilles mortes en s'en nourrissant, et dès lors l'ordre fut rétabli, si bien que
la Vallisnérie produisit 38 plants nouveaux, tandis que les Lymnées se livraient à la
reproduction d'une façon inusitée. L'expérience est très simple, sans doute, mais elle
montre bien l'importance du milieu organique. Avant de connaître le travail de W.vr-
KiNGTON, qui me fut révélé par le hasard d'un dépouillement de collection, j'avais
observé l'excellente influence des Lymnées sur la pureté del'aquarium, et, pour conserver
l'eau limpide et les plantes florissantes, j'ajoutais toujours quelques Lymnées. Sans
doutes elles broutèrent bien un peu l'herbe verte, mais grâce à un très léger sacrifice
je conservais une provision centu|)le.
Les faits qui précèdent sont autant de types de cas qui se rencontrent par milliers,
mais, malgré l'intérêt de la question, nous ne pouvons nous y arrêter plus longuement.
Il semblerait découler des indications précédentes la conclusion que l'acclimatation
est chose à peu près impossible. Et pourtant les faits sont là pour en montrer la possi-
bilité : il n'est cheval ni porc, oie ni dinde qui ne la proclament : la basse-cour et le
potager n'ont qu'une voix là-dessus.
A vrai dire, elle est souvent difficile; en d'autres [cas elle est extraordinairement
aisée. En certains cas l'échec paraît d'avance vraisemblable ; en d'autres on croit
pouvoir espérer le succès, et une petite circonstance imprévue vient tout bouleverser.
Le saumon de Californie a pu s'acclimater en France : on n'a pu encore l'acclimater dans
l'Hudson. Par contre l'alose de l'Atlantique s'est parfaitement acclimatée dans le Pacifique,
de la Californie à l'Alaska, et l'on prévoit qu'elle pourra bientôt gagner les côtes voisines
de l'Asie. Notons d'ailleurs que les cas de ce genre sont des meilleurs d'entre ceux que
l'on peut citer comme exemple de naturalisation, car, en dehors de l'acte initial par
lequel l'homme a introduit l'espèce dans un milieu jusque là inhabité par elle, son
intervention est nulle : l'animal ne doit et ne peut compter que sur lui-même et sur les
i. Science, 12 nov. 1886, p. 426 : Acclimatation in New Zealand.
2. Voyez entre autres ses Observations on the adjustement of the relations between the animal
and vegetable kinr/dom by lo/iich the vital functions of hothare permanently maintained {Zoologis t,
1850, p. 2868).
ACCLIMATATION. 43
circonstances ambiantes : l'homme ne peut travailler ces dernières à son gré en vue de
favoriser l'animal, comme cela a lieu sur la terre. En certains cas la cause de l'échec
pourra être très'manifeste : l'une de ces causes du moins. Ici, alTaire de milieu physique, de
température par exemple : vous ne ferez point venir l'olivier à Lyon ni l'eucalyptus ou
le mandarinier à Valence ou à Avignon ; là, de milieu chimique : la plupart des huîtres
américaines, d'eau saumàtre, ne peuvent vivre à l'eau de mer pure; là, de milieu organi-
que; parfois la cause échappe, comme pour le saumon de Californie qui se refuse à vivre
dans l'Hudson.
Énumérer ici les espèces dont l'homme a opéré l'acclimatation, celles qu'il a en quel-
que sorte domestiquées et dont il peut se faire suivre généralement dans ses pérégrina-
tions, serait une tâche un peu longue et fastidieuse. Il ne suffirait pas, en effet, d'exa-
miner les conquêtes qui nous sont familières, et de dépouiller la liste de nos potagers et
basses-cours de France ou de l'Europe méridionale : il faudrait parcourir les autres
régions du globe et montrer les animaux et plantes qui ont été de tel ou tel habitat ori-
ginel transplantés en telles ou telles contrées. On pourrait presque dire qu'il n'est pas
une espèce animale ou végétale qui n'ait été acclimatée ou naturalisée quelque part, de
propos délibéré ou involontairement. Pour la liste des espèces qui intéressent le plus
directement l'homme je renverrai à l'ouvrage de M. Geoffroy SAiNT-HiLAiREintitulé : Accli-
matation et domestication des animaux utiles, au Bulletin de la Société d' Acclimata lion con-
tinué par la Heime des Sciences Naturelles appliquées, et à de Candolle, Origine des plantes
cultivées. Je recommanderai encore d'une façon spéciale le Potager d'un curieux par Pail-
LEux et Bois : on trouvera là l'indication de plantes utiles, nouvelles ou peu connues,
qu'il y aurait intérêt à acclimater en différents climats. Il reste beaucoup à faire en effet,
non pas dans nos pays de vieille civilisation, peut-être (et encore se trouverait-il
mainte espèce animale ou végétale à introduire), mais dans les pays neufs où la
race blanche n'a pénétré que depuis peu. Dans les colonies en particulier il y a encore
énormément à essayer et à réussir. Sur 110 000 espèces de Phanérogames, il n'y en a pas
1000 d'utilisées. Il y a des régions qui n'ont encore fourni que peu de chose : l'Europe
a fourni 3 animaux domestiques (pigeon, oie, canard, lapin, abeille) et l'Asie, douze :
mais l'Afrique n'en a donné jusqu'ici que deux, et l'Amérique trois. L'acclimatation
a ses degrés, il est à peine besoin de le rappeler. Le marronnier d'Inde est bien
près de la naturalisation, dans certaines parties de la France du moins, et le rici-
nier, plus encore (dans la mesure où la vraie naturalisation est possible); la pomme de
terre, par contre, ne durerait pas un an de plus sans l'intervention constante de l'homme.
Un autre point à indiquer en passant, est ce fait que, si l'acclimatation s'opère par-
fois sans modifications morphologiques ou physiologiques appréciables, elle s'accom-
pagne \b plus souvent de variations de l'un ou l'autre ordre. Gomment d'ailleurs n'en
serait-il pas ainsi ? La même plante, poussant dans les lieux humides et abrités du fond
de la vallée, diffère comme port, dimensions, épaisseur, structure de feuilles, etc., de
celle qui vit au haut de la colline; celle qui vit à l'intérieur des terres diffère nettement
de celle que le sort a placée dans les terrains salés. Nous savons aussi que le milieu chi-
mique intérieur — mesuré par la toxicité, par exemple — varie d'un habitat à un autre;
nous savons que par la simple dépression barométrique il se produit un accroissement
de teneur en hémoglobine dans le sang : à passer d'un pays dans un autre, malgré la
similitude apparente des différentes conditions, une plante ou un animal changent de
milieu à un degré souvent considérable, et, quand bien même le mécanisme de l'action
exercée par le changement nous échappe, force est bien de reconnaître qu'au change-
ment de milieu correspond souvent nn changement de structure ou de physiologie. Je
ne veux pas m'appesantir sur les faits très nombreux et bien connus de cet ordre.
M. G. Faivre en a donné un bon résumé dans son volume sur La variabilité des espèces et
ses limites (1868); j'ai recueilli quelques-uns des faits plus récents dans mon Expérimen-
tal Evolution (1892); M. Cornevin, dans son excellente Zootechnie, en indique beaucoup
encore. Il est difficile de dire si la variation, — quelle qu'elle soit — est ime condi-
tion d'acclimatation : il le semblerait dans les cas ou elle est univoque et cons-
tante.
Est-il besoin, encore, de rappeler que l'acclimatation ne peut, dans certains cas, s'opé-
rer qu'à la condition de ménager une transition graduelle ? On sait, par exemple, que pour
44 ACCLIMATATION.
acclimater beaucoup de plantes, il est bon d'apporter quelques plants d'abord, et de
les laisser fructifier : les graines de ces plants réussiront mieux que les graines des
plantes restées dans leur milieu originel. C'est ainsi qu'on procède au Jardin Alpin de
Genève : on livre des graines de plantes alpines élevées en plaine (pour le cas où l'on
désire les semer en plaine). Pour acclimater des animaux dans un milieu nouveau, on pré-
férera choisir des individus vivant à quelque dislance du centre principal, ayant déjà été
soumis à une légère différence de conditions et l'ayant supportée sans dommage. Rien ne
montre mieux l'importance extrême de l'art de ménageries transitions que les expérien-
ces sur le milieu chimique. L'animal aquatique, et la plupart des micro-organismes sont
très sensibles aux variations de composition chimique de leur milieu (encore une fois
je rappelle les si belles recherches de r^AECEu sur leSpirogyra) :il suffit parfois de l'addi-
tion de traces de certaines substances pour les faire périr. Dans ce cas il n'y a rienàfaire, ou
à peu près : mais dans d'autres on peut arriver par la patience à des résultats intéressants.
On verra par exemple que, si un poisson, un têtard, ou un invertébré aquatique est
placé d'emblée dans un milieu contenant Ib ou 20 grammes de tel sel par litre, il meurt
aussitôt; mais, si on l'habitue peu à peu en ajoutant le sel gramme par gramme tous les
deux ou trois jours, il résiste admirablement. Les poissons anadromes semblent ména-
ger la transition à l'époque de la montée: à l'embouchure de la rivière Columbia, on les
voit s'arrêter quelques jours ou semaines dans les eaux saumàtres, alors qu'ils arrivent
de la mer, avant de s'engager dans les eaux douces pour aller se reproduire. Un obser-
vateur anglais fort patient, Dallinger, a fait pour le milieu thermique des recherches ana-
logues à celles que je viens d'indiquer pour le milieu chimique. Il a pris un micro-orga-
nisme commun et l'a placé dans une étuve dont il a élevé la température très lentement,
à intervalles espacés. L'expérience à duré sept ans, mais au bout de ce temps ce proto-
zoaire, qui vivait entre 10° et 20", était accoutumé, acclimaté, k la température de 60°. C'est
par un mécanisme analogue probablement, bien que moins minutieusement réglé, et gra-
dué, qu'il faut s'expliquer la présence de conferves et de formes diverses de la vie ani-
male et de la vie végétale dans les sources d'eau chaude de toutes les contrées du globe.
(Voyez le résumé que j'ai donné des observations faites sur ce sujet dans la Revue Scienti-
fique en 1893 : Des températures extrêmes compatibles avec la vie de l'Espèce).
11 n'est personne qui n'ait remarqué que de tous les animaux terrestres, nul n'est plus
apte à l'acclimatation que l'homme. L'homme s'est répandu d'un pôle à l'autre, et en
dehors des altitudes extrêmes, supérieures à 4 000 mètres, et des climats également ex-
trêmes des régions polaires, il réussit à se maintenir à peu près partout. Sans doute les
différentes races n'y sont pas également aptes : mais qui entreprendrait de considérer
le blanc et le jaune et le noir comme identiques au point de vue physiologique ou chi-
mique? Leur pathologie diffère, leurs aptitudes morbides varient, et leur physiologie
intime ne saurait être exactement la même. Toutefois, dans l'ensemble, l'espèce humaine
— laissant de côté les différences entre races — est celle qui s'accommode le mieux des
différences de milieu. Cela tient, semble-t-il, surtout à ce que l'espèce humaine est celle
qui peut le mieux transporter avec elle son milieu accoutumé, et le modifier dans la
mesure où l'exigent les circonstances: elle peut alors réduire au minimum la différence
de milieu qui résulte du passage d'une contrée dans une autre. Elle transporte avec elle
une grande partie de ses ressources alimentaires accoutumées, elle se couvre le corps,
ou le découvre selon les besoins et à volonté, elle se protège dans la mesure où il est
nécessaire contre la chaleur et le froid, et les intempéries en général. De là suit que les
circonstances, qui pour l'animal ou Ja plante seraient des obstacles insurmontables, ne
seront pour lui qu'inconvénients médiocres auxquels il pourra parer assez aisément.
Sans doute, il y a des réserves à faire: l'habitant des zones froides s'accommodera assez
difficilement de la zone torride, plus diffiicile encore sera-t-il à l'habitant de l'équateur
de vivre dans les froids du nord, mais au total l'homme y réussira incomparablement
mieux que la bête ou la plante hors d'état de parer en quelques courtes semaines à un
changement considérable dans les conditions thermiques par exemple.
A ceci près, il n'y a pas dans l'acclimatation de l'homme — dans l'acclimatement qui
est le résultat de son acclimatation — d'autres facteurs à considérer que dans l'acclima-
tation de la plante ou de l'animal. Dans les deux cas, la question est une question
d'adaptation de la physiologie d'un organisme à des circonstances ambiantes, à un milieu.
ACCLIMATATION — ACCOMMODATION. iS
Le milieu chimique est d'importance nulle, ou peu s'en faut, dans une grande ma-
jorité des cas; le milieu physique joue un rôle considérable — la température princi-
palement — et le milieu organique ne compte guère. Ce qui a le plus d'importance
pour l'homme, avec le milieu physique, c'est son milieu intérieur, c'est sa personne
organique, ce sont ses tissus et leurs fonctions. Dans tel [habitat, ils ont acquis, de par
l'influence du milieu physique, telle façon d'être et de réagir; si l'habitat cliange, il faut
certains changements et ils sont souvent lents à s'établir : l'accoutumance est néces-
saire. Il est très nécessaire aussi de ne pas transporter intégralement d'un milieu à
l'autre les habitudes prises' dans le premier; salutaires ici, elles deviennent là nuisibles
ou fatales: il faut des modifications d'habitudes, de régime, etc. Sur ce point je renverrai
en particulier à l'article Acclimatement de Bertillon, dans le Dictionnaire de Dechajibre: on
y trouvera beaucoup de faits intéressants sur lesquels je ne puis m'étendre ici, où l'accli-
matation doit être surtout envisagée au point de vue de l'histoire naturelle générale.
HENRY DE VARIGNY.
ACCOMMODATION. — L'accommodation est la faculté que possède
l'œil de voir distinctement les objets à des distances variées. Cependant la marche des
rayons lumineux est soumise dans l'œil aux mêmes lois physiques que dans un système
réfringent inorganique : son appareil dioptrique ne donne sur un écran fixe une image
nette que pour une seule et même distance de l'objet. Et, puisque dans l'œil normal ou
emmétrope le point de concours des rayons lumineux parallèles, c'est-à-dire venant de
l'inflni, se fait sur la rétine, ceux qui émanent d'un point de plus en plus rapproché
devront se réunir de plus en plus loin derrière cette membrane. L'accommodation
implique donc forcément une modification quelconque qui maintienne la couche sen-
sible de la rétine en rapport de foyer conjugué avec l'objet : cette adaptation toute
spontanée qui se proportionne aux distances donne à l'œil une supériorité marquée sur
les systèmes dioptriques non organisés.
La nécessité d'une modification pour l'adaptation aux distances est démontrée par
ce fait très simple que si de deux objets inégalement éloignés nous pouvons voir nette-
ment tantôt l'un, tantôt l'autre, il nous est impossible, par contre, de les voir en même
temps distinctement.
Que l'on ferme l'un des yeux et qu'on tienne devant l'autre deux épingles plantées
sur une règle à des distances différentes, tant que l'une sera vue distincte, l'autre
paraîtra confuse et inversement (expérience de Porterfield). Si entre le papier sur lequel
on vient d'écrire et l'œil, à égale distance à peu près de l'un et de l'autre, on interpose
la plume, ou verra confusément le bec de la plume quand les caractères de l'écriture
paraîtront nets, ou bien ceux-ci se brouilleront quand on vise la pointe. Les expériences
de ce genre peuvent être variées de diverses manières.
Dans tous ces cas, l'un des objets est vu nettement parce que les rayons qui en
partent vont former leur foyer conjugué sur la rétine; l'autre paraît trouble parce que
son foyer se trouvera, suivant les conditions de l'expérience, soit en avant, soit en
arrière de cette membrane. 11 est facile de comprendre pourquoi il en est ainsi. Les
rayons émanant d'un point lumineux quand ils ont pénétré dans l'œil, forment un cône
dont la base a la forme de la pupille et dont le sommet est dirigé en arrière. Si celui-ci
se trouve exactement à la surface de la rétine, il n'éclaire qu'un seul point de cette
membrane (fig. 1) en c.
Mais si la rétine est rencontrée par le cône lumineux, soit en avant (en /' /"'), soit
4()
ACCOMMODATION.
en arrière {g' g") du point de convergence des rayons, elle n'est plus éclairée, comme
on voit, sur un point, mais suivant un cercle, cercle de diffusion.
Ce qui se produit pour un seul point se produira pour tout autre point de l'objet
situé à la même distance; cliacun d'eux formera un cercle de diffusion; un même élément
de la rétine étant ainsi impressionné simultanément par des rayons venus de points
différents de l'objet, il en résultera une image confuse.
La formation des cercles de diffusion et le trouble qu'ils apportent à la vision de
l'œil non accommodé ressortent encore mieux de l'expérience classique de Scheiner. On
place tout près de l'œil un diaphragme percé de deux trous d'épingle séparés par un
intervalle un peu moindre que le diamètre de la pupille. A travers ces deux ouvertures,
on regarde une épingle tenue perpendiculairement à la droite qui passe par les deux
ouvertures, horizontalement si celles-ci sont superposées, verticalement si elles sont
l'une à côté de l'autre; l'épingle est placée à la distance à laquelle on voit nettement,
à la distance de la lecture, par exemple. Si on la fixe du regard, elle sera vue telle
quelle, c'est-à-dire, simple, mais un peu plus sombre. Mais si on vient à fixer un objet
plus rapproché ou plus éloigné l'épingle sera vue double.
Soient, en effet, e et /'les ouvertures du diaphragme, a un point de l'objet. Sans le
diaphragme, un cône lumineux aurait pénétré dans l'œil et aurait eu son sommet au
point c. Mais le diaphragme intercepte la plus grande partie de la lumière et ne laisse
arriver dans l'œil que les rayons qui passent à travers les ouvertures e et f. Au lieu d'un
seul cône lumineux l'œil en reçoit deux, dont les bases très petites correspondent aux
ouvertures du diaphragme, mais leur point de concours est toujours en c. Si l'œil est
adapté pour le point a, c se trouvera sur la rétine et l'œil verra une image nette de a,
seulement un peu moins lumineuse qu'elle ne le serait sans l'interposition du dia-
phragme.
Mais, si l'œil est adapté pour un point plus éloigné que a, les rayons partis de ce
dernier point iront concourir en arrière de la réline et chacun des cônes formera sur
la membrane un petit cercle de diffusion p, q.
L'écran rétinien sera donc impressionné en deux régions différentes par des rayons
partis d'un même point de l'objet, et celui-ci sera vu double, et d'ailleurs un peu confus:
m n représente dans ce cas la position de la rétine par rapport au sommet du cône.
Si, au contraire, on fixe un point plus rapproché que l'épingle, c'est en avant de
la rétine que les rayons vont maintenant se réunir, puis continuant leur marche en
divergeant, ils formeront encore sur cette membrane, qui se trouverait dans ce cas au
plan II, deux images de diffusion.
Comme les images rétiniennes sont projetées en dehors en sens inverse, il est facile
de voir, si nous supposons l'ouverture e à. notre droite eif à. notre gauche, que l'image p
sera projetée à gauche dans la direction d'une droite passant par le point nodal de
l'œil et l'image q sera projetée à droite en q : c'est donc l'image gauche p qui disparaîtra
si on bouche l'orilice droit e, et inversement : il 3' a diplopie monoculaire croisée. Si la
rétine est ao .contraire en II, c'est l'image de droite qui disparaîtra si on bouche, l'oriflce
droit e.
Cette expérience de Scheiner, dont la valeur a cependant été contestée par PRoapt
{De l'expérience de Scheiner envisagée dans ses rapports avec la théorie de l'accommodation:
Association française pour l'avancement des sciences, 1882, p. 750), s'ajoute à celles qui ont
été indiquées plus haut pour montrer que l'œil ne peut fournir une image nette d'un
objet que pour la distance à laquelle il est adapté. Si cependant la vision reste nette.
ACCOMMODATION. 47
bien que l'objet se rapproche ou s'e'loigne, il faut en conclure qu'un mécanisme parti-
culier intervient qui modifie l'œil, soit dans sa forme, soit dans sa puissance réfrin-
gente.
Mécanisme de l'accommodation. — Historique. — Les opinions les plus diverses
ont été émises sur la nature de la modification qui se produit dans l'œil pendant l'ac-
commodation. Nous les passerons rapidement en revue pour nous arrêter à l'explication
que l'expérience et le calcul ont définitivement établie.
L'historique de la question nous amènera ainsi, par l'élimination successive des
interprétations inexactes, à étudier le mécanisme vrai de l'accommodation. ^
1° La nécessité d'un changement dans l'intérieur de l'œil n'a pas été admise par tous
les physiologistes. Magendie prétendit s'être convaincu sur des yeux de lapins albinos
récemment tués que l'image rétinienne vue à travers la sclérotique était également
nette, quelle que fût la distance de l'objet. Du Haldat, de ses expériences sur des cris-
tallins isolés, avait conclu aussi à l'invariabilité du foyer de la lentille. Engel a trouvé
également que les images fournies par un cristallin, placé dans l'air, ne se déplacent
pas sensiblement pour des distances comprises entre 7 et 126 pouces.
Treviranus a cherché à démontrer mathématiquement qu'une lentille dans laquelle
comme dans le cristallin, la densité croit de la périphérie au centre, suivant une cer-
taine progression, peut avoir une distance focale invariable pourvu qu'un diaphragme à
orifice variable change le rapport des rayons marginaux aux rayons centraux d'après
une loi qu'il fit connaître.
La prétendue indépendance des positions de l'objet de l'image a du moins donné
lieu aux beaux travaux du géomètre Stuhu qui, se fondant sur les mensurations de
courbure des surfaces réfringentes de l'œil se crut autorisé à ne point les considérer
comme des surfaces de révolution. Cherchant à établir ce que devient dans un pareil
système le faisceau réfracté, il trouve que les rayons se réunissent alors, non plus en
un seul foyer, mais bien en deux lignes focales perpendiculaires entre elles et séparées
par un espace appelé intervalle focal qui répond au maximum de concentration des
rayons réfractés. Stdrm admet que dans l'œil la section du faisceau entre les deux plans
locaux est assez petite pour donner une image nette; et comme dans les limites de la
vision distincte la rétine rencontre toujours Tintervalle focal, l'ajustement aux différentes
distances se trouve ainsi expliqué. L'étude de Sturm sur les foyers des ellipsoïdes à
trois axes inégaux sert encore de base aujourd'hui à l'analyse du mécanisme de l'astig-
matisme (voyez ce mot). La forme qu'il a assignée au faisceau réfracté se renconire, en
elfet, mais dans les seuls cas ofi l'asymétrie des différents méridiens de l'œil est extrê-
mement prononcée ou bien dans les yeux privés de cristallin. De sorte que, comme l'a
dit Giraud-Teulon (art. Accommodation du Dict. de Dechambre) cette belle théorie créée
pour démontrer que l'ajustement de l'œil peut avoir lieu indépendamment du cristallin
ne se vérifie elle-même de façon saisissable que lors de l'absence de ce même cristallin.
Du resté, les faits que ces théories devaient expliquer ont été bientôt reconnus
inexacts. Hueck, Volkmann, Gerling, .en examinant l'image rétinienne dans les mêmes
conditions que Magendie, mais avec un grossissement suffisant, ont vu que la netteté
varie avec la distance de l'objet. Les résultats obtenus par dc Haldat, Engel, ne sont
applicables qu'au cristallin isolé et placé dans l'air ; sa distance focale devient excessi-
vement courte, tandis qu'il n'en est plus de même pour le système dioptrique de l'œil
pris dans son ensemble. L'expérience de Scheiner et d'autres du même genre prouvent
que l'œil se comporte comme une lentille convexe.
L'examen ophtalmoscopique permet également de suivre les changements qu'éprouve
l'image rétinienne avec la distance. Si l'on se place par rapport à l'œil observé à une
distance convenable pour que l'image de la flamme de la lampe ophtalmoscopique se
forme avec une netteté parfaite sur la rétine, puis qu'on appelle ensuite l'attention du
sujet sur un objet plus rapproché de lui, l'image de la lumière devient confuse.
On doit à Giraud-Teulo.n l'e.xpérience suivante. Sur l'orifice du porte-objet d'un
'microscope, on place un œil frais dépouillé de sa cornée, le cristallin regardant en bas,
la face postérieure de l'organe regardant en haut et portant une petite fenêtre qui
permet de voir le corps vitré. Sous le porte-objet, un miroir plan et incliné à 45° sur
l'horizon envoie vers cet œil l'image d'un objet très éloigné. Dans une certaine position
48 ACCOIVIIVIODATION.
du microscope l'image réfractée de l'objet est vue nettement à travers la fenêtre scléro-
locale. Si l'on interpose alors entre le porte-objet et le miroir une lentille dispersive, de
10 centimètres environ de distance focale, l'image première devient immédiatement
confus.e pour l'observateur qui regarde à travers l'oculaire. En effet, en interposant la
lentille, c'est comme si on avait rapproché l'objet à 10 centimètres de l'œil, au foyer de
la lentille, et pour que l'image redevienne nette, il faut remonter le microscope de
quelques millimètres, preuve que, dans ces nouvelles conditions, l'image réfractée par
l'œil a reculé de cette même quantité. Une expérience du même genre avait déjà été
faite par Cramer.
2" Puisque dans la vision des objets rapprochés une modification dans la forme de
l'œil ou dans sa puissance réfringente s'impose, deux hypothèses pourraient être
faites : ou bien l'écran s'éloigne de l'appareil dioptrique, ou bien le pouvoir réfringent
de celui-ci augmente. Bien que cette dernière opinion soit la seule qui ait été vérifiée
par l'expérimentation, il s'est cependant trouvé de nombreux partisans de !a première.
On a admis que les muscles de l'œil pouvaient, par leur pression, allonger le globe
oculaire dans le sens antéro-postérieur et écarter ainsi l'écran de la lentille. Young
a déjà réfuté cette hypothèse par l'expérience suivante : On place dans l'angle interne
de l'œil un anneau de clef qu'on appuie fortement contre le bord interne de l'orbite.
Cet anneau vient s'appliquer contre le bord interne de la cornée pendant que l'œil
porté en dedans regarde au loin. On empêche ainsi le globe de l'œil de se porter en
avant pendant l'accommodation. On fait pénétrer alors l'anneau d'une petite clef
jusqu'au voisinage du pôle postérieur de l'œil, et on produit par pression au niveau de
la tache jaune un phosphène qui apparaît dans le champ visuel en avant du dos du nez
et qui s'étend jusqu'à l'endroit de la vision la plus distincte. En accommodant ensuite
pour un objet plus rapproché, on constate que le phosphène ne subit aucune modifi-
cation, alors qu'il aurait dû augmenter d'étendue si, par suite d'un allongement de
l'œil, la partie postérieure avait été rei'oulée avec plus de force contre l'agent de com-
pression. Helmholtz a répété cette expérience avec les mêmes résultats. Il fait remar-
quer en outre que toute augmentation de la pression hydrostatique de l'œ.il diminue la
convexité de la cornée et que cette modification, si elle se produisait, serait facile à
constater. A ces arguments on peut ajouter les faits pathologiques dans lesquels les
muscles de l'œil sont paralysés sans que l'accommodation ait à souffrir, et inversement
le pouvoir accommodateur peut être supprimé ou surexcité par certains agents, alors
que la mobilité de l'œil reste normale. Cependant, récemment encore, Schneller a
cherché à démontrer que l'axe antéro-postérieur de l'œil peut s'allonger sous l'influence
de certains mouvements combinés du globe oculaire; mais son opinion a été réfutée
par S.\TTLER {Verhandl. der Ophtalm. Gesellsch. in Heidelberg, 1887). Dans un travail plus
récent, Schneller (Arch. f. Ophtalmol., t. xxxv, 1889, p. HO) maintient l'exactitude de
son opinion, au moins en ce qui concerne les jeunes gens et les myopes.
Cependant, on peut considérer comme démontré qu'il n'existe dans l'œil aucun
mécanisme qui éloigne l'écran rétinien du cristallin.
Celui-ci ne s'éloigne pas davantage de la rétine, bien que cette hypothèse, émise
d'abord par Kepler, ait été soutenue par divers physiologistes. Ce déplacement a été
attribué en général à la contraction du muscle ciliaire ou à celle de l'iris : et pour
qu'il pût s'opérer malgré la présence de l'humeur aqueuse incompressible on a dû
supposer que celle-ci s'échappait dans le canal de Fontana (Huecr) ou bien qu'elle
refoulait elle-même devant elle le sang des procès ciliaires. Le seul argument direct
invoqué à l'appui de cette hypothèse, en particulier par Weber, c'est que l'iris est pro-
jeté en avant pendant la vision de près.
Le fait est exact, mais il reconnaît comme cause, ainsi qu'on le verra plus loin, un
changement, non pas de situation, mais de forme, ]du cristallin dont la face antérieure se
bombe. D'autre part, par suite de l'augmentation de courbure de cette face antérieure,
l'image catoptrique qu'elle fournit diminue. Des calculs de Helmholtz il résulte que, si cet
effet était dû à un déplacement en masse de la lentille, égal au mouvement partiel cons-
taté dans la position du sommet de la courbure, l'image ne serait pas réduite de plus
d'un quarantième de sa valeur première, modification qui serait presque inappréciable.
Renversant la question, Giraud-Teulon a recherché quelle étendue il faudrait suppo-
ACCOMMODATION. i9
ser au déplacement du cristallin pour produire dans cette image une diminution de
4/9 environ, qui est celle qu'on observe. Or, si le cristallin était venu se mettre en contact
avec la cornée, c'est-à-dire s'il s'était rapproché d'elle, non plus de 4 dixièmes de milli-
mètre mais de 4 millimètres, l'image n'aurait encore diminué que d'un quart. Pour
obtenir la réduction des 4/9, il faudrait que la chambre antérieure eût une étendue double
et que le cristallin en eût parcouru toute l'étendue.
3° On a attribué encore l'accommodation aux mouvements de la pupille qui en effet se
rétrécit dans la vision de près et se dilate lorsque l'œil regarde au loin. Treviranus avait
fait intervenir ces mouvements dans sa théorie. De même Pouillet qui, regardant le
cristallin comme une lentille à un nombre infini de foyers différents dans lesquels les
faisceaux lumineux centraux convergent plus près, les faisceaux marginaux plus loin,
admit que la contraction de la pupille, arrêtant ces derniers, accommode l'œil aux petites
distances; que sa dilatation, permettant d'admettre les rayons marginaux qui concourent
plus loin, produit l'ajustement aux grandes distances.
Ce qui est vrai, c'est que les cercles de diffusion, formés sur la rétine par des objets
rapprochés, diminuent si la pupille contractée écarte les rayons périphériques. Mais on
démontre facilement que l'accommodation peut se passer des mouvements pupillaires. Si
on regarde à travers un orifice percé dans une carte et plus étroit que la pupille, on peut
voir aux distances les plus variées; le travail d'accommodation est donc indépendant des
mouvements de la pupille, puisque l'ell'et de ces derniers est annulé par l'interposition
devant l'œil d'un diaphragme à ouverture invariable.
4" Il ne reste donc plus qu'à cherclier dans une modification de la force réfringente
de l'œil la cause de la faculté d'adaptation. Or le système dioptrique se compose de quatre
éléments que nous pouvons supposer réduits à deux, d'une part la cornée avec l'humeur
aqueuse, d'autre part le cristallin et l'humeur vitrée. Nous pouvons éliminer immédiate-
ment la théorie de Vallée, fondée en grande partie sur une prétendue augmentation
de réfringence des diverses couches du corps vitré depuis le cristallin jusqu'à la rétine.
D'anciens observateurs ont cru avoir observé des changements de courbure de la
cornée pendant l'accommodation. Mais Youmg et de Hald.\t ont montré que, si on place
l'œil sous l'eau et qu'on annule ainsi les effets de la cornée en la comprenant entre deux
milieux réfringents de valeur égale, l'accommodation reste intacte. D'autre part la
mensuration des images catoptriques formées par la surface antérieure de la cornée a
fourni la preuve convaincante que sa courbure ne change pas dans la vision aux dilfé-
rentes distances. Ce fait, déjà aperçu par Burow, Sexf et Valentin, a été constaté au moyen
de méthodes très précises par Cramer et surtout par Helmholtz.
Rôle du cristallin dans l'accommodation. — Nous sommes ainsi arrivé par exclu-
sion à admettre que l'agent de l'accommodation, c'est le cristallin.
Cette opinion, émise pour la première fois par Descartes, puis soutenue par Young,
PuRKiN.iE, de Graefe, a été mise hors de contestation par les expériences de Langenbeck,
Cramer et particulièrement celles de Heluholtz.
Une observation très simple permet de s'assurer que, dans l'adaptation de l'œil aux
distances, la lentille cristallinienne change de forme et que ses courbes se modifient.
Ces variations se constatent par l'expérience dite des trois images. On sait que les
miroirs convexes donnent des images droites et diminuées des objets placés devant eux,
les miroirs concaves, des images renversées de ces mêmes objets, et ces images seront
d'autant plus petites que la courbure des miroirs est plus forte, son rayon par conséquent
plus petit.
Or, si l'on fait tomber sur l'œil les rayons d'une flamme, les surfaces de séparation des
milieux de l'œil agissent comme des miroirs, et l'observateur apercevra dans le champ
de la pupille trois images; l'une droite et ti'ès lumineuse due aux rayons réfléchis par la
cornée : l'autre, droite également, un peu plus grande que la précédente, mais à bords
moins nettement limités, et formée par la face antérieure du cristallin (image cristalli-
nienne antérieure) ; une troisième renversée, plus petite que les deux autres, formée par
la réflexion sur la face postérieure du cristallin agissant comme miroir concave, elle
oll're l'aspect d'un petit point lumineux. Elle se trouve à environ 1 millimètre derrière
la pupille, tandis que l'image cristallinienne antérieure est de 8 à 12 millimètres derrière
cet orifice.
mCT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 4
53
ACCOMMODATION.
Pour bien observer ces images l'examen se fait dans une pièce obscure. On donne à
l'œil du sujet une direction déterminée en lui faisant fixer un objet, et on place à côté
de lui une lumière assez forte de telle sorte que les rayons lumineux
• qui tombent sur la cornée fassent avec l'axe de l'œil un angle d'en-
viron 30"; l'observateur se place lui-même par rapport à l'axe dans
une position symétrique de celle de la lampe. Ou aperçoit alors les
images ou retlets dits de Purkin.ie-Sanson, parce que le premier les a
découverts en 1828 et que le second les a employés pour diagnosti-
quer la cataracte.
! 1^ j Mais c'est Langenbeck qui a eu d'abord l'idée de se servir de ces
C- o o reflets pour vérifier quels sont les changements de forme qui se pro-
FiG. 3. duisent dans la surface réfringente de l'œil pendant l'accommodation.
Cramer améliora ensuite la méthode d'observation et eut recours à un
instrument qui grossissait les images 10 à 20 fois : de plus, au lieu de faire regarder
directement le sujet dans la flamme, comme l'avait fait Langenbeck, il donna à l'expé-
rience la disposition indiquée plus haut. Indépendamment des auteurs précédents,
Helmholtz était arrivé aux même résultats. Il était réservé à l'illustre physiologiste de
donner la démonstration la plus rigoureuse des déformations du cristallin, et de les
mesurer avec une précision mathématique, grâce à l'instrument auquel il a donné le
nom d'ophtalmomètre.
Ce sont, en effet, des variations éprouvées par les images de Purkinje qui renseignent
sur les changemements de courbure du cristalliu. Si la mesure de ces variations exige des
instruments spéciaux, leur existence se constate facilement. Le sujet regarde d'abord
un objet éloigné; et les trois images auront la disposition représentée flg. 3. Si on lui
fait fixer alors un objet voisin, on observe : 1° que l'image cornéenne a ne change ni
de grandeur ni de position; 2° que l'image cristallinienne antérieure h diminue sen-
siblement de grandeur et se rapproche de l'image a; 3° que l'image cristallinienne
postérieure c devient également un peu plus petite et ne semble pas changer de
place.
Ces modifications se constatent encore plus facilement, si, au lieu d'une simple lampe,
on prend comme objets deux carrés lumineux. On emploie dans ce but un écran portant
l'une au-dessus de l'autre deux ouvertures fortement éclairées par derrière. Chaque
surface réfléchit alors deux rectangles, et l'on voit ceux qui correspondent à la face anté-
rieure du cristallin devenir plus pe-
tits, se rapprocher l'un de l'autre
en même temps qu'ils se rappro-
chent des rectangles lumineux de
la cornée.
Par conséquent, la courbure de
la face antérieure du cristallin aug-
mente, celle de la face postérieure
augmente aussi mais fort peu ;
quant à celle de la cornée, elle ne varie pas. La surface antérieure du cristallin avance,
sa surface postérieure ne parait pas changer de position, la lentille devient donc un
;peu plus épaisse au milieu, et, comme elle ne peut pas changer de volume, il faut que le
•diamètre équatorial diminue pendant que l'antéro-postérieur augmente. La figure 4
montre, sur sa moitié droite, le changement que la lentille éprouve en s'accommodant
pour la vision des objets rapprochés.
Les variations de grandeur des images ont été mesurées exactement par Helmholtz,
et ont permis de déterminer celles des rayons de courbure des surfaces considérées.
Pour mesurer l'image de la cornée et celle de la surface postérieure du cristallin,
Helmholtz s'est servi de l'ophtalmomètre (voyez ce mot). Mais l'image cristallinienne
antérieure est peu lumineuse à cause du peu de différence entre l'indice de réfraction
de l'humeur aqueuse et celui des couches superficielles du cristallin : et l'ophtalmo-
mètre ne permet pas de les mesurer exactement, du moins si l'on a recours à la lumière
d'une lampe. Helmholtz a tourné la difficulté en produisant à côté de l'image réfléchie
par la surface antérieure du cristallin une image réfléchie par la cornée, qui, elle, est.
ACCOMMODATION.
SI
FiG. 5. (D'après Helmholtz.)
comme on sait, très lumineuse et dont on fait alors varier la grandeur jusqu'à ce qu'elle
soit égale à celle dé l'image cristallinienne.
La disposition de l'expérience est la suivante. 0, l'œil en observation s'appliqut;
immédiatement derrière un miroir métallique, placé horizontalement sur un support.
A 33 centimètres en avant de lui se trouvent deux 'éci'ans verticaux 6 et c présentant
les orifices f et g. Derrière l'ouverture f se trouve une petite flamme, derrière g une
flamme plus grosse et plus lumineuse.
Le miroir A a pour effet de faire réfléchir par l'œil une double image de chacun des
points f et g ; la grosse flamme g sert à former une double image sur la face antérieure
du cristallin, et la petite f une double image sur g
la cornée. L'œil est placé de telle sorte qu'il voit à
la fois par-dessus le miroir les deux points lumi-
neux f et g, en même temps que dans le miroir
leurs images dont la position est évidemment sy-
métrique de celle des points f ti g par rapport au
plan du miroir. La distance comprise entre l'ori-
fice /"et son image représente l'objet par rapport
à la cornée; appelons-la ffi, : il en sera de môme
de la distance g gi par rapport au cristallin. La
grandeur de chaque objet est donc donnée par le
double de la distance de chaque orifice au-dessus
du plan du miroir. Une règle graduée fixée le long
des écrans permet de faire la lecture.
Pour donner aux écrans la position convenable,
on trace sur le support la ligne horizontale OB,
puis la ligne GH qui lui est perpendiculaire et avec laquelle devra se confondre le plan
des écrans.
L'œil en observation fixe au loin un point E, auquel on donne une position telle que
les images cristalliniennes apparaissent au centre de la pupille et les deux petites images
cornéennes immédiatement à côté. L'œil de l'observateur regarde suivant la ligne OF
qui forme avec OB un angle égal à g OB, et examine les images, soit à l'œil nu, soit au
moyen d'un viseur. 11 ne reste plus qu'à élever ou abaisser l'écran b qui est mobile,
jusqu'à ce que la distance des deux images cornéennes soit égale à la distance des
images cristalliniennes.
L'image cornéenne est réfléchie par une simple surface convexe dont la distance
focale négative est, comme on sait, égale à -; R, le rayon de courbure, est connu. Mais
l'image cristallinienne antérieure est formée par un système complexe analogue à une
lentille convexo-concave (cornée et humeur aqueuse) dont la face concave serait dou-
blée d'une surface réfléchissante (face antérieure du cristallin). La distance focale de
ce système dépend à la fois et de la courbure du système réfringent et de celle du
miroir. La méthode précédente permet de l'évaluer.
Les images que des systèmes réfléchissants donnent des objets éloignés sont entre
elles comme les distances focales de ces systmies ; lorsque, par conséquent, deux sys-
tèmes différents donnent des images égales de deux objets inégaux, mais également
éloignés, les distances focales sont inversement proportionnelles à la grandeur des
objets.
Si nous appelons en effet 0 l'objet réfléchi par la cornée, 0' l'objet réfléchi par le
cristallin, I l'image de même grandeur réfléchie par le cristallin et la cornée, p la distance
des objets aux surfaces considérées, /"la distance focale de la cornée f —
focale du système réfléchissant complexe, nous aurons :
0 f + p.O' q + p'
q la distance
.0' .
I — * et-j- = -
I f ï g
En divisant les deux égalités l'une par l'autre ou a :
0' f{q + p)
52 ACCOMMODATION.
Comme f et q sont négligeables par rapporl à p, on a :
9.-1.
0' /
0 est le double de la distance du point f, soit ffi, au-dessus du plan du miroir : 0' est
le double de la distance du point g, soit ggi, par conséquent g= —■ ■
La valeur de q étant ainsi connue sert à calculer celle du rayon de courbure de
la surface antérieure du cristallin.
Helmholtz a résumé les mensurations que lui-même ou d'autre.' auteurs ont faites,
d'après les méthodes qu'il a instituées, dans le tableau suivant qui donne comparati-
vement les valeurs trouvées pendant l'adaptation au loin et la vision de près :
DISTANCE
DISTANCE
RAYON
RAYON
CE LA SURFACE
DE LA SURFACE
DE COURBURE
DE COURBURE
RAYON
antérieure
postérieure
de la surface
de la surface
du cristallin
du cristallin
antérieure
postérieure
de
au sommet
de la cornée
de la cornée
du cristallin
du cristallin
coiirliui'e
pendant
pendant
pendant
pendant
l'adaptation.
l'adaptation.
l'adaptation.
l'adaptation.
de la
— -~^^^~^»-^ — ■
— — — — —
— -— — —
. — -«,^.~
~— ' — ■
cornée.
puDclum
PDDClUID
puQCtum
punclum
linDCtiira
punclara
punclsm
pQDctam
rcmotura.
proiimum.
rcmotum.
proiitnum.
remotUDi.
proiimom.
rcmalDm.
proiilDMDl.
I.
7,338
4,024
3,664
7,172
7,172
11,9
8,6
5,83
Helmholtz . .
II.
7,646
3,597
3,1.57
7,232
7,232
8,8
5,9
5,13
III.
8,154
3,739
"
7,141
7,141
10,4
»
3,37
IV.
7,770a
3,5924
3,0343
7,5127
7,5127
8,2972
0,3213
3,3546
4,6383
V.
8,0303
3,6073
3,0533
7,4568
7,4568
7,9459
4,8865
0,4867
4,9536
Knapp . . . .'
VI.
7,1653
3,3774
2,7295
7,1534
7,1534
7,8600
4,8076
6,9012
5,6098
VII.
7,2053
3,4786
2,8432
7,1011
7,1011
9,04641
3,0296
6,4988
5,0853
VIII.
7,2303
3,9981
3,29533
7,200
7,200
9,77751
8,21771
6,06353
4,6941
-A-DAMUCK et
IX.
7,15568
3,23731
2,98985
7,200
7,200
10,2021
8,5973
6,2136
5,0001
WoiNOW . .
X.
6,85224
2,8997
2,4876
6,8435
6.8247
9,1139
7,3104
7,6008
6,3792
1
XI.
7,17369
3,6332
3,07682
7,200
7,200
10,543
8,80103
6,5331
5,6293
Mandelstamm
XII.
7,3408
3,7097
3,4606
7,5780
7,9048
10,5409
6,4881
6,4088
5,0494
et SCHOLER .
XIII.
7,785
3,. 539
2,954
7,1218
6,803
10,139
6,496
6,331
5,664
XIV.
7,201
3,654
3,3924
7,6474
7,7817
10,408
5,9338
6,5875
4,9872
Reich . . . .
XV.
7,4544
3,708
3,3234
7,4164
7,4879
10,5650
7,3822
5,5373
4,5825
'XVI.
7,7939
3,6516
3,2626
7,4332
7,5861
11,197
8,2045
6,2229
5,1976
"WOINOW. , .
XVII
8,00747
3,6175
3,0028
7,200
7,200 9,3785
5,2304
6,2480
4,9714
En attribuant aux divers éléments dioptriques (courbures, indices, distances des
dioptries) d'un œil idéal, la moyenne des valeurs trouvées par les méthodes ophtalmo-
métriques, on a l'œil schématique. Les valeurs étant fixées pour cet œil on peut, au
moyen des constructions et des formules relatives aux systèmes centrés, déterminer la
position des points focaux, principaux et nodaux du système dioptrique oculaire.
C'est ce qu'a fait Helmholtz dans le tableau suivant qui donne les constantes
optiques pour les deux états d'accommodation. Ce tableau contient à la fois, d'après
la deuxième édition allemande de l'Optique physiologique, les valeurs anciennes, tant
mesurées directement que calculées d'après l'œil schématique, telles que les donnait la
première édition de l'ouvrage et, d'autre part, ces valeurs corrigées d'après des déter-
minations nouvelles. Ce que Heluholtz désigne par lieu des divers points ou surfaces,
ACCOMMODATION.
33
c'est leur distance au sommet de la cornée, comptée positivement lorsqu'ils sont en
arrière d'elle et négativement quand ils sont en avant.
Les longueurs sont données en millimètres.
DÉTERMINATIONS ANCIENNES.
DÉTEEMINATIOr
s NOUVELLES.
Accommodation pour :
Accommoda
Loin.
tion pour :
Près.
Loin.
Prés.
Éléments dioplriques mesurés.
Indice de l'humeur aqueuse et du corps
103
77
16
11
103
77
16
11
1,3365
1,4371
1,3363
1,4.371
Indice total du cristallin
Rayon de courbure de cornée ....
8,0
8,0
7,829
7,829
Rayon de courbure delaface antérieure
10,0
6 0
Rayon de courbure de laface postérieure
6,0
3 3
6 0
3 3
Lieu de la face antérieure du cristallin.
3,6
3,2
3,6
3.2
Lieu de la face postérieure du cristallin.
7,2
7,2
7,2
7,2
Éléments dioptriqiœs calculés.
Distance focale antérieure de la cornée.
23,692
23,692
23,266
23,266
Distance focale postérieure de la cornée.
31,692
31,692
31,095
31,093
Distance focale du cristallin
43,707
33,785
50,617
39,073
Distance de la face antérieure du cristal-
lin à son point principal antérieur .
2,1073
1,9743
2,126
1,989
Distance de laface postérieure du cris-
tallin à son point principal postérieur.
— 1,2644
— 1,8100
— 1,276
— 1,823
Distance mutuelle des deux points prin-
cipaux du ci-istallin
0,2283
0,2153
0,198
0,187
Distance focale postérieure de l'œil. .
19,873
17,7.36
20,713
18,698
Distance focale antérieure de l'œil . .
14,838
13,274
13,498
13,990
Lieu du premier point principal . . .
1,9403
2,0330
1,733
1 ,858
2,3563
2,4919
2,106
2,2.37
Lieu du premier point nodal
6,9.37
6,313
6,968
6,366
Lieu du deuxième point nodal . . . .
7,373
6,974
7,321
6,963
Lieu du foyer antérieur
— 12,918
— 11,241
— 13,745
— 12,132
Lieu du foyer postérieur
22,231
20,248
22,819
20,9.33
En résumé, dans un œil qui regarde au loin, le rayon de courbure de la face anté-
rieure du cristallin est de 10 millimètres, celui de sa face postérieure de 6 millimètres.
La distance de la face antérieure du cristallin à la cornée est de 3,6 millimètres, celle
de la face postérieure à la cornée de 7,2 millimètres.
Lorsque l'œil est accommodé pour la vision de près, les valeurs deviennent les sui-
vantes : le rayon de la face antérieure du cristallin est de 6 millimètres, celui de la
face postérieure de o,5 : la surface antérieure du cristallin se rapproche de la cornée
de 0,4 millimètres, la postérieure ne change pas de place : l'épaisseur du cristallin
augmente de 0,4 millimètres. Les points principaux sont portés légèrement en arrière,
les points nodaux légèrement en avant.
On s'est demandé si dans la vision de prés les modifications du cristallin suffisent
à elles seules pour amener le point de concours des rayons lumineux sur la rétine.
La question peut se poser en ces termes : si l'œil schématique est emmétrope, c'est-
à-dire si son foyer principal postérieur se trouve sur la rétine, à 22,819 millimètres
de la cornée, pour quelle distance sera-t-il adapté quand les modifications indiquées
dans le tableau ci-dessus se seront produites dans les milieux réfringents, ou encore à
U ACCOMMODATION.
quelle distance du point principal antérieur devra se trouver un point lumineux p pour
que son image se fasse sur l'écran dont la position n'a pas changé.
Fi F-.
Cette distance est donnée par la formule classique des foyers conjugués 1 — •" =1
dans laquelle Fi et F2 représentent respectivement la distance focale antérieure et la
distance focale postérieure de l'oeil accommodé pour la vision de près, et pi la dis-
tance de l'image p, c'est-à-dire la distance de la rétine au deuxième point principal :
Pi s'obtient en retranchant de la distance de la rétine à la cornée, pendant la vision
au loin, la distance du deuxième point principal pendant l'accommodation ; par con-
séquent, pi = 22,819 — 2,257 = 20,S62. D'autre part Fi = 12,132 -|- l,8b8 = 13,990
F. jJi
e,t Fo = 20,9S5 — 2,257=18,698. De la formule précédente on tire : p= _„^ c'est-à-
,. 13,990x20,562 ^„, _
^"•^ 20,562-18,698^ ^^''^--
Par conséquent, lorsque l'œil schématique de l'emmétrope a mis enjeu tout son pou-
voir accommodateur, il est adapté à une distance de 154 millimètres environ, ce qui cor-
respond bien à l'amplitude normale d'accommodation; d'après l'ancien tableau de
Helmholtz, on trouve que cette distance est de 132 millimètres.
Knapp a prouvé également par des mensurations directes sur quatre sujets dilTérents
que les changements de courbure du cristallin suffisent pour expliquer toute l'accom-
modation dont l'œil est susceptible.
I,e calcul, basé sur les mensurations prises, a donné pour la distance du point fixé
dans la vision de près une valeur suffisamment approchée de celle qu'elle avait réelle-
ment, comme le prouvent les chiffres suivants :
MiUimètres.
Distance calculée d'après les mensurations 168 •J14 105 97
Distance vraie 107 MO 115 87
L'écart entre les deux chiffres chez l'un des sujets serait dû à ce que l'œil n'était pas
accommodé réellement à la distance de 107 millimètres. Les mensurations de Woinow,
AD.41IUXK et Woinow, Sthawuhidge et autres, concordent avec celles de Knapp.
Outre les changements de courbure le cristallin subit encore, d'après Tscherning
(A. P., 1892, p. 158) un déplacement qu'il a le premier signalé. Au moment de l'ac-
commodation, l'image cristallinienne postérieure se porte toujours, quelle que soit la
direction du regard, dans le même sens : en haut, dans l'examen à l'image renversée,
c'est-à-dire en réalité, en bas. Ce déplacement ne peut être dû ni à un changement de
courbure de la surface, ni à un mouvement de totalité de la lentille en avant ou en
arrière : ceux-ci auraient pour effet un déplacement de l'image qui serait toujours, soit
centripète, soit centrifuge.
Il ne reste donc que deux changements possibles : un mouvement de bascule du
cristallin, tel que sa partie supérieure se porte en bas, ou bien un déplacement de tota-
litéen bas. Mais dans le premier cas, l'image cristallinienne antérieure devrait se dépla-
cer en sens contraire de la postérieure : dans le deuxième cas, elles doivent se porter
toutes deux dans le même sens. C'est en effet ce dernier phénomène que l'on observe.
Comme sur l'œil observé par Tsherning le centre de la cornée était situé à environ
0,23 millimètres au-dessous de l'axe du cristallin, ce déplacement de la lentille avait
pour effet de centrer l'oiil : mais l'axe du cristallin était toujours à 2° au-dessous de
la-ligne visuelle.
De tout ce qui précède, il résulte qu'en l'absence du cristallin la faculté d'accommo-
dation doit être abolie. C'est en effet ce que Donders {Die Anomalien der Réfraction und
Accommodation, 1888, p. 266) a démontré par les expériences suivantes, faites sur de
jeunes sujets dont l'acuité visuelle était parfaite, et qui avaient été opérés avec succès
d'une cataracte congénitale double. Dans l'un des cas, le sujet avec des verres 1/3",
placés à 5 lignes en avant de l'œil, voyait rond et parfaitement net un point lumineux
situé à une grande distance. Entre l'un des deux yeux et dans la direction du point
lumineux se trouvait un point de mire fixe. Lorsque le jeune homme faisait converger
ses lignes visuelles vers le point de mire, l'un des yeux étant couvert d'un écran, le
ACCOMMODATION. 5S
point lumineux ne subissait aucun changement ou devenait tout au plus un peu plus
pelit et un peu plus net (à cause du rétrécissement de la pupille) : Or, on sait que la
convergence implique un effort accommodatif. Mais il suffisait d'éloigner ou de rap-
procher la lentille de l'œil de 1/4 de ligne pour que le point lumineux cessât d'être vu
distinctement et pour qu'il se changeât en une ligne, à cause de l'asymétrie de la cornée :
lorsque les yeux convergeaient alors sur le point de mire, la ligne lumineuse diminuait
de longueur, mais ne pouvait phis être vue comme un point. Le même essai réussit sur
chacun des deux yeux.
Dans un second cas analogue, l'absence d'accommodation fut démontrée de la
même manière. Dondehs constata en plus que, lorsqu'un point lumineux était vu à une
grande distance au moyen d'une lentille convexe, l'addition d'une seconde lentille de
+ 1/180 ou de — 1/180 produisait des modifications très sensibles. Avec la première le
point lumineux se changeait constamment en une ligne courte verticale, avec la seconde
en une ligne horizontale. Par contre, la convergence des lignes visuelles dans les
efforts pourvoir de près n'avait aucune inlluence. De plus, lorsque le sujet concentrait
toute son attention sur le point de mire, si l'on mettait inopinément devant son œil le
verre de + i/180 ou de — l/180,il accusait immédiatement une modification de l'image
du point lumineux.
+ 1 — I
DoNDERs est arrivé à des résultats semblables avec des verres de -^-— ou de .^r-- .
Par conséquent, l'œil privé de cristallin n'est plus en état de modifier son pouvoir
réfringent, puisque, malgré tous ses efforts pour accommoder, il n'imprime aucune
modification à l'image d'un point lumineux, alors que l'addition du plus faible verre
convexe ou concave à la lentille qui neutralise l'aphakie ou, ce qui revient au même,
le plus faible déplacement de cette lentille elle-même suffit pour produire cette trans-
formation.
Cependant un certain nombre d'ophtalmologistes, en particulier Foerster, ont sou-
tenu que l'accommodation persistait partiellement en l'absence du cristallin. — Pour la
bibliographie voir P.iUL Silex [Zur Frage der Accommodation des aphakischeyi Auges. Arch.
f. Augenheilk., 1888, t. xis, fasc. 1, p. 102). — L'expérience de Donders et d'autres du
même genre ne donnent pas toujours des résultats conformes aux précédents. On a
attribué cette persistance de l'adaptation soit à une augmentation de courbure de la
cornée produite par le muscle ciliaire ou par les muscles extrinsèques de l'œil, soit à
une modification de la surface antérieure du corps vitré due à ces mêmes muscles.
Mais les mensurations de Woinow et celles de Silex ont montré que, dans l'œil aphake,
pas plus que dans l'œil normal, la courbure de la cornée ne se modifie. Woinow a fait
remarquer aussi que ce n'est pas une augmentation de pouvoir réfringent du corps
vitré qui peut être en cause; en raison du peu de dillërence entre son indice de réfrac-
tion et celui de l'humeur aqueuse, la plus forte courbure de la surface antérieure du
corps vitré ne pourrait donner à l'accommodation la valeur qu'on lui trouve ehez cer-
ains sujets privés de cristallin.
Schneller a admis pour expliquer ces cas un allongement de l'axe optique. 11 a cru
avoir prouvé que si sur l'oiil normal on paralyse l'accommodation, qu'il appelle interne,
par l'atropine, le punctum proximum est plus rapproché de l'œil lorsque dans la vision
binoculaire les deux yeux se portent en bas et en dedans que lorsqu'un seul œil regarde
directement en avant : ce surplus d'accommodation qu'il a appelé l'accommodation
externe serait dû à l'action des muscles extrinsèques qui exécutent le mouvement indi-
qué. Il a cherché à démontrer qu'il en était de même pour l'œil aphake, que celui-ci n'a
plus d'accommodation lorsqu'il regarde directement en avant, mais qu'il peut, au con-
traii'e, accommoder lorsque les globes oculaires se portent en dedans et en bas. Mais
les faits qui servent de base à cette théorie ont été réfutés par Sattler.
Pour la plupart des ophtalmologistes, la persistance de l'accommodation, en l'ab-
sence du cristallin, ne serait donc qu'apparente : elle s'expliquerait par certains artifices
auxquels le sujet a instinctivement recours et qui induisent l'observateur en erreur :
c'est ainsi, par exemple, qu'il regarderai travers la partie périphérique du verre, c'est-
à-dire à travers une partie plus éloignée de l'œil, ce qui équivaut à l'addition d'un
faible verre convexe. Quand il s'agit d'essais de lecture, on peut admettre aussi que
56 ACCOMIVIODATION.
certains sujets arrivent par l'habitude à déchiffrer des images rétiniennes diffuses.
Cependant des auteurs autorisés soutiennent que la faculté d'accommodation n'est
pas entièrement perdue dans l'œil aphake : si vraiment il en est ainsi, on n'a pas encore
déterminé quel est l'élément dioptrique qui subit les modifications nécessaires.
Outre les modifications du cristallin, il faut encore noter celles qui se produisent
du côté de l'iris. La pupille se rétrécit pendant l'accommodation de près en même temps
que le bord pupillaire se porte en avant. On peut ie constater en se plaçant de manière
à examiner de profil et d'arrière en avant la cornée d'un sujet, de sorte que la moitié
environ de la pupille soit visible en avant
du bord sclérotical de la cornée. Si l'œil,
sans changer de direction, fi.\e un objet
plus rapproché, l'observateur constate
que l'ovale noir de la pupille tout entier
et même une partie du bord de l'iris
tourné vers lui devient visible en avant
de la sclérotique. Ce déplacement s'ob-
serve plus facilement si l'on prend comme
point de repère une ligne obscure qui
FiG. 6. (D'après Hklmholtz.) apparaît le long du bord de la cornée
tourné en avant et qui est l'image du
bord opposé de la sclérotique formée par réfraction à travers la cornée. Dans la
vision rapprochée l'espace clair compris entre cette ligne obscure et le noir de la
pupille se rétrécit.
Le déplacement de la pupille a été trouvé par Helmholtz; dans un cas, de 0,44 milli-
mètre, et, dans un autre, de 0,36 millimètre.
De ce que le cristallin bombe en avant, il doit en résulter aussi que la partie péri-
phérique de l'iris se porte en arrière : en effet, comme la cornée ne change pas de forme,
l'humeur aqueuse incompressible doit retrouver sur les côtés l'espace qu'elle perd au
centre : ce que lui permet le recul des parties périphériques de l'iris.
Cramer, puis Helmholtz, ont constaté le fait objectivement. Si l'on place près du sujet en
observation une flamme, assez latéralement pour que la plus grande partie de l'iris reste
dans l'ombre, la réfraction propre de la cornée dessinera dans la chambre antérieure
parallèlement au plan de l'iris une surface caustique dont l'intersection avec la partie
restée dans l'ombre se décèle par un reflet mince en forme de croissant.
Si l'éclairage latéral est disposé de telle sorte que la ligne caustique apparaisse près
du bord ciliaire de l'iris, elle se rapproche de ce bord, lors de l'accommodation, par-
ce que la partie du plan de l'iris qui coupe la surface caustique se meut d'avant en
arrière, et s'éloigne de la surface réfringente.
Agent des modifications du cristallin. — Puisque dans l'accommodation il y a
un déplacement, un mouvement produit sous l'influence de la volonté, on peut déjà en
inférer que l'instrument de ces modifications doit être un muscle. Il est inutile de réfuter
aujourd'hui l'opinion de Young, qui avait doté de propriétés contractiles le cristallinlui-
même.DESGARTES se rapprochait davantage de la vérité dans le passage suivant: «Plusieurs
filets noirs qui embrassent tout autour l'humeur cristalline et qui semblent autant de
petits tendons par les moyens desquels celte humeur devenant tantôt plus voûtée, tantôt
plus plate ' selon l'intention qu'on a de regarder les objets proches ou éloignés, change
un peu toute la figure du corps de l'œil. »
Comme les muscles extrinsèques ne peuvent être mis en cause, ainsi qu'il a été' dit
plus haut, c'est, en effet, dans les muscles intrinsèques de l'œil qu'il faut chercher l'or-
gane chargé de réaliser des effets observés. Ce ne pourrait être que les fibres muscu-
laires de l'iris ou bien le muscle ciliaire.
Cramer avait attribué à l'action de l'Iris l'augmentation de courbure du cristallin. Les
fibres circulaires en se contractant fourniraient un point d'attache fixe aux extrémités
centrales des fibres radiales, et celles-ci exerceraient alors sur le bord du cristallin et
sur le corps vitré une pression à laquelle le milieu de la face antérieure de la lentille
serait seul soustrait : celui-ci tendrait ainsi à faire saillie en avant. Mais Helmholtz a
fait remarquer que, si ce mécanisme peut rendre compte de l'augmentation de courbure
ACCOMMODATION. 57
de la face antérieure du cristallin, il ne peut expliquer l'augmentation d'épaisseur de
la lentille, parce qu'une pression qui agit sur les bords du cristallin et sur sa partie pos-
térieure devrait aplatir la face postérieure, si elle fait bomber l'antérieure.
L'expérimentation directe a du reste démontré que l'ablation de l'iris chez les ani-
maux n'empêche pas le changement de forme du cristallin (Hensen et Vœlckers, Smith) ;
et d'antre part chez des sujets qui étaient atteints d'une paralysie complète de l'iris
{Helmholtz) ou chez lesquels existait une absence, soit congénitale (Riiete, Reuter), soit
accidentelle (de Graefe) de cette membrane, l'œil n'avait rien perdu de sa faculté
d'accommodation.
Mais les expériences de Cramer faites sur l'œil du phoque ou sur l'œil de quelques
oiseaux ont du moins démontré que l'excitation des parties antérieures du globe produit
des changements acoommodatifs du cristallin. C'est qu'en effet le courant électrique
auquel avait recours Cramer excitait le véritable agent de l'accommodation, c'est-à-dire
le muscle ciliaire.
Rappelons ici la disposition de ce muscle et celle des parties par lesquelles il exerce
son action. Le muscle ciliaire s'insère en avant à la jonction de la sclérotique avec la
cornée, entre le bord fibreux du canal de Schlemsi et l'insertion de l'iris par un anneau
tendineux dit anneau de Gerlach. Il a la forme d'un triangle rectangle dont le côté le
plus court est tourné en avant et forme avec sa face externe un angle droit. Son sommet
est dirigé en arrière et sa face interne répond à la couronne ciliaire.
Les fibres de ce muscle peuvent être divisées en trois couches. La couche externe,
la plus épaisse, a une direction méridienne : ses faisceaux se portent d'avant en
arrière et se dissocient dans la choroïde en se terminant dans les lamelles conjonctives
de la lamina fitsca qui leur servent de tendons; d'après Shoen leurs prolongements
tendineux pourraient être suivis jusqu'à la gaine du nerf optique. Ces fibres, bien dé-
crites par Brucke, mais dont la découverte serait due à William Clay-Wallace, ont reçu
le nom de tenseur de la choroïde.
Les fibres de la deuxième couche, dites radiées, naissent comme les précédentes, de
l'angle externe et antérieur du muscle, se dirigent en ra3'onnant vers la face interne du
triangle musculaire, puis se terminent en partie vers son sommet, et en partie se conti-
nuent en ce point avec les fibres de la couche précédente.
La troisième portion, dite muscle de Rouget ou de Mulleb, est formée'de fibres circu-
laires qui constituent par leur ensemble un anneau parallèle à la base du la cornée: elles
occupent le petit côté du triangle, principalement son point de jonction avec le bord
interne. Cette couche présente les plus grandes variations individuelles : elle manque
souvent chez les myopes, tandis qu'elle est très développée au contraire chez les hyper-
métropes.
A la face interne du muscle ciliaire on trouve les procès ciliaires, dont il faut dire ici
un mot, puisqu'ils sont intéressés dans le mécanisme de l'accommodation. Ils forment
comme une couronne de plis rayonnes, dirigés en avant vers l'axe de l'œil. C'est dans
l'anneau formé par le corps ciliaire que se trouve suspendu le cristallin, maintenu eu
place par la zone de Zinn. On distingue à chaque procès ciliaire une racine adhérente au
muscle ciliaire, et un bord libre qui se divise en deux parties ou crêtes : l'une antérieure
plus courte, tournée vers la face postérieure de l'iris, l'autre postérieure, plus longue,
soudée avec la zonula. Le point de jonction de ces deux parties, le sommet des procès
ciliaires, n'est pas en contact direct avec le cristallin, il en reste séparé par un inter-
valle de 0,5 millimètre; il ne se trouve pas non plus sur le même plan que l'équateur
de la lentille: il est situé un peu en avant. Aussi, d'après Henle, si on prend l'hémisphère
antérieur d'un œil récemment extirpé, on peut, en r^ardant d'arrière en avant, voir la
face postérieure de l'iris entre le corps ciliaire et le bord du cristallin.
Enfin, c'est par l'intermédiaire de la zone de Zinn [Zonula, ligament suspenseur du cris-
tallin) que le muscle ciliaire agit sur la lentille. Ce ligament a été très diversement décrit
par les anatomistes. Nous nous contenterons de reproduire ici la description qu'en donne
Landolt [Traité d'ophtalmologie, t. m, p. 148). Les fibres de la zone de Zinn prennent en
partie leur origine au niveau de l'ora serrata, de la partie ciliaire de la rétine, plus par-
ticulièrement de la membrane limitante. La plupart d'entre elles proviennent cependant
des espaces compris entre les procès ciliaires et quelquefois des procès ciliaires eux-
38 ACCOMMODATION.
mêmes. Ces fibres de la zone de Zm'N situées le plus en avant se dirigent directement
vers la face antérieure du cristallin. Les plus courtes ont toutes une direction méridienne
et s'attachent aux deux surfaces du cristallin où elles se confondent avec la capsule.
Mais, à l'exception des libres les plus antérieures qui se portent en droite ligne vers la
face antérieure et des fibres postérieures qui se rendent directement à la surface posté-
rieure du cristallin, elles se croisent de telle sorte que celles qui reviennent d'en arrière
s'attachent à la surface antérieure, celles qui viennent d'en avant à la surface posté-
rieure. On voit donc d'après cette description qu'il n'y a pas à proprement parler de
canal de Petit.
Au point de vue du mécanisme de l'accommodation il faut surtout remarquer que
la zonula présente deux parties : l'une est adhérente au corps ciliaire, et s'étend de
l'ora serrata au sommet des procès ciliaires; l'autre, qui va de ce dernier point au bord
du cristallin, est libre et regarde la face postérieure de l'iris.
Il serait trop long d'énumérer en détail tontes les opinions qui ont été émises sur le
mode d'action du 'muscle ciliaire (Voir pour une partie de l'historique : Chrétien. La
choroïde et l'iris. Th. d'agrégation. Paris, 1876). Nous ne ferons que rappeler les princi-
pales en nous arrêtant particulièrement lur celle qui répond le mieux à l'ensemble des
faits observés. En résumé, elles peuvent se diviser en deux grandes catégories : les unes
considèrent la déformation du cristallin comme due à une pression exercée sur la len-
tille par le muscle ciliaire soit directement, soit par l'intermédiaire des procès ciliaires;
une autre explication, tout à fait opposée à la précédente, admet que le cristallin est
soumis constamment à une certaine pression et que lors de la contraction du muscle
ciliaire il reprend la forme qui lui est propre.
A la première manière de voir se rattachent les théories de Molleh, Rouget, Norton,
FiCK. On a supposé d'abord que les fibres circulaires du muscle ciliaire pourraient com-
primer directement le bord du cristallin et augmenter ainsi l'épaisseur de la lentille, et,
comme les fibres longitudinales comprimeraient en même temps le corps vitré en empê-
chant ainsi la face postérieure du cristallin de reculer, toutes les modifications porte-
raient sur sa face antérieure. Dans la théorie de Muller, la pression de l'iris sur la partie
périphérique de la face antérieure du cristallin venait encore ajouter ses effets à ceux du
muscle ciliaire, en même temps que le relâchement de la partie antérieure de la zone de
ZiNN, provoqué par le muscle, favorisait l'augmentation d'épaisseur du cristallin.
Rouget fit remarquer que le muscle ciliaire n'embrasse pas exactement le cristallin
sur lequel il doit agir, qu'il est situé sur un plan plus antérieur et séparé de lui : 1" par
les procès ciliaires; 2° par un certain intervalle existant entre ceux-ci et la circonférence
de la lentille. Mais les procès ciliaires pourraient, quand ils sont remplis et distendus
parle sang, transmettre au cristallin la compression qu'ils reçoivent du muscle ciliaire.
Au moment de la contraction de ce muscle, la tension du sang dans les procès
ciliaires devient assez considérable, pour leur donner la rigidité nécessaire à l'accom-
plissement de la fonction qui leur est attribuée : Rouget invoque différentes conditions
anatomiques qui peuvent amener à ce résultat.
Norton a émis une opinion du même genre en insistant particulièrement sur l'action
adjuvante de l'iris qui, en se contractant, comprimerait le coussinet érectile situé en arrière
de lui. Signalons encore Fiok qui veut au contraire que dans l'accommodation de près
les procès ciliaires se dégorgent dans [esvasa vorticosa de la choroïde: par ce passage du
sang dans la partie de l'œil située en arrière de la cloison formée par la zonula et le cris-
tallin, la pression augmenterait dans la partie postérieure de l'œil et diminuerait dans
sa partie antérieure : le centre du cristallin serait poussé en avant. Cette dernière théorie
peut être éliminée immédiatement, aucun observateur n'ayant constaté cette déplétion
des procès ciliaires dont il est question : elle suppose de plus un aplatissement de la
face postérieure du cristallin qui n'existe pas davantage.
En ce qui concerne l'opinion de Rouget, et toutes celles du reste qui font intervenir
la coopération des procès ciliaires, on peut leur objecter: fies observations mentionnées
plus loin de Coccius, Becker, etc., qui ont vu, pendant l'accommodation, les procès ciliaires
séparés toujours du cristallin par un intervalle appréciable; 2° les expériences faites sur
des yeux fraîchement extirpés, sur lesquels on obtient, en excitant les nerfs et les muscles
de l'accommodation, les modifications ordinaires des images de Pdrkinje.
ACCOMMODATION, 59
La théorie de Helmholtz, non seulement ne s'est pas heurtée aux mêmes difficultés,
mais elle a encore pour elle bon nombre de faits expérimentaux. D'après Helmholtz le
cristallin à l'état de repos n'a pas la forme qui répond à son élasticité ou pour mieux
dire k l'élasticité de sa capsule: il est aplati par la tension de la zone de Zinn, ce qui a
pour effet de réduire l'épaisseur de la lentille et de diminuer ses courbures; comme les
fibres les plus épaisses, les plus résistantes de la zomda s'insèrent sur la périphérie de
la capsule cristallinienne antérieure, l'aplatissement portera surtout sur la face anté-
rieure de la lentille, dont le centre se trouve ainsi repoussé en arrière.
La zonula étant unie au dehors aux procès ciliaires et par conséquent à la choroïde,
la lentille forme avec ces deux membranes un espace clos entièrementrempli par le corps
vitré. La pression de l'humeur vitrée doit maintenir les parois de cet espace dans un état
de tension permanent.
Lors donc que le muscle ciliaire se contracte, les fibres méridiennes qui se terminent
en arrière des procès ciliaires, dans le tissu de la choroïde, font avancer l'extrémité posté-
rieure de la zonula intimement unie en ce point à la membrane vasculaire de l'œil; la
zonula est mise dans le relâchement, le cristallin abandonné à son élasticité change de
forme, diminue de diamètre et augmente d'épaisseur; par suite, la courbure de ses deux
faces devient plus marquée.
Lorsque Helmholtz émit pour la première fois cette théorie on ne connaissait pas
encore les fibres circulaires du muscle ciliaire. La découverte de ces fibres n'a rien enlevé
à la valeur de l'interprétation précédente : elles viennent au contraire en aide aux fibres
méridiennes. En se contractant, elles ne peuvent que rapprocher l'angle interne du corps
ciliaire des bords du cristallin et contribuer par conséquent à relâcher la zone de Zinn.
Leur rôle d'après Helmholtz serait de faire suivre à la partie antérieure des procès ciliaires
les mouvements exécutés par la lentille et la zonula, de telle sorte qu'il ne puisse se pro-
duire aucun tiraillement du tissu de ces derniers organes ni aucune traction sur la partie
antérieure de la zonula, de nature à iniluer sur l'action des fibres radiées. La contraction
du muscle ciliaire doit aussi faire sentir ses effets sur son insertion antérieure,
c'est-à-dire sur le tissu élastique qui borde en dedans le canal de Schleum : ce tissu est
attiré en arrière et avec lui l'insertion de l'iris. Le déplacement des parties périphé-
riques de cette membrane se constate, en effet, comme il a été dit, pendant l'accom-
modation.
A l'appui de sa théorie Helmholtz fait remarquer que si sur un œil mort on découvre
la lentille et la zonula, on peut aplatir le cristallin par des tractions exercées sur deux
points diamétralement opposés de la membrane, et qu'il reprend sa forme arrondie quand
la traction cesse. On a invoqué aussi le fait que le cristallin mort, isolé de ses connexions
avec la zone de Zlnn, devient plus convexe. Il faut ajouter cependant, comme l'a fait
remarquer Tscherning, que les chiffres obtenus, sur le cristallin mort et sur le cristallin
vivant au repos, ne diffèrent pas sensiblement entre eux, sauf en ce qui concerne
l'épaisseur de la lentille.
L'opinon de Helmholtz a encore été confirmée par les expériences de Hensen et Voel-
CRERs (Expérimental XJntersuch. il. cl. Mechanism. cl. Accommodation, Kiel, 1868 et Arcli. f.
Ophtalmol., 1873, t. xrx, i^" partie, p. 136), pratiquées d'abord sur le chien, plus tard sur
le chat et sur des yeux humains fraîchement extirpés. Ces physiologistes provoquent des
contractions du muscle ciliaire en excitant les nerfs qui s'y rendent, et, au moyen d'une
petite fenêtre taillée dans la sclérotique, ils voient directement le déplacement en avant
de la choroïde. En introduisant une fine aiguille à travers la membrane fibreuse jusque
dans la choroïde au niveau de l'équateur de l'œil, ils constatent que son extrémité libre
se porte en arrière, mouvement de bascule qui indique que l'extrémité interne se porte
en avant. Les mêmes auteurs ont aussi étudié les mouvements de la zonula. Par une
petite fenêtre scléroticale, et après ablation de la partie correspondante du corps
ciliaire, ils font pénétrer un fil de verre dont une extrémité vient s'appuyer sur le
ligament suspenseur du cristallin : l'extrémité libre du léger levier faisait une excur-
sion en arrière chaque fois que les nerfs ciliaires étaient excités, et cependant la mem-
brane ne pouvait être mise eu mouvement que par les parties du muscle ciliaire restées
intactes de chaque côté de la perte de susbtance. Hense.\ et Voelckers se sont encore assu-
rés par des procédés semblable que la courbure des deux faces du cristallin augmente à
60 ACCOMMODATION.
la suite de l'ablation des nerfs ciliaires et qu'il en est de même pour la face antérieure du
corps vitré après l'ablation du cristallin.
C'est aussi au déplacement de la choroïde qu'il faut attribuer le phénomène observé
par PuRKiNJE et que Czerhak a appelé le phosphène d'accommodation. Si dans l'obscu-
rité on accommode pour la vision rapprochée et que brusquement on relâche l'accom-
modation, on remarque à la périphérie du champ visuel un cercle lumineux, cette sen-
sation entoptique tient à un tiraillement des parties périphériques de la rétine. Qand le
muscle ciliaire se relâche, la zone de Zinn se tend de nouveau brusquement, tandis que le
cristallin ne cède que plus lentement à la traction exercée par cette membrane. Le
bord de la rétine intimement unie à la zone ehoroïdienne au niveau de Voi'a serrata se
trouve ainsi tiraillé jusqu'à ce que le cristallin ait repris sa forme aplatie. Hensen et
VoELCKERS, Berlin se sont rangés également à l'interprétation de Czermak. Pour Berlin
toutefoisia rétine se trouverait tiraillée, non au niveau de Vora serrata, mais au voisinage
de la macula, parce qu'il a observé par lui-même que le phosphène de Purrinje n'occupe
pas la périphérie du champ visuel, mais une région plus centrale *.
Les observations faites par Coccius viennent compléter les expérience de Hensen et de
Voelckehs. Chez des sujets auxquels une large iridectomie avait été pratiquée, Coccius
a pu examiner directement les modifications subies par les parties situées au voisinage
de l'équateur du cristallin, zonula et procès ciliaire.
L.A.1NDOLT {loc. cit., p. 153) en donne la description suivante d'après les détails fournis
par Coccius lui-même; la zonula se présente sous forme d'une série de bandelettes alter-
nativement claires ou obscures, les premières correspondant aux fibres situées le plus en
avant, les secondes aux plis rentrants qui ne sont pas éclairés. Lorsque l'œil exécute un
effort d'accommodation, les bandelettes formées par la zone de Zinn s'allongent, parce
que le cristallin diminue dans son diamètre équatorial : en même temps les stries foncées
deviennent plus larges. Le changement de forme que subit l'équateur du cristallin se
manifeste par un élargissement du cercle foncé qui caractérise ce bord et qui est dû à
la réflexion totale de la lumière.
Ce dernier fait avait également déjà été constaté par Becrer sur des yeux d'albinos :
mais, tandis que pour ce dernier les procès ciliaires s'éloignent de l'axe optique dans la
vision de près, et s'en rapprochent au contraire dans la vision au loin, Coccius les a vus
au contraire se gonfler et s'avancer vers l'axe pendant l'effort d'accommodation. Toute-
fois, les deux auteurs sont d'accord sur ce point que l'équateur du cristallin reste toujours
éloigné des procès ciliaires et d'autant plus, d'après Coccius, que l'accommodation est plus
forte. Il ne saurait donc être question d'une compression exercée par les procès ciliaires
sur les bords du cristallin. Coccius pense cependant que les procès ciliaires par leur
avancement et l'augmentation de leur volume pressent sur la partie antérieure du corps
vitré qui à son tour peut comprimer l'équateur du cristallin.
Hjort de Christiania, Landolt {loc. cit., -p. o21. Klin. Monatsh.f. Augenheilk,'p'p. 205-222,
cité in J. P., 1876) a vu aussi chez un homme qui avait perdu l'iris en totalité le bord
sombre du cristallin devenir plus large, les procès ciliaires se rapprocher de l'axe de l'œil
et se gonfler, mais contrairement à Coccius il n'a constaté, ni dans l'accommodation vo-
lontaire, ni après l'instillation d'une solution de fève de Calabar, un élargissement de
l'espace compris entre le bord du cristallin et les procès ciliaires. Si le diamètre de cet
espace zonulaire ne se modifle pas, c'est que pour Hjort l'avancement des procès ciliaires
est toujours proportionnel à la rétraction et à la diminution du diamètre de l'équateur
du cristallin.
Enfin d'après les recherches faites également sur des sujets irideclomisés ou sur des
albinos, Bauerein [Zw Accommodation des menschl. Auges, Wuzrburg, 1876) d'accord avec
Coccius et Hjort sur le sens du déplacement des procès ciliaires, soutient par contre que
1 . Helmholtz, Purkinje, Czermak, Landois ont encore signalé un autre phénomène entop-
tique qui se produit dans l'effort d'accommodation, l'œil étant dirigé sur une surface uniformé-
ment éclairée. Il est caractérisé principalement par l'apparition d'une tache, au centre du champ
visuel, immédiatement en dehors du point de fixation. Nagel, qui a étudié avec détail ce « nuage
d'accommodation », l'attribue à une augmentation de pression produite par la contraction du
muscle ciliaire dans le segment postérieur de l'œil et transmise par le corps vitré jusqu'au voi-
sinage de la fovea {Handb. d. gesammte Augenheillc, t. vi, p. 472).
ACCOMMODATION, 61
ceux-ci ne se gonflent pas : avec Coccius il admet que l'espace zonulaire pendant l'accom-
modation s'élargit parce que le diamètre de la lentille se rétracte plus que les procès
ciliaires n'avancent.
Si ces observations se contredisent sur certains points de détails, elle s'accordent du
moins àreconnaître : 1° que l'on constate directement pendant l'accommodation le relâ-
chement de la zonula et la diminution du diamètre équatorial du cristallin'; 2" que les
procès ciliaires ne peuvent exercer aucune compression sur le bord de la lentille.
La théorie de Helmholtz trouve donc dans ces recherches une nouvelle confirmation,
et, si Hjort avait raison contre Coccius en ce qui concerne la largeur de l'espace zonulaire,
les faits qu'il a observés prouveraient de plus que le mode d'action des fibres circulaires
du muscle est bien celui que lui a attribué Helmholtz : de proportionner les déplacements
de la partie antérieure des procès ciliaires à ceux du cristallin et de la zonula.
Le relâchement total de la zone de Zinn pendant l'effort d'accommodation est aujour-
d'hui un fait presque universellement accepté. Cependant nous devons mentionner
l'opinion de Schoen (Dec Accommodations Mechanismus u. ein neues Modell zur Démons-
tration desselben. A.Db., 1887, p. 224) d'après laquelle le feuillet postérieur de la zonula
seul se relâche, tandis que la tension du feuillet antérieur persiste et même augmente.
A l'état de repos de l'œil les deux feuillets sont tendus, des deux faces de la lentille à l'an-
gle interne du corps ciliaire. Par suite de cette tension le corps vitré est refoulé de
la périphérie du cristallin et tout l'excès de pression est alors supporté par la face posté-
rieure de la lentille qui est forcée de s'aplatir.
Lors de l'accommodation, la contraction des fibres circulaires rétrécit l'angle interne
du corps ciliaire et porte en arrière et en dedans les insertions postérieures des deux
lamelles de la zonule, en même temps que la contraction des fibres méridiennes
comprime le corps vitré. L'effet total de l'action musculaire est donc de rétrécir
l'espace circonscrit par la choroïde et la zonula antérieure et occupé par le corps vitré
et le cristallin. Comme le contenu de cet espace reste toujours le mèm.e, la pression qui
y règne doit tout au moins garder la même valeur ou même augmenter; par conséquent
aucune partie de cet espace ne peut être mise dans le relâchement, pas plus la zonula
antérieure que tout autre point. Seule, la zonula postérieure se relâche parce que la con-
traction des fibres circulaires en rétrécissant l'anneau ciliaire rapproche les deux points
d'insertion postérieurs de cette lamelle ; par suite de ce relâchement, l'humeur vitrée pénè-
tre dans les espaces situés autour de l'équateur du cristallin, et, comme la lentille subit une
pression égale partout, que son pôle postérieur n'est plus comprimé, elle peut s'épaissir.
Enfin le rétrécissement de l'anneau ciliaire qui rapproche également les points d'in-
sertion postérieure de la zonula antérieure permet encore à ce feuillet de se porter en
avant en devenant plus convexe tout en restant toujours tendu; et la courbure de la
lentille s'accommode à celle de la membrane.
Dans cette théorie le rôle important revient donc au muscle annulaire : les fibres
méridiennes, tant externes qu'internes, lui viennent en aide en comprimant le corps vitré;
de plus les fibres internes qui s'insèrent en avant, à l'angle interne du corps ciliaire et
qui ont là un point d'insertion relativement mobile, agiraient sur cet angle pour le
maintenir à sa place ou même le porter un peu en arrière, lorsque l'augmentation de
pression du corps vitré tend à amener un déplacement de totalité du cristallin, une pro-
pulsion en avant.
Enfin, comme, d'après Schoen, les prolongements tendineux des fibres méridiennes
pourraient être suivis en arrière jusqu'à la gaine du nerf optique, les efforts répétés
d'accommodation auraient comme conséquence des altérations mécaniques de cette
gaine et en particulier l'excavation physiologique du nerf optique leur serait imputable.
Une place à part doit être faite à la théorie d'EuMERT {Der Mechanismus der Accommod.
d.menschl. Auges. Arch. f. Augenheilk, t..x,hsc. .3, pp. 342 et 407, fasc. 4, pp. 407-429 et
dans : /.P., de Hofmann et ScHW.\LBE,p. 378, t.x,1883).Elle s'éloigne des précédentes en ce
qu'elle admet que les fibres radiées d'une part et les fibres circulaires d'autre part, au lieu
de concourir au même but, ont au contraire une action antagoniste. Le muscle circulaire
est seul en état de relâcher la zonula en rapprochant le corps ciliaire du cristallin ;
il se contracte seul dans la vision de près, tandis qu'au même moment le muscle radié
est relâché.
62 ACCOMMODATION.
Celui-ci à son tour enLre en jeu quand on regarde au loin, il attire le corps ciliaire
dans la direction de son tendon vers le sommet de la cornée et tend lazonula. Le relâ-
chement du muscle annulaire à lui seul ne suffirait pas pour produire cet elfet. C'est
pour vaincre l'élasticité du cristallin que chez l'emmétrope- les libres radiées sont plus
développées que les circulaires. Le myope également qui s'etTorce d'aplatir constamment
sa lentille pour éloigner son punctum remotum a un muscle radial prépondérant avec dé-
veloppement incomplet du muscle annulaire.
Chez l'hypermétrope au contraire les fibres circulaires sont très développées, plus
développées que chez l'emmétrope, parce qu'il doit constamment maintenir sa lentille à un
certain degré de convexité, tandis que la couche de fibres radiées est beaucoup plus
faible. Les fibres méridiennes dont le développement est en rapport avec celui des fibres
radiées auraient la même action que ces dernières et servent de plus à maintenir d'une
façon constante la choroïde dans un certain état de tension.
One opinion tout à fait analogue et basée sur des considérations semblables avait déjà
été émise antérieurement par Arlt (Die Ursachen uncl die Ensteh. cler Kurzsichtigkeit,
Wien, 1876, analysé in J. P., de Hofmann et Schwalbe, t. v, p. 112).
Ces dernières théories se rapprochent encore plus ou moins de celle de Helmholtz :
un travail de TscHERNi.\G,paru récemment (janvier 1894; dans les Archives de Physiologie,
la remet entièrement en question. Nous reproduisons en grande partie les observations
et les idées de l'auteur.
Pour TsGHERNiNG la réfraction augmente, il est vrai, mais l'augmentation n'est pas de
grandeur égale dans toute l'étendue de l'espace pupillaire :1a réfraction des parties périphé-
riques augmente moins que celle des parties centrales.
Ce fait se constate au moyen de l'instrument que Tschehnikg a appelé aberroscope : il
consiste en une lentille plan conve.xe de 4 dioptries, sur le côté plan de laquelle est
gravé un micromètre en forme de quadrillage dont les intervalles mesurent un milli-
mètre. L'observateur qui doit être emmétrope ou rendu tel regarde un point lumineux éloi-
gné à travers l'instrument en tenant celui-ci à environ 10 centimètres de l'œil. Le point
lumineux forme un cercle de diffusion dans lequel se dessinent les lignes du quadrillage.
Mais celles-ci ne sont vues sans déformation que par un œil dont la réfraction est exac-
tement la même dans toute retendue de l'espace pupillaire. La plupart des sujets voient
le5 lignes courbes tournant leur convexité vers le milieu du cercle de diffusion, déforma-
tion en croissant, ce qui indique que la réfraction augmente vers la périphérie (aber-
ration de sphéricité). La déformation contraire (en barillet), qui indique une diminution
de réfraction à la périphérie (aberration de sphéricité surcorrigée), est assez i-are.
Mais au moment de -l'accommodation il a produit un changement qui, au moins pour un
obsen'ateur jeune, est très frappant: si pendant le repos il voit la déformation en crois-
sant, il verra la ligne se redresser et devenir droite ou même légèrement courbe dans
l'autre sens : s'il voit au contraire pendant le repos de l'œil les lignes droites ou déformées
en barillet, il verra cette dernière déformation très prononcée pendant l'accommoda-
tion. Le changement indique, dans tous les cas, que la réfraction augmente plus au milieu
de la pupille que vers la périphérie.
D'autre part les mensurations que Tscherning a faites avec son ophtalmophakomètre
lui ont donné les résultats suivants :
ACCOMMODATION
pour :
loin. près.
Rayon de la surface antérieure du cristallia 10,2 5,0
— — postérieure — 6,2 S, 6
Lieu de la surface antérieure du cristallin 3,5 3,5
— — postérieure — 7,6 7,9
Épaisseur du cristallin 4,1 4,4
On voit dans ce tableau qu'en ce qui concerne les rayons des surfaces les résultats de
TscHER.NiNGSontconformesàceux de Heluholtz; mais, quant aux lieux des surfaces, c'est-
à-dire de la distance de leur sommet au sommet de la cornée, il n'en est plus de même.
TscHERN'iN'G trouvc quc le sommet de la surface antérieure reste à sa place, tandis que
celui de la surface postérieure recule.
ACCOIVIIVIODATION. 63
L'ophtalmopliakomètre permet encore de constater que, pendant l'accommodation. Je
rayon de la surface antérieure du cristallin augmente très notablement vers la périplié-
rie,qiie celle-ci s'aplatit, tandis que le centre se bombe. Cet aplatissement cependant ne
correspond pas à une diminution de réfraction. En dessinant la figure, on voit facilement
qu'en admettant que l'objet se trouve sur l'axe, la réfraction en un point dépend non du
rayon de courbure mais de la portion de la normale comprise entre le point d'incidence
et l'axe. A 1,7 millimètres de l'axe, en un point oii le rayon de courbure mesure encore
10 millimètres pendant l'accommodation, la normale n'est que de 6,3 millimètres et la
réfraction est donc à ce niveau plus grande que pendant le repos.
Pendant l'accommodation la réfraction de la surface augmente donc partout, mais
plus au milieu que vers la périphérie. C'est ce qui explique les phénomènes observés à
l'aberroscope.
Comme la partie centrale de la surface reste à sa place, les parties périphériques
doivent reculer en s'aplatissant, et, puisque le sommet de la surface postérieure se porte
aussi en arrière, ainsi qu'il a été dit, on peut en conclure que le cristallin recule en totalité
et que le sommet de la surface antérieure ne reste à sa Iplace que grâce à l'augmenta-
tion d'épaisseur. De sorte que les changements accommodatifs peuvent se résumer
ainsi : 1° le cristallin recule un peu; 2° la courbure des parties centrales des surfaces
augmente, celle des parties périphériques diminue; la partie centrale du cristallin aug-
mente d'épaisseur, aux dépens des parties périphériques dont l'épaisseur diminue.
Du côté de l'uvée, en même temps que la pupille se contracte, on constate que la par-
tie centrale de l'iris et ses parties périphériques restent à leur place, mais qu'entre elles
il se forme une dépression correspondant au pourtour du cristallin.
TscHERNiNG a cherché à élucider le mécanisme de ces déformations. La couche super-
ficielle du cristallin est la seule qui puisse changer de forme, le noyau du cristallin ne
possède pas celte faculté. Ainsi, si l'on vient à comprimer la lentille par le bord, la pres-
sion ne se communiquera qu'aux parties voisines decelles sur lesquelles on agit directe-
ment et non à toute la masse. Forcées de s'échapper, ces particules vont augmenter l'épais-
seur des parties périphériques du cristallin de manière à aplatir les surfaces, tandis
qu'on croit généralement qu'une telle compression doit augmenter la courbure de leur
partie centrale.
Si, d'autre part, on prend deux parties opposées de la zonule entre les doigts, et si l'on
exerce une traction sur le cristallin, on voit son diamètre s'allonger et la courbure des
surfaces augmenter au sommet tout en diminuant vers les bords. On peut observer aussi,
pendant cette traction, qu'une image catoptrique fournie par le centre de la lentille
diminue, tandis que près du bord elle augmente de diamètre : il en est de même pour la
surface postérieure. Enfin, si un quadrillage est placé à quelque distance d'un cristallin y
extrait de l'œil, la lentille en donne une image renversée et déformée en barillet, mais,
si on lire sur la zonule, l'image diminue et les lignes se redressenl, quoique incomplète-
ment, c'est-à-dire que, comme sur le cristallin vivant, il se produit: l°une augmentation
de réfraction; 2° une diminution de l'aberration de sphéricité.
TscHERNI^'G revient donc en définitive à l'idée que l'accommodation se fait non par
un relâchement de la zonula mais par une traction exercée sur cette membrane. Le
muscle ciliaire se diviserait en deux feuillets, l'un superficiel, l'autre profond; en arrière
ils se perdent tous les deux dans la choroïde; en avant le superficiel s'insère à la scléro-
tique près du canal de Schlemm, tandis que le profond n'a pas à ce niveau d'insertion fixe,
et les fibres changent de direction en avant pour devenir circulaires. Quand le muscle
se contracte « l'extrémité antérieure du feuillet profond recule et exerce ainsi une traction
en dehors et en arrière sur la zonula. Cette traction tend d'un côté à faire reculer le cris-
tallin, d'un autre côté à changerla forme de ses surfaces en rendant les parties centrales
plus convexes. L'extrémité postérieure de tout le muscle avance et tend la choroïde, de
sorte qu'elle puisse soutenir le corps vitré et empêcher le cristallin de reculer. En fixant
le cristallin, cette dernière action favorise l'effet de la traction zonulaire sur la forme de
ses surfaces, >>
L'existence d'une traction sur la zonula serait directement prouvée par le recul du
cristallin, par la dépression delà partie moyenne de l'iris et par la diminution de tension
dans la chambre antérieure signalée par Foerster. Cepen4ant je ferai remarquer que
64 ACCOMMODATION.
ScHOEN, dans son travail résumé plus haut, considère comme démontré que cette tension
ne varie pas pendant l'accommodation. Quoi qu'il en soit, cette diminution de tension
d'après Tscherning doit exercer son effet non seulement sur la chambre antérieure, mais
surtout ce qui est situé en avant du cristallin et de la zonule ; par suite, les sommets des
procès ciliaires se gonflent pour remplir le vide fait par le recul du cristallin, ce qui
explique leur avancement vers l'axe de l'œil.
Restent encore à expliquer certaines différences entre les phénomènes qui accompa-
gnent l'accommodation et les résultats des expériences rapportées plus haut. Une trac-
tion directe sur la zonula allonge le diamètre du cristallin; si celui-ci n'augmente pas
pendant l'accommodation, c'est que la traction exercée par le muscle ciliaire ne se fait
plus directement en dehors, mais en dehors et en arrière. Quand à la diminution du dia-
mètre observée par Coccins.TscHERNiNG laconsidère comme une illusion d'optique dont il
a cherché d'ailleurs à rendre compte : c'est aus.si à cause de l'obliquité de la traction que
l'effet porte surtout sur la face antérieure.
Enfm, dans ce même travail, Tscherning attribue le mouvement de descente du cris-
tallin, qu'il avait précédemment signalé, à la position excentrique de ce corps par rapport
au corps ciliaire. A l'état de repos, le cristallin serait déplacé un peu en haut de sorte
que les fibres inférieures de la zonula se tendent plus que les fibres supérieures, au
moment de l'accommodation.
Caractères de l'accommodation. — i° Amjjlitude d'accommodation. — L'accommoda-
tion est due, comme on vient de le voir, à une action musculaire qui augmente le pou-
voir réfringent de l'œil. A l'état de repos, celui-ci est à son minimum : le point pour
lequel l'œil est alors adapté s'appelle le punctum remotum.
L'œil normal est naturellement disposé pour la vision à l'infini. Si après avoir long-
temps fermé les 3'eus nous les ouvrons brusquement, nous ne voyons d'abord que les objets
éloignés : de même ceux-ci sont seuls vus nettement, si on paralyse l'appareil d'accom-
modation par l'atropine.
D'autre part, il arrive un moment où l'œil a atteint son maximun de force re'fringente
et où il est adapté au point le plus rapproché de la vision distincte : c'est le punctum
proximum. Au moment de son maximum d'accommodation, l'œil présente la plus forte
réfraction dont il est susceptible, puisqu'il augmente sa réfraction statique de la totalité
de sa réfraction dynamique. La totalité de la réfraction dynamique ou l'amplitude d'accom-
modation est donc égale au maximum de réfraction de l'œil, moins la réfraction
statique.
La mesure de l'état de réfraction peut être exprimée par la distance focale conjuguée
antérieure, c'est-à-dire par la distance à laquelle un point doit se trouver pour que son
image se forme sur la rétine. Elle est l'inverse de cette distance : plus ce point est rap-
proché de l'œil, plus la réfraction est forte. Si R est la distance du i^wictum remotum,
l
la réfraction à l'état de repos est tt. Si P est la distance du punctum proximum, la réfrac-
" 1
tion à l'état du maximum d'accommodation est p. La totalité de la réfraction dynamique
11
est donc - — ■^.
1
■rr représente, d'après les conventions usitées en ophtalmologie, le pouvoir dioptrique
*^ 1
de la lentille qui correspond à l'état de repos de l'œil; 5 est la lentille qui lui correspond
quand il fixe son punctum proximum. Pour obtenir la réfraction en dioptries, il suffit de
mesurer la distance en mètres; si l'œil voit, par exemple, un objet à 0,30 centimètres, il
1
a besoin d'une réfraction de -— - = 2 dioptries. INous représenterons ces dioptries par p
et /•.
Mais le changement qui a lieu pendant l'accommodation est lui-même équivalent à
l'addition d'une lentille positive à l'œil. L'effet maximum que peut produire le muscle ci-
liaire apour mesure le pouvoir dioptrique d'une lentille convergente qui rend la vision nette
à la distance du punctum proximum sans que l'état primitif de la réfraction des milieux de
l'œil ait varié, c'est-à-dire alors que l'appareil accommodateur est au repos. Cette len-
tille, si nous appelons A sa distance focale, sera exprimée, comme toujours, par l'inverse de
ACCOMMODATION. (ib
1
celte distance —, ou également en dioptries par a : et, puisqu'elle équivaut à la lotalilé
111
de la réfraction dynamique ou à l'amplitude d'accommodation, on aura t =^ n — Tï °" *-""
dioptries a = p — r.
On peut encore arriver à cette formule par les considérations suivantes :1a lentille qui
satisfait aux conditions précédentes est évidemment celle qui, recevant des rayons venus
d'un objet situé au punctum proximum, leur donne après réfraction une direction telle qu'ils
vont concourir par leurs prolongements au pMnciumremofM»?, ou du moins leur donne la
même direction que s'ils provenaient de ce point, de sorte que l'œil les- réunira sur sa
rétine sans que son accommodation ait à intervenir. En d'autres termes , le punctum
remotum doit être le foyer conjugué du punctum proximum par rapport à la lentille
cherchée, et, si nous appelons A sa distance focale, nous n'avons qu'à appliquer la formule
classique des foyers conjugués, pour les cas où il s'agit d'obtenir une image virtuelle,
111 . .
— = - — îT' l6 remolum étant dans notre hypothèse une image virtuelle formée par la
lentille.
Dans l'œil emmétrope le pouvoir d'accommodation est doncL=:l _
11 A " "'
est à l'infini, c'est-à-dire— =r= ou en dioptries a=^p.
A P
Par conséquent, chez l'emmétrope la distance focale de la lentille conve.'se qui repré-
sente l'amplitude d'accommodation et la distance P du punctum proximum sont égales.
La lentille donne en effet alors aux rayons émanés du point P une direction parallèle
comme s'ils venaient de l'infini, c'est-à-dire du punctum remotum de l'œil emmétrope
qui pourra les réunir sur sa rétine.
1 1 1
Chez le myope r^=p — tt ; chez l'hypermétrope où R est négatif, situé en arrière
1 1 / 1\ Il
de l'œi'' J=p — ( — i^J' c'est-à-dire p + ^.
La lentille qui remplace l'accommodation devrait être placée en réalité au niveau du
premier point nodal. Mais, en pratique, on compte souvent A, P, R, soit à partir du
premier point principal ou de la cornée qui se trouve à 1,73 millimètres en avant de ce
dernier, soit à partir du foyer antérieur de l'œil.
Le raisonnement qui nous a servi à mesurer la totalité du pouvoir accommodatif de
l'œil permet d'évaluer de la même manière la fraction du pouvoir accommodatif qu'un
œil emploie pour voir distinctement à une distance comprise entre celles du proximum
et du remotum. Dans l'œil emmétrope, par exemple, la lentille qui remplace l'accom-
modation devra, pour procurer la vision nette d'un objet placé à la distance D, avoir
précisément une longueur focale égale à D. D'une façon générale, dans les formules
précédentes, il suffira de remplacer la distance P à\x punctum proximum par la distance D
de l'objet qui doit être vu nettement.
11 ne faut pas confondre l'amplitude d'accommodation avec ce qu'on peut appeler
l'espace ou terrain d'accommodation qui est la distance comprise entre le remotum et
le proximum.
Un emmétrope qui, de l'infini, voit jusqu'à 12,30 centimètres, a un terrain d'accommo-
dation énorme : mais son amplitude d'accommodation est --=— — — , c'est-à-dire de
A 12,50'^
S dioptries.
Un myope dont le punctum remotum est à 20 centimètres, un myope de o dioptries,
et qui voit jusqu'à 5 centimètres, n'a qu'un terrain d'accommodation de 20 — S^^lb cen-
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 5
(i(i AC;COIVIMODATION.
timètres; mais son amplitude d'accommodation sera-—— — —— = 20—5, c est-a-dire
' "^ 0,0o 0,iO
de 15 dioptries.
Amplitude d'accommodation : i° absolue; i° binoculaire; 3° relative. — Dans ce
qui précède, il n'a été question que de l'amplitude d'accommodation évaluée pendant
la vision monoculaire. Dans ces conditions on obtient le maximum du changement de
réfraction que l'œil peut subir et cela, grâce à un excès de convergence. Si, en effet,
on couvre un œil et qu'on fait fixer à l'autre un point de plus en plus rapproché
jusqu'à ce qu'on soit arrivé au punctum proximum, et si on découvre alors brusquement
l'œil exclu de la vision, le sujet accuse, dans les premiers moments, de la diplopie. Pour
voir l'objet simple, l'œil primitivement couvert est obligé de faire un léger mouvement
en dehors comme s'il avait été atteint de strabisme convergent pendant que l'autre
était adapté au punctum proximum. Il n'était donc pas dirigé vers un point de fixation :
Les lignes de regard au lieu de se croiser en ce point se croisaient en deçà. La conver-
gence et l'accommodation sont tellement liées l'une à l'autre que le sujet arrive à aug-
menter l'effet de son accommodation en faisant un effort exagéré de convergence.
L'amplitude d'accommodation monoculaire est donc aussi l'amplitude absolue.
L'amplitude binoculaire, déterminée par les points extrêmes de la ligne médiane
que les deux yeux supposés égaux peuvent voir ensemble avec la même netteté est un
peu moindre que la monoculaire. Le punctum proximum binoculaire de l'emmétrope
est un peu plus éloigné de l'œil que le proximum absolu; car la convergence ne devient
pas plus forte qu'il ne le faut pour fixer le point auquel l'œil s'accommode; dans la vision
binoculaire, c'est là une condition indispensable pour que l'objet soit vu à la fois simple
et distinct; tandis que dans la détermination du proximum absolu, le sujet n'arrive à
la vision nette qu'en renonçant en réalité à la vision simple.
S'il existe entre l'accommodation et la convergence une solidarité assez étroite pour
qu'on ait pu la croire indissoluble, les expériences de Donders ont montré cependant
que dans une certaine mesure les deux actes peuvent se dissocier. En effet, un jeune
emmétrope voit encore nettement un point éloigné, malgré des lunettes concaves : il a dû
faire pour cela un effort d'accommodation plus ou moins considérable, tandis que la
direction des lignes visuelles est restée la même, puisque le point n'a pas changé de
place.
Il pourra également, avec les mêmes résultats, supporter des verres convexes faibles
et continuer par conséquent à voir nettement, tout en relâchant son accommodation.
Les verres ne doivent pas cependant dépasser un certain nombre de dioptries parce
que l'indépendance des deux actes est limitée.
Donders a donné le nom d'amplitude d'accommodation relative aux variations d'ac-
commodation dont les yeux sont susceptibles pour un degré donné de convergence. Elle
est relative à ce degré de convergence et exprime le maximum et le minimum d'accom-
modation entre lesquels la force réfringente de l'œil peut varier indépendamment de
la convergence.
Supposons en effet un objet situé sur la ligne médiane à une distance de 33 centi-
mètres ou, suivant la convention adoptée par les ophtalmologistes, à une distance de
3 dioptries. L'emmétrope qui fixe binoculairement cet objet aura besoin également
pour le voir nettement de 3 dioptries d'accommodation. Si nous plaçons successivement
devant ses yeux des verres convexes de 0,50, 1, l,oO, 2 dioptries, il devra nécessaire-
ment relâcher son accommodation d'une quantité équivalente de dioptries, la conver-
gence restant la même. Le numéro du verre le plus fort avec lequel la vision reste nette
indique donc le nombre de dioptries dont l'emmétrope, soumis à l'expérience, peut
relâcher son accommodation à partir de 3 dioptries pour la convergence à 33 centi-
mètres, ou de -—^p; = 3 angles métriques, suivant 1 expression usitée par Nogel pour
la mesure de l'angle de convergence.
De même, le numéro du verre négatif le plus fort que l'œil peut supporter, sans que
la vision cesse d'être nette, indique le nombre de dioptries dont l'emmétrope peut faire
augmenter son accommodation à partir de 3 dioptries, et pour la même convergence
à 33 centimètres.
ACCOMMODATION.
67
Si, par exemple, le verre positif le plus fort a pour numéro 2 dioptries 50, le verre
négatif le plus fort, 3 dioptries 50, cela veut dire que pour le degré de convergence
donnée, soit à 33 centimètres, l'emmétrope peut relâcher son accommodation de 2 diop-
tries 50 et la réduire à 3 — 2,50 = 0,50 dioptrie, ou bien l'augmenter de 3 dioptries et lui
donner la valeur de 3 + 3,50 = 6,50 dioptries. L'emmétrope, sous la convergence à
33 centimètres, peut donc voir nettement depuis 0,50 dioptrie ou 2 mètres jusqu'à 6,50 dio-
ptries ou 0™,t54. Le proximum est donc à 0"',15i et le remolum à 2 mètres, et l'ampli-
tude d'accommodation u=p — r sera donc de 6,50 — 50= 6 dioptries pour k conver-
gence donnée.
On a ainsi déterminé l'amplitude d'accommodation pour différents degrés de conver-
gence, et DoNDERS et Nogel ont résumé les résultats des courbes qui mettent bien les
faits en évidence.
"Vitesse de raccommodation. — Volkmann le premier s'est occupé de savoir com-
bien de fois, en un temps donné, il lui était possible d'accommoder successivement
pour deux points inégalement distants de l'œil; et il avait conclu de ses expériences que
les modifications se produisaient lentement et qu'elles ne pouvaient être attribuées qu'à
l'action d'un muscle à fibres lisses. Plus tard, Vierordt, puis Aeby, ont cherché à déter-
miner s'il existait une différence entre la durée de temps exigé pour l'accommodation,
suivant que l'œil s'adapte d'un point éloigné (R) à un point rapproché (P) ou que l'adap-
tation se fait au contraire de P à R. Vierordt a trouvé que pour adapter de 18 mètres
à 0™,fO le temps nécessaire était en moyenne de 1 seconde 18 et pour le relâchement
correspondant de 0,84; en faisant varier la distance du point de fixation par rapport à
l'œil, il a trouvé que la différence augmentait lorsque le point de fixation le plus rap-
proché se trouvait plus près de l'œil.
Le tableau suivant reproduit en partie les résultats obtenus par Aeby (Zeitschr. f.
rat. Med., 1861, 3« sér. t. xi, p. 300).
DISTANCE
DISTANCE
ADAPTATION
ADAPTATION
DES DEUX POINTS FIXES
RESPECTIVE
de R à P.
de P à R.
par rapport à l'œil.
des deux points.
milUnièt'es.
millimètres.
secondes.
secondes.
430 — 270
160
0,340
(0,220)
270 — 190
80
0,544
»
190 — 130
40
0,547
0,180
150-130
20
0,523
>i
130 — 120
10
0,545
0,179
120 — H5
5
0,334
"
430 — 190
240
0,763
(0,448)
270- 130-
120
0,764
1)
19U — 130
60
0,762
0,288
ISO — 120
30
0,770
»
130 — M j
13
0,767
0,287
430 — 150
280
0,864
(0,611)
270-130
140
0,877
0,4.57
190- 120
70
0,868
0,473
150 — 113
33
0,880
0,453
430 — 130
300
0,995
(0,853)
430 — 120
310
1,491
1,067
430 — 113
313
1,908
1,234
On voit que, si le point le plus éloigné (R) reste fixe à 430 millimètres, tandis que le
point (P) se rapproche de l'œil, de telle sorte que chaque fois le parcours d'accommo-
68 ACCOMMODATION.
dation augmente, le temps nécessaire à l'accommodation augmente également : ainsi,
pour un intervalle de 160 millimètres, il faut 0 seconde 340 pour 240 millimètres,
0 seconde 763 pour 280 millimètres, 0 seconde 864, etc.
D'autre part, la distance respective des deux points entre lesquels l'œil peut accom-
moder en un temps donné doit être d'autant plus petite que les deux points de fixation sont
plus rapprochés de l'œil. Ainsi, en une demi-seconde environ, l'œil pouvait faire varier son
adaptation de IfiO millimètres lorsque le point primitivement fixé était à 430 millimètres
de l'œil, de 80 millimètres lorsque ce point était à 270 millimètres, de 40 millimètres lors-
qu'il était à 190 millimètres, de 20 millimètres lorsqu'il était à 150 millimètres, de 10 mil-
limètres pour 130 millimètres de distance, de o millimètres pour 120 millimètres.
Les intervalles parcourus dans des temps égaux repi'ésentaient donc, depuis le point
leplus rapproché jusqu'au point le plus éloigné, une progression géométrique ascendante
avec le quotient 2. On voit qu'il en est de même pour les espaces parcourus, soit en
0 seconde 763 environ, soit en 0 seconde 864. La même progression s'observe quand
l'œil s'adapte du point P au point R : dans ce dernier cas seulement on remarque
chaque fois une exception pour le temps nécessaire au parcours du dernier intervalle
d'accommodation (chiffre entre parenthèses): l'exception, dit Aeby, n'est cependant qu'ap-
parente et s'explique parce qu'à la distance de 430 millimètres, les pointes d'épingle qui
servaient de point de fixation étant quelque peu indislinctes, il fallait un peu plus de
temps pour s'assurer que la vision en était réellement nette.
Les chiffres indiqués^ dans le tableau ci-dessus montrent encore, conformément à
ViERORDT, que lorsqu'on accommode pour des intervalles déterminés, les temps sont
notablement plus couits pour passer de P à R que pour adapter de R à P.
Akgelidci et Acbert (A. Pf., t. xxu, p. 69, 1880) ont envisagé la question à un point
de vue nouveau: ils ont recherché si le changement de forme du cristallin, à en juger par
le déplacement de l'image cristallinienne antérieure, réclamait plus de temps pour la
vision rapprochée que pour la vision au loin. Dans ce but, le sujet en observation mar-
quait lui-même, par un signal électrique, sur un cylindre enregistreur, le moment où il
commençait à accommoder et celui oîi il apercevait nettement le nouveau point fixe :
l'observateur marquait de même le commencement et la fin du déplacement de l'image
cristallinienne examinée, au moj'en d'un appareil semblable à celui de Cr.4.mer; le point
R était à 22 mètres : le point P à il ou à 22 centimètres.
Ces physiologistes sont arrivés aux résultats suivants : le temps nécessaire pour
produire l'accommodation, c'est-à-dire pour passer d'un point de fixation à un autre
et voir nettement ce dernier, est très différent du temps qu'exige le déplacement de
l'image cristallinienne. Celui-ci est toujours plus court que le premier, il n'est soumis,
contrairement à l'autre, qu'à de faibles variations.
La durée la plus longue pour le déplacement de l'image catoptrique a été de
0 seconde 53, la plus courte de 0 seconde 21 ; le chiffre moyen de toutes les expériences
a été de 0 seconde 33. La seule influence qui l'ait fait varier a été le rapprochement
du point P; lorsque celui-ci se trouvait près du punclum proximum, la durée était un
peu plus longue que quand il s'en éloignait. Pour 11 centimètres d'éloignement de ce
point par rapport à l'œil, la durée était de 0 seconde 37 : pour 20 centimètres, de
0 seconde 31.
Mais le fait important constaté par Angeliuci et Aubert, c'est qu'il n'y a pas de diffé-
rence sensible dans la durée du déplacement de l'image cristallinienne, soit que l'œil
passe de la vision d'un point rapproché à un point éloigné, soit qu'il s'adapte en sens
inverse. Par contre, ils ont trouvé, comme Vierordt et Aeby, que l'accommodation sub-
jective se comporte tout différemment : pour passer de R à P sa durée a été en moyenne
de 1 seconde 57 : pour passer de P à R de 0 seconde 82. Comme les auteurs précé-
dents, ils ont vu également que sa durée augmentait quand le point P se rapprochait
de l'œil; quand il en était distant de H centimètres, l'accommodation de R àP demandait
1 seconde 75, de P à R, 0 seconde 82; quand il se trouvait à 20 centimètres, il fallait,
pour passer de R à P, 0 seconde 93 ; de P à R, 0 seconde 62.
.\ngeliuci et Aubert se sont demandé quelle était la cause de la différence entre la
durée de l'accommodation subjective et la durée du déplacement de l'image catoptrique,
et ils ont proposé l'explication suivante :
ACCOMMODATION. 69
Le sujet qui accommode marque immédiatement, et sans temps perdu appréciable,
le moment où il commence à accommoder pour le nouveau point de flxation : pour
l'observateur qui inscrit le début du déplacement observé de l'image catoptrique, il y a
Ueu de tenir compte, au contraire, de l'équation personnelle que comporte la per-
(cption du début. Celui-ci sera donc inscrit avec un certain retard. Lorsque le sujet
accommode de P à R, ce retard équivaut approximativement à la différence entre la
durée de l'accommodation subjective et celle de la variation de l'image.
Mais quand le sujet accommode pour le point rapproché, ce retard ne suffit plus
pour rendre compte de l'écart considérable (0 seconde 79) entre le chiffre qui exprime
la durée de l'accommodation subjective et celui qui exprime la durée du déplacement
de l'image. La raison de cette différence, Angeliuci et Aubert la trouvent dans les consi-
dérations suivantes. Dans leurs expériences, le point de flxation étant assez éloigné de
l'œil (22 mètres), concordait à peu près avec le punctum remotum de l'œil emmétrope :
aussi l'adaptation pour ce point devait-elle se faire avec un relâchement presque com-
plet du muscle ciliaire, sans que le mouvement eût besoin d'être corrigé exactement.
Mais quand il s'agit d'accommoder pour un point rapproché, l'impulsion volontaire ne
peut être assez exactement réglée pour que la vision soit d'emblée tout à fait distincte :
il faut une correction ultérieure du mouvement pour que le point soit vu bien nettement,
et elle ne se fera pour ainsi dire que par tâtonnements. Après que la contraction pre-
mière n'aura pas encore atteint le but, il se produira une série d'impulsions volontaires
qui n'amèneront que de faibles déplacements de l'image, assez faibles pour échapper à
l'observation. Il 3' a donc une première mise au point, grossière et approximative, et
une autre définitive et plus délicate. Ce ne sont que les variations grossières de l'image
que l'observateur pourra constater et non les très légers déplacements qu'elle présentera
ensuite, taudis que le sujet n'inscrira la fin de l'accommodation qu'après avoir exécuté
les mouvements de correction nécessaires.
On s'explique aussi de même la différence de durée de l'accommodation subjective
suivant que l'œil s'adapte au point éloigné ou au point rapproché. Plus, en effet, celui-ci
sera près de l'œil, plus la contraction du muscle deviendra pénible et plus il faudra
de temps pour les derniers mouvements correcteurs.
Quoi qu'il en soit, « ce n'est pas la différence de durée du déplacement de l'image
cristallinienne qui est cause de la différence entre la durée de l'accommodation pour un
point rapproché et celle de l'adaptation à un point éloigné ». Autrement dit, la modifi-
cation du cristallin exige à peu près le même temps dans les deux cas.
Dans 32 autres observations, les auteurs ont comparé la durée des mouvements de
l'iris à celle de l'accommodation subjective, et ils ont trouvé les chiffres suivants :
Secondes.
Moyenne de la durée pour l'accommodation subjective de R à P . . . . 1,705
— — — — dePàR.... 1,014
— — pour le rétrécissement de la pupille 0,90.3
— — pour la dilatation de la pupille l,oril
Les mouvements de l'iris se font donc à peu près également vite que l'œil accommode,
soit pour P, soit pour R, et sa durée concorde à peu près avec celle qu'exige l'accom-
modation de P à R. Par conséquent, pendant que l'iris accomplit son mouvement en une
seconde environ, le muscle ciliaire modifie la forme du cristallin en 0 seconde 37 environ.
ScHMmT RiMPLER a déterminé la durée de l'accommodation en maintenant les yeux
dans un état égal de convergence, et en modifiant l'accommodation par des verres.
Le point de convergence étant à 2o centimètres, l'effort accommodateur maximum
produit par le plus fort verre concave avec lequel la vision restât nette, a demandé
1 seconde 64; le retour à l'adaptation primitive 0 seconde 78. Le relâchement maximum
de l'accommodation produit par le verre convexe le plus fort supporté a demandé
1 seconde 66 : le retour au point de convergence 1 seconde 018. Pour la convergence
donnée, la totalité de l'effort accommodateur, c'est-à-dire l'accommodation du remoium
relatif au proximum relatif, a donc demandé 2 secondes 72 : le relâchement du proximum
relatif au remotum relatif 2 secondes 44.
Pour la convergence à 6 mètres, l'effort accommodatif maximum demande 1 se-
70
ACCOMMODATION.
conde 46; le relâchement consécutif et le retour au point de convergence 0 seconde 92.
Le retour de l'accommodation au point de convergence s'est toujours fait plus vite
que le changement d'accommodation, que celui-ci se fût produit dans'le sens négatif ou
positif (Ja/ires6. de Virchow et Hirsch, 1879, t. ii, p. 476).
Lignes d'accommodation. — 11 faut remarquer maintenant que l'œil n'est jamais
accommodé pour un point unique, mais pour une série de points situés l'un derrière
l'autre. La ligne que forment ces points est la ligne d'accommodation de Czermak {Wiener
Sitzber, 1854, t. xii, p. 322). Il n'est pas indispensable en effet pour la netteté de la vision
que le point de concours des rayons lumineux soit un point mathématique. II suffit que
le cercle de diffusion ne dépasse pas le diamètre de l'élément percepteur : tant qu'il
n'empiétera pas sur l'élément voisin, il donnera la sensation d'un point. L'objet pourra
donc se rapprocher ou s'écarter de l'œil sans
cesser d'être vu distinctement, si dans les li-
mites où il se déplace, le diamètre des cercles
de diffusion que chacun de ces points forme sur
la rétine est inférieur à celui des éléments réti-
niens. Aussi est-il important, sous ce rapport, de
déterminer ce diamètre pour des distances va-
riables de l'objet. 11 varie, comme on sait, avec
les dimensions de la pupille, et aussi, comme il
est facile de le voir, avec la distance du sommet
du cône lumineux à la rétine.
Si sur la flg. 8 pp représente l'orifice de la pupille et NN la rétine, pp'c le cône
lumineux, on aura
PP _;
6c
ou ;z =
pp' xbc.
Listing (voir in Aubërt) Handb. der gesammt. Augenheilli. de Graefe-Saemisch, t. ii, 1876,
p. 438) a calculé aussi le diamètre des cercles de diffusion dans l'œil schématique emmé-
trope au repos, lorsque le point lumineux se rapproche de l'œil depuis l'infini jusqu'à 88 mil-
limètres du foyer principal antérieur. Il attribue à pp' (ouverture de la pupille) un dia-
mètre invariable de 4 millimètres. La distance du sommet du cône lumineux à la rétine
(6c) est donnée par la formule des foyers conjugués II' ^ FiFo, dans laquelle l est la dis-
tance du point lumineux au foyer principal antérieur, l' la distance de son image au foyer
principal postérieur, Fi et F» les deux foyers principaux, par conséquent l'on a : V c'est-à-dire
Fi ¥•>
bc = — j-^. Pour le produit Fi F2 Listing prend en chiffres ronds 300 millimètres.
Pour ac il suffit évidemment d'ajouter à bc la distance connue de la pupille à la
rétine et on a tous les éléments pour trouver zi'.
La formule de Listing exige que l'on mesure préalablement le diamètre de la pupille
ou bien qu'on le suppose invariable.
M. Badal (Soc. de Biologie, 1876, pp. 119 et 136) a indiqué un procédé qui permet de
mesurer les cercles de diffusion sans avoir à se préoccuper du diamètre de la pupille. Si
l'on place devant l'œil deux points lumi-
neux AA' pour lesquels cet œil n'est pas
accommodé il se formera sur la rétine
deux cercles de diffusion op, oq de
même grandeur (fig. 9). Si les deux
points lumineux peuvent se rapprocher
ou s'écarter l'un de l'autre, il y aura
nécessairement un certain écartement
de ces points lumineux, pour lequel ces
- -^,- a!
Fig. 9. (D'après Badal.)
cercles de diffusion arriveront au contact. 11 est e'vident que, quand les cercles sont tan-
gents, la distance de leurs centres mesure leurs diamètres. Dans cette situation, les axes
secondaires, joignant chaque point lumineux à son image, la ligne qui joint les deux
points lumineux et celle qui joint les centres des deux cercles de diffusion limitent deux
triangles semblables se touchant par leur sommet au centre de réfraction de l'œil (points
nodaux supposés fusionnés). Soit a la distance qui sépare les deux points lumineux, g la
distance de ces points au centre de réfraction, y la distance du centre de réfraction à la
ACCOMMODATION.
71
rétine, valeurs connues, [3 le diamètre cherché des cercles de diffusion, on a •
■ d'où
^ ^ a -. En d'autres termes le diamètre des cercles de diffusion est égal à l'écartemeut
des points lumineux, multiplié par le rapport -.
D'ailleurs il est facile de démontrer que, quelle que soit la distance des orifices à l'œil,
quand les cercles de diffusion sont amenés au contact, l'écartement des orifices est égal
au diamètre de la pupille. Cet écartement est mesuré au moyen du pupillomètre de
Robert Houdin. Cet instrument se compose essentiellement de deux écrans qui sont
percés de petits orifices capillaires et dont l'un est fixe et l'autre mobile.
Pour éviter que le sujet s'accommode pour les points lumineux, on le fait accommoder
d'un œil (dans l'optomètre) pour une distance donnée, et devant l'autre œil qui accommode
pour cette même distance on place les deux points lumineux à telle distance que l'on
désire, et on peut déterminer ainsi la grandeur des cercles de diffusion qui résulte du
déficit correspondant de l'accommodation.
Tout récemment, M. Salzuann (Bns Sehen in Zerstreuungskreien, Arch. f. OphtalmoL,
1893, t. XXXIX, 21= partie, p. 83) a établi très complètement la théorie des cercles de diffusion,
ainsi que la formule qui permet de les mesurer.
Mais le tableau suivant de Listing, fondé sur les calculs indiqués plus haut, suffit
pour faire comprendre tout ce qui est relatif aux lignes d'accommodation.
DISTANCE
DISTANCE
DIAMÈTRE
DU POINT LUMINEUX
du cône lumineux
au foyer
au foyer
principaL antérieur.
principal postérieur,
(rétine).
de diffusion.
mètres.
nûIliiijcHres.
milliinètres.
8
0
Il
65
0,005
0,0011
25
0,012
0,0027
12
0,023
0,0056
6
0,050
0,0112
3
0,100
0,0222
l,.'iOO
0,20
0,0443
n,7o0
0,40
0,0825
0,375
0,80
0,1616
0,188
1,60
0,3122
0,094
3,20
0,3768
0,088
3,42
0,6484
Des chiffres de Listing, il résulte que le diamètre des cercles de diffusion n'augmente
d'abord que d'une très faible quantité quand le point lumineux, à partir de l'infini, se
rapproche de l'œil, mais qu'il croît ensuite beaucoup plus vite, quand il est arrivé à
proximité de la cornée. C'est qu'en effet, dans cet énorme parcours du point lumineux
entre l'infini et d'à mètres, le sommet du cône pp'c (fig. 9.) ne s'éloigne de la rétine que
de 0,00o millimètre, tandis qu'entre 118 et 94 millimètres pour un parcours de 24 milli-
mètres, le point de concours des rayons lumineux se déplace de 1,60 millimètres.
On voit aussi, d'après le tableau précédent, que tant que le point lumineux ne se
trouve pas à moins de 25 mètres de l'œil, les cercles de diffusion sont encore assez
petits pour qu'il n'y ait pas de différence appréciable dans la netteté des images. On
peut dire qu'il y a là une première ligne d'accommodation, qui, de 25 mètres environ
en avant de l'œfi, va jusqu'à l'infini. D'une façon générale des cercles de diffusion qui
ne différeront pas de plus 0,002 millimètre seront équivalents pour les éléments sensibles
de la rétine. Si par conséquent l'œil est accommodé pour 373 millimètres environ, on
trouverait en calculant le diamètre des cercles de diffusion qu'il l'est également pour
ACCOMMODATION.
379,4 millimètres et 370,3 millimètres. La ligne d'accommodation sera d'ailleurs d'au-
lant plus courte que le point fixé est plus près de l'oeil.
Un procédé très simple de Czermak permet de se rendre compte de l'existence de
ces lignes d'accommodation. Si l'on tend devant l'œil un long fil dans la direction de
l'axe optique on voit le fil sous sa forme linéaire dans une certaine étendue ab
de chaque côlé du point fixé e, mais en deçà et au delà de cette ligne, le fil
paraîtra s'élargir et à une certaine distance descendra indistinct. La ligne
d'accommodation ab sera d'autant plus longue que l'on fixe un point du fil
plus éloigné, d'autant plus courte que ce point est plus rapproché de l'œil.
D'autre part le point fixé e ne tomhera pas exactement au milieu de la ligne
d'accommodation; il sera plus près de b parce que le diamètre des cercles
de diffusion des points rapprochés augmente plus vite que celui des points
éloignés, c'est pour la même raison qu'à partir de 6 le fll semblera s'élargir
davantage qu'à partir de a.
Une autre expérience instructive de Czermak est la suivante. On mar-
que sur une plaque de verre un point noir et on la tient devant une page
d'impression. Si l'on approche l'œil aussi près que possible de la plaque,
sans que le point noir cesse d'être vu nettement, on peut percevoir distinc-
tement le point ou le texte d'imprimerie, mais jamais les deux à la fois.
Mais, si l'œil s'éloigne progressivement de la plaque de verre, on'arrive à
une distance telle que les deux objets peuvent être vus en même temps
nettement. Le point noir et le texte se trouvent alors sur une ligne d'accom-
modation.
Égalité de l'effort d'accommodation dans les deux yeux. —
D'après Donders {Die Anomalien der Refraction und Accommodation, 1888,
p. 471), l'accommodation est toujours égale dans les deux yeux, de sorte que
nous ne sommes pas capables de compenser par un effort du muscle ciliaire
la moindre différence de réfraction dans les deux yeux. Un sujet qui a les
deux yeux égaux peut facilement s'en assurer en mettant devant l'un d'eux
un verre faiblement convexe ou concave et en fixant un objet quelconque,
par exemple de fins caractères d'imprimerie. Supposons, en effet, qu'avec un
verre convexe de 1,23 dioptries par exemple devant un œil on lise des carac-
tères de ce genre : il faudrait que l'effort accommodatif fût inégal dans les
deux yeux pour que la vision binoculaire fût nette : or elle ne l'est pas mal-
gré tous les efforts du lecteur. Les deux yeux sont inégalement adaptés, ce
dont on pourra se convaincre en fermant alternativement l'un etl'autre.
Donders fait remarquer que c'est celui dans lequel l'effort acconmiodatif doit être
le moindre qui est exactement accommodé.
Hering (H. H., t. m, 1879, p. S2S), a confirmé le fait par l'expérience suivante : il
tient très près des yeux une épingle qu'il fixe binoculairement et la porte sur le côté
pour qu'elle soit très inégalement distante des deux yeux. S'il dédouble ensuite l'image
simple de l'épingle par une légère déviation des axes visuels ou par un prisme à arête
horizontale, les deux images ne sont pas également nettes. La plus nette est celle de l'œil
le plus éloigné de l'objet. S'il ferme ensuite cet œil, il lui est possible de voir distinctement
l'épingle avec l'autre œil, preuve qu'elle n'était pas en dehors des limites de l'accommoda-
tion.
RuMPF a fait beaucoup d'essais du même genre avec les mêmes résultats. Comme
objet de fixation, il prend un faisceau de fils parallèles laissant entre eux des inter-
valles lumineux. Lorsqu'il disposait le faisceau de façon à ce qu'il fût éloigné de 30 cen-
timètres de l'un des yeux et de 34 centimètres de l'autre, il trouva constamment qu'un
seul des deux yeux était exactement accommodé, qu'il déterminât l'état d'accommoda-
tion, soit en couvrant alternativement les deux yeux, soit en comparant les doubles images
produites par des prismes. Lorsque l'objet se trouvait à égale distance des deux yeux et
qu'on rendait la réfraction inégale au moyen de verres convexes ou concaves, un faible
degré d'anisométropie artificielle n'empêchait pas la netteté de la vision binoculaire;
mais, si on dédoublait l'image, l'une des images était nette et l'autre confuse.
Enfin RuMPF a fait aussi des expériences avec le stéréoscope. On présente aux deux
FiG. 10.
{D'après
Gruenhagen
ACCOMMODATION. 73
yeux, dans le stéréoscope, deux plaques percées de Irous très fins et d'égal diamètre.
Pour un sujet isométrope, les points lumineux paraissaient égaux et également nets à
droite et à gauche, lorsque les deux plaques étaient à la même distance des deux yeux;
inégaux, lorsqu'une d'elles était rapprochée ou écartée de l'œil correspondant. Inverse-
ment les deux plaques devaient être inégalement éloignées des yeux pour que les trous
parussent égaux et également nets, si le sujet était naturellement anisométrope ou rendu
tel par des verres. Rumpf en conclut donc avec Donders et Hering que l'effort d'accommo-
dation est toujours égal dans la vision binoculaire, et aussi bien chez l'anisométrope que
chez l'emmétrope.
Cependant des faits contradictoires ont été produits par Schneller, Woinow, E. Fick,
{Ueb. ungleiche Accommodât. ,bei Gesiincl.und Anisometropen. Arch.f. Augenheilk, 1888, t. xix,
p. 123). Ce dernier a objecté aux expériences précédentes qu'elles démontrent seule-
ment que la compensation de l'inégalité de réfraction n'a pas eu lieu dans les cas
considérés, mais qu'elles ne prouvent pas qu'elle soit impossible. Pour résoudre la ques-
tion il faut non seulement, dit-il, que les images rétiniennes de chacun des deux j'eux
puissent être observées séparément, mais aussi qu'il y ait pour le sujet un grand intérêt
à les fusionner binoculairement. Afin de réaliser ce but, Fick se sert du stéréoscope à
prismes et soumet le sujet à une épreuve de lecture dans les conditions suivantes. On prend
deux exemplaires identiques d'une même page d'impression qu'on introduit dans le sté-
réoscope après avoir eu soin de couvrir, à différents intervalles, avec du papier blanc,
une partie d'un mot sur l'exemplaire de droite, et l'autre partie du même mot sur
l'exemplaire de gauche. Si l'on choisit convenablement les prismes, le sujet fusionnera
dans le stéréoscope par la vision binoculaire les deux textes en un seul sur lequel les
lacunes auront disparu. Si l'on met alors devant l'un des yeux un verre concave ou con-
vexe, le sujet ne devra plus voir nettement que d'un seul œil les mots et les parties de
mots, ou même, si les caractères sont assez fins et suffisamment éloignés, il ne devra
plus pouvoir lire que d'un seul œil : dans les deux cas de nombreuses lacunes lui appa-
raîtront dans le texte, à moins cependant qu'un effort d'accommodation inégal ne com-
pense la différence de réfraction. En réalité Fick trouve que l'on peut mettre successive-
ment devant l'un des yeux un verre convexe de 0,15, 0,5, 0,75, 1,0 dioptrie sans que
la vision binoculaire cesse d'être nette. Même avec un verre concave de — 1,0 devant
l'un des yeu.ï et un verre convexe de -i- 1,5 devant l'autre, le sujet réussirait encore à
fusionner les deux textes, au prix d'un grand effort toutefois.il supporterait donc une dif-
férence de réfraction de 2,5 dioptries et avec de l'exercice on pourrait, d'après Fick, par
une inégale accommodation, arriver à compenser une différence de 3,25 dioptries.
Pour établir que les résultats obtenus sont bien la conséquence d'une inégalité d'ac-
commodation et ne tiennent pas à ce que le sujet arrive à lire malgré les cercles de dif-
fusion, Fick fait la contre-épreuve suivante : il cherche quel est le vice de réfraction qui
permet à un œil normal de lire les mêmes caractères typographiques à la même dis-
tance que dans le stéréoscope (soit 50 centimètres) sans que l'accommodation puisse
intervenir. Dans ce but l'un des yeux étant rendu myope par un verre convexe de
2 dioptries, on porte à la distance de son punctum remotum, c'est-à-dire à 50 centi-
mètres, la page d'impression, puis on renforce successivemeni le verre de 0,25, 0,50,
0,75 dioptrie. Dans ces conditions, l'addition de 0,50 dioptrie rend déjà la lecture mo-
noculaire presque impossible.
Lorsque par conséquent le sujet supporte dans la vision binoculaire au stéréoscope
une différence de réfraction de 2,5 dioptries avec un verre — 1,0 devant l'œil gauche et
un verre -1-1,5 devant l'ceil droit, c'est l'inégalité d'accommodation qui a compensé 1,5
dioptries.
Mais Hess {Vers.itb. die angenbliche ungleiche Accommodât., Arch. f. Ophtalmol., 1889;
t. XXXV, p. 157) a montré qu'il s'était glissé dans les expériences de Fick différentes
causes d'erreurs. En réalité ce n'est pas une inégalité d'accommodation qui permet la lec-
ture : celle-ci se fait avec des images diffuses. Il constate en effet que, plus les caractères
d'impression employés sont fins, plus le verre supporté doit être faible, tandis que les
dimensions des lettres ne devraient avoir aucune influence, si vraiment la différence d'ac-
commodation intervenait. Les cercles de diffusion au contraire permettent, bien que
l'accommodation soit inexacte, de reconnaître encore les gros caractères et non plus les
74
ACCOMMODATION.
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fins. En répétant la contre-épreuve de Fick sur l'œil rendu myope, Hëss trouve que la
diflférence de réfraction supportée dans ces expériences (0,5 dioptrie) est précisément
de la valeur de celles qui, d'après Fick lui-même, permettent la lecture sans accommo-
dation. Il fait remarquer aussi que la différence de réfraction qu'un œil peut supporter
est moindre dans la vision monoculaire que dans la binoculaire, parce que, dans ce
dernier cas, la convergence des axes visuels et l'éclairemenl de l'œil opposé amènent un
rétrécissement plus marqué de la pupille, ce qui réduit le diamètre des cercles de diffu-
sion. D'autre part, dans la vision binoculaire au stéréoscope, lorsque Tun des yeux est
muni d'un verre il arrive involontairement que par un relâchement ou une augmenta-
tion très faible de la tension accommodative, les yeux accommodent alternativement
tantôt pour la moitié droite, tantôt pour la moitié gauche des mots, et si rapidement que
la lecture n'en éprouve pas d'arrêt, mais à un examen attentif, on s'aperçoit qu'en
même temps que l'une des moitiés du mot à lacune devient nette, l'autre moitié devient
„ „ indistincte. Knfin l'expérience suivante
g "s démontre très clairement que ce n'est
pas par accommodation inégale que le
sujet arrive à lire dans le stéréoscope.
On tend immédiatement au devant des
deux pages d'impression, dans une
direction horizontale, deux fils très fins
de cocon, de manière à ce que dans la
vision binoculaire on les voie très près
l'un de l'autre et parallèles. Il suffit
de mettre devant l'un des yeux un
verre de 0,2o dioptrie pour que l'un
des fils devienne indistinct, ou même,
le plus souvent, pour qu'il ne soit plus
visible ; avec un verre de 0,5 dioptrie,
il cesse constamment d'être vu, tandis
que la lecture des caractères d'impri-
merie continue à être très facile.
Influence de l'âge sur raccom-
modation. — Le pouvoir accomnioda-
teur diminue avec l'âge, et le punc-
lum. proximuni s'éloigne graduellement
de l'œil. La figure I \ exprime cettedimi-
nution. Sur l'axe horizontal s'inscrivent
les années : sur l'axe vertical les dis-
tances en dioptries comptées en avant de l'œil. Sur chacune des parallèles à l'axe vertical
menées par les points de division de l'axe horizontal, on a marqué, pour chaque
âge, les distances en dioptries du proximian et du remolum d'un emmétrope : les
distances seront comptées au-dessus ou au-dessous de l'axe horizontal, suivant que les
points auxquels elles se rapportent sont situés en avant ou en arrière d-e l'œil.
La courbe )•»■ représente les positions successives du remotum, la courbe pp celles du
proximum. On voit sur la courbe qu'un enfant de 10 ans peut, en mettant en jeu toute
sou accommodation, augmenter la force réfringente de son œil de 14 dioptries. A partir
de ce moment la courbe pp tombe rapidement; à 20 ans le punctiim proximum est à
10 dioptries G", 10; à 30 ans, l'accommodation n'est plus que de 7 dioptries et a par con-
séquent déjà diminué de moitié de ce qu'elle était à 10 ans. Entre fiO et 65 ans, la courbe pp
arrive à la ligne zéro, c'est-à-dire que le pimctum proximum est aussi éloigné que l'était
le punctum remotum jusqu'à 53 ans. La force réfringente que présente l'œil à l'état de
maximum d'accommodation est plus faible que celle qu'il présentait naguère à l'état de
repos. A 73 ans les deux courbes se confondent, c'est-à-dire que \eremotum etleproximum
coïncident, la réfraction n'est plus susceptible d'aucun changement; il n'y a plus d'accom-
modation, et en outre, le point de fusion des deux points étant à 1,8 dioptries au-dessous
de zéro, la force réfringente invariable de cet œil est de 1,5 dioptries plus faible qu'elle
ne l'était dans la jeunesse.
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FiG. 11. (D'après Imbert.)
ACCOMMODATION. 75
La valeur du pouvoir accommodatif est représentée pour chaque âge par la longueur
de l'ordonnée correspondante comprise entre les deux courbes du proximum et du remo-
tum. 11 suffit de jeter un coup d'œil sur le tableau pour voir que la longueur de cette
ordonnée diminue progressivement et pour trouver, en dioptries, l'amplitude d'accom-
modation relative à chaque âge.
Nous n'avons pas à nous occuper ici des causes qui modifient la position du pimctum
remotum, et qui rentrent dans l'étude de la réfraction statique. Mais nous devons dire
un mot des conditions qui avec l'âge afi'aiblissent la force accommodatrice et éloignent le
punctitm proximum de l'œil. Elles ne peuvent se trouver nécessairement que dans
l'organe actif de l'accommodation, le muscle ciliaire, ou dans l'agent passif, le cristallin.
Mais il n'est pas admissible que le muscle ciliaire perde de sa contractilité à partir de
l'âge de 10 ans. C'est donc l'élasticité du cristallin qui doit être en cause. En effet on a
observé que le cristallin change de consistance dès le jeune âge et devient plus rigide.
Quelque énergiques que soient les contractions du muscle ciliaire, la lentille n'est plus
susceptible que de déformations plus faibles, et la différence entre les courbures minima
et maxima de ces faces devient de moins en moins grande : la distance en dioptries
ia proximum an remotum, c'est-à-dire l'amplitude d'accommodation, diminue donc for-
cément.
Dans un âge plus avancé le muscle ciliaire doit également perdre de sa force et cette
cause vient s'ajouter à la précédente pour réduire de plus en plus le pouvoir accommo-
datif.
Mécanisme de raccommodation dans la série animale. — Nous résumerons
les principales données que nous avons pu réunir sur l'accommodation et les différentes
espèces animales.
A. Mammifères. • — Chez les autres mammifères, les agents et le mécanisme de l'ac-
commodation ne diffèrent guère de ce qu'ils sont chez l'homme. Bon nombre de faits
que nous avons déjà exposés ont d'ailleurs été acquis par l'expérimentation sur les
animaux : il suffira de rappeler les expériences de HeiNSen et Voklckers faites sur le
singe, le chat, le chien, de citer aussi celles de Hocks pratiquées également sur le chien.
Les seules différences à noter, c'est que l'homme et le singe possèdent un muscle
ciliaire plus développé que tous les autres mammifères, d'après Leuckart (Handbuch der
gesammten Augenheilk de Graefe-Saemisch, t. n, p. 232) et que, d'autre part, chez la
plupart d'entre eux, les fibres circulaires font défaut; ce qui tendrait à prouver que le
rôle le plus important revient aux fibres longitudinales.
Une autre particularité qui a son intérêt au point de vue de l'accommodation, c'est
que l'hypermétropie est très répandue dans le règne animal; chez le cheval, en parti-
culier, elle est très marquée. Il y a peut-être quelque avantage à ce défaut de réfraction
comme l'a fait remarquer Exner (cité par Béer) : un muscle exécute des mouvements
moins correctement lorsqu'il passe du repos complet à l'activité que lorsqu'il se trouve
déjà à un certain degré de contraction. Chez beaucoup d'animaux qui se meuvent rapi-
dement, des variations très fines dans l'accommodation sont nécessaires pour une appré-
ciation rapide et sûre des distances. Le muscle ciliaire les réalisera peut-être mieux
à cause de cette hypermétropie qui le met déjà dans un état de moyenne contraction,
même pour la vision au loin.
B. Oiseaux. — Le mécanisme de l'accommodation chez les oiseaux a été, dans ces
derniers temps, étudié complètement par Th. Béer {Studien ùb. die Accommod. des Vogel-
auges, A. Pf., 1892, t. lui, p. 173). Dans cette classe d'animaux le bord périphérique
de la cornée forme une saillie dirigée en dedans et en arrière. Cette saillie représente
l'insertion antérieure d'une grande partie du muscle ciliaire qui est divisé en ce point en
deux faisceaux : l'externe forme le muscle de Crampton qui se dirige en arrière et en
dehors et dont les fibres deviennent d'autant plus longues qu'elles sont plus rapprochées
de l'axe antéro-postérieur de l'oeil. L'extrémité postérieure du muscle de Crampton
s'insère à la sclérotique qui représente son point d'insertion fixe (h, flg. 12). La contrac-
tion du muscle ne peut faire sentir son effet que sur le bord de la cornée.
Le second faisceau du muscle ciliaire, que l'on désigne sous le nom de muscle de
MuLLER, s'insère en avant à la saillie de la cornée, comme le muscle de Crampton. Mais
en arrière, il s'attache sur la choroïde (m, flg. 12) : il a donc deux points d'insertion
76
ACCOMMODATION.
mobiles, mais le plus mobile est sans Joute la cboroïde. La troisième partie du muscle
la plus postérieure, appelée muscle de Brucke, a aussi son insertion mobile principale sur
la cboroïde : son insertion fixe se fait en avant à la sclérotique {at, flg. 12) : elle a la
plus grande analogie avec le muscle ciliaire des mammifères; son extrémité antérieure
est située en dehors de l'insertion postérieure du muscle de Muller : on a encore ap-
pelé le muscle de Brucke le tenseur externe de la cboroïde. Toutes ces fibres sont
striées et à direction longitudinale. On n'a trouvé de fibres circulaires que cbez l'ara
(Canfield).
La cornée cbez l'oiseau est formée de d; x lamoiles, l'une antérieure, l'autre pos-
térieure, plus mince : celle-ci se sépare de 1 antérieure vers la périphérie et est direc-
tement unie au muscle de Crampton qui s'insère exclusivement sur elle. Vers le centre
de la cornée, les deux lames sont intimement fusion-
nées : une couche de tissu conjonctif s'interpose entre
elles vers la circonférence.
La région de la zone de Zinn diffère beaucoup de
ce qu'elle est cbez les mammifères à cause de l'union
intime des procès ciliaires avec le cristallin. Le rôle
important dans l'accommodation est d'ailleurs joué
par le ligament pectine, très puissant, dont les fais-
ceaux s'insèrent en avant à la saillie de la cornée et,
traversant l'espace de Fontana, constituent au cristallin
un ligament suspenseur antérieur.
Le mécanisme de l'accommodation chez les oiseaux
a aussi donné lieu à des opinions diverses. Crampton
pensait que le muscle auquel il a donné son nom
diminue la convexité de la cornée pour ajuster l'œil à
la vision éloignée : pour Brucke, tout au contraire, il
augmente cette convexité, diminue par conséquent le
rayon de courbure et adapte l'œil à la vision de près.
Milne-Edwards dit aussi que la cornée devient plus
convexe lors de la contraction du muscle de Crampton :
c< Chez les oiseaux de proie dont la vue est à la fois
extrêmement longue et fort bonne, à courte distance,
celte disposition est particulièrement l'emarquable et
a été depuis longtemps considérée comme un moyen
puissant d'accommodation. » Cramer, par contre, a
refusé toute action au muscle de CR.4.aPT0N.
Pour Muller, chez l'oiseau comme chez le mam-
mifère, le tenseur de la choroïde empêche le cristallin
de se porter en arrière, tandis que l'iris comprime la
périphérie de la lentille par l'intermédiaire des pi-ocès
ciliaires. Mais Tbautvetter, après avoir enlevé l'iris à
des oiseaux, constata que les images cristalliniennes
antérieures se modifient encore comme chez les ani-
maux non opérés, lorsque le muscle ciliaire se con-
tracte.
Th. Béer a pu étudier l'action du muscle de Cramp-
ton par la méthode graphique. Il incise la cornée en ne laissant que sa partie périphé-
rique sur une largeur de 3 millimètres. L'anneau intact de la membrane est, au moyen
d'une serre fine et d'un fil, rattaché au levier d'un tambour récepteur de Marey, lequel
communique lui-même avec un tambour enregistreur. Les électrodes étant introduites
dans l'anneau osseux de la sclérotique, on voyait à chaque excitation du muscle ciUaire
la courbe s'abaisser et indiquer ainsi que la cornée était portée en dedans. On peut du
reste constater directement, dans ces conditions, que la circonférence de la cornée
exécute un mouvement en arrière et en dedans à chaque contraction du muscle.
Pour observer les modifications subies par la cornée lorsqu'elle est restée intacte en
totalité. Béer plante dans la membrane, à 2 millimètres de sa circonférence, une longue
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FiG. 12. — Schéma de l'appareil acrom-
modateur des oiseaux, d'après ExNER.
L représente le cristallin, maintenu
près de Téquateur par deux liga-
ments dont l'antérieur est le liga-
ment pectine et le postérieur la cho-
roïde; SS, sclérotique; c, lame interne
de la cornée; hk, muscle de Cramp-
ton; ta, tenseur de la choroïde;
m, muscle de Muller. La pression
intra-oculaire agit sur la lentille et
sur les ligaments dans la direction
des flèches.
ACCOMMODATION. 77
aiguille, de telle sorte que la pointe fasse une légère saillie dans la chambre antérieure.
On voit, an moment de l'excitation du muscle, l'extrémité libre de l'aig-uille s'incliner
vers l'axe optique. Ce mouvement devenait d'autant moins prononcé que l'aiguille était
introduite en un point plus voisin du centre. Deux aiguilles implantées de la même
façon dans la cornée se rapprochaient par leurs extrémités libres.
Ces mouvements de la lamelle interne de la cornée, la seule sur laquelle le muscle
de Craupton puisse agir, ont été observés chez tous les oiseaux mis en expérience;
c'est donc un fait général.
L'examen des images cornéennes à l'ophtalmomètre donna les l'ésultats suivants :
à la périphérie de la cornée, l'image devenait plus grande et moins nette lors de la
contraction du muscle de Crampton. On pouvait constater en même temps directement
l'aplatissement de la cornée à la circonférence. C'est que la traction exercée sur la
lamelle interne de la cornée par le muscle de Crampton doit se transmettre à la lamelle
externe par l'intermédiaire du tissu conjonctif interposé, et celle-ci doit s'aplatir.
L'augmentation du diamètre de la cornée à sa périphérie a été évaluée à 1,72 milli-
mètres sur un hibou. Mais, par contre, l'ophtalmomètre démontre qu'au centre de la
cornée la convexité augmente. Cette modification, toutefois, ne se produit pas chez tous
les oiseaux : c'est ainsi qu'elle n'a été constatée ni chez la poule ni chez le pigeon.
Par conséquent, l'aplatissement de la partie périphérique de la cornée est réelle, ce
qui confirme en partie l'opinion de Crampton : mais le phénomène est peu important
au point de vue de l'accommodation, puisqu'il porte sur la circonférence de la cornée,
et qu'en même temps il y a chez certains oiseaux diminution du rayon de courbure au
centre, ou que chez certains autres le sommet de la cornée ne se modifie pas. Chez les
oiseaux de proie, toutefois, l'augmentation de convexité du centre de la cornée est
constante et doit jouer un rôle important dans faccommodation.
Les courbures du cristallin se modifient d'ailleurs pendant l'accommodation chez les
oiseaux comme chez les mammifères, quoique les agents présentent des dispositions
différentes.
ExNER considère au cristallin deux ligaments suspenseurs, l'un antérieur, le ligament
pectine, l'autre postérieur, représenté par la partie antérieure de la choroïde, laquelle
est simplement en ce point accolée à la sclérotique sans lui être adhérente (Voyez le
schéma de la figure 12). Ce sont ces ligaments qui, par leur tension, aplatissent le
cristallin : lorsqu'ils se relâchent sous l'influence de la contraction des faisceaux du
muscle ciliaire, le cristallin devient plus convexe : c'est la théorie de Helmholtz appli-
quée aux oiseaux.
Béer a confirmé l'opinion d'ExNER, du moins en grande partie, par l'expérience. Il
constate que la surface antérieure du cristallin, ainsi que la partie centrale de l'iris,
se portent en avant, soit pendant l'accommodation spontanée, soit pendant l'excitation
électrique de la région ciliaire : l'examen des images montre que la convexité de la
face antérieure du cristallin augmente. Ainsi, par exemple, on trouve chez le busard
harpaye (Circus aeruginosus) avant l'excitation du muscle, rayon de courbure 15,98 milli-
mètres; pendant l'excitation, 13,43, soit une dilîérence de 2,55 millimètres. Cette modi-
fication est due principalement au muscle de Crampton et peut-être aussi en partie au
muscle de Muller qui en portant en arrière la lamelle interne de la cornée à laquelle
s'insère le ligament pectine forcent ce dernier à se relâcher.
La preuve en est fournie par la section du ligament pectine : après cette opération
la courbure de la face antérieure du cristallin augmente très sensiblement parce que
le cristallin est abandonné à son élasticité propre. Ainsi, chez ï tiuloar {Astur pahmbarius)
on avait avant la section »• ^18,50 millimètres; après la section 13,47; chez le busard
harpaye (Cî'rcîJS aeruginosus] a\'a.nt la section r = 15,98; après la section r^ 9, 80; les
mensurations ont été faites à l'ophtalmomètre.
D'autre part, si l'on excite le muscle ciliaire après avoir sectionné le ligament pec-
tine, il ne se produit plus aucune modification de l'image cristallinienne antérieure.
Quant à l'ablation de l'iris, elle n'a aucune influence, à moins qu'on n'ait enlevé en
même temps le ligament pectine.
D'après Exner, le faisceau de Brucke ou tenseur interne de la choroïde agirait en
portant en dedans et en avant la partie antérieure de la choroïde, pendant que la fente
78 ACCOMMODATION.
entre la choroïde et la sclérotique s'élargirait, ce qui faciliterait encore l'augmentation
des convexités du cristallin. Mais des expériences de Béer, il résulte que le rôle de ce
muscle, si important chez les mammifères, serait tout à fait accessoire chez les oiseaux :
ce qui le prouve, c'est qu'après la section du ligament pectine, c'est-à-dire quand on
a réduit le muscle de Champtom à l'impuissance, l'excitation du tenseur de la choroïde
ne produit plus de modification sensible dans les rayons de courbure de la face anté-
rieure du cristallin. Ce sont, par conséquent, les déplacements de la lame interne de la
cornée et non ceux de la choroïde qui jouent le principal rôle dans l'accommodation
chez les oiseaux.
La disposition et la structure de l'appareil accommodateur chez les oiseaux per-
mettent de comprendre pourquoi les modifications accommodatives sont dans cette
classe d'animaux à la fois si étendues, si exactes et si promptes. L'amplitude de l'ac-
commodation chez eux, dit Berlin, peut se déduire du développement de l'appareil
musculaire intrinsèque de l'œil et de la faible consistance de la masse cristallinienne.
Cette dernière propriété a encore comme conséquence une exactitude plus grande des
changements de forme des milieux réfringents, ce à quoi contribuent aussi la dispo-
sition des muscles et leur nature. Le muscle strié travaille avec plus de « virtuosité »
que le muscle lisse. Cette virtuosité se manifeste en ce qu'il fournit un travail plus
délicat et qu'il obéit plus rapidement à la volonté.
L'hirondelle qui, dans son vol le plus rapide, happe avec précision une mouche au
passage, l'aigle qui s'abat sur un poisson nageant à la surface de l'eau, plus vite qu'un
corps tombant librement dans l'espace, a évidemment besoin d'une accommodation
beaucoup plus rapide que celle qui est attribuée à l'homme par les expériences
de ViERonDT et d'AEBY : le muscle strié la leur fournit.
Béer fait ressortir aussi que chez la plupart des oiseaux la vision binoculaire est
très restreinte et même souvent n'existe pas. De sorte que l'appréciation exacte des
distances qui chez l'homme et d'autres animaux dépend en grande partie de la sen-
sation de convergence des lignes de regard est due principalement chez les oiseaux aux
sensations d'accommodation.
C. Reptiles. — Je ne sache pas que des recherches physiologiques aient été faites sur
l'accommodation dans cette classe, Leuckart dit que les notions même que l'on possède
sur la disposition de leur appareil accommodateur sont peu nombreuses. Ce qui est
certain, c'est qu'ils ont un muscle ciliaire, de nature striée, très analogue à celui des
oiseaux. Plus récemment, Ferruccio Mercanti [Arch. ital. de Biologie, 1885, t. iv, p. 197)
a fait à ce sujet des recherches dont voici les résultats principaux : ce sont les Croco-
diliens (Alligator) qui se rapprochent le plus des oiseaux : on trouve chez eux trois
muscles dont deux correspondent au muscle de Cra.mpton et au muscle de Bruckë,
tandis que le troisième est semblable au muscle circulaire des mammifères. H. Muller
avait, chez les Sauriens [Laceria agiiia), décrit une disposition tout à fait semblable à
celle des oiseaux.
Chez Lacerta vindis,F. Mercanti a trouvé un muscle spécial dont les deux extrémités
s'insèrent sur la choroïde : mais celle-ci étant unie à la sclérotique au moyen d'un
faisceau de tissu conjonctif près du bord externe de la cornée, c'est en ce point que
doit se trouver l'insertion fixe du muscle.
Chez les Chéloniens, il y a toujours un muscle longitudinal comparable à celui de
Bhucke, parfois il s'y ajoute un muscle circulaire ressemblant à celui de l'Alligator.
Chez les Ophidiens, parfois cette couche de fibres circulaires existe seule, parfois
le muscle circulaire lui-même fait entièrement défaut.
D. Poissons. — Chez les poissons un muscle spécial compris dans un renflement coni-
que, appelé campanula de Haller, s'insère presque perpendiculairement à la partie infé-
rieure de l'équateur du cristallin. La gaine de ce muscle est un prolongement direct du
processus falciforme qui chemine sur la ligne médiane d'arrière en avant à la face interne
du segment inférieur du globe de l'œil et amène au muscle ses vaisseaux et ses nerfs.
Lorsque celui-ci se contracte, il modifiera la forme et la position de la lentille, et, comme
il se dirige en haut et un peu en avant, il doit, quand il entre en activité, tirer en bas et
un peu en arrière le cristallin : celui-ci s'aplatira ou se rapprochera de la rétine, ou
peut-être même subira ces deux modifications à la fois. Dans les deux cas, le muscle doit
ACCOMMODATION. 79
accommoder l'œil pour la vision au loin : et il faut conclure de là qu'à l'état de repos, con-
trairement à ce qui se passe chez les autres vertébrés, l'œil est adapté pour la vision de
près (Leuckart.) -
D'après EmscmiEvtG (Zw Dioptrik und Ophtalmoskopie der Fisch und Ainphibien Auçjen
A. Db., 1882, p. 493,) qui a étudié la réfraction chez les poissons au moyen de l'ophtalmo-
scope, l'œil chez cette espèce, lorsqu'il est examiné sous l'eau, présente normalement une
faible mj'opie, de 24 pouces environ (1,5 dioptries) : l'emmétropie serait inutile aux pois-
sons, puisque l'eau la plus claire cesse d'être transparente sous une grande épaisseur :
par contre une myopie d'un si faible degré n'enlève rien à l'animal de ses moyens d'ac-
tion dans la lutte pour la vie.
Quant aux modifications accommodatives, Hirschberg ne pense pas que l'œil du pois-
son en soit susceptible à cause de la forme sphérique du cristallin, défavorable par con-
séquent à un allongement antéro-postérieur, et aussi à cause de sa consistance trop
grande qui ne lui permet pas de se déformer assez rapidement. Cependant, ajoute-l-il,
il n'est pas impossible qu'il possède une sorte d'accommodation grâce à un déplacement
du cristallin. 11 est permis de supposer en efl'et que, s'il n'en était pas ainsi, un muscle
spécial inséré sur la capsule oristallinienne n'aurait pas sa raison d'être.
E. Batraciens. — Hirschberg dit aussi avoir constaté objectivement par l'ophtalmo-
scope que l'œil de la grenouille ne parait pas doué de la faculté d'accommodation. L'examen
direct montre que la réfraction chez cet animal reste la même après et avant l'instilla-
tion d'atropine ou d'ésérine. Chez la grenouille, en effet, la lentille est passablement
dure, presque sphérique et occupe la plus grande partie du globe de l'œil.
D'ailleurs deux facteurs, l'un dioptrique, l'autre anatomique, interviennent, qui ren-
dent l'accommodation peu nécessaire à la grenouille : d'une part la courte distance
focale de son système dioptrique fait que pour des objets dont la distance au punctum
remotum varie notablement, les images ne se déplacent pas d'une façon sensible ; d'autre
part, en raison de la largeur des éléments de la rétine qui ont jusqu'à? |i. des cercles de
diffusion d'un diamètre relativement considérable ne rendront pas la vision indistincte.
Une raison plus péremptoire encore, c'est que la grenouille n'aurait pas de muscle
ciliaire : c'est en effet ce que dit Leuckart, mais à tort.
Cependant on peut se demander ce qui advient lorsque la grenouille, les amphibies
en général, passent de l'air dans l'eau ou inversement. Plateau était arrivé sur ce point
aux conclusions suivantes. Les amphibies (comme les poissons du reste), en raison de
l'aplatissement de leur cornée et de la sphéricité du cristallin, voient dans l'air aussi bien
que dans l'eau : seulement leur distance de vision distincte est un peu plus grande dans
ce dernier milieu, « les amphibies possèdent également la faculté de voir avec netteté
dans l'air et dans l'eau et à peu près à la même distance, sans que pour passer d'un
milieu à l'autre ils doivent mettre en jeu leur pouvoir d'accommodation ».
Ces déductions seraient en effet exactes si la cornée représentait une surface plane.
Mais d'après Hirschberg elles ne se vérifient ni chez le poisson ni chez la grenouille. Le
poisson, soit dit en passant, qui est faiblement myope dans l'eau, devient fortement
myope dans l'air parce que le pouvoir réfringent de la cornée intervient dans ce dernier
milieu.
Quant à la grenouille, sa cornée est très régulièrement convexe avec un rayon de
courbure de 4 à 5 millimétrés près de son centre, la distance focale principale antérieure
du dioptre est donc de 3 x 4 ou 3 x o soit 12 à la millimètres.
Si la grenouille dans l'air était emmétrope, elle deviendrait dans l'eau fortement
hypermétrope, puisque l'influence de la cornée est supprimée dans ce dernier milieu :
Hirschberg a trouvé que dans l'air elle présente probablement une myopie de „ à — , soit
1 , 1 ** ^
21(jmm '^ 133mm-
Etant donné le pouvoir réfringent de la cornée, comparé au degré de myopie, la gre-
nouille plongée dans l'eau ne deviendra pas seulement moins myope mais encore forte-
ment hypermétrope.
L'examen ophtalmoscopique démontre en effet que, si l'on recouvre la cornée de la
grenouille de quelques gouttes d'eau, la réfraction de l'œil diminue considérablement.
Hirschberg ajoute que, ne voulant pas émettre d'hypothèse,il laisse la question indécise
80 ACCOMMODATION.
de savoir si un appareil accommodateur quelconque permet à l'animal plongé dans l'eau
d'obvier à l'hypermétropie qui se produit dans ce milieu, si par exemple une pression
des paupières ne pourrait pas allonger le globe oculaire si saillant chez la grenouille.
C'est à tort cependant que Hirschberg refuse, d'après les traités classiques, un muscle
ciliaire à la grenouille. Ce muscle existe : H. Virchow (A. D6., 1883, p. 571) en a donné la
description : forme de fibres lisses, il se perd en arrière sur la choroïde et en avant prend
son point fixe sur la sclérotique, ce muscle n'est sans doute pas sans action sur le cris-
tallin.
F. Invertébrés. — Dans son ouvrage sur les yeux composés des crustacés et des
insectes, ExN'ER \Die Physiologie der facettirten Augen von Krebsen u. Insecten, 1891, p. d88)
considère comme peu vraisemblable qu'ils soient doués de la faculté d'accommodation.
On n'y rencontre pas d'appareil approprié à ce but et d'ailleurs l'épaisseur de la rétine
rend l'accommodation inutile : l'image peut se déplacer en avant ou en arrière dans des
limites très étendues sans cesser de se trouver sur la membrane.
Nerfs de l'accommodation. — Le nerf qui préside à l'accommodation pour la vision
de près est l'oculo-moleur commun. Trautvetter avait trouvé que chez les oiseaux l'image
cristallinienne antérieure devient plus petite lorsqu'on excite ce nerf. Chez les mammi-
fères, il n'était arrivé, il est vrai, qu'à des résultats négatifs. Mais les recherches de Hensen
et Vœlckers, celles de Hock ont montré que dans cette classe, c'est aussi le nerf de la
troisième paire qui préside à l'activité du muscle ciliaire. Les premiers ont constaté que
chez les chiens les filets destinés à ce muscle cheminent dans les faisceaux antérieurs
des racines de l'oculo-moteur, les effets observés par ces expérimentateurs pendant l'ex-
citation des nerfs ciliaires ou du ganglion optique ont déjà été rapportés plus haut à
propos du mécanisme de l'accommodation. Hock a excité isolément la branche du nerf
qui envoie un rameau au ganglion ophtalmique, eu même temps qu'il examinait soit les
images catoptriques, soit les déplacements de la choroïde, d'après le procédé des épingles,
et ir est arrivé aux mêmes résultats que Hensen et Vœlckers.
Un fait intéressant signalé par ces derniers, c'est que, si l'on agit sur un seul nerf
ciliaire, la contraction de l'iris et du muscle ciliaire ne s'opère que sur une partie isolée.
On comprend donc que, si elle est limitée à un méridien, elle fera relâcher le cristallin
inégalement, et lui fera prendre une forme plus convexe dans ce méridien seulement.
Se fondant sur ce fait, Dobrowolski a admis que le muscle ciliaire chez les individus
astigmates peut se contracter iiTégulièrement ; il en résulte alors une asymétrie du cris-
tallin, orientée de telle sorte que le maximum de courbure du cristallin corresponde au
minimum de courbure de la cornée et l'astigmatisme cornéen est ainsi compensé par
l'astigmatisme dynamique, accommodatif(J AVAL. Sur la théorie de l'accommodation. Soc. de
Biologie, 1882, p. 30) du cristallin; le premier ne devient manifeste que si on paralyse
l'accommodation par l'atropine. De même R. et A. Ahreks ont observé que cette accom-
modation anisomorphe, comme ils l'appellent, peut, chez des individus non astigmates,
arriver à annuler, par l'exercice, l'action de verres cylindriques de 1,73 dioptries.
Le centre nerveux des mouvements d'accommodation doit se trouver évidemment
dans le noyau d'origine de l'oculo-moteur commun. iMais ce noyau n'est pas simple, il
se compose d'une série de groupes ganglionnaires échelonnés le long de la ligne médiane
de l'aqueduc de Sylvius sur une longueur d'environ 20 millimètres. Ces différents groupes
constituent autant de centres distincts pour les différents muscles animés par le nerf.
Hensen et Vœlckers, puis Kahler et PicK,sont parvenus à exciter isolément chacun de ces
centres et à provoquer aussi isolément la contraction des muscles correspondants.
A l'extrémité antéro-supérieure du noyau se trouve le centre destiné aux mouvements
accommodatifs ; vient ensuite un peu plus bas celui qui préside aux contractions de la
pupille; en troisième rang celui qui anime le droit interne. Plus bas encore se trouvent
les centres pour les autres muscles animés par l'oculo-moteur commun, mais dont nous
n'avons pas à nous occuper ici. Star, en cherchant à localiser chezU'homme le siège de
ces différents noyaux moteurs, d'après l'analyse de 20 cas dé paralysie partielle, est arrivé
à des résultats qui concordent sensiblement avec ceux de Hensen et Vœlckers. Westphal
(voir Perlla. Die Anatomie des Oculo-m,otoriits Cenlrums beim Menschen, Arch. f. Ophialm.,
1891, t. XXXV, 4° partie, p. 287) a aussi décrit chez l'homme un noyau spécial qu'il con-
sidère comme le centre des mouvements de l'iris et du muscle ciliaire : situé sur la ligne
ACCOMMODATION. 81
médiane de forme ovalaire, et dirigé longitudinalement, il est composé de cellules plus
petites et se colorant moins fortement que celles des autres groupes ganglionnaires de
l'oculo-moteur. Ce qui motive l'opinion de Westphal, c'est qu'il a trouvé ce noyau
intact dans un cas de paralysie des muscles extrinsèques de l'oeil, alors que les autres
groupes ganglionnaires de l'oculo-moteur étaient dégénérés. C'est là le noyau médian de
Westphal : Édinger le décrit également chez le fœtus. Cependant Darkewitsch attribue
aux mouvements de la pupille un centre situé un peu plus haut et un peu plus sur le
côté que le précédent. Ce noyau recevrait de la commissure postérieure du cerveau des
■fibres par lesquelles les excitations lumineuses se transmettent de la rétine au noyau de la
troisième paire. Enfin, dans un travail récent, riche en indications bibliographiques,
SiEMERT.iNG [Arch. f. PsyMatrie, t. xxii, SuppL, 1890), tout en mettant en garde contre
les localisations trop précises, reconnaît cependant qu'il faut chercher les centres de
l'accommodation et des mouvements de la pupille dans les groupes antérieurs du noyau
de l'oculo-moteur.
Ces dispositions anatoraiques permettent de comprendre que les muscles internes
de l'œil, muscle ciliaire et iris, peuvent être paralysés isolément et indépendamment des
muscles extrinsèques ; c'est à ces cas que Hutchinson a donné le nom d'ophlalmoplégie
interne, mais en les attribuant à tort à une altération du ganglion ophtalmique ; ce sont des
paralysies nucléaires. D'autre part, dans la paralysie bulbaire les mouvements pupillaires
et l'accommodation restent habituellement intacts, même quand le droit interne est
paralysé ; ce fait est dû à ce que la partie antérieure du noyau de l'oculo-moteur com-
mun constitue un territoire vasculaire isolé, arrosé par une artère terminale autre que
celle qui irrigue la partie postérieure du noyau (Heubner).
Au point de vue de la physiologie normale le rapprochement des noyaux, d'une part,
et leur indépendance respective, d'autre part, expliquent pourquoi la convergence,
l'accommodation et le rétrécissement pupillaire sont si étroitement associés, sans que
cependant ces mouvements soient indissolubles.
On a déjà vu plus haut, en effet, que, la convergence restant la même, l'accommoda-
tion peut varier. Même sans le secours de verres, on arrive par l'exercice à faire varier
la valeur de l'accommodation, tout en maintenant la même convergence, inversement
DoNDERs a montré que, si l'on place devant les yeux des prismes dont le sommet sera .
dirigé soit vers la tempe soit vers le nez, on pourra dans le premier cas diminuer, dans
le second cas augmenter la convergence, du moins jusqu'à une certaine limite, sans que
l'accommodation varie. Il faut ajouter que, si la disparité entre la convergence et l'accom-
modation est dans une certaine mesure facultative pour l'emmétrope, elle devient une
nécessité pour l'amétrope. Les hypermétropes arrivent à mettre en jeu une forte accom-
modation avec une faible convergence des lignes de regard, ce qui leur est nécessaire
pour le maintien delà vision binoculaire et simple. Les myopes, par contre, sont souvent
doués de la faculté de converger vers un point assez rapproché sans que leur muscle
ciliaire se contracte, de façon à produire un surcroit de réfraction qui nuirait à la nettelé
de leur image rétinienne.
Le rapport entre les deux actes a donc subi une modification conforme aux exigences
de la réfraction statique. Des variations anatomiques, du genre de celles qu'a décrites
IvANOF, interviennent peut-être; il est permis aussi de supposer, comme le dit Landolt,
que chez le myope l'excitation des muscles préposés à la convergence ne s'accompagne
pas, dès le début, d'une excitation du muscle accommodateur et que la première est tou-
jours plus énergique que la seconde. Dans l'hypermétropie, c'est l'impulsion communi-
quée au muscle ciliaire qui serait prépondérante sur celle du droit interne.
Weber s'est demandé si les mouvements pupillaires étaient plus particulièrement
liés à l'accommodation ou à la convergence, et, comme en plaçant devant l'œil des verres
concaves ou convexes il n'avait pas vu le diamètre de la pupille se modifier, il s'était
prononcé pour cette dernière alternative. En réalité, comme le fait remarquer Hering, ils
suivent aussi bien l'une que l'autre. Donders trouve aussi que, si au moyen de verres on
modifie l'accommodation sans que la convergence varie, la pupille ne s'en rétrécit pas
moins, quand l'effort accommodatif augmente : il ajoute qu'il était parvenu, sans verres,
à augmenter ou à relâcher son accommodation tout en fixant un point invariable, et
que chaque augmentation de la tension accomniodalive s'accompagnait d'un rétrécisse-
DICT. DE PHYSIOLOGIE. TOME I. 6
82 ACCOMMODATION.
ment de la pupille, surtout quand le point de fixation était assez éloigné. Au moyen de
prismes on peut démontrer d'autre part qu'une augmentation de convergence rétrécit la
pupille sans que l'accommodation varie {/oc. cit., p. 484).
Cependant Plateau, dans ses expériences sur l'amplitude d'accommodation et de con-
vergence relative, a trouvé que les mouvements pupillaires sont en connexion plus intime
avec ceux du muscle ciliaire qu'avec ceux des muscles préposés à la convergence.
Si la contraction du muscle ciliaire et celle du sphincter de la pupille sont associées
sj'nergiquement dans l'accommodation, on sait qu'elles peuvent cependant, dans d'autres
conditions, s'exercer indépendamment l'une de l'autre. La pupille, en effet, se resserre
ou se dilate sous l'iniluence des variations d'éclairage sans que l'accommodation subisse
aucun changement. De plus dans les cas pathologiques le mouvement réflexe de l'iris
peut rester intact quand le muscle ciliaire est paralysé, ou bien la pupille peut être
immobile sous l'influence de la lumière aussi bien que sous celle de l'accommodation,
alors que le muscle ciliaire fonctionne normalement. Dans l'ataxie cependant, les pupilles
ne répondent plus aux excitations lumineuses, mais se resserrent encore sous l'influence
de l'accommodation : l'arc réflexe qui unit le nerf optique au noyau de l'oculo-moteur
est interrompu : la synergie normale entre le muscle ciliaire et le sphincter irien persiste.
On a presque toujours considéré que l'accommodation pour la vision de près est seule
un phénomène d'activité et que l'adaptation pour la vision des objets éloignés n'est que
le retour au repos du muscle ciliaire. Volkmaan, après avoir d'abord admis que l'adapta-
tion au loin est également un phénomène actif, avait plus tard, d'après ses expériences,
renoncé à cette opinion. Weber cependant avait cherché à la réhabiliter; mais elle n'a
jamais trouvé grande créance. Des recherches récentes de Morat et Doyon (A. P., 1891,
p. 507) semblent cependant démontrer que l'accommodation au loin résulte elle aussi d'un
phénomène d'activité sinon musculaire, du moins nerveuse et placée sous la dépendance du
grand sympathique.
Si, après avoir instillé dans l'œil un myotique, nicotine ou ésérine, on excite ce nerf,
on voit l'image cristallinienne antérieure grandir en même temps que ses bords devien-
nent moins nets. La valeur de ce grandissement est telle qu'il ne peut y avoir de doute
sur son existence ; le sens de la variation est d'ailleurs constant. Il faut donc conclure de là
que la surface antérieure du cristallin devient moins convexe et que l'organe s'aplatit.
Cet effet s'expliquerait par une inhibition du muscle ciliaire.
Pour répondre à l'objection que ces changements de courbure sont peut-être indirects
et bés aux modifications circulatoires produites par l'excitation du sympathique, Morat
et DoYON font valoir que les effets sont les mêmes chez le lapin chez lequel l'excitation du
nerf s'accompagne d'une décoloration de la rétine, chez le chien où elle produit au con-
traire une congestion de cette membrane, d'autre part la modification de l'image cris-
tallinienne ne s'en produit pas moins lorsqu'on excite le nerf vague en même temps que
sympathique, c'est-à-dire quand on suspend momentanément la circulation.
Iessop avait déjà prouvé que chez les mammifères les nerfs ciliaires courts provoquent
la contraction, et les nerfs ciliaires le relâchement du muscle ciliaire. {The intra ocular
muscles of mammals and birds. Ahsti'act of hwiterian Lectures. Lecture 1, Ophlalm. Rev.,
pp. 123, 159 et 31o. Analysé in J. /'. P. de Hofmann et Schivalbe, 1888, p. 126.)
Il y a des substances qui paralysent l'appareil accommodateur en même temps qu'elles
dilatent l'iris : ce sont l'atropine, l'homatropine, la duboisine, l'hyosciamine, l'hyoscine.
Il en est d'autres qui déterminent au contraire un spasme de l'accommodation et un
rétrécissement de l'iris; ce sont les alcaloïdes de la fève de Calabar, en particulier l'ésérine
ou physostigmine, ainsi que la nicotine, la pilocarpine et la muscarine. L'action physio-
logique de ces substances sera étudiée dans d'autres articles de ce dictionnaire.
Bibliographie. — Les ti'aités généraux qui m'ont particulièrement servi à la rédac-
tion de cet article sont : Helmholtz. Optique physiologique, édition française, 1867, et
édition allemande 1886. — L. de Wecker et Landolt. Traité complet d'ophtalmologie, t. ni,
Paris, 1887. — Giraud-Teulo.n. La vision et ses anomalies, Paris, 1881. — Imbert. Les ano-
malies de la vision, Paris, 1889. — De Graefe et Saemisch. Handbuch der ges. Augenheilk.
{Physiologische Optik, par Aubert), t. m, 1876. — Gruenhagen. Lehrbuch der Physiologie,
t. II, 1887.
On trouvera dans Helmholtz la bibliographie complète antérieure à 1868, et, dans
ACETALS — ACÉTANILIDE. 83
l'index Catalogue toutes les indications antérieures à 1881, qui n'ont pas été données dans
le courant de l'article. J'y joins celles qui, postérieures à 1881, sont dans le même cas :
JoRissENNE. Les mouvemciiU de l'iris chez l'homme à l'état physiologique {Annales de la
Soc. de Médecine de Gand, 1881, t. lix, p. 123). — Hocquard et Masso^j. Études sur les rap-
ports, la forme et le mode de suspension du cristallin à l'état physiologique {Arch. d'Ophtal-
moL, 1883, t. m, p. 97). — Cohn. Ein Modell des Accommodations Mechanismus (Centralblatt
f. prakt. Augenheilk., avril, 1883). — Kazarow. Ub. den. FAnfl. der Accommod. des Auges
aufVerând. der Grenzen des Gesichtsfeldes (1883, Wratsch n" 2). — Mauthner. Pupille und
Accommodât, bei Oculomotorius Ldhmungen{Wien. med. Wochenschr., 188b, n" 8, pp. 225, 264,
293). — Frosh. Supposed power of accommod. in aphakiceye (Lancet, 1885, p. 156). —
Deeren. Etude sur le mécanisme de l'accommodation (Rec. d'ophtalmologie, 1885, p. 611). —
Barret. The velodty of accommodât. (J. P., 1885, t. vi, p. 46). — Wuhdinger. 176. die ver-
gleic/i Anat. des Ciiilarmuskel. (Zeit. f. vergleich. Augenheilk., 1886, p. 121). — Furney,
A theory of the mecanism of accommod. [Americ journal of ophtalmol, 1886, t. m, p. 9). —
Randall. The mecanism of accommod. and a model for ils demonstr. {Journ. of ophtalmol.,
1886, t. TU, p. 91). — Zimmermann, Nouveaux éléments à la théorie musculaire de l'accom-
modation {Loire médicale, 1886, t. v, p. 60). ^— GiRAUD-TEaLON. Rapport sur le mémoire pré-
cédent {Bullet. de l'Acad. de médecine, t. xv, p. 440). — Howé. On apparatus for the demonstr.
of accommod. and refraction {Arch. of Ophtalmol, 1886, t. xv, n" 3). — Collins. Anargument
in favor of méridional accomod. iOpht. Hosp. Rep. t. xi, p. 343). — Reymond. Contribuz.
ail. stud dM'innerv.per l'accommod. {Gior. der. Accad. med. di Jorino, t. xxxv, p. 63, 1887).
— Coccius. £76. die vollstànd. Wirkung des tensors Choroidese {Ber. des VII internat.
Ophtalm. Congress zu Heidelberg, 1888, p. 197).
WERTHEIMER.
ACETALS. — Nom générique sous lequel on désigne une catégorie de corps
dérivant de la combinaison d'une aldéhyde et d'un alcool avec élimination d'eau.
Citons parmi les Acétals.
l'm;/toc(?toZ [CH3— CH<^ Q^*"] qui bout à 104°.
Le Diméthylacétal [CH-'— CH<^^™n qui bout à 64°.
Le Méthylal[Œl- — CH<^ _ liquide hypnotique qui bout à 42° (Voyez ce mot).
Les Acétals ont les propriétés physiologiques générales des éthers et des alcools.
CH. LIVON.
ACÉTAMIDE (C^H^OAzH^). — Masse blanche cristalline qui fond à 78° et
bout à 221°. Par un refroidissement lent après fusion, elle se prend en beaux cristaux
déliquescents à saveur un peu sucrée et fraîche.
C'est une substance neutre qui ne se combine ni avec les acides, ni avec les bases.
En faisant bouillir sa dissolution aqueuse, elle se change en acide acétique et eu
ammoniaque par l'adjonction d'un équivalent d'eau.
Préparation. — Dans un flacon fermé on fait réagir un mélange d'éther acétique
et d'ammoniaque. Les deux liquides d'abord séparés ne forment plus qu'une masse
homogène lorsque la réaction est terminée. On obtient l'acétamide en évaporant le
liquide à une douce température.
L'acétamide n'est pas employée. Introduite dans l'organisme, elle est éliminée sans
avoir éprouvé de modification (Nencki).
CH. LIVON.
ACÉTANILIDE ou ANTIFÉBRINE (CWAzO). - C'est la phény-
lacétamide, substance découverte en 1843 par Gerhardt et dont les propriétés thérapeu-
tiques ont été étudiées par Cahn et Hepp. C'est de l'ammoniaque avec substitution d'un
radical phényle et d'un radical acétyle à deux atomes d'hydrogène. EUe se présente sous
la forme d'une poudre blanche cristalline assez légère, peu soluble dans l'eau, 1/18 p. 100 ;
8i ACETANILIDE.
soluble dans l'alcool, 1 p. 3,3; dans l'éther, 1 p. 6; dans le chloroforme, 1 p. 7 (Weill) ;
elle fond à 10o° et se volatilise à 292°. A chaud les alcalis la dédoublent en aniline et
acide acétique.
Tout échantillon qui n'est pas absolument blanc, qui présente une odeur quelconque
et qui donne avec l'hypobromite de soude un précipité jaune orangé, doit être considéré
comme impur et renferme de l'aniline.
Action physiologique. — Sur l'homme sain, à la dose de 0,oO à 1 gramme, l'acé-
tanilide produit peu d'effet; à la dose de 2 à 3 grammes il se produit souvent de la cya-
nose (Lépine). 11 est dangereux d'en administrer jusqu'à 10 à 12 grammes dans les
24 heures. Son administration est assez difficile à cause de son peu de solubilité et de
son action locale irritante. Quand on l'injecte dans les veines, elle a une action locale
sur l'endocarde qui produit une syncope probablement réflexe (Bonnot).
Lorsque l'on en injecte dans les veines d'un animal 10 à 12 centigrammes par kilo de
l'animal, il se produit une résolution complète (Bo.nnot) et une salivation abondante (Lépine).
Son action la plus importante est celle qu'elle a sur la température : c'est un anti-
thermique (Cahn et Hepp, Lépine, Weill, Laborde). Quand on en administre une dose
suffisante à un homme sain, on constate un refroidissement périphérique très appré-
ciable. Les auteurs qui ont étudié cette action pensent que la production de chaleur
est diminuée et que la déperdition par la peau est peu modifiée. Cette action anti-
thermique a été utilisée en thérapeutique, comme nous le verrons plus loin.
Circulation. — La circulation est modifiée par l'acétanilide. On constate de l'accé-
lération des battements du cœur avec renforcement de leur énergie (Lépine). La pression
intra-vasculaire est augmentée de 0™,04 à 0™,06 de Hg. Si l'on administre des doses toxi-
ques, il y a diminution de l'énergie et de la fréquence des battements, ainsi qu'un abaisse-
ment de la tension artérielle. Son action sur les vaso-moteurs périphériques est encore
douteuse. Lépine a constaté un échauffement passager des oreilles; Weill, un resserre-
ment des vaisseaux de l'oreille. Ce dernier fait est plus en rapport avec le refroidisse-
ment observé par Cahn, Hepp, Lépine, Laborde.
Sang. — Lépine et Aubert ont constaté que l'acétanilide transforme l'oxyhémo-
globine du sang en méthémoglobine. Ce fait a été confirmé par Henocque, Weill,
Herczel. 11 y a en même temps une diminution de l'activité des échanges. Ces phéno-
mènes coïncident avec l'apparition des accidents de cyanose. Pourtant, pour Bokai, la
cyanose ne serait pas le résultat de la formation de méthémoglobine dans le sang, mais
de l'asphyxie, par suite de la paralysie des centres vaso-moteurs.
Sécrétions. — Les sécrétions présentent sous l'influence de l'acétanilide les modi-
fications suivantes. L'urine est généralement augmentée de volume, quoique Chittenden
prétende que cette sécrétion n'est pas modifiée en quantité; sa coloration est changée,
mais elle diffère de celle produite par le phénol. D'après Mueller on ne rencontrerait
jamais de matière colorante du sang. Le phosphore éliminé ne varie pas; l'acide urique
excrété diminue, l'albumine augmente légèrement (Chittenden). On constate quelquefois
une augmentation de la sécrétion salivaire, et presque toujours des sueurs abondantes.
Les autres sécrétions n'ont pas été étudiées.
La respiration est troublée : il se produit de la dyspnée avec ralentissement des
mouvements respiratoires (Lépine). Bonnot a constaté de la dyspnée avec accélération.
On peut attribuer les modifications de la respiration à une action réflexe dont le point
de départ est l'excitation de l'endocarde (?)
Système nerveux. — C'est sans contredit sur l'ensemble du système nerveux
qu'agit le plus l'acétanilide, car les modifications signalées dans les divers systèmes ou
appareils peuvent être considérées comme d'origine nerveuse.
Quand on administre cette substance à doses convenables à des animaux, ils ne
tardent pas à tomber dans une résolution complète et dans un état prolongé de somno-
lence. On constate bien, il est vrai, quelques convulsions cloniques partielles chez le chien,
ou le cobaye (Lépine), mais ces convulsions ne sont pas constantes.
La sensibilité générale est très atténuée, mais les hémisphères cérébraux propre-
ment dits ne semblent pas touchés. La partie du système nerveux la plus atteinte, c'est
l'axe bulbo-médullaire et les fonctions qui en dépendent. Les réflexes généraux sont di-
minués (Weill).
ACÉTANILIDE. 83
Une autre action physiologique très nette de l'acétanilide, c'est qu'elle empêche
les convulsions strychniques et nicotiniques (Bon.not), mais surtout les convulsions dues
à l'empoisonnement par la nicotine. Or la nicotine est un poison bulbaire, tandis que
la strychnine agit surtout sur la moelle. L'acétanilide semble donc agir de préférence
sur la portion bulbaire de la substance grise bulbo-médullaire.
La nutrition générale ne semble pas modifiée par des doses ordinaires. A moins de
doses toxiques, on ne remarque jamais d'abaissement dans le rapport de l'azote de l'urée
à l'azote total. Mais, comme l'acétanilide diminue les échanges qui se passent dans le
sang et peut amener la destruction des hématies, son action doit être surveillée atten-
tivement, et il faut suspendre son usage lorsque le sang descend à 8 p. 100 d'oxyhémo-
globine.
Dans l'organisme, cette substance subit des transformations qui diffèrent suivant que
l'animal en expérience est un Carnivore ou un herbivore (Jaffé et P. Hilbert).
Chez le lapin elle est éliminée comme para-amidophénol par l'oxydation du groupe
acétyle.
Chez le chien on ne trouverait que peu de para-amidophénol; il se formerait un
acide oxyphénylcarbamique, qui ne pouvant exister o l'état libre, se transforme par perte
d'eau en anhydride, l'ortho-oxycarbanile. Chez le chien et chez le lapin l'acétanilide
serait donc décomposée et éliminée sous une forme un peu différente.
Le pouvoir toxique de l'acétanilide est fort discuté. Pour l'apprécier il faut considé-
rer son influence sur le sang et son action dépressive sur l'axe spinal. Pourtant cette
toxicité paraît dans certains cas n'être pour ainsi dire que mécanique, puisque, lorsque
l'on voit les petits animaux intoxiqués par cette substance, sur le point de mourir de
refroidissement, il suffit de les réchauffer pour les rappeler à la vie (Lépine, Weill).
Les phénomènes généraux de l'empoisonnement par l'acétanilide sont caractérisés
par des vertiges, de la cyanose, une profonde sensation de froid et de l'hypothermie.
Quelquefois l'on constate une diarrhée intense avec des selles gris noirâtre, quelquefois
aussi de la raideur des bras et des jambes.
C'est par les urines que la substance s'élimine en grande partie, soit à l'état d'acéta-
nilide, soit à l'état d'aniline.
L'acétanilide n'a qu'une faible action antiseptique.
Recherche dans les liquides de l'organisme. — La présence de l'acétanilide dans
les liquides de l'organisme n'est pas difficile à constater. Deux procédés peuvent être
employés : 1° On agite le liquide à analyser avec du chloroforme, et l'on décante; on
évapore le chloroforme dans une capsule. On chauffe le résidu avec un peu de proto-
nitrate de mercure et l'on obtient une matière verte soluble dans l'alcool. 2° On agite
le liquide avec de l'éther, on décante et l'on évapore l'éther ; le résidu obtenu est mé-
langé avec quelques gouttes d'acide sulfurique pur et un cristal de bichromate de
potasse; on obtient un précipité rose caractéristique (Yvon).
Emploi thérapeutique. — Le pouvoir antipyrétique de l'acétanilide a fait de cette
substance un médicament très employé dans toutes les maladies oiiilyaune tempéra-
ture élevée; son action sur le système nerveux l'a fait prescrire aussi dans les maladies
3ù l'élément douleur occupe une grande place.
Les deux maladies dans lesquelles on l'a le plus employée, sont la fièvre typhoïde et
le rhumatisme.
Dans la fièvre typhoïde, elle produit un abaissement de température très marqué, et
un effet général assez bon (Cahn, Hepp, Lépine, ^YALTER, Barb, A. Harre, Ewans). Ce
résultat ne serait pas aussi heureux, d'après G. Sée et Dc.iardin-Beaumetz.
Assurément il faut songer que, chez les t3'phiques traités par l'acétanilide, il y a des-
truction plus ou moins intense des globules rouges; il faut donc savoir s'arrêtera temps.
Du reste la réparation pendant la convalescence se fait rapidement.
Très employée dans le rhumatisme articulaire aigu (Cah.\, Hepp, Lépine, Dujardin-
Beaumetz, Weill, Guttmann), elle égalerait presque l'antipyrine et le salicylate de soude
dans toutes les formes du rhumatisme articulaire, musculaire, névralgique.
Elle présente le grand avantage d'être bien tolérée par l'estomac. Employée dans
toutes les maladies inflammatoires à cause de son action antithermique, elle diminue la
température centrale et réduit la production de chaleur. Elle atténue et fait même dis-
86 ACÉTATES — ACÉTIQUE (Acide).
paraître le dicrotisme du pouls. On l'a administrée, avec plus ou moins de succès, dans la
pneumonie, la pleurésie, la fièvre hectique, la gangrène pulmonaire, même dans les
accès paludéens qu'elle modère, l'érysipèle, la pMhisie, l'angine, et toutes les maladies
présentant de la fièvre.
A cause de son action sur le système nerveux, elle a été considérée comme un médi-
cament nervin précieux pouvant rendre les mêmes services que l'antipyrine, la quinine et
même pouvant remplacer la morphine (Demiéville). Elle ne serait pas plus dangereuse
que les autres nervins, et aurait des efi'ets hypnotiques.
Elle est pourtant inférieure à l'antipyrine pour combattre la douleur aiguë récente,
mais elle lui est supérieure pour calmer les douleurs des ataxiques, des rhumatismes chro-
niques et des névralgies anciennes.
On l'a conseillée contre l'épilepsie (Faure), mais elle est inefficace. Laborde pourtant
la préconise contre l'épilepsie vertigineuse. Elle peut rendre des services dans les états
inflammatoires qui se présentent chez les aliénés. Mais elle réussit mieux que l'antipy-
rine dans les excitations motrices, les trépidations épileptoïdes, les réflexes exagérés, les
tremblements et les tics douloureux de la face.
On peut dire d'une manière générale que l'abaissement de la température produit par
cette substance atténue les phénomènes nerveux, le délire, l'anxiété, diminue les dou-
leurs et favorise le sommeil.
A cause de ses propriétés physiologiques, on ne doit pas employer l'acétanilide chez
les malades où il y a à craindre du collapsus, de même que l'on ne doit dépasser cer-
taines doses au delà desquelles les phénomènes d'empoisonnement ne tardent pas à se
développer.
L'acétanilide s'administre à des doses qui varient suivant l'effet et la susceptibilité du
sujet. D'une façon générale ou la donne en cachets de 0,23 à 0,30 centigrammes,
de quatre en quatre heures jusqu'à efîet, en surveillant attentivement l'administration
du remède, de façon à pouvoir arrêter à temps. On peut ainsi en donner jusqu'à
3 grammes dans les vingt-quatre heures (Lépine), mais c'est une dose qu'il ne faut pas
dépasser.
Son peu de solubilité rend son administration difficile en liquide. Duiardin-Beaumetz
conseille de la donner mélangée à l'élixir de Garus.
Les travaux publiés sur l'acétanilide sont très nombreux. On trouvera une bonne
revue générale par H. Chouppe, R. S. M., t. xxx, 1887, p. 726, et une autre par Lépine,
Arch. de méd. exp., t. ir, pp. 4.ï0 et 533.
CH. LIVON.
ACETATES. — Combinaisons de l'acide acétique avec les bases. 11 y a des
acétates neutres, acides ou basiques.
Sauf les acétates d'argent et de protoxyde de mercure, ils sont tous solubles dans
l'eau et dans l'alcool, et présentent presque tous l'odeur caractéristique de l'acide acé-
tique. La chaleur rouge les décompose en produits empj-reumatiques et en carbures
d'hydrogène. Mais si, avant d'être chauffée, l'acétate est mélangé avec un excès d'alcali,
il donne seulement du gaz des marais et de l'acide carbonique qui reste uni à l'alcali,
dédoublement intéressant. Chauffés avec de l'acide sulfurique en présence de l'alcool,
ils donnent de l'éther acétique.
Leur réaction caractéristique est celle que produit l'azotate mercureux. On obtient
un précipité blanc décomposable par la chaleur, avec formation de mercure métallique.
Les acétates s'obtiennent en faisant agir l'acide acétique directement sur les bases
ou les carbonates ou encore par double décomposition.
Plusieurs acétates sont employés en médecine, mais leur action physiologique est
double, elle tient de l'acide et de la base. Avec certains, c'est surtout l'action de l'acide
acétique, par exemple les acétates de soude ou de potasse; avec d'autres, au contraire,
c'est l'action de la base qui domine, comme avec les acétates de mercure, de
plomb, etc.
CH. L.
ACÉTIQUE (Acide). — C-H-O- ou C^H^O, oh, hydrate d'éthyle. — L'acide
acétique est le résultat de l'oxydation de l'alcool, qui, sous l'influence d'un ferment spé-
ACÉTIQUE (Acide). 87
cial, le Mycoderma acetl, donne naissance à de l'acide acétique et à de l'eau. On peut
aussi l'obtenir en décomposant par la chaleur des substances végétales comme le
bois. Par ces différents procédés on obtient de l'acide impur que l'on est obligé de
purifier.
Suivant sa provenance, il se présente sous plusieurs états : Vinaigre ordinaire, c'est
de l'acide très dilué à 8 à 9 p. 100. — Vinaigre distillé. — Vinaigre radical à 77 p. 100.
— Acide pyroligneux, 21 à 42 p. 100. — Acide acétique cristallisable.
Le vinaigre ordinaire est rouge ou blanc suivant le vin qui a servi à le préparer. On
peut aussi préparer du vinaigre par le procédé indiqué par Pasteor. Le liquide qui doit
par cette méthode donner de l'acide acétique >st de l'eau additionnée de 2 p. 100
d'alcool, 1 p. 100 de vinaigre et d'une petite quantité de phosphate de potasse, de chaux,
de magnésie, destinés à la nutrition du mycoderma.
L'acide acétique cristallisable, au-dessous de 17°, se présente sous forme de beaux
cristaux feuilletés assez, difficiles à déterminer. Au-dessus de 17°, les cristaux fondent
et donnent naissance à un liquide incolore, à odeur forte et pénétrante, impres-
sionnant fortement la muqueuse pituitaire, donnant naissance à des réflexes très mar-
qués. Sa saveur est très acide; sa densité est de l,063o.
Il se mélange à l'eau en toutes proportions, mais en donnant naissance à des liquides
dont la densité n'est nullement en rapport avec le degré de concentration. Il se mélange
très bien à l'éther et à un grand nombre d'huiles essentielles.
L'acide acétique concentré attire l'humidité de l'air et à mesure diminue de volume
ou augmente de densité. On ne peut donc se servir de l'aréomètre pour apprécier son
degré d* concentration, puisque son maximum de densité, qui est de 1,073, correspond à
77,2 d'acide et 22,8 d'eau.
Il bout à 120°, sa vapeur s'enflamme au contact d'une bougie et brûle avec une
flamme bleue. Si on le fait passer dans un tube chauffé au rouge, une partie distille
sans modification, l'autre donne de l'acétone et des hydrogènes carbonés.
Il peut servir de dissolvant pour un certain nombre de substances animales et végé-
tales, comme le blanc d'œuf, la fibrine, les résines, le camphre, le gluten.
Préparation. — On le prépare au moyen des liquides qui renferment de l'acide acé-
tique très dilué et impur. Pour cela on commence par préparer un acétate, soit avec
de l'acide pyroligneux, soit avec du vinaigre. On donne la préférence à l'acétate de
soude. Après saturation par la soude, on évapore la liqueur à siccité dans une bassine
de fonte, en chauffant le résidu assez fortement pour carboniser les matières organiques
qu'il renferme et ne poussant pas le coup de feu jusqu'à la fusion qui amènerait la
décomposition de l'acétate. On reprend le résidu par l'eau et, par cristallisation, on
obtient l'acétate de soude qu'il suffit de distiller avec de l'acide sulfurique pour obtenir
l'acide acétique cristallisable.
Le liquide ainsi obtenu est soumis à la congélation, on l'égoutte soigneusement; les
cristaux ainsi obtenus constituent l'acide acétique cristallisable.
Action physiologique. — Action locale. — L'acide acétique a une action locale assez
forte, suivant la durée de l'application. Sur la peau, il produit de la rubéfaction, de la
vésication ou de la cautérisation. Il gonfle les tissus, puis les dissout et les désorganise.
Sur les muqueuses, l'application locale, très douloureuse, produit les mêmes effets, mais
avec plus d'intensité. Introduit dans l'estomac, il le dépouille de son épithélium, fait
naître une irritation très forte avec vomissements, collapsus, fièvre et enfin la mort
survient, comme avec tous les poisons caustiques.
Les globules sanguins sont dissous par l'acide acétique (Mitscherlich), l'hémoglo-
bine est détruite et l'hématine passant dans le sérum donne au sang une couleur
laque.
Si, au lieu d'employer l'acide acétique cristallisable, on se sert des divers vinaigres,
les effets sont les mêmes, mais atténués en raison de la dilution. Sur la peau on cons-
tate de la rubéfaction seulement, mais, ingérés, ils produisent des effets assez énergiques,
car l'acide acétique, même dilué, dissout les épithéliums protecteurs des muqueuses,
ainsi que les tissus animaux.
Très étendu et mélangé à l'alimentation, il devient eupeptique et stimule la sécré-
tion gastrique.
88 ACÉTIQUE (Acide).
Appliqué sur une plaie, il agit comme styplique et resserre les vaisseaux, ce qui
permet parfois de l'employer pour arrêter les hémorrhagies.
Ses vapeurs agissent fortement sur les muqueuses nasales et oculaires.
Action générale. — Cette action ne peut se manifester que lorsque l'acide est em-
ployé à l'état de dilution, car s'il est concentré on observe les effets locaux signalés
plus haut.
L'acide acétique introduit dans l'organisme se transforme d'abord au contact des
carbonates sodiques du sang, en acétate de soude, puis de nouveau par oxydation en
bicarbonate de soude que l'on rencontre dans l'urine qui devient alcaline (Gubler,
Rabuteau et Massul. C. IL, 2 janvier 1872).
Un fait intéressant au point de vue physiologique, c'est que l'acide acétique a une
actiou semblable à celle des acétates alcalins qui agissent comme les bicarbonates
alcalins, seulement ceux-ci neutralisent d'abord le suc gastrique.
Du reste, il en est de même de la plupart des acides organiques des fruits ou de la
série grasse (formiates alcalins, butyrates, valérianates, tartrates, malates, etc.) qui se
transforment dans l'organisme en bicarbonates alcalins et rendent les urines alca-
lines.
Mallèvre (C. R., 1'=' décembre 1890) a étudié l'influence de l'acide acétique sur les
échanges gazeux respiratoires chez les lapins. Il est arrivé aux conclusions suivantes :
en injectant dans le sang une solution d'acétate de soude, dès le début de l'injection
on constate des variations dans les échanges gazeux de la respiration. Une demi-heure
après, ces variations cessent. En même temps l'urine, acide chez l'animal à jeun depuis
deux jours, devient alcaline, et l'alcalinité du sang augmente de aO p. 100.
En se servant de la calorimétrie pour interpréter ces modifications, on arrive à
constater qu'une partie seulement de l'énergie de l'acétate s'est dégagée au profit de
l'organisme, c'est-à-dire a exercé une action d'épargne sur les autres éléments nutritifs
non azotés.
Les vapeurs d'acide acétique ont une action antiseptique; mais pour qu'elle se mani-
feste, il faut un certain temps. Ainsi, 13 minutes au minimum pour le bacille du choléra;
une heure et demie pour le bacille du charbon, de la fièvre typhoïde, pour le Staphylo-
coccus pyogenes aureus.
Toxicologie. — • Quoiqu'on ait rarement (J)servé l'empoisonnement par l'acide
acétique, il peut se produire chez l'homme, et les effets physiologiques signalés per-
mettent de conclure qu'il peut être toxique. Les symptômes que l'on a pu constater
jusqu'à présent sont : aspect blanchâtre des muqueuses buccales et pharyngiennes,
sentiment de brûlure dans l'estomac et à la gorge, vomissements, diarrhée, pouls accé-
léré, petit, serré; angoisses, sueurs froides sur tout le corps.
On a pu, sur les animaux, après avoir observé les phénomènes indiqués, étudier les
lésions de cet empoisonnement. A l'autopsie, on trouve les muqueuses de l'œsophage,
de l'estomac et de l'intestin ramollies, enflammées et quelquefois perforées. On constate
sur ces membranes, soit par places, soit sur une grande étendue, une coloration noirâtre
ayant de l'analogie avec celle produite par l'acide sulfurique. Cet aspect lient à l'action
de l'acide sur !e sang extravasé. Le traitement à opposer est le même que celui que l'on
emploie pour les autres acides.
Recherche de l'acide. — Si l'empoisonnement a été produit par de l'acide dilué
qui aura été absorbé quelque temps avant la mort, il sera difficile de le retrouver,
puisque dans l'organisme il aura eu le temps de se transformer en carbonates alcalins.
Mais, s'il a été absorbé à dose massive, si surtout c'est de l'acide concentré qui a été
ingéré, il en restera une quantité suffisante pour être retrouvée dans le tube digestif.
Pour déceler l'acide acétique, on recueille l'estomac et les intestins, ainsi que les
liquides qu'ils contiennent; les tissus sont coupés en morceaux et le tout est placé dans
un appareil à distillation, après avoir été additionné d'un peu d'eau acidulée avec de
l'acide sulfurique, pour décomposer les acétates qui auraient pu se produire. On chauffe
et l'on recueille les produits de la distillation qui renferment l'acide acétique, que l'on
peut obtenir à l'état d'acide cristallisable, en suivant le procédé indiqué plus haut pour
sa préparation. Seulement on ne doit pas perdre de vue qu'il ne suffit pas de trouver de
l'acide acétique pour conclure à l'empoisonnement, il faut tenir compte des lésions
ACÉTIQUE (Acide). 89
trouvées à l'autopsie et des symptômes observés avant la mort, car l'acide acétique
existe normalement dans les liquides de l'estomac et de l'intestin, et il se forme très
facilement par les transformations que subissent les substances organiques.
Usages. — A l'intérieur, on n'emploie que l'acide très dilué sous forme de vinaigre,
soit comme condiment pour exciter l'appétit, soit comme boisson tempérante, ainsi que
la plupart des acides végétaux. A faible dose, son utilité peut tenir à son action dissol-
vante sur les albuminoïdes. En excès, il peut causer des lésions graves de la muqueuse
stomacale.
C'est surtout à l'extérieur qu'il est employé. L'action de ses vapeurs sur la muqueuse
nasale est utilisée pour produire une action vigoureuse et, par le réveil de réflexes, tirer,
les personnes de l'état syncopal. Pour cet usage, on se sert généralement de petits flacons
que l'on remplit de cristaux de sulfate de potasse, que l'on imbibe d'acide acétique cris-
tallisable.
Les lotions vinaigrées sont employées dans les fièvres graves. On peut aussi se
servir d'irrigations vinaigrées pour combattre les bémorrhagies capillaires et même
utérines. On a mis à profit son pouvoir caustique pour fsiire disparaître des verrues,
des plaques verruqueuses, des végétations vulvaires. Buck et Jansen l'ont conseillé contre
le psoriasis. On l'a employé contre les tumeurs de toute nature, soit en applications
directes, soit en injections interstitielles. Broadbent, dans un travail paru à Londres
en 186ti {Cancer, a new method of treatment], a le premier préconisé les injections
interstitielles d'acide acétique dans le traitement du cancer, les résultats publiés parais-
sant bons, et d'autres auteurs ont suivi cette méthode (Moore, Power, Fauconnet, etc.) :
L'acide ne doit pas être employé pur, car il pourrait être trop douloureux; on l'étend
d'eau par parties égales, ou bien en en mettant 2, 3 ou 4 parties d'eau.
MÉPLAiN a fait disparaître un polype muqueux de la voûte palatine en en injectant
dans la tumeur une goutte, puis une demi-goutte. Un cancer de la face fut amélioré
par une application d'acide au cinquième (Tillaux).
Mais, les effets obtenus dans le traitement des tumeurs n'ayant pas toujours répondu
aux espérances, le procédé a été abandonné.
Contre la gal,e, Lecœur, de Caen, conseille de frictionner trois fois par jour les
parties affectées avec une éponge un peu rude imbibée de bon vinaigre.
On a conseillé le vinaigre comme désinfectant, supérieur d'après Engelmann à l'acide
phénique. Mais Sch.effer est arrivé à des résultats contraires, puisqu'il a constaté que
l'acide phénique à 3 p. 100 est 210 fois plus énergique que l'acide acétique à 5 p. 100, à
l'égard du micro-organisme de la suppuration.
Dans la teigne tondante et dans quelques autres affections cutanées, l'acide acétique
paraît avoir été employé d'une façon très favorable (Monique. T. d. P., 1883).
Pour la teigne tondante on peut se servir ou d'acide pyroligneux à 6° Beaumé, ou
d'une solution d'acide cristallisable à 30 p. 100. On frictionne les plaques énergique-
ment avec un pinceau rude, imbibé de solution, chaque matin pendant trois jours; il se
produit une légère dermite. Il y a exfoliation des gaines bulbaires imprégnées de
spores et quelquefois la guérison s'obtient. 11 faut pourtant parfois recommencer le
traitement huit ou dix fois, mais il n'y a pas d'alopécie (Lailler).
Dans les affections non parasitaires, on se sert de solutions plus faibles d'acide, à
4 p. 100 par exemple, dont on augmente la concentration, si elles sont bien supportées.
L'eczéma sec, l'eczéma pilaire, le lupus érythémateux ont été très avantageusement
modifiés par ce traitement.
Enfin dans la fièvre de foin l'acide acétique cristallisable a été employé en appli-
cations sur la muqueuse nasale préalablement insensibilisée par la cocaïne. Mais ces
applications doivent être faites avec précautions (E. Sajous, in The Universal medic.
Journ., sept. 1893).
Histologie. — Ses propriétés sur les éléments organiques en font un réactif pré-
cieux en histologie. Le mélange de 30 grammes d'alcool, additionné d'une dizaine de
gouttes d'acide acétique, constitue le réactif durcissant de Beale. Comme isolant on
l'emploie seul ou dilué dans l'eau; il gonfle les fibres connectives et les fait disparaître,
tandis que les fibres élastiques sont respectées; les cellules sont rendues plus appa-
rentes, car il en fait très nettement apparaître les noyaux, il est très utile pour faire
90 ACÉTIQUE (Fermentation).
distinguer les fibres musculaires lisses en mettant en évidence leur noyau en semelle.
C'est encore l'acide acétique cristallisable qui est employé pour former les cristaux
d'hémine qui servent à caractériser les taches de sang.
CH. LIVON.
ACÉTIQUE (Fermentation). — Les liquides alcooliques, les vins
légers, la bière principalement, abandonnés à l'air, deviennent facilement du vinaigre,
par suite de la transformation de la totalité ou d'une partie de leur alcool en acide acé-
tique. C'est le processus que l'on désigne sous le nom de fermentation acétique; il ne
semble se produire qu'aux dépens de l'alcool éthylique.
La présence nécessaire de l'air en abondance a fait regarder depuis longtemps ce
phénomène comme une oxydation. On obtient, en effet, la même transformation en
soumettant l'alcool à l'action d'agents oxydants énergiques. C'est en outre ce que
démontre l'étude chimique de la réaction, qui fait voir que l'alcool, en absorbant de
l'oxygène, donne simplement de l'eau et de l'acide acétique :
C2H60 + 02 = C2 H4 0^ +H2 0
Alcool. .\cide acétitjue. '
On doit à Pasteur d'avoir prouvé que la transformation observée dans la nature est
due au développement, dans le liquide où elle se produit, d'un être organisé, et se trouve
en rapport intime avec sa vie, de telle sorte que la fermentation s'amoindrit et dispa-
rait avec elle.
On avait bien remarqué, depuis longtemps, qu'à la surface des liquides qui s'acéti-
fient, se développait une pellicule souvent très mince, fragile, que les fabricants de
vinaigre désignaient sous les noms de fleurs de vinaigre, mère de vinaigre; on savait
même qu'elle jouait un rfiie dans la transformation, mais on était loin de lui attribuer
son importance causale mise en lumière seulement par les recherches de Pasteur. Elles
ont démontré que la fermentation acétique, la transformation en vinaigre des liquides
alcooliques, était toujours produite par le développement de bactéries aérobies, jouant
le rôle de ferment. .
Cette curieuse propriété, très utilisée dans l'industrie et l'économie domestique, et
cela depuis une haute antiquité, pour l'obtention du vinaigre, n'est pas dévolue à une
seule espèce de bactéries; plusieurs au contraire la possèdent, peut-être à des degrés
divers et peuvent servir au même usage. Ces différentes espèces présentent ceci de par-
ticulier sur les autres bactéries, qu'elles vivent et se développent très bien dans les
milieux acides impropres à la vie de la plupart des autres. Cependant une trop forte
proportion d'acide les tue.
Le ferment acétique de Pasteur, qu'on peut désigner sous le nom de Bacillus nceli
vrai, est formé d'articles en bâtonnets courts et gros, mesurant 3 |jl au moins de long
et 1,1.0 (x de large, associés en grand nombre en longs chapelets sinueux. En se dévelop-
pant à la surface des liquides alcooliques, naturels ou artificiels, ils y produisent un
voile uniforme velouté, dont l'apparition est très rapide; en vingt-quatres heures, une.
étendue d'un mètre carré au moins peut être recouverte d'une pellicule transparente,
très mince.
Hansen, décrit sous le nom de Bacterium Pasteurianum un ferment acétique bien
voisin de celui de Pasteur, qui se rencontrerait fréquemment, selon lui, dans les bières
pauvres en alcool et riches en matières extractives, jamais, par contre, dans les bières
fortement alcoolisées et dans le vin, où c'est le précédent qui se développe. 11 ne diffère
pas de celui de Pasteur par sa végétation et son action physiologique, mais seulement
par ce fait que son contenu cellulaire se teint en bleu par l'iode, ce qui est dû très
probablement à la présence de granulose.
Le Micrococcus oblongus de Boutroux, agent de la fermentation gluconique dès hydro-
carbonés, cultivé dans les liquides alcooliques, forme aussi de l'acide acétique et donne
un véritable vinaigre avec le vin ou la bière.
DucLAUx décrit un autre ferment acétique qui forme un voile sec, fin, ne se plissant
pas, mais se recouvrant d'ondulations croisées, à arêtes vives, qui rappellent la surface
d'un gâteau de miel.
ACÉTIQUE (Fermentation). 91
J'ai obtenu, de mères de vinaigre ménagères, des cultures pures d'un autre ferment
acétique qui doit être distinct des précédents; c'est aussi une bactérie en bâtonnets.
La mère de cette bactérie, bien développée, est une peau épaisse, blanchâtre ou légè-
rement rosée lorsqu'on la cultive dans le vin ou dans les jus de fruits rouges, jamais
plissée, atteignant facilement 2 ou 3 millimètres d'épaisseur; elle est visqueuse au tou-
cher et présente une consistance assez forte, presque cartilagineuse. Elle se compose
de très nombreux bâtonnets de 2,3 p. de long sur 0,6 [i de large, noyés dans une subs-
tance fondamentale incolore ou faiblement granuleuse. Dans le voile, ces articles sont
immobiles et réunis le plus souvent par deux; isolés dans le liquide, ils présentent un
mouvement lent. Dans les vieilles cultures, ils deviennent plus minces, un peu courbés
et parfois semblent composés d'une série de renflements ovoïdes irréguliers qui peuvent
être pris pour des chaînettes de coccus.
Cultivée dans les milieux liquides, cette bactérie forme un voile épais et ferme. Sur
gélatine, elle donne un revêtement large, épais, blanchâtre, presque transparent, à sur-
face plissée; la consistance en est dure, presque cartilagineuse; le milieu ne se liquéfie
pas et ne dégage aucune odeur. Sur gélose, la culture est moins résistante, plus jau-
nâtre et plus unie que sur gélatine. En transportant une parcelle de culture pure dans
un liquide alcoolique approprié, il se développe rapidement un voile mince, qui pré-
sente, au bout de peu de temps, des points blancs opaques, véritables centres de crois-
sance où la mère s'épaissit; par suite du progrès, le voile s'épaissit régulièrement sur
toute sa surface.
La présence d'alcool est loin d'être nécessaire au développement de ces bactéries.
Elles croissent très bien sur les milieux nutritifs ordinaires, mais ne produisent alors
aucune trace d'acide acétique. L'alcool peut cependant être considéré comme un aliment
vrai pour elles, mais un aliment secondaire, car elles ne s'en nourrissent que lorsqu'elles
n'en ont pas d'autre à leur disposition; elles' le brûlent alors entièrement en le trans-
formant d'abord en acide acétique, puis, s'attaquant à ce produit, le détruisent en
acide carbonique et eau. Lorsque la fermentation s'accomplit régulièrement, il n'est
guère possible de regarder l'oxydation de l'alcool comme un acte véritable de nutrition,
la quantité de produit modifié étant par trop considérable par rapport à la quantité de
ferment vivant; Duclaux a calculé qu'un poids donné de ce ferment servait d'agent de
transport sur l'alcool, en trente-six heures, d'au moins 165 fois son poids d'oxygène,
la quantité d'acide acétique formé étant en rapport direct avec celle d'alcool brûlé. Ce
processus de fermentation est en corrélation intime avec la nutrition, mais ne peut être
considéré comme en faisant réellement partie. On est plutôt porté à le considérer
comme un simple phénomène d'oxydation, dépendant d'une propriété spéciale du
protoplasma de ces différentes espèces microbiennes, propriété qui ne se manifeste que
dans des circonstances bien nettement déterminées et qui peut rester latente lorsque ne
se rencontrent pas les conditions particulières, tout en laissant le développement se
poursuivre d'une façon pour ainsi dire normale. Aussi, l'on a fait de la fermentation
acétique le type des fermentations par oxydation où l'organisme vivant, le ferment, ne
sert pour ainsi dire que d'intermédiaire entre l'oxygène de l'air et la matière fermen-
tescible, tout comme, dans l'expérience de Davy, le noir de platine qui, humecté d'al-
cool à l'air, devient incandescent et pi-ovoque la combustion de l'alcool qui se transforme
aussi en acide acétique.
Il y a même plus encore ici. Lorsque la matière fermentescible, l'alcool, se trouve
en proportions un peu considérables, elle exerce une véritable action toxique sur le
ferment, le paralyse d'abord, puis le lue si les doses s'élèvent quelque peu. Ainsi, pour
que la fermentation acétique marche régulièrement, il faut que l'alcool ne se rencontre
dans le liquide qu'à des proportions assez faibles, 10 p. 100 environ. Si l'on vient à
ajouter une quantité plus forte d'alcool, le ferment vivant souffre, la fermentation se
trouble. C'est tout d'abord la propriété oxydante qui est atteinte, l'oxydation est incom-
plète; il se forme aux dépens de l'alcool des produits moins riches en oxygène que
l'acide acétique, principalement de l'aldéhyde à odeur suffocante :
cmso 4- 0 = C^Ii-iO + H^O
Alcool. Aldéhyde.
92 ACÉTONE.
En même temps, le voile s'altère, devient friable, se déchire et tombe au fond du
liquide.
De même, lorsque la proportion d'acide acétique formé dépasse certaines limites,
de 10 à 13 p. 100 selon le ferment, le développement du ferment s'arrête, et la fermen-
tation cesse; la mort de la bactérie peut même survenir si l'action toxique se prolonge.
La fermentation s'établit mieux dans les liquides qui contiennent déjà une petite
quantité d'acide acétique, 1 à 2 p. 100 par exemple.
Lafar a isolé d'une bière en fermentation acide une levure capable de produire une
fermentation acétique vraie. C'est toutefois un ferment acétique assez faible, le maximum
d'acide produit dans la bière stérilisée n'étant que de 1,19 p. 100 de liquide de culture.
Ces fermentations acétiques ont surtout deux ennemis acharnés qui leur nuisent
toujours et parviennent souvent à les suspendre. L'un est un petit ver rond, l'Anguil-
lule du vinaigre; l'autre une sorte de levure, très commune partout, très connue sous
le nom de fleurs de vin, le Saccharomyas mycoderma, Mycoderma vini de Pasteur.
Les Anguillules se rencontrent surtout dans les fermentations en grand des vinai-
greries. Très avides d'oxygène, elles se concentrent aux bords du voile où elles forment
une couche spumeuse légère qui en contient des milliers. Par leurs mouvements très
vifs, elles détachent la mère des bords du vase et en provoquent la chute; la fermen-
tation s'arrête alors jusqu'à ce qu'une nouvelle mère se forme, qui a elle-même bientôt
le sort de la première.
Les fleurs de vin envahissent souvent les liquides qui commencent à s'acélifier. Elles
forment, au-dessus de la mère de vinaigre, un voile blanc mat, épais, ridé, très friable,
dont les éléments sont ovoïdes, elliptiques, ou même cylindriques, mesurant de 6 à 20 ,u.
de long sur 4 u. de large. La mère de vinaigre étouffée tombe bientôt au fond et perd
dès lors son action de ferment. De plus, le mycoderme parasite brûle complètement
l'alcool et l'acide acétique que peut contenir le liquide en donnant directement de
l'acide carbonique et de l'eau pour tous produits.
Les ferments acétiques semblent très répandus dans la nature puisqu'il suffit d'ex-
poser à l'air du vin ou de la bière pour voir s'y développer dans la majeure partie des
cas la fermentation qu'ils occasionnent. Duclaux fait jouer, dans leur dissémination, un
grand rôle à une mouche commune partout, Musca cellaris, la Mouche du vinaigre, qu'at-
tire très vite l'odeur de ce liquide; elle emporterait après elle des germes des milieux
qu'elle visite et pourrait ainsi les répandre au loin.
La propriété de ces ferments est utilisée en grand dans l'industrie pour la fabrication
du vinaigre. On emploie, dans ce but, tous les liquides de faible teneur alcoolique,
principalement les vins, bières, cidres légers. L'action du ferment peut s'exercer dans
des cuves peu profondes, munies de couvercles, comme le recommande Pasteur; ou
dans des tonneaux de contenance moyenne, comme dans le procédé dit d'Orléans;
ou en faisant couler lentement le liquide sur des copeaux de hêtre revêtus de ferment
par une opération précédente, comme dans le procédé allemand. Dans tous les cas, la
première partie des liquides employés doit être au préalable additionnée d'une certaine
quantité d'acide acétique, sous forme de bon vinaigre le plus souvent, pour favoriser le
début de la fermentation.
Bibliographie. — Pasteur. Mémoire sur la fermentation acétique (Annales scienti-
fiques de l'école normale supérieure, t. i, 1864). — Hansen. Mycoderma aceli et Mycoderma
Pasteurianum {C. r. du laboratoire de Carlsberg, t. i, 1879). — Duclaux. Microbiologie
[Encyclopédie chimique de Frémy, 1883). — Macé. Traité pratique de bactériologie, 1889
et 1891. — Garnier. Ferments et Fermentations, 1888. — Boorquelot. Des Fermenta-
tions, 1889. — Lafar. Physiologische Studien ûber Essiggcihrung {Centralblatt fur Bakterio-
logie, 1893, t. xni).
E. MACÉ.
ACETONE (C^H^O). — L'acétone ordinaire, ou aldéhyde isopropylique, est
un liquide incolore, à odeur particulière, se rapprochant un peu de celle du chloroforme.
Sa densité est 0,814; son point d'ébullition 56°; soluble dans presque tous les liquides,
tels que eau, alcool, éther, etc.; elle brûle à l'air avec une flamme éclairante et dissout
les résines, le camphre, le colon poudre. .
ACETONE. 93
Quand ou traite l'acétone par l'ammoniaque et qu'on abandonne le mélange à l'éva-
poration spontanée, on obtient un véritable alcaloïde, Vacétonine 3 (C^H^)A;^. Une solu-
tion aqueuse d'acétone traitée par l'amalgame de sodium donne de l'alcool isopropy-
lique (CH^O) (Friedel).
Préparation. — On l'obtient en distillant dans une cornue de grès, à sec, de l'acé-
tate de chaux ou encore mieux de baryte. On reçoit les vapeurs dans un récipient
refroidi. Il se forme du carbonate de calcium ou de baryum, et l'acétone distille. On
peut la considérer comme le diméthylure de carbonyle (GH')-CO.
Connue depuis longtemps, c'est le premier type de corps (acétones) remplissant une
fonction chimique que l'on retrouve dans la série grasse et dans la série aromatique.
On peut en général considérer une acétone comme une aldéhyde, dans laquelle l'hy-
drogène typique a été déplacé par un radical alcoolique.
Ces corps par hydratation donnent des alcools.
On trouve de l'acétone ordinaire dans l'alcool méthylique provenant de la distillation
du bois. Mais un point intéressant, c'est que l'on en trouve une certaine quantité dans
les urines et dans le sang des diabétiques (Markownikoff. Deutsche chem. Gesettsch,
t. vin, ix). On en trouve aussi dans les urines des enfants fébricitants (Kien. Gaz.méd. de
Strasbourg, 1878). Elle semble se développer dans certaines conditions dans l'économie,
par la fermentation des substances organiques.
Son importance biologique ne date que depuis qu'on l'a rencontrée en assez grande
quantité dans les urines des diabétiques.
Pour l'en extraire, voici, d'après Markownikoff, la façon de procéder (A. C, t. clxxxii).
On ajoute un peu d'acide tartrique à l'urine, que l'on réduit au tiers de son volume, par
une distillation méthodique. Cette distillation se fait en plusieurs temps, ajoutant chaque
fois un peu de sulfate de magnésie.
On traite le liquide par la potasse fondue, et l'on a de l'acétone impure. On distille
au bain-marie au-dessous de 60°, et l'on obtient alors de l'acétone à peu près pure; on
rectifie sur du chlorure de calcium pour avoir un produit absolument pur.
Action physiologique. — Cette action a été établie en 1879 par Dcjardin-Beaumetz
et AuDiGÉ, dans leurs recherches expérimentales sur la puissance toxique des alcools.
Déjà, en 1874, les expériences de Kussmaul avaient établi son action toxique et la pro-
duction du coma sous l'influence de son absorption.
Sur les chiens, 3 grammes par kilogramme du poids du corps de l'animal est une
dose toxique. A 2 ou 3 grammes par kilogramme, l'animal se rétablit assez rapidement.
A dose toxique, l'animal présente d'abord des mouvements convulsifs, la respiration
est irrégulière par suite d'une excitation directe du centre respiratoire, la pupille est
dilatée et l'animal aboie d'une manière continue. Puis survient un coma profond, la
température s'abaisse de 13° à 20°, et au bout de quelques heures la mort survient.
Tappeiner, dont les expériences ont été conduites avec toute la rigueur scientifique
désirable, résume ainsi l'action de l'acétone :
« L'action de l'acétone sur l'organisme animal présente deux phases :
« La première phase ou phase d'excitation est caractérisée par l'élévation de la
pression sanguine et par une fréquence plus grande du pouls et des mouvements res-
piratoires.
« Pendant la deuxième phase, ou phase de dépression, survient une anesthésie com-
plète, de la faiblesse musculaire : les réflexes sont abolis, la pression du sang s'abaisse,
la respiration et le pouls diminuent de fréquence, et la température baisse d'une façon
continue jusqu'à la mort qui arrive par paralysie de la respiration. «
Mais à dose modérée, après une période d'agitation, le coma arrive pour faire place
ensuite au réveil.
En somme, on constate des phénomènes semblables à ceux que produisent la plu-
part des anesthésiques, chloroforme, éther, etc.
Partant de ces données physiologiques, depuis que l'on a constaté la présence de
l'acétone dans les urines el le sang des diabétiques et de certains malades, bien des
auteurs attribuent à un excès d'acétone dans le sang, les phénomènes comateux que
l'on observe chez beaucoup de ces malades. C'est ce que l'on appelle l'acétonurie ou
l'acétonémie. Quant aux autres acétones, aux acétones mixtes, par exemple, leur
94 ACETONURIE.
action présente une grande analogie avec celle de l'acétone ordinaire (Albanese et
-Barabini. Arch. Ital. de Biolog., t. svn, p. 231, 1892).
Usages. — A cause de ses propriétés, l'acétone peut être employée comme anesthé-
sique. Mais il faut avoir soin de n'employer qu'un produit absolument pur. Plusieurs
Allemands, et Kidd entre autres, la préfèrent au chloroforme à cause de la rapidité de
son action. Mais, tout considéré, rien ne justifie cette préférence, et le chloroforme pur
reste encore le meilleur anesthésique.
CE. LIVON.
ACETONURIE et ACÉTONÉMIE. — La présence de l'acétone, dans
les urines et le sang de malades présentant certains troubles de la nutrition, est
un fait qui n'est plus à démontrer; d'où l'acétonurie et l'acétonémie, deux états liés
l'un à l'autre. Connaissant l'action physiologique de l'acétone et son pouvoir toxique,
nul doute que cette substance, accumulée dans l'organisme, ne donne naissance à des
désordres graves, comme le coma, par exemple, que l'on constate chez les diabé-
tiques, dont les urines renferment souvent une forte proportion d'acétone.
C'est en 1837 que Petters publia la première étude sur le coma diabétique et l'acéto-
némie; puis en 1860 parut le travail de Kaulich établissant la théorie de l'acétonémie
et la production de l'acétone dans les affections des organes digestifs. En 1874 Kussmaul
rattacha le coma diabétique à l'acétonurie, en se basant sur l'expérimentation. Il cons-
tata chez les diabétiques comateux des phénomènes respiratoires particuliers, tenant
à l'excitation directe du centre respiratoire bulbaire.
Cette interprétation ne fut pourtant pas acceptée par tout le monde. Frerichs entre
autres, en 1883, ne reconnut pas l'acétonémie; pour lui, l'acétone n'ayant pas de pou-
voir toxique, le coma diabétique est dû à une intoxication diabétique. Ce sont aussi les
conclusions auxquelles arrive Jaccoud dans ses leçons cliniques.
Mais à mesure que les recherches et les travaux se multiplient sur ce sujet, l'acéto-
némie devient un fait de plus en plus évident. Vo.n Jaksch publie une série de travaux
tendant à démontrer l'acétonurie physiologique et son augmentation dans certaines
maladies. Penzoldt, dans un travail basé sur l'expérimentation, établitl'origineacétoné-
mique du coma, mais il avance pourtant que l'acétonurie n'est pas un phénomène
constant dans les fièvres (17 fois sur 28 cas), et qu'elle est assez rare dans le diabète (4
fois sur 22 cas).
Baginsky publie un travail sur l'acétonurie chez les enfants, il arrive aux mêmes
conclusions que V. Jaesch, et constate l'apparition de l'acétone dans l'urine des enfants
subitement pris de convulsions. Romme constate que l'acétonurie physiologique n'existe
pas, mais que dans les maladies fébriles, à 38° o ou 39°, l'acétone apparaît dans les
urines, mais que l'acétonurie disparaît lorsque la température baisse. Pour lui, comme
pour DE Ge.nnes, et la plupart des auteurs que nous avons signalés, le coma diabétique
est d'origine acétonémique.
L'acétonémie n'est donc plus mise en doute; on recherche seulement quels sont les
états pathologiques dans lesquels on la rencontre, et quelles sont ses origines. On
cherche même à reproduire expérimentalement cet état pathologique.
On trouve en effet de l'acétone dans les urines de bien des malades présentant de
troubles digestifs d'origines diverses, on en trouve aussi alors une assez grande quan-
tité dans le contenu de l'estomac et de l'intestin (Lorenz). On ne doit pourtant pas
perdre de vue que l'intoxication pourrait être due aussi à des produits moins oxygénés
que l'acétone et l'acide acétique, produits qui doivent varier dans leur composition et
leur activité.
Dans bien des affections aiguës fébriles, on peut rencontrer des symptômes qui
semblent devoir être attribués à l'intoxication acétonémique, car ou remarque l'odeur
acétonique spéciale de l'haleine, et la réaction rouge rubis de l'urine au contact du per-
chlorure de fer. C'est ainsi que Talamon a observé un cas d'aoétonémie cérébrale chez un
malade atteint de rhumatisme articulaire aigu.
Marro a constaté de l'acétone en assez grande quantité dans les urines des aliénés
atteints d'hallucinations terrifiantes. La quantité d'acétone était en rapport avec l'inten-
sité de la peur. Pour l'auteur, il y aurait eu là action spéciale sur le plexus cœliaque
ACETONURIE. 95
dont l'extirpation peut produire l'ar.étonurie (Lustig). On a rencontré assez souvent de
l'acétone dans les urines des aliénés, mais, comme le fait observer Laillf;r, ce fait est
sans valeur au point de vue de la pathologie mentale. En somme, l'acétonémie et, comme
conséquence, l'acétonurie se présentent assez fréquemment.
Peut-on considérer l'acétonémie comme étant un état physiologique qui s'exagérerait
suivant les états morbides, comme le pense von Jacksh? Je ne le crois pas. A l'état nor-
mal, les combustions organiques se font complètement, et, tant qu'il n'3' a pas de troubles
de nutrition, l'acétone ne doit se rencontrer ni dans le sang, ni dans les urines. Certains
auteurs, il est vrai, l'ont trouvée à l'état physiologique. Mais, comme les quantités
signalées sont très minimes et que, pour les mettre en évidence, on est obligé de sou-
mettre les urines à une distillation prolongée, il est permis de se demander si la présence
de l'acétone dans les urines à l'état physiologique n'est pas le fait des procédés de
recherches, sans compter que suivant le réactif employé, on peut confondre la réaction
de l'acétone avec celle d'autres substances qui peuvent se rencontrer dans les urines,
comme je l'indiquerai plus loin.
A l'état pathologique, au contraire, l'acétone se rencontre très souvent dans les
urines, surtout pour les maladies qui s'accompagnent de troubles graves de la nutrition.
Pourtant jusqu'à présent aucune règle ne semble influencer la présence et la quantité
de cette substance. Ainsi chez les diabétiques, qui présentent fréquemment de l'acétonu-
rie, on ne peut pas dire que c'est un état constant. Sans que l'on puisse en expliquer la
cause, l'acétonurie varie grandement chez les mêmes sujets d'un moment à l'autre; elle
ne correspond pas non plus aux variations du sucre, ni du pouvoir spécifique de l'urine,
elle peut même disparaître et cela au moment ou se développe le coma que bien des
auteurs considèrent comme exclusivement dû à l'acétonurie (Samuel West).
Du reste, le régime a de l'inlluence sur l'acétonurie; le régime carné, par exemple,
augmente très rapidement l'acétonurie chez les diabétiques et chez les autres malades,
l'alimentation pauvre en albuminoïdes, riche en hydrocarbures, fait tomber au contraire
la quantité d'acétone (Engel).
D'après Romme, l'acétonurie se présente dans les pyrexies aiguës à une température
de 38°'à à 39°. Mais, quoique la présence de l'acétone soit à peu près régulière dans
diverses affections fébriles, il n'y a aucune relation entre l'acétonurie et l'élévation ther-
mique, et il peut y avoir des variations très grandes dans la quantité d'acétone pour une
même maladie avec de l'hyperthermie.
L'acétonurie peut encore se rencontrer dans certaines intoxications, comme celles
par l'antipyrine, la morphine, le plomb. Les auto-intoxications sont aussi causes d'acéto-
nurie.
Enfin, je dois ajouter que Devoto a constaté la présence de l'acétone dans la sueur
d'individus sains ou malades soumis à l'action de l'étuve sèche : 2 paludéens,
1 typhique, i diabétique, 2 convalescents soumis à un régime carné. Il a aussi trouvé de
l'acétone dans la sueur d'individus soumis au régime mixte.
De ce qui précède, il est facile de conclure que, suivant certains processus morbides,
l'acétone se développera dans le sang, et son e'iimination se fera en même temps par les
urines. Cette acétonurie en somme, continuera tant qu'existera l'acétonémie. Mais, si cette
élimination vient à s'arrêter, la substance s'accumulera dans l'organisme et donnera nais-
sance à une intoxication.
Or les recherches d'ALBERiONi et Pisenti ont démontré que l'ingestion journalière
d'acétone produisait du côté des reins une lésion qu'ils appellent Nephritis acetonica,
caractérisée par des altérations notables dans la subtance corticale et surtout dans
l'épithélium des tubes contournés.
L'anatomie pathologique aussi a montré que chez bien des acétonémiques les reins
étaient altérés (Ebstein, de Gennes, Collin-, Tavlor).
Par conséquent, tant que la fonction rénale est intacte, l'organisme se débarrasse des
déchets organiques et des substances toxiques, et l'acétonémique, diabétique ou autre,
élimine l'acétone que produit son organisme; mais, le jour où le rein est altéré dans sa
structure, sa fonction est diminuée, puis abolie, il y a accumulation d'acétone dans l'or-
ganisme, et c'est alors que commencent les symptômes de l'intoxication, caractérisée par
une grande dépression des forces, de la faiblesse de la respiration, du resserrement et
96 ACETONURIE.
de l'immobilité des pupilles, de la rétention d'urine, de la suspension de presque toutes
les sécrétions, du ballonnement du ventre et une odeur spéciale, acétonique, de l'haleine
et de la sueur. Les mouvements du cœur et les pulsations sont d'abord ralentis, pour
faire place ensuite, lorsque l'intoxication fait des progrès, à une accélération et à une
élévation de température dues à la paralysie des vaso-moteurs, par suite d'une action
bulbaire évidente. Il y a de l'agitation, de l'angoisse, de la dyspnée, des troubles gastro-
intestinaux, puis du collapsus. Les extrémités se refroidissent, et la mort ne tarde pas à
suivre le coma. Ce cortège de symptômes se déroule généralement entre quelques heures
et 2 ou Sjours.
Quelle est la cause de la présence de l'acétone dans l'organisme?
Pour certains auteurs, Janicke, Von Jaksch, Rosenfeld et Baginsky, l'acétone que l'on
rencontre dans les urines des fébricitants est un produit de décomposition des alburai-
noïdes, l'acétonémie fébrile provenant de la combustion énergique des albuminoïdes.
L'acétone que l'on trouve dans les urines peut être considérée comme le résultat de la
décomposition des substances quaternaires.
Pour beaucoup, l'acétone provient du glycose. Du reste, c'est chez les diabétiques que
l'on rencontre le plus souvent les accidents dus à l'acétonémie. Il se produirait une véri-
table fermentation du glycose. Kaulich prétend que cette fermentation est due à la Sar-
cina ventriculi, la Torulœa cerevisi ou à quelques autres micro-organismes. C'est aussi
l'opinion partagée par quelques auteurs (De Gennes).
Pour BoucH.\RD, les intoxications acétonémiques seraient produites par des corps se
développant dans certaines maladies, même non infectieuses, résultant d'une élaboration
vicieuse de la matière par l'organisme humain; substances anomales, non engendrées
par des microbes; quelque matière peccante élaborée dans l'intestin dans les états dys-
peptiques graves, dans la fièvre typhoïde, les dilatations de l'estomac, etc.
Partant de ces diverses interprétations, on a cherché à reproduire expérimentalement
l'acétonémie et l'acétonurie.
Il suffit de faire respirer ou ingérer de l'acétone à des animaux, pour provoquer de
l'acétonurie et donner naissance, si l'action se prolonge, à tous les phénomènes de l'in-
toxication acétonique sur la moelle, le bulbe et la protubérance (André et Baglan). Mais
ce n'est là qu'une simple intoxication, n'éclairant nullement l'étiologie de l'acétonémie,
car, si l'on produit de l'acétonurie, c'est que l'organisme élimine l'acétone introduite
expérimentalement. L'acétonurie expérimentale peut se manifester après l'administra-
tion de la pyridine, agent destructeur du sang (Boesi). C'est là une expérience plus pro-
bante en faveur de la théorie qui donne comme cause de l'acétonémie les troubles de
nutrition. Mais les expériences qui semblent le mieux démontrer cette étiologie sont celles
qui portentsur le sympathique, le grand régulateur des fonctions de nutrition. Lustig en
efTet a observé chez les chiens et les lapins de l'acétonémie, ainsi que de la glycosurie,
après l'ablation du plexus cœliaque. 11 en serait de même de la section des nerfs splan-
chniques et de l'extirpation du plexus aortique abdominal. Après la piqûre du plancher
du quatrième ventricule, Oddi aurait trouvé de l'acétonurie durant du troisième au neu-
vième jour.
Viola pourtant, après l'extirpation complète du plexus cœliaque, n'aurait trouvé ni gly-
cosurie, ni acétonurie, ni albuminurie.
Assurément la question est loin d'être élucidée au point de vue étiologique, mais de
l'ensemble des faits observés et de l'expérimentation, il ressort que ce sont les troubles
de la nutrition qui engendrent l'acétonémie et l'acétonurie, que ces troubles soient d'ori-
gine pathologique (diabète, troubles gastro-intestinaux) ou d'origine expérimentale
(lésions du sympathique ou de la région bulbo-protubérantielle).
Moyens de reconnaître l'acétone dans les urines. — Plusieurs réactifs peuvent être
employés. NousaHons les indiquer en faisant voir leurs avantages et leurs inconvénients.
Réactif de Lieben. — On ajoute à l'urine quelques gouttes d'une solution iodurée
d'iodure de potassium et un excès de soude. Si l'urine renferme de l'acétone, il se forme
un précipité d'iodoforme, toujours facile à reconnaître à l'odeur caractéristique.
Ce réactif est d'une très grande sensibilité ; mais la même réaction se produit avec
19 corps, parmi lesquels il faut compter l'alcool éthylique et l'acide lactique. On peut
donc être induit en eireur.
ACETONURIE. 97
Réactif de liCgal. — On ajoute quelquesgouttes d'une solution de nilro-prussiate de
soude, puis une lessive de soude concentrée. S'il y a de l'acétone, il se produit une colo-
ration rouge carmin cjui au bout de quelques temps passe au jaune vert.
Si l'on ajoute une trace d'acide acétique, la coloration ronge carmin reparaît, pour
disparaître sous l'influence d'un excès d'acide.
Si alors on chauii'e le liquide, on obtient un précipité de bleu de Berlin.
Ce réactif est sensible à o/lOOO; mais alors la succession des teintes est peu marquée.
Réactif de Reynold. — ■ On verse quelques gouttes de chlorure de mercure et un
excès de lessive de soude; s'il y a de l'acétone, il se produit on précipité d'oxyde de
mercure.
On (litre soigneusement et Ton ajoute au liquide limpide du sulfure d'ammonium.
Après un moment de repos, on distingue, au contact des deux liquides, un anneau noir
de sulfure de mercure.
Ce réactif comme le précédent est sensible au S/1000, mais il est un peu compliqué.
Réactif de Chautard. — Dans 500 grammes d'eau on dissont 0,23 de fuchsine, et l'on
fait passer un courant de gaz sulfureux dans la solution. On obtient un liquide décoloré,
quelquefois teinté en jaune clair, que l'acide sulfureux eu excès ne peut modifier.
Pour rechercher l'acétone, dans un tube à essai contenant lo à 20 ce. d'urine, on
verse quelques gouttes de réactif. S'il y a de l'acétone, il se produit une coloration vio-
lette. Cette teinte varie nécessairement suivant la proportion d'acétone. Avec une solu-
tion à 1/10 on a un magnifique violet, à 1/400 un violet assez intense, à 1/1 000 une
teinte bien sensible. Lorsque l'on fait agir le réactif sur les produits de distillation de
l'urine, on peut mettre en évidence une proportion de 1/10 000 d'acétone. Ce réactif est
caractéristique pour l'acétone, il se conserve et est d'un emploi très facile; c'est celui
que l'on doit employer de préférence. Il est bon d'ajouter qu'il ne faut pas, dans des
recherches de ce genre, se borner à un seul réactif; d'un autre côté, lorsque l'examen
direct de l'urine n'a rien donné, il faut soumettre ce liquide à une distillation conduite
avec précaution, qui permet alors de déceler des quantités extrêmement minimes
d'acétone.
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Leçons sur les auto-intoxications, Paris, 1887. — Baginsky. Ueber Acetonurie bei
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{Giorn. del R. Acad. di Med. di Torino, août 1889). — Samuel West. Aeetonuria and ils rela-
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LoRENz. L'acétonuric et en particulier sa production sous l'influence de troubles digestifs
{Zeitsch. fiir klin. Med., t. xix, p. 19). — • Kngel. Variations quantitatives d'acétone {Zeitsch.
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— A. LusTiG et B. Oddi.Sm)' quelques récentes recherches touchant l'acétonurie et la glycosurie
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME. I. 7
98 ACÉTYLÈNE — AC H RO IVI ATO PSI E.
expérimentale {Arch. italien, de Biologie, t. xvii, p. 121, 1892). — Talamon. Acéfo/iucitf céré-
brale dans un cas de rhumatisme articulaire aigu (Médecine moderne, t avril 1891). — André
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en septembre 1891, par MM. Boeck et Slosse {Annales médico-psychologiques, mars-
avril 1892. — BoEsi. Recherches cliriiques et expérimentales sur l'acétonémie (Rivista dl
clinica et terapeutica, 1892).
CH. LIVON.
ACETYLENE. — Carbure d'iiydrogène (C-H-). Ou ne connaît pas ses pro-
priétés physiologiques. On suppose cependant qu'il se combine à l'hémoglobine du
sang pour produire des effets analogues à ceux de J'oxyde de carbone.
ACHILLEINE. — Matière amère qu'on extrait de l'Ar-hillée {.ichillea mille-
folium) et qui fut découverte par Zanon (Zanon, A. C. P., t. lviii, p. 31).
ACHOLIE. — Suppression de la sécrétion biliaire. Elle peut être due à
diverses causes; il y a l'acholie de cause toxique, l'aoholie de cause mécanique et l'acho-
lie de cause physiologique, due à une perturbation organique du foie (Voyez Bile).
ACH ROM ATOPSIE. — Un sens chromatique normal fournit une infinité
de sensations visuelles, différentes par leurs teintes, le ton de la couleur. Le daltonien
n'a que deux sensations colorées; l'une jaune, dans la moitié la moins réfrangible du
spectre ; l'autre bleue, dans la moitié la plus réfrangible dn sceptre. Ces deux teintes
peuvent varier d'intensité lumineuse, devenir sombres; elles peuvent se mélanger de
blanc, devenir claires, peu saturées. Mais toujours c'est l'une ou l'autre des deux cou-
leurs, plus ou moins lumineuse, plus ou moins saturée. Le daltonien voit aussi du blanc,
avec ses nuances grises; de plus, il a des sensations visuelles noires (Voyez Daltonisme).
A en juger d'après ceitaines observations, il pourrait y avoir des organes visuels
normaux pour le reste, mais qui depuis la naissance ne produiraient que des sensations
blanches, et leurs nuances grises; ces personnes auraient aussi des sensations visuelles
noires. Le blanc et le noir sont donc en som?ne les deux seules qualités de la sensation
visuelle que ces yeux « achromatopes » pourraient produire. Toutes les lumières, sim-
ples ou composées, font sur eux l'impression d'un gris ou blanc plus ou moins intense.
Les sensations visuelles dans « l'achromatopsie » ne diffèrent entre elles que par leur
intensité lumineuse. Entre les gravures et les tableaux, il n'y a aucune différence lumi-
neuse. Le monde extérieur parait à ces gens comme un tlessin unicolore ou une photo-
graphie.
L'achromatopsie totale congénitale est excessivement rare. C'est à peine si les publi-
cations ophtalmologiques signalent une vingtaine de cas observés. Si néanmoins on
attache un intérêt marqué à ces observations, c'est en vue de l'importance théorique
qu'on leur attribue. On espère trouver dans leur étude la clef du mystère de la chroma-
topsie normale. On ne manquejamais de rapprocher l'achromatopsie totale et le dalto-
nisme congénital ; on veut y voir un degré plus prononcé de cette dernière anomalie.
Il y a lieu toutefois de relever tout d'abord une différence essentielle entre les deux
espèces de cas. Dans le daltonisme, l'acuité visuelle est normale ; il en est de même du
sens de lumière, ou à peu près. Le champ visuel est normal. Dans l'achromatopsie totale
congénitale au contraire, l'acuité visuelle, le sens de lumière, et le champ visuel sont
fortement entamés, tout comme dans les cas d'achromatopsie acquise par suite de
maladies dans les conducteurs périphériques de l'appareil nerveux visuel. Cette circon-
stance tend donc à faire de l'achromatopsie congénitale aussi un état différent par
essence du daltonisme congénital.
Dans l'immense majorité des cas d'achromatopsie congénitale publiés, les autres
fonctions rétiniennes sont profondément atteintes. Cela est vrai notamment des trois cas
observés par Landolt, dans celui de Magnus et dans celui de Dor. L'acuité visuelle n'y
était que de un à deux dizièmes de la normale. D'autres auteurs ne parlent pas de
troubles de l'acuité visuelle ; on peut en conclure tout au plus que chez leurs sujets elle
ACHROM ATOPSIE. !)()
n'était pas très défectueuse. Galezowski qualifie de bonne l'acuité visuelle de son cas. Or
il y signale l'existence du nj'Stagmus. Et le nystagnius congénital est à peu près toujours
compliqué d'un degré prononcé d'amblyopie, due à une malformation du système ner-
veux optique. Il n'y a en somme que l'observation d'O. Becker, d'une telle achroma-
topsie bornée à un seul œil, où l'acuité visuelle se soit trouvée absolument normale.
Le sens de lumière n'a guère été examiné systématiquement; il est à supposer qu'il
était plus ou moins défectueux dans tous ces cas. Précisément le cas d'O. Becker, avec
acuité visuelle normale, présentait une diminution de la sensibilité auxdilfe'rences d'éclai-
rage. Dans un cas de Landolt, les couleurs spectrales montraient toutefois les mêmes
clartés relatives que pour un œil normal.
L'étendue du spectre visible n'a guère été examinée dans l'achromatopsie congéni-
tale; il est à supposer que le spectre est rétréci à l'une ou l'autre de ses extrémités, peut-
être à toutes les deux.
Le champ visuel était irrégulièrement rétréci dans un cas de Landolt, ce qui semble-
rait dénoter une altération de la rétine; il était normal dans le cas d'O. Bëoker. Landolt
renseigne des altérations du fond de l'œil, tandis que d'autres auteurs n'ont rien trouvé
d'anormal à l'examen ophtalmoscopique. Le nystagmus a été signalé dans la plupart des
cas ; et nous avons dit que le nystagmus congénital s'accompagne d'amblyopie; il repose
sur une altération profonde de l'appareil nerveux visuel.
Ajoutons enfin qu'à en juger d'après les quelques cas publiés, l'achromatopsie con-
génitale atteint ordinairement les deux yeux à la fois, et qu'elle se rencontre souvent chez
plusieurs membres de la même famille. Le cas d'O. Becker fut observé dans une famille
de daltoniens. L'aviteur rappelle que l'achromatopsie unilatérale pourrait très bien pas-
ser inaperçue si, comme on le fait habituellement, ou explore la chromatopsie des deux
yeux à la fois.
Avant de discuter la signification physiologique de l'achromatopsie congénitale, il
convient d'examiner les circonstances assez nombreuses où un œil à chromatopsie nor-
male peut voir incolores des lumières généralement colorées, puis de rappeler les points
essentiels de l'achromatopsie pathologique, consécutive a. des maladies de l'organe
visuel.
1° Un organe visuel normal voit incolores toutes les lumières, simples ou composées,
pourvu que leur intensité lumineuse soit assez faible. Il faut à cet effet un éclairage
d'autant plus faible que la surface rétinienne éclairée est plus grande. La chromatopsie
normale est eu eiTet fonction et de l'éclairage, et de la grandeur de l'image rétinienne.
Il y a d'ailleurs sous ce rapport de grandes différences entre les différentes couleurs :
une lumière verte ou rouge par exemple est incolore à un éclairage général pour lequel
une bleue ou jaune produit encore sa sensation chromatique. A un faible éclairage, la
rétine est daltonienne, puis achromatope.
2° Le contraste lumineux successif (produisant les images accidentelles négatives) peut
faire voir incolore une lumière généralement colorée. Une couleur peu saturée paraît
grise si elle tombe sur un endroit rétinien préalablement éclairé par une lumière ayant
cette teinte. On aime à dire que l'endroit rétinien eu question est « fatigué » pour cette
couleur.
3° Sur la périphérie rétinienne, nous sommes tous achromatopes, mais achroma-
topes seulement pour une certaine intensité, même assez forte, de n'importe quelle lu-
mière. La périphérie rétinienne est apte à fournir des sensations colorées, pourvu que
la lumière soit assez intense (Landolt). — L'inUuence de la grandeur de l'image léli-
nienne se fait sentir dans le même sens que l'éclairage. Un endroit rétinien intermé-
diaire entre le centre el la périphérie fournit encore des sensations de couleur, pourvu
que la lumière éclaire une assez grande étendue de la membrane nerveuse. — Enfin,
les couleurs qui sont perçues avec l'éclairage le plus faible (le bleu et le jaune) sont
aussi, l'éclairage étant à peu près le même, distinguées le plus loin sur la périphérie ré-
tinienne, et sous un angle plus petit.
4" A ces exemples d'achromatopsie normale, il faut ajouter les nombreux cas d'achro-
matopsie pathologique. Dans certaines maladies de l'appareil nerveux optique, surtout
dans les processus atrophiques du nerf optique, il survient une achromatopsie complète
de toute la rétine, achromatopsie qui le plus souvent précède la cécité complète. Et
100 ACHROMATOPSIE.
avant d'aboutir à l'achromatopsie, le sens visuel passe par un stade où certaines couleurs
sont seules perçues comme telles. De nouveau, c'est généralemant le jaune et le bleu
qui persistent en dernier lieu. A ce moment, l'œil fait en somme les mêmes confusions
de couleurs que dans le daltonisme congénital. Comme dans ce dernier, il ne persiste
que deux couleurs, la jaune dans la moitié la moins réfrangible, la bleue dans la partie
la plus réfrangible du spectre. 11 se présente toutefois des cas exceptionnels ou d'autres
couleurs semblent persister en dernier lieu.
Avant de devenir absolue, l'achromatopsie pathologique n'est que relative, c'est-à-
dire relative à l'éclairage et à la grandeur de l'image rétinienne ; une lumière plus in-
tense, ou l'éclairement d'une plus grande étendue rétinienne, peuvent encore provoquer
une sensation chromatique, colorée.
L'achromatopsie pathologique, dans les dégénérescences atrophiques diffuses du nerf
optique, n'envahit d'abord qu'une partie périphérique de la rétine. Somme toute,
l'acliromatopsie normale, physiologique, de la périphérie rétinienne, s'étend peu à peu
vers le centre rétinien, qu'elle finit par envahir lui-même. Les champs de couleurs
normaux (voyez Périmétrie) se rétrécissent tous, deviennent punctiformes, et s'éva-
nouissent, à commencer par ceux qui normalement sont les moins étendus, par le rouge,
le vert et le violet. Encore une fois, le bleu et le jaune sont les derniers à s'éclipser tota-
lement.
Dans le cours de ces maladies, il arrive que l'acuité visuelle centrale de la fovea cen-
tralis soit encore normale ou à peu près, alors que la chromatopsie est déjà très réduite
sur le restant de la rétine. On peut même trouver que la ehromatopsie de la fovea est
réduite, voire même abolie pour un éclairage moyen, alors que l'acuité visuelle y est
encore normale. — Sur le restant de la rétine, c'est-à-dire sur sa plus grande étendue,
la chromatopsie n'a guère été trouvée abolie sans que le sens de lumière et l'acuité
visuelle y aient été plus ou moins réduits également.
On observe aussi des cas pathologiques où un secteur rétinien bien circonscrit est
seul atteint dans sa chromatopsie. On suppose alors, et pour certains cas la chose est
prouvée, une dégénérescence de faisceaux limités du nerf optique.
Un exemple de ce geure qui offre un certain intérêt théorique est celui où une moitié
latérale d'un champ visuel, où même les deux moitiés homonymes des deux champs
visuels sont devenus achromatopes. On a même soutenu que la chromatopsie peut être
abolie dans une moitié du champ visuel, alors que l'acuité visuelle, et le sens de
lumière y étaient conservés intacts. Ce dernier pointue semble pas établi à toute évidence.
Un cas remarquable est celui où, par suite d'une maladie du nerf optique, les fonctions
de la fovea seule (et d'une partie avoisinante de la macula lutea) sont atteintes, tandis
que le restant de la rétine fonctionne normalement. Ce sont les scotomes centraux par
suite d'intoxications diverses (par l'alcool, la nicotine, le sulfure de carbone, etc.). La
chromatopsie diminue dans la fovea; elle passe par un stade franchement daltonien,
et peut aboutir à l'achromatopsie complète. Dans le stade daltonien, l'acuité visuelle
est déjà entamée ; mais elle peut être encore relativement bonne. Dans le stade d'açhro-
matopsie, elle est toujours fortement réduite. En même temps le sens de la lumière y a
baissé ; le minimum de lumière nécessaire pour provoquer encore une sensation lumi-
neuse est sensiblement plus élevé qu'à l'état normal. — On a démontré qu'il s'agit ici
toujours d'une dégénérescence des fibres du nerf optique qui innervent la. fovea centralis.
Si donc nous faisons une certaine réserve pour la fovea centralis, nous pouvons dire
que lorsque, par suite de processus pathologiques dans l'appareil nerveux optique —
et il s'agit ordinairement, sinon toujours, d'altérations des libres du nerf — la chroma-
topsie est diminuée sur une partie de la rétine, l'acuité visuelle, le pouvoir de distinc-
tion y est diminué également. Le stade de l'achromatopsie semble même dans la fovea
être toujours compliqué d'une réduction de l'acuité visuelle. Le sens de lumière diminue
dans les mêmes circonstances, soit qu'on le mesure à l'aide de la sensibilité aux diiïé-
rences d'éclairage, soit qu'on l'évalue en déterminant le minimum d'éclairage, néces-
saire (et suffisant) pour provoquer encore une sensation lumineuse simple.
Les processus pathologiques siégeant dans les éléments conducteurs périphériques de
l'appareil optique y diminuent l'excitabilité, le travail physiologique. Au point de vue de
l'etiet sensoriel de l'excitation, l'elfet est analogue à celui d'une diminution de l'éclairage.
ACHROMATOPSIE. 101
La chromatopsie esL d'abord diminuée (stade daltonien dans l'un et l'autre cas), puis
elle passe à Tachromatopsie complète. Pour l'un et l'autre cas, la cause en est dans la
réduction du processus qui se passe dans les éléments nerveux optiques.
On explique souvent l'acliromatopsie de la périphérie rétinienne aussi par une
moindre excitabilité des éléments nerveux. A cela on objecte que, pour produire sur la
périphérie rétinienne une impression lumineuse simple, blanche, il ne faut pas une plus
forte intensité lumineuse que pour la produire dans la fovea. L'objection a certainement
sa valeur. Cependant l'excitabilité de la périphérie rétinienne semble être moindre, en
ce sens que l'excitation y croit moins vite avec l'excitant que dans le centre rétinien.
Ceci étant donc admis, l'achromatopsie de la périphérie rétinienne, celle du centre
rétinien à un faible éclairage, et enlîn l'achromatopsie due à des maladies des éléments
nerveux périphériques de l'organe visuel, peuvent être ramenées à un seul facteur, à, une
moindre énergie du processus physiologique qui se passe dans les éléments nerveux
visuels.
Dans toutes ces circonstances, les autres fonctions rétiniennes, le sens de lumière et
l'acuité visuelle souffrent plus ou moins, en même temps que la chromatopsie.
Mais, dit-on, il est des circonstances où l'une de ces fonctions rétiniennes peut être
abaissée reJativement plus que les autres. Tel est le cas notamment pour la périphérie
rétinienne, où le sens de lumière est aussi exquis que dans la fovea, etoii la chromatopsie
et l'acuité visuelle sont presque nulles. Nous avons de plus signalé des cas pathologiques
oîi, par suite d'altérations diffuses de tout le nerf optique, l'acuité visuelle de la fovea est
à peu près normale, alors que la chromatopsie a baissé notablement dans le restant de
]a rétine, voire même dans la fovea elle-même. L'hypothèse d'un moindre travail physio-
logique n'explique donc pas tous les phénomènes; certains auteurs admettent que
Tacuité visuelle est produite par des éléments nerveux à part, différents de ceux qui
produisent la chromatopsie, par exemple, et qui pourraient fonctionner encore, alors
que les autres seraient atteints par le processus dégénératif ; sur la périphérie rétinienne
ils seraient moins développés ou moins nombreux.
Pour ce qui regarde la fovea, dont l'acuité visuelle peut être intacte, alors que la
chromatopsie est diminuée, surtout dans la périphérie rétinienne, et cela dans les dégé-
nérescences de toutes les fibres du nerf optique, on a expliqué les observations par
toutes sortes d'hypothèses, notamment en supposant que les fibres du nerf optique qui
se rendent à la /'oiiea seraient moins atteintes par le processus pathologique.
Nous pensons que la cause de cette exception est la suivante. D'après toutes les appa-
rences (voyez Acuité visuelle), le maximum de l'acuité visuelle observée réellement aux
différents endroits de la rétine est déterminé par des causes différentes. En dehors de
la fovea, ce maximum est dû à la constitution physiologique de la rétine. Dans la fovea,
il est le fait des imperfections du système dioptrique de l'œil; la constitution physiolo-
gique de la fovea y admettrait une acviité physiologique beaucoup plus grande que celle
qu'on observe réellement. Une diminution des propriétés physiologiques de tous les
éléments optiques devra donc^ diminuer l'acuité visuelle sur la périphérie rétinienne,
mais peut laisser normale l'acuité visuelle de la fovea centralis — aussi longtemps que
l'acuité visuelle comme fonction nerveuse est encore supérieure à cette même acuité
comme fonction de la netteté de l'image rétinienne. La chromatopsie dans la fovea n'est
pas plus développée que dans le restant de la rétine. Elle y est fonction de l'éclairage et
de la grandeur de fimage rétinienne, et cela dans la même mesure que sur la péri-
phérie rétinienne. On conçoit donc qu'elle puisse y être atteinte dans une plus forte
mesure que l'acuité visuelle, même dans l'hypothèse d'un seul élément photo-sensible,
produisant et la chromatopsie, et l'acuité visuelle.
Pour prouver que l'acuité visuelle est le fait d'autres éléments corticaux que la chro-
matopsie, on a invoqué l'achromatopsie qui se présente sous forme d'hémianopie, et
surtout sous celle d'hémianopie double homonyme. Au dire des auteurs, l'acuité visuelle
pourrait être normale ou à peu près dans la partie achromatope du champ visuel
(A. Charpentier). — L'hémianopie bomonyme devant être mise sur le compte d'une
altération hémisphérique, elle tendrait à prouver que les éléments corticaux percepteurs
des couleurs sont différents de ceux qui produisent l'acuité visuelle. Les observations de
ce genre sont trop peu nombreuses pour qu'on puisse admettre comme chose absolument
102 ACHROODEXTRINES — ACIDES (Milieux).
prouvée que la chromatopsie puisse être abolie dans une moitié du champ visuel, alors
que l'acuité visuelle y est normale..
Chaque fois donc que la chromatopsie se réduit et disparaît, elle passe d'abord par
un stade daltonien. Il est dès lors assez naturel de supposer à toutes ces diminutions delà
chromatopsie une cause commune, qui, selon qu'elle serait plus ou moins prononcée,
produirait tantôt l'achromatopsie complète, tantôt l'achromatopsie partielle, dont la
forme la plus fréquente est le daltonisme. Ce facteur commun serait la diminution du
travail physiologique, soit par diminution des propriétés physiologiques, soit par dimu-
tion de l'excitant extérieur.
Une telle hypothèse s'applique assez bien à tous les cas, sauf au daltonisme congéni-
tal. Pour ce qui est de l'achromatopsie congénitale, l'examen des autres fonctions de
l'appareil optique tend à la rapprocher de l'achromatopsie acquise par suite de proces-
sus pathologiques dans la périphérie de l'appareil nerveux visuel. Elle semble découler
d'une diminution de l'excitabilité des éléments nerveux visuels existant déjà à la nais-
sance. La probabilité est que cette diminution serait le résultat d'une maladie intra-uté-
rine, peut-être aussi d'un développement anormal des parties périphériques de l'appa-
reil nerveux visuel. La diminution de l'acuité visuelle, la forme du champ visuel, le
nystagmus, etc., parlent dans ce sens. Il n'y a en somme que le cas d'O. Becrer dans
lequel toutes les autres fonctions rétiniennes étaient intactes. C'est trop peu pour rap-
procher du daltonisme congénital la classe entière de l'achromatopsie congénitale.
Les partisans des diverses théories émises sur le mécanisme physiologique de la per-
ception des couleurs essayent d'expliquer l'achromatopsie à leur point de vue. La plus
ancienne en date, celle de Young et Helmholtz, des trois énergies spécifiques, expli-
que le daltonisme congénital par l'absence d'une des trois énergies. L'achromatopsie
serait produite par l'absence de deux de ces énergies; chaque lumière suffisamment
intense devrait produire la sensation colorée correspondante, qui serait confondue avec
le blanc (ou le gris). Parmi les nombreuses difficultés qu'elle rencontre pour rendre
cornpte de l'achromatopsie congénitale, citons notamment le fait quejl'achromatope voit
aux divers endroits du spectre les mêmes intensités lumineuses relatives qu'un sens
visuel normal (pour la chromatopsie).
La théorie de Hehkg semble se prêter mieux à une explication des faits. D'après elle
les transformations chimiques d'une substance « visuelle » produisant les seules sensa-
tions noires, blanches et grises, et les couleurs proprement dites étant le fait des méta-
morphoses chimiques de deux autres substances « visuelles », il suffit de supposer que
ces deux dernières substances font défaut dans l'achromatopsie. On sait que l'absence
de l'une de ces substances suffit pour expliquer assez bien le daltonisme congé-
nital.
11 n'y aurait guère d'intérêt physiologique majeur à poursuivre davantage les phéno-
mènes d'achromatopsie au point de vue de ces théories.
Bibliographie. — 0. Becker (Arch. f. Ophth., 1879, f. 2, p. 204). — Donders {Klin.
Monatstil. f. Augenhellk., 1871, p. 470). — T>or [Rev. génér. d'opht., 1883, p. 433). — Favre
{Gaz. hebdom., 1879, p. 92 et 104; 1888, p. 598). — Goubert. De Vachromatopsie, Paris,
1867, p. 49. — Galezowski. Chromatopsie rétinienne, 1869. — Lanbolt. Traité complet
d'opht. de De Wecker et Laxdolt, p. 366. — Un cas d'achromatopsie totale {Arc/i. d'opht.,
1881, p. 114). — Vnnouveau cas d' achromatoiiôie totale [Ibidem, 1891, p. 202).
NUEL.
ACHROODEXTRINES. — Nom créé par Brdcke pour désigner les
dextrines dont les solutions aqueuses ne sont pas colorées par l'eau iodée (Voir Dextrines).
ACIDES (Milieux). — Les êtres organisés ne peuvent vivre et se développer
que dans des milieux neutres ou à peu près neutres, et les deux milieux dans lesquels
nous étudions les manifestations les plus importantes de la vie, l'air et l'eau, ont ce
caractère de neutralité. Si nous créons d'autr.es milieux artificiels dans lesquels nous
introduisons un acide quelconque, ces milieux deviennent mortels. Les microbes
ne font pas exception à cette loi; les bouillons de culture doivent être neutres ou légè-
rement alcalins; et ce n'est que par une exception, plutôt apparente, que les microbes
ACIDES (Milieux). li!3
qui forment les ferments acétiques, butyriques, lactiques, vivent dans un milieu acide,
car ils ne survivent qu'un temps très court à la formation de l'acide. Quant à savoir le
moment précis où la fermentation s'arrête, autrement dit le moment précis oii les
microbes cessent de vivre par suite de la trop grande acidité du liquide, c'est ce qu'il est
difficile de déterminer d'une façon absolue. Pourtant, Ch. Richet {Note sur la fermen-
tation lactique, C. R-, 1878, t. Lxxxvi, p. 36 et 1879, t. lxxxviii, p. 730) a montré que la
fermentation lactique dans le lait s'arrête absolument lorsque la quantité d'acide atteint
15 grammes par litre.
Dans le même ordre d'idées, Wurtz et Mosing (B. B., 27 janvier 1894) ont constaté que
le pneumocoque produit de l'acide formique qui stérilise les cultures. Dans ce cas, la
formation d'acide équivaut à la production d'une substance toxique. Et l'on peut dire que
tous les acides agissent sur les microbes comme des substances toxiques : c'est cette action
qui a conduit à les employer comme antiseptiques. A des doses qui varient suivant leur
nature, les acides minéraux, d'après Miquel (V. Teouessart. Thérapeutique antiseptique,
p. 239), empêchent la putréfaction aux doses de 2 à .t grammes par lilre; les acides
organiques aux doses de 3 à K grammes par litre. Cette propriété antiseptique des
acides, nous la trouvons également dans un liquide de l'organisme; le suc gastrique.
11 n'y a pas très longtemps encore, le rôle antiseptique du suc gastrique était attribué à
la pepsine. C'est Albertoni qui, en 1874, montra que cette action était due, en réa-
lité, à l'acide chlorhydrique du suc gastrique. Ses expériences ont été vérifiées par
Ch. Richet {Suc gastrique, 1878, p. 113) qui prouva que quelques gouttes d'acide
chlorhydrique sont plus efficaces pour empêcher la putréfaction que de grandes quan-
tités de pepsine.
Nous devons mentionner ici la résistance curieuse des champignons aux acides,
résistance qui tout d'abord semblerait en contradiction avec la loi énoncée au début de
cet article. Alors que les bactéries ne peuvent vivre dans un milieu acide, au contraire,
les champignons s'y développent normalement. Mais cette acidité ne persiste pas.
A mesure que les champignons se développent, ils produisent de l'ammoniaque qui,
au fur et à mesure de sa formation, neutralise l'acide du liquide. Et, en effet, il
arrive un moment où le liquide est complètement neutre, si bien que les bacté-
ries peuvent vivre et succéder aux champignons. C'est là un phénomène qu'on peut
vérifier par exemple sur une urine très acide. On verra d'abord le développement
progressif des champignons, puis on constatera la neutralité de l'urine et alors
seulement l'apparition des bactéries.
Voyous maintenant ce qui se passe lorsqu'un animal est plongé dans un milieu acide.
Ces expériences ont été faites surtout sur les poissons et les écrevisses. Ch. Richet,
en étudiant la vie des écrevisses dans les milieux acides ou alcalins, a constaté que les
liquides acides ou basiques ne sont pas toxiques en raison de leur acidité ou de leur
basicité. Les acides minéraux sont beaucoup plus toxiques que les acides organiques.
Ainsi, l'acide azotique est deux fois plus toxique que les acides chlorhydrique et
sulfurique, et douze fois plus toxique que l'acide acétique par molécule : ce qui, en
poids, donne à l'acide azotique une toxicité cinq fois plus grande que l'acide sulfu-
rique et vingtcinq fois plus grande que l'acide acétique. Avec 0k'',5 d'acide azotique
par litre une écrevisse meurt en deux ou, trois heures (Ch. Richet. De l'influence des
milieux acides et alcalins sur la vie des écrevisses. C. R., t. xc, p. 1166, mai 1880).
Ces faits ont été constatés également par M. Emile Yung {Mitth. d. Znol. Station
zu Neapel, 1881, p. 7) sur les poissons, et, après une série d'expériences, il a
constaté la même loi, c'est-à-dire que, pour une acidité égale, dans les milieux à
acides minéraux, la vie durait moins longtemps que dans les milieux à acides orga-
niques.
Acidité de quelques liquides de l'organisme. — En général, les liquides de
l'organisme sont neutres ou alcalins, mais il y a des exceptions : par exemple, le suc
gastrique, l'urine et la sécrétion salivaire chez quelques mollusques (Voy. Suc gastrique
et Urine). L'acidité moyenne du suc gastrique chez l'homme est de 2 grammes par lilre,
mais chez les poissons elle peut atteindre 15 grammes par litre L'acidité du suc
gastrique est due, nous l'avons dit, et cela a été démontré surabondamment, à l'acide
chlorhydrique. Pour expliquer la formation de cet acide chlorhydrique dans l'estomac,
104 ACONELLINE — ACONITINE.
de nombreuses hypothèses ont été éniises. II s'agit évidemment d'une décomposition
(lu chlorure de sodium qui se transforme en HCl, restant dans l'estomac et en iNa qui
est éliminé.
Pour l'uiine, son acidité moyenne répond à 0,8 de soude par litre. Cette acidité est
due à l'acide hippurique libre, et peut-être à une petite quantité d'acide lactique et
aussi d'acide carbonique existant en liberté dans l'urine. L'acidité de l'urine explique
la formation des calculs d'acide urique.
Toxicité des acides introduits dans l'organisme. — Les expériences sur la
toxicité des acides introduits dans l'organisme sont peu nombreuses. Lehmann {Arch. de
Pf., t. XLir, p. 284) a montré que, si l'on injecte un acide dans le sang d'un animal, la
respiration est énormément accélérée. Avec de l'acide phosphorique et de l'acide tar-
trique, il a obtenu ce résultat. Inversement, avec de la soude, il a vu diminuer les mou-
vements respiratoires. Ch. Richet a trouvé que la dose toxique d'un acide injecté
dans le sang était de 0,24 par kilogramme de poids vif (Voy. L.\i\glois et de Vahigny.
R. S. M., 1889, t. x.Kxni, p. 283).
Enfin ZuNTzet Geppert, d'après leurs expériences (Arc/t. de Pf.,i. xlii, p. 189), admet-
tent que par l'effet du travail musculaire l'alcalinité du sang diminue. Aussi, suivant
eux, l'accélération du mouvement respiratoire dans le travail musculaire violent serait
due à la formation d'un acide excitant les centres repiratoires, mais la nature de cet acide
est inconnue.
CH. R.
ACONELLINE. — En 1864, T. et H. Smith trouvèrent dans l'extrait d'aconit
un principe cristallisable qu'ils appelèrent aconelline; ce principe, que l'on a identifié
avec la napelline et la picro-aconitine, pourrait ne pas exister à l'état naturel et n'être
que le résultat de la préparation; mais elle diffère de la napelline qui est cristallisée,
par une toxicité moindre; et de la picro-aconitine, en ce que celle-ci ne cristallise pas.
Quoi qu'il en soit, les cristaux que l'on obtient sous le nom d'aconelline sont très peu
solubles dans l'eau et l'éther, ils le sont dans l'alcool, le chloroforme et l'éther acétique.
Une solution alcoolique d'aconelline dévie à gauche le plan de la lumière polarisée.
Comme la narcotine, elle donne avec l'acide sulfurique renfermant une petite quantité
d'acide nitrique une coloration rouge. Elle forme des sels acides. Son chlorhydrate
cristallisable peut fournir un chloroplatinate.
Préparation. — Voici le procédé indiqué par Dupuy. On prépare un extrait acide
avec le suc de racines d'aconit. On épuise cet extrait par l'alcool, puis on mêle la liqueur
avec un lait de chaux (730 grammes pour 2o kilogrammes de racines fraîches). On
ajoute après flitration de l'acide sulfurique jusqu'à cessation de précipité. La liqueur
filtrée est soumise à la distillation pour retirer l'alcool. On sépare de la solution aqueuse
qui reste une grande quantilé de matière grasse verte et on filtre. Le liquide ainsi
obtenu est fortement acide, ou le sature peu à peu avec une solution de carbonate de
soude, mais en le laissant légèrement acide. Après 1 ou 2 jours les parois du vase sont
recouvertes de cristaux d'aconelline.
Action. — L'aconelline ne jouit nullement de la toxicité de l'aconitine, elle ne paraît
même pas toxique, puisque un chat a pu en absorber 0,30 centigrammes sans en être
incommodé.
Bibliographie. — T. et H. Ssiith {Pharmac. Joiirn., 1864, v, p. 319, et 1867, viit,
p. 123). — Dupuy. Traité des Alcaloïdes, 1889.
CH. LIVON.
ACONITINE. — L'aconitine est l'un des produits toxiques retirés de l'.Aco-
nilum Napellus {Delphinium Napellus), ])\a.nle de la famille des Renonculacées. Ce n'est
pas toutefois l'unique plante dont on se serve pour la préparation de cet alcaloïde. On
emploie encore fi'équemment l'Aconit féroce [Aconitum ferox.Wall) (Dujardln-Be.u'uetz.
Dlct. de Thér., 1. 1, p. 26.), l'Aconit hétérophile {Aconitum heterophyllum. Wall), l'Aconit
athora {Aconilum alhora), l'Aconit tue-loup [Aconitum lycoctonum), Y Aconitum Storkcanum,
l'Aconitum Variegatum, VAconitum Cammarum, Y Aconitum paniculatum,
Le principe actif le plus important est l'aconitine qui aurait pour formule, suivant
ACONITINE. 105
Ehbenbebg etPuRFURST {Journ.f. prakt. Chemie, t. 43, 1892, p. 604)C^-H" i\'0". C'est cette
substance qui a été étudiée au point de vue pharmacodynamique par Robert [Lehrhuch
der Into.dcationcn, p. 633); Groves {Pharm. Joiirn. t. vni, p. 108) donne au contraire
comme formule probable: G^'^ H"^ NO'-; tandis que Duquesnel (A. C, t. xxv, p. 131) lui
attribue la suivante : C^' H*» NO'».
Cet alcaloïde se transformerait déjà dans la plante ou dans les solutions aqueuses,
sous l'influence de l'eau, en substances moins toxiques ou parfois même tout à fait
inolïensives. Les transformations s'effectuei'aient suivant les formules suivantes :
C32H"NOM + H2 0 = C25H3<JNOii + C'H<'02
Picro-aconitiiiG. Acide benzoïque.
C"H3i'NOii + H2 0 = C"H3-;NOi» + CH30H
Napelline. Alcool méthylique.
C2'.H3-NOio + H20 = C22H35NOi' + C2Hi02
Aconini-, Acide acétique.
Richards et Roger {The Chemist and Dniggist, t. 38, 1891, p. 187, 203, 242, 568)
admettent l'existence dans la plante de deux isomères; l'a Aconitine, et la p Aconitine,
dont la dernière serait six fois plus toxique que la première. On a trouvé dans différentes
espèces d'aconit une substance désignée par les Allemands sous le nom de Japaconitine,
parce qu'elle a été retirée, notamment de VAconitum japanicum, K. Fr. Mandelin
[Arch. der Pharm., t. 23, 1883, p. 97, 129, 161) l'identifie avec l'Aconitine. Lubbe (Chem.
pharm akologische Untersuchungen des crystallisirten Alcaloïdes aus den Japanischen Kusa
uzu Knollen.) admet aussi que la japaconitine est chimiquement et physiologiquement
analogue à l'aconitoxine (aconitine cristallisée). Kobert {loc.,cit. p. 657.) a établi également
qu'il n'existait pas de différence appréciable entre ces deux produits (Voir cet auteur
pour la bibliographie).
L'aconitine elle-même, non seulement n'est pas définie d'une manière positive, mais
les différents produits livrés au commerce sous ce nom jouissent d'une activité très
, différente. C'est vraisemblablement à cette diversité dans les produits désignés sous un
même nom qu'il faut attribuer tant de divergence dans les résultats expérimentaux. En
effet l'opinion des différents auteurs sur l'activité relative des différentes aconitines est
extrêmement variable.
Anrep {Versuche ùber die physiologischeWirkungen des deutschen, englischen und Duque-
snel'schen Aconitins.—Arch. f. Anat. u. Physiol. 1880. SuppL, t. v, p. 161) admet que l'aco-
nitine allemande est plus active que l'aconitine anglaise, mais que toutes deux sont
moins toxiques que l'aconitine française cristallisée de Duquesnel. Ainsi pour la grenouille
les doses toxiques seraient respectivement : 0 milligr. 03, 0,2 et 0,03 pour les produits
allemand, anglais et français. Buntzen et Modsen (C. R. du Congrès de sciences médicales
de Copenhague, 1884) sont d'une opinion différente. — Harnacr et Menniore {TJeber die
Wirksamkeit verschiedener Handelspreparate des Aconilins. Berl. klin. Woch., t. 43, 647)
admettent après leurs expériences que l'aconitine de Merck tuerait les grenouilles à
la dose de 1/30 de milligramme ; une autre aconitine extraite de l'Aconitum Ferox et la
japoconitine exigeraient des doses de 1/10 à 1/15 de milligramme. Une ancienne aco-
nitine allemande n'agirait qu'à des doses 13, 20 fois plus fortes. Une autre aconitine,
préparée également par Merck, était un peu plus active que l'aconitine de Duquesnel; elle
agissait, à fortes doses notamment, plus rapidement que le produit français, mais les
effets de ce dernier étaient plus persistants.
Il est évident que la diversité des produits qui ont servi aux expériences explique en
partie les divergences dans les résultats obtenus.
En France, les travaux de Laborde et Duquesnel font autorité (Laborde et Duquesnel.
Étude chimique, physiologique, toxicologique et thérapeulic/ue de l'Aconitine, Paris, 1881. —
Voir aussi: Laborde. L'Aconitine; Tribune médicale, passim, 1892, 1893).
Dans leur travail, les auteurs précédents concluent que l'aconitine « agit d'une façon
prédominante sur la portion bulbaire spinale du myélencéphale, consécutivement sur
le grand sympatique, et, par leur intermédiaire, exerce une influence plus ou moins
profonde sur les principales fonctions de l'économie. » Dans son dernier travail, Laborde
10(î ACONITINE.
(Tribune médicale, J893, p. 30) classe les troubles qui résultent de l'intoxication par cet
alcaloïde de la manière suivante :
I. Troubles des fonctions gastro-intestinales; vomissements persistants devenant
sanguinolents, évacuations diarrhéiques sanglantes.
IL Troubles cardio-respiratoires.
a) Modifications du cœur et de la circulation en général. Le rythme du cœur est altéré.
Les mouvements du cœur sont troublés et accélérés au point de produire une véritable
ataxie, une sorte de tétanos de l'organe qui peut ultérieurement reprendre la régula-
rité et le rythme parfait de 'ses contractions.
h) La pulsation en elle même est modifiée do telle façon qu'elle peut avoir une ampli-
tude augmentée dans des proportions doubles de l'étendue normale. L'accroissement
de l'amplitude peut survenir d'emblée, à dose physiologique, sans qu'il y ait passage par
la période d'irrégularité, d'ataxie et de tétanisation. Il s'accompagne, surtout vers la fin
de l'intoxication et au moment de l'épuisement des contractions spontanées, d'intermit-
tences plus ou moins longues qui finissent par aboutir à l'arrêt du cœur sans que la con-
tractilité de la fibre musculaire soit éteinte.
c) La contractilité propre de la fibre musculaire cardiaque n'éprouve pas de modifi-
cation directe de la part de l'aconitine. Les contractions réapparaissent après l'arrêt
du cœur par l'excitation électrique.
d) La tension sanguine est d'abord augmentée plus ou moins passagèrement; puis il
se fait finalement un abaissement plus ou moins rapide après certaines oscillations
coïncidant avec des modifications des contractions cardiaques.
e) La température offre des modifications liées aux modifications de la tension san-
guine; finalement il se produit un abaissement thermique plus ou moins grand.
f) Les mouvements respiratoires sont irréguliers comme rythme et comme nombre ;
ce qui serait dû non seulement aux modifications de la fonction hématosique, mais
encore et surtout à un état spasmodique des muscles respiratoires. Il se produit une
véritable ataxie de ces mouvements. Il se fait, comme dans la mort par suffocation, des
ecchymoses sous-pleurales.
En somme la mort dans l'empoisonnement par l'aconitine se fait par la respiration,
non par le cœur.
Makenzie g. lluNTER [The physiological action of aconite audits alcaloïde Practitioner,
l'évr. 1879) pense que, dans l'empoisonnement par l'aconit, le cœur continue à battre,
après cessation de la respiration. 11 n'y a pas d'action directe sur le cœur, mais les
troubles de la respiration retentissent sur le cœur. — Les dilatations vasculaires ne
dépendent pas d'une paralysie vasomotrice. Il n'y a pas non plus, suivant cet auteur, de
paralysie musculaire déterminée directement.
Suivant Anrep {toc. cit.) avec les aconitines anglaise et allemande, il se produit de la
stupeur, de la dyspnée, du ralentissement et de l'affaiblissement du cœur, puis des arrêts
de respiration, de la prostration générale, des crampes cloniques, des secousses fîbril-
laires dans les muscles, enfin un arrêt diastolique du cœur. Le centre respiratoire serait
le plus atteint : puis le cerveau se prend, la moelle allongée, le cœur, la moelle, les
nerfs sensibles viennent ensuite. Les nerfs moteurs seraient moins intoxiqués et, peut-
être, seulement après des troubles circulatoires. Les muscles seraient indemnes. De
fortes doses paralyseraient dès le début les centres moteurs cardiaques; les doses
moyennes produiraient cet effet seulement après une excitation préalable. Celle-ci exis-
terait seule après l'administration de petites doses. Les crampes générales dépendraient
d'une irritation de la moelle allongée. Les convulsions musculaires, constantes, ont une
cause centrale. Les différentes aconitines, suivant Anrep, n'agiraient pas d'une manière
identique sur la pupille; le plus souvent toutefois on observe de la dilatation. — L'aco-
nitine de DuQUESNEL se différentierait qualitativement dans les effets physiologiques, en
ce que, à petite dose, elle paralyse les ganglions cardiaques et, à forte dose, les nerfs
périphériques.
Pflùgge {Werkb. van het Nederl. Tydschr. von Oencesk, t. 42, p. 720) pense que les
symptômes de paralysie générale qui s'observent dans l'intoxication par l'aconitine
tiendraient à une paralysie des filets terminaux des nerfs. Ce serait une action analogue
à celle du curare.
ACONITINE. i07
D'après Lewin [Exp. Unters. ùher die Wirhimg des Aconitins cnif das Herz. Inaiig. Dis-
serl., Berlin, (87b. — Lehrbuch der Toxikologie, Wien, i88o) les recherches sur les animaux
divers doivent donner des résultats différents, parfois contradictoires. Chez la grenouille,
on observe un abaissement de l'action du cœur qui, dans certains cas, est suivi d'une
courte accélération de la fréquence; puis apparaît de l'arythmie. Chez les animaux à sang
chaud, l'action sur le cœur se traduit par des effets quantitatifs et qualitatifs. Les ganglions
du cœur, aussi bien que les terminaisons du vague, sont paralj'sés après une excitation
passagère. Dans les derniers stades, il y a presque toujours de l'arythmie. Celle-ci
résulte, peut-être, d'une action irrégulière et inégale sur les centres cardiaques. La pres-
sion sanguine descend, après avoir subi une ascension passagère. — La mort survient
par paralysie des muscles ou des centres respiratoires. Par de fortes doses, l'irritabilité
des nerfs périphériques moteurs et sensitifs est modifiée. La sécrétion de la salive est
augmentée ; enfin l'élimination se ferait par les urines, les selles, l'estomac et la mu-
queuse intestinale, même après injection sous-cutanée.
E. Harnack et Mennicke (loc. cit.) concluent de leurs expériences que la japaconitine, la
pseudo-aconitine, l'aconitine agiraient à peu prés de la même manière sur la Hana tem-
2}orai'iaelsav\a.Rana esculenta. Peut-être auraient-elles un peu plusd'elTet surla dernière.
Il y aurait d'abord paralysie du cerveau. Ils trouvent qu'avec de fortes doses les termi-
naisons intra-musculaires seraient affectées d'abord. Mais la paralysie musculaire n'est
jamais le symptôme unique. Il y aurait ralentissement, puis paralysie du cœur, précédée,
quand on agit avec précaution, d'accélération et d'irrégularités. Ils ne déterminent pas
la cause de cet état particulier du cœur.
Wagner [Beitr, zur Toxikolog. d. Aconit, hiaug. Bissert. Dorpat) dit que l'aconitine
n'est pas un poison du protoplasme. Les cils vibratils continuent à battre plusieurs
heures dans des solutions à 3 et 4 p. 100. Le Tœiiia serrata n'est pas influencé par
l'aconit. Le poison exerce d'autant plus d'effet sur un animal, qu'il est plus élevé dans la
série des êtres organisés.
La dose toxique exprimée en milligrammes est, en moyenne (par kil. d'animal) :
Grenouille 0,33 à 0,40
Pigeon. Poule 0,12 à 0,2j
Chauve-souris 0,2,
Lapin 0,:j3
Chat 0,25
Chien 0,1
Cheval 0,6
Ce même auteur confirme l'opinion de Bôhm, suivant laquelle la dyspnée est la con-
séquence de l'irritation des faisceaux centripètes des vagues. Il y a amélioration de
la dyspnée, lorsque les centres ne sont pas encore atteints, par la section des vagues.
La mort survient par l'asphyxie qui résulte de la paralysie du centre respiratoire. Il y
a d'abord une forte irritation de l'appareil nerveux intra-cardiaque d'arrêt du cœur,
puis il y a paralysie. Le système nerveux central est d'abord irrité, puis paralysé. L'irri-
tation atteint d'abord les centres nerveux moteurs du cerveau et de la moelle; puis le
centre du vomissement et successivement ceux des mouvements de l'intestin, delà respi-
tion et de la dilatation pupillaire. L'opinion de Lûbbe est celle de Wagner. Cet alcaloïde
n'est pas un poison du protoplasme (mouvements des cils vibratils ou des globules
blancs). Il est sans effet sur les limaces, les ténias, les ascarides. Les grenouilles suc-
combent avec l/7o de milligramme, soit environ O^^jS par kilogramme; les chats 0™",13
par kilogr.; les chiens 0™™,067 par kilogr. La respiration artificielle peut retarder la
mort, et même l'empêcher. — La pression sanguine est nettement abaissée au début par
l'irritation des pneumogastriques (diminution simultanée du nombre des pulsations).
Puis, paralysie du vague, accélération du pouls, augmentation de pression. Brusque-
ment, arrêt du pouls et chute au zéro par paralysie des centres vaso-moteurs.
Les cas d'intoxication, assez fréquents chez l'homme, ont permis d'observer les effets
de cette substance employée à dose toxique. Ce sont d'abord des fourmillements dans tout
le corps, un engourdissement général, des picotements dans le nez, la pointe de la
langue, une altération particulière du goût, caractérisée par le fait que le sucre est mal
goûté, tandis que les substances amères conservent leur saveur particulière ; des secousses
108 ACORINE — ACRODYNIE.
ressemblant à celle que provoque la décharge électrique. Puis, la diurèse augmente en
même temps que la salivation. Le pouls tombe; la température est normale, mais le
malade a l'impression de froid; la respiration se ralentit, la faiblesse rend les mouve-
ments pénibles. La sensibilité tactile s'émousse; la vue se trouble; la torpeur devient
très pénible; la peau produit une impression telle que le malade croit être serré dans
une couche de nollodion ou une bande de caoutchouc (Gubleh) surtout dans le domaine
innervé par le trijumeau.
La prostration augmente, devient extrême ; les pupilles se dilatent ; le malade éprouve
des éblouissements, des bourdonnements d'oreille ; la sensibilité disparait ; la respira-
tion et le pouls s'abaissent de plus en plus, de môme que la température. Puis l'asphyxie
apparaît, les muscles n'obéissent plus, la paralysie s'étend peu à peu au cœur, et la
mort survient par asphyxie ou le plus souvent par syncope (Dujardin-Beaumetz, loc.cit.,
p. 32.)
Bibliographie. — Nous ne reproduirons pas les citations données dans le cours de
cet article. On consultera surtout pour la bibliographie plus détaillée, Kobert. Lehrhuch
der Intoxicationen ; Laborde et Duquesnel. Étude ehimique, physiol. etc. sur l'Aconitine,
Paris, 1881.
Quant aux cas d'intoxication sur l'homme, ils sont rapportés dans Index Catalogue, à
l'article Aco?!t<e. Reichert {Evv/ Ami). {Contributioii of the Stiidy of the Toxicology of cardiac
depressants; Phil. med. Times, nov. 1889, p. 185) réunit les cas connus.
HENRIJEAN.
ACOPINE. — Substance extraite de la racine d'acore (C^'^H'^'O") par M. Faust
et par M. Thoms; elle se dédouble par l'ébuUition en présence des alcalis ou des acides
en sucre, en un carbure et en acorétine, qui est une résine.
ACRODYN lE. — Ce nom a été donné pour la première fois à une maladie qui
a sévi à Paris, et dans ses environs, sous là forme épidémique, en 1828-1829. II caracté-
rise le principal symptôme observé dans cette maladie, à savoir les névralgies fort dou-
loureuses des extrémités, mains et pieds. Cette singulière maladie a été rapprochée de-
l'ergotisme par Trousseau et Pidous, et de la pellagre par Rayer; on a pu la comparer
aussi à la trichinose (Le Roy de Méricourt) et au béribéri; elle offre en effet une certaine
parenté avec toutes les intoxications ou infections d'origine alimentaire. A. Laveran
avait voulu l'expliquer par la présence dans les eaux d'alimentation d'une matière
toxique; mais l'opinion la plus généralement acceptée consiste à la regarder comme
résultant de l'usage du blé altéré. Suivant Costallvt, il y aurait eu identité entre
l'acrodynie de 1828 et une maladie qu'il observait en Espagne sous le nom de mal di
monte, et qui devrait être attribuée à la consommation de blé atteint de carie [Uredo
caries).
Quoi qu'il en soit, on observe dans l'acrodynie, en même temps que les douleurs
caractéristiques des membres inférieurs, des symptômes gastro-intestinaux, surtout des
vomissements, des iullammations des muqueuses, des érythèmes, une exfoliation des
extrémités, une coloration brunâtre de toute la peau, et enfin des œdèmes partiels, qui
différencient cette maladie de toutes celles que nous avons nommées plus haut.
D'autres petites épidémies non définies ont été rapprochées de l'acrodynie : telle est
la Chéiropodalgie observée à Mantoue, en i 806, sur des soldats français par San Micoletti ;
telle est aussi l'épidémie de Burning of the Feet (brrtlure des pieds), observée par
Campbell et Macpherson, chez les Cipayes de l'Inde, en 182b-1826, et dans la popula-
tion indigène de la presqu'île de Malacca; cette dernière a été rapportée, par ses obser-
vateurs, à l'usage du riz altéré. Elle respectait en effet les Européens.
En somme l'acrodynie et les maladies similaires doivent être classées, à côté de
l'ergotisme et de la pellagre, parmi les maladies cérébrales, c'est-à-dire parmi les intoxi-
cations d'origine alimentaire affectant surtout le système nerveux périphérique dont
l'altération est marquée par des troubles variés des nerfs de la sensibilité cutanée et des
vaso-moteurs des téguments externes (Voy. Ergotlsme).
ACROLÉINE — ACROMEGALIE. 109
Eibliograpliie. — A. Laveran. Conlribulion à l'étude de l'Acrodynie {Recueil des
mémoires de médecine militaire, 1876, p. 113). — Bodros. Relation d'une petite épidémie
d'Acrodynie {Même Recueil, 1875, p. 428). — Treille. L'expédition de Kabylie orientale,
Paris, 1876. — Zuber (7îetii(« des Sciences médicales, t. vm, 1876, p. 367). — L. Colin.
Traité des maladies épidémiques. Paris, 1879, p. 727-733. — Roussel. Traité de la Pel-
laqre, Paris, 1866.
■^ ' J. H.
ACROLEINE. — L'acroléine. ou aldéhyde allylique (C^H'*0) se produit
chaque fois que la glycérine ou les corps gras sont soumis à une forte température. —
EUeesteneiTet le résultat de la déshydratation de la glycérine (C-' H» 0' = 2H-0 + O'H'>0).
Pour la préparer on distille dans une cornue de la glycérine avec de l'anhydride phos-
phorique ou du bisulfate de potassium. L'acroléine est un liquide incolore, d'une saveur
brûlante, d'une odeur qui suffoque en irritant vivement les organes respiratoires et
provoquant le larmoiement. U suffit d'en répandre quelques gouttes dans une pièce
pour en rendre l'atmosphère insupportable. Sa densité est un peu moins élevée que
celle de l'eau ; elle se dissout dans 40 fois son poids d'eau : elle est volatile, et
bout vers 52°. L'acroléine pure est neuti'e au tournesol, mais elle est d'une conserva-
lion difficile, s'acidifiant très rapidement par oxydation. Elle présente la plupart des
caractères communs aux aldéhydes. L'hydrogène naissant la transforme en alcool ally-
lique. Les oxydants, lorsqu'on les fait agir modérément, la transforment en acide
acrylique. Il y a dédoublement de la molécule et formation d'acide acétique et d'acide
formique par une oxydation trop violente. On connaît mal ses effets physiologiques;
elle est probablement très toxique.
ACROMEGALIE. — Le terme li'acromégalie (â/.po; extrémité, [xsYa; grand)
a été proposé en 1886 par M. Pierre Marie' pour désigner une entité morbide nouvelle,
distincte selon lui, dont l'autonomie est actuellement confirmée, et caractérisée par
« une hypertrophie singulière, non congénitale, des extrémités supérieures, inférieures
et céphal'ique ». Cette affection débute dans l'âge adulte, parfois dans l'adolescence, et
se caractérise par une augmentation progressive du volume de la face, des mains et des
pieds. Le visage présente bientôt, en conséquence, une apparence difforme véritable-
ment caractéristique : nez énorme, lèvre inférieure volumineuse pendante, menton
proéminant déterminant du prognathisme. Aux mains : épaississement en largeur et en
grosseur, sans augmentation de longueur, (( mains en battoir»; aux pieds mêmes défor-
mations, alors que les autres parties des membres sont respectées. Il existe, eu outre,
une déviation de la colonne vertébrale, cyphose supérieure, qui donne au sujet une atti-
tude, penchée en avant, particulière. Ce sont là presque les seuls signes, purement
objectifs, de la maladie; les sujets ne s'aperçoivent guère de ces transformations
qu'à l'étroitesse des vêtements ou des bijoux (dés à coudre, bagues); parfois néanmoins
il existe aussi des douleurs de tête extrêmement intenses, et des troubles visuels
(hémianopsie) qui sont en rapport avec le développement excessif que prend, toujours
dans ces cas, le corps pituitaire. On a trouvé, en effet, jusqu'ici, constamment dans
les autopsies une hypertrophie considérable de la glande pituitaire en même temps
qu'une diminution de volume du corps thyroïde, et la persistance du thymus. Aussi les
auteurs se sont-ils basés sur la régularité de cette coexistence, pour en induire l'exis-
tence de fonctions trophiques du corps pituitaire, dont la suppression suffirait à
entraîner le développement de l'acromégalie. Bien que la connaissance de certains cas,
— dans lesquels, malgré la présence de volumineuses tumeurs ou la destruction de la
glande pituitaire constatées à l'autopsie, on n'avait pas noté de signes d'acromégalie
pendant la vie, — fût en opposition avec cette hypothèse, divers physiologistes ont tenté
de la vérifier expérimentalement. Dastre (1889) a fait construire un instrument, sorte de
trépan, à l'aide duquel il a cherché à atteindre la glande pituitaire par la voie buccale.
Dans les expériences préliminaires, les animaux ont toujours succombé. Gley'^ a également
1. P. Marie. Sur deux cas d'acromégalie (Revue de Médecine, 10 avril 18S6, n° 47).
2. Gley (fi. B.,19 décembre 1891).
110 ACROMÉLALGIE — ACROSONE.
cherché à atteindre la glande pituitaireparla voie crânienne. Plus réceramciit Marinesch'
a entrepris de nouvelles tentatives sur des chats à l'Institut physiologique de Reviin.
Après avoir perforé, à l'aide du thermocautère, la voûte palatine, il s'assure avec l'indi-
cateur du siège des deux apophyses ptérygoïdes, et au milieu de l'espace qu'elles limitent,
il applique une couronne de trépan de o millimètres de diamètre. Il fait sauter alors
la rondelle osseuse , et, à l'aide d'une baguette de fer rougie convenablement et recour-
bée en crochet, il arrive à détruire directement la glande pituitaire. Sur 8 animaux qui
ont servi à ses expériences, 2 sont morts presque immédiatement, 2 autres sont morts
24 heures après, 1 autre a survécu 4 jours; le septième, Sjours; le dernier, 18 jours. Chez ces
derniers animaux, la mort est survenue sans qu'il fût possible d'en déterminer la cause.
L'auteur conclut de là qu'il est possible de détruire l'hypophyse chez le chat par la voie
buccale et que cette mutilation est compatible avec une survie de quelques semaines.
Ces mêmes expériences ont été reproduites sur un plus grand nombre d'animaux par
MM. Vassale etSACCHi-. La destruction du corps pituitaire a déterminé de l'apathie, les
animaux restent tranquilles, indifférents aux excitations, de lapolydypsie et de la polyurie.
De même qu'au cours des expériences de Mahinesco , la mort est survenue sans cause
appréciable autre que la mutilation. On n'a pas observé, pendant la vie .des animaux ,
de signes d'hypertrophie des extrémités analogues à ceux de l'acromégalie.
PAULBLOCQ.
ACROMELALGIE. — Ce terme (a/.oo; pointe, {xilo; membre, aA-,'o; dou-
leur) a été proposé par Gf.rhardt^ pour désigner un ensemble symptomatique caracté-
risé par des accès de douleurs dans les orteils et les doigts, douleurs accompagnées de
maux de tête et de vomissements. L'acromélalgie représenterait une forme de l'érythro-
mélalgie, forme intéressant les nerfs de la sensibilité en particulier, et serait il ranger
par suite à côté des deux autres variétés de cette maladie que représentent les formes
angiospastique et angio-paralytique.
P. B.
ACROPARESTHESIE. — Schultze'' a proposé de désigner sons ce nom
une affection caractérisée par des paresthésies douloureuses paroxisliques des extrémités.
Il s'est basé pour décrire ce nouveau type morbide sur un certain nombre de travaux, et
sur 8 observations personnelles. On ne connaît pas encore la pathogénie de cette affec-
tion, qui serait plus fréquente, à l'âge adulte, chez les femmes, et consisterait surtout en
formications siégeant aux membres supérieurs, survenant plutôt pendant la nuit, et
persistant longtemps. Des cas analogues ont été depuis rapportés en assez grand
nombre par d'autres observateurs sans nous éclairer mieux jusqu'ici sur la nature de
l'affection.
P. B.
ACROSE. — Sucre synthétique, de formule C^H'-O^, qui prendnaissance, par
polymérisation, quand on fait agir les alcalis sur l'adhéhyde glycérique ou sur le bro-
mure d'acroléine (Fischer et Tafel).
ACROSONE- — Sucre synthétique, de formule C^ H'" 0^, qui se forme, dans le-
mêmes conditions que la glucosone, quand on traite par l'acide chlorydrique l'osazone du
sucre précédent (Fischer et Tafel).
ACTINOM YCOSE. — L'actinomycose est une affection parasitaire de
l'homme et de divers animaux, déterminée par un champignon, du groupe des Hypho-
mycétes : \' Aclinomyces bovis, dont le véritable nom doit être Oospora bovis.
1. Marinesco. Df la glande pituitaire chez le chat (B.B., 4 juin 1892).
2. Vassale et Sacchi. Délia desti-uzione délia ghiandula piluitaria (Rivista sperira. di Fre-
niatria, fasc. 3, et 4, 1892).
3. Société: de médecine interne de Berlin, 13 juin 1891. in. Berl. Klin. Woch.
't. Deutsche Zeitschrift fur Nervenheilkunde, 1893, t. m, p. 300.
ACTINOMYCOSE. 111
Cette affection, ainsi que le parasite qui la produit, est particulièrement intéressante
pour la pathologie, et par suite la physiologie générale, parce qu'elle réalise le type de la
mycose la mieux étudiée jusqu'à ce jour.
Nous ne devons parler ici que de la biologie de ce parasite, des diverses formes qu'il
peut revêtir, de la manière dont il envahit l'organisme, et de la réaction de ce dernier à
l'invasion parasitaire.
Nous laisserons entièrement de côté tout ce qui regarde la marche clinique de l'affec-
tion, ses localisations, et les interventions chirurgicales qu'elle peut nécessiter.
Historique. — Nous ne donnerons ici qu'un aperçu très écourté de l'historique de
cette intéressante affection. Les lecteurs, désireux d'approfondir ce côté de la question,
devront se reporter aux divers mémoires cités dans cet article, et surtout à ceux de
Israël, Neue Beobacht. auf dem Gebiete der Mykoseii des Mcnschen {Arch. f. palh. Anat. und
Phys.,1. Lxxiv, 1878) ; Neue Beitr. zu den mykot. Erkvankungen des Menschen(ibid., t. lxxviii,
1879) et de Ponfick, Ueber eine ivahrscheinlich mycotisnlie Form von Wirbelcaries {Berlin, kl.
Wochenschrift, 1879).
Langenbegk en 1843, puis Lebert en 1837, découvrirent chacun, dans une tumeur de
l'homme, des formes radiées que Lebert considéra comme des concrétions cristalloïdes.
En 1850 Davaine, et en 1833 Laboulbène étudient des tumeurs indéterminées qui in-
dubitablement se rapportent à l'actinomycose.
RivoLTA en 1868 remarqua des productions analogues chez le bœuf, et les considéra
comme des cristaux.
En 1871, Ch. Robin parle également de ces productions.
Ce n'est qu'à partir de 1873 qu'une étude approfondie de ces productions pathologiques
fut effectuée par PEUR0^'CIT0, Bollin'ger et Habz. C'est à ce dernier surtout que revient le
mérite d'avoir démontré la nature cryptogamique de ces productions radiées, qu'il appela
Actinomyces (à/.T!'v, rayon, ;j.Û7.r);, champignon), Strahlenpilz des Allemands, Ray-fungus
des Anglais.
C'est alors qu'IsRAEL crut découvrir une nouvelle mycose de l'homme, qui n'était, ainsi
que le montra deux années plus tard Ponficr, que l'affection précédemment étudiée par
les auteurs déjà cités.
Ce n'est qu'eu 1883, que Johne essaie de cultiver le parasite, suivi bientôt dans cette
voie par de nombreux expérimentateurs. Puis Wolff et Israël réussissent à inoculer la
maladie à des animaux sains. En même temps les observations cliniques d'actinomycose
des divers organes se multiplient chaque jour. Ou rencontre l'affection communément,
d'abord à l'étranger, puis en France. Grâce aux efforts des vétérinaires, la connaissance
des lésions déterminées par le parasite, la marche clinique de l'affection sont grande-
ment précisées. Enfin ce n'est que tout récemment que le problème étiologique, c'est à
dire l'histoire de la vie sapi'ophyte du parasite, se pose, et que la médecine vétérinaire
indique un traitement à peu près infaillible de celte mycose.
Caractères morphologiques du champignon dans les tissus. — Le parasite
est visible à l'œil nu, dans le pus ou le liquide puriforme, qui s'écoule des néoplasmes
qu'il provoque, lorsque ceux-ci subissent une fonte purulente.
Il apparaît sous forme de grains jaunes, d'un jaune soufré ou rougeâtre, atteignant
le volume d'une spore de lycopode, d'un grain de millet tout au plus, c'est-à-dire d'un
diamètre moyen de un dixième de millimètre à 1 millimètre. Ils donnent assez bien, dans
le pus, l'aspect de grains de sable épars. Parfois, ils se trouvent entourés d'une zone
mucoïde, où ils nagent isolés.
Ces petits grains ont l'aspect de sphérules mùriformes. Parfois, elles sont calcifiées,
mais leur structure apparaît alors nettement, après action de l'acide chlorhydrique
étendu.
Après dissociation ou écrasement, on distingue la structure suivante : une zone cen-
trale, formée d'un feutrage de fibrilles entrelacées, qui correspondent aux hyphes du
champignon.
Ces hyphes rectilignes, onduleux, parfois contournés en tire-bouchon, se dirigent
tous du centre vers la périphérie, et se terminent là par des renflements piriformes ou
en massue, des plus caractéristiques, jaunâtres et très réfringents, d'aspect homogène,
d'une longueur de 4 à 12 |j., dune largeur de 1,3 à 4 [x. Ces massues terminales ne sont
112 ACTINOMYCOSE.
pas toujours simples, mais quelquefois bifurquées ou trifurquées : dans ce cas, uu fila-
ment porte simultanément deux ou trois renflements divergents, qui paraissent ainsi
digités.
Telle est la description classique des granules actinomycosiques. Mais il faut savoir
que cette forme, pour ainsi dire, n'est pas constamment réalisée; parfois les massues
peuvent être totalement absentes.
Les crosses ne se colorent pas par la méthode de Gram, tandis que les filaments se
colorent avec intensité. D'après Bostrôm, à qui l'on doit une étude des plus complètes
du parasite et des lésions qu'il détermine chez l'homme. Vntersuch. ùber die Actinomy-
kose des Menschen [Beitr. zur. pathol. Anat. und zur allgemein. Patholog., t. ix, léna,
1890), dans l'axe des crosses, se trouverait un filament, parfois en relation avec les fila-
ments du centre de la granulation. Pour lui, ce sont des organes de dégénérescence, dus
au gonflement de la paroi du filament, et non pas, comme on l'a dit, des organes de
fructification (Habz, Cobnil et Babès), des gonidies, pour employer le terme donné par
Hakz.
Les filaments du thalle du parasite possèdent des rameaux de même épaisseur que
l'axe où ils s'insèrent, ils ne sont jamais articulés. Dans certains filaments, le protoplasma
est continu sur une grande longueur; dans d'autres, il présente des interruptions cor-
respondant à la membrane, vide de protoplasma, en certains points. Ces interruptions
deviennent de plus en plus larges, vers l'extrémité des filaments, et limitent des espaces
pleins, qui seraient d'abord des filaments, puis des bâtonnets, puis des granules, sem-
blables à des coccus, ces derniers proviendraient de la segmentation des précédents, et
auraient la valeur de spores.
Ces prétendues spores sortiraient des filaments qui les renferment, et produiraient
par leur accumulation la plus grande partie des corpuscules semblables à des coccus,
qui existent au centre du grain et entre les filaments.
Il est extrêmement intéressant de remarquer que la forme radiée avec capitules, que
prend VActinomyces dans l'organisme parasite, ne lui est pas spéciale. Un autre Hyphomy-
cète parasite de l'homme, VAspergillus fumigatus, qui détermine par sa végétation dans
le poumon une tuberculose aspergillaire, revêt aussi, dans ces conditions, la forme
radiée. Dans les tubercules causés par ce parasite, le mycélium du champignon prend une
forme en éventail ou en touffe, ce qui le fait ressembler dan? l'ensemble à une grosse
mûre.
Il en résulte une grande similitude d'aspect avec le capitule de YActinom.yces ; mais les
clavules terminales de ce dernier manquent chez VAspergillus. Ces figures mycéliennes
radiées ont été bien indiquées par Wheaton {Brit. Med.Journ., 24 mai 1890), par Robebt
BoYCfi {Journ.of Phy s. and Bacteriology, oct,. 1892, p. 165) etparRÉNON {Rech.clin. et expêrim.
sur la pseudo-tubei'culose aspergUlaire. D. P., 1893, pi. II, fig. 12). Ces masses radiées qui
font parfois saillie dans les alvéoles pulmonaires, dans les cas de tuberculose expérimen-
tale, présentent la plus grande analogie avec les corps radiés vus par Ribbert (Der Vnter-
gang pathogener Schimmelpilze in Kcirper , Bonn, 1887) et par Lichtheim [Berl. Min.
Wochenschr., 1881, p. 188, n" 4o, et Bev. de Méd., juillet 1882) et regardés par eux
comme des productions avortées, des spores n'arrivant à former qu'un mycélium anor-
mal, dans leur lutte avec les leucocytes qui les entourent.
Lœsch (3' Congrès des Médecins russes à Saint-Pétersboiirg , janvier 1889) a signalé un
cas de pseudo-actinomycose du poumon, où l'agent pathogène était un champignon non
ramifié, à « glandes « plus petites que celles de VActinomyces. Par ce terme « glandes »
l'auteur veut certainement désigner les clavules périphériques du mycélium en capitule.
S'agil-il dans ce cas, d'une espèce d'Hyphonij^cète, voisine dcl'Actinomyces type, la chose
est difficile à élucider, car la dimension des clavules (forme de dégénérescence) est-elle
constante dans l'espèce type, et peut-on fonder une espèce sur les dimensions d'un or-
gane en involulion? Le fait est intéressant à noter.
Il est vrai que certains auteurs n'ont voulu voir dans ce pseudo-Actinomyces que des
cristaux de leucine.
Méthodes de coloration. — Pour bien saisir les détails de structure que nous
venons d'exposer, il est utile, sinon indispensable, d'avoir recours à des méthodes de co-
oiation. 11 en existe plusieurs, dans le détail desquelles nous n'avons pas à entrer. Le
ACTINOM YCOSE. 113
lecteur désireux de les connaître devra se reporter aux mémoires de Baranski, Petrow,
Basés, Flormanin, et aux thèses de Roussel et Bécue (D. P., 1891 et 1892) qui ont in-
diqué aussi un procédé particulier, et où se trouve l'exposé des méthodes des auteurs
précédents.
Procèdes de culture. — ^!ous ne parlerons pas des procédés de culture de VActino-
myces. Le lecteur désireux de les connaître devra se reporter à la partie technique
desmémoiresde Kischensry. [Arcli. f. experiment. Path. u. Pharm., 1889.) — Afanassiew.
{Petersburg med. Wochenschr., 1888, n"^ 9 et 10.) — Bujwid. (Centr. f. Bakt., t. vi. n° 23,
p. 630.) — WoLFF et Israël. [Soc. de Méd. de Berlin, 4 janvier 1890, in Berl. Klin.
Woch.)— Roussel. D., P. 1891. — Domec. {Arch. Méd. experiment. et Anat. path., 1892,
t. IV, p. 104.) — Sauvageau et Rabais. (Ann.lnst. Past., 1892.)
Le milieu le plus commode pour l'étude morphologique est la pomme de terre (Kis-
CHENSKY, Bujwid, Protopopoff, Domec, Sauvageau et Radais) surtout en culture anaéro-
hie, à l'aide de l'acide pyrogallique (procédé de Buchner) à une température de 22° à
24°
Au bout de 4 à 6 jours, la surface de la pomme de terre se creuse, comme rongée
par la prolitération du champignon.
Au bout de 8 jours, les colonies apparaissent incolores, à surface bosselée, méandri-
forme, contournée, puis proéminente fortement. Vers le 10 ou 12<= jour, la culture de-
vient grisâtre, puis finalement blanc-jaunàtre, ou même jaune verdàtre. Celte dernière
coloration se développe surtout, lorsque le parasite vit à la lumière.
n est à remarquer que la coloration et l'aspect plus ou moins lichénoïde de la cul-
ture, diffèrent complètement de ceux des cultures de Bactéries.
La culture sur sérum sanguin, d'abord employée par Johne, ne présente pas d'avan-
tages sur les autres milieux de culture.
Caractères morphologiques du champignon dans les cultures. — Le cham-
pignon se développe bien sur bouillon. Au bout d'un mois environ, il se forme uut
mince pellicule, à la surface du bouillon, veloutée, blanche, devenant jaune clair pâle
lors de la formation des spores. Les colonies nées dans la profondeur du bouillon,
restent grisâtres, et sans spores, lorsqu'on les transporte sur gélose. Un ensemen-
cement fait, au contraire, avec la pellicule superficielle, reproduit la culture typique
sur gélose.
Les touffes prises profondément dans le bouillon donnent des masses volumineuses,
proéminentes, recouvertes d'une poussière jaunâtre pâle, due aux spores; la partie pro-
fonde de la culture devient couleur de rouille.
Les cultures sur gélose peuvent rester pendant 10 mois, sous forme de tubercules gri-
sâtres, pénétrant dans la profondeur du substratum, ne donnant jamais de spores, et
composés de filaments ramifiés.
On peut également cultiver le champignon sur. gélatine, sur agar ordinaire ou glycé-
rine, même légèrement acide, sur pain, sur orge humide, dans les œufs.
BosTRÔM, qui a cultivé l'Actinomyces sur divers milieux, a observé des colonies, formées,
comme dans les tumeurs, de filaments ramifiés avec des bâtonnets et des coccus, qu'il
prend pour des spores. Cet auteur ne semble pas d'ailleurs avoir su établir une différence
entre ces prétendues spores, et les véritables spores, nées à la surface des cultures, et
qu'il a dû observer, car il parle d'efflorescence nuageuse, à la surface des cultures âgées,
efUorescence signalée également par Macé et Doria, et dont l'aspect particulier est cer-
, tainement dû à la présence des spores.
Il y a un désaccord complet entre les résultats obtenus par Bostrôm d'une part, par
WoLFF et Israël d'autre part.
Ces derniers ont ensemencé des cultures, dans deux cas d'actinomycose humaine.
Sur gélose, les éléments les plus abondants sont des bâtonnets courts, droits, eu vir-
gule, ou encore plus fortement incurvés. Dans certaines cultures, les filaments sont plus
longs et plus gi'èles, avec des formes intermédiaires, parfois l'une des extrémités se
rende.
Ces cultures, suivies pendant plusieurs mois, n'ont jamais montré autre chose que
des bâtonnets. H est rare que, sur gélose, VActinomyccs se développe en filaments
' ondulés.
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME l. 8
m ACTINOMYCOSE.
Les bâtonnets des cultures sur gélose se colorent en bleu pâle, par la méthode de
Gram, les corpuscules, semblables à des coccus, qu'ils contiennent, arrondis, ovales, ou
anguleux se colorent en bleu intense.
Transportés sur œufs, les bâtonnets courts des cultures sur agar se transforment ra-
pidement en filaments allongés, et réciproquement.
La forme filamenteuse qui est si rarement réalise'e dans les cultures sur gélose, est
abondante en cultures sur œufs. Dans ces filaments, on retrouve la segmentation en fila-
ments courts, bâtonnets et granules, devenant libres, disent ces auteurs, par disparition
de la paroi du filament. Pour eux, ces granulations ne peuvent être considérées comme
des signes de dégénérescence, car on les trouve dans des cultures, datant de quarante-
huit heures, ils n'ont donc rien à faire avec le vieillissement; leur forme irrégulière,
régulière ou anguleuse, empêche de les considérer comme des spores, mais leur nature
n'apparaît pas clairement à ces observateurs.
Il 3' a évidemment de grandes différences entre les cultures obtenues par Bostrou
d'une part, Wolff et Israël de l'autre. Le désaccord est complet entre ces auteurs, quant
« à l'aspect microscopique des cultures, à la rapidité de leur développement, à la diffé-
rence d'énergie dans la croissance des cultures aérobies et anaérobies, à leur aspect
macroscopique, dès les premiers jours de leur développement, à la question de la forma-
tion des spores, et surtout aux résultats des inoculations aux animaux «.
Aussi ces auteurs se sont-ils accusés mutuellement de ne pas avoir obtenu de cultures
pures.
Dans les deux cas, le point de départ des cultures était l'actinomycose humaine.
Peut-être n'a-t-il pas été tenu compte suffisamment de l'influence des milieux
de culture sur la morphologie des êtres qu'on y cultive. Une variation pondérale,
même faible, des éléments du milieu nutritif, sufflt à déterminer des variations mor-
phologiques, parfois notables. Le fait est aujourd'hui établi, aussi bien pour les bacté-
ries que pour les champignons.
En particulier, la tendance à la filamentisation est certainement fonction du milieu
de culture et de la température. Le fait est on ne peut plus net pour certains bacilles
et pour le champignon du muguet. La prédominance des formes filamenteuses dans
les cultures sur œufs pourrait peut-être s'expliquer par l'extension de cette loi,
prouvée pour le champignon du muguet, que « la fllamentisation est d'autant plus
grande, que la composition chimique du milieu est plus complexe » (Roux et Linossier).
Pour identifier sûrement deux microphytes voisins, il faut opérer dans des con-
ditions absolument identiques de milieu, aussi bien conditions physiques que chi-
miques.
Mais en dehors de cette interprétation, les divergences des résultats oblenus dans
la culture de VActinomyce,^siT les divers auteurs peuvent recevoir, «priori, une explication
satisfaisante. Divers Oospora voisins peuvent sans doute produire chez l'homme et les
animaux des lésions semblables, revêtir dans les tissus la forme rayonnée, et reprendre
dans les cultures expérimentales les formes et les propriétés dues à leurs différences
spécifiques.
De même qu'il semble bien exister plusieurs tuberculoses, il y aurait plusieurs acti-
nomycoses. Affections voisines, parce que les êtres qui les causent sont voisins, et
non semblables chimiquement, parce que l'organisme peut réagir d'une façon à peu
près identique, vis-à-vis de deux parasites différents. (Ne se forme-t-il pas un véritable
tubercule autour du cysticerque d'un ténia, comme autour d'une colonie de bacilles de
KOCH?)
A ce propos, nous devons indiquer que l'on a voulu distinguer plusieurs Actinomyces,
capables d'envahir chacune respectivement un animal différent. Mais les A. suis,
A. muscidorum et A. bovis ne semblent pas devoir être, jusqu'à plus ample information,
séparés spéciflquement de l'A. hominis (Johne). Les divers auteurs qui ont en effet
parlé de ces espèces : Virchow, Duncker, Hertwig, n'ont observé le parasite que dans des
tissus, et leur description micrographique semble bien cadrer avec celle de V Actinomyces
de l'homme :
KiscHENSKY a bien figuré les diverses formes : filaments, bâtonnets, corps cocciforme,
qu'il a oblenus sur gélatine peptonisée, sur sérum sanguin.
ACTINOIVI YCOSE. 115
Les caractères morpliologiques du tjenre Oospora, auquel appartient, nous l'avons
déjà dit, VActinomyces, ont été particulièrement bien étudiés par Sauvageau et Rabais,
surtout sur Oospora Guignardi. Nous suivrons ces auteurs dans la description de ces
caractères, qui sont de nature à intéresser tous ceux qui s'occupent de la physiologie
et de la culture de ces hyphoniycètes.
Si l'on étudie une parcelle de culture d'Oospora, colorée par la méthode de Gram, on
voit un grand nombre de filaments ramifiés, enchevêtrés, fortement colorés, d'une lar-
geur de 0™,™3 environ.
Les filaments principaux se ramifient latéralement, d'une manière irrégulière,
tantôt nombreux et rapprochés, tantôt rares sur certains points.
Ils débutent sous forme de petits tubercules, qui s'allongent dans une direction
perpendiculaire à celle du filament principal, leur largeur est la même que celle de ce
dernier.
Ils s'inclinent et se courbent ensuite, d'une façon variable, le plus souvent dans la
direction de croissance de la colonie, ils acquièrent une ramification plus ou moins
accentuée. Ces hyphes ne sont pas homogènes sur toute leur longueur. En certains
points les rameaux latéraux sont en continuité directe avec le filament principal, en
d'autres, ils sont fragmentés, séparés par des intervalles qui ne se colorent pas par le
Gram, tantôt larges, tantôt étroits, donnant l'illusion d'une cloison. Selon les dimen-
sions qu'atteignent ces fragments, on peut les comparer à des Bacterium, des Bacillus,
des Coccus. Cette forme figure des granulations plus ou moins régulières, disposées assez
souvent en files régulières, surtout dans les parties âgées.
Ces fragments sont souvent terminaux, mais parfois intercalés entre des portions
filamenteuses, à structure continue.
La fragmentation n'est pas due au mode de préparation, car, après la coloration au
Gram, sans dessèchement ni fixation préalable, le fait apparaître également. Comme
elle apparaît dans des cultures âgées de 2 jours; elle ne peut être attribuée à l'âge.
La coloration directe avec la solution aqueuse de violet de gentiane, ou la coloration
après dessiccation et fixation, donne un aspect tout différent.
Par le liquide Gram, on colore seulement le protoplasme des hyphes, tandis qu'avec
cette solution, on colore également la membrane. Aussi les filaments sont-ils plus larges
et continus. On ne voit plus de formes en bâtonnets ou en granulations isolées- si la.
coloration est intense, les hyphes sont homogènes; si elle est faible, on aperçoit à leur
intérieur les mêmes bâtonnets de granulations, qui paraissaient libres, dans les prépa-
rations au liquide Gram.
Fréquemment de vieilles cultures montrent, par la préparation au Gram, un grand
nombre de granulations irrégulières, disposées sans ordre, et paraissent complètement
indépendantes des filaments, tandis que les préparations, au violet de gentiane, des
mêmes cultures ne montrent que des filaments, sans granulations isolées.
La fragmentatio]) du contenu des hyphes s'explique facilement, par ce que l'on sait
des mycéliums des champignons de plus grandes dimensions.
En règle générale, ces mycéliums présentent des lacunes ou vacuoles, surtout nom-
breuses dans les parties âgées, allongées souvent suivant l'un des filaments, et séparées
par des ménisques proloplasmiques, qui correspondent vraisemblablement aux granula-
tions des Oospora.
Les fragments mycéliens, séparés du filament principal, sont capables d'accroisse-
ment. On ne sait pas quelles sont les dimensions rainima que doivent acquérir ces
fragments, pour être en état de s'accroître, mais assurément, ces dimensions peuvent
être des plus réduites. Cette propriété se retrouve d'ailleurs chez les Mucorinées, dont
le thalle n'est pas cloisonné, et dont chaque fragment est susceptible de s'accroître en
un thalle nouveau.
Les hyphes ne semblent pas être munis de cloisons transversales, soit qu'on les
examine sur le vivant, soit qu'on observe les préparations.
On peut faire disparaître le contenu protoplasmique, en laissant séjourner les fila-
ments entre deux lames de verre, pendant plusieurs heures, dans une solution dépotasse
caustique à 1 p. 100, ou pendant vingt-quatre heures dans l'acide chromique à 3 p. 100,
puis coloration par le violet de gentiane ou de fuchsine après lavage â l'eau. La double
116 ACTINOMYCOSE.
paroi des tubes mycéliens est alors très nette, et on n'observe pas de cloisons trans-
versales.
La paroi des hyphes ne se colore en bleu ni par l'iode, ni par le chloro-iodure de
zinc, mais se teinte légèrement en jaune.
Les filaments sporifères sont droits ou courbés, raides, à contenudense, homogène, au
moins deux fois plus larges que les filaments végétatifs. Les premiers rameaux spori-
fères naissent toujours au centre de la culture, simples ou ramifiés, toujours courts,
naissant tantôt directement sur des filaments grêles, tantôt prolongeant directement des
rameaux végétatifs grêles, isolés ou groupés en arbuscules.
Ces filaments apparaissent dans la culture 8 jours après l'ensemencement. Le
3= jour, la segmentation en spores commence, soit sur toute la longueur du rameau
sporifère, soit seulement dans sa portion terminale. Toutes les conidies se forment
simultanément sur un même rameau. On voit une série d'étranglements se dessiner à
égale distance les uns des autres, puis apparaissent des lignes claires transversales,
indices de membranes de séparation. Les conidies se séparent alors les unes des autres,
au moindre choc; leurs faces en contact sont encore aplaties. Une fois séparées les unes
des autres, les spores mûres sont arrondies en ovalaires. Elles se colorent facilement par
le liquide Gram, et sont plus larges que les filaments végétatifs.
Sur un chapelet de spores, toutes n'arrivent pas à maturité. Les spores ainsi avortées
sont indiquées par une pénombre périphérique, violacée; elles semblent privées de
contenu.
Les filaments conidifères sont toujours homogènes, avant leur segmentation en
conidies, on n'y voit pas de parties claires, Iranchantsur le reste du contenu du filament;
ce n'est que lorsque le contour des spores est indiqué, que quelques-unes d'entre elles se
vident au profit des autres.
La spore est de forme spliérique ou légèrement ovoïde, un peu plus grosse que le
filament qui lui a donné naissance. Elle se colore très fortement par les couleurs d'ani-
line. On y dislingue une très fine enveloppe qui se colore en jaune bleuâtre par le
chloro-iodure de zinc, ce qui semble bien indiquer la présence d'une fine membrane de
cellulose.
Spore. — La spore résiste mieux à l'action de la chaleur humide que les filaments du
thalle. Elle succombe à une température de 7S°, mais résista à une température supé-
rieure à 60°, pendant 5 minutes, tandis que, dans ces mêmes conditions, le thalle est tué.
. Le peu de résistance de la spore à la chaleur, son affinité pour les couleurs d'aniline
l'éloignent des spores de Bactèriacées et la rapproche de celles des Mucédinées.
Les spores se gonflent ou germent Jusqu'à doubler de volume, elles ne possèdent
probablement pas une exospore et une endospore, car on ne voit pas de déclairure à
l'enveloppe de la spore. D'autre part, le tube germinatif est parfois plus étroit que la
spore, comme s'il sortait d'un pore, tandis que parfois le diamètre de ce filament est
aussi considérable que celui de la spore.
Germination de la spore. — La spore donne naissance à un, ou plus souvent deux
filaments, faisant entre eux un angle obtus, toujours à peu près le même. Ces filaments
se ramifient rapidement. Les ramifications secondaires produisent des ramifications
tertiaires, et ainsi de suite, de sorte que, au bout de 30 à 40 heures, le feutrage inextri-
cable de mycélium empêche de voir la spore, point d'origine de la colonie. Les filaments
issus directement de la spore, ainsi que les premières ramifications, sont régulièrement
segmentés. ,
Toujours la spore donne naissance à des filaments, et jamais elle ne se scinde en
deux corpuscules. La spore ne peut donc, en aucune façon, en imposer pour des formes
bactériennes, coccoïdes, ni pour des formes involutives.
Les figures données par Douec correspondent à celles de Protopopoff et H.\mmer, mais
représentent des stades plus avancés, plus ramifiés.
Le plus souvent, la germination de la spore est unilatérale, elle n'émet qu'un fila-
ment; d'autres fois, elle en émet deux : tantôt juxtaposés, tantôt opposés aux deux
pôles de la spore. Le ou les filaments germinatifs se ramifient dans toutes les directions,
de sorte que le thalle prend une forme étoilée, analogue à celle qu'affecte le thalle des
Mucor dans les cultures. En se ramifiant, les filaments ont une tendance à s'ados-
ACTINOMYCOSE. 117
sei' les uns aux autres, ce qui les ferait croire d'un volume douille à leur volume réel,
au tnoius sur certaines portions de leur longueur. En réalité, il n'y a jamais de véri-
tables anastomoses; Les filaments sont d'abord homogènes, mais, à leur intérieur, ils
ne tardent pas à se dillerencier des granulations dont nous avons parlé, et, au bout de
48 heures, on, voit apparaître toutes les formes : en filaments courts ou longs, en
bâtonnets, en coccus.
Des fragments isolés du Ihalle reproduisent, en cultures, un thalle nouveau, de même
aspect que le thalle issu de la spore, bien que moins régulier au début de sa formation.
Certains Oospora, tels que 0. Metachnikowi, dans certaines conditions de culture qui ne
sont pas favorables à la sporulation, ne produisent sur leur thalle que des rameaux
raides, épais, seaiblables aux rameaux sporifères d'O. Guignardi. Avani la dilférenciatiou
des spores, ces rameaux forment, à la surface de la culture, une couche blanche qui
reste stérile.
Le genre Oospora, défini par les caractères que nous venons d'indiquer, se place parmi
ce groupe hétérogène de formes imparfaites, désigné sous le nom de Mucédinées, et qui
vraisemblablement ne repésentent toutes que des stades d'évolution de champignons
supérieurs polymorphes, dont l'état le plus parfait est encore inconnu, ou déci'it sous
d'autres noms.
iNous n'avons pas à insister ici sur ces questions d'ordre purement morphologique,
et nous n'avons pas à insister sur ce fait, que VActinomyces n'est pas une liactériacée,
comme on le lépète encore fréquemmenL. Les caractères indiqués suffisent à jnontrer
la diUérence pruloude entre ce Champignon et les Bactériacées.
Parmi les 7y espèces, actuellejnent classées dans le genre Oospora, ÏO. bovis n'est
pas la seule espèce pathogène : le larcin des bœufs, étudié par Nogard, est causé par
rO. f'arcinicu, la pseudo-tuberculose expérimentale d'EpriMGEH (dite à tort cladothry tique)
l'est par l'O. astéroïdes. L'O. destructor peut vivre en parasite sur divers iusecles, en parti-
culier certains charançons [C'eonus], les larves du hanneton, les vers à soie.
L'étude des propriétés physiologiques des divers Oosporti présenterait doucle plus grand
intérêt, tant pour la pathologie que pour la physiologie générale. Mais cette étude n'a
guère été ébauchée, que pour l'O. bovis.
Biologie. — L'Aclinoniycus est facultativement anaérobie. Un a pu en obtenir des
cultures à l'air libre, mais la culture réussit mieux en présence d'une quantité d'air
limitée, dans le vide ou en gaz luerte. Ou peut conserver dans l'hydrogène des cultures
encore actives au bout d'un au. Le parasite disparaît très rapidement, quand on permet
l'accès de l'air dans une culture atiaérobie.
Le champignon pullule entre 3o° et 31", ce qui explique sa multiplication dans le
corps des mammifères. La végétation se ralentit à 40-41°, elle s'arrête à oi". Une tem-
pérature de 70° est mortelle, au bout de 10 minutes.
il serait du plus haut intérêt de faire une étude comparative du chiinisrne des espèces
pathogènes ei ues espèces inolfensives : l'O. bovis par exemple et l'O. Gaignardi , ainsi
que de leurs reactions, tant morphologiques que physiologiques, aux divers agents
physico-chuiiiques. lioucHAKU et Charrin ont tout récemment comparé à ce point de vue
le hacilie pyocyanique et l'Oospora Gaignardi, dans i'e;3pou- de découvrir la cause du
pouvoir pathogène du premier et de l'innocuité du second.
Voici les conclusiona de ces auteurs : l'Ouspora est plus sensible aux antiseptiques,
aux agents aimobphériques, à la pression, à l'ozone, à la lumière, au froid, au vent,
par conséquent, il y aura des chances puur qu'il soit introduit atténué dans l'orga-
nisme.
Ue plus, mis en concurrence avec les bactéries, l'O. succombe.
11 préfère les aliments sucrés, tandis que le bacille recherche les matières protéiques
qui dominent dans les tissus animaux. Le bacille se développe plus abondamment que
le champignon dans le sérum; il prélère le rein au foie, c'est le contraire pour
i'Oospora, â cause du glycogène renfermé dans le foie.
Ln dernier lieu, le bacille pyocyanique a achevé son évolution en lo ou 20 jours,
dans un Jiire de bouillon, il a alors fabriqué ses toxines. Pour arriver au même point,
le champignon exige 2 ou 3 mois.
Les causes de l'innocuité de ÏOospora sont donc : la lenteur de la pullulation, de la
'18 ACTINOM YCOSE.
sécrétion des toxines, le peu de résistance aux agents d'atténuation, le manque d'appro-
priation des aliments, qui se rencontrent dans l'économie.
La comparaison est certes des plus intéi-essantes entre bacille pathogène et Mucé-
dinée inoffensive, mais son intérêt serait encore bien plus grand, au point de vue de la
physiologie générale, entre deux Mucédinées voisines. En se plaçant au point de vue
évolutionniste, on pourrait peut-être saisir les raisons de l'adaptation progressive de
telle forme, normalement saprophyte, à la vie parasitaire, et apprécier ensuite la nature
du cbimisme particulier imprimé par cette vie nouvelle. Le changement dans les pro-
priétés physiologiques devant retentir sur les caractères morphologiques, on pourrait
acque'rir de précieuses données, sur la filiation des formes parasitaires, aux dépens des
formes saprophytes.
De même que nombre de parasites des végétaux jouissent d'une susceptibilité toute
particulière, à l'égard des sels de cuivre, d'autres à l'égard du soufre, de même on
possède aujourd'hui un véritable spécifique de l'actinomycose dans les composés iodés.
L'iodure de potassium, introduit d'abord dans la thérapeutique de l'affection par les
vétérinaires, a réussi également dans la cure de l'actinomycose humaine.
Il résulte des expériences de Thomassen [Écho vétérinaire de Liège, 1885) et de Nocard
[Notes sur l'Actinomycose des animaux, Paris, 1892) que le traitement interne par l'iodure
de potassium suffit toujours à la guérison des cas d'actinomycose chez les animaux.
Maydl, Van Iterson, Netter et nous-mêmes ont obtenu les meilleurs résultats de l'emploi
de l'iodure de potassium chez l'homme, dans le cas d'ostéosarcome maxillaire et d'acti-
nomycose viscérale.
Il est extrêmement intéressant d'élucider le mode d'action de l'iodure de potassium.
Nocard s'est livré à des recherches à ce sujet, et n'a pas obtenu de résultats, sauf celui-
ci « qu'une culture d'Actinomycose n'est en rien modifiée, quant à sa richesse ou à sa rapi-
dité, par 1 addition de fortes proportions d'iodure de potassium à la gélose glycérinée ».
D'après des recherches personnelles, en cours d'exécution, nous pouvons présumer que,
dans l'iodure de K, c'est surtout l'iode qui agit. Les autres iodures alcalins donnent chez
les animaux, et chez l'homme, des résultats dans la cure de l'actinomycose ; on peut d'ail-
leurs obtenir une guérison radicale de l'actinomycose, par l'usage à l'intérieur de la tein-
ture d'iode. C'est donc ce métalloïde qui exerce une action spécifique, d'une toxicité
extrême pour l'Actinomyces, de même que l'argent aune toxicité élective pour VAsper-
gillus niger. Dans un cas d'actinomycose de la face, D.arier (Soc. de dermat. et de Syphi-
ligraphie. Il juin 1891) a obtenu la guérison par la méthode électrochimique (injection
d'iodure de potassium, décomposé par un courant de pile), c'est très vraisemblablement,
à la mise en liberté d'iode à l'état naissant, que cette méthode doit son efficacité.
Nous comparions plus haut l'action de l'iode sur VActinomyces à celle de l'argent sur
l'Aspergitlus niger. Peut-être ce métal jouit-il aussi de propriétés toxiques énergiques
sur VActinomyces. En elTet, 'Koexitz [Deutsch. Med. Wochenschr., 3 sept. 1891) en cau-
térisant avec le crayon de nitrate d'argent, les trajets fistuleux d'un ostéosarcome du
maxillaire inférieur ulcéré, a obtenu un résultat merveilleux.
La maladie, qui durait depuis deux ans et demi, fut radicalement et promptement
guérie.
C'est à BiLLROTH que revient l'idée originale de traiter l'actinomycose par la tubercu-
line de Koch. Cette méthode a donné entre ses mains un succès, au moins momentané,
(le malade n'a pas été suivi après sa soi-disant guérison). On peut se demander si la
tuberculine a une action élective sur le tissu actinomyco tique, comme sur le tissu tuber-
culeux, ou bien si, dans les cas oii elle agit, il y a coïncidence d'actinomycose et de
tuberculose. Il résulterait des expériences de M. Wolff (20" Congrès de la Soc. allemande
de chirurgie) que les injections de tuberculine chez les animaux actinomycotiques provo-
quent les mêmes phénomènes que chez les animaux tuberculeux; mais, fait curieux,
une injection d'extrait glycérine de culture d'actinomycose, chez un malade porteur
d'une tumeur actinomycotique, ne provoque aucun phénomène appréciable. D'autre
part, Makora [Soc. de Méd. de Buda-Pest, juin 1891) a rapporté un cas da'ctinomycose
des maxillaires, chez l'homme, où les injections de tuberculine n'amenèrent aucun
résultat. La question de l'action de la lymphe de Kocu sur les sujets atteints d'actino-
mycose reste donc en entier à élucider.
ACTINOMYCOSE. H9
L'action locale de latuberculine, au niveau des lésions actinomycoliques, n'a d'ailleurs
pas lieu de nous étonner. Bouchard a fait remarquer {les Microbes pathogènes, p. 184)
que la tuberculine produit la dilatation vasculaire, l'exsudation séreuse, la diapédèse des
leucocytes, quand l'irritation locale n'est pas de nature tuberculeuse, par exemple au
niveau de nodosités lépreuses, ou de lésions simplement inflammatoires, bien qu'avec
moins d'intensité, que dans le cas de lésions réellement tuberculeuses.
11 serait intéressant de comparer à la réaction provoquée par la tuberculine, celle
que provoqueraient sans doute des protéines foui'nies par d'autres bactéries; mainte-
nant que nous savons par les recherches de Roemeb (T\''ien. klinisch. "WocAensc/»'., 1891,
n" 43), de ;Bt]Chner (Mùnch. med. Wochenschr., 1891, n" 49), de Klemperer {Zeitschr. /'. klm.
Med., t. XX, 189^, p. 75) que les protéines de diverses bactéries sont susceptibles de pro-
duire les mêmes effets locaux que la tuberculine.
Inoculation. — L'inoculation de l'affection, à l'aide des produits pathologiques, est
facile à réussir. On contamine le lapin, en introduisant dans la cavité péritonéale des
fongosités d'actinom}'cose humaine (Wolff et Israël). Il en est de même chez le veau
(Ponfick), chez le lapin (Mosselman et Liéxadx), la chèvre, le rat, le mouton (Manderead).
La contamination de ce dernier animal est remarquable, car on n'a jamais signalé d'acti-
nomycose spontanée dans l'espèce ovine. Le chat, le chien et le cobaye se montreraient
réfractaires. L'inoculation à l'aide de cultures pures a réussi entre les mains de Mosselmax
et Ltéxaux de Wolff et Israël, de Maxdereau.
Étiologie. — On est encore aujourd'hui réduit à des hypothèses, sur l'étiologie de
l'affection. Nous ne nous attarderons pas à l'influence du traumatisme. Il peut, en pro-
duisant une effraction aux barrières épidermiques ou muqueuses, ouvrir une porte d'en-
trée à l'agent pathogène. Quant à son action sur la marche de la maladie, sur l'impulsion
qu'il pourrait donner à une affection actinomycosique latente, nous ne pourrions rien
apporter de précis, et la question se pose, d'une façon plus générale, à propos de toutes
les maladies infectieuses. II semble néanmoins que, dans nombre de cas, la porte d'entrée
a été dans les cavités buccales ou pharyngées (érosion de la muqueuse, carie dentaire).
Les animaux, surtout l'espèce bovine, peuvent contracter spontanément l'actinomycose,
le contact avec des animaux infestés, et l'inoculation (par une voie ou une autre) du pus
actinomycotique peut être invoquée comme cause déterminante dans un certain nombre
de cas.
Mais l'homme ne peut-il s'infecter aux mêmes sources que le bœuf, directement et
sans intermédiaire? De là est née l'intéressante question de l'infection possible par les
végétaux.
Dans cinq cas d'actinomycose humaine, Bostrôm a retrouvé dans .les tissus envahis
des fragments d'orge. 11 croit que le germe pénètre à l'intérieur des grains d'orge, par
des orifices (?) qu'il décrit, que l'homme s'infecte par ingestion des grains de céréales ou
de leurs fragments. Plusieurs fois, chez l'homme, des épis de blé, des barbes d'orge,
ingérés accidentellement, ont été le point de départ de l'infection (mais il faut faire ici
la part du léger traumatisme, déterminé par ces organes piquants). Chez les bestiaux, la
contamination s'expliquerait le plus souvent, de l'avis de nombreux vétérinaires, par la
consommation de débris végétaux: céréales, pailles, fourrages, où le champignon vivrait
à l'état de saprophyte; ou par un traumatisme déterminé sur la peau, par le frottement
aux arbres ou aux boiseries des étables. Le champignon pourrait donc vivre aussi en
saprophyte sur le bois. Chez l'homme, divers cas trouveraient leur origine dans une con-
tamination par des débris de bois moisis, dans un décubitus prolongé sur de la paille
fermentée, par la pénétration d'une esquille ligneuse dans les téguments.
Enfin la maladie s'observe presque exclusivement chez lesherbivores et les omnivores,
elle est inconnue chez les carnivores (on a signalé cependant un cas d'actinom3-cose chez
le chien). Mais en réalité le chien est omnivore.
Quant aux expériences, faites jusqu'à ce jour, pour obtenir la fructification du cham-
pignon sur les céréales, elles n'ont pas été conduites, d'une façon capable de donner des
résultats précis. Reste encore la question de la contamination par les substances alimen-
taires, d'origine animale. On aurait trouvé YActinomyces dans des œufs de poule, sa vie
saprophyte sur la paille expliquerait, dans ce cas, sa présence accidentelle dans l'oviducte
de la poule.
120 ACTINOMYCOSE.
Les cas d'actinomycose intestinale primitive s'expliqueraient bien par l'ingestion de
viande, provenant d'animaux contaminés : porc ou bœuf. La viande de bœuf est souvent
infectée, surtout en Allemagne, en Angleterre et en Russie. On a voulu incriminer d'une
façon toute particulière les viandes américaines. Mais resterait à démontrer que les
kystes intramusculaires actinomycotiques, bien étudiés par Duxcker et Virchow et dif-
férenciés par ce dernier des kystes de trichine, peuvent expérimentalement provoquer
la maladie. La vitalité du parasite n'est-elle pas atteinte, au moins dans une bonne
partie des cas, par suite de l'infiltration calcaire, qui envahit le kyste formé autour de
lui par inflammation interstitielle"? A l'expérience de répondre.
Concluons que l'hypothèse de la vie saprophytique de l'OospojYt est aussi probable que
pour les Trichopkyton et Achorion, et le champignon du muguet, mais que la démons-
tration bien probante, comme celle qu'on a fournie pour VAspergillus fumigatus, demeure
encore à faire.
Réaction de rorganisme vis-à-vis du parasite. — ■ Dès que le parasite a pénétré
dans l'organisme d'une façon quelconque, une lutte s'établit entre lui et certaines
cellules de l'organisme, qui tendent à l'englober et à le détruire. Les phénomènes de
phagocytose dans l'Actinomycose ont été étudiés avec soin, dans un récent mémoire
(Pawlowsky etMAKSUTOFF, in Ann. Inst. Vasteur,. 189,3, p. 544).
Longtemps, les observateurs n'avaient pas réussi à voir le parasite au sein de cellules,
et on admettait que sa propagation s'effectuait par les voies sanguines ou lympha-
tiques, sans intervention des éléments figurés. Ce n'est que récemment que Mar-
GHAMD [Eulenburg's Real-Encyclopedie, 2° éd.) et Bostrôm {Ziegler Baitr. zur pathol.
Anatom., t. ix, 1890) virent le champignon dans les leucocytes et les cellules géantes de
l'Actinomycose. Ce dernier auteur admet, à la suite de ses observations, la propagation
parasitaire, par l'intermédiaire des leucocytes, mais seulement dans la région de réac-
tion inflammatoire; il n'admet d'ailleurs pas cette voie, à l'exclusion des autres. Fischer
admet aussi la propagation par les leucocytes, d'après ses observations concordant avec
celles de Babès sur la présence intracellulaire des filaments du champignon (Virchoiv's
Archiv., 1886, t. cv).
Sitôt entré dans l'organisme, le champignon, en vertu d'un pouvoir chimiotactique
positif, s'entoure de phagocytes, ces derniers constitués par des leucocytes mononu-
cléaires et des cellules jeunes du tissu conjonctif. Ces phagocytes se transforment, sous
l'influence du parasite qu'elles englobent, en grandes cellules épithélioïdes, munies d'un
nucléole. Le filament ainsi contenu dans le macrophage se développe avec lenteur, jus-
qu'à acquérir la forme en capitule ou radiée, caractéristique. L'hyphe du champignon
subit des altérations qui témoignent de la lutte engagée entre lui et l'élément phago-
cytaire. Si ce dernier est vaincu, le parasite se développe et produit des colonies qui le
propagent. La cellule vaincue prend un aspect granuleux, une coloration plus faible du
protoplasme, une modification de forme du nucléole, ses contours deviennent moins
nets, et, peu à peu, elle se résout en masses protoplasmiques, sans nucléoles.
Mais aussitôt, d'autres cellules épithélioïdes entrent en lutte avec le parasite, vain-
queur de la cellule disparue, les portions libres des filaments ou capitules sont englo-
bées par ces cellules épithélioïdes, et la lutte recommence, favorable ou funeste pour
VActinoimjces.
Plaçons-nous dans la dernière hypothèse. Le parasite vaincu prend une forme de
dégénérescence, une forme d'involuLion. Il se colore peu ou mal, tandis que le macro-
phage conserve la netteté des contours. L'extrémité des filaments mycéliens se renfle en
massue, de là la forme si caractéristique du parasite dans les granules du pus actino-
mycotique. On trouve alors un parasite incolore, contenu dans de grandes cellules, puis
il se trouve disloqué en filaments, en granules, en renflements isolés. Le contour de ces
divers éléments devient de plus en plus confus, jusqu'à confluer avec le protoplasme et
à devenir invisible.
Les extrémités en massue des hyphes mycéliens finissent par se détacher, et se trans-
forment alors en globules hyalins. Ce sont des grains ronds, plus ou moins nombreux,
libres ou réunis par une substance intermédiaire, de taille variable, se colorant forte-
ment comme le parasite, par la méthode de Gram.
Ces globules hyalins sont donc comme dans le rhinosclérome (Pawlowsky. Ver-
ACTINOMYCOSE. 121
handl. des X internation. Mcdicin. Congress., Berlin, 1890, t. ii) des productions parasi-
taires, les extrémités dégénérées du thalle radié (forme d'involution) de l'Actinomyces
vaincu dans sa lutte avec les phagocytes.
Parfois cependant, à la limite d'un capitule en voie de dégénérescence, on trouve
quelques filaments en voie de croissance. Ces filaments peuvent s'implanter dans des
cellules nouvelles, et devenir le centre de nouveaux nodules actinomycotiques.
Parfois aussi, la croissance du parasite est très rapide, et avant que le phagocyte qui
le contient ne dégénère, le mycélium dépasse les limites de ce phagocyte, et peut être
transporté eu un autre point, par un phagocyte voisin. Ce dernier, au lieu de devenir
migrateur, peut parfois rester au contact du premier phagocyte, et on observe alors des
connexions persistantes, entre deux portions d'un même capitule, englobées par deux
phagocytes différents.
Des couches de cellules épithélioïdes forment une véritable barrière tout autour des
phagocytes englobant les capitules parasitaires. L'ensemble de ces cellules forme le
nodule. De là l'aspect granuleux de ce nodule, qui (lui avait valu le nom de granulose
infectieux (Cohnheim). Ce mot est impropre, depuis que les recherches de Joune [Deutsche
Zeitschr. fur Thier. Medicin,\,.vu, 1882); de MooHBHUGGER(iieù?'. z«r KKn. Chirurg. Tubin-
r/en, 1886) ont montré que les nodules ne consistent pas seulement en granulations pro-
venant de la dégénérescence des leucocytes, mais que, de même que ces derniers, les
cellules fixes du tissu de néoformation se transforment en cellules géantes épithé-
lioïdes.
Il n'est pas dépourvu d'intérêt de comparer le nodule aclinomycotique au tubercule. La
structure de ces deux néoformations parasitaires serait assimilable pour nombre d'auteurs.
L'organisme se défend donc contre les attaques de l'hyphomycète, par la formation
d'un véritable néoplasme parasitaire, de même que contre les attaques du bacille de
KocH. Mais l'évolution de l'actinomycose diffère de celle du tubercule, en ce que ce der-
nier devient caséeux, tandis qu'il subit une dégénérescence graisseuse ou puriforme,
(selon les auteurs), et se transforme finalement en tissu cicatriciel.
Dès les premiers signes de la dégénérescence des nodules, les cellules épithélioïdes
qui le constituent s'infiltrent de leucocytes multinucléolés, qui amènent rapidement la
dégénérescence du nodule, ou se transforment en globules de pus. Les masses dégéné-
rées se trouvent finalement noyées dans cette infiltration purulente.
Nous pouvons ainsi nous expliquer que le pus aclinomycotique contienne des cellules
épithélioïdes dégénérées, des capitules morts d'actinomyces, avec leurs massues si carac-
téristiques, des corps hyalins résultant de la dégénérescence de ces massues, et des
globules du pus, multinucléoléaires, avec grains libres de chromatine.
L'infiltration du néoplasme aclinomycotique par les leucocytes polynucléés est donc
le premier terme de la dégénérescence du nodule, et ne représente pas sa structure
normale. Les filaments mycéliens ne peuvent alors se développer, en dehors des éléments
figurés de l'organisme parasité. Ce n'est que temporairement qu'on peut les rencontrer
en dehors des cellules épithélioïdes. Si le champignon triomphe de ces cellules qui l'ont
englobé, et amène leur dégénérescence, en vertu de son pouvoir chimiotactique, il con-
dense autour de lui de nouveaux phagocytes, qui tendent à amener sa dégénérescence par
formation des corpuscules hyalins de régression. De la sorte la guérison naturelle tend
toujours à s'établir.
Il serait sans intérêt d'insister ici sur les diverses formes cliniques de l'actinomycose.
Mais, en nous plaçant au point de vue de la réaction de l'organisme contre l'agent infec-
tieux, on peut ranger toutes les lésions actinomycotiques en deux catégories : les
lésions locales, et les lésions généralisées par suite de la formation de foyers secondaires.
Si la résistance de l'organisme est violente, la lutte se localise au point d'inoculation, où
le parasite se trouve conllné par suite de l'établissement d'une barrière de phagocytes,
qui finissent par le détruire. Si l'organisme est plus vulnérable, le parasite se propage
du foyer primitif à d'autres foyers secondaires. On ne sait pas encore positivement si la
propagation se fait par l'intermédiaire de vaisseaux sanguins ou du système lympha-
tique. Mais l'absence ordinaire d'infection ganglionnaire d'une part, et la localisation
observée parfois dans les vaisseaux sanguins, de l'autre, permettent de supposer que le
transport du parasite se fait surtout par les voies sanguines.
122 ACUITE VISUELLE.
C'est peut-être dans ce cas que se forment les néoplasmes actinomycotiques limités,
signalés par divers auteurs.
Associations parasitaires de l'Actinomyces. — Il est très rare que l'octino-
mycose affecte une marche franchement aiguë; dans ce cas, la marche de l'affection est
probablement le résultat de la présence de bactéries dans les tissus envahis par le
champignon.
L'Actino7nyces se développant surtout en anaérobie, si l'on en pratique le premier ense-
mencement en culture anaérobie, les bactéries du pus ne se développent pas, et on
obtient le champignon à l'état de pureté.
Les rapports symbiotiques entre l'Actinomyces et les Bactéries, s'ils existent, sont
loin d'être élucidés. 11 est à remarquer, que semblable question se pose pour les Tricho-
phyton des teignes de l'homme et des animaux; car presque jamais, dans les cheveux
trichophyliques, on ue trouve les Trkhophyton, à l'état de pureté; d'autres Mucédinées,
très variables, se joignent à eux; mais dans cette affection encore, il est impossible, dans
l'état actuel de nos connaissances, de rien préjuger sur la nature des rapports existant
entre le champignon, essentiellement pathogène, et les autres Mucédinées ou Bactéries, qui
l'accompagnent dans les tissus envahis.
On a signalé des cas d'infection mixte par VActinomyces et d'autres champignons
(Obrozoff et Petroff. Actinomycose und Schirmmelmycose. Kasan Russkaja medicina, 1889,
n" 29. — La>-ghans. Corresp. Blatt. f. Schxv. Aerzte, 1888, n" 12).
A l'examen microscopique du pus actinomycotique, on voit parfois, à côté de l'Acthio-
myces, des hyphes mycéliensà double contour, qui offrent la plus grande analogie avec le
mycélium des Mucor et des Pénicillium. Ces champignons ne sont guère connus que
comme saprophytes (bien que certains Muco7' aient été regardés comme pathogènes) ;
sont-ils capables de prêter une assistance parasitaire à VActinomyces, jusqu'à quel point
pourrait-on comparer cette vie dans le même milieu à la symbiose, ne font-ils que profiter
des matières organiques provenant de la destruction des tissus, du fait de VActino-
myces? Autant de questions qu'il serait du plus haut intérêt de poursuivre.
La suppuration est presque constante dans l'actinomycose. Mais l'intéressante ques-
tion de savoir si VActinomyces possède par lui-même des propriétés pyogènes, ou si la
purulence ne se déclare qu'à la suite d'une infection secondaire bactérienne, est encore
à résoudre. Israël a observé des amas de microcoques dans le pus actinomycotique,
Babès a constaté que dans les parois de l'abcès, dans son voisinage, dans les vaisseaux
sanguins, se trouvaient des bactéries. Gottstein {Forschr. cler Medicin, 1887) a trouvé
par la méthode des cultures deux fois les staphylocoques pyogènes. Roussel [D. P.
1891, p. 20) a obtenu avec le pus actinomycotique de l'homme, le Staphylococcus cereus
albus.
Certains auteurs tendraient même à admettre, que la guérison spontanée ou aidée
d'opérations simples (incision et grattage des foyers) sérail surtout le résultat d'une
concurrence vitale, entre le champignon et les bactéries venues de l'extérieur. Ces der-
nières, en produisant une infection mixte, détermineraient la guérison spontanée de la
maladie, par voie de suppuration, et l'établissement de flstules.
On pourrait, il est vrai, invoquer a priori l'arrivée de l'air dans le foyer morbide, et
son influence néfaste sur le champignon qui y vit en anaérobie, mais, avant d'adopter
cette dernière hypothèse, il faut se rappeler que le champignon n'est que facultativement
anaérobie, bien que sa végétation s'effectue plus facilement en l'absence d'oxygène.
F. HEIM.
ACUITE VISUELLE. — L'acuité visuelle est le pouvoir de distinction de
notre œil; réduite à sa simplicité élémentaire, elle est le pouvoir que possède l'œil de
distinguer deux points lumineux voisins. Cette propriété de notre œil, sur laquelle
repose toute la vision, tout jugement porté à l'aide de nos sensations visuelles, n'est
pas toujours comprise comme elle doit l'être. Ainsi l'on cite à tort comme des exemples
de bonnes acuités visuelles le fait que tel individu a reconnu un objet ou un être à des
distances auxquelles certainement l'impression rétinienne doit être punctiforme. A ce
titre, l'acuité visuelle pour les astres serait presque infiniment grande. Pour ce qui est
ACUITE VISUELLE.
123
de la reconnaissance d'objets terrestres, on rappelle que, dans les Andes, les compagnons
d'A. HuMBOLDT reconnurent l'approche d'une personne attendue, à la distance de près
de 4 milles géographiques. L'impression rétinienne était certainement punctiforme ; à
cette distance la personne en question ne se présentait que sous un angle (visuel) de
7 — 12 secondes.
De même aussi l'oiseau de proie qui d'une hauteur très grande aperçoit une proie
relativement petite sur le sol, et se précipite sur elle, il le fait en vertu d'une autre fonc-
tion que l'acuité visuelle. Dans toutes ces circonstances, la connaissance a lieu parce
qu'un point lumineux (ou opaque) se meut d'une façon spéciale, ou apparaît en un endroit
et à un moment où pour des motifs diversil ne peut guère être produit parun autre objet.
Elle n'a pas lieu parce que la forme, les traits, ou quelque détail dans l'apparence
auraient été reconnus. Il s'agit là de la perception d'un point lumineux, tandis que pour
l'acuité visuelle il s'agit de la distinction de deux points plus ou moins rapprochés.
La perception d'un point lumineux est avant tout fonction de l'éclairage de ce point,
tandis que le pouvoir de distinction, l'acuité visuelle de l'œil, tout en étant, dans une
certaine limite, fonction de cet éclairage, dépend cependant beaucoup plus de plusieurs
autres facteurs, notamment de l'indépendance fonctionnelle des unités rétiniennes pho-
tosensibles, et beaucoup plus de la netteté des images rétiniennes,
La perception d'un point lumineux dépend du « sens de lumière » qu'il ne faut pas
confondre avec le pouvoir de distinction. Ainsi que nous allons le voir, la perception
lumineuse peut être très développée, alors que l'acuité visuelle est nulle ou à peu près.
Le sens du toucher présente deux faces comparables aux deux facultés visuelles que
nous voulons ditferencier ici. D'une part il y a la sensibilité à la pression, mesurée par
le minimum de pression perceptible, et d'autre part la faculté de distinguer deux impres-
sions tactiles voisines. Celle-ci se mesure à l'aide du compas de Weber; elle est en rai-
son inverse du minimum d'écart des deux pointes du compas qui permet encore de dis-
tinguer les deux impressions voisines.
Soient (fig. 13) a et 6 deux points lumineux formant sur la rétine les deux images a et
P, qui peuvent dans certaines circonstances être perçues comme deux points distincts.
Lorsque la distance a [3 entre les deux images rétiniennes diminue au delà d'une cer-
taine limite, soit parce qu'on diminue l'écarteinent des deux points lumineux, soit
parce qu'on les éloigne de l'œil, ils confluent pour notre sens intime, ils sont perçus
comme un seul point. Plus la distance a p peut devenir petite sans que les deux points
confluent, et plus aussi le pouvoir de distinction de l'œil, c'est-à-dire son acuité visuelle,
sera grand.
Nous ne pouvons pas mesurer la grandeur rétinienne a p, mais l'angle visuel ach
(c'est l'angle délimilé par les deux lignes droites qui relient les deux points lumineux
au centre optique de l'œil) sous lequel se présentent les deux points lumineux, angle que
nous pouvons mesurer, constituer une espèce de compas pour les mensurations des éten-
dues rétiniennes, car il est proportionnel à la grandeur rétinienne oc [i. Plus l'écart entre
les deux images rétiniennes punctiformes augmente ou diminue, et plus aussi aug-
mente et diminue l'angle visuel : l'une grandeur est en raison directe de l'autre.
Dès lors, nous pouvons substituer l'une à l'autre, et dire que l'acuité visuelle est en
iU
ACUITE VISUELLE.
raison inverse du plus petit angle visuel qui permet encore de distinguer deux points.
La grandeur de l'image rétinienne (la grandeur a p étant l'image rétinienne de la
grandeur a 6 de l'objet) n'a aucun rapport direct, exclusif, avec la grandeur de l'objet.
D'abord, si nous éloignons de l'œil les deux points, ils se présentent sous un angle visuel
de plus en plus petit (fig. 14). Ensuite, la même image rétinienne peut être produite (fig. o)
par des objets similaires de grandeurs très diverses, pourvu qu'ils soient placés à des
distances différentes. Pour que dans ce cas la grandeur rétinienne, et partant l'angle
visuel reste le même, il faut que des objets 2,
3, etc. fois plus grands soient placés à des dis-
tances 2, 3, etc., fois plus grandes.
Pour procéder à ces expériences on se sert
de deu.x points clairs sur fond obscur (ou
noirs sur fond clair). Il s'est trouvé que la gé-
néralité des bommes distinguent encore deux
points sous un angle limite d'une minute.
Cette valeur a été adoptée comme une
moyenne, bien que chez beaucoup de per-
sonnes elle descende à une demi-minute, et exceptionnellement encore à un peu moins,
à moins de 30 secondes. En posant égale à 1 l'acuité visuelle normale, correspon-
dant à un angle visuel limite d'une minute, un œil qui ne distingue deux points que
1 1
sous un angle 2, , etc., fois plus grand, n'a qu'une acuité visuelle de-, ^r etc., de la
normale. Au contraire, celui dont l'angle limite est de 30 secondes a une acuité visuelle
égale à 2, etc.
Les mêmes expériences ont été faites, avec des résultats en somme identiques, en se
servant de fils métalliques minces, de fils de toile d'araignée, de plaques métalliques
percées de trous, etc. Helmholtz
a condensé en un tableau sy- '^
noptique les résultats obtenus
de ces diverses façons.
Les astronomes ont, dans le
temps, voulu évaluer le pouvoir
de distinction de l'œil en déter-
minant le plus petit angle sous
lequel on peut encore distin-
guer un disque noir (sur fond
blanc) ou blanc (sur fond noir).
Nous avons relevé plus baut
l'erreur dans laquelle ils ver-
saient. Les premiers qui appli-
quèrent dans cette recbercbe
le vrai principe sont l'astronome Hooke (Posthiunous Works, pp. 12 et 97, ITOo), et
VoLKMANN. Hooke s'est naturellement évertué à faire ces constatations sur les corps
célestes; il dit que, lorsque deux étoiles se présentent sous un angle plus petit qu'une
demi-minute, elles ne peuvent plus guère être distinguées par aucun œil. Or, comme
M.4UTHNER l'a relevé, c'est là une erreur qui se reproduit de citation en citation. Le fait
est que deux étoiles ne peuvent guère être distinguées par un œil à acuité visuelle
normale que sous un angle de b minutes. Il serait trop long d'énumérer les raisons (fai-
ble éclairage, éclairage inégal, eic.) faisant que notre acuité visuelle est moindre
pour les corps célestes que pour des objets terrestres.
On cite (consultez Mauthner) comme des curiosités des individus dont l'acuité visuelle
pour les corps stellaires était notablement supérieure, qui distinguaient par exemple les
satellites de Jupiter. Il est la plupart du temps expressément dit que ces gens voyaient
les étoiles sous forme de points lumineux. Cela démontre que leur acuité visuelle excep-
tionnelle était due à une absence presque complète d'astigmatisme irrégulier dans leu'rs
yeux (Voyez Astigmatisme irrégulier).
Dans les expériences de ce genre, la détermination directe de l'angle visuel serait
ACUITE VISUELLE. 125
très laborieuse. On lui substitue des grandeurs linéaires, faeiles à mesurer, et avec
lesquelles il a un rapport de proportionnalité.
Un angle visuel quelconque, pourvu qu'il soit suffisamment petit, est en raison
directe de l'écart des deux points, et en raison inverse de leur distance à l'œil. L'écart
linéaire a b (fig. 13) des deux points peut être envisagé comme la grandeur linéaire G de
l'objet visuel. D étant la distance de cet objet visuel à l'œil, nous avons :
Angle visuel = ^.
Cette expression servirait au besoin à calculer la distance à laquelle un objet de
grandeur connue se présente sous un angle d'une minute, ou bien quelle grandeur
linéaire se présente à une distance donnée sous un angle d'une minute'.
Pour comparer aisément entre elles des acuités Yisuelles de valeurs différentes, on
procède donc de la manière suivante :
Nous avons posé plus haut que l'acuité visuelle (V) est en raison inverse du plus petit
angle visuel, c'est-à-dire de l'angle visuel à sa limite inférieure. L'acuité visuelle est donc
r w
aussi égale à la valeur inverse de ^r à sa limite inférieure, c'est-à-dire que V^ jt( à
sa limite inférieure'), c'est-à-dire qu'elle est proportionnelle à la'distance et inversement
proportionnel à la grandeur de l'objet, dans le cas où l'angle visuel est arrivé à la limite.
En pratique, on peut éliminer de cette formule soit D, soit G. On élimine D en met-
tant les objets visuels toujours à la même distance, et en faisant varier leur grandeur;
alors l'amilé visuelle est inversement proportionnelle à la limite inférieure de la grandeur
de l'objet visuel, qui permet encore de distinguer ce dernier. On élimine G en se servant
toujours de la même grandeur de l'objet visuel, qu'on éloigne plus ou moins; alors
l'acuité visuelle est directement proportionnelle à la limite (maximale) de la distance où cet
objet est encore distingué. Par exemple, en opérant toujours avec le même écartement des
deux points lumineux, si l'une fois la distance limite est le double, le triple, le quart, etc.,
de cette même distance dans un autre cas, l'acuité visuelle sera le double, le triple, le
quart, etc., de celle dans le cas type.
En pratique oculistique, la détermination de l'acuité est un des principaux mo}'ens
pour juger de la nature et de la marche d'une maladie oculaire. L'emploi de points et de
lignes parallèles serait à cet effet peu pratique; on préfère se servir de lettres, de mots
et de phrases imprimés, d'après les principes suivants. Snellen a posé qu'un œil à
acuité visuelle normale, qui distingue deux points sous un angle d'une minute, peut
distinguer aussi les lettres imprimées sous un angle limile de cinq minutes. En moyenne,
dit-on, les traits des lettres imprimées (qui sont plus ou moins carrées) représentent le
cinquième de la hauteur et de la largeur des lettres. Si les lettres se présentent sous
un angle visuel de cinq minutes, les traits se présentent sous un angle d'une minute.
Ou se convaincra aisément que les lettres imprimées différent beaucoup pour la faci-
lité avec laquelle on les reconnaît. Néanmoins, en se servant de séries de lettres, on
arrive à une moyenne dont la pratique oculistique se trouve très bien. Ce qu'il faut ici, ce
1. Théoriquement, l'angle visuel n'est pas égal à — . Mais dans les conditions de nos expé-
riences, c'est-à-dire avec un angle toujours
très petit, cette expression est suffisamment
exacte. - est en réalité la tangente de l'angle
visuel; or pour des angles suffisamment petits
la tangente est proportionnelle à l'angle. —
II y a même plus, dans la figure 16, où a et h
sont les deux points lumineux, la tangente
. at , ab ^ , . ,
est égale a — , et non a — . Dans le cas ou la _ ,.
ac ac Fig- 1"
ligne visuelle est sensée dirigée sur le milieu de la distance entre les deux points et non sur un de
ces points, comme dans la figure 16, p est en réalité égal à la double tangente de la moitié de
l'angle visuel.
2. Le mot limite étant pris dans le sens déterminé plus haut, et non dans celui du calcul
infinité.simal.
126 ACUITE VISUELLE.
n'est pas une détermination matliénialique, mais la fixation d'une moyenne qui satis-
fasse la pratique. En fait, l'angle visuel de cinq minutes pour une lettre est même trop,
grand, c'est-à-dire correspond à une acuité visuelle dépassée par celle de la généralité
des hommes. Elle est donc plus ou moins arbitraire. Mais la fixation d'une moyenne
réelle serait chose à peu près impossible.
Les échelles visuelles de l'oculiste se composent donc de lettres et de mots imprime's
de grandeurs diverses. Chaque grandeur porte un numéro indiquant en mètres la dis-
tance à laquelle ces lettres se présentent sous un angle de S minutes, autrement dit
la distance maxima à laquelle ces lettres sont reconnues par un œil à acuité visuelle
normale (ou plutôt moyenne). Un œil à acuité visuelle normale distingue les numéros
1, 2, 5, etc., à 1, 2, b, etc., mètres. Dn œil qui ne les distingue qu'à une distance plus
rapprochée a une acuité visuelle au-dessous de la moyenne. Celui qui les dislingue
encore plus loin est doué d'une acuité visuelle au-dessus de la normale.
Dans cette comparaison entre différentes acuités visuelles, on opère en somme avec
une grandeur constante de l'objet (avec un numéro déterminé des échelles visuelles),
qu'on place à des distances différentes. Dans ces conditions, d'après ce qui précède, les
acuités visuelles sont directement proportionnelles aux distances maxima auxquelles
les lettres sont reconnues par les yeux comparés. Dès lors, d étant la distance à laquelle
un œil à examiner voit encore un numéro des échelles, et D la distance à laquelle l'œil
normal (moyen) distingue encore ces lettres (D est donc le numéro de la grandeur des
lettres), la formule v ^ — Permet d'exprimer en chiffres la valeur de toutes les acuités
visuelles qu'on rencontre, comparées à l'acuité visuelle normale'. Un œil qui ne recon-
3 1
nait le numéro 6 qu'à 3 mètres a une acuité visuelle de ^ = 5. Si le numéro 6 est
9 3 i
reconnu encore à 9 mètres, t; =:-==- = 1 -; l'acuité visuelle est un et demi de la nor-
male. On procède de même avec les autres numéros des échelles visuelles, car l'acuité
visuelle peut se déterminer à toutes les distances pour lesquelles on possède des objets
types qui, à ces distances, se présentent sous l'angle limite.
L'emploi de lettres, de mots et même de texte courant, imprimé, pour déterminer
l'acuité visuelle, s'est donc imposé à la pratique oculistique, tout en étant un moyen
très peu rigoureux. Pour ce qui est des lettres, nous avons déjà dit que certaines
d'entre elles sont plus compliquées, et partant, plus difficiles à reconnaître que d'autres
sous le même angle visuel. D'autre part, l'exercice, l'habitude acquise, rendent la lecture
plus facile. Cette cause d'erreur est surtout importante pour la lecture de texte courant.
La lisibilité d'un texte courant dépend en grande partie d'une part de la conforma-
tion du texte, et, d'autre pari, du sujet examiné, deux conditions qui doivent être
exclues dans une détermination rigoureuse de l'acuité visuelle, mais que pour diverses
raisons la pratique oculistique peut et doit négliger plus ou moins.
Pour ce qui regarde la conformation du texte, la forme des lettres, le rapport de la
hauteur des caractères à leur largeur, la grandeur des interlignes et de l'écart entre
les lettres d'une rangée, la couleur du papier, etc., sont des conditions de très grande
importance, étudiées parfaitement par Javal, mais dont l'élucidation n'a qu'un rapport
indirect avec l'objet de notre élude.
Quant au sujet en expérience, un lettré lira un texte courant d'une petitesse telle
qu'une personne peu habituée à lire ne peut pas le déchiffrer, tout en ayant une acuité
visuelle normale. On lit plus aisément une langue qu'on connaît qu'une autre qu'on ne
possède pas ou très peu, etc., etc. C'est que la lecture est dans une large mesure une
opération de l'esprit. On 'parcourt rapidement une ligne, trop vite pour qu'on ail le
i. On arrive moins directement à la formule y =: y- de la manière suivante. Les acuités visuelles
étant proportionnelles aux distances d et D auxquelles une grandeur de lettres est encore re-
connue, V étant une acuité visuelle à déterminer, et V étant l'acuité visuelle normale, nous avons
— = — . En posant V^l, nous avons d:=— 1 formule qui exprime la valeur de n'importe quelle
acuité visuelle comparativement à la normale, prise comme unité.
ACUITÉ VISUELLE. 127
temps de bien reconnaître les lettres. On devine beaucoup de lettres; on devine même
des mots entiers. L'acuité visuelle est donc reléguée au second plan dans la lecture.
Landolt et Lemaire ont récemment étudié la forme des mouvements oculaires dans
la lecture et sont arrivés à des résultats sensiblement concordants, et qui ont de l'intérêt
au point de vue physiologique. On nous permettra d'en dire un mot, attendu que cette
question a quelques rapports avec celle de l'acuité visuelle, bien qu'elle ressortisse
plutôt à l'article Vision.
L'œil qui compte un certain nombre d'objets similaires alignés, celui qui lit, ne suit
pas la ligne (d'impression par exemple) en avançant uniformément, mais par bonds,
par saccades. Il divise donc la ligne en segments, dont chacun est déchiffré avec le regard
immobile, puis on passe à un autre segment. Chaque saccade a un minimum d'excur-
sion de o degrés environ. Mais elle ne descend à cette limite que lorsque pour l'une ou
l'autre raison le texte est difficile à déchiffrer. Toutes choses égales d'ailleurs, notam-
ment la distance du texte à l'œil, les segments en question sont plus grands dans le
cas d'un texte facile à lire ; ils deviennent plus petits dans le cas contraire. L'œil trouve
donc de l'avantage à ne pas exécuter de mouvements trop petits. En moyenne, et pour
un texte ordinaire, ils sont plus petits que les longs mots, et plus grands que les petits.
L'ceil, en divisant les lignes eu segments, ne se guide pas, ou au moins pas exclusive-
ment sur la longueur des mots. — On pourrait songer à mettre l'excursion de ces mou-
vements en rapport avec l'acuité visuelle du centre physiologique de la rétine, et sup-
poser que le minimum d'excursion a pour but de faire tomber chaque segment d'une
ligne sur la portion de la fovea centralls dont l'acuité visuelle est un maximum (Voir
plus loin). Il ne semble pas en être ainsi, car dans cette hypothèse l'excursion de la sac-
cade devrait rester la même lorsqu'on éloigne le livre. Au contraire, cette excursion
(angulaire) diminue lorsqu'on éloigne le texte (Landolt). Quelle que soit la distance à
laquelle s'effectue la lecture d'un même texte, le nombre de lettres par section ne varie
guère, ou même pas du tout (Lemaibe). Ce fait est certainement contraire à ce qu'on
aurait supposé a priori. Pour en pénétrer la raison, voyons ce qui se passe lorsqu'on
essaye de compter une série de petits objets similaires et alignés. Si on éloigne de plus
en plus l'objet, on arrive à un point où l'on ne peut plus les compter, alors qu'ils
demeurent encore parfaitement visibles, c'est-à-dire distincts l'un de l'autre. La raison
principale, à notre avis, est que notre faculté de compter simultanément, et avec le
regard fixe, un certain nombre d'objets similaires est très réduite, rudimentaire même,
si tous sont vus distinctement. Cette numération est une opération de l'esprit, autant
et plus qu'une fonction de l'acuité visuelle. En tant que dépendant de l'acuité visuelle,
elle ne nécessiterait pas une diminution de l'excursion des saccades de l'œil lorsque
nous éloignons l'objet. En tant qu'opération de l'esprit, cette diminution se comprend;
elle a pour effet de maintenir dans des limites restreintes le nombre de points à dis-
tinguer dans une section. Il est même à supposer que pour faciliter cette opération de
l'esprit nous diminuerions, dans certaines circonstances, l'excursion des saccades de
l'œil en dessous de l'angle de o minutes, si cette limite inférieure n'était pas posée par
les propriétés physiologiques des muscles oculaires, les mouvements oculaires, pour
s'exécuter facilement et avec précision, demandant une certaine excursion minima. —
Ces considérations sur [la numération d'objets alignés s'appliquent directement à la
lecture.
D'après ce qui précède, on évalue donc l'acuité visuelle comme proportionnelle à
une grandeur angulaire, et même comme proportionnelle à une grandeur linéaire.
ViERORDT, Javal, CHARPENTIER et d'autres ont contesté la légitimité de cette manière de
procéder. Ils ont développé diverses raisons pour lesquelles, à leur avis, il faudrait
admettre que les acuités visuelles sont inversement proportionnelles à la surface des
images rétiniennes, c'est-à-dire inversement proportionnelles au carré de leur diamètre
et non pas à leur simple diamètre. Il semble y avoir du bien fondé dans leur manière
de voir lorsqu'on se sert dans ces déterminations d'objets à deux dimensions, de lettres.
La conclusion s'impose moins lorsqu'on se sert à cet effet de deux points. Les re-
marques de Charpentier, toutefois, s'appliquent aussi à ce dernier cas. Ses arguments
sont tirés de ce fait que l'image rétinienne d'un point n'est jamais punctiforme.
On exprime du reste en valeurs linéaires les grandeurs des images fournies par les
128 ACUITE VISUELLE.
instruments d'optique. La pratique oculistique, elle, n'exige pas une expression d'une
exactitude rigoureuse pour la comparaison des acuités visuelles. Ce qu'il lui faut, c'est
de pouvoir accoler des signes, c'est-à-dire des nombres, toujours les mêmes, à des frac-
tions ou à des multiples déterminés de l'acuité visuelle choisie plus ou moins arbitrai-
rement comme unité.
Mais, pour l'élucidation de certaines questious théoriques, il nous faudrait une com-
paraison rigoureuse des diverses acuités visuelles. Par exemple, l'acuité visuelle diminue
du centre rétinien vers la périphérie, et il en est de même de la chromatopsie. Une
diminution de l'éclairage a les mêmes effets sur la vision dans le centre rétinien. On
dit souvent que l'acuité visuelle diminue dans telle circonstance plus rapidement que
la chromatopsie, que, par exemple, elle n'est que, un quart de la normale, alors que la
chromatopsie est encore la moitié de la normale. On conçoit que, pour tirer des [conclu-
sions de telles constatations, il faudrait avoir des mesures rigoureuses rationnelles, de
ces deus fonctions.
Facteurs dont dépend l'acuité visuelle. — Jusqu'ici, nous avons envisagé
l'acuité visuelle qu'on pourrait qualifier de « globale » telle qu'on l'obtient dans les
conditions moyennes, favorables, en fonction seulement de l'angle visuel limite, et sans
nous préoccuper autrement des divers facteurs qui dans l'œil réputé normal intluent
sur elle, souvent dans une mesure très prononcée. Ces divers facteurs peuvent se
ranger sous les rubriques suivantes.
L'acuité visuelle ou la limite inférieure de l'angle visuel est fonction :
1° De la netteté de l'image rétinienne;
2° De la grandeur de cette image;
3° De l'éclairage de l'objet; -
4" Du pouvoir de distinction de la rétine.
C'est surtout pour arriver à évaluer l'acuité visuelle comme fonction rétinienne qu'il
importe d'étudier l'influence des facteurs autres que l'angle visuel.
Netteté de l'image rétinienne. — Nous avons, dans ce qui précède, supposé une
image rétinienne nette. A cet effet, nous supposions l'objet placé dans les limites du
terrain d'accommodation, et l'accommodation exacte pour la distance de l'objet. Ces
conditions sont réalisables, au besoin en munissant l'œil de verres correcteurs appro-
priés. Il est clair que, si l'œil n'est pas adapté pour la distance de l'objet, l'image réti-
nienne de ce dernier sera diffuse; les cercles de diffusion des divers points de l'image
diminuent l'acuité visuelle; deux points voisins confluent pour le sens intime, sous un
angle supérieur à un angle d'une minute.
Il y a dans l'œil encore d'autres causes rendant les images rétiniennes diffuses, et qui
ne sauraient être toutes éliminées par l'accouimodalion ni par le port de lunettes sphé-
riques, causes plus ou moins prononcées d'un œil à l'aulre. Il y a notamment l'astig-
matisme régulier, qu'on peut corriger par des verres cylindriques appropriés. Puis il
y a l'astigmastisme irrégulier, qui en règle générale ne peut pas être éliminé, corrigé.
Lorsque l'aligmastisme irrégulier dépasse une certaine valeur, il diminue sensiblement
l'acuité visuelle.
Il y a enfin dans chaque œil de l'aberration chromatique et de l'aberration sphérique.
Sur le bord pupillaire il se produit des phénomènes de diffraction, donnant lieu à de
l'interférence. Ces dernières causes d'imperfection dioptriques sont en somme les mêmes
pour chaque œil. La pratique oculistique peut donc en faire abstraction; mais il n'en
■est pas de même lorsqu'on veut résoudre certaines questions théoriques, notamment
lorsqu'on envisage l'acuité visuelle comme fonction rétinienne. Leroy a fait derniè-
rement une étude théorique approfondie de ces causes d'imperfection dioptrique dans
l'œil. On pourra voir dans son travail que bien que, l'une d'entre elles neutralise plus ou
moins une autre, leur effet global est cependant de donner à l'image rétinienne d'un
point la forme d'un cercle plus ou moins grand, à. dimensions nullement à dédaigner,
et dont l'exposé, au point de vue de la vision, incombe à l'article Irradiation.
Au même point de vue, c'est-à-dire à celui de la netteté des images rétiniennes
s'explique en partie l'iiifluence de l'âge sur l'acuité visuelle. 11 résulte de la comparaison
des acuités visuelles prises dans des conditions identiques d'éclairage sur un grand nom-
bre d'yeux, que cette acuité diminue avec l'âge. Un tableau de Vroesom de E\.\y porte
ACUITE VISUELLE. 1^29
que jusqu'à 40 ans, l'acuité visuelle est en moyenne un peu supérieure à 1, et qu'à
partir de là elle descend en dessous de cette valeur. A 60 aus, elle est environ de ^' et
0
à 80 à peu près -. — La cause principale de cette diminution réside dans les troubles qui
normalement surgissent dans les njilieux transparents desyeux des vieilles geus, notara-
ment dans le cristallin. Le racornissement (normal) de ce dernier s'accompagne d'une
diminution de sa limpidité; chez les vieillards notamment, ou peut voir la face antérieure
du cristallin, preuve que celle-ci devient plus irrégulière. L'astigmatisme irrégulier
(cristallinien) augmente aussi avec l'âge.
Par contre, la faible acuité visuelle des nouveau-nés, i^ui semble ressortir des recherches
de CuiGNET, n'est pas due à une imperfection des images rétiniennes, mais à un déve-
loppement encore incomplet de l'appareil nerv'eux visuel. Deux mois seulement après
la naissance, Cuigxet a pu constater chez le nouveau-né des symptômes visuels qu'on
peut interpréter dans le sens d'un pouvoir de distinction rudimentaire de l'œil.
Grandeur de l'image rétinienne. — Ce que nous avons dit en tête de cet ar-
ticle sur la grandeur de l'image rétinienne n'épuise pas le sujet. En effet, nous avons
supposé que dans un œil emmétrope, myope ou hypermétrope, accommodant ou non,
muni ou non de verres correcteurs, que dans toutes ces circonstances à des angles visuels
égaux correspondent des images rétiniennes égales. Or, il est loin d'en être ainsi, et il
importe souvent de tenir compte de ces causes d'erreurs lorsqu'il s'agit d'évaluer l'acuité
visuelle en fonction des autres facteurs dont elle dépend également.
Ce serait un travail sans utilité, même en pratique oculistique, que de déterminer
l'acuité visuelle en dehors des limites de la vision distincte, c'est-à-dire en deçà ou au
delà du terrain d'accommodation. L'emploi de caractères, d'objets visuels de différentes
grandeurs, qu'on peut placer à des distances plus ou moins rapprochées, ne suffit pas
pour exclure dans tous les cas l'adaptation défectueuse de l'œil, et il faut recourir à des
verres correcteurs, soit pour rapprocher, soit pour éloigner le terrain d'accommodation,
autrement dit pour pouvoir placer l'objet à la distance à laquelle il se présente sous
l'angle visuel limite. Mais l'emploi de verres correcteurs modifie la grandeur des images
rétiniennes. Un œil qui regarde un objet, une fois en accommodant, une autre fois°en
regardant à travers une lentille convexe (remplaçant l'accommodation), a dans les deux
cas des images rétiniennes de grandeurs inégales. La grandeur de cette image dépend
de la distance qui existe entre la rétine et le centre optique (plus exactement entre la
rétine et le second point nodal). L'accommodation laisse ce centre à peu près à sa place,
tandis qu'un verre positif (placé au-devant de l'œil) fait avancer le centre optique dû
système combiné « œil + verre positif ». L'acuité visuelle trouvée dans ce dernier cas
est donc plus grande que dans le premier.
Inversement, les verres négatifs rapetissent les images rétiniennes; ils refoulent le
centre optique vers la rétine.
Les ophtalmologistes ont calculé avec soin l'influence des verres correcteurs sur la
grandeur des images rétiniennes, et les réductions et les augmentations néce.ssaires
pour éliminer l'influence des verres correcteurs sur l'acuité visuelle. Nous renvoyons à ce
propos surtout à Landolt, Acuité visuelle, dans le Traité complet d'ophtalmologie de
Wecker et Landolt.
La grandeur de l'image rétinienne produite par le même objet, situé toujours à la
même distance de l'œil, varie également d'une manière très sensible selon qu'on expéri-
mente sur un œil emmétrope ou amétrope, sans corriger celle-ci par un verre correcteur. Par
exemple un jeune œil emmétrope et un œil myope peuvent voir nettement un objet à
10 centimètres. En fait, le centre optique de l'œil myope, par allongement de son axe
antérieur, est plus loin de la rétine que dans l'œil emmétrope. L'image rétinienne dans
l'œil myope est donc plus grande que dans l'œil emmétrope (Voyez notamment Landolt,
loc. cit.].
L'état inverse existe dans l'œil hypermétrope (trop court), comparativement à l'œil
emmétrope.
On a fait entrer ce facteur en ligne de compte pour discuter (mais sans grand succès)
le point de savoir si l'œil myope, plus grand', que l'œil emmétrope, reuferme sur la
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. Cl
130 ACUITE VISUELLE.
même étendue rétinienne nii plus grand nombce d'unités photosensibles que ce dernier.
GtR.iUD-TECLON a fait la remarque importante que, si on corrige l'amétropie (axile,
par allongement ou raccourcissement de l'œil, ce qui est le cas habituel) par un verre
placé dans le foyer principal antérieur de l'œil (foyer situé à 13 mm. environ au-devant
de la cornée), les images rétiniennes deviennent égales à celles de l'œil emmétrope. Cette
remarque permet donc d'éliminer en majeure partie l'influence des facteurs dont il est
question sous la rubrique présente, et constitue une des raisons qui engagent à déterminer
l'acuité visuelle à l'aide d'objets placés à distance.
Influence de l'éclairage sur l'acuité visuelle. — On pourrait s'attendre à trouver
l'acuité visuelle indépendante de l'éclairage, en dedans des limites de la visibilité d'un
point. Du moment que chaque point, pris isolément, est visible, du moment que son
éclairage est suffisaut à cet elfet, ou suflisamment supérieur (ou inférieur) à celui de son
entourage (conditions étudiées à l'article Sens de lumière), il faudrait pouvoir le dis-
tinguer de son voisin sous un angle limite d'une minute.
Il en est cependant tout autrement. L'acuité visuelle augmente avec l'éclairage, entre
certaines limites d'intensité de ce dernier'. On a essayé, mais en vain, de découvrir une
relation siuiple entre l'acuité visuelle et l'éclairage.
D'après Aubert, le maximum de l'acuité visuelle existe à la clarté du grand jour.
D'après Klein, elle s'accroît encore, bien que lentement, avec un éclairage plus fort. A
partir de l'éclairage du grand jour, l'acuité visuelle diminue avec l'éclairage, d'abord
lentement, puis plus vite. Pour que la détermination des acuités visuelles donne des
résultats comparables (autrement qu'au point de vue de l'éclairage), il faut donc savoir
à quel éclairage celle-ci a été faite, ou, ce qui vaut mieux, procéder toujours avec le
même éclairage moyen. A cet etfet, il est à peu près indispensable de se servir d'une
lumière artificielle. L'idéal, difficile à réaliser, serait de n'éclairer que les points lumi-
neux ou les lettres, dans une chambre absolument obscure. L'emploi de petites ouvertures
percées dans un écran opaque est exclu à cause des phénomènes de diffraction et d'interfé-
rence auxquels il donne lieu.
Lorsqu'on opère avec des lettres, on peut éclairer celles-ci directement, ou bien par
transparence à l'aide de lumières placées derrière des lettres transparentes ou trans-
lucides.
Les expériences avec un éclairage donnant le maximu'm de l'acuité visuelle sont en
somme faciles à instituer. Lorsqu'on opère avec de faibles éclairages, il faut notamment
tenir compte de l'adaptation de l'œil, et maintenir l'œil un certain temps (de 10 minutes
à un quart d'heure) dans un éclairage tel que la sensibilité rétinienne pour cet éclai-
rage soit un maximum (Vo3'ez Sens de lumière).
Sous le nom de photoptomètres on [a décrit des dispositions et des appareils très
divers pouvant servir à ces expériences (Voyez Laxdolt, loc. cit.).
A. Ch.^rpe.ntier a fait à l'aide d'un photoptomètre spécial de nombreuses recherches
se rapportant plus ou moins à la question de l'acuité visuelle. Une de ses conclusions
originales porte que le travail physiologique servant à produire l'acuité visuelle, le pou-
voir de distinction de l'œil, est un processus sui generis, bien à distinguer de celui qui
produit la sensation lumineuse simple, « brute », comme il dit. Partant de cette vérité
■ncontestable quej'image rétinienne d'un point est toujours un disque plus ou moins
grand, il opère ordinairement avec de petits cercles éclairés, plus ou moins grands. Soit
un certain nombre de ces points ou petits disques distincts, de manière que toutes leurs
images tombent encore dans la fovea centralis. 11 en augmente progressivement l'éclai-
rage à partir de zéro, et arrive ainsi à un moment où les points donnent une sensation
blanche diffuse. En augmentant encore l'éclairage, les points deviennent distincts. S'il
opère avec deux points suffisamment écartés pour que l'un forme son image en dehors
de la fovea, ils sont distingués d'emblée, dès qu'ils commencent à produire une sensa-
tion. Si les points forment leur image sur la périphérie rétinienne, ils passent aussi par
le stade de la sensation lumineuse simple, du moment qu'ils sont suffisamment rappro-
chés; s'ils sont plus écartés, ils sont distingués d'emblée.
Pour expliquer cette sensation lumineuse « brute » Charpentier reprend l'ancienne
théorie physiologique de l'irradiation. L'impression lumineuse en un point circonscrit
de la rétine diffuserait dans l'appareil nerveux visuel, dans toute l'étendue d'un petit tei--
ACUITÉ VISUELLE. 131
l'itoire rétinien. Ainsi s'e.xpliquerait le fait constate' par lui, savoir que, dans les condi-
tions indiquées, la perception lumineuse brute e.\ige toujours la môme quantité de
lumière, qu'elle soit éparpillée sur un nombre plus ou moins grand d'éléments réti-
niens. Par exemple, s'il fait tomber les images de trois points lumineux sur un petit
endroit rétinien occupé précédemment par un disque plus grand, il faut une quantité
de lumière égale à celle qui tout à l'heure était éparpillée sur tout le disque; chaque
point doit avoir un éclairage absolu trois fois plus fort que celui du disque, dans l'un
et l'autre cas, pour produire la sensation lumineuse brute.
Pour provoquer la distinction des points, il faut une quantité de lumière plus forte
que pour l'obtention de la simple sensation lumineuse, un supplément de lumière pro-
duisant le travail physiologique spécial de l'acuité visuelle.
Enfin, toujours d'après Charpentier, la grandeur de l'intervalle qui sépare plusieurs
points lumineux, qui tous forment leurs images dans la. fovea, ne modifie pas leur visibilité.
De plus, la quantité de lumière nécessaire à distinguer un point de ses voisins est
constante, que chaque point soit plus ou moins grand.
Leroy, de son coté, à la suite d'une étude approfondie des diverses causes (diffraction
sur le bord pupillaire, aberration de sphéricité et aberration chromatique, etc.) qui font que
l'image rétinienne d'un point n'est jamais un point, mais un disque plus ou moins grand,
se dégradant vers la périphérie, arrive à expliquer par la diffusion de la lumière dans
l'œil, c'est-à-dire par la répartition de la lumière objective sur la rétine, les observations
qui ont conduit Charpentier à faire de l'acuité visuelle une fonction bien distincte de la
sensation lumineuse simple. 11 montre qu'en diminuant l'éclairage d'un point, l'éclat du
centre de son image rétinienne diminue dans une proportion plus grande que la péri-
phérie. Il arrive donc un moment où, étant donnée la sensibilité spéciale de la rétine à
des différences d'éclairage (voir Sens de lumière), le point reste faiblement sensible sous
forme d'une tache plus grande, uniformément éclairée, et qui maintenant se confond
avec des points suffisamment rapprochés, sous forme d'une tache uniforme. En d'autres
mots, la confluence de points voisins sous un faible éclairage serait un fait physique
avant tout, et non pas physiologique, au moins pas dans le sens admis par Charpe.xtier.
Dès lors tomberait aussi la distinction physiologique admise parce dernier auteur entre
le sens de lumière et l'acuité visuelle.
Enfin, les développements de Leroy nous semblent aussi renfermer en germe l'expli-
cation de ce fait surprenant que l'acuité visuelle n'est pas indépendante de l'éclairage
(entre certaines limites, celles de la vision habituelle), et qu'au contraire elle augmente
avec ce dernier. 11 faut en effet se figurer l'image rétinienne de points lumineux non
comme des points mathématiques éclairés, alors que le restant de la rétine ne rece-
vrait pas de lumière. La rétine est toujours plus ou moins éclairée diffusément, et sur cet
éclairage diffus se marquent de petits disques dont le centre est plus clair, et qui vont
en se dégradant vers la périphérie. La distinction des points est même possible lorsque
les disques se touchent parleurs bords. Il faut seulement que la clarté du centre de
chaque disque dépasse suffisamment la périphérie. Il n'est pas besoin d'entrer dans les
détails très compliqués des phénomènes pour comprendre que de cette manière l'éclat
relatif du centre et de la périphérie puisse varier avec l'éclairage, et qu'à un fort
éclairage on puisse distinguer deux points sous uu plus petit angle qu'à un éclairage
plus faible. Ces questions reviennent à l'article Irradiation.
Le pouvoir de distinction de la rétine. — Très souvent on confond l'acuité
visuelle, le pouvoir de distinction de l'œil, avec le pouvoir de distinction de la rétine,
ce qui est une grave erreur. L'acuité visuelle est fonction du pouvoir de distinction de
la rétine, mais de plus, elle est fonction des facteurs énumérés précédemment. Nous
allons même voir que la limite supérieure de l'acuité visuelle que nous avons envi-
sagée jusqu'ici, celle de la vision directe, est à peu près indépendante du pouvoir de
distinction de la rétine; les facteurs précédents, surtout la netteté des images réti-
niennes, ont sur elles une influence tellement prépondérante que l'influence du pouvoir
de distinction de la rétine n'entre que secondairement en ligne de compte.
Le pouvoir de distinction de la rétine repose sur l'indépendance fonctionnelle de ses
éléments photesthésiques. Nous pouvons nous figurer une rétine théorique dont tous
les éléments photesthésiques soient reliés isolément au centre de perception cérébrale.
132 ACUITÉ VISUELLE.
disons à l'écorce occipitale. Plusieurs éléments photesthésiques pourraient aussi être
reliés à la même fibre du nerf optique, à un seul conducteur vers l'écorce occipitale.
Dans le second cas le pouvoir de distinction serait moindre, malgré un même nombre
des imités plnotesthésiques. Des dilïe'rences de ce genre se présentent d'un endroit à
l'autre de la rétine.
L'acuité visuelle décrite dans ce qui précède se rapporte seulement à une petite
zone de l'espace que nous fixons, et pas à tout le champ visuel. Nous nommons champ
visuel l'ensemble de points de l'espace que l'œil immobile peut voir. Cette étendue
comprend à peu près tout l'hémisphère situé au devant de nous et dont le milieu est
occupé par le point de fixation. Toutefois le point de fixation est placé un peu excentri-
quement (vers le côté nasal) dans le champ visuel (Voyez l'article Périmétrie). L'acuité
visuelle est loin d'être la même dans toute l'étendue du champ visuel. Il est facile de se
convaincre qu'elle n'est très grande que dans une zone étroite autour du point de fixa-
tion. Que l'on fixe une lettre de ce texte.jà la distance de 23 centimètres : pendant cette
fixation, on verra bien que la page est couverte au loin de lignes noires; mais quant à
reconnaître, à distinguer les lettres, on ne le pourra que pour les 3, 4 lettres avoisi-
nantes dans toutes les directions; le restant paraît diffus, et même à la limite extrême,
les lignes imprimées se présentent sous forme de bandes obscures continues.
On a fait des recherches plus exactes pour déterminer la manière dont l'acuité
visuelle diminue depuis le point de fixation vers la périphérie du champ visuel. Les
résultats obtenus par Foehsteh, Heuiholtz, Volkmann, Landolt, Dor, etc., tout en dif-
férant quelquefois sensiblement, se rapprochent cependant beaucoup. La limite extrême
du champ visuel étant à 90° (et même plus) du point de fixation, on trouve que, dans
une zone écartée de 10° du point de fixation, l'acuité visuelle n'est que de 0,07 (sept
centièmes de la normale); vers la" d'écart, elle n'est que de 0,04b; à 20°, de 0,028, et
vers 30° de 0,020. A 40° d'écart du point de fixation, c'est à peine si on compte les
doigts contre l'œil ; la perception des formes, c'est-à-dire l'acuité visuelle, y est presque
nulle. Elle est certainement nulle aux confins du champ visuel. En plaçant la main à la
limite extrême du champ visuel, on cesse même de la voir si elle est immobile, mais on
l'aperçoit encore si elle remue. Et dans ce cas, on voit quelque chose, sans savoir ce
que c'est, sans distinguer de détails. Le pouvoir de distinction, l'acuité visuelle est
absolument nulle en cet endroit. Par contre, on y apprécie les variations d'éclairage
aussi bien et même mieux que contre le point de fixation. Ce qui donc nous fait dis-
tinguer des objets dans la périphérie du champ visuel, ce n'est pas le pouvoir de dis-
tinction, mais le sens de lumière, qui atteint son maximum pour des variations assez
rapides de l'éclairage (Voyez l'article Sens de lumière).
Mais quelle est l'étendue rétinienne dans laquelle l'acuité visuelle est normale
(d'après ce qui précède), ou à peu près"? En fixant avec le regard immobile les carac-
tères d'impression sur cette page, on ne reconnaît les lettres que dans une zone étroite,
entourant le point de fixation d'une étendue de 3° tout au plus. Comme étendue réti-
nienne, cela embrasse à peine toute la fovea centralis.
On a fait remarquer que dans ces limites restreintes l'acuité visuelle n'est pas même
égale partout, et que pour bien distinguer les caractères il faut les fixer successivement
et même laisser errer le regard, non seulement sur chaque lettre, mais même sur
chaque jambage d'une lettre (Javal, Leroy). A un éclairage instantané, excluant tout
déplacement du regard, on ne reconnaît que les lettres les plus simples, et même il n'y
a de véritablement nette que la partie de la lettre qui est fixée (Landolt). Il semblerait
donc que l'acuité visuelle, le pouvoir de distinction de la rétine, diminue dans tous les
sens, déjà dans la fovea, à partir d'un point à peu près mathématique qui, dans le
champ visuel, constitue le point de fixation.
Le champ visuel monoculaire ressemble donc à un tableau dont les détails, à peine
ébauchés vers la périphérie, seraient de mieux en mieux indiqués à mesure qu'on
s'avance vers un point central; et ce dernier seul, ou son entourage immédiat, serait
fouillé dans ses moindres détails.
On distingue ainsi entre la vision directe, celle qui existe dans le voisinage immédiat
du point de fixation du champ visuel, et la. visio7i [indû'ede, dépendant du restant du
champ visuel. Celle-là est propre à la fovea centralis, celle-ci au restant de la rétine.
ACUITE VISUELLE. \3S
La dernière, quelque imparfaite qu'elle soit pour distinguer les détails, est loin
d'être sans importance; un individu réduit au fonctionnement de sa fovea n'aurait
qu'une vision défectueuse. Par la vision indirecte, nous apercevons que quelque chose
s'avance dans les limites du champ visuel, et cela aussi facilement qu'avec la vision
directe. Vite alors nous y dirigeons le regard, nous faisons en sorte que l'objet aperçu,
mais non reconnu, forme son ima.ge sur Isl fovea centratis, àl'efîetde le « voir)) réellement.
La ligne visuelle, ou plutôt la ligne de regard, est comme un tentacule d'une sensi-
bilité extrême que nous promenons à la surface des corps pour les explorer. Un peu
d'attention nous convaincra que nous déplaçons incessamment le regard à la surface
apparente des corps, par de petits mouvements saccadés, étudiés plus haut, et dont le
résultat est de faire tomber sur le centre physiologique de la rétine, doué de la meil-
leure acuité visuelle, successivement les images des points^les plus divers de l'objet que
nous voulons voir. Cette exploration visuelle, au moyen de l'acuité visuelle, revient
donc à associer (psychiquement) une série de vues obtenues successivement de parties
diverses du même objet.
La périphérie du champ visuel ou de la rétine sert surtout à 1' « orientation », le
centre du champ visuel, la fovea centralis sert cà « distinguer les détails » des objets. Le
champ visuel est une surface de sensibilité visuelle dont les diverses parties ont des
fonctions différentes, et que nous promenons sur les objets.
Un homme qui ne dispose que de la vision centrale — un cas qui se présente dans
certaines maladies de l'appareil visuel — peut lire les caractères les plus fins; mais il
ne remarque pas ce qui se passe autour de lui. Il ne saurait se hasarder dans une rue
un peu fréquentée sans risquer de se heurter à tout et d'être écrasé. Il serait compa-
rable à un individu se promenant en regardant à travers un long tube.
L'état opposé, c'est-à-dire l'absence de la vision centrale, avec intégrité de la péri-
phérie du champ visuel, s'observe également — dans certaines intoxications (par le
tabac, l'alcool, le sulfure de carbone, etc.). Un tel individij ne sait plus lire; il ne dis-
tingue ni les traits ni l'expression de visage de son interlocuteur; mais il s'oriente par-
faitement, évite les obstacles dans la rue la plus fréquentée, etc.
Selon toutes les apparences, c'est plus ou moins ri ce dernier genre de vision que se
réduit celle de beaucoup d'animaux, même de la plupart des mammifères domestiques
(Voir l'article Vision, physiologie comparée.)
Que c'est bien la fovea centralis qui correspond au point de fixation, que c'est bien
elle qui est douée du pouvoir de distinction le plus exquis, cela résulte notamment de
ce que, lorscfu'à l'examen ophtalmoscopique nous disons au sujet examiné de « fixer )>
la lumière réfléchie par le miroir ophtalmoscopique, nous voyous que l'image rétinienne
de cette lumière se forme dans la fovea, ou plutôt au milieu de la macula lutea. Cela
ressortira au surplus avec évidence de la vision entoptique de la rétine, comme nous
allons le développer.
On s'est naturellement demandé à quoi peut tenir cette imperfection de l'acuité
visuelle sur la périphérie de la rétine. Les images rétiniennes sont, il est vrai, un peu
plus diffuses sur la périphérie de la rétine, mais pas à un degré suffisant pour expliquer
la mauvaise acuité visuelle. Sur la périphérie rétinienne, l'image _d'un objet est aussi
un peu plus petite que dans le centre. Mais l'acuité visuelle l'est dans une proportion
infiniment plus grande. Au surplus, ces variations de l'image rétinienne ne pourraient
être invoquées pour expliquer la chute si rapide de l'acuité visuelle dans le voisinage
immédiat du point de fixation.
11 ne reste guère de doute que la cause de ces inégalités réside dans l'appareil ner-
veux optique, probablement dans la constitution de la rétine. Chez l'homme, la struc-
ture du centre physiologique de la rétine diffère sous bien des rapports de celle de la
périphérie rétinienne. La fovea centralis ne renferme, dans sa couche photesthésique,
que des cônes. Dans la macula lutea déjà, les bâtonnets commencent à surgir entre les
cônes. Plus périphériquement, deux cônes voisins sont séparés en ligne droite par
■i, 4 bâtonnets et plus. On pourrait donc soupçonner que les cônes seuls servent au
pouvoir de distinction de la rétine, et les bâtonnets seulement à la perception lumi-
neuse qui, elle, est aussi développée sur la périphérie que dans le centre rétinien (les
cônes devant servir aux deux fonctions). Cette hypothèse pourrait se prévaloir de ce
134 ACUITE VISUELLE.
que des mammifères supérieurs (lapins, etc.), dont l'acuité visuelle semble être rudi-
mentaire, ont une grande prédominance des bâtonnets dans la rétine et sont privés de
toute disposition comparable à la fovea ceniralis.
L'acuité visuelle, avons-nous dit, peut être fonction de l'indépendance fonctionnelle
des éléments rétiniens plioto-sensibles. En vue de cette question, on a notamment fait
la numération des cônes et des bâtonnets d'une part, des fibres du nerf optique d'autre
part. Salzer (1880) évalue à près de 3 millions et demi le nombre des cônes et des
bâtonnets dans la rétine humaine, et à un peu moins d'un demi-million seulement celui
des fibres du nerf optique. Krause trouve uri nombre plus considérable de fibres ner-
veuses, mais toujours de beaucoup inférieur à celui des cônes et des bâtonnets. L'indé-
pendance fonctionnelle de tous les cônes et bâtonnets serait donc chose impossible, en
admettant, comme on le fait généralement, qu'une fibre nerveuse ne peut conduire
qu'un seul et même état d'excitation vers le cerveau. Des considérations de ce genre
n'ont du reste de valeur que pour celui qui voit dans les bâtonnets aussi bien que dans
les cônes des éléments rétiniens servant au pouvoir de distinction.
Des recherches anatomiques plus directes ont jeté quelque lumière sur cette ques-
tion; Ramon y Cajal, récemment, a montré que dans la périphérie rétinienne un nombre
considérable de cônes et de bâtonnets sont reliés à une seule fibre nerveuse du nerf opti-
que, et que dans la fovea centralis chaque cône, ou à peu près, a sa fibre nerveuse à lui.
On conçoit donc que les impressions lumineuses dans la fovea soient plus isolées dans
leur transmission vers le cerveau, et cela même dans l'hypothèse d'après laquelle les
bâtonnets eux aussi serviraient à produire l'acuité visuelle.
Il était naturel de vouloir rapprocher d'une part le minimum de l'écart qui permet
encore de distinguer deux impressions rétiniennes punctiformes, c'est-à-dire le maxi-
mum de l'acuité visuelle, et d'autre part le diamètre des éléments rétiniens photo-
sensibles. En prenant pour base des calculs les constantes optiques de l'œil schématique
(distance focale postérieure, 1o millimètres; centre optique à b millimètres en arrière de
la surface cornéenne antérieure : voyez flg. 13), on trouve qu'à un angle d'une minute
correspond une étendue rétinienne de 3 à 4 micromilliraètres (0, 004 mm.), grandeur
qui, d'après M. Schultze, est sensiblement celle du diamètre d'un cône de la fovea cen-
tralis. Le maximum de l'acuité visuelle s'expliquerait donc assez bien en admettant
que les cônes sont réellement les unités physiologiques photosensibles, à condition
qu'on passe un peu cavalièrement sur l'observation, rare il est vrai, d'un angle limite
d'une demi-minute. — A ce propos, on explique aussi que les deux images rétiniennes
punctiformes, pour être perçues comme distinctes, doivent avoir au minimum un écart
d'une unité physiologique photosensible. Supposons trois de ces unités juxtaposées,
disons trois cônes, et que deux voisins soient éclairés chacun par une source lumineuse
différente. Le résultat sensoriel sera évidemment le même que si une source lumineuse
d'intensité double, punctiforme, éclairait une petite zone mitoyenne entre les deux
cônes; les cercles de diffusion, inévitables avec les imperfections connues de l'appareil
optique de l'œil, tomberont sur les deux cônes voisins : le résultat sensoriel sera le
môme que dans le cas précédent. Pour que deux impressions rétiniennes soient donc
perçues comme distinctes, il faudra qu'elles soient séparées par au moins un élément
sensible non éclairé, ou moins éclairé que les deux autres, c'est-à-dire précisément par
le diamètre d'un cône. — L'acuité visuelle réellement observée passe donc habituelle-
ment pour 'une preuve démontrant que les cônes de la rétine sont, dan.s la fovea cen-
iralis, les unités photesthésiques irréductibles; que par conséquent c'est la constitution
de la fovea qui s'oppose à ce que l'acuité visuelle n'y soit pas plus élevée.
Pourtant, si on consulte le travail cité de Leroy, on trouve que la difîusion de la
lumière dans l'œil normal rend l'image rétinienne d'un point tellement diffuse qu'elle
doit se confondre avec une voisine éloignée d'elle seulement de 3 à4 micromillimètres.
LoîiMEL et Altmann sont arrivés à des conclusions identiques. D'après eux, les seuls phé-
nomènes de diffraction sur le bord pupillaire, et ceux d'interférence qui s'en suivent,
doivent produire des cercles de diffusion tels que (pour des raisons dioptriques), les
images de deux points lumineux vus sous un angle inférieur à une demi-minute,
doivent être absolument confluentes. A cela il faut ajouter les défectuosités dioptriques
dues à l'aberration chromatique, à l'astigmatisme régulier, et surtout à l'astigma-
ACUITÉ VISUELLE. 135
tisme irrégulier de tout œil, qui augmentent encore très sensiblement l'angle visuel
limite sous lequel il est encore possible de distinguer deux points. L'angle limite
minimal d'une demi-minute réellement observé coïncide donc très sensiblement avec
l'angle limite compatible avec les diverses imperfections du système dioptrique de
l'œil. Dès lors, l'angle limite en question ne prouve rien dans la question de l'uriité
photo-sensible de la rétine, puisqu'il se peut très bien qu'il soit fonction uniquement
des conditions dioptriques de l'œil. C'est en ce sens que s'expriment catégoriquement
Leroy et Altmann.
Mais on ne possédait toujours pas de preuve démontrant positivement que, de par la
constitution de la rétine, l'acuité visuelle centrale, dans la fovea, pourrait être supé-
rieure à celle qu'on observe réellement. Cette preuve, nous croyons l'avoir tirée de cer-
tains détails de vision entoptique de la macula lutea et de la fovea centralis.
A l'article Vision entoptique, il est expliqué comme quoi, en mouvant au-devant
delà pupille (de l'œil regardant une surface uniformément éclairée), une fente ou un
trou pratiqués dans un écran opaque, on remarque contre le point de fixation une
mosaïque de petits cercles, dont chacun correspond à l'aire d'un cône de la fovea. Dans
des circonstances déterminées, on voit les petits cercles non fermés : on distingue donc
unesérie dépeints sur la circonférence de l'aire d'un cône. Le centre du cercle est clair,
la périphérie obscure; or ce cercle obscur peut être plus ou moins large : on distingue
donc aussi plusieurs points suivant le rayon du petit cercle. Nous avons ainsi évalué à
au moins 12 à 20 le nombre des points qu'on peut distinguer dans l'aire d'un cône. —
L'ombre périphérique des petits cercles doit être produite par des particularités de struc-
ture placées au contact des cônes, probablement par les grains pigmentés de l'épi-
thélium rétinien pigmenté. Elle est donc forme'e dans des conditions telles qu'elle est
bornée à des éléments rétiniens trop, petits pour qu'ils puissent être isolément éclairés (ou
ombrés) par des rayons homocentriques régulièrement réfractés par les niilieuxde l'œil.
Nous concluons donc que, si les cônes de la fovea sont les éléments photo-sensibles
de la rétine, ils ne sont cependant pas les unités photosensibles. Celles-ci sont beaucoup
plus nombreuses, et, dans certaines conditions, irréalisables dans la vision habituelle,
l'état d'excitation de ces unités peut être perçu isolément. — Il est probable que, sur la
périphérie de la rétine, l'acuité visuelle défectueuse tient à la réduction'qui s'opère dans
les voies d'innervation, depuis les cônes et les bâtonnets jusqu'au cerveau, réduction qui
s'opère déjà dans la rétine. Sur cette périphérie, étant données les conditions dioptriques
de l'œil, la netteté des images rétiniennes admettrait une acuité visuelle supérieure à
celle qu'on observe réellement.
Au contraire, dansla fovea, la constitution de la rétine admettrait une acuité visuelle
encore beaucoup supérieure au maximum observé réellement, celui d'un angle visuel
limite d'une et même d'une demi-minute, pour distinguer deux points. Ici, ce sont les
autres facteurs dont l'acuité visuelle est également fonction, et dont résulte la netteté
(les images rétiniennes, en d'autres mots ce sont les conditions dioptriques de l'œil,
<[ui mettent une limite à l'acuité visuelle.
La grande difficulté est de trouver des dispositions anatomiques rendant possible ce
grand pouvoir de distinction, postulé par nous. Pour ce qui est des cônes eux-mêmes,
peut-être pourrait-on invoquer ici le système flbrillaire (Padenapparat) décrit par Max
ScHULTZE dans les articles internes. Quant aux conducteurs vers le cerveau, on se trouve
acculé à la nécessité d'admettre, à l'enconlre d'un axiome de la physiologie générale des
nerfs, des conductions multiples et isolées par la voie d'une seule fibre nerveuse. Mais
cela ne saurait nous empêcher d'admettre des conclusions tirées d'expériences physiolo-
giques que chacun peut aisément contrôler.
En résumé donc, la diminution du pouvoir de distinction qu'on constate vers la péri-
phérie du champ visuel résulte bien d'une diminution dans le pouvoir de distinction de
la rétine; mais la limite supérieure de l'acuité visuelle dans le centre physiologique de
l'œil est une conséquence des conditions dioptriques de l'œil.
Dans la périphérie de la fovea centralis, et surtout sur la zone interne de la macula
lutea, la mosaïque entoptique est moins nette, quoique visible encore. Le pouvoir de
distinction, c'est-à-dire le nombre d'unités photesthésiques diminue-t-il déjà dans ces
limites étroites?
13(i ADAPTATION. — ADDISON (Maladie d').
Bibliographie. — On trouvera dans Helmholtz. Physiologie optique, 1867, p. 303, l'énu-
mérationdes auteurs anciens. Un ouvrage à consulter pour la bibliograpliie plus récente
estLANDOLT. Traite complet cF ophtalmologie de de WECKEaetLANDOLT, 1880, t. i,pp. 306 et 647.
— AuDERT. Physiologie der Netzhaut, 1864, 1. 1, p. 32 et p. 187. — Altmaa'n {Arch. f. Anal. u.
PhysioL, 1880, p. 111). — A. Charpentier. Nouvelles recherches sur la sensibilité rétinienne
[Arch. d'opht., mai-juin 1882). — Recherches sur la distinction de points lumineux (Ibidem,
juillet-août 1882). — Cuignet. De la vision chez le tout jeune enfant [Ann. d'Ocul.^ 1871,
p. 117). — Claude Du Bois-Keyuond. Vber die Zahl der Empfindungskreise in der Netzhuat-
(jruhe. Dissert., Berlin, 1881. — Dokders. Anomalies de la réfr. et de l'accommod. (édit.
anglaise, 1864, édit. allemande, 1866, p. 8i et lo9). — Helmholtz. PhysioL optique (édit.
française), 1867, p. 291. — Hensen [Arch. f. Anat. u. PhysioL t. xxxiv, p. 401, et t. xxxix,
p. 478). — Javal. Éludes sur la physiologie de la lecture (Ann. d'OcuL, 1878 et 1879). —
Klein. De l'influence de l'éclairage sur l'acuité visuelle, Paris, 1873. — G. J. A. Leroy. Mém^
d'optique physiol. {Arch. d'opht., 1882, pp. 22, 328, 441 ; 1883, p. 213). — Landolt. Eidopto-
mélrie,périoptométrie, pholoptométrie in Traité complet d'ophtcdm., de de Wecker et Landolt,
1880, t. I. — Des fonctions rétiniennes {Arch. d'opht., 1881, p. 193). — Nouvelles recherches
sur la physiol. des mouvem. des yeux {Ibidem, p. 383). — Lamare. Des mouvements des yeux
dans la lecture {Bull. Soc. franc, d'opht., 1892, p. 334). — Loumel {Zeitschr. f. Mathem. u.
Phys., 1889, p. 29). — Mauthner. Die opt. Fehler des Auges, 1872, p. 117. — J. P. Nuel.
De la vision entoptique de la fovea centralis {Arch. de Biol. 1884, et Ann. d'OcuL, mars-
avril, 1884). — H. SxELLEN. Lettcrproeven ter Bepaling der Gesichtsscherpte, 1''° édit.,
Utrecht, 1862. — Volkmaxn {Arch. f. Anat. u. PhysioL, 1866, p. 649). — Vrœsom de Haan
(DoNDERs). Onderzoek naar den invloed van de leftijd op de gesichsscherple. Diss., Utrecht,
1862. — ViERORDT {Arch. f. Ophthalm. 1863, fasc. 3, p. 219).
NUEL.
ADAPTATION. — Le terme « adaptation » s'applique à deux fonctions dis-
tinctes de l'œil. D'une pari, <' adaptation » est emploj'é comme synonyme d' « accommo-
dation » (voyez l'article Accommodation), d'autre part, ce terme désigne des modifi-
cations spéciales de l'œil, et surtout de la rétine, sous l'influence d'une variation de
l'éclairage objectif. A un fort éclairage, la pupille se resserre; l'éclairage de l'image
rétinienne reste assez grand pour que I'omI puisse jouir sans inconvénient des avan-
tages dioptriques d'un petit diaphragme iridien (diminution de l'aberration sphérique,
neutralisation de l'astigmatisme, etc.). — A un faible éclairage, la pupille se dilate;
les images rétiniennes deviennent plus diffuses; par contre, la clarté absolue de l'image
rétinienne augmente (Voyez les articles Iris et Pupille). L'augmentation de la vision
résultant de ce dernier chef peut compenser l'influence défavorable que le flou de l'image
rétinienne exerce sur la vision. Toutefois on n'emploie guère le terme d'adaptation
pour désigner la variation du diamètre pupil lai re produite par les variations de l'éclairage.
La rétine subit parallèlement avec les variations de l'éclairage objectif des modifi-
cations comparables à celles de la pupille, quoique imparfaitement connues dans leur
essence. Avec un même diamètre pupillaire, un œil resté quelque temps dans l'obscurité
perçoit des intensités lumineuses que ne perçoit pas un œil qui sort d'une clarté rela-
tivement forte. Dans les mômes circonstances, un œil distingue des objets sous un
éclairage iusuflisant pour un œil sortant d'une forte clarté. Le premier est « adapté »
pour ce faible éclairage, le second ne l'est pas. Inversement, ce dernier est « adapté »
pour un fort éclairage, le premier ne l'est pas; il est ébloui par la forte clarté, et, pour
distinguer les objets sous le fort éclairage, il faut qu'il « s' adapte » pour une forte
lumière, ce qui prend un certain temps. Voyez à l'article Sens de lumière pour les
détails de l'adaptation rétinienne et pour son mécanisme présumé.
NUEL.
ADDISON (Maladied'). — En 1833 Addison, dans un mémoire remar-
quable [On the constitutional and local cffects of diseuse of the suprarenal capsules), signala
les relations qui existaient entre une maladie désignée sous le nom de peau bronzée,
{bronzed shin), de cachexie bronzée, et les lésions des capsules surrénales. Vers cette épo-
que de nombieuses observations cliniques (Burbows, ÏHO.ysoN, Trodsseau, Féréol, Besnier)
ADDISON (Maladie d'). IHT
confirmèrent les conclusions du médecin anglais, et Bhown-Séquard (ISJiG), 'par des
recherches expérimentales, démontrait l'importance fonctionnelle des capsules surré-
nales. Nou3 n'avons qu'à rappeler brièvement ces faits, la physiologie des capsules sur-
rénales devant être développée à ce mot (Surrénales).
Symptômes. — La maladie d'ADoisoN est essentiellement caractérisée par deux
symptômes : Tastliénie, la pigmentation de la peau. L'asthénie est presque toujours le
premier symptôme; longtemps avant que l'on puisse constater un changement dans la
coloration des téguments, le malade accuse.une lassitude extrême; il peut encore — et c'est
là un point sur lequel nous aurons à revenir, — faire un effort d'une certaine énergie,
mais cet effort est de très courte durée, l'épuisement arrive l'apidement. En même temps,
on peut constater des douleurs occupant l'épigastre, les membres, les lombes : ces douleurs
sont du reste variables, erratiques, mal définies, souvent peuvent ne pas exister; il en est
de même des nausées et des vomissements. Du reste les troubles gastro-intestinaux, très
inconstants dans leurs effets et dans leur forme, se rattachent très souvent aux lésions
concomitantes des différents organes voisins et non aux altérations des capsules surré-
nales (grand sympathique, plexus, etc.).
L'anorexie que l'on constate presque constamment au moment de la période d'état
de la maladie, s'explique facilement, en dehors même des nausées et des vomissements,
par l'asthénie générale. A cette période en effet, la lassitude est telle, la crainte d'un
effort soutenu si grande, que le patient reste immobile dans son lit, sans faire de mou-
vements, conservant néanmoins toute son intelligence, mais restant presque volontaire-
ment dans un état de somnolence pour éviter toute contraction musculaire inutile etqu'il
redoute. La simple appréhension des aliments apparaît comme un effort réel, et il devient
difficile de faire prendre des substances solides. Et cependant la paralysie n'existe pas,
ou presque jamais (Martineao). Cette dernière observation a son importance, car elle
semble à première vue ne pouvoir concorder avec l'hypothèse soutenue par Abelous et
Langlois; nous verrons plus loin, en étudiant la pathogénie de cette affection, que cette
discordance est toute superficielle. Quant à l'amaigrissement, il est graduel, progressif;
notons également la sensibilité extrême au froid. La mélanodermie, qui a donné son
nom à la maladie et qui a surtout attiré l'attention des premiers observateurs, n'est
après tout qu'un symptôme, sinon secondaire, au moins beaucoup moins important que
l'asthénie. Elle peut du reste manquer totalement, et, en tout cas, elle ne se constate
généralement qu'à un certain stade de la maladie, alors que la lassitude est déjà mani-
feste; il y a toutefois des exceptions, et, dans quelques cas, la pigmentation des muqueuses
a été le premier symptôme observé. Cette pigmentation peut être généralisée ou par-
tielle, et ce dernier cas est le plus fréquent; la peau prend alors une teinte d'abord gris
sale, puis sépia. Les régions du cou, du mamelon et du scrotum sont des sièges d'élec-
tion pour les téguments cutanés, la muqueuse de la région sublinguale, près du frein de la
langue, est encore très souvent prise; nous avons presque constamment observé des
taches pigmentées de ce point chez les addisoniens que nous avons pu étudier. Toutes
les ^causes d'irritation favorisent la pigmentation au point indiqué, les traces de vési-
catoires et de pointes de feu, notamment, sont remarquables par leur coloration bru-
nâtre, et le fait peut s'observer fréquemment, ces malades ayant presque toujours été sou-
mis à des traitements révulsifs, soit pour les douleurs lombaires, soit pour des lésions
pulmonaires. On a signalé également la pigmentation de la conjonctive, des cheveux dont
la nuance normale est accentuée vers le noir, des ongles (Corvan), des dents (?) (Grosnier).
Pronostic. — La marche de la maladie d'ADDiso,\ varie de un à cinq ans, quelquefois
on observe des temps d'arrêt dans le développement des symptômes, mais la mort est
toujours fatale, il faut ajouter qu'aux symptômes décrits viennent presque toujours s'a-
jouter ceux des affections concomitantes, dont la maladie d'AnDisoN n'est le plus sou-
vent qu'un épiphénomène : tuberculose, pulmonaire ou autre, cancer plus ou moins
généralisé.
Diagnostic. — Dans la période de début, il est souvent difficile de reconnaître cette
affection; à cette époque en effet la mélanodermie n'existe pas encore, les douleurs lom-
baires ou épigastriques peuvent être attribuées à d'autres causes pathologiques. Quïintà la
lassitude, elle constitue un symptôme bien obscur et que l'on peut expliquer par un
affaiblissement général dû aux autres lésions dont sont souvent porteurs les sujets.
138
ADDISON (Wiaiadie d').
notamment la tuberculose pulmonaire. La pigmentation elle-même, quand elle com-
mence, est souvent un indice insuffisant: les phtisiques ont fréquemment une coloration
assez intense de la peau (Boochut); les paludéens, à la période cachexique, sont souvent
atteints de mélaiié-
mie cutanée (il est
vrai que, dans ce cas,
les muqueuses res-
tentindenines(CHAR-
cot); la mélanoder-
mie due à des pa-
rasites [m. phtiriasi-
que) est plus superfi-
cielle, épidermique ;
elle siège presque
toujours sur le tronc
et enfin elle cède à
un traitement dirigé
contre la cause pa-
rasitaire. Oii le dia-
gnostic est encore
plus difficile, c'est
dans le diabète
bronzé (Haîs'OT,
Chauffard, Letulle,
etc.); danslacirrhose
hypertrophique pig-
mentaire, la colora-
tion est identique,
toutefois ici encore
les muqueuses ne
sont pas attteintes.
Mais l'état général
est presque identi-
que à celui desaddi-
soniens vrais. L'ana-
lyse de l'urine peut
donner des indica-
tions utiles.
Un procédé de
diagnostic que nous
avons proposé con-
siste dans l'examen
du malade à l'ergo-
graphe de Mosso.
Ce qui caracté-
rise essentiellement
l'addisonien est
moins la perte d'é-
nergie musculaire à
déployer dans un
effort unique que la
" disparition plus ou
moins complète de la résistance à la fatigue. Si l'on soumet dans les mêmes conditions
un addisonien et un autre malade présentant un e'tal général comparable, tous deux
tuberculeux au même degré par exemple, à l'exâmea ergographique on voit que la
courbe de la fatigue des deux sujets est bien différente. Alors que le tuberculeux
simple peut exercer un travail soutenu (soulever un poids de un kilo toutes les 2 secondes)
ADDISON (Maladie d').
■i;vj
pendant un certain temps, l'addisonien, qui au début aura soulevé le même poids à la
même hauteur, sera vite épuisé; sa courbe indique une chute rapide. Nous avons pu
recueillir ainsi une série de tracés des plus démonstratifs (Abelous, Chabrin et La?;glois.
La fatigue chez les addisoniens. A. P., 4892, p. 721).
On voit dans ces tracés qu'avec un poids de 1 kilo, au bout d'une minute qua-
rante secondes, l'addisonien s'arrête épuisé après avoir fourni un travail de 750 gram-
mètres, alors qu'un tuberculeux a produit dans la même espace de temps 1115 gram-
mètres sans subir le même épuisement. Avec un poids de 2 kilogs, le travail est pour
ainsi dire nul chez l'addisonien, l'impuissance se produisant après quelques contractions.
Pathogénie. — La pathogénie de la maladie d'ADDisoN est encore fort obscure, les
divergences de vues tiennent, sans nul doute, à l'erreur faite par les observateurs de
vouloir réunir sous
une même étiologie
des affections de cau-
ses difîérentes.
Deux théories ont
été émises : la théorie
nerveuse et la tliéorie
glandulaire.
Dans son premier
mémoire, Addison,
après avoir énuméré
l'ensemble des symp-
tômes de la maladie qui
porte aujourd'hui sou
nom, concluait que,
lorsque tous ces symp-
tômes étaient réunis,
il y avait tout lieu de
supposer une affection
maligne et incurable
des capsules : mais,
après trois ans d'ob-
servations plus atten-
tives, et multipliées, il
est moins afflrmatif.
« Tout en pensant que,
dans certains cas, il est impossible de ne pas considérer les altérations de ces couleurs
subies par le malade comme le résultat de la lésion des capsules, et probablement de
cette lésion seulement; nous savons toutefois que ces organes sont très voisins du plexus
solaire et des ganglions semi-lunaires et sont même en contact avec ces parties qui leur
envoient un grand nombre de nerfs; qui peut dire quelle influence le contact de ces
organes malades peut avoir sur ces grands centres nerveux et quelle part ces effets
secondaires peuvent prendre dans la production de troubles de la santé générale et
des autres symptômes observés? »
La théorie nerveuse, que nous étudierons tout d'abord, a trouvé dans Jaccoud un
habile défenseur '. Avant lui, et après Addison qui, ainsi que nous le disions plus
haut, signalait l'influence possible des altérations du système sympathique, Haber-
SHON, Barlow, Schmidt, Mattei, Martlxeau attribuaient aux lésions des plexus solaires
et des ganglions semi-lunaires les troubles nerveux observés. Après Jaccoud, cette
opinion est encore partagée par Greenhow, JanGEiNs, von Kahlden, LA^'CEREAux, Raymond,
Brault. Ces auteurs allèguent, d'une part l'altération des capsules surrénales sans que,
pendant la vie, le sujet présente aucun des symptômes attribués à la maladie d'Addison,
et de l'autre l'intégrité des capsules chez des sujets déclarés addisoniens avant l'autopsie.
Alezais et Arnaut, dans un mémoire très complet, ont montré que si dans presque
Fio. 18. —Tracé
'gographique avec 2 kilogrî
que pour la figure précède
nés. Mê
ndicati<
1. Jaccoud. Sur les maladies IrromJes [Gaz. méd., 1S64)
HO ADDISON (Maladie d').
tous les cas de maladie d'AonisoN, les capsules surrénales sont atteintes de tuberculose,
la réciproque n'est pas vraie, dans la moitié des faits connus de tuberculose capsulaire
la maladie d'ÂDDxsoN fait défaut, et il y a tout lieu de supposer que bieu souvent les
lésions de ces organes passent inaperçues quand l'attention n'a pas été attirée sur elles
par l'observation de quelques symptômes pendant la vie.
Jaccoud défendait la théorie en s'appuyant sur trois ordres de faits : les symptômes
observés, les lésions reconnues post mortem, la structure des capsules surrénales.
Dans les symptômes observés, en éliminant tout d'abord la mélanodermie, les
troubles nerveux sont de deux sortes, l'asthénie croissante, les troubles gastriques ou
nerveux. Jaccocd en notant ces symptômes ajoute :
« Qu'on songe maintenant que, dans les cas simples, ces symptômes se développent
et progressent en l'absence de toute lésion viscérale importante, sans anémie, sans albu-
minurie, sans hémorrhagie, sans diarrhée, et l'on y verra sans doute le résultat direct
et immédiat d'une perturbation du système nerveux. » Nous verrons plus loin que ces
troubles asthéniques ne peuvent être évoqués comme arguments favorables à la théorie
nerveuse et que la théorie capsulaire trouve dans la description même de l'asthénie
addisonienne, si magistralement décrite par Jaccoud, un argument majeur.
Les vomissements, les douleurs épigastriques et lombaires sont certainement en
faveur de lésions nerveuses; il est facile d'admettre que chez les individus atteints de
maladies bronzées, le voisinage des appareils nerveux du grand sympathique explique
les troubles moteurs ou sensitifs observés. Quant à la structure de la glande, elle ne per-
met d'émettre aucune opinion exclusive. S'il est vrai que les capsules surrénales reçoi-
vent un grand nombre de filets nerveux du système sympathique, ainsi que l'ont
montré les reclierclies de Nagel, de Bergmann, de Kolliker, de Henle, qu'il existe dans la
couche corticale des cellules ganglionnaires pouvant constituer des centres réflexes :
Mœrs, Jœsten', HoLit ; s'il est vrai encore que l'excitation des capsules surrénales par des
courants électriques tend à inhiber les mouvements des intestins et à retarder l'excré-
tion rénale, ainsi que le montrent les recherches de Jacobj', il faut admettre d'autre
part que les corps surrénaux ont en eux-mêmes une structure iiettement glandulaire, et
que la disposition même de l'appareil circulatoire, presque lacunaire et sans paroi
propre (Pfaundler), tend à prouver que ces appareils sont destinés à jouer un rôle glan-
dulaire très précis-.
Le grand argument de la théorie nerveuse réside, il nous semble, dans ces faits
que les symptômes de la maladie bronzée étaient notés sur des individus porteurs de
capsules surrénales en apparence intactes. Tels, pour ne citer que les castes plus récents,
ceux de Raymond et de Bradlt, rapportés dans la thèse de Gu.\y.
Dans le premier cas, Jeanne D..., âgée de 27 ans, après avoir présenté les syndromes
classiques des addisoniens : douleurs épigastriques, lassitude extrême, mélanodermie,
amaigrissement, gêne respiratoire, cachexie progressive, tombe dans le coma et meurt.
A l'autopsie, on trouve un état lymphadénomateux généralisé, une sclérose du plexus
solaire englobé dans les masses ganglionnaires.
La plupart des cellules nerveuses sont atrophiées et réduites à un amas pigmenté, les cap-
sules surrénales ne présentaient comme lésion qu'une dilatation irrégulière des capillaires.
Le cas de Brault est à peu prés analogue : amaigrissement, apathie profonde, asthé-
nie, mélanodermie étendue à presque tout le tégument, enfin difficulté respiratoire et
mort dans un état d'amaigrissement profond.
A l'autopsie, en outre des lésions pulmonaires doubles, on trouve dans le ganglion
semi-lunaire droit une masse caséeuse renfermant une grande quantité de bacilles tuber-
culeux, toutefois M. Brault ne peut se prononcer sur le degré de la lésion dont il est
atteint, ni sur les dégénérescences des filets nerveux en communication avec ce ganglion.
Les capsules étaient intactes. Alezais et Arnaud déduisent de l'ensemble des observations
recueillies par eux, que la destruction des capsules surrénales ne pouvait à elle seule
déterminer la maladie bronzée. La région centrale peut être atteinte, sans que la mélano-
1. Jacobj. Die Beziehung der Nebenniere zu den Darmbewegungen lArch. f. exp. Pathol. und
Pkarm., 1891, p. 190).
2. Pfaundler. Zur Anatom. der Nebenniere (Sitzungsb. derK. Akad. der Wissench. Vienne,
1892, f. 3, p. mS).
ADDISON (Maladie d'). Ul
deniiie apparaisse, mais, d'après eux, l'altération des ganglions nerveux sympathiques
compris dans l'enveloppe fibreuse des capsules surrénales serait seule en cause.
Dans une de leurs observations (Obs. III), le malade avait présenté tout le syndrome
classique, et la capsule surrénale gauche était intacte, mais on constatait une infiltration
tuberculeuse du tissu vasculo-nerveux vers le tiers postérieur cortical, le plexus solaire
et les gros ganglions sympathiques n'étant pas altérés.
La question de la pigmentation est encore un sujet de controverse. On peut réunir
sous deux groupes les théories proposées : 1° Origine glandulaire : Brown-Séquard, Tes-
TELiN, DucLOs. Les capsules suiTénales ont pour fonction de détruire des matières pignien-
taires qui se produisent constamment dans l'organisme. Après la destruction de ces orga-
nes, le sang se charge de ces pigments, les dépose en des points divers sous les téguments.
On objecte à cette opinion l'impossibilité observée jusqu'ici de déterminer expérimen-
talement la mélanodermie par la destruction des capsules surrénales. Si quelques auteurs
ont signalé, en effet, des pigmentations, les cas sont bien isolés et n'ont pu être reproduits.
D'autre part, Rokitansky a recueilli plus de 100 cas, dans lesquels les deux capsules
étaient détruites par un processus pathologique avec un seul exemple de maladie bronzée.
La>'dois cite 33 altérations complètes des deux capsules, sans avoir observé de coloration;
Mallei, 16; BuHL, 10, etc.
2° Le pigment vient du sang, mais il se fixe en des points donnés par suite de la
perturbation fonctionnelle du sympathique. D'après l'opinion de Raymond {A. P. 1892)
la pigmentation dans la maladie d'ADuisoN est le résultat d'une perturbation apportée
dans la formation chromatique par une irritation du sympathique abdominal, laquelle re-
tentit par voie réflexe sur les centres nerveux disposés à la régulation de cette fonction.
Théorie glandulaire ou de l'intoxicalion addisonienne. — Les recherches de Bhown-
Séquabd, postérieures seulement de quelques mois au mémoire d'ADDisoK, sont em-
preintes de l'idée qui régnait alors : prédominance des troubles me'lanodermiques dans
la maladie bronzée. Aussi, tout en n'ayant pu constater chez les animaux privés de cap-
sules surrénales la pigmentation cutanée, avait-il déjà signalé dans le sang de nom-
breuses granulations pigmentaires. Mais ce qui ressortait surtout de ses recherches,
c'est l'importance fonctionnelle des capsules surrénales, dont le rôle avait jusqu'alors
échappé aux physiologistes.
La mort, écrivait-il, à la suite de l'ablation de ces organes est précédée d'un affaiblis-
sement graduel allant jusqu'à la paralysie des membres postérieurs, puis des antérieurs,
enfin des muscles respiratoires. Parmi les troubles observés, on note encore de l'ano-
rexie, l'arrêt de la digestion, assez souvent du délire, des convulsions tétaniformes et
épileptiformes, enfin un abaissement graduel de la température. Il constate encore — et
c'est là le point essentiel de son travail, point qui, par suite d'une erreur d'interpréta-
tion, a été négligé, et négligé par lui-même, — que le sang des animaux privés de
capsules surrénales est toxique Ipour un animal récemment opéré, tandis que la trans-
fusion du sang d'un animal sain à un animal à l'agonie peut le rappeler à la vie.
Aussi conclut-il que la destruction des glandes surrénales est suivie de l'accumulation
dans le sang d'une substance toxique douée de la propriété de se transformer en
pigment. Nous verrons plus loin combien ces vues devaient être confirmées, en j^artie
du moins, et il est curieux de signaler que longtemps après, Brown-Séquard, entraîné
par ses idées sur les phe'nomènes d'inhibition, semblait abandonner cette conception de
l'auto-intoxication pour faire intervenir des phénomènes inhibiteurs. Mais il revenait
ensuite à son opinion primitive. Il n'y a nulle contradiction d'ailleurs à évoquer des
phénomènes d'inhibition, après lésions des capsules, étant donné leurs connexions ner-
veuses, tout en soutenant leur rôle important comme glande à sécrétions internes.
Depuis 1833 les recherches sur les capsules surrénales ont été nombreuses. Les con-
clusions de Brown-Séquard ont été vivement attaquées.
Phiuppeaux, Gratiolet, Harley, Berutti, Martin-Magron, contestèrent le rôle essen-
tiel des capsules surrénales, soutenant, contrairement à Brown-Séqdard, que leur destruc-
tion n'entraine pas nécessairement la mort.
TizzoNi, dans de nombreuses recherches poursuivies de 1884 à 1889, admet également
la possibilité de la survie, après la destruction des deux capsules; mais il signale en même
temps la possibilité de la régénération de ces organes, quand ils ne sont pas totale-
U!2 ADDISON (Maladie d').
ment détruits. Il signale enfin des troubles médullaires tardifs consécutifs à la destruc-
tion d'une capsule.
Stihling montre que, dans un certain nombre de cas, la survie, après destruction suc-
cessive des deux capsules, s'explique par la présence de capsules accessoires.
Alezais et Arnaud attribuent la mort à des dégénérations ascendantes gagnant la
moelle par la voie des splanchniques.
En 1891, parurent les premières reclierclies d'ABELOUS et Langlois ; nous n'insisterons
pas sur ces travaux que l'on trouvera développés à l'article Capsules surrénales.
Abelous et Langlois ayant constaté que les grenouilles succombaient d'autant plus
rapidement que les animaux étaient plus agiles, plus actifs, résumèrent leur conclusion
ainsi :
Les capsules surrénales ont pour fonction de neutraliser ou de détruire des substances toxi-
ques élaborées au cours des échanges chimiques et spécialement au cours du travail des muscles.
M. Albanèse confirmait cette manière devoir, en montrant que les animaux acapsulés
ne pouvaient supporter la^faligue '.
Les courbes de la fatigue étudiées par Adelous^ sur les animaux privés de capsules
sont caractéristiques. Elles montrent que chez ces animaux la résistance à la fatigue
disparait rapidement et que cette résistance est encore réduite si l'on injecte à ces ani-
maux de l'extrait alcoolique de muscles de grenouille normale tétanisée ou de muscles de
grenouille aeapsulée.
Cette auto-intoxication due à des produits développés pendant le travail musculaire
parait être le fait essentiel dans le syndrome des animaux privés de capsules surrénales.
Mais quelle est cette substance"? Les physiologistes italiens Albanèse^, F. et S. Mariino
■Zucco* pensent qu'il s'agit de la névrine, ils ont vu en effet que les grenouilles acapsulées
étaient rapidement intoxiquées par cette substance, alors qu'il fallait des doses beaucoup
plus considérables pour les grenouilles normales. On trouve d'autre part laneurine dans
les urines des addisoniens (Mahino Zucco).
>fous n'avons pas parlé de pigmentation; les recherches de laboratoires sont généra-
lementinfructueuses à ce sujet. Les auteurs en elîet n'ont presque jamais noté de pigmen-
tation, à la suite de la destruction des capsule? surrénales.
Marino-Zocco" aj^ant inoculé dans l'intérieur des capsules surrénales des lapins une
culture de la pseudo-tuberculose de PpEiFrERa vu se développer sur la peau des taches de
couleur ardoisée qui grandirent à vue d'œil jusqu'à recouvrir tout le corps.
Ces résultats si intéressants mériteraient d'être confirmés. M. Langlois poursuit actuel-
lementdes recherches dans le même sens en injectçint dansia capsule surrénale de lapins
et de rats des cultures dn Sli'eplococcus pyogenes aureus.Ce procédé de destruction de l'or-
■ gane par infection microbienne pourrait conduire à des déductions physio-pathologiques
fort importantes, car il nous mettrait dans les condjtions ordinaires des lésions que nous
■ observons chez les malades : déjà Charri.n et Carnqt^ ont réussi à provoquer le diabète
. pancréatique avec tous ses symptômes cliniques, polyurie, polydipsie, glycosurie, amaigris-
sement, en injectant dans le conduit pancréatique des cijltui'es diluées de bacille pyocyanique.
Les capsules surrénales ont un rôle considérablq, un rôle de protection de l'orga-
nisme contre ses propres produits. C'est encore ce qu'ont montré d'une façon générale
les recherches de Charrin et de Langlois '. Dans le cours des maladies infectieuses, les
capsules sont congestionnées, souvent he'morrhagiéçs. Les cellules centrales sont granu-
leuses. Les capsules ont essayé de former une barrière contre les toxines.
En tuant des chiens avec le toluylène-diamine, Pilliet avait noté des troubles analogues.
Enfin in-vitro, le tissu capsulaire se montre vis-à-vis de la nicotine aussi actif que le
i. Albanèse. La fatigue chez les animaux prives de capsules surrénales {Arch. italiennes de Bio-
logie, avril 1892).
2. Abelous. Des rapports de la fatigue avec les fonctioiis surre:nales {A. P., octobre 1893).
3. Albanèse. Sur les fonctions des capsules surre'nales (Arch. italiennes de biologie, sept. 1892).
4. F. et S. Marino Zucco. Riforma Medica, t. i, 1892.
5. Marino Zucco. Riforma Medica, t. i, 1892.
6. CiiARRiN et Carnot. Injections pancréatiques ascetidpnles expérimentales (B.B., 26 mai 1894).
1. Langlols et CiiARRix. Lésions des capsules sur?-énales dans l'infection [B. B., i août 1893).
L'action antitoxique du tissu des capsules surrénales [B. B., mai 1894).
ADDISON (Maladie d'). U3
foie. Pour le foie, les expériences de Schiff, de Heger, de Roger, avaient monlré que
cet organe mis en contact avec des solutions de nicotine détermine une diminution du
pouvoir toxique de cette solution ainsi traitée.
Or cette propriété, dont le mécanisme intime est loin d'être démontré, n'est pas pro-
pre au foie, mais elle est identique pour les glandes surrénales, et il est permis de sup-
poser qu'il en est de même des tissus des glandes à sécrétions internes. Leurs cellules
possèdent, tout au moins, une activité fixatrice importante.
Si nous nous sommes étendus un peu longuement sur les recherches physiologiques
poursuivies dans ces dernières années sur les fonctions des capsules surrénales, c'est
qu'il est facile d'en extraire toute une pathogénie nouvelle, non pas exclusive, mais tout
au moins applicable à quelques-uns des cas observés.
Abelous et Langlois qui ont poursuivi ces recherches n'ont jamais eu l'intention, ainsi
que leur attribue bien à la légère M. Guay ', de considérer les capsules surrénales comme des
organes exclusivement vasculaires ; ils tendraient même en s'appuyant sur l'histologie, l'em-
bryologie et même sur quelques recherches expérimentales (Tizzoni-Jacoby) à se ranger à
l'opinion de Kolliker qui attribue à ces organes un double rôle: nerveux et glandulaire.
Si nous éliminions la pigmentation, que jusqu'ici les physiologistes n'ont pu repro-
duire en dehors du cas de Marino Zucco, ce qui domine le syndrome clinique, c'est l'as-
thénie. Nous avons dit plus haut que cette asthénie constituait pour Jaccodd un des faits
en faveur de la théorie nerveuse. Elle parait au contraire correspondre rigoureusement
à la théorie glandulaire telle qu'elle est conçue par Aiîelous et Langlois.
Les capsules surrénales, quand elles sont atteintes dans leurs fonctions anlitoxiques,ne
détruisant plus ou détruisant moins de musculo-toxines (ce terme étant pris dans son
sens générique), il se produit une curarisation plus ou moins prononcée de l'individu.
L'objection qu'asthénie n'est nullement synonyme de paralysie^ ne nous parait pas
juste. Chez les animaux en expériences, il ne s'agit pas en effet de paralysie au début,
mais d'une grande faiblesse, et enfin d'une susceptibilité très grande à la fatigue. Nous
avons signalé à propos du diagnostic l'importance de l'examen ergographique chez les
addisoniens.
Si les glandes surrénales exercent nue action antitoxique, détruisent des poisons for-
més par l'organisme, il était tout indiqué de rechercher quelle influence pouvaient exer-
cer soit les injections de liquide extrait des capsules surrénales, soitla greffe de ces glandes.
Les expériences poursuivies sur le corps thyroïde avaient montré qu'on pouvait pro-
longer la survie des animaux après l'ablation du corps thyroïde par des injections intra-
veineuses d'extrait aqueux de cette glande (Vassale, Gley •').
Abelous et Langlois ont obtenu en injectant de l'extrait de capsules une prolongation
de survie, et, chez les cobayes opérés, ils ont vu, sous l'influence de l'injection, les
convulsions diminuer, la vie se prolonger. Brown-Séquard obtint des résultats meilleurs
encore, mais sans pouvoir prolonger beaucoup plus longtemps la vie des opérés.
L'extrait alcoolique de capsules surrénales a donné récemment à Abelous des résultats
véritablement intéressants et qui appellent l'attention. L'injection de 3 centimètres cubes
de la solution dans l'eau salée (10 centimètres cubes) de l'extrait alcoolique de deux cap-
sules surrénales de chien, à des grenouilles acapsulées récemment a déterminé une sur-
vie de plus de douze jours *. On conçoit combien il serait préférable à tous égards d'em-
ployer un extrait alcoolique forcément aseptique aux extraits aqueux ou même glycérines
toujours plus prompts à s'altérer.
Les injections sous-cutanées du liquide capsulaire, en admettant qu'elles peuvent sup-
pléer à la fonction présente de l'organe lésé ou détruit, n'exercent qu'une action passa-
gère. L'idéal serait donc de rétablir la fonction elle-même, de greifer un organe sain,
capable, après avoir établi ses communications vasculaires, de continuer à fournir à l'or-
ganisme le facteur chimique qui joue le rôle tutélaire dans la défense de l'organisme
contre le poison curarisant.
1. Guay. Essai sur la patlioge'nie de la maladie d'Addison {D. P., 1893, p. 91).
2. Brault. Traité de médecine Charcot-Bouchard. Maladie d'Addison, t. v, p. 892.
3. Vassale {Rivista sperimentale di frenialria, 1891, p. 439). — Qimy. Recherches sur les fonc-
tions de la (/lande thyroïde {A. P., 1892, p. 25).
4. Abelous. Des rapports de la fatigue avec les fonctions surrénales, note additionnelle, p. 278,
U4 ADDISON (Maladie d').
Abelous' a réussi à greffer la capsule surrénale chez la grenouille dans la région iléo-
coccygienne.
Si, après avoir pratiqué cette greffe, ou détruit au bout d'une vingtaine de jours les
deux capsules surrénales, la grenouille résiste à cette opération. — Si on détruit
ensuite la greffe, les grenouilles, qui avaient jusque là résisté, meurent avec les symp-
tômes de la paralysie décrite par Abeloos et LA>'GLOts.
Il reste évidemment à pratiquer celte opération chez des animaux supérieurs. Les
expérieuces tentées jusqu'ici par Langlois sur les chiens n'ont pas réussi; la coque fibro-
celluleuse qui protège la capsule empêche en effet la vascularisalion superficielle. On peut
espérer cependant que, grâce aux dispositions anatomiques que présentent certains ani-
maux, cette grelïe pourra être tentée.
Voici une tentative de greffe qu'il est curieux de signaler, au moins pour mémoire.
Observation de M. Bébard, interne du service de M. Augagnedb- :
Enfant de 14 ans. — Coxalgie antérieure et synovite de la gaine des extenseurs. Simul-
tanément il s'était produit une pigmentation de tous les téguments. M. Augagxel'r a
pratiqué chez le malade des greffes de capsules surrénales de chien. Celles-ci ont été insé-
rées dans le tissu cellulaire sous-cutané de l'abdomen. La mort est survenue le troisième
jour; elle fut précédée de fièvre et de coma. A l'autopsie on a trouvé un semis de granu-
lations très récentes sur tous les organes abdominaux et sur la face inférieure du dia-
phragme. La capsule surrénale droite présente un point caséeux, la capsule gauche est
entièrement case'euse, quelques tubercules au sommet des poumons.
La théorie glandulaire nous paraît s'appuyer sur des expériences physiologiques fort
importantes, et Chauffard, à la suite des deux observations citées par lui, attire l'atten-
tion sur cette intoxication addisonienne si bien mise en lumière par la physiologie.
Est-ce à dire cependant que cette théorie doit être exclusive, que tout addisonien
est comparable aux animaux opérés"? Évidemment non. Les nombreuses observations in-
déniables de sujets atteints de la maladie bronzée et qui n'avaient aucune altération
apparente des capsules surrénales ne permettent pas d'admettre cette théorie exclu-
sive, et la physiologie s'associe à la clinique pour dire que dans cette affection, comme dans
beaucoup d'autres, le système nerveux, lésé ou non d'une façon apparente, intervient, soit
sous l'influence d'une excitation d'origine toxique, soit par lésion irritative réelle des
filets ou des ganglions du sympathique.
Traitement. — Nous exposerons le traitement rationnel de l'intoxication addisonienne.
Il faut viser trois points essentiels :
1° Diminuer la formation des rausculo-toxines;
2° Favoriser l'élimination de ces toxines curarisantes;
3" Chercher à suppléer à l'insuffisance de la fonction surrénale.
Pour diminue)' la formation des toxines, il n'existe qu'une méthode : le repos aussi
complet que possible. Les observations de Chauffard, de Langlois, démontrent nettement
l'influence nocive de la fatigue musculaire.
On ne peut, cepemlant, songer au repos absolu. Il existe même souvent, outre les
impossibilités sociales, des indications formelles provenant des autres lésions que présen-
tent habituellement les malades : tuberculose pulmonaire, hépatique, etc. Ce qu'il faut
éviter principalement, ce sont les efl'orts prolongés, continus, favorisant l'accumulation
dans l'organisme des produits de décomposition.
Favoriser l'élimination des toxines. I^es indications générales qui découlent des
données acquises désormais grâce aux travaux de Bodch.ard sur les auto-intoxications
trouvent ici leur place.
Assurer l'intégrité des fonctions de la peau par des bains alcalins, des frictions sèches
au gant de crin. Favoriser l'excrétion cutanée par des bains de vapeur quand l'état du
malade le permet, mais sur ce point être des plus prudents: la sudation étant souvent moins
éliminative des nuisances, pour employer le terme des hygiénistes anglais, que la sécrétion
rénale. C'est surtout le rein en effet qu'il faut compter comme puissant éliminateur. Nous
avons vu que Marixo Zucco a trouvé dans les urines des addisoniens de la neurine,
1. Abelous. Greffe des capsules surrénales ;B. B., 1893).
2. Société des sciences médicales de Lyon, 28 déc. 1S91 ^Mercredi médical, 1892, p. 23).
ADDITION. lio
précisément l'agent toxique suspect. Bien que la toxicité des urines u'ait pas encore
été sé^'ieusement étudiée, quelques expériences inédites de Langlqis font supposer que
le coefficient uro-toxique est augmenté.
Le lait sera recommandé à haute dose, sans aller toutefois, à moins d'indications
formelles, jusqu'au régime lacté absolu, régime difficile à appliquer d'ailleurs étant donné
l'état anorexique. On peut, dans le cas de refus du lait, donner du lactose] (40 grammes
au moins par litre).
Pour activer la fonction éliminatrice du rein, on peut emplo3'er la théobromine à la
dose de un à deux grammes par jour pendant 4 à o jours, suivi d'un repos de quelques
jours. Le régime lacté mixte avec la théobromine, permet d'obtenir une diurèse de
4 litres, c'est un véritable lavage de l'organisjue. La caféine a été préconisée; elle paraît
ne pas donner d'excellents effets; il faut songer, en effet, qu'en augmentant le tonus des
muscles, elle favorise dans une certaine mesure la production des toxines. Inutile d'in-
sister sur la nécessité d'assurer les évacuations intestinales fréquentes.
SuppUer à l'insuffisance de la fonction surrénale.
Nous ne connaissons pas encore par quel mécanisme les capsules surrénales annihi-
lent les substances toxiques produites dans le cours des échanges chimiques, et il y a
tout lieu de supposer cependant que c'est par un processus d'oxydation. Abelous a
montré en effet que le résidu de l'extrait alcoolique des muscles de grenouilles aoapsulées
ou tétanisées renferment des substances réductives (réduction du lerricyanure de potas-
sium) et que si on les oxyde par le permanganate de potasse, leur toxicité est diminuée.
Il parait donc utile de déterminer dans l'organisme des oxydations énergiques; les
inhalations d'oxygène, d'air sous pression, trouvent ici leur indication ainsi que la médi-
cation alcaline.
Enfin l'injection d'extrait des capsules surrénales est nettement indiquée. Les obser-
vations faites jusqu'ici n'ont pas donné des résultais bien démonstratifs, mais il faut
songer que, chez les malades hospitalisés, les lésions pulmonaires ou hépatiques sont
telles, l'état cachexique si avancé, qu'il est impossible de remonter de tels individus.
Dans la clientèle, où il est possible d'attaquer plus facilement à son début l'affection, on
peut songera pallier les désordres dus à l'altération des capsules et peut-être (?) à per-
mettre le développement des capsules accessoires ou supplémentaires ou même la régé-
nération de la glande, conception admissible, au moins étant donné les observations de
ïizzoNi sur les animaux. Quoi qu'il en soit, on peut sans aucun inconvénient tenter ce
traitement. La formule suivante est indiquée par Langlqis'.
Capsules surrénales de Cobaye 0 gr, SO
Eau bouillie 10 gr.
Chlorure de sodium ) . , „ „-,
o ,f » j j ! aa 0 o'r. 07
Sulfate de soude ) °
Triturez et laissez macérer 24 heures, puis filtrez sur ouate stérilisée, i à '■'} centimètres cubes
chez les addisoniens asthéniques.
La formule de d'Arsonval est la suivante :
Tissu (capsules surrénales) 10 grammes.
Diviser en fragments et laisser macérer 24 heiu'es dans
glycérine à 30° 10 —
On ajoute eau à 25 gr. par litre de NaCl 5 —
Laissez macérer une demi-heure, filtrez sur papier et stérilisez au moyen de l'acide
carbonique sous pression. Pour les injections sous-cutanées, diluez le liquide d'une quan-
tité égale d'eau bouillie, 3 à 8 centimètres cubes comme tonique général neurasthénique.
L'extrait alcoolique de capsule surrénale n'a pas encore été employé sur l'honime; les
récentes expériences d'ABELOus citées plus haut permettent de penser qu'il serai! utilisé
avec avantage.
P. LANGLOIS.
ADDITION. — Helmholtz, en étudiant le premier, à l'aide du myographe, la
forme de la contraction des muscles de la grenouille, a appelé addition le phénomène
de la superposition de deux secousses musculaires (1834).
1. M.vuRAXGK et CA>ic\i.ox. Formulaire de l'hijpodermie, p. 14. ■
DICÏ. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 10
1 Ui
ADDITION.
Soit une secousse musculaire provoquée par l'électricité; ejle comprend, comme on
sait, trois périodes : une période d'excitation latente, une période d'ascension, et une
période de descente. Supposons la première excitation suivie d'une seconde exci-
tation, égale en intensité à la première : la l'orme de la secousse sera variable seloii le
moment de cette seconde excitation par rapport à la première. Si la seconde excitation
a lieu pendant la période de descente, l'ensemble de la contraction musculaire sera
19. — Périodi
aVxcitabilité croissante et décroissante. Muscle de l'Ecrevisse.
P^xcitations rythmiques, d'intensité égale.
A. dixième secousse, maximum.
caractérisé par une courbe avec deux descentes et deux ascensions. Si le même rythme
continue, avec une troisième, une quatrième excitation, etc., le tétanos obtenu sera un
tétanos incomplet, avec dissociation imparfaite des secousses simples.
Si la seconde excitation vient frapper le muscle pendant la période d'ascension due
à la première excitation, alors il n'y aura plus de dissociation des deux secousses,
mais une addition ou une fusion, c'est-à-dire que les deux secousses vont s'ajouter l'une
à l'autre, de manière à n'en plus former
qu'une seule, et, à supposer que les excita-
tions continuent avec le même rythme, le
tétanos obtenu sera un tétanos complet avec
fusion totale de toutes les excitations, qui,
discontinues en réalité, se traduiront dans
le muscle par une contraction continue, non
interrompue ; car le muscle, par son élasti-
cité et son inertie, réagit avec plus de len-
teur que l'appareil électrique qui l'excite.
Voilà comment les choses , se passent
quand il y a variation du rythme, et les
figures données par tous les auteurs qui se
sont occupés de myographie sont, à cet
égard, parfaitement explicites (Voy. Myo-
graphe) ; le phénomène étant plus facile à
comprendre par les graphiques que par les
commentaires explicatifs.
Au point de vue de l'intensité de l'excita-
tion, si l'excitation première est maximale,
c'est-à-dire provoquant une secousse mus-
culaire maximum, il est clair que la fusion
des deux secousses ne pourra être plus forte
que la secousse unique. Mais, si la secousse
première est faible, la secousse seconde, fu-
sion de la première et de la seconde, sera
bien plus haute même que le serait la
simple somme des deux secousses premières.
Ou peut donc dire que ce n'est pas une simple addition; mais une véritable midtipli-
cation, pour conserver les termes arithmétiques, comme si, par le fait d'une excitation
première, l'excitabilité du muscle avait été énormément augmentée. Avec les muscles
d'invertébrés, et en particulier avec le muscle de l'écrevisse, le phénomène est extrê-
mement net (Voy. fig. 20 et 21).
En effet, comme il faut toujours tendre le muscle par un poids, toujours la forme
véritable de la secousse est modifiée par ce poids, si faible qu'il soit, de sorte que la
eut d'excitabilité.
Addition latente.
ADDITION.
In-
forme véritable de la secousse musculaire n'est pas donnée exactement par le myo-
gramme obtenu. La descente vraie de la secousse se prolonge bien plus que ne sem-
blerait l'indiquer le myogramme, et, pendant toute cette descente, masquée, que j'ai
proposé d'appeler secousse latente, l'excitabilité du muscle reste accrue; de sorte qu'on
voit très bien les secousses croître en hauteur, au fur et à mesure qu'on fait agir des
excitations successives, égales entre elles. Ces secousses, qui croissent en intensité,
paraissent discontinues : en réalité, elles ne sont pas discontinues; car ces secousses
isolées portent sur un muscle qui ne reviendrait pas à la ligne de repos absolu, s'il
n'était pas tendu par un poids dont l'effet est de masquer la contraction véritable et de
faire croire que le muscle est revenu à son état de repos lorsque, au contraire, il est
encore ébranlé par l'excitation précédente.
En tout cas, l'addition peut être considérée comme un phénomène d'excitabilité
croissante, qui croît par le fait des excitations successives. Un muscle qui n'est pas
e:icitations éî^ales. —
toutes deux égales :
? excitatu
approchét
A-, effet de deux ex
revenu à son repos complet et qui est à la période de descente, est plus excitable qu'un
muscle qui est complètement inerte.
Ce phénomène de l'addition, ou plutôt de la multiplication des secousses, j'ai pu
l'appliquer à un cas spécial fort intéressant, c'est-à-dire le cas où la première exci-
tation (A) est impuissante à déterminer une réaction apparente du muscle; et je l'ai
appelé Addition latente {Addition latente des excitations électriques dans les nerfs et dans
les muscles. Trav. du lab. de M. Marey, 1877, t. m, p. 97-lOb).
Voici comment le phénomène se produit, et il senianifeste avec une extrême netteté
dans le muscle de la pince de l'écrevisse. Si l'on fait passer par ce muscle une série de
courants d'induction rythmés à un assez long intervalle (de deux secondes, par exemple),
en graduant l'intensité du courant, on peut diminuer l'intensité de telle sorte que ces
courants seront inefficaces, mais à la limite précisément de leur efficacité. Après avoir
bien constaté que le muscle ne répond pas à ces excitations, rythmées à intervalles de
deux secondes, on change seulement le rythme, sans modifier l'intensité, et on constate
aussitôt que ces mêmes excitations deviennent efOc.ices quand le rythme est plus fré-
quent; par exemple, de dix par seconde. La conclusion est très importante, et on peut
la formuler ainsi :
Des excitations qui, isolées, paraissent impuissantes, deviennent efficaces quand elles sont
répétées; car elles ont, malgi'é leur inefficacité apparente, augmenté l' excitabilité du muscle.
148
ADDITION.
Ce phénomène, observé d'abord par moi en 1S77, a été retrouvé depuis par tous les
auteurs qui se sont occupés de la contraction musculaire. On pourra consulter les nom-
breu.'c graphiques que j'ai donnés dans ma Physiologie générale des muscles et des nerfs
(1882), 3° leçon, fig. 30, 32, 43, 46, 47, 49. M. dk Varigny {.Contraction musculaire des
invertébrés. Thèse de do et. de la Fac. des Se. Paris, t886) a constaté que l'addition latente
s'observe bien chez les Holothuries, les Crabes, les Méduses, les Poulpes. M. Goldscheider
[Muskelcontractionund Leitungsfàhigkeit des Nerven. —Zeiisch. fiirKIin. med., t. xix, 1890,
fasc. i et 2) l'a très bien observé sur la grenouille, après avoir, il est vrai, intoxiqué le
nerf avec des vapeurs d'alcool. J'ai constaté aussi que, sur un muscle fatigué ou intoxi-
qué, le phénomène de l'addition latente était plus facile à constater. Citons encore un
mémoire de M. Bif.derman.x {Innervation der lirebssckeere. Ac. des Se. de Vienne, Se. médic.
janv. 1887, t. xcv, p. l-40j qui donne de nombreux grapbiques où on trouvera souvent
l'addition latente.
Le phénomène de l'addition latente peut être généralisé, et appliqué non seulement au
Fig 2-^ — Tétanos du muscle de tortue. — Rythme i
[de l'excitation de secousses incomplètement tusion
g^ presque complètement fusionniies. En A on voit le
leiitique, intensité variable. — En A, intensité faible
ées. Ku B. intensité forte de rexcitatiou et secousses
eti'ets de l'addition latente.
muscle, mais encore à tous les tissus excitables, nerfs et centres nerveux. J'ai montré
que le phénomène était identique à ce que Pfluger, Gruenhagen, Setchenoff, Tarcha-
NOFF, Rosen'ïhal, Sïirling, Spiuo, avaient étudié dans la moelle épinière sous le nom de
Summation (Voir les indications bibliographiques dans mon mémoire sur l'addition
latente, loc. cit.] Ces savants avaient en effet établi que des excitations répétées et fré-
quentes agissent sur la moelle de manière à provoquer une réponse réflexe, plus effi-
cacement que si elles sont isolées et séparées par un long intervalle, l'intensité restant
la même. Tarchanoff avait aussi montré que, dans l'appareil modérateur du cœur (ter-
minaisons du pneumogastrique), il se faisait aussi une sommation, ou addition latente
des excitalioos.
En étudiant la réaction de la sensibilité aux excitations électriques, j'ai retrouvé
cette même loi. Si l'on excite la peau d'un individu par un courant électrique, j'ythmé
à 1 par seconde, je suppose, et gradué en intensité de manière à être à la limite même
de l'excitation, on constatera que le courant n'est pas perçu. Mais, si l'on répète fré-
quemment ce même courant, on pourra arriver à le rendre efficace; si bien qu'une
excitation rythmée à 1 par seconde n'est pas perçue, mais que celle même excitation,
rythmée à 20 par seconde, est nettement perçue et provoque une sensation forte, même
douloureuse.
Tout se passe donc comme si les premières excitations, inefficaces en apparence,
provoquaient seulement une excitabilité plus gi'ande (et latente) de l'appareil sensitif
ADDITION. l-i9
central; de même que pour le muscle, elles ne détermineni, qu'une moditlcaLion lalcnle
de l'excitabilité.
J'ai donc pu en conclure cette loi très générale que le système nerveux, sensitit
central placé à la terminaison des nerfs sensitifs, et le système musculaire, placé à l'ex-
trémité des nerfs moteurs, présentent, par leur réaction aux excitations périphériques,
une remarquable analogie.
L'addition latente semble être en effet un phénomène commun à toutes les cellules
excitables. Je l'ai constatée nettement par l'excitation directe des centres nerveux
(Ch. RiCHET. Circonvolutions cérébrales. Thèse d'agrégat, de Paris, 1878). J'avais supposé
qu'elle était spéciale à la substance grise nerveuse et qu'on ne la retrouvait pas dans la
substance blanche; mais M. Fr. FR.\iN'CK a montré {Fonctions motrices du cerveau, 1887, p. 52)
que la substance blanche était, elle aussi, capable d'addition latente. A la vérité le remar-
quable exemple qu'il donne [loc. cit., flg. 22, p. bl) est un phénomène d'excitation latente
de la substance grise, qui paraît décidément, plus que la substance blanche, susceptible de
présenter le phénomène de l'addition latente, quoique la substance blanche le présente
aussi. De même, c'est encore la substance grise qu'ont excitée MM. Bubnoff et HEiDEiNiiAiN
(Erregungs und Henimungsvorgdnge in den motorischen Hirncentren. A. Pf., 1888, t. xvi);
et ils y ont constaté très clairement l'excitation latente. Ils ont même donné un chiffre
pour indiquer la durée maximum pendant laquelle l'addition latente peut se faire, soit
environ 3 secondes. Au delà de 3 secondes d'intervalle entre les excitations, l'effet est
le même, soit qu'on les laisse à cette distance, soit qu'on les éloigne encore davantage.
Un cas particulièrement intéressant de cette addition latente, c'est l'addition des
excitations lumineuses. Dans un travail fait en collaboration avec A. Breguet, en 1881,
j'ai montré que, si une lumière très faible ne vient frapper la rétine que pendant un
espace de temps très court,- elle n'est pas perçue [Trav. du laborat., t. i, p. 112). On
peut considérer cette lumière de courte durée comme durant un millième de seconde et
constituant alors une excitation unique, comparable au point de vue de sa durée au
moins, à une excitation électrique. Cette excitation, si elle est unique, est insuffisante à
provoquer une perception; mais, si on la répète plusieurs fois de suite, rapidement, la
perception a lieu. Ainsi, une excitation visuelle, faible et très courte, si elle est isolée,
ne provoque pas de perception, tandis que la même excitation répétée fréquemment
est nettement perçue. M. Bloch {B. B., 1885, p. 494) a répété cette expérience et cons-
taté qu'avec une vision dont la durée est de 1/1119° de seconde, un papier blanc éclairé
par une bougie à l™,6.ï de distance est invisible quand la fente par laquelle on regarde
est de 1 demi-millimètre. M. Chaupentier [B. B., 1887, p. 3) a aussi constaté cette même
loi de l'addition latente des excitations lumineuses à l'aide d'une méthode que je ne
puis décrire ici. Il a vu que pour des lumières vues pendant plus de 1 huitième de
seconde, il n'y avait plus d'addition latente, et que les lumières de cette durée, ou d'une
durée plus grande, pouvaient être considérées comme des lumières fixes, au point de
vue de la perception.
Il résume son intéressant mémoire en disant que Vintensité lumineuse apparente des
lumières de courte durée est proportionnelle au temps pendant lequel elles agissent sur la
rétine.
Il est probable qu'il en serait de même pour les perceptions auditives; mais je ne
connais pas de travaux qui ont été faits à ce sujet.
Il est certain que, de toutes les cellules, les cellules nerveuses de la substance gii=e
sont celles sur lesquelles se manifeste ce phénomène avec le plus de netteté. J'en ai
donné un exemple remarquable pour les ganglions nerveux de l'écrevisse (Fhys. des
muscles et des nerfs, fig. 91, p. 86.) On peut la bien observer en étudiant les réactions
d'une grenouille intacte à l'excitant électrique appliqué sur la peau. Alors on voit clai-
rement que les excitations isolées sont tout à fait inefficaces et qu'il faut les rendre
extrêmement fortes pour les rendre efficaces; tandis que des excitations répétées et fré-
quentes, même assez faibles, provoquent tout de suite un mouvement de fuite et de
défense de la grenouille (Ch. Hichet. Des mouvements de lu grenouille. Travaux du laborat.,
1893, t. 1, p. 96, flg. 46). On pourra aussi consulter sur un point analogue un intéressant
travail de MM. Cad et Goldscheider {Summation von Eautreizen. A. Db., 1891, p. 101), qui
montrent que la sensation électrique douloureuse est bien plus susceptible d'addition
ISO
ADDITION.
- Réaction à la force F (sohén
latente que la perception même de l'excitation électrique. Tout se passe comme si les
centres nerveux où réside la douleur ne parvenaient à être ébranlés que par une somme
d'excitations discontinues, plutôt que par une excitation unique, si forte qu'elle puisse être.
C'est d'ailleurs à une conclusion analogue que j'étais arrivé, dans mes reciierches sur
la sensibilité [D. P., 1877, p, 180 et suiv.).
Il semble que le phénomène de l'addition latente dépende principalement du reten-
tissement d'une excitation unique. Si l'ébranlement
produit par cette unique excitation (qu'elle soit forte
ou faible) est prolongé, alors les excitations d'un
rythme un peu fréquent qui succéderont à la pre-
mière pourront frapper le tissu avant qu'il soit revenu
à sa situation initiale de repos; et l'addition latente
pourra se faire, par suite précisément de l'accroisse-
i). ment d'excitabilité, qui est dans toute cellule en voie
de réponse à l'excitation. J'ai appelé ce retentisse-
ment d'une excitation unique, mûmoire élémentaire, et j'en ai donné quelques exem-
ples. On peut ainsi rattacher, au moins théoriquement, le fait fondamental de la mé-
moire, propriété des centres nerveux intellectuels, au phénomène beaucoup plus simple
de la contraction musculaire. Le fameux axiome : sublatd causa tollUur effectus, est abso-
lument erroné, et l'effet persiste longtemps après que la cause qui l'a provoqué a disparu.
Une cloche, qu'un coup de marteau a fait vibrer, continue longtemps sa vibration, après
que le marteau ne la
frappe plus. De même,
une cellule nerveuse, et
même une cellule mus-
culaire, continuent à
vibrer longtemps après
que la cause excitatrice
est éteinte. La seule
différence qui existe à
ce point de vue entre
les divers tissus, c'est
que la vibration consé-
cutive à l'excitation est plus ou moins prolongée; très courte pour le muscle et le nerf
conducteur, très longue, au contraire, pour les centres nerveux cellulaires.
Le fait de l'addition latente a une assez grande importance théorique, parce qu'il
nous permet de nous faire quelque opinion sur le mode de réaction des cellules à l'exci-
tation (Voy. Ch. RiCHET. Psychologie générale, 2" édit., 1891, p. 18).
On doit en effet admettre qu'une cellule est dans un certain état d'équilibre que
chaque excitation, faible
ou forte, vient déran-
ger. Mais, si l'excitation
est faible, elle ne pourra
vaincre l'inertie cellu-
laire. Supposons que
cette inertie cellulaire
soit égale en intensité
à AM (fig. 23) ; tant que
la force excitatrice sera •
inférieure à AM, l'équi-
libre cellulaire ne sera pas détruit, et il n'y aura que des modifications imperceptibles
dans l'état de la cellule. Si, au contraire, la force excitatrice a une intensité AF, l'équi-
libre sera vaincu, il y aura une l'éponse qui, extérieurement, aura la forme de la courbe
fiAa', alors qu'en réalité la vraie forme de la courbe sera Ak't. De là le relard Ma de
la réponse; de là la possibilité d'un trouble de l'équilibre plus long que ne semblerait
l'indiquer la courbe extérieure du mouvement.
Si, au lieu d'une force supérieure à AM, nous faisons agir une force plus petite, elle
Fig. 24. — Réaction à deux forces successives (schéma).
latente) (schéma).
ADENINE. — AERATION. 151
tléterrainera une vibration latente, mais réelle; et l'addition de ces forces en apparence
inactives va déterminer finalement une réponse. Sur le schéma que nous donnons
(fig. 23), les trois premières excitations ne sont pas parvenues à vaincre la résistance inté-
rieure delà cellule; et elles n'ont déterminé aucun mouvement, mais en M, au milieu de
la quatrième excitation, l'inertie cellulaire est enfin vaincue, et il en résulte une courbe
M'A""A""'a; les forces excitatrices isolées F, F', F", F'", etc., étant, si elles sont seules,
insuffisantes à déterminer une réaction quelconque de la cellule, par suite de son
inertie propre.
En définitive, le phénomène de l'addition latente est commun à toutes les cellules
de l'organisme, et il éclaire bien des faits de la psychologie et.de la physiologie (Voir
pour plus de détails les articles Muscles, Myographie, Psychologie).
CH. RICHET.
ADENINE. — Base organique découverte par Kossel, en 188o, qui étudiait
les produits de dédoublement de la nuclcinc.
Elle a pour formule C'Az-'H' : elle est peu soluble dans l'eau froide, très soluble
dans l'eau chaude; elle forme avec les acides des sels bien définis qui cristallisent faci-
lement. Elle appartient à la série xanLhique et a des rapports particulièrement étroits
avec Vhypoxanthinc, C^Az'>H*0. L'étude de ses dérivés a montré qu'on doit la consi-
dérer comme Vimide d'un radical hypothétique, C-'Az'*H'', AzH, dont l'hypoxanthine
serait l'oxyde. Divers processus d'oxydation, la putréfaction, l'action de l'acide azoteux,
la transforment en hypoxanthine. Au contact des alcalis caustiques réagissant à haute
température, elle donne des cyanurcf, alcalins.
Vadénine a été retirée d'abord par Kossel d'une préparation de pancréas bouilli
avec de l'acide sulfurique étendu; on l'obtient de même de tous les organes animaux
dont les tissus sont riches en cellules jeunes, c'est-à-dire en nucléine; elle y accom-
pagne la guanine, la xanthine et l'hypoxanthine. Kronecker l'a trouvée dans la rate,
les ganglions lymphatiques et les reins du veau; Schindler dans le thymus du même
animal, et ici en très grande proportion : Stadthagen dans la rate et le foie d'un malade
leucémique (le foie de l'adulte sain n'en contiendrait pas). Elle existe aussi dans les
plantes, notamment dans les feuilles du thé, à côté de la caféine, autre base xanthique.
Dans l'extrait du thé, ïadéninc existe toute formée; dans les tissus animaux, il est
possible qu'elle se forme au moins en grande partie, pendant la première phase de la
préparation.
L'adénine ne paraît pas être toxique.
Bibliographie. — A. Kossel. Weitere Bcitrûge zur Cheniie des Zellkerns (Z. P. C,
1886, t. X, 248). — Idem., Veber das Adenin [ibid., 1888, t. xn, p. 241). — S. Schindler,
Beitràge zûr Kenntnitis des Adenins, Guanins,und ihrer Derivate {ibid., 1889, t. xiii, p. 4.33).
— Kno.^ECKER. TJeber die Yerbreitiing des Adenins in den thierischen Organen {A. V., t. cvii,
p. 207). — Stadthagen. Veber das Vorkommen der Harnsaùre in verschiedenen thierischen
Organen, ihr Verhalten bel Leukamie, und die Frage ihrer EnUtehung ans denStlckstoffbascn
(A. V., t. cix, p. 390). — Lambling, art. Adénine (D. W., 2«suppl.).
L. L.
ADONIDINE. — Glucoside extrait de Z'Adomsvernaiis. D'après les expériences
de Buiixow (/i. S. M., t. xiv, p. 309), l'extrait aqueux d'Adonis vernalis arrête le cœur do
la grenouille en systole.
L'opinion des médecins qui l'ont expérimenté ensuite (Dujardin-Beaumetz, Huchard)
est que l'action de cette substance ressemble à celle de la digitaline.
AERATION. — Les conditions de l'aération ne sont qu'assez indirectement
afférentes à l'étude physiologique. En effet, comme nous allons le montrer, les prescrip-
tions de l'hygiène et les enseignements de la physiologie expérimentale ne sont pas tout
à fait d'accord ; mais il est clair que ce désaccord n'est qu'apparent.
Si l'on cherche à préciser combien de temps un animal peut vivre dans l'air confiné,
on voit qu'il faut une diminution de plus de 1 p. 100 d'oxygène pour qu'il y ait malaise
véritable, et, quant à l'acide carbonique, il faut au moins 10 p. 100 de ce gaz pour qu'il
lot! AERATION.
y ait quelque gêne respiratoire; mais il ne faut pas en conclure que la respiration d'un
air confiné où il n'y a plus que 19 p. 100 d'oxygène soit inoffensive. Au contraire, cet air
est évidemment très malsain, pour des raisons que nous allons développer.
A supposer qu'un homme adulte consomme 20 litres d'oxygène par heure, ce qui est
un chiffre sensiblement exact, il s'ensuivrait que 10 mètres cubes seraient absolument
suffisants, même eu admettant que le renouvellement par les fissures, fenêtres et che-
minées serait tout à fait nul. Mais ce n'est pas le cas, et, si l'on mettait dans un espace
hermétiquement clos de 100 mètres cubes dix individus pendant une heure, l'air devien-
drait à la fin absolument irrespirable.
C'est qu'en effet d'autres éléments interviennent que la consommation d'oxygène et la
production d'acide carbonique. D'abord la transpiration cutanée, qui produit de la va-
peur d'eau, et des substances odorantes plus ou moins fétides, puis la transpiration pul-
monaire qui produit de la vapeur d'eau, et peut-être ce subtil poison que BROWN-SÉnuARD
etd'ÂRSONVAL admettent dans les exhalations pulmonaires; puis toutes les exhalations ga-
zeuses de l'intestin. Toutcet ensemble constitue un air peu respirable, qui, tout en n'étant
pas franchement toxique, est au moins fort peu agréable à respirer. Un physiologiste
allemand a même prétendu que cet air confiné agissait par son odeur même. Il serait si
désagréable à respirer qu'il empêcherait les grandes inspirations, efficaces et salutaires,
et alors la respiration serait empêchée, par une sorte de retenue involontaire de notre
eff'ort inspiratoire.
Ce ne sont donc pas les études physiologiques sur le besoin d'oxygène et la toxicité de
l'acide carbonique qui pourront nous donner l'indication de la quantité d'air qu'il faudra
donner à des individus,et, de fait, dans des salles où il y a toujours renouvellement très
abondant de l'air, on admet comme minima des chiffres bien supérieurs à ceux que la
physiologie expérimentale nous fournit comme suffisants.
L'Assistance publique, d'après Bouchardat {Traité d'hygiène, p. 7'24) exige 70 mètres
cubes d'air par heure et par personne. Dans la construction des casernes, on demande
10 mètres cubes en France et 18 mètres cubes en Allemagne; le conseil de salubrité en
demande 20.
Il semble que ces chiffres soient encore beaucoup trop faibles; car d'autres causes que
la respiration contribuent à altérer l'air des lieux clos, les fermentations qui peuvent se
produire par la présence de toute matière organique, déjections, aliments, etc., émana-
tions venant du plancher, des murs ou des conduites de gaz, fumées venant des chemi-
nées, des poêles, avec quelquefois des gaz toxiques, poussières de toutes sortes, d'autant
plus abondantes que le nombre des personnes est plus grand et que l'agitation de l'air
est plus considérable, voilà bien des raisons pour que l'air confiné soit franchement mal-
sain.
Pour s'en rendre compte, il suffit de se rappeler quel bien-être on éprouve quand, au
sortir d'une salle remplie de monde, on revient à l'air frais et pur du dehors; c'est un
air vivifiant qu'on respire à pleins poumons, comme on dit, et, inversement, quand on
pénètre dans une salle fermée, une chambrée de caserne le matin, ou une salle de théâtre,
vers la fin du spectacle, on a quelque peine à s'habituer à respirer cet air pestilentiel.
Ces faits sont indéniables; mais l'explication physiologique rigoureuse n'est pas fa-
cile à donner ; et il faut de toute nécessité admettre qu'il y aune cause de viciation autre
que les changements de proportion de l'oxygène et de facide carbonique.
En tout cas, au point de vue de l'hygiène, il est bien évident que l'aération des lieux
clos est indispensable, et que, pour la parfaite santé, ce n'est pas 10 mètres cubes, mais
plutôt 100 mètres cubes par heure et par personne qui seraient nécessaires.
Au point de vue de l'aération, les microbes jouent aussi un certain rôle. Dans des
chambres fermées, surtout s'il y a réunion de plusieurs personnes qui s'agitent, et
remuent les objets divers, les microbes des poussières volent dans fatmosphère. Mais, en
tout cas, ce ne sont pas les personnes mêmes qui sont l'origine de ces microbes. En effet,
il est bien prouvé que la respiration à travers le poumon, au lieu d'augaienter le nombre
des microbes, tend au contraire à les diminuer, et pour ainsi dire à les filtrer et tamiser,
si bien que l'air sortant du poumon est à peu près optiquement pur.
L'importance d'une aération active au point de vue de la santé est bien prouvée par
ces observations de quelques médecins qui ont recommandé à leurs malades, même tu-
AEROBIE — AEROTONOMETRE. 153
berculeus, découcher avec la fenêtre ouverte; il paraît que les effets en ont été excellents.
Pour que l'air ne soit pas trop froid, il suffît de mettre à la fenêtre une grille métallique.
La grille métallique, tout en n'opposant aucun obstacle au passage de l'air, empêche le
froid de pénétrer; car, par suite de leur très faible chaleur spécifique, les gaz de l'air se
réchauffent dès qu'ils passent par les interstices de la grille.
Les hygiénistes distinguent dans la ventilation ou aération des lieux habités la ven-
tilation natwelle et la ventilation artificielle. La ventilation naturelle peut être S'pon-
lanée, ou provoquée, suivant que la volonté intervient ou non pour le renouvellement de
l'air.
La ventilation spontanée est due aux maljoints des portes et fenêtres. Elle est d'autant
plus active qu'il y a appel d'air par une cause quelconque, soit une diiïérence de tempé-
rature entre l'air de la chambre et l'air extérieur, soit par l'instillation d'une chemi-
née dans laquelle est allumé du feu- La ventilation est provoquée quand les fenêtres
sont ouvertes, et surtout quand il y'a plusieurs fenêtres ouvertes dans la même pièce.
Alors la ventilation est maximum, pour ainsi dire, et absolument suffisante dans tous
les cas.
Pour la ventilation artificielle, elle est rarement utile ou nécessaire aux habitations
bourgeoises. C'est surtout dans les tunnels, égoûts, usines, mines, etc., que ces moyens
doivent être employés. Beaucoup d'appareils ont été imaginés; mais nous n'avons pas à
nous en occuper ici. On les trouvera décrits dans ÏEncyclopëdie d'hygiène, par M. E. Roch.^rd
(t. in, p. 01)7).
CH. R.
AEROBIE. — On dit d'un être, d'après Pasteur, qu'il est aérobie quand il vit
dans l'air libre, ayant besoin d'air ou d'oxygène libre pour vivre: Cette expression s'ap-
plique surtout aux organismes microscopiques qui sont tantôt aérobies, tantôt anaéro-
bies. La plupart des microbes sont aérobies (Voyez Fermentation).
AEROTONOMETRE (ir;p, air; -6\/oi, pression; tiE-pov, mesure). — Appa-
reil imaginé par Pfliigeb, décrit par son élève Strassbuhger {A. Vf. t. vi, p. 68, 1872) et
destiné à déterminer la valeur de la tension des gaz (0-, C0-) dans le sang et dans les
autres liquides de l'économie.
Le principe de l'aérotonomètre est le suivant: lorsqu'un liquide se trouve en contact
avec une atmosphère gazeuse limitée, il tend à s'établir pour chaque gaz un équilibre de
tension entre ce gaz dans l'atmosphère considérée et le même gaz absorbé par le
liquide. Si le contact est suffisamment prolongé, l'équilibre finira par être atteint; dans
ce cas, la pression partielle du gaz dans l'atmosphère limitée indique la tension du gaz
dans le liquide.
L'appareil se compose de plusieurs tubes de verre verticaux (de 60 centimètres de
long, de 12 millimètres de diamètre intérieur) effilés à leurs deux extrémités et placés
dans un bain d'eau maintenu à la température du corps. On remplit à l'avance chaque
tube avec un mélange gazeux de composition connue, puis on fait arriver par leur extré-
mité supérieure du sang sortant directement de l'artère ou de la veine d'un animal
vivant. Le sang suinte le long des parois du tube, et tend par diffusion à se mettre en
équilibre de tension avec les gaz contenus dans les tubes. On laisse couler dans chaque
tube environ 150 centimètres cubes de sang pendant deux à trois miimtes. Le sang
s'écoule par l'extrémité inférieure de chaque tube, extrémité qui plonge sous une petite
couche de mercure. Après l'expérience, les gaz contenus dans les tubes sont recueillis
séparément et analysés.
Exemple (Exp. III, p. 73. A. Pf., vi) : Deux tubes de l'aérotonomètre sont remplis d'un
mélange d'azote et de CO-, l'un A contient 7,17 p. 100 CO -, l'autre B, 2, .36 p. 100 C0-.
Après le passage du sang, A contient 2,91 p. 100 CO- et 3,03 p. 100 0-; B contient
2,68 p. 100 CO- et 2,56 p. 100 0-. La tension de CO- du sang était donc comprise entre
2,68 et 2,91 p. 100 d'une atmosphère; celle de l'oxygène est indéterminée, mais certai-
nement supérieure à 3 pour 100 d'une atmosphère. Deux autres tubes A' et B' contenant
les mêmes mélanges gazeux avaient été en même temps soumis au contact du sang veineux
ioi AEROTONOMETRE.
de l'animal. Après l'expérience, A' contient b,l3 p. 100 CO- et 0,98 p. 100 0-, B' contient
5,38 p. 100 CO- et 1,74 p. 100 0-. La tension de CO- du sang veineux est donc voisine
de 5,13 ou 0,38 p. 100 d'une atmosphère, celle de l'oxygène est supérieure à 1,74 p. 100
d'une atmosphère.
Strassburg a trouvé comme moyenne (dix expériences) de la tension de CO-, 5,4 p. 100
d'atmosphère dans le sang veineux et 2,9 p. 100 d'atmosphère dans le sang artériel. La
tension de l'oxygène était au moins de 2,8 p. 100 d'une atmosphère dans le sang vei-
neux, au moins de 3,9 p. 100 d'une atmosphère dans le sang artériel.
La coagulation du sang s'accompagne d'une élévation notable de la tension de CO-,
qui monte à 6 à 8 p. 100 d'atmosphère pour le sang veineux, à 4 p. 100 d'atmosphère pour
le sang artériel.
Strassburg a trouvé pour la lymphe du canal thoracique ou des gros troncs lympha-
tiques du cou une tension de CO-, inférieure de 0,5 à 1 p. 100 à celle du sang veineux.
La tension de CO- dans les produits de sécrétion provenant de l'activité cellulaire
(bile, urine) ou dans les cavités tapissées de cellules vivantes a été trouvée comprise
entre 5 et 9 p. 100 d'une atmosphère.
Deux autres élèves de Pfluger, Wolffbebg (A. Pf. t. vi, p. 23, 1872) et Ndssbausi {A.
Pf. 1873, t. vu, p. 296) ont fait, par le procédé de l'aérolonomètre, ou par des procédés
analogues, de nombreuses déterminations de tension de CO- dans le sang veineux du
cœur droit, c'est-à-dire dans le sang qui arrive au poumon et dans le sang artériel,
c'est-à-dire dans le sang qui revient du poumon; et ils ont comparé les valeurs trouvées
avec celles de la tension de CO- dans l'air qui a servi à la respiration. Ils ont constaté
que, chez le chien, l'air qui revient du poumon (dernières portions d'air expiré) présente
sensiblement la même tension de CO- (2,8 p. 100 de CO'-) que le sang artériel qui revient
du poumon (2,8 p. 100 d'atmosphère). Il s'établit donc, en vertu des lois de la diffusion,
un équilibre parfait entre la tension de CO- du sang et de l'air au niveau des alvéoles
pulmonaires.
L'absorption par les capillaires de la circulation générale du CO- formé dans les tis-
sus, son exhalation à la surface du poumon et son élimination dans l'atmosphère exté-
rieure, s'expliquent par les lois de la diffusion gazeuse, qui veulent que CO- chemine des
endroits à tension élevée, vers les endroits à faible tension. En effet la tension de CO^
peut être approximativement représentée chez le chien, par les chiffres suivants :
Tissus. \ Sani: veineux. \ Air îles alvéùles. \ Air extérieur-
(5 à 9 p. tOO At.) / (3,81 à. 5,4 p. 100 At.) / (2,8 p. 100 At.) / (0,03 p. 100 At.)
Il est 'donc superflu d'admettre, comme l'avaient fait C. Ludwig, Robin et Veudeil, et
d'autres, une action spécifique du tissu pulmonaire pour expliquer l'exhalation de CO- à
la surface du poumon ; les lois physiques de la diffusion en rendant complètement compte.
Ajoutons que Wolffberg et iNussbaum ont constaté que, si l'on obstrue une bronchiole
d'un animal vivant, de manière à empêcher le renouvellement de l'air dans une portion
du poumon, l'analyse de cet air confmé montre qu'il présente exactement la même ten-
sion de CO- que le sang veineux, soit 3,81 à 5,4 p. 100 d'une atmosphère. Ici aussi il y
a établissement d'un équilibre complet de tension entre l'air des alvéoles et le sang.
De même, l'absorption d'oxygène à la surface pulmonaire par le sang veineux et son
passage à travers les parois des capillaires de la circulation générale pour alimenter le
foyer de la combustion organique et de la production de CO^ s'expliquent en vertu des
lois de la diffusion, qui veulent que l'oxygène chemine des endroits à tension forte vers
ceux à tension faible :
Air extérieur. \ Air des alvéoles. \ Sanï artériel. \ Tissus.
(20,95 p. 100 At.) / (iSp.lOOAt.) / plus de 3,9 p. 100 At. / tension voisine de zéro.
Il semble, d'après les chiffres de tension d'oxygène du sang artériel trouvés par
Strassburg (3,9 p. 100 d'atmosphère) et ceux plus récents et un peu plus élevés (10 p. 100
d'atmosphère) déterminés également au moyen de l'aérolonomètre par Herter {Zeits. f.
physiol. Chemie, 1879, t. ni, p. 98) que la tension de l'oxygène du sang artériel est infé-
rieure à celle de l'air des alvéoles pulmonaires et que l'équilibre de tension de l'oxygène
est loin d'être atteint dans le poumon entre l'air et le sang.
Tel était l'état de la question lorsque parurent les travaux de Bonn {Skandin. Arch.
AEROTONOMÈTRE.
f. Phyaiol. 1891, t. ii, p. 236; C. Ph. 1887, t. i. et 1888, t. ii, p. 437; Sur la re^nration
pulmonaire, Bull. acad. royale dan. des se. et des kitrea, 2 nov. 1888, p. 139). Bohr a publié
une série de déterminations de tension d'oxygène et de CO- dans le sang artériel du
chien, pour montrer que souvent la tension de l'oxygène y est pins élevée (plus de 20
p. 100 d'une atmosphère) et celle de CO-plus basse (plusieurs fois tension nulle de C0-)
que dans l'air des alvéoles pulmonaires. Ici donc les gaz auraient cheminé dans un sens
inverse à celui que demandaient les différences de tensions; et leur transport ne pouvait
plus être mis sur le compte de la diffusion, comme le veut la théorie de Pflûger. Bciim s'ap-
puie sur ces expériences pour assigner au tissu du poumon un rôle actif dans l'absorption
de l'oxygène, et l'exhalation de CO-, et pour comparer la fonction respiratoire de l'épi-
thélium pulmonaire à la fonction secrétoire des épithéliums glandulaires.
Bohr se servit pour ses expériences de chiens dont le sang était rendu incoagulable
par une injection intra-veineuse de peptone ou d'extrait de sangsue. 11 employa comme
aérotonomètre une forme modifiée du grand compteur de Ludin, qu'il appela Hémato-
aréomètre [Hâmatareometer en allemand). Le sang arrivait par une carotide à l'hémato-
aréomètre, s'y met-
tait en contact avec
le mélange gazeux
contenu dans l'ap-
pareil, puis retour-
nait à l'animal par
une canule fixée
dans un autre vais-
seau, la veine fémo-
rale par exemple.
La persistance de la
lluidité du sangper-
metici de prolonger
à volonté le contact
entre la minime at-
mosphère gazeuse
de l'appareil et le
sang qui s'y renou-
velle constamment.
Bohr affirme que l'é-
quilibre entre l'air de
r aérotonomètre et les
gaz du sang qui y afflue s'établit très rapidement, en général au bout de quelques minutes, à
cause des conditions favorables qui facilitent la diffusion (loc. cit., p. 236) ; à l'appui
de cette assertion, il cite un certain nombre de chiffres fournis aux différents moments
d'une même expérience.
Je dois avouer que l'examen des résultais numériques des expériences de Bohr me
semble au contraire indiquer que l'équilibre de tension était loin d'être atteint à la fin
de chaque expérience, principalement en ce qui regarde l'oxygène. Ce qui me frappe
dans ces chiffres, c'est l'influence considérable exercée sur la valeur de la tension trouvée
dans l'aérotonomètre à la fin do Texpérience (composition finale du mélange gazeux) par
latension quiy régnait au dcbut(composition initiale du mélange gazeux), et qui avaitété
choisie arbitrairement par l'expérimentateur. Tous les cas où la tension finale de CO^ fut
trouvée très faible (moins de l,o p. 100 atmosphères) sont précisément ceux oii cette
tension était faible au début de l'expérience. Les deux cas où cette tension finale fut
trouvée = 0, celui oui elle était presque nulle (0,14 p. 100 atmosphères) correspondent
à trois des sis expériences où la tension était déjà = 0 au début. Mêmes remarques pour
les valeurs de l'oxygène. Le graphique ci-dessus (fig. 26) montre nettement la relation
existant entre les valeurs de tension de l'oxygène dans l'atmosphère de l'aérotonomètre
au début et à la fin de chacune des expériences de Bohr.
Cette influence ne s'explique qu'en admettant que l'équilibre de tension n'avait pas
eu le temps d'être atteint pendant la durée trop courte de l'expérience.
Fig. 26. — Courbes roprcîsentant les tensions d'oxygène au début (trait plein mar-
qué DL'hut] et à la ûa (trait interrompu marqué Fin) des expériences de Bohr.
I, H, III. etc., sont les numéros d'ordre des expériences (les expériences m,
vin et XIV n'ont pas fourni de valeur d'oxygène).
18', i:V, S', durco en minutes de l'afflux du sang dans chaque expérience.
11, 12, 13 à gauche, échelle de la tension de l'oxygène en centièmes d'atmosphère.
156
AEROPLETHYSMOGRAPHE.
J'ai répété les expériences de Bohr (CP/j., 1893, t. vii,p. 33 et 1894, t. viii, p. 34) en me
servant également de grands chiens dont le sang avait été rendu incoagulable par une
injection intra-veineuse de propeptone ( 0,2b gr. par kilo d'animal.) Je relie la carotide
droite et la jugulaire du même côté au mo3'en de tubes de caoutchouc d'un demi-mètre
de long avec les deux extrémités a et b d'un aérotonomètre dont
la flg. 27 montre la disposition. Le sang arrive par a, suinte à la
surface du tube c, se rassemble à l'extrémité inférieure h etretourne
à l'animal. Le tube c a une longueur de 73 centimètres et une con-
tenance de 70 centimètres cubes. Il est rempli au début d'un mé-
lange gazeux de composition connue (air atmosphérique, azote pur,
S mélange d'air et de CO^, mélange d'azote et de CO^, etc.).
R est un réfrigérant de Liebig, dans lequel on fait circuler de
l'eau à la température du corps de l'animal (+ 39°). Un aide tient
l'appareil à une hauteur telle (au-dessus ou au-dessous de l'animal) que
la pression intérieure (le tube / peut servir à y greffer un manomètre)
correspond sensiblement à la pression atmosphérique extérieure; il
incline l'appareil et lui imprime constamment un mouvement lent
^ cj de rotation autour de son axe longitudinal, afin que le sang qui afflue
par a se répande sur toute la surface intérieure de c et que le mé-
lange gazeux emprisonné dans l'appareil soit toujours enveloppé
d'une couche continue de sang en mouvement.
On prépare deux ou trois appareils semblables A, B, C, chacun
d'eux devant servir à une expérience d'une heure : A contient, par
exemple, un mélange gazeux, riche en CO- et pauvre en oxj'gène ;
B, un mélange pauvre en oxygène et riche en CO-, C peut contenir
de l'azote, ou de l'air, ou tel autre mélange.
J'ai constaté au moyen de cet appareil que, même après une heure
d'expérience et malgré les conditions extrêmement favorables de
mon aérotonomètre à la diffusion, l'équilibre de tension de l'oxygène
n'est pas atteint complètement, si la tension initiale de l'oxygène
dans raérotonomètre était très basse (azote pur) ou très élevée (air
atmosphérique avec 20,9 p. 100 atmosphères). La tension de l'oxygène
du sang artériel peptonisé est inférieure de plusieurs centièmes d'at-
-i^ -^ mosphère à celle de l'air des alvéoles pulmonaires. Elle oscille en
général entre 10 et Vi p. 100 d'une atmosphèie. Celle de CO- est voi-
FiG. 27. — Aérotono- *"• j n i nn i' j. i ' t j ' > ^
mètre deFEEDERicQ ^'"® de 3 p. 100 d une atmosphère et correspond par conséquent a
la valeur déterminée par les élèves de PrLiiGER pour le sang normal
et à celle admise par Grandis {A.Bh., 1891, p. 499) pour le sang artériel peptonisé.
Les recherches de Bohr ne peuvent donc être considérées comme constituant une réfu-
tation des travaux des élèves de Pfluger, et, jusqu'à preuve du contraire, on est autorisé
à admettre avec Pfluger que ces échanges gazeux dont le poumon est le siège ne relèvent
que des lois physiques de la diffusion des gaz, en vertu desquelles tout gaz tend à che-
miner des endroits à forte tension vers ceux à faible tension.
Bibliographie. — Pfluger. Ueber die Diffusion des Sauerstoffs, dcn Ort und die
Gesetze dcr O.cydatioyisprocesse im thierischen Organismus. A. Vf., t. vi, p. 43. — Fleischl.
V. Marxow. Die Bedeutimçj des Herzschlagcs fur die Athmung, Stuttgart, 1887. — Zuntz.
Ueber die Krafle, welche den respiratorischen Gasaustaysch in den Lungen und in den Gewe-
ben des liôrpcrs vermiUeln. A. Pf., 1888, t. XLii,p. 408, et les mémoires cités. Voir aussi
pour les déterminations de tension des gaz du sang par d'autres méthodes que celle de
l'aérotonométre : Holmgren. Wiener Sitz.ungsber., 1863, t. xlviii, 2° part., p. 640. —
Gaule. A. Db., 1878, p. 470. — Grandis. A. Db., 1891, p. 499. — G. Hufner. Zeit. f.-
physiol. Chemic. t. xii, p. b68, t. xiii, p. 283.
LÉON FREDERICQ.
AEROPLETHYSMOGRAPHE ('A.;? air; nXr,Oc;iJ.o; , accroissement,
Ypaçï]', écriture ou inscription du volume respiratoire). — Pour mettre en évidence
les changements de volume du Ihorax pendant la respiration chez les animaux et chez
AEROPLETHYSMOCRAPHE. 137
l'homme suivant son étendue et sa durée, on se sert de l'aéropléthysmograpbe.
Celui-ci se compose d'une boîte rectangulaire avec p.arois doubles. Entre les parois
doubles il y a de l'eau et dans l'intérieur de la boîte se trouve de l'air. Ici s'abouche au
fond ou à la paroi postérieure un tube à air. Un mince couvercle de mica dont les bords
recourbés plongent dans l'eau et qui tourne autour d'un axe qui se trouve au-dessus de
la paroi postérieure, ferme l'espace d'air en haut.
Si l'on souffle et si l'on aspire alternativement dans le tube à air, le couvercle qui
est muni sur le prolongement d'un de ses bords longitudinaux supérieurs d'une plume,
se soulève ou s'abaisse suivant le cas, et de cette manière peut tracer sur un cylindre
enfumé ses mouvements. Le couvercle doit être en équilibre dans toutes les positions.
Pour arriver à ce but on le fait de mica très mince. A cause de ia minceur des parois du
couvercle le volume de l'eau déplacée est très petit, par conséquent son soulèvement
également très petit et les changements du soulèvement dans diiféreiites immersions sont
encore plus petits. La valeur des ordonnées des courbes que le couvercle trace pendant
son mouvement est déterminée empiriquement en centimètres cubes. Si l'on respiraitdirec-
tement par le tube à air de l'aéropléthysmographe, la ventilation des poumons serait
très insuffisante à cause de la petitesse de l'espace. A cause de cela on fait respirer l'ani-
mal ou l'homme dans un récipient correspondant dans lequel on renouvelle l'air durant
les intervalles de l'expérience et qui est mis en rapport avec le tube à air par un tube
de caoutchouc. Dans les courbes que donne ainsi l'aéropléthysmographe les ascensions si-
gnifient les expirations, et les abaissements les inspirations.
D'après les courbes du volume qu'on obtient pendant la respiration normale d'un homme
sain, on voit que l'inspiration s'elTectue plus rapidement que l'expiration; la première
est pendant toute sa durée égale, tandis que l'expiration, quoiqu'elle commence brus-
quement, devient de plus en plus superficielle. A la fin de celle-ci le mouvement aérien
est très faibleou nul, et onpeut avec justice nommer cette phase respiratoire une pause;
pendant la respiration normale, dont la fréquence chez l'homme est de 16 par minute,
cette pause est à peine marquée. Lorsque la respiration est moins fréquente, par exemple
pendant le sommeil, c'est précisément la durée de la pause qui augmente. La distance
perpendiculaire entre les sommets et les dépressions de cette courbe mesure la grandeur
dont le volume du thorax à la fin d'une inspiration normale dépasse le volume du thorax
à la fin d'une expiration ordinaire; et on nomme cette grandeur air respiratoire. Elle cor-
respond de SOO à 700 centimètres cubes.
On appelle grmi.deur respiratoire la quantité d'air qui passe dans les poumons en
une unité de temps, soit une minute; elle est égale au produit de l'air respiratoire
par le nombre de respirations et représente l'effet utile du travail respiratoire. La
courbe respiratoire donne également une notion de la grandeur de ce travail. Il faut consi-
dérer qu'au maximum de l'expiration normale le thorax ne revient pas à sa position d'équi-
libre, maison reste écarté dans le sens de l'inspiration. Chez l'animal on peut s'en convaincre
de la façon suivante : pendant le tracé de la courbe du volume respiratoire, on produit
un relâchement brusque de tous les muscles par une piqûre du bulbe. La courbe respi-
ratoire se change alors brusquement en une ligne droite qui est située plus haut que
les sommets expiratoires. Dans la position cadavérique le volume du thorax est
moindre que dans le maximum de l'expiration normale; le travail respiratoire augmente
par conséquent avec l'étendue et la durée des ampliations thoraciques et peut être
mesuré par la surface que limitent, en haut, la ligne de position cadavérique, en bas,
la courbe respiratoire. La valeur absolue de cette mesure ne peut pas être évaluée,
mais on peut dire que le travail respiratoire a augmenté, quand la surface a augmenté,
soit que toute la courbe respiratoire ait baissé, soit que les inspirations soient devenues
plus profondes ou bien plus prolongées. L'augmentation du travail respiratoire peut
coïncider avec l'augmentation de l'effet utile de la respiration, mais ce n'est pas néces-
saire. Ainsi, par exemple, l'augmentation de la durée de l'inspiration augmente l'etïort,
et non pas l'elfet utile. Le rapport entre le travail et l'effet utile est une mesure
d'efficacité du type respiratoire. Si on fait faire à l'homme dont on prend le tracé respi-
ratoire une inspiration très profonde, suivie immédiatement d'une très profonde expiration,
on obtient dans la courbe une vallée très profonde suivie d'un sommet très haut. La
distance perpendiculaire entre vallée et sommet mesure le degré de changement du
158 AGARICINE — AGARICIQUE (Acide).
volume dont le thorax est capable sans l'intlueiice de la volonté; on l'appelle capacité
vitale. Elle se compose de trois valeurs : 1" de l'air respiratoire ; 2" du volume dont le
thorax est capable d'augmenter à la fln d'une inspiration ordinaire, par un effort inspi-
ratoire forcé, appelé air complémentaire, et 3» du volume dont le thorax est capable de
diminuer après l'expiration ordinaire sous rinflaence d'une expiration forcée, volume
appelé air de réserve. Normalement la quantité d'air complémentaire est à peu près égale
à la quantité d'air de réserve, et chacun d'eux comporte environ dSOO à 2000 ce. Si les deux
valeurs diffèrent, alors on peut tirer de leur rapport une notion de la distance entre la
position moyenne inspiratoire du thorax et la position cadavérique; cette distance est
d'autant plus considérable que le rapport entre l'air de réserve et l'air complémentaire
est plus grand.
Pendant l'expiration la plus énergique les poumons contiennent encore une quantité
notable d'air, l'air résidual. La valeur ne peut pas être évaluée directement, mais l'aôro-
pléthysmographe donne un moyen pour la détermination de l'air résidual. Le récipient de
l'appareil disposé pour l'homme est constitué non seulement de manière à pouvoir être
interposé entre la bouche ou le masque respiratoire et l'appareil inscripteur, mais le sujet
sur lequel ou expérimente peut y être placé; ce dernier respire alors de l'air libre par un
tube qui se trouve dans les parois du récipient, et en même temps une quantité d'air
égale à la quantité d'air inspiré passe du récipient dans l'inscripteur de volume et sou-
lève son couvercle. On obtient de cette façon des tracés qui sont renversés, de sorte que
les ascensions indiquent les inspirations, et non pas, comme dans l'expérience plus haut
décrite, des expirations.
La partie du tube qui sort du récipient, et par laquelle le sujet respire, porte un tube
latéral qui est en rapport avec un manomètre à mercure qui porte à son extrémité un
bout de tube de caoutcbouc. A la surface du mercure dans la branche libre du mano-
mètre se trouve un flotteur qui porte un inscripteur, si bien que les oscillations manomé-
triques peuvent s'inscrire en même temps que la courbe respiratoire. On prend d'abord
une partie du tracé respiratoire ordinaire, puis après un signal sonore on pince le tube
de caoutchouc à l'extrémité du tube à respiration et le sujet fait un effort inspiratoire,
pendant lequel l'air n'est pas aspiré dans le poumon, mais au contraire, l'air du poumon
est dilaté et le manomètre marque l'aspiration. Les deux valeurs correspondantes, des
changements du volume et de la pression, qui s'effectuent simultanément dans lamême
quantité d'air sont ainsi inscrites. Si nous représentons la quantité d'air à déterminer
par y, la pression barométrique par B, la double valeur des oscillations de l'inscripteur
manométrique par d, et le changement de volume correspondant dans la courbe par r, on
aura :
BV = (B-d) (V + r)
Pour obtenir la valeur de l'air résidual, il faut soustraire de la valeur de V la valeur
en volume de la distance perpendiculaire de la courbe depuis l'effort de l'inspiration
jusqu'au maximum de l'expiration.
En général l'air résidual d'après cette détermination est égal à peu près à la moitié de
la capacité vitale.
J. GAD.
AGARICINE. — Le nom d'Agaricine a été donné : 1° à un principe retiré de
l'Agaric tue-mouches ( Amanita muscaria L. ), lequel n'est autre chose que la névrine ou
choline; 2o à une matière grasse retirée du champignon de couche (Gobley); 3° enfin à un
principe immédiat impur de l'Agaric blanc des pharmacies (Polyporus offlcinalis Villars)
(Schoonbrodt). Pour éviter toute confusion, il convient de supprimer ce nom et de dési-
gner, avecFLEURY, le principe de l'Agaric blanc dont il vient d'être question sous le nom
d'acide aqaricique. Voir : Agariciaue (Acide).
EM. BOURQUELOT.
AGARICIQUE (Acide). — Principe actif retiré de l'Agaric blanc des
pharmacies (Polyporus officinalis Villars) par Fleury en 1870. Il avait été isolé antérieu-
AGONIE. 1S9
rement à l'état impur par Schoonbrodt sous le nom d'agaricine. Il a été étudié de nou-
veau eu 1883 par Jahxs et eu 1886 par Schuieder. D'après Fleury, l'Agaric lilauc en ren-
ferme environ 20 p. 100.
I. Préparation. — On épuise l'Agaric pulvérisé par l'alcooi à 90° bouillant qui
dissout toutes les matières résineuses parmi lesquelles se trouve l'acide agaricique (ré-
sine p de ScHMiEDEn). On concentre les solutions alcooliques, ce qui amène la séparation
des résines en deux groupes : les résines rouges qui restent en solution, et les résines
blanches, dont fait partie la résine jî, qui se précipitent. Eu traitant la masse résineuse
blanche par l'alcool à 60" chaud, on dissout la résine [i et on l'obtient dans un état suffi-
sant de pureté.
Pour la purifier complètement on la dissout dans l'alcool bouillant, puis on ajoute au
liquide une solution alcoolique d'hydrate de potasse. L'acide agaricique ou résine |3 forme
un sel de potasse insoluble dans l'alcool qui se dépose, tandis qile les autres résines res-
tent pour la majeure partie en solution. On laisse reposer quelque temps et on sépare le
précipité par filtration. On traite celui-ci par l'eau qui dissout le sel de potasse; on
ajoute du chlorure de baryum à la solution, ce qui donne un sel de baryte insoluble
qu'on délaie dans de l'alcool à 30° bouillant et qu'on décompose à chaud par de l'acide
sulfurique dilué. — On jette sur un filtre, et l'acide agaricique cristallise par refroidisse-
ment dans le liquide filtré.
II. Propriétés. — L'acide agaricique se présente sous la forme d'une poudré blan-
che, microcrislalline, fusible vers 138° (Jahns), à peu près sans odeur ni saveur.
Il est très peu soluble dans l'eau froide, à laquelle il communique pourtant une réac-
tion acide. A chaud et à la dose de 1 ou 2 grammes pour 100, l'acide se gontle d'abord
en donnant un liquide gélatineux qui finit par se transformer en une solution incolore,
limpide, moussant fortement par l'agitation. Par refroidissement, l'acide cristallise de
nouveau en fines aiguilles.
I/acide agaricique se dissout dans environ 130 parties d'alcool à 90" froid (13°) et
dans 10 parties d'alcool bouillant. Il se dissout à peine dans l'éther et Je chloroforme. Il
est très soluble dans l'ammoniaque et dans les lessives alcalines même très étendues.
III. Constitution chimique. — La composition chimique de l'acide agaricique
répond à laformule C'"H-^°0'H'-0. H renferme une molécule d'eau de cristallisation qu'il
perd à 80°. C'est un acide bibasique et triatomique, analogue par conséquent à l'acide
malique. Sa constitution peut être exprimée par la formule suivante :
C'*H"(OH)<^°2| + H20.
Parmi les sels qu'il forme avec les bases, le plus important est le sel de potasse carac-
térisé par sa complète insolubilité dans l'alcool absolu.
Essai. — • On dissout 06'', I d'acide agaricique dans lo ce. d'alcool absolu et on
ajoute quelques gouttes de solution alcoolique de potasse. On doit obtenir un précipité
blanc complètement soluble dans l'eau. Cette réaction permet de s'assurer de l'absence
des autres résines du Polypore.
IV. Propriétés physiologiques. — L'acide agaricique est employé contre les
sueurs profuses des phtisiques et aussi contre les sueurs déterminées par l'usage de
certains médicaments (antipyrine). D'après Seifert et Proebsting, Oôi'jOI d'acide agari-
cique équivaut à 0k'',0005 d'atropine. On l'emploie en poudre ou en pilules à la dose de
OS', 03 pour un adulte (Pharmacopée suisse de 1893); les injections sous-cutanées sont
douloureuses.
V. Bibliographie. — Fleory [Journ. dePharm. et de Chim. [i], t. xi, p. 202, 1870).—^
Schoonbrodt (Journ. de médecine de Bruxelles, 1863). — Jahns [Aixh. der Pharm., t. xxi,
1883). — ScHMiEDER. Thèse inaugurale d'Erlangen, 1886. — Ber.n'. Fischer. Die neueren
Arzneimittel, 1893, p. 287.
EM. BOURQUELOT.
AGONIE (du grec àfoivtç, combat). — L'agonie a été, par les Grecs, considérée
comme une lutte entre lavie et lamort. C'est une comparaison plus poétique que réelle,
car, en général, quand l'agonie survient, les forces vitales de l'organisme sont épuisées;
160 AGONIE.
et la lutte est devenue impossible. De fait le mot agonie signifie les 'derniers instants
de la vie, alors que tous les phe'nomènes qui caractérisent la vie de l'individu sont sur le
point de disparaître définitivement.
Les médecins ont souvent décrit l'agonie, et la description qu'ils en donnent est par-
faitement exacte. Voici ce qu'en dit U. Jaccoud (Art. Agoxie du Bict. de médcc. et de
chir.prat. 1864, 1. 1, p. 436). « Une pâleur mate et terreuse remplace la lividité cyanique;
les traits s'afïaissent; les joues retombent flasques et déjà sans vie; les lèvres s'amin-
cissent, le nez s'allonge et s'effile, les yeux sans regard apparaissent à travers les pau-
pières ouvertes; la parole n'est plus intelligible; le pharynx a perdu son action; l'urine
et les matières fécales s'échappent; les battements du cœur deviennent plus faibles et
plus i-ares; le pouls est petit, fugitif, et comme hésitant; les mouvements inspiratoires,
naguère plus fréquents, se ralentissent à leur tour, un râle trachéal dénote la présence
de mucosités abondantes dans les voies aériennes; les inspirations, de plus en plus
brèves, ne se font plus qu'à de rares intervalles; elles sont avortées et déterminent à
peine un léger soulèvement de la poitrine; vient enfin un intervalle plus long que tous
les autres; le moribond se raidit dans une contraction générale; une convulsion dernière
et rapide parcourt le visage...; à ce moment suprême les pupilles se dilatent jusqu'au
double de leur diamètre normal; les yeux sont entraînés vers la partie supérieure de
l'orbite par un mouvement convulsif; ils retombent aussitôt couverts d'un voile; ce mou-
vement est le dernier; l'œuvre de mort est consommée'. »
Si l'on envisage, dans leur ensemble, les phénomènes de l'agonie, on peut constater
qu'ils sont liés à l'état de l'innervation. Le système nerveux qui préside à l'intelligence,
aux mouvements, à la sensibilité, aux réflexes, à la respiration, à la circulation, est pro-
fondément atteint, et alors les diverses fonctions ne peuvent jplus s'exercer. En somme
l'agonie est caractérisée par une profonde dépression du système nerveux, et spéciale-
ment du système nerveux central. L'intelligence a disparu; il n'y a plus ni force mus-
culaire, ni mouvements musculaires volontaires, ni sensibilité. Les réflexes ne sont cepen-
dant pas abolis; mais l'innervation cardiaque est affaiblie, et la pression artérielle réduite
au minimum.
De là un cercle vicieux contre lequel toute thérapeutique est impuissante. La
dépression du système nerveux retentit sur le cœur, qui devient de plus en plus faible; et,
d'autre part, la faiblesse du cœur entraine l'affaiblissement du système nerveux. Les
troubles de la circulation encéphalique font croître l'impuissance du cœur, dont chaque
contraction est de plus en plus faible. Le cœur s'arrête enfin, et cesse d'envoyer du sang
au système nerveux.
C'est là le moment final; car, dès que la circulation a cessé, le système nerveux
meurt. Les réflexes disparaissent; la respiration rythmée s'arrête, et on doit alors
regarder la mort comme définitive.
En cherchant à pénétrer plus profondément la nalure de ces phénomènes. ultimes, .
on voit que l'affaiblissement de la circulation artérielle a pour résultat principal une
diminution de la quantité d'oxygène qui arrive aux centres nerveux. En effet, môme
quand on laisse le cœur se contracter régulièrement, la mort n'en survient pas moins
avec les mêmes apparences, si l'on empêche l'hématose en asphyxiant l'animal, de sorte
que l'agonie est, avant tout, un défaut d'oxygène (ou, ce qui revient au même, de sang
oxygéné) dans les centres nerveux. Asphyxie, anémie, anoxhémie, hémorrhagie, tous
ces modes de mort entraînent l'agonie de la même- manière, et presque avec des symp-
tômes identiques.
On peut donc résumer le processus de la période agonique en disant que c'est une
anoxhémie bulbo-cérébrale, entraînant l'impuissance du cœur, et par conséquent déter-
minant, par le fait même de sa continuation, une anoxhémie croissante.
L'agonie commence à partir du moment où la circulation commence à devenir inef-
ficace. Alors le cercle vicieux s'établit; car l'anoxhémie bulbo-cérébrale entraîne aussi-
tôt une circulation de moins en moins efficace, et la marche des accidents ne peut plus
être enrayée.
Par exemple, si l'on saigne à blanc un chien ou un lapin, on verra tous les phénomènes
1. Voyez aussi Decoux. Quelques considch-alions sur l'agonie, [T. D. P. JS70).
AGONIE.
161
des hémorrhagies profuses se manifeste.- régulièrement, jusqu'au moment, caractérisé
par une angoisse croissante, où les contractions du cœur deviennent trop faibles pour
irnguer convenablement le cerveau. Alors l'agonie se déclare, et elle ne cesse que quand
le cœur a cesse de battre. ■' 4"*'"^
La mort est définie par Vmrêt de la circulation centrale; et l'agonie est alors Vinsuf-
fisance de la circulation. '
De fait, presque toujours, quand la circulation commence à devenir ainsi insuffisante
flU n f ^'"^"^^de à apporter; car la cause qui a déterminé cette insuffisance circu-
latoire pe SIS e. Cependant dans quelques cas on peut dire que l'agonie a vraiment
commence, alors qu'on peut encore en entraver les progrès ; par exemple, quand il y a
asphyxie, par la respiration artificielle; ou, quand U y a hémorrhagie, par la transfu-
s'alse 'h W 1 r 'T '''' "'''^°'^^'^™^'^^^ exceptionnelles, et, le plus souvent, qu'il
débÛ é U ni "^'^'f '^^.""^ intoxication, d'un traumatisme, une fois que. l'agonie a
débute, il faut que le dechn du cœur - et par conséquent du cerveau dont l'état est lié
l'organe "' '^"' ~ ''''''''''' progressivement jusqu'à la mort physiologique de
cefte^-ntfr'''"' ^"^," '^^ l'o'-Sa^isme n'est autre que la réaction du système nerveux à
Tspl V e ^^'wv f "." '"■''"' °''^''''' ^^ '"''' ^"^ l'^8°"'^ '^' - ^°™"- une
aspliyxie lente (Voyez Asphyxie).
brés°^ I^w"'f .''"^' '^"'' 'f'°,? "ï"''' ''''^'^ '^' ''''^^'^' '^ ^^"S «^haud. ou de verté-
Fe cœLn ?f ; ^''.^T''l ^^ '^S°"^' '"'"''^ différentes. Si sur un chien on arrête
el H?nl tl r galvanisation du myocarde, l'agonie durera une demi-minute, une minute
et demie tout au plus; pendant quelques instants, une dizaine de secondes à peine, les
efets paraîtront nuls. Mais tout d'un coup l'insuffisance de l'hématose cérébrale déter-
minera des cris déchirants, des convulsions, pais des inspirations profondes, puis enfin
la cessation complète de tout mouvement. Au contraire, si, à un animal à sang froid
",5;'"°" ' ^°'''""' *°''"'' '"'P''^'' - °" ^"'^^^ 1« '"''"'' «'«^t à peine si l'on verra
pendai t les premières mmutes un phénomène quelconque, indiquant la perturbation
des autres appareils organiques. La mort surviendra, mais lentement, peu à peu, sans
lutte et pour amsi dire sans aucune réaction du système nerveux anémié. Par consé-
quent on peut dire que, chez les animaux à sang froid, il n'y a pas d'agonie, à propre-
ment parler ou du moins une agonie tellement lente qu'on ne peut guère la comparer
a 1 agonie des vertèbres a sang chaud, dont le cerveau a besoin d'être constamment
irrigue par du sang riche en oxygène.
Nous ne pouvons ici demre toutes les formes de l'agonie; elles sont innombrables,
et aillèrent avec le genre de mort. Quand une maladie ou un poison a débilité graduel-
lement 1 organisme, l'agonie est calme et lente; et elle ne ressemble guère à l'agonie
rapide et bruyante qui succède à une maladie aiguë ou à une intoxication foudroyante.
Pendan 1 agonie, que devient l'intelligence? que devient la conscience? Problème
redoutable! difficile à résoudre d'une manière définitive. 11 est évident que le plus
souvent, quand I agonie a commencé, toute trace d'intelligence a disparu. Parrot, dans
\MAgome du met. E. S. M., t. u, p. 194, définit même l'agonie : le temps pendant
lequel le moribond survit à la mort de son cerveau. Presque toujours la conscience a
disparu, cette fragile conscience, le plus délicat de tous les appareils de la vie oui a
besoin pour s exercer d'une intégrité organique irréprochable. Mais qui oserait dire que
e mourant n a pas quelquefois conscience de ce qui l'entoure ? Alors même que le re-ard
terne est déjà obscurci d'un voile, et que le cœur n'a plus que quelques faibles batte-
ments, parfois il y a encore comme une trace d'inteUigence; un léger mouvement des
yeux, une faible pression de la main suffisent pour indiquer qu'il comprend encore et
qu il entend.
Je ne voudrais donc pas définir l'agonie par la fin de la conscience ; et je dirais plutôt
quoique toute définition soit forcément défectueuse, que l'agonie est la période pendant
laquelle la circulation cardiaque est devenue inefficace à l'irrigation cérébrale- son
mefficacité pouvant tenir soit à la qualité du sang (empoisonnements, asphyxie), soit à
a la quantité du sang (hémorrhagie), soit à la faiblesse des mouvements du cœur
Une fois que le cœur a cessé de battre, l'innervation volontaire a disparu- la con-
science elles réOexes ont cessé, et il n'y a plus de respiration rythmée. Mais, quoique la
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. i.
162 AGRAPHIE.
conscience soit alors vraiment éteinte, un phénomène presque constant se produit, que
nous devons mentionner, c'est la respiration agonique
Voici en effet ce qui se passe. Au moment où le cœur s'arrête, la respiration rythmée
s'arrête aussi, les pupilles se dilatent; une contraction générale tonique de tous les
muscles a lieu avec constriction des intestins et expulsion des matières fécales; puis
tout cesse, et il se passe quelques secondes d'immobilité complète pendant lesquelles
on peut croire que tout est flni. Tout n'est pas fini cependant, car bientôt survient une
grande respiration suivie d'une expiration prolongée. C'est un véritable soupir, générar
lement non isolé; car il est suivi de deux ou trois autres, de moins en moins profonds,
séparés l'un de l'autre par une dizaine de secondes d'intervalles. Ce phénomène remar-
quable, qui a frappé de tout temps, dit P. Bert, l'imagination des hommes, a reçu le nom
de dernier soupir (P. Bert. Leçons sur la respiration, 1870, p. 431, voir flg. 108 et 111).
On l'observe avec une netteté admirable dans certaines asph3'xies, et surtout dans la
mort par la galvanisation du cœur. Dans ce cas, il semble bien que le bulbe qui préside
à la respiration rythmique normale meure dès que le sang cesse de l'irriguer; mais, phé-
nomène surprenant, cette mort n'est pas encore tout à fait complète, et, avant la cessa-
tion définitive de son activité, les cellules nerveuses qui président à l'incitation respira-
toire sont encore capables de donner deux ou trois grandes inspirations.
On peut prouver facilement que la mort du bulbe n'est pas, dans ce cas, définitive :
en effet, si, au moment oii se produisent ces derniers soupirs, on pratique vigoureuse-
ment, sur un chien qui asphyxie, la respiration artificielle, on voit au bout d'une on
deux minutes reparaître un ou deux battements du cœur, séparés par un long inter-
valle; puis, toujours si l'on continue la respiration artificielle, de nouveau reparaissent
quelques battements du cœur, et enfin la respiration spontanée revient, et la période
agonique cesse par le retour de toutes les fonctions physiologiques.
Il convient d'ajouter que, dans les intoxications lentes et les maladies chroniques, se
phénomène du dernier soupir ne s'observe pas; et la respiration qui va en diminuant
graduellement ne reparaît plus quand les petites inspirations insuffisantes ont fini par
devenir imperceptibles.
La température, au moment de l'agonie, diminue ou augmente selon la cause de la
mort. Si la mort est lente et progressive, comme dans les maladies chroniques ou les
empoisonnements lents, la température va en s'abaissant régulièrement; mais, s'il s'agit
d'une fièvre infectieuse, avec hyperthermie , ou d'une maladie convulsive comme la
méningite, le tétanos, la rage, ou d'un empoisonnement par des substances tétanisantes,
alors la température va en croissant jusqu'à la mort, et même on sait qu'elle continue
à croître après la mort (Voyez Température).
Nous n'avons pas à entrer ici dans de plus grands détails, car les phénomènes de
l'asphyxie se confondent avec les phénomènes de l'agonie (Voyez Asphyxie, Mort). Cela
s'explique; car l'agonie se produit dès que périclite la circulation cérébrale pour une
cause ou une autre. C'est donc l'asphyxie cérébrale qui amène le cortège des symptômes
agoniques.
CH. R.
AGRAPHIE. — Le terme Agraphie a été introduit dans la science par Ogle
pour servir à désigner l'aphasie motrice graphique.
L'agraphie est donc une des formes simples de l'aphasie (Voyez Aphasie).
On sait que, selon la conception fameuse de Charcot, le mot n'est pas une unité, mais
un complexus qui comporte l'organisation suivante ; il est composé d'une image audi-
tive — mot entendu — et d'une image motrice d'articulation — mot parlé. Cette der-
nière ne se produit qu'à la suite et sous l'influence de la première. De plus, chez les
sujets éduqués, le mot offre, en outre, une image visuelle — mot lu — à laquelle est
liée une image motrice graphique — mot écrit.
L'agraphie est précisément la perte de la faculté de l'écriture, et elle est supposée en
rapport causal avec l'altération de la partie dé l'écorce cérébrale considérée comme le cen-
tre fonctionnel des images motrices graphiques des mots. Elle est caractérisée clinique-
ment par l'abolition plus ou moins complète de l'écriture en toutes ses manifestations
(volontaire, sous dictée, copiée) chez un sujet dont l'intelligence est conservée, dont les
AGUEUSIE. — AIR. Ki;-!
organes moteurs (épaule, bras, main) ne sont ni paralysés ni incoordonnés, et qui a
gardé, à l'ordinaire, la faculté d'articuler, d'entendre, de comprendre, et parfois même
de lire les mots écrits. Ce trouble est variable dans son intensité : tantôt le sujet n'arrive,
malgré ses efforts, à trouver aucun caractère d'écriture, tantôt il parvient à écrire des
traits incohérents, quelques lettres, un mot sans signification, et assez souvent sa signa-
ture. On a distingué de plus l'agraphie littcrate el verbale, selon que les lettres ou seu-
lement les mots ne peuvent être écrits.
L'agraphie dépend-elle, comme toutes les autres variétés d'aphasie, de la lésion d'un
centre autonome localisé dans l'écorce cérébrale? Le fait est actuellement encore en dis-
cussion. WER>iicKE avait supposé que, l'acte d'écrire se réduisant toujours à une copie des
images optiques des lettres et des mots, il n'e'tait pas prouvé que cet acte dépendit d'un
centre spécial et autonome qui jouerait pour l'écriture le même rôle que joue la circonvo-
lution de Broca pour le langage parlé; la destruction de la mémoire visuelle verbale suf-
firait alors pour entraîner l'agraphie. M. Déjerine a défendu cette dernière manière de
voir, en se fondant, d'une part sur ce que la localisation anatomique de l'agraphie dans
l'écorce, dont Exner avait placé le siège au niveau du pied de la deuxième circonvolu-
tion frontale du cerveau, n'est pas nettement établie par des autopsies irréprochables, et
sur ce que, d'autre part, lui-même a observé des cas de cécité verbale, qui s'accompa-
gnaient ou non d'agraphie, selon que cette cécité verbale dépendait de l'altération du
centre de la vision des mots (pli courbe) ou seulement des fibres faisant communiquer
celui-ci avec le centre visuel général. Â son avis, il n'existe pas de centre spécialisé dans
l'écorce cérébrale pour l'écriture, et c'est des autres centres du langage, du centre de la
vision verbale, en particulier, que cette fonction dépend.
Si, eu réalité le fait décisif d'une agraphie pure correspondant à une lésion exacte-
ment et uniquement circonscrite à une région de l'écorce n'a pas encore été recueilli,
on connaît par contre des cas de cécité verbale, par lésion du pli courbe sans agraphie
(Osler), qui n'en contredisent pas moins l'opinion qui rend l'agraphie exclusivement
dépendante du centre visuel verbal. De plus, la pathologie générale de l'agraphie elle-
même montre qu'il s'agit pour l'exécution des mouvements de l'écriture d'une faculté
spécifique, puisque cette faculté de tracer des mouvements spécialisés peut disparaître,
sans qu'il existe aucun trouble ni des mouvements généraux, ni même de certains mou-
vements particuliers (dessin) du bras et de la main. Aussi nous paralt-il nécessaire, tant
au point de vue pathologique qu'au point de vue physiologique, de persister à admettre
l'existence d'un centre autonome d'images motrices différencié pour l'éci'iture, dont des
recherches ultérieures moins discutables préciseront sans doute mieux le siège anato-
mique.
PAULBLOCQ.
AGUEUSIE. — L'agueusie est l'abolition des sensations gustatives : lorsqu'elle
n'occupe que la moitié de la langue, elle est dite hémi-agueusie. La constatation de
l'agueusie dans la paralysie faciale indique le rôle que joue, dans la fonction spéciale de
ce nerf, la corde du tympan. En dehors des lésions bulbaires qui la provoquent aussi
en intéressant les origines du nerf glossopharyngien, l'hémi-agueusie est surtout fré-
quente dans l'hystérie, où elle figure au même titre que les divers troubles autres de la
sensibilité (Voyez Goût).
P. B.
AIR. — L'étude de l'air comporte d'abord l'analyse du mélange gazeux qui le
constitue essentiellement; puis celle de différents gaz dont on constate la présence dans
l'atmosphère en proportions variables selon le temps et les lieux, et dont l'existence
constante fait qu'ils doivent être considérés comme entrant normalement dans sa com-
position, d'autant que leur rôle, notamment au point de vue de la biologie, est d'une
importance capitale ; enfin la description de nombreuses matières solides qui s'y trouvent
à l'état de suspension, et n'entrent dans sa composition que d'une façon tout à fait acci-
dentelle, ne remplissant ainsi aucune fonction essentielle.
Composition de l'air. — La démonstration de la composition de, l'air atmosphé-
rique est due à Lavoisier (1775). En chauffant un volume déterminé-d'air au contact
K!^
AIR.
du mercure, à une température voisine de l'ébullition de ce métal, Lavoisiek constata
que le mercure se recouvrait de paillettes rouges, et que le gaz qui restait au-dessus
de ce nouveau corps avait perdu la propriété d'entretenir la respiration et les combus-
tions. C'était l'azote, qui ne représentait plus approximativement que les 0/6 du volume
d'air primitif. En chauffant les particules rouges recueillies à la surface du mercure,
Lavoisier en dégagea un gaz qui possédait au plus haut degré [la propriété d'entretenir
la respiration et la combustion, et qu'il appela air vital. C'était l'oxygène, et le volume
de gaz ainsi obtenu représentait assez exactement celui qui avait disparu lors du chauf-
fao-e du mercure. En mélangeant l'air vital à l'azote, Lavoisier put alors reconstituer un
mélange qui avait toutes les propriétés de l'air atmosphérique.
Depuis, cette méthode d'analyse a été perfectionnée par Gay-Lussac et Humboldt,
puis par j'.-B. Dumas et Boussingault, et par Regnadlt; mais ces analyses plus délicates
n'ont fait qu'apporter à la composition de l'air, telle qu'elle avait été donnée par Lavoi-
sier, une plus grande précision, sans en modifier la formule générale.
Actuellement on admet que l'air est un mélange de 21 volumes d'oxygène et de
79 volumes d'azote (exactement 20,93 d'O et 79,07 d'Az). En poids rapportés à 100, ces
proportions sont représentées sensiblement par 23 d'oxygène et 77 d'azote.
Kous devons cependant mentionner, bien qu'elle n'ait pas encore subi la sanction du
contrôle,la découverte, annoncée par deux chimistes anglais, M. Ramsay et Lord Rayleigh,
d'un nouvel élément gazeux de l'air.
C'est au Congrès de l'Association britannique pour l'avancement des sciences (août 1894)
que ces deux chimistes annoncèrent que l'observation qu'ils avaient précédemment faite
d'une différence de densité entre l'azoté atmosphérique et l'azote extrait des composés
nitrés, les avait conduits à trouver l'existence dans l'atmosphère d'un gaz qui n'est ni
l'oxygène, ni l'azote.
Ce gaz, plus inerte encore que l'azote, pourrait être isolé par deux méthodes que les
auteurs ont exposées devant la section de chimie du Congrès.
La première méthode est celle employée par C.avendish pour la démonstration de la
composition de l'acide nitrique. De l'air est soumis à l'action d'étincelles électriques en
présence de potasse qui absorbe les vapeurs nitreuses, tandis qu'un pyrogallate alcalin
absorbe l'oxygène en excès. Le gaz résiduel n'est ni de l'oxygène, ni de l'azote, ainsi qu'on
peut en juger par l'examen de son spectre. On peut l'obtenir aussi en exposant de l'azote
tiré de l'atmosphère à l'action du magnésium chauffé; on produirait ainsi de plus
grandes quantités de ce gaz; à mesure que le magnésium absorbe l'azote, la densité du
résidu augmente, passant de 14,88 à 16,1 et finalement à 19,09. A ce moment l'absorp-
tion paraît avoir atteint sa limite; la proportion du nouveau gaz serait donc de 1 p. 100
de l'azote atmosphérique.
Ce gaz donnerait un spectre avec une ligue bleue unique beaucoup plus intense que
celle du spectre de l'azote.
Comme toutes les découvertes, celle-ci a rencontré beaucoup de scepticisme; et
l'on a opposé aux inveiiteursque leur gaz n'était que du protoxyde d'azote ou de l'azote
condensé, ou encore qu'il était fabriqué au cours des manipulations chimiques et ne
préexistait pas dans l'air normal.
Acide carbonique de l'air. — Avec l'oxygène et l'azote, on trouve dans l'atmo-
sphère, constamment, bien qu'en proportions assez variables, de l'acide carbonique. Ce gaz
se forme en effet lors de la respiration des animaux et de certaines parties des plantes,
et il est versé dans l'atmosphère, on peut le dire, à jets continus.
Malgré ces sources nombreuses de production, la quantité de CO'- contenue dans l'air
est très minime; elle oscille entre 4 et 6 dix-millièmes en volume.
La raison de la faiblesse de cette proportion est dans la diffusion rapide des gaz, car
dans certaineslocalités, notamment dans les grandes villes, en hiver, la production d'acide
carbonique est vraiment considérable. Ainsi Boussingault a calculé, il y a déjà cin-
quante ans, que Paris en produisait, chaque jour, tant par la respiration de ses habitants
que par ses divers foyers de combustion, 2944600 mètres cubes. Et cependant la propor-
tion d'acide carbonique, le jour, étant à Paris représentée par 100, elle est encore repré-
sentée par 92 à la campagne, à plusieurs lieues de Paris. Pour 100 mètres cubes d'air, on
trouve, d'acide carbonique: 34 lit. 3 en Autriche; 44 à 49 litres dans le désert lybique;
AIR. l6o
29 lit. 2 en Floride; 28 litres à la Martinique; 27. lit i au Cliili, 26 lit. 6 à SanLa-Cruz.
Dans une même localité, d'ailleurs, les variations sont souvent très marquées. D'une
façon générale, la proportion de CO^ est plus forte la nuit que le jour, et diminue après
la'pluie. A Paris, d'après J.-B. Dumas, cette proportion oscille entre 28 et 35 litres pour
100 mètres cubes d'air. Au cap Horn, d'après M. Hyades, elle oscille entre 2.3,1 et
28 lit. 0.
Ozone. — La variabilité de la proportion d'ozone contenue dans l'air est relativement
plus grande. Le poids moyen de ce gaz est de 1 milligr. 1 pour 100 mètres cubes d'air,
mais le maximum peut atteindre 3,3 milligrammes, tandis que cet élément disparait à
peu près complètement dans l'air des villes. A l'Observatoire de Montsouris, d'après
MiQUBL, l'analyse chimique n'en accuse pas les moindres traces quand les vents soufflent
du Nord, c'est-à-dire quand l'air a traversé Paris; au contraire, par les vents du Sud,
du Sud-Est et du Sud-Ouest, il fait rarement défaut. Il paraît donc probable que l'ozone,
dû aux phénomènes de la végétation, se détruit en oxydant les principes volatils divers
qui s'exhalent des vastes agglomérations urbaines.
Azote ammoniacaL — Les travaux de Schlœsixg ont rendu incontestable la pré-
sence de l'ammoniaque dans l'air. A Paris, le poids de ce corps, exprimé en azote, oscille
entre quelques dixièmes de milligrammes et 3 milligrammes pour 100 mètres cubes d'air.
La moyenne est de 2,2 milligrammes. L'origine de cette ammoniaque est sans doute dans
la décomposition des matières végétales et animales, ainsi que dans l'électricité atmo-
sphérique; car LiEBiG a constaté depuis longtemps que l'eau des pluies d'orage contient
de l'azotate d'ammoniaque.
Vapeur d'eau. — L'élément dont la proportion varie le plus, dans une région
donnée, au sens de l'atmosphère, est assurément la vapeur d'eau. Selon les saisons, la
température, l'altitude, la situation géographique, il y a déjà des variations constantes ;
il y en a en outre d'incessantes, suivant les conditions météorologiques diurnes de
chaque localité prise en particulier. On trouve dans les ouvrages de physique des tables
qui donnent la quantité de vapeur aqueuse à saturation contenue dans un volume déter-
miné d'air pour les diverses températures. Il faut retenir que l'état hygrométrique de
l'air, pour une température déterminée, est le rapport entre la quantité d'humidité exis-
tant réellement dans l'air et celle qui existerait si l'air était saturé à cette même tempé-
rature.
Iode, particules salines. — Comme on a souvent constaté la présence de l'iode
dans les eaux pluviales (Bouis), on est obligé d'admettre que sa présence est sinon nor-
male, du moins fréquente, dans l'air, à l'état libre ou combiné, de même, au voisinage
de la mer, l'air peut véhiculer des particules de chlorure de sodium, et de quelques autres
sels. M. Gernez, ayant établi que les dissolutions salines sursaturées ne cristallisent au
contact de l'air que lorsque celui-ci contient en suspension des traces du sel même con-
tenu dans la dissolution, ou d'un sel isomorphe, a été amené à admettre qu'il existe
aussi fréquemment, dans l'atmosphère, des particules en suspension de sulfate de
soude.
C orpuscules vivants de l'atmosphère. — Les éléments solides que l'atmosphère
tient en suspension sont des poussières brutes et des corpuscules vivants.
Les travaux de M. Pasteur nous ont appris, comme on sait, à voir dans ces derniers
la cause des fermentations et celle des maladies infectieuses et infeclo-contagieuses ; et
d'autre part les naturalistes n'ont^réussi à expliquer certaines apparitions inattendues de
végétaux dans des localités qui en avaient toujours été dépourvus, certains phénomènes
mystérieux de fécondation végétale à grandes distances, que par le transport par l'air
de pollens et de spores.
Tous ces éléments animés sont aussi très inégalement répartis suivant les temps et
les lieux ; leur numération a fait l'objet d'études longtemps poursuivies par M. Miquel,
cjui a imaginé, dans ce but, des appareils ingénieux et des méthodes rigoureuses.
Les pollens, fort répandus dans l'air au printemps et en été, tendent à disparaître
en automne et surtout en hiver; cependant il n'est pas rare d'en trouver plusieurs dans
un mètre cube d'air, même quand la neige couvre le sol depuis près d'un mois. A Paris,
le chiffre des pollens atmosphériques est parfois assez élevé, et atteint communément, en
été, de 5 000 à 10000 par mètre cube d'air.
16(5 AIR.
Les spores cryptogamiques y sont environ vingt-cinq fois plus nombreuses. La tem-
pérature douce qui règne presque toujours à Paris en avril et en mai donne à cette
végétation cryptogamique son premier essor. C'est en juin que leur foisonnement
atteint son maximum, et peut dépasser le nombre de 33000 par mètre cube d'air. En
décembre et janvier, leur nombre oscille autour de 7000.
L'expérience par laquelle M. Pasteur a démontré l'existence de bactéries vivantes dans
l'atmosphère est devenue célèbre, et voici comment l'illustre savant la décrit lui-même en
peu de mots : « Dans une série de ballons de 2o0 centimètres cubes de capacité, j'introduis
la même liqueur putrescible : de l'eau albumineuse, de l'urine, etc., de manière qu'elle
occupe le tiers environ du volume total. J'effile les cols à la lampe d'émailleur, puis je
fais bouillir la liqueur, et je ferme l'extrémité effilée pendant l'ébullition. Le vide se
trouve fait dans les ballons; alors je brise leur pointe dans un lieu déterminé : l'air s'j"
précipite avec violence, entraînant avec lui toutes les poussières qu'il tient en suspension
et tous les principes connus et inconnus qui lui sont associés, .le referme alors immé-
diatement les ballons par un trait de llamme, et je les transporte dans une étuve entre
25° et 30°, c'est-à-dire dans les meilleures conditions de température pour le développement
des animalcules et des semences. Le plus souvent, en très peu de jours, la liqueur s'altère,
et l'on voit naître dans les ballons, bien qu'ils soient placés dans des conditions iden-
tiques, les êtres les plus variés, beaucoup plus variés même que si les liqueurs avaient
été exposées à l'air ordinaire. Mais, d'autre part, il arrive fréquemment, plusieurs fois
dans chaque série d'essais, que la liqueur reste absolument intacte, quelle que soit la
durée de son exposition à l'étuve, comme si elle avait reçu de l'air calciné. » C'est
qu'en effet, les microbes, surtout dans un lieu où l'air est en repos, sont beaucoup
moins nombreux qu'on ne serait tenté de le croire.
Au centre de Paris, au mois d'août, on en trouve environ de 5 000 à 6 000 dans un
mètre cube d'air. En décembre et en janvier, leur nombre oscille entre 2000 et 3000; et
la moyenne annuelle est de 4 000 environ. Mais à Montsouris, c'est-à-dire dans un miheu
tranquille, bien que peu éloigné encore de l'agitation du centre de la grande ville, la
moyenne varie entre 300 et 400, et le maximum ne dépasse pas 700.
D'autres observations ont démontré que, pendant les saisons humides et les temps
pluvieux, le chiffre des bactéries devient très faible; et qu'il s'élève au contraire considé-
rablement pendant la sécheresse.
Les analyses hoi'aires, faites par M. Miquel, établissent de même que le nombre des
bactéries atmosphériques varie sans cesse, et passe par deux maxima, dont l'un se
présente vers 6 heures du matin et l'autre vers 6 heures du soir, les minima se trou-
vant généralement compris entre 2 et 3 heures du matin et 2 et 3 heures de l'api'ès-
midi.
A mesure qu'on s'élève au-dessus du sol, les bactéries apparaissent moins nombreuses.
Au sommet du Panthéon, l'air est déjà seize fois plus pur que celui qui circule dans la
rue de Rivoli, et sur les hautes montagnes, c'est à peine si l'on rencontre une bactérie
par mètre cube d'air. En pleine mer, les microbes sont encore plus rares, et parfois l'on
n'en trouve que 4 à 6 dans 10 mètres cubes d'air.
Au contraire, dans l'intérieur des habitations, des ateliers, des hôpitaux, les microbes
sont fort nombreux, et atteignent parfois le nombre de 100 000 par mètre cube. Mais ce
nombre est toujours en rapport avec les causes qui tendent à soulever les poussières du
sol, parquet ou tapis; car, dans les pièces inhabitées, l'air se purifie, au moins au point
de vue bactériologique; et dans les égoûts, dont les parois sont souvent humides, et la
ventilation faible, on ne trouve que fort peu de microbes.
Maintenant, le point important est de savoir si ces nombreux microbes de l'air sont dange-
reux. Évidemment, pour le plus grand nombre, ils sont inoffensifs, et il en est des microbes
de l'air comme des microbes des eaux; autrement l'humanité tout entière aurait bien
vite disparu. Mais enfin les observations épidémiologiques mettent hors de doute ce fait,
que la plupart des maladies microbiennes sont susceptibles d'une transmission indirecte,
c'est-à-dire par le mécanisme du transport des germes par le milieu ambiant, et il n'est
pas douteux que les fièvres éruptives, la diphtérie, la rougeole, l'influenza, l'impalu-
disme, la fièvre typhoïde, le typhus, le choléra, la tuberculose, se propagent grâce au
transport par l'air, à une plus ou moins grande distance, de leurs germes virulents, et à
ALBINISME. 167
l'absorption de ces germes par des individus prédisposés, chez lesquels se trouvent
ouvertes des portes d'entrée accidentelles ou anormales.
Les procédés antiseptiques d'abord, puis aseptiques, de la chirurgie ont réussi à pré-
server les blessés et les opérés du contact de ces germes nocifs; la protection des indi-
vidus sains contre les germes des maladies épidémiques qui se transmettent par l'air
paraît d'une réalisation bien difficile, et l'on ne peut guère en entrevoir le mécanisme
hygiénique. Aussi voit-on qu'en dépit des magnifiques acquisitions de la science dans
les vingt dernières années, malgré les découvertes géniales de Pasteur, le nombre des
décès dus aux maladies infectieuses ne varie guère. C'est que la protection de l'atmo-
sphère contre les germes pathogènes n'est pas encore inventée, et que les faibles barrières
que l'on peut élever contre ceux-ci, par les quarantaines, par l'isolement des malades
dangereux, ne sont en somme qu'une défense bien mince, ^ l'on réfléchit au nombre
considérable des malades, comme les tuberculeux, qui vont semant leurs bacilles par
les rues en toute liberté, ou de ceux qui, comme les diphtéritiques, les cholériques, les
typhiques, atteints de maladies atténuées, véhiculent leur mal; ils sont par conséquent
d'autant plus redoutables qu'ils sont moins gravement atteints.
Poussières atmosphériques brutes. — L'air contient enfin, en plus des germes
vivants, une foule de particules terreuses, charbonneuses et ferrugineuses, des débris de
fibres textiles, de parcelles végétales envoie de décomposition, qui peuvent atteindre des
dimensions susceptibles de les rendre visibles à l'œil nu. On pourrait aussi dresser une
longue liste des éléments hétérogèties provenant des animaux, tels que le duvet des
oiseaux, les écailles des papillons, les dépouilles d'insectes microscopiques, et parfois aussi
des diatomées, des œufs et des cadavres d'infusoires,
Ces poussières brutes ne sont d'ailleurs pas inoffensives, car elles agissent comme des
irritants mécaniques, à la surface de nos bronches et de nos poumons, et peuvent ouvrir
aux microbes dangereux des portes d'entrée. Dans certaines industries, où certaines
poussières, minérales, végétales ou animales, sont produites en grande quantité, la
mortalité élevée des ouvriers qui respirent une atmosphère chargée de ces produits
témoigne de leur nocivité.
Les poussières les plus nuisibles sont celles qui, en raison de leurs formes irrégulières
et de leur déchirabilité, forment des adhérences avec la muqueuse. Plus elles sont fines
et légères, mieux elles pénètrent profondément dans les voies bronchiques, et plus les
effets en sont nuisibles et intenses.
L'irritation produite par le contact d'un corps étranger avec la muqueuse provoque
uu effort d'inpulsion, une toux. Or, s'il est des poussières (riz, farine, etc.) qui sont assez
facilement expulsées par la toux, il en est d'autres, comme les poussières métalliques,
les poussières de bois et de diverses substances filamenteuses, qui s'incrustent en raison de
leur forme sur les organes respiratoires et ne peuvent être rejetées aussi facilement par
un accès de toux. De plus, dans ces cas, il y a blessure de la muqueuse, c'est-à-dire une
porte ouverte par laquelle entrent plus facilement les microbes des maladies infec-
tieuses.
J. HÉRICOURT.
ALBINISME. — On donne le nom d'albinisme à un état de décoloration plus
ou moins complet, plus ou moins étendu, des parties superficielles normalement pigmen-
tées. Il s'observe chez les végétaux aussi bien que chez les animaux ; dans les deux
cas il reconnaît la même cause: le manque ou la diminution du pigment. Quand il se
produit chez les feuilles, il détermine ce que les horticulteurs appellent les panachureb,
et l'on sait que cette forme d'albinisme est assez recherchée pour l'ornementation des
jardins. On peut dire que la plupart des plantes cultivées ont fourni des exemples de
panachures, et c'est chez elles surtout qu'il les faut chercher : la panachure est plus
rare à l'état sauvage. La culture en favorise la production, comme aussi les modifica-
tions de milieu, la transplantation, et sans doute aussi des causes moins accessibles à
notre investigation. On a vu la panachure s'abattre en quelque sorte comme une épidé-
mie sur toute une culture, et ceci indique qu'il devait y avoir quelque cause générale,
chimique ou physique, dont la nature nous échappe. On a souvent considéré les plantes
panachées comme moins robustes que les sujets normaux, mais ce semble être un
168 ALBINISME.
préjugé, à tout prendre. Chez elles l'albinisme n'est point héréditaire : une plante
panachée donne des graines fournissant presque invariablement des sujets normaux, et,
pour multiplier les individus panachés, les horticulteurs ont de préférence recours à la
multiplication sexuelle, au bouturage, aux gretfes, etc., c'est-à-dire aux procédés qui
prolongent l'individu, s'il est permis de s'exprimer ainsi. Au reste cette prolongation
sans intervention de la reproduction sexuelle peut, sans doute, s'opérer durant des
années et des siècles, sans inconvénients pour la vigueur des individus : la pomme de
terre, le bananier, VElodea canadensis, la canne à sucre, etc., en sont des exemples familiers.
L'albinisme chez les végétaux ne se localise pas aux feuilles : il peut encore envahir la
fleur, le fruit. Les plantes à fleurs albines ne sont pas rares : la corolle, au lieu d'être
rouge ou bleue, par exemple, est blanche, et, contrairement à ce qui se passe pour les
feuilles, l'albinisme de la tleur se transmet volontiers par voie sexuelle, et dès lors on
possède une race albine. Les fleurs jaunes sont moins sujettes à l'albinisme que les
rouges ou les bleues. L'albinisme des fruits est également héréditaire : on connaît les
races décolorées de fraisiers et de framboisiers, dont les fruits, à maturité, sont d'un
blanc jaunâtre. Il est à peine besoin de faire remarquer que l'albinisme n'a de commun
avec la chlorose ou l'étiolement que l'apparence extérieure: le mécanisme, la cause sont
très différents, et le traitement classique de la chlorose végétale demeure absolument
sans effet sur l'albinisme.
Ceci dit sur l'albinisme chez les végétaux, passons aux animaux. Chez eux ausîi, il
est d'observation quotidienne, et dans tous les groupes. Chez les invertébrés terrestres
ou aquatiques, il n'est point rare : de tous côtés on en voit signaler des exemples. Les
entomologistes ou les malacologistes en particulier en ont recueilli beaucoup de cas,
et les publications spéciales en font foi (Pour les insectes voir en particulier VEntomo-
logist's Record and Journal of Varialion). Parmi les vertébrés il en va de même : les
poissons albins ne sont pas rares, et le poisson i-ouge en offre de nombreux exemples.
Les batraciens semblent plus réfractaires ; cependant M. Harti.xg (J.-E.), à une séance
de la Linnean Society, en 1891, a présenté une Rana temporaria albine, et il a
remarqué à ce propos qu'il n'a pu recueillir dans la bibliographie que quatre ou cinq cas
analogues. Peut-être n'était-il pas bien au courant des travaux faits sur le continent,
car Fatio a signalé un Rombinator igneus albin en 1892 ; Lataste a observé l'albi-
nisme chez une grenouille rousse et plusieurs têtards de Pélodyle ; Héroî-'-Royer l'a vu
chez des Alytes, Pavési chez des grenouilles vertes, et Lesson en 1881 chez la grenouille
rousse. Les tritons sont parfois atteints d'albinisme, et chacun sait que l'Axolotl le pré-
sente aussi : il existe une race albine due à Duméril qui a opéré là une intéressante expé-
rience de sélection ; la race persiste — et l'albinisme aussi — et se reproduit parfaitement.
Peut-être l'albinisme est-il rare chez les reptiles. En tous cas nous n'en trouvons guère
d'exemples. Chez les oiseaux, par contre, ils sont nombreux. Le merle blanc existe
ailleurs que dans la fable, il est même relativement fréquent; le serin blanc existe aussi,
et le quartier Latin en .possédait un, vers 1875, qui était bien connu des élèves des lycées
dans les cours desquels il se montrait volontiers; le corbeau quitte parfois sa parure
de jais pour un costume blanc pur, et le Zoologist et l'Essex Natiiralist renferment
plusieurs autres exemples de ce genre. Chez les mammifères enfin, les cas sont eu
assez grande quantité pour qu'un naturaliste italien ait jugé utile d'en dresser le cata-
logue, et la Lùte générale des mammifères sujets à l'albinisme, dressée par M. Elvezio Can-
ton:, traduite en français avec additions par M. Henri Cadeau de Keryille, complète avan-
tageusement les indications données sur ce sujet par Godron dans son livre sur l'Espèce.
M. Cantoni a relevé 79 espèces présentant l'albinisme à des degrés divers, et M. Gadeau
DE Kerville complète sa traduction et ses annotations par une note publiée en 1891 sur
l'albinisme chez le lapin de garenne et la bécassine. Bref l'albinisme s'observe chez beau-
coup d'animaux, aussi bien à l'état sauvage qu'à l'état domestique. A l'état sauvage il
existe même chez quelques-uns un albinisme périodique intéressant. Les manmiifères
et oiseaux des régions neigeuses, au nord des continents américain et asiatique, sont
en effet vêtus de blanc en hiver, et en été leur pelage ou plumage est coloré.
L'albinisme présente des degrés chez les animaux comme chez les végétaux.
G. Frauenfeld (Farbenabweichungen bei Tliieren, dans les Verhandl. d. Zool. Bot. Vereins,
Vienne, 18o.3) a tenté de classer les différents types observés, et voici sa classification :
ALBUMINE DE L'ŒUF. 169
Lcucockroismc, ou albinisme total; la plume ou le poil, ou la peau, sont entièrement
décolorés, et l'œil, chez les vertébrés, a l'iris rouge, dépourvu de pigment. Chlorochroisme :
les couleurs sont pâlies, lavées, sales. Géraiochroisme : albinisme par les progrès de l'âge ;
blanchissement dû à la vieillesse. AUochroisme ; les couleurs sont totalement blanches,
ou en partie tapirées. Climatochroîsme : albinisme périodique ou saisonnier. Cette clas-
sification a l'inconvénient de reposer sur des données différentes. N'est-il pas évident
qu'il y a leucochroîsme par climatochroîsme, par exemple. Dans un cas on considère le
caractère de l'albinisme, dans l'autre sa cause : dès lors la classification est boiteuse;
mieux vaut s'en tenir pour le moment à la vieille classification de Geoffroy-Saint-Hilaire
qui ne repose que sur une seule donnée, le caractère de l'albinisme, sans tenir compte
de sa cause, d'où les trois divisions que voici : albinisme complet, ce qui n'a pas besoin de
définition; albinisme partiel, où la décoloration ne porte que sur une partie de la peau,
du poil ou des plumes; albinisme incom.plet, où la dépigmentation est partielle, où le
pigment est afiaibli, mais non aboli.
Il convient d'ajouter que, comme chacun le sait, l'albinisme ne se traduit pas seu-
lement par une décoloration de la peau ou de ses appendices : il y a encore décoloration
de l'iris et de la choroïde dans beaucoup de cas. De là l'œil albinos bien connu, celui des
lapins blancs, par exemple. Le pigment manque à l'iris et à la choroïde, et la lumière
éclaire vivement des parties riches en vaisseaux, et naturellement rouges. L'iris n'est
pourtant pas invariablement décoloré, semble-t-il, et au reste, dans bien des cas, Fœil
reste normal, l'albinisme ne portant que sur le tégument. En ce cas il doit être classé
comme incomplel.
Ce qui précède s'applique à l'homme aussi bien qu'aux animaux. L'homme aussi
est sujet à l'albinisme. Chez les albinos, la peau est fine, d'un blanc qui diffère de la
couleur que nous disons blanche de la peau des Caucasiques; elle est très délicate et sen-
sible, et manifestement plus vulnérable que la peau des sujets normaux. Le poil est, lui
aussi, tout blanc, dans les cas d'albinisme complet, parfois coloré en jaune, rouge; il
est plus pauvre en fer que le poil normal. La vision e.st généralement troublée par la
dépigmentation de la choroïde : il y a photophobie à des degrés variables'. On a sou-
vent dit que les albinos sont débiles, lymphatiques et peu intelligents. Cette opinion
n'est pas confirmée par Fensemble des faits connus, bien qu'assurément elle soit fondée
dans certains cas. Mais il ne faut pas généraliser; toutefois ils ne vivent guère vieux,
et, si les femelles sont fécondes, les mâles ne semblent pas l'être autant (Geoffroy Saint-
Hilaire). On ne sait trop quel produit donnerait l'union de deux albinos : mais l'albi-,
nisme d'un seul parent ne se transmet pas nécessairement. Le produit peut être normal,
albinos, ou pie, partiellement albinos. La race noire est beaucoup plus sujette à l'albi-
nisme que les races blanche ou jaune. Il y a bon nombre d'exemples de nègres gris ou
même blancs. La peau est blanche, mais la race se reconnaît aux autres caractères
anthropologiques qui demeurent intacts.
L'albinisme peut diminuer ou disparaître avec l'âge. Sa cause nous échappe, du moins
sa raison d'être; et, si nous en connaissons le mécanisme, si nous savons qu'il est dû
à l'absence du pigment normal, nous ignorons comment et pourquoi ce pigment manque.
L'étude du vitiligo, et des cas où la canitie se produit par une vive émotion, ne nous
apprennent malheureusement rien à cet égard.
HENRY DE VARIGNY.
ALBUMINE DE L'ŒUF ou OVALBUMINE. — Pour les dif-
férences avec l'albumine du sérum, voir ce dernier article.
Préparation. — • On peut appliquer au blanc d'œuf le procédé de préparation de
Denis-Hammahsten qui est indiqué à propos de l'albumine du sérum. Les blancs de
plusieurs œufs sont incisés en tous sens au moyen de ciseaux tranchants, de manière
à diviser les membranes, puis dilués avec de l'eau, passés à travers une mousseline et
saturés de MgSO* à + 20°. La globuline (représentant environ la vingtième partie de l'al-
bumine) se précipite : on la sépare par flltration ; on sature à la même température le
I. Lord Sherbrooke, qui était albinos, déclare que chez lui la sensation produite par la lumière
du jour n'allait jamais sans une certaine douleur. Voy. Bril. Médical Journal, 13 mai 1893.
170 ALBUMINE DE L'ŒUF.
liquide filtré, au moyen de >'a-SO*; on recueille le précipité d'albumine; on le purifie
au besoin par une série de précipitations (MgSO* + Na^SO^), alternant avec des dissolu-
tions dans l'eau. On élimine finalement les sels par dialyse et l'on évapore à sec dans le
vide à une température ne dépassant pas + 40° à + 30° (Voir Starke: Bidrag, etc., dans
TJpsala làkarefôrhandlingar, t. xvi, analysé dans Maly's Jahresb., 1881, t. xi, p. 17).
On pourrait aussi avoir recours au procédé de Kavder-Hofmeister : Mélanger le blanc
d'o?uf avec un égal volume d'une solution saturée de sulfate d'ammonium, pour précipi-
ter la globuline. filtrer, puis achever de saturer au moyen de sulfate d'ammonium, et
purifier le précipité par des dissolutions et précipitations successives. Michailow (Maly's
Jahresb., i88o, t. xv, p.lb7.) précipite les albuminoïdes en bloc par le sulfate ammonique
et sépare la globuline de l'albumine pardialj"se.
On ne peut songer à employer ici, comme pour l'albumine du sérum, la précipita-
tion par l'alcool, car l'albumine de l'œuf passe promptement à l'état insoluble au contact
de ce liquide.
WufiTz précipitait le blanc d'œuf par le sous-acétate de plomb, en évitant d'employer
un excès de ce sel, puis décomposait le précipité par un courant de CO^. Les dernières
traces de plomb étaient précipitées par un courant de H-S : pour 'séparer [le plomb il
chauffait doucement au bain-marie. Les premiers flocons d'albumine coagulée empri-
sonnent le sulfure de plomb. Le liquide filtré était ensuite évaporé à l'étuve. Le produit
ainsi obtenu est mélangé de globuline CWurtz. Traité de Chimie biologique, 1880, p. 77).
A. GADTiERet ALEXA^'DR0W1TCH {Bull. Soc.chim., t. XXV, i) recommandent.de faire digérer
le blanc d'œuf étendu de deux fois son volume d'eau, avec de l'hydrate de plomb, tant
que celui-ci se dissout. L'albuminate de plomb qui s'est produit est précipité par addition
d'une solution de la même albumine, et le précipité, lavé à l'eau, est décomposé par
CO"-. La solution albumineuse ainsi obtenue, traitée par l'hydrogène sulfuré et filtrée, est
débarrassée du sulfure dé plomb qu'elle tient encore en dissolution, par digestion de la
liqueur, à froid, en présence du noir animal, qui absorbe tout le plomb. On évite ainsi
la coagulation partielle du procédé de Wurtz.
Haas a pareillement cherché à purifier l'albumine de l'œuf en la précipitant par la
baryte et en décomposant l'albuniiiiate de baryum par CO^.
F.HoFiiEisTER (t/eôer die Baratellung von krystallisirtem Eiei'albumin und die Krystalli-
sirbarkeitcotloiderStoffe,Z. P. C.,i890,t.-Ki\, p. i6o. Ueber Zusammensetzung des krystallinis-
chenEieralbumins,ibid.i892,l.xvi,pASl) a découvert que les solutions d'albumine de l'œuf
dans le sulfate d'ammonium, lentement évaporées, peuvent fournir des dépôts de globu-
lites et de sphérolites formés d'albumine cristallisée. Ces cristaux contiennent une pro-
portion variable de sel, ce qui indique qu'il ne s'agit pas d'une combinaison chimique.
S. Gabriel {Bemerkungen iiber Hofmeistei-'s krystaUinischen Eiercdbiimin.Z.P.C., 1891, t.sv,
p. 456) a confirmé ces faits. '
Purification de l'albumine par dialyse. — Graham {Ann. der Chein. u. Pharm.,
1861, t.cxxi,p. 1) avait admis que l'albumiue peut être entièrement privée de ses sels par
la dialyse, ce que v. Wittich, Hoppe-Seyler et Kuhne n'avaient pu confirmer. Aronstein
(Ueber die Darstellung salzfreicr Albuminldsungen vermittelst der Diffusion. A. Pf., 1873,
t. VIII, p. 75) affirma de nouveau avoir éliminé tous les sels du sérum ou du blanc d'œuf en
se servant de dialyseurs formés de papier parchemin anglais. Il constata que l'albumine
privée de sels conserve sa solubilité daus l'eau et perd la propriété de se coaguler par
la chaleur ou par l'alcool. Si l'on ajoute au liquide une petite quantité d'un sel indif-
férent, la coagulabilité reparaît. Il constata aussi que l'albumine de l'œuf exempte de
sels n'est plus précipitée par l'éther, tandis que l'albumine du sérum qui ne l'est pas
dans les conditions ordinaires, le devient quand on l'a soumise à une dialyse suffisam-
ment prolongée. A. Schmidt {Untersuchung des Eiereiweisses und Blutserwns durch Dia-
lyse. BeHrage der Anatomie und Physiologie als Festgabe, Cari Ludwig gewidmet. Leipzig,
1874, t, cLiv et Weitere Untersuchung en des Blutsencms, Eiereiweisses und der Mi ich durch
Dialyse mittelst geleimten Papiers. A. Pf., 1873, t. xr, p. 1) arriva au même résultat;
tandis que Heynsids, Huizinga, Winogradoff, Haas, Laptschinsky, et d'autres ne purent
obtenir de l'albumine entièrement privée de sels (Voyez Rollett dans Handbuch de
Hemiann, 1880, t. iv, i, Blut., p. 93).
RosE.NBERG [Vcrgleichende Untersuchung en betreff. das Alkalialbuminat, Acidalbumin und
ALBUMINE DE L'ŒUF. 171
Albiimin. Inaugur Diss., Dorpat, 1883) constata que les solutions d'albumine (du sérum
ou du blanc d'œuf), prises avec leur alcalinité naturelle ou acidulées passent successi-
vement par trois phases au cours de la dialyse. Au début, les sels diffusant plus vite
que l'alcali ou l'acide, il en résulte que, si l'on fait bouillir le liquide, il se forme faci-
lement de l'albumine alcaline ou acide, d'où suppression de la coagulation par la
chaleur. Plus tard, la coagulation reparaît parce que le liquide s'est trop appauvri en
alcali ou en acide pour que la transformation par la chaleur en albumine acide ou
alcaline puisse encore se faire. Enfin, si la dialyse est prolongée pendant fort longtemps,
on atteint le stade étudié par Abonstein et dans lequel la coagulabilité par la chaleur ou
par l'alcool est définitivement supprimée (Voyez D. W., 3'= suppl., 1892, p. 124).
Harnack a récemment affirmé avoir obtenu, par décomposition d'un albuminate de
cuivre, une albumine de l'œuf presque exempte de sels, fournissant une solution qui
n'est coagulable ni par la chaleur, ni par l'alcool, l'éther, le phénol ou le tanin
(E. Harnack Ueber die Darstelhing und die Eigenschaftenaschefreien Albumins,D.chem. G.,
1889, t. XXII, n" 542, p. 3046).
Dosage. — Mêmes procédés que pour l'albumine du sérum. D'après H. Dillner (anal,
dans Maly's Jahreab., 1885, t. xv, p. 31) le blanc d'œuf contient en moyenne 0,677 p. 100
(0,5 à 0,8) de paraglobuline, soit en moyenne 6,6 p. 100 de la masse totale des albumi-
noides, qui eux constituent de 9,95 à 11,97 p. 100 du blanc d'œuf liquide.
Propriétés. — Mêmes remarques que pour l'albumine du sérum. Analyse élémen-
taire, d'après Hammarsten (Mrt/i/'s Jakresb. 1881, t. xi, p. 19) C b2,,2o; H 6,9; Az 15,25;
S 1,96 p. 100; d'après Fr. Hofmeister [Ueber die Zusammensetzung des krystallinisnhen
Eieralbiimins,Z:P.C., i%Q'2, t. xvi, p. 187.) C 53,36 et 53,21 p. 100; H 7,31 et 7,21 p. 100; Az
15,06 p. 100; S 1,01.
Coagulation par la chaleur. — A. Gautier {BiUl Soc. c/wm. t. siv, p. 177; C.ii., t.Lxsix,
p. 228) admet que le blanc d'œuf renferme au moins deux espèces d'albumine; lapremière,
coagulable à 63", aurait un pouvoir rotatoire plus faible que l'autre, qui se coagule à
74°. Ces deux corps seraient contenus dans le blanc d'œuf, dans le rapport de 1 : 5.
D'après Béchamp (Bu//. Soc. chim., t. xxi, p. 368; C. R., t. lxxvii, p. 1558) le blanc d'œuf
contiendrait au moins trois albumines qui différeraient par leur pouvoir rotatoire.
Gabriel Corin et Eduard Bérard [Contribution à l'étude des incUières ulbiiminoides du blanc
d'œuf. Bull. Acad. roy. Belgique. 1888, t. xv; Archives de Biologie et Travaux du laboratoire
de Léon Fredericq) ont reconnu par la méthode des coagulations successives que le blanc
de l'œuf de la poule contient deux globulines prôcipitables par MgSO* et se coagulant
respectivement à o7°5 (ovoglobuline a) et 67° (ovoglobuline p) et trois ovalbumines
(«, p. Y,) se coagulant respectivement à 72°, 76° et .82°. La richesse du liquide en sels
n'a pas une grande influence sur la température de coagulation : plus le liquide est
riche en albumine, plus la coagulation se produit à une basse température.
Hoppe-Seyler avait assigné à l'albumine de l'œuf un pouvoir rotatoire de — 35°.
Gautier attribua aux deux albumines admises par lui dans le blanc d'œuf des pouvoirs
rotatoires de — • 43°, 2 (coag. à + 63°) et de — 26° (coag. à +74°) Haas {Ueber das optische
und chemiscJie Verhalten einiger Eiweisssubstanzen, insbesondere der dialysirten Albumine
A. Vf., t. XII, p. 378) trouva — 38°, 08 comme pouvoir rotatoire de l'albumine (contenant
encore un peu de globuline. Il constate que ce pouvoir reste le même quelle que soit
la teneur du liquide en sels et en albumine.
Starke refit la même détermination en se servant d'albumine exempte de paraglobu-
line et trouva a (D) = — 38,1".
Combinaisons avec les métaux. — Lieberkubn avait étudié plusieurs combi-
naisons de l'albumine avec les métaux : il en avait déduit une formule empirique de
l'albumine : C-i«Hi''!'Az-"S-0'"*. Harnack (Z. P. C, i.y,p.\<è8,tiUeber die Darstelhmgund die
Eigenschaften aschcfreien Albumins. Ber.d.deuls. chem. Ges., 1889, t. xxii, n° 542, p. 3046)
a préparé des combinaisons de l'albumine avec le cuivre, le plomb et le zinc. Les combi-
naisons cuivriques contiennent l'une 1,33 p. 100 de cuivre et l'autre sensiblement le
double (2,64 p. 100 en moyenne); elles répondent aux formules empiriques :
C204H320j^232o66s>Cu et C^<»H'"SAz520'^«S-Cu^ (Voyez aussi Môhner dans j1/«/!/'s Ja/ires;-., 1877,
t. vu, p. 7; Rittiiausen et R. Pott. Journ. f. prakt. Chemie, 1873, N. F., t. vu, p. 361, analysé
dans Maly's Jahresb., 1873, t. m, p. 27).
172 ALBUMINE DU SERUM.
LoEw {Ueher Eiweiss und Pepton, 1883, A. Pf.,t. xxxi,p. 393) a préparé des combinaisons
argentiques renfermant l'une 2,28 p. 100, l'autre le double (4,31 p. 100) d'argent environ.
Chittende'n et Whitehouse {On some metallic compounds ofalbumin and myosin. Studies
froni the taboratory of physiological chemistry,Yale Unwe)'siï»/,New-Haven,1887, t. ii, p. 95;
voyez Maly's Jahresb, 1887, t. xvii, p. 11), ont pareillement préparé et analysé un grand
nombre de combinaisons d'albumine de l'œuf avec les métaux suivants : Cuivre, Plomb,
Fer, Zinc, Urane, Mercure, Argent.
Variétés d'albumine. — T.^rchanoff {Ueber die Verschiedenheiten des Eieremeisses
bei befiedert geborenen{Ne$tfluchter) und bel nackt geborenen (Nesthôcker) Vogeln. A . P/'.,1883,
t. sxxi, p. 368; et A. Pf., 1884, t. xxxiii, p. 303; et Weitere Beitràge zur Prage von den
Verschiedenheiten zwischen dem Eiereiweisse der Nesthocker und der Nestflûchter, A. Pf., 1886,
t. xxxix, p. 483) a signalé des différences entre l'albumine de l'œuf de poule et en général
des oiseaux qui naissent dans un état de développement complet (poules, canards, oies,
dindons, alouettes) et celle de l'œuf des oiseaux dont les petits naissent nus et aveugles
(moineaux, hirondelles, cot'beaux, pies, pigeons, rossignols, pinsons, etc.). Voir aussi
Fréuy et Valencienkes {A. C, 1837, 3° sér., t. l, p. 138), el John Davy [Some observations
on the Eggs of Birds. Edimburg New Philosophical Journal, oct. 1863).
L'albumine des œufs de ces derniers (Tataetweiss) se coagule à une température
élevée + 93°, en fournissant un produit vitreux qui finit par se dissoudre dans l'eau
bouillante. Pendant l'incubation, cette albumine se transformerait peu à peu en albu-
mine ordinaire; elle présenterait un pouvoir rotatoire plus faible (de 1°) que l'albumine
ordinaire.
Si l'on plonge dans une lessive de soude ou de potasse à 5 — 10 p. 100 des œufs de
poule entiers, en coquille, on constate au bout de quelques jours une transformation
du blanc qui le rapproche du Tataeiweiss. Cette albumine tata artificielle serait plus
facile à digérer que le blanc d'œuf ordinaire.
Tarchanoff [Sur le tata blanc ou tata albumine naturel et artificiel et ses applications
à la nutrition. C. R. Soc. Biologie, 1889 (9), t. i, p. 300).
Filtration de l'albumine. — Gottw.\lt {TJeber die Filtration von Eiweisslôsungen
durch thierische membranen. Z.P.C., 1880, t. iv, p.423), et Runeberg (ZiJ»' Frage der Filtra-
tion von Eiweisslôsungen durch thierische Membranen. Zeits. f. physiol. Chemie, 1882, t. vi,
p. 308, et Arch. d. Hellkunde,t. xvni,p.l) ont principalement étudié l'influence de la pres-
sion sur la filtration de l'albumine.
A. Lœvy {Zeits. f. physiol Chemie, t. ix, p. 537) a constaté que l'albumine filtre plus
rapidement et que la solution est plus riche en albumine lorsque la température s'élève.
G. BoDLANDER et J. Traube {Ber. d. deuts. chem. Gesell., t. x, p. 1871) ont trouvé que
l'albumine ne modifie que très peu l'ascension de l'eau dans les tubes capillaires, tandis
que la caséine et surtout les peptones exercent une action marquée de la constante
capillaire.
L'albumine de l'œufj comme les autres matières albuminoïdes, présente dans le
spectre de l'ultra-violet des bandes d'absorption qui ont été décrites par Hartley (CAew.
Soc, 1887. t. I, p. 58) et par Soret {Sur l'absorption des rayons ultra-violets par les sub-
stances albuminoïdes, C. R., t. xcvii, p. 642).
Bibliographie. — Maly {Jahresber. Thierchemie). — ■ D. W., et Supplément.
LÉON FREDERICQ.
ALBUMINE DU SÉRUM (Serine de Denis). — L'albumine du sérum se
trouve abondamment (concurremment avec la paraglobuline ou avec la paraglobuline
et le fibrinogène) dans le plasma et le sérum sanguin, ainsi que dans la lymphe et les
liquides de transsudation des vertébrés et existe aussi dans d'autres liquides ou
solides de l'organisme. Elle constitue une notable partie de la matière albuminoïde des
urines albumineuses.
L'albumine du sérum se distingue de celle de l'œuf par un pouvoir rotatoire plus
élevé, parce que le précipité qu'y forme l'acide chlorhydrique se redissout facilement
dans un excès d'acide, parce qu'elle n'est guère altérée par les acides très dilués, parce
qu'elle supporte beaucoup plus longtemps le contact de l'alcool avant d'être coagulée; et
enfin parce qu'elle se comporte autrement dans l'organisme. L'albumine de l'œuf que
ALBUMINE DU SERUM. 173
l'on injecte dans les veines apparaît bientôt dans les urines, tandis qu'il n'en est pas
de même de l'albumine du sérum. Bernard {Leçons sur les propr. physiol. et les ait.
path. des liquides de l'organisme, t. i, p. 467 et t. n, p. 4o9. Paris, 18b7. — Stokvis.
(C. W., 1864, p. 597). — J.-C. Lehmann {Arch. f. path. Anat., 1864, t. sxx, p. 598.) —
PoNFiGK {Arch. f. path. Anat., 1874, t. lxii, p. 273). — Forster (Z. B., 1875, t. xi, p. 496).
— BÉCHAMP et Baltus {C. R., 1878, t. lxxxvi, p. 1448).
EsBACH {Bull. gên. de thérapeutique, 1882) et Maurel {L'année médicale, 1883) ont
recommandé respectivement le réactif picrique et le réactif cupro-potassique pour dis-
tinguer l'albumine de l'œuf de celle du sérum. Gautier [Maly's Jahresb., 1885, t. xv, p. 31)
préfère employer une liqueur composée de 250 ce. de lessive de soude d'une densité
de 0,7 (à l'aréomètre universel de Pixii), 50 ce. d'une solution de sulfate de cuivre à
3 p. 100 et 700 ce. d'acide acétique glacial. On ajoute 10 ce. du réactif à 2 ce. du liquide
à essayer. L'albumine de l'œuf se précipite; celle du sérum reste en solution. Le
réactif peut être employé pour constater la présence d'albumine dans l'urine des chiens
auxquels on a injecté du blanc d'œuf dans les veines.
Pendant longtemps, l'albumine a été considérée comme la seule'substance protéique
renfermée dans le sérum sanguin. Panom {Arch. f. pathol. Anatomie, 1852, t. iv, p. 17),
Lehmann {Lehrb. d. physiol. Chemie, Leipzig, 1853, 2, Aufl., p. 359), Denis {Nouv. études;
Paris, 1856, et Mémoire sur le sang, Paris, 1859), A. Schmidt {Arch. f. Anat. u. Physiologie,
1862, 428), KuHNE {Lehrb. der physiol. Chemie, Leipzig, 1860, 168, 175) et d'autres y
décrivirent sous le nom de Caséine du sérum, Fibrine dissoute, Albuminate alcalin, Subs-
tance fibrinoplastique, Paraglobuline, des matières albuminoïdes que l'on considère au-
jourd'hui avec Weyl {Beitràge z. Kenntniss der thier. u. pflanz. Eiweisskorper. Inaug. Diss.
Strasbourg, 1877, et A. /-'/'■. 1876,t.xii,p.63b),et Hammarsten {TJeber das Paraglobidin, A. Pf.
1878, t. XVII, p. 459) comme une seule et même substance appartenant au groupe des glo-
bulines. On lui donne le nom de 6 lobuline du sérum {Serumglobulin des Allemands) ou de
Paraglobuline. La préparation de l'albumine comporte l'élimination de la paraglobuline.
Il y a quelques années, on précipitait la paraglobuline en diluant le liquide de quinze
à vingt fois son volume d'eau distillée et en l'acidulant très légèrement par l'acide
acétique et l'acide carbonique. Ce procédé ne précipite qu'une très petite partie de la
paraglobuline. Pour séparer complètement la paraglobuline, il faut avoir recours à la
méthode de précipitation par les sels neutres imaginée par Denis {Nouvelles recherches
sur les matières albuminoïdes. Paris, 1836).
Préparation. — 1° Procédé de Denis. On sature le sérum de bœuf (voyez Sérum) au
moyen de sulfate de magnésium en poudre pour précipiter la paraglobuline (fibrine
dissoute de Denis). Hammarsten recommande d'opérer la saturation à la température
de + 30° et d'opérer la flltration à la môme température. Schâfer et Hallirurton agitent
le sérum pendant plusieurs heures avec des cristaux de sulfate de magnésium. Le
liquide clair débarrassé de paraglobuline par flltration est saturé à + 50° de sulfate de
soude en poudre « Dès que le liquide a pris à 50° tout ce qu'il peut dissoudre de sul-
fate de soude, la serine se précipite. Il suffit de filtrer en tenant l'entonnoir à la même
température pour la recueillir sur le papier sous forme d'une couche blanche molle
facile à ôter avec la spatule » (Denis. Mémoire sur le sang, Paris, 1859, p. 39). Starke
(Voir Maly's Jahresber. Thier-Chemie, 1881,f.xi,p.l7) purifie l'albumine ainsi obtenue par
des dissolutions et précipitations successives au moyen des mêmes sels. Enfin la solu-
tion est soumise à une dialyse énergique, puis précipitée par un excès d'alcool fort. 11
faut immédiatement filtrer et laver à l'éther pour chasser l'alcool. La poudre ainsi
obtenue est remuée dans des vases plats afin d'éliminer l'éther. On achève la dessiccation
sur l'acide sulfurique. Proportion de cendres, 0,37 à 1,84 p. 100.
ScHAFER {Notes on the température ofheat-coagulation of certain of theproteid substances
ofthe blood. J. P., t. m, p. 181) admet qu'après précipitation successive de la paraglobuline
par Mg SO'' et de l'albumine par Na''' SO*, il reste encore en dissolution dans le sérum
une petite quantité d'une matière albuminoïde autre que l'albumine.
Halliburton {The proleids of sérum, J. P., 1884, p. 152) montra que l'action de
MgSO* et de Na-SO*, est due à la formation du sel double MgNa- (SO*)"^ 6H-0 et
que la précipitation de l'albumine peut s'obtenir à la température ordinaire.
Les résultats contradictoires auxquels Halliburton {loc. cit.), Heynsius {Over de
174 ALBUMINE DU SERUM.
verhouding der Eiwitstoff'en tcgenover zouten van alkallèn en van alkalischc aardcn. Ondrrz.
P/i2/sioZ.ia6.Leiden,1884,t.vi,p. 177), Lewith {Arch. f.cxp.Pathol. ii.l'harmak., t.xxiv, p.l)
et HoFMEisTER (Ai'c/i. f. cxp. Pathol.u. Pliarmak., t. xxiv, p. 233) sonlarrivés ausujetdela
précipitation ou la non précipitation de la paraglobuline et de l'albumine par Na- SO",
proviennent d'après C. A. Pekelharing {Over hct neerslaan van clwitstoffen door natrlum-
sulfaat. Ondcrz Physiol. Laborat. Utrecht, t. iv, R. ii, 1893) de la température différente
à laquelle ces auteurs ont opéré. Le maximum de solubilité du sulfate de sodium dans
l'eau (oo p. 100) est à 34°. A cette température, toutes les substances albuminoïdes
seraient précipitées intégralement par ce sel. Il en serait de même de l'albumose.
2° Procédé de HoFUEisTER-HAaMARSTEiN-JoHANSsoN. — ■ (F. HoFMEiSTER. Zeits. f. anal.
Chemie, 1887, t. xx, p. 319. — Hammarsten. Ueber die Amvendbarkeit des Magncsiumaid-
fates zur Trenniing und quantitativen Bestimmung von Serumalbumin und Globulincn.
Zeits. f. physiol. Chemie, 1884, t. vni. p. 467. — J. E. Johansson. Ueber dus Verhalten des
Serumalbumins zu Sâureti und Neutralsalzen (Z. P. C, 188o, t. ix, p.'3H. Voir aussi Eich-
WALD. Beitrâge zur Chemie der gewebebildenden Substanzen und ihrer Abkommlinge.
Berlin, 1873.)
On sature le sérum au moyen de sulfate de magnésium à la température de 30° et
l'on filtre à la même température. Le filtrat est séparé après refroidissement du sulfate
qui a cristallisé et additionné de 1 p. 100 d'acide acétique. Le précipité est recueilli sur
le filtre, exprimé, puis redissous dans l'eau, neutralisé par un alcali, et soumis à la
dial}'se pour le débarrasser des sels. Le liquide dialyse fournit parévaporatiou l'albumine
à l'état solide. On peut également précipiter par l'alcool, recueillir sur un filtre, et laver
rapidement à l'éther et laisser sécber. Il faut exécuter rapidement le traitement par
l'alcool, afin d'éviter la coagulation de l'albumine.
3° Procédé de Hofmeister — Kauder {Af. ea;per. Pa</to/.,1886,t. xx, p. 4H). On mélange
le sérum avec son volume d'une solution saturée de sulfate d'ammonium pour précipiter
la paraglobuline. On filtre et l'on achève de saturer le liquide filtré au moyen de sulfate
d'ammonium en substance. L'albumine se précipite : on la recueille sur un filtre. On
peut la purifier en renouvelant plusieurs fois la dissolution dans l'eau et la précipitation'
au moyen du sulfate d'ammoniaque. On achève la préparation comme dans le procédé
précédent : dialyse et précipitation par l'alcool.
MiCHAiLOw (Voir Maly's, Jahrb.,iSSa, t. xv, p. 137,) a proposé de précipiter les albumi-
noïdes du sérum en bloc par le sulfate d'ammoniaque, de les redissoudre dans très peu
d'eau et de soumettre la solution à la dialyse. La paraglobuline se précipite, l'albumine
reste en solution. D'après Wurtz, le procédé de préparation de l'albumine par le sous-
acétate de plomb n'est pas applicable à celle du sérum. L'albumine du sérum pro-
venant de la décomposition de l'acétate de plomb a perdu la propriété de se redissoudre
dans l'eau.
Dosage. — Procédé de Hammarsten. — ■ On fait bouillir, s'il y a lieu après addition
d'un peu d'acide acétique, le filtrat provenant de la séparation de la paraglobuline.
On lave le coagulum et on le pèse avec les précautions d'usage.
Il vaut encore mieux prendre deux portions de sérum A et B, faire dans A un dosage
des albuminoïdes en bloc et dans B un dosage de paraglobuline d'après le procédé de
Hammarsten (Voir Paraglobuline). Le poids de l'albumine s'obtient par différence.
2° Procédé de rautcur. — On prend deux portions de sérum A et B; B sert à faire un
dosage de paraglobuline par le polarimètre (voir Paraglobuline) d'après le procédé
de l'auteur." Si le sérum est très clair, on peut examiner A comme tel dans le polari-
mètre et déterminer la rotation totale due à l'albumine et à la paraglobine. La part
de rotation due à la paraglobuline est donnée par l'opération B. La différence entre
A et B indique la rotation qui revient à l'albumine. Il est facile d'en déduire la pro-
portion d'albumine, connaissant son pouvoir rotatoire (Voir plus loin).
Le côté faible de ce procédé provient de l'incertitude du pouvoir rotatoire de l'albu-
mine et de la difficulté d'obtenir un sérum suffisamment clair pour pouvoir l'examiner
comme tel au polarimètre. ■
Aussi vaut-il mieux employer l'échantillon B pour faire un dosage global d'albumi-
noïdes par coagulation par Talcool (D'après laméthode de Puls, Ueber quantitative Eiweiss-
beslimmungen des Blutserums und der Milch. A. Pf., 1876, t. xiii, p. 176).
ALBUMINE DU SERUM. 175
Proportion d'albumine et de paraglobuline. — On a cru pendant longtemps
que la paraglobuline ne constituait qu'une minime fraction des albuminoïdes du sérum.
On sait aujourd'hui par les dosages de Hasimarsten confirmés par ceux de l'auteur que
la proportion de globuline peut dépasser celle d'albumine dans le sérum de beaucoup
d'animaux. Voici les chiffres trouvés pour l'homme, le chien, le bœuf, le cheval et le
lapin : par Olof Hamuarsten {Ueber das Paraglobulin, A. Pf., 1878, t. xvii, p. 413), Gaetano
SALViOLi(Dje gcrinnharen Ehoeisstoffe im Blutserum und in der Lymphe des Hundes, A. Dh.,
1881, p. 269) et Léon Fredericq [Recherches sur les substances albuminoïdes du sérum san-
(juin. Arch. de Biologie, 1880, t. i et 1881, t. it, aussi C. R., '6 sept. 1881).
iChcTal. 7,257 4,5Go 2,677 0,591
Bœuf. 7,499 4,169 3,330 0,842
Homme. 7,620 3;i03 4;516 1,511
Lapin. 6,225 1,788 4,436 2,5
Salvioli .... Chien. 3,82 2,03 3,77 1,8
Fredericq . . . Chien. 6,4 2,9 3,3 1,3
Le quotient d'albumine {Eiwcissquolicnt de Hammarsten), c'est le rapport entre la
quantité d'albumine et de globuline = —r-, — r — • On voit qu'il varie considérablement
^ globidine
suivant l'espèce animale.
Drivon (cité par Hoffmann, Firc/ioîo'sAî'c/au, t. lsxvhi, 1879), Estelle [Revue mensuelle
1880), F. A. Hoffmann [Globulinbestimmungen in Ascitesflilssigheiten. Arch.f. exp. PathoL,
1883, t. XVI, p. 133), ont fait des déterminations analogues dans le sérum du sang et
dans des liquides pathologiques provenant de patients humains. Hoffmann admet que les
quotients élevés, dépassant 1,5 ne se trouvent que chez les individus vigoureux. Les
quotients faibles (n'atteignant pas l'unité) ont toujours été trouvés chez des malades
dont la nutrition était profondément atteinte. La valeur du quotient du liquide de
Tascite varie considérablement : minimum 0,65, maximum 2,46.
ïiEGEL a montré que chez un serpent du Japon soumis au jeûne, l'albumine du sang
disparaît et que la paraglobuline reste la seule substance du sérum sanguin. Salvioli n'a
pu, chez le chien {A.Db. 1881, p. 269), constater de différence constante entre la propor-
tion d'albumine et de paraglobuline suivant que l'animal était à jeun ou en digestion.
BuRCE.nARDT, au contraire, a constaté une augmentation de la proportion absolue et re-
lative de la paraglobuline, une diminution de l'albumine dans le sérum du chien sous
l'influence de l'inanition. L'influence de la saignée ne se manifeste pas clairement (Bgr-
CRHARDT. Beitràge zur Chemie und Physiologie des Blutserums. Arch. f. exper. Pathol.
Pharmac. 1883, t. xvi, p. 322.)
S. ToRUP [Recherches expérimentales sur la reproduction des matières albuminoïdes du
sang. B. B. 28 avril 1888, p. 413) a constaté que, chez le chien à l'état d'inanition, la sai-
gnée a pour effet d'augmenter la proportion absolue tant de paraglobuline (2, 1,6
et 1,8 au lieu de 1,4, 1,01 et 1,1 p. 100) que d'albumine (3,1, 3, 2,9 au lieu de 2,7, 2,4
et 2,02 p. 100) dans le sérum sanguin.
Propriétés. — L'albumine du sérum est une poudre blanclje qui gonfle dans l'eau
et s'y dissout en toute proportion en fournissant une solution colloïde.
Elle présente toutes les propriétés générales des albuminoïdes vraies, et spéciale-
ment des albumines (Voir article Albumine).
Nous n'insisterons que sur les différentes propriétés par lesquelles elle se distingue
des autres matières albuminoïdes.
Composition centésimale. — Les seules analyses élémentaires exécutées avec de
l'albumine exempte de globuline sont dues à Hammarsten (Voir Starke, dans Maly's
Jahresb., 1881, t. xi, p. 19) (Voir le tableau p. 176).
Coagulation par la chaleur. — Fredericq (Arch. Biol., 1880), Kauder [A. f. exp.
Path., 1886, t. XX, p. 411), avaient déjà appelé l'attention sur ce fait que l'albumine du sérum
parait être un mélange de plusieurs substances se coagulant à des températures diffé-
rentes. Fredericq [loc. cit.) avait montré que le pouvoir rotatoire de l'albumine du chien
est différent de celui de l'albumine du bœuf, du cheval et du lapin. Hammarsten
176
ALBUMINE DU SERUM.
{Mail/s Jaliresb., 1881, t. si, p. 19) avait signalé des différences dans la teneur en soufre
de l'albumine de l'homme et de celle du cheval.
C
H
Az
S
0
Albumine du sérum do cheval. .
Albumine d'un exsudât humain. .
a3,0o
52,52
6,85
6,65
16,04
15,88
1,82
Moyenne de
2di^terminations.
Moyenne <ie
3 déleraiinatioDS.
22,26
22,95
Halliburton [The proteids of sérum, 3. P., t. v, p. 132) a montré qu'il y avait lieu de dis-
tinguer dans le sérum trois albumines à points de coagulation ditférents : albumine a
se coagulant à 70"-72°; (3, à 77°; et y, à 82-84°. Le sérum des Ongulés ne contiendrait
que les albumines p (77") et y (84°). Enfui, chez les animaux à sang froid, il n'y aurait que
l'albumine «(Halliburton. On the blood proteids of certain lower Vertébrales, J.P., 1886,
t. xn, p. 319.)
J.CoRiN et G. Ansiaux {Note sur la coagulation par la chaleur des albumines du sérum du
bœuf. Bull. acad. roy. Belg., 1891, t. sxi, p. 343) ont confirmé le fait pour le sérum du
bœuf. Comme Halliburton, ils ont constaté que l'albumine p devient opalescente vers 73°
à 74° et se coagule en flocons à une température voisine de 77°, que l'albumine y devient
opalescente vers 79° à 80° et fournit des flocons vers 84°. Mais cette différence entre le
point d'opalescence et celui de coagulation disparait si on élève très lentement la
température du liquide et si on la maintient longtemps constante au point d'opales-
cence. L'albumine finit par se précipiter en flocons à la température d'opalescence. L'al-
bumine opalescente se précipite lorsqu'on sature le liquide par MgSO'' : de plus, l'albu-
mine coagulée par la chaleur se redissout en entier si la température à laquelle le
liquide s'est troublé n'a pas été maintenue trop longtemps. Les flocons redissous régé-
nèrent complètement la solution primitive.
La présence des sels, la réaction acide et la concentration du liquide (teneur en
albumine) ont pour effet d'abaisser notablement le point de coagulation de l'albumine.
Cependant Starre a constaté qu'une solution d'albumine pauvre en sels se coagule
vers + 30° et que cette température s'élève si l'on ajoute NaCl au liquide. Haas avait
fait des observations analogues.
D'après AR0NSTELN,la solution d'albumine entièrement privée de sels par dialyse ne
se coagule ni par la chaleur ni par l'addition d'alcool (Voir Albumine de l'œuf).
Précipitation par les sels neutres. — ■ Burckardt avait émis des doutes sur l'exacti-
tude de la méthode de précipitation par MgSO*, pour séparer la paraglobuline de l'albu-
mine du sérum. Hammarsten s'est efforcé de réfuter les objections de Borcsarut. G.Kauder
[Zur Kennttiiss der Eiweisskorper des Blutserums. Archiv. f. exp. Fathol. u. Pharmakol.
1886, t. XX, p. 411) a montré qu'une solution de sulfate ammonique commençait à préci-
piter la paraglobuline à 13 à 13 p. 100 et que la précipitation était complète quand le liquide
contenait 19 à24 p. 100 du sel. Plus le liquide contient de paraglobuline, plus vite aussi
commence la précipitation. Pour commencer à précipiter l'albumine, il faut 33,33 p. 100
de sulfate et la précipitation est complète à 47,18 p. 100 de sel. Ces limites ne varieraient
pas suivant le degré plus ou moins grand de concentration de l'albumine dans le
liquide. Comme la solution saturée à froid contient 32,42 grammes p. 100 de sulfate,
on voit qu'une solution saturée à moitié (contenant 26 p. 100 de sel) précipite complète-
ment la paraglobuline, sans agir sur l'albumine.
S. Lewith [Zur Lehre von der Wirkung der Salze. Ai'chiv f. exp. Pathol. u. Pharmak.
1887, XXIV, p. 1) a confirmé ces données et a montré qu'une solution d'acétate de potas-
sium précipitait intégralement la paraglobuline entre 17 p. 100 (début) et 33 p. 100
{fin) de sel, tandis que l'albumine commence à se précipiter à 64,6 p. 100 et l'est entiè-
rement à 88 p. 100.
ALBUMINOIDES. 177
Quant au sulfate de magnésium, il précipite intégralement la paraglobuline (début à
16,9; fin à 2o,7).
Voir aux art. Albumine de l'oeuf et Paraglobuline les reclierches de Hofmeister {Archiv
f. exp. PathoL, t. xxiv, p. 247).
Halliburton a constaté également que l'albumine est précipitée sans altération de ses
solutions si on les sature au moyen de carbonate, d'acétate ou de phosphate de potas-
sium ou par la double saturation au moyen des sulfates de magnésium et de sodium,
au moyen du sulfate de magnésium et du nitrate de sodium, au moyen du sulfate de
magnésium et de l'alun ammoniacal, au, moyen du sulfate de magnésium et de l'iodure
de potassium ou enfin au moyen du chlorure et du sulfate de sodium.
Quant au chlorure de calcium, il précipite l'albumine sous forme insoluble.
Pouvoir rotatoire. — Le pouvoir rotatoire de l'albumine du sérum a été déterminé
par Hoppe-Seyler (Peftec die Bestimmung des Eiwcissgehaltcs im Urine, Blutserum, Trans-
sudaten, mittelst des Ventzke-Soleilschen Polarisations Apparûtes. Virchoiv's Archiv, 1857,
t. XII, p. 552 et Beitrâge zur Kenntniss der Albuminstoffe. Zeits.f. Chem. u. Pharmacie de Fre-
senius, 1864, t. m, p. 737), Haas (TJeher dus optiscke und chemische Verhalten einigcr Eiweiss-
substanzen, insbesonderc der dialysirten Albumine. A. Pf., 1876, t. ii, p. 378), Léon Frede-
RicQ {Rech. sur tes subst. alb. du sérum sanguin. Arch. Biologie, 1880, t. i, et 1881, t. ii, et
C. i?.,osept. 1891), et Starke [Bidrag tillStudiet af Scrumalbumin. Upsata lâkarefûrenings
fôrhandlingar, t. xyi: Anal. da.as Maly' s Jahresb. 1881, t. xi).
Voici les chiffres trouvés : Hoppe-Seyler a (D). = — 06° (albumine de l'hoinme),
Haas : — 35, 77° et — 62° (albumine de l'homme) ; Léon Fkedericq : — 57, 3° (cheval, bœuf),
— 44° (chien) ; Starke, — 60, Oo (cheval). Les écliantillons les plus purs étaient ceux
examinés par Starke.
Haas a constaté que le pouvoir rotatoire restait le même, quelle que fût la richesse du
liquide en albumine ou en sels.
LÉON FREDERICQ.
ALBUMINOIDES. — -Historique. — On décrit sous le nom de matières
albuminoïdes un certain nombre de produits azotés de nature complexe, se rapprochant
plus ou moins par leurs propriétés et leur composition de l'albumine de l'œuf et de l'al-
bumine du sérum. On peut dire des substances albuminoïdes ce que Huxley a dit du
protoplasma : elles sont la base physique de la vie. Elles forment en effet la partie fonda-
mentale de la substance végétale ou animale. Le rôle prépondérant qu'elles jouent dans
les phénomènes de la vie explique le très grand intérêt qui s'attache à leur étude, à la
connaissance approfondie de leur nature et de leurs transformations qui seule peut con-
duire à la solution des problèmes posés par la biologie. Malheureusement cette étude est
remplie de difficultés. La complexité de l'édifice moléculaire albuminoïde est si grande
qu'elle a longtemps défié les recherches les plus patientes et que c'est seulement dans
ces dernières années, grâce aux admirables travaux de M. Schûtzenberger, qu'on a pu
acquérir des notions un peu claires sur la constitution des substances albuminoïdes.
Bien que les matières animales azotées soient connues depuis longtemps, ce n'est
guère qu'au xvm° siècle qu'on a isolé les substances albuminoïdes types. Rouelle en
1771 et FouRCROY en 1789 ont isolé et étudié pour la première fois l'albumine de l'œuf;
celle du sérum a été aperçue en 1793 par Hunter. La fibrine a été décrite par Rouelle
sous le nom de matière fibreuse du sang, mais c'est Fourcroy qui eu fit l'étude chimique.
L'étude de la caséine remonte aussi à cette époque. Braconnot en fit le premier une
étude sérieuse.
Pour les matières albuminoïdes végétales, leur connaissance date aussi du même
temps. BoERHAAVE déjà, en 1732, avait signalé l'analogie qui existe entre les composés
animaux et végétaux. Fourcroy put retirer de l'eau de lavage de la pâte, de la farine,
du blé, une substance se coagulant par la chaleur en flocons blancs, présentant tous les
caractères de l'albumine animale. Auparavant Beccaria avait retiré du froment le gluten
ou glutineux.
Les analyses de Berthollet (1773 et 1783) établirent que les matières albuminoidps
contiennent en outre de l'oxygène, du carbone et de l'hydrogène, de l'azote en grande
WCT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 12
178, ALBUMINOIDES.
quantité. De plus les recherches de Scheele (1773), de Fourcroy et de Berthollet mon-
trèrent que souvent des phosphates sont unis à ces substances dans les tissus solides et
dans les humeurs.
La conclusion de Fourcroy est que « ces matières sont des composés au moins qua-
ternaires formés par l'union de l'H, du C, de l'O et de l'Az auxquels sont souvent unis en
proportions très variables du soufre, du phosphore, du calcium, du magnésium et du
sodium. Il en résulte des matières faciles à décomposer, très altérables, très fétides dans
la plupart de leurs altérations, très disposées à prendre le caratère h.uileus et à fournir
de l'ammoniaque. «
Dans le cours de ce siècle, Mulder, Scherer, Jones, Cahours et Dumas, Boussingault,
HoppE Seyler, Liebig, Hey'nsius, Wdriz, etc., ont fait une étude beaucoup plus sérieuse des
substances albuminoïdes au point de vue de leurs préparations, de leurs propriétés, en ont
déterminé exactement la composition élémentaire et ont considérablement étendu nos
connaissances sur cette partie obscure de la chimie. Enfin dans la période contempo-
raine de nombreux travaux d'une haute importance, parmi lesquels il faut citer au pre-
mier rang ceux de M. Schutzemberger, ont jeté une très vive lumière sur la nature et la
constitution des substances protéiques.
Propriétés physiques et caractères généraux des albuminoïdes. — Les ma-
tières albuminoïdes se présentent généralement sous l'aspect de matières incolores et
amorphes. Quelques-unes cependant se rencontrent à l'état de cristaux (hémoglobine,
cristalloïdes ou cristaux d'aleurone, plaques vitellines). A l'état solide, humides et fraî-
chement précipitées, elles forment des masses blanches, floconneuses ou granuleuses,
insipides et inodores. A l'état sec elles sont jaunes, cornées, plus ou moins translucides,
Les unes sont solubles dans l'eau, les autres insolubles ; mais parmi ces dernières plu-
sieurs peuvent se dissoudre en présence d'une faible quantité de sels neutres, des acides
ou des alcalis étendus.
Toutes les solutions de matières albuminoïdes dévient à gauche le plan de la lumière
"polarisée (Bouchardat) ; voici quelques chiffres indiquant leur pouvoir rotatoire.
Albumine de l'œuf.. . — 33" à — 88» 1 Fibrinogène — 45°
Sérum albumine — o6" Syntonine de myosine — 72°
Sérum globuline — Ô9<>7 I Caséine dissoute dans SO+Mg. . . — 86°
Albuminoses diverses. ... — 70° à 80°.
Ces dissolutions soumises à la dialyse laissent passer très peu de substance (à l'excep-
tion des peptones). Ce sont en effet des substances colloïdales, suivant la conception de
Graham. Cette forme colloïdale serait, d'après Graham, un état transitoire instable ou dy-
namique de la matière dont l'état statique est la forme cristalline. Ce fait que l'albumine
en solution ne traverse pas une membrane végétale ou animale nous prouve que nous
n'avons pas affaire à une solution parfaite. Le tableau suivant, qui donne le temps d'"égale
diffusion pour quelques corps pris dans les deux classes des cristalloïdes et des colloïdes,
montre le peu de diCfusibilité des albuminoïdes.
Acide chlorhydi'ique 1
Sucre de canne 7
Sulfate de magnésie .... 7
Albumine 49
Caramel , . 98
Cet état de dissolution apparente est très instable : sous l'influence d'un certain
nombre de facteurs, température, déshydratation, réaction acide du milieu, présence de
certains cristalloïdes, les albuminoïdes tendent à devenir insolubles et à se précipiter sous
forme de gelée, de caillots ou de grumeaux. Les dissolutions les plus concentrées sont
celles qui sont le plus instables. Enfin pour un certain nombre de matières albuminoïdes,
la tendance à la coagulation est si marquée qu'elles se précipitent, se coagulent dès que
la vie cesse dans les tissus dont elles font partie (coagulation du sang, rigidité cadavé-
rique). Le coagulum en général ne peut pas faire retour à la matière initiale, mais il
peut se transformer en une matière protéique de nouveau précipitable, quoique diffé-
rente de la première. C'est ainsi que l'albumine de l'œuf coagulée par la chaleur et trai-
ALBUMINOIDES.
•179
tée par les acides minéraux étendus se transforme en acide albumine soluble précipi-
table par neutralisation de la solution.
Comme le fait remarquer A. GinTiBR, (c ces colloïdes fluides de nature neutre et fai-
blement unis à une grande masse d'eau, ont une mollesse qui les rend propres, aussi bien
que l'eau elle-même, mais moins puissamment et moins brutalement, aux phénomènes de
diffuUon. Ils sont lentement pénétrables aux réactifs et leurs molécules servent d'inter-
médiaires perpétuels et comme d'amortisseurs aux plus délicates actions physicochimi-
ques... Le temps devient, grâce à ces propriétés, l'une des conditions des réactions qui se
produisent dans nos tissus et nos humeurs, réactions qui se continuent sans secousses,
successivement, lentement, assurant ainsi au fonctionnement des organes une progressive
et incessante production d'énergie provenant de ces réactions aifaiblies, mais continues. »
Composition des albuminoïdes. — Toutes les matières albuminoïdes renferment
du carbone, de l'ox3'gène, de l'hydrogène, de l'azote. Un très grand nombre contiennent
en outre du soufre et un petit nombre du phosphore et du fer. Leur combustion fournit
des cendres composées de phosphates de calcium, de magnésium et d'un peu d'oxyde de
fer. Ces sels semblent bien faire en réalité partie intégrante des matières albuminoïdes;
car la dialyse la plus prolongée ne les fait jamais disparaître complètement. Voici, d'après
Beaunis (t. p. t. I, p. 160), un tableau donnant la composition centésimale de quelques
matières albuminoïdes.
Albumine.
Fibrine
Caséine (lait de femme)
— (lait de vache)
Syntonine
Peptone
Substance amyloïdc . ,
Substance collagène .
Mucine
Glutine
Chondrine
Elastine
Kératine
52,7
6,9
7,3
7,0
7,2
7,4
7,3
6,95
7,0
6,7
6,7
6,7
6,6
7,4
6,4
13,4
16,.5
17,4
14,6
14,2
16,1
17,1
15,5
18,0
9,6
18,1
14,4
16,7
16,2
20,9
23,3
21,9
25,7
24,7
21,5
23,45
22,5
24,5
34,2
24,6
29,0
20,4
2,0
1,2
1,1
1,1
1.3
0,5
0,5
0,6
Substances albuminoïdes végétales (d'après A. Gautier).
Albumine végétale (orge) . . . .
Caséine végétale (noix de Para) .
Conglutine (amandes)
Légiimine (pois)
Gluten caséine (blé)
52,86
32.43
30,21
31,'i-8
52,94
7,33
7,12
6,81
7,02
7,04
15,75
18,10
18,37
16,77
17,14
22,98
21,80
24,13
24,33
21,91
1,18
0,33
0,45
0,40
0,93
3,6
1,38
2,66
3,58
trace
0,82
1,28
3,10
beaucoup
La composition centésimale des substances protéiques, soit végétales, soit animales,
oscille en général entre les limites que voici :
. Carbone 50,0 à -30,0 p. 100
Hydrogène 6,3 à 7,3 —
Azote 15,0 à 19,0 —
Oxygène 19,0 à 24,5 —
Soufre 0,4 à 4,0 — ■
180 ALBUMINOIDES.
Quant au fer, cet élément varie de 0,33 à 0,39 p. 100.
Réactions et décomposition des substances albuminoïdes. — 1° Chaleur {dis-
tillation sèche). — Les substances albuminoïdes dégagent, quand on les chauffe, une odeur
de corne brûlée et laissent un charbon volumineux, fortement azoté. 11 se forme les pro-
duits suivants : des acides gras volatils (acétique, butyrique, valérique, caproïque, etc.)
combinés à l'ammoniaque; du sulfure, du cyanure et du carbonate d'ammonium; des
ammoniaques composées (méthylamine, butylamine, propylamine, amylamine), une
partie oléagineuse complexe (huile animale de Dippel) renfermant des hydrocarbonés et
d'autres produits; des phénols; des bases non oxygénées formant deux séries, celles de
la pyridine C^H'Az et de l'anihne C^H'Az, du p5'rrol C'H-'Az, du scatol C'H^Az, etc.
2° Action de l'eau. — Mulder, sous la dénomination de trioxyde de protéide, fit con-
naître un composé soluble dans l'eau, insoluble dans l'alcool, contenant moins de carbone
et plus d'oxygène que les matières d'oîi il provient, produit résultant de l'oxydation
au contact de l'air et de l'hydratation en présence de l'eau à une température suffisam-
ment élevée de l'albumine ou de la fibrine longtemps chauffée dans l'eau bouillante. Ce
corps paraît être de nature peptonique; mais, dans l'état actuel de nos connaissances, il
est difficile de se prononcer sur sa nature.
Si l'on chauffe dans des tubes scellés en présence de l'eau, de 130° à 130°, de l'albu-
mine, de la fibrine, de la caséine et un certain nombre d'autres matières albuminoïdes,
les matières se transforment en produits solubles qu'on peut regarder comme des produits
d'hydratation commençante : on retrouve en effet dans la solution de la leucine et de la
tyrosine qui, comme no us le verrons, se produisent dans l'hydratation des albuminoïdes,
soit sous l'influence des acides, soit sous l'influence des alcalis.
De même, Lubavin, en chauffant dans une marmite de Papin un liquide d'ascite,
obtint une liqueur brunâtre à odeur de bouillon et contenant de la leucine et de la tyro-
sine. La caséine a fourni les mêmes produits.
A l'air libre, sous l'influence de l'eau bouillante agissant sur les albuminoïdes coagulés,
une portion de la masse demeure insoluble. La partie soluble renferme des gaz sulfurés,
un produit coagulable par les acides, des corps solubles dans l'alcool et l'éther, en
petite quantité, plus divers principes non étudiés, précipitables par l'acétate de cuivre, le
sous-acétate de plomb, le bichlorure de mercure, etc. (Sterry Hunt; A. Gautier).
La cartilagéine, l'osséine, naturellement insolubles, se transforment en isomères
solubles, la gélatine, la chondrine. D'autres substances protéiques comme l'élastine ne
sont pas modifiées.
3° Action des acides. — Il faut distinguer l'action des acides faibles, ou moyennement
étendus ou concentrés.
A. Action des acides faibles. Ils séparent d'abord les sels et les bases unis aux albu-
minoïdes, puis agissent sur la substance protéique elle-même et le transforment en iso-
mères solubles ou insolubles.
L'acide sulfurique, l'acide chlorhydrique à 1/2 ou 1 p. 100 gonflent beaucoup de ma-
tières insolubles et transforment en substances solubles d'autres albuminoïdes : la myo-
sine coagulée, le gluten, certaines fibrines et caséines insolubles. Par cette action on
obtient des substances appelées syntonines ou acide-albumines qui ont la même composition
apparente et le même pouvoir lévogyre que la matière initiale. Mais en enlevant l'acide
on ne peut les transformer en la matière primitive.
B. Action des acides moyennement étendus. Quand on combine cette action avec celle
de la chaleur, les matières albuminoïdes subissent un dédoublement.
Si on fait bouillir, pendant quelques heures, une solution d'acide sulfurique à 20
pour 800 avec 100 grammes d'albumine sèche, comme l'a fait M. Schïjtzenberger, on
obtient d'une part une substance gélatineuse insoluble dans l'eau, l'alcool et l'éther, se
desséchant en 'une masse grumeleuse, amorphe, fendillée, jaunâtre : c'est {'hémiprotéine,
formant à peu de chose près la moitié de l'albumine employée et renfermant indépen-
damment d'une petite quantité de soufre :
( C. . . 52,66 à 54,83 p. 100
Hémiprotéine. H. . . 7,01 à 7,31 —
( Az . . 14,22 à 15,08 —
ALBUMINOIDES. 181
et d'autre part une substance amorphe, soluble dans l'eau, insoluble dans l'alcool, légè-
rement acide : c'est V hémialbumine dont la composition est la suivante :
( C . .
. 50
[émialbumine.
H . .
1
( A/,. .
. 15,
répondant à la formule C-''H'»<'Az^Oi<'.
En outre on peut extraire de la solution sulfurique : i" une petite quantité d'un acide
azoté C-''H*''Az^O''; 2° une substance analogue à la sarcine; 3° une substance réduisant
énergiquement la liqueur de Fehling, du glucose ou un corps analogue (fait très intéres-
sant au point de vue physiologique).
L'hémiproléine, à la suite d'une ébullition prolongée avec l'acide sulfurique étendu, se
dissout lentement et se transforme en hémiproiéidine :
( C . . .
47,73
45,70
46,1
Hémiprotéidine
H. . .
6,48
6,6
6.7
( Az . .
14,5
—
13,0
répondant à la formule C''H*-Az^O'-,H-0 et qui résulterait de l'oxydation et de l'hydrata-
tion de l'hémialbumine.
En même [temps apparaissent la tyrosine, la leucine et ses homologues. On peut
résumer de la façon suivante le dédoublement de la matièrejalbuminoïde :
Albuminoïde..
Hémiprotéine. Hémialbumine. Acide azoté,
(noyau résistant) / subst. analogues
Hémiprotéidine.
à la sarcine
et au 2:lucose.
Tyrosine.
Leucine et homologues.
D'autre part Erlenmayer et Scuaefer, par l'ébullition de matières albuminoïdes avec
de l'acide sulfurique plus concentré (étendu de une fois et demie son poids d'eau), ont
obtenu comme produits définitifs de dédoublement les quantités de leucine et de tyrosine
suivantes :
Pour 100 d'élastine 35 à 45 0,25
— fibrine 14 0,8
— syntonine .... 18 1,0
— albumine de l'œuf 10 1,8
— tissus cornés . . 10 3,6
Enfin RiTTHAUSEN a signalé dans les mêmes conditions la production des acides aspar-
tique et glutamique aux dépens des matières albuminoïdes végétales et Hlasiwetz et
Habermann montrèrent que la production de ces acides ne caractérise pas exclusivement
les composés protéiques végétaux.
i" Action des cdcalis. — ■ Sous l'influence des alcalis étendus (1 à 2 p. 100 de NaOH) la
plupart des matières albuminoïdes se dissolvent et se précipitent par la neutralisation de
la solution. Ces substances ainsi dissoutes par les alcalis portent le nom de syntonines
d'alcalis ou alcalialbumines; elles doivent être rapprochées des acide albumines. Elles
possèdent beaucoup des propriétés de la caséine et Lieberkuhn les avait crues identiques
avec ce dernier corps.
En présence d'alcalis plus concentrés, même à froid, la molécule albuminoïde est
altérée; une partie résiste, une se peptonise, une autre est altérée; il se fait de l'acide
carbonique et peut-être de l'acide oxalique ; le soufre est séparé à l'état de sulfure alcalin
et d'hyposulfite, et il apparaît une substance, soluble dans l'alcool, précipitant à froid
182 A LBU MI NO IDES.
l'acétate de cuivre et faiblement basique; de cette liqueur complexe, on précipite par la
neutralisation une substance qui n'est autre que cette protéine que Molder considérait
comme le noyau commun des albuminoïdes.
Par une longue ébullitiou avec de la potasse concentrée il se dégage de l'ammoniaque,
et dans la liqueur (ne précipitant plus par les acides) on retrouve de la leucine et de la
tyrosine. La potasse fondante donne de même de la leucine, de la tyrosine, et des sels
alcalins d'acides gras (formiate, acétate, butyrate, valérate, oxalate, etc.); en même
temps que de la butalanine, de l'ammoniaque, des ammoniaques composées, du pyrrol,
de l'indol, du scatol et du phénol.
L'action d'une solution de baryte à une température élevée a été particulièrement
étudiée par M. Schûtzenberger; nous y reviendrons quand nous étudierons la constitu-
tion des albuminoïdes.
0° Action dts réactifs oxydants. — a. En oxydant certaines matières albuminoïdes
par le permanganate de potassium en solution alcaline, Béchamp a obtenu de l'urée. Ce
résultat conflrmé par Ritter a été contesté par Staedeler, Lùw, Tappeiner et Lossen.
La quantité d'urée n'est d'ailleurs pas considérable.
Par l'oxydation au moyen d'un mélange de bioxyde de manganèse ou de bichromate
de potasse et d'acide sulfurique étendu, Guckelberg a obtenu des aldéhydes (acétique,
propionique, butyrique, benzoïque) des acides (formique, acétique, propionique, butyrique
valérique, caproique, benzoïque), du formonitrile (CAzH) et du valéronitrile.
b. Acide azotique. — L'acide azotique fumant dissout les matières albuminoïdes eu
formant une liqueur jaune que l'eau précipite. Il se forme de Yacide xantlwprolélque
(nom donné par Mulder), produit insoluble dans l'eau, l'alcool, l'éther, soluble dans les
acides concentrés, dans les alcalis, l'eau de chaux, de baryte. Cette formation d'acide
xanthoprotéique est une des réactions caractéristiques des albuminoïdes.
c. Eau régale. — Les matières albuminoïdes se dissolvent dans l'eau régale. A chaud il
se produit des corps oléagineux volatils (chlorazols), des acides fumarique et oxalique,
de la leucine, de la tyrosine, etc.
Il en est de même avec les hypochlorites alcalins.
d. Chlore et Brome. — L'action du brome en présence de l'eau a été bien étudiée par
Hlasiwetz et Habermann qui ont signalé la formation des produits suivants : Bromo-
forme, acides bromacélique, oxalique, aspartique, caproïque; un isomère de l'acide
aspartique; de la leucinimide, des composés peptoniques; de pe,tites quantités d'acides
tribromo-amido-benzoïque et bromobenzoïque.
L'action de l'ozone a été étudiée par Gorup-Besanez; elle ne donne pas lieu à la for-
mation de corps bien caractérisés; la fibrine et la gélatine ne paraissant pas être,
attaquées.
Poids moléculaire et constitution des albuminoides. — H y a une soixantaine
d'années, Mulder, traitant des matières albuminoïdes par une lessive de soude moyenne-
ment étendue, à une température élevée, obtint après neutralisation de la liqueur un pré-
cipité gélatineux présentant toujours selon lui la même composition, quelle que fût la subs-
tance albuminoïde employée. Le soufre et le phosphore restaient en solution dans la soude.
Mulder désigna ce produit ainsi obtenu sous le nom de protéine et considéra les
matières protéiques comme formées par l'union de ce radical avec du phosphore, du
soufre, des phosphates et d'autres sels en proportions différentes.
Cette théorie n'a plus aujourd'hui qu'un intérêt historique. Nous savons en effet, que-
cette protéine de ^Mulder n'est pas une substance simpte,mais un mélange de substances
protéiques appauvries en soufre et d'amides très compiexes dont la quantité et la
nature varient si on les chauffe (A. Gautier).
J'en dirai de même de la théorie de Gerhardi qui admettait que les substances albu-
minoïdes sont identiques par leur constitution et ne diffèrent que par la nature des subs-
tances minérales qui y sont combinées; de l'hypothèse de Sterry Hunt qui, considérant
que le soufre peut être remplacé par de Toxygène dans la formule de l'albumine pro-
posée par LieberkChn supposait qu'à l'état de pureté l'albumine désulfurée renferme
les éléments de la cellulose et de l'ammoniaque, moins ceux de l'eau. L'albumine,
d'après cette théorie, aurait correspondu à de la cellulose azotée, la fibrine et la caséine,
à de la dextrine et de la gomme, et la gélatine à un nitrile du glucose.
ALBUIVIINOÏDES. 183
En 1872, dans son traité élémentaire de cliimie, BEninELOT considérait les corps albu-
minoïdes comme formés par l'association de la glycolamine, de la leucine et de la
tjTosine avec certains principes oxyg-énés appartenant d'une part à la série acétique
et de l'autre à la série benzoique.
11 faut arriver aux mémorables travaux de Schdtzenberger pour trouver une théorie
de la constitution des albuminoïdes basée sur l'analyse exacte des produits de décom-
position de la molécule protéique. La grande difficulté de ces recherches consiste en ce
que, comme le fait remarquer ScnnizENBERCEn {La conatitutimi des matières proléiqucs.
Conférence de la société chimique in Revue Scientifique, 24 juillet 1887), « les matières pro-
téiques ne possèdent aucun de ces caractères physiques et chimiques qui font le bon-
heur du savant; elles ne sont ni cristallisables, ni volatiles, ni aptes à se prêtera une
série de réactions nettes, élégantes, permettant de tirer d'un seul produit une riche
moisson de produits nouveaux ». En elTet, comme l'a aussi dit Bcnge, c'est quand on
aura obtenu des manières albuminoïdes cristallisées qu'on sera sûr d'avoir affaire à
des individus chimiques et que l'on pourra déterminer la composition des différentes
matières albuminoïdes et les comparer entre elles.
En se basant sur la composition de l'albumlnate obtenu par l'action à froid de la
potasse sur des solutions concentrées d'albumine et la composition des sels métalliques
correspondants, LiEBERKUHN avait donné pour l'albumine la formule suivante restée long-
temps classique :
C'2Hii2Azis022S = 1612.
Mais en réalité cette formule doit être au moins triplée. En effet Harnack, analysant
des combinaisons cuivriques de l'albumine (obtenues en traitant des solutions neutres
d'albumine de l'œuf par un sel de cuivre soluble), est arrivé à la formule suivante pour
l'albumine de l'œuf :
C20iH322Aza2OGGS^ = 4618.
De même Lœw a pu obtenir des combinaisons argentiques dont l'analyse élémentaire
conduit à une formule supérieure à celle de Lieberruhn. D'autre part des études faites avec
les globulines cristallisées qui se trouvent dans les végétaux (cristalloïdes d'aleurone, glo-
bulines de la noix de Para) faites par Schmiedebebg, Drechsel, Grûbler ont conduit à des
chiffes très élevés. C'est ainsi que la formule minima pour les globulines de la semence
de courge sérail d'après Grubler :
029-2 H4S1 Az!>o 0S3 S^ = 6637,
Enfin l'analyse des diverses oxyhémoglobines a fourni des résultats précieux. Connais-
sant la formule de l'hématine et les rapports du soufre au fer (2 atomes dé fer pour un
atome de soufre) la formule de l'hémoglobine est :
CU2Hii30Az2iiO2«FeS2.
Si l'on retranche la formule de l'hématine G'- H'-Az* O'-Fe, on obtient pour la formule
de la matière albuminoïde :
C6SOHi»9SAz2ioo2ii S= = 16218.
Pour ScnûTzENBERGER la fomiule de l'albumine de l'œuf serait la suivante :
C2 ■.0H392 Az65 0'^ S3 = 3478,
et pour A. Gautier :
C250H409 Az<5" OS' S' = 5739.
Ces divers chiffres disent assez quelle est la complexité de cette molécule albuminoïde.
C'est à ce groupement si complexe, cet édifice moléculaire colossal que Sceûtzenberger
s'est attaqué. 11 s'agissait en somme de briser, de cliver cet édifice el d'étudier les frag-
ments de constitution plus simple. Sa méthode expérimentale est celle qui a permis à
Chevredl de fixer la constitution des corps gras : c'est la méthode par saponification
ou dédoublement accompagné d'hydratation. Nous ne pouvons, on le comprend, présenter
un exposé détaillé des recherches de l'éminent chimiste du Collège de France; nous
nous bornerons à l'exposé de leur ensemble.
184- ALBUMINOIDES.
C'est par l'action de la baryte en solution concentrée et à température élevée,
(100 à 200° et chauffage dans un autoclave en acier fondu) que Schûtzenberger a In^draté
et dédoublé les albuminoïdes. Comme matière protéique il a étudié d'abord l'albumine
de l'œuf coagulée et sécbée.
Les produits de dédoublement par hydratation sont ainsi composés :
1° De l'ammoniaque et une très petite quantité de produits volatils parmi lesquels le
pyrrol C''H''Az. L'ammoniaque représente 1/4 à t/S de l'azote total 16,5 p. 100.
2° Un mélange de carbonate et d'oxalafe de baryum. Les quantités d'acide carbonique
et d'acide oxalique sont pour l'albumine de l'œuf d'une molécule du premier pour 5 du
second. Pour chaque molécule de ces deux acides il se produit toujours 2 molécules
d'ammoniaque, c'est-à-dire dans les proportions nécessaires pour former de l'urée et de
l'oxamide.
3° La liqueur filtrée, séparée de l'ammoniaque par ébullition, traitée par CO^ pour
précipiter l'excès de baryte, puis par SO'H- pour séparer le baryte unie aux acides orga-
niques, fournit par distillation de l'acide acétique libre. Il reste un résidu fixe brut ainsi
composé :
1° De la tyrosine C'H"AzO' en petite quantité (.3 p. 100 de mat. alb. environ).
2° Des acides amidés de la formule générale C^H-" + 'AzO^ parmi lesquels prédo-
mine la leucine ou acide amidocaproïque C'H'^AzO- :
Alanine (amido-propionique) C^H'AzO-.
Butalanine (acide amido-butyrique). . C'^H^AzO-.'
Acide amido-valérique CôH'iAzO-.
Leucine C^HnAzO^.
Acide amido-œnantliylique C'Hi»AzO-.
3° Des composés répondant à la formule C"H^°-*AzO- désignés sous le nom générique
de leiicéines et pouvant être regardés comme des acides amidés de la série acrylique.
Acide amido-crotonique C'E^AzO-.
Acide amido-angélique CâH^AzO-,
4° Enfin des corps diffe'rents de ceux des deux groupes précédents et répondant a la
formule C°H-''Az^O*(n = 7,8,9,10,11,12). Ces corps présentent une saveur assez fortement
sucrée. On les appelle glucoprotéines, substances incolores, solubles dans l'eau, peu
solubles dans l'alcool absolu bouillant.
Par un chauffage à température plus élevée la proportion de glucoprotéines est
fortement diminuée et les produits de dédoublement sont surtout formés par un mélange
de leuclnes et de leucéines (C^H'^^n-'AzO-) pouvant être envisagés comme des anhydrides
des oxyacides amidés C"H^"+*AzO-'.
0° Des composés plus riches en oxygène du type C°H-"~'AzO*.
Acide aspartique C'H'^AzO*; acide glutamique C^H'AzO'*.
6^ Un acide du type CH'^^-^AzO', acide glutimique C^H'Azo^.
1" Enfin un produit nouveau, la tyroleucinc C"H-^Az'-0* ; de petites quantités d'acides
du t3-pe C"H2a— 'Az-0^ ; des traces d'acides lactique et succinique et une faible propor-
tion de matières ternaires neutres analogues à ladextrine, ce dernier fait très intéressant
au point de vue physiologique. -
Voici comment M. Schûtzenberger résume lui-même les conséquences de ses tra-
vaux :
1° La matière protéique en s'hydratant sous l'influence de la bai-yte à une tempéra-
ture supérieure à 100° utilise à 2Jeu de chose près autant de molécules d'H^O qu'elle con-
tient d'atomes d'azote.
2» Une fraction de l'azote total, fraction variant avec la nature de la substance em-
ployée, de 1/4 à 1/S, se sépare sous forme d'ammoniaque.
On constate en même temps la mise en liberté d'acides oxalique et carbonique en
proportion telle que, pour 2 molécules 2AzH^ d'ammoniaque libre, on trouve une molé-
cule d'acide bibasique (CO- et C-H-0').
3" Les autres termes de la décomposition sont tous des corps amidés. La composi-
ALBUMINOIDES. 185
tion élémentaire de leur mélange répond assez exactement à une expression de la forme
C"ir-''Az-0* avec un léger excès d'oxygène.
4° Le mélange est formé de deux séries de termes les uns de la forme C''H^*'+'AzO-
(b = 2,3,4,S,6) sont les dérivés amidés (leucines) des acides gras CiH-^O- que l'on peut obte-
nir synthétiquement par l'action des dérivés chlorés des acides gras sur l'ammoniaque;
les autres de la forme C°H-'=-'AzO- (C^ = 4,6) peuvent être envisagés comme les anhy-
drides C"H-""-'AzO- des oxyaoides amidés C''H''"+' AzO'.
Une matière protéique telle que l'albumine peut finalement être envisagée dans ses
grandes lignes comme formée de
C2H20-i + 2AzH3 + 3(CmH2m + i AzPa) + 3(C"H3n-i AzO^) — 8H^0
A. oxalique OU CqH2qA2i50i2[q = 3(m+ n) ]
= C q-l-sHSq-sAzsOs.
En posant q = 28, la formule précédente conduit à des nombres qui se rapprochent
beaucoup de ceux que donne l'analyse élémentaire de l'albumine.
En tenant compte de tous les produits qui prennent naissance par le dédoublement
d'une molécule d'albumine (à l'exception de la tyrosine et des matières dextriniques
dont la quantité est minime), M. ScHiJTZEXBEnGER arrive à considérer cette molécule
comme une uréide complexe, une diuréidc, qui fournirait par son dédoublement 2 molé-
cules d'urée, de l'acide acétique et un mélange d'acides amidés.
M. ScHtiTZENBERGEB ne s'est pas d'ailleurs borné à étudier l'albumine de l'œuf; un
grand nombre d'autres matières protéiques ont été soumises à la même analyse, et leur
dédoublement en présence de la baryte a fourni à peu de chose près les mêmes pro-
duits indiquant ainsi une remarquable analogie de structure générale.
La conception de M. A. Gautier, relativement à la structure de la molécule albuminoïde
et à la nature de son noyau central est un peu différente. Suivant M. Gautier il existe
dans tout composé albuminoïde, ainsi que dans la plupart des composés naturels du
groupe urique, une chaîne centrale, un noyau constitué par un groupement dérivé de
CAzH et non saturé, tel que serait le groupe
— C — (AzH)" — C — (AzH)" — C — (AzH)" —
11 il 11
formé par l'union de trois molécules d'acide cyanhydrique ayant chacune la constitution
suivante :
AzH —
I ou — C —
-C- li
I . AzH
Groupement tétratomique. Groupement diatomique.
A ces deux noyaux moléculaires se rattachent des groupements diatomiques ou
mono-atomiques oxygénés, tels que CO, et OH et plus généralement des restes aldéhy-
diques qui viennent compléter la molécule.
Exemple: (OH)' — C — (AzHV — H et (OH) — C — (AzH)" — H
Il ' 1
CH20 CO
M. A. Gautier a en effet montré le rôle considérable que joue le groupement cyané
(CAz) dans les transformations et la synthèse des composés organiques naturels. Beau-
coup de ces composés ont une grande tendance à se polymériser. En se soudant à lui-
même, CAzH deviendrait ainsi le squelette des matières albuminoïdes. Cette conception
explique très bien la formation des composés du groupe urique. D'ailleurs, cette
théorie a reçu une brillante confirmation expérimentale par la découverte que fit Kossel
d'un polymère de CAzH, l'adénine C^Az^H''' qui a été extraite du pancréas.
Groupement aromatique dans la molécule albuminoïde. — Nous avons vu que
parmi les produits de dédoublement de l'albumine apparaissait la tyrosine (C'H"AzO^),
186 ALBUMINOIDES.
corps répondaixt à la constitution de l'acide amido-h3'drocoumariqQe caractérisé par le
groupement aromatique C'H''.
(C^H=)/YÀzH3^
e6H4/ \ V )
\(0H)
L'existence de ce groupement aromatique explique la réaction de Millon commune
aux matières albuminoïdes et aux composés aromatiques comme le phénol. De même,
nous savons que les matières albuminoïdes fournissent des bases pyridiques ethydropj'ri-
diques. Par la putréfaction ces substances fournissent des bases analogues. L'ox3'dalion
donne de la tjTOsine et de l'acide benzoïque. Quel que soit le genre de dédoublement
auquel on soumet les matières protéiques, la formation des dérivés aromatiques est
constante. C'est de ce noyau aromatique que dérivent les composés aromatiques, phénol,
indol, scatol, qui apparaissent au cours de la décomposition des albuminoïdes dans
l'intestin.
Noyau hydrocarboné. — Enfui, les substances protéiques renferment encore Un
un noyau hydrocarboné représenté soit par le groupement CH. OHoaH.COH (aldéhyde
formique,) soit par CH^ On a constaté en effet que sous l'influence de l'hydrate de
baryte les matières protéiques se dédoublaient en dérivés amide's des acides gras ana-
logues à l'acide lactique. On a même constaté la présence de l'alanine, isomérique avec
la lactamide. Or, quand on traite les matières hydrocarbonées par la potasse, ces ma-
tières se dédoublent en acide lactique qui représente à peu près 70 ou 80 p. 100 de la
substance hydrocarbonée.
D'ailleurs, les rapports qui existent entre les matières hydrocarbonées et les matières
albuminoïdes sont justifiés par le fait que la levure de bière (comme nous le verrons),
se développant dans un milieu composé uniquement de sucre et de sels ammoniacaux
doane naissance à un produit ayant les caractères des matières albuminoïdes. Enfin
nous devons nous rappeler que parmi les produits d'hydratation des substances pro-
téiques sous l'influence des acides minéraux et de l'hydrate de baryte, figurent des
composés présentant la plus grande analogie avec la glucose et la dextrine.
En résumé, la molécule albuminoïde parait foi'mée par trois groupements principaux :
un azoté, soit CAzH, soit C0\-^^ j; un groupement hydrocarboné H.COH ou gras CIl^
et un noyau aromatique CH'» auxquels viennent s'adjoindre d'autres groupements
accessoires de diverse nature. Ce serait peut-être à l'agencement différent de ces divers
radicaux que seraient dues les différences que présentent au point de vue cliimique et
physiologique des matières albuminoïdes qui ont, à peu de chose près, la même compo-
sition centésimale.
Essais de synthèse des albuminoïdes. — En parlant de ses recherches analy-
tiques, M. ScHUTZENBERGER a fait le premier essai de synthèse des matières albuminoïdes.
La molécule albuminoïde pouvant d'une façon générale être envisagée comme
résultant de l'union — avec perte d'eau — de l'urée (ou de l'oxamide) avec laleucine et les
leucéines, M. Schutzenberger a d'abord fait la synthèse des leucéines par l'action des
bromures éthyléniques sur les combinaisons zinciques des acides gi'as amidés CnH'-n+'AzO-.
En mélangeant des leucines et des leucéines avec 10 p. 100 d'urée et en déshydratant
le mélange par l'anhydride phosphorique à 1250, il a obtenu un produit amorphe, soluble
dans l'eau, précipitable par l'alcool en grumeaux blancs caséeux et ressemblant beaucoup
aux peptones. Il présente la plupart des réactions des peptones, et, calciné, dégage l'odeur
caractéristique de corne brûlée.
D'autre part, M. Gbimaux, en chauffant à une température de 12o° à 130° pendant
deux heures l'anhydride de l'acide aspartique avec la moitié de son poids d'urée, a
obtenu une subsLance C^''H''''Az"0-S présentant les caractères généraux des substances
protéiques. Il a pu obtenir aussi un colloïde amidobenzolque très remarquable, en
chauffant l'acide amidobenzoïque pendant une heure avec une fois et demie sou poids
de perchlorure de phosphore et en traitant la masse par l'eau bouillante jusqu'à ce que
le résidu insoluble présentât l'aspect d'une poudre blanche et friable. Cette, poudre se
dissout totalement à chaud dans l'ammoniaque.
ALBUMINOIDES. 187
La solution obtenue, évaporée et desséchée, donne des plaques jaunâtres translucides
ayant une grande ressemblance avec l'albumine du sérum desséchée. Les réactions
générales de cette substance sont tout à fait compai'ables à celles des substances albumi-
noides.
Albumine morte et albumine vivante. — Ce qui complique encore l'étude des
substances albuminoïdes au point de vue de la chimie biologique, c'est que l'on est
conduit à se demander avec Pfldger si la substance protéique que le chimiste étudie est
bien la même que celle qui est le siège des échanges chimiques chez l'être vivant.
Pflugiîr, puis Lôw, ont en effet émis l'idée que l'albumine vivante était non seulement
physiologiquemenl, mais encore chimiquement différente de l'albumine que le chimiste
analyse, de l'albumine des éléments de nos tissus après la mort. Il faut remarquer que'
l'albumine morte à la température du corps est à peu près indifférente aux réactifs chi-
miques et à l'oxygène, à rencontre de l'albumine vivante qui est en voie de mutations
incessantes.
D'un autre côté, les produits de décomposition ne seraient pas les mêmes : les
produits ultimes de la désassimilation azotée chez le vivant sont l'urée ' et l'acide
urique; les produits de destruction de l'albumine morte contiennent surtout des anides
et de l'ammoniaque. Ce qui établirait la différence, d'après Pfluger, ce serait le passage
d'un groupement moléculaire à un autre. Pour lui, en effet, le groupement caracté-
ristique de la matière albuminoïde vivante est le noyau CAzH. La mort consisterait dans
le passage de cet état à l'état ammoniacal :
CAzH = CAz. ... a
CÀzH = CAz. ... H
CAzH=C AzH
AzH^
Low - a étudié l'action des sels d'argent sur le protoplasma et considère comme
caractéristique de l'albumine vivante la propriété de réduire les solutions alcalines des
sels d'argent. Cette propriété appartiendrait au groupement aldéhydique contenu dans
l'albumine vivante. A ce groupement aldéhydique s'ajouterait un groupement amidé.
La mort consisterait dans le passage du groupement amidé à l'état iniidé :
I I
CH — AzH2 CH — AzH
I = I
C — COH CO— CHOH
!l 11
Groupement amidé. G-roupement imidc.
Enfin, A. iVIosso a essayé d'établir une différence en se basant sur la manière dont
les substances albuminoïdes se comportent en présence du vert de méthyle.
Le protoplasma vivant repousse en effet la matière colorante. Si un simple ralentis-
sement vital se produit, il y a pénétration d'un peu de colorant (couleur violette); si le
protoplasma est mort, il se colore en vert.
Réactions caractéristiques; reclierche des albuminoïdes. — A l'exemple de
Lambling, nous diviserons les réactions qui permettent de reconnaître la présence de
matières albuminoïdes et de les caractériser en deux classes : 1° les réactions de préci-
pitation qui permettent de séparer les matières albuminoïdes, des liquides dans lesquels
elles sont contenues et 2» les réactions de coloration qui permettent de reconnaître et
de caractériser des quantités souvent très minimes de matières- protéiques.
Réactions de précipitation. — Il ne faut pas confondre la précipitation des subs-
tances albuminoïdes avec leur coagulation. La précipitation n'altère pas, au moins pour
un temps, la substance précipitée qui peut reprendre son- état primitif; la coagulation
1. Il faut remarquer que l'urée se forme dans l'organisme, principalement aux dépens des
composés ammoniacaux résultant do la désintégration de la molécule albuminoïde. Le foie parait
être l'organe important de l'uropoièse. La différence entre l'albumine morte et l'albumine vivante
ne serait donc pas aussi grande que le veut Pfluger.
2. Ajoutons que A. Gautier considère comme dénuée de preuve cette théorie de Low.
188 ALBUMINOIDES.
modifie au contraire plus profondément la matière albuminoïde. Si, par exemple, nous
traitons de l'albumine de l'œuf en solution par du sulfate d'ammoniaque, cette albumine
est précipitée, mais le précipité peut se redissoudre et la matière revenir à son état
primitif, si nous faisons disparaître l'agent précipitant. Si, au contraire, nous chauffons
à dOO° une solution d'albumine, celle-ci est coagulée et le coagulum reste insoluble dans
l'eau pure. Parfois, l'agent précipitant forme une combinaison insoluble avec la matière
protéique (précipitation par le tanin), parfois aussi c'est une nouvelle matière albumi-
noïde qui se forme sous l'action du réactif et qui se précipite parce qu'elle est insoluble
ou qu'elle forme avec le réactif une combinaison insoluble dans le milieu qui a provoqué
la transformation (précipitation de l'albumine de l'œuf par l'acide nitrique à chaud sous
la forme d'acide albumine nitrique, insoluble dans un excès de réactif).
1° Chaleur. — Certaines matières alhuminoïdes, parfaitement desséchées, peuvent
être chauffées à 100° et même au delà sans perdre leur solubilité dans l'eau. Mais, quand
on chauffe leur solution aqueuse, elles se coagulent. La température de la coagulation
varie suivant la concentration du liquide et la nature de la substance albuminoïde.
Généralement, la température de coagulation varie de 60° à 73°. La présence d'alcalis,
tels que la potasse et la soude, peut retarder et même empêcher la coagulation; au
contraire l'addition de petites quantités de certains sels neutres, d'acide acétique,
d'acide phosphoriqus, d'alcool, favorise la coagulation.
2° Action des sels. — L'addition en plus ou moins grand excès de sels alcalins ou
alcalino-terreux précipite les alhuminoïdes. Cette action a été observée et étudiée d'abord
par Gannat^ DeiNis, Hoppe-Seyler, sur quelques matières alhuminoïdes du sang. Ce sont
les globulines qui sont précipitées le plus facilement et par le plus grand nombre de
sels. Le sulfate d'ammoniaque est un excellent agent de précipitation. Par la saturation
complète de la solution avec ce sel, tous les alhuminoïdes sont précipités, sauf la peptone.
3° Les matières alhuminoïdes précipitent. — Par les acides inéraux concentrés, en par-
ticulier par l'acide nitrique et l'acide métaphosphorique, non par l'acide orthophospho-
rique. L'acide nitrique concentré rend sensible 1/20000= d'albuminoïde.
4° — Par l'acide acétique en présence des sels alcalins et terreux (les peptones et la
gélatine ne sont pas précipitées). En chauffant à l'ébullition une solution d'albuminoïde
avec du NaCl et de l'acide acétique on peut déceler la présence de 1/20000° de substance
protéique.
o° — Par Y acide acétique et le ferrocyanure de potassium. Toutes les matières alhumi-
noïdes sont précipitées, sauf les peptones et la gélatine. Ce réactif rend sensible de
1/30000° à 1/90000° d'albuminoïdes. La réaction cesse d'être perçue à 1/100000°.
6° — Par Vacide phosphotungstique, Vacide phosphomolybdique (en présence d'acides
minéraux libres). Sensibilité = 1/100000° à 1/200000°.
7° — Par le tanin en solution acétique. Sensibilité = 1/100000° à 1/200000°.
8° — Par l'alcool fort à condition que la solution ne soit pas trop apauvrie en sels.
9° — Par le phénol, le chloral, Vaeide taurochoUque, Vacide trichloracétlquc.
10° — Par Vacide picrique (en présence d'un acide organique. Réactif d'EsBACu).
11° — Pur Viodhydrargyrate de potassium; Viodure double dé potassium et de bismuth [en
présence de l'acide chlorhydrique). Sensibilité = 1/100000° à 1/200000°.
12° — Par une solution alcoolique d'acétate ferrique alcalinisée par de l'hydrate ferrique
récemment précipité (Réaction très sensible ; sépare les moindi'es traces de matière
protéique).
13° — Par une solution aqueuse tiède d'hydrate d'oxyde de plomb (surtout en pré-
sence de l'alcool).
14° — Parles solutions alcooliques d'acétate basique de cuivre; d'acétate ou de chlo-
rure de plomb.
15° — • Par un très grand nombre de sels de métaux lourds (cuivre, plomb, argent,
mercure, urane) (les sels de cuivre ne précipitent ni les peptones ni la gélatine).
16° — Par l'hydrate d'oxyde de cuivre gélatineux.
Toutes ces réactions ne présentent pas un égal degré de certitude vis-à-vis de toutes
les matières alhuminoïdes. D'après Drechsel, les seuls agents dont on puisse dire qu'ils
précipitent toutes les matières protéiques sont le tanin, les acides phosphomolybdique
et phosphotungstique et les iodures doubles de potassium et de mercure, de potassium
ALBUMINOIDES. 189
et de bismuth. Il faut ajouter que des substances étrangères peuvent exercer une action
notable, surtout quand il s'agit de de'celer des traces de matières albuminoïdes.
C'est ainsi que N. Kowalewski a montré que l'acide métaphosphorique, le mélange
de ferrocyanure de potassium et l'acide acétique perdent toute leur efficacité en pré-
sence d'un excès de sulfate de magnésium.
Réactions de coloration. — • 1° La dissolution des matières albuminoïdes dans
l'acide chlorhydrique concentré se colore en bleu, puis en violet et en brun sous l'in-
fluence de la chaleur (Caventou). 11 est boa de dégraisser la matière séchée par l'alcool
éthéré. La réaction est plus nette en mélangeant de l'acide chlorhydrique ordinaire
avec le 10= ou le 3^ de son volume d'acide sulfurique concentré (Wurster). Cette réaction
ne réussit pas avec l'hémoglobine, la chondrine et la kératine et certaines mucines.
2° Réaction du biurct (ou de Piothowski). — Une solution de matières albuminoïdes
donne avec le sulfate de cuivre un précipité que redissolvent les alcalis et les carbonates
alcalins. La solution prend une belle coloration violette. Si on ajoute d'abord à la
solution d'albuminoïdes de la soude, puis goutte à goutte une solution de sulfate de
cuivre à 1/20", on obtient une coloration rose, puis violette. Avec les peptones, la colo-
ration est pourpre. Quand il s'agit de matières albuminoïdes coagulées, on les fait
séjourner dans la solution cuivrique, puis, après lavage, on traite par de la soude
étendue. Les matières albuminoïdes se teintent en bleu.
3° Réaction xanthoprothéique. — Si l'on chauffe une solution d'albuminoïdes avec de
l'acide nitrique concentré, la liqueur se colore en jaune citron et le précipité formé se
dissout entièrement ou en partie. Si on ajoute un alcali la coloration jaune vire à l'orangé.
Les albumines et les peptones donnent cette réaction à froid. Sensibilité = l/lOOOOo.
4" Réaction de Millon (nitrate mercureux). — Le réactif de Millon donne avec les
matières albuminoïdes une coloration rose qui passe au rouge à l'ébullition. En pré-
sence d'une grande quantité de chlorures (transformation du sel mercureux en chlorure
mercurique); la réaction peut faire complètement défaut. Cette réaction est caracté-
ristique du groupement aromatique (elle est en effet très belle avec le phénol). Cette
réaction n'est plus sensible au-dessous de 1/2 500° d'albumine.
5° Réaction de Raspail. — Par l'acide sulfurique concentré les matières albuminoïdes
donnent une coloration qui passe au rouge violacé foncé par addition de quelques gouttes
de sirop de sucre très concentré. Cette réaction est due à la formation de furfurol qui
peut être mis en évidence par la coloration du papier à l'acétate de xylidine. La
tyrosine, le phénol, l'a naphtol, le thymol, la vanilline, la salicine, la coniférine, la nar-
cotine, certaines graisses et huiles donnent aussi la réaction de Raspail.
6° Réaction de Frôhde. — Par l'acide sulfurique renfermant 1/100= d'acide molyb-
dique, on obtient une coloration bleu intense.
7" Réaction de Krasser. — Une solution aqueuse d'alloxane colore en rouge pourpre au
bout de quelques minutes les substances albuminoïdes, ainsi que la tyrosine, l'acide asparti-
que et l'asparagine. Il faut se rappeler que la solution aqueuse d'alloxane, abandonnée
au contact de l'air, se colore lentement en rouge, surtout en présence de l'ammoniaque.
8° Réaction d'AoAMKiEwicz. — On dissout la matière albuminoïde dans l'acide acé-
tique glacial et on ajoute de l'acide sulfurique concentré, il se produit une belle colo-
ration pourpre présentant une faible fluorescence. La gélatine ne donne pas cette
réaction; les peptones en solution un peu concentrée seulement. Elle paraît due aux
groupements indoliques et scatolique de la molécule.
9° Réaction de Reiohl. — On ajoute à une solution albumineuse 2 ou 3 gouttes d'une
solution alcoolique d'aldéhyde benzoïque, pour une quantité assez grande d'acide sulfu-
rique étendu de un volume d'eau et enfin une goutte d'une dissolution de sulfate ferrique.
Il se produit, au bout d'un certain temps à froid, et immédiatement à chaud, une colo-
ration bleu foncé.
10° Réaction de Michailow. — On additionne de sulfate de fer une solution d'albumine ou
un dérivé de cette dernière contenant de l'azote et du soufre. On superpose à ce mélange
de l'acide sulfurique concentré, puis on ajoute un peu d'acide nitiique, il se produit, outre
un anneau brun, des zones rouge sang.
11° Réaction de Wurster. — Une solution albumineuse chauffée avec un peu de qui-
none sèche prend une coloration rouge rubis foncé, puis le liquide devient brun.
■190 ALBUMINOIDES.
iZ" Réaction de Pétri. — Une solution d'albuminoïde additionnée d'acide diazobenzo-
sulfonique prend une faible coloration jaune. Après sursaturation par un alcali fixe, le
liquide devient, suivant la concentration, jaune orangé ou brun rouge avec une mousse
rouge. Avec l'ammoniaque la coloration est également très intense, mais d'un jaune pur.
Additionné de poudre de zinc, ou d'amalgame de sodium, ce liquide rouge brun prend au
contact de l'air une coloration de fuchsine; neutralisé, il devient jaune, puis de nouveau
rouge en présence d'un acide minéral en excès ; mais avec une nuance différente.
13° Réaction d'AxE.^'FELD. — Une solution d'albumine additionnée de chlorure d'or au
millième, chauffée et mélangée k une ou deux gouttes d'acide formique, devient rose,
rouge pourpre, puis bleue, et dépose des flocons bleu foncé. La coloration rouge est seule
caractéristique des albuminoïdes; car un grand nombre de substances (glucose, glyco-
gène, amidon, leucine, tyrosine, acide urique, créatinine, urée, etc.) donnent également
les colorations bleue et violette. La gélatine pure donne une coloration brun rouge di-
chroïque; la guanine, une belle coloration pourpre, mais qui passe au jaune orangé sous
l'influence des alcalis fixes.
Cette réaction est extrêmement sensible (1/2 000 000» d'albumine); le chlorure de
sodium, l'urée, l'acide urique, le glucose n'en retardent l'apparition qu'en masse consi-
dérable. Il faut ajouter alors de plus grandes quantités de réactif.
Classifications des substances albuminoïdes^.
Classification de M. Schûtzenberger :
I. Matières soluhles dans l'eau pure sans le concours d'une base, d'un acide ou d'un sel neu-
tre ou alcalin et coagulable par la chaleur. On donne à ces produits le nom générique
d'albumines (Albumine de l'œuf, albumine du sérum, albumine végétale).
II. Matières insolubles dans l'eau pure, solubles sans altération à la faveur des sels neutres
•des alcalis ou des acides et susceptibles d'être de nouveau précipitées de ces solutions.
A. Globulines (vitelline, myosine, substance flbrinogène, paraglobuline ou globuline du
sérum, substance fibrinoplastique) ; B. Caséines animales du lait, du sérum ; C. Caséi-
nes végétales (gluten caséine, conglutine, légumine); D. Premiers termes de la transfor-
mation des albuminoïdes sous l'influence des alcalis, des acides et des ferments solubles;
Protéines, albuminates, acide albumines, syntonine, hémiprotéine, peptones).
lU. Substarices insolubles dans l'eau et ne pouvant être dissoutes qu'avec transformations;
ne iMuvant être séparées sans altération de leur solution dans les acides et les alcalis (fibri-
nes diverses, gluten flbriae, gliadine et mucédine).
IV. Matières albuminoïdes coagulées par la chaleur (albumines et fîbrines coagulées).
V. Matière amylotde (grains de protéine).
VI. Matières collagènes (tissu cellulaire, osséine et dérivés : gélatine. — Tissu carti-
lagineux : chondrine — Tissu élastique).
Vil. Matières mucilagineuses (mucine, paralbumine, colloïdine).
Classification de A. Gautier :
/ Matières albuminoïdes proprement dites.
3 grands groupes. Matières collagènes.
( Matières épidermiques ou cornées corps albumoïdes.
6 familles : i° Albumines; 2° Caséines; 3° Globulines et flbrines; 4° Glutinogènes ou
collagènes; o° Matières kératiniques et muqueuses ou corps albumoïdes; 6° Dérivés im-
médiats de transformation des matières albuminoïdes.
1" famille. Albumines. — Matières solubles dans l'eau et coagulables par la chaleur ou
les acides minéraux affaiblis, comprenant :
. ",■ ,, ^„' ^^" ,, . I Matières albuminoïdes solubles : leurs solutions ne préci-
Albumine de I œuf ou ovalbumme. 1 ■. » ■ i -j ■ • . • u
_, . , . ,, ■ V pitentni parles acides organiques ou mmeraux très eten-
Serme du sang ou sérum albumine. » '. . '^ , , ■ i ir . j' ■„„ „
°, ,, . / dus, ni par le sel marin ou le suUate a ammoniaque
Musculo-albumine. \ . ^,,,, , ^ i i i i ■■"„ ■ -Te™
. _. i en excès. Elles se coagulent par la chaleur de oo» a 75°.
^ umme ^e . i EUes précipitent en liqueur légèrement acide par le chlo-
Hemoslobme, etc. , , ■ . i i .• j . •
. =, .' \ rure de platine et par le platmo-cyanure de potassium.
i. Voir aussi la classification d'HopPE-SEYLER {Traité d'analyse chimigue appliquée à la phy-
siologie et à la pathologie, traduction de ScHLAGDENHAt;FFEN), etLAiiBLiNc (Encjciojoerfie chimique
de Frémy, t. IX, Chimie biologique, 1892).
ALBUMINOIDES. \9l
, ^. , , Ces matières coagulées sont insolubles dans l'HCl ùten-
b. Dérives par coagtilation des ma- ^^^ ^^ ^^^^ j^^ carbonates alcalins. Elles ne se gonflent
tières précédentes - mêmes espc- ) j^^ ^^j^ ^^^^j^^^ ^^ ^^ ^^ ^^,^,.g^j p^^p,^,. y.^^^_
ces, mais substances coagulées par > g^^^»-^^ transforment lentement en syntonines et pép-
ia chaleur ou les acides minéraux. ( ^^^^^ ^^^ ^^^ ^^.^^^ ^^^^^ ^^ 1^ p^p^;„^^
■2" famille. Caséines. — Matières insolubles dans l'eau, mais généralement maintenues
en solution dans les liquides de l'économie, grâce à une faible proportion de carbonates
et de phosphates alcalins. La présure coagule ces solutions ; mais non la chaleur. Elles pré-
cipitent par les acides organiques les pi us faibles et se redissolvent dans un excès d'acide.
Elles sont solubles dans les sels dépotasse ou de soude à réaction alcaline, en particulier
dans les carbonates alcalins, ce qui les distingue des syntonines, mais elles ne se dissol-
vent pas dans les sels à réaction neutre, ce qui les distingue des globulines.
. / Substances précipitées par la neutralisation de leur solu-
Caséines végétales et animales. ^j^^. ^^^ ^^ ^^^^^ ^^ ^^j^ neutres, spécialement de sol
Gluten casome. \ ^jarin ou de sulfate de magnésie. Elles sont insolubles
Legumine. < ^,^^^ y^^^ ^^ ^^^^ j^ ^^j marin à 5 et 10 p. 100. Les so-
Long:lutme, etc. I Iuqo^s ^igs caséinates alcalins ne se coagulent pas par
Nucleoalbumme. [ ^^ ^^^^^^^_
'i'^ famille. Globulines et fibrines. — Insolubles dans l'eau, mais solubles, partiellement
ou en totalité, dans les chlorures alcalins, quelques-unes dans les carbonates ou phos-
phates de potasse ou de soude. Les acides organiques faibles et la chaleur les précipitent
de ces solutions et ne les redissolvent plus.
a. Globulines proprement dites : i Albuminoïdes insolubles, se dissolvant dans la solution an
Vitelline; [ 3" et au lO^ des chlorures alcalins en donnant dos solu-
Myosinogène et myoglobuline ; i tions salines coagulables par la chaleur. Elles précipi-
Substances fibrinogènes ; < tent par les solutions concentrées de chlorure de sodium,
Globulines du cristallin; j de sulfate de magnésium et de sulfate d'ammonium.
Sérum globuline (hydropisine); [ Les globulines sont assez solubles dans les alcalis affai-
Conglutine, globuline végétale. l blis.
! Solutions difficiles, et partielles seulement, dans les chlorures alcalins qui
les gonflent, puis les dissolvent lentement. Substances difficilement
dissoutes par les alcalis à 2 p. 100 qui les changent en albuminose et
dans l'HCl au millième qui les change peu à peu en syntonines. Elles
décomposent l'eau oxygénée.
4= famille. Glutinogènes ou collagcnef:. — Substances insolubles dans Teau froide,
mais s'y dissolvant par une longue ébullition, surtout au-dessus de 100°, pour se trans-
former en matières collagènes de même composition ou en substances solubles, mais
altérées. Le suc gastrique les digère lentement et les change en peptones. Elles ne
donnent pas de tyrosine parmi les produits de leur dédoublement, mais bien de l'acide
benzoïque. Elles ne colorent pas le réactif de Millon.
a. Osséine.
Cartilagéine.
b. Gélatine.
Chondrine.
Elastine.
Hyaline.
e. Gliadine.
Mucédine.
Corps insolubles devenant peu à peu solubles dans l'eau à 100°.
Corps solubles dérivés des précédents par l'action de Teau bouillante.
Gélatines d'origine végétale.
5'^ famille. ' Matières kératiniques et muqueuses ou corps albumoîdes. — Substances
insolubles, inattaquables par les sucs digestifs, par les acides étendus et les carbonates
alcalins; ne se dissolvant pas dans l'eau par une longue ébullition, ni dans l'acide acé-
tique.
a. Kératines de l'épidermc, de la corne, etc.
b. Matière collo'ide.
c. Matière amyloide.
192 ALBUMINOIDES.
d. Fibroïne, séricine de la soie.
e. Muciaes et matières mucoïdes.
( Comprenant : la spongine, la conchioline, la ooméine, le byssus, etc.,
/. Spongines. ! substances que l'eau bouillante ne dissout qu'en les altérant profon-
( dément.
6' famille. Dérivés immédiats de transformation des matières albuminoides. — Com-
prend les principaux termes encore albuminoides provenant des transformations que les
substances précédentes subissent sous l'influence de l'eau aidée des alcalis ou des acides
faibles et sous celle des ferments digestifs. Ces substances, appelées quelquefois à tort
albuminates, sont insolubles dans l'eau pure et solubles dans les acides et les alcalis
affaiblis. Leurs solutions précipitent par les sels neutres en excès (NaCl; SO*Mg; SO *
N-H*), comme le font les globulines, mais elles ne sont pas coagulées par la chaleur. Cette
famille comprend :
a. Albuminoses ou alcali-albumines. — Substances insolubles provenant de l'action des
alcalis très étendus sur les corps des trois premières familles ci-dessus. Les alcali-albu-
mines sont solubles dans les alcalis étendus ou l'eau de chaux, d'oti les précipitent les
acides étendus, même CO^ sans les redissoudre, à moins qu'il y ait excès de ces acides.
Les albuminoses sont insolubles dans les solutions de sels à réaction neutre ; elles se dis-
solvent dans les carbonates et souvent les phosphates alcalins.
b. Syntonines ou acidalbumines. — Elles résultent de l'action des acides minéraux
très affaiblis sur les substances albuminoides. Elles sont insolubles dans l'eau, dans
les solutions de sels neutres, de NaCl en particulier, et dans les solutions de carbonates
et phosphates alcalins. Elles sont fort solubles dans les acides minéraux très dilués et
dans les alcalis très affaiblis, d'où les précipitent les acides. Elles ne mettent pas le CO-
des carbonates terreux en liberté.
c. Propeptones ou albumoses; peptones. — Résultent de l'action des ferments diges-
tifs aidés des bases ou des acides sur le corps des 4 familles précédentes. Elles se pro-
duisent aussi par l'action prolongée des alcalis affaiblis et à froid sur ces mêmes albu-
minoides ou en faisant agir sur ces mêmes substances l'eau surchauffée.
Les albumoses et les peptones ne coagulent ni par la chaleur, ni par l'alcool qui les
précipite s'il est concentré, mais sans les rendre insolubles. Les propeptones et peptones
sont solubles dans l'eau et l'alcool affaibli à 30 ou 60 p. 100, ainsi que dans les solutions
de sel marin. Elles se distinguent en propeptones ou albumoses, précipitables par
l'acide nitrique à froid (précipité soluble à chaud ou dans un excès d'eau reparaît à
froid) par le sulfate d'ammoniaque à saturation et par le ferrocyanure de potassium
acidulé d'acide acétique. Les peptones ne précipitent pas par l'un ou l'autre de ces réac-
tifs, ni par les sels métalliques, sauf ceux de mercure, d'argent et de platine. Elles préci-
pitent par le tanin et par l'acide picrique, surtout en présence du sel marin. Les albu-
moses et les peptones s'unissent à la fois aux acides et aux bases.
Une classification plus générale a été proposée par Hammarsten. La voici reproduite
d'après Laubli.ng :
[ Albumines, fibrines, globulines, matières albumino'ides coagulées,
1° Matières albuminoides. ! acide et alcalialbumines, albumoses ou propeptones, peptones,
' substance amyloidc.
2° Protéides Hémoglobine et ses dérivés, nucléoalbumines (caséines).
3" Albumoïdes Gélatine, kératine, élastine.
Dans les deux classifications précédentes se trouvent comprises les matières albumi-
noides végétales. C'est qu'en effet les recherches de Cahodrs et Douas, de Liebig, ont
établi que les matières albuminoides végétales ont la même composition et les mêmes
propriétés que celles des animaux. Les recherches récentes de Brittneb, celles de Weyl,
ont confirmé ces conclusions. Mais, s'il, y a analogie très grande, il n'y a pas pourtant
identité, comme l'ont montré les travaux de Ritthausen. De plus, plusieurs des corps
des groupes énumérés n'ont aucun représentant correspondant d'origine végétale.
Aussi peut-on faire une classification à part des albuminoides du règne végétal. Voici
une classification qui est empruntée à Lambling :
ALBUMINOIDES. 193
1" Albumines végétales. — Solubles dans l'eau, coagulables par la chaleur.
2» Matières albuminoîdes. — Insolubles dans l'eau et l'alcool absolu, mais solubles dans
l'alcool aqueux (gluten fibrine, gliadine, mucidine).
3° Caséines végétales. — Insolubles dans l'eau et les solutions salines, solubles dans les
acides et alcalis étendus, coagulables à chaud (gluten caséine; légumine).
4° Olobutines végétales. — Correspondant aux globulines animales; mais elles se dis-
solvent sensiblement dans l'eau pure. Le sel marin les précipite d'abord de cette dissoln-
tion, mais un excès les redissout facilement, et un plus fort excès les précipite de nouveau
(conglutines; globulines de la noix de Para, des courges, du ricin, etc.).
Quant aux dérivés immédiats, acide et alcali-albumines, propeptones et peptoues
végétales, leur étude est à peine ébauchée.
Remarque. — Aux diverses classifications, on pourrait faire la même critique que celle
que M. ScHùTzÈKBERGER a faite de celle qu'il a proposée. Elles ne sont pas absolument
rationnelles; c'est-à-dire fondées uniquement sur la constitution et la nature des dérivés
provenant des dédoublements, mais les matériaux manquent encore pour établir une
classification véritablement scientifique.
Enfin il faudrait aussi rattacher aux diverses substances qui font partie de ces classi-
fications des corps dont l'étude est a. peine ébauchée. Nous voulons parler des toxalbu-
mines (Voyez Toxalbumines et Venins). Le nature albuminoïde de ces poisons paraît établie
d'après les rares recherches dont ils ont été l'objet ou point de vue chimique. Mais il faut
bien reconnaître que, si nous savons quelque chose au point de vue physiologique, au point
de vue chimique nos connaissances sont des plus rudimentaires, d'où l'impossibilité de
rattacher ces corps avec précision à tel ou tel groupe des substances ci-dessus énumérées.
Action des ferments solubles et figurés sur les substances albumïnoides. —
1° Actions des ferments solubles. — Il existe dans l'organisme des animaux et des végé-
taux des agents de transformation des substances albuminoîdes qui ont reçu le nom gé-
nérique de diastases ou mieux de ferments solubles. De même les micro-organismes,
champignons, levures, microbes, élaborent de tels ferments solubles grâce auxquels ils
attaquent les matières albuminoîdes et leur font subir une première modification dont
nous préciserons la nature. L'étude des ferments solubles au point de vue de leur nature
chimique est encore très obscure à cause des difficultés qu'on éprouve à préparer ces
substances à l'état de pureté. Cependant des analyses qui ont été faites par comparaison
avec les matières albuminoîdes proprement dites, il ressort que les ferments solubles ren-
ferment beaucoup moins de carbone et beaucoup plus d'oxygène que les matériaux cons-
titutifs des organismes vivants; on pourrait donc les considérer comme des matières
albuminoîdes oxydées. Toutefois il faut remarquer que l'analyse d'un ferment pepsique
végétal, la papaîne, a donné à Wurtz les chiffres suivants :
C o2,.3 à 52,9
H -,) à 7.3
Az 16,4 à 16,0
C'est, comme on le voit, une composition très voisine de celle des susbtances albumi-
noîdes.
En somme, on n'est pas bien fixé sur la nature chimique de ces ferments non figurés.
Dans l'organisme animal 3 ferments solubles agissent sur les matières albuminoîdes ;
1° la pepsine du suc gastric[ue; 2° la trypsine du suc pancréatique; 3° la caséase qui dis-
sout et peptonifie la caséine du lait et que l'on trouve dans le suc pancréatique. La
pepsine n'agit qu'en milieu acide; la trypsine et la caséase en milieu neutre ou légère-
ment alcalin. On ne rencontre pas seulement ces ferments dans l'organisme animal. En
effet, on les trouve aussi dans les végétaux, soit adultes, soit embryonnaires, et c'est grâce
à eux que la plante modifie et assimile ses réserves albuminoîdes. Gorl'p-Besaxez et
WiLL ont signalé l'existence d'un ferment peptonisant dans le suc des outres de Nepenihes
VAN TiEGHEM daus Ics fcuilles cotjiédonaires au moment de la germination; on les a
trouvés dans le suc des droséras et des dionées, Wurtz et Boughut dans le suc du carica
papaîa (papaîne), enfin dans le suc laiteux du figuier. D'autre part, chaque fois qu'une
substance albuminoïde devient la proie des microbes, ceux-ci sécrètent des ferments
peptonisants en quantité notable.
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 13
19i ALBUMINOIDES.
Mais, quelle que soit l'origine des ferments soluljles, leur action sur les substances
albuminoïcles consiste essentiellement en une hydratation de la matière protéiquc.
Le résultat est la formation de peptones qui sont en effet des produits d'hydratation '
des albuminoïdes, comme l'ont montré les recherches de Herth, de Damlewsky, deMALY
et surtout d'HENMiNCKR. Les peptones diffèrent de la matière protéique initiale par une
teneur plus faible en C et en Az. On peut du reste, comme l'ont fait Henmnger et Hof-
51EISTER, par une déshydratation transformer les peptones en une substance se rappro-
chant beaucoup de la matière initiale: ce n'est d'ailleurs pas d'emblée que les matières
albuminoïdes sont transformées en peptones; elles passent par une phase intermédiaire
caractérisée par la formation d'albuminoses ou propeptones, produits d'une hydratation
moins avancée.
D'autre part, comme l'a montré Kûhne, la trypsine pancréatique peut conduire la
matière albuminoïde à des degrés plus avancés d'hydratation et de dédoublement. On
observe en effet l'apparition de leucine, de tyrosiue, d'acide glutamique et d'acide aspai'tique,
et cela en dehors de toute intervention bactérienne.
Enfin il faut signaler aussi l'existence dans l'organisme animal et chez certains végé-
taux, ainsi que dans les produits de l'activité de certains microbes, d'un ferment qui
coagule la caséine du lait. Ce ferment, dont l'action a été étudiée en détail par Duclau.x et
Hammabsten et plus récemment par Arthus et PagI^s, n'est autre que la présure encore
nommée lab, ferment chymosine ou pesine.
Action des ferments figurés. — Avec les ferments figurés nous allons assister à des
transformations plus profondes des matières albuminoïdes. La molécule protéique va être
disloquée et les divers groupements qui la constituent mis en liberté, et cependant c'est
toujours grâce au même mécanisme, grâce aux processus d'hydratation que la matière
albuminoïde va subir une pareille décomposition. Cette étude de l'action des ferments figu-
rés sur les matières albuminoïdes a été faite en détail par Nekki, Jean.neret, Brieger, Kuhn'e,
Dlclaux, A. Gautier etÉiARD.Nous ne pouvons entrer, on le comprend, dans le détail des
faits, nous devons nous borner à exposer d'après A. Gautier la marche générale de la fermen-
tation ou putréfaction des matières protéiques. Les bactéries diverses qui interviennent dans
le processus commencent d'abord par faire subir un commencement d'hydratation à la
matière organique grâce aux ferments solubles élaborés par elles. Puis l'attaque devient
plus vive, des scindements moléculaires se produisent avec formation de produits infects.
D'abord apparaissent quelques gaz, de l'hydrogène, de l'acide carbonique et des acides
gras, acétique, lactique, butyrique. Puis la matière devient fortement alcaline; il se forme
de l'ammoniaque et une très faible quantité d'azote, une trace d'hydrogène sulfuré et de
composés phosphores volatils complexes. Au bout de quelque temps il ne se fait plus que
de l'acide carbonique et de l'ammoniaque. C'est alors que se forment des acides amidés
d'un poids moléculaire élevé : acides amidostéarique, amidocaproïque (leucine), de
la tyrosine, des acides gras caproïque et surtout butyrique et palmitique. En même tgmps
apparaissent aussi le phénol, l'indol, le scatol, le pyrol, les acides phénylacétique, phé-
nylpropionique, para-oxyphénylpropionique, scatol carbonique et scatol acétique ; enfin
des peptones plus ou moins toxiques (ptomopeptones) et des bases alcaloïdiques (pto-
maïnes) variables suivant l'époque de la putréfaction.
Quand les bactéries aérobies interviennent seules, il ne se produit que peu ou pas de
gaz et de produits odorants.
En somme, au cours de la décomposition bactérienne des albuminoïdes, nous voyons
apparaître :
1° des gaz (H, CO-, ffS, Az);
1. Dans des recherches récentes (C. fi., 1892, t. cxv, p. 764), Schutzenberger est arrivé à cette
conclusion que la peptone (fibrine peptone) doit être envisagée comme un mélange dédou-
blable par l'acide phosphotungstique en une partie précipitable moins oxygém-'e et en une partie
non précipitable, plus oxygénée, jouant, par rapport à la première, le rôle d'un alcool. La fibrine
elle-même serait une espèce d'éther composé saponifiable par l'influence de la pepsine et se scin-
dant en fixant de l'eau en ses deux termes opposés qui tous deux sont des uréides, c'est-à-dire con-
tiennent les éléments de l'urée.
La transformation en peptone serait donc le résultat d'une décomposition d'éther par saponi-
fication.
ALBUM IN OI DES. 193
2° des produits volatils : ammoniaque et ammoniaques composées des acides volatils,
toute la série des acides gras jusqu'à l'acide caproïque; des composés aromatiques; indol,
phénol, scatol, pyrol;
3° des produits fixes : leucine, tyrosine, butalaniue, glycocolle (dans la putréfaction
de la gélatine); des acides fixes : acides lactique, succinique, palmitique;
4° des bases toxiques : ptomaïnes.
La plupart de ces produits, nous les retrouverons dans les étapes de la désassimilation
des matières albuminoïdes. Ainsi il y aurait une analogie remarquable entre les phéno-
mènes chimiques qui se passent dans l'organisme et ceux de la fermentalion putride.
Cladde Bernabd avait affirmé cette analogie, et Mitscherlicb, en comparant la vie à une
pourriture, ne faisant qu'exprimer sous une forme un peu imagée une ressemblance
qui ressortait de l'examen des faits.
A ce point de vue des recherches extrêmement intéressantes ont été faites récemment
par A. Gautier. L'étude du fonctionnement anaérobie des tissus animaux et spéciale-
ment du tissu musculaire après la mort dans un milieu absolument aseptique a conduit
cet éminent chimiste à des conclusions d'une haute importance. Les tissus abandonnés à
eux-mêmes continuent à fonctionner et à modifier leurs substances constituantes tant
que le permettent leurs réserves nutritives. Dans la chair musculaire placée à l'abri de
l'air et des ferments extérieurs, on voit s'accumuler des produits qui n'apparaissent que
passagèrement chez l'animal vivant. « Le muscle perd une portion notable de ses albu-
minoïdes transformées en partie en leucomaïnes plus ou moins toxiques. Il conserve au
contraire presque intégralement tous ses corps gras et toute sa myoglobuline. Il produit
à peine des traces d'ammoniaque, d'acide lactique, et d'acides gras. De sa substance il
dégage spontanément et par simple fermentation anaérobie de l'acide carbonique, un
peu d'azote et d'hydrogène qu'accompagnent une faible proportion d'alcool et quelques
principes réducteurs indéterminés.
« Ainsi, de même que les ferments bactériens détruisent les matières albuminoïdes
sans accès de l'oxygène en dégageant de l'acide carbonique et des ptomaïnes en petite
quantité, nos cellules musculaires fonctionnant sans air produisent une trace de mêmes
bases hydropyridiques (ptomaïnes), des leucomaïnes plus ou moins toxiques, un peu de
gaz carbonique et d'azote. Mais là s'arrête l'analogie. Dans le cas du muscle fonctionnant
sans air, pas de production d'ammoniaque sensible, pas de gaz putrides, pas d'hydro-
gène sulfuré, surtout pas de fixation d'eau mr les corps protéiques, mécanisme indispen-
sable aux bactéries pour hydrater les corps à constitution de nitiiles et les faire passer à
l'état d'acides araidés, de carbonate d'ammoniaque, de sels ammoniacaux, d'acides gras et
lactique. Au contraire, dans les muscles conservés l'eau ne varie pas de poids. Le phéno-
mène principal ne consiste donc pas ici en une h3'dratation... La vie du muscle et en
général des tissus, même lorsqu'ils vivent de leur vie anaérobie, n'est donc pas une putré-
faction, comme le disait Claude Bernard, et comme nous l'avons pensé d'abord nous-
niême. Au contraire, le fonctionnement du muscle séparé de l'animal et privé d'air se
fait par des dédoublements et échanges que provoquent les ferments solubles de la cel-
lule, mais échanges où l'eau ne sert que de milieu et ne disparait pas, contrairement au
fonctionnement bactérien où l'eau se fixant sur les nitriles albuminoïdes et les amides
en dégage abondamment de l'ammoniaque, des acides amidés et de l'acide carbonique,
et disparait proportionnellement et définitivement « (A Gautier. A. P., janvier 1893).
Élaboration et transformation des albuminoïdes par le végétal. — Métafco-
lisme azoté végétal. — Albuminogènie végétale. — Il est établi par les recherches
de BoussixGAULT, de Georges Ville, de Schlœsing et Muntz, de Winogradsky, que l'azote est
fixé par la plante, soit sous forme d'azote libre, soit sous forme de sels ammoniacaux,
mais surtout sous forme de nitrates. C'est aux dépens de ces composés si simples que le
végétal va former les matières protéiques qui entrent dans la constitution de ses tissus,
grâce à une synthèse sur le .mécanisme de laquelle A. Gautier a proposé une théorie
très élégante et très suggestive. C'est l'acide cyanhydrique CAzH qui serait l'agent essen-
tiel de cette édification moléculaire.
Les nitrates faiblement dissociés, grâce à leur dilution extrême et grâce à la légère
acidité des sucs de la plante arrivent dans le protoplasma des cellules de la feuille où se
produisent incessamment la protophylline, l'aldéhyde méthylique et le glucose à l'état
196 ALBUMINOIDES.
naissant (sous l'influence de la fonction chlorophyllienne). Tous ces corps sont des
réducteurs énergiques. Or dans la réduction des corps nitrés on voit toujours apparaître
de l'acide cyanhydrique. La présence de l'acide cyanhydrique dans les plantes est connue
depuis longtemps. On le trouve en effet dans une foule de végétaux (fleurs et feuilles de
rosacées, de laurier rose, de laurier cerise, de saule; amygdaline des amandes amères,
suc du manioc). Mais cet acide cyanhydrique ne peut exister à l'état libre, et il disparaît
en s'unissant aux aldéhydes qui se forment sans cesse dans le protoplasma chlorophyl-
lien. Or nous savons par les recherches de Schutzenberger que la molécule albuminoïde
est essentiellement formée par de l'urée et de l'oxamide, dont les hydrogènes ont été
totalement ou en partie remplacés par des radicaux complexes, par des chaînes telles
que celle-ci :
CO — CH2 — CH^ — CH — AzH — CH^ — CH — AzH — CH^ — C0-2H.
C'est par des réductions successives dues à l'hydrogène naissant que peut se former
cette chaîne ; de même la formation de l'urée et de l'oxamide peut s'expliquer par ce
fait que l'acide cyanhydrique donne aussi de l'urée et de l'aldéhyde méthylique par hy-
dratation ménagée. Remarquons dans cette chaîne le radical CH- de l'aldéhyde formi-
que CH-0 et le groupement CH-Az H qui ne diffère de l'acide cyanhydrique que par un
H en plus. Or l'aldéhyde formique se trouvant en présence de CAzH naissant peut
s'unir à lui, de sorte que en ne tenant compte que des facteurs primitifs qui se produi-
sent dans la feuille, l'aldéhyde formique CH^O, le groupe CAzH, et l'eau H-0, nous pou-
vons établir la formule suivante :
d° 21 CH20 + 21 H20 = 21 C02H2 + 21 H^
Aid. formique. Acide formique.
20 45 CH20 + nCAzH + 21 H^ = CeîHio^Azi'Oa--! + 23H2 0
Aid. forrnique. Acide cyanhydrique. Albumine.
ou ensemble : efiCH^O + 17 CAzH = Ce^Hio^ Azi' 022 + 21 CH2 02 + SH^O
Aid. formique. A. cy.iohydrique. .\lbumîne. Acide (urmique.
Cette hypothèse de l'introduction de l'azote dans les végétaux grâce à la réduction
des nitrates sous forme d'acide cyanh5'drique s'appuie aussi sur des preuves indirectes :
k. Gautier a en effet montré que l'acide cyanhydrique en présence de l'eau et des acides
faibles donne non pas des matières protéiques, mais des dérivés des matières albumi-
noïdes appartenant à la série urique (xanthine, sarcine, méthylxanthine, guanidine).
L'hypothèse du même auteur que le CAzH s'unissant aux aldéhydes de la feuille
peut donner lieu à de nombreuses synthèses a été confirmée par Schutzenberger et
KiLiANi. Ce dernier a obtenu par cette voie des cyanhydrines qui par h)'dratatiou lui ont
donné la lactone lévusocarbonique C'H'^O', les acides oxyprinélique et arabinosocar.
bonique.
Enfin A. Gautier a appelé l'attention sur le rôle que le groupement CAzH joue
non seulement dans la constitution de la molécule albuminoïde; mais encore dans les
dérivés uriques et alcaloïdiques qui se trouvent surtout dans la cellule végétale en train
de proliférer. On peut arrriver en associant CAzH à l'acétylène ou aux aldéhydes des
alcools non saturés ou encore en réduisant les corps nitrés en présence de la glycérine, et
des agents déshydratants, à reproduire les bases quinoléiques et pyridiques, c'est-à-dire
les noyaux mêmes des alcaloïdes naturels.
C'est ainsi qu'on peut expliquer la formation de l'albumine primordiale dans les
végétaux. Cette albumine une fois formée subit ensuite une sorte d'assimilation, qui la
fait varier suivant les tissus et les liquides du végétal (caséine végétale, gluten, aman-
dine, albumine proprement dite, globuline, etc.).
Théorie de Low. — |D'après Lôw, l'asparagine jouerait un rôle important dans la syn-
thèse des albuminoïdes par le végétal. Tous les corps qui peuvent servir à la formation
de l'albumine renferment le groupement CHOH isomère de l'aldéhyde formique. D'autre
part l'asparagine se trouve dans les végétaux partout où il y a une formation active d'al-
bumine. Le premier stade consisterait dans la formation de l'aldéhyde aspartique, et,
par des processus de condensation et de polymérisation, on aboutirait ainsi à la formule
ALBUMINOIDES. 197
de l'albumine. Il est vrai que l'aldéhyde aspartique n'a pas été encore isolée dans les végé-
taux, mais son existence peut n'être que très éphémère. Low fait aussi remarquer que
le chiffre 72 (nombre d'atomes de G dans la formule de l'albumine de Lieberruhn, repré-
sente un multiple du chiffre du carbone des formules du glucose de la glycérine, des acides
oléique et stéarique, et il considère les graisses, les hydrates de carbone et les albumi-
noïdes comme ayant pour base le même groupement atomique à des degrés de conden-
sation variables.
Ainsi élaborées, les matières albuminoïdes se présentent, soit à l'état de dissolution,
soit à l'état cristallisé dans les sucs végétaux. D'autre part on trouve en dissolution dans
le suc cellulaire un grand nombre de substances parmi lesquelles nous citerons les fer-
ments solubles : amylase, invertine, émulsine, pepsine. C'est par l'intermédiaire de ces
ferments solubles que les végétaux utilisent les matériaux organiques élaborés et accu-
mulés dans leurs tissus. En effet, nous trouvons encore dans le suc cellulaire, en même
temps que la pepsine, des substances résultant de l'action de la pepsine sur les matières
albuminoïdes, c'est-à-dire des peptones. Mais l'hydratation et le dédoublement sont
poussés plus loin ; car on trouve en dissolution dans le plasma des acides amidés.
L'asparagine s'y trouve en abondance ; mais elle disparaît rapidement à l'état normal
en s'engageant dans des combinaisons plus complexes. Elle ne s'accumule dans le végé-
tal que toutes les fois qu'un organe abondamment pourvu de matières protéiques se
développe sans renfermer et recevoir une quantité suffisante de substances ternaires
(jeunes pousses d'asperges, plantules des légumineuses). Cette asparagine est due sans
doute au dédoublement de substances protéiques sous l'influence de diatases spéciales.
En présence de substances ternaires l'asparagine paraît se combiner avec elles; et régé-
nérer les principes albuminoïdes primordiaux.
D'autre part l'asDaragine est toujours accompagnée chez le végétal de leucine et d'acide
glutamique, de tyrosine. Ces trois substances ont la même origine et la même destinée.
Elles ne s'accumulent dans le végétal que quand les composés ternaires font défaut et
en s'unissant avec eux peuvent régéne'rer les albuminoïdes. Enfin, comme produits d'éla-
boration, nous rencontrons encore dans le plasma végétal un grand nombre d'alca-
loïdes et de matières colorantes. On peut résumer dans le tableau suivant les substances
azotées produits du métabolisme végétal.
I Amylase.
\ Invertine.
Émulsine.
Myrosine.
[ Pectase.
1 Pepsine.
Pigment chlorophyllien (ne contenant pas de soufre).
Aleurone, gluten, légumine.
Peptones, asparagine, acide glutamique, leucine, tyrosine; [alcaloïdes ; matières colorantes
azotées diverses.
Albumines des organismes inférieurs (Champignons, levures, bactéries). — Nous
retrouvons, mais à un moindre degré que chez les végétaux supérieurs chlorophylliens, cette
faculté d'élaborer des substances organiques très complexes aux dépens d'éléments
simples. Il faut en effet que ces organismes inférieurs trouvent, dans le milieu qui les
entoure, non seulement des [composés minéraux, mais encore des composés organiques
simples (tartrate d'ammoniaque, sucre). Des substances purement minérales ne suffi-
raient pas, comme l'ont montré les recherches de Pasteur, de Duclaux, de Raulin'.
Pasteur ensemence une trace de levure dans un liquide renfermant 10 grammes de
sucre, 100 grammes de tartrate d'ammoniaque et les cendres de 1 gramme de levure. En
interrompant la fermentation au moment oîi la moitié du sucre avait disparu. Pasteur
trouva de l'alcool, et un poids de Os^^oi-S de levure sèche. La levure s'était multipliée de
façon non douteuse.
1. Il faut faire une exception pour un micro-organisme nitrifiant, le Xitromonas isolé par Wi-
NOGRADSKY {Ann. de l'inst. PasI., 1890) et exempt de chlorophylle. Ce micro-organisme se développe,
c'est-à-dire opère la synthèse des principes immédiats constituant son protoplasma dans un mifieii
purement minéral (carbonates de chaux et de magnésie, sulfate d'ammoniaque et phosphate de
potasse).
Diastases
19S ALBUMINOIDES.
D'autre part Pasteur cultiva en présence de l'air le ferment acétique {Mycoderma aceti)
dans un liquide contenant :
De l'alcool ou de l'acide acétique pur.
De l'ammoniaque (sel cristallisable pur).
De l'acide phosphorique.
De la potasse, de la magnésie.
Dans ce milieu il déposa une trace de ferment. Il ne tarda pas à se produire une
quantité considérable de cellules nouvelles, et, dans cette récolte Pasteur trouva les ma-
tériaux les plus variés et les plus complexes de l'organisation : cellulose, corps gras,
matières colorantes, acide succinique,.. matières albuminoides.
Ainsi donc les principes immédiats les plus complexes peuvent se former aux dépens
de composés chimiques extrêmement simples. Les belles recherches de Raulin sur l'As-
pergillus niger plaident aussi tout à fait dans le même sens. Quant aux microbes patho-
gènes en particulier, leur développement exige un milieu plus richement nutritif, des ali-
ments organiques beaucoup plus complexes qu'ils trouvent dans les humeurs animales.
A ce point de vue leur nutrition présente la plus grande analogie avec la nutrition de
nos éléments anatomiques.
Quand aux résidus de la nutrition des organismes inférieurs, aux produits de désassi-
milation, les recherches de Schltzenbebger et Destrem, de Béchamp, de SchCtzenberger sur
l'aulophagie de la levure nous fournissent des renseignements précieux sur les produits
azotés de la désassimilation. On trouve, en effet, parmi les matériaux azotés résultant de
la vie de la levure : de la carnine, de la xanthine, de la leucine, de la t3T0sine (on n'a
pu trouver d'urée, d'acide urique, de créatine et de ci'éatinine).
Enfin nous signalerons aussi les recherches récentes d'ARNACD et Charrin qui ont
étudié avec soin les produits de la vie d'un microbe chromogène et pathogène, lebacille
pyocyanique.
Transformations des substances albuminoides dans l'organisme animal. —
Albuminogénie animale. — L'animal ne peut vivre et se nourrir qu'en utilisant les
principes immédiats complexes élaborés par les végétaux. Mais il ne faudrait pas croire
que les matières protéiques formées par le végétal sont assimilées telles quelles par
les animaux. Elles sont d'abord soumises à l'action des sucs digestifs qui les transfor-
ment en peptones, lesquelles en se déshydratant fournissent au sang la matière albu-
minoïde primordiale aux dépens de laquelle vont se former les albuminoides des
différents tissus, myosine, caséine, globuline, osséine, cartilagéine, etc. C'est avec les
matériaux fournis par le sang que les éléments anatomiques opèrent la synthèse des
principes immédiats qui entrent dans leur constitution, synthèse incomparablement
plus simple, évidemment, que celle qu'opèrent les cellules végétales.
Enfin nous devons rappeler la première nutrition de l'enfant. Le lait ne lui offre que
deux matières albutuinoïdes, la caséine et l'albumine, avec lesquelles le jeune organisme
fabrique toutes les matières protéiques qui entrent dans sa constilution. Quelles sont les
réactions successives qui donnent naissance aux produits définitifs, qui sont les albumi-
noides des tissus, nous l'ignorons, mais il est permis de penser que ces transformations
sont peu profondes, étant donné que toutes ces substances sont chimiquement voisines les'
unes des autres et qu'il sufflt de modifications moléculaires assez simples pour passer de
l'une à l'autre.
Existence dans l'organisme. Teneur en albuminoides des divers tissus et
liquides de réconomie. — Les substances albuminoides ou leurs dérivés font partie
de tous les éléments et de tous les tissus de l'organisme, on les trouve aussi dans tous
les liquides ayant un caractère nutritif : sang, lymphe, chyle, lait, sucs des tissus, trans-
sudations. Le tableau suivant, emprunté à Gorup-Besaxez, nous montre la quantité d'al-
buminoïdes p. 1000 contenue dans les divers tissus- et liquides.
Cérébro-spinal 0,9
Humeur aqueuse 1,4
Eau de l'am.nios 7,0
Liquide du péricarde 23,6
Lymphe . 24,6
Suc pancréatique 33,3
Synovie 31,9
Lait 39,4
Chyle 40,9
Sang 195,6
Moelle 74,9
Cerveau 86,3
ALBUMINOIDES. 199
Foie in, 4 I Tunique musculaire des artères. SIIJ,»
Thymus (veau) 122,9 Cartilage 301,1)
Œuf de poule 134,3 Os. . .' 34.-;, (I
Muscles 161,8 | Cristallin 383,0
Quant à l'état dans lequel se trouvent les matières albuminoïdes de l'organisme, il
varie suivant les endroits; tantôt elles sont à l'état de dissolution comme dans le sang
et les divers liquides; et cette solution est due en très grande partie à la présence de
sels alcalins; tantôt à l'état semi-fluide comme dans le protoplasma et les muscles;
enfin à l'état solide dans le cartilage, les os, les membranes cellulaires. Dans les œufs
de certains animaux, elles se présentent même à l'état cristallin (plaques vilellines)
comme d'ailleurs l'hémoglobine ou matière colorante du sang.
Modifications subies par les matières albuminoïdes dans l'organisme ani-
mal. — Les matières albuminoïdes, soit végétales, soit animales, qui jouent dans
l'alimentation un rôle si important, ne sont pas absorbées et assimilées telles quelles;
mais au contraire doivent d'abord être soumises à l'action des sucs digestifs, d'oil une pre-
mière série de transformations se réduisant essentiellement, disons-le tout de suite, à
un premier slade d'hydratation qui aboutit à la formation de peptones. Mais il faut étu-
dier de plus près ces modifications.
Dans la bouche, sous l'influence de la salive, les matières albuminoïdes ne subissent
aucune modification chimique. Arrivées dans l'estomac elles se trouvent en présence du
suc gastrique (pepsine et HCi). Les premières modifications sont dues à l'acide clilorhy-
drique qui les transforme en nyntonine (acide albumine; albuminose de Boochabdat)
en les gonflant fortement. Puis sous l'influence de la pepsine peu à peu les matières al-
buminoïdes sont transformées en peptones. Mais l'action du ferment soluble ne conduit
pas d'emblée la matière protéique à ce stade : il y a des étapes intermédiaires, essentiel-
lement caractérisées par la formation d'albumoses ou propeptones ou hémi-albumines. Enfin
apparaissent les peptones. Comme nous l'avons dit, les recherches de Danilewsry, Herth,
Maly, et surtout Henninger ont montré que les peptones sont des hydrates d'albumi-
noïdes, ainsi que l'avait dit déjà A. Gautier. C'est donc un phénomène d'hydratation qui
caractérise essentiellement le chimisme stomacal. Mais les travaux de KOhne et de ses
élèves tendent à présenter ce phénomène de la peptonisation comme plus complexe. D'a-
près le physiologiste de.Heidelberg, l'albumine subirait un dédoublement, elle se scinde-
rait en deux groupes, un, groupe d' hémidérivés comprenant Vhémalbumose et l'hémipeptonc,
et un groupe d'antidérivés [antialbumose et antipeptone. Dans les deux groupes on dis-
tingue divers stades de transformtion, diverses albumoses.
i" La dysalbumose, insoluble dans l'eau, mais soluble dans les dissolutions salines.
2° L'hétéroalbumose, mêmes propriétés.
3° La protalbumose, soluble dans l'eau et les dissolutions salines.
4° La deutéroalbumose, mêmes propriétés.
Les trois premières albumoses sont précipitées de leurs dissolutions neutres par le sel
marin en excès; la dernière au contraire n'est précipitée par le sel marin (et partielle-
ment) qu'en présence d'un acide.
Neumeister désigna sous le nom d'albumoses primaires la protalbumose et l'hétéro-
albumose, et, sous le nom d' albumoses secondaires, la deutéroalbumose, plus voisine de
la peptone. Les acides phosphomolybdique et pbosphotungstique précipitent totalement
les alhumoses primaires et incomplètement les albumoses secondaires.
A ces albumoses succèdent les peptones ou plus exactement un mélange d'hémipcp-
tone et d'antijjeptone (mélange appelé par Kuhne : amphopepione). L'hémipeptonc peut
être attaquée par la trypsine et fournit alors de la leucine, de la tyrosine, de l'acide glu-
tamique, de l'acide aspartique. L'antipeptone au contraire résiste.
Albumine.
\" 1
Antialbumoses. Hémialbumoses.
1 . I
Antipeptone. Hémipeptone. \
I [ Action de la trypsine.
Leucine, tyrosine, etc. )
200 ALBUMINOIDES.
On peut établir un rapprochement entre ce dédoublement et le dédoublement de
l'albumine sous l'inlluence des acides étendus et bouillants (qu'a étudié M. Scbûtzen-
berger) en hémialbumine el hémiprotéine ; cette dernière, insoluble, n'étant attaquée que
lentement par l'acide étendu qui la change en hémiprotéidine. Ce groupe résistant pour-
rait être comparé au groupe des antidéi'ivés signalés par Kuhke dans la peptonisation de
l'albumine.
Ajoutons que, d'après les recherches récentes de Cii. Contejean, le processus de la
peptonisation gastrique ne serait pas en réalité aussi complexe que l'a dit Kuhne.
D'après lui tous les produits intermédiaires (dysalbumose, hétéroalbumose, etc.) ne
seraient que des produits artificiels dus à l'action des réactifs dans l'analyse des produits
de la digestion gastrique, et l'albumine se transformerait simplement d'abord en synto-
nine, puis en propeptone, et enfin en peptone, étapes d'hydratation successives.
Ce qui des matières albuminoïdes a échappé à l'action du suc gastrique passe avec le
chyme dans l'intestin grêle et est soumis à l'action de latrypsine pancréatique. Les pro-
cessus de transformation senties mêmes; seulement latrypsine agissant en milieu alcahn
transforme les matières albuminoïdes d'abord en alcalialbumines puis en propeptones et
enfin en peptones. Mais les modifications ne s'arrêtent pas là; une partie de ces pep-
tones sous l'influence de la trypsine donne naissance, même dans un milieu aseptique,
comme l'ont vu Kûhne et Chittenden, à des acides amidés : de la leucine, de la tyrosine,
des acides aspartique, glutamique, et, dans le cas de la digestion de la gélatine, du glyco-
coUe. C'est en cela que latrypsine diffère de la pepsine gastrique, qui ne peut conduire
la matière albuminoide à des stades d'hydratation aussi avancés.
Enfin le reste de matières albuminoïdes devient dans l'intestin la proie des microor-
ganismes, et nous assistons alors non plus à une véritable digestion mais à une fermen-
tation putride. La molécule albuminoïde est complètement disloquée et ses groupements
constitutifs se détachent successivement. C'est ainsi que se forment les acides amidés,
les acides gras, les ptomaïnes, les composés aromatiques, indol, phénol, scatol (qui se
combinent avec le soufre pour donner des acides sulfoconjugués). En même temps il se
produit des gaz: CO-,ff,H^S,Az, qui, mélangés aux composés aromatiques, donnent aux
résidus alimentaires l'odeur fécaloïde qu'ils acquièrent dans les dernières portions du
tube intestinal.
Absorption. — C'est à l'état de peptone, que les matières albuminoïdes sont absorbées
par l'épithélium gastro-intestinal. Est-ce à dire que l'albumine ne puisse être résorbée en
nature? Non, car les expériences de Voït et Bauer prouvent le contraire. Certains auteurs
même (Fick entre autres) ont pensé que seule, l'albumine intacte [pouvait servir à la
réparation des tissus, tandis que les peptones ne servaient que de combustible à l'orga-
nisme. Certaines observations paraissent en effet venir à l'appui de cette hypothèse. Chez
un animal à jeun la sécrétion d'urée est réduite au minimum. 12 heures après un repas
riche en albuminoïdes, on voit apparaître dans les urines une quantité d'azote correspon-
dant à la quantité d'albuminoïdes ingérés. Si l'on donne à un chien une quantité d'albu-
mine égale à celle qu'il a usée à jeun, il sécrète plus d'azote qu'il n'en a absorbé. L'équi-
libre de nutrition n'est rétabli que lorsqu'on lui donne une quantité d'albumine trois
fois plus grande que celle dont il a besoin en réalité.
Mais cette distinction entre l'albumine absorbée en nature et celle transformée en pep-
tone n'a plus sa raison d'être, puisque nous savons, grâce surtout aux recherches d'HoF-
MEisTER et de Salvioli, que les peptones sont déshydratées au niveau de l'épithélium in-
testinal, et régénèrent l'albumine. Toutefois une petite partie des peptones peut échapper
à cette déshydratation; ces peptones sont remaniées au niveau du foie et transformées
en albumine. D'ailleurs cette albumine absorbée par les radicules de la veine-porte n'est
plus l'albumine telle qu'elle était formée par les aliments, c'est l'albumine du sérum,
cette albumine circulante, selon l'expressionde Voït, aux dépens de laquelle vont vivre et
se nourrir les éléments anatomiques, aux dépens de laquelle vont se former les albumi-
noïdes particuliers constitutifs de divers tissus (osséine, cartilagéine, etc.). Mais auparavant
encore cette albumine va subir une élaboration particulière au niveau du foie, comme
l'avait entrevu Claude Bernard. Il est à remarquer en effet que les albumines du sang
porte présentent assez souvent une toxicité qui disparaît au delà du foie.
Mise en réserve. — L'albumine ainsi absorbée au cours d'une alimentation nor-
ALBUMINOIDES. 201
maie n'est pas utilisée tout entière et immédiatement pour la nutrition des éléments
anatomiques. En dehors des albuminoïdes soumis aux processus de la désassimilation,
une partie des albuminoïdes (qu'il est impossible de préciser) subit une sorte- d'emmaga-
sinement précédant la nutrition. Cette mise en réserve peut être directe ou indirecte.
Nous savons qu'une partie de la jçraisse absorbée s'accumule dans certaines régions du
corps, le tissu cellulaire sous-cutané par exemple; les hydrates de carbone dans le
foie sous forme de glycogène. Il est très probable qu'une partie des substances albu-
minoïdes s'emmagasine dans les organes lymphoïdes (rate et ganglions lymphatiques).
Tous ces organismes sont en effet très riches en substances azotées, et jouent un rôle
essentiel dans la formation des tissus, comme ie prouve leur développement chez le fœtus
et chez l'enfant; enfin ils sont le siège principal de la production des globules blancs
dont le rôle formateur est hors de doute. Aussi voyons-nous dans l'inanition ces orga-
nes subir une perte de poids qui approche de celle qne subit la graisse. C'est ainsi que,
la perte de poids pour 1000 étant de 0,935 pour la graisse, elle est 0,714 pour la rate.
D'autre part les muscles servent aussi d'organes d'emmagasinement pour les albuminoï-
des. Les observations de Miesciier sur les saumons en font foi. Pendant la migration des
saumons vers le haut cours du Rhin au moment du frai, ces animaux ne prennent
aucune nourriture, l'ovaire et le testicule augmentent considérablement de volume de 0,4
à 19,27 p. 100 du poids du corps; en revanche les muscles diminuent considérablement.
En outre on sait que les muscles diminuent rapidement pendant l'inanition. C'est ainsi
que sur un chat, après 13 jours de jeune, alors que le cerveau et la moelle n'ont perdu que
2,3 p. 100, la musculature a diminué de 30, b p. 100. Eu même temps que cette fonte du
tissu musculaire chez le saumon, Miescher a aussi signalé l'augmentation de la quantité
de globulines du sang. Cette augmentation a été constatée aussi, en même temps que la
diminution de la quantité d'albumine, dans le sang des animaux inanitiés. Les globulines
paraissent donc représenter la forme sous laquelle les matières albuminoïdes sont trans-
portées d'un organe à l'autre, et on est tenté de considérer les globulines comme les ma-
tériaux aux dépens desquels se forment les molécules plus complexes du protoplasma
vivant, à preuve la présence de globulines en abondance dans les œufs des animaux, les
graines et les racines des plantes. Quoi qu'il en soit, il paraît certain que les muscles ne
servent pas seulement à la locomotion, ils servent aussi à la mise en réserve qu'on pour-
rait en quelque sorte appeler c&ecie. Il en est une autre en quelque sorte indirecte, l'or-
ganisme utilisant les albuminoïdes pour opérer d'autres élaborations d'autre synthèses;
nous voulons parler de l'élaboration des graisses et du glycogène.
Formation des graisses aux dépens des albuminoïdes (Voyez Graisses).
Formation du glycogène aux dépens des albuminoïdes (Voyez Glycogène).
Désassimilation azotée. — La destruction des substances albuminoïdes dans l'or-
ganisme peut porter à la fois sur l'albumine circulante et sur les albuminoïdes faisant
partie intégrante des tissus. A l'état normal, la nutrition étant normale, les produits de la
désassimilation des matières protéiques se forment principalement aux dépens de l'albu-
mine circulante. Dans l'inanition, au bout d'un certain temps, c'est l'albumine des tissus
qui, par sa désintégration, fournit l'énergie nécessaire à l'être vivant. Ajoutons qu'à l'état
normal la désassimilation azotée dépasse notablement les besoins de l'organisme, si nous
nous rapportons au taux de l'urée éliminée pendant l'inanition et au cours de la nutri-
tion normale. 11 semble donc bien qu'il existe une véritable conso??imafio?i de luxe, qui
disparaît au moment où l'organisme privé d'alimentation azotée est obligé de vivre aux
dépens des albuminoïdes de ses tissus. Dans ce cas, comme c'est la règle, les éléments les
moins nobles se sacrifient pour les éléments placés au sommet delà hiérarchie physiolo-
gique, c'est-à-dire les éléments des centres nerveux.
Quant au mécanisme môme de la désassimilation azotée (oxydation, hydratation, dé-
doublement) nous n'avons pas à le discuter. Ce qui est certain, c'est que la désassimila-
tion donne naissance à une série de produits qui aboutissent finalement à l'urée et à
l'acide carbonique. Ce qui est certain aussi, c'est que la transformation des albuminoï-
des en urée n'est pas directe, comme on a pu le croire autrefois, mais qu'il existe toute une
série de produits intermédiaires. Les albuminoïdes paraissent se dédoubler successive-
ment en deux sortes de produits; les uns fortement azotés, les autres peu azotés ou sim-
plement dépourvus d'azote; dételle sorte que la désassimilation des matières protéiques
202 ALBUMINOIDES.
donne naissance à deux séries parallèles aboutissant, l'une à l'urée, l'autre à l'acide
carbonique et à l'eau.
La désassimilation des albuminoïdes s'apprécie en général pratiquement par la quan-
tité d'urée éliminée par l'urine, ou plus justement par la teneur de ce liquide en azote,
azote provenant non seulement de l'urée, mais encore de l'acide urique, de la créati-
nine, etc. (azote total). De plus, les substances albuniinoïdescontenant du soufre, on observe,
parallèlement à cette élimination d'azote, une élimination de soufre sous forme de sulfates
et d'acides sulfoconjugués.
Il nous faut maintenant jeter un coup d'œil rapide sur ces produits de la désassimi-
lation des matières protéiques. A l'exemple de A. Gautier, nous diviserons les produits
de la désassimilation en :
i" Produits azotés complexes;
2° Corps des séries xanthique et urique, leucomaïnes;
3° Créatine et autres leucomaïnes ;
4° Acides amidés;
0° Composés aromatiques;
6° Acides non azotés divers;
7° Urée.
1° Produits azotés complexes (nucléines, lécithines, matières colorantes de la bile et de
l'urine).
Les nucléines sont caractérisées par leur forte teneur en phosphore et la facilité avec
laquelle les réactifs acides et alcalins produisent avec elles les bases de la série xanthique.
Elle sont plus simples que les matières albuminoïdes dont elles doivent dériver. C'est pro-
bablement en se transformant en base de la série xanthique qu'elles se désassimilent.
Les lécitliines sont des produits de synthèse des acides stéarique, etphosphoglycérique
avec la uévrine. La bilirubine provient du dédoublement avec oxydation de l'hémoglobine
en passant par l'hématine, qui elle-même dérive de la décomposition de l'hémoglobine en
albumine, hématine, urée et acides gras. De cette bilirubine une grande partie est éli-
minée avec les fèces, une autre est partiellement résorbée sous forme d'hydrobiUrubine,
s'oxyde dans le sang et colore les urines.
Il en est de même de l'indol, du phénol, du scatol, qui sont éliminés par l'urine sous
forme d'acides sulfoconjugués.
2" Séries urique et xanthique. — On n'est pas encore bien fixé sur l'origine de l'acide
urique. On croyait autrefois que c'était le prédécesseur immédiat de l'urée, qui dérivait de
lui par oxydation directe. Mais cette opinion n'a plus cours aujourd'hui. L'origine de
l'urée est probablement différente. Pour Gautier l'acide urique dériverait de la rencontre
dans l'économie d'un groupement à 3 atomes de carbone, tel que
00 — CO — CH ou CO — C(OH) — CD
provenant de la combustion- incomplète de la glycérine, du glucose ou de l'acide lactique,
groupement qui s'unirait à deux molécules d'urée. Ce qui parait certain, d'après les re-
cherches de MiNKOwsKi, c'est que l'acide urique doit se former dans le foie. Chez les
oiseaux, après l'ablation de cet organe, l'urine ne contient plus que très peu d'acide uri-
que ; en revanche la quantité d'ammoniaque augmente considérablement, ainsi que l'acide
lactique. Aussi Mlnkowski admet-il que l'acide urique se forme dans le foie par l'union
de l'urée avec l'acide lactique. Par une série d'hydratations et d'oxydations successives,
l'acide urique s'élimine à l'état d'urée, d'acides oxalique et carbonique et d'eau. On peut
rencontrer dans certaines cellules les produits intermédiaires de cette décomposition
(alloxane, allantoïne, acide oxalurique, etc.).
Quant aux produits de la série xanthique (xanthine, sarcine, guanine, adénine), ils
constitueraient d'après Kossel des produits de désassimilation, non des albuminoïdes pro-
prement dits, mais des nucléines. Les recherches d'HoRBACzEwsKi confirment cette opinion.
Quant aux]dérivés par dédoublement et oxydation de ces produits, ils sont les mêmes que
ceux de la série urique (urée, acides oxalurique, mésoxalique, oxalique, carbonique
et eau).
3° Créatine et leucùinaïnes créaliniques . — On rencontre la créatine dans les muscles
et la créatinine dans l'urine. Au point de vue chimique la créatine résulte de la syn-
ALBUMINOÏDES. 203
thèse de la cyanamide avec la sarcosiiie ou niélhylglycocoUe. Or la cyaiiamide est un
anhydride de l'urée. De même la guanidine en s'unissant à la sarcosine donne de la
créatinine, et cette guanidine revient à l'union d'une molécule d'ammoniaque à une mo-
lécule d'urée avec élimination d'eau.
Ceci nous explique comment la créatine peut dériver de l'urée elle-même ou de
corps aptes, comme les sels ammoniacaux, à la produire. En passant dans le rein la créa-
tine en se déshydratant se transforme en créatinine que l'on trouve dans l'urine.
4° Acides amidéii. — Nous avons vu que parmi les produits d'hydratalion des albumi-
noïdes se trouvaient des acides amidés, leucine, butalanine, etc., ces composés n'ont
qu'une existence éphémère dans l'organisme. C'est ainsi que le glycocolle s'unit à l'acide
benzoïque pour former de "acide hippurique ; une autre partie du glycocolle contribue à la
formation de l'acide glycocholique et une autre peut donner de l'urée. La leucine, la bu-
talanine contribuent ainsi à la formation de l'urée. L'ingestion de ces substances aug-
mente en effet l'excrétion de l'urée et le supplément d'azote éliminé correspond à l'azote
des acides amidés ingérés.
Taurine. — La taurine ou acide amido-iséthionique provient aussi de la décomposi-
tion d'albuminoïdes. Cette substance en s'unissant avec l'acide cholalique forme l'acide
taurocholique. Elle passe en partie dans les fèces avec la bile, mais elle peut s'éliminer
encore après s'être transformée en ammoniaque, sulfate et acétate de potasse. Une
autre partie peut passer en nature dans les urines (Salkowski), une autre peut s'unir à
l'acide cyanique et former de l'acide taurocarbamique qui peut se retrouver dans les
urines.
0° Corps aromatiques. — L'acide benzoïque, l'acide kynurénique, l'acide hippurique,
les acides pyridique, carbonique, peuvent se produire par oxydation des albuminoides.
De même lalyrosine, la cholestérine, les acides biliaires, les phénols, sont autant de types
de cette grande série qui dérive des albuminoides.
La tyrosine disparaît en perdant d'abord de l'ammoniaque qui concourt à la forma-
lion de l'urée et donnant ensuite successivement, d'après Bauman.v, des acides hydropara-
coumarique, paroxyphénylacétique, paroxybenzoïque, et entin du phénol qu'on retrouve
à l'état de pliénolsulfate de potasse.
Le crésol dérive par perte de CO- de l'acide paroxyphénylacétique et s'élimine sous
forme d'acide crésolsulfurique. De même l'indoljle scatol s'éliminent sous forme d'acides
sulfoconjugués.
Acides biliaires. — Cholestérine. — Les acides biliaires se forment dans le foie par
l'union de l'acide cholalique avec la taurine et le glycocolle. Quant -à l'acide cholalique,
pour les uns il proviendrait de la désassimilation des graisses (Lehmann) ; pour les autres
des matières albuminoides qui contiendraient le noyau qui donne naissance à cet
acide.
6° Acides non azotés divers. — a. Acides gras en C H-" 0'-. — Ils proviennent selon toute
probabilité d'un simple dédoublement fermentatif de la molécule albuniinoïde ou des
hydrates de carbone qui peuvent en dériver. On les voit apparaître et se former en
abondance dans la fermentation putride des matières albuminoides. Leur existence dans
l'organisme n'est qu'éphémère, et ils disparaissent par une série d'oxydations succes-
sives aboutissant à H-0 et C0-.
- b. Acides en CH^-'G^ — L'acide lactique (C^H^O^) peut se produire par dédoublement
avec production d'alcool des résidus, des acides amidés ayant eux-mêmes les albumi-
noides pour origine. Une fois formé l'acide lactique n'est pas éliminé tel quel; d'après
des recherches récentes (Minkowski) le foie serait chargé de sa destruction. 11 apparaît
en effet dans les excrétions après l'ablation du foie.
c. AcîdesenC"'H'-"-2 0* (acide oxalique, succinique, etc.). — L'acide oxalique peut pro-
venir de deux sources, 1° de l'alimentation, 2» il peut se former dans l'organisme même
aux dépens des albuminoides (Schutzenberger). L'acide oxalique se montre dans l'urine
des animaux à sang chaud au moindre trouble des phénomènes digestifs, respiratoires ou
perspiratoires. L'acide succinique provient de l'alimentation. Ces acides sont oxydés dans
l'organisme en commençant sans douteuse dédoubler en acide carbonique et acides gras
C^H'-^O- (acide forraique et acide propionique), les acides gras à leur tour sont oxydés
et donnent de l'acide carbonique et de l'eau.
204
ALBUMINOIDES.
70 iT,.ggi__ La plus grande partie de l'azote introduit dans l'organisme par les aliments
est éliminée à l'état d'urée, et la persistance de l'urée dans l'urine pendant l'inanition
[>rouve que, même en dehors de l'alimentation, l'urée peut provenir de la désassimilation
des tissus azotés. Les recherches de Schultzen et Ne.ncki ont montré les relations qui
existent entre l'urée et les acides amidés (C^H-^AzO-). D'ailleurs l'ingestion de ces corps
augmente le taux de l'urée. Comment se forme l'urée aux dépens de ces acides amidés?
Ce n'est certainement pas directement. Les recherches de Kniriem, de Schmiedeberg, de Ml'.xk,
de Drechsel tendent à établir que c'est en grande partie aux dépens des composés ammo-
niacaux (que l'on trouve parmi les produits de décomposition des albuniinoïdes) que
se forme l'urée. Le foie serait l'organe essentiel de l'uropoièse. Pour les détails, voyez les
articles Foie et Urée.
Voici d'après Beaums {Physiologie, 2'= édition) un tableau synoptique qui montre la
désassimilation des matières albuminoïdes dans l'économie animale :
ALBUMINOIDES DE L'ALIME.NTATIOX
I
Peptones
I
Albnmine du sang
Albumine circulante
1. En décomposant la caséine par l'acide chlorhvdriquc concentré et le protochlorure d'étain,
Drechsel a obtenu un mélange de bases dont l'une a pour formule CSHi^Az^O; l'auteur lui a
donné le nom de Lysatinine. La base C^Hi^Az^O^ serait la Lysatine. et ces deux corps seraient
homologues de la créatine et de la créatiniae. En faisant réagir l'eau de baryte sur la base, Drech-
sel a obtenu de l'urée. Il conclut que dans l'organisme Tes albuminoïdes donnent la lysatine
comme produit intermédiaire puis de l'urée. En prenant pour base les expériences de ScHiJTZEX-
BERGER sur la décomposition des albuminoïdes par la baryte, Drechsel calcule que un neuvième
ALBUMINOIDES. 20o
Énergie correspondant à la dësassimilation azotée. — 100 grammes d'albu-
mine en se désassimilant et s'oxydant donnent :
Acide carbonique 165 gr. 4
Eau 41 gr. 4
Urée 39 gr.
Acide sulfurique 40 gr.
En même temps que disparaissent ces 100 grammes d'albumine, l'organisme be'néficie
de 486 calories environ. Tel est le résultat brut de la combustion de 100 grammes d'albu-
mine. Assurément cette albumine, avant d'aboutir à l'acide carbonique, à l'eau et à l'urée,
passe par une série de désassimilations intermédiaires. Mais ceci ne change rien au
résultat; car, suivant un théorème fondamental de tliermocbimie, quels que soient les
ternies de passage et la voie suivie au cours de ces transformations intermédiaires, pour
100 grammes d'albumine disparue à l'état d'eau, d'acide carbonique et d'urée, l'animal
bénéficie toujours du nombre de calories indiqué.
L'expérience directe nous permet donc de connaître la quantité de calories et par
conséquent d'énergie, que peut fournir la combustion d'une quantité donnée de subs-
tances albuminoïdes. Les belles recherches de Beuthelot (au moyen de sa bombe calori-
métrique) ont fourni les résultats suivants (exprimés en petites calories) pour la chaleur
de combustion de 1 gramme de diverses substances protéiques :
Albumine de l'œuf 3 690
Fibrine du sang 5 332
Chair musculaire (dégraissée) . . 5 731
Hémoglobine (cheval) 5913
Caséine 3 629
Osséine 5414
Chondrine S 346
Vitelline 5784
Jaune d'œuf (total) S 124
Fibrine végétale 3 836
Gluten brut 4 995
Colle de poisson 3 322
Fibrome. 5 097
Laine 3 367
Chitine 4 635
Tunicine 4183
Urée 2 330
Acide urique 2 734
Acide hippurique 5 659
Mais, pour connaître exactement la quantité de calories fournies à l'organisme par
une quantité donnée de substances albuminoïdes, il faut tenir compte de ce fait que
l'azote est éliminé à l'état d'urée (et de produits azotés complexes dont on peut faire
abstraction). Ilfaut donc déduire la chaleur de combustion de l'urée, de la chaleur de
combustion des albuminoïdes. Or 100 grammes d'albumine contiennent en moyenne
16 grammes d'azote correspondant environ à 34 gr. 29 d'urée. Il faut donc retrancher de
la chaleur de combustion totale la chaleur correspondant à cette urée : soit 8o0 calories
environ.
Nous pouvons maintenant, sans vouloir empiéter sur l'article Aliment, oîi l'on trouvera
une étude de ces faits, comparer cette chaleur de combustion à celle des hydrates de
carbone et des graisses déterminée par le même procédé. Nous nous rendrons ainsi
compte de la valeur de ces sortes de substances comme source d'énergie.
Pour 1 gramme de substance :
Hydrates,
de carbone.
Cellulose .
Amidon .
Dextrine
Glucose .
4209
422S
4180
3 762
Corps j
Graisse de porc 9380
Graisse de mouton. . . . 9406
Graisse humaine 9378
HuUe d'olive 9328
Beurre . . '. 9)92
En prenant les moyennes nous voyons en somme que
Pour i gramme de substance les corps gras fournissent ... 9 400 calories.
— — — les hydrates de carbone .... 4260 —
— — — les albummoides 4 850 —
de l'urée est formé par cette voie. Le reste donne des acides amidés et principalement de la leu-
cine qui s'oxyde en donnant de l'acide carbonique, puis l'urée (Drechsel. D. C/i. G., t. xxin, p. 3096;
Bull. Soc. Chim., (3) 1891).
20(1 ALBUMINOIDES.
et, en rapportant non plus à 1 gramme de matière, mais à un poids de matière tel qu'il
contienne i gramme de carbone, on obtient:
Corps gras 12 400 calories.
Hydrates de carbone 9-470 —
Albuminoïdes 9370 —
Ces cbiffres nous montrent que les graisses l'emportent de beaucoup en énergie calo-
rifique sur les autres substances, tandis que les hydrates de carbone et les albuminoïdes
s'équivalent à peu près.
Eu résumant tous ces faits, nous voyons que le rôle des albuminoïdes dans l'alimen-
tation est capital. Ils sont les seuls aliments dont l'organisme ne peut se passer ; car ils
réalisent le type de l'aliment complet, c'est-à-dire d'une substance servant à la fois à la
réparation de tissus et à la production d'énergie.
Pour les rapports des albuminoïdes avec l'alimentation, voyez Aliments.
Pour les rapports des albuminoïdes avec le travail musculaire, voyez Travail.
I. Bibliographie générale. — A. WCrtz. Traité de chimie biologique. — Schûtzenber-
GER. Traité de chimie générale. — A. Gautier. Cours de chimie biologique. — Beaunis. (T. P.)
— Chastaing. Encyclopédie de Prémy, t. vm, Amides et Série aromatique. — Bunge. Cours
de chimie biologique et pathologique. Traduction française de A. Jaquet. — Hoppe-Seyler.
Traité d'analyse chimique. Traduclion de Schlagdenhaufen. — Gohup-Besanez. Chimie bio-
logiciue. — Lambling, Schlagdenhauke.n et Q.kkhve.^. Chimie physiologique (Encyclopédie chi-
mique de Frémy, t. ix.). — A. Wtjrtz. [D. W.,!" et 2" suppléments.) — G. Bodchardat.
Histoire générale des albuminoïdes. Th. d'ag., 1872. — Gabriel Pouchet. Transformations
des matières albuminoïdes dans l'économie. Th. d'ag., 1880. — G. Guérin. Origine des^
transformations des matières azotées chez les êtres vivants. Th. d'ag., 1886. — Duclaux.
Encyclopédie chimique de Frémy, t. ix, Microbiologie.
II. Bibliographie spéciale.
Historique. — Voir pour les renseignements bibliographiques la thèse d'agre'gation
de Bouchardat.
Propriétés générales des albuminoïdes. — Action des Réactifs. — GR.i.HAM. Phi-
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Se, 1886.) — Schûtzenbehger [Bull. Soc. chim., t. xxxni, p. 161, 19<i, 216, 242, 385 435
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ALBUMINURIE. 207
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(Z. f. Biol., t. XX, p. H, t. xxir, p. 409, t. xxv, p. 358.) — Henninger. (D. P., 1878.) —
Maly. h. h., t. V, l's partie, p. 93. — Neumeister. (Z. f. Biol., t. xxui, p. 381.) — Hof-
MEISTER. {Arch. f. exp. Path. und Pharm., t. xix, 1883.) — Salvioli. (A. Db., 1880, suppl.
112). —Voit et Bauer. (Z. f. Biol., t. v, p. 302, 1869.) — Bunge. {Ch. Biol., p. 202
à 210). — MiESCHER. Arch. fur Anat. und Phys., 1881, p. 192 {Anal. Abth.). — Lambling.
Art. Albumoses du D. W.
Désassimilation des albuminoïdes. — Gautier. {Ch. biolog., 1892.)
Les albuminoïdes, source d'énergie. — Berthelot et André. (C. R., t. ex, p. 884,
1890, p. 923.) — Matignon. (C. R., t. ex, p. 1267.) — Berthelot et Petit. {Ann. de Ch. et
de Phys. (6), t. xx, p. 13.) — Voyez aussi Favre et Silbermann. (A. de C. (3), t. xxxiv,
p. 337, 1852.) — Franrland. {R. Se, 1867, p. 81.) — D.anilewski. (A. Pf., t. xxxvi, p. 237,
1883.) — RuBNER (Z. B., t. XXI, p. 230 et 337, 1883.)
J.-E. ABELOUS.
ALSUMINURIE. — il est aujourd'hui certain que l'urine d'un individu
normal ne contient pas d'albumine '. La présence de l'albumine dans l'urine en dehors
de certaines conditions constitue donc un symptôme morbide. C'est l'albuminurie,
c'est-à-dire la sécrétion par les reins d'une urine albumineuse.
Mais parmi les albuminuries, il faut distinguer les fausses albuminuries et les vraies
albuminuries.
Si l'urine renferme du sang, du pus, de la lymphe, elle contiendra de l'albumine;
mais ce sera une fausse albuminurie.
La vraie albuminurie consiste dans l'élimination par le rein d'une ou plusieurs ma-
tières albuminoïdes du sérum.
Aussi rattacherons-nous au groupe précédent ces albuminuries qui se produisent à
la suite de l'introduction dans l'appareil circulatoire, soit par ingestion, soit par injec-
tion d'albumine étrangère, telle que celle du blanc d'oeuf, albuminuries qui ont été
signalées et étudiées pour la première fois par Claude Bernard.
Enfin, parmi les albuminuries vraies, il en est de transitoires accompagnant les
affections diverses aiguës ou chroniques, certaines modifications passagères de l'état
physiologique, la fatigue par exemple. D'autres sont permanentes, ce sont les albumi-
nuries symptomatiques d'une lésion rénale, du mal de Bright par exemple.
Caractères des urines albumineuses. — Ces urines présentent des caractères
variables selon les circonstances ; les principaux sont les suivants :
Urines pâles, souvent louches, moussant aisément et conservant longtemps la
mousse; odeur fade. L'acidité est souvent plus faible qu'à l'état normal, quelquefois
nulle, et quelquefois enfin la réaction peut être alcaline. La densité varie de 1,007 à 1,018
(celle des urines normales étant de 1,022 à 1,030). Mais ce caractère dépend essentiel-
lement du rapport entre l'eau et les matériaux dissous dans l'urine, et, par suite, de la
plus ou moins grande quantité de liquide émis.
La quantité d'albumine qu'on peut trouver daus une urine d'albuminuriqne est très
1. Des recherches récentes portant sur un très grand nombre de sujets ont été faites par M. GÉ-
RAUD. La conclusion de ces recherches est que l'albuminurie dite norm.ile n'existe pas (1893).
208 ALBUMINURIE.
variable. Elle varie de 3o grammes par jour à 2 grammes et au-dessous. L'urée diminue
dans ces urines (Voyez Urine et Urée).
Matières albuminoïdes qui peuvent se trouver dans les urines. — Ce sont
la serine, les globulines, la fibrine, l'hémi-albuminose, les peptones. Ces substances sont
tantôt associées en nombre variable, tantôt isolées.
Recherche de l'albumine et des matières albuminoïdes (Voyez Matières
albuminoïdes. Albumine, Urine). — Conditions d'apparition dans l'urine. — Nous avons dit
que l'albumine peut se trouver en petites quantités dans l'urine en dehors de tout état
pathologique constitué. Cette albuminurie transitoire peut se produire à la suite d'un
exercice prolongé ou de repas copieux (Leube et Edletzen, Bull, Furbrixger, Seumola, etc.),
mais la proportion d'albumine dans ces cas dépasse rarement plus de 0,1 p. 100.
L'albumine peut exister dans l'urine, surtout à la suite de lésions rénales, soit chro-
niques, soit passagères (néphrite, dégénérescence amyloïde, etc.), à la suite de maladies
du cœur, d'emphysème pulmonaire, de certains troubles nerveux lépilepsie), de certaines
altérations du sang : fièvres, maladies infectieuses, d'intoxications, arsenic, plomb, phos-
phore, canlharidine, alcool, etc.
Enfin, expérimentalement, on peut déterminer l'albuminurie par lésions nerveuses :
lésions du plexus rénal des splanchniques, piqûre du plancher du IV" ventricule (Cl.^ude
Bernard) (Voyez, à l'article Rein, l'influence du système nerveux sur la sécrétion uri-
naire).
L'injection dans le sang d'albumine de l'œuf détermine le passage de cette albumine
dans l'urine, de même, son ingestion en excès (Claude Bernard).
L'injection d'eau, de bile, de glycérine, d'une solution d'hémoglobine dans le sang
entraine, non plus l'albuminurie, mais l'hémoglobinurie (voir ce mot) par diffusion de
la matière colorante du globule dans le plasma.
Du mécanisme de l'albuminurie. — L'albumine qu'on trouve dans l'urine est
éliminée par le rein. Une première question à résoudre est la suivante. Dans quelle partie
de l'appareil rénal — glomérules ou tubiili-contoi'ti — se fait la sécrétion de l'albumine?
Cette question se pose d'autant plus que nous savons par les recherches de Heidenhain
et de Nussbaum que les glomérules et les tubes contournés n'ont pas le même rôle, les
glomérules étant préposés à la sécrétion de l'eau et des sels pour une part au moins,
et dans certaines circonstances du sucre et des peptones, les canalicules contournés à la
sécrétion de l'urée, de l'acide urique, des principes spécifiques de l'urine. L'élimi-
nation de ces diverses substances, notons-le en passant, n'est pas une flitration pas-
sive; nous avons affaire à un véritable travail physiologique actif des cellules qui com-
posent ces divers segments de la glande rénale.
Lorsqu'on injecte à un animal de l'albumine de l'œuf ou qu'on ingère celte même
substance en abondance, on peut en retrouver une certaine quantité dans l'urine, et l'al-
bumine ainsi éliminée présente tous les caractères de l'albumine de l'œuf. Par où passe
cette albumine? une expérience de NussBâUU permet de répondre avec précision.
On sait que chez la grenouille, le reiu reçoit une veine qui lui apporte le sang des
parties inférieures du corps : cette veine (veine-porte rénale) fournit un réseau capillaire
qui irrigue les tubes contournés. A ces capillaires fait suite un autre tronc veineux
{vena revehens) qui conduit le sang dans la veine-cave inférieure. Quant à l'artère rénale,
elle fournit au glomérule. 11 y a donc là deux circulations en quelque sorte indépen-
dantes : c'est cette disposition que Nussbaûm a mise à profit.
Si l'on injecte dans l'appareil circulatoire d'une grenouille une solution de blanc d'œuf,
l'albumine passe dans les urines. Si auparavant on lie l'artère rénale, l'albumine ne
passe plus. De même pour les peptones; si, au contraire, on injecte une solution d'urée,
cette substance passe dans les urines.
On lie l'artère rénale et on injecte une solution d'urée : l'urée passe dans l'urine et
cette urine ne contient pas d'albumine. Si on enlève la ligature pendant un certain
temps, les urines contiennent, outre de l'urée, de l'albumine. C'est que dans ce cas les
cellules du glomérule, par suite de la ligature, ont été en état d'anoxhémie pendant un
temps suffisant pour suspendre leur activité vitale, qu'elles ne recouvrent qu'un certain
temps après que la circulation s'est rétablie.
De même, la ligature temporaire de l'artère rénale chez les mammifères entraine
ALBUMINURIE. •ÎO!)
l'albuminurie après que cette ligature a été supprimée. Or, si on enlève le rein à ce
moment et si on le plonge dans l'eau bouillante, on trouve de l'albumine coagulée enlre
le peloton vasculaire du glomérule et la capsule de Bowmann.
Enfin, des injections d'albumine de l'œuf faites à des chiens ou des lapins ont permis
de constater que la sécrétion de cette albumine se faisait bien par le glomérule et seu-
lement par lui.
Conditions pathogéniques de l'albuminurie'. — On peut grouper les théories
sous trois chefs :
1° Altération préalable du sang : théorie héniatogène;
2° Troubles de la circulation locale du rein; théorie mécanique;
3° Altération anatomique des éléments épithéliaux du rein; théorie anatomiqùe.
1° Théorie héniatogène. — Elle se fonde sur des expériences anciennes de Mage.ndie; si
on injecte dans les veines d'un animal une certaine quantité d'eau distillée, les urines,
dit-on, deviennent albumineuses. Mais dans ces expériences ce n'est pas de l'albumine,
c'est de l'hémoglobine qu'on trouve, hémoglobinurie qui résulte de l'action nocive de
l'eau sur les hématies. Et, si l'injection est abondante et poussée rapidement, l'albumine
qu'on trouve est de l'albumine du sérum due à la rupture de vaisseaux rénaux qui
laissent échapper du sang en nature.
Enfin, si l'injection d'eau est faite en petite quantité et avec précaution, jamais,
d'après Stokvis et Westphal, les urines ne contiennent ni albumine, ni hémoglobine.
L'albuminurie résulterait-elle d'une modification, d'une altération préalable que subi-
rait l'albumine du sang? C'est la théorie soutenue par Canstatt, Semmolâ, Proust, Graves.
Pour que cette théorie soit admissible, il faudrait démontrer que l'albumine de
l'urine diffère de l'albumine du sang. Or, au contraire, les recherches de Becquerel et
Vernois ont établi l'identité de l'albumine du sérum et de l'albumine des urines albumi-
nuriques, au moins en ce qui concerne leurs caractères chimiques. Les recherches de
Stoe-Vis aboutissent aux mêmes conclusions.
De plus, Stokvis a montré que l'albumine des albuminuriques injectée à un chien ne
passe pas dans les urines, à l'inverse de l'albumine du blauc d'œuf.
•2° Théorie mécanique. — L'albuminurie est attribuée à une augmentation de pres-
sion survenue dans le glomérule, soit par le fait d'une stase veineuse, soit d'une hyper-
tension artérielle.
Il faut distinguer le cas où la circulation locale du rein est seule modifiée et celui
où c'est la circulation générale.
Or, pour le premier cas, rien ne prouve qu'une augmentation de pression dans l'ar-
tère rénale détermine l'albuminurie.
Au contraire, si on pose une ligature incomplète sur l'artère rénale, on ralentit le
cours du sang dans le glomérule, on diminue sa pression au-delà de la ligature et
cependant l'urine rare qui coule est albuniineuse.
Si maintenant on lie la veine rénale, l'urine d'abord supprimée devient rare et albu-
mineuse au bout d'un certain temps.
Il en est de même si la ligature n'est pas complète; or, dans ces cas, la pression du
sang est augmentée dans le glomérule.
Deux conditions peuvent donc produire l'albuminurie. Mais il y a dans ces deux
ordres de faits un facteur constant, c'est la diminution de vitesse du sang; que la sténose
porte sur l'artère ou sur la veine, il y a ralentissement circulatoire.
Pour ce qui concerne les modifications de la circulation générale, il ne suffit pas que
la pression artérielle augmente pour que l'albuminurie apparaisse. On peut, en etïet,
lier l'aorte au-dessous des rénales "sans que l'albumine passe dans les urines, celles-ci
étant d'ailleurs très abondantes.
Mais, en revanche, si la pression artérielle s'abaisse et si la pression veineuse s'élève,
l'albuminurie peut apparaître, et, dans ce cas, nous avons encore affaire à un ralentis-
sement de la circulation rénale. C'est ce qui se passe dans les lésions cardiaques avec
asystolie où les urines sont rares et albumineuses.
1. Pour les conditions pathogéniques de l'albuminurie, voyez les lecous de Charcot sur
les maladies des reins. ^^
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 14
210 ALCALINS (Métaux et Sels).
Or, le ralentissement circulatoire entraine l'anoxhémie de cellules épitliéliales du
glomérule et c'est ainsi que peut s'expliquer l'albuminurie liée aux troubles circulatoires.
3° Théorie anatomique. — L'albuminurie relèverait d'une lésion des épitbéliums du rein
et spécialement des tubes contournés.
Mais il y a des albuminuries transitoires dont l'existence ne peut s'expliquer par une
lésion anatomique persistante. D'autre part, la physiologie nous apprend que l'albumine
n'est pas éliminée ou résorbée (Kuss) par les tubuli contorti.
Enfin, d'une part, il y a des albuminuries sans lésion appréciable des cellules rénales,
et, de l'autre, il existe des cas où cette lésion existant, l'albuminurie fait défaut. C'est
donc, en somme, les modifications circulatoires et le ralentissement dans le cours du sang
qui paraissent être la principale condition de l'albuminurie.
E. A.
ALCALINS (Métaux et Sels). — Les métaux alcalins forment une
famille chimique assez homogène. Nous n'entrerons pas ici dans le détail de leur action
toxique sur l'organisme; car cette étude trouvera mieux sa place aux articles Ammo-
niaque, Potassium, Sodium, etc. Nous devons donner cependant quelques aperçus sur la
toxicologie générale et comparée des sels que forment ces métaux.
On peut les classer, par leur poids atomique, dans l'ordre suivant :
Lithium 7
Sodium 23 (1X3) +2
Potassium 39 (7x6) — 3
Rubidium 85 (7 x 12) + i
Césium 133 (7 x 19) =
A la ligueur, vu la grande similitude des réactions chimiques et des formes cristal-
lographiques, ou peut considérer l'ammonium comme ressemblant à un métal alcalin.
Tous ces métaux ont les propriétés suivantes :
1° Ils se combinent à un atome de chlore, ou de brome, ou d'iode, pour former des
chlorures, bromures et iodures, stables et solubles;
2° Ils décomposent l'eau à température basse pour former avec l'oxygène des combi-
naisons basiques, stables et solubles;
3° Leurs sulfates et leurs carbonates (et en général tous leurs sels) sont solubles.
Parmi ces métaux, il en est deux, le potassium et le sodium, qui font partie inté-
grante de l'organisme des animaux et des végétaux; si bien qu'ils constituent l'un et
l'autre un élément indispensable, avec cette différence que l'organisme végétal peut
presque se passer de sels de sodiiim, tandis qu'un organisme animal a besoin pour vivre,
à la fois de potassium et de sodium.
Quant aux métaux alcalins rares (lithium, rubidium et césium) on ne les trouve
qu'exceptionnellement dans les organismes.
Si l'on rencontre des sels ammoniacaux dans les tissus ou les liqueurs des animaux,
ce n'est pas que l'ammoniaque soit indispensable à l'existence; mais il constitue une
sorte de déchet, de résidu de la combustion des matières azotées.
Il est évident que l'étude physiologique et toxicologique des métaux alcalins ne peut
porter que sur les sels de ces métaux, et non sur les métaux eux-mêmes, qui sont inso-
lubles, et décomposables par l'eau. D'ailleurs la nature de l'acide uni au métal est à
peu près indifférente, quand il s'agit d'acides inoEfensifs, radicaux électro-négatifs n'ayant
pas d'action physiologique spéciale (Cl, Br, I, SO'*, PO'*, NO^ CD'', etc.), de sorte que l'his-
toire toxicologique des métaux alcalins, c'est l'histoire de quelques-uns de leurs sels.
Généralement ce sont les chlorures qu'on prend comme terme de comparaison.
Peu d'études d'ensemble ont été faites sur cette action comparative. Je mentionnerai
les travaux de MM. Aubert et Dehn (A. Pf., t. ix, p. 118), un mémoire de M. Fausto
Faggioli (Atti d. Soc. Ligustica di Scienze natur., t, iv, n°4, déc. 1893, p. 383, et t. v, n" 2,
janv, 1894, p. 1), et les recherches nombreuses que j'ai faites sur le même sujet
(Trav. du Lab. de PhysioL, t. n, 1893, p. 398-493). Dans une certaine mesure, les
recherches sur les antiseptiques comme celles de M. Miquel, de M. J. de la Croix, et
d'autres bactériologistes, appartiennent à cet ordre d'études (V. Antiseptiques).
Plusieurs méthodes peuvent être employées. La plus simple consiste à faire vivre
ALCALINS (Métaux et Sels). -211
des animaux (ou des plantes, ou des microbes) dans des solutions, à divers degrés de
concentration, des sels alcalins.
Les poissons se prêtent bien à ce genre d'expériences; en faisant vivre des poissons
dans des solutions salines et en prenant comme limite de toxicité la dose minimum qui
ne tue pas un poisson en 48 heures, j'ai trouvé les chiffres suivants, évalués en métal,
non en sel métallique, par litre de liquide :
grammes.
Na 26,0
Li 0,23
K 0,20
AzH.'- 0,06d
En rapportant ces chiffres au poids atomique, nous ne modifions presque pas les
données. On trouve en effet :
Na ° 1,13
Li 0,0>S6
K 0,00.3
AzH-> . .■ 0,003
ce qui, en faisant la toxicité de la molécule de sodium égale à 100, devient:
Li ° 3
K 0,43
AzH» 0,23
Je dois ajouter que ces recherches étaient faites sur des poissons de mer, et que je
donne ici, non seulement la quantité de NaCl ajouté, mais encore la quantité de NaCl
qui était normalement contenue dans l'eau de mer.
Ce qui en résulte, c'est, comme l'avait déjà montré Bouchardat, la différence consi-
dérable entre les sels de sodium, presque inoffensifs, et les sels de potassium, vraiment
très toxiques.
Quel que soit le procédé adopté pour étudier les divers sels alcalins, on trouve tou-
jours cette plus grande toxicité du potassium. Ainsi, en injections sous-cutanées, le
litliium, le rnbidium et le potassium m'ont donné la série suivante de toxicité.
Toxicité moyenne des chlorures, bromures, iodures (par kilogr. d'animal)
(en poids de métal).
Poissons 0,103
Pigeons 0,063
Cobayes 0,102
0,091 '
Comparé à ces trois métaux, le sodium peut être regardé comme inoffensif.
Mais, en faisant l'expérience avec des microbes, j'ai pu constater un effet imprévu,
c'est que l'ordre de toxicité était, pour ainsi dire, renversé. A la dose à laquelle le
sodium est assez offensif, le potassium n'exerce aucune action. Pour juger la ques-
tion, je faisais fermenter du lait additionné de quantités variables de chlorures de
lithium, de potassium ou de sodium. Voici les chiffres résultant de ces expériences.
Étant forcé de prendre une définition arbitraire, je regarde comme toxique la dose qui
ralentit de 30 p. iOO la quantité d'acide lactique formé, par rapport à du lait normal pris
comme témoin.
Poids de métal (par litre) qui diminue de moitié en 34 heures
l'activité de la fermentation.
Na 19
K 37
Li 4
Il est probable qu'on peut généraUser cette différence remarquable entre les sels de
sodium et les sels de potassium. Les animaux, c'est-à-dire, en dernière analyse, des
212
ALCALINS (Métaux et Sels).
êtres pourvus d'un système nerveux, sont plus sensibles au potassium. Les végétaux,
c'est-à-dire des organismes sans système nerveux, sont plus sensibles au sodium. De même
que la strychnine est un poison pour les animaux, sans agir comme toxique sur les végé-
taux, demêmelepotassium, poison dusystèmenerveux, n'est toxique quepourlesanimaux.
On peut considérer, en effet, les poisons comme constitués par deux grands groupes,
non homogènes assurément, mais qu'il importe d'établir pour faire une étude méthodi-
que. Il y a les poisons qui sont délétères pour toute cellule vivante; poisons itnivcrseh,
et les poisons qui n'agissent que sur la cellule nerveuse, poisons spéciaux.
Les poisons universels, ce sont les éthers, les alcools, les essences, les composés
aromatiques (chloroforme, benzine, essence d'absinthe, oxyde d'éthyle, etc.), les sels
métalliques de mercure, d'argent, de platine, de plomb. Même à dose faible, ils
détruisent l'activité de toute cellule vivante.
Au contraire les poisons spéciaux ne sont, à faible dose, actifs que sur la cellule nerveuse
(strychnine, aconitine, curare, alcaloïdes en général, ammoniaque et sels de potassium).
On peut donc jusqu'à une certaine mesure proposer comme caractéristique de l'or-
ganisme animal qu'il est plus sensible à l'action du potassium qu'à celle du sodium,
tanrfis que pour l'organisme végétal c'est l'inverse qu'on constate.
Dans toutes ces expériences, un point capital, et dont les expérimentateurs n'avaient
guère tenu compte, c'est le rapport de la toxicité, non avec le poids brut du sel employé,
mais avec le poids moléculaire.
Par exemple il n'est pas permis de comparer la toxicité du chlorure de lithium,
dont la molécule ne pèse que 42, avec l'iodure de césium, je suppose, dont la molécule
pèse 239. Si l'iodure de |;césium est à poids égal aussi toxique que le chlorure de
lithium, cela signifie qu'en réalité la molécule d'iodure de césium est sis fois moins
toxique que la molécule de chlorure de lithium.
En rapportant à la molécule de sel alcalin emploj'é la dose toxique trouvée, j'ai
constaté que, d'une manière très générale, les sels des métaux alcalins avaient une toxi-
cité proportionnelle à leur molécule.
Voici le tableau qui résume nos recherches :
Doses mortelles moléculaires mlnima (par kilo.)
( Poissons
l Tortues
Chlorures. ) '^'renouilles
j Pigeons
1 Cobayes
\ Lapins
Moyennes . . .
J.ITHICM.
POTASSIUM.
RUBIDIUM.
MOYEN NES.
0,0126
0,0193
0,0207
0,0120
0,0144
0,0124
0,0115
0,0123
0,0129
0,0133
0,0141
0,0085
0,0121
0,0109
0,0129
0,0123
0,0128
0,0109
0,0146
0,0148
0,0127
0,0137
0,0126
0,01:J2
0,0128
0,0116
0,0132
( Poissons
Bromures, j Pigeons
(Cobayes
Moyennes . . .
0,0171
0,0086
0,0160
0,0139
0,01S1
0,0104
0,0103
0,0119
0,0109
0,0070
0,0073
0,0144
0,0087
0,0112
0,0114
0,0084
i Poissons
loduros. . ', Pigeons
' Cobayes
Moyennes. . .
Moyenne générale . . .
0,0130
0,0069
0,0143
0,0121
0,0128
0,0039
0,0100
0,0098
0,0059
0,0081
0,0079
0,0093
0,125
0,062
0,104
0,0095
0,0097
0,0143
0,0111
0,0115
ALCALINS (Métaux et Sels). -jl;:;
Dans le mémoire que j'ai cité, je suis entré dans le détail, ce que je ne puis faire
ici. Je me contenterai donc de donner les conclusions qui me paraissent résulter direc-
tement des chiffires de ce tableau :
jt> poQr les substances chimiques similaires, et notamment les sels des métaux
alcalins, les doses toxiques sont à peu près proportionnelles au poids moléculaire, non
au poids absolu (maximum : 0,0207, LiCl pour les grenouilles; minimum : 0,0059, Rbl
pour les pig-eonsî.
2» Pour des poids moléculaires égaux, les métaux alcalins sont d'autant plus toxiques
que leur poids atomique est plus éleré.
Li 0.0143
K 0,0111
Rb 0,0093
3' A poids moléculaire ésrai, le chlore, le hrome et Tiode (combinés aux métaux
alcalins) sont à peu près également toxiques; mais ils Je sont d'autant pins que leur
poids atomique est plus élevé.
CMornres (Iji32
Bromures 0,0114
lodares 0,0097!
i" Les Tertébrés et invertébrés «reptiles, poissons, mammifères, limaçons, écre-
yisses, oiseaux, batraciens) sont à peu près également sensibles à l'action toxique des
sels alcalins. D'une manière générale, les oiseaux sont plus sensibles que les mammi-
fères, et les mammifères plus sensibles que les poissons.
On voit qu'en définitive les efforts faits par divers auteurs, en particulier Rabctkau,
puis Sn)>ET RcfGER •, et d'autres savants encore, pour relier, si possible, les propriétés
physiologiques let pcir conséquent toxiques) des métaux à leur poids atomique, ne
peuvent guère aboutir, paisque ce qui semble résulter de ces recherches, c'est l'analogie
d'action, à poids moléculaire égal, des métaux alcalins, avec une toxicité peut-être un
peu plus forte, contrairement à ce qu'avait pensé Rabsiteac, quand le poids atomique
s'élève.
o" Les sels alcalins agissent synergiquement, et, en les mélangeant les uns aux autres,
l'eSFet produit est la somme de leur action.
Le mode d'action de ces sels alcalins est donc probahlement identique, qael que
soit l'animal étudié, quel que soit le sel employé; et il semble qne cette action porte
surfont sur le système nerveux.
A dose toxique aiguë, c'est un épuisement général du système nerveux central,
paralysie, dépression, impuissance motrice, quelquefois, comme avec le lithium et
l'ammonium, convulsions suivies d'un rapide épuisement post-épileptique ; souvent
adynamie cardiaque, al>aissement énorme de la pression artérielle ; le système nerveux
cardiaque paraissant subir un des premiers les effets toxiques. Le potassium, quand il
n'a pas paralysé le cœur, peut aussi provoquer, par exemple chez les poissons, des
effets presque convulsLfe. Pai même pu constater que de très fortes doses de ?iaCl,
injectées dans le système veineux des chiens, amenaient de vraies convulsions.
A dose toxique lente, on observe les mêmes effets d'adynamie et de prostration : et
le résultat le plus éclatant de cette intoxication lente est un amaigrissement général et
rapide, avec abaissement thermique manifeste. D'où il suit cette conséquence curieuse
que chez les animaux à sang chaud et les animaux à sang froid la dose toxique est
différente en été et en hiver. En hiver les pigeons sont bien plus sensibles que les
poissons; et en été c'est plutôt l'inverse; car, pour les poissons, l'élévation thermique
contribue â augmenter la toxicité, tandis qu'elle diminue chez les pigeons l'activité des
échanges, et par conséquent leur permet de résister davantage à la dénutrition géné-
rale. Cette dénutrition est telle qne certains animaux, intoxiqués chroniquement, ont
perdu jusqu'à 43 p. 100 de leur poids.
I. J. P.. t. I, no 1, p. 84.
21^
ALCALINS (Métaux et Sels).
En étudiant sur Paramaecium aurelia (Muller), l'action des trois chlorures de Na,
de K et de Az H'', M. F. Faggioli a trouvé comme limite de toxicité, dans 100 grammes
d'eau :
AzE-sci 0,1250
KCl 0,2000
NaCl 0,2500
Or, en rapportant ces chiffres aux poids moléculaires, nous trouvons que la molé-
cule de AzH'-CI est toxique à 0s%00024, celle de KCl à Os'-.OOOâr, celle de NaCl à
OS"', 00043. Autrement dit le chlorure de potassium est à peu près deux fois plus toxique
que le chlorure de sodium.
En comparant les trois sulfates et les trois bromures, il a trouvé :
(NHi)2S0i 0,187
K2S01 0,125
Na2S0i 0,154
NH^Bi- 0,250
KBr 0,430
NaBr 0,387
Mais je ne regarde pas comme tout à fait rigoureuses les expériences qu'il a faites
ainsi; car l'examen microscopique, si instructif qu'il soit, est Lien moins précis que la
simple détermination du moment de la mort par une solution toxique titrée.
M. Faggioli a aussi étudié l'action des sels alcalins dont l'acide est variable. Mais la
méthode d'observation adoptée par lui (examen des mouvements de Paramaecium
aurelia) ne me paraît pas irréprochable.
Voici les chiffres qu'il donne :
Doxe toxique pour 100 grammes d'eau.
Na^CO^. . .
0,0800
Na^SO". . .
0,1543
NaspO». . .
0,1940
NaCI. . . .
0,2500
NaHCO^J. . .
0,3400
NaH^PO*. .
0,3909
NaBr. . . .
0,3874
NaN03. . .
0,4500
Nal
0,.5773
POTASSIUM.
K^CO» 0,0000
K2S04 0,1250
KCl 0,2000
KHCO-i .... 0,2000
KspQi 0.2200
KHPO'' 0,4000
KBr 0,4300
Kl 0,4800
KN03 0,5000
Moyenne . . . 0 25
AMMONIUM.
(NH4)3PO'>. , .
0,0700
(NH*)2C0^. . .
0,1000
NHiNOs. . . .
0,1200
NH>C1. . . .
0,1250
NH4HC03. . .
0,1800
(NH4)2S04. .
0,1870
NH^Bi-. . . .
0,2500 ■
NH*I
0,2500
NH1H-2P0''. .
0,2750
Moyenne . .
. 0,17
Ainsi, d'après lui, le sodium et le potassium n'auraient pas une toxicité bien diffé-
rente, ce qui me parait à vrai dire trop paradoxal pour pouvoir être admis sans réserve.
11 est vrai qu'il s'agit, dans ces recherches, de l'influence sur la molilité plutôt que de
la toxicité vraie.
Il était intéressant de savoir comment les sels alcalins divers agissent sur la gus-
tation. Des recherches que j'ai faites avec Gley, il résulte que les chlorures, bromures
et iodures se comportent à peu près de même.
Les doses limites, c'est-à-dire les plus faibles doses perceptibles, ont été, parhtre
de liquide, en poids de métal :
Chlorures 0,26
Bromures 0,24
Iodures 0,22 ■
alcaloïdes. 215
Anfrement dit, la dose gnstative est sensitlement la même.
En prenant le poids molécnlaire de ces doses sapides mini ma noDS avons trouvé par
litre les chiffires suivants pour les sels alcalins :
Sels de sodium 0,0056
— nubidsiam 0,0059
— poiassiom OiOOli
— lithiuna. .._... 0,0078
Eu somme, ces chiffres sont assez comparables pour qoe, vu les causes d'erreur
nombreuses inhérentes au mode d'expérimentation, on puisse regarder comme vrai-
semblable l'identité d'action des divers sels alcalins sur les nerfe du goût.
Noos pourrions ici traiter une question impjrtante que nous avons passée sous
silence, c'est l'action médicamenteuse des sels alcalins. A vrai dire, c'est plutôt de la
thérapeutique que de la physiologie. Mais cependant la physiolofâ© nous permet de
considérer les sels alcalins comme des modificateurs de la nutrition (par l'intermédiaire
du système nerveux),. De fait, la similitude d'action, vraie en toxicologie, ne parait pas
vraie en thérapeutique ; il n'est pas possible de comparer le chlorure de lithium et le
bromure de potassium. L'iodore et le bromure de potassium ont, comme on sait, des
effets thérapeutiques tout à fait distincts.
On remarquera aussi que le sodium fait exception et qu'on ne peut le faire rentrer
dans la famille des métaux alcalins, au point de vue ioxicologique. Dans la classifi-
cation de Mesdéléeft, le sodium ne rentre pas dans la famille du lithium, du potassium,
du rubidium; on voit que physioîogiquement il en diffère.
La conclusion générale, c'est que les sels des métaux alcalins ont (à l'exceptiou du
sodium) une toxicité très voisine, si on la rapporte au poids moléculaire.
Bibliographie. — Sur cette action d'ensemble des métaux alcalins, j'ai donné
dans mon mémoire (Trm. du Lah., t. n, p. 398| les principales sources d'informations.
Pour une bibliographie plus détaillée, voir plus loin les articles Lithium, Potassium,
Sodium. Citons encore : P. Bcset. Action physioleg. des métaux alcaims et alcalùm-terreux
{Rer. mêd. de la Suisse romande, n"^ 8 et 9, Août et Sept. 1892). — Bkz. Phan^. Eenntnis$
der Haiogene. {A. P., t. xsrv, 1894, p. 185.J
Quant à la proportion des métaux alcalins contenns dans l'organisme, on trouvera
les chiffires nécessaires à l'article Aliments (Voir aussi Sang, Nutrition et Buscles).
CHARLES RÎCHET.
ALCALINS (Milieux). — V:-/,- Basiques (Milieux.;
alcaloïdes. — J nsqu'au mUien de notre siècle, la dénomination i'aka-
loîdes naiureSs fat réservée à une classe de produits extraits des végétaux, jouissant de
propriétés plus ou moins énergiqnement toxiques et capables de s'unir aux acides, à la
façon de l'ammoniaque, pour former des sels.
Les découvertes de Wœhlkr, en 1828 : celles de Dcmas et Peudczi, en 18-33; de Znox,
en 1842; de Gkrhabdt, en 1845; de Wdriz, en 1849; d'AsîBsasos, en 1851, démontrèrent
la possibilité de réaliser la synthèse de produits analogues aux alcaloïdes naturels et
de préparer des substances alcaloîdiques complètement différentes de celles que l'on
pouvait extraire des produits végétaux.
Dans ces dernières années, et notamment depuis 1880, la décourerîe des ptomaînes
et des leucomaînes fit reconnaître que la dénomination d'alcaloides ne devait pas être
réservée aux produits tirés du régne végétal et que le nombre de ces substances prove-
nant des modifications subies, dans diverses circonstances, par les tissus animaux était
beaucoup plus considérable que celui des alcaloïdes retirés des végétaux.
Actuellement, la dénomination d'alcaloïde doit être attribuée à tonte snbsfance
azotée, volatile ou fixe, oxygénée ou non, ayant comme noyau de constitationune ammo-
niaque composée ou une base pyridiqne: capable de se combiner aux acides pour former
des composés définis, cristallisés, et susceptibles de s'unir à certains sels minéraux,
chlorures ou «yanures de platine, d'"or, de mercure, etc., en produisant des combinaisons
fixes et bien cristallisées.
0 1(5 alcaloïdes.
L'hypothèse de la subslitution à l'hydrogène d'une molécule d'ammoniaque ou de
pyridine de radicaux plus ou moins énerjjiquement électro-positifs ou électro-négatifs,
permet de concevoir la complexité de certains des composés qui peuvent prendre ainsi
naissance- et Tnèine de prévoir, suivant la valence positive ou négative du radical
substitué, le degré de basicité et d'alcalinité du composé qui se forme dans ces conditions.
Historique. — Au point de vue historique, la première ti'ace de l'obtention, involon-
taire il etl vrai, d'un alcaloïde, remonte à la préparation, vers 1688, dnMagislère d'oinwn
par Robert Boyle. Ce savant avait remarqué que, suivant sa propre expression, pour
rendre l'opium plus actif, il suffisait de le traiter par du tartre calciné et de l'alcool [Use-
fulness of phllosophy, vol. l, p. 7-i). Et en efifet, la morphine ainsi mise en liberté par le
carbonate de potasse se dissout dans lalcool, et l'on obtient une solution beaucoup plus
active, au point de vue thérapeutique, que le produit primitif. Mais cette découverte passa
inaperçue, et il fallut attendre plus de cent années avant que les recherches de Derosxe,
SÉGUix et Sertuermer appelassent de nouveau l'attention sur ce point.
En 1791, au cours de ses travaux sur l'analyse des quinquinas, Fourcroy prophétise
en quelque sorte la prochaine découverte des alcaloïdes; et ce n'est pas sans étonnement
qu'après avoir parcouru le remarquable mémoire qui résume ces recherches, on ne
trouve pas la découverte de la quinine comme une conclusion toute naturelle de ce travail.
Un fait en tout cas absolument incontestable, c'est qu'en perfectionnant les méthodes
d'analyse immédiate appliquée aux végétaux et en faisant progresser les connaissances
relatives aux principes actifs de ces végétaux, Fourcroy et ses contemporains ont préparé
la voie à la découverte des alcaloïdes.
Mais, égarés par cette idée préconçue que les végétaux ne pouvaient contenir, en
dehors des sels minéraux, que des substances résineuses, des gommes, des produits
neutres ou acides puisqu'ils donnaient des jjhlegmes acides sous l'influence de la chaleur,
Fourcroy concluait que la matière enlevée par les acides à l'écorcede quinquina, et qu'il
avait reconnue être de même nature que celle qui se dissout dans l'alcool, se rappro-
chait beaucoup plus des résines que de toute autre substance; Berthollet n'hésitait pas à
regarder comme de la magnésie le précipité produit par l'eau de chaux dans la décoction
acide de quinquina; et Vauquelin, revenant sur le même sujet, insiste sur les propriétés
particulières du composé isolé par la chaux de la décoction acide. Il remarque que cette
substance ne rentre dans aucune des catégories connues jusqu'alors, observe que la
dissolution de ce corps dans l'eau aiguisée d'acide précipite par les alcalis, les carbo-
nates alcalins, la gélatine, l'émétique, le chlorure ferrique, mais il ne paraît pas penser
un seul instant que cette substance puisse avoir quelque parenté avec les alcalis; et il
conclut en disant que ces résines du quinquina ont des propriétés particulières et qu'elles
doivent être, ainsi que celles de beaucoup d'autres végétaux, séparées des résines propre-
ment dites.
« Nous faisons des voeux, disait Fourcroy en terminant son travail sur l'analyse des
quinquinas, pour que de pareils travaux soient entrepris sur les grands médicaments
que l'art de guérir possède et dont il tirerait sans doute un parti bien plus avantageux
encore si leurs principes étaient mieux connus. Si nos forces pouvaient nous le permettre,
nous ébaucherions au moins ces travaux sur l'opium, le camphre, les cantharides,
l'ipécacuanlia, les narcotiques, les plantes antiscorbutiques, les dépurantes et les
vireuses. » Cet appel fut entendu ; et l'opium devient bientôt, concurremment avec le
quinquina et grâce sans doute à ses propriétés thérapeutiques énergiques et à son action
intense sur l'économie, l'objet des recherches des chimistes de ce temps. En 1802,
Derosn'e extrait de l'opium un principe cristallisable, constitué par de la narcotine
impure, auquel il attribue des propriétés basiques. Cette substance porta depuis ce
moment l'appellation de sel de Derosne. En 1804, Séguin publia, au sujet de recherches
qu'il faisait sur l'opium, un mémoire qui peut être regardé comme un modèle d'analyse
immédiate : il isola les deux substances qui devaient recevoir plus tard les noms de
morphine et d'acide méconique; mais il n'insista pas sur les propriétés basiques de la
morphine, «cette substance cristalline qu'on ne peut jusqu'ici considérer que comme
une substance nouvelle », ainsi qu'il s'exprime à son sujet.
Telle était l'influence des idées théoriques alors en cours que Séguin put, dans son tra-
vail, dire en parlant de la Substance cristalline qu'il avait isolée, qu'à l'état de pureté
alcaloïdes. 217
elle est soliible dans l'alcool qui acquiert, par suite de cette dissolution, la propriété de
verdir le sirop de violettes; qu'elle se dissout également bien dans les acides et y est
retenue par affinité, qu'elle peut en être séparée par d'autres substances qui ont pour
l'acide une affinité plus forte, que l'acide de l'opium ayant la propriété de former avec
les métaux des sels insolubles, il se produit pendant le mélange des sels métalliques
avec la dissolution d'npium, une double décomposilion ; tout cela sans arriver à oser
tirer la conclusion logique de ses recherches, bien que tous les caractères de l'alcalinité
fussent ainsi énoncés d'une manière positive, et il abandonne à un autre le soin et en
même temps la gloire d'imposer à ce nouveau corps son véritable caractère et de lui
donner un nom.
C'est seulement en 1817 que Sertcerner, reprenant les recherches qu'il avait déjà en-
treprises quinze ans auparavant, au moment où Deros^'e publiait les résultats des siennes,
eut la hardiesse de rompre avec les idées régnantes et indiqua nettement le caractère
basique de la substance extraite de l'opium et signalée auparavant par Séguin : ce fut lui
qui donna à cet alcaloïde le nom de morphine et celui d'acide méconique à l'acide isolé
et étudié déjà par Séguin. «
Sertuerner caractérise nettement la morphine comme une base et insiste sur ce fait
que certaines de ses propriétés semblent la rapprocher de l'ammoniaque. De plus, il re-
connaît par l'expérimentation physiologique qu'elle constitue la partie efficace de l'opium.
Ce dernier point de son étude mérite de nous arrêter spécialement, d'une part parce que
les essais de Sertuerner constituent les premières tentatives d'expérimentation effectuées
avec un alcaloïde, et, d'autre part, parce que l'auteur n'hésita pas à tenter ses expé-
riences sur lui-même et sur des personnes de son entourage.
« La propriété la plus remarquable de la morphine, dit-il dans son mémoire, est l'effet
qu'elle produit sur l'économie animale. Pour le déterminer avec exactitude, je me suis
prêté moi-même à des expériences avec quelques autres personnes, parce que les expé-
riences sur les animaux ne donnent pas de résultats exacts.
«Je dois fixer l'attention d'une manière particulière sur les effets terribles de ce nou-
veau corps pour prévenir des malheurs ; car on a osé prétendre publiquement qu'on avait
donné cette substance en quantité considérable à plusieurs personnes sans remarquer
aucun effet. Si c'était bien de la morphine qu'on eût donné dans ce cas, il s'ensuivrait
que celte substance n'est pas dissoute par le suc gastrique. Mes expériences antérieures,
dont on n'a pas eu connaissance, comme il semble, m'avaient porté à demander e."ïpressé-
ment qu'on ne donnât cette substance que dissoute dans l'alcool ou dans un peu d'acide
parce qu'elle se dissout difficilement dans l'eau et qu'elle n'est, par conséquent, attaquée
qu'avec peine dans l'estomac sans l'intermédiaire de ces liquides.
« Pour examiner sévèrement mes propres expériences, j'engageai trois personnes, dont
chacune n'avait que dix-sept ans, à prendre avec moi de la morphine. Mais averti par
les effets que j'avais vus antérieurement, je n'en donnai à chacune qu'un demi-grain
(2 milligr. 3j dissous dans un demi-gros {2 grammes) d'alcool étendu dans quelques onces
d'eau distillée. Une rougeur générale, qu'on pouvait même apercevoir dans les yeux,
couvrit leur figure, principalement les joues, et les forces vitales semblaient exaltées.
« Lorsque nous primes, après une demi-heure, encore un demi grain de morphine, cet
état augmenta considérablement, et nous sentîmes une envie passagère de vomir et un
étourdissement dans la tête. Sans en attendre l'effet, nous avalâmes encore, après un
quart d'heure, un demi-grain de morphine en poudre grossière avec quelques gouttes
d'alcool et une demi-once d'eau. L'effet en fut subit chez les trois jeunes gens; ils sen-
tirent une vive douleur dans l'estomac, un alîaiblissement et un engourdissement général,
et ils étaient près de s'évanouir : j'éprouvais moi-même des effets semblables; en me
couchant, je tombai dans un état rêveur et je sentis une espèce de palpitation dans les
extrémités, principalement dans les bras.
« Ces symptômes évidents d'un empoisonnement véritable et surtout l'état d'évanouis-
sement des trois jeunes gens, m'inspirèrent une telle inquiétude, que j'avalai sans y
penser 6 à 8 onces d'un vinaigre très fort et que j'en fis prendre autant aux autres : il
succéda un vomissement si violent que l'un de nous, qui était dune constitution délicate
et dont l'estomac était tout à fait vide, se trouva dans un état très douloureux. 11 me pa-
rut que le vinaigre communiqua à la morphine cette violente propriété vomitive. Dès
"ii8 alcaloïdes.
lors, je donnai au jeune homme du carbonate de magnésie qui ne tarda pas à faire cesser
les vomissements. Il passa la nuit dans un profond sommeil. Le lendemain le vomisse-
ment revint, mais il cessa bientôt, après une forte dose de carbonate de magnésie. Le
manque d'appétit, la constipation, l'engourdissement et les maux de tête et d'estomac ne
cessèrent qu'après quelques jours. A en juger par cette e:5périence assez désagréable, la
morphine est un poison violent, même à petites doses. Ses combinaisons avec les acides
ont peut-être encore plus d'elfet. Je crois que le demi-grain pris le dernier eut une action
plus vive parce qu'il arriva concentré dans l'estomac et y fut dissous.
«Les autres parties constituantes de l'opium ne possédant aucune des propriétés dont
il vient d'être fait mention, il me semble que les principaux effets de l'opium dépendent
de la morphine pure, ^'ous pouvons ainsi attendre des effets efficaces des différents sels
à base de morphine dans plusieurs maladies. »
Avant la publication de ce travail qui dégage si nettement la notion de l'alcaloïde
comme base végétale et principe actif du produit médicamenteux, un certain nombre d'ob-
servations et de recherches effectuées depuis une dizaine d'années avaient appelé l'at-
tention dans cette voie et rendaient imminente la découverte de Sertuerner. C'était
d'abord Chenevix qui tenta l'analyse immédiate du café et en sépara, au moyen du mu-
riate d'étain, un produit de saveur amère, ni acide, ni alcalin, et se distinguant très net-
tement du tanin et de tous les autres principes végétaux examinés jusqu'alors. Puis en
1812, Vauquelin isola du Daphne alpina un principe acre et caustique qu'il reconnut cer-
tainement ne pas être constitué par un sel, comme sa forme cristalline semblerait le
faire croire, mais bien par une substance végétale particulière inconnue jusque là, rame-
nant au bleu la teinture de tournesol rougie par un acide.
Mais, c'est quand il s'agit d'interpréter cette réaction alcaline que les idées dominantes
d'alors égarent le savant professeur qui attribue cette alcalinité à un mélange de la
substance active végétale avec de l'ammoniaque, comme il l'avait fait également pour le
principe huileux et acre du tabac.
A la même époque, et à la demande de Ch.^ussier, Boullay entreprit l'analyse immé-
diate des graines du Meniupermum cocculus d'où il retira un principe d'une excessive
amertume, formant des cristaux d'une blancheur éclatante, auquel il donna le nom de
pic)'otoa;me. Pelletier et Magendie font, au sujet de l'ipécacuanha, une série de recherches
chimiques et physiologiques les conduisant à isoler de cette écorce une substance à
laquelle ils donnent le nom d'éméiine et qui en constitue le principe actif.
Toutes ces observations et ces découvertes avaient imprimé une vive impulsion à
l'étude des produits végétaux; et le mémoire de Sertuerner sur la Morphine et l'acide
mécanique considérés comme parties essentielles, fut, en quelque sorte, la synthèse et la
coordination des recherches éparses et sans lien commun jusque là.
Une grande découverte est bien rarement (pour ne pas dire jamais) le fruit du labeur
d'un seul homme; et ce n'est pas l'un des moindres attraits de l'étude philosophic^ue des
sciences que de voir émerger péniblement, puis surgir tout à coup, dans un éclat subit,
une découverte dont on peut suivre historiquement la genèse difficile, que l'on voit en-
suite arriver peu à peu à cette période, à laquelle conviendrait parfaitement la qualifi-
cation de prémonitoire, pendant laquelle chacun pressent une évolution scientifique im-
minente et à l'élaboration de laquelle chacun travaille plus ou moins consciemment.
La découverte des alcaloïdes suivit cette marche : les travaux des pharmaciens et
chimistes français ouvrirent l'horizon, déblayèrent la voie; et ce fut un modeste phar-
macien d'Eimsbeck, dans le royaume de Hanovre, qui eut le mérite et la gloire de
dégager la vérité.
A partir de ce moment, la lumière est faite; les travaux se succèdent nombreux,
apportant chaque jour la confirmation de la découverte des alcaloïdes. Pourtant, une
idée inexacte persiste encore jusqu'à nos jours, celle que les végétauxsont seuls capables
de réaliser la synthèse naturelle de ces alcaloïdes.
Parmi le grand nombre des savants dont les travaux contribuèrent à assurer nos
connaissances relativement aux alcaloïdes végétaux, il faut citer plus particulièrement
Pelletier et Caventou. On leur doit l'étude très complète d'un certain nombre de familles
de plantes; et ces savants reconnurent les premiers l'existence d'alcaloïdes chimique-
ment et physiologiquement différents dans une même plante. La strychnine, et la bru-
alcaloïdes. 219
cine; la quinine et la einchonine, la colcliicine et la vératrine , la curarine, furent les
résultats de leurs remarquables travaux. L.\ss.4.igne et Feneulle, Desfosses, Robiquet,
CouEBBE, en France ; Brandes, Meisner, MErN, Geiger et Hesse, en Allemagne, e'tudient
un grand nombre de plantes et font connaître de nouveaux alcaloïdes.
En 1822,BussY entreprit de déterminer la composition exacte des diverses substances
actives que l'on avait alors isolées des végétaux. L'idée de ce travail lui fut suggérée
par la discussion qui s'était élevée depuis quelques temps au sujet de la picroto.xine, le
principe actif découvert par Boullay dans le Menispermum cocculus, dont la nature
basique était contestée par Thénard. La picrotoxine ne saturant pas les acides, n'ayant
aucune action sur les réactifs colorés, ne pouvait, disaient les adversaires de Boullay,
être considérée comme une base salifiable, mais seulement comme une substance amère,
vénéneuse. Les progrès que la méthode de Gay-Ldssac avait fait réaliser à l'analj'se élé- ■
mentaire des substances organiques permit à Bussy de mettre en évidence, dans la com-
position des alcaloïdes, la présence de l'azote et de doser cet élément dans la morphine
où Sertuerner et Thomson l'avaient méconnu, ainsi que dans plusieurs autres bases végé-
tales. Ce travail de Bussy fut complété par Pelletier et Dumas qui donnèrent, l'année
suivante, la composition d'un assez grand nombre d'alcaloïdes et prouvèrent ainsi l'exis-
tence de l'azote dans toutes les bases végétales. Lune des conclusions de leurs travaux
fut que la picrotoxine, ne possédant pas les caractères généraux et les réactions des
bases végétales, et, de plus, ne renfermant pas d'azote, ne pouvait pas être considérée
comme un alcaloïde.
A peu près vers la même époque, plusieurs chimistes arrivèrent à isoler, dans un
état suffisant de pureté, des bases végétales liquides dont l'existence avait été jus-
qu'alors mise en doute. Déjà, en 1820, Peschier et Brandes avaient attribué la toxicité de
la grande cigûe à la présence d'un alcaloïde, mais sans fournir de leur opinion une
preuve décisive. Ce n'est qu'en 1832 que Geiger sépara la conicine dont l'alcalinité fut
attribuée par certains chimistes à de l'ammoniaque entraînée pendant la préparation. A
la suite d'un long travail de Deschamps (d'Avallon) tendant à prouver cette dernière
interprétation, travail adressé à la Société de pharmacie de Paris, Henri et Boutron
furent chargés d'élucider cette question, et leurs recherches les amenèrent à reconnaître
l'exactitude des assertions de Geiger. De plus, des essais comparatifs d'expérimentation
physiologique, effectués par Ghristison, démontrèrent qu'il y avait identité d'action dans
les résultats obtenus avec le suc de la grande ciguë et ceux fournis par l'alcaloïde
liquide de Geiger. La découverte de la nicotine par Posselt et Reimann vint bientôt con-
firmer l'existence des alcaloïdes liquides.
Alcaloïdes artificich. — A partir de cette époque (1829), il fallut attendre jusqu'au
moment de la découverte des ammoniaques composées et des alcaloïdes artificiels oxy-
génés et non oxygénés pour voir la question qui nous occupe faire de réels progrès. La
synthèse de l'urée, effectuée en 1828 par Wœhler, fut le premier exemple de formation
artificielle d'un composé organique.
En 1834, Liebig prépare Famniélide, l'amméline et la mélamine, composés dont les
caractères se rapprochent de plus en plus de ceux des alcaloïdes. A la même époque,
Dumas et Pelouze observaient que dans l'action de l'hydrate de plomb en présence de l'eau
bouillante sur certains composés organiques azotés et sulfurés, il se forme de véritables
bases; c'est ainsi que l'essence de moutarde soumise à la température de 100", à l'action
de l'hydrate de plomb en suspension dans l'eau, fournit la sinapoline ou diallylurée.
Dans des recherches entreprises sur le goudron de houille, Runge signale des corps
doués de propriétés alcalines, mais qu'il étudie fort incomplètement et n'isole même
pas à l'état de pureté.
En 1840, Fritzsche prépare de l'aniline par distillation sèche de l'indigo en présence
de potasse caustique. En 1842, Gerhardt obtient et isole la quinoléine comme produit
de la distillation sèche de certains alcaloïdes végétaux (quinine, strychnine et surtout
einchonine) eu présence des alcalis caustiques. La même année, Zinin découvre la for-
mation de composés basiques parmi les produits de réduction des dérivés nitrés des
matières organiques. En 184o, Fownes appelle l'attention sur ce fait que les hydramides
soumis à l'action de la potasse, en présence de l'eau, subissent une modification isomé-
rique remarquable et se transforment en bases organiques.
220 alcaloïdes.
Enfin, en 1849, Wurtz réalisa l'importante découverte des ammoniaques composées
dont la formation avait été prévue sept ans auparavant par Liebig. C'est par la réaction
de la potasse caustique sur les élliers cyaniques, cyamiriques et les urées que Wunxz
obtint la formation de ces bases artificielles. Ses recherches furent continuées par
Hoffmann qui démontra la possibilité d'obtenir des aminés complexes.
En 1831, les travaux d'ANDERSoN sur les produits de la distillation sèche des matières
animales attirèrent l'attention sur les bases de la série pyridique, dont quelques-unes
avaient déjà été entrevues par Unverdorben dans ses recherches sur l'huile animale de
DiPPEL. Greville-Williams, Church et Owen complétèrent ces études, dont les travaux
tout récents de Ramsay, Kœrner, Skhaup, Weidel, Ladenborg, Cahours et Etard, Oechsner
DE CoNYNCK, etc, etc, ont démontré toute l'importance relativement à la constitution
des alcaloïdes naturels.
Alcaloïdes d'origine animale. — En 1853, Wurtz, faisant réagir la trimélhylamine
sur la chlorhydrine du glycol, réalisait, du même coup, non seulement la synthèse d'un
alcaloïde oxygéné, la névrine, mais encore d'un alcaloïde d'origine animale, la névrine
étant identique avec la choline retirée delà bile par Strecker en 1849.
Ce fut seulement au cours de ces dernières années, en 1881, que la propriété de
donner naissance à des alcaloïdes fut nettement reconnue aux cellules animales.
Rapprochant les faits qu'il avait observés, en 1869, puis en 1872, de la formation
d'ammoniaques composées pendant la putréfaction de l'albumine d'œuf et de la fibrine,
de ceux mis en lumière par Selmi à partir de 1870 et relatifs a la présence d'alcaloïdes
particuliers qu'il appela ptomaines dans les viscères d'individus que l'on soupçonnait
avoir été empoisonnés, ainsi que des observations que j'avais faites en 1879 et 1880
de l'existence d'alcaloïdes bien déterminés dans l'urine et les humeurs normales
de l'homme; généralisant toutes ces données, Armand Gautier montra qu'il s'agissait
d'une fonction normale des cellules vivantes et que des alcaloïdes pouvaient prendre
naissance au cours des processus vitaux de toutes les cellules, que leur origine fût végé-
tale ou animale. Cette interprétation fut confirmée par l'étude qu'il publia en 1886 sur
les leucontaines, alcaloïdes formés régulièrement et nécessairement au cours des phéno-
mènes physico-chimiques dont les organismes animaux sont le siège pendant leur vie.
On est amené par ces considérations à faire rentrer dans le cadre des alcaloïdes un
certain nombre de produits de sécrétion ou d'excrétion de l'organisme humain qui
étaient classés autrefois parmi les'araides, les nitriles, les composés du groupe urique, etc.,
tels que la leucine, la tyrosine, la séricine, la carnine, la guanine, la saroine, la xan-
thïne, les oxybétaïnes, etc., etc. Quelques-uns de ces corps ne manifestent que des
propriétés basiques extrêmement faibles, comme d'ailleurs certains alcaloïdes d'origine
exclusivement végétale (la narcotine par exemple); mais, bien que ce caractère soit
important, il ne doit pas être envisagé exclusivement.
Ainsi comprise, la notion d'alcaloïde est beaucoup plus vaste que celle qui lui' cor-
respondait autrefois, lorsque cette appellation désignait les seules bases végétales ;
mais elle olîre le grand avantage de réunir des composés dont la synthèse naturelle
s'elfectue dans des conditions analogues, dont la parenté, au point de vue physiolo-
gique, est incontestable; et que leur constitution chimique, dont la connaissance se
perfectionne de jour en jour, nous apprend être dérivés des mêmes groupements
moléculaires fondamentaux.
Généralités. — La découverte des alcaloïdes est l'une des plus belles conquêtes de
la chimie pendant notre siècle. Les travaux suscités dans ces dernières années par les
ptomaïnes et les leucomaïnes ont considérablement agrandi cette question et lui ont
donné une importance plus grande encore, non seulement en augmentant le nombre
des composés chimiques qui rentrent dans son cadre, mais surtout en démontrant que
la genèse des alcaloïdes est une fonction physiologique d'ordre absolument général. On
peut dire aujourd'hui que ,1a synthèse naturelle d'un alcaloïde est la preuve de l'exis-
tence d'un processus vital.
En plus de son importance au point de vue physiologique, l'étude des alcaloïdes,
mais alors surtout, celle des alcaloïdes végétaux, a permis de réaliser un progrès
immense en thérapeutique en modifiant les applications et en perfectionnant nos con-
naissances pharmacologiques au sujet des drogues végétales. En permettant de subs-
alcaloïdes. 221
lituer à la plante médicinale ou à ses préparations galéniques, susceptibles de varier sui-
vant une foule de circonstances, un produit toujours identique, de composition clii-
mique absolument constante et dont les effets peuvent être dosés et régularisés avec
une précision presque mathématique, la chimie a ouvert aux applications thérapeu-
tiques une voie véritablement scientifique en leur permettant une rigueur dans l'obser-
vation dont elles avaient été dépourvues jusque-là. Les progrès de la chimie dans cette
voie spéciale ont même été poussés jusqu'à réaliser la synthèse artificielle d'alcaloïdes
naturels et même celle d'autres alcaloïdes dont on ne connaît pas, jusqu'ici, d'analogues
dans le règne végétal, et dont l'utilisation de l'action physiologique rend les plus émi-
nents services à l'art de guérir.
Toutefois, si l'alcaloïde est le principe le plus actif d'un végétal, il n'est pas toujours
le seul actif, et ne peut être, en toute circonstance, substitué à la plante dont il est
extrait. L'effet thérapeutique que l'on recherche n'est souvent que la résultante de
l'action de chacun des principes constituants du végétal.
D'autre part, la richesse en alcaloïdes d'une substance végétale varie suivant nn
assez grand nombre de conditions et de circonstances dont les principales sont les
suivantes : l'époque de la récolte, le lieu de croissance, la nature du sol possèdent sur
tous les végétaux une influence à laquelle n'échappent pas les plantes susceptibles de
donner naissance à des principes actifs, alcaloïdes ou autres.
La nature du sol n'est pas la seule cause de variation dans la quantité du principe
actif : l'âge de la plante possède à cet égard une influence plus considérable encore.
C'est ainsi que les jeunes pousses de certaines espèces d'apocynacées sont utilisées
comme aliment par les nègres de l'Amérique du Sud et que les jeunes pousses d'aconit
sont employées au même usage en Suède, alors que les mêmes végétaux adultes sont
violemment toxiques. Bien plus, certains principes actifs apparaissent ou disparaissent
suivant l'âge de la plante : le maximum de richesse s'observe, en général, au moment
de l'entrée en floraison.
Le climat a plus de pouvoir que la nature du sol sur la richesse des végétaux en
principes actifs; en général, ceux qui croissent dans les lieux élevés et qui sont plus
exposés à la radiation solaire contiennent une plus forte proportion de substance active :
la digitale et l'aconit sont dans ce cas, tandis que la belladone se montre, au con-
traire, plus active quand elle est exposée à l'ombre.
Le summum d'activité s'observe surtout chez les plantes récoltées dans leurs lieux
d'origine. L'acclimatation et la culture affaiblissent ou dénaturent, tout au moins, les
propriétés actives.
Le moment auquel la récolle de la plante a été effectuée possède une influence
considérable. Cette condition n'avait pas échappé aux anciens pharmaoologues; et nous
voyons Dioscoride, Mesuè;, Galien, Avicenne, recommander de faire la récolte des racines
au printemps, à l'époque où les feuilles commencent à poindre; ou à l'automne, quand
elles sont complètement tombées, de même que la lige, s'il s'agit de plantes bisannuelles.
Ces observateurs avaient reconnu qu'au printemps la racine élabore de nouveaux sucs
qui seraient bientôt absorbés par les feuilles si on les laissait se développer; tandis
qu'en automne, après la maturation de la graine, les matériaux de nutrition, n'étant
plus attirés vers les organes de reproduction, restent localisés principalement dans les
racines jusqu'au moment où le froid arrête la végétation. Les racines des plantes
vivaces ne doivent être récoltées qu'après plusieurs années de végétation; celles des
plantes bisannuelles à l'automne de la première année ou au printemps de la seconde;
celles des plantes annuelles sont nécessairement récoltées quand, la plante est en pleine
végétation.
Les tiges ligneuses doivent être recueillies l'hiver; les tiges herbacées après la folia-
tion et avant la iloraison.
Les écorces doivent provenir de végétaux adultes et en pleine vigueur : celles des
arbrisseaux sont généralement récoltées en automne et celles des arbres, au printemps.
Les alcaloïdes sont parfois localisés plus particulièrement dans certaines couches de
l'écorce, comme cela arrive pour la quinine, qui abonde surtout dans la couche ceiluleuse,
externe, des écorces de cinchona, tandis que la couche libérienne n'en renferme que
de très faibles proportions.
222 alcaloïdes.
Les feuilles doivent être recueillies au moment de leur plus grande vigueur, c'esl-
à-dire quand les organes reproducteurs commencent à poindre : il est préférable de
récolter les feuilles des plantes bisannuelles pendant la seconde année.
Pour les semences, l'époque la meilleure est celle de la maturité complète, indiquée
parla déhiscence des valves pour les fruits capsulaires et la maturité du péricarpe pour
les fruits cbarnus.
Enfin, lorsqu'il s'agit de substances végétales qui ne peuvent être traitées immédia-
tement pour l'extraction des alcaloïdes, le mode de conservation exerce une inlluence
parfois considérable sur la richesse en alcaloïde. Beaucoup de plantes éprouvent, par
le fait seul de la dessiccation, une diminution ou une altération de leurs propriétés
toxiques ou médicinales : si cette action s'exerce principalement sur les plantes dont
les principes actifs sont constitués par des huiles essentielles, des gommes-résines, des
glucosides, il n'en est pas moins certain que quelques alcaloïdes ne résistent pas à celte
cause de destruction.
A ces causes d'altération, il convient encore d'ajouter d'autres causes accidentelles
dont la valeur est loin d'être indifférente : telles sont, par exemple, l'oxydation lente à
l'air sous l'intluence du temps, la température, l'humidité, les moisissures.
Toutes ces considérations que je viens d'exposer très rapidement expliquent l'inégalité
d'action de plantes ou parties végétales de la même espèce, et permettent de com-
prendre comment un seul produit médicamenteux, l'opium, par exemple, peut présenter
des variations extrêmes de 2 à 30 pour 100, relativement à sa richesse en principes
actifs. En outre, si l'on tient compte de ce fait sur lequel l'attention a été attirée par
Claude Bernard, que ce même opium peut renfermer des proportions variables d'alca-
loïdes dissemblables et différant, non seulement par leur composition et leurs propriétés
chimiques, mais surtout par leur action phj'siologique, les uns étant calmants et nar-
cotiques, alors que les autres sont excitants ou convulsivants; on comprendra l'incom-
parable service que l'isolement des alcaloïdes a rendu à la thérapeutique.
Procédés d'extraction. — Les alcaloïdes n'existent jamais à l'état libre dans les
végétaux qui les produisent, il est donc nécessaire de les dégager de leurs combinaisons ;
et, pour arriver à ce but, de les faire passer en solution dans une liqueur sur laquelle
on puisse faire agir facilement les réactifs. Mais une difficulté se présente aussitôt :
certains de ces alcaloïdes sont fort altérables, soit en présence des acides, soit en pré-
sence des alcalis, surtout lorsqu'intervient une élévation de température. L'emploi des
acides minéraux énergiques, tels que les acides sulfurique et chlorhydrique, qui per-
mettent de faire passer en dissolution des alcaloïdes relativement très stables, comme
la quinine, la strychnine, la morphine, ne saurait donner que de très mauvais résultats,
s'il s'agissait d'alcaloïdes facilement altérables comme l'atropine et, mieux encore, l'aco-
nitine, la colchicine : on risquerait alors de perdre, en le transformant, la majeure
partie de l'alcaloïde que l'on veut isoler. Il faut, dans ce cas, ne faire usage que d'atides
organiques et éviter, autant que possible, l'élévation de température prolongée pendant
un temps assez long. Un procédé qui m'a toujours fourni d'excellents résultats et qui
est absolument général est le suivant.
La substance (végétale ou animale) dans laquelle il s'agit de rechercher et d'isoler
l'alcaloïde est finement divisée, additionnée de a pour 100 de son poids d'acide citrique
pur; puis de trois fois son poids d'alcool à 60 pour 100, si elle est solide, d'alcool à 9o,
si elle est liquide; et le mélange est rhauffé,' durant quelques heures, à une tempéra-
ture de oO" à 60°, en agitant fréquemment. Il importe que, dans tous les cas, la réaction
de la liqueur hydro-alcoolique soit franchement acide au papier bleu de tournesol,
môme encore après 6 à 12 heures de macération.
Le mélange est alors filtré et le résidu de la filtration soumis à une forte pression
pour en extraire tout le liquide. On répète l'épuisement de ce résidu à l'aide de trois
fois son poids d'alcool à 60 p. 100 acidifié de 1 p. 100 d'acide citrique, on laisse digérer
de nouveau quelque temps à la température de .^iO"; on filtre et on exprime derechef à
la presse. Les liqueurs hydroalcooliques sont réunies et distillées dans le vide à une
température ne dépassant pas 60°, jusqu'à ce que le résidu atteigne la consistance de
sirop clair. Il est très facile, par une disposition convenable de l'appareil à distillation
dans le vide de réaliser une alimentation continue et de condenser la presque tota-
ALCALOÏDES. 223
lité de l'alcool dont on évite ainsi la perte. Dans le cas d'alcaloïdes éminemment alté-
rables, comme cela arrive pour certains alcaloïdes volatils et un assez grand nombre
de ptomaïnes, il est encore préférable d'effectuer l'évaporation à la température am-
biante, dans des capsules à fond plat disposées sous une cloche dans laquelle on fait
le vide et dont l'atmosphère est desséchée par de l'acide sulfurique à 6G° Baume, bouilli
au préalable et purifié de vapeurs nitreuses, acide que l'on remplace au fur et à mesure
qu'il absorbe le liquide. Un grand nombre d'alcaloïdes sont éminemment altérables
quand on chauffe leur solution au contact de l'air, surtout en présence de combinaisons
salines qui sont capables de favoriser la formation de produits de dédoublement. L'ac-
tion des solutions alcalines est principalement intense, aussi doit-on toujours éviter
l'élévation de température, même très faible, d'une solution alcaline dans laquelle il
s'agit de rechercher des alcaloïdes. Les solutions très faiblement acides ont une action
décomposante beaucoup moins considérable, mais qui n'est cependant pas négligeable,
surtout lorsqu'on laisse intervenir deux autres causes de décomposition, impossibles à
éviter entièrement, la concentration des solutions et la durée de l'évaporation.
Dans tous les cas, une fois que le résidu de distillation ou d'évaporation a atteint la
consistance de sirop clair, on l'additionne de dix fois son volume d'alcool à 93 centièmes
et on laisse le mélange en contact pendant vingt-quatre heures, en agitant fréquemment.
La majeure partie des sels minéraux, des matières albuminoïdes, mucilagineuses, etc., etc.,
se trouve ainsi séparée à l'état insoluble, tandis que les sels acides des composés alca-
loïdiques passent dans la solution alcoolique. On filtre pour séparer le résidu insoluble;
la majeure partie de l'alcool est récupérée par distillation ménagée au bain-marie et le
résidu de la distillation est évaporé à siccité sous une cloche, dans le vide, comme il
vient d'être dit ci-dessus. La présence d'une proportion assez considérable d'alcool dans
la liqueur empêche, ou tout au moins atténue dans une notable proportion, la décoin-
position des sels d'alcaloïdes sous l'influence de l'élévation de température; aussi cette
distillation ne doit-elle pas être poussée trop loin, de peur de déterminer l'altération des
composés que l'on a pour but d'isoler. Il est préférable d'avoir un léger excès d'alcool
dans la liqueur que l'on soumet ensuite à l'évaporation dans le vide. Au surplus, l'acide
citrique n'exerce pas, à beaucoup près, une action décomposante aussi énergique que
celle des acides minéraux, et encore cette action est-elle entravée par la présence de
l'alcool. Ce sont toutes ces considérations qui m'ont fait préférer l'emploi de l'acide
citrique à celui des acides organiques plus énergiques que lui et des acides minéraux.
Le l'ésidu de cette dernière évaporation est repris par un mélange de deux tiers
d'eau distillée et un tiers d'alcool à 93 p. 100 : on filtre sur un papier préalablement
mouillé d'eau distillée pour séparer une petite quantité de matières grasses ou cireuses
entraînées par la solution alcoolique; et l'on a une solution contenant à l'état de
citrate, en présence d'un excès d'acide, le ou les alcaloïdes qu'il s'agit d'isoler. II ne
reste plus qu'à les dégager de cette combinaison au moyen d'un lait de magnésie ou de
chaux, d'un bicarbonate ou d'un carbonate alcalin, de l'ammoniaque, d'un alcali caus-
tique; et à les enlever au mélange à l'aide d'un dissolvant approprié, chloroforme;
benzine, ligroïne, éther, etc. Le choix du précipitant est commandé par l'altérabilité de
l'alcaloïde que l'on cherche à isoler : le lait de magnésie, le moins énergique de ces
réactifs alcalins, devra être employé pour les alcaloïdes facilement altérables ; la potasse
ou la soude caustique, au contraire, pour les alcaloïdes très stables. Pour ce qui est du
véhicule dissolvant, c'est la solubilité propre de l'alcaloïde qui devra guider dans son
choix.
Lorsque l'on est assuré à l'avance d'avoir affaire à un alcaloïde stable, le procédé
d'extraction peut être de beaucoup simplifié. On peut, par exemple, utiliser le procédé
de Pelletier et Cavemtou qui consistait à épuiser par de l'eau acidulée d'acide chlorhy-
drique ou sulfurique la substance renfermant l'alcaloïde, à filtrer cette solution, à y
ajouter un lait de chaux en excès et à agiter le mélange avec un dissolvant approprié.
On peut mèine, dans certains cas, réduire les végétaux en poudre fine, mélanger
cette poudre exactement à de la chaux éteinte et épuiser le mélange à l'aide d'un dis-
solvant convenable, soit dans un appareil à déplacement, soit dans un appareil à
lixiviation.
Il est encore possible, mais c'est là un procédé infidèle, de précipiter par le tanin
224 ALCALOÏDES.
la décoction aqueuse, ou dans i'eau légèrement acidulée, des parties végétales et de
décomposer le précipité par la baryte ou l'hydrate de plomb en présence de l'alcool.
Enfin, pour les alcaloïdes volatils stables, la simple distillation de la substance ren-
fermant l'alcaloïde avec une dissolution de potasse ou de soude caustiijues, permet
d'entraîner avec les vapeurs d'eau la base volatile qui se condense et vient surnager le
liquide ; on l'en sépare par décantation et rectification sur de la potasse solide, en
opérant, au besoin, cette seconde distillation dans un courant de gaz inerte, ou, ce qui
vaut encore mieux, d'bydrogène.
Propriétés générales. — Les alcaloïdes sont des composés azotés, à fonction plus
ou moins nettement basique (les alcaloïdes végétaux sont presque toujours des bases
énergiques), susceptibles, pour la plupart, de cristalliser par simple évaporation de
dissolvants appropi'iés. Ils forment des sels par simple addition de leurs éléments à
ceux des acides, comme l'ammoniaque. Quelques-uns sont susceptibles de donner des
sels neutres et des sels acides; la plupart ne donnent qu'un seul sel. Les uns sont fixes,
les autres volatils.
Les alcaloïdes volatils sont généralement liquides et composés seulement de carbone,
hydrogène et azote, comme les ammoniaques composées, la conicine, la nicotine, la
spartéine, les bases pyridiques et quinoléiques : cependant les pelleliérines, extraites de
l'écorce de grenadier, sont volatiles, quoique oxygénées; la théobromine, la caféine et
quelques autres alcaloïdes sont sublimables sans décomposition; la cinchonine, la
quinine, la strychnine, la thébaïne, etc., ne sont que très partiellement sublimables, la
majeure partie de l'alcaloïde se décomposant sous l'infiuence de l'élévation de la tem-
pérature.
Les alcaloïdes fixes sont presque tous solides, sauf la pilocarpine, dont la consistance
est butyreuse : ils sont, pour la plupart, oxygénés, et comprennent la grande majorité
des alcaloïdes végétaux naturels.
La solubilité des alcaloïdes est très variable. Les alcaloïdes volatils sont, généra-
lement, solubles à peu près dans tous les dissolvants, sauf ceux de la série quinoléique
qui sont surtout solubles dans l'alcool. Quant aux alcaloïdes de la série pyridique, ils
deviennent de moins en moins solubles dans l'eau, à mesure que le nombre des
branches forméniques substituées à l'hydrogène va en augmentant. Les alcaloïdes fixes
sont, généralement, insolubles ou peu solubles dans l'eau, assez solubles dans l'alcool,
qui est, pour la plupart, le meilleur dissolvant.
Mais, si les alcaloïdes végétaux sont à peu près insolubles dans l'eau, il n'en est pas
de même des alcaloïdes artificiels et de quelques alcaloïdes d'origine animale qui sont,
au conti'aire, fort solubles dans ce dissolvant : il en existe même qui sont déliquescents.
Le chloroforme, la benzine, l'alcool amylique, les pétroles (pétrole léger ou ligroïne,
pétrole lourd, schiste), les éthers, sont des dissolvants plus ou moins efficaces pour
chacun des alcaloïdes en particulier. Les sels d'alcaloïdes sont fort solubles, en pré-
sence d'un léger excès d'acide, dans l'eau et dans l'alcool. Placés sur la langue, les
alcaloïdes provoquent presque tous une saveur amère très prononcée qui se manifeste
encore avec leurs sels.
Presque tous les alcaloïdes naturels exercent sur le plan de la lumière polarisée une
action qui se traduit par une déviation à gauche; la cinchonine et la quinidine sont à
peu près les seuls déviant à droite. On connaît quelques bases pyridiques, telles que
la conicine, qui se présentent sous deux modifications isomériques déviant l'une à
droite, l'autre à gauche, et dont le mélange, en proportion convenable, constitue une
troisième variété, racémique, inactive. En outre, certains alcaloïdes, tels que la nicotine
et la narcotine, dévient à gauche, tandis que leurs sels exercent la déviation à droite.
Le pouvoir rotatoire moléculaire n'est pas constant et varie avec la dilution.
La lumière altère les alcaloïdes et provoque leur oxydation à l'air. Lorsqu'on les
soumet à l'action de la chaleur, ils entrent généralement en fusion, à la manière des
résines, se volatilisent partiellement (pour quelques-uns d'entre eux) ;'puis finissent, si
l'élévation de la température est continue, par donner des composés ammoniacaux, des
ammoniaques composées, des bases des séries pyridique et quinoléique. Sous l'influence
d'une température de 120° à 130° suffisamment prolongée, quelques alcaloïdes subissent
une simple transformation isomérique.
alcaloïdes. 225
En présence des alcalis, el notamment par la distillation sèche avec la chaux sodée
ou potassée, la plupart des alcaloïdes donnent surtout un mélange de bases pyridiques
et quinoléiques. Ceux qui ne fournissent pas ces derniers produits donnent des ammo-
niaques composées et de l'ammoniaque.
Parmi les acides, les hydracides, tels que l'acide chlorhydrique, exercent sur certains
alcaloïdes une action remarquable : tantôt, une molécule d'eau se sépare de la molécule
de l'alcaloïde (la morphine se transforme ainsi en apomorphine), tantôt un groupe
méthyle est remplacé par un atome d'hydrogène (comme cela a lieu pour la quinine et
la codéine); tantôt l'alcaloïde est dédoublé par hydratation (l'atropine fixe les éléments
d'une molécule d'eau et se transforme en tropine et acide tropique; de même, la cocaïne
fixe les éléments de deux molécules d'eau et se transforme en ecgonine, alcool méthy-
lique et acide benzoïque).
L'acide iodhydrique agit comme réducteur sur un grand nombre d'alcaloïdes et
donne des hydrures du noyau constituant de l'alcaloïde : cette réaction est surtout
intense lorsqu'on fait réagir sur l'alcaloïde l'acide iodhydrique en présence du phos-
phore rouge. Dans d'autres cas, cette même réaction donne lieu à la formation de pro-
duits de condensation, comme cela se produit avec la morphine.
Le chlore et le brome donnent généralement naissance à des produits de substitution.
L'iode, au contraire, donne lieu, plus généralement, à la formation de produits d'ad-
dition, ou même, à la fois, de produits d'addition et de substitution, que l'on connaît
sous la dénomination à'iodobases et qui sont, pour la plupart, remarquables par leur
forme cristalline, leur aspect et leur action sur la lumière polarisée.
Sous l'influence des iodures alcooliques, les alcaloïdes donnent, dans presque tous
les cas, naissance à des composés cristallisés que l'oxyde d'argent, en présence de l'eau,
transforme en hydrates d'ammonium quaternaires : les alcaloïdes à deux atomes d'azote
fixent d'emblée, dans cette réaction, deux molécules d'iodure alcoolique, et l'on obtient
l'iodhydrate d'un diammonium. La plupart des alcaloïdes végétaux naturels sont cons-
titués par des bases tertiaires, c'est-à-dire ne renfermant plus d'hydrogène remplaçable
par un radical monovalent.
L'acide azoteux, en agissant sur les alcaloïdes, donne naissance à la formation de
dérivés oxydés ou nitrosés.
L'action des agents oxydants est tout particulièrement intéressante : c'est elle, en
effet, qui a permis de réaliser les premiers essais dans la voie de la synthèse des alca-
loïdes végétaux en démontrant que tous avaient, comme noyau d'origine, des bases
pyridiques ou quinoléiques. L'acide nitrique dilué, l'acide chromique, et surtout le
permanganate de potassium, lorsque leur action est poussée à un point suffisant, don-
nent naissance à des acides pyridiques mono ou polycarboniques que la distillation
sèche, en présence des alcalis, transforme en bases pyridiques en leur enlevant les
éléments d'une ou plusieurs molécules d'acide carbonique. On observe, en même temps,
la formation de produits plus simples, dérivant des radicaux qui étaient substitués,
dans l'alcaloïde primitif, à un ou plusieurs atomes d'hydrogène de la base pyridique. Ce
sont seulement ces derniers produits d'oxydation que Ton obtient lorsqu'il s'agit d'alca-
loïdes à noyau ammoniacal (ammoniaques composées, aminés, amides, etc.). C'est grâce
à l'étude des produits d'oxydation des alcaloïdes végétaux naturels que l'on a pu se
faire une idée de leur constitution et arriver à réaliser la synthèse de quelques-uns
d'entre eux, comme la conicine et l'atropine.
Réactifs généraux des alcaloïdes. — Il existe un certain nombre de réactifs
donnant, avec les alcaloïdes, des précipités ou des colorations qui permettent de les
reconnaître, sinon avec une entière certitude, du moins de façon à ce que la recherche
se trouve considérablement limitée. Quel que soit le point de vue auquel on se place,
étude chimique d'un composé alcaloïdique, recherche toxicologique, etc., il faudra tou-
jours contrôler les indications fournies par les réactifs généraux des alcaloïdes, soit au
moyen de l'analyse médiate qui permettra de fixer la formule du composé, s'il s'agit
d'une étude au point de vue chimique; soit par l'expérimentation physiologique, s'il
s'agit d'une recherche de toxicologie.
Un certain nombre de réactifs possèdent la propriété de précipiter les solutions des
sels d'alcaloïdes : ces précipités peuvent être déjà par eux-mêmes un indice permettant
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 13
226 alcaloïdes.
de soupçonner la nature de l'alcaloïde, mais cette indication est, en général, bien vague.
Voici les principaux et plus utiles de ces réactifs.
A. Réactifs par 'précipitation. — L Réactif de Mayer. (lodure double de potassium et
de mercure). — Ce réactif se prépare en dissolvant dans de l'eau distillée tiède ■1.3e'', 346
de sublimé; on ajoute à cette liqueur une dissolution de 50 grammes d'iodiire de potas-
sium et on amène le mélange au volume -de 1 litre par une addition suffisante d'eau
distillée.
Sous l'influence de ce réactif, les sels neutres (ou très faiblement acides) des alca-
loïdes donnent des précipités blancs ou jaunâtres, amorpbes ou cristallins : un certain
nombre de précipités, d'abord amorphes, prennent une structure cristalline après vingt-
quatre heures de repos. La plupart des précipités amorphes, dissous dans l'alcool bouil-
lant, deviennent cristallins après refroidissement et évaporation de l'alcool.
D'après Dragendorff, les précipités amorphes produits dans la solution aqueuse de
l'alcaloïde, ne deviennent jamais cristallins avec les alcaloïdes suivants : narcotine, thé-
baïne, narcéine, éméline, aconitine, delphine, berbérine. Les solutions très étendues de
caféine, théobromine, solanine, digitaline, colchicine, ne sont pas précipitées. Avec la
conicine et la nicotine, le pre'cipité blanc, amorphe, qui se produit d'abord, se réunit
bientôt sous forme d'une masse poisseuse adhérente aux parois du vase, et, au bout de
vingt-quatre heures, cette masse s'est transformée en cristaux visibles à Vœ[\ nu et
ayant parfois jusqu'à 1 centimètre de longueur.
M.A.YER a proposé de doser les alcaloïdes à l'aide de leur précipitation par ce réactif.
Pour cela, les solutions doivent être diluées au moins au deux centièmes, et il faut
opérer comparativement avec une solution, de titre connu, de l'alcaloïde dont il s'agit
d'évaluer la proportion.
H. fléactï/' de SoNNENSCHEiN. (Phosphomolj'bdate de sodium). — Ce réactif se prépare
de la manière suivante : on précipite une solution de molybdate d'ammoniaque dans
l'acide azotique étendu par une solution également azotique de phosphate de soude;
après vingt-quatre heures de repos, on décante le liquide surnageant le précipité, on
lave ce dernier à l'eau distillée, puis on le dissout dans une solution récemment pré-
parée de soude caustique pure; on évapore dans une capsule de porcelaine et on chauffe
le résidu jusqu'à disparition de toute odeur ammoniacale; on redissout dans l'eau après
refroidissement et l'on verse goutte à goutte dans la solution de l'acide azotique jusqu'à
ce que le précipité formé au début se soit redissous. Il est important de noter que ce
réactif donne, avec les sels et les dérivés ammoniacaux (ammoniaques composées) des
précipités ressemblant beaucoup à ceux qu'il détermine dans les dissolutions des alca-
loïdes végétaux.
Le phosphomolybdate donne des précipités amorphes et dont la couleur varie du
jaune clair au jaune brun, dans les dissolutions légèrement acides des alcaloïdes sui-
vants : morphine, narcotine, quinine, cinchonine, codéine, strychnine, brucine-, véra-
trine, jervine, aconitine, émétine, caféine, théobromine, solanine, atropine, colchicine.
delphine, berbérine, hyoscyami[ie, conicine, nicotine, pipérine, di^'italine, elléborine.
Un grand nombre de ces précipités se colore en vert ou en bleu quand on les laisse en
suspension dans le liquide, par suite de la réduction de l'acide molybdique et de l'oxy-
dation de l'alcaloïde. L'ammoniaque dissout quelques-uns de ces précipités; la couleur
de la solnlion est bleue avec la berbérine, la conicine, l'aconitine, verte avec la brucine
et la codéine; les solutions se décolorent sous l'influence de la chaleur, sauf celle de la
brupine qui passe au brun et celle de la codéine qui passe à l'orangé. Lorsqu'on humecte
avec de la potasse le précipité produit par la quinoïdine, il prend une couleur bleu de
prusse. Les précipités sont décomposés par les alcalis et leurs carbonates, l'alcaloïde
est mis en liberté : ces précipités sont insolubles, à froid, dans les acides minéraux
étendus, sauf l'acide phosphorique.
m. Réactif de Bouchahdat (lodure de potassium ioduré). — Eau distillée 100 grammes,
iodure de potassium 10 grammes, iode 3 grammes. Précipités de couleur kermès avec
les solutions neutres ou très légèrement acides de strychnine, de quinidine, de brucine,
de cinchonine, de berbérine, d'aconitine, de vératrine, de morphine, de narcotine, de
codéine, de papavérine, de thébaïne, de conicine, de colchicine, de delphine. Précipités
rouge brun avec la quinine, l'atropine et la nicotine : cette dernière base, lorsqu'elle est
alcaloïdes. 227
très pure, donne d'abord un précipité jaune qui prend une couleur kermès sous l'in-
fluence d'un excès de réactif.
IV. — Les chlorures d'or et de platine donnent des chlorures doubles, combinaisons
définies susceptibles de cristalliser avec la plupart des alcaloïdes.
Les caractères et les propriétés chimiques des chloroplatinates sont des plus impor-
tants au point de vue de la détermination de l'espèce des alcaloïdes et de leur composi-
tion moléculaire. Il en est de même avec les chlorures de mercure et de zinc; mais ces
deux derniers sels, et surtout le chlorure mercurique, sont plus particulièrement utiles
en raison des sels doubles qu'ils forment avec les alcaloïdes d'origine animale, combi-
naisons ordinairement peu solubles dans l'eau froide, mais solubles dans l'eau bouillante
et cristallisant par refroidissement. La séparation du métal, à l'aide d'un courant d'hy-
drogène sulfuré, dans ces divers sels doubles, s'effectue, en générai, sans altérer l'alca-
loïde qui reste à l'état de chlorhydrate et que l'on peut obtenir très pur en e'vaporant
dans le vide, à la température ambiante, la solution aqueuse du sel double (chauffée au
besoin) sur laquelle on a fait agir l'hydrogène sulfuré. Les ammoniaques composées ne
précipitent pas avec les réactifs précédents, sauf le réactif de Sonnenschein, mais donnent
des sels doubles cristallisés avec les chlorures d'or, de platine, de mercure et de zinc.
Les iodure et bromure mercuriques sont également susceptibles de donner des sels
doubles cristallisés, dont l'obtention est quelquefois plus facile que celle des chlorures
doubles, et qui paraissent également plus stables que ces derniers.
V. — L'acide picrique, en solution aqueuse saturée, donne, avec la plupart des alca-
loïdes, des précipités qui se présentent, lorsqu'on les produit dans certaines conditions
assez délicates à réaliser, sous une forme cristalline assez caractéristique pour certains
de ces alcaloïdes. La solution du sel d'alcaloïde doit être diluée au moins à 1 pour 100 et
additionnée de solution picrique en léger excès parce que quelques picrates d'alcaloïdes
sont plus solubles dans la solution saline d'alcaloïde que dans l'eau ou la solution d'acide
picrique. Les précipités, au début, sont toujours amorphes, quelques-uns commencent à
cristalliser presque aussitôt et à la température ambiante, d'autres cristallisent seulement
par évaporation ou lorsqu'on sursature la solution par chauffage. A la température de
100° les précipités se dissolvent plus ou moins complètement suivant la concentration de
la liqueur et, par refroidissement ou évaporation, on obtient à l'état cristallin ceux qui
en sont susceptibles. L'acide picrique permet de subdiviser quelques alcaloïdes en
groupes : ceux qui ne précipitent pas, ou difficilement, dans une solution à 1 ou 2 p. 100
(muscarine, conicine, colchicine, lycoctonine, strophantine, méconine, cubébine, caféine) •
ceux qui précipitent et ne cristallisent pas (narcotine, narcéine, delphine quinine, aco-
nitine, apomorphine, émétine.aspidospermine, curarine, gelsémine, quinidine) ; ceux qui
précipitent et cristallisent (strychnine, brueine, cinchonine, thébaïne, cocaïne, nicotine
atropine, atropidine, papavérine, codéine, morphine, pilocarpine, spartéine, ptomaïnes).
Dans ce dernier groupe, l'aspect et le mode d'assemblage des cristaux sont parfois assez
typiques pour faire soupçonner avec beaucoup de vraisemblance la nature de l'alcaloïde
cherché.
Un grand nombre d'autres réactifs ont été proposés pour précipiter les solutions
plus ou moins étendues des sels d'alcaloïdes ; mais ils répondent plutôt, sauf le tanin
à des réactions spéciales à tel ou tel alcaloïde et ne présentent pas un caractère suffi-
sant de généralité, aussi ne ferai-je que les citer ici. Ce sont : le tanin, le phospho-
tungslale de soude (réactif de Scheibler), l'acide phospho-anlimonique (réactif de
Schulze), l'iodure double de bismuth et de potassium (réactif de Dragendohi'f) l'iodure
double de cadmium et de potassium (réactif de Marmé), l'argento-cyanure de potassium,
le platino-cyanure de potassium, le bichromate de potassium, etc.
B. Réactifs par coloration. — Les réactions par coloration sont très délicates à effectuer
et demandent, pour être faites avec succès, une grande habitude de ce "enre de travail
Il faut être familiarisé à l'avance au moins avec les réactions des principaux alcaloïdes
et opérer toujours comparativement et dans les mêmes conditions. On laisse tomber une
à deux gouttes d'un réactif sur un verre de montre placé sur une feuille de papier blanc
et contenant le résidu de l'évaporation du dissolvant de l'alcaloïde (benzine, chloro-
forme, etc.). La solution doit renfermer l'alcaloïde dans un état de pureté aussi parfait
que possible pour éviter des colorations dues à la présence des matières étrangères. Ces
228 alcaloïdes.
essais doivent être faits à la lumière du jour : il est important d'observer les colorations
à plusieurs reprises et à des intervalles de temps assez considérables.
I. Acide sulfurique imr à 66°. — L'acide employé ne doit pas renfermer de trace
d'acide nitrique.
Curarinc. — Couleur rouge très belle, passant au rouge violet, puis pâlissant après
cinq à six heures.
Émétine. — Coloration brun verdâtre, se produisant très lentement.
Pipérine. — Couleur jaune clair, passant au brun foncé et devenant vert brunâtre
après vingt-quatre heures.
Cuhéhine.- — L'alcaloïde prend une teinte ardoisée; l'acide prend une coloration rouge
carmin persistant pendant vingt-quatre heures.
Berbérine. — Couleur vert olive sale, s'éclaircissant après quinze ou vingt heures.
Aconitinc. — Couleur jaune brunâtre clair, passant au brun rouge violacé, au violet,
puis au brun chevreuil, après vingt-quatre heures.
Vératrlne. — Coloration jaune passant rapidement à l'orangé, puis au rouge sang, et,
au bout d'une demi-heure, au rouge carmin le plus vif et persistant longtemps.
Narcotine. — Coloration jaune clair après quelques instants; rouge à chaud, et passant
au violet à une température d'environ 200°.
Codéine. — Coloration bleue se développant très lentement (souvent au bout de plu-
sieurs jours).
Papavérine. — Coloration bleue ou bleu violacé avec l'alcaloïde du commerce et im-
pur : la papavérine complètement purifiée ne se colore pas.
Thébaîne. — Coloration rouge sang passant à l'orangé.
Narcéine. — Coloration grisâtre passant au rouge sanguin.
Colchicine. — Coloration jaune bouton d'or, persistant longtemps.
Delphine. — Coloration brun rouge clair, persistant longtemps.
Un grand nombre de glucosides sont également colorés par l'acide sulfurique : la
salicine, la populine, la. phloridz,ine se colorent en rouge; la séncgine, la smilacine, l'hes-
périne, la limonine, en jaune rougeâtre ; Id,. syringine ei la Ugustrine, en violet.
Solanine. — Coloration rouge clair, passant au brun clair après vingt heures.
Digitaline. — Coloration brun foncé, puis rouge brunâtre, fonçant après quelques
heures et devenant rouge cerise après quinze heures.
La crocine, matière colorante du safran, passe au bleu indigo foncé sous l'influence
de l'acide sulfurique, l'élatérine, le colocynthine, la convolvuline, la jalapine prennent
des colorations variant du jaune au rouge brun.
La strychnine, la quinine, la quinidine, la brucine, la einchouine, la caféine, la théo-
bromine, l'atropine, la morphine, la nicotine, la conicine, restent tout à fait incolores.
IL Pi.éactif d'ERDjiANN (Acide sulfurique à 66 degrés, 100 grammes, additionnés de 10
gouttes d'une solution aqueuse à 1/2 p. 100 d'acide azotique à l,2o de densité). .— Les
colorations sont les mêmes que celles de l'acide sulfurique pur avec un grand nombre
d'alcaloïdes; seulement les successions de coloration sont, en général, plus rapides et
plus prononcées : la codéine, par exemple, prend beaucoup plus rapidement la colora-
tion bleue.
Brucine. — Coloration rouge devenant rapidement très foncée.
Émétine. — Coloration vert brunâtre, passant au vert, puis à l'orangé.
Chélidoninc. — Coloration verte.
Colchicine. — Coloration bleu violacé, passagère.
111. Réactif de Frôhde (Acide sulfurique concentré pur 100 centimètres cubes, molyb-
date de sodium 10 centigrammes). — Ce réactif donne des colorations remarquables
avec certains alcaloïdes.
Brucine. — Coloration rouge, passant rapidement au jaune, puis décoloration après
vingt-quatre heures.
Quinine. — L'alcaloïde se colore en vert, puis se décolore : la solution devient verte au
bout d'une heure, et cette teinte persiste pendant vingt-quatre heures (même réaction
pour la quinidine).
Pipérine. — Coloration jaune, puis brune, puis noire ; après vingt-quatre heures,
solution brune renfermant un dépôt floconneux.
ALCALOiDES. 229
Émélinc. — Coloration rouge passant rapidement au vert.
Bcrbéi'ine.— Solution vert brunâtre, passant au brun après un quart d'heure, et lais-
sant déposer après vingt-quatre heures un dépôt lloconneux.
Aconitine. — Solution jaune brunâtre qui se décolore.
Vératrine. — Coloration jaune gomme-gutte, passant au rouge-cerise et persistant
pendant vingt-quatre heures.
Morphine. — Coloration violette magnifique : la solution devient verte, puis vert bru-
nâtre, puis jaune et redevient bleu violet après vingt-quatre heures.
Narcotinc. — Coloration verte passant rapidement au vert brunâtre, puis au jaune,
enfin au rouge.
Codéine. — Solution d'un vert sale, devenant ensuite bleu royal; après vingt-quatn;
heures la teinte est devenue jaune.
Papavérine. — Solution verte, passant au violet, puis au rouge cerise.
Thébaine. — Solution orangée se décolorant après vingt-quatre heures.
Narcéine. — Coloration brune passant successivement au vert, au rouge, puis au bleu.
Nicotine. — Coloration jaune, passant à la longue au rouge.
Conicine. — Coloration jaune clair.
Colchîcine. — Coloration vert aunâtre, passant au rouge violet sale, puis redevenant
jaune.
Certains glucosides sont également coiores par le réactif de Frohde.
Solaninc. — Coloration franche rouge cerise, passant au brun rougeâtre, puis au jaune,
et laissant déposer, après vingt-quatre heures, des tlocons noirs nageant dans un liquide vert.
Digitaline. — Coloration orangée foncée, passant rapidement au rouge cerise, puis au
brun foncé après une demi-heure; après vingt-quatre heures solution jaunâtre dans
laquelle nagent des flocons noirs.
Sallcinc. — Coloration violette, passant au rouge cerise longtemps persistant.
Colocynthine. — Coloration rouge cerise, très vive après quelque temps et passant
peu à peu au brun roux.
Phloridzine. — Coloration bleu royal très fugace
Ononine. — Rouge franc; élatérine, jaune, popuUnc, violet, syringinc, rouge de sang
passant au violet.
La strychnine, la cinchonine, la caféine, la théobromine, l'atropiue, ne sont pas
colorées.
VI. Acide azotique pur de densité 1,4. — Il est important que l'acide azotique ait exacte-
ment a densité 1,4 (41". 5 Baume) et qu'il soit exempt de vapeurs nitreuses, sans quoi les
colorations obtenues peuvent être très différentes.
Brucinc. — L'alcaloïde se colore en rouge, se dissout, et la solution prend une teinte
orangée.
Strychnine. — Solution jaune clair, fonçant peu à peu (d'abord rouge, lorsqu'elle ren-
ferme des traces de brucine).
Curarine. — Coloration pourpre
Émétine. — Coloration orangée, passant au jaune clair.
Pipérinc. — L'alcaloïde prend une coloration orangée ; il se dissout lentement et donne
une solution jaune verdàtre.
Cuhébme. — Solution jaune : berhérine, solution orunetrès îoncee
Atropine. — Coloration brune de l'alcaloïde; liquide ihcolore
Aconitine, Vcratrlnu'. — Solution jaune très peu colorée, ne se modifiant pas.
Morphine. — Solution rouge-orangée, s'éclaircissant et passant au jaune clair.
Codéine, thébaine et narcéine. — Solution jaune. — Narcotlne, solution jaune se déco-
lorant peu à peu. — Papavérine, solution jaune passant peu à peu à l'orangé foncé.
Nicotine. — Solution faiblement jaunâtre lorsque l'alcaloïde est en très petite proportion.
En quantité plus considérable, coloration violette, passant au rouge sang, puis décolora-
tion assez rapide.
Conicine. — Solution incolore (jaune, s'il y a une assez forte proportion d'alcaloïdes,
avec l'acide azotique fumant, coloration violet bleuâtre, passant à l'orangé.
Colchiclne. — • Magnifique coloration violet bleu, passant rapidement au violet rouge,
au rouge brun, puis au jaune.
230 ALCALOÏDES.
Solanlne. — Solution incolore, prenant peu à peu une teinte d'un beau bleu.
La quinine, la quinidine, la cinclionine, la caféine, la théobromine, la digitaline, la
delphine ne donnent pas de coloration.
V. Réactif de Mandelis (Solution de vanadate d'ammonium dans l'acide sulfurique). —
Un élève de Dragendorff, M. Mandelin a proposé ce réactif qui donne des réactions
colorées comparables à celles du réactif de Frohde. Ses réactions sont surtout caracté-
ristiques avec les alcaloïdes suivants : aspidospermine, berbérine, gelsémine, narcotine,
solanine, strychnine.
Cette réaction est très délicate, et varie avec la concentration du réactif et le degré
d'hydratation de l'acide.
La solution préparée avec vanadate d'ammonium, 2 grammes, et acide sulfurique à
66° 100 grammes, donne les colorations suivantes :
Aœniline. — Coloration brun clair.
Brucinc. — Coloration rouge jaunâtre, puis orangée, puis décoloration.
Codéine. — Coloration vert bleuâtre avec ime quantité assez considérable d'alcaloïde.
Colchicine. — Coloration bleu verdâtre, puis verte, puis brun violacé.
Morphine. — Coloration rouge violacé.
Narcéine. — Coloration brune, passant au violet, puis à l'orangé.
Narcotine. — Coloration cinabre, passant au rouge brun, puis au rouge carmin.
Solanine. — ■ Coloration orangé jaune, passant au brun, puis au rouge cerise, enfin au
violet après quelques heures.
Strychnine- — Coloration violet bleu, passant au bleu violacé, puis au violet rouge.
Vératrine. — Coloration jaune, passant à l'orangé, puis au rouge carmin, enfin au
rouge pourpre après vingt-quatre heures.
Atropine. — Coloration jaune.
Digitaline. — Coloration rouge brunâtre.
Gelsémine. — Coloration violette intense.
VI. Les solutions de sélénite et de séléniate d'ammonium dans l'acide sulfurique don-
nent également lieu à des colorations avec les alcaloïdes : M. Ph. Lafon a signalé la colo-
ration verte (sensible au dixième de milligramme) que donnent la codéine et la morphine
avec une solution de :
Sélénite d'ammonium 1 gramme.
Acide sulfurique à 66 20 cent, cubes.
Celte coloration se produit également avec le séléniate d'ammonium, mais elle est
plus sensible et plus intense avec le sélénite.
Toutes les réactions, par précipitation et par coloration, qui viennent d'être exposées
ne suffisent pas à elles seules pour caractériser avec certitude un alcaloïde : les réactions
par précipitation sont trop générales, et celles par colorations ne sont pas suffisamment
exclusives pour qu'on puisse les considérer comme indiscutables. De plus, un grand
nombre des substances que l'on est exposé à rencontrer et à isoler, dans les recherches
toxicologiques, donnent des réactions concordant d'une façon plus ou moins complète
avec celles que je viens de passer en revue : il me suffira de citer les peptones naturelles
ou artificielles, des composés amidés ou des alcaloïdes existant normalement dans l'orga-
nisme, tels que la taurine, la créatinine, la lécithine et surtout les ptoniaïnes, pour faire
comprendre avec quelle réserve doivent être acceptées les indications fournies par les
réactifs ci-dessus, et pour justifier ce que j'ai déjà dit, à savoir : que la preuve chimique
doit TOUJOURS être confirmée par la preuve physiologique oa par la détermination de la formule.
Il est quelques rares alcaloïdes dont les réactions chimiques sont assez précises; mais,
dans la grande majorité des cas, il faut chercher à isoler la plus forte quantité possible
de substance, afin de l'étudier en nature, et de pouvoir effectuer, avec le produit purifié,
des expériences physiologiques qui achèvent d'entraîner la certitude. Malheureusement,
en raison de la toxicité considérable d'un grand nombre d'alcaloïdes, ce desideratum
peut être assez rarement réalisé dans les recherches toxicologiques*.
i. Parmi les substances donnant des colorations avec les réactifs généraux des alcaloïdes^ .
figurent dans les tableaux ci-dessus des glucosides et d'autres substances toxiques d'origine végé-
alcaloïdes. 231
Absorption et élimination des alcaloïdes. — Lorsque des alcaloïdes, ou des
préparations dans lesquelles entrent ces composés, sont administrés dans un but théra-
peutique, c'est, en général, par la voie buccale qu'ils sont introduits dans l'organisme.
Depuis quelques années cependant, l'emploi des injections hypodermiques a pris une
assez grande extension; et il faut bien reconnaître que, si ce mode d'administration de
produits médicamenteux toujours fort énergiques offre l'immense avantage de la rapi-
dité pour l'absorption et, par suite, pour l'elfet thérapeutique, en même temps que la
certitude de l'intégralité de cette absorption; d'autre part, l'énergie de presque tous les
alcaloïdes à l'état parfaitement purs est telle que l'emploi de ce procédé devient, sauf dans
quelquescasbien déterminés, vraiment redoutable, surtout si l'on tient compte des suscep-
tibilités individuelles qui se manifesteut parfois avec une intensité tout à fait inattendue.
Par contre, si l'on veut étudier, au point de vue physiologique, ou pour une recher-
che toxicologique, un alcaloïde quelconque, c'est l'injection hypodermique, ou même
dans quelques cas l'injection intra-veineuse qu'il faudra choisir comme voie d'introduc-
tion de la substance dans l'organisme de l'animal soumis à l'expérimentation. Il n'est
donc pas sans intérêt de résumer ce qui est actuellement acquis au sujet de l'absorption
et de l'élimination des alcaloïdes.
L'absorption par la surface gastro-intestinale est éminemment sujette à variations.
Sans tenir compte du degré de dilution, qui a cependant son importance, suivant que
le tube digestif est en état de réplétion ou de vacuité, les solutions introduites dans
l'estomac seront lentement ou rapidement absorbées. De plus, la surface du tube digestif
absorbe moins pendant la digestion: c'est là un fait absolument certain, et que Claude
Bf.r.nard attribuait à une sorte de mouvement de transport des vaisseaux aux organes
abdominaux dans le but de fournir abondamment tous les sucs nécessaires à la digestion,
mouvement contrariant le phénomène d'osmose, en sens inverse, nécessaire pour l'ab-
sorption : il comparait ce qui se produit alors à ce fait que, si l'on excite la sécrétion
d'une glande, on peut impunément y injecter de la strychnine qui n'est pas absorbée;
tandis qu'eu dehors de la période de sécrétion, la strychnine, injectée dans cette même
glande, tue rapidement. La lenteur de l'absorption par le canal alimentaire pendant la
digestion est aisément démontrée à l'aide du curare qui occasionne des accidents d'in-
toxication quand on l'administre, à dose suffisante, à un animal à jeun, tandis que la
même dose, et même une dose plus forte, ne déterminent aucun effet sur un animal eu
pleine digestion. On ne peut donc savoir avec certitude, en introduisant une substance
dans l'estomac, si elle pénétrera dans le sang en quantité suffisante et en un temps
voulu pour pouvoir manifester son action physiologique.
Il faut, en outre, tenir compte delà réaction acide ou alcaline du milieu (estomac ou
intestin) dans lequel la solution d'alcaloïde sera introduite et des déplacements ou doubles
découjpositions qui pourraient alors s'elïectuer. Puis, chaque région de l'appareil diges-
tif n'absorbe pas avec la même énergie. Dans les voies pré-stomacales, bouche, pharynx,
œsophage, l'absorption est à peu prés nulle, à moins que l'on ne réalise un contact
suffisamment prolongé de la solution active avec la muqueuse. Dans l'estomac, l'ab-
sorption s'effectue d'une façon plus efficace, mais c'est surtout grâce à l'acidité du suc
gastrique que l'absorption est préparée et facilitée par une parfaite dissolution du prin-
cipe actif, s'il n'était pas arrivé sous cette forme dans l'estomac. L'absorption dans l'in-
testin grêle est extrêmement rapide; et il est difficile de s'empêcher de voir une relation
de cause à effet entre les altérations anatomiques de la muqueuse de l'intestin grêle,
dans la plupart des cas d'empoisonnement, et l'absorption, à ce niveau, de la subs-
tance toxique. Dans le gros intestin, l'absorption est un peu moins active que dans l'in-
testin grêle, quoique notablement plus accentuée que dans le reste du tube digestif.
La réaction alcaline du suc intestinal doit intervenir ici pour atténuer la toxicité des
alcaloïdes précipitables par les solutions alcalines faibles : mais il peut se faire aussi
qu'une partie de la substance ainsi précipitée séjourne dans le tube digestif et, venant
à se redissoudre dans des conditions convenables, reproduise à plus ou moins longue
échéance les symptômes caractéristiques de son action.
taie (digitaline, par exemple), que l'on est susceptible de rencontrer assez fréquemment dans
une analyse végétale ou toxicologique. Je n'ai pas cru, pour cette raison, devoir les en écarter
232 alcaloïdes.
L'absorption par le tissu cellulaire sous-cutané est beaucoup plus fidèle, en même
temps qu'elle offre l'avantage d'une grande rapidité et de la certitude que toute la sub-
stance active a été absorbée. Les mailles du tissu cellulaire sous-cutané étant en commu-
nication avec les réseaux d'origine des vaisseaux lymphatiques, et en contact direct avec
les vaisseaux capillaires sanguins, quelle que soit la voie par laquelle l'absorption se
produise, elle ne peut manquer de se faire. Il faut toutefois tenir compte encore ici de
quelques circonstances accessoires. Dans certaines régions, ou chez certains animaux, le
tissu cellulaire sous-cutané, plus ou moins chargé de graisse, forme une couche épaisse
dans laquelle l'absorption s'effectue mal et très lentement : c'est à cette propriété que
l'on attribue l'immunité du hérisson contre la morsure des serpents venimeux ; l'absorp-
tion serait suffisamment lente, grâce à l'épaisseur du tissu adipeux, pour que l'élimination
puisse s'effectuer sans permettre l'accumulation dans le sang en quantité suffisante pour
déterminer les accidents toxiques. Chez le chien, le tissu cellulaire sous-cutané est très
dense, très serré; les liquides se diffusent difficilement dans ses mailles; et, pour obte-
nir une absorption rapide, on est obligé d'effectuer les injections sous-cutanées dans le
tissu plus lâche du creux axillaire ou du pli de l'aine.
Magendie pratiquait des injections intra-pleurales dans le but d'obtenir une absorption
très rapide. Les autres séreuses, le péritoine, par exemple, absorbent également les
alcaloïdes avec une grande rapidité.
L'absorption par la peau revêtue de son épiderme est très faible, mais n'est pas nulle
pour les alcaloïdes. L'exemple de la dilatation pupillaire obtenue par simple application
de feuilles de belladone sur la peau intacte suffirait seul à le prouver. Tout naturelle-
ment, cette absorption est d'autant plus facile et plus efficace que l'épiderme est plus
mince, comme le prouvent les faits d'absorption par la peau de l'aisselle, la partie
interne des cuisses. En outre celte absorption plus grande est en relation avec la
richesse des régions en vaisseaux lymphatiques et veineux et en glandes sudoripares
et sébacées. Lorsque l'on détermine une irritation, même légère, de la peau, l'absorp-
tion est encore activée.
La peau, dépouillée de son épiderme, est une voie très active d'absorption, et l'on
en a fait un très fréquent emploi, avant l'usage des injections hypodermiques, pour faire
pénétrer par ce moyen des alcaloïdes dans l'organisme : c'est ainsi qu'après avoir enlevé
l'épiderme à l'aide d'un vésicatoire, on produit l'analgésie en saupoudrant la surface
cutanée avec du chlorhydrate de morphine.
La muqueuse oculaire et celle du conduit auditif ont été également utilisées comme
voie d'absorption des alcaloïdes : la muqueuse oculaire absorbe plus que celle du conduit
auditif.
La muqueuse respiratoire est une remarquable voie d'absorption, non seulement
pour les substances gazeuses, mais même pour les liquides, à la condition qu'ils lui
soient offerts par très petites quantités à la fois. C'est de toutes les muqueuses d'e l'or-
ganisme celle qui est la plus favorable à l'absorption. Gohier a pu faire pénétrer par la
surface pulmonaire jusqu'à .32 litres d'eau chez un 'cheval ; et Coli.n a montré que cette
absorption pouvait s'élever à 6 litres par heure. Ség.\l.\s a pu empoisonner très rapide-
ment des chiens en leur injectant par la trachée 60 grammes d'eau contenant 3 centi-
grammes d'un extrait de noix vomique dont 10 centigrammes administrés par l'estomac
ne produisaient aucun effet, Claude Bernard a montré que des doses très faibles des
alcaloïdes de l'opium, inactives quaud elles étaient injectées dans le tissu cellulaire
sous-cutané, produisaient un effet quand on les introduisait par la surface pulmonaire.
L. JoussET DE Bellesme a appliqué ce procédé à la thérapeutique humaine et en a obtenu
d'excellents résultats. 11 est seulement nécessaire de faire l'injection médicamenteuse
goutte à goutte par la trachée, au-dessous du larynx, de façon à éviter la toux réflexe
produite par l'irritation du nerf laryngé supérieur.
L'absorption par voie d'injection intra-veineuse est la plus rapide, mais aussi la
plus dangereuse et ne peut être utilisée que pour l'expérimentation physiologique : il
faut avoir la précaution d'introduire la solution de substance active sous un volume
réduit et en solution neutre ou faiblement alcaline par une veine des membres inférieurs,
aussi loin que possible du cœur, de façon à ce que le mélange avec la masse sanguine
soit aussi parfait que possible quand le sang arrivera au cœur. Pour certains alcaloïdes
ALCALOÏDES, 233
ou sels peu solubles dans l'eau, on est oblig-é d'employer des solutions hydro-alcooliques
ou des solutions légèrement acides qui peuvent déterminer des phénomènes dont il faut
tenir compte pour ne pas les attribuer faussement à l'alcaloïde.
Nos connaissances relativement à l'élimination des alcaloïdes sont encore l)ien peu
avancées; et il serait désirable que des recherches suivies et de longue haleine fussent
entreprises à ce sujet. Sur la quantité d'alcaloïde introduite dans l'organisme, une
partie se fixe de préférence dans certains organes; une autre est éliminée par les diffé-
rents émonctoires; une troisième est détruite, principalement dans le foie qui joue à
cet égard un rôle particulièrement remarquable. Nous ne savons jusqu'ici rien de
précis, d'appuyé sur des expériences certaines, relativement au mode de localisation et
à l'élimination des alcaloïdes. L'état particulier de l'organisme, au point de vue de sa
normalité absolue, s'il m'est permis de me servir de cette expression, doit évidemment
exercer une influence considérable sur la localisation, la destruction dans l'organisme
et l'élimination des alcaloïdes : je n'en veux pour preuve que ce que nous savons
aujourd'hui de l'élimination des alcaloïdes formés comme produits normaux de la vie
des cellules, somme de connaissances à laquelle j'ai contribué pour ma part depuis mes
premières recherches de 4879 et 1880. De plus, l'élimination doit certainement différer
suivant que la close d'alcaloïde absorbée est une dose thérapeutique ou toxique : dans
beaucoup de cas, en eiïet, l'un des premiers résultais des doses toxiques est d'enrayer
l'éliminalion et de suspendre le pouvoir destructeur, ou, pour mieux dire, anti-toxique,
du foie. Un certain nombre de causes extérieures, température, saison, etc., viennent
encore exercer ici leur influence; et il serait vraiment prématuré de vouloir, actuelle-
ment, tracer un tableau, prétendant à être exact, des lois qui président à l'élimination
des alcaloïdes.
Classification des alcaloïdes. — ■ Une classification rationnelle des alcaloïdes est
encore actuellement impossible. Que l'on se place au point de vue de leur constitution
chimique ou de leur action physiologique, l'état de la science est insuffisamment avancé
pour qu'il soit permis de tenter un essai de classification dont les progrès réalisables
demain viendraient démontrer l'inanité.
Au point de vue de la constitution chimique, les alcaloïdes peuvent se rattacher
actuellement à trois grands groupes : les ammoniaques composées; les bases des séries
pyridique et quinoléique, ce groupe paraissant de beaucoup le plus important; les
kétines et composés homologues.
Au point de vue de l'action physiologique, on ne peut que tenir compte des propriétés
les plus saillantes, actuellement bien connues, de chaque alcaloïde; et, en dehors de
quelques groupes plus ou moins nettement délimités, narcotiques, défervescents, my-
driatiques, on retombe dans les classifications vagues en stupéfiants, hyposthénisants,
névrostiiéniques, musculaires, etc., qui ne présentent vraiment aucun avantage, et dans
plusieurs desquelles un même alcaloïde peut rentrer à juste titre.
Les progrès réalisés depuis plusieurs années dans l'étude de la constitution chimique
de quelques alcaloïdes permettent d'espérer que l'on pourra arriver un jour, non seu-
lement à être fixé définitivement sur leur constitution moléculaire, mais encore à saisir
des liens entre cette constitution moléculaire et leur action physiologique dominante :
c'est ainsi que les dérivés oxyhydro-méthylés de la quinoléine possèdent des propriétés
antithermiques qui se retrouvent dans la quinine dont la constitution se rapproche de
celle de la kairine et de la thalline. La conicine, qui est une pentahydrdisopropylpyri-
dine, se rapproche par la plupart de ses. propriétés physiologiques des bases de la série
pyridique.
Toutefois, comme il importe, ne serait-ce que pour en faciliter l'étude et eu per-
mettre la distinction, de dresser une sorte de table des matières des alcaloïdes, la clas-
sification qui me paraît la plus convenable, parce qu'elle ne préjuge en rien des pro-
priétés physiologiques et qu'elle réserve les découvertes à venir, est celle que l'on
adopte le plus communément en rangeant ces alcaloides d'après la classification
adoptée pour les familles de plantes, s'il s'agit d'alcaloïdes végétaux, dans les groupes
des ammoniaques composées, des bases pyridiques et quinoléiques, des kétines, s'il
s'agit d'alcaloïdes d'autre provenance.
GABRIEL POUCHET.
234 ALCAPTONE. — ALCOOLS.
ALCAPTONE. — Nom donné par Bœdecker (Z. fur rat. Med., 18o9, et Ann.
d.Ch. u. Ph., 1861) à une substance jaune amorphe, insipide, extraite d'une urine mor-
bide. Elle parait se rapprocher des sucres, mais ne fermente pas.
ALCOOLS. — L'étude des alcools, au point de vue physiologique, comprend
deux chapitres : 1° production des alcools par les êtres vivants (V. plus loin, Fermen-
tation alcoolique); 2° action des alcools sur les êtres vivants.
Les alcools qui intéressent le physiologiste se divisent en plusieurs groupes : leurs
caractères chimiques sont décrits dans les ouvrages spéciaux.
L — Alcools monovalents : éthylique, propylique, amylique, etc. (en général produits
par fermentation); A. myricique (cire animale); A. cérylique (cire végétale); camphre
de Bornéo {Dryobalanops camphora).
IL — Alcools bivalents : cholestérine (bile, sang, légumineuses).
IIL — Alcools irivalents : glycérine (corps gras animaux et végétaux).
IV. — Alcools tétravalents : érythrite.
V. — Alcools pentatomiques ou hexatomiques (glycose, lévulose, inosite, saccharose,
dextrine, cellulose, amidon animal ou glycogène).
VL — Phénols et composés aromatiques.
11 ne sera question dans cet article que de l'action physiologique des alcools par fer-
mentation, dont le type est l'alcool éthylique C-H^ OH (Pour les autres voy. Choles-
térine, Glycérine, etc.).
Par leur action sur les êtres vivants, ces alcools se rapprochent beaucoup d'une quan-
tité d'autres liquides organicjues neutres, dont la composition et les fonctions chimiques
sont fort dilîérenles, tels que l'éther ordinaire, beaucoup d'éthers composés, certaines
aldéhydes, des essences, des produits chlorés ou sulfurés du carbone, des carbures d'hy-
drogène, etc. Tous ces produits, si différents par leur composition et par leur structure
moléculaire n'en possèdent pas moins un certain nombre de propriétés physiques et
organoleptiques qui leur donnent, en dehors même de leur analogie d'action physio-
logique, comme un air de famille. Ils sont incolores et odorants, possèdent une saveur
piquante, et produisent, quand on les applique sur la peau privée d'épithéliura, une sen-
sation de chaleur plus ou moins brûlante. Ce sont des liquides mobiles, volatils, doués,
en général, d'une tension de vapeur d'autant plus grande et d'une solubilité dans l'eau
d'autant plus faible qu'ils sont plus toxiques. Leur chaleur spécifique est de beaucoup
inférieure à celle de l'eau, ils sont dysosmotiques, c'est-à-dire qu'ils traversent diffici-
lement les membranes organisées. Cependant, mis en présence de gelées colloïdales,
comme l'hydrate d'alumine gélatineuse, par exemple, ils peuvent se substituer à l'eau
sans que la forme et l'apparence soient altérées. S'il s'agit des alcools, une petite quan-
tité de ceux-ci suffira pour chasser d'un colloïde hydraté (hydrogèle de Graham) une
forte proportion d'eau et donner un nouveau composé encore gélatineux, mais nloins
hydraté (alcoogèle de Ghaham). Inversement, une grande masse d'eau pourra permettie
l'élimination de l'alcool et reconstituer l'hydrogèle. Tous ces corps forment la classe des
Anesthésiques généraux (V'oyez ce mot).
Action physiologique générale de l'alcool éthylique. — Dans un liquide fortement
sucré, au sein duquel s'opère la fermentation alcoolique, on voit celle-ci marcher avec
rapidité, si la température est convenable, mais, dès que le milieu contient 10 à 12 p. 100
d'alcool, elle se ralentit pour s'arrêter quand la proportion d'alcool formé a atteint
20 p. 100. La levure subit diverses modifications et tombe inerte au fond du vase. On
pourrait croire qu'elle est tuée, pourtant il n'en est rien, car il suffit de rajouter à la
liqueur une certaine proportion d'eau pour que la fermentation recommence, sans addi-
tion de ferment nouveau. Celui-ci était en état de vie latente, anesthésié par l'alcool.
Cette quantité de 20 p. 100 d'alcool est d'ailleurs celle que les industriels considèrent
comme nécessaire pour empêcher que la levure de conserve soit envahie par les moisis-
sures.
La germination des graines, comme celle des spores, est empêchée par l'alcool, ce
qui explique le pouvoir antiseptique temporaire de cet agent. L'alcool agit sur tous les
protoplasmes à la manière des anesthésiques généraux : il paralyse l'irritabilité, la sen-
sibilité, la contractilité, l'activité des ferments. Sous son action, les mouvements ami-
ALCOOLS. 235
boïdes sont suspendus, comme ceux des cils vibratiles, des spermatozoïdes, etc. Lorsqu'il
est concentré, il peut produire certains changements de coloration des tissus. En immer-
geant dans l'alcool concentré des carapaces fraîches d'écrevisse, on les voit devenir
rouges, comme si elles avaient été cuites.
Tous ces eflets tiennent à ce que l'alcool est un agent déshydratant du protoplasme,
et que la spore ou la graine ne peuvent germer, et le protoplasme fonctionner qu'à
la condition de contenir une certaine quantité d'eau.
Cette eau de constitution physiologique est plus nécessaire encore que l'oxygène, car
ce dernier en présence du protoplasme sec ne (leut le ranimer (R. Dubois, Action des
liquides organiques neutres sur la substance organisée, B. B., 1884). D'ailleurs, si on exagère
la proportion d'eau, en comprimant des tissus à plusieurs centaines d'atmosphères, on
obtient une surhydratation du protoplasme présentant quelques analogies avec la déshy-
dratation, au point de vue de ses efï'ets physiologiques; il est donc nécessaire que le
protoplasme contienne une proportion déterminée d'eau.
Action physiologique de l'alcool sur les mammifères. — Absorption. — L'al-
cool éthylique peut être absorbé rapidement par le poumon, soit à l'état de vapeurs,
soit en injection dans la trachée : il l'est également par la surface des plaies et par les
muqueuses, mais son absorption par la peau intacte est douteuse.
Pour l'expérimentation, on peut le faire pénétrer dans l'organisme par injection dans
les veines, s'il est assez dilué, ou bien dans le tissu sous-cutané : le pli de l'aine est, dans
ce cas, le lieu d'élection ; il provoque parfois des eschares, s'il est trop concentré. Son
absorption est assez rapide par l'estomac, mais il y subit des modifications. On se sert
avec avantage de la sonde œsophagienne pour le faire absorber par cette voie chez le
chien.
Digestion. — L'alcool produit sur toutes les muqueuses et en particulier sur celle
des voies digestives, comme sur la peau dénudée de son épidémie, une sensation de cha-
leur, d'autant plus brûlante qu'il est moins dilué. Celle-ci doit être attribuée : 1° au
mélange de l'alcool avec l'eau, s'il est concentré; 2° à son action excitante particulière
sur les terminaisons nerveuses sensitives; 3° à l'hypersécrétion glandulaire, qui s'accom-
pagne de production de chaleur. La circulation locale est modifiée : il y a d'abord une
vaso-constriction suivie d'une vaso-dilatation des capillaires. L'irritation de la muqueuse
buccale et de la langue produit par action réflexe une salivation plus ou moins abon-
dante. On n'observe d'hyperémie à la face interne de l'œsophage chez le chien qu'après
l'absorption d'une assez forte proportion d'alcool à 45 p. 100.
A dose modérée, l'eau-de-vie, introduite dans un estomac vide y séjourne assez long-
temps pour congestionner la muqueuse de cet organe, exciter ses contractions et aug-
menter la sécrétion du suc gastrique au début. Mais, d'après Bughner et Schellh.\as, l'ac-
tion de l'alcool est nuisible à la digestion à 20 p. 100; selon Schutz [Cent. f. Klin. 188a,
p. 163), la peptonisation est déjà ralentie à 2 p. fOO; à 10 p. 100, le ralentissement est
grand; à la p. 100, il y a seulement des traces de peptones. Une solution fortement
alcoolique, de même qu'une solution concentrée de chlorure de sodium, provoque seule-
ment dans l'estomac la sécrétion d'un liquide neutre, ou faiblement alcalin, albumineux.
Chez les animaux intoxiqués par l'alcool concentré, on trouve des ecchymoses plus ou
moins larges, surtout vers la partie pylorique. Les vaisseaux du chorion de la muqueuse
sont plus ou moins dilatés par le sang : on voit de nombreux globules rouges autour
de ces vaisseaux et dans les mailles du tissu conjonctif. Les hémorrhagies capillaires
que l'on observe sous la portion tubuleuse de la muqueuse gastrique sont le résultat
d'embolies capillaires provoquées par la coagulation du sang au contact direct avec
l'alcool.
Les tubes sécréteurs de la muqueuse renferment une grande quantité de cellules à
mucus, parmi lesquelles on n'en distingue aucune à pepsine. Les glandes muqueuses sont
rélrécies vers l'orifice et forment des culs-de-sac dilatés et gorgés de cellules sans noyaux.
La surface de la muqueuse contient une couche épaisse de mucus coagulé (J. J.^.illet.
De l'alcool, sa combustion physiologique, son antidote. D. P., 1884).
L'absorption répétée d'eau-de-vie provoque de la congestion, puis de l'inflammation
de la muqueuse : celle-ci sécrète une abondante quantité de mucus. Au travail inUamma-
toire succède un épaississement, uneinduration de la muqueuse, qui devient exsangue, et
236 ALCOOLS.
l'estomac perd sa contraolilité; ultérieurement surviennent des ulcérations plus ou moins
profondes, dont les caractères intéressent particulièrement les pathologistes.
Ce qu'il importe de remarquer, c'est que, dans l'empoisonnement aigu, comme dans
l'empoisonnement chronique, il s'accumule dans l'estomac une assez grande quantité
de liquide aqueux, comme cela arrive dans l'anesthésie par l'éther ou le chloroforme.
C'est ce liquide qui, expulsé par le vomissement, constitue la gastrorrhée ou pituite des
buveurs.
On a constaté également dans l'intoxication aigué de la congestion et même des
ecchymoses dans l'intestin grêle. Claude Bernard a vu que la sécrétion pancréatique
pouvait être suspendue par l'action de l'alcool ingéré.
D'après quelques auteurs, une certaine quantité d'alcool serait absorbée par l'intestin,
mais la plus grande partie passerait de l'estomac dans la circulation. Toutefois, ce n'est
pas la totalité de l'alcool ingéré qui pénètre dans l'économie : une partie subit dans l'es-
tomac une véritable digestion, qui le transforme en acide acétique et en acétates. Cette
transformation est d'autant plus grande que l'alcool est plus dilué, elle est faible lors-
que l'alcool est très concentré. Les substances alcalines l'entravent, et c'est pour cette
raison que certaines personnes prétendent que l'eau de Vichy, mélangée au vin, favorise
l'ivresse (Dubois); sa dilution avec de l'eau pure diminue son activité toxique en favori-
sant sa transformation en acétates.
Circulation et sang. — L'alcool coagule le sang iîi vitro, comme dans les vaisseaux
quand la concentration est suffisante, et lui communique alors une coloration noirâtre.
Ajouté en assez forte proportion au sang, il provoque la séparation de l'hémoglobine des
hématies : on a prétendu que dans l'alcoolisme aigu le volume de ces éléments pouvait
être diminué, ou bien au contraire accru, ce qui n'est pas exact; mais leur nombre aug-
mente, ainsi que la proportion d'hémoglobinp, ce qui prouve qu'il 5' a concentration du
sérum. Dans l'ivresse confirmée, le sang renferme beaucoup d'acide carbonique et son
pouvoir respiratoire est amoindri : il se charge aussi de globules graisseux.
D'après Becker {Franck's Magaùne, t. iv,^p. 762) l'alcool cimenterait en quelque sorte
l'oxygène et le globule; pour d'autres, il paralyserait, seulement leur action.
L. Lallemand, PERRiwet DuaoY {Durùle de l'alcool et des anesthésiques' dans Vorgumsme.
Paris, 1800) ont nié toute oxydation intra-organique de l'alcool et soutenu que sou
élimination se faisait en nature et très rapidement, en vingt-quatre heures au moins
ils n'ont pas pu constater dans le sang les produits intermédiaires d'oxydation, ni
aldéhyde, ni paraldéhyde, ni acétates. D'après Jailliet, et d'autres expérimentateurs,
l'alcool est brûlé dans le sang lui-même en fournissant de l'acide carbonique. Cette
oxydation de l'alcool n'est pas directe ; selon Jaillet (toc. cit.), il se forme d'abord de
l'acide acétique dans le globule rouge, mais il y est rapidement brûlé : une petite quan-
tité d'alcool ajoutée à du sang in vitro pourrait être rapidement transformée en acétate.
La formation possible de l'aldéhyde ne saurait être mise en doute : l'odorat pernir^t de
reconnaître sa présence dans l'air expiré par certains buveurs d'eau-de-vie. En tous cas,
une notable proportion d'alcool échappe à l'action du sang : on en a retiré du cerveau
et du foie principalement, ainsi que des reins et de la rate des animaux alcoolisés; on l'a
retrouvé en nature dans les excrétions, comme nous le verrons plus loin.
Au début de l'ivresse, il y a augmentation de la rapidité du pouls, puis ralentissement,
et le cœur, comme avec l'éther et lé chloroforme, reste toujours Vultimum moriens.
Le cours du sang est ralenti. Herixg, ayant introduit du prussiale de potasse dans la
jugulaire du cheval, reconnut que cette substance traversait tout le trajet circulatoire en
23 ou 30 secondes, tandis qu'elle n'apparaissait dans le bout supérieur de la jugulaire
qu'au bout de 40 à 43 secondes, quand on avait préalablement injecté dans le sang une
certaine quantité d'alcool.
A. Samsox, en examinant une patte de grenouille au microscope, a remarqué que
l'alcool augmentait d'abord l'afflux sanguin, pour le ralentir enspite.
A. Marvaud [L'alcool, sonaction plvjf.ioloi;jique, son utilité et ses applications en hygiène
et en thérapeutique. Paris, 1872) a étudié chez l'homme, au moyen du sphygmographe,
l'influence de l'eau-de-vie à la dose de 20, 30, 30 grammes. 11 a trouvé une diminution de
la tension artérielle se révélant dans chaque pulsation par une ligne ascendante pres-
que verticale, par une ligne descendante plus oblique et plus allongée, -souvent en zig-
ALCOOLS. 337
zags et formant une ligne brisée plus ou moins irrégulière, enfin par le sommet de la
courbe, qui devient plus aigu. Il a constaté la fréquence, puis le ralentissement des
battements du cœur.
Au moyen du kymographion mis en communication avec la carotide, H. Zimmerberg
{Recherches sur l'influence de l'alcool sur l'activité cardiaque. Diss. inaug. Dorpat, 1869) a
reconnu un abaissement considérable de la pression sanguine (15 à 19 p. 100) et, entre
autres phe'nomènes, une diminution des contractions du cœur. D'après le même auteur,
le ralentissement et l'affaiblissement du cœur par l'alcool tiennent principalement à
l'excitation des exti'émités centrales des nerfs vagues, car leur section ramène la pression
sanguine à l'état normal. L'alcool agit aussi directement sur le tissu du cœur.
Respiration. — Après l'absorption de notables quantités d'alcool, la respiration
augmente de fréquence, tout en restant régulière; mais au bout de quelque temps elle
s'embarrasse, devient difficile, saccadée, stertoreuse, puis les mouvements respiratoires
diminuent de fréquence et devieiment très lents. Chez le chien, la respiration thoracique
est d'abord amplifiée, et bientôt elle diminue, pour faire place, dans l'ivresse confirmée, à
la respiration diaphragmatique. De nouvelles recherches sur les échanges respiratoires
paraissent indiquées. Lallemand, Perrin, Duroy, et plus tard V. Boeck et Hauer, ont sou-
tenu qu'à des doses modérées l'alcool diminuait à la fois l'absorption de l'oxygène et
l'élimination de l'acide carbonique. Gonz et Geppert [in Referai de Binz au Congrès de
Wiesbadcn, 1888, Centr. f. Klin. Med., t. 27) n'ont pas observé d'action appréciable sur
la proportion de l'oxygène fixé. Henri.iean (R. S. i1/.,t. sxiv, p. 437, 1884) et Jaillet affir-
ment que l'alcool élève la consommation de l'oxygène.
Excrétion. — Une certaine quantité de l'alcool absorbé est éliminée par le poumon
et par le rein, environ b p. 100, et même 3 p. 100 seulement d'après Boïlaxder. Binz a
donné les chiffres suivants : rein : 2,91 p. 100; poumon : 1,60 p. 100; peau :0,14 p. 100.
Il n'y aurait pas d'élimination par l'intestin.
Température. — Outre la sensation que produit l'eau-de-vie sur les muqueuses avec
lesquelles elle est en contact, on éprouve, quelques instants après son ingestion, un
réchauffement des téguments qui s'accompagne de rubéfaction de la peau, surtout au
visage. Cette sensation de chaleur serait due, d'après Schmiedebehg, à une vaso-dilata-
tion paralytique des constricteurs, et, pour Bmz, à une excitation vaso-dilatatrice. Quoi
qu'il en soit, le rayonnement est augmenté et l'ivrogne se refroidit, alors qu'il croit se
réchauffer. Cette illusion est encore accrue, à une autre période, par ce fait que l'alcool
émousse la sensibilité thermique, comme la sensibilité tactile, et que l'individu alcoolisé
ne cherche pas à se soustraire ou à réagir contre un froid extérieur qu'il ne sent pas.
C'est une double cause des morts fréquentes chez les ivrognes.
Mais alors même que le buveur n'est pas soumis aux causes ordinaires de refroidisse-
ment, la température de l'alcoolisé s'abaisse très rapidement de 0°,!i à 1°. Chez une
vieille femme, en état d'ivresse confirmée, on a vu la température vaginale descendre
jusqu'à 26°, et ne se relever que peu à peu dans l'espace de cinq heures jusqu'à
36°, au fur et à mesure que se faisait l'élimination de l'alcool. Des abaissements de
température de cette nature ont été maintes fois constatés chez le chien. Ces faits
constituent un argument puissant en faveur de l'opinion de ceux qui pensent que l'ac-
tion toxique de l'alcool séjournant en nature dans le sang et dans tous les tissus, mais
principalement dans le foie et le cerveau, est un ralentissement de la nutrition. Dès 1870,
j'ai rapproché l'action de l'alcool sur les éléments de nos tissus de celle qu'il exerce sur
la levure de bière [Sur le mode d'action physiologique de l'alcool, B.B., 1870, p. 6), et
montré qu'il agit en vertu de son pouvoir exosmotique comme un déshydratant énergique
de la cellule. Ultérieurement, j'ai rapproché plus exactement son action sur le protoplasme,
de celle qu'il exerce sur les colloïdes hydrogèles en les transformant en alcoogèles, avec
élimination d'une assez forte proportion d'eau [Action des liquides organiques neutres sur
la substance organisée. B. B., 1884, et. De la déshydratation des tissus par les vapeurs de
chloroforme, d'éther, d'alcool. B. B., 1884). Le ralentissement des phénomènes de nutrition
qui accompagne toujours la perte de l'eau normale du protoplasme, au point de produire
l'état de vie latente comme dans la graine, le rotifère et l'anguillule du blé niellé dessé-
chés, ou bien encore dans la levure alcoolisée, n'est pas compensé par les oxydations que
peut subir l'alcool dans l'organisme et leur action sur la chaleur animale : l'abaissement
238 ALCOOLS.
constant de la température centrale le prouve surabondamment. La chaleur animale
n'est que la résultante d'une foule de réactions, les unes exothermiques, comme les oxy-
dations, les autres endothermiques comme les désh^'dratations : elles peuvent se pro-
duire simultanément et l'équilibre de la température du corps résulte seulement des diffé-
rences de la chaleur qu'elles dégagent avec celle qu'elles absorbent.
Le résultat de la déshydratation des protoplasmes se traduit par une diurèse constatée
par tous les observateurs, par des hypersécrétions salivaires ou stomacales et quelquefois
par des sueurs profuses, de la diarrhée, etc. Personne n'ignore avec quelle énergie l'or-
ganisme réclame de l'eau, après un excès d'alcool et l'état de sécheresse excessive de la
langue est le meilleur signe du dessèchement général de tout le corps.
Cette action déshydratante des alcools a été mise à profit par l'auteur de cet article
pour obtenir une momiflcation du corps humain à l'air libre et à la température ordi-
naire. L'injection interstitielle et intracavitaire d'alcool amylique constitue un procédé
d'embaumement très pratique ne nécessitant aucun délabrement du sujet et aucun
outillage spécial {Mém. présenté pm- M. Brouabdel àl'Acad. de méd., 1891. — Étude histo-
rique et critique des embaumements avec description d'une nouvelle méthode par Parcelly,
Thèse, Lyon, 1891). Pour H. Soulier (Traife de thérapeutique et de pharmacologie, 1. 1, 1891 ,
Paris), il n'y a pas de contradiction entre l'action antithermique de l'alcool et son oxy-
dation intra-organique : s'il n'augmente pas la quantité d'oxygène absorbé, il est seule-
ment brûlé à la place des graisses et joue ainsi le rôle d'épargne des réserves d'aliments
respiratoires : le même auteur admet une action hypothermisante sur le système nerveux
central. Dujardin-Baumetz et Jaillet supposent que l'effet paralysant s'exerce sur l'hé-
matie, considérée comme agent principal de l'hématose. Dans le cas où il y aurait un peu
plus d'oxygène absorbé, l'hypothermie alcoolique devrait être comme la résultante de
deux facteurs, agissant en sens contraire, le facteur hypo thermique l'emportant sur le fac-
teur comburant.
On voit tout de suite combien ces interprétations sont vagues, et combien il est plus
rationnel de s'adresser à la physiologie générale pour avoir l'explication du phénomène
de ralentissement de la nutrition, qui ne peut être mis en doute. Celui-ci n'est pas seule-
ment rendu évident pajr l'abaissement de la température, le sommeil et l'inertie dans
lesquels tombent les individus fortement alcoolisés, mais encore par la diminution de
l'urée et de l'acide urique, ainsi que des autres produits de désassimilation contenus dans
les urines (Marvaud). Quant à- la formation de la graisse dans le sang ou les tissus,
elle ne peut pas plus être attribuée à l'action nutritive de l'alcool que la stéatose pro-
duite par le phosphore ou l'arsenic.
Système nerveux. — D'après Claude Bernard l'ivresse tient à la présence de l'alcool dans
le sang et à son action directe sur l'élément nerveux, mais il faut tenir compte cepen-
dant de l'état de la circulation cérébrale, dont les modifications sont des accidents qui
accompagnent l'ivresse, sans constituer son essence (Rev. d. cours scientifiques, i 869. p. 334).
Au début, il y a hyperhémie du cerveau, réplétion sanguine des sinus, congestion de la
pie-mère : dans l'ivresse confirmée, avec la résolution musculaire, apparaît l'anémie et
l'affaissement du cerveau : ses battements ne sont plus appréciables. L'extrémité cen-
trale du nerf sensitif est d'abord atteinte, puis la motricité est abolie, et enfin le pouvoir
excito-moteur de la moelle. Les nerfs sont affectés en même temps que la partie des cen-
tres nerveux d'où ils émanent; tous restent excitables [sous l'influence de l'électricité :
ce n'est qu'en dernier lieu qu« l'alcool agit sur le bulbe (Claude Bernard).
Des diverses formes de raleoolisme. — La plupart des phénomènes qui viennent
d'être décrits appartiennent à l'intoxication aiguë, la seule qui ait été bien étudiée expé-
rimentalement. L'alcoolisme aigu comprend trois phases parfaitement distinctes : 1° une
période d'agitation, improprement appelée période d'excitation; 2° une période de résolu-
tion et de sommeil; 3° une période syncopale ou algide. Cette dernière, ordinairement
mortelle, est peu connue. L'abus longtemps continué de l'alcool engendre l'alcoolisme
chronique, dont les désordres sont bien différents de ceux de l'alcoolisme aigu. Je signa-
lerai encore une troisième catégorie de troubles résultant indirectement de l'abus de
l'alcool. Cette troisième forme est, en général, sous le nom de delirium tremens, con-
fondue tantôt avec l'alcoolisme suraigu, tantôt avec l'alcoolisme chronique, bien que tout
à fait distincte par sa nature et par ses symptômes.
ALCOOLS. 239
Comme tous les poisons généraux, l'alcool entrave d'abord le fonctionnement des
parties occupant le premier rang dans la hiérarchie organique; puis il en descend succes-
sivement tous les échelons. La nutrition, dans les organes, étant en rapport avec leur
importance fonctionnelle, il n'est pas surprenant que ce soient surtout les tissus à nutri-
tion rapide qui souffrent d'abord du contact d'un corps exosmotique et déshydratant.
Dans la première période de l'alcoolisme aigu, ce qui disparait d'abord, c'est la fonction
psychique qui se développe en dernier lieu chez l'enfant, c'est-à-dire la réserve, la dissi-
mulation, le voile qui cache la véritable personnalité : d'oii il semble résulter que nos
facultés supérieures sont surtout employées à masquer la nature du caractère. Au pro-
verbe qui dit que « la vérité sort de la bouche des enfants » correspond l'adage : In vino
Veritas.
Au début de l'ivresse, les idées se présentent avec une abondance, une facilité inaccou-
tumées, la parole est plus libre, le langage plus persuasif: on devient expansif, confiant;
le monde parait meilleur; tout ce qui nous entoure semble plein d'attraits, les soucis
s'évanouissent, et les mauvais souvenirs d'un funeste passé fontplace aux rêves dorés de
l'avenir; l'œil s'allume, le visage s'anime, se colore légèrement; la physionomie devient
plus expressive, s'illumine ; un bien-être général s'empare de tout notre être, tandis qu'une
douce chaleur se répand dans nos veines : on croit que la puissance physique, comme
la puissance intellectuelle, s'accroît, alors que l'on est seulement moins méfiant, plus auda-
cieux et plus naturel à la fois : c'est à ce moment que le poète ou le musicien, donnant
libre carrière à son génie, pourra produire ses œuvres les plus vigoureuses, les plus
originales. On a connu en France, en Angleterre, en Allemagne, des poètes illustres dont
la muse ne se décidait à chanter qu'à l'aurore de l'ivresse.
Ce n'est pas le breuvage enivrant qui fait le génie, il le débarrasse seulement de ses
entraves ou de ses voiles; mais il en est de même pour la sottise, et un sot ivre est dou-
blement sot : il fait souvent parler ceux qui auraient intérêt à se taire, et ce n'était pas
sans raison que Sganarelle ordonnait de faire prendre à la fille de Géronte quantité de
pain trempé dans du vin, sous prétexte que c'était la meilleure manière de faire parler
les perroquets.
Avec un verre d'eau-de-vie, on se sent plus fort, plus courageux, et le fantassin
médiocre peut un instant se croire un marcheui' infatigable; après une heure de
marche, l'illusion s'évanouit, et le fanfaron qui trouvait que l'on marchait trop lentement
au départ devient bien souvent un traînard. On peut faire la même observation à propos
de son action sur le sens génésique : les désirs sont surexcités en même temps que la
faculté du coït est diminuée. Le vin, suivant l'expression du portier de Shakespeare dans
Macbeth, est un maître d'équivoque : « Il cause la volupté et la détruit; il l'aiguillonne,
et puis l'arrête en chemin; il l'excite, et puis la décourage. »
L'ivresse a une action marquée sur les produits de la conception : les êtres conçus
pendant l'alcoolisme aigu sont souvent des dégénérés : Féré a démontré dans ces temps
derniers que les vapeurs d'alcools agissant sur les œufs pendant d'incubation produisaient
des monstres {B. B, 1894, passiîii).
La soif vient en buvant, et on lui obéit d'autant plus facilement qu'elle se montre
quand déjà la réflexion s'est assoupie, que la conscience sommeille.
Le tableau s'assombrit : c'est à son tour l'intelligence qui pâlit. Les idées, si nettes
d'abord, deviennent plus confuses, dissociées, incomplètes; puis elles sont emportées
dans un vertigineux tourbillon qui va se perdre dans le chaos. Le niveau continue à
baisser : la mémoire fait défaut; le buveur n'a pas achevé la phrase commencée qu'il en a
déjà oublié les premiers mots; il ne répond plus à ce qu'on lui dit ou répond à ce qu'on
ne lui dit pas; il se trompe sur le sens ou la valeur des expressions, prend des compli-
ments pour des injures, et les insultes pour des gracieusetés. Il rit, chante, pleure ou
cherche querelle; se montre conciliant, tendre ou impitoyable, selon que le fond de son
caractère, dont il ne cherche plus à masquer les imperfections, est gai, triste, sensible
ou dur.
L'ombre envahit de plus en plus son cerveau, la vue s'obscurcit, les sons frappent en
vain son oreille et restent sans écho : il en est de même des autres sens.
Toutes les facultés psychiques se sont éteintes les unes après les autres par ordre d'im-
portance : la perte de la prévoyance, la dissociation des idées, les erreurs de jugement,
UQ ALCOOLS.
les illusions, la privation de la mémoire et de la conscience, tels sont les premiers résultats
les plus évidents de l'action de l'alcool sur l'organisme et plus particulièrement sur le
cerveau .
Après le cerveau, c'est le cervelet, puis la moelle; l'ivrogne veut marcher : ses mouve-
ments ne sont plus coordonnés, mais incohérents comme ses idées; il décrit les courbes
les plus capricieuses, trébuche, tombe, se relève pour tomber encore : s'il veut frapper,
le plus souvent il manque son but et s'agite dans le vide : en tous cas le danger n'est
pas grand, car il est déjà sous la protection du dieu des ivrognes, c'est-à-dire de l'inertie,
vers laquelle il tend de plus en plus.
Ace moment, souvent plus tôt, apparaissent les symptômes ordinaires des intoxications
aiguës : nausées, vomissements, pàlnur, sueurs abondantes, refroidissement. Enfin, si la
dose d'alcool a été assez forte, un lourd sommeil s'abat sur le corps, brisé par la fatigue, qui
tombe inerte là où il se trouve, sans conscience du danger, sans notion du froid extérieur,
qui devient souvent alors une cause de mort.
L'homme sort de ce sommeil de plomb, hébété, plein de dégoût, accablé de fatigue;
il ne sait où poser sa tète appesantie, douloureuse, et cherche en vain à arracher quelque
souvenir à son cerveau engourdi. Une soif ardente, qui lui brûle la gorge, témoigne
assez de l'état de déshydratation des tissus. Ces S3'mptômes appartiennent à la période
de Vairoolismc aiiju en retour, c'est-à-dire à la désintoxication brusque ; alors souvent,
pour obtenir un soulagement, le buveur applique le principe de l'Ecole de Salerne :
Sî nocturna tibi noccat potatio vint, hoc ter iteimm bibes, et fiterit medicina. Aussi fréquem-
ment celui qui a bu la veille boira le lendemain, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il roule
dansl'abime de l'alcoolisme chronique.
On pourrait décrire, en outre, une grande quantité de vai'iétès d'ivresse, tenant soit à
la nature des alcools ingérés, soit à l'état de dilution de ces alcools, ou aux conditions
dans lesquelles ils ont été absorbés, et surtout aux substances : essences, produits aro-
matiques, amers, etc., avec lesquelles on les mélange pour les offrir à la consommation.
Les buveurs d'alcool éthylique pur ou d'eau-de-vie de vin sont aussi rares que l'exis-
tence de ces produits dans le commerce ; de sorte que ce qu'on décrit d'ordinaire sous le
nom d'alcoolisme chronique n'est qu'une foule de désordres dans lesquels l'action de l'alcool
domine sans doute, mais qui appartiennent surtout à la catégorie des empoisonnements
mixtes. Aussi insisterons-nous d'autant moins sur cette forme, que les faits expérimentaux
font presque complètement défaut.
Chez certains individus, particulièrement ceux qui sont nés de parents alcooliques,
ce qui n'était qu'un plaisir devient un besoin. L'organisme, qui au début avait fait des
efforts pour repousser son ennemi, se résigne à vivre avec lui; il semble chercher partout
un système de compensation pour réparer les désordres apportés dans son intérieur, et
peu à peu il arrive à tolérer la présence du poison. Bientôt, le buveur n'est plus maître de
lui, il est l'esclave du breuvage meurtrier. D'ailleurs, n'est-ce pas cela qui console, fait
oublier les misères humaines, et calme les douleurs physiques et morales? L'ivrogne croit
d'autant plus à la puissance de son démon familier, qu'il devient la proie de mille tor-
tures matérielles et spirituelles dés qu'il est privé de son assistance. Une nuit de sépa-
ration suffit pour lui faire comprendre que désormais il ne saurait se priver impunément
du philtre enchanteur.
Après quelques heures d'un mauvais sommeil, plein de rêves pénibles, pendant
lequel le corps, agité par un- besoin incessant de mouvement, n'a pu prendre le repos
nécessaire, le buveur se réveille. Ses idées sont confuses, sa mémoire incertaine : la
langue est embarrassée, la gorge sèche et l'haleine fétide, chargée souvent d'aldéhyde.
Il repousse les aliments qu'on lui présente, et a plutôt besoin de vomir que de manger;
en effet, après des etforts de toux parfois très pénibles, il rejette des mucosités
filantes, des glaires, il a « sa pituite ». Le malaise physique s'accompagne d'une gène
morale : le buveur éprouve du dégoût pour tout ce qui l'entoure et voit tout eu noir.
Il est maussade, irascible, il souffre. Le défaut de suite dans les idées le rend ins-
table, bizarre, lui enlève la plus grande partie de sa volonté. Il ne se rend pas bien
compte du mal qui le domine et en fait volontiers tomber la responsabilité sur les
autres. Parfois, il voit d'un œil indifférent la misère grandir à ses côtés chaque jour,
tandis que l'incident le plus insignifiant le plonge dans une terreur profonde, provoque
ALCOOLS. 241
une colère terrible. Si le courage et la volonté ne lui faisaient pas défaut, il essayerait
peut-être de travailler pour s'arracher à ses sombres préoccupations; mais il le voudrait
qu'il ne le pourrait pas. Le désordre règne non seulement dans son esprit, mais encore
dans ses mouvements : il chancelle sur ses jambes, tout son corps est agité d'un trem-
blement incessant, et c'est à peine si ses mains impuissantes peuvent porter à ses, lèvres,
arides et violacées, l'unique remède auquel il accorde sa confiance, le verre d'eau-de-
vie qu'il vient de réclamer d'une voix rauque et chevrotante. Après cela, il se sent mieux
équilibré, et peut se remettre au travail, mais ordinairement il n'en fournit pas une
quantité normale, car, plus il boit, moins il mange. Et pourquoi mangerait-il, si les cel-
lules, continuellement imprégnées d'un liquide alcoolique, se refusent à l'assimilation?
D'ailleurs, le sens du goût est très émoussé, et le buveur éprouve de la répugnance pour
les aliments qui lui paraissent fades ou insipides; sou estomac, qui ne sécrète plus que
difficilement le suc gastrique, les supporte mal, il est d3'speptique. Souvent aussi une
acre sensation de chaleur et de brûlure indique que l'organe principal de la digestion
est altéré par une gastrite, quand ce n'est pas par un ulcère qui en ronge les parois et
finit par les perforer, en donnant naissance à une péritonite suraiguë capable d'emporter
le patient dans l'espace de quelques heures.
Le foie et les autres glandes ne fabriquent pas ou élaborent mal les sécrétions néces-
saires à la digestion intestinale, et une diarrhée chronique, qui épuise rapidement les
forces du buveur, peut le faire tomber dans un marasme profond auquel la mort ne
tarde pas à succéder.
Chez d'autres, c'est la cirrhose avec son cortège ordinaire : ascite, cedème des mem-
bres inférieurs, etc. Souvent c'est l'albuminurie, étudiée récemment par Delvit {D. P.,
1894). Les urines contiennent une forte proportion d'acide urique et d'urates, ce qui
témoigne de combustions incomplètes.
Les lésions les plus constantes sont dues à l'accumulation de la graisse dans le tissu
cellulaire (surcharge graisseuse) ou dans les éléments qui n'en renferment pas norma-
lement (dégénérescence graisseuse). Les gros vaisseaux, comme les capillaires, devien-
nent le siège d'anévrysmes. Les hémorrhagies, celles du cerveau, et surtout celles de la
pituitaire, sont communes chez les alcooliques chroniques, et ces dernières particuliè-
rement difficiles à arrêter. La dégénérescence graisseuse peut envahir jusqu'à la moelle
et au tissu même des os; aussi, chez les alcooliques, les fractures se produisent-elles
avec la plus grande facilité. La surcharge graisseuse du cceur a été souvent observée.
L'alcool n'a certainement pas le pouvoir de. provoquer toutes les maladies, mais on
peut affirmer qu'il prédispose à un grand nombre d'affections pathologiques, parce qu'il
entrave la nutrition.
Il n'agit pas seulement comme cause prédisposante, mais dans beaucoup de cas il
communique aux manifestations morbides une marche et une gravité particulières,
comme dans la pneumonie des buveurs. On ne saurait mettre en doute l'inlluence de
l'alcoolisme sur le développement dé la tuberculose. Enfin, la détestable action qu'il
exerce sur la cicatrisation des plaies est bien connue de tous les chirurgiens.
Par l'abus prolongé de l'alcool, les téguments de la face se vascularisent : la coupe-
rose et l'acné viennent stigmatiser la face abêtie de l'ivrogne, tandis que du côté du
larynx se développent des laryngites chroniques qui fatiguent le malade et son entou-
rage, c'est le « bem » des Anglais qui finit par érailler les cordes vocales et éteindre
complètement la vois. Les désordres nerveux produits par l'abus continu de l'alcool
sont trop nombreux pour qu'il soit possible, de les énumérer tous ici : la motilité est
amoindrie comme la sensibilité. Le goût, l'odorat, l'ouïe, la vision sont troublés par
des illusions ou par des hallucinations.
Du côté de la vision, on a noté l'amblyopie alcoolique, caractérisée, d'après H. Romiée
{Rec. d'ophtai., 1881, Paris), par l'affaiblissement de l'accommodation, pouvant aller jus-
qu'à la paralysie : les pupilles sont peu mobiles, souvent inégales, il y a diminution
rapide de l'acuité visuelle, daltonisme, quelquefois dyschroraatopsie complète. Les
modifications des papilles peuvent se transformer en atrophie grise progressive.
Du côté du cerveau, l'athérôme entraîne des nécrobioses plus ou moins partielles,
avec ramollissement, hémorrhagie, anémie cérébrale, etc., et toutes les conséquences qui
en découlent, selon les territoires où elles se produisent, mais l'étude approfondie de ces
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 16
242 ALCOOLS.
perturbations appartient plutôt à la pathologie (V. Lancereaus, De l'Alcoolisme, Paris).
Les fonctions génitales sont affaiblies, parfois même jusqu'à l'impuissance, et cela
est fort heureux, car les alcooliques chroniques n'engendrent la plupart du temps que
des êtres porteurs d'une tare physiologique : nervosisme, épilepsie, criminalité. Les
statistiques, en Allemagne, ont démontré que sur 100 condamnés il y en avait 60 qui
étaient des alcooliques avérés ou des enfants d'alcooliques.
Mithridatisme alcoolique. — Les alcooliques chroniques semblent plus réfrac-
taires à l'action des autres poisons. Michelet rapporte que, pendant les guerres d'Italie,
au xvi" siècle, les mercenaires suisses, presque toujours ivres, pouvaient impunément
boire l'eau des puits empoisonnés, qui faisait dans les rangs des soldats français de
nombreuses victimes.
L'acide sulfliydrique, le gaz d'éclairage, l'arsenic, l'opium, les poisons miasmatiques
ont moins de prise sur les sujets alcooliques? (Voy. De l'influence des liquides alcooliques
sur l'action des substances toxiques et médicamenteuses par Raphaël Dubois : D. P., 1876.)
La résistance des sujets alcooliques à l'anesthésie par l'éther et le chloroforme est une
preuve certaine de ce mithridatisme universel.
Antagonisme de l'alcool et de divers poisons. — ■ L'alcool a été longtemps
considéré comme un antidote puissant, mais les nombreuses expériences que j'ai faites
sur ce sujet {loc. cit.) ont prouvé qu'en général on voit apparaître, tantôt successivement,
tantôt simultanément, les phénomènes caractéristiques de l'empoisonnement par l'alcool
et par les diverses substances vénéneuses auxquelles il avait été associé; les unes ou les
autres prédominent, selon la quantité relative et selon l'énergie respective de l'alcool et
du poison. Certains accidents, qui se manifestent ordinairement lorsque ces deux agents
pénétrent isolément dans l'organisme, pourront faire défaut ou même disparaître sous
l'influence de leur action combinée. Dans bon nombre de cas, ces résultats paraissent
dus bien plutôt à l'action parallèle des deux poisons qu'à une sorte d'antagonisme dou-
teux et obscur. Ainsi, chez un animal empoisonné par la strychnine, la moindre exci-
tation peut provoquer des convulsions violentes qui amèneront un épuisement rapide;
mais si, sous l'influence de l'alcool, la sensibilité a été amoindrie ou anéantie, les
mêmes effets ne se produiront plus, les convulsions seront moins fréquentes, moins lon-
gues et la mort pourra être moins prompte, peut-être même évitée si l'élimination du
poison a eu le temps de se faire. Quand, par l'effet de l'alcool, la motricité aura été
supprimée, il est bien évident que l'on ne pourra observer ni incoordination, ni trem-
blements, ni secousses cloniques ou tétaniques; mais, en général, l'action toxique
n'aura pas été détruite parce que l'on aura aboli quelques-uns de ses symptômes.
L'action du poison varie selon la période de l'ivresse à laquelle il a été administré.
Les effets de l'alcool s'ajoutent directement à ceux du poison donné simultanément;
dans certains cas, par exemple, lorsqu'on fait inhaler le chloroforme après avoir fait
ingérer de l'alcool, la durée de la résistance du sujet est alors amoindrie (R. Dobois,
B. B., 1884).
Antidotes de l'alcool. — On a préconisé divers antidotes de l'alcool. L'ammoniaque,
administré à la dose de quelques gouttes dans un verre d'eau, n'a d'autre effet que
d'arrêter brusquement la digestiou de l'alcool et de provoquer des vomissements utiles.
Jaillet (toc. cit.) a beaucoup vanté la strychnine, mais nos recherches sur l'action com-
binée de ce poison et de l'alcool ne nous permettent pas d'attribuer une grande confiance
à ce prétendu contrepoison". On a dit aussi que l'abondante ingestion de corps gras em-
pêchait ou retardait l'ivresse. C'est probablement en modifiant l'absorption stomac^ale.
Alcoolisme en retour ou « delirium tremens. » — Si l'on prive brusquement un
alcoolique chronique de son poison habituel, on détruit l'état d'équilibre artificiel de l'or-
ganisme, et il peut en résulter des désordres graves, mais qui n'ont rien de commun
avec ceux de l'alcoolisme aigu ou chronique (R. Dubois. Congrès du Trocadéro, 1878).
Au lieu d'une dépression générale, c'est une surexcitation violente, d'une intensité
tout à fait exceptionnelle, qui va se manifester. Le malheureux buveur est piis d'une
violente agitation, incessante; il ne peut plus trouver un instant de repos ou de sommeil.
Des spectres horribles apparaissent, les hallucinations prennent surtout la forme de
bêtes immondes rampant sur son corps ou grouillant autour de lui. Il entend des sons,
des cris, des hurlements, des voix qui lui donnent des Ordres atroces, mais ces hallu-
ALCOOLS, 243
ciiiations de l'ouïe sont plus rares que celles de la vision. Elles résultent d'impressions
accumulées dans la mémoire, se réveillant brusquement, avec une telle intensité,
qu'il semble qu'elles viennent d'être perçues.
Comme la mémoire, la sensibilité est singulièrement exage'rée, le moindre contact
fait bondir le malade : l'ouïe et la vue possèdent une acuité extraordinaire : l'oi^il allumé
brille d'un étrange éclat, la parole est brève, saccadée à cause du tremblement des
muscles qui sont vibrants, comme de colère; les mots succèdent aux mots, les phrases
aux phrases avec une vertigineuse rapidité.
L'abondance et la vigueur des expressions donnent parfois une véritable éloquence
à des hommes qui, ordinairement, s'expriment difficilement; aussi la description qu'ils
font de leurs apparitions est-elle parfois véritablement saisissante.
Les muscles se contractent, en frémissant, avec une force telle qu'il faut souvent
réunir les eli'orts de plusieurs personnes pour maintenir le sujet dans l'immobilité.
La température s'élève : le corps ébranlé par des décharges successives semble
vibrer tout entier. Il y a loin de cet état à celui de l'ivresse qui saisit nos facultés les
unes après les autres pour les bâillonner; c'est le contraire ici. La machine animale,
qui depuis longtemps soufflait en traînant son lourd fardeau, vient de rompre ses liens,
de briser son frein : rien ne peut plus modérer sa course folle : elle ne connaît plus
ni mesure, ni direction dans l'emploi de sa force. L'organisme use jusqu'à la der-
nière étincelle de son activité ; puis, haletant, épuisé de fatigue, il tombe dans un coma
profond qui, souvent, se termine par la mort. C'est sous l'empire de ces hallucinations
que le malade atteint d'alcoolisme en retour commet des crimes ou se livre à des actes
de destruction dont il n'est pas responsable, surtout quand il a été privé de son poison
brusquement par l'internement dans un hôpital ou dans une prison. On ne saurait
douter de l'irresponsabilité de ces alcooliques, quand on les voit arracher leurs appareils
de pansement, au risque de courir les plus grands dangers et d'endurer de vives souf-
frances.
Le meilleur moyen de rendre momentanément le calme à l'organisme est de lui
donner sa dose ordinaire de toxique.
Équivalents physiologiques de ralcool. — Les accidents qui résultent de la
privation brusque de l'alcool peuvent aussi être combattus par d'autres substances qui,
bien qu'étant d'une nature diiférente, pourront suppléer dans l'organisme le poison
ordinaire absent. Ce fait n'a rien qui puisse surprendre si l'on songe au mithridatisme
dont j'ai parlé plus haut. Dans l'intoxication eu retour par la morphinomanie, l'alcool
peut rendre des services, et inversement le deiirium tremens est calmé par l'opium.
Mais ce poison et ses alcaloïdes sont dangereux parce que, le sujet étant mithridaté,
il faut donner parfois des doses énormes du poison équivalent, et qu'on s'expose alors
à dépasser le point limité. Il est bien préférable, si l'alcool ne peut être supporté,
dans le cas de gastrite, d'ulcères, de vomissements, etc., d'administrer de l'éther ou
du chloroforme, soit en inhalations, soit par l'estomac, mais en n'oubliant pas qu'une
petite quantité d'éther, et surtout de chloroforme, est équivalente à une forte dose d'al-
cool (Voy. R. DnBois. Actions de certains poisons sur le tremblement toxique; équiva-
lents toxiques ou physiologiques, B. B., 1883, p. 484).
Action physiologique comparée de ralcool dans la série animale. — L'alcool
se comporte comme un poison général, et ses effets sur tous les êtres vivants sont très
comparables; alors que l'on verral'atropine comme le tabac rester sans action sur le lapin
et la chèvre, l'alcool n'épargnera rien. Le chien, qui est moins mithridaté que l'homme,
y est plus sensible, comme au chloroforme et à l'éther; le lapin est facilement tué par
une petite quantité d'eau-de-vie. Les oiseaux la supportent mieux et éprouvent une
ivresse qui se rapproche beaucoup de celle des autres vertébrés à sang chaud. Les
vertébrés à sang froid tombent vite en état de torpeur et y restent longtemps plongés;
parfois même il est difficile de les ramener à la vie.
Les insectes lumineux, particulièrement les beaux Elatérides phosphorescents des
Antilles, mettent leur lampe en veilleuse pendant le sommeil alcoolique.
Les animaux aquatiques marins ou d'eau douce sont très sensibles aussi à l'action
de l'alcool; mais les premiers moins que les seconds. Les Actinies, plongées dans l'eau
de mer alcoolisée, se rétractent beaucoup et tombent dans une sorte de vie latente
<2ii ALCOOLS (Toxicologie générale).
d'où elles peuvent sortir au bout d'un temps assez long, si on a opéré avec ménagements :
l'alcool agit sur elles à peu près de la même façon que l'éther et le chloroforme
(R. DuDois. Action physiologique du curare, de la strychnine, de l'alcool et du chloro-
forme sur les Actinies, B. B., 1883, p. 304).
RAPHAËL DUBOIS.
ALCOOLS (Toxicologie générale). — On peut placer dansunmême
groupe, au point de vue de la toxicologie, les diverses substances alcooliques. En 3ffet
elles agissent toutes à peu près de la même manière sur les organismes vivants.
Cette immense famille chimique (alcools, éthers, et leurs dérivés) possède comme
fonction phj'siologique générale l'anesthésie; de sorte que, malgré l'apparence para-
doxale de cette classification, on peut faire rentrer l'alcool parmi les anesthésiques; et
non seulement l'alcool, mais encore tous les alcools, et leurs innombrables dérivés ?
Classification des poisons. — Quelques notions de toxicologie générale sont
indispensables pour expliquer cette proposition.
Si nous envisageons la manière d'agir d'une substance toxique quelconque, en lais-
sant à part les corps, généralement gazeux, qui. comme l'oxyde de carbone, se fixent
sur la matière colorante du sang, nous pouvons faire quatre grands groupes : 1° les
7)!éto«a', sels métalliques et métalloïdes, qui, se substituant aux sels combinés à l'albumine
dans la cellule vivante, en modifient les réactions et les fonctions; 2° les alcools et éthers
qui agissent sur tous les tissus, qui sont des poisons universels, pour les végétaux
comme pour les auimaux; 3° les alcaloïdes, et les ammoniaques composées, qui (à dose
souvent très faible) empoisonnent spécialement la cellule nerveuse, cellule nerveuse
du cœur, ou du bulbe, ou des centres psychiques; 4° les ferments (albumiiioides) qui,
à faible dose, déterminent des modifications profondes dans les matières albuminoides
de nos tissus (leucomaïnes, antitoxines, venins, virus, etc.).
Donc nous pouvons séparer nettement les poisons alcooliques des métaux, des alca-
loïdes, et des ferments.
Schéma de l'action des alcools. — Le t3'pe de ces corps est évidemment l'alcool
éthylique, non seulement parce qu'il a été admirablement étudié par les médecins et
les physiologistes, mais surtout parce qu'il agit à dose assez faible pour qu'on puisse en
bien graduer les effets, et suivre méthodiquement les progrès de l'intoxication.
On voit alors, à mesure que la dose s'élève, se produire les phénomènes suivants:
A faible dose, nul trouble dans les fonctions organiques; c'est l'intelligence seule qui
est atteinte, et, comme toujours, une période d'excitation précède la période d'anéan-
tissement. Donc, au début, période d'excitation, qui porte sur les fonctions intellectuelles,
et respecte les autres appareils vivants.
La dose étant plus forte, l'intelligence n'est plus excitée, mais anéantie. Alors les
autres parties du système nerveux central commencent à sabir les effets du toxique,
c'est-à-dire que les incitations nerveuses, qui commandent les actions chimiques, sont
ralenties. De là diminution dans les échanges et la température, état de prostration et
d'anesthésie, qui coïncide avec l'intégrité presque complète du fonctionnement des
cellules autres que les cellules nerveuses. A cette période le bulbe rachidien, qui tient
sous sa dépendance les mouvements respiratoires, n'est pas paralysé; il continue à
provoquer les respirations,- si bien que l'être, quoique intellectuellement inerle, survit
à cette intoxication profonde.
Enfin, à une dose encore plus forte, tout le système nerveux est paralysé, même le
bulbe, et les autres cellules de l'organisme commencent à subir les atteintes du poison.
C'est cette forte dose qui est toxique pour toutes les cellules vivantes, quelles qu'elles
soient. Par exemple, les cellules de la levure ne peuvent plus vivre quand le milieu
où elles se trouvent contient plus de 20 p. 100 d'alcool, et, à partir de 10 p. 100 d'alcool,
elles commencent à ralentir leur activité fonctionnelle.
En réalité le tableau de toutes les intoxications aiguës par les alcools ou les éthers
répond à une succession régulière d'intoxications diverses, portant sur les tissus vivants.
Certes souvent elles empiètent les unes sur les autres, mais elles se produisent fatalement
ainsi; d'abord le système nerveux psychique, puis le système nerveux médullaire,
puis le système nerveux bulbaire, puis toutes les cellules de l'économie.
ALCOOLS (Toxicologie générale). 245
Deux points entre autres sont à considérer; c'est d'abord la hiérarchie des tissus
intoxiqués, et ensuite les variations de ces étapes toxiques suivant les propriétés spé-
ciales de l'alcool étudié.
Hiérarchie des tissus. — Pour ce qui est de la hiérarchie des tissus, elle est très
simple à établir, d'abord d'après le moment d'apparition des symptômes toxiques;
ensuite par la facilité avec laquelle meurent ces tissus, quand ils sont soumis à la
privation de sang ou d'oxygène.
Ici la toxicologie et la physiologie se prêtent un mutuel secours, et les conclusions
sont les mêmes.
Le tissu le plus fragile, le plus délicat, celui qui meurt le premier, celui qui subit le
premier les effets du poison circulant avec le sang à travers les cellules, c'est le sys-
tème nerveux psychique, celui qui préside à l'idéation, à la mémoire, au jugement, à
la conscience du moi.
Puis c'est le système nerveux médullaire, qui préside aux mouvements automatiques,
aux actions rcllexes, à l'innervation respiratoire, et il est à remarquer que les cellules
du bulbe respiratoire sont les plus résistantes à l'action toxique.
Puis enfln, ce sont les autres tissus, nerfs périphériques, cellules musculaires, cellules
glandulaires, qui ne sont atteints par l'alcool que lorsque la dose est très forte.
Stades variables dans les périodes toxiques. — Ces faits sont vrais pour tous
les alcools et tous les corps qui dérivent des alcools, éthers, aldéhydes, essences; etc.
Cependant les différences dans l'action de ces divers corps sont considérables, de sorte
qu'au premier abord on ne voit pas comment on peut faire rentrer dans le même groupe
toxique des corps comme l'alcool, le chloroforme, et l'essence d'absinthe. Mais, pour peu
qu'on examine avec soin la marche des phénomènes, on verra que c'est bien toujours la
même succession de symptômes, avec des caractéristiques variables dues à la prédomi-
nance ou à la plus grande durée de tel ou tel symptôme, de telle ou telle période.
Par exemple, quand la période d'byperesthésie intellectuelle durera plus longtemps
que les autres, le poison produira surtout l'ivresse. Quand au contraire la période d'by-
peresthésie portera plutôt sur l'appareil médullaire que sur l'appareil cérébral, alors ce
sera surtout un poison convulsif, comme les essences. Quand les périodes d'byperesthésie
seront courtes, et rapidement suivies d'une période d'anéantissement de toutes les fonc-
tions nerveuses, alors le poison sera principalement un anesthésique.
De là, suivant la prépondérance de tel ou tel symptôme, la distinction des poisons
alcooliques en trois groupes, les convulsivants, les ébriogènes et les anesthésiques . Mais
la démarcation nette est impossible à faire, car ils ont tous plus ou moins ces trois
caractères.
L'alcool, à forte dose, produit l'anesthésie, et, à dose moins forte, une sorte de
vraie attaque convulsive. Le chloroforme, au début de son action, procure une véri-
table ivresse, et l'éther (oxyde d'éthyle) qui est un excellent anesthésique, amène une
ivresse que certains individus recherchent avidement. La période convulsive ne manque
pas non plus avec le chloroforme; c'est la période d'agitation, connue de tous les chirur-
giens; les physiologistes qui chloroforment les animaux savent bien que, chez le chien,
l'agitation due au chloroforme amène un état convulsif souvent prolongé. Quant à l'ab-
sinthe, elle produit, à faible dose, une ébriété, qui est, paraît-il, fort agréable, et, à
dose plus forte, elle provoque, si on empêche les convulsions d'entraîner l'asphyxie, un
vrai coma anesthésique.
Influence des conditions physiques sur la toxicité des Alcools. — 11 nous
reste donc à savoir pourquoi telle ou telle substance alcoolique, ou dérivée des alcools,
possède la propriété d'être plus ou moins convulsive, ébriogène ou anesthésique.
Tout d'abord une première remarque est nécessaire, c'est que nous ne devons pas
chercher cette difl'érence dans les propriétés chimiques de ces corps. En effet ces pro-
priétés sont trop voisines pour que des différences aussi énormes dans leur action
puissent être dues exclusivement à des diiférences dans les propriétés chimiques. Vis-à-
vis des tissus de l'organisme (matières alburainoïdes, graisses et hydrates de carbone)
l'alcool étbylique et l'alcool amylique se comportent à peu près de même. Cependant
la manière de réagir de l'organisme est tout à fait distincte vis-à-vis de l'alcool éthyl-
lique et de l'alcool amylique. De même les composés chlorés du formène C^HCl, CH'^C-,
2i6 ALCOOLS (Toxicologie générale).
CHCF, CCI*, ont des fonctions chimiques générales qui se ressemblent autant que dif-
fèrent leurs fonctions physiologiques.
Mais, si leurs propriétés chimiques se ressemblent, en tant qu'ils sont des corps
saturés, doués d'affinités médiocres pour les substances chimiques vivantes, leurs pro-
priétés physiques sont ti'ès différentes, à savoir leur poids moléculaire, leur solubilité,
et leur volatilité.
Prenons les alcools mono-atomiques de fermentation, et mettons en regard de leur
formule leurs propriétés physiques.
Sol. dans Poids
P. d'ébuilit- 100 vol. d'eau, moléculaire.
Alcool ctliyliquc. C-HeO 78" c^. 46
— propyliquc. CSH^O 97» oc 60
— butyliquc. CiHi»0 1160 g 74
— amyUque. CspIi^O 137» insol. 88
Il se trouve que la toxicité de ces corps est précisément inverse et de leur solubilité,
et de leur poids moléculaire, et de leur point d'ébullition.
En effet, dans un travail mémorable {Recherches expérimentales sur les alcools par fer-
mentation. Viins, 187b) Dcjardin-Beaumetz et AuDiGÉ, étudiant chez le chien la to.xicité
de ces quatre alcools, ont pu établir que, si la toxicité de l'acool éthylique est de 1, celle
de l'alcool propylique est de 2, celle de l'alcool butylique de 3, et celle de l'alcool amy-
lique de 4. En réalité ces chiffres sont encore trop faibles; car en tenant compte du poids
moléculaire différent, et, en prenant pour la molécule d'alcool éthylique une toxicité de
1, nous avons :
Pour la molécule d'alcool propylique 2.6
— — — butylique -5,7
— — — amylique 7.6
DÉSIGNATION.
DOSE TOXIQUE CHE
Z LE CHIEN
■POPERMIQU
PAR KILOGR.AMME DC
POIDS DU
CORPS
E.
PA..-BS.0M..
g-l,-
Non dilué.
Dose
moyenne.
Dilu,?.
Dose
moyenne.
Quantit.is.
Dose
moyenne.
^ÎHi
gr. gr.
gr.
gr.
sr. gr.
sr.
gr.
Alcool éthviique. . . .
6,18 à 8.00
7,09
6,00 à 7,20
6,52
.^,,50 à 6,50
6,00
1
— propylique. - .
i,Û8 à 4,57
4,32
3,04 à 3,64
3.28
3,00 à 3,27
3,13
1,2
— butvliquc. . . .
2,00 à 2.30
2,15
1,85 à 1,99
1,90
1,72 à 1,76
1,74
1/3
■ — amylique. . . .
1,83 à 2,23
2,02
1,30 à 1,71
1,53
1.40 à 1,53
1,48
1/-4
Celle loi de la toxicité des alcools, d'autant plus grande que le poids atomique est plus
élevé, avait été d'abord formulée par Rabuteau (Unioîz médicale, pp. 16b. 1870.) Voyez aussi
du même auteur : Questions relatives à l'alcoolisme au Congrès international de 1878. Impr.
nation., 1 vol. in 8°, pp. 50 et 22b. — Atomes, molécules et biologie (Mém. Soc. Biol., 188b,
pp. 77-94). — Éléments de toxicologie, p. 190, 1873. — Richardson. (British Association
Reports for 1868, p. 184; for 1869, p. 417).
La différence dans le point d'ébuUilion joue évidemment un certain rôle. II est clair
que l'alcool éthylique qui bout à 78° s'éliminera plus facilement à l'état de vapeur que
l'alcool amylique qui bout à 137°.
Il y a là un fait remarquable sur lequel, semble-t-il, on n'a pas suffisamment insisté,
c'est que, toutes conditions égales d'ailleurs au point de vue des réactions chimiques gé-
nérales, la durée des effets d'une substance est en raison inverse de sa volatilité.
Ainsi, pour les composés chlorés du formène, si bien étudiés par Regnault et Ville-
JEAN (C. R. 1884, t. xcviii, p. 130b et Bull. gén. de thérapeut., 30 mai et Ib juin 1886), on
trouve la durée suivante pour le retour des fonctions après l'anesthésie :
ALCOOLS (Toxicologie générale). 2iT
Point d'ébuilition.
CIP CI 2'30" — 24»
C^H^Cl- .... S' 42°
CHCP 10' (environ) 61"
CCI-' 10' (environ) 78°
Même avec des substances alcooliques (ou dérivant des alcools) très différentes, la du-
rée des phénomènes est encore en rapport avec la volatilité. Le protoxyde d'azote
gazeux a des eiiets qui disparaissent très vite. L'oxyde d'éthyle donne une anesthésie
passagère, qui se dissipe plus promptement que l'anesthésie du chloroforme. De même
les individus ivres morts (par le fait de l'alcool éthylique) reviennent plus lentement
que les malades chloroformés : et enfin l'ivresse et le coma absinthiques sont plus
longs encore à se dissiper. Dans tous ces cas nous voyons que, plus une substance est
volatile, plus ses effets sont prompts à disparaître.
Il faut faire sans doute intervenir un autre élément, c'est le poids moléculaire diffé-
rent de ces alcools. R. Dubois (1870) avait émis cette ingénieuse hypothèse que l'alcool
agit par sa force exosmotique en déshydratant les tissus. D'autre part Béclard avait
montré que le pouvoir exosmotique est d'autant plus grand que la chaleur spécifique
est moins élevée; et enfin, d'après la loi de Duloxg et Petit, les chaleurs spécifiques
sont en raison inverse des poids atomiques. En reliant ces trois lois l'une à l'autre,
on voit clairement que, plus le poids de la molécule s'élève, plus s'est accrue la puissance
exosmotique (et par conséquent déshydratante) de la substance alcoolique.
Enfin une autre considération, sur laquelle j'ai eu souvent l'occasion d'insister, c'est
le degré de solubilité (Cn. Riceet. B. B., p. 775, 22 juill. 189.3, et G. Houd.ulle. D. P.,
1893, Étude sur les nouveaux hijpnotiques). Plus un corps est soluble, moins il est
toxique; l'alcool éthylique et l'alcool amj'lique; lechloral et le chloralose, l'aldéhyde et
les essences ont des propriétés toxiques très différentes, précisément parce que leur
solubilité n'est pas comparable. Un corps qui ne se dissout pas est toxique pour la
cellule, probablement parce qu'il ne peut pas diffuser régulièrement dans le pro-
toplasma. L'essence d'absinthe, qui est insoluble, est peut-être mille fois plus toxique
que l'alcool éthylique, soluble dans l'eau en toutes proportions.
Par conséquent, quand on introduit, dans la molécule d'un alcool ou d'un éther, des
atomes ou des groupes chimiques, qui, sans en modifier profondément les propriétés
cHmiques générales, en modifient graduellement les propriétés physiques, à mesure
que la molécule devient plus complexe, on voit apparaître de grandes différences dans
la toxicité. Les composés chlorés du formène en sont un exemple; et on pourrait
citer aussi les benzines chlorées, dont les propriétés physiques (point d'ébuilition et
solubilité de l'eau) se modifient à mesure que l'on remplace 1, 2, 3, 4, o, 6 atomes
d'hydrogène par 1,2, 3, 4, o, 6 atomes de chlore.
L'introduction d'un radical CH^ ou C-H^ ou C'R^ dans une molécule alcoolique agit
aussi probablement dans le même sens, comme l'ont prouvé les recherches de L.vi:deh
Brunton et de R.vbute.^u. De nombreux corps chimiques dérivés des alcools et des éthers,
produits d'addition et de substitution, ont été à ce point de vue étudiés par les physiolo-
gistes toxicologues. On conçoit que, si l'on remplace 1, 2, 3 atomes d'hydrogène par 1, 2,
3 atomes de chlore, ou de brome ou d'acétyle, ou OH, ou AzO- ou AzH-, on peut avoir
presque à l'infini des corps nouveaux, qu'il est impossible de mentionner dans ce Diction-
naire, d'autant plus que très rarement la toxicologie de ces substances a été faite avec
soin. Pour cette étude, à peine ébauchée encore, nous renverrons aux articles Éthers et
Toxicologie générale.
Résumé. — Si maintenant l'on essaye de faire la synthèse des propriétés 'générales
des alcools et des dérivés (éthers et aldéhydes) qu'ils forment, pour essayer de voir
quels sont spécialement les ébriogènes, les convulsivants, ou les anesthésiques, on
verra que les corps peu solubles, volatils, sont surtout anesthésiques, comme l'oxyde
d'éthyle; les corps moins volatils, comme l'alcool, surtout ébriogènes; et les corps, dont
le point d'ébuilition est plus élevé que celui de l'eau, convulsivants.
On pourra ainsi formuler quelques lois générales qui serviront à prévoir à l'avance les
propriétés physiologiques de felle ou telle substance alcoolique, d'après ses propriétés
physiques générales.
2-i8 ALCOOLS (Toxicologie générale).
1° La loxicité est d'autant plus grande, qu'elle est moins soluble dans l'eau.
2° Si elle est très volatile, elle est plutôt anestliésique; si elle est peu volatile, elle
est plutôt convulsivante. Si elle est soluble dans l'eau, elle est plutôt ébriogène.
3° La durée de ses effets est inversement proportionnelle à sa volatilité, autrement
dit l'élimination est d'autant plus facile que la volatilité est plus grande.
D'ailleurs on trouvera aux articles Amylique, Anesthésiques, Butylique, Éthers, Es-
sences et Toxicologie générale, les développements nécessaires à cette importante étude.
Applications à l'hygiène. — Ce fait physiologique remarquable, de la toxicité
extrême des alcools supérieurs et des aldéhydes à molécule compliquée, comporte
une sanction pratique immédiate, sur laquelle, en France seulement, pour ne pas citer
les pays étrangers, Rabuteao, Dujatidin-Beaumetz, Laborde et Mag.\ax ont avec raison
souvent insisté; c'est que, pour la production de l'alcoolisme, — ce mal terrible qui
fait des progrès chaque jour, — l'alcool éthylique est moins efficace que les autres
alcools. Or, daus le vin naturel, il n'y a presque pas d'alcools supérieurs ; tandis que
dans les eaux-de-vie, et autres boissons alcooliques dont une habile industrie crée sans
cesse des variétés nouvelles, les alcools supérieurs sont très abondants.
De là cette conclusion, qui paraîti-ait au premier abord paradoxale, c'est que le vin
naturel ne produit pas l'alcoolisme. Il suffit pour s'en assurer de constater qu'il n'y a
vraiment d'alcoolisme que dans les pays où le vin ne se récolte pas et se boit peu. L'Es-
pagne, l'Italie et la France du sud et du centre sont des régions où l'alcoolisme est à peu
près inconnu. Le vin, pris en excès, peut donner l'ébriété, et, à la longue, l'alcoolisme
chronique ; mais à condition que le buveur en absorbe, et cela pendant longtemps, des
quantités considérables ; tandis qu'il obtiendrait sans peine un alcoolisme chronique à
marche irrésistible avec de petites quantités de mauvaise eau-de-vie.
Aussi voit-on l'aliénation, les suicides, les dégénérescences mentales, toutes les lésions
pathologiques que produit l'empoisonnement par l'alcool, suivre une marche absolument
parallèle non pas avec la progression de la consommation du vin, mais avec la pro-
gression de la consommation des alcools.
Les innombrables débits, où les alcools les plus toxiques sont prodigués à bas prix,
sont consacrés presque exclusivement à la distribution de l'alcool et non du vin, notam-
ment en Normandie et en Bretagne, où il y a tant d'ivrognes, tant d'aliénés, tant d'al-
cooliques. Certes depuis une trentaine d'anne'es la consommation du vin a augmenté,
mais assez modérément, tandis que celle des alcools a pris une extension efl'rayante.
Donc, si les gouvernements avaient vraiment souci de la chose publique, s'ils con-
sidéraient comme un devoir sacré de protéger contre lui-même le peuple, ce grand
enfant, ils prendraient des mesures restrictives, fiscales ou autres, pour euipêcher la
marche du fléau. Le plus simple procédé serait non seulement de surcharger de droits
très lourds les alcools et autres boissons alcooliques toxiques, mais encore d'imposer
d'énormes patentes aux débits, cabarets, estaminets, bars, tous établissements qui ne
font pas d'autre commerce que le commerce des plus redoutables poisons.
Bibliographie. — La bibliographie de l'alcool et de l'alcoolisme est très étendue.
Nous n'avons à citer que quelques-uns des ouvrages, ayant un intérêt physiologique
immédiat, qui ne se trouvent ni aux articles Alcoolisme des Dict. de médecine, ni aux arti-
cles Alcohol et Alcoholism de l'Index Catalogue, t. i, pp. 17.3-184. Outre les travaux
cités plus haut mentionnons : Cadéac et Meunier. Contrihution à l'étude de l'alcoolisme.
Paris, 1892. — Lauder Brunton. Introduction io modem thcrapeutics. Londres, 1892,
pp. 10o-138. — Zerboglio. Alcoolismo. Turin, 1892. — Lentz. Alcoolisme. Bruxelles, 1884.
— Dastre. Les Anesthésiques. Paris, 1890. — Strassmann. Nàhrwerth und Ausscheidung
des Alkohols{A. Vf, t. xlix, p. 313). — Staumreich et Noorden. Einfluss des Alcohols aufden
Stoffwechsel des Menschen {Berl. klin. 'Woch., 1891, p. oo4). — Chitienden. Influence of
alcohol on proteidmetabolism (J. P., 1891, t. xn, pp. 220-232). — Laffite. L'intoxication
alcoolique expérimentale (D. P., 1892). — Gutkinow. Einfluss des Alcohols auf die Blutcir-
culation {Zeitschr. f. klin. Med., 1892, t. xxi, pp. 133-171). — Gioffredi. Sul potere coibente
del fegato edel cervello negli avvelenamenti alcoolici (Au. in R. S. M., 1894, t. xliv, p. 113).
— Wolffhahdt. Influence de l'alcool sur la digestion stomacale (An. in R. S. M., 1891,
t. xxxvni, p. 33). — ScHNEEGAxsetMERixG. Bezie/iungen zwischen chemischer Constitution und
hypnotischer Wirkung (An. in Jb. P., 1892, p. H 3). — Keller. Einfluss des Aethijlalkohols
ALCOOLIQUE (Fermentation). 249
auf dcn Stofpwechsel des Menschen (Z. C. P., t. xiii, fasc. I et 2, p. 128). — Lauorde. Les
alcools supérieurs et les bouquets artificiels {BulL de ÏAc. de médec. de Paris, 1888, u» 40,
p. 470). — Mairet et Combemale. Influence dégénérative de l'alcool sur la descendance (C. H.,
t. cvi, 1888, n° 10, p. 667). — Albertoni. Formation et transformation de l'alcool et de
l'aldéhyde dans l'organisme (A. B. L, p. 168, 1888, t. ix). — Harley. Effects of moderate
drinliing on the human constitution ; ils influence on liver, hidney, heart and brain diseuses
{Lancet, 1888, n° 3363). — Brocahdel et Pouchet. De la consommation de l'alcool dans ses
rapports avec 'l'hygiène [Ann. d'Hyg. publ., 1888, p. 241). — Schapirow. Physiologische
Wirlmng tertiàrer Alhohole auf den Thierorganismus (An. in Jb. P., 1887, t. xvi, p. 89)-
■ — GnEiiE. Experimenlelle Beitrâge zur Wirkung des Weingeistes {Arch. f. wiss. u. pratc,
Thierheilk, t. vni, p. 71, 1882). — Danillo. Physiologie patholog. de la région corticale du
cerveau dans t empoisonnement par l'alcool éthylique et l'essence d'absinthe {A. P., 1882, (2),
pp. 388 et 5o9). — Henrhean. Rôle de l'alcool dans la nutrition [Bull, de l'Ac. des sciences
de Belgiciue, 13 janv. 1883, p. 113). — Kùlz. Wirkung und Schicksal cler TrichloriUhyl unp
Trichlorbutylalkohols im Thierorganismus (Z. B., 1883, t. xs, p. 157). — Tuierfelder et
Mering. Bas Verhalten tertiâr Alkohole im Organismus (Z. P. C., 1883, t. ix, p. .SU). —
WoLFERs. Einfiuss einiger stickstofffreier Substanzen, speciell des Alkohols auf den thierischen
Stoffwechsel {A. Pf., 1883, t. xxxii, p. 222). — Bodlander. Ausscheidung aufgenommenen
Weingeistes aus dem Kôrper {A. Pf., 1883, t. xxxn, p. 398). — Spaink. Einwirkung reinen
Alkohols auf Organismus und insbesondere auf dus peripherische Nervensystems (Molescli.
Untcrsuch., 1891, t. xiv, p. 449). — Gréhant et Quinquaud. Blesure dé la puissance muscu-
laire dans l'alcoolisme aigu (B. B., 1891, p. 413). — Berry. A case of acute alcoholic pois-
oning. [Lancet, 1893, (1), p. 723). — Presniakoff. Influence de l'alcool sur la désassimilation
de l'azote et du soufre, d'après les analyses de l'urine (En russe. Pétersbourg, 1892,
cité par Index medicus, 1892, t. xiv, p. 338).
CH. R.
ALCOOLIQUE (Fermentation). — On donne le nom de fermentation
alcoolique à la production d'alcool aux dépens des matières sucrées, due à une transfor-
matioii moléculaire provoquée par la vie de certains organismes. L'alcool produit est sur-
tout l'alcool éthylique.
La fermentation alcoolique proprement dite est due à des champignons inférieurs
nommés communément Levures; c'est de celles-ei qu'il sera surtout question. Des fermen-
tations alcooliques peu importantes, secondaires, peuvent être produites par d'autres
êtres qui seront passés en revue après.
Toutes les matières sucrées ne sont pas aptes à subir directement la fermentation
alcoolique, mais seulement les sucres du groupe des glucoses, glucose ordinaire ou dex-
trose et lévulose. Les sucres du groupe des saccharides, sucre de canne, maltose, lactose,
ont besoin d'être intervertis pour fermenter.
Sous l'intluence de certains ferments, la glycérine peut aussi subir la fermentation
alcoolique.
Historique. — La fermentation alcoolique est, de tous les processus analogues,
celui qui a été le plus anciennement connu; la fabrication et l'usage des boissons fer-
mentées obtenues à son aide remontant à une très haute antiquité. Pour en trouver une
explication rationnelle et une étude complète, il faut toutefois arriver à une époque
bien rapprochée. Et encore le phénomène chimique fondamental, la transformation du
sucre en alcool et acide carbonique, fut mis en lumière, balance en main, par Lavoisiee,
avant que la nature réelle du corpsaclif, du ferment, ait été élucidée. On connaissait bien
cette sorte de dépôt blanchâtre qui se rencontrait toujours dans tous les liquides qui
avaient fermenté, on comprenait même que sa présence était indispensable à l'accom-
plissement du phénomène, mais on en ignorait complètement la nature, lui attribuant
une sorte de puissance mystérieuse, une simple action de présence inexpliquée, la force
catalytique. Gay-Lussac, dans son mémoire sur la fermentation, déclare que la fermenta-
tion vineuse parait être encore une des opérations les plus mystérieuses de la chimie.
Leuwenhoeck, il y a plus de deux siècles, soumettant, dans son ardeur si féconde, les
liquides en fermentation alcoolique à l'investigation de son microscope, avait bien signalé
qu'ils renfermaient de nombreux corpuscules arrondis ; il ne s'était pas prononcé sur
250 ALCOOLIQUE (Fermentation).
leur nature et n'avait émis aucune idée sur leur signification; il tendait même à les
considérer comme des grains d'amidon provenant des farines employées dans la confec-
tion du moût de bière. Les premières notions exactes sur la nature du ferment se trouvent
exposées dans le mémoire de Cagniabd-Latour sur la Fermentation vineuse (1837). Il annonce
que la ievùre de bière n'est pas une substance organique ou chimique, comme on le sup-
posait jusqu'alors, mais bien un amas de corpuscules vivants, pouvant se reproduire, et
semblant n'agir sur la dissolution sucrée qu'autant qu'ils sont en vie; d'où l'on peut con-
clure, ajoute-t-il, que c'est très problablement par quelque etfet de leur végétation qu'ils
dégagent de l'acide carbonique de cette dissolution et la convertissent en une liqueur
spiritueuse. Presque en même temps, Schwann, Ktjtzing, Mitscheblich, en Allemagne,
TuRPiN, en France, annonçaient des résultats analogues.
Cagniard-Latour, se basant sur l'absence de mouvements chez la levure, en avait fait
aussitôt un végétal. Tous l'ont admis à la suite. L'embarras fut plus grand pour le classer.
Certains en firent une algue, à cause de son habitat aquatique ; Kutzing créa, dans ce
groupe, pour ces ferments, le genre Cryptococcus. D'autres, considérant surtout l'absence
de chlorophylle, les rangèrent parmi les champignons; c'est à eux qu'on a donné raison.
Persoon les comprenait dans son genre Mycoderma avec d'autres espèces très diiîéren-
tes; d'autres en faisaient des Torula, coupe dans laquelle on a réuni longtemps tous les
organismes élémentaires, très divers, dont les éléments étaient associés en chaînettes.
Meyen a eu l'heureuse idée de créer pour ces êtres un genre [nouveau, le genre Saccharo-
myces; c'est son opinion qui a prévalu.
Si l'on était suffisamment édifié sur la nature du ferment, le rôle qu'il joue dans
l'accomplissement du phénomène de la fermentation était loin d'être démontré; on en
était resté à la simple supposition émise par Cagniard-Làtour, que les modifications
produites dans le liquide étaient un effet de sa végétation. Des savants comme Behzélius
persistaient cependant à ne voir là qu'une manifestation de la force catalytique; Liebig
proclamait hautement que les globules de levure ne déterminaient la fermentation
que par suite de leur décomposition putride et non par leur croissance.
C'est alors que Pastedr vint établir, par des expériences indéniables, la nature et le
rôle des ferments alcooliques, cause directe du phénomène de la fermentation, et
expliquer, preuves en main, les particularités qu'elle peut présenter; démontrant que
ce processus est lié, d'une façon intime et directe, au développement, à la vie des orga-
nismes décrits par Cagniard-Latour; que la décomposition du sucre est une véritable
fonction physiologique de ces êtres, indépendante toutefois de leur vie végétative propre,
qui se poursuit suivant les règles ordinaires à tout ce monde inférieur. On trouvera,
clairement exposée suivant la coutume du maître, dans ses Mémoires sur la fermen-
tation alcoolique, dans ses Études sur le vin et ses Études sur la bière, ces expériences
importantes, qui, à elles seules, ont fait époque et fixé d'une façon définitive l'opinion
sur ce point qui avait été si controversé. Ce qui a été découvert depuis n'est qu'extertsion
et perfectionnement des résultats obtenus par Pasteur.
Avant Pasteur, on ne connaissait guère qu'un type de ferment alcoolique, la levure
de bière; ses recherches ont démontré que la fermentation du moût de raisin était due
à des espèces voisines, mais faciles à en distinguer par leurs caractères spéciaux. Les tra-
vaux de Rees, d'ENGEL, de Hansen sont venus établir avec une précision suffisante la mor-
phologie de ces organismes. Ces données morphologiques sont trop importantes au point
de vue de l'étude de la fermentation alcoolique pour que nous les passions sous silence.
Morphologie. — Les organismes du genre Saccharomyces, établi par Meyen comme
il a été dit plus haut, sont composés de cellules rondes, ovoïdes, ellipsoïdales ou quel-
quefois cylindriques, tantôt isolées, souvent réunies entre elles, en nombre restreint,
formant de petits flocons arborescents. Ces cellules montrent une membrane rigide,
bien nette, et un contenu protoplasmique grisâtre, finement granuleux, présentant sou-
vent quelques vacuoles rondes, de taille diverse, hyalines. Il n'y a pas de noyau appa-
rent, la substance du noyau paraît s'être éparpillée en un nombre assez grand de gra-
nulations que décèlent seuls les réactifs spéciaux. Dans les milieux appropriés, leur
végétation se fait rapidement; leur mode de multiplication végétative est le bourgeon-
nement. Les bourgeons naissent isolés vers les extrémités de la cellule-mère, rarement
sur les côtés. Chaque bourgeon grandit vite, prend les caractères de la cellule qui
ALCOOLIQUE (Fermentation). 251
lui a donné naissance et lui reste accolé ou se sépare d'elle suivant les circonstances.
Dans certaines conditions, au premier rang desquelles se trouvent la privation d'ali-
rnents et la dessication, les cellules végétatives peuvent produire de véritables spores
endof^ènes. Certaines de ces cellules s'agrandissent, deviennent uniformément granu-
leuses; il apparaît bientôt, au milieu du protoplasme, deux ou quatre taches plus réfrin-
gentes, autour desquelles s'amassent les granulations. Ce sont des centres de conden-
sation du protoplasme; chacun d'eux se différencie de plus en plus et prend une forme
sphérique, puis se revêt d'une membrane qui s'épaissit peu à peu. Les spores sont ainsi
formées au nombre de deux à quatre dans chaque cellule-mère. Lorsque la maturité est
complète, la membrane de la cellule-mère se rompt, les spores sont mises en liberté.
On en obtient facilement la germination en les transportant dans un liquide approprié.
Le principal caractère de ces spores est de pouvoir supporter sans périr des influences
qui tuent les cellules végétatives ordinaires. Ce sont les éléments durables de ces
espèces.
Le nombre des espèces que renferme le genre Saccharomyces est assez restreint.
Quelques-unes seulement sont des ferments alcooliques vrais ; d'autres ne produisent
d'alcool qu'en petite quantité; d'autres enfin n'en produisent jamais, quelles que soient
les matières alimentaires qu'on leur offre. Nous allons décrire les types qu'il importe
de connaître, en commençant par l'espèce qui a été le plus anciennement étudiée, la
levure de bière.
Saccharomyces cerevisiœ, Meyen. Les cellules végétatives, rondes ou ovales, mesurent
de S à 9 [j^ dans leur plus grande longueur. Les cellules-mères des spores mesurent de
10 à la ij. de diamètre et contiennent deux à quatre spores de 4 à b (j.. Il existe plu-
sieurs variétés de ce ferment, caractérisées par des différences dans la végétation et les
conditions nécessaires pour produire au mieux leur fermentation; les deux plus impor-
tantes sont désignées dans les brasseries sous les noms de levure haute et levure 6asse.
On trouvera à l'article Bière des détails plus circonstanciés.
Saccharomyces ellipsoideus, Rees. C'est le ferment alcooliçiue ordinaire dii vin de Pasteur,
que l'on ti'ouve toujours en très grande abondance dans le moût de raisin qui fermente
normalement. Les cellules végétatives sont assez régulièrement elliptiques et mesurent
environ 6 [j. dans leur grand diamètre, sur 4 à 4,5 |j. de largeur. Les cellules-mères des
spores sont encore presque elliptiques et ne renferment d'ordinaire que deux spores, de
3 à 3,0 [J., rarement trois ou quatre. Lorsque la température reste basse, la végétation se
fait lentement; les cellules s'isolent facilement les unes des autres; lorsqu'elle dépasse
16°, la végétation est plus active, les éléments restent unis en assez grand nombre en
llocons arborisés assez denses et forment une sorte de voile à la surface du liquide. Cette
levure se trouve dans la nature à la surface des grains de raisins mûrs.
Hansen décrit cette levure sous le nom de Saccharomyces ellipsoideus II et considère
comme une variété son Saccharomyces ellipsoideus l qui se rencontre aussi sur les grains
de raisins niùrs. Ce ferment donne un voile à partir de 6°, voile qui contient souvent
des éléments plus allongés que ceux du précédent ; les spores sont souvent un peu plus
petites, certaines n'ont guère que 2 \x.
Saccharomyces Pastorianiis, Rees. Pasteur le considérait comme une simple variété de
son ferment alcoolique ordinaire du vin, le Saccharomyces ellipsoideus ; c'est bien une
espèce particulière. C'est un ferment alcoolique lent, ne jouant qu'un rôle secondaire
dans la fermentation. On le trouve dans l'air, les poussières des celliers et des brasseries;
c'est de là probablement qu'il vient contaminer les fermentations du vin, du cidre ou de
la bière, où on le trouve très fréquemment. Les cellules végétatives sont ovales, plus ou
moins allongées, ressemblant souvent à celles de la levure de bière et mesurant comme
elles 6 [J. de plus grande longueur. Lorsque la végétation est lente, elles deviennent
pyriformes ou en forme de massue et peuvent alors atteindre de 18 à 22 rx de longueur;
elles restent souvent alors unies et forment de petits flocons. Les cellules courtes ne
contieiment que deux spores, les cellules en massue trois ou quatre; ces spores ont
jusqu'à 6 [J. de diamètre.
Hansen décrit cette levure sous le nom de Saccharomyces Pastorianus IL II rapporte à
ce type deux autres levures. L'une, Saccharomyces Pastorianus I, a été isolée de pous-
sières de l'air d'un cellier à fermentation ; ses cellules et ses spores ont des dimensions
252 ALCOOLIQUE (Fermentation).
un peu plus fortes. La seconde, Saccharornyces Pastorianus lU, trouvée dans une bière
trouble, a ses éléments alltfngés beaucoup plus grands, presque cylindriques.
Saccharornyces exiguus, Rees. C'est une petite espèce dont les cellules végétatives, qui
ont une forme de toupie, n'ont guère que o ;j. de longueur sur 2,5 \j. de largeur au gros
bout. Les spores sont rares et disposées comme celles de la levure de bière. Cultivée
dans les moûts, cette espèce ne donne que très peu d'alcool. Elle intervertit le saccha-
rose et développe une fermentation active dans les solutions de saccharose et de glu-
cose; elle ne donne pas lieu à la fermentation dans une solution de maltose.
Saccharornyces conglomeratus, Rees. C'est un ferment alcoolique douteux. Engel l'a
rencontré dans des moûts de raisin à la fm de la fermentation, Hansen sur du raisin
pourri. Les cellules, presque sphériques, ont environ 6 [j. de diamètre; celles produites
par bourgeonnement d'une seule cellule restent unies en assez grand nombre, formant
UQ conglomérat. Les cellules-mères des spores sont rondes ou ovales et contiennent
deux à quatre spores de 2,5 à 3 (a de diamètre.
Saccharornyces Marxianus, Hansen. C'est une espèce qui a été trouvée par Marx sur les
grappes de raisin. Les petites cellules végétatives ressemblent à celles du Saccharornyces
ellipsoidcus : cultivées dans le moût de bière, elles donnent de longs éléments formant
des colonies qui prennent l'aspect d'un mycélium. Dans le moût de bière, elle ne pro-
duit que très peu d'alcool. Elle en forme plus dans les solutions de glucose et de saccha-
rose; elle intervertit le saccharose, mais n'attaque pas le maltose.
On a décrit d'autres ferments alcooliques qui se rapprochent par beaucoup de carac-
tères des saccharoniycètes vrais, mais s'en différencient surtout parce que, dans aucune
des conditions où ils ont été observés, ils n'ont montré de formation de spores.
C'est le cas d'une levure trouvée par Duclaux dans un lait fermenté; elle présente la pro-
priété de faire fermenter directement le sucre de lait. Ses cellules sont rondes, et ne
mesurent que i,'i p. à 2, S \i. de diamètre. Adauetz a également décrit un ferment. du
lactose bien voisin du précédent, sinon identique. Kayser en a étudié un troisième.
Le ferment apicidé {Saccharornyces apiculatus) doit aussi être placé parmi les Saccha-
romycètes douteux. Il est formé de petites cellules d'aspect spécial; ovoïdes, plus ou
moins allongées, elles possèdent à chaque pôle un petit apicule qui leur donne à peu
prés la forme d'un citron. La longueur des éléments est d'environ 6 pi, Engel pense qu'il
se forme, à l'intérieur de cellules-mères, un grand nombre de petites spores rondes,
mais il n'a jamais pu les observer. C'est un ferment alcoolique très commun dans les jus
de fruits sucrés; il produit une fermentation énergique du glucose, mais ne modifie pas
e sucre de canne.
Pasteur a décrit sous le nom de Torula des formes voisines des levures alcooliques
et très communes dans les ferpnentations. Elles ont des cellules rondes ou plus ou
moins allongées, qui se multiplient par bourgeonnement, restant souvent unies en cha-
pelets assez longs, mais ne donnent jamais de spores et s'allongent parfois en -longs
articles un peu semblables à des filaments mycéliens. Hansen en décrit sept ou huit
espèces qu'il a rencontrées dans les moûts de bière, l'air, la terre, sur les fruits. Cer-
taines forment jusqu'à 8 p. 100 d'alcool dans des solutions à la p. 100 de glucose. La
plupart ne produisent pas d'interversion et sont sans action sur le sucre de canne et
le maltose. On en doit peut-être rapprocher la mycolevilre de Duclaux.
11 n'est guère possible d'étudier les ferments alcooliques sans parler du ilycoderma
vini de Pastedr, que beaucoup regardent comme un Saceharomyces. Toutefois, comme les
formes qui viennent d'être citées, il ne produit pas de spores endogènes; les corps don-
nés comme tels por Rees et Engel n'étant que des gouttelettes grasses, fréquentes dans
les cellules de cet organisme. Loin d'être un ferment alcoolique, c'est un ennemi de
ces fermentations; il s'attaque en effet à l'alcool produit et le brûle complètement en le
transformant en acide carbonique et en eau. Il est formé de cellules ellipsoïdales ou
cylindriques, de 7 |j. de longueur moyenne, restant unies en assez grand nombre pour
former, à la surface des liquides où e lies vivent, des flocons blancs assez gros, très connus
sous les noms de fieurs de vin, fleurs de bière, etc.
Purification des levures. — D'après les données qui viennent d'être exposées, on voit
qu'il existe deux ferments alcooliques principaux, le Saccharornyces cerevisiœ, ou levure de
bière, et le Saceharomyces ellipsoideus, ou ferment ordinaire du vin; les autres, qui sont
ALCOOLIQUE (Fermentation). 253
toujours mélangés aux premiers dans la nature, ne jouent qu'un rôle secondaire et sou-
vent même sont nuisibles parce qu'ils vivent aux dépens d'aliments qui pourraient être
utilement transformés par leurs congénères, ou qu'ils rejettent dans le milieu des pro-
duits qui lui communiquent des propriétés spéciales. On aurait donc grand intérêt, lors-
qu'on a à utiliser l'action de ces ferments, à éliminer ceux qui ne sont pas directement
avantageux. Il n'est pas possible d'arriver à ce résultat en abandonnant au liasarJ le
développement et la conduite des diverses fermentations. Les liquides l'ermentescibles
apportant avec eux de nombreux germes de plusieurs espèces, qui proviennent des fruits
employés pour les obtenir, de l'air, des vases qui les contiennent, c'est l'espèce qui
prendra le dessus qui aura l'action prédominante dans le phénomène. Heureusement,
c'est souvent la bonne, comme dans la plupart des fermentations de jus de raisin ; mais
trop souvent encore d'autres l'emportent, ou tout au moins poussent plus ou moins abon-
damment aux côtés de la première; de là perte importante pour l'iiomme qui les emploie.
Les brasseurs ont compris depuis longtemps combien il était téméraire d'attendre l'en-
semencement naturel des cuvées de moût que devançait trop souvent l'altération du liquide,
et qui, d'autres fois, ne conduisait qu'à un mauvais résultat; aussi ont-ils préféré ense-
mencer largement leurs moûts, avec une forte quantité de levure provenant d'une opé-
ration précédente qui avait donnée de bons produits. Les bonnes espèces prédominaient
ainsi rapidement; l'opération était presque toujours conduite à bonne fio. Dès que Pas-
teur eut montré la possibilité d'isoler ces ferments et de les cultiver dans des milieux
appropriés, le problème reçut sa solution rationnelle.
Les avantages de cette manière de faire parurent tout de suite très importants. Prépa-
rations faciles de grandes quantités de levure de choix, élimination certaine des ferments
secondaires inutiles ou nuisibles, tels étaient surtout les résultats que reclierchaient les
brasseurs. Pasteur avait en même temps résolu la question pour la fermentation du
moût de raisin et la fabrication du vin; là, cependant, les applications pratiques se firent
attendre plus longtemps, bien que l'inlluence des ferments nuisibles fût ici plus considé-
rable peut-être et qu'elle puisse persister pendant un temps très long, puisque la plupart
des maladies des vins faits sont dues à ces ferments secondaires. Ce n'est guère que dans
ces dernières années que ces cultures en grand de levures pures commencèrent à pou-
voir entrer dans la pratique, grâce surtout aux travaux de Hansen et de Jôroensen, à
Copenhague, de Marx et de Jacquemin en France. Les résultats obtenus, à divers titres,
suffisent amplement pour faire prédire à cette réforme un avenir sérieux.
Pasteur obtenait ses cultures pures de levures en mettant en œuvre une sorte de
sélection. Partant d'une levure naturelle qui avait mené à bonne fin une fermentation
normale, il en ensemençait une minime portion dans un milieu bien préparé et dûment
privé, par une stérilisation préalable, de tout organisme vivant. La bonne levure, exis-
tant en forte proportion dans la parcelle de semence, prenait rapidement le dessus et se
trouvait, à un moment donné, dans cette seconde fermentation, en quantité bien plus
grande que les autres. En opérant ainsi successivement dans des milieux nouveaux,
après une série suffisante de cultures, la levure cherchée se trouvait exister seule dans
la culture. La vérification de la pureté se faisait au microscope qui décelait la présence
d'autres organismes, lorsque le but n'était pas encore complètement obtenu.
Hansen a rendu l'isolement plus facile et plus rapide en usant, pour y arriver, du
procédé des cultures sur plaques établi par Koch, qui donnait d'excellents résultats
pour l'étude des Bactéries, et qu'il modifia d'une façon avantageuse pour la recherche
spéciale des levures. Une minime quantité de liquide, contenant le ferment sur lequel on
veut opérer, est intimement mélangée à une gelée formée de moût de bière addition-
née de 10 à 12 pour cent de gélatine blanche, stérilisée d'avance, puis liquéfiée, et
maintenue de 30° à 3b°. Ce liquide est alors réparti dans de petits cristallisoirs cou-
verts, également stérilisés; il fait prise par abaissement de la température. Les germes
vivants, plus ou moins isolés dans sa masse, sont lixés à leur place par suite de la soli-
dification de la gelée; ils sont plus ou moins écartés les uns des autres suivant que le
liquide en contenait plus ou moins. La dilution doit toutefois être faite de façon à obte-
nir un écartement suffisant dans la gelée nutritive. Chaque cellule ou groupe de cellules
se met alors à végéter au bout de quelques jours et donne, au bout d'un temps variable
suivant l'espèce et les conditions de température, une petite colonie, visible à l'œil nu ou
254 ALCOOLIQUE (Fermentation).
à un faible grossissement, dont il est facile de prélever une portion à l'aide d'un lil de
platine stérilisé. Cette parcelle de colonie sert à ensemencer un milieu neuf, dans lequel
se développe une seule espèce, si la colonie, dans laquelle on a fait la prise, était sufli-
samment éloignée des voisines pour que le mélange de leurs cellules ne fût pas possible.
Les cultures sur gélatine doivent être maintenues à basse température, de lo° à 20°,
pour que la gelée reste solide; toute fusion ou liquéfaction amènerait en effet un
mélange des cellules des colonies voisines et détruirait les avantages de la méthode. Il
est même possible d'arriver à des résultats plus précis; on peut opérer la prise de
semence sur des colonies ayant comme origine une seule cellule. Les précautions sont
alors plus minutieuses, parce qu'elles exigent des manipulations sous le microscope à
d'assez forts grossissements. On fait les cultures dans de petits espaces formés d'un
anneau de verre de un ou deux centimètres de hauteur, collé sur un porte-objet avec
du baume de Canada. On flambe ces petits espaces pour les stériliser et on enduit le
bord de l'anneau d'un peu de vaseline au sublimé. On prend des lamelles fines portant sur
une face un quadrillage tracé au diamant, dont les carrés ont environ deux millimètres
de côté, et on dépose, à son milieu, à l'aide d'une pipette stérihsée, une ou deux gouttes
de la dilution de ferment dans la gélatine fondue. On introduit, au fond de la chambre de
verre llambée, une gouttelette d'eau stérilisée destinée à maintenir l'humidité suffisante
et, après que la gelée a fait prise, la lamelle est appliquée sur la cellule de verre, de
façon que la petite quantité de gelée soit comprise dans la cavité; la vaseline qui revêt
les bords permet une adhérence parfaite et une obturation complète de la cellule de
verre. On examine alors soigneusement au microscope, à un grossissement de 1.50 à 200
diamètres, la mince couche de gelée qui se trouve à la face inférieure de la lamelle; on
y reconnaît la présence d'un nombre variable de cellules de ferment dont certaines sont
bien isolées des voisines. Grâce au quadrillage de la lamelle, il est facile de noter leur posi-
tion avec assez de précision pour pouvoir les retrouver à un examen ultérieur. La végé-
tation de ces cellules isolées se poursuit lentement; les progrès en sont faciles à suivre
grâce aux précautions indiquées. Au bout d'un certain temps, les colonies sont suffi-
samment développées pour qu'on puisse y faire facilement, à l'aide d'un fil de platine
stérilisé, une prise destinée à l'ensemencement d'un milieu de culture. Les cultures obte-
nues présentent une homogénéité remarquable, puisqu'elles proviennent du développe-
ment d'un seul et même élément.
Phénomènes chimiques de la vie des ferments alcooliques. — Pour ces cul-
tures, on peut se servir de tous les milieux où les levures trouveront les aliments néces-
saires. Les moûts de bière, obtenus par décoction du malt, au besoin additionnés de
glucose ou de saccharose, sont des plus favorables. On peut en fabriquer de toutes
pièces en tenant compte des conditions de nutrition de ces ferments. A l'aide de telles
cultures pures, conduites dans des milieux de composition connue, il sera facilement
possible de se rendre compte des conditions de vie de ces organismes et des modifica-
tions qu'ils fout subir aux milieux où ils vivent.
Pour bien végéter, les ferments alcooliques doivent trouver, dans les milieux où ils
vivent, les aliments nécessaires â l'édification de leur corps cellulaire. La connaissance de
leur constitution donne donc sur ce point des renseignements précieux. On s'est surtout
attaché a l'étude de la levure de bière qui peut être prise pour type. L'analyse élémen-
taire de cette levure a été faite par de nombreux savants; les résultats obtenus sont assez
concordants. Elle paraît renfermer en moyenne :
Carbone de 48 à SO p. 100
Azote de 9 à 12 —
Hydrogène de 6 à 7 —
Plus une petite quantilo de soufre (0,6 p. 100.) et de phosphore.
L'analyse suivante, due à Naegeli et Lœw, donne des renseignements beaucoup plus
précis sur la nature des principes immédiats qui entrent dans sa constitution :
Cellulose et mucilage végétal 37 p. 100.
Substances albuminoïdes 4o —
Peptones 2 —
ALCOOLIQUE (Fermentation). 255
Matières grasses 5 p. 100
Matières extrnctivcs -^ —
Cendres T —
La cellulose paraît spéciale. Elle ne se dissout pas dans le réactif de Scbweitzer
(solution ammoniacale d'oxyde de cuivre), el se transforme, par ébuUition avec l'acide
sulfurique, en sucre fermentescible. La matière albuminoîde semble identique àl'hémipro-
téine de Schutzenberger; d'après Stuïzer, une partie serait de jla nucléine. Les peptones
doivent provenir de l'activité du protoplasme cellulaire. Les matières grasses sont, en ma-
jeure partie, composées d'oléine; on a signalé en outre la présence de cliolestérine et de
lécithine. Les matières extractives renferment de la leucine, de la lyrosine, de la lécithine,
de la guanine, de la xanthine, de la glycérine, provenant toutes des processus de désassi-
milation. Enûn les cendres, qui contiennent 96,13 p. 100 de principes solubles dans
l'eau, ont, d'après Bélohodbek, la composition suivante :
Acide phosphorique o9,09 p. 100.
Acide sulfurique 0,.57 —
Acide silioique 1,60 —
Clilore 0,03 —
Potasse 38,68 p. 100.
Soude 1,82 —
Magnésie ^,16 —
Cliaux. 1,99 -
Oxyde de fer 0,06 —
Protoxyde de manganèse traces.
En plus de ces composés, la levure doit contenir une certaine quantité d'eau, pouvant
être désignée sous le nom d'eau de constitution, qui ne doit pas être inférieure à 40 p. 100
pour que la plante puisse rester capable de se nmltiplier.
En tenant compte de ces données, on voit qu'il faut à ces organismes pour se nourrir
des aliments azotés, des aliments hydrocarbonés, des aliments minéraux, et de l'eau.
Les aliments azotés essentiels sont les matières albuminoïdes. Les levures ne peuvent
assimiler que les albumines solubles, ne possédant pas le pouvoir de solubiliser les autres ;
les peptones, facilement diffusibles, sont éminemment propices. P.\3teur et Ducladx ont
montré que les levures peuvent prendre leur azote aux composés ammoniacaux ; cepen-
dant, lorsqu'on ne leur donne pas d'azote sous une autre forme, elles paraissent en
quelque sorte dégénérer, tout au moins s'appauvrissent-elles en azote et deviennent-elles
plus riches en matières grasses. Les levures ne semblent pas pouvoir emprunter l'azote
aux nitrates; du moins les résultats annoncés par Laurent ne sont pas suffisants pour
faire admettre l'aflirmative.
Les sucres sont les aliments hydrocarbonés par excellence des levures. Toutefois il
faut ici mettre de côté les processus de fermentation pour ne considérer que la nutri-
tion vraie. La fermentation, en effet, est une fonction spéciale; distincte de la nutrition
proprement dite, bien qu'ayant avec elle des rapports intimes; la preuve eu est que les
ferments peuvent très bien se nourrir et végéter abondamment sans produire de fermen-
tation. Dans le cas particulier, la source de carbone, à l'exclusion complète des sucres,
peut être l'acide tartrique, la mannite, la glycérine ; il n'y a pas alors manifestation de
la fonction de ferment.
Les matières grasses ont pour origine, principale au moins (si ce n'est exclusive), les
deux catégories précédentes d'aliments et surtout les hydrocarbonés. Pasteur l'a dé-
montré en cultivant de la levure de bière dans de l'eau à laquelle il n'avait ajouté que
du sucre pur et de l'extrait d'eau de levure débarrassée de toutes traces de graisse par
lavage à l'alcool et à l'éther; la levure obtenue contenait encore 2 p. 100 de son poids
sec de matières grasses.
On doit encore à Pasteur la preuve de la nécessité des sels minéraux pour le déve-
loppement de la levure. Ensemencé dans un milieu contenant du sucre candi pur, du
tartrate d'ammoniaque et des cendres de levîire, le ferment végète bien et produit une
fermentation normale. Si l'on vient à supprimer les cendres dans la composition du
milieu, la végétation et conséquemment la ferznentation ne se font pas. La nature des
2olJ ALCOOLIQUE (Fermentation).
sels essentiels à la vie de ces organismes n'avait pas préoccupé Pasteur, qui s'était mis,
il est vrai, dans de bonnes conditions en employant les cendres de levure fraîche. Mayer
a voulu se rendre compte de la valeur des différents principes que la chimie avait
signalés dans ces cendres. Il ressort de ses expériences que le phosphate de potasse est,
de tous les sels, celui qui a le plus d'action sur le développement, ce qui ne doit en
rien surprendre si l'on se reporte au tahleau de composition des cendres (p. 2oo).
L'origine du soufre et du phosphore que l'analyse décèle dans la levure est moins
connue. Le premier, qui existe en quantité assez forte, provient très probablement des
aliments albuminoïdes qui en renferment toujours. Mayer en a cependant rencontré
dans de la levure développée en un liquide ne renfermant que du sucre candi, du
phosphate de potasse et du phosphate ammoniaco-magnésien ; il pense qu'il se trouvait
dans le sucre comme impureté. Quoi qu'il en soit, le soufre paraît être un aliment
essentiel pour la levure.
Comme tous les êtres vivants, les levures ont un besoin absolu d'oxygène; il faut
qu'elles respirent pour vivre. Elles peuvent emprunter l'oxygène soit à l'air dissous dans
le milieu nutritif, soit à des combinaisons oxygénées peu stables. Ainsi ScHUTZENBEnoER
a démontré que la levure de bière enlevait très facilement l'oxygène à l'oxyhémoglobine,
faisant passer le sang artériel rouge à la teinte du sang veineux. Enfin, les levures
peuvent emprunter cet oxygène à des composés déterminés, les sucres ; cette soustraction
d'oxygène détermine des modifications moléculaires importantes qui constituent la partie
fondamentale du processus de la fermentation. C'est en effet quand la levure n'a pas à sa
disposition la quantité d'oxygène libre nécessaire et qu'elle trouve du sucre dans son
milieu, qu'elle vit véritablement en anaêrobie et qu'elle devient ferment.
L'oxj'gène sert ici comme partout à oxyder, brûler certains principes du protoplasme,
d'où dégagement d'énergie qui peut se faire sous diverses formes. I.e résidu est de
l'acide carbonique qu'il y a lieu de distinguer de celui que nous retrouverons comme
résidu de la fermentation.
Nature de la fermentation alcoolique. — Maintenant que les principales condi-
tions de nutrition des levures nous sont connues, essayons de les utiliser pour arriver à
nous faire une idée générale de la fermentation alcoolique.
Nous savons déjà que la fermentation est un processus intimement lié à la vie de la
levure, mais à la vie dans certaines conditions, la présence de sucre dans le milieu et
la privation relative d'oxygène.
La levure peut, en effet, très bien vivre sans exercer son pouvoir de ferment; c'est
ce que l'on observe quand on lui offre, comme hydrocarbonés, d'autres produits que
les sucres, par exeniple de l'acide tartrique, de la mannite. C'est ce qui se passe aussi
lorsqu'on la cultive en surface dans les milieux sucrés en présence d'oxygène en abon-
dance. Pasteur a montré qu'en cultivant la levure dans des cuvettes plates, contenant
peu de liquide, assurant largement l'accès de l'air, il ne se formait que peu ou pas
d'alcool, mais, par contre, beaucoup d'acide carbonique; de plus, la végétation est des
plus abondantes, le rapport entre le poids de levure formée et le poids de sucre disparu
est à son maximum, jusqu'à d/4 dans une expérience. En diminuant l'accès de l'air, en
cultivant la levure dans un ballon rempli aux deux tiers, il se forme une bonne pro-
portion d'alcool, mais la végétation est bien moindre à cause de la pénurie d'oxygène;
le rapport entre le poids de la levure formée et le poids de sucre disparu diminue
beaucoup, il n'a été que de 1/76 dans une expérience. Ces phénomènes s'accentuent
encore si l'on cultive la levîire dans un liquide privé d'air par l'ébuUition et remplissant
entièrement le ballon ; on obtiendra alors le maximum d'alcool que la levure peut fournir
et le rapport entre le poids de levure formée et le poids du sucre disparu atteindra un
minimum, 1/89 dans une des expériences. Ces expériences démontrent nettement la
concordance du processus de fermentation avec le manque d'oxygène. Dans les milieux
partiellement exposés à l'air, c'est l'acide carbonique produit qui empêche l'accès d'air
dans le liquide et soustrait pour ainsi dire la levure à son action; cette levure agit alors
comme en vase clos dans un milieu privé d'air. Ce sont ces observations qui ont conduit
Pasteur à poser cet axiome : « La fermentation est la conséquence de la vie sans air. »
Ces relations de la fermentation alcoolique avec l'oxygène ont fait dire depuis long-
temps que la levure ne fait fermenter le sucre que pour obtenir l'oxygène qui lui est
ALCOOLIQUE (Fermentation). i>o7
nécessaire; on a vu qu'elle ne le faisait que lorsque ce gaz libre lui faisait défaut. Ce
caractère n'est du reste pas propre aux levures alcooliques; certaines moisissures sub-
mergées dans un liquide sucré, des cellules végétales à contenu riche en sucre main-
tenues dans l'acide carbonique, produisent de l'alcool, comme nous le verrons plus loin.
C'est plutôt un fait physiologique qui semble général ; les éléments vivants le présentent
à des degrés divers; les levures à son maximum.
Cependant, si cette fonction des levures s'opère au moins quand l'oxygène manque,
cela ne veut pas dire que ce gaz ne soit pas utile à leur développement. Au contraire ;
puisque nous savons que, dans ces conditions de vie sans air ou avec peu d'oxygène, la
multiplication végétative se fait mal, tandis qu'elle s'opère beaucoup mieux en pré-
sence d'une abondance d'oxygène. Cela prouve que le pouvoir de faire fermenter le
sucre est bien distinct de la véritable nutrition bydrocarbonée. Cependant, il est des
cas où l'apport d'oxygène peut rendre la, fermentation plus active. C'est précisément
quand on a ensemencé un milieu privé d'air; la levure, ne trouvant pas trace d'oxygène,
ne végète que très peu, en vertu de sa force acquise, puis s'arrête. Si l'on vient alors à
faire passer un peu d'air dans le liquide, le phénomène reprend bientôt. Ce qui prouve
que la levure ne peut pas vivre constamment en anaérobie, — sa vitalité s'épuiserait
vite, — et aussi que la vie en état de ferment n'est pas sa vie normale, mais plutôt un
état transitoire, quasi accidentel.
Nous savons que tous les sucres ne sont pas aptes à subir la fermentation alcoolique;
ceux du groupe des glucoses peuvent seuls fermenter directement. Les saccharides,
sucre de canne, maltose, lactose, ont besoin d'être au préalable intervertis. L'inter-
version peut être opérée par certaines levures qui sécrètent dans ce but un ferment
inversif, la sucrase de Duclaux; les levures qui ne jouissent pas de la propriété de pro-
duire cette invertine sont sans action sur les sucres du second groupe. Les deux prin-
cipaux ferments alcooliques, la Levure de bière et le Saccharomyces eUipsoideus sécrètent de
l'invertine et font fermenter le sucre de canne et le maltose; elles ne font toutefois
pas fermenter le lactose, mais le brûlent lentement. Le lactose ne subit la fermentation
alcoolique que sous l'influence de levures spéciales, encore peu connues, dont trois
types ont été décrits par Duclaux, Adametz et Kaysek.
D'après Naegeli et Laurent, la modification du sucre et sa transformation princi-
pale en alcool et acide carbonique s'opéreraient dans l'intérieur même du protoplasma
des cellules de levure. Il se produirait une véritable assimilation qui créerait dans
l'élément une réserve hydrocarbonée, probablement sous forme de glycogène dont
l'iode décèle la présence dans les cellules de levure de bière en pleine activité. Ce gly-
cogène se décomposerait pour subvenir aux besoins vitaux; les produits résiduaux
seraient surtout de l'alcool et de l'acide carbonique. Tant que la levure trouve du sucre
dans son'milieu, elle peut reconstituer sa réserve. Lorsque ce corps vient à manquer,
elle épuise sa provision, puis vit sur elle-même, comme tout être en état d'inanition,
c'est la période dite d'autophagie de la ievûre. Dans ces dernières conditions on ne
doit pas s'étonner de voir se former des produits spéciaux, parmi lesquels se rencontrent
des produits de désassimilalion des matières azotées, la leucine et la tyrosine surtout,
indiquant que la levure vit aux dépens de ses matériaux albuminoïdes.
La complexité du phénomène de la fermentation et celle des produits auxquels il
donne naissance prouvent bien qu'il n'y a pas là une simple modification, un simple
dédoublement du sucre, mais un véritable acte vital présentant les caractères que l'on
est habitué à reconnaître dans les manifestations de la vie.
Lavoisier n'ayant trouvé dans le liquide issu de la fermentation alcoolique que de
l'alcool, de l'acide carbonique et un peu d'acide acétique dont le poids correspondait
à peu près au poids du sucre consommé, croyait à un simple dédoublement qu'il for-
mulait très simplement par l'équation suivante :
C6H1206 = 2C02 -t- 2C3H60.
Sucre. Alcool.
que Gay-Lussac traduisit, en disant que, sur 100 parties de sucre, a 1,34 se transforment
en alcool et 48,66 en acide carbonique.
Dumas et Boullay montrèrent que cette formule ne pouvait s'appliquer au sucre de
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME. I. 17
238 ALCOOLIQUE (Fermentation).
canne, qui devait, par l'inversion, subir une hydratation préalable. Pasteur a renversé
cette première théorie eu démontrant l'existence constante de produits autres que
l'acide carbonique et l'alcool provenant des actes de désassimilation. D'après lui, dans
une fermentation alcoolique normale, sur 100 parties de sucre candi, 93 ou 96 donnent
de l'alcool et de l'acide carbonique; les 4 ou o parties restantes servent de véritable
nourriture hydrocarbonée à la levure et donnent surtout comme résidu de l'acide suc-
cinique et de la glycérine. La modification de 100 grammes de sucre candi, selon lui,
serait représentée, à peu de choses près, dans le tableau suivant :
Alcool 51,10
Acide carbonique 49,20
Glycérine 3,40
Acide succinique 0,6;i
Cellulose, graisses, etc i,-'JO
L'excédent de o,65 serait dû à l'hydratation du sucre de canne pendant l'inversion
par la levure.
La modification complète, c'est-à-dire la fermentation alcoolique proprement dite,
se formulerait alors de la façon suivante : 95 à 96 p. 100 du sucre donneraient de l'alcool
et de l'acide carbonique suivant l'équation de Lavoisier, modifiée par Dumas et Boull.iy,
C12H22011 + H20 = 4C2H60 + 4C0^.
Sucre de canne. Alcool.
Les 4 ou .S parties restantes formeraient surtout l'acide succinique et la glycérine,
suivant l'équation :
49(Ci2H220ii + H^O) =24CtH604 + ■144C:'HS03 + 60CO2.
Sucre de canne. Acide succinique. Glyc<?rine.
Suivant Monoyer, la transformation serait plus simple; elle pourrait se formuler
ainsi :
4(Ci2H220ii + mO) =. 2C*H60i + 12C3HS03 + 4CO2 + O^.
Sucre de canne. Ac. succinique. Glycérine.
Cet oxygène mis en liberté par la réaction servirait justement à la respiration de la
levure.
Les proportions d'acide succinique et de glycérine formées sont loin d'être flxes et
invariables, elles subissent au contraire, mais en sens inverse, les variations de l'activité
du ferment. L'acide succinique, par exemple, se forme en plus grande quantité quand la
fermentation est lente; la glycérine, d'après d'UDRANSKY, quand la levure est dans la
période d'autophagie. Ce qui est une preuve de plus pour les considérer coinme des
produits directs de la désassimilation.
Outre les produits secondaires qui viennent d'être cités, acide succinique et glycé-
rine, les chimistes ont signalé la production, dans les fermentations alcooliques, de toute
une série de composés dont le mode de formation est encore loin d'être expliqué. C'est
l'aldéhyde, l'acide acétique, qui peuvent provenir d'une oxydation de l'alcool déjà formé;
des acides gras supérieurs; des composés basiques, encore très peu connus; des alcools
supérieurs, l'alcool amylique, l'alcool propylique, l'alcool isobutylique; des glycols;
enfin, dans les vins spécialement, de très petites quantités d'éthers qui contribuent à
former le bouquet du vin.
Oudonneau démontra que la nature de la levure avait une grande influence sur la
production de certains de ces composés, en annonçant que les alcools de queue des
fermentations de vin étaient les alcools propyliques et butyliques normaux, taudis que
les alcools supérieurs provenant de fermentations déterminées par la levure de bière
sont des iso-alcools.
Une partie de ces produits seraient de véritables impuretés pour la fermentation
alcoolique normale, impuretés dues surtout à la présence de ferments étrangers. C'est
ce que tendent à faire admettre les dosages, pratiqués par Llxdet, des alcools supérieurs
dans des fractions de moût prélevées à différents moments de la fermentation. Ces opé-
rations démontrent que la proportion des alcools supérieurs augmente au moment où
ALCOOLIQUE (Fermentation). 239
la fermentation touche à sa fin, alors que la levure ralentit sa végétation et que les autres
organismes, paralysés] jusque-là, reprennent leur activité; dans une expérience, les
dosages ont donné les résultats suivants :
1» pendant les 14 premières heures de la
fermentation 0,36 d'alcools supérieurs p. 100 d'alcool formé.
2° Entre la 1 4» et la 20° heure 0,34 — — —
3° Entre la 20° et la 38° heure {fermen-
tation terminée) 0,88 — — —
i° 24 heures après la fermentation ter-
minée, 14,07 — — —
Des expériences similaires ont également prouvé que la proportion d'alcools supérieurs
formés était moindre lorsque la fermentation était particulièrement active, comme celle
provoquée par une grande quantité de bonne levîire qui l'emportait tout de suite sur les
autres organismes ; qu'elle s'élevait au contraire dans les fermentations lentes où les
organismes étrangers entraient en concurrence avec la levilre alcoolique vraie.
On connaît très peu encore la part qui revient aux divers organismes, autres que les
bonnes leviîres, pouvant se rencontrer dans les fermentations alcooliques. Perdrix a décrit
récemment un bacille anaérobie, qu'il a isolé de l'eau, qui présente la curieuse propriété
d'attaquer l'amidon, de le transformer en ua sucre fermentescible et de produire aux
dépens de ce sucre une forte proportion d'alcool amylique, de l'alcool butyrique, des
acides acétique et butyrique. Il est bien probable que la présence de ces produits dans
les alcools industriels de grains et de pommes de terre provient du développement de
cette bactérie ou d'autres à action similaire.
Il résulte de là l'importance extrême d'éviter le plus possible la présence des orga-
nismes autres que les bonnes levures alcooliques. Dans ce but on a proposé divers
moyens. Gayon et Effront ont démontré la possibilité de diminuer sensilalement les
proportions d'alcools supérieurs en ajoutant des substances légèrement antiseptiques
empêchant ou entravant le développement des organismes étrangers, tout en ne nuisant
pas au bon fonctionnement de la levure; le premier conseille l'addition de sous-nitrate
de bismuth, le second celle de minimes quantités d'acide fluorhydrique. La voie la plus
siire semble être l'emploi des levures pures combiné avec une préparation convenable des
moûts qui parvienne à en écarter les impuretés nuisibles ; c'est un moyen sûr, en train
de passer actuellement dans la grande pratique, depuis les recherches de Marx et |de
Jacoueuiin sur ce sujet.
Toutes ces données prouvent bien qu'il n'est pas plus possible d'établir une formule
complète et générale de la fermentation alcoolique que de mettre en équation un phéno-
mène vital quelconque.
Influence des milieux. — Les ferments alcooliques subissent, comme tous les
êtres vivants, l'intluence des milieux. Il est pour eux des conditions et des substances
favorables à la manifestation et à l'accroissement de leur fonction de ferment, d'autres
qui leur sont nuisibles et produisent des modiflcations dans leurs propriétés vitales ou
arrivent même à les faire périr. Ces influences mauvaises arrêtent d'abord les modifi-
cations extérieures, tout en laissant la nutrition se faire tant bien que mal. Si leur action
persiste, la nutrition s'arrête, la mort peut survenir. C'est alors parfois que se produisent
les spores, pour résister à des conditions qui font périr les simples cellules végéta-
tives.
Parmi les conditions physiques nécessaires à la vie et au bon fonctionnement des
levures alcooliques, la chaleur tient certainement le premier rang. Leur végétation parait
nulle a 0°; elle ne commence guère que vers 2° ou .3°, puis augmente progressivement
jusque vers 25° — 30°, où elle présente un optimum peu déterminé encore; elle reste sta-
tionnaire, puis s'arrête aux environs de 38° — W. Portées à une température supérieure,
les levures périssent de 33° à 70° suivant l'état de vitalité de leurs éléments et la compo-
sition du milieu; elles meurent plus vite, dans les milieux acides. Desséchée lentement,
avec précautions, la levure de bière peut supporter pendant plusieurs heures, sans périr,
la température de 100°; le fait est toutefois peut-être dû à la pi'ésence de spores ou à leur
formation pendant l'expérience. La fermentation alcoolique commence à basse tempéra-
ture, Z° au minimum pour la levure de bière; elle se fait alors très lentement. Elle est plus
260 ALCOOLIQUE (Fermentation).
active, quoique encore lente, vers 6°, 8° et se montre dans son plein de Vo" k 23°. Elle
cesse vers 40°, sauf dans les cas où en opérant très lentement on )a soumet à des terapé-
i-atures un peu supérieures : elle peut alors se manifester encore à 4o°.
Le froid paraît avoir assez peu d'action sur les levures, comme en général sur les
micro-organismes; elles peuvent être soumises sans périr à des froids de — 100° et
plus.
D'après Regnaed, la lumière activerait la fermentation, qui cependant s'opère très
bien à l'obscurité. Les effets de l'électricité ne paraissent guère plus remarquables;
Dumas a observé que de grandes étincelles tuent la levure, ainsi qu'un fort courant de
10 éléments Bunsen : dans ce dernier cas cependant il est probable qu'il faut tenir compte
des changements produits dans le milieu par l'électrolyse. De très fortes pressions
n'arrivent pas à détruire la vitalité de ces organismes.
La dessiccation lue rapidement les cellules végétatives. Elle est sans action sur les •
spores. De la levure desséchée lentement à la température ordinaire peut cependant gar-
der longtemps son activité; le fait est dû sans doute à la formation de spores pendant
l'opération.
De la levure de bière conservée dans l'oxygène, l'hydrogène, l'azote, l'oxyde de carbone,
le protoxyde d'azote, l'hydrogène protocarboné, a paru à Dumas conserver sa vitalité et son
pouvoir de ferment. D'après P. Bert, l'oxygène comprimé ferait disparaître cette dernière
propriété.
I,es acides et les bases, en faibles proportions, n'ont aucune action; les doses élevées
sont toxiques pour le ferment. L'addition de soufre détermine la production d'une petite
quantité d'hydrogène sulfuré; Rey-Pailhade attribue cette réaction à la présence dans
l'élément vivant d'une matière hydrogénée spéciale, \e philothion, qui se combine au sou-
fre en donnant de l'hydrogène sulfuré.
L'alcool arrête la fermentation alcoolique, dès qu'il se trouve en proportions de IG à
17 p. 100 dans le liquide; de plus fortes quantités tuent les levures.
Les antiseptiques entravent la fermentation à des doses variables suivant leur acti-
vité; si les doses augmentent, les levures périssent (Voir Antiseptiques). Certains poisons,
l'acide prussique par exemple, font de même.
Les anesthésiques paraissent pouvoir diminuer ou même arrêter la fermentation alcoo-
lique, suivant la dose. D'après Duclaus, 1 p. 100 de chloroforme ralentit de moitié la
fermentation de la levure de bière jeune et très active, et peut même supprimer l'action
de la levure vieille. Charpentier a observé l'arrêt complet de cette fermentation par la
cocaïne à la dose de 5 p. 100. Dans ces conditions, la levure n'est pas tuée, car elle
reprend sa vie dès que l'anesthésique a disparu ; elle est sous le coup d'une véritable
aneslhèsie.
Les levures des fermentations alcooliques sojit très répandues dans la nature. On en
trouve constamment à la surface des fruits sucrés qui ont mûri à l'air libre; il suffit de
les écraser pour que le jus subisse rapidement la fermentation alcoolique. On peut s'en
convaincre, d'ailleurs, par l'examen direct; si on lave à l'eau distillée, comme l'a fait
Pasteur, des grains de raisins mûrs à l'aide d'un pinceau de blaireau, l'examen au
microscope du liquide trouble obtenu y fera reconnaître la présence, au milieu d'autres
organismes, de nombreuses cellules de le\nlre dont certaines peuvent contenir des spores.
Les raisins verts, par contre, s'en montrent constamment dépourvus. A tout moment de
l'année, la terre des vignes s'est montrée à Pasteur capable, ajoutée à très petites doses,
de provoquer la fermentation alcoolique dans les moûts sucrés. D semble que le sol soit
le véritable lieu de conservation de ces organismes. Tombées à sa surface avec les fruits
mûrs sur lesquels elles ont pullulé, les levures sporulent en partie, et passent, à l'état de
spores, le temps assez long pendant lequel elles ne rencontreraient pas d'aliment sucré
dans la nature. Transportées par le vent avec les poussières sur des fruits arrivés à un
état de maturité suffisante, elles s'y accolent et peuvent se multiplier et agir dès qu'une
solution de continuité quelconque des téguments les met en contact avec le jus sucré
qu'ils contiennent. C'est la même raison qui fait que ces levures sont très communes dans
les poussières des locaux où s'opèrent en grand les fermentations alcooliques, celliers à-
vin et à cidre, caves de brasserie; de telle sorte qu'un moût sucré convenable, ne ren-
fermant aucun ferment, entre rapidement en fermentation dès qu'il est simplement
ALCOOLIQUE (Fermentation). 126
exposé à l'ail' libre dans de tels locaux. L'opinion de la fermentation sponlanée de ces
moûts est aujourd'hui complètement improuvée.
Ferments alcooliques autres que les levures. — Les levures ne sont pas les
seuls éléments vivants qui possèdent la propriété de produire de l'alcool aux dépens du
sucre; on retrouve cette particularité, à des degrés divers, chez d'autres organismes
inférieurs ou même chez des organes d'êtres plus élevés, dans des conditions spéciales.
Lorsqu'on fait vivre certaines moisissures dans des liquides sucrés, en les soumettant
à des conditions déterminées, au premier rang desquelles se trouve l'immersion de la
plante dans le liquide, on observe une transformation du sucre et une production d'acide
carbonique et d'alcool. Il est de ces champignons qui ne peuvent attaquer que les glu-
coses; d'auiresfont également fermenter le sucre de canne grâce à la sécrétion d'un fer-
ment inversif. Cette propriété d'être ferment alcoolique coïncide avec des modifications
spéciales que subit la partie végétative de la plante. Ce mycélium, au lieu d'être formé
d'articles fdamenteux souvent très longs et ramifiés, se segmente en une série d'articles
courts, sphériques, ovoïdes ou cylindriques, ressemblant beaucoup à des cellules de
levures et semblant se reproduire comme elles par bourgeonnement. Cette forme n'est
toutefois que transitoire ; elle dépend du mode de vie spécial imposé à la plante, immer-
sion dans un liquide et privation plus ou moins complète d'air. Dès que de tels articles,
en effet, arrivent à la surface, ils donnent les tubes filamenteux habituels du mycélium
de l'espèce. La quantité d'alcool formée est très variable; certaines espèces en donnent
à peine des traces, d'autres des proportions notables. Une seule est utilisée comme
ferment alcoolique, et encore la part qui lui revient dans l'opération est-elle minime.
Le Mucor muccdo est une de ces moisissures qui peuvent produire de l'alcool aux
dépens du sucre. C'est une grande moisissure blanche qui se rencontre fréquemment sur
les milieux sucrés, principalement sur les confitures. Vivant sur un corps humide ou à la
surface d'un liquide en présence d'air en abondance, les filaments mycéliens sont très
longs, rameux, enchevêtrés les uns dans les autres, constituant une membrane blanche
feutrée, plus ou moins épaisse. De distance en distance, ils émettent des filaments verti-
caux qui se terminent par un sporange sphérique rempli de petites spores. Immergé
dans un liquide, en présence d'une quantité insuffisante d'air, le mycélium pousse des
articles courts, sphériques, ovoïdes ou cylindriques, qui peuvent se détacher et vivre à
part, en produisant par bourgeonnement d'autres articles semblables ; la ressemblance
de ces derniers avec les leviàres est très grande et a pu prêter à confusion. Dans ces con-
ditions, la plante provoque une véritable fermentation aicoolique du sucre; on peut ren-
contrer dans le liquide, jusqu'à 3 p. 100 d'alcool, de l'acide succinique, de l'aldéhyde et
des traces de glycérine. D'après Gayon, ce Mucor n'intervertirait pas le sucre de canne.
Le Mucor racemosus secrète de l'invertine, et peut faire fermenterle sucre de canne; il
donne jusqu'à 8 p. 100 d'alcool. Le Mucor circinelloides n'intervertit pas le sucre decanne;
et donne dans les moûts de glucose jusqu'à 3, S p. 100 d'alcool. Dans les moûts de bière,
le Mucor erectus peut donner jusqu'à 8p. 100; le Mucor spinosus, op. 100 d'alcool.
Dans les mêmes conditions les Pénicillium glaucum et Aspergillus glaucus, formant les
moisissures vertes les plus communes, produisent aussi de l'alcool, mais en quantités
très minimes.
Des moisissures voisines de cette dernière espèce servent, au Japon et en Chine, à
saccharitier le riz et à produire un peu d'alcool, donnant ainsi des boissons alcooliques
très usitées dans ces pays, le koji et le sfl/cé.La fermentation s'obtient en ajoutant au riz,
concassé et additionné d'eau, un levain spécial qui contient, comme parties actives,
des spores de la moississure et des cellules de levures où domine une espèce qui paraît
être le Saccharomyces Pastorianus. La moisissure sert surtout à saccliarifier l'amidon; elle
ne produit que très peu d'alcool, 2 à3p. 100 au maximum; la plus grande partie pro-
vient de l'action du Saccharomyces sur le glucose formé. C'est cet Aspergillus qu'on
propose d'appeler Aspergillus Oryzsc, qui est en réalité la seule moisissure employée
comme ferment alcoolique.
Plusieurs espèces de bactéries produisent de l'alcool aux dépens des sucres ou de la
glycérine, mais cette formation d'alcool est souvent bien minime. V Actinobacter polymor-
phus de DuoL.iUS et le Bacille éthylique de Fitz sont dans ce cas. Le Bacille amylozyme de
Perdrix donne aux dépens de l'amidon à la fois de l'alcool éthylique et de l'alcool aniy-
262 ALDEHYDE.
ligue, en faibles proportions il est vrai. Maecano a signalé la présence de vibrions, dans la
fermentation de la farine de maïs qui donne la boisson alcoolique nommée chicha dans
l'Amérique du Sud; rien dans ses observations ne prouve la production d'alcool par ces
organismes. En résumé, aucune bactérie ne parait, jusqu'ici du moins, pouvoir être un
ferment alcoolique utilisable.
Ces organismes inférieurs, levures, moisissures, bactéries, ne sont pas les seuls êtres
vivants capables de produire de l'alcool aux dépens du sucre. Cette propriété se retrouve
chez des plantes supérieures ou des parties de plantes placées dans des conditions de vie
particulières. Lechartirr et Bellamy ont démontré qu'en plaçant des fruits sucrés, poires,
pommes, cerises, etc., dans une atmosphère d'acide carbonique, il était possible, au bout
d'un certain temps, de constater dans le fruit la production de quantités notables d'alcool,
sans qu'un examen microscopique attentif pût déceler la présence de ferments alcooliques.
MûNTZ a prouvé qu'il en était de même pour des plantes entières (vigne, betterave, mais,
chou) placées dans de l'azote pur.
Il résulte de ces faits que la fermentation alcoolique n'est pas une fonction exclusive
des levures, mais peut être considérée comme une propriété générale des éléments vivants,
propriété qui se manifeste seulement quand ces éléments sont en présence de conditions
déterminées, lorsqu'ils trouvent à leur disposition des corps fermentescibles et qu'ils
sont soumis à une privation d'oxygène. L'action produite dépend de la résistance qu'ils
offrent à ces conditions spéciales. Les cellules des fruits, en particulier, résistent moins
longtemps à la vie sans air parce que ce sont des éléments ayant terminé leur évolution,
qui ne peuvent qu'épuiser l'énergie en réserve sans pouvoir en reformer de nouvelle;
elles meurent avant d'avoir transformé beaucoup de sucre.
En somme, tous ces faits tendent à prouver les rapports intimes qui unissent la fer-
mentation alcoolique, dédoublement des glucoses en alcool et acide carbonique, et la
suppression d'oxygène à des éléments vivants qui en ont besoin, et viennent corroborer
la théorie de Pasteur qui fait de la fermentation alcoolique une conséquence direcle de
la vie sans air.
Bibliographie. — Pasteur. Études sur le vin, 1873. — Études sur la bière, 1876. —
Examen critique d'un écrit posthume de Cl. Bernard sur la fermentation, 1879. — Duclaux.
Microbiologie [Exicyclopédie chimiciue de Frémy, 1883). — Schutzenberger. Les fermentations,
1879. — Hansen. Comptes rendus du laboratoire de Carlsberg depuis 1879. — Charpentier.
Action 'de la cocaïne sur la fermentation {B. B., p. 17, 1883). — Garnier. Ferments et fermen-
tations, 1888. — Jacquemin. DuSaccharomyces elUpsoideus et ses [applications industrielles,
1888. — BouRQUELOT. Les fermentations, 1889. — Marx. Le laboratoire dubrasseur, 1889.
— JôRGENSEN. Die Mikroorganismen der Gàhrungsindustrie, 1890. — Perdrix. Sur le bacille
amylozyme (Annales de l'Institut Pasteur, 1889, t. v, p. 287). — Laurent. Nutrition de la
levure (Annales de l'Institut Pasteur, 1889, t. v, pp. 113 et 362). — • Jacquemin. Les- différentes
levures de fruits et le bouquet des boissons fermentées (Revue Scientifique, 28 mars 1891). —
Kayser. Levures alcooliques du lactose (Annales de l'Institut Pasteur, 1891, t. v, p. 39o). ^
Contributions à l'étude des levures de vin (Ibid., 1892, t. vi, p. 369). — Lindet. Les pro-
duits formes pendant la fermentation alcoolique (Revue générale des sciences, 13 novembre
1891). — Calmette. La levure chinoise (Annales de l'Institut Pasteur, 1892, t. vi, p. 604). —
Effront. Action des fluorures sur les levures (Bulletin de la Société chimique, 1891).
E. MACÉ.
ALDEHYDE (C-H'*0). —L'aldéhyde est un produit de la déshydrogénation de
l'alcool (C-H'^0 — H- ^ C-H*0), autrement dit l'intermédiaire entre l'acide acétique et
l'alcool. C'est un liquide incolore, volatil, qui bout à 21°, et dont l'odeur est suffocante,
produisant la toux, une sensation de constriction à la poitrine et le larmoiement. Res-
piré à faible dose, il a une odeur rappelant vaguement celle delà pomme. Pour recon-
naître la présence de l'aldéhyde, la réaction ordinaire consiste à la chauffer avec une
solution d'azotate d'argent, additionnée de quelques gouttes d'ammoniaque. Il y a alors
réduction du métal.
Malgré ses effets caustiques et irritants, on a osé proposer l'emploi de raldéh3'de
comme anesthésique (Poggiale et Simpson, cités par Rabuteau, Thérapeutique, p. 641). La
toux produite par les premières inhalations disparaîtrait pendant la période anesthésique
ALEXIE. — ALGUES. 263
pour reparaître quand l'anesthésie a pris fm. D'après Dïï.tardin-Beaumetz et Audigé,
l'aldéhyde est toxique cà la dose de t à 1,2 par kilogramme d'animal; par conséquent,
six fois plus toxique que l'alcool ûthylique et un peu plus toxique que l'alcool amy-
lique. D'après Albertoni [Arch. Italiennes de biologie, t. is, fasc. 2, p. 168, 1888),
l'aldéhyde produit l'ivresse et l'anesthésie à des doses auxquelles l'alcool paraît encore
peu actif, ce qui rend peu vraisemblable l'hypothèse, souvent émise par divers auteurs,
que dans l'organisme l'alcool se transforme en aldéhyde. M. Albertoni a aussi constaté
que l'aldéhyde ingérée ne subit pas d'oxydations; mais qu'elle semble être éliminée
à l'état d'aldéhyde par les poumons et par les reins; car on la retrouve dans les exhala-
tions, alors même qu'on n'en a absorbé qu'à petite dose. Après ingestion d'alcool on en
constate parfois des traces (Krestghy. D. Arch. fur Min. UecL, t. xvni, pp. 527-341);
mais le plus souvent on retrouve dans les urines et dans l'air expiré l'alcool ingéré
(Tappeiner. Z. B., t. XX, p. 32). Nous devons donc conclure qu'en somme l'aldéhyde est
assez toxique, qu'elle a les propriétés générales des alcools et des éthers, et qu'elle
ne subit pas de transformation dans l'organisme.
En présence du nitro-cyanure de sodium l'aldéhyde se colore en rouge, si l'on ajoute
de l'acide acétique, et, si l'on chauffe, elle prend une teinte verte. L'addition de métaphé-
nyldiamine donne aux liqueurs contenant de l'aldéhyde une coloration jaune même avec
une dilution de l/oOOOOO. On obtient encore d'autres réactions colorées avec l'acide
diazobenzolsulfurique, la phénylhydrazine, l'hydroxylamine. Pour faire le dosage quan-
titatif de l'aldéhvde, on la précipite par une solution de bisulfite de soude.
CH. R.
ALEXIE. — Ce terme est très fréquemment employé pour désigner une des
formes de l'aphasie : la cécité visuelle verbale caractérisée par la perte de la faculté
de lire (Voyez Aphasie).
ALEXINE. — Expression introduite en 1891 par H. Buchner pour désigner les
substances albuminoïdes, doue'es de propriétés bactérides, qui se rencontrent dans le
sérum du sang normal (Voyez Immunité).
ALGÉSIMÈTRE (=cV,cri;, douleur, ;j.£-pov mesure). — Sous ce nom, Bjorns-
TROM a décrit un instrument destiné à mesurer l'intensité de l'excitation nécessaire pour
faire naître une impression douloureuse. Cet appareil consiste essentiellement en une
pince, au moyen de laquelle on comprime un pli de la peau et qui permet de lire, en
poids, la pression employée. M. Cu. Richet avait pour le même but employé un instru-
ment analogue {Rech. sur la sensibilité, 1877, p. 291).
ALGIDITE. — Terme médical indiquant la période d'une affection morbide
pendant laquelle il y a soit une sensation de refroidissement, soit un refroidissement-
Ce terme ayant une signification ambiguë, nous renvoyons à Hypothermie, qui a un
sens précis.
ALGUES. — Un nombre considérable de faits ont été jusqu'à ce jour acquis à
la science, concernant divers points de la physiologie de ces végétaux inférieurs. Mais
aucun travail d'ensemble n'a été effectué, dans le but de rassembler ces données éparses
dans un grand nombre de publications, et de montrer l'intérêt qu'elles sont susceptibles
de présenter pour la physiologie générale. Nous avons essayé de combler cette lacune,
dans la mesure du possible, mais que l'on ne s'attende pas à trouver ici une énumération
complète des diverses notes et mémoires, concernant un sujet sia-iche, quant à la biblio-
graphie : il est presque impossible aujourd'hui de faire la bibliographie complète d'une
question, et d'ailleurs le but que nous nous proposons est beaucoup plus restreint.
Nous nous contenterons de grouper méthodiquement les faits qui nous ont paru offrir
un intérêt d'une certaine généralité, tant pour la biologie propre des Algues, que pour celle
des végétaux en général. Nombre de faits, relatifs à la constitution du corps des Algues,
à leur reproduction, à leur polymorphisme, et même à leurs affinités, sont de nature à
26i . ALGUES.
intéresser quiconque s'occupe de physiologie générale; mais ces faits sont plutôt du
domaine de la morphologie et nous n'y insisterons pas ici.
Composition chimique des algues. — Matières minérales. — Les données
acquises à ce sujet sont encore assez limitées, et les chiffres donnés par les auteurs ne
permettent guère de conclusions générales.
Les algues, qui étaient jadis employées pour l'extraction de la soude et de la potasse,
sont évidemment les types les plus riches en matières minérales. Ce sont : Fucus vesicu-
losus, F. serratus, F. nodosus, Himanthalia lorea, Halidrys siliquosa, Laminaria digitata,
L. saccharina.
Le sodium y est combiné à l'acide sulfurique et à des acides organiques.
Les varechs ou goémons de nos côtes, qui constituent le kelp des côtes d'Ecosse et
d'Irlande, contiennent en moyenne (Gautier de Claubry. Analyse des varechs, 181o) :
Sulfate de potassium 10,203
Chlorure — 13,476
— de sodium 15,018
Iode 0,600
Autres sels 2,103
Les matières minérales des Alg-ues sont surtout remarquables par la présence des
iodures et des bromures. Voici quelques chiffres, quant à la teneur en cendres, relati-
vement àla composition centésimale : Sphaerococcus s]i.'l de la à 9,6 p. 100; Fucus amylaceus,
7,t)p.IO0; F. vesicidosus,3p. 100. D'après Marchand, les algues les plus riches en iode sont :
haminaria digitata, o,3o2 p. 100; L. saccharina, 2,730 p. 100 ; Fucus serratus, 0,834 p. 100;
F. vesiculosus, 0,719 p. 100; Cystoseira siliquosa, 0,639 p. 100. D'après Vibrans, les chiffres
seraient un peu différents : F. serratus, 0,36 p. 100; F. vesiculosus 1,03; Laminaria
1,67 p. 100; Furcellaria fastigiata, 0,21. Les Zostères en contiendraient 0,42 p. 100.
On trouve'dans Brasack (5e)'. Berl., t. xi, p. 233) 2analyses de varechs, empruntées à
CORDILLERO et à GiJON.
CORDILLERO. GlJOX .
28,87
1,67
33,68
28,37
3,93
2,96
100 100
E. ÂLLAZY (B. S. C, t. .\xviii, pp. 11-12) a donné des chiffres sur la teneur en cendres
des varechs frais.
Pour roOO kil.
Digitatus ' jeune thalle 1,224 gr.
I partie inférieure d'une plante âgée. 1,089 —
Stenolobus j vieux thalle 0,578 —
' plante entière 0,606 —
Digitatus stenojyhyllus (?) 0,996 —
Saccharinus 0,448 —
Aloria 0,108 —
Dans les varechs des côtes septentrionales d'Espagne, 0. Schott a trouvé de 0,338
à 1,702 p. 100 d'iode.
Certaines algues sont abondamment pourvues de carbonate de chaux, qui, en se dépo-
sant dans leurs membranes, les incruste. Par exemple, chez les Characées, l'incrustation
se localise en une série de zones annulaires, il en est de même chez certaines Siphonées
marines : Acetabularia, Halymeda. L'exemple le plus frappant de ce phénomène est offert
par des Floridées, des familles des Corallinées, et des Lithothamniées; là l'incrustation
est assez compacte pour donner à la plante la solidité et l'aspect extérieur de tiges de
corail.
CORDILLE
K2S0t
9,79
S04CA . .
0,79
KCl. . . .
.57,00
NaCl. . .
27,08
Na^S. . .
1,21
Na^CO^. .
2,93
Nal . . .
1,16
ALGUES. 265
Dans le suc cellulaire de la vacuole de Valonia utricularis, Geisleb, puis A. Meyer
(Ber. d. deutschBot. Gesellsch., d891, 3) ont pu caractériser : le chlore, l'acide sulfurique,
l'acide phospliorique, le magnésium, le potassium, et un peu [de sodium. Le résultat le
plus intéressant est l'absence de calcium, métal qui se trouve dans l'eau ambiante; ce
fait viendrait, jusqu'àun certain point, corroborer l'opinion de Schimper (f/ora, 1890, 3),
à savoir que la chaux n'est qu'indirectement nécessaire à la majorité des plantes, parce
qu'elle précipite, à l'état d'oxalate de chaux insoluble, l'oxalate acide de potasse, qui, à
une certaine dose, est toxique pour le protoplasme végétal.
Le sulfate de chaux se rencontre à l'état de cristaux, dans le thalle de Fucus vesiculosus :
Les cristaux des Desmidiées sont bien connus, ils sont formés de sulfate de calcium,
et toujours en mouvement dans une vacuole, située généralement au sommet de la
cellule (Fischer. Ueber das VorJtommen von Gypskristallen beiden Desmidien, in Jahrb. fin-
U'issenchaft. Bot., t. xiv, pi. X). Chez les Spirogyres, ce sont des cristaux d'oxalate de
chaux, en croix, dont les bras se terminent en pointe, enT, en croix type partant d'autres
branches secondaires, en màcles. Ces derniers observés dans une seule espèce S. seti-
formis (Wildeman). La production plus abondante de ces cristaux, au printemps qu'en été,
est des plus douteuses; leur abondance varie d'ailleurs, au même moment, d'une cellule
à l'autre.
Il existe également dans le protoplasme de certaines algues de petits corpuscules en
mouvement, très réfringents, ne réagissant pas au liquide de Gram, inattaqués par SO'*H-,
et persistants après destruction du protoplasme. Ce sont les <( Zerzetsungskôrperchen >>
de Fischer, signalés chez des Spirogyres, Zygnémées, Mésocarpées, Desmidiées, Cosma-
rium. Sur ces corps, curieux, mais de composition chimique indéterminée, voir Fischer,
loc. cit.; Wildeman, loc. cit.; Gay. lissai d'une monographie locale des conjugués, p. 22.
Certains métaux relativement rares se trouvent, en quantités plus ou moins notables,
dans le thalle de certaines algues. C'est ainsi que Fucus vesiculosus contient, dans ses
cendres, du strontium et du baryum, du zinc, du bore, du nickel et du cobalt.
Composés organiques. Camphre. — Phipsox {Pharm. Journ. Trans., t. clxii, p. 479)
a extrait une substance ressemblant aux camphres des espèces suivantes ■.Charafœtida,
Palmella sp.l, Osciltaria autumnalis, tenuis, Nostoc sp.? Il a nommé cette substance :
Characine. On l'obtient en épuisant les plantes par l'eau; cette substance se sépare sous
forme de pellicule blanche, soluble dans l'éther.
Mannlle. — La mannite est la matière sucrée, qui vient former à la surface de cer-
taines algues, exposées à l'air, l'efflorescence blanche qui les recouvre. Chez la plupart
des algues cette efflorescence est salée, ce qui est dîi aux chlorures alcalins si abondants
dans ces plantes marines; c'est surtout sur le stipe et les crampons qu'elle apparaît.
Ce sont surtout les Laminaria saecharina et L. flexicaulis qui donnent ainsi de la man-
nite. Cette substance a surtout été étudiée par Phipson, et Soubeiran [Note sur la matière
sucrée des Algues, 1857). Nous renvoyons à ce travail pour les caractères des cristaux,
qui prendraient naissance dans la membrane cellulaire gélifiée; ils seraient dus à une
action désoxydante, exercée sur le mucilage, et ne seraient par conséquent pas un véri-
table produit de sécrétion. Phipso.x suppose que le mucilage, en présence de l'eau, et en
perdant un équivalent d'oxygène, se dédoublerait en deux molécules de mannite. Mais
ce n'est là qu'une hypothèse.
Hfjirates de carbone. Amidon, paramylon (Voir plus loin). — L'inuline a été rencontrée
en dissolution dans le suc cellulaire de certaines algues, comme VAcetabulaiin.
Le suc cellulaire de la large vacuole de Valonia utriculai'is contient de petites quan-
tités de substances, capables de réduire la liqueur de FehltiNG, et donnant, avec la phényl-
hydrazine, un faible dépôt cristallin, en un mot des sucres réducteurs.
ScHuxcK, d'après ses expériences sur les végétaux supérieurs, était arrivé en 1884 tt
cette conclusion, que la chlorophylle est un glucoside, ou du moins est accompagnée
d'un glucoside, dans les tissus végétaux (Voir art. Chlorophylle pour la technique de la
méthode). De Wildeman (Soc. Roi/. Be/g., I887,p. 33) a appliqué cette mélhode à certaines
algues. La solution alcoolique d'une algue, telle qa'Ulothrix zonata, accuse une réduc-
tion de la liqueur de Fehling; de même Ulva lactuca; pour Nostoc commune, la réaction
est moins intense. Dans tous ces cas, les sels de fer n'ont aucune action sur la solution
aqueuse, donc ces espèces sont dépourvues de tannin. Les auteurs, qui regardent le
266 ALGUES.
tannin comme unjglucoside, ne peuvent donc invoquer ici la mise en liberté de glucose,
aux dépens de ce dernier corps. Il est fort peu probable, en dépit de l'opinion de Schunck,
que la chlorophylle soit un glucoside. Le glucoside en question se retrouve d'ailleurs
dans des organes dépourvus de chlorophylle, telles que des bractées jaunes; restée,
isoler ce glucoside, des algues et des végétaux supérieurs.
L'acide phycique, obtenu par Lamy (A. C, 3) a été retiré des Protococcus vulgaris,
par la méthode indiquée pour la phycite; il cristallise, après purification par lavage
à l'éther. La solution alcoolique chaude laisse déposer des aiguilles blanches, opaques,
dépourvues de goût et d'odeur, à réaction neutre, fondant à 136°, en un liquide brunâtre.
Une plus haute température les détruit, elles sont insolubles dans l'eau, mais solubles
dans l'alcool, l'éther, les huiles volatiles et grasses. Elles forment des sels cristallisables
avec les alcalis; le sel d'argent est blanc et insoluble. L'analyse indique 70,22 p. dOO de
carbone, 11,76 p. 100 d'hydrogène, 3,72 p. 100 d'azote, et 14,30 p. 100 d'oxygène.
A côté de cet acide, se trouve dans les algues la phycite C*-H™0'-, matière sucrée
extraite par Lamy de Protococcus vulgaris. R. Wagner la supposait identique à l'érythrite ou
érythroglucine, produit de dédoublement des substances existant dans certains Lichens;
cette opinion est admise aussi par Lamy ; mais, comme il n'y a pas correspondance entre les
points de fusion et les angles des cristaux de ces deux substances, il y aurait lieu de
s'en tenir au doute.
On l'obtient par ébuUition des algues, pendant plusieurs heures, dans l'eau, après
concentration, jusqu'à consistance sirupeuse, du liquide filtré et décoloré par le char-
bon animal. On précipite les matières gommeuses, par addition de 93 p. 100 d'alcool ou
par l'acétate de plomb; par une lente évaporation, le liquide filtré abandonne des cristaux.
Si on veut obtenir en même temps l'acide phycique, on fait macérer l'algue dans
cinq fois son poids d'alcool à 8o°; après expression, on distille la moitié de l'alcool. De
la lessive mère, se sépare, par une lente évaporation à chaud, l'acide phycique, qui se
répartit en deux couches, dont l'inférieure, par concentration prolongée, uejfournit que des
cristaux peu colorés, et d'un goût sucré. On les obtient purs, par pression dans du papier
buvard, le tout dans une très petite quantité d'eau froide, et faisant cristalliser à nouveau.
La phycite cristallise en prismes incolores, transparents, rectangulaires, à densité
de 1,39, d'un goût doux et frais, à réaction neutre. Elle fond à 120°, sans perte d'eau, en
un liquide incolore; à une température plus élevée, elle se volatilise, sans gonflement,
en subissant une décomposition partielle. Jetée sur des charbons ardents, elle dégage
une odeur de sucre brûlé. C'est un corps non fermentescible, optiquement inactif, décom-
posable par les bases fortes, même par une légère coction; l'acide sulfurique concentré
les dissout en formant un acide mixte; oxydée par l'acide nitrique, cette substance
donne de l'acide oxalique.
Nombre d'algues peuvent fournir des mucilages, surtout étudiés dans le carragheen
(Sphœrococcus crispus) ei l'aiga.v-npa.r, [Sphœrococcus compressus). Ces mucilages se gonflent
fortement dans l'eau, et s'y dissolvent, en grande partie. Leur solution est précipitable
par l'alcool, l'acétate de plomb, et fournit par évaporation lente une matière cornée. Par
action de l'acide nitrique, on n'obtient que peu d'acide oxalique, mais, en abondance, de
l'acide mucique (Flijckiger et Obermeiee). D'après Giraud, des traces seules d'azote y
sont contenues. Blondead (Jour7i. Pharm., 1865) y a trouvé : 2,3 p. 100 de S et 2 p. 100
d'azote. En employant 3 p. 100 d'acide sulfurique à haute température, on obtient,
d'après Bente( 1876), l'acide lévulique et un sucre amorphe; par une action plus prolongée,
du fucusol, substance isomère dufurfurol.
Payen a obtenu en 1859 de l'agar-agar une substance gommeuse, qui ne fut pas
retrouvée plus tard par Fluckiger et autres, et qu'il appela gélose. H. Morin (C. R., t. xc,
p. 9-2i:;Berl.Ber., t.xHi,p. 1141) trouva qu'elle est soluble dans l'eau acidulée, et dans l'eau
pure par emploi de la vapeur sous pression. Cette solution n'est plus gélatineuse, de'vie à
gauche le plan de polarisation; traitée par l'acide sulfurique étendu, elle devient dextro-
gyre. Cette solution réduit la liqueur de Fehling, le chlorure d'or, le sublimé. La gélose
contient 22,85 H-0,3,88 p. 100 de cendres, elle donne avec l'acide nitrique de l'acide mu-
ciqueet de l'acide oxalique. Porumbaru (C. R., t. xc, p. 108) attribue à la gélose laformule
C-H'^O», il l'a transformée en une substance ulmique, insoluble dans l'eau, et une com-
binaison ressemblant au sucre, lévogyre, à pouvoir réducteur, non fermentescible :
ALGUES. ■ "267
CH'-O'-H-O. Par l'emploi de l'acide sulfurique étendu, on obtient, en même temps que
la substance ulmique, un corps cristallisable en longues aiguilles C^H'^O»; le chlorure
d'acétyle agit de môme. H. Greenisoh {Pharm. 1. fl»(ss.,t. xxii, p. 50) alexaminél'agar-agar
du Fucus amylaceus, et y constata la présence simultanée de sept hydrates de carbone
(mucilage soluble dans l'eau, substance gélatinogène, amidon, une substance voisine de
la pararabine, de la métarabine, de la gomme, de la cellulose), toutes substances four-
nissant du sucre avec l'acide sulfurique étendu.
Ces divers corps proviennent d'une géiification de la membrane ; aussi est-ce le mo-
ment de donner quelques détails succincts sur sa composition chez les algues. Il y a quel-
ques années De Wildeman avait déjà indiqué que la majeure partie de la membrane
des Spirogyres devait être formée de pectose. Le fait est prouvé aujourd'hui. La présence
des composés pectiques dans la membrane explique les phénomènes de géiification
intense qu'elle présente.
Une question fort intéressante a été soulevée par M. Klebs : la membrane est-elle
un organe vivant, comparable au corpuscule chlorophyllien? L'expérience de cet auteur
qui conclut par l'affirmative n'est guère probante. Il a obtenu la régénération d'une
membrane autour des vacuoles, dans des Spirogyres plasmolysées. Mais une cellule
privée de sa membrane peut presque toujours en régénérer une autre, tandis que
cette cellule, privée de corpuscules chlorophylliens, ne pourrait en reformer. Il est vrai
que la membrane contient du protoplasme, le fait est prouvé par des réactions micro-
chimiques {Kohlwachsthum iind Eiweissgehalt vegetabilischer Zellhaiite, in Bot. Centralblatt,
1889, n" 1). Mais la proportion de protoplasme diminue avec l'âge. Il semble donc
logique de ne pas accorder à la membrane la valeur d'un organe vivant, sinon à l'état
très jeune, et de la regarder comme un produit de l'activité des autres parties de la cel-
lule, en particulier du protoplasme.
Les membranes de nombre d'algues inférieures présentent des particularités curieuses,
susceptibles d'un certain intérêt, au point de vue de l'histoire générale de la membrane
végétale, mais ces faits sont plutôt du domaine de la morphologie que de celui de la
physiologie. Nous renvoyons le lecteur aux travaux suivants : De Bahy. Untersuch. ûberdle
Famille der Conjugaten, p. 81. — Klebs. Uebei' die Organisation der GaUerte bei einigen
Algen undFlagellaten [Unters. ans den bot. Institut Tûbingen, t. ii, fasc, 2, p. 333). — Stras-
BURGER. Ueber Kern und Zelltheilung. — Zacharias. JJeber Entshehung und Wachsthum der
Zellhaut (Jakrb. Wissenchaftt. Bot., t. xx). — De ^A'ILDEMAN, loc. cit.
Deux points cependant de l'histoire de cette membrane intéressent la physiologie
générale.
La membrane des Oedogoniwnh\euit énergiquement par l'action de l'iode et de l'acide
sulfurique, ou du chloro-iodure de zinc, ce qui indique la présence de la cellulose. Par
contre, la coloration est bien faible avec les Spirogyres.
La cellulose des algues doit donc différer, dans la plupart des cas, de celles des végé-
taux supérieurs. Il importe d'ailleurs de bien remarquer que certainement la cellulose
n'est pas le seul hydrate de carbone entrant dans la constitution de la membrane des
algues. Nous savons aujourd'hui que, chez les Phanérogames et les champignons,
plusieurs hydrates de carbone difiérents prennent part à la formation de la [membrane.
Ce qu'il importerait de savoir ce n'est pas si la membrane présente les mêmes réactions
microcliimiques que celles des Phanérogames, mais quels sont les hydrates de carbone
qui entrent dans sa constitution. Aucune recherche n'a dans ce sens encore été effectuée.
La solidité de certaines parties âgées de diverses algues est assurée par un phéno-
mène curieux, dont l'intérêt physiologique n'est pas à néghger. C'est ainsi que, chez
certaines Cladophorées, les cellules du thalle, en s'accroissant, s'enfoncent dans les cel-
lules sous-jacentes, les cellules des rameaux peuvent même s'introduire dans les vieilles
cellules de l'axe, porteur de ces rameaux. Les Chœtomorpha œera et Melagonium présentent
très régulièrement ^ce curieux phénomène (Voy. Kolderup Rosenwimge. Bolanisk Tidss-
krift, 18, 1, 1892, avec résumé français).
Tannin. — La présence du tannin ou plus exactement de corps tanniques chez les
Algues d'eau douce a suscité un certain nombre de travaux. Le plus complet et le plus
récent est celui de De Wildeman (Soc. Bot. Belg., 1886, p. 125).
Les procédés employés pour déceler ce corps sont les suivants :
268 ALGUES.
On traite les filaments de l'algue en expérience par l'alcool; pour précipiter le tan-
nin, on ajoute à la solution alcoolique 2 volumes d'éther. Après agitation modérée, le
mélange se sépare eu deux couches. On verse alors dans le liquide une solution de sul-
fate de fer en excès, on obtient ainsi un précipité bleu, analogue à celui que l'on obtient
par l'action des sels de fer sur l'acide tannique.
Si la solution chlorophyllienne est faiblement colorée, et contient une certaine quan-
tité de tannin, il suffit d'ajouter le réactif à la solution alcoolique étendue d'eau.
La réaction par les sels de fer paraît être, chez les algues, supérieure à la réaction
par le bichromate de potasse, l'acide osmique, et la solution dans le chlorure d'ammo-
nium, de molybdate d'ammoniaque.
Le tannin se trouve probablement chez les algues, comme chez les autres plantes,
sous une autre forme que celle sous laquelle nous le connaissons. Dans les cellules
vivantes, il ne jouit pas de la propriété de coaguler le protoplasme, tandis que des Spi-
rogyres, plongées dans une solution faible de cet acide, ont leur protoplasme immédia-
tement coagulé. Se trouverait-il, comme l'ont supposé Loew et Bokorny (£o<. Zeit., 1882,
p. H), en combinaison avec la chaux?
G.-iRDLNER a supposé {Oti tlw gênerai occwence of tannin in the vegetable celL, Proc. of the
Cambridge Philos. Soc, t. iv, 1883} que chez les plantes, pendant la vie, le protoplasme ii'est
pas influencé par l'acide tannique, qui ne se forme qu'après la mort, aux dépens du
protoplasme. Aussi retrouverait-on toujours du tannin, dans les tissus qui ont séjourné
dans l'alcool. Cette affirmation serait en défaut pour les algues : les espèces qui ne
montrent pas de tannin k l'état de vie n'en fournissent pas après séjour dans
l'alcool.
Le rôle du tannin chez les algues serait peut-être celui que Schell et Kutscher
veulent lui faire jouer chez les végétaux supérieurs {TJebev die Verwendung der Oerbsaure
in Stoffwechsel der Pflanze, Flora, 1883). On ne peut guère le considérer comme un produit
d'excrétion; car il ne peut se rendre dans des cellules spéciales; ce serait une matière de
reserve. Peut-être serait-il consommé lors du développement de l'algue, les spores
mères ne semblant pas en contenir, tandis que les éléments eu conjugaison, avant for-
mation de la spore, accusent une réaction marquée.
Le tannin n'existe pas chez toutes les algues d'eau douce.
On l'a trouvé chez une Vaucheria, chez les Spirogyres, chez les Mésocarpées, toutes
les Zygnémées et les Mésocarpées. Sa présence est douteuse chez les Desmidiées.
Il manque chez les Oedogoniacées, les iSostocacées, les Confervées et les Batrachos-
permées. En se décomposant, les Zygnémées et Mésocarpées prennent une coloration
noirâtre, et teignent ainsi le liquide où elles séjournent, fait dii vraisemblablement à
la présence du tannin. On serait donc en droit de conclure que les algues qui se con-
servent longtemps, sans qu'aucune coloration se manifeste dans leurs cellules, sont
dépourvues de tannin. Tel est le cas des Oedogonium, Bulbochœte, Cladophora, Conferva.
Cette ditférence de composition chimique est peut-être en rapport avec le genre.de vie.
Ainsi les Zygnémées et Mésocarpées, pourvues de tannin, abondent dans les eaux
vaseuses, fossés, mares; les Glado-phora et Oedogonium, au contraire, affectionnent les
eaux calcaires, les sources et les courants rapides.
Le chlorure de zinc iodé ne donne, en présence du tannin, que des colorations sus-
ceptibles de porter au doute.
Les Bafrachospermum, plongés dans le sulfate de fer, n'accusent pas décoloration;
traités par le chloro-iodure de zinc, une coloration intense brun foncé se manifeste dans
toutes les cellules. Une coloration analogue a été observée dans le Lemanea annulata
(Errera. Glycogêne de\> végétaux) et semblerait indiquer chez les algues la présence du
glycogène, si répandu chez les champignons.
Voir, outre les travaux cités : Schnetzler. Sur la présence du tannin dans les cellules
végétales (Arch. des se. phys. et nat., 1879). — 'Notiz iiber Tanninreac.tion bei Sùsswasse-
ralgen (Bot. Centralblatt, t. xvi, n» 5, p. lo7).
Cette question du tannin chez les algues se rattache intimement à celle de Valbumine
active du protoplasme vivant, soulevée par Loew et Bokorny pour l'ensemble des proto-
plasmes végétaux. Car le réactif de la vie, la solution argentique alcaline de ces auteurs,
peut être réduite par le tannin.
ALGUES. 2(i9
C'est chez les Spirogyra que Loew et Bokorny ont essayé pour la première fois d'éta-
blir une différence entre le protoplasme vivant et le protoplasme mort.
Si on traite une cellule de Spirogyre par une solution alcaline faible de nitrate d'ar-
gent, il se forme un précipité noir. Si on la traite d'abord par une base, potasse ou ammo-
niaque, il se sépare des granules, qui donneront la coloration noire en présence du
réactif.
Pour Loew et Bokorny, le protoplasme vivant contient des groupements aldéliydiques,
qui précipitent les sels d'argent; après la mort, les groupements aldéhydiques dispa-
raissent, ou affectent de nouveaux groupements, qui n'ont plus d'action sur le réactif.
Les solutions faibles de nitrate d'argent seraient donc un réactif du protoplasme
vivant, et sufliraient à le différencier du protoplasme mort. Mais cette théorie est pas-
sible d'une grave objection. Rien ne prouve que la coloration noire soit due à l'albu-
mine vivante. Le tanuin est susceptible de fournir la même coloration. Les granules
séparés par l'action d'un alcali, comme il est dit plus haut, prennent, en présence du
sulfate ferreux, une coloration bleu foncé, réaction qui décèle la présence du tannin
dans le contenu des tubes de Spirogyres.
Bokorny a répondu à l'objection par l'expérience suivante. Si on plasmolyse le pro-
toplasme par une solution à lo p. 100 de nitrate de potasse, la couche externe de la
vacuole réagit seule au sel d'argent. Mais on est en droit de répondre que le tannin
diffuse à travers la membrane de la vacuole, et c'est à lui, et à lui seulement, qu'est due
la coloration. Il estjuste cependant de remarquer que si on fait agir un alcali sur une
vésicule plasmolysée, elle se déforme puis se déchire; par suite le tannin qu'elle con-
tient est mis en liberté, et cependant la précipitation a lieu seulement à la surface
externe de la masse, plasmolysée.
Pour Pfeffer, les sels d'argent seraient réduits par la seule présence du tannin.
Cependant ce dernier ne doit pas concourir seul à former le précipité noir. Sur des cel-
lules d'algues malades, les sels de fer décèlent une notable quantité de tannin, et cepen-
dant le précipité par le nitrate d'argent est considérablement réduit. Sur des cellules
desséchées, à protoplasme mort, le sel d'argent ne donne plus de précipité, et la colo-
ration bleue par les sels de fer est encore intense.
Loew et Bokorny ont indiqué de plus que la solution de sulfate ferreux oxydé agit
comme les lessives alcalines.
Chez les Vaucheria, genre d'algues voisin des Spirogyra, la faculté de réagir au
nitrate d'argent se conserve après la mort; la coloration ne peut donc, dans ce cas, être
due qu'au tannin. Pendant la vie, la réaction au nitrate d'argent est peu accusée ; après
action de SO'H-, même étendue, elle ne se produit plus (De Wildeman). Il faut, à ce
propos, remarquer que la vitalité du protoplasme des Vaucheria est très gi'ande, et que
l'on ne peut pas être siir de la détruire, par une légère ébuUition, ou par l'acide sulfu-
rique étendu.
On trouve du tannin chez toutes les Spirogyres; peut-être existe-t-il, en proportions
variables, chez toutes les algues.
Fait curieux, dans la conjugaison de ces algues, la cellule qui remplit le rôle d'organe
mâle présente en général la plus forte réaction par rapport au tannin. C'est la portion
proéminente vers la cellule femelle qui présente la réaction la plus accusée (De Wildeman).
Comme pour les Phanérogames, deux opinions se trouvent en présence, relativement
au rôle du tannin. Pour les uns c'est une réserve, pour les autres un déchet.
Chez les Spirogyres, il semble utilisé pour la croissance, mais ne paraît pas exister
dans les spores.
Pour Krahss, l'apparition du tannin est en rapport avec l'assimilation du carbone,
sa formation est en rapport avec la présence de la chlorophylle. Pour Muller, au con-
traire, l'obscurité favorise la production de ce corps. Pour Wildeman enfin, lumière ou
obscurité n'influent pas sur l'intensité de la réaction des sels de fer, c'est-à-dire sur la
quantité de tannin élaborée.
Krauss, qui veut voir dans le tannin une matière excrémentitielle, le regarde cepen-
dant comme indirectement utile à la conservation de la plante, en empêchant la putré-
faction, et en la préservant de l'attaque des animaux.
Cependant les Spirogyres, qui contiennent une grande quantité de tannin, se putré-
270 ALGUES.
fient beaucoup plus vite que les Claclophora, Conferva, Vlothrix, qui n'en contiennent
presque pas. Le rôle antiputréfactif est donc hypothétique; il en est de même en ce qui
concerne la protection envers les insectes, ou d'une façon plus générale Jes parasites,
car, dans un aquarium, ce sont toujours les Spirogyres qui sont infestées les. premières
avant leurs congénères.
Matières protèiques. — Il existe, chez nombre d'algues, des cristalloïdes pro-
téiques, libres dans les cellules, qui présentent une certaine analogie, avec ceux que l'on
trouve chez les Mucorinées, parmi les champignons. Chez ces derniers, on les appelle
parfois corpuscules de mucorine, mais ce dernier mot ne sert qu'à masquer notre
ignorance sur le,ur constitution chimique ; ils semblent résulter d'un travail de sépara-
tion, qui s'accomplit dans l'appareil reproducteur, entre le protoplasme destiné à former
les corps reproducteurs, et celui qui restera dans le tube sporifère, destiné à disparaître.
Le même processus leur donne-t-il naissance chez les algues ? Malgré son intérêt, cette
supposition n'a pas encore été vérifiée.
Les algues Floridées sont riches en cristalloïdes, qui semblent différer de la muco-
rine, dans leurs cellules végétatives. Ces cristalloïdes toujours biréfringents sont souvent
octaédriques {Bornetia, Griffithsia, Laurencia), et appartiennent sans doute au système
du prisme rhomboïdal oblique. Il existe des cristalloïdes libres, dans certaines algues
vertes : hexaédriques (Acetahularid) ou octaédriques {Codium).
Dans toutes les parties des Nitella, même dans les cellules en voie de dépérissement,
on rencontre des corpuscules ciliés, sur la nature physiologique desquels on n'est pas
très fixé. Ces corps sphériques, chargés d'épines délicates, présentent les réactions, à la
fois du tannin et des substances albuminoïdes (Overtox. Beitr. :ur Histol. und Physiol.,
derCharuceen,Bot.CentralbL, t.xuv. 1890). Ces corpuscules paraissent résulter de la trans-
formation des vacuoles, qui se multiplieraient par division, non pas dans le suc cellu-
laire, mais au sein du protoplasme. Ces corps augmentent rapidement de nombre et de
grosseur, à mesure que la cellule qui les contient assimile davantage; mais le fait qu'on
les trouve en grande abondance dans les cellules en voie de dépérissement, semble indi-
quer qu'ils ne sont pas utilisés par la suite. Au point de vue de leur forme, ils ne sont
pas sans analogie avec les grains d'aleurone (du Ricin par exemple).
Nous avons parlé plus haut de la théorie de Loew et Bororny sur l'albumine vivante
du protoplasme, et de la réaction de l'aldéhyde {caractéristique de la vie, selon ces
auteurs), sur la solution argentique alcaline. Voici les conclusions que ces auteurs pen-
saient établies sur des preuves irréfutables.
Lalbuniine active est dissoute dans le suc cellulaire de plusieurs Spirogyres, et est
transformée en granulations par le carbonate d'ammoniaque, la potasse, la soude, les
bases organiques, par les sels neutres d'ammoniaque. Ces granulations présentent les
réactions des matières albuminoïdes, et réduisent énergiquement la solution argentique
alcaline. Cette formation de granulations, qui ne se produit pas lorsqu'on agit sur des
cellules mortes, provient, d'après ces auteurs, d'une polymérisation de l'albumine active ;
secondairement, il se produit à la surface de chaque granulation un peu de matière
tannique.
L'assertion de Pfeffer, que ces granulations sont un produit de la combinaison d'un
tannin avec l'albumine (survenue lors de la neutralisation du suc cellulaire, par intro-
duction de la solution de carbonate d'ammoniaque) est considérée par ces auteurs comme
errone'e. Cette affirmation est fondée sur de nombreux arguments, pour le détail des-
quels nous renvoyons au mémoire original.
Pour répondre aux objections soulevées par cette théorie de l'albumine vivante, diffé-
rente de l'albumine morte, Loew refit diverses expériences sur Spiroç/tjra nitida et S. dubia.
(Pour le détail de ces expériences, voyez : A. Pf., t. xxx, pp. 348-362, Ein weiteres Beiveis
dass das Ehveiss der lebcnden Protop. eine andere chem. Constitut. besitzt als das des
abgestorben.)
Pour vérifier si le suc cellulaire des Spirogyres possède une réaction acide, on ajoute
à l'eau de culture de l'iodure de potassium, ou du nitrate de potassium ou de sodium.
Si la réaction est acide, l'iode ou l'acide nitrique seront mis en liberté, et par suite la
mort des cellules surviendra. Or tel n'est pas le cas. L'acide nitrique n'est vénéneux que
parce qu'il oxyde fortement les groupements amidés de l'albumine active.
ALGUES. 271
L'albumine du protoplasme vivant est une matière en état d'équilibre instable, dont
les atomes, en état de mouvement énergique, changent très facilement leur position
d'équilibre. Leurs mouvements sont encore accélérés par les processus respiratoires.
Aucune des objections faites jusqu'à ce jour à la diiïérence de nature qui existerait
entre la constitution de l'albumine vivante et de l'albumine morte, n'a été établie sur
des preuves certaines. Telle est l'opinion des auteurs de cette théorie; mais empressons-
nous d'ajouter qu'elle n'est pas celle de nombre d'auteurs compétents. Enregistrons les
faits, et gardons-nous de conclusions prématurées.
Aliments des algues. — D'importantes études sur la nutrition des algues ont été
entreprises par Loew et Bokorxy {Cliemisch-physiologische Studien ilber Algen. {Journal fur
praciische Chimie, 1887, p. 272). — Bokorny. Ueher Stârkebildung aus verschiedenen
Stoffen (in Berichte der deutschen botan. Gesellschaft, 1888, t, vi, p. 116).
Voici les résultats acquis à la science par les travaux de ces auteurs. Les fdaments
des algues contiennent de 8S- à 90p. 100 d'eau; séchés à 100°, de 6 à 9 p. 100 de graisse,
28 à .32 p. 100 d'albumine, 60 à 66 p. 100 de cellulose et d'amidon. Les matières grasses
sont localisées surtout dans les bandes chlorophylliennes, celles qui se trouvent dans le
plasma incolore pourraient bien être de la lécithine.Les Spirogyres contiennent aussi de
la cholestérine ; la teneur en amidon varie, et augmente, par suite d'un état pathologique,
lorsqu'une température basse s'allie à un temps clair. La glycose ne se montre que pen-
dant la copulation; les grains d'amidon diminuent en même temps. Les cloisons inter-
cellulaires contiennent du mucilage, le contenu cellulaire contient des quantités très
variables d'un tannin qui bleuit par les sels de fer. Dans les Spirogyres, on ne trouve
pas de leucine, ni d'asparagine,'mais de l'acide succinique.
Dans des essais sur la nutrition, ces auteurs ont constaté : que l'acide nitrique est
une source d'azote, plus favorable au développement des Zygnémacées que l'ammoniaque ;
les sels ammoniacaux sont nuisibles aux Spirogyres, et non aus autres algues. Le nitrate
de chaux est remarquablement plus favorable au développement que le nitrate de soude.
Pour ce qui est des matières nutritives organiques, voici les résultats :
Cultivées à l'obscurité, les algues peuvent se nourrir aux dépens de l'acide aspar-
tique, et aussi, mais moins bien, de l'hexaméthylamine.
A la lumière, elles utilisent l'acide aspartique et l'acide succinique. La toxicité des
substances augmente à mesure que l'on emploie des corps où entrent des groupements
azotés. C'est ainsi que dans l'uréthane le développement se fait bien ; dans l'urée, elles
deviennent malades au bout de quelques jours, et, avec la guanidine, elles meurent au
bout de quelques heures.
Lorsque des groupements acides entrent dans la molécule des corps employés,
l'iniluence nuisible disparaît; l'exemple de l'hydantoïne et de la créatine le prouve.
Ces deux derniers corps sont de meilleurs aliments que la leucine et l'uréthane,
parce que le groupement CH- y est plus facilement dissociable. Cette facilité de disso-
ciation est considérée par ces auteurs conmie la caractéristique d'un bon aliment pour
ces plantes.
Des bases et fréquemment leurs sels déterminent, à des degrés divers, la production
de granulations dans le protoplasme des Spirogyres, et ce fait repose probablement sur
une polymérisation de l'albumine active; c'est pour cela que dans les cellules, préalable-
ment tuées, les mêmes substances ne produisent pas de granulations.
Si on n'offre à la cellule qu'une quantité de sels ammoniacaux suffisante pour que
la formation d'albumine marche parallèlement à l'absorption et à l'utilisation de l'ammo-
niaque, on n'observe aucune influence nuisible. On peut s'appuyer sur ce fait pour con-
clure que. les sels ammoniacaux ne donnent, dans les cultures, que des résultats infé-
rieurs à ceux obtenus par les nitrates.
Si on emploie plus de sels ammoniacaux, la masse totale des sels introduits se sépare,
l'ammoniaque détermine la formation de granulations dans le protoplasme, il se forme
de l'aldéhyde-ammoniaque, aux dépens des groupements aldéhydiques, restés intacts dans
la molécule d'albumine active. Mais le résultat est la mort du protoplasme ou un ralen-
tissement dans l'énergie des fonctions. Les hypophosphates, phosphates, hyposulfates
de soude, les chlorures de baryum, de rubidium, de lithium, l'iodure de potassium, le
ferrocyanurè de potassium ne nuisent en rien aux Spirogyres, alors que les sels de
272 ALGUES.
baryum et les phosphates sont toxiques pour les animaux, et les sds de rubidium, de
lithium, et les iodures pour les plantes supérieures.
Les iodates sont ve'néneus parce que les sécrétions acides (des racines) mettent en
liberté de l'acide iodbydrique, qui par oxydation donne de l'iode libre. Les nitrites
sont également toxique*, parce que de l'acide nitrique est mis en liberté par le même
procédé. Cet acide, -eu s'emparant des groupes amidés de l'albumine active, tue le pro-
toplasme.
Les Spirogyres, en efïet, dont le contenu est neutre, ne sont pas tuées parles nitrates.
L'acide nitrique libre, le bichromate de potasse, le chlorate de potasse, les sels d'hy-
droxylamine (AzH-OHl, l'arséniate de potasse, sont toxiques; l'arsénite de potasse, au
contraire, ne l'est pas.
La toxicité de l'acide cyanhydrique provient peut-être de ce que l'aldéhyde du proto-
plasme, comme toutes les aldéhydes, se combine avec la plus grande facilité à cet
acide, d'oti la privation pour la molécule d'albumine de ses groupements aldéhydiques.
La question de savoir si l'aldéhyde formique ou ses combinaisons peuvent nourrir cer-
taines plantes, en particulier les algues, présentait un intérêt particulier. Cette aldéhyde
s'est montrée constamment nuisible pour les Vaucheria et Spirogyra. L'aldéhyde for-
mique ou l'alcool méthylique peuvent prendre naissance aux dépens du mélhyla
CH-(0C''11-V-, par action de l'acide sulfurique. Peut-être un processus semblable se trouve-
t-il réalisé dans le ohimisme de la chlorophylle. Or le méth3'lal peut nourrir les Spiro-
gyres et les Vauchéries, mais il ne donne pas lieu à la formation d'amidon. 11 est vrai
que les bandes chlorophylliennes des Spirogyres, après un séjour de trois semaines dans
une solution de méthylal, et à l'obscurité, étaient si réduites dans leurs dimensions, que
tout faisait prévoir leur mort prochaine. A la lumière elles reprirent vie. Cette réduction
dans les dimensions, cet amaigrissement, si l'on veut, s'expliquerait par le manque
d'azote. Les Vauchéries fabriquent de la cellulose en présence du méthylal, ce qui
tendrait à prouver qu'un hydrate de carbone se forme aux dépens du méthylal, hydrate
susceptible de se transformer en cellulose. Dans les essais avec la cyanhydrine, de
laquelle on peut séparer l'aldéhyde formique et l'acide cyanhydrique, on ne remarque
pas la formation d'amidon, mais bien des altérations de la bande chlorophyllienne.
LoEw et BoKORNY croient cependant à la formation de l'amidon, aux dépens de la
formaldéhytle, parce que les bactéries prennent de la cellulose aux dépens du mé-
thylal, de l'alcool méthylique, des sels sulfo-méthyliques, ou de l'hexa-méthylènamine.
C'est à cette formation de cellulose que vraisemblablement sert la formaldéhyde qui a
été formée aux dépens des combinaisons ci-dessus, ou bien dont la synthèse a été
faite pas les bactéries aux dépens de groupements CH-*.
LoEw {Sitz. ber. Bot. Ver. Mûnchen. Bot. Central., t. slviii, pp. 2oO-2ol) a expérimenté
l'action du cyanure de sodiuniîsur les algues.
Ce sel est pour la plupart des cellules végétales un poison énergique, mais il n'est
pas toxique pour les algues et les champignons. Dans la solution au 1 / 1000, les Diatomées,
Desmidiées et Oscillariées ne meurent qu'au bout du troisième jour, les Spirogyres peu-
vent y végéter pendant 10 jours. En une solution plus étendue, ce sel serait même peut-
être un aliment, car dans la solution àl/10000,ces alguesrestent vivantes, et les FaucAe/'w
y poussent de nouveaux utricules en grand nombre. Il est vraisemblable que l'acide
cyanhydrique se transforme dans les cellules des algues en AzH'.
Le méthylal est un bon amylogène, mais c'est un corps facilement dédoublable en
alcool méthylique et en aldéhyde formique; comme la plante peut produire de l'amidon
aux dépens de l'alcool méthylique, il est impossible, en opérant avec le méthylal, de
déterminer la part qui revient, dans l'amylogenèse, à l'aldéhyde formique.
Aussi BoKOBNY a-t-il employé dans des recherches ultérieures [Ber. d. Deutsch. bot.
Gesellsch.., 1892, fasc. 4), l'oxyméthylsulfite de sodium, auquel Lûew avait reconnu des
propriétés nutritives et amylogènes. A température peu élevée, ce sel se décompose en
aldéhyde formique et sulfite acide de sodium.
Spirogyra majuscula supporte bien la solution au millième du sel ci-dessus. La plante
vivant à l'air et à la lumière forme plus d'amidon, lorsqu'elle reçoit cet aliment, que
lorsqu'elle n'en reçoit pas. Si on place l'algue à la lumière (condition indispensable à
l'amylogenèse, dans ces circonstances expérimentales) et qu'on la prive de CO-, il ne se
ALGUES. 273
forme plus d'amidon; mais, sien ajoute à l'eau de culture de roxyméthylsulflte (addi-
tionné de phosphate bipotassique, destiné à neutraliser le sulfate acide formé), l'amylo-
genèsese produit. Il est important d'opérer en l'absence de moisissures, qui pourraient
être une source de C0-.
De cette expérience, Bororny conclut que l'oxyméthysulfite de sodium est dédoublé
en aldéhyde formique et en sulfite acide, puisque l'aldéhyde se polymérise pour donner
de l'amidon. L'expérience sur les Spirogyres démontrerait donc la vérité des idées théo-
riques de B.EYER sur le mécanisme de l'assimilation du carbone.
Mais en réalité ces conclusions sont passibles d'objection très graves. Tout d'abord
le dédoublement de l'oxyméthylsuKîte de soude n'est pas prouvé. De plus les expé-
riences mêmes de l'auteur ont prouvé la toxicité pour la plante de l'aldéhyde méthy-
lique; au moment de sa mise en liberté, comment ne tue-t-elle pas le protoplasme?Il faut
faire ici une nouvelle hypothèse, et admettre qu'au fur et à mesure de sa production,
l'aldéhyde est polymérisée, et cesse d'être nuisible presque instantanément.
D'autre part, en absorbant du glucose, la plante verte forme de l'amidon; or le proto-
plasme de la plante en expérience peut et doit contenir du glucose ; pourquoi l'amidon
ne proviendrait-il pas de la deshydratation.de ce glucose?
Ces expériences n'amènent pas, somme toute, à des conclusions précises, et laissent
place au doute, comme la plupart des expériences, entreprises dans le but, non d'étudier
un phénomène dans ses détails, indépendamment des idées a 'priori, mais à seule fin
d'étayer des vues théoriques et h3'pothétiques. Bokorny a montré dans ce même mémoire
que la synthèse de l'amidon était impossible, en l'absence du potassium; pourquoi
s'obstiner alors à démontrer que le carbone, mis en liberté par dédoublement de CO-,
passe à l'état d'amidon, par la seule intervention des éléments de l'eau? Les combinai-
sons ou entre le carbone, à sa mise en liberté, sont probablement beaucoup plus com-
plexes que l'on ne tend à l'admettre couramment, elles seuls résultats que l'on peut logique-
ment tirer pour la physiologie générale des plantes, de ces expériences sur l'assimilation
chez les algues, sont que la plante utilise le carbone, non seulement de CO-, mais de corps
carbonés plus complexes : sucre, alcool méthylique, oxyméthylsQlfite de sodium. Quant
aux corps intermédiaires entre ces générateurs de carbone et l'amidon, nous sommes
dans l'ignorance la plus complète sur leur constitution et leur rôle.
Assimilation de l'azote par les algues. — Cette question rentre dans celle de
l'assimilation de l'azote par les végétaux en général: elle sera traitée par G. André,
à l'article Azote. Nous rappellerons seulement quelques faits qui touchent plus parti-
culièrement à la physiologie des algues.
D'après Beyeringk, le Scenedcsmus acutus n'assimile l'azote qu'à l'état de peptone et
peut-être d'amide, mais non à l'état de nitrate ou de sel ammoniacal. (Voir plus haut les
résultats de Loew et Bokorny sur l'assimilation de ces divers corps azotés.)
Pour ce qui est de la fixation de l'azote libre, Frank avait déjà émis une opinion
afflrmative(L''e6er den experimentellenNachweis der Assimilation freien Stickstoffs durcherd-
boden beivohnende Algen. Ber. d. [deutsch Bot. Ges., t. vni, 1889. — Landwirthschafll.
Jahrbûcher, t. xvii, 1888. — Ami. de la science agronomique française et étrangère, 1888.)
à l'aide de preuves indirectes et insuffisantes, semble-t-il. A. Gautier et R. Drouin
(C. R., t. cvi, 1888; t. cxiii, 1891) ont signalé l'influence des algues vertes sur la fixation
de l'azote par le sol. Mais ils ramènent le phénomène à une simple absorption des com-
posés azotés, et rejettent l'idée de la fixation libre d'azote.
Plus récemment, Th. Schlœsing fils et Em. Laurent [Ann. Inst. Past., 1892, p. 109)
ont vu leurs sols d'expérience recouverts d'algues diverses : Conferva, Oscillaria, Nitzc-
hia, et en même temps de diverses mousses (Bryum, Leptobryum) et concluent que,
parmi ces plantes, certaines au moins sont capables d'emprunter de l'azote gazeux à
l'atmosphère.
D'après de nouvelles expériences, les mômes auteurs ont affirmé que certaines algues,
végétant communément à la surface du sol, sont capables de fixer l'azote libre de l'air en
quantité considérable. Les algues sur lesquelles ont porté ces expériences sont : Nostoc
pimctiforme Har., Nostoc miniatiun Desm., Cylindrospermum majus Kutz., Phormidium papy-
raceum, Plionnidium aiitumnale Gom., Microcoleus vaginalus , Lyngbia oscillatoria, des
Chlorospermées : Tetraspora, Protocaccus, Stichococcus, Ulothrix. Dans ces expériences,
UICT. DE PHYSIOLOGIE. — TO.\IE I. 18
274 ALGUES.
lorsqu'on observe une disparition d'azote gazeux, on retrouve dans les plantes l'azote dis-
paru. « L'entrée en combinaison de l'azote libre ainsi absorbé a pu trouver dans l'action
chlorophyllienne l'énergie qui lui est nécessaire. Comme il est fort difficile d'obtenir des
cultures d'algues pures, on ne peut affirmer que seules, elles peuvent suffire à la fixation
de l'azote. Le concours d'autres êtres organisés est peut-être nécessaire. Il est possible
qu'il s'établisse des relations plus ou moins symbiotiques entre l'algue et les bactéries.
Cependant, dans ces cultures expérimentales, les bactéries étaient raresdansles endroits
ofi les algues poussaient avec vigueur.
Les algues se trouvent répandues à la surface de presque tous les sols; leur pouvoir
fixateur pour l'azote libre doit jouer un rôle capital dans la statique de l'azote de la
nature. On sait qu'en dehors de toute culture de Légumineuse il y a toujours excédent
d'azote, à la fin d'une rotation. Cet excédent ne peut être attribué qu'en partie à l'ap-
port des composés azotés de l'atmosphère; les algues doivent jouer un grand rôle dans
ce phénomène. Leur influence doit être surtout considérable dans la jachère, et les sols
humides, où leur pullulation est intense. (Pour des détails complémentaires sur cette
question, et relativement surtout aux questions de priorité, voir C. R., 1891 et 1802, passim.)
D'après L.-vdrent (Anw. Iresi. P«sî., 1870, p. 741), la réduction des nitrates par certaines
algues serait un fait non douteux. Cette réduction avait déjà été signalée pour les
Conferves, par Schônbein {Journ. fur prak. Chemie, t. cv, p. 208, 1868). Si on place des
filaments de Cladophora dans une solution de nitrate de potasse, à 1 p. 100, après une
demi-heure de séjour à l'obscurité, on observe une réaction nitreuse; celle-ci est beau-
coup plus forte le lendemain. Si l'algue est exposée au soleil, elle dégage de l'oxygène
et, sous l'influence de ce gaz, les nitrites disparaissent. Replacée à l'obscurité, l'algue
redécoinpose à nouveau le nitrate. L'expérience réussit également avec plusieurs espèces
d'Oedogoniiim et de Spirogyra. Mais il est à remarquer que toutes les expériences sur les
réductions des nitrates par les végétaux ont été faites en employant comme réactif le
chlorure de naphtylamine qui, en présence des nitrites, se colore en rose, lorsqu'il est
additionné d'acide chlorhydrique dilué et d'acide sulfanilique. Or, malgré les raisons
données par les auteurs de ces expériences, sur la valeur de ce réactif, nombre de chi-
mistes persistent à affirmer que la coloration rose se produit en présence d'une foule
•de corps, qui n'ont aucun rapport avec les nitrites.
Pour ce qui est de l'influence de certains sels sur la végétation des algues, voy.
WypLEL (f/eôer denEinfluss ciniger Chloride, Fluoride und Bromide auf Algen. Weidhofen a.
d. Thaya, 1893).
L'acide sulfhydrique, si toxique pour les phanérogames (à la dose de jrjj-^ dans l'air,
il jaunit promptement les feuilles, par action directe sur la chlorophylle, semble-t-i!)
■est sans action aucune sur les Oscillaires blanches, dites Beggiatoa, qui vivent et pul-
lulent dans les eaux sulfureuses, où ce gaz est en forte proportion, l'eau de Barèges par
■exemple. Ces plantes de la famille des Cyanophycées méritent, à cause de cet habitat, le
nom de Sulfuraires et de Barègines. Bien plus, l'acide sulfhydrique qui existe dans ces
eaux provient de la nutrition même de la plante. On ne sait que peu de chose sur les
phénomènes intimes de cette nutrition, mais ce qu'il y a de certain, c'est que ces
algues réduisent les sulfates et produisent de l'acide sulfhydrique, qui se dissout dans
l'eau. Le soufre réduit se fixe sous forme de grains anguleux et cristallins, solubles dans
le sulfure de carbone. Ce soufre se redissout plus tard dans la cellule, il parait consti-
tuer une réserve.
Bien que nous n'ayons pas à tracer ici l'histoire physiologique des Bactériacées, il
€St intéressant de rapprocher de ce fait la réduction des sulfates par certaines algues,
la nutrition de certains bacilles aux dépens du soufre libre. Certaines espèces s'emparent
ainsi du soufre renfermé dans le caoutchouc vulcanisé, et dégagent de l'acide sulfliy-
drique. Si ce dégagement a lieu en milieu alcalin, l'acide dégagé passe à l'état de sul-
fures, et on arrive ainsi à du sulfhydrate d'ammoniaque, des sulfures de sodium ou de
calcium (Miquel, Ann. Observât, de Monlsowis, 1880, p. .ïO(3).
Certaines algues dépourvues de chlorophylle semblent dégager des bulles d'hydro-
gène protocarboné. Peut-être est-ce là la source de ce formène, dégagé parles marais
et la vase. Une de ces algues productrices de gaz protocarboné serait le Sycamina
nigrescens, une Volvocinée,(VA.N Tieghem, Soc. Bol., t. xxvii, p. 200, 1880).
ALGUES. 275
L'azote exerce une influence très favorable sur le développement des Diatomées. (Cas-
TBACONE. Nuovo Ststema di ricerche sulle diatomee. AU. dell. Ac. pont. d. Nuovi Lincei, 1870).
Ces algues exigeraient également CO-, des azotates du fer et de la silice ; l'influence favo-
rable des sulfates et des phosphates n'est que probable; peut-être exigeraient-elles
aussi des sels potassiques? Miquel (Ann. de micr., t. iv, 1894) vient d'étudier avec soni
l'action de diverses substances sur les Diatomées.
Pigments chlorophylliens. — Nombre d'algues jouissent de la propriété de décom-
poser C0-. Le fait est connu depuis fort longtemps. Il est même à supposer que toutes
les algues, colorées par un pigment quelconque, jouissent de cette propriété qui n'appar-
tient pas exclusivement aux algues vertes, où la chlorophylle est si visible.
AuG. MoRREN a démontré dès 1836 [Rech. sur l'influence qu'exercent la lumière et la
subst. org. de coul. verte dans l'eau stagn. sur la quai, et la quant, de gaz que celle-ci peut
contenir, Paris, 1836, in-4°) que, dans les eaux où se trouvent des organismes inférieurs
verts, organismes qui appartiennent presque tous aux algues , la proportion d'O dissous
s'éievaità 23, 48, 61 p. 100, au lieu de 32 qui est la proportion normale, sous l'influence
de la lumière solaire. Il a prouvé le même fait pour l'eau de mer [Rech. sur les gaz de
l'eau de mer, Paris, 1834, et A. C, 111= série, t. xii).
Aimé (A. C, t. n, p. 53o) a constaté que l'air renfermé dans les vésicules des Fucus,
renferme moins d'O pendant la nuit que l'air atmosphérique (17p. 100), mais que, quand
l'influence solaire s'est manifestée, la quantité d'oxygène s'élève jusqu'à 36 p. 100. Fait
d'autant plus intéressant que les Fucus sont des algues brunes, d'où on peut déduire
tout de suite que le pigment brun ne nuit en rien à l'action de la chlorophylle.
Le pigment chlorophyllien des algues a été surtout étudié chez les Spirogyra. Là,
les chromatophores sont des bandes spiralées, à contours crénelés, dont la structure
intime commence à être bien connue; elles se composent d'un substratum alburainoïde
incolore, et d'un pigment qui imprègne ce substratum.
Ces bandes chlorophylliennes permettent d'étudier une curieuse action de la lumière
sur les algues. Famintzin. Bie Wirkung des Lichtes auf Algen iind cinige andere ihnen
verwandten Organismen {Jahrb. f. Wiss. Bot., t. vi, p. 1, pi. MIT). — Bdsch. Untersuchun-
gen liber die Frage ob das Licht zu den unmittelbaren Lebensbedingungen der Pflanzen
oder einzelne Pflanzenorgane gehôrt {Ber. deutsch. ges. Gen. Yersammlung, 1889). — Prin-
GSHEiM. JJeber Lichtwirkimg und Chlorophyllfunction in der Pflanze [Jahrbuch. f. Wissen-
chaft. Bol., t. xn, p. 188, pi. XI-XXVI).
Si on examine des échantillons, placés pendant quelque temps à l'obscurité, on
remarque que les bandes spiralées se contractent, diminuent de diamètre, en même
temps que les grains d'amidon, accumulés dans les cellules, disparaissent; le noyau
paraît ne pas subir de modifications.
Si l'obscurité persiste, la chlorophylle se fragmente; la spire est réduite à un simple
cordon, reliant les divers fragments; les noyaux se désorganisent.
La destruction de la chlorophylle ne serait pas, d'après certains auteurs, un effet de
l'obscurité, mais un phénomène secondaire, résultant de la mort de la cellule, par suite
de la privation de lumière.
L'action d'une lumière trop vive ou trop prolongée paraît occasionner les mêmes
déformations dans les bandes chlorophylliennes.
La contraction des bandes comprime évidemment le contenu cellulaire, protoplasme et
vacuole. Aussi voit-on cette dernière se diviser en plusieurs petites vacuoles secondaires
Hansen [Bas Chlorophyllgnin der Fucaceen. Silzber. der Phys. Med. Ges. zu Wûrzbiirg, i 884.
p. 104-106. — Arb. d. Bot. Instituts zu Wiirzburg, t. in, faso. II, pp. 289-302) a extrait
(d'après la méthode qu'il avait appliquée aux feuilles de blé) une matière. verte et une
matière jaune du Fucus vesiculosus, matières dont les propriétés se trouvent identiques à
celles des substances de même nom, extraites des feuilles de blé. Pour les caractères
spectroscopiques de ces substances, nous renvoyons le lecteur à la figure annexée au
mémoire de Hansen.
Reixke a repris les essais de Hansen, en suivant la méthode indiquée par cet auteur,
pour extraire la matière colorante jaune. Il a bien obtenu des cristaux, mais formés,
selon lui, non pas par le pigment cristallisé, mais par des cristaux de cholestérine,
souillés par le pigment. En essayant de séparer ce pigment, il ne parvint pas à le faire
27(> ALGUES,
crisLalliser. La conclusion de ces essais serait que le vert et le jaune de chlorophylle ne
sont autre chose que de la cholestérine.
Divers auteurs, et en particulier Hansen {loc. cit.), prétendent que le pigment brun de
certaines algues ne fait que masquer de la chlorophylle. Ils s'appuient sur ce fait, qu'en
traitant ces algues, par exemple lesFwcus, par l'eau chaude, on fait apparaître une colora-
lion verte. Reinke {loc. cit.) s'élève contre cette opinion, et prétend que le verdissement
ainsi provoqué est une altération cadavérique, due à la décomposition du pigment brun.
En effet, si, au lieu de traiter un Fucus par l'eau bouillante, on fait simplement agir
sur lui de la vapeur d'eau, ou de la vapeur d'éther, la coloration vei-te se produit, ce
qui ne peut être attribué, dans ces conditions, à une dissolution du pigment brun.
Beyerinck a étudié le dégagement d'o.\'ygène par les algues inférieures, qu'il appelle
des Chlorella. Voici la marche suivie par cet expérimentateur ; elle peut intéresser les phy-
siologistes. 11 introduit dans un tube à essai une solution de gélatine à 10 p. 100, colorée
en vert par les Chlorella, et y ajoute du sulfoindigotate de soude, décoloré par un très
léger excès d'hydrosulfîte de soude. Par le refroidissement, la masse prend une consis-
tance gélatineuse. Si l'on expose ce tube à la lumière, en le recouvrant d'une cloche à
double paroi, remplie d'une solution cupro-ammoniacale, il ne se manifeste aucun chan-
gement; mais, si le liquide de la cloche est une solution de bichromate de potasse, au
bout de quelques'minutes, on voit apparaître la coloration bleue indiquant un dégage-
ment d'oxygène. Il en résulté que, contrairement à l'opinion de Pringsheim, les cellules
vertes peuvent décomposer l'acide carbonique dans un milieu ne contenant pas du tout
d'oxygène.
Leseuldéveloppementdel'algue peut suffire à faire apprécierle dégagement d'oxygène
par les Chlorelles, sous l'influence de la lumière; car elles se développent très active-
ment dans les parties éclairées de la culture, et non dans les portions obscures, où on ne
rencontre que des individus isolés. On peut même faire une expérience élégante, en se fon-
dant sur cette observation. Vient-on à tendre un cheveu, devant la fente qui livre passage
à la lumière, le développement des algues s'arrête, dans la partie située dans l'ombre
portée par lui.
On peut également mettre en évidence l'influence des rayons de réfrangibilité dilfé-
rente sur la décomposition de CO- par la chlorophylle. On recouvre entièrement de papier
noir un tube de gélatine avec Chlorella, puis on pratique une fente longitudinale sur le
papier, sur laquelle on peut concentrer, au moyen d'une lentille, la lumière d'un bec
Bunsen, à flamme colorée par du sodium ou du lithium. On constate alors que la lumière
jaune du sodium est sans action, tandis que la lumière rouge du lithium détermine, au
bout de 3 ou 4 heures, la coloration en bleu de la gélatine, dans les parties des tubes
exposées à la lumière.
Le thalle vivant de diverses Floridées ne présente pas de fluorescence, mais la fluo
rescence apparaît, lorsqu'il est tué par les vapeurs d'eau ou d'éther.
De ce fait, Reinke conclut qu'après la mort de profondes modifications se produisent
dans les chroniatophores; aussi cet auteur prétend-il réduire le nom de chlorophjile à
la seule matière colorante qui se trouve dans les chromatophores vivants; dénomination,
somme toute, en désaccord avec toutes les données reçues.
La chlorophylle des algues Floridées présente les mêmes réactions chimiques que la
chlorophylle des Phanérogames, mais doit être considérée comme une variété de cette
dernière à cause de ses propriétés optiques différentes (Pringsheim, Monatsber d. Berl.
Ahad., oct. 1874, déc. 1875).
Pour certains auteurs, l'endochrome des Diatomées (phycochrome de .\.\geli) ne serait
pas difîérente-de la chlorophylle. ArdissaiNk [Le A/g/ie, Milano, 187o) invoque à l'appui de
cette opinion : 1° que cette endochrome, traitée par l'éther et l'acide chlorhydrique, se
sépare en deux matières colorantes, au moins analogues à la phylloxanthine et à la phyllo-
cyanine de Frémy, caractère delà chlorophylle; 2° que les algues pourvues d'endochrome
décomposent l'acide carbonique comme les plantes vertes. Mais ce dernier argument n'est
plus valable, aujourd'hui que l'on sait que d'autres pigments jouissent aussi de cette
propriété de décomposition. Sachs (Traité de Botanique, 1873, p. 288) admet aussi que
l'endochrome des Diatomées est un mélange de chlorophylle et d'une autre substance.
La chlorophylle des Spirogyres se composerait, d'après les dernières recherches, de
ALGUES. 277
deux substances : l'une verte, l'autre jaune, unies à un corps ^ras (Meunier. Le nucléole
des Spirogyres). Pringsheim {toc. cit.) a pu produire, au.K dépens de la chlorophylle, une
autre matière qu'il appelle : hypocMorine, substance huileuse, qui serait une des matières
grasses combinées aux deux principes colorants, incolore et cristallisable. Pour l'obtenir,
on fait agir sur une cellule de Spirogyre de l'acide chlorhydrique dilué : on voit bientôt
apparaître, dans les bandes de chlorophylle, des aiguilles cristallines brunes, qui se
forment peu à peu dans des gouttelettes huileuses, incolores. L'action do l'acide picrique,
en solution concentrée, des acides sulfurique et acétique est la même.
Les filaments soumis à l'action d'une lumière trop vive ne peuvent plus donner de
cristaux d'Iiypochlorine. Il en est de même chez certains individus malades, à chromato-
phoros de forme normale, que l'on rencontre fréquemment dans les aquariums. On n'est
pas fixé sur le rôle de cette substance dans la cellule, et on ignore si, une fois disparue,
elle est susceptible de se reformer.
Engelmann {Bot. Zeit., 30 juin 1882, 15 juillet 1881) s'est servi des filaments d'une
conferve : Clddophora, pour établir une méthode nouvelle d'expérimentation, au sujet de
l'influence do la réfrangibililé des radiations sur la décomposition de CO'^. C'est la
méthode dite des Bactéries, qui sera exposée à l'article Chlorophylle, avec les détails
qu'elle comporte. Toute autre algue verte filamenteuse se prête à la reproduction de
l'expérience.
On peut aussi faire avec les cellules de ces algues une expérience intéressante, démon-
trant à la fois le rôle de la chlorophylle et de l'hémoglobine dans les processus vitaux.
Plongeons un filament de conferve dans une solution d'hémoglobine, sous le micro-
spectrosrope, et exposons ce filament à une lumière intense. CO^, dissous dans l'eau où
plonge la conferve, sera décomposé par l'elïet de la chlorophylle; 0 sera mis en liberté,
et au contact de la conferve on verra apparaître deux zones spectrales, présentant les
raies de l'oxyhémoglobine.
Pigments autres que la chlorophylle. — Ces pigments ont été étudiés par divers
auteurs, on a quelques notions sur le rôle physiologique de certains d'entre eux,' mais on
se trouve dans l'ignorance la plus absolue, au sujet de leur constitution chimique, si ce
n'est pour quelques-uns d'entre eux, qui semblent bien appartenir au groupe encore
vague et mal défini des lutéines, ou lipochromes.
Les auteurs qui se sont occupés des pigments des algues désignent sous le nom de
rouge desFloridées des substances différentes. C'est ainsi que Nàgeli et Scewendener (Mikr.
1877, p. 848) comprennent, sous le nom de rouge des Floridées, toute la matière colo-
rante de ces algues : la chlorophylle et le pigment dit phycoérythrine. Ce dernier nom a été
appliqué à la matière rouge des Floridées par Kûtzing {Phycologia generalis, pp. 17 et 299),
et par Cohn {Bot. Zeilung, 1867, p. .38). C'est une matière soluble dans l'eau, qui peut
être extraite par ce liquide du protoplasme mort. Exposée à la lumière et à l'air libre,
elle se décolore; cette décoloration est également produite par la potasse. L'acide sulfu-
rique, n'altère pas la couleur. Sacchsse {Die Farbstoffe..., etc., Leipzig, 1877) a employé ce
nom, dans le même sens (Voy. aussi Scuûtt, Ueber das Phyco-érytlirrin, Ber. Deutsch. Bot.
Ges., 1888, t. vi,fasc. 1).
Certaines Floridées ne présentent pas une teinte rougeâtre constante aux diverses
époques de leur végétation. Tel est le cas pour Balbiana investiens (Sirodot, Ann. Se.
ISat. Bot., série 6, t. m). Cette algue est d'un beau rose pourpre, en avril-mai; vers mai-
juin apparaissent des teintes d'un jaune verdàtre terreux, peu à peu cette dernière colo-
ration remplace la première. La coloration pourpre du printemps est due à la multipli-
cité des ramuscules sporuligènes, elle disparait à mesure que les sporules se détachent;
plus tard apparaissent les organes de la fécondation : anthéridies presque incolores, or-
ganes femelles, d'un jaune verdàtre, et la fructification oti cette couleur se trouve en mé-
lange dans d'assez fortes proportious. L'abondance de ce pigment dans certaines formes
reproductrices est un fait digne d'intérêt.
KlîTziNG a nommé phycohématine le pigment d'une algue, abondante dans certaines
mers, en particulier dans le bassin d'Arcachon, où elle colore parfois les huîtres en vio-
let : Rhytiphtoea tinctoria. Cette substance n'a été qu'insuffisamment étudiée.
Phipson (C. R., 1879, aoiit, n" S, p, 316) a nommé palmelline la matière colorante
rouge du Porphyridium cruentum, Nag., matière soluble dans l'eau; l'alcool et l'acide
278 ALGUES.
acétique produisent dans cette solution un précipité filamenteux (?), l'ammoniaque et
les alcalis donnent ce même précipité, mais la coloration devient bleue. Le sulfhy-
drale d'ammoniaque colore cette palmelline en jaune, sans produire de précipité fila-
menteux,
On a appelé : Phycoxanthine (Millardet et Askenasy) une substance colorante jaune
des Bacillariées et des Fucacées, plus facilement soluble dans l'alcool que la chloro-
phylle. C'est cette substance qui forme avec la chlorophylle Vendochrome jaune brun des
Diatomées (PETiT,Bre6isso?i'm, II, 1880, n°7,p.81). Cette endochrome avait déjà été étudiée
en 1868 par Keauss et Millardet. La Diatomine de Nageli n'est autre que l'endochrome.
Cette substance s'extrait du thalle des Fucacées, par l'alcool étendu à 40 p. 100, qui ne
dissout pas la chlorophylle; elle se colore en vert bleuâtre par de faibles quantités
d'acide; les alcalis et la lumière sont presque sans action sur elle (Millardet. C. R., 1869.
— AsKENASY. Bot. Zeit., 1867, p. 227; 1869, p. 786).
Certaines algues vert-bleuâtre doivent cette coloration à la phycochromine. Sous ce
nom jNageli (loc. cit.) comprenait la chlorophylle de ces algues, et la matière colorante
dite phycochromine par Sagesse (toc. cit.).
Cette phycochromine serait également, d'après Sachsse, un mélange de phycocya-
nine (bleu de certaines algues) et de phycoérythrine, mélangées en proportions variables,
selon les types examinés. Il y a aussi une phycocyanine de Kutzing, soluble dans l'eau,
et qui colore les Oscillariées.
Les cellules qui renferment de la phycochromine prennent une coloration intermé-
diaire entre le jaune-verdàtre et le jaune-brunâtre, par les alcalis, et se colorent en
orangé ou rouge brique par HCl.
Dans le thalle des Fucacées, on trouve, mélangée à la chlorophylle et à la phycoxan-
thine, une matière colorante brune, soluble dans l'eau, mais non dans l'alcool, que Mil-
lardet (loc. cit.) a appelée PhycopMine. Celte substance n'est que très imparfaitement
connue, est-ce même un corps bien défini ?
Tous ces pigments se rencontrent dans le protoplasme. Mais il en existe aussi dans
les membranes des éléments du thalle de certaines algues.
Dans les membranes des Glœocapsa, et quelques algues filamenteuses, existe une sub-
stance colorante rouge, devenant rouge ou rouge-brun par HCl, bleue ou violette par KOH;
c'est la gléocapsine.
La Scytonémine, jaune ou brune, existe dans les membranes d'un grand nombre de
Phycochromacées; elle devient vert-de-gris par HCl, et redevient jaune parles alcalis.
SoRBY (Jourii. of the Linn. Soc., t. xv, p. 34) conclut, de ses études sur les pigments
des algues, à l'existence de 6 pigments différents, qu'il distingue par les propriétés spec-
trales, et les nuances de coloration.
Centre.
Largt'ur.
Fluorescence.
Bleue phycocyanine (Oscillariées) .
650
18
rouge.
Pourpre — —
621
32
rose.
— — (Porphyra) . . .
621
32
rose.
Rose — (Oscillariées . .
567
29
douteuse.
— phycoérythrine (Porphyra) .
569
18
orange.
Rougo — —
497
27
nulle.
La chlorophylle est plus ou moins masquée par la présence des pigments des algues
bleues (phycocyanine), brunes (phycophéine), rouges (phycoérythrine), selon la propor-
tion de ces derniers. La présence de ces pigments exclut toujours celle de l'hypochlorine,
qui existe constamment chez les Chlorophycées.
La présence de ces pigments déplace les bandes d'absorption de la chlorophylle. La
principale bande d'absorption de celle-ci, située entre les raies B et C, se trouve répartie
avec la phycocyanine dans le jaune, vers la raie D, avec la phycophéine dans le vert
entre D et E, avec la phycoérythrine également dans le vert, mais plus loin vers le
bleu. L'absorption des radiations les plus réfrangibles est, comme l'on sait, forte avec la
chlorophylle pure, faible lorsque la phycocyanine s'y joint, mais plus intense, lors de la
présence de la phycophéine, et surtout de la phycoérythrine.
Lorsque la phycocyanine existe avec la chlorophylle, celle-ci est répandue à l'état de
dissolution dans tout le protoplasme, elle se localise, ainsi que la phycoérythrine et la
ALGUES. 279
phycopliéine sur des chromoleucites. Pour ce qui est de la structure de ces derniers, qui
intéresse plutôt la morphologie que la physiologie, et la présence des pyrénoïdes qu'ils
contiennent, nous renverrons le lecteur à certains mémoires spéciaux : Schmitz. Die Chro-
matophoren der Algen (Verhandl. des nul. Vereins der Rheinl. und Westf., 1883).
Il est facile de démontrer, à l'aide de la méthode d'ENCELiiANN (Farbe und Assimilation,
Bot. leit., 1882) dite des Bactéries, que chez les algues, munies de chromoleucites, c'est
à l'intérieur de ceux-ci que s'elfectue la décomposition de C0-. Le protoplasme incolore
est incapable d'opérer cette décomposition. Le maximum de dégagement d'oxygène, ou,
ce qui revient au même, le maximum de décomposition de CO- se trouve, dans le spectre,
coïncidant toujours avec le maximum d'absorption pour les radiations. Le dégagement
maximum d'oxygène a lieu dans le rouge, entre B et C avec une algue verte ; dans le
jaune, entre C et D avec une algue bleue ; dans le vert, entre D et E avec une algue brune.
Si enfin l'algue considérée est rouge, le maximum est vers le bleu, c'est-à-dire au point
où l'absorption est la plus forte. Il y a donc une relation nécessaire entre l'absorption des
radiations et la décomposition de C0-.
C'est ce qui explique que dans les eaux marines, les algues ne puissent pas vivre au-
dessous d'une certaine profondeur. A 100 mètres de profondeur les algues deviennent
rares, elles disparaissent en général au-dessous de 400 mètres. Les divers niveaux bathy-
métriques sont caractérisés par la couleur des algues qui y végètent. On peut ainsi dis-
tinguer quatre zones, au point de vue algologique. La zone supérieure est habitée par les
algues bleues, la seconde par les vertes, la troisième par les brunes, l'inférieure par les
rouges. A marée basse, ces zones sont plus ou moins nettes. Le fait s'explique par les
données ci-dessus. Les radiations lumineuses sont d'autant plus rapidement absorbées
(à mesure que l'épaisseur de la couche d'eau augmente), que leur réfrangibilité est
moindre. La coloration différente des pigments est donc un moyen que possèdent les
algues de végéter à des niveaux variables, suivant la nature de ce pigment, et qui seraient
impropres ou moins propres à leur vie, si elle ne possédait que de la chlorophylle;
autrement dit, la présence des pigments facilite la décomposition de C0-. Mais si la qua-
lité et la quantité des radiations lumineuses sont les régulateurs essentiels de la distri-
bution des algues, on peut remarquer que certaines observations ou expériences, en
apparence inexplicables dans cette manière de voir, la confirment parfaitement. C'est
ainsi qu'une algue rouge, qui végète d'ordinaire à une cinquantaine de mètres au-dessous
de la surface des flots, pourra très bien se trouver parfois sur les rochers de la surface;
mais dans ce cas, elle végète dans le creux des rochers, dans une grotte sombre, par
exemple, qui n'est éclairée que par la lumière bleue, transmise à travers les eaux.
La présence des radiations lumineuses étant nécessaire pour la décomposition de
CO^, l'assimilation ne peut avoir lieu que pendant la période d'éclairement, et ce sera
pendant la nuit (la lumière retarde la croissance), que se fera le cloisonnement des
algues, et par suite l'utilisation des matières de réserve.
Les voyageurs ont signalé un fait frappant de ce phénomène. Au Spitzberg, la nuit
polaire dure trois mois, et pendant cette période de basse température (moyenne de 1°)
les corps reproducteurs des algues se forment aux dépens des réserves, accumulées
seulement pendant les mois d'insolation.
Un grand nombre d'algues vivent au fond des eaux, à une profondeur telle, que la
lumière qu'elles reçoivent doit être bien faible. De Humboldt [Mém. des savants étrangers
de l'inslitut, t. i. — Gilbert's Ann., t. xiv, p. 364) a vu retirer, près des Canaries, le Fucus
vitifolius, d'une profondeur de 52 mètres, et offrir une belle couleur verte. Cependant,
d'après les calculs, la lumière ne pénètre guère avec une intensité notable dans ces pro-
fondeurs. De Candolle (Phys. végét., t. u, 900) cite une observation semblable de Henri
Wydler sur les Fucus.
Les produits directs ou indirects de l'assimilation du carbone sont chez les algues,
comme chez les autres végétaux verts, des matières amylacées, et peut-être des matières
grasses.
On admet, comme l'on sait, que les grains d'amidon contenus dans les végétaux
sont formés de deux substances : l'amylose et la granulose, dont les proportions rela-
tives varient beaucoup selon les plantes.
Chez les Floridées, il arrive fréquemment que les grains d'amidon sont entièrement
280 ALGUES.
dépourvus de granulose, et formés en totalité d'amylose pure; ces grains ont la struc-
ture ordinaire des grains d'amidon ; ils se colorent par l'iode en jaune cuivreux, ou
même ne se colorent pas; car c'est la granulose qui se teinte en bleu par l'iode. Ce sont
comme les squelettes d'amylose des grains ordinaires, qui restent après disparition de la
granulose. Bien que ces données soient classiques, il est bon d'ajouter que de récentes
recherches tendent à faire douter de l'existence de ces deux substances distinctes dans
le grain d'amidon.
Dans le corps des Euglènes, on a trouvé des granules d'une substance amylacée,
pour laquelle on avait créé le nom de paramylon ; c'est simplement de l'amylose pure.
Et par là les Euglènes, placées maintenant parmi les algues, s'écartent des Infusoires,
qui comme les Paramecium, les Chilomonas possèdent des grains normaux d'amidon,
qui bleuissent par l'iode.
Nous pouvons rappeler, bien que nous n'ayons pas à parler ici des Bactéries, que
chez certaines de ces algues {Spirillum amyliferum, Bacillus amylobacter), au moment de
la formation des spores, le protoplasme s'imprègne partout ou sur des points localisés
d'une substance amylacée en dissolution, qui bleuit comme la granulose, par l'action de
l'iode. C'est une réserve qui disparait au fur et à mesure de la formation des spores.
Les gouttelettes oléagineuses, qui se trouvent dans l'endochrome de nombreuses
algues, proviennent sans doute de l'assimilalion du carbone. Mais on n'est guère fixé sur
leur rôle physiologique. Certains (Castracane. Osservazioni sopra itna diatomea del génère
Podosphœnia. Att. deW Ace. pontifie, de Nuovi Lineei, Sess. V, 1869) admettent que ce rôle
serait purement mécanique; mais cette manière de voir semble très obscure, et il est
plus probable que ces gouttelettes constituent des substances de réserve, tout comme
les granules d'amidon.
Le rôle des divers pigments, surajoutés à la chlorophylle, et que nous venons d'étudier
sommairement, est incontestablement un rôle photochimique. Ils déplacent les bandes
d'absorption du spectre de la chlorophylle, et permettent aux algues d'absorber le
maximum de radiations, compatibles avec le niveau bathymétrique qu'elles occupent.
Leur présence est en rapport avec la décomposition de C0-. Si leur rôle physiologique
semble bien établi dans ses grandes lignes, on est par contre dans l'ignorance la plus
complète sur leur nature chimique.
Un autre groupe de pigments, qui semblent abondamment répandus chez les algues
est celui des pigments mal définis, dits lutéiniques. Le pigment étudié par les auteurs,
sous le nom de chlororufine, appartient certainement à ce groupe, et il est étonnant que
les auteurs aient tant discuté sur sa nature chimique, au moins en tant que groupe
général. On ignore totalement son rôle, et nous reviendrons sur cette délicate question
des pigments lutéiniques, à l'article Pigments.
Les oospores des Oedogonium, Vaucheria, les anthéridies de Chara, les œufs des Bul-
boehœte, les Hœmatoeoecus, Clamydomonas, Trentepohlia, etc., sont colorés en rouge par
une substance dite Chlororufine (Rostafixski. Bot. Zeitung, 1881, p. 461). La réaction
caractéristique de cette substance est sa coloration bleue intense, par SO*H- concentré.
Réaction qui pourrait peut-être indiquer des analogies avec la chrysoquinone de Liber-
MANN. L'acide nitrique fumant dissout la chlororufine, une solution faible d'acide
nitrique ne l'altère pas. C'est de Bary qui, en 18o6 {Ber. d. naturf. Ges. Freiburg, n" 13),
a découvert cette réactian, produite par l'acide sulfurique.
Cette propriété rapprochant la chlororufine de la chrysoquinone, étudiée par Liber-
MANN {Ann. der Chemie u. Pharmacie, 1871 , S. 299), RosTAi'iNSKr fit comparativement l'exa-
men spectrale des deux substances.
Avec la chrysoquinone, on obtient près de A une bande obscure, et l'absorption
totale commence à peu de distance de la raie D.
La chlororufine présente les caractères spectraux de la chrysoquinone, et de plus, entre
B et C, la bande caractéristique de la chlorophylle. D'oîi le nom donné à la substance
par RosTAFiNSKi, qui est porté à croire qu'elle provient de la réduction de la chloro-
phylle.
La chlororufine est très probablement un corps impur, et se rapproche certainement
des pigments du groupes des lutéines ou carottines. Cette substance est nommée par Th.
CoHN [loc. cit.) hématochrome. Elle se présente sans doute en solution, dans une matière
ALGUES. '2HI
grasse, sous forme de globules, sur lesquels le chloro-iodure de zinc produit une colora-
tion violacée presque noire. Elle existe également, d'après de Toni, chez Hansginjia
flabellifera.
Les tubes spirales qui entourent l'oosphère des Characées contiennent un pigment
rouge que Overton signale comme cristallisable. Très vraisemblablement, ce pigment
appartient au groupe des pigments lutéiques, car il serait identique à la rufme des
Euglènes (Garcin).
La solution d'hydrate de cbloral sépare facilement ce pigment d(3 la chlorophylle qui
l'accompagne. On avait pensé que les spores non colorées représentent des oogemmes
non fécondés (la fécondation aurait donc provoqué la formation du pigment), en réalité,
d'après cet auteur, le manque décoloration est en relation avec la destruction précoce
delà gaine de tubes spirales qui entourent la cellule centrale.
Chez Ctenocladus circiimatus, d'apfès Briosi {Sludi cilgoiogici, 1883); l'insolation déter-
mine la transformation de la chlorophylle en une substance oléagineuse, qui se ras-
semble en grosses gouttes, dans la cavité des cellules. Cette substance est certainement
analogue, sinon identique, à la chlororuline des autres types, c'est-à-dire appartient nu
groupe des substances lutéiniques.
Garci.n (Journ. de Bot. de Morot) a étudié le pigment rouge d"un organisme bien
connu, que l'on tend à rapprocher aujourd'hui beaucoup plutôt des algues, que des
Infusoires, où il était placé par nombre d'auteurs : Euglena sanguinea. Les Euglènes
vertes sont assez répandues dans certaines eaux dormantes; à certains moments, on voit
apparaître en grande quantité, dans les mêmes conditions, des Euglènes rouges, e.^istant
seules ou mélangées aux Euglènes vertes. Sont-ce deux espèces différentes? la chose
est discutée; mais il serait important de pouvoir déterminer les conditions physiolo-
giques ou pathologiques, qui déterminent l'apparition du pigment rouge, au cas où la
forme rouge ne serait qu'une variété, pour ainsi dire physiologique, de la verte. Carcix,
qui avait essayé de résoudre cet intéressant problème, n'y est pas parvenu.
Le pigment rouge se trouve à l'état de petits corpuscules, distribués à la périphérie
du protoplasme, il est insoluble dans l'eau, peu soluble dans l'alcool froid; soluble par-
faitement dans le chloroforme. Garcin a appelé cette substance rufine, car il suppose,
avec raison, semble-t-il, que la chlororufine de Rostafinsky n'est qu'un mélange de rufine
et de chlorophylle. Cette'mauière de voir est confirmée, autant qu'elle peut l'être, par
l'examen spectroscopique. La rufine ne présente pas de bandes nettes d'absorption, le
spectre est peu à peu estompé vers le violet, à partir delà raie D. L'absence d'une bande
spectrale en A, dans la solution de rufine, et la présence de cette bande avec la chryso-
quinone semblent suffisantes à Garcin, pour éloigner tout à fait la rufine de la chryso-
quinone. Qu'il n'y ait pas identité entre ces deux substances, la chose est probable; mais
seule l'analyse chimique de la rufme permettra de se prononcer sur sa nature réelle, et
sa ressemblance avec des corps plus on moins voisins des quinones. Comme tous les
pigments lutéiniques, la rufme bleuit énergiqucment par l'acide sulfurique concentré.
On sait que le point oculiforme de diverses algues inférieures et de nombreuses
zoospores est imprégné d'une matière rougeàtre. On pourrait se demander si, en parti-
culier, le point oculiforme des Euglènes vertes n'est pas coloré par la rufine. La non
coloration en bleu, et même la décoloration de ce point, sous l'influence de l'acidesulfu-
rique, semble permettre de conclure par la négative.
La même substance semble aussi exister chez les Volvox, et en particulier le Volvox
d('oïcMs(HENNEGUY. Sur la reproduction du V. dioïque, C. il., 24 juillet 1876). Dans ce type,
après la fécondation, les oosphères perdent la couleur d'un vert foncé, qu'elles possé-
daient auparavant, et prennent une teinte vert jaunâtre, puis orangée ce pigment
orange est localisé dans des gouttelettes huileuses, et avait fait croire à l'existence d'une
espèce spéciale de Volvox : Y. aureus. Il est très intéressant de constater ici l'apparition
du pigment dans les corpuscules reproducteurs; nous avons déjà insisté ailleurs sur la
présence, si fréquente dans les deux règnes, des pigments lutéiniques dans les organes
reproducteurs. De plus, tandis que les Volvox verts recherchent la lumière, les Volvox
orangés la fuient rapidement. Le fait est remarquable; mais l'hypothèse d'HENNEOuv,
à savoir que c'est par une sorte d'attraction s'exerçant sur la matière verte, que les
Volvox sont entraînés par la lumière, et que c'est par une sorte de répulsion, qui
282 ALGUES.
s'exerce sur la matière rouge des gynogonidies fécondées que ces mêmes Volvox recher-
elieiit ensuite l'obscurité, nous semble un peu prématurée.
Nous nous contenterons ici de ces notions sommaires sur les pigments des algues,
nous réservant de revenir sur certains points de leur histoire, à l'article Pigments.
Motilitè. — Nombre d'algues présentent des phénomènes de motilité trop connus
pour qu'ii soit nécessaire d'insister sur les détails. Nous nous bornerons à indiquer rapide-
ment quelques-uns de ces phénomènes.
Les mouvements amiboîdes s'observent dans les spores de certaines Floridées : les
Bangia et Helminthora par exemple, formées de simples masses de protoplasme nu.
Un grand nombre d'algues, à corps protoplasmique de forme constante, jouissent
d'une contractilité générale. Chez beaucoup de Diatomées, de Desmidiées, d'Oscillaires, les
stades jeunes des Nostocacées et Rivularacées, le protoplasme, en se contractant, entraine
la membrane qui le limite, et la cellule se déplace dans le liquide ambiant, parcourant
parfois un espace notable par une sorte de mouvement de glissement {Glitischbewegung de
Nageli). Les Diatomées se déplacent en ligne droite, les Oscillaires, par un mouvement
spirale, tantôt en avant, tantôt en arrière. L'amplitude de ce mouvement ne dépasse
guère 0,04 millim. par seconde; elle est d'ailleurs variable, selon le moment de l'obser-
vation, pour le même individu.
Il est à noter que certains auteurs n'expliquent pas ces mouvements par une simple
contractilité du protoplasme contenu dans la membrane de l'élément mobile. Pour eux,
il existerait, à la surface externe de la membrane cellulaire, une mince couche de proto-
plasme mobile qui, par sa contractilité ou son adhérence aux corps voisins, déplacerait
le corps entier de l'algue (Max Sohultze. Ueber die Bewegungen d. Diatomeen, Arch. f.
nucroscop. Anat. 1. 1, pp. 376-402. pi. XXIII, 186S). Pendant la vie de la cellule, cette couche
protoplasmique externe n'est pas visible, à cause de sa minceur et de sa faible réfrin-
gence. Mais on pourrait la mettre en évidence, dans beaucoup de cas, par l'emploi de
réactifs coagulants (Engelmann. Ueber die Bewegungen der Oscillarien und Diatomeen, Arch.
f. Ges. PhysioL, t. xix, p. 8, 1878).
Plus souvent encore, la contractilité du protoplasme est limitée à une ou plusieurs
de ses portions; le corps de l'algue mobile est muni d'un ou de plusieurs cils vibratiles.
Les mouvements de ces cils vibratiles sont trop connus pour que nous y insistions. Les
zoospores des Euglènes ont un seul cil vibratile, les zoospores et anthérozoïdes de nombre
d'algues en ont deux : l'un dirigé en avant, qui sert de rame, et l'autre, dirigé en arriére
qui fait l'office de gouvernail, tous deux insérés latéralement. Il existe également deux
cils, attachés en avant dans les zoospores des Saprolcgnia, Cladophora, il en existe quatre
dans les zoospores des Vlothrix, une couronne antérieure, complète dans celles des OËdo-
gonium; eufm un revêtement continu de cils se rencontre à la surface des zoospores de
Vaucheria, attachés deux par deux, au-dessus d'une petite ampoule creuse, située dans
l'épaisseur de la couche périphérique du protoplasme. Chez Chlamydocoœus pluviali's el
les autres Volvocinées, le corps protoplasmique est revêtu d'une membrane, où se trouvent
des ouvertures, livrant passage à des cils vibratiles.
Le sens de la rotation du cil, autour de l'axe du corps, se fait tantôt en sens variable,
chez les Volvocinées par exemple, tantôt toujours vers la gauche (Vaucheria), tantôt tou-
jours vers la droite (OEdogonium).Le mouvement ciliaire est rapide. Les zoospores à'Œdo-
gonium parcourent 0'"™,20 à 0,15 par seconde, celles de Vaucheria 0,14 à 0,10.
Si le corps protoplasmique cilié rencontre un obstacle, il recule un peu, en tournant
autour de son axe, en sens contraire du mouvement normal, puis il revient à la rotation
normale, en s'éloignant dans une autre direction que celle de l'obstacle.
Il peut arriver que le corps cihé de certaines algues soit doué à la fois de contractilité
ciliaire, et de contractilité générale. Les zoospores de Vaucheria et Cladophora, par
exemple, sortent par une étroite ouverture de leur cellule-mère, et pour cela leur corps
subit une déformation considérable. Les déformations des Euglènes sont connues de tous
les micrographes. Les anthérozoïdes de Volvox se prolongent par leur partie antérieure
en un appendice grêle, incurvé sur lui-même deux fois, et à la base duquel s'insèrent
deux cils vibratils. Les mouvements de cet appendice sont tout à fait analogues à ceux
d'une anguille.
ALGUES. 283
La température influence grandement le mouvement ciliaire. Dans le Chlamydococciis
pluvialis par exemple, il ne se manifeste qu'à 5°, s'accélère rapidement, à mesure que la
températui'e s'élève jusqu'à un maximum, puis, si la température continue à s'élever, il
se ralentit pour cesser à 43°.
Les mouvements des zoospores sont influencés par diverses substances chimiques :
l'alcool, l'ammoniaque, les acides, les tuent; il en est de même de l'iode en solution
suffisamment concentrée. Mais ce dernier corps en faible dilution dans l'eau ne fait que
ralentir les mouvements des zoospores; il en est de même de l'opium (Baillo.n. Mouve-
ments dans les organes sexuels des végétaux. Thèse d'agrégation, 1836).
Les mouvements de rotation du protoplasme, à l'intérieur des cellules des Characées,
sont des faits trop classiques pour que nous ayons à y [insister ici, il en sera d'ailleurs
parlé à l'article Cellule. Mais ces algues peuvent servir à démontrer l'influence de quelques
agents physiques sur les mouvements du protoplasme.
On peut démontrer facilement, sur les Nitella et Chara, l'influence de la température
sur le mouvement circulatoire intérieur du protoplasme. Chez Nitella flexilis, il com-
mence à 0°,5, sa vitesse augmente progressivement avec la température jusqu'à un
certain maximum, atteint vers 37°, puis elle décroit jusqu'à devenir nulle ; si la tempé-
rature continue à s'élever, le mouvement s'arrête brusquement un peu au-dessus de 37».
Il reprend ensuite, si la température s'abaisse.
On sait que toute action mécanique, exercée sur le protoplasme, arrête momentané-
ment la motilité du protoplasme si elle est modérée, et le détruit si elle est trop intense.
Les grandes cellules des Chara se prêtent à la démonstration de ce fait. Si on pince ou
lie par le milieu une de ces cellules, le courant protoplasmique commence par s'arrêter,
puis il reprend dans chaque moitié, comme s'il s'agissait de deux cellules distinctes. En
plasmolysant tout à coup le protoplasme d'une de ces cellules, le mouvement s'arrête.
Chimiotaxie. — Bien que les propriétés chimiotactiques des éléments anatomiques
animaux et végétaux doivent être traitées dans un article spécial, nous signalerons ici que,
d'après les recherches de Pfeffer, pour les gamètes de Chlamydomonas pulvisculiis et
d'Vlothrix zonata, on n'a pas trouvé jusqu'ici de substances capables d'augmenter leur
mobilité. Les propriétés chimiotactiques doivent cependant exister dans les gamètes des
algues, car seules elles peuvent donner une explication satisfaisante de l'attraction plus
ou moins nettement constatée, selon les types, des gamètes d'un sexe sur ceux de l'autre
sexe.
Action de la pesanteur. Géotactisme. — Le thalle des algues est sensible à la
pesanteur, il est géotactique. On ne sait presque rien sur les phénomènes de géotropisme
chez les algues. Il est cependant possible de constater que les tubes d'une Vaucherie
par exemple, supposés placés horizontalement, subissent un accroissement inégal sur
la face supérieure et sur la face inférieure, du fait de la pesanteur. Il y a ralentissement
de la croissance sur l'une des faces. Si ce ralentissement s'opère sur la face supérieure,
le géotropisme est négatif, s'il opère sur la face inférieure, le géotropisme est positif.
Le fait le plus intéressant est de constater que dans ce thalle, les deux parties du corps,
sur lesquelles la pesanteur agit en sens inverse, sont deux parties d'un môme élément
cellulaire.
Action de la température. — On possède quelques données sur l'influence de la tempé-
rature sur la formation des sporesde quelques algues (Briosi. Sludi algologici, Messma.,i8H'6).
Ulva Lactuca exi^e pour la formation des zoospores, à l'intérieur des cellules, et leur mise en
liberté, une température d'environ 8-16° C. ; l'optimum semble être aux environsde 15°; vers
7°-9° la formation des spores cesse totalement; à 34°-36°, il devient extrêmement difficile
d'assister à la mise en liberté des spores. Le mouvement des zoospores libres est également
influencé par la température. Ce mouvement persiste dans la chambre humide, en règle
générale, une vingtaine d'heures; il subit un arrêt au commencement de la nuit. La tem-
pérature vient-elle à s'abaisser de 4° jusqu'à 0°, le mouvement cesse, il reprend si la tempéra-
ture s'élève. Si cependant la température basse persiste un certain temps, le mouvement
cesse définitivement. A 40°, les zoospores sont tuées. Chez Ctenocladus circimiatus, l'optimum
pour l'évacuation des Macrospores paraît être de 12° environ, mais cette évacuation peut
être arrêtée ou retardée par un ciel couvert, ou un fort abaissement de température.
Par une température de 4°, l'évacuation ne se produit plus.
2Si ALGUES.
A la suite du dessèchement produit par les chaleurs de l'été, quelques membres,
dans les colonies de Ctenocladus, deviennent comme rigides, et cassent avec facilité.
MiQUEL a étudié l'action des températures funestes aux Diatomées (Ann.de micr., t. iv).
Action de la lumière. Héliotropismc, Phototactisme. — Les radiations modifient la
croissance des algues, et si elles sont unilatérales, provoquent des flexions héliotro-
piques, dont la direction varie avec l'intensité de la radiation incidente. La couleur de
l'algue n'influe en rien sur la marche du phénomène. Avec une lumière d'intensité
faible, il y a manifestations héliotropiques positives, manifestations négatives avec une
lumière forte; avec une intensité moyenne, l'héliotropisme est transversal.
La sensibilité des algues à la lumière est connue depuis longtemps. Dès 1817, Trevi-
RANUs (Vermischte Studien) publiait des observations du plus haut intérêt, sur certains
phénomènes de mouvement des algues. Ayant exposé dans un vase de porcelaine à la
lumière des filaments de Conferva mulabilis Roth. [ïialrachospermum glomeratumVAVcn.],
il vit s'échapper des tubes du thalle des globules verts, qui tournoyaient avec vivacité,
et recherchaient le côté ombré du vase. Au bout d'un certain temps, les corps mobiles se
fixaient et redonnaient une plante adulte. Il observa les mêmes phénomènes sur Conferva
compacta Roth. Ces corps mobiles, sur la nature desquels on n'était pas encore fixé, sont
certainement des zoospores, et Treviranus rapprocha immédiatement ces mouvements
des mouvements protoplasmiques que Corti et Fo.n'taa'.i venaient de découvrir, et que
l'on attribuait alors au suc cellulaire.
Voilà fort longtemps que l'on a observé l'action de la lumière sur les organes repro-
ducteurs des algues. Agardh avait déjà vu que parmi les zoospores, les unes recherchent
la lumière, les autres la fuient; les premières étant toujours plus actives, plus propres à
la germination. L'émission même des zoospores hors des sporanges est influencée par la
lumière, ainsi que Thuret l'a constaté; ces corps sortent en grand nombre quand le ciel
vient à s'éclaircir. C'est probablement aussi à des différences d'intensité lumineuse qu'il
faut attribuer les variations de la mobilité des zoospores, aux diffe'rentes heures de la
journée. A peu d'exception près, c'est le matin surtout que les zoospores s'agitent, un
peu plus tard dans la journée, elles sont fixées. De là, pendant longtemps, l'impossibilité
où se sont trouvés les observateurs, de rencontrer ces corps.
La lumière agit d'une façon très nette sur la motilité du protoplasme des algues.
Pour bien étudier cette action, il y a lieu de distinguer deux cas ; 1° le thalle est unicel-
lulaire, par suite facilement mobile; 2° il est pluricellulaire, et le protoplasme seul, con-
tenu dans ses éléments, est mobile, à leur intérieur.
1° Algues uniceUulaires. — La lumière exerce une attraction simple sur certaines Dia-
tomées, algues uniceUulaires, comme l'on sait. Par exemple, les Navicules se meuvent,
tantôt dans la direction d'un rayon lumineux incident, tantôt dans la diiection opposée,
mais elles n'affectent pas d'orientation fixe, par rapport à ce rayon. Après un certain
nombre d'oscillations, elles se sont rapprochées de la source lumineuse.
Les spores peuvent être regardées comme des algues uniceUulaires. Certaines 'sont
très nettement phototacliques.
RosTAFiNSKi et Janczewsri avaient montré dès 1874 que les macrospores d'Eiiteroiiior-
pJia compressa sont négativement héliotropiques. Ces expériences ont été reprises plus
récemment par Bniosi, à l'aide de cultures en chambre humide. Cet auteur remarque,
comme l'avait déjà indiqué ïhuret, que les spores suivent la direction de la lumière, et
forment des groupements remarquables, sur la face insolée du vase. Au bout d'un cer-
tain temps, ces groupements disparaissent, la plus grande partie des spores tombent sut-
le fond du vase, quelques-unes errent sans suivre une direction déterminée.
Pour bien mettre le fait en évidence, on répand des cultures pures sur le fond d'un
large vase de verre, puis on le recouvre avec un cylindre, recouvert lui-même intérieu-
rement d'un vernis noir. Ce même vase possède d'un côté une cloison verticale, vers
laquelle on dirige une source de lumière. Dans les premières heures, toutes les zoospores
se portent vers la lumière incidente, et séjournent dans la zone éclairée une paire
d'heures, les zygospores s'éloignent dans différents sens de la source lumineuse, tandis
que Jes spores en petit nombre, qui n'avaient pas subi de conjugaison, se dissolvent en
partie, peu à peu leurs restes s'accumulent au fond du vase.
Chez certaines Desmidiées, il y a orientation phototactique (Braux). Le genre Venium,
ALGUES. 283
par exemple, glisse vers la source lumineuse, en tournant vers elle, d'une façon con-
stante, sa face la plus jeune. Le Pleiirotenium se conduit à peu près de môme. Le Micras-
crias Rota, formé de cellules aplaties, se place perpendiculairement à la direction du
rayon incident. Il y a donc ici polarité et polarité constante.
Les zoospores peuvent être regardées, au point de vue qui nous occupe, comme des
algues unicellulaires. Certaines né sont pas phototactiques, d'autres, au contraire, le sont
à un haut degré. Elles s'orientent, de façon à placer toujours leur axe dans la direction
du rayon incident. Si la lumière incidente est d'intensité faible, la zoospore s'oriente et
se dirige vers la source lumineuse, puis elle pivote sur elle-même, et présente à la source
son extrémité non ciliée. Le mouvement se produisant toujours dans la direction vers
laquelle est tourné le cil vibratile, il y a donc alternance de mouvement, tantôt vers la
source, tantôt en sens contraire. Dans le cas d'une intensité lumineuse faible, la somme
des petits mouvements partiels vers la source fmit par l'emporter sur la somme des
petits mouvements partiels en sens inverse; en définitive, la zoospore se rapproche de la
source.
Il y a donc ici alternance dans la polarité, polarité périodique (Strasiiurger. Wirfcîwigr
des Lichtes und der Wdrme auf Schwârmsporen, léna, 1878. — Stahl. Ueber den Einfluss der
Lichtes auf die Beivegungsevscheinungen der Schwârmsporen. Verhandl. der phys. medic.
Gesellsch. in Wurzburg, t. xi, 1878).
C'est le même fait que l'on observe chez les Clostériées, du groupe des Desmidiées,
algues formées d'une seule cellule, libre, effilée aux deux bouts. En les plaçant dans une
auge en cristal, et en faisant varier la direction de la lumière incidente, on voit très
nettement les phénomènes. L'algue commence par appuyer une de ses extrémités effilées
sur le fond de l'auge, puis elle place son corps de telle sorte que son axe coïncide avec
la direction de la lumière incidente.
Chaque fois que la direction de la lumière change, l'algue change elle-même son
orientation. Vient-on à faire varier brusquement de 180" la direction de la lumière inci-
dente, aussitôt la Clostérie tourne de 180°, autour de sa pointe fixée, et replace la même
extrémité dans la direction du rayon incident.
Il y a donc ici une polarité très nette et constante, puisque c'est toujours la même ex-
trémité de la Clostérie, qui est tournée vers la source lumineuse. Mais cette polarité ne
garde sa constance que pendant un certain temps. Après avoir dirigé vers la lumière
son extrémité la plus jeune, l'algue se renverse sens pour sens; c'est l'extrémité la plus
jeune qui se fixe au fond de l'auge, et l'extrémité la plus âgée qui se dirige vers la
lumière; l'équilibre persiste ainsi quelques instants, puis, il y a un nouveau renverse-
ment, et ainsi de suite. Le laps de temps qui sépare deux versions consécutives est de 6
à 8 minutes, à la température de 33°; il augmente, si la température s'abaisse. Mais en
même temps qu'orientation, il y a mouvement. Si la lumière incidente est latérale, par
rapport à l'auge d'expérience, la Clostérie dans ses oscillations se dirige peu à peu vers la
face éclairée, par une série de véritables pirouettes, combinées à un glissement de l'ex-
trémité fixée à la surface du verre de l'auge.
Si l'éclairement a lieu par-dessous, le déplacement ne pouvant se produire vers la
source, puisque l'algue touche la face inférieure par une de ses extrémités, les pirouettes
s'exécutent sur place.
Les Oscillaires, dont le corps est formé d'une, file de cellules superposées, sont
encore mobiles, et se trouvent attirées par une lumière de faible intensité.
On possède également un certain nombre de faits, concernant l'influence de l'inten-
sité des radiations actives sur les mouvements pliototactiques des algues. Considérons '
par exemple la Clostérie, que nous avons examinée tout à l'heure, et soumettons-la à
l'action d'une lumière très intense. Elle tourne aussitôt de 90", autour de son extrémité
postérieure fixée, et se place perpendiculairement au rayon incident; les pirouettes
si curieuses qu'elle exécute avec un éclairement de moyenne intensité ne se produisent
plus avec un éclairement intense. La position de la Clostérie ne semble pas changer,
mais en réalité un lent mouvement de glissement s'effectue sur l'extrémité fixée, et
peu à peu l'algue s'éloigne de la face éclairée du vase.
Même fait chez Pleurolmnium. Les Diatomées ne présentent pas, nous l'avons dit,
d'orientation à la lumière, mais elles s'éloignent aussi d'une lumière trop intense. De
286 ALGUES.
même les Oscillaires. Les zoospores phototactiques conservent l'orientation de leur
corps, suivent la direction du rayon incident, subissent des renversements périodiques,
mais finalement s'écartent de la source lumineuse.
A une lumière intense, les Mesocarpus présentent par la tranche leur lame chloro-
phyllienne, au lieu de la présenter perpendiculairement à la lumière incidente; de
même les lames de corpuscules chlorophylliens, chez les Vaucheria (Voy. Stah^. Bot.
Zeit., p. 297,1880).
Entre les deux, valeurs extrêmes de l'intensité lumineuse (provoquant, Tune, l'attrac-
tion des corpuscules chlorophylliens, l'autre leur répulsion; l'une, l'orientation perpen-
diculaire, l'autre celle par la tranche) il y a, a priori, une valeur moyenne qui doit ne
produire rien; cette valeur prévue par la théorie n'a pas encore été évaluée en pratique.
Nous avons déjà vu que la nature de l'algue considérée terminait son mode de réac-
tion à la radiation : tantôt orientation et déplacement total, tantôt déplacement sans
orientation.
Des espèces, même voisines, n'obéissent pas avec la même rapidité à l'action de la
lumière. Ainsi VAcetabularia est très sensible, la Vaucheria l'est moins. Pour certaines
zoospores, il n'y a pas phototactisme, tantôt positif, tantôt négatif; quelle que soit l'inten-
sité de la source lumineuse, les zoospores du Botri/diumse dirigent vers la source.
11 y a, nous l'avons déjà dit, des algues tout à fait aphototactiques; les Characées
(Nitella) par exemple, certaines zoospores de Vaucheria, Codium, Ectocarpus, etc.
Même si l'algue n'est pas mobile, le protoplasme contenu dans les cellules de son
thalle pourra se montrer photo tactique.
Dans les Vaucheria par exemple, la chlorophylle est condensée sur des granules sépa-
rées; on voit tous ces chloroleucites se répartir exclusivement sur la face, directement
exposés à la radiation d'une part, et sur la face opposée de l'autre. Il se forme donc,
sous l'influence des radiations, deux bandes de corpuscules chlorophylliens, perpendi-
culaires à la direction de la radiation incidente. Si cette direction vient à changer, les
deux bandes se déplacent, de manière à rester perpendiculaires à cette direction {Stahl.
Bot. Zeit.. 1880, p. .324).
Le phototactisme du protoplasme, emprisonné dans des parois cellulaires, chez les
algues, est d'ailleurs un fait connu de tous, depuis les travaux de Bœhm, Famintzin, Boeo-
DiN, Prillieux, Frank, Stahl. L'exemple d'un genre de conjuguées, Mesocarpus, est
classique. Le thalle de ces algues vertes est formé de cellules superposées, et dans
chaque cellule, se trouve une lame protoplasmique, chlorophyllienne, traversant la
cellule dans toute sa longueur, et suivant son axe. Éclairons le filament de Mesocarpus,
perpendiculairement à sa longueur, par une lumière de faible intensité, la lame chloro-
phyllienne tournera sur elle-même, de manière à se trouver perpendiculaire au rayon
incident. Si la direction de ce rayon change subitement de 180°, la lame reste en place,
si elle prend tout autre direction intermédiaire, la lame tournera pour prendre la posi-
tion perpendiculaire.
Certaines algues vertes, formées de rangées de cellules, sont d'ailleurs insensibles à
la lumière; telles les Nitella, totalement dépourvues de propriétés phototactiques.
11 semble d'ailleurs bien certain que c'est le protoplasme lui-même qui est phototac-
tique, et que les grains de chlorophylle sont passivement entraînés par le protoplasme,
sensible à l'influence de la radiation.
Les radiations de réfrangibilité différente n'agissent pas de la même façon sur le
protoplasme des algues. Le fait est particulièrement démontré pour les zoospores pho-
totactiques. Ce sont les rayons bleus, indigos et violets, qui agissent seuls; le maximum
d'action a lieu avec les rayons indigos, les radiations rouges et infra-rouges n'agissent
pas (Strasbur(3er, lac. cit., p. 43, 1878) (V. aussi Miquel. Rech. expér. sur la PhysioL, la
Morph. et la Path. des Diatomées. — Ann. de micr., t. iv, 1894).
La sensibilité phototactique change d'ailleurs chez une même algue, avec l'âge. Les
Clostéries sont très sensibles à la radiation, pendant leur jeunesse, puis leur paroi
s'épaissit, le protoplasme se charge de produits de réserve, et sa sensibilité s'émousse.
On peut dire que la Clostérie devient paresseuse à réasir à la radiation, à mesure
qu'elle acquiert de l'âge.
L'utilité de tous ces phénomènes phototactiques pour les algues sera étudiée d'une
ALGUES. 2S7
façon plus générale, eu même temps que leur utilité' pour les autres plantes, dans le
chapitre relatif à l'action de la lumière sur les végétaux.
Action de la salure de l'eau ambiante. Plasmolyse. — Il résulte des recherches
de Oltmanns {Ueber die Bedeutmig der Concentrationsànderungen des Meerwassers fur
Leben der Algen, K. Akad. Berlin, 1891, t. x, pp. 193-20.3) qu'un changement rapide dans
la concentration de l'eau de mer est nuisible à la croissance des algues, tandis qu'un
changement lent et progressif de cette concentration est supporté sans inconvénient par
ces plantes. Les expériences ont été faites sur Fucus vesiculosus et Polysiphonia nigres-
c.ens. Ce fait explique les cas de répartition des algues dans certains ports de mer. La
pauvreté de la Baltique en algues, opposée à la richesse de la mer du Nord, est beau-
coup plus due, selon toute vraisemblance, à la moindre teneur en sel des eaux de
cette mer, qu'aux variations plus considérables de la concentration de ses eaux.
Des espèces qui, dans la nier du Nord, croissent superficiellement, se montrent dans
la Baltique à de plus grandes profondeurs, là oîi les variations de salure sont moindres.
Cette influence de la concentration ne s'explique pas par les conditions de nutrition
des algues, mais bien par la turgescence de leurs cellules, qui est sous la dépendance
de la concentration du liquide ambiant; cette turgescence ne peut se maintenir qu'avec
des variations lentes de la coucentration. Les plantes marines exigent un minimum de
sel, non parce que les sels sont des aliments, mais parce que la turgescence est intime-
ment liée à la teneur en sel du liquide cellulaire.
Les phénomènes de plasmolyse sont faciles à mettre en évidence sur les cellules
de certaines algues conjuguées, en particulier chez Mesocarpus pleurocarpiis DBy i Voy.
De Wildeman. Soc. Roy. Bot. Belg., t. xxix, p. 99). Les membranes qui séparent les divers
articles du thalle se présentent sous forme d'un bourrelet en cercle, fait sans doute dû
à ce que la membrane est trop grande pour occuper, en cas de turgescence égale des
deux cellules voisines, la partie interne du cylindre, sous forme d'une surface plane. Si la
turgescence d'une cellule est supérieure par rapport à celle de sa voisine, la paroi de
séparation entre les deux cellules devient concave par rapport à la cellule à faible
pression. Si la pression est suffisante, le bourrelet n'apparaît plus; si elle n'atteint pas
un degré suffisant, on voit encore la trace d'un bourrelet.
Si, à l'aide d'une solution plasmolysante, on vient à diminuer fortement la turges-
cence dans deux cellules voisines, la paroi transverse se scinde en deux lames, qui se
séparent l'une de l'autre, et prennent alors la forme sous laquelle la membrane est
généralement figurée, c'est-à-dire qu'elles sont rejetées chacune vers la cellule dont
elles forment la limite, laissant entre elles au espace lenticulaire. Les membranes laté-
rales de chaque article, ayant une paroi plus résistante, ne sont pas modifiées par la
plasmolyse.
L'étude des êtres vivant dans les neiges qui couvrent les hauts sommets présente un
réel intérêt pour la physiologie générale. Les algues entrent pour une part importante
dans le nombre des habitants des neiges. La Sphœvelta nivalis est bien connue comme
colorant la neige en rouge, elle est répandue sur les hauts sommets des montagnes aussi
bien d'Europe que d'Amérique. De Lagerheim {Deutsche Bot. Geselhch., 1894) a observé
récemment dans les neiges des sommets des hauts volcans de l'Equateur des Volvoci-
nées, des Chlamydomonas, qui sont constamment accompagnées par un petit champi-
gnon : Selenotila nivalis, qui est le seul champignon saprophyte de la neige que l'on
connaisse, les bactéries exceptées.
Rapports des algues avec les êtres vivants. — Les algues jouent un grand rôle
dans l'harmonie générale de la nature. La grande majorité d'entre elles sont pourvues
de chlorophylle; aussi, dans les eaux douces et salées, détruisent-elles l'acide carbonique,
soit à l'état de dissolution, soit à l'état de combinaison avec les alcalis terreux. Le fait
corrélatif de cette décomposition est la mise en liberté d'oxygène; les algues rendent
donc les eaux habitables pour les animaux. Peut-être absorbent-elles aussi les matières
organiques dissoutes, ou dont elles ont provoqué la dissolution, et rendent-elles ainsi
potables des eaux chargées d'impuretés?
Les algues sont un intermédiaire fréquent entre la nature purement minérale et les
animaux. Avec les seuls matériaux qui les entourent, eau, sels minéraux et acide carbo-
nique, elles fabriquent de la matière organique, assimilable pour les animaux. Dans
288 ALGUES.
toutes les classes du règne animal, il y a des espèces qui se nourrissent, pour tout ou
partie de leur alimentation, d'algues.
CuviER et Valenciennes ont signalé depuis longtemps que certains poissons ont l'esto-
mac rempli d'algues. Mertens a rencontré dans le golfe de Venise l'fl/va ioi/sswîa percée
de nombreux trous, et en partie dévorée par Bulla hydatis; il a fait la même observation
à Ancône sur Porphyra vulgarU. Il est fréquent de trouver sur nos côtes des stipes de
Laminuria flexicaulis, creusés de cavités, où se logent de petites Patelles. D'après CoRNr-
CHOEL, l'Otarie et le Chœtodon monodactyles se nourrissent de Microcystis pyrifera. Les
tortues marines sont particulièrement friandes des Caulerpa.
Certaines larves de Diptères se nourrissent exclusivement d'algues (Levi-Morenos. Sul
nutrimento preferito dalle larve di alciini inselti ed applicazione practica di questa conos-
cenza ail' allevamento dei Salmonidi, Notarisia, 1891, vol. vi, n^ 23, pp. 1178-1282), par
exemple celles de Ctiironome, dont le tube digestif est rempli de Diatomées, de filaments
d'Oscillariées, de fragments d'Ulothrix, de cellules d'Hydrurus, de Scenedesmus. Le plus
souvent le contenu cellulaire de ces algues n'est pas altéré, et les larves doivent surtout
se nourrir du mucilage qui enveloppe les cellules (?). On a même pu penser qu'il y avait
une évolution défensive des Diatomées, en rapport aven la «. diatomophagie » des ani-
maux aquatiques (Levi-Morenos. JVoinrJsw, anno V, n" 20).
Le rôle des algues vertes dans les rapports biologiques réciproques des êtres a été
bien démontré, dès 1838, par une expérience intéressante de Ch. Morren {Essai surl'hété-
rogénie dominante, p. 31). Lorsqu'on place de l'eau pure dans un vase ouvert à l'air libre,
et exposé à la lumière, ce sont des algues très inférieures qui apparaissent. Si, au lieu
d'employer l'eau pure, on emploie un vase plein d'une infusion organique en décompo-
sition, l'accès de la lumière n'est pas nécessaire au développement d'êtres inférieurs ani-
maux, tels que les Infusoires. « La source de vie produite, dit avec beaucoup de justesse
Morrem, croît quand la lumière augmente, comme si les organismes végétaux développés
-condensaient et fixaient la lumière dans la matière organisée; les animaux n'apparaissent
que comme une conséquence de la vie végétale, et dans un milieu préalablement
organisé. »
Symbiose des algues. — Nous ne parlerons pas ici des zoocblorelles et des
zooxanthelles, ces corpuscules verts, si fréquents dans les corps de nombre d'animaux
aquatiques, el que l'on tend à considérer aujourd'hui comme des algues, vivant en
symbiose, avec l'animal qu'elles habitent. Il en sera parlé à l'article Symbiose. Cet
article contiendra également les données utiles aux physiologistes sur la symbiose des
algues avec les champignons, dans la tliéorie algo-lichénique.
Ces algues sont unicellulaires, mais il en existe nombre d'autres, qui s'associent d'une
façon plus ou moins intime à divers animaux. On a bien prononcé pour ces cas le nom
de symbiose, mais il est peut-être encore plus discutable que pour les zoocblorelles, et
c'est ici le lieu de parler de ces algues parasites, au moins très brièvement.
On a trouvé récemment, dans les iles de la Sonde, les Noctiluques colorées en vert
par des algues unicellulaires, qu'il faut probablement rapporter aux Zoochlorella. (Voyez
pour ce cas de symbiose et les suivants, le très intéressant mémoire de M™° Weber v.^n
Bosse, in Annales du Jardin bot. de Buitenzorr/, 1890.)
Dans les mêmes régions, on a observé des cas de symbiose (?) entre algues et
Éponges. Une Eponge lacustre, Ephydatia fluviatilis, est normalement d'une couleur gris-
jaunâtre, et présente de distance en distance des taches vertes, situées de préférence
au voisinage des oscules. Ces taches sont dues à des filaments verts, ramifiés et entre-
lacés, d'une algue du genre Trentepohiia. Cette algue « mène une vie en commun avec
l'éponge, profite de son hôte, et cette symbiose prend déjà la forme du parasitisme, mais
d'un parasitisme peu exigeant, car l'Éponge ne souffre pas visiblement des dommages
que lui cause l'algue ».
Un cas de symbiose plus parfait et mieux caractérisé s'observerait entre l'algue
Sti'uvea delic.atula et une Éponge marine. Les deux êtres « s'influencent mutuellement
d'une manière extraordinaire, qui va si loin, que tous deux perdent à un moment donné
leurhabitus ordinaire ». L'algue Slrueea se transforme si complètement, par la vie en
commun avec cette Éponge du genre Haliecmdria, qu'elle a été classée par divers algo-
logues, daiis un genre spécial : Sponç/oeladia.
ALGUES. 289
Du reste les Spongiaires semblent se prêter plus volontiers que les autres animaux à
des association avec les algues. Brandt a dressé une liste très importante de ces cas
d'association {Mittheil. Zool. Stat. Neapel, t. iv, 1883).
Il ne faudrait pas croire que ce sont seulement des algues vertes qui jouissent ainsi
de ces propriétés d'association. Une Floridée filiforme, Callithmnnium membranaceum, foi-me
par ses filaments juxtaposés de larges plaques, à la surface des fibres cornées de Spon-
gelia pallesccns, ou entre les lamelles concentriques de ces fibres.
Une Cyanophycée, Oscillaria spongeiiae, réduite à de petits bâtonnets, habite la sur-
face de la même algue, et a été rencontrée dans les cellules embryonnaires de l'Éponge,
en voie de division (Schdltze. Unters. ùber dcn Bau und die Entwickelung der Spongien:
Gattung Spongclia, Zeitsch. Wiss. Zool., t. xxxii, 1879).
Une Pbœophycée, Chœtoceros sp., remplit de ses cellules le corps d'un infusoire cilié :
Titinnus inquilinus (Famintzin. Beitr. z. Symbiose von Algen und Thieren, i" part., 1891.
Mém. Ac.Imp. Se, Saint-Pétersbourg, t. xxxvin, n''4).
Parasitisme des Algues. ^- A. Sur les végétaux. — Le nombre des algues, para-
sites des autres végétaux, s'accroît chaque jour, à mesure des investigations nouvelles.
Mais leur nombre est encore assez restreint.
La plus anciennement étudiée est parasite des feuilles de Camellia, dans l'Inde, c'est
le Mycoidea parasitica (Coniningham. On Mycoidea parasitica, a neio Genus of Parasitic
Algae. Trans. Linn. Soc. of London, janv. 1879.)
Tandis que la croissance du Mycoidea se fait entre les couches épidcrmiques et sous-
épidermiques de la feuille, cette croissance est purement superficielle chez un nouveau
genre voisin VHansgirgia (De Toni. Sur un nouveau genre d'Algues aériennes. Bull. Soc.
Bot. Belg., juillet 1888). Le disque qui supporte cette algue se détache avec facilité de
son support, la feuille, par action de la potasse caustique. Il n'y a pas en effet, comme
chez Mycoidea, de radicelles qui s'enfoncent dans le tissu de la feuille parasitée.
VHansgirgia se présente à la surface des feuilles, sous forme de petites taches jaunâ-
tres, ce doit être une plante commune dans les pays tropicaux, surtout au Brésil, elle est
introduite accidentellement, dans les jardins botaniques, et ne peut végéter que dans les
serres chaudes (Voy. de Wildeman. Sur quelques formes d'Algues terrestres épiphytes.
Soc. Bot. Belg., 1888).
Peut-on, à propos de cette algue parler de parasitisme? La chose est encore douteuse.
Elle ne fait peut-être qu'emprunter à la plante un support favorable à son développe-
ment, et profiter peut être de CO- que le parenchyme foliaire dégage, pour le décom-
poser ensuite ; elle possède en effet de la chlorophylle, simplement masquée par un
pigment rougeàtre.
Le genre Trentepohlia, très voisin de ce dernier, possède également des espèces épi-
phytes, pour lesquelles on ne peut probablement pas parler de parasitisme : T. lageni-
fera, Kurzii, polycarpa, calamicola, Reinschii.
Le Chlorochytrium, algue verte, attaque les lentilles à'ea.a{Lemna),\e Phyllosiphon,\es
feuilles d'Arisarum.
Certaines algues cherchent un abri dans les méats intercellulaires d'autres plantes.
Certains Nostoc s'établissent ainsi dans le corps des Lemna, dans le thalle des Hépatiques,
les feuilles des Azolla, la racine des Cycas, le rhizome des Gunnera, où ils pénètrent
même à l'intérieur des cellules, en s'introduisant par les ponctuations des parois cellu-
laires. Dans ce cas, malgré leur teneur en chloropliylle, ces algues ne peuvent vraisem-
blablement assimiler, faute de lumière, et elles vivent en vrais parasites. (Janczewski.
Parasitische Lebensiueise des Nostoc lichenotdes, Bot. Ztg. o, 1872. — Prantl. Die Assimi-
lation freien Stickstoffes und der Parasitismus von Nostoc, Hedwigia, 2, 1889. — Reinre.
Parasitismus einer Nostochacec in Gunnera-Arten, Gbtt. Nachrichten, 624, 1871. — Reinke.
Parasitische Anabœna in Wurzeln der Cycadeen, Gott. Nachricht, 107, 1872; Morpholog.
Abhandl. 12, 1873. — Sorauer. Pflanzenkrankheiten, t. 3, 1886. — Sthasburger. Ueber
Azolla, 1873. — Albert Schneider. Mutuaiistic symbiosis of Algae and Bacteria tuilh Cycas
revoluta, Bot. Gaz., I. xix, n" 1, janv. 1894. — Bengt Joensonn. Studier ofver Algpa-
rasiten has Gunnera; Botaniska Nostier, 1894, fasc. 1.)
Certaines algues semblent n'ali'ecter une vie parasitaire que pendant une certaine
période de leiir existence. C'est ainsi que Balbiania investiens (Voy. Sirodoï, loc. cit.)
DICT. DE PH^'SIOLOGIE. — TOME I. 19 ,
290 ALGUES.
présente une forme sexuée, qui n'affecte que de très faibles adhérences avec les filaments
des Batrachospermum. Cette forme sexuée ne trouverait, comme un type voisin, les
Chantransia, dans la ramification des Batrachospermum que des conditions plus favora-
bles pour se fixer que sur un autre support. Même recouverte d'un revêtement continu,
l'algue support n'est pas sensiblement altérée dans sa forme. Mais il existe pour cette
plante une forme asexuée, prothalle si l'on veut, qui semble affecter avec les Batracho-
spermes des rapports plus intimes, et son parasitisme est sinon établi, du moins pro-
bable.
Pour des détails plus complets sur les algues parasites, leur répartition, leur action
sur les organes des plantes parasitées, voyez Môbius, Conspectus Algarum endophytarum,
Notarisia, t. iv, 1891. — Ueber endophytische Ahjen, Biol. Centralblatt, t. xi, n" 18. —
Verh. d. Naturh. Med. Ver. zu Heidelberg, iv, t. v, fasc. VI, nov. 1892.
Deux espèces d'algues Phéosporées, Streblonemopis irritans, et Ectocarpus Valiantei, en
pénétrant dans le thalle d'autres algues, y provoquent une prolifération qui aboutit à
la formation d'une véritable galle. Ce sont donc là de véritables algo-cécidies, se déve-
loppant sur des algues.
Mais il existe aussi au moins une algo-cécidie, bien déterminée sur une Phanérogame.
Une espèce d'algue que l'on a placée dans un genre Phytophysahah'de, en parasite,
le corps d'une Phanérogame du genre Pilea. Son thalle forme une véritable galle (algo-
cécidie), sous forme d'une vésicule pleine de chlorophylle, à membrane épaisse, remplie
pendant toute la durée de la vie végétative, d'un protoplasme réticulé. Les spores sont
mises en liberté, par rupture de cette membrane, et se répandant en dehors par les
fissures produites sur la plante nourricière. Toutes les parties du Pilea sont infestées,
mais surtout la tige, les pétioles et les bourgeons (Voy. Weber Van Bosse, loc. cit.).
B. Sur les animaux. — L'algue, Palmella spongiarium, colorée en rouge, comme P.
nivalis, est parasite des Éponges : Halicondria panicea, Cliona celata, Amorphina stelli-
fera (Carter. Parasites of the Spongia. Ann. of nal. Hist. (S), t.. ii, 1878), auxquelles elle
communique une coloration intense.
Le Chlorochylrium Cohni présente des faits de parasitisme encore plus curieux. Cette
Protococcacée vit d'abord en parasite dans le thalle d'une Floridée, Polysiphonia nuceo-
laria; puis ses spores vont germer chez deux infusoires : un Epistylis et Vaginicola crys-
talllna, où la forme définitive apparaît. L'hôte meurt et son corps ressemble à un kyste
plein de sporules vertes (Wright).
On a trouvé des algues, du groupe des Trentepohliacées, vivant en parasites sur les
poils de Mammifères : les Paresseux (A. Weber van Bosse. Étude sur les Algues parasites
des Paresseux; Natuurh. Verhandl. Hollandsche Maatsch. der Wetensch., t. y, fasc. 3,
Haarlem, 1887.)
Dans la couche cellulaire recouvrante des poils des Paresseux [Bradypus Cholœpus), le
Trichophilus Welckeri se développe en compagnie d'une Cyanophycée : Cyanoderma. Ce
sont là plutôt des saprophytes que des parasites, car elles vivent seulement au milieu 'des
débris épidermiques.
Le Cladophora ophiophila vit sur un Ophidien (Magnus and Wills. Ueber die auf der sûss-
ivasserschlange Herpeton tentaculatum, aus Bangkokin Siam ivachsenden Algeii ; Sitzungsber.
Gesell. Naturf. Freaiide zu Berlin. 1882). Les Characium Hookeri et Debaryanum se dévelop-
pent sur divers Entomostracés. L'Epicladia (lustra vit en parasite sur les Flustres. Le
Dermatophyton radicans, Confervacée étudiée par Peter {Ueber eine auf Thieren schmara-
tzende Alge; Tagebl. d. 59 Vers, deutsch. Naturf. in Berlin, 1886) et voisine des Ulves, se
développe sur le dos d'une tortue : Emys Eiiropsea. Mais dans ces derniers cas peut-on
même parler de parasitisme? L'algue ne profite-t-elle pas seulement d'un support favo-
rable à son développement, sans emprunter en rien sa nourriture à son hôte, ni lui être
en aucune façon nuisible?
Ce passage, pour ainsi dire insensible de la vie épiphyte des algues, à leur vie endo-
phyte, et inversement, nous amène à dire quelques mots des algues, hôtes des co-
quilles fluviatiles et marines.
Algues calcivores. — Les zoologistes ont signalé depuis longtemps la présence
de végétaux perforants dans le test calcaire des Mollusques, mais l'étude botanique de
ces êtres est de date récente.
ALGUES. 291
De Lagerheim {Codiolum pohjrhizum n. sp.; Ofversigt of Kongle Vetnskaps-Akadc-
miens Faerhandlinger, 1885, n" 8, p. 21, Stockholm. — Note sur le Mastlgocoleus;
Notarisia, 1886, n° 2, p. 65), a décrit le premier un Codiolum, et un nouveau genre de
Sirosiphoniacées, Mastigocoleus testarum, vivant dans l'épaisseur des coquilles mortes.
Ces algues abondent sur toutes nos côtes; elles sont mêlées le plus souvent d'une façon
inextricable à d'autres espèces moins connues, dont deux ont été étudiées par Bornet et
Flahault (Journ. de Bot. de Morot, 16 mai 1888). Ces auteurs ont montré que l'état
chlorococcodoïde, regardé par Lagerheim comme appartenant au cycle de Mastigocoleus,
appartenait à un genre nouveau : Hyella. Quant au Codiolum poiri/Tiisum, ce serait un spo-
range, appartenant à Gomontia polyrfdza, chlorosporée filamenteuse ayant la structure
d'une Siphonocladée.
Le Zygomilus reticulatm est également une algue perforante, ainsi que le Trichophitus
Nenise, décrit plus récemment par Lagerheim {Ber. deutsch. bot. Gesell., t. x, 1892). Voyez
aussi BoRNET et Flahadt, Sur quelques plantes vivant dans le test calcaire des Mollusques;
Congrès botanique de '/SS9.
L'Hyella fontana est une algue perforante d'eau douce qui perfore les coquilles
à'Helix, qui ont longtemps séjourné dans l'eau. Ou la trouve, sur ces coquilles, mêlée
à de nombreux filaments d'une autre algue perforante, Plectonema terebrans.lYoyez pour
la description de cette espèce Journ. de Bot. de Morot, 1892, n"' 15 et 16.)
On voit par là que les algues jouent un grand rôle dans la dissolution des coquilles
calcaires : c'est une donnée biologique à retenir, et il serait bien intéressant de connaître
le mécanisme chimique de la dissolution.
11 est probable que ces algues excrètent par leur thalle quelque acide capable de
décomposer le carbonate de chaux, et peut-être aussi un ferment capable d'hydrater
la trame organique de la coquille, se conduisant en cela comme certains champignons
entomophytes dont les hyphes peuvent perforer les téguments chitineux des insectes, et
peut-être transformer la chitine on glycose.
Les sécrétions acides des algues calcivores seraient tout à fait analogues à celles des
racines, bien connues depuis les expériences de Sachs. Peut-être l'acide carbonique
dégagé par la respiration de ces algues est-il aussi un facteur de la dissolution du car-
bonate de chaux. Cette dissolution est parfois très active. Schimper {Flora, 1864, p. 509)
a rencontré dans plusieurs lacs de la Suisse des galets calcaires, percés de trous nom-
breux et profonds, leur donnant l'aspect d'épongés grossières; ces excavations seraient
dues à l'influence d'une algue, Euactis calcivora. Ces faits sont à rapprocher de ceux
qu'à signalés Gœppert (Jahresb. der Schles. Ges. filr Vaterl. Cultur, Breslau, 1859), de la
décomposition par des Lichens de diverses roches : granit, mica-schiste, gneiss, en
caolin, quartz et mica.
Les lichens crustacés attaquent de même les calcaires qui leur servent de support, le
calcaire leur sertà former l'oxalate de chaux qu'ils contiennent souvent en grande quan-
tité. Peut-être serait-ce à l'algue qu'il faudrait rapporter les phénomènes de corrosion
produits par le lichen : Verrucaria conséquent, si on admet la symbiose algo-lichénique;
dans ce cas l'algue serait une Cyanophycée.
Les phénomènes de la corrosion exercée parles algues sur les calcaires des lacs de
Suisse ont été étudiés par divers auteurs. A. Bhaun indiqua comme espèce active VEua-
tis calcivora Kûtz. spec. Alg., p. 342; Rabemhorst en étudia une autre sous le nom de Zona-
trichia calcivora [Flor. Alg. europ., p. 214). La première de ces espèces a été rapportée
récemment par Borinet et Flahault {Revis, des Nostocacées héterocystées, 350) à Rivularia
hxmatites Ag. Selon ces auteurs, c'est à cetti; algue que doivent être rapportées un grand
nombre de formes, observées sur des calcaires corrodés en divers points de l'Europe.
Signalons encore Hypheothrix Zenkeri, une Schizophycée, décrite par Bornemann, corro-
dant les calcaires de Thiiringe. Selon cet auteur {Geolog. Algenstudien ; Jahrb. Preuss.
Geol. Laudesanstalt, 1886) des algues fossiles érodaient déjà les calcaires à des époques
géologiques reculées, il a observé sur les calcaires jurassiques des érosions cju'il attribue
à des espèces nommées par lui : Siphonema incrustans, Zonatrichites lissaviensis, Calci-
nema triasiuum.
D'intéressantes recherches sur les algues calcaires viennent d'être, tout récemment,
faites par Cohn {Schlesische GescUsch. fUr vaterlàndische Cultur, 1893, Bot. Sect., p. 19).
292 ALGUES.
Cet auteur a étudié les érosions de calcaires provenant des lacs de la Suisse, offrant à la
surface des crêtes, ressemblant à des chaînes de montagnes, entre-croisées en divers
sens, r^es échantillons extraits du fond des lacs sont recouverts d'une sorte de tuf, tandis
que ceux qui éprouvent nn véritable lavage de la part des eaux, ne présentent que leurs
reliefs, avec des sillons lisses d'érosion. Dans la masse tuffeuse, traitée par un acide, on
trouve les débris de nombreuses Diatomées {Eunotia, Epithemia, Himantidium, Navicula,
Pinnularia, Gubella, Meloswa). Des filaments de Leptothrix sont mêlés à des Rivula-
riacées. Ces algues dissolvent le calcaire, d'où les érosions, puis s'entourent d'un tuf pro-
tecteur, dont les saillies ressemblent à une carte en relief d'une région montagneuse.
Bien que tout ne soit pas élucidé dans l'histoire de ces algues lacustres calcivores, il
est hors de doute que l'érosion des calcaires est due à l'action de Schizophycées, Rivula-
riacèes et Schizotrichées, qui adhèrent à la roche à l'aide de leurs hétérocystes et de
leurs cellules basales, tandis que les fdaraents verts du thalle sont dressés. Il est intéres-
sant de remarquer à ce propos, qu'il existe une différence de polarité très accentuée
entre les deux extrémités des filaments du thalle, les rhizoïdes se montrant négativement
héliotropiques, tandis que l'autre extrémité l'est positivement. Il semble bien en effet que
cette différence de polarité doive être de nature héliolropique, mais on ne peut afflrmer
que d'autres forces n'entrent pas en jeu pour la déterminer. En tous cas, au point de
vue chimique, il y a un contraste absolu entre les deux extrémités d'un même filament.
La portion basale laisse exsuder un acide qui dissout le calcaire ; celui-ci est absorbé par
le filament, dont le sommet s'entoure, en faisant repasser la chaux à l'état de nouvelle
combinaison, probablement de carbonate. Ce sel forme le dépôt qui sépare les divers
filaments les uns des autres.
Parasites des Algues — Certaines algues sont fréquemment attaquées par des Chy-
tridinées. Chez les Péridiniens, que les travaux les plus récents tendent à faire considé-
rer comme des algues, certains de ces champignons forment des corps dits endogènes,
par rapport à la plante parasite, et qui avaient été regardés par certains auteurs comme
appartenant aux Péridiniens, alors qu'ils n'en sont que des parasites. Nous ne pouvons
que renvoyer pour l'étude de cet intéressant sujet, au mémoire de Dangeaud [Les Péri-
diniens et leurs parasites. Journ. de Morot, 16 avril 1888).
Le genre Chytridium contient de très nombreuses espèces parasites épiphytes des
algues qui désorganisent les cellules du thalle de leur boîte, à l'aide de sortes de
suçoirs. Nous ne pouvons, pour ce type comme pour les suivants, entrer dans le détail
des étirations produites par le parasite sur les cellules de l'hôte. (Voy. A. Braun.
Abhandl. d. Berl. Akad., 183.^, pp. 28, 183. — Schenk. Verhandl. d. phys. med. Ges. zur
Wilrzburg., 1857, t. vin, pp. 236-242. —No VAKOwsKi.Bertr. z. Kenntn. d. Chytridiacum; Cohn's
Beitr. z. Biol. d. P/l. II. — Cohn. Eedwigia, 1865, 12.)
Les Olpidium, en développant leur sporange à l'intérieur des cellules de diverses
algues, Closterium, Vaucheria, Antithamnion, Bangia, Harmidium, Coleochalte, semblent
produire une cécidée, caractérisée par le développement anormal des cellules infestées.
(Voy. A. Braun, toc. cit. — Kong. Sitzungsber. d. Gesellsch. naturf. Freunde zu Berlin, 21 nov.
1871. — Magnus, ibid., 1873). — A citer encore les genres Olpidiopsis, Rozella, Woro-
ninia (Corno. Ann. Soc. nat. 5" série, t. xv, 1872), Rhizidium (A. Braun, loc cit.), Chado-
chytrium (Novakowski, loc. cit.), dont l'action sur l'être parasite a beaucoup moins pré-
occupé le-* auteurs qui les ont étudiés, que leur développement propre et leur détermi-
nation générique et spér-.ifique. Certaines Saprolignées sont également parasites des
algues, Pythium, SnproUgnia, Lagenidium, Aphanomyces, Achlyogetum, Anglistes, Sacca-
podium. (Voy. Sche.nk. Verhandl. d. phys. med. Gesellsch. Wilrzburg, nov. 1857, t. ix, et 1 839,
p. 398. — Pringsheiu. Jahrb.f. ivissensch. Bot. t. i, p. 289. — Lohde. Verhandl. d. bot. Sect.
d. 47 Vers, deuisch Naturforsch. Aerzte zu Breslau, 1874. — Walz Bot. Zeit., 1870, p. 537.
— De Baby. Pringyhnm's Jahrb., t. ii, p. 179. — Pm7.Ën.Monatsbr. d. Berl. Akad., mai 1872.
— Sarakin. Hedwigia, 1877, p. 88).
On ne conn.-iîl jusqu'à ce jour qu'une seule zoocécidie des algues ; elle est produite
sur les Vaucheria, par un Rotifère, Notommata Verneckii. Ce parasite détermine sur
V. terrestris une véritable galle, étudiée par Balbiani [Ann. Se. Nat., 1878). Ces galles
sont dues à une hypertrophie des filaments de la plante, qui portent les organes de la
ructifîcation. 11 3' a souvent formation de filaments, que l'on pourrait qualifier d'adven-
ALGUES. 293
tifs, sur divers points de la surface de la galle. Les jeunes Notommates sortent des galles
et vont infester de nouveaux filaments de Vaucheria ; leur sortie s'efîectue par des ouver-
tures, se produisant spontanément au sommet des filaments advenlifs, ou provoqués par
les cornicules du parasite. Le Rotifère présente deux périodes dans son existence, l'une
de vie libre, l'autre de vie parasitaire : pendant la première, il est vermiforme, segmenté;
pendant la seconde, dilaté, sacciforme, non segmenté, et à maturité sexuelle.
Il existe une similitude de structure des plus singulières entre certains parasites des ■
algues et leurs plantes nourricières, similitude si grande, que pendant longtemps elle a
fait méconnaître la nature réelle des parasites. Fait encore plus curieux, certains d'entre
eux se développent constamment, à la place même qu'occupent normalement les véri-
tables organes reproducteurs. Ces végétations parasitaires désignées par les algologues
sous le nom de « nématbécies » présentent une telle ressemblance avec les véritables
cystocarpes des algues parasitées, qu'on les a prises fréquemment pour les organes repro-
ducteurs. Il y aurait donc ici production parasitaire d'un pseudo-fruit; production com-
parable, yjisgîf'à certain point, aux pseudo-fruits déterminés par divers êtres galligènes,
chez les Phanérogames. Nous ne pouvons que signaler cet aperçu des plus intéressants
pour la physiologie générale, en renvoyant le lecteur aux mémoires ayant trait à ce
sujet (ScHMiTz. Knbllchenartige Auswûckse an der Sprossen einiger Florideen. Bot. Zeit., 1892,
n° 38. — Lie Gattung Actinoeoccus. Flora, 1893. — Barton. On the occurrence of Galls in Rho-
clymenia pabnata. Journ. of Bot., mars, 1891. — Gomont. Journ. de Bot., 1"' avril 1894).
Dans cet intéressant chapitre, relatif à l'histoire des rapports des algues avec les
autres êtres vivants, nous n'avons fait qu'effleurer bien des points qui mériteraient
d'être examinés en détail. Mais nombre d'entre eux appartiennent plutôt à la morpholo-
gie qu'à la physiologie proprement dite; d'ailleurs combien d'obscurités encore dans
l'interprétation biologique des faits observés! Nous avons surtout tenu à exposer des
faits, en nous gardant d'entrer sur le terrain des hypothèses prématurées, terrain préféré
de tant de biologistes modernes. Bornons-nous à signaler encore dans cet ordre d'idée
un sujet très peu étudié et des plus attrayants : le mimétisme, qui existe dans certains
cas entre algues et animaux (Voy. Piccone. Casi di mimetisma tra animuli ed Alghe; Nuova
Notarisia, 20 juillet 1892).
La plupart des types animaux qui habitent dans la mer des Sargasses, au milieu de
ces algues flottantes, prennent une livrée qui les dissimule admirablement. Certains
poissons, les Syngnathes, se laissent flotter comme des frondes mortes, auxquelles ils
ressemblent au plus haut point. Un poisson voisin de la Tasmanie, Phyllapleryx folia-
tus, ressemble aux algues à thalle déctiiqueté au milieu desquelles il habite.
Culture des Algues. — Nombre de recherches physiologiques pouvant être effectuées
sur les algues, il peut être utile pour les physiologistes d'obtenir des cultures pures de
ces végétaux. On peut cultiver les algues dans l'eau distillée (peut-être ce milieu favo-
riserait-il l'apparition de certaines formes du cycle évolutif de la plante, que l'on pourrait
sans exagération, qualifier d'involutives), additionnée d'une petite quantité de chlorure
de sodium. Chodat et Malinesco {Bullet. de l'herb. Boissier, 1. 1, 1893, n" 4, p. 186) ont cul-
tivé des algues vertes dans le liquide de Nœgeli, dans un milieu additionné de maltose,
d'un sel ammoniacal et de fer. L'eau alcaline (de Vichy) leur a paru être le milieu le plus
favorable pour le type étudié par eux, Sceneclesmits. Beyerinck {Culturversuche mit
zoochlorellen Lichengonidien und anderen niederen A.lgen : Bot. Zeit., 189,0, Jalirg. 48) a
employé l'eau gélatiuisée à 8 p. 100, additionnée de peplone (0,8 p. 100), d'asparagine
(0,2 p. 100) et de sucre de canne (1 p. 100), ou l'eau de mer additionnée de (juelques
gouttes d'une décoction de malt.
Pour isoler des algues vertes, végétant par exemple dans les eaux croupissantes, on
suit la marche ci-dessous. On l'ait une dissolution de gélatine à 10 p. 100 dans de l'eau
de fossé bouillie. Ce liquide est ensemencé avec une goutte d'eau, contenant en suspen-
sion des algues à cultiver, puis étendu sur des plaques de verre, où il se prend en
masse par refroidissement. Dans ce milieu si pauvre en matières azotées et phosphatées,
les Bactéries ne se développent que très mal, et ne liquéfient la gélatine qu'assez tard,
pour qu'on puisse conserver des cultures pendant des semaines. On obtient ensuite une
culture pure, par ensemencement sur nouvelle gélatine.
Pour la culture de ses Ghlorella, Beyerinck emploie la gélatine additionnée de pep-
29^ ALIMENTS.
tone, d'asparagine et de saccharose, ce dernier corps peut être remplacé par du glucose
ou du maltose. (Beyerinck, Berkht ùber meine Kiilturen niedere Algen aiif Nàhrgelatine.
Centralbl. f. Bak. u. Parasitenkiinde, 1893.)
Au bout de quelques jours d'ensemencement, un liquide clair se sépare, en même
temps que s'effectue un dépôt de Chlorella; on décante, et ce dépôt peut être mêlé à de la
gélatine, puis étendu sur plaques, qu'il colore en vert plus ou moins intense.
Pour obtenir des cultures dans des milieu,'; liquides, on dissout 2 grammes de gélatine
dans iOO grammes d'eau, et on ajoute un peu de poudre de pancréas. On met digérer le
mélange à l'étuve à 40°, pendant 12 heures, puis ou porte à l'ébullition, et on filtre. Le
liquide ainsi obtenu est jaunâtre, s'il contient des spores de Bactéries; un nouveau séjour
à l'étuve à 40° détermine la germination des spores, et on les tue plus facilement à cet
état par une nouvelle ébullition. D'ailleurs, la présence des Bactéries peut favoriser le
développement de l'algue, par peptonification des aibuminoïdes, qui deviennent directe-
ment assimilables pour l'algue.
D'ailleurs l'optimum de température pour le développement des Bactéries est entre
40° et 30°, tandis qu'il est pour les algues aux environs de 20°; en maintenant les cul-
tures au voisinage de 20°, les Bactéries ne se développent que lentement. Si on veut
expérimenter sur la décomposition deCO-, il suffit d'ajouter au milieu nutritif! à 2 p. 100
de glucose et de la levure : Mycoderma Sphxromyces, par exemple, qui, en présence de
l'oxygène, décompose le glucose en acide carbonique et eau.
On a cultivé des Spirogyres dans des solutions d'acide citrique à 0,004 p. 100 (Migula.
Ueber den Einfluss stark verdiXnnter Saurelôsimgen auf Algenzellen, p. 29, fig. 6). Mais,
dans cette solution, l'algue prendrait certains caractères anormaux, en particulier elle
développerait des rhizoïdes, organes qui ne se différencieraient pas dans les conditions
ordinaires. Cependant ces rhizoïdes ont été retrouvés depuis dans des Spyrogyres pous-
sant dans des eaux agitées par des l'emous. L'influence tératogénique de ce milieu acide
de culture n'est donc pas prouvée.
Pour la culture artificielle des Diatomées, voir Miquel [Le Diatomiste, 1892-93; C. R.
t. cxiv, 28 mars 1892).
La culture des Nostocs, au moins de certaines espèces, aurait réussi entre les mains
de quelques expérimentateurs (Sauvageau, C. fi., 1892, p. 322).
Il est facile de cultiver dans les laboratoires des algues vertes, dont les filaments
peuvent être précieux pour l'étude de diverses questions de physiologie. Voici le procédé
recommandé par Sachs {Vorl. ùber Pflanzen-PhysioL, p. 342) et qui réussit bien pour la
culture des Spirogyres.
Celles-ci sont maintenues dans des vases peu profonds, opaques ou entourés de pa-
pier noir, car la lumière latérale est très nuisible à ces algues. Le liquide de culture
peut être de l'eau de source pauvre en sels calcaires, à laquelle on ajoute de temps en
temps quelques morceaux de tourbe bouillis et imbibés de la solution nutritive suivante:
Nitrate de potasse ' . . 1 gramme.
Chlorure de sodium . 0 gr. 30
Sulfate de chaux 0 gr. SO
Sulfate de magnésie 0 gr. 50
Phosphate de chaux |iulv,':-i-é. ... 0 gr. 50
Eau . _. 100 cent, cubes.
Il ne se dissout que des traces de phosphate de chaux. Dans ces conditions, les Spiro-
gyres, et en général les algues d'eau douce se développent rapidement.
F. HEIM.
ALIMENTS. — Définition. — I. La notion d'aliments, au point de vue de
la connaissance vulgaire, est claire; mais la définition scientifique n'en est pas facile.
L'aliment, c'est une substance chimique que l'être vivant emprunte au milieu ambiant
pour vivre. Mais, quand il faut préciser et caractériser cet emprunt, la difficulté appa-
raît. Aussi les auteurs ne sont-ils pas d'accord sur l'extension à donner au mot aliment.
En effet, la plupart des physiologistes ne comprennent pas l'oxygène comme un aliment;
mais il nous paraît qu'ils ont tort de faire cette exception; car l'oxygène est une subs-
ALIMENTS.
295
tance destinée évidemment à la nutrition de l'être; et par conséquent à son alimen-
tation. De là la nécessité de donner à la définition du mot aliment assez d'étendue pour
que l'oxygène y soit compris.
De même, quand on définit l'aliment, il faut songer aussi aux organismes végétaux,
ijui se nourrissent et s'accroissent, et qui, par conséquent, ont, tout comme les orga-
nismes animaux, besoin d'aliments.
Aussi toute définition qui ne s'applique qu'aux animaux nous paraît-elle défec-
tueuse.
Voyons d'abord quelques définitions anciennes. A. Milne Edwards (cité par Bérard,
T. P., t. 1, p. 5So) dit : substances qui, introduites dans l'appareil digestif, servent à l'en-
Iretien de la vie.
Cette définition est bien incomplète, et celle de Bérard {ibid.) ne l'est pas moins :
substances qui, introduites dans l'appareil digestif, vont ultérieurement réparer les par-
ties solides, et solidifiables, ou extractives, du sang, et concourent ainsi à l'entretien de
la vie.
Le tort de ces deux définitions, c'est qu'elles supposent l'introduction dans le système
digestif. Or l'absorption parle tube digestif n'est pas nécessaire. Par exemple, on conçoit
que des injections péritonéales ou sous-cutanées de bouillon ou de lait puissent être ali-
mentaires et servir à la nutrition.
Claude Bernard dit que la délimitation entre l'aliment et le poison est impossible à
faire (Subst. toxiques et médicamenteuses, 1857, p. 38). Toutefois il essaye de les distinguer
en disant que les aliments sont des substances nécessaires à l'entretien des phénomènes
de l'organisme sain, et à la réparation des pertes qu'il fait constamment. C'est une défi-
nition très générale, certainement meilleure que les précédentes. Elle [a le grand avan-
tage de s'appliquer à la fois aux végétaux et aux animaux, et de permettre de ranger
l'oxygène parmi les aliments. Cependant elle est peut-être un peu trop longue pour une
définition qui doit toujours être courte et claire.
Oré {Dict. méd. chir. prat., art. Aliments) définit l'aliment : toute substance solide ou
iquide qui, après avoir subi, dans l'appareil digestif, l'infiuence modificatrice des diffé-
rents sucs avec lesquels elle se trouve en contact, devient apte à réparer les pertes de
l'organisme, et |Concourt ainsi à son entretien et à son développement.
Dans ce même article aliments, Oré rapporte encore d'autres définitions de Bhachet,
de CoRvisART, de Magendie. Elles sont toutes également fautives, ni meilleures ni pires
que celles d'ÛRÉ.
Voit {H. H., t. vi, p. 330) appelle aliments toutes substances qui apportent un élément
nécessaire à la constitution de l'organisme, ou qui diminuent (ou empêchent) sa dénu-
trition.
C'est là une définition très vaste, mais bien obscure, et qui a cet avantage d'intro-
duire la notion nouvelle des aliments d'épargne, dont il faut tenir compte dans toute
défînilion complète.
D'après Viault et Jolyet (T. P., p. 116), les aliments sont les matières premières qui
servent à la fabrication des matériaux de rénovation de l'organisme.
Lanolois et de Varigny (T. P., p. 23) disent que les aliments sont les combustibles
nécessaires à l'entretien de la machine animale, à sa production de chaleur et de force.
Mais c'est là une définition incomplète; car l'eau et le chlorure de sodium, qui ne sont
pas des combustibles, sont cependant à coup sûr des aliments.
Duclaux (A)Hi. Inst. Pasteur, 1890), examinantà propos d'un cas particulier l'extension
qu'il convient de donner au mot aliment, est amené à en poser la définition suivante :
« Est réputé aliment tout ce qui contribue à assurer le bon fonctionnement de l'un
quelconque des organes d'un être vivant » (p. 7o0), et il en conclut que l'alcool est
un aliment, « ... par cela seul qu'il peut servir dans certaines conditions à exciter l'ac-
tivité cérébrale ». Mais à l'envisager ainsi, une pareille définition apparaît évidemment
comme trop large; toute la thérapeutique, comme toute l'hygiène, y seraient com-
prises.
Enfin LiTTRÉ (Bief, de la langue française, art. Aliments, p. 107, t. i) définit l'aliment :
matières, quelle qu'en soit la nature, qui servent habituellement ou peuvent servir à la
nutrition.
290 ALIMENTS.
De fait, une déflnition irréprochable de l'Aliment ne peut être donnée; car l'emploi du
mot aliment implique la connaissance des phénomènes de la nutrition, et le mot de
nutrition est par lui-même extrêmement vague.
D'abord, entre poison et aliment la délimitation est impossible. Le chlorure de sodium
est un aliment; mais, si la dose ingérée est trop forte, il y a une véritable intoxication.
L'oxygène est un aliment; mais, s'il pénètre à dose trop forte, c'est-à-dire avec une pres-
sion de cinq atmosphères, il devient toxique. Donc un aliment peut devenir un poison.
D'autre part certaines substances, comme l'alcool par exemple, en diminuant la com-
bustion des matériaux de l'organisme, sont vraiment des aliments, quoique par eux-
mêmes ils ne puissent se fixer sur les tissus, ni faire partie de l'organisme que quand
ils ont été presque complètement transformés par combustion et oxydation.
Mais ce sont peut-être là des subtilités, et une définition ne peut jamais répondre à
toutes les critiques.
Aussi bien nous paraît-il préférable de ne pas nous attarder sur la définition même,
et nous dirons que les aliments sont des substances introduites dans l'organisme pour :
1° subvenir à ses dépenses en forces vives ; 2° fournir des matériaux de réparation ou
de croissance, s'il y a lieu.
C'est en somme la définition de Cl. Bernard, et on voit que l'oxygène rentre dans la
définition de l'aliment; mais, pour nous conformer à la classification habituelle, qui
est excellente, nous laisserons l'histoire de l'oxygène à la respiration. En outre nous ne
nous occuperons pas des aliments nécessaires aux végétaux, et nous n'étudierons les
aliments qu'à un point de vue plus restreint; substances introduites dans les organismes
animaux par la voie digestive.
Classification. — Les classifications anciennes sont défectueuses, et on les a, à bon
droit, abandonnées. En effet, il est 'peu rationnel de diviser les aliments en respira-
toires et plastiques, comme Liebig a essayé de le faire ; car les aliments plastiques
servent aussi à la respiration, et les aliments respiratoires sont aussi des aliments plas-
tiques.
De même les termes d'aliments d'épargne, ou dynamogènes, ou thermogènes, sont
justement délaissés, car tous les aliments sont plus ou moins, suivant les conditions,
dynamogènes ou thermogènes, ou d'épargne. On est donc convenu de les classer d'après
leur constitution chimique.
On a alors la classification suivante :
1" Aliments ne contenant pas de carbone, ou inorganiques;
2° Aliments contenant du carbone, ou organiques.
Ce second groupe comprend une première subdivision:
a. Aliments organiques ne contenant pas d'azote;
p. Aliments organiques contenant de l'azote.
Le groupe a se subdivise lui-même en deux groupes :
a'. Aliments organiques non azotés dont l'hydrogène et l'oxygène sont dans le rap-
port (en volumes gazeux) de 2 à 1, soit des hydrates de carbone;
P'. Aliments organiques non azotés, contenant de l'hydrogène dans des proportions
plus grandes (par rapport à l'oxygène) que dans les hydrates de carbone : ce sont les Ali-
ments gras.
Le groupe (5 est constitué par les substances azotées, dont les unes a" sont cristallisa-
bles, et dont les autres p" sont colloïdes.
En somme les aliments se classent ainsi :
A. sans carbone, non organiques.
B. avec carbone, organiques.
a sans azote.
a' hydrates de carbone.
p' corps gras,
p avec azote.
a" non albuminoides.
P" albuminoïdes.
Si simple que soit celte classification, elle n'est cependant pas suffisante; elle est trop
théorique, car des matières chimiques, isolées et définies, ne sont que rarement intro-
ALIMENTS. 297
duites dans l'organisme sous celte forme. Presque toujours, les aliments ingérés con-
stituent des espèces chimiques multiples, extrêmement diversifiées, et il semble même
que cette variété soit une des conditions d'une alimentation saine et agréable.
Dans l'alimentation naturelle de l'homme, existent seulement deux substances miné-
rales qui soient des corps chimiques : H'''0 et NaCI. L'industrie et la civilisation n'ont
guère introduit en fait de substance organique séparée à Kétat sensiblement pur que le
sucre de canne.
Le plus souvent, en effet, nous employons pour nous nourrir des tissus végétaux ou
animaux, tous très complexes quant à leur composition. Le lait, l'œuf, la viande, le
blé, etc., sont des aliments composés qui contiennent tous les aliments simples.
De là la nécessité d'étudier d'abord les aliments simples, puis les aliments composés.
Alimentation moyenne du Parisien adulte. — Mais, avant d'entreprendre cette
étude systématique, nous allons tout d'abord essayer de poser le relevé statistique de
la consommation d'un sujet donné. C'est une dérogation au plan théorique que nous
voulons suivre; mais nous pourrons, grâce à ce tableau qui nous servira d'exemple,
poursuivre d'une façon moins abstraite l'étude de chacun des groupes chimiques
d'Aliments.
Il nous parait convenable de prendre comme type l'homme, et plus précisément
l'homme adulte des villes d'Europe. C'est, en effet, sans comparaison possible, le sujet sur
lequel a été rénni le plus grand nombre de renseignements; nous ne trouverons encore
que trop de lacunes dans les documents qui le concernent.
Un relevé de cette nature portant sur un nombre considérable d'individus peut donc
être regardé comme très exact, par rapport aux moyennes individuelles.
Nous allons essayer de le faire pour l'habitant de Paris.
Pour cela nous empruntons quelques données à la Statistique municipale de la Ville
de Paris, à l'Annuaire statistique de la France et aux Documents sur les falsifications de la
Préfecture de police de Paris.
Voici d'abord pour la plupart des aliments, sauf le pain, les quantités de matières in-
troduites à Paris, et par conséquent consommées (la réexportation était insignifiante) en
1890 :
Bœuf, veau, mouton 132 106 6S0 kilogrammes.
Porc et charcuterie 27 372 442 —
Cheval 4116400 —
Volaille et gibier 26 791 974 —
Fraises, champignons, etc 1076 663 —
Cerises, pois, haricots 3 688 350 —
Pommes, poires, pommes de terre 2 413 98a —
Lait 91 2SÛ 000
Poissons 23 316167 —
Œufs 22 324103 —
Beurres 19 932181 —
Fromages secs 726U89 —
Fromages mous S7 000 000 —
Ce chiffre est évidemment inférieur à la réalité; car nombre de fruits et de légumes
sont introduits à Paris sans passer par les Halles et payer de droits d'octroi. Mais
comme, d'autre part, nous ne tenons pas compte des réexpéditions, et enfin, comme, dans
cette masse de substances introduites à Paiis, il y a évidemment des produits avariés,
inutilisés, gâchés et détruits, il s'ensuit que, d'une manière générale, la balance s'équi-
libre sans doute assez bien, et que ces chiffres peuvent être considérés comme exacts.
Nous devons y ajouter les huiles, vins, alcools et boissons diverses :
Vins 447 446 684 litres.
Alcools 17 046 609 —
Cidres 7 074 611 —
Bières 27 338 389 —
Huile d'olive ...... 1 233 620 —
Cela posé, évaluons la population parisienne. Évidemment, il ne suffira pas de faire
une division par le chiffre de la population; car il y a des enfants et des femmes qui
298 ALIMENTS.
consomment moins que des adultes, Tc'est-à-dire précisément ceux dont nous voulons
préciser la ration alimentaire naturelle.
Nous ferons d'abord cette hypothèse que la consommation alimentaire est propor-
tionnelle au poids; cela étant admis, il nous est facile de rapporter à la consommation
d'un adulte moyen la consommation des Parisiens.
Pour cela, éliminons d'abord des 2 235 000 habitants de Paris les enfants âgés de
moins d'un an, qui consomment soit du lait, soit le lait maternel. Cela réduit la popula-
tion à 2 177 000. Mais il faut de ce nombre séparer les non-adultes, ainsi répartis :
Population de 1 an à 3 ans 207 000
— de 3 ans à 10 ans 200 000
— de 10 ans à 13 ans 188 000
Total 393 000
Restent donc 1782 000 adultes de plus de quinze ans, dont 891000 femmes et
891 000 hommes. Pour simplifier, nous supposerons qu'au-dessous de quinze ans la
consommation des garçons et des filles est la même.
Mais la différence de poids entre l'homme et la femme est de 11 kilogrammes en
moyenne, d'après Quetelet [Anthropométrie, 1870, p. 346), l'homme pesant 66 kilogram-
mes et la femme oo kilogrammes. Par conséquent, la proportion de la ration alimentaire
doit être de 6,6 pour l'hom.me contre o,.o pour la femme. Soit 100 celle de l'homme, elle
sera égale à 83 pour la femme.
On peut donc supposer que les 891 000 Parisiennes adultes consomment comme
891 000 X 0,83 Parisiens adultes, soit en chiffres ronds 740 000.
Les enfants de 1 an à 3 ans pèsent 12 kilogrammes, en moyenne : de o ans à 10 ans,
18 kilogrammes; de 10 ans à 15 ans, 30 kilogrammes. Par conséquent, les 207 000 en-
fants au-dessous de 6 ans consommeront comme 40000 adultes, les 200000 enfants au-
dessous de 11 ans comme 36000 adultes et les 188 000 enfants au-dessous de 16 ans
comme 90 000 adultes.
Tout compte fait, la valeur de la population représentée par des hommes adultes
pourra être compte'e de la manière suivante :
Adultes 891 000
Femmes 740 000
Enfants 186 000
1817 000
Soit en chiffres ronds. . . 1820 000
Il est évident, et nous n'avons pas besoin d'insister là-dessus, que ce calcul est tout à
fait approximatif; que nous ne tenons compte ni de la nourriture d'accroissement des
enfants et adolescents, ni de beaucoup d'autres éléments; car, à vrai dire, ils se com-
pensent l'un par l'autre, et, vu l'énormité des chiffres, cela modifierait peu la
moyenne. (Par exemple le nombre des voyageurs passant par Paris est compensé par le
nombre des Parisiens qui ont quitté la ville).
Pour faire l'évaluation par jour et par individu, il suffira de diviser les quantités ali-
mentaires introduites par 363 x 1 817 000.
Nous aurons ainsi le tableau suivant :
gr. En chiffres ronds.
Bœuf, veau, mouton 230,0 230
Porc et charcuterie 41,0 40
Cheval 6,0 6
Volaille et gibier 40,0 40
Fraises, etc 1,7 2
Cerises, etc 3,3 6
Pommes, etc 3,6 4
Lait 140,0 140
Poissons 39,0 40
Œufs 33,0 33
Beurres 30,0 30
ALIMENTS. 299
gr. En chiffres ronds.
Fromages ' 26,0 25
Vin 670,0 670
Alcools 25,3 25
Cidres 10,6 10
Bière 40,0 40
Huile d'olive 1,8 2
Dans ce calcul, nous ne faisons pas intervenir le pain, qui joue cependant un rôle pré-
pondérant dans l'alimentation.
D'après la statistique municipale, la quantité de pain consommé a été par habitant
de 146 kilogrammes en un an ; ce qui, en ramenant la population de2350000 à 1 820000,
nous donne par jour et par habitant adulte le chiffre de o20 grammes.
Il faut aussi modifier d'autres chiffres, évidemment erronés. D'abord le chiffre relatif
au vin est beaucoup trop faible, car les femmes et les enfants en consomment relative-
ment bien moins que les adultes. Nous pouvons donc le porter à 1 000 grammes, et nous
serons encore au-dessous de la vérité. Quant au lait, le chiffre est un peu trop fort, car
les enfants de moins d'un an en prennent des quantités parfois considérables, vu que
l'allaitement maternel ne leur suffit pas. On peut donc, très approximativement,
admettre le chiffre de 125 grammes.
Une omission plus grave consiste dans l'évaluation, très inexacte, des légumes con-
sommés à Paris. Ainsi nous trouvons, d'après les statistiques officielles, qu'il n'est entré
que pour 869 330 kilogrammes de choux, carottes et pommes de terre, ce qui ne repré-
sente pas, par habitant et par jour, beaucoup plus de 1 gramme. Il y a là évidemment
une énorme erreur due à ce que les pommes de terre, par exemple, qui ne payent pas
de droits d'entrée, vont directement chez les fruitiers et consommateurs sans passer par
le carreau des Halles.
De même pour certains autres produits de consommation, tels que le sucre, le
riz, etc.
Nous pouvons cependant à peu près rétablir cette consommation moyenne, grâce à
l'admirable livre de Husson (Les Consommations de Paris, 1856).
Voici, d'après lui, la consommation moyenne annuelle par habitant (vers 1834). Nous
admettons comme vraisemblable que le régime des Parisiens est resté le même.
Pâtisseries diverses 4 750 grammes.
Pâtes et farines 1 800 —
Riz 1550 —
Fécules diverses 430 —
Sucre sous diverses formes 11935 —
Fruits divers, raisins, oranges, fraises 232 000 —
Pommes de terre 23 000 —
Légumes divers frais 128 000 —
Légumes secs 8100
Mais HussoN a supposé une population de 1 0S3 262 habitants, alors que, pour les
raisons données plus haut, et d'après les mêmes calculs, il aurait dil rapporter ces
chiffres à 811000 adultes. Ses chiffres deviennent alors, pour chaque Parisien adulte :
Par an. Par jour. Chiffres ronds,
gr. gr- gi--
Fruits divers 300 000
Légumes frais divers. , . 166 000
Légumes secs 10 300
Pommes de terre 32 500
Sucre 13 600
Pâtisseries 6173
Pâtes et farines 2 350
Riz 2 013 3,6
Fécules diverses 583 1,6
820
800
435
430
28,3
30
88
90
43
43
17
13
6,3
6
1. Calculé en froma.ore sec.
300 ALIMENTS.
Les chiffres suivants résument, toutes les données précédentes :
gv.
Pain 520
Viande de bœuf 230 ]
Viande de porc 40 ( „„„
Volaille et gibier 40 |
Poissons 40 /
Lait 125
Œufs 33
F™>ts '^'"' î I 050
Légumes frais 450 j
Légumes secs 30
Pommes de terre 90
Riz et fécules 10
Pâtes et pâtisseries. ... 20
Sucre 45
Beurre 30
Fromage 26
Vin 700
Huile d'olive 12
Cidres et bières 50
Alcools 25
Nous aurons souvent, dans le cours de ce travail, à tenir compte de ces différents
chiffres. Aussi est-il nécessaire de les modifier quelque peu afin de les simplifier
encore.
D'abord nous réunirons sous une même rubrique le pain, les pâtes et les pâtisseries;
ce qui nous donnera le chiffre total de 540, que nous comprendrons sous la rubrique
Pain.
Les viandes de boucherie,' volailles, gibier, charcuterie, poissons, peuvent être réu-
nies sous la rubrique. Viandes. 330 grammes. Mais ce chiffre est trop fort; car, dans un
kilogramme de viande brute, il n'y a évidemment pas 1 kilogramme de chair muscu-
laire ; il en est de même pour toutes les autres viandes : poissons, homards, poulets,
lapins, etc. Mais, la plus grosse part de beaucoup dans le total étant la viande de bou-
cherie, nous calculerons le tout de la même façon, c'est-à-dire que nous retrancherons
20 p. 100 pour les os. La viande nette, désossée, deviendra alors 280 grammes par tête
d'adulte et par jour.
Le chiffre de 800 grammes de fruits par jour paraît certainement un peu fort, mais
il faut songer que la matière nutritive n'en fait qu'une partie minime. Les poires et les
pommes, qui en font le principal élément(60p. 100), sont pesées avec latige, les pépins,
l'épiderme, qui constituent moitié au moins du poids total. Daus les melons, les poti-
rons, les concombres, il n'y a pas même la moitié du fruit qui est alimentaire.
Les légumes frais sont constitués surtout par les choux (24 p. 100) ; les carottes (20 p. 100);
les oignons etpoireaux (16 p. 100); les salades, oseilles, épinards (14 p. 100); les autres
légumes représentant ensemble seulement 23 p. 100 (artichauts, asperges, navets, fèves,
pois, haricots, champignons, melons, céleris, tomates, etc.). Nous pouvons admettre que
les déchets et les épluchures constituent la moitié de la quantité achetée au marché.
Ainsi, en réunissant les légumes et les fruits sous une rubrique commune, nous pou-
vons prendre, au lieu du chiffre total de 1 230 grammes, la moitié seulement de ce
chiffre, soit 600 grammes environ.
Nous réunirons l'huile et le beurre, comme étant deux aliments très analogues par
la constitution chimique, malgré l'extrême différence de l'origine; soit 40 grammes en
chiffres ronds.
De même, pour simplifier, les pommes de terre, riz et fécules seront assimilés, de
manière à donner le chiffre rond de 100 grammes.
Enfin, pour le vin, nous supposerons que les alcools, les cidres et les bières sont
consommés sous forme de vin, ce qui nous permettra d'établir le chiffre moyen de
1 000 grammes par jour de vin, chiffre que nous croyons très proche de la vérité.
Finalement, il nous restera, en chiffres ronds :
ALIMENTS. 301
Tableau A.
Pain et pâtes SaO grammes
Viande désossée 280 —
Lait 125 —
Œufs 35 —
Fruits et légumes frais 600 —
Légumes secs 30 —
Pommes de terre, riz et fécules. . . . 100 —
Sucre 45 —
Fromage 25 —
Bourre et huiles 40 -^
Vin et alcools 1000 —
C'est d'après ce tableau que nous chercherons à reconstituer la ration moyenne d'un
Parisien adulte.
Aliments minéraux. — Les corps simples de la chimie que l'on trouve comme par-
tie intégrante des êtres vivants et circulant en eux sont :
Le carbone, l'hydrogène, ['oxygène, l'azote, le soufre, le phosphore, le chlore, le fluor, le
silicium, le potassium, le sodium, le calcium, le magnésium, le fer, le manganèse '.
L'oxygène est le seul de ces corps qui pénètre dans l'organisme pour y jouer un rôle
à l'état de corps simple. Cette substance mérite d'ailleurs à tant d'égards une place à
part que son étude ne peut être faite ici; nous renverrons aux articles Oxygène, Respi-
ration et Sang.
Les autres forment entre eux des combinaisons organiques ou non organiques.
Eau. — Parmi les composés inorganiques nous rencontrons en premier lieu l'eau.
L'eau constitue une partie pondéralement considérable des organismes. Le corps d'un
homme adulte contient environ 63 p. 100 d'eau (Voit).
Pour les divers tissus du corps de l'homme, voici les proportions d'eau, d'après Bis-
CHOFF (cité par Voit, H. H., t. vi, p. 346).
Sang 83,00 | Intestins 74,54
Reins 82,68 | Peau 72,03
Cœur 79,21 | Foie 68,25
Poumons 78,96 i Nerfs 58,33
Rate 75,77 | Graisse 29,92
Muscles 75,67 I Os 22,04
Cerveau 74,84 I
Les tissus des jeunes animaux sont plus aqueux que les tissus des vieux, d'après
Bezold (cité par Voit, loc. cit.), qui a fait l'expérience sur des souris;
Souris embryon 87,15
Souris à la naissance 82,53
Souris de huit jours 76,78 s
Souris adulte 70,81
Selon que l'animal est gras ou maigre, la proportion d'eau qu'il contient est très dif-
férente ; les animaux gras sont beaucoup moins riches en eau que les autres. Tous les
«
1. Cette liste n'est certainement pas complète. Les études de chimie biologique n'ont porté
encore que sur un nombre relativement très restr^^int d'espèces animales ou végétales, et il est pos-
sible que les progrès de ces études montrent d'autres corps jouant un rôle dans la nutrition
d'autres espèces. Dans l'état actuel de nos connaissances, nous pourrions déjà y ajouter :
1° Le .zinc. Dans ses recherches, capitales pour la biologie des êtres inférieurs, Raulin a
montré le rôle considérable que joue ce métal dans la végétation de V Aspergillus niger, sa sujipres-
sion dans le liquide nutritif diminue des 9/10 la quanlité de tissus formés; il n'eu faut d'ailleurs
qu'une quantité tout à fait minime (1/51) 000) pour donner à la végétation toute son ampleur.
2" Le brome et l'iode. Ces métalloïdes existent normalement dans les tissus des plantes
marines; ils existent également dans les tissus des poissons de mer, comme on l'a constaté, par
exemple, en étudiant l'huile de foie de morue. Berphelot a montré qu'une partie au moins de
l'iode existe dans ce dernier cas sous forme de combinaison organique (Lambling, Enc. chim.
t. IX, p. 31 et suivantes).
3» Le cuivre. C'est un composant normal du sang des céphalopodes; il y joue peut-être le
rôle qui est dévolu au fer dans le sang des vertébrés (Fredericq. C. R., t. Lxxxvii, p. 996, 1878).
302 ALIMENTS.
chimistes sont d'accord sur ce point. Les recherches très précises de Lawes et Gilbert
(cités par GKAtf beau. L'alimentation de l'homme, iS^d, p. 281 ) sont confirmatives à cet égard :
Proportion d'eau dans le corps (p. 100).
Porc maigre 5S,1 j
Porc gras 41,3
Mouton maigre 57,3
Mouton demi-gras 50,2
Mouton gras 43,4
Mouton extra-gras 33,2
Bœuf demi-gras 51^5
Bœuf gras 45,5
Les parties vivantes des plantes contiennent des proportions d'eau encore plus consi-
dérables. Si nous mettons à part les tissus de soutien et de protection (bois, liège), etc.,
et les organes qui sont surchargés de réserves féculentes ou sucrées (tubercules, fruits),
nous trouvons des proportions d'eau voisines de 90 p. 100 et pouvant aller iusqu'à 96
p. 100. On en trouvera quelques exemples dans la liste d'aliments végétaux que nous
donnons plus loin.
La circulation de l'eau dans les êtres vivants est très active. Les plantes en vaporisent
des quantités considérables. Les animaux supérieurs en éliminent par quatre voies dif-
férentes : évaporalion pulmonaire, sueur, urine, eau des matières fécales.
Pour remplacer ces pertes, il faut une alimentation en eau assez abondante.
L'eau est ingérée sous plusieurs formes; non seulement dans les boissons, mais
encore dans les aliments, dits solides, qui contiennent tous une proportion d'eau consi-
dérable, si bien qu'un individu se nourrissant exclusivement d'aliments dits solides,
comme viande, fromage, œufs durs, pain, etc., peut continuer à excréter de l'eau. Cette
eau rendue dans les urines et dans la sueur, a une triple origine; d'abord l'eau ingérée
sous forme de boissons, puis l'eau contenue normalement dans les viandes, le pain, le
fromage, les œufs, et qui est mise en liberté quand, par le fait de la digestion, ces ali-
ments se désaTè"ent ; et enfin l'eau qui resuite de la combustion de l'hydrogène contenu
dans les hydrates de carbone, les albuminoïdes et les graisses.
Ainsi, pour rendre de l'eau par la sueur, l'exhalation pulmonaire et l'urine, il n'est
pas nécessnire d'mgérer des aliments liquides.
La proportion d'eau contenue dans les aliments est variable. Voici quelques chiffres
que BïïNGE {Cours de chimie biologique, p. 78) a extraits du recueil d'analyses de Kônig
{Chemieder menschlichen Nahrungs und Genussmittel).
Eau pour 100 parties.
Raisins 78,0
Pommes de terre 75,0
Seigle 15,0
Eau pour 100 parties.
Concombres 96,0
Asperges 94,0
Champignons S1,0
Choux-fleurs 91,0
Melons 90,0
Choux 90,0
Carottes 89,0
Fraises 88,0
Radis 87,Ti
Oignons 86,0
Framboises 86,0
Pommes 85,0
Poires 83,0
Navets 82,0
Pois 15,0
Orge 14,0
Farine de seigle 14,0
Fèves 14,0
Mais 13,0
Farine de riz 13,0
Farine de froment .... 13,0
Lentilles 12,0
Amandes 5,4
Noix 4,7
Noisettes 3,8
Pour le pain, suivant la qualité, la teneur en eau est variable.
En voici les variations d'après Rivot (cité par A. Gautier; art. Nutrition du D. W.,
t. III, p. 579).
Pain de munition 50,86 '
Pain de ménage 47,00
Pain blanc ordinaire 45,50
Pain blanc des collèges .... 45,70
1. Ces observations sont sans doute faites sur ta mie.
ALIMENTS.
303
Nous trouvons dans Kônig les chilïres de diverses observations sur des pains alle-
mands (pain de froment), la proportion d'eau a varié de 47 à 30 p. 100; elle est en
moyenne de 3o p. 100.
Les moyennes suivantes sont extraites des chiffres donnés dans le travail récent de
M. A. Balland' :
Mie. Croûte.
Pains de munition ordinaires (1 500 gr.l 45 24
Pains ronds de 1 kilogramme 41 19
Pains longs de 1 kilogramme 44 19
Pains à café de 70 grammes 43 16
Ainsi, plus un pain sera riche en croûte, moins il contiendra d'eau. En fait, la pro-
portion de celle-ci varie pour le pain total, entre 30,7 p. 100 (pain de munition) et
30 p. 100 (pain à café).
Le pain abandonné à l'air perd du poids; il abandonne de l'eau en se durcissant.
Dans une observation du même auteur, faite en hiver, un pain long, pesant 1 060 grammes
une demi-heure après sa sortie du four, pesait le lendemain i 048 grammes; au bout
d'une semaine, 982 grammes; après 50 jours, 790 grammes; il avait donc perdu
en tout 270 grammes; il contenait encore à ce moment 13 p. 100 d'eau.
Donnons aussi, d'après A. Gautier (loc. cit.), la composition en eau des céréales :
Orge d'hiver. . .
Blé
. . 13,0
. . 14,0
Avoine
Riz
. . 14,0
. . 14,4
Seigle
16,6
n,7
Sarrazin
. . 18,0
La farine de froment contient de 10 à lo p. 100 d'eau (Kônig).
A. Balland a trouvé {loc. cit.), dans des farines fraîches, de 12 à 14 p. 100.
On voit par ces tableaux qu'il y a, au point de vue de la teneur en eau, trois grandes
variétés dans les aliments végétaux.
Ily a 1° les végétaux qu'on peut appeler hydratés, salades, légumes verts, fruits, etc.,
qui contiennent environ 85 p. 100 d'eau; 2° les végétaux amylacés qui ne contiennent
que lo p. 100 d'eau (blé, riz, fèves, lentilles); 3» les graines oléagineuses (amandes et
noix) qui n'ont que 5 p. 100 d'eau.
Comme, de tous les aliments animaux, le plus important est la viande, de très nom-
breuses analyses ont été faites de la composition des différentes viandes et leur teneur
en eau. Nous les donnons ici, d'après Dojardin-Beaumetz [Clinique thérapeutique, t. i,
pp. 293-299).
Bœuf ....
Veau . . .
Chevreuil . .
Porc
77,5
73,7
. 75,2
70,7
Berzéi.ius
moleschott
Poulet. . . .
77,3
BiBRA
Grenouilles .
. 80,3
»
Huîtres . . .
Moules . . .
Homard. . .
. 80,4
. 75,7
. 76,6
Payen
Brochet . .
. . 84,0 Almen
Morue. . .
. 83,0
Perche . .
80,1
,
Carrelet . .
. 77,4
Hareng . .
. 73,2
Maquereau.
. 74,4
Saumon. .
. 70,3
j
Anguille. .
53,0
Hareng salé
. 42,6
Morue sèche
. . 12,3
Enfin la proportion d'eau contenue dans les boissons est variable, et nous pouvons
admettre les chiffres suivants, moyenne générale.
Vin .
Bière
1. Recherches sur les blés, les farines et le pain (Paris, Ch. Lavauzelle, 1894).
304 ALIMENTS,
Pour les Aliments d'origine animale autres que la viande, voici quelques chiffres
(Kônig) :
Eau p. 100.
Lait 87
Beurrcjde Normandie 12 (Duclaux)
Fromage de Brip 51 (Duclaux)
Gruyère 34
Œufs de poule 74
Blanc d'œuf 85
Jaune d'œuf 51
Nous pouvons donc, grâce à ces données, calculer la quantité d'eau que contient la
partie solide de notre ration type :
Tableau B. — Eau de la ration alimentaire.
EAU.
Moyenne p. 100.' Quantité contenue.
dans la ration alimentaire.
550 grammes pain 35 192
280 — viande 73 205
35 — œufs 74 26
30 — légumes secs 14 4
600 — fruits et légumes Irais. ... 87 522
100 — féculents." 14 14
45 — sucre 2,5 1
25 — fromage 45 11
40 — beurre et huile 7 3
ToT.\L ■ 178
Il ne faut pas oublier en outre que l'hydrogène contenu dans la molécule des diverses
substances alimentaires doit finalement être éliminé en totalité sous forme d'eau. La
quantité ainsi formée n'est pas négligeable. Dans notre ration type, nous trouvons à peu
près 48 grammes d'hydrogène, qui doivent, en se combinant à 384 grammes d'oxygène,
donner 432 grammes d'H-0. iNotons en passant que, sur les 384 grammes d'oxygène
nécessaires à la combustion de l'hydrogène, nous en trouvons déjà 283 dans les molé-
cules chimiques des matériaux de la ration. Il n'y a donc que dOO grammes d'oxygène à
emprunter à la respiration pour fournir ces 432 grammes d'eau.
Nous trouvons ainsi, en chiiïres ronds, une somme totale de 1 400 grammes d'eau
auxquels il faut ajouter 900 grammes d'eau contenus dans le vin de la ration et
100 grammes dans le lait de la ration, soit d 000 grammes d'eau.
Mais ces chiffras sont plutôt théoriques — et, d'riilleurs, très variables suivant les
individus; — pour connaître les quantités d'eau que notre ration met réellement à la dis-
position de l'organisme, il faut faire les deux corrections suivantes :
1° Les préparations culinaires que nous faisons subir aux aliments modifient la
proportion d'eau.
En général, d'après les recherches inédites faites par l'un de nous, la cuisine diminue
la proportion d'eau de 23 et même SO p. dOO.
2" Dans le calcul de l'eau fournie par l'hydrogène de la ration, il faut tenir compte
non des aliments ingérés, mais des aliments réellement absorbés et transformés. Or nous
verrous plus loin qu'une notable quantité passe avec les fèces sans avoir subi de trans-
formation'.
En chiffres ronds, la ration alimentaire se compose, en eau, de ti'ois litres d'eau, dont \ 600
grammes sont ingérés en eau et boissons, d 000 grammes en eau associée aux aliments; et,
vu la combustion de l'hydrogène dis alimenta, l'élimination quotHienne d'eau doit se faire à
raison de 3 OOi) grammes. Le résidu sec de la ration alimentaire s'élève à 800 grammes.
Cendres des aliments. — Les autres composés in.irganiques sont étudiés dans les
cendres des tissus végétaux et animaux. Il faut reconnaître tout d'abord que ce mode
d'analyse ne nous donni que des renseignements très défectueux sur la façon dont
1. Il eu résuUo que le chiffre de 2 400 (pour 2 410) est un peu trop fort, et qu'on pourrait le
réduire à 2 300 ou 2 350.
ALIMENTS.
350
s'agencent les uns par rapport aux autres les divers aliments dans l'organisme. La
combustion détruit les combinaisons qui existent et en forme d'autres.
Ce que l'on étudie dans les cendres sous forme de sels minéraux provient donc, en
partie de sels minéraux qui pouvaient être différents (par exemple, des carbonates alca-
lins sont transformés en sulfates et en phosphates avec départ de l'acide carbonique),
en partie de matières organiques (exemple : le soufre des albuminoïdes, le phosphore
des nucléines et des lécithines sont rendus à l'état de sulfates et de phosphates).
Cette étude est pourtant intéressante, d'abord à défaut d'une autre plus exacte;
ensuite parce que la combustion vitale arrive à des résultats qui ne sont pas très diffé-
rents de ceux du creuset, et que les sels de l'urine ressemblent aux cendres des aliments.
Donnons quelques chiffres relatifs à la composition des différents aliments en maté-
riaux minéraux; nous verrons ensuite la proportion des différents sels (de soude, de
potasse, de chaux) dans ces cendres.
D'abord, pour les végétaux, voici la teneur en cendres (moyennes de Kônir, d'après
un très grand nombre d'analyses d'auteurs divers).
Proportions centésimales des cendres dans les végétaux.
Haricots 3,G6
Avoine 3,29
Châtaignes 2,97
Sarrasin 2,77
Pois 2,68
Orge 2,64
Lentilles 3,04
Seigle 2,06
Épinards 1,94
Froment .
Mais . .
Poires .
Choux .
Carottes
1,78
1,69
0,31
1,64
1,02
Laitue
Pommes de terre
Cerises
Riz (décortiqué)
Oignons
Haricots verts
Pommes
Prunes
Raisin
Navets
Pain
Farine do froment iîne . . .
— grossière.
1,03
1,09
0,73
0,82
0,70
0,61
0,49
0,66
0,53
0,75
0,661
0,48
0,96
La moyenne de ces chiffres est de ie',7r) environ; mais, comme la base de l'alimen-
tation végétale est le pain (avec une plus faible proportion : 0,66), on sera plus proche
de la vérité en adoptant le chiffre de l,bO pour exprimer en moyenne la proportion
centésimale des matières minérales ingérées avec les aliments végétaux.
Dans les boissons, alcooliques ou autres, la proportion de matières minérales est plus
faible. Nous trouvons en effet :
Café (infusion: 0,61 '
Vin rouge 0,23
Marsala 0,31
Champagne 0,13
Bière allemande 0,22
Bière anglaise 0,27
Thé (infusion) 0,18
En moyenne, pour les boissons, 0,2 de matières minérales.
Quant à la viande et aux aliments animaux, nous avons :
Jaune d'œuf 1.7o
Viande de bœuf 1,30
Lait de vache 0,70
Blanc d'œuf. 0,71
D'oti il suit que la proportion de matières minérales est un peu plus faible pour les
aliments végétaux que pour les aliments animaux.
Voyons, d'après ces chiffres, quelle peut être à peu près la quantité de matières miné-
rales que comporte la ration du Parisien, telle que nous l'avons déterminée plus haut :
1. D'après dix analyses rapportées in Documents du laboratoire municipal, 1883, p. 526.
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 20
306 ALIMENTS.
Tableau C. — Cendres de la ration alimentaire.
Matières minérales.
550 grammes pain et pâtes : 5,5
280 — viande 3,6
125 — lait 0,9
35 - œufs / 0,4
601) — fruits et légumes frais 4,5
30 — légumes secs 0,9
100 — pommes de terre, riz, fécules 1,0
26 — fromage 1,2'
1000 — Tin, etc 2,3
Total 20,3
Mais ce chilïre est évidemment trop faible, car l'expérience apprend que la propor-
tion de matières minérales rendues par les urines le dépasse beaucoup. Cette contradic-
tion s'explique facilement. A nos aliments naturels nous ajoutons une certaine quantité
de chlorure de sodium.
D'après A. Gautier (art. Urines, D. W., t. iv, p. .582), la quantité moyenne de matières
minérales rendues par l'urine en vingjt-quatre heures serait de 20^'', 19; par consé-
quent égale au chiffre total de nos aliments naturels. Pourtant des quantités appré-
ciables de matière minérale sont éliminées par les fèces ou la sueur.
D'après Wehsarg, la quantité moyenne des matières fécales chez l'homme serait de
131 grammes environ (cité par Schiitzenbergeh, D. W., art. Excréments, p. 1307); avec
3,5 p. 100 de sels minéraux (Garnîer et Schlagdenhauffe.n', Encijd. chim., t. is, 2« sect.,
fasc. 2, p. 344).
Par conséquent la moyenne des sels minéraux excrétés par les fèces serait d'environ
4Br,6; chiffre plutôt faible, car, avec une alimentation végétale,|les excréments sont en
bien plus grande quantité.
La sueur est excrétée en quantité très variable. Faute de documents plus précis,
nous évaluerons à 750 grammes de liquide la quantité de sueur produite par vingt-
quatre heures, et nous prendrons la iUioyenne de cinq analyses, celles d'ANSELsiiNO (II),
de Favhe, de Schoffin et de Fl'?<ke (Gorup Besanez, Chimie physiolog., trad. franc., 1880,
p. 773).
Sa composition moyenne est alors (sur 1 000 grammes).
Eau 990,90
Matières organiques 3,90
Sels minéraux 5,20
Par conséquent, pour 730 grammes, il y aurait une élimination de 3,90; en .somme
l'excrétion totale de substances minérales serait en chiffres ronds :
Urine. 20,20
Sueur 4
Fèces 4,00
29,20
Ce nombre dépasse environ de 10 grammes la quantité de sels ingérés, qui se trou-
vent dans les aliments naturels. Par conséquent, c'est une addition de 10 grammes de
matière minérale que nous faisons chaque jour, en mêlant à nos aliments une certaine
quantité de sel marin.
Le besoin de sel ne s'explique pas facilement; il ne semble pas que ce soient les
matières minérales dans leur ensemble dont la somme soit trop petite ; le sel de cuisine
ne peut en effet être remplacé par aucune autre substance minérale, et l'on sait que,
dans les pays privés de gisements naturels de chlorure de sodium, cette substance est
très recherchée, et monte à des prix élevés si les conditions du commerce en rendent
1. Ces sels sont dus, presque en totalité, au chlorure de sodium ajouté pondant la fabrication
car les sels du lait restent dissous dans le petit-lait.
ALIMENTS.
:-;()7
l'approvisionnement difficile. Notons que le besoin de sel marin n'est pas spécial à
ITiomme, que les herbivores le recherchent avidement. Mais remettons l'étude de cette
question jusqu'au moment o(i nous connaîtrons la composition centésimale des sels
minéraux ingérés.
Voici la composition des cendres de nos aliments.
1° Aliments animaux. — Viande. — Dans leurs laborieuses recherches sur la com-
position des corps des animaux de boucherie Lawes et Gilbert (cités par Grandeau, loc.
cit., p. 339) ont trouvé, sur 100 parties de cendres de bœuf (y compris les os).
4,41
3,08
Magnésit*
Acidephosphatique. . .
Chaux
2,03
. 46,02
. 40,22
Acide sulfurique.
Chlore
Fe02
C02
SiO'
1,24
0,97
i,<.n
0,24
Voici la composition des cendres de IsLviande de ôœw/' (d'après Bdnge, cité par Gahnier,
Encycl. chim., t. ix, p. 473) pour 100 grammes de substance fraîche.
Potasse ((K^O) 0,465
Acide phosphorique (P-O^) . . . 0,467
Soufre 0,221
Soude (NaiO) 0,077
Chlore 0,067
Magnésie (MgO) 0,041
Chaux (CaO) 0,009
Fer (Fe^O-') 0,006
1 ,353
KÔNIG (t. II, p. 92) donne la composition suivante pour les cendres de la viande de
différents animaux'.
Minimum
Maximum
K*().
Na=0.
CaO.
MgO.
Fe^os.
P=0=.
so=.
Cl.
SiO'.
23,0
48,9
37,04
25,0
10,14
o.:i
7.5
2,42
1,'i
4,8
3,23
0,3
1,1
OM
36,1
48,1
41,20
0,3
0,98
0,li *
8,4
4,66
0,69
' KoNic, donne 9,G,
faute d'impression év
dente.
Pour les poissons, la composition minérale varie considérablement, suivant que l'on
a affaire à un poisson de mer ou à un poisson d'eau douce.
Poisson de mer
[Gadiis
CENDRES
p. 100
dans substance
sèche.
K=0.
Na
0.
CaO.
MgO.
P«0».
S03.
Cl.
11,26
6,13
13,81
23,92
36,51
20,45
3,39
7,38
1,90
3.81
13,70
38,16
0,31
2,50
38,11
4,74
Poisson d'eaa
[Brochet) . .
douce
Atwati
R, cité p
av K
,NIC,
(It, 123).
1. Dans tous les tableaux de composition centésimale, les cendres sont calculées exemple
de C02.
308
ALIMENTS.
On voit que c'est l'addition d'une quantité notable de NaCI, fait nullement étonnant,
qui modifie le tableau des sels minéraux du poisson de mer.
Voici les sels minéraux de nos autres aliments d'origine animale, les œuls et le lait.
OiuC tol.al* sans co-
K'-Q.
Na^O.
CaO.
MgO.
Fc=03.
P^O».
SO^
SiO».
CI.
quille
17,37
22,87
10,91
1,14
0,39
37,62
0,32
0,31
8,98
Blanc
31,41
31,37
2,78
2,79
0,57
4,41
2 12
1,06
28,85
Jaune
9,2!)
;i,87
13,04
2,13
1.6.9
63,46
»
0,86
1,95
Lait de vache " . .
24,65
8,18
22,42
2,59
0,29
26,28
2,52
»
13,95
Lait de femme *** . .
33,78
9,16
16,64
2,16
0,23
22,74
1,89
18,38
* KûNICr, t. II, p. 202. -
- " Ibid.
t. n,p. :
27. - •"
Ibid., t.
11, p. 222
2° Aliments végétaux. — La composition minérale des plantes qui servent à la
nourriture de l'bomme est extrêmement variable. On n'en peut donner l'idée que par
des tableaux détaillés'.
En première ligne, se placent les céréales.
Tableau a. — Cendres des Céréales.
Froment
Seigle. . . ...
K=0.
Na=0.
CaO.
MgO.
Fe=03.
P'Os.
SO'.
SiO'.
Cl.
31,16
32,10
3,07
1,47
2„39
1.66
1.10
5.53
6.12
3,23
2,94
2,64
3,60
2.17
4,00
4,42
12,06
■11,22
8,83
7,13
13,32
10,76
12,42
1,28
1,24
1,19
1,18
0,76
1,84
1,74
47,22
47,74
33,10
23,64
43,61
40,64
48,67
1,39
1,28
1,80
1,78
0,78
0,86
2,11
1,96
1,37
25,91
30,18
2,09
18,26
0,23
0,32
0,48
4,02
0,94
0,91
0,86
1,30
Orge
Avoine
JMais
Riz
20,92
17,90
29,78
17,51
23,07
Sarasin
Nous donnerons aussi la composition complète des cendres pour les graines des
légumineuses.
Tableau p. — Cendres des Légumes secs.
K^O.
Na^O.
CaO.
MgO.
Fb=03.
P»0».
se
SiO«.
Cl.
44,01
41,79
41,48
34,70
1,49
0,96
1,06
13,50
6,38
4,99
4,99
6,34
7,62
7,96
7,15
2,47
0,32
0,86
0,46
2,00
35,52
36,43
38,86
36,30
4,03
3,49
3,39
0,57
0,86
0,63
0,86
1,54
1,78
4,63
Pois
Fèves
Lentilles (f
" qualité) .
Et pour la pomme de terre, qui mérite, par son rôle dans l'alimentation, comme par
diverses particularités que nous aurons à examiner, d'être mise à part.
1. Tous ces tableaux sont extraits du recueil de Konig, t, u, passlm.
ALIMENTS.
Tableau y- — Cendres des Pommes de terre.
309
Pommes de terre. .
K^O.
Na=0.
CaO.
MgO.
Fe^O-".
P=0»,
SO'.
Si02.
Cl.
6G,fl6
2,96
2,64
4,93
1,10
16,86
6,52
2,04
3,46
Pour les diverses plantes qui sont consommées à l'état de légumes frais, comme elles
appartiennent à des familles très éloignées les unes des autres, et que les parties utili-
sées différent de l'une à l'autre, les divergences dans la composition minérale soiit
extrêmes. Nous mettons en regard le p. 100 d'eau dans les substances fraîches et le p. 100
des cendres dans les substances sèches, ce qui permet d'effectuer, relativement à ces
éléments, les calculs pour la ration alimentaire.
Tableau 3. — Cendres des Légumes frais.
g 1
QUANTITÉS
CENTÉSIMALES DA?
S LES
CEMDRES PURES.
a'^ +i
^'^ ^
Asperge
« 1
K=0.
Xa=0.
CaO.
MgO.
Fo^O'.
P=0».
S03.
SiO=.
Cl.
94
7,26
24,0
17,1
10,9
4,3
3,4
18,6
6,2
10,1
3,9
Courge
90
4,41
19,3
21,1
7,7
3,4
2,6
32,9
2,4
7,3
0,4
Concombre . . .
93
8,79
31,7
4,2
6,9
4,3
0,7
13,1
5,7
4,3
■ 9,2
Oignon
86
3,28
25,1
3,2
21,9
5,3
4,3
13,0
5,5
16,7
2,8
Radis
93
7,23
32,0
21,1
14,9
2,6
2,3
10,9
6,5
0,9
9,1
Rave
87
13,67
21,9
3,8
8,8
3,5
1,2
41,1
7,7
8,2
4,9
Navet
88
8.01
43,4
9,8
10,6
3,7
0,8
12,7
11,2
1,9
3,1
Carotte
87
3,37
37,0
21,2
11,3
4,4
1,0
12,8
6,4
2,4
4,6
Betterave. . . .
87
6,44
S4,0
13,9
4,1
4,3
0,8
8,4
3,2
2,4
8,4
Topinambour . .
79
4,88
47,7
10,2
3,3
2,9
3,7
14,0
4,9
10,0
3,9
Chou-fleur . .
91
11,27
26,4
10,2
18,7
2,3
0,4
13,1
11,4
12,8
6,1
Chou
87
10,84
26,8
13,9
14,8
4,2
1,6
13,2
12,8
3,2
7,5
Chou cabus. . .
90
10,83
37,8
14,4
9,4
3,3
0,2
12,3
13,5
»
7,0
Salade pommée.
94
18,03
37,6
7,3
4,7
6,2
3,3
9,2
3,8
8,1
7,6
Romaine ....
92
13,11
23,3
33,3
11,9
4,3
1,3
10,9
3,9
3,0
4,2
Épinards ....
88
16,48
16,6
33,3
11,9
6,4
3,3
1.0,2
6,9
4,3
6,3
Nous rapporterons les mêmes données pour les fruits dont nous avons trouvé l'ana-
lyse dans KoNiG.
Tableau s. — Cendres des Fruits.
EAU
p. 100.
CENDRES
II. 100.
suljst. sèche.
K^O.
Na=0.
84
84
83
80
88
86
78
1,44
1,97
2,34
2,20
3,40
3,39
2,87
36
49
32
21
39
57
2fi
9
9
28
10
3
Prunes (chair)
Cerises (totale)
Groseilles à maquereau
Potasse et soude. — Dans l'organisme total des mammifères, la potasse et la
soude se rencontrent à équivalents sensiblement égaux (Voir plus haut le tableau de
310
ALIMENTS.
Lawes et Gilbert, p. 20). Or nous voyons que, dans presque tous nos aliments, la
potasse l'emporte énormément sur la soude.
BoNGE, qui a étudié avec beaucoup de soin les proportions relatives de Na-0 et de K^O
dans l'alimentation, a construit le tableau suivant.
Soit la quantité de Na-0 (en équivalents = 62) égale à 100, quelle sera la teneur en
K-0 (en équivalents = 96) correspondante.
Sang de bœuf. .
Lait
Viande de bœuf.
Froment ....
Avoine
1
104,
400
noo
1800
Riz
Pommes de terre.
Trèfle
Pommes . . . . .
Fèves . . . . . .
9 000
10,000
11000
Ce tableau est très frappant, mais il est trop schématique et repose sur un choix
quelque peu arbitraire. En se reportant aux tableaux que nous avons donnés, on voit
qu'il est des aliments végétaux dans lesquels la soude et la potasse ne s'écartent pas
trop de l'équivalence, dans quelques-uns même, tels que les épinards, légume assez
usuel, c'est la soude qui l'emporte notablement sur la potasse.
Si l'on fait la moyenne pour toutes les matières alimentaires du tableau 3, on trouve
une quantité de soude égale à la moitié de la quantité de potasse, et en équivalents, la
proportion monte environ aux quatre cinquièmes.
Nous allons revenir encore à notre alimentation type, et calculer les quantités de
soude et de potasse au moyen des quantités de cendres données dans la tableau C avec
les compositions centésimales que nous venons de voir.
Potasse et soude de la ration alimentaire.
SSO gr. pain et pâtes i
280 — viande ... ...
125 — lait. . .
CENDRES.
K=0.
Na^O.
1,80
:i,u
0,9
0,4
4,5
0,9
1,0
0,62
1,33
0,22
0,07
1,65
0,40
0,60
0,014
0,36
0,07
0,09
0,02
0,014
0,03
600 — fruits etlégumes frais 2.
30 — légumes secs
100 — féculents^
4,89
1,198
Nous trouvons presque exactement 4 fois plus de potasse que de soude.
Si alors nous nous reportons à la quantité de potasse excrétée par l'urine, nous trou-
vons un cliilfre différent ; en effet, le rapport de la potasse à la soude de l'urine est,
d'après Salrowski (cité par Neubauer et Vogel, De l'urine, 1877, p. 74), dans la propor-
1. Le pain contient généralement une certaine quantité, évidemment variable, de NaCl qu'on y
introduit pendant la fabrication.
Nous laisserons de côté ce NaCl du pain, de même que celui qui est ajouté dans la préparation
culinaire des autres aliments, et nous considérerons le pain comme de la farine de froment, farine
fine, puisque notre ration est celle du Parisien.
Voici la composition minérale de la farine de froment fine (KOnig, II, 520).
K=0. Na=0. CaO. Mt;0. Fe=0''. P'O'.
0,76
0,61
49,38
La quantité de cendres est d'environ 0e'',50 p. 100 dans la substance sèche.
Nos 550 grammes de pain à 35 p. 100 d'eau contiennent 358 de substances sèches, soit le',80 de
cendres.
2. Nous supposons poids égal de fruits et de légumes frais.
3. Nous prendrons comme composition de cendres celles des pommes de terres, qui constituent
de beaucoup la plus grosse pai-t de ce groupe.
ALIMENTS. 311
tion de 100 de potasse à i:jo de soude. Weidner (ibid.) aurait trouvé une élimination
moyenne de 4 grammes de potasse par jour.
Admettons le chiffre moyen de 4 grammes de potasse éliminée par l'urine. Il reste en
poids de potasse à éliminer par les matières fécales et la peau li=''',24. Or, dans les excré-
ments, d'après Porter (D. W., art. Excréments) nous trouvons 6 p. 100 de potasse dans
les cendres, soit le chiffre minime quotidien de 0E"',r2. Dans la sueur, la quantité de K^O
éliminée est un peu plus considérable, quoique très faible encore. En supposant
7.50 grammes de sueur avec OS'^.SG p. 1 000 de KCl, cela fait par jour 0e'',48 de K-0, de sorte
que nous trouvons en réalité une excrétion de 08'',60 de potasse, par les fèces et la sueur.
Mais ces chiffres n'indiquent qu'une moyenne. En effet, Weidner a eu un maximum
de oS'^.Q pour l'élimination par l'urine ; d'autre part, dans les fèces, Fleitmann (cité par
Garnier et SCHLAGDENII.4UFFEN, Jïîzcii/ci. c/im., t. IX, 2°parlie,p. 3S0, 1892)atrouvé 19p. 100
de potasse dans les cendres des excréments : avec une alimentation végétale, les
excréments sont plus riches encore en matières solides et en potasse.
Enfin, si l'on compte 1)00 grammes de viande, il est clair qu'il ne s'agit pas de chair
musculaire seulement, mais de viande avec des os, des matières grasses, des tendons, etc.,
ce qui doit diminuer d'un t/3 environ la proportion de potasse que nous avons sup-
posée; soit de OS'^,47 environ. Le chiffre de K-0 ingéré tombe alors de 5'=''', 239 à 4k'',77,
ou en chiffres ronds 4b%75.
Il reste donc en somme une différence de 0^,17, qui est tout à fait négligeable, et
minime, facile à expliquer d'abord avec les variations de la moyenne (aussi bien pour
l'alimentation que pour l'excrétion urinaire) et ensuite par les imperfections mêmes des
analyses (tant des aliments, que de l'urine, et de la sueur et des excréments).
Nous ferons donc une sorte de moyenne, et nous admettrons en chiffres ronds :
Ingestion quotidienne de potasse. . . 4,75
tj,. . .. ( Urine 4,00 )
Jiiiimmation ,, ... /■■ ■ n c- i , -,••
, , Matières fécales . . . 0,23 4,7a
de potasse. / „ n sn l
^ \ Sueur 0,dO '
Pour la soude, nous voyons que les sels de sodiimi contenus dans les aliments natu-
rels sont en proportion faible, de Oe',87 de Na'^0, si l'on néglige la quantité de chlorure
de sodium introduite dans le pain (soit 0s'',.ï9o).
iMais on introduit du sel dans les aliments, et il s'ensuit que la quantité de soude
éliminée (à l'état de chlorure de sodium) est de oS'^,40 environ. A cette quantité il faut
ajouter la soude des matières fécales, 0e'',10, et de la sueur (lsr,bO), ce qui fait en tout
une élimination de 7 grammes.
Finalement voici le tableau des quantités de potasse et de soude ingérées et excrétées,
tableau assurément schématique, mais qui fournit uue base aux calculs de comparaison.
Potasse Soude
des aliments, des aliments,
Soude
. ajoutûe.
Soude
totale.
Ingestion. .
. . 4,73 0,55
6,45
7,00
Potasse.
Soude
Excrétion. .
j Urine
. i Malici-es lecales. - . .
( Sueur
4,00
0,23
0,30
3,40
0,10
1,50
ToTAt 4,75 7,00
Les quantités relatives de la potasse et de la soude ne sont rien moins que fixes
dans les urines. Il y a une variabilité assez grande. Salkowski et Leube [Die Lehre
von Ram, 1882, p. 173) admettent que la quantité de NaCl varie entre 11 grammes et
15 grammes par 24 heures chez l'adulte, dans des conditions tout à fait normales. Mais
dans certaines circonstances l'excrétion de NaCl peut atteindre o5 grammes par jour
(VoGEL, cité par Salkowski et Leube, loc. cit.). Lehmann a trouvé que les matériaux inor-
ganiques de l'urine oscillaient autour de 1oB'',24S, variant [de gBi^jOaS à 17B^284 ; c'est-
à-dire du simple au double.
li est d'ailleurs évident, même en laissant de côté toute influence pathologique, que,
312 ALIMENTS.
suivant qu'on ingérera pJus ou moins de tels ou tels sels, sans aucun détriment appa-
rent pour la santé, ces sels en plus ou moins grande quantité apparaîtront dans l'urine.
Telle personne a l'habitude de consommer beaucoup de sel. Il est clair que cet excès de
NaCl va se retrouver dans ses urines. Telle autre aime à manger des aliments peu salés,
et ses urines contiendront peu de NaCl. Pour l'une et l'autre évidemment, la proportion
sera différente.
Quant aux quantités de KCI, elles seront variables, elles aussi, suivant la nature des
aliments. Mais les différences seront moindres que pour le NaCl, dont on peut ajouter ce
qu'on veut'.
Il n'en est pas moins remarquable de voir varier aussi dans de larges proportions la
teneur du sang en potasse et en soude, comme l'indique le tableau suivant dû à Hoppe-
Seyler (cité par Beadnis, T. P., 1888, t. i, p. 439).
Chien.
Homme.
Homme.
Homme.
Veau.
Mouton.
Poulet.
Potasse . .
. . 3,96
26,00
12,71
11,39
7.00
6,61
18,41
Soude. . . .
. . 43,40
24,11
34,90
36.24
36,33
41,92
30,00
Ces chiffres indiquent les quantités de potasse et de soude contenues dans 100 grammes
de cendres. On voit que, même pour la même espèce animale, il y a des différences très
appréciables. On trouvera dans les ouvrages classiques de nombreuses variations ana-
logues, par exemple dans les tableaux donnés par Gorup-Bes.vnez {Chim. physioL, 1880,
t. I, p. o06). Chez trois chiens la potasse a été de loS'',16, de ^9B^^6 et de 4t'r,43 dans
100 grammes de cendres du sang.
Certes l'imperfection des méthodes analytiques y est pour quelque chose; mais il
faut admettre aussi des variations individuelles sans doute assez étendues, de sorte que,
selon toute apparence, nous pouvons légèrement modifier par l'alimentation, sans
dommage pour la santé, les proportions relatives des sels de potassium et de sodium,
contenus dans nos tissus et notre sang.
L'hypothèse d'une stabilité absolue, nécessaire, dans les proportions de potassium
et de sodium de nos tissus nous paraît inadmissible, et nous tendrions plutôt à
admettre une assez grande latitude dans la teneur des liquides organiques en K et en
Na. On est forcé d'arriver à cette conclusion, si l'on admet comme valables les analyses
que nous venons de citer.
Maintenant, reprenons l'étude des aliments au point de vue du K et du Na contenus;
nous disions tout à l'heure que nous ingérons à peu près quatre fois plus de potasse
que de soude, et que, par conséquent, il faut ajouter du sel à notre alimentation.
C'est surtout M. Bunge qui a bien traité cette question, en lui donnant d'ingénieux
développements (Voyez dans son Cours de Chim. bioL, trad. franc., 1891, la 1'^ leçon,
pp. 97-123).
Nous reproduisons ici une partie de son argumentation.
D'abord, dit-il, le carnassier qui se nourrit de viande, prend 4 fois plus de potasse
que de soude; mais, s'il mange l'animal entier, avec le sang, il prend des quantités de
notasse et de soude presque équivalentes. On sait que beaucoup de carnassiers saignent
l'animal en suçant avidement son sang pour le tuer, et parfois même se contentent de
sucer le sang, et dédaignent la chair. On peut donc admettre qu'en général, dans l'ali-
mentation animale, la potasse et la soude sont consommées en quantités équivalentes.
Au contraire, chez les herbivores, il y a une alimentation bien plus riche en potasse
qu'en soude. La farine de froment a IS fois plus de potasse que de soude, les pommes
de terre 40 fois plus, et le trèfle 90 fois plus.
A cette pauvreté relative en sels de soude, correspond une appétence extrême pour
le sel. De fait, tous les herbivores sont avides de sel, tandis que les carnassiers ne
paraissent pas l'être. Les ruminants viennent lécher les roches ou les efflorescences sa-
lines; les herbivores domestiques engraissent etjprospèrent quand on ajoute du sel marin
à leur nourriture. Les peuples qui ne vivent que de légumes recherchent avidement le
1. Il est clair que certaines personnes font grand abus de NaCl, qu'elles emploient, sans autre
cause qu'une sorte de perversion du goût, pour stimuler leur appétit, à dose exagérée.
ALIMENTS. 313
sel, tandis que les sauvages, vivant de chasse ou de pêche, n'ont aucun goût pour le
sel, et même, paraît-il, certains ont une antipathie déclarée pour les aliments salés.
Comment expliquer cette contradiction? La pauvreté en soude n'est pas absolue
dans l'alimentation végétale; elle n'est que relative. Ce qui diffère dans l'alimentation
végétale et l'alimentation animale, ce n'est pas la soude qui est ingérée en quantités
égales, c'est la potasse ingérée en proportion quatre ou cinq fois plus forte chez l'her-
bivore. On peut supposer que l'élimination de la potasse entraine l'élimination de la
soude, et l'expérience directe est venue confirmer celte hypothèse.
En effet, en ajoutant à son alimentation des sels de potasse, M. Bunge a vu augmenter
l'excrétion de la soude. Ingérant 18 grammes de K-0 (ajoutés à ses aliments), il a vu
une excrétion (en excès) de 6 grammes environ de Na-0, et il en conclut que, chaque
fois qu'on ingère des aliments riches en potasse, on force le rein à éliminer, en même
temps que cet excès de potasse, une certaine quantité de soude.
De là, pour les herbivores, la nécessité d'introduire un excès de soude dans leur
alimentation pour compenser les pertes en soude qu'entraîne l'élimination de la potasse
ingérée en grande quantité.
Aussi M. Bunge pense-t-il que les aliments trop riches en potasse présentent un
certain inconvénient, et propose-t-il de donner la préférence au riz qui contient très peu
de sels minéraux, sur la pomme Je terre qui contient des proportions énormes de sels
potassiques.
Chaux. — Parmi les autres métaux faisant partie de notre alimentation, le plus
important, après le sodium et le potassium, c'est le calcium; et, en effet, il ne manque
à presque aucun aliment.
Le calcium présente, au point de vue de la nutrition, cette particularité qu'il est
utile surtout aux premiers temps de l'existence; car il vase fixer dans les os, et la
dénutrition en est lente. Pendant longtemps le calcium va se fixer sur les os, et presque
tout ce qui est absorbé va se déposer dans le corps, sans parallélisme entre l'ingestion
et l'élimination. D'après Lawes et Gilbert (cités par Grandeau, loc. cit., p. 336), sur
100 grammes de cendres, il y a chez le bœuf 46e"',62 de chaux contre 4s'',41 de potasse,
3S"',04 de soude, et ls"-,52 de magnésie. Par conséquent, dansl le corps d'un animal
adulte, il y a dix fois plus de chaux que de potasse, et cependant l'élimination suit un
ordre inverse. D'après les recherches de divers auteurs, la chaux éliminée par l'urine
en 24 heures est de 0b%260 (Sobobow), 0(^^,330 (Neubauer), 0s',3~rj (Schetelig) (cités par
Salkowski et Leube, loc. cit., p. 192) ; en moyenne Of''',32o, alors que la quantité de
potasse éliminée est, dans le même temps, de 4 grammes, et la quantité de soude de
6S"',50 environ; tous ces chiffres étant approximatifs, mais indiquant bien la moyenne
de l'élimination.
Il s'ensuit qu'en rangeant les trois métaux d'après la quantité éliminée, on a :
Chaux, 1,0
Potasse .... 12,5
Soude 20,3
tandis qu'en les rangeant d'après la quantité contenue dans le corps, on a :
Chaux 1,00
Potasse .... 0,10
Soude 0,07
On en peut conclure que la chaux s'élimine cent fois plus difficilement que la potasse,
et deux cent cinquante fois plus que la soude. L'explication de cette différence entre les
trois métaux, assez difficile à comprendre pour ce qui est de la potasse et de la soude,
est très simple pour la chaux. En effet, elle est à l'état de phosphate insoluble ou presque
insoluble dans les solutions alcalines; et, alors que tous les sels de potasse et de soude
se dissolvent bien dans le sang, et peuvent diffuser à travers le rein, le phosphate de
chaux se dissout à peine, et ne diffuse pas.
La nécessité de l'alimentation du nouveau-né en calcium fait qu'il y a dans le lait
une proportion de chaux considérable.
Voici les proportions de sels et de chaux contenues dans un litre de lait, d'après
Bunge (cité par Von, H. H., t. vi, p. 434) :
3U
ALIMENTS.
LAIT
LAIT
LAIT
(le
de
de
Chaux
CHIENNE.
VACHE.
FEMME.
4,330
1,599
0,343
Potasse
1,413
i.766
0,703
Soude
0,S06
1,110
0.237
Magnésie
0,196
0,210
0,063
Oxyde de fer. . . .
0,019
0,0033
0,0058
En outre, Bumge fait remarquer que le lait d'un animal a une composition minérale
presque identique à celle de l'animal lui-même ICours de Chim. biol., p. 98).
On trouve en effet dans 100 crammes de cendres :
JEUNE
JEUNE
JEUNE
LAIT
Potasse
L.\PIN.
CHAT.
CHIEN.
CHIENNE.
10,8
8,5
10,1
10,7
Soude
6.0
8,2
8,3
6,1
Chaux
33,0
33,8
34,1
34,4
Magnésie
2,2
1,6
1,3
1.3
Oxj'de de fer
0,23
0.34
0,24
0,14
Acide phospliorique. .
41,9
39,8
40,2
37,5
Cl . .
4,9
7,3
7,1
12,4
Il y a là une analogie saisissante bien faite pour montrer à quel point le lait ma-
ternel est bien adapté à la constitution du nouveau-né.
Les aliments végétaux ou animaux contiennent tous de la chaux (et de la magnésie)
(Voir les tableaux a, [i, y).
En faisant le calcul de la chaux approximativement ingérée dans nos aliments, nous
trouvons un total de Is^lSO.
Chaux de la ration alimentaire.
550 gr. pain
280 — viande
125 ~ lait
35 — œufs
600 — fruits et légumes. . .
30 — légumes secs
100 — féculents
1000 — vins
Total.
MATIERES
MINKRALES.
1,80
3,6
0,9
0,4
4,0
0,9
1,0
2,3
0,13
0,09
0,20
0,04
0,49
0,05
0,03
0,15
1,18
Encore ce chiffre est-il trop faible; car l'eau ordinaire renferme des proportions de
chaux fort appréciables. Il y a par litre en chaux, dans les eaux du Rhône, de la Seine,
du Rhin, du Danube, de la Loire et de la Garonne (voy. A. Gautier, Encycl. d'Hygiène,
1890, t. n, p. 381), une quantité moyenne de chaux égale à 0s^0o2 par litre.
Dans les eaux de sources qui alimentent Paris :
Vanne.
Dhuis .
113
109
(Ann. statistique de Paris, 1891, p. 16.)
ALIMENTS.
315
Or on peut admettre une consommation movenne de i 000 grammes d'eau, ce qui
porte à ls'',300 environ le chiffre total de la chaux ingérée quotidiennement par un
adulte.
On remarquera que le lait, malgré sa petite quantité, est un des principaux facteurs
de notre alimentation en chaux; inais ce sont les fruits et légumes verts qui tiennent
de beaucoup la place la plus importante; le vin, jus du fruit, relevant en somme de la
même origine; ils donnent près de moitié de la quantité totale.
En nous reportant au chiffre de la chaux éliminée par l'urine, nous trouvons que
cette quantité est de Ot'fjiîîao ; par conséquent, il y a un excès de chaux de 0s'',97.t.
C'est dans les fèces que se trouve cet excédent de chaux. En effet, d'après Portes et
Fleitmann (cités par Garnier et Schlagdenhauffen, toc. cit.), il y a, sur 100 grammes de
cendres, 24 grammes de chaux; par conséquent, en admettant que les matières fécales
contiennent 3 p. 100 de cendres, et que les excréments chez l'homme soient d'environ
130 grammes, on arrive à un chiffre de 0s'',90 de chaux éliminée.
Bertras (cité par Voit, H. H., t. vi, p. 373) a trouvé sur un bouc 19 fois plus de chaux
dans les fèces que dans l'urine.
Magnésie. — Les sels de magnésie sont constamment associés aux sels de chaux,
et on peut dire que, sauf dans le lait, dans tous les aliments, la proportion des deux,
métaux est à peu près la même.
La viande contient un peu plus de magnésie que de chaux; et les végétaux, selon
l'espèce et probablement aussi selon la nature du sol et de la culture, ont tantôt plus,
tantôt moins de magnésie que de chaux, comme on peut s'en assurer en consultant les
tableaux donnés plus haut. Le pain, c'est-à-dire la tarine de froment, contient 3 fois
plus de magnésie que de chaux. Or, comme le pain est la base de notre alimentation,
il s'ensuit que la magnésie est en proportion notablement plus grande que la chaux
dans notre alimentation.
Le taux normal de la quantité de magnésie éliminée par l'urine a été, d'après
52 dosages de Neubader (cité par Salkowski et Leube, loc. cit., p. 19o) de Os^jg à i«^,i6,
soit, en chiffres ronds _1 gramme, c'est-à-dire trois fois plus que la chaux; et cet excès
est dû probablement à la quantité plus forte de magnésie contenue dans le blé et dans
le pain.
En prenant le tableau de l'alimentation normale, nous avons :
Magnésie de la ration alimentaire.
330 gr. pain
280 — viande
125 — lait . .
CENDRES.
MgO.
1,8
3,6
0,9
0,4
4,3
0,9
1,0
2,3
0,14
0,11
0.023
o!ooi
0,18
0,03
0,03
0,10
600 — fruits et légumes
3(1 — légumes secs
100 -- féculents
1000 — vin
0,66
Il y a, comme on voit, un petit écart entre 1 gramme et 0,66. Mais cet écart s'explicpie,
d'une part par l'imperfection des analyses, d'autre part et surtout par les variations de
régime.
Fer et manganèse. — Le fer et le manganèse n'entrent dans nos aliments qu'en
minime quantité. L'urine ne contient guère que OB', 005 de fer par litre en moyenne
(Magnier, cité par Salkowski et Leube, p. 201). D'autre part, la quantité de fer qui se
trouve dans un kilogramme de corps est très faible. D'après Lawes et Gilbert (cités par
Grandeau, loc. cit., p. 358), dans 100 grammes de cendres de deux bœufs, il n'y avait
316
ALIMENTS.
que OB'', 97 et OB'jil de peroxyde de fer, en moyenne O^'j&Q. Comme l'animal entier a
4^'', 25 p. 100 de cendres, ce chiffre représente pour un kilogramme de l'animal entier,
0b"',-29; soit environ Os'',19 de fer métallique par kilo. Autrement dit encore, un bœuf
de 500 kilogrammes contient 100 grammes de fer. Boussingault (cité par Voit, H. H.,
t. VI, p. 383) a trouvé chez le mouton par kilogramme Ot'fjlSl de fer, et chez la souris,
seulement 0K^^11.
Par conséquent, la quantité de fer nécessaire à l'alimentation n'est pas très consi-
dérable, et il est clair que nous en ingérons plus que ce qui est strictement nécessaire
pour fournir à la minime dépense de 0e'',0075 par jour.
En effet, Bcnge (Cours de Chim. Mol., p. 102) donne les proportions suivantes de fer
dans les aliments (à l'état de fer métallique, par kilogramme) :
Viande de bœuf 0,035
Pain 0,090
Pommes de terre 0,080
Lait 0,004
Prenant alors les quantités de fer ingérées, nous avons :
Fer de la ration alimentaire.
550 gr. pain
280 — viande
125 — lait
35 — œufs
600 — fruits et légumes frais
50 — légumes secs
100 — féculents
1000 — vin
Sans les légumes
CENDRES.
Fe^Qs.
1,8
0,011
3,6
0,018
0,9
0,003
0,4
0,002
4,5
0.090
0,9
0,008
1,0
0,011
2,3
»
0,143
0,053
Ce chiffre, encore qu'il soit bien faible, est encore supérieur à la quantité de fer que
l'urine élimine, 0S'',006 par jour, et même la quantité de OS',006 est-elle peut-être trop
forte.
Mais cela ne doit pas surprendre, car le fer n'est que très partiellement éliminé par
l'urine. Les poils en gardent une notable partie (O^^jOâl p. 100 d'après B.^udrimont;
0B'',i54 p. 100 d'après v.vn Laer, cités par Voit). Quant aux fèces, elles en contiennent
encore davantage. A. Meyer évalue à 0S"',02 la quantité qui passe par les matières fécales,
chez l'homme (cité par Voit, ibid.). Ce chiffre semble trop faible. Il est probable qu'il
est très variable, et va en augmentant si l'on augmente la quantité de fer qu'on ingère.
On s'est demandé quelle est dans l'élimination de fer la part de fer organique (dû
à la dénutrition des tissus) et du fer alimentaire (ingestion des aliments). Si on soumet
un animal, un chien par exemple, à l'inanition, il continue à rendre du fer, et le fer
rendu n'est pas seulement dans l'urine, mais encore dans les excréments; car la bile
continue à être sécrétée, et elle contient une proportion appréciable de fer. D'après Diek
un chien de 6 kilogrammes rendait par jour Ofc''', 00186 de fer. Forsteh, nourrissant deux
chiens de 23 kilogrammes avec des matières alimentaires exemptes de fer(?), a trouvé
qu'ils rendaient par jour environ 0s"-,06 de fer (Pour plus de détails, voir Fer).
Quant au manganèse, il y en a des traces dans les aliments, mais son rôle est
inconnu.
Nous avons à examiner maintenant le rôle alimentaire du chlore, du phosphore et
du soufre, car les métaux, potassium, sodium, magnésium, calcium et fer se trouvent
sous la forme de chlorures, phosphates et sulfates, sans qu'on puisse exactement
ALIMENTS.
317
savoir à quel métal le chlore, l'acide pliosphorique ou l'acide sulfurique sont combinés.
Chlore. — La quantité de chlore contenu dans les aliments a été évaluée par nombre
d'auteurs. Nous donnerons le tableau synthétique de ces éléments ingérés avec notre
ration type, renvoyant pour le détail aux tableaux. Nous ferons seulement remarquer
que les chiffres du chlore des anciennes analyses sont contestés.
Sulfates, phosphates et chlorures de la ration alimentaire.
CENDRES.
P»0=.
S03.
Cl.
1,8
3,6
0,9
0,4
4,5
0,9
1,0
2,3
0,90
1,47
0,25
0,15
0,58
0,32
o,n
0,18
0,02
0,04
0,03
0,27
0,03
0,06
0,05
0,17
0,H
0,04
0,18
0,02
0,03
280 — viande.
125 — lait
35 — œufs
600 — fruits et légumes frais. .
30 — légumes secs
100 — féculents
1000 — Tin . . . . ...
0,63
Ainsi, en éliminant la quantité de chlore ajouté au pain, nous ne trouvons dans les
aliments naturels que la minime quantité de Ob^jOS de chlore, alors que du chlore est
éliminé en quantité considérable par la sueur, les fèces et l'urine.
Prenant en effet les chiffres relatifs à l'élimination du chlore, nous trouvons d'après
Salkowski {loc. cit., p. 173) une quantité moyenne pour 24 heures de 7 grammes dans
l'urine; dans les matières fécales, d'après Porter (loc. cit., p. 349), des traces, négligeables;
2 p. 100 dans les cendres; et dans la sueur 2 grammes par litre, soit pour 7oO grammes
de sueur une élimination moyenne de i^',S; soit sensiblement 8s"',S de Cl, pour l'éli-
mination quotidienne.
Alors la quantité de chlore alimentaire sera à peu près la suivante :
Chlore du sel ajouté au pain 1,35
Chlore du sel ajouté à nos aliments . . ... 6,60
Chlore des aliments naturels 0,63
Total 8,58
Reportons-nous maintenant à ce que nous disions plus haut à propos de la soude.
Nous avions trouvé que la quantité moyenne de soude ajoutée à nos aliments était en
chiffres ronds de SBr^ggo : chiffre qui répond à6S'',70 de chlore. Par conséijuent la con-
cordance est parfaite entre la donnée que nous fournit le calcul du chlore et celle que
nous fournit le calcul de la soude; et on en peut conclure que nous ingérons en sel
marin 11^'', 96 par jour, sans compter le sel marin du pain, sensiblement 2 grammes; soit
14 grammes de sel par jour, chitïre moyen très variable, mais qui résulte d'assez nom-
breuses moyennes pour qu'on le considère comme répondant bien aux nécessités de
l'alimentation.
On voit, en définitive, en comparant l'alimentation naturelle, sans addition de sel
marin, à l'alimentation réelle, en usage chez les peuples civilisés, que la véritable carac-
téristique de notre alimentation, c'est la pénurie de chlorure de sodium naturel, pénurie
à laquelle nous remédions par les préparations culinaires diverses qui consistent essen-
tiellement en la cuisson et l'addition de sel.
Soufre. — Le soufre est éliminé par l'urine à la dose de 0^',5 à 0S'',6 environ par
24 heures chez l'homme, soit 1s'-,go en acide sulfurique, chiffre supérieur au chiffre que
nous avons trouvé pour l'ingestion du soufre; mais il est à noter que le soufre ali-
mentaire que nous avons mentionné est du soufre combiné aux métau.\, a létat de sul-
fate (de potasse ou de soude) et que dans l'évaluation des cendres le soufre organique
contenu dans les matières albuminoïdes n'est pas compris. Or les matières albuuiinoides
318
ALIMENTS.
ingérées par un homme adulte ont un poids total re'poudant, à peu près, à 20 grammes
d'azote; ce qui ferait 'i^'^,2 de soufre, si toutes les matières azotées ingérées avaient la_
composition de Talbumine de l'œuf.
A vrai dire, il n'en est pas tout à fait ainsi, et il faut admettre une diversité très
grande dans la teneur en soufre des différentes matières protéiques. Nous avons, pour
100 grammes de matières azotées sèches en soufre, les quantités suivante :
Albumine de l'œuf 1,80
Syntoniae musculaire 1,80
Albumine du blé (22 p. 100 du blé). l..>5
Légumine des pois 0,-iO
Gluten du blé (78 p. 100 du blé). . 0,70 (en m'oyenne)
ce qui, en calculant la quantité d'aliments ingérés, fournit :
550 gr. de pain .ivec
280 — viande —
125 — lait —
35 — œufs —
600 — fruits et légumes frais . . —
30 — légumes secs —
100 — féculents —
26 — fromage —
38 gr. maliércs albuminoïdes et 0
50 — — 0,
4,2 — — 0,
5,2— — 0,
12 — — 0,
7 — — 0,
12 — — 0,
7 — — 0,
135,4 r
Auxquels il faut ajouter 0,18 du soufre des sulfates 0
66 de S.
18 —
1,84 do S.
Soit en chiffres ronds environ 1^',8 de soufre, qui correspond bien au chiffre de Oe',6
de soufre éliminé par l'urine et à une quantité de ie%2 éliminée avec les excréments, les
fèces, la sueur, etc.
Phosphore. — Le phosphore est ingéré en notable quantité; une petite portion à
l'état de phosphore organique, une portion relativement fort grande sous forme de
phosphates, soit i'^','^ de phosphore. D'après S.^lkowski et Leube, par l'urine il y a
une excrétion quotidienne d'environ 21^'^, 50 à 3 grammes de P-0^, soit 2B"',75 en
moyenne, ce qui répond à 18"',2 de phosphore, chiffre bien différent du chiffre de 4 gram-
mes de P-0'^ (soit 1,72 de P) que semblerait nous indiquer l'alimentation mo3'enne.
Mais, si nous tenons compte de la quantité de phosphates éliminés par les fèces,
nous retrouverons le déficit. En effet, dans les 150 grammes de fèces quotidiennement
éliminées, il y a envir.on 20 p. 100 de cendres, soit 3»'',96 de cendres. Dans ces cen-
dres l'acide phosphorique est très abondant, et représente environ 33 p. 100 du chiffre
total : c'est donc une élimination moyenne de 1 gramme de P-0° par les fèces, répon-
dant à Os^43 de P.
En ajoutant ls',2 (éliminés par l'urine) à 0e'',43 (éliminés par les fèces) on a un total
de lô'',63 qui ne diffère guère du chiffre total lt''',72que nous obtenons en calculant la
moyenne de P, introduit par les aliments. Nous pouvons nous faire maintenant une idée
des ingestions et excrétions des matières minérales.
Il est bien entendu que les chiffres que nous donnons ici sont une moyenne, par con-
séquent un chiffre variable ; mais tant bien intéressant à connaître ; car, c'est un point de
ralliement pour les diverses analyses qu'on peut faire.
Ingesta.
Aliments naturels. .
Boissons
H=0.
K^O.
Na^O.
CaO.
MgO.
Fe=0'.
Cl.
P.
S.
1000
1600
4,75
0,55
1,18
0,66
0,14
0,63
1,72
1,84
Addition aux aliments.
»
..
6,45
»
6,0
"
„
Combustion de H. .
400
■■
ALIMENTS. 319
Il nous reste, pour en finir avec la partie minérale de notre alimentation, à dire
quelques mots du silicium et du fluor. Nos connaissances sur ce point sont médiocres.
Le silicium ne manque dans aucun de nos aliments, comme on peut le voir
dans les tableaux a, [3, y, etc. Il est absorbé et passe dans l'urine; nous ne savons rien
de son rôle physiologique chez les animaux; nous ne pouvons même affirmer qu'il en
ait un; il est peut-être là simplement parce qu'il existe dans les aliments végétaux.
Le fluor n'a. guère été recherché dans les aliments; mais, par contre, nous savons qu'il
entre d'une façon normale et constante dans la composition des os. Il est probable que
la molécule inorganique de ces organes est un sel de chaux compliqué, où l'atome de
fluor est compris. Pondéralement, c'est peu de chose; peut-être est-ce un élément très
■ important de l'édifice, peut-être est-ce lui qui maintient la niasse calcaire dans l'état
d'insolubilité nécessaire à sa fonction physiologique; mais nous en sommes réduits aux
h3'pothèses.
Alimentation minérale des animaux mammifères. — Après cette étude, sur
les éléments minéraux, il nous suffira de donner quelques points de comparaison éta-
blissant les différences essentielles dans l'alimentation des divers animaux.
Prenons quelques-uns des chiffres donnés par les agriculteurs sur la ration d'entre-
tien'. Adoptons les chiffres donnés par M. CoRXEvm (T. de zoot. gén., 1891, p. 903). Il
admet, d'après Crevât, pour un cheval de 640 kilogrammes, la ration suivante :
Foin 6 kilogrammes.
Avoine 4 —
Féverole 4 —
Maïs 2 —
Paille i. —
Total. ... IS kilogrammes.
Or, 1 000 parties de substance sèche contiennent, d'après Bunge, en potasse et en
soude :
K^O. Na-O.
Foin 12 0.9
Avoine 3,o 0,23
Pcverole 21 0,10
Maïs 4,32 0,16 (KOnig, t. ii).
Paille ? ?
Ce qui équivaut finalement aux quantités de K-0 et de Na-0 suivantes :
K^O. Na=0.
Foin (14 p. 100 d'eau, Wolff) 02 4>."7
Avoine (en moyenne 12 p. 100 d'eau Konig) . . 13 0="9
Féverole (4 p. 100) 10 05'0.5
Maïs et paille (2 p. 100) ... " Oi."29
Total ' «S gr. ofr94
En rapportant ce poids au kilogramme de poids vif, nous trouvons que la ration
alimentaire d'un kilogramme de cheval est
K20 0,153
^'a^O 0,009
Au contraire cb.ez l'homme, nous trouvons, par kilogramme de poids vif, une quantité
bien plus faible de potasse :
K20 O.oig
Na20(2) .... 0,019
Si la différence est si grande, cela tirnt uniquement à ce que chez les herbivores
les excréments, très abondants, contiennent une grande quantité de matières alimen-
1. Il y a de si nombreuses divergences à cet égard, et si importantes, que nous ne pouvons
pas même les mentionner.
2. Non compris le NaCl ajouté, ni le vin.
320
ALIMENTS.
taires qui ne sont ni digérées ni dissoutes; de sorte que, pour ce [grand échange de ma-
tières nutritives, il y a en réalité une perte considérable, de près de îiO p. 100 et quelque-
fois davantage. On voit qu'en admettant une perte de oO p. 100 par les excréments, ce
qui est Lien près de la vérité, la quantité de matière minérale ingérée par kilogramme
pour un herbivore et pour l'homme est à peu près la même. Il est intéressant de le
constater, quoique a priori on ait très bien pu le supposer.
D'après d'autres auteurs, la quantité d'aliments minéraux ingérés est plus considérable
que celle qu'admet Crevât. Mais cela ne change rien au résultat final ; car c'est toujours
la plus ou moins grande perte par les fèces qui produit le déficit entre l'ingestion ali-
mentaire, etrexci'étionparl'urine. BoussiNGAULT.dontles admirables études ont été le point
de départ de toutes nos connaissances précises sur la question (cité par Colin, T. P.,
t. II, 1873, p. b83) admet qu'un cheval (de 600 kilogrammes) ingère en 24 heures
672 grammes de matières minérales, et qu'il en rend HO grammes par l'urine et
560 grammes par les excréments. En considérant comme perdues pour la nutrition les
quantités rendues par les fèces, on voit que la somme des sels est de 0s'',180 par kilo-
gramme, alors que chez l'homme elle est de 10 grammes (déduction faite du sel marin
ingéré) soit de OKfjieO par kilogramme'; chiffres qui se ressemblent beaucoup.
Une vache de 600 kilogrammes ingérait en 24 heures 102 grammes de chaux; et elle
en rendait par l'urine seulement is',T6 en 24 heures, soit O^"', 0073 par kilogramme. Chez
l'homme la quantité de chaux éliminée par kilogramme étant de OSfjOOoS, chiffre à peu
près semblable.
iNous pouvons jusqu'à un certain point considérer comme inutiles à la nutrition les
substances qui passent dans les matières fécales, et n'attacher d'importance qu'à celles
qui après avoir été entraînées dans la circulation générale, sont éliminées par l'urine.
Nous arrivons alors à constater les proportions suivantes de minéraux :
Proportion des minéraux éliminés par l'urine.
K^O
CHEVAL*.
B Œ U F".
BÉLIER*".
PORC"**.
36,85
3,71
4,4-i
21,92
17,16
lb,36
0,32
64,10
1,29
0,20
4,3u
18,20
0,45
0,14
35,0
9,0
3,5
1,2
0,2
4,1
23,5
1.2
58,7
0.30
1,64
0,76
11,84
8,00
11,05
0,20-
Na^O
MgO
CaO
P20=
S04H2
Cl
Si03
Fe-0=
•D'après Wolff (citù par Teres, m Ellenberger, Verr/lmh.Pht/siol. der Haussauijf!thiei-e,lS90,t.i,p . 384.
" D'après J. Mdnk, Ibid., p. 394.
*" D'après Henneberg. Ihid.,\>. 395.
•*" D'après Heiden, Ibid., p. 398.
Comparons ces chiffres à ceux de l'urine humaine, et rapportons à 100 la quantité
totale des sels; nous avons, selon qu'on tient compte ou non du sel marin ingéré par
addition aux aliments:
Avec le sel marin Sans le sel marin
d'addition. d'addition.
K20 17,8 36,5
Na20 23,8 3,2
CaO 1.6 3,2
MgO 4,8 9,0
Fe^O^ 0,02 0,05
Cl 30,-6 2,70
P205 13,0 27,00
SO'H-2 8,3 20,05
1. Poids moyen des Français, 62 kil. (Tenon, cité par Sappey. Traité d'Anatoinie, t. i).
ALIMENTS.
321
Nous vo3'ons donc par la comparaison de ces tableaux entre eux que la composition
de l'urine, et par conséquent la composition des aliments en sels minéraux, est très
variable. N'est-il pas légitime de supposer que les besoins réels de l'alimentation en
sels minéraux sont satisfaits dans les uns et les autres cas; et que par conséquent il est
inutile d'exiger à l'aliment une Usité absolue dans le rapport des difîérents sels.
Si chez l'homme on trouve tant de soude, c'est par suite non d'une nécessité abso-
lue, mais d'une habitude prise, qui ne semble pas indispensable, puisque aussi bien, chez
le porc, qui est omnivore, on ne trouve presque pas de soude, mais une dose énorme de
potasse, 60 p. 100 environ sur 100 grammes de cendres.
Il est facile de comprendre comment l'élimination urinaire du phosphore est si faible
chez les herbivores. L'urine, étant alcaline, ne peut contenir à la fois sous la forme soluble
des phosphates et des sels de chaux. De fait, dans l'urine du cheval, il y a de la chaux à
l'état de sulfate, et il n'existe que des traces de phosphates. Par conséquent les phosphates
ingérés, et ingérés en très grande quantité, puisque on doit l'évaluer à peu près à 40 gram-
mes par jour, passent dans les fèces, mais sont probablement aussi éliminés par la bile,
c'est-à-dire qu'il y a dans les fèces non seulement des phosphates non assimilés, mais
encore des phosphates provenant des sécrétions glandulaires du foie et de l'intestin.
C'était l'opinion de Liebig, et, quoique assez peu satisfaisante, il faut l'admettre, faute
de mieux.
On ne peut donc se faire, avec des animaux nourris suivant telle ou telle variété
d'aliment, une idée exacte de leur nécessaire et véritable alimentation. On a cherché
alors à voir quel était le taux des excréta minéraux dans le cas d'inanition. D'après Voit
(H. H., t. VI, p. 3o9), un chien de 34 kilogrammes a rendu par l'urine, pendant l'inani-
tion, les quantités suivantes de sels minéraux :
lerjpur 3^54
■l" — 2,49
3" — 2,25
4= — 1,79
1,90
1,71
2,10
2,37
Soit, en ne tenant pas compte du premier jour, unemoyennede 2""',10, auxquels ilfaut
ajouter Ot'''',36 éliminés parles fèces; soit encore, par rapport au poids du chien, une dénu-
trition moyenne de Ot'i'.O? de sels minéraux |iar kilogramme et par 24 heures. Falck,
expérimentant sur un chien de 21 kilogrammes, et sur un autre de 8'',900, a trouvé deux
chiflres très différents (Falck, Beitrâge zur Physiologie, etc., 187o, p. 92); et pour des rai-
sons trop longues à discuter ici, il aJmet comme valable un seul de ses chiffres, soit en
moyenne par24 heures une élimination de chlore égale à0sr,017; ce qui pour un chien de
21 kilogrammes descendant successivement à I0'\830 (moyenne = 16 kilogrammes) lait
à peu près Ot'', 00106 par kilogramme. Dans ces mêmes expériences la quantité de P retrou-
vée dans l'urine a été par kilogramme pour les deux mêmes chiens de 0S'',1221, et
Os^OSSSet Os'',t047 (chat observé par Schmidt). Sur un chien de 34 kilogrammes Bischoff
(cité par Voit, loc. cit.) a trouvé l^"',! dans le jeûne, soit 0t''',032 par kilogramme. Le
soufre total a été de Ô8'',03 par kilogramme.
La chaux éliminée dans le jeûne a été trouvée par Etzixger pour un chien de 34 kilo-
grammes égale à 0î''r,22 de CaO, soit 0e'',006o par kilogramme et par jour.
Rien ne prouve mieux cette influence de l'alimentation que l'expérience suivante de
\Veiske (cité par Tereg, loc. cit., p. 398). U a pris deux chevreaux; l'un nourri avec des
herbes, et l'autre avec du lait. Voici la teneur en ceudres, comparée dans les deux urines,
sur 100 grammes de cendres.
Urine du chevreau Urine du clievreau
herbivore. lactivore.
K20 . " 34,91 42,83
Na-^O 22,48 14,03
MgO 0,77 0,98
SO^Hi 10,89 3,02
V^O^ » 22,22
Cl 13, .33 20,67
C02 10,40
SiO» 0,39 »
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 21
322 ALIMENTS.
Dans les nombreux dosages effectués sur l'urine de Succi qui est resté à jeun pen-
dant 30 jours, LuciANi a trouvé les chiffres suivants, pour rélimination des matières
salines (Fisiologia del Digiuno, 1889, p. 116).
chlore. Acide phosphorique.
P=0/.
Du i" au 8= jour, moyenne 0,823 2,282
Du8=aul2« — — 0,531 1,407
Dul2'îaul6'= — — 0,270 0,850
Du 16» au 20- — — 0,200 1,063
Du 20e au 24= — _ 0,245 0,847
Du24eau30e - - 0,291 0,827
La moyenne eu chiffres ronds de Cl émis pendant la période de jeûne complet est
donc voisine de 0E"',260; ce qui, en lui supposant un poids moyen de oo kilogrammes
(t)3>',.300 au début, 4o",650 à la fin du jeûne) équivaut par kilogramme et par 24 heures,
pour la dénutrition organique proprement dite, à environ 0e'',0047 pour le chlore;
et 0e'',8S0 pour P^O', ce qui fait par kilogramme O^'^Olb.
Ce sont là des chiffres très faibles, mais ils représentent évidemment la combustion
d'un individu à jeun et souffrant de la faim.
En résumé on peut admettre à peu près les quantités suivantes, par kilogramme
et par 24 heures, pour un individu normal :
Na^O 0,005
K^o 0,015
P203 .... 0,060
CaO 0,003
Cl 0,023
De là, pour un homme de 60 kilogrammes, une consommation minimum quotidienne
de :
Consommation Consommation
minimum. moyenne*.
Na-20 0,30 7,00
K20 0,90 4,75
P20» 3,60 4,75
CaO 0,30 0,75
Cl 1,50 8,00
Il s'ensuit qu'en fait de sels minérau.x; nous avons une vraie alimentation de lu.\e —
et les animaux, eus aussi, ont une alimentation de luxe — et que nous ingérons beaucoup
plus de sels que cela ne serait rigoureusement nécessaire. Nous discuterons plus loin
cette question pour tous les aliments.
Quant au rapport de ces divers sels, on ne peut rien affirmer de précis; car, selon
toute apparence, les sels de Na peuvent dans une certaine mesure se substituer aux
sels de K'. les sels de Ca aux sels de Mg, et inversement. De même Cl peut être remplacé
par P^0= ou SO-'.
D'après les analyses de Lawes et Gilbert, la proportion des cendres est la suivante,
pour un bœuf moyen :
En admettant K-0 = 100.
K^O 4,41 100
Na^O .... 3,08 71
MgO 2,03 45
CaO 45,26 »
Fe20' .... 0,97 2,2
P-O'i 48,22 »
S0m2. . . . 0,86 1,9
Cl 1,24 28,0
SiO= 0,24 0,5
Mais cela ne nous donne aucune indication sur la nécessité de tel ou tel aliment; car
1. Chiffres obtenus, en nous reportant au tableau donné plus haut. Nous trouvons donc une
différence considérable entre l'alimentation minimum et l'alimentation réelle.
ALIMENTS.' 3'23
le phosphate de chaux, qui est là en quantité si prépondérante, ne subit certaineinenL
que des transformations tout à fait lentes, et reste fixé dans le tissu osseux hien plus
que les sels de soude ou de potasse qui sont sans doute en rénovation continuelle dans
les muscles et dans le sang.
11 semble que le vrai type de nos besoins en sels minéraux doit nous être donné par
la composition du lait; toujours en éliminant le phosphate de chaux, car le nouveau-né
a besoin de fixer, pour le reste de sa vie, du phosphate de chaux dans ses tissus.
En faisant cette proportion, nous trouvons sur 100 grammes (d'après Bdnge), pour
le lait de chienne :
Soit K^O = 100.
K^O 10,7 100
Na^O 6,1 37
MgO 1,0 14
De là il s'ensuit, pour terminer cette longue discussion, qu'on peut [à peu près, en
prenant la moyenne de ces moyennes, très hétéroclites, adopter les chiffres suivants
(schématiques), pour les besoins de l'organisme par kilogramme et par 24- heures.
Xa^O 0^010
K^O 0,030
P^Oï 0,060
CaO 0,003
Cl 0,023
-MgO 0,005
ToTAi 0,135
Si cette limite est dépassée — et elle l'est toujours beaucoup dans l'alimentation
normale, — c'est qu'il y a, pour les matières minérales comme pour les matières orn-ani-
ques, un véritable luxe alimentaire, et que nous ingérons plus de sels minéraux que ne
l'exigeraient les stricts besoins de notre organisme.
Reptiles, Oiseaux, Poissons. — Jusque ici [nous n'avons étudié que les aliments de
l'homme et des mammifères. 11 faudrait examiner maintenant les aliments minéraux
nécessaires aux autres vertébrés et aux invertébrés. Mais, si déjà nous avons souvent eu
l'occasion de constater que les recherches précises font défaut en maints points de détail
pour l'alimentation de l'homme et des animaux domestiques, à plus forte raison quand
il s'agira des oiseaux, des reptiles, des poissons, des mollusques et des insectes.
D'une manière générale on peut dire que les besoins de l'organisme d'un oiseau
doivent être à peu près les mêmes, à égalité de poids, que ceux d'un mammifère- mais
les chiffres précis manquent.
Même il n'existe pas d'analyse complète du guano, au point de vue de la teneur res-
pective en K et en Na. Dans l'art. Engrais (D. W., p. 1231, t. Si) AI. Dehérain donne pour
le guano des îles Falkland la composition suivante (résultat de trois analyses) :
Phosphate tricalcique 19,0
Phosphate de fer et d'alumine. i,7
Sulfate do chaux hydi-até. . . 14,00
Silice 26.3
Sels alcalins 7,0
Eau 11,0
Matières organiques 18,0
En supposant que la proportion de NaCl à KCl soit de 1 à 5 ; pour comparer les excré-
tions des oiseaux a celles des mammifères, cela donne à peu près les proportions sui-
vantes :
P. 100 de mat. minérale
p. 100 de guano. (CaO, P=0=,Na=0, K='0^.
CaO. . . . I'i,8 44^4
ViOK . . . 12,4 37^0
Na^O.. . . 0,8 ■-, 4
K^O. ■ • ■ :J.'i 10^5
SiO=. . . . i^
SOHi^. . . 7,9
324 ALIMENTS.
On voit que ce document, ne nous renseigne que d'une manière assez insuffisante.
J'en dirai autant des analyses bien imparfaites et peu nombreuses qu'on a données
de l'urine des serpents (H. Milne-Edwards, T. P., t. vu, p. 446). Dans l'urine d'un boa,
Prout n'aurait pas trouvé de soude; mais l'analyse est manifestement insuffisante.
M. Wesley Mills (J. of Physiol., t. vu, 1886, p. 43.3), analysant l'urine des tortues, n'a
pas dosé les sels, quoique il ait eu de notables quantités de matière à sa disposition.
Nous pouvons cependant supposer, malgré cette défectuosité des analyses, que l'ali-
mentation des oiseaux et des reptiles ressemble au point de vue des sels minérau.'î à
celle des mammifères; les uns sont carnivores; les autres, berbivores; avec des propor-
tions un peu plus fortes de soude chez les animaux carnassiers que chez les granivores
et les herbivores. ■ ■
Un seul point est digne de remarque, c'est la formation de chaux pour la coquille
de l'œuf chez les oiseaux. Une poule qui pèse 2 kilogrammes en moyenne peut produire
un œuf par jour à certaines saisons ; le poids de la coquille est de 6 grammes environ.
Si l'on admet que c'est du carbonate de chaux presque pur, cela fait une élimination quoti-
dienne de i^'f-o environ de CaO, chilfre énorme, d'autant plus considérable que certai-
nement les urines contiennent encore de la chaux, et que l'œuf lui-même renferme des
quantités de chaux qui sont relativement très grandes. On peut dire que dans ces condi-
tions l'oiseau a besoin au moins de o grammes de CaO par jour dans ses aliments.
Il parait même qu'en alimentant des poules avec une nourriture riche en phosphate
de chaux, on peut augmenter beaucoup la teneur de l'œuf (albumen etvitellus) en chaux.
M. LANELa pu, avec cette alimentation spéciale, avoir des œufs contenant OS'', 89 de phos-
phate de chaux pour 100 grammes; alors que laproportion normale n'est que de 0,s''34.
Ainsi, par le seul fait de la nécessité d'une coquille pour un œuf, les besoins de l'ali-
mentation de l'oiseau en chaux sont profondément modiliés. Il paraît que, si l'on em_
pèche les poules de mêler à leurs aliments des petits graviers ou des petits cailloux, elles
cessent de pondre.
Invertébrés. — Pour ce qui concerne l'alimentation des invertébrés, nous avons bien
moins de données encore. Il est certain qu'il y a des sels de soude, de chaux et de potasse
dans leurs tissus, et que ces métaux ont été introduits par l'alimentation; mais nous ne
pouvons savoir dans quelles proportions (Voyez Milne-Edwards, T. P., t. vn, p. 449).
M. Letellier, qui semble avoir étudié ce sujet avec soin [Th. doct. Fac. sciences de Paris,
1887, et Arch. de zoolog. expérimenlale), a trouvé chez divers mollusques acéphales des
calculs de phosphate ammoniaco-magnésien, de phosphate tribasique de calcium, avec
des traces de phosphate de soude et de fer. Mais ces analyses, si importantes qu'elles
soient, ne sont pas cjuantitatives et par conséquent ne nous fournissent que des rensei-
gnements imparfaits.
Notons aussi que la soie sécrétée par le ver du bombyx contient 6,4 pour 100 de sels
minéraux, dont la moitié est constituée par des sels de chaux, l'autre moitié par des ^els
d'alumine et de fer'.
Dans l'histoire chimique des invertébrés, ce qui doit surtout frapper, c'est la propor-
tion considérable de chaux que la plupart de ces êtres vont fixer sur leur coquille à l'é-
tat de carbonate. C'est là dans l'ensemble de la vie des êtres un phénomène tout à fait
remarquable.
C'est même un phénomène commun à tous les animaux, supérieurs ou inférieurs. La
fixation de chaux à l'état de carbonate et phosphate de chaux paraît être une des lois
fondamentales de la Biologie. Pour faire la trame solide de leur organisme, de manière
à ofl'rir un support à leurs parties molles, les êtres vivants, quels qu'ils soient, vont cher-
cher dans leurs aliments un minéral qui donnera un sel insoluble, et par conséquent une
masse dure et résistante. Le squelette, intérieur chez les vertébrés, extérieur chez les mol-
lusques et les crustacés, a toujours une base de chaux.
Et cette quantité de chaux ainsi fixée est considérable. D'après Soxhlet, dont les chif-
fres sont confirmés par Lehm.ann et Weiske (cités par Voit, II. H., t. v, p. 378), un veau
de 90 kilogrammes [a besoin par jour pour sa croissance de lis', 5 de CaO. Mais ce
1. A noter que les insectes soat riches on soude (Bunge, Cours de Chim. binl,. p. 122).
ALIMENTS. 325
chiffre est beaucoup trop faible et il y a e'videmmenl une erreur. En effet, d'après
FjAwes et Gilbert, un bœuf de SOO kilogrammes ne contient pas moins de 21 kilogrammes
de phosphate de chaux. En supposant qu'il ait un an et demi d'existence, cela fait une
fixation moyenne de b-S-R^S de phosphate de chaux, par jour; ou 30 grammes en chiffres
ronds. Les sels de chaux qui se sont amassés dans les os des grands herbivores d'autçefois
constituent maintenant d'importants gisenients exploités pour l'agriculture.
De même que la plante accumule du carbone et de la potasse, dans ses tissus, de
même l'animal accumule du phosphate- de chaux, et il ne serait peut-être pas difficile
d'établir une classification d'après cette fixation minérale différente; puisque aussi bien
c'est afin de pouvoir se mouvoir et donner des points d'appui à leurs muscles que les
animaux ont amassé ainsi des sels de chaux, tandis que les végétaux, qui n'ont pas
besoin d'un squelette aussi résistant, n'amassent que de la potasse qu'ils vont puiser dans
le sol.
Plus remarquable encore est cette fixation de chaux quand on étudie le mode de vie
des mollusques. En effet, la plupart de ces animaux vont puiser dans leurs Aliments, et
spécialement dans l'eau, la chaux qui leur est nécessaire.
Les coquilles des mollusques, le test des crustacés et le squelette des polypiers sont
constitués pi'esque uniquement par du carbonate de chaux.
Voici quelques analyses à ce sujet (Jolly. Les phosphates, Paris, 1887, pp. 208, 216, 218).
Test de langouste (cendres)
CO^Ca 72,10
CO^Mg. .■ 9,30
(P03)2Ca= 18,60
Corail
CO^Ca 97,031
CO^Mg 0,376'
(P0')2Mg= 0,046
(P0')2Ca' 2,347
Coquilles des huîtres
' Matière organique 1
COSCa 98
(P03;2Ca' 1
Ainsi le squelette des invertébrés est constitué presque exclusivement par du carbo-
nate de chaux, avec 2 et .3 p. 100 en moyenne de phosphate de chaux. Gela indique une
fixation de chaux considérable et très active. Dans une huître de taille moyenne, il y a
donc environ 200 grammes de chaux. Or, comme, dans l'eau de mer, il y a 0s"',60 deCaOpar
litre, on voit qu'il faut que l'huître ait séparé totalement toute la chaux que peuvent con-
tenir 300 litres d'eau de mer. Cette fixation est plus étonnante encore quand on songe
qu'elle se fait en partie au moyen d'acide phosphorique; car il n'y a que des traces de
phosphates dans l'eau de mer, et cependant les animaux marins, vertébrés et inverté-
brés, contiennent tous dans leurs tissus de notables quantités de phosphore, soit à l'état
de phosphates de chaux, de potasse et de soude, soit à l'état de combinaison organique.
Cette fixation minérale (de chaux) par les invertébrés est vraiment un phénomène
extraordinaire, si l'on songe aux formations géologiques, soit anciennes, soit actuelles.
Des terrains calcaires, d'une puissance et d'une étendue considérables, sont formés entiè-
rement par des agglomérations de coquilles; et actuellement des îles et des continents
se forment, dans l'océan Pacifique par exemple, par l'accroissement des polypiers et
coralliaires (Voy. Darwin, Voyage d'un naturaliste, 1883, p. 496).
Ainsi donc, les vertébrés supérieurs, et, avec une plus grande intensité, les vertébré
inférieurs, trouvent dans leurs aliments de la chaux, et la fixent dans leurs tissus, pour
en former leur squelette solide, constituant ainsi une colossale réserve de chaux qu'ils
séparent de la nature ambiante où cette chaux était disséminée.
Quant aux sels de potassium, de sodium et de magnésium, ils sont aussi fixés par les
organismes marins; mais d'abord cette fixation est moins complète, et ensuite elle es
32(1 ALIMENTS.
plus facile à comprendre, car les eaux de mer contiennent, par litre, 15 grammes de
soude, |s'^,9 de magnésie et 0s'',9 de potasse.
Cette même huître, qui a eu besoin de 300 litres d'eau de mer pour y trouver une
quantité de chaux suffisante à sa coquille, trouvera dans un litre d'eau de mer assez de
potasse, de soude et de magnésie, pour la constitution minérale de son organisme.
En définitive, nos connaissances sur la nutrition des invertébrés en aliments minéraux
sont assez peu avancées, et appellent certainement de nouvelles recherches.
Abstinence d'aliments minéraux. — On a naturellement cherché à savoir quelle
serait, sur l'organisme, l'influence de l'abstinence totale de sels de sodium et de potassium,
et on est arrivé à des résultats positifs, quoique à bien des égards imparfaits (La question
a été bien résumée et exposée par Voit. H. H, t. vi, pp. 362-371).
On sait d'abord que les animaux de boucherie engraissent plus vite quand on ajoute
du sel marin à leur alimentation. C'est là une donnée qui trouve journellement son
application dans l'industrie agricole.
D'autre part, il est assez difficile de nourrir un animal tout en le privant absolument de
sel ; car les aliments minéraux adhèrent avec ténacité aux matières albuminoïdes, si bien
qu'on ne peut les en complètement débarrasser.
Aussi bien n'a-t-on jamais pu établir la démonstration que l'absence de matières
minérales, prolongée, fait mourir par une sorte d'inanition minérale. Cependant Forster,
qui a fait cette étude en 1873 [Hofmanns Jahresberichte fur Phys., 187o, p. 407), admet
que les chiens et les pigeons, ainsi privés de toute substance saline, finissent par mourir.
On a essayé aussi de supprimpr chez l'homme le sel marin de l'alimentation, mais,
qu'on le remarque bien, cette suppression n'est jamais totale, car il reste toujours dans les
aliments, même non salés, assez de chlorures et de sels de soude pour constituer encore
une suffisante ration de ^aCI.
En prenant des aliments sans aucune addition de sel, Wundt a vu diminuer, comme
cela était à prévoir, le NaCl éliminé par l'urine.
i" jour .... 7,21
2" — . . . . 3,61
•i" — .... 2,44
4« — . . . . 1,36
5= — .... 1,09
Klein et Perrox ont pu vivre pendant huit jours sans être incommodés en n'ingérant,
tout compris, qu'une quantité maximum de NaCl égale à ls'',4. Ils ont constaté, en dosant
le NaCl du sang, que la proportion de sel, qui était par litre de sang de 4s'', 02, est tom-
bée à 2ff'',82, pour remonter à 4t"'',23, après que l'expérience de privation de sel a
pris fin.
Si l'on voulait faire cette expérience, il faudrait se résigner à la poursuivre pendant
plus longtemps, avec du riz, du sucre de canne, du beurre, de la viande bouillie et de
l'eau distillée à discrétion; on aurait évidemment une alimentation peu agréable, mais
suffisante au point de vue du carbone, de l'hydrogène et de l'azote. Elle serait assez
pauvre en sels pour que la masse des matières minérales ne dépasse pas 3 grammes.
Encore, en ayant soin de faire bouillir le riz au préalable, pourrait-on abaisser à 3 ou
4 grammes ce taux minimum- d'éléments minéraux.
Quant au rôle du phosphore, nous avons peu de faits à citer. Kemmerich (A. Pf.,
1860, t. n), a nourri deux jeunes chiens avec de la viande bouillie et lavée; mais en
variant le sel, de sorte que l'un (A) recevait en outre 5 grammes de NaCl, tandis que
l'autre (B) recevait 5 grammes des cendres du bouillon (phosphate de potasse) ;il a vu que
le chien au phosphate de potasse prospérait, tandis que l'autre n'augmentait pas. Mais
quand on a donné au chien A du phosphate de K et au chien B du NaCl, c'est l'inverse
qu'on a observé. Quelque intéressante que soit cette expérience, on [pensera sans doute
qu'elle ne suffit pas pour établir le rôle du phosphore dans la nutrition.
Il est à présumer que ce rôle est très important; car, chez les plantes, les phosphates
sont absolument nécessaires à une bonne végétation, et il faut donnerîdes engrais phos-
phatés si le sol ne contient pas de phosphore. Enfin la richesse du lait et de l'œuf en
phosphore nous prouve bien à quel point ce corps est utile à l'existence du jeune être.
ALIMENTS. 327
L'absence de chaux dans l'alimentation a été plus souvent étudiée (Voit, H. H., {. v,
p. 374). Il se produit alors des lésions osseuses qu'on peut désigner sous le nom géné-
rique d'ostéomalacie. Nous n'entrerons pas ici dans la discussion des faits, qu'on trou-
vera relatés à Calcium et à Ostéomalacie; nous nous contenterons d'indiquer une cause
d'erreur assez grave, commune d'ailleurs à toutes ces expériences.
Quand on soumet un animal à une alimentation, artificielle, ainsi que l'est nécessai-
rement toute alimentation, dont il faut éliminer soit NaCl, soit KCl, soit (PO')- Ca^; il ne
mange plus qu'avec une extrême répugnance, et finalement il dépérit et meurt d'alimen-
tation insuffisante, sans qu'on puisse décider si l'insuffisance de nutrition porte sur les
éléments minéraux ou sur les autres.
Ce qui est certain, c'est, comme l'a bien vu le premier Chossat, que les animaux privés
de sels de calcium ont des os fragiles, poreux, cassables, et finissent par mourir. Voit
préfère appeler ce phénomène de Vostéoporose, plutôt que de \' ostéomalacie et du rachi-
tisme, qui coïncident avec une inflammation véritable plutôt qu'à une raréfaction de
l'élément minéral dans la trame du tissu iDsseux.
Alcalinité des aliments. — En dehors de la somme totale d'éléments minéraux, et
du rôle de chacun de ces éléments pris en particulier, nous devons considérer encore
la somme des bases, d'une part, la somme des acides, de l'autre, ces deux sommes étant
comptées après transformation complète du phosphore et du soufre en acides phos-
phorique et sulfurique, ainsi que cela se passe dans l'organisme. Or, dans les aliments
végétaux, la somme des bases l'emporte sur la somme des acides, tandis que c'est l'in-
verse dans les aliments animaux : les cendres des végétaux sont alcalines, les cendres
de la viande sont acides. A cette constatation correspond le ^fait ph3'siologique connu,
que les urines des herbivores sont alcalines, les urines des carnivores sont acides. Ce
dernier fait démontre que le rein est capable de débarrasser le sang d'une partie des
acides qui tendent à détruire son alcalinité normale. Mais leslois chimiques qui permettent
ainsi au filtre rénal d'extraire du sang alcalin un liquide acide limitent ce phénomène à
certains sels, spécialement aux phosphates (Voir Rein). L'acide sulfurique qui se forme
sans cesse par la combustion des matériaux albuminoïdes dans l'organisme des carni-
vores s'emparerait peu à peu de toutes les bases fixes de cet organisme et finirait par
le détruire.
11 intervient ici un mécanisme particulier, neutralisation de cet acide sulfurique parde
l'ammoniaque' (Voir Nutrition). Mais ce mécanisme seraitlui-mème insuffisant si lanour-
riture ne contenait pas du tout de sels alcalins ; car la production d'ammoniaque est limitée.
C'est du moins ce qui semble ressortir d'expériences intéressantes entreprises sous l'ins-
piration de BuNGE. FoRSTER avait vu que des chiens nourris avec de la viande fortement
bouillie et ne contenant presque plus de cendres périssent assez rapidement. Lunin *
reprit la question spécialement au point de vue de l'alcalinité des cendres. 11 expérimenta
sur des souris à cause de la difficulté d'obtenir une nourriture exempte de cendres
pour un grand nombre d'animaux de plus grande taille.
La nourriture était préparée de la manière suivante : en précipitant par l'acide acé-
tique du lait étendu d'eau et en lavant avec de l'eau acidulée le précipité floconneux, on
obtenait un mélange de graisse et de caséine, ne contenant que Oe',0'6 à O^'^fiS de
cendres sur 100 parties de substance séchée (c'était dix fois moins que dans les viandes
bouillies de Forster). On ajoutait à ce mélange du sucre de canne exempt de cendres,
comme représentant des hydrates de carbone.
Avec cette nourriture et de l'eau distillée, cinq souris vécurent H, 13, 14, 13 et
21 jours; àl'inanition complète deux souris vécurent 4 jours, deux autres 3 jours. Ensuite
six souris furent mises à cette nourriture déminéralisée, mais avec addition de carbo-
nate de soude. Celles-ci vécurent 16, 23, 24, 26 et 30 jours, c'est-à-dire le double des
sujets précédents.
Or on pouvait dire que cette survie tenait, non pas à la neutralisation de l'acide
sulfurique formé dans l'organisme, suivant l'hypothèse qui présidait à ces recherches,
mais simplement à la présence de l'un du moins des éléments minéraux nécessaires,
1. Walter, Arch. f. exp.Path.. t. vu, p. 148.
2. Cité par Bunge, Cours de chimie biol., p. 106.
328 ALIMENTS.
agissant là, non en tant que base, mais en tant que sel de sodium. Pour répondre à cette
objection, Lunin institua l'expérience suivante : 7 souris furent [mises au même régime,
mais au carbonate de soude fut substituée la quantité correspondante de chloi'ure de
sodium, c'est-à-dire d'un sel de sodium incapable de neutraliser l'acide sulfurique. Les
7 sujets périrent an bout de 6, 10, 11, i'6, 16, 17 et 20 jours, c'est-à-dire exactement
comme les sujets qui n'avaient reçu aucun élément minéral.
Une série parallèle instituée avec le carbonate de potassium et le chlorure de potas-
sium donna les mêmes résultats.
Mais, si un sel alcalin est capable d'assurer une survie de 10 à 15 jours, quelle est la
cause de la mori des animaux au bout de ce temps? est-ce le déficit d'aliments miné-
raux particuliers?
Pour résoudre cette question, Lunin reprit une série de souris auxquelles il donna,
en outre des aliments gras, hydrocarbonés et albuminoïdes préparés comme nous
avons vu plus haut, toua les sels minéraux qui sont contenus dans le lait et précisément
dans la proportion où ils y sont contenus; 6 souris dans ces conditions vécurent 20, 23,
23, 29, 30 et 31, jours, c'est-à-dire le même temps que les sujets qui n'avaient reçu que du
carbonate de soude en fait d'aliments minéraux.
Nous avons tenu à rapporter d'une façon complète cette expérience, parce que, en
même temps qu'elle élucide un point intéressant, elle nous montre toute la complexité
et la difficulté de ces questions de ration. Il faut noter, en effet, que les souris vivent
indéfiniment avec du lait, et qu'ici, où on leur donne tous les éléments du lait, isolés
puis réunis de nouveau (à l'exception de la petite quantité d'albumine du lait), elles
périssent en un temps assez court.
Nous aurons d'ailleurs à rappeler plus loin cette expérience.
II. Aliments organiques. — Avant d'entrer dans l'étude de chacun des groupes qui
constituent cette classe, il y a une remarque générale à faire : c'est qu'ils sont tous des-
tinés à être transformés dans l'économie, et transformés régressivement, soit par hydra-
tation, soit par oxydation, de façon à dégager au sein de l'organisme à l'état de force
vive tout ou partie de l'énergie potentielle de leur molécule.
Dans la définition que nous avons donnée des aliments considérés dans leur ensemble,
nous avons été amenés à distinguer deux fonctions dans le rôle de ces aliments :
1° fournir sous forme utilisable par la machine animale l'énergie potentielle équiva-
lente aux dépenses en force vive : chaleur perdue par rayonnement et évaporation, tra-
vail mécanique; 2» Fournir des substances chimiques particulières, pour remplacer
celles qui se détruisent ou s'éliminent constamment.
Ce second rôle appartient à diverses substances minérales, comme nous l'avons étudié
dans ce qui précède; il appartient aussi à certaines substances organiques. Mais celles-ci
seulement, étant combustibles, sont aptes à remplir le premier, celui que nous avons
placé en tête parce qu'il l'emporte de beaucoup sur l'autre, du moins au point de vue
quantitatif : car les deux fonctions sont toutes deux nécessaires.
Chez tous les animaux, il y a perte constante de chaleur, et destruction dans l'orga-
nisme d'une quantité correspondante de combustible; chez les animaux à sang chaud,
cette dépense est considérable. C'est cette dépense qui crée essentiellement le besoin
d'alimentation, puisque l'organisme se détruit lui-même, s'il ne peut prendre àl'extérieur
de l'énergie potentielle utilisable pour lui (Voir Inanition). Il importe de se ^rendre
compte de la grandeur de cette consommation.
Nous considérerons surtout le cas des animaux à sang chaud, plus étudiés.
Ch. Richet' a montré que chez ces animaux la dépense de chaleur est régie d'une
façon presque exacte par les lois physiques du rayonnement; c'est-à-dire que cette dé-
pense est fonction : i" de la température extérieure (sous certaines réserves); 2° de
l'étendue de la surface du corps; 3° de la nature de cette surface et de son revêtement
(Voir Chaleur animale).
Dans une même espèce, et sous les mêmes conditions extérieures, les animaux de
petite taille perdent donc, par rapport à leur poids, des quantités de chaleur plus consi-
,dérables que les animaux de grande taille, la surface par unité de poids étant plus petite
1. Trav. Lah, t. i, Recherches de Calorimétrie, plus spécialement pp. 180 et 194.
ALIMENTS.
329
chez ces derniers. Il faut donc que les combustions destinées à fournir cette chaleur
soient, pour une même masse de tissus, plus énergiques chez les petits animaux que chez
les grands. Si l'on passe d'une espèce à l'autre, il intervient des coefficients spécifiques
dus en majeure partie à la différence du tégument, qui empêchent la proportionnaUté
d'être exacte, mais il n'en reste pas moins vrai que les petites espèces ont des com-
bustions beaucoup plus actives que les grandes.
Voici un tableau, emprunté au travail cité plus haut, et qui servira d'exemple.
ESPÈCE.
POIDS
M 0 Y E N
CALORIES
PAR K t L O
et par heure.
tu.
10,000
7,500
3,250
3,150
1,700
1,650
1,300
1,500
700
300
150
20
kil.
3,200
4,000
3,500
3,300
4,500
3,800
5,500
5,700
6,600
10,300
■12,500
36,000
Enfants
Oies
Chat
Chat
Chien
Canards
Poule
Cobayes
Figeons
Cobayes
Moineaux
Les animaux brûlent et brûlent vite; pour le moineau, par exemple, la vitesse de
cette destruction par combustion peut être sans aucune exagération comparée à celle
d'une bougie.
Les chiffres indiqués ci-dessus se rapportent à des températures voisines de 15°.
Avec des températures plus élevées, la dépense de calorique serait moindre; avec des
températures plus basses, elle serait plus élevée. Mais la progression ne suit pas la loi de
Newtox, si ce n'est entre des limites assez rapprochées, parce. qu'il intervient divers phé-
nomènes régulateurs, soit abaissement de la température à la périphérie du corps, par
vaso-constriction, c'est-à-dire diminution de rayonnement, soit évaporation d'eau, c'est-
à-dire dépense de chaleur par une autre voie que le rayonnement. Cependant, d'une
manière générale, on peut dire que la dépense augmente quand la température baisse,
et diminue quand la température monte.
Le besoin alimentaire est évidemment soumis aux mêmes lois; le chiffre de calories
qui exprime la perte de chaleur d'un animal, abstraction faite du travail mécanique ex-
térieur que cet animal peut produire, exprime la quantité d'énergie chimique que sa
ration doit lui fournir.
11 est bien entendu que cette quantité d'énergie chimique correspondant à la dépense
de chaleur doit être comprise comme quantité nette, comme potenliel réellement uti-
lisable par l'organisme. C'est-à-dire : 1° qu'il faut compter la valeur thermique des subs-
tances alimentaires, non pas par la valeur qu'elles donnent dans la bombe calorimétrique,
mais par celle qu'elles donnent dans Vorganisme. En effet plusieurs des combustibles
n'y sont pas transformés entièrement, et sont éliminés non pas à l'état de produits ulti-
mes, mais sous forme de molécules contenant encore une certaine énergie chimique
qui est perdue pour l'organisme; 2° qu'il y a à compter entre la ration ingérée et la
ration assimilée un certain déchet par suite de digestion incomplète. L'utilisation diges-
tive varie sous des influences diverses; il n'est pas possible de fixer un coefficient pour
chaque substance alimentaire; le déchet dépend bien moins de la nature chimique de
l'aliment que de la forme sous laquelle il est introduit (Voir Digestion).
Il n'en reste pas moins vrai que la perle de chaleur, étant la cause essentielle du be-
330 ALIMENTS.
soin d'alimentation, est la mesure essentielle delà grandeur de ce besoin, sauf corrections
pratiques.
Il s'ensuit que la valeur totale d'une ration doit s'exprimer non pas en comptant sa
teneur en telle ou telle substance, mais eu additionnant le nombre de calories que ses
divers composants réunis peuvent dégager dans l'organisme.
Les substances qui servent de combustible à l'animal peuvent se ranger sous trois
chefs principaux : 1° Hydrates de carbone; 2° graisses; 3° substances albuminoïdes.
1° Hydrates de carbone. — On a donné ce nom à toute une série de corps composés
de carbone, d'h3'drogène et d'oxygène, ces deux derniers éléments étant toujours dans le
rapport de uu atome d'oxygène pour deux atomes d'hydrogène; de sorte que la formule
centésimale de la molécule semble résulter d'une combinaison de carbone et d'eau.
Ce n'est pas ici le lieu de faire l'étude chimique de ces corps; on peut résumer briè-
vement leur constitution et leurs propriétés de la manière suivante.
Les corps de formule C'H'-O* sont, dans cette famille, les véritables combustibles de
la machine animale directement utilisables; les autres ne comptent comme aliments
qu'autant qu'ils peuvent, à la suite d'actions digestives, se transformer en l'un ou l'autre
de ces corps.
On peut les désigner génériquement sous le nom de glucoses, par extension du nom
qui s'applique plus spécialement à l'un d'eux.
Ce sont des corps très solubles dans l'eau; ils ont pour caractéristique chimique, fait
important ici, une grande facilité à s'oxyder, surtout en milieu alcalin (ce qui est préci-
sément la condition réalisée dans l'organisme) : en effet, ils réduisent, à chaud, l'azotate
d'argent ammoniacal, la liqueur de Fehling, l'azotate de bismuth dissous dans la
potasse; ils décolorent l'indigo en présence du carbonate de sodium (réaction de Mulder);
on a même reconnu récemment qu'en milieu alcalin, ils se détruisent spontanément par
oxydation à la température de l'incubation (Nenxki).
Ils agissent tous sur la lumière polarisée, mais dili'éremment les uns des autres, ce qui
permet de les distinguer facilement. La dextrose dévie à droite; la Urulose à gauche.
Ces deux corps ont été caractérisés comme constituant; le premier, une aldéhyde, et le
second, une acétone de l'alcool hexatomique CH'^O^ (Mannite). Ces constitutions rendent
compte de leurs propriétés réductrices.
A ces deux corps, il faut joindre la galactose qu'on n'a aucune raison d'en séparer au
point de vue alimentaire. Elle dérive de la même façon d'un isomère de la mannite, la
dulcite (Berthelot).
Au contraire, il faut mettre complètement à part un autre isomère, Vinosite, qui
n'exerce aucune action sur la lumière polarisée, n'est pas réductrice et ne fermente pas.
Elle se rencontre dans les aliments, et est transformée dans l'économie; mais on ne sait
rien de sa valeur alimentaire; on sait par contre qu'il s'en produit au sein de l'organisme
animal lui-même. Il faut donc l'étudier à part (Voir Inosite).
Les glucoses constituent l'aliment naturel de la levure de bière; ce schizophyte les
transforme, suivant qu'il y a ou non accès de l'oxj'gène, soit en acide carbonique et eau,
utilisant ainsi toute l'énergie potentielle de la molécule, suivant l'équation :
C H'2 0« -f 120 = 6 CO^ -h 6 Ri' 0
ou bien les dédouble simplement en alcool et acide carbonique, suivant l'équation :
C«H'20« = 2C2HS0 + 2C02.
Ce dédoublement subi sous l'influence de la levure, type de fermentation, est carac-
téristique des glucoses.
Corps en C'^ H^^ 0". — Ce sont des biglucoses, c'est-à-dire qu'ils résultent de l'union de
2 molécules de glucose avec élimination d'une molécule d'eau.
Les acides étendus à chaud, certains ferments solubles, les hj'dratent et les dédou-
blent; c'est ce qu'on appelle l'inversion.
Les deux principaux corps de cette série sont :
1° La saccharose, qui se trouve dans un grand nombre d'aliments végétaux; elle en
ALIMENTS. 331
est extraite en grand par l'industrie, et figure dans l'alimenlation, à l'état pur et cris-
tallisé, pour une part qui n'est pas à négliger.
Elle est très soluble. dévie à droite la lumière polarisée, ne réduit pas la liqueur cupro-
potassique. La levure de bière ne peut la faire fermenter qu'après l'avoir intervertie au
moyen d'une zymase spéciale. Intervertie, elle donne une molécule de glucose et une
de lévulose.
2° La lactose se rencontre dans le lait des mammifères : elle est relativement peu
soluble; dévie à droite la lumière polarisée, réduit la liqueur cupro-potassique; elle
ne peut fermenter qu'après inversion. Intervertie, elle donne 2 molécules de galactose.
Ces corps sont toujours intervertis parla digestion; non transformés en glucoses,
ils ne sont pas plus utilisables pour l'organisme animal que pour la levure de bière.
Il existe d'autres types de polyglucoses, qui présentent dans leur ensemble des pro-
priétés analogues, mais qui ont moins d'intérêt au point de vue de l'alimentation; ce
sont, par exemple, la maltose (2 molécules de dextrose), la raffinose et la mélésitose
(triglucoses).
Corps en C^H^'^O''^. — Ces corps, très variés, et difficiles à bien étudier chimiquement,
résultent de la polymérisation du premier anhydride des glucoses. Leur molécule, qui
doit être représentée par (C H '" 0 ■') '^, est de grandeur variable ; elle atteint certainement,
bien qu'on n'ait pu l'évaluer, un poids moléculaire considérable dans les formes inso-
lubles qui constituent la masse importante des tissus végétaux.
Ces corps représentent, en physiologie végétale et animale, les formes de réserve
sous lesquelles le combustible glycose est emmagasiné à l'état solide; ils reprennent très
facilement la forme soluble, en s'hydratant sous l'influence des dmsirtses sacchariflantes,
qui se rencontrent en abondance chez tous les êtres vivants.
Les substances les plus répandues et les plus importantes au point de vue de l'ali-
mentation sont les substances désignées collectivement sous le nom d'amidon ou fécule.
L'amidon se présente dans les tissus végétaux sous forme de grains à couches concen-
triques, arrondis ou polyédriques par pression réciproque ; il existe dans un grand
nombre de végétaux des réserves qui sont constituées presque uniquement par des masses
de grains d'amidons serrés les uns contre les autres (tubercules, semences); ces réserves
sont recherchées par les animaux pour leur nourriture, et elles jouent un rôle capital
dans l'alimentation de l'homme. Les grains d'amidon dilfèrent d'aspect, suivant le végé-
tal qui les a fournis; il y a peut-être là des substances différentes que la chimie n'a pas
encore réussi à caractériser; mais tous les amidons ont des propriétés communes; ils
sont insolubles; l'eau bouillante leur fait subir une transformation mal connue, par
laquelle ils acquièrent la propriété de se colorer en bleu au contact de l'iode; les acides
forts, en solution étendue et chaude, les transforment en glycoses; diverses diastases
ont la même action à froid.
C'est la possibilité de cette transformation, nous l'avons vu, qui fait leur valeur pour
l'alimentation animale. Cette transformation ne s'accomplit pas en un seul temps; en
outre de l'hydratation, il se produit une dépolymérisation ; c'est ainsi que se forment
les dextrines, encore de formule (C^H'" 0'')", mais à molécules moins élevées ; solubles, don-
nant des solutions gommeuses. Tout le rôle physiologique des dextrines peut se déduire
de cette situation intermédiaire.
A côté des dextrines doit se placer le glycogène, qui est aux animaux ce que l'amidon
est aux végétaux. Au point de vue alimentaire, le glycogène, très rare dans nos aliments,
aune importance faible, tandis qu'il en a une considérable au point de vue nutrition.
L'inuline et la lévidine sont des substances, toujours de formule C^H"'0', qui sont
voisines des matières amylacées et qui interviennent parfois dans l'alimentation. L'inuhne
se rencontre, à l'état dissous, dans les tubercules de la grande année [Inula Helenium),
du topinambour, du dahlia et dans divers champignons; par l'action des acides étendus
elle se change très facilement en lévulose; elle est au contraire assez résistante vis-à-vis
des diastases et de la levure de bière. Elle dévie la lumière polarisée à gauche, ne se
colore pas par l'iode, ne réduit pas directement la liqueur de Fehling , mais bien le
nitrate d'argent ammoniacal. La lévuline se rencontre dans les tubercules du topinambour
et dans la graine des céréales avant leur complète maturité, parfois en très grande pro-
portion (MûNTz); elle est inactive vis-à-vis de la lumière polarisée, ne réduit pas la liqueur
332
ALIMENTS.
de Fehltng; elle fermente facilement; les acides étendus et les diastases la transforment
en lévulose.
C'est donc toujours comme source d'un glucose quelconque que les h3'drates de car-
bone peuvent jouer un rôle dans l'alimentation animale.
Il faut mentionner aussi les mucilacjes, les gommes, la. pectine, qui se rencontrent très
fréquemment dans les fruits et les graisses, et qui ont également pour formule(C* H '°0'^)";
mais on ne sait pas grand'chose de leur valeur alimentaire; par hydratation, certains
mucilages et certaines gommes donnent de Varabinose, C^ H'^O^, corps dextrogyre, réduc-
teur, mais non fermentescible.
Enfin, les végétaux contiennent en abondance un autre corps ou groupe de corps en
(C^H'^O-')"; cellulose, substance insoluble, qui forme la paroi de toutes les cellules
végétales. Elle ne se laisse saccharifler ni par les diastases, ni par les acides étendus.
Par suite de sa résistance aux sucs digestifs, la cellulose serait inutilisable pour les
animaux réduits à l'action de ces sucs; mais en fait elle peut devenir pour eux une source
de glucose, par l'intervention dans les processus digestifs de fermentations microbiennes
particulières ; c'est le Bacillus amylobacter qui est l'agent de ce processus (voir Diges-
tion). Cette fermentation acquiert une grande intensité et joue un rôle considérable dans
l'alimentation des herbivores. Chez l'homme, elle est bien moins importante. Mais alors,
prenant un rôle inverse, la cellulose intervient comme empêchement à la digestion;
non seulement elle résiste pour sa part à l'acLion des sucs digestifs, mais encore elle
empêche cette action de s'exercer sur les réserves nutritives contenues dans les cellules
végétales ingérées. L'utilisation des aliments végétaux est sous la dépendance essentielle
de conditions créées par les parois cellulosiques qui ont échappé à la destruction méca-
nique (mastication, etc.) et c'est sous l'influence de ces conditions que la perte (par
non-utilisation) est beaucoup plus considérable pour les aliments végétaux que pour les
aliments animaux.
En outre, la cellulose paraît jouer dans la digestion un rôle important, comme exci-
tant mécanique des mouvements de l'intestin (Bunge).
Nous allons revenir sur ces points, mais, pour commencer, nous aurons soin d'indi-
quer à part la teneur en cellulose des aliments végétaux.
Pour les autres hydrates de carbone, au contraire, nous pouvons tous les compter
ensemble, et leur donner la valeur du glycose ; car par le fait de la digestion ils se trans-
forment finalement tous en glycose. C'est donc en poids de glycose ou, si l'on veut, en
poids d'amidon qu'il faut les compter, le calcul étant facile à faire pour passer de l'un à
l'autre. Le glycose C^ H'- 0^ pèse 180, et son anhydride en diffère par une moléculed'eau
en moins, H^O, pesant 18. C'est-à-dire que 9 d'amidon font juste 10 de glycose.
En réalité, les analyses des auteurs nous donnent le plus souvent, pour la composi-
tion des aliments végétaux, un chiffre brut, global, de matières extractives non azotées
(voir KôNiG, loc. cit., t. ii, p. 412) qui comprend et l'amidon et les hydrates de carbone
qui peuvent s'y trouver à l'état soluble; de plus, des acides végétaux, des résines,' etc.
Teneur en hydrates de carbone des aliments végétaux (par kil.).
(D'après Moleschott, cité pai' G. Pouchet, Enc. d'hygiène, 1890, t. n, p. 233.)
Riz 834,5
Farine de froment. . . . 723,9
Maïs 679,4
Seigle 663,8
Figues sèches 637,0
Dattes 614,0
Fèves 581,3
Avoine 559,0
Sarrazin 533,0
Lentilles 559,0
Pois 526,5
Haricots 499,0
Pain de froment 470,0
Châtaignes 356,5
Pommes de terre. . . . 173,3
Cerises 149,2
Raisins 143,1
Chou-rave 140,0
Champignons H7,0
Pèches 113,1
Poires 108,5
Truffes 101,0
Betteraves 92,2
Amandes 90,0
Abricots 88,5
Navets 83,8
Pommes 79,6
Fraises 50,9
ALIMENTS.
333
Teneur en cellulose des aliments végétaux (par kil.).
. . 116
42
97
Châtaignes
Raisins
38
Pommes de terre . . .
. . 64
. . 62
. . 36
Froment
32
Truffes
57
28
Mais
52
Champignons ....
'3
. . 50
og
Pois
. . 49
. . 49
. . 47
18
Seigle
. . . 15
Amandes
Riz
14
Haricots
. . 44
. . . 6
On conçoit qu'avec des quantités si variables tonte mo3'enne est impossiJale. On peut
dire cependant qu'en général la proportion de cellulose est de 5 p. 100, et que la pro-
portion d'amidon et de sucre est, dans un premier groupe (aliments amylacés), de
50 p. 100, et, dans un autre groupe (aliments herbacés et fruits), de 10 p. 100.
La richesse en hydrates de carbone caractérise l'aliment végétal. En effet, si nous
comparons l'aliment végétal et l'aliment animal, nous trouvons que les divers aliments
animaux sont très pauvres en h3'drates de carbone.
Teneur en hydrates de carbone des aliments animaux (par kil.).
Lait
Foie de veau et de bœuf.
Cervelle de bœuf. . . .
Jaune d'œuf . .
Viande de bœuf.
Blanc d'œuf . .
2,6
Ainsi une alimentation animale est caractérisée par l'absence d'hydrates de carbone, sucres
ou amylacés; nous aurons, quand nous discuterons la question du régime alimentaire,
à revenir sur cette caractéristique.
Quelle que soit la forme sous laquelle ils pénètrent dans l'organisme, les sucres, en
dernière analyse, subissent une oxydation qui les transforme en CO' +11-0. 11 est pos-
sible qu'il y ail des produits intermédiaires, mais, au point de vue therrao-cliimique,
ces étapes transitoires sont sans importance. Comme l'a bien montré Berthelot, dans
une série d'admirables travaux, tout dépend de l'état final et de l'état initial.
Or la chaleur de combustion du glucose est, par molécule, de 673. Autrement dit,
6 atomes de C du glycose produisent 673 calories. Comme 6 atomes de C pur produisent
par leur combustion 564 calories, la valeur alimentaire du carbone des hydrates de
carbone est plus grande (d'un sixième environ) qu'elle le, serait si, au lieu d'ingérer du
carbone sous la forme d'amidon, nous l'ingérions sous la forme de carbone pur.
Ainsi, 180 grammes de glycose produisent 673 calories, ce qui donne sensiblement
à 1 gramme de glycose une valeur thermique de 3"'', 75.
Comme on peut évaluer à 2 500 calories environ la quantité de chaleur produite par
un homme dans les conditions habituelles, il s'ensuit que la quantité' d'hydrates de
carbone nécessaire et suffisante pour entretenir la chaleur normale serait en poids de
670 grammes de glycose. En forçant un peu ce chiffre, on peut admettre le chiffre de
700 grammes, en supposant que nul autre aliment,graisse ou albumine, ne soit introduit
en même temps que le sucre.
En nous reportant alors avi tableau précédent, on voit que la quantité de matière
alimentaire nécessaire pour la vie, au seul point de vue de la chaleur, serait, en poids,
pour les aliments ci-dessus mentionnés :
Riz . . .
Froment.
Pois. . .
8.50
1 300
Pommes de terre.
Raisins. . . . . .
Lait
4 000
5 000
17 000
Mais ces chiffres ne signifient pas grand'chose, car le lait, par exemple, contient
des graisses et de la caséine, qui servent aussi à la production de chaleur. Le froment
et les pois, comme la plupart des céréales, contiennent aussi des matières combustibles
qui ne sont pas des hydrates de carbone, et qui servent à la production de chaleur.
A vrai dire, dans l'alimentation végétale, une bonne partie des substances amyla-
33i
ALIMENTS.
cées ou cellaJosiques introduites passent dans le tube digestif sans être altérées. Ce
point spécial et important a. été étudié avec soin par beaucoup d auteurs, dont M. Voit
rapporte les expériences {H. H., t. vr, pp. 472 et suiv.).
C'est surtout M. Rubner qui a étudié ces imparfaites digestions des aliments végé-
taux, et voici quelques-uns des résultats obtenus.
Soit 100 la quantité des hydrates de carbone ing:érée, qiieUe a été la proportion
retrouvée inattaquée dans les matières fécales '?
Pain noir.
Macaroni.
1,4
0,S
10,9
1,2
2,3
1,6
Mais
Riz
Pommes de terre.
Carottes
Lentilles
3,2
0,9
7,6
18,2
3,6
7,0
Ainsi, chez l'homme, l'utilisation des hydrates de carbone est très complète, quand
il s'agit de matières amylacées ou sucrées, puisqu'il n'y a guère que 3 à 4 p. 100 de cet
amidon qui échappe à la digestion.
Mais quand beaucoup de cellulose mélangée aux aliments, comme, par exemple,
quand il s'agit de l'ingestion alimentaire faite par les grands animaux herbivores, il
en est tout autrement.
D'après ELLENBER&Ea [T. P., 1890, i p. 849,), le cheval ne digère que So p. 100 de
la cellulose ingérée, le veau SO p. 100, le mouton 30 p. 100, le porc 3o p. 100.
Bien entendu, ces chiffres varient avec le temps. Six heures après l'ingestion d'a-
voine, un porc n'avait digéré que oO p. 100 des matières ternaires ingérées, et, au bout
de 26 heures, il restait encore 32 p. 100 des hydrates de carbone (cellulose et amidon)
de l'avoine à digérer.
D'après Bunge [loc. cit., p. 76), on a mélangé de la sciure de bois et du papier à du
foin, et on a vu que la quantité consommée passait de 30 à 80 p. 100.
Weiske (cité par Bunge) a essayé de voir, par des expériences faites sur lui-même,
la proportion de cellulose consommée, et il a trouvé, en se nourrissant de choux, de
céleris et de carottes, qu'il en consommait 62 p. 100. Knierie.x a constaté qu'il absorbait
seulement 2o p. 100 de la cellulose de la salade.
En somme, d'une manière générale, on peut dire que, de la cellulose, il n'est digéré
que 40 p. 100, et que, par conséquent, les aliments riches en cellulose sont essentielle-
ment défectueux, puisqu'il faut en ingérer 230 grammes pour avoir un effet utile de
100 grammes.
Mais les aliments cellulosiques ne sont pas peut-être aussi inutiles qu'on le suppo-
serait d'abord. En effet, ils ont un rôle mécanique, en facilitant l'absorption des élé-
ments, graisses ou albuminoides, auxquels ils sont mélangés. Des animaux herbivores,
nourris sans cellulose, avec des quantités suffisantes, et même trop fortes, de malières
alibiles, finissent par mourir de volvulus et d'inanition.
Ce fait que les aliments se trouvent mélangés à de la cellulose exerce, sur la quan-
tité de la masse alimentaire à ingérer, et, par conséquent, sur les processus mêmes de
la digestion, une influence prépondérante. De sorte que, pour bien faire, il faudrait di-
viser les animaux non en herbivores et carnivores, mais en cellidosivores, et non cellu-
losivores. Car, au lieu d'ingérer 100, il faut ingérer 2o0, quand les aliments sont cellu-
losiques ; de là la nécessité d'une alimentation très abondante, et d'un appareil digestif,
intestinal, très long et très volumineux.
Non seulement, en effet, la cellulose est difficilement assimilable, mais encore elle
oppose, par sa présence même, une grosse résistance à l'absorption, par les sucs diges-
tifs, des matières albuminoides ou féculentes. Chez les animaux qui se nourrissent de
foin, de luzerne, de paille, de trèlle, les matières albuminoides nutritives, perdues au
milieu d'un grand amas de cellulose, ne sont que très imparfaitement assimilées, et il
n'y a guère que aO p. 100 de l'albumine ingérée qui soit absorbée et transformée. La
moitié de cette albumine passe inaltérée dans les fèces.
Au contraire, chez les carnivores, les fèces ne contiennent que très peu de matières
alimentaires non absorbées ; par exemple, chez les chiens nourris exclusivement avec de
ALIMENTS. 333
la viande, les fèces sont peu abondantes, et tout ce qui a été ingéré a été assimilé.
HoFMANN, nourrissant un homme avec 207 grammes de lentilles, i 000 grammes de
pommes de terre et 40 grammes de pain, constata que le poids des fèces sèches était
de 116 grammes, avec 47 p. 100 de l'azote ingéré. Le même individu, étant nourri avec
390 grammes de viande et 126 grammes de graisse, avait seulement 28 grammes de fèces
sèches, avec 17 p. 100 de l'azote ingéré.
Graisses. — La notion de graisse est une notion vulgaire, très ancienne; les
graisses constituant fréquemment, rhez les végétaux comme chez les animaux, des ré-
serves localisées dans certaines parties de l'organisme, d'où il est très facile de les sé-
parer. Ces substances présentent des propriétés organoleptiques, particulièrement au
toucher, qui sont typiques. Depuis les travaux mémorables de Chevreul (1813), on sait
que ces corps ont une constitution chimique particulière. D'ailleurs la chimie a pu
obtenir des substances nouvelles qui présentent ces mômes propriétés organolep-
tiques, avec une constitution chimique toute différente, par exemple, les vaselines.
Seules, les vraies graisses, les éthers gras de la glycérine, oni une valeur alimentaire; les
hydrocarbures, telles que les vaselines, ont beau lui ressembler à un tel point que la
fraude puisse en introduire à leur place dans nos aliments, l'organisme animal ne peut
tirer aucun parti de l'énergie potentielle considérable contenue dans ces corps. Et
même, certains corps qui sont de vraies graisses au point de vue chimique, peuvent ne
pas être des aliments. Ainsi, les corps gras à point de fusion supérieure à s> ne sont,
en général, pas assimilables'.
Toutes les graisses qui entrent dans l'alimentation, qu'elles proviennent d'animaux
ou de plantes, sont des mélanges d'un petit nombre dé substances chimiques, et la com-
position centésimale de ces graisses est, à très peu de chose près, toujours la même.
ScHULZE et Reineck- ont analysé à ce point de vue les graisses de bœuf, de mouton, de
porc, de cheval, de chien, de chat et d'homme, ainsi que le beurre. Les chiffres obte-
nus s'écartent extrêmement peu de la moyenne suivante :
C. 76,5; H. 11,9; 0. 11,6.
KoNiG^ donne un tableau dont les données sont empruntées pour la plupart à ses
propres recherches, oij l'on voit la composition élémentaire de 33 espèces de graisses
végétales. Les chiffres sont plus différents, mais les oscillations sont encore assez petites
eu égard aux provenances très diverses. Ainsi la proportion varie pour le carbone, entre
74 et 78; pour l'hydrogène, entre 10,3 et 12; pour l'oxygène, entre )S,7 et 9,4. Encore
ces termes extrêmes sont-ils très peu représentés, et pour la plupart des espèces, la
composition s'écarte peu de 76 à 77 pour le carbone, 11 à 12 pour l'hydrogène, 11 à 13
pour l'oxygène. C'est-à-dire que la moyenne donnée ci-dessus pour les graisses animales
est en somme valable pour l'ensemble des graisses naturelles.
Au point de vue de la constitution chimique, les trois corps que l'on rencontre prin-
cipalement dans les graisses sont la tripalmitine, la tristéarine et la trioléine; ils sont
constitués par la combinaison de trois molécules d'acides palmiiique, stéarique ou oléique
(d'où leurs noms) avec une molécule de glycérine, alcool triatomique. Sous diverses
influences, la combinaison se dissocie; les alcalis lui enlèvent ses acides, et forment des
stéarates, palmitates, oléates alcalins [savons), tandis que la glycérine est reconstituée et
mise en liberté; la vapeur d'eau surchauffée, ainsi que certains ferments solubles, par
exemple un ferment du pancréas, dédoublent les corps gras par fixation de 3 molécules
d'eau et mettent en liberté d'une part les acides, de l'autre la glycérine.
Les acides palmitique et stéarique dérivent d'hydrocarbures de la série saturée ; ils
sont par conséquent de la famille de l'acide formique; l'acide oléique, de la série non
saturée, se rattache à l'acide acrylique.
La tripalmitine et la tristéarine sont solides à la température ordinaire; la trioléine
est liquide. Ces corps sont insolubles dans l'eau et dans l'alcool froid, solubles dans
l'élher, le chloroforme, les hydrocarbures; ils sont aussi solubles les uns dans les autres.
1. J. MuNK, Therap. Monatsk., 1888, cité par Lambling.
2. Cités par Voit, H. H., t. vi, p. 403.
3. Op. cit., t. u, p. 384.
336 ALIMENTS.
Les eaux alcalines les dissolvent en les saponifiant. Ils ne distillent pas, et ne se laissent
pas entraîner par la vapeur d'eau. Liquides ou dissous dans des dissolvants volatils, ils
laissent sur le papier des taches d'un aspect caractéristique.
Agités à l'état liquide avec de l'eau qui contient de l'albumine ou des mucilages, ils
se divisent en fines gouttelettes qui, ne pouvant se réunir, restent en suspension; le liquide
prend un aspect blanc, opaque, comme le lait. Cet état des graisses s'appelle émulsion;
l'aspect du lait lui-même tient à la présence du beurre à l'état d'émulsion. Les sucs
intestinaux jouissent à un haut degré de la propriété d'émulsionner les graisses.
Les acides libres ressemblent beaucoup aux graisses mêmes dont il font partie. Les
acides palmitique (C'H^'O.OH) et stéarique (C'*H'»O.OH) sont solides à la tempéra-
ture ordinaire et fondent à une température peu élevée : ils sont blancs, gras au toucher,
insolubles dans l'eau, solubles dans l'alcool bouillant, l'éther, le chloroforme, l'acide
acétique, les graisses. Ils cristallisent facilement par le refroidissement de leur solution
alcoolique. L'acide oléique C* H''-^ 0. OH est liquide à la température ordinaire; il pré-
sente les mêmes solubilités que les deux précédents et peut les dissoudre.
Les solutions de ces acides ne rougissent pas le papier de tournesol.
Les graisses sont facilement combustibles à l'air libre et brûlent avec une flamme
éclairante et même fuligineuse, à cause de la grande quantité de carbone qu'elles contien-
nent; cette propriété a été utilisée dès la plus haute antiquité pour l'éclairage (lampes
et chandelles); leurs acides présentent les mêmes propriétés et sont aujourd'hui utilisés
dans le même but (bougies).
La chaleur de combustion des graisses et des acides gras est considérable. Lou-
gcinine' a trouvé pour i gramme d'acide palmitique O"-''', 264 et pour 1 gramme d'acide
sléarique 9'='', 443. On n'a pas déterminé la chaleur de combustion de la stéarine, de la
palmitine ni de l'oléine, à cause de la très grande difficulté d'avoir ces corps bien purs.
Voici,' déterminées par Stohmann -, les chaleurs dégagées par 1 gramme de quelques
graisses naturelles.
Cal.
Graisse de porc 9,380
— de mouton 9,406
— humaine 9,398
Huile d'olive 9,328
Beurre 9,192
Les graisses naturelles sont en réalité des mélanges en proportions variables de stéa-
rine, de palmitine et d'oléine; de plus il y a fréquemment, surtout dans les graisses
végétales, une certaine proportion d'acides libres. C'est la plus ou moins grande propor-
tion d'oléine qui détermine la consistance du mélange, celle-ci étant d'autant moins
ferme que l'oléine s'y rencontre en plus grande quantité; lorsque la proportion d'oléine
est suffisante, la graisse est liquide à la température ordinaire, tous les autres compo-
sants étant dissous dans l'oléine : la graisse porte alors le nom d'huile. On voit que cette
question d'état solide ou liquide est toute relative ; l'huile d'olive est solide ou demi-
solide en hiver, et, dans les pays chauds, le beurre est souvent presque liquide.
Le beurre frais n'est pas de la graisse pure; il retient toujours des quantités de petit
lait, plus ou moins grandes, [suivant les soins avec lesquels il a été fabriqué, petit lait qui
lui ajoute, outre de l'eau, de la caséine, du sucre de lait et des sels.
Mais lu graisse du beurre elle-même, séparée de ces impuretés, se distingue des autres
graisses animales, en ce qu'elle contient, à côté des corps gras que nous venons de passer
en revue, une certaine quantité de glycérides des acides gras inférieurs, volatils ; acides
butyrique, caproïque, caprylique, caprique. Duclaux^ donne les proportions suivantes
(pour 100) de ces acides qu'il a dosés dans 8 échantillons de beurre de vache.
Acide butyrique 3,38 à 3,65
Acides caproïque, et autres 2,00 à 2,26
1. Cité par Lambling, op. cit., p. 100.
2. Cité par Lambling, ibid.
C. R., 1886, t. 102, p. 1022, cite par Kônig, op. cit., t. u, p. 301.
ALIMENTS. 337
La teneur des beurres en acides gras inférieurs, d'après Kônig, est soumise à des
variations assez considérables suivant la nourriture, la race de la vache, la façon dont le
beurre a été préparé et conservé, etc.
Les beurres de chèvre et de brebis contiennent sensiblement la même proportion
d'acides gras volatils que le beurre de vache (E. Schmidt ').
Ces acides gras inférieurs, volatils, possèdent des odeurs désagréables; leurs glycé-
rides sont inodores, mais les niicrobes qui pullulent au bout de quelque temps dans le
petit lait, retenu par le beurre, saponifient en partie les graisses de celui-ci, et l'acide
butyrique mis en liberté exhale alors l'odeur bien connue du beurre rance.
Les acides gras dégagent d'autant plus de chaleur -dans leur combustion que le
nombre d'alomes de carboné est plus élevé. Les acides gras inférieurs dégagent moins
de chaleur que ceux que nous avons étudiés plus haut. Ainsi l'acide oaprylique C^H"'0'-
dégage, d'après Loo&uinine, seulement 7°=^', 907. C'est, à cause de la présence d'éthers
glycériques de ces acides que la graisse du beurre, comme on a pu le remarquer dans le
tableau donné plus haut, a une chaleur de combustion un .peu moindre que celle des
autres graisses.
Les corps gras et les acides gras introduits dans le tube digestif sont, au moins pour
la très grande partie, absorbés en nature; l'action des sucs digestifs n'a pour but que de
les amener à un état tel qu'ils puissent être absorbés, soit qu'ils soient émulsionnés et
absorbés à l'état de fines gouttelettes, soit qu'ils soient saponifiés dans l'intestin, puis
recombinés à l'état de graisse neutre dans leur passage à travers la muqueuse intestinale-;
ils sont emportés à l'état d'émulsion par les lymphatiques et versés dans le sang; une
très petite quantité seulement pénètre à l'état de savon (Voir Absorption, Digestion et
Graisses).
La preuve que les graisses de l'alimentation passent dans l'organisme à l'état de graisse,
c'est que, lorsqu'elles sont fournies en excès et se déposent sous forme de réserves, ces
réserves affectent le caractère des graisses ingérées, et peuvent dans certains cas difï'érer
nettement de la graisse naturelle de l'animal. C'est J. Munk qui a donné cette démons,
tration élégante ■'. Après avoir fait par le jeune disparaître toute la graisse d'un chien, il
lui donna une ration qui comprenait en abondance de l'huile de colza. Quand le chien
fut sacrifié au bout d'un certain temps, on trouva dans ses organes une graisse qui était
presque liquide à la température ordinaire; à l'analyse, cette graisse donna 82 p. 100
d'acide oléique et 12, o d'acides solides, tandis que la graisse de chien normal contient
66 d'acide oléique et 29 d'acides solides. En outre, Munk put démontrer dans cette
graisse la présence d'un acide gras particulier, l'acide érucique (C-^H"O.OH), élément
de l'huile de colza, qui fait complètement défaut dans la graisse animale naturelle.
D'autre part, les graisses et les acides gras, quand ils sontbriilés dans l'organisme, le
sont complètement et subissent la transformation jusqu'aux produits ultimes, eau et
acide carbonique. Il s'ensuit que les chaleurs de combustion observées par la bombe
calorimétrique valent pour la combustion dans l'organisme.
Nous n'avons pas parlé de la chaleur de combustion de l'autre composant des graisses,
la glycérine; cette chaleur est pourtant assez considérable; elle est de 392 calories'* pour
une molécule pesant 92 grammes, soit 4'>»',29 par gramme, à peu près la même que
celle de l'amidon. Mais il n'importe pas au physiologiste de connaître la valeur com-
bustible de la glycérine libre^, puisqu'elle est presque toujours ingére'e en combinaison
avec les acides gras. De fait, elle est comprise dans la molécule graisse, brûlée et comptée
comme telle; on n'a donc pas à s'en occuper à part.
Voici la teneur en graisses de quelques aliments végétaux (par kilo), d'après Moles-
CHOTT, cité par PoucHET :
•1. Cité par Kônig, op. cit., t. ii, p. 303.
2. Perewoznikoff a démontré la réalité de cette synthèse, C. W., 1816.
3. A. Db., 1883 et A. V., 1884, cité par Bunge, p. 359.
■ 4. LouGuiNiNE (cité d'après VAtmtiaire du bureau des Longitudes).
S. MuNic dénie toute valeur alimeatairo à la gl)'cérine libre; mais il ne convient peut-être pas
de se montrer dès maintenant aussi négatif (Voir Bunge, pp. 337 et 358). Nous reviendrons d'ail-
leurs plus loin sur la valeur alimentaire des alcools en général.
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 22
338
ALIMENTS.
Teneur en graisses des aliments végétaux.
Pommes de terre. . .
. . 1,5
. . 2,0
. . 2,0
.... 19,5
Dattes
Pois
Lentilles
.... 19,5
•^4 0
Champignons
. . 2,5
. . 3,0
. . 8,0
. . 8,5
. . 9,0
.... 27,0
.... 48,0
Riz
Avoine
.... o5,0
.... 55,0
Colza
.... 350,0
. . 10,0
. . 18,0
.... 540,0
Froment
Noisettes
.... 600,0
On peut ainsi, en faisant exception des amandes, noix, noisettes qui contiennent près
de 30 p. 100 de graisse (amandes oléagineuses), constater que les céréales ont environ
0 p. 1000, les légumineuses 20 p. 1000; et enfin les autres fruits et légumes herbacés ou
amylacés de 2 à 10 p. 1000.
Nous trouvons dans les aliments animaux de plus fortes proportions de graisses.
Voici la teneur en graisses{par kilo).
Teneur en graisses des aliments animaux.
Poisson maigre
Blanc d'œuf. .
Viande de bœu
Chevreuil. . .
(brochet; . .
f (maigre) . .
a
10
15
19
25
25
35
Lait
45
47
Saumon
Viande de porc (maigre). . . 57
Hareng frais 103
Cervelle de boeuf. 165
Fromage 242
Viande de bœuf (grasse). . . 260
Anguille 280
Jaune d'œuf 320
Viande de porc (grasse). . . 370
Substances albuminoïdes. — Les deux groupes de substances que nous venons
d'étudier ne contenaient que du carbone, de l'hydrogène et de l'oxygène, trois éléments
seulement, d'où le nom de substances ternaires qui leur est souvent donné. Celles dont
nous avons à nous occuper maintenant en contiennent quatre en proportion importante
(c'est-à-dire de l'azote en plus des trois corps précédents), d'où leur nom de substances
quaternaires ; en réalité, elles contiemient presque toujours un cinquième élément, le
soufre.
La composition centésimale oscille en général entre les limites suivantes ' :
C.
H.
Az
S.
0.
50,0 à 53,0
6,5 — 7,3
15,0 — 19,0
0,4 — 5,0
19,0 — 24,0
Étant déjà plus compliquées que les substances ternaires par le nombre des espèces
d'atomes qui entre dans leur molécule, elles le sont encore bien davantage, si l'on consi-
dère le nombre total d'atomes qui constituent cette molécule el les groupements que ces
atomes constituent.
En effet, le poids moléculaire du glucose est de 180; celui de l'amidon est sans doute
plus considérable, au moins trois fois ce nombre (moins le poids de 3 molécules d'eau);
mais cet amidon n'est constitué que par polymérisation, c'est-à-dire par le groupement
de molécules identiques entre elles; les graisses ont un poids moléculaire voisin de 700
à 800. Pour les substances albuminoïdes, la grandeur de la molécule est bien autre;
celte grandeur même en rend l'étude très difficile, et les chimistes, malgré de belles
expériences, n'en ont pas encore élucidé la structure; pourtant, diverses considérations
sur des cas particulièrement favorables à l'étude ont conduit à admettre les valeurs
suivantes pour les poids moléculaires jjjînwîn de quelques corps de ce groupe; nous don-
nons aussi le nombre d'atomes de carbone -.
1. Lambling, /. c, p. 62.
2. Tableau emprunté à Lambling, l. c, p. 98.
ALIMENTS. 339
Albumine de l'œuf (Harnack) 4 618 C^»!
— — (Schutzenbep.ger). . . . 5 478 C-'*''
— — (Gautier; 3 739 C^s»
Globuline des semences de courge 6 637 G-''-
Hémoglobine du cheval 16 218 CSS"
— du chien 16 077 C^e
Ces molécules énormes sont extrêmement complexes; l'étude de leurs fonctions et de
leurs radicaux^a été faite plus haut CVoyez Albumino'ides).
Les données qui nous sont nécessaires ici sont les suivantes :
Les matières albuminoïdes sont généralement solubles, soit dans l'eau pure, soit dans
les solutions étendues de sels neutres des métaux alcalins : quelques-unes sont inso-
lubles dans ces conditions; elles se dissolvent dans les alcalis ou les acides étendus; il
s'agit alors d'une combinaison chimique avec l'alcali ou l'acide.
Les matières albuminoïdes ne traversent pas ou ne traversent qu'avec une extrême
lenteur les membranes animales : elles ne sont pas dialysables.
Une chaleur même inférieure à 100° les coagule : ce phénomène consiste en un chan-
gement chimique de nature encore inconnue.
Elles sont précipitées de leurs solutions par un grand nombre de réactifs; à noter
que la plupart de ces réactifs sont ceux qui précipitent les alcaloïdes.
Toutes les matières albuminoïdes en solution dévient à gauche le plan de la lumière
polarisée; la grandeur de cette rotation est un caractère spécifique.
Au point de vue de leur constitution, les matières albuminoïdes doivent être consi-
dérées comme étant essentiellement des amides. Leur dédoublement par hydratation
a fourni à Schutzenberger les produits suivants :
L'ammoniaque,
L'acide carbonique,
L'acide oxalique.
L'acide acétique,
La tyrosine,
Les acides amidés de la série C" H-" + 'AzO-,
Les acides amidés de la série C''H^''-'AzO*,
Les leucéines C"H-"-- Az-0',
Les glucoprotéines C"!!-" Az^O*.
L'ammoniaque, l'acide oxalique et l'acide carbonique sont en quantité exactement
nécessaires pour former de l'urée et de l'oxamide. C'est pourquoi on admet, après
Schutzenberger, qu'une partie de la molécule est construite par substitution à partir
de l'urée :
GO
et l'autre partie à partir de l'oxamide :
/ AzH —
AzH —
CD - AzH —
I
CO — AzH —
La présence de la tyrosine parmi les produits de dédoublement indique l'existence
dans les substances albuminoïdes d'un noyau aromatique.
Nous ne nous occuperons pas ici de la classification chimique des matières albumi-
noïdes. Au point de vue de l'alimentation, toutes celles qui répondent aux caractères que
nous avons indiqués s'équivalent, ou plus exactement, la science jusqu'ici n'a pu faire
aucune distinction entre ces diverses substances quant à leur valeur nutritive.
Mais il y a une substance qui est très voisine de celles-là, qui a la même composi-
tion centésimale, qui précipite par un grand nombre des réactifs qui précipitent l'albu-
mine et donne la plupart des réactions colorées que donne l'albumine ; elle s'en dis-
tingue : 1° par sa solubilité très grande dans l'eau chaude, sans modification, tandis
qu'à froid elle reprend la forme solide, la forme de gelée si elle contient beaucoup d'eau
interposée (c'est cette propriété qui lui a valu son nom de gélatine); 2° par les produits
340 ALIMENTS.
de (lÈdoublement qu'elle fournit; la principale différence est l'absence parmi ces produits
de la tyrosine.
On avait attaché une grande importance à cette absence de la tyrosine, et Drechsel '
en avait fait un caractère de classification, rangeant d'une part les substances dont la
décomposition fournit des matières aromatiques, de l'autre celles qui n'en fournissent
pas.
Mais, depuis les récents travaux de Maly- sur l'albumine et la gélatine, une semblable
distinction ne peut plus être maintenue, et l'absence de tyrosine apparaît comme tout
à fait secondaire. En effet, la gélatine fournit, non de la tyrosine, il est vrai, mais une
autre substance aromatique, l'acide benzoïque. Et Maly a étudié un corps, l'acide
oxyprotéine sulfurique, qui est bien un albuminoïde vrai, non dédoublé, enrichi seu-
lement par l'action du permanganate de potassium de quelques centièmes d'oxygène,
mais qui, décomposé par hydratation, abandonne son groupe aromatique sous forme
d'acide benzoïque et non plus sous forme de tyrosine.
Mais que la différence chimique entre la gélatine et les substances albuminoïdes
soit plus petite qu'on ne l'avait supposé, que la gélatine contienne ou ne contienne pas
les mêmes groupements d'atomes que ces substances, il n'en existe pas moins, au point
de vue physiologique, une différence énorme entre la gélatine d'une part et les albumi-
noïdes de l'autre, comme nous le verrons plus loin. Toutefois, au point de vue qui nous
occupe plus spécialement en ce moment, à savoir l'assimilabilité et l'utilisation pour la
calorification, elles peuvent être provisoirement confondues.
Les substances albuminoïdes ne peuvent être directement assimilées; il faut qu'elles
soient transformées par les sucs digestifs. Nous n'entrerons pas ici dans le détail des
transformations qu'elles subissent par l'action nécessaire du suc gastrique (acide
chlorhydrique et pepsine) et du suc pancréatique (pancréatine ou trypsine). Le résultat
flnal est la formation depepiones; ces nouvelles substances répondent sensiblement à la
même composition centésimale que les albuminoïdes; mais elles s'en séparent par
diverses propriétés; les deux plus importantes, c'est que : 1° les peptones sont très solu-
bles à chaud comme à froid et ne coagulent pas par la chaleur ni les acides; 2° elles
sont diffusibles et dialysables. En outre, elles restent insensibles à divers réactifs qui
précipitent les albuminoïdes.
On discute encore sur la question de savoir quelle est la nature de la transforma-
tion qui s'est opérée dans le passage des substances albuminoïdes à l'état de peptones;
pour les uns, qui s'appuient surtout sur l'identité de composition centésimale, la molé-
cule d'albumine a été simplement une ou plusieurs fois dédoublée ; tout indique, en
effet, que la molécule de peptone est considérablement plus petite que la molécule
d'albumine; mais, pour les autres, ce dédoublement s'est accompagné d'une hydratation.
11 faut remarquer, en effet, que l'adjonction de quelques atomes d'hydrogène et d'oxy-
gène à une molécule qui en contient déjà des centaines ne donne pas une modification
bien appréciable delà composition centésimale: l'argument donné contre l'hydratation
n'est donc guère probant. Il y a à alléguer pour l'hydratation les faits suivants : de
l'albumine chauffée envase clos avec de l'eau, simplement, se peptonise; inversement,
certains agents de déshydratation, l'anhydride acétique (Hennin&er), la dessiccation à
130° (Hofmeister), transforment les peptones en corps doués de propriétés semblables à
celles des albuminoïdes.
Un point qui reste encore plus douteux, c'est de savoir si, à chaque espèce d'albu-
minoïde correspond une peptone, ou s'il y a un petit nombre seulement de peptones,
ou même une seule peptone. On voit tout de suite combien cette question est impor-
tante pour la théorie du rôle alimentaire des albuminoïdes; s'il n'y avait qu'une seule
peptone, en effet, on serait en droit de compter en bloc, comme on l'a fait d'ailleurs
par nécessité, toutes les albuminoïdes de l'alimentation la plus variée, toutes ces albu-
minoïdes se trouvant, par la digestion, ramenées, pour l'organisme, à une seule et
même substance, la pe2:)tone; mais ou ne peut rien affirmer là-dessus; ce qu'on sait,
1. Ladenburgs. Handworterbuch cier Chemie. Breslau, 1885, t. ni, p. 549; cité d'après Lam-
BLING, p. 73.
2. Monaish. f. Chemie, t. s, p. 26; cité d'après Lambling.
ALIMENTS. 3/^l
c'est que les peptones de la fibrine, de l'albumine, de la caséine, se ressemblent beau-
coup plus entre elles que ne le font les albuininoïdes dont elles proviennent; la seule
différence appréciable réside dans la grandeur du pouvoir rotatoire, qui est toujours
lévûgyre comme pour les albuminoïdes.
La gélatine, sous les mêmes inlluences que les véritables albuminoïdes, donne aussi
une peptone, et celle-ci se rapproche par tous ses caractères chimiques et physiques des
peptones d'albuminoïdes; mais ici la question de non-identité est jugée physiologique-
ment, puisque la gélatine ne peut pas complètement remplacer les albuminoïdes dans
la ration alimentaire.
Si les albuminoïdes ne sont pas absorbables, les peptones, de leur côté, ne sont pas
assimilables pour les tissus lorsqu'elles sont introduites directement dans le sang; elles
sont, dans ce cas, éliminées par l'urine (Wassermann^). Il faut donc qu'elles soient
transformées; c'est dans la paroi intestinale elle-même que s'opère cette trans-
formation. On ne trouve, en effet, pas de peptone dans les veines pendant la digestion
(Wassehmann), bien que divers auteurs aient cru en trouver, trompés vraisemblablement
par une précipitation incomplète des albuminoïdes du sang. Il y a sans doute reconsti-
tution de l'albuminoïde aux dépens de la peptone, par déshydratation de celle-ci; l'épi-
thélium intestinal possède en effet ce pouvoir déshydratant, puisque nous savons qu'il
recombine les éléments des graisses saponifiées (Perewozniroff).
Il existe un groupe de substances qui se rattachent étroitement aux albuminoïdes,
mais qui s'en distinguent par la façon dont ils résistent à l'action peptonisante des
sucs digestifs ; c'est cette propriété qui les a fait découvrir, et c'est grâce à elle qu'on
les sépare des albuminoïdes auxquelles elles sont mêlées. Lorsqu'en effet on a fait
agir sur les globules du pus ou sur la laitance (spermatozoïdes) de poisson le suc gas-
trique à basse température, et qu'on épuise le résidu inattaqué par une solution faible
de carbonate de soude, on obtient en solution une substance qui se précipite lorsqu'on
ajoute un peu d'acide. Miescher^, qui l'a découverte dans ces conditions, lui a donné
le nom de nudéine; on retrouve, en effet, des substances de ce genre dans toutes les
cellules animales ou végétales qui sont douées d'une grande activité, et généralement
ces cellules ont un noyau volumineux; il est probable que les noyaux cellulaires sont
constitués en grande partie par de la micléine, mais on en trouve également dans la
levure de bière qui n'a pas de noyau, ainsi que dans le jaune d'œuf, et, en petite
quantité, dans le lait.
Les nucléines sont caractérisées chimiquement par la présence du phosphore : la
nucléine du pus en contient 2 à 3 p. 100; la nudéine du lait, 4,6; celle du jaune
d'œuf, 6 à 7; et celle de la laitance du saumon, jusqu'à 9,6.
Les nucléines sont très peu ou pas solubles dans l'eau pure, très solubles dans les
solutions légèrement alcalines (carbonate de sodium, phosphate disodique, etc.); elles
jouissent de propriétés acides marquées. Elles abandonnent peu à peu leur phosphore
sous des inlluences dissociantes même légères, l'ébuUition de leur solution par exemple,
et leur teneur en phosphore varie sensiblement suivant le temps pendant lequel on a
laissé agir sur elles le suc gastrique et suivant la température à laquelle s'est faite
cette réaction ; à mesure qu'elles perdent de leur phosphore, elles reviennent aux pro-
priétés générales des albuminoïdes. Décomposées par l'aclion d'un acide minéral étendu et
chaud, les nucléines donnent, entre autres produits de dédoublement, toute la série des
bases xanthiques {KossEhj. Par oxydation, elles donnent de Vacide i^ngMe (Horbaczewski).
BoNGE^ a décrit en outre des nucléines contenant du fer. Reprenant la séparation de la
nucléine du jaune d'œuf, suivant le procédé de Miescheb, mais avec un suc gastrique
moins acide, qu'il faisait agir avec une extrême précaution, il a obtenu un corps doué
despropriétés générales des nucléines etrépondant à la composition centésimale suivante :
C : 42,11 —H : 6,08 — Az : 14,73 — S : 0,55 — P : 5,19 — Fe : 0,29 — 0 : 31,03.
BuNGE attribue à cette combinaison, qu'il appelle hématogène, une grande importance
1. D. P., 1885.
2. Medicinische chemische Untersuchunqen, de Hoppe-Seyler, p. 441.
3. Z. P. C, 1884 (Voir son Cours de Chim. biol., pp. 92 et suiv.).
34-i
ALIMENTS.
alimentaire ; d'après lui, ce serait la forme assimilable du fer, non seulement pour l'em-
bryon de poulet, ce qui n'est guère contestable, mais pour tous les animaux qui trouve-
raient des combinaisons de ce genre dans les aliments tant végétaux qu'animaux. Les
raisons théoriques qu'il donne semblent très bonnes, mais jusqu'ici la théorie n'est
pas appuyée sur des expériences directes. Une des grandes difficultés, c'est l'indigesti-
bilité de cette nucléine'.
Toutes les nucléines d'ailleurs, nous l'avons vu, sont dans le même cas; aussi leur
rôle dans l'alimentation reste fort obscur; il serait téméraire de leur refuser toute uti-
lité, car, si l'on sait que des nucléines inaltérées passent dans les fèces, on n'a jamais fait
de dosages comparatifs entre les entrées et les sorties pour savoir s'il n'y en avait pas
une portion quelconque d'assimilée; et, d'autre part, comme le fait remarquer BuiNGE,
la présence de nucléine dans le lait plaide en faveur de son utilité comme aliment.
Les matières albuminoïdes assimilées, puis utilisées, sont éliminées sous forme d'eau,
d'acide carbonique, d'acide sulfurique et de matières azotées diverses contenant encore
une quantité notable d'énergie potentielle ; pour évaluer la quantité de chaleur qu'elles
ont livrée à l'organisme, il faut donc retrancher de leur chaleur de combustion la cha-
leur de combustion de ces produits azotés excrémentitiels.
Nous disons chaleur de combustion, cela n'implique nullement que les matières albu-
minoïdes soient décomposées dans l'organisme uniquement par un processus d'oxyda-
tion; nous n'avons pas besoin de savoir quelle part il faut attribuer dans le phénomène
à ce processus et quelle part au processus d'hydratation. Pour le calcul de la chaleur
dégagée, peu importe, nous n'avons qu'à appliquer le théorème de Behthelot sur l'état
initial et l'état final; la différence des chaleurs de combustion entre ces deux états doit
toujours nous donner la somme de chaleur dégagée par l'ensemble des processus inter-
venus, quels qu'ils soient.
Voici les chaleurs de combustion de diverses substances albuminoïdes, déterminées
par Berthelot et André -, précisément dans les conditions où nous avons besoin de les
connaître, c'est-à-dire avec oxydation complète du soufre àl'état d'acide sulfurique dissous.
Les chiffres sont exprimés en petites calories pour un gramme de matière ■'.
5 690
5S32
5 731
5 913
3 629
5 414
Fibrine du sang
Chair musculaire (dégrais-
Cliondrine
Vitelline
. . 3 346
. . SIS't
Fibrine végétale. . .
Gluten brut
Colle de poisson. . .
5 836
Hémoglobine
Caséine
. . 5 995
. . 3 242
La valeur moyenne est de 3 691 calories pour un gramme de matière : ce qui fait
pour un gramme de carbone, contenu dans la molécule, à peu près 10 870 calories.
Mais l'azote est éliminé, non sous forme d'azote gazeux, comme dans la bombe;
mais sous forme de combinaisons quaternaires qui se retrouvent dans l'urine.
Plusieurs de ces combinaisons sont des molécules encore assez élevées; mais elles
ont peu d'importance au point de vue quantitatif; les trois seules qui aient un intérêt
à ce point de vue sont : l'urée, l'acide hippurique et l'acide urique.
Voici leurs chaleurs de combustion :
Urée''. 2 530 calories.
Acide urique» 2 734 —
Acide hippurique ^ . . . . 5 659 —
1. Tout récemment, Schmiedeberg (Arch. f. exp. Path., 1894) s'est efforcé de démontrer que
la forme assimilable du fer est une combinaison intime de ce métal avec de l'albumine ; il a
donné le nom de ferratine à cette combinaison, qu'il a extraite du foie de porc et qui a été obte-
nue synthétiquement par Markoei.
2. C. R., t. ex, p. 925, 1890.
3. Stohmann (Wurmewerth der Bestandtheile der Nahrungsmittel. Z. B. 1894, p. 364) a donné
le tableau complet de la valeur calorifique des diverses matières alimentaires.
4. Berthelot et Petit. C. R., t. cix, p. 759. •
5. Matignon. Soc. chim. de Paris, 1894, p. 568.
6. Berthelot et André.
ALIMENTS.
3.i;-5
Chez l'homme, l'urée représente la forme d'élimination de 8b à 90 p. 100 de l'azote éh-
miné; chez les oiseaux et les reptiles, c'est l'acide urique qui est la forme d'e'limination
de beaucoup la plus importante; enfin l'urine des herbivores contient une proportion
notable d'acide hippurique.
Sachant que l'azote de tel albuminoïde détruit dans l'organisme est éliminé sous
forme de l'une ou l'autre de ces substances, il est facile de faire le compte de la cha-
leur dégagée dans l'organisme par cette destruction.
Mais le calcul fait avec cette précision n'a guère qu'un intérêt théorique. Pour l'éva-
luation thermique d'une ration, on est obligé de se contenter de moyennes. Or, pour
l'homme (de même pour le chien), nous ne ferons qu'une erreur très faible en admet-
tant que tout l'azote s'élimine sous forme d'urée; d'aufre part, le déficit de chaleur,
par rapport à la combustion totale, qui résulte de l'élimination de l'azote sous cette
forme, a été calculé par Berthelot et André {loc. cit.) pour chacune des substances dont
nous avons indiqué plus haut la chaleur de combustion. Ce déficit varie de la à 17 cen-
tièmes de la chaleur dégagée; exceptionnellement pour la colle de poisson (gélatine),
il atteint 20 centièmes; c'est en moyenne 16 centièmes ou 1/6 à retrancher de la
valeur moyenne que nous avons donnée pour ces substances. Cette valeur devient
alors 4 740 calories par gramme de matière, et 9 060 calories pour la quantité de
matière renfermant un gramme de carbone.
Pour un organisme (oiseau, reptile) qui élimine la plus grande partie de son azote
(pour simplifier, admettons tout son azote) sous forme d'acide urique, ces valeurs
doivent être encore abaissées de 1/8 (M.^tigaon'); un gramme d'albuminoïde ne fournit
à cet organisme que 4 320 calories.
Voici la teneur en matière azotée des principales matières végétales pour 1 000 par-
ties :
Albuminoïdes des aliments végétaux (par kilo).
Lentilles. . .
Fèves. . . .
Amandes . .
Pois
Haricots. . .
Avoine . . .
Froment. . .
Orge ....
Seigle. . . .
Mais ....
Noix ....
Sarrasin. . .
RU
Champignons
Chàudgnes .
26y
244
240
238
22y
144
135
129
107
79
91
69
51
Betteraves
Choux-raves
. . 29
. . 20
. . 15
Pommes de terre . . .
. . 13
. . 11
. . 8
. . 7
7
. . 5
Cliouï-fleurs
3
4
3
Poires
2,5
On voit que la variété est très grande et qu'on peut, à ce point de vue, distinguer
les aliments végétaux en plusieurs groupes, suivant qu'ils appartiennent aux légumi-
neuses, aux céréales, aux plantes féculentes et aux plantes herbacées. Les légumineuses
ont plus de 20 p. 100 de matières azotées(lentilles, fèves, pois, haricots). Les céréales ont
10 à 20 p. 100 (seigle, orge, avoine, froment). Les plantes fe'culentes (pommes de terre, riz,
châtaignes) ont de i à 6 p. 100. Et enfin, les fruits et les légumes herbacés ont de 0,2 à
1 p. 100.
Autrement dit et plus schématiquement encore :
Légumineuses.
Céréales . . .
Féculents. . .
Fruits ....
250
125
par kilogramme:
Pour les aliments animau.x, nous trouvons aussi des proportions variables de
matière azotée, et, contrairement à l'opinion vulgaire, ils ne sont pas notablement plus
1. Mém. Soc. Cliim. de Paris, t. xi, p. 570, 1894
3U ALIMENTS.
riches en azole que les légumineuses. Voici la proportion, d'après Moleschott, pour
1000 parties :
Albuminoïdes des aliments animaux (par kilo).
Fromage 334
Viande de canard 203
— de bœuf 174
— de porc lH
— de veau 166
Jaune d'œuf. . . .
Viande de poisson.
Blanc d'œuf. . . .
Lait
163
139
117
Vu l'importance de la valeur en azote des aliments, nous réproduisons ici quelques
tableaux construits par Bunge [Chim. biol., 1891, p. 68), auj moyen de chiffres tirés
du recueil de Kônig.
1='' Tableau.
Combien faut-il d'aliments pour fournir 100 r/rammes de matière azotée?
(Aliments naturels.)
g"--
. 25 000
Blanc d'œuf de poule.
Poisson gras (anguille)
Viande de porc (grasse)
Vitellus de poule. . .
Viande de bœuf grasse
Poisson maigre. . . .
Viande de bœuf maigre
Pois
730
Carottes
Pommes de terre. . .
Lait de femme . . . .
9 000
5 000
4 200
3 000
750
650
620
600
Lait de vache
Riz
"Maïs
3 000
i 230
1 000
800
2-= Tal
550
480
430
Froment
)leau.
Combien faul-il d'aliments pour fournir 100 f/rammes de matières albuminoïdes':
(Aliments sèches.)
4 200
Pommes de terre. . .
Riz
. . 1250
1 100
1000
Maïs
. . 900
Froment
Lait de femme. ...
. . 700
. . 550
440
Pois. ........
. . 370
Lait de vache. . . .
Viande de porc grasse
Poisson gras
Vitellus de poule . . .
Viande de bœuf grasse
— maigre
Blanc d'œuf de poule
Poisson maigre (brochet)
370
360
330
300
250
112
112
MO
Il ne faut pas se faire d'illusions sur la précision des nombres contenus dans ces
tableaux, et d'une façon générale, des nombres donnés dans les analyses d'aliments
pour représenter la teneur de ces aliments en albuminoïdes. Pratiquement, on ne dose
pas les albuminoïdes, on dose l'azote et on calcule les albuminoïdes en multipliant le
poids d'azote par le facteur 6,2b. C'est ce produit qui figure dans les tableaux de tous
les auteurs. Voyons ce qu'il représente au juste.
1° Le facteur 6,25 est exact si l'albuminoïde auquel on a affaire contient exactement
16 p. 100 d'azote ; pour un albuminoïde qui contient moins d'azote, il donne une valeur
trop faible ; pour un albuminoïde qui en contient davantage, il donne une valeur trop
forte. Nous avons vu (p. 338) que l'azote des albuminoïdes varie de 15 à 19; les écarts
autour de cette proportion de 16 p. 100 sont donc assez sensibles, et il y a beaucoup
d'albuminoides qui contiennent plus de 16 p. 100 d'azote. Le chiffre ainsi obtenu sera
donc souvent trop fort.
2° Tout l'azote des aliments n'est pas de l'azote d'albuminoides. Dans les substances
animales, il n'y a généralement que fort peu d'azote non albuminoïde : ainsi dans la
viande de bœuf on n'en trouve que 0,2 p. 100 (Kônig, t. ii, p. 112); cet azote est sous
forme de bases xanthiques. L'erreur est ici insignifiante.
Mais il n'en est pas de même pour les aliments végétaux; les plantes ou parties de
ALIMENTS.
345
plantes dont se nourrissent l'iiomme et les unimaux contiennent des proportions souvent
considérables à'amides.
L'un des plus répandus de ces corps est l'asparagine (Voyez ce mot), sur lequel
nous aurons à revenir, son rôle dans l'alimentation ayant fait l'objet de recherches inté-
ressantes; mais, quelle que puisse être la conclusion de ces recherches, il est évident
que l'on fait une erreur importante en comptant ces amides comme albuminoïdes.
Voyons par exemple, au simple point de vue de la production de chaleur qui nous occupe
en ce moment, ce qu'est cette erreur.
1 gramme d'azote trouvé par l'analyse correspond à 4s',7 d'asparagine C41'Az-0'';
la chaleur de combustion d'une molécule d'asparagine est de 448 calories, d'où il faut
retrancher, pour la chaleur de l'urée sous forme de laquelle son azote est" éliminé,
156 calories'; reste 292 calories pour une molécule pesant 132, soit 2 210 petites 'calories
par gramme de matière, 46^,7 d'asparagine donnent dans l'organisme 10 387 calories.
Ce même gramme d'azote compté comme albumine donnerait 6B',2o de matière à
4 740 calories par gramme (voir p. 343), ce qui fait 29 525 calories.
Oii voit qu'on attribuerait à la substance d'où provient ce gramme d'azote presque
trois fois sa valeur thermique réelle.
Or les aliments végétaux, disons-nous, contiennent souvent des proportions considé-
rables d'ar/iides, et de diverses substances azotées non albuminoïdes. Voici quelques
exemples tirés du recueil de Konig (t. ii, pp. 652, 631).
Azote non albuminoïde des aliments végétaux pour 100.
AZOTE TOTAL
(p. 100
de substance
sèche).
AZOTE
NON ALBUMINOÏDE
(p. 100
de l'azote total).
Asperges
Spiuards
4,13
4,56
4,85
5,S7
4,69
4,32
4,89
5,11
1,91
2,02
4,64
1,33
20
23
39
19
24
38
49
49
18
45
56
de 33 à 58'
Pois
Haricots
Chou
Chou-fleur
Carotte
Chou-navet
Pommes de terre. . . .
Dans les céréales, la proportion de ces substances azotées non albuminoïdes est
moins considérable, mais elle est encore très sensible (Kônig, t. ii, pp. 458 et ss.).
AZOTE TOTAL
(p. 100
do substance
sèche).
AZOTE
NON ALBUMINOÏDlï
(p. 100
de l'azoto total).
Froment
2,13
1,79
1,94
1,74
1,39
3 il 11
g
1,4 à 4,4
3 à 8
5
6 à 10
Orge
Mais
Riz
1. Berthelot et André. C. R., t. ex, p.
346 ALIMENTS.
Valeur calorimétrique et isodynamie des aliments. — • Nous venons ainsi de
passer en revue trois groupes de substances, qui, introduites dans le tube digestif d'un
animal, sont digérées, assimilées, puis détruites, et leurs éléments éliminés; nous avons
vu quelles sont les quantités d'énergie potentielle qu'elles contiennent lorsqu'elles
entrent, et quelles sont celles qu'elles doivent avoir abandonnées dans l'organisme
lorsqu'elles en sortent sous forme d'eau, d'acide carbonique et d'urée.
On résumera ces données par les nombres schématiques suivants :
Cal.
1 gramme de graisse dégage 9,4
1 — d'albumine — 4,7
1 — d'amidon — 4,1
Nous pouvons maintenant calculer facilement quelle est la quantité de combustible
à fournir pour couvrir une perte de chaleur donnée. Supposons, par exemple, un homme
dont la dépense journalière de calorique serait égale à 2 300 calories; cette dépense
sera également couverte par
266 grammes de graisse,
332 — d'albumine,
610 — d'amidon,
en supposant, bien entendu, qu'il s'agit de la ration réellement absorbée, sans tenir
compte de ce qui est perdu pour la digestion et passe dans les fèces.
On pourra donc dire que 266 grammes de graisse sont isodynamei à o32 grammes
d'albumine et à 610 grammes d'amidon.
Et si, comme c'est toujours le cas dans la nature, la ration comprend les trois espèces
de combustible, et que la somme de leurs énergies potentielles soit suffisante pour
couvrir les dépenses et réaliser l'équilibre du budget physiologique, une quantité n de
l'un des combustibles pourra toujours être remplacée par une quantité m isodyname d'un
autre combustible.
Rub.ner', qui a introduit en physiologie cette notion de l'isodynamie, a fait des expé-
riences pour vérifier sur l'organisme animal cette vue de l'esprit, et ces expériences
ont été remarquablement d'accord avec la théorie.
Voici les quantités de substance alimentaire qui se sont montrées dans l'organisme
animal, isodynames à 100 grammes de graisse, et en regard, les quantités caloulées
d'après les données calorimétriques :
Observées. Calculées.
Syntonine 223 213
Fécule 232 229
Chair mu.sculaire 243 233
Sucre de canne 234 233
Sucre de raisin 236 235
Il est donc aussi légitime que facile de calculer en calories la valeur d'une ration,
quelle que soit la composition de cette ration. Nous aurons plus loin à faire une réserve
pour les albuminoïdes.
Mais nous avons vu que les données analytiques que nous pouvons obtenir sur les
aliments ne sont pas exactes. Rubner a proposé d'introduire une correction moyenne,
portant sur les coefficients thermiques à attribuer à chacun des groupes d'aliments
tels qu'ils nous sont fournis par les analyses; au lieu des valeurs indiquées plus haut, il
compte pour 1 gramme de substance :
Calories.
Graisse 9,3
Albumine 4,1
Amidon 4,1
Ces coefficients pratiques ont été adoptés depuis par tous les physiologistes qui se
sont occupés de la question.
Nous pouvons maintenant chercher quelle est la grandeur du besoin alimentaire
1. Z. B., 18S6, t. XXII, p. 40 ; cité d'après Konig.
ALIMENTS.
•àil
chez les animaux; nous prendrons comme [exemple l'homme, qui a donné lieu à bien
plus de recherches que n'importe quel autre animal.
Le moyen le plus simple d'arriver à déterminer la quantité de chaleur dépensée
chaque jour est de déterminer la valeur thermique de la ration d'équilibre. C'est l'an-
cienne méthode de calorimétrie indirecte de Boussingault, Liebig, J.-B. Dumas; mais nous
avons aujourd'hui des bases précises qui manquaient à ces grands physiologistes. Nous
aurons soin en outre de rapporter les quantités de chaleur non pas au poids, mais à la
surface, conformément à la loi que nous avons citée plus haut.
Pour l'homme, la surface peut se calculer d'après le poids au moyen de la formule
de Meeh', S=12,3 v'P^.
Commençons par nous reporter à la ration journalière que nous avons déterminée
pour le Parisien adulte (p. 300). Voyons ce qu'elle contient en substances alimentaires
organiques et le nombre de calories qu'elle vaut.
ALIMENT
ALBUMINE
HYDRATES
DE CARBONE
GRAISSES
5511 grammes pain
3°8',5
30,4
4,23
3 23
6*
7
6
6,23
297
6,23
54
17
77
43
22,4
3,5
1
0,3
6,30
37
125 lait
33 œufs
600 — fruits et légumes
30 — légumes secs
100 féculents
40 ^ beurre et huile
Total
124
494
80,5
Si l'on fait le calcul, on trouve un total de 3 278 calories.
Admettons pour le poids moyen des Parisiens le chiffre de 62 kilogrammes donné
parTEiNON-; la surface correspondante, calculée d'après la formule de Meeh, donne l™<i,93.
Si nous divisons par cette surface le nombre des calories, il vient 1690 calories par mètre
carré.
Mais nous pouvons avoir des chiffres plus précis en nous servant d'expériences, oii,
l'équilibre ayant été réalisé, on a à la fois le poids du sujet et la valeur de sa ration
en calories.
Voici les chiffres d'un certain nombre d'expériences et d'observations récentes, aux-
quelles on a ajouté, à cause de son intérêt historique, le sujet des mémorables expé-
riences de Voit et Pette.nkofeh^.
AUTEURS
POIDS
CALORIES
CALORIES
PAR MÈTRE CARRÉ
Ouvrier' de Voit et Pettenkoffer.
7(1
73
48
59
46
73
67
3 034
3 318
2 478
2 579
2 355
3 027
3 094
1 470
1360
1 350
1 380
1430
1420
1520
Sold. japonais, R. MoRi
Étud. japonais, Tsuboï et Murato.
Sujet n° 11, Lapicque et Marette.
1. Cite par Vierordt, Anat. phijsik. und physiol. Daten und Tabellen.
2. Cité par Sappey, T. A., t. i, p. 31.
3. Par comparaison nous citerons le cas d'un individu soumis à un régime trop substantiel.
3^8 ALIMENTS.
(Ce tableau, moins le n° 7, est emprunté à Lapicque, A. P., 1894, p. 609. Le chiffre
de RuBNER est cité d'après Kônig, t. i, p. 80)-
Tous les sujets cités ici sont des hommes, dans la force de l'âge, déplo3'ant une
activité musculaire modérée.
Ces chiffres rapportés à l'unité de surface nous paraissent une remarquable illus-
tration de ia loi que nous indiquions; on voit en effet combien ces chiffres sont voisins
les uns des autres, pour des sujets placés dans des conditions analogues, mais dont le
poids varie de 46 à 73 kilogrammes. Ils nous permettent de fixer la quantité d'énergie
potentielle que la ration alimentaire doit fournir à un homme actif dans les climats tem-
pérés; cette quantité est de 1400 à 1600 calories par mètre carré de la surface du sujet.
Le chiffre trouvé pour le Parisien par notre calcul des moyennes est un peu plus fort ; mais,
si l'on réfléchit que dans cette moyenne sont compris un grand nombre d'ouvi-ien, c'est-
à-dire d'hommes qui produisent un travail extérieur, cet excès d'énergie cesse d'être un
écart, et l'accord est au contraire très satisfaisant, étant donnée la diversité des pro-
cédés d'observations, et des méthodes.
Il faut remarquer que ces chiffres se rapportent à des rations ingérées, et qu'il y
aurait une diminution à faire pour la partie qui a passé dans les fèces. Ce déficit a été
évalué par Rubner à 8,11 p. 100. On peut admettre en chiffres ronds 10 p. 100, qu'il
faudrait déduire si l'on voulait calculer la quantité d'énergie réellement dépensée par
l'organisme; mais, puisque ce que nous cherchons à déterminer ici, c'est la grandeur
du besoin alimentaire, les chiffres que nous venons de donner sont ceux-là mêmes que
nous cherchions.
Lapicque, dans le même travail, donne la valeur de la ration observée par lui pour
des hommes vivant entre les tropiques.
Poids. Calories. Cal. par m^.
Abyssin 32'' 2 000 1160
Malais 52'' 2 072 1200
Nous avons donc ici l'influence d'une température plus élevée, qui s'accuse par une
diminution de 300 calories par mètre carré sur la moyenne de la dépense dans les cli-
mats tempérés.
C. EuKM.vNN ' a analysé le régime de huit Européens habitant Batavia depuis plu-
sieurs années; la moyenne de ses observations donne les chiffres suivants:
Poids moyen: 63S4 — Cal. totales : 2470 — Pour i'^^ : 1240 Cal.
Ce chiffre concorde bien avec les deux autres donnés ci-dessus. Mais il faut noter
que l'auteur conclut dans le sens d'un besoin alimentaire égal pour les habitants des
régions chaudes et ceux des régions tempérées. Il considère que ses sujets ne se livrent
à aucun travail, et compare le chiffre trouvé par lui à celui donné par Rubn'er pour l'a
catégorie I (Voir ci-dessous).
Ration de repos et ration de travalL — Il est évident a priori que la quantité
d'énergie dépensée par les combustions vitales varie suivant que le sujet reste au repos, ou
produit en dehors de lui un travail mécanique. Mais on conçoit aussi que la loi qui
exprime l'augmentation de ces combustions par suite du travail n'est pas simple et ne
peut s'exprimer directement en partant de l'équivalent mécanique de la chaleur et du
coefficient de rendement de la machine animale. D'abord ce rendement ne peut être
précisé; il varie suivant le genre de travail (voir Travail); ensuite la quantité d'énergie
qui n'est jias transformée en travail, soit, pour donner un chiffre schématique, les quatre
S..., observé par Ch. Richet (T. t., 1. 1, p. 512), pesait 4T''',500, au début de l'expérience. Son
régime (500 grammes de pain, 300 grammes de pommes de terre et 400 grammes de viande, avec
50 grammes de beurre et 50 grammes de fromage et 30 grammes de sucre) représentait le
chiffre énorme de 4350 calories. Aussi se mit-il à engraisser rapidement, si bien qu'en quinze
jours, du 15 mars au 1er avril, son poids augmente de 47'''i,500 à 32 kilos, ce qui représente
4500 grammes eu quinze jours, soit 300 grammes par jour. En admettant, ce qui est très près de
la vérité, que ces 300 grammes répondent à 150 grammes de graisse, cela fait précisément
2980 calories par jour avec une réserve quotidienne, répondant, à 1350 calories.
1. Beitrag zar Kenntniss des Sto/fwechsels der Tropenbewokner [Arch. de Virckow, t. cxxxn,
p. 105, 1893). :
ALIMENTS.
349
cinquièmes de l'énergie polenlielle consommée, apparaît sous forme de chaleur, et cette
chaleur vient en déduction de la consommation nécessaire pour maintenir la température
constante. D'autre part, cette utilisation pour le maintien de la température, de la cha-
leur perdue pour le travail, est essentiellement variable suivant les cas. Si le travail mé-
canique intérieur est assez faible pour que la chaleur dégagée en un temps donné soit infé-
rieure ou au plus égale à la perte par rayonnement dans ce même temps (déduction
faite de la chaleur dégagée dans ce même temps par le travail intérieur, circulation,
respiration, etc., qui ne peut s'arrêter), l'énergie totale des combustibles détruits se
trouve utilisée. Mais si, le travail augmentant, la quantité de chaleur produite dépasse la
dépense normale, l'organisme tend à s'échauffer et fait intervenir alors des moyens de
dépenses supplémentaires, vaso-dilatation cutanée, et surtout évaporation d'eau (par la
peau: homme, cheval; par le poumon: chien). Il y a alors de la chaleur réellement
perdue sans aucune compensation. On voit dès lors que tout calcul à partir du nombre
de kilogrammètres produits dans une journée devient illusoire, l'économie de la cha-
leur pouvait varier considérablement suivant que la production du travail est répartie
en des périodes plus ou moins longues, ou réunie dans des temps courts d'efforts
violents. On ne peut tenir compte que des chiffres obtenus expérimentalement et s'appli-
quant seulement au cas spécial pour lequel ils ont été obtenus, ou bien, si l'on veut géné-
raliser, se contenter d'approximations très larges.
RuBNEH a dressé, pour l'homme, le tableau suivant, au moyen des données puisées
dans les recherches de Pettenkofer, Voit, Fôrster, PLAYF.4.m, etc. '.
CATÉGORIE DU TRAVAIL
RATIDN BRUTE
DES 24 HEURES.
RATION NETTE
FÈCES DÉDUITS.
Calories.
2 631
3 121
3 6.59
3 213
Calories.
2 304
2 443
2 868
3 362
4 790
I. Médecin, employé
II. Travail modéré, gm-çon menui-
III. Travail intense, manœuvre tour-
IV. Mineurs, valets de ferme, bùche-
Combustibles accessoires et aliments douteux. — Nous avons rencontré, en
étudiant chacun des trois groupes de combustibles, des substances qui les accompagnent
dans les aliments naturels, que les analyses confondent souvent avec l'un de ces groupes
sous un titre commun, qui sont absorbés et brûlés dans l'organisme, mais qui ne sont
ni des hydrates de carbone, ni des graisses, ni des albuminoïdes.
Il faut examiner maintenant si ces substances ont réellement la valeur de combus-
tibles pour l'organisme animal ; nous avons déjà été obligés çà et là de toucher la ques-
tion, mais il est nécessaire de la discuter au fond.
Nous allons d'abord passer rapidement en revue celles de ces substances qui ont un
intérêt. Les végétaux contiennent, généralement sous forme de sels de potasse ou de
chaux, des acides organiques; les acides citrique, malique et tartrique se trouvent en
quantité notable dans les fruits; dans les fruits mal mûrs, ils constituent même, si on
excepte la cellulose, la plus grande partie des substances ternaires : l'acide oxalique se
rencontre en abondance dans les feuilles des plantes du genre Rumex, dont plusieurs
espèces servent d'aliment à l'homme et aux herbivores ; l'acide acétique ne se trouve
pas, du moins en notable quantité, dans les aliments naturels, mais beaucoup de substances
en fournissent par fermentation ; il en est de même pour l'acide lactique. Tous ces acides
1. RuBNER. Lehrbuch der Hygiène, 4° éd.. 1892, p. 473.
350 ALIMENTS.
appartiennent à la série grasse. Les acides acétique, butyrique, caproïque, sont les homo-
logues inférieurs des vrais acides de la graisse, avec beaucoup moins d'atomes de car-
bone; les autres acides sont bi ou tribasiques; ils peuvent par conséquent former des
sels acides, et c'est généralement sous cette forme qu'ils se présentent dans la nature.
Ingérés à l'état de sels, ces acides sont absorbés et ne reparaissent pas dans l'urine;
ils sont brûlés dans l'organisme, et éliminés, comme les hydrates de carbone et les grais-
ses, sous forme d'acide carbonique et d'eau. Ils ont par conséquent dégagé dans l'orga-
nisme leur chaleur de combustion. Voici les grandeurs de ces chaleurs de combustion,
en grandes Calories :
Par molécule. Par gramme.
Acide acétique 210 3,3
— butyrique .... 524 6
— oxalique 60 0,66
— citrique 480 2,5
— lactique 329 3.6
Ces acides, nous l'avons vu, sont généralement comptés, dans les analyses d'aliments
végétaux, avec les hydrates de carbone, sous le nom collectif de substances exlractives non
azotées.
A côté des hydrates de carbone viennent se ranger les alcools, et plus spécialement
l'alcool éthylique, qui, à vrai dire, ne se rencontre pas dans les aliments naturels; mais
la plupart des aliments ricbes en hydrates de carbone peuvent, directement ou après
saccharification, être soumis à la fermentation alcoolique. Nous avons vu plus haut sui-
vant quelle équation l'alcool dérive des glucoses; en fait, l'alcool tient une place sou-
vent importante dans l'alimentation de l'homme, qui, dans presque toutes les contrées,
a trouvé le moyen de transformer en boisson alcoolique quelqu'un de ses aliments
naturels; on fait fermenter en effet des jus de fruits (vin, poiré, cidre), du lait (Koumys),
du miel délayé dans de l'eau (hydromel), des graines de céréales dont les hydrates de
carbone ont été en partie saccharifiés soit par la germination (bière, vin de riz des Chinois
et des Japonais), soit par des procédés chimiques appliqués industriellement (eaux-de-vie
de grain).
Ce n'est pas pour sa valeur nutritive que l'alcool est aussi généralement recherché
par l'homme; c'est à cause de son action pharmacodynamique sur le système nerveux.
Mais nous n'avons à nous occuper en ce moment que de sa valeur chimique dans l'ali-
mentation.
L'alcool qui n'est pas ingéré à doses trop élevées est brûlé dans l'organisme comme
toutes les autres substances ternaires et par conséquent fmalement éliminé sous forme d'eau
et acide carbonique. Ingéré en excès, il est éliminé en nature par les reins et les pou-
mons. Mais il semble que la quantité d'alcool apte à se détruire dans l'organisme soit
assez élevée, si cet alcool est ingéré sous forme de boissons étendues, vin, bière, etc., et
non sous forme de produit concentré par la distillation.
La cbaleur de combustion de l'alcool est considérable, 7 calories par gramme.
L'alcool éthylique est à peu près le seul qui ait quefque intérêt au point de vue qui
nous occupe ; les homologues supérieurs, qui se rencontrent à côté de lui dans les liquides
fermentes, n'existent qu'en très petites proportions, et d'ailleurs, ils sont beaucoup trop
toxiques pour jouer un rôle alimentaire quelconque. Quant à l'alcool méthylique,
homologue inférieur, il n'entre pas dans la consommation.
Si nous passons aux alcools polyatomiques, nous trouvons la mannite et la dulcite,
alcools hexatomiques dont les aldéhydes (glycoses) jouent le rôle important que nous
avons vu. — Nous avons rencontré déjà la glycérine ; nous avons vu le rôle qu'elle
joue dans les graisses; libre, c'est-à-dire à l'état d'alcool et non plus d'éther, elle ne
peut être absorbée qu'en très petite quantité ; dans ce cas, d'ailleurs, elle est brûlée et
dégage dans l'organisme sa chaleur de combustion, 4<"-',29 par gramme.
Sous le nom générique de cires, on range des substances qui ressemblent plus ou
moins aux graisses, et qui, en fait, sont constituées par les éthers gras d'alcools où le
nombre des atomes de carbone est élevé; ce sont, par exemple, l'alcool c^<î/^igMe, C'^H^*0,,
l'alcool cérylique, C-'H^^O, l'alcool myricique, C^°H^-0 ; la cire d'abeille, type du groupe,
est un mélange de palmitate et de cérotate de ce dernier alcool. Les cires se rencontrent
ALIMENTS. 351
çà et là dans les aliments de l'homme el des animaux; mais, malgré leur grande parenté
physique et chimique avec les graisses, et bien qu'elles aient une chaleur de combustion
très considérable, ces substances semblent inutilisables pour l'organisme.
Une autre substance, qui ressemble beaucoup physiquement aux graisses, et qui,
dans les analyses, est comptée avec elles parce qu'elle a les mêmes dissolvants, est un
alcool et non un éther; c'est la cholestérine, C-''H**0. La cholestérine est extrêmement
répandue dans la nature organisée ; elle fait partie de la plupart de nos aliments, y
compris le lait, mais on ne sait rien de son importance alimentaire; il est possible
qu'elle ne soit pas absorbée du tout; elle est peut-être une forme d'élimination, produit
d'excrétion plutôt que substance alimentaire. En tout cas elle existe constamment dans
la bile des mammifères, et se retrouve dans les fèces.
Enfin il faut encore mettre à côté des graisses une série de substances (lécithines)
très répandues dans notre alimentation, et qui, en fait, sont jusqu'à un certain
point des graisses, puisqu'elles contiennent des acides gras (stéarique, palmitique ou
oléique) combinés avec de la glycérine; mais il n'y a que deux oxhydriles de la gly-
cérine saturés par des acides gras, le troisième est éthérifîé par de l'acide phosphorique,
qui, d'autre part, combine l'acidité qui lui reste avec une base particulière, la névrine.
Les lécithines sont saponifiées par le suc pancréatique (Bokay)' et leurs éléments sont
absorbés, mais on ignore leur sort ultérieur. La présence de la lécithine dans le lait
paraît plaider en faveur de son importance comme aliment (Bonge),'^.
Nous en avons fini avec les substances ternaires, et, quant à ce qui regarde les com-
binaisons azotée" qui ne sont pas des albuminoïdes, nous avons déjà été amenés à con-
sidérer le sort d( s amides de l'alimentation, en prenant comme type l'asparagine. Les
corps de la série anthique, en partie passent inaltérés, en partie sont brûlés, avec éli-
mination de leur azote, sous forme d'urée. D'une façon générale, l'azote ammoniacal et
tous ses dérivés, introduits dans l'organisme des mammifères, sont éliminés sous forme
d'urée, chez les oiseaux sous forme d'acide urique, et les radicaux substitués sont brûlés,
excepté s'il s'agit de radicaux aromatiques ; ceux-ci sont éliminés à l'état d'acide hip-
purique ou de sulfophénates ; quant à l'azote nitrique, dont on trouve parfois de petites
quantités dans les plantes, sous forme de nitrates, nous n'avons pas à nous en occuper
ici (Voyez Azote).
Nous avons rencontré, parmi ces éléments accessoires de l'alimentation, trois subs-
tances ou groupes de substances qui s'oxydent dans l'organisme et y dégagent de la
chaleur, à savoir les acides, l'alcool, les amides. Cette chaleur dégagée (les lois de la
thermochimie ne permettent pas de douter qu'il n'y ait une quantité déterminée de
chaleur dégagée) sert-elle à l'organisme"? La valeur thermique de telles substances est-
elle physiologiquement isodyname d'une valeur égale en graisse on en sucre? Voilà la
question. Elle a été fort vivement discutée, et a même donné lieu, en ce qui concerne
l'alcool, à des débats passionnés.
Voici comment un chimiste physiologiste, partisan de la négative, expose son opinion ;
« Il est connu que l'alcool est brûlé... L'alcool est donc, à n'en pas douter, une source
de force vive de notre corps. Mais cela ne veut pas dire qu'il soit un aliment. Pour jus-
tifier cette conception, il faudrait prouver que la force vive mise en liberté par sa com-
bustion est employée à l'accomplissement d'une fonction normale. Il ne suffit pas que
l'énergie potentielle d'une combinaison se transforme en force vive. La transiormation
doit avoir lieu au bon endroit el au bon moment, en un point déterminé d'un élément
anatomique déterminé... On objectera que la force vive développée par la combustion
de l'alcool devra, en tout cas, en tant que chaleur, profiter à notre corps, quand bien
même aucun organe particulier n'emploierait cette énergie à l'accomplissement de ses
fonctions; la combustion de l'alcool devrait nécessairement épargner d'autres aliments.
Mais on ne peut pas concéder cela non plus^... »
Nous arrêtons là notre citation; ce qui suit ne peut se rapporter qu'à l'alcool; Bdnge
pense que l'alcool ne peut économiser, tout combustible qu'il est, aucun aliment véri-
1. Z. P. C, t. I, p. 157, 1877.
2. Cours de chimie biol., p. 82.
3. BuNGE. Cours de Chimie biol., p. 126' (124 de la 2= édition allemande).
332 ALIMENTS.
table, parce qu'il « provoque une dilalation des vaisseaux, principalement des vaisseaux
cutanés, et con-sécutivement une perte de chaleur ». Ce qu'il fait gagner d'un côté, il le
ferait perdre de l'autre. Sans vouloir examiner pour le moment si l'on peut admettre
aussi facilement une balance exacte entre les propriétés toxiques, vaso-dilatatrices, de
l'alcool, et sa valeur thermique alimeiitaii'e, tenons-nous-en au développement qui pré-
cède. Il ne vise nominativement que l'alcool, mais il peut s'appliquer de même aux
acides gras inférieurs et aux amides, qui n'ont pas ces propriétés toxiques, et sur les-
quels, par conséquent, ne saurait porter cette dernière objection
Les aliments dont la valeur est incontestable, sucres, graisses et albuminoïdes, sont
évidemment les sources où l'animal puise l'énergie dépensée dans la vie de ses cellu-
loses, dans ce que Chauveau a appelé d'une façon si heureuse le travail physiolo-
gique', tandis que rien ne prouve que les substances accessoires qui nous occupent dé-
gagent leur énergie au « bon moment et au bon endroit » pour servir à ce travail
physiologique. D'autre part, il est incontestable aussi que ce travail physiologique est la
cause efficiente essentielle de la chaleur animale. Mais il est impossible d'admettre que
la production de chaleur, chez un animal à sang chaud, ne soit qu'un épiphénomène. Il
suffit de considérer qu'un animal, au repos, dégage et, par conséquent, produit d'autant
plus de chaleur que la température est plus basse; le mécanisme qui intervient dans ce
cas est le suivant : le système nerveux augmente la tonicité musculaire- et, au besoin,
commande le frisson, c'est-à-dire une activité musculaire considérable. Ici, nous voyons
nettement le travail physiologique avoir pour but la production de chaleur. Or, c'est le
cas le plus ordinaire dans la vie d'un animal; c'est pourquoi nous avons pu dire, en
commençant l'étude des aliments organiques, que c'est le besoin de chaleur qui règle
la grandeur des besoins de ces aliments pris dans leur ensemble. Nous venons d'en
trouver une nouvelle preuve dans ce fait que l'habitant des régions tropicales, toutes
choses égales d'ailleurs, demande à son régime plusieurs centaines de calories de moins
que l'habitant des pays tempérés. Dès lors, il devient évident, de même que toute dimi-
nution dans les causes de refroidissement entraîne une diminution dans la dépense des
combustibles, que toute chaleur dégagée dans l'organisme, « quand bien même aucun
organe particulier n'emploierait cette énergie à l'accomplissement de ses fonctions »,
permet une économie des autres combustibles, l.a démonstration expérimentale a d'ail-
leurs été donnée pour quelques-uns de ces acides gras inférieurs : acide lactique (Zuntz
et V. Mebing); acide butyrique (Munk); acide acétique (Mallévre), que ces corps sont
utilisés pour la production de chaleur par l'animal, et on a pu mesurer leur valeur iso-
dyname dans l'organisme.
Donc, ces substances qui se brûlent dans l'organisme animal, et qui ne sont ni sucres,
ni graisses, ni albuminoïdes, jouent un rôle de combustibles utiles; mais il semble qu'ils
ne puissent fournir qu'une petite partie de la chaleur dépensée par l'organisme, et, en
fait, ils ne se présentent qu'en quantité relativement petite dans les rations naturelles;
voilà pourquoi nous les avons désignées du nom de combustibles accessoires.
Besoin de substances chimiques déterminées. — Au point de vue de la quantité
d'énergie fournie à l'animal, les diverses espèces d'aliments s'équivalent suivant une
proportion que nous avons déterminée. Mais il ne suffit pas à l'animal de recevoir
chaque jour une quantité d'énergie potentielle égale à ses dépenses en force vive.
Il a besoin, pour maintenir son organisme, de recevoir par son alimentation les élé-
ments chimiques qu'il élimine par ses diverses excrétions, et il faut que ces éléments
lui soient fournis sous forme de combinaisons déterminées. Les transformations et les
synthèses qu'il peut accomplir sont limitées. Il détruit chaque jour une certaine quantité
de molécules qu'il ne peut rebâtir au moyen de leurs éléments, et il faut qu'il trouve
dans son alimentation, soit les mêmes molécules, soit des molécules assez semblables
pour que la transformation à opérer soit à sa portée.
Ce chapitre de la physiologie alimentaire d'un animal devrait consister en un tableau,
avec un poids en regard de chaque nom des substances nécessaires ainsi pour un
animal d'un poids donné et d'une espèce donnée. Mais nous ne faisons que pressentir
1. Voir, en particulier, A. Chauveau. La vie et l'énergie chez l'animal. Paris, 1894.
2. Ch. Richet. La chaleur animale, p. toi.
ALIMENTS. 3o3
ce chapitre : nous pouvons soupçonner, à bon droit, que ce tableau devrait être assez
complexe, mais, sauf ce que nous avons vu pour les matières minérales, il n'a été fait de
recher(-'lies que pour la détermination quantitative d'un seul élément de ce tableau, les
matières albuminoïdes; et bien que les recherches aient été fort nombreuses, on n'est
pas encore arrivé, sur ce point limité, à des résultats déflnitifs.
Le besoin d'alburaine a attiré de bonne heure l'attention des physiologistes, parce
qu'il est intense ef urgent. Cet aliment avait même, sous l'influence de Liebig, pris une
telle importance que l'on ne voulait considérer que lui, et Boussingault, quand il com-
mença ses mémorables études sur la ration d'entretien, avait commencé par dresser une
table d'équivalence des fourrages où cette équivalence était tout simplement calculée
théoriquement sur la teneur respective en azote; il ne tarda pas à s'apercevoir de son
erreur, du reste, et refit ses tables d'équivalence en tenant compte de la somme d'ali-
ments ternaires et quaternaires contenus dans ces fourrages.
On croyait aussi, jusque dans ces derniers temps, qu'il était nécessaire que la ration
alimentaire contint les trois grandes espèces d'aliments simples; les expériences de
Magendie, de Tiedemann, de Gosseli.n, de Chossat, avaient donné des résultats d'où l'on
avait cru pouvoir conclure qu'une ration composée exclusivement d'aliments azotés,
aussi bien qu'une ration composée exclusivement d'aliments ternaires, était impropre à
entretenir la vie. Il ne faut pas oublier qu'à cette époque on attribuait à l'organisme
animal une aptitude à faire des transformations chimiques bien moindre que celle qu'il
possède en réalité; et l'on pensait que, l'organisme détruisant du sucre, de la graisse et
des albuminoïdes, il fallait lui fournir du sucre, de la graisse et des albuminoïdes. On
ne se préoccupait que de déterminer exactement la proportion dans laquelle ces trois
espèces d'aliments devaient se trouver combinées dans la ration.
Depuis, on a démontré que les animaux pouvaient faire de la graisse avec de l'albu-
mine; puis, qu'ils pouvaient en faire avec des hydrates de carbone (voir Nutrition) ; ils
peuvent aussi faire du glycogêne, c'est-à-dire du sucre, avec des albuminoïdes. Les
albuminoïdes, donnés en quantité suffisante, doivent donc suffire à tous les besoins de
l'organisme. En fait, la démonstration directe de ce fait a été donnée récemment par
Pfluger (A. Pf., t. L, p. 98, 1891). 11 a pris un chien de 30 kilogrammes, très maigre, et,
du 9 mai au 19 décembre 1890, il l'a nourri uniquement avec de la viande ne contenant
que des quantités minimes de graisse et d'hydrocarbonés. A ce chien il faisait accom-
plir un travail musculaire considérable. Par conséquent, il a démontré 'par cette simple
expérience que l'albumine, à elle seule, peut suffire à tout, à la chaleur, à l'engrais-
sement et au travail mécanique.
Il est assez facile de se rendre compte théoriquement de la formation de graisse et
d'hydrates de carbone à partir de la molécule d'albumine, par une hydratation et un
dédoublement tout à fait analogue aux dédoublements des fermentations.
Voici, par exemple, l'équation proposée par A. Gautier' (schématiquenient et en
négligeant des produits secondaires en minime quantité) :
4C12 H112 Az'S S 022 + 68H20 =
Albumine.
36COAz2H* + 3C55Hi»'06 + 12C6Hi»Os + 4S03H2 + 15C02
Urée. Oléo-stéaro-margarina. Glycogêne.
C'est-à-dire que, si un animal qui ne reçoit que des albuminoïdes a besoin, pour l'utiliser
à une fonction déteiminée telle que la contraction muscu'aire, que l'énergie potentielle
lui soit fournie sous forme d'un combustible déterminé tel que le sucre (et nous savons
qu'en réalité il en est ainsi), cet animal peut (probablement dans le foie) dédoubler les
albuminoïdes de sa nourriture pour fournir à ses muscles le sucre dont ils ont besoin.
Comme il peut d'autre part faire de la graisse avec des hydrates de carbone — on le
sait par des expériences directes, — comme il n'est pas douteux non plus qu'il puisse
faire du sucre avec sa graisse, on voit qu'il n'y a pas à chercher la quantité de graisse
ou d'hydrates de carbone nécessaire à un animal : il suffit que le besoin de chaleur soit
l. A. Gautier. La Chimie de la cellule vivante. Paris, 1894, p. 94.
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 23
3'ài ALIMENTS.
couvert, soit par l'albumine seule, soit par l'albumine jointe à l'un quelconque des
aliments ternaires.
Mais l'albumine ne peut être supprimée d'une ration. Quelle que soit l'énergie
potentielle fournie par les aliments ternaires que l'on donne à l'animal, celui-ci con-
somme de sa propre albumine, comme il est facile de le constater par les déchets
azotés que son urine élimine constamment.
L'azote de l'urine donne la mesure exacte de la quantité d'albuminbïdes détruite dans
l'organisme. Dès qu'on a dosé la quantité d'alhuminoïdes introduite par l'alimentation,
il est facile de voir si l'animal en détruit plus qu'il n'en reçoit, s'il consomme de sa
propre chair, ou si, au contraire, il en assimile. Lorsque l'azote ingéré est exactement
égal à l'azote éliminé, on dit que l'animal est en état d'équilibre azoté. La réalisation de
cet équilibre peut s'obtenir avec des rations très différentes. Si, comme dans l'expé-
rience de Pfluger, on ne donne à un chien que des albuminoïdes pour tout aliment, il
faut lui en donner des quantités considérables; c'est alors, en elîet, le besoin thermique
et non plus le besoin d'albumine qui est ainsi couvert; en ajoutant à la ration des quan-
tités croissantes d'aliments ternaires, on peut diminuer progressivement la quantité
d'albumine en maintenant toujours l'équilibre azoté. Mais, en continuant ainsi, on
arrive à un moment où l'azote excrété l'emporte sur l'azote ingéré, quoique la ration
soit suffisante au point de vue thermique; il y a donc un minimum d'albumine néces-
saire en tant qu'albumine; c'est ce chiffre qu'il s'agit de déterminer.
A priori, ce chiffre doit varier pour chaque espèce animale. Nous allons étudier plus
spécialement le besoin d'albumine de l'homme, qui a donné lieu à beaucoup plus de
travaux.
Besoin d'albumine chez l'homme'. — Si nous considérons la ration alimentaire
de l'Européen, nous voyons que :les matières albuminoïdes interviennent pour une
part considérable dans la somme de calories fournies.
Nous empruntons le tableau suivant à Ko.mg-.
AUTEURS.
SUJET.
(ALBUMINE.
GRAISSE.
HYDRATES
DE CARBONE.
MOLESCHOTT
WOLFF
Voit et P
Voit
Payen
J. Ranke
LlEBIG
Steinheil
Homme avec travail modéré. .
Ouvrier vigoureux
Mécanicien bien paye
Ouvrier anglais
Ouvrier français
Ouvrier rural du Nord
130
■120
137
ISl
140
138
198
167
143
190
133
187
149
94
139
84
33
173
54
34
80
19
117
108
73
H3
So
61
27
40
26
404
540
352
479
435
502
710
675
788
599
634
542
753
369
687
470
Valet de ferme
Ouvrier brasseur, travail i'ati-
Mineurs, travail fatigant. . . .
Valets de ferme
Garçons brasseurs
BoisseHers
106
1. Il s'agit exclusivement ici de la ration alimentaire de l'homme adulte, menant une vie
naturelle, c'est-à-dire aussi rapprochée que possible de celle d'un animal en liberté ; nous lais-
sons de coté le cas du travail, au sens social du mot, c'est-à-dire de l'homme utilisé comme
moteur, et le cas de fatigues exceptionnelles, comme des ascensions de montagne. Dans ce cas.
nous avons affaire à un problème différent, qui est de savoir si le surcroît de travail mécanique
se règle simplement par une augmentation de la dépense des combustibles, ou bien s'il y a usure
de l'appareil musculaire.
2. Op. cit., t. I, p. 152.
ALIMENTS. 335
Pettenkofer et Voit ont posé comme règle la i-alioii suivante pour l'ourri.er moyen.
Albximine : IIS grammes; graisse : 56 grammes; hydrates de carbone : SOO grammes.
Cette ration totale vaut 3030 calories; l'albumine qui y est comprise vaut 118 x 4,1,
= 484 calories. La valeur thermique de l'albumine est donc égale à 13.8 p. 100 de la valeur
totale de la ration. Cette proportion, qui se retrouve à peu près dans toutes les obser-
vations (13,0 dans notre ration du Parisien) est-elle nécessaire? ou bien une fraction
notable de cette albumine peut-elle être remplacée par une quantité isodyname d'un
aliment ternaire?
Disons tout de suite que l'étude de la désassimilation azotée pendant le jeûne ne peut
en aucune manière donner la mesure de la quantité d'albumine nécessaire. L'autophagie
dans le jeûne est destinée avant tout à couvrir la dépense de calorique; rien ne permet
a priori d'affirmer que la dépense d'albumine y soit aussi petite que possible. On peut au
contraire, de par l'expérience, affirmer qu'elle ne l'est pas. Rubner', sur un chien ina-
nitié, vit diminuer l'excrétion d'azote par l'urine lorsqu'il donnait une certaine quantité
de sucre à l'animal. Chez l'homme, Pettenkofer et Voit ont trouvé que, dans le premier
jour déjeune, il se consommait 80 grammes d'albumine. Tout récemment, >V. Praus-
NiTz-a repris cette détermination sur une série de dix sujets qu'il soumettait à un jeûne
de deux jours; il considère, pour diverses raisons, que l'excrétion d'azote du deuxième
jour est seule caractéristique, celle du premier jour variant sous des influences diverses;
cette excrétion atteint en moyenne 13=', 8 d'azote, soit 86 grammes d'albumine. Or on
peut, avec un régime convenable, fournissant des calories en suffisance, obtenir l'équi-
libre azoté avec un chiffre bien plus bas.
F. HiRscHFELD^ daus une expérience faite sur lui-même et qui dura huit jours, obtint
cet équilibre pendant les quatre derniers jours avec une ration qui ne renfermait que
42="', 03 de substances azotées, avec une énergie potentielle totale de 3 460 calories; son
poids était de 73 kilogrammes. Muneo Kumagawa* put, avec une ration de 2 478 calories
avec 34e'',7 d'albumine, assimiler par jour 4 grammes d'albumine; la dépense réelle
était, abstraction faite de l'albumine excrétée par les fèces, de 38 grammes; son poids
était de 48 kilogrammes. Peschel» serait arrivé à un cliiffre encore plus bas, 32 ou
33 grammes seulement d'albumine, avec une ration totale de 3 630 calories, et Breisa-
CHER^ au cours de recherches instituées dans un but ditîérent, a pu réaliser sur lui l'état
d'équilibre avec une ration d'albumine relativement forte (surtout si l'on considère que
le sujet ne pesait que 33 kilogrammes), 67t''',8, la ration totale valant 2 867 calories ; mais
son expérience a le mérite d'avoir duré trente-trois jours, mérite rare : en eft'et, il est
assez pénible de s'astreindre pendant une longue série de jours à un régime strictement
mesuré, en recueillant ses excréta. Ce sont, d'autre part, des expériences que le physio-
logiste doit faire sur lui-même, s'il veut avoir des garanties suffisantes. Lapicque- et
Marette', enfin, ont obtenu, sur un sujet pesant 73 kilogrammes, l'équilibre azoté avec
une ration valant 3 027 calories et contenant 37B'',1 d'albumine, en moyenne.
Il faut noter que, dans l'expérience deKciMAGAWA et dans celle de Lapicque et Marette,
l'azote a été dosé dans les fèces, et l'équilibre constaté par conséquent, entre l'albumine
détruite et l'albumine réellement absorbée. Dans les autres expériences, l'azote excrété
a été dosé dans l'urine seulement, l'albumine absorbée a été calculée d'après les recher-
ches des auteurs qui ont donné les coefficients de digestibilité des divers aliments natu-
rels, RoBiNER en particulier.
Mais nous ferons observer que cette distinction a quelque chose de conventionnel;
en efl'et, on sait très bien aujourd'hui que l'azote éliminé, par les fèces ne se compose
pas seulement des aliments azotés non digérés et non absorbés, mais encore de matières
■1. Z. B., t. XXI.
2. Z. B., 1893. t. xi; anal, in C. P., 1S93, p. 413.
3. A. Pf., 1887.
4. A. V., 1889.
•ï. Diss. inaug. Berlin, 1890; cité d'après Breisacher.
6. Deutsche med. Wochenschr., 1891.
7. B. B., 1894.
356 ALIMENTS.
azotées excrétées par l'intestin; il est impossible de faire la part entre ces deux facteurs.
Aussi le mieux est de compter l'azote ingéré d'une part, et l'azote excrété de l'autre (en
négligeant seulement l'azote excrété par la peau). D'autant plus que, pour déterminer la
grandeur d'un besoin alimentaire, comme nous le voulons faire ici, et non la grandeur
d'une fonction de nutrition, c'est bien la quantité d'albumine à ingérer qui nous inté-
resse. C'est donc de celle-ci qu'il sera question désormais.
Les expériences, que nous avons rapportées plus haut, nous paraissent donner d'une
façon suffisante la démonstration que le besoin d'albumine, déterminé sur des expé-
riences de bilan nutritif pendant un temps donné, avait été évalué trop haut.
On a contesté que des expériences de ce genre aient une portée générale; rien ne
prouve, a-t-on dit, que ce qui est ou paraît suffisant pendant quelques jours, fût-ce
même trente jours comme dans l'expérience de Bheisacher, le soit indéfiniment. En
bonne logique, l'objection est fondée. Il n'est pourtant pas inutile de faire remarquer
que la théorie défendue par ces arguments a été établie sur des expériences du même
genre.
Mais, ajoute-t-on, l'observation de régimes naturels, librement choisis, ne donne
jamais, pour un homme normalement musclé, un chiffre d'albumine inférieur à
dOO grammes. Cela peut être vrai, en effet, mais pour l'Européen. Les recherches récentes
ont parfaitement confirmé lesehiffres de Voit et Pettenkoffer, qui peuvent être conservés
pour représenter la moyenne du régime normal européen. Nous avons trouvé, dans la
ration moj'enne du Parisien, 124 grammes d'albumine, chiffre tout à fait concordant.
Mais de quel droit conclure d'une habitude à un besoin'? Les peuples se nourrissent de
ce qu'ils ont ; or, il faut observer que l'aliment naturel végétal qui fait la base de la nour-
riture européenne, le grain de nos céréales, est déjà par lui-même relativement riche en
azote, même si on écarte tout appoint d'aliment animal. Il y a des régions du globe con-
sidérables oii l'aliment essentiel est plus pauvre en azote. Comparons, par exemple, au
blé soit la diirrha {Sorghum vulgare), qui est l'aliment essentiel d'une grande partie de
l'Asie, soit le riz, qui est celui d'une vaste région en Extrême-Orient. Voici les quantités
d'albumine et d'hydrates de carbone que ces aliments contiennent pour 100 parties '.
Albumine. Hydrates de carbone.
Farine de froment 12 76
Farine de durrha (sèche) 9 83
Ri/. 6 74
Si nous y ajoutons uniformément 2 p. 100 de graisse, ce qui ne s'éloigne pas beau-
coup de la vérité, nous voyons, par un calcul simple, qu'une ration, fournissant 3 000 ca-
lories avec un seul de ces aliments, contiendrait en albumine :
Albumine.
Froment 98 grammes.
Durrha 70
Riz 52
C'est évidemment chez les peuples qui ont à se nourrir avec ces substances nutritives
pauvres en albuminoïdes qu'il faudrait rechercher si des aliments plus azotés sont tou-
iours ajoutés, ou bien si, comme on l'a supposé gratuitement, par déduction pure et
simple, ils engloutissent des kilogrammes de nourriture pour trouver quand même ces
120 grammes ou au moins ces 100 grammes d'albumine, posés en loi absolue.
Lapicque^ a étudié, chez les Abyssins, un type d'alimentation par la durrha, et chez
les Malais, un type d'alimentation par le riz. Voici ce qu'il a observé : les Abyssins se
contentent de la durrha, ou n'y ajoutent que fort peu de viande, de lait, de légumi-
neuses; les Malais joignent kjeur riz, d'une façon constante, de petites quantités de
poisson ou de volaille.
Au total, les Abyssins, pesant 32 kilogrammes, consomment 50 grammes d'albumine
et 2 000 à 2200 calories; les Malais, pesant également 52 kilogrammes, consomment le
même nombre de calories avec 60 grammes d'albumine.
1. La composition de la farine de froment et celle du riz, d'après les tables du recueil de
Kônig; celle de la farine de durrha, d'après les analyses de Lapicque (S. B., 4 mars 1893).
2. B. B., 1893, p. 251. et 1894, p. 103. — Voir aussi Lapicque. A. P., 1894, p. 596.
ALIMENTS. 357
Il n'est pas nécessaire d'établir chiiniquemeut leui" bilan nutritif pour démontrer que
cette ration leur suffit; il n'y a qu'à constater qu'ils -vivent avec ce régime, qu'ils tra-
vaillent, et qu'ils se reproduisent, et, autant qu'on peut le savoir, que ce régime est le
même depuis des générations, vraisemblablement depuis des siècles. Une telle consta-
tation, si elle est suffisamment établie, répond d'elle-même à toutes les objections théo-
riques.
Dans quelques recherches du même genre, nous trouvons des données tout à fait
conflrmatives de ces observations. C'est d'abord une série de recherches quantitatives
sur le régime japonais. Il faut rappeler que ce sont les physiologistes japonais qui ont
attiré l'attention sur la difficulté de trouver dans le régime alimentaire de leur pays la
quantité d'albumine considérée comme indispensable. J. Tsuboï et Murato' ont observé
le régime de deux étudiants à Tokio, et ils ont constaté une ration journalière : pour l'un,
de 51 grammes, pour l'autre, de 58 grammes d'albumine; eu faisant le calcul de la va-
leur thermique de la ration totale indiquée par ces auteurs, on trouve respectivement
2 472 et 2435 calories. R. Mort, G. Oï et S. Jhisima- ont étudié avec soin le bilan nutritif
d'un certain nombre de soldats japonais, soumis aux divers régimes qui étaient en essai
dans l'armée impériale; la seule série qui nous intéresse ici est celle des sujets ali-
mentés à la façon habituelle du pays, c'est-à-dire riz, poissons et divers légumes, de
plus un peu de viande de veau ajoutée sans doute sous l'influence des conceptions
théoriques européennes^. Cette série, composée de six sujets pesant de 52 à 67 kilo-
grammes, a montré, pour une ration de 71 grammes d'albumine et 2 579 calories, une
assimilation quotidienne moyenne de 14S'',5 d'albumine; c'est-à-dire que 60 grammes d'al-
bumine eussent été plus que suffisants.
Voici, résumés en un tableau synoptique, ces résultats de l'observation et de l'expé-
rimentation que je viens de rapporter.
Je mets en tête l'ouvrier de Voit et Pettenkofer, pris avec raison comme type du ré-
gime européen, et à tort, comme formule de la loi du régime humain.
Poids Albumine,
en kilogrammes.
L'ouvrier de Voit et I^etïenkoffer . 70 118
HiRSCHFELD '. Ti ',ii>
kumagawa 48 54,7
Peschel 77 '33
Breisaceer 33 67,8
Soldats jajionais, d'après R. Mûri, etc. ...... 39 60 •'•
Étudiants japonais, d'après ïsuboi et M 46 52
Sujet n° II, de Lapicque et Marette 73 57
Abyssin, d'après Lapicque 32 50
Malais, d'après Lapicque 32 GO
Comment ces données peuvent-elles être utilisées pour la détermination du besoin
d'albumine?
ÎNous avons d'abord des sujets de poids très différents. Nous ne savons pas comment
il faut rapporter à ce poids la quantité d'albumine observée; nous ne savons pas à
quelle fonction nécessaire est employé le minimum d'albumine que nous cherchons à
établir. On peut provisoirement admettre, avec Voit et tous ceux, je crois, qui se sont
1. Travaux de la Faculté de médecine de l'Université impériale japonaise, t. i; l'ésumé dans
le J. B. pour 1891, p. 368.
2. Travaux de l'École de médecine m'dilaire impériale japonaise, t. i; résumé dans le
J. B. pour 1892, p. 465.
3. C'est un fait digne de remarque, que la croyance aux 120, ou tout au moins aux 100 grammes
d'albumine nécessaires, était si puissante, avait si bien pris la forme d'un dogme, que les méde-
cins japonais élevés à l'école de la physiologie allemande ont craint quêteurs soldats ne périssent
d'inanition si on les nourrissait comme avaient vécu tous les Japonais jusque-là; et on a cherché
des régimes nouveaux, qui, en fait, ne valent pas le pur et simple régime japonais, comme le
démontrent les recherches de Mori et de ses collaborateurs.
Et ne voit-on pas en France, dans les traités les plus récents, des hygiénistes s'inquiéter de
voir des paysans vivre avec une nourriture, qui, théoriquement, n'aurait pas le droit de leur suffire ?
4. Chiffre suffisant déduit du chiffre surabondant observé.
358 ALIMENTS.
occupés de la question, que la dépense obligatoire en albumine est fonction de la masse
de matière vivante, albuminoïde, de l'organisme. Nous rapporterons donc les quantités
observées directement au poids, en supposant, faute de données exactes, que la propor-
tion de cette matière vivante est la même pour tous les sujets.
Nous obtenons alors le tableau suivant :
Albumine
pour 100 kilogrammes.
L'ouvrier de Voit et Pettexkoffee. ... 169
HIE.SCHFELD 60
KuilAGAWA 114
Peschel 42
Breisacher 123
Soldats japonais 101
Étudiants japonais 119
Sujet n" II, de Lapicque et Marette ... 78
Abyssin 96
Malais. . . _ U3
Les cbiffres, ainsi ramenés à l'unité, sont très diffe'reuts entre eux.
Ce que nous cbercbons, c'est un minimum : théoriquement, la plus petite quantité
d'albumine qui s'est montrée suffisante doit représenter au moins ce minimum ; mais
ces plus petites quantités, 42, 60, 78, nous les trouvons dans des expériences de courte
durée. D'autre part, nous voyons que, si un peuple à régime de durrba peut se contenter
de cet aliment seul, les peuples à régime de riz. Japonais, Malais, y ajoutent constam-
ment quelque quantité d'un aliment plus azoté.
Or, le riz seul, en quantité suffisante pour fournir le nombre de calories observé,
donnerait dans ce tableau un chiffre d'environ 80 grammes d'albumine. Il y a donc
quelque raison de croire que ce chiiîre n'est pas suffisant.
Au contraire, le chiffre de 100 grammes se présente avec une valeur peu contestable
dans deux observations bien distinctes : les soldats japonais observés par Mobi et les
Abyssins observés par Lapicque. D'autre part, le chiffre des étudiants japonais et celui
des Malais esta peine plus élevé.
Nous nous arrêterons donc à la proportion de 1 gramme d'albumine par kilo-
gramme de poids corporel, pour représenter, jusqu'à nouvel ordre, la quantité d'albu-
mine qui doit être ingérée dans la ration quotidienne.
La valeur thermique de cette albumine représente alors 10 p. 100 de la ration totale,
au lieu des 16 p. 100 que nous constations page 3oo.
Est-ce à dire que ce chiffre représente la quantité d'albumine nécessairement
détruite chaque jour dans l'organisme humain"? Cette quantité est nécessairement beau-
coup plus petite ; d'abord, une certaine proportion de l'albumine ingérée n'est 'pas
absorbée et passe dans les résidus de la digestion, proportion assez élevée qui, avec des
aliments végétaux, atteint au moins i;i p. 100'. Ensuite, dans les analyses des aliments, on
calcule l'albumine à partir de l'azote total ; mais une partie de cet azote se présente
sous forme de combinaisons autres que l'albumine; c'est, par exemple, dans la viande,
la gélatine; dans les végétaux, les amides.
En réalité, nous ne connaissons du besoin d'albumine pas plus la grandeur que la
cause. Nous devons nous borner à noter pour le moment la plus petite quantité qu'il
soit nécessaire d'ingérer.
Il a été fait sur le chien une série d'expériences des plus intéressantes que nous
devons rapporter ici. Ces expériences ont été produites comme argument contre la pos-
sibilité de diminuer le chiffre d'albumine de Voit et Pettexkoffer. Mais nous allons voir
que si elles ne sont pas concluantes dans ce sens, elles présentent un autre intérêt.
Ces recherches - ont démontré que les régimes, ou plus exactement certains régimes
pauvres en albumine, exercent à la longue une intluence pernicieuse sur la santé. Si on
donne à un chien une nourriture suffisamment riche en hydrates de carbone et en
1. Voir les recherches de divers auteurs, en particulier de Rubxer, rapportées dans Kuxig
[loc. cit., t. I, pp. 36 et suiv.).
2. RosEXHEiM..t. Pf., t. xLvi et Liv; A. D/j.,1891.— J. IIunk. A. Db., 1891; A. V., 1893.
ALIMENTS. 359
graisse, contenant seulement 1 gramme à l^',^ d'albumine par kilogramme du poids
corporel, On obtient l'équilibre azoté, et l'état général se maintient d'abord, sauf dans
quelques cas, d'une façon satisfaisante. Mais, au bout de huit ou dix semaines, il sur-
vient des troubles digestifs, la graisse est de moins en moins bien digérée, les fèces sont
décolorées comme après une fistule biliaire, il y a parfois de l'ictère, et finalement l'ani-
mal meurt. A l'autopsie, on observe des lésions du tube intestinal et du foie.
Les conclusions à tirer de ces expériences ne peuvent en tout cas être transportées
directement du chien, Carnivore, à l'homme, omnivore, et les observations de régimes
ethniques que nous avons examinées le démontreraient au besoin. Mais, même pour le
chien, il n'est pas sûr que les troubles observés reconnaissent comme cause un déficit
d'albumine. En effet, l'équilibre azoté se maintient (et Munk insiste sur ce point) jus-
que dans la période des troubles. Pourquoi donc dire que c'est l'albumine qui manque?
En supprimant à un chien la plus grande partie de la viande de son régime, on lui sup-
prime parla, en même temps que de l'albumine, des sels minéraux, des matières extrac-
tives, des nucléines... N'est-ce pas l'insuffisance de ces substances qui doit être incri-
minée ?
Nous voici ramenés à la question des aliments particuliers autres que l'albumine,
et qui sont aussi nécessaires qu'elle, bien qu'en plus petite quantité, évidemment; mais
là-dessus, en dehors de ce que nous avons vu pour quelques aliments minéraux, il faut
avouer que la question est encore tout à fait obscure. Cependant il est difficile de douter
qu'il y ait de ces aliments nécessaires. Ces expériences de Rosenheiu et de Munk ne
peuvent guère s'interpréter que par le déficit de quelques-uns de ces aliments. Il faut
se rappeler, en outre, que, dans presque toutes les expériences où on a voulu donner à
un animal un régime uniforme, il a été impossible d'obtenir une longue survie du sujet.
C'est peut-être par quelque raison de cet ordre qu'il faut expliquer le résultat des
anciennes expériences où l'on avait vu les animaux soumis au régime exclusif d'albumi-
noïdes dépérir assez rapidement. C'est aussi ce besoin de substances encore indétermi-
nées qui nécessite la variété du régime, fait connu depuis longtemps en hygiène; il y a
peu de chances, en effet, pour qu'un seul aliment naturel ou un petit nombre de ces
aliments contiennent toutes les substances nécessaires.
Il faut faire exception pour le lait, bien entendu, qui est par sa destination même un
régime complet. Mais ici encore, nous avons l'expérience de Lunin avec son résultat
paradoxal, qui est bien faite pour mettre en évidence le besoin de substances que nous
n'avons pas encore classées avec le rang qu'elles méritent dans le tableau de l'alimen-
tation animale. Rappelons en deux mots cette expérience que nous avons rapportée
page 328. Tandis que les souris vivent indéfiniment avec du lait naturel pour tout ali-
ment, des souris alimentées avec la caséine et le beurre du lait, plus du sucre de canne,
plus tous les éléments minéraux du lait, ce qui constitue un régime suffisant d'après
tout ce que nous savons, périssent rapidement.
SociiN 1 a également constaté l'impossibilité de faire vivre des animaux pendant un
temps un peu long avec une nourriture artificiellement préparée.
Les albuminoïdes seuls sont nettement classés comme aliments indispensables, et
encore il ne faudrait pas oublier que toute la question, telle que nous l'avons étudiée,
porte sur la classe entière des albuminoïdes; nous ne savons pas s'il ne faudrait pas
distinguer entre les diverses espèces d'albuminoïdes, nous avons même quelques raisons
de croire que cette distinction devra être faite par la suite.
Voyons, par exemple, le rôle que peut jouer la gélatine. Nous savons qu'elle se dis-
tingue des vraies matières albuminoïdes par quelques caractères, bien que par; l'en-
semble de ses propriétés elle se rapproche beaucoup de ces substances. Or il est bien
établi qu'elle ne peut jouer le rôle physiologique de ces substances et, qu'elle ne doit
pas être comprise dans le chiffre que nous avons essayé de déterminer comme néces-
saire. Mais Voit-, en même temps qu'il a mis ce point hors de doute, a reconnu que la
gélatine exerce vis-à-vis de l'albumine ce qu'il appelait une action d'épargne, ce qui
veut dire que la gélatine, qui est, on le sait, brûlée dans l'organisme, peut compléter
1. Z,. P. C, t. XV, 1891, pp. 93-139.
2. Z. B., 1872.
360 ALIMENTS.
une ration thermique comme les aliments ternaires; il y a pourtant là quelque chose
de particulier, puisque Voit insiste sur ce point que la gélatine épargne mieux et jilus
énergiquement l'albumine que ne font la graisse et les hydrates de carbone. Il est fort
possible que la gélatine, sans pouvoir se substituer pour toutes les fonctions physiolo-
giques à l'albumine, le puisse pour quelques-unes. Il est même possible que, pour cer-
taines de ces fonctions, l'albumine ne soit exigée qu'en tant qu'amide. C'est du moins
ce qu'on pourrait conclure d'une série d'expériences et d'observations assez nombreuses
déjà, qui auraient montré qu'une fraction de l'albumine nécessaire peut être remplacée
dans l'alimentation par de Vasparagine (Voir ce mot). Toutefois, une conclusion en
ces matières nous parait prématurée : il nous suffit d'avoir indiqué la complexité du
problème.
Condiments et consommations d'agrément {Genussmittel des Allemands). —
A côté des aliments proprement dits, il faut, dans l'étude du régime alimentaire de
l'homme, faire une place à toute une catégorie de substances qui sont recherchées et
consommées, non pour leur valeur nutritive, mais à cause de leur action agréable,
soit sur les sens annexés à l'appareil digestif, goût, odorat, sens tactile buccal, soit sui'
le système nerveux central, par un mécanisme pharmacodynamique. Ce n'est point ici
la place d'étudier le rôle du plaisir et de la sensualité en physiologie, ni de discuter si
la digestion et la nutrition s'accompliraient d'une façon satisfaisante en l'absence de
toute excitation sensorielle; constater que le besoin de telles substances agréables est
universel chez l'homme, c'est assez pour nous obliger à les ranger à côté des aliments,
bien que leur valeur nutritive réelle soit ou nulle ou très efl'acée, c'est-à-dire qu'elles
n'apportent à l'organisme, en quantité notable, ni énergie potentielle, ni matériaux de
réparation des tissus. Elles augmentent l'appétit; l'excitation qu'elles provoquent a un
retentissement réllexe sur les sécrétions digestives; peut-être cette excitation est-elle
nécessaire; mais il n'est pas même démontré qu'elle soit avantageuse (Voir Digestion).
En tout cas, si le rôle physiologique de ces substances est discutable, si elles ne sont
pas nécessaires, elles répondent évidemment à un besoin général et intense; \es épiciers
sont aussi répandus et font un commerce aussi consit^érable que les bouchers et les
boulangers, et, au xvi° siècle, la découverte du 'pays des épices fut le mobile d'un
grand mouvement d'explorations et la cause de rivalités violentes entre les États euro-
péens.
Les condiments sont les substances que l'on ajoute aux aliments pour modifier
et le plus généralement augmenter leur saveur et leur goût. 11 faut remarquer, en effet,
qu'un grand nombre de nos aliments naturels, les céréales, par exemple, ont peu de
saveur, et même que les substances nutritives les plus importantes, telles que l'amidon
et les graisses, n'ont absolument ni goût ni saveur. Les viandes, lorsqu'elles sont crues,
sont très fades. Au contraire, par la cuisson, elles acquièrent une saveur et un goTit
intenses et agréables. Pour les autres aliments, il ne suffit pas de les faire cuire, il faut
leur ajouter des substances qui possèdent des actions énergiques sur nos organes sen-
soriels, il suffit alors d'en ajouter très peu. Chez les peuples civilisés, la façon de com-
biner ces additions avec les modifications que tel ou tel mode de cuisson apporte au
goût des aliments constitue un art compliqué, mais on en trouve l'ébauche chez les
peuples les plus primitifs : chez ceux-ci, on voit l'intensité de la sensation recherchée
plutôt que la délicatesse.
En examinant ce que sont ces condiments, nous en trouvons d'abord trois espèces
qui correspondent à trois des quatre saveurs admises comme sensations gustatives, ce
sont : le chlorure de sodium, le sucre et les acides. Les 'deux premiers sont des subs-
tances nutritives; nous avons vu leur valeur à ce point de vue; mais il y a bien des
cas où ce n'est pas cette qualité quiest recherchée en eux. Par exemple, nous trouvons
la viande sans sel extrêmement désagréable, et la théorie de Bdnge sûr le balancement
entre la potasse et la soude n'est sûrement pas applicable en ce cas; d'autre part, ce
n'est pas le manque d'hydrates de carbone qui fait sucrer un plat de riz. Il est évident
que la sensation gustative est' ici seule en cause.
Les acides végétaux sont employés dans le même but. Le plus important de ces
condiments est le vinaigre; c'est essentiellement une solution étendue d'acide acétique.
A côté du vinaigre on peut ranger, à titre tout à fait accessoire, le jus de citron et le
ALIMENTS. 361
verjus. Nous avons vu plus haut le l'ùle très effacé que jouent les acides véf^étaus au
point de vue alimentaire; encore faut-il, pour qu'ils soient brûlés dans l'organisme, et
qu'ils y dégagent leur faible clialeur potentielle, qu'ils soient combinés à des bases
alcalines; ingérés à l'état libre en quantité tant soit peu notable, ils passent inaltérés
dans les urines.
La quatrième saveur, Vamer, ne paraît pas recherchée dans la nourriture; nous
verrons pourtant plus loin qu'elle est parfois recherchée dans des consommations de
pur agrément.
Mais, on le sait, le goût et la saveur des aliments ne sont pas faits seulement de
sensations gustatives proprement dites; la sensibilité générale de la muqueuse buccale
intervient largement dans la sensation complexe que traduit la notion vulgaire de goût,
et la sensibilité olfactive y prend aussi une part importante. Il y a des condiments
nombreux, toutes les éplces, qui s'adressent principalement ou exclusivement à l'une ou
à l'autre de ces sensibilités.
Nous nous servirons encore du mot saveur, à défaut d'autre, pour désigner la sen-
sation, non proprement gustative, produite par les substances qui irritent la muqueuse
buccale; dans ces sensations on peut distinguer deux catégories : la saveur bridante et
la saveur piguanie. Nous allons passer rapidement en revue les condmients qui produi-
sent l'une ou l'autre de ces saveurs.
Le piment est le type du premier groupe. Celte épice est constituée par les fruits
de diverses espèces de Capsicum (solanées), notamment C. longum et C. fastiglatum; le
principe actif est une substance spéciale, la capsicine ', qui existe dans ces fruits en
très petite proportion, 1 à 2 pour 10000.
Le piment est relativement peu employé dans nos régions du nord-ouest de l'Europe,
mais il y a des populations nombreuses qui en font une consommation considérable et
lui attribuent une importance de premier ordre dans leur alimentation. Il ne semble pas
qu'il puisse avoir d'autre action qu'une action iiTitante sur les muqueuses avec lesquelles
il entre en contact.
LepoJ'ore, qui est constitué par les graines des diverses espèces du genre Pip)cr, spé-
cialement P. nigrum, présente une saveur chaude du même ordre; cette saveur est due à
la pipérine, ou plutôt à la pipéridinc, alcaloïde volatil qui possède à un très haut degré
la propriété de provoquer cette sensation. La pipéridine existe préformée dans le poivre
en petite quantité, environ un demi pour 100 (W. Johnstone) et se produit dans la décom-
position de la pipérine en milieu alcalin; celle-ci existe dans le poivre dans la propor-
tion de 5 pour 100. Le poivre contient en outre une huile essentielle à laquelle il doit
son parfum.
La pipéridine est toxique; on a vu des accidents consécutifs à l'ingestion de quan-
tités exagérées de poivre; elle s'élimine par les reins, continuant sur l'appareil urinaire
son action irritante. C'est probablement par un mécanisme réflexe à partir de cette
irritation que doit s'expliquer l'action aphrodisiaque généralement attribuée au poivre.
Le gingembre est un condiment beaucoup moins employé que les précédents; il a
joui dans l'antiquité d'une haute réputation. C'est la racine du Zingibcr officinale.
L'essence de gingembre, qui donne a cette espèce sa saveur poivrée et son parfum
spécial, est constituée principalement par un terpène. On lui attribue des propriétés
■ excitantes générales un peu vagues.
Le type des condiments à saveur piquante est la. moutarde; la graine du Brassica
(Sinapis) nigra broyée avec de l'eau donne naissance à une essence volatile sulfurée,
essence de moutarde, qui existe dans les graines sous forme d'un glycoside; celui-ci,
dans la préparation de la moutarde, se dédouble sous l'influence d'un ferment spécial
et met l'essence en liberté. Cette essence est extrêmement irritante; mise en contact
avec la peau, elle détermine de l'érythème (sinapisme); sur la muqueuse buccale, elle
provoque une sensation très vive.
Cette même essence se retrouve en plus ou moins grande quantité dans diverses
crucifères qui sont, pour celte raison, employées aussi comme condiment, la racine de
raifort, par exemple [Cocldearia armoricia); d'autres espèces fournissent des salades ou
1. Tresch, in The pharm. Jourii. and Trans.. iSlG.
362 ALIMENTS.
des légumes crus recherchés pour cette même saveur piquante, le cresson, les radis
{Nctëturtium officinale, Lepidiitm sativum, Raphanus sativus).
Dans la famille voisine des Capparidées, le Capparis spinosa fournit encore des bou-
tons floraux recherchés comme condiment piquant (câpres).
Si nous passons aux épices qui sont destinées à agir exclusivement ou principale-
ment sur le sens olfactif, nous trouvons différentes parties de plantes, graines, fleurs,
écorces, qui contiennent des huiles essentielles spéciales ; généralement, le tissu végétal
lui-même n'est pas consommé; on se contente d'en placer quelques fragments en con-
tact, avec les mets pendant la cuisson, de telle façon que l'huile essentielle diffuse et se
trouve mêlée avec les aliments à l'état de trace seulement.
Dans cette série, il faut mentionner : le clou de girofle, boutons floraux de VEiigenia
caryophyllata (Myrtacées) : principe actif, VEugénol; la canelle, écorce du Clnnammomum
zeylanicum (Lauracées) : principe actif, l'aldéhyde cinnamique; la vanille, gousses de
la Vanilla planiforma (Orchidées) : principe actif, la vanilline, éther méthylique de l'al-
déhyde protocatéchique; la noix muscade, amande de la graine du Myristica fragrans,
et le macis, arille de la même graine; le safran, pistils du tVocMS sativus (Iridacées);
diverses plantes de la famille des Ombellifères, telles que le cerfeuil, Chserophyllum
aativnm et le persil, Aptiiim petrof.eUmim , dont les feuilles elles tiges sont d'un emploi
fréquent dans la [cuisson occidentale (l'huile essentielle de cette dernière plante,
VAptiol, est relativement toxique et employée en médecine comme emménagoguej, la
Coriandre, Coriandrum sativum, l'anis, Carum animm et C. carvi, le cumin, Cuminum
cyminum dont les grains contiennent des essences particulières; l'estragon, Artemisia
dracuncidus (Composées) ; diverses espèces du genre AUium, d'abord l'oignon, AlUum
cepu, très employé comme condiment, mais qui peut aussi être considéré comme un
véritable légume et jouer un rôle effectif dans l'alimentation, puis l'ail, A. sativum;
l'échalotte, A. ascalonicum et la ciboule, A. schxnoprasum, qui sont, eux, de purs condi-
ments; outre leur parfum violent, ces condiments ont une saveur brûlante due au sidfo-
cyanure d'allylc.
Cette liste déjà longue le serait bien davantage si elle comprenait toutes les subs-
tances dont l'homme par toute la terre a la fantaisie d'assaisonner sa nourriture. C'est
surtout avec les aliments végétaux que se fait sentir le besoin d'ajouter des épices; il
semble que chez tous les peuples le piain sec soit considéré comme un régime de morti-
fication, bien qu'il suffise parfaitement à la vie et au travail. 11 est vrai que ce n'est pas
seulement aux épices que conduit le besoin sensuel d'ajouter quelque chose de plus
savoureux à l'aliment végétal qui fait le fond du régime; c'est souvent vers des aliments
plus azotés qui, en même temps qu'ils satisfont le goût, apportent des matériaux utiles
à l'organisme. Parmi ces aliments véritables qui, à cause de leur haut goût sont recher-
chés surtout à titre de condiments, on peut citer chez nous les truffes, le fromage, les
anchois. Les Malais ont une seule appellation, pour désigner tout ce qu'ils prennent
avec leur riz à l'eau pour en relever la fadeur, aussi bien le poisson fumé que la com-
pote de piments; ils ne mangent d'ailleurs guère plus de l'un que de l'autre. Les Chi-
nois ont développé largement la production industrielle de ces condiments-aliments;
les produits odorants qui se développent dans la fermentation des matières albuminoïdes
leur plaisent surtout. 11 y aurait une liste curieuse à dresser de tous les aUments aux-
quels ils donnent du montant par un commencement de putréfaction habilement mé-
nagé, depuis les œufs fermentes jusqu'au fromage de haricot.
Les prétendus aliments d'épargne. — Si l'on peut accorder une utilité digestive
à des substances sapides et odorantes, non nutritives, ingérées avec les aliments, il n'en
est pas de même quand de telles substances sont ingérées pour elles-mêmes, en dehors
des repas et quand la faim est satisfaite. Ici, c'est la sensualité pure qui est en jeu ;
l'explication du besoin de ces consommations est autant du domaine de la psychologie
que de celui de la physiologie. Pourtant la question est, par bien des points, entre-
mêlée à la physiologie de l'alimentation; nous aurons en particulier à discuter une
théorie relative à certaines de ces consommations, la théorie des aliments d'épargne.
On peut passer rapidement sur les friandises, les bonbons variés qui sont surtout les
consommations d'agrément des enfants et des femmes; il s'agit le plus souvent de sucre
aromatisé, ou de fruits confits dans le sucre. Ces consommations ont par conséquent
ALIMENTS. 363
une valeur alimentaire, mais elles sont généralement prises en si petites quantités que
cette valeur devient négligeable'.
On peut en dire autant des sirops, qui sont sous forme liquide le pendant exact de
ces friandises.
La variété des boissons d'agrément est infinie. Le seul aliment que réclame la soif
est l'eau, mais ce corps à l'état pur est parfaitement inodore et insipide; l'eau de source
doit quelque saveur aux sels et à l'acide carbonique qu'elle tient en dissolution, mais cette
saveur très faible ne l'empêche pas d'être encore une boisson assez fade; elle ne pro-
voque presque aucune sensation buccale si elle n'est pas à une température suffisamment
basse pour provoquer une sensation de froid. Or, lasoif n'est pas satisfaite par l'introduc-
tion de l'eau dans l'estomac, si cette ingestion ne s'est pas révélée à la conscience avec
une intensité suffisante; il faut attendre alors que cette eau soit absorbée pour voir dis-
paraître l'état de malaise qui se traduisait par lasoif. Si, au contraire, la boisson éveille
vivement la sensibilité, au besoin succède immédiatement la satisfaction.
L'eau donne si peu cette satisfaction sensuelle que dans nos contrées où la soif véri-
table, la disette d'eau de l'organisme, est à peu près inconnue, on dit couramment que
« l'eau ne désaltère pas ». On l'additionne alors de diverses substances sapides, qui pour-
raient tout aussi bien trouver place dans le chapitre précédent et porter l'étiquette condi-
ments, puisqu'elles servent à rendre savoureux un aliment qui ne l'est pas naturellement.
Mais le plus souvent les boissons ainsi obtenues n'ont pas pour but de satisfaire une soif
qui n'existe pas, c'est la sensation qui est recherchée pour elle-même ; nous pouvons donc
les appeler boissons d'agrément.
Il faut mentionner d'abord l'eau sucrée, aromatisée, acidulée, chargée d'acide carbo-
nique. Ces différents moyens de donner une saveur à l'eau sont combinés de manières
variées; ce sont souvent des fruits ou des extraits de fruits qui sont employés. Quand on
soumet des jus de fruits ou des liquides sucrés quelconques à la fermentation, on obtient
les boissons alcooliques. Celles-ci méritent qu'on s'y arrête.
ÎSous avons un élément nouveau qui s'introduit ici; c'est la toxicité de ces boissons.
L'alcool s'y présente en effet à des doses suffisantes pour marquer son action sur le sys-
tème nerveux.
Voici les proportions d'alcool de diverses boissons fermentées (en poids pour cent) :
Vins rouges de France (Hauts-Bourgogne, Bordeau.^, Midi)- . ... 7 à 9
Vins légers (Basse-Bourgogne. Cher, etc.)- Sa 7
Vins ordinaires d'Italie et d'Espagne-! il à 1-2
Vins de liqueur (Malaga, Porto, Xérès, iVIarsala, etc.)' 14 à 16
Cidre pur - 4 à 5
Bières de conserve (Strasbourg, Bavière, Lorraine)- 2,5 à S
Bières anglaises (Aie, Porter)'^ 4à6
Bières de débita I,5à2
Les vins sont une des consommations d'agrément les plus appréciées; les qualités de
saveur en sont très complexes et très variables; il y a à considérer sous ce rapport outre
l'alcool, l'acidité, l'astringence, la glj'oérine, le sucre dans quelques-uns, enfin et sui'-
tout le bouquet, c'est-à-dire l'odeur qui est due à des éthers en petite quantité. Ces éthers,
variables suivant les crus, sont d'ailleurs très toxiques et se trouvent dans certains vins en
quantité suffisante pour intervenir dans la toxicité, et modifier la forme de l'ivresse alcoo-
lique. Dans divers pays, en France notamment, on en est venu, depuis un certain temps
dans toutes les classes de la population, à considérer le vin comme un élément indispen-
sable de l'alimentation. C'est à peine s'il commence à se produire, sous l'influence des
médecins, une réaction efficace contre cette notion. On sait à quel important commerce
le vin donne lieu.
La bière, outre son alcool, contient des hydrates de carbone ; elle est aromatisée avec
1. Dans des cas exceptionnels, il peut en être autrement, et il n'est pas absolument rare de
voir des hystériques, prétendant ne rien manger, qui absorbent des sucreries par centaines de
grammes. Bonbons ou pommes de terre, les hydrates de carbone valent toujours 3=-^', 7 par
gramme de glucose correspondant.
2. D'après les Documents du Laboratoire Municipal, Paris, 1885.
3. D'après le recued de Kônig.
36i ALIMENTS.
le houblon, qui lui communique une saveur amère ; l'extrait de houblon contient un
principe stupéfiant, la lupuline, à dose suffisante pour que son action se fasse sentir sur
les buveurs de bière. Dans les pays allemands, les hommes consomment des quantités
considérables de bière; dans ces vingt dernières années, l'usage s'en est beaucoup étendu
en France.
Le cidre est la boisson habituelle de la région nord-ouest de la France; outre sa
petite quantité d'alcool, il ne présente guère à noter que sa forte quantité d'acides végé-
taux.
L'hydromel, le koumis, le vin de riz (il serait plus exact de dire bière de riz) sont les
boissons alcooliques de divers peuples de l'ancien monde. On ne leur connaît pas de
particularité notable.
Ces particularités, d'ailleurs, importent peu en somme. Dans toutes les boissons que
nous venons de passer en revue, l'alcool prend un rôle absolument prépondérant, et
c'est pour l'action nerveuse produite par ce poison, bien plus que pour leur saveur, que
ces boissons sont recherchées.
Si dans la liste que nous avons donnée plus haut, on met à part les vins de liqueurs
qui ne sont pas employés comme boisson usuelle, on voit que la proportion d'alcool vai'ie
de 2 à 12 p. 100. Dans l'usage courant des gens sobres la plupart des vins sont considérés
comme trop forts pour être bus purs et ramenés, au moment de la consommation, à un
titre plus bas par addition d'eau. De sorte que les boissons dites hygiéniques peuvent
être considérées comme contenant de 3 à 5 p. 100 d'alcool.
Nous avons admis, pour la moyenne des Parisiens, une ingestion quotidienne de
\ 000 grammes de boisson. Ce serait donc, avec de telles boissons hygiéniques, de 30 à
30 grammes d'alcool ingérés quotidiennement.
Nous avons discuté le rôle de l'alcool dans l'alimentation (p. 340), et nous avons vu
que les calories de cet alcool, lorsqu'il est absorbé en quantité modérée dans des solu-
tions assez étendues, sont probablement utilisées par l'organisme. Ces 30 à bO grammes
d'alcool valent 200 à 350 calories, qui seraient à ajouter au chiffre de 3 300 calories (en
chiffres ronds) que nous avons trouvé pour Ja ration totale de ce même Parisien.
Mais ce chiffre de 30 à oO grammes. d'alcool est inférieur à la moyenne réelle. Nous
avons, en effet, trouvé :
700 grammes de vin à 8 p. 100 d'alcool 56 grammes.
30 — cidi-e et bière à 4 p. 100 d'alcool . . 2 —
2.5 — spiritueux à 50 p. 100 d'alcool. ... 12 —
Total . . 70 —
C'est que dans cette moyenne interviennent des consommations d'agrément qui sont
prises par un assez grand nombre de sujets en dehors de tout besoin alimentaire dans
le but, avoué ou non, d'obtenir soit l'ivresse véritable, soit plus iréquemment un degré
moindre d'intoxication [alcoolique, auquel on applique des euphémismes variés. Ce pre-
mier stade de l'intoxication se caractérise par un sentiment de bien-être général, dont
on trouvera une bonne description à l'article Alcool (p. 239).
Pour produire et renouveler ce commencement d'ivresse, on a recours le plus sou-
vent, non aux boissons fermentées elles-mêmes, mais à de l'alcool plus concentré, obtenu
par distillation. Le titre des liqueurs fortes varie de 30 à 60 degrés; la saveur de l'alcool
pur n'étant pas agréable par elle-même, ces liqueurs sont quelquefois sucrées, plus sou-
vent aromatisées, et les essences qui sont ajoutées dans ce but ajoutent leur toxicité
propre à celle de l'alcool; quelquefois cette toxicité Femporte même sur celle de l'alcool
qui sert de véhicule aux essences; tel est le cas de l'absinthe CVoir ce mot). A un degré
moindre, on retrouve des essences toxiques dans un grand nombre de liqueurs, le bitter,
le vulnéraire, le vermouth, la chartreuse, le genièvre, etc. L'étude de l'absinthe et de ses
composants suffit pour se rendre compte de l'action physiologique de tout C€ groupe
de toxiques.
Diverses liqueurs fortes très appréciées doivent leur parfum et leur saveur à des
impuretés qui proviennent des modes mêmes de préparation ou de la substance qui a
servi de matière à la fermentation; tels sont le kirsch, le rhum, l'eau-de-vie de marc.
ALIMENTS. 365
Ces impuretés, alcools supérieurs ou huiles essentielles, pour être naturelles, n'en sont
pas moins toxiques. On contrefait industriellement ces liqueurs en ajoutant à des alcools
plus ou moins purs des 6ougj(ets-, c'est-à-dire des éthers et des huiles essentielles en com-
binaison appropriée. Les alcools industriels qui servent à cette fabrication proviennent
de la fermentation de grains ou de fécules de pommes de terre; s'ils sont mal rectifiés,
ils contiennent des alcools supérieurs, du furfurol, etc., qui en augmentent la toxicité'.
Naturelles ou artificielles, les impuretés des liqueurs alcooliques modifient le plus
souvent l'action physiologique de l'alcool et la forme de l'ivresse, sa durée, ces consé-
quences éloignées varient plus ou moins suivant la liqueur à laquelle on a eu recours
pour se procurer cette ivresse. Néanmoins, sauf peut-être pour l'absinthe, c'est l'intoxica-
tion alcoolique l'éthylisme, qui, dans tous ces cas, tient la première place.
Il est remarquable de voir de combien de substances diverses l'homme a su tirer
de l'alcool. Il n'est pas moins remarquable de voir quelle est l'extension géographique
de l'usage de ce toxique; on sait avec quelle rapidité les peuples primitifs en prennent
le goût aussitôt que les civilisés le leur ont fait connaître. Chez le buveur d'alcool,
même chez celui qui ne s'enivre jamais complètement, le besoin d'alcool devient rapi-
dement aussi impérieux que la faim. Ces deux besoins ont même de grandes ressem-
blances dans leurs manifestations. C'est un point sur lequel nous allons revenir.
11 y a une autre substance qui est recherchée presque à l'égal de l'alcool pour l'action
pharmacodynamique qu'elle produit sur le système nerveux central : c'est la caféine
{trmHhylxanthine].Sa.i:)s aucune connaissance chimique, l'homme dans toutes les régions
du globe a su reconnaître et utiliser des plantes qui appartiennent aux familles les plus
diverses, que rien d'agréable ne signale d'abord à l'odorat ou au goût, et qui n'ont rien
de commun entre elles que leurs propriétés excitantes dues à la caféine. Ces plantes
sont le café, originaire de l'Afrique orientale, le thé, originaire de l'extrême Orient, la
kola, dans l'Afrique occidentale, le maté et le guarana, dans l'Amérique du Sud.
Dans le thé et le maté, ce sont les feuilles qui sont utilisées; dans |le café,jla kola et
le guarana, ce sont les graines.
Voici les proportions de caféine contenues dans ces substances :
Gafé2 1,28 p. 100.
Thé2 3,3 —
Maté^ 1,0 —
Kolai 2,35 —
Guaraiiai- 4 — (environ).
A côté de la caféine ces substances contiennent toutes du tannin en quantité plus
ou moins considérable; ce corps a peu d'importance. 11 n'en est pas de même des
huiles essentielles qui préexistent dans ces substances (kola) ou s'y produisent par la
torréfaction (thé, café). L'action physiologique des huiles essentielles n'est pas très bien
connue, mais elle est appréciable. L'infusion de thé diffère suffisamment de l'infusion
de café pour que, dans certains cas, l'une produise de l'insomnie chez des sujets habi-
tués à l'autre. L'huile essentielle de la kola serait aphrodisiaque.
La caféine est un excitant cérébral et médullaire (Voir Caféine). Ingérée à la dose de
20 à 30 centigrammes, elle produit un sentiment de bien-être général, de force et de
légèreté, qui, subjectivement, ne diffère pas beaucoup du sentiment produit par les
doses modérées d'alcool. Mais, à l'inverse de celui-ci, elle procure effectivement une
augmentation de la force et une accélération dans les réactions psycho-motrices.
C'est cette action sur le système nerveux qui fait rechercher les substances à caféine,
car, excepté pour le thé, leurs propriétés organoleptiques sont plutôt désagréables. 11
faut être habitué au café pour l'aimer, et encore, il est habituel en Europe qu'on l'addi-
tionne de sucre pour masquer son amertume.
p. Pour le détail de ces faits et pour la bibliograpliie que nous ne pouvons donner ici, voir
l'article Alcool {Toxicologie générale).
2. Moyenne des analyses du recueil de Kônig.
3. KùNiG, t. H, p. 1083.
4. ScHLAGDENHAUFEN et H--ECKEL. Jouvii. de Phurm. et Ch., 1883.
5. GossKT. D. P., 1883.
366 ALIMENTS.
Les peuples musulmans, auxquels leur religion interdit l'alcool, font un grand usage
du café (Arabes) ou du thé (Persans), remplaçant ainsi une excitation par une aulre.
A côté des substances à caféine, on pourrait ranger le cacao, qui contient, outre très
peu de caféine, un bomologue inférieur de la caféine, la Ihéobromiiie {diniéOiylxanlldnc).
Mais ce coi-ps ne possède que des propriétés excitantes très faibles; d'autre part, les fruits
du cacao, par leur beurre particulièrement, jouissent de propriétés nutritives réelles, et
le chocolat, mélange de sucre et de cacao qui est la forme de consommation la plus
habituelle du cacao, est bien un véritable aliment, encore que par son goût, il flatte la
sensualité et soit pris le plus souvent en dehors des repas sérieux. '
La composition du cacao est la suivante (amandes grillées)':
Eau 5,6
Substances azotées 14,1
ThÉobromine 1,55
Caféine 0,17
Graisse 50,0
Fécule 8,77
Substances extractives non azotées. . . 13,9
Cellulose :i,9
Cendres 3,6
La caféine, comme l'alcool, est utilisée dans des régions fort étendues et par des
peuples très différents. Les substances suivantes, au contraire, sont les toxiques usuels de
peuples déterminés et n'ont à ce point de vue qu'une aire de dispersion restreinte ; leur
usage constitue même un caractère ethnographique.
La coca (Erythroxylum coca) est employée comme excitant par les indigènes du
Pérou et des régions voisines. Son principe actif est un alcaloïde, la cocaïne (Voir ce
mot).
Le Haiichich (sommités fleuries du chanvre) produit une ivresse spéciale qui est recherchée
en Egypte, en Asie-Mineure et dans l'Inde. Il semble que dans l'antiquité, le chanvre
était, en Orient, cultivé exclusivement pour ses propriétés enivrantes et négligé comme
textile'. Le principe actif est une huile essentielle (Voir Haschich).
Le Kat (Catha edulis) est très recherché dans l'Yémen et le sud de l'Abyssinie pour des
propriétés analogues; les Arabes de cette région en mâchent les feuilles fraîches. On ne
sait pas encore quelle en est la substance active'.
Le Kava {Piper methysticum) sert aux Polynésiens à préparer une boisson enivrante.
Vopium est consommé par les Chinois en inhalations ; une préparation pâteuse d'opium
(Chan-dou) sert à former de petites boulettes qui sont grillées sur une veilleuse ; la fumée
qui s'en échappe est aspirée au moyen d'un tube spécial dans la bouche et dans les
poumons. Ces inhalations sont beaucoup moins toxiques qu'on ne l'a cru ; on leur a même,
récemment, dénié toute action pliarmacodynamique; elles produisent pourtant un état
nerveux particulier fort apprécié des fumeurs d'opium et le besoin, une fois l'habitude
prise, en devient très impérieux (Voir Opium).
Cette façon de fumer l'opium s'éloigne de la consommation alimentaire proprement
dite; mais au point de vue physiologique, la différence importe peu. Ce que nous étudions
en ce moment, c'est l'usage habituel de toxiques ; ceux-ci sont pris le plus souvent en
boissons, le fait reste le môme quand ils sont pris en inhalations; il reste encore le même
quand ils sont pris en injections sous-cutanées, comme la morphine ou la cocaïne. Dans
ce dernier cas, l'intoxication systématique est évidente. Au contraire, pour le vin, le café,
d'une façon générale pour les poisons que nous venons de passer en revue et qui se
prennent par la bouche, il s'établit une confusion avec les aliments véritables ; l'expé-
rience vulgaire ne peut en elfet distinguer les uns des autres; non seulement ça se mange
ou ça se boit, mais ça donne des forces.
Théorie des aliments d'épargne. — La sensation de réconfort que produisent ces consom-
mations, semblable à celle que produit un bon repas, est particulièrement frappante
1. D'après Kônig.
2. De Candolle. Origine des plantes cultivées, Paris, 1883. ,
3. Leloup. Le Catha edulis, D. P., 1890.
ALIMENTS. 3(i7
dans un certain nombre de cas où l'alimentation réelle est supprimée momentanément.
Au Pérou, les Indiens font de longues courses, marchant nuit et jour, sans autre pro-
vision qu'une petite quantité de feuilles de coca qu'ils mâchent de temps en temps. Tschudy'
raconte qu'un Indien Qt un travail pénible pendant cinq jours et cinq nuits, en ne dor-
mant que deux heures par nuit, sans prendre d'autre nourriture qu'une demi-once espa-
gnole (14 grammes) de feuilles de coca qu'il chiquait toutes les deux ou trois heures.
Dans l'Afrique occidentale, les Nègres accomplissent des prouesses du même genre,
remplaçant le coca par la noix de kola.
Ces faits, et bien d'autres du même genre, ont attiré depuis longtemps l'attention des
voyageurs; ils ont conduit à attribuer à ces plantes exotiques des propriétés merveil-
leuses et ont donné lieu aune étonnante floraison de réclames pharmaceutiques.
Il y a lieu de les tenir pour réels; ils sont faciles à vérifier; l'un de nous, à plusieurs
reprises, a pu rester 40 heures sans manger, et pendant ce jeûne fournir sans fatigue
une journée entière de marche, en prenant quelques grammes d'une préparation de
kola. La quantité de caféine correspondant à cette kola, prise dans les mêmes condi-
tions, a montré les mêmes effets. La faim et la faiblesse qu'elle entraîne étaient parfai-
tement supprimées^.
Comme l'analyse chimique ne montre dans ces substances (l'alcool étant mis à
part) ■' ni aliments plastiques, ni aliments respiratoires (la théorie date de l'époque de Liebig),
du moins en quantité qui puisse entrer en compte, on imagina que les principes actifs de
ces substances (les aliments nervms de Liebig) arrêtaient ou tout au moins diminuaient
le métabolisme organique, empêchaient la dénutrition. Au lieu de se dépenser, suivant
la loi ordinaire, l'organisme soumis à l'inlluence de ces substances se réduirait à la
plus stricte économie. Ces substances seraient donc des moyens d'épargne, SparrmiUel;
le mot et l'idée sont de Schultz (1831), ils ont été repris par W. Bœûker '■■ et à sa suite
par un grand nombre d'auteurs parmi lesquels on (peu citer, en France, G. Sée, Gubler
et surtout Marvaud *.
Le mot a si bien fait fortune qu'on en est arrivé à l'employer couramment sans dis-
cuter la théorie qu'il suppose ". Cette théorie pourtant se heurte à des difficultés insur-
montables. Dès l'origine de la question, les objections ont été formulées d'une manière
catégorique.
« L'eau-de-vie (dit Liebig en parlant d'un travailleur insuffisamment nourri), par son
action sur les nerfs, lui permet de réparer, aux dépens de son corps, la force qui lui
manque, de dépenser aujourd'hui laTorce qui, dans l'ordre naturel des choses, ne devrait
s'employer que demain. C'est comme une lettré de change tirée sur sa santé '. »
En effet, la simple loi élémentaire de la conservation de l'énergie empêche abso-
lument d'admettre une production quelconque de travail sans dépense équivalente
d'énergie potentielle. Toutefois, comme le rendement mécanique de la machine
humaine n'est pas parfait (un cinquième, environ), si des expériences démontraient
effectivement, sous l'influence des prétendus aliments d'épargne, une diminution des
dépenses, il serait possible, peut-être, d'admettre une amélioration du rendement. Mais
cette diminution des dépenses n'existe pas en réalité. On a cru trouver la démonstration
cherchée dans l'analyse de l'urine; à l'époque où, suivant la théorie de Liebig, les aliments
azotés passaient pour l'origine de la force organique, une diminution de l'urée excrétée
démontrait une moindre usure. Cet abaissement du chiffre de l'urée a été constamment
invoqué parles partisans de l'épargne. Mais, i" cet abaissement n'est pas un fait cons-
1. Reiseskissen aus Peru in den, lahren IS3S-IS4S, Saint-Gall, 1846 ; cité par Marvaud.
2. Lapicque. B. B., 1890. Voir pour les détails des faits précédents Parisoï, D. P., 1890.
3. L'alcool doit à ce point de vue être mis à part; nous avons vu plus haut qu'il apporte des
calories à l'organisme; c'est donc un aliment, et aliment d'épargne, bien que le mot soit pris alors
dans un sens un peu dilïéi'ent.
4. Beitrâge zur Heilkunde. Crefeld, 1849; t. i, Genussmittel; cité par Marvaud.
5. Marvaud. Les aliments d'e'parr/ne. Paris, 1874.
6. Dans un traité de Chimie biologique tout récent, traduit de l'allemand en français, le-
mot Genussmittel est rendu par aliments d'épargne, Or l'auteur se montre adversaire résolu de
la théorie de l'épargne, même pour l'alcool, qui est de tous les prétendus moyens d'épargne le
seul qui peut-être mériterait cette qualification.
7. Nouvelles lettres sur la Chimie, Paris, 1852, p. 244.
3ti8 ALIMENTS.
tant, loin de là. Pour chacune des substances visées, à côlé d'une liste d'expérimenta-
teurs qui ont trouvé une diminution, on peut mettre une autre liste d'expérimentateurs
qui ont trouvé une augmentation de l'urée excrétée sous l'influence de ces substances;
d'autres leur dénient toute action caractéristique sur l'excrétion de l'azote ; 2° la quantité
d'azote excrété n'est nullement une mesure des réserves consommées; elle l'est seule-
ment des réserves azotées, et nous savons que les réserves ternaires ont un rôle au
moins aussi considérable dans la production de la force et de la chaleur.
Les déterminations calorimétriques jugeraient directement la question, mais elles
manquent; à leur défaut, nous avons les recherches tliermoniétriques et les détermina-
tions du CO^ rendu. Or ici nous trouvons, pour les deux substances précisément qui sont
en cause dans ces faits merveilleux dont nous parlions plus haut, la cocaïne et la caféine,
une élévation de la température et une augmentation du CO^ exhalé.
Pour ces deux substances aussi, nous trouvons quelques séries d'expériences qui
montrent tout le contraire d'une action d'épargne. Si l'on met des animaux à l'inanition
complète ou à un régime insuffisant, on voit ijue l'administration de ces substances non
seulement ne prolonge pas leur vie, mais souvent les fait mourir plus vite (cocaïne,
Cl. Bernard, Moheno y Maïz; caféine, Gum.iRAËs et Raposo).
Mais tout autre est la question, suivant .que l'on considère l'état subjectif et
l'aptitude au travail d'un homme privé de nourriture pendant quelques jours, ou que
l'on considère la résistance à l'inanition.
La condition pour résister à l'inanition est de réduire les pertes au minimum, s'il
s'agit de passer un temps un peu long sans aliments, mais dans l'inaction ; c'est bien
l'économie qui s'impose,
La condition est réalisée, pour les animaux à sang chaud, d'une manière aussi com-
plète que possible dans le cas de l'hibernation ' ; dans toute inanition, on voit aussi, bien
qu'à un degré moindre, l'organisme diminuer ses dépenses. La température s'abaisse de
quelques dixièmes ; la quantité d'acide carbonique excrété est sensiblemenl au-dessous
de la quantité excrétée par le même sujet quand il est normalement nourri; Edw. Smith
indique une diminution de 2o p. 100; Ranke d'une part, Hanriot et Ch. Richet de l'autre
ont trouvé sensiblement les mêmes valeurs : un sujet qui exhale 18 litres de CO- par
heure quand il est nourri n'en exhale plus que 14 en moyenne pendant le jeune. Les ani-
maux de grande taille supportent l'inanition pendant un nombre assez grand de jours
(trente, quarante et davantage) sans autre dommage organique qu'un amaigrissement
qui se répare aussitôt qu'une alimentation suffisante leur est rendue.
Mais le début de l'inanition est marqué (et chez l'homme, semble-t-il, avec plus
d'intensité que chez les animaux) par des phénomènes pénibles, de l'angoisse, de la
faiblesse, de la douleur localisée dans l'estomac. Ces phénomènes n'attendent nullement
pour se manifester qu'il y ait déjà une portion sensible des réserves consommées et que
la vie du jeûneur soit en jeu ; c'est dès le premier jour, à l'heure même où manque le
premier repas habituel, qu'ils se manifestent; au contraire, ils vont en s'amendant si l'on
passe outre à cette première période. Le jeûne du second jour est souvent déjà moins
pénible que celui du premier.
La description de ces symptômes indique d'elle-même leur caractère nerveux ; et ce
caractère se dessine encore avec plus de précision si nous examinons la façon dont ces
symptômes disparaissent. Un repas les fait en effet cesser immédiatement, par son inges-
tion même ; ils font place instantanément à une sensation de bien-être général et de
vigueur. Or, à ce moment, la digestion n'est pas même commencée, il n'y a reconstitu-
tion d'aucune réserve, il ne peut mêjne y avoir de modification notable dans la compo-
sition du milieu intérieur. L'organisme n'a reçu que des excitations nerveuses, venues par
les voies suivantes: 1° sensations gustatives et olfactives; 2° excitations mécaniques des
premières parties du tube digestif : déglutitions répétées, réplétion de l'estomac:
3° absorption de substances extractives des aliments, qui sont en état d'être absorbées
sans modification digestive ; ces substances n'existent qu'en petite quantité, mais peuvent
après leur passage dans le sang, passage qui peut avoir lieu très rapidement, venir
exciter le système nerveux central par un mécanisme pharmacodynamique.
1. Voir pour ceci et pour ce qui suit: Ch. Richet, l'Inanition. Trav. du laboratoire, t. ii.
ALIMENTS. 369
Il y a un exemple, d'expérience vulgaire, où se trouve réalisée la séparation entre
le pouvoir nutritif et les propriétés excitantes des aliments : c'est le bouillon de viande.
L'insestion d'une tasse de bouillon chaud représente: 1° des sensations gustatives et
olfactives; 2° des excitations mécaniques dans les premières parties du tube digestif;
3° des matières exlractives immédiatement absorbabies. Cela suffit pour cjue le bouillon
produise, avec une intensité qui lui a fait prêter des propriétés merveilleuses, le sentiment
de réconfort d'un bon repas. Et pourtant sa valeur alimentaire est sensiblement nulle '.
Il est facile maintenant de concevoir que les pliénomènes nerveux de la faim cèdent
à des poisons du système nerveux; et on comprend qu'ils puissent céder également à
des excitants, qui remplacent l'excitation des aliments, et à des narcotiques, qui suppri-
ment le besoin. Seulement les premiers, telles que la caféine et la cocaïne, sont évidem-
ment ceux qu'ils faut employer lorsqu'il y a un travail à fournir pendant l'inanition. 11
faut, en eflfet, réagir contre cette tendance instinctive de l'organisme inanitié à s'inhiber,
à se mettre en état de repos pour dépenser moins, et c'est probablement parce qu'elles
sont tout le contraire d'un agent d'épargne que ces substances permettent les efforts
pendant le jeûne dont nous avons parlé.
Il nous semble donc que la dénomination d'aliments d'épargne appliquée à de telles
substances constitue un contre-sens, et qu'elle doit disparaître.
iMais si maintement nous considérons l'alcool, que nous avions systématiquement
laissé de côté dans les considérations qui précèdent, nous trouvons à cette substance
deux ordres de propriétés distinctes : 1° une action sur le système nerveux; à ce point
de vue il peut rentrer complètement dans la catégorie précédente, et tout ce que nous
avons dit des autres s'applique également à lui; 2° une valeur comme combustible.
Nous avons à ce point de vue examiné l'alcooi ainsi que d'autres substances dans un
autre chapitre (Voir page 346). Nous avons trouvé là une notion de l'épargne tout à fait
distincte de celle que nous venons d'examiner ici. C'est la théorie de Voit, où l'on voit
la graisse, l'amidon, la gélatine, etc., épargner l'albumine. Cette expression d'épargne
est donc amphibologique.
De plus, dans cette seconde acception, elle n'est pas absolument exacte. Si les hydrates
de carbone, en effet, épai-gneut l'albumine, celle-ci à son tour, dans le cas, par exemple,
d'une alimentation exclusivement quaternaire, épargnera les réserves de graisse de l'or-
ganisme. Il s'agit donc d'une action réciproque que la notion d'épargne exprime mal,
semblant impliquer un ressouvenir de la théorie de Liebig sur l'albumine, seule source
de l'énergie organique, substance primordiale de la nutrition que les autres aliments
simples peuvent seulement suppléer plus ou moins. Il nous semble donc, que dans ce
second cas aussi, il y a avantage à supprimer la notion d'aliments d'épargne, pour la
remplacer par la notion autrement précise de Visodynamie.
Il nous reste alors, si nous considérons l'ensemble des substances alimentaires, trois
catégories parfaitement claires : 1° des combustibles, isodynames entre eux suivant les lois
de la tliermocbimie; 2° des substances, minérales et organiques, nécessaires chacune
pour elle-même en raison de leurs propriétés chimiques, — ces deux classes com-
prenant tous les aliments véritables, nécessaires ; 3° des excitants du système nerveux,
agissant soit par la voie sensorielle, soit par action pharmacodynamique; ceux-ci
n'étant pas des aliments véritables, et n'étant pas nécessaires.
Ration alimentaire. Physiologie comparée. — L'étude de la ration alimentaire
sur les divers animaux n'a guère été entreprise méthodiquement que sur les animaux
domestiques par les agronomes. Pour les invertébrés et les animaux à sang froid, on ne
sait rien de précis ou à peu près rien. Il est de fait que les animaux à sang froid ont
besoin de peu d'aliments eu hiver; que des serpents peuvent rester plusieurs mois sans
nourriture ; tandis qu'en été la consommation est plus active ; mais ce ne sont pas là des
chiffres exacts. Même pour les oiseaux et la plupart des mammifères, les données
l. Le bouillon lui-même est souvent étudié parmi les alimenis d'épargne, et on a fait de
nombreuses recherches ponr découvrir parmi ses composants une substance active comparable à
la caféine, par exemple ; on a successivement désigné comme tels la créatine et les sels de potasse,
sans pouvoir fournir à cette opinion une base expérimentale. U nous semble que la propriété du
bouillon résulte de ce qu'il est en quelque sorte, pour le système nerveux, l'illusion complète de
ia nourriture. "
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 24
370
ALIMENTS.
sérieuses fout défaut. Au contraire pour les chevaux, les bœufs, les porcs, les moutons,
on a des chilïres très nombreux. En effet, ce n'est pas seulement un problème scienti-
fique, c'est encore et surtout un problème d'industrie agricole. Il s'agit de savoir quel est
le meilleur rendement, de telle ou telle alimentation donnée, en graisse, en viande, en
lait, en laine, en travail. On comprend que la question a dû souvent être traitée, et
avec beaucoup d'ampleur, comme toutes les fois qu'il s'agit d'une application pratique
immédiate. Les chiffres obtenus ont une très grande valeur; car ils portent sur des
quantités considérables.
Nous ne pouvons aborder cette partie de l'économie rurale ici dans tous les détails;
et nous nous contenterons pour une étude plus développée de renvoyer aux ouvrages
ofi elle a été approfondie, depuis les travaux fondamentaux de Boussingault {{Économie
rurale, 2'= édit., 1851). — Mentionnons Baudesient, Allibert (cités par Milne Edwards, T.
P., t. viu, p. 187). — Henneberg et Stohmann (Beitràge zur Begrundiwg einer rationnelten Fut-
terung der Wiederkaucrn). Braunschweig, 1860. — Lawes et Gilbert [Expérimental inquiry
into the composition of some of the animais fed and slaughered as human food, in Philos.
Transact., passim : travaux analysés avec grand soin dans le livre de Grandeau, Valimenta-
tioncle l'homme et des animaux domestic/ucs. Paris, 1893, t. i, pp. 220-364).' — Wolff (A^t-
mentation des animaux domestiques; trad. franc., Paris, 1888). — Crevât [Alimentation
rationnelle du bétail. Lyon, 1883). — Corneviin [Traité de zootechnie. Paris, 1891, pp. 841-
920). — C. HussoN [L'alimentation animale, Paris, 1882). — Livalard [Le Cheval, t. i, Ali-
mentation, Paris, 1891). On trouvera dans ces divers ouvrages des tableaux, que nous ne
pouvons reproduire ici, sur la composition chimique centésimale des divers fourrages
et leur valeur alimentaire dilférente.
A vrai dire il est rare que l'agriculteur s'occupe de la ration d'entretien proprement
dite. Le plus souvent il a un autre but que celui de faire vivre les animaux, et alors il y
a une ration d'engraissement (on peut faire rentrer dans l'engraissement la lactation, la
production de viande, la production de laine); et l'élevage des jeunes animaux, et une
ration de travail (bœufs au labour, chevaux de labour ou de trait, etc.).
Mais, dans certains cas, la ration d'entretien peut se confondre avec la ration d'engrais-
sement à condition qu'on déduise de l'alimentation par un simple calcul le poids dont
l'animal s'est accru en engraissant.
Ration d'entretien. — Voici quelques chiffres, d'après Henneberg et Stohmann.
Pour des bœufs supposés de 1 000 kilos, on peut donner par 24 heures diverses
associations alimentaires, comme les cinq groupes suivants :
1
2
3
4
5
FOIN
PAILLE
TOURTEAUX
DE COLZA.
PAILLE
DE SEICtLE.
BETTERAVES.
kil.
n,5
3,7
2.6
3,8
kil.
13
14,2
12,6
kil.
0,6
0,5
0,6
1,0
kil.
13,3
kil.
■ 25,6
ce qui correspond aux matières alimentaires suivantes :
Matières albumineuses
Hydrates de carbone >
Graisses
6,800
0.660
A cela il faut ajouter pour des bœufs de 1000 kilos
Eau .
P2 0Ï
0,03
CaO. . . .
Autres sels.
0,100
0,100
Il a été observé, entre autres faits curieux, que la consommation croit à mesure que la
température de l'étable s'abaisse, si bien que de + 20° à -f- 10», la consommation croit
de 2,0 p. 100 ; et de -I- 10° à 0° de 6 p. 100.
ALIMENTS. 371
Ce qui ressort, encore de ces recherches, c'est que l'on ne doit pas considérer ce que
BoussiNGAULT, puis WoLFF, Ont appelé Vdqidvalence du foin comme une mesure légitime
de l'alimentation, puisque cela conduirait à des conclusions absurdes, faciles à déduire
des chiffres qui précèdent.
En comparant la nutrition des moutons, des bœufs et de l'homme, on arrive aux chiffres
suivants, d'une part par kilo, d'autre part par mètre carré de surface en calories.
Alb. par Hyd, de G. Graisses Calories
kil. par kil. par kil. par m. q.
Homme, 62 liilos 2,0 8,0 1,30 1690 cal.
Bœufs, 800 kilos 0,57 6,8 0,66 3037
Moutons, 48 kilos 1,14 10,2 0,32 1740
Le chiffre de 3 037 calories par mètres carrés chez le bœuf ne concorde pas avec le
chiffre 1690 de l'homme. Mais la mesure de la surface est très arbitraire et comporte
sans doute une fort grosse erreur; ce qu'on pouvait prévoir d'ailleurs par la mesure du
CO^ exci'été, qui est, chez les bœufs, de 35', 70 par heure et par mètre carré, alors cju'il
est chez le mouton de 28', 2S et chez l'homme, de 2 grammes (Ch. Richet. Ti'av. du Lab.,
1. 1. p. 573).
La proportionnalité de l'alimentation avec le poids confirme d'une manière remar-
quable toutes les études entreprises sur la variation des échanges respiratoires avec le
poids et par conséquent avec la surface des animaux (Ch. Richet. De la meswc de$ com-
bustions respiratoires chez les mammifères, in Trav. duLaborat.,t. i, p. 360). D'après Allibeht,
une souris a besoin par kilogramme de 46 grammes de matière azotée, tandis que le
lapin, qui pèse près de 130 fois plus qu'une souris, n'a besoin que de 8 grammes de
matière protéique par kilogramme; l'homme ayant, d'après ce qui précède, besoin de
2 grammes et le bœuf, de Os"', 6.
Les moutons de petite race auraient besoin, d'après He.xmeberg, de ls'',o d'alb, par
kilogramme et 12 de gi'ammes de corps non 'azotés; ensemble 13s'',>ï, avec un rapport
auitritif de 1 à S. (Les agronomes appellent rapport nutritif \e rapport entre la matière
protéique prise comme unité', et les autres matières organiques, non azotées, alimen-
taires.) Les moutons de grandes races auraient besoin de ls'',2 d'albumine et 10^', 8
■de corps ternaires, ensemble 12 grammes, avec un rapport nutritif de 1 à 9.
Ration d'engraissement, de lactation et d'élevage. — L'étude de la ration
d'engraissement a été surtout faite par Lawes et Gilbert, dont les analyses sont vraiment
admirables. Il résulte de leurs recherches : 1° que pour la ration d'engraissement ce
rapport nutritif doit être de 1 à S envii'on; autrement dit, en poids, o fois plus de ma-
tières non azotées que de matières azotées (On remarquera que c'est là précisément le
rapport nutritif de la ration alimentaire normale de l'homme); 2° que le croît d'un
animal adulte qui passe de l'état maigre à l'état gras représente par kilogramme
d'accroissement (en moyenne) :
Eau 248
Griii^se 678
Jlatirrf allmiriiuoïde. . . 73
Jlatirrc minéi-alo 11
3° que sur 100 grammes de fourrage sec il y a de IS à 9 grammes qui sont directement
fixés dans les tissus pour l'accroissement; 4" qu'il se forme plus de graisse dans le corps
qu'il n'y en a dans le fourrage alimentaire.
A ces faits importants ajoutons cette donnée pratique, due à Wolff, que la ration
d'engraissement doit à peu près doubler la ration d'entretien pour qu'elle ait son plein
efl'et. Dans ces conditions, chez certains animaux, chez le porc notamment, et certaines
variétés de porcs, on peut avoir jusque à un 'rendement de 23 pour 100; c'est-à-dire
pour 100 grammes d'aliments obtenir un croit de 23 grammes.
Bien entendu l'engraissement peut être accéléré par l'addition de certains aliments, par
exempte de sel marin, ou de craie (chaux), ou de lait riche en phosphates et en graisses.
Pour la production du lait, et l'assimilation du lait des jeunes animaux (Voyez Lait).
Ration de travail. — L'étude de la ration de travail est plus complexe encore.
D'abord il ne faut pas espérer trouver, dans l'étude des aliments, la solution de la dyna-
mique animale, un des plus difficiles problèmes de la phj'siologie; rien n'est plus incer-
372 ALIMENTS.
tain que la mesure du travail réel effectué par les moteurs animés, de sorte qu'il faut se
contenter d'approximations assez vagues.
D'abord nous pouvons admettre comme démontré que la valeur dynamique d'un
aliment quelconque est égale à sa valeur calorifique. Eu effet, les hydrates de carbone
peuvent se transformer en graisses, les matières azotées en hydrates de carbone, de
sorte qu'il y a équivalence parfaite entre la valeur dynamo^ène et la valeur thermogène
des aliments. Cela est évident puisqu'ils se transforment l'un dans l'autre suivant des
équations therniochimiques inexorables (Voy. Chaleur et Travail).
Cela posé, voyons comment les agronomes ont résolu )e problème au point de vue
de l'alimentation. Autrement dit quelle est la différence de ration entre un animal au
repos et un animal qui travaille? Bien entendu nous ne prétendons pas ici, à propos des
aliments, discuter la question si complexe des origines de la force musculaire. Nous
nous contentons d'exposer quelques relations entre l'aliment et travail.
Théoriquement, à supposer que l'aliment soit ingéré tout entier, et absorbé tout
entier, et que tout serve à produire du travail, une Calorie produisant 42o kilogram-
mètres, il faudrait multiplier par 42o la valeur calorifique des aliments pour avoir leur
rendement en kilogrammètres. Par conséquent, en prenant pour point de départ le travail
quotidien fourni par un excellent cheval de gros trait (2 millions de kilogrammètres), cela
suppose une alimentation répondant à 4700 calories; valeur correspondant à i 140 gram-
mes d'amidon, soit à 1 160 grammes de matières azotées, soit à SOO grammes de graisse.
Mais nous savons, d'une part, que tout l'aliment n'est pas absorbé; que 30 p. 100
environ sont indigérés; de sorte que les chiffres ci-dessus devront être augmentés, et
portés pour l'amidon à 1600 grammes et pour la graisse à 700 grammes en chiffres
ronds : soit 6600 calories.
.Nous pouvons admettre que toute cette matière organique brûlée sert dans ce cas à
produire du travail, non pas qu'il en soit réellement ainsi; mais parce que, s'il se produit
de la chaleur en excès, comme c'est le cas, pour les trois quarts de l'aliment transformé
en travail, cette chaleur va diminuer d'autant la consommation nécessaire des aliments
de la ration d'entretien.
Dans l'équation de la ration d'entretien nous avons :
A Alim. = Chai. C.
Dans l'équation de la ration de travail nous avons :
A' Alim. = Chai. C + Travail. T.
Donc nous devons déduire de Chai. C. la quantité C de chaleur produite par la
ration de travail, ce qui diminue d'autant la quantité A de l'alimentation.
Calculant à combien de trèfle sec, par exemple, ou d'avoine répondent ces 6600 calo-
ries nécessaires au dynamisme de l'animal, nous trouvons, d'après les tableaux de 'Wolff
(toc. cU.,.j>. 3a8, sect. iv, tableau i) pour le foin, en albumine et en hydrates de carbone,
46s^ 4 p. 100; en graisses, 1 p. 100; pour l'avoine, en albumine et en hydrates de car-
bone. 52 p. 100; en graisses, 4,3 p. 100, ce qui correspond pour 1 kilogramme de foin
(sec) à 2000 calories; pour 1 kilogramme d'avoine à 2500 calories, en chiffres ronds.
Par conséquent (théoriquement) on peut évaluer à 3'^", 300 de foin (ou une sommede
2 kilogrammes de foin et 1 kilogramme d'avoine), la quantité d'aliments qu'il faudra
ajouter à la ration d'entretien d'un cheval pour lui permettre de fournir du travail, sans
l'emprunter à ses tissus, de manière à rester dans un état de bonne nutrition.
Telles sont les considérations théoriques qu'on peut formuler, avant toute expérience
sur la ration de travail. Mais les expériences entreprises montrent qu'il y a d'autres élé-
ments dont il faut tenir compte.
D'après Wolff un cheval (de 530 kilogrammes), pour faire un supplément de Iravail de
500000 kilogrammètres, a dû consommer 570 grammes d'amidon (réellement digéré) en
plus de sa ration. Un autre, pour faire encore un supplément de travail de 500000 kilo-
grammètres, dut consommer 219 grammes de graisse (réellement digérée) en plus de sa
ration. Or 500000 kilogrammètres répondent à M 80 calories; tandis que 570 d'amidon
répondent à 2 300 calories et 219 grammes de graisse répondent à 2000 calories. La moi-
tié seulement a été employée en travail.
Pour expliquer ce résultat, paradoxal en apparence, il suffira de faire remarquer que
ALIMENTS. 373
les animaux qui travaillent dégagent une somme de chaleur supérieure à celle qu'ils
dégagent quand ils sont au repos. Certes, quand la radiation calorique devienttrès intense,
par divers procédés l'organisme remédie à cette déperdition exagérée de chaleur; mais
ce n'en est pas moins une consommation de carbone, plus forte qu'à l'état normal.
Gkandeau et Leclercq ont entrepris des recherches très méthodiques sur l'alimentation
des chevaux de la Compagnie des omnibus (1882) et Muntz sur l'alimentation des che-
vaux de la Compagnie des petites voitures.
Grandeau et Leclercq sur des chevaux de 423 kilogrammes ont essayé de distinguer
la ration alimentaire d'entretien de la ration de travail. D'après eux un cheval do
425 kilogrammes a besoin, pour ration d'entretien, de 2502 grammes de matière orga-
nique (répondant à 4 iOO grammes de fourrage), tandis que, si on le fait travailler avec
une production de i 674000 kilogrammètres — l'évaluation du travail produit est très diffi-
cile, et tant soit peu hypothétique — il a besoin de 4800 grammes de matière organique,
répondant à 8 500 grammes de fourrage; soit une dilférence en plus de 2444 grammes de
matière organique ou 3700 grammes de fourrage.
En comparant ce chiffre au chilïre que nous avons fourni plus haut, 3 500 de foin
pour 12 millions de kilogrammètres, on voit qu'il y a toujours un déficit notable, dû pro-
bablement à l'excès de chaleur dégagée pendant le travail.
Sous une autre forme, Grandeau et Leclercq ont ainsi calculé l'emploi dynamique
des. aliments. Soit 100 la ration de travail; il y aura :
Entretien strict 42
Transport automoteur . . 33
Travailindustrielj. .... 25
Et Muntz a admis pour 100 de ration de travail :
Entretien strict 67
Transport automoteur . . 7
Travail industriel 26
Dans la cavalerie militaire allemande (Tereg, in Ellenberger's Vergleichende Physio-
logie, 1890, t. I, p. 154) la ration de garnison pour les chevaux est de :
Avoine 4 900
Foin 2 500
Paille 3 500
Tandis que la ration de campagne n'est pas très dilférente :
Avoine 5 500
Foin 1500
Paille 1750
Déduction faite de la ration d'entretien, l'alimentation de garnison répondrait à
367000 kilogrammètres et l'alimentation de campagne à 512500 kilogrammètres.
Il est inutile d'insister pour prouver que ces divers chiffres sont peu satisfaisants.'
Nous arrivons à une plus grande incertitude encore quand nous voulons essayer de
fixer en matière albuminoïde l'équivalence de travail effectué, comme l'a proposé
Sanson {Mesure du travail effectué dans la locomotion du quadrupède. Journ. de l'An, et
de la Phys., 1886), qui estime à un kilogramme de protéine alimentaire la quantité
nécessaire à la production de 1600 000 kilogrammètres.
D'autres problèmes bien intéressants, et bien obscurs aussi, ont été soulevés à ce
sujet, comme l'influence des allures de l'animal sur le travail réel effectué; et le rapport
de l'azote au carbone dans ces rations de travail intensif; nous ne pouvons les appro-
fondir ici. On lej trouvera dans le livre de Ayraud (Alimenlation rationnelle des
animaux domestiques. Paris, 1888) et dans celui de Cornevin {Traité de Zootechnie,
1891, pp. 841-915). D'ailleurs, à propos de la ration alimentaire de l'homme, on a vu
quelle était la ration de travail, différente de la ration d'entretien.
En tout cas nous pouvons admettre, comme résultat d'ensemble, les trois proposi-
tions suivantes :
1° Pour la ration de travail il faut un excès d'alimentation en rapport avec le travail
produit;
374 ALIMENTS.
2° Le meilleur rapport nutrilif est de 1 à o;soit 1 gramme de matière azotée pour
S grammes de matière organique non azotée (hydrates de carbone et graisse);
3° Sans rien préjuger relativement à la transformation des combustions en travail
mécanique et en chaleur, il faut ajouter à la ration d'entretien 100 d'aliments pour
produire 60 de travail. Par conséquent il faudra en chiffres ronds, pour 1 million de
kilogram mètres une ration supplémentaire répondant à 4 000 calories, ce qui fait envi-
ron 1 000 grammes de sucre ou de protéine; ou encore 420 grammes de graisse.
Alimentation de luxe. — La question de l'alimentation de luxe ne se trouve pas
posée aujourd'hui comme elle l'était du temps de Liebig. En effet, il ne s'agissait alors
que de la consommation, plus ou moins utile des matières protéiques, considérées alors
comme les seuls aliments plastiques.
Si, disait Liebig, on ne fait pas de travail musculaire et que par conséquent on n'em-
ploie pas pour réparer les muscles les aliments azotés ingérés, aloi-s on brûle l'excès de
ces aliments, et ils sont devenus relativement superilus puisque on s'en sert pour la
chaleur, au lieu de s'en servir pour la reconstruction organique. Mais, pour les raisons
que nous avons longuement développées plus haut, cette théorie du rôle exclusivement
ou même spécialement plastique des aliments azotés ne tient plus debout. Nous savons
maintenant que les aliments azotés sont calorifiques, eux aussi, et même, à poids égal,
aussi calorifiques que les hydrates de carbone, et d'autre part il est prouvé que les
graisses et les hydrates de carbone sont aussi plastiques que les matières azotées, et qu'il
y a fréquemment transformation des uns en les autres, si bien qu'un animal peut vivre
en ne consommant absolument que des matières azotées, comme le font certains carnas-
siers, qui, avec les matières azotées, trouvent moyen de faire du sucre et de la graisse.
Donc il ne peut être question de luxe dans ce sens; car, du moment qu'un aliment
produit de la chaleur, ce n'est plus un aliment de luxe; de sorte que la question peut
se ramener à un autre problème qui est aussi fort difficile à résoudre. Est-ce que
nous produisons par un excès dans l'alimentation un excès de chaleur? Y a-t-il une
chaleur de luxe?
Or, si nous mesurons les échanges, nous voyons constamment, une, deux et trois
heures après le repas, croître énormément la consommation d'oxygène et la production
d'acide carbonique. Par exemple, Hanriot et Ch. Richet (Trar. du Lab., t. i, p. 480) ont
vu que, toutes conditions égales d'ailleurs, la proportion d'acide carbonique passait, chez
l'homme, par le seul fait de l'alimentation, de 0,492 àO,o60. Chez les animaux les chiffres
sont au moins aussi évidente. Donc nous voyons par le fait de l'alimentation les échanges
augmenter dans la proportion d'un sixième.
En même temps la température s'élève légèrement, comme de nombreuses détermi-
nations l'ont appris, si bien que les échanges et la production de chaleur augmentent
après les repas. Même il est probable que la température augmente moins que n'aug-
mente la production de chaleur, car, après les repas, il y a une dilatation vasculaire qui
répond aune radiation calorique plus intense.
Ainsi, à n'envisager les phénomènes que sous cette forme simple, l'alimentation,
dans la plupart des cas, peut bien encourir le reproche d'être trop abondante, puisqu'elle
fait croître sans ".tilité apparente pour l'organisme la consommation chimique et la
production de chaleur.
Mais il est presque impossible de décider si cet excès est vraiment inutile. On se
trouve là en présence de la difficulté à laquelle se heurtent constamment les écono-
mistes quand ils ont à traiter la question du luxe dans les sociétés. Tout dans une société
peut être à la rigueur considéré comme étant du luxe. On sait que même l'ècuelle de
DioGÈNE a été rejetée par lui ainsi qu'un meuble superflu. Dira-t-on que c'était un objet
de luxe? Si l'on ne considérait comme indispensable que ce qui suffit à l'entretien
strict de la vie, on finirait par retrancher à peu près tout ce qui fait la civilisation.
Lorsque nous prenons dans noti'e alimentation 120 grammes d'albumine et 500 gram-
mes d'hydrates de carbone, il est certain que nous pourrions, sans que notre santé soit
immédiatement affectée, diminuer notre ration tout au moins d'un sixième. La meilleure
preuve qu'on en puisse donner, c'est que, parmi dix individus de même taille, de même
sexe, de même race, de même âge, et vivant dans le même pays, les rations varieront
dans une proportion très forte. Assurément, en prenant au hasard dix personnes, on
ALIMENTS. 37o
en trouvera une mangeant deux fois plus que la personne qui mangera le moins et qui
néanmoins se portera fort bien. Pourquoi celte différence, s'il n'y avait pas chez la per-
sonne mangeant le plus une consommation alimentaire tant soit peu exagérée ?
xV la vérité on peut admettre que la radiation calorique et le travail musculaire ne
sont pas identiques chez les uns et les autres, et qu'il y a des besoins individuels variables.
Mais, malgré ces idiosyncrasies de nutrition et de calorification, les écarts des rations
alimentaires sont certainement trop considérables pour qu'on n'attribue pas à l'habitude
démanger plus ou moins une influence très grande. En s'étudiant soi-même, on constate
qu'on peut changer ses habitudes, et si pendant quelque temps on mange moins, on
pourra continuer ce régime de moindre ration sans que la santé en souffre. Non seu-
lement on n'en pàtit pas, mais parfois on se trouve en meilleure santé au point de vue de
la digestion et de la nutrition. En soumettant un dyspeptique à un régime, on modifie
sans grande peine sa ration journalière. Il est bien évident qu'on pourrait de même
soumettre à un régime des gens bien portants sans leur faire éprouver le moindre dom-
mage. En comparant la manière de vivre des citadins avec celle des campagnards, on
voit que les citadins mangent beaucoup plus que les campagnards ; sans que pour cela
les citadins se portent mieux.
Cependant il ne faudrait pas en conclure que ce léger excès de l'alimentation est
absolument inutile. Une alimentation de luxe peut n'avoir que les apparences du luxe,
et, suivant une formule, que l'un de nous énonce fréquemment dans ses cours de physio-
logie : j)Our avoir assez il faut avoir trop. Si on se contentait du strict minimum de nos
exigences organiques en oxygène, en carbone et en azote, ce minimum serait insuffisant
à un moment donné. Il faut un léger excès de charbon à une machine pour qu'elle tra-
vaille sans heurt, sans à coup, sans avoir à craindre de s'arrêter brusquement par défaut
de combustible; il faut qu'un coup de collier puisse être donné, sans que pour cela la
machine cesse de fonctionner, comme ce serait le cas si elle était réduite à la quantité
de charbon strictement suffisante au travail moyen. Donc, pour un état de santé satis-
faisant, il faut assurément un peu plus que la ration limite. Il faut que, dans chaque
période post-digestive, l'organisme puisse mettre en réserve quelques matériaux qui
seront utilisés plus tard; et qu'il travaille avec un excès de ressources.
Pour conclure, nous dirons qu'il y a une alimentation de luxe, non pas dans le sens
de LtEBiG, c'est-à-dire dans le sens d'une consommation trop forte d'aliments azotés, mais
dans le sens d'une production exagérée de calorique.
Quant à savoir jusqu'à quel point ce luxe alimentaire, entraînant le luxe des com-
bustions, est favorable à l'organisme, ou même quant à décider s'il est favorable ou
défavorable, c'est un problème assez délicat. Il nous semble toutefois que la ration ali-
mentaire de chaque individu est, dans une assez grande limite, fonction de ses habi-
tudes, et que, chez les habitants des villes et chez les individus de la classe aisée, il y a
généralement une tendance à adopter une ration un peu trop considérable. Autrement
dit encore, c'est l'habitude qui règle dans une large mesure notre consommation alimen-
taire quotidienne, et certaines classes sociales ont pris l'habitude de la régler à un taux
trop élevé. Un peu plus de frugalité, cela n'aurait, semble-t-il, que des avantages de
toute sorte.
On ne peut pas objecter que l'appétit est un guide infaillible pour une saine alimen-
tation. Il est de fait que c'est un guide très trompeur, même chez les gens bien portants.
Tel individu fera un repas plantureux si on lui sert des aliments satisfaisant sa sensua-
lité gustalive, qui ne touchera que du bout des dents à un diner, aussi nutritif, mais plus
modeste. L'expérience a appris qu'on consomme (dans les lycées par exemple) deux
fois plus de pain, quand on sert dupain frais que quand on sert du pain rassis. D'ailleurs
l'appétit juge plutôt le degré de la ré|ilétion stomacale que la quantité des matières
alibiles introduites dans l'estomac. Le vieux précepte de l'École de Salerne qu'il faut se
lever de table avec ^quelque appétit encore, est assez sage, somme toute; car il n'est
vraiment pas rationnel de continuer à manger tant que l'estomac n'est pas rempli. A ce
compte l'appétit est aussi une affaire d'habitude, puisque on prend l'habitude de s'arrêter
quand l'estomac a acquis telle ou telle distension. Or cette distension stomacale n'a
qu'une relation assez lointaine avec la ration alimentaire.
Il est vrai que, si un repas unique n'est pas la mesure exacte des besoins de l'or-
376
ALIMENTS.
ganisme, l'ensemble de plusieurs repas pourra donner une mesure très satisfaisante :
car si un repas unique a été trop abondant, l'inappétence se prolongera; et d'autre part
s'il a été tiop frugal, on aura un appétit formidable, survenant avant qu'arrive l'heure du
repas consécutif, de sorte qu'en fin de compte, tant bien que mal l'équilibre s'établit. Si
l'on admet que pendant les six heures qui suivent le repas, il y a excédent calorique (et
par conséquent alimentaire) d'un sixième; comme en général il se fait deux repas par
jour; cela fait pendant douze heures un excédent d'un sixième; soit, finalement une con-
sommation alimentaire dépassant en vingt-quatre heures d'un douzième la consomma-
tion nécessaire, 10 grammes d'albumine et 45 grammes d'hydrates de carbone. Quoique
non négligeable, cet excès est en somme peu de chose. Qui sait s'il ne serait pas avan-
tageux à chacun d'essayer de faire sur soi-même cette petite réforme dans ses habitudes?
Nous pencherions à croire qu'on pourrait sans inconvénient la faire encore plus grande'.
Tableaux indiquant la composition centésimale des principaux aliments
de l'homme.
La plupart des substances naturelles ou fabriquées industriellement qui servent à la
nourriture de l'homme ont une composition qui varie dans des limites assez étendues;
suivant l'état des animaux qui l'ont fournie, la viande contient des proportions de
graisse très variables; les conditions de la culture, le climat, la variété ensemencée,
influencent la quantité de gluten dans les céréales. Les moyennes et les types que nous
donnons ci-dessous, tous extraits du recueil de Komg, ne peuvent donc servir que
comme renseignements généraux.
Viandes de boucherie.
Viande de bœuf très gras
— — domi-gras
— — maigre
"Viande de veau gras
— — maigre
Viande de mouton demi-gras . . .
Viande de porc gras
— — maigre
EAU.
SUBSTANCE
AZOTÉE.
GRAISSE.
h3
72
76
72
79
76
47
73
17
21
21
■ 19
20
17
15
20
29
5
7
1
6
37
7
"Volaille, Gibier.
Viande de lapin gras
— ctievreuil
— poule maigre
— poulet gras
— dindon demi-gras . ...
EAU.
SUBSTANCE
GRAISSE.
67
76
76
70
66
7.5
38
72
21
20
20
18
22
16
10
2
9
8
1
46
1
— oie grasse
— perdrix grise
1. Ce chapitre relatif à l'alimentation de luxe exprime des idées qui me sont personnelles, et
que mon collaborateur et ami Lapicque ne peut accepter. Il est disposé à croire qu'il n'y a pas
d'alimentation de luxe, et que nous ne consommons que le strict nécessaire. Ch. R.
ALIMENTS.
Poissons.
377
Viande de saumon
— anguille
EAU.
SUBSTANCE
AZOTKE.
GRAISSE.
64
57
73
71
80
77
22
13
14
19
18
16
12
IS
2S
9
8
0,S
0,3
0,2
1
— maquereau
— brochet
— sole
— carpe
Invertébrés.
Huître, chair
EAU.
SUBSTANCE
AZOTEE.
GRAISSE.
SCBST. EXTIi.
NON AZOTEE.
80
9
,-,
6
Moule
84
9
1
4
Homard
82
14
2
Ecrevisse
81
16
0,:;.
1
Rognons de moutons.
Foie de veau
— porc
EAU.
SUBSTANCE
AZOTEE.
GRAISSE.
SUBST. EXTII.
79
73
72
17
18
19
3
0,2
0,4
1,8
Œuf de poule.
Un œuf de poule pèse de 30 à 72 grammes ; en moyenne : 'j'i grammes.
Coquille, de 3 à 7 grammes; en moyenne. . . 6 grammes.
Blauc, de 15 à 43 — — ... 31 —
Jaune, de 10 à 23 — — ... 16 —
ou, pour 100 parties :
Coquille : 11,3; blanc : 38,5; jaune : 30, i
Blanc
EA V.
SUBSTANCE
AZOTÉE.
GRAISSE.
80
31
74
13
16
13
32
12
Ensemble
378
ALIMENTS.
Lait de vache.
Minimum
DEXSITÉ.
EAU.
C.VSÉIN'E.
ALBUMINE.
GRAISSE.
SUCRE
SELS.
1,026
89,3
1,8
0,3
1,7
2,1
0,4
Maximum
L03T
90,1
6.3
1.4
6,5
6,2
1,2
Moyenne. . .
1,032
7,82
3,02
0,53
3,7
4,9
0,7
Lait de femme (moyenne).
Eau.
Caséine.
.Albumine.
Graisse.
Sucre de lait.
Sels
81,4
1.0
1.3
3,8 -
6,2
0,3
Autres Laits.
EAU.
CASÉINE.
ALBUMINE
GR.AISSE.
SUCRE
DE LAIT.
1
SELS.
8.5,7
80.8
90,8
89,7
73,4
3,2
.5,0
1,2
0,7
6.)
l.I
1,0
0,8
1,5
5,0
4,8
6,9
1,2
1,6
9,4
4.3
4,9
3,7
6,0
3,1
0.8
0,9
0.3
0,3
0,7
Brebis
Chienne
SUCRE
EAU.
GRAISSE.
CASÉINE.
SELS.
îUnimiim
ACIDE LACTIQUE.
4.1
70,0
0,2
0,4
0.02
Maximum
35.1
86,1
4,8
1,2
13,10
Moyenne. . . .
13,6
84,.4
0,7
0,6
0,7
Fromages.
Petit suisse (Neufchà-
tel ou Gervais) . . .
Brie
EAU.
SUBSTANCE
AZOTÉE.
GRAISSE.
SUCRE
et
ACIDE LACTIQCE.
CENDRES.
41,0
49,8
30,4
36,3
31,8
14,3
20.0
27,7
30,8
41,2
43,2
26,9
33,4
28.0
19,3
•0.8
3,1
0,7
1.2
1,4
4,5
3,3
3,2
9,3
Roquefort
Gruyère
Parmesan
ALIMENTS.
Céréales.
379
Froments français . . .
— d'Aulr.-Hong.
— de Russie. . .
— d'Amérique. .
Epeautre
Sciçjle
EAU.
SUIISTAXCE
AZOTEE.
GRAISSK.
IIYDR.
DE C.
CELLULOSE.
CENDRES.
13, i
13,4
13,4
13,4
13,4
13,4
14,1
12,1
13,4
11,3
12,G
14,1
13,2
12.7
n,6
1J,6
11,8
10, S
9J
10,7
9,4
9,0
6,7
11,3
1,0
2,0
1.6
2,1
1,8
1,8
1,9
3,0
4,1
3,8
0,9
2,6
67,6
66,9
63,7
69,3
68,2
70,2
67,0
38,4
69,4
70,2
78,5
33.4
2,6
3,4
IJ
2,6
1,8
4,9
10,6
2,3
3,6
iO,3
13,8
1,6
1,7
1,8
2,1
2,1
2,4
3,3
1,4
1,9
0,8
2,8
Orge
Maïs
Sorgho (Dnrrha). . . .
Riz
Farine de froment fine.
EAU.
SUBSTANCE
GRAISSE.
HYDR.
do C.
CELllLOSE.
CENDRES.
13,4
10,2
0,9
74,7
0,3
0,5
Farine de froment gros-
■ 12,8
12,1
1,1
71,8
1,0
1,0
sière
Farine de seigle ....
13,7
11,5
2,1
69,7
1.6
1,4
— d'orge
14,8
11,4
1,5
71,2
0,4
0.6
— d'avoine ....
9,6
13,4
5,9
67,0
1,9
2,1
— de maïs ....
14,2
9,6
3,8
69,0
1,'j
1,3
— de sarrasin. . .
13,5
8,9
1,6
74,3
0,7
1,1
Pain de froment, 1'"
2"
q-
e;au.
SUBSTANCE
AZOTEE.
GRAISSE.
IIYDR.
DE C.
CELLllLOSE.
CENDRES.
33,6
40,4
42,3
9,6
13,3
7,1
6,1
6,1
57,6
8,3
0,3
0,4
0,4
1,6
1,0
36,6
31,1
49,2
29,7
73,1
0,3
0.6
0,3
0,6
1,1
1,2
1,3
1,3
1,5
Pain de gluten (Paris)..
Biscuit de mer
Légumineuses sèches.
Fèves
Haricots
Pois
EAU.
SUBSTANCE
AZOTÉE.
GRAISSE.
SliRSTANCES
EXTRAOT.
non azotiîcs.
CBLIL'LOSE.
CENDRES.
13,8
11,2
13,9
12,3
9,9
23.3
23,7
22.1
23,9
33,4
1.7
2,0
1,4
1,9
17,7
48,3
53.6
32,7
.52,8
29,3
8,1
3.9
5.7
3,9
4,7
3,1
3,7
2,7
3,0
3,1
Lentilles
Fèves de Soja
1. Pour les variations de la proportion d'eau dans le pain, voir page 303.
380
ALIMENTS.
Divers.
SUBSTANCES
EAU.
SUBSTANCE
GRAISSE.
CEILIXOSE.
CENDRES.
Châtaignes
AZOTEE.
nonazotées.
7,3
10,8
2,9
73.0
3,0
3,0
Banane (chair)
73,1
1,9
0,6
23,0
0,3
1,1
Courge (chair)
90,3
1,1
0,1
6,5
1,2
0,7
M elon ....
90,4
1,0
0,3
6,5
1,1
0,7
Concombre. .
95,2
1,2
0,1
2,3
0,8
0,4
Haricots verts
88,7
2,7
0,1
6,6
1,2
0,6
Petits pois. .
78,4
6,3
0,6
12,0
1,9
0,8
Tubercules, Racines, etc.
SUBSTANCES
EAU.
SUBSTANCE
GRAISSE.
KXTRACT.
CELLULOSE.
CENDRES.
Pomme de terre ....
AZOTEE.
non azotées.
75,0
2,1
0,2
21,0
0,7
1,1
Topinambour
79,2
1,8
0,1
16,7
1,1
1,1
Patate
71,9
1,8
0,2
25,0
1,0
0,9
Crosnes du Japon . . .
79,2
2,9
0,1
16,0
0,7
1,1
Betterave
82,2
1,3
0,1
14,4
1,1
0,8
86,8
87,8
1,2
1,5
0,3
0,2
9,2
8,2
1,5
1,3
1,0
0,9
Navet
Radis
93,3
86,0
1,2
1,^
0,1
0,1
3,8
10,8
0,7
0,7
0,7
0,7
Oiçnon
Liëgumes frais.
Asperge
Chou-fleur. . . .
Chou de Bruxelles
Chou de Milan. .
Chou cabus . . .
Épinards
Salades : Endive.
Romaine
93,7
90,9
85,6
87,1
90,0
88,5
94,1
92,3
SUBSTANCE
AZOTÉE.
3,3
1,9
3,3
1,3
0,2
0,6
0,1
0,5
MATIERES
exTract.
non azotées.
2,6
4,5
6,2
6,0
4,8
4,4
2,6
3,6
1,0
0,9
1,6
1,2
1,8
0,9
0,6
1,2
0,5
0,9
1,3
1,6
1,2
2,1,
0,8
1,0
Fruits et Graines riches en graisse.
Olives (chair)
Faines (écossées). . . .
Noisettes
EAU.
SUBSTANCE
GRAISSE.
MATIÈRES
EXTRACT.
non azotées.
CELLULOSE.
CENDRES.
30,1
9,1
7,1
7,2
6,0
5 2
21 !"
17,4
15,8
23,5
51.9
42,5
62,6
57,4
5.3,0
19,2
7,2
13,0
7,8
3,7
3,2
4,6
6,5
2,3
3,9
2,5
2!o
3,1
Amandes
ALIM ENTS.
Fruits.
381-
AUTRES
EAU.
SUBSTANCE
ACIDES
LIGKES.
SUCRE.
SUBSTANCES
extract.
CELLULOSE*.
cendhes.
Pommes
non azot.
84.«
0,4
0,8
7.2
5,8
1,3
0,5
Poires
83.0
0,4
0,2
8. .3
. 3,5
■4,3
0,3
Prunes
84,9
0,4
1,5
3,0
4,7
4,3
0,7
Mirabelles ....
"9,4
0.4
0.5
4,0
10,1
5,0
0.6
Pèches
80,0
0,0
0.9
4,5
7.2
6,1
0,7
Abricots .....
81,2
0,5
1,2
4,7
6,3
5,3
0,8
Cerises
79,8-
0.7
0.9
10,2
i,s
6,1
0,7
Raisins
78,2,
0,6
0.8
14.4
2,0
3,6
0,3
Fraises
87,7
0,.=i
0.9
6.3
1.5
2,3
0,8
Frambroises . . .
83,7
0,4
1,4
3,9
0,7
7,4
0,5
* compris novaux o
u pt'pins.
Champignons.
Psalliata campestris
(Champignon de pré ou
de couclie)
Bolelus edulis
Hi/dinivi repandum. . .
Morille {M. esciilenta) .
Truffe [Tiiher melanos-
porwn)
EAU.
SUBSTANCE
GR.WSSE.
ilAT. EXT.
NON AZOTÉE.
CELLULOSE.
CENDRES.
91,3
91,3
92,7
89,1
74,9
3,7
3,6
i.8
3.7
8,8
0.2
0.2
0,3
0,3
,3
3.4
3,7
3,5
3,1
i:.
0.8
0,6
1,0
0,7
,8
0,3
0,6
0,7
1,2
2,1
En terminant, faisons remarcjuer que nons n'avons pas pu traiter dans toute leur ampleur
l'histoire des aliments ; car elle se trouve enchevêtrée avec d'autres articles qui seront développés
à leur tour : Nutrition, Digestion, Inanition, Calorimétrie, Travail. De même pour le détail
des divers aliments il faudra voir les articles spéciaux : Graisse, Albumine, Sucre, Amylacés,
Lait, Œuf, Gélatine, Asparagine, Pain, Viandes, Vin, Alcool, Potassium, Sodium, Calcium.
Pour l'alimentation des végétaux, voir Engrais et Nutrition.
Bibliographie. — Une bibliographie détaillée est impossible à faire. Nous n'indi-
querons ici que les ouvrages généraux dont nous nous sommes servis ; on trouvera dans
ces ouvrages la bibliographie des questions particulières. Nous avons donné chemin
faisant les indications bibliographiques des mémoires consultés par nous : G. von Voit.
Physiologie der allgemeinen Stoffwechsel und der Ernàlirung. Tome vi du Handbuch der
Physiologie de L. Herhann. Leipzig, 1881 . — J. Kônig. Chemie der menschliehen Nahrungs
und Genussmittel, .3'= édition. Berlin, 1889 et 1893. 2 volumes '. — G. Bo?fGE. Lehr-
buch der physiologischen und pathologischcn Chemie, 2° édition. Leipzig, 1889. Tra-
duction française sous le titre : Coicrs de Chimie biologique. Paris, 1891. — Lambling. Les
Aliments, t. ix (2° section, 2'' fascicule, liv. 1 et II) de l'Encyclopédie chimique de
Fbéhy. Paris, 1892.
L. LAPICQUE et CHARLES RICHET.
1. Le tome Pr contient, sous forme d'introduction (174 pages), un traité systématique de la
nutrition. Le reste contient, sous forme de tableaux, les chiffres d'à peu près toutes les analyses
qui ont été faites des aliments de l'homme; le second volume reprend l'étude de chaque aliment
en paiticulier, avec les divers procédés ^d'examen et d'analyse.
•382
ALLAITEMENT
ALLANTOIDE.
ALLAITEMENT.— Voyez Lactation et Lait.
ALLANTOIDE — L'allantoïde 'iXÀà;, saucisse; ï'.rjot, forme) est un organe
embryonnaire qui affecte chez certains mammifères la forme d'un long boyau; de là son
nom. L'allantoïde s'observe chez les reptiles, les oiseaux et les mammifères.
Origine de l'allantoïde. — Dès le troisième jour de la vie embryonnaire du pou-
let, on voit apparaître sur la paroi ventrale de l'intestin une saillie piriforme [Al). C'est
une sorte d'évagination de la portion terminale du tube digestif. Elle est dès l'origine
entourée de tissu mésodermique, qui devient très vasculaire. Chez certains vertébrés,
les reptiles par exemple, et le cobaye, chez les mammifères, l'allantoïde apparaît comme
FrG. 29 à 31. — Schéma du développement et de la disposition de l'amnios et de l'allantoïde chez 1
Carnivores, d'après Mathi.\s-Duval. Coupes transversales, lig. 2S et 3U ; coupes longitudinal:
et
31. L^ectoderme, l'amnios et l'embryon sont en noir; la vésicule ombilicale est ombrée de lignes verticales,
l'allanto'ide de lignes horizontales. On n'a pas représenté dans ces schémas les lames mésodermiques
correspondantes. Am, amnios: Al, allantoïde ; Om, vésicule ombilicale; U, utérus; E, embryon; Ch, cho-
rion ; CA, cavité amniotique : aa, crête des replis amniotiques.
une saillie pleine du tissu mésodermique ou coujonctif du tube digestif, et ce n'est qu'ulté-
rieurement que l'intestin y envoie un prolongement épilhélial. A mesure que cette saillie
se développe, elle s'avance dans la cavité générale extra-embryonnaire (cœlome externe)
(voir Amnios). Alors elle prend la forme d'une dilatation qui pénètre entre l'amnios
et la vésicule ombilicale et qu'un pédicule (conduit allantoïdien ou futur ouraque)
continue à rattacher à l'intestin.
De nombreux vaisseaux sanguins ne tardent pas à se développer dans le tissu méso-
dermique qui double la vésicule de l'allantoïde dont l'intérieur est tapissé par l'épithé-
lium intestinal (endoderme). Le sang de l'embryon arrive dans le système vasculaire de
l'allantoïde par deux artères, artères allantoïdiennes, qui viennent elles-mêmes des
artères iliaques. Comme les artères allantoïdiennes passent plus tard par le cordoa
ombilical, elles ont reçu le nom d'artères ombilicales '.
1. Le sang est ramené au corps de l'embryon par deux branches veineuses, qui se réunissent
ALLANTOIDE. 383
En s'étendant davantage, la face esterne de l'allantoïde vient s'appliquer contre la
surface interne du chorion avec lequel elle s'unit intimement (Voir plus loin).
A. Oiseaux. — Chez le poulet, le pédicule de l'allantoïde prend naissance dans une
partie de l'intestin terminale ou cloaque, où débouchent les conduits excréteurs (con-
duits de Wolff) des reins primitifs (corps de Wolff). C'est par conséquent la cavité de
l'allantoïde qui reçoit les produits d'.excrétion des reins primitifs. L'allantoïde joue le
rôle de vessie.
D'autre part, le sang noir que les artères ombilicales conduisent à l'allantoïde se charge
d'oxygène à la surface de l'œuf, de.vient sang rouge, qui est amené à l'embryon par la
veine ombilicale. L'allantoïde joue donc le rôle d'organe respiratoire, c'est-à-dire de
poumon, chez l'embryon de poulet.
Avant la vascularisation de l'allantoïde, c'est la vésicule ombilicale qui remplissait
la fonction d'organe de la respiration, grâce aux nombreux vaisseaux qui sillonnent sa
surface.
Mathias-Duval a montré que l'allantoïde des oiseaux a encore un autre rôle. Le
petit bout de l'œuf renferme une forte provision d'albumine, qui ne peut être résorbée
par la vésicule ombilicale, parce que celle-ci s'entoure dans le cours du développement
d'une paroi qui l'en sépare complètement. Dans ces conditions, l'allantoïde s'étend le long
de l'a face interne de la coquille, du côté du petit bout de l'œuf, en se coiffant du cho-
rion (ectoderme et mésoderme). Peu à peu l'allantoïde enveloppe la masse albumineuse
comme dans un sac; le chorion pousse des saillies vasculaires, ou villosités, qui plongent
dans l'intérieur de la masse albumineuse. Les villosités de ce sac puisent les sucs nutritifs
dans la masse albumineuse, et la veine ombilicale les amène à l'embryon. L'allantoïde
des oiseaux est donc comparable de tous points à celle des'mammifères, à l'époque où le
placenta s'est formé, puisqu'elle sert d'organe respiratoire et nutritif. Au lieu d'emprunter
l'oxygène et les sucs nutritifs au sang de la mère, l'allantoïde des oiseaux prend l'oxj'-
gène à l'air extérieur et les sucs nutritifs à la masse d'albumine que les organes mater-
nels ont déposée, en guise de provision alimentaire, dans l'espace circonscrit par la
coquille de l'œuf.
B. Mammifères. — Chez les mammifères inférieurs, les marsupiaux, l'allantoïde reste
petite et ne s'adosse pas à la face interne du chorion. Aussi ces êtres naissent-ils de
bonne heure, incomplètement développés; ils continuent leur développement dans la
poche marsupiale. Ce sont les didelphes. Chez les autres mammifères où les embryons
restent longtemps dans l'utérus (monodelphes), l'allantoïde'prend une grande extension
et s'unit à la face interne, soit de la plus grande partie du chorion, soit d'une portion
circonscrite de ce dernier. Les vaisseaux de l'allantoïde pénètrent dans les villosités du
chorion, de sorte que l'œuf est pourvu d'une membrane extérieure très vasculaire.
La portion du chorion que vascularise l'allantoïde est très variable, quant à la forme,
l'étendue et le développement des villosités.
I. Dans un premier groupe de mammifères, l'allantoïde forme une couche vasculaire
à tout le chorion. Mais la structure de cette membrane présente des variétés nombreuses :
a. La surface du chorion ne présente que des plis et des touffes vasculaires, chez le
porc par exemple. D'autres fois, comme chez le cheval, les touffes vasculaires sont rami-
fiées et forment de petits tubercules. Un semblable chorion, doublé de l'allantoïde, est
appelé placenta diffus. Sa surface externe se met en contact intime avec la muqueuse
utérine hypertrophiée. Le sang du fœtus vient puiser dans le sang maternel l'oxygène
et les principes nutritifs nécessaires à son développement.
6. Chez les ruminants, le chorion vascularise par l'allantoïde présente par places
seulement des villosités qui forment des saillies vasculaires, au nombre de 60 en moyenne.
Ces saillies vasculaires (cotylédons ou placentas fœtaux), se mettent en rapport avec
des corps semblables (cotylédons maternels) de la muqueuse utérine. L'ensemble de ces
placentas porte le no m deptacenffunidfipte. Leur rôle est semblable à celui du placenta diffus.
IL — Dans un second groupe de mammifères, l'allantoïde ne contracte des rapports
intimes avec le chorion que sur une région bien circonscrite.
a. Chez les rongeurs, les insectivores, le singe et l'homme, le chorion de cette région
bientôt en un seul tronc, la veine ombilicale, allant au foie. Plus tard il n'existe qu'une soulo
branche, ou veine ombilicale, par suite de l'atrophie de la branche droite.
38-i ALLANTOJDE — ALLANTOINE.
circonscrite s'iiypei-Lrophie : les cellules épithéliales qui recouvrent à cet endroit la sur-
face externe du cliorion se multiplient et forment une saillie épithéliale, dans laquelle
viennent se ramifier les vaisseaux fœtaux de l'allantoïde. La saillie vasculaire ainsi cons-
tituée se met en rapport intime avec la portion correspondante de la muqueuse utérine
également hypertrophiée. L'ensemble porte le nom de placenta discoide.
h. Enfin, chez les carnivores, l'allantoïde n'envoie ses vaisseaux que dans la zone
moyenne du cliorion où se forme une ceinture annulaire, tandis que les extrémités de
l'œuf restent lisses et sans villosités. C'est le placenta zonaire.
Quelle que soit la forme du placenta, jamais les vaisseaux fœtaux ne s'abouchent
dans les vaisseaux maternels; en un mot, il ne s'établit pas d'anastomoses entre eux.
Le courant sanguin du fœtus est toujours séparé par une couche épithéliale mince (endo-
thélium) du sang maternel qui circule dans les lacunes ou sinus du placenta. C'est à tra-
vers cet endothélium vasculaire que se font les échanges gazeux et liquides entre les
sanss maternel et fœtal CVoir Placenta).
ÉD. REITERER.
ALLANTOINE (C'*H''Az*0'). — L'allantoïne a été découverte par V.^.dquelin
et BuNivA [Ami. de chim.,ï. xxxni, p. 269.), dans le liquide amniotique de la vache; on l'a
retrouvée dans le liquide de l'allantoïde (Lass.4IGNE. A. C., t. xvii, p. .301), dans l'urine
(WoEHLEB. Ann. der Ghem. u. Pharm.,, t. lxx, p. 220).
Préparation. — 1° On traite l'acide urique délayé dans l'eau par l'oxyde de plomb.
Il se dégage de l'acide carbonique. On filtre à chaud : l'allantoïne cristallise par refroi-
dissement. Il reste de l'urée en solution.
2° Le liquide de l'allantoïde delà vache, évaporé à 1/6 de son volume, et abandonné
à lui-même dans un endi'oit frais, laisse déposer des cristaux d'allantoïne que l'on puri-
fie par recristallisation et décoloration au charbon animal.
3° L'urine des jeunes veaux est évaporée au bain marie jusqu'à consistance sirupeuse.
Par le refroidissement, il se dépose une boue composée d'allantoïne, de phosphate et
d'urate magnésiens. On décante et on lave le dépôt avec un peu d'eau froide qu'on
laisse écouler. On traite ensuite par l'eau bouillante et le noir animal. L'allantoïne se
dépose par le refroidissement. On ajoute un peu d'acide chlorhydrique au liquide encore
chaud pour éviter que du phosphate magnésien ne se dépose avec l'allantoïne.
Pour retirer l'allantoïne de l'urine humaine qui n'en contient que fort peu, Meissner
précipite l'urine par la baryte, filtre, élimine l'excès de barjte par l'acide sulfurique, filtre,
précipite l'allantoïne par HgCl- en solution alcaline, recueille le précipité, le décompose
par H-S, filtre, concentre à un très petit volume et laisse cristalliser. Finalement les cris-
taux purifiés par recristillisation sont transformés en composé d'argent. On peut aussi
précipiter l'urine par l'acétate de plomb, et rechercher l'allantoïne dans le filtrat (après
traitement par H-S. E. Schulze et Rossh.\rd (Z. P. C, 188o, t. ix, p. 420) traitent le liquide
filtré par le nitrate de mercure qui précipite l'asparagine, la glutamine, l'allantoïne,
l'hypoxanthine et la guanine (Voir le mémoire original pour le procédé de séparation
de ces différentes substances).
Propriétés. — Prismes clinorhombiques brillants, incolores, vitreux, se dissolvant
dans 100 parties d'eau froide, dans 131 parties d'eau à 21°8 et dans 10 à 12 parties d'eau
bouillante, solubles dans l'alcool chaud, insolubles dans l'alcool froid et dans l'élher.
Sa solution aqueuse est inodore, insipide, neutre.
Une solution concentrée d'allantoïne, additionnée de furfurol et d'acide chlorhydrique
concentré, se colore en violet.
L'allantoïne forme des combinaisons métalliques.
La solution aqueuse d'allantoïne ne précipite pas par le nitrate d'argent; mais si
l'on ajoute de l'ammoniaque avec précaution, il se forme un précipité blanc, floconneux,
C^H^AgAz^O^, soluble dans un excès d'ammoniaque. Ce précipité contient 40,75 p. 100
d'argent et peut servir à caractériser l'allantoïne.
L'allantoïne est précipitée par le nitrate mercurique. On a basé sur cette propriété un
procédé de dosage de l'allantoïne dans les liquides qui ne contiennent pas d'urée. Le
procédé est identique à celui que Liebig a imaginé pour doser l'urée : iOO grammes d'al-
lantoïne exigent pour leur précipitation 172 grammes d'oxyde mercurique.
ALLANTOINE. 385
L'allantoïne traitée par riiypobromite de sodium perdrait la moitié de son azote à
l'état gazeux.
Traitée par HI, elle se réduit et fournit de l'hydantoïne ou glycolylurée, C^U'Az^O- et
de l'urée, COAz^H*.
Une solution d'allantoïne conservée à 30° en présence de levure de bière finit par
se transformer en urée, oxalate, carbonate d'ammoniaque et un acide sirupeux (acide
allanturique?). Chauffée avec de l'acide sulfurique concentré, l'allantoïne se décompose
en ammoniaque, CO- et CO. Bouillie avec de l'acide azotique, elle se décompose en urée
et acide allanturique, C-'H^Az-O^. Les alcalis bouillants la transforment en ammoniaque
et acide oxalique. L'ébuUition avec le baryte la transforme en urée et en acide allantu-
rique, acide gommeux, sirupeux, soluble dans l'eau, insoluble dans l'alcool, dont les
sels de potassium et de plomb cristallisent :
C*H<iAz'>03 + H2 0 = COAz2H4 + C^H-'Az^Os
AUnntoïne. UrcSe. Ao. allanturique.
L'acide allanturique lui-même se décompose par la baryte en acide parabanique et
en acide hydantoïque.
2C3 H'» Az2 03 = C3 H2 Az2 03 + C3 Hs Az2 0 3
Ac. allanturique- Ac. parabanique. Ac. hydantoïque.
L'acide parabanique donne immédiatement de l'urée et de l'acide oxalique.
C3H2Az2 03 + 2H2 0 = C2 04H2 + C0Az2Ht
Ac. parabanique- -\c. oxalique. Urée-
Enfin, l'urée elle-même se transforme en carbonate d'ammoniaque, de sorte que les
produits ultimes de Faction de la baryte sur l'allantoïne sont l'acide hydantoïque, l'acide
oxalique, l'acide carbonique et l'ammoniaque.
La synthèse de l'allantoïne, réalisée par Grimaux par l'action de l'acide glyoxylique
(1 p.) sur l'urée (2 p.), nous montre que ce corps est bien une diuréide glyoxylique, par
exemple :
tPAzXcO
Vz /
CO - HAz y> <^0
[ / HAz
\ HAz
Physiologie. — L'allantoïne remplace l'urée dans l'urine du fœtus : l'allantoïne, qui
existe en grande quantité dans le liquide de l'allantoïde de la vache, n'a pas d'autre
origine. Elle existe en quantité notable dans les urines des jeunes veaux et des mammi-
fères, en général pendant les premiers temps de la vie extra-utérine. Elle est remplacée
dans l'urine peu à peu par l'urée après la naissance. On en trouve des traces dans l'urine
de l'adulte, notamment dans l'espèce humaine (Gabriel Podcïïet. Joiirn. thérap. ,iBSO.
t. vu, p. 503 et D. P., 1880). La quantité augmente un peu dans l'urine de la mère pen-
dant la grossesse. On l'a trouvée également dans le liquide amniotique. L'allantoïne
a évidemment ici la même signification que l'urée. Elle représente un des produits azotés
de la métamorphose régressive ou combustion organique des albuminoïdes. Il est très
probable qu'elle est simplement excrétée par les reins, auxquels elle est ainenôe toute
formée parle sang et qu'elle se produit comme l'urée dans d'autres organes que le rein.
Peut-être le foie joue-t-il un certain rôle dans l'élaboration de l'allantoïne.
Chez les plantes, l'allantoïne a été trouvée avec l'asparagiiie et quelques autres acides
amidés dans les jeunes pousses des platanes, des marronniers et dans beaucoup d'antre
plantes (E. Schulze. Z. P. C, 188o, t. ix, p. 420; Laivlw. Ja/ir6., 1891, t.xxi, p. 10s). Dans
l'organisme végétal, l'allantoïne représente probablement, comme l'asparagiae, un des
stades de la synthèse des matières albuminoïdes. Il est possible que l'allantoïne des végé-
taux provienne aussi en partie de la destruction d'albuniinoïdes.
L'ingestion d'acide tannique augmente sa proportion dans l'urine humaine. Salkowski
(B. d. d. chem. Ges.,i. ix, p. 719 et t. xi, p. bSO) a admis qu'après ingestion d'acide urique
il j avait également augmentation d'urée, d'acide oxalique et d'allantoïne dans l'urine
du chien.
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME. I. 25
386 ALLANTOÏNE — ALLOXANE.
Darto Baldi (La Terapia moderna, n° 12, d 891 , analysé dans Arch. ilal. Biol. ,iS92, t. xvii,
p. 326) a trouvé que VuUantoine, bien qu'elle ne détermine pasune augmentation de l'exci-
tabilité spinale, est capable d'éleverTexcilabilité musculaire chez la grenouille, et de déter-
miner, comme la xantuine, la rigidité cadavérique chez la grenouille.
Bibliographie. — Voir Ti.'W.,t. i, p. 142, et les deux suppléments du Maly's Jahresb.
LÉON FREDERICQ.
ALLOCHIRIE. — Le terme alloohirie (aX)vo; -/dp, confusion des mains) a été
proposé en 1881 par Obehsteiner [On allochiria. Brain., 1883, p. Iîi3) pour désigner
un trouble singulier consistant en ce que, la sensibilité ainsi que le pouvoir de localisa-
tion étant plus ou moins conservés, le sujet est dans le doute, et même fait erreur,
quant au côté du corps où il est touché. Ce signe consiste, en somme, dans le fait
de rapporter à une région plus ou moins symétrique du membre d'un côté, les impres-
sions dues aux excitations du revêtement cutané du membre de l'autre côté. Le malade,,
lorsqu'on le touche au mollet droit, par exemple, en resseut la sensation au mollet
o-auche. L'allochirie peut exister pour tous les modes de la sensibilité. On l'a tout d'abord
constatée seulement aux membres inférieurs, dans les cas de tabès, où elle paraissait,
par suite, en rapport avec les lésions des cordons postérieurs de la moelle épinière
qui caractérisent cette maladie. Elle semble ne pas dépendre d'une lésion spéciale; mais
d'une distribution particulière des lésions scléreuses vulgaires des cordons, entraînant
une déviation dans la marche des sensations. Il résulte de ce changement de direc-
tion dans la voie de l'impression, causée elle-même par une certaine obstruction des
faisceaux altérés de la moelle, que cette impression est transmise d'un côté du corps au
même côté du cerveau. Par suite, elle est rapportée au côté opposé du corps. Ultérieu-
rement, les recherches de Bosc [Revue de médecine , 1892, p. 841) ont établi que l'allochirie
pouvait également reconnaître une origine cérébrale, car l'existence de ce symptôme
fut démontrée chez un malade qui souffrait uniquement d'une hémiplégie par lésion
hémisphérique. Dans ce cas, le mécanisme de l'allochirie provient de la déviation des-
sensations d'un hémisphère à l'autre, de même que, lors d'allochirie par altiTations de
la moelle, il s'agit d'une déviation des sensations d'un segment de l'axe spinal à l'autre.
Ce passage des sensations d'un côté à l'autre de la moelle et des hémisphères cérébraux
s'explique par l'existence de voies de communications, encore difficiles à déterminer
anatomiquement, dans l'axe spinal, et qui résident dans le corps calleux, en ce q ui con-
cerne le cerveau. On peut donc distinguer — en exceptant l'allochirie spontanée ou sug-
gérée de l'hystérie — une allochirie de réception ou avec lésions cérébrales, et une
allochirie de transmission ou avec lésions médullaires. Dans ce dernier cas (lésions
scléreuses des faisceaux postérieurs d'un côté de la moelle) les sensations passent du
côté opposé de l'axe spinal; dans le cas de lésions d'un hémisphère cérébral, la moelle
restant normale, les sensations parvenues à l'hémisphère lésé passent par le corps calleux
dans l'hémisphère opposé. Mais, dans ces deux alternatives, le résultat est iinivoi:)ue quant
à la perception de la sensation, malgré la dilférence des lésions; l'allochirie consécutive
consiste, en définitive, dans le fait de la perception par l'un des hénlisphères céré-
braux de sensations qui ne lui étaient pas normalement destinées.
PAUL BLOCQ.
ALLOCINESIE. — L'allocijiésie est un trouble exceptionnel de la motilité,
caractérisé par ce fait que le sujet qui en est atteint, lorsqu'on lui commande d'exécu-
ter un mouvement avec les membres d'un côté du corps, les accomplit exactement,
mais en exécutant des mouvements avec le membre symétrique. Si on lui dit, par
exemple, de lever le bras droit, il fait le mouvement demandé avec le bras gauche. Des
exemples de cette singulière perversion n'ont encore été vus que chez des hystériques.
P. B.
ALLOXANE ( C^H^N^O'*). — Déciite en 1817 sous le nom d'acide érythrique
par G. BBUGi\ATELLi,puis étudiée par LiEBiGelW'ôHLER, l'alloxane est un produit d'oxydation
ALLOXANE — ALLOXANTINE. 387
de l'acide urique. Elle a été trouvée une fois par Liebig dans le produit de sécrétion
d'un catarrhe intestinal {A. G., t. cxxi, p. 80; Hép. Chim. pure, 1862, p. 288).
Chimie. — Préparation. — On projette par petites portions des cristaux d'acide
urique dans de l'acide azotique concentré (densité 1,4 à 1,42) refroidi au préalable. Il se
dépose des cristaux d'alloxane(ScHLiEPER. Anm. d. Chem. u. Pharm., t. lv, p. 253). D'autres
corps oxydants transforment également l'acide urique en alloxane.
2C5H''Âz4 03 + 2H2 0 + 02 = 2C*H2Az2 0* + 2COAz2H4
Acide urique. .VLloxaue. Urée.
Propriétés. — Pi'ismes volumineux, ayant l'apparence d'octaèdres rhomboïdaux tron-
qués aux extrémités (prismes clinorhombiques), transparents, incolores, à éclat vitreux,
ne s'eftleurissant pas à l'air, perdant à 150° leur molécule d'eau de cristallisation. L'allo-
xane est soluble dans l'eau et l'alcool, insoluble dans l'acide azotique.
L'alloxane se décompose par la chaleur, fond et fournit, entre autres produits de dé-
composition, du cyanure d'ammonium et de l'urée. Par l'acide azotique étendu et chaud
elle se transforme en acide parabanique (C'H-Az^O^ ou oxalylurée) et C0-. L'acide
parabanique, en absorbant une molécule d'eau, fournit racideoxalurique,C'ri''Az^ O'jqui
a été trouvé en très petite quantité dans les urines. L'acide oxalurique se transforme
facilement en acide oxalique et urée. Par l'acide chlorhydrique ou l'acide sulfurique, elle
fournit de l'alloxantine qui se dépose et de l'oxalate d'ammonium qui reste en solution.
Par les agents de réduction (H- S, LP naissant) ou par l'action du courant électrique,
elle se transforme d'abord en alloxantine, puis en acide dialurique.
Une solution ammoniacale d'alloxane se prend par le refroidissement en une gelée
jaune et transparente de mycomélate d'ammonium. L'alloxane se colore en bleu très
foncé parles sels ferreux. Additionnée d'une goutte de HCAz, puis d'ammoniaque, elle
fournit, au bout de peu de temps, un dépôt d'oxaluramide C'H''Az''0-' sous forme de fines
aiguilles cristallines blanches.
L'alloxane doit être considérée comme la mésoxalylurée,
H — Az — CO
I I
CO CO
I I
H — Az — CO
Parl'ébullition avec les alcalis caustiques, elle fournit de l'acide mésoxaliqueC^H^O"
et de l'urée. L'acide mésoxalique lui-même en s'oxydant fournit de l'acide oxalique et
de l'urée.
Physiologie. — La solution aqueuse d'alloxane communique au bout de quelques
temps aux matières albuminoïdes solides et à la peau, ainsi qu'à la tyrosine, à l'acide as-
partique et àl'asparagine, une couleur pourpre et une odeur désagréable.
L'alloxane oxyde l'hémoglobine dissoute et la convertit en mélhémoglobine; elle est
sans action sur l'oxyhénioglobine et sur le sang déflbriné (M. Kowalewsky. C. W-, 1887,
pp. 1, 17, 658 et 676).
Bibliographie. — Voir D. W. et les deux suppléments.
LÉON FREDERICQ.
ALLOXANTIN E (C8tl''Az'0', 3H-0). — Chimie. — Préparation. — V Alloxan-
tine ou Uroxine se produit par l'actiou des agents réducteurs (du chlorure de zinc par
exemple), par celle de l'eau ou des acides sulfurique ou chloi'hydrique étendus et bouil-
lants sur l'alloxane; par l'union de l'alloxane et de l'acide dialurique, par l'oxydation
directe de l'acide urique, au moyen d'acide azotique étendu et légèrement chaulî'é, etc.
C'est uif produit secondaire de la préparation de l'alloxane par l'acide urique et l'acide
azotique.
Propriétés. — Prismes obliques, durs, friables, itransparents et incolores ou jaunâtres,
à peine solubles dans l'eau froide, un peu plus solubles dans l'eau bouillante.
L'ammoniaque colore en pourpre les solutions chaudes d'alloxantine par suite de la
formation de la murexide ou purpurate d'ammoniaque.
388
ALLOXANTINE
ALTITUDE.
L'eau de baryte précipite les solutions d'alloxantine en violet. Le précipité se décolore
par l'ébullitioti et finit par disparaître. Le chlorure ferrique colore la solution d'allo-
xantine en bleu.
Les agents d'oxydation transforment l'alloxantine en alloxane.
Physiologie. — L'alloxantine n'a pas encore été rencontrée dans l'organisme.
L'alloxantine, ajoutée au sang déflbriné ou à une solution d'oxyhémoglobine, réduit
cette dernière à l'état d'hémoglobine, à condition qu'on opère à l'abri de l'air. Si l'on
opère au contact de l'air, l'alloxantine s'oxyde et fournit des produits d'oxydation,
notamment de l'alloxane, qui réagissant sur l'hémoglobine réduite, la transforment
en méthémoglobine. La méthémoglobine peut ultérieurement être réduite en hémoglo-
bine par l'action de l'alloxantine non réduite. Os^00o d'alloxantine solide suffisent
pour transformer complètement en sept minutes l'oxyhémoglobine d'un centimètre cube
de sang en méthémoglobine (au contact de l'air) (N. Kowalewsky. C. W., 1887, pp. 1,17,
658 et 676).
Dario Baldi (La Terapia moderna, 1891, n" 12, analj'sé dans Arch. ital. BioL, 1892,
t. xvii, p. 326) a étudié récemment l'action de la xanthine, de l'allantoine et de l'alloxantine,
comparée à celle de la caféine, par rapport spécialement à l'excitabilité musculaire. U a
trouvé que l'alloxantine ne provoque d'augmentation ni dans l'excitabilité spinale, ni
dans l'excitabilité musculaire, et qu'elle ne détermine pas la rigidité cadavérique. Les
expériences ont été faites sur la grenouille.
Bibliographie. — D. W. LÉON FREDERICQ.
ALOES. — Plante de la famille des Asphodèles, dont le suc est employé en
thérapeutique comme purgatif. Ce suc contient deux substances : VAloine, corps jaune
cristallisable, très amer (C'H'^O'); probablement un glucoside, et une autre substance
insoluble ou Aloétine qui est également un glucoside. Par l'effet de l'acide nitrique on
obtient un acide alloétique dont la formule est encore incertaine. Ses effets phj'siolo-
giques sont peu connus. En thérapeutique, on emploie l'aloès comme purgatif. D'après
ScHROFF, cité par Rabuteau {Thérapeutique, 1884, p. 91.3), l'aloïne aurait les mêmes effets
purgatifs que l'aloès. Wedekind, cité par Rabuteau, dit que l'aloès appliqué sur les plaies
détermine des effets purgatifs, que, par conséquent, il agit non comme irritant de la
muqueuse stomacale, mais comme provoquant une sécrétion biliaire active. A vrai dire,
l'histoire physiologique de l'aloès est encore très obscure.
ALTITUDE. — L'altitude est la hauteur d'un lieu au-dessus du niveau moyen
de la mer. Les altitudes se déterminent par des nivellements géométriques ou géo-
désiqnes, par des mesures prises à l'aide du théodolite, ou par l'emploi du baromètre
{Tables pour calculer les hauteurs par les observations barométriques, in Annuaire du Bureau
des Longitudes).
L'influence de l'altitude a été bien démontrée sur les diverses fonctions organiques
par de nombreux travaux de médecins et de physiologistes (Voir l'article Baromètre et
Pression barométrique). A ce titre nous donnons ici un tableau de l'altitude des principales
villes et des plus importants sommets de montagnes.
Altitude moyenne de différents endroits du globe.
AFRIQUE
A. — RÉGION DE l'atlas
Sliltsin (Maroc;. . . . 3 360
Maroc 422
Mont Anna (Rif) ... 2210
ColdeTaza(Atl.Alg.). IHO
Rador de Tlemcen . . l 579
Mouzaïa 1604
Dira 1812
Col de Chellata. ... 1 622
Chellah ou ChelUya
(Aurés) 2 328
B. SAHARA, SOUDAN
ET GUINÉE SEPTENTRIONALE
In-Çalah 137
Ghadamés 3,t1
Ghat 726
Mourzouk 539
Lac Tchad 259
Cameroun 4197
C. — RÉGION DU NIL
Alantilva 3 000
Victoria-Nyanza. . . 1157
Kénia S 500
Kilima-Ndjaro. . .' . 5 705
Senriaai' 426
Kliarloum 378
Aukober 2500
Mota 2538
Gondar 2270
Ouoclio 5 060
ALTITUDE.
389
Mont Abuna M%
Phila 100
Le Caire 12
Lac Tana 1859
D. — AFRIQUE AUSTRALE
ET II.ES
Pretoria 1224
Kazé 1086
Nyangoué 426
Bloemfontein .... 1 600
Lac Bangouéolo . . . 112S
Lac Dilolo 1 445
Monts Livingstone. . 3 800
Mont des Sources . . 3 048
Mont du Pic (Acores). 4 412
Pic de Teyde (Ténér.). 3716
Pico do P'ogo (du cap
vert) 3300
Pic de Fernando Po . 3 108
ASIE
A. HIMALAYA (dE l'eST
A l'ouest)
Dardjeliiig 2184
Katmandou ..... 1330
Mouktinath 4 012
Kursok 4S41
Srinagar (Cachemire). 1595
Kargil 2 678
Djamalari 7 297
Kintcliin-Gïnga . . . 8582
Gaorisankar 8840
Djindjiba 8 200
Dliaoualagiri 8176
Thoung-Loung. . . . 4529
B. MASSIF CENTRAL
Tliok Djalounk. ... 4977
L'Hassa 3 365
Yarkand 1197
Kachgar 1232
Ourga 1294
Dapsang 8621
Najikla 7 347
Tagherma 7 620
C. — • ASIE OCCIDENTALE
Clioumi 2356
Caboul 1951
Ispahan 1516
Téhéran 1172
Erzeroum 1 862
Angora 1080
Jérusalem 779
Koubi-Baba 4827
Se fld-Kouh 4 660
Grand Ararat .... 5 157
D. — INDE ET ASIE
ORIENTALE
Nagpore 285
Dolabella 239G
Pic d'Adam (Ceylan) . 2260
mtt,
E. CHINE ET JAPON
Pékin g 37
Fousi-Jama 3770
F. — SIBÉRIE
Semipalatinsk .... 231
Tobolsk 108
Tomsk 84
Irkoutsk 456
Lac Baïkal 469
Khoutchef(Kamtchat). 4900
OC&ANIE
A. — MALAISIE
ET NOUVELLE-GUINÉE
Ophir (Sumatra) ... 4222
Semerou(Java). ... 3729
Kinabalou (Bornéo). . 4172
B. — AUSTRALASIE
ET POLYNÉSIE
Murrugura (Aus.) . . 2130
M. Clarke (Aus.). . . 2 201
Ben Lomond (Tasma-
nie) 1527
Franklin(Nouve]Ie-Zé-
lande) 3 050
Nauna Kea (Hawaii) . 4197
PicHumboldt(N.-Cal.) 1610
Orohena (Tahiti). . . 2292
AMÉRIQUE DU NOED
SYSTÈME DE LA CORDILLÈRE
Aspen 2 274
Denver 1584
Station du pic de Pike. 4358
Mexico 2280
Guatemala la Nueva . 1 330
San José 1 178
Saint Élie 4568
Brown 4816
Pic de Lincoln. . . . 4387
Pic Blanca 4 408
Pic d'Orizaba .... 5400
AMÉRIQUE DU SUD
SY-.STÈME DES ANDES
DU NORD AU sud)
Caracas 917
Bogota 2650
Quito S. 720
Lima 156
Crucero 4 470
La Paz 3 700
Sucre 3200
Potosi . 4000
Santiago 569
Oiimborazo 6 233
Cotopaxi 5 943
Illimani 6410
Col del Mercedario. . 6798
Aconcagua 6 834
Tapungato 6178
San Valentin 3870
Sarmiento 2073
EUROPE
Région des Alpes.
A. — ALPES CENTRALES
Genève 408
Zermatt 1620
ATers . 1 949
Bormio 1 224
S. Morite 1856
Sta Maria 2512
Leukerbad 14H
Berne 538
Grand Combin . . . . 4317
Mont Pleureur. ... 3706
Mont Rose 4638
Simi^lon 2010
Saint-Gothard .... 2114
Pic Stella 3406
Monte délia Disgrazia 3680
Wilder Pfalï 3309
Finstcrar Horn . ... 4275
Todi 3623
Pic Linard 3 416
Ortler 3 905
Adamello 3 557
B. — ALPES ORIENTALES
Innspriick 566
Hochfeiler 3484
Drei-Herm-Spitze. . . 3505
Hafner-Spitze .... 3093
Dachsteiu 3 005
Vienne 133
Marmolata 3 494
EUROPE CENTRALE
A. RIVE GAUCHE DU RHIN
Strasbourg 144
Luxembomg 306
Bruxelles (Pal. Roy.). 137
Metz 177
■Donnersberg 690
Wald Erbeskoijf ... 815
Jadarkopf 737
Zitterwald 679
B. ALLEMAGNE MOYENNE
ET BASSE-ALLEMAGNE
Cassel 179
Gotha 285
Gottingen 141
Berlin (Observatoire) . 34
Gr. Feldberg (Taun.) 881
Kahle Astenberg . . . 842
Abstrodcr Hôhe . . . 930
Beerberg 983
Brocken (Harz). . . . 1029
Kœnigsberg 1029
390
ALTITUDE.
C. — nAUTE-AT-LEMAGNE
Karlsrahc "i
Stuttgart 280
Ulm i^S
Augsbourg 'iSl
Munich. . 316
Ratisbonne (Regensb.) 326
Feldberg 1493
Belchen 1 415
Lemberg 1014
Schafberg 1003
D. — MASSIFS DE BOHÈME
ET DE SAXE
Freiberg 414
Leipzig 110
Dresde IH
Prague 179
Grand Arber 1458
Rachel Spitze 1 454
Schneeberg 1 069
Sclineekopfe 1601
Brumberg 1 355
Hohe Kamm 1422
E. RÉGION DES KARPATHES
Budapest 116
Belgrade 64
Bucarest 87
Karlsbourg 241
Yassi 318
Bradlo (Pet. Karp.). . 813
BabiaGova 1722
Pic de Gerlsdovs. . . 2 646
Pietrosz 2297
Bucsecs 2519
Parangu 2587
PÉNINSULE IBÉRIQUE
A. — RÉGION PYRÉNÉENNE
ESPAGNOLE
Pic d'Anato 3 404
Posots 3367
Monsech (de Catal.). . 1677
Pena vieja 2678
Pena Ubina 2500
B. — RÉGION DU PLATEAU
DE CASTILLE
Pic de Penalara. . . 3 305
Plaza d'Almanzor . . . 2662
Burgos 819
Soria 1058
Madrid 663
Tolède 450
Albacèle 702
Gerro de S'-Lorenzo. 2303
C. — PARTIE MÉRIDIONALE
Corro de MuUiacen. . 3481
Picacho Veleta. ... 3470
Cerro Caballo. ... 3200
Sierra de Magina. . . 2200
D. — PORTUGAL
Lisbonne 39
Serra da Estrella. . . 1 991
Guarda 1037
ITALIE
A. — APENNINS
Gimone 2164
Eotondo 2104
Corno 2914
Amaro 2793
Gran Sasso 2 921
Velino 2 488
B. — AUTRES PARTIES DE
l'iTALIE et ILES
Turin (seuil du palais
Madame) 239
Milan (seuil du palais
Brera) 122
Bologne' (pavé de la
cour de l'Observa-
toire) 121
Avellino (place de l'é-
glise) 337
Vésuve 1262
Etna 3 313
Madonia 1656
Gennargcntu (Sardai-
gne) 1794
PÉNINSULE HELLÉNIQUE
A. — ALPES DINARIQUES,
TCHAR-DAGH, PINDE, ETC.
Biela Lassitsa. . . . 1530
DJnara 1810
Dourmiton 2483
Getigné-Tzetigné. . . 638
Lyoubalin (Tchar-D.). 2366
Parnasse 2 733
Hélicon 1743
Athènes (Acropole). . 138
Olympe 2975
B. — RÉGION DES BALKANS
ET DU DESPORTO PLANINA
Vidin 30
Kopaonik (Serbie). . . 1943
Alexinatz 174
Niche 210
Sofia 330
Maraljeduk (B). . . . 2330
Rosalita (B) 1931
Rilo Planina (Desp.
pi.) 2750
C. — PÉLOPONÈSE
ET ILES
Olenos 2370
Khelmos 2341
Tajgète 2367
ILES BRITANNIQUES
A. ANGLETERRE ET
PAYS DE GALLES
Beacon de Brecknock. 878
Snowdon 1094
Cheviot Hill 735
B. — ECOSSE
Broad-Law 833
Edimbourg (Old
Castle) 17
Bew-Nevis(Grampian). 1340
Bew-Mac Dhui (Gram-
pian) 1 306
C. — IRLANDE
Carransuohill 1054
Mont de Comemara. . 810
RUSSIE
A. PLAINE ORIENTALE
Moscou 142
Varsovie 111
Popova Gora 350
Kazan 35
B. — OURAL
Sablia 1567
Tel-pos-Iz 1.656
C. CAUCASE
Alexandropol .... 1 347
Elbrouz 5644
Kachtantau 5 218
Betingue 4632
Cheboulos 4304
Chah-dagh 4143
EUROPE SEPTENTRIONALE
A. — SCANDINAVIE
Gaustad (Thelemark). 1883
Hôgrund (Rondane). . 2030
Galdhfepiggen (Jot-
nuf) 2560
Snehœtten (Dowe) Sar-
jektakko 2 080
B. — ILES DU NORD
AerafaJakul (Islande). 1958
Hekla (Islande). ... 1537
Incon (Spitzberg). . . 2448
FRANGE
A. — ALTITUDE
DES PRINCIPALES VILLES
ET LIEUX HABITÉS
Angers 47
Alger 33
Barèges 1241
Bagnères 530
ALTITUDE
ALUMINIUM.
391
met.
Belfoi-t 419
Besancon 368
Bordeaux 7
Briançon 1 321
Brest 41
Chàteau-Chinon. . . . 552
Clermont-Ferrand . . 401
Constantine 672
Diynfi 652
Dijon 246
Fontainebleau .... 79
Gavarni 1335
Orenoble 213
Le Havre 5
Lille 24
Limoges 287
Lyon 285
Mende 739
Montpellier ....'. 44
Nantes 19
Nancy 200
Oran 432
Orléans 116
Paris (Panthéon). . . 60
Poitiers 118
Poste du M. Genis. . 1906
P^eims 86
Rodez 633
Rouen 22
Rennes 54
Saint- Véran 2 010
Toulouse 139
Toulon 4
Tours 55
Versailles 123
B. — PICS ET MONTAGNES
ALPES OCCIDENTALES
Levanna 3 640
Grande Sassère . . . 3 756
Petit Saint-Bernard . 2157
Sommet du M. -Blanc. 4810
Aiguille du Géant . . 4010
C. CHAINE A l'ouest
DE la frontière
Pelvoux. 3 954
Barre des Écrins. . . 4103
Meije 3 987
Trois Ellions 3514
D. — JURA
Réculet 1720
M. Tendre 1680
M. Dôlc 1678
E. — VOSGES
Ballon d'Alsace .
Rotlienbach . . .
1497
1319
F. CÉVENNES ET MASSIF
CENTRAL
Mezenc
Signal de Finiel. .
Plomb du Cantal .
Puy de Sancy . .
Puy-de-Dôme. . .
G. — PYRÉNÉES
Canigou
Pic de Grabioulés. . .
Pic de Montcalm . . .
Pont de Gavarni . . .
Pic Long
Observatoire du Pic du
Midi de Bigorre . .
Vignemale
Pic du Midi d'Ossau .
17S4
1782
1858
1886
1465
2785
3104
3 080
2870
3298
Bibliog^raphie. — Annuaire du bureau des longitudes, de 1887. — E. Reclus. Géogra-
phie imiversellc. — Vivien de Saint-M.a.rtin. Dictionnaire de géographie. — • Die Bevôlkerung
der Erde. — Strelbitsky. Superficie de i' Europe. Saint-Pétersbourg, 1881.
CARVALLO et PACHON.
ALUMINIUM (Al. Poids atomique 27, a). — Chimie. — L'aluminium est un
métal très répandu dans la nature ; il entre dans la composition des argiles et des roclies
•où il se trouve combiné avec le silice. Son oxyde, l'alumine, lorsqu'il est cristallisé,
constitue diverses pierres précieuses, le corindon, le rubis, la topaze orientale, le saphir,
Taméthyste. Les composés de l'aluminium sont connus depuis la plus haute antiquité;
mais on n'avait pas pu isoler l'aluminium, et jusqu'en 1843 l'alumine passait pour une
terre irréductible.
Ce fut WÔHLKR qui le premier obtint de petits globules d'aluminium en électrolysant
le chlorure d'aluminium fondu; mais on peut dire que c'est H. Sainte-Claire Deville
qui obtint le premier l'aluminium pur et qui en étudia les propriétés.
L'aluminium est un métal blanc, bleuâtre, susceptible de prendre un beau mat qu'il
conserve indéfiniment à l'air. Frappé après avoir été suspendu par un fll, un lingot d'a-
luminium rend un son aigu comparable à celui du cristal.
L'aluminium fondu a une densité de 2,!j; cette faible densité est une de ses propriétés
les plus remarquables qui le rend éminemment propre à tous les usages où le poids des
autres métau.x; est un inconvénient.
Sa conductibilité pour la chaleur et l'électricité est la même que celle de l'argent.
Sa chaleur spécifique est considérable; 0,218, supérieure de beaucoup àcelle des autres
métaux.
Le procédé imaginé par H. Saixte-Cl.mre Deville, et i[Ui a été le seul employé
jusqu'à ces années dernières, était basé sur la réduction du chlorure d'aluminium par le
sodium. Actuellement on prépare l'aluminium par l'électrolyse.
L'aluminium se combine à l'oxygène pour donner un seul composé, l'alumine (APO^).
L'alumine pure est une poudre blanche, légère, sans odeur ni saveur, insoluble dans
l'eau, soluble dans les acides avec lesquels elle forme des sels; soluble dans la potasse
et la soude avec lesquelles elle forme des aluminates.
392 ALUMINIUM.
On obtient l'alumine 113-dratée sous forme d'un précipité blanc gélatineux en traitant
un sel soluble d'aluminium par de l'ammoniaque.
L'alumine donne des sels avec les acides; nous ne citerons que l'un d'eux, le sul-
fate d'alumine" A1-(S0M'. On le prépare en traitant le kaolin, aussi exempt de fer que
possible, par de l'acide sulfurique; on obtient un sel blanc, déliquescent, très caustique,
employé comme mordant en teinture.
Ce sulfate forme, avec les sulfates alcalins, des sels doubles très importants.
Le sulfate double d'alumine et de potasse, A1-(S0*)5 + K^SO' + (24 H-0), est le type
d'une série de composés remarquables, qui portent le nom générique d'aluns. Ces corps
plus ou moins solubles dans l'eau cristallisent en octaèdres; ils ne diffèrent du composé
typique qu'en ce que l'alumine ou la potasse peuventy être remplacées en totalité ou en
partie par des oxydes isomorphes ; ils possèdent la même formule de constitution ; ils sont
isomorphes. L'alumine peut y être remplacée par un sesquioxyde de fer, de chrome,
ou de manganèse; par le potassium, par le sodium, l'ammonium, le rubidium, le eœ-
sium, le thallium et même par l'argent.
L'alun ordinaire, alun de potasse, sulfate double d'alumine et de potasse (SO*)' Al-
+ SO'K- + 'iiH^'O cristallise en octaèdres réguliers qu'on peut obtenir très volumi-
neux. Ces cristaux s'effleurissent faiblement à l'air, et seulement à leur surface. Leur
saveur est douceâtre et astringente. Ils sont beaucoup plus solubles à chaud qu'à froid.
Chauffé à 92°, l'alun fond dans son eau de cristallisation, puis il perd successivement
ses molécules d'eau de cristallisation ou 45 p. 100 de son poids jusque vers le rouge.
L'alun se boursoufle pendant sa dessiccation et forme un champignon qui s'élève au-dessus
de l'ouverture du creuset. On obtient ainsi l'alun calciné employé comme caustique.
Physiologie. — Aluminium. — L'aluminium métallique tend de jour en jour à de-
venir d'un usage courant pour la confection des articles de gobletteries et ustensiles de
ménage. Aussi divers auteurs se sont-ils inquiétés de rechercher d'une part l'action des
liquides alimentaires, vins, bières, etc., sur l'aluminium, et d'autre part l'action des sels
solubles d'aluminium sur l'économie.
Les travaux entrepris dans le premier ordre d'idées ont abouti à des conclusions con-
tradictoires.
Plagge et Lebbw {Hyg. Rundsch.,t. ni, n" 6, p. 272, 18 mars 1893) affirment qu'avec l'eau
pure, en présence ou en l'absence de l'air, l'aluminium même en feuille mince n'est pas
attaqué. Gœpel affirme au contraire que même à l'état pur l'aluminium est corrodé pro-
fondément par l'eau distillée froide. Kobert a constaté que la bière mise en contact avec
de l'aluminium en dissout environ 8 milligrammes par litre.
Ohlmuller et Heise (Hyg. Rimdsch.,t. 11, p. 1053, 1" décembre 1892) ont observé que
l'aluminium était attaqué par les liqueurs acides ou alcalines et le sel à la température
ordinaire, en faible proportion; mais qu'à la température de l'ébuUition cette attaque
était notable.
Dans des expériences personnelles, l'auteur de cet article a constaté qu'à la tempéra-
ture ordinaire l'aluminium était attaqué légèrement par l'eau pure, que les solutions
salines, notamment l'eau de mer, l'attaquaient d'une façon plus appréciable. Si l'on a affaire
à une solution de sulfate d'alumine étendue, et qu'on chauffe légèrement, l'attaque de l'alu-
minium devient notable et se continue, môme lorsqu'on cesse l'action de la chaleur.
Les faibles doses d'aluminium ainsi entraînées dans les aliments sont-elles nuisibles
à l'organisme?
Les partisans de l'aluminium prétendent que non, et citent à l'appui de leur dire des
expériences et des analyses.
Ohlmuller et Heise ont fait prendre à deux hommes pendant un mois un gramme de
tartrate d'alumine sans observer de trouble de l'appétit ni de la santé. Plagge et Lebbin
ont fait manger deux hommes pendant 18 mois dans des vases en aluminium sans in-
convénient. AuBRY rappelle que presque tous nos aliments renferment de l'aluminium, la
viande, les légumes, les fruits. 100 grammes de farine de froment contiennent 7,5 de
phosphate d'alumine. Bibra. a constaté la présence du phosphate d'alumine dans la chair
musculaire. Plagge et Lebbin on rencontré sur 26 analyses d'eau des puits de Berlin et
de laSprée 24 échantillons qui contenaient de 0 milligr. 2 à 18 milligr. 46 d'aluminium
par litre.
ALUMINIUM. ii93
Quoi qu'il en soit, Kûbert pense qu'à la longue les sels d'aluminium pourraient devenir
toxiques, dans le cas où ils seraient absorbés et s'accumuleraient dans le foie.
Les sels d'aluminium absorbés par voie stomacale semblent être peu toxiques et diffu-
sent difricilement dans l'organisme. — Il n'en est pas de même pour les sels d'alumi-
nium introduits directement dans l'organisme.
SiEM, qui a étudié cette action dans une thèse inaugurale soutenue à Dorpat
en 1886, a constaté que les sels d'aluminium injectés directement dans le sang étaient
toxiques. La dose toxnjue déterminée par kilogramme d'animal est de :
300 milligrammes d'aluminium pour le lapin.
230 à 280 — — — le chat.
250 — — — le chien.
L'aluminium agit sur le système nerveux central, dont il détermine d'abord une exci-
tation passagère, bientôt suivie d'une paralysie progressive des centres nerveux, qui per-
dent successivement toute irritabilité directe ou réflexe. Les animaux meurent par suite
de la cessation complète des fonctions des centres nerveux. Le cœur est Vultimum mo-
riens.
SiEM a constaté, à l'autopsie, de la dégénérescence graisseuse du foie et de la dégé-
nérescence hyaline de l'épithélium rénal. Il n'a pas recherché si l'aluminium s'éliminait
parles urines ou si au contraire il s'accumulait dans l'organisme.
Alun. — L'alun se distingue des autres composés de l'aluminium par sa propriété
astringente qui en fait un des meilleurs astringents locaux de la matière médicale.
L'alun agit localement en contractant les tissus et les^capillaires; c'est en même temps
un irritant. Mialhe distingue deux actions différentes : à faibles doses il coagule les liquides
albumineux de l'organisme; lorsqu'on augmente la dose, le coagulum se redissout dans
les mêmes liquides albumineux, qui, se trouvant saturés d'alun, acquièrent une fluidité
plus considérable. Les tissus vivants laissent alors transsuder au dehors les humeurs qui
les imprègnent. Delioux de Savignac n'admet pas cette distinction; pour lui l'alun est tou-
jours un astringent. Pris à l'intérieur (par voie stomacale) l'alun agit comme un coagu-
lant et semble augmenter la plasticité du sang. Orfila dit avoir recherché et retrouvé de
l'alun dans la rate et le foie d'un chien auquel il en avait administré à haute dose. Il a
aussi constaté la présence de l'alun dans l'urine. Cullen, Babbier, Merat, Trousseau ont
constaté que l'alun déposé dans l'estomac à la dose de 1 à 4 grammes cause des pince-
ments et autres sensahons douloureuses. Ils ont observé de la difficulté dans la diges-
tion, des nausées et même des vomissements.
Cullen a remarqué que l'alun purge lorsqu'il est pris à haute dose, qu'il constipe à
petite dose.
Barthez, qui a expérimenté l'alun sur lui-même, a constaté, le prenant à jeun à la dose
de 2 grammes, de l'astriction dans la bouche et dans l'estomac pendant un quart d'heure ;
à la dose de 4 grammes, astriction plus forte, appétit plus vif, digestion plus prompte.
Il a poussé la dosejusqu'à 8, 10 et 12 grammes; avec 10 grammes, il a eu des nausées;
avec 12 grammes, des vomissements.
L'alun pris à l'intérieur tend à ralentir légèrement la circulation, augmente la sécré-
tion uriiiaire, diminue la transpiration cutanée.
Les sels d'aluminium ingérés par voie stomacale sont facilement tolérés par l'orga-
nisme et ne sont pas vénéneux, à moins d'exagérer leur dose. On peut expliquer ce fait
en se rappelant que :
1° Leur pénétration dans les voies d'absorption est lente et graduelle, sans doute im-
parfaite, empêchée par l'action coagulante topique et la formation de sous-sels insolubles ;
2° L'aluminium se rencontre comme partie intégrante de beaucoup de nos principes
immédiats. Biria {Gaz. de médecine, 1846, p. 334) a reconnu que le phosphate d'alumine
est le sel dominant de la chair musculaire.
Litroduits directement dans la circulation, les sels d'aluminium sont toxiques et
agissent principalement sur les centres nerveux.
Appliqués localement, les sels d'aluminium sont des irritants.
Le sulfate d'alumine a été employé par Homolle qui l'associait au sulfate de zinc
pour la destruction des produits hétéromorphes végétant avec une activité excessive.
394 ALUMINIUM — AMIBES.
L'alun jouit en outre de propriétés astringentes énergiques. Lorsqu'on met cette
substance sur une partie très vascularisée, on voit bientôt le sang se retirer. La turges-
cence et la coloration disparaissent, le tissu paraît flétri. Mais, si l'alun est mis en grande
quantité, on voit bientôt des phénomènes inflammatoires succéder à ceux d'astriction
(Trousseau et Pidoux).
Les voies d'élimination de l'aluminium ne sont pas exactement connues; malgré
l'observation d'OnFiLA, qui dit avoir trouvé de l'alumine dans les urines, cette question
n'est pas encore élucidée.
Nous devons rappeler ici les propriétés antiseptiques et désinfectantes des sels d'alu-
minium; on a proposé d'employer le chlorure d'aluminium comme désinfectant; mais sa
réaction fortement acide limite beaucoup son emploi.
Toxicologie. — La recherche toxicologique de l'aluminium ne s'est jamais présentée;
car l'alun n'est pas une substance facile à employer dans un but criminel. Pour le re-
chercher, on n'aura qu'à détruire les matières organiques par la calcination et chercher
l'alumine dans les cendres. On doit se rappeler que les tissus de l'organisme contiennent
de l'aluminium.
Le sulfhydrate d'ammoniaque donne un précipité blanc d'alumine, l'acide sulfhydri-
que se dégage.
Les carbonates alcalins donnent un précipité d'alumine insoluble dans un excès de
réactif avec dégagement d'acide carbonique.
Ce précipité d'alumine humecté d'azotate de cobalt, puis calciné au chalumeau, donne
une masse colorée en bleu ciel, cette coloration est caractéristique.
Le phosphate de soude donne un précipité de phosphate d'alumine soluble dans les
acides.
Applications. — • L'aluminium tend à entrer de plus en plus dans l'usage courant
pour la confection des divers objets d'emploi usuel. Malheureusement il est attaqué trop
facilement par divers agents chimiques, ce qui limite forcément son emploi.
En médecine on emploie l'alun calciné en poudre, comme agent topique local, en
solution comme astringent hémostatique.
Bibliographie. — Chimie. — D. W. et suppléments (article Aluminium). — Physio-
logie et médecine. — Dictionnaires de Médecine. — Siem. Thèse inaugur. Dorpat, 1886.
— Ohlmuller et Heise [llyg. Rund., t. ii, p. 103, 1" décembre 1892). — -Plagge et Lebbin
{Hijg. Rund. t. ni, p. 272, la mars 1893).
A. CHASSEVANT.
ALUN. — Voyez Aluminium.
AMETROPIE. — On réunit sous le nom d'amétropie (a privatif et y.hpov,
mesure) l'hypermétropie et la myopie. On oppose l'amétropie à Vemmétropie. Un œil emmé-
trope est celui dont la rétine se trouve dans le plan focal principal du système dioptrique
de l'œil, celui qui sans accommoder voit bien à distance. L'œil hypermétrope a le foyer
principal du système dioptrique en arrière de la rétine; pour voir à distance, il doit
accommoder (Voyez Hypermétropie). L'œil myope, trop long, a la rétine située en
arrière du plan focal principal du système dioptrique. Il ne voit pas nettement à dis-
tance, mais bien à une distance plus ou moins rapprochée de l'œil (Voyez Myopie). —
Dans son acception habituelle, l'amétropie ne comprend pas l'astigmatisme, qui cons-
titue une troisième anomalie de la réfraction de l'œil (Voyez Astigmatisme).
NUEL.
AMIBES et AIVIIBOÏDES (iVIOUVements).— L'étude des amibes
présente un intérêt considérable pour la physiologie générale. Ce sont peut-être les êtres
les plus simples qui puissent servir à l'étude des propriétés générales du protoplasme.
Biologie générale des amibes. — L'existence de masses protoplasmiques, sans
formes et sa/is limites précises, telles que celles qui constituent, selon certains auteurs,
le Bathybius Hxckeli,est encore actuellement des plus douteuses. Il est vrai qu'il existe
certainement des êtres tels que Protamœha primitiva, dont la forme est absolument indé-
finie et changeante d'un instant à l'autre ; mais, dans une semblable Monère, l'accrois-
AMIBES. 395
sèment indéfini de la masse vivante est impossible. La masse protoplasmique vivante
est de forme variable, mais de volume limité. Il semble que les molécules protoplas-
miques soient maintenues par une attraction centrale, qui ne s'exerce que dans une
zone d'un certain diamètre. Les molécules vivantes du Protamœba peuvent bien graviter
autour d'un centre d'attraction, mais le rayon de l'orbite est étroitement limité; et si,
par suite de l'accroissement de la masse vivante, du fait de la nutrition, une molécule
sort de l'aire limitée par cette orbite, elle gravite dès lors d'une manière indépendante,
autour d'un nouveau centre d'attraction, formé par suite de la condensation des molé-
cules congénères échappées de l'orbite primitive. Sitôt que l'accroissement du Protamœba
dépasse une certaine limite, une portion de la masse s'isole pour former un être nou-
veau. Le physiologiste ne peut donc qu'étudier les propriétés d'une masse protoplas-
mique limitée. Il peut sembler, au premier abord, que le plasmode des Myxomycètes,
si souvent utilisé dans les recherches de physiologie, puisse représenter une masse pro-
toplasmique sans limites précises; mais on sait qu'on a en réalité affaire à nn sy ne y iium,
formé par réunion plus ou moins intime de petites niasses protoplasmiques, dont les
molécules sont groupées autour d'autant de petits centres d'attraction qu'il y a d'orga-
nismes élémentaires composant le plasmode.
Les Monères, telles que Protamœha primUiva, Protogenes primordialls, semblent bien
inférieures aux amibes proprement dites par uu caractère important : l'absence du
corps que nous désignerons tout à l'heure, dans les amibes, sous le nom de noyau; mais
cette absence est, il faut le reconnaître, encore problématique ; les exemples se multi-
plient chaque jour de cellules à noyaux diffus, et il est permis de se demander aujour-
d'hui s'il existe un seul Cylode, au sens exact du mot, et si tous les êtres vivants ne sont
pas formés d'uu ou de plusieurs Nucléoles à noyau plus ou moins diiïus (Voy. Cellule).
Eufm, il est encore une autre raison, celle-ci d'un ordre purement pratique, qui
recommande l'étude des amibes comme celle des êtres les plus simples : il est facile de
s'en procurer presque en tous lieux et en toutes saisons. Si on fait macérer dans l'eau
des débris végétaux, on peut être à peu près sûr d'y rencontrer des amibes, et, en
particulier, l'Amœba vulgaris. L'Amœba princeps Ehr. est aussi très fréquente dans les
infusions végétales. Mais l'Amœba terricola Greeff est encore l'espèce la plus facile à se
procurer; ou la trouve dans le sable et les parcelles de terre, qui se déposent au fond
de l'eau, où on agite la base des mousses teriicoles ou lignicoles.
Cet être ressemble, à l'état de repos, à une masse irrégulière, réfringente, que l'on
peut comparer, avec assez de justesse, à un fi'agment de quartz. Son contenu, générale-
ment jaunâtre, est, le plus souvent, ramassé en petites boules, et, par une observation
attentive, il est facile de reconnaître le mouvement intérieur des granulations du pro-
toplasme, du sarcode, pour employer l'expression de Dujardin, qui a le premier bien étu-
dié les amibes, désignées aussi par lui sous le nom significatif de Protées (lS3a).
La masse protoplasmique est homogène, hyaline, très consistante à la surface,
liquide et granuleuse à l'intérieur. Le protoplasme n'est donc homogène qu'en appa-
rence; les granulations qui le constituent se groupent vers l'intérieur, et on peut dis-
tinguer deux couches imparfaitement délimitées, la couche externe ou eetosarque, et la
couche interne ou endosarque. Il serait peut-être plus heureux de donner à l'ectosarque
le nom de couche membraneuse, nom que porte le protoplasme périphérique dans les
cellules végétales.
Irritabilité et contractilité. — Les propriétés essentielles du protoplasme : irri-
tabilité et contractilité, peuvent être étudiées d'une manière parfaite sur l'amibe.
L'amibe est dans un certain état chimico-physique. Vient-on à changer cet état,
l'amibe réagira, que l'excitation soit physique, chimique ou mécanique. L'irritabilité
de l'amibe sera donc sa réaction aux forces extérieures qui agissent sur elle.
C'est à la contractilité que cet être doit de pouvoir pousser dans toutes les direc-
tions des prolongements, dits pseudopodes ou lobopodes. Ces prolongements sont irrégu-
liers, hyalins, en forme de verrues, de gibbosités, au moyen desquelles l'amibe se
meut d'une manière saccadée, en tombant presque d'un pseudopode sur l'autre. Les
pseudopodes ne sont pas toujours homogènes; on peut les voir parcourus par des cou-
rants de granulations protoplasmiques, partant de la masse centrale. Leur extrémité se
fixe sur les corps solides, contre lesquels ils prennent un point d'appui, et, par leurs
396 AMIBES.
contractions, ils déplacent peu à peu la masse du corps, comme par la traction de
petits câbles protoplasmiques, agissant sur la masse centrale et s' appuyant sur les corps
auxquels ils adhèrent. Les pseudopodes peuvent revêtir des formes diverses, semblables
à des hernies, des boursouflures; ils peuvent être simples, lobés, arrondis, confluer les
uns avec les autres, d'une manière plus ou moins nette. Le fait que ces pseudopodes
peuvent confluer prouve bien qu'ils ne sont pas limités par une enveloppe, et qu'ils sont
entièrement constitués par une substance plastique. On pourrait presque les définir : du
protoplasme coulant dans une direction déterminée, s'agglutinant à lui-même et adhé-
rant à l'objet qui le supporte.
Lors de la formation d'un pseudopode, on voit l'endosarque se porter, par un cou-
rant plus ou moins rapide, vers le point où naît le pseudopode, et, à mesure que celui-
ci s'allonge, le courant intérieur, accusé par le mouvement des granulations, avance
vers la périphérie.
Les granulations intérieures, le plus souvent groupées en sphérules, entourées d'un
halo transparent, remplissent peu à peu l'intérieur du pseudopode, tout en laissant à
sa surface une couche transparente, dans laquelle elles ne pénètrent pas, et qui représente
l'ectosarque qui s'est laissée distendre par la coulée, limitée en un point, de l'endo-
sarque.
Ce sont, en réalité, les contractions de l'ectosarque qui déterminent les mouvements
de la masse interne, plus liquide. Car le côté opposé au pseudopode naissant présente,
lors de la formation de ce dernier, des rides, des plis dans sa couche externe, absolu-
ment comme un ballon de caoutchouc qui, se gonflant en un point, se déprime au
point diamétralement opposé.
Il est cependant essentiel de ne pas croire à une séparation absolue entre les deux
couches protoplasmiques; leurs contours ne sont pas arrêtés; on passe insensiblement
de l'une à l'autre, alors même que la masse granulée interne n'atteint pas la péri-
phérie.
On peut expliquer la formation de l'ectosarque par l'action du milieu ambiant sur
le protoplasme. Mais il est difficile d'être fixé sur la nature intime de cette action. La
teneur en eau du protoplasme périphérique est-elle susceptible de varier, selon les
conditions du milieu? Ou bien se forme-t-il une sorte de précipité moins solide, comme
dans les cellules artificielles de Traube"? En tous cas, il faut remarquer que cette pré-
cipitation de la masse périphérique n'entrave nullement les échanges osmotiques.
Vacuoles contractiles. — Le protoplasme des amibes présente toujours des
vacuoles confractites, extrêmement variables de forme et de volume, mais toujours pleines
d'un liquide transparent, de composition complexe, non encore définie, moins dense
que le protoplasme, et différant sensiblement de lui au point de vue chimique. Klles se
forment en des endroits indéterminés, grossissent, puis parfois viennent à confluer ou
à se diviser en vacuoles plus petites, et limitées par le protoplasme formant le corps
de l'amibe. Quelquefois ces vacuoles deviennent énormes; elles atteignent alors la péri-
phérie, soulèvent la surface, sous forme d'une mince pellicule, puis se vident subite-
ment. L'expulsion de leur contenu est toujours déterminée par la pression exercée sur
elles par la progression, vers la périphérie, du protoplasme sous-jacent. On ne voit
jamais d'ouverture par où le contenu de la vacuole s'épancherait au dehors. Souvent,
la vacuole une fois vidée, on voit persister à sa place un espace semi-lunaire, qui
marque la distance entre la masse interne du protoplasme, s'avançant comme un tam-
pon, et la couche périphérique. Bientôt cet espace disparaît, et le protoplasme se voit,
engendrant, comme dans les autres points, de nouvelles vacuoles, d'abord très petites,
puis confluentes. Les pulsations que présentent ces vacuoles, leurs mouvements d'ex-
pansion et de contraction, n'ont rien de rythmique.
Il est permis de penser que le liquide de ces vacuoles provient, en partie du proto-
plasme qui les entoure, en partie de l'eau ambiante. Si le protoplasme se contracte,
une certaine quantité de liquide va s'accumuler dans la vacuole contractile, dont le dia-
mètre augmente. Si, au contraire, le protoplasme se dilate, il reprend une partie du
liquide de la vacuole, et celle-ci diminue de diamètre.
Les mouvements alternatifs de contraction et d'expansion des vacuoles sont donc
simplement déterminés par des mouvements inverses du protoplasme qui les circon-
AMIBES. 397
scrit. Elles traduisent, à nos yeux, leurs mouvements incessants qui, en l'absence des
vacuoles, passeraient inaperçus.
On a, tour à tour, considéré ces vacuoles comme des organes circulatoires, d'excré-
tions ou aquifères, sans que l'on puisse donner de raisons valables en faveur de l'une
ou l'autre opinion. En réalité, ces vacuoles peuvent bien cumuler les trois fonctions.
Les contractions animent de mouvements plus ou moins réguliers la substance proto-
plasmique. Comme le liquide vacuolaire provient, au moins en partie, du protoplasme,
on peut, avec assez de vraisemblance, le considérer comme un produit de sécrétion. de
ce protoplasme. La projection de ce liquide au debors peut alors être considérée comme
un véritable acte d'excrétion. Lorsque la vacuole est poussée vers la péripbérie, puis
revient dans la masse, on peut conclure qu'elle a dû dissoudre, dans son liquide, une
certaine quantité d'oxygène, emprunté au liquide ambiant; elle cède ce gaz à la masse
centrale, et pourrait expulser l'acide carbonique, dans son mouvement en sens inverse,
du centre vers la périphérie. La dénomination d'appareil aquifère ou respiratoire serait
de ce chef assez bien justifiée. Il est cependant à remarquer que la fonction respira-
toire ne peut pas être localisée exclusivement dans les vacuoles; il faut admettre qu'elle
s'effectue par toute la surface du corps. La poussée des pseudopodes, à laquelle le corps
tout entier contribue, permet à toutes les parties du protoplasme de se mettre succes-
sivement en contact avec de nouvelles couches d'eau, et assure ainsi son oxygénation.
Digestion intra-cellulaire. — La nourriture liquide pénètre par tous les points
du corps par endosmose; mais, en outre, le protoplasme exerce une action digestive
sur les substances organiques. C'est une véritable digestion intra-ceUidairc.
On voit les pseudopodes diffluer sur les particules avec lesquelles ils sont en contact,
et qui peu à peu sont englobées par le protoplasme; les corpuscules solides pénètrent
ainsi jusqu'au centre de la masse de l'amibe. Les diatomées par exemple, qui ont pénétré
dans le protoplasme, en sont rejetées, les valves parfaitement vides, privées de tout con-
tenu; leur masse a donc été assimilée par le protoplasme de l'amibe.
Les amibes paraissent surtout se nourrir de matières végétales en décomposition.
Les granulations jaunes, plus ou moins disséminées, parfois agglomérées, que nous
avons déjà signalées dans la masse protoplasmique, se présentent, à de forts grossisse-
ments, sous la forme de petites baguettes ou de corpuscules ariondis, qu'on doit con-
sidérer comme des résidus de l'assimilation. On rencontre, en effet, des individus dans
lesquels les granulations font entièremenl défaut, tandis que, dans d'autres, on aperçoit
encore des fragments d'oscillaires vertes, dont le thalle est en train de se dissocier par
désagrégation des cellules.
La digestion intra-rellulaire du protozoaire est susceptible d'être étudiée par des
procédés expérimentaux. C'est un des phénomènes les plus essentiels qui doivent fixer
l'attention des physiologistes. Mais nous ne possédons actuellement de notions que sur
le mécanisme de la digestion des ingesta dans la masse protoplasmique, et nous
sommes dans l'ignorance complète des transformations chimiques des substances déjà
élaborées par la digestion intra-cellulaire.
Les amibes, à cause même de la simplicité de leur structure, sont à ce point de vue
un sujet d'étude des plus recommandables. 11 est d'abord à remarquer que chaque par-
ticule ingérée dans le protoplasme se trouve entourée d'une vacuole. On s'est d'abord
servi du tournesol, pour étudier la réaction du contenu de ces vacuoles, et avec ce réactif,
Greenwood n'a pu déceler aucune réaction dans les vacuoles de l'Amœba proteiis.
Mais ce réactif manque de sensibilité. On sait en effet qu'il y a dans le tournesol un
excès d'alcalinité qu'il faut, avant tout, neutraliser; car le volume de la vacuole est du
même ordre de grandeur que celui du grain ingéré.
Le tournesol brut ne pourra déceler l'acidité d'une vacuole que si elle est très forte.
Il faut, en outre, neutraliser l'alcalinité du milieu contenant le protozoaire en expé-
rience. Or, s'il est délicat, cette neutralisation chimique peut compromettre sa vitalité.
L'étude de la digestion intra-cellulaire chez les amibes, a été, dans ces derniers
temps, reprise par Le Danteg [Ann. Insl. Past., 1890, p. 784) à l'aide d'un réactif plus
parfait : l'alizarine sulfoconjuguée. Nous renvoyons au mémoire de l'auteur pour le
détail de la technique. Rappelons seulement le principe de la méthode.
L'eau dans laquelle vivent les protozoaires est, en général, légèrement alcaline, et
398 AMIBES.
donne à l'alizarine une teinte variant du violet au rose, selon le degré de l'alcalinité.
Sous l'action de l'ammoniaque de l'air, les petits grumeaux qu'elle forme dans l'eau se
colorent en violet. La matière colorante se dépose, au bout de quelques jours, en
aiguilles violet foncé. Ce sont ces grumeaux ou ces aiguilles que les protozoaires
ingèrent. Si ces particules se trouvent en contact avec un liquide acide, elles vireront
de teinte et passeront à une teinte rose. On place, dans la goutte d'eau contenant les
amibes, une goutte de solution d'alizarine violette, c'est-à-dire légèrement alcaline.
Au. début, toutes les amibes sont claires et dépourvues de vacuoles colorées, au milieu
de la solution violette.
Au bout de quelques heures, toutes les amibes présentent, au contraire, des
vacuoles roses, d'une couleur très distincte de celle de l'alizarine violette externe. 11 v
a donc production d'acide autour du grumeau d'alizarine ingérée. Pour être sûr que
la matière rose est bien de l'alizarine, il suffit d'écraser l'amibe, et de déposer à son
contact une goutte d'ammoniaque; la vacuole rose vire au violet.
Lorsque l'alizarine est en contact avec une quantité sufflsante d'acide, elle vire au
jaune. Mais il est très rare que l'amibe conserve assez longtemps l'alizarine dans sa
masse pour que cette coloration se manifeste. Il y a donc sécrétion d'acide dans la
vacuole, mais sécrétion bien faible, puisque la neutralité qui correspond à la teinte rose
n'y est pas dépassée.
L'ingestion du grain d'alizarine, substance inerte, provoque-t-elle une sécrétion et
la formation d'une vacuole? L'observation est délicate; mais peut être faite en goutte
suspendue. L'amibe étend des pseudopodes vers un grumeau d'alizarine; parfois il ne
se produit rien, mais parfois aussi on voit brusquement le grumeau qui était extérieur
à l'amibe, situé à son intérieur, au centre d'une vacuole. Il est à supposer que les pseu-
dopodes se touchent sur un point, et s'anastomosent brusquement, en englobant le
grumeau dans une vacuole ronde, et paraissant remplie d'eau venant du liquide
ambiant. Le granule conserve quelque temps, dans la vacuole, sa teinte initiale; la
réaction du liquide vacuolaire est donc, au début, toujours la même que celle du
liquide ambiant. Pour montrer que le liquide vacuolaire est bien de l'eau ingérée, on
peut faire l'expérience suivante. En changeantla réaction du liquide ambiant, on devrait
changer la réaction de la vacuole, si le protoplasme avait la propriété de sécréter à
son intérieur un liquide, ayant toujours au début la même réaction que l'eau ambiante.
Or acidifions l'eau ambiante, la vacuole deviendra rose; neutralisons alors légèrement
l'acidité de l'eau ambiante, celle-ci redeviendra violette, tandis que la vacuole reste
rose. Donc le liquide de la vacuole n'est pas sécrété au début par l'amibe, de façon à
avoir toujours une alcalinité identique à celle de l'eau ambiante.
On peut même calculer approximativement la quantité d'acide sécrété dans la
vacuole. Le virage de la teinte violette à la teinte rose correspond à une quantité
d'acide égale à j^„ du volume de la vacuole (chiffre déterminé par une expérience
préliminaire). Le diamètre d'une vacuole varie de 1 à 7 ou à 8 ;j.; la quantité d'acide
sécrétée est donc à peu près de un trente millionième à un soixante millionième
de milligramme. On peut juger par là de l'exquise sensibilité de l'alizarine aux varia-
tions de l'alcalinité. Dans le cas où. l'expulsion de la particule colorante n'est pas trop
rapide, la teinte arrive au jaune, mais il faut pour cela attendre plusieurs heures.
Gbeenwood prétendait qu'il n'y a pas de vacuoles autour des particules ingérées, non
nutritives; ce qui est erroné, d'après les observations que nous venons de rapporter;
de même que l'assertion de cet auteur, que les particules non nutritives ne déterminent
pas de sécrétion. La vacuole, extrêmement nette au moment de l'ingestion d'une
particule solide, devient ensuite moins évidente. Il est probable que cette apparence est
due à la sécrétion qui la remplit, dont la réfrangibilité égale à peu près celle du
protoplasme. Mais la vacuole persiste; car, si elle disparaissait, l'alizarine qui s'y
trouve redeviendrait violette au contact du protoplasme alcalin. D'après Le Dantec, il
doit toujours y avoir sécrétion, au moins d'acide, dans la vacuole. Aucun Tait n'autorise
à nier que la sécrétion soit plus complète autour d'un granule nutritif qu'autour d'un
granule inerte; peut-être y a-t-il là élaboration d'un ferment, absent dans l'autre cas;
mais ce ne sont là que des hypothèses. L'acidité est égale dans les deux cas.
Gree.nwood (loc. cit.) et Leydy (Preshwaler Hhizopods of N.-America) avaient observé
AMIBES. 399
que l'éjection des particules solides, non nutritives, n'est pas accompagnée d'un fluide
visqueux, comme lorsque il s'agit de l'éjection de débris des particules nutritives.
Les grains d'amidon se comporteraient comme des particules non nutritives. Ces
observations ont été précisées par Le Dantec. Les amibes, plongées dans un bain
d'alizarine violette, peuvent parfois rejeter, presque simultanément, des vacuoles d'un
rose presque violet, et des vacuoles d'un rose très vif. Les premières sont à bords très
nets; ce sont presque de simples gouttes d'eau; les autres, au contraire, ont une
réfrangibilité voisine de celle du protoplasme. Ces deux sortes de vacuoles sont rejetées
de façon toute différente. Les premières crèvent doucement, à la surface du proto-
plasme, laissant sortir un grain d'alizarine isolé ; les secondes, au contraire, ressem-
blent à des sortes de sphères glutineuses, se délitant peu ji peu dans le liquide, et con-
tenant des débris de particules nutritives, de bacilles par exemple.
Le Dantec donne de ce phénomène une explication ingénieuse, et qui semble très
plausible, basée sur la capillarité. Appelons a la tension superficielle du liquide de la
vacuole, au contact du protoplasme, r le rayon de la vacuole ; lorsque la vacuole est en
équilibre, elle subit et résiste à une pression P = ^, r étant très petit, la pression peut
être très grande , si a a une valeur non négligeable. Or, a varie avec la composition du
liquide vacuolaire.
a diminue à mesure que la séorétiou de la vacuole s'effectue ; donc la force expulsive
qui préside à son rejet est plus faible que celle qui préside au rejet de la vacuole dé-
pourvue de sécrétion et ne contenant pas de pai'ticules nutritives. Comme les deux vacuoles
que nous comparons contiennent toutes deux une quantité égale d'acide, d'après ce que
nous avons dit tout à l'heure, cette expérience peut mettre en évidence l'élaboration de
la particule nutritive, et la présence dans la vacuole de produits de cette élaboration,
capables de faire varier la tension superficielle. D'oîi une explication purement
physique de l'expulsion brusque, avec éclat, de la vacuole sans particule nutritive, et de
l'expulsion lente de la vacuole à particule nutritive. Ces considérations expliquent
également que les vacuoles, dépourvues de granules nutritifs, sont expulsées moins
vite que celles contenant des granules inertes, puisque dans les premières, l'élaboration
des matières nutritives fait diminuer rapidement a. Il y a d'ailleurs un grand intérêt
pour la vie de l'amibe à ce qu'une vacuole à forte tension soit rapidement expulsée.
Soumi.se à une forte pression superficielle, cette vacuole, poussée par les mouvements
du protoplasme, crève rapidement à la surface.
Il est, en outre, à remarquer que c'est surtout quelques instants après l'ingestion que
les matières ingérées sont rejelées. On a même cité des cas où desinfusoires ingérés sont
rejetés vivants dans le liquide. Si ces particules résistent quelque temps à l'expulsion,
elles ont des chances de prolonger longtemps leur séjour dans la masse de l'amibe.
L'éjection est donc un phénomène purement passif pour l'amibe, de même que l'in-
gestion des matières nutritives. 11 faut donc revenir de l'ancienne opinion de l'ingestion
élective des particules nutritives. L'ingestion est peut-être le résultat du simple stimulus
au point de contact, hypothèse admise déjà par de Bary pour les Myxomycètes.
Le Dantec pense que, chez les amibes, « il n'y a pas, à proprement parler, défécation
des résidus solides des matières ingérées depuis longtemps : ces matières semblent
abandonnées, simplement par un phénomène d'adhérence, par l'amibe qui rampe à la
surface d'un corps quelconque » [Rech. sur la digestion intra-celtulaire chez les Proto-
zoaires. Bull, scient, de la France et de la Belgique, t. xxin, 2^ partie).
Cette conclusion ne s'étend certainement pas à tous les types voisins des amibes.
Un Rhizopode très voisin, Nuclcaria, présenterait à ce point de vue un perfectionne-
ment déjà considérable ; car il rejette, pendant les stades de repos, les résidus de la
digestion, d'une manière très régulière, autour du corps; il s'agit donc bien là d'une
véritable défécation.
Diverses amibes se nourrissent des bactéries qui pullulent dans les solutions orga-
niques où elles se développent. Ces bactéries subissent dans le corps de l'amibe des
transformations profondes; elles acquièrent la propriété d'absorber facilement des solu-
tions de vésuvine, qui ne colorent pas les bactéries vivant dans le milieu extérieur.
B. Hofer a démontré que, chez les amibes, plus la nourriture est altérée dans l'intérieur
de leur masse protoplasmique, plus elle se colore par les couleurs d'aniline.
400 AMIBES.
Noyau, nucléole, segmentation et reproduction. — Les amibes possèdent un
noyau, souvent très diflicile à apercevoir au milieu des granulations protoplasmiques.
Chez Amœba terricola, que nous avons pris pour type, le noyau présente une couleur
grisâtre; il se trouve limité par une capsule très nette, hyaline, remplie d'une substance
granuleuse dont l'aspect est très variable, tantôt nébuleuse, tantôt agglomérée entraînées
ou en granules arrondis, ressemblant à de très petites cellules individualisées.
On voit parfois, mais rarement, un nucléole nettement distinct dans le noyau.
Carter etWALLioH ont signalé, chez A. prmceps, l'existence de nombreux petits noyaux,
qu'ils ccmsidèrent comme formés par la segmentation du noyau primitif, et comme
destinés à se transformer en autant d'amibes, lors de leur expulsion hors du corps de
l'amibe mère.
L'observation la plus précise que l'on possède, relativement à la segmentation des
amibes, est due à F.-E. Schulze; elle a été faite sur Amœba polypoclia. Cet auteur a vu la
division du noyau et celle du nucléole (très volumineux dans cette espèce) s'effectuer
avant que le protoplasme offre le moindre indice de segmentation.
On sait d'ailleurs que, selon les cellules considérées, la division du noyau semble
précéder ou suivre celle du protoplasme.
Selon GRAFF(Arc/t. f. meth. Anaf., 1876, t. xii), chez A. ierrfcoZa, la reproduction serait
précédée de la division du noyau. La substance nucléaire se disperserait dans l'endosarque
en gr-anules. Ces noyaux filles s'entoureraient de particules protoplasmiques, et seraient
ensuite expulsés de l'amibe mère. Les jeunes amibes montreraient d'abord un noyau
très clair, un protoplasme hyalin ; plus tard apparaîtraient les vacuoles contractiles et les
pseudopodes.
Ces phénomènes de division du noyau sont difficiles à saisir. Mais on trouve assez
souvent des amibes, dont le corps est rempli de granules, desquels l'origine nucléaire
est très vraisemblable, et qui sont dépourvues de noyau.
Il semble donc y avoir deux modes de reproduction chez les amibes: a, simple bipar-
tition, intéressant à la fuis le protoplasme et le noyau ; b, reproduction par une sorte
d'enkystement, division en spores du contenu du kyste, et mise en liberté des spores, qui
ne tardent pas à prendre la forme aniibuïde. Le terme de kyste est peut-être ici exagéré;
car l'amibe ne semble pas s'entourer (dans la période de repos préparatoire à sa seg-
mentation) d'une véritable membrane kystique. Mais ce terme a le grand avantage de
rattacher ce mode de reproduction, encore mal connu, à celui des Sporozoaires.
GaAss[ a observé chez Amœba Chsetognathi et A. pigmentifera, espèces parasites du
Chœtognathe Sagitta, un mode de reproduction nettement endogène.
A un moment donné, les exemplaires de moyenne et de grande taille se chargent
de granulations, qui se conjuguent 2 par 2, ou plusieurs ensemble. Les individus con-
jugués s'entourent d'une membrane commune, puis leur endoplasme se fragmenle en un
grand nombre de corpuscules ovales, qui s'échappent hors de la membrane du kyste.
Le même processus de sporulation s'observe chez les deux espèces ci-dessus. Mais,
chez A. pigmeiitifera, chaque spore présente un fjasellum deux fois plus long que le
corps, des vacuoles, un contenu granuleux, mais pas de noyau. Cette absence de noyau
les fait ressembler à certaines zoospores.
Le noyau est beaucoup plus net, et a été étudié avec quelques détails chez Amœba
princep^ par Auerbach (Zeitschr.f. Wlss. ZooL, t. vin). C'estuuemasse arrondie, trèsréfrin-
gente, plus claire sur les bords, contenant très souvent un ou deux nucléoles brillants.
Chez l'amibe, le noyau peut être mis assez facilement en évidence. En le traitant par
l'acide acétique dilué, le protoplasme devient très clair, et le noyau très brillant. Par le
picroitarminate d'ammoniaque, le protoplasme prend une coloration pâle, le noyau se
colore au conlraireavec intensité.
Influence des agents physico-chimiques sur la vitalité des amibes. — Celli
notamment, a donné d'intéressantes indications sur ce point particulier de leur bio-
logie (Congrès d hygiène de Budapest, 1894).
Une température moyenne de 0° à 1S° est favorable à leur développement; elles péris-
sent après un séjour de cinq heures à l'étuve à 45°, et d'une heure à bO". Lorsqu'elles
ont revêtu la forme kystique (formede résistance aux conditions cosmiquesdéfavorables),
elles peuvent supporter sans périr une température de 00° pendant une heure. Elles
AMIBES. 401
peuvent même supporter la température de 67°, après avoir été progressivement sou-
mises à des températures croissantes jusqu'aux environs de 50°. Sous forme Icystique, les
amibes supportent facilement l'insolation pendant une durée de 270 heures.
Elles ne se développent pas dans un milieu privé d'oxygène; mais elles n'y périssent
pas. On peut les retrouver vivantes dans des liquides putréfiés, contenant les produits de
décomposition des substances animales, même après 23 à 33 jours.
Même sous la forme kystique, les amibes offrent infiniment moins de résistance aux
antiseptiques que les bactéries.
On trouve dans la terre divers types d'amibes que Celli a désignés sous le nom de :
Amœba globosa, a.\ec diverses variétés, spinosa, diaphana, verniicularia, reticularia, arbores-
cens. Ce sont les formes globosa et spinosa qui sont les plus fréquentes dans la terre.
S'agit-il là d'espèces distinctes, ou ne sont-ce que des variétés, formes temporaires d'une
même espèce, il semble imprudent de le dire, si on considère le polymorphisme des
amibes, et le peu de constance des caractères indiqués pour séparer les diverses formes.
Influence des agents physico-chimiques sur la motilité des amibes. — Les
amibes sont initabks, c'est-à-dire que, si l'on vient à changer d'une façon quelconque
l'état physico-chimique de leur milieu ambiant, elles réagissent. Cette réaction se mani-
feste par des phénomènes de motilité, et surtout par des mouvements amiboïdes.
Il est assez difficile de savoir si les mouvements sarcodiques sont réellement spon-
tanés, ou s'ils sont toujours provoqués par une excitation extérieure. Lorsqu'on observe
au microscope des amibes, dans une goutte de liquide, il se passe certainement dans le
liquide des changements physico-chimiques qui peuvent jouer le rôle d'excitant, et, par
conséquent, mettre en jeu l'irritabilité propre de la cellule. Tout ce que l'on peut dire,
c'est que les mouvements paraissent spontanés, en ce sens qu'il est impossible d'obser-
ver une amibe, en état d'immobilité prolongée.
Toute force extérieure, tout ce qui modifie l'état actuel du protoplasme de l'amibe
est un excitant (Voy. Ch. Richet. Psychologie générale, 1891, p. 12).
Excitations mécaniques. — Il y a plus d'un siècle que Rosel vit, pour la première fois,
les amibes répondre par une contraction de leur masse à une excitation mécanique.
Sous l'influence d'un ébranlement mécanique, on voit les courants de granules qui
sillonnent la masse des plasmodes, se ralentir temporairement et même s'arrêter com-
plètement.
Excitations lumineuses. — Los amibes proprement dites ne semblent pas irritables par
la lumière. Une amibe d'eau douce, Pclumijxa palustris, se contracte dès qu'elle est ex-
posée soudainement à une lumière vive. Inversement, si elle était placée d'abord à la
lumière, l'exposition subite à l'obscurité provoque sa contraction. Si les modifications
de l'intensité lumineuse ne sont pas brusques, il n'y a pas de réaction de la part de
l'amibe (E.NGELMANN, [7e6er Reizung des Protoplasma ditrch plotzliche Beleiichtung., A. Pf.,
t. XIX, p. 1).
Excitations électriques. — Nous devons à Engeuianx quelques notions sur le mode de
réaction des amibes aux excitations électriques. Soumises à l'action d'un courant gal-
vanique, elles ne réagissent pas aussitôt après la fermeture du courant; il y a là une
sorte de temps perdu qui peut être très long. On peut constater également des phéno-
mènes d'addition latente. L'amibe ne réagit pas à des excitations isolées de faible inten-
sité, mais la succession rapide de plusieurs excitations de même intensité amène finale-
ment une réaction parfois énergique.
Soumises à l'action des courants faradiqnes, les amibes d'eau douce réagissent vive-
ment. Après une phase d'excitation latente (d'une durée de quelques secondes), si
l'intensité du courant est faible, on voit survenir un arrêt des mouvements internes des
granules protoplasmiques, et des mouvements amiboïdes.
Si l'intensité du courant est forte, la phase d'excitation latente peut devenir à peine
appréciable ; et la masse totale ne tarde pas à prendre lu forme sphérique.
On voit alors apparaître, à la surface du corps, et par intermittences, des prolonge-
ments hyalins, où affluent les granules protoplasmiques, qui parfois atteignent la sur-
face même de ces prolongements. Au bout d'un certain temps, l'un de ces pseudopodes
attire à lui toute la masse du corps, e(, une dizaine de secondes environ après l'excita-
tion, l'aspect et la mobilité de l'amibe sont revenus àl'élat normal.
MCT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME. I. 26
402
AMIBES.
Excitations chimiques. — La" neutralité: ou une alcalinité faible du milieu semblent
être indispensables à la conservation des mouvements amiboïdes. Ges derniers cessent
très rapidement chez les amibes, sous l'action d'un liquide faiblement acide (acétique,
chlorhydrique, osmique). Il en est de même des mouvements des Myxomycètes (Kuhne,
Tlnterg. ùber das Protoplasma und die Contractilitàl).
L'acide carbonique, en grande quantité, est également funeste aux amibes et aux
plasmodes de Myxomycètes. Si son action n'est pas trop prolongée, en chassant ce gaz
par un courant d'air, on peut voir la mobilité reparaître dans ces organismes.
Des amibes placées dans des solutions étendues d'alcalis caustiques ont un proto-
plasme qui se gonfle, puis finit par se dissou-
dre. On peut souvent remarquer, avant la
cessation des mouvements protoplasmiques,
l'accélération des mouvements normaux.
Kuhne a vu des amibes d'eau douce, des
Myxomycètes, mourir assez rapidement lors-
qu'on les plaçait dans des solutions de véi'a-
trine, même étendues, dont la réaction alca-
line était à peine appréciable, et même dans
des solutions neutralisées de cet alcaloïde. Le
protoplasme dé ces êtres se troublait rapide-
ment, présentait une apparence de coagu-
lation, et finissait par se dissoudre. L'action
de cet agent sur les éléments essentiellement
mobiles et contractiles est à rapprocher de
son action si particulière sur la fibre muscu-
laire.
Les amibes d'eau douce peuvent s'accou-
tumer à une salure modérée de l'eau ambiante
(2, ri p. 100 de NaCl). Si à cette dissolution
saline de faible titre on ajoute quelques gouttes
d'une dissolution saline plus concentrée, on
voit les Amibes se contracter violemment.
Puis, au bout de quelques minutes, elles
reprennent leurs mouvements normaux. Cette
expérience d'ENCELMANN montre à la fois
l'accoutumance des amibes à un élément
salin normal, accoutumance assez rapide, et
l'excitation que détermine sur leur masse une
variation brusque de la teneur en sel du mi-
lieu ambiant.
Parasitisme des amibes. — On trouve diverses espèces d'amibes, parasites des
Invertébrés (tube digestif). Outre les .-1. Chcetogiiathi et pigmentifera, citées ci-dessus,
nous devons signaler les A. Succinese, Limax, parasites de petits Mollusques : Sphoiium,
Limax, Succinca; A. blattorum, hôte fréquent de l'intestin de la Blatte orientale. L'in-
fluence pathogénique de ces espèces est plus que douteuse.
Il ne semble pas en être de même des amibes parasites des Mammifères. Les A. coli
naginalis sont décrites dans tous les ouvrages de parasitologie humaine. C'est vraisem-
blablement à tort que l'on a voulu distinguer de l'A. coli la forme dite A. intestinalis,
rencontrée dans l'intestin de l'homme affecté de dysenterie des pays chauds.
La question du rôle pathogénique de l'Amœba coli, dans la dysenterie, est encore
loin d'être élucidée, malgré les expériences de culture et d'infestation expérimentale.
Nous pouvons à peine citer les noms des auteurs qui se sont occupés de la question
et nous nous contenterons de renvoyer le lecteur aux plus récents mémoires.
C'ELU. Congrès international d'hygiène de Budapest, 1894. — Babès et Sigura (Arch.
méd. expériment., nov. 1894). — Councilman [Bost. med..and. Surg. journ., 1892). — Fina-
GLiA [Congrès de la Société italienne de méd., 1891). — Kartulis [Centralbl.f.Bakt., 1891. —
Zeitschr. f. Hygiène, AUn, t. r. — A. V., 1886, p. 521). — Lœscïï (A. Y., t. lxv). —
Cellules de Traiescantia, d'après Kûhne.
A, normale; B, excitée par Télectricité.
I amibes se comportent à peu près de niêi
AMIBES. 403
Maggiora [Centralbl. f. Bakt., 1892, p. 173). — Posner (Berl. kiin. Woch., n" 28).
Culture des amibes. — La culture in vitro des amibes, isolées à l'état de pureté,
permettrait aux physiologistes d'avoir à leur disposition un organisme animal aussi
simple que possible, parfaitement apte à servir de sujet d'expérience, dans l'étude des
diverses propriétés physiologiques du protoplasme. Après des essais infructueux de
KovACs, Kartqlis {loG. cit.) y a réussi, à l'aide de la technique suivante : Il fait bouillir,
pendant un quart d'heure, 20 à 30 grammes de paille fraîche dans 2 litres d'eau, puis
il filtre le liquide et le stérilise. Le liquide placé dans des vases à col large ou dans des
ballons de la contenance de oO à 100 c', est ensemencé avec de petites quantités de
mucus, provenant de l'intestin d'un dysentérique, et renfermant des amibes; puis on met
en vases à l'étuve à 30° ou 38°. Après (vingt-quatre ou quarante-huit heures, on voit, à
la surface du liquide, une fine membrane riche en amibes et en bactéries.
IvARTULis n'est jamais arrivé à obtenir des cultures pures d'amibes, lorsque la
semence était riche en Bactéries. En ensemençant le pus d'un abcès hépatique, d'origine
dysentérique (dans les pays tropicaux, le pus est assez souvent privé de Bactéries), il a
obtenu une seule fois une culture pure.
La culture des amibes in vitro a été reprise récemment par Celli {loc. cit.). Ses
expériences lui ont permis de préciser certains points du développement morpho-
logique des amibes. C'est ainsi qu'il a distingué : une phase amiboïde que [l'on pour-
rait qualifier de phase active; une phase de repos, qui peut aboutir à une phase de
vie latente ou phase kystique, et enfin une phase de reproduction.
Pathologie des amibes. Mèrotomie. — Il est du plus haut intérêt, pour la physio-
logie et la pathologie générales, d'étudier les phénomènes pathologiques que présentent
les êtres unicellullaires, et en particulier les plus simples de ces êtres : les amibes. Les
faits acquis dans cette voie permettent de se faire une idée nette des phénomènes essen-
tiels de la pathologie cellulaire.
Si on coupe une amibe en deux morceaux, il ne se forme, le long de la section, rien
de semblable à une plaie ; les bords se réunissant immédiatement après le passage de
l'instrument tranchant. On obtient deux amibes nouvelles : celle qui a gardé le noyau
primitif continue à croître; l'autre moitié, privée du noyau, périt plus ou moins rapide-
ment (Bruno Hofer. ExperimcnicUe Untersuch. iib. cl. Einfluss des Kerns aufdas Protoplasma.
lenaische Zeitschrift fur Naturwissenchaft, t. xxiv, 1889, p. 109, pi. iv et v). (Nous
voyons par là l'importance prépondérante du noyau dans la vie de cet élément cellulaire.)
On ne peut pas parler ici d'inllammation, consécutive au traumatisme. La lésion est
simplement suivie d'une régénération plus ou moins parfaite et facile.
On peut se livrer sur les amibes à des expériences de mèrotomie. Ce terme, introduit
dans la science par Balbiani, désigne l'opération qui consiste à séparer, sur un organisme
vivant, un fragment plus ou moins considérable du corps, dans le but d'observer les phé-
nomènes de survie, présentés par cette portion isolée, qui peut recevoir le nom de
mérozoite.
MaxVerworn {Biùl. Prolisten Studien. Zeitschr. f. Wiss. ZooL, t. xlvi, 1888. — Psycho-
physiologische Protistcn-Studien. Experimentelle Untersuchungen, 1889) s'est livré à des
expériences de ce genre sur divers Protozoaires, et en particulier sur les Gymno-Ami-
biens : Amœba Pelomyxa, et les Théco-Amibiens : Difflugia, Arcella. Il est arrivé à cette
conclusion générale : « Tous les fragments sans noyau, jusqu'aux plus petits, après avoir
passé par un stade d'excitation, conséquence immédiate de la lésion, stade qui se tra-
duit par la contraction du corps, exécutent exactement les mêmes mouvements que
ceux qu'ils exécutaient lorsqu'ils faisaient encore partie de l'animal intact. »
Verworn concluait de ses recherches que le noyau ne présente pas un centre psy-
chique (ou plus simplement de coordination) pour les mouvements. Chaque particule de
la masse protoplasmique constitue un centre indépendant, pouvant avoir des mouvements
propres, lorsqu'on l'isole du reste de la masse. Tous ces centres sont reliés entre eux,
lorsque l'animal est intact, de manière à produire une action harmonique, synergique,
des mouvements automatiques, placés eux-mêmes sous la dépendance des excitations
physico-chimiques du milieu ambiant.
B. HoFER a étudié, ches Amœba proteus, l'influence de la mèrotomie sur les mouvements,
sur la sécrétion, sur la digestion. Le fragment avec noyau n'est affecté en rien par l'opé-
404 AMIBES.
ration, et on ne voit d'abord rien d'anormal se produire ; mais, au bout d'un quart d'beure,
les mouvements de ce fragment commencent à se ralentir, et il tend à prendre une
forme sphérique. Il est rare que des pseudopodes se forment après la section sur ce
fragment. Le mérozoite anucléé peut contenir la vacuole pulsatile. Les mouvements
de celle-ci continuent d'abord, pour se ralentir ensuite et cesser. Si le fragment anucléé
n'a pas de vésicule, il s'en forme une à l'intérieur.
L'influence du noyau sur la sécrétion se manifeste d'une façon très nette par la non-
production de la substance agglutinante, qui permet à l'amibe intacte de prendre un
point d'appui, lorsqu'elle veut émettre des pseudopodes.
Le fragment anucléé, incapable dès lors d'émettre des pseudopodes, ne tarde pas à
mourir d'inanition, puisqu'il ne peut plus capturer de proies. Mais, s'il contient des par-
ticules alimentaires, ingérées avant la section, celles-ci subissent une digestion lente et
incomplète.
Nous avons déjà dit qu'HoFER appréciait le degré de digestion des particules alimen-
taires, à l'aide du brun Bismarck, en solution faible (i : 20 000). Par ce procédé, ou peut
s'assurer, que, lorsque les fragments anucléés renferment des aliments aboudants, une
plus ou moins grande quantité de ceux-ci est rejetée, sans avoir subi de digestion, tandis
que, si les aliments sont ténus et rares, ils subissent souvent une digestion complète.
On peut, avec Hofer, conclure de ces observations que les fragments anucléés n'em-
ploient pour la digestion que les sucs digestifs qu'ils contiennent lors de la division, et
n'en peuvent pas sécréter une nouvelle quantité, en l'absence du noj'au.
HoFER a repris sur le même t3'pe d'Amibien les expériences de mérotomie deVERwoRN,
relativement à l'intluence du noyau sur les mouvements du protoplasme. Il a constaté
que ces mouverments continuent d'une manière très régulière, dans le fragment anucléé.
Cet auteur tire de ces observations cette conclusion, que le noyau représente un centre
régulateur des mouvements protoplasmiques, qu'il tient sous sa dépendance les actions
sécrétoires, mais qu'il est sans utilité pour la respiration et les contractions des vacuoles.
Il est donc en désaccord avec Verworn, au sujet de l'influence du noyau sur les
mouvements protoplasmiques, ou plus exactement au sujet de l'interprétation des faits
observés. En effet, Verworn a ultérieurement {Biol. Pivtisten Studien {ll)ZeUschr. f. Wisi^.
ZooL, t. L, 1890, p. 44) vérifié les fait observés par Hofer, en étudiant le Théco-Ami-
bien : Difflugia lohostoma.
Verworn fait remarquer avec raison que, si le noyau est un centre régulateur de mou-
vements, il ne peut exercer ses effets après sa suppression. Or le fragment anucléé pré-
sente, tout d'abord, des mouvements réguliers. L'activité motrice du protoplasme est
sous la dépendance des échanges nutritifs entre lui et le noyau. La persistance tempo-
raire des mouvements du fragment anucléé s'explique ainsi : les propriétés nutritives,
c'est-à-dire chimiques, du protoplasme, finissent par s'épuiser après la soustraction du
noyau, mais suffisent un certain temps à l'entretien régulier des mouvements.
Verwohw et Hofer admettent donc bien tous les deux une action consécutive {\ach-
ivirkung). Mais, pour le premier de ces auteurs, cette action est moléculaire (chimique),
pour l'autre, elle est dynamique (piiysique).
Parasites infectant les amibes. — Un être unicellulaire, aussi simple ,que
l'amibe, est-il sujet à des maladies infectieuses, et quels changements l'infection est-elle
susceptible de produire dans son organisme?
Meichnikoff a observé chez les amibes une épidémie produite par un organisme
très simple, en forme de cellule ronde, munie d'une mince enveloppe et d'un noyau,
susceptible de se multiplier par division. En observant les amibes, on voit souvent leur
masse renfermer, outre les Diatomées dont elles font leur nourriture, un petit nombre
des cellules rondes que .Metchnikoff désigne sous le nom de Microsphœra. Rien d'anor-
mal ne se manifeste d'abord dans le protoplasma de l'amibe; mais une observation
suivie montre que bientôt les Diatomées ingérées sont détruites par digestion intra-cel-
lulaire, tandis que les Microsphères se développent sans entrave. L'amibe rejette les
Diatomées, puis devient de moins en moins mobile, à mesure que les Microspkères se
multiplient. L'état de malaise de l'amibe s'accentue, et elle finit par périr.
La Microsphère, si chétive en apparence, peut donc infecter l'amibe, en résistant à
sa puissance digestive, à laquelle les Diatomées ne peuvent résister. Quel est le méca-
AMIBES.
405
nisme de celte résistance? La Microsphère est-elle entourée d'une substance protectrice,
ou bien sécrète-t-elle une substance toxique pour l'amibe, capable d'arrêter la sécré-
tion digestive de cette dernière?
Les relations du protozoaire avec l'être parasite qui l'infeste se résument en une
lutte entre les deux êtres. Le parasite attaque son hôte, en sécrétant des substances
toxiques ou dissolvantes, en paralysant l'action digestive et expulsive de cet hôte. Ce-
lui-ci cherche à digérer et à éliminer le parasite. La lutte entre les deux êtres unicellu-
laires se réduit donc à une sécrétion de substances chimiques antagonistes, et à la mise
en action de la contractililé protoplasmique, qui se manifeste par des phénomènes
d'expulsion du parasite.
Des êtres très supérieurs en organisation aux amibes, sous leur forme amiboïde,
présentent des phénomènes extrêmement nets de phagocytisme, que l'on pourrait,
sans exagération, regarder comme un reste physiologique d'un état ancestral.
Mouvements amiboïdes. — Nous avons déjà parlé des mouvements amiboïdes des
amibes proprement dites. Ils se retrouvent avec les mêmes caractères chez tous les
êtres qui présentent dans les phases de leur
développement un état amiboïde. Mais ce sont
surtout les leucocytes qui ont servi de sujets
d'étude pour élucider les diverses particularités
de ces mouvements.
Les mouvements amiboïdes ont été observés
d'abord sur les amibes, par Dujardin, en 1833,
qui les désigne sous le nom de mouvements sar-
codicjues.
Découverts par Wharton Jones, en 1846, sur
les leucocytes, ils ont été étudiés par Davaixe, et
surtout par Recklinghausen et Ra.n'vier; ils sont
particulièrement faciles à étudier chez les Verté-
brés à s^ng froid : Grenouille, Triton.
Si l'on transporte une goutte de lymphe sur
une lame de verre, on voit les globules blancs
revenir sur eux-mêmes par une soi'te de contrac-
tion. Par le fait du changement de milieu, ils
éprouvent un arrêt de mouvement. Cet arrêt n'est
que temporaire, et bientôt on voit les globules
changer lentement de forme, et pousser une
expansion en forme de bourgeon dans un sens
déterminé. Cette expansion s'accroît, puis se ré-
tracte, change de forme, devient bifide ou trifide, en même temps que d'autres expan-
sions se produisent en d'autres points du globule. Celui-ci se déforme lentement, et
peut parfois présenter un mouvement sur place. Mais chez la plupart des globules les
mouvements amiboïdes déterminent un déplacement dans un sens donné. Les expan-
sions des leucocytes méritent donc bien, comme celles des amibes, le nom de pseudo-
podes.
Les leucocytes enfermés entre une lame de verre et la lamelle couvre-objet présentent
naturellement des mouvements d'expansion et de déplacement, surtout dans le sens de
l'espace libre, c'est-à-dire latéralement. Mais, perpendiculairement aux lames limitantes,
naissent aussi des pseudopodes courts, changeant lentement de dimensions, et s'insérant
sur des points variables de la surface du leucocyte.
La tendance que présentent souvent les leucocytes à s'étaler en nappe mince sera
mieux décrite à l'article Leucocytes. Cette déformation particulière ne pourrait être qua-
lifiée de mouvement amiboïde que par un véritable abus de langage.
Cette forme de pseudopodes, que nous venons de décrire, a reçu le nom de pseu-
dopodes en nappe.
Les leucocytes de certains Batraciens (en particulier du Triton cristatus) présentent
des pseudopodes, en forme d'épines, de baguettes hyalines, d'apparence rigide. Ce sont
de véritables rhizopodes comme on en rencontre chez les Protozoaires. On les a appelés
nouvement sarcodiquo
filamenteux
im AMIBES.
encore pseudopodes en aiguilles. On les rencontre aussi dans les leucocytes des crustacés
Décapode (Écrevissse, Homard).
L'influence de divers agents physico-chimiques sur les mouvements amiboïdes n'est
pas foncièrement différente de celle exercée par ces agents sur les mouvements de pro-
toplasme en généra] (Voy. Cellules, Leucocytes).
On peut rattacher aux mouvements amiboïdes les mouvements de reptation des leu-
cocytes à la surface des corps solides, lorsqu'ils sont placés dans des conditions favo-
rables. Ces mouvements sont mis en évidence par l'expérience classique de la moelle
de sureau, taillée en petit cylindre, et introduite dans le sac lymphatique dorsal d'une
grenouille. Ce cylindre est bientôt imbibé de lymphe, et, sur des coupes transversales,
menées perpendiculairement à son axe, on voit que les leucocytes ont péne'tré à l'in-
térieur des cellules végétales mortes qui constituent la moelle. Les rangées périphériques
de cellules renferment des leucocj'tes, tandis que les assises centrales sont simplement
remplies de plasma. Les mouvements amiboïdes des leucocytes sont d'autant plus vifs
que l'on examine des cellules situées plus près de la périphérie (Ranvier).
Dans les cellules qui [confinent à la région centrale de la moelle, les leucocytes ont
pris la forme ronde et ont subi la dégénérescence graisseuse ; ils sont morts, transformés
en globules de pus. Les cloisons des cellules de la moelle sont munies de perforations,
qui ont servi de passage aux leucocytes pour pénétrera l'intérieur des cellules. Parvenus
dans les cellules profondes, les leucocytes n'ont pas conservé assez de vitalité pour pou-
voir traverser la moelle de part en part, et ils ont dégénéré dans ce milieu défavorable à
leur vie. Les préparations de la moelle de sureau ainsi mise en expérience, fixées par
l'action de l'acide osmique, sont des plus instructives. On voit, dans les cellules périphé-
riques, les leucocytes fixés avec leurs expansions pseudopodiques, plus intérieurement une
couche de cellules à leucocytes doués d'une plus faible activité amiboïde, plus profon-
dément encore, la zone des cellules à leucocytes arrondis, ayant subi la dégénérescence
graisseuse, et alors teintés en noir par l'acide osmique.
On peut admettre que, dans cette expérience, la cause qui a diminué les mouvements
amiboïdes des leucocytes situés dans les couches profondes de la moelle, et amené leur
dégénérescence finale, est le manque d'oxygène.
Action de l'oxygène sur les mouvements amiboïdes. — La présence de l'oxy-
gène est absolument indispensable à l'activité des éléments amiboïdes.
Une expérience simple le démontre. Dans une préparation de lymphe, lutée à la
paraffine, dépourvue de toute bulle d'air, les mouvements amiboïdes des leucocytes
sont d'abord énergiques. Cette préparation, maintenue en chambre humide, de façon à
éviter toute évaporation, montre bientôt des éléments revenus a la forme ronde, parfois
à contours anguleux, mais privés de toute espèce de mouvements. Si l'expérience se
prolonge peu, et que l'on soulève la lamelle couvre-objet, pour faire rentrer quelques
bulles d'air, les mouvements amiboïdes reprennent peuàpeu,puis sont plus accusés, fina-
lement très énergiques autour des bulles d'air. L'oxygène est donc un véritable excitant
de l'activité des leucocytes. Si, sans soulever la lamelle, on place sur la platine, chauffée
à 30°, la préparation à leucocytes immobiles, on voit réapparaître les mouvements. La
chaleur réveille donc aussi l'activité des leucocytes.
L'action de l'oxygène sur le phénomène qui nous occupe est d'ailleurs bien mise en
évidence par l'expérience suivante de Ranvier [Traité technique d'histologie, pp. 162-16,i).
On dispose, dans la chambre humide et aérée, une goutte de lymphe. Au bout de
24 heures, on voit que les globules placés à la périphérie de la préparation, c'est-à-dire
au contact de l'air, présentent d'actifs mouvements amiboïdes, tandis que ceux situés au
centre ont revêtu une forme plus ou moins sphérique, immobile. De plus, les leucocytes
sont accumulés en grand nombre, le second jour de l'expérience, à la périphérie de la
préparation. Il y aune véritable attraction exercée par le milieu aéré sur les leucocytes,
primitivement épars uniformément dans la goutte de lymphe.
L'oxygène est également nécessaire à la vie des leucocytes des mammifères. Une
préparation de lymphe de chien, privée d'air, ne montre plus, au bout de 24 heures, que
dos leucocytes à forme ronde, dont l'activité ne peut plus être réveillée, même par une
élévation de température. Au bout du même laps de temps, une préparation placée dans
la chambre humide, au contact de l'air, possède des leucocytes extrêmement actifs.
AMIBES.
407
La lymphe du canal lymphatique est très pauvre en oxygène (Hammers). Recueillie
(en évitant tout contact avec l'aii), on la voit posséder des leucocytes inertes, qu'une tem-
pérature de 38» ne réveille que tardivement et peu. A cause de cette pauvreté en oxy-
gène des canaux collecteurs de la lymphe, les leucocytes qui s'y trouvent perdent momen-
tanément leur propriété d'adhérence et de mobilité. Ce fait a une grande importance :
il assure le débit régulier de la lymphe dans ces canaux collecteurs, qui autrement
risqueraient d'être obstrués par les leucocytes, agglomérés ou adhérents aux parois.
Influence de la température. — On peut observer l'influence de la température sur
les mouvements amiboïdes en plaçant une goutte de lymphe de grenouille en chambre
humide, et en élevant progressivement la température. Une élévation modérée de
température (lO^-SO") active les mouvements. Au-dessus de 41-42°, les leucocytes sont
frappés d'immobilité et subissent diverses altérations pathologiques. Maurel a publié
divers mémoires intéres-
sants (1888-1894) sur ces
influences thermiques.
La présence de l'oxy-
gène, une certaine élé-
vation de la température
ne sont pas les seules
conditions indispensa-
bles à l'activité amiboïde
des leucocytes. Pour que
leur activité se mani-
feste, il faut encore qu'ils
se trouvent maintenus
dans leur plasma nor-
mal : sang on lymphe.
Vient-on à délayer une
goutte de lymphe dans
l'humeur aqueuse de la
grenouille, les mouve-
ments amiboïdes des leucocytes ne tardent pas à disparaître, et ceux-ci présentent
bientôt des altérations pathologiques.
L'activité des leucocytes des vertébrés à sang chaud ne se manifeste qu'à la tempé-
ature caractéristique de l'animal considéré. Les mouvements amiboïdes se montrent
nettement dans une préparation de lymphe de lapin, maintenue à 20"' (Ranvier). Les
leucocytes émettent, dans ces conditions, des pseudopodes en nappes ondes pseudopodes
en aiguilles, plus ou moins ramifiés. A Sio-So", ces mouvements sont très rapides, les
pseudopodes rentrent dans la masse du leucocyte, et se produisent à ses dépens avec la
plus grande rapidité. Au-dessus de 40°, les Ieucoc5'tes meurent.
Influence de l'électricité. — L'action des courants faradiques sur les leucocytes
de la grenouille ont été étudiés par divers auteurs. Si l'on vient à exciter un leucocyte
par un seul choc d'induction, il présente, comme les amibes, une courte période (1/4 de
minute à 1 minute) d'excitation latente, puis ses prolongements aigus (pseudopodes en
aiguilles) rentrent peu à peu dans la masse totale. Lorsque l'excitation est plus forte, la
masse totale peut prendre rapidement la forme sphérique, conserver cette forme pen-
dant quelque temps, puis revenir à l'état initial.
Si l'on augmente encore l'intensité de l'excitation, on voit tout d'abord la masse du
leucocyte revêtir brusquement la forme sphérique, puis, sur nn point de cette masse,
apparaît une vacuole réfringente, qui s'accroît peu à peu, pour décroître ensuite, tandis
que, en d'autres points de la masse, apparaissent d'autres vacuoles. Cette sorte de rema-
niement interne de la masse protoplasmique détermine des modifications rapides et
frappantes de la forme du leucocyte. Au bout d'un certain temps, ce phénomène s'at-
ténue; les vacuoles sont résorbées, et on voit réapparaître des pseudopodes en aiguille,
répartis à la surface, d'une façon irrégulière, comme à l'état normal.
Il est possible d'observer les mouvements amiboïdes même sur les leucocytes de la
lymphe humaine. Une goutte de sang humain défibriné, placée à l'air, dans la chambre
Influence de la chale
(l'activité; 5
r sur la motilité des cellules (schéma). A 40^, m;
, mort; 0", immobilité. {D'après Ch. Richet.)
408 AMIBES.
humide, contient un assez grand nombre de leucocytes, dont les mouvements amiboïdes
s'effectuent à 32» et persistent jusque vers 40°, tout comme chez le lapin et le chien.
Quant aux phénomènes généraux qui résultent, nous renvoyons aux articles Oiapé-
dèse, Phagocytisme, etc.
A côté du mouvement amiboïde proprement dit, il y a lieu de distinguer avec
ScHULTZE un mouvement filamenteux qui s'observe aussi chez certains êtres amibifornies :
surtout les Rhizopodes et les Radiolaires. Le protoplasme semble glisser au dehors de la
cellule et former des expansions radiées extrêmement fines (Voir des détails intéres-
sants sur ce mouvement particulier dans l'article de Engelmann, in H. H., t. i, pp. 344
et 519). L'étude des cils vibratils (voir ce mot) se rattache aussi par certains oôte's au
mouvement amiboïde.
Plasmode. — Ou conçoit que, si plusieurs amibes viennent à fusionner leurs
masses respectives, les propriétés de la masse totale résultante ne soient pas modifiées.
Une semblable masse se rencontre fréquemment dans la nature : c'est le plasmode des
Myxomycètes. L'étude de ces propriétés physiologiques est-elle inséparable de celle des
propriétés des amibes. Elle est d'autant plus importante, que nombre des propriétés
essentielles du protoplasme ont été particulièrement étudiées chez les plasmodes.
Passer de l'étude des propriétés de l'amibe à celle des propriétés du plasmode,
c'est passer insensiblement, de l'étude des propriétés d'un être unicellulaire à celle d'un
être pluricellulaire, particulièrement favorable aux études expérimentales; car il pré-
sente la masse protoplasmique la plus grande que l'on puisse rencontrer dans la nature.
Le plasmode est, en somme, un état amiboïde colossal, résultant de la fusion de
zoospores de Myxomycètes, renfermant une grande quantité de noyaux, plongés dans un
protoplasme commun.
Propriétés physiologiques du plasmode. — Dans l'étude des propriétés phy-
siologiques du plasmode, nous retrouvons toutes celles qu'on a constatées chez les
Amibes.
Motilité. — Ramifié dans les différentes directions, il peut se déplacer à la surface
des objets, présenter des mouvements amiboïdes sur les bords de son ectoplasme, tandis
que son endoplasme se montre affecté de mouvements rapides, comparables à ceux de la
lave volcanique.
Digestion intra-cellulaire. — Si les corps englobés sont des grains d'amidon ou des
cellules végétales (bactéries, levures), on les voit souvent sortir des myxamibes ou des
plasmodes, sans paraître avoir subi d'altérations. Les plasmodes englobent, à la façon
des amibes, les corps solides qui se trouvent à leur portée, et, s'ils sont alibiles, les
digèrent à l'aide d'un ferment et d'un acide.
Les zoospores amiboïdes du Physantm tussilaginis sont parfois remplies de bactéries
(Saville Kext). Les bactéries, saisies par les pseudopodes de divers Myxomycètes, à
l'état de zoospores, sont entraînées dans l'intérieur de la masse protoplasmique, et
englobées dans des vacuoles nutritives. Elles finissent par s'y dissoudre presque entière-
ment. C'est ainsi qu'une zoospore de Chondriodcrma difforme digère totalement deux
grands bacilles, dans l'espace d'une heure et demie.
Il y a longtemps déjà qu'un ferment peptique a été trouvé dans le plasmode par
Krukenberg (Unters. Physiol. Inst. d. Univ. Heidelberg, t. n, 1878, p. 173). La présence
d'un acide y a été démontrée plus récemment (Ann. Inst. Pasteur, 1889, p. 25).
Les résidus de la digestion et les corps non alibiles sont rejetés à l'extérieur, et for-
ment ainsi des traces, indiquant les endroits où a passé le plasmode, dans ses mouve-
ments de déplacement.
Propriétés chiniiotactiques. — Le plasmode présente une propriété dont l'étude
est capitale aussi bien pour la physiologie que pour la pathologie générale : la chimiotaxie.
Cette propriété n'a pas été reconnue jusqu'ici chez les amibes, peut-être à cause de
manque de recherches dans celte direction.
Dès 1884, Stahl njontre que la décoction de feuilles mortes (substratum de nombreux
Myxomycètes) attire les plasmodes, tandis que d'autres solutions (sels, sucre) les
repoussent. Cet auteur donna à ces phénomènes le nom de trophotropisme : positif en
cas d'attraction, négatif en cas de répulsion, les reliant ainsi aux phénomènes de nutri-
tion {Bot. Zcit., n°s 10-12, 1884).
AMIBES. i09
Lorsque Pfeffer eut démontré que les anthérozoïdes de divers cryptogames sont
attirés par les archégones de ces plantes, on vit clairement que ces phénomènes d'attrac-
tion par les substances chimiques pouvaient n'affecter aucun rapport avec les phéno-
mènes de nutrition, et le nom de ti'ophotropisme disparut pour être remplacé par celui
plus {Général de chimiotactismc ou chimiotaxic.
Metchnikoff a quelque peu étendu les recherches de Stahl sur la sensibilité chimio-
tactique des plasmodes {Vathol. comparée de l'inflammation, p. 42). Il place plusieurs
échantillons de plasniode du Didymium favinaceum dans des solutions de sulfate de qui-
nine à 0,1; 0,01 ; 0,0o ; 0,00n; 0,0003 p. 100. Ces dernières solutions n'empêchent pas le
plasmode de s'approcher d'elles, et même de pousser quelques prolongements à leur sur-
face. Les trois premières, au contraire, repoussent énergiquement le plasmode. Ce der-
nier apprécie donc des diff'érences de 0,0b à 0,003 p. 100 dans les proportions pondé-
rales de sulfate de quinine en solution.
Mais, fait encore plus intéressant, le plasmode, comme les autres organismes infé-
rieurs, s'accoutume graduellement à des solutions qu'il évitait primitivement. Le fait a
été observé, la première fois, par Stahl. Le plasmode de Fuligo scptica s'éloigne d'abord
d'une solution de sel marin à 2 p. 100 et au-dessous ; puis, après avoir subi, à un certain
degré, le manque d'eau, il finit pari s'adapter, et plonge ses pseudopodes dans la solu-
tion salée. Sous l'influence de l'accoutumance, il s'est donc produit des changements
inappréciables à nos sens dans le protoplasme, d'où résulte une inversion des propriétés
chimiotactiques.
Ce fait est d'une importance capitale, aujourd'hui que l'on fait jouer un si grand rôle
à la chimiotaxie positive ou négative des leucocytes, dans la lutte de l'organisme contre
les agents infectieux. Son étude approfondie s'impose donc. On peut faire à ce sujet une
expérience intéressante (Metchnikoff). Un plasmode de Physarumesl étalé sur une lame,
dans un bocal contenant une solution à 0,5 p. 100 de NaCl. Le plasmode s'éloigne aussi-
tôt du niveau du liquide. On le transporte alors dans un autre bocal renfermant une
solution du même sel à 0,2 p. 100. Le plasmode, d'abord repoussé, s'approche de la
solution au bout de plusieurs heures. On remet alors le plasmode dans le vase avec une
solution à 0,3 p. 100. Le plasmode s'éloigne du liquide, au lieu de s'en approcher; au
bout de douze heures, il finit par redescendre au niveau du liquide, mais sans y plonger
ses prolongements.
On peut également, avec le même auteur, placer sur un porte-objet un plasmode de
Physarum, à égale distance de deux cristallisoirs remplis; l'un, d'une vieille infusion de
feuilles sèches où pullulent les bactéries, l'autre, de la même infusion, préalablement
filtrée avec soin. Les deux extrémités du plasmode sont réunies chacune par un papier
buvard à l'une des solutions : le plasmode se dirige vers la bande de papier imprégnée
de solution filtrée. Le plasmode fuit donc un liquide chargé de bactéries.
Répétons la même expérience avec une infusion très fraîche de feuilles mortes dans
l'eau froide. Cette fois, le plasmode se dirige vers la vieille infusion, riche en bactéries.
Ce résultat semble dû à ce que l'infusion fraîche ne renferme pas de substances nutri-
tives dissoutes, au moins en quantité suffisante.
De deux infusions, l'une non nutritive, l'autre nutritive, mais chargée de bactéries, le
plasmode préfère la première ; mais de deux infusions nutritives, dont l'une est plus
riche en bactéries que l'autre, le plasmode évite la plus chargée en bactéries.
La chimiotaxie négative est donc pour le plasmode un moyen d'éviter les agents
nuisibles : agents chimiques, et aussi êtres vivants sécrétant des substances chimiques
nocives. Il semble plausible de supposer que cette propriété peut préserver le plasmode
contre l'attaque d'autres organismes, notamment d'organismes parasites et pathogènes.
Si cette propriété chimiotactique n'existait pas réellement chez les amibes (ce dont il
est encore permis de douter), nous assisterions à un perfectionnement très marqué dans
l'évolution défensive du protoplasme contre les agents nocifs, en passant des amibes au
stade amiboïde des Myxomycètes.
Sensibilité aux agents physiques. — Le plasmode est sensible à l'humidité. 11 fuit
une humidité trop grande : c'est ainsi que si le plan où se meut le plasmode offre à sa
surface des places sèches et des planes humides, il ne sort que sur des places sèches.
Sitôt que l'on mouille ces places, le plasmode s'enfonce dans les profondeurs.
410 AMIBES.
Le plasmode est phototactique. Attiré par une lumière de faible intensité, il est
repoussé par une radiation plus vive, et même par la lumière diffuse du jour. L'insolation
directe le fait fuir, et même la formation de granules à son intérieur, sous cette
influence, est un indice de la nocivité de cette insolation directe. Pour une lumière d'in-
tensité moyenne, le plasmode est indifférent. La réaction phototactique du plasmode
varie donc, et même change de sens, suivant l'intensité des rayons lumineux qui agis-
sent sur lui (Baranetzry. Infl. de la lumière sur les plasmodes de Myxomycètes : Mém. de la
Soc. des se. nat. de Cherbourg, t. six, p. 321, 1876). Ces mouvements phototactiques ne
sont sous la dépendance que des radiations de la portion la plus réfrangible du spectre,
à partir du bleu jusqu'à la limite de l'extrême violet. On s'est borné à constater que les
mouvements phototactiques s'opèrent aussi bien derrière une dissolution ammoniacale
d'oxyde de cuivre, que dans la radiation totale, tandis qu'il n'y a plus de manifesta-
tions phototactiques derrière une dissolution de bichromate de potasse. Les plasmodes
à' Aethalium n'émettent, en rampant à la lumière, que des prolongements courts et
pressés; dans l'obscurité, au contraire, ils émettent des ramifications longues, étroites
et minces.
Le plasmode est sensible à la pesanteur, il est géotactique. 11 s'élève en grimpant le
long des parois verticales humides, soulevant ainsi son propre poids. Si on le place sur
un disque vertical tournant, sous l'influence de la force centrifuge, il se dirige vers
le centre du disque. Le plasmode est donc négativement géotactique (Rosanoff. De
l'influence de l'attraction terrestre sur la direction des plasmodes des Myxomycètes : Mém. de
la Soc. des se. nat. de Cherbourg, t. xiv, 1869).
On peut réaliser facilement toutes ces expériences, en faisant arriver le plasmode sur
une feuille de papier humide : il s'y étale en rampant. En découpant cette feuille avec
des ciseaux, on peut tailler le plasmode en morceaux réguliers, qui jouissent des mêmes
propriétés que la masse totale du plasmode, et peuvent servir à diverses expériences
physiologiques.
Le plasmode des Myxomycètes réagit énergiquement aux excitations électriques.
Kdhne l'a montré par une intéressante expérience. Il prend un plasmode et en remplit
un fragment d'intestin d'hydrophile. Cette sorte de cylindre vivant réagirait à l'électricité,
comme pourrait le faire un muscle véritable.
Comme l'a dit Engelmans, on a attribué à cette expérience de Kuhne une importance
qu'elle n'avait pas. En effet cette masse protoplasmique n'a peut être pas conservé
toutes ses propriétés physiologiques normales. Le plasmode a été fragmenté mécanique-
ment, ses fragments ont été imbibés d'eau : or il suffît de meurtrir une masse plasmo-
diale pour voir, même à l'œil nu, s'opérer un changement dans sa constitution, change-
ment trahi par la mise en liberté et l'expulsion, sous forme de gouttelettes plus ou
moins volumineuses, de l'eau primitivemeut incluse dans la masse plasmodiale. De plus,
en admettant que l'on puisse négliger cette altération traumatique, le soi-disant muscle
artificiel ne sera qu'un agrégat d'amibes, et la contraction simultanée de tous ses élé-
ments constituants ne le fera pas varier sensiblement de forme.
Si, après avoir soumis le muscle artificiel à un certain nombre d'excitations, on le vide
de son contenu plasmodial, on voit que son contenu offre une structure très anormale. 11
se compose de masses tuberculiformes isolées, de bulles et de granules libres. Loin donc
de représenter une sorte de tissu musculaire, cette masse a même perdu la structure
du protoplasme normal.
Le plasmode des Myxom3'cètes semble réagir aux courants faradiques, de la même
façon que les amibes, mais ici les phénomènes sont plus compliqués, parce que, à cause
même de l'étendue de la masse plasmodiale, l'excitation ne peut porter que sur une
portion limitée du plasmode.
Composition chimique du plasmode. — C'est sur le plasmode de Fuligo septica
que l'on a, pour la première fois, déterminé la composition chimique du protoplasme.
Mais il est à remarquer que, dans cet état de plasmode, la masse protoplasmique a accu-
mulé de nombreuses réserves. Le plasmode est dépourvu de membrane et de suc
cellulaire.
Il se compose (Reinke, Bot. Zeit., 26 nov. 1880), pour 100 de matière sèche, de 30 de
substances azotées, 41 de substances ternaires, et 29 de cendres.
AMIBES. Ml
Les matières azotées sont : vitelline, myosine, peptone, pepsine, lécitliine, guanine,
sarcine, xanthine, carbonate d'ammoniaque). Les matières ternaires: paracholestérine,
une résine, des corps gras ou autres et des acides gras (oléique, stéarique, palmitique).
Les substances minérales : sels de chaux, lactate et sels des acides gras, acétate, for-
miate, oxalate, phosphate, sulfate, carbonate, phosphates de potasse et de magnésie,
chlorure de sodium, sels de fer. 54 p. 100 des cendres sont formées de carbonate de
chaux, chez les Fuligo et d'autres Myxomycètes.
Réactions pathologiques du plasmode. — Le plasmode des Myxomycètes est un
excellent sujet d'étude, pour arriver à connaître certains phénomènes de la vie patholo-
gique du protoplasme. Mètchnikofi- (loc. cit.) a institué sur ce point quelques expériences
que nous devons relater brièvement.
Introduisons dans la masse plasmodiale un corps étranger, solide et inerte, par
exemple uu tube de verre. Ce traumatisme déchire une partie du plasmode, qui se
répand dans le milieu ambiant. Le tube de verre séjourne quelque temps dans la masse
protoplasmique, qui ne semble pas être affectée parla présence de ce corps étranger;
puis il est rejeté comme un corps inerte.
Touchons la partie centrale du plasmode avec une tige de verre chauffée. Sous
l'influence de cette excitation thermique, la partie touchée meurt, et se distingue nette-
ment de la partie périphérique, restée indemne. Au bout d'un^ certain temps, le frag-
ment nécrosé est éliminé, comme un corps étranger quelconque.
Les excitants agissent encore plus énergiquement. Touchons le bord du plasmode
avec un petit fragment de nitrate d'argent, puis lavons immédiatement avec une solution
de 1 p. 100 de NaCl, de façon à précipiter le nitrate d'argent dissous.
La portion touchée par le nitrate meurt, et se détache du reste du plasmode, au
bout d'un certain temps. Mais, de plus, le plasmode réagit immédiatement à cette exci-
tation chimique. Lors de l'attouchement avec le sel caustique, les mouvements proto-
plasniiques étaient dirigés dans un certain sens ; les granulations protoplasmiques se
dirigeaient, par exemple, du centre vers la périphérie (point cautérisé). Sitôt l'exci-
tation perçue par le protoplasma, les mouvements des granulations protoplasmatiques
subissent une inversion de sens : les granulations se dirigent de la périphérie vers le
centre.
Les excitations irritantes provoquent donc dans le plasmode des phénomènes
d'attraction (assez semblables à ceux qui accompagnent l'ingestion d'une proie) et des
phénomènes de répulsion. Ces phénomènes pathologiques ne diffèrent donc en rien,
dans leur essence, des phénomènes physiologiques normaux.
Depuis longtemps Stahl avait fait remarquer que les plasmodes ne sont jamais
attaqués par les parasites. Il explique ce fait par leur mobilité facile, et leur propriété
de rejeter en dehors les corps étrangers, propriété en relation avec la digestion interce!
lulaire des particules solides. Pfeffer {Ueber Aufnahme und Ausgabe ungelôster Kôrper :
Abhandl. d. mathcm. phys. CL der. K. Sachs. Gesell. d. Wissensch., t. xvi, 1890, p. 161) a
vu les plasmodes de Chondrioderma rejeter les Pandorines et les Diatomées à l'état
vivant. On n'a cependant pas encore fait d'observations directes sur l'expulsion des
parasites par les plasmodes.
L'exemple des Amibes, infestées par les Microsphœra, montre d'ailleurs que certains
parasites peuvent résister aux propriétés expulsives que le protoplasme manifeste vis-à-vis
des corps étrangers, peut-être en paralysant, à l'aide d'un produit de sécrétion, ces
propriétés expulsives.
État amiboïde de divers types animaux et végétaux. — Un grand nombre de
types animaux et végétaux présentent pendant une portion de leur existence un état
nettement amiboïde.
Certaines Grégarines {Porospora) ont une phase nettement amiboïde dans leur
développement. C'est sous la forme d'un corpuscule amiboïde que les Coccidies propre-
ment dites envahissent les cellules épithéliales. Semblable forme, que l'on pourrait qua-
lifier du nom de forme agressive (vis-à-vis des cellules de l'organisme parasité) s'observe
également chez les Sarcosporidies {Sarcocystis).
Les Myxosporidies se présentent, pendant les premières phases de leur développe-
ment, sous forme de petites masses amiboïdes, à mouvements énergiques. Il semble
412 AMIBES.
même que plusieurs de ces masses élémentaires se fusionnent finaleuient en un véritable
plasmode, qui s'enkyste, et au sein duquel se développent les Psorospermies.
Les spores des Microsporidies, et en particulier celles du Microsporidhim Bombycis,
germent, en laissant échapper leur contenu protoplasniique, sous forme d'une petite
masse ariiiboïde (Voir Sporozoaires).
Chez les Sporozoaires sanguicoles existeraient aussi des phases amiboïdes, fort inté-
ressantes, au point de vue de l'organisation et du rôle pathogénique de ces êtres
(Voir Hématozoaires).
L'œuf des Éponges (Ralisarca), même à l'état de maturité, est animé d'actifs mouve-
ments amiboïdes, qui lui permettent de ramper à la surface des cavités internes de
l'animal mère ; aussi l'a-t-on pris longtemps pour une amibe parasite. L'ovule des
Eponges est d'ailleurs un élément mésoblastique, à propriétés plus ou moins amiboïdes,
d'abord indifférent, puis ayant subi une différenciation nouvelle.
Il est fort intéressant de constater que chez les plus inférieurs des Métazoaires, les
cellules épithéliales conservent encore des propriétés amiboïdes chez les Spongiaires,
où il existe nettement trois feuillets différenciés, (dont le moyen est constitué essentiel-
lement par des amibocytes), l'ectoderme est formé de cellules épithéliales plates, visi-
blement contractiles. Il semble qu'il y ait là une suite d'un état amiboïde primordial,
qui n'aurait persisté chez l'animal diti'érencié que dans la seule couche soustraite à l'ac-
tion directe des agents extérieurs, c'est-à-dire dans le mésoderme. Lorsqu'on examine
de jeunes Spongiaires, on voit sur leurs bords libres des prolongements amiboïdes,
appartenant aux éléments ectodermiques. La contractilité de ces cellules joue un rôle
évident dans l'ouverture des pores, répartis à la surface de l'éponge, et apparaissant
entre deux ou plusieurs cellules plates ectodermiques. Ces pores s'ouvrent, en livrant
passage à un courant d'eau qui tient en suspension les corpuscules amenés par l'eau
arnbiante.
Phénomène remarquable, les Éponges maintiennent leurs pores fermés pour empê-
cher l'accès de substances nuisibles, non seulement sous forme de granules, mais aussi
les substances en solution. Les solutions toxiques (de morphine, strychnine, véra-
trine) amènent le resserrement des pores, qui ne s'ouvrent qu'au bout d'un certain
temps (De Lundenfeld. Experiment. Vnter&uch. ùber die Phys. der Spongien. Zeit. f. wiss.
ZooL, t. SLvm, 1889).
L'analogie avec les propriétés des plasmodes de Mj'xomycètes est évidente : nous nous
trouvons en présence des mômes propriétés chimiotactiques, mais la réaction est diffé-
rente. La cause de cette différence est toute mécanique : le plasmode est mobile, il fuit
l'agent nuisible; la cellule ectodermique de l'Éponge est reliée intimement à ses congé-
nères, elle n'est mobile qu'à sa surface libre (bords du pore), et c'est en manifestant sa
mobilité en ce point qu'elle agrandit ou rétrécit l'orifice, susceptible de hvrer passage
à l'agent nuisible.
Nous voyons ici le passage insensible de l'élément anatomique amiboïde à l'élément
épithélial; de même que nous avons vu plus haut le passage du pseudopode au cil
vibratile.
L'œuf de l'Hydre d'eau douce est une véritable amibe de grande taille, dont la masse
est gorgée de granulations vitellines, et de grains colorés en vert par la chlorophylle
(zoochlorelles).
Les spermatozoïdes des Nématodes sont dépourvus du filament caudal, si caractéris-
tique des spermatozoïdes des autres animaux. Privés de cet organe de locomotion, ils
ne peuvent progresser que grâce à des mouvements amiboïdes, et parviennent ainsi jus-
qu'au sommet de l'utérus de la femelle. Chez les Strongylides, les changements de forme
des spermatozoïdes sont tellement accusés qu'ils rendent parfois ces éléments mécon-
naissables.
Certains éléments épithéliaux peuvent émettre des prolongements qui ressemblent
plus ou moins à des pseudopodes amibiformes. Si on examine la vésicule séminale de
VAscarh lumbricoïdes, on voit ainsi les cellules épithéliales qui la tapissent émettre des
ramifications changeant de forme lentement (Leuckart). Ces pseudopodes épithéliaux
doivent jouer le rôle des cils vibratiles absents, et aider à la progression du sperme. Ce
serait pour ainsi dire un terme de passage, au point de vue morphologique, entre les
AMIBES. 413
pseudopodes typiques et les cils vibratiles, qui peuvent être considérés comme de simples
modifications des premiers. Il serait fort intéressant de rechercher si ces éléments pos-
sèdent les propriétés caractéristiques des cils vibratiles, ou celles des élémenls ami-
boides. Aucune donnée ne nous permet encore de conclure s'ils constituent également
un terme de passage au point de vue ph^'siologique.
Le même fait se retrouve dans l'histoire de certains groupes de champignons.
Les Ciiytridinées présentent très nettement un état amiboïde. Arrivées au contact
du véfrétal ou de l'infusoire qu'elles infestent, les zoospores perdent chacune leur cil vibra-
tile qu'elles rétractent, et rampent à la surface de l'être parasité, à l'aide de mouvements
amiboïdes. Les zoospores des Vampyrellées présentent également une phase amiboïde,
et se fusionnent parfois en un plasmode plus ou moins volumineux, avant de se fixer au
corps de la plante nourricière. Pendant leur reptation à la surface de l'oogone, les anthé-
rozoïdes se déforment à l'aide de mouvements amiboïdes, chez les Monohlepharis ; mais
ces éléments ne représentent pas des éléments amiboïdes typiques, car ils restent
munis d'un assez long cil vibratile.
Chez les Algues, les formes amiboïdes temporaires sont plus rares. Cependant, les
spores issues de l'œuf des Bangia sont douées d'énergiques mouvements amiboïdes.
Cet état amiboïde pourrait, semble-t-il au premier abord, être regardé comme un
reste ancestral. Mais, en réalité, il apparaît beaucoup plutôt comme une adaptation à
certaines conditions de milieu. La forme amiboïde est avant tout une forme de repta-
tion, qui facilite singulièrement à l'être qui le revêt, la recherche d'un milieu favorable
à son évolution ultérieure. Dans certains cas d'ailleurs (Sporozoaires), on pourrait
regarder la phase amiboïde surtout comme une forme d'attaque, vis-à-vis des cellules
parasitées : nous l'avons dit plus haut.
La fréquence de cette forme amiboïde dans les deux règnes, surtout chez les animaux
(amibooytes), est, somme toute, un bel exemple de cette loi, que les nécessités physio-
logiques déterminent souvent les caractères morphologiques aussi bien des organismes
que des éléments anatopiiques.
Bibliographie. — Outre les indications données dans le cours de cet article men-
tionnons : P. ALnERTONi. Action paralysante de la cocaïne sur la contractllité du proto-
plasma {A. B., 1891, t. XV, pp. 1-13). — Crivelli et L. Maggi. Sulla produzione délie
amibe {Rendicont. d. R. ht. Lomb. dl se. e lett., 1870, pp. 367-373; 1875, pp. 198-203). —
CzERNY. Einir/e Beobachtui>g.en uber Amœben [Arch. f. meth. An., 1869, t. v, pp. 158-163). —
Greeff. JJber die Erd. Amœben {SiUb.der Ges. zu Marburg, 1892, pp. 1-26). — Howard. The
amœba coli, ils importance in diagnnsis and prognosis, with the report of two cases (Med.
JVetfs, 1892, t. Lxi, pp; 703-710). ^ Cattaneo. .Imiôoci/ies des crustacés (A. B., 1888, t. x,
p. 267). — RoviDA. Aziotie dclle soluzioni saline concentraii sulle cellule amiboîdi (Ann.
un. di med., 1867, pp. .391-605). — L. Unger. Amœboîde Kernbeivegungen in normalen und
entzundeten Geweben {Med. Jahrb., 1878, t. viii, pp. 393-407).
F. HEIM.
Appendice. — Au moment où cette feuille allait être tirée, paraissait un ouvrage
important de M. Verwokn', dont les travaux ont été cités plusieurs fois dans le cours de
cet article {.Hlgemeine Physiologie, ein Grundriss der Lehre vom Leben, léna, Fischer,
1893, in-8°, 584 pp., 270 fig.). La physiologie des amibes y est traitée d'une manière beau-
coup plus complète qu'elle n'avait pu l'être jusqu'à présent. C'est un traité de physiolo-
gie générale qui a pour base la physiologie des êtres inférieurs, amibes, leucocytes, cils
vibratiles, protistes, rhizopodes, etc. On consultera notamment la fig. 15 (p. 79), qui
indique admirablement les modifications de l'amibe pendant la progression; plus loin,
dans le chapitre V, il faudra lire le § 4 et le § 5 (pp. 439-446), où sont traités le ther-
motropisme el le galvanotropisme des amibes, avec d'excellentes figures. Notamment la
flg. 213 (p. 443) montre le galvanotropisme de \l'Amoeba diffluens qui se dirige énergi-
quement par de vigoureux pseudopodes vers le pôle négatif. De même (fig. 216), fait
Polytoma uveUa. L'auteur a aussi donné des figures qui représentent l'amibe ingérant et
enveloppant un fragment d'algue (flg. 42, p. 130). On remarquera surtout le chapitre
consacré à l'irritabilité des amibes, ainsi que des êtres analogues, où l'auteur donne
des conclusions générales intéressantes pour la physiologie des animaux supérieurs.
GH. R.
'i\i AMMONIACALE (Fermentation).
AMMONIACALE (Fermentation). — On donne le nom de fer-
mentation ammoniacale à la transformation de l'urée en carbonate d'ammoniaque, opérée
par des bactéries et quelques mucédinées. Ce n'est probablement qu'une des modalités
de la formation d'ammoniaque aux dépens des matières azotées sous l'influence de la vie
de beaucoup de microbes, surtout des espèces anaérobies qui vivent aux dépens des albu-
minoïdes, qu'il y ait ou non, dans ces conditions, production antérieure d'urée.
Cette modification de l'urée paraît être une simple hydratation plutôt qu'une trans-
formation véritable. Les chimistes l'obtiennent du reste dans ee sens à l'aide de forces
dont ils disposent ; ainsi, en traitant l'm'ée par les bases énergiques ou en la soumettant
à une température élevée, 140% en présence de l'eau. Ils la formulent de la façon sui-
vante :
COAz2tn + H20=C0 2 + 2AzH3.
Urée
La fermentation ammoniacale s'observe spontanément dans l'urine exposée à l'air.
Ce liquide, daas ces conditions, devient rapidement alcalin et exhale une odeur ammo-
niacale, en même temps qu'apparaît un trouble qui s'accentue de plus en plus.
Il.est des conditions pathologiques où cette modification s'opère déjà dans la vessie,
l'urine est ammoniacale dès son émission.
Les premiers chimistes qui ont étudié ce phénomène, Vauqueun et Dumas principale-
ment, pensaient que cette transformation était intimement liée à l'altération des
matières albuminoïdes ou du mucus de l'uriae. PasteorIb premier, en 1862, l'attribua à
la présence et au développement, dans le liquide, d'un ferment organisé. Van Tteghem,
deux ans après, confirma ces conclusions et précisa les conditions de vie et d'activité du
ferment.
Ces observateurs, toutefois, paraissent avoir étudié deux orgaaismes différents. Celui
que décrit Pasteur est, en effet, un microcoque formant le plus souveat des diplocoques
ou des tétrades ; tandis que celui de Van Tiegiiem a ses éléments réunis en longs chape-
lets à courbures élégantes. Du reste, les recherches ultérieures, celles de Miquel en par-
ticulier, sont venues confirmer cette pluralité des ferments de l'urée. Dés 1878, Miquel a
isolé des eaux d'égout une forme en bâtonnets, un vrai bacille, qui produit énergiquement
la transformation ammoniacale de l'urée ; depuis, il a reconnu la présence dans l'air, le
sol, les eaux, de toute une série de ces agents de fermentation ammoniacale, d'activité
variable. De telle sorte que, avec les espèces similaires ou identiques décrites par Leube
et Cambieb, on peut compter actuellement une vingtaine d'espèces bactériennes qui
jouissent bien nettement de cette curieuse propriété.
, Ces ferments sont cependant loin de posséder une puissance d'action égale. Beau-
coup sont relativement peu actifs; ceux qui possèdent l'activité la plus grande sont
encore le micrococcus étudié par Pasteur et le bacille décrit en premier lieu par Miquel.
Les microbes de la fermentation ammoniacale de l'urée sont très répandus dans la
nature. Ils abondent dans tous les milieux, l'air, le sol, les eaux, même celles qui sont
très pures. Cette large répartition explique l'envahissement si facile et si rapide de l'urine
dés son émission. Ils sont en outre assez communs partout pour assurer toujours la trans-
formation de l'urée provenant de l'urine des animaux ou de la décomposition des
matières albuminoïdes.
C'est qu'à ce point de vue, leur importance est considérable dans la circulation de la
matière. L'urée provenant de la désassimilation animale ne peut en effet rentrer dans la
nutrition qu'après sa transformation en composés ammoniacaux utilisables pour les
plantes.
Ce rôle de ferment ammoniacal de l'urée ne paraît pas cependant être un caractère
obligatoire de ces espèces microbiennes, tel que leur vie ne puisse s'accomplir que
lorsqu'ils le remplissent; mais plutôt une fonctio,n secondaire qui peut être plus ou moins
indépendante de la nutrition du microbe et de son développement. C'est un phénomène
semblable à ce que l'on observe pour bien des espèces pathogènes qui peuvent vivre
et se multiplier abondamment en simples saprophytes, ne manifestant leurs propriétés
pathogènes qu'en présence de conditions de vie déterminées.
D'un autre côté, l'urée peut être pour ces espèces un véritable aliment, azoté ; mais,
loin d'en faire un aliment de choix, elles ne l'utilisent comme source d'azote qu'à défaut
AMMONIACALE (Fermentation). i'IS
d'un autre plus aisément assimilable. Aussi, dans un mélange de peptones et d'urée, ces
ferments consomment d'abord les peptones et n'utilisent l'urée qu'à leur défaut. Ils
l'attaquent cependant après avoii' vécu aux dépens des peptones, car la balance montre
avec précision (jue,. dans un mélange d'urée et de peptones en quantité suffisante, au bout
d'un certain temps, toute l'urée peut être transformée en. carbonate d'ammoniaque.
Ceci concourt encore à démontrer que cette fermentation n'est pas un acte de nutrition.
En 1876, MuscuLUs a annoncé qu'il était parvenu à retirer des urines ammoniacales
un ferment soluble jouissant de la propriété de transformer l'urée en carbonate d'am-
moniaque en l'absence de tout ferment figuré. Par ses propriétés principales ce ferment
devait être rapproché d'autres que l'on connaissait déjà, comme la diastase de l'orge
germée, la ptyaline salivaire, la pepsine du suc gastrique. Comme eux, il était soluble
dans l'eau et précipitable par l'alcool et voyait son activité détruite par une température
de 80° environ; une petite quantité de ferment suffisait à transformer une quantité
relativement considérable de substance fermentescibie.
Des recherches de Pasteur et Joubert démontrèrent peu après que la production de
ce ferment soluble était sous la dépendance nécessaire et immédiate de la vie dans ces
urines du ferment organisé que le premier de ces savants avait découvert quatorze ans
auparavant.
Après bien des insuccès, Miquel, dans ses recherches approfondies sur les ferments
de l'urée, a pu confirmer les résultats obtenus par Musculus, Pasteur et Joubert, et pré-
ciser les conditions de la production du ferment soluble par les microbes en question
et de la transformation de l'urée qu'il occasionne. En suivant la terminologie établie
par DucLAux, ce ferment soluble doit être nommé uréase.
Toutes ces recherches concourent bien à démontrer que la fermentation ammoniacale
de l'urée s'opère réellement en deux temps : le premier est la période de nutrition et de
développement du microbe, c'est celui où se fait la sécrétion d'uréase; le second est
une simple action chimique, l'action du ferment soluble sur l'urée, pouvant alors
s'opérer en dehors de la présence de tout ferment organisé. (V. Urée).
La production d'uréase n'est du reste pas nécessaire à la vie de ces espèces; pas plus
du reste, pour beaucoup d'entre elles au moins, que la présence d'urée et sa transfor-
mation. Elles n'en produisent que sollicitées par de l'urée à attaquer. La fermentation
ammoniacale ne peut donc être considérée que comme un phénomène secondaire de
leur vie; à côté de cette propriété, elles peuvent en posséder d'autres non moins inté-
ressantes, comme celle d'être ferments de l'albumine par exemple, ou d'être pathogènes,
à quelque degré que ce soit. C'est une raison, peut-être, pour ne pas se baser, pour les
séparer des autres bactéries, sur ce caractère S3ul, et créer des coupes comnie les Uro-
bacUhts, les Urococcus, les Urosarcina de Miquel.
L'uréase jouit des propriétés générales des diastases. Elle s'obtient en suivant les
procédés usités en pareil cas. L'action chimique qu'elle détermine varie avec la tempé-
rature; la destruction de la quantité maximum d'urée a lieu vers 50°, elle s'arrête vers
70" et le ferment soluble est détruit si cette température est maintenue pendant vingt
à trente minutes.
La quantité d'urée dissoute qui peut être transformée par cette diastase, varie, sui-
vant les conditions, entre 40 et 80 grammes par litre de solution. Lorsque la proportion
d'urée est trop grande, aussi bien dans des urines que dans des solutions artificielles, la
fermentation ammoniacale ne se fait pas, lors même que les ferments figurés peuvent se
développer dans ces liquides.
La proportion d'uréase sécrétée, et conséquemment l'énergie de la fermentation
ammoniacale de l'urée, varie dans les grandes limites, avec l'espèce microbienne qui
agit. A côté de bactéries très actives, transformant un maximum d'urée dans les cultures
ou l'urine, il en est de très peu énergiques qui, quelles que soient les conditions favora-
bles où elles peuvent être placées, ne produisent qu'une fermentation bien minime. A ces
dernières peut-on encore conserver le titre principal de ferments de l'urée et le nom
générique d'Urobactéi'ics?
La sécrétion d'uréase, et conséquemment la fermentation ammoniacale de l'urée qui
en est l'effet direct, est facilement entravée par des antiseptiques faibles qui laissent
s'opérer quand même le développement du microbe ferment, n'entravant ainsi que l'une
ne AMMONIAQUE.
de ses fonctions. Pasteur et Joubert ont signalé particulièrement à ce point de vue
l'acide borique, plus actif même contre la production d'uréase que l'acide phénique en
mêmes proportions; la thérapeutique chirurgicale des affections vésicales a mis tout de
suite celte découverte à profit.'
Nous savons déjà qu'il existe un assez grand nombre d'espèces bactériennes qui
jouissent de la propriété de transformer l'urée en carbonate d'ammoniaque. Quelques
moisissures paraissent posséder la même fonction, sécrétant probablement de l'uréase
comme les premiers microbes; leur étude à ce point de vue est à peine ébauchée.
MiQUEL dit qu'il existe une soixantaine de bactéries ferments de l'urée. Il en a décrit
minutieusement dix-sept dont neuf sont des microGoques, sept des bacilles et une, une
sarcine, isolés de l'air, du so! ou des eaux. Les milieux contaminés par les urines de
l'homme ou des animaux sont naturellement les plus riches. Ces ferments cependant se
rencontrent même dans les eaux les plus pures, provenant du sol qui en contient tou-
jours des quantités considérables; ils n'indiqueraient une contamination directe de l'eau
que lorsqu'ils se rencontrent en proportions supérieures à 2 p. 100 des microbes observés.
Bibliographie. — Pastedr. Mémoire sur les corpuscules organisés de l'atmosphère
[Anfi. des Sciences naturelles. Zoologie, 1862). — Van Tieghem. Recherches sur la fermen-
tation de l'urée et de l'acide hippurique {Ann. scientifiques de l'École normale supérieure,
1864). — Miquel. Hecherches sur le Bacillus ferment de l'urée (Bull, de la Société chimique
de Paris, 1878, t. xxxi, p. 391 et 1879, t. xxsii, p. 126). — Leube. Ucber clic ammoniakalische
Harngàhrung {A. V., 1879, t. c, p. o40). — - Miquel. Étude sur la fermantation ammoniacale
et les ferments de l'urée {Annales de Micrographie, 1889-1894). — Cambier. Contribution à
l'étude de la fermentation ammoniacale et des ferments de l'urée [Ann. de Micr., 1893). —
Mdsculus. Sur le ferment de l'urée (C. H., 1876, t. lxsxii, p. 334).
E. MACÉ.
AMMONIAQUE. — Chimie générale. — L'ammoniaque (gaz ammo-
niac, alcali volatil), AzH^, est un gaz incolore à odeur suffocante. La densité à 0° est,
sous la pression de 0™, 760, de 0,o89a par rapport à l'air et de 8,5 par rapport à l'hydro-
gène. Un litre de gaz ammoniac, pris à la température de 0° et à la pression de 0™,760,
pèse 0E'',76ao. Sa solubilité dans l'eau est très considérable (727, 2 vol. à + lo°). Sa
chaleur spécifique en poids et sous pression constante est de 0,5082.
Lammoniaque n'existe dans l'air atmosphérique qu'à l'état de trace. Elle provient
en partie de la putréfaction des débris animaux et végétaux, en partie de la combinai-
son de l'eau et de l'azote de l'air, avec formation d'azotite d'ammonium, sous l'influence
des décharges 'électriques des orages (Az- -|- H-0 = AzO''AzH''). L'eau de mer, l'eau des
rivières ne contiennent que de minimes quantités d'ammoniaque.
L'ammoniaque se combine au.f acides, sans élimination d'eau, pour former des sels,
que l'on considère comme sels du métal hypothétique, ainmoJiiîim, AzH'', et qui sont tout à
fait semblables aux sels de sodium, et surtout de potassium, de césium et de rubidium,
avec lesquels ils présentent de grandes analogies. — La solution aqueuse d'ammoniaque
est supposée contenir l'hydrate d'oxyde d'ammonium, AzH''OH, analogue à KOH.
Les trois atomes d'hydrogène de l'ammoniaque peuvent être remplacés par des radi-
caux divers, et notamment par des radicaux alcooliques (ou phénoliques) ou par des
radicaux acides. Dans le premier cas, il se produit des aminés ou ammoniaques composées
(méthylamine, éthylamine, phénylamine ou aniline, naphtylamine, etc.), et dans le
second des amides (acétamide, oxamide, carbamide ou urée, benzoyiamide ou ben-
zamide, etc.). S'il y a substitution simultanée de radicaux alcooliques et acides, il y a
formation d'cdeamides. Les aminés peuvent être primaires, secondaires ou tertiaires selon
qu'il y a remplacement de un, deux ou trois atomes d'hydrogène pour un même radi-
cal ou plusieurs radicaux différents (mononiéthylamine, diméthylamine, tiirnéthyla-
mine ou plus généralement, AzH -H, AzHR -, AzR^, représentant un radical alcoolit[ue
quelconque).
On connaît aussi des produits de substitution rapportables au type AzH'*OH. Ce sont
les hases ammoniées ; teWe par exemple l'hydrate de tétraméthylammonium Az (CH^)' OH
et les corps du groupe de la choline.
L'action pharmacodynamique des ammoniaques composées et des bases ammoniées
AMMONIAQUE. 417
sera étudiée aux articles Méthylamine, Éthylamine, Propylamine, Choline, etc., et celles
des aminés aux articles Urée, etc.
Sels ammoniacaux et ammoniaque dans l'organisme. — Le mouvement des
sels ammoniacaux dans l'organisme animal ne porte pas sur des quantités considé-
rables, et, au premier abord, l'importance physiologique de ces composés paraît être
très secondaire, puisque dans l'urine, où l'ammoniaque est le plus abondamment
représentée, on n'en trouve, chez l'homme, en moyenne que 0b'',7 par jour. En réalité,
les sels ammoniacaux participent aux réactions chimiques de la nutrition dans ce que
celles-ci ont de plus intime et de plus profond, et, si ce phénomène ne se traduit à
l'extérieur, comme il arrive du côté des urines par exemple, que d'une manière peu
marquée au point de vue quantitatif, il parait probable que, dans l'organisme, des
masses notables d'ammoniaque sont mises en jeu, au moins transitoirement, aux cours
des phénomènes de désassimilation.
11 est certain qu'une partie des sels ammoniacaux qui circulent dans l'organisme et
s'éliminent par les urines provient directement de nos aliments, bien que sous ce
rapport les données analytiques précises soient des plus clairsemées. Certains aliments
d'origine végétale, tels que les radis, contiennent en effet de notables proportions de sels
ammoniacaux (Voy. Kô.nig. Nahrungs-und Genussmittel, 3"= éd., Berlin, 1889, t. i, pp. 707,
748, etc.).
Mais, comme on voit l'excrétion d'ammoniaque persister dans l'état d'inanition
absolue (voy. plus loin, p. 419), on peut conclure que ce corps est un produit normal de
désassimilation, que son caractère de corps azoté rattache évidemment aux matières
albuminoïdes.
La présence de l'ammoniaque a été constatée dans un grand nombre de liquides et
de tissus de l'organisme. 11 convient d'ajouter pourtant que là où on n'en a signalé que
des traces, la démonstration manque parfois de netteté, car l'urée accompagne presque
partout l'ammoniaque, et ce que l'on sait aujourd'hui, notamment depuis les dernières
recherches de Berthelot et André, sur l'extrême facilité avec laquelle ce corps se trans-
forme en carbonate d'ammonium sous les plus mmimes influences, rendrait sans doute
nécessaire la revision de quelques-unes de ces données (Berthelot et André, Bull, de la
Soc. chim. (2), t. xLvii, p. 841, 1887). — Voici quelques indications numériques relatives
à la présence de l'ammoniaque dans l'organisme :
En valeur absolue, l'excrétion de l'ammoniaque par les urines à l'état normal est en
moyenne de 0,6 à 0,8 grammes par jour chez l'adulte, les chiffres extrêmes étant 0,3
et 1,2 environ. En valeur relative, il vient, sur 100 parties d'azote, 2 à .'i p. 100 à l'état
d'ammoniaque; 84 à 87 p. 100 à l'état d'urée; 1 à 3 p. 100 à l'état d'acide urique;
7 à 10 p. 100 sous la forme de matières extractives. On trouve encore de petites quan-
tités d'ammoniaque dans le tube digestif. Même à l'état normal on en peut déceler
dans les liquides de la bouche des traces qui proviennent probablement de fermen-
tations locales. Dans le suc gastrique du chien, C. Schiudt en a trouvé 0s'',148, et chez
l'homme Husche a pu en exlraire de Of',) à 0E'',1o p. 1000 du contenu stomacal. Plus
bas on rencontre également un peu d'ammoniaque, qui provient, soit du travail des
microrganismes, soit de l'hydratation des petites quantités d'urée déversées le long
du tube digestif. Ch. Richet et R. MouT.\BD-.MARTI.^' ont montré que l'urée injectée dans
le sang s'élimine en grande quantité par les sucs digestifs, que la muqueuse stoma-
cale des chiens morts d'urémie expérimentale est très ammoniacale, et que, mise en
contact avec une solution d'urée, elle la fait fermenter activement, comme si cette mu-
queuse contenait un ferment. Cette ammoniaque est en grande partie reprise par le tra-
vail d'absorption ; car on en trouve de moins en moins à mesure que l'on se rapproche de
l'anus. Les fèces n'en renferment plus, d'après Brauneck, que OKr,lol p. 100 de matière
sèche. (Nkobader et Vogel. Analyse des Harns, 9° éd., par Huppert et Thomas; Wiesbaden,
1890, p. 27. — BiDDER et C. Schiiidt. Die Verdauungsafle und der Stoffwechsel. Mittau
et Leipzig, 1832, p. 61. — Husche, Centralbl. f. Min. Med., 1892, p. 817. — Ch. Riciiet et
Mout.\rd-M.\rtin, c. R., t. xcu, p. 46o, l'SSl. — Brauneck, Jb., P., t. xvr, p. 281, 1886.)
Dans le sang on en a trouvé, pour 1000 centimètres cubes, de Oe'.OSô à 0S'',078 chez
le bœuf; OS'-,022 chez le lapin; 0b"-,042 chez le chien. Dans la lymphe, Hensen et D.ehn-
UARDTen ont dosé Os^tôO p. 1000 chez l'homme. D'après Latschenberger, la bile de bœuf
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOIIE I. 27
U8 AMMONIAQUE.
en renferme 0ff^028, et le lait de vache jusqu'à Os^aiO p. 1000. On en trouve également
de petites quantités dans le foie (0s^^^8-0s'■,070 p. 1000 chez le lapin), dans le tissu
musculaire (de 0s^061 a. 0,113 p. 1000 chez le lapin et 0S"^,124 p. 1000 chez le chien),
dans le thymus et dans la sueur. (Latschenberger, Jb. P., t. xiv, p. 222, 1884. — Salomon.
Ibid., p. 22S. — Hoppe-Seyler. Physiol. Chcm., Berlin, 1881, pp. o91 et 721.)
Rapports de la formation d'ammoniaque avec la formation d'urée. — La
question de l'origine et des variations de l'ammoniaque dans l'organisme est étroitement
liée au double problème de la formation de l'urée et de l'action exercée par les acides
sur les mutations de matière. On sait que, parmi les diverses théories relatives à la
formation de l'urée, — théories qu'il ne faudrait pas d'ailleurs considérer comme
exclusives les unes des autres, — celle de Schmiedeberg offre la base expérimentale la
plus sûre et la plus étendue. On suppose dans cette théorie que la désassimilation des
matières albuminoïdes aboutit jusqu'à l'acide carbonique et à l'ammoniaque, et que
ces deux corps s'unissent, avec élimination d'eau, pour former de l'urée.
CO(OH)5 + 2 AzH3 — 2 H^O = CO (AzH^)^.
Pai'mi les observations très nombreuses sur lesquelles s'appuie celte manière de voir,
retenons ici celles qui touchent directement à l'histoire des sels ammoniacaux dans
l'organisme. On va voir qu'elles sont comme le point central en même temps que la
partie la plus précise et la plus intéressante de cette histoire.
Lorsqu'on introduit dans l'économie des sels ammoniacaux à acides organiques tels
que le citrate d'ammonium, ces sels ne s'éliminent pas, comme il arrive pour les citrates
de potassium ou de sodium, à l'état de carbonate alcalin : l'urine reste acide et la pro-
portion de l'urée est augmentée. Avec des sels ammoniacaux à acides forts, tel que le
chlorure d'ammonium, ce phénomène ne s'observe nettement que chez les herbivores
(lapin). Chez l'homme et chez le chien, l'augmentation de l'urée est moins nette, et la
majeure partie du sel ammoniac se retrouve en nature dans l'urine. Mais, en remplaçant
chez le chien le chlorure par le carbonate d'ammonium, Schmiedeberg et Hallerworden
constatèrent que l'urine restait acide et que la proportion d'urée était neltement aug-
mentée. Ajoutons que les belles expériences de W. von Schrœder ont établi que cette
formation d'urée aux dépens des sels ammoniacaux s'opère dans le foie. (Lohrer. Jîiflwg.
Dissert.. Dorpat, 1862. — W. von Knieriem. Z. B., t. x, p. 263, 1874. — Feder. Ibid.,
t. xni, p. 236, 1877. — E. Salkcv^ski. Z. P. C, t. i, p. 1, 1877. — Hallerworden (et Schmie-
deberg). A. P. P., t. X, p. 124, 1879. — W. VON Schroder. Ibid., t. xv, p. 364, 1882, et
t. xix, p. 373, 188b.)
Cette théorie sur le rôle de l'ammoniaque dans la formation de l'urée trouve une
confirmation importante dans une série de faits relatifs à l'action des acides s«r l'excré-
tion de l'ammoniaque et de l'urée. Si la formation de l'urée se fait réellement aux
dépens de l'ammoniaque et de l'acide carbonique, la présence d'acides forts doit entraver
en partie cette synthèse de l'urée, et, par suite, dans l'urine, la proportion des sels
ammoniacaux doit augmenter aux dépens de l'urée.
La confirmation de cette hypothèse se trouve déjà dans les faits exposés plus haut.
Tandis que le carbonate d'ammonium se transforme très facilement en urée chez le
Carnivore, au contraire le chlorure passe presque inattaqué, parce que l'ammouiaque,
fortement retenue par l'acide chlorhydrique, ne peut entrer en réaction avec l'acide
carbonique. Si chez l'herbivore, le chlorure d'ammonium contribue néanmoins à la for-
mation de l'urée, cela tient à ce fait que l'alimentation végétale apporte avec elle une
surabondance de bases alcalines, sans doute à l'état de carbonates de potassium ou de
sodium, et qui font la double décomposition avec le chlorure d'ammonium et le trans-
forment en carbonate.
En outre, chez le chien et chez l'homme, l'ingestion d'acides minéraux augmente la
proportion de l'ammoniaque dans les urines et diminue celle de l'urée, parce que
l'acide introduit fixe l'ammoniaque. Ceux d'entre les acides organiques qui ne sont
pas brûlés dans l'organisme, par exemple l'acide benzoïque, produisent le même effet.
Ceux au contraire qui sont brûlés et transformés en eau et en acide carbonique (comme
les acides citrique, tartrique, acétique) sont sans action sous ce rapport. Inversement
l'introduction d'alcalins (chez l'homme) réduit l'excrétion des sels ammoniacaux à un
AMMONIAQUE. 419
minimum. (Walter. A. P. P., t. vu, p. 148, 1877. — Coranda. IbicL, t. xir, p. 76, 1880.
— Gaehtgens. Z. p. C, t. IV, p. 35, 1880. — S. .Jolin. Deutsche chem. Geselhch., t. xxin,
Réf. p. 773, 1891.)
Il y a donc entre les quantités d'ammoniaque et d'urée excrétées par les urines une
sorte de balancement, et cette neutralisation des acides par l'ammoniaque ainsi sous-
traite au processus formateur de l'urée constitue le mécanisme par lequel l'organisme
des carnivores résiste à l'intoxication par les acides et se préserve des accidents graves
qui se produiraient si les bases nécessaires au fonctionnement normal des protoplasmes
venaient à être arrache'es aux cellules.
Chez les herbivores ce mécanisme compensateur n'existe pas, sans doute parce que ces
organismes vivent, grâce à leur alimentation, dans une surabondance constante de prin-
cipes alcalins, et qu'à l'état normal ils n'ont jamais besoin, comme il arrive chez les
carnivores, de saturer une partie des acides produits par la désassimilation,en emprun-
tant en quelque sorte de l'ammoniaque à l'urée. Aussi voit-on chez ces animaux l'in-
toxication par les acides produire rapidement des accidents mortels (Salkowski.
Virchow's Arch., t. lviii, p. 1, 1873. — Walter, loc. cit.).
Les acides qui se forment dans l'organisme même, au cours des phénomènes de
désassimilation, produisent le même eifet que ceux que l'on introduit artificiellement.
Dans l'alimentation carnée, la décomposition des albumines et desnucléo-alhumines pro-
duit des quantités très notables d'acide pbosphorique. Ainsi on peut admettre que les
quatrecinquièmes environ du soufre des albuminoïdes sont éliminéspar les urines sous
la forme de sulfates. Or, en posant égale à 1 p. 100 la teneur des albumines en soufre,
on peut calculer qu'une ration de 100 grammes d'albumine en 24 heures fournit envi-
ron 2s'-,o0 d'acide sulfurique, SO*H-. Aussi voit-on, en ce qui concerne l'élimination de
l'ammoniaque par les urines, l'alimentation animale agir comme l'ingestion des acides;
l'alimentation végétale, comme celle des alcalins. Ainsi Coranda a trouvé sur lui-
même, pour une alimentation végétale, 0S"',3998 ; pour une alimentation mixte, 0B^(5 422;
pour une alimentation surtout animale, 0s'',87o d'ammoniaque par jour. Dans les
mêmes conditions, Gumlich a trouvé respectivement 0s>-,S71 — Os^669 et O^', 836 — 16"-,237
d'ammoniaque par jour (Coranda. Loc. cit. — Gumlich. Z. P. C, t, xvii, p. 10, 1892).
L'inanition agit comme l'alimentation carnée, ainsi qu'on devait le prévoir, et
augmente la proportion d'ammoniaque. Voges a trouvé chez une mélancolique, aux 2=, 5<'
et Séjours d'une inanition presque totale, respectivement 0^1,961 — 0e'',973 — Os'',888
d'ammoniaque. Cette augmentation de l'ammoniaque apparaît mieux encore lorsqu'on
compare l'excrétion de l'azote ammoniacal à celle de l'azote total. Dans le cas rapporté
par Voges, l'azote dé l'ammoniaque représentait respectivement 16,3 — 13,3 et 13, b p. 100
de l'azote total (au lieu de 2 à 5 p. 100 à l'état normal). Le travail musculaire qui dimi-
nue l'alcalinité du sang, ce qui indique la formation de principes acides, provoque aussi
une plus forte excrétion d'ammoniaque. Mais sur ce point on ne possède qu'une seule
observation de C. von Noorden, qui trouva chez un jeune homme, après un exercice
violent (quatre heures de canotage) 1S'-,018 d'ammoniaque, contre 0b'',877, dosés le jour
précédent (Voges, cité par C. von Noorden. Pathologie des Stoffwechsels. Berlin, 1893,
p. 168. — C. von Noorden. Loc. cit., p. 130).
La relation étroite qui existe entre les sels ammoniacaux et l'urée dans l'organisme
ne peut donc être mise en doute. Il est possible qu'entre le carbonate d'ammonium et
l'urée, on doive intercaler, comme produit intermédiaire, un autre sel ammoniacal, le
carbamate d'ammonium, que Drechsel considère comme l'origine de l'urée dans l'orga-
nisme. Les formules suivantes montrent que la soustraction d'une molécule d'eau trans-
forme le carbonate d'ammonium en carbamate d'ammonium et que, par perte d'une
deuxième molécule d'eau, le carbamate se transforme en urée.
.O.AzHi ,AzH2 .AzH2
C0( C0( COC
^O.AzHi \0.AzHi \AzH2
Carbonate d'amnionhim, Carbamate d'ammonium. Urée.
DîiECHSEL a trouvé de petites quantités de carbamate d'ammonmm dans le sang du
chien, et de carbamate de calcium dans l'urine du cheval; d'après Hahn et Nencki,
l'urine du chien et celle de l'homme renfermeraient presque constamment un peu d'acide
420 AMMONIAQUE.
carbaraique. D'autre part Abel et Muirhead ont signalé ce fait intéressant que l'ingestion
-de notables quantités de chaux (à l'e'tat de base) amène (chez l'homme et le chien) l'éli-
mination de carbamate de calcium par les urines. Celles-ci sont alcalines et dégagent
spontanément de l'ammoniaque, en l'absence de toute fermentation ammoniacale. Enfin,
dans un travail remarquable, Massen et Paulow ont montré que l'urine des chiens ayant
subi l'opération de la fistule d'EcE (ligature de la veine porte à son entrée dans le foie et
établissement d'une fistule entre la veine porte et la veine cave) contient d'une ma-
nière constante de l'acide carbamique, et que les accidents très graves (crampes téta-
niques, ataxie, etc.) que l'on observe chez ces animaux reproduisent exactement le
tableau de l'empoisonnement par l'ammoniaque (Drechsel. Bcr. d. sdchs. Gescll. d. Wis-
sensch., 1873, p. 177 et A. Db., 1891, p. 236. —Abel et Muirhead. A. P. P.,t. xxxr, p. i5,
1802. — V. MASSEr< et J. Paulow; M. Hahn et Nencki. Arch. des sciences blol. de Saint-
Pétersbourg, 1892, p. 401; J.B., t. xxii, p. 214).
Il convient d'ajouter, enfin, que l'ammoniaque que l'on retrouve dans les urines ne
peut pas être considérée dans sa totalité comme un résidu de la formation plysiologique
de l'urée, résidu qui aurait échappé à la transformation en urée grâce à la présence de
substances acides. Il faut admettre que l'ammoniaque provient encore d'une autre
source; car, même en inondant l'organisme par des alcalins, on retrouve toujours dans
l'urine quelques décigrammes d'ammoniaque (0e"',3-0e',4 par jour) (Stadelmann.
Ueber den Einftuss d. Alkalien auf. d. Stoffwechsel d. Menschen. Stuttgart, 1890, cité
d'après C. von Noorden, loc. cit., p. 49).
Variations pathologiques. Formation d'ammoniaque dans les maladies. —
L'étude des variations pathologiques de l'ammoniaque fournit des vérifications encore
plus frappantes de la loi physiologique exposée plus haut, relativement à l'influence des
acides sur l'excrétion de l'ammoniaque. Toutes les affections ou états pathologiques,
qui provoquent une production d'acides dans l'organisme, augmentent l'excrétion de
l'ammoniaque par les urines.
On sait que la fièvre s'accompagne toujours d'une diminution de l'alcalinité du sang,
en même temps que du côté des urines apparaissent les acides acétylacétique, fi-oxybu-
tyrique — qui témoignent de la fonte rapide et anormale du protoplasraa des cellules de
l'organisme — et des acides gras divers [lipacidurie fébrile de Von Jaksgh). Parallèlement
on observe que le taux de l'ammoniaque dans les urines s'élève jusqu'à Is', 5 à 2 grammes
par jour (au lieu de Os%7 à l'état normal) et que son azote forme jusqu'à 8-12 p. 100 de
l'azote total (au lieu de 2-3 p. 100 dans l'état normal) (Hallerworden. A. P. P., t. xii,
p. 237, 1880. — BoHLAND. A. Pf., t. xLiii, p. 30, 1888. — Gumlich. Loc. cit.).
Dans le diabète, et spécialement dans la période du coma, l'urine contient des pro-
portions considérables d'ammoniaque, et de 3 à 6 grammes par jour, et même, dans
un cas rapporté par Stadelmann, 12 grammes par jour. Ce fait est dû à la production de
quantités considérables d'acides anormaux, tels que l'acide acétylacétique, l'acide fi-oxybu-
tyrique qui inondent littéralement l'organisme du diabétique. C'est précisément après
avoir constaté la présence de quantités considérables d'ammoniaque dans l'urine des
diabétiques, que Stadelmann, concluant de ce fait à une intoxication acide, découvrit
dans les urines l'acide |i-oxybutyrique (d'abord pris par lui pour de l'acide a-croto-
nique). L'excrétion de quantités aussi considérables d'ammoniaque s'explique, quand on
se rappelle à quel degré' d'intensité extraordinaire les phénomènes de l'intoxication
acide peuvent être portés dans la période ultime du diabète. Des quantités de 30 à
50 "rammes d'acide (î-oxybutyi'ique dans l'urine des 24 heures se rencontrent couram-
ment et KuLz rapporte un cas où l'on put extraire la masse énorme de 226,3 grammes
d'acide oxybutyrique de l'urine des 24 heures. Le mécanisme compensateur signalé plus
haut se trouve ici tendujusqu'à ses dernières limites, et, à ce propos, C. von Noorden
insiste sur ce fait que des différences individuelles assez grandes peuvent être observées
ici, en ce qui concerne le parallélisme entre la production des acides et l'excrétion de
l'ammoniaque. Ajoutons que l'administration des alcalins fait baisser aussitôt la propor-
tion de l'ammoniaque urinaire (Hallerworden. A. P. P., t. xii, p. 237, 1880. — Stadel-
mann. Ibid., t. XVII, p. 419, 1883. — Minkowski. Ibid., t. xviii, p. 33, 1880. — Wolpe. Ibid.,
t. XXI, p. 159, 1886. — C. VON Noorden. Loc. cit., p. 412).
On constate encore une augmentation de l'ammoniaque urinaire dans les cas de car-
AMMONIAQUE et SELS AMMONIACAUX. i21
cinome, où l'azote de l'ammoniaque représente jusqu'à ■10,2 à 13,9 p. 100 de l'azote loLal
(en valeur absolue Os^jO à t^%3). L'inanition et la fonte pathologique des tissus agis-
sent ici dans le même sens (C. von Noorden. Loc. cit., p. 463).
Il est intéressant de constater encore que dans les affections du foie l'ammoniaque
augmente dans les urines, et que cette augmentation paraît se faire aux dépens de
l'urée. C. von Noorden rapporte un certain nombre d'analyses de Hallerworden, de
Gdmlich, de Fawitzki, et d'autres encore, où, dans des cas de cirrhose du foie, 9,3-l'2,3et
même 17,3 p. 100 de l'azote total s'éliminaient sous la forme d'ammoniaque. Des cons-
tatations analogues ont été faites pour l'empoisonnement parle phosphore. Ici l'excrétion
de l'urée, qui dans les cas de cirrhose peut se maintenir jusqu'au taux normal, s'annule
presque complètement, tandis que celle de l'ammoniaque est haussée de manière à
représenter 14-18- 23 et même 37 p. 100 de l'azote total. Deux causes interviennent
dans ce cas: c'est, d'une part, la suppression de la fonction uropoiétique du foie, grave-
ment altéré par le toxique, et, d'autre part, l'intoxication acide, démontrée par l'appa-
rition de fortes proportions d'acide lactique dans les urines (G. von Noorden. Loc. cit.,
p. 294).
Recherche de l'ammoniaque. — La recherche de l'ammoniaque dans les liquides
organiques se fait très aisément d'après la méthode de Latschenberger. On traite le
liquide (urine, lait, etc.) par son volume d'une dissolution saturée à froid de sulfate
cuivrique et on ajoute de l'eau de baryte jusqu'à réaction neutre. Le filtrat, qui tou-
jours est tout à fait incolore, est traité par un peii de réactif de Nessler. 11 se produit,
selon la proportion d'ammoniaque, soit un précipité rouge brun, soit une coloration
brune ou jaune plus ou moins intense. Quant au dosage, il se fait aisément par la mé-
thode classique de Sciilœsing, telle que Neubauer l'a appliquée au dosage de l'ammo-
niaque dans l'urine, ou telle qu'elle a été modifiée parWnRSTER. Latschenberger a fait un
grand nombre de déterminations dans le lait, le sang, etc. (voir plus haut), en dosant
l'ammoniaque à l'aide du réactif de Nessler, par voie chromométrique dans le filtrat
séparé du précipité cuivrique (Latschenberger. Jb. P., t. xiv, p. 222, 1884, — Neubauer
et Vogel. Analyse des Harns, 9'= éd., par Huppert et Thomas, Wiesbaden, 1890, p. 458.
— WuRSTER. C. P., 1887, p. 48o).
E. LAMBLING.
AMMONIAQUE et SELS AMMONIACAUX (Pharma-
COdynamie et Toxicologie). — Effets convulsivants. — On pourrait
d'abord croire que beaucoup de travaux ont été entrepris sur les effets pharmacodyna-
miques et toxicologiques de l'ammoniaque et des sels ammoniacaux : de fait il n'en est
rien, et c'est un sujet qui a été quelque peu négligé, surtout si l'on considère avec quel
luxe de détails d'autres substances ont été étudiées.
L'effet principal de l'ammoniaque et de ses sels, c'est de produire à certaines doses
des convulsions violentes. Il paraît, d'après Huseuann et Selige [Beitr. zur Wirk. des Tri-
methylamins und der Ammoniaksalze . A. P. P., 1877, t. vi, p. 76) que, déjà au xvii° siècle,
cet elfet convulsivant des sels ammoniacaux (NH''C1) était connu. Scheel en 1802 l'aurait
observé sur des grenouilles, et depuis lors tous les physiologistes l'ont constaté.
Si l'on injecte dans la veine d'un chien, ou d'un chat, ou d'un lapin, une dose conve-
nable d'un sel ammoniacal, on voit apparaître de fortes convulsions, qui ressemblent
beaucoup à celles de la strychnine, quoiqu'elles soient moins violentes. Surtout elles
s'atténuent plus vite, et, si l'on est arrivé à la dose limite, l'animal peut parfaite-
ment survivre à une ou plusieurs attaques convulsives. Il est vrai qu'on observe aussi
cette survie même dans l'empoisonnement strychnique; mais l'écart entre la dose con-
vulsivante et la dose mortelle est faible pour la strychnine, et plus étendu pour le sel
ammoniacal, ce qui tient sans doute à une plus rapide élimination du poison ammo-
niacal que du poison strychnique.
Quoiqu'il y ait quelques minimes différences entre les divers sels ammoniacaux, elles
sont de fait négligeables; le carbonate, le sulfate, l'acétate, le chlorure, le bromure
d'ammonium sont à peu près également toxiques, si l'on tient compte du poids molé-
culaire du sel injecté, et si on n'envisage dans le sel que la quantité de NH-' qu'il con-
422 AMMONIAQUE et SELS AMMONIACAUX.
tient. Il est clair que, pour les sels principalement étudiés, nous aurons comme teneur
en NH^ sur 100 grammes de sel :
Quantité de
NH3
Acétate 22
Bromure 17
Chlorure 33
Carbonate 35
Sulfate 30
D'après Rabuieau {Elém. de toxicologie, p. 293),,NH*C1 est toxique à la dose de b gr.
pour un chien de 10 kilogr. soit de Os'jO par kilogr. Hdsemann et Selige semblent ad-
mettre pour le lapin Qs',Qo par kilogr. (mais leur chilïre est évidemment erroné). Lange
et Bœhm (Uôer dus Vevhalten und die Wirkungcn der Ammoniaksalze im thierischcn Orga-
nismus. A. P. P., 1874, t. ii, p. 364), injectant du carbonate de NH* à des chats (dont ils
n'indiquent pas le poids, mais qu'on peut admettre en moyenne de 2500 gr.), ont
obtenu des convulsions aux doses de OB',3 ; Oe',9 ; Oe',3; Oe',Q ; en moyenne 0e"-,4 ; ce qui donne
par kilogr. le chilfre très approximatif de Oe', 16 de NH^ par kilo. Mais, pour déterminer ce
chilïre avec précision, de nouvelles expériences seraient nécessaires. 11 ne faut pas oublier
que la rapidité avec laquelle se fait l'injection est un élément très important. 0. Funk.e et
A. Deahna, en employant la solution d'ammoniaque caustique en injection intra-veineuse
{Wirk. des Ammoniaks aufden thierischen Organismus,A. Pf., 1874, t. ix, p. 420), ont déterminé
des convulsions chez des lapins (de 2kil.?) en injectant 3 centimètres cubes d'une solu-
tion d'ammoniaque à i/20, soit à peu près 0,07 par kil. de HN^, ce qui re'pond bien
à 0,21 de NH* Cl. Liouville (B. B., 15 mars 1873, pp. 112, 115), injectant du carbonate
d'ammoniaque à des lapins (de 2 kil.?) admet que la dose de 2 gr. (soit de 1 gr. par
kil.) est la dose toxique limite qui permet encore la vie, et pour les cobayes (de 500 gr.?)
la dose toxique de 0b"-,60. Il est vrai que ses injections étaient faites sous la peau et non
dans la veine. On sait — et c'est un point sur lequel, après beaucoup d'auteurs, j'ai
appelé spécialement l'attention {Toxicologie des métaux alcalins. Trav. du Lab., t. ii,
1893, p. 448) — que les différences de toxicité sont énormes suivant que le poison est
injecté sous la peau ou dans la veine, ou ingéré par la voie alimentaire. Juste avec tous
les poisons, cette proposition comporte d'autant plus d'importance que le sel toxique est
plus facile à éliminer. Par exemple, avec les sels de potassium, les différences peuvent
aller de 1 à 10.
Dans les expériences de Bouchard et Tapret (citées par Legendre, Barette et Lepage.
Traité prat. d'antisepsie appl. à la thérapeut. et l'hygiène, 1888, t. i, pp. 58-59), les doses
toxiques suivantes ont été trouvées, par kilogr. de lapin, à la suite d'injection intra-
veineuse.
SEL.
DOSE
du sel.
DOSE
TOXIQUE
de NH 3 contenu
dans le sel.
Chlorure de fer et d'ammonium
Carbonate d'ammoniaque
Acétate —
Sulfate —
Bromhydrate —
Valérianate —
Chlorhydrate —
Azotate —
Moyennes. . .
0,30
0,24
0,28
0,38
0,83
0,67
0,.3S
0,33
0,083
0,084
0,062
0,098
0,143
0,096
0,125
0,074
0,456
0,H2
Ces expériences sont assurément les meilleures que nous possédions, car toutes
celles que nous avons rapportées plus haut sont, pour une cause ou une autre, incom-
AMMONIAQUE et SELS AMMONIACAUX. 423
plètes, surtout parce que le poids de l'animal injecté n'a pas été mentionné, très grave
omission; et très lourde faute qui est trop souvent commise.
C'est ce même défaut que nous trouvons aux expériences de Feltz et Ritter {Étude
exp. sur ralcalinitc des urines. Journ. de l'An, et de la Phys., 1874, f. x, pp. 326-329). Ils ont
fait des expériences sur les chiens avec divers sels ammoniacaux, mais ils n'en indiquent
pas le poids, et d'ailleurs ils ont déterminé des convulsions sans arriver à la dose mor-
telle. Les doses non mortelles injectées ont été de 2b',2 de chlorhydrate, 2e'',5 d'hip-
purate, 2s'', 6 de benzoate, lsr,g de tartrate, 3s'', 97 de benzoate, et 2s'^,.i de sulfate.
En supposant des chiens de 10 kil., poids moyen, cela fait des doses (par kil.) en NH-'
de 0,07 de chlorhydrate, 0,07 de sulfate, 0,028, et 0,036 de benzoate; ce qui concorde
assez bien avec le chifl're toxique de 0,112 résultant des recherches de Bouchard et
Tapket. En somme Feltz et Ritter sont restés au-dessous de la dose mortelle.
Nous pouvons donc, en résumant toutes ces expériences, et en donnant une valeur
absolument prépondérante aux données de Bouchaud et Tapret, admettre que la dose
convulsive par kilogr. est en chifl'res ronds pour les sels ammoniacaux de Os^jlo, en
injections intra-veineuses; et que la dose toxique mortelle est de 0S'',5. Cela fait,
pour la quantité de JNH^ contenu, environ 0s'',04 pour la dose convulsive, et 0S'',12 pour
la dose mortelle.
Chez les grenouilles on observe aussi des convulsions, quoiqu'elles soient moins mar-
quées que chez les mammifères. Chez les poissons les effets convulsivants sont éclatants.
Il suffit de faire une solution contenant plus de 0s'',35 par litre d'un sel ammoniacal.
Au bout d'une demi-heure, il meurt dans de violentes convulsions qui le font sauter
brusquement hors du vase où on l'avait placé (Ch. Richet. Loc. cit., p. 417).
Cet effet convulsivant des sels ammoniacaux est très général, et, dans toute la série
des ammoniaques composées, propylamines, méfhyl et éthylamines, on le retrouve.
Il est assez difficile de comprendre comment Aissa Hamdy, dans le bon travail qu'il
a fait sur les effets de la propylamine et de la triméthylamine {D. P., 1873) a pu
attribuer (p. 114) les efiets convulsifs observés par lui à des impuretés, et conclure que,
privée d'ammoniaque, la propylamine n'a pas d'action convulsive.
Il faut rapprocher ces effets convulsivants de l'ammoniaque et des ammoniaques
composées, des effets convulsivants qu'on peut obtenir, suivant la dose, avec les phény-
lamines, et surtout, ce qui est plus intéressant encore, avec presque tous les alcaloïdes,
lesquels, en somme, ont dans leur formule le groupe NH^. La strychnine, la picro-
toxine, lavératrine, la morphine, l'atropine sont des poisons tétanogènes, à des degrés
divers, bien entendu; comme aussi certaines ptoma'ines.
Nous pouvons donc, dans une certaine mesure, généraliser, et dire que le groupe NH''
est convulsivant, et qu'il reste convulsivant quand un ou plusieurs des groupes de II
unis à l'azote se trouvent remplacés par des radicaux plus ou moins compliqués.
Effets excitateurs des sels ammoniacaux. — Les convulsions déterminées par
l'ammoniaque ne représentent qu'une phase de l'intoxication; c'est-à-dire l'état maxi-
mum de l'excitabilité. Si l'on injecte avec précaution des doses inférieures à ladose con-
vulsive, on voit survenir divers phénomènes dus évidemment à l'excitation du système
nerveux central.
Un des principaux est l'exaltation de la sensibilité réflexe, qu'on observe chez les
mammifères, mais plus nettement encore chez les grenouilles. Il est clair que l'état eon-
vulsif n'est qu'un stade supérieur de l'hyperexcitabilité. Cette hyperexcitabilité se traduit
surtout par l'accroissement du pouvoir réflexe. De même, les excitations périphériques
ont le pouvoir d'accélérer les convulsions, ou de les faire revenir, lorsqu'elles ont cessé.
L'effet excitateur est aussi très évident sur le système nerveux respiratoire. Les
expériences de Lange à cet égard sont tout à fait décisives. En général, au moment de
l'injection, il y a d'abord un arrêt; cet arrêt, dû selon toute apparence à une action
d'inhibition sur le cœur par l'effet local direct du poison sur l'endocarde, n'est pas suivi
de convulsions si la dose n'est pas trop forte, mais bien d'une accélération respiratoire
intense. Dans un cas la respiration s'est élevée par minute de 97 à 119, au moment de
l'injection; puis, la minute suivante à 138, et la minute suivante à H6.
En même temps la pression artérielle s'élève (Lange), même quand il n'y a pas de
convulsions.
itVi: AMMONIAQUE et SELS AMMONIACAUX.
Il est évident que cette accélération respiratoire et cette élévation de la pression sont
bien plus marquées encore quand il y a des convulsions; mais l'intérêt de l'observation
devient moindre; car le fait même de l'état convulsif général tend à produire à la fois
une accélération respiratoire (par suite des échanges respiratoires accrus) et une éléva-
tion de la pression artérielle.
Toutefois, pour ce qui est de la pression, même quand il n'y a pas de convulsions,
comme chez les animaux curarisés, on voit, à mesure qu'on augmente la dose toxique,
monter la tension du sang dans les artères, tout comme dans l'empoisonnement stry-
chnique des animaux curarisés. Ainsi, chez un chat curarisé, la pression qui était avant
l'expérience de 0™138 de mercure, s'est élevée, après injection de 0e'',08 de carbonate
d'ammoniaque, au chiffre considérable de 0"',228; et, dans un autre cas, plus net encore,
un chat, dont la pression était de 0™,102 après curarisation, eut, après injection de 06"-,9
de NH''CI, une pression de 0",272.
Simultanément ie cœur s'accélère; mais l'accélération n'est pas aussi marquée que
l'élévation de la pression artérielle. Lange pense que c'est à cause de l'accélération car-
diaque du curare qui a porté d'emblée la fréquence des battements du cœur à son
maximum; car, chez les animaux non curarisés, l'injection d'un sel ammoniacal accélère
beaucoup le rythme cardiaque.
S'agit-il d'un effet sur le centre bulbaire des vaso-moteurs? Boehm et Lange ne le
pensent pas, et ils se fondent sur ce fait que la section sous-bulbaire n'empêche pas
l'élévation de la pression artérielle. D'autre part, Funke et Deahna ont vu les vaisseaux
artériels se rétrécir, de sorte qu'on pourrait supposer une action de l'ammoniaque por-
tant, non sur les centres nerveux vaso-constricteurs de la moelle et du bulbe, mais sur
les ganglions nerveux vaso-constricteurs disséminés dans les parois des artères. Beyer,
dans des expériences faites sur des tortues, a cru voir à la suite d'injections d'un sérum
artificiel chargé d'un sel ammoniacal, se produire aussi l'excitation des ganglions vaso-
constricteurs, après une courte période de vaso-dilatation. Ainsi ce serait par les gan-
glions périphériques que l'ammoniaque agirait sur la pression artérielle. Toutefois une
pareille conclusion est encore assez hypothétique, et il ne faut pas se faire d'illusions
sur sa fragilité.
Ce qui a été dit sur l'excitation centrale des origines du nerf vague paraît assez con-
testable aussi. On observe les mêmes effets, que les nerfs vagues soient coupés ou non.
L'accélération respiratoire est même un peu plus marquée quand les 'nerfs vagues ont
été coupés : il faut donc en conclure qu'il s'agit bien d'une excitation des centres respi-
ratoires, et non d'une excitation des terminaisons du nerf vague. Probablement les diffé-
rences entre l'opinion de Lange et celle de Funke tiennent au moins en partie aux diffé-
rences de doses. A des doses fortes, la respiration se ralentit au lieu de s'accélérer, ce
qui ne peut pas surprendre; l'ammoniaque, comme tous les poisons, ayant des effets exci-
tateurs ou paralysants suivant la dose.
Les convulsions relèvent aussi évidemment de l'excitabilité accrue du système ner-
veux central : elles persistent quand la moelle a été coupée au-dessous du bulbe, et,
d'autre part, elles se manifestent aussi dans le tronc postérieur d'une grenouille dont
l'aorte abdominale a été liée, ce qui exclut absolument l'hypothèse d'une action péri-
phérique sur les muscles et les plaques motrices terminales.
La synthèse de ces effets est facile à faire; l'ammoniaque est un stimulant du sys-
tème nerveux; à dose plus forte cette stimulation va à la convulsion: car l'on peut assi-
miler les accélérations respiratoires et les spasmes des vaso-constricteurs aux phéno-
mènes convulsifs du système musculaire de la vie organique.
En ce qui concerne la nutrition générale, il est intéressant de signaler l'action de
l'ammoniaque sur la fonction glycogénique. Après ingestion de 2 à 4 grammes de car-
bonate d'ammoniaque chez le chien, Koïïsiann a vu que le foie contenait 2 à 3 fois plus de
glycogène. Le sel ammoniacal n'agit par ici en tant que sel alcalin, car le lactate d'am-
monium ne produit pas les mêmes effets (Kohmann. Centralbl. f. Min. Med., 1884, n° 35.
et A., Pf., t. XXXIX, p. 2i, 1886). Rappelons à ce propos qu'ADAMKiEwicz a cru observer
chez les diabétiques la disparition rapide du sucre des urines sous l'influence des sels
ammoniacaux (chlorure). Mais Cuffer et Regnahd, Gutmann et d'autres encore ont clai-
rement établi qu'il n'en est rien (Adamkiewicz. J. B., t. viii, p. 349; t. ix, pp. 293
AMMONIAQUE et SELS AMMONIACAUX.
425
et 302; t. x, p. 302. — Gutmamn. ZeiUchr. f. klin. MecL, t. i, p. GIO et t. ii, pp. 195 et 473.
— CuFFKR et Regnard. Gaz. méd. de Paris, 1879, p. 319).
Effets des doses toxiques. — Si la dose dépasse, en sel ammoniacal, OS'',b envi-
ron par kilogramme, les phénomènes d'excitation cessent, et les effets dépressifs se
manifeslent. La mort survient par arrêt du cceur, après une période, plus ou moins pro-
longée, de ralentissement cardiaque, et d'abaissement de la pression.
IDans la plupart des cas d'empoisonnement chez l'homme, c'est surtout cette période
de dépression qui a été observée.
On a invoqué aussi l'action sur les globules du sanguin. Cette action est peu marquée,
et on ne peut guère citer que les observations encore incomplètes de Belky. Il faudrait
d'ailleurs complètement séparer l'effet de l'amoniaque gazeuse, telle que Belky l'a
expérimentée et l'effet des sels ammoniacaux. Il est vraisemblable que le gaz ammoniacal
inspiré, parson action caustique immédiate, peut agir sur les globules et l'hémoglobine,
alors que les sels ammoniacaux sont sans effet bien marqué, au moins à faible dose ; car,
avec une dose forte, Feltz et Ritter ont vu les sels ammoniacaux dissoudre les globules
et diminuer la capacité d'absorption de l'hémoglobine pour l'oxygène.
Lorsqu'on fait inhalera un lapin de l'air mêlé d'ammoniaque, gazeuse, on constate, en
observant, d'après le procédé de Vierobdt, le spectre du sang dans l'oreille même de
l'animal, qu'il y a réduction de l'oxyhémoglobine. Si l'on fait de nouveau respirer de
l'air pur, le spectre de la matière colorante oxygénée reparaît (J. Belky) (Lehmann.
Arch.f. Hygiène, t. v, p. I, 1880.-1. Belky. Jb. P., t. xv, p. 150, 1885).
Chez les animaux (chiens et chats) empoisonnés par de fortes doses ammoniacales la
respiration et le cœur s'arrêtent presque en même temps; mais il me paraît probable
que la mort survient, comme dans l'empoisonnement par les sels de potassiun, par la
paralysie du cceur qui s'affaiblit et s'arrête en diastole; car j'ai constaté que la respiration
artificielle, même vigoureusement pratiquée, n'a pas d'effet bien marqué sur ia dose
toxique, contrairement à ce qui se passe avec d'autres poisons, comme la strychnine et la
vératrine {Chai, animale, p. 191.)
La température suit les mêmes phases que l'excitation du système nerveux. Toutefois
les convulsions ne sont pas assez violentes et prolongées pour faire énormément monter
le thermomètre, comme dans le cas des convulsions strj-chniques. J'ai pu cependant
donner quelques exemples d'hyperthermie due aux convulsions.
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meacent la temp{îraturo
grandes attaques.
chieu eiapoisouné par l'acétate d'ainmouiaquo. — Dès qi
'élève; et cette élévation est très rapide au moment
produisent le
On voit dans la figure ci-jointe que, sur un chien dont la température baisse parce
que l'animal est attaché, après injection d'acétate d'ammoniaque la température s'élève
à4I'>8 par le fait des convulsions; je ne comprends guère comment Rabuteau et Vulpian
426 AMMONIAQUE et SELS AMMONIACAUX.
dans une discussion à la société de Biologie (B. B., 1R73, t. xxv, pp. H2-Ho), ont pu dire
que la température s'abaissait pendant l'état convulsif.
Élimination. — L'élimination du sel ammoniacal ingéré se fait par l'urine. On a
vu plus haut que dans certaines conditions de petites quantités de NH' peuvent être
transformées en carbonate d'ammoniaque CO-'N-H^, et ensuite par réduction (Schultzen,
1872) en urée CON-H''; mais il est douteux que cette réaction soit suffisante pour élimi-
ner les sels ammoniacaux ingérés à dose toxique ou presque toxique.
D'autre part Schiffer a constaté (Beii. Min., Woch., 1872, n" 42) que, malgré l'injec-
tion d'un sel ammoniacal dans le sang, il ne se dégage pas de gaz ammoniac par
l'expiration, et cela a été formellement confirmé par Lange (Loc. cit., p. 367). Cet au-
teur a constaté que le sang additionné à doses modérées d'un sel ammonical, in vitro,
ne dégage pas d'ammoniaque à des températures inférieures à 4S°.
Il faut considérer ces faits comme positifs; et cependant chez les chiens dont les
uretères ont été liés, ou les reins enlevés, on a dit que les gaz expirés contenaient de
l'ammoniaque. Quoique les deux cas ne soient pas absolument comparables, il y a là
une contradiction qu'il serait intéressant d'expliquer et d'approfondir.
Comparaison entre les sels amm^oniacaux et les sels alcalins. — Plusieurs
auteurs ont comparé les sels ammoniacaux aux sels de potassium, de sodium, de
lithium, de rubidium. Quoique cette étude ait déjà été faite à l'article Alcalins (v. plus
haut, p. 210), il faut y revenir pour ce qui est spécial à l'ammoniaque. Je ne vois pas
pourquoi P. Binet {Rech. compar. sur l'act. physiolog. des métaux alcalins et alcalino-ter-
reux. Rev. méd. de la Suisse romande, n°s 8 et 9, août et sept. 1892, oo p.) a fait l'étude
des alcalins en exceptant l'ammoniaque : cela ne me paraît pas très rationneL
En faisant vivre des poissons dans des milieux divers, j'ai trouvé que la limite de
toxicité était la suivante en poids de métal (NH*, Na, Li, Iv) par litre de liquide.
NH'- 0,06
K (1,20
Li 0,23
Na 2C,00
En faisant tomber goutte à goutte des solutions salines sur le cœur de la grenouille,
et en cherchant la dose qui arrête le cœur; j'ai trouvé, endonnantau chlorure de sodium
la valeur de 100; en métal les valeurs suivantes :
NaCi 100
CsCl 104
RbCl 42
LiCl 2S
KCl 2:;
NHiCl 2.J
Ainsi, dans ces deux séries d'expériences, les sels ammoniques se sont montrés plus
toxiques que les autres sels alcalins, et cette toxicité apparaîtra plus forte encore, si l'on
songe que la molécule NH* (18) est plus faible que l'atome de K (39) ou de Na (23) ou de
Rubidium (84), plus forte seulement que l'atome de Lithium (7).
C'est aune conclusion à peu près semblable qu'est arrivé F. F.4ggioli (Voir p. 215). Les
sels d'ammonium avaient, dans ses expériences, une toxicité de 0,17; les sels de potas-
sium de 0,25, et les sels de sodium de 0,28.
Nous avons vu plus haut que la dose toxique de N11*CI était voisine, en injection vei-
neuse, de 0,5 par kil.; ce qui répond à 0,15 de NH*; chiffre bien plus fort que la dose
toxique de KCl, qui en injection intra-veineuse détermine la mort à la dose de 0,025 de K
par kil. soit 0,OoO de liCl, mais d'autre part bien plus faible que la dose toxique de KCl
injecté sous la peau; 0,470 de K., en moyenne, chez les poissons, pigeons et cobayes.
Il semble qu'en injection intra-veineuse les sels de potassium sont' très toxiques pour
l'endocarde et myocarde, surtout chez le chien; car chez le lapin la dose toxique est
plus forte (BoncH.ARD et Tapret, loc. cit.) Os',18 de KCl par kil.
La conclusion générale, c'est que l'ammoniaque est toxique autant, sinon davantage,
que le lithium et le potassium, les plus toxiques des métaux alcalins, et que la molécule
AMMONIAQUE et SELS AMMONIACAUX. 4'27
d'un sel ammoniacal est à peu près deux fois moins toxique que la molécule d'un sel de
potassiuQi. En tout cas ces toxicités de l'ammonium, du potassium et du lithium sont
du même ordre de grandeur; à peu près, d'une manière très générale, de Ot'"',! par kit.
en chili'res ronds.
11 est inutile de rappeler ce que nous disions à propos des alcalins, que cette grande
toxicité du potassium et de l'ammonium ne s'applique qu'aux animaux et non aux végé-
taux. Les sels ammoniacaux sont d'excellents engrais pour les plantes, et les bactéries
ne sont pas tuées par des doses de 25 grammes par litre d'un sel ammoniacal. Or, comme
la différence entre le végétal et l'animal est essentiellement l'absence ou la présence
d'un système nerveux, c'est une preuve de plus, et une excellente preuve, que l'ammo-
niaque est un poison du système nerveux, et par conséquent inoffensif pour les végétaux.
Cette constatation a d'autant plus d'importance que la proposition doit s'étendre aux
alcaloïdes, inoffensil's pour les végétaux et toxiques pour les animaux.
Be rempoisonnement ammoniacal dans l'urémie. — L'histoire pharmacodyna-
mique des sels ammoniacaux est surtout intéressante par les étroites relations qui unis-
sent l'urémie avec l'empoisonnement par l'ammoniaque.
JN'ous ne pouvons entrer dans la discussion approfondie des théories proposées pour
expliquer la mort dans l'urémie (Voy. Urémie). Toutefois il est nécessaire de préciser
quelques points essentiels.
On sait que, lorsque un animal a les deux reins enlevés, ou, ce qui revient à peu
près au même, les deux uretères liés, la mort survient au bout de quelques jours; soit
dans les convulsions, soit, plus souvent, après vine période convulsive plus ou moins
longue, dans l'hypothermie et le coma, symptômes qui, dans l'ensemble, coïncident
très bien avec un empoisonnement aigu par l'ammoniaque.
L'hypothèse que l'urée, s'accumulant dans le sang, est la cause de la mort, doit être
absolument écartée, malgré les efforts de Gréhant et QurNQU.iUD pour établir que l'urée
est toxique. En effet l'urée n'est pas toxique, ou du moins il faut' des doses telles qu'on
ne peut l'incriminer dans la mort par l'urémie expérimentale aiguë. Un chien peut rece-
voir des doses d'urée de 20 grammes par kil. sans mourir. Or l'élimination quotidienne
d'urée n'est guère que de OS'', 8 par kil : ce qui ferait trente jours envii'on pour qu'il
s'accumule dans son corps assez d'urée^ pour déterminer la mort. D'autre part, pour un
chien de 1 kil., O^r, 8 d'urée, se transformant par hydratation en carbonate d'anmio-
niaque représentent l^r, 28 de sel ammoniacal, dose absolument suffisante pour tuer
un chien. C'est un fait tellement important que j'ai coutume, dans mes cours de physio-
logie, de faire l'expérience suivante devant les étudiants eu médecine. A un chien de
10 kil. j'injecte 100 grammes d'urée pure, ce qui ne produit aucun trouble apparent ni
sur le cœur, ni sur le système nerveux, ni sur la respiration. Puis je fais l'injection de
6 grammes de carbonate d'ammoniaque, ce qui représente un peu moins de la vingtième
partie de l'urée injectée, en poids d'azote; et je détermine la mort rapide de l'animal,
avec convulsions, puis coma et arrêt du cœur, par l'injection de ces (i grammes.
Cette simple expérience montre bien que l'urée, se transformant en carbonate d'ammo-
niaque, se transforme en un corps qui est vingt fois et même trente fois plus toxique.
Reste à savoir si cette transformation peut se faire dans l'organisme.
Claude Bernard (Leçons sur les liquides de l'organisme, 1839, t. ii, pp. 39-53) a bien
montré que cette transformation avait lieu. Il a constaté que l'estomac et l'intestin des
animaux mourant d'urémie contenaient des quantités considérables d'ammoniaque. La
proportion d'ammoniaque est même assez grande pour que, par l'odeur seulement, on
puisse être assuré d'une formation ammoniacale active dans l'intestin. Le mécanisme
est facile à comprendre. Claude Ber.\ard l'avait bien indiqué, et j'ai pu, dans des expé-
riences faites avec R. Moutard-Martin [Rech. expérim. sur la polyurie. A. P., 1880.
t. vui, p. 1, et Trav. du Lab., tome ii, 1893, p. 18!), en préciser plus exactement les
conditions.
Quand on injecte une grande quantité d'urée dans le sang, très rapidement, c'est-
à-dire en une dizaine de minutes environ, cette urée diffuse dans les tissus; une partie,
relativement minime aussi, reste dans le sang. Le reste, c'est-à-dire à peu près 73 p. 100
de la quantité injectée, disparaît; autrement dit va se localiser dans les tissus et surtout
diffuser dans les exsudais, dans la lymphe, dans la bile, dans les sécrétions intestinales
428 AMMONIAQUE et SELS AMMONIACAUX.
et stomacales, de telle sorte que l'estomac et les intestins sont baignés dans un liquide
très riche en urée.
Or, dans l'estomac et les intestins, des agents microbiens de fermentation existent
constamment, si bien que cette solution d'urée se met à fermenter rapidement, et à
donner de l'ammoniaque par hydratation de l'urée, tout comme dans les cystites puru-
lentes l'urine de la vessie devient ammoniacale.
Cette transformation est sans doute très active. R. Moutard-Martin et moi nous avons
montré que des fragments de muqueuse stomacale ajoutés à une solution d'urée accélé-
raient énormément (probablement parles peptones et les matières albuminoïdes) le déve-
loppement du ferment de l'urée, si bien que l'urée intestino-stomacale se trouve dans
d'excellentes conditions pour se transformer rapidement et complètement en carbonate
d'ammoniaque.
Avec sa pénétration habituelle Claude Bernard avait bien vu la transformation d'urée
en ammoniaque, mais, à l'époque où il faisait cette importante constatation, la théorie de
la fermentation ammoniacale de l'urée par des microrganismes vivants n'était pas encore
établie (18S9).
On conçoit maintenant que les 0,8 d'urée quotidienne (par kil.) puissent donner, à
supposer que le quart seulement passe dans l'intestin, en quatre jours If, 28 de carbo-
nate d'ammoniaque. L'élimination ne pouvant se faire par le rein (enlevé) ni par
le poumon (Schiffer, Lange, etc.), il est évident qu'une into.xication ammoniacale aiguë
va se produire, qui amènera à bref délai la mort de l'animal.
L'ablation du rein n'est pas le seul cas où la transformation de l'urée en ammoniaque
détermine des accidents. Dans les cystites, et cystonéphrites purulentes, la fermen-
tation ammoniacale de l'urine, par suite de la présence des microrganismes fermen-
tateurs, a lieu dans la vessie même; l'urine émise est fortement alcaline, et exhalant
une odeur infecte, franchement ammoniacale. Or il n'est pas douteux que la vessie
absorbe, quoique lentement; de sorte que cette ammoniaque ainsi formée passe dans le
sang en partie. La quantité qui pénètre dans le sang est-elle suffisante pour devenir
mortelle? Cela est douteux; car d'abord la mort ne survient en général qu'après une
assez longue maladie, et il y a d'autres causes d'infection, plus graves sans doute que
la simple intoxication ammoniacale; puisque d'autres microbes pathogènes coexistent
toujours dans la vessie à côté du ferment de l'urée.
Il est intéressant de rattacher à ces faits les belles expériences mentionnées plus haut.
(v. p. 420) de Pawloff et Nencki sur le carbamate d'ammoniaque des chiens dont la veine
porte a été reliée directement à la veine cave. A l'état normal le foie transforme le car-
bamate d'ammoniaque en urée; mais, quand il n'y a plus de circulation hépatique, si
une alimentation azotée introduit dans la veine porte directement beaucoup de carba-
mate d'ammoniaque, il survient une véritable intoxication ammoniacale. Les chiens ainsi
privés de leur circulation hépatique sont pris de convulsions, parfois mortelles, si on leur
donne un repas trop abondant et trop azoté. En somme le foie, à l'état normal, sem-
ble avoir un rôle antagoniste du rôle des microbes de la fermentation. Il transforme le
carbamate de NH'* en urée, tandis que les microbes de l'intestin font avec l'urée du car-
bonate de NH'; et il est probable que le foie, qui peut transformer le sel earbamique de
NH* en urée, ne peut pas opérer cette transformation avec le carbonate.
En somme, suivant moi, au moins provisoirement, le mécanisme de la mort dans
l'urémie aiguë, c'est une intoxication par l'ammoniaque; une ammoniémie. Mais il ne
faut pas se dissimuler que c'est encore une théorie hypothétique et qu'elle soulève de
nombreuses objections.
D'abord la présence de l'ammoniaque en excès dans le sang a été contestée, et cepen-
dant il semble que c'est là vraiment le point fondamental. De nouvelles recherches à ce
point de vue seraient absolument nécessaires.
En second lieu, les sels de potasse, non éliminés; les matières extractives, non éli-
minées, jouent sans doute aussi un rôle dans l'intoxication urémique. Brown-Séquard
n'avait-il pas récemment admis qu'il y a pour le rein une aécrétion interne, tout aussi
importante à la vie que la sécrétion interne des capsules surrénales, de la glande thy-
ro'ide et du pancréas? (Importance de la sécrétion interne des reiris démontrée par les phé-
nomènes de L'anurie et de l'urémie; A. P., 1893, (5), t. v, p. 778.)
AMMONIAQUE et SELS AMMONIACAUX. .{29
Entîn tous les animaux ne produisent pas, comme les carnivores, de l'urée. Chez les
herbivores il y a surtout de l'acide hippurique. Chez les oiseaux, il y a surtout de l'acide
urique, et l'urémie se manifeste chez eux, à peu près avec les mêmes symptômes.
Je n'oserais donc dire que la théorie de la mort par ammoniéraie dans l'urémie est
absolument prouvée, et, pour la discussion plus approfondie, je renverrai, comme je
l'ai dit, aux articles Rein et Urémie, quoique je considère comme probable que la mort
dans l'urémie est causée par la transformation de l'urée en ammoniaque dans l'appareil
digestif, et par l'accumulation de cette ammoniaque jusqu'à la dose mortelle.
Action thérapeutique. — L'ammoniaque caustique a été employée comme subs-
tance vésicante; maisses effets vraiment utiles sont la neutralisation des venins. Les
piqûres des moustiques, des fourmis, des guêpes, qui causent une douleur si cuisante,
sont rapidement soulagées, si, immédiatement après la piqûre, on touche la petite plaie
avec de l'ammoniaque caustique. S'agit-il d'acide formique ou d'un autre acide orga-
nique neutralisé? cela est douteux, car la soude et la potasse n'ont pas les effets salu-
taires de l'ammoniaque. Il est possible que, par suite de la diffusibilité du gaz ammo-
niacal, la pénétration soit plus rapide et plus complète que si l'on emploie les alcalis
fixes. Pour les piqûres dues à des animaux plus venimeux, l'ammoniaque semble aussi
pouvoir être employée avec avantage; ce qui tient sans doute toujours à la même cause;
la facilité avec laquelle le gaz caustique peut pénétrer dans les tissus, et aller jusqu'aux
parties contaminées par le venin. Il est possible aussi qu'il s'agisse d'une action véri-
tablement spécifique et antitoxique; car l'injection d'ammoniaque dans la circulation
a été en quelques cas un remède efficace contre les morsures de vipères (Oré. Injec-
tion d'ammoniaque dans les veines pour combattre les accidents de la morsure de la vipère,
R. S. M., 1874, t. IV, p. 320. — H.\llford. Ammo7iia in suspended animation, R. S. M.,
1873, t. I, pp. 401-402). — Fayrer (cité par Geneu[L, D. P., 1873, p. 13) pense au contraire
que les injections ammoniacales n'ont aucun effet salutaire contre l'envenimation.
Les autres emplois de l'ammoniaque liquide sont peu importants et contestables.
On a prétendu que l'inspiration d'air chargé d'ammoniaque gazeux dissipait les effets de
l'ivresse. Rien n'est moins prouvé.
Les effets thérapeutiques des sels ammoniacaux seraient multiples et de haute
valeur, si l'on ajoutait grande confiance à toutes les recommandations qu'ont faites divers
médecins. Quelques faits positifs seulement peuvent être mentionnés : c'est d'abord
l'action diurétique, qui est évidente. Toutes les substances salines sont d'ailleurs des
diurétiques. On peut employer avec avantage l'acétate d'ammoniaque (esprit de Minde-
RERUs) à la dose moyenne de 5 grammes. '
On dit aussi que les sels ammoniacaux sont diaphorétiques (ce qui 'est douteux) et
antispasmodiques, diminuant l'éréthisme du système nerveux dans les fièvres, l'hystérie,
les névralgies, la dysménorrhée.
Toxicologie. — Les cas d'empoisonnement par l'ammoniaque liquide ne sont pas
absolument rares. On verra à la bibliographie qu'il y en a d'assez nombreuses observa-
tions. Delioux de Savign.^c, en 1873, en cite treize observations en France seulement
(art. Ammoniaque, D. D., t. m, p. 708). Il s'agit généralement d'ingestion stomacale,
soit par suite d'une erreur, soit pour cause de suicide. Ce sont surtout les etfets caus-
tiques qui dominent la scène, avec des hémorrhagies stomacales et intestinales. Rare-
ment on observe les convulsions; cependant Orfila. les a notées dans un cas, ainsi que
RuLLiÉ (cité par Delioux de Savignac).
Le plus souvent il y a une dépression générale des forces, affaiblissement du système
nerveux et tendance à la syncope; mais il est très difficile de séparer ce qui est dû, soit
à l'action caustique, soit à l'action toxique, proprement dite.
La mort par ingestion de sels ammoniacaux est beaucoup plus rai'e; car il faut par
ingestion stomacale une dose très forte, peut-être plus de oO gr. de sel pour déterminer
la mort, attendu que l'élimination par le rein est très rapide, et se fait simultanément
avec l'absorption. Au fur et à mesure que la substance est absorbée, elle est éliminée
par le rein, régulateur de la teneur du sang en sels.
11 y a cependant un cas de Crichton Browne [Lancet, 1868,(1), p. 761, cité par Huse-
MANN et Selige, loc. cit., p. 76):- mort par le chlorhydrate d'ammoniaque, avec hallucina-
tions, état couYulsif et vertige ; et un cas curieux de Huxham (cité par Delioux de Savi-
430 AMMONIAQUE et SELS AMMONIACAUX.
gnal) : empoisonnement chronique pcar le sesquicarbonate d'ammoniaque. Il s'agit d'un
jeune homme, qui, par suite d'une étrange perversion du goût, absorbait chaque jour
une quantité considérable de ce sel, employé dans le commerce sous le nom de sel an-
glais volatil : mais il ne paraît pas bien certain que sa, mort n'ait pas été causée par
une affection morbide distincte de l'intoxication.
Bibliographie. )° Métaholisme de l'Ammoniaque. — Bachl. Ausscheidung von Ammo-
niak durch die Lungcn (Z. B., 1869, t. v, pp. 61-6S). — Lossen. Même sujet fZ. B.,
1863, t. I, pp. 206-213). — Schenk. Ammoniak unter den çiasfûrmifjen Ansscheiditngs-
producten {A. Vf., 1870, t. m, pp. 470-476). — Thiry. Ammoniakgehalt des Blutes, des
Emus und der Expiralionluft (Zeits. f. rat. Med., 1863, t. xvii, pp. 166-187). — Axen-
FELD. Trasformazione dei sali di ammonio in urea nell'organismo (Ann. di Chim. e di
Fannac, t. viii, 1888, p. 572). — Feder. Ausscheidung des Sabniaks im Hm-n{Z. B., 1877,
t. XIII, pp. 236-298; 187§, t. xiv, pp. 161-189). — Hallervorden. Verhalten des Ammo-
niaks im Organismus und ieine Beziehung zur Harnstoffbildung [A. P. P., 1878, t. x, pp.
123-146). — E. Brûcke. Aufsuchen von Ammoniak in thierischen Fh'issigkeiten und Ver-
halten desselben in einigen seiner Verhindungen [Ac. des se. de Vienne, 1868, t. lvii). —
Jaffé. Vermeintliche Unwandlung von Ammoniak in Salpeters'àure innerhalb des thierischen
Organismus (Schuidt's Jahrb., 1833, t. xxxis, p. 117). — Koppe. Ammoniakausscheidung
durch die Nieren {Pet. med. Zeits., 1868, t. xiv, pp. 73-90). — C. Wurster. Bildung von sal-
petriger Sâure und Salpeters'àure im Speichel aus Wasserstoffsupero.vyd und Ammoniak
(an. in C. P., 1889, t, m, p. 366). — C. Wurster. Ammoniakbestimmung im Harn (C. P.,
1887, pp. 483-487). — Monk. Transformation du chlorhydrate d'ammoniaque dans l'orga-
nisme (Z. P. C, 1879, t. II, pp. 29-47). — Schrôder. Transformation de l'ammoniaque en
acide urique chez la poule (Z. P. C, 1879, t. ii, pp. 228-241). — Salkowski. Sels ammo-
niacaux dans l'organisme (Z. P. C, 1879, t. ii, pp. 386-403).
2° Action pharmacodynamique. — W. Reuling. Uber den Ammoniakgehalt der expirirten
Luft und sein Verhalten in Krankheiten, mit besonderer Rficksicht auf Uraemie (Thèse de
Giessen, 1834, 80). — Bistroff. Physiol. Wirkung des Ammonium Bromatum auf den thiefris-
chen Organismus (A. f. An. Phys. u. iviss. Med., 1868, pp. 721-728). — Bœhm. Verhalten
und. Wirkungen der Ammoniaksalze im thierischen Organismus {A. P. P., 1874, t. ii,
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nismus {A. Pf., 1874, t. IX, pp. 416-438). — Laxge. Physiol. Untersiich. uber das Ver-
halten und die Wirkung einiger Ammoniaksalze im thierischen Organismus (Th. de Dorpat,
1874). — Selige. Beitrâge zur Wirkung des Trimethylamins und der Ammoniakscdze
(A. P. P., 1876, t. VI, pp. 55-77). — Feltz et Ritter. Étude expériment. sur l'ammoniémie
[G. B., 1874, t.Lxxvni, p. 839). — Rigler. Beitrâge ;»c Lehre uber Ammonidmie {Wien. med.
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moniakalische Urumie {Memorabilien, Heilbronn, 1892, t. xvii, pp. 97-115). — A. Krdse.
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A. LiNAS. L'urémie et l'ammoniémie {Gaz. hebd. de 'méd., 1869, (2), t. vi, p. 8). — R. Lim-
BECK. Z»r Lehre son der urâmischen Intoxication {A. P. P., 1892, t. xxx, pp. 180-201).
3° Toxicologie. — Blake. Poisoning by caustic nmmonia {St Georges Hosp. Bep., 1871,
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— GiLLAM. Case of poisoning by liquor ammoniac; post mortem notes {Med. Times and Gaz.,
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Vergiftung durch liquor ammonii caustici {A. V., 1869, t. xlv, p. 522). — Matterson. Poi-
soning by liquor ammoniac {Lancet, 1876, (1), p. 280). — Potain. Empoisonnement par l'am-
moniaque liquide {Un. médic, 1862, t. xiii, pp. 119-126). — Robin. Empoisonnementpat l'am-
moniaque {B. B., 1874, p. 133). — Routier. I«foa;«ca(. par l'ammoniaque {France médic, 1879,
t. XXVI, p. 63). — Skoda. Vergiftung mit Ammonia liquida (Allg. Wien. med. Zeit., 1836,
p. 22). — Geneuil. Étude sur l'empoisonnement par l'ammoniaque {D. P., 1873, 84 pp.). —
AMNESIE. i31
Da Costa. A case of ammonia poisoning with unumal fcalures (Bost. med. and. surg. .Tourn.,
1891, t. cxxv, p. 677).
CHARLES RICHET.
AMNESIE. — Le mot amnésie {i privatif, [J.v?ja!;, mémoire) signifie étymologi-
quement privation de la mémoire; il ne s'applique pas à ces abolitions totales des fonc-
tions intellectuelles, dans lesquelles la mémoire disparaît avec l'ensemble de l'intelli-
gence, mais à des états particuliers dans lesquels la perte de la mémoire coe.xiste avec
une conservation au moins apparente des autres fonctions intellectuelles. Ainsi entendu,
le mot amnésie semble désigner un phénomène simple et invariable; mais de nom-
breuses observations ont montré que les pertes de la mémoire étaient au contraire
extrêmement nombreuses et dilférentes les unes des autres. Pour comprendre ces varia-
tions il a été nécessaire de modifier la conception de la mémoire et de la considérer
non plus comme un phénomène unique tantôt présent, tantôt absent, mais comme un
ensemble de phénomènes très nombreux, qui peuvent être modifiés isolément. L'étude
de l'amnésie est un des exemples les plus curieux à signaler pour montrer les services
que la psychiatrie a rendus à la psychologie normale, et l'on peut dire que toute la
théorie de la mémoire est sortie peu à peu de l'étude de l'amnésie.
Des amnésies de toute espèce ont été observées depuis longtemps. « Rien n'est plus
fragile que la mémoire de l'homme, disait déjà Pline [Histoire naturelle, livre vu, ch. 24),
les maladies, les chutes, une simple frayeur l'altèrent soit complètement, soit partiel-
lement. « Il a donc été nécessaire de distinguer ces divers phénomènes les uns des
autres et de les classer. Cette classification est ici un problème très important, car elle
est en même temps une analyse des différents éléments de la mémoire.
Plusieurs auteurs, préoccupés surtout du point de vue médical, ont étudié particuliè-
rement les causes des amnésies et ont proposé des classifications étiologiques. A. Voisin
divisait en six classes les causes de l'amnésie', Legrand du Saulle-, à peu près de la
même manière que KussMAUL'',Mislinguait : 1° des amnésies se rattachant à des vices
de structure ou à des lésions anatomiques de la substance cérébrale; 2° des amnésies
dépendant d'un trouble fonctionnel primitif des cellules nerveuses; 3° des amnésies dues
à des troubles de la circulation cérébrale; 4° des amnésies dues à des altérations du
sang, infection ou toxémie. Rouillard '', après avoir exposé et discuté les classifications
précédentes, distingue sept groupes : 1° amnésie congénitale, '2° amnésie par trauma-
tisme, 3° amnésie liée à des maladies de l'encéphale, 4° amnésie par anémie cérébrale,
5" amnésie liée aux grandes névroses, 6° amnésie liée à des maladies aiguës, 7° amnésie
liée à une intoxication. Dans un ouvrage remarquable, qui a été le point de départ de
la plupart de ces recherches, Ribot^ se plaçait à un point de vue un peu différent, et,
dans sa classification des amnésies, tenait surtout compte de l'évolution des symptômes ;
après avoir distingué les amnésies générales et les amnésies partielles, il insistait sur
1° les amnésies temporaires, 2° les amnésies périodiques, 3° les amnésies à forme pro-
gressive, 4° les amnésies congénitales. Solder, dans un travail récent'", semble se pré-
occuper aussi de l'évolution et du pronostic quand il distingue des amnésies dues àdes
inodifications organiques et irréparables et les amnésies en rapport avec de simples
troubles fonctionnels et curables. Toutes ces classifications ont leurs avantages, surtout
quand la description de l'amnésie est faite d'une manière médicale. Nous nous plaçons
ici à un point de vue exclusivement physiologique, et nous cherchons surtout à décrire
les symptômes et à reconnaître, grâce à l'amnésie, les fonctions de la mémoire. Aussi
décrirons-nous simplement dans les diverses amnésies trois caractères essentiels, leur
localisation, leur forme et leur degré.
I. Localisation des amnésies. — Nos souvenirs sont très nombreux, et ils sont
ou paraissent étendus sur toute la durée du temps passé; suivant le groupe des souve-
1. Auo. Voisin. An. Amnecie in Nouveau dictionn. de me'dec. et de chirurgie pratique,':, ii, S.
2. Legrand du Saulle. Les maladies de la mémoire {Gazette des hôpitaux, 1884, p. 1164).
. 3. KussMAUL. Les troubles de la parole, traduct., p. 40.
4. Rouillard. Essai sur les amnésies, principalement au point de vue étiolorjique, 1885, p. 62.
5. RinoT. Les maladies de la mémoire, 1881.
6. P. Sollier. Les troubles de la mémoire, 1892, p. 92.
i32 AMNESIE.
nirs ou la période du temps sur laquelle porte l'amnésie, ce symptôme présenle des
localisations différentes.
1° Les amnésies systématiques ' sont parmi les plus fréquentes ; les malades perdent,
non pas tous les souvenirs acquis pendant une période, mais seulement une certaine
catégorie de souvenirs, un certain groupe d'idées du même genre formant ensemble un
système. Les uns oublient les chiffres, les autres les noms des localités, ceux-ci oublient
tout ce qui a rapport à leur famille, ceux-là toutes les idées relatives à une personne
déterminée, etc. ■
Les amnésies de ce genre les plus importantes sont celles qui ont rapport au langage,
soit que les sujets aient oublié totalement telle ou telle langue étrangère en conservant
la mémoire d'une autre, soit qu'ils aient perdu totalement les images motrices néces-
saires pour articuler les mots ou les écrire, les images auditives nécessaires pour com-
prendre la parole, ou les images visuelles qui permettent de comprendre la lecture.
Ces questions sont étudiées à l'article Aphasie ; nous nous bornons à remarquer ici que
les diverses aphasies sont des amnésies systématiques.
Signalons aussi les amnésies systématiques qui portent sur des mouvements. Les
mouvements de nos membres no sont que la manifestation extérieure de certaines
images qui existent dans la pensée. La perte de ces images motrices est une véritable
amnésie qui se manifeste extérieurement par une paralysie-. Dans certains cas, les
malades ont perdu le pouvoir d'effectuer telle ou telle catégorie de mouvements, tandis
qu'ils ont conservé à peu près complètement les autres. Ce sont des paralysies systéma-
tiques dont l'astasie-abasie peut être considérée comme le type : on constate dans cette
affection « une perte des synergies musculaires qui assurent l'équilibre dans la station
verticale et dans la marche qui contraste avec l'intégrité de la sensibilité de la force
musculaire et de la coordination des autres mouvements des membres inférieurs ^. »
Beaucoup d'autres troubles du langage et du mouvement se rattachent à l'amnésie
systématique.
2° Dans les amnésies localisées les événements dont le souvenir est perdu sont réu-
nis par un caractère commun; ils appartiennent tous aune même période de la vie des
malades.
Dans le cas le plus simple, le malade oublie un seul événement qui a déterminé un
traumatisme ou une émotion violente : c'estVamnésie simi^le de Sollier*.
Plus souvent le malade oublie, outre l'événement principal, une certaine période de
sa vie, plus ou moins longue suivant les cas, précédant immédiatement cet événement.
Cette amnésie rétrograde a d'abord été signalée à la suite des traumatismes crâniens;
mais il faut remarquer qu'elle est beaucoup plus commune et accompagne très souvent
les autres formes d'amnésie. Par exemple, l'oubli qui suit le somnambulisme n'est pas
exactement limité, et presque toujours il s'étend en arrière, au delà du début de l'état
anormal. « Nous avons remarqué, dit Chambard, que l'oubli intéresse non seulement
la période de l'accès, mais encore les instants qui l'ont immédiatement précédé». »
L'amnésie peut aussi porter sur les événements qui ont suivi l'accident, amnésie
antérograde'^; au bout d'un certain temps, ordinairement assez court, le sujet se réveille
complètement comme s'il sortait d'un état anormal, et on constate qu'il a oublié non
seulement le traumatisme lui-même et ce qui l'a précédé, mais tout ce qu'il vient de
faire à la suite de l'accident".
Enfin l'amnésie localisée peut s'étendre sur une période assez longue pendant laquelle
le sujet était dans uji état anormal. On constate souvent un oubli complet de tout ce qui
1. P. Jaxet. Stigmates mentaux diishi/ste'ric/ues, 1S92, p. 83.
2. P. Janet. Automatisme psychologique, ISS9, p. 347, 362.
3. Paul Blocq. Archives de neurologie, 1888 ; les troubles de la marche dans les rnaladies ner-
veuses, 1892, p. 00. — Paul Richer. Paralysies et contractures hystériques, 1892, p. 48. — Piere.e
JoLLY. Contribution à l'étude de l'astasie-abasie, Lyon, 1892, p. 9.
4. SOLI.IER. Op. cit.. p. loS. — E.OUILLARD. Op. Cit., p. 71.
0. Ch.vmbard. Somnambulisme provoqué ia Dictionn. encyct. des se. médicales, 'i' série, x, p. 381.
— Pitres. Leçons sur l'hystérie, n, p. 193; cf. Stigmates meniaux des hystériques, p. 114.
6. SOLLIER. Op. cit., p. 19.
1. RiTTi. Annales médico-psychologiques, 1887, ii, p. 310.
AMNESIE. 433
.vient de se passer à la suite de certaines ivresses, à la suite des somnambulismes, ou
même après des périodes de simple rêverie. Presque toujours ces périodes oubliées
sont caractérisées par des modifications psychologiques importantes, des délires,
des modifications de la sensibilité et même de la motilité. Nous sommes disposé à
croire que ces modifications jouent un grand rôle dans la production de l'amnésie elle-
même '.
3° Dans certains cas très rares, l'amnésie peut être ou du moins paraître générale,
c'est-à-dire porter sur tous les souvenirs acquis jusque-là par le malade. Le sujet semble
naître une seconde fois et doit apprendre de nouveau tout ce qu'il avait déjà appris
depuis son enfance. On trouvera les observations les plus importantes réunies dans le
livre de Ribot-, et dans un travail intéressant de Weir Mitchell'.
4" L'amnésie continue ne porte pas sur les souvenirs des événements passés, mais
uniquement sur les souvenirs des événements présents. A partir d'un certain moment,
le malade, tout en conservant les souvenirs acquis antérieurement, semble perdre la
faculté d'acquérir des souvenirs nouveaux. L'amnésie marche en avant; elle est anté-
rograde, disait Ch.vrcot *. Le mot antérograde s'appliquant plus e.tactement à une
certaine forme d'amnésie localisée, nous avons désigné cette amnésie sous le nom
d'amnésie continue parce qu'elle ne porte pas sur certains souvenirs déterminés, mais
qu'elle continue à envahir les souvenirs au fur et à mesure de leur production".
C'est là un trouble intellectuel assez compliqué dont nous signalons seulement la loca-
lisation.
II. Formes de l'amnésie. , — L'oubli qui porte sur ces divers événements n'est
pas toujours de 'a même nature. Il est parfois très différent dans son mécanisme et
ses conséquences; ce qui nous amène à distinguer des formes de l'amnésie.
1° Amnésie de conservation. — « La mémoire, considérée au point de vue physiolo-
gique, dit Ch. Richet, peut être ramenée à ce fait que toute irritation brève laisse
après elle un retentissement prolongé qui peut être latent''.)) — «Les molécules, dit
RiBOï, perdant le pouvoir de revenir à leur mouvement naturel, prennent défini-
tivement celui qui leuraété imposé''. )> Ces modifications permanentes sont la condition
essentielle qui rend possible la conservation des souvenirs. Dans certains cas ces modi-
fications ne se produisent pas, ou ne se conservent pas, et les souvenirs qui en dépendaient
sont irrémédiablement perdus.
C'est ce que l'on observe dans les amnésies congénitales ; « les cellules sont réduites
en nombre, en volume, elles sont en pleine dégénérescence », disait Ball^, ce sont
des cellules idiotes, suivant une expression de Maubsley. Des altérations du même genre
se rencontrent à la suite des ramollissements cérébraux,.debien des altérations patholo-
giques du cerveau et amènent également une amnésie définitive. Les lésions qui pro-
voquent les diverses formes d'aphasie sont presque toujours de ce genre; elles sont
destructives, enlèvent complètement les traces qui permettaient la conservation des
souvenirs et rendent toute restauration impossible.
On constate ces altérations brutales de la mémoire par l'observation des animau.x
aussi bien que celle des hommes. Ch. Richet a réussi à produire chez une chienne la
suppression complète de la mémoire des images visuelles. « Elle voyait les objets en
tant qu'obstacles, mais ne reconnaissait pas leur nature ; elle ne s'effraj'ait plus en voyant
un bâton qui la menaçait. )) A l'autopsie on constata, comme dans d'autres observations
1. Automatisme psijchûhfjiq lie, p. 94. Stigmates mentaux, -[i- ll'i. Accidents mentaux des hi/stc-
riques, 1893, p. 213.
■2. Op. cit., 1883, p. 63.
3. Weir Mitchell. Marij Retjnolds, a case of double conseiousness. Philadelphie, 1889.
4. Charcot. Sur un cas d'amnésie rétro-ante'rograde {Revue de médecine, 10 févr. 1892, p. 81).
— Souques. Etude sur l'amnésie rétro-antérog rade dans l'hystérie, les traumatismes cérébraux,
l'alcoolisme chronique {Revue de médecine, 1892, p. 367). — Séglas et Soliaer. Folie puerpérale,
amnésie, etc. {Archives de neurologie, 1890, n" 60).
5. .-imnésie continue {Revue générale des sciences. 1893, p. 175).
6. Cn. Richet. Essai de psychologie générale. 1887, p. 157.
7. Ribot. Op. cit., p. 14.
8. B. Ball. Maladies mentales, 1880, p. 824.
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 28
434
AMNESIE.
du même genre, des lésions du gyrus sigmolde et du lobule du pli courbe (V Et 36i
Celte première forme d'amnésie est naturellement définitive, et irrémédiable '^
2° Amnésie de reproduction. — Dans d'autres cas, au contraire, les souvenirs ne sont
pas complètement détruits, puisqu'ils peuvent réapparaître; on a constaté bien souvent
ces réapparitions sur-
prenantes de souvenirs
que l'on croyait effacés '2.
Il était nécessaire d'ad-
mettre que, dans ces cas,
la conservation des sou-
venirs restait intacte,
mais que l'altération
avait porté snr un autre
élément du souvenir, la
reproduction des ima-
ges. La reproduction
semble demander entre
autres conditions un état
psycho - physiologique
analogue à celui dans
lequel les souvenirs ont
été acquis. Quand cet
état se présente de nou-
veau, par exemple dans
une nouvelle ivresse ou
un nouveau délire, les
souvenirs en apparence
disparus jusque-là se
reproduiront avec faci-
lité. La reproduction peut aussi dépendre de certaines associations d'idées; c'est pour-
quoi les souvenirs réapparaissent à propos de certains rêves ou de certains délires,
comme dans les cas d'ecmnésie signalés par Pitres ^. Quand ces conditions physiques ou
morales, desquelles dépend la reproduction, se trouveront régulièrement réunies à de
certains moments pour disparaître dans les intervalles, les amnésies disparaîtront, puis
réapparaîtront régulièrement; elles seront périodiques.
3" Amnésie d'assimilation. — Dans bien des cas le trouble psychologique qui amène
l'amnésie est encore moins profond. Non seulementia conservation, mais même la repro-
duction des souvenirs, paraît subsister. Mais cette reproduction des images ne se fait
que d'une manière automatique et à l'insu du sujet lui-même. Ces souvenirs en appa-
rence perdus manifestent leur présence par les modifications qu'ils impriment aux senti-
timents et aux actions du sujet; ils sont même exprimés quand le sujet est distrait, parle
ou écrit, non seulement sans réilexion, mais sans conscience, sans savoir ce qu'il fait. Ces
reproductions inconscientes des souvenirs ont été quelquefois signalées dans les amné-
sies alcooliques *; elles sont très fréquentes et très nettes, ainsi que nous avons essayé
de le montrer, dans la plupart des amnésies hystériques-'. Voici comment on pourra
peut-être essayer de se représenter ces faits curieux. « Il ne suffit pas, pour que nous
ayons conscience d'un souvenir, que telle ou telle image soit reproduite par le jeu auto-
matique de l'association des idées : il faut encore que la perception personnelle saisisse
cette image et la rattache aux autres souvenirs, aux sensations nettes ou confuses,
extérieures ou intérieures, dont l'ensemble constitue notre personnalité; que l'on appelle
cette opération, comme on voudra, que l'on forge pour elle le mot de personnification,
30. -^ Schéma de l'amnésie chez le chien (D'après Ch. R.).
En A" lésion du pli courbe.
1. Ch. Richet. Soc. de psychologie physiologique, 1890, p. 7. Cécité psychique expérimentale
chez le chien {Travaux du laboratoire, t. i, 189.3, p. 126).
2. Taine. Intelligence, t. i, p. 133. — Rouillard. Op. cit., p. 35.
3. PrrRAS. Leçons cliniques sur l'hystérie, 1891, t. ii, p. 219.
4. KoRSAKOFF. Une maladie de la mémoire [Revue philosophique, 1889, t. n, p. 303).
5. Amnésie continue {Revue générale des sciences, 1893, p. 172).
AMNESIE. 435
ou que l'on se contente des termes vulgaires que nous avons toujours employés, percep-
tion personnelle des souvenirs ou assimilation psychologique des images, il faut toujours
constater le fait lui-même et lui donner une place dans la psychologie de la mémoire,
comme dans celle des sensations. Celte opération est si simple et si facile chez nous que
l'on ne soupçonne même pas son rôle. Mais elle peut être altérée et supprimée, tandis
que les autres phénomènes du souvenir, conservation et reproduction des iniages,
subsistent intégralement. Son aljsence suffira pour produire chez les malades un trouble
de la mémoire qui sera, pour eux, une véritable amnésie, et que l'on peut exprimer par
ce, mot, une amnésie d'assimilation'. »
4° Amnésie de reconnaissance et de localisation. — Les opérations les plus délicates de
la mémoire, celles qui ont pour rôle de classer les images, de les distinguer des sensations
présentes et de leur assigner une place apparente dans le passé sont les seules atteintes.
Les souvenirs sont confondus avec les sensations et semblent des événements présents ; ou bien
au contraire des sensations présentes sont rejetées en arrière et semblent des souvenirs.
La localisation est inexacte, des souvenirs récents paraissent très anciens ou réciproque-
ment. Ces phénomènes très variés, qui sont des troubles de la mémoire, plutôt que des
amnésies proprement dites, sont très fréquents dans bien des maladies, et contribuent à la
formation des délires. Sollier a décrit quelques-uns de ces faits sous le nom de par-
amnésies-. WiGAN, Lewes, Ribot, Sander, Goyau en ont décrit d'autres sous le nom de
fausses mémoires, illusions de la mémoire. Nous ne pouvons que signaler cette dernière
forme de l'amnésie.
Les fonctions qui constituent la mémoire ont été analysées par les diverses formes
de l'amnésie, car dans chacune un phénomène particulier a été modifié isolément.
III. Degrés de l'amnésie. — Quelles que soient la localisation et la forme de l'am-
nésie, cette affection peut être plus ou moins grave, plus ou moins profonde.
1° Amnésie complète. Chaque type d'amnésie que nous avons décrit peut être complet :
par exemple, absolument tous les souvenirs d'une période déterminée seront effacés dans
l'amnésie localisée : aucun effort d'attention ne pourra donner au malade la conscience
personnelle des souvenirs dans l'amnésie d'assimilation, etc.
2° Dans le cas contraire Vamiiésie sera incomplète, quelques souvenirs subsistent et les
efforts d'attention pourront pour un moment rendre la mémoire consciente. Ce sont des
phénomènes de ce genre qui ont souvent été désignés sous le nom d'amnésies partielles
ou de dysmnésies (Louyer-Villermay) ^.
3° L'amnésie sera brusque, quand l'affection est immédiatement complète ; c'est ce que
l'on observe par exemple après les traumatismes cérébi'aux *.
4" L'amnésie sera au contraire progressive quand elle est d'abord incomplète, puis
qu'elle augmente peu à peu. L'étude des amnésies progressives a été des plus fructueuses
, et a permis de constater des lois importantes. Tous les aliénistes (Griesinger, Baillarger,
Falret, Foville, etc.) ont remarqué depuis longtemps que l'affaiblissement de la mémoire
portait d'abord sur les faits récents qui étaient oubliés, tandis que les souvenirs des faits
anciens subsistaient. Les explications qui ont été proposées sont nombreuses et encore
incertaines. <c Les conditions anatomiques de la stabilité et de la reviviscence manquent
pour les phénomènes récents, disait Ribot, mais les modifications fixées dans les élé-
ments nerveux depuis de longues années et devenues organiques, les associations dyna-
miques et les groupes d'association cent et mille fois répétées persistent encore ; elles
ont une plus grande force de résistance contre la destruction. Ainsi s'explique ce para-
doxe de la mémoire: le nouveau meurt avant l'ancien*.» — « Les souvenirs les plus récents
disparaissant les premiers, dit Sollier : il semble tout naturel d'admettre que les sou-
venirs les plus anciens siègent dans les couches les plus profondes de l'écorce, qu'il y a,
comme on l'a dit justement, une stratification des souvenirs^. »
Après les souvenirs des faits récents, les acquisitions intellectuelles se perdent peu à
1. Stigmates mentaux des hystériques, 1893, p. 108.
1- Sollier. Op. cit., p. 15.
3. ROUILLARD. Op. cit., p. 43.
4. Sollier. Op. cit., p. 161.
,. „„^...„... Op. cit., y. .
5. Ribot. Op. ciï.,p. 92.
6. Sollier. Op. cit., p. 61.
436 AMNIOS.
peu, les noms propres d'abord, puis les noms communs, les connaissances scientifiques,
artistiques, professionnelles. Les meilleurs observateurs ont remarqué que les facultés
affectives s'éteignent bien plus lentement que les facultés intellectuelles. Les acquisitions
qui résistent en dernier lieu sont celles qui sont presque entièrement organiques : la
routine journalière, les habitudes contractées de longue date. « La destruction progres-
sive delà mémoire suit donc une marche logique, une loi. Elle descend progressivement
de l'instable an stable. Elle commence par les souvenirs récents qui, mal fixés dans les
éléments nerveux, rarement répétés et par conséquent faiblement associés avec les
autres, représentent l'organisation à son plus faible degré. Elle finit par cette mémoire
sensorielle, instinctive, qui, fixée dans l'organisme, devenue une partie de lui-même ou
plutôt lui-même, représente l'organisation à son degré le plus fort '. «
o" Enfin, dans des cas exceptionnels, l'amnésie, après être devenue peu à peu complète,
peut être régressive. Il est intéressant de remarquer que l'on a vu quelquefois la mémoire
suivre dans sa réhabilitation un ordre inverse de celui que l'on observe dans son abolition.
Ces divers aspects de l'amnésie au point de vue de son intensité peuvent se mêler à
toutes les formes précédentes et donner naissance à d'innombrables variétés d'amnésies
particulières. Il est impossible d'étudier ici ces combinaisons, ni les maladies de l'es-
pi'it auxquelles elles donnent naissance. Nous rappelons seulement que nous avons
signalé, à propos des classifications étiologiques, les diverses alfections dans lesquelles on
constate d'ordinaire des amnésies. Nous renvoyons aux auteurs que nous avons cités
pour une étude plus précise; On trouvera des indications bibliographiques plus com-
plètes dans les ouvrages de Ribot, de Sollier, de Rouillahd (particulièrement au point de
vue de l'amnésie alcoolique), dans l'article de Falret. Dictionn. encycl. d. se. méd., i" série,
t. ni, 726. Voir aussi: Boudon. Essai sur l'amnésie dans la paralysie générale (D. P., 1886).
— DicHAs. Étude de la mémoire dans ses rapports avec le sommeil hypnotique (D. P. , 1887). —
Baret. De l'état de la mémoire dans les vésanies (D. P. 1887). — Shabpey. Rééducation of the
adult brain {Brain, 1879, t.ii, pp. 1-9). — Motet. Amnésie temporaire {Union médic., 1879,
t. xxvii, p. 950). — GuARDiA. les maladies de la mémoire [R. Scientif., 1881, (1), p. 738).
— -PiCK. Zur Pathologie des Gedàchtnisses {Arch. fiirPsych., 1886, t. xvu, pp. 83-98). — Sander.
Erinnerungstâuschungen{Arch. fur Psych., 1873, t. iv, p. 244). — Zaborowski. La mémoire
et ses maladies [Bull. Soc. Anthrop. de Paris, 1881, p. ol4). (Voyez Psychologie, Mémoire.)
PIERRE JANET.
AMNIOS. — L'amnios (ro àij.v£îov ospaa, ôauivioç ûaTjv) est l'enveloppe fœtale la
plus interne; il forme une poche renfermant le liquide amniotique dans lequel nage
l'embryon, puis le fœtus. L'amnios existe chez les vertébrés qui ont une allantoïde, c'est-
à-dire les reptiles, les oiseaux et les mammifères.
L'embryon des reptiles et des oiseaux se développe dans un œuf à enveloppe résistante
et inextensible; de plus, l'œuf est placé dans un milieu sec. L'embryon des mammi-
fères est logé dans l'utérus à parois épaisses. Aussi l'enibryon de ces divers vertébrés s'eri-
toure-t-il de membranes molles, dont la plus interne se remplit de liquide. L'embryon
se développe ainsi dans un milieu aqueux, de sorte qu'il se trouve dans des conditions
semblables à celles du poisson ou du batracien dont le premier développement se fait
dans'l'eau.
L'histoire de l'amnios est loin d'être complètement élucidée; pour se rendre compte
de ses fonctions, il est nécessaire de savoir d'où il vient, comment il se développe,
comment il est constitué, et d'où provient le liquide contenu dans la cavité amniotique.
I. Origine et constitution. — L'ovule fécondé se divise en une série de segments
ou cellules, formant d'abord une masse pleine, mais peu à peu, elles s'écartent du centre
et se juxtaposent sur deux rangées en constituant une vésicule dite blastodermique.
Chez les mammifères, que nous prendrons comme exemple, les phénomènes précé-
dents ont lieu dans l'oviducte, et c'est dans cet état de vésicule visible à l'œil nu que l'œuf
arrive dans l'utérus. Il est alors constitué : 1° par une rangée extérieure de cellules cubi-
ques, formant le feuillet extérieur ou ectodcrme; 2° par une rangée intérieure de cellules
larges ou aplaties, feuillet intérieur ou endoderme.
1. Ribot. Op. cit., -p. 94.
AMNIOS.
437
Peu à peu on voit se former un épaississement sur un point de la vésicule blastoder-
mique. Le schéma 37 représente une coupe transversale de la vésicule blastodermique
dans l'intérieur de l'utérus (U) : à l'équateur de la vésicule,
on aperçoit un point plus sombre (E) résultant d'une mul-
tiplication cellulaire plus active à cet endroit. Ce point
épaissi est l'ébauche du futur être, c'est-à-dire la tache
embryonnaire. Nous n'avons pas à suivre ici la façon dont
se fait cet épaississement : constatons seulement qu'il est
dû à des éléments venant des feuillets primitifs et allant
s'interposer entre eux pour constituer un feuillet moyen ou
mésoderme. Pour ne pas compliquer les dessins, on a né-
gligé de figurer le mésoderme.
La tache embryonnaire n'est donc qu'une partie de la
vésicule blastodermique allant donner naissance au corps
de l'embryon ; nous laisserons de côté tout ce qui est relatif
au développement de ce dernier, et nous tâcherons de voir
comment la vésicule blastodermique évolue pour produire
Vamnios.
Toute la portion de l'ectoderme qui n'a pas pris part à
la formation de l'embryon continuée s'accroître; elle porte
le nom de membrane séreuse ou chorion (C/t). Quant à l'endoderme qui n'est pas renfermé
dans le corps de l'embryon, il porte le nom de sac vitellin ou vésicule ombilicale (VO).
FiG. 37. — Sch(!ma de la vésicule
blastodermique dans l'intérieur
de Tutérus, d'après Mathias
Ddval.
U, utérus ; E, embryon (coupe
transversale) ; aa, début des
replis amniotiques ; VO, vési-
cule ombilicale . Ch, chorion.
FiG. 39.
FiG. 41.
FiG. 38 à 41. — Schéma du développement et de la disposition de l'amnios et de l'allantoïde chez les
Carnivores, d'après Mathias-Duval. Coupes transversales, rtg. 38 et 40 ; coupes longitudinales, fig. 39 et
41. L'ectoderme, l'amnios et l'embryon sont en noir; la vésicule ombilicale est ombrée de lignes verticales,
ra.llanto'ide, de lignes horizontales. On n'a pas représenté dans ces schémas les lames mésodermiques
correspondantes. Am, amnios; Al, allantoïde ; Om, vésicule ombilicale; U, utérus; E, embryon; Ch, cho-
rion; CA, cavité amniotique; aa, crête des replis amniotiques.
La flg. 37 montre que la tache embryonnaire se continue sur la périphérie avec
le chorion; mais, sur le pourtour même du corps embryonnaire, la vésicule blastodei'-
mique subit un accroissement et une extension plus notables, qui se traduisent par des
plis (a). En suivant le développement de chacun de ces deux plis, on voit (fig. 38 et 39),
.438
AMNIOS.
qu'ils s'allongent et enveloppent peu à peu le corps de l'embryon. En aa, chacun d'eux
forme une crête qui contourne le dos de l'embryon et s'avance vers son congénère.
Comme on le voit sur le schéma ces crêtes arrivent au contact, et, après s'être soudées,
elles constituent à l'embryon une double enveloppe : 1° une interne ou amnios {Am) qui
délimite la cavité amniotique (CA) et 2° une externe, ou chorion {Ch) qui renferme aussi
bien l'amnios que l'embryon lui même. Pour plus de simplicité, nous n'avons examiné
que des coupes transversales, c'est-à-dire que nous avons considéré seulement la façon
dont se comportent les plis amniotiques sur les parties latérales de l'embryon. On
donne le nom de replis latéraux à cette portion des plis amniotiques. En outre, nous les
avons supposés formés d'ectoderme seulement.
Il nous faut maintenant voir comment ces plis se comportent aux extrémités céphali-
que et caudale de l'embryon et comment le mésoderme arrive à tapisser l'ectoderme des
plis amniotiques. La fig. 40 montre que du côté céphalique le corps de l'embryon se con-
tinue avec le reste de la vésicule blastodemiique par un pli (pc), repli céphalique. Au
début, ce pli n'est formé que
,3 par l'ectoderme revêtu d'en-
"f^ doderme; il porte alors le
nom de proamnios, qui, je le
répète, n'est que l'ébauche
du repli céphalique.
Du côté caudal, un pli (p)
analogue aux précédents
prend naissance; c'est le pli
caudal. La crête des plis cé-
phalique et caudal s'étend
et s'accroît autour du dos de
l'embryon, s'approche de
celle de son congénère et
délimite en avant et en ar-
rière la cavité amniotique,
comme l'ont fait les plis la-
téraux sur les côtés. Le point
(fig. 42, aa) où les crêtes de
ces plis se rencontrent et se
soudent a été appelé ombilic
amniotique.
Nous avons vu que, sauf
du côté céphalique, les re-
plis amniotiques sont dès
l'origine accompagnés par
le mésoderme. Ce dernier
feuillet provient du corps de
l'embryon et ne tarde pas à suivre l'extension de la vésicule blastodemiique. Le schéma
montre comment en c etp (là même oij les replis céphalique et caudal se continuent avec
le corps embryonnaire) le mésoderme extra-embryonnaire (représenté par une ligne
pointillée) se sépare en deux feuillets : l'un (e) s'unit à l'ectoderme '{feuillet fibro-cutané
ou pariétal) et l'autre (i) à l'endoderme {feuillet fibro- intestinal ou viscéral).
Dans l'intervalle de ces deux feuillets, apparaît une fente, l'ébauche de la cavité
qui circonscrit l'embryon : c'est le cœlome extra-embryonnaire {-/.olXoixa, creux) qu'on appelle
externe par opposition au cœlome interne ou cavité pleuro-péritonéale.
L'ectoderme uni au feuillet pariétal du mésoderme forme une membrane qui a reçu
le nom de somatopleure (aco[j.a, corps; -Xsupà, flanc). L'endoderme et le feuillet viscéral du
mésoderme constituent une lame, dite splanchnopleure (a-Xavyov, viscère).
La coupe longitudinale et médiane (schéma 42) fait saisir d'un coup d'oeil la produc-
tion de ces capuchons et le mode de formation, non seulement de l'amnios, mais encore
du chorion. De plus, on voit de qiîoUe façon la splanchnopleure enveloppe l'intestin et
sa dépendance extra-embryonnaire ou vésicule ombilicale.
Fig. 42. — Coupe longitudinale de l'embryon et des annexes embryon-
naires avec leurs lames mésodermiques correspondantes.
E, embryon; Al, allantoïde; VO, vésicule ombilicale; p et ïc, clivage
du mésoderme extra-embryonnaire en deux feuillets. Chacun des
feuillets est représenté par une ligne pointillée : e. feuillet fibro-
cutané du mésoderrae; i, son feuillet tibro-intestinal ; Coe, cœlome;
pc, repli céphalique ; Ch, chorion ; Am, amnios.
AMNIOS. i39
On a édifié bien des théories pour expliquer la formation de l'amnios; les uns ont
pensé que le poids de l'embryon le fait descendre dans la vésicule blastodermique,
de sorte qu'il s'enveloppe des membranes comme d'un manteau. D'autres ont invo-
qué des causes phylogénétiques. Les faits de développement comparé nous permettent
de nous faire une idée très exacte de l'origine de l'amnios. Lorsque les œufs se déve-
loppent dans l'eau, comme c'est le cas des poissons et des batraciens, la vésicule blasto-
dermique ne produit pas une cavité amniotique enveloppant l'embryon. Quand par
contre les œufs évoluent dans l'air, comme chez les reptiles et les oiseaux, la vésicule
blastodermique produit des replis qui délimitent autour du corps de l'embryon une
cavité se remplissant de liquide. L'ovule des mamnifères se greffant sur la muqueuse du
muscle utérin s'entoure de même d'une enveloppe amniotique, dans la cavité de laquelle
s'accumule du liquide. En un mot, l'embryon doit être suspendu dans un milieu liquide
pour se développer d'une façon complète. Les invertébrés eux-mêmes n'échappent pas à
cette nécessité physiologique : les œufs des insectes, par exemple, qui se développent
dans l'air, se recouvrent d'une enveloppe analogue, qui est une dépendance de la région
superficielle du corps.
En comparant l'ensemble des faits, on voit que c'est la vésicule blastodermique ou le
corps embryonnaire lui-même qui végète de façon à développer l'enveloppe amniotique.
Ce développement a lieu d'après un mécanisme semblable à celui qui préside à la for-
mation du système nerveux, du cristallin et des glandes : c'est une proliféruticn cellulaire,
localisée, aboutissant à l'établissement d'une membrane.
Avant de considérer la structure et les fonctions de l'amnios, rappelons les rapports
d'une autre vésicule qui prend naissance sous la forme d'une évagination ou d'un bour-
geon, à la partie postérieure de l'intestin. Cette vésicule appelée allantuide s'insinue et
s'étend, dans la cavité séreuse ou cœlome externe, entre le chorion et la vésicule ombi-
licale (Voy. Allantoïde, p. 382).
Tel est l'ensemble des annexes embryonnaires des vertébrés supérieurs (mammifères,
oiseaux, reptiles) qui ont reçu pour ce motif le nom d! amniotiques ou d'allantoîdiens.
Galien imposa le premier le nom de chorion à l'enveloppe extérieure et générale qu'il
vit autour de l'œuf des ruminants; il décrivit l'enveloppe plus interne et particulière au
fœtus sous le nom d'amnios; enfin, il appela allantoïde la troisième membrane qui
affecte la forme d'un intestin, qui se trouve entre le chorion et l'amnios et qui commu-
nique avec la vessie par l'ouraque.
Bien plus tard, vers 1667, Gauthier Needham découvrit une autre annexe fœtale chez
les mammifères; c'est un prolongement extra-embryonnaire de l'intestin formant la
vésicule ombilicale. Après avoir démontré l'existence de cet organe embryonnaire,
cet auteur établit son analogie avec la vésicule du jaune de l'œuf de l'oiseau.
L'amnios représente ainsi une membrane qui tapisse la face interne du chorion et
qui se continue avec la substance propre du cordon ombilical (VO) ainsi qu'avec l'épilhé-
lium qui revêt ce dernier. L'amnios est formé d'une couche mince de tissu conjonctif, de
la variété dite muqueuse. Ce tissu est constitué^par de grandes cellules conjonctives éloilées,
qui sont rangées en deux on trois séries; elles présentent des prolongements qui s'anas-
tomosent. Chez les oiseaux, on y trouve de plus des cellules musculaires lisses, contrac-
tiles (Voir plus loin).
Du côté de la cavité amniotique, le tissu conjonctif de l'amnios est tapissé par un
revêtement épithélial, formé d'une seule assise de cellules cubiques, chacune munie d'un
beau noyau. Fait intéressant : l'amnios est privé de vaisseaux sanguins.
II. Liquide amniotique. — D'abord exactement appliqué sur le corps de l'em-
bryon, l'amnios s'en éloigne progressivement, parce qu'un liquide se dépose dans sa
cavité. La quantité de liquide amniotique est variable, non seulement selon l'espèce ani-
male, mais encore selon l'époque de la gestation. Chez les fœtus humains, elle est
vers la fin de la gestation de 680 centimètres cubes, selon H. Fehling; de 821 grammes
selon F. Levison; de 17S0 grammes selon Gassner.
Les fœtus de mammifères quadrupèdes présentent des quantités variables de liquide
amniotique : la brebis en a beaucoup; le cobaye, peu.
Le liquide amniotique est généralement trouble, jaunâtre, et même brunâtre : il
abandonne à la longue un dépôt formé de flocons blancs. Il présente une odeur fade, une
m) AMNIOS.
saveur faiblement salée, une réaction neutre ou faiblement alcaline, et une densité
variant entre 1,002 et 1,028. On y distingue, à l'aide du microscope, des amas de mucus
et des débris d'épilhéliums pavimenteux et vibratile (Gorup-Besanez).
Le liquide amniotique renferme essentiellement de l'eau (988 sur 1 000), des matières
minérales (6 sur 1000), des matières alburainoïdes (6 sur 1000, consistant en albumine,
vitelline, mucine) et des proportions variables d'urée, d'allantoïne, etc.
L'urée apparaît dans le liquide de l'amnios au bout du sixième mois de la gestation
(Gorup-Besanez).
III. Usages du liquide amniotique. — « Dilater, dit Roux [Anat. de Bichat),
l'utérus plus uniformément que ne le feraient les parties inégales du corps du foetus;
empêcher que celui-ci, par ses mouvements, ne heurte trop violemment contre les parois
de la matrice; assurer sous quelques rapports sa conservation en l'éloignant des corps
extérieurs; favoriser son développement en offrant moins de résistance que les parois de
l'utérus; enfin faciliter l'accouchement en opérant la dilatation du col : tels sont les
usages des eaux de l'amnios considérées comme simple liquide. »
« On a cru, continue Roux, que les eaux de l'amnios serviraient à la nutrition du foetus
par suite de leur intromission directe donc les voies digestives. »
Dans ces dernières années, Ahlfeld a tenté de soutenir cette dernière opinion, c'est-
à-dire que les eaux de l'amnios servent à la nuti-ition du fœtus. En effet, vers la fin de
la gestation le fœtus avale une forte quantité de liquide amniotique. Ce fait est démontré
par la présence des poils du duvet et des cellules épithéliales qu'on trouve dans le méco-
nium. Mais il est peu probable que les eaux de l'amnios soient l'une des bases de
l'alimentation fœtale.
En résumé, le liquide amniotique est le milieu phy.sique dans lequel vit l'embryon
des reptiles, des oiseaux et des mammifères. Les embryons de reptiles et d'oiseaux
tirent leurs principes nutritifs des matériaux accumulés dans l'œuf et l'oxygène de l'air
extérieur; les embryons de mammifères empruntent les éléments nutritifs au sang de
la mère, pendant que le liquide amniotique leur constitue un milieu extérieur de sus-
pension.
Dareste a montré expérimentalement l'importance du liquide amniotique sur le
développement. Chez le poulet, les adhérences de l'amnios, le défaut, ou du moins la
diminution considérable du liquide amniotique, amènent des arrêts de développement,
ou la production de monstruosités. L'ainnios reste appliqué sur le corps de l'embryon,
au lieu de s'en écarter; il comprime ainsi des régions plus ou moins étendues du corps.
Cruveilhier avait déjà remarqué que] la pression extérieure provoquait des monstruo-
sités simples (Voy. Tératologie).
Les anomalies dans la formation de l'amnios aboutissent à des résultats identiques.
L'embryon peut se former dans ces conditions et même atteindre un certain degré de
développement. Il est probable, toutefois, que l'embryon ainsi privé d'enveloppes ne
peut atteindre le terme de l'évolution, parce que l'absence de l'amnios s'oppose au déve-
loppement de l'allantoïde.
Le défaut de formation ou l'arrêt de développement de l'aminos est la cause qui
détermine, dans le plus grand nombre des cas, la production de monstruosité simples.
l'V. Contractilité du sac amniotique. — • L'embryon n'est pas inerte dans
l'intérieur de la cavité amniotique.
Dès 1651, Harvey avait remarqué que le poulet exécutait des mouvements dans l'œuf,
à partir du sixième jour d'incubation.
VoN Baer constata, en 1828, que les contractions de l'amnios faisaient faire des mou-
vements d'ensemble au corps embryonnaire. En piquant l'amnios avec une aiguille, il
provoqua de nouveaux mouvements. En 1834, REMAKConfirma ces observations, et l'étude
microscopique lui montra la présence défibres musculaires lisses dans laparoi de l'amnios.
Remak crut que l'ouverture de l'œuf et l'accès de l'air, en excitant les fibres muscu-
laires, étaient le point de départ de ces contractions.
VuLPiAN, dès 1837, constata, par le mirage, que l'embryon exécute des mouvements
dans l'œuf intact (non ouvert) et il les attribua aux contractions de l'amnios.
Mathias-Doval (1880) répéta ces observations sur les œufs intacts des petits oiseaux
)rossignols, fauvettes). Grâce à la grande transparence de ces petits œufs, il a pu voir,
AMNIOS. 441
plus nettement que sur les œufs de poule, les oscillations rythmiques que l'amnios
imprime au corps de l'embryon. Ces contractions sont donc bien décidément un fait
physiologique; elles représentent une fonction de i'amnios; elles sont dues à des libres
musculaires lisses qui se trouvent dans la couche fibreuse de I'amnios.
KôLLiKER (1861), puis Mathias-Duval, ont décrit avec soin les fibres lisses de
I'amnios du poulet : elles forment une seule et mince couche qu'on pourrait appeler
une sorte d'épithélium musculaire ; les fibres-cellules y sont régulièrement disposées
comme les éléments d'un épithélium pavimenteux simple. L'excitation électrique appli-
quée à ces éléments détermine leur contraction. Vu la disposition de ces cellules con-
tractiles sur une couche simple, il est facile d'y rechercher s'il existe des éléments
nerveux. Or Mathias-Duval en y appliquant le procédé du chlorure d'or n'y a pas
trouvé trace de fibre nerveuse. E,xiste-t-il également des fibres musculaires lisses dans
I'amnios des mammifères? « Malgré les recherches les plus attentives, continue Mathias-
Duval, on ne peut trouver, de fibres musculaires lisses dans I'amnios des mammifères,
alors qu'il est si facile de les constater sur I'amnios des oiseaux. Il est sans doute
permis d'en inférer que, si l'embryon en voie de développement a besoin d'être soumis
à certains déplacements rythmiques dans les eaux de I'amnios, chez les mammifères,
les contractions des parois abdominales de la mère, ses mouvements respiratoires,
doivent suffire pour produire des compressions alternatives de fout l'œuf, et, par suite,
les déplacements du fœtus dans le liquide amniotique; il semble donc inutile qu'il y ait
une contractilité propre à I'amnios. Dans l'œuf d'oiseau, au contraire, entouré d'une
coque solide, on conçoit que les mouvements ne peuvent être imprimés au liquide ren-
fermé dans les membranes que par la contraction de ses membranes elles-mêmes. »
V. Origine du liquide amniotique. — H n'est pas de théorie, dit Bar (Recherches
pour servir à l'histoire de l'hydramnios. Paris, 1881), qui n'ait été proposée touchant l'ori-
gine du liquide amniotique.
Les uns considèrent les eaux de I'amnios comme produites par le fœtus, les autres
leur attribuent une origine maternelle.
A. Le liquide amniotique doit son origine au fœtus ou à ses annexes. — Les embryons
des oiseaux et des reptiles, bien que se développant loin de la mère, possèdent une cavité
amniotique remplie de liquide. Ce fait prouve d'une façon péremptoire que les eaux de
I'amnios sont chez ces animaux d'origine fœtale et non maternelle. Il est infiniment
probable que chez les mammifères les premières portions du liquide amniotique se
produisent d'une façon identique.
Mais, ce fait capital une fois admis, quels sont les organes qui donnent naissance
à ce liquide? Serait-il dû à la sécrétion urinaire et à l'excrétion de l'urine dans la
cavité de I'amnios? La peau de l'embryon laisserait-elle exsuder la partie liquide du
plasma sanguin, ou bien les eaux de I'amnios représenteraient-elles le résultat de la
sudation embryonnaire. D'autre part, les annexes embryonnaires (chorion, allanloïde
ou amnios) concourraient-elles à sécréter le liquide amniotique?
1° Le liquide amniotique contient de l'urée. — Celle-ci peut provenir du fœtus. En
effet, les embryons possèdent un corps de Wolff, de structure semblable à celle du rein
permanent. Les glomérules de Malpighi et les tubes urinifères du corps de Wolff doi-
vent fonctionner comme ceux du rein définitif et déverser leur contenu dans le sinus
urogénital, et de là dans l'allantoide, d'où le liquide urinaire diffuse et passe dans la
cavité amniotique. Plus tard, le rein définitif du fœtus est constitué, et il est capable de
fonctionner de même.
L'expérience corrobore ces conclusions. En injectant, comme l'a fait Bar, une subs-
tance liquide absorbable et diffusible dans la circulation fœtale, on la retrouve, au bout
d'une dizaine de minutes, dans l'urine. C'est là une preuve que les reins sécrètent avec
une activité comparable à celle des glandes rénales chez l'adulte.
2° Lu peau du fœtus fournirait une partie du liquide amniotique. — Galien attribuait
une pareille origine aux eaux de I'amnios. Scherer {18o2), Sch.atz (1874) et d'autres
continuent à soutenir cette opinion. Aujourd'hui encore Bonnet admet que les vaisseaux
si abondants qui parcourent la peau des embryons laissent exsuder le premier liquide
amniotique. Grâce au mince épiderme qui revêt la peau embryonnaire, la transsudation
se ferait aisément.
44.2 AMNIOS.
B. Le liquide amniotique proviendrait des annexes fœtales. — Les uns pensent que le
revêtement épithélial de la membrane amniotique sécre'terait les eaux de l'amnios ;
d'autres, et Bonnet en particulier, admettent que l'allantoïde, si vasculaire, qui enve-
loppe de tous côtés l'amnios, fournirait une nouvelle quantité de liquide s'ajoutant aux
eaux sécrétées primitivement par la peau embryonnaire.
D'autres encore avancent que les gros vaisseaux ombilicaux (artères et veine), au
moment où ils traversent la cavité amniotique, laissent transsuder une partie du plasma
sanguin. Salu.nger (1873) puis Bar (1881) ont fait un certain nombre d'expériences qui
démontrent la réalité de cette transsudation. En injectant une solution de ferrocyanure
de potassium, par exemple, dans la veine ombilicale, on voit, au bout d'une dizaine de
minutes, le liquide suinter à la surface du cordon et de la partie de l'amnios qui cor-
respond au placenta. Ce liquide est bien du ferrocyanure de potassium, puisqu'il pro-
duit une coloration bleue au contact du perchlorure de fer.
En résumé, il est hors de doute que, chez les oiseaux et les reptiles, le liquide amnio-
tique tire son origine du fœtus. Il est probable qu'il en est de même chez les embryons
et les fœtus de mammifères. Quant à la part que prennent à sa formation les reins pri-
mitifs ou définitifs, la peau (vaisseaux et glandes sudoripares), les vaisseaux de l'allan-
toïde ou du placenta, il est impossible de la déterminer exactement. Ces divers organes
contribuent probablement dans une certaine mesure à produire une portion plus ou
moins variable des eaux amniotiques.
L'anatomie comparée établit un fait indiscutable ; c'est que les eaux de l'amnios sont
d'origine fœtale. Mais chez les mammifères peut-il s'établir des échanges entre le liquide
amniotique une fois formé et l'organisme maternel? Pour montrer qu'il en est ainsi,
Wiener (1881), puis Bar {loc. cit., p. 73) injectèrent dans les vaisseaux veineux de la
mère une substance qu'ils retrouvèrent dans le liquide amniotique. Lorsqu'on injecte
une solution de ferrocyanure de potassium, par exemple, dans la veine jugulaire d'une
lapine pleine, on voit se produire la réaction bleue, lorsqu'au bout de 2o minutes on
ajoute du perchlorure de fer au liquide amniotique. Or le ferrocyanure n'a pas passé
par le corps de l'embryon, puisque les reins de ce dernier ne donnaient pas la réaction
caractéristique.
Ad. Torngren [Comptes r(^ndus de la Société de Biologie, 9 juin 1888) a montré que
c'est le placenta ou les membranes qui opèrent cet échange entre les matériaux conte-
nus dans la cavité amniotique et ceux qui se trouvent dans les vaisseaux maternels.
Plus récemment, le même auteur {Biologiska Forenningens Fôrhandlinqar, 1888-1889,
p. 66) a repris l'étude de cette question en se demandant si, une fois formé, le liquide
amniotique reste définitivement enfermé dans l'œuf, ou bien s'il y a une certaine résorp-
tion à la surface de l'amnios, ou une absorption par le fœtus.
En ouvrant la cavité abdominale et la corne utérine des lapins à la fin de la gestation,
Torngren a pu lier le cordon ombilical. Après avoir fermé la plaie, il injecta une solu-
tion d'iodure de potassium, soit dans la cavité amniotique, soit sous la peau de la mère.
Il rechercha ensuite l'iode, soit chez la mère, soit dans le liquide amniotique.
Ces expériences ont donné le résultat suivant : Une suppression de la circulation dans
le cordon ombilical et les autres annexes du fœtus altère les échanges entre les matériaux
du liquide amniotique et ceux du sang maternel.
Dans les expériences oîi il injecta la solution d'iodure de potassium sous la peau de
la mère, le liquide amniotique n'en renferma point, quand le cordon avait été lié.
Lorsque le cordon n'est pas lié, l'iodure passe alors dans le liquide amniotique. 11 fit
d'autres expériences où il injecta la solution d'iodure de potassium dans la cavité
amniotique (après ligature préalable du cordon), mais ne put jamais trouver trace
d'iode ni chez la mère, ni dans les autres œufs. De même le placenta de l'œuf injecté ne
contenait pas trace d'iode.
GassEROw confirme les résultats précédents. Il a fait dix expériences, avec injection
de strychnine dans la cavité amniotique. Trois fois les mères ont été prises de con-
vulsions et ont péri. Sept fois les mères sont restées vivantes, de 40 à 4o minutes après
l'injection. Mais, les trois fois où les mères eurent des convulsions, les petits furent
trouvés vivants dans l'utérus, tandis que, dans les sept cas où les mères restèrent vivan-
tes, les petits furent trouvés morts à l'ouverture de l'utérus.
AMUSIE. U3
Il y a, par conséquent, échanges, durant la gestation, entre le liquide amniotique
et les vaisseaux maternels.
ÉD. RETTERER.
AMUSIE- — Le terme général Amusie a été récemment introduit dans la no-
menclature médicale pour servir à désigner certains troubles de la faculté jnusicale, qui
paraissent correspondre à ceux de la faculté du langage, connus sous le nom d'aphasie,
auxquels ils sont du reste associés le plus souvent. Au surplus, la musique semble recon-
naître la même origine que la parole, car leur fond est évidemment tiré, pour l'une et
pour l'autre, du langage émotionnel primitif. De même que, selon la doctrine de Chabcot,
le mot est un complexus à la formation duquel concourent quatre éléments : la mémoire
auditive, la visuelle, la motrice d'articulation et la motrice graphique; de même aussi la
note de musique est-elle parallèlement un composé d'éléments analogues |à ceux du
mot articulé. Il est aisé en effet de concevoir, que la note peut être entendue, lue, chantée
et écriïe mentalement, mais i! existe ici déplus des représentations mémoratives du jeu
des instruments. Si l'on poursuit ce parallèle au point de vue du mode de formation de
ces diverses fonctions, on voit que, dans les deux cas, ce sont également les images audi-
tives qui se sont formées en premier lieu : c'est sous leur influence que se sont différen-
ciées ensuite, en ce qui concerne la musique, les images motrices articulatoires du chant.
Ces deux variétés pourront du reste exister seules sur les sujets non éduqués. La lecture
et l'écriture de la musique, le jeu des instruments s'acquerront, par des études par-
ticulières, plus ou moins longtemps poursuivies, et ainsi serait déterminée à la longue
l'existence de centres fonctionnels correspondants, dont les manifestations intérieures
seront d'autant plus importantes, que l'éducation qui aura présidé à leur acquisition
aura été plus complète.
A cet égard, si, tout au début, et comme pour le langage verbal, il existe une dépen-
dance incontestable entre les centres sensoriels et les centres moteurs, si même le jeu des
instruments apparaît comme un dernier perfectionnement, il n'en est pas moins vrai,
ainsi qu'on le verra, que chacun de ces centres ne tarde pas à acquérir une autonomie
relative. La connaissance du symbole graphique ne précède pas non plus, en tous les
cas, celle des mouvements nécessaires au jeu des instruments. Il est en effet, comme on
sait, des musiciens qui sont aptes à jouer, plus ou moins brillamment, divers instruments,
le violon, par exemple, sans avoir aucune connaissance des notes de musique; à mon
avis on peut les comparer à ces calculateurs prodiges, qui néanmoins ne savent ni
lire, ni écrire les chiffres.
Quoi qu'il en soit, les images auditives jouent un rôle prédominant dans l'organisa-
tion des centres de la musique : elles sont même à ce point spéciflques qu'il n'est guère de
musiciens qui se servent de leurs autres souvenirs, sinon à titre complémentaire. Pour
ce qui est du langage verbal, les images auditives ont également la prépondérance;
aussi certains auteurs ont-ils pu se demander si les images des sons musicaux ne
.s'acquerraient pas avant celles des mots, faisant observer, à l'appui de leur conception,
que bon nombre d'enfants chantent avant de savoir parler. Toutefois, à l'encontre de
cette opinion on peut faire valoir que chez quelques-uns d'entre eux les centres auditifs
relatifs à la musique ne fonctionnent que très tardivement, pour ne pas dire jamais.
Cette question de l'époque d'acquisition des images auditives musicales et verbales
aurait une certaine importance ;car, en se fondant sur la loi de régression d'après laquelle,
dans l'amnésie, la désagrégation des souvenirs se fait successivement, des impressions
les plus récemment acquises aux plus anciennes, et en admettant l'invariabilité de cette
succession dans la formation des images, on en conclurait, les musicales étant plus
anciennes que les verbales, que la surdité verbale précède, en tous cas, la surdité
musicale, et que celle-ci dès lors ne serait plus susceptible d'exister isolément. Or
certains faits pathologiques ont établi, contradictoirement, la réalité de la perte isolée
de l'audition musicale, sans surdité verbale.
Il nous paraît intéressant de remarquer, plus précisément en ce qui concerne la mu-
sique, que les images auditives ne sont jamais purement sensorielles, en ce sens qu'à leurs
éléments composants, auditifs essentiels, s'agrègent toujours, et pour une part importante,
parfois même prépondérante, des éléments de sensibilité musculaire, provenant du jeu.
iU AMUSIE.
associé et nécessaire des muscles de l'oreille moj'enne dans l'audition. C'est surtout dans
l'appréciation de la direction et de l'iatensité des sons, de la rapidité de leur succession,
que nous renseigneraient ces sensations musculaires. Aussi, nous a-t-il semblé permis
de préjuger que les centres spéciaux de ces éléments kinesthésiques, si particuliers, delà
sensation auditive pourraient être altérés isolément, parallèlement à ce qui se passe,
comme nous avons contribué à le montrer, en ce qui concerne les centres analogues
du langage verbal, où cette sorte de dissociation a pu être, constatée.
Le rôle des images visuelles dans le langage musical intérieur ne peut offrir d'intérêt
que chez des musiciens pour lesquels la lecture de la musique (avec tout ce qu'elle
suppose de compréhension) est devenue courante. Dans les cas de ce genre eux-mêmes,
on observe rarement que les sujets aient la faculté de se remémorer isolément leurs
images visuelles. Toutefois on connaît le cas d'un jeune chef d'orchestre qui dirigeait
l'exécution de ses partitions, soit de mémoire, soit en lisant mentalement.
De beaucoup plus importantes sont les images motrices, dn moins celles qui se rappor-
tent au chant, et au jeu des instruments. En effet, en ce qui concerne les images
motrices graphiques (écriture des notes de musique), il n'existe pas de cas, jusqu'ici, où
leurs représentations mentales aient été affectées seules. Le fait est bien connu du
musicien qui ne parvient à se remémorer un air qu'en le fredonnant, ou en jouant de
son instrument ordlnaii-e. Il a recours, dans ce cas, à sa mémoire motrice, comme bon
nombre d'entre nous, qui, comme on le sait, ne parvenons à retrouver l'orthographe
exacte d'un nom qui nous a échappé, qu'en l'écrivant. Certains musiciens sont même de
véritables moteurs, en ce sens qu'ils n'arrivent à se rappeler un motif que s'ils le
chantent intérieurement, ou se le remémorent en exécutant les mouvements nécessaires
à son exécution instrumentale. Ces exemples montrent bien que les mouvements coor-
donnés pour le chant, de même que ceux qu'exige le jeu des instruments de musique
variés, dépendent probablement de centres également distincts et spécialisés. Toutefois,
si ces seules considérations d'ordre physiologique paraissaient insuffisantes pour cette
démonstration, on pourrait faire valoir à l'appui les observations pathologiques de cas
caractérisés par l'existence isolée de chacun de ces troubles, observations où se trouvent
réalisées les preuves cliniques de cette conception. La différenciation de ces centres de
la musique a été même poussée plus loin encore, et on a pu isoler des images purement
motrices particulières, relatives au chant et au jeu des instruments, un de leurs éléments,
commun à tous deux, celui qui correspond au rythme. Il est arrivé en effet que la com-
préhension du rythme seul fut conservée chez des malades devenus incapables, soit de
se représenter la valeur des sons, soit de les reproduire.
Nous venons d'établir quelles étaient les composantes essentielles, pourrait-on dire,
de la faculté musicale, en dissociant celle-ci en des éléments moteurs et sensoriels,
parallèles à ceux qui constituent le langage parlé. Il est aisé de concevoir que la lésion
de l'un ou l'autre des centres correspondant dans le cerveau à ces fonctions relativement
distinctes, sera susceptible d'entraîner une forme simple de l'amusie. C'est ainsi qu'on
a pu observer chez les malades de ces catégories, ou amusiques, d'une part de l'amusie.
réceptive ou sensorielle, soit auditive (impossibilité pour un musicien de comprendre à
l'audition la signification des airs de musique) soit visuelle (incapacité pour un musicien
de lire la musique, avec conservation de la lecture des caractères typographiques): d'autre
part, de l'amusie expressive ou motrice, se révélant sous diverses formes. Chez ces der-
niers, il s'agit tantôt d'amusie motiùce vraie (impossibilité de chanter), tantôt d'amusie
musicale (impossibilité déjouer d'un instrument).
Néanmoins ces cas simples sont des plus rares dans la réalité : le plus ordinairement
ce sont des amusies complexes ou totales qui se rencontrent. Le sujet est devenu, par
exemple, non seulement incapable de comprendre la musique entendue, mais encore il
a perdu en même temps la faculté de chanter et de jouer de son instrument.
De plus, ces troubles de la faculté musicale coexistent très fréquemment avec ceux
de la faculté du langage parlé, avec l'aphasie, ce qui montre bien les relations étroites
qui unissent entre eux les centres de ces deux fonctions. Au surplus ces rapports, sur
lesquels seuls on a pu se baser jusqu'ici pour admettre la proximité anatomique des
sièges des uns et des autres centres dans l'écorce cérébrale nous semblent bien établis
par la parenté de leur mode de formation onlogénique.
AMYGDALINE — AMYLACÉS. U5
L'éducation musicale nécessite, en effet, l'aide du langage, tant en ce que le chant
est le plus souvent vocalisé, qu'en ce que, pour l'apprentissage de la signification des
notes, c'est à des mots qu'on a recours, pour fixer dans l'esprit leur valeur symbolique.
Il résulte de là qu'il se crée à l'état normal une union intime entre les deux facultés,
qui rend compte de leurs liens pathologiques. En somme, le mécanisme psycho-physio-
logique qui préside à l'élaboration et à la constitution de la faculté musicale paraît être
tout à fait analogue à celui par lequel se crée et s'établit la faculté du langage verbal,
bien qu'ils jouissent l'un et l'autre d'une relative autonomie.
Pour la bibliographie, elle est la même que pour Aphasie; car la plupart des auteurs
ont traité l'Amusie comme un chapitre de l'Aphasie.
PAUL BLOCQ.
AMYGDALINE. — Découverte par Robiquet et Boutron-Charlard dans les
amandes amères, cette substance, dont la formule est C-"!!-' AzO" -j- .3H-0, est un digly-
coside benzoylcyanbj'drique. Elle se présente sous la forme d'une poudre blanche, formée
par des cristaux en paillettes soyeuses. Sans odeur, d'une saveur anière, soluble dans l'eau
bouillante et l'alcool, insoluble dans l'élher; sa réaction est neutre. Elle est lévogyre. ,
Préparation. — Pour la préparer on traite le tourteau d'amandes amères par l'al-
cool à 94° bouillant. On distille pour recueillir une grande partie de l'alcool. Dans le
résidu se trouve l'amygdaline que l'on précipite par l'élher et que l'on purifie en la fai-
sant redissoudre dans l'alcool ou l'eau bouillante et en la laissant cristalliser.
Propriétés. — Elle jouit d'une propriété spéciale de dédoublement sous l'action de
substances pouvant produire son hydratation; elle se décompose alors en glycose, acide
cyanhydrique et essence d'amandes amères.
Celte transformation est produite d'une façon très rapide sous l'influence de la synap-
tase ou émulsine, ferment spécial des amandes, en présence de l'eau, en ayant soin
d'éviter les agents qui coagulent l'émulsine, tels que l'alcool,le tannin, les acides énergiques,
une tempéi'ature élevée, etc. Cl. Bernard s'est servi de celte propriété pour montrer que
les fermentations peuvent avoir lieu dans le sang, et qu'elles déterminent dans l'organisme
des phénomènes dus à la présence du principe toxique qui a pris naissance. Dans la
veine jugulaire d'un lapin on injecte f gramme d'amygdaline dissous dans environ
8 centimètres cubes d'eau, simultanément on injecte, dans l'autre veine jugulaire, une
quantité suffisante de dissolution d'émulsine préparée en faisant macérer pendant quelques
heures, dans l'eau tiède, des amandes douces pilées, et en filtrant ensuite. L'émulsine agit
bientôt sur l'amygdaline, et, si la quantité est suffisante pour que l'acide cyanhydrique
produit ne soit pas éliminé, à mesure de sa formation, par le poumon, l'animal ne tarde
pas à succomber intoxiqué.
L'amygdaline n'a pas de propriétés physiologiques spéciales et n'est pas employée
en médecine. Le seul usage que l'on pourrait en faire serait de profiter, comme l'ont
conseillé Liebig et Wœhler, de sa transformation sous l'intluence de l'émulsine, pour rem-
placer l'eau distillée de laurier cerise, dont la composition est loin d'être toujours égale,
par une mixture qui donnerait un produit sur lequel on pourrait compter, qui contiendrait
5 centigrammes d'acide cyanhydrique anhydre et 16 centigrammes d'essence d'amandes
amères. Pour l'obtenir, on fait une émulsion avec 8 grammes d'amandes douces,
32 grammes d'eau et 1 gramme d'amygdaline.
Bibliographie. — D. W. eiSiqjpt. — Reymond. Du dédoublement de l'amygdaline 2Mr
l'émulsine dans le corps vivant (Thèse de Lausanne, 1876). — Mackwort et Hafner. Einfluss
der Zeit, der Concentration, und der Temperatur. auf die Menge des vom Emulsin. zersetzten
Amygdalins (J. fur prakt. Chem., [8T6, t. xxi, p. 194). — Claude Bernard. Subst. tox. et
médicament, 1837, p. 97. — Jones. Poisoning by essential ail of bitter almonds [Lancel,
1837, (1), p. 43). — I. C (art. Amygdala amara).
CH. LIVON.
AMYLACES. — On désigne sous le nom de matières amylacées des sub-
stances ternaires, solides, amorphes ou offrant le plus souvent un certain degré d'orga-
nisation, solubles ou insolubles dans l'eau, pouvant être représentées par du carbone
uni à l'hydrogène et à l'oxygène (ces deux derniers corps dans les proportions de l'eau)
U6 AMYLACES.
et dont le caractère chimique fondamental est le dédoublement avec hydratation en com-
posés plus simples et moins condensés, de même constitution chimique.
Tous ces corps répondent à la formule (C^Hi^O^)". Ils appartiennent à la grande fa-
mille des alcools hesatomiques' (alcools en C) dont le type est la mannite (C^H'^O*).
Le glucose C^H'-O^ est une aldéhyde de ces alcools hexavalents et jouit de la fonction
mixte alcool aldéhyde.
CH=OH CH^OH
I
(CHOH)» (CHOH)*
I
CH=OH CHO
Mannite. Glucose.
Les glucoses contiennent le groupe CH-OH caractéristique des alcools primaires; le
groupe CHOH caractéristique des alcools secondaires, et le groupe COH caractéristique
des aldéhydes.
Des glucoses dérivent les saccharoses par dédoublement de la molécule de glucose
a\ec élimination d'eau :
2(C''Hi = 0'') = C1Œ--0" + H-0
Glucose Saccharose
Ce sont les premiers anhydrides des glucoses. Les dextrines et gommes solubles répon-
dant à la formule C'^H-''0"' (dextrines, glycogène et gommes solubles) sont les seconds
anhydrides.
Un troisième groupe comprend les amyloses, ou amylacés proprement dits, répondant
à la formule générale (C/H"*0^)'i comprenant l'amidon, le paramylon, l'inuline, la liché-
nine, les mucilages, les gommes insolubles.
Enfin un dernier groupe comprend les celluloses, la tunicine, polymères beaucoup
plus condensés encore.
On voit donc qu'au point de vue de la constitution chimique, la dextrine, l'amidon et
les celluloses ne font pas exactement partie du même groupe. Mais, au point de vue phy-
siologique, qui est celui auquel nous nous placerons, on peut, en se basant sur l'analyse
des produits de transformation, réunir en une seule famille, sous la rubrique de sub-
stances amylacées, tous les corps ayant pour formule générale (C* H*" 0°)" anhydrides du
glucose, n représentant un multiple indéterminé. Nous comprendrons donc dans le
groupe des amylacés : l'amidon, la dextrine, le glycogène, le paramylon, l'inuline, la liché-
nine, les gommes solubles et insolubles, la cellulose, la tunicine.
La nature et la constitution chimiques des matières amylacées nous font prévoir leurs
propriétés chimiques générales. Ce sont en somme des alcools polyatomiques. Aussi
jouissent-ils comme les alcools de la propriété de donner des éthers en se combinant
avec les acides. Comme pour les alcools, leuT oxydation donne naissance à des acides
variant suivant le degré d'oxydation. Enfin ce sont des anhydrides du glucose : leur
hydratation donnera donc naissance à du sucre d'une façon générale. 11 est difficile dans
l'état actuel de la science de fixer pour chacun d'eux le poids moléculaire; mais leur
hydratation et leur transformation définitive en glucose établit nettement leur constitu-
tion et leur nature d'anhydrides, à la fois aldéhydiques et alcooliques.
En se plaçant au point de vue de leur solubilité dans l'eau, on peut diviser les amylacés
en 3 groupes.
i" Substances solubles dans l'eau (Ex. : dextrine, glycogène).
2" Substances se gonflant simplement dans l'eau (amidon, inuline, lichénine, paramy-
lon, mucilages).
3° Substances absolument insolubles dans l'eau (cellulose, tunicine).
Toutes ces substances sont insolubles dans l'alcool.
Dans l'étude d'ensemble que nous allons faire des amylacés, nous jetterons d'abord
1. Les relations générales du groupe dans son entier, ainsi que la fonction chimique des
types principaux, ont été découvertes et exposées par M. Berthelot (Leçons faites à la Société
chimique. 'Pa.vM,, 1862, p. 327).
AMYLACES. 447
un coup d'œil rapide sur chacun des membres de cette famille, renvoyant pour les détails
aux articles spéciaux. Nous établirons ensuite les ressemblances et les différences.
2" Nous consacrerons ensuite une étude détaillée à l'hydratation des amylacés spécia-
lement par les ferments solubles, procédé de transformation qui joue un si grand rôle
dans l'organisDie soit végétal, soit animal, et l'action des ferments organisés sur ces
substances.
3° Nous exposerons ensuite les faits et les théories concernant la formation des sub-
stances amylacées par le végétal et par l'animal.
4° Nous décrirons les transformations que fait subir l'organisme à ces substances,
leur assimilation, leur mise en réserve, leur désassimilation.
S" Enfin un dernier chapitre aura pour objet le rôle des substances amylacées chez
l'être vivant.
Dans l'étude que nous allons faire de chacune des substances amylacées, nous ne
tiendrons pas compte de leur origine végétale ou animale. Les propriétés chimiques de
la dextrine, par exemple, qui se forme dans la fermentation de l'orge, ne diffèrent pas
en effet sensiblement de celles du glycogène qu'élabore l'animal. D'ailleurs nous verrons
que telle substance, comme le glycogène, qu'on croyait spéciale au règne animal, a été
retrouvée chez les végétaux. La différence d'origine ne peut donc nous empêcher de
réunir en une même étude les matières amylacées végétales et animales.
Histoire des substances amylacées. Amidon. — L'amylacé le plus ancienne-
ment connu et le plus anciennement étudié (LeuweiNHOECk, au xvn" siècle ; Fourcroy
et Pabmentier au sviii") est l'amidon ou fécule. Ces deux termes désignent la même sub-
stance, qu'elle soit extraite des semences (amidon) ou des tubercules et des racines
(fécule).
L'amidon se présente sous forme d'une poudre blanche qui, examinée au microscope,
apparaît composée de glomérules à structure semi-organisée, de figure et de grosseur
variables. Le grain d'amidon est formé de couches emboîtées. Au centre se trouve une
dépression nommée Jdle. Sous l'influence de l'eau tiède les grains se gonflent et s'en-
tr'ouvrent en laissant apparaître les couches successives. A partir de 30°, c'est de l'empois
d'amidon qui se forme. Le grain d'amidon n'est pas chimiquement homogène, il
n'est pas formé d'une seule substance. Pour Nœgeli il se composerait de deux subs-
tances : la granulosc, soluble dans l'eau, la salive, se colorant en bleu par l'iode ; et la cel-
lulose , insoluble, se colorant en rouge par l'iode. Cette substance est en partie soluble dans
l'acool; peut-être renferme-t-elle delà cutose ou quelque produit analogue. La grmm^Zose
elle-même ne serait pas simple; mais, d'après Bourquelot, constituée par un mélange
de plusieurs hydrates de carbone distincts. D'après Brucre, le grain d'amidon contiendrait
trois substances : la granulome, se colorant en bleu par l'iode; l'crythro-gramilose , se colo-
rant en rouge et la cellulose, ne se colorant pas du tout ou très faiblement en jaune.
La densité de l'amidon est voisine de 1,33. Composition centésimale = ,, „ .. t,
Action de l'eau. — L'amidon est insoluble dans l'eau froide. A 60 ou 70°, il se gonfle
considérablement (empois). En cet état il dévie énergiquement à droite la lumière
polarisée [a] j = -|- 216°. En portant l'eau à l'ébullition, une partie de l'amidon se dis-
sout. Cette dissolution est préoipitable par l'alcool. C'est ce qu'on appelle généralement
Vamidon soluble, poudre blanche insoluble à froid, mais soluble dans l'eau à partir de
50». Son pouvoir dextrogyre= + 218°. Il ne réduit pas la liqueur de Fehling et se colore
en bleu par l'iode.
Chaleur. — Quand on chauffe à 100° pendant assez longtemps l'amidon, il se change en
amidon soluble ; à. 160° il se forme de la dextrine; à 210° de \a.pyrodextrine, matière qui
résiste à l'action des acides étendus et qui est précipitée par les acides concentrés.
Le pyrodextrine est insoluble dans l'alcool et l'éther; elle réduit la liqueur cupro-
potassique.
Oxydation. — L'ébullition de l'amidon avec l'acide nitrique étendu donne de l'acide
oxalique. L'action du bioxyde de manganèse et de l'acide sulfurique donne de l'acide car-
bonique et de V acide formique.
Réaction avec l'iode. — L'iode colore en bleu intense l'amidon, l'empois, l'amidon
soluble. Réaction d'une sensibilité extrême; l/oOOOOO et même 1/1000 000 d'iode sont
4i8 AMYLACES.
rendus sensibles. La constitution de la matière colorante nommée iodure d'amidon est
mal connue. Ce n'est pas une combinaison, selon toute probabilité. Pour Personne ce
serait une sorte de laque. On peut précipiter, l'iodure d'amidon sous forme de flocons
bleus en traitant la liqueur par le sulfate de soude ou le chlorure de calcium.
Action des alcalis. — L'amidon se combine aux alcalis. A chaud la potasse le trans-
forme en amidon soluble. La solution d'amidon est précipitée par l'eau de baryte, l'eau
de chaux et l'acétate de plomb ammoniacal.
Action des acides. — Action des acides étendus : quand on fait bouillir l'amidon
avec les acides minéraux étendus, il se forme de l'amidon soluble, des dexlrines diverses,
du maltose et du glucose. D'après Bondon.neau, O'Sdllivan, Musculus et Gruber, les
transformations auraient lieu par hydratation et dédoublement successifs, formation
simultanée d'une molécule de maltose et dedextrine. Le maltose serait à son tour trans-
formé en glucose. (C'est là un caractère différentiel de l'action de la diastase, comme
nous le verrons.)
D'après Salomon la transformation de l'amidon sous l'influence de l'acide sulfurique
étendu consisterait premièrement en une dépolymérisation de la molécule d'amidon n
(CH'" 0'), qui se transformerait en une molécule moins condensée, l'amidon soluble; puis
en une molécule encore plus simple, la dextrine; en même temps intervient une action
chimique, et la dextrine donne, en s'hydratant, du glucose. Les seuls composés qui se
forment dans cette réaction seraient les suivants : a, amidon soluble ;h, dextrine; c, dex-
trose (glucose); il n'y aurait aucune raison pour admettre la formation du maltose.
La réaction, quoique plus lente, avec les acides organiques serait de même nature.
Action des acides concentrés. — Les acides concentrés éthériflent l'amidon; on connaît
un acide amylosulfurique. L'acide nitrique fumant dissout l'amidon, l'eau précipite de
cette solution la xyloïdine, véritable éther trinitrique de l'amidon, corps explosif à 180°
ainsi que par le choc.
Paramylon . — C'est une substance analogue à l'amidon que Gottlieb a découverte
dans un infusoire, ÏEuglena viridis. Ses grains sont plus petits que ceux de l'amidon. 11
est insoluble dans l'eau, soluble dans les acides étendus, non colorable par l'iode; la
diastase ne l'attaque pas sensiblement. Les acides étendus le changent en un glucose fer-
mentescible. Remarquons que l'Euglena viridis contient des granulations chlorophy-
liennes. Nous verrons ultérieurement le rôle capital que joue la chlorophylle dans l'éla-
boration de l'amidon par le végétal.
Lichènine. — On trouve la lichénine dans le lichen d'Islande et quelques autres
lichens voisins. La découverte en est due à Proust. Cette substance se gonfle dans l'eau
froide, se dissout dans l'eau bouillante. L'ébullition prolongée lui fait perdre la pro-
priété de se prendre en gelée par le refroidissement.
Elle ne se colore pas par l'iode ; elle ne donne pas d'acide mucique quand on la traite
par l'acide nitrique étendu. Les acides la saccharifient. Sa composition centésimale est
celle de l'amidon.
Mucilages. — On peut placer à côté de la lichénine les, mucilages qui comme elle se
gonflent dans l'eau et présentent la composition centésimale de l'amidon; mais l'acide
azotique donne à leurs dépens de l'acide mucique, tandis que l'amidon, la lichénine don-
nent de l'acide saccharique (mucilages de coing, de guimauve, de lin).
La bassorine forme la partie principale de la gomme de Bassora.
Sous l'influence des acides minéraux étendus, à l'ébullition, ces substances donnent
du sucre.
Inuline. — L'inuline a été découverte par V. Rose, qui l'a extraite de la racine
d'aunée {Imda Heteniwn). Oa la trouve dans beaucoup d'autres syuanthérées telles que
le topinambour, le dahlia, la bardane, la chicorée, l'Atractylis gummifera, le colchique
d'automne, la mémantlie, etc.
L'inuline se présente sous forme de grains blancs, dont la structure est différente de
celle des grains d'amidon. Complètement desséchés, les grains présentent une organisa-
tion rayonnée. Sa densité est à l'état anhydre de 1,432 ou 1,34U. Quant à son pouvoir
rotatoire, il est de — 36°, 30.
Cette substance, sans odeur ni saveur, est insoluble dans l'eau froide et dans l'alcool,
soluble dans l'eau bouillante. L'iode ne la bleuit pas, mais lui communique une teinte
AMYLACES. 449
brune passagère. L'inuJine pure ne réduit pas la liqueur cupropotassique. Chauffée à doO"
pendant 30 heures en tubes scellés avec l'hydrate de baryte, l'inuline fournit de l'acide
lactique de fermentation (Kiliani).
Sous l'influence de l'acide nitrique étendu, l'inuline donne, d'après le même auteur,
un mélange d'acides formique, oxalique, glycolique et paratartrique ; pas d'acide acétique
ni d'acide saccharique.
Par l'ébullition avec les acides minéraux étendus, l'inuline donne de la lévulose,
sucre lévogyre (C^H'-O^). La diastase de l'orge germée ne le saccharifie pas; c'est un
ferment spécial, Vinulase, comme nous le verrons, qui la transforme.
Tanbet a isolé deux principes voisins de l'inuline; la. pseudo-inuline et Vinulénine. La
pseudo-inuline se dépose en granules irréguliers de ses solutions aqueuses; en granules
irréguliers de ses solutions alcooliques. En se desséchant, elle s'agglomère en masses
cornées transparentes; déshydratée, elle se présente sous forme de poudre blanche.
Elle est très soluble à chaud dans l'alcool et l'alcool faible ; à froid, dans 3oO et 400 par-
ties d'eau. Elle est insoluble dans l'alcool à froid.
Pouvoir rotatoire. — Lévogyre = — 32°2. Sous l'intluence des acides étendus, ce
pouvoir s'élève à — 8o,6.
Composition ! H — fi 'in
Réactions. — La pseudo-inuline ne réduit pas la liqueur de Fehling. L'eau de baryte
froide la dissout, en excès elle la précipite. La pseudo-inuline se dissout dans les alcalis;
elle ne précipite ni par l'acétate neutre ni par l'acétate basique de plomb.
Vinulénine est un produit cristallisé en fines aiguilles, soluble dans l'eau froide,
dans 33 parties d'alcool à 30° à froid et dans 24o parties d'alcool à 80".
Lévogyre : P.R. = — 29<'6; s'élève à — TgolS en chauffant avec eau et acide acétique,
à — S3°6 avec acide sulfurique étendu.
C = 43,3
Composition ! „ .''
^ ri =^ D,
oO
L'eau de baryte froide ne la précipite pas; mais l'eau de baryte tiède et concentrée
la précipite; l'alcool faible précipite les solutions barytiques.
D'autre part, Tanret, étudiant les hydrates de carbone du topinambour, a isolé deux
substances nouvelles, Vhélianthine et le synanthrine.
Hélianthine. — Cristallise en fines aiguilles microscopiques réunies en boules, soluble
dans son poids d'eau froide, plus faiblement soluble dans l'alcool concentré que dans
l'alcool étendu.
Lévogyre : P.R. ^= — 23"o; après l'action des acides étendus ^ — 70°2.
,, ... ( C = 42,93
Composition j „ '„_
Ne réduit pas la liqueur de Fehling; ne précipite en solution aqueuse ni par la baryte
ni par l'acétate de plomb. Elle est ferrnentescible.
Synanthrine. — Corps blanc amorphe et à peu près insipide. Soluble à froid en
toutes proportions dans l'eau et dans l'alcool faible, moins soluble dans l'alcool con-
centré.
Lévogyre : P.R. = — 17°; après l'action des acides étendus =: — 70°.
C = 42,83
H = 6,24
Composition.
Réactions. — Ne réduit pas la liqueur de Fehling, fermente difficilement en solution
aqueuse, empêche la formation de saccharate de baryte en présence du sucre de canne
et d'eau de baryte bouillante. Le précipité ne se forme que si la proportion de sucre
dépasse 1/5 de sucre pour d de synanthrine.
Amylanes. — O'Sullivan a extrait de l'orge deux hydrates de carbone ayant pour
formule CH'^O', et auxquels il a donné le nom de x et fi amylanes.
L'a amylane ne réduit pas la liqueur cupropotassique; l'acide sulfurique étendu la
convertit en dextrose. Pouv. rot.= — 24°.
DICT. DE PHYSIOLOGIE.
450 AMYLACÉS
La p amylane est transformée en glucose par l'acide sulfurique étendu.
Pouv. rot. = — 72".
Dextrines. — L'e'tude de la dextrine a été commencée par Biot et Persoz, puis
Payen a apporté sur ce sujet un grand nombre d'observations ultérieurement complétées
et développées par Jacquelain, Béchamp, Bondonneau, Musculus, Grubeh, Von Mèring,
O'SuLLivAN, Salomon, etc.
On trouve la dexlrine à l'état naturel dans la manne du frêne et dans divers produits
végétaux. On la trouve aussi dans le sang de certains animaux, du cheval par exemple,
dans le sang des diabétiques, dans la viande des animaux de boucherie, etc.
On peut l'obtenir en soumettant l'amidon à l'action de la chaleur entre 160» et 210°,
ou à l'action de la chaleur et des acides, enfin à l'action de la diastase.
C'est une substance amorphe, transparente, très hygrométrique, soluble dans l'eau,
insoluble dans l'alcool et l'éther. La dextrine commerciale est en réalité un mélange de
plusieurs dextrines isomères allant depuis l'amidon soluble jusqu'à la dextrine propre-
ment dite.
En se basant sur les différents pouvoirs rotatoires et réducteurs, on a reconnu l'exis-
tence de :
1° L'érythrodextrine, qui forme la majeure partie de la dextrine commerciale, soluble
dans l'eau froide, attaquable par la diastase, se colorant en pourpre par l'iode, et dont
le pouvoir rotatoire est de + 213° à + 215°.
2° L'achroodextrine a. — ^ A peine colorable par l'iode, moins attaquable par la dias-
tase, réduisant faiblement la liqueur cupropotassique. Pouv. Rot. = + 210°; son pou-
voir réducteur, celui du glucose étant 100, est de 12.
3° L'achroodextrine (3. — • Ne se colore pas par l'iode et n'est pas attaquée par la dias-
tase. Son pouvoir rotatoire =, -I- 100°; son pouvoir réducteur = 12.
4° L'achroodextrine y. — Résiste à la diastase et ne se colore pas par l'iode. Elle ne se
saccharifie à ébullition avec l'acide sulfurique étendu que lentement. Son pouvoir rota-
toire est de + ISO"; son pouvoir réducteur de 28.
On voit que ces diverses dextrines représentent des produits de dédoublement de
plus en plus avancés de l'amidon. La dernière serait le type de la véritable dextrine.
Réactions. — Elle se comporte à peu près comme l'amidon sous l'influence de la
chaleur et des acides. On obtient de la sorte des composés analogues aux glucosides.
Sous l'influence prolongée de l'effluve électrique, elle peut fixer une certaine quan-
tité d'azote atmosphérique (Berthelot).
Avec le brome, puis l'oxyde d'argent humide, elle donne de l'acide dextronique (Haber-
man.n). Par l'action successive des acides nitrique et sulfurique, on obtient de la dextrine
tétranitrique. Enfin, d'après Maly, elle fermente au contact de la muqueuse stomacale
en donnant un mélange d'acides lactique et sarcolaclique.
MuscuLus, en dissolvant du glucose à froid dans l'acide sulfurique et en ajoutant une
grande quantité d'alcool, a vu, au bout de quelques semaines, se précipiter un corps se
rapprochant beaucoup de l'achroodextrine y.
Glycogène. (Dextrine animale). — Découvert par Claude Bernard et Hensen (foie,
placenta, œuf), chez l'embryon (Cl. Bernard, Rouget), dans les muscles (Nasse) et aussi
dans les végétaux (Errera).
Substance amorphe et pulvérulente. Donne avec l'eau une solulion opalescente, se
colore en rouge par l'iode. Son pouvoir rotatoire := + 211°.
Réactions. — Il ne réduit pas la liqueur cupropotassique.
Il se distingue de la dextrine en ce que la coloration rouge par l'iode, qui disparaît
avec la chaleur, reparaît par le refroidissement; elle ne reparaît pas avec la dextrine.
La solution ne précipite pas l'acétate de plomb basique.
Le brome pur, l'oxyde d'argent le font passer à l'état d'acide glycogénique. Avec
l'acide nitrique fumant, il se forme du glycogène tétranitrique, corps explosif.
Par l'action des acides étendus et de l'ébullition , sous l'influence de la salive, de
l'amylase, il se transforme en glycose en passant par le raaltose et différentes dextrines.
Il subit la fermentation lactique.
Sinistrine. — Trouvée par Kuhlnemann dans l'orge germée. Substance lévogyre.
Elle parait devoir être confondue avec les amylanes de O'Sullivan.
AMYLACES. 451
Gommes solubles. Arabine. Pectine. — Suivant Frémï, la gomme arabique est
formée d'une combinaison d'arabine C'-H'-'O'" avec ia chaux et la potasse (arabinate ou
gummate de chaux et de potasse). L'arabine est une substance très soluble dans l'eau
qu'elle rend visqueuse, elle est lévogyre, et son pouvoir rotatoire = — 36°. Chauffée de
120° à 140°, elle devient insoluble. Sous l'inlluence des acides étendus et chauds, l'arabine se
change en grafaciose; l'acide nitrique l'oxyde en donnant des acides saccharique, mucique,
racémique et oxalique.
Pectine. — Très semblable à l'arabine ; donne par l'action des alcalis étendus de l'acide
pectique.
La pectine est une substance amorphe formant avec l'eau une solution épaisse, que
précipitent l'alcool et aussi le sous-acétate de plomb.
L'acide pectique paraît se former aux dépens de la pectine en présence d'un ferment
spécial de pectine. Les corps pectiques se transforment en galactose sous l'influence des
acides étendus.
Celluloses (C^ H" 0*)". — Les fibres des plantes et l'enveloppe des cellules vé-
gétales sont principalement formées de cellulose ou de principes isomères de l'amidon,
mais doués d'une grande résistance aux divers réactifs.
Leur caractère principal est leur insolubilité dans la plupart des dissolvants connus.
La cellulose est sans odeur ni saveur, blanche, insoluble dans tous les dissolvants ha-
bituels.
Les seuls réactifs qui dissolvent les celluloses sont le réactif ammoniaco-cuprique
de ScHWEiTZER et un mélange indiqué par E. F. Cross et E. J. Bevan qui se prépare en
ajoutant à de l'acide chlorhydrique la moitié de son poids de chlorure de zinc. Ce réactif
dissout la cellulose sans la modifier.
La cellulose précipitée de ces dissolvants est amorphe, gélatineuse.
La densité de la cellulose est voisine de 1,43.
Chaleur. — Au delà de -f 200°, la cellulose se décompose en donnant de Feau, de
l'acide acétique, des produits empyreumatiques complexes, et différents gaz.
Oxydation. — L'acide nitrique ordinaire à l'ébullition donne avec la cellulose de l'a-
cide oxalique. L'acide oxalique se forme également par l'action des alcahs (potasse
caustique) à + 160°.
Le bioxyde de manganèse en présence de l'acide sulfurique donne de l'acide for-
mique.
Action des acides. — Ils peuvent agir de deux façons, ou bien : 1° modifier la cellulose
et la transformer en différents produits distincts, ou bien 2° se combiner avec elle pour
donner des cellulosides (cellulosides hexanitriques, octonitriques, décanitriques (coton
poudre).
La cellulose, imbibée d'acide sulfurique concentré, et lavée presque aussitôt pour en-
lever l'acide, acquiert ainsi certaines propriétés voisines de celles de l'amidon et se colore
en bleu par l'iode.
Quand on prolonge l'action de l'acide sulfurique concentré et froid, on transforme la
cellulose en cellulose soluble qui présente beaucoup d'analogie avec l'amidon soluble.
Par un contact plus prolongé encore on obtient, non plus de la cellulose soluble, mais
une dextrine particulière, dont le pouvoir dextrogyre est plus faible que celui de la dex-
trine ordinaire ; puis un glucose fermentescible. On peut finalement parvenir à transfor-
mer la totalité de la cellulose en un mélange de glucoses femientescibles, dont l'un est le
glucose ordinaire.
Tunicine (Cellulose animale). — Découverte par Schmidt, étudiée par Berthelot, la
tunicine est extraite de l'enveloppe des mollusques tuniciers. C'est une masse blanche qui
conserve encore l'aspect général des organes qui ont servi à sa préparation. Elle se co-
lore en jaune par l'iode et, si on la traite d'abord par l'acide sulfurique, en bleu.
La tunicine ne se dissout pas dans le réactif de Sceweitzer et résiste même à la po-
tasse fondante aux environs de 220°. L'ébullition avec l'acide sulfurique étendu ne la
modifie pas. Toutefois on peut l'attaquer en la broyant avec l'acide sulfurique concentré.
Elle s'y dissout sensiblement, et, si l'on vient à verser ce liquide goutte à goutte dans
l'eau, puis qu'on fasse bouillir, la tunicine finit par se transformer en un glucose fermen-
tescible.
452 AMYLACES.
Amyloïde végétal. — C'esl un hydrate de carbone imprégnant la membrane cellu-
laire de divers végétaux. Il bleuit au contact de l'iode, ce qui le distingue de la cellulose ;
on l'a rencontré dans les graines où il parait constituer une matière nutritive en re'-
serve.
Avec l'acide nitrique il donne de l'acide succinique.
Son poids spécifique est de i,lS. Sou pouvoir rotatoire dextrogyre = + 93°.
Il est saccharifié par l'acide sulfurique bouillant et donne du galactose, du xylose et
du dextrose (glucose) (Winterstein).
Caractères communs et caractères différentiels des matières amylacées. —
Toutes ces substances présentent la même composition élémentaire et constituent des
hydrates de carbone représentés parla formule (C"H-°--0"-') représentant l'anhydride de
jCaj|2nO"). Toutes sout amorphes ou présentent un certain degré d'organisation.
L'action des agents d'hydratation (acides minéraux étendus et chaleur, ferments so-
lubles) les transforme en produits plus simples aboutissant au glucose (C^H'^0^).
La chaleur en vase clos les décompose, d'une part en charbon, et, de l'autre, en produits
volatils, parmi lesquels l'acide acétique, l'eau, les carbures d'hydrogène.
Les oxydants aidés de la chaleur les convertissent en acide carbonique et eau.
Toutes sont susceptibles de combinaisons avec l'acide azotique (éthers nitriques) .
Beaucoup fournissent avec les acides organiques des éthers saponifiables par l'action
des bases.
Elles fixent l'iode avec plus ou moins d'intensité.
Les celluloses se distinguent des matières amylacées proprement dites par une con-
densation moléculaire beaucoup plus grande;
— par une structure physique plus avancée et qui les rapproche des éléments organisés;
— par une insolubilité complète dans l'eau ;
— par une résistance beaucoup plus grande à tous les agents chimiques ;
— par la coloration que leur communique l'iode, coloration faiblement jaunâtre, à
moins d'une modification préalable imprimée à la substance cellulosique.
La cellulose animale difTère de la cellulose végétale par une résistance plus grande à
l'action de tous les réactifs communs.
Action des ferments solubles sur les amylacés. — Sacchariflcation. —
Action delà diastase de l'orge germée ou amylase. — En 1823, Dubruinf,a.ut observa
qu'en mélangeant à de l'empois d'amidon un peu de malt en farine délayé dans de l'eau
tiède et en soumettant le mélange à une température de 60 à 6o°, au bout d'un temps
assez court (un quart d'heure) le mélange était fluidifié : sa saveur devenait de plus en
plus sucrée, et il finissait par subir la fermentation alcoolique.
En 1830 Ddbrdnf.^ut reconnaissait que cette propriété de transformer l'empois d'ami-
don appartient aussi bien à l'infusion de malt qu'au malt en farine. En 1833, Payen et
Persoz précipitèrent par l'alcool la substance active de l'extrait de malt et obtinrent ainsi,
à l'état impur, il est vrai, le ferment soluble nommé diastase ou amylase. D après eux le
ferment pouvait saccharifler jusqu'à 2 000 fois son poids de fécule. DucLiux fait observer
qu'il- faut lire probablement 2 000 fois le poids d'empois de fécule, c'est-à-dire 30 à 100 fois
le poids d'empois de fécule crue. En 1836, Dubruxfaut obtint une diastase plus active et
plus pure par des précipitations fractionnées. Ce ferment soluble n'existe pas dans le
grain d'orge d'une façon continue; il se forme au moment de la germination, et c'est lui
qui permet à la plante naissante d'utiliser les réserves amylacées de la graine.
En 1847,DuBRUNKAUT, traitant l'empois d'amidon par l'extrait de malt, prépara un sucre
cristallisable possédant un pouvoir rotatoire bien plus considérable que celui du glucose
ordinaire. Il donna à ce sucre le nom de maltosc. Cependant cette découverte passa ina-
perçue, et pendant longtemps on considéra le sucre résultant]de l'action de la diastase de
l'empois comme du glucose ordinaire. Ce n'est qu'en 1872 que O'Sullivan confirma la
découverte de Dubrunfaut et montra que le sucre formé était bien du maltose (C*-H'--0")
mélangé à des dextrines. Il faut dire toutefois qu'on trouve aussi de petites proportions
de glucose. L'origine de cette petite quantité de glucose est controversée. Pour les uns
(ScHULZE, Brown et Hérox, Herzfelt) l'amylase serait sans action sur le maltose; pour
les autres (O'Sullivan, Von Mering) l'influence prolongée du ferment finirait par trans-
former le maltose en glucose. Rappelons que le maltose a un pouvoir rotatoire plus
AMYLACES.
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454 AMYLACES.
considérable que le glucose (P.R. du glucose = + 53° 4; P.R. du maltose = + 139°3).
Son pouvoir réducteur est moindre que celui du glucose, 61 de glucose réduisent autant
de cuivre que 100 de maltose. Les acides le dédoublent par hydratation en 2 molécules
de glucose.
Mais déjà, avant les recherches de O'Sullivan, Musculus en 1860 avait étudié avec soin
les produits résultant de l'action de la diastase sur l'empois d'amidon, tout en considé-
rant le sucre formé comme étant du glucose. Avant lui ou pensait que l'amidon se chan-
geait d'abord en dextrine, puisque cette dextrine se transformait en glucose. Musculus,
à la suite de ses recherches, conclut que le glucose et la dextrine se forment simultané-
ment, et toujours dans le même rapport : 2 de dextrine pour 1 de sucre. La dextrine
serait inattaquable par la diastase, et, d'après Musculus, le processus consisterait dans un
dédoublement avec hydratation de l'amidon.
C12H2001» + H^0 = CGHH>03 + C6H1206
Amylacé Dextrine Glucose
Payen, en 1863, à l'encontre de Musculus, conclut que la diastase saccharifie la dex-
trine pure et produit en agissant sur l'empois des proportions de dextrine et de glucose
variables suivant les conditions dans lesquelles on opère, c'est-à-dire suivant la dilution
et le temps; il admet une production première de dextrine suivie de sa transformation
en sucre.
O'Sullivan, étudiant avec soin l'influence de la température, conclut à l'existence de
proportions différentes de dextrine et de maltose suivant la température.
A une température inférieure à 60°, il se formerait 68 de maltose pour 32 de 'dex-
trine.
Entre 64° et 68° il y aurait 34,54 de maltose et6o,46 de dextrine.
Enfin de 68° à 70° il y a 17,4 de maltose et 82,6 de dextrine. Au bout d'un certain
temps la quantité de maltose augmenterait par suite de l'action ultérieure de la diastase
sur la dextrine.
En définitive on n'obtiendrait plus à la fin que du maltose et du glucose (O'Sullivan,
1879, B. S. C, t. xxxn, p. 493).
Mais cette dextrine qui se forme, répond-elle à une substance chimique simple? Dès
1870 on tendait à admettre que dans les saccharifîcations il se fait, non pas une seule
dextrine, mais plusieurs dextrines. Il est certain que l'amidon soluble, qui se produit au
début de l'action de la diastase, et la dextrine qui reste à la fin de cette action, sont deux
espèces chimiques distinctes. Mais entre ces deux termes il y a des termes intermédiaires.
Au cours de la sacchariflcation on peut en effet trouver des substances qui se colorent en
rouge (érythrodrextrines) et des substances qui ne se colorent pas par riode(achroodextrine).
Parmi ces achrodextrines il faut distinguer l'achroodextrine a, |j, y (Voir plus haut leurs ca-
ractères). Cette opinion, défendue par Brucke, Musculus et Gruber, Bondonneau, O'Sul-
LivAiN, Brown et Héron, Herzfeld, 'Von Mering, a été attaquée par Salomon qui soutient au
contraire qu'il n'existe, outre l'amidon soluble, qu'une seule dextrine. Les colorations dif-
férentes avec l'iode tiendraient à la présence de quantités variables d'amidon soluble non
encore saccharifie. Jusqu'à ces derniers temps l'hypothèse de Musculus a été plus généra-
lement admise. Pour lui l'amidon, sous l'influence de la diastase, subit une série de dédou-
blements successifs avec hydratation simultanée. A chaque dédoublement il se formerait
du maltose et une nouvelle dextrine à poids moléculaire plus faible. Cette théorie serait
parfaitement co mpatible avec la différence dans la quantité de maltose et de dextrine for-
mées suivant la température. 11 suffirait d'admettre en effet qu'à 60° la diastase possède
toute son énergie et peut pousser la saccharification jusqu'au bout ; qu'à mesure au con-
traire que la température s'élève au delà de 60° le pouvoir saccharifiant diminue. Marker
au contraire avaitsupposéqu'ily a dans la diastase deuxferments, dont l'un, qui donne plus
de maltose et moins de dextrine, est détruit à une basse température, et dont l'autre, qui
donne plus de dextrine et moins de maltose, résiste à cette température. Cette opinion
est aussi celle de Cuislnier et de Dubrunfact. Les recherches récentes de Wijsuan vien-
nent à l'appui de cette hypothèse. C'est à l'action de deux ferments inégalement impres-
sionnés par la température que seraient dues les proportions respectives variables de
AMYLACÉS. 455
dextrine et de maltose. L'action de l'extrait de malt sur l'empois donne lieu à la forma-
tion de
L'érythrogranulose, qui se colore en violet par l'iode;
La maltodextrine, non colorée, et réduisant la liqueur de Fehling;
La leucodextrine, non colorable, et sans action sur la liqueur de Fehling;
toutes substances répondant à l'amidon soluble, à l'érythrodextrine, et aux achroo-
dextrines de Brucke. Wijsman appelle maltase et dcxtrinane ces deux ferments et résume
le processus de la saccharification de la façon suivante :
Amidon transformé par
I I
Maltase : donne Dextrinase : donne
Maltose et Érythogranulose Maltodextrine qui, transformée
qui, transformée par dextrinase, par maltase, donne Maltose.
donne Leucodextrine.
La leucodextrine ne peut plus être attaquée par l'extrait de malt.
La maltase est détruite par la chaleur au-dessus de bo°, la dextrinase résiste au con-
traire; ce qui explique qu'au-dessus de 00° la dose de maltase diminue de plus en plus.
Par d'ingénieuses et élégantes expériences Wijsman a démontré l'existence de ces deux
ferments; il a pu découvrir la maltase dans le grain d'orge non germé; lia reconnu que
la dextrinase au contraire prend naissance pendant la germination et se localise surtout
dans les enveloppes extérieures du grain. Si donc on emploie de l'orge perlée (débarras-
sée de ses téguments externes) l'extrait de malt contiendra surtout de la maltase.
L'arrêt de la transformation de l'amidon en maltase-dextrine et de la saccharification
avait été attribué par Payen à la présence et à l'accumulation du maltose. Lindet a con-
firmé cette opinion et en a donné la démonstration. En prenant un moût saccharifié à
refus et en précipitant le maltose par la phénylhydrazine, il a pu de nouveau transfor-
mer en sucre plus de la moitié des dextrines existant d'abord dans le mélange ; une
nouvelle précipitation de maltose entraînait une nouvelle saccharification.
Enfin Effront a étudié l'action de l'acide fluorhydrique dans la saccharification. Il a
constaté qu'une dose de 1 p. 10000 d'acide à une température de 30° permet d'obtenir un
rendement de 90 p. 100 de sucre et de 4 p. 100 seulement de dextrine pour l'amidon du
maïs.
L'inuline diffère de l'amidon en ce sens qu'avec les agents hydratants (SO*H- étendu
et bouillant) l'amidon donne naissance à du glucose (dextrose), tandis que l'inuline four-
nit du lévulose.
L'agent de saccharification de l'inuline a été extrait seulement en 1888 par J. R. Green
des tubercules du topinambour. Green lui a donné le nom à'inidase. Sous l'influence de
ce ferment l'inuline se transforme en lévulose. L'invertine et la diastase n'exercent au-
cune action sur l'inuline. VAspergilhis niger renferme un ferment, sinon identique, du
moins analogue à l'inulase (Bourquelot). Enfin Vimdase diffère de la tréhalase en ce que
celle-ci est détruite à 64°.
Action des ferments figurés sur les matières amylacées. — Les ferments
figurés (champignons, levures, bactéries) n'agissent en général sur les matières amylacées
qu'après les avoir hydratées, sacchariflées au moyen d'un ferment soluble, d'une amylase
sécrétée par eux. Dans toute fermentation des amylacés il y a donc une phase, plus ou
moins passagère, caractérisée par la saccharification. C'est sur les sucres fermentescibles
(maltose, glycose, lévulose) que les ferments figurés agissent ensuite pour les transformer
en acides gras, en acide carbonique et en eau. Lorsqu'en effet on laisse de l'empois
d'amidon exposé à l'air libre, on ne tarde pas à voir cet empois se fluidifier. Une analyse
très simple révèle alors l'existence de dextrines, de maltose, de glucose. Ces transforma-
tions sont sous la dépendance des germes de l'air qui se développent dans le milieu
amylacé. Avec le temps les transformations ne s'arrêtent pas là; la réaction devient de
plus en plus acide, et celte acidité est due à la présence d'acides gras en proportions va-
-456 AMYLACES.
riables : acides lactique, acétique,butyrique. Mais il faut tenir grand compte de l'aération
plus ou moins grande du milieu. A l'air libre, en effet, les ferments organisés vivent à
l'état d'agents comburants, briilant le sucre, ou utilisant pour la construction de leur
tissu tout ce qu'ils ne transforment plus en acide carbonique et en eau, et ils se repro-
duisent activement dans ces conditions. C'est ainsi que, si l'on ensemence de VAspergillus
niger sur de l'empois d'amidon largement exposé à l'air, cet empois se liquéfie d'abord,
puis se saccharifle. En définitive maltose et dextrine sont brûlés, et il reste un liquide
limpide ne renfermant en suspension que de petits cristaux d'oxalate de chaux. En
même temps il s'est produit de l'acide carbonique et de l'eau.
A l'abri de l'air, au contraire, le développement des microrganismes est moins
luxuriant, et la vie est alors caractérisée par la production d'acide carbonique et d'alcool
en proportions variables. Il se forme souvent alors de l'acide butyrique, en même
temps qu'il se dégage de l'hydrogène et de l'acide carbonique.
Les fermentations que subissent spontanément les hydrates de carbone abandoimés
à l'invasion de germes extérieurs sont surtout la fermentation lactique et la fermentation
butyrique.
a. Fermentation butyrique. — L'action du ferment butyrique sur les amylacés (fécule
de pomme de terre) a été bien étudiée dans ces derniers temps par A. Villters.
Au bout de 24 heures l'empois ensemencé avec le Bacillus amylohacler est générale-
ment liquéfié. On laisse la fermentation continuer jusqu'à ce qu'on constate que le
liquide ne donne plus de coloration bleue ou violette par l'iode. Pendant cette transfor-
mation de petites bulles gazeuses se dégagent. Le liquide obtenu est très légèrement acide
et présente nettement l'odeur de l'acide butyrique; mais il ne renferme qu'une très
faible quantité de cet acide. Les produits principaux sont constitués par des dextrines
non attaquables par le bacille, du moins en présence des autres produits formés simulta-
nément.
Ces dextrines se transforment très difficilement en glucose sous l'influence de l'eau
et des acides; elles réduisent la liqueur oupropotassique, et leur pouvoir réducteur est
d'autant plus grand que leur pouvoir rotatoire est plus faible. Ce qui est remarquable
au cours de cette fermentation, c'est l'absence de maltose et de glucose; ce qui sem-
blerait démontrer que le ferment détermine la transformation de la fécule en dextrine
directement, et ' non par l'intermédiaire d'une diastase sécrétée par le microrga-
nisme.
En même temps il se forme, mais entrés petite quantité, un hydrate de carbone qui
se sépare en beaux cristaux radiés au bout de quelques semaines dans l'alcool ayant
servi à la précipitation des de.xtrines. Cet hydrate de carbone, Villiers lui donne le nom
de ceHuZosine; sa solubilité dans l'eau à la température ordinaire est très faible; elle
augmente avec la température. Son pouvoir rotatoire est très élevé. Il n'est pas fermen-
tescible et ne réduit pas la liqueur de Fehling. Les acides minéraux étendus et bouillants
transforment ce produit en glucose, mais très lentement.
Enfin il reste un résidu insoluble, sous forme de flocons blancs amorphes qui, après
dessiccation, s'agglutinent entre eux. Ce résidu a la composition de la cellulose.
De même que la fécule de pomme de terre, les divers amidons et fécules fermentent
dans les mêmes conditions sous l'action du ferment butyrique; il est vrai que les pro-
duits formés ne sont pas totijours identiques.
p. Fermentation lactique. — La fermentation lactique des amylacés précède souvent
la fermentation butyrique. Elle est précédée de la sacchariflcation de la matière amy-
lacée, que cette sacchariflcation aboutisse à du maltose, du glucose ou du galactose. L'agent
principal de cette transformation du sucre en acide lactique de fermentation est le fer-
ment lactique isolé par Pasteur : c'est un microbe essentiellement aérobie. Mais beau-
coup d'autres microrganismes sont capables de produire des transformations [analogues
(Voyez Fehnbach. Ann. de l'Institut Fasteur, 1894)'.
1. Dans les muscles fatigués on trouve de l'acide lactique qui donne à l'extrait musculaire une
réaction acide. En même temps on constate une diminution dans la quantité du glycogène que
contiennent les muscles. Il semble bien que l'acide lactique se forme aux dépens du glycogène.
Est-ce directement ou indirectement, c'est-à-dire en passant par le glucose?
AMYLACES. 437
La formule de cette transformation pourrait s'écrire ainsi :
ou bien :
C6H">03 + 60 = C3H603 +3C02 + 2H20
Amidon A. lactique
La fermentation lactique des hydrates de carbone est entravée par la présence de
l'acide lactique. Aussi se poursuit-elle mieux si on neutralise au fur et à mesure l'acide
par du carbonate de chaux.
Le lactate de chaux ainsi formé peut à son tour être décomposé par le ferment buty-
rique de Pasteur [Bacillus butyricus) et donner de l'acide butyrique.
2C3HG03 = CiHS03 -I- 2C02 + 2H02
A. lactique A- Butyrique.
C'est ainsi que la fermentation butyrique peut succe'der à la fermentation lactique.
y. Fermentation acétique. — Les matières amylacées peuvent aussi fournir de l'acide
acétique : Fitz en effet a décrit un bacille; le Bacillus œthylicus, qui attaque l'empois vers
40° en produisant beaucoup d'acide butyrique, un peu d'alcool ordinaire et d'acide acé-
tique, et une trace d'acide succinique.
La levure de bière n'a pas d'action directe sur les amylacés; mais, quand ceux-ci sont
saccharifiés par la diastase, elle transforme le sucre en alcool et acide carbonique.
C'est ainsi que se fabrique la bière ordinaire, une bière de riz nommée Saké, ou Chicha,
boisson alcoolique que préparent les Indiens de l'Amérique du Sud avec la farine de mais.
S. Fermentation panaire. — C'est également par une fermentation de la farine de froment
que se fabrique le pain. Mais cette fermentation panaire présente encore dans son étude
quelques obsurités. La fermentation panaire a été l'objet des recherches approfondies de
BOUTROUX.
Deux théories principales ont été proposées pour expliquer la fermentation panaire,
la théorie de la fermentation parla levure et celle de la fermentation par les bactéries.
La plus ancienne, développée par Graham, suppose que l'amidon de la pâte est trans-
formé par une diastase (la céréaline) en dextrine et maltose, et que le sucre formé subit sous
l'action de la levure du levain une fermentation alcoolique normale.
Une seconde théorie plus récente attribue la fermentation panaire à des bactéries
[Bacillus ylutinis de Chicandard : Bacillus panificans de E. Laurent).
BouTROUX a trouvé dans la pâte du pain en fermentation ou dans la farine cinq espèces
de levures et trois espèces de bactéries. Il a trouvé qu'une trace de levure délayée avec
de la farine saine et de l'eau salée fournit un levain cultivable de pâte en pâte.
Au contraire les bactéries n'ont pu fournir un levain de pâte cultivable. Ces résultats
conduisent à considérer toutes les bactéries du levain comme incapables de faire lever le
pain à elles seules; au contraire les espèces de levures qui sont des ferments actifs rem-
plissent cette condition. Mais peut-on faire du pain en éliminant complètement l'action
des bactéries?
En ajoutant de l'acide tartrique à la pâte, on crée ainsi un milieu très défavorable
aux microbes. Or une dose d'acide tartrique qui empêche absolument la pâte sans levain
de se gonfler permet au contraire à la pâte additionnée de levain de lever aussi vite
qu'une pâte semblable faite sans acide tartrique. L'acide tartrique employé à dose tolé-
rable pour la levure, mais suffisante pour rendre impossible le gonflement de la pâte sous
l'influence des microbes que contient la farine, n'empêche pas de lever la pâte additionnée
de levure. Ces expériences démontrent donc que la levure est l'agent essentiel de la fer-
mentation proprement dite. •
La fermentation panaire consisterait essentiellement en une fermentation alcoolique
normale du sucre préexistant dans la farine, auquel s'adjoint peut-être du sucre formé
par saccharification d'une trace d'hydrate de carbone. Dès lors les microbes que l'on
trouve dans le levain ou dans la pâte ne peuvent être qu'inutiles ou nuisibles. Quant à
458 AMYLACES,
l'alcool qui doit se former pendant l'action de la levure, les uns n'en ont pas trouvé, les
autres en ont trouvé. A Girard a même admis que l'alcool et l'acide carbonique se pro-
duisent exactement dans les proportions qui caractérisent la fermentation alcoolique
normale. Pour Ducladx, au contraire, il n'y aurait pas production d'alcool. Selon Bou-
TROux, les résultats seraient diiïérents, suivant que la pâte était faite avec du levain ou
avec de la levure. Dans le premier cas, pas ou presque pas d'alcool ; dans le second, la
pâte gonflée peut contenir de l'alcool en quantité appréciable. Relativement enfin à la
diaslase qui saccharifierait la fécule au commencement de la fermentation panaire, con-
trairement à RûsMEiNBERGER, BouTROux lui dénie tout rôle important dans le processus de
fermentation. Ce serait essentiellement le sucre préexistant dans la farine qui subirait
la fermentation.
e. Fermentation muqueuse. — Pasteur a décrit un ferment qui provoque dans un certain
nombre de jus sucrés une sorte de transfoririation visqueuse. Kramer a décrit une fer-
mentation muqueuse pouvant s'accomplir aux dépens de certains hydrates de carbone,
mannite, amidon, pourvu que la liqueur contienne en même temps une quantité suffisante
de matières albuminoïdes et de substances minérales, parmi lesquelles les phosphates
alcalins qui sont indispensables. Les produits de la fermentation sont une matière
gonimeuse ayant pour formule CH'^O^ la mannite (C^H'*0^) et de l'acide carbonique.
Il se produit aussi des acides lactique et butyrique avec de l'hydrogène libre. Ces produits
sont dus aux fermentations lactique et butyrique, conséquence de l'impureté du fer-
ment employé'.
Ce ferment varierait suivant la nature de la matière fermentescible. La matière
gommeuse produite, précipitée par l'alcool, est blanche, amorphe, s'étirant en filaments.
Elle se gonfle simplement dans l'eau, ne se colore pas par l'iode. Son pouvoir rotatoire
est de + 193°.
7). Fermentation de la cellulose. — On sait que la cellulose entre pour une très grande
part dans la composition de l'alimentation des herbivores. Ces animaux utilisent une
grande partie de cette cellulose; ils en digèrent 70 p. 100 environ. La cellulose est donc
transformée dans le tube digestif. Les recherches de Tappeiner ont montré que de la
cellulose (coton, papier fin) mise en suspension dans une solution d'extrait de viande à
1 p. 100 ensemencé avec une goutte du contenu de la panse des ruminants se désagrège
et disparaît peu à peu. Il se produit en même temps de l'acide carbonique, mélangé tan-
tôt à de l'hydrogène, tantôt à du méthane CH'.
On a constaté en même temps la présence de nombreux bacilles courts et mobiles. Au
bout de quatre semaines la réaction est achevée; 50 p. 100 au moins de la cellulose sont
dissous, et. la solution très acide renferme une petite quantité d'un corps aldéhydique,
et des acides gras, en partie libres, en partie combinés. On ne trouve pas d'acide formique,
mais de l'acide acétique en abondance et des acides gras supérieurs mal définis.
Déjà, en 1830, Mistscherlich avait observé le mécanisme de la dissolution de la cellu-
lose dans les macérations végétales et reconnu la présence de vibrions auxquels il était
disposé à accorder un rôle important dans la dissolution de la cellulose. Ces microrga-
nisnies ont été étudiés en 1863 par Trécul, qui a reconnu chez eux la propriété de bleuir
par l'iode et qui, à cause de cela, leur a donné le nom de B. ami/lobacter .
Enfin Van Tieghem a étudié la morphologie et la biologie de ces microrganismes. Le
Bacillus amytobacter peut se développer aux dépens de matériaux très divers.
Si, dans une fermentation de glucose, sous l'action du B. amylobacter, on introduit une
substance cellulosique, on voit au bout d'un certain temps celte substance se désagréger,
se dissoudre peu à peu. Cette dissolution est probablement due à une diastase ; mais ce
ferment soluble n'a pu être encore isolé. Ajoutons aussi que le microbe n'agit pas égale-
ment bien sur toutes les celluloses; ce sont les celluloses tendres qu'il attaque.
Le Bacillus amylobacter se développe très bien à l'abri de l'air. La fermentation s'ac-
compagne d'un dégagement d'acide carbonique et d'hydrogène. Il se forme en même
temps de l'acide butyrique, dont l'accumulation finit par entraver l'activité du ferment.
C'est très probablement ce microrganisme qui est l'agent essentiel de la transfor-
mation de la cellulose dans le tube digestif. On le trouve en effet dans le jabot des
oiseaux et la panse des ruminants. Il transforme la cellulose en dextrine et en glucose
qu'on retrouve dans les liquides de la panse; il produit de l'acide carbonique et de
AMYLACES. 4S9
1 hydrogène qui la distendent ; de l'acide butyrique qui en rend le contenu acide. Chose
remarquable, le Bacillus amylobacter ne s'attaque dans la cellule végétale qu'à l'enve-
loppe extérieure, il en laisse le corps inaltéré, dans sa forme et dans sa structure. On
conçoit le rôle important que joue ce microrganisme dans la digestion des aliments
herbacés.
Forma.tion des substances amylacées par les végétaux. — Le végétal à chlo-
rophylle élabore, on le sait, les matériaux de ses tissus aux dépens d'éléments minéraux
fournis par l'atmosphère et par le sol. C'est aux dépens du carbone, de l'oxygène et de
l'hydrogène que la plante va former toutes les substances ternaires qui entrent dans son
organisation. Grâce à l'activité chimique de la chlorophylle, il s'opère une vraie synthèse
qui donne naissance aux hydrates de carbone. C'est dans de petits grains de forme
déterminée, ordinairement sphériques, nommés chromoleucites, que se produit le plus im-
portant de tous les principes colorants des plantes : la chlorophylle. Or ces chromoleu-
cites sont les agents par le moyen desquels s'opère l'élaboration de la matière amylacée.
Cette élaboration se fait avec une rapidité extrême. Des feuilles dépourvues d'amidon à la
suite d'un séjour à l'obscurité présentent très rapidement la réaction caractéristique par
l'iode, dès qu'on les expose à la lumière. Une expérience élégante de Timiriazeff le dé-
montre aussi. Si on fait tomber un spectre lumineux sur une feuille vivante, partout où
existeraient les bandes d'absorption delà chlorophylle si la lumière traversait le limbe, il
se forme de l'amidon que l'iode fait apparaître en bleu. Mais cet amidon est certainement
précédé par l'élaboration du sucre dont il est l'anhydride.
Résumons donc rapidement nos connaissances actuelles sur la synthèse des sucres par
le végétal.
Les feuilles vertes dégagent à la lumière un volume d'oxygène égal à celui de l'acide
carbonique qu'elles absorbent. Cet oxygène provient selon toute probabilité à la fois de
l'eau et de l'acide carbonique.
C02+ H20= CO^'qh
Ce composé CO(OH)- qui répond à l'acide carbonique dont CO- est l'anhydride, per-
dant deux atomes d'hydrogène, laisse comme résidu un hydrate de carbone isomère des
glucoses.
nCO (0H)2 = nO-2 + (CH^ 0)i>
Ne pouvant prendre toutes les valeurs possibles, ce composé CH-0 n'est autre que
l'aldéhyde formique ou méthylique. Par la polymérisation de ce corps on arrive faci-
lement à la formule du glucose CH'-O^ = b CH'-O. On conçoit que, d'une manière analogue,
par des condensations de degrés différents, d'autres hydrates de carbone puissent se
former.
Cette opinion fut soutenue pour la première fois par B.eyer et adoptée par Wûrtz. On
objecta à cette théorie l'action toxique exercée par les aldéhydes volatiles sur les cellules
végétales. Mais cette aldéhyde méthylique est extrêmement instable; elle se transforme
immédiatement. Pourtant l'existence de l'aldéhyde méthylique, bien qu'éphémère, paraît
certaine. Maquenne, en effet, a réussi à extraire des feuilles vertes de diverses espèces
de l'alcool méthylique par simple distillation avec l'eau. Enfin l'existence de ce noyau
primordial des hydrates de carbone pai-aît encore plus certaine après les admirables
synthèses réalisées par Fischer dans le groupe des sucres. En effet Boutlerow, puis Lôw,
et enfin Fischer, sont arrivés à produire des sucres (C^H'^O^J par polymérisation de l'aldé-
hyde méthylique.
Ces remarquables travaux confirment, on le voit, l'hypothèse de B.eyer, et l'on peut
aujourd'hui admettre que la synthèse végétale débute par la décomposition de l'acide
carbonique CO(OH)^, dédoublé en aldéhyde méthylique et en 0 qui se dégage. Cette aldé-
hyde se polymérise au fur et à mesure de sa production, et arrive par des étapes succes-
sives de condensation à former du glucose et des composés analogues. Dès lors la pro-
duction de l'amidon, une fois le glucose formé, peut s'expliquer facilement par une
simple déshydratation opérée par la cellule végétale. Cette dernière hypothèse peut s'ap-
pliquer également à la formation des autres hydrates de carbone qui existent dans la
plante, polysaccharides, inuline, gommes et enfin celluloses. (Voy. Chlorophylle.)
460 AMYLACES.
Amylogénie animale. — Ce n'est plus aux dépens de simples éléments minéraux que
l'animal élabore les matières amylacées. Son alimentation doit lui fournir des principes
immédiats complexes, pour lui permettre de faire face à ses dépenses d'énergie et à la
réparation de ses tissus. C'est dans ses aliments que l'animal trouve les matériaux de cette
élaboration infiniment plus simple que la synthèse des hydrates de carbone par les végé-
taux. Mais, comme l'a montré Cl. Bernard, ce n'est pas seulement aux dépens des sucres
(les amylacés de l'alimentation que l'animal forme le glycogène (dextrine animale) ; c'est
encore aux dépens d'aliments azotés, et, quoique ces synthèses soient peut-être plus
simples que celles qu'opère le végétal, le processus glycogénique découvert par Cl. Bernard
a contribué à faire tomber les barrières que les anciens physiologistes avaient établies
entre le végétal, appareil de synthèse, et l'animal, appareil de désassimilation. Mais faire
l'histoire de l'amylogénie animale, ce serait faire l'histoire de la glycogenèse, et nous
renvoyons le lecteur à l'article Glycogène.
Transformations des substances amylacées chez le végétal. — Ce n'est pas
dans ses organes même de production, c'est-à-dire dans les feuilles, que l'amidon est uti-
lisé. C'est un article d'exportation, si l'on peut s'exprimer ainsi, et il est aussitôt enlevé
que fabriqué. Les feuilles représentent l'oifre, les organes en formation la demande.
Mais il faut un intermédiaire qui transporte le principe immédiat demandé sous une
forme commode. Orla seule forme possible dans les échanges qui se passent dans le vé-
gétal, c'est la forme liquide. D'où la nécessité pour l'amidon de se transformer en un de
ses isomères, amidon soluble, dextrine, ou glucose. C'est par l'intermédiaire des fer-
ments solubles que ces changements s'opèrent.
A certains moments, en effet, par exemple quand les graines, les tubercules ou les
bourgeons passent de la vie latente à la vie manifestée, on voit les grains d'amidon se
dissoudre peu à peu dans les cellules, et finalement être remplacées par du maltose. A ce
moment le protoplasma de la cellule manifeste une réaction acide ; mais cette acidité est
trop faible pour pouvoir, à elle seule, à la température ordinaire, attaquer les grains
d'amidon. C'est l'amylase qui opère ces transformations. Tantôt la diastase ne prend
naissance qu'au début de la germination, comme dans le haricot, tantôt elle existe toute
formée durant la vie latente, et la germination ne fait qu'en accroître la quantité, comme
dans les pois. Elle se développe d'ailleurs tout aussi bien dans les cellules qui n'ont pas
d'amidon, comme dans les racines tuberculeuses de la carotte, du chou-rave, que dans
celles qui en possèdent. Ce dernier fait est à rapprocher d'un fait analogue qui se produit
chez les organismes inférieurs, chez ÏAspergillus niyer par exemple, oii on voit se faire
une sécrétion d'amylase, alors que le milieu nutritif ne contient pas de substance amy-
lacée.
L'amylase, dans un milieu légèrement acide, attaque le grain d'amidon et le dédouble
en dextrines et maltose.
En effet nous trouvons les dextrines dans tous les organes en cours de végétation
active, et partout où l'amidon formé est en train d'être résorbé. On peut regarder la dex-
trine comme une des formes sous laquelle la matière amylacée chemine de cellule en
cellule, soit pour fournir aux régions en voie de croissance les éléments nécessaires à la
formation des tissus, soit pour constituer de nouvelles réserves nutritives loin des points
où l'accumulation première a eu lieu (Van Tieghem).
De même l'inuline, les gommes, les matières pectiques, sont transformées par l'action
de diastases particulières, et ces transformations aboutissent en définitive à la sacchari-
fication.
Les matières amylacées peuvent se former aussi dans l'organisme végétal aux dépens
de corps gras. Ceux-ci sont saponifiés par une diastase, la saponase, qui les dédouble en
acides gras et en glycérine. La glycérine disparaît graduellement, les acides gras s'oxy-
dent et paraissent se convertir en hydrates de carbone, dont une partie se dépose dans
les cellules sous forme de grains d'amidon. C'est là un phénomène qui se produit dans la
germination des graines oléagineuses.
Mais le phénomène inverse peut se produire; les hydrates de carbone peuvent se
transformer en huiles et en graisses à certains moments de la vie de la plante.
Dans les fruits et les feuilles de l'olivier on trouve au mois de septembre et d'octobre
une grande quantité de mannite qui disparaît peu à peu, à mesure qu'augmente propor'-
AMYLACES. 461
tioiinellement l'huile qui] se concentre dans le fruit mûr. Rapprochement intéressant :
Seegen attribue aussi au glycogène hépatique un rôle important dans l'adipogénie
animale.
Transformations des substances amylacées dans l'organisme animal. — Nous
ne donnerons qu'un aperçu général et rapide de ces transformations, renvoyant pour
les détails aux articles Digestion et Glycogénie.
Les diverses substances amylacées que renferme l'alimentation des animaux ne sont
absorbées qu'après avoir été sacchariflées par les sucs digestifs. Ici encore cette sac-
charification est le résultat de l'action du ferment soluble del'amylase ou diastase pro-
prement dite. Ce ferment saccharifiant est extrêmement répandu dans l'organisme ani-
mal. On le trouve, non seulement dans le tube digestif et dans ses annexes, mais encore
dans le sang, l'urine, les muscles, la plupart des organes du corps, à tel point que
WiTTiCH a pu dire que ce ferment « n'est pas un produit de l'activité cellulaire du
parenchyme des glandes, ou du moins n'a pas cette origine unique, que c'est bien plu-
tôt un principe engendré dans les échanges organiques en général ».
De même Lépine a trouvé dans tous les organes, excepté dans le cristallin, une subs-
tance diastasique, et Seegen conclut de ses propres recherches que « les tissus albumi-
noïdes, ainsi que les corps albuminoïdes, solubles totalement ou partiellement dans l'eau,
possèdent la faculté d'exercer une action saccharifiante ».
Cette conclusion apparaîtra peut-être un peu trop absolue, si l'on songe à l'interven-
tion possible, dans ces expériences, de microbes producteurs de diastase. On sait, en effet,
qu'il suffit de laisser de l'empois d'amidon exposé à l'air pour le voir se tluidifler et se
saccharifler très rapidement sous l'influence des germes atmosphériques. Or il ne res-
sort pas de l'exposé des expériences des auteurs ci-dessus, en particulier de Seegen, que
des précautions suffisantes aient été prises pour éviter l'ingérence des bactéries.
Quoi qu'il en soit, l'action du ferment saccharifiant, quelle que soit son origine, est
toujours la niême. Les matières amylacées sont hydratées et dédoublées endextrines et
maltose.
C'est dans la cavité buccale que les aliments féculents sont d'abord soumis à cette
action. Nous ne pouvons discuter la question de l'origine même de l'amylase salivaire ou
ptyaline, c'est-à-dire si ce ferment est dû en grande partie aux microrganismes de la
bouche, comme le veut Doclaux, ou si sa principale source est dans les glandes salivaires.
Ce qui est certain cependant, c'est que les infusions des glandes salivaires possèdent le
pouvoir saccharifiant, comme la salive elle-même.
On admettait autrefois que l'amidon était transformé en dextrine et glucose. L'ac-
tion saccharifiante de la ptyaline (action découverte par Leuchs) comme celle de la dias-
tase de l'orge germée est plus complexe, et il se forme en réalité une série de dextrines,
et du maltose. Nasse avait cru que le sucre formé était un sucre particulier, auquel il
donna le nom de ptyalose; d'après Muscdlus, cette ptyalose de Nasse ne serait qu'un
mélange de dextrine et de maltose avec des traces de glucose. Il se forme en effet des
traces de glucose dans la saccharification de l'amidon par la salive.
L'amidon cru est très lentement saccharifié par la salive (deux ou trois heures d'après
Schiff). Enfin les divers amidons ne sont pas saccharifiés également vite. Mais cette diffé-
rence disparaît quand les grains d'amidon sont pulvérisés au préalable.
La ptyaline n'agit pas seulement sur l'amidon, elle saccharifié, quoique plus lente-
ment d'après Seegen, le glycogène.
Cette action saccharifiante peut se produire dans l'estomac, au moins pendant les
premiers temps de la digestion gastrique, alors que l'acidité du milieu n'est pas trop
considérable (Ch. Richet). Bourquelot a étudié avec grand soin cette influence du milieu
alcalin ou acide ainsi que le phénomène de diastase chez- divers invertébrés. Rech. sur
les phétiom. de la digestion chez les mollusques céphalopodes (Th. doct. des sciences. Paris,
1884, 123 pp.).
Dans l'intestin grêle les matières amylacées vont subir Faction du suc pancréatique,
action beaucoup plus rapide et beaucoup plus énergique que celle de la salive. Cette
action saccharifiante, découverte par Valentin, est due à un ferment, amylase pancréa-
tique, qu'on n'est pas encore arrivé à bien isoler. La marche de la transformation est la
même que pour la diastase etla ptyaline, mais elle est caractérisée par une très grande
462 AMYLACES.
rapidité et une très grande énergie. Enfin le suc intestinal lui-même possède une action
sacchariflante, comme l'a vu Paschutin.
Ajoutons que, dans le tube digestif, depuis la bouche jusqu'à l'anus, de très nombreux
microbes viennent collaborer à l'action sacchariflante des sucs glandulaires. Mais leur
action ne s'arrête pas à la simple sacchariflcation.
Ils font en effet fermenter les matières amylacées et leurs produits de transformation,
et c'est sous leur influence que se forment les acides gras volatils : acides acétique, for-
mique, butyrique, lactique. En même temps il se fait un abondant dégagement de gaz
acide carbonique et hydrogène.
Cette fermentation bactérienne des amylacés ne se produit pas dans l'estomac à l'état
normal, parce que l'acide chlorhydrique du suc gastrique entrave l'action des microbes,
mais il suffit que cette acidité diminue notablement pour que les fermentations s'éta-
blissent.
Quant à la digestion de la cellulose, nous avons vu que cette substance est digérée
en proportions notables par les herbivores, et que ses transformations sont dues aux micror-
ganismes. Chez l'homme, la cellulose occupe dans l'alimentation une place moins impor-
tante. Cependant les transformations des amylacés dans l'intestin chez l'homme relèvent
très probablement des mêmes agents que chez les herbivores.
Les amylacés ne sont absorbés qu'après leur transformation en glucose. Ce glucose,
absorbé parles rameaux de la veine-porte, est saisi par le foie et mis en réserve sous
forme de glycogène, anhydride du glucose. Pour les besoins de l'organisme ce glycogène
est retransformé en glucose. Le mécanisme de cette transformation est controversé. Pour
les uns elle serait due à l'activité propre de la cellule hépatique sans intervention d'un
ferment diastasique (Dastre) ; pour Cl. Bernard, au contraire, le foie sécréterait uu fer-
ment soluble (ferment hépatique), qui transformerait le glycogène en sucre. Les recherches
récentes d'ARTHUs et Huber viennentjà l'appui des conclusions de Cl. Bernard. On sait
que les muscles contiennent aussi un ferment saccharifiant, étudié par Nasse et par Halli-
burton. C'est à lui qu'on doit attribuer les transformations du glycogène dans le tissu
musculaire. Son action est assez lente, même à 40°. Pour Seegen, au contraire, ce ferment
n'existerait pas, et la sacchariflcation du glycogène serait due à l'activité propre de la cellule
musculaire. Ajoutons qu'on a signalé la présence du maltose dans les muscles. [Ce sucre
vient-il de l'alimentation et du produit du dédoublement des amylacés dans l'intestin, ou
résulte-t-il d'une transformation sur place de la matière glycogène ?
Rôle des amylacés dans l'aliinentation, la nutrition, le travail musculaire.
— Voyez Aliments, Nutrition, Sucres, Travail.
Bibliographie gènèrale](Nous ne mentionnerons ici que les ouvrages ou mémoires
se rapportant aux matières amylacées en général; car pour Dextrine, Diastase, Cellulose,
Glycogène, Maltose, la bibliographie sera faite à ces mots). — A. Wortz. Chimie biolo-
gique, 1883. — A. Gautier. Cours de chimie, t. ii, 1887; t. m, 1891. — Schutzenberger.
Traité de chimie générale, t. v, 1887. — • Prunier (Encyclopédie chimique, t. vi, 2° fascicule,
1885). — Beaunis. Traité de physiologie, 3= édition, 1888, 1. 1, pp. 109-129. — H. Byasson.
Des matières amylacées et sucrées Th. d'agrégation de Paris, 1872. — G. Bleicher. Les
Fécules. Th. d'agrégation de Paris, 1878. — Duclaux {Encyclopédie chimique de Frémy.
Microbiologie, t. ix, 1883). — Lambling, Garnier et Schlagdenhauffen {Encyclopédie
chimique. Chimie physiologique, t. ix, 1892). — ■ Landois. Physiol. humaine {trad. franc.,
1892).
Bibliographie spéciale. — Amidon et amylacés. — Payen. Mém. sur l'amidon {Ann.
des se. nat., t. x, 2" série, 1838). — ■ Nœgeli. Die Starkekœrner. Zurich, 1838, et Die
Stàrkegruppe. Leipzig, 1874. — P. Bahlmann. Uber die Bedeutung der Amidsubstanzen fù.r
die thierische Erndhrung (Th. d'Erlangen, 1885). — L. Mialhe. Mém. sur la digest. et l'assi-
milât, des matières amyloîdes et sîfcrées. Paris, 1846. — E. Bourquelot. Sur la composition
du grain d'amidon {B. B., 1887, pp. 32-34). — H. Brown et J. Héron. Beitràge sur Ges-
chichte der Stàrke und der Verwandlungen derselben {Ann. d. Chem., 1879. t. cxcix,
pp. 165-233). — F. MuscuLus et D. Gruber. Ein Beitrag zur Cheniie der Stàrke (Z. P. C,
1878, t. II, pp. 177-190). — C. O'Sullivan. On the estimation of starch {Journ. Chem. Soc,
1884, t. xLv, pp. 1-10). — A. F. V. Schimper. Besearches upon the development of starch
grains {Quarterl. Journ. Micr. Se, 1881, t. xxi, pp. 291-3061. — E. Schulze. Vber den Ein-
AMYLE (Dérivés de 1') — AMYLE (Nitrite d'). 463
fluss der Nahrung auf die Ausscheidung der Amidartigen Substanzen (Th. de Bonn, 1890). —
Br. Bruckner. Beifràge zur genauere Kenntniss der chem. Beschaffenheiten der Stàrkekôrner
(Monatsh. f. Chem., t. iv, 1883). — F. Salomon. Die Stârke und ihre Verwandlungen {Journ.
f. prak. Chem., t. xxvni, 1883). — Dehérain. La nutrition végétale {Encyclopédie chimique,
l88o, t. x). — V.iN TiEGHEM. Traité de Botan., 1884, pp. 504-518. — Baranetzky. Die Stàrke-
umbildende Fermente in den Pflanzen. Leipzig, 1878. — Musculus. Sur la constitution chi-
mique de& matières amylacées (C. R., 1869, t. lxvjii, p. 1267). — Sur les modificatiotis des
propriétés physiques de l'amidon [Ibid., 1879, t. lxxxviii, p. 612). — A. Richardson. The
Chemical composition of wheat and corn as influenced by environment {Americ. chem. Journ.,
t. vr, déc. 1884, pp. 302-318). — 0. Nasse. Bemerkung zur Physiologie der Kohlenhydrate
{A. Pf., t. XIV, 1877, pp. 473-485).
AMYLE (Dérivés de 1'). — L'amyle est un radical hypothétique, C»H",
dont on admet l'existence dans les dérivés de l'alcool amylique.
L'alcool amylique (C»H'SOH) bout à 132°. Il est insoluble dans l'eau ; il possède une
odeur pénétrante, suffocante ; même de petites quantités suffisent pour provoquer la
toux et une sensation spéciale d'angoisse thoracique. Il est toxique trois fois plus que
l'alcool éthylique; et les effets consécutifs de l'intoxication amylique sont bien plus
graves que ceux de l'intoxication éthylique. Sa présence dans les alcools de mauvaise
qualité contribue pour une grande part à rendre ces alcools extrêmement dangereux
pour la santé publique (Voyez Alcools, toxicologie générale, p. 244).
Les autres composés amyliqnes n'ont pas été étudiés par les physiologistes, sauf le
nitrite d'amyle qui mérite une étude toute spéciale.
En médecine on emploie le valérianate d'amyle (qui bout à 190°), à la dose de
quelques centigrammes. On attribue à ce corps des propriétés sédatives. Turnbull.
Researches on the physiolog. and med. properties of the compounds of organic radicals, me-
thyle, ethyle and amyle {Gaz. méd. de Paris, 1835, pp. 424-440) (Voy. plus loin Amyléne,
p. 468).
AMYLE (Nitrite d'). — chimie. Historique. — Le nitrite d'amyle
(G° H*^ Âz 0-) se prépare en chauffant doucement un mélange d'hydrate d'amyle et
d'acide nitrique. C'est un liquide légèrement coloré en jaune, qui bout à 99°. Sa den-
sité est0,877. Au point de vue physiologique, c'est le plus important des composés amy-
liques.
En 1859, GuTHRiE en étudiant au point de vue chimique le nitrite d'amyle, constata
que, lorsqu'il respirait des vapeurs de cet éther, son visage se colorait brusquement
et que les pulsations cardiaques augmentaient de fréquence et d'amplitude. Cette action
spéciale du nitrite d'amyle sur la circulation caractérise une des propriétés inté-
ressantes de ce corps ; depuis cette époque, les recherches physiologiques ont été mul-
tipliées et il en est résulté des applications thérapeutiques importantes.
Nous devons donc examiner avec quelques détails l'action du nitrite d'amyle sur les
différentes fonctions de l'organisme.
Après Guthrie, Richardson étudia plus méthodiquement le nitrite d'amyle, et il
montra que chez la grenouille on observe une dilatation générale des capillaires avec
renforcement du cœur, suivie secondairement d'une contraction de ces capillaires et d'un
affaiblissement de l'énergie cardiaque.
Gamgee (1869) constate la diminution de la 'pression sanguine: ses recherches furent
confirmées par Lauder Brunton, qui poursuivit le mécanisme d'action de cette diminu-
tion de pression et admit une action directe sur les parois des vaisseaux sanguins.
Depuis cette époque le nitrite d'amyle a été étudié par beaucoup de physiologistes et
par des médecins.
Action sur la circulation. — Le fait le plus saillant de l'action du nitrite d'amyle,
c'est l'accélération du rythme cardiaque coïncidant avec une baisse considérable de la
pression sanguine et une dilatation des dernières ramifications artérielles.
L'accélération du rythme cardiaque n'est point la cause de la dépression sanguine.
On pouvait admettre en effet, comme cela se produit dans l'excitation de certains nerfs
iU AMYLE (Nitrite d').
accélérateurs, que le cœur, en se contractant trop rapidement, envoyait à ctiaque sj'stole
une quantité de sang inférieure à la quantité normale. Il n'en est pas ainsi. Eu utilisant
la méthode de Fr. Franck pour étudier les changements de volume du cœur, on voit qu'à
chaque contraction le déplacement volumétrique du cœur, c'est-à-dire, en réalité, la
quantité de sang envoyée par le cœur, est la même, avant et après l'accélération due
au nitrite d'amyle (Dugao. D. P., 1879, p. 04).
FiLEHNE (A. Pf., t. IX, p. 470) signale la différence de réaction sur le lapin et la gre-
nouille. Chez les deux animaux les contractions seraient plus puissantes, mais l'accéléra-
tion ne se manifesterait pas chez la grenouille. Chez cette dernière, au contraire, on
ohserve, même avec de faibles doses, une diminution dans le rythme allant jusqu'à l'ar-
rêt en diastole. L'action stimulante du nitrite d'amyle sur le cœur est généralement
admise.
Inutile d'insister sur les observations de Mayer et de Friedrich {A. P. P., t. v, p. .jri,
1876) qui ont constaté l'arrêt du cœur après avoir injecté directement dans cet organe
du nitrite d'amyle. C'est un phénomène commun à toutes les substances de cet ordre.
Mais, administré à petite dose, le nitrite parait agir comme stimulant (Reichert. New
York médical Joiirn., juillet 1881. — Atkinson. Joum. of Anat. and. PhysioL, 1888). En
tout cas ces doses doivent être très faibles; autrement l'eflet excitateur est remplacé par
une dépression intense.
Pour DuGAU les variations dans le rythme cardiaque ne sont pas liées nécessaire-
ment aux modifications de la pression artérielle. Tantôt, en effet, l'accélératiou du
rythme coïncide avec ie début de la baisse de pression, et cesse quand la chute est très
forte; tantôt l'accélération ne se produit pas, malgré une forte dépression.
Chez les animaux à pneumogastriques coupés, et chez qui, par conséquent, le cœur
bat déjà très vite, les inhalations de nitrite d'amyle ne peuvent plus modifier le rythme,
tout en amenant la dépression artérielle. Mais, si l'on attend un certain temps après la
vagotomie, pour que le cœur revienne à un rythme normal, on voit les inhalations de
nitrite déterminer l'accélération. Ce n'était donc pas la section des nerfs vagues qui em-
pêchait une nouvelle accélération; c'était simplement parce que le nitrite d'amyle ne
peut' déterminer qu'une certaine accélération, et que, si celle-ci est atteinte déjà avant
les inhalations, elle ne peut plus désormais augmenter.
Effets vaso-dilatateurs. — La vaso-dilatation est l'effet le plus évident de l'in-
halation du nitrite d'amyle. Chez l'homme il suffit de constater la rougeur de la face,
le développement des branches de la temporale. A l'ophtalmoscope on observe une dila-
tation remarquable des vaisssaux de la pupille (Bader. Lancet, 8 mai 1873, p. 644). —
Nous devons ajouter que cette dilatation est niée par R. Pick et Amez-Droz. — Chez le
lapin, la vascularisation de l'oreille est manifeste. L'injection des vaisseaux de la pie-
mère peut être constatée en pratiquant une couronne de trépan (Sleketée. Thèse
d'Utrecht, 1873).
Mais, si la vaso-dilatation est admise par tous les auteurs, le mécanisme même de
cette action reste encore discuté. Nous avons déjà vu que l'on ne saurait évoquer,
ainsi que l'admettait Richardson {Lancet, août 1873), une action directe sur le cœur.
Il suffit de constater l'abaissement de pression dans les vaisseaux pour rejeter cette
théorie ; d'ailleurs nous avons dit qu'il n'existait aucune corrélation entre l'accélération
du cœur et la vascularisation périphérique.
Trois hypothèses restent donc :
1° Dilatation passive, par paralysie directe des parois musculaires des vaisseaux;
2° Dilatation passive par paralysie du système vaso-constricteur, soit dans les centres
nerveux, soit à la périphérie.
3° Dilatation active par action dynamique de l'appareil vaso-dilatateur, soit dans les
centres nerveux, soit à la périphérie.
Lauder Brunton {Lancet, juillet 1867), puis H. Wood {American Journal of mcd. Se,
juillet 1871, t. Lxii, pp. 39-65; 359-362) rejettent l'action des centres vaso-moteurs bul-
baires, en s'appuyant sur cette expérience que l'action vaso-motrice se produit encore
après la section de la moelle cervicale au-dessous de l'atlas. Wood est même porté à
admettre une action directe sur la fibre musculaire des artères; et cette opinion d'après
lui trouve encore sa confirmation dans l'action paralysante du nitrite d'amyle sur les
AMYLE (Nitrite d'). -itio
muscles. Leech (Lancel, t. i, 1893) admet qu'il suffit d'une solution au millième de
nitrite d'amyle pour supprimer l'activité des muscles striés, et que les muscles à fibres
lisses sont encore plus sensibles.
Les expériences invoquées par L. Bru.nton et H. Wood sont sujettes à de fi^raves criti-
ques. Ces auteurs admettent en effet que les nerfs vaso-moteurs ont pour origine unique
les contres de la moelle allongée. Or Vulpian, Goltz, et bien d'autres, ont montré
l'action vaso-motrice de diverses parties de la moelle épinière. Gley, allant plus loin,
a confirmé l'idée presque hypothétique encore de Vulpian sur les centres ganglionnaires
extra-médullaires.
D'autre part, on ne saurait admettre la paralysie du système vaso-constricteur péri-
phérique. Si, en effet, comme l'ont fait François-Franck, Sleketée, on excite, après inha-
lation de nitrite d'amyle, soit le bout périphérique du sympathique, soit le bout central
d'un nerf sensitif quelconque, on observe la constriction ordinaire des vaisseaux et l'aug-
mentation de tension du réseau périphérique. Les appareils terminaux ne sont donc
pas paralysés.
Il n'existe donc ni paralysie des muscles, ni paralysie du système vaso-constricteur
périphérique. Deux hypothèses restent encore : une action réflexe suspensive exercée
sur les centres vaso-moteurs de la moelle épinière, ou une vaso-dilatation active dépen-
dante ou non des centres médullaires.
Sleketée soutient la première de ces hypothèses, mais en admettant toutefois une
action directe sur les fibres nerveuses de la paroi vasculaire; car il a vu qu'après avoir
sectionné un des sympathiques, la vaso-dilatation s'accentue encore dans le côté sec-
tionné sous l'influence des inhalations de nitrite d'amyle.
Cette action directe sur les parois vasculaires est admise par Berger [D. Zeitsch. f.
prakt. MecL, 1874, p. 393), Schramm, S. Mayer et Fridrigh [A. P. P., 187S, pp. bo-8o),
Hdizinga (A. Pf., t. si), Francois-Franck et DasAU. L'expérience citée par Dugau est des
plus élégantes. Si l'on met à nu les deux glandes sous-maxillaires et qu'on coupe la
corde du tympan d'un côté, l'action vaso-dilatatrice du nitrite d'amyle ne pourra se
manifester que du côté où la corde du tympan est intacte, si cette substance agit exclu-
sivement sur les centres nerveux. Elle devrait s'accuser au contraire dans les deux
glandes, si l'influence périphérique suffisait. Or c'est ce dernier cas qui se produit.
Les deux glandes présentent tous les caractères de la dilatation vasculaire active, sauf
la rutilance du sang veineux, par suite des altérations colorimétriques du sang, carac-
téristiques de l'intoxication par le nitrite d'amyle.
Dugau ne veut cependant pas exclure complèlement l'action sur les centres médul-
laires. Cette réserve est prudente ; car Marinesco {Archives de Pharmacodijnumie, t. i, 1894)
a montré que si, après section du sympathique et du grand auriculaire, on observe
encore, après inhalation de nitrite d'amyle, de la vaso-dilatation, celle-ci ne se produit pas
identiquement dans l'oreille énervée et dans l'oreille intacte, qu'il existe des dilïérences
et de quantité et de synchronisme. La section du sympathique est insuffisante pour
énerver l'oreille au point de vue vaso-moteur, et il est indispensable de faire, en même
temps que la section de ce nerf, celle du nerf'auriculaire (M. Schiff, A. Moreau).
On le voit, la question aujourd'hui encore n'est pas absolument résolue. Toutefois
il parait bien établi qu'il s'agit d'une action vaso-dilatatrice active et non paralytique;
l'influence des centres vaso-moteurs de la moelle et surtout de la protubérance, bien que
non exclusive, paraît dominer les phénomènes.
Action sur la respiration. —Le nitrite d'amyle est donné presque toujours en inhala-
tion. Tous les auteurs ont observé des modifications respiratoires, mais ces modifications
varient suivant la dose. Au début des inhalations, il y a toujours accélération (Richard-
son, WooD, FiLEHNE. Einfluss auf Gcfàsstonus und Herzschlag ; A. Pf., 1874, t. ix, pp. 470-
491) et augmentation dans l'amplitude des respirations; en un mot, la ventilation pul-
monaire est exagérée; mais, quand les inhalations sont poursuivies quelque temps, la
respiration devient irrégulière, dyspnéique, se ralentit et reste superficielle. Wood
attribue même la mort à l'arrêt de la respiration par suite de la paralysie des centres
respiratoires {Therapeutics, 1894, p. 323).
Amez-Droz signale chez l'homme de violents accès de toux qu'il attribue à une excita-
tion de la muqueuse laryngée par la vapeur irritante du gaz. Crichton Browne [Pracli-
< DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME l. 30
466 AMYLE (Nitrite d').
tions, 1874) a constaté une tendance au bâillement quand le nitrite d'amyle était
donné en inhalations, alors que ce phénomène n'apparaissait pas quand il l'injectait
sous la peau. La toux réflexe s'explique facilement. Quant aux modifications du rythme,
elles paraissent se rattacher aux modifications si importantes que le nitrite d'amyle amène
dans l'appareil circulatoire et dans le sang lui-même.
Action sur le sang. — Lorsqu'un animal a respiré quelque temps du nitrite
d'amyle, il présente rapidement tous les phénomènes de l'asphyxie. Le sang artériel est
noirâtre, de couleur chocolat, et, battu au contact de l'air, il conserve sa couleur noire.
Toutefois celte action est relativement temporaire, et au bout de vingt-quatre heures, si
l'animal a survécu, toute trace de coloration anormale a disparu.
Ces faits avaient été signalés par Richardsûn dès 1863, Wood, Gamgee iPhil.
Transac, 1868). Rabuteau {B. B., l87b), qui reprit cette élude en 1875, admet que les
nitrites transforment l'hémoglobine en hématine acide. On obtient avec le sang, traité
par le nitrite d'amyle, la bande de l'hématine acide : bande obscure à gauche de la raie
C et s'étendant jusqu'au milieu de C et D. C'est à la même conclusion qu'arrivent Jolyet
et Regnard (D. P., 1879), diminution de la capacité respiratoire, apparition de la bande
de l'hématine. Giacosa {Archiv. per le Scienze mediche, t. m, 1879) arrive à d'autres
conclusions; il ne s'agit plus pour lui d'hématine, mais de méthémoglobine. L'hématine
et la méthémoglobine donnent en effet les mêmes raies spectroscopiques. Mais, si on
traite la solution par du sulfhydrate d'ammoniaque, alors que l'hématine transformée
donne une bande entre les deux bandes obscures de l'hémoglobine, la méthémoglobine
réduite en hémoglobine ne donne que les deux bandes, sans bande intermédiaire. Or
c'est ce spectre que Giacosa a obtenu avec le sang de ces animaux. Quoi qu'il en soit, le
nitrite d'amyle diminue les oxydations dans le sang et amène l'asphyxie par un arrêt
des échanges.
Nous citerons simplement les recherches de Hœkermann et de Ladendorf {Berl. klin.
Woch., 1874, cités par Dugau) sur l'action en quelque sorte mécanique du nitrite d'amyle
sur les globules. Quand on approche une baguette imprégnée de nitrite d'amyle d'une
goutte fraîche de sang sous la lamelle du microscope, on voit les globules s'éloigner
rapidement de la baguette; puis ils finissent par se gonfler et se décolorer. Ladendori'
tire de ces observations une théorie, tout au moins curieuse, pour expliquer l'action
physiologique du nitrite d'amyle. Pendant l'inhalation, les globules rouges, au lieu
d'affluer dans les capillaires pulmonaires, en sont chassés et reviennent vers le système
artériel du poumon. L'expiration trop courte étant impuissante à rétablir l'état normal,
il se produit dans le système artériel général une forte dépression. Si les globules
repoussés des capillaires pulmonaires arrivent dans le cœur, ils produisent l'ébranlement
du système nerveux intracardiaque et secondairement des contractions musculaires qui
se traduisent par des battements plus forts et plus rapides. Nous avons constaté une di-
minution considérable du pouvoir isotonique des globules sanguins traités in vitro par le
nitrite d'amyle (I = 0,70 en NaCl. au lieu de I normale = 0,58) (P. Langlqjs. Expériences
inédites).
Action sur le système nerveux. — Nous avons vu à propos de l'action sur la cir-
culation, que l'opinion la plus accréditée (François-Franck et Dugau) est que le nitrite
d'amyle agirait surtout sur les éléments périphériques; que son action s'exercerait non
pas sur les centres vaso-dilatateurs bulbo-médullaires, mais plutôt sur les éléments
Tïièmes des vaisseaux.
En ce qui concerne la moelle épinière, Wood admet une action essentiellement dépres-
sive. L'activité réflexe et les mouvements volontaires sont considérablement diminués;
les convulsions, que l'on note quelquefois dans les inhalations seraient d'origine céré-
brale et déterminées par l'asphyxie. Quant à la sensibilité, elle resterait intacte jusqu'à
la mort. Telle est également l'opinion de Gi.acosa, qui chez le chien a constaté dans la
tête des manifestations de sensibilité à la douleur, bien que les réflexes moteurs fussent
abolis dans le tronc et les membres. Veyrièhes admet au contraire de l'anesthésie, mais
seulement quand la résolution musculaire est complète. Il est difficile, à vrai dire, de
constater cette suppression des sensalious douloureuses chez l'animal. Chez l'homme on
constate toujours une sensation de vertige coïncidant avec la vaso-dilatation, ces vertiges
pouvant aller jusqu'à l'ivresse ; les troubles circulatoires cérébraux expliquent facilement
AMYLE (Nitrite d'). i6~
ces premiers symplônies, comme les altéral.ionsdu sang rendent compte des troubles, con-
sécutifs aux inhalations prolongées, céphalalgie persistante, paresse intellectuelle, etc.
Les troubles de la vue ont été notés ; les malades de Bourneville voyaient les individus
mi-partie jaune, mi-partie noire; ceux de PrcK, qui fixaient un point blanc, le voyaient
ensuite entouré d'une zone jaune enveloppée elle-même par une zone extérieure violette.
Les secousses musculaires, les crampes observées pendant les inhalations du nitrite
d'amyle, sont certainement d'origine centrale, peut-être même de cause asphyxique
(Mayer et Friedrich). Car l'action prolongée des vapeurs de nitrite d'amyle sur le muscle,
ou l'application du liquide dilué, amènent rapidement, en moins de 10 minutes (Dugau), la
disparition de l'excitabilité électrique; si le contact n'a pas été trop prolongé, cette
inexcitabilité disparaît, ce qui prouve qu'il ne s'agit pas d'une action absolument des-
tructive des éléments anatomiques.
Action sur la température. — L'inhalation de nitrite d'amyle amène une dimi-
nution de la température centrale, qui peut atteindre 1°, et même, chez les fébricitants,
3°, au bout d'une heure (Manassein et Sassezki. Pet. med. Wochensch., 1879, p. 392). Cet
abaissement de température centrale s'explique facilement par la vaso-dilatation qui amène
une radiation beaucoup plus grande de la périphérie; les recherches de Ladendorf, de
Manassein', montrent en effet que la température locale de la tête, dé la bouche, s'élève
pendant quelque temps.
La radiation exagérée ne paraît pas être la cause unique de l'abaissement thermique.
WooD a constaté qu'il y avait en même temps diminution dans l'excrétion de l'acide
carbonique; l'altération de l'hémoglobine du sang explique qu'il se produit également
un arrêt des échanges, amenant une diminution dans la thermogenèse.
Applications thérapeutiques. — Les applications du nitrite d'am3'le dérivent des
propriétés physiologiques si caractéristiques de cette substance; toutes les fois que l'on
se trouve en présence d'une vaso-constriction intense, l'emploi du nitrite d'amyle,
sauf des contre-indications qu'il est facile d'établir, est précieux. C'est ainsi que les crises
d'asthme ont été souvent victorieusement combattues par les inhalations de nitrite
d'amyle. Dans un grand nombre d'autres affections, où le spasme des artères périphé-
riques est invoqué comme cause pathogénique, ces inhalations ont été préconisées :
l'angine de poitrine, par exemple, et l'épilepsie. Ceux qui voient dans un spasme vaso-
moteur la cause même de l'épilepsie, ont employé le nitrite d'amyle. Weir Mitchell
(Philad. med. Timca, t. v, p. 333) a prévenu, dit-il, la phase convulsive, quand il a pu
faire respirer le nitrite d'amyle au début même de l'aura. Dans le tétanos, les inhala-
tions auraient pour effet d'exercer une action sédative sur la moelle, en même temps
qu'elles facilitent l'irrigation sanguine des muscles contractures. Signalons en passant
son emploi dans les phases dépressives des maladies du cœur, emploi qui nous paraît
loin d'être justilié d'ailleurs, quelles que soient les observations citées : Osgood, Madden.
WooD, qui a cherché à l'utiliser dans les accidents qui peuvent se présenter dans la nai?-
cose chloroformique, reconnaît que son emploi est, sinon peu justifié, au moins dange-
reux. Le nitrite d'amyle est donné en inhalation à la dose de quelques gouttes à la fois
et toujours à faible dose, son action sur le sang ne permettant pas de le faire absorber
pendant une période prolongée. Nous n'avons trouvé qu'un seul exemple de nitrite
d'amyle donné par voie gastrique : dans le Traitement du choléra, par Smith.
Bibliographie. — Outre les mémoires cités dans l'article, on consultera : Amez Dhoz
{A. P., 1873, t. v, pp. 467-503). — Bernheim (A. Pf., 1874, t. vm, pp. 253-2o7). — Lauder
Brdn'ton. Action of N. A. on the circulation {Journ. of An. a. Phijs., 1871, pp. 92-101).
— Giacosa. Wirkung des Amylnitrits aufdas Blut (Z. P. C, 1879, t. m, p. o4). — Filehne
{A. Db., 1879, pp. 386-418). — Fileh.ne. Action du N. A. sur le tonus des vaisseaux et les
mouvements du cœur {A. Pf., t. ix, pp. 470-492). — F. A. Hoffm.ann {Arch. f. An. Phys.
u. loiss. Med., 1872, pp. 746-733). — ■ Guttmann. Wirkunrj einiger neueren Artzneimitteln
(Berl. klin. Woch., 1873, 1'='^ déc, n" 48). — Jolyet et Regnaud. Action sur les produits
de la respiration et du sang [Mém. Soc. Biol., 1876, pp. 214-218). — Otto [Allg. Zeitsch.
f. Psych., t. XXXI, pp. 441r462). — L.4.dekdorf. Verhalten der Kopftempcratur bei Amyl-
nitritinhalationen (Berl. klin. Woch., 1874, t. xi, pp. 337-539). — ■ R. Pick. Phyaiol. und
therapeut. Wûrdigung des A. n. (D. Ai'ch. f. klin. Med., 1876, t. xvii, pp. 127-147).
— Urbantschitsch. Therap. Wirkung des A. n. {Wien. med. Presse, 1877, t. xviii., pp. 223,
i68 AMYLÈNE — AMYLOIdE (Substance).
262, 294, 359, 390). — Veyrières (D. P., 1874, 31 pp.). — A. AVood. E.vperim. reseavches
on the physiological action of N. A. (Am.. Journ. Med. Se, 1871, l. lxh, pp. 39-6o).
P. LANGLOIS.
AMYLÈNE (C°H'»). — Carbure d'hydrogène de la série CH^". C'est un corps
bouillant à 42°, peu soluble dans l'eau. Il a été employé jadis par Snow comme anesthé-
sique; mais on a vite abandonné son usage, car c'est une substance à la fois infidèle et
dangereuse.
Bibliographie. — Vayron (D. P., t8S7). — Suin [D. P., 1863). — Un cas de mort
par l'amyléne {Un. médic.,1851, t. si, p. 231). — Snow. Cases of death from amylene {Med.
Times and Gaz., d8b7, t. sv, pp. 133, 381). — Giraldès. Études cliniciues sur l'amyléne
(Bull. Ac. de médec, 1837, t. sxii, pp. 1118-1132). — Langenbeck {Deutsche Klinik, 1837,
t. IX, pp. 132-134). — LuTON {Ai-ch. gén. de médec, 1837, (1), pp. 196-200). — Robert
{Bidl. gén. de thér., 1837, l. lu, pp. 443-431). — Snow {Med. Times and Gaz., 1837, t. xiv,
pp. 60, 82, 332, 337, 379). —Tourbes {Gaz. hebd., 1837, t. iv, pp. 161-163).
AMYLÈNE (Hydrate d') (C=H"0). — Alcool amylique tertiaire; c'est
un liquide peu soluble dans l'eau, qui bout à 103°. Peu d'expériences physiologiques ont
été faites sur ses elTets ; pourtant on l'emploie (très rarement) en médecine comme hyp-
notique, à la dose de 2, 3, 4 ou S grammes.
Bibliographie. — Houdaille. Les nouveaux hypnotiques {D. P., 1893). — Peiser.
Einfluss des Chtorhydrats and dcti Amylcnhydrats auf die Stickstojfausscheidung beim Mcns-
chen (Th. de Halle, 1892). — Harnack et Meyer. Wirkungen des Amylcnhydrats {Fortsch. d.
Med., 1893, t. XI, pp. 319-321).
AMYLOIDE (Substance). — chimie. — Sous le nom de substance
amyloïde, Virchow a désigné un corps qui se produit par des influences pathologiques
dans les organes internes : rate, foie, rein, etc., sous forme d'infiltration vitreuse, et
qui ne paraît pas avoir encore été isolé jusqu'à présent à l'état tout à fait pur.
Friedheich et Kekulé, ainsi que Kuhne et Rudneff, ont trouvé dans cette substance :
C: 53,6; H :7,0; Az: 13,5; S: 1,3; 0 : 22,6 pour cent. D'après sa composition on doit le
ranger parmi les matières albuminoïdes : comme celles-ci elle donne certaines réac-
tions colorées caractéristiques :
1° La réaction de la xanthoprotéine (coloration jaune avec l'acide azotique concentré
à chaud);
2° La réaction de Millon (coloration rouge en chauffant avec une solution d'azotate
mercurique contenant un peu de nitrite);
3" La réaction d'ÂDAMKiEwicz (coloration rouge [violet en chauffant avec un mélange
d'une partie d'acide sulfurique concentré et de deux parties d'acide acétique cristalli-
sable).
Il est insoluble dans l'eau, l'alcool, l'éther, dans l'acide acétique faible et dans l'acide
chlorbydrique; il se transforme sous l'inlluence d'acide chlorhydrique concentré ou de
lessive de soude en acidalbumine ou en alcalialbumine, et se comporte par conséquent
comme les matières albuminoïdes coagulées; mais il est attaqué à peine par le suc gas-
trique ordinaire ou artificiel (pepsine et solution de HCl à 20 p. 100). Cependant, d'après
KosTJURiN, il se dissout dans une solution très acide de pepsine (avec 4 p. 100 d'acide
chlorhydrique). Il se distingue, au contraire, de toutes les matières albuminoïdes par
sa réaction caractéristique : co\ora.tion rouge brun avec l'iode (solution d'iode dansl'iodure
de potassium ou teinture d'iode), qui, après addition d'acide sulfurique concentré, passe
à la coloration violette ou bleue; puis coloration rouge avec la solution de violet de
méthyle (iodure de méthylaniline) surtout après addition de quelques gouttes d'acide
acétique.
Sa parenté avec les hydrates de carbone qu'on avait supposée en se basant sur la
réaction avec l'iode n'existe pas; car, en le faisant bouillir avec des acides minéraux
faibles, on n'obtient ni sucre ni autre substance réductrice; mais, comme avec les ma-
tières albuminoïdes, de la leucine et de la tyrosine. Pour préparer la substance
anjyloïde on traite par l'eau froide des foies ou des rates fortement infiltrés; on fait
AMYLOÏDE (Substance). i69
ensuite bouillir le résidu avec de l'eau (pour dissoudre le tissu eonjonclif) ; on l'épuise
par l'alcool et l'éther (pour enlever les graisses et la cholestérine) ; on le fait bouillir
avec de l'alcool cpntenant de l'acide chlorhydrique et on met à digérer le reste non
dissous à 40° avec du suc gastrique artificiel faiblement acide qui dissout en 24 heures
l'albumine et le tissu élastique en attaquant à peine la substance amyloïde ; la substance
non digérée donne la coloration caractéristique avec l'iode ou l'iode et l'acide sulfurique.
Dégénérescence amyloïde (dégénérescence cireuse, infiltration amyloïde). — Elle
consiste en une transformation des tissus atteints en une masse volumineuse, fragile,
ti'anspareute et presque incolore. La constitution chimique de l'arayloïde n'est pas nette-
ment établie. Quant à son origine, on ne sait encore si elle préexiste dans le sang et
est déposée dans les tissus, ou si elle se fonne sur place dans les tissus mêmes. La der-
nière opinion est plus probable. La substance amyloïde doit son nom à la réaction chi-
mique avec l'iode dans laquelle elle se comporte comme l'amylon (amidon).
La réaction (d'après Virchow) se fait de la façon suivante : on fait agir sur une
coupe une solution assez forte d'iode dans l'iodure de potassium, on la couvre avec une
lamelle et on ajoute une goutte d'acide sulfurique concentré qui pénètre lentement.
Alors la réaction caractéristique se montre à la place où l'acide sulfurique pénètre et
disparait rapidement : elle consiste en une coloration violette de la substance amyloïde.
Cette réaction a été souvent méconnue, parce qu'il faut traiter les coupes par l'acide
sulfurique faible ou même les mettre dans un vase d'acide sulfurique faible. Pour obtenir
la réaction avec la solution d'iode dans l'iodure de potassium, on acidulé préalable-
ment le tissu avec l'acide acétique. La substance amyloïde se colore alors en rouge lie
de vin. On peut obtenir une réaction très brillante avec le violet d'aniline qui colore
la substance amyloïde en rouge et le reste de tissu en bleu-violet. Cependant les deux
dernières réactions donnent quelquefois des résultats peu satisfaisants ; les teintes ne
sont pas très caractéristiques. Dans ces cas, il faut, pour être sîir, recourir à la réac-
tion avec l'iode et acide sulfurique.
La dégénérescence amyloïde se trouve principalement dans deux cas, notamment
dans des suppurations longues et dans la syphilis constitutionnelle. Elle existe excep-
tionnellement aussi chez les nouveau-nés et les vieillards sans cachexie; et aussi, mais
exceptionnellement, dans quelques cas de néoplasmes sarcomateux et fibreux ou myxo-
mateux. Mais, comme la phtisie pulmonaire et les affections tuberculeuses des os pro-
duisent le plus souvent les suppurations longues, ce sont elles qui sont aussi la cause
la plus fréquente de la dégénérescence amyloïde. Celle-ci peut cependant se développer
dans des cas d'abcès chroniques et même dans les cas de carie insignifiante de la mâ-
choire avec carie des dents. Elle est surtout fréquente dans la syphilis constitutionnelle
et dans certains cas tout à fait pathognomoniques. Il est à remarquer qu'elle est très
rare dans la cachexie carcinomateuse et se trouve seulement chez les sujets où les can-
cers ont présenté des ulcérations étendues.
Au point de vue de sa distribution, on peut dire que ce sont les organes abdominaux
qui sont surtout atteints, et principalement la rate. Viennent après, dans Tordre de fré-
quence décroissante : le foie, les reins, l'intestin, les ganglions lymphatiques, les cap-
sules surrénales, l'épiploon, l'utérus, les ovaires, les testicules, la muqueuse urétrale.
Les organes du cou et du thorax présentent moins souvent la dégénérescence amy-
loïde : la glande thyroïde, la base de la langue, la muqueuse des bronches et le muscle
cardiaque. La tunique interne des gros vaisseaux et le tissu adipeux sont quelquefois
atteints. Dans des cas exceptionnels l'hypophyse cérébrale est affectée.
En général, on peut dire de la dégénérescence amyloïde qu'elle commence dans les
capillaires et les petits vaisseaux où quelquefois la tunique musculaire seule est atteinte.
De là elle se propage au voisinage et peut envahir le tissu conjonctif, la musculature et
la membrane propre des glandes.
Dans les glandes lymphatiques et la rate, les cellules parenchymateuses sont aussi
atteintes. Au contraire, les observations d'après lesquelles les cellules épilhéliales seraient
capables de subir la dégénérescence amyloïde sont erronées. L'organe dans lequel on
croyait observer la dégénérescence amyloïde des cellules épilhéliales était le foie. Mais
on peut démontrer qu'ici, comme dans les reins, les cellules épithéliales disparaissent et
que les masses amyloïdes se mettent à leur place.
.ifO AMYOTAXIE — A M Y OTRO P H I E.
La masse colloïde de la glande thyroïde donne avec l'iode une réaction semblable à
ramj'Ioïde, par conséquent une attention particulière dans l'observation s'impose.
Corpuscules amyloïdes {Corpora amylacea). — Ce sont ordinairement des corpus-
cules microscopiques, ronds ou ovales, qui prennent une coloration bleue ou verte avec
l'addilion de l'iode. La réaction se produit quelquefois seulement après addition d'acide
sulfurique. Sur l'origine et la signification de ces corpuscules on ne sait rien, ils sont
probablement en rapport avec quelque dégénérescence cellulaire. En tous cas, ils n'ont
rien de commun avec la dégénérescence amyloïde. Ils se trouvent quelquefois dans des
tissus malades, surtout dans la sclérose cérébrale et dans l'induration chronique des
poumons. Quelquefois on les observe dans l'épendyme des ventricules du cerveau et
dans les poumons, qui ne paraissent pas malades. Ils existent fréquemment dans la
prostate des vieillards et se présentent à l'œil nu comme des grains brun (tabac à priser).
Accidentellement on trouve des corpuscules amyloïdes dans la bile, dans les cicatrices
et dans des néoplasmes. GRA^'DIs et T. Carbone. Éiurfes Sî(r la réaction de la substance amy-
loïde {A. B., 1890, t. siv, pp. 424-430).
HANSEMANN.
lieal-Lexicon der Medlcinischen Prop'dâsiitik
de J. Ct.\d (1803, t. I, p. 240).
AMYOTAXIE. — Rossolimo (de Moscou) [Revue Neurologique, 15 nov. 1893,
n" 21, p. 386) a proposé de désigner sous ce nom des convulsions involontaires et de
caractère réflexe qui surviennent parfois au cours de l'ataxie locomotrice, et qui ont
pour cause aussi bien les affections des régions sensitives que celles des régions mo-
trices du système nerveux. Elles dépendent le plus souvent de névrites multiples. Ces
mouvements avaient été décrits antérieurement par les auteurs sous divers noms : on
les avait appelés notamment : mouvements atbétoïdes, et mouvements choréiformes.
PAUL BLOCQ.
AMYOTROPHIE. — Définition. — Limitation du sujet. — Il ne sera
question sous ce titre que de l'atrophie des muscles sirii^s de la vie de relation.
Pour ces muscles, le terme, pris d'une façon générale, peut désigner tous les troubles
tropldques qui en amènent la disparition, ou la diminution, totale ou partielle; mais on
ne l'applique pas aux altérations directes de l'élément musculaire par lésion inflam-
matoire locale, ou étendue (myosites infectieuses, tumeurs sous-jacentes, etc.), non plus
qu'aux états de débilitation du muscle, si justement dénommés marasme musculaire,
qu'on voit survenir au cours ou au déclin des cachexies aiguës ou chroniques, au
même titre que les autres altérations organiques : il y a alors émacialion plutôt
qu'atrophie telle que nous la comprenons.
Toutefois, déjà, l'atrophie peut prédominer dans ce cas, et elle peut s'accompagner
d'altérations non seulement musculaires, mais nerveuses, qui se retrouvent à l'occasion
de toutes les amyotrophies qui nous restent à étudier.
Pour celles-ci nous devons envisager ici, non pas tel ou tel cas particulier, mais la
physiologie pathologique générale du processus qui comprend :
1° l'étude du muscle en amyotrophie;
2" la pathogénie du trouble trophique.
I. Étude physiologique de l'amyotrophie. — 1° Le muscle sain. — Un aperçu de
l'état normal nous montre que le muscle strié se décompose en fibrilles élémentaires,
élastiques et contractiles ; et la physiologie nous prouve que cette contractilité est une
propriété bien spéciale, inhérente à la fibrille, et indépendante de toute autre influence
(voy. Muscles); mais elle est mise en jeu par des excitants divers.
Expérimentalement, on peut les varier beaucoup; excitants physiques et chimiques
de toutes sortes ; mais sur Fhomme nous ne disposons que de deux modes d'excitation, la
volonté, et les excitants mécaniques et êlectric[ues. Soumis à un choc brusque, le muscle se
contracte activement, rapidement, et revient à sa forme initiale; soumis à l'électrisation,
il agit de même; et la volonté a aussi sur lui le même pouvoir. Ces diverses influences
peuvent agir à maintes reprises, ou d'une façon prolongée, sans, pour cela, supprimer la
contractilité de l'élément.
AMYOTROPHIE. i^^
2° Le muscle atrophié. — Sous des influences diverses que nous aurons à recherclier, et
qui, d'ailleurs, nous restent souvent encore inconnues, la fibrille périclite; sa vitalité est
compromise ; l'élément diminue de volume : c'est l'atrophie simple. Cette alropliie peut
s'accompagner en d'autres cas de la prolifération du tissu cellulaire; celui-ci peut se
surcharger de graisse, et le muscle dans sa totalité peut atteindre des dimensions liyper-
Irophiques considérables, alors que la fibrille élémentaire est réduite au minimum, ou
disparaît totalement. Le résultat physiologique, dans tous les cas, est le même : supjwession
de l'élément contractile. Il s'ensuit que, physiologiquement, l'action des excitants dont
nous avons parlé cesse d'avoir son résultat habituel : la contraction du muscle.
Il se peut que la volonté manifeste en apparence sa puissance pendant quelque temps,
parce que les fibrilles ne sont atteintes que progressivement, et qu'il en reste suffisamment
pour saii«faire aux fonctions musculaires ordinaires; toutefois, peu à peu, s'établit un
état paralytique progressif.
D'autre part, la faiblesse de l'élément musculaire se trahit par des modifications
réactionnelles caractéristiques aux excitants mécaniques et électriques. D'une façon géné-
rale, la formule en est simple :
Il y a une diminution de l'excitabilité mécanique et électrique qui est proportionnelle au
degré d'atrophie. C'est-à-dire que :
a. Il faut pour produire un même résultat fonctionnel une excitation plus forte;
6. L'excitabilité est moins durable, le muscle cessant plus rapidement de répondre
aux excitants ;
c. Par degrés, cette atténuation fonctionnelle peut arriver à l'abolition complète,
quand l'amyotrophie est totale.
Voilà ce que nous fournit l'étude du muscle pour les atrophies dites myopathiques
dans lesquelles le processus est primitivement et reste définitivement local, c'est-à-dire
purement musculaire; mais c'est là l'exception, et, le plus souvent apparaît manifes-
tement l'influence dominatrice du système nerveux.
C'est que, en effet, anatomiquement, comme physiologiquement, on ne peut envi-
sager séparément le muscle d'une part, le système nerveux de l'autre; les deux sont
intimement unis. Il faut reconnnaître l'existence d'un système anatomiquement com-
plexe, mais un physiologiquement, le système newo-musculaire, qui comprend : la fibrille
musculaire, l'arborisation terminale nerveuse, le cylindraxe et ses enveloppes, puis la
cellule des cornes antérieures de la moelle. Or, ainsi que nous le verrons, l'altération de
chacun de ces éléments peut faire l'amyotrophie. .Nous [avons dit ce qui concernait la
fibrille; voyons ce que ses rapports avec le système nerveux ajoutent à l'étude physiolo-
gique :
A l'état normal. — a. Le système nerveux entretient dans la fibre musculaire un état,
d'activité permanente, ou tonus. Cet état tonique est dû à l'action de la cellule médul-
laire; il est conduit à la fibrille par les filets ner\'eux;
b. Les excitants physiologiques, volonté, incitations réflexes, mettent en jeu la con-
tractilité flbrillaire qui est passagère, et cesse avec l'excitation.
c. Enfin, sous l'influence des excitants mécaniques, et sous l'influence de l'électrisation,
il y a réaction contractile, immédiate et brusque du muscle sain, suivie aussitôt de
retour à l'état de repos.
A l'état morbide. — Si l'amyotrophie est en ra,pport avec un système nerveux
altéré, soit dans un de ses centres cellulaires, soit dans un des conducteurs périphé-
riques.
a'. On peut avoir un état de paralysie, ou bien, si le nerf seul est lésé, l'influence
excitante des centres cessant de se faire sentir au muscle d'une façon continue; au lieu
d'une action tonique, permanente, on voit apparaître des secousses fibrillaires ;
6'. Les excitants physiologiques : volonté, réflexes, peuvent, au début des altérations
cellulaires et nerveuses, produire une exagération fonctionnelle qui fait l'état de contrac-
ture : plus tard, avec la destruction de l'élément central, ou des nerfs, s'établissent la
paralysie, et l'abolition des réflexes;
c'. Enfin, parallèlement aux phénomènes normaux, nous voyons apparaître, rele-
vant de l'état morbide de la fibrille, et du nerf, une hyperexcitabilité mécanique
générale, telle qu'à une excitation ordinaire succède un état myotonique intense exagéré
472 AMYOTROPHIE.
et des modifications éleclriques telles que la contraction, au lieu d'être immédiate, tarde
à se produire: qu'au lieu d'être brusque, momentanée, elle devient traînante, une fois
réalisée.
La réaction à l'électricité est modifiée profondément. Laissons de lûté l'électricil.é
statique, dont les usages sont restreints, et appelons l'électrisation par courants intermit-
tents, faradiqitc (F), et l'électrisation par courants continus, galvanique (G).
Or l'expérience a appris que, dans les divers cas d'amyotrophie, tantôt ces deux
électricités se modifiaient également, par diminution, ou par abolition simple ; que,
tantôt l'une (G) augmentait, ou restait égale, alors que l'autre (F) diminuait; on dit
alors qu'il y a modincation quantitative; que tantôt, la réaction électrique devient plus
lente à se produire, ou plus prolongée; on bien que l'action du courant allant du pôle
négatif au pôle positif, d'ordinaire plus marquée, devient, au contraire, moindre. On
dit alors qu'il y a modification qualitative par inversion de la formule normale de la loi des
secousses musculaires (Voy. Électricité). C'est à l'ensemble des modifications quanti-
tative et qualitative des électricités faradique et galvanique qu'on donne, depuis Erb, le
nom de Réaction de Dégénérescence (DR).
Nous n'avons pas à nous étendre ici sur ces considérations qui servent au diagnostic
clinique et qui s'appliquent plus spécialement à l'bisloire des névrites. Pratiquement,
nous devons retenir :
i" Que la DR n'apparaît pas dans les amyotropbies d'origine cérébrale, parmi les-
quelles l'hystérie' ;
2° Qu'elle n'appartient pas non plus à l'amyotrophie myopathique;
3° Que, par contre, elle est de règle dans les amyotropbies par altérations cellulaires
spinales, par altérations des racines antérieures, et surtout par altérations des nerfs
périphériques.
Ajoutons encore que le pronostic d'une arayotropbie est, en général, en proportion
directe de l'intensité de cette réaction de dégénérescence.
Le pronostic général de l'amyotrophie nous apprend qu'elle peut guérir; et un fait
fort important de physiologie pathologique est celui du retour possible à ses propriétés
normales pour un muscle frappé d'atrophie depuis un temps qui peut atteindre et
dépasser 12 et 14 mois.
Dans tout ce qui précède nous n'avons en vue que la fonction du muscle, en
général; en effet, les fonctions qu'accomplissent les divers muscles, en tant qu'organes
distiiicts, ne peuvent être étudiées ici spécialement : leur mode d'action, soit isolément,
soit en s'associant à des congénères, soit en luttant avec d'autres muscles, dits antago-
nistes, appartient à la physiologie mécanique des muscles; et les perturbations fonc-
tionnelles qu'enti'aîne l'atrophie musculaire rentrent plutôt dans une étude de sympto-
matologie. Nous ne mentionnerons donc pas les affaiblissements paralytiques, les
immobilisations des segments de membres en flexion, en extension, les déviations arti-
culaires (pied-bot, par exemple); relies des organes (strabisme), etc.
II. Pathogénie des amyotrophies. — Ce qui précède nous fait voir l'intimité des
rapports de la fibrille musculaire avec ses éléments d'innervation; nous allons montrer
que ces rapports constituent le véritable substratum anatomo-physiologique pour une
pathogénie des amyotrophies. En effet, les diverses causes morbides ne parviennent, en
général, à influencer le muscle que par l'intermédiaire du système nerveux; — réserve
faite quant à présent, pour certains cas, sur lesquels nous reviendrons, où le muscle
paraît atteint primitivement.
Le chapitre pathogénique doit donc comprendre : A, une étude de l'amyotrophie
dans ses rapports avec le système nerveux; B, une étude étiologique générale.
A. Étude de ramyotrophie dans ses rapports avec le système nerveux. — Tout
repose sur la conception d'un système neuro-musculaire dans lequel la fonction el la vita-
lité musculaire sont sous la dépendance de l'élément nerveux. En dehors de la fibrille muscu-
laire ce système comprend : le nerf moteur et la cellule des cornes antérieures; de plus,
cette cellule est en rapport plus ou moins direct ou compliqué avec des filets nerveux
sensitifs venus du muscle ou de la région celluleuse et cutanée qui l'entoure, ou d'un
1. Le fait reste encore très discutable pour cette névrose.
AM YOTROPHIE. 473
point quelconque de l'économie, ce qui constitue un arc réflexe complet dont l'aboutis-
sant est la fibre contractile; enfui, cette cellule spinale est en relation avec les fibres des
faisceaux pyramidaux qui viennent des cellules de l'écorce cérébrale, ce qui établit la
domination des centres de la volonté sur le mouvement.
L'intégrité de ces éléments divers assure la fonction motrice normale; leur altération
la compromet, et, modifiant en même temps la vitalité de la fibrille, peut faire l'amyo-
trophie. Comment celle-ci se réalise-t-elle?
Hypothèse de l'inertie fonctionnelle. — Ou s'est demandé si l'amyotrophie n'était pas
tout simplement la conséquence de l'inertie fonctionnelle, puisque, dans bon nombre de
cas, on voyait une altération cellulaire centrale déterminer une paralysie qui était
suivie ultérieurement d'atrophie du muscle (paralysies spinales, hémiplégie vulgaire avec
sclérose descendante), etc.
Hypothèse du pouvoir trophique. — Mais, d'une part, il est facile de s'assurer chez
des sujets à moelle saine que des membres ont pu rester dans l'inaction pendant des
mois et des années sans qu'il en soit résulté de l'amyotrophie ; d'autre part, quand
l'amyotrophie est le phénomène de début, quand elle évolue longuement seule, c'est-
à-dire sans paralj'sies (atrophies musculaires progressives), on voit bien que l'explication
de l'atrophie par inertie fonctionnelle ne peut être invoquée; et il faut admettre alors
une influence spéciale de la cellule spinale, un pouvoir trophique qui, seulencore, nous
permet l'interprétation de faits complexes dans lesquels l'atrophie musculaire s'accom-
pagne d'arrêt de formation des os et des articulations (paralysie infantile) : telle est
l'hypothèse dite de la trophonôvrose centrale (Erb). (Il est à noter que ce pouvoir
incontestable que possède la cellule centrale ne se manifeste, à l'état normal, que
par le maintien d'un statu quo physiologique, et que tout état morbide semble
influencer la cellule pour en diminuer la puissance trophique.) L'importance de ce
centre, la cellule médullaire antérieure, est telle qu'on a pu créer un seul groupe des
atrophies, dites myélopathiques, en opposition avec le petit groupe, indépendant en appa-
rence, oti le muscle parait seul en cause (amy atrophies myopathiques ; classification de
Charcot).
Les corrélations anatomo-physiologiques de la cellule centrale avec les divers élé-
ments nerveux dont nous avons parlé nous permettent d'établir les subdivisions sui-
vantes (Voy. Parisot. Pathogénie des atrophies musculaires. Th. agrég., Paris, 1886) :
rv , i u ■ 1. • • ( Myélopathiques.
Des Amvotrophies d origine \ „■',, '. ■'
r, I 1 Bulbaires.
Amyotrophies dites d'origine ner- j ' ' ' Cérébrales.
veuse où l'on distingue :
Des Amyotrophies d'origine Directes par névrites.
périphérique. ( Réflexes.
Amyotrophies d'origine myopathique.
Développons rapidement les considérations physiologiques qui ont trait à chacune
de ces variétés.
§L Amyotrophies dites d'origine nerveuse, a. Centrales. — i" Amyotrophies myélopa-
thiques.— Toute maladie aiguë ou chronique faisant lésion des cellules multipolaires
des cornes antérieures fait l'amyotrophie : des preuves anatomiques convaincantes ont
e'té fournies en clinique pour toutes les affections primitives ou secondaires de la moelle
suivies d'atrophie musculaire; nous n'avons pas à nous étendre sur ce sujet. La phy-
siologie va plus loin; elle est arrivée à reconnaître dans la moelle des localisations
précises en vertu desquelles les lésions des mêmes groupements cellulaires sont toujours
suivies des mêmes désordres trophiques musculaires (par exemple : autopsie de Pré-
vost et David, montrant dans une lésion circonscrite de la corne antérieure cervicale,
en un point répondant à l'origine des 7= et 8'' paires cervicales, la cause anatomique
du début de l'atrophie musculaire progressive par l'éminence thénar).
2» Amyotrophies bulbaires. — Le bulbe n'est, en physiologie, que l'expansion termi-
nale de la moelle : aussi la connaissance des localisations nous explique-t-elle pleine-
ment le syndrome clinique de la paralysie glosso-labio-laryngée, pathognomonique
d'une altération des noyaux moteurs bulbaires, qu'elle soit primitive ou secondaire.
474 AMYOTROPHIE.
3° Amyotrophies d'origine cérébrale. — Elles sont faciles à comprendre quand il s'agit
d'une propagation descendante de sclérose jusqu'aux cellules médullaires par l'inter-
médiaire des faisceaux pyramidaux directs et croisés. Dans certains cas, la preuve
anatomique est complète ; daus d'autres, il y a bien amyotrophie, il y a aussi lésion céré-
brale initiale, mais la lésion médullaire intermédiaire, qui nous paraît indispensable,
semble faire défaut (observation de Babinski). Un fait de ce genre est d'importance
capitale; car, en nous faisant voir qu'un désordre cérébral matériel, sans participation
évidente de la moelle, peut suffire à produire l'amyotrophie, il nous autorise à inter-
préter dans Je même sens l'influence d'un simple trouble fonctionnel des centres céré-
braux, comme l'hystérie.
En résumé, action dystrophique liée à une altération matérielle des centres mé-
dullo-bulbaires, liée parfois à une altération matérielle des centres cérébraux, ou bien,
plus simplement, à une modification fonctionnelle de ces derniers : telle nous paraît
être, actuellement, la raison suffisante et nécessaire de l'amyotrophie d'origine
centrale.
fi. Périphériques. — Les communications physiologiques du centre nerveux et de la
fibre musculaire peuvent être interrompues par une lésion portant sur le nerf intermé-
diaire; d'autre part, il peut arriver que la cellule centrale subisse un retentissement
morbide provenant d'une excitation périphérique centripète portant sur les extrémités
nerveuses terminales. L'amyotrophie est alors dite d'origine périphérique, directe
dans le premier cas, réflexe dans le deuxième.
1° Amyotrophies directes. — Quand le processus est direct, on a, pour l'interpréter,
bien des théories, mais il en est peu de satisfaisantes.
a. Théorie vaso-motrice. — La névrite, portant sur un nerf mixte, atteint à la fois les
filets sensitifs, les filets moteurs, et les filets du sj'mpathique : on a donc fait intervenir
tantôt la vaso-dilatation, tantôt la vaso-constriction : or, expérimentalement, ni l'une
ni l'autre ne fait spécialement l'amyotrophie.
b. Hypothèse de Samuel. — Cet auteur expliquait les désordres par l'altération de
filets spéciaux dits trophiques. Dans ces conditions, il est inutile d'émettre une hypothèse
de plus, et mieux vaut s'en tenir à l'idée de l'interruption de l'influence trophique de
la moelle.
c. Hypiothèse de la névrite ascendante. — Dans d'autres cas, l'explication de l'action
directe d'une névrite tombe devant ce fait que l'atrophie peut porter sur une zone
plus étendue que celle du nerf lésé, soit sur une zone éloignée. Pour expliquer ces
particularités, on a invoqué la névrite ascendante. Certaines expériences (Hayem) montrent
la méningo-myélite consécutive aux irritations traumatiques du sciatique; mais la
clinique ne confirme pas les données expérimentales. D'ordinaire, les altérations péri-
phériques, celles des nerfs mixtes, comme celles du sympathique, suivent la lésion des
centres. Il n'y a donc pas de lésions matérielles ascendantes; la seule explication
satisfaisante est toujours celle d'un retentissement d'irritations périphériques par voie
réflexe sur le centre trophique.
2° Amyotrophies réflexes. — La clinique et l'expérimentation sont complètement
concordantes en ce qui a trait aux amyotrophies par lésions articulaires; et celles-ci
peuvent servir à faire comprendre toutes les amyotrophies réflexes.
Amyotrophies arthropathiques. — Dans des expériences précises, F. Raymond dé-
montre que chez un animal, si, en même temps qu'on provoque une arthrite, on sectionne
les racines lombaires postérieures, c'est-à-dire centripètes, on arrête ou on retarde
l'évolution de l'amyotrophie des extenseurs qui accompagne ces arthrites. 11 semble
donc bien que la lésion périphérique entretienne dans la cellule motrice et trophique
un état de stupeur, de torpeur fonctionnelle, qui peut disparaître, puisque la guérison
des accidents musculaires est possible ; qui peut s'aggraver, puisqu'il y a des cas où le
désordre ne rétrocède plus.
La même explication, l'influence réflexe, doit s'appliquer aux amyotrophies qui
avoisinent certaines pleurésies ou qui suivent de simples lésions tégumentaires super-
ficielles. Elle seule est valable; car l'hypothèse de la myosite, comme celle de la névrite
par propagation sont controuvées anatoraiquement.
§ II. Amyotrophies myopathiques. — Nous avons mis en dernier lieu l'étude des pro-
AM YOTROPHIE. 475
cessus atrophiques qui paraissent frapper le muscle exclusivement. Pour ces myopathies,
rien n'est encore établi définitivement : Landouzy et Dejerine, avec Chakcot, veulent
qu'on s'en tienne à la dénomination de myopathies progressives primitives, et cela, en
raison de la localisation anatomique purement musculaire, en raison de l'absence d'al-
térations centrales, en raison de données physiologiques de réelle valeur : pas de
tremblement fibrillaire, pas d'abolition des réflexes, pas de contractures, pas de réaction
de dégénérescence; tous symptômes qu'on rencontrerait s'il s'agissait d'un processus
myélo-névropathique.
Or, à vrai dire, nos recherches anatomiques sont encore si imparfaites; à mesure
que les faits s'accumulent, on constate tant de cas intermédiaires où se montrent
quelques-unes des modifications fonctionnelles précédentes; il y a si souvent symétrie
des lésions; l'influence héréditaire paraît si prédominante, qu'en réalité l'hypothèse de
la trophonévrose centrale de Erb apparaît comme très acceptable pour rendre compte de
ces myopathies.
L'exposé étiologique qui suit va nous faire revenir sur ce sujet.
B. Étiologie pathogénique. — C'est l'étude des causes qui, agissant sur le muscle
directement ou sur le système nerveux qui le régit, y déterminent l'incitation morbide,
laquelle faille désordre spéc\a.], Vamyotrophie.
1° Le muscle. — La physiologie pathologique du muscle ne peut par elle-même nous
fournir l'explication pathogénique des amyotrophies.
Cet organe, très délicat, reste intact, à la température normale, à condition de pos-
séder une circulation normale permettant des échanges interstitiels normaux, assurant
une oxydation suffisante et une élimination convenable de l'acide carbonique. Aussi
une température au-dessus de la normale (38°) trouble-t-elle la fonction musculaire et
l'on sait qu'à 43° la myosine se coagule, faisant la mort du muscle; de plus, l'inanition,
ainsi que les troubles circulatoires artériels déterminent l'anoxémie; la stase veineuse
asphyxie le muscle par surcharge en acide carbonique, etc.
Tous ces désordres entraînent la débilitation ou la mort du muscle, comme on le
voit dans les états dyscrasiques ou cachectiques; d'autre part la myosite peut détruire
les fibrilles in situ; mais dans aucun de ces cas il n'existe Vamyotrophie, avec la lenteur
dans l'évolution et la continuité progressive qui font ses caractères.
2° Le système nerveux. — C'est une loi de physiologie générale dans la pathologie
nerveuse que toute lésion systématique ait pour conséquence un désordre ou un ensemble
de troubles fonctionnels qui dépendent, non de la nature, mais de la localisation même
de la lésion. Dès lors, étant donné ce que nous avons dit précédemment de cet ensemble
physiologique, le système neuro-musculaire, qui, à l'état normal, possède un pouvoir
trophique que nous avons défini, nous pouvons établir comme notion d'étiolorjie générale
que tout ce qui peut altérer le système des cornes antérieures et les filets moteurs qui en
émanent est capable de faire Vamyotrophie .
De ceci nous avons pour la plupart des cas la démonstration anatomique sous forme
de lésions caractéristiques; c'est à rechercher les différentes causes qui peuvent faire
les altérations anatomiques que doit s'appliquer notre étiologie.
Nous avons vu qu'il y a des amyotrophies secondaires dans lesquelles la myélopathie
cjui fait le trouble trophique est mise en jeu, soit par propagation d'une lésion supé-
rieure (cérébrale), soit par contact d'une lésion voisine (cordons médullaires), soit enfin,
par retentissement d'une lésion distante (irritation périphérique par voie réflexe); nous
savons enfin qu'il y a des amyotrophies directes dues au traumatisme des nerfs moteurs.
Là l'étiologie est précise : l'amyotrophie survient comme complication d'une alté-
ration nerveuse préexistante dont nous n'avons pas à rechercher la nature. Dans
d'autres cas, l'amyotrophie est dite protopathiquc, c'est-à-dire que l'atrophie muscu-
laire constitue longtemps par elle-même, uniquement, ou tout spécialement, un pro-
cessus morbide distinct. Pour ce groupe, nous possédons, d'une part, des renseigne-
ments anatomiques qui nous permettent d'établir des amyotrophies myélopathiques liées
à l'altération des cellules des cornes antérieures (paralysies spinales, atrophie muscu-
laire progressive du type Ahan-Duchexne) ; d'autre part, l'absence d'altérations myé-
litiques et névritiques pour certaines amyotrophies où tout se borne à des altérations
flbrillaires nous fait reconnaître un groupe d'amyotrophies myopathiques.
476 AM YOTROPHIE.
Pendant longtemps on s'est contenté de constater simplement ces résultats; on se
bornait, à propos de leur étiologie, à invoquer les raisons d'hérédité, d'âge, de prédis-
position; il a fallu les travaux modernes sur la névrite périphérique pour nous conduire
à la recherche d'une cause plus prochaine'.
On reconnut que dans bon nombre de cas l'amyotrophie se rattache à des altérations
névritiques, conséquences elles-mêmes d'intoxications ou d'étals infectieux variés; et
on se demanda si cette raison étiologique, l'intoxication ou l'infection, ne pouvait, par
extension, s'appliquer à la pathogénie des autres anij'otrophies en faisant des locali-
sations diverses pour les différents cas.
a. L'intoxication. — Des éléments toxiques, parmi lesquels, en premier lieu, l'alcool
et le plomb, font des lésions de névrite périphérique, qui, parmi leurs sj'mptûmes, peu-
vent comprendre l'amyotrophie. — Le fait est simple, et, du moins, prévu, en raison de
ce que nous venons de dire; ce qui l'est moins, c'est que, dans certains cas d'intoxication
par le plomb, on a pu voir évoluer, non plus une amyotrophie de névrite périphérique,
symptôme vulgaire, et accessoire, mais un ensemble symptomatique rappelant de tous
points le processus de l'atrophie musculaire pivgressive, ce qui semble indiquer un retentis-
sement du toxique sur le centre médullaire.
b. L'infection. — Les recherches modernes nous montrent les analogies des produits
d'infection avec les toxiques, et parmi ces analogies, la plus marquée, peut-être, est une
affinité spéciale pour le nerf périphérique. Toutefois, leur mode d'action est plus complexe.
Parmi les maladies infectieuses (tuberculose, fièvre typhoïde, fièvres éruptives, diphthé-
rie, lèpre, béribéri, rage, rhumatisme etc.), qui peuvent faire l'amyotrophie, quelques-
unes seulement se prêtent à l'expérimentation, pourles autres, on en est réduit à procé-
der par induction. Voyons cependant ce qu'ont déjà fourni les recherches.
1° Névrites raicrobiennes. — Nous devons citer en premier lieu le processus, démons-
tratif à l'évidence, de la lèpre, dans laquelle nous voyons le microbe envahir les nerfs
périphe'riques, et léser directement le filet nerveux musculaire. Peut-être encore certains
cas d'amyotrophie chez des tuberculeux ont-ils une étiologie aussi précise par névrite
bacillaire, mais ce sont là des exceptions.
2° Névritea toxiques. — Pour les autres maladies infectieuses, le microbe ne paraît
pas faire localisation sur les organes nerveux. Charrié dans la masse sanguine, ou fixé
en tel ou tel point de l'économie, il peut donner naissance à des produits de sécrétion
qui, dans leur dissémination, pourront porter leur influence délétère sur l'élément
nerveux au même titre que sur divers parenchymes. Ce processus, admirablement
élucidé pour la diphthérie, par Roux et Yersin, se reproduit pour bon nombre d'autres
infections.
Dans ces conditions, ce que nous faisions pressentir pour les intoxications se
retrouve ici; le microbe ou ses poisons, au lieu d'atteindre isolément le nerf périphé-
rique, se fixent à la fois sur ce nerf et sur les centres médullaires, ou sur ceux-ci plus
spécialement, ils pourront déterminer alors ces altérations cellulaires centrales, dont le
symptôme unique et définitif est l'atrophie musculaire; celles qui constituent, en un mot,
les grands processus d'amyotrophie musculaire progressive.
C'est ce que l'expérimentation semble avoir réalisé aujourd'hui.
Preuves expérimentales. — Avec les poisons de la diphthérie, isolés des cultures qui
les ont produits. Roux et Yersin ont provoqué des accidents paralytiques suivis d'amyo-
trophie. Les recherches anatomiques premières out cru pouvoir limiter l'action de ces
poisons aux nerfs périphériques, mais il semble y avoir plus, car on observe assez fré-
quemment des symptômes d'altérations bulbaires, et P. Marie a tout récemment signalé
des altérations des cordons postérieurs sur des moelles de sujets diphthéritiques atteints
également de névrites périphériques (Soc. méd. des ftôp., juillet 1894).
Enfin, Roger a reproduit expérimentalement chez le lapin quatorze cas de myélite
systématique répondant histologiquement à la dégénérescence des cellules des cornes
l. Il va sans dire, toutefois, que l'étiologie est toujours dominée par des influences majeures ;
l'hérédité, la prédisposition par l'âge ou par la force organique, grâce auxquelles te! sujet pré-
sente une vulnérabilité plus marquée, tel autre une plus grande résistance, tel autre, enfin, une
véritable immunité aux agents toxiques.
AM YOTROPHIE. 477
antérieures, et se traduisant cliniquement par un ensemble symptomatique de phénomènes
comparables à ceux de l'atrophie musculaire progressive {C. R., 26 nov. 01).
Nous renvoyons pour le détail à la communication originale de l'auteur. Cependant,
rappelons que Roger injectait aux animaux en expérience des cultures de streptocoque
de l'érysipèle, modifiées dans le sens de l'atténuation progressive par dix mois de cul-
tures successives sur sérum. La plupart des animaux ont succombé du 4" au 19" jour,
sauf un qui a survécu deux mois. A la mort des animaux, il n'y a plus de microbes
dans le sang (ceux-ci disparaissent au bout de 8 jours); et l'auteur admet que les acci-
dents postérieurs relèvent de produits soUibles sécrétés par les microbes.
Nous-même, poursuivant sur des chiens des expériences au sujet de la production
expérimentale de la chorée par injections de cultures de cocci mal définis, provenant du
sang de chiens malades, avons réalisé l'atrophie musculaire progressive à plusieurs
reprises : parfois rapidement (13 jours) ; une fois en 4 mois.
Dans plusieurs cas, à la moelle dorsale, plus spécialement, nous avons trouvé des
modifications des cellules des cornes antérieures comparables aux altérations histologiques
déjà signalées par Roger (perte des prolongements protoplasmiques, faible affinité pour
le carmin, non-coloration de quelques cellules; et, sur celles-ci, en plusieurs points, pré-
sence de vacuoles) (Triboulet. D. P., 1894, pp. 76 et suiv. ; Trav. du Lab. de Ch. Richet,
t. ni, p. 196).
Conclusion. — Il y aurait, on le conçoit, à reprendre ces recherches au sujet de tous
les agents microbiens; il y aurait à se rendre compte pour chacun d'eux des variations
dans \a. période d'incubation (rapide ou lente) du processus; dans la durée (forme aiguë,
forme chronique); dans l'intensité (atrophies limitées ou étendues); dans l'extension
(atrophies définitives, atrophies progressives, etc.).
Quoi qu'il en soit, nous possédons là déjà un argument de physiologie pathologique
générale bien puissant : rinfluence de certains produits d'infection sur la pathogénie des
amyotrophies. La clinique confirme ces données : on connaît les paralysies spinales aiguës
de l'enfance (paralysie infantile) et de l'adulte, avec leurs amyotrophies, et l'on sait
qu'elles succèdent à un état fébrile, c'est-à-dire infectieux, toujours manifeste, et d'ordi-
naire rapproché. D'autre part, Erb rapporte l'observation suivante : « Homme, 23 ans,
sain; fièvre, puis atrophie musculaire, mort par parésie diaphragmalique. 'Anatomique-
ment, lésions des nerfs périphériques, intégrité des racines, mais altérations vacuo-
laires des cellules de la moelle. » Pour Erb, toute amyotrophie est fonction d'une alté-
ration de la cellule spinale; quand il y a, comme dans l'observation ci-dessus, névrites,
périphériques et altérations cellulaires, il faut subordonner les premières aux secondes. Si
nous ne trouvons pas celles-ci, c'est que nos moyens d'investigation sont encore insuffi-
sants.
« Il n'existe pas dans la science de cas prouvant le contraire, d'une façon certaine »,
dit L. Landouzy; nous voyons de plus que les recherches de Marie le conduisent,
avec preuves matérielles, à la même interprétation des phénomènes. C'est l'impossibilité
oh nous sommes actuellement d'affirmer l'absence certaine de lésions centrales pour tel
ou tel cas, qui nous a forcé à la réserve en ce qui concerne les amyotrophies dites myo-
pathiques.
Il est possible, comme le pense Strlmpell, qu'une même cause, toxique ou infectieuse,
fasse à la fois, ou plus spécialement, la poliomyélite antérieure, la névrite multiple, et
l'altération musculaire ; mais l'hypothèse de la trophonèvrose centrcde de Erb nous paraît
suffisante pour expliquer tous les cas, et elle coïncide pleinement avec cette conception
première de Charcot : « Toute atrophie musculaire est le résultat direct ou indirect d'une
lésion des cornes antérieures de lamoelle. »
Parmi les causes qui font cette lésion, nous voyons que l'infection prend chaque jour
une plus large part.
Bibliographie. — Aran. Rech. sur une maladie non encore décrite du syst. musculaire
(Arch. gén. de médec, 18o0, t. in, pp. 5, 172). — Dl'chenne de Boulogne. Physiologie des
mouvements. Paris, 1867. — Friedreich. Vber progi-essive Muskelatrophie, uber wahre und
falsche Muskelhypertrophie. Berlin, 187.3. — Charcot et Gombault. JVo<e sur un cas d'atro-
phie musculaire progressive spinale protopathique (A. P., 1873, pp. 735-735). — Char-
cot et JoFFROY. Deux cas d'atrophie musculaire progressive avec lésion de la substance
478 ANABIOSE — ANALGÉSIE.
grise des faisc. ant. lalér. de la moelle {A. P., 1869, pp. 354, 629, 744). — Eulenburg.
Progressive Muskelatrophie [Eandb. d. spec. Path. de Ziemssen, 1873, t. xii, pp. 102-148).
— Vdlpian. Des atrophies musculaires {Clin, média, de la Charité. Paris, 1879, pp. 707-772).
— Strumpell. Zur Lehre der progress. Muskelatrophie (D. Zeitschr. f. Nerv., 1892, t. m,
pp. 471-o01'). — Thomson et Bruce. Progr. muscul. atrophy in a child, with a spinal
lésion [Edinh. hospit. Rev., 1893, pp. 361-383). — Gaule. Die trophischen Eigenschaften
der Kerven [Berl. Min. Woch., 1893, pp. 1063 et 1099). — Landouzy et Dejerine {Rev.
mens, de méd., 1890).
Dans ces divers ouvrages, ainsi que dans les articles de Dictionnaires, et dans Vlndcx
Catal. {Atrophy muscular progressive) on trouvera la très nombreuse bibliographie des
cas intéressants fournis par la clinique.
H. TRIBOULET.
ANABIOSE. — Terme employé par Prêter pour indiquer le retour à la vie
active après la vie latente (Preyer. Physiol. générale, 1884, p. 109) (Voy. Reviviscence).
ANAGYRINE. — Alcaloïde extrait par Hardy et Gallois de VAnagyris fctida
en 1883 {R. B., 13 juin 1883, t. xxxvn, p. 391). La formule serait C"'H'^Az-0-. EUeest forte-
ment alcaline et donne un chlorhydrate cristallisable. Son action physiologique a été étu-
diée par Gallois et Hardy d'abord, puis par Bochefontaine; enfin avec plus de détails
par Gley'(-B- B-, 23 juillet 1892, t. XLiv,p. 684). Les recherches d'ARNOUx(1870) avaient mon-
tré que les extraits d'anagyre sont toxiques. Cette toxicité parait due à l'anagyrine qui est
en effet très active. A dose moyenne, 0,01 chez le chien, elle ralentit le cœur; et, presque
aussitôt après l'accélère énormément. Celte accélération persiste alors que les pneumo-
gastriques ont été paralysés par l'atropine ; par conséquent elle n'est pas due à la
paralysie des terminaisons de ces nerfs. Gley pense que l'anagyrine agit non pas sur
le cœur lui-même, mais sur les ganglions périphériques présidant à l'innervation vascu-
culaire. Ce qui paraît démontrer que ce sont les terminaisons périphériques des nerfs
qui sont atteintes, c'est que la destruction du bulbe n'empêche pas l'effet de l'anagy-
rine de se produire. Quoique ces interprétations soient encore assez hypothétiques, on
peut admettre que l'anagyrine agit surtout sur les ganglions nerveux vaso-moteurs de
la périphérie en faisant rétrécir les vaisseaux, et par conséquent en élevant la pression.
Le chloral supprime les etïets de l'anagyrine.
Cette substance est aussi un poison du système nerveux central, comme le prouvent
les phénomènes qu'elle provoque (vomissements, ralentissement des mouvements respi-
ratoires, arrêt de la respiration, arrêt du cœur). Chez les grenouilles, le cœur continue à
battre, alors que tout le système musculaire est paralysé.
CH. R.
ANALGESIE (de à et aXyo; douleur). — On dit qu'il y a analgésie lorsque
une partie quelconque de l'organisme, ou l'organisme tout entier, sont devenus insen-
sibles à la douleur. A la rigueur on pourrait dire que toute anesthésie est en môme
temps une analge'sie, puisqu'il y a suppression de toute perception douloureuse dans
l'anesthésie. Cependant Beau, qui a employé un des premiers l'expression analgésie
{Arch. gén. de méd., 1848, p. 3), — avant Beau on la trouve dans Flemuing. Analgesia als
Symptom der Krankheiteii mit Irresein. Med. Zeit. Berli7i, 1833, (2), p. 199, —réserve ce mot
à l'insensibilité à la douleur coïncidant avec la conservation plus ou moins complète des
autres sensibilités tactiles.
Dans l'hystérie, ainsi que dans diverses affections nerveuses, on observe souvent cette
dissociation remarquable; elle sera étudiée plus loin à l'article Anesthésie : c'estl'anal-
gésie pathologique, liée à un trouble de l'innervation centrale.
Nous étudierons ici l'analgésie toxique, et pour cela nous devons mentionner les
effets curieux de certains médicaments ou poisons (en général des anesthésiques)
qui ont la propriété d'abolir la douleur, sans faire perdre la sensibilité tactile. Mais il
faut à cet égard distinguer la sensibilité normale et la sensibilité pathologique.
En effet deux cas peuvent se présenter. Tantôt il s'agit d'un individu normal qui, par
suite d'une médicamentation ou d'une intoxication, perd la sensibilité à la douleur.
ANALGESIE. i79
Tantôt il s'agit d'un individu qui, soufTrant de vives douleurs en un point quelconque
de l'organisme, éprouve, par le fait d'un médicament ou d'un poison, une atténuation de
sa douleur.
Pour ce qui est de la douleur pathologique, il n'y a guère qu'un seul médicament
qui soit vraiment analgésique; c'est la morphine. Les substances hypnotiques qui pro-
voquent le sommeil chez les individus qui souffrent, n'apaisent la douleur que parce
qu'elles amènent le sommeil. Le chloral, le sulfonal, le chloralose ne sont pas des anal-
gésiques; car, tant que l'individu est éveillé, il conserve sa douleur, presque aussi
tenace qu'avant l'injection médicamenteuse. Au contraire, avec la morphine, le patient,
quoique éveillé, a une sensibilité émoussée et ne perçoit plus qu'une douleur sourde,
indistincte, bien différente de la douleur lancinante, algue, exaspérante, qu'il ressentait
tout à l'heure.
Le mot analgésie n'est à vrai dire pas tout à fait exact, et il vaudrait mieux peut-
être, pour expliquer cette action, recourir à un néologisme et se servir du mot hypoalgésie.
Expérimentalement on observe très bien l'hypoalgésie sur les animaux qui ont reçu
une forte dose de morphine. 11 ont conserve' la sensibilité tactile, très fine; le moindre
contact détermine une réaction de sensibilité et un réflexe ; si l'on fait une opération, ils
crient, hurlent, se débattent pendant tout le temps; mais, une fois que l'opération est
terminée, quoique mutilés, ils s'engourdissent, et ne paraissent plus ressentir de dou-
leurs : c'est la, semble-t-il, de l'hypoalgésie.
En somme l'atténuation de la douleur, c'est de l'analgésie incomplète.
Les anesthésiques, à une certaine période de leur action, par conséquent aussi lors-
qu'ils sont administrés à une certaine dose, amènent une analgésie complète. Il est clair
que nous ne parlons pas de cette période d'anesthésie profonde oii la conscience est
abolie, en même temps que la faculté de se mouvoir, mais de cette période pendant
laquelle la conscience est à peu près conservée, avec perception des sensations tactiles,
mais abolition des sensations douloureuses. A. Richet en a cité des exemples instructifs
(Anat. méd. Mr., 5" édit., p. 316) et j'en ai rapporté plusieurs cas [Rech. expér. sur la
sensibilité. D. P., 1877, pp. 238-262). Guibest {De l'analgésie obtenus par l'act. combinée de la
morphine et du chloroforme. C. R., t. lxxxy, p. 967) a montré que des injections préalables
de morphine permettaient de donner du chloroforme à faible dose, en provoquant l'in-
sensibilité à la douleur sans faire perdre la conscience. Labbé et Goujon ont eu des
résultats analogues {Act. combinée de la morphine et du chloroforme. C. R., févr. 1872,
t. Lxxiv, p. 627. Voy. aussi Dastre. Les anesthésiques, 1890, pp. 45-61). Comme ce phé-
nomène se produit à dose toxique faible, l'on comprend qu'il y a dans toute anesthésie
chloroformique complète une période de début (analgésie de début) et une période
finale (analgésie de retour), selon qu'il n'y a pas encore assez ou qu'il n'y a plus assez de
poison pour produire l'anesthésie absolue.
C'est surtout dans la pratique des accouchements que l'analgésie chloroformique
serait intéressante à 'obtenir. A cet égard on trouve de nombreux documents dans les
ouvrages spéciaux. (Voir surtout Pinard. Action comparée du chloroforme, du chloral, de
l'opium et de la morphine chez la femme en travail. Th. d'agr. Paris, 1878. — Dumontpallier.
Chloroforme dans l'accouchement à dose analgésiante utérine et péri-utérine. Rev. de thér.,
1878, t. XXVI, p. 97.) 11 y a là en effet desind ications spéciales; il faut que la sensibilité
réflexe ne soit pas abolie, et cependant que l'algesthésie soit supprimée. 11 importe peu
au physiologiste de savoir si, au point de vue de la pratique, l'anesthésie obstétricale a
plus d'avantages que d'inconvénients, ou inversement, et nous n'avons pas à prendre
parti ; il nous suffira de constater que, dans certains cas, la douleur est à peu près com-
plètement abolie, alors que les autres sensibilités (tactile et excito-motrice) sont
conservées.
La théorie de ce phénomène n'est probablement pas très simple. Reprenant une
ancienne idée de J. Moreau {Un. Méd. Paris, 1847, (1), p. 83) j'ai pensé que cette analgé-
sie pouvait se confondre avec une sorte d'amnésie. Le fait dominant de la douleur, c'est
moins le fugitif moment d'une violente excitation douloureuse que le retentissement
prolongé qu'un tel excitant détermine dans les centres nerveux {D. P., p. 294.). De fait
une douleur passagère ne laissant pas derrière elle un ébranlement douloureux n'est pas
une vraie douleur.
480 ANAPHRODISIAQUE.
Nous avouerons d'ailleurs que, si cette explication suffit pour l'analgésie incomplète,
elle ne suffit pas pour l'analgésie totale. Mais une autre hypothèse fera bien saisir com-
ment le chloroforme (ou l'éther, ou l'alcool) peuvent supprimer la sensibilité à la dou-
leur. Admettons que la douleur soit constituée par le retentissement d'une vibration
nerveuse, soit des nerfs périphériques, soit des centres. Si cette vibration n'est pas très
intense, la douleur sera médiocre, et, si la vibration est plus faible encore, la douleur
sera nulle, quoique le nerf puisse encore conduire l'excitation, et que les centres nerveux
puissent encore la percevoir. En un mot, la douleur sera mesurée par l'amplitude de la
vibration nerveuse, et toute substance, qui, comme les poisons anesthésiques, diminue
l'amplitude de cette vibration, aura des effets analgésiques.
On conçoit alors que l'analgésie puisse être obtenuenon seulement par des substances
qui empoisonnent le système nerveux central, mais encore par toutes celles qui diminuent
l'excitabilité des nerfs périphériques. 11 faut donc dans l'analgésie toxique distinguer celle
qui est générale et celle qui est locale. Nous avons vu que, suivant la dose, le mode
d'administration, et surtout l'association avec la morphine, on pouvait donner du chloro-
forme de manière à avoir l'analgésie et non l'anestbésie ; de même, en agissant sur la sen-
sibilité locale, ou peut, à une certaine période, obtenir l'analgésie. Si l'on plonge le doigt
dans un mélange réfrigérant, on n'abolit pas complètement la sensibilité tactile, quoi-
qu'elle soit cependant singulièrement émoussée; mais la sensibilité à la douleur est perdue,
et perdue à tel point qu'on peut appliquer cette méthode à la pratique chirurgicale
en employant la glace (Abnott, 1831) ou la réfrigération par l'éther (A. Richet, 1834).
Mais le meilleur procédé pour obtenir l'anesthésie locale, c'est l'injection de cocaïne
(Voy. Coca'ine). En réalité, cette substance produit une véritable analgésie. Iri)ectée
dans le sang, à dose modérée, elle anesthésie le tégument cutané, par actiou sur les ter-
minaisons nerveuses (spécialement sur la grenouille l'expérience est très nette). Arloing
(cité par Dastre, loc. cit.,'lp. 215) a constaté que cette analgésie périphérique coïncidait
précisément avec l'agitation frénétique qui accompagne l'empoisonnement par la cocaïne.
Les injections locales déterminent tout autour du point injecté une zone d'analgésie qui
permet de pratiquer des opérations assez longues. On sait que c'est surtout pour les opé-
rations sur l'œil et la cornée que cette méthode a été employée; mais elle tend à se gé-
néraliser à beaucoup d'opérations sur les membres. L'analgésie et l'anesthésie s'observent
concurremment; d'abord, l'analgésie ; puis, quand la solution cocaïnique a agi avec plus
d'intensité, l'anesthésie complète avec perte de toutes les sensibilités CVoy. Delbosc.
Trav. Lab. de Physiol. de Ch. Richet, t. ii, p. 329).
En somme, qu'il s'agisse de l'analgésie pathologique, ou de l'analgésie toxique, soit
générale ou locale, soit centrale ou périphérique, il semble que la cause première soit
toujours la même: une diminution de l'excitabilité nerveuse. Tout se passe comme si la
douleur était l'effet d'une vibration forte et prolongée des centres nerveux. Par conséquent
toute cause qui va diminuer cette vibration intense, soit dans les nerfs périphériques,
soit dans le système nerveux central, commencera par produire de l'analgésie.
D'ailleurs, l'histoire de l'analgésie ne peut être ici traitée complètement. Elle est inti-
mement liée à d'autres fonctions ("Voy. Anesthésie, Cocaïne, Douleur, Sensibilité).
CH. R.
ANAPHRODISIAQUE. — Le mot anaphrodisiaque (à privatif, 'AçpoSÎ-r),
Vénus) n'est que le qualificatif du terme anaphrodisie : l'absence de l'appétit génital,
nécessaire, chez l'homme, pour le convier à l'accomplissement de la fonction de repro-
duction. Bien que cette définition soit suffisamment précise, il importe de formuler
plus explicitement ce qu'on entend sous ce nom; car sa compréhension a été étendue,
indûment à notre avis, à la plupart des états caractérisés par de l'inaptitude génitale.
Rappelons donc que l'acte de la génération comporte, chez l'homme, plusieurs épisodes
liés entre eux, mais non pas confondus. Précédé de désirs d'une nature spéciale, il
s'accomplit à l'aide du mécanisme de l'érection, s'accompagne de sensations particu-
lières et se termine enfin par l'éjaculation de la liqueur séminale. Or chacun des stades
que nous venons de passer en revue est susceptible d'être affecté, pathologiquement,
pour son propre compte, indépendamment des autres, et il résulte alors de là autant
de formes d'inaptitude sexuelle, dont chacune doit également être différenciée en patho-
A NATO MIE. iSt
logie. Pour nous, il n'y a que les troubles dus à l'affaiblissement ou à la disparition du
cUsir sexuel qui raérilent d'être appelés anapbrodisie.
L'anaphrodisie peut être congénitale; alors le plus souvent elle est liée à un arrêt
de développement des organes génitaux.
IMais l'anaphrodisie vraie est celle qui est en rapport avec des maladies générales
de l'organisme, et plus encore causée par des affections du système nerveux : psycho-
névroses et maladies organiques. Les influences morales (répulsion, peur des maladies
vénériennes, excès de travail intellectuel, etc.) paraissent influer le plus pour la déter-
miner, ce qui démontre le rôle considérable que jouent les centres nerveux supérieurs
dans son fonctionnement.
L'absence de l'appétit sexuel, rare chez l'homme, et même exceptionnelle quand il
n'y a pas arrêt de développement, paraîtrait au contraire très fréquente chez la femme
en dehors de toute cause organique. On pourrait attribuer cette anapbrodisie aux rai-
sons suivantes. Il est certain tout d'abord que, si l'appétit sexuel est nécessaire chez
l'homme pour assurer la conservation de l'espèce, il ne l'est pas autant chez la femme.
De plus on a constaté que, d'une façon générale, il n'acquiert qu'exceptionnellement chez
cette dernière la même intensité que chez l'homme : on ferait valoir, aussi, que dès le
plus jeune âge, l'éducation des jeunes filles chez les peuples civilisés tend, pour des
raisons, sur la valeur desquelles nous n'avons pas à nous expliquer ici, à déprimer le
développement de la sexualité chez elles; on ne peut douter que ce désir, déjà instable
par lui-même, iinit par s'atténuer par ces lentes modifications, et qui sont transmises
longtemps héréditairement.
On connaît certaines substances qui seraient susceptibles de provoquer l'anaphro-
disie et auxquelles on donne le nom à' anti- aphrodisiaques ou à'anaphrodisiaqucs. Tel
VAgnits castus, désigné sous le nom expressif de poiure des moines, dont on préparait un
sirop dit de chasteté : telle encore la Nymphsea alba, dont les propriétés spéciales sont
loin d'être établies. Il paraît mieux prouvé que le camphre, la belladone et les bro-
mures offrent, à cet égard, des propriéte's déprimant le désir sexuel. Néanmoins, aucun
de ces médicaments n'est doué d'une action qu'on pourrait qualifier de véritablement
spécifique; leurs effets sont plutôt ceux de stupéfiants du système nerveux en général.
Il est d'ailleurs évident que toutes les substances agissant sur l'intelligence, pour la
déprimer, sont des anaphrodisiaques ; les alcools, les anesthésiques, et en général tous
les poisons du système nerveux.
Pour la bibhographie, voir les articles des Dictionnaires de médecine, et les thèses
de doctorat de Paris : Caeon (1843) et Péchenei (1873). Physiol. étiolog. et traitement de
l'anaphrodisie.
AUL BLOCQ.
ANAXOMIE. • — - Le mot Anatomie a un peu dévié du sens qu'on serait étymo-
lûgiquement en droit de lui attribuer.
Formé de deux mots grecs (avst, au travers ; -£;j.vw, je coupe), il est, par son origine,
synonyme du mot dissection {secare, couper). En fait, on lui donne depuis longtemps une
compréhension plus étendue. L'anatomie est la science de l'organisation des êtres vivants,
comme la physiologie est la science de la vie; la dissection est le moyen que le chercheur
emploie pour arriver à connaître l'anatomie, comme l'expérimentation est la méthode
qui conduit les travaux du physiologiste.
L'anatomiste analyse, décrit, compare, généralise; le dissecteur sépare les organes
et les isole. Le premier travaille avec son cerveau, le second avec ses mains. L'anatomie
est une science, la dissection un art; la première, le but qu'on poursuit; la seconde, la
méthode qui permet de l'atteindre. Il y a deux sortes de dissection : la dissection des
organes, ou dissection macroscopique, et la dissection des éléments qui composent ces
organes, ou dissection microscopique : à elles deux, elles forment ce qu'on peut appeler
la technique de la science anatomique; c'est en les utilisant que nous parvenons à con-
naître la composition, la structure et la texture de l'homme, des animaux et des plantes.
<i Disséquer en anatomie, écrit Bich.\t, faire des expériences en physiologie, suivre les
malades et ouvrir les cadavres en médecine, c'est là une triple voie hors laquelle il ne
peut y avoir d'anatomiste, de physiologiste ni de médecin. >»
D CT. Ds I'iiys:olog:e. — toi:e i. 31
i,S2 A NATO MIE.
Les êtres vivants sont si nombreux et si variés, leurs organes sont si multiples et si
complexes, il y a tant de rouages et si compliqués dans cette délicate machine qu'étudie
l'anatomiste, qu'il n'est point, au moins de nos jours où tant de secrets ont déjà été
pénétrés, d'esprit si érudit ou de chercheur si original qui puisse explorer le domaine
tout entier de la science de l'organisation des êtres. Pour visiter avec fruit les régions
déjà connues de ce vaste domaine, pour se mettre en mesure surtout d'en découvrir de
nouvelles, il faut se résigner à n'en parcourir que des zones limitées. L'anatomie, en
effet, si elle est toujours une, puisqu'elle poursuit un seul but — la connaissance des
organes de la vie — embrasse néanmoins dans sa complexité plusieurs sciences secon-
daires, plusieurs branches.
Classification. — L'anatomiste qui étudie l'organisation des animaux est un zooto-
miste ; celui qui étudie l'organisation des plantes est un phytotomiste ; l'anthropologie est
un rameau de la zootomie : c'est, ou plutôt ce devrait être (car le mot a aujourd'hui une
signification plus restreinte) l'anatomie du corps humain. Dans ce sens, on dit plus géné-
ralement anthropotomie .
CIL. Anatomie artistique. — Étudier les formes extérieures, les saillies et les méplats
de la surface du corps, « les inégalités et les enfoncements sous-cutanés », les proportions,
les surfaces, les lignes, les arêtes et les contours, étudier les modifications de l'habitus
extérieur dans « le calme de l'àrae ou dans l'orage des passions », les attitudes et les
mouvements dans l'expression des sentiments et des sensations, c'est faire V anatomie artis-
tique, l'anatomie des beaux-arts, l'anatomie des peintres et des sculpteurs, l'anatomie
plastique. La corde que forme le sterno-mastoïdien sur le cou dans certaines positions de
la tête, la ligne saillante de la saphène sur la face interne de la cuisse, la grosse proémi-
nence du biceps et du long supinateur dans la flexion de l'avant-bras, le creux du rachis
et la saillie du râble, les rides transversales que le frontal creuse sur le front dans la
réflexion profonde et dans les soucis, les sillons verticaux que trace au-dessus de la racine
du nez le sourciller dans la souffrance et la tristesse, le rictus des zygomatiques, la ter-
reur qu'exprime la contraction du carré mentonnier en tirant en dehors la commissure
labiale, le dégoût et le mépris qu'imprime au visage la contraction simultanée du rele-
veur de la lèvre supérieure et du triangulaire des lèvres qui abaisse la commissure labiale,
les oscillations du globe oculaire sous l'influence du cornet musculaire qui l'enveloppe :
voilà quelques exemples de l'anatomie qui intéresse les artistes.
p. Anatomie topographique. — Étudier comment, dans une région donnée du corps, les
différents organes s'accommodent les uns aux autres, se réunissent, se séparent, se
superposent et s'agencent entre eux, c'est faire l'anatomie topog^'aphique. Cette anatomie
topographique est surtout utile au chirurgien qui « dans la connaissance de nos parties
cherche avant tout un guide à l'instrument qui doit les diviser >>; aussi la dénomme-t-on
assez généralement anatomie chirurgicale ; mais elle est aussi, au moins en ce qui con-
cerne les viscères, la seule base sur laquelle l'exploration médicale puisse solidement
édifier son diagnostic. Qui donc pourrait bien étudier par la palpation, la percussion et
l'auscultation les troubles fonctionnels du cœur, s'il ne connaissait la topographie de cet
organe, les rapports de ses orifices avec la paroi thoracique, l'interposition d'une lame de
poumon entre sa face antérieure et les côtes? La science de l'anatomie s'impose au mé-
decin. Ne doit-il pas appeler à son secours la myologie et la névrologie dans l'étude des
myopathies, des atrophies musculaires d'origine médullaire, des paralysies radiculaires
du plexus trachial, des différents types de griffes que les atrophies musculaires inrpri-
ment à la main?
y. Embryologie. Anatomie comparée. — Étudier les différentes phases par lesquelles
passe un organe pour arriver à son complet épanouissement, le suivre depuis les pre-
miers jours de la vie intra-utérine jusqu'à sa période de régression et de décrépitude,
c'est s'adonner à la science du développement, c'est faire de l'embryologie; c'est faire
aussi, pourrait-on dire par un abus de langage qu'autorisent les données scientifiques
actuelles, de l'anatomie comparée. A vrai dire l'anatomie comparée, ou plus exactement
l'anatomie comparative « traite de l'organisation dans la série animale et considère suc-
cessivement les mêmes organes dans les diverses espèces, afin d'arriver, par voie de com-
paraison, à une notion plus exacte et plus complète de chacun d'eux »; mais, dans
cette étude, le savant ne tarde pas à s'apercevoir que l'organisation des êtres est une
ANATOMIE. 483
organisation sériée, qu'il y a entre les animaux les plus différents en apparence une
chaîne ininterrompue d'intermédiaires qui les rapproche et les unit, que la « nature ne
procède point par bonds » et que, dans le cours de leur développement embryonnaire,
l'homme et les mammifères, ses voisins, traversent différentes phases pendant lesquelles
leurs organes prennent, pour un laps de temps déterminé, l'aspect que conservent,
d'une façon délmitive et permanente, ceux des vertébrés moins perfectionnés (batra-
ciens, poissons, reptiles, oiseaux) et même ceux des animaux inférieurs (invertébrés).
C'est que l'évolution de l'individu marche parallèlement à celle de l'espèce ; que l'histoire
du développement de l'individu est la récapitulation à travers le temps de l'histoire de
l'espèce à laquelle il appartient, et comme la répétition brève de sa généalogie; ou —
en grec — que l'ontogenèse est le résumé de la phylogenèse; ou encore, comme disait
Serres dans une langue autrement élégante, que le développement de l'organisation
humaine est une anatomie comparée transitoire, et, qu'à son tour, i'anatomie comparée
est l'état fixe et permanent de l'organisation de l'homme. En vérité, « I'anatomie com-
parée est une embryogénie permanente » et, suivant le fameux aphorisme deTiEDEMANN,
« le règne animal tout entier n'est qu'un organisme en voie de métamorphose ».
Et voilà comment l'embryologie, quand elle s'élève au-dessus de la description tou-
jours un peu aride de ses nombreuses et difficiles découvertes, cesse d'être une science
de détails, pour devenir comme un appendice de cette anatomie comparée qui est la plus
séduisante, la plus riche et la plus féconde de toutes les branches de la biologie. Quel-
ques exemples. Ne trouve-t-on pas dans le crâne des fœtus de mammifères les mêmes
os qui constituent le crâne des reptiles et des poissons adultes? Notre foie, pendant le
premier stade de la vie embryonnaire, est aussi l'image du foie définitif des invertébrés :
c'est une glande en grappe élémentaire, une simple évagination de l'intestin, une pous-
sée de l'épithélium du canal digestif; mais bientôt le tissu conjonctif, trame banale,
envahit le tissu épithélial, bourgeons nobles, apportant avec lui ses vaisseaux; alors
ceux-ci pénètrent les travées épithéliales, les dissocient, les hachent, et interrompent à
tel point leur continuité, que l'élément épithélial disparaît sous l'abondante prolifération
de l'élément vasculaire sanguin, et que le foie n'a plus rien de commun, au moins en
apparence, avec une glande en grappe. L'utérus embryonnaire de la femme est d'abord
double, comme celui des marsupiaux. Avant de subir la torsion qui modifie ses rap-
ports et la topographie de ses vaisseaux, notre intestin est rectiligne, comme celui de
la grande Roussette. Nous avons pour un moment des arcs branchiaux comme en pos-
sèdent pour toute la vie les poissons et les amphibies pérennibranches. Notre colonne
vertébrale s'édifie sur une notocorde éphémère qui demeure, pour les espèces infé-
rieures, un organe définitif. Nos testicules sont, pendant six ou sept mois de l'exis-
tence intra-utérine, enfouis dans la cavité abdominale, comme ceux des oiseaux et de
quelques mammifères. L'axe du pied, chez les fœtus très jeunes, se continue presque
directement avec l'axe de la jambe, et c'est là comme une image de la conformation que
présentent certains quadrupèdes, les pachydermes solipèdes en particulier. A une épo-
que de notre vie fœtale, deux veines caves supérieures descendent, dans notre médiastin,
du cou vers le cœur : telles chez beaucoup d'animaux. Enfin, avant que ses deux hémi-
arcs soient soudés l'un à l'autre, -notre mandibule inférieure n'est-elle pas momenta-
nément analogue à la mâchoire permanente des serpents avec ses deux moitiés qui jouent
l'une sur l'autre pour donner à l'animal une bouche plus largement béante?
On pourrait ainsi multiplier les exemples. .
3. Tératologie. — Quand l'analomiste étudie le développement des organes, non plus
dans son évolution normale, mais bien dans ses irrégularités, ses aberrations et les
monstruosités qu'elles créent, il fait de la tératologie, et cette tératologie est, elle aussi,
comme une province détachée du grand territoire de I'anatomie comparée. Etvoici pour-
quoi. Considérées autrefois comme une manifestation de la gloire et de la colère de
Dieu, ou comme le fruit de l'astuce du Démon, au point que Jean Riolan (1600) conseil-
lait d'enfermer les enfants faits à l'image du diable et de tuer ceux qui étaient demi-
hommes et demi-animaux, les monstruosités et les anomalies, étudiées ensuite comme
desimpies curiosités, donnèrent plus tard naissance aux puissantes conceptions d'ÉriENNE
et d'IsiDORE Geoffroy Saint-Hilaire et de Lamarck. Elles cessèrent dès lors d'être consi-
dérées comme un jeu, comme une erreur ou comme une faute de la nature; elles sor-
iSi ANATOMIE.
tirent du domaine du désordre et de la bizarrerie pour rentrer dans celui de la loi com-
mune, et le jour vint enfin où à ce vieux mot de Pline l'Ancien « La nature se plaît à
faire des miracles et à se jouer de nous », on put substituer celui du grand Saint-
HiLAiRE : « Il y a exception aux lois des naturalistes, mais jamais aux lois de la nature ».
On peut dire que les monstres (je laisse de côté les monstres doubles, triples, quadruples
qui ne sont que l'association, suivant des modes différents, de la moitié droite et de la
moitié gauche d'individus normaux) ne sont » que des embryons normaux arrêtés dans
leur développement, d'où cette conséquence — puisque les animaux supérieurs, dans le
cours de leur évolution traversent des stades de transformations qui sont l'image de dis-
positions aclievées et définitives des animaux inférieurs — que la tératologie est une
embryogénie permanente ou une autre anatomie comparée. »
Au total, il est vrai que toute anomalie est la photographie d'une disposition ances-
trale, ou bien la reproduction anticipée, avant la lettre, d'une disposition future, un sou-
venir de nos pères ou un espoir (qui ne répond pas fatalement à un perfectionnement)
pour nos descendants.
Quelques exemples en tératologie. La biddité accidentelle du gland et du pénis de
l'homme ne rappelle-t-elle pas les deux hémi-glandes des marsupiaux et les deux hémi-
pénis des sélaciens? La polydactylie n'est-elle pas l'image du type heptadactyle qui
appartient aux Batraciens et aux Reptiles? Et du reste, la polydactylie n'est-elle pas la
règle chez les icthyoïdes, nos ancêtres plus vieux encore? Et la division des segments
digitaux en deux moitiés, l'une cubito-péronéale, l'autre radio-cubitale, qu'on observe
quelquefois, ne nous rappelle-t-elle pas, comme dit P. Poirier, que non seulement
les rayons des nageoires des poissons sont divisés à leur extrémité libre, mais encore
que, chez l'embryon humain lui-même, avant l'apparition des cartilages, chaque traînée
phalangienne est, non point simple, mais double (Schenk)?
Et, pour ne parler plus maintenant que d'anomalies simples, ne nous arrive-t-il pas
de reprendre au chien et à d'autres mammifères leurs mamelles multiples, aux mar-
supiaux leur double utérus et leur double vagin, aux quadrupèdes leur muscle présternal,
aux sauteurs leur petit psoas, aux singes leur élévateur de la clavicule? Autant d'anoma-
lies qui sont régressives, qui représentent des réversions ataviques. Quand, au contraire,
nos circonvolutions cérébrales s'infléchissent en méandres supplémentaires, quand notre
douzième côte se raccourcit (il y a des animaux qui ont des côtes lombaires), quand notre
appendice iléo-coecal se réduit aux simples proportions d'une languette longue de deux
ou trois centimètres (tout le cœcum se développe dans la série, et l'appendice vermicu-
laire est un organe rudimentaire qui tend vers la disparition), quand notre peaussier du
cou (vestige imparfait du vaste peaussier des ruminants, des pachydermes et autres
mammifères) s'atrophie, quand notre plantaire grêle et notre palmaire grêle, restes
débiles de puissants muscles, disparaissent, quand monte vers le corps thyroïde l'artère
thyroïdienne moyenne, alors c'est d'anomalie progressive qu'il s'agit. Et de toutes ces
bizarreries apparentes l'anatomie comparée nous fournit encore la clef, puisqu'elle nous
montre les étapes successives par lesquelles ont passé tous ces organes, les uns, devenus
inutiles à nos fonctions, pour s'atrophier et devenir rudimentaires, les autres, que récla-
ment les générations à venir, pour s'amplifier et marcher vers le perfectionnement.
Voilà bien comment la tératologie n'est qu'une forme de l'anatomie comparée.
E. Histologie. — Pour étudier les éléments morphologiques qui entrent dans la struc-
ture des organes, l'homme, dont l'acuité des sens devient insuffisante aux examens déli-
cats que nécessitent de pareilles recherches, est obligé de faire appel aux instruments
d'optique : il fait alors usage du microscope. Mais tous les éléments anatoniiques se
réduisent, en dernière analyse, aux cellules : celles-ci peuvent être plus ou moins trans-
formées et différenciées par leur morphologie, leur groupement, leur adaptation à une
fonction ou à une autre — et c'est pour cela que nous ne les reconnaissons pas toujours —
mais si différentes qu'apparaissent, a priori, de la cellule telle que nous avons accoutumé
de l'envisager, les fibres musculaires, les fibres élastiques, les fibres conjonctives, elles
n'en sont pas moins, les unes et les autres, des dérivés cellulaires. L'anatomie microsco-
pique n'est donc pas autre chose que l'anatomie cellulaire; on pourrait l'appeler mérologie
(ij-spo;, partie constituante) ainsi que le propose J. Béclard; elle est, en effet, l'étude des
A NATO MIE. 485
parties élémentaires auxquelles, par l'analyse analomique et par dédoublement successif,
on peut ramener les tissus et les humeurs.
Mais les éléments figurés, outre qu'ils possèdent, chatun pour sa part, une morphologie
très diverse, s'associent, s'unissent, s'adaptent les uns aux autres, tandis que les subs-
tances amorphes de l'organisme assurent leur cohésion; et c'est précisément de cet
assemblage, dont les modes sont très variés, que résultent les tissus. La connaissance
des éléments figurés ne suffit donc pas à l'anatomiste; il faut encore qu'il apprenne les
différentes façons dont ces éléments se tissent, se feutrent, s'enlacent. On dit alors qu'il
fait de VMstoloçjie ('-aTo;, tissu). La mérologie est donc la science de la structure des tissus;
elle essaie de pénétrer la nature des éléments analomiques; Vhislologie est la science de
la texture des tissus; elle recherche les modes variés suivant lesquels ces parties élé-
mentaires s'agencent et se disposent pour former une trame déterminée. Mais ce n'est
pas tout.
D'une part, pour analyser les tissus, le microscope n'est pas le seul procédé que
• le savant emploie : il se sert encore de la coction, de la macération, des réactifs chimi-
ques, etc. : son étude ne se borne donc pas à la simple constatation de la forme et de
l'agencement des éléments figurés; elle porte encore sur « leurs propriétés vitales et
physiques, sur leurs sympathies », sur leur parenté, sur leur genèse et sur leur évolu-
tion. D'autre part, l'agencement des parties élémentaires les unes par rapport aux autres
et leurs connexions réciproques ne sont pas variables à l'infini ; le nombre des tissus créés
chez les animaux par les différents modes de cet agencement est même relativement si
limité, que le même tissu se retrouve, en réalité, dans les organes en apparence les plus
différents : de là vient la nécessité, pour l'anatomiste, de comparer d'abord et de synthé-
tiser ensuite, c'est-à-dire de rechercher, dans les régions les plus disparates, les parties
qui sont similaires, puis d'en faire un groupement. Voilà pourquoi l'on désigne encore la
mérologie et l'histologie sous le nom d'anatomic générale. Et rien n'est plus juste, car
c'est vraiment si bien « la eonstilution élémentaire qui est le caractère prédominant
auquel on reconnaît les parties semblables », et il est si vrai que le microscope est le
principal instrument qui nous permet de découvrir et d'approfondir cette constitution élé-
mentaire, qu'on peut, sans méprise, faire synonymes l'une de l'autre les dénominations
d'anatomie générale et d'anatoraie microscopique.
Il y a, dans l'économie, un certain nombre de tissus qu'on trouve, associés en plus
ou moms grande quantité, dans tous les organes: ces tissus sont des tissus primordiaux,
des tissus simples; chacun d'eux constitue une unité, une entité indivisible; ils sont fojida-
mentaux et irréductibles; leur étude est une véritable abstraction, car elle se fait abso-
lument en dehors des organes à la formation desquels ils concourent. Ce sont : le tissu
conjonctif et ses différents sous-ordres (tissu cellulaire, tissu fibreux, tissu élastique,
tissu adipeux) le tissu osseux et le tissu cartilagineux (que Reichert englobait aussi,
non sans quelque raison, dans le vaste groupe du tissu conjonctif), le tissu musculaire, le
tissu nerveux, le tissu épithélial, le tissu endothélial. Chacun de ces tissus est répandu
sur plusieurs points de l'économie animale et se retrouve dans des organes ; visiblement
très dissemblables. Aussi peuvent-ils être considérés les uns et les autres comme formant
autant de systèmes. C'est à eux qu'on peut, avec Bichat, donner le nom de systèmes de la
vie organique. A la vérité, sous cette dénomination, Bichat n'entendait pas seulement ce
que je viens d'appeler les systèmes simples ou primordiaux de l'organisme, mais ericore les
systèmes qu'il conviendrait de nommer, à moji sens, les systèmes composés ou secon-
daires, et parmi lesquels on trouverait, entre autres, le système artériel, le système vei-
neux, le système lymphatique, le système muqueux, le système séreux, le système ten-
dineux, etc. : ce groupement serait, à ce qu'il semble, plus naturel. Une artère, par
exemple, n'est pas un tissu; ce n'est pas un système indivisible; sa texture est faite de
tissu conjonctif, de tissu musculaire, de tissu endothélial, et on en peut dire autant d'une
veine, d'une muqueuse, d'une séreuse, etc. Bref, quelle que soit la façon d'envisager les
choses, ou peut dire de l'anatomie générale quelle est Vanatomie des systèmes organi-
ques. Mais à côté des systèmes, il y a les organes; et, à côté des organes, les appareils.
Un organe est plus complexe qu'un système; il n'est pas formé seulement d'un cer-
tain nombre de tissus différents, il est encore la combinaison de plusieurs systèmes
de second ordre. Dans les bronches, par exemple, il n'y a pas seulement du tissu carti-
■i86 ANATOMIE.
lagineux, du tissu élastique, du tissu musculaire — systèmes primordiaux; — il y a aussi
des artères, des veines, des lymphatiques — systèmes composés. — Enfin, un appareil
est l'assemblage de plusieurs organes concourant à une même fonction : tels l'appa-
reil digestif, l'appareil respiratoire, etc. Tandis que l'anatomie générale étudie les tissus
et les systèmes, l'anatomie descriptive doit être considérée comme l'anatomie des
organes et des appareils.
r). Anatomie philosophique. — J'ai montré comment l'embryologie et la tératologie pou-
vaient être considérées comme des sciences annexes de l'anatomie comparative. Or, en
comparant les différents individus dont l'ensemble constitue le règne animal, l'on ne
tarde pas à s'apercevoir que, sous les apparences les plus variées, ces individus cachent
de profondes ressemblances, et qu'il y a entre les organes similaires des uns et des
autres des analogies très certaines, sinon toujours très évidentes. Quand, après avoir
observé les faits, noté les points de contact et les différences, dépisté les rapports que
présente d'une espèce à l'autre, d'une classe à l'autre, d'un embranchement à l'autre,
l'organisation des êtres vivants, l'anatomiste déduit des aperçus généraux, formule des
lois, pose des principes, s'élève de la constatation simple des choses à l'abstraction,
n du posteriori au priori, » de l'examen à la théorie et à la spéculation, de la sensation
à l'idée, quand il généralise, enfin, on dit alors qu'il fait de l'anatomie philosophique
ou transcendentale.
L'anatomie transcendante est tout entière édifiée sur la constatation des homologies et
des analogies.
Quand je compare les unes aux autres les dilTérentes parties d'un même individu,
je m'attache à l'étude des homologies. Je constate, par exemple, ]que le membre supérieur
droit est l'homologue du membre supérieur gauche ; que le membre supérieur est l'homo-
type du membre inférieur; que le crâne, formé de plusieurs vertèbres différenciées, est, à
la tête, le représentant de la colonne vertébrale du cou, du dos et des lombes. Voilà
autant de types d'homologies spéciales ou partielles, parce que la comparaison porte sur
certaines parties seulement de l'individu. Quand, au contraire, d'après l'étude de la for-
mation des plaques vertébrales, je considère, par généralisation, l'animal supérieur,
formé, comme les vers, par une série de pièces disposées à la suite les unes des autres,
par une superposition d'anneaux ou de segments renfermant chacun une portion d'or-
gane respiratoire, digestif, circulatoire, etc.; quand j'établis, au résumé, la théorie des
zoonites, des somites ou des métamères, je fais là ce qu'on appelle de Yhomologie géné-
rale. Si maintenant, faisant excursion dans le domaine de l'anatomie comparée, je fais
un parallèle entre les organes dans la série animale pour découvrir, sous leur appa-
rente diversité, leurs nombreuses ressemblances, je me préocupe des analogies. Ainsi,
quand j'établis les rapports qui unissent le bras de l'homme et le train antérieur du qua-
drupède, l'aile de l'oiseau et la nageoire du poisson. Ces analogies entre organes simi-
laires d'animaux différents reposent sur leur développement, sur leur forme, sur leur
composition élémentaire, sur leurs connexions, sur l'influence qu'ils exercent sur les
organes voisins.
C'est dans la recherche des homologies et des analogies que les savants ont décou-
vert les grandes lois qui régissent l'organisation du règne animal. Malheureusement,
sur ce terrain, la pente est glissante. S'il est permis d'aller plus vite que Cuvier qui vou-
lait qu'on étudiât d'abord les faits, qu'on en déduisît seulement les conséquences immé-
diates, qu'on observât et qu'on raisonnât ensuite, s'il n'est pas défendu, à l'exemple de
notre grand Geoffroy Saint-Hilaire, le père de l'anatomie transcendantale, de subor-
donner, dans une certaine mesure, les faits aux idées et l'examen à l'abstraction, c'est-
à-dire de penser, de concevoir, de généraliser sur des données incertaines et insuffisantes,
sauf à les vérifier ensuite, à soumettre la spéculation à l'épreuve de la constatation des
faits et à démolir de l'édifice construit toutes les parties dont celle-ci n'aura pas
démontré la solidité; si, dis-je, il est permis de marcher dans cette voie, où, au fond,
le raisonnement ne peut s'égarer, protégé qu'il est par les observations de l'anatomie
descriptive, il faut aussi se garder d'entrer dans les errements de f école de Schelling
où l'imagination seule fait la théorie, où l'observation est mise tout entière au service
des idées, et où l'on aboutit à des conclusions dont la fantastique bizarrerie a pres-
que toujours choqué, jusqu'à notre époque, l'esprit positif et logique des plus généra-.
ANATOMIE. 487
lisateurs de nos anatomistes français. Dire, par exemple, que la tête représente le reste
du corps, que la mâchoire supérieure est l'image du bras, la mâchoire inférieure
l'image des jambes, les dents l'image des ongles et des grifTes, imaginer un membre
céphahque dans lequel l'écaillé temporale représente l'omoplate, l'apophyse zygomati-
que l'épine du scapulaire, la fosse temporale la fosse sus-épineuse, l'os malaire la cla-
vicule, le condyle maxillaire l'humérus; dire que la tète est l'image synthétique de la
Terre ou de l'Univers, faire, sans rire, de la langue l'homologue de l'organe copula-
teur, c'est, ou je me trompe beaucoup, s'aventurer dans l'invention pure ; de nos
jours tout au moins, où il me semble que nous ne sommes pas encore armés pour de
pareilles généralisations. En se confinant dans le domaine des homologies et des analo-
gies vraies, et non pas en se livrant à de pareils écarts de l'imagination, E. Geoffroy
Saint-Hilaire, Lamahck, Darwin ont pu établir les lois auxquelles est soumise l'évolu-
tion de l'organisation animale, et marquer la véritable place de l'homme dans la
nature.
Je disais que des observations de l'anatomie comparative le savant déduit des lois
générales, et que c'est là, proprement, le rôle de l'anatomie transcendantale. N'est-ce pas
en étudiant les homologies et les homotypies que Serres a pu découvrir les lois qui pré-
sident à l'ossification des os longs (existence du point diaphysaire et des deux points épi-
physaires, ordre d'apparition de ces points et ordre de soudure, direction du canal nour-
ricier principal de l'os), et en donner une formule générale heureusement complétée par
Alexis Julien, qui a, dans ces derniers temps, démontré que le premier point complémen-
taire apparaît surl'extrémité osseuse voisine de l'articulation où se produisent les mouve-
ments les plus importants du membre? N'est-ce pas encore en scrutant les organes
analogues que ce même Alexis Julien a pu traduire en une phrase concise la loi de
position des centres nerveux dans le règne animal tout entier : « Il y a un rapport cons-
tant et direct entre la position des principaux centres nerveux et celle des principaux
organes sensoriels et locomoteurs » ? N'est-ce pas, enfin, par l'étude des analogies,
poursuivie jusque dans l'évolution des êtres vivants à travers les temps et dans leur
« succession géologique », que les anatomistes sont arrivés à comprendre les modifica-
lions imprimées aux organes des animaux, dans la suite des siècles, par le milieu, les
conditions climatériques, l'exercice ou l'inaction, la lutte pour l'existence, les croise-
ments, l'hérédité directe, l'imprégnation ou hérédité par influence, la sélection natu-
relle, la ségrégation et la migration; établissant ainsi que l'homme « n'est pas sorti un
beau jour tout d'une pièce du limon de la terre, qu'il s'est développé lentement, en pas-
sant dans le cours des âges par une série de formes qu'il répète plus ou moins pendant
son développement embryonnaire, qu'il n'a pas toujours été ce qu'il est, et qu'on retrouve
dans son organisation les traces de sa parenté avec le reste du monde animal » ?
(Debierre). Voilà comment est née, entre les mains de Lamarck et de Darwin, la grande
doctrine de l'évolution des êtres vivants. Le darwinisme est le dernier terme et comme
le couronnement de l'anatomie transcendantale.
Histoire de l'anatomie. — Il paraît que les peuples antiques de l'Inde, à l'encontre
des Égyptiens et des Hébreux, avaient, en anatomie, des connaissances relativement
étendues. Mais, en réalité, l'histoire de cette science ne commence guère pour nous qu'a
Aristote; car Hippocrate lui-même (460 ans av. J.-C.) la dédaigna au point que ses
œuvres n'en portent guère la trace. Sous le règne des Ptolémée (280 ans av. J.-C),
Hérophile et Érasistrate, à Alexandrie, firent de très remarquables études ; ils dissé-
quèrent même, dit la légende, des criminels vivants. Puis, après eux, l'anatomie retomba
presque dans le néant, jusqu'au jour où Galien (131 ans av. J.-C.) étudia les organes du
singe, peut-être aussi ceux des enfants abandonnés, et en donna une description qui fut
respectée religieusement pendant des siècles. La parole du maître resta sacrée, comme
celle d'un oracle, et ses « pâles continuateurs » acceptèrent tout, erreurs et vérités,
jusqu'au moment où, après une longue éclipse de 1300 ans, Mundinus, médecin de Milan
(1306) et après lui Vésale {1514), de Bruxelles, recommencèrent à disséquer des cadavres
humains; bientôt après suivirent Fallope, Eustaciie, Bartholin, Monro, Hiûgliss, Lower,
Sténon, WiLLis, Malpighi, Ruysch, Swammerdam et tant d'autres, qui tous apportèrent
leur pierre à l'édifice...
488 A NATO MIE.
L'anatomie fut alors définitivement délivrée des entraves qu'une ordonnance du pape
Urbain A'III (1300), frappant d'excommunication ceux qui déterraient les morts pour les
disséquer, avait mises à ses progrès, et débarrassée des obstacles que la superstition
avait jetés sur son chemin. Elle marcha de conquête en conquête, souvent protégée par
les souverains eux-mêmes, puisque, vers 1S50, le grand duc de Toscane, dans un édit
barbare, ordonna de livrer les criminels aux me'decins de Pise; ceux-ci, raconte l'his-
toire, tuaient les malheureux à leur manière et les disséquaient ensuite.
Mais je ne veux point écrire ici, même en abre'gé, le passé de la science anatomique,
ni montrer les progrès réalisés peu à peu par tous les illustres chercheurs qui pen-
dant le xvn'', le svm° et le xix" siècles se sont adonnés à son étude ; je voudrais seule-
ment, dans cette encyclopédie de physiologie, faire voir, à l'aide de quelques exemples,
comment l'anatomie et la physiologie se sont suivies pas à pas; comment, depuis les
temps les plus anciens jusqu'à nos jours, elles ont subi la même destinée, accompli la
même évolution, véritables sœurs jumelles qui ont toujours été, sont encore et resteront
à tout jamais inséparables.
Influence des découvertes anatomiques sur la connaissance de la physio-
logie. — Tant que persista la ligne de démarcation que les anciens avaient tirée entre
l'anatomie et la physiologie, tant que « les dépouilles de la mort furent le domaine de
l'anatomiste et que le physiologiste eut en partage les phénomènes de la vie », tant
qu'HALLER ne vint pas, arrachant la physiologie « à l'empire du mécanisme et du vita-
lisme », montrer que « la science des fonctions est le but, et celle des organes le moyen
d'atteindre ce but », cette physiologie ne put que construire un « vain échafaudage
dressé par l'imagination, mais que le souffle de la raison renversa sans peine ». Au
reste, il suffit de parcourir l'histoire de l'anatomie pour se convaincre que chaque décou-
verte, chaque progrès nouveau réalisé par elle, a détruit une conception physiologique
erronée, pour lui substituer une juste notion des faits; et c'est ainsi que, peu à peu,
l'erreur a cédé la place à la vérité dans l'évolution de la science de la vie.
Érasistrate, sous le règne de Ptolémée Philadelphe (28 ans av. J.-C), découvre
l'oesophage, et démontre, en même temps, qu'il est parcouru par les boissons et les
aliments; du coup, il réfute la vieille opinion de Platon, de Galien et de ceux qui,
après eux, avaient prétendu que l'air et le bol alimentaire passaient indistinctement par
la trachée qui était « humectée pendant la déglutition ». Cassius, un des disciples
d'AscLÉpiADE, constate que, dans les plaies de tête, si le côté droit est blessé, ce sont
les muscles du côté gauche qui tombent en paralysie : il en conclut que les nerfs crâ-
niens s'entrecroisent à la base du cerveau. Arétée (de Cappadoce) fait les mêmes cons-
tatations, et c'est toujours en se basant sur les mêmes données physiologiques que
plus près de nous, au xvni= siècle, Valsalva, Pourfour du Petit et d'autres ont décrit
l'entrecroisement des nerfs aux éminences pyramidales et olivaires, « aux bras et aux
cuisses de la moelle allongée ».
Les anciens croyaient que, pendant l'inspiration, l'air, chargé de particules odo-
rantes, passait par les petits orifices que Celse avait découverts sur la voûte des fosses
nasales et allait ainsi impressionner le cerveau : mais Théophile Protospatarius dé-
couvre les nerfs olfactifs, montre leur usage et corrige, par l'anatomie, l'erreur phy-
siologique de ses prédécesseurs.
Galien observe que le cerveau est animé de battements dépendant de la pulsation
des artères, mais il voit aussi, après avoir enlevé des rondelles de crâne à des animaux,
que le cerveau se gonfle quand l'animal se défend, fait des efforts et crie, puis qu'il
diminue quand survient le repos. Il interprète ces mouvements — qu'il appelle la res-
piration du cerveau — par le passage de l'air inspiré au travers de la lame criblée de
l'ethmoïde, passage favorisé par l'existence d'un espace vide entre la dure-mère et les
circonvolutions. Mais Jacques Dubois, surnommé Sylvius, démontre au svi= siècle, par
des dissections, qu'il n'y a point de vide entre les méninges et l'encéphale, qu'il n'existe
pas de conduits par lesquels l'air puisse pénétrer des fosses nasales dans les ventri-
cules du cerveau, et détruit ainsi la théorie de la respiration cérébrale. Ce n'est pas
tout. Dans l'opinion des anciens, du liquide sécrété par la glande pinéale filtrait au
dehors du crâne par les orifices ethmoïdaux et sphénoïdaux, après avoir traversé la tige
pituitaire, et pénétrait ainsi dans les fosses nasales d'où il s'écoulait abondamment
ANATOMIE. -489
pendant le covyza; à cette humeur on donnait le nom de liqueur piluiteuse. Or,
Schneider (de Wittemberg) au .\vi° siècJe, démontre que la prétendue liqueur pituiteuse
provient des fosses nasales elles-mêmes, que les trous de l'etiimoïde et du sphénoïde
sont hermétiquement fermés par la dure-mère, et que le liquide qui imbibe certaines
parties du cerveau est sécrété, ainsi que Vesling l'avait déjà dit, par la membrane
interne des ventricules, comme la sérosité péritonéale, pleurale et péricardique, par le
péritoine, la plèvre elle péricarde. Ainsi, les deux grands pas étaient faits : d'une part,
il était démontré qu'aucun orifice ne pouvait conduire l'air dans le cerveau (Vésale et
Fallope l'avaient affirmé de nouveau); d'autre part, le liquide céphalo-rachidien était
découvert; la physiologie n'avait plus qu'à expérimenter et à conclure. Voici, en effet,
qu'en 1744, Schlichting, d'Amsterdam, découvre qu'en dehors des battements que déter-
minent dans sa masse les pulsations artérielles, le cerveau s'élève dans l'expiration vio-
lente et s'affaisse dans l'inspiration profonde (Galien avait précisément enseigné le
contraire), et démontre que ce soulèvement de l'expiration forcée, synchrone du repos
diaphragniatique, doit être attribué au reflux du sang de la veine cave dans les jugu-
laires et les sinus encéphaliques, car les jugulaires n'ont pas de valvules. Enfin, plus
tard, les anatomistes dissèquent les riches plexus veineux intra-rachidiens, les nom-
breuses et larges voies anastomotiques qui les relient aux veines extra-rachidiennes,
et ainsi s'établit définitivement la théorie du mécanisme des mouvements du cerveau,
par une sorte de balancement entre le sang et le liquide céphalo-rachidien, celui-ci
fuyant vers le canal vertébral à tout moment où le cerveau augmente de volume, et la
moelle épinière échappant à la compression, grâce à l'épaisseur du coussinet veineux qui
la protège et aux nombreuses soupapes de sûreté dont est pourvu celui-ci.
L'on pensait, même après Galien qui avait cependant découvert la glande lacrymale,
que les larmes venaient des ventricules cérébraux en suivant les veines et les nerfs, ou
même qu'elles émanaient du cristallin et de l'humeur vitrée. Mais Franxo, Guillemeau,
Aluebti décrivent les points lacrymaux ainsi que le canal nasal et démontrent ainsi le mé-
canisme de l'évacuation des larmes dans lesfosses nasales. Bien plus tard, Sïénon, en 1661,
découvre les conduits excréteurs de la glande lacrymale, « vaisseaux hygrophtalmiques >>,
que voient, après lui, Santorini, Winslow et Monro. Et ainsi tombent enflnles vieux préjugés
qui avaient résisté pendant si longtemps à la découverte de Galien.
Pour bien se convaincre que l'uretère est un cariai qui conduit du rein à la vessie,
Galien en pratique la ligature, et voit l'urine s'accumuler dans le bassinet, appelant
ainsi la physiologie au secours de l'analomie. Malgré le résultat de cette célèbre expé-
rience, plusieurs anatomistes continuent à penser que les liquides vont directement de
l'estomac à la vessie par des canaux inconnus, et il faut qu'EusTACuE, pour trancher la
question, refasse, au xvi" siècle, l'expérience de Galien. En étudiant l'anatomie de la
vessie, il observe que les uretères s'y ouvrent après en avoir obliquement traversé
les parois, et, sur cette constatation, il édifie sa théorie physiologique, montrant bien
que si, au moment, de sa contraction, la vessie ne chasse pas l'urine dans l'uretère,
c'est qu'elle ferme, par cette contraction môme, l'embouchure uretérale.
C'est la physiologie qui apprend la composition chimique et le développement des
os. Au xvi° siècle, Séverin Pineau jette des os dans du vinaigre, et voit qu'ils deviennent
mous et flexibles. A la même époque, Antoine Misaud nourrit des animaux avec de la
garance, et constate que leurs os deviennent rouges. Au xvm" siècle, Duhamel, en France,
et Belchier, en Angleterre, complètent et confirment les observations de Séverin Pineau.
Fallope et son disciple Volcherroyter avaient d'ailleurs prouvé anatomiquement que,
dans les os longs, l'ossification commence par la partie moyenne et finit par les extré-
mités. Sanctorius et Hérissant, refaisant les expériences de Séverin Pineau, montrent
définitivement comment l'os se compose d'une « base terreuse » et « d'une substance
visqueuse, mucilagineuse ou membraneuse », et comment la matière crétacée seule se
colore sous l'influence de l'alimentation par la garance. Ainsi l'élan est donné, et plus
tard les fameuses recherches de Flourens établissent d'une façon définitive comment,
dans l'accroissement de fos en épaisseur, c'est « le périoste seul qui travaille », et
comment « les lames intérieures de celui-ci s'ossifient et augmentent la grosseur des
os ». Enfin, sous nos propres yeux, dans les mains d'ÛLLiER, de Lyon, la physiologie
démontre que les os s'accroissent en longueur par l'intermédiaire du cartilage de conju-
/t90 ANATOMIE.
gaison, et ainsi est désormais établi, par l'expérimentation et contre toutes les théories
de l'école allemande, le principe du développement périphérique de l'os.
Il fallut que Fallope découvrît l'artère centrale de la rétine pour qu'on s'expliquât
comment le nerf optique était un nerf creusé à son centre d'une cavité, et pour qu'on
jugeât à sa juste valeur la fameuse hypothèse d'HÉROPHiLE et de Galien, d'après qui
« l'esprit visuel » se rendait du cerveau aux yeux par le canal du nerf optique.
Quelles hypothèses bizarres n'a-t-on pas émises sur la menstruation, l'ovulation et
la fécondation ; quelles n'ont pas été les luttes entre les ovistes et les spermistes dis-
putant sur l'importance relative de la semence de l'homme et de la femme, jusqu'à ce
que VON Baer (1827) ait découvert l'ovule, que Coste ait observé la rupture de l'ovisac
au moment du rut des animaux et des règles des femmes (1837), et qu'enfin Gendrin et
Négrier aient définitivement montré les rapports intimes qui unissent la menstruation
et l'ovulation?
Aselli, de Crémone, découvre, en 1622, les vaisseaux chylifères ou «veines lactées »,
et quelques années plus tard Jean Pecquet, de Dieppe, après avoir trouvé le réservoir
du chyle (citerne de Pecqoet) démontre que ce liquide, au lieu d'être porté vers le foie,
ainsi que le pensait Galien, circule vers les veines sous-clavières et vers le cœur. Et
voilà que s'éclaire tout d'un coup la question de Tabsorption physiologique et expéri-
mentale des liquides et des graisses, absorption que les anciens connaissaient en partie,
puisque la pratique des lavements nutritifs date des temps les plus reculés.
Mais nulle part le parallélisme de la marche suivie par l'anatomie et la physiologie
n'appai'ait mieux que dans l'histoire de la circulation du sang. Erasisthate croyait que
les artères contenaient de l'air: Galien démontre qu'elles sont remplies de sang; il
découvre aussi le trou interauriculaire du fœtus, le canal artériel et les valvules du
cœur. VÉSALE observe que la cloison interventriculaire n'est point perforée. Charles
Estienne de Paris, Amatus de Ferrare, Jacques Dubois (dit Sylvius), Fabrice d'Aquapen-
dente, Fra Paolo Sarpi de Venise, décrivent tour à tour les différentes valvules des
veines. Et là-dessus, Michel Servet, de Villanueva, découvre en ISoO la circulation pul-
monaire qu'AuBRoisE Paré se refuse à admettre. Puis, cent ans plus tard, Harvey, dis-
ciple de Fabrice, d'Aquapendente, se basant sur les démonstrations anatomiques de son
maître et sur les détails qu'il avait donnés de la situation et de la direction des valvules
veineuses, examine les pulsations du cœur et des artères, observe le résultat de la
ligature des veines et démontre enfin, en 1628, le mécanisme de la grande circulation
qu'ANDRÉ Cesalpino, d'Arezzo, avait déjà parfaitement conçue et définie « par la seule
force de son [génie», vers l'an 1360; à Cesalpino n'est pas resté l'honneur de cette immor-
telle découverte, parce qu'il ne sut malheureusement pas lui donner la consécration ana-
tomiqueque lui donna plus tard Harvey, dont le monde médical, qui était resté sourd aux
paroles du savant italien, accepta les idées avec enthousiasme, parce que celles-là seules,
parmi les affirmations, <f peuvent prendre racine qui ont un fondement anatornique ».
Ces quelques exemples d'histoire déjà ancienne, pris entre tant d'autres, suffiront,
je pense, à montrer les services que, dans la suite des temps, se sont rendus récipro-
quement l'anatomie et la physiologie. On peut dire que la science de l'organisation
des êtres est inséparable de la science de la vie. Est-il besoin de citer des faits plus
récents? Ils abondent.
N'est ce pas la physiologie qui, dans les mains de Ch. Bell (1811) et deM.vGENDiE (1822),
nous a appris que les libres des racines antérieures des nerfs rachidiens aboutissent
aux muscles et celles des racines postérieures à la peau et aux muqueuses? iS''est-ce
pas la physiologie qui, après nous avoir enseigné, de concert avec la méthode anatomo-
clinique, l'existence des centre moteurs etsensitifs surle cerveau des animaux et sur celui
de l'homme, nous a montré, par l'étude des dégénérations ascendantes et descendantes,
la composition de la capsule interne, du pédoncule cérébral, du bulbe et des cordons
médullaires? N'est-ce pas à elle que nous devons toutes nos connaissances actuelles sur
le faisceau psychique, le faisceau géniculé, le faisceau pyramidal, le faisceau sensitif?
Comment saurions-nous que la corde du tympan anime la muqueuse linguale et la glande
sous-maxillaire, si, après en avoir pratiqué la section, nous ne trouvions pas des fibres
dégénérées dans le tronc du nerf lingual jusque sur ces deux organes?Et pour la branche
interne du nerf spinal, de quoi, sinon de l'expérimentation, tiendrions-nous qu'elle
ANATOMIE. 491
innerve le cœur et les muscles du larynx? N'avons-nous pas appris de la célèbre expé-
rience de Cl. Bernard sur l'oreille du lapin que c'est du sympathique que partent les
rameaux destinés à la mise en œuvre des fibres musculaires lisses des vaisseaux? N'est-ce
pas encore l'expérimentation qui nous a renseignés sur l'innervation sympathique de
l'iris? N'est-ce pas elle, enfin, qui nous a montre' la véritable origine et le véritable trajet
des filets qui composent le nerf vertébral?
D'ailleurs, l'anatomie n'est jamais restée en arrière dans ce continuel échange de ser-
vices réciproques et de bons procédés. Le physiologiste s'étonnait que l'extirpation du
corps thyroïde ne produisît pas toujours les mêmes troubles chez l'animal : mais voici
que l'anatomie découvre les thyroïdes accessoires. On discute sur le phénomène de l'ac-
commodation; on l'explique par le relâchement et le resserrement alternatifs de la
pupille, par des contractions des muscles moteurs du globe oculaire modifiant la lon-
gueur de l'œil ou la courbure de la cornée, par des mouvements de translation du cris-
tallin en avant ou en arrière, jusqu'au jour où la découverte du muscle ciliaire, muni
de fibres annulaires et de fibres radiées, fait comprendre comment la face antérieure du
cristallin subit des modifications de courbure qui permettent à la lentille oculaire de
s'adapter à la vision proche et à la vision éloignée.
Au reste, on ne conçoit pas qu'un physiologiste ne soit pas aussi un anatomiste ; la
connaissance macroscopique et microscopique des oi'ganes s'impose à lui. Je ne veux
pas dire par là qu'on puisse et qu'on doive mener de front l'étude des deux sciences :
aujourd'hui, plus que jamais, la spécialisation s'impose, mais elle ne s'impose qu'à cette
seule condition que le physiologiste acquière, avant d'expérimenter, un fonds solide de
connaissances anatomiques, et qu'il se tienne, au jour le jour, plus ou moins au courant
des progrès réalisés par la science de l'organisation animale. Certes il trouvera, au
milieu des nouvelles découvertes anatomiques, des questions de détails qui ne l'inté-
resseront que médiocrement et ne pourront avoir — au moins pour l'heure présente
— que des rapports lointains avec la physiologie; mais combien d'autres, en re-
vanche, pourront l'éclairer dans ses recherches, le guider dans son expérimentation ^
fixer ses idées, l'aider à résoudre des problèmes restés jusque-là inconnus ! Quelques
exemples encore. Le mécanisme de la chaîne des osselets et le fonctionnement de
l'oreille moyenne ne suppose-t-il pas, pour être compris, la connaissance des
muscles moteurs de l'élrier et du marteau, celle de la trompe d'EusTACHE et celle du
muscle péristaphylin externe? Ne faut-il pas savoir la disposition de l'appareil auto-
clave de la veine dorsale de la verge, pour s'expliquer l'érection des corps caverneux
et celle du corps spongieux de l'urèthre, qui ne survient qu'après la première ?Conçoit-on
qu'on puisse étudier la physiologie de la voix sans une connaissance parfaite des
muscles du larynx et de leur innervation, celle des mouvements du globe de l'œil sans
une exacte notion des fibres d'association des noyaux de la 3'=, de la 4" et de la 6° paires?
Et l'anatomie microscopique n'est pas moins nécessaire au physiologiste que l'ana-
tomie descriptive. L'étude des mouvements de l'estomac et de l'intestin suppose la
connaissance de leur système musculaire. Le phénomène de l'expiration et la transfor-
mation du courant intermittent du sang en courant continu ne peuvent être compris que
par celui qui connaît la disposition des fibres élastiques dans le poumon et leur distri-
bution dans les dilférentes artères. On ne saurait imaginer comment l'ovule chemine
dans la trompe, et le spermatozoïde dans le canal déférent, ni comment les poussières sont
expulsées au dehors des voies aériennes, si l'on ignore la morphologie des épithéliums et
les différences qui séparent l'épithélium plat [èpithélium de protection de l'œsophage) de
l'épithèliuni à cils vibratiles [èpithélium de propulsion de la trachée et des organes
génitaux).
Il est, du reste, un point où la physiologie et l'histologie se confondent. N'est-ce
pas avec le microscope que le physiologiste, étudiant la circulation capillaire, démontre
que les globules blancs cheminent le long de la paroi du vaisseau, formant là comme
une veine liquide à courant très lent {couche adhérente de Pùiseuille), toute prête à la
diapédèse? N'est-ce pas encore avec le microscope que le physiologiste scrute les phé-
nomènes intimes et les modifications cellulaires de la sécrétion des glandes? Mais
c'est tomber dans la banalité que de vouloir démontrer des choses d'une pareille
évidence. Il est certain que le physiologiste doit être doublé d'un bon anatomiste.
492 ANELECTROTONUS — ANEMIE.
La science de la vie suppose la science de l'organisation, parce que les fonctions
d'un organe sont liées à la structure de cet organe; les travaux du physiologiste sont
nécessairement et immédiatement enchaînés aux recherches de l'anatomiste, « et la
science des fonctions, privée du flambeau de la science de l'organisation, ne peut que
marcher au hasard et se nourrir seulement des écarts du génie )>.
PIERRE SEBILEAU.
ANELECTROTONUS- • — Nom sous lequel est désigné l'état électrique, à
l'anode, d'un muscle ou d'un nerf soumis pendant un certain temps à l'action d'un cou-
rant électrique (V03'. Électricité, Electrotonus).
ANEMIE (de à et à'iast, sang, privation de sang). — Pathologie. — En pathologie
l'anémie signifie une maladie caractérisée par la diminution du sang, et plus particu-
lièrement de certains éléments du sang, les globules rouges; soit que le nombre des
globules rouges ait diminué par i-apport au plasma, soit, le plus souvent, que la teneur
de ces globules rouges en hémoglobine ait diminué, de manièi'e à altérer notablement
l'hématose d'une part, et d'autre part la vie des tissus, spécialement des centres nerveux.
L'histoire de l'anémie relève donc exclusivement de la pathologie; soit pour ses causes,
qui sont multiples; soit pour ses modalités, et la marche générale de la maladie. Les
déductions importantes qu'on peut tirer de la physiologie normale, au point de vue de
la nutrition, de la caloriflcation, de l'innervation, seront exposées aux articles Fer,
Hématie, Hémoglobine et Sang (Voy. aussi Potatn. Art. « Anémie » du Dict. enci/cL).
Notons seulement que l'anémie, qui jouait jadis un si grand rôle dans la palhulogie, est
bieû déchue de son importance, et que certaines alfections, comme par exemple l'ané-
mie des mineurs, lui ont été totalement enlevées.
En physiologie générale, l'anémie signifie la privation de sang d'un tissu. Elle est
très importante à étudier d'une manière tant soit peu approfondie; car elle nous apprend
quelles sont les propriétés essentielles, caractéristiques de tel ou tel tissu vivant, indépen-
damment du sang oxygéné qui l'irrigue.
Anémie et Hémorrhagie. — Quand on provoque la mort d'un animal par hémor-
rhagie, on le tue en réalité par anémie, mais les symptômes généraux des hémorrhagies
sont trop complexes pour être étudiés ici (Voir Hémorrhagie). D'ailleurs nous étudions,
dans cet article, non la mort de l'individu, mais la mort de chaque tissu. L'individu
meurt quand le système nerveux n'est plus en relation avec un appareil circulatoire
intact; mais chaque tissu survit plus ou moins longtemps à cette mort de l'individu, et
c'est précisément cette survivance des tissus que nous avons à étudier.
On peut cependant, dans quelques cas, faire périr un animal par anémie sans sous-
traction du liquide sanguin. Alors ce n'est pas l'anérnie totale qui le tue; mais seulement
l'anémie cérébrale. On change les conditions d'équilibre d'un quadrupède en le inettant
la tête en l'air. L'expérience a été faite par Salathé [D. P., 1877), et je l'ai maintes
fois répétée dans mes cours. En plaçant un lapin dans la position verticale, et en l'atta-
chant sur une planche, on le fait mourir en une vingtaine de minutes environ. Quelque-
fois, sans qu'on en connaisse bien la cause, l'expérience ne réussit pas. Même, chez le
chien, elle ne réussit jamais dans les conditions normales. Mais Hayem a montré qu'après
une hémorrhagie abondante, quoique non immédiatement mortelle, un chien meurt
au bout de deux ou trois minutes si on le place dans la position verticale, ce que j'ai
aussi vérifié comme parfaitement exact (B. B., 1891, p. 3o. Influe)ice de l'attitude sur
l'anémie cérébrale).
Ce qui rend cette expérience instructive, c'est qu'elle établit bien la différence entre
la mort de l'individu et la mort des tissus. Il est clair que le cerveau et le bulbe sont dans
ce cas les seules parties de l'organisme anémiées; mais cela suffit pour amener la mort
de l'individu, par suite de la domination que l'appareil nerveux exerce sur les autres
appareils. L'anémie d'un seul organe aussi important que le cerveau et le bulbe amène
la mort du cœur, et par suite celle de tous les autres organes : c'est sans doute le cas
de toutes les morts, quelles qu'elles soient. Elles sont dues à la mort du système ner-
veux central, qui régit la circulation et la respiration.
Anémie des tissus en général. — A mesure qu'on étudie de plus près l'histoire
ANEMIE.
493
de l'anémie, on s'aperçoit bien que les tissus ont une existence personnelle, indépendante
du sang qui les irrigue. Le sang sert à entretenir la nutrition et la vie; mais la vie
peut continuer quelque temps, et un temps très variable, suivant la nature du tissu
étudié et les conditions extérieures.
Les expériences qui prouvent ce fait important sont innombrables; un muscle conti-
nue à être irritable par l'électricité ou les autres agents excitateurs longtemps après que
la circulation a cessé; les cils vibratiles arrachés de l'organisme continuent à se mou-
voir; un cœur de grenouille ou' de tortue se contracte pendant plusieurs jours, même
si l'on a remplacé le sang par une solution saline; voilà des faits positifs qui établissent
bien cette première loi que la vie des tissus est indépendante du sang.
C'est surtout sur les nerfs et les muscles qu'on peut bien suivre les effets de l'anémie,
autrement dit les différentes phases par lesquelles passe le nerf avant de mourir défini-
tivement par la privation de sang. La méthode graphique permet d'enregistrer minute
par minute les oscillations de l'excitabilité, en même temps qu'on peut doser exactement
la force excitante par l'emploi des courants électriques.
Plusieurs auteurs, Faivre (fi. B., 1808, p. 223; 1860, p. 26); (Jladde Bernard {Rapport
sur les progrés de la physiologie, 1867, p. 27); Rosenthal [Les nerfs et les muscles, 1881,
p. 104) ; Ch. Richet {Physiologie des muscles et des nerfs, 1883, p. 609); A. Waller (A. P.,
1888, p. 4oT) ont analysé les phases de l'anémie, et ils ont vu constamment que le nerf,
dès qu'il a été privé de sang, commence par devenir plus excitable; puis, à mesure que
l'anémie se prolonge, il perd ses propriétés fonctionnelles, si bien qu'il finit par mourir
au bout d'un temps plus ou moins long. Mais toujours une période d'excitabilité accrue a
précédé la mort.
C'est là une loi très générale, pour le nerf comme pour le muscle, comme pour les
autres tissus, et dans la mort par l'anémie comme dans la mort par un empoisonnement
quelconque. Les grenouilles dont le cœur a été enlevé, et qui ont été lavées par un cou-
rant d'eau légèrement salée, d'après la méthode de Gohnheim et Oertmann, présentent
une période d'excitabilité psychique- accrue qui précède la mort. Le chloroforme, avant
d'abolir la sensibilité et [l'intelligence, commence par provoquer une période d'hyperes-
thésie d'abord, puis de délire et d'ivresse. Ainsi font les substances alcooliques et tous les
anesthésiques. La figure schématique suivante indique bien les phases de l'excitabilité
dans la mort par l'anémie.
On peut noter sur soi-même par une expérience très simple ces effets excitateurs de
l'anémie au début. Pour cela
il suffit d'anémier un mem-
bre, l'avant-bras par exem-
ple, avec une bande de
caoutchouc serrée. On voit
alors, ou plutôt on sent, la
série des phénomènes par
lesquels passent les nerfs
sensitifs soumis à la privation
de sang. On perçoit une
grande variété de sensations,
peu agréables d'ailleurs, qui
toutes peuvent être appelées
de l'hyperesthésie, et qui
finissent au bout de dix à
quinze minutes par devenir
une douleur insupportable,
ce qui prouve bien que l'ané-
mie est, au moins au début,
une cause d'excitabilité du
nerf.
A ces variations dans l'ex-
citabilité correspondent des variations dans la constitution chimique. Le muscle, même
quand tout ferment extérieur a été éliminé, devient de plus en plus acide et se rigidifie.
FiG. 43. — Marche de l'excitabilité dans l'anémie (Schéma).
AB, ligne des temps. Etat normal; E, excitabilité accrue;
N, mort du tissu.
494 ANEMIE.
Le nerf, lui aussi, devient acide, et sa fonction électro-motrice disparaît peu à peu,
quoique très lentement, après une courte période d'exaltation.
On s'expliquera bien l'ensemble de ces phénomènes si l'on considère l'état instable
des substances chimiques qui sont constitutives de nos tissus. Elles sont en voie per-
pétuelle de destruction pour dégager de la force, et, si elles ne trouvent pas dans le
milieu ambiant, qui, à l'état normal est le sang ox3'géné, les éléments chimiques néces-
saires à la reconstitution de la substance qui a disparu, elles finissent par périr. Ce n'est
pas là tout à fait de la théorie ; c'est surtout l'exposé d'un fait. Mais l'affirmation d'un
tel principe a cet avantage que nous pouvons alors, d'après la durée plus ou moins
grande de la résistance à l'anémie, apprécier la plus ou moins grande activité chi-
mique de tel ou tel tissu. On verra plus loin qu'une autre hypothèse peut être invoquée,
qui ressemble beaucoup à celle-ci; c'est que la vie chimique des tissus produit une sub-
stance toxique que le sang a pour mission d'enlever, au fur et à mesure de sa pro-
duction .
Dans l'un et l'autre cas il s'agit de phénomènes chimiques, et ce n'est pas là une
constatation banale; car il est clair que l'activité d'un tissu au point de vue chimique
mesure sou énergie intérieure, et indique la place qu'il doit tenir dans la hiérarchie
des tissus.
Certes ce mot de hiérarchie que j'ai employé, je crois, le premier, dans ce sens, ne peut
pas signifier autre chose qu'une susceptibilité plus ou moins grande aux causes de des-
truction chimique. Il n'y a évidemment pas parmi les tissus une hiérarchie comme dans
une société, avec des gens qui commandent et d'autres qui obéissent; mais on conçoit
qu'il faut mettre au sommet de la hiérarchie les tissus les plus compliqués ; il s'ensuit
que, plus un tissu est compliqué, plus il a une activité chimique intense, et par con-
séquent de fragilité.
Une autre conséquence de cette explication chimique de la mort des tissus par l'ané-
mie, conséquence qu'on peut admettre aprioi'i, et qui se démontre rigoureusement par
beaucoup d'expériences, c'est que la température exercera une iniluence considérable sur
la durée de la vie des tissus. Les phénomènes chimiques étant exaltés par la chaleur,
la chaleur va hâter le moment de la mort par l'anémie :
En somme quatre hypothèses sont possibles pour expliquer comment l'anémie tue à
des moments différents telle ou telle cellule :
1° Destruction plus ou moins rapide d'une substance nécessaire; autrement dit acti-
vité chimique plus ou moins grande;
2° Quantité plus ou moins considérable, mise au préalable en réserve dans la
cellule, de la substance qui se détruit par le fonctionnement cellulaire ;
3» Production plus ou moins rapide d'une substance toxique, autrement dit activité
chimique plus ou moins grande.
4° Résistance plus ou moins considérable à l'intoxication par cette substance toxique.
A vrai dire la science n'est guère encore en état de discuter avec fruit ces diverses
hypothèses. Au fond elles reviennent toutes à la constatation de cette grande loi de la
physiologie, que la vie est une fonction chimique.
Anémie des centres nerveux. Centres nerveux psychiques. — Plusieurs
méthodes peuvent être employées pour analyser les effets de l'anémie du cerveau. Bien
entendu il ne sera question ici que de l'anémie totale ; car l'anémie incomplète ou l'anémie
lente est plutôt du ressort de la pathologie. D'ailleurs c'est une question fort obscure
et incertaine, toujours traitée d'une manière bien insuflisante,(Voy. Ajiëmie cà-efira/e du
Traité de Médecine, 1898, tome vi). Au contraire l'anémie soudaine et radicale de toute la
masse cérébrale peut être facilement pratiquée par divers moyens. Ou peut injecter avec
une forte seringue de l'air dans une des carotides. Grâce aux. anastomoses larges qui font
communiquer entre elles toutes les artérioles cérébrales, l'air se répandra immédiatement
dans la masse du cerveau et chassera le sang qu'il contenait. Au lieu d'air, on peut aussi,
comme l'a proposé Vulpian, injecter une fine poussière, de la poudre de lycopode
par exemple, suspendue dans l'eau. On peut encore arrêter brusquement le cœur, et
par conséquent la circulation, soit par une rapide excision, soit par l'électrisation. La
contractilité artérielle expulse aussitôt tout lé 'sang contenu dans les vaisseaux, et le
cerveau devient exsangue. .
ANEMIE. 49S
La décollation ou décapitation est aussi un procédé d'anémie absolue; car la circu-
lation est aussitôt supprimée, et les veines et artères ouvertes laissent s'écouler une
assez grande quantité de sang.
Quelle que soit la manière dont l'anémie totale est pratiquée, on est d'accord pour
constater, chez les animaux à sang chaud, la mort presque immédiate du système ner-
veux psychique.
Les expériences faites à ce point de vue sur l'encéphale des animaux supérieurs sont
dues à de nombreux auteurs, depuis Astley Cooper (1830) jusqu'à nos contemporains, parmi
lesquels il faut citer surtout Brown-Séquard, Hayem et Barrier {A. P., 1887, p. 1) et
P. LoYE qui en a fait le sujet d'un excellent travail {La mort par la décapitation, 1888),
auquel nous renvoyons pour la bibliographie. L'histoire détaillée des faits qui se rap-
portent aux phénomènes physiologiques sera traitée ailleurs (V. Cerveau et Décapitation);
mais nous devons cependant en retenir quelques particularités.
Le principal fait, sur lequel, à quelques nuances près, tout le monde est d'accord,
c'est que la vie psychique est immédiatement abolie. Il n'est pas possible de supposer
qu'il y a, après la décollation, survivance de l'intelligence. Les contractions des muscles
de la face, les mouvements des bulbes oculaires, le rictus et les bâillements, ne prouvent
aucunement qu'il y ait encore sensibilité et, conscience. En essayant de voir combien de
temps le plus simple réflexe psychique met à disparaître (occlusion des paupières à
l'approche d'un objet brusque), on voit que la disparition du réflexe psychique le plus
élémentaire est toujours immédiate. Or on a à ))eu près le droit strict dé supposer que l'in-
telligence et la conscience sont au moins aussi fragiles que ce réflexe. Même Hayem et
Barrier, qui admettent une trace de conscience chez les chiens décapités, reconnaissent
que ce ne peut être que pendant trois ou quatre secondes, et encore même cette per-
sistance est-elle douteuse. . , '
En anémiant un chien par l'électrisation du cœur, on voit au contraire, pendant une
période de 30 à 43 secondes, ainsi que je l'ai souvent constaté, la conscience persister.
Quoique le cœur se soit arrêté, l'animal Continue à regarder autour de lui, et à com-
prendre ce qui se passe. Bientôt il pousse des cris de douleur, et il manifeste une angoisse
effrayante. Mais on n'a pas évidemment réalisé une anémie complète; car, pendant un
temps appréciable, les artères continuent à se vider dans l'encéphale, de sorte qu'on ne
peut comparer cette demi-anémie à l'anémie totale que produit la décollation.
LoYE a supposé qu'outre l'anémie absolue, soudaine, la' rhort par la décollation pro-
duisait une sorte de choc, avec des phénomènes d'inhibition. Cela est possible : mais
l'anémie suffit pour expliquer la mort rapide de la conscience; car, en introduisant rapi-
dement de l'air dans une carotide, on voit tous les phénomènes intellectuels disparaître
rapidement. Alors on n'observe pas la période spéciale, très courte, du stade d'éton-
nement et d'inquiétude, comme après l'électrisation du cœur; mais les cris douloureux
surviennent d'emblée, et il ne s'écoule guère plus de dix à quinze secondes jusqu'au
moment où l'intelligence consciente paraît anéantie. Ou peut donc admettre que, dans la
décollation, il y a suppression soudaine et totale de la conscience; tandis que, dans les
autres anémies, moins complètes et surtout moins rapides, la conscience survit encore
pendant quelques secondes.
On rapprochera ces faits des syncopes, par exemple de la syncope épileptique, où la
perte de la conscience est instantanée, ou de la vraie syncope réflexe qui survient après
une forte émotion. Souvent alors, dans ces cas, la perte de connaissance est immédiate,
et il ne s'écoule pas plus d'une, ou deux, ou trois secondes entre le moment où l'ébranle-
ment survient et le moment où la conscience disparaît. Mais il n'est pas certain que
Victiis épileptique ou la syncope même émotive soient des phénomènes d'anémie cérébrale.
Il résulte de tout ceci que la conscience est vraiment l'appareil le plus délicat et le
plus fragile de l'organisme. Alors que tous les tissus vivent et continuent leur fonction, la
conscience est morte. Il faut au système nerveux, qui préside à l'idéation consciente, un
renouvellement chimique ininterrompu. Dès que l'abord du sang est supprimé, aussitôt la
mort survient. Donc, dans la hiérarchie des tissus, nous placerons en première ligne
l'appareil cérébral psychique, et avec d'autant plus de certitude que, dans les empoison-
nements, comme dans l'asphyxie, on retrouve cette même fragilité des cellules ner-
veuses de la vie psychique.
4,96 A N E M I E.
Ces faits ne sont pas applicables aux animaux à sang froid; car, même lorsque l'ané-
mie cérébrale est totale, chez les reptiles, les batraciens, les poissons, il y a encore persis-
tance de l'activité intellectuelle. C'est une bonne preuve qu'il s'agit là essentiellement
d'un phénomène d'ordre chimique. Lorsqu'on a enlevé le cœur d'une grenouille, et
remplacé le sang qui irrigue ses tissus par une solution saline, elle continue à sauter, à
voir et à entendre, étant pendant quelques minutes tout à fait semblable à une gre-
nouille normale (Ringer et Murbell, J. P., t. i, p. 72). On a constaté aussi que la persis-
tance de la conscience après anémie est chez les grenouilles d'autant plus longue que la
température est plus basse. Comme les échanges chimiques sont fonction des variations
thermiques, tout concorde à cette conclusion, qui semble rigoureuse, que la conscience
est un phénomène d'ordre chimique, marchant parallèlement avec les échanges chimiques
des tissus.
Si l'on refroidit un animal à sang chaud, on voit tous les phénomènes ordinaires
de l'anémie se ralentir. J'ai eu l'occasion d'observer un singe qui, à la fin d'une
maladie nerveuse (de nature inconnue), présentait avant de mourir une température de
ai^S. Il fut alors décapité par une section brusque, qui fut rapidement et complètement
faite. Les réflexes palpébraux, provoqués par l'attouchement de la cornée, ne dispa-
rurent qu'au bout de i'oo". Les mouvements asphyxiques de la face persistèrent quatre
minutes.
On a cherché à savoir combien il faut de temps pour que la mort par l'anémie soit
définitive, sans qu'il y ait possibilité de faire revenir les fonctions par le rétablissement
de la circulation. .Jusqu'ici, à part une expérience de Bro^'n-Séquard, où l'anémie
n'était sans doute pas totale, à part quelques essais de Hayem et Barrier, qui ne semblent
pas très concluants, on n'a pas encore vu reparaître la conscience après que l'anémie l'a
une fois abolie. Cependant on petit prévoir que cette expérience est possible, et qu'on y
arriverait en se plaçant dans d'excellentes conditions expérimentales, difficiles à réaliser.
Mais cela ne prouverait que ceci : c'est que la vie consciente, après une courte interrup-
tion, peut reparaître si le cerveau est rétabli dans ses conditions normales. Cette étude a
été bien traitée par Love {Loc. cit. p. 84-).
Tout ce que nous venons de dire s'applique à la fonction psychique générale, sans
localisation fonctionnelle. C'est qu'en effet l'anémie, comme les empoisonnements et
l'asphyxie, dissocie admirablement les fonctions du cerveau. La fonction psychique
disparaît tout de suite; mais les autres fonctions cérébrales sont plus résistantes. Ainsi il
y a, dans la tête séparée du tronc, des phénomènes d'activité nerveuse manifeste qui
témoignent même qu'il y a une période d'excitation qui précède la période d'anéantisse-
ment. Ce sont d'ailleurs des manifestations de l'activité protubérantielle ou bulbaire, et
non de l'activité corticale. Bâillements, grimixces, contractions fibrillaires des muscles
de la face, nystagmus, mouvements des paupières, rotation des yeux, tout cela est dû à
la protubérance et au bulbe, non aux circonvolutions cérébrales.
Quant à l'excitabilité des circonvolutions à l'électricité, c'est un phénomène d'ordre
expérimental qu'il ne faut pas confondre avec l'activité psychique. Des expériences ont
été faites à ce sujet par Laborde sur les têtes des décapités (Des phénom. extér. que
l'on trouve sur la tête et le tronc des décapités, B. B., 7 févr. 1891, p. 99) et sur les chiens
par François-Franck [Pondions motrices du cerveau, 1887, p. 249), Orchansky {Einfluss der
Anémie auf die electrische Erregbarkeit des Grosshirns, A. Dh., 1883, p. 297) et Aducco
{Action de l'anémie sur l'excitabilité des centres nerveux, A. B. L, 1891, t. xiv, p. 141). Ces
auteurs ont tous constaté une augmentation d'excitabilité après l'anémie. II est vrai que,
sauf dans les cas de Laborde, qui opérait sur des décapités, l'anémie n'était pas com-
plète, étant provoquée par la ligature des carotides et des vertébrales, ce qui ne suffit pas
à empêcher absolument toute trace de circulation.
La discussion des effets de l'anémie incomplète sur l'intelligence, sur le sommeil,
sur l'anesthésie, relève plutôt d'autres articles CVoir Sommeil, Psychologie). Je mention-
nerai seulement à ce propos l'ouvrage volumineux de Sergueyeff (Physiologie de. la veille
et du sommeil, Paris, 1890, 2 vol.).
Disons cependant d'une manière générale que l'explication d'un phénomène nerveux
quelconque (épilepsie, sommeil, anesthésie) par une anémie du cerveau ou de certaines
parties du cerveau est probablement erronée. Il est douteux, malgré les raisons allé-
ANEMIE. 497
guées par Brown-Séquahd, qu'un effet vaso-moteur puisse modifier d'une manière efficace
et prolongée l'innervation cérébrale.
La ligature des vertébrales et des carotides sur le chien et sur le lapin produit aussi
des etîets remarquables. Au bout d'un temps assez court, mais variable suivant la
dilatation des artérioles qui rétablissent la circulation cérébrale, les convulsions qui
précèdent presque fatalement la mort apparaissent généralement au bout d'iiue ou
deux ou trois minutes. Kussmaul et Tenner (1837), L. Fredericq {Exp. inédites), Prévost
et Waller {Contract. des vaso-moteurs du cerveau, B. B., 18 nov. 1871, p. 142) ont pro-
duit une anémie incomplète, avec convulsions, par l'électrisation du sympathique cer-
vical. D'après les travaux de Nawalichin, de S. Mayer {Zeitsch. f. Heilk., t. iv, 1883), et des
auteurs qui ont fait des ligatures des artères allant au cerveau, il 3' a encore au bout de
une ou deux minutes, réparation possible du tissu cérébral; mais, si l'anémie dure plus
longtemps, la restitution {ad integrum) est impossible. On verra plus loin que la resti-
tution des fonctions de la moelle, après anémie, peut avoir lieu au bout de vingt
minutes. Il en résulte que la fragilité du tissu cérébral doit être considérée comme plus
grande que celle du tissu médullaire.
Centres nerveux médullaires. — Pour les centres nerveux médullaires, les lois
générales sont les mêmes que pour le cerveau; mais les périodes sont sensiblement
plus longues, quoiqu'elles doivent, quand l'anémie est totale, se compter encore par
secondes et non par minutes.
Voici pour servir de schéma, en quelque sorte, deux expériences faites par moi tout
récemment, qui montreront bien comment les centres nerveux divers se comportent
lorsqu'ils sont anémiés.
Un chien de moyenne taille, après une assez abondante perte de sang, est tué par
l'électrisation du cœur. Un des électrodes est enfoncé dans le cou; l'autre dans le cœur.
Au moment même où passe le courant d'induction (rythme fréquent, une pile Grenet,
bobine à fil fin), le cœur s'arrête.
L'électrisation dure à peine deux secondes.
Douze secondes après, l'animal, qui était jusque-là resté hagard, et comme hébété,
se met à pousser des cris déchirants. La respiration s'accélère et devient, à la fois, plus
profonde et plus rapide.
Le maximum des cris douloureux se produit à la dix-huitième seconde. Les réflexes
(clignement de la paupière au contact conjonctival et réflexe rotulien) sont con-
servés.
A la 301= seconde les cris douloureux cessent. L'animal parait inerte et sans mouve-
ments volontaires ; mais les réflexes ne sont pas abolis.
A la 40" seconde, extension générale de tout le corps, avec contractions intestinales.
Ces grands mouvements d'extension durent 10 secondes, pour cesser complètement à la
5o'= seconde. Alors il y a encore le réflexe cornéen ; mais le réflexe rotulien est aboli.
Le réilexe cornéen ne disparait qu'au bout d'une minute et o secondes.
Silence général, sans aucune manifestation vitale que le frémissement fibrillaire non
interrompu du ventricule.
Au bout de i minute et 2o secondes, respirations agoniques, profondes, assez dis-
tantes les unes des autres. Il y en a quatre, bien nettes. La dernière cesse après une
minute et 50 secondes.
Au bout de 2 minutes et 30 secondes, légers mouvements fibrillaires dans les muscles
du dos et des cuisses. Le cœur frémissant toujours.
— Voici une autre expérience, qui prouvera à quel point toujours ce drame de la
mort par l'anémie reste semblable à lui-même.
Chien vigoureux, ayant subi une assez abondante perte de sang. Alors on électrise le
cœur (un pôle dans une aiguille traversant le cœur, l'autre pôle enfoncé au cou).
Pendant 6 secondes, silence de l'animal qui reste hébété et hagard.
A la 6= seconde, la respiration devient fréquente, profonde, de plus en plus anxieuse.
A la 12° seconde, cris de douleur, mouvements d'extension de l'animal.
A la 25° seconde, les cris se ralentissent, deviennent plus faibles, et ils cessent com-
plètement à la 33= seconde.
A la 40= seconde, l'extension tonique cesse. Il y a encore quelques réflexes cornéens.
1)ICT. DE PHYSIOLOGIE. TOME I. 32
i98 ANÉMIE.
A la io" seconde, le réflexe cornéen a disparu. Il y a encore des réflexes de la queue;
ceux-ci, très faibles à la oo" seconde, ne disparaissent qu'après la première minute.
A. i minute 20 secondes, respirations agoniques. Mouvements fibrillaires des muscles
du cou. Saccades brusques du tronc. A 1 minute 30 secondes, fin des respirations ago-
niques. Les niouvemenls fibrillaires des muscles du cou continuent jusqu'à 2 minutes
b secondes, en s'atténuant graduellement.
Si je rapporte ces deux expériences, c'est qu'elles sont typiques, et qu'en les répétant
un grand nombre de fois, on retrouvera toujours les mêmes phénomènes. Admettons que
les cris aigus poussés par l'animal indiquent la douleur, et par conséquent la conscience,
on voit que l'intelligence a duré une demi-minute, tandis que les réflexes ont duré une
minute et 3 secondes, et l'innervation bulbaire respiratoire, une minute et 30 secondes.
On voit aussi que la période de mort, soit pour le cerveau, soit pour la moelle qui pré-
side aux réflexes, soit pour le bulbe qui commande les respirations, a été constamment
précédée d'une période d'hyperesthésie ou d'byperkinésie, caractérisée pour le cerveau
par des cris de douleur; pour la moelle, par l'extension générale, convulsion tonique de
tout le corps; pour le bulbe respiratoire, par des respirations accélérées.
11 est vrai que, dans cette anémie par l'électrisation, il n'y a pas suppression totale et
immédiate de toute circulation, de sorte que la survie de 1 minute pour les fonctions de
la moelle est peut-être un peu trop longue. En effet, sur les têtes de décapités, là où
l'anémie est absolue, le réflexe cornéen, provoqué par l'attouchement de la conjonctive,
disparait, d'après Loye, au bout de .30 secondes environ, et le réflexe de constriction de
l'iris disparaît aussi en même temps, tandis que les incitations respiratoires, caractérisées
par les bâillements, ne disparaissent qu'au bout de 2 minutes environ. 11 est possible que,
chez l'homme, la fin des réflexes soit encore plus rapide; car Loye a constaté (loc. cit.,
p. 163) que, six secondes après la décapilion, il était impossible d'obtenir fe moindre
réflexe sur la tète anémiée.
Je ne parle pas, bien entendu, de certains mouvements de l'iris à la lumière, mouve-
ments, qui, d'après Laborde, persistent pendant 20 minutes {loc. cit. p. 101), car il est pro-
bable qu'il s'agit d'une action directe de la lumière sur la fibre musculaire.
L'expérience de Stenon, dans laquelle on fait la ligature de l'aorte abdominale,
n'est pas aussi probante au point de vue de l'anémie absolue des centres nerveux; car la
circulation, quoique gênée dans les parties inférieures de la moelle, n'y est pas totale-
ment abolie.
Mais, en modifiant les conditions, L. Fredehicq a obtenu des résifltats fort intéressants
qui concordent bien avec les faits que nous venons de mentionner.
Voici en quoi consistent ces expériences (L. Fkederico, Anémie expérim. comme pro-
cédé de dissociât, des propriétés motrices et sensitives de la moelle épiniére. Trav. du Lab.
de Fredericq, t. m., 1890, pp. 3-12. — Colson, Rech. physiol. sur Vocclusion de l'aorte tho-
racique, ibid., pp. 111-164). Ces deux physiologistes ont en outre donné dans leur mémoire,
auquel nous renvoyons, les recherches faites jusqu'à cette époque (1890) au sujet de
l'expérience de Sténon (ou, comme ils disent, de Swammerdam). Le procédé employé
par eux pour anémier un membre consistait en l'oblitération de l'aorte thoracique par
une ampoule introduite dans la carotide et de là dans l'aorte, et qu'on pouvait gonfler
en l'insufflant. Cette ingénieuse méthode avait déjà été employée par Pauloff (A. Pf.,
1888, p. 261) et Ch. Bohr {C.P., 1888, p. 261).
L'anémie obtenue ainsi amène en 33 minutes environ, ou 30 minutes, d'après Colson,
la supression du pouvoir moteur médullaire. A ce moment la sensibilité est intacte
encore (c'est dans le même ordre, ainsi que je l'ai vu souvent, que disparaissent les
fonctions de la moelle chez les animaux chloralisés). Cette paralysie est précédée d'une
période d'byperkinésie dont le maximum est vers 23 miuutes.
La période d'hyperesthésie survient au bout de i h. 30 minutes environ; et l'anes-
thésie est complète vers la fin de la quatrième minute.
Ainsi les fonctions motrices de la moelle disparaissent avant ses fonctions sensibles.
Le retour des fonctions médullaires n'est possible que si l'anémie n'a pas duré plus
de 20 minutes. , ,
Quant aux plaques terminales, elles meurent au bout de trois quarts d'heure. Mais
il ne faut pas oublier que l'excitabihté des plaques terminales est jugée par l'excitation
ANEMIE. 499
électrique appli'quée au nerf sciatique, et que ces conditions sont probablement diffé-
rentes de celles où l'excitant physiologique (volonté) intervient. Vulpian avait déjà noté
cette difîérence entre les excitations électriques et les excitations volontaires dans
l'intoxication par le curare. Or, comme je l'ai vu en étudiant les effets de l'anémie
par application de la bande de caoutchouc, au bout de 7 à 8 minutes déjà les mouve-
ments volontaires sont modifiés, et on ne peut faire intervenir une action médullaire,
puisque la moelle est hors de cause. On doit donc admettre que la fonction des plaques
terminales n'est abolie totalement qu'au bout de trois quarts d'heure; mais qu'au bout
de tO minutes elle est déjà fortement atteinte.
Quant aux nerfs eux-mêmes, et aux muscles, leur excitabilité ne disparaît qu'au
bout de plusieurs heures d'anémie.
Pour de plus amples détails sur la mort des centres nerveux dans l'anémie, nous
renverrons au mémoire de Colson et à l'article Moelle de Vulpian (D. D.).
Assurément la température même de l'organisme exerce une influence prépondérante ;
car, si l'on refroidit un animal à sang chaud, la survie de la moelle est plus prolongée.
On retrouve pour la moelle anémiée ce que j'ai vu pour le cœur asphyxié, c'est-à-dire
que la température, en s'abaissant, fait croître avec une régularité parfaite la durée
de la persistance des mouvements du cœur (La mort du cœur clans l'asphyxie, A. P.,
1894, p. 633).
Chez les animaux à sang froid, la durée de la survie médullaire est bien plus grande.
RiNGEH et MuRRELL (Actioii of potush satts, J. P., t. I, p. 72); Anrep {Aortemmterbindung
beim Frosch, C. W., 1879, p. 9ib); Ch. Richet [Durée des phénomènes réflexes dans l'anémie,
Trav. du Lab., 1893, t. i, p. 139) ; Oertmann [Stoffwechsel entbluteter Frosche, A. Pf., t. xv,
p. 381).
Deux conditions la déterminent : la température organique d'une part, et, d'autre
part, les propriétés particulières du système nerveux de tel ou tel animal.
Il est inutile d'insister sur l'influence thermique; car elle est évidente. Une grenouille
qu'on laisse dans de l'eau glacée conserve pendant plusieurs heures l'activité réflexe,
après que le cœur a été lié ou enlevé; inversement, si on fait vivre l'animal dans de
l'eau à 2o°, les réflexes disparaîtront 20 minutes à peine après qu'on aura fait la section
ou l'ablation du cœur.
Mais la question de la température ne suffit pas pour expliquer la persistance plus
ou moins grande des réflexes. Il y a encore un autre élément, tout aussi important,
c'est l'espèce animale.
Si l'on enlève le cœur à divers poissons, d'espèce différente, et qu'on étudie la survie
des réflexes à l'ablation du cœur, on sera frappé des différences considérables entre la
survie des fonctions de la moelle pour les différentes espèces. Ainsi, par exemple, cer-
tains poissons, comme les sardines, les maquereaux, les bogues, ne résisteront à l'ané-
mie que quelques minutes à peine, tandis que d'autres, comme les squales, les anguilles,
les tanches, pourront résister plusieurs heures, et, à de basses températures, presque
une journée entière. Il est remarquable de voir que l'asphyxie et l'anémie se confondent
à ce point de vue, et que les animaux qui gardent le plus longtemps leurs réflexes par
l'anémie sont précisément les mêmes qui les gardent le plus longtemps par le fait de
l'asphyxie, ce qui prouve bien que les deux processus sont essentiellement identiques
quant à leur nature intime; résistance variable du tissu aux altérations chimiques dues
aux combustions intra-organiques, et simultanément, sans doute, combustions intra-orga-
niques d'activité différente (Voir Asphyxie).
Il y a donc chez les divers animaux une hiérarchie physiologique, bien distincte de
la hiérarchie zoologique; et à la hiérarchie des tissus il faut juxtaposer la hiérarchie des
espèces, puisque le même tissu à la même température chez des animaux dilïérents ne
se comporte pas de même.
Anémie des autres cellules nerveuses. — On a vu dans les expériences citées
plus haut que, parmi les groupes cellulaires de la moelle, le bulbe fait exception. En
effet, alors que, sur un animal dont le cœur a été arrêté, il y a silence complet de
toutes les fonctions médullaires, au bout d'une minute environ de ce silence, on voit
soudain une grande respiration se produire, qui est due à une forte contraction du dia-
phragme et de tous les muscles inspiratoires (dernier soupir). Donc alors le centre ner-
500 ANEMIE.
_ veux de l'inspiration n'est pas paralysé par l'anémie, puisqu'il manifeste son activité. Il
semble nécessaire d'admettre que le bulbe est plus résistant à la privation de sang que
les autres parties de l'axe cérébro-spinal.
On peut en dire autant de certains autres centres; par exemple ceux qui président
aux actions intestino-motrices; car, en même temps que les inspirations agoniques, il
se fait des contractions violentes de l'intestin qui expulsent les matières fécales. Chez
les lapins, dont la paroi abdominale est mince, on voit, après l'anémie que produisent
l'ablation du cœur ou la section de l'aorte, se dessiner les mouvements de l'intestin for-
mant sous la peau des ondulations vermiculaires très apparentes. On ne sait pas bien si
c'est un effet de l'excitation de la moelle, ou de l'excitation des ganglions nerveux dissé-
minés dans les parois de l'intestin.
Alors aussi les artérioles se contractent avec force ; alors l'iris se dilate énormément.
Mais ce ne. sont pas des phénomènes réflexes; car ces phénomènes doivent être attribués
à l'excitation par l'anémie du tissu nerveux médullaire lui-même, excitation qui précède
l'anéantissement.
Il serait très intéressant de pouvoir étudier de près la réaction différente à l'anémie
de toutes les cellules nerveuses diverses qui existent à la périphérie, soit des nerfs sensi-
tifs, soit des nerfs moteurs, et aussi celle des ganglions nerveux préposés à l'innervation
à demi indépendante de quelques organes, comme les intestins, le cœur, les glandes et
l'iris. Mais nous ne sommes bien renseignés que sur certains de ces éléments nerveux,
et, sur la plupart d'entre eux, les données précises font défaut.
Anémie du cœur. — Les ganglions du cœur paraissent très fragiles, et il semble
que pour eux l'anémie soit une cause de mort rapide. Il est certain qu'en introduisant de
l'air, ou mieux de la poudre de lycopode, dans les artères coronaires,, on peut arrêter
subitement les contractions rythmiques du cœur, au moins chez le chien. Sans mention-
ner les expériences anciennes de Chirac, P.\Nmi et Erichsen, nous citerons les travaux de
RonssY(D. P., 1881), de Cohnheim et Reichberg (A. V., t. lxxxv, p. o03-S40), de Samuelson
{A. V., t. Lxxsvi, p. 339) et de Bochefontaine, Influence de l'obstruct. des artères coron.
sur les mouvements du cœur (i broch., 26. janvier 1881). La bibliographie est donnée com-
plètement par W. TowNSEND Porter, On the results of ligalion of the coronary arteries
{J. P., 1893, t. XV, pp. 121-138).
On ne peut comparer le cœur du lapin et le cœur du chien. Le lapin a un cœur qui
peut survivre près d'une heure à l'anémie totale (par obstruction des coronaires), tandis
que le cœur du chien meurt presque instantanément. L'électricité d'induction, qui tue
immédiatement le cœur du chien, ne tue pas le cœur du lapin, ainsi que je l'ai souvent
constaté, après Vulpian et d'autres physiologistes. Traversé par une forte secousse élec-
trique, le cœur du lapin revient à la vie, et reprend ses battements.
Il n'est guère vraisemblable que cette mort rapide et presque instantanée du cœur
du chien par l'anémie soit due à l'anémie de la fibre musculaire elle-même. Il paraît au
contraire probable que ce sont les ganglions nerveux qui subissent les effets délétères de
la privation de sang, et aloi's on s'explique bien la différence entre les cœurs des divers
mammifères, cœurs très différents au point de vue de l'agencement des ganglions ner-
veux moteurs.
Il faut être aussi très réservé sur la cause immédiate de la mort des ganglions du cœur
par l'anémie. Cohnheim pense qu'il se produit une substance toxique qui entrave la vie des
ganglions nerveux, et que ce n'est pas la privation de sang oxygéné qui est la cause
même de la mort. Mais il est bien difficile de pénétrer le mécanisme intime de cette
anémie, et de dire si la cause est l'absence d'une régénération perpétuellement nécessaire
parle sang oxygéné, ou bien la destruction d'une substance indispensable.
A ce point de vue le cœur des animaux à sang froid, et spécialement de la grenouille,
est tout à fait différent du cœur des mammifères. On peut faire vivre pendant un temps
fort long, plus de dix jours, d'après Engelmann, le cœur d'une grenouille ou d'une tortue,
à condition qu'on lui donne des substances nutritives, et qu'on empêche l'accumulation
des substances toxiques, par exemple celle des acides que produisent les contractions
musculaires, et tout spécialement celle de l'acide carbonique. Le sang n'est donc pas
■ indispensable à la vie des ganglions nerveux et de la fibre musculaire cardiaque, puisqu'un
sérum artificiel est suffisant à entretenir longtemps leur énergie et leur synergie (Voir
ANEMIE. 501
pour le détail à l'article Cœur les travaux de Ludwig, de Khonecker, de Merunowicz et
autres physiologistes).
Une distinction importante est à faire entre la manière dont se comporte le cœui'
dans son ensemble, et celle dont se comporte la fibre musculaire cardiaque. Même pri-
vée de sang-, la fibre musculaire du cœur reste longtemps excitable ; elle a des frémisse-
ments fibriUaires qui durent parfois plus de 24 heures. On sait, depuis Haller, que le
cœur est l'ultimum moriens, et, de fait, quand le cœur a été sidéré par l'électricité, les
trémulations de l'oreillette, et même celles du ventricule, persistent pendant longtemps.
Sur des cadavres, alors même que tous les autres muscles ont perdu leur irritabilité, la
fibre musculaire du cœur, et spécialement celle de l'oreillette, est encore capable de
répondre aux excitations. Contraste intéressant entre le cœur qui meurt si vite, au moins
quant à son consensus sj'nergique, et la fibre musculaire cardiaque qui est si résistante.
C'est que la synergie du cœur, avec ses contractions fortes qui expulsent rythmiquement
le sang contenu, est due à l'activité des ganglions, bien distincte de l'irritabilité muscu-
laire proprement dite.
Nous ne discuterons pas non plus ici la théorie, aujourd'hui abandonnée, d'après
laquelle la diastole cardiaque est une conséquence de son anémie, le rythme du cœur
étant produit par l'alternative d'ane'mie et d'irrigation sanguine. En effet, il est bien
prouvé aujourd'hui que l'artère coronaire, au lieu d'être privée de sang pendant la
systole, est au contraire pleine de sang à ce moment, et qu'elle a un pouls synchrone
avec le pouls des autres artères.
Peut-être la mort du cœur par rélectricité, quand on l'excite directement par un cou-
rant d'induction vigoureux, même très court, est-elle un effet de l'anémie. Mais il me
paraît plus simple d'admettre que c'est un épuisement mortel des ganglions du cœur.
En effet, la mort est trop rapide pour que l'on puisse invoquer l'anémie. Tout au plus
peut-on dire qu'il y a tout d'abord une paralysie, par sidération électrique, qui entraine
l'anémie ; et que la paralysie ne peut être efficaceniment combattue par le retour du sang,
puisqu'il n'y a plus de circulation. Chez certains petits poissons {Crenolabrits) j'ai déter-
miné la mort immédiate par un courant électrique. Donc l'épuisement nerveux à la suite
d'une forte secousse électrique parait être une cause de mort suffisante. Le désordre
produit par l'électrisation est d'autant moins réparable, que le sang ne circule plus, et
empêche toute restauration des fonctions du tissu. (Voir pour l'électrisation du cœur :
Kroneoker et Schmey, Dus Coordinationscentrum der Herzkammerbeivegungen {Ac. des se.
de Berlin, 1884, p. 87); E. Gley, Mouvements trémidatoires du cœur {B. B., 1890, p. 411;
1891, pp. 108 et 239); Kroxeckeh, Trémulations fibriUaires du cœur {B. B., 1891, p. 237).
Terminaisons nerveuses sensitives et motrices. — ■ Les terminaisons motrices
des nerfs dans les muscles paraissent être aussi assez sensibles à l'anémie, et c'est cette
notable fragilité qui induit souvent en erreur quand on étudie la manière dont meurent
les muscles anémiés.
En effet, quand on anémie un muscle, on voit au bout d'une dizaine de minutes la
courbe de la contraction musculaire se modifier, au moins quand on fait l'excitation indi-
recte. Pourtant ce n'est pas le nerf qui est atteint, ni la fibre musculaire qui reste con-
tractile, ce sont les terminaisons nerveuses motrices. L'anémie agit en somme sur ces
éléments à peu près de la même manière que le curare. Nous retrouvons donc ici
encore la loi que nous avons signalée pour le cœur; à savoir la plus grande fragilité des
éléments nerveux cellulaires, qu'ils soient au centre du système cérébro-spinal ou à sa
périphérie.
Dans leurs expériences, L. Fredericq et Golson admettent qu'il faut 23 minutes ou
40 minutes environ pour que toute trace d'excitabilité indirecte ait disparu; mais l'af-
faiblissement de l'excitabilité indirecte commence bien longtemps auparavant, vers la 10"^
ou la 15= minute, et, au myographe, on voit une modification de la courbe par l'anémie
se produire quelques minutes seulement après qu'elle a été faite.
De même encore nous savons que la corde du tympan n'excite plus la sécrétion sali-
vaire une ou deux minutes après que la circulation a cessé. Pourtant la fibre nerveuse
est certainement encore excitable, et les cellules glandulaires n'ont probablement pas
perdu leur activité; ce sont les terminaisons des nerfs dans les glandes qui sont détruites
au point de vue fonctionnel.
S02 ANEMIE.
Les terminaisons sensitives se comportent aussi de même. Un escellent exemple peut
en être donné quand on examine la manière dont la sensibilité est influencée après
l'anémie d'un membre par une forte ligature avec une bande de caoutchouc. 11 ne faut
pas plus de o à 7 ou 8 minutes pour que la sensibilité tactile devienne tout à fait obtuse.
Dans ce cas la dissociation est complète entre la sensibilité tactile et les autres formes
de la sensibilité. Le membre anémié devient extrêmement douloureux, et le moindre
contact, par suite de l'hyperesthésie, est une vraie souffrance; mais la fmesse du tou-
cher est abolie, et on ne peut plus distinguer les pointes de l'esthésioniètre. On sent
l'ébranlement, la douleur, le froid et le chaud, mais on n'a plus ces fines perceptions
tactiles que seules peuvent donner les terminaisons nerveuses des corpuscules du tact.
Cependant la résistance à l'anémie des petits ramuscules nerveux conducteurs est
considérable, comme nous le verrons par la suite.
Nous arrivons donc à concevoir les éléments nerveux cellulaires comme des orga-
nismes ayant besoin d'une irrigation sanguine perpétuelle, soit pour l'apport d'oxygène
ou d'autres substances nutritives et réparatrices, soit pour la neutralisation par le sang
des substances toxiques produites par l'activité chimique intra-cellulaire, soit encore pour
l'enlèvement de ces déchets de nutrition.
Résumons-nous. Chez les animaux à sang chaud, la mort est : i" pour les cellules de la
vie psychique, de quelques secondes; i" pour les éléments médullaires qui président aux
réflexes, et pour les ganglions cardiaques, de 20 à 30 secondes; 3° pour les cellules du
bulbe (respiratoire), de une minute et demie à deux minutes; 4° pour les terminaisons
nerveuses dans les muscles ou les corpuscules du tact de dix minutes à quarante
minutes.
Cette résistance variable à l'anémie peut être appelée la hiérarchie des tissus.
Muscles. — L'anémie des muscles a été étudiée avec beaucoup de soin, et pour le
détail nous renvoyons aux articles Irritabilité, Muscles, Rigidité. 11 nous suffira d'en indi-
quer les lignes générales. En effet> si le muscle meurt, comme c'est un tissu extrême-
ment résistant à l'action des poisons, c'est toujours par l'anémie qu'il meurt, de sorte
que l'extinction des propriétés physiologiques des fibres musculaires après la mort de
l'individu est toujours un phénomène d'anémie.
L'expérience classique fondamentale est celle de Sténon, qui consiste à lier l'aorte
abdominale d'un cobaye ou d'un chien, et à constater que cette anémie amène une para-
plégie; mais l'interprétation est en général défectueuse, et, même dans les livres clas-
siques, on la trouve mal exposée. (Je renvoie pour les détails bibliographiques au
mémoire, déjà cité, de Fhedericq.) Il y a en effet plusieurs éléments dont il faut tenir
compte, la moelle, les terminaisons nerveuses motrices, les nerfs et les muscles. Si, dès
les premières minutes qui suivent la ligature, on voit la paraiilégiese produire, c'est à la
moelle seule qu'il faut attribuer ce phénomène; car les nerfs sont encore excitables;
plus tard, les terminaisons nerveuses sont paralysées, et l'excitation électrique ne pro^
voque plus de mouvement, quoique les muscles soient encore directement excitables.
En somme, ce qui domine dans cette histoire de l'irritabilité musculaire, c'est l'indé-
pendance relative de la cellule musculaire. iNi les nerfs, ni le sang ne sont cause
immédiate de son activité. C'est une propriété de tissu, qui persiste tant que le tissu
vit, malgré l'absence de sang, ou la destruction des terminaisons nerveuses par le poi-
son ou l'anémie.
Pour la fibre musculaire, on a observé très nettement, au début, une augmentation de
l'excitabilité par le fait de l'anémie. Cela a été bien constaté entre autres par Schmule-
viTCH {Einfluss des Blutgehaltes der Muskeln auf deren Reizbarkeit. A. Db., 1879, p. 374,
t. Lxxxvii). J'ai répété cette expérience {Physiol. des muscles et des nerfs, 1881, p. 268) et
trouvé que, s'il faut pour exciter un muscle normal un excitant de valeur égale à 79, par
exemple, au bout de 12 minutes, un excitant de valeur égale à 7b suffira, et ce n'est
qu'au bout ,de 30 minutes que l'excitabilité sera revenue au degré qu'elle avait avant
l'anémie, pour s'éteindre très lentement à partir de ce moment. On a cherché à expli-
quer ce phénomène, soit par des effets vaso-moteurs (Schuoulevitch), soit par une accu-
mulation d'acide carbonique (Brown-Séquard) ; mais il me paraît que c'est plutôt l'accu-
mulation des substances toxiques que produit la vie chimique intra-musculaire : ces
ANEMIE. 5ff3
substances, n'étant pas détruites ou entraînées par le sang, s'amassent dans le
muscle, et augmentent son excitabilité (Voyez Faivre, B. B., 1838, p. 123).
Tout en admettant la relative indépendance de l'irritabilité musculaire, il est certain
que la contraction des muscles se fait d'autant mieux qu'il y a plus de sang. Les beaux
graphiques que donne Marey en sont une preuve formelle. On doit rappeler aussi que
le muscle a des artérioles qui se dilatent pendant la contraction, de sorte que laquantité
de sang irrigateur augmente. Chauveau, en calculant la quantité de sang qui traverse
le muscle releveur de la lèvre chez le cheval, a vu que le sang circule 5 fois plus vite
pendant la contraction que pendant le repos (C. R., 1887, passim, et Le travail muscu-
laire, 1891, p. 274, tabl. D). Les travaux de Ludî\'-ig {H. H., t. i., p. 133) et ceux plus
récents de Humilewsky (A. Db., 1886, p. 126) viennent à l'appui de ce fait important; de
même que les observations curieuses de Ranvier, qui a trouvé dans les artérioles muscu-
laires de petites dilatations ampullaires.
Pour étudier les elfets de l'anémie sur les muscles, j"ai essayé d'analyser tantôt sur
moi-même, tantôt sur d'autres personnes, les effets que produit la compression par la
bande de caoutchouc.
Le bras est alors absolument livide et comme cadavérique : nulle goutte de sang ne
s'en échappe, lorsqu'on y fait une piqûre ou une incision. Sans nous occuper ici des
troubles de la sensibilité, notons que l'état physiologique des muscles concorde avec ce
que nous apprennent les expériences faites sur les animaux. Au bout de 10 minutes,
quelquefois même après 7 à 8 minutes, les mouvements volontaires deviennent
plus difficiles et plus lents. On n'a plus d'agilité ni de force dans les doigts. Puis, si
l'anémie continue, au bout d'un quart d'heure environ, et de 20 minutes, tout au
plus, il n'y a plus de mouvement volontaire possible. Par suite de la prédominance des
fléchisseurs sur les extenseurs, les doigts ne peuvent plus être étendus, et s'infléchissent
vers la paume de la main : le bras est inerte et ne répond plus aux excitations qui lui
sont transmises par les nerfs. Les muscles restent cependant excitables à l'électricité
directement appliquée. La conservation de l'irritabilité dans les muscles prouve bien
que la paralysie dépend d'un trouble dans l'innervation, et qu'elle tient aux nerfs, non
aux muscles. On ne peut malheureusement pas prolonger l'expérience jusqu'au moment
où l'excitabilité au galvanisme a complètement cessé; car la douleur produite par l'ané-
mie et la compression nerveuses est, à la longue, intolérable, et on est forcé de cesser
l'expérience, quelque courage qu'on y mette.
On a vu que, dans l'anémie aortiqne expérimentale, c'est au bout de 33 minutes que
cesse l'excitabilité indirecte. Au contraire, dans l'expérience de la bande de caoutchouc,
l'excitabilité par la volonté cesse au bout de 20 minutes. Mais l'électricité est plus
puissante pour agir sur les nerfs que l'excitant volontaire. Cela a été bien prouvé par
Vdlpian pour le curare {Subst. tox. et médicam., p. 193).
Un muscle privé de son sang perd son irritabilité plus vite que si on laisse séjourner
le sang qu'il contenait. Déjà Haller avait montré qu'on change VitUimum moriens, qui est
normalement l'oreillette gauclie, en retenant le sang dans le ventricule gauche. On trans-
fère alors au cœur gauche la propriété de rester plus longtemps excitable que le cœur
droit. De même, en excitant un nerf moteur, on retarde notablement la rigidité cada-
vérique, et c'est sans doute par accumulation du sang dans les vaisseaux. Tamassia
(Areh. di freniatria, 1882, t. vni, fasc. I et 2); Bierfreund (A. Pf., t. xun, p. 195) ; Gexdre
{Einfluss des Centralnervensy stems auf die Todtenstarre, A. Pf., t. xxxv, p. 43).
La durée de la mort des muscles par l'anémie est très variable, et, en thèse générale,
chez les animaux à sang chaud, on peut admettre une heure et demie à deux heures et
demie. Bien entendu, la température, le genre de mort de l'animal, c'est-à-dire la fatigue
préalable, plus ou moins grande, et l'accumulation (immédiatement avant la mort) des
déchets de la combustion musculaire modifieront beaucoup cette durée.
Comme il s'agit toujours du même tissu, fibre musculaire, il ne peut être question
de la hiérarchie unatomique; mais la hiérarchie zoologique persiste. Autrement dit chez
certains animaux le muscle reste vivant très longtemps, tandis que chez d'autres la
perle de toutes les fonctions est rapide. Cependant il y a encore une sorte de hiérarchie
anatomique, puisque, chez le même animal, il y a une différence de vitalité entre les
divers muscles; les fibres cardiaques étant bien plus résistantes que celles de tout autre
S04 A N É M I E.;
muscle, et les muscles des mâchoires et du cou perdant leur excitabilité avant les
muscles des membres.
L'irritabilité variable des divers muscles a été anciennement étudiée par Nysten.
Quant aux modifications électro-motrices du muscle par l'anémie, A. Waller a vu
que c'est une propriété qui disparait bien plus tardivement que la contractilité {Force
Électro-motrice des muscles après la mort. A. P., 1888, p. 4j7).
Le retour du muscle à l'excitabitité par le retour du sang a été observé il y a déjà
longtemps par Brown-Séquard, et bien d'autres physiologistes l'ont confirmé. Au moment
où se rétabht la circulation dans le muscle anémié, il se fait de petites contractions flbril-
laires dans les muscles, contractions qui ne paraissent pas dues à l'excitation nerveuse;
car elles persistent même quand le nerf moteur a été sectionné (Mayer, Hemmung und
Wiedei'stellung des Blutstromes im Kopfe, Jb. P., 1878, p. 19). Heubel, cité par Landois
(T. P., trad. fr., 1893, p. 345), a pu rétablir les battements du cœur de la grenouille
quatorze heures après la mort par la circulation de sang frais.
On rapprochera d'ailleurs les mouvements fibrillaires que produit le retour du sang
dans un muscle anémié de ces douleurs atroces que provoque le retour du sang dans un
membre anémié par la bande de caoutchouc. Au moment où le sang revient, il se pro-
duit des sensations de cuisson, de brûlure, de fourmillement, qui sont vraiment insup-
portables. De même qu'il y a une hyperkinésie et une hyperesthésie de début, il y a une
hyperkinésie et une hyperesthésie de retour.
Nerfs périphériques. — Les effets de l'anémie sur les nerfs so^it à peu près les
mêmes que sur les muscles; mais il est difficile de bien étudier ce phénomène sur les
nerfs moteurs, car la présence des terminaisons motrices et des cellules musculaires peut
induire en erreur. On voit d'abord l'excitabilité croître, puis décroître, tout à fait
comme pour le muscle. Claude Bernard, dans son Rapport sur les progrés de la Physio-
logie en France (1867), a consigné les résultats de ses importantes recherches (notes 32
et 33, p. 169) ; il a vu, ainsi que Vulpian, que les nerfs sensitifs conservaient leur fonction
plus longtemps que les nerfs moteurs, ce qui ne tient probablement pas à une différence
de structure intime, mais bien à ce que, dans le cas de soi-disant paralysie du nerf
moteur, on attribue au nerf ce qui n'est en réalité que l'effet de l'altération des plaques
terminales.
.J'ai répété ces expériences en les modifiant, et j'ai pu constater des survies plus pro-
longées encore {Physiol. des muscles et des nerfs, 1881, p. 607). Un nerf sensitif de gre-
nouille, si l'on prend soin d'empêcher le dessèchement, la chaleur et les altérations mi-
crobiennes, peut rester excitable pendant plus de 4 jours, étant toujours en connexion
avec l'appareil central de l'animal qu'on conserve en vie. Sur les chiens et les lapins la
survie est moins longue, mais cependant elle dépasse beaucoup la durée de la survie du
muscle. Voici comnaent on peut faire l'expérience. Sur un chien engourdi par une forte
dose de chloral et de morphine (afin de ne pas trop le faire souffrir pendant ce long
supplice), on pratique la section complète de tout le membre, en respectant le fémur et le
nerf sciatique. On a ainsi réalisé une anémie absolue. Si bien endormi que soit le chien,
on peut encore le réveiller en excitant son nerf sciatique par des courants électriques
forts, et ainsi apprécier si le nerf est encore capable de conduire les excitations. Or, dans
ces conditions, on voit la vie du nerf persister plusieurs heures. Dans un cas, les muscles
d'un chien ont cessé d'être excitables deux heures et demie après l'anémie, tandis que les
pulpes digitales, étant pressées par une pince, faisaient encore souffrir l'animal. Dans
une expérience, faite tout récemment sur un lapin, j'ai vu que la patte anémiée était
encore sensible 7 heures après l'anémie, tandis qu'elle avait perdu toute sensibilité
8 heures et demie après.
Nous sommes par ces expériences conduits à penser que le nerf périphérique est
un des tissus qui résistent le mieux à la privation de sang, et qu'il peut survivre deux
ou trois fois plus de temps que le muscle. 11 faut rapprocher ce fait intéressant de ce
que les physiologistes contemporains ont si bien étudié sous le nom de Yinfatigabilité
des nerfs. Le nerf optique conduit les excitations rétiniennes sans jamais se fatiguer,
le nerf pneumogastrique envoie sans relâche au cœur son courant nerveux modérateur.
BowDiTCH, en excitant pendant plusieurs heures un nerf sensitif, n'a pas pu trouver
après 4 heures de trace d'épuisement (UnermMd/ic/ifteif der Sàugethiernerven, A.Db., 1890,
ANEMIE. 505
p. oOo); A. SzANA {UnermûdL der Nenen, A. Db., 1890, p. 31b); Wedenski, par d'ingénieuses
méthodes est arrivé au même résultat (C W., 1884, n° 5) ; voyez aussi Fredericq et
NuEL (T. P., (2), p. 11, 1'= éd.); Lambert {Th. de doct. de Nancy. 1894).
Si nous indiquons ces résultats pour le nerf sensitif seulement, c'est qu'on n'a pas le
moyen d'analyser, aussi longtemps, les réactions du nerf moteur, puisque le muscle est
paralysé. Mais d'Arsonval a fait une élégante expérience qui montre que sans doute
dans le nerf moteur les propriétés nerveuses ne sont pas abolies par l'anémie aussi
vite qu'on pourrait le croire, si l'on s'en rapportait uniquement à la contraction muscu-
laire apparente. En elïet, en excitant le nerf moteur par un courant électrique, et en
écoutant au téléphone les bruits donnés par le muscle que ce nerf anime, quoiqu'il n'y
ait pas de contraction visible, on entend très nettement une sorte de bruit musculaire
se produire tout le temps que dure l'excitation du nerf.
Pour les autres tissus et organes, les effets de l'anémie ont été à peine étudiés. On a
essayé de faire circuler du sérum artificiel à travers les reins, et on a vu certaines
actions chimiques se produire, n'ayant qu'un rapport très lointain avec la sécrétion
urinaire. De même, j'ai pu montrer que le foie, soustrait à l'organisme et à la circula-
tion, continue à produire de l'urée, môme quand on le prive d'oxygène (C. R., mai 1894,
t. cxvHi, p. 1125). Enfin, pour certaines cellules, comme les cils vibratiles, on voit le mou-
vement continuer pendant longtemps, même pendant plusieurs jours, alors qu'il n' y a
plus trace de circulation. D'ailleurs les nombreux exemples de transplantation et de
greffe, pour des fragments de peau ou des dents, ou des lambeaux de périoste, prou-
vent bien que les tissus peuvent vivre quelque temps, même sans circulation sanguine.
11 est inutile de rapporter à ce propos la célèbre expérience de Vulpian sur la queue du
têtard (C. R., t. xlvhi, p. 807).
Résumé. — Nous pouvons alors nous faire quelque idée sur la nature de l'action du
sang. Avant tout nous devons repousser cette idée que le sang est immédiatement néces-
saire à la vie d'une cellule. Non, assurément; et chaque cellule vit par elle-même; non seu-
lement la cellule du nerf sensitif ou la cellule vibratile, mais même la cellule nerveuse
psychique, si altérable. Les unes et les autres, en agissant, font des opérations chi-
miques, condition de leur énergie, qui détruisent certaines substances utiles ou plutôt
produisent des substances toxiques. La mort par l'anémie équivaut donc à une sorte
d'intoxication, comme d'ailleurs la mort par l'asphyxie. Le sang remédie à cet empoison-
nement, non pas tant en enlevant la substance toxique qu'en mettant la cellule en pré-
sence d'une certaine quantité d'oxygène qui décompose le produit toxique formé, de
sorte que le sang asphyxique n'a aucun effet réparateur, alors que le sang oxygéné est
efficace.
La vie consiste donc en une série de décompositions dont le premier terme est une
substance toxique, qui est détruite par l'oxygène. Les produits de cette oxydation passent
dans le sang et sont éliminés. De là, pour l'intégrité de l'organe, la nécessité d'un cou-
rant circulatoire, qui apporte de l'oxygène, et enlève les produits de dénutrition.
Autrement dit encore, pour prendre une comparaison que tout le monde comprendra,
la cellule vit dans le sang, comme le microbe vit dans un bouillon de culture. Une
expérience classique de Schutzenberger établit bien cette analogie. Il fait circuler du sang
chargé d'hémoglobine dans un tube membraneux perméable, au milieu d'un liquide où
végète la levure de bière. Celle-ci prend l'oxygène au sang qui circule, et poursuit sa
végétation. C'est de cette manière que vivent les cellules de nos tissus.
On conçoit alors que, suivant l'intensité de leur existence individuelle, les cellules
meurent plus ou moins vite quand elles sont privées de sang.
C'est qu'elles ont, par leur activité chimique plus ou moins intense, produit plus ou
moins vite les substances toxiques qui vont abolir leur fonction. Aussi la principale cause
de la mort plus ou moins rapide par l'anémie paraît-elle être une activité différente
dans les phénomènes chimiques intimes.
Mais il y a sans doute une autre cause ; c'est la résistance variable de la cellule à
l'empoisonnement. De même que le chloroforme, disséminé à dose égale dans les diverses
cellules, fait mourir les unes, alors qu'il modifie à peine la vie des autres, de même le
poison intra-cellulaire, qui s'accumule par le fait de l'anémie, tue à des doses différentes
les différentes cellules.
306 ANESTHESIE.
Production variable de la substance toxique, sensibilité variable à l'action de cette
substance ; telles sont les deux causes qui modifient la résistance variable des tissus à
l'anémie.
Il est d'ailleurs évident que c'est là une hypothèse; et que, pour expliquer les effets
de l'anémie, on pourrait tout aussi bien admettre la destruction plus ou moins rapide,
soit de l'oxygène même, soit d'une autre substance nécessaire à la cellule, et plus ou
moins abondante dans son protoplasme.
CHARLES RICHET.
ANESTHESIE. — Le mot Anesthésie (à atcrGTjai;) désigne d'une manière
générale les suppressions, les altérations de la sensibilité consciente. Cependant il n'est pas
appliqué d'ordinaire aux troubles de certaines sensibilités spéciales, vue, ouïe, odorat; mais
il est réservé aux altérations de la sensibilité générale qui est répartie sur toute la surface
du corps. Même ainsi restreinte, cette expression est encore fort complexe : d'une part
les sensations rapportées à la sensibilité générale sont très variées, tact, douleur, sensa-
tion de température, de pression, etc., d'autre part, les organes qui contribuent à for-
mer la sensation sont très nombreux, et chacun d'eux, suivant ses altérations, peut donner
naissance à une forme d'anesthésie particulière. L'énumération des principales variétés
de l'anesthésie ne peut guère être ici que l'indication des nombreux problèmes soulevés
par l'étude de la sensation consciente et de ses altérations. Les recherches particulières
sur les lésions de tel ou tel» organe seront signalées dans cet ouvrage 'à propos de chacun
d'eux ; nous insisterons surtout sur le caractère psychologique des anesthésies, sur la
lacune plus ou moins grave qu'elles déterminent dans la conscience.
Anesthésies périphériques. — Elles sont produites par la lésion de l'un des appa-
reils qui ont pour fonction de conduire aux centres et surtout à l'écorce cérébrale les im-
pressions extérieures. A la périphérie cutanée se trouvent une série de petits organes,
corpuscules de Krause, de Meissneb, de Paoini, destinés à renforcer et à préciser
les impressions tactiles, il est donc évident que dans certaines maladies du tégument
on rencontrera des altérations de ces organes, et par suite des troubles de la sensibilité.
On les a souvent décrits, sans bien préciser leur nature, dans la lèpre, le mal perforant,
l'eczéma, le psoriasis le lichen, etc. Les troubles de la sensibilité dans le tabès relèvent
en partie de cette cause.
Les nerfs sont les conducteurs nécessaires qui transmettent les impressions reçues
par les organes du tact, et leurs altérations donneront naissance à une deuxième variété
d'anesthésie périphérique. Certaines substances stupéfient localement la sensibilité en
agissant sur les dernières ramifications des nerfs, par exemple la cocaïne (Voyez Anes-
thésiques). D'autres substances, comme le phénol, produisent d'abord une excitation
violente caractérisée par de rh3'peresthésie et elles semblent ne produire l'anesthésie
que par une destruction du tissu nerveux. Le froid enlève d'abord la sensation de
douleur, puis celle de contact, comme les substances précédentes, il produit une hyperes-
thésie avant de rendre la région insensible. L'anémie des tissus produit aussi au début
une hyperesthésie ; l'anesthésie ne vient que plus tard lorsque les parties malades
sont absolument privées de sang. Enfin nous retrouverons la même succession de phéno-
mènes dans les cas de compression des troncs nerveux, dans lesquels on voit se succéder
régulièrement certains stades d'hyperesthésie et d'anesthésie bien étudiés par Vulpian,
Basiien, SouLiÉ, Khishaber, Morel, Laborde, Ce. Richet {Recherches expérimentales et cli-
niques sur la sensibilité, D. P., 1877, p. 109).
La section des nerfs semble être le procédé le plus radical pour déterminer des anes-
thésies bien nettes, et cependant la région innervée par le nerf sectionné est loin d'être
absolument insensible, la sensibilité y semble diminuée, engourdie, plutôt que suppri-
mée. C'est que, ainsi que l'a montré A. Richet en étudiant les effets immédiats des
sutures nerveuses (1874), les différents nerfs d'un membre s'anastomosent surtout à leur
extrémité et se suppléent les uns les autres. Ce fait est l'origine des difficultés que l'on
rencontre dans l'interprétation des phénomènes consécutifs aux sutures nerveuses.
Cependant on a pu déterminer, au moins d'une façon approximative, la distribution sen-
sorielle des nerfs spinaux d'après la localisation des anesthésies consécutives à leur sec-
tion. Parmi les études récentes sur cette question, nous citerons les travaux de Head, de
ANESTHESIE. 507
Mackensie, de Sherrington, résumés dans un article de \V. Thorburn', Brain, 1893, p. 3a.ï
(Voyez Nerfs).
Les lésions de la moelle épinière, ce conducteur principal des impressions périphé-
riques produisent des troubles de la sensibilité, mais en général les modifications du
mouvement sont plus nettes que celles de la sensibilité. Sauf dans quelques cas par-
ticuliers que nous ne pouvons étudier ici, tels que l'hémisection de la moelle et l'anes-
thésie croisée caractéristique du syndrome de Brown-Séquard, les physiologistes ne
sont guère d'accord sur les effets des sections partielles de la moelle (Beaunis, T. P.,
1888, t. n, p. 690). La 'clinique cependant permet de constater des anesthésies dont la
localisation est très nette, consécutives à des lésions de la moelle (W. Hale White, On
the exact sensory defects -produced by a localised lésion of the spinal cord. Brain, 1895, 37o)
(Voyez Moelle épinière).
Enfin on sait que certaines parties du cerveau jouent le rôle de conducteurs des
impressions de la périphérie à l'écorce (J. Soury, le faisceau sensitif. Bev. génér. des
sciences, 1894, p. 190), et l'on peut considérer également comme des. anesthésies péri-
phériques celles qui sont déterminées par les lésions du pied du pédoncule cérébral ou de
la région postérieure, lenticulo-optique, de la capsule interne (Charoot, Leçons sur les
localisations, 1887, p. 107) (Voyez Cerveau).
Toutes ces anesthésies périphériques diffèrent évidemment dans leur siège, dans leur
importance, dans leurs conséquences, suivant que la lésion porte sur tel ou tel organe;
mais elles présentent cependant un certain nombre de caractères analogues.
1° Ces anesthésies périphériques présentent souvent un caractère intéressant, elles
peuvent être dissociées, c'est-à-dire qu'elles peuvent porter spécialement sur tel ou tel
mode de la sensibilité tactile. On observe des malades dont un membre est insensible à
la température et à la douleur, mais a conservé au même endroit la sensation de toucher
proprement dit; il en est fréquemment ainsi dans la syringomyélie. On constate fré-
quemment la perte isolée de la sensation kinesthésique ou musculaire, le fait a été
observé depuis longtemps dans le tabès et plus récemment au cours de maladies infec-
tieuses (L. VaniNi, Riv. sper. di fren. e di med. leg., t. xix, pp. 2 et 3 : Semaine médicale ,
1893, p. î)S9); enfin il n'est pas rare d'observer la perte du sentiment de la douleur avec
conservation en apparence complète des autres sensibilités.
Des faits de ce genre doivent être observés avec soin; car ils fournissent des enseigne-
ments précieux sur une question encore controversée, sur la multiplicité des organes et
des nerfs en rapport avec la sensibilité générale. Beaucoup de physiologistes ont conclu
de ces faits qu'il existait autant d'organes terminaux et de nerfs distincts que nous éprou-
vions de sensibilités différentes capables de subsister isolément. D'après leur interpréta-
tion, si on plouge la main dans un liquide à 60°, la souffrance consécutive n'est pas le
résultat d'une excitation plus forte des nerfs sensibles à la température normale, mais à
l'excitation d'un système particulier de fibres qu'un liquide à 30° aurait été incapable
d'exciter. Ce système particulier pourrait être paralysé isolément et donner naissance à
une insensibilité à la douleur thermique, à une thermo-analgésie, sans que les autres
sensibilités pour le contact, pour la pression, soient atteintes.
Cette hypothèse est probablement juste en grande partie. On sait que les terminai-
sons nerveuses cutanées sont distinctes et qu'elles ont probablement des fonctions diffé-
rentes. Les terminaisons libres inlra-dermiques joueraient le rôle capital dans les sensa-
tions de température; les organes de Klein et de Golgi qui siègent dans les tendons
auraient le même caractère pour le sens musculaire; les corpuscules de Pacini recueille-
raient les sensations de pression, elles corpuscules deMeissNERet deKRAUSE, les sensations
tactiles proprement dites (ViaultcI Jolyet, T. P., p. 656). Quelques faits ont même conduit
certains auteurs à distinguer les fonctions de certaines fibres nerveuses et.de certaines
portions de la moelle : dans la syringomj'élie, par exemple, les fibres qui transmettent
les impressions thermiques seraient particulièrement atteintes à cause de leur position
centrale dans la moelle.
Ces conclusions, les dernières surtout, doivent être discutées avec précision : il ne faut
pas oublier que les variétés de nos sensations dépendent aussi de la manière dont l'agent
extérieur agit sur les extrémités nerveuses, des centres auxquels se rendent les nerfs et
surtout des réflexes différents associe's avec telle ou telle excitation. En effet, ces réflexes
508
ANESTHESIE.
variés, très nombreux, provoquent, dans toutes les parties du corps, des coalractions, des
mouvements, des sécrétions; ces phénomènes ne passent pas tous inaperçus, ils sont
sentis d'une façon plus ou moins vague, et ces sensations secondaires s'associent avec la
sensation primitive pour constituer une émotion, une douleur, un plaisir; en un mot
pour donner à cette sensation une nuance particulière. Ces phénomènes secondaires
peuvent être altérés de bien des manières et donner lieu à des anesthésies particulières
qui ne dépendent pas toujours de la lésion d'un organe périphérique parfaitement isolé
des autres. De telles précautions sont surtout indispensables quand il s'agit de la disso-
ciation des sensibilités chez les hystériques, car bien souventces dissociations dépendent
bien plutôt de troubles centraux cérébraux que de troubles périphériques. On peut con-
sulter sur ce problème le travail déjà ancien de Diedlafoy, article Douleur dans le Nou-
veau dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques, p. xi, t8fi9; Ch. Richet, op.
cit. pp. 206, 234; Goldschrider, Neue Thatsachen ueber die Hautsinnesnerven. A. V.,
1883; Dana, Semaine médicale, 1893, p. 375; Bourdon, Sensation de plaisir. Revue phi-
losophique, 1893, t. II, p. 229; Max Dessoir, Monographie sur le sens du toucher. A. Db.,
1892, p. 340.
2° Ces anesthésies sont générales, elles suppriment toute une catégorie de sensations
provenant de tel ou tel organe. Il n'est pas admissible, par exemple, que, dans une
anesthésie du bras produite par section des nerfs, le contact de tel objet particulier soit
senti, tandis que le contact de tel autre ne l'est pas, que la température d'un objet soit
distinguée, et non celle d'un autre. On ne rencontre pas dans l'anestbésie périphérique
les systématisations délicates qui vont caractériser certaines anesthésies centrales.
3° La localisation de ces anesthésies est en général assez vague, et il est difficile, à
cause des innombrables anastomoses nerveuses, de délimiter exactement la région insen-
sible. A la suite des lésions radiculaires ou
médullaires, la localisation de l'auesthésie
est plus nette, elle présente alors un grand
caractère, elle est anatomique. L'étendue
et la configuration de la région anesthésiée
dépend rigoureusement de la répartition
des filets nerveux telle qu'elle est constatée
par l'anatomie. Par exemple, dans les lé-
sions du plexus brachial, l'anestbésie cuta-
née s'étendra sur les mains et sur l'avant-
bras et se limitera en avant par une ligne
qui atteint à peine la partie moyenne du
bras ; en arrière elle ne dépassera pas la
région du coude; en un mot elle respectera
la région de l'épaule qui est innervée par le
plexus cervical (fig. 43). Charcot, Ma/, dw sys-
tème nerveux, 1887, t. m, p. 309, et Klijmpke,
Les paralysies radicidaires du plexus bra-
chial {Revue de médecine, 1885, p. 604). De
même, dans les lésions des nerfs de la
queue de cheval, dans les myélites trans-
verses, les anesthésies ont une répartition
étroitement en rapport avec le nerf atteint,
avec la hauteur de la lésion ou de la com-
pression médullaire (Qg. 44). Voir des exem-
ples dans l'ouvrage de Souques, Études sur
les syndromes hystériques simulateurs des
maladies organiques de la moelle épinièrc,
1891). Il en est ainsi dans toutes les anesthésies d'origine périphérique.
4° Ces anesthésies peuvent être plus ou moins complètes, et l'on a vu que dans les
sections nerveuses elles laissent presque toujours subsister quelque sensations, mais du
moins elles sont toujours absolues. La sensation perdue est bien réellement perdue;
elle n'existe plus dans l'esprit et ne peut être retrouvée, au moins pendant un certain
FiG. 44. — Répartition de l'anesthésie dans i
de lésion du plexus brachial.
Zones d'anesthésie.
.-;::;;;: Zone d'hypoesthésie.
ANESTHESIE.
509
FiG. 45. — Répartition de l'anesthé-
sie dans un cas de myélite trans-
verse.
temps. II en résulte des troubles profonds dans les phénomènes physiologiques et psycho-
logiques. Ces anesthésies périphériques existent rarement sans être accompagnées par
des altérations de la motililé, des troubles dans le fonctionnement des sphincters, des
modifications des réflexes. Elles donnent lieu à bien des douleurs plus ou moins péni-
bles : des hyperesthésies les précèdent, les suivent, et
souvent persistent autour de la zone insensible; des
engourdissements, des fourmillements sont ressentis sur
la région atteinte. En outre, les malades se rendent
compte de la lacune de leur sensibilité, et ils en souf-
frent. On connaît, par exemple, ce symptôme particulier
du tabès que CH.iRCOT a été l'un des premiers à décrire
et qu'il a appelé le masque tabétique. Les malades per-
dent la sensibilité d'une partie plus ou moins étendue
de la face, mais ils s'en rendent compte subjectivement
et déclarent éprouver à ce propos un sentiment horrible.
S" Ces anesthésies laissent toujours subsister, intactes
dans la conscience, les souvenirs, les images de la sen-
sibilité perdue. Le malade dans ses rêves possède encore
cette sensation qu'il ne peut plus éprouver pendant la
veille. La conservation des souvenirs lui permet de
comparer le passé avec le présent, de se rendre compte
de son insensibilité et d'en souffrir. Ces caractères nous
semblent les plus importants, non pour étudier les anes-
thésies périphériques en elles-mêmes, mais pour les
comparer aux anesthésies centrales qui sont loin de se
présenter de la même manière. En effet la lésion ou
la destruction d'un nerf périphérique n'abolit pas la notion consciente de la région
insensible. Un individu dont le nerf sciatique a été coupé perçoit encore des sensa-
tions qu'il rapporte à la périphérie, quoique la périphérie soit insensible. Les am-
putés croit sentir dans le membre absent de vives douleurs. De même qu'en électrisant
le tronc d'un nerf, on provoque des sensations qui sont rapportées à l'extrémité du mem-
bre innervé; de même les douleurs qui se produisent dans le moignon d'un membre
paraissent siéger à l'extrémité du membre absent. Certaines névralgies (anesthésies dou-
loureuses) coïncident avec l'anesthésie totale de la région qui paraît douloureuse
(Voyez Nerfs).
Anesthésies centrales. — Les altérations des centres supérieurs du cerveau,
qu'elles soient organiques, c'est-à-dire visibles, ou simplement fonctionnelles, c'est-à-dire
encore inaccessibles aux observations anatomiques, se traduisent par des modifications
des phénomènes psychologiques. On ne peut comprendre des anesthésies dues à ces
lésions qu'en examinant les différentes opérations psychologiques qui nous permettent
d'avoir conscience des impressions extérieures.
1 . Anesthésie par défaut de sensation. — Dans certains cas, malgré l'intégrité des con-
ducteurs, le phénomène physiologique qui donne naissance aux sensations ne se produit
pas. Cela arrive, par exemple, quand le fonctionnement des cellules cérébrales est sup-
primé ou arrêté, soit par absence de l'irrigation sanguine, soit par défaut d'oxygène, ou
d'une manière générale à la suite d'une intoxication. Ces anesthésies consécutives à des
intoxications sont d'ordinaire accompagnées par une perturbation générale de tous les phé-
nomènes psychologiques. La sensation ne disparait pas isolément; elle s'éteint avec toutes
les autres manifestations psychiques (Voyez Anesthésiques). Dans d'autres cas plus intéres-
sants, et dont l'étude toute récente est loin d'être achevée, certaines sensations disparaiî^sent
isolément, parce que les centres nerveux où se trouvaient leurs conditions d'existence ont
été supprimés. Les lésions corticales, accidentelles ou expérimentales, provoquent, non
seulement des paralysies, mais également des anesthésies. Le fait est incontestable pour
les sens spéciaux, et certaines lésions de l'écorce ont provoqué chez des animaux des
hémiopies,des cécités très nettes. Il en est de même pour la sensibilité générale : « i\ous
espérons prouver, disait Tripier en 1880, que, chez l'homme aussi, les lésions de ces
mêmes parties (c'est-à-dire des couches corticales de la zone motrice) donnent lieu, non
510
ANESTHESIE.
seulement à des troubles de la mobilité mais aussi à une diminution de la sensibilité*. »
L'hémianesthésie accompagne presque toujours l'hémiplégie d'origine corticale, ainsi
que l'ont montré les observations de Tripier, de Grasset, de Ballet-, les expériences de
ScHTFF, HiTziG, Mdnk, Esner, TAMBDRl^'I, LuGUNi, Bechterew, elc, qui sont résumées et
discutées dans l'ouvrage récent de Soury^ (Voyez Cerveau). Ces phénomènes sont encore in-
suffisamment connus pour que l'on puisse déterminer les caractères psychologiques des
anesthésies ainsi produites; nous signalerons seulement un problème intéressant. D'après
un certain nombre d'observations, il semble que, à l'inverse des anesthésies périphé-
ques, ces anesthésies par destruction des centres corticaux s'accompagnent le plus sou-
vent d'une amnésie. Les images seraient perdues en même temps que les sensations;
cette remarque, si elle était juste, serait favorable à l'hypothèse qui assigne le même
siège aux images et aux sensations. Certains faits cependant paraissent contradictoires,
et quelques auteurs séparent les parties de l'écorce qui président aux sensations visuelles
et celles qui donnent naissance aux images visuelles. Il serait donc nécessaire dans les
observations de ce genre de noter exactement si les souvenirs et les rêves ont subi la
même altération que les sensations.
2. Anesthésie par défaut d'assimilation. — Un second groupe d'anesthésies centrales est
un peu mieux connu; il nous paraît important; car il renferme des phénomènes très fré-
quents qui viennent souvent compliquer
l'étude des autres insensibilités. Certaines
anesthésies qui se rencontrent dans des
circonstances bien différentes, pendant la
distraction de l'homme normal, dans les
intoxications légères, dans les névroses et
surtout dans l'hystérie, ont des caractères
nettement différents de ceux qui viennent
d'être constatés. Ces anesthésies sont sou-
vent systématiques, « elles ne portent pas
sur toutes les sensations provenant de l'ex-
citation d'un certain sens ou d'un certain
point du corps, mais sur un groupe de
sensations formant un système, en laissant
parvenir à la conscience la connaissance de
tous les autres phénomènes qui impres-
sionnent ce même sens ou ce même point
de la surface cutanée. Une somnambule,
par exemple, ne peut sentir qu'une certaine
catégorie, un certain système d'objets en
rapport avec son rêve; mais, quoiqu'elle
ait les sens ouverts pour ces objets-là, elle
semble insensible pour tous les autres. «
Quand ces anesthésies sont localisées, leur
répartition ne correspond évidemment pas
à des régions anatomiquement distinctes,
c'est le bras tout entier, dans le sens vul-
gaire, populaire, du mot, y compris la région de l'épaule, qui est anesthésique.etnonle ter-
ritoire innervé par le plexus brachial (fig. 4o) '> ; les idées vulgaires que nous nous faisons
de nos organes semblent déterminer cette répartition. Quand ces anesthésies sont géné-
rales, elle peuvent exister sans produire aucune perturbation notable dans les fonctions de
nutrition, dans les mouvements, dans les réflexes. En outre cette insensibilité n'est pas
Fig. 46. — Répartition de l'anesthésie
dans un cas de monoplégie brachiale h3'stérique.
1. R. Tripier. Recherches cliniques et expérimentales sur l'anesthésie produite par les lésions
des circonvolutions cérébrales {Revue mensuelle de 7nédecine, 1880).
2. G. Ballet. Recherches anatomiques et cliniques sur le faisceau sensitif et les troubles de
la sensibilité dans les lésions du cerveau, 1881.
.3. J. SoiiRY. Les fonctions du cerveau, doctrines de V école de Strasbourg et de l'école Ita-
lienne, i^n. . • .
i. Charcot. Maladies du système nerveux, t. m, p. 347.
ANESTHÉSIE. SU
appréciée par le sujet, elle lui est indifférenle, et passe le plus souvent inaperçue, au lieu
de provoquer les engourdissements et la gêne qui accompagnent l'anesthésie périphé-
rique. On sait par exemple l'impression très pénible que l'on éprouve après un badi-
geonnage du pharynx avec une solution de cocaïne; les hystériques cependant ont
souvent le pharynx bien plus insensible et ne s'en aperçoivent même pas. Ajoutons
encore que ces anesthésies sont mobiles : sous diverses influences, en particulier à la
suite d'un effort d'attention, elles disparaissent momentanément ou changent leur loca-
lisation avec la plus grande facilité. Enfin nous avons essayé de mettre en lumière un
dernier caractère très important'; ces anesthésies sont coyitradictoir es. Au moment même
où elles semblent être complètes, au moment même oii le sujet affirme sincèrement
qu'il ne sent rien, on constate une quantité de mouvements et d'actions en rapport avec
cette sensation disparue qui prouvent son existence. Des faits de ce genre avaient été
bien souvent remarque's, et avaient même donné lieu à des accusations de simulation : il
faut constater cependant qu'ils sont réels et que ces anesthésies varient, se manifestant
par des phénomènes contradictoires suivant la façon dont on interroge les malades.
Pour comprendre ces distractions et ces anesthésies, nous avons proposé de distinguer
la sensation élémentaire TT'T''Mi\rM'... (fig. 46) et l'opération d'assimilation, de synthèse, PP,
qui combine entre eux ces phéno-
mènes élémentaires, et surtout qui, _ t .^n .. ..I ,,n ,, ,,< ,,w , -» .//
a chaque moment de la vie, les rat- j. , . j. j.
tache à la notion vaste et antérieure
de la personnalité-. Chez les indi-
vidus distraits d'une manière acci- T t' t" m m' m" V V V A A' A'
dentelle et chez les hystériques -h -t- rH + +
d'une manière permanente, cette
seconde opération, la perception
personnelle PP, serait insuffisante Fig. 47.
et ne rattacherait à la personna-
lité à chaque moment de la vie qu'un petit nombre de sensations, tandis que les autres
resteraient à l'état élémentaire, subconscient. Cette représentation cherchait seulement
à réunir dans une formule intelligible les caractères de certaines anesthésies bien dis-
tinctes de toutes les autres ■'.
Cette explication permettrait encore d'interpréter certains faits d'analgésie que l'on
constate dans les névroses et dans les intoxications légères. Les impressions qui
devraient être douloureuses sont senties d'une manière vague, mais elles deviennent
indifférentes et ne provoquent pas de douleur réelle. Cette absence de douleur tient
d'abord à l'absence de mémoire. Comme Ch. Richet l'a très bien montré, « ce qui fait
la cruauté de la douleur, c'est moins la douleur elle-même, que son souvenir et le
retentissement pénible qu'elle laisse après elle » [Loc. cit., p. 2158). Nous dirons aussi que
la douleur est un état de conscience déjà complexe, une émotion, et qu'elle dépend de
la synthèse des phénomènes psychologiques. Elle diminue et disparaît quand cette syn-
thèse s'affaiblit, et, dans certains cas bien entendu, l'absence de douleur nous paraît
dépendre aussi d'un défaut d'assimilation des phénomènes psychologiques élémentaires
à la personnalité.
Cette analgésie, cette indifi'érence, qui ne dépend en réalité que d'un affaiblissement
des fonctions cérébrales les plus élevées, est loin cependant d'être insignifiante. Quand
elle siège sur les organes internes, elle peut donner lieu à des troubles fort graves et
fort intéressants de leurs fonctions. Nous avons souvent eu l'occasion d'insister sur les
symptômes singuliers que produit chez les hystériques l'anesthésie vésicale et uréthrale.
Elles ne sentent plus le besoin d'uriner et ne sont averties de la réplétion de leur vessie
que par la gêne que cet organe trop distendu apporte à la respiration et à la marche. Elles
songent alors à uriner, par raisonnement et non par besoin, A ce moment elles ne
1. Pierre Janet. Anesthésie systématisée et dissociation, des phénomènes psychologiques
{Revue philosophique), 1887, t. i, p. 442.
2. Pierre Janet. Automatisme psychologique, 1889, pp. 39, 314.
3. Pour la bibliographie et la discussion de ces études, nous renvoyons à notre travail sur
l'État mental des hystériques, stigmates mentaux, 1893.
312 ANESTHESIE.
peuvent savoir si la micLion est commencée, si elle est accomplie, ou si elle est terminée;
elles ont besoin de regarder le jet d'urine, d'écouter le bruit qu'il fait en tombant dans
le vase; quelquefois, comme faisait un malade, de toucher le méat pour surveiller l'ac-
complissement de cette fonction. La disparition de la faim et de la soif, conséquence de
l'auesthésie des voies digestives, n'est pas moins importante. Elle est souvent l'origine
des refus des aliments, de l'anorexie, elle donne probablement naissance à des troubles
gastriques. Nous avons observé bien des faits qui justifient cette supposition, et récem-
ment SoLLiER en signalait également l'importance ( De l'infaience de l'état de la sensi-
bilité de l'estomae sur l'évolution de la digestion; communication au Congrès de méde-
cine interne de Lyon, 1894).
D'autre part, ces anesthésies, quoiqu'elles soient d'origine psychologique, ont elles-
mêmes une influence considérable sur les faits de conscience. De même que la dou-
leur est supprimée, le plaisir et les autres émotions sont diminués ou anéantis. Dans
tous nos sentiments entrent des sensations variées dues aux innombrables modifica-
tions qui s'accomplissent dans tous nos organes sous l'influence des impressions du
monde extérieur et de nos idées. Si ces modifications ne sont pas senties, ne sont pas
réunies en une même conscience, l'émotion et le sentiment disparaissent. Nous avons
décrit des malades qui devenaient complètement indifférentes, qui perdaient toute joie,
tout sentiment de famille, toutes affections, toute pudeur, quand elles étaient atteintes
d'anesthésie généralisée et surtout d'anesthésie viscérale (Pierre; Janet, Stigmates men-
taux des hystériques, 1893, p. 216).
Les troubles de l'activité volontaire, en général, sont également considérables
(voyez Aboulie), mais ils se rattachent à la diminution générale de la synthèse psycholo-
gique plutôt qu'à telle ou telle anesthésie déterminée. Au contraire, les troubles du niou-
vement volontaire en rapport avec l'auesthésie sont considérables et demanderaient toute
une étude spéciale. Nous rappellerons seulement ici que, dans les anesthésies tactiles et
musculaires incomplètes, les mouvements volontaires sont ralentis, indécis et mal dirigés,
comme s'il y avait une afaxie particulière : ils sont affaiblis et simplifiés, c'est-à-dire
que le malade ne peut plus exécuter qu'un très petit nombre de mouvements simul-
tanés. Quand l'anesthésie tactile et musculaire est complète, l'altération des mouvements
prend une forme plus particulière, que nous avons cru pouvoir désigner sous le nom de
syndrome de Lasègoe. Voici les faits essentiels qui constituent ce syndrome: 1° le sujet
est incapable d'exécuter aucun mouvement du côté anesthésique sans le secours de la
vue; 2° dans certaines expériences le mouvement commencé avec le secours de la vue
peut se continuer sans ce secours; 3° les imaginations visuelles ou même la sensation
tactile peuvent remplacer la sensation visuelle, pourvu qu'elles apprennent au sujet la
position de son membre au début du mouvement; 4° ce caractère ne semble pas gêner
le sujet, qui pendant le cours de la vie normale eiîectue tous les mouvements sans se
plaindre de rien; o" si on lève le bras du sujet sans qu'il le voie, ce bras reste immo-
bile dans des postures cataleptiques; 6° des mouvements peuvent être obtenus sans le
secours de la vue ; mais ils sont subconscients et le sujet ne s'en rend pas compte. Pour
l'étude et la bibliographie de ces questions nous renvoyons à nos travaux sur les
mouvements des hystériques (Stigmates mentaux des hystériques, p. 163), et aux articles
Inconscience, Catalepsie, Sens musculaire.
Les altérations de l'intelligence qui accompagnent l'anesthésie sont très complexes,
ce sont des troubles de l'attention, de la croyance et de la perception. Quelquefois, les
sujets perdent le sentiment de l'existence de leurs organes et ils éprouvent à ce sujet les
illusions les plus singulières qui deviennent même le point de départ de certains délires.
Quelques auteurs ont récemment insisté sur un fait particulier qui semble accompagner
les anesthésies très étendues, tout à fait généralisées : c'est la diminution considérable
des phénomènes intellectuels; c'est le sommeil. Strûmpell [Ein Beitrag zur Théorie des
Schlafs, A. Pf., t. XV, p. b73) a décrit l'un des premiers un cas de ce genre. Il s'agit
d'une jeune fille de dix ans, affectée d'une anesthésie générale de la peau, des muscles,
des muqueuses, qui avait également perdu le goût, l'odorat, l'ouïe et la vue d'un côté.
Elle n'avait de communications avec le monde extérieur que par l'œil droit et l'oreille
gauche : si on fermait ces deux derniers organes, elle s'endormait aussitôt. Des cas de
ce genre ont été étudiés par Liégeois, Heyne, Ziemssen, F. Raymond (De l'anesthésie cutanée
ANESTHESIE et A N ESTH ESIQU ES. 513
et musculaire généralisée dans ses lYipports avec le sommeil provoqué et avec les troubles du
mouvement; Revue de médecine, ISUl, p. 389). Ces phénomènes sont difficiles à inter-
préter : on peut admettre que les phénomènes intellectuels sont sous la dépendance
immédiate des provocations sensorielles et qu'ils disparaissent complètement par défaut
d'excitation quand on ferme les derniers sens du sujet. On peut aussi soutenir non
sans vraisemblance que l'état ainsi déterminé n'est pas un véritable sommeil avec
disparition de tous les phénomènes psychologiques, mais que c'est un état somnam-
bulique dans lequel beaucoup de pensées subsistent et qui a été provoqué par un
mécanisme différent suivant les cas et principalement par la suggestion. On trouvera
ces deux interprétations discutées dans le livre de Féré, Pathologie des émotions, 1893.
p. 83; dans notre travail sur Les accidents mentaux des hystériques, 1893, p. 219, et dans
l'article de I. Séglas et Ronnus (anesthésie généralisée, expérience de Strumpell.
Arch. de neurologie. 1894, p. 353).
Toutes ces perturbations des sentiments, des mouvements volontaires, de l'intelligence,
transforment complètement la personnalité, et ces anesthésies, dues à une insuffisance
de la synthèse psychologique, à un défaut de l'assimilation personnelle, sont à la fois
la conséquence et le principe de beaucoup de maladies mentales.
3. Anesthésie par défaut de perception. — Nous signalons seulement une dernière caté-
gorie de phénomènes qui se rattachent plus indirectement aux anesthésies. Les sensa-
tions existent, elles sont même conscientes, c'est-à-dire associées avec les notions qui
constituent la personnalité, mais elles ne sont plus comprises, ni reconnues. Ce sont
des anesthésies psychiques qui ont surtout été étudiées à propos des lésions des centres
de l'ouïe et de la vue (Soury. Les fonctions du cerveau, 69, 187). Il s'agit ici d'une associa-
tion, plus délicate encore, entre la sensation nouvelle et les souvenirs anciens qui est
détruite par la maladie. Celte question appartient plutôt à l'étude de l'intelligence, et il
nous suffit de la signaler.
Les diverses anesthésies nous permettent de passer en revue tous les éléments
nécessaires à la constitution d'une sensation intelligente. Chacun de ces éléments, les
conducteurs périphériques, les centres, la sensation élémentaire, l'assimilation à la per-
sonnalité consciente, la perception intelligente, peuvent être lésés isolément. Ici encore
la maladie a réalisé l'analyse de la fonction normale.
La bibliographie complète d'une semblable étude serait immense : on trouvera la
plupart des indications utiles dans les ouvrages qui ont été cités.
PIERRE JANET.
ANESTHÉSIE et ANESTHÉSIQUES. —Nous confondrons dans
la même étude l'histoire de l'anesthésie produite par des substances toxiques, et celle
de ces substances mêmes. Nous ferons d'abord dans cette étude complexe la distinction
entre l'anesthésie générale et l'anesthésie locale.
1. Anesthésie générale.
Historique. — On peut faire remonter l'histoire de l'anesthésie générale pratiquée
pour diminuer la douleur des opérations à une époque très reculée. En eftet, il est cer-
tain que l'idée de faire des opérations chirurgicales sans douleur, ou en atténuant la
douleui-, avait dû de tout temps venir à l'esprit des opérateurs. Mais nous n'insisterons
pas sur les moyens imparfaits et grossiers qu'on employait jadis. On trouvera l'historique
bien exposé dans quelques livres, d'abord dans tous les ouvrages d'ensemble sur l'anes-
thésie (voir la Bibliographie) et dans une bonne étude de Billault (Premiers essais d'anes-
thésie chirurgicale. D. P., 1890). L'ivresse provoquée par des boissons alcooliques, ou la
stupeur due à des narcotiques végétaux, voire même le somnambulisme, ont été irrégu-
lièrement mis en usage pour obtenir l'insensibilité. Mais ce n'étaient que des essais
informes'.
Le vrai principe de l'anesthésie chirurgicale peut être résumé ainsi : obtenir par des
substances toxiques une insensibilité inoffensive et passagère. Or il est évident, pour des
i. D'après J. B. Rottenstein, il existerait dans la bibliothèque du grand-duc de Hesse un pré-
cieux manuscrit de Denis Papin, daté de 1681 et ayant pour titre Traite' des opérations 6ans
douleur. Quoi qu'il en soit de la réalité de ce fait, l'anesthésie était inconnue avant 1844.
DICI. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 33
514. ANESTHÉSIE et A N ESTH ÉSIQU ES.
raisons que nous aurons l'occasion de développer plus loin, que les substances volatiles,
et même gazeuses, sont les seules qui puissent sans danger pour l'organisme provoquer
une insensibilité absolue. De sorte que la vraie découverte de l'aneslhésie chirurgicale
revient à celui qui a conçu l'idée de faire respirer un gaz inoffensif ou une vapeur inof-
fensive, capables cependant de produire une insensibilité assez longue pour la durée
d'une opération.
S'il en est ainsi, le véritable créateur de l'anesthésie, c'est Horace Wells, de Hartfort
(Counecticut). C'était un jeune homme de vingt et un ans qui exerçait la profession de
dentiste. Le 10 décembre 1844, il assistait à un cours de chimie fait par un médecin
nommé Colton. On administra alors à un des assistants, comme c'était l'usage depuis
les vieilles expériences de H. Davy, restées classiques, du protoxyde d'azote ou gaz
hilarant, et, comme d'habitude, il y eut une scène d'ivresse. L'individu intoxiqué roula
par terre et se contusionna les jambes contre les bancs. Interrogé par Wells à ce sujet,
il déclara n'avoir ressenti aucune douleur. Ce fait, en apparence insignifiant, paraît
avoir été un trait de lumière pour Wells, qui songea tout de suite à profiter de celte
insensibilité pour l'appliquer à l'extraction des dents.
C'est là, il faut bien le dire, le trait caractéristique et la vraie origine de la décou-
verte des anesthésiques. Assurément, il est très extraordinaire que personne avant
Wells n'ait songé à appliquer les effets du gaz hilarant aux opérations. Il faut croire
pourtant que l'idée n'était pas simple, puisqu'elle n'était venue à personne avant Wells.
Quelque étonnante qu'elle soit, nous sommes forcés de faire cette constatation. D'ail-
leurs nous sommes assez mal placés pour juger si l'idée était simple ou non; puisque
le milieu dans lequel nous vivons ne nous permet pas de comprendre l'état d'esprit des
hommes qui vivaient avant la découverte et la pratique de l'anesthésie.
Le lendemain du jour où Wells avait vu les effets de l'anesthésie provoquée par le
protoxyde d'azote, il résolut d'en faire l'application sur lui-même; et il se fit endormir
par CoLTON avec le gaz hilarant. C'est pendant qu"il était ainsi endormi que Colton
lui arracha une dent. Réveillé presque aussitôt après l'opération, W'ells s'écria : « Une
nouvelle ère dans l'extraction des dents! Cela ne m'a fait pas plus de mal qu'une piqûre
d'épingle!» (Voir pour plus de détails Rottenstein, Traité d'anesthésiè chirurgicale,
Paris, 1880.)
En somme l'anesthésie chirurgicale était découverte; car le fait d'appliquer le gaz
hilarant à d'autres opérations qu'aux extractions dentaires, comme le fait d'employer
d'autres substances que le protoxyde d'azote, l'éther ou le chloroforme, ou tout autre
corps analogue, ce sont des perfectionnements importants; ce n'est pas l'essence même
de la découverte. Aussi bien, dans l'histoire de l'anesthésie, doit-on donner la pre-
mière place au malheureux Horace Wells.
En général, on attribue à Jackson et à Morton la découverte des anesthésiques; mais
il faut faire remarquer d'abord que W'ells leur avait communiqué, comme ils l'ont
avoué, les résultats de sa pratique avec le protoxyde d'azote; ensuite que Wells a pro-
bablement essayé l'éther avant eux, puisque Wells (Bostonmed. and Surg. Journal, 184.ïj
mentionne avant toute autre publication les effets anesthésiques obtenus dans la pra-
tique courante des extractions dentaires à Hartford. Notons que Jackson et Morton, au
lieu de publier dans un recueil scientifique les effets des opérations qu'ils pratiquaient
sur des individus endormis par l'éther, ne songèrent qu'à prendre un brevet en dissi-
mulant sous le nom de léthéon la substance qui produisait l'insensibilité.
Pourtant, Jackson et Morton ont eu le mérite de faire avec l'éther beaucoup d'opé-
rations chirurgicales, extractions dentaires ou opérations plus longues, alors que
l'éther n'avait donné à Wells, pour des raisons que nous ignorons, que des résultats
imparfaits. Marion Sims a prétendu qu'un chirurgien américain, Crawford Long, avait,
depuis 1842, fait nombre d'opérations en endormant par l'éther; mais rien n'a été
publié là-dessus avant 1849, de sorte que, malgré l'authenticité des témoignages
apportés par C. Long, on est forcé de lui enlever l'honneur d'avoir découvert l'anes-
thésie chirurgicale. Pourquoi, si vraiment il avait trouvé depuis deux ans le moyen
d'insensibiliser ses opérés, n'avait-il rien publié et rien fait connaître? La chose en
valait la peine assurément.
Entre Jackson et Morton, la question de priorité est difficile à juger. Il est certain
ANESTHÉSIE et A N ESTH ÉSIQU ES. olo
que Jackson, chimiste, bien plus instruit que Morton, connaissait plus ou moins vague-
ment les efl'ets calmants de l'étlier, de sorte que, quand Morton vint lui demander de
préparer un gaz pour insensibiliser ses patients, ainsi que le faisait couramment Wells,
Jackson lui conseilla d'employer l'élher. Le 17 octobre 1846, par conséquent près de deux
ans après les essais de Wells, Morton, emportant le corps que Jackson lui avait
donné, endormit un malade auquel le chirurgien Warhen fit une opération.
A partir de ce moment les faits se succédèrent rapidement. La méthode de l'anes-
thésie chirurgicale était trouvée. Deux autres opérations furent faites, et le 27 octobre
MoBTON et Jackson prenaient en commun un brevet d'invention, ce qui occasionna,
quelque temps après, entre eux, une longue et confuse polémique.
Nous n'avons pas à raconter ici les progrès rapides de l'anestliésie, tellement rapides
qu'à la fm de 1847, dans tous les pays civilisés, elle était devenue de pratique courante.
Nous voulions présenter seulement en quelques mois l'histoire de cette grande décou-
verte qui revient, en réalité, à Wells; puis, avec des droits à peu près égaux, à Jackson
et à Morton qui ont employé l'éther au lieu du protoxyde d'azote, et qui ont osé
employer l'anesthésie pour de grandes opérations '.
A partir de 1847, les publications et les découvertes de détails deviennent trop nom-
breuses pour que nous en puissions donner ici même un résumé. Signalons seulement
les faits les plus intéressants; la découverte par Floure.ns des propriétés anesthésiques
du chloroforme (C. R., 8 mars 1847, t. ssiv, p. 342. Note touchant l'action de l'éther sur
les centres nerveux), ainsi qu'un essai d'une théorie générale de l'anesthésie; les pre-
mières opérations de J.-V. Snipsow en novembre 1847, avec le chloroforme {Onanew
anesthetic agent more efficient than sulphuric ether. Lancet, 1847 (2), p. o49), les expé-
riences de Claude Bernard sur l'association de la morphine au chloroforme et sur les
effets des anesthésiques sur les plantes.
Quant à l'histoire des autres corps gazeux, éthers chlorés ou non chlorés, capables
de produire l'insensibilité, ce sont des notions physiologiques de détail que nous aurons
à diverses reprises l'occasion de mentionner; mais brièvement, car notre but est ici
d'exposer dans ses lignes générales le mécanisme physiologique de l'anesthésie chirur-
gicale.
Effets des anesthésiques. Première période. Ivresse. — Le premier effet d'un
anesthésique est de provoquer l'ivresse, et une ivresse qui varie quelque peu avec
chaque substance employée, mais qui de fait présente toujours les mêmes symptômes
psychologiques fondamentaux.
Quoique ces symptômes aient été analysés déjà à l'article Alcool (t. i, p. 239), il sera
bon d'insister sur certains points; car le mode de désorganisation de l'intelligence
fournit des documents précieux sur la nature même de l'intelligence.
1. Il faut citer, ne fiit-ce que comme curiosité, les paroles de Magendie à l'Académie des
sciences {l" février 1847) lorsque Velpeau communiqua les premiers faits de l'anesthésie chirur-
gicale (C. R., t. XXIV, p.jl34. Remarrjices à l'occasion d'une communication de M. Velpeau sur
les effets de l'éther).
« C'est la première fois, dit-il textuellement, que j'entends retentir dans cette enceinte le
récit des effets merveilleux de l'éther sulfurique; car on en pourrait dire autant des autres éthers,
sorte de narration dont la presse s'empare et qu'elle porte au loin, satisfaisant ainsi cet insa-
tiable et avide besoin du public pour le miraculeux et l'impossible. Ce que Je vois de plus clair
dans ces récits, c'est que, depuis quelques semaines, un certain nombre de chirurgiens se livrent
à des expériences sur des hommes, et que, dans le but louable sans doute d'opérer sans douleur,
ils enivrent leurs patients jusqu'au point de les réduire à l'état de cadavre que l'on coupe, taille
impunément, et sans aucune souffrance. A peine l'expérience est-elle faite, et souvent avant
qu'elle soit terminée, on la livre à la publicité. Je rends justice à l'intention; mais je dis qu'en
agissant ainsi MM. les chirurgiens font défaut à la raison, à la morale, et pourraient arriver à
des conséquences dangereuses pour la sécurité publique; aussi je me sens disposé à protester
contre ces essais imprudents, et souvent contre les publications précipitées. »
Magendie a rendu trop de services à la physiologie pour qu'il soit convenable d'insister sur
l'absurdité et l'ineptie de telles paroles. Mais vraiment n'est-ce pas un exemple, à ajouter à tant
d'autres, de la résistance que les hommes, même les plus grands, opposent aux découvertes nou-
velles? Une sorte de néophobie, plus forte encore chez les savants que chez les autres hommes,
les empêche d'admettre ce qu'ils ne connaissent pas. D'aUleurs, dans celte même séance, Velpeau
lui fit une verte réponse, bien méritée assurément.
516 ANESTHÉSIE et AN ESTH ÉSIQU ES.
Quoique les effets de l'éther, ou du chloroforme, ou du protox3'de d'azote inspirés
soient bien plus rapides que ceux de l'alcool ingéré, on peut encore suivre les phases
par lesquelles passe Ja conscience avant d'être finalement anéantie. Nous prendrons
comme type l'éthérisation ; parce que,' dans bien des cas, en Amérique notamment, en
Angleterre, et surtout en Irlande, certains individus absorbent de l'éther pour s'enivrer.
D'ailleurs, la période d'ivresse de l'éther est plus longue que celle du chloroforme, poison
plus actif, qui abolit très vite toute fonction intellectuelle, tandis que l'éther la surexcite
avant de la détruire. Draper. Ethcr drinking in the Nord of Ireland(Med. Press and Circul.
Dublin, 1877, p. 423). — Gallard. Intoxicat. chronique par l'éther {Gaz. des hôpit., 1870,
p. 213). — Legrand du Saulle. Note médico-légale sur un cas rare de dipsomanie [éther)
[Ann. dltyg., 1882, p. 416). — Montalte. Les buveurs d'éther {Journ. des conn. méd. chir.,
1879, p. 92).
Un des premiers phénomènes, c'est l'abondance, l'activité, et pour ainsi dire l'hy-
pertrophie des idées. Il y a un état d'hypéridéation tout à fait caractéristique. Mais en
même temps la conscience du monde extérieur et les impressions sensitives vont en
s'altérant. 11 semble que ce double processus soit corrélatif; la diminution des excita-
tions périphériques; et l'augmentation de l'activité intellectuelle. Autrement dit encore,
tout se passe comme si l'intelligence était de plus en plus séparée du monde extérieur
et livrée à sa propre activité. Alors cette activité devient délirante, plus de correctif aux
débordements tumultueux des idées. Elles poursuivent leur évolution sans frein, comme
si à l'état normal nous étions constamment rappelés à la réalité par les excitations sen-
sorielles innombrables, qui modifient sans cesse, même quand on ne s'en rend pas
compte, la marche des phénomènes intellectuels.
Ce qui domine dans cette ivresse, c'est un sentiment de force exagérée, de puis-
sance surhumaine. On n'a plus la notion des effets musculaires possibles; le sens mus-
culaire étant, comme les autres sensations, profondément altéré. Quelquefois, mais plus
rarement, c'est la tristesse qui l'emporte. En tout cas, tout est toujours exagéré ; tristesse
ou gaieté, frayeur ou colère, tout est hors de propos. 11 n'y a plus de volonté, ni d'arrêt,
ni d'attention qui fixe sur un point déterminé les idées délirantes.
Les deux phénomènes psychologiques fondamentaux de notre constitution mentale,
la notion d'espace et la notion de temps, sont primitivement et gravement altérés.
Quoique dans certaines ivresses, notamment dans l'ivresse par le hachieh, la perversion
soit encore plus profonde, cependant les individus éthérisés ont des sensations anor-
males sur le temps, qui leur paraît en général beaucoup plus long qu'il n'est en réalité.
De même les objets semblent comme éloignés, et on ne peut plus bien juger de la dis-
tance. En un mot, il n'y a plus ce jugement du monde extérieur qui se fait constamment
chez l'individu normal par la comparaison des sensations diverses et la simultanéité de
toutes les excitations sensitives qui sont appréciées.
Quant à la mémoire, elle est altérée dans un certain sens; c'est-à-dire que la mémoire
d'évocation reste intacte. Les souvenirs anciens n'ont pas disparu, quoique à vrai dire ils
puissent de moins en moins revenir quand on les appelle. D'autre part la mémoire de
fixation, c'est-à-dire la faculté de fixer dans l'esprit les images et les faits, a complète-
ment disparu, ou plutôt elle disparaît au fur et à mesure que l'intoxication progresse, si
bien qu'après l'ivresse on ne se souvient plus de ce qui s'est passé (Ce. Richet. De la mé-
moire. Rev. philosoph., 1886, pp. 561-390).
Ainsi, par le fait des anesthésiques inhalés à faible dose, nous voyons parmi les fonc-
tions de l'intelligence la fonction fondamentale qui persiste, c'est l'idéation. Elle dure
après que la mémoire de fixation, l'attention, le jugement, la volonté, ont disparu. De
même, dans le sommeil normal, la faculté de rêver survit aux autres facultés. Au con-
traire le pouvoir de direction, de combinaison, et de comparaison, disparait très vite,
comme si c'était de toutes les fonctions intellectuelles la plus fragile, et par conséquent
la plus élevée dans la hiérarchie.
Cependant il serait inexact de dire que, à cette période de l'ivresse, toute sensibilité est
abolie; car même les sens spéciaux ne sont pas tout à fait éteints, et )a notion du monde
extérieur, quoique pervertie, n'est pas détruite. L'individu éthérisé voit, entend, mais il ne
juge pas sainement les sensations qu'il éprouve. Aussi les erreurs d'appréciation sont-elles
énormes. En réalité, comme la volonté est abolie, comme il n'y a plus d'attention régu-
ANESTHÉSIE et A N ESTH ESIQU ES. 517
latrice, comme une partie des excitations de la péripliérie sensorielle n'arrivent plus aux
centres conscients, celles qui arrivent encore à la conscience sont mal interprétées; elles
ne se corrigent plus l'une par l'autre, et alors elles provoquent des rêves absurdes, el un
vrai délire qui va en s'exagérant, à mesure que les doses de poison absorbé augmentent.
Les paroles agitées, dramatiques, que profère le patient, deviennent de plus en plus con-
fuses ; et elles s'éteignent graduellement en un marmottement inintelligible, qui lui-
même finit par cesser.
Or c'est tout à fait ainsi que survient le sommeil normal ;il y a donc une différence dans
la cause, plutôt que dans la modalité du sommeil anesthésique et du sommeil normal.
Nos idées, au moment du sommeil, ne sont plus dirigées par nous. Elles ont d'abord
quelque vraisemblance ; puis peu à peu elles prennent des formes de plus en plus ab-
surdes ; finalement le monde extérieur s'enfuit, et les rêves continuent pourtant jusqu'à
s'évanouir tout à fait, sans qu'on puisse saisir le moment précis oii toute idéation est
anéantie.
Il s'ensuit qu'on ne peut pas préciser le moment où la conscience disparait; car ce
n'est pas un point mathématique dont le terme peut être déterminé. La conscience du
moi ne s'en va pas tout d'un coup, mais graduellement, comme dans le sommeil normal.
S'il est vrai, comme nous le croyons pour notre part, qu'elle soit surtout un phénomène
de mémoire, la chaîne des sensations passées étant reliée aux sensations présentes, on
voit que la conscience diminue à mesure que la mémoire va en s'alïaiblissant.
Une des fonctions du système nerveux qui paraît atteinte parmi les premières, c'est
l'équilibre. Dès les premières inspirations d'un anesthésique, le patient éprouve une sorte
de vertige. Les objets tourbillonnent autour de lui, il prend une démarche chancelante,
la tête lui tourne, comme on dit vulgairement; la station ou la marche équilibrée est
devenue impossible. On sait, que dans l'ivresse alcoolique, c'est aussi cette faculté d'équi-
libre qui est d'abord atteinte, et que les individus ivres, quoique ayant conservé la con-
science d'eux-mêmes, la sensibilité à ladouleui- et toutes les sensibilités, ainsi qu'une in-
tégrité intellectuelle presque complète, ne peuvent marcher droit, et titubent. On n'a pas,
à ce qu'il semble, suffisamment insisté sur cette fonction de l'équilibre, qui semble néces-
siter un état cérébral et bulbaire d'une intégrité parfaite, puisque les intoxications on f
pour premier effet de l'altérer; de même que les premiers symptômes de l'anémie céré-
brale sont marqués précisément parle défaut d'équilibre.
Au début de l'ivresse, cette anesthésie sensorielle partielle coïncide avec une hype-
resthésie sensorielle, partielle aussi. Certaines sensations sont amplifiées; ce qui en-
traîne autant d'erreurs que l'abolition même de la sensibilité. Mais cette exagération
de nos sensations ne laisse pas de traces dans la mémoire ; car, dès les premières inha-
lations anesthésiques, le souvenir fixateur des images diminue, de manière que les sen-
sations, même hypertrophiées au moment où elles sont perçues, s'effacent sans laisser
de trace.
Mais peu à peu les sensations elles-mêmes s'émoussent, et alors apparaît ce curieux
phénomène de l'analgésie qui, bien avant que Wells l'eût remarqué, avait déjà été con-
staté par Davy, dans ses observations sur le gaz hilarant (Voy. Analgésie).
En effet, même pendant cette première période de l'anesthésie, alors que le patient
parle, rêve, divague, répond aux questions, interroge, entend tous les bruits qui se pas-
sent, perçoit les sensations tactiles, parfois le sentiment de la douleur est affaibli de telle
sorte qu'on peut pratiquer des opérations sans que le patient souffre. Même s'il pousse
des cris de douleur, la souffrance est si passagère, qu'elle ne peut compter pour une
vraie souffrance ; si on le réveille au moment même de ses gémissements, et si on lui
demande pourquoi il a crié, il dira qu'il n'a pas souffert, et qu'il n'a rien senti.
La nature de l'agent anesthésique modifie la forme du délire. Avec le protoxyde
d'azote et avec l'éther, c'est plutôt de la gaieté sans fureur, tandis qu'avec le chloroforme,
surtout chez les alcooliques, le délire est terrible. C'est la période d'excitation décrite
par tous les chirurgiens. Sur les chiens chloroformés dans nos laboratoires, la période
d'excitation chloroformique est aussi très marquée, même quand on administre le chlo-
roforme par la trachée, contrairement à une affirmation de P. Bert, qui ne repose que
sur un trop petit nombre d'expériences. Les enfants (Bergeron. Le chloroforme dans ta
chirurgie des enfants, D. P., 1874) subissent presque sans délire les effets du chloroforme.
518 ANESTHÉSIE et A N ESTH ESIQU ES.
et le sommeil survient vite, presque sans aucune agitation. Le chloral, injecté dans la
veine des chiens, ou mieux dans le péritoine, ce qui permet d'en bien étudier les etîets
successifs, produit une agitation vive, de la titubation, et de l'impuissance motrice, avant
l'abolition de la sensibilité. On peut voir alors nettement combien le chloral trouble
l'innervation motrice avant d'atteindre la sensibilité; car des chiens qui gisent à terre,
incapables de se mouvoir, poussent encore des gémissements plaintifs, et quelquefois de
longs et insupportables hurlements, quand on appuie sur leurs pattes. Il y a donc para-
lysie du mouvement avant qu'il y ait paralysie de la sensibilité; cependant alors la
sensibilité à la douleur est déjà diminuée; car, dès que l'on cesse d'opérer, les gémis-
sements s'arrêtent.
La période d'excitation du chloroforme et de l'éther n'est donc pas du tout de l'as-
phyxie, comme on l'a prétendu. Certes, chez les individus vigoureux, le chloroforme
amène quelquefois une sorte de convulsion spasmodique des muscles du thorax. Alors
la respiration est suspendue; la face bleuit; les veines de la tête grossissent; la langue
est violacée; et il semble que l'asphyxie soit imminente; mais c'est pour ainsi dire un
épiphénomène qui ne modifie guère le cours des symptômes de l'anesthésie, et l'as-
phyxie est la conséquence, non la cause de la période d'excitation. En effet la période
d'excitation apparaît encore, même quand la respiration artificielle est faite et que la
saturation du sang en oxygène est assurée.
Tous les autres appareils organiques subissent les conséquences de la surexcitation
nerveuse. La pression sanguine est élevée; les battements du cœur s'accélèrent; la res-
piration est augmentée dans son rythme et dans sa profondeur, et la température aug-
mente.
On peut dire qu'au début la substance anesthésique limite son action au système
nerveux psychique. Pourtant il est certain, comme l'a dit récemment Heym.^ns, que les
muscles et les épithéliums subissent, même à faible dose, l'influence de l'intoxication
chloroformique. On le prouve par les effets qu'exercent sur les reins les injections répé-
tées de petites doses de chlorofoi'me, et récemment on a voulu attribuer à ces altérations
rénales la plupart des cas de morts tardives après le chloroforme. Toutefois il est évident
que l'action sur les muscles et sur les glandes est très peu appréciable, et que la prin-
cipale, pour ne pas dire Tunique lésion fonctionnelle porte sur les centres nerveux céré-
braux psychiques.
Si la dose augmente, alors l'anesthésie remplace l'analgésie, et ce ne sont pas seule-
ment les centres cérébraux qui sont atteints, mais aussi tous les centres nerveux, mé-
dullaires et ganglionnaires.
Deuxième période. Anesthèsie avec réflexes. — Pendant l'ivresse du début
l'individu chloroformé se débat et s'agite; il semble animé par une hyperidéation exces-
sive; mais maintenant tout est rentré dans le silence; la respiration est devenue moins
fréquente, régulière et superficielle ; le cœur bat plus lentement; la pupille est moyen-
nement rétrécie ; c'est vraiment le sommeil anesthésique. Les plus fortes excitations de
la sensibilité ne provoquent plus ni gémissement ni douleur. Cependant les réllexes ne
sont pas encore abolis. Autrement dit, le cerveau a perdu toute son activité fonction-
nelle, alors que la moelle est intacte. Ce qui est important à noter, c'est que dans cette
période, masquée, comme le dit bien Dastre, par la brutalité de la pratique, la tonicité
musculaire, phénomène réflexe, n'est pas abolie. Les muscles qui entourent un membre
luxé sont encore contractés avec force et s'opposent à la réduction; la section d'un mus-
cle est suivie de la rétraction immédiate de ce muscle.
Troisième période. Anesthèsie sans réflexes. — Peu à peu les réflexes eux-mê-
mes disparaissent; le réflexe conjonctival, c'est-à-dire le clignement de la paupière con-
sécutif à l'attouchement de la cornée; le réflexe patellaire, et le réflexe labio-menton-
nier, étudié par Dastre et Loye (V. Dastre, Les anesthésiques, p. 84). Le réflexe cardiaque
disparaît aussi, quoique plus tardivement (Nous y reviendrons, quand nous parlerons de
la syncope chloroformique).
Quant aux réflexes respiratoires, ils ne disparaissent jamais, tant que l'automatisme
de la respiration n'est pas aboli. Le fait a quelque importance au point de vue physiolo-
gique; car il démontre que les voies de conduction dans la moelle, soit centripètes, soit
centrifuges, ne sont jamais lésées assez pour être interrompues. Ce qui meurt dans
ANESTHÉSIE et A N ESTH ÉSIQU ES. 519
l'anesthésie, c'est le centre nerveux ; ce ne sont pas les appareils de conduction, intra-
on extra-médullaires. La conduction n'est pas notablement altérée, et si, pour les centres
nerveux autres que le centre respiratoire, on ne peut la déceler, c'est que, par suite de
l'abolition de la fonction de ces centres, il est impossible de constater qu'une excitation
quelconque peut encore leur être transmise.
Cette période, pendant laquelle il n'y a plus de réflexes, est la vraie période anesthé-
sique; celle pendant laquelle le chirurgien fait l'opération. Alors non seulement la
sensibilité est totalement abolie ; mais encore des réflexes, parfois dangereux, sont sup-
primés, et les mouvements du patient, qui rendraient difficiles les manœuvres opéra-
toires, sont devenus impossibles. De plus, comme dans certains cas de luxation, par
exemple, l'abolition de la tonicité musculaire permet d'agir sur des membres inertes, ce
qui est un grand avantage.
A cette période la pression sanguine est très diminuée; elle s'abaisse, chez les ani-
maux chloralisés, jusqu'à environ 8 ou même 6 millimètres de mercure, quelquefois
moins encore. Par suite de cet abaissement de pression, le cœur bat assez rapidement.
Un animal chloralisé et non refroidi a toujours un certain degré de tachycardie, ce qui
n'est pas dû à l'absence des effets modérateurs du nerf vague; car à aucun moment,
comme je l'ai souvent constaté, le nerf vague ne perd le pouvoir de ralentir, et même
d'arrêter les mouvements du cœur. Le chloroforme, qui abaisse la pression moins que le
chloral, accélère aussi beaucoup moins les systoles cardiaques.
La respiration est devenue très régulière; car les excitations psychiques, qui, à l'état
normal, modifientincessammentle rythme, suivant l'idéationet lessensations extérieures,
ne sont plus là pour exercer leur influence perturbatrice. Elle est superficielle; car l'hé-
matose, à cause de la diminution des échanges, peut être assurée par une ventilation
pulmonaire faible, et sa fréquence ne paraît guère modifiée. Fredericq a montré que le
chloral agissait d'une manière spéciale sur les centres respiratoires; car, chez les lapins
chloralisés, l'arrêt de la respiration a lieu en expiration, contrairement à ce qui se pro-
duit chez les lapins normaux, quand on excite les bouts centraux des nerfs pneumogas-
triques (T. P., 1883, p. 169, flg. 6).
La force musculaire respiratoire a varié d'une manière tout à fait caractéristique.
C'est un point que P. L.^nglois et moi nous avons étudié, en analysant la force de l'ex-
piration et la force d'inspiration chez les chiens chloralisés {Trav. Lab., 1893, t. ii, pp. 333-
3ol. Influence des jiressions extérieures sur la ventilation pulmonaire). Au moyen d'une sou-
pape de MuLLER, on peut dissocier les deux fonctions musculaires de la respiration, et
noter ce qui se produit quand on augmente la hauteur de la colonne de mercure à tra-
vers laquelle doit respirer l'animal, tant pour inspirer que pour expirer. Il se trouve
que l'effort inspiratoire est peu modifié par l'anesthésie chloralique, et que les chiens
peuvent encore surmonter une résistance de 23 millimètres de mercure. Au contraire
l'effort expiratoire est presque complètement paralysé; car même une colonne de 6 mil-
limètres de mercure suffit pour abolir toute expiration, et par conséquent pour asphyxier
un chien anesthésié. Autrement dit, dans le sommeil chloroformique profond, le moindre
obstacle à l'expiration est dangereux et même très dangereux (fait important pour la
pratique chirurgicale), tandis que l'inspiration n'est pas sensiblement affectée.
On comprendra sans peine pourquoi l'agent anesthésique établit cette différence entre
l'inspiration et l'expiration: c'est que, dans cette période, le bulbe respiratoire n'est pas
atteint, et conserve à peu près toute sa force. Or l'expiration n'est pas, comme l'inspira-
tion, due à l'innervation automatique du bulbe; elle dépend en partie de l'élasticité
pulmonaire, retrait du poumon qui suit la distension inspiratoire; en partie de la con-
traction musculaire des muscles expirateurs, muscles mis enjeu par un effort volontaire,
ou par une excitation réflexe. Or, pendant une anesthésié profonde, il ne reste plus
ni eftbrt volontaire ni réflexe. Il n'y a plus que l'élasticité pulmonaire qui puisse déter-
miner l'expiration; et cette élasticité n'est pas suffisante pour soulever une colonne
de 3 à 6 millimètres.
Un des phénomènes constants de l'anesthésie, et surtout de l'anesthésie chlorofor-
mique, ce sont les vomissements. On les observe presque toujours avec le chloral, et un
peu moins fréquemment avec les autres anesfhésiques. Comme le chloroforme agit sur
les vaisseaux d'une manière tout à fait différente du chloral, on ne peut vraiment sup-
320 ANESTHÉSIE et AN ESTH ÉSIQU ES.
poser que ces vomissemenls sont dus à la congestion ou à l'anémie bulbaires. C'est assu-
rément un phénomène d'excitation (par la substance toxique) des centres nerveux qui
président au vomissement. Dans certains cas ces vomissements sont presque incoercibles ;
il faut alors continuer l'administration de l'aneslhésique ; car, par les progrès de l'in-
toxication nerveuse, les centres bulbaires, qui commandent les mouvements expulsifs de
l'estornac et des muscles abdominaux, finiront par être paralysés au lieu d'être excités.
Le progrès de l'anesthésie fait cesser les vomissements. Dans d'autres cas, heureusement
. assez rares, alors que la période d'anestliésie est dissipée, les vomissements reparaissent,
. souvent très douloureux et très tenaces.
Les anesthésiques agissent certainement sur la fibre musculaire elle-même. Sydney
Rincer (cité par Dastbe, loc. cit., p. 9o) a vu que le cœur de la grenouille est empoisonné
par le chloroforme. Bert (cité aussi par Dastre) a vu que l'effet musculaire produit par
l'excitation du sciatique allait en diminuant avec les progrès de l'anesthésie. J'ai vu se
modifier notablement la courbe de la secousse musculaire des écrevisses placées dans
de l'eau chloroformée. Mais, malgré cela, il est clair que, môme à la dose anesthésique,
la fonction des muscles n'est guère modifiée; et on peut dire que seuls, les centres ner-
veux sont fortement atteints.
Le sang n'est pas altéré par le chloroforme et l'éther, et probablement aussi, quoique
moins sûrement, par le protoxyde d'azote, aux doses anesthésiques. Le sang artériel est
rouge ; le sang veineux n'est pas très noir, ce qui tient à la faiblesse des échanges. Agité
à l'air, le sang garde toujours la capacité de fixer les mêmes proportions d'oxygène. Je
m'en suis souvent assuré par le procédé de dosage de Schutzenberger.
Les échanges respiratoires sont cependant énormément modifiés. Avec le chloroforme
peu d'expériences ont été faites, taudis que la question a été souvent étudiée avec le
chloral. Rumpf a trouvé, avec l'éther, le chloroforme, l'alcool, le chloral, une diminution
des échanges de 40, 50 et 60 p. dOO; et parallèlement une diminution correspondante de
la température. J'ai fait aussi à ce sujet de nombreuses recherches sur les chiens
(Echanges respiratoires et chloral. Trav. du lab., t. i, p. o55) et j'ai trouvé que les chiens
chloralisés ne produisaient en moyenne que OS'.eOO d'acide carbonique par kilo et par
heure, tandis que les chiens normaux en produisent lKr,200. Par conséquent l'activité
ohimique de l'organisme a diminué de EO p. 100. Il est certain qu'une grande part de
cette diminution reconnaît pour cause la résolution musculaire complète qu'on observe
alors; mais il est probable que les tissus autres ■que les muscles, glandes et autres appa-
reils, subissent aussi une diminution de leur activité.
Parallèlement à l'abaissement des échanges on observe une diminution de la tempé-
rature. Chez l'homme, par le fait de la rapidité de l'anesthésie et des précautions qu'on
prend pour empêcher le refroidissement, cette hypothermie est négligeable ; mais, chez
les animaux chloralisés, elle est parfois énorme; et peut aller jusqu'à 23°, et même
plus bas encore. Rumpf a noté une fois 18" chez un cobaye chloralisé.
Il m'a élé possible de montrer par une expérience très simple que le rôle de l'anes-
lhésique dans ce cas était de paralyser le pouvoir régulateur de la caloriflcation. Chez
un chien normal, les échanges, et par conséquent la production de chaleur, sont en rap-
port avec la surface, grâce au système nerveux qui règle le phénomène; mais, chez
l'animal chloralisé, cette proportionnalité avec la surface n'existe plus; les gros et les
petits chiens fournissent par kilogramme la même quantité d'acide carbonique. Or,
comme la déperdition des gros et des petits animaux n'est pas la même par kilogramme,
et qu'elle se fait proportionnellement non au poids, mais à la surface, il s'ensuit que les
petits chiens chloralisés doivent se refroidir bien plus vite que les gros. Et en effet il en
est ainsi. Donc la régulation de la chaleur par rapport à la surface est un phénomène
qui dépend du système nerveux central. Quand l'animal est anêsthésié, ce pouvoir régu-
lateur a disparu (en même temps que toutes les autres fonctions du système nerveux
central), et le l'efroidissement se fait proportionnellement à la surface, c'est-à-dire plus
vite chez les petits animaux que chez les gros.
La pupille, à la troisième comme à la seconde période, est toujours rétrécie, surtout
avec le chloroforme; elle n'est pas susceptible de réflexes, quoique l'excitation électrique
du grand sympathique ait gardé tout son pouvoir. Ce sont donc les centres nerveux ré-
flexes qui sont atteints et non les troncs nerveux conducteurs, ni les terminaisons nerveuses.
ANESTHÉSIE et AN ESTH ÉSIQU ES. S'il
La circulation périphérique ne se comporte pas de la même manière suivant la
nature de l'agent anesthésique administré. Avec le chloroforme il y a une vaso-constric-
tion générale, les téguments sont pâles, et le sang des artérioles ouvertes s'écoule en
petite quantité (Dastre, p. 88) ; tandis qu'avec l'éther il y a plutôt vaso-dilatation et con-
gestion des tissus. L'éther favorise les hémorrhagies, tandis que le chloroforme les
diminue.
Même après les hémorrhagies abondantes, le chloroforme parait être bien supporté.
KmMissoN. De l'anémie consécutive aux hémorrhagies Iraumatiques et de son influence sur la
marche des blessures {Th. d'agrégat. Paris, 1880).
Quatrième période. Arrêt de la respiration. — A vrai dire cette période n'existe
pas dans l'anesthésie chirurgicale, et il ne faut jamais pousser le chloroforme jusqu'à la
dose qui abolit l'innervation bulbaire. Mais sur les animaux, en poussant au maximum
les effets anesthésiques, on voit que le cœur continue à battre alors que les mouvements
respiratoires aulomatiques ont cessé. Il faut donc, sous peine de voir l'animal s'asphyxier,
pratiquer la respiration artificielle, et cela parfois pendant plusieurs minutes, sans que
la respiration naturelle revienne. Mais cette suspension de l'effort respiratoire n'est
jamais dangereuse, tant que le cœur bat; car, en continuant l'insufflation pulmonaire,
on est à peu près sûr de voir revenir au bout d'un temps plus ou moins long la respira-
tion spontanée.
Au moment de la mort du cœur, comme au moment de l'asphyxie respiratoire, il se
produit dans la pupille un phénomène important; c'est la brusque dilatation. Pendant
le sommeil régulier, qu'il s'agisse du sommeil chloroformique ou du sommeil naturel,
la pupille est rétrécie parfois à l'extrême ; mais, dès que'survient l'asphyxie, elle se dilate.
Aussi les chirurgiens recommandent-ils une observation attentive de la pupille, qui
indique dans une certaine mesure l'état d'oxygénation du sang.
V. J. DoGiEL. Wirkung des Chloroforms auf clen Organismus der Thiere im allgemeinem
und besonders auf die Beioegung der Iris (A. Db., 1866, pp. 231 et 41b). — C. Westhphal.
Uber ein Puplllenphânomen in der Chloroformnarkose (A. V., 1863, t. xsvit, pp. 409-412).
— P. BuDTN et P. CoYNE. Rcch. clin, et expérim. sur l'état de la pupille pendant l'anesthésie
chirurgicale chloroformique (A. P., 1873, pp. 61-100). — M. Schiff. Nota sulla pupilla
nella narcosi cloroformica (Imparziale, 18T6, t. xvi, p. 363). — Schlaoer. Verânderungen
der Pupille in der Chloroformnarkose {(Jentrbl. f. Chir., 1877, p. 383). — Vogel. Même sujet
(Pet. med. Woch.), 1879, pp. 113, 123).
La mort à cette période peut survenir par arrêt du cœur; même quand il n'y a pas
trace d'asphyxie. Nous ne parlons pas ici des morts primitives, qui surviennent dans le
cours de la troisième, de la seconde et quelquefois même de la première période; mais
de ces morts lentes où la respiration continue, superficielle et très rare, et où les systoles
ventriciilaires, de plus en plus faibles, finissent par s'éteindre tout à fait. Dans ce cas la
respiration artificielle ne suffit pas à empêcher la mort. Il est bien probable qu'il s'agit
là d'une intoxication profonde (par l'agent anesthésique) des ganglions nerveux du cœur
ou même de la fibre myocardique. Il est en outre probable que l'abaissement de la
pression n'est pas sans quelque influence.
En tout cas la mort du cœur et celle de la respiration ne sont pas, à cette
période, accompagnées des symptômes bruyants qu'on observe chez les individus nor-
maux. L'asphyxie, dans l'anesthésie, a lieu sans convulsions ni réactions de douleur.
Mais surtout, ce qui est un point essentiel, l'asphyxie se produit avec une lenteur
extrême. La diminution des échanges, l'absence de toute réaction convulsive, comme
aussi (au moins dans les expérimentations physiologiques) l'abaissement thermique,
toutes ces causes font que, sur un animal 1res profondément chloralisé, on peut laisser
la trachée fermée pendant longtemps sans déterminer l'arrêt asphyxique du cœur. Chez
les lapins par exemple, qui à l'état normal s'asphyxient en deux minutes et demie envi-
ron, il faut parfois six et même huit ou dix minutes pour les asphyxier quand ils sont
chloralisés. Fait bien important à noter, puisqu'il nous prouve que la suppression de la
respiration n'amène pas une mort rapide. On ne peut donc l'incriminer comme cause
de mort, à moins de faute lourde de la part de l'opérateur. Nous reviendrons d'ailleurs
avec détail sur ce point essentiel qui ne doit pas être traité légèrement.
Période d'élimination et de retour. — Le retour à l'état normal se fait plus ou
522 ANESTHÉSIE et AN ESTH ÉSIQU ES.
moins rapidement selon l'agent anesthésique. S'il s'agit d'un corps gazeux, comme le
protoxyde d'azote, le retour est tellement rapide que la sensibilité reparaît presque aus-
sitôt qu'on a cessé les inhalations. Avec l'éttier, très volatil, le retour est plus rapide
qu'avec le chloroforme. Il faut comparer à ce point de vue les substances anesthésiques
avec les substances alcooliques qui amènent l'ivresse. Nous avons vu (Alcool, Toxicologie
générale, p. 244), que les alcools sont d'autant plus longs à être éliminés qu'ils sont plus
fixes. Pour les anesthésiques, plus volatils que les alcools, il en est de même, et on pour-
rait presque établir une gamme dans la rapidité de l'élimination d'après la volatilité des
substances employées. D'autant plus que l'éther et le chloroforme ne s'éliminent proba-
. blement pas par les urines, et que presque tout est exhalé par le poumon.
Les différentes fonctions reparaissent en suivant à peu près le même ordre dans leur
retour que dans leur disparition. Le vertige, la titubation et la céphalalgie, sont les
symptômes qui persistent le plus longtemps. Le chloroforme produit quelquefois un
très léger degré d'albuminurie; et c'est une des raisons qu'on a invoquées pour préférer
l'éther; car ces troubles dans la fonction du rein paraissent être spéciaux au chloro-
forme, et faire défaut dans l'anesthésie par le protoxyde d'azote et l'éther.
Des causes de la mort dans l'anesthésie. — La question, intéressante au point
de vue de la physiologie, a une importance primordiale au point de vue chirurgical. On
compr.end en effet que, depuis les premières observations de 1847, on a cherché à bien
analyser les causes de la mort.
Disons tout de suite que relativement la mort est rare, et même très rare. Nous
n'avons pas à entrer ici dans les détails statistiques qui seraient mieux placés dans un
traité de chirurgie. Mais, en rappelant les 241 cas de mort signalés par Duret en 1879,
pour le chloroforme, en tenant compte des accidents produits par les autres anesthé-
siques, en admettant que les chirurgiens n'aient pas tous publié tous leurs cas malheu-
reux, on arrive très approximativement à un chiffre de 1000 cas environ qu'on doit con-
sidérer comme un maximum sans doute exagéré. Ce n'est rien, si l'on réfléchit au nombre
immense des anesthésies chirur-gicales qui ont été pratiquées, et pour lesquelles
toute évaluation précise est impossible. Dastre admet une mort sur 2000 cas; mais,
comme il le dit, c'est sans doute beaucoup trop fort encore. En admettant, sans grandes
preuves à l'appui d'ailleurs, le chiffre de une mort sur 4000, on sera plus près de la
vérité. Mon père, dans sa longue pratique, comptant à peu près, à ce que je crois,
9000 anesthésies, n'a eu que deux cas de mort. Dans la guerre de Sécession, sur
11448 chloroformisations, il n'y a eu qu'une mort; dans la guerre de Crimée, Baudens
parle de une mort sur 10000 cas. A. Vernedil (Comm. orale) évalue les chloroformisa-
tions pratiquées par lui à 12000 au moins, et il n'a eu que deux cas de mort; encore
s'agissait-i] dans un cas d'un individu trés.tuberculeux. Nous pouvons donc admettre que
c'est en moyenne une mort sur quatre mille patients. La probabilité de la mort par
l'agent anesthésique est donc très faible.
Il n'importe pas moins d'en connaître aussi exactement que possible les causes.
Nous laissons de côté les causes accessoires, dues par exemple aux impuretés du
chloroforme, si tant est que ces altérations exercent quelque influence, aux hémor-
rhagies incoercibles (auxquelles l'éther expose plus que le chloroforme) ou à la forma-
tion d'azote (?) (Kappeler) qui entraverait la contractilité du cœur. De fait la mort ne sur-
vient que par déficience de la respiration ou du cœur.
Je ne craindrai pas ici d'être en désaccord avec plusieurs physiologistes et la plupart
des chirurgiens, en affirmant, sur des preuves que je crois positives, que la mort ne sur-
vient/awais par te déficience respiratoire.
En effet l'arrêt de la respiration peut avoir lieu, soit au début de l'anesthésie, soit
plus tard, à la période de résolution. Il faut distinguer ces deux conditions bien différentes.
Pendant la période d'agitation, surtout quand il s'agit du chloroforme, on voit le
malade pris d'une agitation frénétique, avec un spasme des muscles thoraciques, une
congestion de la face, et un aspect violacé qui fait penser à l'asphyxie. Soudain toute
cette agitation cesse; la résolution musculaire remplace l'état convulsivo-tonique des
muscles; la tête, qui se tenait, sur le cou contracture, penchée en avant, retombe brusque-
ment, et en môme temps le pouls s'arrête. Est-ce là de l'asphyxie?
Rappelons-nous ce qui survient dans l'asphyxie normale provoquée par l'oblitération
ANESTHÉSIE et A N ESTH ESIQU ES. 5:23
de la trachée. Les convulsions asphyxiques, très analogues à l'agitation anesthésique du
début, durent une minute à peu près; puis, pendant trois, quatre et même cinq minutes,
il y a encore des contractions ventriculaires efficaces; or, pendant tout ce temps, la vie
peut revenir si l'on fait la respiration artificielle. Jamais, sauf dans les cas spéciaux d'immer-
sion, d'iiyperthermie, de fatigue musculaire et d'atropinisation, l'asphyxie n'entraîne la
mort du cœuren moins de quatre à cinq minutes. 11 faudrait donc admettre, pour supposer
que cet arrêt respiratoire primitif entraîne la mort du malade, que le chirurgien ou le
physiologiste opérateur a fait cette lourde, et très lourde faute (bien trop grave pour que
je puisse reprocher à «n chirurgien quelconque de l'avoir faite), de rester pendant cinq
minutes devant un individu qui ne respire pas, et d'attendre tranquillement que, par les
progrès de l'asphyxie, le cœur finisse à la longue par s'arrêter.
Certes, il faut toujours observer l'état de la respiration; il faut la surveiller avec la
plus grande attention; il faut savoir que la langue à demi paralysée peut retomber en
arrière sur la glotte, et opposer un obstacle infranchissable à l'expiration qui est
presque impuissante; mais on peut être rassuré, si le cœur continue à battre, même
quand, pour une cause ou pour une autre, la respiration a été suspendue pendant une ou
deux minutes, voire même pendant trois longues minutes. S'il n'y a pas paralysie du
cœur, jamais un arrêt respiratoire, durât-il trois minutes, ne suffira pour produire la
mort. Au bout de trois minutes, et souvent bien davantage, la respiration artificielle est
encore efficace à ramener la vie et les respirations spontanées. Même si la respiration
naturelle ne revient pas tout de suite, elle ne tardera pas à revenir après la respiration
artificielle continuée aussi longtemps que ce sepa nécessaire.
Sur les chiens on peut, quand on veut, obtenir expérimentalement la mort rapide, dès
les premières inspirations de chloroforme. Il suffit de leur donner une très forte dose en
inhalation. Tout de suite, après une courte période d'agilation (presque des convulsions)
qui ressemble beaucoup à une vraie asphyxie, la respiration s'arrête, la résolution sur-
vient, et l'animal meurt. Mais cette mort n'est pas de l'asphyxie, car, malgré une res-
piration artificielle vigoureuse et prolongée, il est impossible de faire revenir le cœur.
Môme les grandes inspirations agoniques ne servent à rien; le cœur reste inerte, et la
mort est définitive.
Tous les physiologistes et tous les médecins sont d'accord pour établir que dans ce
cas la respiration s'arrête avant le cœur. Le fait est bien certain; mais il ne s'ensuit pas
du tout que ce soit l'arrêt de la respiration qui entraîne la mort. Assurément l'absence
de la respiration serait une cause de mort suffisante si la respiration artificielle n'était
pas là; mais elle est là; et il n'est pas besoin d'être un grand savant pour faire la trac-
tion de la langue, et exercer quelques pressions sur le thorax; ce qui suffit à introduire
un peu d'air dans le poumon. Le médecin le moins expérimenté fera ainsi; et pourtant
il ne sauvera pas son malade; car, presque en même temps que la respiration, le cœur
s'est arrêté. Or cet arrêt survient bien trop vite, et est trop irrémédiable pour qu'on
l'attribue à l'asphyxie. Je ne puis donc accepter l'opinion de Dastre et Morat que la sup-
pression delà respiration entraîne l'arrêt mortel du cœvr {Dastre, Anesthésiqu'es, p. 126),
car au contraire l'arrêt asphyxique du cœur est un arrêt tutélaire, protecteur, qui ne se
termine jamais par la mort, si, au moment où le c(Bur commence à se ralentir la respi-
ration artificielle lui rend de l'oxygène. Dastre et Morat disent que la section des
pneumogastriques éloigne l'issue mortelle. Eh bien, je crois avoir prouvé que c'est pré-
cisément le contraire, et que l'arrêt du cœur retarde notablement la mort, de sorte que
la section des pneumogastriques rend la mort deux fois plus rapide (Cn. Richet. La mort
du cœur dans l'asphyxie, A. P., 1894, pp. 6î)3-668).
Donc le ralentissement asphyxique du cœur n'est pas une cause de mort, et je ne puis
admettre que la syncope respiratoire soit mortelle; car je suppose, bien entendu, qu'on
ne va pas rester inactif pendant cinq minutes, mais bien qu'on va se mettre aussitôt à
pratiquer la respiration artificielle, dès qu'on verra la respiration arrêtée.
Ainsi donc, avec tous les physiologistes, et en particulier avec Laudeb-Brunton, qui
présidait la commission de Hyderabad, je suis bien convaincu qu'il y a d'abord une
syncope respiratoire, et que le noyau bulbaire qui commande les inspirations est para-
lysé.avant le cœur. Mais ce que je ne puis admettre, c'est que cet arrêt respiratoire soit
la vraie cause de la mort dans les cas chirurgicaux.
524 ANESTHESIE et AN ESTH ESIQU ES.
Cette importante question de la cause de la mort par le chloroforme a été traitée
avec une grande ampleur par la commission dite de Hyderabarl. Le gouvernement du
Nizan dans l'Inde a ofîert une somme de 25 000 francs à l'effet de savoir^dans quelles con-
ditions on peut administrer sans danger des substances anesthésiques. Ed. Laurie,
LiUDER-BRONTON, BuMFORD, et Rltstomji-Hakui, Ont fait une grande quantité d'expériences
dans l'Inde durant le second semestre de 1889 {Lancet, 1890, pp. 139, 149,421,433,486,
olo, 662, 877, 1140, et surtout pp. 1370-1388, où les tracés graphiques obtenus sont
reproduits). Dans 171 expériences faites sur les chiens, et 26 expériences faites sur les
singes, ils ont vu constamment le cœur s'arrêter après la respiration, et quelquefois long-
temps après, dans les proportions suivantes :
CHIENS
SINGES
près 1 minute
. . . 1 fois
.. fois.
— 2 minutes ....
. . . 10 —
2 —
8 —
4 —
— 4
. . . 53 —
— 3
— . .
. . . 32 —
2
— 6
— ....
. . . 13 —
2
— 7
— ....
. . . 8 —
4 —
— 8
_
. . . 3 —
2 —
— 9
— ....
. . . 2 — '
» —
— 10
— ....
. . . 2 —
1 —
— M ,
— ....
... 1 —
1, —
Il semble en résulter bien nettement un fait indiscutable, c'est'qu'il faut 3 à 4 minutes
environ pour que. dans la chloroformisation, après arrêt des mouvements respiratoires,
le cœur s'arrête à son tour.
Mais, si importante que soit cette statistique, elle ne prouve pas du tout que chez
l'homme la mort ne soit pas due à l'arrêt du cœur.
Les longues et méthodiijues expérimentations de la commission de Hyderabad prou-
vent seulement que la respiration s'arrête presque toujours avant le cœur; que par con-
séquent il faut surveiller attentivement la respiration et faire la respiration artificielle,
dès que la respiration spontanée s'est arrêtée. Cela prouve aussi que dans presque tous
les cas le temps ne fait pas défaut, et que, par conséquent, le chirurgien est inexcusable, si
son patient meurt par l'arrêt de la respiration.
Or nous croyons que, dans les cas malheureux de mort par le chloroforme, le chi-
rurgien est excusable; car ce n'est pas par l'arrêt respiratoire que le malade est mort,
mais par l'arrêt cardiaque.
En effet il n'est pas prouvé du tout que, dans les cas où le cœur s'est arrêté une ou
deux minutes après la respiration spontanée, la respiration artificielle eût pu sauver le
malade. Il est possible qu'une dose trop forte de chloroforme introduite dans le sang
tue d'abord le bulbe, puis, quelques instants après, le cœur; et cela fatalement, même
si on remédie au défaut de respiration spontanée par la respiration artificielle; car il y a
trop de chloroforme dans le sang et dans le cœur, pour qu'on puisse empêcher la mort
des ganglions cardiaques, mort fatale, malgré une hématose assurée par une respiration
artificielle énergique.
Pour résumer, nous dirons qu'il n'y a aucun danger à l'arrêt respiratoire en lui-
même, puisque la respiration artificielle permet d'en combattre les effets ; et que nous ne
supposerons pas de chirurgien assez imprudent pour ne pas voir pendant trois minutes
que la respiration s'est arrêtée et pour ne pas faire immédiatement la respiration arti-
ficielle. Jamais, à moins de très lourde faute, le malade ne meurt par asphyxie. Il meurt
par syncope, même quand le cœur s'arrête quelque temps après la respiration, carilfaut
au minimum trois ou quatre minutes d'asphyxie pour faire mourir le cœur.
Si la mort survient à celte période de l'anesthésie, c'est qu'une grande quantité de
chloroforme est arrivée trop vite au contact du myocarde et des ganglions cardiaques,
de manière à arrêter le cœur, non pas tout de suite, mais au bout d'un certain temps.
Les faits qui prouvent cette action funeste des anesthésiques sur la systole cardiaque
sont innombrables, et je me contenterai d'en citer quelques-uns. Si l'on injecte seule-
ment un demi-centimètre cube de chloroforme dans la veine auriculaire d'un lapin, on
ANESTHESIE et AN ESTH ESIQU ES. 525
amène instantanément la mort, et le cœur s'arrête subitement. Il ne faut guère de dose
plus forte pour un chien de moyenne taille recevant dans la veine une injection chloro-
formique. Troquart, dans un excellent travail, a très bien analysé les effets du chloral
sur V eiiAoca.Tde {Action physiologique du chloral. D. P., 1887, Thèse faite au laboratoire de
Marey, soîts la direction de François-Franck). L'anesthésie, dite par sidération ; les doses
massives, données d'emblée, constituent une pratique qui, fort heureusement, est
abandonnée aujourd'hui. Et en effet, ce mode d'administration de l'anesthésique intro-
duit dans la circulation pulmonaire des quantités de chloroforme beaucoup plus grandes
que la petite dose injectée directement dans la veine. Quoi d'étonnant à voir survenir
alors une paralysie cardiaque soudaine, réflexe endocardique, suivajit Troquart, et que
je croirais plutôt myocardique.
Mais, qu'elle soit réflexe ou non, cette paralysie du cœur est la vraie cause de la mort
qu'on a signalée dès les premières inhalations chioroformiques.
On peut objecter qu'il n'est pas possible de comparer le cœur d'un animal sain et le
cœur d'un animal chloroformé. L'asphyxie qui amènerait la mort au bout de cinq mi-
nutes chez l'être sain pourrait l'amener en une minute chez l'être chloroformé. Mais l'expé-
rience montre qu'il n'en est pas ainsi; un animal chloroformé suppoite l'asphyxie pres-
que aussi bien sinon mieux qu'un animal sain : d'ailleurs soutenir cette doctrine, c'est
implicitement admettre la même opinion que moi, puisque je prétends que le danger vient
uniquement du cœur, et que la syncope respiratoire n'est à pas craindre; car la res-
piration artificielle remédie efficacement à la syncope respiratoire, tandis que rien ne
peut remédier à la syncope cardiaque.
Ainsi l'arrêt de la respiration, n'est pas grave en lui-même. Pourtant c'est le
signe redoutable qu'il y a une intoxication profonde; que par conséquent la dose de
chloroforme est tout près de la dose qui va tuer le cœur; peut-être même que la dose
qui tuera le cœur est déjà dépassée. C'est un symptôme grave, un signe précurseur, qui
doit faire suspendre toute inhalation nouvelle; mais, en soi, il n'offre aucun danger réel.
Nous pouvons donc hardiment éliminer l'hypothèse de la mort par déficience res-
piratoire.
Reste maintenant la question des réflexes cardiaques, auxquels on a souvent essayé
de faire jouer un rôle prépondérant dans la syncope cardiaque du début, réflexes ayant
pour origine le trijumeau ou bien les nerfs laryngés, ou même un nerf sensible ^quel-
conque. Il est certain que l'excitation d'un nerf sensitif amène toujours un changement
notable, soit, le plus souvent, accélération, soit ralentissement dans le cœur; dans cer-
tains cas, ce ralentissement peut aller jusqu'à la syncope. L'excitation des premières
voies respiratoires par une substance irritante, acide acétique, alcool, chloroforme, fait
cesser aussitôt les inspirations et ralentit le cœur chez le lapin (Knoll). FhaiN'çois-Franck
a donné d'excellents graphiques de ce phénomène.
Mais cette syncope réflexe peut-elle amener la mort? C'est là précisément le point en
litige, et que pour ma part je ne considère pas du tout comme résolu, malgré l'accord
unanime des physiologistes et des chirurgiens à admettre que ces réflexes sont mortels.
D'abord, chez un animal norhnal, expérimentalement, une excitation réflexe, si forte
qu'on la suppose, n'entraîne jamais la mort définitive du cœur; mais seulement, s'il
y a syncope, une syncope passagère. Pourquoi les excitations réflexes produites par
les vapeurs du chloroforme entraîneraient-elles la mort plutôt que les excitations directes
des nerfs vagues, ou les plus violents traumatismes, si ces soi-disant excitations réflexes
par la vapeur caustique du chloroforme n'étaient au fond qu'une intoxication de la flbre
musculaire cardiaque et des ganglions? Puisque jamais on n'a pu, par l'excitation élec-
trique, même la plus longue et la plus forte, des deux nerfs vagues, arrêter définitive-
ment le cœur, je ne vois pas pourquoi on donnerait au chloroforme la propriété d'agir
plus fortement que les plus énergiques courants d'induction appliqués directement à un
nerf vague ou à un nerf sensitif quelconque.
L'excitation des vagues n'a jamais produit d'arrêt mortel du cœur. Au contraire elle
a paru exercer plutôt une influence retardatrice, tandis que la section des vagues et l'in-
jection d'atropine ont plutôt agi en sens inverse, en hâtant la mort par l'accélération
produite sur les mouvements du cœur. C'est là une considération qui doit rendre sus-
pectes ces soi-disant syncopes cardiaques réflexes.
3^26 ANESTHESIE et AN ESTH ESI QU ES.
Même lorsque les animaux sont profondément chloroformés, l'arrêt du cœur par
l'excitation des nerfs vagues n'entraîne pas la mort. Il n'y a donc vraiment pas lieu de
supposer que ce qui ne tue pas le cœur très intoxiqué, va pouvoir faire mourir un cœur
à demi empoisonné, alors que d'autre part, sur un cœur normal, la galvanisation des
nerfs vagues est sans danger. L'innocuité des excitations prolongées des nerfs vagues est
une de ces expériences que tous les professeurs de physiologie répètent chaque année à
leurs cours.
Il ne faudrait cependant pas nier toute intluence réflexe sur le cœur, comme cause
de syncope mortelle. En effet, quoique le fait soit prodigieusement rare, une émotion
morale la frayeur, une excitation périphérique très douloureuse, peuvent amener la
mort. J'en ai cité des exemples d'après Hosteing {Physiologie des ?njjscie.s et des ?u')'fs (1882),
p. 748). Terhier et Përaire (toc. cit., p. 132) en citent aussi des exemples intéressants, de
sorte qu'on[ne saurait attribuer aux anesthésiques cette propriété étonnante de supprimer
la possibilité d'une mort subite accidentelle par syncope cardiaque. Tout ce qu'on peut
dire, c'est que les syncopes réflexes se terminant par la mort, chez un sujet non atteint
d'affection cardiaque, sont tellement exceptionnelles qu'on peut presque les révoquer en
doute.
Pourtant je ne voudrais pas être trop afflrmatif. Cette mort par réflexe cardiaque est
possible. Par conséquent il faut se prémunir contre elle, et éviter les effets désagréables,
de suffocation et d'irritation, que produisent les premières inhalations des vapeurs chlo-
formiques. 11 est probable que l'irritation des fosses nasales et du larynx est parfois
une cause de syncope réflexe ; ce qui est douteux, c'est que cette syncope puisse devenir
mortelle.
De même aussi le traumatisme opératoire, si l'anesthésie n'est pas complète, peut
amener un arrêt réflexe du cœur. Que cette syncope soit mortelle, je ne le crois guère;
car expérimentalement on ne peut l'amener. Les membres de la commission d'Hyde-
rabad n'ont jamais pu amener l'arrêt du cœur par l'excitation électrique des nerfs
vagues ; mais, d'autre part, la réduction des luxations et certaines petites opéra-
tions douloureuses, faites pendant une anesthésie imparfaite, ont parfois déterminé
des syncopes finalement mortelles. Qui sait, d'ailleurs, si un cœuràdemi empoisonné par
le chloroforme n'est pas devenu plus sensible aux inhibitions réflexes qu'un cœur sain et
normal? Nous savons qu'on ne détermine pas, par une excitation réflexe, aussi violente
qu'on voudra, la mort d'un cœur sain. Mais nous ne sommes pas aussi certains que cette
même excitation réflexe ne va pas paralyser un cœur qui se contracte mal, et que le
chloroforme a déjà presque complètement empoisonné.
Donc, tout en ne croyant pas à la syncope réflexe, comme après tout c'est une ques-
tion de vie ou de mort, et non pas uii simple problème de physiologie, je pense qu'il
faut faire comme si cette syncope réflexe mortelle était démontrée, et prendre toutes les
précautions nécessaires pour l'éviter; d'autant plus que, pour d'autres raisons, le sys-
tème des inhalations lentement progressives est en tout point préférable au S3'stème des
inhalations brusques.
Pour résumer cette discussion — un peu longue, mais nécessaire en un sujet inté-
ressant à la fois la physiologie et la chirurgie, — je dirai que la cause de la mort au
début de la chloroformisatiou me parait presque exclusivement la syncope cardiaque, et
que cette syncope cardiaque n'est probablement pas d'origine réflexe, mais produite par
l'intoxication même du myocarde. Aussi ne me parait-il pas très rationnel d'adopter le
procédé que Dastre et Morat ont recommandé, c'est-à-dire d'associer l'atropine au
chloroforme. 11 me semble que, surtout chez l'homme, l'atrophine expose à des dangers
spéciaux, de sorte que l'emploi de l'atropine, au lieu de remédier au péril des syncopes
réflexes, que je considère comme illusoire, surajoute les dangers de l'empoisonnement
par un alcaloïde très toxique aux dangers même du chloroforme. Il semble du reste
qu'on ait en général abandonné cette méthode. Reynier {Bull. Soc. de chir., 1890) a
signalé un cas de mort. Si Dastre et Morat ont eu des résultats très favorables dans
l'expérimentation physiologique, c'est qu'ils donnaient à leurs chiens de la morphine
en même temps que de l'atropine, ce qui leur permettait de diminuer beaucoup la dose
de chloroforme, et par conséquent de ne pas introduire trop rapidement de grandes
quantités de la substance anesthésique.
ANESTHESIE et A N ESTH ESIQU ES. o27
Ce que nous venons de dire sur la mort dans la période d'agitation et dans celle
d'anestliésie nous permettra d'être bref pour les causes de la mort dans la période de
résolution. On ne peut plus alors invoquer l'action réflexe, puisque tout réflexe est sup-
primé, mais on peut encore attribuer quelque importance à la syncope respiratoire.
Dans le décours normal des phénomènes, c'est bien le bulbe respiratoire qui meurt le
premier, avant le cœur, mais cela ne signifie pas que la mort soit une asphyxie. Les
hommes qui meurent pendant la chloroformisaLion à la période d'anesthésie complète ,
sont livides, cadavériques, et ne présentent pas l'aspect violacé, congesLif, des indi-
vidus asphyxiés. Je suppose toujours, bien entendu, que le chirurgien, voyant la respi-
ration arrêtée, n'a pas commis la faute de ne pas faire la respiration artificielle, qui a
pour effet d'introduire immédiatement une quantité d'oxygène qui doit suffire ample-
ment à tous les besoins des tissus.
. Si donc, dans les cas chirurgicaux, la mort survient dans le cours de l'anesthésie très
profonde, il me paraît que la seule cause de cette mort, c'est l'intoxication du cœur,
dont la fibre musculaire ou les ganglions ont été graduellement atteints par le poison.
De là une conséquence pratique importante, c'est qu'il faut toujours avoir devant les
yeux la gravité de la syncope cardiaque à laquelle on ne peut porter remède, tandis que
la syncope respiratoire, si elle ne se complique pas de troubles cardiaques, n'a vraiment
aucune gravité, puisque on peut la combattre très facilement. Les actions réflexes, à
mon sens, ne sont pas à craindre, et le seul danger, — mais celui-là est très redou-
table, — réside dans l'empoisonnement du cœur. Par conséquent, dans les maladies du
cœur, tout aneslhésique ne devra être employé qu'avec une extrême circonspection.
La respiration artificielle n'est pas seulement utile pour suppléer à la respiration
spontanée qui s'est arrêtée, mais elle agit encore de la manière la plus efficace sur les
systoles des ventricules; la distension pulmonaire favorise mécaniquement la circu-
lation intra-cardiaque, de sorte qu'outre son rôle chimique, qui est souverain, elle a
encore un autre rôle, mécanique, très salutaire. C'est donc, dans les cas de mort immi-
nente, le remède héroïque qu'il faut résolument appliquer, sans préjudice des autres
procédés accessoires, comme la position déclive, la flagellation, le massage; toutes
manœuvres qui refoulent le sang vers les parties centrales pour obvier au défaut de
pression.
Dans l'administration d'un aneslhésique quelconque, et surtout du chloroforme, il
faut absolument proscrire la méthode barbare de la sidération, qui introduit de grandes
quantités de poison, pénétrant à dose massive dans le poumon et de là en moins de
deux secondes dans le cœur, de manière à abolir , irrémédiablement la contractilité car-
diaque.
Avec du chloroforme bien pur, donné progressivement, par petites fractions, chez un
malade dont le cœur est sain et dont on surveille attentivement la respiration, les voies
respiratoires étant tenues aussi libres que possible, avec l'intention bien nette de faire au
premier arrêt respiratoire une vigoureuse respiration artificielle, on peut être à peu prés
sur d'éviter les accidents. Tout au moins, si un malheur arrive, n'aura-t-on rien à se
reprocher.
Emploi répété des anesthésiques. Intoxication chronique. — L'emploi répété
des anesthésiques conduit certainement à un état qui se rapproche beaucoup de l'alcoo-
lisme; dégénérescence graisseuse des tissus, albuminurie, dépression psychique, vomis-
sements répétés, incoercibles. Avec le chloroforme, chez l'homme, l'intoxication chronique
est rare. C'est un poison trop actif pour être employé facilement par les personnes qui
demandent une ivresse à demi consciente. Mais l'éther est fort en usage, et on pourrait
décrire un éthérisme qui serait très voisin de l'alcoolisme, et à certains égards du mor-
phinisme. Il y a aussi des cas de chloralisme. J'en ai pour ma part connu un exemple
typique. Alors la consommation du poison quotidien devient un besoin urgent. Pour
l'éther, comme pour l'alcool, comme pour le chloral, comme pour la morphine, l'habi-
tude crée une sorte d'exigence à la fois organique et psychique; et la suspension du
toxique habituel entraîne un état d'insomnie, d'agitation et de soufirance.
P. Bert a étudié sur le chien les effets du chloroforme donné à diverses reprises
pendant longtemps (B. B., août 1883, p. 71). Pendant trente-deux jours un chien fut
soumis chaque jour au chloroforme. Il n'y eut pas d'accoutumance à l'anesthésie, mais
528 ANESTHESIE et AN ESTH ESIQU ES.
seulement à la période d'excitation du début qui allait toujours en s'amoindrissant. On
nota un amaigrissement général, progressif, et de la stéatose du foie, comme dans l'al-
coolisme.
En donnant pendant près de deux mois 2 grammes de chloralose à dose anesthé-
sique à un chien de 8 kilogrammes, j'ai constaté une sorte d'accoutumance, c'est-à-dire
une sensibilité moindre à l'action du poison; mais cette accoutumance était bien moins
marquée que l'accoutumance à la morphine.
Injecté sous la peau à dose faible non anesthésique, le chloroforme paraît exercer
une action nuisible sur les reins, et il se produit à la longue de l'albuminurie et de la
stéatose viscérale, lésions qui semblent bien être le mode de mort des tissus soumis à
l'action prolongée et faible des alcools, des éthers, et par conséquent des substances
anesthésiques.
Il faudrait peut-être rattacher à l'histoire de ces intoxications chroniques l'empoi.-
sonnement lent par le sulfure de carbone. En effet, ce gaz est, à la dose toxique, un
véritable anesthésique, quoiqu'il soit absolument impossible de s'en servir dans la pra-
tique à cause de sa toxicité et des dangers de son maniement (Voir Chloroforme,
Sulfure de carbone).
Administration des anesthésiques. — Nous avons vu que le procédé de la sidé-
ration est dangereux et doit être absolument banni. Il faut donc mettre en usage l'anes-
thésie lente, avec une dose de chloroforme, parfois considérable quant à la quantité
totale finalement employée, mais toujours faible quant à la proportion du gaz anesthé-
sique contenu dans l'air inspiré. C'est là une donnée empirique. P. Bert en a su donner
la formule rationnelle, et en imaginer une application scientifique ingénieuse par l'em-
ploi des mélanges titrés.
Scientifiquement le procédé est excellent; et il se fonde sur une loi de physique
évidente, à savoir que la quantité de chloroforme (ou d'éther, ou de protoxyde d'azote)
dissous dans le sang est proportionnelle à la tension de sa vapeur dans l'air inspiré.
D'autre part, la dose toxique d'un corps quelconque est nécessairement proportionnelle
à la quantité de ce corps dissoute dans le sang. Par conséquent, en graduant la tension
de la vapeur chloroformique dans l'air, on peut faire, comme on veut, varier la quantité
dissoute dans le sang. Donc on peut graduer la dose de chloroforme qui, par le sang,
arrive au contact des centres nerveux et du cœur.
Cette méthode revient ainsi à faire respirer au patient des mélanges titrés de telle
sorte que l'on a atteint la dose anesthésique sans avoir encore atteint la dose toxique.
En étudiant les effets de divers mélanges titrés, P. Bert a vu qu'il y a une dose qui
engourdit, une dose qui anesthésie, sans provoquer la mort, et une dose qui aneslhésie,
mais qui est dangereuse; ce qu'on peut encore exprimer en disant qu'il y a : 1° une
dose inefficace; 2° ,une dose anesthésique, non dangereuse, ou dose maniable; 3° une
dose anesthésique, dangereuse.
Pour le chien, voici les résultats (Dastre, loc. cit., p. 106) : A4 p. 100 de chloroforme
dans l'air inspiré, pas d'anesthésie et mort au bout de 9 à 10 heures. A 6 p. 100, pas
d'anesthésie et mort en 6 ou 7 heures. A 8 p. 100, lente anesthésie et mort en 4 heures.
A 10 p. 100, anesthésie en quelques minutes et mort en 2 ou 3 heures. Les mélanges
supérieurs anesthésient très vite. La mort survient en 2 heures par le mélange à 12
p. 100; en 40 minutes par le mélange à 15 p. 100; en une demi-heure pour le mélange
à 20 p. 100; en 3 minutes pour le mélange à 30 p. 100. Ce sont les doses de 8, 9, 10,
H et 12 p. 100 qui constituent les doses maniables, celles qui permettent au chirurgien
d'opérer avec sécurité, sans avoir à craindre les à-coups dans la tension variable des
vapeurs anesthésiantes, à-coups qu'on produit forcément quand on verse du chloroforme
ou de l'éther sur une compresse, un cornet ou tout autre appareil qui ne comporte pas
la graduation.
On a donc essayé d'appliquer à la pratique chirurgicale cette importante donnée
scientifique. Déjà Clover, sans en donner la théorie, avait employé un appareil de
dosage et de titration du chloroforme dans l'air inspiré. Mais c'était encore de l'empi-
risme. Au contraire, sur les indications de P. Bert, des appareils plus précis ont été
construits par lui et par ses élèves, de Saint-Martin, Aubeau, R. Dubois, V. Tatin,
R. Blanchard, Fontaine (R. Dubois. Anesthésie physiologique et ses applications. Paris,
ANESTHESIE et A N ESTH ESIQU ES. o-29
1894, p. -106. — Blanchard. Anesthésie par le protoxy de d'azote. D. P., 1880). Les résultats
en ont été excellents, mais malheureusement la complication de ces vastes et coûteux
appareils en a restreint les usages, et, de fait — cela est regrettable à dire, — on ne Fa
guère employé, si bien qu'aujourd'hui on ne s'en sert pas dans les hôpitaux de Paris,
ni ailleurs. Cependant la méthode par les mélanges titrés a eu, entre autres, le grand
mérite de montrer avec évidence le danger des fortes doses brusquement données, et par
conséquent de contribuer à propager la méthode d'une anesthésie par doses faibles, pro-
gressives.
Au point de vue de la pratique chirurgicale, nous n'avons pas à entrer dans le détail.
On trouvera dans les ouvrages spéciaux les renseignements nécessaires (F. Terrier
et PÉRAiRE. Manuel d'anesthésie chirurgicale, 1894). Plus loin, à propos du protoxyde
d'azote, nous reviendrons sur la de'termination de la zone maniable.
Comparaison des divers anesthésiques. — Ce serait une très longue étude que
l'histoire physiologique minutieuse de toutes les substances anesthésiques.
Nous nous contenterons d'une indication sommaire, renvoyant pour les détails aux
articles Éthers, Chloroforme, Protoxyde d'azote.
L'éther agit moins vite que le chlorofor'me, et il est assurément bien moins toxique.
On peut en donner la démonstration évidente sur les animaux à sang froid, par exemple
les poissons, en les faisant vivre dans de l'eau contenant des quantités mesurées
d'éther ou de chloroforme. On voit alors que l'éther est à peu près, à poids égal, dix fois
moins toxique que le chloroforme (G. Houdaille. Étude sur les nouveaux hijpnotiques.
D. P., 1893).
L'éther a une période d'ivresse plus longue, plus consciente que celle du chloroforme;
les effets se dissipent plus rapidement, la vaso-constriction est moindre, et l'anémie
cérébrale est moins à craindre. Arloing, qui a étudié de très près les effets comparés des
deux corps (Recherches exp. comp. sur l'action du chloral, du chloroforme et de l'élhcr avec
ses appl. prat., D. P., 1879), admet que la pression baisse plus avec l'éther qu'avec le
chloroforme.
Flourens, en indiquant aux chirurgiens les effets du chloroforme en dS47, disait :
« Si l'éther est un agent merveilleux et terrible, les effets du chloroforme sont plus
merveilleux et plus terribles encore. « Ces paroles, dit avec raison R. Ddbois, donnent
une idée exacte des avantages et des inconvénients relatifs de ces deux anesthésiques.
Actuellement il y a une tendance de divers chirurgiens à revenir à l'éther; pour-
tant c'est toujours le chloroforme qui l'emporte encore. A Lyon, et aussi, paraît-il,
à New-York, on emploie aujourd'hui l'éther (plutôt que le chloroforme. Nous n'avons
pas à prendre parti ; car le choix de l'un ou l'autre de ces deux excellents anesthésiques
ne peut être guère déterminé par des raisons physiologiques, mais seulement par des
motifs empruntés à la pratique chirurgicale elle-même.
Le protoxyde d'azote ne peut guère servir que pour des opérations de courte durée,
comme par exemple pour les extractions dentaires. Malgré une vraie innocuité, il y a
cependant eu des cas de mort. Rottenstein, en 1880 (Traité de l' anesthésie, p. 387), ne
pouvait citer que deux décès, et il y a eu certainement plus de trois cent mille anes-
thésies par le protoxyde d'azote.
A vrai dire, depuis 1880, on a signalé de nouveaux accidents : cependant, tout compte
fait, le protoxyde d'azote est moins toxique que le chloroforme et l'éther. Voici les seuls
cas de mort que nous ayons pu rencontrer dans la bibliographie. Browne Mason, Drak
et Pattison. Alleged death from the effects of nitrous oxide (Trans. Odont. Soc. Gr. Brit.,
1872, pp. 83-94). — Death after the administration of nitrous oxide (Brit. med. Journ.,
1873, (1), pp. 126 et 264). — Death while under the effects of nitrous oxide (Lancet, (1),
1887, p. 509). — Homicide par imprudence. Anesthésie par le protoxyde d'azote; mort du
patient, jugement (Gaz. des hôpit., 1885, p. 117). — Purcell. Death from the inhalation
of nitrous oxide gaz (Philad. med. and surg. Rep., 1872, p. 343). — "W. R. 'Wil-
liams. A death during the administration of nitrous oxide gaz (Brit. med. Journ., 1883, (2),
p. 729). — XiFiA. Caso de muerte debida a la administracion del gas proloxido de azue
(Lanceta di Barcelona, 188a, pp. 2-4). — Reported death under nitrous oxide (Lancet, 1889,
(2), p. 712).
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME. I. 34
530 ANESTHÉSIE et AN ESTH ESIQU ES.
Une première question se pose au pliysiologiste ; c'est de savoir si le protoxyde
d'azote agit par une anesthésie due à un vrai état asphyxique, ou bien parce qu'il a une
puissance anesthésique propre.
La théorie de l'asphyxie était admissible, jusqu'aux belles expériences de P. Bert,
et on pouvait prétendre que l'action du protoxyde d'azote est surtout de l'asphyxie.
En effet l'aspect violacé du patient et son agitation convulsive ne diffèrent pas notable-
ment du tableau de l'asphyxie, à cela près que l'ivresse dissimule la sensation
asphyxique. On était donc presque autorisé à admettre que le protoxyde d'azote pur as-
phyxie et n'anesthésie pas. Pourtant, en étudiant les réactions des végétaux au protoxyde
d'azote et en faisant beaucoup d'expériences sur les animaux, Goldstkin, dont Rottens-
TEiN donne avec détail les protocolles d'expérience (p. 104), a montré que le protoxyde
d'azote amenait vraiment l'anesLhésie. A vrai dire, c'est surtout P. Bert qui en a donné
une élégante et irréfulable démonstration en augmentant la pression du protoxyde
d'azote inhalé, ou en ajoutant de l'oxygène au protoxyde d'azote pur.
On sait que les mélanges de divers gaz agissent sur les liquides pour se dissoudre et
produire un effet chimique comme si chacun de ces gaz était seul; c'est-à-dire que la
pression à laquelle chaque gaz se trouve est indépendante de la pression du mélange,
mais fonction seulement de sa pression propre. Par conséquent, si le protoxyde d'azote
mélangé à l'air ne produit l'anesthésie que lorsque en même temps il produit l'asphyxie,
c'est parce que, pour atteindre la dose anesthésique, il faut une quantité de protoxyde
d'azote si considérable qu'alors dans le mélange gazeux il y a en même temps un
déficit d'oxygène. Eh bien! en remplaçant l'air par de l'oxygène, on obtient l'effet anes-
thésique voulu, et cela sans faire courir au patient le moindre danger d'asphyxie.
L'expérience faite sur les animaux a donné des résultats excellents. Un mélange de
cinq parties de protoxyde d'azote et de une partie d'oxygène pur anesthésient très vite,
sans aucune réaction douloureuse, sans malaise, sans menace d'asphyxie. Le rétablisse-
ment des fonctions après l'anesthésie est rapide, et en quelques inspirations il y a retour
à l'état normal. L'effet est plus remarquable encore quand l'action de l'anesthésique
est aidée par une élévation de la pression atmosphérique, ce qu'on réalise en faisant
respirer sous pression le mélange de protoxyde d'azote et d'oxygène.
Il semble que cette méthode soit théoriquement la méthode de choix. On a pu chez
l'homme prolonger dans ces conditions le sommeil anesthésique pendant sept heures, et
Martin a pu le continuer pendant soixante heures sur un animal (R. Dubois, p. 121).
Aucun cas de mort, par cette méthode, n'a été signalé; ce qui tient peut-être, il faut
bien le dire, au nombre relativement petit des opérations pratiquées ainsi. Quoi qu'il en
soit, il faut constater cette innocuité; car, même avec des anesthésiques peu employés,
il y a parfois un martyrologe assez bien fourni.
En somme, si intéressante que soit celte méthode, elle n'a guère été employée que
par un petit nombre de chirurgiens. D'abord il faut opérer sous pression, ce qui néces-
site un appareil coûteux, encombrant, difficile à construire et à manier. Il faut aussi
du gaz protoxyde d'azote et du gaz oxygène bien purs, ce qui n'est pas très simple; de
sorte que, tout compte fait, le procédé est à peu près abandonné. Pour moi, sans avoir
d'expérience personnelle, je croirais volontiers que c'est très regrettable.
Le chloral, introduit dans la thérapeutique par Ltebreich, n'a que rarement servi à
l'anesthésie chirurgicale, mais en revanche les physiologistes l'emploient couramment.
On peut dire que ses effets occupent une place intermédiaire entre ceux du chloro-
forme et ceux de l'alcool. Les fonctions motrices de la moelle semblent plus vite et plus
gravement atteintes que les fonctions sensitives, et la pression est plus abaissée que par
l'éther lui-même. Les échanges respiratoires diminuent de 50 p. 100 et même de 60 p. 100.
et la température descend très vite. Le mécanisme de l'action du chloral est probable-
ment dift'érent de celui du chloroforme, et on ne peut admettre l'ancienne opinion de
Personne, que le chloral, dans l'organisme, donne du chloroforme et de l'acide formique;
car il est éliminé par les urines sous la forme d'acide urochloralique (Kûlz). Malgré de
nombreuses observations dues à Oré, et quelques essais de Trélat, le chloral n'est plus
guère employé que comme agent hypnotique.
Le chloralose, le sulfonal, de même que le chloral, ne peuvent être vraiment appelés
ANESTHÉSIE et A N ESTH ÉSIQU ES. 531
des aneslhésiques : ce sont plutôt des hypnotiques; car ils s'éliminent par les reins, et
il faut un temps assez long pour que leurs effets se dissipent.
Nous n'insisterons donc pas sur les phénomènes dus à l'action de ces corps; car nous
aurons à y revenir en parlant des procédés d'anesthésie qui conviennent dans les labo-
ratoires de physiologie; mais nous mentionnerons les gaz ou liquides volatils qu'on a suc-
cessivement essayés dans la pratique chirurgicale pour remplacer le chloroforme ou
l'éther.
Ce sont d'abord les homologues du chloroforme : CCI'*; CH^CP; CH-'Cl. Mais le chlo-
rure de méth3ie (que j'ai essayé sur les animaux) paraît peu recommandable. L'anesthé-
sie se dissipe très vite, comme toujours d'ailleurs, lorsque on agit avec des gaz, et il
provoque une agitation qui ressemble beaucoup à de l'asphyxie. Le chlorure de méthy-
lène produit de l'anesthésie, mais en même temps une agitation convulsive qui se rap-
proche d'un état de stryclinisnie véritable (Regnault et Villejean). Il n'y a donc pas à
songer à l'emploi chirurgical de cette substance intéressante.
Au point de vue de la théorie des anesthésiques, il est curieux de voir à quel point
les propriétés aiiesthésiantes et les propriétés convulsivantes d'une substance sont voi-
sines. Qu'il existe un stade un peu plus long dans la période d'excitation, et la subs-
tance est convulsivante; car la convulsion n'est guère que la période d'excitation,
amplifiée et prolongée.
Il est possible, comme l'a soutenu Liebrkich, que le groupement chimique CCF soit
par lui-même doué de propriétés anesthésiantes : mais cette généralisation nous paraît
prématurée; car les effets du chloral, du chloroforme, du chloralose, sont trop différents
pour qu'on puisse considérer ces trois substances comme anesthésiantes par leur molé-
cule de CCl-^ D'ailleurs, dans l'oxyde d'éthyle comme dans le protoxyde d'azote, nous
avons, d'excellents aneslhésiques, quoique le groupement CCP n'y soit pas.
Le tétrachlorure de carbone est aussi aneslhésique. Laborde a montré récemment
qu'à certains égards il ressemblait au chloralose, agissant sur la sensibilité et l'intelli-
gence, en respectant la pression artérielle, et les fonctions réflexes de la moelle. Morel,
Laffont, Rabuteau, qui l'ont étudié sur les animaux, admettent que sa toxicité est très
forte, et qu'il a des propriétés convulsivantes plus marquées que celles du chloroforme.
En somme, des composés chlorés du formène, le chloroforme est le plus anesthésique,
et peut-être le moins convulsivant.
Signalons rapidement les autres anesthésiques employés. Ils ont tous une grande
analogie dans leurs effets, si l'on admet que l'excitation et la convulsion sont des phé-
nomènes de même ordre, et que la rapidité de l'action anesthésique comme la rapidité
du retour à l'état normal, sont proportionnelles à la volatilité de la substance.
Les composés chlorés de l'éthylène sont vraiment peu recommandables. Le chlorure
d'éthylène a été étudié par R. Dubois et Roos (C. R., 1887), il produirait un phéno-
mène bien singulier; l'opacité de la cornée, ce qu'il faudrait attribuer à l'action déshy-
dratante de ce corps. Mais, dans l'ouvrage récent qu'il vient de publier sur les anesthési-
ques, R. Dubois n'en parle pas. Il faut donc supposer que ses effets comme anesthésique
général ne sont pas bien favorables.
Le chlorure d'éthylidène (C'-H^CP), le méthylchloroforme, ou chlorure d'éthylidène
monochloré (C-H''CF) n'ont été employés que rarement; ce sont des substances peu inté-
ressantes quant à leurs effets physiologiques et à leurs applications pratiques.
Les éthers acétique et benzoïque de l'éthyle ont été étudiés par Rabuteau, qui a
remarqué que ces corps, qui agissent assez bien sur les grenouilles, sont à peu près sans
effet sur les animaux à sang chaud. Il attribue cette différence à ce que dans le sang,
milieu alcalin, ces éthers se décomposent avec formation d'alcool et d'un sel correspon-
dant, décomposition qui ne se produirait pas à basse température. Dans des recherches
faites avec P. Berger, nous avons constaté que l'éther benzoïque, qui anesthésie les gre-
nouilles, n'anesthésie pas les lapins ou les chiens (P. Berger et Ch. Richet. Recherches
sur les anesthésiques. Rev. scientif., 1880, p. 1232).
Un des composés éthylés qu'on a essayé d'employer récemment est le bromure
d'éthyle {V. la bibliographie dans Terrier et Péraire, p. 156). L'anesthésie qu'il produit
53i2
ANESTHÉSIE et AN ESTH ÉSIQU ES.
est rapide et se dissipe vite; ce qui lient à sa volatilité. La période analgésique paraît
un peu plus longue qu'avec le chloroforme (Hartmann et Bourbon. Le bromure cVéthyle
comme aneslhésique général. Revue de chirurgie, 1893, pp. 701-756). Au début il pro-
voque le vertige et l'ivresse, avec une salivation abondante, parfois même gênante.
L'agitation n'est pas très grande, bien moindre qu'avec les autres anesthésiques. En
somme il paraît avoir quelques avantages, encore qu'on ait déjà, malgré son emploi
relativement restreint, noté six cas de mort (R. Dubois). Pour les petites opérations
rapides, quelques chirurgiens le préfèrent au chloroforme.
Le pental triméthyléthylène (C°H'), recommandé par Mering, n"a pas été encore très
employé. Il aurait quelques avantages, au moins pour les opérations de courte durée.
Malgré l'opinion de quelques chirurgiens, il me paraît assez peu digne d'intérêt; car ily a
déjà au moins trois cas de mort. L'anesthésie est lente à venir, et le retour n'est pas rapide.
L'amylène a été vite abandonné; car il semble très toxique — 2 morts sur 110 opé-
rations — comme les composés amyliques (chlorure d'amyle, alcool amylique).
Tous, ces éthers, substitués ou non substitués, chlorés, méthylés, bromes, etc., ont des
propriétés anesthésiques. On conçoit qu'à mesure que les substances sont plus com-
pliquées dans leur molécule, et conséquemment plus fixes, leurs propriétés toxiques
vont en augmentant, sans que pour cela leur fonction anesthésique soit modifiée. A ce
compte, les alcools supérieurs sont aussi des anesthésiques, car, à une certaine période
de leur action, on voit qu'ils ont fini par produire l'anesthésie, c'est-à-dire l'insensibilité
générale, coïncidant avec la résolution musculaire, la persistance des battements car-
diaques et de la respiration. Les essences, comme les alcools supérieurs, ont toutes un
pareil effet. En mélangeant à de l'eau des quantités variables de telle ou telle essence,
on observe toujours l'anesthésie des poissons qu'on fait vivre dans ce mélange.
La bibliographie relative à ces diverses substances employées comme anesthésiques
se trouvera à la fm de cet article. Voici seulement un tableau dans lequel ces corps
anesthésiques sont groupés d'après leur volatihté plus ou moins grande.
Composition chimique et propriétés physiques des principaux anesthésiques.
N 0 M S.
FORMULE.
DENSITE.
(à l'état liquide)
POINT
Az20
C02
CH3C1
C2H:iCl
CH^Br
C2H*0
(C2H5)20
C2H5Br
CiH'O
CH2C12
CS2
C2H302(CH3)
C3H0O
C2H''C12
CHCP
(C2H3C12)C1
C2H302(C2H5)
CCI*
C2H'>C12
C2C130H
CGH1''02
C5HHC1
C9H"'02
0,991
0,925
1,73.3
0,806
0,736
1,460
1,360
0,9S6
0,810-
1,174
1,526
1,372
0,907
1,630
1,232
1,5)2
0,831
0,901
1,050
— 87°, 9
— 78°, 2
— 23», 7
12°, 5
13°
20°, 8
34°, 8
38°, 8
40»,0
41°,6
46°, 2
56°
56°,4
57", 5
61°,2
75°, 0
77«,2
78°, 1
84»,7
99°,1
104"
106°
213»
Bromure de mctliyle
Aldéhyde. . .
Oxyde d'éthyle (Éther)
Chlorure de méthylène
Chlorure d'éthylidène
Chloroforme . . \
Chlorure d'éthyle bichloré
Tétrachlorure de carbone
Chlorure d'éthyléne
Acétal
Chlorure d'amyle
ANESTHÉSIE et AN ESTHÉSIQU ES. 533
On voit en somme que jusqu'ici les louables tentatives faites pour remplacer le chlo-
roforme, ou l'étlier, ouïe protoxyde d'azote, n'ont pas été très heureuses, et que, jusqu'à
présent, on n'a pas trouvé mieux. Peut-être même est-ce un peu chimérique que de
chercher un poison qui, dans les conditions singulièrement graves d'une opération pro-
longée, produit une insensibilité profonde, c'est-à-dire en réalité une altération profonde
du système nerveux, sans faire courir jamais le moindre risque ; et cela, malgré l'état peu
favorable du patient épouvanté, gravement atteint par une maladie redoutable, souvent
aussi malgré la légèreté et l'ignorance des aides, voire même celles du chirurgien lui-
même. Ce qui doit étonner, c'est non pas qu'il y ait tant de cas de morts, mais plutôt
qu'il y en ait si peu. Je serais tenté de croire qu'on ne trouvera pas un anesthésique
qui sera absolument et constamment inotïensif. J'avouerai donc, quoique timidement,
qu'il me paraît difficile qu'on puisse un jour trouver un corps plus inoffensif que le
chloroforme, lequel, sagement administré, n'expose qu'à des dangers presque nuls.
Anesthèsies mixtes. — Les anesthésies mixtes sont celles dans lesquelles on
associe entre elles deux ou plusieurs substances anesthésiantes, de manière à compléter
leurs efl'ets, et à unir, si possible, les avantages qu'offrent l'une et l'autre.
La plus importante de ces associations anesthésiques est celle de la morphine avec
le chloroforme.
L'influence curieuse de la morphine sur la chloroformisation a été vue simultanément
et indépendamment, la même semaine, par Nussbaum et par Claude Bernard (Leç. sur
les anesthésiques, 1873, p. 226). Guibert a publié à ce sujet des expériences intéressantes
(C. R., 1872), après que Cl. Bernard eut indiqué nettement le phénomène {Revue des cours
scientifiques, mars, avril et mai 1869). Nussbaum en Allemagne, L.4BBÉ et Gou.ton, en
France, et d'autres encore, Rigaud et Sarrazin à Strasbourg (cités par Dastre), puis
beaucoup de physiologistes et de chirurgiens ont publié des faits nombreux se rapportant
à cette anesthésie mixte. Dans les laboratoires de physiologie, quand on doit donner du
chloroforme à un chien, on lui fait presque toujours au préalable une injection sous-
cutanée de chlorhydrate de morphine, ce qui rend l'anesthésie plus rapide, plus pro-
longée, et surtout ce qui diminue la période d'excitation, longue, désagréable, et parfois
dangereuse.
Nous ne savons guère pourquoi l'association de la morphine et du chloroforme exerce
une action anesthésique et analgésique si marquée. Il faut assurément pour anesthésier
un individu morphine deux ou trois fois moins de chloroforme que pour un individu
normal. Dès les premières bouffées de chloroforme inhalé, il est à peu près insensible.
La conscience n'a pas disparu, mais la sensibilité à la douleur est éteinte. Le vrai
moyen d'obtenir l'analgésie, c'est d'associer la morphine et le chloroforme. Aussi a-t-on
proposé pour les accouchements cette méthode mixte, qui donne l'analgésie sans
abolir les réflexes de la parturition. Il ne semble pourtant pas qu'on doive employer
cette méthode dans les opérations de courte durée ; car l'anesthésie est bien plus pro-
longée qu'après l'administration du chloroforme seul, et le retour à l'état normal se
fait avec lenteur, ce qui s'explique d'ailleurs fort bien par la lenteur avec laquelle doit
s'éliminer la morphine.
Quant à l'explication de l'activité plus grande du chloroforme chez l'individu mor-
phine, l'hypothèse de Claude Bernard est probablement la seule qu'on puisse admettre;
à savoir que la morphine augmente l'excitabilité des centres nerveux, et par conséquent
commence déjà l'intoxication. Alors le chloroforme n'aurait plus qu'à achever la tâche,
si bien que, dans ces conditions, des doses faibles de chloroforme suffisent pour déter-
miner l'anesthésie complète.
Il est certain que par ce procédé mixte il y a eu des cas de mort; mais ces morts
sont sans doute peu nombreuses. Bossis en cite un cas qu'on ne peut vraiment reprocher
au procédé lui-même (Essai sur l'analgésie chirurgicale obtenue par l'action combinée de la
morphine et du chloroforme. D. P., 1879, p. 83); car il s'agit d'une femme à qui lechirur-
gien accoucheur laissa respirer elle-même, sans précautions, le flacon de chloroforme.
Dans un autre cas la mort est survenue chez une morphinomane à laquelle on avait
pour l'opération administré un mélange de chloroforme et d'éther.
Les chirurgiens ont presque tous délaissé cette méthode; ils disent que l'association
du chloroforme et de la morphine laisse le patient après l'opération dans une sorte
334 ANESTHÉSIE et AN ESTH ÉSIQU ES.
d'état syncopal, lent à se dissiper, avec pâleur de la face, état nauséeux et refroidis-
semeut. Pourtant il semble que l'on ne devrait peut-être pas trop dédaigner ce pro-
cédé si rationnel. Je pencherais à croire qu'il faudrait abaisser la dose de morphine
injectée (car même un quart de centigramme de morphine est encore actif) et s'imposer
la tâche d'en faire une étude approfondie et vraiment scientifique.
Dastre et MoRAT ont proposé une autre anesthésie mixte, qui consiste à associer la
morphine et l'atropine. Dans la pratique du laboratoire, ils n'ont pas eu d'accidents, alors
que par le chloroforme la mort des chiens était relativement fréquente. Sur l'homme le
procédé a été mis en usage par Aubert (de Lyon) et Tripier (B. B., 1883). La quan-
tité de morphine à injecter est, d'après Dastre, de 1 centigramme et demi, et la quantité
de sulfate d'atropine de trois quarts de centigramme. Je n'oserais formuler d'opinion sur
un procédé chirurgical; mais ce que nous disions plus haut de la difficulté d'obtenir un
réflexe syncopal mortel ne me parait pas plaider en faveur de l'usage de l'atropine,
poison toujours redoutable chez l'homme; et de fait il y a eu au moins un cas de mort,
et l'état syncopal, avec pâleur et refroidissement, difficulté du retour à la normale, est
peut-être encore plus marqué qu'après l'emploi de la morphine seule. La suppression de
l'état nauséeux est évidemment un avantage; mais il n'est pas, somme toute, assez
important pour faire passer par-dessus les autres inconvénients du procédé.
Les autres méthodes d'aiiesthésie mixte sont plutôt des curiosités physiologiques, et
ne sont jusqu'à présent guère dignes d'être encouragées.
Rabuteal' a proposé la narcéine au lieu de la morphine. Ce n'est qu'une légère variante
à l'usage de la morphine.
PoiTou-DupLEsSY associe le bromure d'éthyle au chloroforme ; il commence l'anes-
thésie par le bromure d'éthyle pour éviter l'intolérance et l'agitation du début, et peu
après, il administre le chloroforme, suivant les moyens habituels (V. Hartmann, loc. cit.,
p. 171). En 1868, Clover faisait de même avec le protoxyde d'azote, par lequel il faisait
débuter l'anesthésie.
Stefanis et 'Vachetta donnent d'abord de l'alcool sous forme de vin avant l'opération,
et produisent une sorte d'ébriété.
Tre'lat (V. Choquet. De l' emploi du chloral comme agent d'anesthésie chirurgicale, D. P.,
1880) donne aux malades qu'il va opérer une potion de chloral et de morphine. Nous
n osons pas nous prononcer par un a jjriori ; pourtant il semble que le chloral (qui
agit d'une manière dépressive sur le cœur) soit sans grands avantages au point de vue
des dangers à éviter.
Les associations de l'alcool méthylique et du chloroforme, du chloroforme et de
l'éther sont aussi, à ce qu'il semble, sans vrais motifs sérieux d'emploi ; et dans la pra-
tique ces diverses combinaisons ont été abandonnées (Truman, Lancet, 16 Févr. 189S;
et Fr. SiLK. Anaesthesia hy tke chloroforme and sether mixture; Lancet, 1893 (1), p. 302).
Pour éviter la répulsion et la douleur du début, François-Franxk a conseillé de faire
l'anesthésie locale des premières voies respiratoires avec nue solution de cocaïne. Mais,
d'après R. Dubois (cité par Terrier et Peraire, p. 181), la cocaïne entraverait l'évolution
normale de l'anesthésie.
P. Langlois a proposé l'association de la spartéine au chloroforme.
Il nous paraît donc, pour conclure de cette longue énumération, que la morphine
est le seul agent qu'il conviendrait d'associer au chloroforme ; mais à condition qu'on
l'emploie à dose plus faible que la dose employée ordinairement; c'est-à-dire en ne
dépassant pas un demi-centigramme. Peut-être devrait-on la donner, non pas une demi-
heure, mais trois ou quatre heures avant la chloroformisation, car c'est après ce long
temps seulement que la morphine peut se fixer dans les tissus nerveux d'une manière
efficace. Au bout d'une ou de deux heures elle est loin d'avoir exercé le maximum de
son effet modérateur.
Anesthésie dans l'expérimentation physiologique. — Sans admettre dans leurs
absurdités les assertions des antivivisectionnistes, il faut cependant reconnaître que la
souffrance des êtres vivants n'est pas chose indifférente. Pour ma part — et je crois
bien qu'aucun physiologiste ne me démentira, — ce n'est jamais sans un sentiment
ANESTHÉSIE et AN ESTH ÉSIQU ES. 535
pénible que je fais une expérience douloureuse sur un chien, voire même sur un lapin
ou une grenouille. A mesure que j'avance en âge, je comprends mieux le sens profond
dissimulé sous les exagérations enfantines des ligueurs antivivisectionnistes. On ne doit
pas acheter un progrès par la douleur et le mal; et le succès ne justifie pas le moyen.
Je pense donc qu'il faut autant que possible éviter les souffrances des animaux qu'on
martyrisait jadis, et les anesthésiques doivent être constamment, sauf de très rares
exceptions, mis en usage dans la pratique physiologique.
Ce n'est pas dire par là qu'il faut s'abstenir des vivisections. Je suis profondément
convaincu que la physiologie ne peut progresser sans les expériences, et que les progrès
de la physiologie entraînent une amélioration, à plus ou moins brève échéance, des
douleurs humaines. Donc, à moins de préférer— ce qui est bien franchement absurde —
les animaux à nos frères humains, je crois qu'il faut continuer l'usage des vivisections,
mais à condition d'employer autant que possible l'anesthésie qui supprime la dou-
leur. De fait, quand il n'y a pas de douleur, une opération, aussi sanglante qu'on peut le
supposer, n'a plus rien de cruel. Opérer sur un chien profondément endormi, et qui
n'a plus trace de conscience, cela est aussi inoffensif que de faire bouillir du lait
dans lin vase, ou de traiter du blanc d'œuf par de l'acide nitrique. Or il est peu d'opé-
rations ou d'expériences où l'emploi des anesthésiques soit contre-indiqué.
Pour les animaux à sang froid, tels que tortues, grenouilles, poissons, le chloroforme
est encore l'agent le plus fidèle et le plus commode. On agite de l'eau avec du chloro-
forme, et, quoique l'eau n'en dissolve que de faibles quantités, c'en est assez pour que
des grenouilles, après quelques minutes de séjour dans cette eau, perdent toute sensi-
bilité, et n'aient plus ni mouvements spontanés ni rétlexes. Le cœur continue à battre,
quoique avec une force diminuée. Quand aux muscles, ils sont un peu modifiés dans
leur m3'ogramme; ils ne le sont cependant pas assez pour que l'étude myographique ne
soit pas encore fructueuse. Il est vrai qu'on peut remplacer l'anesthésie dans bien des
cas par l'ablation cérébrale qui entraîne l'anéantissement de la conscience.
Claude Bernard a montré que chez les grenouilles, et probablement tous les ani-
maux à sang froid, l'élévation de la température entraînait une insensibilité complète,
coïncidant avec la conservation des fonctions du cœur. Une grenouille exposée pendant
dix minutes à une température de 37° n'a plus de mouvements volontaires ni de réflexes.
On doit donc admettre qu'elle est devenue insensible. En étudiant l'infiuence de tem-
pératures croissantes sur les centres nerveux de l'écrevisse, j'ai retrouvé ce même ordre
dans la disparition des fonctions. Ce sont d'abord les fonctions de spontanéité qui dispa-
raissent; puis les fonctions réflexes, puis enfin la contraction musculaire (Ch. Richet.
Influence de la chaleur sur les fonctions des centres nerveux de l'écrevisse. C. R., 1879,
t. Lxxxviii, p. 977). En effet, pour la chaleur, comme pour les poisons, la hiérarchie des
tissus reste la même; et c'est une loi constante que le système nerveux psychique, le
plus délicat, est celui qui meurt tout d'abord; puis meurt l'appareil réflexe; puis le sys-
tème musculaire, qui est toujours VuUimum moriens.
.Chez les chiens, les lapins, les cobayes, les chats, les oiseaux, les procédés d'anes-
thésie doivent être un peu différents suivant l'espèce animale. Ainsi les chats, qui ont
une défense énergique, et ne supportent pas la contention, doivent, pour pouvoir être
maniés, être introduits sous une cloche dans laquelle on place une éponge imbibée de
chloroforme. Quand l'ivresse et la résolution musculaire sont suffisantes, on peut les
attacher et les anesthésier par le procédé convenable. Mais au début on ne peut guère
employer d'autre mode d'anesthésie que les inhalations chloroformiques ou éthérées
dans une cloche. Il en est de même des singes qui sont tout aussi difficiles à manier
que les chats.
Toutefois, sur les chats, on peut se servir avec avantage du chloralose, sur lequel je
reviendrai tout à l'heure.
Chez les chiens et les lapins le chloroforme en inhalations n'est vraiment pas un
bon procédé, et cela pour plusieurs raisons. La première, c'est que (je ne sais vraiment
pour quelle cause) le chloroforme est dangereux pour les chiens, et on en perd souvent
par ce moyen. Malgré les soins qu'on met à suppléer à la respiration spontanée (qui
s'arrête) par une respiration artificielle énergique pratiquée immédiatement, on n'em-
pêche pas le cœur de s'arrêter, ce qui prouve bien, par parenthèse, comme nous l'avons
536 ANESTHESIE et AN ESTH ESIQU ES.
dit plus haut, que ce.n'est pas par asphyxie que meurent les animaux chloroformés.
Quand une fois le cœur s'est arrêté, tout retour à la vie est devenu impossible, et ce
n'est certainement pas l'arrêt respiratoire qui a produit la mort. En second lieu le chlo-
roforme provoque chez les chiens des cris, des hurlements, une période d'excitation
convulsive prolongée, insupportable. La température organique s'élève; les muscles se
fatiguent; il survient de la polj-pnée due à cet excès thermique, et c'est un spectacle
pénilale que cette longue et frénétique agitation. Enfin, quand il s'agit d'une longue
expérience, l'anesthésie chloroformique se dissipe avant que l'expérience soit ter-
minée; il faut redonner du chloroforme, et, chaque fois qu'on en redonne, la même
agitation recommence, au détriment de l'expérience délicate qu'on a entreprise ; parfois
avec un danger toujours renouvelé pour la vie de l'animal.
Sur les chiens morphines tout ce tumulte disparaît; l'agitation est faible, et la pro-
longation de l'anesthésie permet de plus longues opérations, de sorte qu'il est indis-
pensable, si l'on veut sur un chien employer le chloroforme ou l'éther, de toujours
recourir à la méthode de Claude Bern.«d, c'est-à-dire à l'association de la morphine
et du chloroforme.
Mais depuis longtemps les physiologistes ont préféré le chloral. A'ulpian en a un
des premiers réglé et méthodisé l'emploi. Il faisait l'injection par la veine saphène du
membre postérieur, au point où elle passe au côté externe du pied obliquement de bas
en haut et d'avant en arrière. Une solution de chloral à 10 p. 100 est alors injectée
jusqu'à résolution complète de l'animal.
Cette méthode est excellente, et elle a été adoptée presque par tous les physiolo-
gistes. Mais elle a un inconvénient sérieux. Si l'on agit sans précautions, par exemple
qu'on laisse un aide inexpérimenté faire cette petite opération, l'injection chloralique,
pénétrant trop rapidement dans le sang, agit directement sur l'endocarde et détermine
la mort du cojur, une syncope contre laquelle tous les moyens sont impuissants.
Enfin, si l'on veut conserver l'animal opéré, on aura fait, outre le traumatisme opé-
ratoire principal, une petite blessure à la jambe, blessure qui suppurera et guérira
difficilement. En outre, si l'on veut pratiquer sur le même animal plusieurs opérations
à quelques jours de distance, la veine oblitérée ne pourra servir; par exemple, si on
a fait une opération à droite et une opération à gauche, il faudra chercher la veine
au pli de l'aine, ce qui n'est plus aussi facile.
Chez le lapin on fera l'injection de chloral par l'injection directe dans la veine mar-
ginale de l'oreille. On n'aura pas à dénuder la veine; car, avec une aiguille bien affilée,
on pénètre d'emblée dans la veine. Mais, par suite des dimensions moindres de l'ani-
mal, et de la rapidité avec laquelle la solution arrive directement au cœur, il faut
injecter le liquide très doucement, et prendre une solution de chloral moins concentrée;
b p. 100 au lieu de 10 p. 100.
J'ai proposé une autre méthode qui est maintenant d'un usage quotidien dans beau-
coup de laboratoires; c'est l'injection péritonéale. Nul danger de péritonite; car on ne
blesse jamais l'intestin qui fuit devant l'aiguille. De sorte qu'on ne pourrait pas le léger,
même si on le voulait faire. La solution de chloral est par elle-même assez antisepti-
que pour que la stérilisation soit inutile, et, si on ne dépasse pas la proportion de
100 grammes de chloral par litre, elle n'est pas caustique. On peut alors injecter exacte-
ment la quantité de chloral nécessaire. Si l'on veut avoir un sommeil prolongé et
calme, il convient d'ajouter un peu de chlorhydrate de morphine au chloral. La solution
que j'emploie contient par litre 100 grammes d'hydrate de chloral et bO centigrammes
de morphine. La dose de morphine est trop faible pour provoquer des vomissements
et troubler les fonctions des organes. L'absorption est rapide. On peut suivre les dif-
férentes phases de l'anesthésie; d'abord l'ivresse et la titubation; puis, au bout de dix
à douze miaules, l'impuissance motrice et parfois les gémissements de l'animal, qui
pleure et hurle, non parce qu'il souffre, mais parce qu'il ne peut plus se mouvoir. Au
bout de vingt minutes environ, et quelquefois moins de temps encore, l'anesthésie est
complète, sans que le cœur ait couru de danger, comme dans les injections intra-veineuses.
Même quand on fait des opérations abdominales, ce procédé n'est pas contre-indiqué ;
car on n'ouvrira le péritoine que quand l'anesthésie sera complète CV. Ch. Richet.
Trav. du lab., t. i, 1893).
ANESTHÉSIE et A N ESTH ÉSIQU ES. 537
La dose la plus convenable m'a paru, après de longues études, pour une anesthésie
parfaite et inoffensive, être de 33 centigrammes de chloral par kilogramme de poids
vif, avec cette nuance que, chez les très jeunes chiens, cette dose est un peu forte et
qu'il faut alors plutôt Osr,30, tandis que chez les vieux chiens il faut presque 0s"-,40. La
dose de 0s'',60 par kilogramme a toujours été' mortelle.
On peut introduire du cbloral par le même procédé d'injection péritonéale chez les
lapins, les cobayes, les chats; mais il faut savoir que tous ces animaux, et surtout les
chats, sont extrêmement sensibles aux anesthésiques, et que les doses de 0S'',20 et 0S'',2S
par kilogramme sont suffisantes; quelquefois même trop fortes.
Chez les oiseaux, au lieu d'injecter le chloral dans le péritoine, on peut l'injecter
dans le muscle grand pectoral. L'absorption est d'une rapidité extrême, et il ne faut
pas une minute Tpour qu'un pigeon ainsi chloralisé (par le grand pectoral) titube, et
soit impuissant à s'échapper. Il faut à peu près les mêmes doses que pour le lapin et le
chat, c'est-à-dire 0B'',20 par kilogramme.
Si, dans le cours d'une opération, l'animal se réveille, on peut' faire une nouvelle
injection, mais l'absorption est alors toujours moins rapide qu'après la première injec-
tion, et il faudra avoir la patience d'attendre une dizaine de minutes au moins pour
que les effets de la seconde injection puissent se manifester.
Le chloral est un excellent anesthésique assurément; mais il a le grand inconvénient
d'entraîner une diminution des échanges et alors un abaissement thermique assez
prompt, surtout chez les petits animaux. En outre, il abaisse la pression et affaiblit le
cœur. Le chloralose n'a pas ce désavantage. Aussi ai-je proposé de remplacer le curare
par le chloralose. En effet le curare, si admirablement étudié par Claude Bernard, a
l'avantage d'immobiliser l'animal et de conserver intacts tous les réflexes de la vie
organique avec une pression relativement élevée. Mais le curare n'anesthésie pas, de
sorte qu'on a toujours cette préoccupation que le chien souffre, quoiqu'il ne puisse
manifester sa douleur. Je ne crains pas d'avouer que c'est toujours avec une extrême
répugnance que je fais des expériences sur des chiens curarisés; car la pensée qu'ils
souffrent cruellement m'empêche d'avoir l'esprit libre et d'agir comme s'ils étaient
insensibles.
Or, avec le chloralose, on n'a pas un pareil souci ; et, d'autre part, les réflexes orga-
niques sont conservés; la pression artérielle est presque aussi élevée qu'à l'état normal,
et le cœur n'est pas paralysé ou affaibli comme avec le chloral. Enfin le grave inconvé-
nient de la trachéotomie préalable n'existe plus; car si la dose de chloralose ne dépasse
pas OS'', 13 par kilogramme, la respiration artificielle n'est pas nécessaire.
Pour employer le chloralose dans l'expérimentation physiologique, on peut prati-
quer soit les injections intra-veineuses, soit l'ingestion stomacale. Les injections vei-
neuses se font par la veine saphène, comme les injections de chloral. On n'a jamais
à craindre l'arrêt syncopal du cœur, et, si vite qu'on injecte la solution, il n'y a pas
d'accident. Mais il y a un inconvénient sérieux dans le peu de solubilité du chloralose,
qui ne se dissout que dans 120 parties d'eau. La solution normale est de 7e'",5 par litre,
avec l^'/o de chlorure de sodium pour éviter l'altération globulaire. La quantité d'eau
injectée est donc assez grande, puisque la dose anesthésique la plus convenable, celle
qui permet de faire de longues opérations sans que l'animal souffre ni remue, sans que
sa vie soit menacée, sans que sa température s'abaisse trop vite, sans qu'il soit jamais
besoin de recourir à la respiration artificielle, est de OS'',lo par kilogramme. Or cette
dose totale de is'',3 pour un chien de 10 kilogrammes, poids moyen, répond à une
grande masse d'eau, soit 200 centimètres cubes. C'est là un ennui sérieux ; mais, si
sérieux qu'il soit, il me parait compensé par tant d'autres avantages qu'actuellement
je n'hésite pas à préférer le chloralose à tout autre agent anesthésique, même au
chloral. Quand il s'agit, non d'une expérimentation, mais d'iine opération, lorsqu'on
veut conserver l'animal après lui avoir fait telle ou telle opération, alors le vrai procédé
est l'anesthésie par le chloral-morphine en injection péritonéale. Mais, quand on veut
étudier des phénomènes de pression, d'excitation électrique, de sécrétion glandulaire,
d'innervation cardiaque, sans vouloir conserver l'animal, le chloralose en injection
veineuse est le procédé de choix (M. H.iN'Rior et Ch. Richet. De l'action physiolog. du
chloralose. Trav. du labor., t. m, 189o, pp. 77-103).
538 ANESTHESIE et A N ESTH ÉSIQU ES.
On peut aussi donner le chloralose mélangé aux aliments. Par exemple, chez les
chats ou chez les oiseaux, on donne, une demi-heure avant l'opération, dans du lait
par exemple, O'^'AO ou Oô',lb de chloralose, et, en une demi-heure, l'animal engourdi est
devenu maniable et insensible. Aux canards et aux poulets, j'introduis directement dans
l'œsophage la quantité convenable, 0sr,12 environ, en faisant une boulette avec du pain.
Une deini-heure après l'avoir avalée, l'animal est tout à fait insensible.
Avec le chloralose, comme avec les autres anestbésiques, il y a toujours une période
d'excitation qui précède l'anesthésie. Il ne faut pas se laisser troubler par les cris, les
gémissements que pousse l'animal injecté; mais bien arriver rapidement jusqu'à la dose
anesthésique, et on peut aller vite sans aucun danger. De plus, comme l'imprégnation
des cellules nerveuses par le poison n'a pas lieu immédiatement, il faut toujours
attendre quelques minutes pour en voir les effets se manifester, même après que l'in-
jection de toute la quantité nécessaire a été terminée.
Dans la pratique vétérinaire, c'est-à-dire pour le cheval, on se sert presque exclusi-
vement du chloroforme. Le cheval est couché, et on le fait respirer à travers une éponge
imbibée de chloroforme. Il est presque inutile d'employer des appareils spéciaux; la
compression ou l'éponge suffisent. D'après R. Dubois, il faut 30 à 40 grammes de chlo-
roforme pour un cheval de moyenne taille, et le temps nécessaire à l'anesthésie est de
cinq minutes environ. Une injection préalable de morphine rendra le sommeil plus
facile et atténuera la période d'excitation qui est parfois des plus violentes et presque
dangereuse pour les assistants. On peut sans crainte administrer deux heures avant
l'opération un demi-gramme de chlorhydrate de morphine sous la peau.
Théorie de l'action des anesthésiques. — Aune certaine dose de leur action,
tous les poisons, quels qu'ils soient, produisent l'anesthésie. Même l'absence d'oxygène
produit l'insensibilité, alors que le cœur continue abattre et qu'il y a encore des efforts
respiratoires. Il ne pouvait en être autrement, car le fait de l'anesthésie indique seule-
ment que les cellules nerveuses qui président à la sensibilité sont paralysées avant les
autres appareils nerveux. Or, elles sont certainement beaucoup plus fragiles que les
autres cellules de l'organisme.
Toutefois le mot anestliésie a reçu dans la pratique une acception plus précise. On
dit qu'une substance est anesthésique lorsque son action est passagère, autrement dit,
lorsque, après la période d'insensibilité, il y a retour possible à la vie normale. Par
exemple, l'aconitine à forte dose produit l'abolition de la conscience et l'insensibilité ;
mais personne ne pensera à donner à cet alcaloïde la qualification d'aneslhésique; car
les fonctions du cœur et du bulbe sont déjà profondément troublées, et le retour à la
vie n'est pas possible.
Donc le type des substances anesthésiques doit être cherché parmi les corps qui
agissent sur la sensibilité sans déterminer la mort, sans provoquer de convulsions, et
en ne faisant naître qu'une période d'excitation minimum. Poison anesthésique veut
donc dire poison qui engourdit l'intelligence et la conscience sans léser les autres fonc-
tions organiques. Définition arbitraire évidemment, mais qui a cet avantage au moins
d'être précise et de limiter le nombre des anesthésiques.
Le corps qui répond le mieux à cette condition d'avoir une action passagère et inof-
fensive, c'est probablement le protoxyde d'azote, qui aiiesthésie tant qu'on le respire;
mais dont les effets disparaissent dès qu'on a cessé de le respirer. Depuis le protoxyde
d'azote jusqu'aux corps très fixes, comme les alcools et les éthers dont le point d'ébul-
lition est élevé, il y a une série de gradations, de transitions, difficiles à déterminer.
Mais toujours nous retrouvons ces trois périodes caractéristiques : une période d'exci-
tation, une période d'anesthésie et une période d'élimination. On dira alors, par défi-
nition même, lorsque l'élimination d'une substance n'est pas possible par le poumon ou
qu'elle est très lente, que la substance n'est pas vraiment anesthésique, comme dans le
cas des alcaloïdes par exemple.
Si la période d'excitation est très marquée, il s'agira d'une substance convulsivante
plutôt que d'une substance anesthésique ; mais il n'y a aucune contradiction entre ces
deux qualités pharmacodynamiques d'un corps; puisque aussi bien nous voyons le chlo-
roforme, cet admirable anesthésique, provoquer une agitation presque convulsive, alors
que le bichlorure de méthylène (CH-CP), si voisin du chloroforme (CHCP), est très con-
ANESTHESIE et A N ESTH ESIQU ES. 539
vulsivanl et modérément anesthésique. La str3'chnine même, ce type des poisons convul-
sivants, produit à certaines doses de l'anesthésie.
C'est la plus ou moins grande durée, la plus ou moins grande intensité de la période
d'excitation qui donne à tel ou tel anesthésicfiie son caractère essentiel; mais c'est aussi
la facilité variable de l'élimination. Or, pour les poisons qui n'agissent pas sur le sang,
on peut presque formuler cette loi que la vitesse de l'élimination est fonction de la vola-
tilité.
Il est évident que certains corps gazeux paraissent faire exception; mais l'acide cyan-
hydrique, l'oxyde de carbone, le chlore, l'acide sulfureux, le biosyde d'azote, qui, par
leurs afflnités énergiques, se combinent immédiatement aux substances chimiques des
tissus, ne peuvent être rangés parmi les anesthésiques ; et il n'y a pas d'élimination pos-
sible, puisqu'ils ont produit des dédoublements chimiques non réversibles. Au contraire,
on peut admettre qu'un anesthésique, tout en sa combinant avec les tissus, forme une
combinaison instable qui est réversible; et c'est le fait même de cette combinaison "passa-
gère et réversible qui caractérise les substances anesthésiques.
A l'extrémité opposée de l'échelle, il y a les corps indifférents qui ne se combinent
ni avec le sang, ni avec les cellules nerveuses. L'azote, par exemple, est un gaz tout à
fait inerte. Nous avons donc dans l'azote et ses deux premières combinaisons avec l'oxy-
gène trois corps dont les activités chimiques vont en croissant : 1° l'azote qui est inactif;
2° le protoxyde d'azote qui est facile à éliminer et ne produit que des combinaisons dis-
sociables, qui, par ^conséquent, est anesthésique, et enfm 3" le jbioxyde d'azote qui ne
s'élimine pas; car les combinaisons qu'il opère avec les humeurs et les tissus ne sont
ni dissociables ni réversibles.
La famille chimique à laquelle appartiennent les anesthésiques ne peut être pré-
cisée; car c'est une fonction phj'siologique qui paraît pouvoir être due à un grand
nombre de substances sans lien chimique entre elles. L'acide carbonique est, lui aussi,
un agent anesthésique. Les anciennes expériences de Mojon, de Gênes, sur l'acide car-
bonique, répétées par Ozanam en 1858, puis par P. Bert, et enfin par N. Gréhant (Les
poisons de l'air, 1890, p. 93), ont montré qu'on peut sans danger anesthésier un animal
en lui faisant respirer un mélange d'o.xygène et d'acide carbonique. Quand le mélange
contient 40 p. 100 d'acide carbonique, il n'y a pas d'anesthésie. Il faut élever la dose de
gaz acide carbonique à 45 p. 100. Alors l'anesthésie survient en près de deux minutes ;
le sang contient plus de 80 p. 100 de gaz acide carbonique, et la vie n'est pas en danger
si l'on a soin d'introduire dans le mélange une quantité d'oxygène normale, ou même
un peu supérieure à la normale. Notons que l'élimination de l'acide carbonique n'est
pas aussi rapide qu'avec les autres anesthésiques, car le gaz acide carbonique n'est pas
chimiquement indifférent, puisqu'il joue le rôle d'un acide et se combine aux alcalis du
sang et des tissus.
Protoxyde d'azote, acide carbonique, chloroforme, oxyde d'éthyle, amylène, aldéhyde,
toutes ces substances anesthésiques n'ont donc aucun caractère chimique commun.
Elles appartiennent à des familles très différentes. Tout ce qu'on peut en dire, c'est
qu'elles sont toutes volatiles. Mais même ce caractère ne peut être regardé comme
absolu ; car l'éther benzoique, qui amène l'anesthésie, est bien peu volatil. Nous
n'avons donc pas le moyen d'établir une relation entre la composition chimique
des corps et leurs propriétés anesthésiques.
Quoique, à différentes reprises, nous avions parlé de la hiérarchie des tissus, en mon-
trant que les cellules nerveuses sont empoisonnées les premières, il ne faudrait pas en
conclure que les autres cellules ne subissent pas les effets du poison. En effet, comme
l'a bien montré Claude Bernard, les végétaux, dépourvus cependant de cellules nerveuses,
subissent l'action des anesthésiques. Si l'on met des graines en présence des vapeurs de
chloroforme ou d'éther, elles ne germeront pas, et cependant les cellules de l'embryon
végétal ne seront pas mortes, puisqu'elles pourront vivre et germer si on les soustrait à
l'action du gaz anesthésique. C'est donc, comme sur les animaux supérieurs, un véritable
sommeil qu'on aura provoqué chez la plante avec retour possible à la vie normale.
Cette expérience sur la vie retardée des plantes est bien intéressante; elle nous fait
pénétrer un peu mieux dans le mécanisme intime de l'action des anesthésiques. C'est
une intoxication qui n'est pas définitive, et qui paralyse pour un temps les phénomènes
5i0 ANESTHÉSIE et AN ESTH ÉSIQU ES.
chimiques de la cellule vivante, mais qui n'altère pas d'une manière permanente la struc-
ture chimique de la cellule. Nous revenons donc à cette formule qui semble vraiment
caractériser le rùle chimique des anesthésiques : formation d'une combinaison disso-
ciable.
Les microbes, comme les végétaux plus élevés, sont très sensibles à l'action des
anesthésiques. Quelques gouttes de chloroforme retarderont énormément les phéno-
mènes chimiques dus aux microbes. L'éther, le prolo.xyde d'azote, l'acide carbonique
sous pression, exercent les mêmes effets retardateurs; de même le chloral, et à un
degré moindre, l'alcool éthylique. Mais, quoique on puisse à la rigueur employer dans
ce cas le mot d'antisepsie, ce n'est pas là une antisepsie véritable. Les anesthésiques
sont antifermentescibles; ils ne sont pas antiseptiques. Les microbes, si l'on ajoute du
chloroforme au liquide où ils se trouvent, ne fermenteront plus, mais ils ne mourront
pas; et, dès qu'on aura laissé le chloroforme s'évaporer, ils retrouveront toute leur
activité, de sorte que nous ne pouvons pas ranger les anesthésiques parmi les antisep-
tiques, malgré le ralentissement qu'ils amènent dans la fermentation. Les vrais antisep-
tiques abolissent défmitivement la fermentation et la vie ; les anesthésiques ne font que
la suspendre durant tout le temps de leur contact avec les microbes.
On a donné de ces fermentations ralenties des graphiques très instructifs; par
exemple avec la levure de bière et la levure alcoolique.
R. Dubois a émis une explication ingénieuse de ces phénomènes, et donné une théorie,
encore très hypothétique, sur le mécanisme par lequel agiraient les anesthésiques. Il
suppose que ces corps, quels qu'ils soient au point de vue chimique, exercent une action
déshydratante sur les cellules, augmentant la tension de dissociation de l'eau dans les
tissus, et par conséquent altérant par une sorte de soustraction d'eau la nature chimique
des cellules vivantes. Ce qui rend assez vraisemblable cette hypothèse, c'est l'analogie de
la déshydratatiou expérimentale, — au point de vue des elfets produits, — avec l'anes-
thésie. En plaçant des graines ou des microbes, ou des rotifères, dans de l'air sec, on
les dessèche et on paralyse leur activité, mais l'activité revient quand on leur rend l'eau
qu'on avait enlevée. En mettant des plantes grasses en contact avec des vapeurs d'éther,
on voit de grosses gouttelettes d'eau perler à la surface. J'ai vu un phénomène analogue
en mettant des grappes de raisin et des poires dans une cloche où j'avais fait passer des
vapeurs chloroformiques, espérant, sans succès d'ailleurs, conserver ainsi des fruits à
l'état frais. Le chloroforme n'empêche pas la maturation du fruit et la transformation
des matières cellulosiques en sucre (B. B., 13 Janv. 1883, pp. 26-27).
Tout se passe en somme, d'après R. Dubois, comme si l'action d'un anesthésique con-
sistait en une dissociation de l'eau des tissus. On comprendrait alors comment l'anes-
thésie est fonction de la tension de vapeur des gaz anesthésiques. Il faudrait une cer-
taine tension de cette vapeur pour provoquer la dissociation aqueuse nécessaire et pour
produire une certaine déshydratation de la cellule, et par conséquent l'insensibilité.
Autres procédés d'anesthèsie générale. — Nous ne parlons que pour mémoire
des moyens autres que les agents anesthésiques proprement dits, qui ont été proposés
pour abolir la douleur. Par exemple on a indiqué la compression des carotides qui produit
du vertige et un état de sommeil avec demi-conscience. C'est assurément un procédé
qui ne doit réussir que rarement, si tant est qu'il réussisse jamais.
Le froid intense agit sur la périphérie cutanée pour diminuer la sensibilité à la dou-
eur : mais ce n'est pas là de la vraie anesthésie, et d'ailleurs les animaux refroidis ne
sont pas insensibles; seulement la réaction à la douleur est retardée, et les réflexes
sont devenus très lents. Les lapins refroidis à 20° sont encore sensibles aux excitations
traumatiques qui paraissent toujours douloureuses; mais ils ne réagissent qu'avec une
grande lenteur.
L'hypnotisme et la magnétisation ont été aussi essayés, et il est avéré que dans cer-
tains cas on a pu faire des accouchements ou de grandes opérations sans provoquer de
douleur. On compreud en effet que la conscience de la douleur puisse être supprimée,
soit par une suggestion puissante, soit par des manœuvres hypnotiques qui troublent
l'innervation centrale. Celte analgésie complète n'est assurément pas commune; mais on
peut la constater dans certains cas exceptionnels chez des sujets très sensibles. Toutefois
ce n'est guère qu'une curiosité; car jusqu'à présent la pratique de l'hypnotisme n'a pas
ANESTHESIE et AN ESTH ESIQU ES. 341
pu encore sortir d'un empirisme étroit, et, si le nombre des sujets qu'on réussit à endor-
mir est assez grand, le nombre de ceux qui sont devenus absolument insensibles à toute
douleur est fort restreint. En outre il est possible que la longue éducation nécessaire
pour amener un sujet hypnotisable à l'analgésie absolue ait pour la santé générale au
moins autant d'inconvénients qu'une chloroformisation passagère.
On trouvera plus loin, à la bibliographie, quelques indications sur certains cas dans
lesquels l'anestbésie chirurgicale ou l'anesthésie obstétricale ont pu être obtenues par le
magnétisme.
II. Anesthèsie localisée. — Le principe de l'anesthésie localisée est tout différent
du principe de l'anesthésie générale. Par le fait de l'anesthésie générale, les centres ner-
veux qui président à la conscience, et par conséquent à la douleur, sont devenus inactifs,
la volonté et l'intelligence sont anéanties ; au contraire elles restent intactes dans l'anes-
thésie localisée qui a pour but de rendre telle ou telle région insensible, sans que les
centres nerveux soient touchés. Par conséquent^le danger, toujours plus ou moins mena-
çant quand un trouble aussi grave qu'une anesthèsie complète est porté à l'innervation
centrale, est supprimé quand il n'j' a qu'une insensibilisation locale d'une partie du tégu-
ment.
Si donc on parvenait à réaliser une anesthèsie localisée, comme celle qu'on peut obte-
nir dès à présent avec la cocaïne pour la cornée, il est certain que l'anesthésie générale
serait inutile. Il est donc bien important de connaître les moyens dont on dispose aujour-
d'hui pour obtenir de l'analgésie en un point quelconque de la peau.
Historique. — Les anciens médecins pratiquaient déjà des applications de sub-
stances narcotiques, et surtout, depuis Percival Pott (1771), des bains d'acide carbo-
nique. Mais rarement l'insensibilité était complète : c'était une sensibilité plutôt émoussée
qu'abolie.
Arnott proposa l'emploi du froid en 1851, et Velpeau pratiqua ainsi à Paris plusieurs
petites opérations. En mettant le doigt dans un linge contenant un mélange réfrigérant
de glace et de sel marin, on voit la peau qui pâlit, s'anémie, et finalement devient insen-
sible à la douleur. La sensibilité tactile n'est cependant pas totalement abolie : le patient
perçoit l'ébranlement mécanique, mais non la douleur, de sorte que l'incision des tissus
ne fait ni couler de sang ni ressentir de souffrance. On avait aussi proposé de tremper
le doigt dans l'éther, en espérant que l'effet anesthésique de i'éther, au lieu de porter
sur les centres nerveux, par pénétration dans le système circulatoire général, porterait
sur les nerfs périphériques par imbibition.
Mais l'emploi de l'éther, dans lequel on met à tremper le doigt qu'on veut rendre
insensible, n'avait donné que des résultats assez imparfaits, jusqu'au moment où A. Richet
a eu l'idée d'activer l'évaporation de l'éther au moyen d'un insufflateur spécial. Cet insuf-
flateur venait d'être imaginé par Guérard pour évaporer de l'éther à la surface de régions
douloureuses et ulcérées (A. Richet. Mémoire lie à la Société de chirurgie sur l'anesthésie
localisée. Gazette des hôpitaux, 1854, t. xxvii, p. 133; eVDiscussion à la Société de chirurgie
sur l'anesthésie localisée, 1853-1854, t. iv, pp. 519-546). La méthode de l'anesthésie loca-
lisée était créée.
A partir de 1854, ont fit diverses modifications de détail qui apportèrent de notables
perfectionnements. Les appareils insufflateurs furent rendus plus maniables. Le bromure
d'éthyle fut substitué à l'éther qui est inflammable : comme le refroidissement est plus
rapide (le bromure d'éthyle étant plus volatil que l'éther), l'anesthésie survient plus rapi-
dement (0. Terrillon). Mais, en somme, c'est aux observations faites par mon père en 1854
qu'il faut faire remonter les premiers essais méthodiques d'anesthésie localisée par éva-
poration.
Anesthèsie localisée par réfrigération. — L'action de la vapeur anesthésique sur
les extrémités nerveuses est-elle une action chimique anesthésique, ou bien une
action réfrigérante? La question n'est pas facile à résoudre. On> admet en général que
l'évaporation de l'éther agit surtout par le froid produit; mais je pencherais à croire qu'on
fait trop bon marché de l'action locale de la vapeur d'éther. La peau, même parfaitement
intacte, absorbe les gaz et les vapeurs des liquides volatils. C'est une démonstration qui
a été faite bien souvent par tous les physiologistes. Il suffit d'avoir manié de l'éther pour
que les mains en conservent encore l'odeur pendant quelque temps, de sorte que nous
5i'i ANESTHÉSIE et A N ESTH ESI QU ES.
pouvons regarder non seulement comme possible, mais même comme nécessaire la
pénétralion d'une certaine quantité d'éther à travers la peau. Ainsi les nerfs de la peau,
étant en contact avec l'éther, sont anesthésiés par une sorte d'inibibition locale, sans
que les centres nerveux aient reçu l'atteinte d'une quantité de poison suffisante pour
anéantir leur activité. Dans les e.'ipériences préliminaires qu'il faisait avec l'éther, mon
père avait remarqué que, si l'on fait la compression circulaire du doigt (de manière
à empêcher la circulation d'enlever l'éther dont la peau est imbibée, et qui s'est proba-
blement combiné aux cellules nerveuses du derme), l'anesthésie survient plus facilement.
Il est d'ailleurs vraisemblable que le froid, en ralentissant énormément la circulation, et
presque en l'abolissant, a pour effet de ne pas permettre au sang d'enlever l'éther qui a
pénétré dans le derme. Par conséquent le froid agit non seulement en tant que froid,
mais encore comme agent retardateur de la circulation ; ce qui favorise l'imbibition
parle derme.
Il est probable que tous les liquides volatils à basse température, ainsi que tous les
gaz projetés sur la peau à l'état liquide, agissant par réfrigération d'une part, et d'autre
part par imbibition du derme, sont capables, quels qu'ils soient, de produire l'anesthésie
locale. Outre l'éther et le bromure d'éthyle. on a employé le chlorure d'éthyle, qui bout
à 11°, et qu'on peut avoir assez pur, même à bas pris, et surtout le chlorure de méthyle
qui bout à — 23°.
La pulvérisation sur la peau du chlorure de méthyle produit aussitôt une zone ané-
mique blanchâtre qui est tout à fait insensible. Mais le froid produit est parfois trop
intense pour n'être pas sans quelque danger au point de vue de la production de cer-
taines lésions locales de la peau. Aussi a-t-on songé à y remédier. Bailly, a proposé
de pulvériser le gaz sur des tampons d'ouate qui s'imprègnent de chlorure de méthyle,
et qui descendent alors à une température très basse. Cette ouate, mise au contact de
la peau, l'anesthésie assez vite sans faire courir le danger d'une eschare ; c'est ce qu'il a
appelé le shjpage. Galippe (B. B., 4 février 1888) a eu l'ingénieuse idée de mélanger le
chlorure de méthyle à l'éther. Le liquide mixte ainsi constitué ne s'évapore qu'assez len-
tement, et il produit un froid très vif qui anesthésie bien quand on verse ce liquide sur la
partie qu'on veut rendre insensible. Terrier et Pébaire recommandent de couvrir les
parties anesthésiées avec de la vaseline; alors les phlyctènes et la vésication de la peau
ne sont plus à craindre.
On trouvera dans le Traité d'anesthésie chirurgicale de Terrier et Péraire, l'indica-
tion de divers mélanges de chlorure de méthyle, sous les noms bizarres de coryle et
d'anesthyle (Martin. Presse médicale belge, U déc. 1892. — Dandois. Étude sw l'anesthésie
locale. Revue médicale de Louvuin, 1892, pp. 193-231 .) — Sauvez. Des meilleurs moyen d'anes-
thésie à employer en ai't dentaire. D. P., 1893).
L'acide carbonique solide peut aussi être employé. En dégageant rapidement ce
gaz des récipients oii il est comprimé et en le recueillant dans des enveloppes de laine,
on obtient, par suite du froid intense qui se produit, la congélation d'une partie de la
substance : alors on peut prendre en main des morceaux d'acide carbonique neigeux qui
restent un temps encore appréciable avant de se volatiliser tout à fait. L'application de
cette neige sur la peau produit le froid anesthésique. Mais, comme pour l'éthet-, il est
possible que l'action chimique de l'acide carbonique sur les expansions nerveuses vienne
s'ajouter à l'action physique qu'il excerce (Wiesendainger. Die Venvendung der flus-
sigen Kohlensaùre zur Erzeugung localer Anaesthaesie, cité par Terrier et Péraire, p. 43).
En physiologie on a aussi utilisé la réfrigération, et cela non seulement par pulvé-
risation locale de telle ou telle partie du corps, comme dans la pratique chirurgicale,
mais' encore en agissant directement sur les centres nerveux. R. Dubois a anesthésie des
tortues et des grenouilles, et spécialement des vipères, en refroidissant l'encéphale au
moyen d'un jet d'éther.
Quoique nous nous soyons toujours servi du mot d'anesthésie pour ces phénomènes,
le mot d'analgésie serait évidemment plus exact. Il semble que la sensibilité tactile à la
pression ne puisse disparaître que très tardivement, tandis que l'algesthésie disparaît
assez vite. Encore faut-il distinguer dans la sensibilité tactile deux phases; une première,
qui est la finesse du toucher, — celle-ci disparaît tout de suite, —et une autre, qui donne
une vague notion de loucher; celle-ci disparaît lentement. La sensibilité à la douleur
ANESTHÉSIE et AN ESTH ESIQU ES. S43
disparaît après la finesse du tact, mais longtemps avant que toute sensibilité à la pres-
sion ait disparu. On rapprochera ces faits de ceux qui ont été observés d'abord par
LoNGET (1847), puis par beaucoup de physiologistes, sur les effets des substances anes-
thésiques directement appliquées sur les troncs nerveux. La sensibilité et la motiiité ne
sont pas atteintes en même temps. Suilout on a bien constaté que l'excitabilité d'un nerf
périt avant sa conductibilité. Autrement dit un nert empoisonné localement peut encore
conduirel'excitation, aloi's que, si cette excitation est portée directement sur le point em-
poisonné, elle n'a plus aucun effet excitateur (Voy. Nerfs, Sensibilité).
Anesthésie localisée par injections sous-cutanées. — En 1884, K. Koller fit
une découverte importante. 11 montra que, si l'on met une solution de cocaïne au con-
tactde la conjonctive, la cornée devient insensible et qu'on peut pratiquer sur la cornée
et sur l'iris des opérations non douloureuses (XJher die Venuendung des Cocain zur Anaes-
thaesirung des Auges. Wien. med. Woch., 1884, p. 1276). La dose de cocaïne injectée est
minime, de sorte qu'elle ne peut produire aucun effet général sur l'organisme.
C'est donc le type des anesthésiques localisés, puisque la cornée est tout à fait insen-
sible et qu'elle seule est insensible. L'expérience sur les animaux de toute espèce donne
le même résultat, et on est forcé d'admettre que la cocaïne, imbibant les cellules ner-
veuses sensitives ou les filaments nerveux terminaux de la cornée, les paralyse pendant
quelques temps.
Cette découverte de Koller fut aussitôt confirmée de toutes parts, et bientôt on employa
la cocaïne, non seulement pour l'anesthésie oculaire, mais encore pour l'anesthésie de
la peau et des muqueuses, de manière à pouvoir faire de petites et même de grandes
opérations, à l'aide de ce procédé ingénieux.
Nous n'avons pas à entrer ici dans l'histoire physiologique de la cocaïne, pas plus que
nous ne l'avons fait pour l'histoire détaillée du chloroforme et de l'éther. Disons seu-
lement que la cocaïne, aux doses auxquelles on l'injecte pour produire l'anesthésie loca-
lisée, n'anesthésie pas les centres nerveux. Si l'on injecte des doses de cocaïne consi-
dérables, on parvient à diminuer la sensibilité à la douleur chez les animaux, mais
non à l'abolir complètement. Même aux doses qui produisent des convulsions, il y a
encore une trace de sensibilité qui persiste.
L'analogie est remarquable entre la cocaïne qui paralyse les terminaisons nerveuses
sensitives, et le curare qui paralyse les terminaisons motrices. Laborde a donc eu rai-
son de définir la cocaïne en disant que c'est un curare sensitif. Elle a une affinité spéciale
pour les filaments nerveux terminaux, récepteurs des sensations. Les petits ramuscules
nerveux eux-mêmes, si rebelles pourtant à l'action des poisons, sont devenus inexci-
tables. Mais, quelle que soit l'affinité de la cocaïne pour les nerfs sensitifs, une injection
intra-veineuse ne produit pas l'anesthésie périphérique, ou du moins elle ne la produit
que si la dose est devenue très forte.
Les chirurgiens ont imaginé divers procédés pour réaliser l'anesthésie locale par la
cocaïne avec l'injection d'une quantité minima de poison. P. Reclus, qui a beaucoup
contribué à rendre méthodique et à vulgariser lemploi de la cocaïne en chirurgie, ne
l'injecte pas sous la peau, mais dans l'épaisseur du derme (P. Reclus et Isch-Wall. Revue
de ehirurgie, 1889, p. 138. — C. Delbosc. De la cocaïne ; Trav. du lab. de Ch. Richet, t. ii,
pp. o29-b64). On trouve dans l'ouvrage de Terrier et de Péraire (pp. 63-74) les modifi-
cations apportées par certains chirurgiens pour rendre l'anesthésie plus durable. Corning
pulvérise d'abord de l'éther, puis injecte du beurre de cacao qui, par le froid, se solidifie et
empêche la cocaïne de diffuser trop vite dans la circulation générale et d'y disparaître.
Mayo-Robson emploie la bande d'EsMARCH, absolument comme A. Richet avait fait
pour la réfrigération par l'éther. Gauthier associe la trinitrine à la cocaïne; car les
effets de la trinitrine qui dilate les vaisseaux sont directement opposés aux effets con-
stricteurs de la cocaïne. Marchand dissout la cocaïne dans de l'huile. Bignon la précipite
à l'état de base par du carbonate de soude, et obtient ainsi un lait de cocaïne; la
cocaïne, base alcaloïdique, étant bien moins soluble et plus active cependant que son
chlorhydrate.
Oefele se sert du phénate de cocaïne dont Faction analgésique est plus puissante que
celle du chlorhydrate. 11 paraîtrait que ce sel est moins dépressif du cœur que le chlo-
hydrate, tout en étant plus actif au point de vue de ranalgésie(?).
344 ANESTHÉSIE et AN ESTH É SIQU ES.
■ Chadbourne préfère la tropacocaïne, et son sel chlorhydrique. Celte substance, trop
peu expérimentée encore pour qu'on puisse se former à. son égard une opinion ration-
nelle, serait deux fois moins toxique que la cocaïne; l'analgésie serait cependant plus
étendue et plus durable.
D'ailleurs ce n'est pas seulement pour la pratique des opérations que la cocaïne est
utile comme anesthésique. On s'en est servi pour rendre les muqueuses insensibles. Des
badigeonnages avec une solution appropriée font disparaître les douleurs des plaies,
empêchent les réflexes, parfois incommodes, de se produire. En somme, dans des affec-
tions très diverses, dont nous n'avons pas à faire ici rénumération,les médecins et les
chirurgiens mettenta profit les propriétés anesthésiantes remarquables de cette substance.
Le mécanisme de l'action anesthésiante de la cocaïne n'est pas explicable par ses
effets vaso-constricteurs. L'aoémie qu'on observe constamment après une injection de
cocaïne ne suffit pas pour rendre compte de l'insensibilité, et cela pour plusieurs raisons;
d'abord parce que l'insensibilité survient plus vite que ne pourrait le faire l'anémie;
ensuite parce que l'anémie n'est jamais complète. Les tissus, quoique insensibles, sai-
gnent encore quand on les incise. Enfin, dans la cornée par exemple, il n'y a pas de
vaisseaux sanguins; et cependant nous voyons qu'elle devient insensible par le fait de la
cocaïne. Il faut donc admettre, ce qui est d'ailleurs très rationnel, que la cocaïne, por-
tant son action sur les terminaisons nerveuses, les empoisonne directement et non par le
mécanisme de l'anémie. D'ailleurs, en physiologie, l'explication mécanique des intoxi-
cations par des effets vaso-moteurs est bien rarement exacte. Presque jamais ni l'ané-
mie ni la congestion ne suffisent pour expliquer les symptômes observés.
Si sur les animaux à sang chaud on n'arrive pas par des injections intra-veineuses
à obtenir l'insensibilité complète du tégument, c'est que d'autres troubles généraux,
dus à l'action de la cocaïne sur les centres nerveux, empêchent la vie de se pro-
longer ; l'agitation, les convulsions, l'hyperthermie. Mais chez les grenouilles on suit
bien ces diverses phases, et on peut voir un animal vivant, avec un cœur qui bat régu-
lièrement, des muscles qui sont encore irritables par l'excitation du nerf moteur, et
dont cependant tout le tégument est devenu insensible.
En principe il semblerait que jamais la cocaïne ne doit provoquer d'accidents; car
la dose injectée pour anesthésier un point limité de la peau est trop faible pour agir sur
l'ensemble de l'organisme. Mais il est des cas cependant où des phénomènes graves ont
été notés. E. Delbosc, dans sa thèse de 1889, avait trouvé quatre cas de mort. P. Berger
en a signalé un autre. Même si l'on attribue au hasard ces cinq cas funestes, c'est peu
de chose assurément, si l'on tient compte du nombre immense d'opérations pratiquées
avec la cocaïne : il n'en est pas moins vrai que des accidents qui entraînent non la mort
du patient, mais l'inquiétude du chirurgien, ont été observés.
La symptomatologie est à peu près toujours la même. Ce sont des troubles cérébraux,
intellectuels, et des troubles cardiaques; les premiers, quelque effrayants qu'ils parais-
sent, sont en somme inofi'ensifs, tandis que les autres sont extrêmement sérieux.
Même à dose modérée, la cocaïne agit sur l'intelligence. C'est un poison psychique,
qui amène l'ivresse, de la loquacité, une agitation incessante, le besoin de parler, de rire,
de se mouvoir, et l'impossibilité de rester en place. Plus tard, cette excitation est rem-
placée par de la céphalalgie et de l'abattement.
Mais les troubles cardiaques sont les plus graves; c'est une tendance à la syncope.
La face pâlit; les extrémités se refroidissent; le cœur se ralentit, et le pouls devient petit,
filiforme (V. Cocaïne). Aussi, quand on donne de la cocaïne, doit-on toujours bien se rap-
peler que c'est un poison actif, capable, à certaines doses, d'amener la mort par arrêt du
cœur.
La dose mortelle paraît être, comme pour tous les poisons psychiques, assez variable,
au moins chez l'homme. Sur le chien, j'ai pu, avec P. Laxglois, préciser la dose convul-
sivante et montrer qu'elle est fonction de la température. A la température de 38°, la
dose qui provoque les convulsions est de Osi^jOa par kilogramme, en injection veineuse.
Mais on ferait une grave erreur si l'on inférait de là qu'il faut chez un homme de 70 kil.
donner 1b%4 pour obtenir des accidents convulsifs ; car les poisons psychiques agissent
bien plus activement sur l'homme que sur les animaux. D'ailleurs, sur les singes,
Grasset a trouvé une dose toxique plus faible que chez les chiens, soit 0B'',012 par kilo-
ANESTHÉSIE et A N ESTH ÉSIQU ES. Sio
gramme (P. Langlois et Ch. Richet. Influence de la température organique sur les convul-
sions. A. P., 1889, pp. 181-196).
La plus faible dose ayant déterminé la mort chez l'homme est indiquée dans une
observation de Simes, cité par Delbosc (/oc. cit., p. 560) ; la quantité injectée était de
0Kr,7o. Il ne faut donc pas atteindre cette dose, quoique on ait pu souvent en injecter
bien davantage sans accidents; mais il vaut mieux être en deçà qu'au delà. Le plus
souvent la dose de 0='',0o ouOKrjlO seront suffisantes pour une anesthésie locaHsée, même
assez étendue, et on pourra sans danger doubler la dose, si c'est nécessaire. A moins de
contre-indications formelles, il ne faudra pas dépasser la dose de Oer.^o.
On a discuté l'intluence de la cocaïne sur la germination et la fermentation. R. Du-
bois, P. Regnahd et A. Charpentier (cités par Dastre, loc. cit., p. 210) sont arrivés à des
résultats opposés. Quoi qu'il en soit, même en admettant que de fortes doses paralysent
la végétation, il n'est pas possible d'assimiler l'action de la cocaïne à celle des vrais anes-
thésiques, comme le chloroforme ou l'étlier, qui, à dose très faible, paralysent complète-
ment les levures et les ferments.
11 existe encore quelques substances qui ont certaines propriétés analogues à celles
de la cocaïne; mais leur histoire est encore inachevée. Nous avons déjà parlé de la Iro-
pacocaïne; il faut y ajouter l'érythrophléine, la strophantine, et l'ouabaïne. Ces divers
alcaloïdes sont d'ailleurs très toxiques, surtout l'ouabaïne; et il faut attendre avant de
pouvoir se faire une opinion sur leur valeur thérapeutique.
Au point de vue physiologique, il n'est [las douteux que ces corps, appliqués à l'état
de solution sur la cornée, puissent l'insensibiliser. D'après E. Gley, une solution de
strophantine ou d'ouabaïne au millième aurait le même effet, et même un effet plus pro-
longé, qu'une solution de cocaïne au centième.
Quelques autres substances ont aussi été proposées; mais elles sont plutôt [des caus-
tiques, comme le phénol, et la formanilide. Des pulvérisations de phénol produisent
d'abord, par imbibition des nerfs sous-cutanés, une assez forte excitation et des fourmil-
lements, prélude ordinaire de l'anesthésie. La formanilide, préconisée par Preisach (1893),
a été employée pour anesthé.sier les muqueuses.il est clair que toute substance qui a un
effet caustique doit avoir aussi quelque eifet anesthésique, par destruction des extrémi-
tés nerveuses. C'est ce qu'on a appelé parfois l'anesthésie douloureuse. Mais de là à
l'anesthésie véritable, il y a loin.
Je ne mentionnerai que pour mémoire le procédé d'anesthésie, employé surtout par
les dentistes, qui consiste à détruire passagèrement l'excitabilité d'un nerf par un cou-
rant électrique très violent, et à profiter pour telle ou telle opération de cette anesthésie
transitoire. A vrai dire, pour détruire toute sensibilité, il faut une excitation électrique si
forte qu'elle devient presque aussi douloureuse que l'opération elle-même.
En résumé l'histoire des anesthésiques nous donne un éclatant exemple des secours
que la physiologie a pu apporter à l'humanité soulfrante. Certes la découverte même est
due au hasard et non à la science. Wells, Morton et Jackson n'étalent rien moins que
des physiologistes. Mais, après les empiriques, bienfaiteurs dont il ne faut pas diminuer
le mérite, tout ce que nous savons de précis sur l'anesthésie est bien dû à la collabora-
tion persistante de l'observateur chirurgien et de l'expérimentateur physiologiste. Il
n'est peut-être pas de meilleur exemple pour établir l'influence puissante et féconde
des sciences physiologiques sur les progrès de la thérapeutique.
Bibliographie. — La bibliographie des anesthésiques est considérable. Nous ren-
verrons d'abord aux articles Chloroforme, Cocaïne, Éther, Protoxyde d'Azote, pour les
détails relatifs à l'action physiologique de ces diverses substances. Quant à l'anesthésie
en général, les principaux ouvrages à consulter sont :
Claude Bernard. Leçons sur les anesthésiques et l'asphyxie. Paris, 187o. — Simonin. De
l'emploi de l'éther sulfurique et du chloroforme à la clinique chirurgicale de Nancy. 2 vol.,
Paris, 1849, 1836, 1871. — Pehhin et Lalleuand. Traité d'anesthésie chirurgicale. Paris,
1863. — Perrin. Art. Anesthésie du Dict. encycl. des se. médic, t. iv, p. 434, 1866. — Oza-
NAM. L'anesthésie, histoire de la douleur. Paris, 18b7. — Terrier et Péraire. Pclit manuel
DlCT. DE PHYSIOLOGIE. — TO.IIE I. 3.J
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d'anesthêsie chirurgicale. Paris, 1894. — Turnbull. The advantages and accidents of arti-
ficial anaesthesia, being a manual of anaesthetic agents. Philadelphia, 1879. — Dastre. Les
anesthésiques. Physiologie et applications chirurgicales. Paris, 1890. — R. Dubois. Anes-
thésie physiologique et ses applications. Paris, 1894. — ■ Rottenstein. Traité d'anesthêsie
chirurgicale. Paris, 1880. — H. Soulier. Traité de thérapeut., t. i, 1891, pp. 632-703. —
G. Hayem, Leç. de thérap., 2' série, 1890, pp. 408-492. — Auvard et Caulet. Anesthésie chi-
rurgicale et obstétricale. Paris, 1892. — E. Hankel. Handbuch der Inhalations Anaesthetica,
Chloroform, Aether, Stickstoff Oxydul, Aethyl, Bromid, mit Berûcksichtigiing der Straflichen
Yeranwortlichkeit bei Anioendung derselben. Wiesbaden, 1892, 240 pp. — Report of the
Hyderabad chloroform Commission. Bombay, 1891, 399 pp. — W. Buxton. Anaesthetics,
their use and administi'ation. Londres, 1892, 236 pp.
Pour les mémoires, il est impossible de les mentionner tous ; et d'ailleurs celte nomen-
clature serait sans grand intérêt. Dans le cours de l'article nous en avons déjà indiqué
quelques-uns; il nous suffira d'ajouter quelques travaux intéressant la physiologie de
l'anesthésie. Nous donnons plus d'extension aux travaux récents; car les dernières publi-
cations permettent de recourir aux ouvrages plus anciens.
Anesthésie en général. Physiologie générale. — Flourens. Note touchant les effets de l'in-
halation de l'êther sur la moelle épinière {C. R., 1847, t. xxiv, p. 161); sur la moelle allongée
[ibid., pp. 242, 233); sur les centres nerveux [ibid., p. 340). — Vulpian. Sur l'action
qu'exercent les anesthésiques sur le centre respiratoire et sur les ganglions cardiaques (C. R.,
1878, t. Lxxxvi, p. 1303). — ■ Arloing. Rech. cxpér. comparât, sur l'action du chloral, du
chloroforme, de l'éther, avec ses applications pratiques. Paris, 1879. — Discussion de l'Aca-
démie de médecine sur l' Anesthésie (Bull, de l'Ac. de médec. de Paris, 1837, t. xxii, pp. 908,
932, 963, 992, 1016, 1061, 1084). — S. Ddplay. De l'action physiologique du chloroforme et
de l'éther considérée aupointde vue de l'anesthésie chirurgicale (Arch. gén. de médec, 1870,
(1), pp. 207-224). — DuMÉRiL et Deuarquay. Rech. expier, sur les modificat. imprimées à la
temp. animale par l'éther et par le chloroforme {Arch. gén. deméd., 1848, (1), pp. 189 et
332). — DuRET. Des contre-indications de l'anesthésie chirurgicale {Th. d'agrégat., Paris,
1880). — BuDiN et CoYNE. La pupille pendant l'anesthésie chloroformique et chloralique, et
pendant les efforts de vomissements {B. B., 1873, pp. 21-27). — Hake. Studies on ether
and chloroform, from Prof. Schiff's physiologiccU Laboratory {Pratictioner, 1874, pp. 241^
230). — Fn. Franck. Effets des excitations des nerfs sensibles sur le cœur, la respiration et la
ciradation artérielle {Trav. du lab. de Marey, 1876, t. u, pp. 221-288). — Knoll. Uber die
Wirkung von Chloroform und Aether auf Athmung und Blutkreislauf {Ac. des se. de Vienne.
Se. médic, 1879, pp. 223-232). — Lacassagne. Des j)hénoménes psychologiques avant, pendant
et après l'anesthésie provoquée {Mém. de l'Ac. de méd. Paris, 1869, pp. 1-72). — Pinoux. Mê)ne
sujet {Un. médic, 1869, pp. 13, 29). — Ranke. Wirkungsweise der Anaesthaetica (C. W.,
1867, pp. 209-213; et 1877, pp. 009-614). — Schife. Délie differenze fra lanestesia prodotta
dall etere e quella prodotta dal cloroformio {Imparziale, 1874, p. 163). — Vierordt. Die
Spannung, des Arterienblutes in der Ether und Chloroformnarkose {Arch. f. physiol. Heil-
kiinde, 1830, pp. 269-274). — Wittmeyer. Uber Anaesthesie {Deutsche Klinik, 1862, pp.
188, 193, 206, 237, 266, 293, 308). — Pinard. De l'action coinparée du chloroforme, du
chloral, de l'opium et de la morphine chez la femme en travail {Th. d'agrégat. Paris, 1878).
— Bruns.. Zmc Aethernarkose {D. med. Woch., 1894, t. xxxi, pp. 1147-1149). — Holz. Ver-
halten der Pulsioelle in der. Aether und Chloroformnarkose {Beitr. zur klin. Chir.,t. vu, p. 43).
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form commission {Brit. mcd.Journ., (1), 1893, pp. 103, 164, 222). — Olivier et Garrett. An
analysis of thegases of the bloodduring chloroform, ether, bichloride of méthylène andnitrous
oxide anaesthaesia {Lancel,A8SS, (2), pp. 625-627). — \)u}iom. Vei'antwortlichkeit des Arztes
bei der Chlonform und Aethernakose {Festchr. z. Jubilaeum v. Theod. Kocher, 1891, pp.
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CH. RICHET.
ANGÉLIQUE (Essence d') [C^H^O]. — L'essence d'angélique pos-
sède les propriétés générales des essences; elle est probablement isomère de l'essence de
camomille. Elle a été étudiée au point de vue physiologique par Cadéac et Meunier
(B. d'hygiène, janvier 1891). A faible dose, c'est un stimulant psychique et physique. A
dose plus forte elle amène l'ivresse et le coma. Fn somme son action est identique à
celle des autres essences. Elle entre dans la composition de l'eau de mélisse.
ANHALONINE. — Alcaloïde contenu dans Anhalonium Lewinii, cactée du
Mexique. Lewin en a fait extraire par Mercr deux alcaloïdes qui paraissent identiques,
et qui cristallisent en aiguilles blanches, sous la forme de chlorhydrate soluble dans
l'eau bouillante et l'alcool (A. P. P. ,'1894, t. xxxiv, p. 373). Le chlorhydrate d'anhalonine
(C'-H'°AzO''HCl;, à la dose de 0S'',01 augmente l'excitabilité réflexe des grenouilles et
peut même provoquer une sorte de tétanos, analogue à celui de la strychnine. Les
mêmes effets strychnisants ont été observés sur des lapins, à la dose de Q^',2. par kil.
Pour Hefter(A. P. P., 1894, t. ssxiv, p. 8'2.),YAyihalonium Lewinii contiendTa.it trois alca-
loïdes; les deux qui peuvent cristalliser provoqueraient une paralysie centrale, mais non
une augmentation de l'excitabilité réflexe. C'est l'alcaloïde amorphe qui aurait seul cet
effet.
CH. R.
ANILINE. ■ — Notions chimiques. — L'aniline est devenue la matière pre-
mière d'une très grande industrie, et la fabrication des couleurs qui en dérivent a pris
ANILINE. 351
une extension de plus en plus considérable. Les ouvriers employés à cette industrie
peuvent être exposés à de grav-es accidenls, qu'il est du dsvoir du médecin de connaître.
A ce titre déjà, cette substance mérite d'être l'objet d'une étude particulière. A un point
de vue plus général, les troubles variés qu'elle détermine sur le sang, sur la tem-
pérature du corps, sur le système nerveux, prêtent à des considérations théoriques in-
téressantes pour la physiologie palhologique.
L'aniline a été signalée pour la première fois en 1826 par le chimiste suédois Unver-
DORBEN, parmi les produits de la distillation sèche de l'indigo. Son nom, qui lui a été
donné par Fritsche, vient d'anil, nom portugais de l'indigo. Zixix a indiqué un remar-
quable procédé de production de ce corps, qui consiste à traiter la nitro-benzine par les
agents réducteurs. Hofmann lui a donné le nom de phénylamine. On peut, en effet, la
ranger dans la classe des aminés aromatiques.
/H
Az — H
\ cens
Le radical positif monovalent substitué à un atome d'H d'AzH^ est emprunté au phé-
nol C^H^OH, de sorte que, traitée par l'acide azoteux, l'aniline produit le phénol :
CeH«AzH2 4- AzO^H = C0H5OH + Az' + H^O.
Cependant les corps qu'on a appelés aminés aromatiques se distinguent par un certain
nombre de caractères importants des aminés grasses. Leurs propriétés basiques sont
bien plus faibles que celles de ces dernières, de sorte que leurs sels sont instables, et se
dissocient avec la plus grande facilité. Aussi Griess a-t-il proposé pour l'aniline le nom
d'amido-benzol.
L'aniline se prépare industriellement en soumettant la nitrobenzine à l'action ré-
ductrice d'un mélange d'acide acétique et de limaille de fer (procédé de Béchamp) : à
l'acide acétique trop coûteux, on substitue souvent maintenant l'acide chlorlydrique.
Elle se présente sous la forme d'une huile incolore, d'odeur particulière, très réfrin-
gente, d'une densitéde 1,036 à 0° et del,024à 17°. Elle bout à ISS"?, se prend à basse
température en masse cristalline; impure, elle reste encore liquide à — 20°. Elle est
soluble à 12° dans 31 parties d'eau; elle est fort soluble dans l'alcool, l'éther, les car-
bures d'hydrogène. Elle dissout le souffre, le phosphore, l'indigo, les résines, le cam-
phre. Sa réaction est très faiblement alcaline : elle ne bleuit pas le papier de tournesol,
ne brunit pas la teinture de curcuma, mais fait passer au vert la teinture de dahlia. Avec
le chlorure de chaux et les hypochlorites, elle se colore en violet pourpre ;cette réac-
tion est très sensible. Si l'on agite la solution pourpre avec de l'éther, celui-ci s'empare
d'une belle matière colorante rouge, tandis que la liqueur reste bleue. Lorsqu'à une
solution aqueuse d'aniline, on ajoute une trace de chlorure de chaux, jusqu'à ce que la
teinte violette commence à être à peine visible, puis quelques gouttes de sulfhydrate
d'ammoniaque, la liqueur prend une teinte rose, sensible même avec 1 230000 d'aniline
(Gautier). Avec le bichromate de potassium et l'acide sulfurique, l'aniline donne une
coloration bleue. Elle coagule l'albumine.
L'aniline dite poiir ronge est un mélange d'aniline et des deux toluidines, ortho et
para, avec très peu de xylidine. Elle renferme 10 à 20 p. 100 d'aniline, 2o p. 100 de para-
toluidine, 30 à 40 p. 100 d'orthotoluidine.
Les sels d'aniline sont presque tous cristallisables et solubles dans l'eau et l'alcool;
ils sont incolores à l'état de pureté, mais ils rougissent un peu à l'air. Ils donnent avec
une solution aqueuse d'acide chromigue une coloration verte, bleue ou noire suivant la
concentration de la solution; avec le chlorure de chaux ils se colorent en bleu, comme
l'aniline, mais la réaction n'est pas durable; additionnés d'acide chlorhydrique, ils co- -
lorent en jaune intense les copeaux de bois de sapin et la moelle de sureau. Nous ne citons
ici que les réactions les plus usuelles.
Les selsles plus usités sont le chlorhydrate (G^H'Az, HGI), le sulfate (C^H'Az, SO'*H')
neutre, le nitrate, l'oxalate neutre.
Physiologie pathologique. — 1° Historique. — Les premières recherches relatives à
l'influence de l'aniline sur l'économie animale ont été faites par Woehler et Frerichs,
qui, d'après des expériences pratiquées sur dés chiens, ont trouvé que cette substance n'est
552 ANILINE.
pas toxique et qu'elle ne passe pas dans l'urine {Annal, der Chemie und Pharmacie, t. liv,
p. 343). Cependant Hoffmann reconnaît que, « sans être absolument vénéneuse » l'aniline
exerce des effets nuisibles sur l'écojiomie. Un demi-gramme de la substance diluée
dans trois fois son poids d'ea\i, injecté dans l'œsophage d'un lapin, provoqua de vio-
lentes convulsions cloniques, donll'animalne s'était pas encore remis au bout de 24 heures.
On ne trouva pas l'aniline dans l'urine d'un chien auquel elle avait été administrée [Eand-
worterb. der Chemie de Liebig, Poggendorff et Woehler, SuppL, 1830, p. 239). Ru.nge
mentionne que les sangsues meurent lorsqu'on les plonge dans une solution d'aniline.
ScHUCHARDT le premier a fait une série d'e.xpériences méthodiques sur les propriétés'
toxiques de cette substance, et arrive aux conclusions suivantes. Les lapins meurent très
rapidement si on leur donne par la bouche une quantité suffisante d'aniline : il en est
de même pour les grenouilles : celles-ci succombent également si on leur injecte trois
gouttes de la substance sous la peau, ou si on les plonge dans une solution diluée d'ani-
line. Chez tous les animaux il se produit, peu après l'intoxication, des convulsions clo-
niques et toniques; plus tard la sensibilité diminue, d'abord dans les extrémités posté-
rieures, puis dans tout le reste du corps, et finit par disparaître entièrement, surtout dans
le train postérieur. L'abaissement de la température est un phénomène constant. L'ani-
line produit une action irritante locale sur les parties avec lesquelles elle est en contact;
muqueuses de l'estomac, de la langue, conjonctive. L'aniline ne peut être trouvée dans
l'urine : il semble qu'elle s'élimine parles voies respiratoires (A. V., 1861, t. xx, p. 438).
A partir de cette époque, des observations d'empoisonnements professionnels ou autres
ont été publiées, quoique relativement peu nombreuses. Les principales sont celles de
Knaggs {Medic. Times (nul Gaz., 1862, t. i, p. 383) et Morel Mackenzie {Ibid., t. i, p. 239),
celles plus récentes de Merklen {France médicale, 1880, o décembre), de Fr. Muller
{Deutsche med. Wockenschr., n" 2, 1887, p. 27), de Herczel {Wien. med. Wochenschr., 1887,
n"" 31, 32 et 33), de Dehio {Berl. klin. Wochenschr., n" i, p. 11).
D'autre part différents auteurs ont tracé le tableau des accidents qui se manifestent
chez les ouvriers employés à l'industrie de l'aniline. Citons en particulier Chahvet(D. P.,
1863 et Ann. d'hygiène, 1863, t. xs, p. 281), Kreuzeb {Rev. de thérap. méd. et chirurg., 1864,
t. sxxi, p. 349), Sonnenkalb [Anilin und Anilen farben in toœicol. Beziehung, Leipzig, 1864),
Jdles Bergeron {Ballet, de l'Académie de médec, 1855, t. xx, p. 327), Chevallier {Annal,
d'hyg., 2™= série, 1863, t. xxiv, p. 374), Grandhomme {Vierteljàhrs. f. gerich. Med. u. ceff.
Sanit,, 1879, t. x.xxi, p. 390, analysé dans R. S. M., t. xvi, p. 97). Mais il faut remarquer que
les accidents observés dans l'industrie ne sont pas toujours imputables à l'aniline elle-
même. C'est ainsi que, dans la « Relation d'une épidémie qui a sévi parmi les ouvriers de
la fabrique de fuchsine de Pierre-bénite », Charvet n'hésite pas à les attribuer à l'action
de l'arsenic qui, à l'état d'acide arsenique, servait à oxyder l'aniline dans la fabrication de
la fuchsine. D'autre part, outre que, dans l'industrie, les effets de l'aniline se compliquent
souvent de ceux de la nitro-benzine, le tableau des accidents observés n'est en général
pas assez caractéristique pour donner une idée bien nette de ce qu'est l'intoxication par
l'aniline. Aussi vaut-il mieux baser l'étude des effets physiologiques de cette substance sur
les faits expérimentaux, ainsi que sur certaines observations cliniques dans lesquelles les
phénomènes ont été très prononcés et minutieusement observés.
Après ScHucHAHD, l'étude expérimentale de l'aniline a été faite particulièrement par
TuRNBDLL {On the Physiol. and Med. Propert. of Anilin, Lancet, 1861, (2), p. 469), Leteeby {On
the physiolog. Propert. of Nitrobenzin and Anilin, British med. Journ., 1863, (2), p. 530),
AuG. Ollivier et Georges Bergeron (JowrnfiZ de la Physiol., t. vi, p. 268), Filehne {Ub. die
Wirk. des Nitrobenz. u. des Anilin, 1876, Sitzungsber- der Erlanger Gesellsch., analysé in
Jahresber. de VmcHowet Hirsch, 1877), Leloir(B. B., 1S79, p. 313 et 341), Wehtmeimer et
Meyer (B. B., déc. 1888 et janvier 1889). Les résultats de ces dernières expériences ont été
exposés avec plus de détails dans la thèse de Wallez {Recherches expérimentales sur
quelques effets physiologiques et toxiques de l'aniline et destohiidines. Th. de Lille, 1889)
à laquelle j'emprunte en grande partie la matière de cet article.
Je ne m'occuperai d'ailleurs ici que de l'aniline, renvoyant à l'article Fuchsine pour
tout ce qui concerne les couleurs dérivées de l'aniline.
Action sur le sang. — Dès les premières recherches faites pour étudier les effets
ANILINE. 553
de l'aniline, les expérimentateurs furent frappés de l'action exercée par cetle substance
sur le liquide sanguin. On remarqua tout d'aliord la coloration particulière qu'il prend
dans cette intoxication. Dans le compte rendu de leurs expériences, Ollivier et
Bergeeon disent qu'il est profondément altéré, brun poisseux, non coagulé et qu'il ne
devient plTis rutilant quand on le laisse sous une cloche remplie d'oxygène. I.eloir a
insisté tout spécialement sur la coloration goudron ou sépia que prend le sang, et il fait
remarquer que le battage à l'air ne lui rend pas son aspect normal. Lors de la commu-
nication de Leloir à la Société de Biologie, Quinquaud fît observer que, dans l'em-
poisonnement par l'aniline, l'hémoglobine avait beaucoup diminué et qu'une partie
était incapable d'absorijer l'oxygène. Chez l'homme, dit-il, on constate dans le
sang une diminution d'hémoglobine, et une portion de l'hémoglobine est devenue
inerte.
Tous ces faits sont parfaitement exacts; mais cette portion inerte, que représente-t-elle?
On trouve déjà dans Starkow l'indication d'un caractère spectroscopique du sang bien
observé, mais mal interprété. Pour l'aniline en nature, cet auteur dit qu'elle détruit lés
globules à la façon de l'hydrogène arsénié ou phosphore; mais le sulfate d'aniline don-
nerait toujours sans exception la bande de l'hématine acide, aussi bien sur l'animal
vivant qu'en dehors de l'organisme. Cette bande de l'hématine, Starkow la décrit sur les
limites du rouge et de l'orangé et au voisinage de la raie C de Frauenhofer. Starkow a
évidemment vu la bande de la méthémoglobine, mais il l'a attribuée à l'hémaLine acide.
En effet la modilicatiou la plus caractéristique qu'éprouve le sang lorsqu'on injecte à
un animal du sel d'aniline, c'est la transformation d'une partie de l'hémoglobine en
méthémoglobine, qui donne à ce liquide sa coloration spéciale. Comme la méthémoglo-
bine est incapable d'absorber de l'oxygène, on voit immédiatement quelles sont les
conséquences de cette modification de la matière colorante du sang au point de vue des
échanges respiratoires.
Bien que nous n'ayons pas ici à nous occuper du spectre propre à la méthémoglobine
(voy. ce mot), disons cependant que ce qui la caractérise au point de vue pratique, c'est
la présence d'une bande dans le rouge entre C et D ; elle a bien encore d'autres bandes
qui lui sont propres, mais elles se confondent avec celles de l'oxyhémoglobine, et, comme
l'examen spectroscopique porte sur le sang en nature, c'est-à-dire sur un mélange d'oxy-
et de méthémoglobine, on se borne à rechercher la bande dans le rouge qui est suffi-
samment caractéristique. Pour éviter la confusion faite par Starkow entre cette bande
et celle de l'hématine acide, il suffit de recourir aux moyens suivants : s'il s'agit de la
méthémoglobine, l'addition de sulfure ammonique donne le spectre de l'hémoglobine
réduite: avec l'hématine le même réactif donne les deux bandes de l'hémochromogène,
dont l'une plus foncée occupe une portion intermédiaire entre la bande I et II de l'oxyhé-
moglobine, tandis que la seconde est plus à droite que cette bande IL
P. MuLLER, en retirant par une piqûre au doigt un peu de sang à la malade qui fait le
sujet de son observation, a trouvé au spectroscope la bande dans le rouge.
Wertheijier et Meyer ont cherché à déterminer le moment de l'apparition de la
méthémoglobine sous l'influence du chlorhydrate d'aniline. En injectant ce sel à la dose
de 30 centigr. par kilogr., ils ont trouvé la bande dans le rouge de une à trois minutes
après rinjectioii. Leloir avait déjà remarqué que, si l'on injecte 1^"', 50 de chlorhydrate
d'aniline dans la saphène d'un chien, le sang carotidien présente, une minute après
l'injection, une coloration d'un brun violacé. Cette coloration étant précisément la consé-
quence de la formation de la méthémoglobine, ces résultats sont bien concordants. Dans
nos expériences in vitro, nous avons trouvé la bande de la méthémoglobine manifeste
de la 7' à la 9= minute.
La transformation de la méthémoglobine a pour conséquence forcée la diminution
de la quantité d'oxygène du sang. Un chien de 4'''', 600 par exemple, avait normalement
18,1 p. 100 d'oxygène : une heure après l'injection de ls>-,3o de chlorhydrate d'aniline, la
proportion de ce gaz était tombée à 5,7 p. 100.
Non seulement le chiffre d'oxygène baisse notablement après l'injection intra-veineuse
d'un sel d'aniline, mais la plus grande partie de la matière colorante du sang est devenue
incapable de fixer de l'oxygène, ou en d'autres termes la capacité respiratoire est nota-
blement réduite. C'est ainsi que le sang d'un chien fixait normalement 23,1 p. 100 d'O,
554 ANILINE.
lorsqu'il était agité pendant plusieurs minutes dans un flacon rempli de ce gaz; une
heure après rmjection dans la veine fémorale de 30 centigr. de chlorhydrate d'ani-
line (par kilogramme), il n'en fixait plus que 7,3 p. iOO. Dans les expériences in vitro
la capacité respiratoire est tombée de 22,7 à 10,3 quand on mélangeait, par exemple,
30 centimètres cubes de sang avec 0,25 gramme de chlorhydrate d'aniline et qu'on les
laissait à l'étuve à 38° o pendant une heure.
Mêmes résultats quand c'est l'aniline elle-même que l'on employait, en l'introduisant
dans l'estomac par une sonde œsophagienne : 5 heures après l'administration de la
substance toxique (20 centigrammes par kilogrammme) la capacité respiratoire était tombée
de 23,9 à 7,1.
La formation de la méthémoglobine s'accompagne de la destruction des globules
rouges et d'une diminution considérable de leur nombre. Herczel a vu, dans des expé-
riences m î)iJro, qu'une solution de chlorydrate d'aniline à 0,60 p. 100, excessivement diluée,
ne laisse persister que le stroma des globules rouges absolument décolorés. Dans un cas
d'intoxication observé par cet auteur chez l'homme, le nombre des corpuscules était
tombé à 1 230000 par millimètre cube après absorption d'environ un gramme d'aniline.
De plus Hkrczel trouva encore au microscope beaucoup de globules rouges décolorés, les
globules blancs devenus plus nombreux, de la microcytose et de la poikylocytose.
Dehio, dans l'observation dont il sera encore question plus loin, n'a plus compté chez
sa malade, sept jours après l'ingestion de la substance toxique, que 2700000 globules
par millimètre cube, et le onzième jour 1 400000 seulenlent : il ne restait donc plus à ce
moment que le quart environ de ces éléments. Dehio signale aussi toutes les altérations
microscopiques observées par Hehczel. En outre les globules rouges paraissent se
reformer très lentement: dans le cas de Dehio leur nombre était encore, le dix-huitième
jour, d'un tiers au-dessous de la normale.
On comprend combien cette atteinte portée à la constitution du liquide sanguin doit
réagir sur l'ensemble de la nutrition: de là, la faiblesse profonde, la prostration, la
pâleur cadavérique (Dehio) qui, dans certains cas, persistent plusieurs jours après l'empoi-
sonnement. Les échanges nutritifs sont à tel point influencés qu'au bout de 19 jours, dans
le cas de Dehio, la quantité d'urée et d'acide urique de l'urine était encore réduite à la
moitié de sa valeur normale.
Pour terminer ce qui a trait aux modifications du sang, il reste encore à signaler la
présence de l'aniline en nature, constatée par Aug. Ollivier et G. Bergeron dans leurs
expériences sur les animaux, par Dragendorff chez la malade de Dehio. Enfin, contrai-
rement à ce qu'ont avancé Ollivier et G. Bergeron, le sang reste coagulable.
Action de l'aniline sur quelques sécrétions. — L'altération et la destruction des
hématies ont des effets très remarquables sur la sécrétion de la bile et de l'urine, indé-
pendamment de ceux qui résultent de l'élimination de la substance toxique par ce der-
nier liquide. A la suite de l'absorption de l'aniline on observe en effet : 1° le passage de
la matière colorante biliaire dans l'urine, et l'ictère; 2° dans certains cas, de l'hémoglo-
binurie : 3° souvent aussi le passage de la matière colorante du sang dans la bile, ou
hémoglobinocholie.
Dans les expériences faites en collaboration avec Meyer, ce qui a appelé notre
attention sur l'ictère, c'est la coloration jaune citron que présentait le tissu adipeux des
animaux mis en expérience qui avaient survécu pendant quelque temps. Chez des
chiens qui avaient reçu de 30 à 40 centigrammes de chlorhydrate d'aniline, nous avons pu
alors déceler la présence des pigments bihaires dans l'urine, au bout de 36 à 48 heures,
soit par le procédé d'HupPERT, soit par celui de Salkov^ski, et suivre pendant plusieurs
jours leur élimination par l'urine.
Avant nous Dehio avait signalé l'ictère chez la femme empoisonnée par l'aniline qui
fait le sujet de son observation : 21 heures après l'ingestion d'aniline la réaction de
Gmelin indiquait déjà la présence des matières colorantes de la bile : au bout de 30
heures s'est manifestée la coloration jaune des téguments et de la sclérotique. L'ictère
devint de plus eu plus intense jusqu'au 5" jour, puis disparut peu à peu vers le 9°.
L'apparition de l'ictère n'a d'ailleurs rien qui doive surprendre; ce symptôme suit de
près, on peut dire constamment, l'absorption des substances qui détruisent les hématies.
Il y a quelques années on lui attribuait habituellement une origine hématogène : on ad-
ANILINE. 355
mettait une transformation directe dans le sang de l'hémoglobine en matière colorante
biliaire qui passait ensuite directement dans l'urine. DœjDuis les recherches d'ApANAsiEw et
de Stadelmann, l'ojîinion contraire a prévalu; l'ictère serait d'origine hépatogène, c'est-
à-dire que l'hémoglobine mise en liberté dans le plasma est élaborée en plus grande quan-
tité dans le foie, d'où production plus abondante de pigments biliaires. Ceux-ci passeraient
aussi dans l'urine, non seulement parce qu'ils sont formés en abondance, parce qu'il y a
polycholie, mais encore parce que le produit de sécrétion visqueux et épaissi obstruerait
les capillaires biliaires. Ces conditions réunies amèneraient finalement un ictère par
résorption. En est-il de même avec l'aniline"? On peut l'admettre par analogie, mais nous
n'en n'avons pas fourni dans nos expériences la preuve directe, qui serait la présence
des acides biliaires dans l'urine en même temps que celle des pigments.
Nous avons aussi nettement constaté à plusieurs reprises dans l'urine ictérique du chien
la raie de l'urohiline.
Il semblerait que l'hémoglobinurie, plus encore que l'ictère, dût être une con séquence
constante de la destruction des globules. Il y a de l'oxyhémoglobine ou de la méthémo-
globine en liberté dans le plasma : on s'attendrait donc à la voir passer dans l'urine ;
mais il n'est pas toujours ainsi, du moins chez le chien.
Il faut sans doute que la proportion de matière colorante devenue libre ait atteint un
certain taux pour apparaître dans l'urine; toujours est-il que, sous l'influence de l'ani-
line, l'hémoglobinurie n'est pas constante. Pour l'obtenir il faut des doses plus fortes que
pour obtenir l'ictère. A la suite des injections intra-veineuses on l'observe plus souvent
que lorsque la substance est ingérée par voie buccale. Peut-être aussi, dans l'intoxica-
tion par l'aniline, quand l'oxyhémoglobine n'existe qu'en très faible quantité dans l'urine,
est-on exposé à ne pas l'apercevoir au spectroscope à cause de la coloration très foncée
de l'urine : cependant il est à noter que, dans leurs expériences sur la toluyléndiamine,
Afanasew et Stadelmann ont rarement observé l'hémoglobinurie chez le chien, tandis que,
chez le chat, elle était la règle.
Ces différences tiennent à l'organisation particulière à chaque animal. Chez les uns,
comme le chien, le foie et peut-être la rate arriveraient à transformer toute l'hémoglobine
mise en liberté, tandis que chez les autres ces organes ne suffiraient pas à la besogne (?).
C'est généralement du 4<= au 5'= jour que nous avons vu apparaître l'hémoglobine dans
l'urine.
Il est à remarquer que, toutes les fois que nous avons pu examiner l'urine fraîche ou
recueillie directement dans la vessie, c'est l'oxyhémoglobine qui a été trouvée : quand, au
contraire, le liquide avait séjourné pendant quelque temps à l'air, la raie de la méthémo-
globine se montrait. Il est d'autant plus utile de signaler ce point que Hoppe-Seyler, dont
l'autorité est si grande en ces matières, soutient que dans l'hémoglobinurie c'est toujours
de la méthémoglobine que l'on rencontre dans l'urine.
Chez l'homme, Dehio est le premier, et je crois aussi le seul, qui ait jusqu'à présent
mentionné l'hémoglobinurie comme symptôme possible de l'intoxication par l'aniline.
Elle se manifesta le 1" jour après l'ingestion de la substance toxique, et dura trois jours.
Dehio, qui a examiné également l'urine au sortir de la vessie, n'a signalé que la présence
de l'oxyhémoglobine, et non celle de la méthémoglobine. Il faut ajouter cependant que
Herczel a provoqué l'hémoglobinurie chez des animaux en leur injectant de l'acétanilide.
L'urine ne renferme habituellement ni albumine ni sucre; cependant, dans une observa-
tion de Merklen, il est dit ([u'elle était albumineuse.
Chez les chiens, outre l'activité plus grande de la sécrétion biliaire dont il a déjà été ques-
tion, nous avons observé un fait d'un grand intérêt pour la physiologie du foie, c'est, dans
certains cas, le passage soit de l'oxyhémoglobine, soit de l'hématine dans la bile chez les
animaux intoxiqués par l'aniline, alors que l'urine ne renfermait pas ces substances. On
trouve dans ce phénomène une preuve bien frappante de l'affinité élective des cellules
hépatiques pour la matière colorante du sang. Celle-ci une fois mise en liberté sous l'in-
fluence de la substance toxique, les éléments du parenchyme hépatique s'en emparent,
seulement ils en incorporent une quantité trop considérable pour pouvoir la transfor-
mer totalement en bihrubine, et une partie de l'hémoglobine est alors rejetée à l'état
naturel par les voies d'excrétion de la bile.
Du côté des glandes salivaires on observe une hypersécrétion abondante, après l'in-
556 ANILINE.
jection des sels d'aniline : cliez l'homme on a noté également une sudation généralisée.
Action de l'aniline sur la température. — L'aniline fait baisser très notable-
ment la température du corps, ainsi que l'avait déjà remarqué Scïïuchard. Dans l'obser-
vation de Herczél, elle est tombée de 39°5 à 34''2; dans celle de Dehio, de 36''9 à 3o°7, dans
le courant des 24 heures qui suivirent l'intoxication : mais le lendemain elle était déjà
revenue à 37°. Chez les chiens qui recevaient une dose relativement élevée de l'agent
toxique, nous avons vu toujours un abaissement de température très marqué. Ainsi un
animal pesant 4'''i,700, ayant reçu, à 10 h. 30, ie"',88 de chlorhydrate d'aniline' et dont
la température rectale était de 80''6, avait à 6 h. 30 du soir 33° 5 : un autre, du poids de
4 kilos, et dont la température normale était de 39°1, aj'ant reçu dans l'estomac 0,20
d'aniline par kilo, avait au bout de 5 heures 33°, 2 : plus tard encore la température
descend à 29°8 et même à 20°.
Il paraît rationnel de rattacher cet abaissement de tempéi'ature à l'altération même
du sang; plus la destruction des globules rouges et la production de méthémoglobine sont
considérables, plus les combustions doivent se ralentir et la température diminuer : tou-
jours est-il que, dans les expériences comparatives faites avec des substances homologues
de l'aniline, nous avons trouvé que pour chacune d'elles l'abaissement de la tempéra-
ture était proportionnel à celui de la capacité respiratoire.
Cependant d'autres auteurs invoquent dans les cas de ce genre une action directe de
la substance toxique sur les centres nerveux : je n'ai pas à discuter ici cette question
théorique.
Action de l'aniline sur le système nerveux. — La physionon^ie des troubles
occasionnés par l'aniline du côté du système nerveux varie selon qu'elle a été administrée
par voie buccale ou par injection intra-veineuse.
Leloir a parfaitement décrit les phénomènes qui s'observent à la suite de l'injection
intra-veineuse du chlorhydrate d'aniline. Il se produit, presque aussitôt l'injection faite,
deux ou trois fortes inspirations, presque en même temps opistothonos avec raideur des
membres; cris ou gémissements, puis convulsions cloniques, secousses de tout le tronc
survenant environ toutes les minutes; les convulsions cloniques durent environ une
demi-heure. « En même temps salivation très abondante qui ne se produit pas si on
sectionne les nerfs glandulaires, et dilatation pupillaire : puis survient une perte presque
complète du mouvement volontaire, trémulation générale, agitation convulsive, presque
continue, des membres. »
Nous avons souvent observé ces accidents, tels qu'ils ont été décrits par Leloir : dans
l'intoxication par le chlorhydrate d'aniline en injection intra-veineuse, ces attaques
épileptiformes sont tout à fait caractéristiques.
Quel est le mécanisme de ces troubles nerveux? Leloir a admis, comme l'avaient
déjà fait antérieurement A. Ollivier et G. Bergeron, qu'ils sont dus à l'altération du sang.
Le poison agit primitivement sur le liquide en le rendant impropre à la respiration, tous
les phénomènes produits proviennent de cette altération qui se fait avec une extrême
rapidité. Cette opinion est, sans doute, très fondée; mais elle n'est pas adoptée par tous
les expérimentateurs.
On a pensé que l'aniline agit directement sur le système nerveux. Dans le traité de
ZiEMSSEN, Bœhm soutient cette manière de voir. « L'opinion d'auteurs français, d'après
laquelle les symptômes d'empoisonnement sont dus à l'altération du sang, et non pas à
une action directe sur les centres nerveux, n'a pas été coufirmée. Les observations sur
lesquelles cette hypothèse s'appuyait, à savoir le défaut de coagulation du sang et les
altérations particulières des globules rouges, ont été reconnues fausses >■■. Il est vrai que
le sang continue à se coaguler dans l'intoxication par l'aniline; mais personne ne
mettra plus en doute aujourd'hui les altérations des hématies. Nous avons constaté
pour notre part que, parmi les substances étudiées comparativement à l'aniline, celles
qui agissent le plus énergiquement sur les globules sont aussi celles qui amènent les
troubles, nerveux les plus considérables. Cependant rien n'autorise à nier l'influence
directe de ces substances toxiques sur l'élément nerveux. .
Quoi qu'il en soit, l'excitation consécutive à leur introduction dans l'organisme ne
porte pas sur un centre particulier, mais bien sur l'ensemble du système nerveux. Les
convulsions se produisent encore dans le tronc et dans les membres, si l'on pratique la
ANILiNE. 837
section sous-bulbaire de la moelle. La tête et le reste du corps exécutent alors leurs
mouvements convulsifs isolément. J'ai même vu dans ces conditions les injections de
chlorhydrate d'aniline réveiller l'ex'citabilité des centres médullaires respiratoires, si on
laisse un certain intervalle entre la section de la moelle et l'injection du sel.
Les phénomènes d'excitation et les convulsions ne s'observent pas seulement chez les
animaux à température constante, mais encore chez les batraciens (Schuchaudt, A. Olli-
viER et Bergeron, Filehne). Une grenouille à laquelle nous avons injecté une dose équiva-
lente à celle que l'on donnait aux chiens, présenta les mêmes convulsions que dans l'em-
poisonnement par la strychnine. Seulement, pour peu que l'on force la dose, l'animal
est comme sidéré avant qu'elles aient pu se produire.
Si l'on fait prendre l'agent toxique par la bouche, le tableau de l'empoisonnement
n'est plus tout à fait le même. La description, en ce qui concerne l'aniline, a déjà été
donnée à plusieurs reprises, en pai'ticulier par Ollivier et Bekgehon et par Schdghardt.
Voici en résumé ce que nous avons observé dans nos expériences. Si on fait prendre à
un chien 40 centigrammes de chlorhydrate d'aniline ou 20 centigrammes d'aniline par
kilogramme, peu de temps après l'intoxication, il se produit une salivation abondante et
des frissonnements de tout le corps. Ollivier et Bergeron ont particulièrement insisté
sur ce dernier symptôme. Une à deux heures après, la marche est mal assurée, le chien
vacille sur ses pattes; il y a une diminution évidente de la motilité volontaire, qui paraît
porter plus spécialement sur les membres postérieurs. Si l'animal tombe, il agile con-
vulsivement les quatre membres et éprouve de la difficulté pour se relever. Pendant les
quelques heures suivantes le chien est abattu, ordinairement étendu, sans chercher à
faire des mouvements volontaires, mais les membres sont agités presque continuelle-
ment par des secousses rythmiques peu intenses; la respiration est irrégulière, sacca-
dée. La sensibilité est obtuse, l'animal réagit faiblement aux excitations, telles que
pincement de la peau, piqûres superficielles ou profondes.
Cet état persiste habituellement tout le temps que l'animal survit, c'est-à-dire pen-
dant 24 ou 36 heures pour la dose indiquée. Les secousses convulsives persistent dans
les membres et s'étendent souvent aux muscles de la mâchoire, de sorte que les dents
s'entrechoquent continuellement. La sensibilité générale s'émousse de plus eu plus, et
parfois l'attouchement de la cornée ne provoque plus de réflexe palpébral.
A dose un peu plus forte les mouvements convulsifs des pattes sont plus intenses et
s'étabhssent plus rapidement, mais ils n'ont jamais ce caractère de violence qu'on
observe à la suite des injections intra-veineuses.
L'aniline a été administrée aussi en vapeur à des animaux par Jules Bergeron, afin
d'imiter ce qui se passe dans les fabriques. Les effets ont été plus lents et moins nette-
ment accusés que dans les cas d'ingestion dans les voies digestives. Cependant on
obsei'va des troubles fonctionnels analogues, c'est-à-dire des phénomènes d'excitation
par l'aniline. Chez un cochon d'Inde soumis dans un espace clos à d'abondantes vapeurs
d'aniline, A. Ollivier et Georges Bergeron ont obtenu une intoxication assez prompte, avec
paraplégie, peu de mouvements convulsifs, mais une agitation continue des membres,
et la mort au bout de quelques heures.
En définitive, que le poison soit introduit dans le système circulatoire directement
par une veine, ou indirectement par les voies digestives ou respiratoires, la nature des
phénomènes ne change pas; leur ordre d'apparition et leur intensité seuls varient.
Lorsque l'aniline est injectée dans les veines, on assiste d'abord à une phase d'excita-
tion violente du système nerveux; mais à cette période en succède bientôt une autre,
caractérisée par une profonde dépression; la diminution d'excitabilité porte sans doute
à la fois sur les centres et sur le système nerveux périphérique, du moins d'après les
expériences de Winigradow et de Filehne. Ce que nous avons constaté, pour notre part,
c'est qu'à la suite des convulsions l'animal est dans un état comateux plus ou moins
complet; la sensibilité de la cornée est émoussée ou môme abolie. Si l'on pince le nerf
crural, l'animal ne réagit pas. Quand on le détache après l'injection,, ou bien il reste
couché sur le flanc, oubien, s'il essaie de marcher, il retombe à chaque instant.
Si le poison a été donné par la bouche, les troubles nerveux restent essentiellement
les mêmes; ni les signes d'excitation, ni ceux de dépression ne font défaut. Toutefois, au
lieu de passer par deux phases bien tranchées, ils coexistent : c'est ainsi que^ les
SSS ANILINE.
secousses convulsives, la trémulatiou générale s'accompagnent d'un affaiblissement de la
mobilité et de la sensibilité.
Les causes de ces différences sont faciles à saisir; si l'agent toxique est introduit
d'emblée dans les voies de la circulation, le système nerveux sera troublé brusquement
dans son fonctionnement, et par suite de l'altération profonde du sang et sans doute
aussi par l'action directe d'une dose massive de poison. De là une réaction violente dont
la conséquence forcée sera un épuisement plus ou moins prolongé, indépendamment
même de l'action dépressive du poison. L'absorption se fait-elle au contraire par les
voies digeslives, les éléments nerveux ne seront atteints que lentement et progressive-
ment dans leurs différentes propriétés.
Il reste encore à établir un parallèle entre les accidents nerveux de l'empoisonnement
par l'aniline, tels qu'ils ont été décrits cbez l'bomme et ceux qui ont été constatés chez
les animaux. Il est facile de prévoir que, dans les observations médicales, la physiono-
mie de l'intosicalion ressemblera plutôt à celle qu'elle présente chez les animaux
empoisonnés par voie buccale, qu'à celle de l'empoisonnement par injection intra-
veineuse.
Chez l'homme, dans les différents cas publiés, l'absorption se fait, en effet, soit par
le tube digestif, soit par les voies respiratoires, soit même par la peau, du moins par
une peau malade et atteinte de psoriasis (Lallier). Dans ces conditions diverses, la
pénétration du poison dans le sang est relativement lente et graduelle.
Dans le traité de Ziemssen', Bœhm a tracé de la façon suivante le tableau des troubles
nerveux dans l'intoxication aiguë par l'aniline. >< Les premiers symptômes consistent en
nausées, vertiges, céphalalgie; puis gêne de la respiration, (oppression, somnolence. Dans
certains cas les troubles vont en augmentant jusqu'à la perte de connaissance. Presque
tous les observateurs ont signalé des douleurs dans les membres, de la faiblesse mus-
culaire avec trémulation et de Tanesthésie cutanée. Le pouls et la respiration sont accé-
lérés au début; plus tard le pouls se ralentit et est légèrement déprimé; la respiration
devient dyspuéique. Les convulsions générales n'ont pas été observées jusqu'à présent
chez l'homme ; aucun cas mortel n'a encore été signalé. » Cependant Haeuserman'n et
ScHMiDT ont rapporté l'histoire d'un ouvrier qui, étant resté une demi-heure dans une
chaudière renfermant plusieurs quintaux d'aniline, fut pris, sans aucuns prodromes, une
heure après qu'il l'eût quittée, de vertiges et de syncopes, et succomba (Anal, in R. S. M.
1878, t, n, p. 07) : depuis lors, dans une observation de F. Moller en 1887, un autre cas
d'intoxication s'est également terminé par la mort.
On est étonné du peu de place donné dans la description de Bœhm aux symptômes d'exci-
tation, surtout si l'on a à l'esprit la physionomie de l'empoisonnement chez le chien. II est
vrai que, si l'on passe en revue les principaux cas qui ont été publiés, les convulsions font
souvent défaut, et même les phénomènes de dépression prédominent. C'est ainsi que,
dans un cas de Morell-Mackenzie, un jeune homme occupé à nettoyer une cuve remplie
précédemment d'aniline, y fut retrouvé dans un état d'insensibilité complète. Le lende-
main il y avait de la cyanose; puis les symptômes se sont dissipés peu à peu. Dans une
observation de Kxaggs, un ouvrier brisa par accident un vase contenant de l'aniline; et
ses vêtements en furent couverts. Il se mit activement à faire disparaître les traces de
l'accident qu'il voulait cacher à son patron, mais au bout d'une heure il eut des vertiges,
et le cœur lui manqua. Plus tard survint la cyanose'; la respiration devint convulsive; le
pouls, excessivement faible et irrégulier, mais l'intelligence demeura intacte. Au bout de
quelques jours, il ne ressentait plus rien. Les accidents survenus chez les malades de
Lallier ont été résumés ainsi par Leloir : « Environ une heure et demie après l'applica-
tion de compresses trempées dans une solution de chlorhydrate d'aniline : somnolence,
coma même dans un cas, dyspnée, respiration irrégulière, abaissement considérable de la
température, cyanose très prononcée de la face et des extrémités, crampes dans les
mollets, vomissements. »
Dans le cas publié récemment par Dehio en 1887, une femme récemment accouchée
dans un hôpital se procure pendant la nuit, au laboratoire de la clinique, un flacon ren-
fermant environ 10 grammes d'huile d'aniline. Elle avale ce flacon d'un trait dans l'in-
tention de se suicider. Elle se couche, mais l'attention de l'infirmière est attirée par les
plaintes de l'accouchée. L'interne appelé aussitôt lui fait absorber du lait, ce qui amène
ANILINE. 559
d'abondants vomissements. La malade est alors prise de somnolence et reste sans con-
naissance jusqu'au matin. A 9 heures du matin, elle est toujours dans le même état.
La perte de connaissance est complète; la malade est insensible aux piqûres d'épingles,
ne répond pas à l'appel de son nom, et, quand on lui introduit du liquide dans la bouche,
elle ne déglutit pas. Les pupilles sont à demi dilatées, mais réagissent sous l'influence de
la lumière. Cyanose; respiration accélérée, irrégulière; pouls faible et déprimé, entre
124 et 136. Pendant les 24 premières heures, pas de modiflcations.
Le lendemain, la malade est toujours dans la torpeur, mais les piqûres d'épingles
commencent à être ressenties et provoquent quelques mouvements réflexes. Le 3"= jour
au matin, la connaissance est complètement revenue. Les jours suivants, on ne trouve
plus à signaler parmi les symptômes qui nous occupent que de la céphalalgie, des
douleurs à l'épigastre et de la rétention d'urine. Cette malade, qui présentait, comme
nous l'avons dit, de l'ictère et de l'hémoglobinurie, mit quelques semaines à se
rétablir.
Dans l'observation de F. Muller, les conditions étiologiques sont les mêmes que dans
l'observation précédente. C'est encore une malade qui, pour attenter à ses jours, s'empare
d'un flacon d'aniline du laboratoire et en absorbe environ io centimètres cubes. Elle est
retrouvée le matin dans un état de coma complet, elle a beaucoup vomi. Respiration
accélérée (30) et pénible ; pouls, 80 à 88. Le réflexe rotulien persiste, la malade ne réagit
contre les excitations intenses que par des gémissements. Cyanose, abaissement de la
température. Cet état resta le même jusqu'au lendemain matin 7 heures. La malade
mourut sans qu'il survînt de convulsions.
Quand on a parcouru ces difîérentes observations, on n'est plus étonné que les auteurs
qui se sont occupés de cette question, en particulier Herczel, aient insisté sur l'action
dépressive de l'aniline.
Rappelant les expériences de Leloih, l'auteur allemand prétend que les convulsions
n'appartiennent qu'aux intoxications par injection intra-veineuse. Cette opinion est
erronée : la littérature médicale renferme des cas où les accidents ressemblent entiè-
rement à ceux que l'on produit chez les animaux. Ainsi, lors de la communication de
Leloir, Laborde fit observer que, dans les fabriques d'aniline, les ouvriers sont sujets
aux convulsions épileptiformes. C'est également ce qui ressort de la description, donnée
par Bergeron, des accidents observés dans les ateliers.
« Un ouvrier se sent abattu, somnolent; sa face se congestionne; sa démarche devient
incertaine et vacillante comme celle d'un homme ivre. Puis il tombe subitement dans un
état demi-comateux ; semblable à une masse inerte, il fait à peine quelques mouvements
automatiques du tronc et des membres. La respiration est pénible, irrégulière. Au bout
d'une heure, parfois plus, l'intelligence se réveille, et il ne reste plus de cette crise qu'un
sentiment de fatigue générale et un irrésistible besoin de sommeil.
« Chez un autre, l'état comateux se complique de véritables convulsions épileptiformes
des membres, de contractures tétaniques des muscles de la région cervicale postérieure,
alternant avec des accès de délire et un tremblement général. Les mouvements respi-
ratoires sont irréguliers, la peau est froide et insensible. Les battements du cœur, fré-
quents au début, et surtout d'une violence extrême, se ralentissent plus tard et devien-
nent irréguliers... »
Dans l'observation suivante, due à Merklen, l'analogie avec les phénomènes d'intoxi-
cation chez les animaux est encore des plus évidentes. Un homme de vingt-cinq ans
avala par erreur 100 à 120 grammes d'un mélange d'aniline et de toluidine ; au bout de
3 quarts d'heure il présenta de l'hébétude, de l'immobilité, de la stupeur. Les compa-
gnons de travail racontèrent alors au chimiste de l'établissement l'accident dont cet
ouvi-ier avait été victime; il lui administra aussitôt du tartre stibié mélangé à du
sel de Seignette; il s'ensuivit des vomissements abondants, aqueux, mélangés à une
matière colorante jaunâtre. — 20 minutes après, perte de connaissance, coma, cyanose
du visage, puis contracture des muscles de la face, rire sardonique, trismus. — Admi-
nistration d'alcool: le malade parait s'éveiller; nouveaux vomissements.
Le poison avait été bu à 8 heures du matin : à 2 heures nouvelle perte de connais-
sance, pouls faible, cyanose persistante vers 3 heures, convulsions cloniques des mem-
bres, plus de contractures. Le sujet est amené à Beaujon dans le service de Millard.
560 ANILINE.
A son entrée : coma profond, dilatation pupillaire; on retire par calhétérisme 200 gram-
mes d'urine très colorée en brun.
Pendant toute la nuit, coma extrême, et convulsions. Le matin, réveil avec céphalée;
la sensibilité est normale, sauf le voile du palais qui n'offre point de réflexe. Le malade
urine un liquide foncé, alcalin, albumineux : l'urine de la veille était acide et non albu-
mineuse. Dans l'urine du soir, on retrouva l'aniline non encore modifiée; le lendemain
matin il n'y avait plus trace de celte substance. Le sujet sort de l'hôpital au bout de
6 jours, ne conservant que sa paralysie du voile du palais (Merklen, France médicale,
5 décembre 1880).
A côté de la description de Boehsi et d'HERCZEL, il n'était pas inutile de mettre en
lumière les cas précédents. Nous devons cependant chercher à nous rendre compte de
l'absence de convulsions, de cette diminution d'excitabilité de. tout le système nerveux, si
fréquemment signalée chez l'homme et caractérisée par la perte de connaissance, le
coma, le peu d'intensité ou l'absence môme de réactions réflexes.
Une observation, faite en passant par Leloir, est très instructive sous ce rapport.
Si, au lieu d'injecter brusquement des doses fortes de sels, on fait une série d'injections
faibles, on conduit peu à peu l'animal à la mort sans convulsions. Or, quand l'aniline est
absorbée par le tube digestif ou les voies respiratoires, la pénétration progressive du
poison doit évidemment se faire bien plus lentement encore que si l'on introduit
directement, par des injections répétées, la substance toxique dans le système circula-
toire. On s'explique ainsi facilement que, dans ces conditions, les convulsions fassent
souvent défaut.
Mais, si la quantité introduite par les voies de la digestion est assez considérable pour
qu'elle soit absorbée à dose massive, les convulsions se produisent chez les animaux;
c'est ce que démontre en particulier l'observation de Mehklen. La différence ne repose
donc que dans une question de dose et de rapidité d'absorption.
Chez l'homme il sera rarement possible de déterminer la quantité de poison absorbé
à cause des vomissements spontanés qui surviennent presque constamment. De plus, la
rapidité de l'absorption dépendra de l'état de réplétion ou de vacuité du tube digestif, et
d'autres conditions accessoires qu'on ne peut préciser. De là, une différence de sympto-
matologie suivant les cas.
Quant à la perte de connaissance et à l'absence de réactions réflexes, il faut consi-
dérer que, chez l'homme, les altérations du sang troublent rapidement les fonctions
intellectuelles et sensorielles. — Il ne faut pas oublier non plus que l'aniline a réellement
sur le système nerveux une influence dépressive aussi nette que son action excitante, et
s'exercant aussi bien sur la sensibilité que le mouvement. Winigradow a particulièrement
insisté sur la diminution d'excitabilité de la moelle produite par l'aniline : d'après lui
cette substance pourrait empêcher les convulsions dues à la strychnine de se manifester.
D'après Filehne elle agirait sur les nerfs moteurs à la façon du curare, avant même
qu'elle ne paralyse les centres : si l'on injecte un sel d'aniline dans l'artère iliaque,
l'excitabilité du nerf sciatique est abolie sans qu'il y ait rigidité musculaire.
Action de l'aniline sur le cœur et la respiration. — ■ Les données que l'on
trouve à ce sujet dans les observations sont très variables: cependant le pouls est souvent
accéléré, quelquefois irrégulier, et la respiration presque toujours laborieuse.
bans les injections intra-veineuses faites chez les animaux, les muscles respiratoires
participent aux convulsions de tout le corps. Pendant la durée de l'injection il se pro-
duit souvent une augmentation de pression de 3 à 5 centimètres de mercure ou même
davantage. Puis, quand les convulsions commencent, le cœur se ralentit. Ce ralentissement
est dû à l'excitation du centre modérateur qui accompagne celle des autres centres: la
pression reste d'abord élevée, malgré la diminution de fréquence des battements du
■cœur, à cause de l'excitation simultanée du centre vaso-conslricteur; puis, quand le ralen-
tissement se prononce encore davantage, la pression baisse.
La diminution des battements du cœur va quelquefois jusqu'à l'arrêt momentané, et,
quand la crise épileptiforme a cessé, et que les mouvements respiratoires sont plutôt
ralentis, les pulsations du cœur ne reprennent qu'à chaque inspiration.
Mode d'élimination de l'aniline. — Cette substance s'élimine-t-elle en nature par
les reins? On trouve sur ce point des résultats contradictoires dans les observations elles
ANILINE. S6l
expériences. C'est ainsi que ni Schmibdeberg {Arch. f. experim. Pathol., -1878, t. vin) qui,
il est vrai, ne donnait à des chiens de 10 kilos que 0,oS à 0,94 centigr. de la substance,
ni ScHucHARDT, ni Sonnenralb, ni Lutz, d'après la communication de Leloik, n'ont pu
retrouver cette substance dans l'urine des animaux mis en expérience. Par contre,
F. MuLLER a très nettement constaté dans ce liquide la présence de l'aniline : de même
Dragendorff, qui a examiné les urines de la malade de Dehio. La différence des i-ésultats
tient sans doute à une différence de doses.
On peut, comme nous l'avons fait, retrouver l'aniline dans l'urine par le procédé sui-
vant. On concentre au bain-marie environ 50 ce. d'urine; on l'alcalinise faiblement par
la soude, puis on l'épuisé par l'éther. L'éther est évaporé, et le produit de l'évaporation
est repris par l'eau qu'on peut aciduler avec de l'acide chlorhydrique. Dans cette solution
on cherche l'aniline au moyen des réactifs caractéristiques déjà indiqués (chlorure de
chaux, bichromate de potasse et acide sulfurique, copeaux de sapin).
D'après la communication de Leloir, Lutz a trouvé que l'aniline se transforme dans
l'organisme en fuchsine. Il serait très remarquable que celle-ci pût être produite dans
l'économie par l'oxydation de l'aniline pure, alors que dans l'industrie un mélange d'ani-
line, de para et d'orthotoluidine est nécessaire.
La méthode suivie par Lutz n'a pas été indiquée par Leloir. En suivant le procédé
habituel indiqué pour la recherche de la fuchsine, nous n'avons pu trouver cette matière
colorante. L'urine était alcalinisée par quelques gouttes d'ammoniaque et agitée avec
de l'éther : l'éther était décanté, additionné d'acide acétique et évaporé en présence d'un
fil de soie blanche ou de laine blanche : l'éther et le fll sont restés incolores. Nous n'avons
pas été plus heureux en faisant prendre aux animaux, non plus l'huile ou le chlorhydrate
d'aniline, mais l'aniline pour rouge qui renferme le mélange nécessaire à la formation
de la fuchsine.
Dragendorff ne signale pas la fuchsine dans l'urine de la malade qu'il a examinée.
F. MuLLER, rappelant la note de Leloir, fait remarquer que dans son cas le liquide ne
présentait pas de raie d'absorption au spectroscope, et que, par suite, il ne devait pas
renfermer des quantités appréciables de fuchsine.
Ce qu'il y a de certain, c'est que les produits de transformation de l'aniline s'éliminent
de l'urine à l'état de dérivés sulfo-conjugués. Schmiedererg le premier a attiré l'attention
sur ce point, et a constaté chez les animaux auxquels il donnait de l'aniline que la quantité
d'acide sulfurique des sulfates diminuait, tandis que SO'H- des dérivés sulfo-conjugués
augmentait. Vers le 9" jour il ne restait presque plus de SO'*H- à l'état de sulfates, et
en même temps apparaissaient les signes d'intoxication : d'où Schuiedeberg a conclu que
la toxicité de l'aniline ne commence à se manifester que lorsque tout l'acide sulfurique
disponible a été employé à se combiner avec les dérivés de l'aniline. Aussi ajoute-t-il
qu'on pourrait peut-être recommander, dans l'empoisonnement par l'aniline, l'emploi
des sulfates alcalins solubles, comme Baumank l'a fait pour l'empoisonnement par le
phénol.
Schmiedererg se demande ensuite si l'aniline n'est pas transformée en phénol pour
former de l'acide phénolsulfurique ; mais il n'a pas constaté d'augmentation de la quantité
de phénol. Par contre, en faisant bouillir l'urine avec de l'acide chlorhydrique, puis
alcalinisant par la potasse, il a obtenu une substance basique qu'il n'a pas exactement
déterminée, mais qui probablement, d'après lui, est le paramidophénol.
Fr. Muller a plus tard nettement caractérisé la présence du paramidophénol dans
l'urine de sa malade. Il constate d'abord, comme Schmiedeberg, en traitant d'une part le
liquide par le chlorure de barium et l'acide acétique qui précipitent l'acide sulfurique
des sulfates et, d'autre part, en le faisant bouillir pendant quelques minutes avec l'acide
chlorhydrique qui dédouble, par voie d'hydratation, les dérivés sulfo-conjugués, que
l'acide sulfurique des sulfates a diminué (0,00475 pour 100 centimètres cubes d'urine)
tandis que l'acide sulfurique conjugué a augmenté (0,0761).
Il démontre la présence du paramidophénol par le procédé suivant. Une portion de
l'urine, ayant été bouillie avec de l'acide chlorhydrique, est légèrement alcalinisée par la
soude, puis agitée avec de l'éther. L'extrait élhéré évaporé est repris par de l'eau acidulée
avec de l'acide chlorhydrique. On ajoute ensuite à cette solution de l'acide phénique, on
oxyde par le perchlorure de fer, et on alcalinise par l'ammoniaque : on obtient alors une
DICT. DE physiologie. — TOME I. 36
S62 ANILINE.
belle coloration bleue. Cette réaction dénote le paramidophénol C'^H''(0H)AzH2 dérivé par
oxydation de l'aniline C^H^AzH-. En efîet un mélange de paramidophénol et d'acide
pbénique traité par un oxydant donne un composé : l'indo-phénol, rouge en solution acide,
bleu en solution alcaline.
Nous avons répété ces réactions sur l'urine de nos chiens qui avaient reçu de l'aniline
avec les mêmes résultats que F. Muller: mais, de plus, après ébuUition avec l'acide chlor-
hydrique et agitation avec l'éther, nous avons obtenu une matière colorante d'un beau
rouge dont s'emparait l'éther.
Dragendobff a également retiré, de l'urine de la malade de Dehio, une matière
rouge ressemblant comme coloration à la fuchsine, lorsqu'après ébullition avec l'acide
chlorhydrique il avait agité le liquide avec un mélange d'éther et d'alcool amylique.
Si, au contraire, l'urine bouillie avec l'acide chlorhydrique avait été alcalinisée, ce
mélange s'emparait d'une matière colorante verte qui redevenait rouge au contact de
l'air. Tl est à remarquer que, dans tous ces cas, l'éther ne se charge de matière colorante
qu'autant que les dérivés sulfo-conjugués ont été dédoublés par l'acide chlorhydrique;
c'est par conséquent sous cette forme que s'éliminent les produits de transformation de
l'aniline, indépendamment de la quantité plus ou moins grande de la substance qui
passe en nature.
De la cyanose dans rintoxication par Taniline. — Nous devons signaler
encore un symptôme qui ne manque jamais dans l'empoisonnement par l'aniline,
et auquel on a donné le nom de cyanose. Il s'agit d'une coloration particulière des
téguments, qualifiée par les uns de bleue, par les autres de gris bleu, gris de plomb,
gris ardoise. Elle est ordinairement très prononcée surtout sur les muqueuses buccale et
gingivale, sur les lèvres et les conjonctives, sur le pavillon de l'oreille, et, chez l'homme,
ordinairement sur toute la face, les mains et les pieds. Elle n'est nullement due à la stase
du sang veineux. Letheby et Turnbull ont les premiers supposé que cette prétendue
cyanose doit être atti-ibuée à une matière colorante formée dans le sang aux dépens de
l'aniline, subissant dans l'économie une modification semblable à celle qu'on lui fait subir
dans l'industrie.
Fr. Muller pense que la coloration de la peau doit être attribuée à la présence de la
mélhémoglobine dans le sang. Dragendorff se rattache à l'opinon de Turnbhll, et admet
que c'est la substance formée aux dépens de l'aniline qui s'imprègne dans les téguments;
il a en effet pu retirer du sang la même matière colorante rouge que celle de l'urine.
Il est bien probable cependant que la coloration si spéciale du sang due à la métlié-
moglobine est pour quelque chose dans la coloration du tégument.
De l'anilisme dans l'industrie. — Bien que cette question soit plutôt du ressort
de l'hygiène que de celui de la physiologie, nous devons cependant en toucher ici quel-
ques mots. A part quelques accidents graves qui paraissent avoir été Observés surtout
quand l'industrie de l'aniline était à ses débuts, l'anilisme dans les fabriques se présente
généralement sous une forme atténuée ou de moyenne intensité, et semble devenir plus
rare depuis que les précautions hygiéniques sont mieux prises.
J. Bergero-n, qui avait cependant signalé, comme on l'a vu, au nombre des symptômes,
les convulsions épileptiformes et le coma, a déjà insisté sur l'évolution habituellement
bénigne des troubles généraux de la nutrition : « Un effet constant des émanations
d'aniline et de nitro-benzine est de donner à tous les ouvriers un aspect anémique
incompatible en apparence avec la dépense de forces que nécessite leur travail. Aussi
ce remarquable contraste démontrerait-il à lui seul qu'il s'agit d'une véritable chloro-
anémie, si l'absence de palpitations et de souffle cardiaque ou artériel, si surtout la rapi-
dité avec laquelle la décoloration se produit et la rapidité non moins grande avec laquelle
les couleurs normales reparaissent, ne tendaient à prouver que, dans ces cas, l'altération
du sang ne peut être bien profonde et ne doit certainement pas se caractériser anatomi-
quement par une diminution de la proportion des globules. » Il y aurait, d'après Berge-
ron, simple décoloration des globules du sang; soit effet direct de l'action des carbures
incessament mis en contact avec ce liquide par les voies respiratoires, soit résultat indi-
rect d'une diminution delà proportion d'oyxgène dans l'air que ces ouvriers respirent.
Il est clair cependant que l'aniline inhalée par le poumon doit modifier le sang, comme
elle le fait quand elle est introduite par toute autre voie ; par conséquent, si l'anémie des
ANILINE. ofiS
ouvriers est vraiment imputable à l'aniline, une certaine quantité d'hémoglobine a dû
être transformée en méthémoglobine. Mais, à l'époque où écrivait J. Bergeron, onne con-
naissait pas cette altération du sang. La bénignité des accidents et la rapide disparition
de l'anémie quand les ouvriers cessent de travailler s'expliquent sans doute parce que
cette altération est peu profonde : l'aniline n'est absorbée qu'en faible proportion et
s'élimine progressivement par l'urine sous une forme ou sous une autre.
Grandhomme, dans un travail complet sur l'aniline basé sur les observations faites dans
l'usine d'Hœchst-sur-Main, distingue différents degrés d'anilisme, mais toujours légers
ou de moyenne intensité.
Daus cette usine les différentes opérations relatives à l'industrie de l'aniline se font
«n des ateliers séparés. Le premier est celui où se prépare la nitro-benzine : les phéno-
mènes d'intoxication dus à cette substance ne doivent pas nous occuper. C'est dans le
deuxième atelier, ou atelier de réduction, que l'aniline se retire de la nitro-benzine. Dans
l'atelier suivant on prépare la fuchsine en oxydant l'aniline par la nitro-benzine en pré-
sence de fer et d'acide chlorhydrique. Grandhomme fait ressortir avec d'autres observateurs
l'innocuité de la fuchsine non arsenicale.
Quant à l'iatoxication par l'aniline, les causes ordinaires sont l'émanation des vapeurs
qu'on ne peut toujours empêcher malgré toutes les précautions, et le transport de la sub-
stance qui ne s'opère pas saus que les vêtements en soient plus ou moins souillés.
C'est ainsi que s'explique le développement des plus faibles degrés d'anilisme qui
restent inaperçus des ouvriers qui en sont la victime. Ce sont les surveillants qui, remar-
quant la cyanose caractéristique des lèvres, font immédiatement sortir à l'air libre les
individus qui la présentent. Ils se trouvent parfaitement rétablis en quelques heures.
D'autres fois l'ouvrier est subitement pris d'un sentiment de faiblesse et de lassitude,
il a la tète lourde, embarrassée, tendance au vertige, marche incertaine; le visage est
blafard, les lèvres bleuâtres. L'ensemble des symptômes présente celui d'une ivresse com-
mençante.
Il est des malades qui accusent des papillotages devant les yeux, d'autres un fréquent
besoin d'uriner avec ardeur dans la miction, mais l'urine ne renferme aucun élément mor-
bide. Contrairement à d'autres auteurs, jamais Grandhomme n'a constaté la présence d'ani-
line dans l'urine des ouvriers intoxiqués. Je rapprocherai cette observation de celle de
ScHMiEDEBERG, qui n'a pas retrouvé non plus l'aniline dans l'urine chez les animaux en
expérience; la raison en est sans doute la même, dans les deux cas, et daus d'autres ana-
logues; la faible dose d'aniline absorbée, dont les produits de transformation reparaissent
entièrement, sous forme de composés sulfo-conjugués.
Les accidents d'intoxication sont plus graves quand ils résultent d'un nettoyage des
appareils, parce qu'alors l'action des vapeurs a été plus prolongée et plus intense, ou
quand les ouvriers renversent de l'aniline sur leurs vêtements.
L'affaiblissement devient extrême : les malades accusent une céphalalgie violente et
des étourdissements, leur marche est titubante. De livide, la teinte des lèvres devient
bleu foncé et' gagne le nez, la bouche, les oreilles. Dégoût prononcé pour les aliments et
nausées.
Tous ces symptômes peuvent pourtant disparaître au bout de 24 heures, mais le plus
souvent ils s'aggi-avent encore pendant quelques heures. On voit alors survenir la perte
de la connaissance et des troubles profonds de la sensibilité. Les douleurs de tête et le
sentiment vertigineux ne faisant que s'accroître, le malade s'affaisse, perd connaissance
durant 10 à 20 minutes, puis revient à lui en vomissant et en accusant une faiblesse géné-
rale intense et de la lourdeur de tête.
L'anesthésie cutanée est absolue, les pupilles sont rétrécies; la température n'est pas
sensiblement modifiée, le pouls est tantôt accéléré, tantôt ralenti. Les envies de miction
sont fréquentes; l'haleine exhale l'odeur d'aniline. Les malades eux-mêmes guérissent
en général dans le cours de 3 à 8 jours, sans qu'il leur reste d'autre atteinte qu'un peu de
strangurie.
Dans les trois usines qui ont servi de champ d'observations à Grandhomme, il n'est
jamais survenu d'accidents foudroyants mortels ni d'intoxication chronique (d'après
l'analyse in R. S. M., t. xvni, 1881, p. 71).
Dans un autre mémoire Grandhomme dit qu'en S ans i cas d'anilisme seulement se sont
564 ANIMISME— ANODE.
montrés sur une population moyenne de 13 ouvriers, dans l'atelier de réduction : il ajoute-
aussi n'avoir rien observé d'analogue aux 3 exemples d'affections oculaires que Galezowski-
(Recueil d'Ophtalmologie, 1876) a attribuées à l'aniline.
Nous pouvons encore mentionner une thèse récente de Dupays (Lyon, 1892). Bien
qu'elle se rapporte plus particulièrement à l'industrie de la fuchsine, l'auteur de cette
thèse dit, dans ses conclusions, avoir observé par lui-même qu'à Neuville-sur-Saône les
ouvriers ne souffrent en aucune manière de leur séjour dans l'usine.
Essais thérapeutiques avec l'aniline. — Turnbull, et quelques autres médecins
après lui, ont expérimenté l'aniline ou ses sels dans les affections convulsives du système
nerveux, chorée, accidents épileptiformes. -
Les succès obtenus par Tdrnbull n'ont pas en général été conflrmés, et la médication
paraît entièrement abandonnée.
Signalons cependant que Cahn et Hepp {Berl. Klin. Wochenschr., 1887, p. 27) ont
trouvé au sulfate d'aniline une action antipyrétique, ce qui n'a rien d'étonnant, après ce
qui a été dit plus haut. Herczel a obtenu des résultats semblables avec le camphorate
d'aniline à la dose de 0, 20 à 0, 2'6 grammes.
E. WERTHEIMER.
ANIMISME. — Doctrine philosophique et en même temps physiologico-mé-
dicale qui fait intervenir dans les corps organisés, considérés comme inertes, Vâme,
cause première non seulement des faits intellectuels, mais encore des faits vitaux, et
veut expliquer ainsi chaque maladie. C'est la doctrine de Stahl, qui étudie les phé-
nomènes vitaux en eux-mêmes et indépendamment des phénomènes chimiques et phy-
siques qui s'y passent. C'est l'àme, être immatériel, qui est le principe du mouvement
vital, la cause de l'activité du corps, c'est elle qui constitue l'homme. Les organes ne
sont que de simples instruments. L'âme veille à la réparation de notre corps, à sa con-
servation, préside à tous les actes de la nutrition, des sécrétions, des sensations, etc. La
fonction de l'âme étant de protéger les fonctions que tendent à troubler les causes mor-
biflques, c'est du combat qui s'établit entre l'effort de l'une et la résistance des autres
que naissent les phénomènes morbides. Telle est, brièvement résumée, cette théorie de
l'animisme, qui remonte à Aristote el eut de fervents adeptes aux xvii"= et xvin" siècles.
11 n'en reste plus aujourd'hui que le nom.
ANIS (Essence d') [C'"H'-0]. — L'essence d'anis n'a pas été étudiée
au point de vue physiologique. Il est probable que ses propriétés sont celles des
essences. On ne connaît pas davantage les propriétés physiologiques de ses dérivés,
acide anisique [C^H^O']; alcool anisique [C'»H5 0=]; aldéhyde anisique [C^H^O^]
acide anisoïque [C'OH'W]; anisol [C'H* 0]; acide anisurique [C'H'SO»].
L'essence d'anis est isomère de l'essence d'estragon et 'de l'essence de fenouil.
L'acide anisique dans l'organisme se transformerait, paraît-il, en acide anisurique.
ANISOMETROPIE. — Généralement, dans le cas d'amétropie, les deux
yeux sont à peu près également myopes ou hypermétropes. Il arrive cependant que l'un
des deux yeux soit notablement plus myope ou hypermétrope que son congénère; ou
que l'un soit emmétrope, l'autre amétrope. Il y a alors anisométropie (de a privatif;
'['(jo;, égal; [J-ÉT50V, mesure). La vision de chaque œil se fait alors dans les conditions
propres au degré de l'amétropie (myopie ou hypermétropie). Une question beaucoup
discutée est celle de l'accommodation dans l'anisoniétropie. En vue d'égaliser le plus
possible la vision des deux yeux, il y aurait intérêt à ce qu'un œil accommodât moins ou
plus que l'autre. Il résulte des recherches faites sur ce sujet que, si l'accommodation peut
être inégale sur les yeux (ce qui est contesté), la différence ne peut jamais être grande
(Vov. Accommodation).
NUEL.
ANODE. — On emploie dans l'application d'un courant le terme anode pour
distinguer l'électrode positive de l'électrode négative ou cathode (Voy. Électricité).
ANORCHIDIE — ANTAGONISME. o65
ANORCHIDIE. — Absence des deux testicules. Il est douteux qu'elle existe
jamais : c'est presque toujours une cryptorchidie.
ANOREXIE. — Absence d'appétit. Phénomène tantôt normal, tantôt patho-
logique.
L'anorexie normale est le sentiment de satiété qui suit l'alimentation. On étudiera à,
l'article Faim les causes, encore assez obscures, déterminant la faim, et la cessation de la
faim. Il semble que ce soit à la fois un phénomène général, et un phénomène dû à la
réplétion stomacale.
L'anorexie pathologique serencontre dans les maladies diverses et, on pourrait presque
dire, dans toutes les maladies. D'abord la fièvre suffit pour provoquer l'anorexie. Il n'y a
pas d'exemple de malade ayant une température dépassant 39°, 5 ou 40° qui ait conservé de
l'appétit. Est-ce un phénomène thermique, ou un phénomène dïnfection? Nous l'igno-
rons, et des éludes précises seraient nécessaires. Notons seulement ces deux points :
d'abord que le sentiment de la soif, au lieu d'être aboli comme le sentiment de la faim,
est surexcité par la fièvre, et, en second lieu, que les animaux se comportent tout à fait
comme l'homme. Les animaux malades, à qui on a injecté des substances septiques, qvii
ont une suppuration quelconque, au une maladie fébrile infectieuse, ne mangent pas,
mais ils ont une soif très vive.
Les maladies de l'estomac sont aussi cause fréquente de troubles du sentiment de la
faim; quelquefois une exagération (boulimie), mais le plus souvent, ou même presque
toujours, anorexie. Par exemple dans le cancer de l'estomac, il y a tantôt conservation,
tantôt abolition complète de l'appétit, sans qu'on puisse déterminer pourquoi on observe
de si grandes différences dans les cas particuliers (J. Béhieb. Art. Anorexie, D. D., 1866,
t. V, p. 226).
11 est à remarquer aussi que, chez les malades comme chez les hystériques, l'anorexie
n'est le plus souvent pas totale, et qu'elle ne porte que sur certains aliments, et notam-
ment la viande. Les phtisiques fébricitants ont un dégoût invincible pour la viande; de
même les hystériques.
Les affeclions du système nerveux sont aussi une cause fréquente d'anorexie; c'est
surtout dans l'hystérie qu'on l'observe. Lasègue en a fait une excellente étude (De rano-
rexie hystérique. Arch.'gén. de méd., 1873, (1), pp. 385-403). Ce qui caractérise cette perver-
sion du sentiment de la faim, c'est que la fièvre est nulle, les organes nullement malades,
la persistance du phénomène prolongée pendant des mois et des années; et en même
temps les troubles de la nutrition atténués d'une manière extraordinaire. On sait que.
chez certaines hystériques, le besoin d'alimentation est quelquefois réduit à un minimum
invraiserablable.il est des femmes ayant vécu plusieurs années qui ne consommaient pas
même un demi-litre de lait par jour, en moyenne. L'appétit se conforme à cette désassi-
milation ralentie (V. Hystérie).
Il est prouvé par là que le .sentiment de faim «st bien un phénomène d'ordre central;
une de ces sensations internes qui nécessitent l'intégrité du système nerveux (V.Beaunis.
Les sensations internes, 1889, p. 27). Toutes les causes qui troublent le système nerveux
central, soit directement (intoxications, hyperthermie, anémie), soit indirectement (ac-
tions réflexes, traumalismes, névralgies, névrites, émotions morales), abolissent la sensa-
tion de faim.
Bibliographie. — Outre les indications qu'on trouvera à l'article Faim, voir Brugnoli,
Sitir anoressia stovie e considerazioni (Mém. Ace. d. se. d. Istit. di Bologna, 1875, t. vi, (.3),
pp. 351-361). — Bartelink. Uber psychologische Bedeutungen der Appetits-stônmgen (Th.
do Munich, 1876). — W. Gull. Anorexia nervosa, hysterica {Transact. Clin. Soc. London,
1874, t. VII, pp. 22-28, 3 pi.). — ■ Rist. Observation d'anorexie idiopathique {Bull. Soc. méd.
de la Suisse Romande, 1878, t. xii, pp. 59-64). — Cn. Richet. L'inanition {Trav. du Labo-
rat., t. n, 1893, p, 318).
ANOSMIE. —Perte ou diminution de l'odorat (V. Odoratj.
ANTAGONISME. — Étymologiquement antagonisme veut dire état de
deux forces de direction contraire tendant à annuler réciproquement fleurs effets. 11
566 ANTAGONISME.
n'est pas difficile de trouver dans l'organisme des oppositions de ce genre. Les actes
plus ou moins complexes répondant à cette définition y sont au contraire extrêmement
fréquents. Si, au premier abord, un tel emploi des forces ne paraît pas très économique,
on comprend néanmoins qu'il y est nécessité par l'obligation de régler les effets de ces
forces avec précision et promptitude et dans le but de les équilibrer les unes par les
autres. Telle est l'idée à la fois générale et sommaire qu'on peut se faire en physiologie
des actions dites antagonistes. Mais, pour peu qu'on entre dans le détail, on voit qu'une
notion aussi restreinte ne suffit pas et qu'il faut y joindre des explications relatives à
chaque cas particulier, ou tout au moins à chacun des cas principaux.
Les forces qui interviennent dans l'organisme sont représentées par les énergies
diverses, ou, comme l'on dit, spécifiques, de ses éléments composants, c'est-à-dire des
formes différenciées de son protoplasme. Ces forces, à l'état que nous appelons de repos,
sont en tension. Elles constituent une réserve, un potentiel que l'organisme peut, à un
moment donné, dépenser. Ces tensions, un choc, un ébranlement, ou, comme nous disons
dans notre langage physiologique, une excitation, pourra les libérer, c'est-à-dire les
transformer en forces vives qui s'exerceront dans une direction déterminée, en partie
tracée d'avance par le développement embryogénique. Elles donnent alors lieu aux
actes les plus divers; déplacements réciproques des leviers osseux; pressions exercées sur
des liquides pour les faire progresser dans des tuyaux; appel d'air dans les cavités res-
piratoires; séparation de substances chimiques qui sont rejelées, éliminées ou employées
dans de nouvelles combinaisons, le tout avec dégagement de chaleur, etc., etc. De toutes
ces activités, la plus typique, celle qui revient le plus souvent dans les exemples géné-
raux de la physiologie, parce qu'elle est le plus facilement appréciable et la plus connue,
c'est la contraction musculaire : mieux que toute autre elle nous servira à fixer nos idées.
Au-dessus des muscles, comme au-dessus de tous les agents exécutants directs des
fonctions de l'organisme, afin de régler et d'harmoniser toutes ces activités différentes
en les commandant, est le système nerveux lui-même composé de pièces différentes
(nerfs moteurs, nerfs sensitifs ; nerfs excitateurs, nerfs inhibiteurs) s'influençant les
unes les autres ; tantôt s'excitant, tantôt au contraire se neutralisant, et par là donnant
lieu dans le système nerveux lui-même à des actions antagonistes.
Tout ceci concerne le jeu normal et régulier de nos fonctions; mais cet état normal,
nous intervenons (nous, physiologistes) pour le troubler; par nos paralysies ou nos exci-
tations artificielles, par nos agents physiologiques, par nos poisons nous pouvons le
déséquilibrer, tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre, et, en vertu d'une convention
métaphorique dont il faut bien comprendre la signification et l'origine, nous transportons
de l'organisme à ces substances mêmes ces actions antagonistes que le présent article
a pour but d'anal3ser et de catégoriser.
Enfin les effets de ces substances toxiques étudiées sur le terrain et par les méthodes
de la physiologie sont une base solide offerte à l'explication des phénomènes de la
pathologie, dans laquelle nous voyons également des produits solubles, des toxines
résultat de l'action des virus ferments, troubler d'une façon analogue le jeu des fonctions,
additionner et parfois aussi neutraliser leurs effets par un mécanisme du même genre.
Antagonisme musculaire. — Prenons pour point de départ un exemple très
simple. Deux muscles (biceps et triceps brachiaux) viennent de l'humérus et de l'épaule
s'attacher à un même levier osseux (os de l'avant-bras) : le premier est fléchisseur, le
second est extenseur de ce levier. Ces muscles sont directement antagonistes, ils tra-
vaillent exactement en sens inverse, tellement que l'un est obligé de s'allonger quand
l'autre se raccourcit, et réciproquement. Cet antagonisme se manifeste soit par des
mouvements alternatifs de flexion et d'extension, soit par une contracture simultanée
qui raidit l'avant-bras dans une position déterminée ; enfin il se manifeste encore par
la contraction très inégale, mais simultanée, des deux muscles (ou groupes de muscles
synergiques) pendant soit la flexion, soit l'extension de l'avant-bras. Car, comme le
remarque justement Duchenne (de Boulogne), et contrairement à ce que l'on a de la ten-
dance à croire, un mouvement de ce genre est plutôt un effet différentiel résultant de
l'action de deux efforts opposés, et parfois d'un nombre assez grand d'efforts muscu-
laires inégaux, mais synchrones. Bien des raisons font qu'il en doive être ainsi.
Les ex:emples d'antagonisme musculaire sont donc extrêmement multipliés. On peut
ANTAGONISME. 367
même poser en principe qu'il n'est pas un seul muscle qui ne soit dans une certaine
mesure l'antagoniste d'un autre. Seulement la direction des forces opposées n'est pas
toujours, comme dans l'exemple type qui vient d'être cité, celle même des fibres muscu-
laires, et, pour l'indiquer correctement (vu la position très variable des muscles par rap-
port aux leviers qu'ils doivent mouvoir) il faut construire sur l'un des muscles ou sur
tous deux une représentation du parallélogramme des forces, dont l'une des composantes
tracera avec sa grandeur relative la direction de la force efficace.
Citons encore quelques exemples empruntés aux principales fonctions. Les mouve-
ments de la respiration sont sous la dépendance de deux ordres de muscles, les uns ins-
pirateurs, les autres expirateurs. Encore faut-il ajouter que les puissances inspiratrices
luttent contre une force élastique qui, lorsqu'elle est laissée libre d'agir, est, à elle seule,
à peu près suffisante pour produire l'expiration. C'est un exemple de l'inégalité si fré-
quente qu'on peut observer entre les puissances antagonistes, comme aussi de l'artifice
employé pour corriger cette inégalité par le jeu d'un ressort simplement élastique, dit
lui-même antagoniste du muscle. C'est ce qui existe, paraît-il, dans la pupille, où l'action
du sphincter irien est contrebalancée uniquement par une membrane élastique et point
par des fibres musculaires radiées, comme il avait paru naturel de le supposer. Mais
l'inégalité d'action des muscles inspirateurs et expirateurs est simplement fonctionnelle.
Les muscles expirateurs, qui, en temps ordinaire, prennent si peu de part à la respiration,
disposent néanmoins d'une grande puissance qu'ils opposent assez rarement à celle des
inspirateurs, mais qui intervient dans l'acte de l'effort, lorsqu'il est nécessaire de fixer
solidement la cage thoracique à laquelle s'attachent de puissants muscles des membres.
Ils compriment l'air de la poitrine emprisonné par l'occlusion de la glotte, et trouvent
alors de nouveaux antagonistes dans les muscles constricteurs du larynx.
Le cœur, qui chasse le sang de sa cavité, lutte non seulement contre l'élasticité arté-
rielle, mais aussi contre les petits muscles vasculaires qui tendent à obturer les orifices
capillaires par où le sang est obligé de passer. De même, l'estomac lutte contre le
pylore, et tous les muscles enserrant une cavité qui reste close par l'action d'un sphincter,
luttent plus ou moins contre ce sphincter; tels l'intestin, la vessie, la vésicule du fiel, etc.
On comprend encore très bien l'action antagoniste de ces dilférents muscles, bien qu'elle
sorte déjà notablement des conditions simples de l'exemple du début.
Comme d'autre part on sait que les muscles qui réalisent ces efforts sont sons la
domination de nerfs qui leur commandent, il n'y a qu'à transporter ce qui a été dit de
ces muscles aux nerfs eux-mêmes, qui seront ainsi réciproquement antagonistes au
même titre que les muscles; mais il faut tout de suite remarquer que l'antagonisme
n'est plus ici direct, mais, au contraire, indirect, en tant qu'il s'exerce par l'intermé-
diaire de muscles opposés fonctionnellement les uns aux autres. Cette remarque est
d'autant plus indispensable que justement dans le système nerveux on peut montrer des
exemples d'actions directement antagonistes de ses éléments les uns à fégard des autres.
Nous ferons le même raisonnement pour les centres d'où proviennent les nerfs. Seu-
lement nous ne pourrons guère remonter plus haut que les centres bulbo-médullaires,
parce qu'au delà nous ne pouvons plus affirmer la continuité fibre à fibre des éléments
nerveux. Rien ne prouve que le groupement de ces éléments reste le même au-dessus
et au-dessous de ces centres : tout nous fait supposer au contraire que ces groupements
se sont modifiés et que des rapports nouveaux sont intervenus entre eux.
Nous dirons donc seulement : il )' a des muscles, des nerfs et aussi des centres
antagonistes, en entendant ce mot dans le sens qui a été plus haut défini.
A partir de là une donnée nouvelle va intervenir qu'il faut maintenant examiner. Il
nous faut pour cela revenir à l'exemple de la pupille, dans laquelle nous ne trouvons
qu'un muscle (le sphincter irien) et qui jouit néanmoins de deux ordres de mouvements.
Ces mouvements sont : l'un de constriction; il est réalisé par le contraction du sphincter
irien, qui ferme l'orifice pupillaire, comme le ferait en se serrant le cordon d'une
bourse; l'autre, de dilatation, qui s'elfectue sans fintervention d'une puissance motrice
antagoniste, mais par l'action laissée libre d'agir d'une sorte de ressort antagoniste qui
agrandit l'orifice pupillaire parfois jusqu'à l'effacement.
Antagonisme nerveux. — Je dis que ces deux mouvements sont antagonistes, et,
d'après notre définition, cette expression entraîne nécessairement l'idée de quelque force
568 ANTAGONISME.
plus ou moins directement opposée à une autre; elle n'implique pas simplement le retour
passif d'un organe à sa forme première après que sa phase d'activité est terminée. Les
forces ici opposées l'une à l'autre ne sont plus deux muscles, mais bien deux nerfs. Ce cas
particulier d'antagonisme a de nombreux équivalents dans tout l'organisme, et c'est là
justement ce qui fait son intérêt. Cet antagonisme, pour le dire en un mot, n'est qu'une
des formes de cet acte nerveux encore environné de tant d'obscurité, mais qui est si
général en physiologie, et qu'on nomme aujourd'hui l'inhibition : c'est ce qu'on appelait
autrefois l'action d'arrêt. Voyons les faits.
Le muscle constricteur de la pupille obéit à un nerf, l'oculo-moteur commun, mais
les fibres de ce nerf qui sont destinées à la pupille ne s'y rendent pas d'emblée, elles
traversent successivement un ganglion (g. ophtalmique*) et un plexus ganglionnaire
(p. ciliaire). En somme elles présentent deux relais ganglionnaires. Ces particularités
anatomiques sont déjà à mettre en concordance avec certains faits d'expérience qu'ils
expliquent plus ou moins. C'est ainsi qu'on remarque que la section du tronc de l'oculo-
moteur laisse bien agrandir la pupille, mais ne la paralyse pas complètement; car elle est
encore susceptible de mouvement après cette mutilation : de même, les eflets de l'exci-
tation de ce nerf sur la pupille ne sont pas à comparer avec ceux qu'ils produisent sur
le muscle moteur de l'œil ; ce sont là les caractères très sommairement indiqués d'un
nerf moteur ganglionnaire. Ces faits une fois constatés, nous pouvons en observer
d'autres qui en sont l'exacte contre-partie, en nous adressant à un autre tronc nerveux,
le sympathique cervical : sa section fait se resserrer la pupille, comme l'a vu depuis
longtemps Pourfour do Petit; son excitation la fait dilater à l'extrême, pour peu que
cette excitation soit un peu énergique (Biffi). Nous devons conclure que le sj'nipathique
est dans cette action l'antagoniste de l'oculo-moteur : et nous devons conclure de plus
que cet antagonisme s'exerce nerf à nerf, puisque, comme il a été dit plus haut, il n'y
a pas de muscle dilatateur de la pupille, mais uniquement un nerf constricteur.
L'antagonisme réciproque du sympathique cervical et de l'oculo-moteur a été trans-
porté de la pupille à l'appareil ciliaire accominodateur. Ce sont les deux mêmes troncs
nerveux traversant les deux mêmes relais ganglionnaires; l'excitation de l'oculo-moteur
accommode l'œil pour la vision de près (Hensen et Volkers), l'excitation du sympathique
cervical l'accommode pour la vision de loin (Morat et Doyon). Ici encore il n'y a qu'un
muscle, le muscle ciliaire, composé, il est vrai, de deux parties, mais agissant dans le
même sens pour accommoder l'œil aux petites distances; l'accommodation pour la
vision éloignée se fait par la réaction de parties élastiques qui aplatissent le cristallin.
Il peut sembler que ces exemples d'antagonisme purement nerveux ne soient pas
absolument probants, parce que la question de l'existence ou de l'absence d'un muscle
dilatateur de la pupille (peut-être même d'un muscle accommodateur pour l'infini) est
de temps en temps soumise à la discussion. Toutefois, en supposant même qu'on finisse
par découvrir quelque organe contractile qui soit sous la dépendance du sympathique,
tant en ce qui concerne les mouvements pupillaires que ceux de l'accommodation, il est
à croire que ces muscles ne sont pas en puissan('.e les équivalents des muscles ciliaire
et pupillaire, et que, pour la plus grande part, les eiîets antagonistes dus au sympa-
thique sont dus à l'inhibition.
Mais, si ces exemples devaient nous manquer, il en est d'autres qui, à ce point de
vue, sont irrécusables. 11 est certain, par exemple, que le cœur, pourvu de fibres si puis-
santes pour réduire le volume de sa cavité et en chasser le sang, en est totalement
dépourvu pour produire le mouvement inverse d'agrandissement ou d'amplification de
cette cavité : il n'y a pas de fibres dilatatrices du cœur : ce qui veut dire (car il faut
bien préciser les termes), il n'y a dans aucune des cavités du cœur, prise isolément, des
fibres dont l'effet serait d'agrandir cette cavité. Que des muscles extrinsèques comme
ceux de la respiration puissent, par un mécanisme très indirect, avoir cet effet, que
même l'action constrictive des muscles d'une cavité puisse par contre-coup dilater plus
ou moins la cavité voisine (suivante ou précédente), ceci est totalement en dehors de la
question que nous traitons en ce moment.
Or, à ce muscle, le cœur, qui, comme tout muscle, n'a qu'une seule manière d'agir,
une seule réponse à l'excitant, une seule propriété dans l'ordre physiologique, la con-
ractilité, le raccourcissement de ses libres, nous voyons aboutir aussi deux nerfs, pu, .si
ANTAGONISME. 569
1 on veut, deux ordres de nerfs. Les uns viennent plus particulièrement de la chaîne du
sympathique, ils sont augmentateurs, accélérateurs de son mouvement, ils excitent ses
contractions, ils en augmentent le nombre et l'intensité. Les autres viennent du pneu-
mogastrique, ils ont un effet inverse, antagoniste du précédent; ils diminuent le nombre
et l'intensité' de ses mouvements, de ses systoles. C'est encore un exemple d'antago-
nisme réalisé nerf à nerf comme le précédent; c'est même le premier exemple connu
d'inhibition. J'entends dire le premier fait de ce genre reconnu comme tel sous l'an-
cienne désignation d'action d'arrêt.
Nous ne devons pas ici nous attarder à décrire par le menu ce phénomène d'antago-
nisme nerveux ou d'inhibition, mais plutôt en montrer d'abord la généralité. L'inner-
vation des muscles vasculaires reproduit assez fidèlement celle du cœur lui-même.
Comme le cœur, les vaisseaux sont pourvus de muscles, et ces muscles n'ont, eux aussi,
qu'une propriété, le pouvoir de se contracter : or cette contraction, quelle que soit la
disposition des muscles des vaisseaux, n'a qu'une action possible, celle de resserrer leur
cavité, d'en chasser le sang qui y est contenu, d'empêcher de nouvelles quantités de
sang d'y affluer, si cette contraction est poussée à l'extrême, de diminuer en tout cas son
écoulement à travers ces tuyaux. De plus, ces muscles sont subordonnés à l'action de deux
ordres de nerfs; les uns qui augmentent leur contraction ou leur tonus, les autres qui,
inversement, diminuent l'énergie de cette contraction : ce sont les deux divisions, les
deux classes des nerfs que dans leur ensemble on appelle les vaso-moteurs : les premiers
sont les constricteurs, parce que le résultat pratique de leur action est le resserrement
des vaisseaux, les autres sont appelés dilatateurs, non pas qu'ils dilatent à .proprement
parler les vaisseaux, mais, en diminuant leur effort contractile, ils les rendent moins
aptes à résister à la poussée du sang qui vient d'ailleurs, et en fm de compte l'effet visible
de leur entrée en jeu est une vaso-dilatation ou congestion des territoires vasculaires
innervés par eux.
L'antagonisme des deux nerfs entre eux se complique, comme on voit, d'un antago-
nisme entre le cœur et les vaisseaux dans le genre de celui qui a, été indiqué au début;
et, sans qu'il soit besoin d'entrer dans de grands développements à cet égard, il est
facile de concevoir comment l'entrée en fonction des nerfs inhibiteurs des vaisseaux
(nerfs vaso-dilatateurs) facilite l'action du cœur en abaissant la tension dans le système
artériel, et comment, tout au contraire, l'activité des constricteurs fait obstacle à cette
action en élevant la tension artérielle au point qu'elle interromprait la circulation si
l'oblitération des capillaires pouvait jamais devenir à la fois complète et générale. Par
des mécanismes en réalité fort différents, les inhibiteurs du cœur et les constricteurs
des vaisseaux tendent au même résultat final, qui est la suppression du mouvement du
sang; tandis que les accélérateurs du cœur et les inhibiteurs des vaisseaux tendent à
lui donner son maximum de vitesse. Les accélérateurs du cœur et les constricteurs des
vaisseaux sont en antagonisme fonctionnel par le fait de la disposition particulière
des muscles qu'ils commandent. Les deux ordres de nerfs (les uns moteurs, les autres
inhibiteurs) qui s'opposent réciproquement leur influence, et dont sont pourvus et le
muscle cardiaque et les muscles vasculaires, constituent par-dessus le précédent un
nouvel ordre d'antagonisme surajouté, superposé, et qui le complique en multipliant les
moyens d'action et de régulation de 1 organisme à l'égard des fonctions dont sa conser-
vation dépend. Le détail de ces explications est justifié par la nécessité de bien faire
comprendre que l'effet ou mouvement inverse obtenu par l'excitation d'un nerf inhi-
biteur n'est pas dû à ce nerf lui-même, mais à quelque force tonique éloignée et
opposée qui reprend aussitôt ses droits, quand le nerf inhibiteur vient à supprimer pour
un moment la force antagoniste dépendante du nerf moteur inhibé par lui. Et pour
qu'il ne reste rien d'obscur sur le sens à attribuer au terme antagonisme qui revient si
souvent, il nous faut encore compléter cette explication par quelques développements.
Le nerf inhibiteur, lorsqu'il entre eu activité, a deux effets : l'un direct, immédiat, et
l'autre indirect, obtenu par contre-coup. Exemple : un muscle est en contraction, on excite
son nerf d'arrêt, il cesse de se contracter; c'est l'effet direct. Le mouvement a fait
place au repos, seulement ce mouvement par lui-même ne change pas de signe; l'effet,
si on peut ainsi parler, est contradictoire, il n'est pas contraire. Mais le plus généra-
lement l'effet de l'inhibition ne se borne pas à cela; la cessation de la contraction du
5'0 ANTAGONISME.
muscle inhibé laisse s'exercer efficacement la contraction d'un autre muscle ou simple-
ment la tension d'une autre force qui produit alors réellement le mouvement inverse,
le mouvement contraire, antagoniste du précédent. Et de fait, l'inhibition d'une puis-
sance motrice a souvent pour but de préparer, de favoriser l'action d'une autre puis-
sance motrice opposée : par ce double jeu les mouvements si variés de nos organes
s'accomplissent avec économie et précision.
Il est à peine besoin de réfuter l'opinion de ceux qui ont pu croire que l'inhibition est
une action du nerf sur le muscle l'obligeant à s'allonger, de même que l'excitation le
force à se raccourcir. Les physiologistes, à de rares exception près, se refusent à
admettre qu'il puisse j avoir, par exemple, une diastole active du ventricule du cœur
commandée par le pneumogastrique. Les effets d'aspiration qu'un coîur peut exercer en
se détendant après sa contraction sont sûrement dus à une reprise par lui de sa forme
normale, en vertu d'une propriété toute physique, l'élasticilé; il n'y a rien d'impossible
du reste à ce que cet effet d'aspiration soit utilisé dans une certaine mesure, la nature,
comme nous le savons, ne négligeant pas même les plus petits profits.
Seulement, si le nerf inhibiteur ne fait que détruire les effets d'une excitation, sans
aller par lui-même jusqu'à orienter le mouvement dans un sens contraire à sa direction
première, de quel droit l'appelons-nous antagoniste? Je l'ai déjà dit plus haut, c'est un
antagonisme qui s'exerce nerf à nerf, et qui, dans tous les cas, ne peut pas changer la
propriété ni la manière habituelle de réagir du muscle. Tout nous fait croire, tout ce
qu'on connaît de l'inhibition doit nous porter à admettre que c'est un phénomène, un
acte consommé, non dans le muscle, mais dans le système nerveux, à une certaine dis-
tance du muscle. C'est d'abord, selon la remarque de Rouget, la présence de masses
ganglionnaires invariablement situées le long ou près de la terminaison des nerfs inhi-
biteurs les mieux caractérisés (le vague, le sympathique, la corde tympanique, etc.), ce
sont ensuite des expériences aussi directes que celles qu'on peut tenter sur un acte de
cette nature. Prenons un exemple; voici le cœur qui est sous l'influence de deux nerfs,
l'un augmentateur de son mouvement, le sympathique, l'autre modérateur de ce mou-
vement, le pneumogastrique; son rythme actuel est une résultante de ces deux tendances
opposées : sans les supprimer ni l'une ni l'autre, nous intervenons avec le dessein de
faire prédominer l'une des deux, la modératrice, et à cet effet nous excitons les vagues,
et le cœur se ralentit, ou même s'arrête. Où se crée l'obstacle qui empêche le cœur de
battre"? Ce ne peut être qu'un obstacle développé dans le cœur lui-même et opposé à
son mouvement ou un obstacle développé sur le trajet des nerfs et opposé simplement
à la transmission de l'excitation. La seconde hypothèse est plus vraisemblable par
raison d'économie, mais examinons pourtant la première. Si le pneumogastrique déve-
loppe dans le cœur un obstacle à sa contraction, l'annihilation du travail positif du cœur
obtenu par un tel moyen doit dégager une certaine quantité de chaleur. Or l'expérience
montre qu'il n'en est point ainsi, il y a au contraire abaissement de sa température,
comme dans un muscle qui cesse simplement de se contracter. L'inhibition n'est donc
pas dans le cœur, mais bien vraisemblablement sur le trajet de l'excitation, à la ren-
contre des deux nerfs (vague et sympathique). Nous devons admettre que là, à ce point
précis, l'énergie mise en jeu par l'excitation du nerf inhibiteur dans ce nerf lui-même
s'oppose à la transmission de l'énergie propagée par le nerf excitateur, ce qui est repro-
duire en termes nouveaux et pi us modernes l'ancienne explication donnée par Cl. Bernard.
En somme, c'est bien une action antagoniste, mais d'un genre très particulier.
L'estomac, l'intestin sont, eux aussi, pourvus de deux ordres de nerfs, les uns exci-
tateurs ou augmentateurs de leurs mouvements, les autres inhibiteurs de ces mouve-
ments, et ces deux sources nerveuses sont encore représentées par le vague et le sympa-
thique; mais ces troncs nerveux ont cette fois inverti leurs fonctions par comparaison
avec le cœur. Le vague est ici moteur; et le sympathique, modérateur. C'est assez dire
que les deux nerfs sont des branchements ou divisions d'un même système plus général,
celui des nerfs moteurs ganglionnaires. Tout ce que nous avons dit du cœur ou des
vaisseaux peut s'appliquer à ces organes.
Il n'est pas jusqu'aux glandes elles-mêmes pour lesquelles on n'admette l'existence
d'une double innervation de ce genre, en vertu de laquelle le système nerveux peut
tantôt activer, tantôt ralentir ou supprimer la sécrétion. Loin que les nerfs d'arrêt soient
ANTAGONISME. 571
spéciaux à certains appareils, comme on a semblé le croire tout d'abord, ces nerfs sont
au contraire très répandus. II est remarquable de voir que tout l'ensemble du système
qu'on a appelé ganglionnaire en contient. C'est à lui qu'on s'adresse toutes les fois
qu'on cherche, dans cet ordre d'idées et de faits, des exemples bien probants. On ne peut
admettre toutefois que l'inhibition et les éléments nerveux qui la représentent soient
exclusivement confinés dans ce système, tandis qu'ils seraient absents de l'ensemble
de nerfs qui commandent les actes concernant la v'e dite de relation. Un certain nombre
de faits positifs, bien que moins circonstanciés que les précédents, nous prouve déjà
qu'il faut étendre les même subdivisions du système moteur à tout l'ensemble du sys-
tème nerveux et que les muscles de la vie de relation ont leurs nerfs inhibiteurs aussi
bien que les organes de la vie végétative. Seulement les organes inhibiteurs des mus-
cles du squelette, à l'inverse de ceux des organes du mouvement involontaire, se trouvent
confinés dans une région du système nerveux général d'où ils ne sortent pas : tous
paraissent contenus dans cette masse de substance blanche et de substance grise, de
conducteurs et do ganglions qu'on appelle communément les centres et qui est renfermée
dans la cavité encéphalo-rachidienne. C'est là, dans la moelle et le cerveau, qu'il faut
chercher les phénomènes d'inhibition qui concernent les mouvements dits volontaires,
et point en dehors. On ne connaît pas de nerf centrifuge qui, sous l'influence d'une
excitation banale, soit capable d'arrêter les mouvements de cette catégorie : ou, pour
mieux préciser ma pensée, en dehors de la cavité cérébrospinale, en dehors de la masse
des centres, il n'y a point de nerf qui joue à l'égard d'un muscle de la vie de relation
le rôle du vague à l'égard du cœur. Les phénomènes d'arrêt qu'on a observés ou décrits
sur ces nerfs relèvent soit de l'électrotonus, soit peut-être même de l'inhibition, mais à
la condition de donner à ce terme un sens d'une grande généralité qui sort tout à fait
de l'ordre restreint et bien catégorisé de phénomènes que nous avons en vue ici. En
tous cas, nous admettons la généralité de la donnée développée ci-dessus en vertu de
laquelle tout le système nerveux moteur se repartage en deux ordres d'éléments opposés
les uns aux autres, les uns à proprement parler excitateurs, les autres inhibiteurs.
L'extension de cette donnée si évidente dans l'étude des centres régionaux disséminés
du système sympathique aux centres supérieurs de la vie de relation est pour ainsi dire
commandée par l'analogie en même temps qu'elle a déjà un point d'appui sérieux sur
des faits d'expérience.
De tout ce qui précède nous concluons : il y a dans l'organisme des forces, des
énergies qui s'opposent, et qui, pour cette raison, méritent d'être appelées antagonistes.
Ces énergies ainsi opposées les unes aux autres sont représentées tout d'abord par des
muscles, et c'est sous cette forme qu on se figure le plus communément l'antagonisme
physiologique. Pourtant dans l'organisme non seulement les énergies peuvent s'opposer; mais
aussi les excitations; non seulement il y a des muscles; mais des éléments nerveux antago-
nistes, et c'est cet antagonisme nerveux qui constitue une des formes les plus connues
d'inhibition.
Avec ces données nous pouvons maintenant aborder un autre côté de la question,
celui-là tout à la fois physiologique et médical, celui de l'action dite également antago-
niste de certaines substances toxic/ues ou médicamenteuses. Les faits qui ressortiront à
cet ordre d'idées sont également nombreux et divers, et ils justifient très inégalement la
désignation générale sous laquelle on les comprend. Il faut les examiner méthodique-
ment par groupements homologues.
Poisons antagonistes. — Commençons par un exemple bien connu : une certaine
quantité d'un sel de strychnine, un centigramme environ, est injecté dans le tissu cellu-
laire d'un chien : au bout d'un moment des convulsions éclatent dans tous ses muscles ;
ces convulsions arrivent par crises qui, après un moment de durée, cessent pour recom-
mencer à la moindre excitation. Si, avant que ces crises aient déterminé chez l'animal
un état d'asphyxie suffisant pour produire la mort, on injecte également dans le tissu
cellulaire cinq centigrammes de curare, on voit bientôt les convulsions cesser, devenir
impossibles, et non seulement les mouvements convulsifs, mais tout effort musculaire
(volontaire), disparaît chez l'animal. On en voudra conclure que le curare est une sub-
stance antagoniste de la strychnine, on se trompera; et cette erreur provient de l'oubli
d'un précepte que le physiologiste doit avoir toujours présent à l'esprit : à savoir que
572 ANTAGONISME.
ce n'est pas l'organisme considéré dans son entier qui réagit sous l'influence d'un
poison, mais seulement un de ses éléments en particulier, et que cet élément est variable
pour chaque poison. La strychnine excite la moelle (elle agit dans tous les cas comme
si elle l'excitait), le curare paralyse les nerfs moteurs, son intervention, en réalité, ne
supprime pas l'action de la strychnine, mais elle en rend impossibles les manifestations
extérieures, c'est comme si on avait coupé tous les nerfs moteurs. Il n'y a là d'antago-
nisme en aucune façon.
Cela est si vrai que, si, après la suppression des convulsions par le curare, on essaye
de les faire renaître en donnant une dose nouvelle de strychnine, on n'y réussit pas. La
paralysie curarique, tant qu'elle dure, a masqué pour toujours les eiïets du strychnisme
en rendant toute réaclion motrice impossible.
Pour qu'il y ait réellement antagonisme, il faut que cet antagonisme soit hilatéial,
réversible; il faut que dans une certaine mesure les eiïets de deux poisons soient
capables de se substituer l'un à l'autre un certain nombre de fois. En fait, il y a des
substances qui agissent ainsi. Il faut surtout en citer deux qui ont été particulièrement
étudiées à ce point de vue : l'atropine et la pilocarpine. Un certain nombre de travaux
ont été faits également sur l'antagonisme de l'atropine et de la muscarine. Plus loin,
nous en citerons plusieurs autres. Exposons d'abord les faits qui ont servi de point de
départ et de base à la discussion.
Sur un cœur de grenouille mis à nu on dépose une petite quantité de muscarine,
assez pour ralentir ou arrêter un certain temps ses battements sous l'influence de
l'atropine, on voit ces battements renaître; mais, si on fait intervenir de nouveau la
muscarine à dose un peu forte, le cœur de nouveau s'arrête (Schmiedeberg). Ce n'est donc
pas seulement l'un des poisons qui masque l'autre, il y a retour de la fonction après
suppression de celle-ci, quand on lait intervenir à nouveau l'agent du début.
On instille dans l'ceil une solution d'un sel de pilocarpine : un certain degré de
constriction de la pupille en est la conséquence. Cet efl'et produit, on instille une
solution du sel d'atropine, il y a dilatation. En instillant de nouveau la pilocarpine on
produira de nouveau la conslriction. qui fera une seconde fois place à la dilatation sous
l'influence d'une nouvelle dose d'atropine.
Ces substitutions d'action dans les cas qui précèdent s'obtiennent plutôt par tâton-
nement que par des doses véritablement déterminées d'avance. On peut donner d'autres
exemples avec chiffres à l'appui.
Chez le chat (animal favorable aux expériences sur la sudation), on produit une su-
dation généralisée par l'injection de Osr,01 de chlorhydrate de pilocarpine. Cette sudation
est arrêtée par l'injection de Os^OOl à 0S"-,00.3 de sulfate d'atropine. Si de nouveau on
injecte sous la peauOs%01 de pilocarpine, il y a réapparition de lasueur; mais seulement
localement dans le membre correspondant à l'injection (Luchsinger).
On peut faire chez l'homme des constatations du même genre à l'aide de diverses
méthodes. La grande extension chez lui du système sudoripare l'indique pour ainsi dire
de préférence pour l'étude des doses des substances susceptibles de s'opposer deux à
deux dans le fonctionnement de ces glandes.
Straus a observé que une à deux gouttes d'eau tenant en solution 0S'',001 à
Osr.OOi de nitrate de pilocarpine provoquent une sueur purement locale, sans phénomènes
généraux. C'est bien la preuve d'une action périphérique, et non centrale, delà substance
en question.
Le même auteur a vu que, sur un sujet en pleine sueur provoquée par la pilocarpine,
on peut obtenir l'arrêt local de la sudation avec 1 millième de milligramme d'atropine,
réaction indiquant une sensibilité plus grande même que celle de l'iris qui ne se
dilate que pour des doses supérieures à celles-ci. Il a vu de même sur un homme après
avoir injecté sous la peau 0S'',002 de sulfate d'atropine, puis une demi-lieure après
0E'',02 de pilocarpine, dans une autre région, qu'on ne provoque ni sueur générale ni
salivation, mais seulement une sueur locale.
Les mêmes effets d'opposition peuvent encore, en ce qui concerne les glandes sudo-
ripares, être constatés par la méthode d'.\oBERT (de Lyon i à l'aide d'empreintes prises
sur papiers sensibilisés (au nitrate d'argent ou protonitrate de mercure) et sur lesquels
viennent réagir les acides de la sueur à l'orifice de chaque glande. A cette méthode.
ANTAGONISME. 573
AuBERT en a joint une autre, plus récemment, qui consiste à faire pénétrer les sub-
stances actives par l'action d'un courant électrique , la pénétration des substances se
fait suivant le sens qu'on attribue d'ordinaire au courant. Par ces moyens combinés
l'auteur a pu apprécier et mesurer l'action cataphorique ou anlisudorale d'un grand
nombre de substances.
L'explication de ces faits est dans l'analyse détaillée de l'action élémentaire de
chacun des deux poisons. Examinons-les séparément. L'atropine dilate la pupille,
sèche les glandes, accélère le cœur, immobilise l'estomac, les réservoirs des sécré-
tions, etc. Comment influence-t-elle tous ces organes? — Par leurs nerfs et seulement
par eux. Elle paralyse l'oculo-moteur commun, tant au point de vue de la pupille qu'au
jioint de vue de l'accommodation ; elle paralyse les nerfs sécréteurs, ou tout au moins
beaucoup d'entre eux, d'une façon très complète; elle paralyse les filets du vague qui
commandent les mouvements de l'estomac; elle agit en un nrot sur tous ces nerfs,
comme le curare agit sur les nerfs moteurs ordinaires, et il est facile d'en donner la
preuve par les mêmes moyens qui consistent à découvrir ces troncs nerveux et à porter
sur eux l'excitant électrique pour voir s'ils réagissent comme avant : on constate que
leur excitabilité a plus ou moins diminué ou disparu, la réaction est nulle ou insigni-
fiante. Cette inexcitabilité des nerfs nous explique très bien l'inertie fonctionnelle des
organes auxquels ils commandent, au même titre que celle des nerfs moteurs nous
explique celle des muscles dans l'empoisonnement curarique. Seule Faction sur le cœur
(en apparence excitatrice) détonne quelque peu au milieu de tous ces organes condamnés à
l'inaction, en ce sens que son mouvement à lui est au contraire augmenté et pourtant
cette accélération des battements cardiaques est aussi l'effet d'une paralysie, car cette
paralysie est celle de ses nerfs inhibiteurs, les pneumogastriques, de sorte que, privé de
son frein habituel, le cœur est livré sans contrepoids aux excitations provocatrices de ses
nerfs accélérateurs et précipite ses mouvements.
La comparaison de l'atropine avec le curare est juste à plus d'un point de vue ; il y a
une sorte de parallèle à dresser entre les actions de ces deux substances. Le curare
paralyse les nerfs centrifuges moteurs de la vie de relation, il prend secondairement
les nerfs moteurs ganglionnaires. L'atropine paralyse les nerfs centrifuges moteurs gan-
glioiniaires ou de la vie végétative, et secondairement les nerfs moteurs de la vie de rela-
tion. — Le curare parait s'adresser de préférence au segment nerveux infra-ganglionnaire
directement en rapport avec le muscle ; l'atropine paraît limiter son action à des segments
supra-ganglionnaires, à des fibres intercentrales qui ont leurs terminaisons dans des
masses ganglionnaires à la vérité très rapprochées des organes eux-mêmes (muscles ou
glandes), quand il s'agit des nerfs de la vie végétative. — Le curare paralyse les nerfs
moteurs par la périphérie, l'atropine fait exactement de même, et atteint toujours la
libre nerveuse surlaquelle elle agit par son extrémité le plus près de la périphérie.
La piloearpine, à des doses différentes, généralement beaucoup plus fortes, agit sur
les mêmes organes que l'atropine et trouble les mêmes fonctions, mais en sens inverse.
Elle resserre la pupille, fait sécréter les glandes, active le mouvement de l'estomac et
de l'intestin, ralentit ou arrête le cœur. Par quel mécanisme produit-elle des effets
aussi diamétralement opposés? C'est encore par l'intermédiaire de nerfs et en les para-
lysant. Ces nerfs bien évidemment sont antagonistes de ceux que l'atropine paralyse de
son côté. On peut en elfet fournir la preuve qu'il en est ainsi, au moins pour quelques
organes. La piloearpine paralyse les éléments inhibiteurs que le S3'mpathique cervical four-
nit pour la pupille et le muscle ciliaire; elle paralyse les inhibiteurs de l'estomac et de
l'intestin; elle paralyse d'autre part les accélprateurs du cœur, ce qui entraine la dimi-
nution de son mouvement. La preuve n'a pu encore être faite pour les glandes, eu rai-
son des difficultés particulières que rencontre l'étude de leurs éléments nerveux inhibi-
teurs; mais il n'y a guère à supposer qu'il en puisse être autrement.
La piloearpine est donc, elle aussi, un curare. Entre le curare et elle nous établirions
le même parallèle qu'avec l'atropine, à la seule condition d'inverser la fonction des élé-
ments nerveux auxquels elle s'adresse.
Ces faits nous amènent à une conclusion qui a son importance. En réalité il y a bien
un antagonisme représenté par des forces opposées deux à deux et se contrebalançant assez
efficacement, assez rigoureusement même, pour que l'on puisse avec facilité donner la
574. ANTAGONISME.
prédominance à l'une ou à l'autre à volonté, en forçant quelque peu la dose tantôt de
l'atropine, tantôt de la pilocarpine. Mais cet antagonisme en réalité n'es< pas entre les sub-
stancea elles-mêmes : il est entre les deux portions du système nerveux moteur, l'une, à propre-
ment parler, motrice. Vautre inhibitrice, qui s'opposent ainsi leurs énergies tant dans le
système nerveux de la vie de relation que dans le système ganglionnaire. C'est cette
opposition que nous avons tout d'abord étudiée avec détail au début de cet article. C'est
elle qui nous rend compte de l'antagonisme de ces substances qu'aucune action chi-
mique ne peut expliquer.
L'inversion si nette et si constante des effets produits par les deux substances semble
indiquer une action absolument spécifique de chacune d'elles, tantôt sur l'une, tantôt sur
l'autre des deux espèces de nerfs, comme si les uns étaient complètement?épargnés par
l'atropine et les autres par la pilocarpine. En réalité il n'en est pas tout à fait ainsi, et,
s'il en étaitainsi, on ne s'expliquerait pas bien comment l'atropine, par exemple, porte son
action sur le système excitateur quand il s'agit de la pupille, des glandes ou de l'estomac
et au contraire sur le système d'arrêt quand il s'agit du cœur. C'est même là une diffi-
culté que l'on n'est pas en mesure de lever entièrement dans fétat actuel de la science;
mais elle apparaît moins grande quand on tient compte des faits qui suivent.
Soit l'une soit l'autre des deux substances porte son action sur l'une ou sur l'autre des
deux catégories de nerfs, mais cette action n'est pas exclusive; elle est seulement prédo-
minante sur l'une des deux, et, suivant les cas pour une même substance. Ceci est très
facile à vérifier à l'égard des nerfs du cœur. La pilocarpine paralyse les nerfs accéléra-
teurs, d'où prédominance d'action des modérateurs, et tendance à l'arrêt, mais, pour peu
que la dose ait été un peu exagérée, quand elle dépasse 5 centigrammes pour un
chien de 10 kilogrammes, en injection dans les veines, on trouve le pneumogastrique
moins excitable, parfois même complètement paralysé dans les premiers instants qui
suivent l'administration du poison. On avait signalé déjà l'inexcitabilité de ce nerf
dans le cas d'empoisonnement par la muscarine (Schmiedeberg), poison dont les effets
sont très semblables à ceux de la pilocarpine, mais plus accusés. Cette inexcitabilité du
nerf inhibiteur du cœur produite par un agent toxique qui lui-même ralentit le cœur a
par elle-même quelque chose de contradictoire et qui dans tous les cas ne nous rend
pas compte de l'action ralentissante de cet agent. Elle ne se comprend que si elle ne
constitue qu'un des phénomènes en quelque sorte accessoires de l'intoxication, et c'est bien
ce qui est, p uisque en réalité cette inexcitabilité est seulement relative et moindre en
somme que celle du système antagoniste représenté par les accélérateurs. Une con-
statation du même genre et aboutissant à la même conclusion peut être faite également
pour l'atropine : cette substance qui, même|à faible dose, paralyse les inhibiteurs du cœur,
ne limite pas son action sur eux seuls à l'exclusion des accélérateurs. Ces derniers sont
également atteints par elle. Si on donne l'atropine ou la belladone à dose massive, le cœur
finit par se ralentir, au lieu de s'accélérer (Meumot). 11 est des animaux, comme la gre-
nouille, chez lesquels le ralentissement est le seul effet constatable, quelle que soit la dose.
Ces faits ne sont pas difficiles à constater, rien de plus simple que de vérifier l'état de
l'excitabilité d'un nerf, quand ce nerf a été préalablement mis à nu pour le soumettre
commodément à des excitations électriques convenablement graduées, pendant les diffé-
rentes phases de l'empoisonnement : ils concordent du reste avec des faits déjà connus
antérieurement, et surtout avec cette observation faite par tous les auteurs qui se sont
occupés d'antagonisme et d'antidotisme, à savoir que l'effet réversible est toujours com-
pris entre des limites assez étroites, et que, une fois ces limites franchies, les deux sub-
stances, réputées antagonistes, travaillent conjointement dans le sens d'une abolition plus
ou moins complète de la fonction, finissant par entraîner la mort. Tous ont exprimé
déjà plus ou moins cette opinion que l'antagonisme n'est pas entre les substances elles-
mêmes, auquel cas cet antagonisme devrait être illimité, comme celui, par exemple, qui
existe entre l'acide sulfurique et la soude pour produire, à volonté et dans les limites
qu'on désire, alternativement l'acidité et l'alcalinité d'une solution. Seulement, pour
transporter cet antagonisme aux pièces mêmes qui composent la partie motrice du
système nerveux, il leur manquait la connaissance de faits qui nous obligent maintenant
à considérer ce système comme double et muni d'autant d'éléments inhibiteurs qu'il
contient d'éléments excitateurs du mouvement. Les exemples d'abord [isolés d'appareils
ANTAGONISME. 575
nerveux construits sur ce type se sont peu à peu multipliés; à l'iieure qu'il est beaucoup
de physiologistes n'hésitent plus à généraliser cette conception dualiste à toute la partie
du système nerveux qui tient dans sa dépendance le mouvement des organes, quelle que
soit la nature de ce mouvement. Mes recherches personnelles sur l'antagonisme des
poisons ont consisté surtout à vérifier ce schéma et à l'appliquer aux différentes fonctions
en étudiant les modifications de l'excitabilité imprimées dans chaque cas par chaque
poison aux deux éléments constituants opposés du système nerveux.
Cette théorie de l'antagonisme (car, quelque désir qu'on ait de rester sur le terrain
des faits, il est impossible de ne point relier ceux-ci entre eux par quelque caractère
d'un ordre un peu général), cette théorie, dis-je, ditîère de celle qu'on s'était faite jusqu'à
présent et qu'on trouve exprimée dans les ouvrages antérieurs sur celte question, à peu
près sous la forme qui suit : l'antagonisme de l'atropine, de la pilocarpine (ou de
toutes substances qui, considérées deux par deux, se comportent comme ces deux poi-
sons), n'étant pas entre ces substances elles-mêmes, on expliquerait leur elïet opposé en
admettant qu'elles agissent d'une façon élective sur certains éléments nerveu.t ; l'une en
paralysant ces éléments, les autres en les excitant, et cela plus ou moins suivant les doses
employées : une variante de cette opinion consiste à transporter le siège de l'action
toxique du nerf à son organe terminal, glande, muscle, etc. Les preuves de l'action
paralysante sont tirées soit de la cessation delà fonction, soit de l'impossibilité constatée
de la réveiller par l'intervention des excitants appliqués sur le nerf paralysé : il y a non
seulement paralysie, mais perte momentanée de l'excitabilité. Les preuves de l'action
excitante antagoniste sont tirées du réveil de la fonction obtenu par l'action du poison
antagoniste, et même, dans certains cas, de la restitution par cet agent au nerf paralysé
de tout ou partie de son excitabilité première. Heidenhain a publié des faits de ce genre,
dans lesquels il voyait la corde tympanique, nerf sécréteur de la glande sous-maxillaire,
préalablement paralysée et privée d'excitabilité par une dose limite d'atropine, récupérer
. son excitabilité et sa fonction sécrétoire sous l'action d'une forte dose d'ésérine injectée
' directement par les vaisseaux de la glande.
Les faits sur lesquels on s'est appuyé pour admettre cette restauration de l'exci-
tabilité d'un nerf par un poison à action inverse de celui qui l'avait détruite paraissent,
au premier abord, contradictoires de ceux que j'ai exposés ci-dessus et inconciliables
avec eux. Il n'y a pas à les nier pourtant, il n'y a pas à supposer qu'aucune cause
d'erreur se soit glissée dans l'expérience : il n'y a pas même à arguer de la
difficulté que d'autres expérimentateurs ont éprouvée à les reproduire dans toutes
leurs circonstances; cette difficulté est inhérente à toute expérience dans laquelle on se
propose de démontrer la réversibilité de l'antagonisne de deux substances données.
Elle tient, comme je l'ai dit, à l'étroitesse notable des limites dans lesquelles ces faits
sont observables et qui s'explique justement parles considérations que j'ai déjà invo-
quées. L'apparente contradiction tient simplement à ceci : le mot excitabilité est une
expression qui, dans le langage physiologique, désigne non pas précisément une pro-
priété, mais la résultante d'un ensemble de phénomènes, de mouvements, de réac-
tions, voire de propriétés diverses, dont nous n'envisageons souvent que l'effet fruste, la
traduction extérieure totalisée, la somme algébrique, si on peut ainsi parler, sans entrer
dans leur analyse et leur détail; un exemple pris en dehors de la physiologie fera
comprendre ma pensée. Une force électromotrice donnée produit un effet moteur donné,
cet effet moteur peut être augmenté, non seulement sans que la force ait été accrue,
mais, même alors qu'elle aurait été diminuée, si, par exemple, on a diminué dans une
proportion plus forte encore une résistance antagoniste, une force contre-électromotrice,
comme celle qui constitue la résistance au courant dans les fils de transmission de
celui-ci. C'est quelque chose de ce genre (autant que cette comparaison est admissible)
qui se produit dans l'expérience que j'ai en vue. L'augmentation d'excitabilité du nerf
tympanique due à l'intervention de l'ésérine n'est qu'apparente ; elle est due sans aucun
doute à la résistance moindre qu'éprouve l'excitation de ce nerf à se transmettre à la
glande en raison de la diminution de l'excitabilité du système antagoniste. Il est en
tous cas impossible d'éliminer purement et simplement cette explication, si on songe aux
- faits d'expérience, si probants et si faciles à reproduire, danslesquelson voit ce même agent,
i'ésérine, produire la paralysie, la perte d'excitabilité de nerfs tout à fait semblables.
576 ANTAGONISME.
L'hypothèse d'une augmentation, non pas seulement relative, mais absolue, de
l'excitabilité a contre elle à peu près tous les faits. Elle ne peut s'admettre qu'en
la doublant d'autres hypothèses qu'il suffit d'énoncer pour en faire saisir l'invraisem-
blance : il faut accepter en effet pour la rendre valable que la même substance, tantôt
excite, et tantôt paralyse. Enfin, quand il s'agit du cœur, nous voyons trop bien que
l'exagération de son mouvement est due à la paralysie de ses inhibiteurs et non pas
à l'excitation de ses éléments moteurs. Sans doute, l'explication complète des faits
d'antagonisme tels que ceux existant entre l'atropine et la pilocarpine présente encore
des obscurités, et, loin de les dissimuler, il faut au contraire les faire ressortir. Prenons
encore une fois l'exemple du cœur qui se prête mieux à l'analyse. Lorsqu'on injecte
dans le sang une dose un peu plus forte de pilocarpine, nous savons ce qui arrive : le
cœur se ralentit considérablement; si les accélérateurs ont été préalablement découverts
et qu'on les excite, on les trouve tout à fait paralysés; si on excite les vagues, ils sont
paralysés, eux aussi. Si la paralysie des deux systèmes est poussée à ce point, commentse
fait-il que le cœur ne s'arrête pas tout à fait? Comment peut-il continuer à battre même
avec un rythme extrêmement ralenti? Je ne vois guère qu'une explication à donner de ce
fait. Nous savons que le cœur, môme privé de toute son innervation extrinsèque, complète^
ment séparé des centres bulbo-médullaires, détaché même par une solution de continuité
complète de l'organisme auquel il appartenait, continue de battre; ce qui implique la
conservation, non seulement de son excitabilité, mais encore d'une source d'excitation
régulière, et cette source, ou, pour mieux dire, celte provision d'excitation, réside dans
des ganglions qu'il contient à sa base. Nous savons encore que ces ganglions, consi-
dérés au point de vue de leurs fonctions propres, se répartissent en deux groupements :
les uns, centres moteurs proprement dits (ganglions de Bidder et de Ludwig) situés
dans les cloisons inter-auriculaire et auriculo-ventriculaire; les autres, centre d'arrêt
(ganglion de Resiack), situés au milieu du sinus de la veine-cave et de l'oreillette,
de telle sorte que le cœur isolé se trouve encore soumis à deux influences contraires,
l'une excitatrice, l'autre inhibitrice, antagonistes l'une et l'autre. En d'autres mots,
nous distinguons pour le cœur, comme pour un grand nombre d'organes analogues,
comme vraisemblablement pour tous les organes moteurs, une double innervation :
l'une provocatrice, et l'autre frénatrice ; mais dans un autre sens l'innervation du cœur
considérée analomiquement se repartage entre les deux groupements marqués par la
présence de centres ou de ganglions sur le trajet des conducteurs; l'un de ces groupe-
ments, celui qui reste adhérent au cœur quand on l'enlève, représente ce qu'on appelle
l'innervation intrinsèque de cet organe, et l'autre, celui qui s'étend du myélaxe aux gan-
glions cardiaqui^s, son innervation extrinsèque. 11 me paraît vraisemblable d'admettre
que l'action du poison antagoniste que nous étudions se fait sentir de préférence sur
cette dernière, tandis qu'elle ménage relativement la première. Il faut môme qu'il en soit
ainsi pour que, dans l'empoisonnement par la pilocarpine poussé un peu loin, le cœur
continue de battre, alors que nous trouvons les nerfs extrinsèques absolument réfrac-
taires à l'excitation. Il nous reste à faire l'hypothèse, assurément plausible, que les
organes nerveux intrinsèques, atteints à un moindre degré, mais atteints cependant, par
l'empoisonnement, subissent ces effets dans le même ordre que les nerfs extrinsèques,
et alors nous pouvons nous représenter d'une façon suffisamment claire tout ce qui
a trait à l'action antagoniste des deux substances considérées.
J'ai pris pour types de substances antagonistes l'atropine et la pilocarpine, parce que,
au point de vue particulier de l'opposition qu'ils présentent dans leurs eiîets, ce sont
les deux poisons les plus étudiés ; mais chacune de ces deux substances a des succédanées
qui peuvent se substituer à elle-même vis-à-vis de l'autre, et réciproquement, ce qui, par
un calcul simple à faire, multiplie beaucoup ces actions dites antagonistes. Il n'est besoin
que d'en citer quelques-unes.
L'atropine peut être remplacée par la duboisine dont les effets sont à peu près sem-
blables. L'hyosciamine et la daturine agissent dans leur ensemble également dans le
même sens, ce sont là des poisons appartenant incontestablement à un même groupe
physiologique : dans un groupe opposé nous placerons eu regard, à côté de la pilocar-
pine, la muscarine et l'ésérine dont les efiets sont assez semblables d'une de ces sub-
stances à l'autre, mais qui sont loin d'être identiques, qu'on les apprécie quantitativement
ANTAGONISME. o77
et même qualitativement. L'ésérine, par exemple, pour le dire en passant, appliquée loca-
lement sur la peau, ne produit pas la sudation (Aubert). Chacune des substances de l'un
des deux groupes, prise individuellement, s'oppose à chacune de celles de l'autre groupe,
et réciproquement.
Ce sont là les exemples les plus marqués, les plus incontestables, de cet antagonisme
que n'ous qualifions de réel, de bilatéral, de réversible. On en pourra produire d'autres, à
mesure qu'on définira d'une façon plus précise l'action élémentaire des substances,
réputées toxiques, actuellement connues ou encore à connaître. A la suite de ces types
si bien définis nous en trouverions d'autres, beaucoup plus incomplets, ne s'opposant entre
eux que par certains de leurs elfets, et cela encore dans une mesure plus ou moins res-
treinte. La désignation sous forme de nomenclature dos substances qui, à un litre quel-
conque, ont été réputées antagonistes, ne présente par elle-même aucun intérêt, et cela
pour la raison que j'ai déjà indiquée : il ne faut pas accepter cette notion d'opposition
d'une façon fruste, mais au contraire chercher à l'expliquer à la lumière des faits qui
ont été rappelés plus haut, et l'on verra alors qu'il y a peu de substances qui ne
méritent d'être considérées, à quelque point de vue et dans de certaines limites, comme
antagonistes de certaines autres. A cet égard on peut, je crois, poser la loi suivante : en
dehors des substances qui sont susceptibles de se neutraliser chimiquement à la façon des
acides et des alcalis, l'effet antagoniste d'une substance à l'égard d'une autre est déterminé
et mesuré par l'action antagoniste des éléments sur lesquels agissent réciproquement ces
deux substances.
Les nerfs qui vont à l'iris, au cœur, à l'estomac, à l'intestin, à la vessie, aux glandes,
autrement dit le champ nerveux sur lequel agissent les substances prises comme types
de poisons antagonistes, constituent un système moteur particulier, celui des nerfs gan-
glionnaires, représenté en très grande partie par le grand sympathique des anatomistes ;
auquel il faut adjoindre quelques formations aberrantes, telles qu'une partie du vague
et du facial, et que dans son ensemble on appelle par extension le système sympathique, du
nom de sa portion à la fois le plus considérable et la mieux caractérisée. — Ce système
n'est pas atteint d'une façon égale dans toutes ses parties par les poisons sus-désignés;
mais dans son ensemble il est atteint assez fortement, avant que ces poisons fassent
sentir leurs elfets sur d'autres nerfs moteurs distincts des précédents, les nerfs moteurs,
dits de la vie de relation. — 11 ne faudrait pas croire pour cela que ces derniers échappent
à l'empoisonnement; ils sont pris à leur tour, il est vrai dans une beaucoup plus faible
mesure ; et, ce qui est intéressant, l'action antagoniste des deux groupes d'alcaloïdes s'y
observe également.
Les cliniciens ont eu maintes fois l'occasion de constater, surtout chez les enfants,
le délire, l'état d'excitation, d'agitation extrême, les convulsions, et même la fièvre, qui
accompagnent l'empoisonnement par la belladone. Inversement on trouve noté dans
les observations d'empoisonnement par le jaborandi ou la pilocarpine un ensemble de
phénomènes qui est comme la contre-partie du précédent et qui est marqué par le
collapsus et la tendance au refroidissement. — Le physiologiste peut réaliser à volonté
ces états opposés par l'emploi alternatif des deux substances : il peut même, en raison
de la résistance plus grande des nerfs de la vie de relation à l'empoisonnement, obser-
ver ici plus facilement la bilatéralité ou la réversibilité des effets. On peut, en graduant
convenablement les doses, faire passer plusieurs fois et en peu de temps le même ani-
mal par les différents états d'excitation générale et de dépression qui marquent les
effets opposés des deux poisons. C'est ce qui se voit surtout très bien en ce qui
concerne la respiration. De même aussi la température s'élève par l'atropine et s'abaisse
par la pilocarpine; la glycémie est également modifiée; on voit la proportion de sucre
dans le sang baisser par l'atropine et s'élever parla pilocarpine. Avec une action aussi
générale sur les nerfs, il n'est pour ainsi dire pas de fonction qui puisse rester complè-
telnent en dehors de l'empoisonnement, et n'être pas atteinte, au moins par contre-coup.
La diminution du sucre du sang, l'exagération de l'activité musculaire, l'accélération
de la respiration, la suppression de la sueur, sont autant de phénomènes pour ainsi dire
concordants, et qui nous expliquent, chacun pour une part, l'élévation de la tempé-
rature qui suit l'administration de la belladone à certaine dose. — De même les phé-
nomènes inverses, la tendance à l'hyperglycémie, la dépression musculaire, le ralentis-
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 37
578 ANTAGONISME.
sèment du rythme respiratoire, les sueurs profuses, nous expliquent par leur ensemble
l'abaissement tbermique qui suit l'empoisonnement par la pilocarpine ou le jaborandi.
Il serait sans doute exagéré de croire qu'il y ait dans l'action antagoniste de ces deux
substances quelque ordre invariable, et tel qu'à l'égard d'une de ces grandes fonctions
d'ensemble (Ihermogénèse, glycémie) l'action de chaque substance en particulier doive
être univoque et de près ou de loin toujours influencer cette fonction de la même ma-
nière. En réalité l'élévation thermique dans un cas, l'abaissement dans l'autre, sont
comme une résultante générale d'actions particulières qui peuvent-être assez diverses nu
parfois individuellement contraires. Le résultat est comme une somme algébrique, dans
laquelle les valeurs positives prédominent dans un cas, et les valeurs ne'gatives dans l'autre.
Conclusions générales. — La notion d'antagonisme, à être développée, compor-
terait encore l'examen de nombre de questions, et finirait par se confondre avec celle
de réaction, dans le sens où nous entendons ce mot en physiologie. — Les fonctions,
c'est-à-dire l'ensemble des phénomènes harmonisés pour l'entretien de la vie, ii'at-
teignent le résultat précis pour lequel elles existent qu'à la condition d'être réglées,
c'est-à-dire d'être maintenues entre certaines limites; il n'est pour ainsi dire pas un
phénomène de l'organisme, pas une seule des activités diverses manifestées par ses élé-
ments composants, qui ne soit aussi maintenu entre des limites extrêmes qu'il fran-
chirait aisément si la condition régulatrice n'existait pas. Il nous faut ajouter : ce
sont les tendances mêmes de ces activités à sortir de leurs limites prescrites qui sont
utilisées en vue de les y maintenir; l'elfet produit devenant, par le fait d'un méca-
nisme préétabli, ou pour mieux dire peu à peu établi par le développement, cause à son
tour d'un effet inverse ; exemple : les variations de la température extérieure sont em-
ployées à régler la température des animaux (à sang chaud) en produisant par l'abaisse-
ment extérieur une élévation de la température interne, et inversement. Non seulement
la température règle la température, mais par des mécanismes semblables la pression
règle la pression; la respiration règle la respiration; l'état chimique du sang règle cet
état chimique lui-môme, et tous ces mécanismes régulateurs sont à peu près invariable-
ment construits sur le même type; pour leur donner toute la sensibilité voulue, le sys-
tème nerveux intervient par le moyen de ces actes qu'on appelle réflexes, consistant en
un cycle d'excitation transmise de pièce en pièce à travers l'organisme et par lui, en vertu
desquels une excitation initiale partie du milieu extérieur fait retour contre ce milieu
extérieur. Le mot sensibilité même n'est pas ici une métaphore : il doit être pris au
pied de la lettre. C'est à cause de sa plus grande escilabitité ou sensibilité que le sys-
tème nerveux intervient dans ce mécanisme, qu'on considère comme automatique, mais
qui est en réalité sensible, et qui doit à sa grande excitabilité sa précision extrême. —
Le mot réaction a, lui aussi, un sens profond dont il faut dégager au moins une des
acceptions. La réaction, c'est l'activité cellulaire déchaînée par l'excitation, activité d'un
organe ou d'un ensemble d'éléments, activité dont 1 intensité est réglée dans une cer-
taine mesure par l'excitation, mais dont le sens, la direction, a surtout un rapport étroit
avec la nature de cette excitation même.
C'est une fois de plus par deux séries d'actions nerveuses parallèles et inverses que
s'opère cette régulation des fonctions. Des excitations qui arrivent aux centres nerveux,
les unes atteignent des centres moteurs, les autres des centres inhibiteurs, et, suivant que
les unes ou les autres prédominent, il y a inhibition ou mouvement des parties; d'après
un des exemples cités un peu plus haut, le froid agit comme excitant pour produire la
chaleur et la conserver dans l'organisme ; le chaud agit diversement pour la déperdre
ou l'absorber sur place, afin que dans les deux cas la température centrale reste fixe
sensiblement. Tout mécanisme régulateur suppose un antagonisme préétabli entre deux
influences contraires, desquelles l'organisme entend rester égalenj^ent éloigné.
Cette étude des mécanismes régulateurs ou réflexes, protecteurs et conservateurs de
fonctions, est encore tout à fait à son début.
Pour beaucoup de fonctions, ces mécanismes sont vaguement soupçonnés plutôt
qu'ils ne sont réellement connus. On entrevoit cependant que dans plus d'un cas ils
devront peut-être se ramener à celui que nous avons longuement étudié en décrivant
les effets opposés de l'atropine et de la pilocarpine. Parmi les déchets de l'organisme il
parait exister des résidus qui sont employés à un tel office; ces substances agiraient en
ANTHROPOLOGIE. 579
impressionnant certains systèmes moteurs particuliers sur lesquels elles ont une action
élective ou prédominante. Mieux que les alcaloïdes ci-dessus dénommés, qui sont
empruntés aux végétaux, et qui, par le fait, n'ont pas de fonctions proprement dites à
remplir dans l'organisme des animaux, ces substances sauraient choisir entre les nerfs
moteurs et les inhibiteurs, peut-être même entre les moteurs ou les inhibiteurs de
diverses fonctions. C'est par une vue de ce genre que Chauveau et Kaufmann ont tenté
d'expliquer l'action régulatrice du pancréas à l'égard de la fonction glycogénique. Si
l'existence d'un tel mécanisme régulateur peut être établie pour une fonction en parti-
culier, on ne doutera guère qu'il présente au fond une grande généralité.
Antidotisme. — L'antidotisme relève à un certain point de vue de l'antagonisme,
mais il est accessoire pour nous, en ce qu'il concerne plus particulièrement la thé-
rapeutique. Sont antidotes d'un poison toutes les substances qui, par un moyen physiolo-
gique, chimique ou quelconque, empêchent ou atténuent l'effet fâcheux produit par ce
poison. La notion d'antidotisme est tout empirique, tirée de considérations exclusi-
vement pratiques. Cette notion, comme on voit, n'est nullement équivalente de celle
d'antagonisme, et, comme le remarque très justement J. L. Prévost, alors même qu'une
substance ne présenterait pas avec un poison donné d'antagonisme réel, elle peut très
bien lui servir d'antidote, son effet consistant à empêcher ou atténuer par un moyen quel-
conque les symptômes du poison dont la mort peut dépendre.
Maladies antagonistes. — Il était autrefois enseigné traditionnellement que deux
pyrexies ne pouvaient se développer simultanément sur le même sujet. Le dogme de
l'incompatibilité des actions morbides avait été proclamé par Hcnter. Cette croyance est
contraire à la réalité des faits cliniques, ainsi qu'on l'a fait voir surtout de nos jours.
Lorsque deux épidémies coexistent (suette et choléra, par exemple) on a pu voir les
symptômes de l'une des deux affections disparaître brusquement à l'apparition de ceux
de l'autre, qui continue à évoluer seule, et réciproquement.
Les études microbiennes, en nous instruisant sur la cause première des maladies de
cet ordre, ont donné un nouvel intérêt aux observations de ce genre et nous ont mis en
main un levier puissant pour en poursuivre l'analyse en les reproduisant dans certains
cas chez les animaux. On a annoncé l'action résolutive exercée par le microcoque de
l'érysipèle sur certaines tumeurs malignes. Le vibrion du choléra est tué par les bactéri-
dies de la putréfaction, le bacille fluorescent est un antagoniste énergique du staphylo-
coque pyogène doré, du bacille typhique, du pneurao-bacille de Friedlander. D'après
Bouchard, l'inoculation simultanée du bacille pyocyanique et de la bactéridie charbon-
neuse du lapin a été suivie 12 fois de guérison sur 26 sujets expérimentés, tandis que
20 lapins inoculés avec les mêmes matières charbonneuses sans inoculation pyocyanique
ont donné 20 morts (Kelsch. Maladies épidémiques, t. i, pp. 7S à 87).
Cet ordre de faits déborde, si l'on peut ainsi dire, le champ de la physiologie. Ce ne
sont plus ici en effet des substances qui s'opposent chimiquement leurs propriétés et par
là se neutralisent, ou des corps agissant d'une façon plus ou moins élective sur des orga-
nes à fonctions opposées, mais des êtres figurés en état de concurrence vitale, de lutte
pour l'existence, et probablement l'antagonisme des maladies contient ces différents
points de vue tous à la fois, dans une mesure qui reste à déterminer. Quand l'analyse
aura fait la part de chacun de ces différents facteurs, alors seulement cet antagonisme
morbide recevra son explication, et la clinique, une fois de plus, profitera de données qui
relèvent surtout de l'expérimentation.
Bibliographie. — Sydney Ringer et Murrell (/. P., 1878-79, t. i, pp. 72, 232, 241).
— Straus. Inject. hypoderm, depilocarpine et d'atropine (C. R., 1879, l. lxsxix, p. 53). —
Vulpian. Substances toxiques. — J.-L. Prévost. Antagonisme physiologique (A. P., 1877,
t. IV, (2), pp. 801-839). — LucHsiNGER. Mitscarin undAtropin auf die Schioeissdriisen der
Katze, A. Pf., 1881, t. xviii, pp. 501, 587. — Rosshach (ibid., t. sxi, p. 1). — Robillard.
Thèse de Lille, 1881. — Aubert {Lyon médical, 1874-1893). — J. P. Morat {Revue
Scientifique, jaiWet 1892). j. p, MORAT.
ANTHROPOLOGIE. — Au sens étymologique, c'est la science de l'homme.
Broca l'a définie « l'étude du groupe humain envisagé dans son ensemble, dans ses
détails et dans ses rapports avec le reste de la nature ».
380 ANTHROPOLOGIE.
C'est-à-dire que l'anthropologie est la monographie du ^enre homme, comprenant
son étude anatomique, physiologique, psychologique; tout ce qui se rapporte à l'homme
rentre dans son domaine ; les traités d'anatomie dont se servent les étudiants en
médecine sont de l'anthropologie pure, puisqu'il n'y est question que de l'homme; la
philologie, l'archéologie, l'histoire, la sociologie, sont des sciences anthropologiques,
puisqu'elles décrivent les diverses façons dont les hommes parlent, les monuments que
les hommes ont construits, les sociétés qu'ils ont formées et qu'ils forment encore.
La légitimité d'une telle science à donné lieu a des débats passionnés, dans lesquels
les tendances métaphysiques semblent, au fond, avoir tenu plus de place que les con-
sidérations scientifiques. On ne voit pas bien, aujourd'hui, quelles objections théoriques
pourraient être faites à une délimitation aussi large du programme de l'anthropologie,
non plus qu'à sa constitution en science distincte'. Auguste Comte a divisé les sciences
en deux catégories : les sciences générales ou abstraites, qui recherchent les lois des
phénomènes, et les sciences particulières ou concrètes, qui envisagent les difl'érentes
sortes d'êtres existants. Ces dernières peuvent envisager des groupes d'êtres plus ou
moins larges, tous les animaux, par exemple (zoologie), ou un embranchement {entomo-
logie) ou bien des groupes plus restreints, un seul genre ou une seule espèce. Dans ce
dernier cas, il est vrai, on ne prend guère la peine de fabriquer un nom spécial pour
désigner la monographie du polype d'eau douce ou celle de l'écrevisse. Mais ce qui
serait une pédanterie inutile pour une science qui peut tenir en un volume devient légi-
time quand il s'agit d'êtres qui présentent des phénomènes infiniment plus conipliqués,
et, disons-le aussi, bien plus étudiés. On ue peut empêcher que l'espèce à laquelle nous
appartenons ne nous intéresse plus que toute autre : un médecin est par nécessité un
anthropologiste.
Mais pratiquement, au point où nous en sommes actuellement, les sciences tirent
leur individualité bien plus de leur méthode que de leur objet. Le physiologiste, qui,
travaillant dans une faculté de médecine, a pour but la connaissance des phénomènes
physiologiques de l'homme et de leurs déviations morbides, c'est-à-dire une partie de
l'anthropologie, expérimente principalement sur le chien, le lapin, la grenouille, et l'on
comprend sans explication qu'il n'en peut être autrement.
L'anthropologie physiologique se composera donc de tout ce qui, dans les résultats
obtenus par la physiologie générale et la chimie biologique, est applicable à l'homme.
Pour trouver ces résultats dans ce dictionnaire, il nous faut renvoyer à tous les articles
qui traitent d'une fonction l'eprésentée chez l'homme, ou d'une substance chimique
existant dans ses tissus; c'est-à-dire à presque tous. Car, par suite de cet intérêt pra-
tique que nous signalions plus haut, nos connaissances sont bien plus étendues sur
l'homme et ses proches, les mammifères, que sur les animaux plus éloignés de lui.
L'article Aliment est, en grande partie, de l'anthropologie physiologique. La science,
quoique nous en puissons dire abstraitement, est si bien anthiopocenlriquc que l'étude
des plantes elles-mêmes est faite le plus souvent par rapport à l'homme. Voyez par
exemple Absinthe, Tabac. Pourtant, ces résultats des sciences abstraites ne suffisent
pas pour constituer la science de l'homme. Quand on a pris et systématisé tous les
renseignements qu'elles fournissent pour l'homme en général, il reste encore à faire ce
dont Broca sentait le besoin quand il a créé la Société d'anthropologie, ce qu'il lui
proposait comme but : l'étude des races humaines.
Quelles dilîérences physiologiques existent entre les divers êtres humains? Voilà la
question physiologique spéciale que l'anthropologie doit résoudre elle-même par sa
méthode propre, l'observation ethnique.
Nous laisserons de côté ici les différences physiologiques sexuelles, qui doivent être
traitées dans un article à part, pour ne nous occuper que des différences observées entre
les''diverses races. Malheureusement, les matériaux rassemblés jusqu'ici sont extrêmement
peu nombreux. L'anthropologie physiologique réduite à ce thème est presque une page
blanche.
Dans les fonctions de nutrition, il n'y a, pour ce qu'on en sait, que peu ou point do
1. Voir L. Manouvrier. Classification naturelle des sciences: positioii et programme de l'an-
ihropologie ; Assoc. fr. p. l'avancement des sciences. Congrès de Paris, 1889.
ANTHROPOLOGIE. 581
variations d'une race à l'autre; et il serait étonnant qu'il en fût autrement, étant donné
que les différences à ce point de vue entre les diverses espèces des mammifères ne sont
généralement que de peu d'étendue.
La température est exactement la rnème chez les Malais et chez les Européens habi-
tant la Malaisie (Eukmann. Bluluntevsuchungen in dm Tropen, A. V., t. cxxvr, p. 113).
Le même auteur a constaté aussi chez ces deux populations exactement la même com-
position chimique du sang.
Pour l'activité des combustions, il n'a pas été fait de mesures directes. Mais l'étude
des rations alimentaires montre que le besoin alimentaire est le même, toutes choses
égales d'ailleurs, pour les divers peuples qui ont été étudiés à ce point de vue. En par-
ticulier les Japonais, qui ont fait l'objet de travaux nombreux, fournissent des chilfres
exactement concordants avec ceux obtenus en Europe. Pour les peuples vivant entre les
tropiques, le besoin alimentaire est plus faible : a priori on conçoit que cela tient aux
conditions différentes de la température ambiante; la preuve qu'il ne s'agit point là
d'une difTérence ethnique nous est fournie par ce fait, que les habitants des régions tem-
pérées, transportés dans les régions tropicales, présentent la même diminution dans
leur besoin alimentaire (Voir Aliments, pp. 347-348).
Le préjugé contraire est très répandu : on raconte facilement que tel ou tel peuple est
extrêmement sobre et vit de presque rien. En réalité, une observation superficielle
donne seule celte impression; toutes les études quantitatives conduisent à des chiffres de
consommation à peu près constants si on les rapporte à la surface du sujet considéré
et à ses conditions de vie. Quand j'ai commencé, en Abyssinie, à m'enquérir du régime
des Indigènes, tous les Européens que j'interrogeais me servaient la phrase classique :
« Ces gens-là vivent de rien; une galette de durrha le matin, une le soir, c'est tout. » Ces
deux repas sommaires coûtent en effet chacun dix centimes (quand la durrha est chère)
et sont absorbées en quelques secondes; mais, en les pesant et en les analysant, ou cons-
tate qu'à eux deux^ils représentent une énergie de 2000 calories et qu'ils contiennent
oO grammes d'albumine (Lapicque. Élude quantitative sur le régime alimentaire des Abys-
sins, B. B., 1893, p. 251).
Peut-être observerait-on des différences dans les aptitudes digestives. Ainsi Osawa a
constaté que, chez les Japonais, le riz ingéré est mieux utilisé que chez les Européens.
Chez les premiers, on retrouve dans les fèces, pour 100 parties ingérées, 2 p. 8 de subs-
tance sèche et 20 p., 7 d'albumine; tandis que chez les Européens d'après les auteurs
européens, ces chilfres sont 4 p., 1 de substance sèche et 25 p., 1 d'albumine'. Le riz
et, d'une façon générale, les nourritures végétales volumineuses étant habituelles à l'une
des catégories de sujets et non à l'autre, il serait difficile de dire si l'on a affaire là à
un caractère ethnique ou à une simple adaptation individuelle. Mais la divergence peut
même n'être pas réelle; les chiffres ont été obtenus de part et d'autre par des obser-
vateurs différents avec des méthodes différentes, et, chez les Européens seuls, les diver-
gences individuelles sont parfois aussi étendues.
Les quelques observations recueillies ne semblent pas indiquer des différences dans le
rythme respiratoire ou circulatoire, sinon des dift'érences qui pourraient s'observer aussi
bien chez divers sujets d'une même race, suivant la taille, les conditions physiologiques, etc.
La peau et ses annexes offrent, au contraire, des différences ethniques très nettes,
sinon très importantes en elles-mêmes, qui sont employées dans les classifications. La
production de pigment épidermique varie dans des limites très étendues, de façon à
produire des colorations qui vont du noir complet à cette couleur brune extrêmement
claire que nous appelons blanc. 11 n'est pas douteux qu'il s'agisse là d'un caractère
ethnique, et non d'une adaptation à des conditions diverses d'éclairage, de chaleur,
d'humidité, etc. Dans la Péninsule Malaise on peut voir dans la même forêt deux espèces
de gibbons très voisines : l'une entièrement noire (Hylobates syndaotylus), l'autre au pelage
d'un blond très clair presque blanc (fi. agiUs) ; de même on trouve dans des vallées sépa-
rées seulement par quelques journées de marche des tribus de sauvages vivant dans
les mêmes conditions, et dont les unes sont couleur de chocolat, et les autres, guère plus
foncées que des Européens hàlés.
\. D'après analyse dans J. B. de Maly, 1892, p. 469.
582 ANTIDOTE — ANTIMOINE.
L'abondance du système pileux et sa répartition sur le corps varient aussi avec les
races; la forme des cheveux surtout donne des aspects dont la diversité est frappante
(cheveux lisses, cheveux crépus).
Mais ces caractères de la peau et du poil sont autant de l'anatomie que de la phy-
siologie. C'est dans l'étude des fonctions de relation qu'il y aurait réellement lieu de
chercher à constituer une physiologie comparée des races humaines. Les données ana-
tomiques nous montrent un développement cérébral variable suivant les races (voir Cer-
veau) ; il est très vraisemblable qu'à cette différence anatomique correspondent des dif-
férences physiologiques, et il est probable que celles-ci doivent porter surtout sur les
fonctions psychologiques (Voir Manocvrier. De la quantité dans l'encéphale, D. P., 1882).
Mais sur ces taits, nous manquons non seulement d'observations précises, mais même
d'une bonne méthode d'observation. Pour obtenir des grandeurs mesurables dans l'état
actuel de la science, et pouvoir faire des comparaisons ayant une valeur objective, il
faudrait se contenter de l'étude de ces phénomènes qui sont sur le seuil de la physio-
logie et qu'on mesure par les méthodes psychophysiques. Les acuités sensorielles, par
exemple, la sensibilité à la douleur, sont susceptibles de s'exprimer en chiffres; étudiées
dans la série ethnique, elles montreraient sans doute des variations intéressantes.
On possède quelques chiffres sur l'énergie de la contraction volontaire, mesurée par
la pression des fléchisseurs des doigts sur un dynamomètre (Voir Topinard. L'Anthro-
pologie, 3° édition, Paris, 1879, p. 413). Mais fa comparaison des chiffres obtenus par des
observateurs différents avec des méthodes mal précisées serait peut-être aventureuse.
Broca recommandait, comme moins sujette aux erreurs, la mesure de la force de traction
verticale des reins.
Il semble que l'étude du temps perdu de la réaction volontaire doive fournir des
données intéressantes. Je ne connais aucun chiffre publié relativement à cette durée'
chez d'autres sujets que des Européens. Pendant le voyage de la Sémiramis, j'ai fait
quelques mesures (non publiées encore) au moyen du chronographe électrique de d'Ar-
soNVAL, sur des Négritos andamanais et sur des Hindous. J'ai obtenu des moyennes un
peu différentes suivant la race observée ; les Andamanais mettent quelques centièmes de
seconde de plus à réagir que les Européens, et les Hindous sont encore un peu plus lents.
Mais sur ces questions, il faut des séries de chiffres extrêmement nombreuses pour per-
mettre de conclure.
Avant tout, dans de telles recherches, il est nécessaire de commencer par bien préciser
la donnée ethnique sur laquelle on veut opérer ; or le classement d'une population dans
une race donnée n'est pas toujours facile. Ensuite, il faudrait définir exactement les con-
ditions de la vie du sujet; on ne peut comparer directement un sauvage qui rôde par
les forêts, subissant la famine, les moustiques, souvent la fièvre, à un étudiant européen
qui, à l'abri de toutes les intempéries, a soumis ses centres cérébraux à un entraîne-
ment systématique de plusieurs années.
En somme, la physiologie comparée des races humaines en est encore à l'état de
simple desideratum.
LOUIS LAPICQDE.
ANTIDOTE. — Substance médicamenteuse capable de neutraliser les effets
physiologiques d'un poison. On a distingué les antidotes mécaniques, chimiques et phy-
siologiques. Cette classification n'a d'intérêt qu'au point de vue physiologique (Voy.
Antagonisme).
ANTIFÉBRINE. — Voyez Acétanillde.
ANTIMOINE [Sb = 122]. — Propriétés physiques et chimiques de l'an-
timoine et de ses composés. — Ce métal a été isolé pour la première fois par Basile
Valentin vers le milieu du xv^ siècle. Son principal composé, le sulfure d'antimoine,
était déjà connu depuis la plus haute antiquité: les anciens s'en servaient et le dési-
gnaient sous le nom de stihium.
ANTIMOINE. 583
Il est peu de corps qui aient autant exercé la sagacité' des alchimistes et joui d'une
aussi grande vogue auprès des médecins.
Son emploi en médecine donna lieu à tant d'abus que le Parlement crut devoir en
proscrire l'emploi, en 1566, suivant l'avis de la Faculté.
L'antimoine est un métal blanc bleuâtre à texture cristalline, lamelleuse si l'anti-
moine est impur, et qui se clive facilement suivant la base du rhomboèdre. Les masses
d'antimoine fondu présentent à leur surface des dessins simulant les feuilles de fou-
gère. Il est très cassant et facile à pulvériser à cause de sa texture cristalline.
L'antimoine en se combinant à l'oxygène donne naissance à trois composés :
Le protoxyde d'antimoine Sb^ 0'
L'antimoniate d'antimoine Sb-0''
L'anhydride antimonique Sb^O^'
Ces composés sont des poudres blanches insolubles et ne présentent par eux-mêmes
que peu d'intérêt.
Le protoxyde d'antimoine Sb-0' s'unit aux acides en jouant le rôle de base faible
pour donner des sels ayant peu de stabilité. On peut admettre qu'il existe deux classes
de sels antimonieux : dans l'une l'antimoine remplace trois atomes d'hydrogène; dans
l'autre, c'est un radical monoatomique (SbO)', l'antimonyle, qui remplace un atome d'hy-
drogène.
Parmi les sels de cette seconde classe se trouvent les émétiques qui sont les com-
posés les plus importants de l'antimoine.
Les émétiques sont des tartrates doubles d'antimoine et d'un autre métal.
Les deux principaux sont : l'émétique de soude. SbONaC*H*0'';rèmétique de potasse,
SbOKC*H''0''. Ces sels cristallisent dans le système orlhorhombique. L'émétique de
potasse est soluble dans 14 p. 5 d'eau froide et dans 1 p. 9 d'eau bouillante; celui de
soude est déliquescent.
On prépare l'émétique de potasse en faisant bouillir pendant une heure un mélange
de 3 parties d'oxyde d'antimoine et de 4 parties de crème de tartre délayée dans de
l'eau, en ayant soin de remettre de l'eau au fur et à mesure qu'elle s'évapore. Lorsque
la plus grande partie de l'oxyde d'antimoine et de la crème de tartre est dissoute, on
filtre et on laisse refroidir l'émétique cristallisé par refroidissement; on le purifie par
des cristallisations répétées.
L'émétique de soude se prépare de la même façon, en substituant le tartrate acide de
soude à la crème de tartre.
L'anhydride antimonique forme plusieurs hydrates :
SbO' H»
SbO^H Acide antimonique.
Sb-O'H* Acide pyro-antimonique (métaantimonique de Frémy). ,
L'acide antimonique, le plus stable des hydrates de l'anhydride antimonique, s'obtient
par l'action de l'eau régale sur l'antimoine métallique. C'est une poudre blanc jaunâtre,
presque insoluble dans l'eau, à laquelle elle communique néanmoins une légère acidité;
insoluble à froid dans l'ammoniaque, soluble dans la potasse caustique et légèrement
soluble dans l'acide chlorhydrique.
Cet acide donne naissance à deux séries de sels, les anlimoniates neutres et les anti-
moniates acides. — Citons l'antimoniate acide de potasse, 2SbO''K, Sb-0^ employé en
médecine et connu à tort sous le nom d'oxyde blanc d'antimoine.
L'antimoine se combine au soufre pour donner deux composés, le Irisulfure Sb-S'',
appelé stilbine lorsqu'il est naturel, qui se trouve abondamment dans la nature et le
pentasulfure Sb-S". On connaît en outre de nombreux composés mal définis constitués
par des oxysulfures; tous mélangés, en proportions variables, aux sulfures et aux oxydes.
Ils sont pour la plupart instables, insolubles plus ou moins dans l'eau froide et partant
sans grande action physiologique : ils ont cependant constitué pendant longtemps la base
de la médication antimoniale qui était en si grande faveur aux siècles précédents. Les
58i ANTIMOINE.
principaux de ces composés qui sont encore emploj'és actuellement sont les foies d'an-
timoine (crocus metallorum), le soufre doré d'antimoine, le kermès, etc,.
Le chlore donne naissance à deux chlorures d'antimoine, le trichlorure ou beurre
d'antimoine SbCP et le pentachlorure SbCl".
Le trichlorure est un sel déliquescent qu'oa obtient facilement en attaquant le trisul-
fure par l'acide chlorhydrique. Il se dégage de l'hydrogène sulfuré, et le trichlorure d'an-
timoine reste dans le ballon, en solution dans un excès d'acide chlorhydrique.
Ce corps est décomposable par l'eau, qui le transforme en oxychlorure SbOCI, ou pou-
dre d'algaroth, poudre blanche insoluble dans l'eau.
Action physiologique. — L'antimoine métallique est inattaqué par les liquides de
l'organisme, et est éliminé directement par les voies digestives comme tout corps étran-
ger. On l'a employé dans le temps comme purgatif, les pilules perpétuelles {pilulœ leternœ)
de nos pères, étaient de petites balles d'antimoine métallique.
Les composés solubles à base d'antimoine, si l'on en excepte le trichlorure qui est for-
tement caustique, activent les sécrétions.
Nous prendrons comme type des composés antimoniaux l'émétique; sa stabilité, sa
solubilité permettent de graduer sa dose facilement et d'étudier son action. Tous les
autres composés de l'antimoine ont une action analogue, généralement atténuée par
suite de leur instabilité et de leur solubilité incomplète.
Action générale de l'émétique. — L'antimoine, pris par la voie stomacale à la dose
de 1 centigramme d'émétique, détermine une saveur métallique désagréable, des
nausées, et une exagération des sécrétions de l'estomac, de l'intestin, du pancréas et du
foie.
A la dose de 3 à 10 centigrammes, on observe des phénomènes de nausées, de vomis-
sements ; employé aux mêmes doses, mais dilué dans un litre d'eau, il produit un effet pur-
gatif. On ari'ive à faire tolérer 1 gramme d'émétique administré par doses réfractées sans
obtenir les phénomènes réactionnels habituels. On observe alors un ralentissement du
pouls, un abaissement de température, de la faiblesse musculaire.
Ces phénomènes de tolérance s'observent d'emblée, suivant Tayloh, chez les sujets
atteints de pneumonie, de maladies nerveuses, de chorée.
L'antimoine a donc une action double : d'une part sur le système nerveux et le cœur,
d'autre part sur le système gastro-intestinal (Nothnagel et Rossbach).
Lorsqu'on injecte directement dans le sang les préparations antimoniées, on observe
des phénomènes analogues.
Action sur le système gastro-intestinal. — L'antimoine ingéré directement dans
l'estomac détermine des nausées, des vomissements et de la diarrhée. On a attribué ces
phénomènes réactionnels à une action locale des composés antimoniaux sur les muqueuses
du système digestif; mais Mage-ndie a observé que l'émétique injecté directement par voie
hypodermique déterminait ces mêmes réactions.
On a alors émis deux hypothèses diiférentes pour expliquer ces phénomènes :
D'Obnellas, Méhu, E. Labbé, Gubler, partisans de l'action locale, admirent que les
vomissements et la diarrhée provoqués par l'injection directe dans le système circula-
toire n'apparaissent que tardivement, c'est-à-dire au moment où l'antimoine, en s'éli-
minant, venait au contact de la muqueuse gastro-intestinale, et qu'il était nécessaire
pour provoquer le vomissement d'employer une dose plus forte que celle qui suffit lors-
qu'on administre lémétique par la voie stomacale.
Magendie, Orfila, Brinton, Richardson supposaient, au contraire, que les vomissements
et la diarrhée étaient dus à des phénomènes réactionnels réflexes occasionnés par une
action sur les centres nerveux.
SoLovEiTscHYE (Wirkungen der Antimonwerbindungen. A. P. P., 1881, t. xii, p. 438), en
expérimentant sur la grenouille et le lapin, a constaté que les nausées et les vomissements
apparaissaient rapidement chez la grenouille, plus tardivement chez le lapin, après injec-
tion d'émétique dans le torrent circulatoire. Il admet que ces phénomènes sont provo-
qués par l'élimination de l'antimoine par la muqueuse stomacale et dus à l'imprégnation
des terminaisons nerveuses par le poison.
Il a observé, en outre, des selles abondantes et sanglantes, dues à l'inflammation de la
muqueuse intestinale souvent érodée et parsemée de suifusions sanguines.
ANTIMOINE. o8n
Action sur la circulation et la respiration. — Le pouls est irrégulier, il s'abaisse
de 10 pulsations (Hirtz. Dkt. de méd. et de ch. prat., t. v, p. 8i). Trousseau et Grisolle
avaient admis une bien plus ^.'rande diminution dans le nombre des pulsations; Gubler a
observé une diminution de 20 pulsations.
La température s'abaisse de 2° cbez les fébricitants, de 1° chez les apyrétiques.
On observe avant l'abaissement de la température une légère élévation temporaire :
ce fait a été constaté chez l'homme par Ackermann, chez les animaux par Duuéril et
Demarquaï et par Pécholier.
SoLOVEiTSCHYK a constaté que l'antimoine provoquait un abaissement continu de la
pression sanguine eu dilatant les vaisseaux, et peut-être en agissant directement sur le
cœur; il a expérimenté avec l'émétique de soude.
L'antimoine a une action sur le sang qui n'est pas encore bien déterminée. Mialhe
admettait que l'antimoine forme avec le sang des composés insolubles: mais on n'a
presque jamais noté d'embolie dans les cas d'empoisonneiiîent par l'antimoine. En
général le sang est sombre et fluide.
Suivant Hirtz la diminution des mouvements respiratoires n'est pas proportionnelle
à celle du pouls. Suivant Trousseau et Pidoux le nombre de ces mouvements s'abaisse de
16 à 6, et la respiration se fait sans difficulté. Orfila et Magendir ont, observé une con-
gestion intense et de l'hyperhémie du poumon.
Action sur le système neuro-musculaire. — Injecté dans le sang à la dose de
50 centigrammes, l'antimoine provoque la mort foudroyante par arrêt du cœur. Avec
des doses moins fortes, on observe un ralentissement des battements du cœur, de la pros-
tration, de la paraplégie. Une période d'excitation musculaire précède cette paralysie. Le
système nerveux est ensuite atteint; les nerfs de la vie végétative sont aussi bien atteints
que ceux de la vie de relation.
Soloveitschyk, en expérimentant sur la grenouille avec l'émétique de soude, a constaté:
que l'antimoine paralyse les mouvements réflexes de la moelle ; que cette paralysie
est précédée d'une excitation passagère des centres de coordination; que les centres spi-
naux proprement dits échappent à cette irritation première; que l'appareil excito-moteur
du coîur se trouve paralysé; que l'excitabilité des nerfs moteurs des muscles soumis à
la volonté n'est pas modifiée.
Sur les mammifères, il admet que l'antimoine a aussi une action sur le cœur et l'ap-
pareil nerveux central et que l'abaissement de la pression vasculaire est due à la para-
lysie des vaso-moteurs et à la dilatation des artérioles.
Le ralentissement du cœur est le produit d'une action sur les ganglions cardiaques :
la section du pneumogastrique ne fait pas cesser le ralentissement des [battements.
Action sur la nutrition et les sécrétions. — Le ralentissement de la circulation
et de la respiration diminue l'intensité des phénomènes de la nutrition. C'est cette modi-
fication dans les actes physico-chimiques de combustion vitale que les agronomes alle-
mands mettent à profit pour engraisser les animaux: ils donnent des sels d'antimoine
(oxysulfure) aux animaux qu'ils veulent engraisser. C'est aussi ce phénomène qui explique
la stéatose des organes constatée par Salroayski dans un cas d'empoisonnement chronique.
L'antimoine augmente les sécrétions et les excrétions par son action hypercrinique
sur les muqueuses et les glandes. C'est à cette action qu'on doit rapporter la diarrhée,
le flux bronchique, l'expectoration et le vomissement.
L'antimoine s'élimine par les glandes salivaires, mammaires et rénales; par les
muqueuses bronchiques, intestinales; par la peau.
Lewal et Hepp ont constaté la présence de l'antimoine dans le lait, la sueur et
l'urine. L'action de l'antimoine qui s'élimine par la peau détermine presque toujours
une éruption de pustules analogues à celles de la variole {stibialismus cutaneus — eclhymu
stïbîatum) qui apparaît vers le deuxième jour de l'empoisonnement si la mort n'est pas
survenue auparavant. Cette éruption se manifeste surtout aux parties génitales, aux
cuisses, aux bras, dans le dos; elle se présente sous forme d'élevures rougeâtres, de
volume variable, qui, acuminées au début, s'aplatissent, s'ombiliquent et se remplissent
de pus, crèvent et donnent des plaies suppurantes excavées (Rabdteau). On observe des
lésions analogues sur la muqueuse intestinale, même lorsque l'antimoine a été intro-
duit directement dans la circulation.
586 ANTIMOINE.
L'antimoine séjourne longtemps dans l'économie, et son élimination se fait par inter-
mittence (MiLLON et Laveran. C. R., 1843, t. sxi, p. 236).
Action locale. — Les sels d'antimoine sont irritants, et leur action est d'autant plus
énergique qu'ils sont plus solubles. Ils déterminent une inflammation qui aboutit à
l'éruption pustuleuse varioliforme décrite plus haut.
Le prolochlorure d'antimoine (beurre d'antimoine) a une action toute spéciale. C'est
un caustique violent qui produit des eschares molles. Il a été préconisé comme caus-
tique dans les cas de morsures par les animaux suspects de rage. Sa facile liquéfaction
eu fait un agent peu maniable, qui crée des eschares irrégulières et mérite d'être
•banni de la thérapeutique chirurgicale.
Empoisonnement. — Les préparations antimoniales ont rarement été employées
comme agent toxique dans un but criminel : leur goût amer et nauséeux décelant faci-
lement leur présence.
On n'observe généralement des accidents que chez des personnes où l'antimoine em-
ployé dans un but thérapeutique a été administré à dose trop considérable; surtout
chez les enfants, qui ont une intolérance spéciale pour l'émétique.
Symptômes de l'empoisonnement aigu. — Saveur métallique désagréable, nausées,
vomissements abondants, diarrhée intense avec douleurs épigastriques. Excitation pas-
sagère des s3-stème nerveux et musculaire suivie de paralysie; ralentissement des mou-
vements cardiaques et respiratoires; le pouls devient petit et misérable, insensible,
stase veineuse, cyanose, réfrigération (algidité slibiée). Prostration, tremblement des
lèvres et des extrémités; crampes. Puis céphalagie, vertige, perle de connaissance,
délire, convulsions toniques et cloniques. La mort survient par arrêt de la circulation.
Le rappport entre ces symptômes et ceux du choléra a été consacré par l'expression de
choléra stibié. Si la mort n'est pas survenue le deuxième jour, on voit apparaître l'érup-
tion varioliforme.
Symptômes de l'empoisonnement chronique. — L'antimoine agit sur la nutrition
comme le phosphore et l'arsenic en provoquant la stéatose des organes. Suivant Tay-
LOR, l'administration prolongée détartre stibié détermine des nausées; des vomissements
muqueux et bilieux; des diarrhées séreuses suivies de constipations opiniâtres.
Le pouls devient petit, fréquent; la peau humide, froide; on observe de la faiblesse
musculaire, l'aphonie, l'épuisement. L'éruption stibiée est de règle.
La durée peut dépasser plusieurs mois, la mort survient après convulsions ou sans
agonie (Tardieu).
On observe des pustules, semblables à celles de la peau, sur la muqueuse du sys-
tème digestif (épiglotte, œsophage, estomac, intestin).
Il y a de la rougeur et de l'injection du canal intestinal : extravasation sanguine,
' suivant Rayer, ulcérations hémorrhagiques, suivant Trousseau.
Le sang est sombre et fluide ; la cavité cardiaque est vide (Mayerhofer). Il y a infil-
tration séreuse et congestion des méninges ; congestion et ramollissement du cerveau ;
congestion des poumons (Mage.xdie).
Toxicologie. — Les matières organiques qui sont suspectées de contenir de l'anti-
moine doivent être détruites avant de rechercher ce corps. La méthode la plus avanta-
geuse est celle que A. Gautier a publiée en 1875 {A. G., Traité de chimie).
Elle consiste à prendre 100 grammes de matière, les sécher à 100°; les placer dans
une capsule, ajouter 30 grammes d'acide azotique pur ordinaire additionné de o à
6 gouttes d'acide sulfurique, chauffer : le mélange se liquéfie et devient orangé.
Retirer la capsule du feu, ajouter 5 à6 grammes d'acide sulfurique pur, la masse brunit;
chauffer jusqu'à ce qu'il se dégage des vapeurs d'acide sulfurique. Ajouter alors 10 à
12 grammes d'acide azotique et chauffer jusqu'à carbonisation.
On lave le charbon à l'eau, qui enlève l'arsenic s'il y en a; puis on le traite au bain
marie : i^par l'acide chlorhydrique concentré ; 2° par une solution aul/iO"=d'acide tartrique.
Mélanger ensuite les liqueurs, les soumettre à l'action de l'hydrogène sulfuré. S'il se
forme un précipité, le mettre à digérer avec du sulfhydrate d'ammoniaque. Le sulfure
d'antimoine s'y dissout.
Transformer alors ce sulfure en chlorure par l'acide chlorhydrique concentré, addi-
tionner le tout d'acide sulfurique, et mettre le mélange dans un appareil de Marsh.
ANTIPEPTONE — ANTIPYRINE. 587
Les composés de l'antimoine, comme ceux de l'arsenic, sont réduits par l'hydrogène
naissant : il se forme de rh3'drogène antimonié, qui, comme l'hydrogène arsénié, se détruit
par la chaleur en laissant déposer des anneaux et des taches d'antimoine métallique.
On doit différencier les taches d'antimoine de celles d'arsenic.
Denigès donne une bonne méthode de différenciation (C. fi., t. cxi, 1890, p. 824).
Il traite les taches suspectes recueillies dans une petite capsule par quelques gouttes
d'acide nitrique, chauffe pour achever l'oxydation, ajoute ensuite quelques gouttes de
molybdate d'ammoniaque. Il se forme un précipité, si c'est de l'arsenic; rien, si c'est de
l'antimoine.
Bibliographie. — Chimie. ~ Dict. de Ww'tz. — Denigès (C. R., t. cxi, 1890, p. 824).
— A Gautier. Traité de chimie, 1871).
Physiologie. — Médecine. — Toxicologie. — Barb.\raim. Recherches expérimentales
sur les effets toxiques du tartre stibié {Gaz. des hôp., 187o,t. xlviii, p. 397). — Bon.\my.
Étude sur les effets physiologiques et thérapeutiques du tartre stibié (Paris, 1841). — Hirtz.
Bict. de mc'd. et de chir. prat., t. v, p. 84. — Millon et Laveran (C. R., t. xxi, p. 236, 1845).
— MoRTON. Note sur l'élimination de l'antimoine de l'organisme humain {Ann. J. Med. Se.
Fhila. (1879), t. lxxvii, pp. 89-91). — Pécholier. Action physiologique du tartre stibié {Mont-
pellier Médical, 1863, pp. 408-442). — A. Mosso. Sidl' azione del tartaro emetico. Sperimen-
tale, 1875, t. xxxvi, pp. 616-636). — Ackermann. Wirkungen des Brechweinsteins auf das
Herz {A. V., 1862, t. xxv, pp. o31-5o3). — Harnack. TJber den praci. therap. Werth der
Antimonverbindungen {Mimch. med. Woch. (1892), t. xxxix, p. 179). — Rabuteau. Traité
de toxicologie.
A. CHASSEVANT.
ANTIPEPTONE. — Nom donné par Kûhne à certaines peptones résistant
à l'action des ferments (Voy. Peptone).
ANTIPÈRISTALTIQUE. — Voyez Péristaltique.
ANTIPYRÉTIQUES. — Voyez Chaleur et Fièvre.
ANTI PYRI NE. — Sous le nom commercial d'antipyrine, Knorr, de Munich, fit
connaître un dérivé de la quinoléine;ladiméthyloxyquinizine. En France, l'antipyrine est
désignée souvent sous le nom d'analgésine et en Angleterre elle est appelée, dans la
British PJiarmacopœia, Phenazone.
L'antipyrine se présente sous l'aspect de cristaux blancs grisâtres, ayant au micro-
scope un aspect feuilleté ou de colonnes tronquées. Elle est très soluble dans l'eau, dans
l'alcool, peu dans l'éther: 10 grammes d'antipyrine se dissolvent dans 6 grammes d'eau
froide. Les réactifs les plus sensibles sont : l" L'acide nitreux, qui produit une belle
coloration verte; 2° L'acide azotique fumant qui donne la même coloration; 3° Le per-
chlorure de fer fait apparaître une coloration rouge pourpre même dans des solu-
tions diluées. Ce dernier réactif permet de déceler l'antipyrine dans l'urine.
Action sur le système nerveux. — Quand on injecte à une grenouille (de 2o à
30 grammes) .'i à 10 centigrammes d'antipyrine, on observe des convulsions avec ten-
dances à l'opistothonos. La grenouille présente même tous les caractères d'un animal
intoxiqué par la strychnine, et le tracé de la courbe musculaire indique la formation
d'un véritable tétanos sous l'influence d'une faible excitation. L'antipyrine dans ce cas
a augmenté l'excitabilité de la moelle.
Telle est du reste l'opinion d'un certain nombre d'auteurs qui ont étudié l'action
physiologique de l'antipyrine (Ahduin. Contribution à l'étude thérapeutique et physiolo-
gique de l'Antipyrine, B. P., 188b. — Coppola. Sur l'action physiologique de l'antipyrine,
A. B., 1884, t. VI, p. 134.) — Toutefois Blumenau {Pet. med. Wochens., 1887, p. 438) avait
signalé dans les premières phases de l'intoxication une diminution de l'activité réflexe.
Les recherches de Gley, indiquées dans la thèse de Caravias {Recherches expérimentales
et cliniques sur l'antipyrine, B. P., 1887), permettent d'interpréter cette première phase,
et Je se rendre compte des effets thérapeutiques si remarquables obtenus avec cette
substance. En n'injectant à des grenouilles que des doses faibles (un centigramme pour
588 ANTIPYRINE.
une grenouille de 30 grammes) ces auteurs virent qu'au bout d'un temps variable, de
30 à 40 minutes après l'injection, il était nécessaire pour obtenir un mouvement dans la
patte non excitén (contraction névro-réflexe) de rapprocher considérablement la bobine
induite (Distance de la bobine induite : avant l'injection, 12; après l'injection, li). En
outre, la forme de la contraction névro-réflexe, qui normalement diffère tant de la con-
traction directe, et dans sa forme, et dans sa période latente, perd ses caractères propres,
pour s'identifler avec la contraction névro-directe, comme si la moelle, ayant perdu sous
l'influence de l'antipyrine ses fonctions réflecto-motrices, ne jouait plus qu'un rôle de
conduction. L'étude du tétanos névro-réflexe donne les mêmes résultats : courant plus
intense, tendances à s'identifier avec le tétanos direct.
On comprend alors comment, avec une dose trop forte, tétanisante, Blumenau a pu
signaler cette première phase de diminution de l'activité réflexe; la totalité de la subs-
tance toxique n'a pas encore imprégné les centres nerveux, et on assiste à une action des
doses faibles: c'est là une conttrmation de la loi donnée par Ch. Richet : les substan-
ces qui, à une dose faible, diminuent le pouvoir réflexe de la moelle (probablement par
excitation cérébrale), à forte dose l'augmentent; et celles qui, à faible dose, exagèrent
l'excitabilité médullaire, à forte dose la diminuent. Cn. Richet avait montré (Reuîte Scien-
tifique, 1886, p. 45) l'action paralysante de la strychnine à haute dose; l'antipyrine, on le
voit, est au contraire sédative à faible dose, tétanisante à haute dose.
Mais l'excilabilité de la moelle n'est pas seule touchée; l'excilo-motiicité est égale-
ment atteinte; l'amplitude des contractions diminue après l'injection d'antipyrine, et il
suffit d'une courte série d'excitation, pour épuiser le nerf pour un certain temps. Cet
épuisement se produit beaucoup moins vite et la contractilité persiste plus longtemps,
si l'on a soin de lier avant l'injection les artères d'une des pattes.
E. Glry en conclut que l'antipyrine n'agit pas seulement sur la moelle et sur les troncs
nerveux, mais encore, dans une certaine mesure, sur les plaques terminales motrices et'
peut-être sur le muscle lui-même.
CoppoLA, qui se servait de fortes doses, 8 centigrammes, ne trouve aucun changement,
ni dans la période latente, ni dans la forme de la courbe; seulement, après un certain
temps, les courbes deviennent plus petites, et il conclut que l'antipyrine n'a d'action ni
sur les muscles striés, ni sur les nerfs périphériques.
L'action de l'antipyrine sur l'axe cérébro-spinal étant connue, il reste à déterminer s'il
existe une action élective sur la moelle ou sur le cerveau. Les divergences de vue que
l'on note à ce sujet dans les différents travaux tendent à nous faire admettre que l'anti-
pyrine agit en réalité sur tous les centres nerveux ; tandis que Blx'jiexau et Batten et
BoKENHAM {Brit.med. Journ. (1), 1889, p. 1222) ont vu que la section de la moelle n'em-
pêche pas les convulsions anlipyriques d'éclater dans le segment inférieur du corps ;
CoppoLA, Simon et Hock (John Hopkins hosp. Bull., 1890) ont observé un effet contraire.
Caravias, en étudiant la contraction névro-réflexe chez des grenouilles excérébrées, a vu
que chez ces dernières on ne notait plus les modifications .signalées plus haut chez les
grenouilles normales ; toutefois il n'ose en tirer une conclusion ferme. H. Wood (Therapen-
tics), en s'appuyant principalement sur l'action thérapeutique ou toxique de l'antipyrine
chez l'homme, admet une influence particulière sur l'écorce cérébrale, mais sans preuve
directe.
L'action sur la moelle épinière, en tout cas au point de'vue de l'action sédative, est
manifeste; une expérience élégante de Chouppe tend encore à la démontrer {B. B., 1887,
p. 430). Il injecte à un chien de 16 kilos d'aborddK^2o d'antipyrine, puis 0s'',003 destrych-
nine (dose convulsivante), et le strychnisme n'apparaît pas.
Les opinions contradictoires sur l'action de l'antipyrine sur les centres nerveux nous
ont conduit à reprendre ce sujet. En collaboration avec Guibbaud nous avons fait chez
des chiens à moelle cervicale sectionnée un certain nombre d'expériences, qui, en per-
mettant d'établir le mécanisme de l'intoxication, expliquent les divergences d'opinions
des auteurs (Guibbaud et ,P. Lanolois. De l'action de l'antipyrine sur les centres nerveux.
B. B., 24 mars 1893). Suivant la dose injectée, les divers centres nerveux réagissent
différemment. Nous avons pu établir ainsi en injectant lentement dans la veine saphène,
chez le chien, une solution à 23 p. 100 d'antipyrine, une série de stades très caractérisés.
V' stade. — 0,27 grammes par kilo. Les réflexes sont exagérés du côté de la. tête; puis les
ANTIPYRINE. 589
convulsions apparaissent, iieltement localisées dans la région innervée par les nerfs d'ori-
gine bulbo-cérébrale. Ces convulsions sont clouiques, subintrantes. U faut noter que
cette dose, chez un chien intact, ne détermine pas de convulsions, même dans la tête.
Dans le tronc, les réflexes exagérés après la section de la moelle sont maintenant
atténués, le tronc reste complètement immobile, malgré les secousses de la tête.
2" atadc. — 0,.ï4 grammes par kilogramme. Les convulsions cloniques persistent dans
la tête, puis apparaît une convulsion tonique, spasmodique di* tronc et des membres qui
dure peu dï teuips : le corps retombe ensuite dans l'inertie.
3" atade. — is>',35 par kilogramme. Les convulsions cloniques subintrantes continuent
dans la tête, puis elles appai'aissent dans le tronc; mais ces dernières sont dues à l'hyper-
excitabilité réflexe de la moelle. Le réflexe de la patte est manifestement exagéré, et le
fait est d'autant plus sensible qu'il était atténué pendant le 1°"' stade. [Ine excitation
directe suffit pour donner lieu à une série de secousses dans la patte. Chaque secousse
convulsive dans le tronc est précédée par l'ébranlement du tronc que produit la secousse
de la tête. L'inscription graphique simultanée des secousses dans la face et dans le tronc
permet de calculer le retard dans la convulsion du tronc.
4° stade. — Les réflexes de la face, oculaires et mentonniers, ont disparu : ceux du
front persistent. L'activité réflexe des centres supérieurs est désormais épuisée.
'^'' atadc. — 2 grammes environ (de •iB'',80 à 2S'',4o). Les réflexes médullaires tendent à
disparaître à leur tour. Les convulsions ne peuvent plus se produire. Les variations de
l'excitabilité nerveuse sont analogues et dans les sphères supérieures et dans la moelle.
Ainsi l'intoxication ne suit pas une marche isochrone, par suite de l'action plus spéciale
des cellules cérébro-bulbaires. De même que l'excitabilité cérébrale a précédé l'excita-
bilité de la moelle, l'épuisement a suivi le même ordre.
Si nous restons dans ce terme vague de cellules ou centres cérébro-bulbaires, c'est
que nous n'avons pas encore pu différencier suffisamment l'action des zones cervicales, des
noyaux centraux et dos noyaux bulbaires.
Action sur la sensibilité. — L'antipyrine exerce également une action sur les nerfs
sensibles; mais, quand elle est absorbée complètement, qu'elle adilfusé dans l'organisme,
il est difficile de faire la part de son action sur les nerfs sensibles, et celle de son action
sur l'excitabilité de la moelle. Toutefois son action anesthésique locale est certaine. Déjà
CoppoLA. avait signalé la diminution passagère de la sensibilité au point injecté, et, ii la
suite d'autres expériences, il concluait à une action dépressive sur les troncs nerveux
sensitifs. Batten et I^okenuau {British med. Journ., 1889) ont observé qu'une application
directe de l'antipyrine sur l'intestin empêche la production des mouvements peristalti-
ques que détermine l'application d'un grain de sel. Saint-Hilaire a utilisé cette action
anesthésique locale dans les affections spasmodiques du larynx et du pharynx. Ori obtient
aussi avec une solution concentrée (40 p. 100), non seulement l'anesthésie tactile, mais
encore la perte de la sensibilité thermique. La durée de l'anesthésie locale persiste quel-
quefois deux heures.
Action sur la circulation. — L'action de l'antipyrine sur la circulation des animaux
à sang froid est peu marquée. Les doses capables de déterminer les accès tétaniques et
l'arrêt respiratoire ne modifient ni le rythme, ni l'énergie des contractions cardiaques.
A doses énormes, plus de 10 centigrammes, on observe un ralentissement qui va en s'ac-
centuant, la diastole étant de plus en plus allongée. D'après Coppola, l'arrêt se fait en
systole, alors que Arduin, Lépine, Armand ont vu le cœur arrêter en diastole. Chez les
animaux supérieurs, les résultats sont assez contradictoires. Toutefois presque tous les
auteurs admettent une vaso-dilatation de la peau : Maragliano, Qlt.irolo, Bettelheim,
Casimir, en s'appuyant sur une élévation de température de la peau, l'observation de la
dilatation des vaisseaux de l'oreille chez le chien, l'augmentation de volume du bras
avec le pléthysmographe de Mosso, etc. — La méthode des pressions sanguines, prises
simultanément dans le bout central et le bout périphérique d'une artère, peut seule
résoudre la question.
A dose modérée (2 grammes pour un chien de 10''", 500), l'antipyrine, n'exerce aucune
action appréciable ni sur la pression, ni sur le rylhme cardiaque. Mais, quand on dépasse
cette dose, on observe immédiatement après l'injection une chute de pression de éi à
Ib millimètres de mercure dans ie bout périphérique, la pression dans le bout central
390 ANTIPYRINE.
restant normale. Seule une vaso-dilatation périphérique peut expliquer cette chute. A la
dose de 7 grammes, l'animal est pris de convulsions cloniques, suivies d'une attaque téta-
nique, et la pression s'élève nécessairement dans les deux bouts; mais cette élévation
de pression est indépendante des contractions musculaires, car on l'observe encore chez
l'animai curarisé. La section au-dessous du bulbe ne la supprime pas, tout en l'attérmant.
La vaso-dilatation périphérique est bien démontrée dans cette expérience de Gley et
Caravias, mais, en même temps qu'il se produit une vaso-dilatation périphérique, il peut
exister en même temps une vaso-constriction centrale. C'est par cette vaso-constriction
que Gley et Caravias expliquent l'augmentation de pression du bout central constatée
avec 4 grammes, alors qu'il n'existe aucune augmentation ni dans la fréquence, ni dans
l'amplitude de contraction. La vaso-constriction centrale est constatée par la diminution
de volume du rein, enregistrée par Casimir avec le néphrographe (De l'influence de l'anti-
pyrine sur la aécrétion urinaire. Th. doct. Lyon, 1886).
Dans quelques cas on note une augmentation dans la fréquence du rythme cardiaque ;■
Cerna et Carter (Neiv Remédies, d892, cités par H. Wood) expliquent cette accélération par
une influence paralytique sur les nerfs modérateurs du cœur, mais cette explication est
purement hypothétique; elle est tout au moins en contradiction avec les expériences de
Gley, qui a vu qu'il fallait une très forte dose pour modifier i'excitabiUté des pneumo-
gastriques.
Quant à l'action de l'antipyrine sur le sang, elle parait peu importante. Lépine avait
attiré l'attention sur la formation de la méthémoglobine ; mais cette transformation,
est niée par Brouardel et Loye. Hénocque et Arduin (thèse citée) ont noté l'action
hémostatique de l'antipyrine. En solution au 1/20, son action est très nette, supérieure
à celle du perchlorure de fer et de l'ergotine. Cette propriété est souvent employée
pour faire l'hémostase après les piqûres de sangsues. Les propriétés antiseptiques de
rantip3Tine contribuent à recommander son emploi dans ce but.
Action sur la température. — Le nom même d'antipyrine donné par Filehne au
médicament indique les propriétés spéciales attribuées à ce dérivé de la quinoléine;
mais cette action sur la température doit être étudiée à un double point de vue :
l'action antithermique, faction antipyrétique. Par action antilhermique, nous admettons
l'influence que peut avoir une substance sur l'abaissement de la température chez un
sujet normal, les antipyrétiques ayant surtout pour effet de faire baisser une tempéra-
ture supérieure à la normale. La première influence est pertubatrice, la seconde étant
régulatrice. Cette distinction un peu théorique nous paraît cependant fondée par l'étude
des diverses substances employées contre l'hyperthernùe.
Quelle est faction de l'antipyrine sur un animal à température normale? A faible dose,
elle est nulle. Sur nous-mème, nous n'avons jamais constaté une variation sensible,
même après l'absorption de trois grammes en 7 heures; Muller admet une dimi-
nution de quelques dixièmes de degré. Étant données les variations physiologiques de
la température chez l'homme sain, ces quelques dixièfnes peuvent être considérés
comme négligeables. Sur les animaux les résultats sont assez variables. Souvent, après
l'injection d'une dose suffisante pour déterminer l'analgésie, 1 gramme pour un lapin
de S''", 600 (Cahavias, loc. cit., p. 13), on constate une légère élévation thermique, élévation
d'ailleurs passagère; puis la température redevient normale, ou s'abaisse légèrement.
Werner Rosenthal {Teinperalurvertheilung im Fieber, A. P. P., 1893, p. 230) a trouvé
également que chez l'animal normal la température rectale ne subissait que de très fai-
bles variations.
L'action antipyrétique, au contraire, est incontestable. En Allemagne, où l'on a
employé l'antipyrine à très haute dose (3 à 6 grammes pris en trois fois d'heure en
heure), on a obtenu des abaissements thermiques notables. Mais Jaccoud (Bull, de l'Ac. de
Méd., 27 oct. 1885) insiste sur la fugacité de la chute thermique et sur la rapidité avec
laquelle s'opère la réascension, souvent accompagnée de frissons violents. Dans les fièvres
à forme continue, comme la fièvre typhoïde, l'emploi de l'antipyrine paraît aujour-
d'hui condamné. Chez les enfants, l'action antipyrétique paraît plus nette, plus accen-
tuée et plus durable que chez l'adulte: ou obtient facilement, avec des doses faibles, un
abaissement de 1° à 2°.
Sur les animaux rendus fébricitants, l'action antipyrétique est manifeste, que l'hy-
ANTIPYRINE. o91
perthermie soit déterminée par l'injeclion de produits septiques (Werner Rosentiial,
U. Mosso, Cerna et Carter, etc.), ou bien par la piqûre des centres cérébraux (Girard,
Sawadowski, U. Mosso, Gottlieb).
Mais par quel mécanisme la cbute de la température anormale se produit-elle?
Werner Rosenthal {loc. cit.), dans une étude très minutieuse pratiquée avec les appareils
thermo-électriques, fait intervenir comme facteur essentiel la vaso-dilatation et, par
suite, l'augmentation dans la déperdition du calorique. Prenant simultanément ses
mesures dans le rectum, l'oreille, la peau, il constata qu'après injections ou absorption
par la voie gastrique de 30 à 40 centigrammes, la chute de la température centrale
était toujours précédée par une élévation de la température cutanée, et, d'autre part,
qu'une nouvelle poussée hyperthermique se produisait quand la température cutanée
restait quelque temps stationnaire. Mais l'action vaso-dilatatrice est-elle suffisante pour
expliquer l'action des antipyrétiques en général et de l'antipyrine en particulier sur
l'hyperthermie? Déterminer quelles sont les modifications apportées non seulement
dans la radiation calorique, mais aussi dans la thermogenèse, est une recherche difficile :
les procédés calorimétriques actuels ne permettent pas encore d'obtenir des résultats
bien précis.
H. WooD (T/iecnpeuif'cs, 1892, p. 699) dit avoir constaté sous l'influence de l'antipyrine
une diminution à la fois dans la production du calorique et dans la radiation ; mais
la première serait plus forte. La diminution dans la radiation, postérieure à la dimi-
nution dans la thermogenèse, ne serait d'après lui qu'un effet de l'affaiblissement de
l'activité thermogénique. Ces résultats sont en contradiction avec ceux de W. Rosen-
thal. Il obtenait l'hyperthermie chez des chiens par une injection de pepsine. Cerna et
Carter, en injectant du sang corrompu, ont trouvé que la perte de chaleur coïncidait avec
la chute dans la production de calories. Les expériences de Gottlieb [A. P. P., t. xxviii,
1891) sont en contradiction avec celles de Wood. Dans trois expériences les injections
d'antipyrine ont déterminé à la fois une augmentation et dans la production de chaleur
et dans la radiation. Mais comme celle-ci l'emporte, il en résulte un abaissement de
la température.
Ott {Modem Antipyretica, 1892, p. 73) a étudié sur l'homme même; son sujet était
fébricitant par suite d'une néphrite chronique. Notons cependant que dans tous les
graphiques donnés par l'auteur nous ne lisons pas de température supérieure à 39°6.
Cet homme, avant la prise de Isi^iSO d'antipyrine, avait donné une radiation ther-
mique égale à son activité thermogénique, soit 104,40 calories heures dans les deux sens.
Après l'injection, son activité thermogénique tombe à 83,4 et sa radiation est de 102, o.
Bien que les deux ohilfres soient plus faibles, l'tictivité thermogénique surtout a diminué,
sa température tombe de 0'',3. Dans la seconde heure la production s'élève à 113,6 et
la radiation à HO. Aussi la température remonte-t-elle légèrement. Au mot Fièvre on
aura l'occasion de revenir sur ia discussion même des méthodes calorimétriques employées
et sur les critiques qu'elles suscitent. C'est là seulement que la question des centres
thermiques et des appareils thermotaxiques pourra être utilement traitée. Nous devons
cependant citer quelques recherches faites sur l'action de l'antipyrine dans l'hyper-
thermie consécutive au traumatisme cérébral. Girard (De l'action de V antipyrine sur
Vun des centres thermiques. Revue médicale de la suisse Romande, 1887) a vu que l'anti-
pyrine agissait sur l'hyperthermie délerminée par la piqûre du cerveau chez le lapin.
Sawadowski [Zur Frage uber die Localisation der Wàrmeregulirenden Centren in Gchirn iind
uber die Wirkung des Antipyrin auf dea Thierkôrper. C. \V., 1888, pp. 8-H) admet éga-
lement l'action de l'antipyrine; mais l'explication qu'il donne de cette action est tout au
moins très diffuse.
L'augmentation dans la perte de chaleur, dit-il, est due à l'excitation d'un centre
thermique vaso-moteur spécial (partie antérieure du corps strié ?) ; puis, pour expliquer la
diminution dans la production et dans la radiation, il suppose une action paralysante sur
les centres producteurs de la chaleur du même centre, ou bien encore une excitation de
la région modératrice de ces mêmes centres. On voit combien est vague cette explica-
tion. U. Mosso {La doctrine de la (iévre. A. B., 1890, p. 476) n'a constaté aucun effet
appréciable en administrant l'antipyrine, soit avant, soit après la lésion. Martin {Modem
therapeutics de Ott, 1892, p. 63), au contraire, trouve que l'antipyrine empêche ou
592 ANTISEPSIE et ASEPSIE.
diminue la production de chaleur que l'on observe après la piqûre du corps strié.
GoTTLiEB, déjà cité, admet que la perte de chaleur après injection d'antipyrine sur les
animaux aux centres thermiques excités atteint '.yi p. 100, alors que la quinine n'amène
qu'une hyperradiation de 40 p. 100. D'où cette conclusion clinique, que, dans les hyper-
thermies aiguës, quand on veut obtenir une chute rapide de la température, il faut pré-
férer l'antipyrine à la quinine, mais en se tenant prêt à combattre la réascension ther-
mique qui se produit bientôt. Dans les cas où l'on cherche, au contraire, une action
antitherniique durable, la quinine est supérieure à l'antipyrine.
Action antiseptique. — Brouardel et Loye {B. B., 1883, p. 103), étudiant comparati-
vement l'action physiologique de la thalline, de l'antipyrine et de la kaïrine, virent que
l'antipyrine retardait la fermentation de la levure de bière, et, en solution de 1 p. 100,
s'opposait à la g-ermination des graines. Ç.^ravias {thèse citée, p. 37), Cazeneuve et Visbeck
{Lyon médical, 1802) signalent le rôle antiputride de l'antipyrine à la dose de 1 p. 100;
Roux et RoDET {Lyon médical, 1892) ont vu également une solution de 4 p. 100 suffire
pour gêner, sinon stériliser des cultures de Bacilius coli communis. D'après Chittenden
et Stewart (cités par ^VooD), même à très faible dose, 3 p. 100, l'antipyrine arrêterait l'ac-
tion digestive d'une solution acidulée de pepsine. Cette observation, intéressante au point
de vue clinique, mériterait d'être reprise méthodiquement.
Absorption et élimination. — L'absorption de l'antipyj-ine même par la voie diges-
tive est très rapide. Chez l'homme les effets sédatifs se manifestent souvent un quart
d'heure après la prise du cachet. Injectée dans la veine, son action est immédiate; nous
avons vu les convulsions cloniques éclater dans la tête chez un chien à moelle sectionnée,
quand l'injection des 3 centimètres cubes de la solution à 20 p. 100 n'était pas encore
complètement terminée. CAPrrAN' et Gley {Delà toxicité de l'antipyrine sidvant les voies
d'introduction. B. B., 1887, p. 703) ont chez le lapin déterminé la dose toxique suivant le
mode d'introduction. Par injection sous-cutanée il faut 18^,43 à ler^go par kilogramme
pour tuer l'animal en 1 heure 30, chiffre moyen. Par injection intra-veineuse (veine de
l'oreille), il faut 0,64, 0,68 suivant un temps qui varie de 13 à 43 minutes. Par la veine
mésentérique, 0,7o à 0,93; mort en 30 ou 36 minutes. Les accidents toxiques sont plus
intenses lorsque l'injection est faite sous la peau ou dans la veine périphérique que lors-
qu'elle est poussée dans une veine mésentérique. Ces recherches tendent à montrer que
le foie possède le pouvoir de retenir une certaine quantité d'antipyrine, comme il le
fait pour la nicotine et presque tous les alcaloïdes. Cette opinion trouve sa confirmation
dans les recherches de Wera Iwanoff (A. Db., 1887, Suppl.) sur le foie des grenouilles
antipyrinées. Les cellules hépatiques sont profondément modifiées dans leur cellule et
leur protoplasma.
L'antipyrine s'élimine surtout parles urines; on ne l'a trouvée ni dans la sueur ni
dans la salive, Haye {Koberts Jahresb., 1883); mais Pinzani aurait reconnu sa présence
dans le lait d'une nourrice {Centr. f. die Ges. Therap., août 1890).
Pour rechercher l'antipyrine dans l'urine, on acidifie avec SO^H^, 6 à 8 gouttes pour
10 centimètres cubes d'urine, et on traite par une goutte de perchlorure de fer qui donne
une coloration rouge pourpre : il est souvent utile de décolorer au préalable l'urine par
le noir animal.
Oii peut généralementreconnaître le passage du médicament dans l'urine dès la vingt-
cinquième minute : vers la quatrième ou cinquième heure, la réaction est la plus nette,
mais elle persiste encore, quoique très faible, au bout de 30 heures.
L'antipyrine paraît diminuer la sécrétion de l'urine; mais le fait au point de vue cli-
nique est loin d'être bien établi. Expérimentalement Casimir {lac. cit., 1886) a vu que des
doses massives (3,30) diminuent la sécrétion urinaire pendant une demi-heure (vaso-
constriction indiquée par le néphrographe); puis la quantité d'urine émise parles ure-
tères reprenait le chiffre normal, ou même le dépassait.
P. LANGLOIS.
ANTISEPSIE et ASEPélE. — Sous le nom d'antisepsie on désigne
l'ensemble des moyens dont le médecin et le chirurgien disposent pour combattre les
maladies scptiqaes ou infectieuses, c'est-à-dire les maladies dues à la présence dans l'or-
ganisme de microbes ou bactéries (voy. Bactériologie), qui entravent et pervertissent le
ANTISEPSIE et ASEPSIE. 393
fonctionnement normal de cet organisme, non seulement par leur présence, mais
encore et surtout par la production des toxines qu'ils sécrètent, véritables poisons
versés dans les liquides de l'économie.
Sous le nom d'asepsie, on désigne l'ensemble des moyens hygiéniques qui ont pour
but de prévenir ou d'empêcher l'introduction de ces microbes ou de leurs toxines dans
l'organisme. Le terme d' antisepsie prophylactique est quelquefois employé dans le même
sens, avec cette nuance que l'asepsie n'emploie que des moyens hygiéniques proprement
dits, tandis que l'antisepsie prophylactique a recours à des agents thérapeutiques (dits
antiseptiques), analogues ou identiques à ceux que l'on emploierait si la maladie était
déclarée. Mais, bien que l'asepsie et l'antisepsie soient deux choses distinctes, ces deux
choses se touchent, dans la pratique, par tant de points, qu'il nous paraît préférable de
les traiter dans un seul et même article, d'autant plus qu'elles concourent en déflnitive
au même résultat.
Historique. — Le mot antisepsie est un néologisme qui remonte à peine à une
dizaine d'années, et la théorie sur laquelle repose la méthode antiseptique, telle que
nous la concevons aujourd'hui, est évidemment postérieure à la découverte du rôle des
microbes dans les maladies septiques ou infectieuses. La dernière édition du diction-
naire de l'Académii^ ne contient ni Antisepsie ni Asepsie, mais on y trouve Antiseptique,
ce qui prouve que la chose existait dans la pratique avant qu'on eût édifié cette théorie.
Antiseptique y est défini comme un adjectif employé substantivement pour désigner
« les substances qui préviennent la putréfaction ». En effet, on a fait usage de nom-
breux antiseptiques, avant d'être fixé d'une façon précise sur le véritable mode
d'action des substances que l'on désignait sous ce nom, et sur la nature même de
la " putréfaction ».
Les médecins de l'antiquité et du moyen âge ont employé diverses substances,
reconnues encore actuellement comme antiseptiques, dans le traitement des plaies. Les
baumes elles onguents, qui jouaient un si grand rôle dans leur thérapeutique chirurgicale,
sont, tout au moins, des substances propres à soustraire les plaies au contact de l'air
ou des agents extérieurs, et l'on trouve en germe, dans cette pratique, le principe de
Vocclusion des plaies, si nettement formulé par A. Guérin et les chirurgiens modernes.
Les Arabes employaient dans ce but le goudron, dont le principe actif n'est autre que
l'acide phénique (Babette).
La méthode, si universellement répandue jusqu'à Ambroise P.^eé, et même longtemps
après lui, de la cautérisation des plaies de guerre à l'aide du fer rouge, semble fondée
sur une théorie antiseptique grossière et brutale, mais qui ne peut nous étonner, puisque
le flambage des plaies a été proposé récemment comme un moyen de produire l'antisep-
sie parfaite dans les opérations chirurgicales. En substituant au fer rouge i'huile de rose,
le père de la chirurgie moderne faisait encore de l'antisepsie. Cette huile agissait sans
doute, à la fois par son astringence et par l'essence très active qu'elle renferme.
MOiNDEViLLE, chirurgien de Philippe-le-Bel au commencement du xiv° siècle, bien
antérieur par conséquent à Paré, avait des idées très nettes d'antisepsie, si l'on en
juge d'après les extraits de ses œuvres récemment publiés par Nicaise. Mondeville
déclare que la suppuration peut être évitée par la réunion immédiate, suivie d'un
pansement au vin chaud ou salé. Ce qu'il importe surtout, c'est de protéger les plaies
contre l'air, agent de suppuration : c'est pourquoi il y applique un emplâtre antisep-
tique. On ne ferait pas mieux aujourd'hui.
On s'étonne, après cela, du peu de progrès fait par la chirurgie antiseplique depuis
A. Paré jusqu'à l'époque contemporaine. Est-il une meilleure preuve de ce fait incon-
testable que les méthodes thérapeutiques ne triomphent, en médecine, que grâce au.x;
théories qui leur ont' donné naissance ou sur lesquelles elles s'appuient? Dénué de cette
base, l'empirisme aveugle ne peut avoir de fondements durables.
Que l'on ouvre un traité de chirurgie publié de IStiO à 1870, c'est-à-dire il y a trente
ans à peine, on sera frappé du peu de précision qui règne dans le traitement des plaies
après opération. Nulle part il n'est question d'asepsie ou d'antisepsie : l'opportunité de
la réunion immédiate est encore discutée ou méconnue, faute d'une asepsie suffisante du
champ opératoire. C'est l'époque du pansement à la charpie et au cérat ou à f onguent
digestif, toutes choses que l'on ne se préoccupait nullement de rendre aseptiques ! Ceux;
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 38
594 ANTISEPSIE et ASEPSIE.
qui ont connu ces pansements en connaissent aussi les résultats, et savent combien les
grandes suppurations, les abcès métastatiques et l'infection purulente étaient fré-
quents dans les salles de chirurgie de nos hôpitaux.
Quelques chirurgiens, cependant, semblent avoir pressenti, dès cette époque, la
révolution qui se préparait. S'il n'est pas encore question d'antisepsie, on fait, tout au
moins, de l'asepsie, bien que le mot ne soit pas encore inventé. A l'irrigation continue
par l'eau froide, qui n'agissait, sans doute, qu'en éloignant de la plaie les microbes et le
pus, on substitue les bains ou fomentations tièdes, préconisés par les médecins anglais
et adoptés par Sédillot, un des chirurgiens les plus habiles de cette époque. Le drainage
des plaies permet d'avoir recours plus souvent à la réunion immédiate. Kœbehlé (de
Strasbourg), qui fut un des premiers, en France à faire la laparotomie (ovariotomie),
n'employait pas d'autre antiseptique que l'eau tiède; mais il attribuait, avec raison, ses
succès au soin méticuleux qu'il prenait de laver et de sécher, de la façon la plus par-
faite, la cavité péritonéale, avant d'opérer la réunion des parois abdominales.
Nélaton, a. Richet, et d'autres chirurgiens employaient les pansements à l'alcool.
'C'est à cette époque (1866-1875) que les expériences fondamentales de Pasteur sur les
germes de l'air provoquèrent une révolution complète dans la théorie de l'infection des
plaies par les agents extérieurs. En montrant que l'agent esssentiel de toute putréfaction
était un microrganisme analogue à celui des fermentations, et non pas un miasme
de nature gazeuse, comme on le supposait encore. Pasteur fît entrer la physiologie
et la médecine dans une voie nouvelle et féconde. En prouvant que la chaleur détruisait
ces microrganismes et qu'un simple bouchon d'ouate suffisait ensuite pour arrêter
tous les germes suspendus dans l'air et assurer l'asepsie des liquides organiques,
Pasteur faisait triompher la doctrine de la réunion par première intention el de l'oc-
clusion des plaies, qui rend le chirurgien maître de toutes les suppurations. Une
science nouvelle, la Microbiologie, se créait en quelque sorte de toutes pièces et prenait, '
en moins de dix ans, un essor prodigieux. L'asepsie et l'antisepsie, créées du même
coup ou régénérées sur des bases nouvelles, prenaient droit de cité dans la thérapeu-
tique moderne et en constituaient bientôt une des branches les plus imporlantes. Le
pansement occlusif ouaté de A. Guéri.n, le pansement antiseptique à l'acide phénique
de Lister, l'emploi du sublimé, de l'iodoforme, etc., dans l'asepsie et l'antisepsie pro-
phylactique des pièces de pansement et dans les accouchements, enfin l'antisepsie du
milieu intérieur à laquelle s'attache le nom de Bouchard, marquent les principales
étapes du progrès réalisé dans cette voie essentiellement pratique et qui a donné à la
chirurgie opératoire une sécurité inconnue jusqu'à ce jour.
Antisepsie physiologique de rorganisme : auto-antisepsie. — On sait que
l'organisme est continuellement en contact, extérieurement, avec les microbes de l'air,
intérieurement avec ceux qui sont introduits, dans le poumon par la respiration, dans
le canal digestif par les ingesta sous forme d'aliments ou de boissons. Tant que cet orga-
nisme est sain et intact, et tant que les microbes ne sont pas en trop grand nombre, les
moyens dont l'organisme dispose, à l'état physiologique, pour s'opposer à leur introduction
ou pour s'en débarrasser lorsqu'ils sont introduits, suffisent amplement à réaliser l'an-
tisepsie du milieu intérieur (Voyez Ch. Richet. La défense de l'organisme. Trav. du Lab.,
t. III, 1894, § III. Les microbes).
La peau, et plus particulièrement les couches cornées de l'épiderme, constituent une
barrière inaccessible aux microbes, pourvu que leur intégrité soit parfaite, ce qui est
rarement le cas: il est prouvé aujourd'hui qu'un simple bulbe pileux, surtout lorsque le
poil a été arraché ou seulement tiraillé, peut devenir la porte d'entrée d'une affection
microbienne, la furonculose, par exemple. Le tétanos dit idiopathique, c'est-à-dire non
consécutif aux plaies et aux opérations, reconnaît toujours pour cause des érosions, en
apparence sans importance, siégeant le plus souvent aux mains du malade qui, par suite
de l'habitude, n'en a fait aucun cas. Cependant l'usage du bain, qui débarrasse la peau de
toutes les impuretés et qui évite le grattage avec les ongles (source fréquente d'inoculation
microbienne), se retrouve, comme un instinct naturel, chez la plupart des animaux.
Les muqueuses des voies respiratoires et du canal digestif protégées par un épithélium
plus délicat et plus sensible que celui de la peau, se défendent au moyen de réilexes qui
les avertissent de la présence d'un corps étranger, si ténu qu'il soit: l'éternuement, la
ANTISEPSIE et ASEPSIE. 595
toux, le vomissement sont les principaux moyens mécaniques dont l'organisme dispose
pour se débarrasser des substances septiques. Dans l'estomac, l'acidité du suc gastrique
est considérée comme conférant à ce liquide un pouvoir antiseptique qui semble avoir
été exagéré, puisque la plupart des microbes arrivent encore vivants dans le duodénum :
mais, dans l'inlestin, le mélange du suc intestinal, du suc pancréatique et de la bile
paraît jouir de propriétés antiseptiques manifestes. La bile surtout joue un grand rôle
dans la désinfection des matières non assimilables qui forment le résidu de la digestion
et séjournent plus ou moins longtemps dans le gros intestin avant d'être expulsées: on
en peut juger par l'odeur infecte que présentent les matières fécales lorsqu'il existe un
obstacle mécanique au cours normal de la bile, et par les auto-intoxications qui se pro-
duisent si facilement dans les ictères dus à celte cause. Le flux intestinal appelé diarrhée
n'est le plus souvent qu'un moyen employé par l'organisme pour se débarrasser des
matières septiques que renferme l'intestin. De même on conçoit que l'ingestion exagérée
d'un liquide quelconque (eau, vin, alcool, etc.), en délayant outre mesure les sécrétions
normales de l'estomac et de l'intestin, laisse l'organisme désarmé contre l'attaque des
microbes et de leurs toxines. Nous ne pouvons insister ici sur les conséquences si impor-
tantes de ces faits au point de vue de l'hygiène alimentaire.
Les différentes formes que prend l'inflammation des muqueuses ne sont que les diffé-
rents moyens employés par ces tissus pour se défendre contre les microbes et leurs
toxines: la fausse membrane de la diphtérie, l'expectoration de la bronchite et de la
pneumonie, le tubercule pulmonaire, etc., nous montrent comment chaque tissu de l'or-
ganisme réagit à sa manière en cherchant à résister à l'envahissement du parasite.
Le foie, grâce au système de la veine porte qui lui amène le sang venant des intes-
tins, est, comme l'ont démontré des expériences récentes faites sur les animaux,
une puissante barrière qui s'oppose à l'introduction des microbes et de leurs toxines
dans la circulation générale et les rejette vers l'intestin. De même, par leurs sécrétions
spéciales, le rein et les glandes sébacées concourent, avec l'intestin, à purger le sang des
toxines, et, dans certains cas, des microbes eux-mêmes.
D'ailleurs, lorsque ces microbes, quelle que soit leur porte d'entrée, ont réussi à
pénétrer dans le milieu intérieur, ce milieu ne reste pas désarmé. Le sérum du sang,
grâce à sa constitution chimique, possède, sans doute, un pouvoir antiseptique notable,
qui s'exerce surtout sur les toxines, tandis que les éléments figurés jouent le même rôle
en face des microbes eux-mêmes.
Ce sont les leucocytes ou globules blancs, fonctionnant comme des amibes, qui jouissent
de la propriété d'englober les bactéries et de les détruire, comme l'a montré Metschnikoff.
Ce phénomène est désigné sous le nom de phagocytose. Ces cellules vivantes, dépourvues
de membrane d'enveloppe, douées par suite de la faculté de mouvoir des pseudopodes ou
prolongements amiboïdes, sont désignées sous le nom de phagocytes, parce qu'elles
enveloppent tous les corps étrangers à l'aide de ces pseudopodes, exa'îtement comme
l'amibe enveloppe la proie dont il se nourrit.
Chez les Vertébrés, il existe des phagocytes de deux espèces. La première est repré-
sentée par les leucocytes ou cellules migratrices à noyau multiple, qui existent norma-
lement dans le sang et le système lymphatique : ce sont les phagocytes microphages, ainsi
nommés à cause de leur taille plus petite. La seconde comprend les cellules normalement
fixes du tissu conjonctif, les cellules endothéliales du poumon, les cellules de la rate,
celles de la moelle des os, qui ont en général un seul gros noyau, et que l'on nomme, en
raison de leur taille plus grande, phagocytes macrophages .
Cette théorie de Metschnikoff a jeté quelque clarté sur ce phénomène de la suppu-
ration qui avait, si longtemps, mis à l'épreuve la sagacité des physiologistes, et que la
découverte de la diapédèse n'avait éclairé que d'une manière insuffisante. Le pus est
essentiellement formé par les phagocytes, qui se montrent en grand nombre partout où
il existe des microbes, notamment sur les plaies que l'on abandonne au contact de l'air.
Ces phagocytes sont, dans l'organisme, comme une armée bien organisée, mais qui
ne se mobilise qu'au moment de l'attaque de l'ennemi, représenté ici par les microbes.
Les leucocytes du sang sont comme l'armée permanente ou la garde de police, toujours
peu nombreuse, mais qui suffit dans l'état de santé pour assurer la paix de l'organisme.
Dès que cet état de santé est troublé, les leucocytes se montrent en plus grand nombre :
596 ANTISEPSIE et ASEPSIE.
c'est ce qui explique le gonflement des glandes lymphatiques, dès qu'il existe une inflam
mation, ces glandes étant essentiellement des amas de phagocytes.
Si les microbes sont en petit nombre et que les phagocytes soient assez vivaces pour
en triompher, la guérison est rapide. Sinon l'organisme s'épuise en fournissant de
nouvelles levées de phagocytes destinés à remplacer ceux qui ont succombé dans une
lutte inégale: c'est ce que l'on voit dans les grandes suppurations.
Les phagocytes, par leur nature même, sont des cellules sacrifiées, destinées à mou-
rir pour proléger l'organisme, et leurs cadavres sont un embarras et un danger pour
cet organisme, car, dès qu'il sont morts, ils deviennent la proie des microbes. Bien plus,
ils les charrient avec eux dans les vaisseaux jusqu'aux ganglions lymphatiques, jusqu'à
la rate, dans les capillaires des os et des centres nerveux, formant ainsi des foyers d'in-
fection secondaires : c'est ce qui constitue la pyohémie.
Ces considérations nous prouvent que la suppuration est loin d'être une condition
nécessaire de l'inflammation et qu'il y a le plus grand inlérèt à réduire à son minimum
l'intervention des phagocytes. C'est là le rôle de l'antisepsie et de l'asepsie; car, là où il
n'y a pas de microbes, il n'y a pas de suppuration. On connaissait depuis longtemps la
différence qui existe enire les plaies ouvertes et les lésions internes par la comparaison
des fractures simples avec les fractures compliquées de plaies extérieures, des sections
sous-cutanées avec les incisions largement ouvertes, etc., mais la véritable expli-
cation de ces faits n'a pu être donnée que par la théorie microbienne.
Asepsie et antisepsie hygiéniques et prophylactiques. — Dans l'état de santé,
les moyens les plus simples suffisent à entretenir l'asepsie de l'organisme; mais la con-
naissance du rôle des microbes dans lëtiologie des maladies a montré tout au moins
la nécessité de se conformer d'une façon étroite aux règles de l'hygiène, et particulière-
ment aux soins vulgaires de propreté, que beaucoup de personnes considèrent encore
comme inutiles ou superflus. L'eau, formant la base de ces soins de propreté, doit être
aussi pure, c'est-à-dire aussi exempte de microbes qu'il est possible de l'obtenir dans une
localité donnée. Le savon doit lui venir en aide pour débarrasser la peau de toutes les
impuretés, surtout s'il s'agit de parties du corps qui ne sont pas l'objet de soins journa-
liers, ou des mains plus exposées à se souiller, en raison des usages multiples auxquels
elles doivent servir. La propreté du linge de corps el des vêtements est la conséquence
de celle de la peau : on conçoit sans peine que l'on s'expose à se réinfecter après un bain,
en remettant le linge que l'on vient de quitter.
L'asepsie du canal digestif est encore plus indispensable que celle de la peau. Aussi
l'eau destinée à servir de boisson doit-elle être aseptique d'une manière absolue, et cette
pureté de l'eau potable doit être exigée beaucoup plus rigoureusement que pour l'eau
servant aux soins de propreté, puisqu'il est prouvé aujourd'hui que les maladies les plus
dangereuses (fièvre typhoïde, choléra, etc.) se contractent à peu près exclusivement par
l'eau employée comme boisson.
La bouche doit être l'objet de soins de propreté tout particuliers : on sait que la carie
dentaire est produite par des microbes particuliers et qu'à l'état de santé on trouve dans
la bouche de l'homme, en plus ou moins grande quantité, un grand nombre de microbes,
parmi lesquels figure le microbe lancéolé de Pasteur ou pneumocoque de Fhânkel et de
Talamox, considéré comme l'agent essentiel de la pneumonie flbrineuse. 11 est donc
indispensable de réduire ces microbes à leur minimum de virulence, au moyen d'un
liquide approprié. L'expérience a montré qu'il n'y avait pas de véritable asepsie sans
l'emploi d'un antiseptique d'une efficacité réelle. Il ne suffit donc pas de se rincer la
bouche avec de l'eau pure, si aseptique qu'elle soit : à cette eau on doit ajouter un anti-
septique quelconque (chlorate de potasse, acide borique, alcoolat de menthe, etc). Nos
pères avaient coutume de servir à la fin du repas un rince-bouche composé d'eau de
menthe tiède. Cet usage excellent a disparu le jour oîi l'on s'est avisé d'y voir quelque
chose de répugnant. Tout au moins est-il indiqué de se rincer la bouche le soir, avant
de se coucher, les détritus d'aliments qui peuvent rester entre les dents jusqu'au lende-
main matin étant toujours une. source de fermentations nuisibles, éminemment favo-
rables à la multiplicq^tion des microbes.
L'asepsie physiologique de l'estomac et de l'intestin ne peut exister que chez les per-
sonnes dont la digestion se fait de la façon la plus parfaite. Les dyspeptiques doivent
ANTISEPSIE et ASEPSIE. o97
donc surveiller leur régime avec une grande sévérité : les boissons trop abondantes
sont dangereuses, parce qu'elles délayent le suc gastrique et rendent la digestion
beaucoup plus lente, surtout dans un estomac dilaté. Les aliments crus ou peu cuits, les
viandes avancées (huîtres, salades, viandes saignantes, poissons, crustacés, gibieis, etc.)
doivent être proscrits comme renfermant en plus ou moins grand nombre des microbes
qu'une cuisson imparfaite n'a pas détruits. Lorsqu'il existe une lésion quelconque de
l'estomac, de l'intestin, du foie ou du rein, le régime du malade doit être encore plus
sévère : c'est alors que le lait bouilli ou stérilisé s'impose comme aliment complet et
exclusif, et, dans la convalescence, les viandes fumées (jambon d'Vork) sont les premières
qu'il convient de permettre parce qu'elles contiennent encore moins de microbes que les
viandes les mieux cuites, et que la créosote, qui s'y est développée par le fumage, est par
elle-même un antiseptique. Dans bien des cas il est nécessaire de joindre à ce régime
de véritables antiseptiques (naphtol, salol, benzouaphtol, etc.).
La constipation opiniâtre est par elle-même un danger, en retenant dans le rectum des
matières excrémentitielles pouvant donner Heu à des fermentations microbiennes et con-
tenant, d'ailleurs, par elles-mêmes, de véritables poisons (phénol, indol, etc.). On doit y
remédier suivant les indications, soit par un régime approprié, soit par des lavements,
soit par des purgatifs.
Lorsqu'une opération doit être faite sur l'un ou l'autre des organes contenus dans
l'abdomen, il est indispensable d'assurer, à l'avance, l'asepsie de l'intestin. Le chirurgien
prépare toujours plusieurs jours à l'avance chez son malade cette asepsie, par un régime
sévère, des purgatifs et l'emploi des antiseptiques dont nous avons déjà parlé.
Antisepsie médicale ou thérapeutique. ■ — Dans toutes les maladies, qu'elles
soient d'ailleurs de nature microbienne ou dues à d'autres causes, le médecin doit se
préoccuper de faire de l'antisepsie et d'approprier cette antisepsie à la nature des lésions
produites parla maladie particulière qu'il est appelé à soigner ou bien aux complications
qui peuvent en être la conséquence. Tout ce qui n'était qu'utile dans l'état de santé
devient alors indispensable.
On ne connaît pas encore d'antiseptiques que l'on puisse considérer comme spécifiques
dans tous les cas où le rôle des microbes dans les maladies est actuellement, bien établi:
cependant on connaît déjà un certain nombre de ces spécifiques (mercure et sels mer-
curiels, quinquina et sels de quinine, etc.), et le nombre de ces médicaments d'une effl-
cacité reconnue et dont le choix s'impose de préférence à tout autre s'augmente chaque
jour. A défaut de spécifiques, l'expérience a prouvé que beaucoup d'antiseptiques exer-
cent leur action indifféremment sur tous les microbes, ce qui n'a pas lieu de surprendre,
puisque la très grande majorité des organismes que l'on désigne sous ce nom appar-
tiennent à une seule et même famille; celle des bactériacées. Dans l'état actuel de la
science, le médecin doit donc se préoccuper surtout du mode d'application de l'anti-
septique et de son mode d'élimination, plutôt que de son action plus ou moins rapide
sur tel ou tel microbe. 11 est évident que tel antiseptique, qui convient pour le traitement
des maladies de la peau ou pour le pansement des plaies, ne pourra être administré
par la bouche, sous peine de produire une intoxication, ou devra l'être à beaucoup plus
faible dose. Le salol et les salicylates solubles devront être rejetés toutes les fois qu'il
existe une néphrite rendant le rein moins perméable aux urines; car l'accumulation des
doses qui se produisent inévitablement dans ce cas provoque les symptômes les plus
graves du côté des centres nerveux. Dans les maladies du poumon, les baumes (tolu, ter-
pinol, térébenthine, créosote, etc.) doivent être préférés à tous les autres antiseptiques
en raison de leur action élective sur la muqueuse bronchique par laquelle ils s'éliminent,
etc. Nous reviendrons sur ce point en traitant des antiseptiques.
Dans la plupart des cas on peut distinguer l'antisepsie locale de Vantiscpsie générale,
et, suivant les circonstances, on fera l'une ou l'autre, ou bien on emploiera les deux simul-
tanément, et l'on choisira les antiseptiques qui conviennent le mieux à l'une ou à l'autre.
'L'antisepsie locale est celle où le médicament antiseptique peut être appliqué directe-
ment sur la surface que l'on veut atteindre. Telle est l'antisepsie de la peau et des mu-
queuses qui tapissent les cavités facilement accessibles (bouche, arrière-gorge, fosses
nasales, vagin, urèthre, etc.). Cette antisepsie est plus facile à faire etàlimiter dans son
action : l'absortion par ces muqueuses est moins rapide que dans le canal digestif ou le
598 ANTISEPSIE et ASEPSIE.
milieu intérieur, et l'antiseptique peut être rapidement écarté ou rejeté, dès que son
action sur les microljes paraît suffisante. On pourra donc employer dans ce cas les anti-
septiques les plus énergiques à la dose que l'expérience a démontré être à la fois efficace
et sans danger pour l'or°;anisme. L'antisepsie des cavités closes des séreuses, faite après
ponction ou à la suite d'une opération, doit aussi être considérée comme une antisepie
locale.
L'antisepsie générale est celle qui s'exerce sur le milieu intérieur, où l'on cherche à
atteindre les microbes et leurs toxines, soit que l'on administre par l'estomac des subs-
tances solubles et absorbables, soit que l'on ait recours aux injections hypodermiques qui
font pénétrer ces mêmes substances directement dans le milieu intérieur où le sang se
charge de les répandre rapidement dans tout l'organisme. Les injections faites directe-
ment dans les veines seraient incontestablement plus efficaces; mais ces injections ne
sont pas encore vulgarisées dans la thérapeutique humaine, et restent, jusqu'à présent,
presque exclusivement des expériences de laboratoire, faites sur des animaux (Bouchard).
Par contre, des injections interstitielles dans le parenchyme des organes internes, le
poumon par exemple, ont été faites avec succès. L'administration du sulfate de quinine
dans les fièvres intermittentes, celle du mercure dans la syphilis, celle du salicylate de
soude dans le rhumatisme, peuvent être citées comme des exemples d'antisepsie
générale.
L'antisepsie du tube digestif tient le milieu entre l'antisepsie locale et l'antisepsie géné-
rale. En réalité, elle n'est dans bien des cas qu'une antisepsie locale, comme lorsqu'on
administre par la bouche des poudres insolubles (charbon, sels de bismuth, etc.), ou
peu et lentement solubles, et par suite moins dangereuses pour l'organisme. Dans le
choix de ces antiseptiques on peut encore tenir compte d'indications spéciales, comme
lorsqu'on emploie, par exemple, le calomel, dont on utilise à la fois la faible solubilité,
l'action antiseptique et les effets purgatifs et cholagogues, dans les affections du foie
ayant plus particulièrement leur siège du côté de la vésicule biliaire.
Les déjections des malades, les vases et le linge qui leur ont servi, les objets de lite-
rie et le local même où ces malades ont été traités, doivent être soumis à une désinfec-
tion parfaite qui en assure l'asepsie avant le lavage proprement dit. Pour ces objets la
chaleur est le meilleur de tous les antiseptiques : on les passe à l'étuve portée à une tem-
pérature de 120° à 140". La désinfection des locaux, comme on le conçoit facilement, ne
peut être faite par ce procédé : les équipes municipales de la Ville de Paris, dont le service
est gratuit, la font actuellement à l'aide du sublimé. Mais ce moyen coûteux, et qui dété-
riore les objets métalliques, n'en est pas moins souvent insuffisant, puisqu'on a vu des
épidémies de maisons résister à la désinfection opérée selon toutes les règles établies. —
Un bon procédé de désinfection, applicable aux locaux contaminés, est donc encore un
des principaux desiderata de l'antisepsie moderne.
Antisepsie chirurgicale. — Si les médecins discutent encore sur l'opportunité de l'an-
tisepsie interne, les chirurgiens sont presque tous d'accord pour admettre la nécessité de
l'antisepsie dans le pansement des plaies, les opérations chirurgicales et toutes les inter-
ventions manuelles, y compris les accouchements simples ou artificiels.
L'asepsie ou l'antisepsie du chirurgien lui-même doit précéder toutes les autres, et
ce que nous disons ici du chirurgien s'applique, avec la même rigueur, aux aides et à
toutes les personnes qui doivent toucher le blessé ou l'opéré ainsi qu'à ce dernier. Comme
nous l'avons déjà dit, les soins de propreté ordinaire sont considérés actuellement comme
insuffisants : il est nécessaire de faire usage des antiseptiques.
L'asepsie parfaite des mains de l'opérateur est le point le plus important. Pour cela,,
les ongles (qui servent si facilement de refuge aux microbes) doivent être tenus courts,
(à un millimètre environ). Immédiatement avant de procéder à l'opération, les mains
et l'avant-bras seront lavés et savonnés jusqu'au coude, et les ongles seront frottés soi-
gneusement avec la brosse imbibée d'eau de savon. Après avoir essuyé et séché les mains
à l'aide d'un linge aseptique (passé à l'étuve), on les trempera un instant dans une solu-
tion antiseptique (solution de sublimé au millième, dite liqueur de Van Swieten). Ter-
EiLLON prétend que, lorsqu'il a touché une plaie en suppuration, ses mains ne redeviennent
parfaitement aseptiques (malgré les lavages sus-indiqués), que 48 heures après cette conta-
mination. Il y a là, sans doute, un élément personnel, variable, dans une certaine mesure,
ANTISEPSIE et ASEPSIE. 599
d'un opérateur à l'autre; mais ce fait prouve de combien de précautions le chirurgien
doit s'entourer lorsqu'il tient à n'opérer qu'avec une sécurité parfaite.
Lorsque le chirurgien veut se rendre compte, une fois pour toutes, de l'efficacité des
procédés d'antisepsie dont il fait usage, il lui suffit de prendre, immédiatement après ces
ablutions, un tube contenant un bouillon de culture parfaitement pur de tout microbe.
On le débouche rapidement et l'on y trempe l'extrémité de l'index, puis on le rebouche
et l'on attend le résultat. Si le bouillon reste clair, c'est que l'asepsie était parfaite; s'il
se trouble, c'est que le procédé employé est insuffisant. Un tube témoin rempli du même
bouillon et soumis à la même manipulation, moins l'introduction du doigt, permet de
faire la preuve de cette petite opération.
La barbe et les cheveux du chirurgien seront tenus, autant que possible, courts, et
seront l'objet des mêmes soins de propreté. L'opérateur mettra devant lui un tablier
passé à l'étuve, et, s'il garde ses vêtements de dessus, il y ajoutera des manches égale-
ment aseptiques, montant jusqu'au coude et serrées au poignet; ou mieux encore, il
revêtira un sarrau à manches, boutonné dans le dos et recouvrant tous ses vêtements :
ce sarrau, passé à l'étuve, sera serré au cou et aux poignets. — Ces indications
semblent sulTisantes. Quant aux changements complets de vêtements, prescrits dans
certains traités d'antisepsie, ils sont trop peu pratiques pour qu'on puisse supposer que
ceux-là même qui les préconisent s'y soient réellement astreints d'une façon suivie.
Les instruments exigent une asepsie encore plus parfaite. Ils doivent être entièrement
en métal (manche et lame), atîn de pouvoir être rendus aseptiques par la chaleur, c'est-
à-dire par le séjour daus l'étuve à une température de 140°. Ces instruments doivent eu
outre être rangés dans une boite en métal à fermeture hermétique. Un séjour de 30 mi-
nutes dans l'étuve donne une sécurité suffisante. Lorsque l'on doit transporter les instru-
ments, on place la boîte qui les contient dans un étui en peau ou en tissu imperméable^
qui permet de les maintenir à l'abri de toute poussière. Je n'ai pas à décrire ici les
diverses étuves ou stérilisateurs à gaz actuellement en usage. A défaut de l'étuve, on
soumet les instruments à l'ébullition pendant quelques minutes dans la solution phéni-
quée forte. Après l'opération, on les nettoie par l'ébullition pendant 10 minutes, on les
lave à l'alcool ou au chloroforme, et on les remet en place dans leur boîte, dans l'étuve
ou dans une vitrine bien fermée. Les instruments en gomme, en caoutchouc, etc., qui
seraient endommagés par la chaleur, sont rendus aseptiques par un lavage dans la solu-
tion de sublimé (liqueur de Van Swiete.n), ou la- solution phéniquée forte ,'dans laquelle
on peut les laisser tremper jusqu'au moment de s'en servir. La solution d'éther
iodoformé est employée pour aseptiser les tiges de laminaire, la glycérine phéniquée pour
les drains de caoutchouc, les fils de sutures, etc., qui doivent rester un certain temps
en contact avec l'organisme. — Lorsque les instruments sont trop grands pour être ren-
fermés dans une boîte à fermeture hermétique (forceps, céphalotribe, etc.) ou lorsqu'on
a négligé cette précaution, on les aseptise, immédiatement avant de s'en servir, par le
flambage qui consiste à les plonger dans de l'alcool auquel on met le feu.
Les objets de pansement rendus préalablement aseptiques ou antiseptiques doivent
être conservés dans des flacons de verre lavés à la solution de sublimé et hermétique-
ment fermés, jusqu'au moment de s'en servir.
La table d'opération, les toiles cirées ou caoutchoutées, le matelas et les alèzes sur
lesquels on place le malade à opérer doivent être l'objet de précautions antiseptiques ana-
logues. Les murs de la salle d'opération seront, autant que possible, blanchis à la chaux :
on évitera les tentures, les meubles à moulures, etc., qui servent de réceptacle à la pous-
sière, ou bien on les fera enlever avant de procéder à l'opération.
Le patient, après avoir été revêtu de linge propre et nettoyé aussi complètement que
possible, est amené dans la salle d'opération, où, après l'avoir disposé et chloroformé sur
la table d'opération (à moins que le chloroforme n'ait été préalablement administré), on
procède à l'antisepsie du champ opératoire, c'est-à-dire à la toilette de la région qui
doit être opérée. La peau est lavée avec soin à l'eau tiède et au savon; les poils sont rasés;
et, après avoir essuyé et séché, on fait un second lavage à la liqueur de Van Swieten ou
à la solution phéniquée. On indiquera à chaque aide le rôle qu'il doit strictement
remplir.
Pendant l'opération on observera les précautions générales qui permettent d'avoir la
600 ANTISEPSIE et ASEPSIE.
certitude qu'aucune faute contre l'asepsie ne sera commise. On a renoncé au spray phé-
niqué de Lister, c'est-à-dire à la pulvérisation antiseptique faite sur le champ opéra-
toire, l'utilité de cette manœuvre ne paraissant pas démontrée. Les éponges qui servaient
autrefois à étancher le sang, et qu'il est difficile de rendre }>arfaitement aseptiques, sont
remplacées actuellement par des bourdonnets d'ouate antiseptique.
L'opération terminée, on fera la réunion avec des fils de catgut, ou mieux de Florence
(glande séricigène du ver à soie) parfaitement aseptique. La gaze antiseptique (phéni-
quée, iodoformée, salolée ou résorcinée), l'ouate préparée suivant les mêmes règles, et
passée k l'étuve, seront seules employées;-les bandes qui maintiennent le pansement
seront également passées à l'étuve. Lorsque la plaie offre une large surface, l'iodoforme
est l'antiseptique qui offre le plus de garanties et qui s'oppose le mieux à la suppura-
tion. Pour les plaies moins 'étendues, le salol en poudre ou la solution phéniquée (à
i p. 100) suffisent. La suppuration étant presque nulle, lorsque ce pansement est bien
fait, on peut presque toujours se passer de drains et ne renouveler le pansement qu'à
des intervalles éloignés (24 et 48 heures). Lorsque la plaie se complique d'une infection
spécifique, l'isolement du blessé est de rigueur.
Antisepsie du physiologiste. — Les règles que nous venons d'établir pour l'anti-
sepsie chirurgicale s'appliquent de tous points à l'antisepsie des opérations faites, sur les
animaux, dans un but expérimental. On conçoit, en effet, qu'une opération ou une expé-
rience peut être viciée dans ses résultats par l'inoculation d'un microbe quelconque, faite
inconsciemment, par les instruments et par les mains de l'expérimentateur. Tout ce que
nous avons dit, dans le paragraphe précédent, de l'antisepsie du chirurgien, de celle de
ses mains, de ses instruments, de la table d'opération, du local opératoire, etc., s'ap-
plique donc exactement au physiologiste et à son laboratoire. Les animaux servant aux
opérations devront être soumis à une antisepsie préalable très minutieuse : lorsqu'il
s'agit de mammifères, dont le pelage plus ou moins fourni est toujours un repaire de
microbes, la région du corps où doit se faire une opération devra toujours être rasée
très soigneusement, puis lavée et savonnée à l'eau tiède, enfin stérilisée au moyen d'un
liquide antiseptique.
Il faut faire remarquer d'ailleurs que l'antisepsie dans le laboratoire de physiologie
est très difficile à réaliser d'une manière irréprochable, non au moment même de l'opé-
ration mais pour les phénomènes consécutifs. Les animaux sont indociles; ils lèchent
leurs plaies, défont les bandages, souillent de leurs excrétions toutes les pièces du pan-
sement, si bien qu'il faut des précautions spéciales et minutieuses pour assurer une
antisepsie parfaite. Celle-ci est cependant nécessaire, si l'on veut faire réussir certaines
opérations graves (ablation d'organes : pancréas, estomac, intestin, rein, cerveau, etc.).
Le physiologiste qui veut conserver les animaux opérés n'a plus le droit d'ignorer les
règles d'une sévère antisepsie.
Les laboratoires où l'on fait des expériences de cultures microbiennes devront être
l'objet d'une surveillance spéciale. E. Klein a appelé le premier l'attention sur les
singulières erreurs qui peuvent être commises, dans ces laboratoires, faute d'une obser-
vation suffisante des règles de l'asepsie ou de l'antisepsie {Microbes et Maladies, trad. fran-
çaise, l'^éd., 1885, pp. 228 et suiv.). Ayant l'intention d'inoculer un cochon d'Inde avec
le sang d'un chien atteint de la maladie des jeunes chiens, Klein fut fort étonné de voir
l'animal inoculé mourir en deux jours avec tous les symptômes du charbon : le sang
renfermait des Bacillus anthracis. Une enquête prouva que des expériences sur ce dernier
microbe avaient été faites dans le cabinet voisin; les spores de cette bactérie avaient dû
être transportées par les vêtements des physiologistes se rendant visite d'un cabinet à
l'autre, et s'étaient fixées aux tables, au parquet et au pelage du cobaye soumis à
cette expérience. Dans un autre cas, un animal inoculé avec une culture atténuée du
Bacillus anthracis fut trouvé quelque temps après atteint de tuberculose généralisée :
les notes du laboratoire prouvèrent que, le jour de l'inoculation, de la matière tubercu-
leusse avait été maniée dans le même cabinet. Les instruments d'ailleurs avaient toujours
été différents. L'histoire du prétendu bacille dujequirity (qui n'est autre que le Bacillus
subtilis) se rattache au même ordre d'erreurs ou de fautes contre l'asepsie.
On doit donc établir comme règle générale que la salle destinée aux opérations, dans
un laboratoire, sera complètement séparée et isolée des salles où se font les expériences
ANTISEPTIQUES. 601
de cultures microbiennes, et aussi éloignée que possible de celles-ci. Les liquides pré-
parés, devant servir aux inoculations, seront transportés dans des flacons soigneuse-
ment bouchés et en s'entourant de toutes les précautions désirables. Les visiteurs pren-
dront, avant d'entrer, les mêmes précautions d'antisepsie que le physiologiste et ses
aides. Le balayage et le lavage des parquets des tables sera fait à une heure aussi éloignée
que possible des opérations projetées, et un arrosage fait en temps utile abattra la
poussière qui renferme toujours des spores de microbes. Les murs seront blanchis à la
chaux et les meubles très simples réduits au strict nécessaire, afin que leur nettoyage
antiseptique puisse se faire facilement et aussi souvent qu'il est nécessaire.
Dans les laboratoires de cultures microbiennes on tiendra les tubes et flacons
d'expériences soigneusement bouchés. On a inventé des appareils spéciaux qui per-
mettent d'ensemencer un milieu de culture en se mettant à l'abri des germes de l'air.
Les instruments et procédés nécessaires sont décrits dans les traités de Bactériologie
(Voy. ce mot).
Bibliographie. — Bouch.ird. Thérapeutique des maladies infectieuses, 1889. —
Trouessart. La Thérapeutique antiseptique, 1892. — Terrillon et Chaput. Asepsie et anti-
sepsie chirurgicales, 1893. — Le Gendre, Barette et Lepage. Antisepsie médicale et chirur-
gicale, 1889. — CoRNiL et Babès. Les Bactéries, 3= édit., 1890. — F. Terrier. Vasepsie en
chirurijie {Revue de chirurgie, iS9i, t. xiv, pp. 829-9 la). — Tarnier. Asepsie et antisepsie
en obstétrique, 1894.
E. TROUESSART.
ANTISEPTIQUES. — ■ On désigne aujourd'hui sous ce nom les substances
chimiques capables de détruire ou d'empêcher le développement des microbes pathogènes
et de neutraliser l'action des principes septiques sécrétés par ces microrganismes. — •
Avant l'introduction de la doctrine microbienne en pathologie, on désignait sous le nom
d'antiseptiques « les substances qui préviennent la putréfaction» {Dictionnaire de Nysïen,
édit. de 1864). Dès cette époque, on distinguait les antiseptiques des désinfectants; on
définissait ceux-ci : «toute substance qui, par une action mécanique ou chimique, masque,
neutralise ou détruit les matières organiques qui vicient l'air atmosphérique » (Loc. cit.).
Cette définition, très vague ou trop exclusive, manquait de précision, puisqu'il est dit,
quelques lignes plus loin, que « les essences et les camphres agissent en empêchant les
dédoublements des substances organiques putrescibles et fermentescibles », ce qui aurait dû
faire ranger ces substances parmi les antiseptiques. Quant au dédoublement des sub-
stances organiques putrescibles et fermentesf^ibles, on admettait qu'il se faisait par
une action physico-chimique très obscure désignée sous le nom d'action « catalytique ».
On sait aujourd'hui que cette action « catalytique » n'est que le résultat de l'activité
vitale (nutrition et sécrétion) d'organismes inférieurs appartenant pour la plupart au
règne végétal et que l'on désigne sous les noms de ferments organisés et de microbes.
Le terme d'antiseptique doit donc s'appliquer également à toute substance qui
empêche la décomposition des matières organiques mortes. On sait que ces matières
sont facilement la proie des microbes; telles sont les sécrétions, les déjections et tous
les déchets de l'organisme, qu'ils résultent du travail normal de rénovation des tissus
ou d'un travail morbide, tel que l'inflammation, la nécrose, etc. Le terme de désinfec-
tant est souvent appliqué indifféremment à toutes les substances qui agissent, en dehors
de l'organisme, sur les matières organiques en putréfaction ou sur les gaz délétères de
nature purement chimique. Il y aurait avantage à réserver pour ces derniers le terme de
désinfectants et à désigner toujours, sous le nom d'antiseptiques les substances qui
agissent sur les substances organiques en putréfaction, c'est-à-dire sur les décompositions
dues à l'intervention de microbes.
Les premiers antiseptiques connus étaient désignés sous le nom de spécifiques en raison
de leur action spéciale, reconnue depuis longtemps, sur certaines maladies.
On a montré au mot Antisepsie, quelle est d'une façon générale l'utilité et le mode
d'application de la méthode antiseptique. On examinera plus particulièrement ici les
antiseptiques au point de vue de leur action sur les microbes et sur l'organisme lui-
même, quand on s'en sert dans un but thérapeutique ou prophylactique.
Nature de l'intervention antiseptique. — Ce qui frappe tout d'abord, lorsqu'on
602 ANTISEPTIQUES.
cherche à se rendre compte du rôle de l'intervention antiseptique dans les maladies,
c'est que le médicament antiseptique répond à une indication toute spéciale et très
différente de celle des autres médicaments. Ceux-ci doivent agir sur l'organisme lui-
même, soit en modifiant ses fonctions dans nn sens favorable à la guérison (médicaments
eusthéniques), soit en calmant simplement la souffrance (hypnotiques), et ne peuvent agir
utilement que sur les cellules saines de nos organes.
Tout autre est le rôle du médicament antiseptique. Évitant, autant que possible,
d'agir sur les cellules saines, son action est au contraire dirigée contre les agents de
maladie venus du dehors, ou contre ces cellules mortes, véritables déchets de l'organisme
qui offrent une proie facile aux microbes. En outre, la médication antiseptique s'adresse
directement à la cause même de l'affection, et c'est par là seulement qu'elle peut être
considérée comme aj'ant le pas sur les autres médications. Mais, si elle ne prévient pas
toujours cette cause (ce qui est le but de l'antisepsie proph3'lactique), elle l'empêche tout
au moins de prolonger et d'accroître ses effets.
Procédés employés pour fixer la valeur des divers antiseptiques. — Les
antiseptiques actuellement en usage sont, ou des médicaments anciennement connus et
employés empiriquement comme spécifiques ou désinfectants, ou des produits nouveaux
introduits dans la matière médicale par les progrès de la chimie moderne. D'ordinaire
la composition de ces produits permet de les considérer, a priori, comme doués de pro-
priétés antiseptiques. Dans tous les cas, il convient de se rendre compte, d'une façon
précise, de la double action de ces substances sur les microbes pathogènes et sur l'or-
ganisme de l'homme. Il importe, en effet, de donner l'antiseptique à la plus faible dose
que comporte son action utile, en vertu du principe thérapeutique; a primo non nocere »,
la plupart des antiseptiques étant des poisons à haute dose.
On expérimente donc ces produits chimiques dans les laboratoires, elles expériences
sont de trois ordres.
1° Pour connaître l'action du produit examiné sur un microbe pathogène donné, on
prend une culture in vitro de ce microbe, ensemencée dans un milieu nutritif analogue
à celui des liquides que le microbe trouve dans l'organisme, et, lorsque cette culture
est en plein développement, on y ajoute une solution plus ou moins concentrée de l'anti-
septique en expérience. Au moyen de tâtonnements successifs on arrive à déterminer
d'une façon précise quelle est la quantité minimum de l'antiseptique qui arrête complè-
tement le développement du microbe. Dans une autre série d'expériences l'antiseptique
est ajouté préalablement au milieu nutritif que Ton ensemence ensuite à l'aide du même
microbe: on détermine ainsi quelle est la quantité minimum de l'antiseptique qui
neutralise le milieu nutritif, c'est-à-dire qui empêche tout développement du microbe
dans ce milieu : c'est l'équivalent antiseptique.
2° Pour connaître l'action toxique du même produit sur des animaux d'une organi-
sation plus ou moins semblable à celle de l'homme (chiens, lapins, cobayes, etc.). on
administre à ces animaux par l'estomac, en injection sous-cutanée, mais de préférence
en injection intra-veineuse, des doses progressivement croissantes, afin de fixer la dose
maxima qui peut être administrée sans danger, à ces animaux d'abord, puis à l'homme
lui-même: cette dose est ce qu'on appelle Y équivalent toxique.
3° Dans une troisième série d'expériences, on cherche à apprécier le rôle thérapeutique
de l'antiseptique examiné. Pour cela, on inocule à un animal le microbe qu'il s'agit de
combattre, et, lorsque ce microbe a produit la maladie dont il est l'agent pathogène, ou
administre à l'animal l'antiseptique dont on veut apprécier la valeur, à la dose que les
expériences précédentes ont indiquée.
Un second animal, inoculé de la môme manière, ne reçoit pas d'antiseptique, et sert
de témoin. On arrive ainsi à fixer l'équivalent thérapeutique du produit en question.
On peut encore suivre la marche inverse, c'est-à-dire donner l'antiseptique avant d'ino-
culer la maladie, ce qui permet d'apprécier l'équivalent jirophylactique du produit expé-
rimenté.
Si les expériences ainsi faites donnent un résultat favorable, on en fait l'application
à la thérapeutique humaine. Comme nous l'avons déjà dit(voy. Antisepsie), les injections
intra-veineuses jusqu'ici ne sont pas praticables, ou à peine praticables, sur l'honmie.
Équivalent antiseptique. — Dans les recherches relatives aux antiseptique^ on
ANTISEPTIQUES. 603
s'est généralement borné, jusqu'à ce jour, à déterminer la dose cjui empêche la germi-
nation de tel ou tel microbe dans 1000 grammes de bouillon (de culture). C'est l'équi-
valent antiseptique, dose bien inférieure à celle qui tue le microbe, mais supérieure, de
moitié, au moins, à celle qui retarde seulement la germination, et qui est déjà une dose
fort utile en thérapeutique (Bouchard). — L'expérience montre, en elfet, que, lorsqu'on
emploie les antiseptiques dans un but thérapeutique, il n'est nullement besoin d'atteindre
la dose qui tue le microbe et qui, souvent, peut être offensive pour l'organisme lui-même ;
d'ordinaire la dose qui neutralise le microbe, c'est-à-dire celle qui empêche sa repro-
duction et son développement ultérieurs, qui le met hors d'état de sécréter sa toxine,
est suffisante pour permettre à l'organisme de reprendre l'offensive et d'expulser l'agent
pathogène à l'aide des seuls moyens qui sont en son pouvoir {auto-antisepsie).
Un grand nombre d'auteurs ont publié le résultat de leurs recherches sur Véquivalent
antiseptique comparé des médicaments étudiés par eux. Jalan de la Croix (1881), Miquel
(1883), Bouchard et Tapret (1888) et d'autres ont donné ces résultats sous forme de
tableaux synoptiques que l'on trouvera reproduits à la fin de cet article.
Équivalent toxique. — La recherche de l'équivalent toxique présente une grande
importance, puisque c'est sur elle qu'est basée la possibilité de l'emploi de l'antiseptique
dans l'organisme. Bouchard considère comme tel : n la quantité de l'antiseptique
nécessaire pour tuer un kilogramme de matière vivante » appartenant à l'animal sur lequel
on expérimente; cette quantité étant variable d'une espèce à l'autre. En médecine
humaine, l'équivalent toxique sera donc la quantité de l'antiseptique nécessaire pour tuer
un kilogramme du corps de l'homme. Cet équivalent varie d'ailleurs, non seulement suivant
le poids du sujet en expérience, mais suivant l'âge, le sexe, l'accoutumance ou la dispo-
sition du moment, ou suivant des idiosyncrasies tout à fait individuelles. « La notion de
l'équivalent toxique doit suivre la notion de l'équivalent antiseptique » (Bouchard). —
Bouchard et Tapret ont donné un tableau de cinquante substances (empruntées pour
la plupart à la chimie minérale et usitées en médecine), indiquant la dose à laquelle les
solutions de ces substances injectées dans une veine périphérique amènent la mort d'un
kilogramme de matière vivante (équivalent toxique). On trouvera ce tableau reproduit
plus loin.
Équivalent thérapeutique. — Ce dernier équivalent se trouve naturellement
compris entre l'équivalent antiseptique et l'équivalent toxique, c'est-à-dire que cet équi-
valent sera toujours représenté par des chiffres inférieurs à ceux de l'équivalent toxique,
mais généralement supérieurs à ceux de l'équivalent antiseptique.
Pour obtenir cet équivalent sur les animaux, Bouchard injecte l'antiseptique direc-
tement dans une veine, et considère comme représentant cet équivalent la dose qui a
été injectée au moment précis où se manifestent les premiers effets physiologiques (dilatation
pupillaire pour l'atropine, narcose pour l'alcool). La voie digestive et la voie hypodermi-
que, bien que seules employées, jusqu'à présent, en thérapeutique humaine, ne peuvent
donner des résultats aussi précis, en raison de la lenteur de l'absorption par les voies
stomacale et sous-cutanée.
Considérations générales sur les antiseptiques. — Les substances que l'on
désigne sous le nom d'antiseptiques appartiennent à la chimie minérale (ou inorganique)
et à la chimie organique. Il convient d'étudier séparément ces deux ordres d'antisepti-
ques.
Les substances métalliques qui jouent le rôle d'antiseptiques énergiques sont, comme
j'ai été le premier à le faire remarquer, des substances qui n'existent pas à l'état normal
dans l'organisme, et qui sonl peu répandues dans la nature, ce qui explique l'efficacité de
leur action sur les microbes; mais on ne doit pas oublier que, pour la même raison, la
plupart de ces substances sont, à forte dose, des poisons violents.
« Lorsqu'on jette un coup d'œil général, dit DnjARDiN-BEAuaETz, sur l'ensemble des
chiffres donnés par Miquel (Tableau des substances antiseptiques), on peut en tirer quel-
ques conclusions assez importantes; c'est d'abord le rang très élevé d'asepsie qu'occu-
pent dans cette échelle les métaux nobles, tels que le mercure, le platine, l'argent et
l'or. Dans un rang secondaire, il faudrait placer les métaux communs, tels que le cuivre,
le fer, etc. Dans un troisième rang, les métaux alcalins terreux, et en quatrième lieu les
métaux alcalins » (Les nouvelles médications, f^ série, 1886, p. 73).
fi04 ANTISEPTIQUES.
Quant aux métalloidea , c'est le plus ou moins d'affinité que ces corps présentent pour l'hy-
drogène qui parait servir de règle à leur pouvoir antiseptique. Le chlore, le brome et
l'iode, qui se combinent à volume égal avec l'hydrogène, sont des antiseptiques énergi-
ques, et le chlore, qui s'unit directement à l'hydrogène, sous l'influence de la lumière
diffuse, est plus puissant que les deux autres : mais son pouvoir toxique est proportionnel
à son pouvoir antiseptique, et il en est de même des autres métalloïdes de ce groupe
(corps halogènes).
Les sels paraissent avoir un pouvoir antiseptique et une toxicité en rapport inverse de
leur abondance dans la nature et plus particulièrement dans les tissus des êtres vivants.
Les sels de sodium, de potassium, de fer, qui sont plus ou moins répandus dans les
tissus de l'homme, des animaux et des plantes qui leur servent de nourriture — et qui
servent aussi à la nourriture des microbes pathogènes, — ne sont pas toxiques ou ne
le sont qu'à haute dose, tandis que les sels d'argent, de mercure, de cuivre, de plomb,
qui sont très rares dans l'organisme, sont à la fois toxiques et antiseptiques. Ch. Riohet
a insisté sur ce point, en étudiant la fermentation lactique (C. R., 20 juin 1892, t. cxiv,
p. 1494) et Chassevant a présenté divers exemples très caractéristiques de ces diffé-
rences {Action des sels rneiall. sur ta fermentât, lactique. D. P., 1893).
L'atomicité ne joue ici qu'un rôle secondaire, tandis qu'elle est très importante dans
la composition des substances organiques antiseptiques.
Les acides sont beaucoup plus antiseptiques que les bases : Miquel énumère dix-sept
acides dont le pouvoir microbicide a été constaté tandis que l'ammoniaque et surtout
la soude caustique , même à haute dose, ne sont que des antiseptiques faibles. On sait
d'ailleurs que les bactéries prospèrent dans un milieu nutritif neutre ou légèrement
alcalin, tandis que le moindre excès d'acide les empêche, à quelques rares exceptions
près, de se développer. Les acides minéraux sont plus antiseptiques que les acides orga-
niques. Notons que cette action des acides sur les bactéries ne s'étend pas aux champi-
gnons du groupe des ferments ou levures : celles-ci prospèrent au contraire dans un
milieu acide, comme on l'observe dans beaucoup de fermentations et dans le muguet
{Saccharonujces albicans).
Le pouvoir antiseptique des sels dépend à la fois de la nature du métal dont l'oxyde
ou l'hydrate leur sert de base, et de celle du métalloïde qui joue le rôle d'acide dans
leur composition. Ainsi, bien que la plupart des sels de potassium soient des antisepti-
ques faibles, le bromure et Viodure de polass'mm ont leur pouvoir antiseptique élevé par la
présence du brome et de l'iode. De même, les sels riches en oxygène, tels que le per-
manganate (KMn-04), le bichromate (Cr^O''K-) et le chlorate (KCIO^), sont rendus antisep-
tiques par la proportion considérable d'oxygène qu'ils renferment et qu'ils cèdent facile-
ment aux matières organiques avec lesquelles on les met en contact. Les chlorates
agissent peut-être aussi par le chlore mis en liberté dans cette réaction.
Les antiseptiques organiques sont aujourd'hui beaucoup plus nombreux que les autres,
et ce sont eux qui doivent avoir la préférence dans le traitement des maladies internes;
leur pouvoir toxique n'étant pas en proportion de leur pouvoir antiseptique. Nous
rechercherons plus loin la cause de cette heureuse propriété.
Les recherches de Rottenstein et Bourcart (Les Antiseptiques, 1891) tendent à prouver
que le pouvoir antiseptique des substances organiques dépend du groupement des
atonies de carbone, hydrogène, oxygène, azote, etc., qui constituent leur molécule chi-
mique, surtout du nombre de ces atomes, et qu'il est d'autant plus énergique que ce
iiombre est plus grand.
Le pouvoir antiseptique d'un composé organique est directement proportionnel au
nombre des groupes d'hydrocarbures (C'H'' ou naphtyl, CH'' ou phényl, CH'' ou méthyl)
ou d'halogènes (chlore, brome, iode) qui se trouvent liés ensemble dans la molécule
élémentaire de ce composé chimique. Le groupe naphtyl est environ une fois plus anti-
septique que le groupe phényl, et celui-ci est cinq ou six fois plus énergique que le groupe
méthyl.
Notons â ce propos que la comparaison des poids absolus de substance antiseptique,
si intéressante et importante qu'elle soit, devrait être remplacée, au moins pour la
théorie, par la comparaison des poids moléculaires, .\insi si le phénol (dont le poids
moléculaire est de 94) et le biiodure de mercure (dont le poids moléculaire est 456),
ANTISEPTIQUES. 605
même à poids égal, avaient le même pouvoir aiiLisepLique, au point de vue de la molé-
cule même, ils auraient une valeur antiseptique difTérente, une molécule de biiodure
de mercure étant, dans cette h3'potlièse, o fois plus antiseptique qu'une molécule de phé-
nol. De fait le mercure est 300 fois plus toxique que le phénol, et par conséquent, à dose
moléculaire, 1 oOO fois plus toxique.
L'oxygène combiné k C et H, et même à Az, augmente de beaucoup le pouvoir bacté-
ricide des dérivés de ces hydrocarbures. — L'azote, au contraire, combiné ou non avec
un ou deux atomes d'hydrogène, aôaisse toujours le pouvoir antiseptique d'une combinai-
son organique, et d'autant plus qu'il est lié à un ou deux équivalents d'hydrogène. Il
n'y a d'exceptions que pour le groupe cyanogène (CAz) qui se comporte comtne un métal-
loïde halogène, et se montre au moins aussi actif que le chlore, et pour le groupe
ammonium (AzH') qui se comporte comme un métal. Tous deux sont des poisons violents,
et leurs composés organiques présentent des propriétés analogues.
La substitution, dans un groupe Amide (AzH-), d'un groupe naphtyl, phényl, etc.,
à un ou deux équivalents d'hydrogène, relève immédiatement le pouvoir bactéricide du
composé.
Enfin, lorsqu'on étudie l'action des antiseptiques sur les microbes, on doit distinguer
deux choses : 1° l'elfet du composé lui-même sur les microbes; 2° l'effet des produits de
la décomposition de ces substances par les bactéries ou par les substances organiques
mortes sur les bactéries elles-mêmes.
Ces considérations générales jettent quelque lumière sur le mode d'action des anti-
septiques d'origine organique, si bien que l'on a pu dire qu' « à partir d'aujourd'hui
il sera possible, dès que l'on connaîtra la composition chimique d'une substance, d'en
établir non seulement le pouvoir antiseptique, mais aussi de comparer ce pouvoir à celui
des autres substances déjà classées » (Rottenstein et Bocjrcabt).
Une dernière remarque ressort de ces considérations. Nous avons vu qu'en chimie
organique, les composés les plus complexes, au point de vue atomique, étaient ceux
qui, toutes choses égales d'ailleurs, présentaient le pouvoir antiseptique le plus mani-
feste, tout en ayant une action toxique très faible. De même, l'expérience a montré, en
chimie inorganique, que le mélange de plusieurs antiseptiques (minéraux) donnait
un produit plus antiseptique, sans être plus toxique que chacun des antiseptiques pris
séparément (Bouchard). Du rapprochement de ces deux faits on peut tirer l'indication
suivante : c'est qu'il y aura intérêt à chercher à obtenir des produits inorganiques bien
définis, au point de vue de leur composition chimique, en faisant réagir les uns sur les
autres les principaux antiseptiques d'origine minérale actuellement connus, afln de pou-
voir substituer à de simples mélanges des corps spécifiquement cristallisables, présentant
par suite plus de garanties que les mélanges, et jouissanl comme ceux-ci de la propriété
d'être des antiseptiques énergiques, tout en ayant une action toxique très faible. Nous
examinerons plus loin les résultats auxquels on est arrivé dans cette voie.
Excipients ou véhicules des antiseptiques. — Les excipients ou véhicules qui
servent à dissoudre les substances antiseptiques méritent une certaine attention; car de
leur nature dépend souvent le plus ou moins d'action utile et le plus ou moins de toxi-
cité de l'antiseptique .lui-même. La plupart des véhicules actuellement usités sont, par
eux-mêmes, des antiseptiques (alcool, glycérine, vaseline). L'alcool et la glycérine, qui
dissolvent un grand nombre de substances insolubles dans l'eau, agissent sur les microbes ,
non seulement parleur composition chimique, mais encore par une action physique qui
se rattache à l'avidité de ces substances pour l'eau; la glycérine, notamment, entrave et
arrête le développement des microbes, parce qu'elle modifie instantanément les condi-
tions hygrométriques des tissus et du milieu de culture, naturel ou artificiel, aux dépens
desquels vivent ces microbes. La glycérine est donc, par elle-même, un excellent anti-
septique, que l'on peut, dans la plupart des cas, substituer à l'alcool pour aider à dis-
soudre un corps peu ou pas soluble dans l'eau; cependant la solution aqueuse doit
contenir moins de oO p. 100 de glycérine. Toutes les fois que la substitution peut se
faire, on doit préférer la glycérine, qui est beaucoup moins irritante, c'est-à-dire beau-
coup moins toxique que l'alcool (équivalent toxique : 14 ce. par kilo au lieu de .3 ce.
pour l'alcool).
De même les antiseptiques réduits en poudre très fine présentent, sous cette forme,
tiOe ANTISEPTIQUES.
des avantages que l'on utilise dans le traitement des plaies ou dans l'antisepsie du canal
digestif. Ces composés pulvérulents sont ou insolubles ou lenLement solubles, et même,
lorsqu'ils sont facilement solubles, cette opération modifie les conditions hygromé-
triques du milieu dans un sens défavorable au développement des microbes. En outre,
lorsqu'ils se décomposent lentement au contact de ces derniers ou des substances orga-
niques qui leur servent d'aliment, ils mettent en liberté, à l'état naissant, des produits
dont l'action antiseptique s'exerce avec une plus grande intensité sur le milieu de
culture dans lequel on les a introduits. C'est ainsi que l'iodotorme en poudre agit, très
probablement, sur les plaies suppurantes, par un lent dégagement d'iode à l'état naissant.
Antiseptiques fournis par la chimie organique. — Nous ne pouvons faire ici
l'étude complète des antiseptiques organiques actuellement usités : il suffira de citer ceux
qui ont actuellement le plus d'importance en thérapeutique, dans l'ordre où il convient
de les étudier d'après leur composition :
1° Hydrocarbures saturés, série grasse ou dérivés du méthane. — Pétrole, vaseline,
alcools méthylique, etc., glycérine, chloroforme, chloral, iodoforme, iodol, bromol, acides
organiques, cyanogène, sulfure de carbone.
2° Hydrocarbures de la série aromatique ou dérivés de la benzine. — Benzine, fuchsine,
phénols et acide phénique, créosote, résorcine, gaïacol, salol, thymol, aristol, camphre,
etc., acide salicylique, etc., naphtols, benzonaphtol, microcidine, essences de mirbane,
d'amandes amères, de m'outarde, etc., exalgine, antipyrine, etc.
Pour les détails relatifs à ces composés, nous renvoyons aux divers ouvrages men-
tionnés dans la bibliographie.
Parmi les antiseptiques, les essences méritent une mention spéciale en raison
de leurs propriétés très actives sur les microbes. Chamberland, qui a fait une étude
spéciale {Annales de l'Institut Pasteur, 1887) des plus usitées de ces essences (origan,
santal citrin, canelle de Ceylan, canelle de Chine, essence de girofles, de genièvre,
■d'artemise), leur a reconnu un pouvoir antiseptique égal à celui du sulfate de cuivre
(l'angé parmi les substances très fortement antiseptiques), mais inférieur à celui du
sublimé. — Les essences sont des hydrocarbures de la formule G'"!!"' (qui est le cam-
ph.ène ou essence de camphre) elles camphres n'en diffèrent que par la présence de l'oxy-
gène. Le tlujmol (qui est le camphre de l'essence de thym), est, ainsi que l'acide thymique,
un antiseptique puissant, qui n'a contre lui que son prix élevé.
Bouchard a étudié, de son côté, l'action antiseptique des essences. Six de ces essences
sont considérées par lui comme ayant un pouvoir antiseptique comparable à celui des
sels inercuriels (essences d'origan, de canelle de Chine et de Ceylan, d'angélique, de
vespétro et de géranium d'Algérie). Un mélange de ces six essences, expérimenté au
point de vue antiseptique et toxique, s'est montré supérieur au naphtol : on n'en a
pas encore fait l'application à la médecine humaine; mais il est à désirer que de nou-
velles recherches soient entreprises dans ce sens, bien que les essences soient des pro-
duits assez coûteux.
Mélanges de plusieurs antiseptiques minéraux, et antiseptiques minéraux
de composition complexe. — Comme nous l'avons déjà dit, on a cherché par l'asso-
ciation de plusieurs antiseptiques empruntés à la chimie inorganique à imiter ce qui se
passe pour les produits organiques, c'est-à-dire à obtenir des composés fortement anti-
septiques, tout en étant faiblement toxiques. La plupart de ces composés actuellement usités
sont de simples mélanges :" c'est ainsi que l'adjonction du chlorure de sodium ou de
l'acide tartrique à une solution aqueuse de sublimé rend cette solution à la fois plus par-
faite et plus antiseptique. En eflét l'addition de l'acide chlorhydrique ou de l'acide tar-
trique (dans la proportion de a pour 1000) empêche le sel mercuriel de former un
albuminate insoluble en présence des matières albuminoïdes de l'organisme. La solution
de sublimé est donc plus active à plus faible dose. Des mélanges très complexes du même
genre ont été proposés par divers auteurs, et l'on a même associé les antiseptiques
organiques aux antiseptiques inorganiques. 11 serait bien préférable d'avoir des produits
définis fournis par la réaction mutuelle des principaux antiseptiques.
On a proposé récemment le sulfoxychlorure de mercure borico-aluné, qui se pré-
sente sous forme d'une solution faiblement colorée en jaune et sans odeur : cette solu-
tion cristallise, par simple évaporation, en paillettes d'un jaune citron. Expérimenté au
ANTISEPTIQUES.
607
laboratoire de bacte'riologie de l'Hûpital International, cet antiseptique a donné les
résultats suivants : les spores charbonneuses sont détruites en 15 minutes, alors que le
sublimé ne donne le même résultat qu'au bout de 24 heures et l'acide phénique au bout
de 48 heures. Une solution à 5 ou 8 p. 100 empêche le développement du bacille
d'EuKRTH, du streptocoque de l'érysipèle et des Staphylococcus cdbus et aureiis, tuant ces
bactéries en moins de 5 minutes. La désinfection des matières en putréfaction à l'aide
de cette solution est presque instantanée, comme le prouve la disparition de toute odeur,
en 2 ou 3 minutes. L'avenir de l'antisepsie est aux composés de cette nature, c'est-
à-dire à des corps à la fois faiblement to.KÏques et fortement antiseptiques.
APPENDICE
Nous cro^'ons devoir donner ici les chiffres indiqués par divers auteurs pour la déter-
mination de la valeur antiseptique de telle ou telle substance. 11 est clair que ces chiffres
sont modifiables suivant la manière de procéder et d'expérimenter. Mais ce ne sont que
des modifications de détails, et on peut, ftrâceàla précision de ces recherches, d'ailleurs
assez faciles, conside'rer la valeur antiseptique comparée des différents corps chimiques
comme à peu près définitivement acquise.
Tableaux comparatifs des substances antiseptiques.
A. — Tableau de JALAN DE LA CROIX, résumé par DUCLAUX, indiquant les doses
d'antiseptiques neutralisant l'action des bactéries pathogènes.
Les chiffres représentent le nombre de milligrammes emploj'és
et stériliser un litre de jus de viande servant de
' empêcher le développement dos bactéries
u de culture à ces ijactéries.
ANTISEPTIQUES
DOS
ES
DOSES .
DOSES
a.
^
i
^
i
M
3- "S
c
S
a
t S
g.
'5 w
Sublimé corrosif. . . .
40
20
170
154
80
66
Chlore
.33
00
24
76
44
268
33
224
2 320
5 880
2170
3 875
Chlorure de chaux ù 98°.
Acide sulfureux ....
155
117
300
200
5 265
3 660
Acide sulfurique. . . .
no
120
500
300
8 620
4 900
Bromures
153
126
392
250
2 975
1 820
lodures
200
150
646
500
2 440
1916
Acétate d'alumine. .
2:j;i
184
2 350
1200
15 620
10 870
Essence de moutarde. .
300
175
1 690
1220
35 700
25 000
Acide benzoïque. . . .
350
250
2 440
1 960
8 265
4 700'
Borosalicj'late de soude.
350
204
15 890
9 090
33 330
20 000
Acide picrique. . ■. . .
500
330
1000
700
6 660
5 000
Thymol
145
450
9175
4 713
50 000
27 780
Acide salicylique. . . .
1000
893
18 660
12 820
28 370
Hypcrmanganate de K.
1000
700
6 660
5 000
6 600
5 000
Acide phénique ....
1500
1000
45 550
23 810
376 000
250 000
Chloroforme
11 110
8 930
8 930
7 460
1 250 000
15140
47 620
71 400
12 990
28 570
50 000
20 830
227 300
8 900
14 500
166 600
4 800
83 350
847 000
171580
Essence d'eucalyptus. .
608
ANTISEPTIQUES.
B. — Tableau de MIQUEL indiquant la plus petite quantité de substance antiseptique
nécessaire pour empêcher la putréfaction d'un litre de bouillon de bœuf neutralisé,
puis exposé aux germes de l'air :
1° Substances éminemment antiseptiques.
Bichlorure de mercure . 0,07
Nitrate d'argent 0,08
Biiodure de mercure 0,025
lodure d'argent 0,030
Eau oxygénée 0,03
2» Substances très fortement antiseptiques.
Acide osmique 0,io
Acide chromique 0,20
Chlore 0,23
Iode 0,23
Chlorure d'or 0,23
Bichlorure de platine 0,30
Acide cyanhydrique 0,40
lodure de cadmium 0,30
Brome 0,60
lodoforrae 0,70
Chlorure de cuivre 0,70
Chloroforme 0,80
Sulfate de cuivre 0,90
3° Substances fortement antiseptiques. _
Acide salicylique 1,00
Acide benzoïque 1,10
Cyanure de potassium .... 1,20
Bichromate de potasse. . . . 1,20
Acide picrique 1,30
Gaz ammoniac l.-iO
Chlorure de zinc . ...... 1,90
Acide thymique 2,00
Sulfate de nickel ....... 2,30
Nitrobenzine 2,60
Acide sulfurique ....(., ..^ .j qq
— azotique ....("'
grammes .
Acide cldorhydrique . . . 1 _ ,
— phosphorique. ..)""' ' '
Essence d'amandes amères . . 3,00
Acide phénique 3,20
Permanganate de potasse . , . 3,50
Alun 4,50
Tanin 4,80
Acide oxalique ..... j
— tartrique ! 3 à 3,00
— citrique '
Sulfhydrate alcalin 5,00
4° Substances modérément antiseptiques.
Bromhydi-ale de quinine
Acide arsénieux ....
Sulfate de strychnine
3,.".0
6,00
7.00
grammes.
Chloral 9,30
Salicylate de soude 10,00
Sulfate de protoxyde de fer . 11,00
Acide borique 7.30 Soude caustique 18,00
3° Substances faiblement antiseptiques.
Éthor sulfurique 22
Chlorure de calcium 40
Borax 70
CUorhydratc de morphine . . 75
Chlorure de baryum 95
Alcool éthylique 93
6° Substances très faiblement antiseptiques.
Chlorhydrate d'ammoniaque. . 115
lodure de potassium 140
Chlorure de sodium 165
Glycérine 223
Bromure de potassium
Sulfate d'ammoniaque
Hyposulfite de soude .
graïujnes.
. 240
. 230
. 273
ANTISEPTIQUES.
609
. —Tableau de BOUCHARD et TAPRET indiquant la dose à, laquelle les divers agents solu-
bles les plus employés, injectés dans une veine périphérique, amènent la mort d'un
kilogramme de matière vivante (Équivalent toxique) :
SUBSTANCES
ESSA YÉES-
Potasse
Chlorure de potassium
Carbonate —
Bicarbonate —
Tartrate —
Nitrate —
Chlorate —
Bichromate —
Bromure —
Soude
Arscniate de sodium
Azotite
Azotate
Sulfite
Hyposultite
Oxalate
Pyrophosphate ■
Hypophosphitc
Phosphate
Sulfovinate
Lactate
Citrate
Tartrate
Chlorate
Bromure
Salicylate
Carbonate
Bicarbonate
TITRE
de la
SOLUTION.
2/1000
1/180
1/200
1/100
1/200
1/200
1/100
1/200
1/100
5/1000
5/1000
2/100
4/1000
1/6
lS/100
1/200
2/24
1/100
1/13
1/6
1/6
5/100
5/100
1/20
1/10
4/100
1/25
4/100
DOSE
MORTELLK
0,123
0,18
0,19
0,08
0,24
o,n
0,16
0,09
0,25
0,39
0,223
0,89
2,30
2,03
3,90
0,10
2,23
2,00
3,03
4,20
3,01
0,70
0,95
0,40
3,50
0,90
3,00
1,15
SUBSTANCES
[essayées
Cholatc de sodium.
Choléate — .
Tartrate de potasse et de
soude
Tartrate de fer et de po-
tasse
Tartrate de fer et d'am-
moniaque
Pyrophosphate de fer ci-
tro-ammoniacal . . .
Chlorure de fer et d'am
monium
Citrate de lithine. . . .
Carbonate d'ammonia-
que
Acétate d'ammoniaque .
Sulfate — . .
Valérianate — . .
Bromure d'ammonium .
Chlorhydrate d'ammo
niaque
Citrate de fer
Tartrate — ,
lodure —
Perchlorure de fer . .
Lactate de fer . . . .
Sulfate de fer dessé
ché
TITRE
do la
SOLUTION.
2/100
2/100
5/150
3/130
5/150
1/100
2/100
1/100
1/100
1/100
2/100
1/100
2/100
1/100
1/100
2/100
2/100
5/400
3/240
1/1000
DOSE
MORTELLE
pour
1 kilosr.
0,54
0,46
0,64
0,38
0,49
0,36
0,50
0,254
0,24
0,28
0,38
0,67
0,85
0,38
0,35
1,31
1,34
0,88
0,37
0,29
Tableau de CH. RICHET indiquant la dose antiseptique comparée à. la dose toxique
pour les poissons, dans un litre de liquide <eau de mer et peptone)'.
Mercure (Hg-)
Zinc
Cadmium
Cuivre (Ou-)
Nickel
Fer (Fe3.)
Baryum
Lithium
Magnésium
Manganèse
Ammonium
Calcium
Sodium
Potassium
1. Action toxique comparée des métaux sur les microbes (C. R., 1883, t. xcvii, p. 1004).
2. Les poids donnés se rapportent au poids du métal contenu dans le sel et non au sel lui-
même. Tous les sels employés étaient des chlorures.
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 39
Poids de métal -
Poids de métal
qui entrave la pu-
qui tue un poisse
tréfaction.
en moins de 48 heu
0,0055
0,00029
0,026
0,0084
0,040
0,017
0,062
0,0033
0,18
0,125
0,24
0,014
3,35
0,78
6,90
0,30
7,20
1,50
7,70
0,30
18,70
0,064
30,00
2,40
24,00
24,00
58,00
0,10
610 ANTISPASMODIQUES — ANTITOXINES.
E. Tableau résumant, d'après CH. RICHET, les doses des divers antiseptiques.
NOMS DES SUBSTANCES.
1<
Z'-
33
4*
5 =
Bichlorure de mercure
Iode
g^.^nlmes.
0,0.0
0,5
1,3
5,0
6,6
20,0
0,04
0,2
0,3
1,0
1,3
10,0
12,0
30,0
grammes.
0,07
0,03
1,0
54,0
106,0
grammes.
0,04
0,18
0,13
0,5
7.S
23,0
6,0
0,07
0,25
1,4
1,0
3,2
0,8
7.5
93.0 '
93,0
113,0
2,5
165,0
Phénol
Chlorure de baryum
Chloi'hydrate d'ammoniaque. .
Chlorure de sodium
1. Bdchholtz. Antiseptka und Bactérien (A. P. P., 1875, t. iv, p. 80).
P. P., 1881, t. xrii, p. 175).
3. Ch. R[Chet. Act. tox. comparée des métaux sur les microbes (C. R., 1883, t. xcvii, p. 1004).
4. Marcus et PiNET. Act. de quelques subst. sur tes bact. de la putréfaction {B. B., 1882, p. 718).
5. MiQUEL. Organismes de l'atmosphère vioants (D. P., 1883).
Bibliographie. — Outre les ouvrages indiqués à l'article Antisepsie, consultez :
Adrian. Petit formulaire des antiseptiques, 1892. — Bardet. Formulaire des nouveaux
remèdes, 1893.
Quant aux bibliographies spéciales, on les trouvera à lodoforme, Mercure, Phénol, etc.
E. TROUESSART.
ANTISPASMODIQUES. — Substances thérapeutiques taisant dispa-
raître l'état dit spasmodique qui, dans la terminologie scientifique actuelle, signifie con-
tractures, crampes, convulsions toniques ou cloniques. Les antispasmodiques sont
essentiellement des substances qui abolissent ou diminuent l'excitabilité des centres
nerveux et spécialement les anesthésiques (Voyez Convulsions).
ANTITHERMIQUES. — Voyez Chaleur et Fièvre.
ANTITOXINES. — La notion des antitoxines est avant tout une notion
d'ordre physiologique; nous connaissons ces principes antitoxiques par leurs effets sur
les tissus, par leurs propriétés, beaucoup plus que par leur constitution chimique, qui,
en dépit de la consonnance, de la terminaison du mot, terminaison propre à faire croire
à un alcaloïde, est à peine soupçonnée. Il n'y a pas, au moins jusqu'à présent, dans les
substances désignées sous le nom d'antitoxines, de corps chimiques définis. Tout au
plus, du reste, pourrait-on l'appliquer à quelques rares substances capables de neutra-
liser leurs effets toxiques, comme l'atropine et la pilocarpine (Voy. Antagonisme).
L'histoire de ces principes est intimement liée à celle de l'immunité, en particulier
de l'immunité acquise, de l'immunité artificielle. Un animal subit l'action d'un virus,
d'un microbe, par e.'iemple du bacille de Nicolaïer; il succombe au milieu des acci-
dents tétaniques les plus caractérisés. Ses humeurs, à aucun moment, n'ont paru
s'opposer au développement de l'agent pathogène, pas plus que, mélangées aux sécré-
tions de cet agent, elles n'ont atténué les propriétés nuisibles de ces sécrétions. Si,
au contraire, on a pris soin, au préalable, de vacciner cet animal, si on lui a injecté
les produits solubles de ce bacille de Nicolaïer, produits chauffés, préparés, les inocu-
lations demeurent sans résultat. D'autre part, si on associe à ces produits solubles le
ANTITOXINES. 611
sérum de cet animal rendu résistant, on constate que ces produits ont perdu en partie
ou même en totalité leurs attributs nocifs : ce sérum est devenu antitoxique.
Il existe donc un rapport étroit entre l'apparition de l'élément ou des éléments qui
confèrent aux liquides ou tissus de l'organisme la puissance de neutraliser les effets
des substances bactériennes et la réalisation de l'état réfractaire. — Étudier la genèse de
cet état réfractaire, comme les faits l'établissent pleinement, c'est rechercher le pour-
quoi et le comment de la naissance des antitoxines.
Les doctrines relatives à ces questions, du moins celles qui, revêtues de quelque préci-
sion, ont commencé à s'appuyer sur des données positives, ne sont pas de date ancienne.
Théories de l'immunité. — Théorie de la soustraction. — Le 9 février 1880,
dans une communication à l'Académie des sciences, Pasteur, parlant de l'immunité qui
succède à la lésion provoquée par l'inoculation de la culture atténuée du choléra des
poules, s'exprimait en ces termes : u Le muscle qui a été très malade est devenu, même
après guérison et réparation, en quelque sorte impuissant à cultiver le microbe, comme
si ce dernier, par une culture antérieure, avait supprimé dans le muscle quelque prin-
cipe que la vie n'y ramène pas et dont l'absence empêche le développement du petit
organisme. Nul doute que cette explication, à laquelle les faits les plus palpables nous
conduisent en ce moment, ne devienne générale, applicable à toutes les maladies viru-
lentes. »
Le 26 avril 1880, Pasteur formule une autre hypothèse, celle qui invoque la matière
empêchante, mais pour la combattre : « A. la rigueur on peut se rendre compte des faits
de non-récidive en admettant que la vie du microbe, au lieu d'enlever ou de détruire
certaines matières dans le corps des animaux, en ajoute au contraire, qui seraient pour
ce microbe un obstacle à un développement ultérieur.
« Dans les cultures de notre microbe, il pourrait y avoir formation de produits dont
la présence expliquerait, à la rigueur, la non-récidive et la vaccination. Nos cultures
artificielles du parasite vont encore nous permettre de contrôler cette hypothèse. »
Il indique alors l'expérience suivante. U évapore à siccité une culture de choléra
des poules devenue stérile, dilue l'extrait avec du bouillon neuf jusqu'à concurrence du
volume primitif, puis ensemence avec succès; il en conclut qu'il n'y avait pas de matière
empêchante. — Il ajoute : « On ne peut donc croire que pendant la vie du parasite
apparaissent des substances capables de s'opposer à son développement ultérieur. Cette
observation corrobore l'opinion k laquelle nous avons été conduit tout à l'heure. »
(Pasteur. Sur les maladies virulentes et en particulier sur la maladie appelée vulgairement
choléra des poules. C. R.,1880, t. xc, pp. 239, 932, 1030).
Ainsi l'expérimentation semblait démontrer que, si une première invasion bactérienne
rend impossible une nouvelle tentative, c'est parce que les agents pathogènes, au mo-
ment de celle première invasion, ont, en quelque sorte, épuisé le terrain, et fait dis-
paraître des éléments indispensables à leur évolution.
Toutefois, il est permis de remarquer que l'économie, à certains égards, est bien
différente d'un ballon, d'un tube de culture, d'un vase clos. Lorsqu'une substance a été
supprimée, la vie des cellules, l'alimentation, la respiration, des apports variés, etc.,
peuvent la remplacer.
D'autre part, les recherches de divers auteurs, plus spécialement celles de Bou-
chard {Leçons sur la Thérap. des Mal. inf., pp. Hi à 115. Paris, 1889), ont prouvé que,
même in vitro, dans quelques cas au moins, l'évolution des germes prenait fm, soit
parce que ces germes avaient consommé les principes nutritifs, soit aussi parce qu'ils
avaient introduit, dans le milieu, des matières nuisibles pour eux-mêmes.
Du reste, ceux qui pensaient que l'immunité relevait de l'introduction de corps
nouveaux ne se tinrent pas pour battus.
Théorie de l'addition. — Chauveau crut démontrer la réalité de cette doctrine,
dite doctrine de l'addition. — Il fit remarquer que les agneaux nés de brebis charbon-
neuses offraient, vis-à-vis de cette maladie, une certaine résistance. Considérant le pla-
centa comme un filtre infranchissable pour les éléments figurés, pour les agents patho-
gènes vivants, pour la hactéridie, il pensa que cette vaccination était la conséquence du
passage des produits solubles, créés par cette hactéridie, de la mère au fœtus (Renforce-
ment de l'immunité des moutons algériens à l'égard du sang de rate par des inoculations
612 ANTITOXINES.
.préventives. Influence de finoculation de la mère sur la réceptivité du fœtua. C. R., 19 juil-
let 1880, t. xci, p. 148).
On sait que les découvertes ultérieures ont montré que cet organe placentaire n'est
nullement imperméable aux inflniment petits. Cette constatation a porté atteinte a
la rigueur de la démonstration.
Toussaint, en injectant du sang charbonneux chauffé à 38°, fit apparaître l'immuni-
sation. 11 estima qu'elle était due aux substances dissoutes dans le sang, croyant que
la chaleur avait anéanti tout corps vivant [De l'immunité pour le charbon, acquise à la
suite d'inoculations préventives. C. R., t. xci, p. 133, 12 juillet 1880). En prouvant qu'il
n'en était rien, et que cette température ne suffisait pas pour détruire tout germe orga-
nisé, on a établi le peu de solidité de cette conclusion.
C'est en 1883 que Salmon et Smith sont parvenus à vacciner, contre le choléra
des porcs, avec des toxines stérilisées. — Pourtant il semble que leurs expériences
n'ont pas été réalisées dans des conditions exemptes de tout reproche. Ces savants
n'ont chauffé qu'entre 56° et 60", températures avoisinant précisément celles des
recherches de Toussaint, températures impuissantes à détruire l'ensemble des germes,
surtout les sporogènes, températures insuffisantes dans ce cas particulier. Il convient
cependant de reconnaître que ces expérimentateurs ont cru démontrer, par des ense-
mencements restés infructeux, que leurs cultures, après chauffage, étaient stériles.
Mais cette démonstration n'a rien d'absolu; car Maximovitch a prouvé que, si les mi-
crobes ont subi de graves causes de détérioration, ils peuvent devenir incapables de se
multiplier dans les milieux inertes, in vitro, même si la teneur du liquide n'est pas
défavorable, alors qu'ils évoluent dans l'animal. De plus, pour établir, d'une façon
indiscutable, qu'un liquide supposé pauvre en éléments figurés n'en contient plus aucun,
il faudrait, en pleine rigueur, le semer entièrement. 11 est également permis de
remarquer que c'est au pigeon seul que Salmon et Smith ont conféré l'immunité; or cet
animal est. de leur propre aveu, à la limite de la réceptivité.
WùOLRiDGE {A. Db., 1888, p. 327) traitant le B. anthracis par des extraits de thymus,
et de testicules de veau, aurait obtenu par filtration des substances vaccinantes. Tou-
tefois, d'une part, il ne s'agit pas là d'éléments d'origine bactérienne; d'autre part,
jamais on n'a pu réaliser, en suivant ce procédé, la création de l'immunité vis-à-vis
de la bactéridie. Cet auteur affirme, d'un autre côté, avoir pratiqué au môme instant,
avec succès, et l'inoculation positive de ce germe et l'injection de toxines charbonneuses
rendant immédiatement l'animal invulnérable. Personne n'a, jusqu'à ce jour, observé,
avec celte bactérie, des faits semblables; au contraire, si ces produits solublts pénètrent
au moment oii l'on introduit l'agent pathogène, loin de protéger, ils aggravent le mal.
11 y a donc lieu de formuler des réserves, quel que soit d'ailleurs l'incontestable mérite
de ces recherches.
Démonstration de la théorie de l'addition, de la doctrine de la vaccination
à la suite de Tinjection des toxines. — Le 24 octobre 1887 (C. R., t. cv) j'indiquai la
possibilité de vacciner, de rendre la résistance plus ou moins complète, plus ou moins
durable, en injectant au préalable les produits solubles des cultures chauffés à 113% ou
filtrés à la bougie de porcelaine, c'est-à-dire parfaitement stérilisés.
Ces expériences n'ont jamais été attaquées; à l'heure présente, je ne vois pas encore
par quelle Assure l'erreur aurait pu se glisser, d'autant plus que les confirmations ne se
sont pas fait attendre.
Deu.x mois après, en décembre de la même année, Roux et Chamberland, confir-
mant cette doctrine, annoncèrent que l'on réussit à faire apparaître l'immunité contre
le germe de l'œdème malin, en se servant des humeurs des animaux tués par ce germe,
humeurs renfermant les produits solubles issus du fonctionnement de ce germe. Pour
le charbon symptomatique, pour la fièvre typhoïde, pour les infections expérimentales
attribuables au pneumocoque, au streptocoque, etc., en moins de dix-huit mois après
ma communication, des démonstrations analogues furent faites. La possibilité de vac-
ciner, en suivant les procédés dont j'ai, le premier, établi la réalité par des expé-
riences demeurées intactes, est aujourd'hui établie pour douze maladies, tandis qu'avant
mes recherches, des tentatives incomplètes, n'ayant pas entraîné la conviction, n'avaient
concerné que deux affections.
ANTITOXINES. 613
Diversité des modes de vaccination. — Assurément, il est possible de créer
l'état réfractaire en ayant recours à d'autres procédés. On peut user des germes
atténués; toutefois, si cette atténuation a dépassé le but, l'inoculation demeure sans
effet; si elle a été trop incomplètement réalisée, on court le risque de provoquer une
affection mortelle.
Dans quelques cas, on réussit en déposant le virus normal dans un point particulier,
en se servant d'une porte d'entrée particulière. Injecté dans les veines, le charbon
symptomatique protège contre la maladie mortelle qu'il détermine, lorsqu'on le place
sous la peau, dans la profondeur du tissu cellullaire.
Certains microbes paraissent propres à immuniser contre des espèces différentes;
d'autre part, des principes qui ne dérivent pas de la vie des bactéries semblent capables
de jouer ce rôle de vaccins, etc. Il n'en demeure pas moins établi que c'est habi-
tuellement aux toxines que l'on s'adresse, quand on désire augmenter la résistance à
l'infection.
Ainsi, avoir prouvé que l'injection de ces toxines accroît cette résistance, c'est avoir
introduit, je pense, une notion d'une certaine importance, qui conduit à vacciner,
aisément, avec plus de sécurité. Cependant le dernier mot n'est pas dit; on arrive à
se demander par quels procédés ces toxines créent l'état réfractaire.
Les toxines ne vaccinent pas par elles-mêmes. — La première idée porte à sup-
poser que ces matières interviennent à la façon des antiseptiques qu'on dépose dans un
bouillon de culture. Cette idée ne résiste pas à l'examen; nous l'avons prouvé, Bou-
CHABD et moi.
En premier lieu, on ne saurait comparer l'économie vivante, pourvue d'organes de
transformation et d'élimination, à un vase inerte, fermé. En second lieu, les substances
bacillaires introduites s'échappent, comme s'échappent les médicaments. Bouchard,
en reproduisant la paralysie pyocyanique avec les urines des lapins qui avaient reçu
les principes créés par le bacille pyocyanique, avant tout autre, a mis en évidence cette
élimination, attendu que, si ces urines provoquent les troubles que causent ces principes,
c'est parce qu'elles les contiennent {Thérap. Mal. Inf. Paris, 1889). Roux et Yersin ont
confirmé cette découverte dans leurs études sur la diphtérie.
D'autre part, avec Ruffer {Mal. Pyocyan., D. P., 1889 et B. B., juillet 1891, p. 5.3d),
j'ai établi qu'au bout de quinze jours cette élimination prenait fm; C. Frankfl a véri-
fié cette assertion. Or l'immunité n'existe pas au moment où l'animal possède la plus
grande partie de ces produits vaccinants, à savoir au moment oii on vient de les injecter;
à ce moment il est au contraire prédisposé, comme je l'ai vu, après Boucha.rd.
Cette immunité n'apparaît que vers le quatrième ou le sixième jour, elle se poursuit
longtemps après, alors que les produits vaccinants ont disparu. Il n'y a donc pas de
relation directe entre cette immunité et la présence de ces produits; autrement dit ces
produits n'agissent point par eux-mêmes. Voilà ce qui a été établi par Bouchard
comme par moi, grâce aux études réalisées à l'aide du bacille pyocyanogène. Voilà pour-
tant ce que quelques-uns croient découvrir à nouveau, en prouvant que les principes nui-
sibles aux agents pathogènes ou à leurs sécrétions dérivent de la vie des tissus animaux.
Modifications des humeurs chez les vaccinés. — Découverte des principes
dits bactéricides. — Dès lors il convenait de rechercher ce qui se passe chez les
vaccinés.
Longtemps les recherches sont demeurées négatives. On cultivait le microbe, contre -
lequel on avait prémuni, dans des bouillons faits, les uns avec des tissus de sujets sains,
les autres avec des tissus de réfractaires ; on ne voyait aucune différence, et cela parce
que, pour stériliser ces bouillons, on les chauffait, détruisant ainsi, comme on l'a vu
plus tard, les principes protecteurs créés par la vaccination.
Grohmann, puis FoDOR, NuTTAL, NissE.»), etc., ont reconnu que les germes pous-
saient moins bien dans les humeurs des réfractaires, si on ne chauffait pas ces
humeurs au delà de bo°. Cependant, dans un de ses travaux, Nissen concluait en disant
que ces différences étaient peu sensibles, inconstantes; le doute pouvait subsister rela-
tivement à ces différences entre les plasmas des animaux rendus résistants et ceux des
animaux sains (Voir pour la bibliographie Barbier. Rôle du sang dans la défense de
l'organisme. Gaz. médic, 1891, n"^ 3, i, 3, 6, etc.).
(Î14 ANTITOXINES.
C'est à cemoment que j'ai repris la question, avec Roger (B. B., 23 nov. 1880, p. 667). —
Nous avons montré que le bacille pyocyanogéne cultivé dans le sérum des lapins vaccinés
pullulait moins abondamment, variait ses formes et surtout sécrétait moins de pigment.
C'est qu'en effet, et c'est là un point important que nous avons mis en évidence, les
modifications humorales des vaccinés n'agissent pas sur les germes avec l'énergie des
antiseptiques puissants, du sublimé par exemple; s'il en était ainsi, nos cellules seraien
les premières à s'en plaindre; la vaccination, loin d'être utile, serait désastreuse. Ces
modifications sont la conséquence de l'apparition des éléments dits bactéricides ou
antitoxiques; ces éléments interviennent d'une manière plus ou moins vive, suivant
l'intensité de la vaccination, l'immunité ayant tous les degrés; parfois ils ne font varier
que les fonctions les plus délicates, les plus contingentes. Or nous avons vu que, pour
ce bacille pyocyanogéne, on influençait son pouvoir chromogène avant de toucher à sa
reproduction; c'est ainsi que les antiseptiques exercent leur action; nous l'avons
démontré. — Voilà pourquoi il nous a été donné de mettre en lumière avec certitude ce
pouvoir bactéricide.
NissEN comptait, à l'aide de la méthode des colonies en plaques, le nombre des
microbes développés soit dans le sérum des témoins, soit dans celui des vaccinés; il lui
arrivait de ne pas trouver de différences toujours nettes. Nous savons aujourd'hui
pourquoi; nous savons que ce défaut de différence tient à l'insuffisance d'action des
substances germicides ou antitoxiques. Dans nos expériences, au contraire, alors même
que le nombre n'était pas changé, grâce à la sensibilité des attributs pigmentaires, nous
avons pu affirmer définitivement que, chez les vaccinés, les bactéries rencontrent des
conditions peu favorables à leur évolution, attendu que tarir les sécrétions constitue un
résultat considérable, ces bactéries agissant par leurs sécrétions ; leur présence est
chose secondaire, si elles sont inactives.
J'ai donc ainsi contribué à établir que la vaccination fait naître des substances qui,
dans les plasmas, s'opposent à la libre puUulation, au libre fonctionnement des ferments
figurés. Dès lors, les poisons font défaut; ils manquent de qualité comme de quantité
pour réaliser les désordres morbides; dès lors, le mal avorte; dès lors, les germes atté-
nués deviennent plus aisément la proie des phagocytes. Ce sont là des fails que j'ai cons-
tatés; beaucoup d'auteurs les ont observés, comme moi, dans leurs différents détails.
Découverte des éléments antitoxiques. — A ces notions qui mettent en évidence
l'existence, chez les réfractaires, des corps nuisibles à l'évolution des microbes vivants,
est venue s'ajouter la découverte des propriétés antitoxiques des humeurs.
J. Héricourt et Ch. Richet ont d'abord montré que le sang des animaux vaccinés
contre le Staphylococçus pyosepticus, peut, s'il est transfusé à des animaux sensibles, leur
conférer l'immunité (De la transfusion péritonéale et de l'immunité qu'elle confère. C. R.,
5 nov. 1888, t. cvii, p. 748). Puis Douchard a prouvé que cette activité antitoxique du
sang était dans le sérum {Réflexions à pi-opos de la comm. de Ch. Richet, B. B.,
7 juin 1890, p. 361). Pour l'historique, voir Ch. Richet. De l'hématothérajne en général.
Trav. du Lab., t. l, 1893, t. m, pp. 233-263).
Plus tard Behring (D. med. Woch., n° 49, 4 déc. 1890) a fait une série de recherches
remarquables sur ce sujet en collaboration avec Kitasato. On vaccine un lapin contre le
tétanos; on éprouve son immunité en lui injectant 10 centimètres cubes d'une culture
active qui tue à la dose de 0,o; ce lapin vacciné résiste. On prend du sang dans la caro-
tide de cet animal; immédiatement avant la coagulation, on introduit ce liquide dans le
péritoine de deux souris, 0''S3 chez l'une, 0'%2 chez l'autre; au bout de vingt-quatre heures,
on leur inocule, ainsi qu'à deux témoins, des bacilles actifs. Ces témoins contractent le
tétanos vers la vingtième heure; ils succombent aux environs de la trentième; les deux
vaccinés ne sont pas malades. On laisse le sang de ce lapin se coaguler; on recueille
une quantité de sérum assez grande; on fait pénétrer cette quantité, toujours dans la
séreuse abdominale, chez six nouvelles souris, à raison de 0'=',2 par tête; elles reçoivent
ensuite le virus, bien entendu, en même temps que des témoins. Ces témoins périssent;
les six autres n'éprouvent pas d'accident.
Ce sérum peut également être employé d'une façon thérapeutique. On inocule
d'abord le liquide virulent; on injecte, en second lieu, le sérum en question; les. sujets
ainsi traités survivent.
ANTITOXINES. 615
Cette humeur est capable de détruire une proportion énorme de poison tétanique,
d'ailleurs très énergique; il suffit, en effet, O^s.Oo d'une cultureMébarrassée des ferments
figurés, pour anéantir une souris, au bout de quatre à six journées; 0™s,l la tue en
moins de deux; or ce sérum s'oppose à ces actions nocives.
Cinq centimètres cubes du sérum d'un lapin vacciné sont mélangés à un centimètre
cube de culture tétanique, et laissés en contact. On administre, à quatre souris, O"",!
de ce mélange, soit O^^.OiBS de la culture, c'est-à-dire plus de trois cents fois la dose
mortelle pour l'une d'elles; les quatre restent saines; des témoins qui ont eu O'"',0001
de bouillon, sans addition, meurent en trente-six heures. Toutes ces souris survi-
vantes sont devenues réfractaires pour longtemps; plus tard, Behring et Kitasato les ont
éprouvées par des microbes actifs sans les rendre souffrantes.
Le phénomène est très remarquable; car, au cours d'expériences antérieures, jamais
les auteurs n'avaient trouvé ni une souris, ni un lapin, doués d'immunité naturelle; ils
ont opéré sur d'autres sujets, tous étaient sensibles au tétanos. Jusqu'à ce jour, à l'Ins-
titut d'Hygiène de Berlin, on s'était inutilement efforcé de prémunir, contre cette affec-
tion, diverses espèces.
Mécanisme des effets antitoxiqiies. — Ces phénomènes d'atténuation des sécré-
tions microbiennes par le sérum des réfractaires une fois établis, cherchons à pénétrer
le mécanisme de ces modifications des sécrétions toxiques des bactéries.
L'expérience dans laquelle le pouvoir antitoxique se manifeste avec le plus de netteté
est celle où l'on mélange le sérum antitétanique avec la toxine. On verse dans une
série de verres un volume connu d'une toxine très active, celle qui tue une souris à la
dose de l/IOOO"^ de centimètre cube; on ajoute dans chacun des quantités variables de
ce sérum anti-tétanique, dont le pouvoir préventif égale un trillion. Une partie de ce
sérum suffit à rendre inoffensives 900 parties de toxine; un demi-centimètre cube du
mélange injecté à un cobaye ne lui donne pas le tétanos, bien qu'il ne renferme qu'un
1800'' de centimètre cube de sérum.
Pour Bdchner, pour Ehrlich, l'antitoxine protège l'organisme; pour Behring, elle
détruit les poisons bactériens. Les faits, on l'a vu, ruinent cette seconde hypothèse.
Du reste, dans l'état actuel de nos connaissances, l'utilité de ces actions antitoxiques
paraît secondaire en matière d'immunisation. On admet généralement, en effet, que
chez les sujets rendus résistants à un virus, le microbe, agent actif de ce virus, se déve-
loppe peu, incomplètement, sécrète encore moins. Dès lors, on saisit par-dessus tout
la mise en jeu des principes bactéricides, c'est-à-dire de ceux qui gênent le développe-
ment de ce microbe. Mais, du moment où ce microbe ne peut librement évoluer, il est
incapable de fabriquer en grand des toxines, des toxines suffisantes en quantité comme
en qualité. 11 en résulte que neutraliser ou détruire ce qui n'existe pas ou ce qui existe
à peine n'est pas absolument chose de première nécessité. II en valautrement, quand
il s'agit d'attaquer une infection qui évolue, de procéder thérapeutiquement.
Le poison paraît donc annulé comme dans une opération chimique, où une quan-
tité donnée d'un corps sature une quantité donnée d'un autre. Les choses ne se passent
pas cependant avec cette simplicité. D'abord rien n'est plus difficile que de saisir le
point exact de la saturation. Buoh.n-er a déjà vu qu'un mélange qui n'agit pas sur la
souris est actif sur le cobaye. L'association de 900 parties de toxine et de I de sérum
est inoffensive à la dose d'un demi-centimètre cube pour 8 cobayes sur 10; mais il en
est 2, dans le lot, qui prendront un tétanos plus ou moins sévère, qui se comporteront
comme des réactifs plus sensibles, en montrant qu'il y a encore du poison libre dans la
liqueur. Si on diminue la proportion des toxines, si à 500 parties de toxines on ajoute
une partie de sérum, un demi-centimètre cube de ce nouveau mélange ne produit aucun
effet; toutefois 3 centimètres cubes donneront le tétanos.
Il n'y a pas là la netteté d'une réaction chimique, soit que nous manquions d'un
réactif suffisant pour nous indiquer le point exact de saturation, soit peut-être que cette
saturation ne puisse se réaliser, soit que toxine et antitoxine continuent à exister côte
à côte. Des expériences de Vaillard et Roux [Congv. de Budapest, 1894) tendent à prou-
ver qu'il en est ainsi.
On ne peut s'empêcherde rapprocher ces phénomènes de ceux qui sont conséquence
de l'intervention de certains organes protecteurs des glandes internes, du foie, corps
616 ANTITOXINES.
thyroïde, des capsules surrénales, etc., par exemple, organes qui, eux aussi, atténuent
les poisons fabriqués dans l'organisme. Ces corps agissent probablement par la produc-
tion d'antitoxines déversées dans le sang; à moins que la cellule glandulaire parvienne
à détruire les poisons qui circulent dans le sang, au fur et à mesure qu'elle est en rapport
avec le liquide sanguin (V. Chaerin et Langi.ois. Act. antitoxique du tissu des capsules sur-
rénales. B. B., 1894, pp. 410-412).
Influences des modifications antérieures de l'organisme sur l'action des anti-
toxines. — On injecte à cinq cobayes neufs un demi-centimètre cube du mélange : toxine,
900 parties; sérum, 1 partie; aucun ne contracte le tétanos. — A cinq autres cobayes
de même poids, ayant les meilleures apparences de santé, mais immunisés quelque
temps auparavant contre le vibrion de Masaouah, on donne le même liquide à la même
dose ; ils contracteront le tétanos ; bien plus, de semblables cobayes pourront être rendus
tétaniques avec 1 tiers de centimètre cube de ce mélange de 500 parties de toxine
pour i de sérum. — Des cochons d'Inde, qui reçoivent d'abord 1 centimètre cube de
sérum préventif, actif au trillionième, c'est-à-dire une quantité capable de les immu-
niser des milliers de fois, puis, une dose mortelle de toxine tétanique, restent bien
portants dans les conditions ordinaires. Plusieurs d'entre eux prendront le tétanos, si on
leur injecte ensuite des produits microbiens, tels que ceux du bacille de Kiel, du Bacte-
rium coli et d'autres bactéries. La toxine n'est donc pas détruite puisqu'elle donne le
tétanos, même après plusieurs jours, aux cobayes dont on modifie la résistance.
De même une quantité de sérum antidiphtérique, amplement suffisante à préserver
des cobayes neufs contre une dose mortelle de toxine, ne retarde pas la mort des
cobayes de même poids qui ont subi des inoculations antérieures dont ils sont parfai-
tement rétablis. Et cependant, si l'antitoxine détruisait la toxine, cette même quantité
de sérum serait efficace chez tous ces cobayes du même poids.
Ces faits montrent l'influence que peut avoir une maladie passée, qui ne laisse pas
de tracesapparentes, soit sur la réceptivité à l'égard des virus, soit sur la sensibilité vis-
à-vis des substances toxiques. L'explication naturelle n'est-elle pas dans l'action
du sérum sur les cellules plutôt que sur la toxine? Les cellules bien vivaces des cobayes
neufs répondent à la stimulation du sérum; elles sont comme indifférentes à la toxine;
au contraire celles des cobayes déjà impressionnés par les produits microbiens ne lui
résistent pas. Des faits analogues s'observent, lorsqu'on inocule des virus actifs :
c'est là une observation d'une portée générale.
Siège des antitoxines. — Cellules génératrices. — Ces substances antitoxiques
se trouvent répandues dans les divers tissus, dans les différentes humeurs de l'économie.
Il semble cependant que la répartition ne se réalise [pas toujours d'une façon abso-
lument uniforme; le foie, la rate, par exemple, paraissent, dans certains cas au moins,
en contenir plus que les muscles, le sang, en particulier le sérum, plus que la salive,
plus que l'urine.
Tous les éléments anatomiques concourent-ils à la formation de ces antitoxines ou
cette formation est-elle l'œuvre exclusive de quelques-uns d'entre eux? Dans le cas où
ces principes dériveraient du fonctionnement de l'ensemble des tissus, certains de ces
tissus n'ont-ils pas dans cette création une part prépondérante ? L'urée, le glycogène
naissent un peu partout, mais plus spécialement dans le foie. Pour ces principes, les
choses se passent-elles de cette façon? Un organe joue-t-il, dans leur genèse, un
rôle plus important que celui des différents autres viscères? Il est impossible, à
l'heure présente, de formuler des réponses absolues à toutes ces questions pourtant capi-
tales.
Denys, Van der Velde, Havet {Congrès de Budapest, sept. 1894) estiment que les
matières bactéricides, qui ont avec ces antitoxines tant d'affinités proviennent des
leucocytes; elles augmentent dans un exsudât en suivant la même progression que ces
leucocytes; peut-être ces leucocytes sécrèlent-ils ces antitoxines, comme ils sécrètent
les alexines, les substances nuisibles aux bactéries vivantes.
Des raisons analogues tendent à faire admettre que les cellules éosinophiles pourraient
bien intervenir dans les opérations génératrices de ces produits; Hankin, Kanthack,
Hardy attribuent à ces cellules éosinophiles les propriétés accordées par d'autres aux
globules blancs, aux globules lymphatiques.
ANTITOXINES. 1)17
D'autre part, les recherches de Mesnil {La Cellule, t. x, 1894, p. 7 et p. 221), sur les
humeurs des poisons montrent que les cellules éosinophiles ne constituent pas les
sources uniques de pareilles substances. De récentes expériences, tout en connrniant la
participation des leucocytes, me portent à penser que, dans certains cas, le foie intervient.
Rapports des éléments antitoxiques, bactéricides, globulicides. — Carac-
tères des produits antitoxiques. — Leurs variations. — Pour Bdchner, les anti-
toxines, les corps, globulicides, les éléments bactéricides ne seraient que des manières
d'être variées d'une unique substance. — Cette substance supporte l'action des alcalins, de
l'acide chlorbydrique faible, du chlorure de sodium, de l'extrait de sangsue, tandis
qu'elle est détruite ou altérée par les bases en excès, par les acides forts, par la
lumière, la dialyse, les congélations, l'hydratation, les dilutions, la chaleur.
Une foule de conditions sont capables de faire osciller l'état bactéricide dans l'éco-
nomie vivante. La saignée, la faim, la soif, le surmenage, l'ablation de la rate,
l'agonie, etc., font fléchir cet état bactéricide; parfois le bicarbonate de soude l'augmente.
Les relations qui unissent cet état au pouvoir antitoxique permettent de penser que
les agents et les circonstances, propres à agir sur le premier, agissent aussi sur le
second. S'il existe des relations entre ces corps, de nature albuminoïde probable, on
sait, nous l'avons indiqué, qu'ils sont autres que les toxines proprement dites, puisque
ces corps sont détruits à 7o°, tandis que ces toxines conservent certaines propriétés,
malgré une température de 110°.
Transmission héréditaire des attributs antitoxiques. — Il est établi que la
création des antitoxines est une propriété cellulaire; dès lors, comme toutes les pro-
priétés cellulaires, elle peut être transmise des ascendants aux descendants.
Gley et Charrin (Rech. expérim. sur la transmission de l'immunité. A. P., 1893, t. v, (.t),
pp. 75-82 et 1894, t. vi, (6) p. 1-6) ont montré que l'état bactéricide constaté chez le
père ou la mère se retrouvait parfois chez quelques rejetons; les éléments anatomiques
qui, chez les générateurs, sécrétaient des principes nuisibles aux germes vivants, con-
tinuent chez les engendrés à sécréter ces principes. On ne s'étonne pas de voir les
attributs qui ont trait à la formation de la bile ou de la salive passer des uns aux autres;
pourquoi s'étonner de la transmission de qualités analogues concernant la formation
d'autres humeurs ?
Toutefois, il s'agit là d'une fonction acquise, d'une fonction de luxe, accessoire,
nullement indispensable à l'existence. Aussi, suivant la loi commune, cette fonction
tend-elle à disparaître, si on ne s'applique pas de temps à autre à la consolider.
L'hérédité de l'immunité implique celle des antitoxines, puisque cette immunité
consiste, pour une part, en la mise enjeu de ces antitoxines dans leur existence.
Généralisation des propriétés antitoxiques. — Virus capables d'engen-
drer ces propriétés. — On a remarqué que l'antitoxine diphtéritique ou tétanique
atténuait les effets de certains venins; son action ne se limite pas aux sécrétions du
bacille de Lôffler ou de Nicolaïer.
Cette sorte d'extension de pouvoir se rattache à l'intéressante question des vacci-
nations réciproques. Sobernheim [Hyg. Rundsch, 1893), Cesaris-Deuel, Orlandi, Szerely
et SzANA [Verànderungen der sogenanntcn mikrobiciden Kraft des Blutes, ivâhrend und
nach der Infection des Organismus. Centralbl. f. Bakt., t. xu, 1892, pp. 61-74, 139-142), etc.,
ont soutenu que des animaux immunisés contre le B. prodigiosus et le bacille typhique
résistaient au vibrion du choléra. Ces faits méritent d'être rapprochés; ils peuvent
s'expliquer, s'éclairer mutuellement.
Jusqu'à ce jour, il n'y a guère que le virus du tétanos ou celui de la diphtérie qui
paraissent propres à faire apparaître les antitoxines. Pfeiffer les a inutilement recher-
chées dans le choléra indien; Metchnikoff {Immunité des lapins vaccinés contre le Hog-
choléra. Ann. Institut Pasteur, 1892, t. vi, pp. 289-321) dans celui des porcs; Issaef dans
la pneumonie; Sanarelli dans la fièvre typhoïde. En revanche ces corps se produisent
chez les vipères, d'après Phisalix et Bertrand {Propriété antitoxique du sang des animaux
vaccinés contre le venin de vipère. B. B., 1894, p. 111) et d'après Calmette {ibid., p. 111-
121).
Toutefois, l'abrine, la riciiie seraient capables de leur donner naissance, ou du moins
de provoquer la formation de corps qui, sans annuler l'action des poisons microbiens
618 APERCEPTION.
avec l'énergie des sérums des animaux vaccinés contre le bacille de Lôffler ou de
NicoLAÏER diminueraient cependant l'intensité des effets de cette abrine, de cette ricine.
Si on tient compte de ces anti-toxines atténuées, peut-être faut-il admettre que les
humeurs des êtres rendus réfractaires au vibrion cholérique, au pneumocoque, au
microbe du pus bleu, d'après Chabbin, contiennent des principes jouissant, dans des
mesures variables, de ces attributs antitoxiques.
Sérothérapie. — Il est légitime de se demander si la sérothérapie ne doit pas ses
succès, pour une part au moins, à ces antitoxines; la réponse ne paraît pas douteuse
pour le tétanos ou pour la diphtérie, attendu que le sérum n'agit qu'à partir du moment
où ces corps ont apparu, attendu que le sérum cesse d'être actif, si on le chauffe à 75°,
c'est-à-dire si on détruit les antitoxines.
Toutefois, il est difficile de préciser par quels procédés mterviennent ces antitoxines.
Déjà nous avons vu que probablement ces éléments ne neutralisent pas les poisons mi-
crobiens à la manière d'une réaction chimique; mais il est malaisé d'aller plus loin. Il
semble cependant que ces éléments interviennent en agissant sur les germes, en actionnant
les tissus plutôt que les poisons, en excitant les réactions nerveuses.
De l'ensemble de ces faits se dégagent des notions établissant que les principes anti-
toxiques apparaissent dans l'organisme à l'occasion d'une vaccination, et qu'ils existent
probablement dans le sang des animaux réfractaires à une infection. — Ces principes
dérivent de la vie des cellules, vie modifiée par le passage et l'action des toxines. — Ils
s'opposent aux effets nocifs de ces toxines, grâce à un mécanisme d'atténuation, pour
certains auteurs ; de protection de l'économie, pour d'autres. — Ces principes sont
répandus un peu partout dans les tissus. — Diverses cellules, de préférence celles du
foie et de la rate, les leucocytes, les éléments éosinophiles, etc., concourent à leur for-
mation. — Leurs caractères, leurs réactions, leurs modifications, etc., les rapprochent
des produits bactéricides, comme des corps globulicides. — Ces propriétés antitoxiques
sont parfois héréditaires, bien que, si, on ne vient pas les renforcer de temps à autre, elles
aient une tendance à disparaître, suivant les lois de la nature. — Le pouvoir de ces
principes peut se généraliser, s'étendre à plusieurs virus. — On peut les utiliser au point
de vue thérapeutique (Sérothérapie ou héniatothérapie).
Telles sont les principales données actuelles (avril 189b), relatives' aux antitoxines.
Il est bien probable que, dans peu d'années, comme c'est un sujet tout récent, et étudié
avec ardeur de toutes parts, la connaissance des antitoxines aura fait de très grands
progrès.
CHARRIN.
APERCEPTION (On écrit aussi APPERCEPTION). -Motcréépar
Leibniz : il signifie, dans sa langue, perception distincte ou réfléchie. La perception,
cet état intérieur de la monade (substance simple) représentant les choses internes,
l'aperception, la connaissance réflexive de cet état intérieur qui n'appartient pas à
toutes les âmes, ni constamment aux âmes qui en sont douées. Traduit en notre langage
psychologique contemporain, cela se ramène à dire qu'il faut entendre par perception
tout phénomène psychique de représentation, par aperception les phénomènes psy-
chiques seulement qui s'accompagnent de conscience distincte et de mémoire. Leibniz
a appelé encore les perceptions : petites perceptions, perceptions sourdes'; elles corres-
pondent à la fois aux éléments de conscience et aux états subconscients des psycho-
logues contemporains, elles s'opposent à la claire conscience, à la réflexion ou aper-
ception. Leibniz admet entre les deux termes opposés une série indéfinie de degrés : les
animaux qui possèdent le sentiment, et non pas encore la raison, sont doués à quelque
degré d'aperception. Le rapport des deux termes l'un à l'autre est très net dans le
passage suivant : « Quand il y a une grande multitude de petites perceptions, où il n'y
a rien de distingué, on est étourdi; comme quand on tourne continuellement d'un
même sens plusieurs fois de suite, où il vient un vertige qui peut nous faire évanouir et
qui ne nous laisse rien distinguer de bien net, et, puisque, réveillé de l'étourdissement,
on s'aperçoit de ses perceptions, il faut bien qu'on en ait eu immédiatement auparavant,
quoiqu'on ne s'en soit point aperçu » {Monadologie, pp. 21-23). Kant a repris l'expression
APHASIE. til9
à son compte en lui donnant un sens un peu différent : l'aperception n'est plus pour lui
une perception d'une espèce particulière, une perception qui s'accompagne de con-
science, de mémoire et de réflexion, c'est l'activité synthétisante de l'esprit. 11 distingue
deux aspects dilférents de l'aperception : l'aperception empirique, c'est-à-dire l'unifi-
cation, la synthèse opérée par la conscience entre les données sensibles, l'aperception
pure ou unité synthétique et primitive de l'aperception ou unité transcendentale de la
conscience, c'est-à-dire l'acte par lequel nous relions au « je pense » les éléments de la
conscience empirique, l'application des catégories de l'entendement aux sensations.
Maine de Biran a désigné à son tour par l'expression d'aperception immédiate interne le
fait primitif de conscience, l'acte par lequel le mot se saisit comme cause dans l'ellort
musculaire. L'aperception joue dans la psychologie d'HERBART et de son école un rôle
particulièrement important; c'est pour les Herbartiens le renforcement que reçoit une
sensation de la résurrection, de la revivification dans l'esprit, des images qui lui sont
apparentées, ou, si l'on veut, l'assimilation d'une sensation ou d'une idée par les systèmes
d'états de conscience déjà constitués (V. sur ce sujet G. -F. Stout. The Herbartian Ps?/-
chotogy, Mind, t. xni). Wundt et ses élèves font un grand usage du mot d'aperception,
qu'ils prennent dans un seos très différent de celui où l'entendait Herbart, et plus voisin
de celui qu'il a dans la critique kantienne (Wundt. Physiologische Psychologie, t. xv, § 2,
t. XVI, xvn, § 3). Wundt oppose les liaisons aperceptives aux liaisons associatives, le cours
des représentations à leur aperception ; l'aperception, c'est l'activité mentale consciente
et réfléchie, la perception attentive des phénomènes extérieurs ou des événements
internes; on ne la saurait mieux comparer qu'à la vision distincte. Elle est soumise en
une certaine mesure, comme la fixation même du regard, à l'influence de la volonté.
Wundt distingue deux formes d'aperceptions, l'aperception passive et l'aperception
active : la première est immédiatement déterminée par le cours des représentations
elles-mêmes parmi lesquelles il en est d'ordinaire une qui, en raison de son intensité
ou de sa valeur exceptionnelle s'impose à l'attention. K. Lange. Ueher Apperception
(1879). — Stande. Philosophische Studien, t. i. — Marïy. Vierteljahrschift fur iviss. Philo-
sophie, t. X.
L. MARILLIER.
APHASIE. — I. — Le langage, c'est-à-dire la parole, l'écriture et les gestes,
sert à exprimer nos états de conscience.
Le langage et l'idéation ne sont pas subordonnés l'un à l'autre d'une façon absolue,
bien que chez l'enfant ils se développent et se perfectionnent parallèlement. Les mots
parlés, les mots écrits, et aussi, mais à un moindre degré, les gestes, ne sont que les
auxiliaires des idées : ils servent à les exprimer et à faciliter leur formation.
Comment l'ejifant apprend-il à parler"?
Les divers mouvements musculaires des lèvres, des joues, de la langue, du voile du
palais, etc., dont la combinaison fort complexe sert à l'articulation des mots sont, pris
isolément, des mouvements réflexes (mouvements primaires).
Grâce aux sens musculaire et tactile, et peut-être aussi au sens d'innervation, ces
contractions réflexes, lorsqu'elles ont été exécutées plusieurs fois, finissent par engendrer
dans la zone motrice de l'écorce cérébrale des images ou représentations de motilité.
Dorénavant, par l'intermédiaire de ces images, les mouvements innés peuvent être
exécutés consciemment (mouvements secondaires ou volontaires).
L'apprentissage de la parole est un acte d'éducation : il se développe d'abord dans
la sphère sensible de l'écorce cérébrale des images ou représentations auditives des
mots entendus : centre auditif de la parole découvert par Wernicke. Grâce à ces repré-
sentations, le cerveau de l'enfant garde le souvenir ou l'écho des mots parlés.
Les images auditives peuvent être éveillées, soit par l'intermédiaire du nerf acous-
tique, lorsque les mots sont prononcés à haute voix (excitation directe), soit par l'inter-
médiaire d'autres centres sensoriels, c'est-à-dire par association (excitation indirecte).
Les représentations verbales auditives constituent la parole interne. Bientôt l'enfant,
grâce à son instinct d'imitation, s'efforce de répéter les mots qu'il entend. L'enfant, en
effet, apprend à parler en entendant parler.
Le mot entendu éveille son image auditive, et celle-ci, à l'aide des fibres d'asso-
620 APHASIE.
ciaLion, éveille li-s centres psycho-moteurs d'où dépend l'innervation des divers muscles
articulateurs. Au début, le mot est prononcé incorrectement. Ce n'est qu'après uu long
et laborieux apprentissage que l'excitation, partant de l'image auditive, aboutit, soit
simultanément, soit avec la succession voulue, à ceux des centres psycho-moteurs dont
l'intervention est absolument nécessaire à l'articulation correcte du mot.
L'image ou la représentation motrice du mot articulé est déposée dans ces divers
centres psycho-moteurs élémentaires qui, grâce à leur intime association réciproque,
fonctionnent comme un centre unique : centre moteur de la parole découvert parBROCA.
Par conséquent, le mot parlé est constitué par deux images, une image auditive et
une image motrice, associées l'une avec l'autre.
L'enfant apprend à associer le mol entendu à l'idée cju'il représente, tantôt avant,
tantôt après avoir appris à prononcer lui-même le mot.
Prenons les idées concrètes.
L'idée concrète d'un objet résulte de l'association d'un certain nombre d'images
sensorielles. L'idée de la rose, par exemple, est formée d'une image visuelle qui nous
renseigne sur la forme, les dimensions, la couleur, etc., d'une image tactile qui nous
renseigne sur la consistance et en même temps sur la forme et les dimensions, et, en
troisième lieu, d'une image olfactive. Ces trois images finissent par s'associer si
intimement entre elles qu'il suffit que l'une d'elles s'éveille pour que les autres s'éveillent
aussi, soit simultanément, soit successivement. (Association par contiguïté dans le
temps et dans l'espace.) L'association des idées aux mots se fait lentement
/ et laborieusement.
. y N. Lorsque l'enfant se trouve en présence d'une rose et qu'il entend pro-
/ ^\ noncer le mot (rose), ou qu'il le prononce lui-même à haute voix, il
" s'établit après quelque temps une association étroite entre les trois images
partielles de l'objet (rose) et l'image auditive du mot. De cette façon, le
mot entendu éveille instantanément l'idée.
Plus tard aussi, d'après Weknicke et Lichtheim, les images partielles
p ,D des objets s'associent directement avec les images d'articulation des
mots.
La figure schématique 48 résume les idées de WEBXicKEet de Lichtheim sur la formation
de la parole.
A. Centre des images verbales auditives.
B. Centre des images d'articulation.
AB. Voie qui relie entre eux le centre moteur et le centre auditif de la parole.
C. Centres partiels des objets. (Idées concrètes.)
SA. Voie centripète conduisant l'excitation acoustique au centre auditif des mots.
BM. Voie centrifuge conduisant l'excitation du centre d'articulation des mots vers
les noyaux de la protubérance annulaire et de la moelle allongée.
AC. Voie centripète conduisant l'excitation du centre auditif des mots vers les
centres de l'idéation.
CB. Voie centrifuge conduisant l'excitation des centres de l'idéation vers le centre
d'articulation des mots.
C'est par la voie S A B i\I que l'enfant apprend à parler et que plus tard il répète
mécaniquement, sans comprendre les mots entendus.
Grâce à l'association de A et C les mots entendus sont compris, c'est-à-dire éveillent
les idées dont ils sont le symbole.
La parole spontanée s'effectue par la voie C B.
Lichtheim et Wernicke admettent que dans la parole spontanée les images verbales
auditives jouent un rôle correcteur. D'après Lichtheim, le centre articulateur B, avant
de transmettre l'excitation qu'il a reçue des centres conscients C vers les noyaux péri-
phériques, éveille d'abord, par l'intermédiaire de la voie A B, le centre auditif A. Les
centres conscients C, percevant les images auditives, peuvent contrôler si c'est bien
l'image motrice voulue qui a été éveillée et dans l'affirmative envoyer l'excitation à la
périphérie. D'après Wernicke, au contraire, les centres de l'idéation C éveille direc-
tement et simultanément les centres A et B; et, de cette façon, ils peuvent, grâce aux
renseignements fournis par le centre A, contrôler l'action du centre B.
APHASIE. 621
Ainsi, d'après Wernicke, la voie A C est à la fois centripète et centrifuge, taudis que
pour LicHTHEiM, elle est exclusivement centripète.
Il s'en faut que tous les auteurs admettent avec Webnigke et Lichtheim l'existence de
la voie C B. Kussmaul, Moeli et Freud, entre autres, croient que c'est toujours par
l'intermédiaire des images auditives que l'idéation éveille les images motrices d'arti-
culation. i< L'articulation des mots, écrit Kussmaul, exige que l'excitation émanant du
centre de l'idéation traverse la même station que celle par où le mot a passé avant
d'être perçu par le moi. »
Charcot et son école croient à l'existence de la voie CB, sans admettre cependant,
il s'en faut, que les idées ne puissent jamais éveiller le centre d'articulatiou par l'inter-
médiaire du centre auditif : chez les moteurs, le centre d'articulation est directement
innervé par l'idée, tandis que chez les auditifs, l'innervation franchit d'ahord le centre
auditif.
Les auditifs entendent leur pensée avant de la parler. « Pour peu qu'on veuille se
donner la peine, écrit Ballet, de s'observer attentivement, on arrivera aisément en
général, et sauf cas exceptionnel, à se convaincre du rùle capital que jouent, chez la
plupart d'entre nous, durant la réflexion, les représentations auditives verbales. Nous
entendons, en effet, les mots qui expriment notre pensée, comme si une voix intérieure
parlait délicatement à notre oreille. C'est là certainement ce qu'a voulu dire de Bonald
lorsqu'il a écrit la phrase bien connue: « ["homme pense sa parole {c'est-à-dire l'entend
mentalement avant de parler sa pensée). » Et plus loin, Ballet écrit encore : « Si le
langage est rapide, non interrompu, les mots se suivent et s'enchaînent automati-
quement, et la parole intérieure n'est pas remarquée. Lorsque, au contraire, nous
parlons avec lenteur, quand le discours présente des intervalles et des suspensions, an
moment de ces suspensions, la parole intérieure se fait entendre, elle joue en quelque
sorte le rôle de souffleur, elle dicte les mots qui vont suivre. »
Les moteurs, au contraire, parlent leur pensée. « Je suis porté à penser, écrit Ballet,
que le type moteur n'est pas exceptionnel. Pour ma part, en m'analysant attentivement,
je suis arrivé à me convaincre que je relève de ce type. Chez moi, en effet, les images
motrices ont, dans les conditions ordinaires de la réflexion, une intensité très grande :
.l'ai la sensation très nette que, sauf circonstances exceptionnelles, je ne vois ni n'en-
tends ma pensée : je la parle mentalement. »
Stricker, professeur à Vienne, se déclare aussi un pur moteur.
L'écriture et la lecture subissent des troubles marqués dans différentes formes
d'aphasie. Je crois donc utile d'indiquer brièvement comment l'enfant apprend à lire
et à écrire.
L'enfant apprend à épeler les mots parlés après avoir déjà appris à parler correc-
tement, mais avant d'apprendre à lire. Chaque lettre parlée est formée, à l'instar du
mot entier, d'une image auditive et d'une image motrice, intimement associées l'une
à l'autre. Lorsque le mot est entièrement épelè, son image auditive s'éveille, et le mot
est compris.
Par conséquent, le mot parlé existe en double dans le cerveau : d'abord comme
unité, ensuite comme une succession de lettres.
Lorsque l'enfant voit une lettre, une image visuelle de celle-ci se dépose dans l'écorce
occipitale. Cette image visuelle ne tarde pas à s'associer avec l'image auditive et par
l'intermédiaire de celle-ci avec l'image motrice de la lettre.
La lecture d'un mot se fait de la façon suivante : chaque lettre vue éveille d'abord
son image visuelle, puis son image auditive et, en dernier lieu, son image motrice.
Au ravivement successif des images motrices des différentes lettres succède, d'après
Lichtheim, par réflexion, le ravivement successif des images auditives; alors l'image
auditive du mot entier s'éveille et le mot lu est compris (fig. 49, 0, centre de la lecture).
Ce qui démontre bien la subordination du centre des images verbales visuelles au
centre des images verbales auditives, c'est qu'en jetant un coup d'œil sur un mot, à
l'instant même nous entendons intérieurement le son du mot.
Cependant, d'après Charcot et ses élèves, cette subordination n'existe pas dans tous
les cas; quelquefois le centre de la lecture possède une indépendance complète vis-à-vis
des centres de la parole.
622
APHASIE.
Ferrier croit que le centre de la lecture est relié, non pas au centre auditif, mais au
centre d'articulation.
Dans l'écriture, l'idée du mot éveille l'image motrice, tandis que dans la lecture,
nous venons de le voir, l'idée du mot est éveillée par l'image visuelle.
L'enfant qui apprend à écrire imite les images visuelles des lettres par l'intermé-
diaire de la voie 0 E (flg. 50, E centre moteur de l'écriture). La voie OE a donc la même
signification pour l'apprentissage de l'écriture que la voie AB pour celui de la parole.
Wernicre admet que pendant l'apprentissage les images optiques s'associent direc-
tement non seulement aux images auditives mais aussi aux images motrices. C'est
grâce à cette double association que d'après l'auteur allemand s'accomplissent l'écriture
sous dictée et l'écriture spontanée.
Dans l'écriture sous dictée, le mot entendu éveille la notion entière du mot, c'est-
à-dire l'image auditive et l'image motrice. Ensuite le mot est décomposé en ses diverses
lettres. La notion de chaque lettre, enfm, éveille l'image visuelle, et celle-ci l'image
graphique. Par conséquent, l'écriture sous dictée, sans compréhension, se fait par la
voieMABOEF.
Lorsque la voie A C intervient, la dictée est comprise (fig. ol).
L'écriture spontanée se fait de la même manière que l'éciiture sous dictée, avec la
seule différence que l'idée du mot est éveillée par le centre conscient C et non par le
nerf acoustique (fig. o2).
Lorsqu'on copie, sans comprendre, par exemple une langue inconnue, c'est la
voie DOEF seule qui fonctionne, la même qui a servi à l'apprentissage de l'écriture
(fig. oO).
Sachs incline à croire que l'image visuelle de la lettre n'est pas reliée avec l'image
d'articulation, mais que la voie 0 A qui va de l'image visuelle à l'image auditive suffit
aussi bien pour l'écriture spontanée et l'écriture sous dictée que pour la lecture.
LicHTHEiM, dans son premier schéma, relie le centre de l'écriture avec le centre de
l'articulation, car il n'admet pas la possibilité d'écrire spontanément, si on n'associe
pas les images motrices d'articulation aux images motrices graphiques (fig. 33).
Amsi, la notion du mot, chez les gens lettrés, est constituée par l'association de
quatre images : auditive (mot entendu), visuelle (mot lu), motrice d'articulation (mot
parlé) et motrice graphique (mot écrit).
II. — L'étude de l'aphasie date de Bouillaud. Il existe, écrivait celui-ci en 1823, dans
a partie antérieure du cerveau, un centre cérébral qui dicte, pour ainsi dire, et coordonne
les mouvements compliqués par le moyen desquels l'homme exprime les opérations de
on entendement. Lordat, Dax père et Dax fils ne tardèrent pas à partager la manière
de voir de Bouillaud. Mais en 1861, Broca localisa plus exactement le centre d'articula-
tion, dans le tiers postérieur de la troisième circonvolution frontale et décrivit plus
minutieusement que ses devanciers, sous le nom d'aphémie, les troubles du langage
articulé. A partir de 1874, grâce aux travaux de Wernicke sur l'aphasie sensorielle, de
KussMAUL sur la cécité verbale, de Charcot, de Lichtheim et d'autres, on acquit la certi-
tude qu'il n'3' avait pas une seule, mais plusieurs espèces d'aphasies, et que chacune
d'elles dépendait de l'altération d'une région cérébrale distincte. A partir de cette époque
datent aussi nos connaissances sur la véritable formation de la parole.
APHASIE. (123
Sous le nom générique d'aphasie, on comprend tous les troubles psychiques de la
parole dus à des lésions situées dans ces régions cérébrales que Meynert a appelées premier
système de projection. Par conséquent l'aphasie ne comprend pas les troubles de la
parole qui relèvent soit de la paralysie des muscles articulateurs, soit de l'altération
des masses grises subcorticales et des nerfs périphériques. Généralement on ne désigne
pas non plus du nom d'aphasie les troubles de la parole qui résultent d'une altération
primitive de l'intelligence.
Beaucoup de schémas du développement de la parole, autres que celui de Lichtheim-
Wernicke, ont été construits dans le but d'expliquer les différentes espèces d'aphasie,
notamment par Kussmaul, Charcot, Grashey, Goldscheider, Moeli et Freud.
Nous donnons la préférence au schéma de Lichtheim-Wernicke, ainsi qu'à la classifi-
cation des aphasies adoptée par ces auteurs; mais nous leur apporterons des modifi-
cations et des réserves que nous jugeons nécessaires.
LicHTHEiM et Wernicke distinguent quatre grandes classes d'aphasies :
A. Aphasies corticales.
Les centres A et B sont lésés'. La lésion du centre B engendre Vaphasie corticale
motrice et la lésion du centre A Vaphasie corticale sensorielle.
B. Aphasies subcorticales.
Les voies AS et B M sont lésées. La lésion de la voie B M engendre Vaphasie subcorti-
cale motrice et la lésion de la voie A S Vaphasie subcorticale sensorielle.
»C. Aphasies transcorticales.
Les voies A G et B C sont lésées. La lésion de la voie B G engendre Vaphasie transcor-
ticale motrice et la lésion de la voie A G Vaphasie transcorticale sensorielle.
D. Aphasie de conductibilité.
La voie BA est lésée.
III. — A. Aphasies corticales. — I. Aphasie corticale motrice [k'çihèmi& A% Broca,
aphasie ataxique de Kussmaul, aphasie motrice de Charcot). — Les représentations d'ar-
ticulation étant perdues, le malade ne sait plus parler spontanément ni répéter les mots
qu'il entend.
L'aphasie est tantôt complète, le malade est condamné au mutisme absolu; tantôt, et
c'est le cas le plus fréquent, elle est incomplète, c'est-à-dire ne s'étend qu'à quelques
mots, aux substantifs, à une seule langue si le malade en connaît plusieurs, etc.
Cependant le malade continue à comprendre la parole de ses interlocuteurs, le centre
auditif A étant resté intact.
LicHTHEiM croit que les images auditives ne peuvent plus être éveillées spontanément;
aussi le malade est incapable d'indiquer, à l'aide de gestes par exemple, le nombre de
syllabes dont se composent les noms des objets qu'on lui montre. Nous avous vu plus
haut que, d'après Lichtheim, l'innervation spontanée du centre verbal auditif se fait toujours
par l'intermédiaire du centre verbal d'articulation.
La lecture mentale est conservée, sauf chez les gens peu instruits qui ne comprennent
l'écriture qu'en la lisant à haute voix.
L'écriture spontanée et l'écriture sous dictée sont nécessairement abolies, car leur
accomplissement exige l'intégrité du mot entier, aussi bien de son image motrice que
de son image auditive.
La faculté de copier, sans compréhension, est conservée.
D'après Charcot, l'agraphie et l'alexie n'accompagnent l'aphasie motrice que dans les
cas oii les centres de l'écriture et de la lecture sont altérés en même temps ([ue le centre
de Broca.
Il n'existe aucun autre trouble de l'intelligence.
11 n'est pas douteux que les représentations d'articulation n'occupent, comme Broca
l'a affirmé le premier, le tiers postérieur de la troisième circonvolution frontale. Mais il
n'est pas certain qu'elles ne siègent encore dans d'autres régions. Lichtheim, entre autres,
est d'avis que le centre de Broca s'étend à la troisième circonvolution frontale tout
entière ainsi qu'au tiers inférieur des deux circonvolutions centrales. Sachs admet que
1. D'après Freud et Goldscheider, toutes les aphasies sont dues à une lésion ou à- une alté-
ration fonctionnelle des processus d'association. ' ,
62i APHASIE.
les nerfs hypoglosse et glossophar3'ngien se terminent dans la troisième circonvolution
frontale, les fibres du facial destinées à la musculature des lèvres, dans la partie de la
troisième circonvolution frontale qui se continue avec la circonvolution centrale antérieure,
les fibres du facial destinées aux autres régions buccales et la branche motrice du triju-
meau, dans la circonvolution centrale postérieure et la partie postérieure de la circonvo-
lution centrale.
Les images motrices de tous les mouvements du corps occupent les deux hémisphères
cérébraux; les images motrices compliquées de la parole font seules exception; elles
n'occupent qu'un seul hémisphère, le gauche chez les droitiers et le droit chez les
gauchers.
II. Aphasie corticale sensorielle (Surdité verbale; ou surdité psychique verbale.) — Les
représentations verbales auditives étant perdues, le malade ne sait plus comprendre ni
répéter les mots entendus.
Cependant les mots aussi bien que les sons et les bruits continuent à être perçus; il
n'y a donc pas de surdité corticale.
Les sons et les bruits peuvent être non seulement perçus, mais aussi compris; la sur-
dité psj'cliique ne s'étend donc qu'aux mots.
La surdité verbale est tantôt complète, tantôt incomplète.
La surdité incomplète ou partielle peut se borner à certains mots, certaines voyelles,
certaines consonnes, certaines syllabes, etc. Chose curieuse, elle peut se borner à une
seule langue seulement, quand le malade en parle plusieurs.
La surdité verbale et la surdité musicale peuvent exister simultanément ou isolément.
D'après Lichtheim et AA'epnicke qui admettent la voie CB, les malades atteints de
surdité psychique verbale peuvent encore parler spontanément; mais, privés de leurs
images auditives qui servent à contrôler la parole, ils confondent à chaque instant les
mots : ils sont atteints de paraphasie.
Les auteurs qui, à l'exemple de Kuss.maul, nient l'existence de la voie CB et croient
que la parole spontanée ne peut s'accomplir que par l'intermédiaire des images auditives,
doivent nécessairement ranger l'abolition de la parole volontaire parmi les symptômes
de la surdité verbale. Aussi, d'après Freud, ce qui caractérise l'aphasie sensorielle, c'est
l'abolition de la parole, malgré une impulsion très forte à parler.
D'après Charcot, au contraire, la surdité verbale, quand elle n'est pas poussée trop
loin, n'empêche pas la parole spontanée, même correcte.
LicHTHiîiM est d'avis que la surdité verbale est toujours accompagnée d'alexie et
d'agraphie transcorticales. Les images visuelles étant subordonnées aux images auditives,
les mots lus ne peuvent être compris qu'à la condition que le centre auditif soit intact.
Il en est de même pour l'écriture spontanée et l'écriture sous dictée. La faculté de copier
est seule conservée.
Webnicku admet également que le malade frappé de surdité verbale ne peut plus
écrire ni spontanément, ni sous dictée. Mais l'alexie n'existe que chez les malades peu
instruits. L'homme peu habitué à lire ne comprend l'écriture qu'à la condition de la lire
à haute voix. L'homme instruit, au contraire, parcourt rapidement des phrases entières
dont il saisit parfaitement le sens, sans devoir fixer son attention sur chaque mol et par
conséquent sans que les images auditives ne doivent être éveillées.
D'après Charcot et ses élèves, les troubles secondaires qu'entraînent la surdité ver-
bale dépendent des différences individuelles. Chacun de nous, dit Ballet, a sa formule
psychique. Chez les auditifs, la lectur'e, l'écriture, de même que la parole articulée, sont
subordonnées à l'audition mentale et par conséquent l'abolition de celle-ci entraînera
l'alexie et l'agraphie. Mais il n'en sera pas de même chez les visuels.
Les images verbales auditives occupent la première circonvolution temporale gauche ;
c'est donc d'une lésion de celle-ci que dépend l'aphasie sensorielle.
Puisque les images verbales auditives sont exclusivement localisées à gauche chez
les droitiers, nous sommes forcés d'admettre, comme le fait observer Sachs, que le cer-
veau gauche de l'homme, contrairement à celui du chien, est relié avec les deux nerfs
acoustiques, et que par conséquent les nerfs acoustiques ne subissent, comme les nerfs
optiques, qu'une décussation partielle; sinon nous ne pourrions comprendre les mots
exclusivement entendus avec l'oreille gauche.
APHASIE. 623
On donne le nom d^amnésie verbale auditive aux formes légères de la surdité verbale,
celles dans lesquelles les images auditives ne sont pas effacées, mais ne peuvent plus être
ravivées aussi facilement qu'à l'état normal.
Il est permis de croire avec Bastian que les différents centres du langage s'éveillent le
plus facilement sous l'influence d'une excitation sensorielle directe, moins facilement
sous l'influence d'une excitation qui émane d'un autre centre, c'est-à-dire par voie d'asso-
ciation, et le moins facilement sous l'influence de la volonté. Les malades dont les ima-
ges verbales auditives ne peuvent plus être éveillées spontanément, mais seulement par
une excitation directe et par voie d'association, sont atteints d'amnésie verbale audi-
tive.
Le malade de Grashey était un amnésique : il comprenait facilement la parole d'au-
trui, mais il ne parvenait pas à nommer spontanément les objets, à moins de voir leurs
noms écrits. Les images auditives ne pouvaient donc plus être éveillées par les idées ; mais
elles pouvaient encore l'être par les images visuelles des mots et par l'excitation du nerf
acoustique. Mais l'amnésique de Grashey présentait encore un autre symptôme : lors-
qu'on prononçait à haute voix un mot en sa présence, et qu'on détournait immédiatement
après son attention sur un autre mot, il lui était impossible de répéter le premier mot;
de même lorsqu'on lui montrait un objet qu'il i-econnaissait parfaitement et que, quelques
instants après, on lui demandait de toucher cet objet, il ne le pouvait pas; car il avait
oublié de quel objet il s'agissait. Grashey attribue ce symptôme à la trop faible durée de
la perception des images verbales auditives et des images partielles des objets.
Citons encore le cas relaté par Trousseau. « Vous vous rappelez, dit Trousseau,
l'expérience que j'ai souvent répétée au lit de Marcou. Je plaçais son bonnet de nuit
sur son lit et lui demandais ce que c'était. Mais, après l'avoir regardé attentivement, il
ne pouvait dire comment on l'appelait et s'écriait : « Et cependant je sais bien ce que c'est,
mais je ne puis m'en souvenir. » Lorsque je lui disais que c'était un bonnet de nuit,
il répondait : <( Oh oui! C'est un bonnet de nuit. » La même scène se répétait pour les
divers autres objets qu'on lui montrait. ;»
B. Aphasies subcorticales. — \. Aphasie subcorticale motrice (Anarthrie). —
L'aphasie subcorticale motrice a beaucoup de ressemblance avec l'aphasie corticale
motrice; elle n'en diffère que par la conservation de la lecture et de l'écriture, ainsi que,
d'après Lichtheim, par la possibilité d'éveiller spontanément les images verbales audi-
tives, les malades pouvant par conséquent indiquer au moyen de gestes le nombre de
syllabes dont se composent les noms des objets qu'on leur montre.
Il paraît que le plus souvent les fibres nerveuses qui partent du centre de Broca se
dirigent en grande partie dans [rhémisphère droit pour descendre par la capsule
interne et le pédoncule cérébral du même côté. Cela expliquerait pourquoi les lésions
de la capsule interne et du pédoncule cérébral du côté gauche ne sont que rarement
suivies d'aphasie.
II. Aphasie subcorticale sensorielle. — Les mots entendus ne sont pas compris, contrai-
rement aux autres sons et bruits. Cette dernière particularité distingue l'aphasie sub-
corticale sensorielle de la surdité d'origine périphérique.
Le malade ne peut pas répéter les mots qu'il entend : abolition de la parole en écho.
L'écriture sous dictée n'est plus possible.
D'autres altérations n'existent pas, ni de l'intelligence, ni de l'écriture, ni de la
lecture. La parole spontanée est également conservée, sauf chez les enfants dont les
images verbales auditives ne sont pas encore assez solidement ou en assez grand nombre
enracinées dans le cerveau. Les enfants qui n'avaient pas encore appris à parler, avant
d'être atteints d'une lésion de la voie A S, restent muets.
Beaucoup d'auteurs n'admettent pas la symptomatologie attribuée par Lichtheim et
Wernicke à l'aphasie subcorticale sensorielle. Ils ne croient pas qu'il existe dans le nerf
acoustique des fibres nerveuses chargées exclusivement de transmettre les sons des mots
de l'oreille interne au centre de Wernicke; par conséquent, d'après eux, une lésion du
nerf acoustique, quelque circonscrite qu'elle soit, ne peut jamais déterminer la surdité
verbale sans altérer en même temps l'audition des autres sons et bruits.
C. Aphasies transcorticales. — I. Aphasie transcorticale motrice. — Le malade
ne peut plus parler ni écrire spontanément.
mOT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 40
696 APHASIE.
La faculté de copier, l'écrilure sous dictée, la parole en écho, la compréhension de la
parole d'autrui et la lecture sont restées intactes.
Pour que la parole et l'écriture spontanées soient totalement abolies, il faut que
toutes les voies qui relient le centre de Broca aux différentes images partielles dont se
composent les idées concrètes soient interrompues. Mais il peut se faire qu'une seule
des voies transcorticales, supposons la voie olfactive, soit altérée; dans ce cas le malade
ne pourra prononcer spontanément le mot rose, si l'image visuelle ou l'image tactile de
la rose ne sont pas éveillées en même temps que l'image olfactive.
Par conséquent, il existe une aphasie transcorticale motrice olfactive, optique,
tactile, etc.
I^ous avons vu précédemment qu'un grand nombre d'auteurs nient l'existence de la
voie GB; mais admettent, au contraire, que la parole spontanée ou volontaire se fait
toujours par l'intermédiaire du centre auditif, c'est-à-dire par la même voie par où s'ac-
complit la parole en écho. Aussi ces auteurs expliquent-ils autrement la symptomalologie
attribuée par Wermcke et Lichtheim à l'aphasie transcorticale motrice. Sachs les rattache
aune diminution de l'excitabilité du centre de Broca; celui-ci, conformémentà la loi établie
par Bastian, se laissant plus difficilement raviver par la volonté que par le centre auditif
(parole en écho et écriture sous dictée) et par le centre visuel des mots (lecture à haute
voix et écriture copiée).
II. Aphasie transcorticale sensorielle. — Le malade ne comprend pas les mots entendus.
Il peut répéter les mots qu'il entend, mais sans les comprendre.
D'après Lichtheim et Wernicke, la parole spontanée est conservée, mais accompagnée
de parapliasie. D'après les auteurs, au contraire, qui n'admettent pas la voie CB, la
parole spontanée n'est plus possible.
La lecture peut encore se faire, mais sans être comprise. Il en est de même de l'écri-
ture sous dictée et de la faculté de copier.
Le malade peut même, d'après Lichtheim et Wernicke, écrire spontanément; mais il
est atteint de paragraphie.
Comme pour l'aphasie transcorlicale motrice, on distingue une aphasie transcorticale
sensorielle olfactive, optique, etc.
D. Aphasie de conductibilité. — La parole en écho est abolie. Les mots cepen-
dant sont entendus et compris.
Le malade continue à pouvoir parler spontanément, mais en confondant à chaque
instant les mots. D'après Wernicke, la paraphasie paraît ici un peu moins accusée que
dans l'aphasie corticale sensorielle, parce que, les images verbales auditives étant con-
servées, le malade est à même, en prononçant d'abord les mots à voix basse, de se ren-
seigner si les mots qu'il veut employer sont exacts et peut par conséquent se- corriger
à temps, si c'est nécessaire, avant de parler à haute voix.
Les auteurs qui prétendent que la parole spontanée ne peut s'accomplir que par
l'intermédiaire des images 'auditives, sont forcés d'admettre que l'interruption de la
voie K B est suivie d'un mutisme absolu. C'est l'opinion également de Freud qui nie
formellement que la parole spontanée puisse être conservée quand la parole en écho est
abolie.
Wernicke pense que le malade atteint d'aphasie de conductilité peut encore lire, sauf
lorsqu'il est obligé d'épeler chaque mot pour comprendre la lecture. D'après Lichtheim,
au contraire, l'alexie s'observe toujours, quel que soit le degré d'instruction.
L'écriture spontanée et l'écriture sous dictée sont abolies; ce n'est que la facilité de
copier qui est [conservée.
Pour Wernicke, la voie AB est située dans l'Insula.
IV. — Avant de terminer, nous croyons utile de relever brièvement quelques points
importants.
1° L'enfant commence l'apprentissage de la parole, lorsque son cerveau s'est déjà
enrichi d'un nombre plus ou moins considérable d'idées.
Il serait cependant erroné de croire que ce sont les idées qui créent les mots, comme
l'ont prétendu jadis un grand nombre de philosophes et de linguistes. Si réellement les
idées déterminaient la formation de la parole, les aveugles-nés, comme le remarque
Wernicke, devraient beaucoup plus être frappés de mutisme que les sourds-nés, car les
APHASIE. 627
représentations visuelles concourent bien plus efficacement à la formation des ide'es que
les représentations auditives.
Nous avons vu plus haut que l'enfant apprend à parler en entendant parler, c'est-
à-dire que les représentations verbales auditives engendrent directement les représenta-
tions verbales motrices. Voilà pourquoi les enfants qui naissent sourds, de même que
ceux qui deviennent accidentellement sourds dans les premières années de leur âge,
restent irrémédiablement frappés de mutisme; ils restent sourds-muets pendant toute
la vie.
2° Les mots parlés et les idées se forment dans l'écorce cérébrale indépendamment
les uns des autres. Cette indépendance réciproque des mots et des idées ne peut pas être
démontrée d'une façon plus convaincante que par l'étude de l'aphasie. Nous voyons des
aphasiques perdre l'usage total de la parole, sans que leur intelligence paraisse en souffrir.
3° Quoique les mots et les idées se développent parallèlement, il n'en est pas moins
vrai qu'une association étroite ne tarde pas à s'établir entre eux, et que leur indépen-
dance réciproque n'est pas absolue. En eflfet, toutes les images sensorielles dont se com-
pose l'idée concrète d'un objet sont reliées avec l'image auditive du mot adéquat; et
cette liaison finit par devenir si intime que l'image verbale auditive éveille instantané-
ment toutes les images sensorielles de l'objet, c'est-à-dire l'idée concrète de cet objet, et,
réciproquement, l'une ou l'autre des images sensorielles de l'objet éveille instantané-
ment, avec l'idée entière, le mot correspondant.
Les images verbales auditives sont associées avec les idées générales et abstraites
aussi bien qu'avec les idées particulières ou individuelles.
Une idée générale résulte de l'association d'un nombre souvent très considérable,
soit d'idées particulières, soit d'images sensorielles soustraites à différentes idées
particulières. Toutes ces idées particulières ou ces images partielles appartenant à
des idées particulières différentes se réunissent entre elles par l'intermédiaire de
l'image auditive du mot adéquat. Cela explique pourquoi les enfants ne possèdent pas
des idées générales avant d'avoir appris à parler, que les sourds-muets n'en gagnent
qu'avec beaucoup d'efforts, et que les animaux paraissent ne pas en avoir.
Les idées abstraites qui, comme s'exprime H. Beaunis, ne sont qu'un degré supérieur
des idées générales, reposent également sur une association d'idées particulières reliées
entre elles par les images auditives des mots génériques.
11 serait cependant erroné de croire, avec un grand nombre de psychologues, que ce
sont les mots qui créent les idées générales et abstraites; car, nous venons de le dire,
les sourds-muets n'en sont pas totalement dépourvus. Il est par conséquent permis de
croire que, si les idées générales et abstraites se produisent le plus facilement par
l'association des idées particulières avec les noms génériques, elles peuvent se produire
aussi par l'association mutuelle des idées particulières, sans l'intervention de la parole.
Ce sont également les images verbales auditives, d'après Wernicke, qui relient les
mots écrits aux idées.
L'association intime des mots parlés et écrits avec les idées, tant abstraites que
concrètes, nous explique pourquoi nous avons l'habitude de pensera l'aide des mots.
L'importance des images verbales auditives, au point de vue de leur nombre et de
leur relation avec toutes les autres régions du cerveau, explique ce fait anatomique
que chez l'homme le lobe temporal est si développé.
4° L'éveil des idées par l'intermédiaire des images verbales auditives, et récipro-
quement, la parole et l'écriture spontanée constituent un argument puissant en faveur
de la doctrine de l'association des représentations établie par les psychologues anglais.
So Meynert a établi la loi que tous les mouvements volontaires ont pour origine des
mouvements réflexes innés. Les mouvements de la parole, les plus compliqués de tous
nos mouvements, ne font pas exception. Si nous analysons ces mouvements, nous
constatons qu'ils sont formés par la combinaison d'une série de mouvements simples
que le nouveau-né est capable d'exécuter d'une façon réflexe.
6° Les expériences faites par les physiologistes sur l'écorce cérébrale des animaux,
principalement des chiens et des singes, expériences consistant tantôt eu excitation
électrique, tantôt en extirpation de l'une ou l'autre des régions, ont démontré que les
facultés psychiques des animaux sont nettement localisées.
628 APHASIE.
La doctrine des localisations cérébrales ne compte plus que de rares adversaires,
parmi lesquels se trouve Goltz de Strasbourg.
Lorsqu'en 1861, Bboca trouva qu'une lésion de la troisième circonvolution frontale
gauche engendre toujours l'aphasie motrice, et que plus tard, en 1874, Wernicke décou-
vrit en outre que l'aphasie sensorielle résulte d'une lésion circonscrite de la première
circonvolution temporale gauche, on fut presque unanime pour admettre que, chez
l'homme aussi bien que chez l'animal, les fonctions psychiques élémentaires se locali-
sent dans des territoires distincts du cerveau.
Mais les expériences physiologiques ont démontré que la localisation ne se rapporte
qu'aux fonctions psychiques élémentaires. Les sensations et les représentations visuelles
ont pour siège la région où se trouvent les terminaisons centrales des nerfs optiques;
les sensations et les représentations auditives, la région où se trouvent les terminaisons
centrales des nerfs acoustiques; les sensations et les représentations tactiles, la région
où se trouvent les terminaisons [centrales des nerfs du toucher; les sensations et les
représentations olfactives, la région où se trouvent les terminaisons centrales des nerfs
olfactifs; et enfin les sensations et les représentations gustatives, la région où se
trouvent les terminaisons centrales des nerfs gustatifs. De même, les sensations et les
représentations motrices siègent à l'origine cérébrale des nerfs moteurs.
Mais les fonctions psychiques plus élevées, à commencer par les idées les plus
simples, reposent sur une association de divers territoires du cerveau.
L'idée du mot parlé est formée par l'association d'une image auditive localisée
dans l'écorce temporale avec une image motrice localisée dans l'écorce frontale. Cette
association est démontrée par l'aphasie de conductibilité de Wernicke, résultant d'une
lésion dans l'insula de Reil.
6° Les sensations et les représentations constituent le contenu de la conscience.
La question n'est pas élucidée si les mêmes cellules peuvent être le siège à la fois
de sensations et de représentations, en d'autres mots, si les sensations et les représen-
tations reconnaissent le même substratum anatomique. Les expériences de H. Munk
semblent prouver qu'il n'en est pas ainsi. Lorsque l'on extirpe chez un chien ou un
singe la région centrale de la sphère psycho-optique, l'animal est frappé de cécité
psychique. Mais celle-ci s'améliore graduellement, et (mit, après quelques semaines,
par guérir totalement, parce que les représentations visuelles se déposent dans la
région périphérique restée intacte. De même, après l'extirpation de la région centrale
de la sphère psycho-acoustique, l'animal continue à entendre, mais sans reconnaître
ce qu'il entend : il est frappé de surdité psychique. Mais celle-ci finit également par
disparaître, la région périphérique restée intacte devenant à son tour le siège des
représentations auditives, remplaçant ainsi la région disparue.
La surdité psychique des mots, de même que la cécité psychique des mots,
constitue, me semble-t-il, un argument précieux en faveur de l'hypothèse de Muink. Les
malades atteints d'aphasie sensorielle continuent à entendre les mots; mais ils ne les
comprennent plus, parce que les éléments nerveux où sont déposées les images audi-
tives verbales sont altérés, tandis que ceux oii les sensations s'élaborent sont restés
intacts.
7° Pour bien comprendre le mécanisme de la formation de la parole, il est indis-
pensable de recourir aux notions fournies à la fois par la psychologie, la physiologie
du cerveau et la pathologie cérébrale. « La psychologie et la physiologie d'une part,
écrit KussM.\UL, et la pathologie cérébrale d'autre part, s'éclairent mutuellement pour
expliquer les lois qui président à la formation de la parole. »
V. Bibliographie. — Wernicke. Gesamnielte Aufsâlze und kritische Referate zvr
Pathologie des Nervensystems. Berlin, 1893. — Lichtheim. Ueber Aphasie {Deutsches Archiv
fur Min. Medicine, 1885, t. xxxvi, fasc. 3 et 4). — Kussmaul. Storungen der Sprache, 1877,
aus Ziemssen's Handbuch der spec. Fathol. u. Thérapie. Leipzig. — Moeli. Veber den Gegen-
wartigen Stand der Aphasielehre {Berliner klin. Wochenschrift, 1891, n<«48 et49). — Freund.
Zur Auffassung der Aphasien, eine kritische Studie, 1891. Leipzig et Vienne. — Charcot. Leçons
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intérieur, etc. Paris, 1888. — Stricker. Studien ùber die Sprachvorstellungen. Wien, 1880.
APHONIE. — APHRODISIAQUE. 629
— Ferries. The functions of the brain. London, 1886. — Sachs. Vortràge zur Bau und Thà-
tigkeit des Grosshmis. Breslaii, 1892. — Gr-^shey, Ueher Aphasie und ihre Beziehungen zur
Wahmehmungr (Archiv fur Psychiatrie, t. xvi, 1883). — Goldscheider. Ueber centrale
Sprache-Schreib-und LesestSrungen {Berliner kl. Wochenschrift, 1892, n'^ 4, S, 6, 7, et 8). —
BouiLLAUD. Traité de l'encéphalite. Paris, 1825. — Broca. Sur le siège de la faculté du
langage articulé [Bull. Soc. Anat. de Paris, p. 398, 1861). — Ch. Bàstun. On différent
kinds of Aphasie {British Médical Journal, 1887, 9 oct. et 3 nov.). — Freund. Optische
Aphasie {Archiv f. Psychiatrie, t. xx, fasc. 1).
E. LAHODSSE.
APHONIE. — Privation de la voix par un trouble dans les fonctions du larynx.
11 faut distinguer l'aphonie de la mutité et de l'aphasie. Quand les cordes vocales, pour
une cause ou une autre (paralysies, ulcérations, etc.), ne peuvent plus entrer en jeu, la voix
ne peut plus être émise; mais le langage est conservé. De là, la distinction entre l'Apho-
nie et les affections où le langage est aboli comme l'aphasie et la mutité. [Vo\t Larynx
et Voix.)
APH RODISI AQUE. — L'aphrodisie est une exagération de l'appétit génital,
elle terme Aphrodisiaque ('AopoSi-Ti, Vénus) est son qualificatif. Cette surexcitation du
désir porte chez l'homme le nom de Satyriasis et chez la femme le nom de Nymphomanie.
Ce que nous avons dit des causes de l'anaphrodisie est également applicable ici; il
est rare, en effet, que ce trouble dépende de causes locales, et le plus souvent il est dû
à des modifications de la nutrition, et plus fréquemment encore à des altérations du
système nerveux cérébro-spinal. Les phénomènes psychologiques peuvent revendiquer
une part iniportante dans la pathogénie de ce trouble ; déjà, il était aisé de le prévoir
en considérant le rôle que jouent les représentations mentales dans la vie sexuelle,
rôle que dévoile manifestement l'étude de l'amour normal et des amours morbides,
mais, de plus, l'association de l'excitation génésique à un grand nombre de maladies
mentales dont elle figure parfois le syndrome initiateur (comme dans le tabès et dans
la paralysie générale) en est un témoignage tout à fait convaincant.
On doit également distinguer ici, entre l'exagération des désirs sexuels et la faculté
de les satisfaire, qui peut en même temps faire défaut; il arrive de la même façon que
l'organisme génésique, l'érection, devienne presque permanente sans s'accompagner
d'appétence sexuelle d'aucune sorte.
Il est plus rare qu'on ne le dit, que les affections locales des organes génitaux,, les
oxyures, le phimosis, le développement hypertrophique, puissent être considérées comme
de vraies causes de l'aphrodisie. Le plus souvent elles ne déterminent de phénomènes
d'excitation que parce qu'elles existent chez des sujets prédisposés.
L'aphrodisie et l'anaphrodisie, d'une part, les diverses perversions et inversions
sexuelles d'autre part, par l'origine manifestement psychique que révèlent les caractères
de leurs complexus, plaident incontestablement en faveur de l'existence dans le cerveau
d'un centre génital. Mais, malgré les raisons qu'on a fait valoir, pour la localisation
supposée de celui-ci, proche du centre olfactif, aucun fait anatomique irréprochable ne
permet jusqu'à présent d'en admettre l'existence.
Il existe un certain nombre de médicaments dits aphrodisiaques, dont aucun, on
doit le remarquer, ne présente d'action élective spécifique : tous exercent leurs effets sur
le système nerveux en général. Parmi ceux-ci, les vertus de la cantharide méritent d'être
signalées en premier lieu; nous citerons aussi la noj'a; t'omigMe, dont les effets excitateurs
sur la moelle épinière ne sont pas douteux, et le phosphore, dont les propriétés à cet
égard sont moins actives (?)
En dehors de ces médicaments, il est des aliments dont l'action excitatrice sur les
désirs sexuels est réputée. Tel le poisson (auquel on attribue les qualités prolifiques des
populations du littoral), le gibier, les truffes : parmi les condiments on considère le poivre,
le gingembre, le piment, la muscade, la cannelle et la vanille comme aphrodisiaques ("?).
PAUL BLOCQ.
630 APNÉE.
APNEE {Apnoea, ar.mia, absence de respiration). — État d'un animal vivant
chez lequel les mouvements respiratoires n'existent pas ou sont suspendus momenta-
nément par suite de la non-activité des centres nerveux respiratoires.
Le terme d'apnée se trouve déjà chez Galien (De locis affectif,, lib. IV, vol. VIII, p. 181,
édit. KtJHN, cité par Rosenthal, H. H., t. iv, (2), p. 264), mais pris dans un sens un peu
différent de celui que nous y attachons. D'après Burdon-Sanderson, Hook est le premier
physiologiste qui ait obteau la suspension des mouvements respiratoires en insufflant
de l'air dans les poumons d'un chien. L'expérience fut faite en octobre 1667 devant la
Société Royale de Londres. L'auteur ne tira aucune conclusion de son expérience.
La notion moderne et la dénomination d'apwee ont été introduites en physiologie
par les beaux travaux de Rosenthal sur l'innervation de la respiration. L'expérience
à'cqmée est décrite par lui, en 1862, dans les termes suivants {Die Athembeivegungen und
ihre Beziehungen zum Nervus vagus. Berlin, 1862, p. 137) :
« Si l'on insuffle de l'air aux animaux de la façon qui a été décrite, on peut arriver
à ce résultat que les mouvements du diaphragme deviennent de plus en plus faibles pour
cesser entièrement à la fin. On pourrait croire l'animal mort si le cœur mis à nu ne
continuait pas à battre vigoureusement, et si l'attouchement le plus léger de la cornée
de l'œil ne provoquait immédiatement le clignotement. J'ai même réussi, par une
manœuvi-e énergique du soufflet servant à la respiration artificielle, à saturer telle-
ment le sang d'oxygène pendant un certain temps qu'après cessation complète de la
respiration artiflcielle, le diaphragme restait encore immobile pendant longtemps, cinq
minutes et au delà. Alors seulement les mouvements reprenaient, d'abord faibles et
rares, puis de plus en plus fréquents et énergiques. »
L'explication donnée ici par Rosenthal se rattache à sa théorie de la respiration des
mouvements respiratoires par la composition gazeuse (teneur en oxygène) du sang qui
circule dans la moelle allongée, au niveau des centres respiratoires.
Avant d'aborder les controverses auxquelles cette explication a donné lieu, il est
nécessaire de rappeler dans ses grandes lignes la théorie de Rosenthal.
Les mouvements de tous les muscles de la respiration sont réglés par l'activité de
centres nerveux situés dans la moelle allongée. On sait que l'intervention de la volonté
n'est pas nécessaire pour le fonctionnement régulier de ces centres : en effet, les mou-
vements respiratoires persistent pendant le sommeil, dans l'anesthésie, ou chez les
animaux auxquels on a enlevé les hémisphères cérébraux.
L'activité des centres respiratoires ne paraît pas non plus être de nature réflexe,
comme le croyaient Volkmann {Micller's Archiv, 1841, p. 342), Vierordt {Wagner's Hand-
worterhuch, t. ii, p. 912), et jusqu'à un certain point Marshall Hall et Schiff {Lehrbuch der
Physiologie, t. i, p. 413), puis plus récemment Bach (Quo niodomedulla oblongata,ut respi-
randi motus efficiat, incitatur. Diss. inaug. Konigsberg, 1863).
En effet, il ne s'agit pas d'une action consécutive à des impressions sensitives,
puisque l'on peut isoler la région des centres respiratoires du reste du système ner-
veux sans arrêter leur activité. Rosenthal [Studien ùber Athembeivegungen. Archiv f. Anat.,
und PhysioL, 1863, p. 200) a vu les mouvements respiratoires du diaphragme persister
chez un lapin dont les hémisphères cérébraux étaient enlevés, dont la moelle épinière
était coupée au niveau de la première vertèbre dorsale et chez lequel, de plus, les pneu-
mogastriques et toutes les racines postérieures sensibles des nerfs du cou étaient
également sectionnés'.
L'excitant qui provoque l'activité des centres respiratoires ne leur est donc pas
apporté par des nerfs centripètes agissant par voie réflexe. Séparés de presque tous les
nerfs sensibles du corps, ces centres continuent à agir : ils trouvent en eux-mêmes ou
dans leur voisinage immédiat l'excitant qui les met enjeu. Leur fonctionnement appar-
1. Ce point est contesté par Marckwald {Die Athembewegungen unâ deren Innervation beim
Kaninchen. Z. B., t. xxni, 1887) pour le lapin et par Cat. Schipiloff pour la grenouille, confirmé
au contraire par C. Franck et Langendorfp {Die Automatie des Athemcentrums. A. Db.. 1887,
p. 284; JJeber die automatische Tkâtigkeit des Athmungscentrums bei Sûugethieren. A. Db., 1888,
p. 286). Voir aussi Loewy : Ueber das Athemcemtrum in der Med. oblongata und die Bedingungen
seiner Thiltigkeit [A. DB., 1887, p. 472).
APNEE. 631
tient à la catégorie d'actions nerveuses auxquelles J. Muller a donné le nom d'actions
automatiques.
Quelle est la cause qui provoque l'activité des centres respiratoires au moment où
l'enfant vient au monde et qui l'entretient pendant toute la vie? Les belles expériences
de RosENTHAL (1862) ont montré qu'il existe un rapport intime entre le degré d'activité
des centres respiratoires et la composition chimique du sang qui baigne la moelle
allongée.
Le stimulus sous l'influence duquel les centres respiratoires agissent doit être
cherché dans un certain degré de veinosité du sang qui les baigne. Il s'agit à la fois
d'un déficit d'oxygène et d'un excès de CO^ d'après les travaux de Dohmen et de Pflûger,
confirmés par ceux de P. Bert, Heeter et Friedlânder, S. Fredericq, etc. (S. W. Dohmen.
Untersuchungen ûber den Einfiuss den die Slutga^e d. i. Sauerstoff und Eohlensàure, auf
die Athembeivegungen ausïiben. Untersuchungen aus dem physiologischen Laboratoriiim.
Bonn, 1867; E. Ppliiger. TJeber die Ursache der Athembeivegungen, soivie der Dyspnoè und
Apnoè. A. Pf., 1868, 1. 1, p. 60). D'autres substances peuvent contribuer aussi à exagérer la
veinosité du sang'.
Plus le sang est pauvre en oxygène, riche en CO^, plus il excite puissamment la
moelle allongée, plus les mouvements respiratoires sont nombreux et profonds. C'est
par ce mécanisme remarquable que le centre respiratoire accommode à chaque instant
l'énergie de la ventilation pulmonaire aux besoins de l'organisme.
Je me borne à signaler l'expérience suivante qui me semble donner de la théorie de
Rosenthal une démonstration nouvelle et élégante.
Je prends deux chiens ou deux très grands lapins, A et B, auxquels je lie au préalable
les vertébrales et sur lesquels je prépare les carotides. J'introduis des canules dans ces
vaisseaux de manière qu'il y ait échange de sang carotidien ou circulation céphalique
croisée entre les deux animaux. Les carotides du lapin A. envoient leur sang dans la
tête du lapin B; pareillement, la tête du lapin A ne reçoit que du sang provenant du
corps de B. Si à ce moment je fais respirer au lapin A un mélange gazeux pauvre en
oxygène, ou si je lui ferme la trachée, c'est le lapin B, celui dont la tête reçoit le
sang asphyxique de A, qui montrera de la dyspnée ou des convulsions asphyxiques,
tandis que le lapin A présentera plutôt une tendance à l'apnée. Il y a donc une relation
étroite entre la composition du sang qui circule dans la tête et l'activité des mouve-
ments respiratoires (Léon Fredericq. Sur la circulation céphalique croisée ou échange de
sang carotidien entre deux animaux. Archives de Biologie, t. x, p. 127, et Travaux du labora-
toire, 1889-90, p. 1. Voir aussi Bienfait et Hogge. Recherches sur le rythme respiratoire.
Archives de Biologie, t. s, p. 139).
Toute cause tendant à exagérer le degré de veinosité (excès de CO^, défî-cit d'oxy-
gène) du sang qui baigne la moelle allongée, provoque une vive excitation des centres
respiratoires se traduisant par une ventilation pulmonaire plus énergique. La respi-
ration s'accélère, mais surtout devient plus profonde, comme on sait, à la suite d'un
repas, et surtout par le fait de l'exercice musculaire. Dans les deux cas, la consom-
mation de l'oxygène et l'accumulation de l'anhydride carbonique augmentent dans le
sang.
La veinosité du sang s'exagère pareillement dans beaucoup de maladies du poumon
qui portent obstacle aux échanges gazeux du poumon, ou lorsqu'on respire une atmo-
sphère trop pauvre en oxygène ou trop riche en CO^ : il se produit encore de la dyspnée
ou gêne respiratoire.
En élevant artificiellement la température du sang qui baigne la moelle allongée
{placer les deux carotides dans des gouttières creuses où circule un courant d'eau
chaude), on provoque une accélération très marquée des mouvements respiratoires
(polypnée thermique de Ch. Richkt).
On provoque tout aussi sûrement chez le lapin un accès de dyspnée pouvant aller
1. D'après Geppert et Zuntz, 1886, la dyspnée se montre à la suite d'exercice musculaire
énergique sans qu'il y ait accumulation de GO^ ou déficit d'oxygène dans le sang. Elle est due
alors à la présence dans le sang d'un produit (indéterminé) de la combustion organique, autre
que C02.
632 APNÉE.
jusqu'aux convulsions générales (Kussmaul et Tenner), en arrêtant momentanément le
cours du sang dans les carotides et les vertébrales : le sang ne se renouvelant plus au
niveau de la moelle allongée y devient promptement veineux. La dyspnée qui se montre
à la suite d'une hémorrhagie s'explique de la même façon.
Lorsqu'on essaie de suspendre volontairement les mouvements de la respiration, il
est clair que CO-, continuant à se produire, s'accumulera dans le sang et qu'en même
temps, l'oxygène y diminuera rapidement, le sang deviendra donc d'instant en instant
plus veineux et la stimulation qu'il exerce sur les centres respiratoires croîtra rapi-
dement, pour atteindre en peu de teaips une telle intensité que l'action de la volonté
ne sera plus capable d'empêcher le fonctionnement de ces centres : on est obligé de
se remettre à respirer.
L'explication de l'apnée, telle que l'a donnée Rosenthal, se rattache aux considé-
rations développées pre'cédemment. Si le sang qui baigne la moelle allongée est trop
artérialisé, trop riche en oxygène ou trop pauvre en CO-, le stimulus physiologique
des centres respiratoires fait défaut : ceux-ci suspendent leur action et l'animal cesse
momentanément de respirer. Comme l'a montré Rosenthal, cet état d'apnée, dans lequel
l'animal n'exécute plus de mouvements respiratoires, est facile à obtenir chez le chien
et chez le lapin. Il suffit de pratiquer pendant quelques instants la respiration artifi-
cielle en ayant soin de ventiler énergiquement les poumons de manière à artérialiser
le sang au maximum. Si l'on cesse alors les insufflations artificielles, l'animal ne se
remet pas immédiatement à respirer, il peut rester à l'état d'apnée pendant plusieurs
secondes, pendant une demi-minute, une minute et davantage. Le sang reprend bientôt
de lui-même son degré normal de veinosité; les mouvements respiratoires se rétablis-
sent, d'abord faibles et presque imperceptibles, puis ils reprennent peu à peu leur énergie
normale. La preuve que la suspension de la respiration est due, en partie au moins, à
une action locale d'un sang riche en oxygène sur la moelle allongée nous est fournie
par ce fait que la hgature des carotides et des vertébrales met immédiatement fin à
l'apnée (Rosenthal. Ai'cMv f. Anat. und PhysioL, 1865, p. 194).
Fbanz {Ueber kùnstliche Athmimg. A. Db., 1880, p. 398) a réussi à provoquer l'apnée sans
insufflations, par des excitations rythmées des phréniques. Il a constaté que le sang
artériel, d'un beau rouge pendant l'apnée, prenait une teinte foncée au moment de la
cessation de l'apnée.
On peut faire sur l'homme une expérience analogue. Si l'on exécute une série d'in-
spirations très profondes, on n'éprouve plus, pendant plusieurs secondes, le besoin de
respirer : on est à l'état d'apnée.
Ajoutons que, pendant l'npnée, l'excitabilité des centres respiratoires paraît diminuée
sinon suspendue complètement : dans cet état de l'animal, l'excitation électrique du
bout central du pneumogastrique (Rosenthal. Athembewcgungen, 1862, p. 159), celle des
centres respiratoires (Markwald elKaoNECKER. Arch. f. PhysioL, 1879, p. 393) n'est suivie
d'aucun effet respiratoire. Cependant, d'après Christiani, l'excitation électrique du centre
inspiratoire du cerveau provoquerait un mouvement d'inspiration pendant l'apnée.
Head {On the régulation of respiration, J. P., 1889, t. x, p. 1) a constaté aussi que pen-
dant l'apnée les centres respiratoires pouvaient être influencés par des excitations
réflexes ayant pour point de départ les nerfs du poumon et par voie centripète le
tronc du pneumogastrique. Pendant l'apnée les changements de volume provoqués
dans le poumon peuvent amener la contraction du diaphragme relâché jusqu'à ce
moment ou le relâchement du diaphragme primitivement contracté.
Pendant l'apnée, il y a diminution d'activité des centres vaso-moteurs et cardio-
inhibiteurs. On constate chez le chien la dilatation des vaisseaux des viscères, la chute
de la pression artérielle, l'accélération des pulsations cardiaques et la disparition des
inégalités respiratoires du rythme cardiaque.
La consommation de l'oxygène et l'exhalation de CO^ ne paraissent guère modifiées
par l'apnée.
Enfin, l'excitabilité réflexe de la moelle épinière se trouve également déprimée.
Pendant l'apnée, la strychnine et les autres poisons des réflexes ne provoquent pas de
convulsions. — (Leube. Arch. f. Anat. u. PhysioL, 1867, p. 629..— Uspensey. Arch. f.
Anat. und PhysioL, 1868, pp. 401, 522).
APNEE. 633.
H. AnoNsoN {Veber Apnoe bei Kaltblûtern und neugeborenen Sâugethiere. A. Dh. \88'i,
p. 266) a constaté qu'il est impossible de provoquer l'apnée par ventilation pulmonaire
chez les animaux à sang froid (grenouille, tortue) et chez les mammifères nouveau-
nés (chats âgés d'un jour). Cela tient sans doute à ce fait que le sang artérialisé dans
le poumon par la respiration artificielle, se mélange ultérieurement avec du sang vei-
neux avant d'être distribué aux centres respiratoires, d'où impossibilité de placer
ceux-ci dans les conditions d'oxygénation pour amener l'apnée. L'impossibilité de pro-
voquer l'apnée chez les mammifères nouveau-nés avait déjà été signalée par Mas Runge
{Zeitschrift /'. Geburtshidfe und Grynâkologie, t. ii, p. 399), et par Preyer {Specielle Physiologie
des Embryo).
Ch. RiCHET a constaté que la polypnée thermique ne peut s'établir que si le chien est
en état d'apnée, ou plus exactement si le besoin chimique de la respiration est .sus-
pendu. Le chien respire sans avoir besoin de respirer; il respire pour se refroidir. Si
on oblitère brusquement la trachée d'un chien rendu polypnéique, le rythme accéléré
restera le même pendant une ou deux minutes, quoiqu'il y ait absence complète de
renouvellement de l'air. L'animal vit sur la provision d'oxygène accumulée dans son
sang jusqu'à ce que, cette provision venant à s'épuiser, les premiers signes de la dyspnée
se manifestent par un rythme respiratoire plus lent et plus profond. On sait que chez
les chiens qui ne sont pas atteints de polypnée, l'oblitération de la trachée provoque
immédiatement les signes de la dyspnée (Ch. Richet. Nouvelle fonction du bulbe rachi-
dien. Régulation de la température par la respiration. A. P., 1888, t. i, (4), p. 292).
Cette théorie chimique de l'apnée et du fonctionnement des centres respiiatoires,
telle que Rosenthal l'avait formulée, a été vivement attaquée à différents points de vue
par un assez grand nombre de physiologistes. Nous allons passer en revue les objections
qu'on lui a faites.
Paul Bering trouva que le sang artériel du chat ne contient, pendant l'apnée, pas
plus d'oxygène (même moins) que chez les animaux respirant normalement {Einige
Vntersuchungen ûber die Zusammensetzung der Blutgase wàhrend der Apnoë. Dissertation,
Dorpat, 1867). Pflijger (A. Pf., 1. 1, 1868, p. 100) mit en doute les résultats de Paul Hering
et y signala une cause d'erreur; il fit reprendre la question dans son laboratoire. Aug.
EwALD démontra sous sa direction que le sang artériel du chien est, pendant l'apnée,
toujours un peu plus riche en o.xygène (0,1 à 0,9 p. 100 d'oxygène en plus) et notable-
ment plus pauvre en CO'^, qu'immédiatement avant ou après l'apnée. Le sang apnoïque
est à peu près saturé d'oxygène (August Ewald. Zur Kenntniss der Apnoé. A. Pf., t. vu,
1873, p. S75).
Hoppe-Seyler, s'appuyant sur les déterminations de tension de l'oxygène dans le
sang artériel faites dans son laboratoire par Herter {Veber die Spannung des Sauerstoffs im
arteriellen Blute. Zeits. f.physiol. Chemie, 1879, t. ni, p. 98) avait admis que le sang artériel
est déjà à l'étal normal souvent saturé d'oxygène, au moins en ce qui concerne l'oxygène
fixé sur l'hémoglobine et que, par conséquent, la ventilation pulmonaire la plus éner-
gique ne pouvait guère augmenter cette saturation. Tout au plus la tension de ce gaz
dans le sang pourra-t-elle s'élever de quelques centièmes d'atmosphère par le fait de
la respiration artificielle. Mais s'il suffit d'augmenter de quelques pour cent la tension
de l'oxygène dans le sang pour provoquer l'apnée, Hoppe-Seyler trouve inexplicable
que l'apnée ne s'établisse pas d'emblée lorsqu'on respire de l'ox-ygène pur ou de l'air
comprimé (F. Hoppe-Seyler. Ueber die Ursache der Athembeivegungen. Z.P. C, 1879, t. m,
p. 104). Il fait aussi remarquer que la teneur du sang artériel en oxygène varie dans
des limites extrêmement larges, sans que l'on observe des variations correspondantes
dans le rythme respiratoire. Hoppe-Seyler conclut en attribuant l'apnée à l'épuisement
des muscles respiratoires maltraités par la respiration artificielle.
Filehne répondit {Ein Beitrag zur Physiologie der Athmung und der Vasomotion;
Nachtrag. Arch. f. Physiol., 1879, p. 240) à Hoppe-Seyler en lui opposant les chiffres des
analyses d'EwALD et les résultats des recherches de Hûfner sur la détermination photo-
métrique de l'hémoglobine et de l'oxygène du sang {Ueber die Bestimmung des Hâmo-
globin-und Sauei-stoffgehaltes im Blute. Zeits. f.physiol. Chemie, t. m, 1879, p. 1). D'après'
Hûfner, le sang artériel du chien n'est nullement saturé d'oxygène et contient encore
de l'hémoglobine réduite. Rosenthal lui-même fit observer que l'apnée chez un animal
6U APNEE.
placé dans l'oxygène serait un non sens, car, sans mouvements respiratoirss, l'oxygène
pur de l'extérieur ne pourrait diffuser assez rapidement de l'extérieur dans les alvéoles
pulmonaires pour maintenir au sang le degré voulu de saturation. Tout au plus pour-
rait-on donc s'attendre à une diminution du nombre des mouvements respiratoires
(RosENTHAL, dans H. H., t. IV, (2), p. 278).
Les déterminations de tension d'oxygène, faites par Léon Fredericq {Ueber die Tension
des Sauei-stoffes im arteriellen PepotnbhU bel Erhohung derselben in der eingeathmeten Luft.
CentralUatt fur Physiologie, 1894, p. 34) dans le sang artériel de chiens respirant des
mélanges gazeux riches en oxygène, ont permis de trancher cette question dans ce sens
que l'augmentation de l'oxygène du sang doit être un facteur insignifiant dans la pro-
duction de l'apnée. En effet, la tension de l'oxygène peut atteindre 70 p. 100 d'une atmo-
sphère dans le sang d'un chien qui respire de l'oxygène pur, sans que l'animal montre
de l'apnée. Tout au plus sa respiration est-elle un peu plus lente.
J'ajouterai que Speck et Dohmen ont constaté ce ralentissement du rythme respira-
toire par suite de la respiration d'oxygène et que G. von Liebig signale pareillement
une diminution des mouvements respiratoires sous l'influence de l'air comprimé.
Enfin, BiELETzKY [Zur Frage ûber die XJrsache der Apnoe. Biol. Cenfralblatt, t. i, 1882,
p. 743) a repris sur Astur palumbarius l'expérience d'apnée en évitant les mouvements de
la cage thoracique afin de ne pas donner prise au reproche formulé par Hoppe-Seyler
et concernant la fatigue des muscles respiratoires. Il scia en travers les os des ailes et
des pattes de l'oiseau et fixa une canule dans la trachée, puis fit passer à travers les
poumons sous pression constante un courant d'air continu. L'air entrait par la trachée
et sortait par les surfaces de section des os : l'apnée s'établit facilement dans ces con-
ditions.
Citons encore parmi les adversaires de la théorie de Rosenthal, Makckwald et Mosso.
Marckwald {Die Athembewegungen und deren Innervation beim Kaninchen. Z. B., 1887,
t. xxiii) insista sur ce fait que la respiration peut persister pendant longtemps alors
que la circulation est arrêtée complètement au niveau des centres respiratoires; il
rejeta la théorie de Rosenthal et affirma que la régulation normale de la respiration
ainsi que l'apnée, « n'ont rien à voir avec les gaz du sang »; il constata aussi l'extrême
difficulté de provoquer l'apnée et de supprimer les convulsions respiratoires par la
respiration artificielle chez le lapin dont les pneumogastriques sont coupés et dont la
moelle allongée est sectionnée au devant des centres respiratoires.
Dans son intéressant mémoire sur la respiration superflue ou de luxe (A. B. 1886,
t. vu, p. 48. La respirazione periodica e la respirazione superflua e di lusso. Reale Academia
dei Lincei, anno CCLXXXII, 188b. — Periodischc Athmung und Luxus Athmung. A. Db.,
1886. SuppL, 37) Mosso insiste sur les variations énormes que présente le rythme res-
piratoire en dehors de toute modification des besoins respiratoires de l'organisme. Il
en conclut que ce rythme n'est pas réglé par le chimisme respiratoire et est indépen-
dant de ce dernier. Il repousse par conséquent la théorie de Rosenthal.
Il me semble que l'objection la plus sérieuse que l'on puisse faire à la théorie chi-
mique de l'apnée, c'est que l'insufflation de mélanges gazeux relativement pauvres en
oxygène ou riches en GO^ peut amener l'apnée, tant que les pneumogastriques sont
intacts; et que, par contre, lorsque ces nerfs sont coupés, l'aération la plus énergique
des poumons pratiquée avec de l'air frais ne la produit pas toujours. En 1865, Thiry
{Rec. des travaux de la Soc. méd. ail., Paris, 1865, p. 69) avait réussi à provoquer l'apnée
en insufflant un mélange à parties égales d'air et d'hydrogène. D'autres expérimenta-
teurs étaient arrivés au même résultat en employant pour la respiration artificielle la
même masse d'air confinée, dont la composition chimique s'altérait de plus en plus
par le fait de la respiration de l'animal. Head {On the régulation of respiration. J. P ., 1889,
t. X, p. 1) a même obtenu l'apnée chez le lapin en faisant des insufflations d'hydro-
gène. L'apnée s'obtiendrait dans ce cas aussi vite au moyen d'insufflations d'oxygène :
mais elle serait de très courte durée. D'autre part, Brown-Séqu.ahd déclarait (B. B., 1871,
pp. 135 et 156) que l'intégrité des pneumogastriques est nécessaire à la réussite de
l'expérience d'apnée « et que l'insufflation détermine l'apnée plutôt par une action
mécanique «, il était, il est vrai, contredit par Rosenthal qui affirmait que l'apnée
s'obtient tout aussi facilement par insufflation pulmonaire après section des pneumo-
APNEE. 635
gastriques que chez l'animal intact (E. fl., t. iv, (2), p. 274, 4880). Mais d'autres physiolo-
gistes, FiLËHNE {Archivf. Anat. u.PhijsioL, 1873, p. 366), KNOLL(Wiener Sitzungsber, t. lxxxv,
fasc. 3, t. Lsxsvi, p. 3). Rosen'bach (Stud. ùb. den Nervus vagus. Berlin, 1877, p. 109) et Gad
{Ueber Apnoé. Wurzbourg, 1880, et Die Regulirung der normalen Athmung. A. Db., 1880, 1)
montrèrent que la vérité se trouve entre ces deux assertions extrêmes exclusives. J'ai
constaté comme eux que l'apnée s'obtient encore, mais plus difficilement, après la
section des pneumogastriques.
C. Franck et Langexdorff {Ueber die automatische Thâtigkeit des Athmung scentrums
bei Sàugethieren. A. Db., 1888, p. 296) ont obtenu facilement l'apnée par ventilation
pulmonaire chez le lapin auquel ils avaient pratiqué la section transversale des centres
nerveux au-devant des centres respiratoires et la double section des pneunio-gas-
triques. Ils croient que l'on a exagéré l'influence des pneumogastriques sur la pro-
duction de l'apnée.
D'après Head, les insufflations d'hydrogène seraient impuissantes à produire l'apnée
chez le lapin dont les pneumogastriques sont intacts. On l'obtiendrait au contraire
assez facilement après section de ces nerfs, à condition d'employer un mélange gazeux
riche en oxygène, et de ne pas tenter l'expérience immédiatement après la section des
pneumogastriques. 11 faudrait laisser aux centres respiratoires le temps de s'habituer
à l'action d'un sang plus veineux que d'ordinaire.
Il me parait incontestable que les pneumogastriques jouent un certain rôle dans la pro-
duction de l'apnée. Gad [Die Regulirung der normalen Athmung . A. Db., 1880, p. 28) a montré
qu'on peut écourter notablement la durée de celle-ci et hâter la reprise des mouvements
respiratoires en congelant brusquement le tronc des pneumogastriques (suppression
des innervations centripètes du vague sans irritation préalable). Knoll avait constaté
aussi que, si l'on provoque l'apnée chez un animal à pneumogastriques intacts, celte
apnée se prolonge bien au delà du temps pendant lequel on peut admettre une suroxy-
génatiou du sang. A la fin de l'apnée, le sang des carotides peut avoir une teinte mani-
festement veineuse : et l'on peut même parfois observer de véritables symptômes d'as-
phyxie (hausse de la pression sanguine, ralentissement des pulsations cardiaques)
avant la reprise des mouvements respiratoires spontanés.
Dans la production de Vapnée, l'influence exercée sur les centres respiratoires par
le sang surartérialisé se combine donc avec une action adjuvante émanée des fibres
centripètes du pneumogastrique. 11 s'agit sans doute d'une excitation mécanique des
terminaisons sensibles des rameaux pulmonaires du pneumogastrique par le fait de
l'insufflation du poumon et du déplissement de ses alvéoles. Hering et Breuer (Die
Selbststeuerung der Athmung ditrch dem Nervus vagus. Sitzungsber. der k. Akad. der Wiss.
Vienne, 1868, t. lvii, p. 909) ont montré en effet que toute insufflation du poumon provo-
quait par voie réflexe un arrêt respiratoire, tant que les pneumogastriques sont intacts,
et que cet arrêt respiratoire a pour point de départ une irritation (mécanique?) des
terminaisons intrapulmonaires du vague '.
Head (J. P., 1889, t. x, p. 1) a constaté récemment que l'apnée présente des caractères
différents suivant que l'on se borne à faire des insufflations rythmées [ventilation posi-
tive) en abandonnant les expirations à l'animal, ou suivant que l'on se borne à des
succions rythmées sans insufflations (ventilation négative), ou suivant que l'on exécute
alternativement une insufflation et une succion {ventilation mixte). Dans le premier
ca.s (ventilation positive), ]e diaphragme reste relâché pendant l'apnée; dans le second
cas (ventilation négative), le diaphragme reste contracté pendant fapnée qui suit la ces-
sation de la ventilation; dans le troisième cas (ventilation mixte), le diaphragme prend
une position intermédiaire permanente entre le relâchement et la contraction com-
plète. Ces différences ne se montrent que tant que les pneumogastriques ont été
conservés.
1. A. LoEWY (Ueber das Athemcenlrum in der Med. oblongata und die Bedingungen seiner
Thâtigkeit. A. Db., 1887, p. 472) a constaté que les rameaux pulmonaires du pneumogastrique
envoient aux centres respiratoires des excitations toniques (outre les excitations découvertes
par Hkrinq et Breuer) tant que les poumons sont remplis d'air. Si les poumons s'affaissent
(atélectasie), le tonus des pneumogastriques est supprimé : il se rétablit lorsqu'on insuffle de
nouveau le poumon.
63(j APNEE.
Tout ceci nous conduit à distinguer avec Miescher-Rusch {Bemerkungen zur Lehre von
den Athembeivegungen. A. Db., 1883, p. 26o) une Apnoea wra, d'origine purement chi-
mique (surartérialisation du sang par diminution de CO^, plutôt que par augmentation
d'oxygène) et une Apnoea Vagi d'origine nerveuse. L'Apnoect Vagi n'est elle-même qu'un
cas particulier des arrêts respiratoires qui peuvent s'obtenir par excitation de diverses
parties du système nerveux (nerfs laryngés, fibres nasales du trijumeau, cauda corporis
striati d'après Danilewsky) et que Miescher-Rusch réunit sous le nom d'Ajmoeœ spurisa
et pour lesquelles Danilewsky a proposé le nom à'apnée nerveuse [Gehirn und Athmung.
Biolog. Centralbl, t. ii, 1882-83, p. 692).
L'arrêt respiratoire qui se montre immédiatement après cessation d'une excitation
du bout périphérique du pneumogastrique (nerf coupé) doit sans doute être considéré
comme une apnée vraie. S. Meyer [Experimenteller Beitrag zur Lehre von den Athembewe-
gimgen. Siizimgsber. der k. Akad. der Wiss. Math. Naturw. Cl. 3, fasc, t. lxix, p. 111) en
donne l'explication suivante : pendant l'arrêt du cœur, la stagnation du sang agit comme
excitant sur les centres respiratoires, d'où dyspnée, ventilation énergique du poumon
et surartérialisation du sang. Aussitôt qu'on cesse l'excitation du pneumogastrique, le
cœur se remet à battre; l'arrivée brusque d'un sang surartérialisé au niveau des centres
respiratoires provoque l'apnée. Fr. Franck [Étude sur quelques arrêts respiratoires;
apnée, phénomène de Cheyne-Stokes, arrêts réflexes de cause cardiaque. Journ. de l'An, et
de la Physiol., 1877, p. 545) admet la même explication pour la pause qui suit l'excita-
tion du bout central du pneumogastrique, lorsque cette excitation a provoqué des mou-
vements respiratoires désordonnés, exagérant la ventilation pulmonaire. Il a observé
également des pauses apnéiques après ouverture de la trachée chez des chiens jeunes
et vigoureux. L'ouverture de la trachée provoque une exagération de la ventilation pul-
monaire.
A la question de l'apnée se rattache celle de l'étude des causes du premier mouve-
ment respiratoire. Rosenth.\l admet que le fœtus, encore contenu dans l'utérus ma-
ternel est à l'état d'apnée, parce que la circulation placentaire charge son sang d'oxy-
gène et prévient toute accumulation de C0-. D'ailleurs, chez le fœtus, la consommation
de l'oxygène est réduite à un minimum. Entièrement plongé dans un bain tiède, il n'a
pas à intervenir dans le chauiïage de son organisme; ses glandes digestives, ses mus-
cles, son système nerveux sont dans un repos presque absolu : comme le fait remarquer
Pfluger, le cœur est chez lui le seul organe qui montre quelque activité. Aussi chez le
fœtus, la transformation du sang artériel en sang veineux est-elle à peine marquée, et le
sang des artères ombilicales y est presque aussi rouge que celui de la veine qui revient
du placenta (Zweifel, N. Zuntz).
Dès que l'enfant est né, les conditions de l'hématose changent brusquement. D'une
part, la circulation maternelle du placenta s'arrête plus ou moins : ce réservoir d'oxy-
gène n'est plus accessible au sang de l'enfant; d'un autre côté, l'impression subite du
froid extérieur sur la peau provoque une série de mouvements musculaires. La con-
sommation de l'oxygène éprouve donc brusquement une augmentation colossale, et le
renouvellement de l'oxygène n'a plus lieu. Ces conditions nouvelles suffisent sans
doute à expliquer la cessation de Vajmée intra-utérine, au moment de la naissance
(ScHWARTz. Die vorzeitigen Athembeivegungen. Leipzig, 1838). On possède un grand
nombre d'observations authentiques de fœtus encore contenus dans leurs membranes,
suffisamment protégés contre le froid et chez lesquels l'interruption de la circulation
placentaire a suffi pour provoquer des mouvements respiratoires. Les expériences
récentes d'ENCsiRoM {Skand. Arch. f. Physiologie, t. ii, 1891, p. 158) ont démontré le fait
pour les fœtus de cobayes et de lapins.
Il ne faut cependant pas méconnaître la part qui peut revenir à l'excitation de la
peau dans la production du premier mouvement respiratoire. L'impression du froid
extérieur sur les nerfs sensibles de la peau de l'enfant agit sans doute d'une façon
réflexe sur le centre respiratoire et augmente son excitabilité. Preyer (Zeifs. f. Ge-
burlshidfe, t. vu, 1880, p. 241 et Ueber die Ursache der ersten Athembeivegungen. Sitzungsber-
d. Jenaischen Ges. f. Med. u. Naturw., 1880. Spec. Physiologie des Embryo. Leipzig, 188S)
a vu qu'on peut provoquer des mouvements respiratoires réflexes sur des fœtus de
cobayes encore enveloppés de leurs membranes, en excitant les nerfs de la peau par
APOCODEINE — APOMORPHINE. 637
une incision ou par une injection de substance irritante dans le liquide amniotique.
Pflûger admet que le déplissement du poumon et l'entrée de l'air qui accompagne
le premier mouvement respiratoire place les centres respiratoires dans des conditions
nouvelles d'excitabilité. Tant que le fœtus contenu dans ses membranes n'a pas respiré
et n'a pas dilaté ses poumons, les excitations les plus fortes, tant réflexes qu'automa-
tiques, des centres respiratoires ne provoquent que des mouvements respiratoires isolés
ou peu nombreux. Mais dès qu'on permet à l'air l'entrée des poumons, la respiration
aérienne une fois établie ne s'arrête plus.
Bibliographie. — Consulter, pour la bibliographie, les mémoires cités dans le
texte, surtout ceux de F. Miescher-Rusch, Marckwald, Rosenthal, Filehne, Gad, puis
RosENTHAL. Uebev Athembewegungeyi {Bioi. Centralbl., l. i, pp. 88, llo, 185, 211, et Jf. H.,
t. iv). — Grûtzner {Deuts. med. Wochens., n°^ 46 et 47, 1886) ; et pour la bibliographie de
la cause du premier mouvement respiratoire : Engstrôm (Skand. Arch., t. ii, 1891, p. 138).
LÉON FREDERICQ.
APOCODEINE. — Produit de déshydratation de la codéine. Matiessen et
BuRNSiDE l'ont obtenue en chauffant à 170» ou 180° la codéine avec du chlorure de zinc
{Ann. Chem. Pharm., t. CLvirr, p. 131). La formule de chlorhydrate est CH^NO^HCl;
elle diffère de l'apomorphine C"H".NO^ par la substitution de CH-^ à H; c'est donc de la
méthylapomorphine, comme la codéine est de la méthylmorphine.
L'apocodéine a été étudie'e principalement par L. Guin'ard [Contribiit. à l'étude physiol,
de l'apocodéine, Th. de doct. de Lyon, 1893, 63 p. et B. B., 27 mai, 3 et 17 juin, 8 juil-
let 1893) dans le laboratoire d'ARLOiNG. — V. aussi Fhôhner {Unters. uber dus Codein und
Apocodein als Ersatzmittel des Morphiums und Apomorphins nebst einigen Beitràgen zur
Toxikol. des Morphiums. Monatsh. f. pract. Chem., t, iv, n° 6, 1893).
GuiNARD a constaté, ainsi que Frôhner, que l'apocodéine n'a pas les propriétés vomi-
tives de l'apomorphine. En injection intra-veineuse, à la dose de Ok'',01o par kilogramme,
elle détermine une agitation violente, et presque des convulsions : en augmentant la
dose à 05'',02 les convulsions deviennent très intenses. En injection sous-cutanée, c'est
un état de somnolence qui survient à la dose de Oe'',02o par kilogramme. Le cœur et la
respiration se ralentissent; la température baisse de 2°; les échanges diminuent, il y a
hypersécrétion de la salive (Guinard a constaté cet effet sur lui-même). Les chats sont
sensibles surtout aux effets convulsivants, plus qu'aux effets déprimants.
En somme, l'apocodéine est un poison du système nerveux (probablement avec pré-
dominance pour l'appareil cérébral), déprimant ou convulsif suivant la dose. Elle a quel-
que analogie avec la morphine qui, à dose très forte, est vraiment convulsivante.
CH. R.
APOMORPH INE. — L'apomorphine est un alcaloïde dérivé de la mor-
phine dont il ne diffère que par H-0 en moins. La formule atomique de la morphine
étant C'H'^AzO', celle de l'apomorphine est C'"H'' AzO-. C'est Arppe qui le premier
l'obtint en 184o, en faisant agir de l'acide sulfurique sur la morphine. En 1848 Gerhardt
et Laurent préparèrent la même substance qu'ils appelèrent sulphomorphine; peu après
Anderson prépara de l'apomorphine en faisant agir l'acide sulfurique sur la codéine.
Il faut arriver aux travaux de Mathiessen et Wright (1870) pour avoir une étude com-
plète de la constitution, de la préparation et des propriétés de cette substance qu'ils
appellent apomorphine. Puis les travaux se multiplient, il faut citer parmi les princi-
paux auteurs qui se sont occupés de cette substance Sieberi, Mayer, d'Espine, Bourgeois,
RoDTY, GuBLER, Max Quehl, Carville, E. Hartnack, Verger, Vulpian, Jurasz, Chodppe,
Dojardin-Beaumetz, etc.
Propriétés physiques et chimiques. — L'apomoi'phine pure se présente sous la
forme d'un corps brun noirâtre, assez soluble dans l'eau et surtout dans l'eau légèrement
acidulée ; sa solution, d'abord légèrement brune, devient rapidement d'un beau vert éme-
raude par l'exposition à l'air. On emploie rarement l'apomorphine pure, son chlor-
hydrate est le sel dont on fait généralement usage. Le chlorhydrate d'apomorphine se
présente sous la forme d'une poudre d'un gris légèrement brunâtre mêlée de petites
écailles à éclat chatoyant. 11 est très peu soluble dans l'eau froide, mais il se dissout
638 APOMORPHINE,
dans l'eau bouillante, l'alcool, le chloroforme, l'éther. Il ne renferme pas d'eau de cris-
tallisation. Laissé à l'air, il se colore eu vert par suite d'une oxydation, avec augmenta-
tion de poids. La solution de chlorhydrate d'apomorphine, d'abord jaune sale, comme
la solution d'apomorphine, ne tarde pas en présence de l'air à prendre la teinte vert
émeraude. Cette substance peut néanmoins se conserver au sec et en vase clos. Sa réac-
tion est neutre, son odeur nulle et sa saveur franchement amère.
Les sels d'apomorphine en solution au centième donnent les réactions suivantes :
Avec le carbonate de soude, un abondant précipité d'un blanc éclatant devenant rapi-
dement vert au contact de l'air.
Avec la potasse et l'ammoniaque on obtient un précipité blanc, devenant rapidement
noir, soluble dans un excès de réactif;
Avec l'eau de chaux, un précipité blanc noircissant lentement;
Avec l'acide nitrique concentré, une coloration rouge sang, palissant à la chaleur;
Avec le chlorure ferrique, une coloration d'améthyste sombre;
Avec le bichromate de potasse, un précipité jaune, facilement décomposable ;
Avec le nitrate d'argent, une réduction très rapide;
Avec l'iodure de potassium, un précipité blanc amorphe;
Avec le bichlorure de potassium, un précipité jaune;
Avec le chlorure d'or, un précipité d'un beau rouge pourpre, qui se dissout dans un
grand excès d'eau et se colore à l'ébullition en rouge brun foncé.
Cette dernière réaction serait caractéristique des sels d'apomorphine.
On a remarqué que c'étaient surtout les vieilles solutions de chlorhydrate de mor-
phine qui provoquaient le vomissement, quand on en faisait des injections sous-cutanées,
et on a pensé que l'action vomitive était, dans ce cas, peut-être due à la formation
d'apomorphine. Mais cette hypothèse n'est pas très fondée, puisque d'une part, la mor-
phine à l'état de pureté absolue produit encore le vomissement, et que d'autre part,
dans les solutions anciennes, la quantité d'apomorphine formée est vraiment insignifiante.
Propriétés physiologiques. — Pour étudier l'action physiologique du chlorhydrate
d'apomorphine, quelle est la meilleure voie d'administration? C'est sans contredit l'in-
jection hypodermique qu'il faut choisir. Outre que la rapidité d'action par cette voie
est beaucoup plus rapide que par la voie stomacale, dans la proportion de 3 à 1, l'in-
jection permet toujours de doser exactement le médicament, et de connaître la dose
physiologique par kilo de poids de l'animal.
Les recherches expérimentales montrent, de la façon la plus évidente, que l'apomor-
phine est un vomitif énergique et simplement un vomitif, puisque les autres fonctions ne
semblent pas altérées. En effet, peu après l'injection, à peine quelques minutes, le vomis-
sement se produit sans que l'animal paraisse tourmenté par des nausées (Bourgeois) ; pen-
dant la période de vomissements, l'animal est fatigué et dans la résolution, puis une
demi-heure après, une heure au maximum, si la dose n'a pas été trop forte, il reprend
son allure antérieure et se met même à manger. C'est ce qui se produit lorsque l'on fait
une injection hypodermique de 1 centigramme de chlorhydrate d'apomorphine à un
chien de taille moyenne.
L'action émétique est très nette et très rapide, généralement en rapport avec la dose
administrée; c'est le contraire pour l'émétine (d'Ornellas). Les vomissements se produi-
sent au nombre de deux ou trois, suivant la dose et la susceptibilité du sujet, puis, au
bout de trois quarts d'heure à une heure, l'effet est Uni.
En injection intra-veineuse, les vomissements se produisent très vite, durent moins
longtemps et sont moins nombreux (Chouppe). C'est ainsi qu'en injectant dans les veines
d'un chien moyen 5 centigrammes de chlorhydrate d'apomorphine, le vomissement se
produit vingt à trente secondes après l'injection, et quelquefois même avant la fin de
l'injection.
Cette rapidité d'action explique parfaitement pourquoi la période nauséeuse a passé
inaperçue à certains expérimentateurs, puisqu'il suffit de quelques miUigrammes pour
amener très rapidement les vomissements.
Contrairement à Bourgeois, Vulpian a toujours constaté la période nauséuse précédant
l'effet vomitif; seulement, à cause de la rapidité du vomissement, cette période est
extrêmement courte. On constate très bien les nausées, la tendance syncopale, chez cer-
APOMORPHINE. 639
tains malades (Vulpian, Routy); état syncopal qui peut être parfois assez sérieux. Cette
divergence peut tenir soit aux dispositions individuelles, soit à la dose administrée.
Les injections hypodermiques ne sont pas douloureuses si l'on a la précaution
d'employer des solutions qui ne soient pas acides et de les pratiquer dans une région
peu riche en filets nerveux et où le tissu cellulaire soit assez abondant.
Circulation. — Des variations légères et irrégulières se manifestent dans le pouls
sous l'influence de l'apomorphine. Dès le début des nausées on constate de l'accélé-
ration, puis, du ralentissement, quoique le nombre des pulsations reste au-dessus de
la moyenne. Avant chaque vomissement, il y a de l'accélération, puis ensuite du ralen-
tissement et ainsi de suite à chaque vomissement, avec petitesse du pouls. C'est du
reste ce qui se produit avec presque tous les émétiques.
On ne constate pas de modification du côté de la pression sanguine (Siebert) ni du
côté de la température.
Respiration. — La fréquence du pouls est accompagnée d'une aocéle'ration de la
respiration qui devient en même temps irrégulière. Ces phénomènes respiratoires coïn-
cident au début des vomissements, ils font place ensuite à un ralentissement qui dure
assez longtemps; le rythme respiratoire étant plus lent qu'à l'état normal. On constate
pourtant certaines différences suivant les animaux sur lesquels porte l'expérience.
Chez le chien, par exemple, la respiration est généralement accélérée. Avec de fortes
doses, chez le lapin, on peut l'arrêter. Avec 10 milligrammes, on l'arrête toujours chez
la grenouille.
Appareil digestif. — L'apomorphine ne paraît pas avoir d'action sur le tube
digestif, quoique Bordier ait avancé que l'effet de cette substance était dii à son action
sur la muqueuse gastrique, son élimination se faisant par cette voie. On peut opposer
à cette interprétation la section des vagues, qui n'empêche pas le vomissement; la
rapidité étonnante des vomissements après l'injection hypodermique et surtout après
l'injection intra-veineuse. A l'appui de son opinion, Bordier a bien prétendu que l'opium
diminuant les sécrétions, une injection préalable de morphine empêchait les vomis-
sements, mais Chouppe a démontré que, malgré une injection d'atropine, dont l'effet
est encore plus énergique que celui de la morphine, l'action de l'apomorphine était la
•même.
Ce n'est donc pas par son action locale sur les éléments nerveux de la muqueuse
gastrique qu'agit cette substance.
D'après Coy.ne et Budin, on constaterait quelquefois une action irritative sur la
muqueuse intestinale, mais ce fait n'est pas confirmé pas les nombreux auteurs qui ont
fait des recherches sur l'apomorphine.
Système nerveux. — C'est sans contredit le système nerveux qui est le plus
impressionné par l'apomorphine, et l'action semble concentrée sur le bulbe qui renferme
le centre vomitif, car la masse cérébrale ne paraît pas atteinte. On constate bien, en
effet, quelquefois un peu de sommeil invincible, dû à l'impureté de la substance ou à
la reconstitution de la morphine (comme l'ont prétendu certains auteurs, mais ce sont
là des effets qui ne sont pas constants, ainsi que les phénomènes de manège signalés
par Hartnack, Siebert, etc.
Max Quehl, qui a fait de nombreuses expériences, n'a constaté aucune modification
ni des nerfs moteurs, ni des nerfs sensitifs ; il n'a trouvé non plus aucune modification
du côté des vaso-moteurs. Pourtant Hartnack, avec des doses assez fortes, a obtenu des
paralysies, ce qui semblerait indiquer une action centrale. Bergmeister et Ludwig lui
ont trouvé une action anesthésique sur la conjonctive, analogue à celle de la cocaïne, et
Stocquart l'a employée pour calmer les douleurs des muqueuses, dans les stomatites, les
glossites, etc.
La véritable action de l'apomorphine se manifeste sur le centre vomitif bulbaire,
il n'y a aucun effet sur les terminaisons périphériques du pneumogastrique, puisque la
double section des vagues, contrairement à ce qu'a avancé M. Quehl, n'empêche pas le
vomissement pour lequel la dose minimum à sa production est la même, que les nerfs
soient ou ne soient pas coupés. Mais on peut se demander si ce centre ne serait pas
paralysé par de fortes doses, car elles produisent des vomissements très rapides, mais
infiniment moins nombreux, moins prolongés, "moins abondants que les doses moyennes.
6i0 APOMORPHINE.
Hartnack ayant obtenu des paralysies complètes chez le chien et le chat, compare l'ac-
tion de l'apomorphine à celle de la morphine. Dans le premier stade on trouverait l'ex-
citation des centres nerveux due à la morphine et les vomissements qui se manifestent
alors, puis, plus tard, l'action paralysante.
On ne peut admettre cette interprétation, la différence est trop manifeste entre les
résnltats expérimentaux qne l'on obtient d'un côté avec l'apomorphine, de l'autre avec
la morphine, ne serait-ce que le vomissement instantané qui est provoqué par l'injection
intra-veineuse d'une faible dose d'apomorphine. On peut encore trouver une différence
capitale dans ce fait, démontré par Siebert, que l'organisme ne s'iiabitue pas à l'apo-
morphine : or on sait avec quelle facihté s'établit l'accoutumance pour la mor-
phine. Siebert a, pendant lo jours, administré tous les jours une injection hypoder-
mique de 1 milligramme au même chien, le vomissement se produisait invariablement
trois minutes après l'injection. Injectant alors une dose de 1 décigramme, l'animal
vomit pendant quarante-cinq minutes, puis revint à son état normal. L'expérience, ayant
été reprise, donnée les mêmes résultats.
Action sur rhorame. — Dans ce qui précède, nous avons surtout décrit les phéno-
mènes que l'on constate sur les animaux, mais, l'apomorphine pouvant sans danger
s'administrer à l'homme, il est facile d'analyser son action sur l'espèce humaine. Voici,
d'après Chouppe, les effets observés. Pendant les deux ou trois premières minutes qui
suivent l'injection, le malade n'éprouve absolument rien, il est calme, tranquille, sans
ressentir le moindre malaise. Bientôt une sensation de pesanteur à la région épigas-
trique est suivie d'une légère douleur de tête, puis la salivation devient abondante, le
corps se couvre de sueur; un ou deux efforts de vomissement secouent le thorax, sans
que rien soit rendu; au troisième effort, plus rarement au quatrième, le malade
vomit. Il rejette alors des liquides en abondance, vomit trois ou quatre fois de suite,
puis survient une période de calme ; les vomissements s'arrêtent pour cinq à six minutes,
pendant lesquelles parfois le malade sommeille. Il est bientôt éveillé par la nausée, et
toute la scène recommence; le même phénomène se reproduit à cinq ou six reprises
différentes. Enfin, au bout d'une demi-heure environ, le malaise se dissipe d'une ma-
nière définitive et le malade s'endort. Ce sommeil très calme dure en général d'une
demi-heure à une heure, temps au bout duquel le malade s'éveille, ne conservant
aucune fatigue.
Toxicité. — L'apomorphine, aux faibles doses de 0,01, ou 0,02, n'est pas toxique;
c'est du moins ce qu'ont constaté les expérimentateurs sur les chiens et les lapins
(Bourgeois et Vulpian) ; sur les cobayes (Carville) ; sur les chats, les pigeons et les gre-
nouilles (Hartnack, D.avid). On ne constate même rien chez les animaux, tels que les
lapins et les cobayes, qui ne peuvent pas vomir. Chez ceux qui vomissent, comme les
chiens et les chats, après le vomissement, on observe de la fatigue, quelquefois du som-
meil plus ou moins prolongé, mais toujours, quelques heures après, ils reviennent à
leur état antérieur. Pourtant cette innocuité n'est que relative, attendu que, si l'on
administre de très fortes doses, 20 à 40 centigrammes par exemple pour le chien, on
voit survenir de l'agitation, des mouvements de rotation, et la mort s'ensuit (David,
Kœhleb, Moeller, Quehl).
Si l'on injecte dans le péritoine d'une grenouille de taille moyenne 0,03 d'apomor-
phine, la mort survient au bout de quelques heures; ou bien il se produit un état de mort
apparente, sauf persistance des mouvements du cœur; et le retour à la motilité et à la
sensibilité n'a lieu que longtemps après. Une dose de 0,009, injectée de la même façon,
produira seulement des mouvements vifs et fréquents de déglutition, généralement
dans la première heure qui suit l'injection.
Comme, avec des doses faibles ou modérées, il y a eu des cas de collapsus observés
chez certains malades, même à faible dose, il est probable qu'il s'agit là de ces idiosyn-
crasies qui se manifestent si fréquemment quand il s'agit de la sj^ncope cardiaque.
Toxicologie. — Malgré ce que nous venons de dire, si l'on soupçonnait un empoi-
sonnement par cette substance, on la rechercherait par la méthode de Stas; puis l'on
rechercherait ses principales réactions, mais, ce qui est encore préférable, on procé-
derait à des expériences de physiologie qui constituent le réactif le plus sensible pour
bien. faire reconnaître la nature de la substance.
APOMORPHINE. G4I
Usages. — De son action physiologique il est facile de déduire les cas dans les-
quels on devra employer l'apomorphine. Toutes les fois qu'il faut provoquer les efforts
de vomissement et que l'on ne craint pas une excitation du bulbe, on pourra l'admi-
nistrer.
Son mode d'emploi facile, rapide et sur, par injections hypodermiques, fait qu'elle
rend de grands services lorsque l'on ne peut rien faire absorlser par l'estomac, l'œso-
phage étant obstrué par des corps e'trangers que les efforts de vomissement font géné-
ralement expulser (Théod. Verger). Elle donne aussi d'excellents résultats dans les
empoisonnements et dans la médecine des enfants et des aliénés à cause de son mode
d'administration.
L'apomorphine présente sur les autres vomitifs : ipéca, tartre stibié, l'avantage de
n'être jamais tolérée. Aussi est-elle très- utile quand il faut faire vomir fréquemment,
comme dans certains cas d'intoxication palustre. Un de ses avantages étant aussi de ne
produire presque pas ou pas de troubles des fonctions digestives en dehors de l'acte
du vomissement, elle peut rendre service dans les cas où la diarrhée serait nuisible,
chez les tuberculeux par exemple, et pour les affections gastriques dans lesquelles on
ne doit pas porter dans l'estomac des substances irritantes.
Elle a été employée avantageusement dans les affections des poumons et des bron-
ches, bronchite chronique, œdème pulmonaire, asthme, emphysème, coqueluche, même
chez les malades réfractaires aux autres vomitifs. Mais où son emploi est excellent,
c'est lorsqu'il faut faire vomir proraptement, dans l'asphyxie croupale, par exemple.
D'après JuRAsz, c'est un bon expectorant à doses réfractées et petites, dans les phleg-
masies des bronches; l'expectoration devient plus facile et plus abondante, les râles
secs deviennent humides, les mucosités sont rendues plus fluides. Néanmoins, Flies-
BURG, qui Fa employée dans des bronchites capillaires et des croups, la considère comme
' infidèle et dangereuse, pouvant produire du collapsus.
C'est dans les affections des voies respiratoires que son emploi est le mieux justifié ;
pourtant on a employé l'apomorphine dans bien d'autres cas. A^allender emploie une
solution au centième dont il injecte sous la peau tO à 13 gouttes à la fois comme pré-
servatif des attaques d'épilepsie. Le résultat serait d'autant meilleur que l'intervalle qui
existe entre l'aura et l'attaque serait plus grand, attendu que l'injection, étant faite au
moment de l'aura, aurait plus de temps pour agir.
Dans l'apoplexie cérébrale, G. Paul a conseillé d'utiliser l'état nauséeux pour ralentir
le pouls; toutefois il est bon de faire remarquer que, lorsque le phénomène nausée
doit jouer un certain rôle, ce n'est pas à l'apomorphine qu'il faut s'adresser, puisque
nous avons vu que cette période était si courte qu'elle a été niée par quelques expéri-
mentateurs.
Elle n'aurait point d'action sur l'écoulement delabile : aussi C. Paul conseille-t-il de
ne pas l'employer comme vomitif lorsque l'on veut favoriser cette sécrétion. L'apomor-
phine jouirait aussi de propriétés anesthésiques analogues à celles de la cocaïne (Beh-
GMEisTER et Ludwig). Eli instiUant 6, 8 et même 18 gouttes d'une solution à 2 p. ,100 de
chlorhydrate d'apomorphine cristallisée dans le sac conjonctival de l'homme et des ani-
maux, les auteurs piécités auraient constaté l'insensibilité de la cornée dix minutes
après. La durée de cette anesthésie serait proportionnée à la dose, mais elle serait
précédée de douleurs vives, d'injection passagère de la conjonctive et des paupières,
et, quand l'anesthésie se produit, on constaterait de la mydriase et des nausées. Il y
aurait aussi une diminution de là sécrétion de la conjonctive de la paupière inférieure,
allant jusqu'à la sécheresse. Stocquart aurait aussi utilisé cette action anesthésiante
pour calmer les douleurs des muqueuses des voies respiratoires.
L'emploi de l'apomorphine et de ses sels doit être surveillé minutieusement, car on
a observé des accidents à la suite de son administration. On rencontre quelquefois
des individus, ayant une susceptibilité extrême pour cette substance, pris immédiate-
ment de coliques, de nausées, de diarrhée, ou de collapsus, et môme de troubles du
coté du cœur. Ces accidents peuvent provenir de la faible dose administrée; mais,
comme la question des doses est loin d'être tranchée en clinique, relativement à l'apo-
morphine, le plus sage est d'aller avec prudence : c'est du reste ce que conseillent
tous ceux qui en ont fait usage. Aussi son emploi est-il devenu fort restreint.
MOT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME. I. tt
642 APOMORPHINE.
Incompatibilités. — On s'est demandé si certaines substances étaient incompa-
tibles avec l'apomorphine. On peut dire que jusqu'ici on ne connaît point de substances
qui, administrées simultanément avec l'apomorphine, deviennent toxiques.
La belladone conserve ses propriétés sans empêcher l'action de l'apomorphine. En
administrant du sulfate d'atropine à un animal, on tarit la sécrétion salivaire. Si, à ce
moment, on donne de l'apomorphine, il y a vomissement, mais sans salivation pendant
la nausée.
Les agents anesthésiques s'opposent aux efïets de l'apomorphine. Un chien profon-
dément chloralisé n'éprouve plus les effets de l'apomorphine (Vulpian), du moins jus-
qu'à son réveil. Le chloroforme donne le même résultat (Hartnack). S'il est administré à
doses résolutives, l'effet de l'apomorphine est retardé jusqu'au réveil (David). Une injec-
tion préalable de 3 centigrammes de chlorhydrate de morphine chez un chien empêche
l'action de l'apomorphine de se produire (Bohdier). On ne peut attribuer ce fait à
l'assèchement des glandes de l'estomac, comme le pense cet auteur, puisque l'atropine,
qui tarit les sécrétions d'une façon plus manifeste que la morphine, n'empêche pas le
vomissement. Aussi de ce fait doit-on tirer la conclusion que ce n'est pas l'apomorphine
qu'il faudrait choisir comme vomitif pour vider l'estomac dans un empoisonnement
par la morphine.
Quoiqu'elle soit un vomitif rapide et sûr, elle peut encore ne pas faire vomir, admi-
nistrée à des malades à la dernière extrémité chez lesquels l'absorption et la vitalité
des centres nerveux sont fortement diminuées.
Mode d'emploi. Doses. — De tous les sels d'apomorphine, c'est le chlorhydrate
que l'on emploie de préférence. On l'administre par la bouche, mais surtout en injec-
tions hypodermiques, son action par cette voie étant plus active dans la proportion
de 3 à 1. Un point important est de n'employer que des solutions récentes pour être
sûr de la dose du médicament administrée, les solutions s'altérant très rapidement au
contact de l'air. On se sert d'une solution à 1 p. 100 dans de l'eau stérilisée. Bourgeois,
qui n'a jamais observé de résultat chez l'homme avec une dose inférieure à 6 milli-
grammes, fixe les doses à 1 centigramme pour l'homme adulte par la voie hypoder-
mique; 8 milligrammes pour la femme, 6 milligrammes pour les enfants.
Par la voie stomacale, la dose doit être triplée. Lorsque l'apomorphine est admi-
nistrée en potion, contre les phlegmasies des bronches (Jurasz), la dose doit être de
1 à 3 milligrammes toutes les deux heures. Il y a quelquefois des nausées à la première
dose, mais cet effet disparaît ensuite.
On doit ne pas oublier qu'une solution renfermant plus de 1 p. 100 de substance est
trouble et qu'il faut ajouter une ou deux gouttes d'acide chlorhydrique ordinaire pour
l'éclaircir. Mais alors on a un liquide acide toujours plus désagréable en injections
hypodermiques. Il faut, pourlce mode d'administration, tâcher d'obtenir toujours des
solutions neutres.
Les solutions d'apomorphine additionnées de glycose se conserveraient parfaitement,
ainsi que les solutions dans la glycérine. Mais, comme il est facile de conserver dans des
tubes scellés de faibles quantités de cette substance, il est préférable de faire la dissolu-
tion au moment de l'injection.
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APOMORPHINE. 643
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cine, 1877).
CH. LIVON.
644 APPERCEPTION — ARACHNIDES.
APPERCEPTION. — Voyez Aperceptioti.
APRAXIE. — Ce terme sert à désigner une variété très importante de l'Asym-
bolie (ou trouble de l'utilisation des signes pour comprendre ou pour exprimer les sen-
timents et les idées).
L'apraxie est caractérisée par la perte de la faculté de l'appréciation des formes des
sujets. Ceux-ci sont vus, et reconnus quant à leur couleur; mais le malade, bien qu'ayant
conservé une vision et une intelligence intactes, est devenu incapable de saisir leurs
formes. Nous avons émis pour notre part l'hypothèse qu'il s'agissait dans ces cas d'un
trouble localisé au centre des images du sens musculaire se rappoitant aux mouvements
des veux, et concourant à la fonction visuelle, dont le centre lui-même reste alors in-
demne. Ce désordre serait ainsi comparable à ceux que l'on peut observer dans diverses
formes d'aphasie (Voir Aphasie). ^^^^ ^^^^^
ARABINOSE. — Sucre pentatomique extrait de la gomme du cerisier
(C''H'-0"). Il réduit la liqueur de Fehling, surtout à chaud. Scheibler, qui découvrit ce
corps, avançait que l'arabinose n'est, pas directement fermeiitescible en présence de la
levure de bière, mais il est prouvé par les travaux de A. Muntz (1885) qu'elle présente
tous les caractères des glucoses. Avec le chloral anhydre elle donne un chloralose cris-
tallisable(V. Chloralose).
ARACHNIDES- — Caractères zoologiques. — Chez l'individu développé,
point d'appendices comparables aux antennes des Myriopodes ou des Insectes. Tous les
serments céphaliques et plusieurs des segments suivants entièrement fusionnés en un
céphalothorax servant seul à l'insertion des membres au nombre de six paires. Les appen-
dices de première paire terminés par une griffe ou par une pince didactyle sont les
chélicères ; ceas- de seconde paire jouent dans beaucoup de cas le rôle de mâchoires
parleur base et portent, en outre, du côté externe, un long prolongement multiarticulé,
le pédipalpe ou plus simplement ie ■pallie, parfois aussi transformé en pince. Les
appendices des quatre paires postérieures sont des pattes locomotrices. L'abdomen
segmenté ou indivis, ou même soudé au céphalothorax, n'offre pas de membres. La
respiration s'effectue, soit par des organes à structure lamelleuse [iKumona), soit par ces
organes et des trachées tubuleuses, soit enfln par des trachées seules.
Subdivision de la classe des Arachnides.
Sous-classe I. — Arihrogastres (abdomen segmenté).
Ordre I Scorpionides Exemples : Euscorpius, AndrocLonus, Biithits;
Ordre II. So^i/ujes (ou Solpugides) — Galeodes;
Ordre III. Pédipalpes — Phrynus, Thelyphomis ;
Ordi-e IV. Chernétides (ou Pseudoscorpions) . . — Chelifev, Obisium;
Ordre V. Phalangides — Phalangium, Liobunum;
Ordre VI. Cyphophthalmide^ — Cyphophthalmus, Gibocellum.
Sous CLASSE II. — Hologaslres (abdomen non segmenté).
iTétrapneuraones. Ex. : Mygale, Cteniza, Atypus:
Dipneumones. Ex. : Segestria, Attus, Salticns, Lycosa, Taran-
tula, Tegenaria, Agelena. Argyroneta,
Latrodectus, Therklium. Epeira, Meta;
1 Ex. : Trombidium, Hydrachna, [xodes, Tyrogly-
Ordre II. Acariens . . . ." j p/mx. Sarcoptes, Demodex;
Ordre III. Lmguatulides Ex. : Peiitastomum;
Ordre IV. Tardigrades Ex.^ : Macrobiotus.
Annexe aux x\rachnides ?
Pyctiogo?iides [ou Pantopodes). Ex. : Nymphon. Pycnocjonum.
ARACHNIDES. 643
Téguments, mues. — Les téguments des Arachnides offrent la constitution com-
mune à tous les Anthropodes; on y trouve, de dehors en dedans, une zone superficielle
chitineuse, cuticulaire, formée de lamelles superposées, percée de canaux et donnant
lieu aux poils, aux piquants, etc.; puis une zone profonde, épithéliale, à structure cel-
lulaire plus ou moins nette, portant, suivant les auteurs, les noms de couche cMtino-
géne, d'hypoderme, de matrice, etc.
Gomme tous les Arthropodes, les Arachnides subissent, dans le cours de leur existence,
une série de mues, d'abord assez rapprochées les unes des autres et généralement
accompagnées de métamorphoses, ensuite espacées et en relation avec la croissance.
La mue consiste essentiellement dans le décollement des anciennes couches cuticu-
laires chitineuses et leur remplacement par des couches nouvelles. Ce phénomène n'in-
téresse donc pas seulement les téguments proprement dits : il y a en même temps renou-
vellement du revêtement chitineux de tous les organes internes ou externes tapissés
par une cuticule de cette nature (portion chitineuse des yeux, revêtement de la pre-
jnière et de la dernière partie du tube digestif, des canaux excréteurs des glandes
aboutissant à l'extérieur, des couches chitineuses des poumons ou des trachées, des ten-
dons, etc.).
Chez les Aranéides, où les faits ont été étudiés de très près, les choses se passeraient
comme suit : une mince couche de plasma granuleux, interposée entre les cellules cliiti-
nogènes et la zone cuticulaire, se modifie; ses granulations disparaissent; elle prend la
propriété de se colorer au contact des matières tinctoriales et passe à l'état de cuticule
nouvelle. Celle-ci, d'abord en contact immédiat avec la zone chitineuse ancienne, s'en
sépare graduellement; l'intervalle qui se forme ainsi se remplit d'un liquide dont la quan-
tité augmente au début avec l'agrandissement de la cavité, mais qui disparaît par résorp-
tion quelques heures avant le dépouillement, et est alors remplacé par de l'air. La
nouvelle cuticule s'accroît très rapidement, et, dans les régions où le revêtement ancien
n'est pas extensible, comme au céphalothorax, elle offre momentanément de nombreux
plis. Puis, à un moment donné, le vieux revêtement extérieur se rompt en certains points
déterminés, et l'animal en sort, en retirant ses divers appendices des étuis qui les
enveloppaient. 11 apparaît alors avec des téguments mous et plissés, et, comme la pro-
duction de couches chitineuses nouvelles a nécessité une dépense énorme, l'Araignée est
pendant quelques temps tellement affaiblie qu'on peut la toucher et la déplacer sans
qu'elle tente de fuir ou de se défendre (W. Wagner).
Régénération des organes perdus. — Les Arachnides sont fréquemment exposés,
soit dans les combats entre mâles, soit dans une lutte avec un autre ennemi, à perdre un
ou plusieurs appendices, palpes ou pattes (Voyez plus bas Autotomie) . — • Comme chez
les Crustacés, ces organes perdus repoussent facilement; mais, au moins pour les Arai-
gnées, ils n'atteignent finalement, chez l'adulte, la taille des autres, que si l'amputation
à été faite dans le jeune âge.
Lors de la rupture d'une patte, l'Araignée arrache presque toujours elle même ce qui
reste du membre, de façon à ne conserver que l'article basilaire. La plaie se ferme rapi-
dement par la production d'un bouchon chitineux; les muscles et les autres tissus du
moignon, excepté la couche chitinogène, subissent la dégénérescence graisseuse et dispa-
raissent, détruits par les éléments figurés du sang qui se comportent comme phagocytes.
La couche chitinogène restée en grande partie intacte et dont les extrémités libres
s'étaient réunies du côté du bouchon, se rétracte en se détachant de la zone cuticulaire,
elle forme ainsi une sorte de cupule, du centre de laquelle s'élève une petite papille.
Cette papille est le nouveau membre dans l'axe duquel apparaissent des fibres musculaires
et qui, forcé de s'allonger dans l'espace fort restreint compris, dans le moignon, entre
sa base et le bouchon chitineux, se tord graduellement en spirale. Ce membre spira-
loide acquiert une cuticule et se divise en articles (W. W.^gner).
La nouvelle patte ainsi formée, naturellement encore petite, perdra sa torsion quand
elle sera mise en liberté par une mue entraînant le moignon de l'ancien membre qui
l'emprisonnait et, ainsi que nous l'avons dit plus haut, elle n'atteindra approximati-
vement les dimensions des autres appendices que lorsque l'Arachnide aura subi plusieurs
mues ultérieures.
Mouvement. — Les muscles des Araignées se composent de fibres striées toutes
646 ARACHNIDES.
isolées les unes des autres par des gaines de sarcolemme montrant, de distance en
distance, des noyaux fort petits qui paraissent appartenir à ces gaines. Dans chaque
fibre existent de nombreux noyaux plus considérables disposés sur plusieurs rangées
longitudinales (Leydig, Abndt, Schimkewitsch).
Malgré cette conformation qui rappelle la fibre musculaire embryonnaire, les pro-
priétés physiologiques sont celles des muscles de la plupart des Articulés ; ainsi, chez la
Mygale « les différents stades de la contraction présentent le même aspect des stries
que chez l'Hydrophile. Les dimensions des stries paraissent exactement les mêmes... l'in-
version se produit également au moment où le segment musculaire offre une longueur
de 4|j.,5 environ » (L. Fredericq).
Les muscles des Arachnides s'insèrent par des tendons chitinisés sur les saillies
internes des pièces du squelette cutané. Ils fonctionnent probablement suivant les mêmes
lois que chez les Insectes.
La locomotion est terrestre, aquatique ou aérienne.
A. Locomotion terrestre. — Elle a été étudiée chez quelques Araignées (Caelet, H. Dixon,
Marey) et chez les Scorpions {Demoor, Marey). Dixon a employé la photographie ins-
tantanée, Makey la chronophotographie.
Nous résumons ce qui concerne la marche du Scorpion : dans cette locomotion octo-
pode, les pattes antérieures et postérieures, c'est-à-dire les numéros 1 et 4, sont les véri-
tables organes actifs de la marche ; les pattes moyennes 2 et 3 sont les membres d'ap-
pui. Les extrémités des membres d'appui forment toujours un triangle dont la base passe
alternativement à droite et à gauche de la ligne droite suivant laquelle l'animal se dé-
place. Ainsi, la base du triangle étant, par exemple, à droite, les extrémités de cette
base sont occupées par les bouts des pattes 2 et 3 droites, tandis qu'au sommet du
triangle, à gauche, se trouvent réunis les bouts des pattes 2 et 3 gauches. La forme
triangulaire de celte figure est analogue à la surface d'appui des Insectes. Pendant que
les pattes moyennes fonctionnent ainsi comme appuis, les pattes antérieure et posté-
rieure situées du côté du sommet du triangle sont fortement écartées et vont agir, au
moment du changement de position des pattes moyennes; la première en tirant, la der-
nière en poussant. A cet instant aussi, le corps tombe en basculant autour du côté
antérieur du triangle d'appui. Le mécanisme de la marche du Scorpion ressemble donc
à celui qu'on observe chez les Insectes; mais, chez le Scorpion, la bascule du corps est
obtenue par des pattes actives indépendantes du triangle de sustentation (Demoor).
B. Locomotion aquatique. — Un certain nombre d'Araignées [Dolomeda;, Lycosa) courent
facilement à la surface, de l'eau. Nous n'entendons pas parler de ce genre de locomotion,
eu somme à peu près identique à la locomotion terrestre, mais bien de la natation réelle,
sous la surface de l'eau, de V Arcjyroneta (Aranéide) et des Hydrachna (Acariens). Personne
ne parait l'avoir étudiée.
C. Locomotion aérienne. — On entend communément par vol des Araignées un moyen de
loconiolioQ fort curieux offert par beaucoup d'espèces. Ces animaux peuvent employer
deux procédés : dans le premier, l'Arachnide se suspend d'abord verticalement en émet-
tant, probablement à l'aide de filières différentes, deux fils distincts; l'un, tendu par le
poids du corps, est le fil de suspension proprement dit, l'autre, lâche, forme une boucle
dont les points d'attache sont: 1° les filières, 2° le fil de suspension à une petite dis-
tance au-dessus de l'animal. Le moindre souffle suffit alors pour faire flotter la boucle,
et, comme l'araignée l'allonge rapidement, celle-ci constitue bientôt un long appen-
dice qui s'accroche aisément, grâce à sa forme, au premier objet solide, feuille ou
rameau, placé sur le trajet du courant d'air. Dès que l'animal a constaté par de légères
tractions que la boucle est fixée, il tire sur la base à l'aide de ses pattes, la pelotonne,
la tend et la transforme en un pont dont l'usage se devine (F. Terby).
Le second procédé est surtout employé par des individus jeunes, peu de temps après
avoir quitté le cocon maternel. On l'a observé, par exemple, chez de jeunes Lycoses : Ja
petite Araignée, dressée sur ses pattes, élève son abdomen, pointe ses filières dans la
direction du vent, émet rapidement un véritable jet de soie d'une ténuité extrême et se
laisse entraîner dans l'espace par les courants aériens. Des Araignées, telles que le
Sarotes venatorius ont été disséminées ainsi par les vents alizés sur toute l'étendue de la
ceinture tropicale de la terre (Me Cook);
ARACHNIDES. 647
Comme le phénomène a attiré déjà l'attention des plus anciens arachnéologues, la
bibliographie de cette petite question spéciale est, fort étendue.
Émission de sons, de bruits. — Quelques Araignées, en très petit nombre, émettent
des sons par le frottement réciproque de certaines parties des téguments chitineux.
Westring a, le premier, signalé ce détail curieux que les mâles, mais les mâles seuls,
de plusieurs espèces de Theridium, tels que Th. hamatum, castancum, biptinctatum, etc.,
produisent un son très faible, analogue à celui que font entendre plusieurs Insectes
coléoptères longicornes. Le fait a été confirmé et réétudié depuis par Landois et Gra-
BER. A la base de l'abdomen, là où il s'insère sur la partie postérieure du céphalothorax,
existe, du côté dorsal, un repli semi-annulaire de la cuticule chitineuse, garni, comme
une scie, de petites dents saillantes. Les portions droite et gauche du céphalothorax,
immédiatement en contact avec cette surface rugueuse, sont un peu saillantes et mar-
quées de stries. Pour produire la friction, le Theridium élève et abaisse alternativement
l'abdomen.
Ajoutons que, malgré l'assertion de Westring, les femelles de certains Theridium,
tels que Th. guttatum, posséderaient un organe musical presque aussi développé que
celui du mâle (Maule Campbell).
Plus récemment, J. Wood Mason a décrit l'organe de stridulation d'une grande
Mygale de l'Inde, M. Stridulans d'Assam. Ici, le son beaucoup plus intense est émis par
les individus des deux sexes. Une sorte de peigne composé de dents en forme de
massues garnit la face interne de l'article basilaire du palpe et frotte contre une rangée
d'épines portées par la face externe correspondante de l'avant-dernier article de la
chélicère.
En 1880, Maule Campbell a observé chez le mâle et la femelle d'une Araignée
d'Europe, Linyphia tenebricola, des organes de stridulation constitués par des cordes
chitineuses saillantes placées sur la chélicère et contre lesquelles viennent gratter des
rugosités transversales du palpe. Cependant le bruit que cette espèce pourrait émettre
n'a pas encore été entendu. Enfin E. Simon vient de faire connaître chez le Sciarus thomi-'
soldes un organe stridulatoire représenté par une série de tubercules garnissant le palpe
et frottant sur une plaque ovale finement striée en travers porté par la face externe de
la chélicère.
Inutile de vouloir baser sur cette production de sons un argument en faveur de
l'audition chez les Arachnides. Ces animaux, très sensibles aux moindres ébranlements
de l'atmosphère ou de leur support, perçoivent probablement l'existence de vibrations,
mais n'entendent pas, dans le sens que nous attachons au mot entendre (Voyez plus bas :
Sens tactile et Audition).
Innervation. — Le système nerveux central de la plupart des Arachnides est un
système nerveux condensé, dans lequel, comme chez les [Crabes, parmi les Crustacés,
tous ou presque tous les ganglions de la chaîne ventrale sont rapprochés au point de
former, en apparence, une seule masse sous-œsophagienne. Les Scorpions font seuls
exception, par suite du grand développement de la portion abdominale de leur corps,
La masse sous-œsophagienne n'est constituée chez eux que par l'union des centres
nerveux thoraciques; elle est suivie d'une véritable chaîne dont les paires ganglion-
naires, très éloignées les unes des autres, sont au nombre de sept ou huit.
La structure du cerveau des Arachnides a été étudiée par Saint-Rémy et Viallanes.
Cette structure démontre que les Arachnides forment, avec les Limules, un type à part
dans l'embranchement des Arthropodes. En effet, tandis que, chez les Crustacés, les
Insectes et les Myriopodes, le cerveau se compose de trois segments répondant aux
trois premiers zoonites céphaliques, savoir :
i,., -i ,1 .1 1 I Innervant les yeux. Sièo-e des centres psychiques et
i" zoonite. Protocerebion. , i- ■ Ti r j ^
( des perceptions visuelles.
2e zoonite. Deutocerebron. l Innervant les antennes. Siège des perceptions olfac-
j tives.
3" zoonite. Tritocerebron. ( Innervant le labre et les parties initiales du tube
j digestif. Siège des perceptions gustatives.
chez les Arachnides, le tritocerebron manque totalement ; ces animaux ne possèdent
648 ARACHNIDES.
donc que le proto et le deutocerebron. Leur protocerebron innerve les yeux, le deulo-
cerebron innerve les cbélicères et le rostre (Viallanes).
Soit à cause de la grande condensation, soit à cause de la difficulté relative avec
laquelle on manie les Arachnides vivants, les recherches expérimentales sur le systèrne
nerveux de ces articulés sont à peine ébauchées. Emile Blanchard seul a fait quelques
expériences sur des Scorpions (Éuthiis europœus) : en voici le résumé :
Piqûre du cerveau. — L'animal manifeste un grand trouble et ne sait plus se diriger.
Piqûre de la masse sous-œsophagienne thoradque. — L'Arachnide ne montre qu'un peu
de gêne dans les mouvements des pattes; il se dirige comme s'il était intact et prend une
attitude menaçante lorsqu'on l'inquiète.
Section des nerfs se rendant aux grands yeux médians. — Les Scorpions se dirigent
comme auparavant; cependant, ils paraissent se rendre très difficilement compte de
la présence des objets; il devient impossible de les déterminer à saisir une proie.
Section de la chaîne nerveuse au-dessus du premier ganglion caudal. — L'animal con-
tinue à redresser la queue en marchant parce que les grands muscles releveurs du
post-abdomen sont innervés par la dernière paire ganglionnaire intacte de l'abdomen
proprement dit. Les ganglions de la queue, quoique isolés de la partie antérieure de
la chaîne, conservent leur action propre pendant quelque temps. Au bout d'une heure,
elle est déjà affaiblie et, après un jour, la queue, entièrement paralysée au-dessous de
la section, ne se redresse plus que tout d'une pièce.
Section de la partie caudale de la chaîne en divers points de sa longueur. — Si la chaîne
est divisée de façon que la partie placée en arrière de la section conserve encore plu-
sieurs centres, l'action de ces derniers persiste pendant plus ou moins longtemps, et
s'éteint d'autant plus vite que les ganglions placés en arrière de la section sont moins
nombreux.
Section cFun seul des deux connectifs longitudinaux en différents points. — Toute la
portion du corps située en arrière de la section s'incurve du côté intact.
Ces expériences prouvent que chez les Arachnides, comme chez les autres Arthro-
podes, tout ganglion de la chaîne ventrale est le centre moteur du zoonite auquel il
appartient.
Autotomie (mutilation active ou mutilation réflexe). — Beaucoup de Reptiles,
d'Insectes, de Crustacés, d'Échinodermes, etc., « échappent à l'ennemi qui les a saisis par
un membre ou par la queue, en provoquant activement, mais d'une façon inconsciente,
■par voie réflexe..., la rupture de l'extrémité captive » (Léo.\ Fredericq).
Divers Arachnides, Phalangium, Theridium, Epcira et des Pycnogonides [Nymphon)
nous offrent le même phénomène. L'animal peut être maintenu captif par une ou plu-
sieurs pattes sans qu'il les rompe, tant que les nerfs sensibles de ces appendices ne
sont pas irrités. Ainsi, malgré une assertion de P. Parize, l'Araignée, dont les pattes
sont prises dans de la glu, ne brise aucun de ses membres. Au contraire, l'Arthropode
étant soulevé par le milieu d'une patte tenue entre le pouce et l'index de l'expérimen-
tateur, rompt celle-ci à la base, dès qu'on sectionne l'extrémité de la patte avec des
ciseaux. De même que chez les Crustacés, le court moignon adhérant ne saigne pas
(Léon Fredeeicq).
L'identité des faits extérieurs observés permet de supposer que, comme chez les
Crustacés, la rupture de la patte de l'Arachnide résulte d'une contraction réllexe brus-
que du muscle extenseur qui meut la base de l'organe; contraction déterminée par
l'irritation du nerf mixte sensible du membre. Les centres nerveux qui président au
phénomène seraient, comme chez les Crustacés, les ganglions de la masse nerveuse
thoracique.
La rupture autotomique des pattes des Phalangides est accompagnée d'un phéno-
mène accessoire intéressant : on sait que, tandis que chez les Crabes et les Araignées,
la patte détachée devient immédiatement immobile en contraction, les parties amputées
de la patte du Faucheur présentent, au contraire, pendant quelques minutes des mou-
vements convulsifs. Ces mouvements, au moins chez le Phalangium opilio, ont lieu sous
l'influence d'un petit centre spécial automoteur représenté par un ganglion nerveux
situé sur le nerf de la patte à l'origine de ses ramifications (Gaubert).
Perceptions sensorielles. — A. Sens tactile. — Le toucher est, en général, extrê-
ARACHNIDES. 649
mement délicat chez les Arachnides. Ces animaux perçoivent immédiatement le plus
léger ébranlement de l'air, du sol qui les porte ou de la toile qu'ils habitent (Voir plus
bas : Audition). Les organes servant d'intermédiaires sont des jxiih Inclilcs répandus à
profusion, principalement sur les appendices (pattes et palpes), et garnissant un plus
grand nombre d'articles chez les Araignées vagabondes chasseuses que chez les espèces
sédentaires tissant des toiles.
Chacun de ces poils (chez les Araignées) est implanté dans une cupule saillante
formée par la cuticule chitineuse, et sous le fond de laquelle existe une sorte d'ampoule
également cuticulaire remplie par des éléments de la zone chitinogène. Une fibre ner-
veuse traverse l'ampoule et s'engage dans l'axe du poil dont les plus petits déplace-
ments impressionnent, par conséquent, le système nerveux. La tige du poil tactile peut
offrir des formes diverses, être cylindrique, en massue, etc. (W. Wagner).
Les fentes et les organes lyriformes dont il sera question ci-après (Sens thermique)
ne sont peut-être autre chose que des organes du toucher.
Chez les Scorpions, les peignes qui garnissent la face inférieure de l'abdomen en
arrière de la quatrième paire de pattes font, avec les pinces, fonction d'organes explo-
rateurs pendant la marche et jouent le rôle d'organes excitateurs lors de l'accouple-
ment (Ch. Brononfaet et Gaubert). Ils sont garnis de poils tactiles occupant l'extrémité
et le bord interne des dents. Enfin, la structure histologique des raquettes coxales
portées par les articles de la base des pattes de dernière paire chez les Galéodes permet
de supposer qu'il s'agit encore d'organes du toucher (Gaubert). En résumé, la sensibilité
tactile des Arachnides est telle qu'un bon nombre des faits cités à tort comme démon-
trant la vision, l'audition, etc., s'expliquent par la perception d'ébranlements mécaniques.
. B. Sens thermique. — Les Arachnides sont très sensibles aux différences de tempéra-
ture. Ainsi Boys, qui employait des diapasons dans ses expériences sur l'ouïe (voir plus
loin : Audition}, yit des Araignées fuir épouvantées quand on en approchait un diapason
chauffé, mais dont la température permettait cependant de le tenir à la main.
Bien que ses essais soient insuffisants, Gaubert place le sens thermique des Arach-
nides dans les fentes et les organes lyriformes. Ce sont des fentes verticales profondes
-intéressant presque toute l'épaisseur de la cuticule chitineuse, sauf la couche superfi-
cielle qui joue le rôle de membrane protectrice : une cellule neuro-épithéliale résul-
tant d'une modification locale de la couche chitinogène est logée dans chacune de ces
fentes. Ces productions peuvent se rencontrer isolées, par e.xernple à la face inférieure
du céphalothorax des Araignées; mais, le plus souvent, les fentes sont groupées l'une
près de l'autre, en nombre plus ou moins considérable, chaque petit groupe constituant
alors ce que l'on, a appelé un organe lyriforme. On trouve généralement les organes
lyriformes sur les appendices (pattes et palpes). Ils ont été observés chez les Aranâides,
les Phrynes, les Thelyphoncs, les Phalangides et les Chernétidcs. Ils manquent chez les
Galéodes, les Scorpions et les Acariens (Gaubert).
Gaubert s'appuie sur, les expériences suivantes : il enduit d'une légère couche de
vernis les organes lyriformes de plusieurs Lycoses ou Tégénaires, puis il met ces indi-
vidus en compagnie d'autres intacts, dans un grand bocal posé horizontalement et
renfermant, vers une de ses extrémités, des objets pouvant servir d'abri aux Araignées.
Il chauffe ensuite cette région du bocal en la plaçant dans l'eau chaude. Quand la tem-
pérature commence à s'élever, les Araignées n'ayant subi aucune préparation fuient
vers les parties plus froides. Celles qui ont les organes lyriformes vernis ne quittent
leur retraite que plus tard, lorsque la température est plus élevée (aucune indication
thermométrique). L'auteur fait remarquer que la couche de chitine, épaisse sur tout
le reste du corps, devient fort mince dans les organes lyriformes, les terminaisons
nerveuses y étant presque en contact avec l'extérieur.
C. Vision. — Un certain nombre d'Arachnides cavernicoles ou habitant des endroits
obscurs offrent une atrophie partielle des organes visuels. Chez d'autres également,
souterrains, les yeux manquen,t totalement; tels sont, par exemple, parmi les Aranéides,
les Stalita et les Haditcs de \à Dalmatie et de la Carniole; parmi les Pédipalpes, les
Nyctalops de Ceylan. Les Acariens parasites sont aussi généralement aveugles.
Chez les Arachnides pourvus d'yeux, ces organes appartiennent toujours au type
auquel on a donné les noms à'Oeelles et d'Yeux simples.
650 ARACHNIDES.
Les nombreuses expériences effectuées surtout par F. Plateau l'ont amené à for-
muler les conclusions suivantes :
Aranéides. — Les Aranéides, en général, perçoivent à distance les déplacements des
corps volumineux. Les Araignées chasseuses {Attes, Lycoses) sont probablement les
seules qui voient les mouvements de petits objets; elles perçoivent ces mouvements à
une distance qui oscille, suivant les espèces, entre 2 et 12 centimètres; la distance à
laquelle la proie est vue assez bien pour que la capture en soit tentée n'est que de 1 à
2 centimètres; même à cette faible distance la vision n'est pas nette, puisque les Arai-
gnées chasseuses commettent de nombreuses erreurs, capturant de grossiers simulacres
d'Insectes figurés par des fragments de plume, des boulettes de cire, etc.
Quand aux Araignées tendant des toiles, elles ont une vue détestable à toutes les
distances. Elles ne constatent la présence et la direction de la proie qu'aux vibrations
de leur filet et cherchent à prendre de petits objets tout autres que des Insectes, dès
que la présence de ces objets détermine dans le réseau des secousses analogues à
celles que produiraient les mouvements d'Arthropodes ailés.
Scorpionides. — Des observations de Ray Lankester sur l'Androctonus funcstus et
ÏEuscorjjius italicus, de F. Plateau sur le Buthus eiiropœus, de Pocock sur les Parahu-
ihiis capcnsis et Euscorpius carpathicus, il résulte que la vue des Scorpions est très mau-
vaise; que la distance de vision distincte ne dépasse pas 1 centimètre pour les yeux
médians du Buthus europœus, et 2 1/2 centimètres pour les yeux latéraux de la même
espèce; que ces animaux ne chassent pas, mais, ou bien qu'ils errent au hasard jusqu'à
ce qu'une proie soit à leur portée, ou bien qu'ils attendent dans leur retraite les Arti-
culés imprudents qui s'y glissent; que ce sont leurs pinces et non leurs yeux qui les
avertissent d'obstacles placés sur leur route ; enfin que, lorsqu'ils ont capturé un Insecte,
c'est surtout par le toucher qu'ils jugent de l'endroit où doit être enfoncé l'aiguillon.
Phalangides. — Les ctpériences et observations de F. Plateau conduisent à des
résultats analogues à ceux fournis par les Araignées tissant des toiles. La vue est fort
mauvaise, et il semble n'y avoir de vision distincte à aucune distance. Ces Arthropodes
compensent l'insuffisance du sens visuel en utilisant la sensibilité tactile exquise de
leurs membres, et surtout en employant comme organes explorateurs les longues pattes
de la seconde paire qui jouent à peu près le rôle des antennes des Myriopodes.
D. Perception des couleurs. — L'impossibilité pratique de donner à deux éclairages
de couleurs dilférentes la même intensité absolue rend illusoires toutes les expériences
faites pour constater si les animaux autres que les Vertébrés perçoivent les couleurs.
G. et E. Peckhasi, expérimentant sur des Araignées coureuses du genre Lycose placées
dans une longue boite éclairée par une série de vitres vertes, jaunes, rouges et bleues
rangées à la suite les unes des autres et interchaugeables, ont vu que les individus
étudiés allaient se placer de préférence dans la région rouge. Cela ne j^'ouvc pas "du
tout la distinction des coideui-s, étant donné qu'on sait, depuis les recherches de Graber,
que les animaux leucophiles soumis à des lumières colorées choisissent toujours celle
qui correspond aux rayons les plus réfrangibles; que ceux qui sont leucophobes
recherchent constamment les rayons de moindre réfrangibilitè, le rouge leur pro-
duisant l'effet de l'obscurité.
E. Audition. — Par suite de la déplorable tendance des zoologistes à accorder aux
Invertébrés toutes les propriétés des Vertébrés supérieurs et à attribuer gratuitement
des fonctions à des organes en se basant sur de simples analogies morphologiques,
on a admis chez les Arachnides l'existence de perceptions auditives et considéré succes-
sivement des organes très différents comme siège de ces perceptions.
Pour Dahl, les organes auditifs des Arachnides sont des poils sensitifs qui ne sont
évidemment que des poils tactiles; pour Bertkau, Schimrewitsch, Wagner, les organes
de l'audition sont les fentes et les organes lyriformes dont nous avons parlé (Voyez
plus haut : Sens tactiles et Sens thermique). Ceci rappelé, disons que tous ceux qui ont
cru observer des phénomènes d'audition chez les Arachnides ont été trompés par des
manifestations résultant de la grande sensibilité tactile des animaux en question.
Les expériences proprement dites, effectuées sur les Araignées, sont d'abord celles
de Dahl sur une Araignée chasseuse, l'Attus arcuatus ; elles consistaient à produire un
bruit bref et fort en frappant le plat d'un livre à l'aide d'une baguette (des précautions
ARACHNIDES. (iol
étaient prises pour que l'Araignée ne put voir les mouvements). Presque à chaque
coup, l'Atte réagissait, soit en s'arrèlant dans sa marche, soit en effectuant un petit
Baut. Viennent ensuite les expériences de Boys, puis de G. et E. Peckham qui, tous
trois, utilisèrent des diapasons. Remarquez que ces expériences ne donnèrent quelque
chose qu'avec les araignées tissant des toiles et placées sur leur réseau. Boys constata :
1° que dès qu'un diapason en vibration touche un des fils de la toile ou seulement l'un
des rameaux auxquels celle-ci est fixée, l'Araignée trompée par les trépidations ressem-
blant à celles que produit un insecte qui se débat, suit le fil secoué et se précipite vers
le diapason; 2" que, si le diapason vibrant est simplement approché sans toucher la
toile, les grosses Épeires, averties évidemment par les mouvements de l'air analogues
au souflle amené par les battements rapides des ailes d'une Guêpe ou d'une Abeille,
mouvements qui font, encore une fois, vibrer la toile, prennent une attitude défensive,
tandis que les petites Araignées, cherchant leur salut dans la fuite, se laissent immé-
diatement tomber.
Les essais de G. et E. Peckham, plus complets, donnèrent les mêmes résultats.
Chose très importante à retenir, ces derniers expérimentateurs n'obtinrent rien chez
les Araignées chasseuses, Lycoses, Dolomèdes, etc., qui ne tissent pas de toile; le dia-
pason les laisse absolument indifférentes. La chute ou la descente le long d'un fil
d'Araignées tisseuses dont le réseau est mis en vibration par le voisinage d'un instru-
ment de musique quelconque explique très bien la plupart des anecdotes inutiles à
répéter que l'on recopie dans tous les livres pour prouver la soi-disant audition des
Aranéides.
Des essais sur l'audition chez les Scorpions ont été tentés par Ant. Dugès, Ray
Lankester et Pococr. Les deux derniers n'ont réussi à constater aucune perception audi-
tive. Les anciennes expériences de Dugès (1838) sont encore plus décisives : ni le son
d'une montre à répétition approchée très près d'un Scorpion d'Europe, ni le sifflement
le plus aigu n'agitaient l'animal; mais le moindre frottement du doigt sur le sol le
faisait tressaillir; de même une vive secousse de tous ses membres témoignait de sa
sensibilité aux vibrations de l'air quand on tendait brusquement une feuille de papier à
distance, et même derrière un écran. L'ouïe, dit Dugès, n'est chez eux « qu'une dépen-
dance du tact ».
Comme conclusion, citons cette appréciation de P. Bonnier qui résume tout : <c JNous
les croyons (les Araignées), pour notre part, absolument sourdes, presque aveugles, mais
remarquablement douées au point de vue de ce' qu'on peut appeler te sens de la trépi-
dation, sens qui suffit aux besoins de la grande majorité des animaux... »
F. Odorat. — La perception de la présence de matières volatiles affectant notre
propre muqueuse olfactive est incontestable chez la plupart des Araignées, mais nous
ne pouvons pas en conclure qu'il existe chez ces animaux un véritable sens de l'odorat.
Dahl avait constaté cette perception chez une Epeire et une Erygone en observant
les manifestations extérieures de l'animal lorsqu'on en approchait un pinceau imbibé
d'un liquide odorant. Ses résultats, que confirment mes observations personnelles sur
une Amaurobie, montrent que la sensibilité aux vapeurs odorantes est faible, que la per-
ception est lente (exigeant toujours plusieurs secondes), enfin que la nature de cette
perception n'est pas la même que chez l'homme, l'ammoniaque, par exemple, pro-
duisant fort peu d'effet, parfois rien.
Dahl ayant employé, outre l'essence de girolle, l'essence de térébenthine et une
solution d'ammoniaque, substances que les Araignées, à l'état de nature, n'ont guère
occasion de sentir, ses essais soulevèrent des objections multiples qu'essayèrent d'éviter
■ G. et E. Peckham en n'employant que des matières odorantes végétales analogues à celles
que produisent les fleurs. Ces habiles observateurs firent plus de deux cents expériences
portant sur vingt-sept espèces d'Araignées. Leur procédé consiste à approcher de l'Arach-
nide, tantôt ostensiblement, tantôt sans que l'animal puisse voir le mouvement, un chaume
de graminée d'abord sec et propre, ensuite trempé dans l'un des liquides suivants :
essence de menthe, de lavande, de cèdre, de girofle, eau de Cologne. Trois espèces
seulement, une Argyrœpeira, une Dolomède et un Ho'pyUus, ne manifestèrent jamais
rien; pour toutes les vingt-quatre autres espèces, il était évident que l'articulé percevait
quelque chose. Suivant les individus et la nature de la substance, les Araignées mani-
652 ARACHNIDES.
festaient la perception, soit par divers mouvements des pattes, des palpes et de l'abdo-
men, soit en secouant leur toile, soit en entourant le bout de la baguette de fil, comme
s'il s'était agi d'un Insecte capturé, soit enfin, dans le cas spécial des Altes, en s'appro-
chant avec les premières pattes et les palpes dressés.
Exisle-t-il un organe particulier qui soit le siège de cette perception des substances
volatiles? On l'ignore absolument. Dahl a bien décrit sur la mâchoire (organe de man-
ducation servant de support au palpe) un prétendu organe olfactif; mais il est même
douteux que ce soit un organe sensoriel (Vogt et Yung).
La sensibilité des Scorpions aux substances odorantes paraît très faible. Ainsi, j'ai
constaté, à l'aide d'une baguette de verre mouillée de divers liquides, que le Buthu»
europœus ne perçoit la présence ni de l'essence de térébenthine, ni de l'éther, ni du
chloroforme; l'acide phénique seul amenait des signes de répulsion. Emile Blanchard,
opérant autrefois sur la même espèce, était arrivé aussi à cette conclusion que la per-
ception est généralement nulle, et que le Scorpion ne manifeste quelque chose que
lorsque des substances irritantes affectent ses organes respiratoires.
G. Goût. — Il est fort probable que les Arachnides possèdent, à l'entrée des voies
digestives, un ou des oiganes leur permettant de choisir entre les aliments; mais
aucune recherche sérieuse n'a été faite à cet égard et l'on ne doit pas se dissimuler que
les expériences où il faudra éviter les erreurs provenant d'un odorat possible seront
fort délicates.
JV. B. — Pour tout ce qui concerne les prétendues facultés mentales des Arachnides,
le physiologiste aura présent à la mémoire ceci, que la plupart des actes exécutés par
les Arthropodes sont ou des actes réflexes ou des actes instinctifs. L'instinct étant,
d'après la définition très exacte de H. Fol, le désir ou le besoin impérieux que ressent un
animal d'effectuer des actes dont il est incapable de comprendre la signification. Ce principe
général mettra le lecteur en garde contre les idées souvent exposées dans les ouvrages
de vulgarisation.
Alimentation. — A l'exception d'une partie des Acariens, parasites sur des végétaux,
et de quelques formes vivant au milieu de substances organiques en décomposition, les
Arachnides se nourrissent tous de matières animales vivantes. Les uns, comme les
Aranéides, les Phrj'iies, beaucoup d'Acariens, les Linguatules, semblent n'absorber jamais
que des corps liquides (les parties liquides de la proie ou, spécialement dans le cas des
Aranéides, les tissus de la proie liquéfiés par l'action d'un liquide digestif sécrété par
les glandes buccales, glande du rostre, glande labiale) (Bertkau) ; d'autres, qui sont les
Scorpions, les Thélyphones, les Phalangides et les Tardigrades avalent réellement une
partie de leur capture constituée par les portions les plus molles et ne rejettent que
les portions trop dures. Enfin, la manière dont la nourriture est absorbée par certaines
larves parasites d'Acariens est fort remarquable : suivant S. Jourdain, leur rostre se
prolonge au milieu des tissus de leur hôte en une trompe irrégulièrement ramifiée,
terminée par des ventouses multiples, dont le rôle serait analogue à celui des tubes ou
stomatorhizes des Sacculines parasites des Crabes.
Nous ne parlerons pas ici des procédés divers employés par les Araignées pour se
procurer du gibier, ce sujet n'étant guère du domaine de la physiologie; mais nous de-
vons ajouter un mot quant à la fonction faussenlent attribuée à certaines pièces buccales.
Rôle des palpes. — D'après les arachnéologues, les Araignées utiliseraient leurs
palpes dans la capture et la fixation des insectes et, peut-être, dans la construction de
leurs toiles. Or, de nombreuses expériences longuement prolongées, sur des Tégénaires,
des Amaurobies, des Agelènes, des Épeires et des Meta, prouvent que les Araignées, pri-
vées de leurs palpes, tissent des toiles normales, prennent les Insectes et les sucent, abso-
lument comme des Araignées intactes (F. Plateau).
Digestion. — Comme dans le règne animal entier, la transformation chimique des
aliments s'opère sous l'action de trois catégories de ferments solubles contenus dans des
liquides sécrétés par des cellules épithéliales. Ce sont des ferments saccharifiants ame-
nant la transformation des féculents en sucre (Glucose), des ferments saponifiants dédou-
blant les corps gras, les émulsionnant et les saponifiant, enfin des ferments peptonisants
transformant les albumines en peptones.
Chez les A'ertébrés, la digestion arrivée à son dernier degré de complication est frac-
ARACHNIDES. (io3
tionnée en une série d'opérations distinctes, se passant chacune dans un compartiment
spécial du tube digestif. Cette subdivision du travail n'existant pas au même degré cbez
les Arthropodes, les dénominations d'estomac, intestin grêle, gros intestin, etc., par les-
quelles, malgré les physiologiUes, on continue à désigner arbitrairement les portions
successives du canal alimentaire des Articulés n'ont aucune raison d'être.
On observe, chez les Arachnides :
A. Un intestin buccal ou antérieur [Stomodœum) caractérisé par la présence d'un revê-
tement interne chitineux donnant souvent lieu à des crêtes, des gouttières, des plaques
de formes diverses; il se compose : l" de la bouche; 2° d'ur. sac pharj'ngien à structure
très variable, situé en avant de l'anneau nerveux, fonctionnant [comme organe de suc-
cion, sauf chez les Aranéides, et dont les parois sont mues par des muscles souvent très
nombreux (Mag-Leod) ; 3° d'un tube d'accès auquel on peut conserver le nom d'œsophage,
se terminant exceptionnellement, chez les Araignées seules, en arrière de l'anneau
nerveux, par une portion plus ou moins dilatée, garnie de plaques de chitine mises
en mouvement par des muscles spéciaux (estomac suceur des auteurs). Cette partie de
l'intestin antérieur des Aranéides sans homologue chez les autres Arachnides, sert à
pomper les aliments liquides; rôle rempli ailleurs par le sac pharyngien.
Des glandes s'ouvrant dans la bouche, ou à la base de pièces buccales, ou même dans
le sac pharyngien, ont été décrites chez plusieurs types; leurs fonctions sont incon-
nues, et la dénomination de glandes salivaires qu'on leur donne souvent est peut-être
tout à fait erronée.
B. Un inteatln moyen [mesenteron), dépourvu du revêtement chitineux interne, siège
réel de la digestion, et comprenant en général deux régions successives (fusionnées en
une seule chez les Phalangides). Chez les formes nombreuses, Aranéides, Thélyphones,
Phrynes, Galéodes, Scorpions, où les deux régions sont bien distinctes, la première ou
antérieure se trouve dans le céphalothorax, la seconde occupe une grande partie de
l'abdomen. Chacune est munie d'un groupe important de diverticules spacieux, simples
ou divisés, et dont l'épitliélium est manifestement sécrétoire. Il existe donc un groupe
de diverticules céphalothoraciques et un groupe de diverticules abdominaux.
Les diverticules céphalothoraciques offrent souvent l'aspect de cœcums glandulaires
rayonnant vers les bases des pattes. Leur fonction est obscure. Lei recherches faites chez
les Aranéides sur la nature du liquide sécrété et sur la pénétration possible de matières
en digestion dans les cœcums n'ont pas abouti (F. Plateau).
Le rôle des diverticules du second groupe ou groupe abdominal est, au contraire, en
grande partie connu. Nous avons donc à nous en occuper plus longuement. Le groupe
des diverticules abdominaux est constitué par une série de tubes débouchant dans l'in-
testin moyen dont ils sont, on ne saurait trop le répéter, de véritables branches, compa-
rables aux cœcums multiple du tube digestif des vers trématodes, des hirudinées, etc.
— Ce système peut offrir des degrés divers de complication. Ainsi chez les Phalangides
on observe, de chaque côté, quinze énormes cœcums simples remplissant presque toute
la cavité abdominale; chez certains Acariens, comme Argas, par exemple, les diverticules
aifectent à droite et à gauche la forme de deux poches divisées en leur fond en digita-
tions obtuses; chez les Galéodes, les cœcums proportionnellement plus petits et innom-
brables ont leurs extrémités périphériques multifides, l'abdomen semblant ainsi rempli
par une glande tubuleuse composée; enfin, chez les Aranéides, les Phrynes, les Thély-
phones et les Scoi'pions, les diverticules abdominaux pj-JncipaMa:, au nombre de deux, de
quatre ou de cinq de chaque côté, quelquefois accompagnés de diverticules impairs, se
subdivisent d'une façon plus ou moins arborescente pour se terminer par des follicules
OQflCHiJ groupés en petits lobes et réunis entre eux par du tissu conjonctif, le tout pré-
sentant l'aspect d'une glande volumineuse désignée sous le nom de foie par beaucoup
de naturalistes, qui oublient qu'un foie véritable, caractérisé par une sécrétion biliaire,
n'existe que chez les Vertébrés.
On sait aujourd'hui, surtout par les recherches effectuées par F. Plateau sur les Pha-
langides, par Plateau et par Bertkau sur les Aranéides, que les diverticules abdominaux
fonctionnent: 1° d'une façon certaine comme glandes digestives; 2° avec beaucoup de
probabilité comme organes de résorption. Enfln, à ces deux propriétés, il faudra pro-
bablement en ajouter une troisième, l'excrétion.
654 ARACHNIDES.
Bertkau a constaté que l'épithélium qui tapisse l'intérieur des follicules terminaux
du prétendu foie des Araignées se compose de cellules de deux espèces différentes, fait
qui, on le verra plus loin, a probablement une grande importance. 11 y décrit de petites
cellules oviformes en contact direct avec la tunique propre et dont le contenu est con-
stitué presque exelusivement par des spbérules homogènes à peu près incolores, puis de
grandes cellules claviformes dont les bases étroites s'insinuent entre les petites cellules
et dont les extrémités libres renflées font saillie dans le follicule. Ces grandes cellules
contiennent, outre leur protoplasme incolore, des globules ou granules très Ans dans la
base effilée, de nombreuses sphérules graisseuses dans la partie large et, entre tout
cela, de microscopiques cristaux prismatiques. Ce sont les seules cellules pigmentées;
le pigment jaune, vert, brun ou rougeâtre qui détermine la coloration dominante de l'ab-
domen existe à l'état diiïus dans la grosse extrémité.
Le liquide sécrété où l'on retrouve les granulations fines, les globules graisseux et la
substance colorante des cellules claviformes des Araignées est neutre ou très légère-
ment acide. A la température ordinaire de l'été, il dissout activement les substances albu-
minoïdes, muscles d'articulés, fibrine fraîche ou albumine cuite, en donnant lieu à de la
peptone, le pouvoir peptonisant augmentant par l'addition de substances alcalines telles
que le carbonate de sodium; il émulsionne très bien les graisses et presque instantané-
ment les graisses liquides comme l'huile d'olive; eniin, suivant Plateau, il a, chez les
Araignées, une action nette sur les féculents qu'il transformerait partiellement en sucre.
Cette dernière propriété n'a pas été confirmée par Beetkad.
L'organe glandulaire abdominal dont nous parlons contient une faible quantité de
glycogène observée chez le Scorpion par E. Blanchard, chez les Phalangides et les Ara-
néidespar F. Plateau; mais le liquide qu'il produit n'a aucune des propriétés physiologi-
ques de la bile, ni aucune de ses réactions colorées. Cette absence de caractères hépatiques
et l'analogie des propriétés du liquide sécrété avec le suc pancréatique des Vertébrés,
démontrent, sans contestation possible, qu'il faut cesser de parler du foie des Arach-
nides. (Nous exposerons plus loin ce qui concerne la résorption et l'excrétion.)
C. Intestin terminal {proctodœum.) . — 11 s'étend de l'intestin moyen à l'anus; il est ordi-
nairement assez court, excepté chez les Scorpions, peut se renfler et, chez les Aranéides,
est accompagné d'une énorme poche stercorale, ovoïde ou piriforme reposant dorsa-
lement sur les dernières parties du canal. Aucun travail digestif ne s'y effectue, et, comme
l'intestin reçoit, chez presque tous les Arachnides, les produits de sécrétion des tubes de
Malpighi. le contenu se compose de substances ayant deux origines différentes, résidus de
la digestion ou excréments et produits de désassimilation.
Excréments. — Des excréments nettement distincts des produits urinaires n'ont été
observés que chez les Phalangides et les Aranéides. Ce sont des corps plus ou moins volu-
mineux (variant entre un demi millim. et un millini. et demi de longueur, chez nos formes
indigènes) elliptiques allongés, composés : 1° d'un contenu noirâtre ou brunâtre consti-
tué par de fins granules auxquels s'ajoutent (Phalangides) des grains de sable, des cris-
taux microscopiques et des débris chitineux d'insectes avalés, au bien des globules grais-
seux analogues à ceux des cellules des diveiticules de la glande abdominale dont ils
proviennent évidemment; 2° d'une enveloppe membraneuse translucide, insoluble dans
l'eau, l'acide acétique et résistant plus ou moins longtemps à la soude caustique (F. Pla-
teau).
Ainsi que chez les Myriopodes chilopodes, c'est-à-dire carnassiers, l'enveloppe qui
entoure chaque masse excrémentitielle se dépose autour de celle-ci, non dans l'intestin
terminal, mais bien dans l'intestin moyen, comme le prouvent des observations directes,
oii l'on a assisté en quelque sorte à sa formation, et l'absence dans le contenu des produits
urinaires que l'intestin terminal renferme toujours en quantité. — Ajoutons que ce sont
ces excréments foncés et solides, rencontrés en grand nombre dans le liquide blanc rem-
plissant la poche stercorale des Araignées, qui ont fait croire à quelques naturalistes
que ces animaux avalaient réellement des débris solides d'Insectes (Plateau).
Résorption. — La façon dont s'opère la résorption chez les Arthropodes a été long-
temps un problème, aujourd'hui en voie de solution, pour les Crustacés et les Arachnides,
c'est-à-dire pour les formes chez lesquelles l'intestin moyen se prolonge dans les nom-
breux diverticules digestifs dont l'ensemble est faussement appelé foie. C. de Saint-
ARACHNIDES. 655
HiLAiRE (1892) et 'L. Coenot (1893) ont constaté, en efTet, que si l'on fait manger à une
Écrevisse de la viande mélangée de substances colorantes, les coicums de la glande
digestive se remplissent d'un liquide renfermant en dissolution les couleurs employées.
D'après Cdenot, il n'y a pénétration que des portions liquides résultant de la digestion;
les matières non digérées continuent au contraire leur route dans l'intestin. Presque
toutes les couleurs employées sont arrêtées au passage et ne franchissent pas la paroi
épithéliale qui exerce une sélection, possède une fonction d'arrêt. Cependant, c'est bien
à travers l'épithélium des diverticules que passent dans le sang les produits nutritifs
dont la matière colorante indique exactement le cbemin, car C. de SAiNi-HiLAiREa reconnu
que la vésuvine, injectée par la voie intestinale, est d'abord absorbée par l'épithélium
de la glande digestive, puis traverse celui-ci pour passer dans le sang du Grustacé.
Des expériences nouvelles et récentes manquent pour les Arachnides ; toutefois, il y a
une quarantaine d'années, Emile Blanchard a été bien près de résoudre la question pour
les Scorpions. Il a constaté, en nourrissant ces animaux de Mouches dans le corps des-
quelles on introduisait de l'indigo ou de la garance, qu'après plusieurs jours de ce régime,
le sang était bleu ou rose; c'est-à-dire, en traduisant suivant les vues actuelles, que la
matière colorante, avec la partie liquide des produits digestifs, avait pénétré dans les
diverticules de la glande abdominale, avait été absorbée par les cellules épithéliales,
puis était passée dans les lacunes sanguines. Plus tard (1884) Bertkau a démontré
expérimentalement que, chez les Araignées, les cellules des diverticules absorbent effec-
tivement les substances colorantes introduites par la voie intestinale : ayant réussi à
faire sucer à des Aranéides de l'eau chargée de poussière de carmin et ayant tué les
animaux six heures après, il retrouva une grande partie du carmin localisée dans l'épi-
thélium du pseudo-foie.
Abstinence. — La plupart des Arthropodes peuvent supporter pendant longtemps
la privation de nourriture et vivre alors exclusivement aux dépens de leurs réserves.
Les Aranéides possèdent à un haut degré cette curieuse propriété qui s'observe non
seulement durant l'hiver, mais aussi durant la belle saison. Le cas le plus curieux est
celui cité par Bl-ackwall d'un Theridium quadripunctatum qui vécut sans manger un an
et cinq mois.
Désassimilation. — Les produits d'usure de l'organisme des Arachnides sont éli-
minés par deux voies principales : 1° d'une façon probable par les diverticules annexes
de l'intestin moyen (Glande digestive ou faux-foie); 2° d'une manière certaine par les
tubes de Malpighi.
A. Excrétion par la glande digestive. — Nous avons vu plus haut que Bertkau avait
signalé, dans les diverticules des Araignées la présence de deux espèces de cellules, diffé-
rentes. Le même fait capital s'observe dans la glande digestive des Crustacés où l'on
constate l'existence de cellules à vacuoles graisseuses et de cellules plus petites, les
Fermentzellen de Frenzel. Enfm, chez les Mollusques gastropodes pulraonés, on sait,
d'après Babfurth, Yong et Frenzel, que l'épithélium de la glande digestive de ces ani-
maux, outre des élémenls à granules calcaires destinés à la réparation de la coquille,
comprend aussi au moins deux espèces de cellules sécrétoires, des cellules à vacuoles
remplies d'un liquide jaune et des cellules plus petites à granules jaunes et incolores.
La méthode des injections physiologiques a permis àCuENOT de déterminer que, chez
les Mollusques gastéropodes, les ferments digestifs sont sécrétés par les petites cellules,
tandis que les grandes cellules vacuolaires sont excrétoires. En effet, lorsqu'on injecte
dans le coelome d'un de ces Mollusques une matière colorante de la série des couleurs
d'aniline, dissoute, par exemple, dans le sang de l'animal, les cellules des organes excré-
teurs se colorent, et entre autres les cellules vacuolaires de la glande digestive. Les
petites cellules de cette glande restent incolores, de sorte que les matières en digestion
dans le sac stomacal et le liquide digestif proprement dit ne contiennent pas de subs-
tance colorante, tandis que les produits d'excrétion mis en liberté, à un moment ulté-
rieur, sont au contraire colorés et viennent donner une teinte caractéristique aux
excréments qui s'accumulent dans l'intestin. C. de Saint-Hilaire opérant sur l'Écre-
visse a vu des phénomènes du même ordre : diverses matières colorantes, par exemple
le bleu de méthyle, injectées dans la cavité du corps de l'animal, sont absorbées par cer-
taines cellules spéciales des acini de la glande digestive (les Fermentzellen de Frenzel)
636 ARACHNIDES.
avec des caractères tout autres que lorsqu'il s'agit d'une simpk] teinture. Ces matières colo-
rantes à l'état libre ou dans des cellules détachées passeraient ensuite avec les produits
d'excrétion dans l'intestin. De tout cela résulte que la glande digestive ou pseudo-foie
des Arachnides fonctionne très probablement suivant les mêmes lois et, comme celle
des Mollusques gastéropodes et des Crustacés, est à la fois un organe sécréteur de fer-
ments digestifs, un organe de résorption et un organe d'excrétion.
B. Excrétion par les tubes de Malpighi. — Des tubes excréteurs très analogues, au
point de vue fonctionnel, aux tubes de Malpighi des Myriopodes et des Insectes, mais
ayant une autre origine embryonnaire, s'observent chez presque tous les Arachnides :
Scorpions, Galéodes, Phrynes, Thélyphones, Aranéides et Acariens (ils manqueraient chez
les Phalangides et les Ghernétides). Comme chez les Insectes, ces tubes glandulaires
débutent par des extrémités closes (parfois renflées eu utricules) et débouchent d'autre
part dans le canal intestinal où s'accumule le produit de leur sécrétion. Offrant d'in-
nombrables ramifications chez les Aranéides, les Galéodes, etc., ils parcourent en se
contournant le tissu conjonctif qui relie entre eux les diverficules de la glande diges-
tive et finissent par aboutir à l'intestin par des troncs terminaux toujours en petit nom-
bre, parfois quatre, généralement deux.
C'est chez les Aranéides que la fonction des tubes de Malpighi a été le plus nettement
élucidée. La poche stercorale des Araignées est en général distendue par un liquide,
ordinairement blanc comme un lait de chaux et dans lequel flottent les excréments
solides foncés entourés de leur membrane d'enveloppe (Voir plus haut).
Le liquide blanc que les Araignées évacuent, sous forme de grosses gouttes déter-
minant en se desséchant des taches blanches, est le produit des tubes malpighiens. Il
se compose d'une portion fluide incolore, ou légèrement jaunâtre, tenant en suspension
d'innombrables corpuscules microscopiques qu'on retrouve, du reste, identiques dans les
tubes. Ce liquide puisé dans ia poche stercorale peut, en outre, contenir parfois de très
petits cristaux prismatiques ou en tables rhoraboïdales, dontl'origine doit probablement
être cherchée dans les grandes cellules épithéliales des diverficules de la glande diges-
tive. Chez les Aranéides, d'après Davv, Will et Gorup-Besanez, Plateau, Weinland, le
liquide maipighien ne contiendrait ni acide urique, ni urates en quantités appréciables,
mais un autre produit de désassimilation de l'azote, la guauine (A. Johnstone et A. B.
Griffiths auraient, au contraire, trouvé de l'urate de sodium dans l'extrait aqueux des
tubes de Malpighi de la Tégénaire domestique?). De la guanine a été signalée dans les
produits de désassimilation des Scorpions (Davy, Paul Marchal). Les déjections rendues
parles Ixodes, parmi les Acariens, se composent uniquement d'urates alcalins (.Még.nin).
Enfin, bien que les véritables organes urinaires des Phalangides soient encore à trouver,
il est incontestable que le liquide brun, qui accompagne les excréments solides rendus
par ces animaux, donne sous le microscope, après addition d'acide acétique étendu, des
cristaux caractéristiques d'acide urique (Plateau).
Glandes coxales. — Depuis que Ray-La>.'kester a signalé, en 1882 et 1884, chez les
Arachnides, l'existence de glandes coxales localisées dans le céphalothorax sous les diver-
ticules antérieurs du tube dijiestif et en rapport avec les hanches des pattes, on consi-
dère ces organes comme homologues des glandes du test et des glandes antennaires des
Crustacés, c'est-à-dire qu'on les regarde comme organes excréteurs.
On a retrouvé des glandes coxales chez des Acariens, des Ghernétides, les Scorpions,
les Galéodes, les Phrynes, les Aranéides et les Phalangides.
Comme on ne sait rien de positif sur la nature de la sécrétion, et que, de plus, il
paraît résulter des recherches morphologiques et embryologiques récentes que, sauf chez
les Phalangides, l'orifice faisant communiquer la glande coxale de l'embryon avec l'exté-
rieur est oblitéré chez l'individu développé, de sorte que la glande constitue alors un
système fermé et ne fonctionne pas (J. S. (ûngsley) nous ne nous étendrons pas davan-
tage sur ce sujet.
Sécrétions spéciales. — A. Sécrétions de la soie. Des glandes de la soie et souvent
des filières existent chez toutes les Araignées proprement dites, chez les Ghernétides,
quelques Cyphophthalmides, et les Acariens du genre Tetranychus; la position de ces
organes et de leurs orifices variant suivant les types examinés.
La soie des Araignées parait avoir la même composition que celle des chenilles de
ARACHNIDES. 657
Lépidoptères. Elle serait constituée de Fibrome et, en outre, pour certains fils, d'une
substance agglutinante (grès des éducateurs de vers à soie, Seidenleim'j la Séricine.
Fibroïne et séricine ont une composition tellement voisine de celles de la chitine, de la
conchyoline, de la cornéine et de la spongine, que tous ces corps peuvent être réunis sous
une dénomination, commune de Squelettine. Leurs caractères généraux sont les suivants :
substances azotées ne contenant pas de soufre et vraisemblablement dérivées d'hydrates
de carbone. Toutes renferment dans leur molécule 30 atomes de carbone et seulement
de 9 à 10 atomes d'azote. Toutes offrent une grande résistance aux alcalis et aux acides,
résistent indéfiniment à l'action de l'eau, de l'alcool, de l'éther, ainsi qu'aux ferments
sacchariflants ou peptonisants. L'iode leur donne une coloration brune. La fibroïne a,
d'après Cramer, la formule C'"'H*^N"'0'-, la séricine C^"'H»"N"'0'^ (Krukenberg).
Il est rare qu'un fil d'Araignée se compose d'un filament unique; on peut, au con-
traire y distinguer ordinairement de deux à quatre filaments parallèles, non fusionnés
et non tordus. — Le fil spiral caractéristique de la toile circulaire de l'Épéire diadème
est constitué par deux filaments parallèles unis entre eux par une matière visqueuse
(probablement séricine) qui, par un phénomène capillaire bien connu, affecte l'aspect
d'un chapelet de globules. — Enfin les fils servant à emmailloter un Insecte capturé
se composent chacun d'un nombre considérable de filaments. — Les filaments entrant
dans la constitution d'un fil sont d'une excessive ténuité : chez l'Épéire, leur diamètre
assez constant dans chaque partie déterminée du réseau' varie entre 0,0016 millim. et
0,006 millim. Les filaments du cocon sont les plus gros (G. Warburton).
Ajoutons que d'après les recherches de C. Apstein (1889) et de Warburton (1890) les
diverses formes de glandes séricigènes et chacune des filières d'une Araignée donnée
ont leur rôle spécial dans la confection des fils de la toile, du cocon protecteur des œufs,
etc. C'est là un sujet extrêmement intéressant, mais que nous ne pourrions exposer sans
de longues descriptions anatomiques.
B. Sécrétions venimeuses. Des glandes sécrétant un venin très actif existent au nom-
bre de deux, soit dans le céphalothorax, soit dans l'article proximal des chélicères des
Aranéides, le canal excréteur de chacune d'elles débouchant par un pore près de l'extré-
mité du crochet de la chèlicère. Des glandes à fonction semblable occupent le dernier
article du post-abdomen des Scorpions, leurs orifices se trouvent à droite et à gauche
près de la pointe du crochet courbe qui termine cet article. Des glandes considérées
comme venimeuses s'ouvrent à la base des chélicères des Acariens du groupe des Garaa-
sides. — Enfin les Galéodes sont réputées dangereuses, mais on ne sait si ces animaux
sont réellement pourvus de glandes vénénifiques.
Chez les Aranéides et chez les Scorpions, la glande venimeuse est un sac piriforme
dont la cavité centrale sert de réservoir; elle offre toujours une enveloppe musculaire.
La contraction brusque de cette enveloppe, par voie réflexe, amène l'éjaculation du
liquide. •
La morsure de certaines Araignées des contrées tropicales, ou subtropicales, telles
que le La/rodectiis formidabilis du Chili, étudié par F. Puga Borne (1892), non seulement
tue des Insectes, mais amène la mort chez les Vertébrés (grenouilles, serpents, lézards,
oiseaux, cochons d'Inde, lapins) ; les accidents mortels chez l'homme ne sont pas rares,
-et les morsures simultanées de cinq Latrodectes tuent un cheval.
Les Araignées de l'Europe tempérée et septentrionale sont, au contraire, peu à craindre,
et il faut se méfier de la plupart des relations reproduites dans des traités de zoologie ou
dans des ouvrages de vulgarisation; car les expériences de physiologistes sérieux, dont le
premier fut Harvey, permettent d'affirmer que la morsure n'a jamais de suites graves :
Blackwall, qui se fit mordre par de grosses Épéires, ne constata jamais autre chose
qu'une douleur locale analogue k celle que produirait une piqûre d'aiguille; Forel,
mordu au doigt par le Chiracanthium nutrix, l'une des rares formes dont il faille se
méfier, ressentit une vive douleur dans la main, puis dans le bras, suivie d'un malaise
général avec sueur froide; malaise et douleur se dissipèrent assez rapidement. Il y a
plus, G. Carusi (1848) et P. Panceri (1868) essayèrent l'action de la morsure de la
fameuse Tarentule (Lycosa tarantula) sur l'homme, le lapin, des oiseaux, une tortue, un
triton, et arrivèrent à cette conclusion que tout ce qu'on a écrit autrefois sur le taren-
tisme est pure fable; la morsure de la Tarentule, bien que douloureuse, n'est accom-
MCT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 42
658 ARACHNIDES.
pagnée que de phénomènes locaux : enflure, rougeur; aucun symptôme général même
faible. En général l'action du venin des Araignées sur les Insectes est rapide, mais de
courte durée; un Insecte un peu volumineux est stupéflé pendant quelques minutes,
puis se remet bientôt complètement.
Les auteurs varient quand à la gravité de la piqûre des Scorpions. La taille, l'espèce
de Scorpion, l'état de santé, l'âge de la victime, contribuent certainement à faire varier
les résultats. Les expériences de Joteux-Laffuie prouvent qu'à une faible dose le venin
du Buthus europœiis {Scorpio occitaniis) détermine la mort de grenouilles, de souris,
de lapins et de chiens, et qu'une très petite quantité suffit pour tuer immédiatement un
grand crabe. On ignore la nature de son principe actif. Cependant, de la presque iden-
tité des symptômes observés, on peut conclure que le poison sécrété par le scorpion est
le même que celui produit par les Aranéides.
C'est un poison du système nerveux (Paul Bert), et, lors de la piqûre du Scorpion ou
de la morsure par une Araignée réellement dangereuse, les phénomènes d'empoisonne-
ment apparaissent dans l'ordre suivant : a, douleur au point piqué; b, période d'excita-
tion; c, période de paralysie. Ils peuvent être accompagnés de symptômes accessoires
conflrmatifs : hallucinations, tremblement, convulsions, nausées, sueur abondante, ralen-
tisseinent du pouls, abaissement de la température, etc. Comme le dit Joyeux-Laffuie,
les phénomènes qui caractérisent la période d'excitation sont dus à l'action du venin
sur les centres nerveux; les phénomènes de paralysie sont causés par l'effet du venin
sur les extrémités périphériques des nerfs moteurs dont il supprime, à la façon du
curare, l'action sur les muscles striés.
Ajoutons qu'il résulte des expériences de C. Lloyd Mobgan (1883) et de Ag. Bourse
(1887) ce fait remarquable, signalé déjà, du reste, à propos de serpents venimeux, que
le venin du Scorpion est sans effet, non seulement sur l'individu lui-même, mais sur
d'autres individus et sur des spécimens appartenant à des espèces différentes.
C. Autres sécrétions. — On a signalé chez les Arachnides d'autres glandes cutanées
s'ouvrant en divers points de la surface du corps. La nature exacte de leur sécrétion est
en général inconnue.
Circulation. — A. Sang. — Le sang des Arachnides dont on se procure facilement quel-
ques gouttes, soit par la section des pattes des Araignées et des Faucheurs, soit par celle
du dernier article post-abdominal des Scorpions, se compose, comme chez tous les Arthro-
podes, d'un plasma riche en albumines coagulables ou précipitables par l'alcool, le ta-
nin, etc., et de globules animés de mouvements amiboides, les amibocytes. La quantité
de ce liquide, par rapport au volume de l'Arachnide, est faible ; deux ou trois gouttes
retirées à une Araignée l'épuisent et amènent la mort. Légèrement alcalin (chez les Ara-
néides), le sang offre des colorations diverses, parfois en rapport avec celle de l'animal
lui-même : incolore (Phalangides), bleuâtre ou jaunâtre (Aranéides), d'un jaune clair
{Epeira diadema), \ert [Drassus viridissinus), bleu verdàtre (Scorpions). Il change ordinaire-
ment de teinte au contact de l'air, brunissant ou devenant plus foncé. Dès qu'il est sorti
de l'animal, il se forme un coaguluni de fibrine englobant les amibocytes; le liquide lim-
pide restant renferme un protéide dissous, probablement voisin de Vhémocyanine des
Céphalopodes chez les Aranéides, qui est l'hémocyanine vraie, chez les Scorpions, comme
l'a reconnu Ray-Lankester ; cette bémocyanine bleuit à l'air, mais d'une façon peu intense.
Les amibocytes murs, plus petits chez les jeunes Araignées de la deuxième ou de la
troisième mue que chez les adultes, mesurent 9u chez le Phalangium Opilio, 15 ;-i environ
chez les Tegenaria domestica et Epeira diadema, 13 u. chez les Scorpions européens; ils
sont remplis de granules très réfringents, et, sur le porte-objet du microscope, émettent
de courts pseudopodes. Leur nombre est assez considérable; dans une goutte de sang
d'une Trockosa adulte, répandue en couche mince sur le porte-objet, les amibocytes
occupent à peu près le quart du champ visuel.
Outre les amibocytes intacts ou en voie de régression, on peut observer, chez les Ara-
néides, de rares cellules de grande dimension, mesurant jusqu'à 28 u., nettement ami-
boides, dérivant des amibocytes, et renfermant des produits variés, de fins granules ani-
més de mouvements browniens, parfois des prismes cristallins allongés, de nature
protéique; chez les Scorpions, des cellules de lo a bourrées de gros granules incolores
réfringents. Le contenu de ces éléments représenterait des matériaux de réserve.
ARACHNIDES. 639
Enfin les Pycnogonides offriraient une particularité extrêmement curieuse. Chez
toutes les espèces, le sang renfermerait à la fois des amibocytes et des hématies (W.
Wagner, L. Cuenot).
B. Circulation proprement dite. — Un cœur et des vaisseaux manquent chez les Lin-
guatulides et un grand nombre d'Acariens. Chez les autres Arachnides, il existe un cœur
artériel dorsal occupant la région supérieure de l'abdomen, ordinairement tabulaire et
muni, pour l'entrée du sang, pendant la diastole, d'orifices pairs ou ostioles dont le
nombre est d'autant plus grand que le type étudié est plus différencié. Ce cœur est logé,
chez les Aranéides et les Scorpionides, dans un péricarde oîi aboutissent les courants de
retour.
Les vaisseaux proprement dits se réduisent à des troncs artériels venant tous débou-
cher dans un système de lacunes où le sang circule suivant des sens déterminés. Chez les
Acariens possédant un cœur, chez les Cyphophthalmides, les Phalangides et les Chernétides,
il n'existe, en tout, qu'un tronc artériel appelé aorte antérieure et partant de l'extrémité
antérieure du cœur. Chez les Aranéides, et surtout les Scorpionides, l'arbre circulatoire
artériel devient plus compliqué : ces animaux possèdent une aorte antérieure parcourant
le céphalothorax et donnant des troncs à divers organes et aux pattes, une aorte posté-
rieure et enfin des artères latérales naissant du cœur par paires. Lorsque l'Arachnide est
muni des organes respiratoires lamelleux auxquels on donne ordinairement le nom de
poumons, le sang veineux ne se rend jamais à ces organes que par des courants lacu-
naires.
La circulation chez les Araignées a été vue, pour la première fois, par de Geer (1778) dans
les pattes d'un jeune individu examiné au microscope par transparence. Le même pro-
cédé, pour l'étude de l'ensemble de la circulation de ces animaux a été employé de nos
jours avec succès par Claparède (1863) qui étudia surtout les Lycoses venant d'éclore et par
Marcel Causard (1892) dont les investigations portèrent sur les jeunes de quinze genres
difTérents. Enfin W. Wagner (1893) a utilisé la facilité avec laquelle on voit le cœur au
travers des téguments du Sparassus «trescens pour analyser les mouvements de cet organe
chez une araignée adulte.
Voici, en résumé, les faits principaux pour les Aranéides : Les vaisseaux artériels pré-
sentent des pulsations rythmiques synchroniques avec celles du cœur. A chaque systole
le cœur chasse une partie minime de son contenu en avant dans l'aorte antérieure et la
plus grande masse du liquide d'avant en arrière dans les artères latérales et l'aorte posté-
rieure. Le cours du sang dans le cœur est donc, en grande partie en sens inverse de la
direction observée chez les Insectes. Le sang qui, sortant des artères, passe dans les
lacunes, se porte ventralemenl vers les poumons, pour la totalité du céphalothorax et
pour une grande partie de l'abdomen; là le liquide sanguin circule dans les lames pul-
monaires en contact avec l'air par leurs deux faces, puis retourne au sac péricardique dans
lequel il est déversé en face des orifices antérieurs du cœur. Tout le sang veineux du
céphalothorax s'hématose ainsi avant d'arriver à l'organe propulseur. Une portion de
celui de l'abdomen revient directement au péricarde, sans passer par les poumons, et,
dans le sac péricardique lui-môme, chemine d'arrière en avant, pour gagner les orifices
postérieurs et moyens.
Dans les membres et autres appendices, on voit les amibocytes des courants artériels
se suivre en file étroite, tandis que les courants veineux, plus larges, forment une nappe
sous les téguments. Une partie seulement du sang artériel amené dans une patte pénètre
jusqu'à l'extrémité de celle-ci; beaucoup d'amibocytes s'engagent déjà dans le courant
veineux avant d'atteindre le bout du membre, et cela en passant par des orifices artério-
veineux à position constante percés dans la mince membrane qui sépare les deux cou-
rants (Claparède, Cadsahd). Quant aux mouvements du cœur, chez le Sparassus vires-
cens, on y observe la succession habituelle : systole, diastole, pause; la systole offrant
son intensité maxima vers le milieu de la longueur de l'organe.
La plus légère excitation fait monter rapidement le nombre de pulsations par minute,
et, lorsque l'excitation de l'animal cesse, le retour au rythme normal s'opère au con-
traire lentement. Le pouls monte chez l'araignée qui suce une proie, chez la femelle
accouplée, etc. Une température élevée accélère les battements, une température basse
les ralentit : ainsi, à 0», le pouls n'est pas perceptible; à 46°, il monte à 200 et se main-
660 ARACHNIDES.
tient tel chez l'individu calme. Enfin l'absLinence prolongée diminue progressivement
l'amplitude des mouvements et rend en même temps ceux-ci de plus en plus rapides
(W. Wagner).
Respiration. — Un appareil respiratoire localisé fait défaut chez les Linguatulides,
un grand nombre d'Acariens, les Tardigrades et les Pycnogonides.
Les autres Arachnides respirent, soit à l'aide de trachées seules {Galéades,Chernétides,
Phalangides, Cyphophthalmides et une partie des Acariens), soit à la fois à l'aide de tra-
chées de ce genre et de poumons lamelleux (Aranéides dipneumones), soit enfin exclusi-
vement au moj'en de poumons lamelleux (Scorpionides, Thélyphones, Phrynes, Aranéides
tétrapneumones ou mygalides).
Les trachées sont ici des tubes aérifères offrant intérieurement un revêtement cuticu-
aire se relevant tantôt en crête spirale, comme dans les trachées si connues des Insectes,
tantôt (Aranéides) en nombreux appendices spiniformes ayant beaucoup d'analogie avec
les saillies ou épines des lames pulmonaires que nous décrirons plus bas. De même que
les trachées des Insectes, elles sont baignées extérieurement par le sang, de sorte que
les échanges gazeux sont faciles.
Quant aux organes appelés poumons et dont l'homologie est encore discutée, chacun
d'eux se compose d'un sac résultant du refoulement de la paroi ventrale du corps et
communiquant avec l'extérieur par un orifice laissant pénétrer l'air. La paroi antérieure
du sac se relève, au-dedans de celui-ci, en un nombre plus ou moins grand de replis ou
lames pulmonaires rappelant, par leurs rapports mutuels, la disposition des feuillets d'un
livre. De minces couches d'air séparent les lames pulmonaires les unes des autres,
tandis que du sang circule dans leur intérieur. '
Toute lame pulmonaire est constituée par deux lamelles chitineuses en continuité au
bord libre de la lame. La surface extérieure de la lamelle dorsale est garnie d'innombra-
bles tigelles chitineuses, maintenant les lames pulmonaires à distance, de manière a
assurer l'accès constant du gaz respirable. Enfin, les deux lamelles chitineuses d'une
même lame pulmonaire sont reliées de distance en distance par des cellules transversales
en forme de ponts, cellules inlerlamcllaires, considérées comme contractiles, et, par
conséquent comme susceptibles de modifier la capacité des espaces où le sang circule
(Mac Léod, Beeteaux).
Mécanisme respiratoire. — L'analogie, sinon l'homologie, entre les appareils respira-
toires des Arachnides et des Insectes permettait de supposer que l'on observerait chez les
premiers des mouvements des parois de l'abdomen rappelant ceux que les Insectes nous
présentent. Il n'en est rien : les divers diamètres de l'abdomen des Scorpions, des Phalan-
gides et des Aranéides restent constants; jamais on ne constate les diminutions et réta-
blissements alternatifs des diamètres vertical et tranversal de l'abdomen qui constituent
les mouvements respiratoires des Insectes. On peut s'en assurer nettement par trois
procédés : l'observation directe à la loupe, la méthode graphique (applicable seulement
aux Scorpions) avec cylindre enfumé tournant et leviers inscripteurs excessivement légers,
enfin, surtout, la méthode des projections (applicable à tous les types) : l'Arachnide, con-
venablement fixé sur un support, est introduit dans une grande lanterne magique éclai-
rée par une bonne lampe. En ne dépassant pas un grossissement de 7 à 10 diamètres
on obtient une silhouette fort nette sur laquelle il est facile de voir des déplacements
réels d'une fraction de millimètre,
En outre, bien que le contraire ait été écrit, les orifices stigmatiques dos sacs pulmo-
naires restent toujours légèrement entr'ouverts; leurs lèvres ne bougent pas, même lors-
qu'on emploie des vapeurs irritantes, comme la fumée de tabac.
Les seuls mouvements rythmiques que révèle la méthode des projections sont, cl>ez
les Araignées : 1° des oscillations, dans un plan vertical, de l'ensemble de l'abdomen et
de ceux des appendices, tels que les palpes, qui ne sont pas fixés par des liens; 2» des
mouvements rythmés des filières qui se rapprochent et s'éloignent alternativement les
unes des autres. Les oscillations verticales de l'ensemble de l'abdomeu sont assez rapides,
130 par minute pour la Tégénaire domestique, 147 pour la Meta segmentata ; leur ampli-
tude est faible, 1/6 à -1/7 de millimètre (F. Plateao).
Il résulte de ce qui précède que les divers muscles (muscles dorso-venti'aux, muscles
des stigmates, etc.), auxquels les anatomistes ont fait jouer un rôle respiratoire, n'inler-
ARACHNIDES. 661
viennent probablement pas, et qu'aucune des méthodes d'investigation connues ne per
met de déterminer en quoi consistent réellement les mouvements respiratoires des
Arachnides. On en est donc réduit à des hypothèses inutiles à reproduire ici, puisque
l'on n'a pas encore fait de recherches expérimentales pour s'assurer de leur valeur.
Respiration aérienne sons l'eau. — Une Araignée extrêmement intéressante, l'Argyro-
neta aquatica, bien que possédant une paire de poumons et un système de trachées très
développé, passe presque toute sa vie sous l'eau. Elle respire l'air en nature grâce à la
propriété suivante : son abdomen entier et la face inférieure du céphalothorax sojit
recouverts d'une couche assez épaisse d'air brillant sous l'eau comme de l'argent métal-
lique. — Dans les régions ainsi revêtues de gaz, la surface de la peau porte de nombreux
poils barbelés traversant la couche gazeuse et la subdivisant à l'infini. — L'adhérence
de l'air au corps de l'Arachnide, malgré les mouvements de natation et la poussée hydro-
statique, s'explique par ce fait que la surface de contact entre l'air et un liquide offre
une grande résistance à la déformation lorsque l'étendue de cette surface est suffi-
samment petite. Les poils qui traversent la couche d'air divisent en effet, ici, la surface
générale en une série de très petites surfaces présentant une grande stabilité (F. Plateau).
Phénomènes chimiques de la respiration. — Les recherches sur les échanges gazeux
respiratoires chez les Arachnides se réduisent à. peu de chose. On ne peut guère citer
que les très anciennes expériences de Hausmann (1803) et de Sorg (ISOo) qui prouvent
que les Aranéides et les Phalangides absorbent de l'oxygène et exhalent, dans l'unité de
temps, une quantité d'acide carbonique analogue à celle que dégagent beaucoup d'In-
sectes.
Certains pigments paraissent jouer un rôle important dans la respiration interne ou
respiration des tissus des Invertébrés. On les appelle pigments respiratoires. Mac-Munn,
qui en a découvert l'existence à l'aide du microspectroscope, leur donne le nom général
à'histohématines, réservant l'appellation de myohématine à l'histohématine du tissu mus-
culaire. Mac-Munn a retrouvé de la myohématine chez des Araignées {Tegenaria et
Epeira).
Reproduction. — La reproduction est exclusivement sexuelle. Les Tardigrades seuls
sont hermaphrodites suffisants; toutes les autres formes ont les sexes distincts.
Les glandes génitales, généralement paires, parfois impaires (ovaire des Chernétides,
des Phalangides, des Linguatulides et des Gamases, testicule des Phalangides et de
quelques Linguatulides), appartiennent presque toujours au type tubulaire; elles sont
fréquemment accompagnées de glandes accessoires.
L'orifice génital, souvent impair, occupe ordinairement la partie antérieure de la
face ventrale de l'abdomen.
Les spermatozoïdes appartiennent à deux types morphologiques différents : chez les
Scorpionides, les Aranéides, et probablement d'autres groupes, ils offrent une tête renllée
en sphère, quelquefois en cylindre et un filament caudal très fin, court et mobile
(Emile Blanchard, Leydig, Bertkau). Chez les Phalangides, au contraire, ils sont circu-
laires, en forme de petites lentilles biconvexes, avec un noyau également lenticulaire, et
paraissent ne posséder aucun mouvement propre (H. Blanc).
Dans le sexe femelle, on observe des réceptacles séminaux où s'accumulent les sper-
matozoïdes lors de l'accouplement, tantôt comme annexes du vagin (Phalangides, Lin-
guatulides), tantôt distincts de celui-ci (Aranéides, Acariens du genre Trychodactylus). —
La présence de ces réceptacles séminaux assure la fécondation d'un nombre considérable
d'œufs, et explique ces faits signalés plusieurs fois d'Aranéides femelles longtemps
séquestrées et qui pondent des œufs féconds. Blackwall, par des expériences bien
conduites, a fait justice de cette prétendue parthénogenèse.
Les œufs ovariens de beaucoup d'Aranéides et de plusieurs Phalangides se font
remarquer par la présence, à côté de la vésicule germinative, d'un noyau vitellin {Dotter-
kern) constitué par une vésicule centrale entourée par une série de lamelles concentri-
ques. Bien que le noyau vitellin ait été observé chez d'autres types animaux, les œufs
de certaines Araignées et surtout de la Tégénaire domestique sont, à cet égard, un
matériel classique (Balbiani).
Les Phalangides mâles offrent souvent, comme les Crapauds parmi les Vertébrés am-
phibies, un hermaphrodisme rudimentaire très intéressant, découvert autrefois parTRE-
662 ARACHNIDES.
viRANUs et réobservé plusieurs fois depuis. Il consiste dans cette particularité que, sur la
surface externe du testicule, existent, en des points divers, des grappes de follicules sail-
lants et pédicules contenant chacun un véritable ovule identique aux ovules de la femelle,
avec membrane vitelline, vésicule germinative et noyau vitellin bien évidents. Comme
ceux du Crapaud mâle, ces ovules restent stériles (H. Blanc).
Le viviparisme existe chez les Scorpions, les Galéodes, les Phrynes et plusieurs Aca-
riens.
La ponte des œufs dans le sol ou dans des cavités spéciales peut être assurée par un
tube ou oviscapte (Phalangides, nombreux Acariens).
L'accouplement des Arachnides s'effectue par des procédés divers, parfois fort curieux :
les Scorpions s'appliquent ventre à ventre et enchevêtrent les dents de leurs peignes qui
fonctionnent comme organes excitateurs {André Mares, d'après Brongkiart et Gaubert).
L'introduction du sperme dans l'orifice génital de la femelle a lieu au moyen d'un double
pénis (Emile Bla>xhard).
Chez les Phalangides, au moment de l'accouplement, le mâle et la femelle se rencon-
trent face à face. Le mâle maintenant la femelle avec les pinces de ses chélicères, fait
saillir un long pénis et en introduit l'extrémité dans l'ouverture génitale de l'autre
sexe. L'accouplement ne dure que quelques secondes (Meîn'ge, Loman, Simon).
Enfin, c'est chez les Aranéides que l'acte de l'accouplement est le plus singulier. On
sait en effet que l'Araignée mâle ne possède pas de pénis et qu'elle utilise ses palpes pro-
fondément modifiés pour introduire le sperme dans le réceptacle séminal de la femelle.
L'article terminal du palpe mâle variant beaucoup d'un groupe à l'autre, nous n'ex-
poserons que le principe de sa structure et de son fonctionnement, en évitant, en outre,
les nombreux termes spéciaux employés par les descripteurs. Cet article, fortement ren-
flé, et dont la cavité communique naturellement avec les lacunes sanguines de l'animal,
offre, sur le côté externe, une dépression profonde logeant l'organe ropulateur propre-
ment dit. Celui-ci, rétracté à l'état de repos, se compose d'une ampoule à parois
minces, à extrémité libre effilée et à base plissée plus ou moins tordue contenant, dans
son intérieur, un canal chitineux spiraloide dont l'extrémité proximale est close, tandis
que le bout distal s'ouvre au sommet effilé de l'ampoule. — Les parois du canal chiti-
neux spiraloide, au voisinage de l'extrémité close, sont percées de pores fins.
Pour charger ses organes copulateurs de liquide spermatique,, le mâle plonge les
extrémités de ses palpes dans une goutte de sperme perlant à son orifice génital. Les
canaux chitineux spiraloïdes se rempliraient alors par capillarité. A l'instant de l'ac-
couplement proprement dit, le mâle applique à la fente génitale de la femelle la face
extérieure d'un de ses palpes et, au moyen de contractions de la musculature de
l'abdomen, chasserait du sang dans l'article terminal. Ce serait sous l'influence de cette
augmentation de pression que l'ampoule ferait saillie et que, le canal chitineux se vidant,
l'éjaculation du sperme aurait lieu (W. Wagner).
Menge a décrit, chez plusieurs Aranéides d'Europe, les positions respectives et 1res
diverses que prennent les deux sexes pendant l'accouplement même, et G. et E. Peckham
ont attiré l'attention sur les moyens consistant par exemple, en attitudes étranges,
qu'emploient les mâles de quelques espèces américaines pour captiver l'attention de la
femelle et obtenir ses faveurs.
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genre Lyco.se [Mém. de la Soc. de physique et d'histoire naturelle de Genève, t. xvii,
1863). — Cadsard. Sur la circulation du sang chez les jeunes Araignées {C. R., t. cxiv,
n" 18, p. 1033, 1892). — W. Wagner. Étude sur l'activité du cœur chez les Araignées.
{Anyi. se. nat., zoologie, viii" série, 39" année, t. xv, n° 4-3, 1893).
XIX. Respiration. — F. Plateau. Observations sur l'Argyronète aquatique [Bullet.
Acad. Roy. de Belgique, 2^ série, t. xxiii,|1867). — F. Plateau. De l'absence demoupements
respiratoires perceptibles chez les Arachnides (Archives de Biologie, t. vu, p. 331, 1886). —
C.-A. Mac Mv^s. Researches on the Myohœmalin ancl the Histohœmatins (Philos. Trans. ofthe
Royal Soc. London, t. clxxvii, pour 1886, p. 267, publié en 1887).
XX. Reproduction. — • Il n'existe pas de travail spécial; les faits sont disséminés dans
des travaux de zoologie ou d'embryologie.
F. PLATEAU.
ARÉCAINE. —Voyez Arécoline.
ARECOLINE. — De la noix d'Arec E. Jahns a e.xtrait deux alcaloïdes; l'aré-
caïne, qui crislallise dans l'eau (C"H"AzO-, H-0), et est insoluble dans l'alcool; et
l'arécoline (C'H^AzO-j, qui est liquide, soluble dans l'eau et l'alcool (fl. W., Supplém.
p. 338). Le bromhydrate d'arécoliue cristallise bien et paraît assez stable. Il a été étudié
par Frôhner (Monatsh. f. pract. Thierheilli., 1894, t. v, p. 333), puis par C. Grafe [ibid.
1894, t. VI, p. 145) et par Ehling (Hamb. Mittheil. fur Thieràrtzte, 1894, p. 337). Les effets
physiologiques seraient analogues à ceux de la pilocarpine; car il provociue, à dose dix
fois moindre, la même salivation abondante que la pilocarpine.
La salivation commence tout de suite après l'injection, et le maximum a lieu une
demi-heure après. Chez le cheval, l'arécoline agit comme laxatif, de sorte qu'on peut
l'employer dans la médecine vétérinaire pour succédané de l'ésérine.
C'est un poison extrêmement violent puisque, chez le cheval, la dose thérapeutique
ne doit pas dépasser Os'',l.
CH. R.
ARGENT (Ag = 108 . — Nous ne nous occuperons pas de l'action attribuée à
l'argent métallique sur le système nerveux. Cette action forme la base d'une méthode thé-
rapeutique, encore douteuse, la métallothérapie, dont nous ne pouvons nous occuper ici.
Lorsqu'on étudie l'action physiologique des sels d'argent, on se sert généralement
d'un seul sel soluble stable, comme le nitrate d'argent. C'est donc plutôt de la physiolo-
gie du nitrate d'argent dont nous allons nous occuper.
Action locale. — Le nitrate d'argent a d'abord une action locale bien définie : c'est un
des caustiques des plus puissauts ; il y a alors fixation, soit d'argent métallique, soit
d'un composé oxygéné inférieur, qui est la cause de cette coloration brune noirâtre que
prennent les cellules touchées par cet agent. L'élection particulière de ce réactif pour la
substance fondamentale extra-cellulaire, découverte par Recklinghadse.x, a été mise à
profit par les histologistes pour l'étude des tissus.
Action générale. — Voie stomacale. — L'absorption gastro-intestinale est assez
difficile : on peut faire absorber par des animaux des quantités relativement considé-
rable de sels d'argent par la voie stomacale, sans occasionner la mort.
Il y a cependant absorption réelle, facilement démontrée par le phénomène de l'argyrie
que présentent les animaux et les personnes qui ont absorbé des sels d'argent (Mialhe,
Charcot). Les sels d'argent, surtout le nitrate, sont des poisons violents.
Orfila, expérimentant sur le chien, a constaté que de fortes doses d'azotate d'argent
ARGENT. 6(io
le font vomir, mais qii"il se relève et peut échapper à l'intoxication; qu'au contraire,
s'il liait l'œsophage, l'animal mourait au bout de 1 à 2 jours. A l'autopsie il a alors
trouvé que l'estomac et les intestins étaient ulcérés et vivement enflammés. Il a retrouvé
des traces d'argent dans le foie, les reins, la rate et l'urine.
Dans les cas d'empoisonnements aigus par des doses de 4 à b grammes, le patient
ressent au début une saveur d'encre, de la sécheresse et de la constriction de l'arrière-
gorge, des sensations de cuisson, de chaleur. Il ne tarde pas à avoir des nausées, des
vomissements mêlés de stries blanchâtres et de grumeaux analogues à du lait caillé. Il
se plaint de douleurs épigastriques, de vertiges ; il a du délire, de l'agitation, et perte
de connaissance.
Dans la deuxième phase de l'empoisonnement, le malade est en résolution complète,
sauf les muscles du cou et des mâchoires qui sont contractures. Les pupilles sont dilatées
et insensibles à l'action de la lumière. Le pouls est lent, la respiration suspirieuse.
Si la guérlson survient, la raideur cesse, la sensibilité générale reparait, le malade
reprend connaissance. La douleur épigastrique persiste violente.
Dans deux cas le malade, après avoir repris connaissance, retombait après quelques
mouvements convulsifs dans le coma.
En cas de guérlson, ces accidents laissent après eux des ulcérations en voie de cicatri-
sation, de la dyspepsie, des rétrécissements et du ramollissement de l'estomac. L'ingestion
de doses médicamenteuses trop élevées, ou un traitement trop prolongé peuvent donner
naissance à un empoisonnement chronique. On observe alors que le malade, dont tout le
corps se colore en noir ardoisé, surtout pour les parties exposées à l'air et à la lumière,
se cacheclise, quelquefois on a observé des éruptions érythémateuses.
L'absorption des sels d'argent à dose médicamenteuse, qui ne détermine aucun acci-
dent toxique, donne à la peau une coloration noir violacé ou brun brillant, généralement
indélébile, même lorsque l'on a cessé tout traitement depuis longtemps. Cette coloration,
appelée par Vdlpian et Charcot argyrisme, s'observe surtout dès le début sur les lèvres,
la face interne des joues, les narines et les paupières.
Les animaux présentent ainsi que les hommes ce même phénomène. Rabuteau cite
l'observation d'un rat dont les pattes et le nez avaient pris une coloration noir intense,
parce qu'on l'avait nourri en ajoutant du nitrate d'argent à ses aliments.
La cause de ce phénomène, qui a été observé pour la première fois par Fourcroy, n'est
pas encore expliquée. On a supposé que l'argent avait une tendance à s'éliminer par la
peau ; mais, comme no'us le verrons tout à l'heure, on a retrouvé de l'argent dans tous
les organes. Paiterson pense que l'argent se trouve dans la peau à l'état métallique ;
BRA^'DES admet qu il s'y trouve à l'état d'oxyde; Krahmer, à l'état d'albuminate ; mais
aucun des auteurs ne donne de preuves suffisantes à l'appui de son opinion.
Cette coloration peut s'accompagner de démangeaisons intolérables, qui ont été
observées par Charcot et Vclpian chez des ataxiques soumis au traitement argyrique.
Injection directe dans la circulation. — Les sels d'argent sont beaucoup plus
toxiques lorsqu'on les injecte directement dans la circulation: il suffit de quelques cen-
tigrammes pour occasionner la mort.
Orfila injecte dans la veine jugulaire d'un chien 2 centigrammes d'une solution de
nitrate d'argent : l'animal est pris de convulsions, sufl'oque et meurt.
Charcot et Ball, expérimentant avec l'albuminaLe d'argent, ont constaté qu'une
injection de Os'',30 d'albuminate en dissolution dans de l'eau, a déterminé la mort au
bout d'une demi-heure. Ils ont observé une sécrétion énorme de mucus bronchique
écumeux qui a étouffé l'animal, sans qu'il y eiit d'autres phénomènes nerveux que
ceux dus à l'asphyxie.
Avec l'hyposulfite, 0S'',20 d'hyposulfite d'argent en dissolution, la mort fut presque
instantanée, elle survint après quelques convulsions. O8'',0o ont amené la mort au
bout de 7 à 8 minutes; on observe dans ce cas, outre l'asphyxie, une paralysie du train
postérieur caractérisée par un affaiblissement des pattes de derrière et une diminution
de la sensibilité.
A l'autopsie, pas d'autres lésions qu'un œdème du poumon et du mucus écumeux
dans les bronches.
MouRiER a injecté à un chien Osr^Q^ d'azotate d'argent dissous avec Os'',oO
6(36 ARGENT.
d'hyposulfite de soude. 11 a observé un ralentissement des battements cardiaques, de la
difficulté dans la respiration, des râles nombreux, de l'écume abondante, les lèvres
cyanosées, les pupilles dilatées. La mort est survenue par asphyxie 8 à 10 minutes
après l'injection. Le cœur s'est arrêté en diastole, les poumons sont congestionnés.
Avec . OS'', 02 la mort ne survient qu'au bout de 20 minutes, les phénomènes sont les
mêmes.
Chaucot et Ball concluent de leurs expériences que : 1° Si la cause directe de la mort
est l'asphyxie causée par la sécrétion exagérée de l'écume bronchique, il y a cependant
une action manifeste sur le système nerveux; 2° L'hypersécrétion bronchique est le résul-
tat d'une action nerveuse d'ordre réflexe, car on ne peut retrouver d'argent, par analyse,
dans le liquide sécrété.
Absorption et élimination. — Les sels d'argent ingérés par la voie stomacale sont
difficilement absorbés, la plus grande partie est éliminée sans avoir passé dans l'orga-
nisme, après s'être transformés en sulfure daus l'intestin qu'ils colorent en noir. Cette
absorption est cependant réelle et est démontrée victorieusemeut par les phénomènes
d'argyrie.
A quel état l'argent pénétre-t-il dans l'économie? A l'état d'albuminate, suivant Char-
COT et Ball; à l'état de chlorure, suivant Rabutead [Thér., p. o38).
Si l'absorptiou est difficile, l'élimination l'est plus encore. L'argent reste réduit dans
la profondeur de l'organisme; les colorations de la peau, des nymphes du vagin, de la
muqueuse buccale, le liseré bleu des gencives, observé par Duguet, signes qui restent
presque indélébiles malgré la cessation du traitement, en sont les preuves. On a du
reste retrouvé l'argent dans les diverses parties de l'individu. Brandes a retrouvé de
l'argent dans les os, le pancréas, le plexus choroïde. Orfila, Van Genns, Frohman, Chab-
coT, Ball, Vulpian, Liouville, en ont retrouvé dans le foie, les reins, les bronches, le cer-
veau, les os.
Il s'en élimine pourtant une certaine proportion par l'urine. Cloez a pu retirer un
globule d'argent des urines de plusieurs malades de Vulpian etCuARCOT; labile et la sueur
en contiennent aussi.
LoEW rapporte le cas d'un individu atteint de tabès et traité par le nitrate d'argent
pendant deux ans : il avait absorbé 94e=',032 de ce sel. On n'a retrouvé d'argent en quan-
tité appréciable que dans les reins. Il semble donc que l'argent s'élimine, au fur et à
mesure de son absorption, par les voies urinaires.
Analyse et recherche toxicologique. — Pour rechercher l'argent mélangé à des
matières organiques il suffit de détruire ces dernières par la chaleur, [reprendre les
cendres par l'acide azotique qui dissout l'argent et rechercher l'argent par les méthodes
analytiques ordinaires dans cette liqueur.
L'acide chlorhydrique donne avec tous les sels d'argent, sauf l'hypo sulfite, un préci-
pité blanc de chlorure d'argent insoluble dans les acides, soluble dans [l'ammoniaque.
La potasse, la soude donnent un précipité brun clair d'oxyde soluble dans l'ammo-
niaque.
Le carbonate de soude donne un précipité blanc de carbonate soluble dans le carbo-
nate d'ammoniaque.
L'hydrogène sulfuré et le sulfhydrate d'ammoniaque donnent un précipité noir.
Le phosphate de soude, un précipité jaune.
Le chromate neutre de potasse, un précipité rouge soluble dans les acides.
Au chalumeau on obtient facilement avec de la soude un globule d'argent sur le
charbon.
Bibliographie. — D. W. Article Argent. — Ball. Phénomènes déterminés par l'in-
jection directe des sels d'argent dans le système circulatoire (B. B., 186o, p. 4). — Bogos-
LowsKY. Verânderungen loelche iinter dem Einflusse des Silbers im Blute und in Bau der
Gewebe erzeugt werden [A. V., 1869, t. xlvi, p. 409). — Buchanan. Effects of internai use
of the nitrate of silver [Glascow med. Journ., 1831, t. vi, p. 175). — Carci. Azione deW
argento sul sistema nervoso e musculare [Sperimentale, 1875, t. xxxvi, p. 636). — Delioux.
Considérations chimiques, physiologiques et thérapeutiques sur les sels d'argent {Gaz. méd.t
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ARGININE — ARISTOTE. 667
— FofiT. Note on sUverstcUninij {Dubl. J. of. mcd. se, 1888, p. 203). — Frommann. Ein Fait
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logiques et thérapeutiques du nitrate d'argent (D. P., 1856). — Mitscherlisch. Uber die
Einwirkung des Silbers und der Verbindung desselben auf den thierischen Organimus {Med.
Zeit., 1839,t. VIII, p. 133). — Riemer. Ein Fall von Argyrie {Arch. der Heilk., 1875, t. xvi,
pp. 296 et 38b; 1876, t. xvu, p. 330). — Rozsahegyi. Empoisonnement chronique par l'ar-
gent (A. P. P., 1878, t. IX, p. 289). — Scattergood. A case of poisoning by nitrate of silvcr
(Brit. med. Journ., (1), 1871, p. 527).
A. CHASSEVANT.
ARGININE. — Base extraite par Schcltze et Steiger {Zeitschrift fur physiolo-
gische Chemie, t. xi, p. 43) des graines de lupin. Elle dérive probablement des matières
albuminoïdes de la graine au moment de la germination.
ARGON (de âpydî, inactif). — L'argon est le nouveau gaz découvert dans l'air
atmosphérique par lord Rayleigh et Ramsay. Leur première communication date de la
réunion de la British Association en août 1894. Mais ils n'ont donné l'exposé détaillé de
leur belle découverte qu'au 31 janvier 1895 à la Royal Society (V. Revue Scientifique,
14 février 1895, n° 7, pp. 163, 207).
Le point de départ de leurs recherches a été le suivant. Si l'on compare la densité
de l'azote extrait des combinaisons azotées (décomposition du bioxyde d'azote, de l'urée,
de l'azotite d'ammoniaque, de l'acide azoteux) avec le soi-disant azote atmosphérique,
on constate une différence de densité constante, 2,299 au lieu de 2,310. De plus, en cher-
chant à absorber par divers procédés l'azote atmosphérique, par l'étincelle électrique et
l'oxygène; par la combustion de l'azote en présence du carbone et de la baryte, ou du
bore, ou du silicium, ou surtout du magnésium, on obtient toujours un gaz résiduel,
dont la densité est différente de celle de l'azote; 19,9 au lieu de 14,2; et qui ne peut
plus se combiner ni au magnésium, ni au bore, ni à l'oxygène, par l'étincelle électrique.
Ce gaz résiduel présente deux raies spectrales différentes des raies de l'azote
(W. Crookes). Soumis à une pression forte et au froid, il se condense en un liquide qui
n'a pas le même point d'ébuUition que l'azote, — 187° au lieu de — 194° (Olszewski). Il
s'agit donc bien d'un corps nouveau, différent de l'azote.
Ce corps aurait pour caractéristique principale d'être inerte et de ns se combiner
avec aucun corps. Il est plus soluble dans l'eau que l'azote; car 100 parties d'eau en
disolvent 4,05 à 13° 9.
L'air en contient environ 3,5 p. 100, c'est donc une quantité relativement considérable.
Nous ne pouvons prévoir les conséquences de cette récente découverte pour la théorie
de la respiration. Le fait de la solubilité de l'argon, supérieure à celle de l'azote, pej-met
seulement de supposer que le sang doit dissoudre une certaine quantité d'argon. La
proportion de l'azote étant de 76 p. 100 dans l'air, avec une solubilité de 1 ; celle de
l'argon étant de 3,5, avec une solubilité de 2,5; le rapport de l'argon dissous à l'azote
dissous doit être de 9 à 76; soit, si le sang dissout 2,4 de soi-disant azote, il s'ensuit
qu'il y aurait environ 0,4 d'argon pour 100 parties de sang(?).
D'après M. Berthelot {Observations sur l'argon : spectre de fluorescence. C. R., 16 avril
1895, t. cxx, p. 797), l'argon pourrait se combiner à la benzine, sous l'inlluence de l'ef-
fluve électrique.
CH. R.
ARISTOTE. — La physiologie d'ARisTOTE n'est pas seulement intéressante
en elle-même , par les aperçus profonds et ingénieux qu'on y trouve ; elle l'est surtout
6(d8 ARISTOTE.
par l'influence prépondérante qu'elle a exercée pendant des siècles. Le moj'en âge tout
entier a vécu sur la doctrine aristotélique.
A vrai dire, le physiologiste de l'antiquité, ce n'est pas Aristote, c'est Galien. Le génie
grec, qui a créé toutes les sciences, a créé aussi l'anatomie, la médecine, la zoologie, et
la physiologie : Hippocrate, Aristote et Galien sont les trois savants qui représentent
ces trois sciences. Hippocr.ate décrit les maladies, les épidémies, les causes des maux
qui affligent les hommes, il fait des observations cliniques, qui, même après deux mille
ans, sont restées véridiques et utiles à consulter; mais sa physiologie est enfa,ntine, ou
plutôt il n'a pas fait de physiologie. Le seul physiologiste des temps anciens, c'est
Galien. Celui-là est vraiment le précurseur de notre science; il a sur la biologie géné-
rale peut-être moins d'idées qu'AEisTOTE, et il ne semble pas prendre grand intérêt aux
choses de la nature; mais il est médecin, et, par une sorte de divination, il comprend
que la médecine, la chirurgie, et la thérapeutique n'ont pas seulement comme base
l'observation clinique et la méthode hippocratique, mais encore l'anatomie et la phy-
siologie. Aussi fait-il des expériences, et sait-il les interpréter avec une rare sagacité. Aris-
tote, qui a observé les animaux et leurs mœurs, quia disséqué les poissons, les poulpes,
les oursins, les insectes, n'a guère fait de recherches précises en physiologie. En
biologie générale, il émet souvent des idées profondes et géniales; mais la science phy-
siologique même, celle que nous cultivons aujourd'hui, et dont la base est l'expéri-
mentation, il ne la connaît pas, et ne soupçonne même pas qu'elle existe. Il admet
implicitement, comme celarésulte de tous ses écrits, que l'anatomie est la seule lumière
qui peut éclairer la physiologie. Il faudra arriver jusque à Magendie et Claude-Bernard
pour que cette énorme faute de méthode soit dissipée.
Cependant il nous paraît important de résumer aussi brièvement que possible les
notions d'ARiSTOTE sur la physiologie. On verra qu'elles sont parfois admirables,
ouvrant sur l'avenir des vues merveilleuses, mais bien souvent aussi tout à fait ridicules.
Les unes comme les autres sont utiles à mentionner, ne fût-ce que pour faire saisir
quelles immenses difficultés s'opposent à la découverte d'une vérité, même quand cette
vérité, après qu'elle a été reconnue, paraissait bien simple à reconnaître.
Nous n'entrerons évidemment pas dans la critique bibliographique relative à l'au-
thenticité plus ou moins certaine de tel ou tel ouvrage d'ARisTOTE. Nous considérerons
toute l'œuvre comme authentique, et nous prendrons pour guide la grande édition in-
folio de Duval (2 vol. Paris, 1619) ainsi que les Commentaires de Magike (1 vol. in 12°,
Francfort, 1612.) Quant aux écrits plus modernes sur la physiologie aristotélique, il y a
à citer surtout les traductions excellentes de Barthélémy Saint-Hilaire, une thèse de la
Faculté de médecine de Paris par Geoffroy, sur l'anatomie et la physiologie d'ARisTOTE,
et surtout un beau travail de Georges Pouchet, dans la Revue philosophique (Biologie
aristotélique, t. xviii, 1884, pp. .333 et suiv.)
La physiologie expérimentale est la partie faible de l'œuvre d'ARisTOTE, et en eliet,
ce qui est la base de notre science, c'est-à-dire la chimie, devait échapper com-
plètement à tous les savants de l'antiquité. Comme j'ai eu souvent l'occasion de le
dire, il faut faire remonter la physiologie moderne à Lavoisier, bien plutôt qu'à Harvey.
Lavoisier, c'est le créateur de la physiologie, par la découverte du phénomène essentiel
de la vie, la combustion respiratoire.
Pour Aristote la respiration se fait par le poumon et la trachée artère qui donne
passage à l'air (non aux ahments, comme ou le soutenait à tort). Tous les animau.v qui
vivent sur terre ont un poumon, car ils ont tous besoin de refroidir le sang par la res-
piration, et, d'autre part, tous les animaux qui ont du sang ont besoin que ce sang soit
refroidi; mais, pour les animaux aquatiques, le refroidissement se fait par l'eau, tandis
qu'il se fait par l'air pour les animaux terrestres. Le cœur est l'organe oti le sang s'é-
cbaulfe, et, pour que cet échauffement n'aille pas trop loin, il faut le refroidissement
par la respiration. En somme la respiration agit comme un soufflet qui aspire et rejette
l'air par le même orifice. Pour prouver ce rôle réfrigérant du poumon, Aristote donne
un curieux exemple qui montre combien une observation vraie peut être mal interprétée
et conduire à des conclusions absolument fausses. Il y a, dit-il, des maladies qui dur-
cissent le poumon; alors il se fait une chaleur fébrile trop forte, et une respiration plus
fréquente pour suppléer à l'absence de refroidissement. Les poissons ne respirent pas
ARISTOTE. 669
l'air, mais ils se refroidissent par l'eau qui circule dans leurs branchies, et en effet ils
n'ont pas de trachée artère, et, quand on les met dans l'eau, on ne voit pas l'air se
dégager par le fait de leur respiration ; donc ils n'ont pas besoin d'air pour vivre, mais
seulement d'eau qui les refroidit.
Le cerveau est l'organe le plus froid du corps ; il est privé de sang ; c'est lui qui est
l'organe du sommeil ; mais les sensations n'ont pas leur siège dans le cerveau ; c'est
dans le cœur, foyer central de la vie. Sur ce point Amstote est moins avisé qu'Hippo-
ORATE qui avait placé dans le cerveau l'intelligence.
Ainsi la chaleur animale, naturelle, est fixée dans le cœur et le cerveau ; tandis que le
poumon, où circule de l'air, est l'appareil modérateur de cette chaleur naturelle, née du cœur.
Voilà certes une physiologie qui nous paraît très absurde; mais, à côté de ces
erreui's énormes, il y a, dans certains passages, des observations bien curieuses sur le
sommeil; et en particulier sur cette faculté remarquable de discerner d'une nianièi'e
inconsciente, pendant notre sommeil, telles et telles excitations qui, sans être nettement
iseroues, arrivent jusqu'à l'âme qui n'est jamais complètement endormie, et peuventpro-
voquer des rêves.
C'est d'ailleurs le propre de ces physiologies anciennes que de mêler d'étonnantes
vérités à de non moins étonnantes erreurs. Aristote connaissait le phénomène des phos-
phènes;et il savait qu'en comprimant l'œil, on fait éprouver une vive sensation de
lumière. « Il y a des sens, dit-il, agissant médiatement, comme la vue et l'ouïe, et
d'autres agissant par le contact direct, comme le goût, le toucher et l'odorat. » On sait
qu'une des plus curieuses expériences delà physiologie psychologique, celle de la boule
unique perçue comme double quand on la touche par le médius et l'index inversés de
leur position naturelle réciproque, est attribuée à Abistote.
La physiologie du cœur ne contient pas moins d'erreurs grossières mêlées à quelques
vérités.
D'abord il est dit que le cœur a trois cavités.
Tous les animaux qui ont du sang ont un cœur, et c'est le cœur qui est le siège
de la chaleur naturelle. De même le cœur est le centre des veines, et le point de départ
des nerfs qui se continuent avec l'aorte ; c'est aussi le cœur qui est le siège des sensations.
Le sang est dans les veines, et il n'y a d'exception que pour le sang du cœur. Là en effet
le sang n'est pas contenu dans les veines; c'est une exception unique dans l'être; car les
artères, le cerveau et les glandes ne contiennent pas de sang. Au moment de la forma-
tion de l'être, le premiei' mouvement qui apparaisse, c'est le mouvement du cœur [punc-
limi saliens), et c'est aussi, par une conséquence nécessaire, le dernier organe qui, au
moment de la mort, soit encore animé de mouvements.
La prédominance du cœur sur tous les autres organes est un des fondements de la
doctrine physiologique d'AmsTOTE. En effet le cœur est rattaché à la trachée, et, si l'on
insuffle le poumon par la trachée, on voit l'air pénétrer dans le cœur (erreur expérimen-
tale qu'il est difficile d'expliquer). Secondement les nerfs partent du cœur, qui est aussi
le centre de toutes les émotions psychiques, et enfin les aliments passent dans le cœur
pour y donner naissance à la chaleur naturelle.
Le phénomène du pouls n'avait pas échappé à Abistote; mais il ne le rattache pas
au cœur, ou du moins il n'insiste pas sur ce sujet; il dit seulement que la respiration
est indépendante du pouls, tandis que les mouvements du cœur et ceux du pouls se
passent en même temps.
Relevons aussi cette remarque à peu prés exacte, c'est que le cœur est un des organes
qu'on trouve le moins souvent malade ; car son importance est telle que, s'il était malade,
la vie de l'animal serait impossible.
Le sang se forme dans le cœur, en môme temps que le cœur, et alors que dans aucune
partie de l'organisme il ne s'est formé de sang. 11 se compose de deux parties, une partie
aqueuse, froide, qui ne se coagule pas; une autre partie, flbrineuse, qui est susceptible
du coagulation. Si l'on enlève la fibrine, le sang ne se coagule plus : c'est comme si, de
la boue, on enlevait la partie terreuse; alors il ne resterait plus que le liquide. Le sang
de tous les animaux se coagule; sauf celui du cerf et du daim qui reste toujours liquide
(ce qui est évidemment une erreur, .même en supposant qu'il s'agisse d'observations
faites sur des animaux forcés à la chasse).
670 ARISTOTE.
Le diaphragme est une membrane charnue qui sépare le ventre et le thorax. En effet
il était nécessaire que la chaleur produite par les aliments ne vînt pas affecter, d'une
manière fâcheuse, le cœur, foyer de la vie, du sang et des sensations. Les parties nobles
où est l'âme sont au-dessus du diaphragme; les parties non nobles sont au-dessous.
L'hj'polhèse d'une chaleur venant des aliments est évidemment une des parties les
plus faibles de la doctrine aristotélique. Les vapeurs chaudes nées de l'aliment remontent
vers le cœur et troublent la pensée; en tout cas c'est cette chaleur (qui se communique
au cœur) qui est la cause déterminante de la respiration ; car elle provoque une dilata-
tion du thorax, et par conséquent un mouvement respiratoire, dont l'effet est un refroi-
dissement immédiat du sang.
Les ahments sont introduits par la bouche dans l'œsophage, et de là dans l'estomac.
C'est une grave erreur que de croire qu'ils passent par la trachée; car, dès qu'une par-
celle d'aliments liquides ou solides pénètre dans les voies aériennes, elle amène aussitôt
la toux et la suffocation. L'épiglotle est là précisément pour empêcher les aliments
de passer dans la trachée; et, quand on vomit le vin qu'on a ingéré, ce vin ne passe pas
par la trachée, mais par l'œsophage.
L'estomac sert à recevoir les aliments et à les préparer à leur transformation, ou
coction. Mais, si toutefois l'on peut bien saisir le sens que donne Aristote à la fonction
de l'estomac, il s'agit surtout d'un rôle mécanique. Les animaux qui n'ont pas de dents
ou peu de dents, et qui, de plus, se nourrissent d'aliments durs, ont quatre estomacs; ce
sont les animaux qui ruminent. Chez certains animaux on trouve des poches appendues
à l'estomac (appendices pyloriques des poissons, ou double cœcum des oiseaux) qui aident
à la digestion.
Après l'estomac vient l'intestin qui achève l'élaboration de l'aliment. Cet aliment éla-
boré passe par le mésentère qui va de l'intestin à la grande veine (veine cave) et à l'aorte.
C'est ainsi que les animaux se nourrissent; ils vivent comme les plantes qui, par leurs
racines, tirent la nourriture de l'intestin.
Le foie sert aussi à la coction de l'aliment; mais sur ce point Aristote est aussi peu
explicite que possible, et il n'y a pas lieu d'en être surpris, puisque aujourd'hui encore,
après tant de laborieuses recherches, nous connaissons à peine quelques unes des fonc-
tions du foie. D'ailleurs le propre des théories fausses, n'est-ce pas de se contenter de
preuves insuffisantes et de ne pas saisir les contradictions et les incohérences qu'elles
traînent derrière elles?' La rate (qui est un foie bâtard, comme un faux foie) produit de
la chaleur, parce qu'elle a du sang, et elle attire les humeurs excrémentitielles venant
de l'estomac, pour leur faire subir une nouvelle coction, supplémentaire.
Les reins contribuent à la séparation de l'excrément liquide, mais, comme le fait
remarquer G. Pouchet, Aristote ne dit nulle part bien clairement que ce soient les reins
qui soient chargés de l'excrétion de l'urine. Toutefois il sait distinguer l'urine des vivi-
pares, qui est liquide, et celle des ovipares (reptiles et oiseaux) qui est solide. Quant à
la distinction des muscles, des tendons et des nerfs, elle est assez confuse.
Aristote s'est aussi beaucoup préoccupé des fonctions de reproduction, et il y insiste
à diverses reprises : d'ailleurs ce sont des études relevant plutôt d'observations zoolo-
giques ou médicales que d'expérimentations physiologiques proprement dites.
La procréation résulte de l'union du mâle et de la femelle; le mâle apportant le
mouvement et le principe, la" femelle apportant la matière. Le sperme contient l'âme;
c'est l'élément actif de la vie, et nécessaire à la formation du nouvel être. Au moment de
l'accouplement, le sperme pénètre dans la matrice qui l'attire par sa chaleur propre.
Une fois dans la matrice, il coagule les menstrues — c'est-à-dire le sang — qui s'y
trouvent, de manière à former des membranes qui bientôt vont entourer la partie essen-
tielle du sperme. Alors se produisent les mêmes phénomènes que chez les végétaux, et
l'animal fœtus qui a besoin de se nourrir, se nouri'it comme les plantes; il va donc
puiser la vie dans la matrice, comme les plantes dans la terre. Pour cela partent du cœur
de l'embryon, qui est le centre de sa vie, deux veines qui forment le cordon ombilical,
et vont, ainsi que deux racines, chercher leur nourriture dans les cotylédons de l'utérus.
Vers la fin de la grossesse, le sang se change en lait. Le lait est formé d'une partie
liquide, petit lait ou sérum, et d'une partie solide, caséum. Le lait riche en caséum,
comme celui des ruminants, est plus nourrissant, mais il est cependant trop épais pour
ARISTOTE. 671
les enfants. Le premier lait qui sort de la mamelle n'est pas de bonne qualité, il est
filant, mais on a tort de le comparer à du pus. Le suc du figuier, et l'estomac des ani-
maux (présure) déterminent la coagulation du lait.
Sur le temps de la gestation, le moment de laparturition, le diagnostic des grossesses
de garçons ou de filles, la forme du fœtus, la copulation chez les divers animaux, Aeis-
TOTE donne de nombreux détails, mais qui sont toujours plutôt de la zoologie que de la
physiologie, dans le sens que nous entendons aujourd'hui.
Telle est, en résumé, la physiologie d'ARisTOTE, très imparfaite, comme on voit, et
n'ayant plus qu'un intérêt historique; car l'observation anatomique, qui était sa seule
méthode d'étude, ne peut pas conduire à la physiologie. Ignorance absolue, et invrai-
semblable, des fonctions du cerveau, des nerfs et de la moelle; ignorance de la circula-
tion et de l'essence même de la fonction du cœur; ignorance absolue des phénomènes
mécaniques de la respiration, et encore plus, si c'est possible, de leur fonction chimique;
ignorance des relations qui existent entre les aliments et la nutrition. Malgré cela, d«
place en place, jetant dans cette ombre épaisse une étrange lueur, une appréciation
juste et perspicace de certains détails, mais le plus souvent de détails anatomiques.
En somme, comme on peut s'en rendre compte par ce rapide exposé, la physiologie
d'AmsïOTE, malgré quelques curieuses échappées vers la vérité, est bien loin de la vérité;
mais en revanche, ses notions en zoologie, et surtout ses vues sur la biologie générale
sont admirables.
D'abord les détails de zoologie physiologique sont innombrables. Ainsi le fait du
sommeil hibernal ne lui avait pas échappé; et quelques observations qu'il fait à cet
égard seraient encore aujourd'hui bonnes à recueillir. Il sait, par exemple, ([ue les ours
hibernent, et que, pendant ce temps, c'est-à-dire au fort de l'hiver, ils ne mangent pas,
si bien que, lorsqu'on les prend alors, on leur trouve l'estomac et les intestins absolument
vides. Il connaît la mue de la peau des serpents, et le changement de carapace des crabes
et des langoustes. Il fournit sur l'instinct et l'intelligence des animaux des notions fort
intéressantes et curieuses; il a étudié les transformations des insectes qui commencent
par être des vers, puis des chrysalides, puis des adultes. Il a vu que les poissons cartila-
gineux ont des appareils reproducteurs et une vraie copulation, tandis que les serrans
sont hermaphodites, et que l'on ne connaît pas le mode de génération des anguilles, à
la vérité presque aussi inconnu de nos jours qu'il l'était àAmsTOTE. On trouverait facile-
ment nombre d'exemples tout aussi curieux que ceux-là.
Quant aux remarques de biologie générale, elles abondent, et je ne peux me dis-
penser d'en citer quelques-unes. 11 semble que parfois certains ouvrages de zoologie
moderne, remplis de détails minuscules, souvent bien peu intéressants, auraient à gagner,
si de semblables généralités venaient interrompre l'aridité des détails techniques. Je cite
presque au hasard.
« Un seul sens est commun à tous les animaux sans exception, c'est le toucher.
« Les animaux privés de sang — c'est-à-dire les invertébrés — sont plus petits que
les animaux qui ont du sang, à l'exception de certains mollusques qui sont énormes. »
Mais voici un passage plus intéressant encore, comme une vue prophétique du grand
savant grec, relativement à cette lutte pour la vie que Darwin a magistralement déve-
loppée deux mille ans après.
« Toutes les fois que les animaux habitent les mêmes lieux et qu'ils tirent leur vie des
mêmes substances, ils se font mutuellement la guerre. Si la nourriture est par trop rare,
les bêtes, même de race semblable, se battent entre elles. C'est ainsi que les phoques
d'une même région se font une guerre implacable, mâle contre mâle, femelle contre
femelle, jusqu'à ce que l'un des deux ait tué l'autre, ou ait été chassé par lui; les petits
se battent avec non moins d'acharnement. Tous les animaux sont en guerre avec les
carnivores, qui, mutuellement, sont, eux aussi, en guerre avec tous les autres, puisqu'ils
ne peuvent vivre que d'animaux... Les plus forts font la guerre aux plus faibles et les
dévorent. »
Voici un autre passage que Barthélémy Saint-Hilaire a, non sans raison, rapproché
de certains discours de Ccvier : « La constitution entière de l'animal peut être assimilée
à une cité régie par de bonnes lois. Une fois que l'ordre est établi dans la cité, il n'est
plus besoin que le monarque assiste spécialement à tout ce qui se fait; mais chaque
672 ARISTOTE.
citoyen remplit la fonction particulière qui lui a été assignée, et alors telle chose s'ac-
complit après telle autre, selon ce qui a été réglé. Dans les animaux aussi, c'est la
Nature (jui maintient un ordre tout à fait pareil, et cet ordre subsiste, parce que toutes
les parties des êtres ainsi organisés peuvent chacune accomplir naturellement leur fonc-
tion spéciale. »
11 admet comme essentielle la notion d'une finalité présidant à toutes les formes
anatomiques, notion qui, plus tard, inspirera si heureusement Galien. « Dans toutes les
oeuvres de la Nature, dit-il, il y a toujours place pour l'admiration, et on peut leur
appliquer le mot de Démocrite à des étrangers qui venaient pour le voir et s'entretenir
avec lui. Comme ils le trouvaient se chauffant au feu de la cuisine : « Entrez sans crainte,
« leur dit le philosophe, les dieux sont toujours ici. » De même, dans l'étude des animaux,
quels qu'ils soient, il n'y a jamais à détourner nos regards dédaigneux, parce que dans
tous il y a quelque chose de la puissance de la Nature et de sa beauté. 11 n'est pas de
hasard dans les œuvres qu'elle nous présente; toujours ces œuvres ont en vue une cer-
taine fin, et il n'y en a pas où ce caractère éclate plus fortement qu'en elles. Si quelqu'un
était porté à mépriser l'étude des autres animaux, qu'il sache que ce serait aussi se
mépriser soi-même. >>
Mais, de toutes les idées d'ARiSTOTE, la plus importante, et sans doute la plus célèbre,
est celle que Leibniz a reprise et traduite sous la forme de ce fameux axiome : « Natara
non facit saltus. »
Voici comment Ahistote en a parlé : « La Nature passe des êtres sans vie aux êtres
animés par des nuances tellement insensibles que la continuité nous cache la limite com-
mune des uns et des autres, et qu'on est embarrassé de savoir auquel des deux extrêmes
on doit rattacher l'intermédiaire. Ainsi, après la classe des êtres animés vient d'abord
celle des plantes. Déjà, si l'on compare les plantes entre elles, les unes semblent avoir
une plus grande somme de vie que certaines autres, puis la classe entière des végétaux
doit paraître presque animée comparativement à d'autres corps; mais, en même temps,
quand on la compare à la classe des animaux, elle paraît presque sans vie. D'ailleurs le
passage des plantes aux animaux présente si peu d'intervalles que, pour certains êtres
qui habitent la mer, on hésite et on ne sait pas si ce sont vraiment des animaux ou des
plantes. Ainsi l'éponge produit absolument l'effet d'un végétal; mais c'est toujours par
une différence très légère que ces êtres, les uns comparés aux autres, semblent avoir
de plus en plus la vie et le mouvement. 11 n'y a presque pas de différence entre l'organi-
sation des Téthj'es (ascidies) et celle des plantes, bien que lesTéthyes doivent être consi-
dérées comme des animaux, à plus juste titre que les éponges; car ces dernières offrent
absolument les conditions d'une plante. C'est que la Nature passe sans discontinuité des
êtres privés de vie aux animaux vivants, par l'intermédiaire d'êtres qui vivent et qui sont
animés, sans être cependant de vrais animaux. Ces êtres étant fort rapprochés entre eux,
il semble qu'ils ne présentent qu'une différence imperceptible. Ainsi, par cette propi'iété
qu'a l'éponge de ne pouvoir vivre qu'en s'attachant quelque part, et de ne plus vivre dès
qu'on la détache, elle est tout à fait comme les plantes. Les Holothuries et d'autres
animaux marins différent aussi bien peu des plantes, et présentent le même phénomène
quand on les arrache. Ces êtres n'ont pas trace de sensibilité, et ils vivent comme des
végétaux détachés du sol. Parmi les plantes que nourrit la terre, il en est qui vivent et
poussent, tantôt sur d'autres plantes, et tantôt même après qu'on les a arrachées. C'est
le cas de la plante du Parnasse qu'on appelle V épij)étron, qui vit longtemps encore sur les
poteaux où on la suspend. De même les Ascidies et les êtres qui y ressemblent et se rappro-
chent beaucoup de la plante, en ce que, d'une part, ils ne peuvent vivre qu'en s'attachant
comme elle, bien que d'autre part, on puisse y découvrir une certaine sensibilité, puisque
elles ont une partie qui est de la chair. De là l'embarras qu'on éprouve à les classer. »
L'idée de cette chaîne continue, reliant ensemble les différents êtres qui peuplent la
terre, chaîne qui semble indiquer la notion d'une parenté commune, n'est donc pas
moderne, mais antique; et, quant à cet autre axiome, qu'on croit souvent tout à fait
moderne, que l'ontogénie reproduit la phylogénie, il suffira de citer un admirable pas-
sage de Harvey, qui, lui aussi, sur ce point devance la science de son temps : " lisdemgra-
dibus in formatione cujuscumque animalis, transiens per omnium animalium constitutiones,
ut ita clicum, uvum, vermem, fetum, perfectionem in singulis acquirit. »
ARLOING (S). 673
En pareille matière, les citations sont plus intéressantes que les commentaires, et je
ferai encore, pour terminer, la citation d'un passage d'ARrsTOTE, qui semble avoir été écrit
par un zoologiste contemporain : « Si, dit-il, on veut se rendre compte de ces deus organi-
sations (celle des animaux qui ont du sang — vertébrés, — et celle des animaux qui
n'en ont pas — invertébrés — ) on n'a qu'à imaginer une ligne droite qui représenterait
la structure des quadrupèdes et celle de l'homme. D'abord, au sommet de cette droite,
serait la bouche indiquée par la lettre A; puis l'œsophage, indiqué par U ; le ventre, par
C; et l'intestin, dans toute sa longueur jusqu'à l'issue des excréments, indiqué par D.
Telle est la disposition des organes chez les animaux qui ont du sang et chez lesquels on
distingue la tête et ce qu'on appelle le tronc. Quant aux autres parties, c'est pour le
mouvement que la Nature les a ajoutées, et en a fait des membres antérieurs et posté-
rieurs. Dans les crustacés et les insectes, la ligne droite se retrouve pour les organes
intérieurs, et il n'y a de différences essentielles chez les animaux qui ont du sang que
par la disposition des organes extérieurs consacrés à la locomotion. Quant aux mollus-
ques et testacés turbines, s'ils se rapprochent entre eux par leur organisation, ils sont
tout à fait différents des quadrupèdes. L'extrémité terminale s'infléchit sur l'extrémité
initiale, comme si la ligne droite centrale était repliée, avec le point D incliné vers le
point A. Les parties intérieures se trouvent alors enveloppées par cette partie qu'on
appelle le manteau, dans les mollusques, et que, dans les poulpes, on appelle exclusive-
ment la tète'. »
Il semble que ces citations sont suffisantes pour faire juger l'œuvre du Maître. C'est
bien le Maître en effet, celui qui va régner sans partage dans la science pendant plus
de dix-huit siècles. Mais, si grand qu'il soit, il est bon qu'il ait été détrôné. La
Nature est plus riche encore que les ouvrages des plus grands entre les hommes, et, quand
Harvey essaiera de donner la démonstration de quelques-unes des grandes lois de la phy-
siologie, on lui opposera malheureusement Aristote. Dans la recherche de la vérité que
nous poursuivons avec ardeur, nos prédécesseurs doivent être pour nous, non un obstacle,
mais un appui.
CH. R.
ARLOING (S.) — Professeur de physiologie à la Faculté des sciences de
Lyon (1884), actuellement professeur de médecine expérimentale et comparée à la Fa-
culté de médecine de Lyon et à l'École vétérinaire, 1887.
Outre ses travaux de physiologie, Arloing a fait des travaux nombreux de pathologie
expérimentale que nous ne pouvons mentionner que très sommairement.
Recherches sur la sensibilité des tégumenls et des nerfs de la main(en coll. avec L. Tripier)
(A. P., 1869, t. II, pp. 33-60; 307-321). — Des conditions de la persistance de la sensibilité
dans le bout périphérique des nerfs sectionnés (En coll. avec L. Tripier) (A. P., 1876, 2= série,
t. III, pp. H-44 et pp. 103-132). — Contribution à la physiologie des nerfs vagues (En coll.
avec L. Tripier) (A. P., 1871, t. iv, pp. 411-426; 588-601; 732-742 et 1873, t. v, pp. 157-
175). — Application de la méthode graphique à l'étude du mécanisme de la déglutition
chez les mammifères et les oiseaux (Th. doct. es sciences nat., i vol. 8°. Paris, Masson, 1877).
— Détermination des points excitables du manteau de l'hémisphère des animaux solipédes.
Applications à la topographie cérébrale [Rev. mens, de médec. et de chir., 1879, p. 178). —
Une addition à l'histoire de l'excitabilité dic manteau de l'hémisphère cérébral du chien {Rev.
mens, de médec. et de chir., 1879, pp. 177-186). — Recherches comparatives sur l'action du
chloral, du chloroforme et de l'éther, avec applications pratiques {D. P., 1 vol. in-8°, Mas-
son, 1879). — Contribution à l'étude de la partie cervicale du grand sympathique envisagé
comme nerf secrétaire (A. P., janv. 1890, (5), t. ii, pp. 1-16).' — Des relations fonctionnelles
du sympathique cervical avec l'évolution de l'épiderme et des glandes (A. P., janv. 1891,
1. Voici, d'après l'édition de Duval (t. i. 1619) la liste des ouvrages où Aristote a émis
ses idées en physiologie: De histuria Animalium (pp. 761-966). — De respiratione (pp. 714-732).
— De animalium incessu (pp. 733-747). — De spiritu (pp. 748-736). — De partibus animaliam
(pp. 966-1046). — De qeneralione animalium (pp. 1047-1149). — De anima (pp. 616-661). — De
sensu et sensili (pp. 662-678). — De animalium motione (pp. 708-710). — De longitudine et bre-
vitate vitœ (pp. 710-714). Il n'y a de ces différents mémoires que l'Histoire des animaux qui ait
été traduite en français; mais la grande édition in-fol. de Duval contient le texte latin à côté
du texte grec.
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TO.ME I. 43
674 ARSENIC.
(5), t. m, p. 160-172). — ISouvelle contribution à l'étude de la -partie cervicale du grand
sympathique envisagée comme nerf secrétaire chez les animaux solipèdes {A. P., avril 1891,
(b), t. m, p. 241-282). — Poils et ongles (anat. etphys.) {Th. agr., Paris, 1880, 1 vol. in-8°,
Masson). — Modifications de la circulation sous l'influence de la saignée {Rev. de méd., 1882,
pp. 97-111). — Modifications des effets vaso-constricteurs du sympath. cervical produites
parla section du pneumogastrique cliez les animaux où ces deux nerfs sont isolables (B. B.,
févr. 1882, pp. 85-87). — Procédé général pour évaluer la force mécanique de l'élasticité
des gros troncs artériels (ibid., pp. 87-88). — Note sur les rapports de la pression à la vitesse
du sang dans les artères pour servir à l'étude des phénomènes vasomoteurs {A. P., janv.
1889, pp. 115-124). — Tétanos du myocarde chez les mammifères par excitation du nerf
pneumogastrique (A. P., janv. 1893, (o), t. v, pp. 103-113). — Remarques sur quelques
troubles du rythme cardiaque (A. P., janv. 1894, (5), t. vi, pp. 85-92). — Modifications
rares ou peu connues de la contraction des cavités du cœur sous l'influence de la section et de
l'excitation des nerfs pneumogastriques {ibid., pp. 163-172). — Note sitr l'état des cellules
glandul. de la sous-maxillaire après l'excitation de la corde du tympan (En coll. avec
J. Renadt) (C. R., 1879, t. lxsxviii, p. 1366). • — Rech. sur l'anat. et la physiol. des muscles
striés pâles et foncés (En coll. avec Lavocat) {Mém. de l'Acad. de Se, inscript, et belles-
lettres de Toulouse, 1875, t. vu, pp. 177-194). — Dégénération et centre trophique des
nerfs, examen critique des opinions émises sur leur nature; applications {B. B., 1886, (8),
t. III, p. So3-oo6). — Appareil simple pour déterminer la quantité d'acide carbonique exhalé
par les petits animaux à l'état de santé et de maladie {A. P., (3), t. vu, 1886, pp. 322-345).
— Note sur les effets physiologiques du formiate de soude {C. R., 1879, t. lsxxix, p. 487).
— Note sur quelques points de l'action physiologique de la cocaïne {Mém. Soc. BioL, 188S,
(8), t. n, pp. 16-22).
Traité d'anatomie comparée (en coll. avec Chauveau), 4= éd., 1 vol. in-S», Paris, J. B.
Baillière, 1890. — Cours élémentaire d'anatomie générale, l vol. in-8'', Asselin et Houzeau,
Paris, 1890.
De l'existence d'une matière phlogogéne dans les bouillons de culture et dans les humeurs
7itttU7'elles oùont vécu certains microbes (C. R., 7mai 1888, t. cviii, p. 1365). — Remarques sur
les diastases sécrétées par le Bacillus heminecrobiophilus dans les milieux de culture (C. R.,
2 déc. 1889, t. cxi., p. 842). — Détermination du microbe producteur de la péripneumonie
contagieuse du bœuf {C. R., 16 sept. 1889, t. cxi, p. 459). — Sur la propriété immuni-
sante des cultures de Pneumobacillus liquefaciens bovis contre la péripneumonie contagieuse
{Soc. centr. de médec. vétérin., 10 mai 1894). — Du charbon bactérien {charbon symptoma-
tique de Chabert) ; Pathogènie et inoculations préventives (En coll. avec Cornevin et Thomas)
2« édit., 1 vol. in-8°. Paris, Asselin, 1887. — Influence de la lumière blanche et de ses
rayons constituants sur le déceloppement et les propriétés du Bacillus anthracis {A. P., 1886,
(3), t. vu, pp. 209-235). — Fermentation des matières azotées sous l'influence de virus anaé-
robies (C. R., 1886, t. cm, p. 1268). — De l'exhalation de l'acide carbonique dans les
maladies infectieuses déterminées par des microbes aérobies (C. il., 1886, t. cm, p. 610). —
Les virus, 1 vol. in-8''. Paris, Alcan, 1891. — Leçons sur la tuberculose et certaines septi-
cémies, 1 vol. in-8°. Paris, Asselin, 1892.
ARSENIC. — Notions chimiques. — L'arsenic se rencontre dans la nature
à l'état natif en petites masses bacillaires et fibreuses, dans certains gites métallifères :
mais on le trouve surtout à l'état de sulfure d'arsenic, ou de sulfarséniure. II a été
signalé en très petites quantités dans un certain nombre d'eaux minérales, en particulier
dans les eaux ferrugineuses.
L'arsenic est une des substances les plus répandues dans la nature. Beaucoup de
terrains sont arsenicaux, les aliments qui y croissent peuvent alors renfermer des traces
de toxique. Ce sont les parties les plus nutritives, comme les semences, qui en con-
tiennent le plus; l'arsenic, a-t-on prétendu, se substituant au phosphore (Dragendorkf).
On verra plus loin que la possibilité de la substitution de l'arsenic au phosphore dans
certains tissus animaux a également été admise.
Les eaux qui ont traversé des terrains naturellement arsenicaux ou dans lesquels on
fait écouler des résidus arsenicaux provenant des laboratoires de chimie ou d'établisse-
ments industriels peuvent renfermer de l'arsenic. Sonnenschein a fait remarquer que
ARSENIC. 675
l'air pouvait renfermer du chlorure d'arsenic au voisinage des fabriques de soude artifi-
cielle qui consomment de l'acide sulfurique arsenical; l'humidité condensera ce corps.
La question de savoir si l'arsenic du sol peut s'introduire dans un corps inhumé est
discutée dans tous les traités ou articles de toxicologie. Mais Garnier et Schlagdenhauf-
FEN (Ann. d'hygiène publique, 1887, t. xvii, p. 28) ont montré que, quelle que soitla richesse
naturelle en composés arsenicaux du terrain sur lequel est établi un cimetière, jamais
l'arsenic retrouvé dans un cadavre, pourvu qu'il n'y ait aucun mélange de la terre de la
fosse avec les débris organiques soumis à l'analyse, ne peut provenir du sol avoisinanl.
L'arsenic contenu dans le sol à l'état naturel s'y trouve très probablement à l'état d'acide
arsénique combiné à la chaux ou plutôt au fer : ces deux composés ne sont jamais
entraînés par les eaux de pluie, quelles que soient les conditions climatériques et sai-
sonnières; par suite, ils ne peuvent venir au contact des cadavres inhumés et s'y intro-
duire par un phénomène d'imbibition. Il en serait de même de l'arsenic introduit dans
le sol sous une forme soluble ; il se transforme rapidement à courte distance en dérivé
insoluble. C'est du reste exactement ce que dit Orfila (Article Arsenic du Dict. Encyclop.).
E. LuDwiG et MadthiN'er sont moins affirmatifs (176. das Vorkommen von Arsen in Fric-
dliofserden : Wien. klin. Wochenschr., 1890).
L'arsenic est un corps solide, d'aspect métallique, de couleur blanc grisâtre. Poids
atomique = 73; poids moléculaire = 300. Comme celle du phosphore, sa molécule con-
tient donc 4 atomes en 2 volumes. Sa densité est 3,75. Sous l'influence de la chaleur il
se volatilise à 180° sans fondre; mais, si l'on fait intervenir la pression, il se transforme
en un liquide transparent. Sa vapeur est jaune-citron, elle émet une odeur alliacée,
grâce à un commencement d'oxydation. Elle se condense sous forme d'un dépôt brun
(tache ou anneau) plus ou moins brillant, à éclat plus ou moins métallique, suivant
l'épaisseur. Une solution étendue d'hypochlorite de soude dissout instantanément ce
dépôt. Une tache arsenicale est transformée en une tache jaune de sulfure d'arsenic
lorsqu'on la mouille avec du sulfure d'ammonium et qu'on évapore avec précaution : la
tache jaune est insoluble dans l'acide chlorhydrique mélangé de son volume d'eau. Si
l'on dissout la tache arsenicale dans l'acide nitrique pur, on obtient, après évaporation,
un résidu blanchâtre d'acide arsénique. Une goutte d'ammoniaque ajoutée au résidu,
donne de l'arséniate d'ammoniaque. Si l'on chasse alors à 100° l'excès d'ammoniaque,
et si l'on touche le résidu blanchâtre restant au fond de la capsule avec une solution
faible de nitrate d'argent, on obtient une coloration rouge brique caractéristique qui
est celle de l'arséniate d'argent.
Au-dessous du rouge sombre, l'arsenic s'enflamme dans l'oxygène ou dans l'air et
brûle avec une lueur livide en donnant de l'acide arsénieux et dégageant une forte odeur
d'ail. Il s'oxyde assez rapidement à l'air, et, pour le conserver brillant on le garde sous
une couche d'eau qui dissout les petites quantités d'acide arsénieux qui peuvent se for-
mer. On a dit qu'étant insoluble il n'est pas toxique : mais il se transforme partielle-
ment dans le suc gastrique en acide arsénieux. Des expériences récentes, dont il sera
question plus loin, ont d'ailleurs montré qu'il peut donner lieu à des accidents. On s'en
sert pour fabriquer des poudres et papier tue-mouches, après l'avoir pulvérisé et
humecté d'eau.
Composés oxygénés. — L'arsenic forme avec l'oxygène deux combinaisons bien
définies : l'anhydride arsénieux As^O'' et l'anhydride arsénique As-O"".
A. Anhydride arsénieux et arsénites. — • L'anhydride arse'nieux, acide arsé-
nieux, arsenic blanc, se prépare industriellement par le grillage du mispickel, et acces-
soirement par le grillage des minerais arsénifères de cobalt et de nickel. Le grillage se
fait dans de grands moutles d'où les vapeurs se dirigent dans de longs canaux légè-
rement inclinés, où se dépose l'anhydride arsénieux à l'état de farine ou de fleurs d'arsenic.
Au bout d'un certain temps on racle cette poudre; cette opération est très dange-
reuse et les ouvriers qu'on y emploie sont exposés à de graves accidents. On soumet la
farine à une nouvelle sublimation dans une chaudière en fonte surmontée d'une série
de cylindres en tôle, sur les parois desquels se condense l'anhydride en masses compactes
qui sont ainsi livrées au commerce : les vapeurs non condensées arrivent dans une caisse
en bois où elles se déposent.
Lorsque les fleurs d'arsenic sont mélangées de soufre, ce qui a lieu généralement,
676 ARSENIC.
on en fait une pâte avec de la potasse et on soumet cette pâte ù la sublimation. Il arrive
quelquefois que le produit est mélangé d'arsenic métallique; celui-ci se combinant avec
le fer de la chaudière peut la percer et le produit tombe alors dans le foyer d'où il se
répand en vapeur dans l'atelier : aussi cette opération est-elle une des plus dangereuses
de l'exploitation {D. W).
L'acide arsénieux se présente sous deux états. Récemment préparé et fondu, c'est une
substance amorphe, incolore, vitreuse, transparente, d'une densité de 3,74, soluble dans
2o fois son poids d'eau à 13°. Lentement à froid, plus rapidement à chaud, ou bien lors-
qu'on le triture, il perd sa transparence et prend l'aspect de la porcelaine. Cette trans-
formation est due à la production de petits cristaux en octaèdres réguliers microsco-
piques. L'acide porcelanique ou opaque possède une densité de 3,687 et ne se dissout
plus que dans 80 fois son poids d'eau. La transformation de l'acide vitreux en acide
porcelanique se produit en allant de la surface des fragments vers leur centre : aussi,
lorsqu'on casse un fragment ainsi modilié, trôuve-t-on qu'il a encore un noyau vitreux.
La question de la solubilité de l'anhydride arsénieux est intéressante pour la toxico-
logie. Nous avons donné les chiffres classiques : les différents auteurs ne s'accordent pas
toujours à ce sujet. Dogiel (A. Pf., t. sxiv, p. 328, 1881) en a réuni un grand nombre.
S'ils varient, d'après les expérimentateurs, c'est que les observations n'ont pas toujours
été faites dans les mêmes conditions : comme le fait remarquer Dogiel, il faut tenir
compte: i" de la forme de l'anhydride arsénieux; 2° de la température de l'eau; 3° de
la durée du contact avec l'eau ou de celle de l'ébullilion; 4° du degré de refroidissement
de la solution.
C'est ainsi que Taylor a trouvé que l'eau froide à la lempérature ordinaire ne dissout
que I/oOO à l'/lOOO de son poids; l'eau chaude 1/400; et qu'il faut une ébullition d'une
heure pour qu'elle arrive à en dissoudre 1/24.
Dogiel donne lui-même, les chiffres suivants : à 13°, l'acide arsénieux vitré se dissout
dans 89 parties d'eau. L'acide porcelané se dissout dans 71,8 parties d'eau quand le
liquide a été porté à 100°, puis refroidi; dans 35,1 parties, quand l'ébullition a duré une
heure. La présence de substances organiques dans l'eau diminue sa solubilité : il est
peu soluble dans la graisse (0,6 p. 100), il se dissout, par contre, dans les solutions alca-
lines.
As-0^ est réduit au rouge sombre par le charbon, l'hydrogène, les métaux. Les solu-
tions le sont également à froid par le zinc, l'acide phosphoreux, etc. En présence de
l'hydrogène naissant, il est transformé en hydrogène arsénié;
As-^O' + 12H = 2AsH3 + 3H2 0.
Cette réaction est utilisée pour la recherche de l'arsenic par l'appareil de Marsh. La
solution bouillante d'acide arsénieux (ou arsénique) dans l'acide chlorhydrique se réduit
très facilement à l'état d'arsenic sous l'influence du chlorure stanneux. Le métal se dépose
sous forme d'un dépôt brun volumineux (Bettendorf).
Les agents oxydants, l'eau régale, l'acide azotique, le chlore ou l'iode en présence de
l'eau convertissent l'acide arsénieux en acide arsénique.
Les arsénilesde sodium et de potassium sontsolubles dans l'eau; l'hydrogène sulfuré
ne les précipite pas; mais si, après les avoir traitées par l'hydrogène sulfuré, on y ajoute
ensuite de l'acide chlorhydrique, il se dépose du bisulfure jaune : ils donnent avec l'azo-
tate d'argent un précipité jaune d'arsénite d'argent soluble dans l'ammoniaque et dans
l'acide azotique; et avec le sulfate de cuivre un précipité vert. On emploie en médecine
l'arsénite de potasse sous le nom de liqueur de Fowler, elle se compose d'acide arsénieux,
0 parties; carbonate de potasse, o; eau distillée, 300, alcoolat de mélisse, \o parties.
L'arsénite de cuivre (vert de Scheele ou vert suédois), est insoluble dans l'eau : mais il
peut se dissoudre dans le suc gastrique, grâce à l'acide qu'il renferme.
L'acéto-arsénite de cuivre'^(vert de Schweinfurt, de Neuvied, de Murs), est dans le même
cas : ces composés ont été employés trop fréquemment dans la fabrication des papiers
peints, des fleurs artificielles, des tissus et même pour colorer les bonbons, les abat-
jour, etc.
B. Acide arsénique et arséniates. — L'acide arsénique existe sous deux états :
l'anhydride arsénique As-0''et l'acide normal AsO'* H''. Ce dernier s'obtient en oxydant
ARSENIC. r,77
l'acide arsénieux avec de l'acide azotique ou bien avec de l'eau régale: l'anhydride arsé-
nique en chauffant l'acide arséniqueau rouge somhre.
L'acide arsénique cristallisé se dissout facilement dans l'eau : il est déliquescent, sa
solution présente une réaction acide et est très caustique. Traitée par l'hydrogène sul-
furé elle ne donne pas de précipité immédiat: ce n'est que lentement à froid, même en
liqueur acide, plus vile à cliaud, qu'il se dépose en précipité jaune clair de pentasulfure
d'arsenic, suivant les uns, d'un mélange de soufre et de trisulfure suivant les autres.
L'hydrogène à l'état naissant transforme l'acide arsénique en hydrogène arsénié;
mais cette réduction est moins nette qu'avec l'acide arsénieux : aussi est-il bon de le
ramener d'abord à un état d'oxydation inférieur par un corps réducteur, tel que l'acide
sulfureux. Il est réduit à l'état d'arsenic au rouge naissant par le charbon, les cyanures,
l'hydrogène.
L'acide arsénique est utilisé en grandes quantités comme oxydant dans la fabrica-
tion des couleurs d'aniline.
Traités par le nitrate d'argent, les' arséniates donnent un arséniate triargentique
AsO'' Ag-', caractérisé par sa couleur rouge brique : ce précipité se dissout dans l'ammo-
niaque comme l'arsénite, mais plus difficilement dans l'acide azotique : le sulfate de
cuivre produit un précipité bleu, le chlorure de magnésium ammoniacal un précipité
blanc cristallin d'arséniate ammoniaco-magnésien.
L'arséniale de soude constitue la liqueur de Pearson: o centigrammes sur 30 grammes
d'eau distillée ; on emploie également l'arséniate ferreux.
C. Sulfures d'arsenic. — On admet qu'il existe plusieurs sulfures d'arsenic : nous
ne nous occuperons que du bisulfure ou réalgar et du trisulfure ou orpiment.
On emploie le réalgar en peinture et dans la préparation du feu blai\c indien.
Le trisulfure d'arsenic ou orpiment existe à l'état natif sous forme de cristaux jaune
vif, brillants.
Les sulfures d'arsenic, lorsqu'ils sont purs, sont insolubles, et comme tels, théorique-
ment au moins, non toxiques. On attribue habituellement à "V. Schroff la démons-
tration expérimentale du fait. Mais en 1760 dans son travail : Expérimenta quœclam circa
venena, Hillei'eld a déjà observé qu'un lapin pouvait supporter sans inconvénient
10 grammes d'orpiment. Husemann, à qui j'emprunte cette indication, a également rap-
porté des expériences conflrmatives : chez un lapin qui avait reçu 10 grammes de réal-
gar en une semaine le foie ne renfermait pas trace d'arsenic.
Mais au point de vue pratique, il faut se rappeler que l'orpiment du commerce ren-
ferme d'énormes proportions d'acide arsénieux, jusqu'à 94 p. 100 (Guibourt), de sorte qu'il
na plus d'orpiment que le nom. Aussi son application sur des ulcères, des tissus can-
céreux, a-t-elle donné lieu à des intoxications.
Pour les recherches médico-légales il est intéressant de noter aussi que d'après
OssiKovsKY {Journ f. praht. Chemie, t. xxii, p. 348, analysé in Jahresb. de VnicHow etHrascn,
1880) le sulfure d'arsenic peut en présence de matières albuminoides en putréfaction,
donner de l'acide arsénieux et même une certaine quantité d'acide arsénique. Déplus, le
trisulfure d'arsenic fraîchement précipité, peut, à la température del'étuve, dans de l'eau
distillée, fournir de l'acide arsénieux même en l'absence de ces matières albuminoides.
Enfin Ossikovsky ajoute encore que la formation de l'acide arsénieux aux dépens du tri-
sulfure est favorisée par la présence de carbonates alcalins : en présence du carbonate de
sodium il peut former du sulfoarsénite de sodium, qui à son tour, par oxydation,
pourra donner de l'acide arsénieux.
Nous n'avons pas à nous étendre ici sur les procédés de recherche de l'arsenic dans
les tissus. Le principe de la méthode est celui de Maiish qui imagina de séparer l'arsenic
contenu dans les matières suspectes en le faisant passer à l'état d'hydrogène arsénié, .
gaz décomposable à chaud en hydrogène et en arsenic métalloïdique, facile à caracté-
riser par ses réactions. Mais il faut d'abord isoler complètement l'arsenic des matières
organiques, et dans ce but différents procédés ont été indiqués, pour lesquels nous ren-
voyons aux traités de toxicologie.
Causes d'intoxication. — Les intoxications par l'arsenic sont professionnelles,
accidentelles et criminelles.
A. — Dans la première catégorie d'intoxications, tantôt l'arsenic est directement
678 ARSENIC.
manipulé, tantôt il n'intervient que comme agent d'impureté des substances employées.
Il faut d'abord placer en tête les différentes opérations relatives à la préparation de
l'arsenic et de l'acide arsénieux. Les [ourriers qui extraient le minerai arsénifère n'en
éprouvent aucun inconvénient particulier, tout au plus quelques accidents locaux. Il
n'en est plus de même du broyage, surtout quand l'opération se fait à la main et au sec.
Les accidents se montrent plus particulièrement dans les opérations qui ont pour but
la volatilisation de l'arsenic et le raclage de l'acide arsénieux déposé dans les chambres
de condensation : ce sont surtout les formes chroniques de l'empoisonnement qu'on
observe.
La fabrication des couleurs arsenicales, comme le vert de Scheele et le vert de
ScHWEiKFURT, toutcs les professions où l'on manipule ces couleurs (fabricants de papiers
peints, de fleurs artificielles, d'abat-jour verts, de cartons peints, de capsules en papier
peint, etc.), l'empaillage des animaux au moyen de certaines préparations, exposent les
ouvriers à l'intoxication arsenicale.
Des accidents d'arsenicisme ont e'té signalés souvent dans les fabriques de fuchsine
où l'on oxyde l'aniline au moyen de l'acide arsénique (voir le tableau des intoxications
professionnelles dans Y Encyclopédie d'hygiène, t. ti, p. S02, Les intoxications 2')i'ofession-
nelles, par Layet).
Il faut noter aussi que les établissements industriels dans lesquels on prépare les
arsenicaux ou bien les fabriques de produits chimiques oii ces substances sont employées
à divers usages peuvent agir sur le voisinage : les nappes souterraines qui alimentent
les puits aux alentours de l'usine peuvent être intoxiquées. Un des exemples les plus
connus est celui qui a été observé dans le voisinage de la fabrique de fuchsine de Pierre
Bénite (Chevallier, Ann. d'hygiène, 2" série, t. xxv, p. lo, 1866).
B. — Les causes d'empoisonnement accidentelles sont infiniment variées. C'est
d'abord l'usage de papiers, fleurs, étoffes colorées avec des verts arsenicaux. Ziurek
de Berlin a, dans une robe de tarlatane de vingt aunes pesant 5445'', 32, trouvé
300 grammes de couleur dans lesquels le composé arsenical s'élevait à 60 grammes. Le
séjour dans des chambres tapissées de papiers colorés par des préparations arsenicales
a été souvent la cause d'accidents. Il faut signaler encore ici le cas de cet amateur de
chasse qui avait réuni dans son cabinet un nombre considérable d'animaux empaillés
enduits d'une préparation arsenicale, et qui présentait tous les symptômes d'un empoi-
sonnement causé par la présence du poison dans les poussières de l'appartement
(Delpech. Ann. d'hy g. publique et de inéd.lég.,-2'' série, 1870, t. xxxiii, p. 314). En Russie,
où les paysans se servent souvent de l'acide arsénieux et de préparations arsenicales
pour se débarrasser des insectes et de la vermine, les intoxications sont de ce fait, assez
communes.
Les substances alimentaires peuvent être toxiques, soit quelles aient été colorées par
des couleurs de ce genre (pâtisseries, bonbons, saucisses), soit que l'arsenic y ait été
directement incorporé. C'est par centaines qu'on a compté, à Wurzbourg en 1869, à
Saint-Denis en 1883, les intoxications produites par du pain dans la préparation duquel
était entré de l'acide arsénieux. On se rappelle également les fameux et récents
empoisonnements d'Hyères et du Havre par du vin arsenical. On a trouvé de l'arsenic dans
du fromage auquel le marchand avait eu l'ingénieuse idée de mêler de la mort aux rats
pour y empêcher le développement de vers, dans les vinaigres provenant de la décom-
position de l'acétate de soude par de l'acide sulfurique arsenical, dans le glucose où c'est
encore l'acide sulfurique destiné à la saccharification qui l'a introduit (Clouet. Ann.
d'hygiène publ. et de médecine légale, t. xlix, p. 145, 1878).
Certains médicaments, le bismuth, le chloroforme, la gl3'cérine, renferment sou-
vent de l'arsenic. Chez un diabétique qui avait pris beaucoup de glycérine, Joroschky a
observé des accidents dus très vraisemblablement à ce toxique (Prag. med. Wochensch.,
1889, analysé in Schmidt's Jahrb., 1889, p. 2.34).
L'empoisonnement peut être dû à des doses trop élevées ou trop longtemps prolon-
gées, de composés arsenicaux administrés dans un but thérapeutique, ou encore à leur
application sur des tumeurs, ulcères, etc.
C. — L'arsenic a été autrefois le poison le plus fréquemment employé dans un but crimi-
nel. L'acide arsénieux était surtout usité en raison de ses propriétés physiques qui le
ARSENIC. 679
rendent si facile à confondre a"vec toutes les poudres blanches alimentaires, sucre, farine,
amidon. Cependant les statistiques de Tardieu montrent que les empoisonnements par
Tarsenic ont subi à partir d'une certaine époque une diminution considérable : ce
qui tient d'une part aux mesures restrictives apportées à la vente de l'arsenic, et d'autre
part à ce que le progrès de la science arrivant à déceler la moindre trace du poison a
détourné les criminels de son emploi.
Historique. — Les anciens ne paraissaient avoir connu que les sulfures, le réalgar
et l'orpiment. Le pi'emier s'appelait la sandaraque ou arsenic rouge, le second, l'arsenic
proprement dit ou arsenic jaune. Dioscoride(78 ans après J.-C), Celse, Galien attribuent
surtout à ces substances des propriétés caustiques, dépilatoires, parasiticides, mais signa-
lent cependant leur influence favorable comme médicament interne dans les toux opi-
niâtres, les dyspnées, les affections de la voix, les suppurations des organes respiratoires.
Pline a conseillé de faire respirer aux asthmatiques les vapeurs résultant de sa com-
bustion avec du bois de cèdre : la calcination donne en effet naissance à de l'acide arsé-
nieux.
Après avoir perdu de sa faveur vers la fin du règne des Arabistes, continuateurs
des pratiques du galénisme, l'arsenic reparait de nouveau en thérapeutique à partir du
xvi" siècle. Paracelse (1493-1541) s'en est servi dans le cancer, qui est d'après lui une
affection arsenicale de la mamelle, un réalgar qui se dépose. Malgré cette opinion sin-
gulière, il recommande de ne pas cautériser ni extirper les humeurs cancéreuses, parce
que, mis en contact avec l'air, le réalgar s'échappe et va exercer sa malice ailleurs. Il
faut donc le traiter à sa manière, c'est à dire adoucir et combattre les accidents, et n'avoir
recours à l'arsenic que pour nettoyer le fond. Fallope (d523 à 1562) a employé l'arsenic
contre la gangrène et les ulcères cancéreux. Van Helmont assure que le réalgar guérit
plus de soixante espèces d'ulcères et en opère la cure à raison de ses qualités,vénéneuses.
Communément on n'employait alors l'arsenic qu'à l'extérieur. Cependant Laugius
rapporte que Georges Werth, médecin de Louis l" roi de Hongrie (1380), avait coutume
d'ordonner contre l'asthme un électuaire dont l'arsenic formait la base. C'est au
xvii° siècle qu'a commencé à se propager son usage interne. D'après Sprengel, les premiers
essais que l'on tenta en vue de le faire prendre intérieurement furent sans doute occa-
sionnés par l'ignorance des traducteurs et des imitateurs des Arabes qui confondirent
la cannelle (en arabe dar-zini) avec l'arsenic. Quoi qu'il en soit, David de Planiscamp le
prescrit dans la syphilis, Jean de Gorres, médecin de Louis XIII, le recommande contre
plusieurs maladies, et Lemery s'élève contre l'usage que l'on en fait dans les fièvres
quartes.
Au xvm'= siècle la lutte fut longue entre les partisans de l'emploi interne de l'arsenic
et ses adversaires. Dans les deux camps on rencontre des noms célèbres, d'un côté
Wepfer, Stœrck, Stahl, Peyrillhe, Horn, Hufeland : de l'autre Slevogt, Keil,
Berhardt, Donald Monro, Jacobi, Huermann, les deux Plenatz, Lefébure de Saint-Ildefond,
qui vanta surtout l'arsenic contre le cancer, Fowler, Willan, Peahson. C'est Jacobi qui
enseigna le premier, dit Sprengel, à se servir de l'arsenic blanc avec plus de circonspection
en le faisant digérer avec de la potasse pour le saturer et en le dissolvant ensuite dans
l'eau, procédé qui a été suivi plus tard par Fowler. Parmi les travaux du commence-
ment de ce siècle, il faut surtout citer ceux de Harles, qui en 1813 publia une remar-
quable monographie sur l'arsenic, de Fodéra, qui contribua à répandre en France
l'usage de l'arsenic, de Cazenave, et, plus près de nous, celui de Boudin. Les mémoires
plus récents sur l'action thérapeutique de l'arsenic seront cités dans le courant de cet
article.
Le pouvoir toxique des composés arsenicaux semble avoir moins frappé les pre-
miers observateurs que leurs propriétés curatives. Celse et Galien passent ,sous silence
leur action délétère. Dioscoride a écrit, il est vrai, que, pris en breuvage, le sandaraque et
l'arsenic occasionnent de violentes douleurs dans les intestins qui sont vivement corrodés,
mais il ne va pas plus loin et recommande de combattre les effets corrosifs par des
émolhents. Roger Bacon, qui a trouvé le moyen de préparer l'acide arsénieux, ne parle
pas des propriétés vénéneuses de ce corps. C'est surtout Pierre de Abano (1250-1316), pro-
fesseur à Padoue, qui a bien étudié les symptômes de l'intoxication et paraît avoir le
premier signalé les accidents paralytiques dus à l'arsenic (De Venenis eorumque reme-
680 ARSENIC.
diis). Il est probable, dit Orfila (Article Arsenic du D. D.), que l'arsenic sublimé et les
sulfures ont été les instruments des nombreux cas d'empoisonnement dont parlent
les chroniques du xiii° et du xiv» siècle. Vers le milieu du xy° siècle, Ardoini {Opuft de
venenis, Venise, 1492) donne l'énumération des principaux accidents qui suivent l'in-
jection des composés arsenicaux; ils ont été décrits depuis par un grand nombre d'au-
teurs parmi lesquels il faut citer le fondateur de l'homceopathie, Hahnemann, et dont
on trouvera l'énumération dans un travail de Dana {On j^seudo tabès froni Arsenical
poisoning, Brain, t. is, 1887, p. 436), ainsi que dans celui d'iMBERT-GouKSEYKE {Des suites de
l'empoisonnement arsenical, Paris, 1881).
Il est à croire que l'acide arsénieux a été le poison des Borgia, et qu'il a formé la
base de la fameuse acqua Toffana, ainsi appelée du nom de la célèbre empoisonneuse,
qui s'en servit, du moins d'après ses aveux arrachés à la torture, pour donner la mort à
plus de 600 personnes.
Dose toxique. — Des manifestations légères d'intoxication sont constantes après
l'injection de 2 à 3 centigrammes d'acide arsénieux: l'arsénite de potassium, plus soluble,
est plus toxique que l'acide arsénieux. Ce dernier peut amener la mort à la dose de
10 à 20 centigrammes, lorsqu'il est dissous. D'après Lachèze {Anii. d'hygiène et de
médecine légale, 1834, 1"= série, t. xvii, p. 334), 6 milligrammes d'As-0^ peuvent pro-
duire des accidents sans gravité, 1 à 3 centigrammes, des symptômes d'empoisonnement,
o à 10 centigrammes, la mort. Cependant il faut être réservé dans l'appréciation de
ces doses mortelles. « Pouvons-nous affirmer, dit Taylor, qu'il soit impossible qu'une
personne guérisse après avoir pris 5 à 10 grammes d'arsenic, je ne le pense pas. Tout
ce que nous sommes fondés à dire, c'est qu'en jugeant d'après les effets des doses plus
petites, ces quantités doivent probablement donner la mort, mais que nous ne sommes
nullement certains de la quantité nécessaire pour constituer la dose la plus faible à
laquelle le poison puisse être fatal. » Le dépouillement attentif d'un grand nombre
d'observations, dit Tardieu {Étude médico-légale et clinique sur l' empoisonnement, Paris,
187o), ne permet pas de douter que 10 à 13 centigrammes suffisent dans certains cas,
peu fréquents il est vrai, à donner la mort. Orfila croit qu'il faut 20 centigrammes (Art.
Arsenic du B. B.); il dit avoir vu un cas de guérison après l'ingestion de 2 grammes
d'acide arsénique.
RouYER, d'après des expériences faites sur les chiens, a donn» les chiffres suivants
{Essai sur les doses toxiques et les contrepoisons des composés arsenicaux. Th. Nancy, 1876).
En injection veineuse l'acide arsénieux est toxique à la dose de OBrjOOOô par kilo-
gramme; il détermine des symptômes graves d'empoisonnement, et quelquefois la mort
en vingt-quatre à trente-cinq heures, à la dose de OS',0023 par kilogramme : la mort
est certaine quand la dose injectée atteint 0S'',003 par kilogramme, et elle arrive alors
au bout de huit heures. Lorsqu'il est donné par la voie stomacale, et en solution, 0e'',06
par kilogramme produisent presque toujours, et 0S'',07 toujours, la mort : à la dose
de 0er,06 par kilogramme la mort arrive ordinairement au bout de vingt-quatre heures.
Pour l'arsénite de potassium la dose mortelle est également de Oei'jOOS par kilogramme
en injection veineuse et de OEr.oe per os : dans ce dernier cas la mort arrive en six à
sept heures. L'arsénite de soude, introduit dans l'estomac, amène, à la dose de 0e'',15
par kilogramme, des symptômes d'empoisonnement très graves et susceptibles de don-
ner la mort: celle-ci arrive alors au bout de vingt-quatre à trente heures, mais elle
peut aussi ne pas arriver : la dose mortelle du même composé est de 0S'',00o par kilo-
gramme en injection veineuse.
Tableau résumé des doses toxiques, habituellement mortelles.
DANS LE SANG. UANS l'eSTOMAO.
Acide arsénieux 0 gr. 003 0 gr. 06 )
Arséniate de soude 0 gr. 003 ' 0 gr. 13 > par kilogramme.
Arsénite de potasse .... 0 gr. 003 0 gr. 06 )
Lorsque l'arsenic est ingéré avec les aliments, son action toxique n'a pas la même
puissance que lorsque l'ingestion a lieu à jeun, sans mélange avec|les aliments. La nature
même des aliments influe beaucoup sur les résultats de l'intoxication {Rapport de
Brou.ardel sur les empoisonnements de Saint-Denis, Papadak[s(D. P., 1883).
ARSENIC. 681
On a attribué en particulier aux corps gras la propriété de retarder et d'atténuer les
accidents toxiques. Chapuis (Influence des corps gras sur l'absorption de CArsenic. Ann.
d'hygiène et de médecine légale, 9™'= série, t. in, p. 414, 1880) a insisté sur ce fait que l'arse-
nic est moins toxique lorsqu'il est mélangé aux corps gras. Il a été contredit cependant
sur ce point par Papadakis. Dans ses expériences sur les chiens, ce dernier a trouvé que
le beurre n'exerce aucune influence manifeste sur le moment oix se montrent les pre-
miers symptômes d'empoisonnement. Il est vrai qu'on peut observer dans certains cas un
retard plus ou moins considérable, mais le fait est rare, et il se produit aussi après
l'injection d'autres substances. C'est surtout quand l'arsenic avait été incorporé à du pain
cuit que Papadakis a vu les accidents survenir tardivement, dans la majorité des cas;
donné dans la décoction de café, l'arsenic peut aussi, dans certains cas, n'agir que long-
temps après son ingestion, de 2 heures .30 à 6 heures après : cependant le plus souvent
son action ne se fait pas attendre.
Par contre, chez les chiens, l'albumine a eu une influence manifeste et constante sur
l'époque d'apparition des premiers accidents : ingérée en même temps que l'arsenic, elle
hâte notablement l'apparition des premiers symptômes, c'est-à-dire l'apparition des
vomissements, et augmente leur fréquence.
Il faut tenir compte aussi des conditions individuelles. Dans les empoisonnements
de Saint-Denis, le vomissement a débuté chez les adultes plus tardivement que chez
les enfants.
Intoxication aiguë. — Si l'arsenic a été pris à l'intérieur, les symptômes appa-
raissent en général au bout d'une heure, quelquefois d'une demi-heure; mais dans cer-
tains cas ils sont plus lents, à se développer et ne se montrent que de deux à quatre
heures après l'administration du poison.
Ils peuvent se borner à ceux d'une gastro-entérite intense. Soif vive, sécheresse de
la gorge, douleurs violentes dans l'estomac et l'intestin, vomissements continuels, bilieux
ou sanguinolents, diarrhée muqueuse ou séreuse; il n'est pas rare qu'il se produise des
selles riziformes, analogues à celles du choléra. La présence du sang dans les vomisse-
ments peut avoir quelque importance au point de vue du, diagnostic; Ollivier rapporte
que, dans l'épidémie de choléra de 1885, ce signe lui a fait soupçonner un empoisonnement
par l'arsenic chez une femme envoyée dans son service comme cholérique, et, en elfet,
dans l'urine on trouva la substance toxique.
En général il y a diminution de la sécrétion urinaire, quelquefois de l'anurie et de
l'albuminurie; des crampes très douloureuses se font sentir dans les membres. En même
temps on observe de la cyanose, du refroidissement, des sueurs froides; la faiblesse et
l'irrégularité du pouls, la tendance à la syncope attestent la gravité de l'état général.
L'issue peut être rapidement fatale au bout de vingt-quatre heures, quelquefois au bout
de cinq à quinze heures.
Dans la forme subaiguë, plus commune, la mort n'arrive qu'au bout de deux à six ou
dix jours ; on voit apparaître alors du deuxième au cinquième jour des éruptions cutanées
diverses, papuleuses ou pustuleuses : les crampes s'accompagnent de fourmillements et
de dimiiiution de sensibilité dans les membres; des accidents paralytiques peuvent se
manifester : il y a de l'agitation, de l'insomnie, quelquefois du vertige et du délire. Ces
symptômes nerveux se montrent habituellemeut après que les troubles gastro-intestinaux
ont cessé ou qu'ils se sont notablement amendés.
« Dans certains cas rares il ne survient ni vomissements ni évacuations alvines : la peau
reste fraîche; le pouls normal, il y a une grande apparence de calme; mais une faiblesse
qui se marque par quelques vomissements et qui est bientôt suivie d'une somnolence au
milieu de laquelle la vie s'éteint sans agonie, mais en quelques heures, comme dans la
forme suraiguë. C'est, en quelque sorte, une forme latente de l'empoisonnement, dont
Laborde et Renault ont rapporté des exemples » (ïardieu).
Quant au traitement, s'il s'agit d'une intoxication récente, il faut évacuer le contenu
de l'estomac à l'aide de vomitifs ou de la pompe stomacale. En même temps on devra
s'efforcer de neutraliser le toxique. L'antidote classique est le peroxyde de fer hydraté,
préconisé par Bonsen, qui forme des combinaisons insolubles avec l'acide arsénieux, les
arsénites, l'acide arsénique et les arséniates. On le produit au moment même de son
emploi par addition d'ammoniaque à une solution de perchlorure ou de persulfate de
682 ARSENIC.
fer. Il doit être administré en grandes quantités, quatre à huit grammes, à des intervalles
assez rapprochés, dix minutes à peu près.
Un autre contre-poison tout aussi efficace (Bussy) est la magnésie hydratée obtenue
en faisant bouillir extemporanément dans l'eau la magnésie calcinée.
En Allemagne, et dans divers autres pays, on associe le peroxyde de fer gélatineux à
la magnésie hydratée. On ajoute lo grammes de magnésie triturée dans 2o0 grammes
d'eau à 30 grammes de sulfate ferrique dans 2oO grammes d'eau. Il se forme de l'hydrate
de peroxyde de fer, de l'hydrate de magnésie et du sulfate de magnésie. Ce dernier
corps a l'avantage de provoquer l'évacuation, par les selles, de l'arsénite de fer et de
l'arsénite de magnésie formés qui sont arrivés dans l'intestin et qui ne sont pas absolu-
ment inoffensifs. Si l'on ajoute au mélange du charbon animal, destiné à entraîner
mécaniquement l'acide arsénieux, on obtient l'antidote multiple de Jeannel, qui se
donne chaque fois à la dose de 30 à 100 grammes.
Le sulfure de fer récemment précipité est également employé.
Intoxications chroniqnes. — « Entre les formes les plus aiguës, celles où la mort
survient en quelques heures et celles qui déterminent des accidents dont l'évolution ne
s'accomplit qu'en quelques semaines ou quelques mois, il y a presque similitude. Dans
les formes les plus lentes, il ne paraît pas de nouveaux symptômes, mais la durée de
quelques-uns d'entre eux permet de les étudier en détail, révèle en quelque sorte leur
présence, qui passe inaperçue quand tout le drame s'accomplit en quelques jours. Dans
les deux castes mêmes organes sont atteints, les mêmes fonctions sont troublées. » C'est
ainsi que s'exprime Brouardel dans sa communication à l'Académie de médecine, au
sujet des empoisonnements d'Hyères et du Havre {Bullet. de l'Académie de médecine, 1889,
3" série, t. xxi, p. 913).
D'après Brouardel, on pourrait décrire dans ces intoxications chroniques quatre pha-
ses : 1° Troubles de l'appareil digestif; 2° Catarrhe laryngé et bronchique, période dans
laquelle prédominent les éruptions; 3° Troubles de la sensibilité, période acrodynique;
4° Paralysies. Hahnemakn notait déjà trois phases dans l'empoisonnement arsenical,
comme le fait remarquer Brouardel. Il disait que, lorsque les accidents passent à l'état
chronique, il y a des accès de fièvre avec coliques, de la rétraction du ventre, de la
céphalalgie, de la soif, de temps en temps des vomissements et de la diarrhée, puis sur-
viennent des douleurs dans les membres, des tremblements et de la paralysie.
iS'ous reproduirons en grande partie la description donnée par Brodaruel, en y
ajoutant les faits signalés par d'autres observateurs.
i'' Période. — Troubles digestifs. Les caractères des vomissements sont assez spé-
ciaux : ils différent de ceux qu'on observe dans l'empoisonnement aigu et subaigu; ils ne
s'accompagnent pas ordinairement de sensations douloureuses à l'estomac, ils sur-
viennent brusquement et ne laissent pas de douleurs vives ni de brûlures à leur suite.
Ils sont assez abondants et se composent d'un liquide muqueux mélangé de bile : enfin
ils sont assez fréquents. — La constipation est plus fréquente que la diarrhée, parfois il
y a eu quelques selles sanguinolentes.
2me période. — Dans les observations sur lesquelles s'appuie la description de Brouar-
del, la fréquence du catarrhe laryngo-bronchique a été telle que les médecins ont pensé à
une épidémie de grippe : quelques sujets ont eu presque sans toux une aphonie qui, chez
l'un, a duré plus de quinze jours. Il y a des signes de broncliite. En même temps parait
un coryza intense, quelquefois avec larmoiement et injection de la conjonctive.
Pendant cette période, même avant le catarrhe, parfois aussi pendant les périodes sui-
vantes, paraissent des éruptions cutanées : rougeur et bouffissure des paupières, du scro-
tum, érythèmes divers, exfoliations épidermiques purpuracées : on a noté la chute des
ongles, on a constaté également des vésicules, des vésico-pustules, de l'urticaire, des érup-
tions rubéoliques, des plaques pigmentées.
La séparation des deux périodes n'est cependant pas toujours aussi tranchée, et les
symptômes peuvent se manifester dans un ordre un peu différent de celui qu'a observé
Brouardel : le mode d'absorption, la dose, la répétition plus ou moins fréquente de l'in-
gestion de la substance toxique modifieront le tableau. C'est ainsi que d'après Husemann
[Ai'zneimittellehre, 1892, p. 425) lorsque l'administration prolongée de doses médicinales
d'arsenic amène un état d'intoxication chronique, on en est d'abord averti par de la rou-
ARSENIC. 683
geur de la conjonctive et de la paupière inférieure, de la sécheresse des yeux, du nez,
du pharynx, un léger enrouement, parfois des douleurs gastriques et de la diarrhée.
IsN'ABD avait déjà insisté sur la signification de l'œdème palpébral dans les cas de ce
genre. Viennent ensuite, si le traitement n'est pas suspendu, les accidents plus graves.
D'autre part, chez les ouvriers employés à l'extraction de l'arsenic, les premiers acci-
dents sont occasionnés par l'action directe des poussières arsenicales sur la peau et ses
dépendances, et limités à ces parties : il se développe d'abord des éruptions pustuleuses,
appelées autrefois à tort eczéma arsenical, du gonflement de la peau, du scrotum et des
aisselles, des abcès des doigts, de la calvitie, puis surviennent les troubles digestifs, de
la dysurie et de l'anurie, enfin des altérations de la sensibilité et du mouvement.
3mc Période. — -Les troubles de la sensibilité précèdent ceux des mouvements. Un phé-
nomène douloureux fréquent et assez précoce est la céphalalgie qui occupe presque
tout le crâne et persiste longtemps. Puis le malade ressent dans les membres inférieurs,
surtout dans les jambes et les pieds, un engourdissement incommode. A un degré plus
avancé on observe des douleurs intenses; quelquefois ce sont des élancements, mais sou-
vent les sujets se plaignent d'une sensation de broiement très pénible siégeant parti-
culièrement dans les articulations tibio-tarsiennes et tarso-métatarsiennes; le frottement
des couvertures du lit sur les pieds et les jambes est tout à fait insupportable.
Dans ses observations, Brouardel n'a pas trouvé d'anestbésie véritable, mais la dimi-
nution de la sensibilité était souvent assez prononcée, surtout aux membres inférieurs,
notamment aux pieds. Les malades perdent alors la notion exacte de la résistance du
sol. La piqûre est moins nettement sentie : la pression, les attouchements peuvent même
n'être pas perçus du tout. Aux membres supérieurs des troubles de la sensibilité ont
aussi été constatés. Chez plusieurs des malades dont parle Brouardel, ils étaient assez
prononcés pour qu'ils ne pussent garder des objets dans leurs mains quand ils en détour-
naient les yeux.
Cependant la sensibilité peut être plus gravement altérée qu'elle ne l'a été dans
les cas observés par Brouardel. Scolosuboff a vu les sensations du tact et celles de la
température disparaître entièrement à la paume des mains, à la plante des pieds,
au bout des doigts, présenter une diminution considérable aux côtés externes des pieds
et des mains, des jambes, et des avant-bras, moins marquée dans la moitié inférieure
des cuisses et dans le tiers inférieur des bras. La sensibilité à la pesanteur était
affaiblie profondément aux jambes et aux avant-bras, aux mains et aux pieds : un
poids de 150 grammes mis sur le membre inférieur, puis sur l'avant-bras du sujet, n'a
point été senti par lui. La sensibilité à la douleur était exagérée dans les endroits où il
y avait le moins de sensibilité tactile; une légère piqûre aux doigts faisait pousser des
cris aux malades. Cette hyperalgésie paraît assez fréquente : elle peut s'accompagner
d'une sensibilité excessive aux variations de température [Gaz. méd. de Paris, 1873,
p. 396). Quelques-uns de ces faits sont intéressants au point de vue de la dissociation
des sensations thermiques. Dans les cas de Scolosuboff l'eau chaude paraissait bouil-
lante au sujet; et l'eau tiède, glacée : mais dans un cas mentionné par Parkins (cité par
Imbert-Gouhbeyre, p. 50) le malade ne sentait pas l'eau bouillante, tandis que l'eau glacée
lui causait une grande douleur; la sensibilité au froid était telle que, quand il dormait,
le plus léger courant d'air sur la figure le réveillait, l'ouverture comme la fermeture
d'une porte lui causait un froid désagréable.
On a noté presque toujours l'absence des réflexes tendineux au niveau des membres
inférieurs; les réflexes cutanés sont plus ou moins atteints suivant les cas. La douleur
à la pression le long des troncs nerveux a été signalée par divers observateurs.
Il faut encore signaler comme une des conséquences de l'intoxication arsenicale chro-
nique l'anesthésie génitale, l'anaphrodisie observée par Biett, Rayer, Charcot, à la suite
de l'emploi prolongé de doses trop fortes d'arsenic. Devergie s'était inscrit contre ces
faits, ne les ayant pas observés dans sa longue pratique : il rapporte môme un cas
où la médication aurait produit une excitation considérable du côté des organes géni-
taux. Delioux de Savignac (Art. Arsenic du D. D.) dit aussi avoir constaté chez quelques
sujets, sous l'influence d'une dose journalière de 2 à 3 milligrammes d'acide arsénieux,
un véritable état d'éréthisme du sens génital. On a rapporté également que les man-
geurs d'arsenic étaient sujets à l'orgasme vénérien ; Imbert-Gourbeyhe ajoute aux obser-
684 ARSENIC.
valions précédentes que l'arsenic peut causer en effet des excitations voluptueuses et du
priapisme, — que l'anaplirodisie est un phénomène' rare, mais qu'il n'en existe pas
moins.
Quand l'intoxication est peu prqfonde, les troubles moteurs font défaut ou n'existent
qu'à l'état de vestige. Ils débutent par un certain degré d'affaiblissement; puis la paresse
augmente, le malade se fatigue beaucoup plus vite, il jette ses jambes, non pas latéra-
lement en fauchant, mais droit devant lui. Bientôt il ne peut plus marcher.
11 semble, dit Brouardel, que la paralysie débute par l'extenseur commun des orteils.
C'est dans ce muscle qu'elle persiste le plus longtemps; les autres muscles de la région
antéro-externe sont atteints ensuite : de prédilection, le jambier antérieur, l'extenseur
propre du gros orteil, les long et court péroniers latéraux. Les muscles de la région pos-
térieure, les fléchisseurs des orteils sont aussi fortement atteints; les jumeaux et le
soléaire sont beaucoup mieux conservés, le pied peut être quelquefois fixé en équin
par suite de la paralysie des extenseurs. On peut constater également de l'affaiblis-
sement dans la partie inférieure des muscles de la cuisse, vaste interne et vaste externe,
alors que Je droit antérieur est respecté (Bbouardel).
Tous les muscles où la paralysie est assez prononcée subissent une atrophie très
notable : les muscles des pieds sont parmi les plus atteints, le pédieux peut ne plus
avoir trace de contractilité volontaire, il en est de même des muscles interosseux et des
muscles propres de la plante du pied.
Les membres supérieurs ne se prennent que plus tardivement, mais non chez tous les
malades : ce sont encore les extenseurs des doigts et notamment l'e.'ctenseur commun
qui sont tout spécialement atteints : l'atrophie porte plus particulièrement sur ces muscles,
ainsi que les interosseux, les muscles des éminences thénar et hypothénar; elle est
beaucoup moins marquée au bras.
On ne peut donc pas dire avec Imbert-Gourbeyre que la paralysie ne dépasse pas les
coudes et les genoux : elle est habituellement peu prononcée aux cuisses et aux bras,
mais elle y a été constatée. Le même auteur, sur plus de cent observations de paralysie
qu'il a pu recueillir, en trouve plus de la moitié portant sur les quatre membres, un
quart seulement portant sur les extrémités inférieures seules, le reste pour les paralysies
partielles. Il distingue dans la première catégorie de paralysies deux formes principales,
l'une plus fréquente, dans laquelle les mains et les pieds seraient exclusivement atteints,
et qu'il appelle chiro-podale, l'autre qui s'étend jusqu'aux coudes et aux genoux. Il ne
semble cependant pas, comme il a déjà été dit, que la délimitation soit d'habitude si
nettement tranchée. Par contre Imbert-Gourbeybe fait remarquer, avec raison, l'action
élective, en quelque sorte, de l'arsenic pour les extrémités inférieures qui sont presque
toujours plus atteintes que les supérieures, quand elles ne le sont pas exclusivement.
Les muscles de la face et les sphincters semblent avoir toujours été indemnes.
L'excitabilité des muscles à la pression, à la percussion, est souvent manifestement
exagérée : les mouvements volontaires sont quelquefois doulouieux. La contractilité
faradique des muscles atrophiés, en particulier des jambier antérieur, extenseur commun
des orteils, est complètement abolie : sur les muscles moins atteints elle est seulement
diminuée.
La contractilité galvanique est d'ordinaire affaiblie seulement : l'inversion des for-
mules a été assez rare, dans les cas observés par Brouardel, et elle ne s'est montrée avec
une régularité frappante que sur deux muscles toujours les mêmes, extenseur commun
des orteils et vaste interne, AoSz >■ KaSz; sur quelques autres muscles; AnSz = KaSz.
Seeligmulleh {Deutsche med. Wochensch. , 1880), Da Costa {Philad. med. Times, 1880) ont
donné des accidents nerveux de Tarsenicisme une description qui se rapproche beaucoup
de celle que nous venons de tracer, d'après Brouardel. Sef.ligmoller [indique, de plus, les
caractères différentiels qui permettent de distinguer la paralysie arsenicale d'avec la
paralysie saturnine. La première apparaît souvent à la suite d'une intoxication aiguë,
la seconde seulement dans l'intoxication chronique : celle-là s'accompagne de troubles
très marqués de la sensibilité, qui manquent souvent entièrement dans la paralysie
saturnine : l'une atteint principalement les membres inférieurs, tandis que, dans la
seconde, ils sont plus rarement intéressés. L'atrophie musculaire est très rapide dans
l'empoisonnement arsenical et est déjà manifeste au bout de quatorze jours; enfin elle
ARSENIC. 683
s'accompagne des troubles trophiques déjà signalés, chute des ongles, des cheveux, etc.
I.MBiîRT-GouBBEYRE a également formulé les éléments de ce diagnostic (Voir /oc. cit., p. b.S).
Les troubles de la coordination motrice n'ont pas échappé à Brouardel : Seeligmdller
a fait remarquer que dans la forme chronique de l'empoisonnement ils rappellent ceux
du tabès, alors que les phénomènes paralytiques proprement dits sont moins prononcés.
Ch. Dana, qui a étudié plus particulièrement cette question (toc. cil.), distingue deux
formes de paralysie arsenicale; une forme ordinaire, mixte, caractérisée par la paralysie
et à la fois motrice et sensitive et par la prédominance des troubles moteurs et tro-
phiques, et la forme pseudo-tabétique dans laquelle la paralysie motrice cède le pas aux
troubles sensitifs et à l'ataxie des mouvements. Qn trouvera dans ce dernier auteur une
bibliographie très étendue des accidents nerveux dans l'intoxication arsenicale. Comme
observations plus récentes je citerai encore celle de KREHL(t/.6er Arsenlàhmung ; Arcli. f.
Min. Med., t. XLiv, p, 32o), celle de Kovacs {Ein Fallvon Arsenlàhmung; Wien. med.
Wochenschr., 1887, n° 33), et celle de Marik {Uber Arsenlàhmung ; Wien. Min. Wo-
chenschr., 1891).
Les contractures accompagnent quelquefois la paralysie : elles paraissent être sur-
tout une conséquence de la prédominance d'action des muscles respectés par le poison.
Cependant Hahnema.nn rapporte un cas où la contracture aurait été la suite immédiate
de l'empoisonnement.
Imbert-Gourbeyre a réuni un grand nombre d'observations de tremblement arsenical,
qui pourrait exister seul ou se mêler aux autres phénomènes nerveux; le plus souvent
général, il est quelquefois localisé, et apparaît habituellement dans les premières heures
de l'empoisonnement.
Troubles fonctionnels et lésions anatomiques du tube digestif. — Les lésions
anatomiques les plus constantes du tube digestif consistent en une coloration rouge
brun de. la muqueuse de l'estomac et de l'intestin, qui paraît en même temps gonllée.:
mais souvent il n'existe à la surface de l'estomac que quatre ou cinq plaques de forme
oblongue ou arrondie d'un rouge violacé ou noirâtre, ou bien ce sont des ulcérations
de même forme. La plupart des auteurs mentionnent cette dernière lésion, soit d'après
les observations sur l'homme, soit d'après les expériences sur les animaux, contrairement
à Tabdieu qui reconnaît que les plaques prennent quelquefois un caractère gangreneux;
<( mais la membrane muqueuse reste saine dans les intervalles des parties entlammées
qui ne deviennent jamais, du reste, atteintes d'ulcérations ou de perforations ».
On peut aussi ne rencontrer que la lésion décrite par Virchow sous le nom de gastro-
adénite parench^^mateuse et caractérisée par une tuméfaction ti'ouble et la dégénéres-
cence graisseuse de l'épithélium glandulaire (A. Y-, t. lvii).
Dans l'intestin, ce sont des lésions de même nature, rougeur plus ou moins étendue,
ou bien suffusions sanguines disséminées, altération graisseuse de l'épithélium des
glandes et enfin une sorte d'éruption psorentérique (Tabdieu) formée par le développe-
ment des follicules isolés, en tout semblable à celle que l'on observe dans le choléra. Des
phénomènes d'irritation se rencontrent aussi quelquefois dans la bouche et l'œsophage,
mais plus rarement.
Il semble que les altérations du tube digestif puissent s'expliquer facilement par
l'action irritante locale des préparations arsenicales, et en efïet celle-ci est incontes-
table quand le poison a été ingéré par la bouche. C'est ainsi que, dans un cas de Hofmann
(A. y., t. L, p. 433), on trouva au-dessous d'une masse agglutinée d'arsenic une érosion de
même grandeur et de même forme. Mais, comme l'avait déjà signalé Sprengel en 17o3,
les mêmes lésions se produisent encore quand l'arsenic a été résorbé par la peau,
et le fait a été confirmé souvent depuis, en particulier par Obfila et Tabdieu, par Tay-
LOB, par BoEHM et UiNterbebgeb (Beit. z. Kenntniss der physiol. Wirk. der Arsen. Sauve.
A. P. P., 1874, t. II, p. 89). Taylob a invoqué une action spécifique du poison : pour les deux
auteurs allemands le facteur principal, c'est la paralysie des vaisseaux du tractus digestif.
On pourrait supposer que c'est l'arsenic éliminé par le réseau vasculaire à la surface
de la muqueuse gastro-intestinale qui occasionne les altérations observées; celles-ci
seraient encore, de la sorte, les conséquences d'une irritation locale. Mais Boeiim et
Unterberger n'ont trouvé dans le contenu de l'intestin que des traces de la substance
toxique, et ils citent Quincke comme ayant obtenu les mêmes résultats.
686 ARSENIC.
Lesser, qui combat l'opinion de ces deux expérimentateurs, objecte que Quincke n'a
analysé que le suc entérique proprement dit et non le contenu intestinal dans sa tota-
lité. Celui-ci, d'après lui, en renferme plus que des traces : après injection de Id centi-
grammes d'acide arsénieux dans la veine pédieuse, il a obtenu avec le liquide intesti-
nal un anneau arsenical correspondant à 1 milligramme de la substance. Il est vrai,
dit-il, que les glandes de Libberkuhn ne sont pas la voie principale d'élimination de
l'arsenic : car l'inflammation de la muqueuse stomacale est toujours plus marquée au
voisinage de l'abouchement du canal cholédoque et au commencement du jéjunum, abs-
traction faite de la muqueuse stomacale. Il n'affirme 'pas que les altérations profondes
du tube digestif soient dues à cette faible quantité d'arsenic trouvée dans le tube
digestif, mais il faut tenir compte aussi de celle qui est incessament résorbée par les
lymphatiques et les veines, et de celle qui se dépose dans l'intimité des tissus de la
paroi intestinale.
BoEHsi et L'îiTERBERGER avaient décrit également à la surface de l'intestin une mem-
brane pyogène d'un millimètre d'épaisseur, jaunâtre, gélatineuse, pouvant se déta-
cher par lambeaux et formée d'une matière amorphe englobant un grand nombre de
globules de pus ; au-dessous d'elle ils ont trouvé la muqueuse ecchymotique, les villo-
sités gonflées et dépourvues d'épéthilium.
Lesser (A. V., t. lxxui et lxxiv) n'a rien observé de semblable; pour lui, cette mem-
brane n'est autre chose que le revêtement épithélial desquammé. Une inflammation
pseudomembraneuse ne s'observerait que quand l'arsenic a été administré sous forme
de poudre, et non quand il a été donné en solution; elle serait due au contact direct
de la substance pulvérulente.
PisTORius [A. P. P., 1883, t. XVI, p. 188), ayant repris ces expériences, confirme, au
contraire, l'existence de la membrane décrite par Boehji et Ukterberger. On la trouve,
d'après lui, au bout de 2 à 3 heures, après une injection veineuse. Elle serait formée
d'une masse gélatineuse englobant l'épilhélium intestinal en voie de dégénérescence
graisseuse, avec des boules hyalines et des cellules rondes : dans la muqueuse elle-
même on trouve le réseau capillaire des villosités dilaté et gorgé de sang; la cou-
che épithéliale s'est desquammée. 11 y aurait une violente hyperémie des vaisseaux de
l'intestin, de là une transsudation abondante d'un liquide flbrineus facilement coagu-
lable, qui, en se concrétant, englobe l'épithélium et forme ainsi la pseudo-membrane. En
définitive, on voit que Pistorids, tout eu cherchant à démontrer l'existence d'une mem-
brane spéciale, est au fond d'accord avec Lesser, quand celui-ci l'attribue à une simple
desquammation épithéliale.
Pour expliquer les lésions ulcéreuses de l'estomac, Filehne invoque une condition
particulière; d'après lui ni la dégénérescence graisseuse de l'épithélium glandulaire, ni
les modifications vasculaires ne sauraient suffire : il y aurait auto-digestion de
l'estomac par le suc gastrique acide (A. V., t. lxxxiii, 1881, p. 1).-
FiLEHNE empoisonne deux lapins de même poids avec la même dose d'arsenic en
injection sous-cutanée, et introduit chez l'un d'eux, d'heure en heure, par une sonde
œsophagienne, une substance alcaline, pour neutraliser l'acidité du suc gastrique : la
muqueuse reste intacte chez ce dernier, tandis que chez l'autre elle présente ses lésions
ordinaires. On pourrait objecter que c'est la petite quantité d'acide arsénieux éliminée
par l'estomac qui agit localement pour amener l'ulcération, et que, précipitée par la
magnésie, elle serait ainsi rendue inofl'ensive : mais les lésions habituelles ne se
modifient pas non plus lorsque l'acidité de l'estomac est neutralisée par le bicarbonate
de soude qui forme avec l'acide arsénieux un composé pourtant soluble.
D'après Filehne, si, chez l'homme, c'est surtout la paroi postérieure qui est le siège
des ulcérations, c'est à cause de la position horizontale que conservent habituellement
les personnes empoisonnées : de môme chez le lapin on les trouve surtout dans les
régions déclives, soit qu'on maintienne l'animal dans la station normale, soit qu'on lui
donne une position anormale. Chez cet animal c'est surtout le grand cul-de-sac qui pré-
sente des ulcérations, c'est-à-dire la région où se forme particulièrement l'acide : la por-
tion pylorique est intacte. Dans les expériences où l'estomac n"a pas été trouvé altéré,
c'est que le poison avait été absorbé à jeun, et que l'estomac n'était pas suffisamment
acide : il en a été de même chez des chats empoisonnés à jeun.
ARSENIC. 687
Différentes conditions paraissent donc concourir à produire des lésions du tube diges-
tif, alors même que le poison n'a pas été pris par la bouclie : l'élimination d'une cer-
taine quantité d'arsenic par les vaisseaux de la muqueuse, sa résorption ultérieure à
travers cette même membrane, sont des causes d'irritation locale, auxquelles viennent
se joindre les altérations nutritives de l'épithélium glandulaire et la paralysie des vaso-
moteurs de l'intestin qui dépendent d'une influence générale de la substance toxique.
Enfin il est bien vraisemblable que, dans un certain nombre de cas, le mécanisme
invoqué par Filehne intex-vient réellement. La dégénérescence des épithéliuras doit laisser
la muqueuse en quelque sorte sans défense contre l'action du suc gastrique. Il est à
remarquer que dans certaines observations d'empoisonnements terminés parla mort,
on a noté l'intégrité absolue de la muqueuse du tube digestif.
On a souvent fait ressortir l'analogie des lésions anatomiques de l'intestin dans
l'intoxication arsenicale avec celles qu'on rencontre dans le choléra; Virchow eu a rapporté
un cas remarquable, dans lequell'examen microscopique montra en plus, dans le contenu
intestinal, les microrganismes signalés dans le choléra {Chlokraàhnlicher Befund bei
Arsenikergiftung ; A. V., 1869, t. xlvh, p. 324). Il est vrai qu'à ce moment les études
bactériologiques étaient encore peu avancées. Dans un travail récent Kraus a cherché
à établir sous ce rapport les caractères différentiels entre le choléra et l'intoxication
arsenicale. Dans ce dernier cas, le contenu de l'intestin n'est pas riziforme, mais présente
l'aspect d'une soupe à la farine, c'est-à-dire jaune brun, ou celui d'une gelée vert jau-
nâtre. Je ferai remarquer cependant que Virchow, dans l'observation citée plus haut,
compare le liquide intestinal à l'eau de riz. Quoi qu'il en soit, d'après Kraus, les lésions
de l'intestin ressemblent surtout à celles de la période typhoïde du choléra : le processus
inflammatoire est particulièrement développé dans le duodénum et la partie supérieure
de l'intestin grêle, tandis que dans le choléra, c'est l'iléon qui est habituellement le plus
malade. Les microrganismes sont tout autres que ceux qu'on trouve dans le choléra et
semblables à ceux qui se rencontrent dans l'intestin normal. Dans les expériences faites
sur les animaux, si la mort survient à la suite de l'injection de fortes doses de poison,
le nombre des microbes est beaucoup diminué, et ils peuvent même manquer com-
plètement. Pour des doses moindres, on ne trouve dans l'intestin que les colonies du
bacterium coli commune, tandis que d'autres colonies qui normalement existent dans l'in-
testin du chat et du chien manquent, en particulier celles qui fluidifient la gélatine.
A dose plus petites ni le nombre ni les espèces de colonies bactériennes ne sont
modifiés, jamais on n'a rencontré de colonies de vibrions (Eira Beitr. z. Diffcrenzialdiagn.
zwischen Choiera undArsenikvergift. Analysé in Virchow's Jahresber., 1888). 11 y aurait donc
là deux caractères différentiels entre les deux états pathologiques; d'une part la dimi-
nution du nombre de microrganismes dans l'intoxication arsenicale, et d'autre part
l'absence des vibrions caractéristiques du choléra : mais il faut remarquer que récem-
ment on a signalé même dans l'intestin normal l'existence de ces vibrions.
Mentionnons encore à la surface de la muqueuse la présence de petits grains blancs
ou jaunâtres qui y adhèrent plus ou moins fortement. Ils sont constitués, les blancs par
de l'acide arsénieux, si l'empoisonnement a eu lieu par cette substance, les jaunes par du
sulfure d'arsenic, dont il est facile de comprendre la formation au contact de l'hydro-
gène sulfuré de l'intestin. Mais Tardieu a constaté que dans certains cas ces granulations
jaunes ou blanches étaient exclusivement formées d'albumine et de matière grasse.
D'après Campbell Brown et Edward (Med. Times, mars 1889, analysé in fi. S. M., t. xxiv,
p. 97), les grains jaunes sont quelquefois un produit de décomposition de la bile ; ils
sont formés d'une ou de plusieurs substances organiques, dont l'une se rapproche du pig-
mentque l'on obtienten traitant une solution alcaline de bile par des agents réducteurs.
Effets de l'arsenic sur la circulation et la respiration. — Sklarek (1866) avait
avancé que l'acide arsénieux tue les grenouilles par arrêt du cœur; chez les mammi-
fères il avait observé également un affaiblissement de cet organe. Ces expériences ont déjà
été contredites par Cun'ze (1866) qui a vu persister les contractions de l'oreillette vingt-six
heures après l'empoisonnement, chez les grenouilles; elles l'ont été plus tard par Boehm
et UiNTERBERGER {loc. cU.) et particulièrement par Lesser (loc. cit.). Celui-ci a montré
que chez les batraciens la mort ne pouvait être attribuée à l'arrêt du cœur, puis-
que l'animal survit pendant trente minutes à l'excision de cet organe, tandis qu'il
688 ARSENIC.
succombe au bout de dix minutes à rempoisonnement par l'arsenic. Sydney Ringf.r
et MuRBELL (J. P., t. I, p. 213, 1878) ont observé également que des grenouilles intoxi-
quées avec l'acide arsénieus perdent leur excitabilité médullaire plus vite qu'après
l'ablation du cerveau et du cœur.
Lesser a suivi de près les troubles cardiaques produits par le poison sur la grenouille.
L'arrêt du co3ur en diastole provoqué par l'arséniate de soude ne se manifeste pas
immédiatement, mais au bout de quatre à cinq minutes. Non seulement l'organe se ralen-
tit et s'affaiblit, mais son rythme se modifie, de sorte que la succession normale des con-
tractions de l'oreillette et du ventricule est troublée. Après que le cœur s'est arrêté, il se
manifeste de nouveau, au bout de quelques minutes, des contractions du ventricule qui
partent du sillon auriculo-venlriculaire, et qui disparaissent après vingt à trente minutes.
A ce moment les excitations mécaniques du sillon auriculo-ventriculaire peuvent encore
provoquer pendant 30 minutes des systoles du ventricule, alors que des excitations plus
fortes du sinus ramènent également des contractions du cœur tout entier, mais pendant
une période moins longue. D'où Lesser conclut que les ganglions de Remak et de Bidder
se paralysent; les premiers (considérés par Lesser comme excito-moteurs) perdent donc
d'abord leur excitabilité, puis vient le tour de ceux de Bidder. Les mêmes effets s'ob-
tiennent si l'on applique directement le poison sur le cœur : mais on observe alors une
période d'accélération qui manque chez la grenouille intacte, et qui est empêchée chez
elle par l'excitation que la substance toxique détermine sur les nerfs vagues : si l'on dé-
truit l'encéphale, cette augmentation de fréquence se produit également après.
Chez les mammifères, Boehm et Unterberger ont fait jouer dans les troubles cir-
culatoires un rôle prédominant à la paralysie vaso-motrice du réseau abdominal. A
la suite de l'injection des solutions d'acide arsénieux, ils ont vu se produire en quelques
minutes une diminution progressive de la pression artérielle, aussi prononcée par-
fois que celle qui succède à la section de la moelle allongée, sans être jamais précédée
d'une augmentation préalable. Les nerfs vagues avaient conservé leur excitabilité : par
contre l'excitation, soit directe, soit réflexe, de la moelle épinière n'arrivait plus à relever
la pression chez des animaux qui avaient reçu une dose suffisante de poison : ils en
ont conclu à la paralysie des vaisseaux, et ont trouvé de plus qu'elle était limitée au
domaine du nerf splanchnique : l'excitation de ce nerf n'élevait plus la pression arté-
rielle, comme elle fait chez les animaux normaux; le sympathique cervical, au contraire,
conservait encore son action sur les vaisseaux de l'oreille, chez les lapins intoxiqués. On
ne pourrait donc invoquer une paralysie centrale, puisque seuls les vaisseaux qui sont
sous la dépendance du nerf splanchnique avaient perdu leur tonicité.
Ces faits ont été mis en doute par Lesser; pour ce dernier ni les centres vasculaires,
ni les nerfs correspondants, ni les parois des vaisseaux ne sont paralysés. En examinant
les anses intestinales, mises à découvert, chez des animaux intoxiqués, il a constaté que
l'excitation directe ou asphyxique de la moelle provoque encore ses effets habituels,
c'est-à-dire la contraction des vaisseaux.
A.Vhyens {Recherches sur l'intoxicatioti arsenicale aigué A. P., 1881, t. vnr,(2),p. 780) est
arrivé aux mêmes résultats que Lesser. Il trouve que les vaisseaux mésentériques,
comme ceux de l'oreille, se contractent encore sous l'influence de l'excitation du grand
sympathique, que l'excitation de la moelle épinière, celle des nerfs sensibles, et l'as-
phyxie, continuent à élever la pression, et que, d'autre part, l'injection de nitrite d'amyle
et l'excitation des nerfs dépresseurs l'abaissent ; que par conséquent l'appareil vaso-moteur
fonctionne encore à peu près normalement.
En reprenant l'étude de cette question, Pistorios arrive à concilier ces opinions
extrêmes. Pour lui, à une certaine période de l'intoxication, les nerfs vasculaires conser-
vent leur excitabilité directe et rétlexe; plus tard l'excitation réflexe des centres vaso-
moteurs n'a plus d'effet, mais l'excitation directe agit encore, quoique d'une façon moins
marquée. Quand l'empoisonnement arrive à son plus haut degré, l'excitation même
de la moelle est inefficace, et alors celle du splanchnique le devient également : donc,
d'après Pistorius, la paralysie vaso-motrice existe bien réellement, mais elle porte
aussi bien sur les centres que sur les appareils périphériques.
Si l'on considère que Vrye.n's accorde aussi que l'excitabilité de ces organes, bien que
conservée, est cependant affaiblie, l'abaissement de la pression artérielle, l'hyperémie
ARSENIC. 689
du tube digestif trouvent déjà en partie leur explication : il faut sans doute y ajouter,
avec Lesser et Dogiel, l'action, exercée par le poison sur le myocarde et sur ses gan-
glions intrinsèques. L'abaissement de pression n'est pas toujours le phénomène primitif;
elle est précédée d'une augmentation préalable si le poison a été injecté à petite dose.
Dans ce dernier cas aussi, la fréquence du cœur est d'abord accélérée (PisTonius, Dogiel,
Lesser); pour des doses moyennes, le rythme se précipite d'abord, puis se ralentit; pour
des doses fortes, le ralentissement est immédiat (Lesser). Si l'injection, au lieu d'être vei-
neuse, est sous-cutanée, l'acce'lération primitive est la règle d'après ce dernier.
Ni Vryens, ni Pistorius n'ont constaté la perte de l'excitabilité du pneumogastrique
signalée par Lesser.
Dogiel, qui a étudié au moyen du compteur de Ludwig la vitesse de la circulation chez
les animaux empoisonnés, a trouvé qu'elle était d'abord augmentée, puis diminuée.
On trouve peu de renseignements relatifs à l'action de l'arsenic sur les centres de
la respiration. D'après Lesser, les modifications respiratoires sont indépendantes de
celles de la circulation : c'est d'abord l'excitation, puis la dépression, qui se manifeste
surtout si l'on injecte des doses progressives et si les nerfs vagues sont intacts. Lors-
que l'injection a été faite dans une veine, la diminution d'excitabilité des centres amène
le ralentissement et l'affaiblissement immédiats de la respiration. : il en est de même
si le poison est introduit dans une carotide. Les battements du cœur survivent en
général à la respiration chez les animaux à sang chaud : c'est le contraire chez la gre-
nouille.
Action sur le sang. — L'arsenic ou pour mieux dire les acides arsénieux et arsé-
nique ne sont pas des poisons du sang, et sous ce rapport la physiologie pathologique
de ces composés doit être entièrement séparée de celle de l'hydrogène arsénié. D'après
les documents, peu nombreux d'ailleurs, que l'on a sur ce sujet, il apparaît bien que
leur action sur le liquide sanguin est peu prononcée. On dit que l'arsenic absorbé
se trouve dans le caillot et non dans le sérum (ce qui prouverait l'affinité des élé-
ments figurés pour le poison), et qu'il diminue le pouvoir absorbant du sang pour
l'oxygène.
D'après Dogiel, lorsqu'on ajoute à du sang déflbriué de chien ou de grenouille de
l'acide arsénieux en poudre, au bout de quelques jours, il n'y a de modification ni
dans la forme des globules ni dans la couleur du sang, tandis que sous l'influence de
l'acide arsénique la forme des globules s'altère : dans le sang de la grenouille, le noyau
devient plus net en même temps que granuleux. On peut se demander si cet effet n'est
pas dû uniquement à l'acidité du composé.
Chez l'homme des recherches ont été faites par Cuttler et Brauford, qui ont soumis
des anémiques au traitement par la liqueur de Fowler, et disent avoir observé d'abord
une augmentation des globules rouges et blancs; puis une diminution de ces éléments.
Hayem, en donnant pendant des semaines de l'arsenic à des chlorotiques, n'a rien constaté
de particulier. En reprenant ces expériences dans le laboratoire de Hayem, Delpeuch
{D. P., 1880) a trouvé que le sang ne présente pas de modifications tant que la dose
d'arsenic n'a pas atteint 0S'',01. Quand on arrive à ce chiffre, le résultat est constant :
le nombre des globules rouges a diminué : mais, au fur et à mesure que cette dimi-
nution se produit, la quantité d'hémoglobine augmente dans les globules intacts, de
sorte que la richesse du sang en matière colorante ne subit que peu de variations.
D'autre part les globules blancs et les hématoblastes ne présentent que d'insignifiantes
modifications.
A. "Vryens exagère donc l'action destructive des composés arsenicaux, en parlant,
comme le font beaucoup d'autres auteurs, de la dissolution des globules sanguins par
l'arsenic : il suffit de faire remarquer que les composés dont il est ici question ne pro-
duisent qu'exceptionnellement l'hémoglobinurie. A. Vryens reconnaît du reste que la
destruction des hématies est très peu importante en général, dans les cas où la quantité
injectée ne dépasse pas Os"',01 d'As-0^ pour 1 kilogramme, ce qui est une dose considé-
rable. L'animal, dit-il, se porte encore assez bien immédiatement après l'intoxication, et
ce n'est qu'au bout de quelques heures que les symptômes graves se déclarent : cette
sorte de période d'incubation, ajoute-t-il, prouve que ce n'est pas aux troubles de la com-
position chimique du sang que l'on peut rattacher les symptômes graves qui ne sur-
DICT. DE PHYSIOLOGIE. TOME I. 44
690 ARSENIC.
viennent que beaucoup plus tard. Aussi Binz et Schultz ont-ils pu dire avec raison que
l'état du sang a peu d'importance dans l'empoisonnement par l'arsenic.
Récemment Silberiia.n.\ a cherché à prouver que l'arsenic produit des coagulations
intra-vasculaires auxquelles il fait jouer un rôle prépondérant dans l'intoxication. Sa
méthode consiste à injecter à l'animal après l'empoisonnement une matière colorante
telle que l'indigorosulfate de soude, le rouge de phloxéine; les parties oii il s'est formé
des caillots restent incolores, tandis que celles dont les vaisseaux ne sont pas obstrués
sont colorées. Des chiens, des lapins rece%'aient sous la peau 0s^•2o à 0s"',30 d'acide
arsénieux : le poumon, la muqueuse de l'estomac, le foie et le rein, prenaient après
l'injection de la matière colorante un aspect marbré, résultant de ce qu'un certain
nombre de ramifications vasculaires étaient devenues imperméables dans ces différents
organes. Il se formerait également pendant la vie des caillots dans le cceur droit, les
gros vaisseaux, l'artère pulmonaire, les veines caves. La transfusion à un animal sain
d'une certaine quantité de sang d'un animal intoxiqué produirait les mêmes résultats
[TJeber das Aiiftreten mullipl. intravitaler Blutgerinnungen nach acut. Intoxic. durch chlor-
sâure Salze, Arsen., Fhosphoi; etc.: A. V., 1889, t. cxvii, p. 288).
Les coagulations se produisent sur place : ce sont des thromboses et elles adhérent
fortement à la paroi : les thromboses capillaires disséminées dans les organes amène-
raient consécutivement des thromboses par stase dans les gros vaisseaux, veines caves
et artères pulmonaires.
L'auteur croit pouvoir rapporter aux obstructions capillaires la chute de pression
dans le système aortique, ainsi que la stase veineuse dans le domaine de la veine porte;
dans le poumon elles amènent d'une part des stagnations et une diminution des surfaces
respiratoires, d'autre part une réplétion moindre du système artériel : l'anémie à son
tour a comme conséquence la dyspnée, les convulsions, la faiblesse générale. Enfin les
obstructions vasculaires auraient leur part dans la pathogénie des dégénérescences
nécrobiotiques. La formation des caillots trouverait son point de départ dans une altéra-
tion des éléments figurés du sang.
Falke.xberg et Fileh.ne ont contesté les résultats obtenus par la méthode de Silber-
UAXx. Heinz est, au contraire, arrivé à des résultats semblables (Natiir und Enstehungs-
art der bei Arsenikvergift. auftretenden Gef'Ugverlegungen : A. Y., t. cxx\i, p. 4951. En
injectant sous la peau o cent, cubes d'une solution d'acide arsénieux à b p. 100, il trouve
dans la muqueuse intestinale une grande quantité de capillaires simplement gorgés de
sang, par la stase : mais cette stase elle-même est provoquée par des thromboses vei-
neuses. Les concrétions sanguines sont constituées, non par de la fibrine, mais par des
amas de plaquettes : ce qui semble démontrer une altération du sang, soit que les pla-
quettes, si elles existent normalement, se détruisent et s'agglomèrent, soit qu'elles se for-
ment sous l'influence de l'arsenic. Plus tard le thrombus devient mixte, c'est-à-dife qu'il
s'y ajoute de la fibrine, mais il ne se prolonge pas dans les capillaires. Il produit un
infarctus hémorrhagique, et, si l'animal survit pendant 24 ou 48 heures, une lésion
ulcéreuse.
Action sur la nutrition. — Schmidt et Stcbzwage iUeb. den Einfiuss der Arsenige
Saûre aiif den Stoffwechgel : ilolegchott'» Untersuch., t. vi, p. 183, 1839! avaient trouvé
que sous l'influence de l'arsenic l'excrétion de l'urée et celle de CO- diminuent. Lolliot
D. P., 1868 était arrivé pour l'urée à des résultats semblables. Voit a montré que
les expériences des deux auteurs allemands n'étaient pas probantes, que la diminution
de l'urée était la conséquence du rejet par le vomissement d'une grande partie des
matières alimentaires. Aux recherches de Lolliot on a objecté que cet auteur avait
détermiué la proportion centésimale de l'urée sans tenir compte de la quantité d'urine
éliminée en vingt-quatre heures. Cependant, si H. vox Bœck Z. B., t. vu, p. 430, 1871 .
si FoKKER cité par Voit, H. H., t. vi, l'^ partie, p. 1823 n'ont reconnu à l'arsenic
aucune influence sur la destruction des matières albuminoïdes lorsqu'ils adminis-
traient la substance à des chiens, à des doses en quelque sorte médicinales, par contre,
RtTTER et V.4.UDEY Th. Strasbourg, 1870) ont constaté chez l'homme une diminution de
l'urée avec augmentation de l'acide urique : de même, Weisee, en donnant l'arsenic à
"petites doses à des herbivores, trouva qu'en même temps que le poids des animaux
augmentait, la décomposition des matières albuminoïdes était réduite de 4 p. 100, que
ARSENIC. 691
l'élimination d'azote par les matières fécales e'tait réduite de 0,3 p. 100, et il émit
l'opinion que l'arsenic permet une assimilation plus complète de l'albumine.
Il n'y a guère que Sallet qui ait trouvé une augmentation journalière de 2 grammes
d'urée pour des doses thérapeutiques; mais Voit fait remarquer que c'est seulement par
une préparation minutieuse de la ration alimentaire que l'on peut maintenir à un
taux régulier la quantité d'azote ingérée et éviter des variations journalières de
2 grammes d'urée dans l'urine.
Si pour les doses faibles les résultats sont contradictoires, les expériences de Gaeth-
GENS et de KossEL ont par contre bien établi que les doses fortes d'arsenic augmentent
la production d'urée. Un chien du poids de 21 kilogrammes reçut d'abord pendant
quinze jours une ration alimentaire régulière, mais insuffisante : le neuvième jour,
l'animal éliminait dans son urine 4 grammes 7 d'azote : pendant les six jours suivants
on lui donna de l'arséniate de soude, et la quantité quotidienne d'azote fut en moyenne
de 4s'',8. Comme, pendant les deux derniers jours, l'animal vomit une partie de sa
nourriture, on pouvait déjà admettre que l'albumine était décomposée plus activement.
Pour éviter l'influence perturbatrice du vomissement, l'animal fut alors soumis au
jeûne pendant douze jours, tout en continuant à recevoir de l'arsenic, et l'excrétion
journalière de l'azote s'éleva progressivement de 3 grammes à SBr,? (Gaethgens. C. W.
1875, p. 529; Kossel. Kenntniss d. Arsenikwirk. ; A. P. P., 1876, t. v, p. 128).
On objecta à ces expériences que l'inanition pouvait, par elle-même, amener une
production plus abondante d'urée (Forster, Z. B., t. xi, p. 522, 1875; V. BœcK, ibid. t. xii
p. 512, 1876). Gaethgens en fit de nouvelles pour démontrer que l'augmentation d'urée
est si intimement liée à l'administration de l'arsenic que cette interprétation ne sau-
rait être admise. Chez un chien à jeim, l'élimination d'azote étant devenue régulière dès
le troisième jour, on commença à donner de l'arsenic, et l'on obtint les chiffres consi-
gnés dans le tableau suivant (D'après Voit, loc. cit.).
JOU
r de jeune.
Arsenic.
Axote dans l'urine.
Jou
■ de jeune.
Arsenic.
Azote dans 1
3
0
4,.5
7
0
5,0
4
arsenic
4,4
8
0
3,3
5
arsenic
5,4
9
0
3,7
6
arsenic
5,8
V. Bœck reconnut du reste plus tard lui-même la réalité du fait, tout en contestant
les conclusions qu'en avait tirées Gaethgens pour expliquer les effets de l'arsenic (C. W.,
1879, p. 216).
11 parait donc bien démontré qu'à fortes doses l'arsenic se comporte comme le phos-
phore, c'est-à-dire qu'il augmente l'excrétion d'urée. On a supposé par analogie, mais
sans preuve directe, que, comme ce dernier corps, il diminue dansées mêmes condi-
tions l'exhalation de GO- par les poumons, ainsi que l'absorption d'ox3'gène.
L'arsenic provoque donc, comme le phosphore, à un moindre degré toutefois que
ce dernier, le dédoublement d'une grande quantité d'albumine; mais, alors que l'azote
de la molécule d'albumine est éliminé en excès, les produits de décomposition non
azotés qu'elle fournit sont retenus dans l'organisme, comme le prouve, si l'on applique
à l'arsenic les faits observés pour le phosphore, l'élimination moindre de CO^ '.
Cette influence sur les échanges nutritifs a permis d'expliquer l'accumulation de
matières grasses qui, an premier abord, ne semble pas se concilier avec une activité
plus grande du processus de désassimilation, attestée par l'excrétion plus abondante
d'urée. Les travaux de Voit et de Bauer ont montré que les deux ordres de phéno-
mènes sont loin d'être incompatibles.
Mais, comme le dit Bunge, nous ignorons complètement le mode suivant lequel,
dans les empoisonnements par le phosphore et l'arsenic, s'accomplit la réaction qui
fait de la graisse aux dépens du contenu azoté des cellules. On ne sait pas mieux ce
qui met obstacle à la désassiràilation des matières grasses. On peut supposer, ce qui '
n'est pas prouvé, que l'apport d'oxygène a diminué à cause des altérations du sang,
1 . Pfluger, cependant, a mis récemment en discussion les faits et les conclusions qu'on on
a tirées {A. Pf., t. Li, i892, p. 229).
692 ARSENIC.
ou bien que le protoplasma cellulaire, altéré dans sa composition, n'est plus apte à
décomposer les matières grasses en produits oxydables, d'oii résulterait indirectement
une absorption moindre d'oxygène. Ce que l'on sait de l'état du sang rend la deuxième
hypothèse plus vraisemblable que la première. Enfin il faut ajouter qu'un fait qui ne
cadre ni avec l'une ni avec l'autre, c'est que l'arsénite et l'arséniate de soude, même à
dose mortelle, n'empêchent pas la transformation de la benzine en phénol dans l'orga-
nisme animal ; preuve pour Nencri et Sieber que, contrairement au phosphore, l'arsenic
ne met pas obstacle aux oxydations organiques (A. Pf., t. xxxi, p. 329).
Ce dont on ne doute pas cependant, c'est que la désorganisation des matières albu-
minoïdes ne soit la cause de la de'générescence graisseuse des organes, qui est un des
caractères de l'intoxication arsenicale et qui a été bien étudiée expérimentalement par
Salkowsky lA. V., 1863, t. xxxiv, p. 73).
Le foie est particulièrement atteint. Tandis que chez trois lapins normaux la quan-
tité de graisse du foie était de 6,10, de 6,73, de 3 p. 100; chez trois autres animaux em-
poisonnés avec de l'acide arsénieux, elle s'est élevée à 8, 12,30, 11 p. 100 (Salk.owsbly).
L'épithélium des canalicules du rein, celui des glandes de l'estomac, le cœur et le
diaphragme avaient subi également l'altération graisseuse. Dans le même volume des
archives de Virchow, Grohe et Mossler rapportent un cas d'empoisonnement chez un
enfant de deux ans qui mourut en l'espace de dix-sept heures et chez lequel on put
constater à l'autopsie les lésions que Salkowsky avait signalées chez le lapin. Depuis
lors, elles ont été souvent étudiées. Voir en particulier, au point de vue histologique,
CoRNiL et Brault (Journ. de l'Anat., 1881, t. xvni, p. 1). On a observé la dégénérescence
graisseuse de l'épithélium pulmonaire, de l'endothélium des vaisseaux, et des ganglions
mésentériques.
Ici vient se placer aussi l'augmentation d'embonpoint, la tendance à l'obésité, si
souvent signalées comme la conséquence de l'usage prolongé de l'arsenic, soit chez
les arsenicophages, soit chez les sujets soumis à la médication arsenicale. Le dévelop-
pement du pannicule adipeux, soit chez l'homme, soit chez les animaux, s'expliquait
facilement, tant que l'on ne reconnaissait à l'arsenic d'autre influence que celle de
diminuer les échanges nutritifs. La cause de cette surcharge graisseuse est plus com-
plexe, puisque c'est à la désorganisation de l'albumine que l'excès de graisse doit en
grande partie son origine, (Vaudey. D. P., 1890). Cependant les expériences de Rittek (cité
par Vaudey) et de Weiske portent à croire que, quand la dose n'est pas trop élevée, l'ar-
senic ralentit les processus de désassimilation dans leur ensemble.
On ne peut en effet se refuser à admettre que dans certaines circonstances cette
substance ne permette une utihsalion plus parfaite et plus complète de tous les maté-
riaux de la nutrition. Les faits sont nombreux qui parlent en ce sens. Je rappellerai
ceux qu'ont signalé Weiske et Fokker. Ro'jssin, ayant nourri pendant trois mois de
jeunes lapins avec de l'arséniate calcaire, de telle sorte qu'ils recevaient jusqu'à
Os^^0 d'acide arsénique par jour, note qu'au bout de ce temps, ils étaient vifs, alertes
« et d'une grosseur surprenante ». Giess aussi, comme tant d'autres, a constaté, sous
l'inlluence de faibles doses d'arsenic, une augmentation du poids du corps chez les
animaux en expériences, mais, déplus, un accroissement énorme dans le développement
sous-périostique et épiphysaire des os, qui étaient devenus à la fois plus longs et plus
épais (A. P. P., t. vm). Maas avait déjà fait la même observation. Giess rapporte
encore que des femelles de lapin, soumises à l'intoxication chronique et fécondées par
des mâles intoxiqués également, mirent bas des petits mort-nés, mais beaucoup plus
développés que ne le sont les fœtus normaux, et il attribue leur mort à la lenteur de
l'expulsion occasionnée par leur volume.
Dans ces conditions, il ne s'agit plus d'un simple dépôt de graisse ou bien d'une
accumulation de certains matériaux produits au détriment de certains autres, mais
l'arsenic manifeste ici son influence sur le développement général des tissus et des
organes, et elle parait bien être telle que les processus d'assimilation l'emportent sur
les processus contraires.
On a cherché encore dans la combustion moins active du carbone, dans la diminution
hypothétique des oxydations, la cause de la vigueur musculaire des arsenicophages,
de la facilité avec laquelle ils supportent les excursions en montagne, et de leur
ARSENIC. b'93
grande capacité de travail, en général. Comme les combustions se font pour la ma-
jeure partie dans les muscles, si elles deviennent moins actives, il en résultera, a-t-on
dit, une production moindre d'acide lactique et d'autres substances fatigantes.
La facilité de la respiration, qui paraît être une des conséquences de l'usage de l'ar-
senic, a été attribuée de même au ralentissement des échanges dans les muscles thora-
ciques : d'autre part, le sang moins chargé de CO- serait un excitant moins puissant
pour les centres respiratoires : le besoin de respirer se ferait donc moins vivement
sentir.
Ces explications sont peu satisfaisantes. Si, en effet, les combustions diminuent
dans le muscle, forcément il produira moins de travail, puisque l'énergie qu'il mani-
feste n'est qu'une transformation de l'énergie chimique des matériaux combustibles :
forcément aussi, pour peu qu'il se contracte avec activité, comme par exemple dans une
course en montagne, il devra produire des substances ponogènes et excitantes pour les
centres respiratoires.
Il est plus vraisemblable que l'arsenic agit sur la motilité par l'intermédiaire du
système nerveux, soit qu'en stimulant les centres moteurs il lui permette de mieux
utiliser et de mieux régler l'emploi de l'énergie mise en liberté, soit, au contraire,
qu'en diminuant l'excitabilité des nerfs sensitifs il atténue la sensation d'effort et de
fatigue. L'une et l'autre de ces deux hypothèses, malgré ce qu'elles ont de contradic-
toire, sont permises si l'on considère que, dans l'intoxication arsenicale, des phénomènes
d'excitation très marqués du système nerveux coexistent avec des phénomènes de
dépression non moins prononcés.
Comme dernière manifestation de l'influence exercée par l'arsenic sur la nutrition,
il faut signaler la diminution, et même quelquefois l'absence totale, de glycogène du
foie, qui a été observée d'abord par Salkowsky. De sorte que chez les animaux intoxiqués
par l'arsenic la piqûre diabétique, le curare resteraient inefficaces pour produire la
glycosurie. Ce fait a été vérifié par divers expérimentateurs, en particulier par Quin-
QU.4UD. Ce dernier trouve, par exemple, qu'un chien non intoxiqué et rendu diabétique
par piqûre da quatrième ventricule excrète en vingt-quatre heures 10S'',909 de sucre,
tandis qu'un autre chien de même poids, intoxiqué par l'arsenic et soumis ensuite
à la piqûre, n'excrète que 0''''',I7o de sucre (B. B., 1882, p. 537). Cependant, Bria-
MERMANN a vu cncore dans ces conditions la glycosurie se produire par l'action du
curare et du nitrite d'amyle (In Jahresber. de Virchow et Hirsch, 1879).
Lehmann (analysé in A. P. P., t. ii, p. 463, 1874), dans ses expériences, a cherché
à élucider le mécanisme de la disparition du glycogène. Il constate d'abord, sur une
première série d'animaux, qui n'avaient reçu que de petites doses de liqueur de Fowler
(OsrjlO), que la quantité de glycogène n'était pas sensiblement modifiée. Par contre,
quand des animaux, qui avaient jeûné deux ou trois jours, recevaient un repas copieux
en même temps que 1 gramme à t^'',5 de liqueur de Fowler, on trouvait dans leur
foie beaucoup moins de glycogène que chez ceux qui, ayant été également soumis au
jeûne, n'avaient pas pris d'arsenic.
Lehmann avance, d'autre part, que, chez les animaux, normaux, à jeun, le sucre in-
jecté dans la veine-porte traverse plus facilement le foie que chez les animaux bien
nourris, et qu'il reparaît dans l'urine; mais, si les animaux, quoique bien alimentés,
reçoivent en même temps de l'arsenic, la glycosurie s'établit encore après l'injection de
sucre, c'est-à-dire que le foie arsenical se comporterait par rapport au glycose,
comme le foie en état d'inanition : l'un comme l'autre sont devenus moins aptes
à transformer les matières hydrocarbonées en glycogène.
Les expériences de Naunyn montrent aussi que l'arsenic empêche la transformation
du sucre en glycogène {Handb. der speciell. Pathol. de Ziemssen, t. xv, p. 351). A des
lapins à jeun pendant trois jours ou plus, cet expérimentateur, ayant donné de deux
heures en deux heures 4 à 10 grammes de sucre additionnés chaque fois de Oe'',02 d'acide
arsénieux, ne trouva dans leur foie que de faibles quantités de matière glycogène, au
maximum 0,13 p. 100 du poids de l'organe frais; cependant l'urine ne renfermait
pas de sucre. Par contre, Luchsinger a vu le sucre, injecté dans le sang d'animaux
intoxiqués, reparaître dans l'urine, tandis que le foie et les muscles ne contenaient pas
de glycogène.
694 ARSENIC.
Il est probable que ce n esl pas le sucre seul qui ne peut plus être transformé par
le foie arsenical, mais que tous les matériaux qui donnent origine au gtycogène sont
dans le même cas. La disparition du glycogène n'a rien qui puisse surprendre, si l'on
considère, comme l'a fait bien remarquer Roger, que cette substance est en quelque
sorte le témoin de l'activité des cellules he'paliques. Quand celles-ci auront subi la
dégénérescence graisseuse, l'élaboration du glycogène ne pourra plus avoir lieu;
mais, avant même qu'elles n'aient éprouvé des altérations grossières, la vitalité de leur
protoplasma pourra être assez compromise par le poison pour que leur fonctionnement
s'en ressente.
Action sur le système nerveux. — Nous avons décrit en détail les accidents
nerveux de l'intoxication arsenicale. Il reste encore à étudier leur pathogénie.- Sont-ils
d'origine centrale ou périphérique ?
SiDNEY Rincer et Murrell, de leurs expériences sur la grenouille, ont conclu que l'acide
arsénieux affecte d'abord, et très rapidement, les centres nerveux, puis, qu'au bout de
quelques heures il détruit la conductibilité des nerfs moteurs et l'irritabilité muscu-
laire; la perte de ces dernières propriétés n'est pas la conséquence de l'arrêt du cœur;
car elles disparaissent au bout de trois à neuf heures après l'empoisonnement par
l'acide arsénieux, taudis qu'elles durent en moyenne vingt-neuf heures quand on a
détruit le cœur et le cerveau.
Chez les mammifères, Scolosuboff est prubablemeut le premier qui ait cherché à
étudier par la méthode expérimentale le mécanisme des troubles nerveux, et il est
arrivé à cette conclusion qu'ils résultent de l'altération des centres nerveux par l'ar-
senic : cette conclusion se fondait sur des recherches chimiques dont il sera question
plus loin. Bien que la donnée même qui lui servait de base ait été contredite par la
majorité des expérimentateurs, l'opinion de Scolosuboff fut cependant confirmée, d'autre
part, par les recherches anatomo-pathologiques. Dans des expériences entreprises sous
la direction de Mierzejewsky, Popoff (Petersb. med. Wochenschi'. analysé in Jahresb. de
ViRCHOW et HiRScii, 1880) trouva que, chez les animaux soumis à une intoxication suraiguë,
il se produit des lésions très manifestes de la moelle ayant les caractères d'une polyo-
myélite aiguë. Dans les cas plus chroniques, l'intlammation s'étendrait à la substance
blanche, et il se produirait des myélites diffuses. Les nerfs, examinés à leur sortie de la
moelle aussi bien que dans leur trajet périphérique, ne montraient aucune altération,
même dans les cas où la mort n'était survenue que trois mois après l'intoxication.
Plus tard, répondant aux objections qui lui étaient faites, Popoff décrivit, dans un cas
d'empoisonnement chez l'homme, les mêmes altérations qu'il avait observées chez les
animaux : gonflement, état trouble, décoloration et vacuolisation des cellules nerveuses,
hyperémie et diffusions sanguines dans les régions cervicale et dorsale de la moelle,
au voisinage du canal central, dans les cornes postérieures et les cordons latéraux,
exsudais plastiques dans le renflement cervical. Mais, d'après Kreysig (A. V., t. en, 1885),
la décoloration des cellules ganglionnaires, la formation de vacuoles dans leur intérieur
sont produites par la méthode de durcissement employée et peuvent se rencontrer sur
la moelle d'animaux normaux : après l'empoisonnement par l'arsenic, il ne constate
dans les centres nerveux d'autres lésions que quelques hémorrhagies capillaires de la
substance grise, lesquelles ne sont pas constantes; il cite Vulpiajn comme étant arrivé
également à des résultats négatifs.
Sur un chien, chez lequel de fortes doses d'arsenic données pendant dix jours avaient
amené une paralysie, Jaschre n'a de même Irouvé que quelques petites apoplexies
dans les méninges, sans aucune indication de myélite centrale. Cet auteur paraît avoir
été le premier à attribuer les troubles moteurs et sensoriels de l'arsenic à des lésions
périphériques, à la polynévrite; et cette opinion est soutenue aujourd'hui par la plupart
de ceux qui se sont occupés de cette question. Jaschke a invoqué les motifs suivants :
1° la localisation des troubles de la sensibilité et du mouvement dans le domaine de
certains nerfs : ainsi, dans un cas, une auesthésie très prononcée était limitée au terri-
toire du nerf médian; 2° les troubles sensitifs très marqués, les phénomènes ataxiques,
la douleur à la pression sur le trajet du nerf; 3° l'absence des symptômes habituels des
paraplégies médullaires, tels que les troubles de la miction; 4° l'absence de l'atrophie
rapide et intense qui accompagne la poliomyélite antérieure; b° la guérison complète
ARSENIC. 695
et relativement rapide, malgré un degré très prononcé de paralysie; 6° l'existence du
zona; 7° les réactions électriques qui sont celles des paralysies périphériques légères;
8° la sensibilité des muscles paralysés.
Dana {loc. cil.) ajoute à ces arguments : 1° l'existence de la névrite optique qu'il a
observée; 2° la paralysie motrice localisée, comme par exemple celle d'une seule corde
vocale; 3° le fait même que l'arsenic peut produire une forme de pseudo-tabès sem-
blable au tabès dû à l'alcool ou à la diphtérie : et on sait que daus ces derniers cas, il
est sous la dépendance d'une polynévrite.
Lancereaux s'était déjà appuyé sur cette preuve par analogie et sur le tableau cli-
nique des paralysies arsenicales pour les ranger, avec celles de l'alcool, dans le groupe
des paralysies d'origine périphérique (Gaz. des hôpit., 1883, n" 46).
Dans une communication au congrès médical de Berlin, Naunyn (Berl. klin. Wo-
chenschr., 1886, p. 555) fait ressortir également, d'après un cas qu'il a observé, l'ana-
logie des symptômes avec ceux de la polynévrite. Cette opinion est confirmée par les
recherches expérimentales d'ALEXANDER (Klin. med. experim. Beitràge zur Kenntniss der
Lâhmungen nach Arsenik. Vergiftung. Th. de Breslau, 1889) qui a observé sur des lapins
intoxiqués de l'atrophie dégéuérative des nerfs et des muscles, sans altérations cen-
trales. Mais en même temps l'auteur arrive à cette conclusion que, chez les animaux, il
est difficile de déterminer par une intoxication chronique l'apparition tant d'une poly-
névrite que d'une myélite. Becq (Arch. de neurologie, 1894, p. 108) dans ses expériences
a rencontré les mêmes difficultés : dans la moelle, pas de modification de structure :
dans les nerfs, la seule particularité à signaler, c'est que la myéline, au lieu d'avoir lé
reflot bleuâtre que lui donne habituellement l'acide osmique, avait une teinte gris noi-
râtre, semblable à celle qu'ont trouvée Pitres et Vaillard dans les névrites provoquées
par l'alcool et l'éther.
Il semble, d'après tous ces faits, que les manifestations nerveuses doivent être ratta-
chées dans la majorité des cas à des altérations périphériques : mais il ne faudrait pas
généraliser davantage, puisque tout récemment Henschen- (Neurol. Centralb., février 1894)
a publié un fait dans lequel il a constaté des lésions médullaires primitives, très nettes
et très étendues. Le syndrome clinique avait du reste fait admettre la participation de
la moelle au processus morbide.
Action sur la peau et les muqueuses. — Les manifestations produites par l'ar-
senic du côté de la peau ont été déjà signalées plus haut dans le tableau d'ensemble de
l'intoxication arsenicale. On a vu que les altérations les plus divei'ses ont été observées,
rougeur avec gontlement, éruptions papuleuses, ortiées, érysipélateuses, pustuleuses,
chute des cheveux, des poils, des ongles : elles semblent reconnaître pour cause f élimi-
nation du poison par la peau. Dans l'arsenicisme professionnel, il faut faire intervenir
aussi le contact direct du poison avec le tégument; enfln on n'a peut-être pas tenu
suffisamment compte des troubles trophiques que doivent amener les altérations des
nerfs.
Une modification curieuse de la peau, qui a souvent été observée à la suite de l'usage
prolongé de l'arsenic à dose thérapeutique, est cette pigmentation anormale que l'on a
désignée sous le nom de mélanose arsenicale. Wyss, qui a fait des coupes microscopiques
sur la peau des sujets qui en étaient atteints, a trouvé un pigment brun-jaune ou brun
rougeâtre déposé, suivant que les cas étaient plus ou moins intenses et invétérés, soit
dans les lymphatiques des papilles seulement, soit dans le réseau lymphatique du derme.
Il pense que c'est la matière colorante du sang qui forme ces granulations pigmentaires,
il invoque à ce sujet les recherches de Stierlin qui a vu l'usage de la liqueur de Fowler
réduire le chiffre des globules rouges et la quantité d'hémoglobine. Sur ce dernier point,
Delpeuch est arrivé, comme il a été dit, à des résultats différents : mais la diminution
du nombre des hématies peut venir à l'appui de l'opinion émise par Wyss.
Aux différentes affections des muqueuses déjà mentionnées, telles que conjonctivite,
laryngite, il faut ajouter la rhinite ulcéreuse. Dans une observation de Cartaz la mani-
pulation et la préparation du vert du Schweinfurth a eu comme conséquence des ulcé-
rations de la muqueuse nasale avec destruction complète de la cloison; la maladie rétrocé-
dait quand le malade cessait son métier. Saint-Philippe (Gaz.méd. de Bordeaux, n"> 42,
1877) a cité deux observations d'uréthrites développées en dehors de toute contamina-
696 ARSENIC.
tion vénéneuse et qu'il rapporte à l'abus de l'arsenic, pris dans un but thérapeutique.
L'irritation produite par une urine chargée d'arsenic expliquerait cette inflammation sur
laquelle Delatour avait déjà attiré l'attention.
11 faut sans doute expliquer de la même façon le chatouillement de l'urèthre avec
tendance à l'érection observé dans des cas semblables, ainsi que la dysurie, la strangurisi
et Je ténesme vésical signalés comme accidents de l'intoxication arsenicale.
Absorption, localisation et élimination. — L'absorption des composés arsenicaux
peut se faire par les muqueuses, par le tissu cellulaire sous-cutané, par des plaies, des
ulcères de la peau.
L'acide arsénieux introduit en solution dans le tubedigeslif pénètre rapidement dans
le sang; car au bout de quelques minutes on le retrouve déjà dans les urines. Il est
absorbé dans l'intestin sous forme d'arsénite de soude : une petite partie y est transfor-
mée en sulfure d'arsenic qui, insoluble, n'est pas soumis à la résorption. Il est vrai que,
sous l'influence de la putréfaction, c'est-à-dire de l'activité microbienne, le sulfure en
présence de l'eau et à la température du corps peut, d'après Ossikowsky, redevenir de
l'acide arsénieux et même de l'acide arsénique : mais dans les expériences de cet auteur
le sulfure d'arsenic restait en contact au moins pendant deux jours avec le pancréas, à
une température de 33 à 40°, tandis que dans l'intestin il est rapidement éliminé avec
les matières fécales.
Dans l'urine on peut obtenir en certains cas un précipité de sulfure d'arsenic en y
faisant passer directement de l'bydrogène sulfuré après l'avoir acidulé avec de l'acide
chlorhydrique. 11 ne parait pas démontré jusqu'à présent (Hdsemann. Erwiesenes und
Hypothetisches vom Arsen.; Deut. med. Wochenschr., 1892, p. 108) que l'acide arsénieux
reparaisse dans l'urine à l'état d'acide arsénique. Par contre, l'arsenic peut s'y trouver à
l'état de combinaison organique. Ainsi, lorsque l'hydrogène sulfuré n'a pas produit de
précipité, il ne faut pas en conclure que l'urine soit exemple d'arsenic, sa présence peut
y être démontrée si l'on a recours à l'appareil de Marsh après avoir détruit les matières
organiques.
Hasesianx cite à ce propos le passage suivant de Morner : « On ne sait pas encore exac-
tement à quel état l'arsenic s'élimine par les urines. En général on a admis qu'il doit
s'y trouver sous forme d'arsénite ou d'arséniate. Comme preuve de cette manière de
voir, on peut faire valoir les recherches de Schmidt et Brettschneider qui, dans leurs
expériences sur les chevaux, ont trouvé l'acide arsénieux non transformé dans le sang et
dans l'urine. En outre Reichardt assure que l'arsenic peut sans autre préparation être
précipité de l'urine, acidulée par HCl, au moyen de l'hydrogène sulfuré. Cependant il ne
faut pas croire que l'arsenic passe toujours dans l'urine à l'état d'acide arsénieux ou
arsénique. Dans quelques expériences, je n'ai pu, chez des personnes qui prenaient de
l'arsenic comme médicament, précipiter de l'arsenic dans l'urine acidulée par l'acide chlo-
rhydrique, bien que, tenant compte de la difficulté de précipiter l'acide arsénique, j'aie
à plusieurs reprises et à quelques jours d'intervalle fait passer de l'hydrogène sulfuré : et
cependant d'autres procédés permettaient de démontrer facilement la présence de l'ar-
senic dans ces mêmes urines. »
Selmi a prouvé, en effet, que le métalloïde s'élimine en partie sous forme de combinai-
son organique. Chez des chiens qui ont reçu pendant quelque temps de l'acide arsénieux,
on trouve, du troisième au septième jour de l'intoxication, une arsine volatile à propriétés
tétaniques, plus tard une base volatile renfermant encore une faible quantité d'arsenic,
beaucoup moins toxique ; plus tard enfm, une autre base non toxique pour la grenouille,
à la dose de 0B'',02. Pendant tout le temps de l'empoisonnement il s'élimine un com-
posé basique et volatil renfermant du phosphore. L'élimination de l'arsenic sous forme
de composés inorganiques commence aussitôt après l'intoxication et peut durer encore
quarante jours après qu'on a cessé d'administrer l'arsenic.
RoussiN, ayant donné à des animaux de l'arséniate calcaire, suppose qu'il passe
dans les urines à l'état' d'arséniate ammoniaco-magnésien.
KiRCHGASSER rapporte une observation prise sur l'homme où l'on put retrouver de
l'arsenic pendant six semaines dans les urines et pendant deux semaines dans les fèces,
après que l'administration du toxique eut cessé (cité par Dhagendorff).
Dans une observation de Gaillard de Poitiers, rappelée par Brou.ardel, on a égale-
ARSENIC, 697
ment constaté la présence de l'arsenic dans l'urine jusqu'à quarante jours après l'empoi-
sonnement. Il semble que l'arsenic éliminé par les matières fécales doive y être amené
par la bile; cependant Orfila, d'après quelques expériences qu'il a exécutées, se croit
autorisé à dire qu'il n'eu est rien. Chez les chiens, il trouve que l'élimination par les
sécrétions est terminée au bout de quinze jours : on a vu qu'elle peut durer plus long-
temps, d'après Selmi. Chez l'homme ou peut admettre par induction que l'arsenic
est entraîné par les sécrétions en six semaines. L'élimination pourrait même, dans cer-
tains cas, se prolonger davantage. Wood a trouvé encore de l'arsenic dans l'urine au bout
de 93 jours {Boston Journal 1893). Voir aussi, Putnam, Boston Journal, 1889.
Notons encore que, dans le rapport sur l'empoisonnement du duc de Praslin, l'exa-
men de l'urine rendue dans les derniers moments de la vie, c'est-à-dire six jours après
l'empoisonnement, ne donna que des résultats négatifs. Roussm rappelle qu'il a depuis
longtemps signalé le fait, qu'on peut trouver de l'arsenic dans l'urine à telle époque
de l'empoisonnement et ne pas en déceler plus tard. D'après Taylor également, l'excré-
tion du toxique par l'urine pourrait être intermittente.
Bebgeron et Lemattre ont avancé que l'arséniate de soude et l'arsénite de potasse se
retrouvent en nature, non seulement dans l'urine, mais encore dans la suear {Arch. géné-
rales de médecine, 1864). Leurs expériences toutefois, d'après Rabuteau, ne seraient pas très
convaincantes. Chatin a trouvé de l'arsenic dans la sérosité d'un vésicatoire chez un
sujet qui en avait absorbé {Journ. de Chim. méd., 1847, p. 328); on verra aussi plus loin
que la substance passe dans le lait.
La localisation de l'arsenic dans les tissus a fait l'objet de nombreuses recherches.
Orfila et Christison avaient noté qu'il se dépose surtout dans le foie; tel était aussi l'avis
de Flandin et de Taylor qui plaçaient au second rang les reins, et en dernier lieu le cer-
veau. Les expériences de Scolosuboff lui avaient donné un résultat contraire. Il avait
trouvé que, dans les empoisonnements aigus, le métalloïde se localise tout spécialement
dans le cerveau; que, dans les empoisonnements chroniques, il se concentre surtout dans
le cerveau et la moelle, qu'il n'envahit que consécutivement les muscles et le foie; et
qu'on ne le trouve jamais dans cet organe à dose aussi considérable que dans la substance
nerveuse [A. P., 2" série, t ii, 187b, p. 6o3).
Les expériences de Scolosuboff ont été faites sur des chiens et des lapins. L'empoi-
sonnement était produit, soit en moins de vingt-quatre heures par des injections hypo-
dermiques d'arséniate de soude, soit lentement en imprégnant pendant des mois les ali-
ments avec la même solution. Voici un exemple de ce dernier genre : un chien bouledogue
prend, du 28 mai au l'"' juin, Ob',0 10 d'arsenic; du i" juin auU, OE"',020; du il au 16,
0e'-,040: du 16 au 26 juin, 0S"-,080; le 26 juin, OeMoO; le 30 juin et le 1" juillet, Oe^lGO.
Le 2 juillet il est sacrifié. On a trouvé :
Pour 100 grammes de muscle Irais. . . .
— de foie
— de cerveau
— de moelle
Ainsi chez ce chien on trouva dans le cerveau une quantité d'arsenic 36 à 37 fois plus
grande que dans le même poids de muscle frais et 4 fois plus grande que dans le foie.
Dans d'autres cas où les animaux étaient soumis à l'intoxication aiguë et où la mort
arrivait en quelques heures, l'anneau arsenical du cerveau était très notable, moindre
pour la moelle, à peine sensible pour le foie et pour le muscle. Se fondant sur les
recherches précédentes, Caillol de Pon'cy et Livon (B. B., p. 202, 1879], ayant constaté
que chez des cochons d'Inde la quantité d'acide phosphorique éliminée par les urines
augmente sous l'influence de l'arsenic, ont émis l'hypothèse que l'arsenic remplace le
phosphore dans la lécithine de la substance nerveuse. Mais on a objecté à ces expériences
que la quantité d'arsenic administrée ne suffisait pas à compenser les pertes en phos-
phore qui se faisaient par l'urine.
■D'ailleurs, à la même époque, E. Ludwig montrait, d'après des expériences sur les
animaux et des observations faites chez l'homme lUb. die Localisation des Arsens im
Poids total
RapporI
nneau arseiii
cnl.
de ce nonil
grammes.
à 1
/arsenic du r
0,0002.0
1
0.00271
10,8
0,00885
36,5
0.00933
37,3
698 ARSENIC.
thierischen Organismus nach Einverleibung von Arsenig. Saûre; Wien. med. Blâtt., 1879,
analysé in Jahresb. de Virchow et Hirsch) que ce n'est pas dans les centres nerveux que
se dépose de préférence l'arsenic, mais bien dans le foie et le rein. Dans un cas, chez
l'homme, on trouva, pour 14-80 grammes de foie, 0s',l3S d'arsenic, pour 1481 grammes
de cerveau. Os%001o, pour 14i grammes de rein, 0e"-,019o et pour «00 grammes de muscle,
0SS002, de sorte que les muscles renfermaient 3 fois plus, le foie 89 fois plus et les reins
13b fois plus que le cerveau. Lddwig a constaté également chez les animaux comme chez
l'homme que l'aisenic est assimilé par l'os en quantité très appréciable : en donnant à
des chiens de l'acide arsénieux pendant quelque temps, les os renfermaient encore
de l'arsenic 27 jours après qu'on eût administré le poison; au 40™= jour ils n'en con-
tenaient plus, alors qu'on en trouvait encore dans le foie.
Ces résultats ont été souvent confirmés. Dans une observation de Bergeron, Delens
et L'HoTE (Ann. d'hygiène publ. et de médec. légale, 3"'<= série, 1880, t. m) oii l'empoisonne-
ment eut lieu par du vert de Mitis, on trouve les chiffres suivants : dans 100 grammes
de cerveau, 0t'"',2 d'arsenic; dans 42 grammes d'estomac et de pancréas, 0s%4; dans
•100 grammes de foie, ie'',4; dans 100 grammes de poumon, OB'-, 7; dans 10 grammes de
cœur, traces; dans 100 grammes d'intestin, Oe'.o; dans 100 grammes de rein, 0S'-,4; dans
9 grammes de cheveux, Oe\l; dans 60 grammes de glande mammaire, 0t''-,2; dans
40 grammes de muscle, Oe--,!. Le poison s'était donc particulièrement localisé dans le foie.
De même Guarescri (Localisazione deU'arsenico nell'organismo; Rivista di chim. med.
e farmacol., analysé in Jahresb. de Virchow et Hirsch, 1883) a trouvé dans l'estomac 0,0165
d'arsenic p. 100; dans le foie, 0,00103; dans le gros intestin, 0,00138; les poumons et le
cœur, 0,0006; le muscle, 0,00011 et dans le cerveau des traces seulement. Il cite aussi
Sahapp et MoiNARi qui, chez une vache ayant reçu pendant 44 jours 0,4 à 0,o d'acide
arsénieux par jour, trouvèrent dans l'estomac, 0,02o p. 100 d'arsenic; dans le foie,
0,0013; dans la rate, 0,001; dans les reins, 0,0006; dans les muscles, 0,0003; dans les pou-
mons, 0,0004 et dans le sang, 0,003. Après l'estomac c'est donc le foie et la rate qui con-
tenaient le plus d'arsenic. Voir aussi GAUiviER, qui donne un grand nombre de chilfres
déterminés par divers observateurs (Anii. d'hyg. publique et de médecine légale, t. ix,
p. 310, 1883), et Bayley (On the distrib. of. arsenic in the bodies;Med. Neivs, 1893).
Au point de vue médico-légal, Chitienden croit pouvoir tirer du mode de répartition
de l'arsenic dans les tissus des éléments d'information importants {Significance of the
absorpt. and éliminât, of poison inmedico-legal cases, -The médico-légal Journal, i.ii, p. 224,
sept. 1884, R. S. il/.). Lorsque l'arsenic existe dans le foie en très grande quantité, 30 ou 40
centigr. par exemple, on peut affirmer, s'il s'agit d'acide arsénieux, qu'il a été introduit
au moins Ib heures avant la mort; car les expériences de Geoghegan, confirmées par
Dogiel, ont montré que c'est à ce moment que l'arsenic offre un maximum d'assimila-
tion dans cet organe. L'absence d'arsenic dans l'estomac, coïncidant avec sa présence en
proportion considérable dans le foie, indique nettement que le poison a été pris plu-
sieurs jours avant la mort. La présence d'une quantité relativement considérable dans
le cerveau coïncidant avec son abondance dans quelques muscles, sa distribution très
inégale dans le système musculaire et son absence dans les os, semble indiquer qu'on
à affaire à un composé très soluble et à un empoisonnement aigu. Chitïenden attribue
en effet les résultats obtenus par Scolosdrof à ce que ce dernier a employé un composé
très soluble, l'arséniate de soude.
Parmi les organes dans lesquels l'arsenic s'accumule de préférence, il faut faire une
place à part aux os. On a vu plus hautque, d'après Ludwig, le poison aurait déjà disparu
dans le tissu osseux, alors qu'il existe encore dans le foie. Tout autres ont été les résul-
tats des expériences de G. Pouchet et Brouardel. Lorsque l'arsenic est donné à faibles
doses répétées, on retrouve des traces nettement appréciables du métalloïde à l'appareil
de Marsh, huit ou dix semaines après la cessation de toute absorption arsenicale, tandis
qu'à partir de la troisième semaine les différents viscères des animaux sacrifiés n'en ren-
ferment plus : mais ce n'est plus alors que dans les os riches en tissu spongieux, crâne,
vertèbres surtout, omoplate, que l'analyse permet de retrouver l'arsenic. Dans les os
riches en tissu compact, tels que le fémur, on ne peut plus en déceler la présence au bout
d'un certain temps. Il se trouve au contraire en petite quantité dans ces derniers os,
lorsque l'arsenic a été donné à doses capables de déterminer en quelques heures des acci-
.ARSENIC. 699
, dents manifestes d"intoxication. Chez les animaux empoisonnés par des doses massives,
on obtient une sorte de diffusion générale de l'arsenic et le tissu osseux n'offre rien de
particulier au point de vue de la localisation. Ces conclusions qui résultaient de l'expéri-
mentation ont été confirmées par les recherches toxicologiques faites au sujet des empoi-
sonnements du Havre. La présence de l'arsenic constatée dans les os du crâne et des ver-
tèbres chez les sujets ayant succombé à l'intoxication, doit faire ranger, parmi les faits
définitivement acquis à la toxicologie humaine, la localisation de l'arsenic dans le tissu
spongieux des os.
Il faut dire que Roussin {Journ. de Pliarm. et de Chimie, 186.3, p. 121) s'était déjà
occupé de cette question. Comme les arséniates sont isomorphes avec les phosphates, il
.s'était demandé si l'arséniale calcaire ne se fixerait pas dans le squelette osseux. Les
.expériences faites sur des lapins, dont les aliments étaient mélangés avec de l'arséniate
calcaire, lui montrèrent que l'arsenic s'accumule progressivement dans les os, alors que
les muscles n'en fournissent que des traces.
Une lapine reçoit environ Os^jO d'acide arsénique par jour pendant un mois, sous
forme d'arséniate calcaire. Au bout de ce temps elle est accouplée; puis elle met bas
cinq petits. Au bout de vingt-cinq jours un des petits fut tué; la mère avait toujours
continué à recevoii de l'arsenic. Dans les os du petit on trouva une quantité assez con-
sidérable d'arsenic, des traces seulement dans les muscles. La lapine mère ayant été
sacrifiée cinq mois après qu'elle eût été. privée de toute alimentation arsenicale, la pré-
sence de l'arsenic fut encore constatée dans les os : mais pour la constater il fallut opé-
rer en une seule fois sur les deux tiers de la substance osseuse. Chez l'homme, après un
'long usage médical, Gille aurait trouvé de l'arsenic dans les os et le foie après six mois
{Pdtnam, loc. cit.)K RoussiN n'a pas constaté de différences appréciables entre les os du
squelette. Quoi qu'il en soit, ce qui est certain, comme le fait remarquer Bbouardel, c'est
qu'au bout de cinq à six semaines il peut rester dans les os une quantité suffisante d'ar-
senic pour démontrer qu'il y a eu intoxication. Quant à la question de savoir si l'arse-
nic qui se trouve dans les os y joue le rôle du phosphore, à l'état d'arséniate remplaçant
les phosphates, comme on l'a supposé aussi pour la lécithine, il faudrait en faire la
preuve et retirer des os l'arséniate tribasique de chaux : cette preuve n'a encore
été fournie par personne (A. Gautier. Bull, de l'Acad. de médecine, 1889, t. xxii, p. 33).
L'élimination de l'arsenic par les cheveux, les poils, les ongles, les productions épi-
dermiques en général, doit>être considérée aussi comme un fait acquis. Dans 100 gram-
mes de cheveux et de poils, Brouardel et Pouchet ont trouvé un anneau arsenical pesant
de un à deux milligrammes.
Chez les animaux nouveau-nés, d'après les mêmes auteurs, la localisation de l'arsenic
n'obéirait plus aux mêmes lois : elle serait à peu près nulle dans le tissu osseux ainsi
que dans la peau et les poils. Ainsi, à une lapine qui avait mis bas le 24 avril, on com-
mença à donner, six jours après, six gouttes de liqueur de Fowler par jour : la dose fut
progressivement augmentée de six gouttes tous les jours, et, lorsque l'animal arriva à la
proportion de trente gouttes parjour, le 19 mai, on sacrifia deux des petits. La recherche
de l'arsenic futfaite séparément sur chacun et conduisit aux résultats suivants : 1°'' lapin:
poids total, 240 grammes; muscles, viscères, quelques parties d'os et de cartilage, traces
notables d'arsenic. 2™'= lapin: poids total, 405 grammes; muscles, viscères, traces nota-
bles; os et fragments de cartilage des deux lapins : poids total, 90 grammes : traces à
peine perceptibles. Peau et poils des deux lapins, poids total, 16d grammes : traces d'ar-
senic.
Une chienne qui avaitmis bas depuis dix jours reçut le 27 mai vingt gouttes de liqueur
de FowLER : le lendemain ni elle ni ses petits ne paraissent avoir éprouvé le moindre
accident; on lui fait absorber alors soixante gouttes de liqueur de Fowler; dans la jour-
née du 28 les petits sont pris de diarrhée, l'un d'eux a des vomissents dans la soirée,
1. Contrairement à toutes les données précédentes, Severi a trouvé que chez les cochons
d'Inde, dans les intoxications subaiguës, l'élimination de l'arsenic était terminée au bout de quatre
jours, et qu'à ce moment ni les os ni le foie ne renfermaient de poison. Il signale aussi le cas d'un
sujet mort 8 jours et demi après l'intoxication, chez lequel l'examen du foie, des reins, de l'esto-
mac ne donna que des résultats négatifs {Riforma med., 1892).
700 ARSENIC.
et meurt pendant la nuit suivante. La recherche de l'arsenic donna chez lui les résultats
ci-après ; muscles, tissu cellulaire, traces notables; foie et tissu nerveux, de même;
os et cartilage, rien; peau et poils, rien.
Les expériences précédentes montrent en même temps que l'arsenic passe dans le lait.
Elles ont été entreprises précisément par Brouardel et G. Pouchet pour répondre à la
question de savoir si un enfant de deux mois a pu mourir empoisonné en absorbant le
lait de sa mère, à laquelle avait été administré de l'arsenic dans un but criminel, alors
qu'elle donnait le sein à l'enfant : la femme avait eu des vomissements et de la diarrhée,
l'enfant avait été pris d'accidents analogues et avait succombé en quarante-huit heures.
En donnant à des nourrices progressivement de deux à douze gouttes de liqueur de
FowLER, Brouardel et G. Pouchet n'ont observé de symptômes particuliers ni chez l'en-
fant ni chez la mère; mais dans le lait de la nourrice ils ont toujours constaté la pré-
sence de l'arsenic. Dans une de ces expériences, la quantité d'arsenic contenue dans
100 grammes de lait s'éleva à environ un milligramme, après que l'absorption de la
liqueur de Fowler eût été continuée pendant six jours à la dose quotidienne de douze
gouttes. On est donc fondé à admettre qu'à la suite de l'ingestion d'une dose massive
d'arsenic sa proportion dans le lait doit pouvoir atteindre un chiffre tel que son absorp-
tion par un enfant en bas âge puisse amener des accidents d'intoxication.
RouKSLN déjà avait trouvé une proportion notable d'arsenic dans le lait des lapines
auxquelles il administrait de l'arséniate calcaire. De même Dolau(R. S. M., t. xxi, p. 85)
avait constaté sa présence dans le lait d'une femme qui prenait douze milligrammes
d'acide arsénieux parjour. Les résultats négatifs obtenus par Ewald chez une nourrice
qui avait pris six milligrammes d'acide arsénieux parjour pendant cinq jours tiennent
peut-être à la faible dose employée [Berl. klin. Woch., n" 33, p. 544, 1882; R. S. M.,
1885, p. 25).
L'influence de l'arsenic sur le lait, chez la vache, a été étudiée également par Selmi
qui est arrivé à des résultats très curieux. Une vache âgée de huit ans prit pendant
quarante-quatre jours 40 à oO centigrammes d'anhydride arsénieux par jour. Elle don-
nait tous les jours plus d'un litre de lait qu'on fit prendre pendant vingt jours de suite
à une petite chienne, qui cependant ne cessa de jouir d'une excellente santé.
Avant qu'on ne commençât à administrer l'arsenic, Selmi avait fait des recherches sur
le lait de la vache et y avait trouvé une base volatile en petite quantité, mais qui avait
sur les grenouilles une action to.xique manifeste. En extrayant les bases volatiles après
l'administration de l'arsenic, Selmi s'assura pendant toute la durée de l'expérience qu'il
ne s'était pas produit de base arsenicale, mais qu'au contraire la base toxique du
lait normal avait disparu, remplacée par une autre base chimiquement identique,
mais d'une parfaite innocuité : d'où il conclut que l'arsenic jouit d'une action reconsti-
tuante. Un autre fait curieux, c'est que la quantité d'arsenic contenue dans le lait, qui
avait d'abord augmenté de façon à atteindre la proportion de Oe'',OOI8 par litre, dimi-
nua peu à peu les jours suivants, alors que la dose administrée à l'animal était devenue
plus forte : et même bientôt l'appareil de Maush ne décela plus la présence du métalloïde,
Il se trouva, en effet, que les acides sulfurique et nilrique ne suffisaient plus à détruire
les combinaisons de l'arsenic dans le lait, et il fallut avoir recours au traitement par le
chlorate de potassium et l'acide cblorhydrique. Selmi supposa que l'arsenic avait dû se
combiner avec les matières grasses du lait. En effet, séparant le beurre du sérum et du
caséum, il s'assura que le sérum ne donnait qu'une quantité minime d'arsenic, à peu
près un vingtième de milligramme, que la caséine n'en donnait point et que la matière
grasse fournissait un anneau abondant (A. B. I., t. v, p. 22, 1884).
Le placenta se laisse difficilement traverser par l'arsenic : il faut employer de fortes
doses pour amener le passage de la substance toxique dans l'organisme du fœtus chez
lequel l'organe électif d'accumulation serait le tégument cutané (Porak. Aî'c/t. de jjathoL
expérim., 1894). De Argangelis avait déjà étudié cette question en détail. Il a constaté
que l'arsenic peut se trouver chez le fœtus aussi bien dans les intoxications aiguës que
dans les intoxications chroniques, et qu'il provoque souvent Taccouchement prématuré et
l'avorlement. (Riv. sperim. d. fren. e. med. kg., 1891, analysé in Jahresb. de Virchow et
HiRscH, 1892, t. I, p. 520).
Arsenic mëtalloïdique. — L'arsenic, étant insoluble, a pu être considéré comme
ARSENIC. 701
non toxique. Cependant, d'après Pachkis etOsERMEYER {Wien. med.JahrbericlU, t. m, p. H7,
1888), finement pulvérisé, il peut être absorbé parla peau quand il est employé en fric-
tions sous forme de pommade, comme le mercure, ou suspendu dans l'huile et injecté
dans le tissu cellulaire sous-cutané. Les expérimentateurs se sont servis d'arsenic pur
sans mélange de produits d'oxj'dation.
Un chien à qui 'on injecta, sous la peau du dos, Os'',l d'arsenic métallique, ren-
dait le lendemain une urine arsenicale ; le troisième jour, les fèces renfermaient de l'ar-
senic; puis survint delà diarrhée, et l'animal succomba le quatorzième jour. Le résultat
fut le même chez le lapin: on trouva à l'autopsie de la gastro-entérite et de la néphrite.
En appliquant sur la peau une pommade dans laquelle l'arsenic était incorporé à de
la lanoline, on trouva également de l'arsenic dans l'urine et lés matières fécales; mais
sans que la mort survînt. Pachkis et Obermeyer ue mettent donc pas en doute que l'arse-
nic métallique soit absorbé : chez les animaux sacrifiés on rencontra du reste de l'ar-
senic dans le foie, mais non dans les reins et le cerveau.
Action des combinaisons organiques de l'arsenic. — Nous passerons seulement
en revue ceux de ses composés dont l'action a été étudiée expérimentalement. La pre-
mière connue de ces arsines (combinaisons de l'arsenic avec des radicaux alcooliques) a
été le cacodyle on arsendiméthyle As (CH'^)-. Cette substance, ainsi nommée à cause de
son odeur désagréable, se trouve mélangée avec l'oxyde de cacodyle, dans la liqueur
fumante de Cadet, ainsi nommée du chimiste français qui l'obtint en 1760 par la dis-
tillation d'un mélange d'anhydride arsénieux et [d'acétate de potassium ; spontanément
inflammable, il s'oxyde lentement à l'air en donnant de l'oxyde de cacodyle et de
l'acide cacodylique; il s'oxyde très rapidement, lorsqu'on le met en contact sous l'eau
avec l'oxyde mercurique, et donne de l'acide cacodylique (G H') -AsOOH ou acide diméthyl-
arsinique. La toxicité du cacodyle et de son oxyde ont toujours été reconnues; il n'en
est pas de même de celle de l'acide cacodylique.
Acide cacodylique. L'acide cacodylique est un corps solide, incolore, très soluble dans
l'eau et dans l'alcool étendu; il cristallise de sa solution alcoolique en gros cristaux
très nets sous forme de prismes clinorhombiques; il est sans odeur ni saveur, et sa réac-
tion est légèrement acide.
Ce corps, qui contient environ 34 p. 100 de son poids d'arsenic, fut considéré pen-
dant longtemps comme inactif. Tels avaient été du moins les résultats des expériences de
Bunsen, de Kurschner, de Schmidt et Chomze. V. Renz l'avait employé chez quelques ma-
lades et avait constaté de l'accélération du pouls, de l'insomnie, de la sécheresse de la
bouche avec perte de l'appétit. On dut suspendre son administration à cause de
l'odeur nauséabonde de l'air expiré, de la sueur, de l'urine et des gaz intestinaux.
Lebahn a montré le premier que l'acide cacodylique est toxique. Le corps est pro-
bablement réduit en totalité ou en partie dans l'économie en oxyde de cacodyle
(CH3)'-As^0; sans doute aussi en cacodyle, As(CH^)-, comme le montre l'odeur des excré-
tions et des déjections : peut-être se décompose-t-il partiellement en gaz des marais ou
en acide arsénique.
(CH3)2 AsO. OH + 2H2 0 = (CH')- + AsO* HK
H. ScHULz (A. P. P., 1879, t xi,p. 131) a confirmé les recherches de Lebahn et a montre'
que les troubles produits par l'acide cacodylique sont semblables à ceux que provoquent
les autres préparati:oiis arsenicales.
Mais il est moins toxique que l'acide arsénieux relativement à l'arsenic qu'il contient.
Un lapin reçoit 'OB'", 15 d'acide cacodylique, et un autre Osi^jOG d'acide arsénieux (en
injection sous-cutanée) ; ce qui fait pour chaque animal [0S'',07o d'arsenic. Le premier
se rétablit, le second meurt au bout de 39 minutes.
Un lapin, auquel on donna 0s'^,2o d'acide cacodylique, ce qui correspond à '08'', 17
d'acide arsénieux, mourut en bjours: un autre, qui reçut Ob'', 10 d'acide arsénieux, suc-
comba au bout de 4 jours. En injection sous-cutanée il faut 0i=''-,40 à Osr.oO d'acide caco-
dylique pour amener la mort en o ou G heures.
Rabuteau, qui ne paraît pas avoir eu connaissance des expériences de Schulz, est arrivé
plus tard à des résultats semblables sur la grenouille, le cochon d'Inde, le chien; mais
les chiffres qu'il donne pour les doses toxiques sont plus forts. Il a décrit également les
702 ARSENIC.
altérations de la muqueuse stomacale, la dégénérescence graisseuse des reins, du foie,
des muscles, produite par le composé arsenical. Il a constaté de plus la présence de
l'acide cacodylique dans l'urine par le procédé suivant : l'urine est évaporée à siccité;
le résidu traité par l'alcool absolu, et la solution alcoolique évaporée : le résidu dissous
dans un à deux centimètres cubes d'eau, et traité par l'ébullition avec l'acide phos-
phoreux, dégage des vapeurs blanches de cacodyle faciles à reconnaître à leur odeur
alliacée (B. B., 1882, pp. 19S, 409, 443, 491).
Acides mono et diphénylarsinique. — La toxicité de ces corps a été étudiée par Schulz.
L'acide diphénylarsinique <^AsO. OH, agit assez rapidement, et, à la dose de 0,1
à 0,2, produit la mort au milieu d'accidents convulsifs.
Que devient-il dans l'organisme? Peut-être en fixant deux molécules d'eau se trans-
forme-t-il en acide arsénique et benzine.
(C6Hi:)2AsO.OH -|- 2H2 0 = (CGHf)2 + AsO^H^.
L'acide raonophénylarsinique C^H^ AsO. (OH)- agit plus lentement; mais tout aussi
sûrement. Les lésions post mortem sont semblables à celles qu'on trouve dans les intoxi-
cations arsenicales. On trouve de l'arsenic dans l'urine.
Acide benzarsinique [Cfi R'' f^,r,vi\i^- — ^°° action ne diffère pas de celle de ces
derniers composés (Schroeter. Beitr. z. chem. Theor. der Arsenwirkung . Erlangen
Dissert., 1881). Les manifestations de l'empoisonnement et les résultats de l'autopsie sont
lés mêmes. Seulement chez la grenouille il se produit des convulsions qui devraient être
attribuées à l'effet de l'acidei benzoïque ou de corps voisins.
L'acide henzarsinique se décompose dans l'économie et apparaît dans l'urine sous
forme d'un composé analogue à l'acide hippurique et contenant de l'arsenic : mais il en
e.st ainsi le premier jour seulement: plus tard l'arsenic passe dans l'urine sous une autre
forme. Le sang présente chez la grenouille, mais non chez le lapin, la raie de la méthé-
lïioglobine, ce qui est dû soit à des composés aromatiques, soit peut-être à de l'acide
arsénieux? (Analysé in Jahresb. de Virchow et Hirsch, 1881).
lodarede tétvéthijlarsomum (C-H'')*Asl. — L'action de ce corps, qui contient 23, a87p. 100
de son poids d'arsenic, a été étudiée par Rabuteau : il provoque des effets de paralvsie
motrice semblables à ceux du curare. A la suite de l'injection sous-cutanée d'un centi-
gramme du composé à des grenouilles, l'excitation du sciatique était devenue inefficace,
tandis que les muscles répondaient encore à l'excitation : le sciatique restait excitable,
si les membres avaient été préservés du poison par une ligature comprenant tout le
membre, sauf le lîerf.
Chez un cobaye du poids de 370 grammes l'injection sous-cutanée de Osi'jlO d'io-
dure de tétréthylarsonium, ce qui correspond à 3 centigrammes d'acide arsénieux, n'a
produit que des effets peu marqués et passagers : un autre du poids de 600 grammes reçut
OB', 18 du composé et mourut au bout de 25 minutes par paralysie des muscles
respiratoires, comme les animaux curarisés.
Le composé passe rapidement dans l'urine, du moins si on en juge par la réaction
de l'iode que l'on obtient facilement; mais on ne peut déceler la présence de l'arsenic
dans l'urine : en effet, même si l'on traite ce liquide par l'acide chlorhydrique et le chlo-
rate de potasse, on n'obtient rien à l'appareil de Marsh; il en est du reste de même,
d'après Rabuteau, si l'on introduit directement dans l'appareil de l'iodure de tétréthyl-
arsonium dissous dans l'urine ou dans l'eau. De même l'électrolyse donne de l'iode
métallique, dont il est facile de constater la présence, mais aucun dépôt d'arsenic ni au
pôle positif ni au pôle négatif. L'arsenic se trouve rivé dans les composés d'arsonium,
aussi intimement que l'azote dans les composés d'ammonium, et c'est ce qui explique
son innocuité relativement très grande.
L'injection d'iodure double de tétréthylarsonium et de zinc [(C-H=)''A'I1- -j-Z"!-, injecté
à une grenouille n'amena pas la mort à la dose de un centigramme. Ce sel ne contient
pas une quantité suffisante d'iodure de tétréthylarsonium pour être mortel : mais, à la
dose de deux centigrammes, il amena chez les grenouilles la paralysie motrice, qui se
compliqua de la paralysie du cœur, due au sel de zinc. Injecté à un cochon d'Inde de
1100 grammes, à la dose de Os'-,2P, ce: qui. corresponde 4 <=™'"P, 14 d'anhydride arsé-
ARSENIC. 703
nieux, le sel double ne provoqua que des symptômes passagers : chez un aulre
cobaye de 300 grammes il amena, à la dose de O8'',lo, des troubles moteurs peu
durables.
Rabuïrao a encore expérimenté l'iodure double de tétréthylarsonium et de cadmium :
mais ici c'est surtout l'action du cadmium qui domine la scène, et finit même par
devenir seule évidente.
Théorie générale de l'action de l'arsenic. — Liebig avait avancé que l'arsenic
entre en combinaison avec l'albumine organique et que les éléments anatomiques per-
dent ainsi leurs propriétés vitales, de même qu'ils deviennent imputrescibles. On a déjà
vu ce qu'ils faut penser de cette dernière allégation ; Liebig a du reste vainement cherché
à obtenir cette combinaison d'albumine avec l'arsenic. Kendal et Edwards n'ont pas été
plus heureux.
L'explication de Bunsen et Bebthold n'était pas plus satisfaisante. Ces auteurs admet-
taient que le poison agit comme excitant direct sur les tissus avec lesquels il entre immé-
diatement en contact, comme excitant indirect par l'intermédiaire du sang sur le reste
de l'économie, et que l'excitation exagérée aboutit à l'inflammation et à la para-
lysie,
BiNZ et ScHULTz, dans une série de recherches et de mémoires (A. P.P., t. xi, 1879, p. 200;
t. xm, 1881, p. 256; t. xiv, 1881, p. 343; t. xv, 1882, p. 322. — H. Schultz, Deutsche' med.
Wochenschr., 1892, p. 441) ont cherché à édifier l'opinion que les propriétés toxiques de
l'arsenic ne seraient dues qu'à la facilité extrême avec laquelle ses composés cèdent et
enlèvent de l'oxygène aux molécules d'albumine organisée. Les désordres observés sont
la conséquence de l'ébranlement qu'entraînent dans le tissu ces oxydations et réductions
rapides de l'albumine organisée. L'acide arsénieux est un puissant agent de réduction;
l'acide arsénique, un puissant agent d'oxydation. Les deux processus se suivent sans
inteiTuption : c'est comme un va-et-vient de l'oxygène entre les deux acides arsenicaux :
l'arsenic est un remueur d'oxygène, un véhicule d'oxygène actif, et la cellule se désorga-
nise par suite du mouvement intra-moléculaire qui résulte de ce déplacement ininter-
rompu.
Ils ont fait de nombreuses expériences pour appuyer cette théorie. Le fait fonda-
mental, c'est que du tissu vivant peut transformer l'acide arsénieux en acide arsénique,
et réciproquement. Si l'on fait digérer des fragments de cerveau d'un animal récem-
ment tué, du pancréas, du tissu musculaire frais, de la muqueuse de l'estomac, avec
de l'arséniate de soude, dans le produit dialyse on trouve de l'acide arsénieux. Le pro-
toplasma végétal, comme par exemple celui des jeunes feuilles de laitue, se comporte de.
même.
Ces mêmes tissus transforment une partie de l'acide arsénieux qu'on laisse en con-
tact avec eux en acide arsénique. C'est le foie qui possède le pouvoir oxydant le plus
actif. Le sang oxyde faiblement l'acide arsénieux; mais par contre il a une action réduc-
trice très marquée sur l'acide arsénique.
Pour que l'oxydation se produise, il est nécessaire que l'on fasse agir sur l'acide
arsénieux du protoplasma vivant; l'albumine morte oul'albumine du blaiic d'œuf réduit
énergiquement l'acide, arsénique, mais n'a pas la propriété d'oxyder de nouveau l'acide
arsénieux produit. ■
BiNz et ScHULz ont fait également quelques expériences non plus in vitro, mais in
vivo. En injectant à des chiens, à des lapins, à des chats, de l'acide arsénique' ou de l'ar- ■
séniate de soude dans une anse intestinale de vingt centimètres liée à ses deux bouts, ils '
ont constaté, au bout d'une heure, dans le contenu dialyse de l'intestin, de l'acide arsé-
nieux : dans les mêmes conditions, de l'acide arsénieux a été transformé en acide arsé-
nique. ■ . , :
Cette théorie a été attaquée de différents côtés, entre autres par Dogiel et Husemann.
DoGiEL fait valoir d'abord que l'acide arsénieux introduit dans le sang ne se traiis-
forme pas en acide arsénique : il se trouve encore au bout de quelque temps sous le
même état dans ce liquide. Binz et Schulz répondent à cette objection cju'eii' efi'et,
comme ils l'ont reconnu eux-mêmes, le sang n'a qu'une action oxydante très faible, mais
que, d'ailleurs, le poison abandonne rapidement le sang. pour se déposerdansles tissus :
aussi celui-ci ne présente-t-il pas dans l'intoxication arsenicale des modifications bien
704 ARSENIC.
caractéristiques. DûGiEL prétend encore que l'albumine du blanc d'œufn'a sur les compo-
sés arsenicaux ni action réductive, ni action oxydante. Mais Binz et Schulz n'ont jamais
accordé le pouvoir d'oxydation à l'albumine morte, et ils maintiennent contre Dogiel
que son pouvoir réducteur est très manifeste.
D'après ses expériences, Dogiel déclare se rattacher à l'opinion de Liebig, en se fon-
dant sur les faits suivants : si l'on fait cuire de l'acide arsénique avec du blanc d'œuf, on
n'obtient pas de coagulum, mais il se forme une masse gélatineuse qui se redissout par
la coction, après addition d'alcool ethylique ou même après addition d'eau. Cette masse
gélatineuse représenterait une combinaison de l'albumine avec l'arsenic.
On n'obtient rien de semblable avec l'acide arsénieux qui n'agit pas sur l'albumine du
blanc d'œuf. Mais, répondent avec raison Bmz et Scholz, si l'acide arsénieux ne se combine
pas avec l'albumine, si, d'autre part, comme le pense Dogiel, l'acide arsénieux ne se trans-
forme pas dans l'économie en acide arsénique, comment admettre que l'arsenic ingéré
à l'état d'acide arsénieux puisse former une combinaison avec l'albumine?
Des objections plus importantes ont été faites à la théorie de Bi.xz et Schulz par
HcsEMANN. De ce que des parties détachées du corps transforment l'acide arsénieux en
acide arsénique, et réciproquement, on n'est pas en droit de conclure que ces transfor-
mations s'accomplissent chez l'animal intact.
A-t-on jamais démontré avec certitude la présence de l'acide arsénique dans l'urine
des malades qui ont pris de la liqueur de Fowler, ou de l'acide arsénieux? .\-t-on jamais,
dans les expertises médico-légales, constaté après un empoisonnement par l'acide arsé-
nieux la présence de l'acide arsénique dans les produits de sécrétion ou dans les
organes?
Enfin, ce qui vient plaider surtout contre la théorie du va-et-vient d'oxygène, c'est la
toxicité relativement moindre de l'acide arsénique comparée à celle de l'acide arsénieux.
Les deux composés devraient en eflet avoir une toxicité égale, ou du moins proportion-
nelle, à la quantité d'arsenic qu'ils renferment, et, même si l'oxygène actif était la cause de
la toxicité, l'acide arsénique qui abandonne son oxj"gène aux tissus devrait avoir une
action, sinon plus marquée, au moins plus rapide que l'acide arsénieux qui le leur enlève.
C'est le contraire que l'on observe, comme l'avaient déjà fait remarquer Wœhler et
Fberichs, ainsi que Sawitsch.
Il faut tenir compte, il est vrai, de la quantité d'arsenic contenue dans chacun des
deux acides : l'acide arsénique renferme à peu près la moitié de son poids d'arsenic ;
l'anhydride arsénieux, à peu près les trois quarts. La toxicité de l'acide arsénique com-
parée à celle de l'acide arsénieux devrait donc être comme 2 : 3.
Mais en réalité elle est beaucoup moindre que ne le comporte la quantité d'arsenic
qu'il contient. Hdsem.4.nn a montré que du papier imprégné d'acide arsénique n'empoi-
sonne pas les mouches. Loew a prouvé, pour d'autres organismes inférieurs et pour les
plantes, que la différence de toxicité est très manifeste entre les deux composés. Sydn'ey-
Ri.NGER et Sai.\sbcry en ont fourni la démonstration pour la grenouille, M.\riié et Flugge
pour les mammifères.
On peut dire que chez ces derniers, si le poids d'As de AsO''H^ est au poids d'As
de As-0^ comme 2 : 3, le rapport de la toxicité n'est que de 1 : 2. Les lésions trouvées
à l'autopsie sont les mêmes, quant à leur nature, qu'on administre l'un ou l'autre composé;
mais, des expériences de Marmé et Flugge, il résulte que les altérations du tube digestif
sont plus marquées, si l'intoxication est due à l'acide arsénieux et aux arsénites, surtout
quand ils ont été donnés per os : l'injection sous-cutanée d'arséniale ou d'acide arsé-
nique peut amener, principalement chez le lapin, plus rarement chez le chien, des
hémorrhagies et des ulcérations de la muqueuse stomacale aussi bien que l'injection
d'acide arsénieux : mais, avec le premier composé, les effets sont plus lents à se mani-
fester.
Chez la grenouille, Ringer et Salxsbory constatent également que l'arséniate de soude
n'amène la mort que si on donne une dose renfermant deux fois plus d'arsenic que la
dose mortelle d'arsénite. En particulier chez Rana temporaria, l'acide arsénique et l'ar-
séniate de soude abolissent les fonctions des centres nerveux au bout de vingt à vingt et
une heures ; les doses mortelles d'acide arsénieux demandent un temps dix fois moindre :
même lorsque la dose d'arséniate renferme cinq fois plus d'arsenic que la dose d'acide
ARSENIC. 705
arsénieux, la perte d'excitabililé des nerfs el des muscles exige une dufée cinq fois plus
longue.
Sainsbury et Ringer tirent de la lenteur d'action de l'arséniate la conclusion que, pour
produire son effet, il doit être transformé en avsénite. Ainsi, quand la réduction n'a plus
lieu, l'arséniate de sodium n'afiit pas autrement qu'un autre sel neutre de soude. Si, par
exemple, on établit à travers les cavités cardiaques une circulation artificielle avec de
l'arséniate de soude, la contractilité du cœur s'affaiblit; mais elle reparaît après qu'on
a fait passer par l'organe du sang frais, tandis qu'après l'action de l'acide arsénieux
l'affaiblissement du muscle cardiaque ne cède plus k l'influence du liquide réparateur.
LoEW aussi a admis cette réduction; mais Kusehann objecte qu'elle n'est pas prouvée, et
qu'on n'a pas démontré qu'après avoir donné de l'acide arsénique, on trouve de l'acide
arsénieux dans les tissus et les orf^anes.
Ce qu'on peut dire de plus certain, c'est que l'arsenic est un poison du protoplasma
en général, et que sa toxicité diminue lorsqu'il est enveloppé en quelque soi'te par
d'autres groupements atomiques, comme le prouve l'innocuité relative de ses combinai-
sons organiques. On pourrait peut-être s'expliquer, de la même façon, sa nocivité
moindre, lorsque, à l'étal d'acide arsénique, il est combiné avec un plus grand nombre
d'atomes d'oxygène.
La toxicité de l'arsenic pour le protoplasma végétal avait été d'abord niée par Loew
(A. Pf., t. XXXII, p. H2, 1883). Cet auteuravait trouvé que l'acide arsénique n'agit sur les
algues que comme acide, et qu'il n'a pas plus d'effet que l'acide acétique ou l'acide citri-
que, par exemple. Des spirogyres se développèrent dans une solution qui renfermait
■OK'^,2 d'arséniate de potassium par litre, sans rien présenter d'anormal; transplantées
dans une solution à 1 p. 1000, elles se développèrent également. Des infusoires aussi
purent vivre dans ce liquide pendant des semaines, tandis que des organismes un peu
plus élevés succombèrent dans l'espace de vingt-quatre à quarante-huit heures.
Mais bientôt les recherches de Nobbe montrèrent que l'arsénite de potassium est un
poison très actif pour les plantes élevées en organisation. Des pois mouraient au bout de
quatre jours, lorsqu'une solution imtritive renfermait 1/30000 d'arsenic sous forme d'ar-
sénite de potassium; au bout de douze jours, si elle en contenait 1/300000. L'action du
poison porterait d'abord sur les cellules épidermiques.
Knop trouva peu après que l'arsénite de K est un violent poison pour li' maïs, tandis
que l'arséniate, à la dose de 0S'',O0r) par litre, n'amena aucune modincation.
Ces expériences portaient à penser que l'arsenic à l'état d'arsénite agirait peut-être
aussi sur les plantes inférieures. En effet Loew, reprenant ses expériences, vil que ce
composé, en solution à 1 p. 1000, tua des spirogyres dont le protoplasma se contracta et
devint granuleux alors que l'arséniate à la même dose n'amena aucun effet fâcheux.
Des algues, des diatomées se comportèrent de même par rapport aux deux corps, ainsi
que les infusoires.
Pour les schizom}-cètes, pour les champignons de la moisissure, il n'y eut pas de
différence entre les deux acides ; ces organismes restèrent en vie dans des solutions renfer-
mant de l'arsénite de K. On sait du reste que les moisissures se développent dans des
solutions d'acide arsénieux, si elles renferment des traces de matière organique. 11 est
intéressant de rappeler, à ce propos, que les traités de pharmacie signalent la présence
fréquente de VHygrocrocus ai'senicus et de quelques espèces voisines dans la liqueur de
FowLER et dans la liqueur de Pearson (Bourgoin. Trait/} de Pharm., 1880, p. 290).
JoHANsoHN {Ub. die Einioirhung des arsenic/. Saîire auf Gâhriingsvorg ; A. P. P., 187-i,
t. Il, p. 99), après Savitsch, avait déjà fait des. expériences relatives à l'aclion de l'acicTe
arsénieux sur la levure de bière. Il trouva que ce corps n'empêche pas l'action de la
levure, qu'il diminue notablement la fermentation pendant les deux premiers Jours,
mais que, plus tard, le processus reprend son activité, de sorte que vers le quatrième
jour il y a autant de sucre disparu qu'il en disparait dans un mélange normal.
Ce ralentissement de la fermentation, son interruption, son réveil ne pourraient s'ex-
pliquer par une action chimique : il faut admettre que l'activité vitale de la levure est
influencée par le poison, mais que cet effet n'est que passager : la cellule s'accoutume
à son nouveau milieu, et reprend sa vitalité après une phase de dépression. Scheltze a
même constaté que l'acide arsénieux à faible dose, 1/40000, augmente l'activité de la
MOT. DE PHYSIOLOGIE. TOME I. 40
706 ARSENIC.
levare de bière {Uber Hefegiftc: A.Pf., t. xlii, p. bl7, 1888). Ch. Richet a constaté ce
même phénomène paradoxal d'accélération par les doses faibles pour toutes les subs-
tances toxiques et antiseptiques (C. R., 1892, t. ii, p. 1494).
Cependant', si, avant de mettre en contact la levure avec les solutions sucrées, on
la soumet à l'action prolongée de l'acide arsénieux, elle perd ses propriétés, non pas brus-
quement, mai^ progressivement; et sa structure s'altère.
JoHAKSûiix note également que le développement et la reproduction des cellules de la
levure sont iniluencées par l'acide arsénieux; de faibles doses (O^"',») leur permettent
encore de se faire : des doses plus fortes (0S'',80 à 06',10) l'empêchent complètement.
Il en fut de même pour le Mlcrocûrcus uress et pour le ferment lactique.
De plus, l'acide arsénieux, ajouté en certaine quantité à la levure de bière, favorisait
plutôt sa putréfaction, ainsi que le développement des moisissures et du Bacterium
termo. Dans ces solutions il se formait de l'hydrogène arsénié. Ces organismes inférieurs
prennent en effet aux substances organiques en solution dans le liquide de culture de
l'oxygène et du carbone; l'hydrogène naissant mis en liberté réduit As-0^ en AsH'.
Suivant Loew [A. Pf., t. xl, p. 444), on pourrait, au point de vue de l'action de l'arse-
nic, ranger en 3 groupes les organismes : 1° ceux pour lesquels ni l'acide arsénieux,
ni l'acide arsénique ne sont toxiques : champignons inférieurs; 2° ceux pour lesquels
l'acide arsénieux est toxique, mais non l'acide arsénique : plantes élevées en organisa-
tion et quelques animaux inférieurs; 3° ceux pour lesquels ils sont tous deux toxiques :
animaux supérieurs.
Il faut remarquer cependant, relativement à celte classification de Loew, que, si cer-
tains végétaux inférieurs sont en effet insensibles à l'action de l'arsenic, il en est dont
la vitalité et le développement sont compromis par cet agent, comme le montrent les
expériences de Johansohn.
Mais, en général, son influence sur les microbes saprogènes ou pathogènes est
peu énergique. Pour arrêter le développement de la bactéridie charbonneuse, il faut
que la solution d'acide arsénieux renferme 10 à 30 fois plus de substance active que si
l'on a recours au sublimé. Pour tuer les spores il faut laisser agir une solution d'acide
arsénieux à 1/1000 pendant dix jours (Husemann). Si à des matières en putréfaction on
ajoute de l'arsenic, la putréfaction n'est pas empêchée.
Aussi ce qu'on a dit de l'état de conservation extraordinaire des cadavres des indivi-
dus empoisonnés par l'acide arsénieux paraît exagéré. Dans certains cas, la putréfaction
s'établit comme d'habitude; dans d'autres, la momilication a lieu, mais il n'y aurait là
rien de spécial à l'arsenic (Lôwig. Gericht. med. Abhandl. in Jahresh. de Virchow et Hirsch,
1887, p. 56(5). D'après Zaaiger {Vieiietjahrsch. f. ger. Med., t. xuv, p. 249 in R. S. M., 1887),
la momification d'origine arsenicale n'existe pas.
Enfin l'arsenic n'a aucune action sur les ferments solubles, émulsine, myrosine, pep-
sine, trypsine (Schakfer et Boehm. R. S. M., 1873, t. u, p. 74).
Tolérance pour l'arsenic. — On sait que les habitants de la basse Autriche, de
la Styrie, du Tyrol, ont la singulière habitude de manger de l'arsenic. Schallgrueber et
TscBUDi {l'ebet- die Giftesscr; Wien. med. Wochen^chi:, 1831, p. 4o4, n" 28 et IS.oS, p. 8) ont
attiré l'attention sur cette pratique bizarre par laquelle les arsenicophages cherchent à se
donner un air sain et frais, de l'embonpoint et un surcroît de vigueur. Ce sont surtout
les jeunes paysans et paysannes qui ont recours à cet expédient par coquetterie; mais
ils en retirent, paraît-il, encore un autre avantage qui est de faciliter la respiration et
la marche dans les excursions à travers les montagnes.
Les arsenicophages commencent ordinairement par un petit fragment d'un grain, et
arrivent peu a peu à en prendre jusqu'à 0^%20 et 0o''^,40, et quelquefois jusqu'à 1 gramme
et i^'t'à; dans les observations de Marix cependant, les plus grandes quantités ingérées
sans aucun accident ont été de 0"'"',32 à 08^40 d'acide arsénieux {Mercredi Médical,
1892, p. 12). Ces doses sont prises soit journellement, soit de deux jours l'un, soit une ou
deux fois par semaine. Ils évitent en général de boire immédiatement après; ils ne
suivent pas de régime particulier; dans certains districts seulement, ils interrompent de
temps en temps et prennent de l'aloès (Husemann. liandb. d. Arzneimittellehre, p. 423).
L'habitude de prendre l'arsenic est contractée souvent vers 17 ou 18 ans et se con-
tinue jusque dans un âge déjà avancé. Tschudi rapporte l'histoire d'un arsenicophage
ARSENIC. 707
âgé de 63 ans qui faisait usage du poison depuis l'âge de 29 ans. Il avait débuté par un
fragment d'un grain, et était arrivé graduellement à trois et quatre grains.
Les assertions de Tschudi n'avaient d'abord été reçues qu'avec méfiance, mais elles
ont été confirmées depuis par de nombreux observateurs, Nothnagel et Rossbach {Nou-
veaux f'témcnts de matière médicale et. de thérap., trad. française, 1880, p. 18o)mettent cepen-
dant en doute les récits faits au sujet de la tolérance pour l'arsenic, et font valoir que la
préparation dont se servent les arsenicopbages est du sulfure d'arsenic, c'est-à-dire un com-
posé insoluble. Ces doutes ne paraissent pas fondés; puisque, comme nous l'avons dit,
le sulfure d'arsenic est ordinairement mélangé d'une très forte proportion d'acide arsé-
nieux. D'autre part Knapp a présenté au congrès des naturalistes à Gratz, en 187S
{.Jahresb. de VmcHow et Hirsch), deux arsenicopbages qui, en présence des membres de
la section de médecine, ingérèrent, l'un 3 décigrammes de sulfure d'As, l'autre 4 déoi-
grammes d'acide arsénique, et chez lesquels la présence de l'arsenic dans l'urine fut dé-
montrée.
Cependant ce n'est pas toujours impunément que des doses aussi fortes d'arsenic sont
ingérées, et l'on a signalé des accidents d'intoxication aiguë et même des cas mortels
(Parker. Case ofdeath rcsidting from the prcictice of arsenic eating ; Edimh. Med. Journ., 1 864,
pp. 116-123. — Li.N'DQUisT. Perforation de l'estomac à la suite d'arsenicophagie. Upsala
Lakar. Firh, 1867, t. m, p. 216). Chez les sujets qui, après avoir commencé l'usage de l'ar-
senic, le suspendent brusquement, il se produirait souvent une grande faiblesse et des
signes de cachexie qui amènent à en renouveler l'emploi.
Dans les pays on l'arsenicophagie est en honneur, on administre aussi la substance
toxique aux animaux domestiques dans un but d'engraissement, particulièrement aux
chevaux pour leur donner un poil plus luisant, des formes arrondies, en un mot une
belle apparence. On trouve aussi, dans diverses expériences, des exemples remarquables
de la tolérance des animaux pour l'arsenic. Dans le mémoire déjà cité de Brodahdel, il
est question d'une lapine à qui on faisait prendre jusqu'à 100 gouttes de liqueur de
FowLER par jour, du moins pendant quelques jours, sans avoir d'accidents apprécia-
bles. Les expériences de Roussin fournissent aussi des preuves de cette remarquable
tolérance chez les animaux. Selmi avait entrepris, à ce sujet, des recherches méthodiques
dont sa mort subite interrompit malheureusement le cours {Tolérance des animaux
domestiques pour l'arsenic' A. B., 1884, p. 22).Dans le fragment publié, on signale les faits
suivants : la vache dont il a été question plus haut, à propos de l'élimination de l'arsenic
par le lait, prit pendant 44 jours 40 à oO centigrammes d'anhydride arsénieux chaque
jour, et une quantité ordinaire de foin; son poids s'accrut de 80 kilogrammes.
Dans le but de savoir s'il était vrai qu'en cessant tout à coup de donner de l'arsenic
aux animaux qui y étaient habitués, il en résultait une prompte et rapide dénutrition, on
fit prendre pendant un mois de l'arsenic à deux petits cochons, tous deux de même
poids. Le poids de ces animaux étant resté égal, on cessa de donner de l'arsenic à
l'un d'entre eux pendant 13 jours, et cela sans constater de changement de poids. Ce-
pendant une observation de Roussin rappelle les faits signalés chez les arsenicopba-
ges. Un lapin reçut pendant 3 mois environ une nourriture arsenicale ; lorsqu'il fut privé
de sa ration quotidienne d'arséniate calcaire, il commença amaigrir visiblement; quelques
semaines après, il n'était pas encore revenu à son état d'embonpoint ordinaire et parais-
sait triste et oppressé. Cependant il se rétablit à peu près complètement.
On ne saurait donc admettre l'opinion de Nothnagel et Rossbach, qui déclarent
erronée, jusqu'à preuve scientifique du contraire, la croyance d'après laquelle l'homme
ou les animaux pourraient non seulement s'habituer à des doses toujours croissantes
des composés arsenicaux absorbables, mais encore y gagner une santé plus florissante.
On a cherché à expliquer cette tolérance en admettant que l'arsenic se localise dans
certains organes, en particulier dans le l'oie, et qu'il n'est repris par la circulation
que progressivement, et en quelque sorte à petites doses. Mais d'autres substances, qui
s'éliminent assez vite de l'organisme, peuvent aussi, par l'accoutumance, être ingérées
impunément en quantité relativement considérable.
Le mécanisme de cette tolérance reste encore à trouver. Rossbach a émis au sujet de
la tolérance pour les poisons organiques diverses hypothèses, dont quelques-unes pour-
raient s'appliquer à l'arsenic ([76. die Geœôhnung an Gifte;A. P/'.,1880, t. xxi, p. 213).
708 ARSENIC.
Emploi thérapeutique. — Les effets physiologiques de l'arsenic sont si complexes et
encore en partie si obscurs qu'il est le plus souvent difficile de se rendre compte de son
action thérapeutique dans les diverses affections où son emploi est recommandé. Il en
est cependant quelques-unes dans lesquelles le bénéfice qu'on en retire s'explique ration-
nellement.
Dans les dermatoses, l'arsenic agit favorablement, sans doute en s'éliminant par la
peau; mais l'irritation qu'il produit sur son passage doit détourner de son emploi dans
les affections aiguës de la peau. C'est surtout dans le psoriasis chronique qu'il réussit le
mieux, et aussi, mais à un moindre degré, dans l'eczéma de même nature.
Le tableau des intoxications par l'arsenic démontre que le poison exerce une action
très marquée sur les nerfs sensibles : les modifications qu'il imprime à la vitalité et au
fonctionnement des conducteurs centripètes permettent de se rendre compte des résul-
tats favorables qu'on en obtient dans le traitement des névralgies. Peut-être, dans les
maladies cutanées, l'arsenic agit-il indirectement par l'intermédiaire des nerfs sur la
nutrition du tégument.
Il y a longtemps qu'on a fait usage de cet agent comme fébrifuge. Mais c'est sur-
tout Boudin qui l'a préconisé contre les fièvres palustres. Il paraît réussir particulière-
ment dans les formes invétérées qui résistent à la quinine : mais il ne faut pas le consi-
dérer comme le succédané de cet alcaloïde.
L'acide arsénieux, dit Laveran, est formellement contre-indiqué dans les formes aiguës
du paludisme et surtout pendant la période endémo-épidémique. Il serait au contraire
indiqué dans les fièvres intermittentes rebelles et dans la cachexie palustre (Traité des
fièvres palusiref:, 1884, p. 516). Dans les fièvre.s pernicieuses il est également inutile.
Les conditions spéciales dans lesquelles l'arsenic réussit semblent bien prouver qu'il
n'agit pas comme le fait la quinine sur les parasites du paludisme, et l'on a vu en effet
que son influence sur les micro-organismes est en général peu énergique. C'est aussi
ropinion de Lavehan que l'acide arsénieux réussit beaucoup plus en vertu de ses pro-
priétés toniques qu'en vertu d'une action spécifique comparable à celle de la quinine.
L'action tonique attribuée par Laveran à l'arsenic a été beaucoup vantée et exagérée
par Isnard (De l'arsenic dans la pathologie du système nerveux, Paris, 1863) qui a recom-
mandé ce médicament dans toutes les cachexies en général. On ne peut en effet douter,
d'après un certain nombre d'expériences bien conduites, telles que celles de Pioussin,
Weiske, Selmi, etc., et aussi d'après ce qu'on rapporte des résultats obtenus par les
arsenicophages, que l'acide arsénieux à petite dose, ou n)ême à dose progressivement
croissante, n'influence favorablement la nutrition générale, et, sans aller aussi loin
qu'IsN.\RD, on doit cependant accorder que, dans un certain nombre de cas, la nutrition se
trouve améliorée par les arsenicaux.
Dans ces dernières années de nombreux succès ont été enregistrés à l'actif de ces
composés dans le traitement des lymphomes malins par' les chirurgiens allemands, en
particulier par Winiewarter et Billroth. L'arsenic est administré per os, et en même temps
injecté dans les tumeurs ganglionnaires. Pour expliquer les succès à l'égard desquels Quenu
cependant se montre sceptique {Traité de chirurgie, t. i), on a supposé que le lymphadé-
nome était peut-être une affection infectieuse, et que l'arsenic aurait une élection élective
sur le micro-organisme pathogène (II. Barth.. Grt;:. hebdomad., 1888, p. 7ii8). La même
opinion pourrait s'appliquer aux effets favorables qu'on dit avoir obtenus dans le traite-
ment de l'anémie pernicieuse par l'arsenic. Il faut se rappeler aussi que le poison à
haute dose peut amener la dégénérescence graisseuse des éléments anatomiques : et
c'est peut-être de la sorte qu'injecté dans les niasses ganglionnaires en même temps
qu'ingéré par la voie digestive il provoque le ramollissement et la fonte des néoplasmes.
Se fondant sur la propriété que possède l'arsenic d'enrayer la fonction glycogénique
on a eu l'idée de recourir à son emploi dans le traitement du diabète. Il est en effet
beaucoup de malades qui sous cette influence voient diminuer la glycosurie et la polyurie.
Qdi.nquaud (lac. cit.) a fourni à ce sujet quelques chiff'res. Un malade, qui éliminait en
24 heures .300 grammes de sucre avantle traitement arsenical, n'en excrétait plus que 134
après un mois de médication : en même temps on observa un abaissement du chiffre de
l'urée et de la quantité des urines. Chez un deuxième malade, le sucre tomba de 92 à
60 grammes en 12 jours. Un troisième, rendant 133 grammes de glucose avant le traite-
ARSENIC. 709
ment, n'en excrétait plus que 6^ grammes après 10 jours de la médication arsenicale. Chez
certains diabétiques, la diminution était nulle ou faible.
Cependant l'emploi de l'arsenic dans le diabète ne paraît pas très rationnel,
puisque c'est non pas l'excès de production du sucre, mais l'insuffisance de sa consom-
mation qui constitue la maladie. Il est vrai qu'au moyen de l'arsenic on arrive à res-
treindre la production de glucose, et que par conséquent la glj'cosurie doit diminuer. Ce
résultat, toutefois, ne sera acquis qu'au détriment de la vitalité de la cellule hépatique et
par conséquent aussi au détriment des autres fonctions importantes qu'elle doit rem-
plir. D'autre part, comme l'a constaté Quinquaud chez ses malades, lorsque le sucre
était descendu à 1.34, 60, 63 grammes, on avait beau continuer la médication, le glu-
cose ne diminuait plus, il faut interpréter sans doute cette observation de la façon
suivante : tant qu'on ne va pas au delà des doses médicales, l'altération ou le trouble
fonctionnel de la cellule glycogènique ne dépasse pas une certaine limite, et alors,
comme l'organisme continue à ne plus détruire le sucre produit, la glycosurie reste sta-
tionnaire. Si l'on forçait les doses, on arriverait certainement à restreindre davantage
encore la production, et par suite l'élimination du sucre, mais on aboutirait alors à la
stéatose plus ou moins complète avec les conséquences que nous ont fait connaître les
expériences de G.^ethgens, c'est-à-dire qu'on provoquerait la désassirailation excessive
de l'albumine, qu'il faut au contraire chercher à enrayer chez le diabétique quand elle
existe.
On comprend donc que Bouchard veuille réserver l'arsenic aux cas où l'azolurie vient
compliquer le diabète : son emploi dans ces conditions est en effet justifié parles expé-
riences dans lesquelles on a reconnu à l'arsenic donné à petites doses la propriété de
restreindre la production d'urée.
Les heureux effets que produit l'arsenic dans la chorée (Wannebhoucq. Bulletin médical
du Nord, 1863) peuvent faire penser que cet agent diminue l'excitabilité des centres ner-
veux : c'est aussi la seule explication que l'on puisse trouver à son emploi dans l'asthme,
puisque cette aff'ection spasmodique paraît avoir son point de départ dans une hyper-
excitabilité directe ou rétlexe des centres respiratoires.
Hydrogène arsénié. — Ce corps est un toxique des plus redoutables : son histoire
doit être, comme nous l'avons dit, complètement séparée de celle des composés oxygénés
■et organiques de l'arsenic, bien que quelques auteurs, notamment Rabuteau, aient attri-
bué à la formation d'hydrogène arsénié dans l'organisme la toxicité de l'acide arsénieux
et de l'acide arsénique.
L'hydrogène arsénié est un type des poisons du sang : c'est la destruction et la disso-
lution des hématies qui domine la scène. Aussi le tableau symptoinatique des empoison-
nements par ce gaz est-il aussi simple que celui des accidents consécutifs à l'absorption
des composés oxygénés de l'arsenic est complexe.
Des cas assez nombreux d'intoxication par ce corps ont été observés dans les labora-
toires de chimie; les plus connus sont ceux de Gehlen de Stockholm (1815), de Schien-
DLER de Berlin (1839), de Britton de Dublin. Quelquefois c'est la préparation même de
l'hydrogène arsénié qui occasionne les accidents; mais souvent la simple préparation de
l'hydrogène produit cette intoxication, par exemple dans les manipulations où l'on em-
ploie du zinc impur qui, traité par de l'acide sulfuiique ou de l'acide chlorhydrique,
dégage de l'hydrogène arsénié. Chevallier a publié des faits de ce genre, observés chez
des ouvriers travaillant à la fabrication du blanc de zinc.
Layet rapporte le cas suivant : dans une mine de plomb argentifère, à Sollberg près
d'Aix-la-Chapelle, on fit fondre le minerai avec du zinc afin d'obtenir du zinc argenti-
fère. Ce zinc argentifère fut traité par l'acide chlorbydrique, afin de pouvoir en extraire
l'argent. L'opération donna lieu à un dégagement considérable de gaz. Toutes les per-
sonnes, au nombre de neuf, qui prirent part à cette opération tombèrent, malades, et
trois en moururent.
Waechteh, d'.\ltona {Casuistik der Araemvasserstoff Intoxication. Yierteljahrischer f.
gerich. Med., t. xxviii, p. 231, 1878, in fi. S. M., t. xiii, 1879), a publié l'histoire de quatre
Italiens, marchands de ballons en caoutchouc colorés et qu'ils remplissaient avec de l'hy-
drogène. Pour préparer le gaz ils achetaient de l'acide sulfurique du commerce et des
rognures de zinc. L'hydrogène produit dans un ûacon se dégageait par un tube [de verre
"10 ARSONVAL (A. d').
qui traversait le bouction : pour renouveler les matières premières, il fallait nécessaire-
ment soulever ce bouchon. Durant cette manœuvre, ainsi que dans les intervalles fré-
quents qui s'écoulaient entre le remplissage du ballon et sa fermeture, une quantité
notable de gaz pouvait se répandre dans l'atmosphère. Comme ces hommes travaillaient
dans une pièce de dimensions très restreintes, ils tombèrent gravement malades tous les
quatre, et l'un d'eux mourut.
Les troubles par lesquels se manifeste l'intoxication consistent en maux de tête,
prostration générale, dyspnée, souvent aussi en douleurs gastriques et vomissements;
mais ces derniers symptômes ne sont pas dus à des lésions locales, comme le montre
l'autopsie; les signes plus caractéristiques sont une hémoglobinurie et une hématurie
très rapide et très prononcée, la rareté des urines; quelquefois des douleurs lombaires et
des selles sanguinolentes, enfin de l'ictère.
Dans une observation due à Valette (Lyon méd., 1870, p. 440), au bout de quelques
jours on vit apparaître des papules très peu saillantes, tout à fait comparables à celles
de la rougeole, puis, plus tard, des suintements sanguins par le nez, les gencives et
toute la muqueuse huccale; l'éruption cutanée offrit alors une teinte violacée, et la
muqueuse du gland et du prépuce laissa aussi transsuder un sang pâle et décoloré :
la mort ne survint qu'un mois environ après l'accident; mais le plus souvent elle est
beaucoup plus rapide.
On n'a signalé ni les accidents cholériformes, ni les troubles de la sensibilité et du
mouvement observés dans les intoxications par les autres composés arsenicaux. On
trouve de l'arsenic dans l'urine, mais on ne sait pas exactement sous quelle forme il
s'élimine.
L'autopsie ne donne que des résultats à peu près négatifs; dans les canalicules urini-
fères on trouve des cristaux d'hémoglobine et des globules rouges altérés : l'épithélium
rénal peut avoir cependant subi la dégénérescence graisseuse; mais c'est par suite de
l'élimination prolongée de la matière colorante du sang.
Dans ses expériences sur les chiens et les lapins, Stadelmann, non seulement ne men-
tionne pas les altérations cadavériques qui caractérisent l'empoisonnement par l'arsenic;
mais il note expressément à plusieurs reprises l'absence de toute inflammation du tube
digestif; chez les lapins il trouve quelquefois de petites hémorrhagies sous la séreuse
péritonéale et du sang dans le contenu intestinal.
Quant' au mécanisme des accidents, il peut se résumer en un mot ; la dissolution du
sang, avec ses conséquences habituelles, c'est-à-dire l'hémoglobinurie et l'ictère.
La destruction des hématies a comme résultat une production plus abondante de
pigment biliaire par le foie, mais, tandis que la quantité de bilirubine est de vingt fois
supérieure au chiffre normal, la proportion de bile et des acides biliaires diminue; d'où
Stadelmann (A. P. P., t. xvi, 1883, p. 221) conclut que la matière colorante du sang sert à
former les pigments biliaires, mais non les acides.
Quant à l'ictère, ce n'est pas, comme on pourrait le croire, un ictère hématogène, c'est
un ictère hépatogène; la résorption du pigment, sécrété en grande abondance, reconnaît
comme cause l'obstruction des canalicules excréteurs par une bile épaisse et consistante.
Chez les animaux ce n'est pas exclusivement de l'hémoglobine qu'on trouve dans
l'urine : on y rencontre beaucoup de globules détruits. Les lapins supportent mieux
l'intoxication que les chiens, et surtout que les chats, qui y sont beaucoup plus sensibles.
E. WERTHEIMER.
ARSONVAL (A. d'). Professeur au Collège de France (1894).— Outre ses
travaux de physiologie proprement dite, d'Absonval a fait des recherches de physique,
qui ne seront pas mentionnées ici.
Électricité. — Le téléphone employé comme galvanoscope (B. B., 2 mars 1878, (6),
t. V, pp. 82-83; C. B.., 1878, t. lx.xxvi, p. 832). — Sur les causes des courants électriques
d'origine animale, dits courants d'action et sur la décharge des poissons électriques (B. B.,
4 juin. 1885, (8), t. ir, pp. 4:-)3-4o6). — Sur .un phénomène physique analogue à la con-
ductibilité nerveuse (B. B., 3 avril 1886, (8), t. m, pp. 170-171). — Production d'électri-
cité chez l'homme (B. B., 14janv. et 11 févr. 1888, (8), t. v, pp. 142-144). — Compte rendu
de la commission d'électro-physiologie {Revue Scientifique, 3 déc. 1881). — Ondes électri-
ARTEMISIME — ARTERES. 711
qiics; caractéristiques cVexcUalioii (B. B., 1''' avril 1882, (7), t. iv, pp. 24-4-2io). — La
mort par l'électricité dans l'industrie. Ses mécanismes physioloniqucs. Moijins jiirsrrra-
teurs [B. B., 19 févr. 1S87, (8), t. iv, pp. 9S-97). — Actioyi du champ maqnèliqn,: -.iir les
phén. chim. et physiologiques {B. B., 22 avril 1882, pp. 276-.377). — Chronovirhr rlnhiijiie
mesurant la vitesse des impressions nerveuses, à 1/5000" de seconde {B. B.^ I.'i ni.-u InsO,
(8), t. ni, pp. 23,^-2.36). — Parallèle entre l'excitation électrique et l'excitation mecauiqiw des
nerfs (B. B., 4 juillet 1891 , (9), t. ni, pp. So8-360). — Aclion physiologique des courants alter-
natifs (ibid., 2 mai 1891, pp. 283-287). — Production de courants de haute fréquence et de
grande intensité; leurs effets physiologiques [B. B., 4 févr. 1893, pp. 122-124, et A. P., 1893,
(b), t. V, pp. 4-01-408). — Becherches d' électrothérapie; la voltaisation sinusoïdale (A. P.,
1892, (b), t. IV, pp. 69-80).
La fibre musculaire est directement excitulAe par la lumière (B. B., 9 mai 1891, (9), t. m,
pp. ,318-320).
Respiration. — Bcch. théor. et expérim. sur le rôle de l'élasticité pulmonaire {D. P.,
1887). — Becherches démontrant que la toxicité de l'air expiré dépend d'un poison pirove-
nant des poumons et non de l'acide carbonique {En coll. avec R. Brown-Séquabd) (B. B., 1877,
p. 819; 1888, pp. 33, 34, 98, 99, 108, 110, loi, 172; C. R., 28 nov. 1887, t. cv; 9 et
16 jauv. 1888, t. cvi; M févr. et 24 juin 1889, t. cviit; A. P., 1893, (3), t. vi, pp. 113-
124). — Procédé pour absorber rapidement l'acide carbonique de la respiration (B. B.,
10 déc. 1887, (8), t. iv, pp. 7b0-7bl). — Durée comparative de la survie chez les grenouilles
plongées dans différents gaz et dans le vide (A. P., 1889).
Chaleur animale. — Rech. sur la chaleur animale [Trav. du Lab. de Marey, t. iv,
1880, pp. 386-406). — Nouvelle méthode de calorimétrie (B. B., V déc. 1887, (6), t. iv,
pp. 436-437). — Calorimètre par rayonnement (Lumière électrique, 18 oct. 1884). — L'ané-
mocalorimètre ou nouvelle méthode de calorimétrie humaine normale et pathologique (A. P.,
1894, (b), t. VI, pp. 360-370). — Beck. de caloriméirie animale (B. B., 27 déc. 1884, (8),
t. I, pp. 763-766). — Perfectionnements nouveaux apportés à la calorimétrie animale. Ther-
momètre différentiel enregistreur (B.B., 17 févr. 1894, (9), t. v). — Production de chaleur
dans le muscle, indépendamment de toute contraction (B. B., 13 mars 1886, (8), t. ni,
pp. 124-123).
— Filtration et stérilisation rapide des liquides organiques par l'emploi de l'acide carbo-
nique liquéfié (B. B., 7 févr. 1891, (9), t. m, pp. 90-92 et A. P., 1891, (b), t. m, pp. 382-
391). — Actioti des très basses températures sur les ferments [B. B., 22 oct. 1892, (9), t. iv,
pp. 808-809). — Influence des agents cosmiques {électricité, pression, lumière, froid, ozone, etc.)
sur l'évolution delà cellule bactérienne {En coll. avec A. Charrin) (A. P., (b), t. vi, pp. 33b-
362 et B. B., 1893, (9), t. v,pp. 37, 70, 121, 237, 337,467, 532,764 et 1028).
Note sur la préparation de l'extrait fr^tinilaire concentré {A. P., 1893, fo), t. v, pp. 180-
183). — Règles relatives à l'emploidu li^jniilr li-^lirnlaire {En collab. aven R. Brown-Séquard)
{ibid., pp. 192-193). — Injection dans le sang d'extraits liquides du pancréas, du foie, du
cerveau, et de c/uelques autres organes (A. P., 1894, (3), t. vi, pp. 148-lb7).
. ARTEMISINE. — Corps obtenu par Merck {Anna.les de 1894, p. 3) dans le
traitement des semences de YArtemisia maritima. C'est une substance qui donne avec le
chloroforme une combinaison cristallisée. Elle est très analogue à la santonine, et on
peut provisoirement la considérer comme de l'oxysantonine [(C'^'H'^0*).
ARTERES. — Résumé anatomique. — Les artères sont des vaisseaux dans
lesquels circule du sang qui, parti du cœur, chemine vers les capillaires. Leur forme
est celle de cylindres plus ou moins réguliers.
Elles proviennent de la ramification de deux artères principales : l'aorte, issue du
ventricule cardiaque gaucbe; l'artère pulmonaire, venant du ventricule droit.
Elles se divisent de façons diverses ' ; tantôt une artère donne naissance à deux autres
d'égale importance qu'on appelle branches ou troncs ; tantôt l'une est moins volumi-
neuse, tandis que l'autre semble continuer l'artère primitive ; on donne à la première le
1. V. Roux. Ueber die Verzweigung der Blutgefusse {lenaische Zeilschrift f. Med. u. Naliir.
t. xit).
712 ARTERES.
nom débranche collalérale. L'angle sous lequel se détachent les collatérales est variable
il peut être aigu, droit ou obtus. Dans ce dernier cas les artères sont dites récurrentes.
Cet angle est, comme l'avait déjà signalé J. Hu.nteb, important à connaître au point de
vue physiologique, car il influe sur le cours du sang. Parfois, au point où elle se détache
d'un tronc, une branche présente une dilatation'.
Le calibre des artères est extrêmement variable, depuis l'aorte jusqu'aux plus petites
artérioles. Il dépend de l'importance du territoire auquel l'artère se distribue; de l'acti-
vité fonctionnelle de l'organe irrigué bien plus que de son étendue.
Les glaudes reçoivent des artères très volumineuses; le cartilage n'en possède pas.
Le calibre relatif diffère suivant les périodes de la vie. La carotide, la vertébrale, la
sous-clavière sont relativement bien plus larges chez l'enfant que chez l'adulte. C'est
l'inverse pour les artères iliaques primitives.
On a comparé aussi le calibre des artères avec le poids des organes. Ces évaluations
présentent souvent une difficulté parce que certains organes se rapetissent ou aug-
mentent par rapport au poids total du corps. Le calibre de l'artère augmente avec l'âge,
quand même le poids de l'organe reste constant-.
En général, exception faite des grosses artères, le calibre d'un tronc donné est infé-
rieur à la somme des calibres de ses ramifications immédiates.
L'épaisseur des artères est toujours assez forte, comparativement aux veines corres-
pondantes; mais elle offre de grandes variations, en rapport avec celles du calibre; elle
diminue généralement quand le calibre augmente.
Les artères peuvent s'anastomoser ensemble, soit simplement, soit en formant des
réiSeaux. On appelle réseaux admirables ceux constitués tout à coup par une artère
unique, qui se divise en un point pour former un riche bouquet de branches s'anasto-
mosant entre elles. Ils peuvent se continuer directement avec les capillaires et sont dits
unipolaires; nu bien être bipolaires, c'est-à-dire se réunir pour former une nouvelle
artère : tel est le cas des artères glomérulaires du rein.
Chez les animaux plongeurs, ces formations sont assez développées. Elles constituent
nue réserve sanguine permettant une assez longue résistance à l'asphyxie. On les observe
particulièrement dans la paroi thoracique des cétacés.
Les artères suivent la surface concave du tronc et des membres. C'est là que les mou-
vements ont le moins d'amplitude; et que par conséquent les vaisseaux sont le moins
iiujets aux tirnilleinenls^.
Des réseaux vasculaires situés du côté opposé parent aux effets fâcheux de la com-
pression; ils correspondent généralement à l'aXe du mouvement. A la péri|)hérie les
troncs artériels se terminent en formant des anses qui facilitent le cours du sang. C'est
de ces anses que partent les réseaux terminaux.
En certains endroits les artères sont protégées par des arcades fibreuses ou osseuses.
Elles peuvent être contenues dans des conduits osseux, comme cela existe, par exemple,
pour l'artère vertébrale.
Les artères sont accompagnées par une ou plusieurs veines. 11 semble exister parfois
des communications directes entre les deux sortes de vaisseaux : tels sont les canaux
dérivatifs de Sucqcet.
Ces canaux ont été décrits chez plusieurs espèces animales et à des endroits
variés.
Il faut en rapprocher ceux démoutrés par nouRCERET* à la pulpe des doigts. Indépen-
damment des capillaires qui assurent la nutrilion des tissus, il existe des conduits plus
1. Hans Stahel. Ui'/jcr Arlerienspindeln und iiher die Beziehung der Wanddicke der
Arterienzum Bluldnich Arch. f. Anat. ii. PhysioL, 1880, pp. 307-334).
2. NiKiFOnoFK. IJcber die Proiiorlion zwische7> dem Arlerienkaliber einerseils und dem
Geivichte, Vmfange der Organe, und dem Geiric/iie der Korperabsdmitt anderseits. Dissert.
Saiut-Pétprsboui-g, 1S83 (anal, iii Jli. l'.. 1SS3 . — Valérie Schiele Wiegandt. Ueher Wand-
diche und Umfcmg der Arterien des mensc/discken Kijrpers [A. V., t. lxxxii).
3. P. Lesshaft. Ile la loi gênci-ale qui procède à la distribution des artères dans le corps de
l'homme (Inlern. Monaixli. f. An. und P/igs., t. ir, p. 234;.
^. BoL'RCERET. Circulations locales. Procédé d'injection dés veines du cœur vers les extrémités,
malgré les valcu/e.f et sans les forcer. Paris, ISS-'i.
ARTÈRES. "13
larges, ayant pour but d'amener une plus grande quantité de sang au contact de ces
organes périphériques, particulièrement exposés au refroidissemeuL
Testut' a signalé l'existence de canaux dérivatifs sur ia pie-mère de cerveaux adultes.
Debierre et Gérard- ont publié récemment l'observation de communications directes
entre les artères et des veines volumineuses par des conduits de calibre assez considé-
l'able, 2 millimètres et demi dans un cas d'anastomose entre la veine et l'artère fémorales.
Généralement ces communications se feraient au niveau des plis articulaires des
membres; mais elles peuvent exister entre l'aorte et la veine cave inférieure. Malgré
ces faits, on peut regarder comme à peu près absolue la non-communication du sang
artériel et du sang veineux par d'autres voies que les capillaires. Chez les invertébrés la
disposition des vaisseaux est tout à fait différente. Les artères prennent naissance chez
Je fœtus, aux dépens du mésoderme, par des cordons cellulaires pleins qui se creusent
ensuite.
. Le cœur émet un tronc artériel qui se bifurque ; les deux branches se recourbent et
redescendent, pour se fusionner et donner l'aorte impaire. Les aortes descendantes sont
en relation par des arcs aortiques, aux dépens desquels se formeront les principales
artères voisines du c-œur.
Texture des artères. — La texture des artères diffère suivant que l'on considère
les petites artères, proches de la périphérie, ou les artères volumineuses, voisines du
cœur. R.^-NviER-' les divise ainsi en deux grands groupes; le premier comprend celles à
type musculaire, le second celles à type élastique.
Toutes sont formées essentiellement par trois tuniques : c'est la tunique moyenne
qui offre les différences caractéristiques.
La tunique interne est constituée par une couche de cellules endothéliales reposant,
pour ce qui est des artérioles, sur une mince membrane, la membrane propre ou vitrée
du vaisseau.
Dans les artères plus volumineuses, entre celte membrane et la couche moyenne,
séparée de cette dernière par la limitante élastique, se trouve l'endartère.
REN'.iUT' distingue dans l'endartère deux couches; l'une interne ou muqueuse, l'autre
externe ou striée.
La couche muqueuse comprend deux à trois lignes de cellules plates, puis une couche
épaisse de substance connective avec quelques cellules transversales. La couche striée se
compose de lames élastiques disposées en systèmes de tente; entre ces lames se trouvent
de grandes cellules longitudinales. C'est dans le sens perpendiculaire à la longueur du
vaisseau qu'apparaît la striation.
La tunique externe est formée de fibres connectives et élastiques longitudinales. Elle
sert de soutien pour les ramifications vasculaires et nerveuses.
La tunique moyenne diffère suivant les types artériels que l'on considère.
Dans les artères à type musculaire, la tunique moyenne est constituée par des fibres
lisses circulaires; elles sont superposées de telle façon que l'ensemble de leurs noyaux
décrive une spirale autour du vaisseau.
Dans l'autre groupe d'artères, cette tunique moyenne est composée d'une série de
membranes élastiques réunies entre elles par des travées de fibres élastiques. On y ren-
contre aussi des faisceaux du tissu conjonctif et des fibres musculaires lisses. Dans les
artères de volume moyen, comme les artères principales des membres, l'épaisseur de
cette tunique est supérieure à la somme de celles des deux autres.
Les petites artères ne renferment pas de vaisseaux dans leur paroi; le sang qu'elles
contiennent peut suffire à leur nutrition. Dans les artères plus volumineuses, au contraire,
le liquide sanguin ne peut pas filtrer au travers des tuniques, comme l'a montré Stro-
GANOw. Des vasa-vasorum sont compris dans la tunique externe. Les globules blancs qui
en partent par diapédèse peuvent arriver jusque dans l'endartère.
1. L. Te^tuï. Traité d'Anatomie Iiumaine, t. ii, p. 31.
2. Debierre et Gérard. Sur les anastomoses directes entre une grosse artère et une grosse
veine [B. 23. ,189.3, p. 27i.
3. Ranvier. Traité technique d'histologie,
i. J. Renaut. Traité d'Iiistologie pratique.
m ARTÈRES.
Les artères reçoivent de nombreux filets nerveux : ils forment des plexus dans la
tunique externe. De ces plexus partent des fibres amyéliniques qui viennent se terminer
librement par des extrémités variqueuses sur les cellules musculaires. Leur mode de
terminaison dans la tunique interne est encore mal connu.
Médecine opératoire physiologique. — La texture des artères explique différents
faits que l'on observe au cours d'opérations sur ces vaisseaux.
Une section incomplète d'un tronc artériel donne lieu à une hémorrhagie consi-
dérable, une section complète détermine généralement une perte de sang moins
forte. En effet, par suite de l'élasticité artérielle et de la contraction active des fibres
musculaires, dans le premier cas, les lèvres de la plaie s'écartent, livrant passage au
sang qui s'échappe par jets saccadés; dans le second au contraire, les deux bouts du
vaisseau sectionné se rétractent dans leur gaine conjonctive dépourvue d'élasticité; le'
sang ne sort plus qu'en bavant et ne tarde pas à se coaguler.
Le même fait s'observe patbologiquement; dans les arrachements de membres,
l'hémorrhagie est infiniment moins forte que dans les sections franches.
L'application de ce fait est utilisée dans l'arrachement ou la torsion des artères. La
torsion, môme pour celles qui sont de fort calibre, remplace avantageusement la ligature,
particulièrement au cas où l'isolement ne peut pas être effectué avec facilité.
Pour pratiquer la torsion, on saisit l'artère entre les mors d'une pince à pression
continue, à laquelle on fait exécuter un mouvement de rotation suivant son axe jusqu'à
ce que survienne la rupture spontanée. Quand on exécute cette opération, on constate
que la tunique moyenne se rompt ainsi que la tunique interne, tandis que la tunique
externe résiste, grâce à sa texture lâche. Les deux autres tuniques repoussées par la tor-
sion s'envaginent dans la lumière du vaisseau qu'elles contribuent à obturer.
La ligature agit de la même façon. La striction du fil rompt et refoule les tuniques
interne et moyenne ; la tunique externe seule résiste. On comprend dès lors l'importance
qu'il y a à ne pas pousser trop loin la dénudation de l'artère mise à nu. L'ablation com-
plète de la tunique externe risquerait d'amener une section transversale, et non plus
une oblitération du vaisseau.
Pour effectuer la recherche des artères, on utilise les connaissances anatomiques que
l'on a de la région sur laquelle on opère. Les rameaux principaux étant généralement
accompagnés de branches veineuses et de filets nerveux, c'est avec ces éléments qu'il
faudra éviter de les confondre. On reconnaîtra l'artère à sa consistance élastique, aux
pulsations dont elle est animée, à sa coloration rose ou rouge clair. Les veines échappent
habituellement à l'exploration digitale et apparaissent à l'œil comme des vaisseaux noi-
râtres et de calibre irrégulier. Les nerfs sont des cordons durs, cylindriques, non dépres-
sibles, d'aspect blanc nacré. En comprimant une artère, le bout périphérique se vide et
pâlit, le bout central se gonfle et est animé de battements énergiques. La compression
des veines vide au contraire le bout central.
L'artère reconnue est isolée des éléments voisins et dénudée sur une largeur juste
suffisante. On la charge alors sur un fil que l'on passe au moyen d'une aiguille mousse
recourbée. S'il y a des organes à ménager, les veines satellites en particulier, on com-
mence à passer le fil de leur côté.
Les opérations que l'on -a le plus souvent à exécuter sur les artères, en physiologie,
sont l'introduction et la fixation de canules, pour recueillir du sang ou prendre la pression.
On ne craindra pas de faire des incisions larges des diverses couches superposées à
l'artère. De cette façon, s'il se produit des réactions douloureuses, il n'y aura pas de
compression de l'artère par les muscles de la plaie, ce qui viendrait fausser les résultats.
On dénude le vaisseau sur une longueur assez grande, et on lie le bout périphérique. Puis
on suspend momentanément le cours du sang dans le bout central en le comprimant. 11
faut employer, pour effectuer cette compression, un instrument qui ne contusionne pas
les tuniques artérielles. On se sert avantageusement du compresseur de François-Franck,
construit sur le modèle des lithotriteurs. On peut plus simplement exercer une traction
modérée sur le bout central à l'aide d'une anse de fil. Ou soulève l'artère au moyen du
fil de la ligature périphérique; on introduit sous elle l'index gauche et on y pratique, cà
l'aide de fins ciseaux, une incision en V à pointe tournée vers la périphérie. L'introduc-
tion de la canule est faite doucement en lui faisant exécuter un mouvement de rotation.
ARTERES. 715
On la fixe à l'aide d'un fil placé dans ce but au début de l'opéralion. 11. est bon, après
avoir fait, une double ligature, de nouer les deux chefs du fil avec celui qui a été posé
sur le bout périphérique de l'artère. On en laisse pendre un au dehors de la plaie, ce qui
permet, le cas échéant, de retrouver rapidement l'artère et d'y replacer la canule.
Physiologie (Voir les articles ; Circulation, Vaso-moteurs, Pouls.). — Si l'on fait par
la pensée des sections successives, parallèles entre elles, du système artériel, en com-
mençant à l'aorte et en allant jusqu'aux capillaires, la somme des surfaces comprises
dans chaque section ira sans cesse en augmentant, et chacune de ces sommes est équi-
valente à un cercle déterminé. La superposition de ces cercles constitue un cône qui
schématisera la capacité de l'ensemble des artères, augmentant progressivement du cieur
à la périphérie. Un cône analogue est formé par l'artère pulmonaire et ses ramifica-
tions. On voit que le sang chemine dans un ensemble de canaux de plus en plus larges
jusqu'au lac formé par les capillaires. Il en résulte que le cours se ralentit de plus en
plus et qu'il est à son maximum de lenteur là où les échanges doivent se produire
(flg. ;i4, C. C).
Les parois du cône artériel n'ont pas partout la même composition, ainsi que nous
l'avons déjà signalé. Élastiques au sommet, elles deviennent musculaires à la base ; le
deux tissus sont dans la partie moyenne en proportions
à peu près égales. Leur présence détermine les deux pro-
priétés essentielles des artères, l'élasticité et ]acontractiUté.
Élasticité artérielle. — L'élasticité des artères se ma-
nifeste par les modifications de forme et de calibre qu'éprou-
vent ces vaisseaux à chaque battement cardiaque.
Les artères rectilignes deviennent sinueuses, comme cela
est facile à voir, par exemple sur l'artère humérale, chez
les sujets amaigris.
Lorsqu'il existe déjà une courbure, elle devient plus pro-
noncée; si elle s'opère brusquement, son rayon augmente. Fig "il — schéma du coue
Quand il y a un obstacle brusque au courant sanguin, l'ar- aiWuei
tère s'allonge au moment de la systole du cœur. Cela s'ob- a, aorte. — c, capillaires. —
serve aux éperons de bifurcation, ou mieux encore au cours '.; *'^'^" musculaire. — 2, tissu
, ^ . élastique.
d une amputation. Quand on a lie et sectionné une artère
au ras d'un moignon, on la voit animée de mouvements d'expansion et de retrait pério-
diques.
L'augmentation de calibre par la contraction ventriculaire avait déjà été observée
par Spallanzaki, sur l'aorte de la salamandre. 11 entourait ce vaisseau d'un anneau un
peu trop large pendant les repos du cœur, mais qui devenait pendant l'activité du cœur, ou
systole, juste suffisant.
Le même fait peut encore être mis en évidence à l'aide du dispositif employé par
PoisEuiLLE '. Il faisait passer une artère à travers une boîte portant, ainsi que son couver-
cle, une rainure de diamètre juste suffisant. La boîte, hermétiquement fermée et remplie
de liquide, communique avec un manomètre dont les oscillations indiquent les variations
de volume du vaisseau.
Plusieurs auteurs ont étudié avec soin l'élasticité artérielle. Werthei.m^ a vu qu'elle est
parfaite dans des limites assez étendues, c'est-à-dire que, déformées, les artères
reprennent exactement leur forme primitive. Mais leur force élastique est peu considéra-
ble; l'effort nécessaire pour produire une déformation n'a pas besoin d'être bien grand.
Cette force élastique n'est pas proportionnelle aux efforts; mais elle croît, plus vite que
la pression, en raison de la distension qu'ont déjà subie les vaisseaux. Pour allonger une
bandelette artérielle de 1, 2, 3 millimètres, il faut des poids croissant plus rapidement
que ces nombres, Wertheim donne comme valeur du coefficient d'élasticité des artères^
c'est-à-dire du poids qui allongerait de l'unité un tronçon d'artère ayant l'unité pour
longueur et pour section, le chiffre 0,032. C'est l'un des plus faibles des principaux tissus
du corps.
1. PoisEuiLLE. Sur la pression du sang dans le système artériel (C. R-, 1860).
2. 'Wertheim. Élasticité et cohésion des principaux tissus du corps humain.
716
ARTERES.
Le cofficient. d'allongement, qui est l'allongement de l'unité de longueur sous l'unité
de section et sous l'unité de charge, a la valeur très considérable de 19,2308.
Dans ces expériences on ne s'est occupé que de l'allongement linéaire des artères. Il
est plus intéressant pour le physiologiste d'étudier l'allongement produit dans tous les
sens et amenant une augmentation de capacité. Ces deux phénomènes ne suivent pas
les mêmes lois. Une lanière de caoutchouc s'allonge proportionnellement aux efforts de
traction; une sphère ou un cylindre creux subissent des augmentations de volume qui
croissent plus rapidement.
Marey ' a mesuré, par la méthode des déplacements, les changements de volume de
tronçons artériels soumis à des pressions intérieures graduellement croissantes. Les
recherches ont porté surtout sur des aortes d'hommes ou de grands animaux. Ce choi.v
était déterminé par ce fait, déjà signalé plus haut, que l'aorte constitue le principal réser-
voir élastique du sang.
L'appareil de Marey consiste en un manchon rempli de liquide portant latéralement
un tube horizontal gradué. Le tronçon d'artère y est renfermé. L'une de ses extrémités est
fermée, l'autre livre passage à un tube communiquant avec un réservoir dont on peut
faire varier la hauteur : quand celle-ci s'élève, la pression augmente; l'artère se distend
par suite de son élasticité, et déplace une certaine
quantité du liquide du manchon dans le tube gra-
dué. Ces déplacements servent de mesure aux '
changements de volume artériels.
En opérant sous des charges graduellement
croissantes, on observe une dilatation de moins en
moins grande. La force élastique croît plus vite
que la pression. Si l'on représente graphiquement
le phénomène, on obtient une courbe surbaissée à
convexité supérieure (fig. S'o).
Les expériences de Marey sur les tronçons arté-
riels amènent un résultat analogue à celles de
Wertiieim sur des bandelettes de tissu artériel ; mais
ces dernières ne pouvaient le faire prévoir a priori.
Il existe, comme nous l'avons signalé, des corps
dont l'élasticité ne suit pas les mêmes lois, sui-
en lanière ou en cylindres creux dont on étudie l'am-
ol
A
,"-
"'
,y
,''
/'
i /
j /
ï
Fig. 55. — Courbure des changements de
volume d'un tubo élastique pour des pres-
sions régulièrement croissanies (Makiiy).
vaut qu'ils sont tail
pliation.
Si l'on voulait comparer entre elles les courbes d'élasticité de différentes artères, il
faudrait tenir compte de leur capacité initiale et donner aux ordonnées des valeurs
proportionnelles. Les artères volumineuses, permettant, en effet, un plus grand dépla-
cement de liquide, donnent des courbes s'élevant plus brusquement.
Il faut avoir soin, au début de l'expérience, de remplir complèlement l'artère. Sans
cette précaution, elle se laisserait distendre passivement, et l'élasticité n'entrerait en jeu
qu'au bout d'un certain temps.
Roy- a employé pour l'étude de l'élasticité artérielle un appareil analogue à celui de
Marey ; mais les changements de volume s'inscrivaient automatiquejnent. Suivant cet au-
teur les artères seraient distendues à leur maximum pendant la vie sous l'influence de la
pression sanguine.
L'existence de l'élasticité se manifeste pendant la vie chez l'homme ou les animaux,
quand par une compression on force le sang à s'accumuler dans un organe ou que l'on
soustrait une partie du corps à l'abord du sang. Nous en donnons ici un exemple em-
prunté à Marey (lig. .56). Lorsqu'on comprime les veines de la main par une ligature, le
sang s'accumule dans les artères sous l'influence de l'impulsion cardiaque qui reste cons-
tante. Il en résulte qu'à chaque battement du cœur le volume de la main augmente;
mais, la force élastique augmentant en même temps, ces accroissements sont de moins
1. Marey. Recherches sur la tension artérielle. Travau.i- du laboratoire,
circulation du sang, pp. 158 et ss.
2. Roy, The elasiic Properties of the arlerial Wall [J. P., 1880, t. m, pp. 12
p. 17o. La
ARTÈRES. Ti-
en moins considérables, et la forme générale de la courbe est analogue à celle que l'on
obtient dans les expériences de Maiiey sur les artères détachées.
De même, si l'on prend la pression dans une artère périphérique et qu'on vienne à la
comprimer dans une portion plus voisine du cojur, on voit la courbe s'abaisser en pré-
sentant une concavité supérieure, montrant que la force élastique diminue de moins
en moins vite.
L'élasticité artérielle joue un rôle important dans la mécanique circulatoire. Elle ré-
gularise le cours du sang et favorise l'action du cœur en diminuant les résistances que
cet organe doit surmonter.
On doit à Marey la démonstration de ce fait. Il met en relation un vase de Mariotte
rempli de liquide avec deux tubes de même calibre, placés au même niveau, mais de
substance diderente. L'un est rigide, en verre; l'autre élastique, en caoutchouc. Si l'on
FiG. 56. — Accroissements graduels du volume de la main sons l'influence d'un obstacle
à la circulation veineuse 'CV) (Marev).
ouvre et ferme alternativement, à intervalles réguliers assez rapprochés imitant le rythme
cardiaque, le robinet qui conduit à ces tubes, on voit que l'écoulement ne s'effectue pas
de la même façon dans chacun d'eux. Il se fait par saccades synchrones aux ouvertures
du robinet dans le tube rigide. Il est régulier et continu dans le tube élastique. De plus
le débit de ce dernier tube est supérieur à celui de l'autre. Mais cette augmentation du
débit ne se produit que dans le cas d'afflux intermittents. La force agissant brusquement
sur le liquide contenu dans un tube rigide doit déplacer toute sa masse et vaincre son
inertie. Le tube élastique présente l'avantage de se laisser distendre et de restituer sous
forme de force de tension, d'une manière progressive, la force empruntée au moteur.
La force élastique influe sur la vitesse de transport des ondes liquides. Cette vitesse
lui est proportionnelle.
C'est à l'élasticité artérielle qu'est dû le phénomène da pouh (Voy. ce mol).
Contractilité artérielle. — Les anciens auteurs professaient sur la contraclilité des
artères, propriété que possèdent ces vaisseaux de modifier activement le calibre de leurs
parois, des opinions diverses. Des notions positives ne pouvaient guère se faire jour à
une époque où le microscope n'avait pas encore caractérisé l'élément contractile, où les
expérimentateurs pensaient que leur examen devait porter le plus avantageusement sur
les gros vaisseaux. Or nous avons vu que c'est là que les fibres musculaires sont le
moins développées.
.Haller', sans nier absolument l'existence de la contractilité, ne trouvait pas suffi-
santes les expériences qui tendaient à la démontrer. Bichat^ pensait que les changements
de volume des artères reconnaissent toujours pour cause l'élasticité. Magendie^ profes-
sait une opinion analogue. Pour lui c'était l'élasticité seule qui faisait vider le bout
périphérique d'une artère lorsqu'on y avait posé une ligature.
Spallanzani'* refusait même aux artères la possibilité de se resserrer par suite de leur
élasticité.
1. Haller. Mémoires sur la nature sensible et irritable des jjarties du corps animal, ITuB, 1. 1,
p. 37.
2. BiciiAT. Anatomie générale, 1801, t. i, p. 3-36.
3. Magendie. Pre'cis élémentaire de Pliijsiologie, t. ii, p. 387.
i. Spallanzani. Expérietices sur la circulation observée dans l'universalité du système vascu-
laire. ïr. Tourdcs, Paris, an VIII, p. 380.
718 ARTERES.
Cependant d'autres auteurs avaient affirmé l'existence de la contraclilité. Sénac',
Abh. Ens -, avaient même reconnu sa dépendance du s^^stème nerveux. Mais ils se fai-
saient une fausse idée de son utilité. Ils pensaient que les artères sont douées de mou-
vements propres rythmiques, aidant à la progression du sang; c'étaient, suivant eux, de
véritables cœurs périphériques.
Il faut arriver aux expériences de J. HcxiEn, à la découverte par Hen'le' des éléments
musculaires dans la paroi des artères, pour voir à la fois la contraclilité démontrée et
sa véritable signification reconnue. On vit alors que, si le mouvement du sang dépend
du cœur, sa répartition est dépendante des vaisseaux.
J. Hunier* démontra que le resserrement du bout périphérique d'une artère liée
n'était pas dû uniquement à l'élasticité. Lorsqu'après cette ligature on pratique une
injection dans le tronçon artériel et qu'on le laisse eiisuite revenir sur lui-même, le
calibre qu'il prend est plus considérable que celui qu'il avait acquis au début après la
ligature. L'injection a détruit l'état de contraction, et l'élasticité, seule persistante, donne
à l'artère une largeur plus grande. La même observation peut être faite sur un animal
tué par hémorrhagie; la contraclilité des artères disparaît assez rapidement, tandis que
l'élasticité persiste. Une injection pratiquée dans le système artériel y reste en partie,
tandis qu'après la mort les artères sont vides de sang, par suite de la contraction de la
tunique musculaire.
Lorsqu'on mesure successivement le calibre des artères après qu'on les a vidées par
hémorrhagie et après qu'on a pratiqué leur distension forcée, la différence est d'autant
plus considérable qu'on s'adresse à des artères plus éloignées du cœur.
Dans une expérience de Huxter. la différence des diamètres de l'aorte était dans
ces conditions de — . L'aorte s'était donc contractée au moment de la mort de telle
I
façon que son diamètre fut réduit de -^ . Le diamètre de la fémorale s'était réduit des
deux tiers.
Les considérations qui précèdent permettent d'affirmer l'existence de la contraclilité
artérielle. -Mais la démonstration peut être poussée plus loin. La tunique musculaire des
artères est excitable par les divers agents mécaniques, électriques, thermiques, chimi-
ques. En les portant directement sur ces vaisseaux, il est facile d'y constater des chan-
gements de volume.
L'un des premiers observateurs qui aient signalé l'action sur les artères des excitants
mécaniques est Verschuir^. En grattant la carotide ou la crurale d'un chien avec la
pointe d'un scalpel, il les vit se resserrer par place. Thomson^, 'Wharton-Jones'^, Hastings*,
Paget" ont fait des observations analogues sur les vaisseaux de la grenouille, sur les
grosses artères du lapin, sur l'aile de la chauve-souris.
Reinarz et Burdach'" démontrent l'existence de la contraclilité par une expérience
élégante. Ils introduisent dans un tronçon d'artère un petit cylindre de cire, de calibre
tel que sa pénétration s'elïectue sans effort. Sous l'influence de cette excitation mécani-
que le vaisseau se resserre et comprime le cylindre de cire qui ne peut plus être retiré
qu'avec peine.
VcLPiAN^a effectué un grand nombre d'expériences sur la contraclilité des vaisseaux.
I! a vu, en frottant rapidement une artère avec la pointe d'une paire de ciseaux, ce vais-
seau diminuer de volume d'une manière très manifeste, même lorsqu'il opérait sur des
1. SÉs.vc. Traité de la sti'ucture du cœur, 2" éd. Paris, 1777, t. ii. p. 193.
2. Abr. Exs. De causa vices cordis alternas producente. Utrecht, 1745.
3. Hexle. Wûchenschrift fur die gesammte Heilkunde, 1840, ii° 21, p. 329.
4. .J. HuNTER. Sur le sang el l'inflammation. Œuvres complètes, t. m, p. 194, trad, Richelot.
3. Verschuir. Dissertatio medica inaugularis de arteriarum et venarum vi irritabili, 1766.
6. Thomson". Traite' 7ne'dico-c/nrurgical de l'inflammation, p. 57.
7. Whap.ton-Joxes. On ttie State of Blood and Blood-Vessel in Inflammation [Giojs Hospila^
Refiorts, 2= série, t. vu. p. 9).
8. Hastix'gs. Disputatio phys. inaug. de vi contractili vasorum, 1818.
9. Paget. Lectures on the inflammation [London Médical Gazelle, 1850).
lu. BuRDAca. Traite' de physiologie, t. vi, p. 333.
M. VcLPi.vx. B. B., 1856, p. 186.; et 1838, p. 3. — Leçons sur l'appareil vaso-moteur, t. i, p. 43.
ARTÈRES. 719
vaisseaux de fort calibre. Cependant la contraction est d'autant plus nette qu'on s'a-
dresse à des artères plus petites. Lorsqu'on limite l'excitation mécanique à un espace
assez restreint, on voit après quelques instants le point touché se resserrer, pâlir; les pul-
sations diminuent ou disparaissent. La contraction dure environ vingt secondes, puis
disparait progressivement; et l'artère prend même un calibre plus considérable qu'avant
le début de l'expérience; les battements y sont prononcés; puis tout rentre dans l'ordre.
La contraction des petits vaisseaux peut s'observer aisément sans la moindre vivi-
section sur l'oreille du lapin. Les artères y sont visibles par transparence. Il suffit de
frotter l'épiderme à leur niveau avec un instrument mousse pour que, excitées ainsi d'une
façon médiate, elle se resserrent aussitôt.
Des expériences analogues ont été faites chez l'homme, principalement par Marey .
Lorsqu'on trace vivement une ligne sur la peau avec une pointe mousse; la peau pâlit
tout d'abord à cet endroit, parce qu'on en a chassé mécaniquement le sang; puis les
artérioles excitées se resserrent"; on éprouve une sensation de constriction, et la ligne
reste blanche un moment pour acquérir de nouveau progressivement sa coloration nor-
male, ou même, au début, la dépasser. Lorsque l'excitation est faite d'une manière plus
énergique, on obtient une ligne rouge très periistante, saillante, séparée des parties voi-
sines par des tiaînées latérales pâles.
Il faut faire intervenir pour l'explication de ces faits le système vaso-moteur ; mais ils
reconnaissent en partie pour cause, selon Vulpian, la contractilité des muscles artériels.
On peut les observer en d'autres endroits qu'à la peau, par exemple sur certains organes,
comme le foie ou les reins.
La faculté qu'ont les artères de se resserrer sous l'influence d'excitants mécaniques
explique que la section de certaines artères puisse parfois ne donner aucun écoulement
sanguin; puis secondairement fournir des hémorrhagies sérieuses lorsque la contraction
a cessé.
Cette propriété ne doit pas être perdue de vue par les physiologistes. Des excitations
mécaniques intempestives des artères peuvent masquer complètement l'action de filets
vaso-moteurs que l'on se propose d'étudier.
Les excitations électriques permettent mieux encore l'étude de la contractilité arté-
rielle.
"Wedemeyer-^, en galvanisant une aorte de grenouille, ne réussit pas à y constater de
changement de volume; mais, en opérant de la même manière sur les artères mésenté-
riques de cet anmial, il les vit se contracter de telle sorte que leur lumière ne possédait
plus que la moitié ou le tiers de leur diamètre primitif.
Les frères Weber-' ont fait des constatations analogues en faradisant de petites
artères. La réduction de volume peut être suffisante pour arrêter le cours du sang.
La contraction des artères sous l'influence de l'électricité a été observée chez l'homme
après amputations par Kôlliker'' sur la tibiale et la poplitée.
Dans ses expériences, "Vulpian {Ioc. cit.) a vérifié cette action de l'électricité. La con-
traction se montre tout d'abord à l'endroit où étaient appliqués les électrodes; puis,
l'afflux sanguin diminuant, elle se propage généralement jusqu'à l'anastomose la plus
voisine. Si cette anastomose fait défaut, les capillaires et les veines elles-mêmes dimi-
nuent de volume. Contrairement à l'assertion de VVebeii, on verrait toujours primitive-
ment une contraction, jamais une dilatation, même lorsqu'on emploie des courants très
intenses. Le sens du courant n'intluerait pas sur la réaction des muscles artériels. Au
dire de Legros et ONiMus,^les courants ascendants produiraient un resserrement; les cou-
rants descendants, une dilatation.
Les excitants thermiques ont, comme on le sait, une action très marquée sur la fibre
musculaire lisse. Aussi les variations de température influent-elles d'une manière con-
sidérable sur le calibre des artères. Wharton Jo.n'es (Ioc. cit.) avait constaté le resser-
1. Marey. Mémoire sur la contractilité vasculaire [Ann. des Se. nat., 1858, (4), t. ix, p. 68).
2. Wede.meyee. Untersuc/mngen iiber denKreislaufdes Blutes. Haunover, 1828, p^ 180.
3. Ed. etE. Weber. Ue/jer die Wirkungen welche die magnetoelectrische Reizung der Bliit-
gefàsse bel lebenderi Thieren hervorbringt [Uûller's Archiv, 1847, p. 234).
4. Koi-LiKER. Zeiisclu'ift fiir wi.s.sensch. Zo dogie. 1849.
720 ARTÈRES.
rement des arLères de la membrane interdigitaLe de la grenouille sous l'influence d'ins-
tillation d'eau froide. Une observation de ce genre se fait aisément lorqu'on ouvre
l'abdomen d'un mammifère. L'intestin pâlit tout d'abord; il se produit ensuite une
vaso-dilatation.
Les effets du froid sur les vaisseaux des doigts sont bien connus. Les artères se con-
tractent et les doigts prennent, par suite de la stase veineuse, une teinte rouge violacée.
Si l'action du froid se prolonge, les extrémités deviennent complètement blanches et
exsangues.
La chaleur produit généralement un effet inverse, une dilatation vasculaire. Il ne faut
pas oublier, dans l'interprétation des faits que l'on observe sous l'influence de ces
excitants, que les artères sont sous la dépendance du système nerveux ; et il est ne'ces-
saire de faire la part des réactions vaso-motrices.
Le fait que les artères se contractent sous l'influence du froid trouve son utilisation
en médecine dans l'emploi de la glace pour arrêter les hémorrhagies.
Les excitants chimiques ont été appliqués par un grand nombre d'auteurs à l'étude
de la contractilité artérielle, mais leurs résultats sont assez différents. Suivant Yl'lpian,
toutes les substances irritantes, telles que les acides, les alcalis, l'essence de moutarde,
la cantharidine, produiraient la contraction des artères; puis secondairement leur
dilatation.
Ainsi donc non seulement l'histologie, qui caractérise dans les parois artérielles
l'élément contractile, mais encore la physiologie, qui avec Hunter montre des faits
inexplicables par l'élasticité seule, et qui, avec de nombreux expérimentateurs, nous fait
assister aux modifications des artères produites par les divers excitants, prouvent de la
manière la plus nette l'existence de la contractilité artérielle.
Régie par le système nerveux, cette propriété s'exerce par les nerfs spéciaux qui se
rendent aux vaisseaux. L'influx nerveux doit prendre place en première ligne à côté
des excitants que nous venons d'énumérer, et la découverte par Claude Ber.nard dé
filets qui commandent les mouvements actifs des artères a donné la preuve la plus
décisive de leur existence.
Qu'on la produise d'une manière quelconque, la contraction des artères s'effectue
avec des caractères qui la rapprochent de celle des muscles de la vie organique. Le
temps perdu, c'est-à-dire le temps qui s'écoule entre l'excitation et le début de la réac-
tion, est toujours considérable. La contraction s'établit lentement et augmente d'une
manière progressive. On peut la produire après la mort pendant un temps variant de
quelques minutes à deux ou trois heures. La persistance de la contractilité dépend des
artères et de l'état de l'animal. Elle est généralement moins forte chez les individus
affaiblis.
Le principal rôle de la contractilité artérielle est de permettre l'existence des circu-
lations locales et aussi de régler l'afflux sanguin qui se rend à un organe déterminé en
suivant les variations de son activité. Pendant le repos les artères sont contractées,
la quantité de sang est peu considérable; pendant le fonctionnement les artères se
dilatent de manière à donner un débit sanguin plus grand. Parallèlement à ces modi-
fications vasculaires se passent des changements de volume de l'organe entier. Ces
derniers, aisément constatables, sont souvent employés pour déceler les variations des
parois des artères.
Les artères sont, pendant la vie, dans un état continu de demi-contraction, auquel
on donne le nom de tonicité. Cette tonicité est commandée par ie système nerveux, et
peut-être en particulier par de petits ganglions qui seraient disséminés dans les parois
des vaisseaux et qui leur donneraient une autonomie propre. Le tonus vasculaire ne
garde pas toujours une valeur rigoureusement identique, mais oscille autour d'une
moyenne. Ce fait se traduit parfois, sur des courbes de pression sanguine, par des ondu-
lations régulières, assez lentes, ne dépendant ni du conir ni de la respiration, et connues
sous le nom de courbes de Tralbe.
Les mouvements rythmiques peuvent être observés par transparence sur l'artère
médiane dé l'oreille du lapin ; ce qui lui a valu de Schiff ' le nom de cœur accessoire. Ces
f . ScniFF. Sur un cœur artériel accessoire dans les lapins (C. R.. 18.34, t. lxxxix, pjj. 30S et ss.).
ARTÈRES. 721
mouvements, que plusieurs observateurs ont signalés dans un grand nombre de vaisseaux,
seront étudiés à l'article Vaso-moteurs.
Aussitôt après la mort, les artères se contractent, par un mécanisme que nous ne
pouvons pas envisager ici. Il en résulte qu'elles chassent le sang qu'elles contiennent à
travers les capillaires dans les veines qui se laissent distendre passivement. Aussi trouve-
t-on généralement, aux autopsies, les artères vides. Elles ont alors une forme rubanée.
Ce fait semble dû à la pression atmosphérique qui aplatit ces vaisseaux comme elle
aplatit un tube de caoutchouc dans lequel on fait le vide. Vient-on à inciser une artère
de manière à permettre à l'air d'y pénétrer, elle reprend aussitôt la forme cylindrique.
A ce moment les propriétés des fibres musculaires ont disparu; aussi peut-on penser
que la forme cylindrique n'est pas la forme naturelle des artères. Mais il est difficile
d'admettre avec Oger' que cette forme naturelle soit celle d'un ruban aplati par suite
d'un compromis entre l'élasticité et la contractilité. Si l'élasticité tend à donner à l'ar-
tère une lumière cylindrique large, et la contractilité une lumière cylindrique très
réduite, la résultante ne peut être qu'une lumière de calibre intermédiaire, mais tou-
jours cylindrique. Il n'en est autrement que si les parois ne sont pas homogènes.
Pendant la vie, les artères, distendues par le sang qu'elles renferment, ont une forme
plus ou moins cylindrique.
Bruits artériels. — L'auscultation permet de percevoir dans les artères des bruits
variés. Les uns ne sont que la propagation des bruits du cœur. D'autres bruits de choc
ou de souffle prennent naissance dans les vaisseaux eu.x-mêraes. Ils peuvent se produire
spontanément ou être dûs à une compression extérieure.
Les bruits spontanés s'établissent surtout lorsqu'il y a de brusques variations de la
tension artérielle, et particulièrement aux endroits où les artères présentent des cour-
bures ou des sinuosités.
Les bruits développés se perçoivent aisément quand en auscultant une artère on la
comprime à l'aide du stéthoscope.
Les anciens auteurs pensaient que les bruits de souffle étaient dûs au frottement du
sang contre la paroi des vaisseaux. Or on sait aujourd'hui que le sang est séparé de cette
paroi par une couche liquide immobile. D'ailleurs Chauveau- a montré directement que
la présence de rugosités à l'intéiieur d'un tube ne suffit pas à y faire naître un bruit.
Pour lui les bruits artéiiels seraient dûs à la vibration de la colonne sanguine passant
brusquement d'un point comprimé dans un espace dilaté. Le jet de sang passe avec force
et pression à travers l'orifice rétréci, et détermine des tourbillons du courant sanguin.
La compression localisée augmente leur intensité. Marey ''pense qu'il s'agit de vibrations
périodiques sonores.
La compression détermine une augmentation de la tension sanguine en deçà du
point comprimé, une diminution au delà. Quand la pression est suffisante dans le bout
central, le sang pénètre dans le bout périphérique ; la pression y augmente, tandis qu'elle
diminue dans l'autre. Mais, l'introduction du sang se faisant avec trop de force dans le
bout périphérique, le liquide rellue versle boutcentral. Les phénomènes se répètent pério-
diquement dans le même ordre, et une vibration prend naissance.
Cette vibration est perceptible non seulement à l'oreille, mais encore au toucher qui
ressent une sensation particulière, à laquelle on donne le nom de thrill.
Les bruits de souffle s'établissent d'autant plus facilement que les variations de ten-
sion qui leur donnent naissance trouvent des conditions plus favorables à leur dévelop-
pement. Pour que la tension baisse rapidement dans le bout périphérique, il faut que
les capillaires soient facilement perméables. L'importance de cette condition peut se véri-
fier à l'aide du schéma de la circulation de Marey. Les bruits que l'on perçoit en compri-
mant le tube artériel sont d'autant plus développés que l'ajutage représentant les capil-
laires est moins rétréci.
1 . Oger. Considérations sur la forme naturelle et la forme apparente de quelques organes, et
en particulier sur la forme apparente des artères (Thèse de Strasbourg, 1870).
2. Chauveau. Mécanisme et ttiéorie générale des murmures vosculaires [C. R., ISoS, t. xlvi,
pp. 839 et 933). Gazelle médicale, 1857.
3. Marey. Du pouls et des bruits vasculaires [Journal de la physiologie, 1839 et t. ii, pp. 259-
280, et 420-447) et la circulation du sang, p. 648 et siiiv.
DIOT. DE PHYSIOLOGIE. TOME 1. 46
722 ASCITE.
Les maladies, qui déterminent un abaissement de la pression sanguine, en facilitant
l'écoulement par les capillaires, seront favorables à l'apparition des bruits de souffle.
Les explications précédentes sont applicables aux bruits que l'on perçoit dans certains
cas particuliers, comme au niveau de l'utérus pendant la grossesse; ou à l'état patholo-
gique, comme lorsqu'il existe des tumeurs anévrysmales.
Sensibilité des artères. — L'excitation des artères est généralement insensible.
Cependant, d'après Colin', la ligature des artères des principaux organes abdominaux,
de la rate particulièrement, provoquerait des excitations vives et douloureuses.
Heger- a signalé que, lorsqu'on injecte une solution irritante dans les artères d'un
membre presque complètement sectionné, n'étant plus en relation avec le corps que par
son nerf, on observe des troubles circulatoires réflexes. Mais il faudrait pour les pro-
duire que l'injection pénétrât jusqu'aux capillaires.
Mentionnons aussi ce fait que, comme pour les autres vaisseaux, l'endotliélium arté-
riel semble avoir sur le sang une action anticoagulante (Voir Coagulation).
Bibliographie. — Voir les articles Circulation, Pouls, Vaso-moteurs.
M. LAMBERT.
ASCITE (de amoi, outre). — Définition. Synonymie. — On donne le nom
dïasrÀie, ou d'hydropisie ascitc, ou A'hijdvopèritonie à un phénomène morbide consistant
en un épanchement de sérosité contenue^librement dans la cavité même du sac péritonéal.
Division du sujet. — L'ascite est un symptôme; c'est une variété de l'hydropisie;
elle peut se rencontrer au cours de toutes les maladies qui font l'infiltration séreuse.
Il en résulte que le ^énomène, en tant qu'hydropisie, est dominé d'abord par un
ensemble de conditions physiologiques générales; et qu'ensuite sa localisation, particulière
au péritoine, le soumet à des conditions spéciales.
1. Causes générales. — Nous ne pouvons insister sur les causes générales; leur étude
se place d'elle-même à l'article Hydropisie. Elles comprennent :
Les altérations humorales qui favorisent la transsudation séreuse;
Les altérations vasculaires qui l'activent; et les modifications de l'hydraulique cen-
trale (asystolie) qui peuvent la préparer en faisant la stase veineuse.
Nous devrons toujours avoir en vue ces éléments primordiaux et les invoquer encore,
alors même que prédominent les causes locales.
IL Causes locales. — Pour bien apprécier la valeur pathogénique de celles-ci, il
faut envisager tout le système abdominal, viscéral et séreux, pariétal aussi, comme
formant une grande unité physiologique, avec vascularisation sanguine et lymphatique,
et avec innervation connexes; mais on voit alors à quel point cette complexité anato-
mique peut rendre toute physiologie expérimentale impraticable et illusoire dans ses
résultats. 11 y a plus : comme, à l'état normal et pendant la vie, il n'y a pas de liquide
péritonéal, comme, par conséquent, la comparaison est impossible entre l'état patho-
logique (ascite) et l'état physiologique, le premier n'étant pas une exagération du
second, mais bien quelque chose de spécial, nous n'avons pas à nous étendre ici sur la
physiologie de la séreuse et à nous attacher à l'analyse des phénomènes d'une soi-
disant sécrétion classée par certains auteurs au nombre des sécrétions dites récrémenti-
tielles K
1. Colin. Sur la sensibilité des artères viscérales (C. R., 18G2, t. lv, p. 403).
2. Beger. Einige Versuche ûber die Empfindlickheit der Gefiisse [Beitruge ztir Physiologie zu
C. Ludwg's 70 Geburtstage, pp. 196-199).
3. Aussi n'avons-DOus pas voulu insister ici sur des exposos d'analyses dont on retrouvera le
détail'aux articles Sécrétions, Séreuses. Les travaux de Gorup-Besanez, de Ch. Robin, de Méhu,
ont donné des résultats extrêmement variables; et leurs reclierclies s'appliquent à des liquides
pathologiques différents ou à des liquides extraits de cadavres. Les chiffres ijeuvent varier, pour
tOOO grammes de sérosité péritonéale, entre les limites suivantes :
Eau 970 à 980 grammes.
Albumine 10 à 30 —
Fibrine 0,.5 à 1 —
Mat. oxtract 10 à 15 —
Sels 4à 8 —
ASCITE. 72.5
Il y a longtemps que Bichat a démonlré qu'il u'.y avait normalement, ni liquide, ni
« vapeur » péritonéale ou pleurétique, comme on disait autrefois; et s'il y a un liquide
ascitique, c'est un liquide tout pathologique qui ne saurait être le résultat d'un accrois-
sement d'une sécrétion normale qui n'existe pas.
Ce liquide d'ascite provient d'une exhalation morbide; et, ce qu'il convient de cher-
cher, ce sont les causes déterminantes immédiates de l'épanchement insolite.
Ces causes plus ou moins directes peuvent être ramenées :
a. Soit à une exagération de la circulation artérielle, sous l'influence de pertur-
bations vaso-motrices, d'où apport sanguin exagéré, d'où congestion;
6. Soit à un raientisssement de la circulation en retour, lymphatique ou veineuse;
c. Enfln, parliellement, ou dans l'ensemble, le péritoine peut être lésé, et ['inflam-
mation, toute inconnue qu'elle soit dans son essence, joue alors dans la production de
l'ascite un rôle prépondérant.
Nous devons examiner successivement, avec le contrôle de l'expérimentation, chaque
fois qu'il sera possible, la valeur pathogénique de ces divers éléments :
(t. Désordres vaso-moteurs. — Le système nerveux, bien étudié dans ses rapports
avec les fonctions sécrétoires des glandes, est reconnu aussi, inais sans preuves précises,
comme un intermédiaire très probable dans la pathogénie de certains œdèmes, comme
aussi, peut-être, de certaines hydropisies séreuses : on admet alors l'existence d'une
paralysie vaso-motrice, sous l'inlluence de certains agents physiques (le froid en parti-
culier) ou chimiques (tçxines alimentaires, médicamenteuses ou microbiennes). Mais de
ce que ces causes diverses peuvent produire des congestions et des œdèmes circon-
scrits, ou plus ou moins diffus à la surface du corps, peut-on conclure à des modifica-
tions de la séreuse péritonéale comparables à celles du revêtement cutané ou des
muqueuses? Rien n'autorise la supposition. Il existe toutefois des faits d'expériences,
sinon d'expérimentation, qui permettent d'attribuer à la vaso-dilatation neuro-paralytique
un rôle non douteux ; ce sont certains faits fréquents en pathologie vétérinaire : des
chiens s'étant plongés dans l'eau, au milieu d'une course active, ont pu présenter des
accidents d'ascite bien accusés; de même Reynal a signalé des quasi-épidémies d'ascite
frappant des colonies de lapins enfermés dans des endroits humides. Chez l'homme,
l'ascite a friyore, après action périphérique du froid, ou après ingestion de liquide
glacé, est admise par certains auteurs. Mais ces faits, qui surviennent spontanément,
n'ont pu être reproduits par l'expérimentation et ces épanchements séreux, transitoires,
ne rappellent qu'infidèlement les ascites ordinaires, plus durables.
b. Gêne de la circulation en retour. — Le système lymphatique joue certainement un
rôle dans la production de l'ascite; libre, il favorise le dégorgement séreux; obstrué,
il le gêne; mais, même dans les thromboses complètes, d'ailleurs bien rares, du canal
thoracique ou dans les compressions, énergiques intra-médiastines, la lymphe peut
toujours se frayer une voie de retour.
II n'en est plus de même quand il y a stase veineuse. — Celle-ci a sur les hydropisies
en général une influence prédominante (surcharge du système capillaire, augmentation
de tension, d'où transsudation séreuse favorisée souvent par l'altération concomitante
des vaisseaux et par les modiflcations du sang). Aussi, les connexions intimes des
vaisseaux porte et cave, par anastomoses, l'étendue de leurs ramifications dans le
péritoine et au voisinage de celui-ci, désignent-elles suffisamment ces deux systèmes
veineux comme devant dominer la pathogénie des ascites.
L'expérimentation confirme pleinement ces prévisions. Déjà, au siècle dernier,
Van Swietex citait une expérience de Lov.er, lequel avait pratiqué chez le chien une liga-
ture de la veine cave inférieure, près de son embouchure, et avait ainsi déterminé
Vascite expérimentale. Mais, pour si évidente qu'elle fût, cette explication n'a ou cours
que longtemps après, et n'a été bien établie que par les grands cliniciens de ce siècle
(Andral, Chuveilhier, Frerichs); les travaux de Virchow sur la thrombose lui ont encore
donné pleine confirmation. Aujourd'hui il est bien définitivement reconnu que toute
oblitération du tronc cave ou du tronc porte, ou des branches spléniques ou hépatiques
de ce dernier, produit l'ascite; et celle-ci sera d'autatd plus rapide, d'autant plus intense,
et d'autant plus piersistante cpt'une circulation collatérale de dérivation aura plus de peine à
s'établir; ce qui est très fréquent au cours des affections où se rencontre l'ascite.
724 ASCITE.
c. L'inflammation. — Telles sont les conditions générales de pathogénie d'une ascite;
nous les voyons réalisées dans les cas les plus simples, en apparence, où les obstacles
mécaniques prédominent (cas de compression par jles tumeurs du médiastin); elles se
rencontrent également dans les affections du cœur qui conduisent à l'asystolie, c'est-
à-dire à la stase veineuse généralisée; l'explication pathogénique est encore la même
pour les compressions vasculaires inlra-abdomiuales, pour les thromboses oblitérant la
veine cave inférieure, ou, plus fréquemment, le tronc de la veine porte (pyléphlébite) ;
la même aussi pour les scléroses diverses de la rate, ou surtout du foie, enserrant les
radicules porte (cirrhose atrophique, sclérose syphilitique, tuberculose, etc.). Mais on
se tromperait grandement en s'en tenant en physiologie humaine à cette explication
univoque; d'autres éléments interviennent, et, en dehors des altérations de dégénéres-
cence des vaisseaux que nous avons signalées, en dehors des modifications dyscrasiques
du sang, il reste, pour augmenter encore l'incertitude, à faire la part de l'élrmcnt in-
flammatoire.
Rien n'est plus difficile d'abord, en pathologie, cjue d'établir la part respective de l'in-
flammation dans des proce.s'.sîi.s complexes, où elle se rencontre à des degrés fort varia-
bles; d'un autre côté, rien n'est plus mal déterminé que la réaction de la séreuse au
contact des agents irritants.
A cet égard l'expérimentation 'ne donne que des résultats décevants. Elle comprend
deux ordres de faits :
1° Introduit-on dans le péritoine des corps irritants non septiques : suivant leur
énergie on verra se produire au milieu de phénomènes nerveux d'intensité variable
une réaction inflammatoire pouvant donner lieu à des adhérences avec un peu de séro-
sité collectée; mais ce n'est pas là de l'ascite. D'ailleurs les voies de résorption, bien
perméables, sont si actives que, si c'est un liquide qui a été injecté, on le voit souvent
se résorber fort vite;
2° D'autre part, si les instruments employés, si les produits inoculés ou injectés sont
septiques, des désordres intenses surviennent : mais, si marqués qu'ils puissent être-
(suppuration rapide, locale ou diffuse), ils ne font pas l'ascite; tout au plus produisent-
ils un peu de suintement séreux.
De ces deux ordres de considérations s'appuyant sur l'expérimentation, il ressort
cette conclusion négative que l'irritation péritonéale aigué ne suffit pas à faire l'épan-
chement intra-séreux.
Mais ce que ne fait pas un processus brusque, une marche subaiguë ou chronique
des accidents le réalise presque à coup sur, et on sait qu'il n'est guère de péritonite
chronique qui ne s'accompagne d'ascite (cancer, tuberculose, tumeurs kystiques ou
tumeurs diverses; inflammations parenchymateuses sous-jacentes, etc.).
Dans ce cas l'explication de l'hydropisie est fort difficile à fournir : pour les tumeurs,
on peut penser encore aux phénomènes de compression; mais, si l'intlamniation ne se
traduit que par des plaques disséminées, superficielles, ou périviscérales, on se voit
obligé de recourir au terme vague d'irritation, sans pouvoir rien préciser.
Pour nous, il est un élément de toute importance à invoquer alors; c'est la gêne
certaine et parfois extrême de la circulation collatérale, ainsi que nous le signalions.
Chez un sujet sain et chez- les animaux en expérience, en particulier, les suppléances
veineuses s'établissent presque d'emblée : aussi l'ascite est-elle toujours alors transitoire;
résorbée grâce aux nouveaux vaisseaux supplémentaires.
Au contraire, quand il y a inflammation chronique, celle-ci, dans son travail de
scléi'ose, enserre non seulement les voies ordinaires de circulation, mais aussi les
l'adicules des canaux de dérivation; il y a apport continuel, sans décharge possible,
d'où l'accroissement et la persistance des phénomènes asciliques.
Ceci n'est pas une hypothèse gratuite; la clinique nous montre la réalité du fait
dans la circulation collatérale cutanée qui accompagne l'asoile, et dont on peut parfois,
au cours de certaines autopsies, juger toute l'importance : certains sujets nieurent sans
ascite, avec un foie atrophié de cirrhose, et l'on trouve des vaisseaux sous-cutanés qui,
de l'état de simples veinules, sont passés à celui de canaux veineux considérables et
dilatés en permanence. Ces vaisseaux, pendant l'existence, ont joué le rôle de canaux
de dèrivalion, empêchant ou modérant l'épanchement; par contre, s'ils manquent ou
ASEPSIE — ASPARACINE. 7'io
s'ils viennenl à s'oblitérer, les accidents d'ascite se produisent au maximum. On voit
par là que, si nous ne savons pas comment se fait l'épanchement, nous savons du moins
pourquoi W persiste.
Les conside'rations exclusivement générales que nous avons développées sur l'ascite
s'appliquent surtout à la collection de sérosité; mais l'épanchement intra-péritonéal
peut se présenter, comme on sait, sous des aspects multiples qui tiennent à des modifi-
cations liistologiques du liquide : nous avons déjà parlé des cas d'ascite p«n(?euie; la-
quelle est fonction de diverses infections microbiennes. Nous n'avons pas à nous étendre
sur les autres variétés qui ne répondent |ias à des conditions physiologiques suffisammenl
bien déterminées, et qui, d'ailleurs, s'expliquent à peu |)rès d'elles-mêmes par les qua-
lificatifs qu'on leur a accordés. — De ce nombre sont les A. hémaliques, à teinte rosée,
ou rouge, plus ou moins foncée, accompagnant habituellement des néoplasmes cancé-
reu.K; les A. bilieuses, qui, si elles ont la coloration de la bile, n'en ont nullement la com-
position chimique; les A. gélatineuses qui annoncent souvent la présence de tumeurs
colloïdes de l'intestin sous-jacentes; enfin nous devons signaler surtout les A. cliyleuscs
ou chyliformes qui ont beaucoup occupé les auteurs. La dénomination appliquée à -ces
épanchements pourrait faire supposer que les troubles de la circulatioji lymphatique
jouent un rôle important dans leur production; il n'en est rien. Ces ascites, comme l'a
bien indiqué Letulle, répondent à des modifications inflammatoires chroniques du
péritoine, le plus souvent d'origine tuberculeuse.
Pour être complet, nous signalerons encore deux variétés de l'ascite : l'ascite de lu
grossesse et Vascite congénitale. Cette dernière s'accompagne d'ordinaire de malforma-
tions diverses du fœtus, telles que l'imperforation de l'anus et de l'urèthre ou de maladie
des enveloppes, plus particulièrement d'hydramnios. Ces faits, signalés, pour mention,
n'éclairent en rien la pathogénie de l'ascite en général.
En résumé, si l'on s'en tient aux seules données certaines d'expérimentation, l'ascite
paraît dépendre d'un obstacle survenu dans la circulation veineuse supérieure de l'ab-
domen (système cave, système porte), puisqu'une ligature la produit.
L'expérience clinique confirme cette donnée expérimentale pour bon nombre d'afl'ec-
tions où la circulation cave supérieure, ou bien la circulation porte sont intéressées par
des compressions totales ou partielles. Mais déjà beaucoup de ces cas cliniques, et
certains autres spécialement, mettent en jeu un tout autre élément patliogénique, non
soumis encore convenablement à nos conditions expérimentales : Vinflammation de la
séreuse, et tout particulièrement son inflammation chronique.
Ce qui, dans tous ces cas, distingue nettement le phénomène clinique du fait expé-
rimental, c'est que, tandis que ce dernier est transitoire, le premier est durable; el,
pour expliquer cette particularité, il faut faire intervenir chez le malade des éléments
de toute importance, et qu'on ne peut apprécier par l'expérimentation, ce sont des alté-
rations humorales et vasculaires qui, dans certains cas, prennent toute la part dans la
production des accidents.
Bibliographie. — Cii. Robin. Traité des humeurs. — Besnier. Arlicle « Ascite » du
Dict. Dechambre. — Rendl'. Article « Foie « du Dict. Dèciiambre.
ASEPSIE. -Voyez Antisepsie.
ASPARAGINE (C-H^Az^O^). — Découverte par Yauquelin et Rodiquet en fSOo,
analysée par Liebig, l'asparagine se trouve en grande quantité dans les jeunes pousses
d'aperges, daus les tiges étiolées des vesces, des pois et dans beaucoup d'autres tissus
végétaux en voie de croissance. On ne l'a jamais trouvée dans les tissus animaux.
Chimie. — Préparation. — Le suc des asperges ou des tiges de vesces est coagulé par
l'ébullition, filtré et évaporé à un petit volume. L'asparagine ne tarde pas à cristalliser.
10 kilogr. de vesces ont fourni à Piria laO grammes d'asparagine. Si l'on veut rechercher
l'asparagine dans des liquides contenant une grande quantité de substances étrangères,
on pourra précipiter l'asparagine par le nitrate de mercure (qui précipite également la
glutamine, l'allantoïne, l'hypoxanthine et la guanine), puis décomposer le précipité blanc
par l'hydrogène sulfuré, ce qui remet l'asparagine en liberté. On peut également élimi-
ner au préalable une partie des impuretés par un traileinent par l'acétate de plomb
726 ASPARACINE.
E. ScHULZii. Ber. d. d. chem. Ges., 1882, t. xv, p. 2833 et Zeil. f. phijsiol. Chemic, 188o, t. ix,
p. 420).
L'asparafjine peut être obtenue synthétiquement (Voir plus loin).
Propriétés physiques et chimiques. — Cristaux volumineux du système ortho-
rhoinbique, durs, cassants, inaltérables à l'air, transparents, devenant blancs et opaques
à 100°, en perdant une molécule d'eau de cristallisation {12<'/o d'eau), inodores, presque
insipides. L'asparagine est très peu soluble dans l'eau froide, plus soluble dans l'eau
bouillante : d'après Gdareschi, 1 partie d'asparagine se dissout dans eau :
à 0° lO'o 28° 40° .50° 78° 100°
103 p. 33,9. 28,3 17,3 11,1 3,6 1,89
elle est soluble dans les acides et les alcalis, insoluble dans l'alcool absolu, l'éther, les
huiles grasses et essentielles. La solution rougit légèrement le papier de tournesol et
est faiblement lévogyre, a TD] ^ — 3"41 (en solution ammoniacale). Les acides rendent
la substance dextrogyre. Chaleur de combustion pour 1 gramme = 3,314 calories (Stoh-
mann).
L'asparagine ordianaire ou œ asparagine gauche doit être considérée comme l'acide
de l'acide aspartique (ou acide amido-succiniquej :
COAzH^
I
CH
I
CH=AzH
I
CO=H=
En effet, elle se transforme en aspartate d'ammonium par l'action de l'eau surchauf-
fée, eu acide aspartique ou aspartate alcalin par l'ébuUition en présence des acides ou
des alcalis. De plus, on peut l'obtenir synthétiquement par l'action à chaud de l'ammo-
niaque concentrée sur l'acide éthyl-aspartique inactif.
L'asparagine forme avec les acides des sels analogues aux sels ammoniacaux : chlor-
hydrate, azotate, oxalate d'asparagine. Elle peut également jouer le rôle d'acide mono-
basique et laisser remplacer un H par un métal M' : asparagine potassique, calci-
que, etc.
Les solutions impures d'asparagine fermentent facilement, se putréfient et se trans-
forment pour une notable partie en succinate d'ammoniaque. 10 grammes d'asparagine
fournirent à Hoppe-Seyler 38"', o de succinate calcique, et les eaux mères contenaient
encore de l'asparagine non altérée \Z. f. ph. Chemie, 1878, t. ii, p. 13). Voir aussi Miquel
{Bull. Sor. Chim., 1870, (2), t. xxsi, p. 101).
Isomères. — Outre l'asparagine ordinaire ou l'asparagine gauche, on a découvert
également dans les sucs végétaux une asparagine droite a D ^ -<- '6" 41, à saveur sucrée,
qui paraît être l'amide de l'acide aspartique droit.
Enfin PiDTTi a préparé synthétiquement une asparagine [î inactive.
Recherche de l'asparagine (Voir plus haut Préparation). Bohodine (Bot. Zeitung,
1878, n"» 31 et 32) a utilisé comme réaction micro-chimique la formation des cristaux
d'asparagine qui se produit par addition d'alcool aux tissus végétaux qui contiennent de
l'asparagine.
E. [ScHULzE et BossHAXD (Z. P. C, IX,. 1883, p. 425 et Zeits. f. anal. Chemie, t. xxu,
p. 323, 1883 elLandw. Versuchssf, t. xix,p. 399, 1883) recommandent la détermination de
l'eau de cristallisation comme moyen d'identifier l'asparagine (12% eau de cristallisation
qui se volatilise à 100"). Les cristaux sont transparents; ils atteignent des dimensions
considérables, ils deviennent blancs et opaques à 100°, ils montrent à la lumière polarisée
de superbes jeux de couleurs. La solution d'asparagine, sature'e à chaud par l'hydrate cui-
vrique, devient bleu d'azur : par le refroidissement, il se dépose de petits cristaux d'une
combinaison cuivrique d'un bleu légèrement violacé.
L'asparagine, chauffée avec une solution diluée de potasse caustique, donne un abon-
dant dégagement d'ammoniaque. Chauffée avec de l'acide chlorhydrique très dilué, elle
fournit un sel ammoniacal dont on reconnaît la présence par l'addition du réactif de
Nessler (après refroidissement préalable du liquide).
ASPARAGINE. 727
Pour la comparaison des réactions de l'asparagine et des autres acides amidés voir :
Fn.EoFiiEisrEV.. SitzunQsber. Wien.,p. 7o,t.ii, 1877, anal. in. MALY'sJ«/ire.s6., p. 78, t. vu, 1877.
Dosage. — On chauffe pendant deux heures à l'ébullition le liquide qui renferme l'as-
paragine avec un excès d'acide chlorhydrique concentré et on dose l'ammoniaque pro-
duite, soit au moyen de la magnésie, soit en mesurant le volume d'azote qui se dégage
au contact de l'hypobromite de sodium : une molécule d'ammoniaque correspond à une
molécule d'asparagine, l'acide aspartique n'étant pas décomposé dans ces conditions
(Voir Sachsse. Jowni. f.prakt. Chem., (2), t. vi, p. 118, Bull. Soc. Chim., t. xvni, p. 530).
Physiologie. — Rôle de l'asparagine dans la formation, la désassimilaiion et le trans-
port de l'allntmine végétale. -^ L'asparagine semble jouer un rôle important dans la syn-
thèse des albuminoïdes qui se réalise dans le protoplasme végétal au moyen des maté-
riaux inorganiques puisés dans le sol. L'ammoniaque (ou l'acide nitrique) s'unirait aux
acides organiques pour former des acides amidés : l'acide malique formerait ainsi de
l'asparagine (acide amido-aspartique), qui elle-même, se combinant ultérieurement aux
sulfates et à des substances non azotées (sucre par exemple), formerait la molécule com-
pliquée des substances albuminoïdes.
Si l'asparagine a en général dans le règne végétal la signification de matériel servant
à la construction des molécules plus compliquées, elle parait dans certains cas, au con-
traire, constituer un produit de la désassimilation des matières albuminoïdes. Schdlze et
KissER ont montré que les plantes coupées, dont on plonge les tiges dans l'eau, et que
l'on conserve dans l'obscurité, l'appauvrissent en matériaux albuminoïdes, et que la
disparition de l'albumine s'accompagne d'une production considérable d'asparagine.
E. SciiULZE et E. KissER [Landw. Versuchs. stat., t. xxxvi, t). On la considère également
comme représentant la forme soluble sous laquelle l'albumine peu diffusible est liquéfiée
dans les endroits de dépôt (cotylédons de la graine, racines, tubercules, etc.) pour être
transportée au loiii dans la plante et y servir à reconstituer l'albumine primitive. (Voir
Pfeffer, Pflanzenphysiol. ; Bo'Romj^E, Bot. Zeitung, 1878; Mûller, Landw. Versuchsst.,
1886, p. 326; E. Schulze; Z. P. Ch., t. xii, p. 403, et 1892, t. xvn, p. 193; Landwirth.
Jahr., 1880, t. vni, p. 689; 1888, t. svii, p. 683; 1891, t. xxi, p. 103.)
Transformation de l' asparagine dans l'organisme animal. — Lehma.nn avait constaté
que l'asparagine ingérée ne se retrouve pas dans les urines. Le fait fut confirmé par
HlLGËR.
HiLGER (Liebig's Amialen, t. 171, p. 208) trouva dans ses urines de l'acide succinique
et un excès d'ammoniaque, après ingestion d'une grande quantité d'asperges. Il ne put
déterminer la substance qui donne dans ce cas à l'urine son odeur désagréable bien con-
nue. Ce n'est pas l'asparagine.
RuDZKi confirma l'apparition d'acide succinique dans les urines après ingestion d'aspa-
ragine {Pet. med. Woch., 1876, n» 29, d'après Malt, t. vr, 1876, p. 37).
Von Longo (Z. P. Ch., t. i, p, 212, 1877) reprit la question et constata surlui-même
l'absence d'acide succinique et d'acide aspartique dans les urines après ingestion d'un
kilo d'asperges, après celle de 10 grammes, puis de 38 grammes d'asparagine ingérés
en 36 heures.
Von Knieriem [Z. B., t. x, p. 263, 1871 et t. xui, p. 36, 1877), expérimentant sur un petit
chien de 7 kilos auquel il faisait prendre jusqu'à 19 grammes d'asparagine par jour,
avait d'ailleurs retrouvé presque tout l'azote de l'asparagine sous forme d'urée dans les
urines. Il n'observa ni hématurie, ni action diurétique {contra Reil).
Chez le poulet, tout l'azote de l'asparagine ingérée (4s'', 61 et 4Kr,8 par jour) fut
retrouvé dans les urines, sous forme d'acide urique.
Il semble donc établi que la plus grande partie, sinon la totalité de l'asparagine
ingérée est transformée dans l'organisme en urée ou acide urique. La formation d'acide
succinique, paraît douteuse. Ajoutons que d'après G. Buf.alini {Ann. di chim. e di far-
macol., 1890, t. su, p. 199), l'excrétion du sucre diminuerait chez les diabétiques, après
l'ingestion d'asparagine ou de sel ammoniaque.
Valeur nutritive de l'asparagine. — Les nombreuses expériences de H. WEisKEet
de ses élèves; M. Schrôdt, St. von Dangel^G. Kenxepohl, B. Schulze (Z. B., t. ,xv, p. 261,
1879; t. xvn, p. 413, 1882; t. xx, p. 277, 1884), ont montré que l'asparagine possède
chez les animaux herbivores (agneaux, brebis laitières, chèvres, oies, lapins,) une valeur
728 ■ ASPHYXIE.
alimentaire. L'addition d'asparagine à une ration alimentaire pauvre en azote permet
d'y réduire encore la portion d'albuminoïdes. L'asparagine empêche la destruction
d'une partie de l'albumine alimentaire : il paraît peu probable qu'une partie de l'aspa-
ragine puisse servir à reconstituer par synthèse de l'albumine animale, comme cela a
lieu dans les tissus vége'taux.
Les recherches de N. Kdtz {A. Db., 1882, p. 424) et celles de Potthast {A. Pf., t. sxxn,
p. 280, 1883) faites chez le lapin, celles de Gabriel faites sur des rats blancs (Z. B., 1892,
t. sxix, p. 113) ont confirmé le rôle alimentaire de l'asparagine. Celles de Gbaffenber-
GER (Z. B., 1892, t. xxix), faites sur l'homme, semblent parier dans le même sens. Graf-
FE.NBERGRR a Constaté sur lui-même que les 80 p. 100 de l'azote de l'asparagine ingérée
se retrouvaient dans les urines pendant les dix premières heures. L'asparagine se com-
porte sous ce rapport comme la gélatine et la fibrine. L'auteur lui attribue en outre une
action diurétique (MuiNK également), et a constaté que l'asparagine lui occasionnait des
palpitations nerveuses. On sait que l'asparagine a été employée dans la thérapeutique des
maladies du cœur.
Au contraire J. Muxck (A. /. path. Ajiat., 1883, t. xciv, p. 436, et 1884, t. xcvni, p. 364)
a montré que chez le chien Carnivore, nourri de viande ou de viande et d'iiydrocarbonés,
avec ou sans addition d'asparagine, cette substance non seulement ne réduit pas la des-
truction organique de l'abumine, mais qu'à en juger d'après le dosage du soufre des
urines, il y a plutôt une légère (3, o à 7 p. 100) augmentation d'albumine brûlée dans
l'organisme. Voir aussi J. Konig (C. W., 1890, n" 47).
La valeur nutritive de l'asparagine serait insignifiante d'après PoLiTis(Ba!/,Acad., 1883,
p. 401, et Z. B., t, xxvin, p. 492, 1892), chez le rat blanc, et, d'après J. Mauthner (Z. B.,
t. xvni, p. o07, 1892), chez le chien. Citons encore le travail de Dario Baldi (A. B., 1893,
t. XIX, p. 2o6), Sur la valeur nutritive de l'asparagine. L'auteur à nourri un pigeon avec
une alimentation contenant de l'asparagine au lieu d'albumine. L'animal vécut
27 jours et perdit seulement 22 p. 100 de son poids. L'auteur admet que l'asparagine a
eu une influence utile sur la durée de la vie.
En résumé, la valeur alimentaire de l'asparagine, comme succédané des albuminoïdes
ou de la gélatine, paraît établie dans le cas d'une ahmentation pauvre en substances
azotées. Dans les autres cas. la valeur thermogêne de l'asparagine découle de ce fait que
l'asparagine se transforme à peu près intégralement dans l'organisme par combus-
tion en urée ou acide urique. Le calorique de combustion de l'asparagine est de
3 ol4calories; celui de l'urée de 2 342 calories. En supposant qu'une molécule d'asparagine
fournisse une molécule d'urée, il y a mise en liberté dans l'organisme de 2 338 micro-calo-
ries par gramme d'asparagine transformée, 1 gramme d'asparagine serait donc au point
de vue thermogène isodyname à 0B'',63 de glycose. L'asparagine a été considérée par
plusieurs auteurs comme légèrement diurétique. Ce point est encore controversé.
D'après Bufalini (A. jB., 1890, t. xiii, p. 82), la macération d'une solution d'aspara-
gine au contact du tissu du foie de la grenouille, des poumons, des muscles et du fer-
ment ammoniacal de l'urine, amènerait la formation de quantités notables de succinate
ammonique.
Ajoutons que l'asparagine a été employée en thérapeutique pour former une combi-
naison mercurielle soiuble employée dans le traitement de la sypiiilis (J. Neumann. Wie-
ner med. Blatter, anal. in. C'. W., 1892, p. 344).
Bibliographie. — La bibliographie des travaux de chimie pure sur l'asparagine
est donnée à l'article Asparacjine du Dictionnaire de Chimie de Wurtz, celle des travaux
de physiologie animale dans les Jahresberichte de Maly et dans J. Kônig (C. W., 1890,
n" 47), celle de physiologie végétale dans Pfeffer, Pfkmzenphysiolorjie, pour la biblio-
graphie ancienne; en grande partie dans les Jahresber. de Maly, pour la bibliographie
récente, et dans le travail de Borodine.
LÉON FREDERICQ.
ASPHYXIE. — Le mot asphyxie, d'après son étymologie grecque, signifie
absence de pouls. On pourrait donc supposer que l'asphyxie est surtout l'arrêt de la cir-
culation. Mais de fait le mol asphyxie a été peu à peu détourné de son sens primi-
tif, si bien que, dans le langage scientifique comme dans le langage usuel, asphyxie
ASPHYXIE. ' 729
veut dire arrêt de la respiration. 11 serait tout à fait oiseii.x de vouloir modiûer cette
dénomination universellement acceptée.
Ainsi l'asphy-xie, c'est l'absence de la respiration; mais, comme la respiration est
essentiellement la vie des tissus dans l'oxygène, il s'ensuit que le mot asplij-xie veut dire
absence d'oxygène. Donc on peut absolument généraliser le phénomène de l'asphyxie, et
l'étendre à tous les êtres qui pour vivre ont besoin d'oxygène.
A vrai dire il n'y a que bien peu d'êtres qui puissent vivre sans oxygène ; c'est le tout
petit groupe des microbes anaérobies. Ceux-là évidemment ne peuvent avoir d'asphyxie
à subir, puisque l'oxygène les tue au lieu de les faire vivre ; et le mot asphyxie n'a pas de
sens pour eux. Mais, à part cette exception, tous les êtres vivants peuvent être asphyxiés
si on leur supprime l'oxygène.
L'asphyxie, à proprement parler, n'est pas un phénomène physiologique ; car c'est un
processus de mort, et non de vie. Mais, comme l'étude qu'on peut en faire est fondée
presque exclusivement sur l'expérimentation; comme c'est le mode de mort le plus fré-
quent; comme enfin la respiration normale ne se peut comprendre que si l'on connaît
bien l'asphyxie, nous traiterons l'asphyxie avec autant de détails que s'il s'agissait de
physiologie normale, en faisant toutefois remarquer que les observations des médecins,
et spécialement des médecins légistes, nous ont apporté de précieux documents.
Nous devons au préalable faire une observation importante. Les tissus, et l'être lui-
même, qui est un composé de diiîérents tissus, meurent quand ils sont privés de sang
aussi bien que quand ils sont privés d'oxygène, de sorte qu'il y a une mort par anémie,
comme il y a une mort par asphyxie. Il est fort possible que le mécanisme soit dans les
deux cas à peu près le même, et qu'un tissu, quand il meurt par défaut de sang oxygéné,
meure, en somme, de la même manière que quand il est privé de sang. Ainsi, en fin de
compte, c'est toujours la privation d'oxygène qui, dans l'anémie cooime dans l'asphyxie,
entraîne la mort. Mais, si essentiellement le phénomène est identique, les symptômes et la
marche dilfèrent assez pour qu'on ait le droit de dissocier l'anémie et l'asphyxie. Quand
on enlève le cœur d'une grenouille, elle meurt au bout d'une heure environ par anémie;
mais, si on la plonge dans un gaz irrespirable comme l'hydrogène, elle ne mourra qu'au
bout de plusieurs heures. L'anémie est donc, si l'on veut, en dernière analyse, de l'as-
phyxie ; mais c'est une asphyxie si soudaine et si spéciale, qu'il vaut mieux traiter à part
les phénomènes de l'anémie ^Voy. Anémie, p. 492). Sans qu'il soit besoin d'insister, on
comprendra qu'il est impossible de confondre ces deux genres de mort, tout en i-econ-
naissant qu'ils relèvent de la même cause essentielle.
Puisque les tissus vivent dans l'oxygène, il est clair que chaque tissu peut être isolément
asphyxié, et que l'on devrait distinguer les asphyxies de chaque tissu. Le muscle, le
nerf, la cellule glandulaire subissent, chacun à sa manière, les efl'ets de la privation
d'ox3''gène, de sorte qu'il y a une asphyxie pour le muscle, ou le nerf, ou la cellule
glandulaire. La respiration élémentaire, fonction propre à chaque tissu vivant, comporte
donc aussi une asphyxie élémentaire qui mériterait une étude spéciale.
Mais cette étude spéciale a été faite à l'article Anémie, si bien qu'il est inutile d'y
revenir; et nous ne traiterons que l'asphyxie de l'être total, non l'asphyxie difl'érentielle
de chacun des tissus qui le composent. A vrai dire, comme ce qui constitue l'être, c'est le
système nerveux régulateur et coordinateur, l'asphyxie de l'être total, c'est l'asphyxie de
son système nerveux.
Nous verrons d'ailleurs par la suite que tous les éléments du système nerveux ne
subissent pas en même temps les effets de l'asphyxie.
Historique. — Avant Lavoisier, on ne pouvait évidemment rien savoir de précis sur
l'asphyxie. Ce grand homme, le vrai créateur de la physiologie, en nous faisant con-
naître la composition de l'air et la nature du phénomène de la respiration, nous a du
même coup appris la cause de l'asphyxie; car les idées des anciens physiologistes sur
ce sujet étaient aussi absurdes que leur idées sur la fonction respiratoire. Néanmoins
LàvoisiER ne s'est pas occupé spécialement de l'asphyxie, et ce n'est qu'indirectement que
son nom se trouve mêlé à l'historique de l'asphyxie.
.\u contraire Bichat a fait sur l'asphyxie toute une série d'expériences mémorables et
exactes. Haller, et surtout le médecin anglais Goodwix, avaient supposé que la mort par
l'asphyxie était due à l'arrêt de la circulation du sang dans les poumons, et par consé-
T30 ASPHYXIE.
quent à l'accumulation du sang dans le cœur. Cette opinion était confirmée par ce fait
d'observation vulgaire que, chez les individus asphyxiés, le cœur est gorgé de sang noir,
et énormément distendu par ce sang accumulé. Or Bichat a pu démontrer que pendant
l'asphyxie la circulation du sang continue : le sang continue à couler dans les artères;
mais c'est un sang noir, et par conséquent, d'après Bichat, impropre à la vie.
En même temps que Bichat, Spallanzam, dans d'admirables expériences, prouvait que
certains animaux, les animaux à sang froid et les animaux hibernants, peuvent sup-
porter la privation d'oxygène beaucoup plus longtemps que les autres, et que cette résis-
tance à l'asphyxie est due, au moins en partie, à ce qu'ils consomment moins d'oxygène.
Puis sont venues les belles expériences de William Edwards qui a consigné dans un
livre excellent et qu'il faut toujours relire — Influence des agents physiques sur la vie —
le résultat de ses nombreuses et ingénieuses expérimentations (182d!.
Enfin les recherches des physiologistes plus modernes, parmi lesquels eu première
ligne il faut citer Pacl Bert, ont apporté beaucoup de faits nouveaux et intéressants,
mais non pas essentiels, puisque aussi bien Bichat, Spallaxzaxi, et W. Edwards avaient
vu à peu près tout ce cpi'il y a de fondamental dans l'asphyxie.
Nous distinguerons l'asphyxie aiijuè et l'asphyxie lente.
Asphyxie aiguë. — Mécanisme de Tasphyxie aiguë. — Les causes de l'asphyxie
aiguë peuvent être multiples.
A. — Le milieu extérieur devient irrespirable, par suite de l'absence d'oxygène libre.
C'estle cas de la submersion; le cas d'un animal introduit dans une cloche contenant
un gaz inerte, comme l'azote, l'hydrogène, ou le gaz d'éclairage, ou encore d'un animal
placé dans le vide pneumatique, ou d'un poisson que l'on met dans de l'eau privée d'air.
B. — Les voies aériennes sont oblitérées. L'occlusion peut porter sur la trachée, comme,
par exemple, dans la strangulation ou la pendaison. Quelquefois la trachée est fer-
mée par une ligature, dans un but expérimental. Quelquefois c'est un corps étranger
qui pénètre dans le larynx, et de là dans les bronches rupture d'un abcès dans les bron-
ches). Tantôt ce sont des membranes diphtéritiques qui oblitèrent le larynx, et inter-
ceptent le passage de l'air. Ou bien encore c'est la section des récurrents ou des vagues
qui, chez les jeunes animaux, par exemple, détermine la mort par paralysie des cordes
vocales.
Ou bien, il y a un obstacle mécanique à l'inspiration ou à l'expiration, par exemple
quand on fait respirer un animal à travers une soupape de Muller, où la hauteur de la
colonne mercurielle interposée, soit à l'expiration, soit à. l'inspiration, dépasse 10 centi-
mètres de mercure. Plus rarement ce sont les premières voies aériennes qui sont oblité-
rées, comme après la section des deux nerfs faciaux chez le cheval. Enfin il peut y avoir
une contracture des cordes vocales (spasme de la glotte), ou de l'œdème de la glotte, ou
encore une compression des nerfs du larynx entraînant la paralysie des cordes vocales
ou leur spasme; les tumeurs du cou déterminent la mort par ce procédé plutôt que par
la compression même de la trachée: car dans ce cas il y a une lente asphyxie.
C. — La respiration est suspendue par suite d'un défaut d'innervation. Par suite de la
multiplicité des nerfs inspirateurs, la section d'un ou de plusieurs nerfs ne suffit pas pour
empêcher la respiration. Même quand les fréniques ont été coupés, l'inspiration peut
encore s'effectuer; mais le centre respirateur peut être atteint par un traumatisme. Les
chiens dont on pique le bulbe meurent d'asphyxie; les lapins à qui on donne un coup
sur la nuque fcoup du lapin) meurent asphyxiés par suite de la déchirure du bulbe
qui entraine la paralysie du centre respiratoire.
La paralysie dans ce cas peut être due à une action réflexe inhibitoire. On a signalé
des morts subites dues à la compression violente du larynx, ou à un coup sur l'épigastre,
ou à une violente commotion cérébrale: mais il est permis de douter que ce soit là de
l'asphyxie véiitable; car la mort est plus rapide que ne le comporterait une asphyxie
vraie, se déroulant avec toutes ses périodes régulières. Il s'agit plutôt, comme l'admet
Beown-Séqcard, d'un arrêt des échanges, ou d'une sorte de sidération du nœud
vital, comme Pacl Bert penche à l'admettre, en voyant mourir subitement des animaux
dont il excite vigoureusement par l'électricité le pneumogastrique (bout central) [Leçons
sur la respiration, 1870, p. 484).
Enfin le centre nerveux inspirateur peut être paralysé par des substances toxiques
ASPHYXIE. 731
et eu particulier par les anestliésiques. Quand on a empoisonné un chien ou un lapin par
une forte dose de cliloral, on voit souvent le cœur continuer à battre, alors que la respi-
ration a cessé. Si l'on ne fait pas la respiration artificielle, l'asphyxie finira par survenir,
sans que les mouvements respiratoires spontanés aient reparu. C'est ce qu'on a souvent,
assez mal à propos, appelé la syncope reqjiiatoire: mais cette syncope respiratoire n'est
pas dangereuse, si l'attention du médecin ou du physiologiste est en éveil; car elle ne
persiste jamais très longtemps, et, tant que le cœur bat, il n'y a pas de danger réel
pour la vie de l'animal.
Aussi, dans les cas de mort par le chloroforme, ne doit-on pas incriminer l'asphyxie.
Sauf le cas de faute lourde du chirurgien, il ne peut y avoir de mort que par la syncope.
La syncope tue immédiatement, sans retour possible à la vie, tandis que ia mort par
asphyxie est toujours longue, et plus longue encore chez les individus chloroformés que
chez les autres, de sorte qu'il est difficile d'admettre qu'un chirurgien laisse pendant
huit à dix minutes son malade asphyxier, sans songer à regarder comment se font les
inspirations.
D. — La respiration est suspendue par suite de la paralysie ou de la contracture des mus-
cles respirateurs. — C'est le cas du curare qui paralyse les terminaisons motrices des nerfs
dans les muscles, ou de la strychnine qui détermine la contraction tétanique de tous les
muscles ; dans un cas comme dans l'autre, la respiration artificielle empêche la mort. Le
tétanos traumatiqne peut tuer aussi par la contracture des muscles inspirateurs.
E. — Le sang est empoisonné de manière à ne plus pouvoir fixer l'oxygène. — C'est le
cas de l'erapoisonuement par l'oxyde de carbone qui a été si merveilleusement analysé par
Claude Bernard. La circulation est intacte: les voies aériennes sont libres: les mouve-
ments respiratoires continuent à se faire, et le milieu extérieur n'a pas changé: mais le
sang ne peut plus absorber de l'oxygène et le porter aux tissus. Aussi la mort par l'oxyde
de carbone et par quelques autres gaz, dont l'étude toxicologique est moins bien faite,
est-elle en somme une Traie asphyxie (asph^-sie toxique''.
Évidemment ces diverses formes d'asphyxie ne peuvent s'observer que chez les ani-
maux supérieurs, possédant un appareil respiratoire compliqué. Chez les animaux ou
végétaux qui ne respirent que par diffusion et qui sont dépourvus d'organes respira-
toires proprement dits, l'asphyxie ne peut être produite que par la suppression de l'oxy-
gène ambiant; et, même chez les animaux pour\-us de poumons, ou de branchies, quand
la peau est nue, une respiration cutanée, encore assez active, intervient, qui permet la
continuation de la vie, malgré la suppression complète des organes respiratoires.
Durée de l'asphyxie chez l'homme. — La durée de l'asphyxie, c'est le temps qui
s'écoule entre le moment où commence la privation d'oxygène et le moment même de
la mort. Rien de plus important que la détermination exacte de cette durée pour le
médecin comme pour le physiologiste. Mais une pareille précision est impossible à
obtenir, par cette simple raison que le moment même de la mort ne peut être défini.
La physiologie générale nous apprend que les divers tissus, dont l'être est composé,
possèdent chacun leur autonomie, et que, lorsque la même cause de mort ou de destruc-
tion, par exemple la privation d'oxygène, vient à agir sur eux, ils restent encore vivants
pendant un temps variable pour chaque tissu. Le cerveau mourra avant le bulbe, et la
moelle avant le cœur. Alors quand dira-l-on que l'individu est mort?
On pourrait difficilement adopter pour la mort de l'individu le moment de la mort
de la conscience; car la conscience se dissout très vite, et, dès que le cerveau n'est plus
traversé par du sang bien arterialisé, la conscience disparaît, cependant que l'individu
continue à respirer, à se mouvoir, et garde les apparences de la vie. Quelques bouffées
d'air pur vont faire reparaître la conscience; c'était l'anéantissement passager, et non
définitif, de l'intelligence, et le sommeil plutôt que la mort.
Dirons-nous alors que la mort survient quand tout mouvement a cessé, et qu'il n'y a
plus ni réflexe, ni respiration? Ce serait, à ce qu'il me semble, une conclusion assez
téméraire; car, si le cœur est animé encore de quelques battements, la vie peut repa-
raître, dès qu'on pratique la respiration artificielle. Certes, si l'individu est abandonné
à lui-même, la mort survient fatalement; mais ce n'est pas une raison pour dire qu'il
est mort. Il va mourir, si on ne le secourt pas. mais il n'est pas mort, puisque, si on le
732 ASPHYXIE.
secourt, le cœur se remettra à battre avec force, la respiration reviendra et la conscience
aussi.
On serait donc tenté de dire que le moment de la mort, c'est le moment où le cœur a
cessé de battre; mais ce serait encore une détermination imparfaite; car d'une part on
n'est jamais bien certain que le cœur ne bat plus. Dans la pratique des médecins comme
dans celle des physiologistes, rien n'est plus délicat que de faire cette aflirmatiou. Des
mouvements de l'oreillette peuvent faire croire à une systole ventriculaire, et les mouve-
ments des ventricules sont parfois assez peu marqués pour qu'on ne puisse les apprécier.
Quelquefois même les ventricules ont des frémissements qui peuvent faire croire à la
vie, et qui ne sont en réalité que des frémissements agoniques. D'autre part il y a des
cas, relativement assez nombreux, oti, le cœur s'étant arrêté, la respiration artificielle a
pu ranimer ses battements. Cela se voit admirablement sur les animaux refroidis, en
particulier les lapins, dont le cœur cesse parfois de battre pendant une demi-heure pour
reprendre parle fait de la respiration artificielle.
Cependant, comme en pareille matière il faut adopter une solution, même si elle
n'est pas irréprochable, je serais tenté d'admettre comme étant le vrai moment de la
mort Varrét définitif du cœur, et je dirais que (sauf l'exception des animaux refroidis),
l'arrêt est définitif çiuand il s'est prolongé pendant plus d'une minute.
Ce n'est pas d'ailleurs une simple curiosité phj'Siologique que cette détermination
du moment de la mort. Il y a en médecine légale nombre de cas bien intéressants, où le
médecin a été appelé à se prononcer sur le moment même de la mort dans des cas d'as-
phyxie. A l'article Submersion du Dictionnaire encyclopcdic/ue on trouvera l'exposé de
l'affaire Rivoire, et de l'affaire de la pointe de Penmark. Dans l'un et l'autre de ces cas
il y avait de gros intérêts engagés, il s'agissait de savoir à qui reviendrait la fortune
considérable du premier survivant.
La question se posait ainsi pour l'expert : deux personnes étant asphyxiées en même
temps, quelle est celle qui est morte la première? Les raisons qu'on a données pour affir-
mer la survie de telle ou telle ne sont peut-être pas satisfaisantes, et, pour nôtre part,
nous nous rallierons volontiers à l'opinion de Bbouabdel qui, à propos du crime de
Pranzini, disait : Mieux vaut dire à temps devant le juge d'instruction « je ne sais pas »
que d'être obligé de dire plus tard devant le jury « je ne savais pas ».
Durée de l'asphyxie chez rhomme. — Dans son admirable ouvrage : Elementa
physiûlofjix, t. 111, 1. viii, §xix, p. 260, Haller s'exprime ainsi : n Si alla' historia; exstant
hominum qui suscitati fuerunt cuni sub aqua fuissent lo minutis, et 20 et 22 et 23 et 30,
et hora, et novem horis, et 16 et 42 et 40 horis, et aliis teniporibus etiam longioribus, si
de natatorum legimus qui 13 et 30 minutis, et quatuor horis, et integrum diem, et triduum
sub aquis edurarunt, eœ hislorife partim ab ignaris hominibus, nequc ad observandam
minutius rerum curam adhibentibus profectae sparguntur, partim ad alias causas perti-
nent. » Nous devons évidemment imiter la réserve de Haller, et même être plus réservés
encore, ce qui nous fera considérer comme apocryphes les récits de survie piolongée
sous l'eau.
Disons-le tout de suite. En général, les individus qui se noient meurent au bout de
deux ou trois minutes tout au plus; c'est là, comme on le verra tout à l'heure, le terme
moyen, mais, tout en étant sceptique, il est difficile de se reiuser ;i admettre des survies
bien plus prolongées; même si l'on refuse l'authenticité au fait (cité par Tourdes, article
Submersion du Dictionnaire encyclopédique) Ae Pouteau, qui aurait observé, en 1749, un
noyé revenu à la vie après trois heures de séjour sous l'eau. Ainsi, pour citer les prin-
cipaux cas de survie prolongée. Bourgeois (Arch. de méd., t. xx, p. 220) rapporte un
cas de retour à la vie après 20 minutes de submersion. Pope {Laiicet, oct. 1881, p. 603)
raconte l'histoire d'un individu qui resta sous l'eau pendant 12 à 13 minutes et fut
ranimé. Dans Index Catalogue (articles Asphyxia [Trcatmemt of] et Drowning), nous
trouvons les cas suivants dont les titres sont suffisamment explicites pour ne pas néces-
siter de plus longues descriptions : Bourre. Resuseitation of a child after ten minutes of
total submersion in water. — Douglass (1842). Recovcry after fourteenminides submersion. —
Laur. Retour à la vie après I o minutes d'immersion (1868). — Povall. Successful resuseitation
after suspen.ded animation by submersion for 23 minutes (1829). — Smeet. Retour à la vie
après 10 minutes d'immersion et mort apparente (1840). — Damoiseau [^TJnion médicale,
ASPHYXIE. 733
1872, p. 293) parle d'un individu qui resta dix minutes au fond de l'eau et put être
ranimé. Il attribue sa résurrection à la violente contracture des mâchoires qui aurait
empêché l'eau de pénétrer. Mais vraiment cette explication est assez peu satisl'aisanle ;
car la contracture des mâchoires n'empêche pas les fosses nasales d'être perméables.
Il ne faut, ce me semble, accepter ces faits qu'avec les plus expresses réserves; et
cela pour deux raisons principales. D'abord à cause de la mesure très imparfaite du temps.
Quand quelqu'un est tombé ji l'eau, la terreur et l'émotion des assistants ne permettent
guère une juste appréciation de la durée du temps qui s'écoule. Souvent, en faisant sur
des chiens quelque expérience d'asphyxie, j'étais surpris de la lenteur avec laquelle le
temps semblait marcher, si bien que, si je n'avais mesuré le temps avec une montre à
secondes, j'aurais commis les plus grosses erreurs dans l'appréciation de la durée du
temps écoulé, et tous les assistants se trompaient comme moi. D'autre part est-on
jamais assuré que l'individu, dans les efforts qu'il fait pour se sauver, n'est pas, au moins
pendant un temps très court, remonté à la surface de l'eau pour aspirer quelques bouf-
fées d'air? Même dans les expériences physiologiques, où cependant cette erreur peut
facilement être évitée, je vois qu'on a noté que l'animal est revenu à la surface, et mal-
gré cela on commet la faute de compter comme valable tout le temps écoulé depuis le
début de l'asphyxie, par exemple dans le très bon travail de Lecoquil (fl. P., 1893).
Nous admettrons difficilement que chez l'homme la submersion puisse être prolongée
plus longtemps que chez le chien. Le contraire serait plutôt vrai, car, tout compte fait,
l'homme est plus sensible que le chien. Or, chez le chien, la physiologie expérimentale
nous apprend que la mort survient fal^alement quand la submersion dépasse deux mi-
nutes; nous tendrons donc à considérer cette limite comme exacte aussi pour l'homme,,
d'autant plus que les cas de mort après une immersion d'une minute ou une minute et
demie sont très fréquents. Wolley, médecin de la Société humaine de Londres, qui a
secouru un grand nombre de noyés, exagère probablement dans un sens favorable en
disant qu'on ne peut espérer sauver un noyé quand il a séjourné plus de trois minutes
et quelques secondes dans l'eau.
Mais, si cette durée de trois minutes est trop longue au point de vue ph3'siologique,
elle est beaucoup trop courte au point de vue médical. .le veux dire par là que, même
après un long séjour sous l'eau, un n'a pas le droit de se décourager et de cesser de secourir
le noyé. Il faut espérer, contre toute espérance, pratiquer sans se lasser une respiration
artificielle énergique. Dans le doute il faut agir, et non s'abstenir, suivant un axiome
très absurde. Après tout il est certain que le contact de l'eau froide provoque parfois
une syncope (|ui suspend la respiration et les échanges, empêche par conséquent l'eau
de pénétrer dans les poumons, et préserve ainsi de la mort rapide. On sait qu'on a dis-
tingué les noyés blancs (syncope cardiaque) qui réchappent parfois, des no3'ès bleus qui
ne peuvent être ranimés.
La mort par la pendaison est aussi une mort due exclusivement à l'asphyxie. Des
expériences de ConT.\GNE et surtout de Tamassia, ont bien montré que, si la trachée
était exceptée du lien qui sert à la pendaison, la mort ne survenait que très lentement,
et inversement, qu'en exceptant du lien constricteur les vaisseaux du cou, et en prenant
simplement la trachée, on obtenait une mort tout aussi rapide.
De même les lésions de la moelle sont extrêmement rares dans la pendaison; la
mort relève donc uniquement de l'asphyxie. Mais cette asphyxie n'est pas toujours com-
plète; car il est fort possible qu'une petite quantité d'air passe encore par la trachée
incomplètement comprimée.
Cela explique bien comment, dans quelques cas, la mort a été notalalement retardée.
On en trouvera des cas intéressants dans l'excellent article. Pendaison [de Tourdes
{Dictionnaire enmjclopédique, t. xxii, p. 477). Le récit le plus curieux est assurément celui du
pendu de Bloomfield, en Amérique, qui, au bout de dix minutes de suspension, paraît tout
à fait mort. Après 14 minutes on le détache et on le remet aux médecins qui ne constatent
plus de battements cardiaques. La respiration artificielle est alors pratiquée, mais sans
résultats. Alors un courant électrique est appliqué aux nerfs pneumogastriques. Quel-
ques signes de respiration spontanée apparaissent. Mais le shériff s'interpose, et les
expériences sont interrompues. Une heure après la pendaison les médecins les repren-
nent, et le cœur recommence à battre. Alors de nouveau le shérifï intervient et emporte
734 ASPHYXIE.
les rhéophores. Une demi-heure se passe encore, et au bout de ce temps de nouveau les
médecins se remettent à essayer de ranimer le pendu. Ils 3' réussissent si bien que le
pouls reparait, les paupières se rouvrent, et l'individu revient à la vie. 11 meurt pour-
tant le lendemain, après lo heures de survie.
A côté de ces cas de survie prolongée, qui sont extrêmement rares, les cas de mort
très rapide ont été observés, et assez souvent. Esquirol rapporte l'histoire d'un aliéné
qu'on vit de loin s'accrocher à une fenêtre. Les témoins étaient dans la cour, et ils mon-
tèrent à la hâle, comme bien on pense. Pourtant ils arrivèrent trop tard, et le malheu-
reux était mort. En tout cas, ce qui est remarquable dans la mort par pendaison, c'est la
rapidité avec laquelle l'individu pendu perd la conscience. Au bout d'une demi-minute,
et parfois même au bout d'un quart de minute, il a perdu connaissance, et cependant
les mouvements réflexes persistent pendant 2 ou 3 minutes encore. Fleisciimann, qui
a essayé sur lui-même les effets de la suspension, aurait certainement couru quelques
dangers s'il n'avait été promptement détaché par la personne qui était à côté de lui.
On a d'ailleurs fait remarquer qu'il n'est pas d'exemple de pendu s'étant détaché lui-
même.
L'étude expérimentale de la pendaison et de la submersion, faites sur les animaux,
donne des résultats plus précis que les observations faites sur l'homme. On verra plus
loin quelles conclusions elles comportent. Mais sur l'homme l'e.'samen des plongeurs et
des apnées volontaires donne des indications assez utiles.
D'abord on sait que, dans certains exercices de cirque, des acrobates, hommes ou
femmes, entrent dans des cuves pleines d'eau et y séjournent pendant un assez long
temps. Ce temps paraît fort long, grâce à la multiplicité des exercices accomplis; mais,
quand on regarde l'heure à la montre, on constate que ce temps de submersion est
moins long que celui qui est indiqué sur l'affiche, et, si la durée est de trois minutes,
c'est déjà fort long. Les récits de plongeurs restant sous l'eau pendant dix minutes sont
des récits fabuleux, et, au dire des témoins sérieux, les meilleurs plongeurs ne peuvent
rester plus de trois minutes sous l'eau. Lacassagne {Arch. d'Aiithr. crim.) raconte l'his-
toire du capitaine James qui pouvait demeurer sous l'eau probablement plus longtemps
que tout autre individu, et pourtant il n'a jamais pu y rester plus que quatre minutes
et 14 secondes. Encore, par suite d'un mécanisme particulier, que je ne saurais décrire
ici, pouvail-il emmagasiner dans son œsophage une certaine quantité d'air.
Il parait même qu'un prix de 5 000 francs avait été proposé à Londres pour le plon-
geur capable de rester o minutes sous l'eau, et que le capitaine James ne put le gagner.
On peut facilement étudier sur soi-même dans quelles conditions et combien de temps
la respiration peut être suspendue. Pour cela on se met en état d'apnée, c'est-à-dire
qu'on fait une énergique et prolongée ventilation. Avec un peu d'exercice, on arrive
bientôt à être assez habile dans cette mécanique respiratoire. On fait une série de
grandes et de petites respirations très rapides, assez pour déterminer par l'effet de ces
inspirations répétées une vraie anémie cérébrale de cause mécanique; les éblouissements
et les vertiges qu'on observe alors sur soi n'ont rien de pénible ni de dangereux. Quand
l'état d'apnée est ainsi obtenu, on cesse de respirer, on ferme légèrement les narines
avec la main, et on tient la bouche fermée. Je suppose qu'on a devant soi une montre à
secondes qui marque les temps. Surtout il faut s'asseoir commodément, de manière à
pouvoir demeurer, pendant le temps de l'expérience, tout à fait immobile; car le
moindre mouvement diminue énormément la durée de l'apnée. J'ai souvent fait cette
simple expérience, et je suis arrivé à pouvoir ainsi rester au maximum 2 minutes
13 secondes, sans éprouver de gêne; mais à la rigueur j'aurais pu encore rester
lo secondes de plus sans respirer : ces 15 secondes d'ailleurs sont trop pénibles pour
qu'on veuille pousser l'expérience jusque-là, et il faut s'arrêler dès que la gêne et
l'angoisse commencent.
Cette durée de 2 minutes 30 secondes est bien en rapport avec la quantité d'oxygène
dissous dans le sang, ainsi qu'un simple calcul va le montrer.
Un homme de 70 kilogrammes a à peu près 5400 grammes de sang, et ce sang arté-
riel, d'après de très nombreuses analyses citées par Vieroriit [Daten und Tabellcn,
1888, p. 115) contient 18 p. 100 d'oxygène. Par conséquent, il y a dans le sang d'un homme
de 70 kil., en supposant que tout son sang est aussi oxygéné que le sang artériel, par
ASPHYXIE.
733
suite des respirations fréquentes longtemps continuées, une réserve de 972 centimètres
cubes d'os.ygèue. A ce chiffre il faut ajouter la quantité d'oxygène qui est dans l'air
inspiré, soit, en supposant une très grande inspiration, 4000 centimètres cubes d'air,
c'est-à-dire 800 centimètres cubes d'oxj'gène. Mais ces _800 centimètres cubes ne peuvent
être jamais entièrement consommés, et l'expérience prouve que nous ne pouvons utili-
ser, et cela dans les meilleures conditions, que 8 p. 100 en oxygène de l'air intra-pulmo-
naire. Or, en supposant cela, c'est une provision de 320 centimètres cubes utilisable, que
nous avons dans le poumon, après une inspiration de 4 litres d'air. En additionnant ces
320 centimètres cubes aux 972 centimètres cubes du sang cela nons donne un total de
J292 centimètres cubes d'oxygène dont nous pouvons disposer dans ces conditions
d'apnée expérimentale.
Venons maintenant à la consommation d'oxygène; elle est, d'après les auteurs auto-
risés, en moyenne, de 380 centimètres cubes par kilogramme et par heure, ce qui fait,
pour un homme de 70 kil., 440 centimètres cubes parminute.
Ce chiffre, étant multiplié par 2 minutes 30 secondes, temps que dure l'apnée la plus
prolongée qu'on puisse vraisemblablement supporter, nous donne MOO centimètres cubes,
chiffre qui se rapproche beaucoup de la réserve de 1292 centimètres cubes qui est dans
les poumons et dans le sang. Il ne reste eu somme que 192 centimètres cubes; c'est-
à-dire de quoi supporter une prolongation d'asphjxie d'une demi-minute à peine.
Durée de l'asphyxie chez les animaux à sang chaud. — A. Chiens. — Nous avons
de nombreux documents, et principalement les expériences du Comité de Londres,
rapportées intégralement par Tardieu (Annales d'Hygiène, 1863, t. xix, p. 312-360). Dans
0 expériences, l'occlusion de la trachée ayant été faite complètement, la cessation des
mouvements respiratoires eut lieu, en moyemie, après 4'.5", avec un maximum de
4'40" et un minimum de 3'30". Le cœur cessa de battre après 7'H", en moyenne; avec
un maximum de 7'4o", et un minimum de C'2.';". On doit donc admettre, en chili'res
ronds, 4' pour la fm des respirations et 7' pour la mort du cœur.
Il était important de rechercher au bout de combien de temps l'asphyxie est irrémé-
diable sans respiration ai'tificielle. Les savants expérimentateurs du Comité de Londres
ont constaté dans o expériences que la vie revenait après des asphyxies durant 2', 3'o",
3'3o" et 3'oO". Au contraire, après une occlusion trachéale de 4'10", le retour à la vie, par
la respiration spontanée, fut impossible.
La submersion détermine une' mort bien plus prompte que l'occlusion trachéale, et
surtout elle se fait dans des conditions telles que le retour à la vie est impossible. Ainsi
dans dix expériences du Comité de Londres, des chiens furent mintenus sous l'eau 2'.
1. Quelques chiflres de statistique prouveront que, pour les accideats comme pour les suicides,
l'asphyxie est le genre de mort le plus fréquent.
Les chifl'res sont empruntés'à l'article de Tourdes.
a>;nées.
SUBMERSION
ACC1DE>."TKLLE.
SUBMERSION
VOLOKTAIRE.
PENDAISON.
TOTAL.
1875
4 366
IGIO
2 439
8413
1876
S 689
1681
2 519
9 889
1877
3120
1^36
2488
6 844
1878
3162
1293
2 808
7 263
1879
4 071
1342
2838
8 271
1880
3781
1937
2774
8 492
1881
3 942
1934
2 908
8 784
Ils se rapportent aux années 1873 à 1881.
Ainsi, sur 3300 suicides, chiffre moyen annuel des suicides en France, il yen a environ 4 300 qui
s'e.lectuent par l'asphyxie, soit 80p. 100; et, sur 1400 morts accidentelles, la submersion compte
pour 400, c'est-à-dire qu'elle représente à peu prés 30 p. 100.
736 ASPHYXIE.
Ils moururent tous, sans exception. La mort est aussi survenue après des submersions de
i'4o", 1'30", i'30", l'30". Mais il y a eu survie après submersion de 1' et l'Iîi", P. Bert
a vu chez un chien la mort après submersion de i'20", et la survie après l'iO". Pour ma
part, j'ai constaté la mort après submersion de l'4o"et, dans un autre cas, la survie après
submersion de t'30". Encore cette survie n'a-t-elle pas été définitive; car le chien ainsi
submergé est mort le lendemain.
En réunissant ces données diverses, nous voyons que,, si la . mort par l'occlusion
trachéale a lieu au bout de 4', la mort par submersion a lieu au bout de 1 '30".
Ces expériences, faites sur les animaux dans des conditions de parfaite rigueur scien-
tifique, sont plus précises que les observations faites sur l'homme, de sorte que nous
pouvons admettre pour l'homme les chiffres analogues pour l'asphyxie.
La cause de cette énorme différence entre la mort par submersion et la mort par
occlusion de la trachée n'est pas difficile à comprendre. Elle est due évidemment à un
phénomène constant dans l'asphyxie par submersion, à savoir l'entrée de l'eau par
les poumons. P. Bert a vu qu'un chien de 10 kilos peut aspirer jusqu'à 1 kilo d'eau,
ce qui est une quantité probablement bien supérieure à ce que peut absorber la muqueuse
pulmonaire, malgré toute sa puissance résorbante. Brou^rdel et Loye, dans une élude
approfondie de la mort par submersion (A. P., 1889, pp. 408 et .578) ont montré que
cette absorption d'eau (souvent considérable, 420 centimètres cubes pour un chien
de 5 kil. et 780 centimètres cubes pour un chien de la kil.) avait lieu presque toujours
à la fin de la première minute et au commencement de la deuxième minute de submer-
sion. C'est à ce moment que l'animal rejette l'air qui était dans le poumon. Or on com-
prend que d'abord il se prive ainsi d'une certaine réserve d'oxygène intra-pulmonaire,
mais surtout il introduit dans l'arbre aérien, et cela jusqu'aux dernières ramifications
bronchiques, de l'eau irrespirable, qui fait obstacle à l'hématose, et empêche les respira-
tions qu'il peut faire encore d'être efficaces.
Ce qui prouve bien que la mort si rapide par la submersion est due à la pénétration
de l'eau dans les poumons, c'est que, si l'on fait au préalable la ligature de la trachée, et
qu'on submerge un chien à trachée ligaturée, de telle sorte qu'il subit tous les effets de
la submersion, sauf l'introduction d'eau dans le poumon, il peut alors supporter une
longue submersion, .l'ai ramené sans peine à la vie un chien dont la trachée avait été
liée, et qui était resté sous l'eau pendant 3'30". Des expériences analogues, peut-être
moins probantes, ont été faites par le comité de Londres sur des chiens chloroformés.
Si le retour à la vie est possible spontanément sans respiration artificielle après
4 minutes d'asphyxie, ce temps est bien plus prolongé si on essaye de ranimer l'animal
par la respiration artificielle. Les expérimentateurs du Comité de Londres ont pu, par
l'insufflation, ranimer un chien après asphyxie de 4' 50", un autre après K'2S"; mais la
respiration artificielle échoua quand elle fut pratiquée après fi' 50", et 6'10". Toutefois,
autant que j'en puis juger par les expériences que j'ai faites, le chiffre de 6' me paraît
compatible avec un retour possible à la vie par la respiration artificielle. Piot (D. P.,
1882) a ramené à la vie des chiens après asphyxie de 8', de 8', de 6', de 7'.
Il faut considérer évidemment comme erronée l'expérience (unique) de Gerue {Redi.
sur les lois de la circul. pulm., 1 vol. in-S°, Masson, Paris, 1895), d'après laquelle un chien
trachéotomisé (p. 271) put vivre une demi-heure en ne respirant que de l'azote. 11 est
évident que ce soi-disant azote était de l'air plus ou moins pauvre en oyygène. Il a cher-
ché inutilement à ressusciter la théorie de la mort par arrêt de la circulation pulmo-
naire.
Nous verrons tout à l'heure que dans certaines conditions la durée de l'asphyxie peut
être encore bien plus prolongée. Il nous suffit d'établir que, dans les conditions ordi-
naires, chez le chifin, la durée de l'asphyxie est de six à sept à huit minutes, et qu'au
bout de ce temps la respiration artificielle peut le ranimer.
Certains phénomènes interviennent qui modifient beaucoup la durée de l'asphyxie.
D'abord les mouvements de l'animal. Si en effet on prend un chien vigoureux, se débat-
tant énergiquement, il est clair que ses efforts musculaires, épuisant la réserve d'oxygène
qui est dans son sang, vont contribuer à hâter sa fin. Un chien profondément anes-
thésié, et qui ne se débat pas, résistera longtemps à l'asphyxie, alors que les chiens qui
s'agitent meurent bien plus vite. Sur les lapins, j'ai souvent montré dans mes cours le
ASPHYXIE. 737
lapin strychnisé qui meurt d'aspliyxie, moins de deux minutes après lijrnlni-e de la
trachée, tandis que le lapin chloralisé ne meurt qu'au bout de trois à cinq minutes,
toutes autres conditions étant les mêmes.
d;ct. de physiologie. — tome i.
738
ASPHYXIE.
Mais, de toutes les iiilluences, celle qui paraît être la pins importante, pour modifier
la durée des phénomènes asphyxiques,
" ~ -1 c'est la température. J'ai fait à cet effet
J I « une série d'expériences méthodiques, qui
g 1 .2 permettent de préciser tant soit peu la
^ °- S durée de la vie après ligature de la trachée
■= - S (La mort du cœur dans l'asphyxie. A. P.
|ëd 1894, pp. 654-668).
I ^.i; Je n'ai jamais vu survivre un chien à une
S'S'Z occlusion de plus de 16'; mais, dans un cas,
»J=° un chien refroidi à 2b° ne mourut pas,
"Sjs après qu'on lui eut oblitéré la trachée
2 '=•'.! H pendant 16'.
>. g,f J A 29°, la mort survient après 13', et on
^ £ s .2 peut souvent conserver des chiens ayant
^2'^'^ vécu 13' et 14'; à 33" la durée de la vie
S ij S £ n'est plus que de 11'. Bien entendu, il y
t- ""c^ a toujours des variations individuelles assez
s £ g S considérables.
4 .B ° s D'ailleurs de vraies difficultés se présen-
ta ^ " § tent pour déterminer le moment de la mort
5 !B I -^ définitive. En premier lieu, on ne peut
'".if guère faire servir le même chien plus de
2 ,i rt I deux ou trois fois, non par raison d'huma-
= - ?»^ nité, puisqu'il s'agit d'animaux chloro-
P »; ^"~ formés, ou, dans mes expériences, chlora-
'^.Bs'Z losés jusqu'à insensibilité complète par
!E f â'^ une dose moyenne de 0,13 de chloralose
£ o " S P'^'' kilogramme, mais parce que chaque
1. D § .J période d'asphyxie épuise l'animal de ma-
g = ,| ^ nière à le rendre de plus en plus sensible
I < S S à la privation d'oxygène.
a " J § Pourtant ce n'est pas là la plus grande
0 -2 £ a' difficulté. Il s'agit de savoir quand survient
s .î "S § la mort véritable, sans retour possible à la
£ o 'l-s vie.
j g £ 'S. En effet, d'une part on n'est jamais
1 '^ f £ certain d'avoir poussé l'asphyxie jusqu'à
g .2 I s E ses dernières limites, et, d'autre part, si
£ S £ ^ g l'on va trop loin, on court risque de ne
8 " I ^2 plus pouvoir réveiller le cœur. Il m'a
s' » J s'a semblé que, tant que le cœur est ralenti,
i'' ^ a Ë - il peut encore être ranimé. Après ce ra-
'' «^.Ë I " lentissement survient une période d'accé-
"5 ë o" S lération qui dure une demi-minute à peu
^l^.is près. C'est ce moment qui est grave ; car
g S K .s l'accélération cardiaque est un signe précur-
■S -a -g g seur de la mort du cœur, et, pour peu qu'on
^ f Z S tarde, le cœur se ralentit de nouveau;
o "^ 1 S ralentissement secondaire qui est l'indice
■^"^ i g falal de la mort; car le cœur, ainsi ralenti
■i-S'c o après accélération, ne peut pas être rap-
■f I -f 1 pelé à la vie. A vrai dire il y a quelques
.° ~ " différences dans cette dernière période,
"" mais presque toujours on peut considérer
comme la flu du cœur le lalentissement qui succède immédiatement à l'accélération
finale.
ASPHYXIE.
739
En prenant comme terme ultime de la vie du cûjur le moment où, après ralentisse-
ment, il s'accélère, j'ai obtenu les chiffres suivants :
ACCÉLÉRATION
MOYENNE
MAXIM A ET MINIMA
TEMPERATURE
DU CŒUR
DE ? BXPÉR.
DE TEMPERATURE
MOYENNE.
après UDO dui-ee moyenne
(le ■? minutes.
Il
41»2 à 41"0
41°12
3'10"
I
39-2
39«2(l
3'40"
111
37°5 il H.'ioS
36°70
7'15"
IV
34-9 il 34"i
34°60
9'30"
VI
33»5 à 32"2
32°70
IU'4.3"
VI
30»5 à 28"8
29"70
12'
I
27»4
27°40
13'45"
II
25»5 à 24»9
23-20
'13'30"
II
23°7 à 23»6
23»6o
IS'
Dans sept expériences, la respiration artificielle a été inefficace, après des asphyxie;
de durée variable et de température variable.
Tempcjraturo.
Dur.ie
de l'asphyxie
41-0.5
3'20"
39''20
4"
32-80
'10'30"
32-30
14'
30»00
13'
23-70
20'
23-60
19'
Au contraire la respiration artificielle a été efficace et a ramené la vie après les
périodes suivantes :
41-2
4'
37-3
9'
36-9
6'30"
36'>8'
3'
3S-8
7'30"
34-9
8'
34-5
10'
34-5
9'30'
34-4
12' 30
34°
8'
33-0
10'30
33-1
1(1'
32-3
12'
32-2
11
30-3
13
30-0
12
29-6
12
29-2
11'
28-8
12'
27-4
13'
23-3
16'
24-9
16.'
Comme moyen mnémotechnique, on voit que, quand la température baisse de 39"
à 20°, soit de 14°, la durée de l'asphyxie se prolonge de 7' à 16'; soit de 9'; c'est-à-dire
sensiblement pour j 3 degrés d'abaissement une prolongation dans l'asphyxie de
2 minutes.
Un autre élément intervient encore dans la prolongation de l'asphyxie; c'est le ralen-
tissement du cœur; mais nous aurons l'occasion d'y revenir à propos des symptômes
mêmes de l'asphyxie.
En définitive, pour les chiens, on peut admettre les moyennes suivantes.
Submergés : l'30".
A trachée fermée : 4' (sans respiration artificielle).
Retour possible à la vie par respiration artificielle : 7' 30".
Refroidis à 20° : 16'.
740
ASPHYXIE.
B. Chats. — L'étude de l'asphyxie sur les chats a été très bien faite par Boehm (Wie-
derbelebiingcn nach Vergiftimgcn und A^phijxie. A. P. P., 877, t. viii, pp. 68-101).
Dans ses expériences Boehsi compare la mort par asphyxie à la mort par l'empoison-
nement avec les sels de potassium, et avec le chloroforme qui arrêtent le cœur. Il
constate d'abord ce fait très intéressant et qui paraîtrait extraordinaire et invraisem-
blable s'il n'était établi par un aussi bon observateur, que, 10' après arrêt complet du,
cœur par le chloroforme, le coïur peut se remettre à battre. Mais c'est là un résul-
tat exceptionnel; et, en général, au bout de 4 à b minutes d'arrêt, le coîur ne peut
Fiti. 60. — Influence de la température sur la mort du
aphiquc résultant de la moyenne de viugt-sopt expériences. A l'c
températui-es ; à l'ordonnée latérale, les lemps
la trachée est ouverte jusqu'au monieut où le cfour
QUte.s. 1
î'accélère: accél
dans l'asphyxie.
ée inférieure sont marquées les
temps sout comptés depuis le moment où
on qui précède immédiatement
être rappelé à la vie. Au contraire, quand le conir s'était arrêté par suite du défaut
d'oxygène, c'est-à-dire par asphy.\ie, il n'a pu rester arrêté (sans mourir définitivement)
que pendant un temps très couri, de 20 à 30 secondes tout au plus, sauf quelques
cas fort rares. I,a durée de l'asphyxie a éié de 4, 5, 0, 7, 8, et même il minutes; et,
au bout de ce temps même, la mort dans un cas n'a pas été fatale. Cependant en
général la mort survenait après une asphyxie de 7 minutes, c'est à-dire à peu près aussi
longtemps, ni plus ni moins, que 'Chez le chien. Peut-être, dans ces grandes variations
de durée, la température, qui n'a pas été pi'ise, a-t-elle joué un rôle.
G. lioiujeurs. — Les expériences faites d'autres animaux sont moins nombreuses. Elles
sont dues à Paul Bert, qui, dans ses Leçons xur la respiration, nous en donne de bons
exemples.
ASPHYXIE. 7il
Chez les lapins, après submersion, le dernier mouvement respiratoire a eu lieu, en
moyenne, 3 minutes après le début de l'aspbyxie. Chez les cobayes, c'a été ù peu près
aussi le même temps. La commission de Londres a vu, en plongeant un cobaye dans du
mercure, les mouvements cesser après 2 minutes. \A'. Edwards admet pour les cobayes
une durée plus longue, de 3' .3b"; Paul BEnT,chez les rats d'égout et chez les rats d'eau,
2'17"; en somme, mêmes o.biffres. Le Coquil, après 11 expériences faites sur des rats,
adopte le chiffre de 3' pour la durée de la vie dans la submersion. W. Edwards, en met-
tant une chauve-souris dans l'hydrogène, l'a vue mourir en 4'.
D. Animaux nouveau-né^. — Il y a luie condition qui modifie énormément la durée de
l'asphyxie, c'est l'âge de l'animal. On sait tjue les animaux nouveau-nés résistent très
longtemps, et on peut se demander aussi pourquoi le fœtus, qui supporte si bien l'ab-
sence d'oxygène, devient sensible à l'asphyxie, dès qu'il a commencé à respirer. Le
problème a été posé par Hahvey, et on nous permettra de reproduire ses paroles, car
on en parle souvent, sans connaître les termes mêmes dont il s'est servi [De gcneratione
animaliiim, édit. de Leyde, i737, p. 333) : « Débet interea problema hoc viris doctis pro-
ponere : quomodo nempe enibryo post septimum mensem in utero matris persevci'et?
qUum tamen eo tempore e.'îclusus statim respiret, imo vero sine respiratione ne horulam
quidem superesse possit, in utero autein manens,ut dixi, ultra nonura mensem^ absquo
respirationis adminiculo vivus et sanus degaf? Dicam planius : qui Ot ut fœtus, in lucem
editus ac membranis integris opertus, et etiamnum in aqua sua manens, per aliquot
horas, citra suffocationis pei-iculum, superstes siL, idem tamen, secundis exutus, si semel
aerem intra pulmones attraxerit, postea ne momenlum quidem temporis absque eo du-
rare possit, sed confestim moriatur? »
Or, ainsi que Haller l'a bien montré, le problème de Harvey ne doit pas être
posé dans ces termes. Le fœtus, tant qu'il respire par le placenta, ne peut, au point de
vue de la respiration, être comparé à. un adulte; car les procédés d'oxygénation sont
tout à fait différents. En outre la petite circulation du fœtus se fait tout autrement que
chez l'adulte.
C'est un fait connu de toute antiquité que la mère peut mourir, et que le fœtus reste
vivant encore, quoique la circulation du sang maternel à travers lé placenta ait absolu-
ment cessé. Si la persistance de la vie du fœtus tenait à l'existence du trou de Botal
et du canal artériel, il faudrait admettre que la mort des adultes dans l'asphyxie
est due à un trouble de la circulation pulmonaire; mais c'est là évidemment une théorie
tont à fait erronée, et la mort par asphyxie est due uniquement à la privation d'oxygène,
comme cela a été prouvé par Bichat et tous les autres physiologistes.
La seule explication acceptable qu'on puisse donner de la résistance plus grande du
fœtus à l'asphyxie, c'est que les tissus du fœtus, et spécialement le système nerveux, peu-
vent longtemps résister à la privation d'oxygène. Une belle observation de Buffon prouve
que, même chez les animaux nouveau-nés qui ont respiré, la résistance à la privation
d'oxygène est encore beaucoup plus grande que chez l'adulte. Ce grand naturaliste, en
plongeant des chiens nouveau-nés dans du lait tiède, les a vus rester plus d'une demi-
heure sans mourir. Expérience fondamentale, répétée par Haller, par Legallois, par
W. Edwards, par Paul Bert, et qui a toujours donné le même résultat, de sorte que ce
fait, malgré sa singularité, est un des mieux démontrés de la physiologie.
Paul Bkrt, plongeant dans l'eau déjeunes rats d'une même portée, a vu que, sui-
vant l'âge, la résistance à l'asphyxie varie de la manière suivante.
Rat de 12 à 15 lieurcs ...*.. Dernier mouvement à .30'
— :^ joiM-s — — 2T
— 6 — — — 13'
— 10 — — — 11'30"
— 13 — — — T20"
— 14 — — — ■ -i'iii"
— 20 — — — r33"
Ainsi, dit Pall Bert, un jeune rat périt sous l'eau en même temps qu un rat adulte,
742 ASPHYXIE.
seulement lorsqu'il est âgé de 20 jours, et pourtant depuis longtemps la circulation des
jeunes rats est tout à fait la même que celle des adultes.
Dans son ouvrage sur l'influence des agents physiques sur la vie, W. Edwards donne
de très nombreux cas de cette extrême résistance des jeunes animaux; les jeunes
cobayes de 2 à 3 jours ne meurent asphyxiés qu'au bout de 3' 25", tandis que les
cobayes adultes meurent au bout de 3' 33".
Chez les oiseaux, il y a, comme ou sait, deux groupes bien distincts : les oiseaux qui
naissent avec leurs plumes, capables de se mouvoir et de chercher eux-mêmes leur vie,
et les oiseaux qui naissent sans plumes, et les, yeux fermés. Par exemple, les gallinacés
sortent de la coquille tout à fait vivaces, et déjà presque adultes, si je puis dire, tandis
que les tout jeunes passereaux sont encore, au moment de l'éclosion, dans un état à
demi embryonnaire. Or les jeunes gallinacés ne présentent pas plus de résistance à l'as-
phyxie que les adultes, tandis que les jeunes passereaux se comportent, par leur grande
résistance, comme les mammifères nouveau-nés.
Une autre expérience vient prouver encore que ce n'est pas par suite de leur appa-
reil fœtal de circulation que les nouveau-nés résistent si longtemps à l'asphyxie. En
effet, si l'on enlève le cœur d'un chat ou d'un chien nouveau-né, il est clair qu'alors on
ne peut plus invoquer pour expliquer la persistance de la vitalité du système nerveux
une cause de mécanique circulatoire, puisque alors toute circulation est complètement
supprimée. Cependant, après ablation du cœur chez les nouveau-ne's, la vitalité des
tissus est prodigieusement longue, non certes par rapport à ce qu'on peut observer chez
les animaux à sang froid, mais par rapport à ce qui existe chez les mammifères adultes.
Après cessation de la circulation chez l'adulte, il y a arrêt des réflexes presque immé-
diat, au bout d'une demi-minute tout au plus. Eh bien, chez les chats et les chiens nou-
veau-nés, comme je m'en "suis assuré à maintes reprises avec P. Langlois, on voit
encore des (réflexes, et notamment des respirations réflexes, 12 et parfois 14 minutes
après que le cœur a été enlevé. Comment expliquer cette persistance, sinon en suppo-
sant que les tissus nerveux du nouveau-né présentent une résistance bien plus grande
que les tissus nerveux de l'adulte à la mort par privation de sang ou d'oxygène?
De fait c'est la seule hypothèse admissible, et nous verrons que, chez les animaux à
sang froid, les variations de la température organique ne suffisent pas pour expliquer
les différences énormes qu'on constate dans la résistance à l'asphyxie, mais bien qu'il
faut reconnaître une autre influence, c'est-à-dire une résistance variable du système ner-
veux chez les divers animaux.
E. Oiseaux et animaux plongeurs. — Chez les oiseaux la durée de l'asphyxie est variable.
Les petits oiseaux, dont la respiration est extrêmement active, et le système nerveux
très fragile, meurent bien vite. Ainsi les moineaux, les alouettes, d'après Paul Beat,
meurent au bout d'une demi-minute. Les pigeons meurent en l't3". Ce chiffre me paraît
tout à fait exact; car j'ai vu mourir un pigeon, après asphyxie de 1' 30'', et un autre sur-
vivre après asphyxie de f 10". A mesure que l'oiseau est plus gros, et par conséquent
produisant, par rapport à son poids, une moins grande quantité d'oxygène, la durée de
la vie se prolonge. Ainsi, dans six expériences, Paul Bert a vu que les poules ne meu-
rent qu'après 3' 31".,,
C'est là d'ailleurs un fait facile à comprendre, et nous avons vu la même loi chez les
mammifères, puisque les rats, par exemple, succombent en deux minutes, tandis que
les chiens ne succombent qu'en six minutes.
Parmi les oiseaux, il en est qui méritent au point de vue de l'asphyxie une étude
toute spéciale; ce sont les oiseaux plongeurs, dont le tj'pe est le canard, sur lequel on
peut facilement expérimenter.
Or, les canards, placés sous l'eau, résistent admirablement à l'asphyxie. Au bout de
11 minutes (moyenne de 8 expériences de Paul Bert) ils donnent encore quelques
signes de vie, et en général, plongés sous l'eau pendant 7 à 8 minutes, ils ne paraissent
nullement incommodés, tandis qu'un poulet de même taille succombe en moins de
3 minutes.
Cherchant à étudier la raison de cette différence, Paul Bert a supposé que la vraie
cause était une plus grande quantité de sang dans l'organisme du canard, et, pour cela,
il a fait une abondante hémorragie à un canard, et il a vu alors ce canard qui avait
ASPHYXIE. 743
perdu du sang, ne résister pas plus qu'un poulel. Il a donc supposé que la résistance
du canard était due précisément à une plus grande quantité de sang. Mais cette e.vplica-
lion ne me paraît pas satisfaisante, et un simple calcul va nous montrer que l'hypothèse
de Paul Bert est inadmissible.
En effet, la quantité de sang contenue dans l'organisme du canard serait, d'après
Paul Bert lui-même, de un seizième du poids du corps. Par conséquent un canard de
i kilogramme ne peut guère avoir que 60 grammes de sang. Supposons un chiffre plus
fort; soit 100 grammes de sang. Ces tOO grammes ne représenteront au plus que 30 cen-
timètres cubes d'o.xygène. Or la consommation d'un canard en oxygène est au moins de
400 centimètres cubes par kilogramme et par heure, soit de 7 centimètres cubes par
minute. Ainsi, avec ces chiffres manifestement exagérés, il n'y a d'oxygène que pour
une durée de 4 minutes au plus. Pourtant nous voyons le canard résister H minutes.
Donc cette longue résistance ne peut tenir à une quantité de sang plus grande que chez
les autres oiseaux.
L'expérience directe vient confirmer l'inexactitude de la théorie de Paul Bert (Ch.
RiCHET, Résistance des canards à l'asphyxie. B. B., 18 mars 1894, pp. 244-245; 789-790). En
elfet, en faisant subir une grave hémorragie à un canard, je n'ai diminué que dans une
bien faible proportion sa résistance à l'asphyxie. Un canard de 880 grammes, à qui j'ou-
vris les deux veines jugulaires, perdit en quelques minutes 40 grammes de sang, soit
près des deux tiers de la quantité totale de son sang. Cette hémorragie l'afl'aiblit beau-
coup; mais, une demi-heure après, il paraissait remis. Alors je le plongeai dans l'eau
pendant 4 minutes, et, au bout de ce temps, il ne sembla pas incommodé. Un autre
canard, pesant exactement le même poids, subit une hémorragie de 3o grammes de
sang. Une heure après il fut submergé pendant 6' 30"; quoique assez incommodé quand
on le retira de l'eau, au bout de quelque temps il était parfaitement remis. Comme
contrôle, je plongeai sous l'eau, 5 minutes après que le canard hémorragie y était
déjà, un gros pigeon presque de même poids, et je les retirai en même temps l'un et
l'autre. Mais le pigeon était mort, tandis que le canard se rétablit très vite. Donc
cette ingénieuse hypothèse sur l'influence d'une grande quantité de sang n'est pas
défendable.
D'ailleurs Paul Bert n'a fait que très peu d'expériences (une seule!), et il n'est pas
aussi affirmatif que les auteurs semblent le dire. En tout cas il est évident que la résistance
du canard ne tient pas au sang très abondant, mais bien plutôt à la résistance vitale plus
grande de ses tissus, et spécialement de son système nerveux.
Ajoutons une autre condition, probablement très efficace, pour hâter la fin des ani-
maux non plongeurs submergés; c'est que, placés sous l'eau, ils se débattent avec vio-
lence, sans doute leur agitation incessante active la dépense de l'oxygène que leur sang
tient en réserve. Au contraire le canard reste presque absolument immobile quand on
le plonge dans l'eau.
Il ne faut pas non plus oublier qu'il y a tout un système de sacs aériens, osseux et
viscéraux, chez les gallinacés, et que la capacité de ces appareils est assez notable.
Gréhant évalue à 300 centimètres cubes la quantité d'air contenue ainsi dans le corps
d'un canard, c'est-à-dire 60 centimètres cubes d'cxygène. En supposant qu'il puisse en
utiliser le tiers, ce qui est possible, cela fait encore à peu près assez d'oxygène pour pro-
longer la vie pendant trois minutes.
Les oies résistent moins bien que les canards, mais mieux que les poulets. Dans une
expérience, j'ai trouvé pour l'asphyxie ^d'une oie o'40"; chez une autre oie décapitée,
les mouvements n'ont cessé qu'au bout de 8'10". Il est vrai que, dans ce cas, l'animal
avait été antérieurement refroidi.
Puisque nous parlons des animaux plongeurs, il faudrait aussi étudier les causes qui
permettent à certains mammifères, comme les phoques et les baleines, de résister long-
temps au besoin de respirer. "Mais, dans ces cas, l'expérimentation n'est pas facile : il faut
donc se contenter, d'une part des considérations anatomiques, toujours insuffisantes,
d'autre part des données plus ou moins précises recueillies parles voyageurs. Bert a vu
qu'un phoque, déjà malade il est vrai, et probablement refroidi, a eu encore des mou-
vements après 28' d'asphyxie. Gratiolet, cité par Paul Bert, dit que les hippopotames
peuvent rester 15 minutes sans respirer. J'ai vu, au jardin zoologique d'Amsterdam, un
lii. ASPHYXIE.
hippopotame rester 8 minutes sous l'eau, et, d'après Scobesby, une baleine peut plonger
pendant 30 minutes, fait que m'a confirmé récemment E. Rettesep.
On a cherctié à expliquer cette résistance par une plus grande quantité de sang —
ce qui nous semble une explication insuffisante — ou par la présence d'un sphincter
puissant autour Je l'oiifice de la veine cave inférieure. Mais ce sphincter ne peut guère
ctie qu'une condition adjuvante, pour retarder de très peu de temps la mort du cœur;
puisque nous savons que la mort dans t'asphyxie est due, non à un défaut de la cir-
culation pulmonaire, .mais à l'absence d'oxygène dans les centres nerveux et dans le
cœur.
En réalité, comme l'admettent Gratiolet lui-même, le délVnseur de l'ingénieuse
théorie du sphincier de la veine cave, et Paul Bert, qui a soutenu l'hypothèse du sang
plus abondant, il faut, pour les plongeurs comme pour les nouveau-nés, reconnaître que
la firincipale cause de la résistance prolongée à l'aspliyxie, c'est une résistance plus
grande des centres nerveux et du ca^ur à la privation d'oxygène. Le ralentissement du
ceeur exerce aussi quelque intlucnce. En effet, en donnant à un canard une dose d'à
Iropine, tout à fait insufli.-ante pour le tuer, soit Osi'jOlo, mais suffisante ponr paralyser
les terminaisons du pneumogastrique, j'ai pu diminuer énoi-ménient la résistance à la
submersion, qui n'est plus que de 3 ou 4 minutes à peine (B. B., 181)4, l. i, pp. 244, 789).
DissARD a constaté le même phénomène chez les poissons {B.B., 1894, p. 833).
Résumé. Hiérarchie physiologique. — Il y a entre les différents animaux une
hiérarchie physiologique, bien différente de la hiérarchie zoologique. Certains êtres son'.
très sensibles à l'asphyxie, comme le moineau, comme l'iiomme adulte; d'autres au
contraire, comme le nouveau-né ou l'animal plongeur, sont très résistants. C'est le sys-
tème nerveux qui meurt plus ou moins vite chez les uns et les autres, et cette donnée, au
lieu d'être absurde, est au contraire tout à fait nécessaire. Comment admettre que des
tissus appartenant a des êtres divers soient exactement semblables? A priori ils ne peu-
vent être identiques, et ce qui est surprenant, c'est plutôt leur étonnante ressemblance et
Ja similitude de toutes leurs réactions vitales que leurs minimes diversifications.
Il est remarquable de voir que, dans la mort par submersion., l'élévation de la tem-
pérature, au lieu d'accélérer la mort, comme on pourrait le supposer a priori, tend au
contraire k la ralentir, au moins sur les jeunes animaux.
Les expériences de W. Edwards le prouvent nettement.
IX Chats (de 2 jours)
à 0° ont
vécu 4'33"
(moyenne)
III — —
10°
—
10'23"
—
II — —
20°
—
38'4b"
—
I —
26°
34'30"
—
II — —
30°
_
29'00"
_
IV — —
42°
_
10'2T'
—
II Chiens de '6 jours ;'
1 0»
_
12'05"
—
I — —
22°D
—
5S'30"
—
VI Moineaux adultes
à 0°
—
0'30"
—
Vit — _
20°
—
0'46"
—
VI — -
40°
—
0'39"
—
Mais, en réfléchissant à cette influence, on comprend.,bien que le froid d'un bain à 0° doit
provoquer une réaction énergique : le système nerveux commande alors des combus-
tions plus actives. En un mot l'abaissement de la tempe'rature extérieure ne diminue pas
la durée de l'asphyxie; au contraire; car il provoque des combustions plus intenses. Ce
qui diminue la durée de l'asphyxie, c'est l'abaissement de la température organique
des animaux eux-mêmes, tandis que celle du milieu ambiant a un effet absolument
opposé.
Durée de l'asphyxie chez les animaux à sang froid. — Chez les animaux à
sang froid, la diversité est bien plus grande que chez les mammifères et les oiseaux, et
cette diversité lelève de deux causes essentielles; d'une part la température, d'autre part
la résistance propre des tissus.
D'une manière générale, comme les animaux à sang froid vivent à des tempéralures
nolablement plus basses que les homéothermes, il s'ensuit que leurs combustions sont
ASPHYXIE. 745
beaucoup moins actives, et par conséquent que la durée de l'asphyxie est beaucoup plus
longue. Une expérience simple, un peu trop simple peut-être, que je fais dans mes
cours, élablira bien cette distinction.
[.'oxygène dissous dans le sang constitue en réalité une réserve de comburant; et on
peut comparer l'animal dont la trachée est oblitérée à une flamme qui brûle dans un
espace clos. Que l'on preime une cloche d'air, et qu'on fasse brûler dans cette cloche
un gros bec de gaz, pour peu que le débit de gaz soit rapide, en quelques secondes tout
l'oxygène de la cloche aura disparu, et la flamme s'éteindra; ce sera, si l'on veut, l'as-
phyxie dé la flamme. Mais que l'on fasse brûler dans cette même cloche un petit bec de
gaz avec débit très faible, il faudra quelques minutes, au lieu de quelques secondes,
pour épuiser la réserve d'oxygène contenue dans la cloche. J'ai l'usage, dans mes cours,
de faire cette expérience 1res simple, presque enfantine, pour bien montrer aux élèves
comment un animal à sang chaud et un animal à sang froid se comportent très diflërem-
ment dans le même milieu.
On peut comparer à la pelitetlamme du gaz l'animal à sang froid. Comme il brûle
peu, il mettra longtemps à s'asphyxier, et il y a une relation étroite entre la quantité
des échanges interstitiels et la durée même de l'asphyxie.
En dehors de toute influence thermique, voyons dans quelles conditions survient l'as-
phyxie des animaux à sang froid.
Je mentionnerai d'abord les faits très extraordinaires et presque invraisemblables de
la longue survie de certains animaux enfermés dans du plâtre ou conservés dans les
troncs des vieux arbres. Nous avons. Rondeau et moi, rapporté ces curieuses observations
d'autrefois. {Sur la vie des animaux enfermés dans du plâtre; B.B., 1882, t. iv, (7), p. 692).
Pour la bibliographie voir ce mémoire et un article critique de A. de Rochas {Nature,
188o) (1). Nous y avons ajouté quelques expériences nouvelles. Hérissant avait montré
que des crapauds, qui vivent longtemps quand on les a enfermés dans du plâtre laissé
simplement à l'air libre, meurent bientôt si on plonge la masse de plâtre dans l'eau, de
sorte que c'est probablement à travers le plâtre perméable aux gaz que se fait la diffu-
sion de l'oxygène. W. Edwards, répétant, cette expérience de diverses manières, l'a
pleinement confirmée. En réalité il s'agit dans ce cas d'une sorte de respiration cutanée
qui se fait à travers le plâtre et qui supplée à la respiration normale, par les poumons.
Mais pour les tortues, l'explication est plus difficile; car l'épaisse carapace de ces reptiles
à peau écailleuse s'oppose presque absolument à la diffusion gazeuse, et cependant des
tortues immobilisées dans du plâtre peuvent vivre trois mois ainsi, conservant leur
vitalité et leurs réflexes. Cette expérience d'ailleurs ne prouve qu'une chose, mais avec
toute évidence, c'est que la consommation de gaz oxygène peut dans certains cas devenir
extrêmement faible. Il serait très curieux de reprendre ces faits et de faire alors les
dosages des échanges gazeux (Voy. Respiration).
Assurément, pour expliquer cette absence d'asphyxie, il faut admettre que les phéno-
mènes chimiques, encore qu'ils continuent sans doute, sont extrêmement ralentis; car,
c'est tout au plus, si, au niveau du bec coi'né de la tortue, il peut y avoir un petit espace
libre servant pour ainsi dire de chambre à air.
De nombreuses observations ont été faites sur l'asphyxie des poissons. On sait qu'un
poisson ne peut vivre dans de l'eau privée d'air, ou même seulement dans un vase con-
tenant une petite quantité d'eau qui est recouverte d'une couche d'huile de manière à
empêcher l'air extérieur de se dissoudre dans l'eau du vase. Or dans ces conditions la
durée de l'asphyxie est extrêmement variable, même quand la température ne varie pas,
selon les diverses espèces de poissons sur lesquels on expérimente. Il en est qui meu-
rent presque immédiatement quand on les retire de l'eau. Tous les pêcheurs savent que
parmi les poissons divers qu'on retire du fllét, il en est qui survivent au bout d'une
heure, tandis que d'autres périssent dés (lu'on les retiie de l'eau. Par exemple les sar-
dines et les maquereaux meurent tout de suile, tandis que les anguilles et les squales
restent'! longtemps en vie. Récemment Dissart et NoÉ ont essayé d'établir que les
migrateurs, chez qui les phénomènes chimiques sont très intenses, ont une existence
fragile, tandis que les poissons sédentaires, qui en général ne sortent guère de l'étroit
espace où ils vivent, résistent bien mieux à l'asphyxie, comme s'ils avaient en quelque
sorte pris l'habitude de vivre dans un milieu presque confiné [Résistance des poissons à
746 ASPHYXIE.
l'asphyxie dans l'air. B. B., 30 déc. 1893, t. v, (9), pp. 1049-1052 et Résistance des poissons
aux substances toxiques. Ibid., 10 fév. 1893, t. vi, (9), p. 140).
On a souvent essaye' d'expliquer cette différence en supposant que les poissons qu'on
retire de l'eau continuent à absorber par leurs branchies de l'oxygène, prenant non plus
l'oxygène dissous dans l'eau, mais l'oxygène libre de l'air atmosphérique. Cependant
cette explication n'est guère valable, et il n'est pas besoin de supposer que la disposi-
tion des branchies est différente ; car, même dans l'hydrogène ou dans l'azote, alors que
les branchies ne peuvent plus absorber d'oxygène, il y a encore à peu près les mêmes
différences de survie. Certes les poissons exposés à l'air continuent à prendre de l'oxygène,
et j'ai souvent constaté, entre autres avec P. Rondeau, dans des expériences déjà anciennes,
faites au Laboratoire de Physiologie du Havre, que la survie dans l'air pour les poissons
était bien plus longue que dans l'hydrogène. D'ailleurs Humboldt et Provençal avaient,
au commencement de ce siècle, bien établi ce fait important.'Mais,dans le cas actuel, cela
importe peu, puisque la diversité dans la durée de l'asphyxie s'observe avec l'hydrogène
comme avec l'air. Par 'conséquent la seule explication rationnelle est d'admettre une
variation dans la vitalité des tissus nerveux sous l'influence de la privation d'oxygène.
Il y a donc pour les animaux à sang froid, encore plus que pour les animaux à sang
chaud, une hiérarchie physiologique; les uns sont très fragiles, les autres au contraire très
résistants.
Les différences de résistance ne sont même pas en rapport avec l'intensité des échan-
ges interstitiels; car, à quelques différences insignifiantes près, la consommation d'oxy-
.gène semble être à peu près la même chez les uns et les autres.
Il serait très intéressant de dresser une liste des divers animaux à sang froid selon
leur degré de résistance et l'activité de leurs échanges. On verrait que les moins résis-
tants de tous sont probablement les poissons migrateurs, tandis qu'il faudrait placer à
l'extrémité de l'échelle les vers intestinaux qui vivent dans des milieux presque complè-
tement dépourvus d'oxygène, les gaz intestinaux, où la proportion d'oxygène n'est par-
fois que de 2 p. 100. Buxge a directement constaté que les vers intestinaux vivent
encore dans des milieux absolument dépourvus d'oxygène, au bout de Ib jours. Ce qui
est extraordinaire, ce n'est pas tant le fait même de la survie prolongée qui a été obser-
vé pour d'autres animaux à sang froid, et qui n'est pas spécial aux vers intestinaux;
mais la continuation de la mobilité : car, en même temps qu'ils vivent, les vers intes-
tinaux restent actifs, tandis que les grenouilles ou les tortues, placées dans de l'hydro-
gène, perdent bientôt la faculté de se mouvoir.
En résumé il est presque impossible actuellement de déterminer par un chiffre uni-
que la durée de l'asphyxie chez les animaux à sang froid; car elle peut varier depuis
cinq minutes jusqu'à quinze jours, chez les espèces différentes, dans les mêmes condi-
tions de température.
Il va sans dire que, lorsque nous parlons de l'asphyxie, il s'agit de l'asphyxie totale,
et non d'une demi-asphyxie, comme par exemple lorsqu'on enlève le poumon d'une
grenouille, ou lorsqu'on submerge une grenouille dans de l'eau aérée. En eflet, dans
ces conditions, une grenouille peut vivre fort longtemps; car l'oxygène de l'eau diffuse
à travers la peau, et passe par la circulation. On peut garder en vie pendant plusieurs
semaines, d'après W. Edwards, des grenouilles que l'on empêche de venir respirer à la sur-
face. Sans doute les tortues mi mobilisées dans du plâtre se trouvent aussi soumises à une
sorte d'asphyxie, mais assez incomplète pour pouvoir rester en vie durant plusieurs mois.
Marcacci, étudiant l'asphyxie des grenouilles, a contredit sur plusieurs points
l'opinion classique. On sait que, pour la plupart des auteurs, si les grenouilles survivent
à l'ablation des poumons, c'est parce que la respiration cutanée supplée à la respiration
pulmonaire. Mais Marcacci ne pense pas qu'il en soit ainsi, et il attribue une certaine
importance aux mouvements de déglutition qui font circuler de l'air dans la cavité
buccale, ce qu'il appelle le vestibule respiratoire. Si on bâillonne une grenouille de
manière à empêcher ses mouvements de déglutition, on la verra s'asphyxier rapidement,
malgré la conservation de la respiration cutanée, qui, d'après Marcacc[, serait toujours
inefticace (A. B., t. xxi, fasc. 1, 1894, p. 1).
W. Edwards [loc. cit., pp. 600-606) a constaté de grandes différences dans la résis-
tance, même chez des espèces très voisines.
ASPHYXIE.
747
Dans un litre d'eau aérée à 20", un Cijprinus alburnuf: a vécu 1 h. 1*', un Cî/pr/mis
gobio a vécu 2 h. 19'; et deux Cyprinus auratufi ont vécu [6 h. 10'30" (moyenne). A 10" un
Cyprinitë alhurnus a vécu 4 h. 27'; et un Cyprinus gobio a vécu 9 h. 45'.
Il faut aussi faire des réserves sur les submersions prolongées auxquelles on pourrait,
paraît-il, soumettre des fourmis et des insectes; car, au moment où on les immerge, ces
petits animaux, garnis de poils très fins, entraînent avec eux une certaine quantité d'air,
et par là même l'expérience se trouve viciée ; mais il suffit d'attirer l'attention sur ce
point pour que l'erreur ne soit pas commise.
On comprend d'ailleurs que, puisque il y a des êtres anaérobies, on doit trouver tous
les intermédiaires entre les aérobics, tels que sont la plupart des êtres, et les anaérobies,
comme certains microbes. Si générale que soit la fonction respiratoire, elle comporte
quelques exceptions, et comme une gradation successive, entre les différentes cellules
nerveuses, celle des animaux supérieurs qui meurent dès que l'oxygène leur fait défaut,
et celles des vers intestinaux qui supportent la privation d'oxygène pendant des semai-
nes entières.
L'influence de la température sur la durée de l'asphyxie est encoi'e plus importante
chez les animaux à sang froid que sur les animaux à sang chaud, et les faits qu'on peut
invoquer à ce sujet sont nombreux et importants.
En premier lieu je citerai les belles expériences de W. Edwards.
Des tortues ont vécu, sous l'eau
Des lézards gris, mis sous l'eau, ont été asphyxiés :
Tempe; rature
Durée
à /.0°
en
6'
à 30»
_
42' 15"
à 20°
_
100'30"
à 10°
_
123'22"
à 0°
—
313'30"
AuBERT {A.Pf., t. XXVI, p. 293, 1881) a fait aussi une étude attentive delà question.
Voici le tableau qu'il donne de la durée de l'asphyxie d'après la température de l'animal.
Il considère l'asphyxie comme achevée lorsqu'il n'y a plus ni mouvements spontanés ni
mouvements réflexes (p. 313, tableau vi).
Temps nécessaire
Temps
nécessaire
Température.
à la cessation
Température.
la
cessation
des mouvements.
de
î mouvements
2°
U540'
18-0
138'
6«
1750'
19»6
165'
8°
1383'
19°7
113'
10°.ï
427'
21H
101'
H"8
480'
22°5
92'
12°7
353'
22»8
83'
13»S
250'
26°D
45'
13°9
330'
27°
37'
14»5
280'
27°5
40'
IS'S
182'
27°5
30'
la-o
175'
28°
15'
n°o
218'
29»
12'
18°2
288'
Il semble que rien ne soit aussi démonstratif que cette expérience pour prouver à
quel point l'asphyxie dépend de la température. Une grenouille, placée à une tempéra-
ture de 2", peut pendant plusieurs jours continuer à faire des mouvements réflexes dans
un milieu privé de toute trace d'oxygène, alors que, si la température est de 29°, en
12 minutes elle a perdu toute excitabilité nerveuse.
J'ai pu établir un fait analogue, en étudiant la durée de la persistance des réflexes
chez les grenouilles en l'absence de toute circulation, et, pour le prouver, j'ai fait l'abla-
tjon du cœur, de manière à obtenir l'arrêt total de la circulation. Au fond, il s'agit du
7i8 ASPHYXIE.
même phénomène que de l'asphyxie, puisque, si les tissus meurent, c'est parce qu'ils
ont épuisé leur réserve d'oxygène. Seulement il faut s'attendre à trouver par l'anémie
une mort un peu plus rapide que par l'asphyxie. C'est en effet ce qu'on observe, mais
en somme les chiffres que j'ai donnés se rapprochent beaucoup de ceux qu'a fournis
AUBERT.
Mort
au bout de
12°
180'
12°
180'
11'
80'
19"
sr
25°
42'
27°
27'
Comme, d'autre part, il a été prouvé que les échanges sont d'autant plus actifs que
la température est plus élevée, on est amené à regarde-r comme très vraisemblable que,
si l'asphyxie dure si longtemps chez les grenouilles refroidies, c'est qu'elles épuisent
très lentement leur réserve d'oxygène, tandis que les grenouilles chauffées l'épuisent
très vite. Même lorsque le cœur a été enlevé, il reste encore dans les tissus une certaine
quantité d'oxygène qui peut servir à l'entretien de la vie; mais, si cette réserve est vite
épuisée, la mort survient promptement (chez les grenouilles échauffées), tandis que la
réserve dure longtemps chez les grenouilles refroidies.
Sur les poissons, comme sur les grenouilles, on retrouve aussi l'influence de la tem-
pérature sur la persistance des fonctions. J'ai fait à cet égard plusieurs expériences que
je ne rapporle pas ici; car elles ne font que confirmer la loi générale, et n'apportent
aucun fait nouveau.
Il serait intéressant de comparer la durée de l'asphyxie chez les animaux à sang froid
avec la quantité d'oxygène qu'ils absorbent, quantité très variable selon l'espèce animale;
mais les chiffres que les physiologistes ont donnés là-dessus sont assez peu concordants,
et d'ailleurs peu nombreux. Nous renvoyons à l'article Respiration, où la question sera
traitée dans son ensemble.
Symptômes. — Nous n'envisagerons ici que les symptômes de l'asphyxie aiguë, en
prenant pour types les animaux dont on lie la trachée, et chez lesquels ont peut alors
suivre avec une grande précision la marche des phénomènes.
D'après les auteurs classiques, on peut diviser l'asphyxie en trois périodes ; mais nous
croyons préférable de séparer en quatre groupes les phénomènes, selon qu'ils sont accom-
pagnés de la disparition de telle ou telle fonction organique. Nous aurons alors succes-
sivement : 1° la mort de la conscience; 2° la mort des réflexes; 3° la mort des respira-
tions; 4° la mort du cœur.
A. La première période, celle qui se termine par la mort de la conscience,'ne peut
guère être bien étudiée que chez l'homme. Dès le début, les respirations se ralentissent,
et deviennent plus amples et plus profondes, prenant le type dyspnéique ou asphyxique.
Si elles étaient fréquentes, elles se ralentissent (par exemple dans le cas de la polypnée
thermique qui est énormément ralentie par rasph3'xie); si elles étaient rares, elles
deviennent fréquentes, de manière à revêtir un type uniforme, quel qu'ait été le point
de départ au moment où l'asphyxie a commencé. Le cœur s'accélère, bat avec plus de
force. Une sensation d'angoisse affreuse émeut la conscience; des mouvements involon-
taires, presque convulsifs, se produisent dans tous les membres. Un vertige passe devant
les yeux, la vue se trouble, les oreilles bruissent, et quand ce summum de douleur et
d'angoisse est atteint, tout d'un coup la conscience disparaît.
Est-ce bien la conscience, ou seulement la mémoire? C'est là un point à discuter. Il
est possible que, sous l'influence de l'asphyxie, il y ait une sorte d'amnésie rétrograde,
comme celle qu'on a signalée dans les commotions et les empoisonnements, comme
celle qu'on observe dans la chloroformisation. Toujours est-il que, dans la pendaison
par exemple, les individus qu'on vient à dépendre racontent que la suffocation n'a pas
duré longtemps, et qu'ils ont presque immédiatement perdu connaissance. Quelques
noyés rapportent aussi que leur angoisse a été très courte, et l'anéantissement de la con-
ASPHYXIE. 749
science presque subit, précédé souvent d'un court moment de délire avec certaines hallu-
cinations, parfois l'évocation soudaine de tous les faits anciens, endormis dans la mé-
moire du passé.
Eu tout cas, quelque variables que soit, selon les conditions mêmes de l'asphyxie,
la durée de cette période, elle est fort courte, et ne dépasse probablement pas une mi-
nute. Même il esfpossible que cette durée d'une minute soit souvent amoindrie encore,
et je croirais volontiers que, dans les asphyxies totales, la perte de connaissance est
plus rapide.
On remarquera à quel point ces phénomènes ressemblent à ceux qu'on a si bien étu-
diés dans l'ivresse et dans la chloroformisation, et l'explication doit sans doute être à
peu près la même. De tous les tissus, le plus fragile est assurément le tissu nerveux cé-
rébral, celui qui préside à l'idéalion. Qu'il s'agisse d'un poison de la cellule nerveuse
comme l'alcool ou le chloroforme ; ou de l'absence d'oxygène, qui peut être considérée
comme un vrai empoisonnement; la marche des symptômes doit se l'essembler; carc'est
le tissu le plus délicat qui doit périr le premier. En outre, sa susceptibilité doit s'exer-
cer dans le même sens, c'est-à-dire qu'il doit périr de la même manière, et passer suc-
cessivement pardes périodes d'excitabilité exagérée, puis d'anesthésie et de mort. D'abord
l'ivresse, puis la stupeur; c'est ainsi que meurt toujours la cellule cérébrale.
Y a-t-il encore conscience,"alors que la mémoire est abolie? qui donc oseiait le dire?
Mais à vrai dire c'est là une subtilité, et, dès que la mémoire n'est plus là pour fixer les
souvenirs des sentiments passés, on peut soutenir que la conscience n'existe plus.
Ainsi que je l'ai dit jadis à propos du chloroforme, une douleur qui ne laisse pas de
traces dans la mémoire est absolument comme si elle n'existait pas.
La détermination rigoureuse de la durée de la conscience est donc une question de
psychologie plus que de physiologie, et on comprend que c'est sur l'homme seul qu'on peut
juger de ces phénomènes de conscience abolie; car l'apparence de l'intelligence persiste,
encore qu'elle n'existe plus.
B. Les mouvements rétlexes au début de la deuxième période sont encore très accen-
tués, et même presque convulsifs. L'animal asphyxié donne alors tous les signes de la
plus violente douleur, quoiqu'il n'y ait vraiment .pas de douleur, puisque la conscience
est morte. Quant aux mouvements respiratoires^ ils commencent à se ralentir; ils sont
même moins forts qu'au début. En enregistrant la force déployée par les muscles inspi-
rateurs à ce moment, P. L.^nglois et moi, nous avons établi que la force en était notable-
ment amoindrie.
La première période dure une minute, et on peut aussi, au moins comme moyen
mnémotechnique, adopter le chiffre moyen d'une minute pour la seconde période.
A la fin de celte période, c'est-à-dire vers la deuxième minute et le commencement
de la troisième, l'asphyxie est déjà très avancée : la pupille est dilatée; il y a émission
de matières fécales et d'urine; car, par l'absence d'oxygène, la moelle est excitée et
commande des contractions de tous les muscles lisses; les intestins se contractent avec
force et on voit leurs mouvements péristaltiques se dessiner sous la peau de l'abdomen
(chez le lapin notamment). Les respirations sont de plus eu plus espacées. Quant au
cœur, il est accéléré et bat avec force, ne paraissant modifié que dans le sens d'un
surcroit d'énergie.
En assignant une minute à la première période, nous l'avons quelque peu allongée;
mais, en assignant une minute à la seconde période, nous tendons à la raccourcir; car,
le plus souvenl, c'est seulement au bout de deux minutes et demie que les réflexes onl
complètement disparu.
Alors les respirations et les battements du cœur persistent seuls chez l'animal inerte;
plus de sensibilité ni de mouvements, spontanés ou réflexes; le sang est complètement
noir, et il se produit des congestions viscérales par accumulation et stase veineuse. En
effet, tout en n'attribuant pas, comme ont fait les auteurs qui ont précédé Bichat, la
mort à l'arrêt de la circulation, il faut bien reconnaître que l'absence de circulation
gêne énormément la circulation du sang à travers les poumons et le cœur.
C. La troisième période, qui commence au milieu et souvent au début même de la
troisième minute, est caractérisée par la continuation des mouvements respiratoires,,
alors que les mouvementé réflexes ou volontaires ont tout à fait, disparu. La respiration
750 ASPHYXIE,
est déjà profondément atteinte; ce sont de grandes inspirations qui naturellement
sont inefficaces et qui vont en se ralentissant de plus en plus de manière à être espa-
cées de près de dix à quinze secondes. Finalement elles cessent, et il ne reste plus de
vivant dans l'organisme que le cœur, plus résistant que tous les autres tissus et conti-
nuant à battre, alors qu'il y a mort des centres nerveux et même des centres respira-
toires.
Ainsi, dans cette hiérarchie des tissus, nous avons d'abord les centres nerveux intel-
lectuels, puis, en second lieu, les centres nerveux médullaires, qui président aux
réflexes, puis les centres nerveux bulbo-respirateurs, puis les centres nerveux médul-
laires et cardiaques qui commandent les mouvements du cœur.
Évidemment, nous ne parlons pas des cellules nerveuses conductrices; car il est bien
entendu qu'à aucun moment de l'asphyxie, ni les troncs nerveux, ni les fibres muscu-
laires n'ont eu le temps de mourir. Ces tissus ont admirablement supporté la privation
d'oxygène, et il n'y a que les centres nerveux qui soient vraiment atteints.
J). La quatrième période commence en général au milieu de la troisième minute, et
elle dure près d'une minute et demie, mais c'est la période la plus variable, comme
durée et comme manifestations. On voit des animaux garder deux minutes, et même
davantage, des contractions du cœur, sans aucun mouvement respiratoire et, inverse-
ment, il est des cas, assez rares d'ailleurs, où le cœur faiblit presque en même temps
que la respiration. •
Le plus souvent, au début de la quatrième minute, il n'y a plus de respiration et le
cœur est très ralenti. 11 se ralentit de plus en plus, et cependant sa force ne paraît pas
diminuée. La pression reste élevée, et, sur l'animal immobile et inerte, on voit parfois
la poitrine complètement soulevée par les battements énergiques des ventricules du
cœur. Pendant quelque temps les battements du cœur sont à la fois lents et réguliers;
puis ils s'affaiblissent sans se ralentir, et alors tout d'un coup survient un phénomène
presque constant; c'est un renforcement du cœur accompagné d'une énorme accélé-
ration. C'est là le moment critique, et qui indique qu'on ne peut plus attendre plus
longtemps sans faire courir les plus grands risques au muscle cardiaque et aux ganglions
nerveux qui déterminent le consensus synergique de ses mouvements.
Cette accélération indique que l'appareil modérateur du cœur est mort; car, ainsi
que l'a bien vu Dastre, si, pendant la phase de ralentissement, on fait la section des
nerfs pneumogastriques, on voit aussitôt le cœur s'accélérer; ce qui prouve bien que le
ralentissement était dû à l'action du nerf modérateur.
On reconnaît que la vie du cœur va s'éteindre quand on voit s'affaiblir ces mouve-
ments accélérés. Alors il faut, sans perdre un instant, faire la respiration artificielle et
presser le thorax pour faciliter encore le passage du sang à travers les poumons, main-
tenant remplis d'air respirable. Mais, si on laisse l'asphyxie continuer, ne fiît-ce que
quelques secondes, le cœur s'arrête définitivement. Quelquefois même, dès que l'accé-
lération s'est produite, il est trop tard pour faire vivre le coi'ur, et la respiration artifi-
cielle est inutile. Alors les oreillettes continuent encore à battre; vains battements,
car, dès que la phase des frémissements ventriculaires s'est produite, le retour du cœur
à la vie est devenu impossible.
Le ralentissement du cœur dans l'asphyxie exerce une influence protectrice remar-
quable que j'ai essayé de mettre en lumière.
Reportons-nous, en effet, au tableau précédemment donné, où on voit la durée de
l'asphyxie être, en chiffres ronds, de 4' à 39°, de 9' à 35°, de 12' à 30°, de 15' à 2o».
Quand un chien a ses nerfs vagues intacts, telle est à peu près la durée de l'asphyxie;
mais, s'il n'a pas ce ralentissement protecteur, alors l'asphyxie est bien plus rapide,
comme l'indiquent les chiffres suivants (p. 751).
Ainsi les pneumogastriques retardent la mort par l'asphyxie en ralentissant le rythme
cardiaque. C'est un exemple remarquable d'une défense de l'organisme qui réagit contre
une fréquente cause de mort; le nerf vague est le protecteur du cœur, et, quand la quan-
tité d'oxygène, comme dans le cas d'asphyxie, est en petite proportion, alors il faut que
la consommation en soit réduite au minimum, et c'est pour cela que le cœur bat très
lentement. Si le cœur ne ralentit pas ses battements, l'asphyxie survient très vite; elle
est presque foudroyante, malgré l'abaissement de la température.
ASPHYXIE.
-51
TEMPÉRATURE.
MORT APRiiS
asphyxie de
DIFFÉRENCE
avec la durée
de
l'asph^-xie
chez des chiens
intacts.
2608
27,6
2S,"i
3.3,7
37,2
8'
4
6
5
4
— 6'00"
— 8 30
— 6 30
— a 110
— :; 00
Section des pneumogastriques. .
Nous arrivons donc à ce résultat, en apparence paradoxal et cependant nettement
constaté, que, même lorsque le cœu-r bat encore, même lorsque la respiration artificielle
supplée à l'impuissance de la respiration spontanée, si, pendant une asphyxie de quel-
ques minutes, le cœur ne s'est pas ralenti, il meurt asphyxié.
Gela nous conduit directement à une constatation de grande importance. Il est évident
en effet que ce qui détermine la durée moindre de l'asphyxie, ce n'e.st pas la quantité
d'oxygène plus ou moins grande consommée par les contracjions cardiaques. Celte quan-
31. — chien atropinisé. L'asphy.^ie terminer
îuinial a alors des respirations spoutauées; :
xquels succèdent, à droite de la figure, des
on a fait la respiration artificielle; le cœur bat encore.
lis malgré cela le cœur meurt. Frémissements fibriUaires
espirations spontanées, agoniques.
tité est en somme assez faible pour être à peu près négligeable. Certes, un cœur qui se
contracte vite, ou un cœur qui se contracte lentement brûlent des quantités d'oxygène
différentes; mais, dans la masse totale du sang, la mesure de cette ditïérence serait diffi-
cile; on comprendrait bien que la mort fiît, par cette moindre consommation d'oxy-
gène, ralentie de quelques secondes, mais non de quelques minutes, comme c'est le cas.
Il y a donc autre chose qu'une consommation d'oxygène dans le sang.
Par conséquent, même en forçant les chiffres, on voit bien que ce n'est pas la con-
sommation plus rapide de l'oxygène du sang qui fait que le non-ralentissement du cœur
dans l'asphyxie est une cause d'asphyxie prompte.
Il faut donc de toute nécessité admettre que ce qui fait la mort du cœur dans
l'asphyxie, ce n'est pas la consommation de l'oxygène conlemi dans In masse sanguine.
Mais alors, pourquoi les contractions fréquentes du cœur dans l'asphyxie amènent-
elles la mort, que n'amènent pas des contractions lentes? L'hypothèse la plus vraisem-
blable, c'est que la contraction musculaire détermine dans la trame même de la fibre
musculaire (ou des cellules nerveuses ganglionnaires), soit l'usure de certaines substances
qui ne peuvent être réparées que par l'oxygène, soit la production de certains poisons
qui ne peuvent être détruits que par l'oxygène.
732 ASPHYXIE.
L'impuissance de la théorie de l'hématose simple à expliquer les phénomènes de
l'asphyxie concorde bien avec les recherches de Geppert et Zuntz {Rctjulation der Athmung.
A. Pf., 1888, t. XLii, pp. 189 et 26o).
Celte description de l'asphyxie s'applique au chien; elle comporte quelques diffé-
rences, au moins dans la durée des phénomènes, chez les autres animaux.
D'abord, chez le lapin, elle est sensiblement plus courte, d'après S. Fredericq, qui
a étudié avec soin les périodes et distingué ce qui est dû à l'absence d'oxygène et à
l'excès d'acide carbonique. D'après lui, la durée totale de l'asphyxie jusqu'à l'arrêt des
contractions cardiaques est de 4'40" par le fait de la privation d'oxygène (T. L., t. i,
p. 221). Il y aurait une première phase do dyspnée, durant 3b", puis une seconde phase
de convulsions, durant 3b", puis. une troisième période d'épuisement qu'on peut diviser
en deux temps; un premier temps pendant lequel les mouvements respiratoires conli-
nuent, temps qui est de l'30", et un autre do i', pendant lequel il n'y a plus que des
contractions du cœur sans respirations. On voit que les symptômes sont en somme les
mêmes que chez le chien, mais qu'ils se passent avec plus de rapidité.
Une autre différence importante, c'est que le cœur du lapin, après qu'il a complè-
tement cessé de battre, peut encore reprendre ses battements. Alors l'animal reste-
dans un état, qui peut être très prolongé, de mort ;ipparente, avec des contractions car-
diaques nulles ou à peu près. Des lapins très refroidis, aux environs de 20°, demeurent
pendant une demi-heure, et parfois davantage, sans que le coiur ait le moindre mou-
vement, lout à fait comme morts, et on est stupéfait, si on les réchauffe et qu'on fait
la respiration artificielle, de voir d'abord les battements cardiaques et, plus tard, les
respirations spontanées, revenir.
Cette différence entre l'asphyxie du chien et celle du lapin tient à deux causes prin-
cipales; d'abord on peut refroidir les lapins beaucoup plus que les chiens, jusqu'à 10°
et même 13°, tandis que les chiens meurent aux environs d'un abaissement de 23°,
malgré la respiration artificielle. Ensuite le cœur du lapin, après qu'il a eu les frémis-
sements fibrillaires ultimes, ne meurt pas définitivement comme le cœur du chien.
L'excitation électrique directe, qui tue instantanément fe cceur du chien, est impuissante
à tuer le cœur du lapin, moins fragile, quant à son consensus synergique, que le cœur
du chien.
Tels sont les phénomènes fondamentaux de l'asphj'xie aiguë; mais il est d'autres
phénomènes secondaires concomitants qui méritent aussi l'attention. D'une manière
générale, ils sont dus à l'excitation des centres nerveux médullaires par l'absence
d'oxygène.
Pour ce qui concerne l'influence sur les vaso-moteurs et la circulation, nous avons
à signaler principalement un travail remarquable de Dastre et Mor\t (A. P., 1884, p. 1).
Après avoir constaté que l'asphyxie amène l'accélération du cœur (chez un animal à qui
a été faite la section des pneumogastriques) et prouvé que l'asphyxie produit l'excita-
tion des centres accélérateurs du cœur, ces physiologistes ont étudié la circulation
périphérique, et ils ont constaté un fait d'un grand intérêt, c'est qu'il y a un antago-
nisme entre la circulation périphérique et la circulation cutanée. Pendant que les
vaisseaux cutanés sont extrêmement dilatés, les vaisseaux de l'intestin sont rétrécis et
exsangues.
Tout se passe comme si les centres nerveux vaso-constricteurs et vaso-dilatateurs™
étaient tous deux excités, le résultat étant dû à l'effet prédominant de l'un ou l'autre
appareil antagoniste. Dans ce cas, il faut évidemment admettre une sorte de prévoyance
de la nature qui, pour assurer dans ce danger de mort par privation d'oxygène une
oxygénation plus active, tend à faire aftluer le sang à la périphérie cutanée, où il peut
s'artérialiser, au moins chez les animaux inférieurs, en même temps que la constriction
des vaisseaux intestinaux et des viscères, comme de la rate par exemple, tend à ralentir
le cuMir et à épargner à ces organes essentiels l'abord d'un sang noir, impropre à
la vie "?
S'agit-il là de la mise en jeu de centres distincts, vaso-moteurs de la peau et vaso-
moteurs viscéraux, subissant différemment les effets du sang noir ou bien, comme l'a
supposé récemment Stefani, d'une simple différence dans la résistance élastique et
musculaire des artériolea de chacun de ces départements vasculaires? {MiUamenti fisici e
ASPHYXIE. 753
mutamenti psicologici del hune (Ici vasi {Alli. dell' xi Congr. mclic. Torino, ISQ-t, t. a,
p. 86-104). C'est ce que nous ne pouvons discuLer ici (Voy. Vaso-Moteurs).
Comme Dastre et Morat le font, remarquer avec raison, lous ces phénomènes de
l'asphyxie sont des phénomènes d'e.'scitation, el lout se passe comme si la moelle était
énergiquement stimulée, de manière à exercer sur tous les organes qu'elle innerve un
effet excitateur.
Mais, ce qui est surprenant, c'est que la pression reste alors très élevée et que cette
pression élevée coïncide avec une énorme dilatation des vaisseaux cutanés. C'est peut-
être le seul exemple d'une dilatation vasculaire coïncidant avec une pression artérielle
forte.
Par le fait de l'asphyxie, toutes les friandes sécrètent plus abondamment. Les glandes
sudoripares (chez le chat par exemple), é,mettent des gouttes de sueur qu'on voit perler
sur les pulpes digitales (Luchsinger). La sueur froide qui couvre la peau des mourants
est due sans doute à ce même effet excitateur- (Voy. Agonie). Bochefoxtaime a vu la
salive sécrétée en grande abondance. Dastre a bien observé le phénomène important
de la glycémie asphyxique. Voici comment il résume ce fait, et nous ne saurions mieux
faire que de rapporter ses propres paroles. « Entre la teneur des gaz et la teneur du
sucre dans le sang il y a un rapport constant, et tel que, lorsque l'o.xygène diminue, le
sucre augmente, et inversement. Ce résultat s'explique précisément par l'action excitante
du sang noir asphyxique sur l'organe hépatique; disons mieux, sur l'appareil nerveux
qui régit les fonctions de cet organe. Cette excitation se traduit par une augmentation
de l'activité glycogénique du foie; le sucre s'accumule dans le sang k tel point qu'il
excède de beaucoup la proportion centésimale sous laquelle bous le trouvons dans les
conditions normales; il atteint bientôt celle de 3 pour 1000, à partir de laquelle il s'éli-
mine de l'organisme par la voie de l'excrétion rénale. La question est de savoir si l'acti-
vité fonctionnelle du foie est sous la dépendance exclusive de l'appareil nerveux vaso-
moteur hépatique ou si elle reçoit en plus l'influence excitatrice et directe d'un appareil
nerveux spécial en connexion directe avec la cellule hépatique, comparable et équivalant,
en un mot, aux nerfs sécréteurs des glandes ordinaires. »
Les muscles de la vie végétative, muscles à fibres lisses, subissent les effets de l'as-
phyxie aussi bien que les muscles de la vie animale : seulement les effets convulsifs sont
plus retardés. Au bout de la deuxième mirmte il n'y a déjà plus.ds convulsions géné-
rales du tronc et des muscles; et le relâchement musculaire est absolu. Cependant, à ce
moment même, les muscles lisses, ceux des intestins, par exemple, ou des divers canaux .
excréteurs, sont encore contractiles; et c'est au moment de la mort du cœur, et seule-
ment à ce moment, que survient la contraction générale de tous ces appareils. Doyox a
montré le rôle de l'excitation asphyxique sur la contractilité biliaire; elle provoque la
contraction de tous les appareils excréteurs de la bile, comme l'indiquent les figures
très claires qu'il en donne {Étude analij. des organes moteurs des voies tnliaires. Tti. doct.,
Lyon, 1893, pp. 100-118).
Ainsi, pour résumer, on observe une excitation générale : contractions de la vessie
qui expulsent l'urine, contractions des intestins qui cliassent les matières fécales au
dehors; et aussi dilatation de la pupille qui contraste avec le myosis du début. On sait
(pie, dans la chloroformisation des patients soumis à une opération chirurgicale, cette
étude des phénomènes pupillaires a une grande importance. Pendant tout le temps que
dure la chloroformisation, la pupille est très resserrée, et comme punctiforme; mais si,
pour une cause ou pour une autre, apparaissent des phénomènes d'asphyxie, alors aussi-
tôt on voit la pupille se dilater énormément.
Cette dilatation est due à l'excitation de la moelle par le sang noir; le centre cilio-
spinal étant sans doute plus résistant que le centre protubérantiel, qui préside aux mou-
vements de contraction de la pupille.
Quant aux mouvements vermiformes de l'intestin, ils indiqueraient la cessation de l'in-
fluence nerveuse centrale plutôt qu'une excitation de ces centres. Il est vraisemblable
qu'il y a antagonisme entre les centres ganglionnaires des tuniques intestinales et les
centres innervateurs qui sont dans l'axe encéphalo-médullaire. Quand la moelle est
paralysée par l'asphyxie totale, alors l'inliibition des mouvements intestinaux ne peut
plus s'exercer, et les centres ganglionnaires, plus résistants à l'asphyxie queja moelle
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 48
Tài
ASPHYXIE.
elle-même, peuvent, sans être arrêtés dans leur action, déterminer d'énergiques mouve-
ments péristaltiques.
D'ailleurs, pour l'étude plus approfondie de ces phénomènes, nous renvoyons aux
articles Agonie, Anémie, Iris, Intestin, Vaso-Moteurs.
Causes de l'asphyxie. — La vraie cause de l'asphyxie et de tous les phénomènes
qui l'accompagnent, c'est l'absence d'o.xygène. Sur ce point, il y a à peu près accord
unanime. Mais il faut cependant discuter les autres hypothèses, et voir quelles sont les
conditions précises de la mort par l'absence d'oxygène.
D'abord, ainsi que nous le disions en commençant, la théorie des auteurs qui ont
précédé Bichat doit être abandonnée. Il n'y a pas arrêt de la circulation. Elle est trou-
blée, et assez gravement troublée, puisque le cœur ralentit ses battements ; mais elle
persiste suffisamment pour que l'irrigation sanguine soit assurée.
Défait, il s'agit, comme cause de l'asphyxie, ou de l'absence d'oxygène ou de l'excès
d'acide carbonique, puisque dans la plupart des cas les deux phénomènes vont de pair,
mais des expériences très simples mettent l'acide carbonique hors de cause.
En effet, si l'on fait respirer un animal à sang chaud dans un milieu riche en oxy-
gène, on peut élever jusqu'à une proportion considérable la quantité d'acide carbo-
nique du milieu gazeux sans amener la mort. Et, quand nous parlons de grandes pro-
portions d'acide carbonique, c'est 2.t p. 100 et même 35 p. 100 que nous voulons dire.
Un chien ou un lapin peuvent vivre presque indéfiniment quand l'air qu'ils respirent
contient '23 p. 100 d'oxygène et 2o p. 100 d'acide carbonique. Certes, alors la respiration
est modifiée dans son rythme, et je ne sais si la vie pourrait continuer pendant plu-
sieurs jours; mais en tout cas elle continue pendant plusieurs heures, de sorte que par
cette seule expérience on peut affirmer que dans l'asphyxie simple l'acide carbonique
n'«st pas la cause déterminante de la mort (N. Gréhant).
Une autre expérience, tout aussi probante, amène la mêm-e conclusion. Si l'on fait
respirer un chien dans l'hydrogène pur ou dans l'azote, la mort sera tout aussi rapide
que si on lui oblitère la trachée; et cependant, quand il respire dans l'hydrogène, il peut
se débarrasser du gaz carbonique du sang aussi bien que s'il respirait dans l'air pur.
Par conséquent, ce qui tue dans l'asphyxie par l'hydrogène, ce ne peut être que l'ab-
sence d'oxygène, puisque l'acide carbonique ne peut s'accumuler dans les tissus.
Les analyses du sang faites dans ces conditions ont fourni la preuve de cette absorp-
tion d'oxygène.
Voici quelques chiffres indiquant, d'après Stroganoff [Oxydationsprocesse im normalem
■mul ErsiicJiungsblute. A. Pf., t. xii, p. 18, 1877), la teneur en oxygène du sang artériel
asphyxique (pour 100 parties) :
1,161
SETsciiENorr.
traces
—
traces
—
traces
—
1,1
Pflugeu.
2.4
—
0,81
SCHMIDT.
0,00
—
2,71
—
0,20
—
0,00
—
0,81
—
0,00
SCIIMIDT
2,98
1,94
—
1,51
1 44
Afanassiep
o'io
z
0,09
—
0,70
p. Bert.
0,00
—
0,00
—
0,40
—
0,33
—
Ainsi la proportion d'oxygène dans le sang a diminué énorme'ment jusqu'à devenir
dans beaucoup de cas tout à fait nulle.
Quant aux proportions de CO- dans le sang artériel, nous trouvons (P. Bert) pour
l'asphyxie lente.
Fiu do l'asphj-xie Début de l'asphvxie
20,6 48,0
2j,0 .50,8
29.0 47,3
23,6 45,0
34, j 29,4
24,0 49,0
ASPHYXIE.
Il importe de faire celte constatation, en ap-
parence paradoxale, que le sang artériel asphyxi-
que contient moins de CO- que le sang artériel
normal. Nous avons donc parfaitement le droit
de conclure que l'asphyxie n'est pas due k l'acide
carbonique; puisque, par les progrès de l'as-
phyxie l'acide carbonique ne s'accumule pas
dans le sang.
Bi'CHXER (Die Kohlensuure in der Lymphe ■
des Athmenden und deserstickten Thierc. R. S. M.,
1878, t. XII, p. 43) à constaté un fait assez para-
doxal, au sujet de l'accumulation de CO- dans le
sang et dans la lymphe pendant l'asphyxie. Il a
cru voir qu'il s'établissait une sorte d'équilibre,
et que, pendant l'asphy-xie, le sang se chargeait
de GO-, mais que la lymphe en contenait moins.
Voici le résultat d'une de ses expériences.
de la lymphe, du saug.
Respiration normale 42,56 34,39
Asphyxie 38.69 40,17
En même temps que l'oxygène disparaît du
sang, la couleur du sang se modifie. Le sang ar-
tériel qui était rutilant, rouge vermeil, devient
très vile violacé et noir; ce changement de colo-
ration est dû, comme on le sait, à la réduction
de l'oxy-bémoglobine (Voy. Hémoglobine).
Mais il se passe aussi sans doute d'autres phé-
nomènes plus complexes, production de substances
réductrices, probablement toxiques. Le fait a été
établi par Strog.\noff qui a constaté que le sang
asphyxique absorbe plus d'oxygène, quand on
l'agite avec de l'air, qu'on ne peut eu retrouver
par l'extraction à l'aide du vide. Par conséquent
il se fait des combinaisons chimiques stables,
c'est-à-dire des oxydations de certaines substances
qui ont pris naissance dans le sang asphyxique.
J'ai fait indirectement la même démonstration,
en étudiant les phénomènes posl-asphyxiques.
Un chien, quand il a été asphyxié, puis ramené
à la vie par la respiration artificielle, ne retrouve
pas immédiatement l'intégrité de son innervation.
Le retour de l'oxygène ne suffit pas pour le réta-
blir dans le statu quo ante. Il ne faut pas moins
d'une demi-heure àuue heure pour qu'il revienne
parfaitement à l'état précédent (frisson ther-
mique, rythme respiratoire, rythme cardiaque,
intensité des réflexes, etc.). Nécessairement donc
on doit admettre qu'il y a autre chose que le
simple déficit d'oxygène; probablement une in-
toxication par certaines substances qui se for-
ment, anormalement, quand la tension de l'oxy-
gène dans le sang a diminué (Voy. flg. 63, 64, 63).
Ottolexghi vient de constater encore le même
fait en étudiant la toxicité du sérum des ani-
maux asphyxiés, beaucoup plus grande que celle
du sérum des animaux normaux.
Fia. 62.— Phénomènes posi-asphyxiques (se
lit de bas en haut). En bus frisson avant
l'asphy.Kie. Ligne 2, asphy.^cie. 1j^ 3, la tra-
chée est libérée. Respiration ralentie.
Six minutes d'intervalle entre chaque
tracé. Or, 36' après l'asphyxie, le frisson
n'est pas encore revenu. — Inscription
cardiographique;.
756
ASPHYXIE.
Quant aux phénomènes qui fe passent dans le sang veineux, ils sont tout à fait de
même ordre que ceux du sang artériel, avec cette particularité intéressante que la diiïé-
renoe d'oxygène dans les deux snngs reste à peu près constante, jusqu'à ce que la quan-
tité d'oxygène dans le
sang veineux soit ré- -
duite à son minimum
(P. Bert).
Les altérations mor-
phologiques du sang
dans l'asphyxie ont
été étudiées surtout
par les médecins lé-
gistes. Ottolenghi a
donné une honne ana-
lyse des travaux qui
ont été faits sur ce
sujet [Osservazioni spe-
rimentali sul langue
usfiitko. Arch. pcr le scienzc medichc, t. xvii, fasc. 4, p. 34;;)). Il admet que la résistance
des globules (à. la dissolution par le sel marin) diminue da:ns l'asphyxie, qu'il y a un
ralentissement notable dans le moment de la coagulation (chez le cobaye, 20' au lieu
de 6'); et enfin que le sang asphyxique s'oxyde moins rapidement que le sang normal.
Nous devons donc, en fin de compte, reconnaître que la cause vraie de l'asphyxie, c'est
l'absence d'oxygène dans les tissus ; mais en y ajoutant comme probable cette hypothèse
que, par la vie anaérohie des tissus, il se produit des substances toxiques qui hâtent la
mort.
Que l'acide carbonique exerce quelque influence sur la marche des phénomènes, cela
paraît être bien douteux : car d'abord la proportion centésimale de CO- dans le sang
iG. 6:1. — Cœur du chien avant 1 asphyxie. (T. 3U«. Chloralose),
oscillations sont[les respirations de l'aninial. — Euregistreme
dio^it-aphe. Voy. (la figure 6j où les mêmes phénoraùnes son
après l'asphyxie.
it par I
poét-asphyxiques. (Jfuui
ig. G-t.) Toutes conditions
et res['iration six minutes api'ès la tin do l'as[iliy>
étant les mêmes que dans la figure précédente.
e.^t moindre qu'à l'étal normal dans l'asphyxie ; et d'ailleurs l'intoxication par de fortes
doses de CO- diffère beauooup des phénomènes produits par l'absence d'oxygène (S. Fre-
DERicQ, Gttiiii.vN'T). liii soiuine l'acide carbonique, s'il est un poison, est un poison faible,
tandis que les autres poisons (inconnus encore) qui se produisent dans l'asphyxie sont
]irobablement beaucoup plus énergiques.
Keconnaissons toutefois que, si l'acide carbonique en excès ne hâte pas la mort,
il modifie singulièrement la foime des respirations qui prennent alors un type spécial
(W. RoSKrsTHAL).
De l'asphyxie lente. — Nous ne pouvons, entrer dans tous les détails de l'asphyxie
lente ; car elle existe à tous les degrés, et relève de la médecine plus que de la physiolo-
ASPHYXIE. 7û7
gie ; par exemple, lorsque, par suite d'une imperforatioii du trou de Botal (Voy. Cyanose),
le sang artéi'iel et le sang veineux se raélaugent dans le cœur, une sorte d'asphyxie fait
succomber le petit être nouveau-né. De même, cjuand, par le fait d'une congestion pul-
monaire, les poumons sont devenus imperméables à l'air, c'est encore une variété
d'asphyxie lente.
On peut en dire autant de la période terminale de la plupart des maladies. Comme
l'individu doit finir par succomber à une perversion fonctionnelle quelconque, c'est très
souvent par l'asphyxie que se termine la scène; mais, dans l'état de dépression extrême
des forces de l'organisme, on ne peut pas 'dire que la vraie cause de la mort soit l'as-
phyxie ; c'est seulement le mode de la mort.
L'histoire de l'asphyxie lente est en réalité l'histoire de la respiration dans de
l'air confiné; car les variations de la pression barométrique, si elles provoquent des
phénomènes essentiellement identiques au.x phénomènes asphyxiques, doivent être
étudiées par des méthodes trop spéciales pour que nous en abordions ici l'exposé (Voy.
Barométrique (Pression); Respiration; Mal des montagnes). Nous nous liornerons donc à
l'étude de la respiration dans l'air conlîné.
Plusieurs méthodes peuvent èlre employées; d'abord la plus simple, qui consiste à
placer un animal dans une enceinte limitée, où il n'y a pas renouvellement de l'air;
puis laconstilulion de mélanges f,'azeux artificiels, où lesproporlioiis d'oxygène sont moin-
dres que dans l'air atmosphérique, avec l'analyse des phénomènes physiologiques qu'on
voit alors survenir; enfin on peut faire simplement respirer l'animal dans un long tube
■où le va-et-vient de l'air n'est pas suffisant pour amener un renouvellement de l'air inlra-
pulmonaire ; mais de fait c'est toujours le même principe, c'est-à-dire le non-renouvel-
lement de l'air.
Les symptômes de cette asphyxie lente sont à vrai dire les mêmes que ceux de l'asphy-
xie aiguë; mais naturellement ils se passent avec plus de lenteur et se déroulent pendant
une demi-heure, ou une heure, ou parfois plus longtemps encore. On y retrouve, comme
dans l'asphyxie aiguë, l'angoisse, puis l'accélération respiratoire, |)ius l'arrêt des respi-
rations volontaires, puis enfin la mort du cœur.
Voici comment P. Bert retrace ce tableau de l'asphy.xie lente :
« Lorsqu'un animal est placé sous une cloche, on le voit, après un temps plus ou
moins long, donner tous les signes de malaise. Son poil se hérisse; il s'agite dans le
vase; si quelque fissure laisse entrer un peu d'air frais, il y applique avidement ses na-
rines. Sa respiration s'est accélérée; elle devient haletante. Puis elle se ralentit en même
temps que l'animal semble se calmer, ou du moins ne s'agite plus avec la même énergie;
plus lente, elle devient plus ample; enfin l'animal tombe au fond de la cloche; il n'a
plus que quelques rares mouvements; la gêne respiratoire est devenue maintenant de
l'angoisse; il ouvre béantes les narines et la bouche; il fait d'énormes efforts; ses pu-
pilles se dilatent; son intelligence, sa sensibilité sont de moins en moins actives; enfin la
mort survient. »
En général, dans l'asphyxie aiguë, il n'y a pas d'hypothermie, ou du moins l'abaisse-
ment thermique est faible; parfois même la^tempéiature augmente, tandis que, dans
l'asphyxie lente, le plus souvent on note une diminution de la température organique
de quelques degrés. Est-ce à cette cause qu'il faut attribuer l'absence presque complète
de convulsions dans l'asphyxie lente par les progrès de l'altération de l'air?
P. Bert, étudiant avec beaucoup de soin les modifirations de la composition de cet
air confiné au moment même de la mort de l'animal, est arrivé à cett-î conclusion que la
mort coïncide avec une proportion moyenne de 2 p. 100 d'oxygène, et de 17 p. 100
d'acide carbonique, les oiseaux et,.les man^iifères ne présentant à ce point de vue que
des différences insignifiantes. M
W. MuLLER, et après lui P. Brrt, ont (^staté que, si l'enceinte, à air pauvre en oxy-
gène, où respire l'animal, était très vaste, l'oxygène ne pouvait pas être consommé en
totalité, tandis que, dans des milieux confinés très limités, la consommation de l'oxy-
gène était presque totale. Le type de cet air confiné est alors évidemment l'air contenu
dans les bronches mêmes et la trachée de l'animal dont la trachée a été liée. Alors la
proportion d'oxygène descend à 1 p. 100, même encore au-dessous. On comprend sans
peine cette différence. En effet, tant que la circulation continue, le sang se charge d'oxy-
758 ASPHYXIE.
gène, et dépouille l'air de tout l'oxygène qu'il contenait. Or, si la circulation et la respi-
ration se continuent pendant quelque temps, alors, malgré l'asphyxie, la petite quantité
d'oxygène qui reste peut être consommée en totalité.
Il n'y a alors rien d'étonnant à trouver que, dans un vase très vaste, un petit animal
ne peut absorber avant de mourir que la moitié tout au plus de l'oxygène qui y est con-
tenu, tandis que, dans un petit vase, un gros animal, pendantles quelques minutes de circu-
lation et de respiration qui lui restent, peut absorber presque tout l'oxygène qui s'y trouve.
Il est évident que, pour les animaux à sang froid, la mort par l'air confiné survient
bien plus tardivement; et qu'il en est de même pour les animaux hibernants. Spallan-
ZANi avait admis qu'une marmotte peut vivre dans de l'acide carbonique pur quand elle
est en hibernation, et Saissy a cru aussi constater que des hibernants peuvent rester vi-
vants plus d'une heure dans une enceinte dont ils ont absorbé tout l'oxygène. Valentin,
qui conteste ces affirmations, dit cependant qu'il a vu vivre un hérisson en hibernation
quand l'air ne contenait plus que 4 p. 100 d'oxygène avec H p. 100 d'acide carbonique.
D'ailleurs on conçoit que l'asphyxie aiguë, qui, chez les animaux à sang froid, survient si
lentement, môme dans des atmosphères privées d'oxygène, doit survenir bien plus len-
tement encore quand il reste des quantités notables d'oxygène.
Les hygiénistes se sont préoccupés avec raison des proportions niinima d'oxygène
compatibles avec la vie, et ils sont arrivés à des résultats assez concordants.
D'abord il faut distinguer les altérations de l'air confiné proprement dit et le défaut
d'oxygène. Tout le monde sait que l'air où ont vécu et respirent plusieurs personnes
exhale une odeur fétide. Il est chargé de vapeur d'eau, et contient des produits volatils^
dus en partie à la transpiration cutanée, en partie aux exhalations intestinales, en par-
tie peut-être aux substances (encore hypothétiques) qui seraient exhalées avec la respi-
ration. Mais en tout cas la proportion d'oxygène n'a pas beaucoup varié. Dans les
analyses d'air confiné (salles de spectacle, salles d'hôpital, chambrées de caserne) on n'a
jamais trouvé une diminution d'oxygène de plus de 1 p. 100, et encore ce chiffre est-il
rarement atteint, si bien qu'on pourrait croire que l'air devient irrespirable, quand la
proportion d'oxygène diminue de t p. 100. Mais ce serait une erreur; car on peut faire
vivre presque indéfiniment des animaux dans des atmosphères plus pauvres encore en
oxygène, si l'on a soin d'éliminer les produits d'exhalation, tels que la vapeur d'eau, et
^es substances solubles dans l'eau. Nous avons donc ce paradoxe que l'air confiné est
toxique par d'autres causes que le déficit d'oxygène ou l'excès d'acide carbonique.
On sait d'ailleurs que d'ArsOiNval et Brown-Séquard ont prouvé que l'air confiné
contient des substances toxiques volatiles, dues à l'exhalation pulmonaire. La démons-
tration de ce fait important n'a pas encore été établie d'une manière irréprochable;
toutefois, d'après leurs dernières recherches, elle semble bien probable' {La toxicité de
l'air expiré dépend d'un poison provenant des poumons et non de l'acide carbonique, A. P.,
1894, t. VI, (o;, p. 113). Voy. Respiration.
Quoiqu'il soit impossible d'assigner un chiffre précis à la composition gazeuse de l'air
asphyxique, nous voyons cependant que, lorsque l'air ne contient plus que ta ou 16 p. 100
d'oxygène, les animaux commencent à donner quelques signes de malaise. Ils peuvent
encore quelque temps vivre dans ces atmosphères pauvres en oxygène; mais, quand il
n'y a plus que 12 ou 10 p. dOO d'oxygène, alors l'asphyxie est presque fatale. Encore
faut-il tenir compte de bien des conditions accessoires, la brusquerie plus ou moins
grande des altérations de l'air, la température extérieure, celle de l'animal, l'intensité
de ses contractions musculaires, toutes causes qui augmentent ou diminuent ses besoins
en oxygène.
A la vérité on peut faire vivre quelque temps des animaux dans des milieux contenant
moins de 10 p. 100 d'oxygène, et nous venons de voir que, si l'on analyse les mélanges
gazeux dans lesquels ont succombé des animaux divers, on trouve que la proportion
d'o.xygène est moindre que 4 p. 100; mais il est certain que la vie ne pouvait continuer,
et qu'un animal à sang chaud ne peut vivre que peu de temps quand l'air ne contient
que 10 p. 100 d'oxygène.
On rapprochera de ce chiffre de 10 p. 100 le chiffre qui résulte de l'étude des pres-
sions basses; car c'est précisément quand la pression s'est abaissée à 50 p. 100 de la
pression normale que l'animal meurt asphyxié. Or une diminution de BO p. 100 de la
ASPHYXIE. T.Si)
pression correspond à une diminution de proportionnalité de l'oxygène de "A) p. lOil.
Si donc je devais formuler d'une manière schématique, et trop sciiématique pour
être exacte, les proportions convenables d'oxygène dans l'air, je dirais : au-chvsnus de
20p. 100, malaise; au-dciminiii de i6 p. 100, aiijjhywie lente: au-desf:ous de 6 p. 100, aaphfj-
xie rapide.
On n'a guère étudié les modifications que fait subir à l'organisme le fait de respirer
pendant longtemps dans un air pauvre en oxj'gène. On peut citer cependant les expé-
riences de Albitski (An. in Jahrcsber. fur Physiol. 1883, t. xii, p. 290). Il a placé des chiens
dans des enceintes où d-e l'hydrogène était mêlé à l'air, de manière que la proportion
de l'oxygène ne fût plus que de 16, Ib, 14 et S p, 100. L'acide carbonique produit était
éliminé au fur et à mesure de sa production. Quand la quantité d'oxygène était supé-
rieure à 10 p. 100 dans l'air inspiré, (les échanges interstitiels n'étaient pas modifiés.
Mais, si ces proportions d'oxygène deviennent inférieures à 9, 8, 7 p. 100, alors on voit
la respiration devenir très profonde,^dyspnéique et laborieuse. Le cœur se ralentit; la
température s'abaisse de 8° ou 10°, et l'animal est plongé dans une sorte de demi-coma.
Des phénomènes curieux se passent du côté du rein. Après quatre ou cinq heures de
respiration dans ce milieu asphyxique, l'animal émet une urine sanguinolente, riche en
globules sanguins. Les globules du sang qui circule dans les vaisseaux sont eux aussi
profondément altérés. Si Poxygène est, dans l'air, en proportion plus faible, soit inférieure
à 5 p. 100, il y a anurie complète (les canalicules du rein sont remplis de cristaux
d'hémoglobine) et l'urée filtre dans le tube digestif. Jones (cité par H. Milne Edwards
(r. P., 1857, t. I, p. 529) avait noté que chez les tortues l'asphyxie altère la forme des glo-
bules rouges du sang.
Il est à noter que presque toujours, en revenant à l'air libre, ces phénomènes graves
s'amendent rapidement, si bien qu'au bout de quelques heures l'animal est revenu à son
état primitif.
C'est à une conclusion à peu près identique qu'est arrivé LACL.-vrviÉ [MmcUe des altéra-
tions de l'air dans l'asphyxie en vase elos. A. P., 1894, p. vi, (5), pp. 842-859). Le chimisme
respiratoire ne se modifie pas tant que la tension de l'oxygène [est égale ou supérieure
là 12 p. 100 environ.
Quant à l'acide carbonique, il faut répéter ce que j'ai souvent déjà dit, à savoir que
sa toxicité est faible, et que l'on peut presque impunément respirer des mélanges où il
y a 4 et 8 p. 100 de ce gaz. La mort par l'asphyxie dans l'air confiné n'est certainement
pas due à l'acide carbonique; car, si l'on remplace l'oxygène consommé par du nouvel
oxygène, on peut faire vivre longtemps des animaux dans ce milieu riche en oxygène
riche et aussi en acide carbonique. Aussi voit-on souvent dans les expériences des
physiologistes vivre des animaux qui respirent 20 et même .30 p. 100 d'acide carbo-
nique.
Nous arrivons donc finalement à cette conclusion générale que la mort, dans l'as-
phyxie lente comme dans l'asphyxie aiguë, est due à l'absence d'oxygène et que l'acide
carbonique, dans l'un et dans l'autre cas, ne joue qu'un rôle médiocre, et même à peu
près nul, pour provoquer les phénomènes de l'asphyxie.
Un autre procédé pour déterminer l'asphyxie lente consiste à diminuer non la pro-
portion de l'oxygène de l'air, mais la ventilation pulmonaire, par exemple en dimi-
nuant le calibre de la trachée par un moyen expérimental quelconque, ou bien en inter-
posant à l'inspiration ou à l'expiration une colonne d'eau ou de mercure assez haute
pour faire une résistance mécanique importante.
Marey a employé le premier moyen; mais il n'a pas poussé jusqu'à l'asphyxie la
diminution du calibre trachéal, puisque ses expériences ont été faites sur l'homme, et
il s'est surtout attaché à l'étude des changements de forme de type respiratoire du
rylhme {Méthode graphique, p. 553).
P. Beht a aussi fait quelques études sur le chien à ce point de vue, mais surtout pour
la forme de la respiration {Leçons sur la respiration, p. 412).
Quant à l'interposition d'une colonne liquide résistante, il n'y a guère à citer que les
expériences que j'ai faites avec P. Langlois. Nous sommes arrivés ainsi à diminuer,
dans des proportions qui varient avec la hauteur de la pression, la ventilation des
chiens en expérience; et par conséquent nous avons pu tant bien que mal préciser le
760 ASPHYXIE.
chiffre minimum de la venlilatioa r.ompal.ible avec ia vie [Influence dcf. presaionn exté-
rieures, sur la ventilation pulmonaire. T. L., t. ii, p. 340).
La ventilation diminue avec la pression à vaincre, et, si nous supposons la ventila-
tion normale d'un cliien é^ale à 100, elle sera diminuée de 50 p. 100 quand la pression
sera de 30 centimètres d'eau. Si la pression atteint 40 centimètres, alors la venti-
lation diminue de 60 p. 100, et il y a asphyxie imminente; par conséquent on ne peut
diminuer la ventilation normale de plus de 60 p. 100 sans qu'il y ait péril d'asphyxie.
Ce chiffre de 60 p. 100 n'est évidemment pas absolu, et, chez les chiens chloralisés ou
morphines, on peut encore, par rapport à la respiration normale, diminuer la venti-
lation de 70 p. 100, sans que l'asphyxie soit imminente.
Toutes ces expériences d'ailleurs ne nous l'enseignent pas beaucoup sur les phéno-
mènes physiologiques, chimiques ou nerveux qui se passent dans l'asphyxie lente. Ce
serait sans doute une intéressante étude à faire, et toute nouvelle; car il n'existe à ce
point de vue que peu de données précises.
Traitement de l'asphyxie. — Rien de plus simple en principe queletraitementde
l'asphyxie. 11 consiste en ceci qu'il fautfaire respirer l'animal asphyxié et introduire de l'air
dans les poumons; mais diverses considérations préalables méritent d'être mentionnées.
Nous pouvons d'abord établir en principe que ce qui domine la situation, c'est-à-dire
la possibilité de la survie, c'est l'état du cœur. Tant que le cœur bat, le retour à la vie
est possible. Au contraire, dès que le cœur_a cessé de battre, il est malheureusement
très probable que tous les efforts pour ranimer l'asphyxié seront inutiles. C'est dans
des cas font à fait exceptionnels qu'on voit les contractions cardiaques reparaître après
avoir disparu pendant quelque temps.
Toutefois ce n'est pas une raison pour se décourager; et même, en cas de syncope
prolongée, il faut faire comme si la syncope n'existait pas.
Donc, puisqu'on ne peut rien, quoi qu'on en dise, sur le cœur, il faut introduire de
. l'air dans les poumons par la respiration artificielle. Mais quel est le meilleur procédé
de respiration artificielle?
1° Compression du thorax. — C'est assurément le moyen le plus simple, et il n'est
pas le plus mauvais, tant s'en faut. 11 ne nécessite aucune instrumentation, et les per-
sonnes les moins expérimentées peuvent l'employer.
Voici comment on peut opérer. On comprime le thorax qui, par son élasticité propre^
revient, après avoir été comprimé, à sa position primitive, et on continue cette ma-
nœuvre jusqu'à ce que la respiration naturelle soit revenue. Un des avantages importants
de celte méthode, c'est que, par la compression du thorax, on n'agit pas seulement
sur la respiration; on peut aussi comprimer quelque peu le cœur qui, à cette période
d'asphyxie profonde, est notablement asphyxié et se trouve alors gorgé de sang noir.
Le ventricule droit est plein de sang asphyxique, et la compression tend à faciliter la
déplétion du ventricule droit surchargé de sang toxique. .J'ai vu quelquefois, par la
compression du thorax, revenir à la vie des chiens asphyxiés que la respiration artifi-
cielle n'avait pas pu ranimer.
2° Élévation des bras. — C'est le procédé qu'on appelle souvent de Sylvester; il n'est
pas aussi efficace, semble-t-il, que la compression du thorax; c'est d'ailleurs une mé-
thode simple et qu'on peut combiner à la compression du thorax.
3° Élcclrisation des nerfs phréniques. — Moyen d'une exécution difficile, plus théo-
rique que pratique, et qui me parait assez mal conçu; car, en somme, il importe peu
que l'air arrive dans les poumons par la contraction du diaphragme ou par la com-
pression du thorax. Au fond cette méthode de l'électrisation des nerfs phréniques n'est
jamais employée, et on a raison.
4" Procédé de Maushall-Hall. — Ce procédé consiste à mettre l'asphyxié sur la face
au lieu de le placer dans le décubitus dorsal et à pratiquer alors la respiralion artifi-
cielle par compression du thorax. A vrai dire, ce n'est pas un procédé général contre
rasph3'xie, mais seulement dans le cas d'asphyxie par submersion; la position du
patient facilite ainsi l'écoulement de l'eau qui a pénétré dans la trachée.
o" Aspiration thoracique. — C'est encore là un moyen peu employé qui consisterait
à faire le vide dans la poitrine au moyen d'une aspiration mécanique (M. Perbin', article
Asphyxie du Dict. encycl., p. 61 1).
ASPHYXIE. 761
C Insufflation pulmonaire. — Elle peut se faire de diverses manières, tantôt par la
bouche, tantôt par le larynx, tantôt par la trachée. En réalilé, l'insufflation par la
bouche ou le pharj'nx sont assez peu efficaces; car l'épiglotte est là qui oppose un
sérieux obstacle à la pénétration de l'air dans la trachée, de sorte qu'en fin de compte
c'est l'insufflation trachéale qu'il faudra faire. Certes la trachéotomie est un moyen
héroïque, et de cette manière on est absolument sûr de faire bien pénétrer de l'air dans
les vésicules pulmonaires; mais d'abord la trachéotomie exige un certain temps et la
nécessité d'un, secours urgent se compte ici non par minutes, mais par secondes; enfin
c'est une opération grave qu'un chirurgien habile est seul en état de faire, et elle laisse
après elle une nmtilation. Donc, sur l'homme, tout au moins (si dans un laboratoire de
physiologie on peut songer à la trachéotomie), le médecin doit renoncer résolument
à la trachéotomie, et pour faire la respiration artificielle et l'insufflation pulmonaire,
pénétrer dans la trachée par une canule introduite par la bouche. Divers appareils ont
été proposés, surtout par des médecins accoucheurs, car il faut remédier activement
à l'asphyxie des nouveau-nés qui se présente fréquemment.[Mais nous ne pouvons entrer
dans le détail technique de ces instruments, très nombreux.
L'insufflation trachéale, à condition, bien entendu qu'elle soit pratiquée avec une cer-
taine modération, ne parait entraîner aucun accident grave, et c'est bien à tort que
Leroy d'Étiolles, en 1829, dans un mémoire célèbre, l'a considérée comme amenant
des déchirures, de l'emphysème, et tout un cortège d'accidents qui me paraissent
illusoires.
7° Tractions ri/thmôes de la langue. Procédé de V. Laborde. — Ce moyen combiné
avec la respiration artificielle paraît avoir donné d'excellents résultats {Tractions rythmées
de la langue, i vol. in-8, Paris, 1894). Dans le livre que V. Laborde a pubhésur ce sujet,
on trouvera un grand nombre d'observations où le rappel à la vie a été obtenu par
les tractions rythmées de la langue dans les cas les plus divers, submersion, intoxica-
tions, tétanos, éclampsie, fulguration, asphyxie des nouveau-nés, chloroformisation,
diphtérie, etc. On peut s'assurer que ce procédé a fait ses pi'euves et qu'il est préfé-
rable à tous les autres, sauf cependant celui de l'insufflation pulmonaire, comme Tarnieb
et Pinard l'ont bien montré dans une discussion à l'Académie de médecine (1894);
d'autant plus qu'il est facile à mettre en usage et qu'il n'est pas besoin d'un médecin
pour le pratiquer. Markschal en a indiqué nettement les termes dans une instruction
adressée aux pontonniers.
Le principe de ce traitement consiste à faire la respiration artificielle combinée avec
les tractions de la langue. Mais, tout en reconnaissant la valeur de ce procédé, je ne
pense pas que l'explication physiologique que donne Laborde soit suffisante. Pour lui,
en effet, ce serait par une action réflexe dont le point de départ est dans les nerfs de
la langue que seraient réveillées les respirations. 11 me paraît difficile d'admettre qu'il
peut se produire un réflexe; car, à cette période ultime de l'asphyxie, il n'y a plus
aucun signe de vie. Toute activité du système nerveux, spontanée ou réflexe, a dis-
paru par le fait de l'absence d'oxygène. Le bulbe et la moelle sont dans un état de mort
apparente. Comment alors se produirait-il'des réflexes?
Le cœur bal encore; on ne doit pas l'oublier. Par conséquent, il suffira de faire
revenir de l'air dans le poumon pour ranimer la vie du bulbe et de la moelle. Quelle
que soit la dépression du système nerveux respiratoire, tant que le cœur bat, il y a
espoir; car, dans ce cas, on est à peu près sûr, dès qu'on rend de l'air aux poumons,
même si pendant une demi-heure les respirations spontanées ne reviennent pas, qu'elles
finiront par revenir tôt ou tard, de sorte que la méthode des tractions rythmées de la
langue ne paraît pas du tout agir par un mécanisme réflexe, mais uniquement parce
qu'elle est le meilleur procédé de respiration artificielle.
En effet, si nous analysons son mode d'action, nous voyons que c'est en somme une
respiration artificielle avec trachée ouverte, c'est-à-dire dans des conditions qui
assurent un renouvellement efficace de l'air des poumons. On ne peut en dire autant
des procédés de respiration qui laissent l'épiglotte reposer sur la glotte et constituent
ainsi un obstacle faible, mais réel, à la respiration. Nous avons démontré, P. Langlois
et moi, que, dans l'anesthésie par le chloroforme, par exemple, le moindre obstacle
mécanique à l'expiration devenait infranchissable. Donc je tendrais à croire qu'il n'y a
762
ASPHYXIE.
Durée de l'asphyxie aiguë.
^
GENRE
EIPERIMEN'TATEUIIS.
ANIMAI'X.
""■ K
OBSERVATIONS.
o -J
D ASPHYXIE.
Paul Bert
Chiens.
IV
4'23"
Submersion.
Dernier mouvemeut à — .
Comité de Londres.
—
V
3'd.V'
Occlusion
de la trachée.
Dernière respir.ition à — - Dernier
battement de cœur après 7'.
PlOT
—
IV
T
Occlusion
delà trachée.
Dernier battement de cœur :i — ,
Retour à la vie par la respiration
artificielle.
Comité de Londres.
"
X
l'30"
Submersion.
Retour à la vie impossible par la
respiration artificielle ; un retour
à la vie après l'l.i" de submersion.
—
~~
VI 11
5'25"
Occlusion
delà trachée.
Retour à la vie possible.
Ch. Richet. . . . .
—
m
rso"
Submersion.
Retour à la vie après 1 'Id" impos-
"
11
16'
Occlusion
delà trachée.
Chiens refroidis à 31» et chloralisi^s ■
Retours ta vie possible après Ib'.
Brouardel et Loye.
—
IV
3'40"
Submersion.
"W. Edwards. . . .
Chiens (u.-nés).
II
12'.5"
—
Eau à 0".
—
—
I
D.V30"
—
Eau à 22».
Paul Bert
Chats.
III
2'5.5"
—
Dernic mouvemçnt à — .
BOEEM
—
XII
3'
Occlusion
Dernière respiration spontanée i — .
Retour à la vie après 4' pour cer-
W. Edwards. . . .
Chats (n.-né.s).
11
38'45"
Submersion.
tains par la respiration artilicielle.
Eau il 20».
Paul Bert
Cobayes.
1
2'
Dernier mouvement à —
W. Edwards. . . .
—
m
3'2o"
—
Cobayes 'n.-nés).
VI
o'2.o"
_
Le Coquil
Cobayes.
V
3'
-
Retour à la vie par respiration ar-
tificielle après l'40" de submer-
Paul Bert
Lapins.
VI
3'
Comité de Londres.
—
III
3'20"
—
Dernière respiration à — . Dernier
Le Coquil ...._.
Rats.
IX
3'
Paul Bert
Rats blancs.
II
2'e"
_
Dernier mouvement à — .
—
Rats d'eau.
IV
2'17"
_
Dernier mouvement à — .
—
Phoque.
I
28'
_
Dernier mouvement il — .
—
Chouette effraie.
I
2'or'
Dernier mouvement à — .
_
Moineaux.
II
37"
_
Dernier mouvement à — .
—
Alouette.
II
3.5"
_
Dernier mouvement à — .
-
Roitelet huppé.
I
20"
-
Dernier mouvement ii — .
Hirondelle.
I
45"
_
Dernier mouvement ii — .
—
Etourneau.
I
l'30"
_
Dernier mouvement a — .
Cii. Richet
Pigeon.
I
45"
—
Ne meurt pas.
~
—
I
rio"
Ligature,
de la trachée.
Mort.
Paul Bert
—
V
l'16"
Submersion.
Dernier mouvement a — .
—
Poule.
VI
3'31"
—
Dernier mouvement à —
—
Perdrix.
II
2'10"
—
Dernier mouvement à ,-.
—
Râle d'eau.
I
4'30"
—
Dernier mouvement à — .
—
Goéland brun.
I
4'43"
—
Dernier mouvement i ~.
—
Canard sarcelle.
II
T15"
—
Dernier mouvement à — .
—
Canard.
VIII
iri7"
—
Dernier mouvement à — .
Ch. Richet. . . .
Canard.
VIII
7'30"
Aucuns troubles.
—
Canard.
I
4'
—
L'animal est submerpé après avoir
éprouvé une perte de sang de 40
Paul Bert
Dindon.
1
2'3(J"
—
Dernier mouvement à —
W. Edwards. . . .
Moineaux
adultes.
vu
(J'30"
—
Eau à Ou.
Moineaux-
adultes.
vu
0'46"
— Eau à 20«-
ASPHYXIE. 763
pas de rappel à la vie par un réflexe, puisque tous les réllexes sont abolis. Si la trac-
tion de la langue agit, c'est parce qu'elle ouvre largement la trachée et assure le renou-
vellement de l'air inira-pulmonaire.
Aux procédés de respiration artificielle il faut ajouter des moyens adjuvants qui ont
leur importance, mais une importance qu'il ne faudrait pas exagérer; car nous sommes
impuissants à agir sur le cœur quand il est arrêté, et, quant à la respiration, une fois
que l'air a pénétré dans les poumons, si le cœur vil, on peut être sûr du succès. Cepen-
dant il y a des cas, surtout quand il s'agit d'asphyxies toxiques, où, le cœur continuant
à battre, la respiration spcuitanée reparait pendant quelque temps pour cesser ensuite
définitivement. Il faut en effet se rappeler ce que nous avons dit plus haut, c'est que
l'état asphyxique crée une intoxication véritable, plus ou moins prolongée, dont les
centres nerveux ne se remettent pas immédiatement. Aussi, dans quelques cas exception-
nels, malgré le retour de la circulation et de la respiration, les centres nerveux ne
peuvent-ils revenir à leur fonction normale.
On peut supposer ainsi, avec Hoehu, que la respiration artificielle est efficace pour
combattre certains empoisonnements, par exemple l'intoxication par la potasse; de sorte
que la dose toxique n'est pas la même, selon qu'on fait ou non la respiration artificielle,
même lorsque la cause de la mort n'est pas l'asphyxie. Dans les maladies infectieuses,
même quand la fonction respiratoire n'est pas paralysée complètement, peut-être la
respiration artificielle ne serait-elle pas sans influence; comme si une lente asphyxie
contribuait à rendre plus graves tous les phénomènes d'intoxication.
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Woch., 29 avril 1895, n» 17, pp. 361-364).
Voir aussi, dans ce Dictionnaire, les articles Oxygène, Respiration, Sang.
CH. R.
ASPIDOSPERMATINE. — Alcaloïde retiré de l'écorce àe VAspido-
sperma quebracho. Voj'ez Aspidospermine.
ASPIDOSPERMINE (C"H">AZ'-02). — L'aspidospermine est un alca-
loïde retiré pour la première fois par Froude de l'écorce de i'Aspidosperma quebracho ou
quebracho blanco, arbre de la famille des apocynées.
Outre l'aspidospermine, l'écorce du quebracho blanco fournit d'autres principes 'actifs
qui sont : la québrachine, l'aspidospermatioe, l'hypoquébrachine, l'aspidosamine, la
québrachamine; du québrachol analogue aux alcools; de l'amidon et du tanin.
C'est le mélange des quatre premiers alcaloïdes qui constitue l'aspidospermine du
commerce, qu'il faut distinguer, au point de vue des propriétés, de l'aspidospermine pure.
Préparation. — Dans un appareil à déplacement, on épuise loOO grammes d'écorce
finement concassée, par a kilogrammes d'eau froide additionnée de 100 grammes
d'acide sulfurique. Par un léger excès d'acétate de plomb, on débarrasse la liqueur obte-
nue du tanin et des matières colorantes. Après fillration, on fait passer un courant
ASPIDOSPERMINE. 7tio
d'acide siilfhydrique pour enlever le plomb en excès; on lîllre, on ajoute du cai'bonale
de soude jusqu'à réaction alcaline; on obtient un dépôt caséeux que l'on recueille, que
l'on sèche et que l'on épuise par l'alcool. Le résidu est constitué par du carbonate de
chaux. On fait bouillir assez longtemps la solution alcoolique avec du noir animal, on
filtre, on distille presque tout l'alcool et l'on mélange le résidu à un e'gal voluine d'eau
bouillante; on abandonne à l'évaporation spontanée. Peu à peu il se dépose des cristaux
colorés d'alcaloide. On les essore, et on les dissout dans de l'alcool. Ou fait de nouveau
bouillir avec du noir animal et on traite comme précédemment. C'est après 4 à b traite-
ments du même genre que l'on obtient l'alcaloïde cristallisé et décoloré (Dcpuy).
Propriétés physiques et chimiques. — L'aspidospermine pure cristallise en petits
cristaux prismatiques ou en fines aiguilles. Très soluble dans l'alcool, la benzine, le
chloroforme et l'éther, elle est très peu soluble dans l'eau : 1 pour 6000; elle estlévogyre,
très amère et fond à 20o°-206". Avec les acides sulfurique, chlorhydrique, acétique, citri-
que, elle donne des sels qui cristallisent difficilement et qui sont plutôt amorphes. Ces
sels sont solubles dans l'eau et l'alcool.
Chauffée avec luie solution d'acide perchlorique, l'aspidospermine donne une réaction
rouge. Si à de l'aspidospermine arrosée d'une goutte de SO''H-, on ajoute une par-
celle de peroxyde de plomb, on obtient une coloration d'abord brune, puis rouge cerise.
Si la base est impure, la couleur est violette.
Propriétés physiologiques. — Bien des auteurs out étudié les propriétés de
l'écorce de quebracho, mais c'est à Ch. Eloy et H. Huchard (A. P., 1886, p. 236) que l'on
doit une étude détaillée de l'action des principaux alcaloïdes de cette écorce sur les diver-
ses fonctions de l'organisme. L'aspidospermine pure agit s\Jn-la.motilité, elle provoque, à
doses élevées, des convulsions; à faibles doses, des tremblements; à doses massives^
la paralysie. Un fait à noter, c'est l'enrouement que l'on constate chez les animaux
en expérience, par suite, sans doute, de la paralysie des muscles tenseurs des cordes
vocales.
Elle n'altère pas ] a. sensibilité périphérique, mais on constate, sous son influence, une
augmentation de l'excitabilité électrique du nerf phrénique.
La circulation est modifiée en ce sens que les battements cardiaques sont ralentis de
la6 à 126 par exemple.
La respiration est la fonction qui est le plus modifiée par l'aspidospermine. On cons-
tate en effet, au bout de 8 à la minutes, une augmentation non du nombre des mou-
vements respiratoires, mais de leur amplitude; cette augmentation se fait dans la pro-
portion de 1 à 5. Un moment après, le rythme change, la fréquence |est accrue dans le
rapport de il à 12 (lapin) ou do 10 à H (chien). Cette augmentation de fréquence se
manifeste environ un quart d'heure après l'administration de l'aspidospermine, elle per-
siste pendant deux à quatre heures et n'est pas transitoire comme l'augmentation de
l'amplitude.
Si l'on dépasse la dose physiologique [o à 10 centigrammes pour le chien) ou si l'éli-
mination de la substance active est nulle ou insuffisante, on constate l'arythmie des
mouvements respiratoires et la diminution de leur étendue qui va en s'accenluant jns-
qu'cà la mort.
La méthode graphique permet de constater que la fréquence de la respiration costale
est plus modifiée que celle de la respiration abdominale.
La température subit uu abaissement très marqué. Ainsi, chez le lapin, i centi-
gramme de chlorhydrate d'aspidospermine fait baisser la température en 49 minutes,
de 39° à Sô-S.
Le sanij veineux est modifié dans sa coloration, chez un animal intoxiqué par l'aspi-
dospermine. Il est, en effet, rouge groseille ou rosé, comme chez les animaux qui suc-
combent après la piqiîre du bec du calamus, par arrêt des échanges. Il est facile de
constater par la méthode d'HÉNOCQUE, que l'hémoglobine n'est pas diminuée, qu'elle
n'est pas non plus réduite; les globules sanguins restent intacts. L'aspidospermine pro-
duirait donc l'arrêt des échanges entre le sang et les tissus.
Elle agit aussi sur les sécrétions des roins, des glandes intestinales et des glandes
salivaires en produisant une hypersécrétion.
Ce que nous venons de dire prouve que celte substance peut devenir toxique, car elle
766 ASSIMILATION.
peut amener la mort par asphyxie, par paralysie des muscles respiratoires ou par arrêt
des échanges.
Son action semble s'exercer sur le centre respiratoire. Pour Gutman'n, chez les ani-
maux à sang chaud, l'action primitive se fait sentir sur le cœur; les ganglions cardiaques
seraient atteints; la température baisse parallèlement, puis surviennent les troubles
respiratoires. Pour Harnack et Hoffmann l'aspidospermine produirait un abaissement de
l'excitabilité du centre respiratoire (Zei^sc/u'. f. klin. Med., 1884, t. viii, pp. 471-516).
Ce qui précède se rapporte à l'aspidospermine pure. L'action de l'aspidospermine du
commerce en diffère un peu, car elle n'est qu'un mélange de quatre alcaloïdes : de l'as-
pidospermine, de la québrachine, de l'aspidospermatine et de l'hypoquébrachine.
La québrachine (C--H-^Az-0-) cristallise en aiguilles déliées, qui jaunissent à l'air^'
Soluble dans l'eau, l'alcool, le chloroforme bouillant, elle dévie à droite le plan de pola-
risation. Le lactate de québrachine est le seul sel soluble. Sa solution additionnée d'un
cristal de bichromate de potasse se colore en bleu ou en violet.
L'aspidospermatine [C-'R-'^Az-O-] est très soluble dans l'alcool, l'éther, le chloroforme;
elle forme avec les acides des sels amorphes dont le lactate est assez soluble.
V hypoqufbraciiine est analogue à la québrachine ; avec les acides elle l'orme des sels
dont le sulfate est le plus soluble.
C'est le mélange de ces substances qui constitue l'aspidospermine du commerce,
poudre blanc jaunâtre, riche en matière colorante, se dissolvant dans des liquides aci-
dulés et dont la composition est moins définie. Elle a toutes les propriétés essentielles
de l'aspidospermine pure, avec cette différence que l'action sur la circulation et la res-
piration est moindre et que l'action hypothermique au contraire est plus prononcée, à
cause de la québrachine qui est l'alcaloïde le plus aulithermique.
L'aspidospermine du commerce est aussi toxique que la pure; elle peut amener la
mort, soit par paralysie des muscles de la respiration, soit par arrêt des échanges. Il est
donc important de bien connaître les effets physiologiques signalés précédemment pour
pouvoir faii'e une bonne application thérapeutique.
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L. E. Strœbel {Th. doct., Montpellier, 1882).
CH. LIVON.
ASSIMILATION. — Pour la plupart des auteurs qui se sont occupés
de cette importante question, il faut entendre par assimilation l'acte intime par lequel
les substances absorbées deviennent parties intégrantes des éléments anatomiques,
c'est-à-dire deviennent de la substance vivante, du protoplasme, au sens le plus large de ce
mot.
Pour se faire une idée nette de cette transformation, il faudrait par conséquent avoir
des notions exactes sur la composition chimique de celte jnatière vivante.
Malheureusement, si nous connaissons la nature des éléments hydrocarbonés et des
graisses que l'on trouve dans le protoplasme, nous en sommes réduits à des hypothèses
quand il s'agit de déterminer la structure du constituant principal, de l'albumine.
La théorie de Sghïjtzenbergek qui considère l'albumine comme une uréide complexe,
une combinaison de l'urée avec des glycoproléines ne cherche pas à rendre compte des
difl'érences entre la matière inerte, morte, et la matière active, vivante. PflCger est le
premier qui ait tenté d'interpréter ces différences. Pour lui l'azote serait dans l'albu-
mine morte combiné sous forme d'amide (AzH-), tandis qu'il se trouverait dans l'albu-
mine vivante sous forme de cyanogène (C-Vz). — Dans l'assimilation de l'albumine inerte,
la molécule de cette dernière formerait avec la molécule de l'albumine vivante une com-
binaison éthérée avec dégagement d'eau. L'azote devenu libre par la mise en liberté de
l'hydrogène se combinerait au carbone pour donner naissance au radical peu stable du
cyanogène.
ASSIMILATION. 767
Une différence plus grande entre l'albumine morte 'et l'albumine vivante consisterait
dans la présence en cette dernière de plusieurs groupements aldéhydiques, extrême-
ment instables par conséquent (Pflûger, Nencki).
Peut-être aussi faut-il attribuer, avec Lœw, une grande importance à la présence
dans l'albumine vivante de groupements aldéhydiques et amidés qni hérisseraient en quel-
que sorte la surface de la molécule
I /H
H — C — AzC"
'\H
— C
I
et qui pourraient, par un simple glissement, se transformer en groupements semblables
à celui-ci :
H_C — Az— H
I \"
Ce court aperçu montre bien que nous en serons encore longtemps réduits à des
hypothèses sur la nature intime de l'assimilation. — Mais, même abstraction faite de
ces délicates transpositions d'atomes, ie gros du phénomène ne nous est encore qu'im-
parfaitement connu.
A. Gautier (Chimie phj/siologique) admet que l'assimilation consiste en une modifi-
cation des principes immédiats suivant laquelle ceux-ci sont transformés en variétés de
même espèce, mais différentes suivant les tissus. Ainsi les hydrates de carbone, les corps
amidés, les substances protéiniques, les sels qui se tro'uvent également dans les plantes
et dans les différentes espèces animales subissent par le pa?sage des éléments les uns
dans les autres une modification qui semble ne porter que sur les annexes de la molé-
cule; c'est-à-dire que les transformations ne porteraient pas sur les éléments qui don-'
nent à ces corps leurs caractères fondamentaux. Il en serait par exemple des transfor-
mations assimilatrices à peu près ce qui en est des transformations des graisses dans
l'organisme : celles-ci peuvent, en efïet, voir se changer l'acide qui entre dans leur
composition, tandis que le radical glycérique reste le même. Il faut bien noter, dès main-
tenant, que l'assimilation ne consiste pas dans un choix effectué dans le sang, par les
éléments cellulaires, de l'élément [qui leur convient. La transformation, quelle qu'elle
soit, a lieu dans l'intérieur même de l'élément. C'est celui-ci, ou les produits directs
de celui-ci, qui en sont les facteurs.
C'est donc, suivant A. GAUiiER, grâce à l'assimilation que l'albumine végétale, la caséine
végétale, la conglutine des amandes, la légumine des pois, la gluten-caséine du blé se
transforment en albumine de l'œuf, caséine du lait, fibrine, myosine, osséine, ou que
ces dernières se transforment les unes dans les autres.
Mais c'est là ne considérer que les deux termes les plus éloignés l'un de l'autre dans la
série des transformations multiples que doit subir l'albumine morte avant de s'élever au
rang d'albumine vivante. C'est constater l'absorption d'un corps étranger, sa dissolu-
tion, son intégration par la cellule, sans se demander ce qui se passe entre la dissolu-
tion et l'intégration et pendant l'intégration elle-même. C'est, par exemple, chez les
animaux supérieurs, laisser inexploré l'espace immense qui sépare la peptonisation des
albumines de leur transformation en myosinogène.
Aussi l'étude des organismes inférieurs donne-t-elle peu de résultats dans cette ques-
tion de l'assimilation. 11 faut, pour arriver à des conclusions plus nettes, s'adresser à des
êtres plus complexes, ctieX lesquels les modifications sont en quelque sorte plus lentes
ou plutôt moins condensées, réparties successivement en un nombre plus ou moins
grand d'organes que l'on pourrait appeler différenciateurs.
En supposant un enfant nourri avec une quantité convenable de lait, les albumines
du lait serviront bien chez lui à produire une étonnante variété de substances albumi-
noïdes; mais celles-ci ne sont pas formées directement des albumines du lait, pas plus
que de lapeptone qui en dérive. Cette peplone, elle-même, est en partie. déjà transformée
768 ASSIMILATION.
dans la paroi inlestinale et plus tard, dans le courant sanguin qui la ramène au foie, en
albumine du sang; et c'est aux dépens de celte albumine, ou plutôt de ces malièi'es albu-
minoïdes du sang que les cellules des différents tissus forment leurs propres matières
albuminoides.
Ces cellules ne peuvent pas assimiler n'importe quoi. Popoff et Bri.nk ont démontré,
par exemple, que la peptone pure élaic impuissante à entretenir les battements du cœur
de la grenouille, mais qu'elle acquérait cette propriété par un séjour plus ou moins
prolongé dans le canal gastro-intestinal.
S'agit-il là, comme ces auteurs ont conclu de ce dernier fait, d'une transformation
de la peptone en albumine du sérum ou en un corps très voisin de cette dernière ?
Tout porte à le croire, ainsi qne nous aurons l'occasion de le démontrer quand nous
nous occuperons spécialement de l'assimilation des substances albuminoides.
On peut donc, jusqu'à un certain point, considérer la digestion comme un des premiers
faits de l'assimilation. Elle fusionne en quelque sorte loutes les matières albuminoides,
en fait de l'albumine du sang qui se transforme ensuite par une série de processus en-
core inconnus en albumines des différents tissus. Dans cette série de modifications, il
s'opère une espèce de triage, grâce auquel certaines substances très analogues aux
substances albuminoides, les gélatines, par exemple, sont rejetées de l'organisme.
Klug {Uebcr die Verdaiilichkeitdcs Leims, A. Pf., 1891, t. xLvm, p. 100,) a démontré que
■ces dernières, introduites dans l'instestin telles quelles, ou sous forme de peptones de
gélatines, ou dans la circulation sous forme de peptones, étaient complètement élimi-
nées.
A cet égard, on peut donc, jusqu'à un certain point, parler d'une sélection faite par
les cellules des tissus dans les matières nutritives qui leur sont offertes. Le même fait
s'observe d'ailleurs, comme nous le verrons plus tard, pour certains sucres que l'orga-
nisme rejette impitoyablement, quelle que soit leur voie d'entrée.
Ce serait une erreur de croire, d'après ce court aperçu, que l'assimilation ne consiste
qu'en transformations superficielles de molécules. Nous ne pouvons nous résigner, en
effet, avec A. Gautier, à considérer la formation de graisse aux dépens des albumines
■comme un processus tout différent de l'assimilation. A raisonner de la sorte, on ne
considérera plus le fait bien démontré de la création de graisse aux dépens d'hydrates
de carbone comme de l'assimilation. On pourra nous objecter, il est vrai, que, pour
former de la graisse avec de l'albumine, il faut une décomposition de cette dernière et
que toute décomposition, tout effondrement d'une molécule suppose ime désassimilation
commençante de cette dernière. Nous pouvons, croyons-nous, répondre que tout ce qui
reste fixé dans l'organisme, prêt à être utilisé au moment du besoin, doit être considéré
comme assimilé par lui.
Une dernière question serait à résoudre avant de quitter le terrain des généralités.
Par quels processus une cellule est-elle capable de transformer les substances qui lui
■sont offertes en sa propre substance ? Comment, par exemple, les fibres musculaires
peuvent-elles transformer les albumines du sang en myosinogène "?
Faut-il admettre l'existence de corps ayant une action analogue aux ferments? .S'il
«st vrai que D.\nhabdt a retiré des glandes mammaires une substance capable de trans-
former l'albumine en caséine, on pourrait se rattacher à cette hypothèse; mais l'igno-
rance où nous sommes encore de l'action intime des ferments et des différences qui sé-
parent les diverses albumines nous impose de grandes réserves.
Assimilation des graisses. — Il semblerait puéiil aujourd'hui d'affirmer que la
plus grande partie des graisses de l'organisme provient de la graisse alimentaire. Cepen-
dant on comprend qu'on en ait pu douter dans un temps où l'on admettait que la graisse
insoluble ne pouvait comme telle traverser la paroi intestinale, et où l'on n'était guère
disposé à admettre une synthèse, une recomposition des savons et delà glycérine au delà
de la paroi. Ce sont les recherches de Hofman.x (Z. B., t. vin, p. 153, 1882), de Pette.n-
KOFEE, et 'Voit (Z. B., t. ix, p. i (1873) et surtout celles de Lebedeff (f/eôcr Fcttansatz
im Thierkôrper. C. W., 1882, n° 8) et de Munk {Uebcr dic Bildung von Fctt ans Fet-
tsàuren im Thierkôrper. A. Db., 1883, p. 273) qui ont nettement établi ce fait. Nous ne
rapporterons pour le démontrer que l'histoire des chiens de I.ededeff. Après les avoir,
•dégraissés "complètement par un jeûne prolongé, on les nourrissait, soit avec du suif de
ASSIMILATION. -(iÇI
mouton, soit avec de l'huile de lin. Dans le pieniier cas on retrouvait à l'autopsie une
grande quantité de graisse ayant un point de fusion élevé comme le suif de mouton ; dans
le second une graisse très lluide à point de fusion très bas. Plus concluantes encore sont
les recherches île Munk où les chiens étaient nourris avec de l'huile de colza; à l'autop-
sie on retrouvait dans la graisse de l'animal l'acide érucique caractéristique de cette
huile.
On a déjà dénioniré à l'article Absorption qu'une partie de la graisse se résorbait
comme telle sous l'orme de graisse neutre, une autre partie sous forme de savons qui
se reconibinaieut dans la paroi intestinale à la ^lvc(hine pour retbi'mer de la graisse
neutre. La quantité de savon ou d'acides gras libn.'S que l'on rencontre dans le canal
thoracique est en efl'et très peu élevée. Mais un fait intéressant démontié par Munk {loc.
cit.) est que, si l'on administre à un chien des acides gras libres au lieu de graisse .
neutre, c'est encore de la graisse qui est assimilée. Il y a donc ici encore synthèse de ces
acides avec la glycérine au niveau de la muqueuse intestinale. Minkowsky a d'ailleurs
pu faire la même observation chez un homme atteint d'ascite ohyleuse {Ueber die Syn-
thèse des Feiles aus Fettsàuren im Organismitë des McnscJien. A. P. P., t. xxi, p. 373, 1886).
Munk a pu, à l'occasion de ces recherches, établir ce fait intéressant que les graisses
sont d'autant moins assimilables que le point de fusion de leur acide est plus élevé. Le
suif de mouton, dont les acides fondent entre 49° et ol», est encore très facilement assimi-
lable (7/8 ne sont pas retrouvés dans les selles); tandis que la lanoline est pour ainsi
dire rejelée telle quelle (96 p. 100) avec les selles. Le point de fusion le plus élevé pour
des acides résorbables serait donc au-dessous de ;i3" {ht das Laiiolin vom Barm rcsorbir-
bitr? TherapctU: Monatshefte, mars 1888).
Nous venons de voir que l'administration d'acides gras sans glycérine donnait nais-
sance à des graisses utilisables. Il faut évidemment pour cela que ces acides trouvent au
niveau de la muqueuse intestinale la glycérine nécessaire; mais nous igilorons l'origine
de ce corps. On pourrait a priori supposer que, inversement, l'administration de glycé-
rine peutjusqu'à un certain point suppléer aux graisses que l'on retirerait de l'alimenta-
tion. Les lecberclies de Munk {Dir plu/siologische Bcd£uliinij und das Yeidudicn des Glyccrim
im Ihirrisrlirii Oi'<iii>iisiiiiis, A. V.. l. Lxxvi, p. 119, 1878) et de Lewi.n {l'cber den Einfl.uss
des Cili/r,-jiiis (iiif dcii Eiireissuiiisiilz, Z. B., t. XV, p. 293, 1879) semblent démontrer qu'il
n'en est rien. La graisse administrée à l'animal diminue l'excrélion d'azole ce que ne
fait pas la glycérine. Toutefois des recherches plus récentes extiuléis par Ara-schikk
(Ueber den Einfluss des Glycerins aiif die Zersetzunf/en im Thierkùrper und idjer den Ndhr-
werth dessetben, Z. B., t. xxiii, p. 413, 1887) tendraient à faire ci-oire que la glycérine
peut, jusqu'à un certain point, remplacer la graisse de l'alimentation. Bunge [Lehrbucli
der physiolog . undpalholog. Cliemie, 1887, p. 335) arrive aux mêmes conclusions queABNS-
cHijNK en se basant sur l'équivalent tbermique de la glycérine, qui estplus élevé que celui
des sucres.
Nous avons vu plus haut que la synthèse des graisses alimentaires, leur assimilation
par conséqueni, s'opère au niveau de la muqueuse intestinale. Quels sont les éléments
de cette dernière qui prennent part à cette combinaison? Il est probable que les cellules
épithéliales ne sont pas tout à l'ait inactives; mais l'aftlux considérable de leucocytes,
qui se fait dans cette muqueuse au moment de la digestion, sa richesse eu tissu adé-
noïde, rendent très vraisemblable pour Hofmeister la participation quasi-exclusive des
globules blancs de cette assimilation. Nous pouvons donc conclure de cet exposé que la
graisse de l'ulimenlation est résorbée et assimilée.
Mais une autre question se pose. L'albumine ne peut-elle former de la graisse dans
l'organisme animal'.' Prenant en considération ce qiri se passe en anatouiie patholo-
gique, la dégénérescence graisseuse des tissus, on pourrait croire qu'il est facile et jus-
tifié de répondre afrn-mativement. Malbeureusemenl. les pi-ocessus qui accompagnent
cette dégénérescence graisseuse sont trop lents pour i|u'on puisse les soumettre à un
examen physiologique approfondi. Ce n'est qu'en étudiant ce qui se passe dans le cas
d'empoisonnement subaigu par le pbospliore que l'on a pu faire des observations rigou-
reuses.
Bauer (Z. B., 1871, t. vji, p.' 63, et 1878, t. xiv, p. 327), ayant fait jeûner des chiens
et ayant mesuré l'élimination d'azote et d'acide carbonique, les empoisonna ensuite par
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 49
770 ASSIMILATION.
le phosphore. A Ja suite de l'administration journalière de petites doses il vit augmenter
l'excrétion d'azote de plus du double, tandis que sa quantité d'oxygène absorbée et d'acide
carbonique exhalée tombait de moitié. Il y avait donc une grande quantité d'albumine
détruite dont toute la partie azotée était éliminée, tandis qu'une partie non azotée
restait dans l'organisme. A l'autopsie on trouvait une dégénérescence graisseuse de tous
les organes. Une e.xpérience tentée en 1883 par Lebedeff enlève un peu de valeur cepen-
dant à celle de Bauer. Lebedeff {Woraus bildet sich das Fett in Fallen der aciiten Fett-
bildimg? A. Pf., t. xsxi, p. H, 1883) faitjeiiner un cbien jusqu'à lui faire perdre toute sa
graisse, puis le nourrit avec de l'albumine, des substances hydrocarbonées et de l'hoile
de lin. Quand il est suffisamment rengraissé, le chien est empoisonné par le phosphore.
A l'autopsie, on constate également de la dégénérescence graisseuse des organes; mais
la graisse qu'ils renferment se rapproche beaucoup de l'huile de lin {23 p. 100 d'acides
solides, 67 p. 100 d'acides liquides contenant I/o d'acide oléique et 4/3 d'acide lino-
léique). Ces résultats -n'ont malheureusement pas beaucoup de valeur contre les bilans
nutritifs soigneusement établis de Bauer.
Une autre observation qui semble venir à l'appui de la transformation de l'albumine
en graisse est celle que Hofmann a faite chez les mouches à viande (Z. B., t. vin,
p. 159, 1872). Les larves de ces mouches sont séparées en deux portions : l'une sert à
doser la graisse des larves, l'autre est placée sur du sang dont on a soigneusement
évalué la teneur en graisse. Or, quand les larves ont suffisamment grandi, elles
contiennent plus de graisse que le sang, y compris la graisse et même le sucre du sang
n'aurait pu leur en fournir. Pflûger {Ueber die Entstehung von Fett aits Ehveiss im
Kôrper der Thiere, A. Pf., p. 229, 1891) prétend expliquer la chose, en admettant que
les bactéries ont elles-mêmes créé de la graisse dans le sang aux: dépens de l'albu-
mine.
Enfin, il nous reste à signaler les expériences de Pettenkofer et Voit ( Z. £., t. vi,
p. 377, 1870 et t. vu, p. 433, 1871). Un chien est nourri exclusivement avec de la viande
de muscles et l'on mesure tous ses ingesta et ses excréta. Tout l'azote de l'alimentation
est retrouvé dans les urines et les excréments. Il n'y a donc pas d'albumine assimilée.
Mais une bonne partie du carbone de cette albumine n"a pas reparu dans l'air expiré
sous forme de C0-. L'augmentation de poids de l'animal, considérée comme graisse,
correspondait exactement à la quantité de carbone fixé dans les tissus.
Nous devons ajouter cependant que Pfluger conteste l'exactitude des calculs de Voit
et Pettenkofer.
Il est en somme assez difficile de décider, avec les données actuelles, si Forganisme
fabrique de la graisse aux dépens de l'albumine ; mais, comme le fait remarquer Bunge
[loc. cit.), cela est très probable, si l'on considère que le glycogène de l'organisme peut
provenir de l'albumine, et que la graisse elle-même, comme nous allons le voir, peut
provenir des hydrates de carbone.
Dans le même ordre d'idées, Pfli'ger {Ueber die sy nthetischen Procefse und der Bildungs-
art des Glycoyens im thierisdten Organismus. A. Pf-, t. xm, p. 144, 1888) dit que la for-
mation de graisse aux dépens de l'albumine ne dépend pas d'une simple décompo-
sition de la molécule, mais a son origine dans une synthèse de produits de décomposi-
tion moins riches en carbone.
Quant à la formation de graisse aux dépens des hydrocarbones, c'est un fait qui
résulte surtout des expériences d'engraissement sur les animaux. L'exemple le plus
démonstratif à. côté de ceuxdeKûHNE (I868J, deWEisKE et Wildt (1874), de Schulze (1882),
de SoxHLET (1881), de Chaniewsky (1884), est peut-être celui qu'ont signalé Meissel et
Strobuer (S(tc!»i5s6er. der K. Akad. d. Wisscmch in Wien, t. lxxxviu, (3), p. 203, 1883).
Un porc de 140 kilogrammes est nourri pendant 7 jours avec du riz (peu de graisse
et d'album.ine, beaucoup d'hydrates de carbone). Le riz avait été analysé. On recueillait
l'urine et les fèces. Le 3^ et le 6" jour, l'animal fut placé dans l'appareil à respiration de
Pettenkofeh pour mesurer l'élimination de CO*. On constata que du carbone absorbé tous
les jours, 289 grammes restaient dans l'organisme. Pour l'azote il en restait 6 grammes,
correspondant à 38 grammes d'albumine, contenant ,28 grammes de carbone. 269 gram-
mes de carbone devraient donc être restés dans l'organisme sous forme de graisse, car
on ne peut admettre une rétention journalière de glycogène correspondant à une telle
ASSIMILATION. 771
quanlité de carbone. D'où provenait cette graisse? L'animal avait digéré .osr^3 dégraisse
et 104 grammes d'alljumine par jour; de cette dernière 38 grammes avaient été assi-
milés comme telle. Le restant, 60 grammes et oS"',.? de graisse, ne pouvaient pas avoir
fourni 269 grammes de charbon pour fabriquer de la graisse. Celle-ci devait donc provenir
des hj'drates de carbone.
MuNK(DJe Fettbildwuj aus Kohlehydraten beim Hundc. A. Y-, t. ci, p. 9(, 1883) et Rub-
NKR {TJeher die Fettbiklung aus Kohlehydraten im Kôrper des Fleischfressers. Z. B., t. x.'ch,
p. 272, 1886) ont d'ailleurs démontré que la formation des graisses aux dépens des
hydrates de carbone s'opérait aussi bien chez les carnivores (chien) que chez les
omnivores.
M. Hanriot, plus récemment {Sur l'assimilation des hydrates de carbone, C. R., t. c.fiv,
p. 371, 1892) a fourni une démonstration plus élégante et plus scientifique de cette trans-
formation ; quand on donne à un individu à jeun des hydrates de carbone dans une
grande quantité d'eau, le quotient respiratoire dépasse régulièrement l'unité. C'est donc,
pense H.4.nriot, que les hydrates de carbone fournissent à côté de CO- une substance
moins riche en o.'cygène que C0-. S'agit-il d'un processus tel que la fermentation but3'ri-
que, qui se passerait dans l'intestin? Il ne le croit pas, se basant sur les résultats négatifs
que lui a donnés l'antisepsie intestinale par le naphtol. Le processus se passe donc, non
dans l'intestin, mais dans l'organisme lui-même. Hanriot a pensé que la glycose pouvait
fOrmer de la graisse d'après l'équation :
ta CeiH^Oe = C'^HioiO» -t- 23 CO-^ + 26 H^O.
Il a choisi la formule de l'oléostéaropalmitine comiiie graisse de composition moyenne.
D'après cette équation 100 gi'amraes de glycose donneraient, en se transformant en
graisse, 21 litres de C0-. Or, en évaluant le quotient respiratoire d'un individu à jeun, et
en lui donnant ensuite une certaine quantité de glycose dans beaucoup d'eau, en éva-
luant ensuite l'absorption d'oxygène et l'excrétion de CO- jusqu'au moment où le quo-
tient respiratoire reprend sa valeur primitive, l'acide carbonique trouvé en trop corres-
pond à l'acide carbonique produit d'après l'équation indiquée.
A. Gautier avait d'ailleurs {Chimie biologique) signalé une équation analogue et démon-
tré qu'il se passe, dans l'organisme des animaux supérieurs, des processus de fermenta-
tion qui n'ont rien à voir avec l'oxydation.
C'est ici le moment de faire remarquer avec Pfli ger (loco cilato) que les mêmes
féculents administrés à différents animaux produisent des graisses dilîérentes chez les
uns et chez les autres. De quoi cette variété dépend-elle? Il ne s'agit pas évidemment de
processus différents s'exécutant au niveau de l'intestin, attendu que les féculents sont
absorbés à ce niveau sous la forme d'hydrocarbonés et non sous celle de graisse. Il nous
faut bien admettre dès lors que l'organisme, en fabriquant de la graisse aux dépens des hy-
drates de carbone de ses tissus, l'élabore d'une façon spéciale suivant les espèces; tandis
que, lorsqu'il s'assimile la graisse qu'il trouve dans sa nourriture, il ne peut modifier la
forme sous laquelle elle lui a été fournie.
Assimilation des substances hydrocarbonées. — Xous n'avons à nous occuper ic-
que de la question de savoir quelles sont les substances hydrocarbonées qui sont assi-
milées et sous quelle forme elles sont assimilées. Leur sort ultérieur dans l'organisme
sera mieux étudié à l'article Glycogène.
L'absorption des sucres par la muqueuse inlestinale en amène une quantité plus ou
moins considérable dans le territoire de la veine porte au moment de la digestion. 11
est probable que, dans les conditions ordinaires, la majeure partie de ce sucre est con-
stituée par de la dextrose. La maltose, produit de l'action du suc pancréatique sur la
fécule, serait en effet transformée par la muqueuse intestinale en dextrose (Philips, 18SI ;
Shobe et Telb (J. P., t. xni, p. 19, 1892).
Il ne semble plus douteux aujourd'hui que l'accumulation de glycogène dans le foie
après un repas riche en féculents soit due à la combinaison de plusieurs molécules de ce
sucre avec dégagement d'eau (théorie de la déshydratation.) Une autre théorie (théorie
de l'épargne) qui considère l'albumine comme source principale du glycogène et qui ne
regarde les sucres que comme des corps pouvant empêcher la destruction de l'albumine
et favoriser ainsi la formation de glycogène aux dépens de cette dernière, est certaine-
772 " ASSIMILATION.
ment applicable dans les cas où la' nourriture est pauvre en hydrates de carbone. Mais,
dans le cas contraire, il faut bien admettre la théorie de la déshydratation. Ce sont sur-
tout les belles recherches faites dans ces dernières années par l'école de Munich C[ui ont
contribné à établir ce fait. Nous ne signalerons que celles faites par Erw. Voit {Die Gly-
kogenbikhmfi av>i Kohlchydratcn; Z. B. 2o, .■)4.3. 1888). Une oie, que l'on avait débarrassée
de son glycogéne par un jeiine de 4 jours et demi, reçut en 5 jours 766*'''', 2 de riz. Après
ce temps 1a i[uantité totale de glycogène était de 44S'^,17. Or le bilan nutritif établissait
qu'il ne pouvait y avoir que iJS'',o de carbone assimilés aux dépens de l'albumine alimen-
taire; si l'on suppose que cette quantité est entièrement transformée en glycog'ène, elle
ne représente quand même que 12?', 60 de cette substance. Il y a donc 3l5'',.'i7 qui doivent
fatalement provenir des hydrates de carlione de la nourriture. • '
Mais tous les sucres peuvent-ils s'assimiler sons forme de glycogène? Des expériences
de Carl Vorr et de ses élèves (Ueher die Glykogenbihing nach Aiifiiahme i'çc.sc/i/«7«)cr Zuc-
herartcn. Z. B., t. x.xvur, p. 245, d892) semblent démontrer qu'il n'en est l'ien.
La dextrose est de beaucoup la mieux; utilisée. Puis viennent le sucre de canne, la
lévulose, la maltose. et enfin la galactose et le sucre de lait, ces deux derniers fournis-
sant très peu de glycogène. Des recherches plus récentes, communiquées par Cremer
au Congrès de physiologie de 1892, ont prouvé que l'isomaltose augmente également la
quantité de glycogène, tandis que la dextromannose se comportait à peu près comme la
galactose et reparaîtrait pour ainsi dire complètement dans les urines. Peut-être pour-
rait-elle contribuer à augmenter le glycogène du foie en épargnant les matières albumi-
noides.
Enfin, il était intéressant de voir comment différents sucres se comportaient injectés
dans le tissu sous-cutané au point de vue de la formation du glycogène. Carl Voit (loc.
cit.) a constaté que, dans ces conditions, il se formait beaucoup moins de glycogène, ce
que les recherches de Lépine sur le pouvoir glycolytique du sang pourraient peut-être
expliquer. Néanmoins ce sont encore le sucre de raisin et la lévulose qui donnent le
meilleur rendement en glycogène; chose remarquable, ni le sucre de canne, ni le sucre
de lait ne fournissent de glycogène; ils ne sont donc intervertis, c'est-à-dire rendus
assimilables, que quand ou les administre par la voie gastro-intestinale.
Un autre procédé pour se rendre compte de l'assimilation ou plutôt de l'utilisation
des substances hydrocarbonées consiste à rechercher le passage de sucre dans l'urine. 11
serait à désirer cependant qu'eu même temps on établît le bilan nutritif de l'animal pour
voir ce que ces substances sont devenues. Hofsieister, dans cet ordre d'idées, recherche
ce qu'il appelle les limites de l'assimilalion des différents sucres [TJeber die AaaimilnlioïK-
yrenze der ZAïekcnnten A. I'. P., t. xxv, p. 240, 1889), c'est-à-dire la quantité minimum
que l'on doit donner pour voir ap|iarailre le sucre dans l'urine. Comme on devait s'y
attendre, ce sont le sucie de lait et la galactose qui possèdent la limite la plus basse.
Voir plus haut les résultats de l'injection de lactose dans le sang (Vorr).
Dastre (pli s'est également occupé de l'assimilation des sucres et qui s'est servi
aussi de l'analyse des urines pour la coiitrùler est arrivé à des résultats assez intéres-
sants. 1\ a montré, par exemple (Dastre et Bol'rquklot. De l' assimilation dumallosc. G-Ii-,
i. xcviii, n° 26, 1884), que le maltose, injecté sous la peau ou dans une veine, reparaît en
assez grande quantité dans l'urine; mais qu'il reparaît en plus grande proportion encoie,
si l'on injecte en même temps du sucre de raisin, en inoins grande quantité, au con-
traire, si l'on injecte en même temps du sucre de canne.
Ces résultats, antérieurs d'ailleurs à ceux de l'École de Munich, concordent avec ces
derniers, bien qu'ils aient été obtenus par un procédé différent.
Plus tard enfin, Dastrk a montré (Pouvoir nutritif direct du siirrc de luit. A. P., -1889,
p. 718 et 1891, p. 718, et Transformation du lactose dans rorganisnic. Ibid. 1891, p. 103)
que le sucre de lait ne devient un peu assimilable que s'il a passé par le tube gastro-
intestinal, où il peut être légèrement interverti par les bactéries; si on l'intervertit préa-
iablemenl à son introduclion dans l'organisme (voie intestinale ou veineuse), il est en
grande partie assimilé directement.
Pour lui, les sucres se rangeraient pour leur facilité d'assimilation (injection dans le
sang) dans l'ordre suivant : saccharose, sucre de lait, maltose et glucose.
Gomme on le voit, ces résultats ne sont pas en contradiction avec ceux de Voit et de
ASSIMILATION. 773
ses élèves, si ce n'est peut-être au point de vue de l'assimilation du gal^L'Iose; mais
n'oublions pas que Voit évalue le sucre transformé en glycogène, tandis que Dastre
dose le sucre qui n'a été ni assimilé, ni utilisé; il est certain qu'une partie du galactose
a pu être détruite dans l'organisme; mais c'est là une question qui sera traitée à l'ar-
ticle Glycogène. Nous avons signalé plus haut déjà la formation des graisses aux
dépens des hydrocarbacés; nous n'y reviendrons pas.
Assimilation des matières albuminoïdes. — Nous avons déjà précédemment
considéré la peptonisation comme un des premiers actes de l'assimilation. Certains
faits cependant tendraient à faire croire que ce n'est pas un acte absolument nécessaire
et que l'albumine résorbée telle quelle peut être assimilée. Ainsi s'explique la valeur
des lavements nutritifs pratiqués dans des conditions toiles que l'on pouvait éliminer
une action du suc pancréatique sur l'albumine injectée (Czehny et Latsciieniierger.
A. V., t. Lix, p. 161, 1874). Ajoutons cependant qué'si, dans ces expériences, il y a eu
de l'albumine résorbée, le bilan nutritif n'a pas été établi, et qu'on n'a par conséquent
pas démontré scientifiquement l'assimilation.
Le blanc d'œuf administré tel quel, non coagulé, par la voie intestinale ou par injec-
tion intra-péritonéale, ou par injection intra-veineuse, est bien entraîné comme lel dans
la circulation; mais il est éliminé immédiatement par les reins. Tout tend même à l'aire
croire que, dans le premier cas, la partie résorbée est celle qui a pu échapper à la
peptonisation. L'albuminurie que l'on observe chez les chlorotiques à la suite d'admi-
nistration de blanc d'œuf pourrait être due par conséquent, non, comme on l'a cru, à
un défaut d'assimilation, mais à une résorption plus facile de blanc d'œuf non pepto-
nisé.
11 est vrai que dans cette question nous n'avons guère pour nous éclairer que des
observations cliniques forcément plus incomplètes que des expériences de laboratoire.
Cependant les faits précis observés par Ludwig et TscumrEW [Arbeiten ans der plii/sloUi-
ilhclien Amtalt zu Leipzig, 1874, p. 441) nous porte à croire que cette interprétation est
la bonne. En injectant à un chien dans la veine jugulaire du sang défibriné d'un autre
chien, ils n'ont observé qu'une augmentation insignifiante de l'excrétion d'azote. Si
l'animal au contraire absorbait la même quantité de sang par la voie gastrique, l'ex-
crétion d'azote augmentait d'une quantité proportionnelle à la quantité de sang intro-
duite. La conclusion qui s'impose en quelque sorte est donc que l'albumine, pour être
assimilée, doit subir les processus de digestion, la peptonisation.
Il est hors de doute aujourd'hui, après les recherches de Plosz et Gyergyai (A. Pf., t. x,
p. biS, 1873), de Maly {ibid., t. ix, p. 38o, 1874), d'ADAMiuEWicz {Vie Nalur iind der Ndhnoerth
dea Peptons, Berlin, Hirschwald, 1877), de Zu.ntz (A. Pf., t. xxxvu, p. 313, 1885) et de
PoLLiTZER [ibid., p. 301) que les peptones ont une valeur nutritive égale ou à peu près
à celle de l'albumine, qu'elles sont par conséquent assimilables. Exception serait faite,
nous l'avons déjà vu, pour les peptones de gélatine qui, bien qu'absorbables, ne sont
pas assimilables. Voyez au surplus à ce sujet les recherches de Lehman.x signalées dans
Bu.N'GE (ie/tr6. der physiolocj. Chemie, p. 62).
Dans quel endroit de l'organisme se fait l'assimilation des peptones? Nous avons
déjà signalé les résultats que les élèves de Kronecker (Popoff et BaiNOv spécialement)
avaient obtenus en laissant séjourner de la peptone dans le tube gastro-inteslinal. Si
leurs recherches n'ont pas démontré chimiriuement la transformation de peptone en
albumine, elles ont au moins prouvé que la muqueuse gastro-intestinale rendait cette
peptone assimilable par les tissus de l'organisme.
Le mérite d'avoir démontré directement cette transformation de la peptone en
albumine revient surtout à Hof.meister. Nous ne citerons parmi les nombreuses contri-
butions de cet auteur à cette importante étude que les faits suivants (Z. P. C, t. vi,
p. 69, et A. P. P., t. XIX, p. 8, 1883). Si l'on divise en deux moitiés aussi égales que
possible la muqueuse gastrique d'un chien en pleine digestion, et, si l'on analyse la
première moitié tout de suite, la seconde vingt-cinq à quarante minutes plus tard, on
trouve beaucoup moins de peptone dans la seconde que dans la première. Si on la met
pendant trois à quatre heures à l'étuve humide à 40°, on n'y rencontre plus de pep-
tone. Si, au contraire, on la jette d'emblée dans de l'eau à 60° et qu'on l'y laisse
séjourner quelques minutes, sa teneur en peptone reste, à peu de chose près, la même
774 ASSIMILATION.
que celle de la première moitié. Des expériences analogues ont conduit au même résultat
pour la muqueuse intestinale. La transformation des peptones est donc bien liée à la
vie des cellules de cette muqueuse.
Salvioli [A. Db., 1880, SuppL, p. 112) est plus explicite encore. Dans une anse intes-
tinale isolée du corps et dans laquelle on pratique une circulation artificielle, on intro-
duit une solution de 1 gramme de peptone dans 10 centimètres cubes d'eau. Après
quatre heures le contenu intestinal est analysé et contient 1 demi-gramme d'albumine
coagulable et seulement des traces de peptone. Le sang qui avait servi à la circulation
artificielle ne contenait pas de peptone du tout. Il y a plus, et nous aurons à revenir
.plus tard sur ce fait, si l'on ajoute de la peptone à ce sang la circulation artificielle ne
fait pas disparaître cette peptone.
Mais le rôle assimilateur de la muqueuse digestive ressort encore plus clairement
des expériences qui consistent à injecter de la peptone pure dans le sang. Quand la
quantité injectée est peu considérable, Schmidt-Mûhlheim [A. Db., 1880, p. 46), G. Fano
{ibid., 1881, p. 281) et Hofmeister constatent que les 4/b au moins de la peptone se
retrouvent au bout de vingt-quatre heures dans les urines. Si la Viose est plus forte,
l'élimination est moins rapide, comme le fait observer Hofmeister, à cause de [la baisse
considérable de pression sanguine que la peptone détermine; mais, contrairement à
ce que Schmidt-Mùlheim affirme, on peut en retrouver des quantités considérables dans
l'urine, si la vie se prolonge suffisamment.
NEuaEiSTER (Z. B., t. ssv, p. 877 et t. sxvii, p. .309, 1890) qui a répété les expériences
de Hofmeister en se servant de produits purs, a constaté que, si l'on injectait de la proto
ou de l'hétéro-albumose dans le sang, elle reparaissait sous forme de deutéro-albumose
dans l'urine, que la deutéro-albumose reparaissait sous forme de peptone, et la pep-
tone telle quelle. Si l'on jette dans du sang contenant de la peptone de petits mor-
ceaux de muqueuse intestinale et si l'on fait passer un courant d'air en maintenant le
mélange à la température du corps, la majeure partie de la peptone disparait sans
qu'on puisse la retrouver dans la muqueuse intestinale. Aucun autre organe, si ce n'est
le foie du lapin, ne possède cette curieuse propriété.
De cet ensemble de faits une conclusion bien nette se dégage : la peptone introduite
directement dans le sang n'est pas assimilable; elle est rejetée à l'extérieur comme un
corps étranger. Neumeisier va même plus loin, et ce que nous avons déjà dit plus haut
semble confirmer une partie de ses vues : pour lui, quand on introduit directement dans
le sang (chez le chien) des corps albuminoïdes, ceux-là sont assimilés qui, en suivant
les voies ordinaires (estomac, intestin) peuvent arriver dans les tissus sans subir les
processus de la digestion. Ainsi en est-il de la syntonine des muscles, de la pbytovitel-
line et de l'albumine du sérum. Au contraire, les tissus se débarrassent comme de corps
étrangers des substances qui ne peuvent arriver jusqu'à eux sans subir de transfor-
mation : albumine du blanc d'œuf, caséine, hémoglobine, alburaoses et peptones. Fai-
sons toutefois remarquer que l'albumine du sérum ne serait pas assimilée par cette voie
d'après LuDwiG et Tschiriew (voir plus haut).
Une difficulté cependant se soulève à propos de la peptone. ScHinDT-MtJHLHEiM et Hof-
meister ont toujours constaté dans la veine porte d'un animal en train de digérer des
quantités assez notables de peptone. Comment, d'après ce qui a été dit plus haut, cette
peptone peut-elle être assimilée"? Hofmeisteiî avait dû être frappé de ce fait; car la
quantité de peptone que l'on retrouve dans le sang après une injection sous-cutanée de
cette substance est toujours beaucoup moindre que celle que l'on retrouve dans le
sang d'animaux en pleine digestion, et qui, elle, ne se retrouve pas dans les urines.
Pour expliquer celte contradiction, Hofmeister admet que la peptone arrivant dans le
sang par la voie intestinale n'est pas contenue dans le plasma, mais dans les leucocytes.
Voici tes faits sur lesquels il s'appuie : 1° Dans le pus on retrouve toujours des quan-
tités notables de peptone, et cela surtout, mais pas exclusivement, dans les leucocytes.
2° En examinant le sang d'un animal en voie de digestion, on ne trouve pas de peptone
dans le sérum ; mais bien dans la couche supérieure du caillot, la plus riche en leucocytes.
.3° La proportion centésimale de peptone contenue dans la rate (très riche en leucocytes)
est toujours plus élevée que celle du sang chez un animal en voie de digestion. 4° Le
tissu adénoïde qui, chez les animaux à jeun, contient relativement peu de leucocytes, en
ASTHME. 775
est littéralement bourré chez un animal qui digère. S" Enfin les cellules de ce tissu
chez un animal en voie de digestion présentent beaucoup plus de figures karyokynéliques
que chez un animal à jeun.
Il semble donc, dit Bunge, que les cellules lymphatiques ne servent pas uniquement
à transporter les peptones dans le courant sanguin. Leur accroissement, leur multipli-
cation semblent en rapport avec la résorption et l'assimilation des aliments azotés. Le
nombre des leucocytes étant à peu près constant à mesure que l'albumine est résorbée
et que de nouvelles cellules sont produites, il doit s'en détruire une quantité correspon-
dante.
Ainsi s'expliquerait la destruction rapide et considérable d'albumine qui suit la
résorption d'une grande quantité d'albumine. Pour Hofmeister, la peptone ainsi accu-
mulée serait cédée aux tissus dans les capillaires; car le sang des veines de la grande
circulation n'en contient pas du tout.
Il y a, on ne peut se le dissimuler, bien des contradictions dans l'élégante théorie de
Hofmeister, et, pour notre part, nous sommes bien plus disposés à admettre les résultats
que Neuueisïer a communiqués en 1889 (Sitzungsbcrichte der physik. medic. Gesellsch. zii
Wûrzbiirg, p. 64). Pour lui, si l'on a retrouvé dans le sang de la veine porte de la
peptone chez des animaux en voie de digestion, c'est que la méthode employée était
défectueuse. Il n'en a jamais trouvé, pas plus que dans Je sang d'un autre organe, en
s'entourant de toutes les précautions désirables. Pour lui, la conclusion à tirer de tous
ces faits est que la peptone n'est assimilable que quand elle arrive dans l'organisme
par l'estomac ou l'intestin et que la transformation en albumine, ou assimilation se fait
au niveau de la muqueuse intestinale. Nous n'avons pas à nous occuper ici de l'impor-
tance considérable que peuvent avoir les expériences pour la signification de la pep-
tonurie.
Une autre question d'une grande importance est celle de savoir si l'organisme peut
fabriquer, synthétiser de l'albumine de toutes pièces. Rudzki, qui s'en est occupé
{S. Petersburger med. Wochenschrift, 1876, n° 29), prétend que la chose est possible. Un
animal auquel il fournissait des amides {extrait de Liebig ou acide urique) et des
hydrocarbonés, a pu, prétend-il, se maintenir en équilibre nutritif. Nous croyons que
ces constatations sont très sujettes à caution et n'ont été vérifiées par personne.
Dans le même ordre d'idées, on s'est demandé si l'asparagine ne pouvait pas, non
pas se synthétiser avec des hydrocarbonés pour former de l'albumine, mais remplacer,
économiser en quelque sorte cette dernière. Les expériences de Munk (1883) et de
Mauthner (Z. £., t. xxvm, p. 307, 1892) ont résolu la question négativement en ce qui
concerne les carnivores. Politis {ibid., p. 492) et Gabriel (ihid., t. xxix, p. lia) croient
que l'asparagine peut, chez le rat, remplacer jusqu'à un certain point l'albumine, mais
seulement quand cette dernière fait défaut dans la nourriture.
Il nous resterait, pour terminer cette analyse, à nous demander ce que devient
l'albumine une fois introduite dans le sang, quels processus elle doit subir pour être
dans la suite transformée eu albumine des différents tissus.
iMais nos connaissances à ce sujet sont trop rudimentaires encore. Tout au plus
pouvons-nous supposer que, dans le sang lui-même, d'après Al. Schuidt {Zur Blutlehre,
Leipzig, 1892), il se produit une transformation incessante des albumines les unes dans
les autres. Les cellules du sang ne contiendraient pas d'albumine proprement dite,
mais des corps d'une structure plus compliquée : la cytine et la cytoglobine. Ces corps
fourniraient sans cesse par leur destruction de la paraglobuline et du fibrinogène entre
autres substances albuminoïdes.
F. HENRIJEAN et G. CORIN.
ASTHME. — En clinique, l'asthme, asthme vrai, essentiel, est décrit comme
une affection une matériel, névrose, bien distincte des asthmes faux ou symptomatiques,
états pathologiques divers avec lésions reconnues, au cours desquels se montre de la
dyspnée pouvant simuler l'asthme.
La physiologie pathologique, qui, seule, nous occupera ici, doit être plus éclectique;
mais son rôle est fort difficile, l'étude ne pouvant s'appuyer : A, ni surl'anatomie patho-
logique; B, ni sur l'expérimentation.
776 ASTHME.
A. Il n'y a pas, en effet, à tenir compte des renseignements anatomiques, puisqu'on
peut voir l'asthme typique sans nulles lésions apparentes; puisqu'on peut le voir surve-
nir avec des lésions diverses; puisque enfin, avec les mêmes lésions, on peut n'avoir nulle
manifestation asthmatique.
B. D'autre part, l'expérimentation, limitée à l'homme, nous indique à peine l'existence
de certaines circonstances extérieures favoi'ables à l'éclosion des accidents; entreprise
sur les animaux, elles nous montre des analogies dans certaines pertuiiiations respira-
toires, mais elle ne peut rien nous apprendre sur les conditions intimes qui préparent
le phénomène.
Toutefois il est une indication majeure qui doit guider dans l'étude de ce sujet.
Ouoi qu'il en soit de leur nature; que, pour l'étude physiologique on les sépare ou on .
les réunisse, les asthmes vrais ou faux présentent cette particularité dominante : c'est
de répondre à un état transitoire, alors que la prédisposition, réelle ou supposée,
est permanente. L'asthme, quel qu'il puisse être, procède par accès. Aussi faut-il, à
l'exemple de beaucoup d'anciens (Avicenne, van Helmont, Willis, etc.), et de la généra-
lité des modernes, voir dans la marche de cette atî'ection une influence centrale domi-
nante; influence nerveuse, puisqu'il y a paroxysmes : et cette influence nerveuse, comme
on en ignore la nature, on l'appelle névrose.
La déflnition de l'asthme peut devenir aloi's celle de Bbissaud : o L'asthme est une
névrose consistant en crises de dyspnée spasmodique, le plus souvent accompagnées de
troubles vaso-secrétoires des muqueuses des voies aériennes, » déllnition moins aljsolue,
parlant plus médicale, que celle de Pabrot, qui voit dans l'asthme « une attaque de
nerfs de nature seorétoire », moins anatoniique, partant plus généralisable, que celle
de G. Sée, qui de'crit l'asthme comme « une maladie chronique composée de trois
éléments : une dyspnée intermittente spéciale, une exsudation chronique et un'e lésion
secondaire des vésicules pulmonaires, ou emphysème », ou comme « un composé défini
l'éléments nerveux (dyspnée), secrétoire (catarrhe) et mécanique (emphysème) ».
Nous en tenant à la déflnition de Brissaud, nous avons à rechercher, pour les
analyser, les éléments de la physiologie pathologique d'une névrose. Nous rappellerons
tout d'abord cette donnée indispensable, comme aussi tout incoimue : la prédisposition,
héréditaire ou acquise. L'hérédité pouvant être similaire, quand un astlimatii|ue est flls
de père ou de mère asthiiiHtKfni' : ou dissenflilable, quand l'asthmatique est issu de souche
neuro-àrthritiijue ave^' uu >,iii^ asthme chez les ascendants ou chez les collatéraux.
Quant à la prédisposition aci[nise, elle l'est sous certaines iufldenoes que nous igno-
rons encore (l'âge, le sexe ne paraissent pas avoir une importance spéciale).
Chez ce prédisposé, chez cet asthmatique en puissance, pourquoi et comment les
accès ou crises surviennent-ils ? (luels sont les pliéuomènes observés alors 1 Voilà réel-
lement ce que nous devons étudier dans un chapitre de physiologie pathologique; mais
nous suivrons l'ordre inverse, examinant d'abord les faits et leurs allures physiolo-
giques.
I. L'asthme. Ses accès. Physiologie des accidents. — Nous n'avons pas à faire
ici une description symptomatique de l'asthme, mais recherchons ce que peut actuel-'
lement nous fournir de renseignements la physiologie, au sujet des phénomènes obser-
vés ;
Nous ne possédons rien en explication des allures de névrose : crises à début brusque,
ou avec prodromes à retour souvent périodique; quant aux autres phénomènes : troubles
respiratoires (sensation anormale), besoin de respirer (dyspnée); attitudes du corps, con-
traction des muscles respiratoires, avec allongement du thorax; type de respiration à
rythme renversé, d'expiration deux et même trois fois plus longue que l'inspiration;
réplétion exagérée des alvéoles; toux, expectoration, etc. Tous ces désordres qui font
partie de l'accès relèvent de troubles de l'innervation que la physiologie a plus ou moins
heureusement expliqués.
Cette dyspnée asthmatique n'est pas une dyspnée mécanique liée au catarrhe, puisque
la gène respiratoire précède le flux catarrhal ; ce n'est pas non plus une dyspnée chi-
mique, liée à l'altération des milieux ambiants, puisque l'accès peut survenir dans l'at-
mosphère la plus parfaitement pure. C'est une dyspnée d'origine nerveuse. Dans les
ASTHME. 777
conditions pliysiologiques, à des excitatiiins péripliériques multiples (cutanées, pulmo-
naires, digeslives), ou centrales (émotions) répondent des modifications du centre res-
piratoii'e bulbaire, qui, à son tour, influence le pneumogastrique, lequel, enfin, par ses
branches pulmonaires, modifie le rhythme de la respiration. C'est donc par l'intermé-
diaire du nerf vague et de son centre bulbaire que peut's'établir une dyspnée d'inner-
vation.
Deux inlluences peuvent entrer en cause : soit la paralysie, soit l'excitation.
f° La pai'rdij.-iic. A. La dyspnée asthmatique n'est pas une paralysie du vague. — F^a
physiologie expérimentale nous apprend en effet que I9. section du pneumogas-
trique entraîne uji ralentissetnent notable de la respiration, a, sans dyspnée proprement
dite; p, avec inspiration anxieuse et profonde; 7, avec expiration courte, trois élé-
ments qui sont à l'inverse de ceux' qu'on observe dans l'asthme. B. Cette dyspnée ne
tient pus duvanltnjc ù une paralysie du phrénique, état qui n'entraine que la dyspnée
d'effort.
2° Si l'on envisage V excitation, if y a deux façons de la faire intervenir : on suppose
("tune excitation centrifuge; b une excitation centripète.
a. Pour justifier l'hypothèse d'une excitation centrifuge, on a admis que l'asthme se
composait d'un accès de spasme bronchique. (Auteurs anciens; — auteurs modernes
invoquant les constatations anatomiques de Reiseissén sur les muscles bronchiques;
LEFÈvnE, Valter.) — Or, quand on parle du spasme bronchique, on suppose qu'il y a
contraction avec rétrécissement plus ou moins serré de la bronche, d'où difficulté d'in-
troduction de l'air, d'oh dyspnée. Mais alors, il devrait y avoir introduction de l'air
au minimum dans le poumon, et il se trouve que cet organe est, dans l'accès d'asthme,
distendu plus qu'à l'ordinaire. U y a là contradiction, et l'hypothèse de l'excitation cen-
trifuge n'est pas valable, d'autant moins encore que l'excitation du bout périphérique
d'un pneumogastrique coupé ne donne pas lieu à des effets bien évidents de spasme
bronchique.
6. Si l'on invoque l'excitation centripète, il faut, dit G. Sée, comprendre les choses
, de la façon suivante : une irritation part des extrémités du vague, ou d'extrémités péri-
phériques quelconques (en particulier du nerf laryngé supérieur), impressionne le nœud
vital; puis par la moelle agit sur les nerfs phréniques, sur les nerfs intercostaux; il en
résulte une inspiration tétaniforme, d'où distension forcée du thorax, ce qui est réel; dis-
tension suivie bientôt elle-même d'un retour en expiration prolongée sous l'influence
de lépuisenient nerveux et musculaire, qui suit la tétanisation ; l'élasticité propre du pou-
mon retrouve progressivement son iniluence. — Eu résumé, il y aurait successivement
tétanisation, puis paralysie transitoire du pneumogastrique, jusqu'à la fin de l'accès
d'asthme où alors prédomine l'étal paralytique.
Les mêmes considérations sont invoquées par G. Sée pour assigner au catarrhe,
qui suit si souvent l'accès d'asthme, une pathogénie rationnelle. Le catarrhe se niontre
à la période terminale de l'accès, quand il y a paralysie du vague, et résulte vraisembla-
blement d'une vaso-dilatation paralytique. On ne peut, en effet, admettre, ainsi que le
font beaucoup d'auteurs, que ce catarrhe soit fonction d'excitation de filets sécrétoires
contenus dans le pneumogastrique, car alors il devrait se montrer toujours dans
l'asth'me, ce qui n'est pas nécessairement; et s'y montrer en oiiti'e au début, ce qui
n'est pas.
Les limites de cet article ne nous permettent pas de nous étendre en détails sur la
justification de^ces données physiologiques; ce que nous en avons dit concorde bien avec
les constatations diverses de la clinique, et nous nous en tenons là.
Il s'agit maintenant d'aborder la seconde partie de notre sujet et de voir sous quelles
influences périphériques, ou centrales, sont mises en jeu les perturbations nerveuses
pneumobulbaires que nous avons invoquées en explication des phénomènes.
II. Pathogénie de l'asthme. — Ce que nous a^ons dit du substratum nerveux de
l'astlime (nœud respiratoire bulbaire) nous montre le bulbe comme le centre nécessaire
du réflexe qui fait l'asthme; nous savons aussi que la voie centrifuge du léllexe aboutit
à une byperactivité des muscles inspirateurs, par l'intermédiaire probable de la moelle
et des nerfs phréniques et intercostaux, alors que le pneumogastrique ne paraît agir.
778 ASTHME.
ainsi que le laryngé supérieur, que comme voie centripète du réflexe. Dans ces condi-
tions, pour l'étude patliogénique nous devons envisager :
Les influences qui peuvent agir sur le centre bulbaire,
A, directement;
B, indirectement, à distance (point de départ périphérique du réilexe).
A. Influences qui actionnent directement le bulbe. — En dehors des dyspnées liées à
des lésions des centres bulbo-médullaires par des tumeurs, par exemple, dyspnées qui
peuvent être à forme asthmatique, mais qui n'ont rien de l'asthme proprement dit,
peut-on croire à un asthme purement dynamique, émotionnel, par exemple, ou bien
encore à un asthme hystérique? Nous n'avons pas a insister sur ce sujet, et, tant que
l'asthme n'est pour nous qu'une névrose, uue affection d'essence inconnue, une hypo-
thèse de ce genre reste permise.
Cette même ignorance nous obligerait à faire mention des diverses altérations
humorales vraies ou supposées dont l'action n'est nullement une certitude, mais qui
peuvent se montrer à l'état de coïncidences vraiment surprenantes par leur fréquence,
à l'origine et au cours de certains états de dyspnée dite asthmatique.
Parmi le nombre des diathèses dont ont fait justice les recherches modernes, il
reste, pour les esprits non prévenus, certains états constitutionnels au cours desquels
l'asthme peut se montrer comme première manifestation, ou dans lesquels la dispa-
rition d'un état fonctionnel morbide quelconque est suivie de l'apparition de l'asthme
(telles sont les métastases dites dartreuse, goutteuse, rhumatismale).
Dans un ordre d'idées plus concrètes, chez un sujet indemne, ou chez un sujet
déjà entaché d'asthme, certaines altérations humorales, aujourd'hui bien connues,
en particulier l'état d'albuminurie avec la surcharge toxique du sérum qui l'accom-
pagne, peut agir sur le nœud bulbaire et provoquer des crises de dyspnée asthmatique.
C'est affaire au diagnostic clinique de distinguer ces accidents respiratoires de
l'asthme vrai, en tenant compte des phénomènes qui ont précédé, accompagné ou
suivi l'accès. Pour la physiologie pathologique, nous l'avons dit, cette distinction
serait arbitraire, et, pour elle, les mêmes éléments nerveux (centre respiratoire bul-
baire) étant mis en action, les etïets produits sont les mêmes pour l'excitation,
les mêmes pour la paralysie, les différentes causes ne pouvant agir que sur le degré,
la durée, les intermittences, etc. (respiration ralentie, précipitée, rjHhme de Cheyne-
Stohes, etc.). Ce qui s'ajoute pour faire l'asthme, et ses accès caractéristiques, est ce
quid ignotum dont nous parlions et que nous appelons encore, faute de mieux, la pré-
disposition.
B. Influences qui peuvent agir indirectement et à distance sur le bulbe. — Cette partie
de la question a trait à l'étude des points de départ périphériques possibles du réflexe.
Or les voies centripètes qui peuvent conduire au centre respiratoire bulbaire, au nœud
vital, sont multiples, et nous devons les envisager toutes successivement,'|puisque toutes
peuvent, après excitation, actionner ce centre et mettre en jeu les phénomènes dysp-
néiques, ceux de l'asthme tout aussi bien.
Parmi ces influences centripètes, il en est de supposées, d'empiriquement connues,
qu'on ne peut soumettre aune véritnble expérimentation. Il en est enfin d'indiscutables,
que l'expérience de chaque jour a rendues évidenles.
a. Parmi les premières, nous citerons ces causes d'ordre interne qui sont des irri-
tations génitales (mal définies); des irritations gastro-intestinales, des dyspepsies
d'effet parfois assui'é (asthme dyspeptique), des irritations cutanées (froid) d'effet sou-
vent certain.
b. Parmi les influences indiscutables, nous signalerons toutes les irritations de la
muqueuse des voies respiratoires (nez, pharynx, larynx, bronches, alvéoles) avec les nerfs
trijumeau et pneumo-gastrique (branche laryngée et branche pulmonaire) comme point
de départ du réflexe. Sur les filets terminaux de ces nerfs peuvent agir l'impression de
certaines poussières (ipéca, foin pour ne citer que les plus actives) l'action de certaines
vapeurs, de certains gaz, de la fumée, etc.; l'influence de l'atmosphère, du climat, des
saisons, etc.; toutes ces causes, éminemment variées et variables, agissant cependant
d'ordinaire dans les mêmes conditions pour le même sujet. Peuvent agir encore incon-
testablement les lésions de bronchite, d'œdème pulmonaire, sans que parfois chez les
ASTIGMATISME. 779
vieux asthmatiques on puisse reconuaitre la part d'intervention de ces désordres comme
cause ou comme eU'et.
Avant de terminer, nous reconnaissons avec la plupart des auteurs l'ensemble
clinique décrit sous le nom d'asthme d'été, asthme des foins, comme une modalité de
l'asthme et nullement comme une affection à part. Ce qui distingue celle variété, c'est
le siège et l'intensité des réactions catarrhales limitées souvent à la zone de distribution
du trijumeau.
Quant au.'s dyspnées qui accompagnent certains états morbides aujourd'hui bien
reconnus, c'est par abus de langage qu'on a pu leur conserver le nom d'asthme, comme
sj'nonyme de dyspnée, tel l'asthme cardiaque.
Nous en dirons autant de synonymies mal appropriées qui font du spasme de la
glotte, l'asthme thymique (hypothèse de la compression du récurrent par le thymus
hypertrophié) qui font du faux-croup ou laryngite striduleuse, l'asthme deMjLLASD.
L'expectoration de l'asthme a donné lieu à des recherches importantes. Leyden,
en 1872, et Charcot, vers la même époque, ont signalé la présence de cristaux qui
pouvaient, pensaient ces savants, irriter la muqueuse bronchique et provoquer l'accès.
CursghmaN'N', en 1883, constata que, si les cristau.x; manquaient assez souvent, par contre,
on rencontrait un produit beaucoup plus constant : des spirales organiques, non pas
cause des accidents, mais produit d'une bronchite exsudative. En 1889, Fr. Muller
signala l'abondance des cellules éosinophiles dans l'expectoration de l'asthme, et plus
tard dans le sang des asthmatiques. Tour à tour contestées, ces données, qui ont peut-
être entre elles de grands rapports (présence des cristaux, des spirilles et des cellules
éosinophiles), ont servi à des essais d'explications multiples. Dans les cas où il y a accès
d'asthme, puis catarrhe, la physiologie établit les relations suivantes entre les phéno-
mènes : ce L'asthme débute par de la dyspnée avec tous sèche; ce n'est que lorsque la
toux devient humide que l'accès se calme; la substance toxique irritante, cause de
l'asthme et origine des cristaux, est peu à peu englobée par l'exsudation qu'elle pro-
voque ; et en quelque sorte enrobée par les cellules éosinophiles, elle est rendue
inotîensive. »
Tout cela est acceptable pour l'asthme avec catarrhe, mais l'asthme sec est un
asthme tout aussi typique, et il faut bien alors d'autres irritations que celles dues aux
cristaux de Charcot-Leyden pour exciter le vague.
Bibliographie. — ■ G. Sée. Blal. simples du 'poumon. — Brissaud. Art. Ast/ime, Traité
de médecine. — .\rthaud et Butte. Du nerf pneumogastrique, 1892, 8°, 218 p. — Leyden
(Deutsche med. Woch., 1891, p. 1083).
H. TRIBOULET.
ASTIGMATISME. — Sous le nom d'astigmatisme (de a privatif, et 5Tiyjj.a,
•point), on désigne différents états de réfraction de la lumière dans l'œil, dont le carac-
tère commun est que, après passage à travers les milieux transparents, des rayons lumi-
neux homocentriques ^(partis d'un point), ne se réunissent plus, et même ne tendent
plus à se réunir en un point focal.
Dans un œil normal (il en est de même de l'œil myope et de l'œil hypermétrope, la
réfraction de la lumière est telle que les rayons partis de chaque point lumineux d'un
objet, et qui pénètrent dans l'œil, se réunissent sur la rétine ou tendent à s'y réunir en
un point focal, qui est l'image du point lumineux. La formation de points focaux sur la
rétine est la condition sine quel non d'une bonne vision, qui suppose la formation, sur
la rétine, d'images nettes des objets extérieurs. A l'article Dioptrique de l'œil, on verra
comment la netteté des images est réalisée. Il faut, à cet eflet, non seulement : 1" que
les rayons tombant sur un méridien de l'œil se réunissent en un point focal, mais
encore : 2° que les différents méridiens des milieux transparents soient identiques au
point de vue dioptrique.
Le desideratum de la formation d'images nettes ne serait pas réahsé si (dans un
œil sans cristallin) la cornée transparente avait une courbure sphérique. Après réfrac-
tion de rayons homocentriques par une surface sphérique, ceux qui passent par des
portions périphériques de la surface se réunissent (en foyer) sur l'axe optique plus
près de la surface réfringente que ceux qui passent par le centre de cette surface. En
780 ASTIGMATISME.
fait, la cornée a une courbure ellipsoïdale, c'esl-i'i-dire que ses portions périphé-
riques sont moins convexes que les centrales : l'aberration de spliéi'icité est ainsi
plus ou moins évitée pour chaque méridien pris isolément. La réfringence particulière
du cristallin concourt au môme but. Nous vejTons cependant (à propos de l'astig-
matisme irrégulier de l'œil) que la correction de l'aberration sphérique de l'œil n'est
jamais complète, que l'œil le plus normal n'est jamais « aplanétique ».
L'aberration de sphéricité relève donc d'une forme spéciale des différents méridiens
réfringents de l'œil, mais ces méridiens sont sensiblement égaux entre eux, et, de plus,
les deux moitiés d'un même méridien sont égales entre elles.
Ces deux conditions, égalité des différents méridiens, et égalité des deux moitiés de
chaque méridien (S3'métrie autour de l'axe optique) ne sont pas toujours réalisées. En.
ce qui regarde la cornée notamment, il faudrait à cet effet que sa surface antérieure
fût une partie d'un ellipsoïde de révolution, qu'on obtient en faisant tourner un méri-
dien cornéen autour de J'axe optique. Or souvent cette surface fait partie d'un ellip-
soïde à trois axes ; les difl'érents méridiens, tout en étant des ellipses, ont des cour-
bures inégales. Des irrégularités du même ordre peuvent exister dans le cristallin. On
conçoit que, de ce chef, la réfringence doit varier d'un méridien à l'autre du système
dioptrique.
L'irrégularité de courbure peut être plus grande encore. Une moitié ou une partie
plus petite d'un méridien peut avoir une courbure plus forte ou plus faible que ne le
veut la forme de l'ellipse. La réfringence variera le long du même méridien; mais dans
des dii'ections très diverses.
Lorsque ces deux conditions, courbure ellipsoïdale de chaque méridien et égalité
des dilférents méridiens, ne sont pas réalisées, par un vice de conformation, soit de la
surface cornéeiine, soit des autres surfaces réfringentes (cristalliniennes) de l'ccil, les
raj'ons homocentriques, ayant pénétré dans l'œil, ne tendent plus à se réunir en un point
focal, on parle « d'astigmatisme ».
On prévoit qu'un caractère commun à tous ces états est la formation d'images réti-
niennes plus ou moins diffuses, c'est-à-dire une vision plus ou moins défectueuse.
On distingue dans l'œil Va>itigmati^mc régulier et Vastigmutisine irrégidier.
Dans l'astigmatisme l'égulier, la réfringence est régulière en chaque méridien
pris isolément ; mais les différents méridiens sont inégaux entre eux. La plupart du temps,
il a son siège dans la cornée, dont la surface, au lieu d'être celle d'un solide de révo-
lution, fait partie d'un ellipsoïde à trois axes inégaux. Il y a un méridien de plus forte
courbure et un autre, perpendiculaire au premier, de plus faible courbure. Les autres
diminuent de couibure à partir du premier. Le qualificatif de régulier lui vient de
cette régularité dans l'asymétrie. Il peut généralement être corrigé, neutralisé par des
verres appropriés.
On donne le nom générique d'astigmatisme irrégulier aux circonstances très diverses'
dans lesquelles (soit par des anomalies de courbure, soit par des anomalies de l'indice
de réfraction) la réfringence varie d'un endroit à l'autre d'un méridien du système
dioptrique, et cela d'une autre façon que par suite d'une courbure sphérique ou ellip-
soïdale. Les causes de cet astigmatisme siègent en grande partie dans le cristallin; il en
est cependant aussi dans la cornée.
Des degrés modérés d'astigmatisme régulier et irrégulier existent dans tout ceil. Des
degrés plus prononcés constituent une infirmité, une maladie.
Astigmatisme l'égulier. — Pour nous rendre compte de la léfiaction dans un
système analogue à celui de l'œil alfecté d'astigmatisme régulier, nous supposons les
diverses surfaces réfringentes de l'œil réduites à une seule. Cela est d'autant plus licite
que l'anomalie en question est presque toujours due à une courbure asymétrique de
la cornée. Dans nos développements théoriques, nous considérons donc des rayons
homocentriques pénétrant dans un milieu plus réfringent par une surface convexe qui
fait partie d'un ellipsoïde à trois axes inégaux. Cette surface a donc u\\ méridien à
courbure maximale, et un autre, perpendiculaire au premier, avec un minimum de
courbure. Les méridiens intermédiaires diminuent graduellement de courbure à partir
du premier jusqu'au second.
En tant que nos développements supposent des expériences, il faut avoir recours à
ASTIGMATISME.
781
un artifice, attendu qu'on ne sait pas encore falirii|uer ries surfaces irréprochables de
verre faisant paitie d'un ellipsoïde à trois axes inégaux. Cet artiHce consiste à combiner
une lentille spliérique positive avec une lentille cylindrique positive.
" Un fragment découpé dans un cylindre de verre à base circulaire, par un plan paral-
lèle à l'axe du cylindre (fig. 6(3) est une lentille cylindrique positive. Ce fragment a un
maximum de courbure suivant sa section transversale. Dans le sens
perpendiculaire, suivant l'axe du cylindre, la courbure est nulle. Dans
les directions intermédiaires, elle Ta en diminuant vers la direction
à courbure minimale. Un pian de rayons lumineux qui ];iénètrent
dans le verre suivant la section borizontale subit une réfraction splié-
rique régulière. Un pian lumineux, pénétrant par la ligne droite géné-
ratrice du cylindre, par son « axe », ne subit pas de réfraction du tout.
Pour des plans à directions intermédiaires, la réfraction diminue à
mesure que le plan s'éloigne de la section transversale. De plus, les
rayons traversant un méridien intermédiaire ne tendent plus à se
réunir en un point focal. Les choses sont assez compliquées pour ces
directions intermédiaires et, du reste, nous pouvons nous dispenser de
leur exposé théorique.
L'industrie nous fournil de tels morceaux de verres, arrondis aux angles, des len-
tilles eijlindriques [lositives de diverses forces, selon la courbure du cylindre. On a de
même des lentilles, cylindriques négatives, ayant une face cylindrique concave.
Un tel cylindre convexe a donc un foyer principal sous forme de ligne parallèle à
l'axe du cylindre. La distance entre cette ligne et la lentille, distance focale principale,
est d'autant plus courte que le cylindre est plus convexe, plus réfringent.
Nous pouvons associer une lentille cylindrique positive (ayant une surface plane,
l'autre cylindrique convexe) avec une lentille sphérique positive; par exemple le
cylindre ayant .30 centimètres de distance focale et la lentille sphérique 10 centimètres.
Le système dioptrique résultant jouit de toutes les propriétés dioptriques d'une surface
réfringente ellipsoïdale à trois axes. Il a un méridien où la réfringence a un maximum;
de là celle-ci va en diminuant jusqu'au méridien qui a la plus faible réfringence et qui
est perpendiculaire au premier.
Reprenons donc notre surface réfringente ellipsoïdale à trois axes. On appelle méri-
diens in'ineipiiiix celui de la plus forte et celui de la plus faible courbure fet réfringence).
Pour la simplicité de l'exposé, nommons le premier « méridien maximal », et le second
« méridien minimal ». L,a ligure 67 représente la réfraction suivant; les deux méridiens
principaux. S figure une lentille de ce genre ou plutôt une surface ellipsoïdale à trois
axes inégaux vue plus ou moins de profil. Le lumière est sensée venir de bas en haut,
et de loin; elle se réfracte sur la surface S, qui est supposée séparer deux milieux dont
le second est plus réfringent, .rr' est l'axe optique, la ligne perpendiculaire au centre
de la surface; «6 est le méridien maximal, cd le méridien minimal de la surface.
Expérimentalement, on peut isoler les deux méridiens principaux en plaçant devant
le système un diaphragme opaque, percé d'une fente qu'on oriente tantôt dans l'un
et tantôt dans l'autre méridien principal. On peut aussi se servir d'un éci'an à deux
fentes, une perpendiculaire à l'autre, chacune placée suivant un méridien principal.
Supposons un point lumineux situé à l'infini (ti'ès loin, a o mètres par exemple) sur
l'axe optique xx'.
La trace que les rayons passant à travers un méridien forment sur un écran tenu à
diverses distances de S sera d'abord une ligne parallèle au méridien en question; cette
ligne va se raccourcissant, pour devenir un point (en /'pour le méridien maximal, en f
pour le méridien minimal). Passé le point focal, la ligne reparait, et elle va s'agrandis-
sant indéfiniment. Dans le foyer, les rayons s'entrecroisent, ce qu'on peut rendre visible
en colorant une partie des rayons par un verre coloré, masquant une moitié du sys-
tème réfringent S.
En plaçant simultanément les deux fentes suivant les deux méridiens principaux, on
jugera comparativement de l'effet des deux, ainsi que le représentent les croix placées
à gauche (resp. en haut) dans la figure 67. Ces figures représentent, vues de champ, les
apparences qui, dans le schéma précédent, sont vues plus ou moins de profil. En 1, les
782
ASTIGMATISME.
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ASTIGMATISME. 783
rayons passant à travers le méridien maximal sont déjà un peu ramassés, condensés dans
la longueur a[3. Ceux qui ont traversé le méridien minimal le sont moins; ils forment
la ligne un peu plus longue yS. Les deux ensemble forment une croix à branches iné-
gales. En reculant encore l'écran, les branches de la croix diminuent de plus en plus.
En 2, dans le foyer du méridien maximal, les rayons ayant traversé ce dernier for-
ment un foyer punctiforme, c'est-à-dire que la croix se réduit à une ligne parallèle
au méridien minimal. Au delà de cette limite, la ligne du méridien maximal reparaît et
s'allonge — ces rayons divergent après entrecroisement — tandis que la ligne lumi-
neuse du méridien minimal va encore se raccourcissant. On arrive donc en un endroit,
3, où les quatre branches de la croix sont égales. Plus loin encore, la ligne du mé-
ridien minimal diminue; elle devient plus courte que l'autre, et, dans le foyer du méri-
dien minimal 4, elle se réduit à un point : on voit sur l'écran récepteur une ligne paral-
lèle au méridien maximal. Si on recule encore l'écran, la ligne du méridien minimal
reparait — ces rayons aussi sont entrecroisés — elle va en augmentant de longueur,
mais toujours elle reste plus petite que la ligne du méridien ^maximal : la croix a tou-
jours ses branches inégales.
L'expérience est très démonstrative si on couvre d'un verre rouge une moitié de la
croix : en avant des deux fo3'ers, les branches sont colorées du même côté que les fentes
correspondantes; en arrière des foyers, c'est l'inverse qui a lieu : démonstration de
l'entrecroisement des rayons dans les foyers.
Ainsi des rayons lumineux homocentiiques, après passage à travers les deux méri-
diens principaux de notre système, ne se réunissent nulle part en un point, ils forment
tantôt une croix avec prédominance de l'une ou l'autre branche; en un point c'est une
croix à branches égales; et aux deux foyers des méridiens, on ne voit que des lignes
perpendiculaires au méridien dont c'est le foyer.
Si l'on avait opéré avec un système à courbure sphéroïdale, ou plutôt ellipsoïdale, à
deux axes (ellipsoïde de révolution'), les croix auraient toujours eu les branches égales,
et au foyer (commun aux deux méridiens), la croix se serait réduite à un point.
Il n'est pas sans intérêt, avant de considérer la réfraction dans le système entier, de
voir ce qu'il advient de la réfraction dans les méridiens intermédiaires. A cet effet, plaçons
la fente unique de notre diaphragme dans ces positions, puis recevons toujours les
rayons réfractés sur un écran. Tout près de la surface réfringente, dans la position 1,
nous voyons sur l'écran une bande lumineuse assez large et presque parallèle à la fente;
elle est même plus large que celle-ci; preuve qu'il y a des cercles de diffusion trans-
versaux, en réalité obliques, par rapport à la bande. Plus loin, cette strie lumineuse
diffuse se raccourcit, devient de plus en plus nette, et s'incline vers le méridien minimal
qu'elle atteint dans le foyer f du méridien maximal. Plus loin encore, elle continue à
tourner (s'allonge de nouveau et s'élargit), c'est-à-dire qu'elle dépasse dans son mou-
vement rotatoire le méridien minimal; enfin, au foyer f du méridien minimal, elle se
place dans le méridien maximal, et ainsi de suite. Ainsi les rayons qui passent par un
méridien intermédiaire ne concourent nulle part en un foyer punctiforme. Il se croisent,
mais dans des plans diffe'rents; le lieu géométrique de ces entrecroisements est une
espèce d'hélice. De plus, l'intersection de ces rayons par un plan, c'est-à-dire l'image
du point lumineux, est toujours plus ou moins élargie, diffuse; la ligne qui est cette
image n'est nulle part aussi nette que si elle est formée par les méridiens principaux
dans leurs foyers respectifs.
Complétons maintenant cette démonstration expérimentale en recevant sur un
écran, au sortir du système en question, tout le faisceau lumineux qui tombe sur la
surface réfringente. Supposons toujours un faisceau de raj'ons lumineux venus d'un
point très éloigné et tombant sur la surface réfringente parallèlement à son axe xx'. A
droite (c'est-à-dire en bas), dans la ligui-e 2, sont représentées les sections successives
des rayons émergents, telles qu'elles se dessinent sur un écran qu'on déplace. Ces sec-
tions représentent évidemment les images d'un point lumineux.
Si la courbure de la surface était celle d'un ellipsoïde de révolution, comme celle de
la cornée théoriquement normale, le cylindre lumineux serait, après réfraction, un cône
à section circulaire, et dont le sommet serait au foyer (unique) de la surface. Avec une
surface d'ellipsoïde à trois axes, la section du cylindre lumineux, après réfraction, est
78i ASTIGMATISME.
une ellipse l'i), d'abord à petit axe parallf'le au méridien maximal, et à grand axe paral-
lèle au méridien minimal : ou plutôt les images de diffusion formées par les deux méi'i-
diens principaux sont les axes de ces ellipses. A partir de la surface réfiingenle, l'ellipse
devient de plus en plus ])etite, et son excentricité augmente. Dans le foyer (principal) du
méridien maximal, elle se réduit à une ligne (2i parallèle au méridien minimal. Plus loin
de la surface réfringente, l'ellipse reparaît, plus petite, très excentrique, toujours avec
le grand axe parallèle au méridien minimal. Son excentricité diminue de plus en plus,
et en un point l'ellipse se transforme eu cercle (.3), au delà duquel nous vo3'ons survenir'
une ellipse, peu excentrique d'abord, mais avec grand axe parallèle au méridien maxi-
mal. L'excentricité augmente ensuile, et dans le foyer (principal) du méridien maximal,
l'ellipse se réduit à une ligne ii) parallèle au méridien maximal (perpendiculaire au
méridien du foyer en question i. Reculant encore l'écran récepteur, l'ellipse reparait (o ,
avec son grand axe parallèle au méridien maximal, et d'abord très excenliiqne. L'ex-
centricité va ensuite en diminuant, pendant que la grandeur totale de l'ellipse (6) aug-
mente, et que, partant, sa clarté diminue.
L'image d'un point lumineux, formée par un système » astigmate », ne peut donc
jamais être un point. Elle est une ellipse, ou bien un cercle (en un point), ou enfin une
ligne (en deux points). Les deux lignes sont désignées du nom de première et de seconde
ligne focale; celle-là se trouve à l'endroit du foyer (principal) du méridien le plus réfrin-
gent, la seconde au foyer du méridien minimal. La distance enfreles deux lignes focales
est la ligne inlerfocale ou li?ue de Stubm. L'image d'un point, ou d'un objet éloigné,
formée par le système astigmate, n'est nette nulle part. Sa netteté est relativement
grande sur toute l'étendue de la ligne focale; mais elle atteint un maximum aux deux
lignes focales, et nullement au point où l'image d'un point est un petit cercle.
Un point lumineux silué plus près du système dioptrique donne lieu aux mêmes pbé-
nomènes. Seulement, les lignes locales «conjuguées <> sont situées plus loin du syslème
réfringent que la ligne focale « principale ».
La longueur de la ligne ou distance interfocale ff est d'autant plus grande que l'asy-
mélrie du système, autrement dit l'astigmatisme, est plus prononcée.
Là figure i fait voir aussi que la première ligne focale est plus courte que la seconde.
Cette inégalité est d'autant plus grande que l'astigmatisme est plus grand. Enfin l'en-
droit où l'image d'un point est un cercle n'est pas au milieu de la ligne interfocale; il
est plus rapproché de la première ligne focale, et cela d'autant plus que l'astigmatisme
est plus grand.
Ce qui précède nous met à même de comprendre la vision de l'œil u^ligmate, affecté
d'astigmatisme régulier. Supposons, ce qui du reste est le cas habituel, que ce soit le
méridien vertical du svstème dioptrique de l'œil qui soit le plus léfringent; la première
ligne focale est donc horizontale.
Nous verrons que, relativement à la réfraction absolue, tous les cas imaginables
peuvent se présenter. La rétine peut se trouver au-devant (plus près de la cornée)
de la première ligne focale; elle peut se trouver dans cette ligne, ou entre les deux
ignés focales, ou encore dans la seconde ligne (dans le foyer principal du méridien
minimal, qui est horizontal), ou enfui en arrière des deux lignes focales. Autrement
dit, les deux méridiens principaux (et par conséquent tous les méridiens) peuvent être
hypermétropes (voir l'article Hypermétropie . mais à divers degrés; un seul peut être
emmétrope, l'autre hypermétrope; l'un peut être myope (voyez Myopie) et l'autre
hypermétrope ou emmétrope; enfin tous les méridiens peuvent être myopes. Le cas
habituel est celui où tous les méridiens ont la même amétropie, et sont hypermétropes
ou myopes. Toutefois il n'est pas rare de trouver un méridien principal emmétrope,
l'autre myope ou hypermétrope. Exceptionnellement l'un de ces méridiens est myope,
l'autre hypermétrope. Les phénomènes sont surtout frappants lorque les deux méri-
diens principaux sont myopes, ce qu'au besoin on peut réaliser en munissant l'œil
d'un verre biconvexe suffisamment fort : on augmente ainsi la réfr'action également
dans tous les méridiens. S'il le faut, on se rend astigmate en munissant l'œil d'un verre
cylindrique positif (avec l'axe horizontal); on observe ainsi les phénomènes visuels
suivants. '
1° Un point n'est jamais vu sous forme d'un point, mais sous forme d'ellipses, d'un
ASTIGMATISME. 7So
cei'cle ou de lignes. Dans une chambre obscure, on masque la lumière d'une lampe par
un carton percé d'un trou d'aiguille. L'astigmate mjopique, en s'éloignant et en se rap-
prochant de ce point lumineux, trouve aisément une distance à laquelle lé petit cercle
lumineux lui paraît rond : la rétine se trouve au point interfocal caractérisé plus haut.
Si maintenant on s'éloigne de plus en plus de la lampe, la seconde ligne focale (verticale
perpendicula-re au méridien minimal (horizontal), se rapproche de la rétine et la
dépasse : le cercle s'allonge en une ellipse verticale, qui se transforme en une ligne
verticale, puis de nouveau en une ellipse verticale de plus en plus grande et de moins en
moins claire (en raison de son agrandissement). Si, au contraire, à partir du point de
départ on se rapproche de la source lumineuse, la première ligne focale (horizontale)
recule vers la rétine, et la dépasse : le petit cercle devient une petite ellipse horizontale,
puis une ligne horizontale; en.suite reparaît l'ellipse horizontale, qui va grandissant. La
distance entre les deux distances auxquelles le point paraît sous forme de ligue est
d'autant plus grande que l'astigmatisme est plus fort. Le phénomène n'est guère appa-
rent avec un faible astigmatisme.
2° Des lignes de directions différentes ne sont jamais vues à la fois avec une égale
netteté; quand l'astigmate voit nettement les unes, les autres paraissent pâles, dilfuses.
Une ligue en effet est une succession de points. Soit (fig. 68) C un dessin composé de deux
lignes pointillées, l'une verticale, l'autre horizontale. Dans notre hypothèse, le méridien
maximal étant vertical, si l'éloignement de l'objet est tel que la première ligne focale
B --
tombe sur la rétine (à une distance assez rapprochée), chaque point sera vu allongé
horizontalement, il y aura à chacun d'eux des cercles de diffusion horizontaux. Ceux-ci
se couvrent pour une ligne horizontale, et sont comme non avenus, sauf que la ligne
paraît un peu allongée (B);pour une ligne verticale, les cercles de diffusions ne se
couvrent pas; la ligne paraîtra élargie et plus pâle que la première. L'inverse a lieu si
(A), soit en éloignant les lignes, soit en accommodant, nous faisons en sorte que la seconde
ligne focale tombe sur la rétine. Lorsque ni l'un ni l'autre des méridiens principaux
n'est adapté à la distance de l'objet, toutes les lignes paraîtront dilfuses.
Lorsque la ligne se trouve dans un méridien intermédiaire, elle n'est vue nettement
nulle part; d'après ce que nous avons vu plus haut, les rayons émanés d'un de ses
points ne sont nulle part réunis en un foyer punctiforme.
A ce même point de vue s'explique le chatoiement particulier à une figure composée
de cercles concentriques noirs et blancs, suffisamment serrés. Des rayons plus pâles
tournent autour du centre pendant qu'on regarde le dessin. C'est que, l'accommodation
intervenant, tantôt l'une, tantôt l'autre ligne focale est plus près de la rétine. Le phé-
nomène est apparent pour presque tous les yeux, attendu qu'à peu près tous les yeux
sont affectés d'un certain degré d'astigmatisme, ainsi que nous le verrons plus loin.
3° Un œil astigmate voit mieux à travers nue mince fente (fente sthénopéiquei ou un
trou étroit percés dans un écran opaque. A l'aide de la fente, on ne laisse passer dans
l'œil des rayons lumineux qu'à travers un seul méridien ou à peu prés. Dans les deux
méridiens principaux, la fente ne laisse pénétrer que des i-ayons qui peuvent se réunir
en foyers punctiformes, au besoin l'accommodation aidant. Les images rétiniennes seront
donc plus nettes ; l'acuité visuelle sera augmentée. Cette augmentation sera moins
prononcée lorsque la fente coïncide avec un méridien intermédiaire, pour des raisons
indiquées déjà. — Le point étant un élément d'une ligne, on conçoit que le trou percé
dans un écran augmente également l'acuité visuelle.
4° L'astigmate voit plus mal qu'un emmétrope, et de plus les objeh mml vus déformés.
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 30
786 ASTIGMATISME.
L'acuité visuelle défectueuse de l'astigmate se comprend, puisque à aucune distance un
objet ne peut former sur la rétine une image nette. L'amblyopie sera d'autant plus forte
que l'astigmatisme est plus prononcé. Toutefois la question de savoir comrnerd volent les
astigmates est un problème assez compliqué.
D'abord, l'astigmate préfère-t-il porter (en accommodant, par exemple) sur sa ré-
tine une ligne focale, ou bien un point de la distance interfocale, par exemple celui
où un point lumineux apparaît sous forme d'un cercle? Il parait bien prouvé que l'astig-
mate voit le mieux lorsqu'une ligne focale tombe sur la rétine (Javal, Macthn'er'. A ce
propos, on fait observer (Mal'thner) qu'un myope ou un hypermétrope) imparfaitement
corrigé iportant un verre trop faible alTectionne d'incliner la tête de façon à regarder
obliquement à travers les verres trop faibles. Par celte manœuvre, il augmente la force
du verre dans le méridien parallèle à l'inclinaison; ainsi faisant, il diminue et efface les
cercles de difïusion dans ce méridien seul, tandis qu'on les laisse persister dans l'autre.
Le myope se rend ainsi astigmate, et il gagne au change. Le myope non corrigé obtient
le même effet par le clignotement, si caractéristique pour ce genre d'affection. Pour un
motif analogue, les astigmates préfèrent reporter (si possible) sur la rétine la ligne focale
verticale, ne laissant persister que les cercles de diffusion verticaux iJaval), qu'il dimi-
nue par le clignotement.
Les cercles de diffusion d'une seule direction ont sur les images diffuses circulaires
un très grand avantage, surtout pour la lecture et l'écriture. Dans les caractères imprimés
ou écrits prédominent les traits d'une direction, ou les verticaux et les borizontaux. On
comprend que des images diffuses dans une seule direction, pourvu que celle-ci coïncide
avec celle des traits, gêne la vision beaucoup moins que des images diffuses circulaires
de mêmes dimensions, et que certaines lettres des échelles visuelles l'voyez Acuité visuelle)
sont reconnues, alors que d'autres, beaucoup plus grandes, ne le sont pas. On com-
prend que, pour la lecture, le myope ou l'amétrope préfère, par une inclinaison appro-
priée de la tête, ou par le rapprochement des paupières, transfoi'mer son amétropie en
un astigmatisme du même degré.
L'astigmate voit les objets déformés, des lettres par exemple allongées dans un sens,
dans celui du méridien principal qui a la plus forte courbure. Une personne non astigmate
peut s'en convaincre en regardant, soit à travers un verre cylindrique, soit à travers un
verre sphérique incliné. D'abord, un cercle, par exemple, sera vu plus grand suivant le
méridien le plus réfringent, qui grossit comparativement au méridien minimal. En second
lieu,, les cercles de diffusion, dirigés habituellement dans un seul sens, allongeront
également les objets dans cette direction. Les deux facteurs n'agissent pas toujours dans
le môme sens, et peuvent se contre-balancer. Les objets sont surtout étirés en un sens
lorsque les deux facteurs agissent dans le même sens, ce qui est le cas lorsque l'astigmate
regarde en ayant la seconde ligne focale (verticale) sur la rétine; alors des lignes verticales
paraissent allongées, d'une part en vertu du grossissement plus grand dans le sens ver-
tical, celui du méridien le plus réfringent, et d'autre part en vertu des cercles de diffu-
sion, qui allongent les lignes, par exemple dans le seul sens vertical.
On a soutenu aussi, non seulement que l'astigmate voit toujours les objets allongés
dans un sens, mais encore qu'en les dessinant il les reproduit toujours déformés,
allongés dans un sens. On a même voulu par ce moyen reconnaître l'astigmatisme des
peintres décédés, rien que par l'inspection de leurs œuvres. Pour ce qui est du premier
point, nous venons de voir que l'astigmate ne voit les objets étirés que dans certaines
circonstances. Quant au second, il semble impossible que l'astigmate dessine les objets
étirés, bien que peut-être il les voie déformés. S'il voit un cercle sous forme d'ellipse, il
doit le dessiner sous forme de cercle, pour que son dessin lui représente la même ellipse
que la vue de l'objet. Et, s'il lui donnait la forme d'une ellipse, l'excentricité de celle-ci
serait pour lui plus grande que celle qu'il voit au cercle objet. L'opinion que nous
avons en vue ici, et qui a fait quelque bruit dans le monde, repose donc sur une inter-
prétation fautive des choses.
Un chapitre intéressant au double point de vue physiologique et pratique est celui de
l'accommodation chez les astigmates. Pour bien le comprendre, il faut savoir d'abord où
siège la cause de l'astigmatisme régulier, et en quoi consiste cette cause.
Dans V immense majorité des cas, l'astigmatisme régulier est dû à une courbure anormale
ASTIGMATISME. 787
de la cornée traïKiparenlr. Au lieu d'avoir une courbure sphérique, ou plutôt celle d'un
ellipsoïde de révolution, sa face antérieure a celle d'un ellipsoïde qui n'est pas de révo-
lution, mais qui a trois axes inégaux. Chaque méridien est une portion d'ellipse; mais il
y en a un dont la courbure est la plus forte; la convexité va de là en diminuant, pour
devenir un minimum dans le méridien perpendiculaire au premier. La réfraction dans le
cristallin est régulière. Nous avons ainsi un système dioptrique astigmatique, tel que
nous venons de le décrire. Généralement le méridien maximal (à la plus forte courbure)
est vertical, le méridien minimal est horizontal. Assez souvent le méridien maximal
dévie plus ou moins à droite ou à gauche de la verticale. Dès lors, il faut en tenir compte
dans les développements qui précèdent. Pour la lecture, par exemple, un tel astigmate
aime à incliner la tète latéralement, à l'effet de faire coïncider un méridien principal
avec les traits prédominant dans les caractères qu'il lit. •
Pour expliquer le fait que c'est le méridien vertical qui est le plus convexe, on invoque,
avec une apparence de raison, la compression exercée sur le globe oculaire par les pau-
pières, qui l'aplatiraient à l'équateur, et augmenteraient la courbure cornéenne dans le
sens vertical.
Dans des cas relativement rares, c'est le méridien oculaire horizontal, ou un autre
approchant, qui estleplus réfringent. Dans ce cas l'anomalie n'est qu'exceptionnellement
le fait de la courbure cornéenne.
L'observation clinique des astigmates a démontré que, dans la proportion d'un
quart environ des cas, le cristallin contribue à produire l'astigmatisme de l'œil. Rarement
1 est seul en cause; le plus souvent il y intervient concurrenmient avec la cornée. On
distingue donc entre l'astigmatisme cornéen, l'astigmatisme cristallinien et l'astigma-
tisme total.
L'astigmatisme cristallinien est un des problèmes les plus discutés de la pratique
oculistique, problème qui intéresse en même temps la ph3-siologie à plus d'un titre. Avant
d'aller plus loin, il convient de dire quelques mots sur la manière dont on détermine
l'astigmatisme.
Mesure de l'astigmatisme. — Pour évaluer la pai't revenant soit à la cornée, soit
au cristallin, dans la production de l'astigmatisme total, le mieux serait de pouvoir
mesurer exactement la courbure cornéenne et celles des deux faces du cristallin (dans
leurs différents méridiens). Malheureusement, ces déterminations à l'aide de l'ophtal-
momètre de Heluholtz (voyez à l'article Accommodation), instrument qui semblerait tout
désigné à cet eifet, sont tellement laborieuses, surtout en ce qui regarde le cristallin,
qu'on a dû y renoncer. Elles n'ont abouti que dans des cas tout à fait isolés.
Javal et ScHiôTz ont fait subir à l'ophtalmomètre de Heluholtz une modification
qui le rend plus pratique. Mais, même sous cette forme, il ne peut guère servir qu'à
déterminer l'astigmatisme cornéen. Pour ce dernier but, c'est du reste un instrument
d'une valeur absolument supérieure, et dont l'emploi a permis de résoudre plusieurs
questions de la plus haute importance théorique et pratique. En combinant ses données
avec la détermination de l'astigmatisme total, on arrive dans une certaine mesure à
faire la part de l'astigmatisme cristallinien.
A l'aide de l'ophtalmomètre, on calcule la courbure cornéenne d'après la grandeur
de l'image catoptrique d'un objet (à grandeur connue), formée sur le miroir cornéen'.
Voyons donc les méthodes servant à déterminer l'astigmatisme total de l'œil humain.
1. Cette image par réflexion a été employée encore plus directement pour constater l'exis-
tence de l'astigmatisme cornéen, et même pour en mesurer le degré, la valeur absolue. — Les
images formées par réflexion sur un miroir convexe se ressentent de la forme de ce dernier; elles
peuvent même servir à mesurer la courbure du miroir dans ses différents méridiens. Si la cour-
bure du miroir est sphérique, l'image d'un objet à contours réguliers est régulière aussi, sem-
blable à l'objet. Si la courbure diminue vers un méridien, l'image est étirée, agrandie, dans ce
sens. Cette déformation, facile à constater, est révélatrice de l'astigmatisme cornéen. PL.iCiDO a
vulgarisé l'emploi d'un disque portant des lignes concentriques, qu'on fait réfléchir sur la cornée
pendant que l'examinateur regarde la cornée examinée à travers une ouverture centrale du
disque, et que l'œil examiné regarde le centre du disque Si la surface cornéenne est une surface
de révolution, la petite image sera régulière. De Wecker et M.vsselon ont donné à cette expé-
rience une forme qui permet de déterminer avec un certain degré d'exactitude le degré de l'asy-
métrie cornéenne.
\
788 ASTIGMATISME.
Il y a de cela quelques années seulement, on n'avait à cet effet que la méthode
laborieuse consistant à essayer d'augmenter l'acuité visuelle à l'aide de verres cylin-
driques, combinés au besoin avec des verres sphériques. On commençait d'abord par
déterminer les directions des méridiens de la plus forte et de la plus faible courbure,
à rechercher l'axe de l'astigmatisme, détermination par laquelle aujourd'hui encore
doivent commencer toutes les mensurations de ce genre. A cet effet, on peut se servir
soit de points lumineux, soit de systèmes de lignes différemment-orientées, disposées,
par exemple, en étoile. Pour ce qui est des points lumineux (percés dans un écran por-
tant la graduation d'un cercle), on n'a qu'à faire en sorte (voir plus haut) qu'ils se pré-
sentent sous forme de lignes. La direction de celles-ci donne celle soit du méridien
maximal, soit du méridien minimal. Si on se sert de systèmes de lignes différem-
ment orientées, celjes qui apparaissent le plus nettement sont dans le méridien maximal
ou dans le minimal.
La direction des méridiens principaux étant connue, on élimine préalablement, s'il y
a lieu, toute trace de myopie ou d'hypermétropie, en augmentant le plus possible
l'acuité visuelle à l'aide de verres sphériques. Si maintenant il reste encore de l'astigma-
tisme, ou le corrige en essayant, avec des verres cylindriques de diverses forces, placés
avec leur axe dans l'un ou l'autre méridien principal, d'obtenir le maximum possible de
l'acuité visuelle. La valeur du cylindre correcteur donne la valeur de l'asymétrie astig-
matique de l'œil.
Le côté faible de cette détermination subjective de l'astigmatisme total est qu'on est
réduit à interpréter les réponses du sujet examiné, qui se fatigue, donne des réponses
erronées et ainsi déroute l'examinateur. Enfin, cette méthode n'est guère applicable
aux enfants. Telle qu'elle est, cependant, elle rend encore de grands services; et surtout
il faut toujours finir par contrôler, à l'aide d'elle, les résultats fournis par les méthodes
qui servent à déterminer objectivement l'astigmatisme total.
Poar déterminer objectivement l'astigmatisme total de rœil,nous possédons aujourd'hui,
dans la « skiascopie « imaginée par Cuignet (et développée par La.ndolt, Parent,
f.HiBRET, etc., etc.), une méthode absolument rigoureuse. En voici les principes expéri-
mentaux (pour la théorie et les règles plus pratiques, voir l'article Skiaskopie) :
Si on éclaire le fond d'un œil à l'aide d'un ophtalmoscope (le mieux tenu à un peu
plus d'un mètre de l'œil examiné), la pupille paraît rouge dans toute son étendue. Qu'ar-
rive-t-il si on éclaire le disque pupillaire peu à peu, en déplaçant le retlet ophtalmosco-
pique vais le centre pupillaire, ce qu'on obtient en inclinant de plus en plus le miroir
ophtalmoscopique? Lorsque ce retlet s'avance sur la pupille, celle-ci ne paraît d'emblée
rouge dans toute son étendue que dans un seul cas, celui d'une réfraction emmétropiqne
de l'œil. Si l'œil est myope, et si le miroir employé est plan, la pupille de l'œil myope
s'éclaire partiellement d'abord, puis tout à fait, en commençant par le bord opposé à
celui d'où vient (sur la face du sujet examiné) l'éclairage, le reflet ophtalmoscopique.
Si l'œil est hypermétrope, l'éclat pupillaire marche dans le même sens que le reflet
ophtalmoscopique. Avec un miroir concave, la marche du reflet pupillaire est inverse. Le
verre sphérique, placé devant l'œil examiné, qui fait que la pupille s'éclaire d'emblée
dans toute son étendue, doime le degré de l'amétropie.
Rien n'est changé aux phénoriiènes si on avance le reflet lumineux vers la pupille, sui-
vant ses méridiens les plus divers. Mais, s'il y a astigmatisme, le verre correcteur d'un
méridien ne l'est plus pour un autre. Et la différence, d'une part entre le verre qui cor-
rige le méridien le moins amétrope, et d'autre part entre celui qui corrige le méridien le
plus amétrope, donne le degré, la valeur de l'astigmatisme total avec une rigueur assez •
grande.
Dans la skiascopie aussi, il faut commencer par déterminer l'axe de l'astigmatisme,
c'est-à-dire la direction des méridiens principaux, ce qui se fait facilement et d'emblée.
En réalité on voit se mouvoir sur la rétine une image plus ou moins diffuse de la source
lumineuse, ovale dans l'œil astigmate. Cette image, et partant sa ligne de démarcation
avec la partie obscure de la pupille, ne sera perpendiculaire au sens du mouvement de
l'ophlalmoscope, que si ce dernier a lieu dans un des méridiens principaux. Si le reflet
lumineux s'avance dans un méridien intermédiaire, la ligne de démaixalion est oblique
par rapport au sens du mouvement, et placée toujours dans un des méridiens principaux.
ASTIGMATISIVIE. 789
La direction d'un de ceux-ci devient manifeste dès le commencement de l'épreuve.
En fin de compte, il s'est trouvé que, dans la grande majorité des cas (les trois quarts),
l'astigmatisme cornéen est égal à l'astigmatisme total, et que, par conséquent, il est seul
à produire ce dernier.
Et lorsqu'il y a un astigmatisme imputable au cristallin, il est la plupart du temps
K contraire à la règle » ; c'est-à-dire qu'au contraire de ce qui est vrai pour la cornée,
c'est le inéridien horizontal (ou à peu près) du cristallin qui a la plus forte courbure.
Cet astigmatisme cristallinien est rare en somme, comparativement à l'astigmatisme
en général; de plus, sa. valeur absolue, son degré est relativement faible, en regard
de l'astigmatisme cornéen. II corrige donc plus ou moins ce dernier. Dans le cas, abso-
lument exceptionnel, où l'astigmatisme total est (c contraire à la règle », c'est-à-dire
lorsque le méridien maximal est horizontal, il dépend ordinairement du cristallin (Javal).
Il se trouve enfin des cas où l'axe de l'astigmatisme cristallinien n'est pas absolument
perpendiculaire à celui de l'astigmatisme cornéen : l'axe de l'astigmatisme total est inter-
médiaire entre celui de la coi-née et celui du cristallin.
Quanta la cause de l'astigmatisme cristallinien, elle pourraitrésider dans la courbure
du cristallin, qui serait celle d'un ellipsoïde à trois axes inégaux, comme pour la cornée.
Il résulte des recherches de Tchehning que, dans le plus grand nombre au moins des
cas de l'espèce, il est dû à une position oblique du cristallin. Ce dernier est décentré;
comme s'il avait subi une rotation autour de son diamètre équatorial vertical. Nous avons
vu plus haut que dans ces circonstances la réfraction du cristallin normal devient astig-
mate, que le méridien horizontal acquiert un pouvoir réfringent plus fort.
Mais les ophtalmologistes avaient cru pouvoir conclure de leurs expériences qu'une
courbure inégale des différents méridiens du cristallin serait une cause très fréquente
d'astigmatisme cristallinien, et que cette couibure inégale était le résultat d'une con-
traction partielle de certains segments du muscle ciliaire. Ces contractions partielles
donneraient lieu à un astigmatisme « dynamique », passager, du cristallin, qui pourrait
corriger, diminuer, surcorriger, augmenter l'astigmatisme résultant de la cornée, ou
enfin produire un astigmatisme à lui seul. Cet astigmatisme dynamique serait très fré-
quent, surtout chez les jeunes astigmates (de par la cornée.) Par sa longue durée, il
pourrait même finir par octroyer au cristallin une forme asymétrique permanente,
devenir « statique ».
En tant que cet astigmatisme dynamique pourrait corriger un astigmatisme cornéen,
qui aux épreuves visuelles ne devient manifeste que pendant le repos ou la paralysie de
l'accommodation, on parle d'astigmatisme « latent », tout comme on parle de l'hypermé-
tropie latente.
Les partisans des contractions partielles, « astigmates », du muscle ciliaire ne
manquent pas de rappeler que, d'après les expériences faites par Hensen et Voelkers
(sur le chien), la lésion d'un seul filet des nerfs ciliaires postérieurs paralyse, et son exci-
tation fait contracter une partie isolée du muscle ciliaire. Mais leurs arguments princi-
paux sont tirés d'observations faites sur des yeux humains astigmates.
DoBROwoLSKY, et à sa suite beaucoup d'oculistes (G. Martin, etc.), ont trouvé qu'après
atropinisation d'un œil astigmate (paralysie du muscle ciliaire), souvent l'astigmatisme
(subjectif) total de l'œil est plus fort ou plus faible, ou même que l'axe en est déplacé un
peu. L'atropine n'exerçant pas d'action sur la courbure de la cornée, ils concluent que,
chez les, astigmates, il se produit souvent des contractions partielles du muscle ciliaire,
contractions « astigmates » en tant qu'elles agissent sur le cristallin. Tantôt ces contrac-
tions diminuent et neutralisent même l'astigmatisme cornéen, tantôt elles l'augmentent. Il
peut aussi se produire ainsi, au dire de ces auteurs, un astigmatisme « latent », un œil
d'abord emmétrope aux épreuves visuelles se révélant après atropinisation comme atteint
d'astigmatisme, siégeant dans la cornée, ainsi que le dénoterait l'ophtalmomètre. On parle
d'astigmatisme « dynamique » lorsqu'un œil astigmate aux épreuves visuelles apparaît
(aux épreuves visuelles) après atropinisation, dépouvu d'astigmatisme. On cite même des
cas d'astigmatisme où le méridien maximal est myope, le minimal emmétrope ; une
contraction astigmate, portant sur le méridien minimal, transformerait l'astigmatisme
en myopie simple. Enfin, tous les effets imaginables de ces contractions astigmates ont
été décrits comme avant été observés réellement.
790 ASTIGMATISME.
On compare les contractions astigmates du muscle ciliaire avec celles qui produisent
rh5'permétropie latente. Elles se produisent, toujours au dire de ces auteurs, chaque fois
que l'individu vent voir quelque chose ; l'intention de voir quoi que ce soit suffit à cet
effet. Elle disparaissent, et avec elles leur effet sur le cristallin, par l'atropinisation, et
lorsque le sujet laisse errer le regard sans but visuel, notamment à l'examen ophtal-
moscopique ou skiascopique. Cet examen peut donc les déceler. — De même que les
contractions du muscle ciliaire qui rendent latente l'hypermétropie, les contractions
astigmates ont pour but d'améliorer l'acuité visuelle. Seulement elles peuvent dépasser
le but, ou même se produire dans un sens fautif. — Comme elles existent à peu près
toujours à l'état de veille, on met sur leur compte les phénomènes asthénopiques
(douleurs autour des yeux, larmoiement, etc.) dont se plaignent si souvent les astig-
mates.
G. Martin distingue même dans l'astigmatisme résultant de contractions partielles du
muscle ciliaire deux parts : l'une céderait au port de verres appropriés, et au moment
où le sujet n'a pas l'intention de regarder quelque chose ; l'autre ne céderait qu'à l'usage
prolongé de l'atjopine.
Les contractions astigmates étant, au dire de Dobrowolsky, etc., un fait très général
surtout chez de jeunes sujets, on a essayé de les provoquer en rendant des yeux artifi-
ciellement astigmates, au moyen de lunettes cylindriques. S'il survenait dans ces condi-
tions des contractions astigmates correctrices, le trouble visuel produit par l'astigma-
tisme artificiel devrait disparaître. C'est ce que divers auteurs prétendent avoir observé
réellement. Mais les auteurs en question n'ont pas pris toutes les précautions nécessaires
pour exclure d'autres facteurs qui pourraient dans ces circonstances neutraliser plus ou
moins l'effet du verre cylindrique.
Bdll a récemment publié une critique remarquable des travaux que nous avons en
vue; il a montré comme quoi les conclusions de Dobrowolsky et de ses continuateurs ne
s'imposent pas.
En ce qui regarde les contractions astigmates provoquées par le port de verres cylin-
driques, Bull montre qu'il se peut que la neutralisation du verre cylindrique soit obtenue
par une contraction générale du muscle ciliaire qui rend verticaux tous les cercles de
diffusion, et alors ceux-ci sont supprimés par un clignotement qui transforme la fente
palpébrale en fente sthénopéique. Le même phénomène se produit dans beaucoup de
cas d'astigmatisme réel ou apparent, dans lesquels l'atropinisation aurait diminué,
quelquefois même augmenté l'astigmatisme, ou bien dans ceux où le port de verres
cylindriques aurait à la longue diminué l'astigmatisme subjectif. Ici encore Bull fait
voir comment la plupart du temps une variation survenue entre temps dans l'accom-
modation totale, aidée ou non d'un clignotement, explique les phénomènes au moins
aussi bien que l'hypothèse d'une contraction astigmate du muscle ciliaire. Des observa-
tions de ce genre peuvent même être faites dans les 3'eux privés de cristallin (opérés de
cataracte).
La réalité d'efforts accommodateurs à peu près constants chez les astigmates, jeunes
surtout, semble mise hors de doute. Seulement, ce sont des efforts étendus à tout le
muscle ciliaire. D'après les observations de Bull, ils ont réellement pour effet d'aug-
menter souvent l'acuité visuelle, ne fût-ce qu'en obtenant de faire tomber une des lignes
focales sur la rétine. Souvenons-nous aussi que les objets que nous regardons ,ont les
lignes de contour les plus diverses, et, pour les voir le plus nettement possible, l'astig-
mate trouve avantage à faiire tomber sur la rétine, tantôt la première, tantôt la seconde
ligne focale, ce qui ne peut s'obtenir que par une modification de l'accommodation. Cette
nécessité de modifier incessamment l'accommodation (totale) existe même pour les yeux
myopes qui sont astigmates en même temps, alors que dans la myopie simple l'accom-
modation est généralement superflue. Mais le problème de l'accommodation est des plus
compliqués chez l'astigmate, et on se figure aisément des cas où d'aucune façon elle ne
saurait améliorer la vision, et où même elle l'empire, par exemple dans l'astigmatisme
myopique. Quoi d'étonnant alors à ce que le muscle ciliaire, surmené, entre en une con-
traction tétanique, spasmodique, et simule de la myopie, cas qui s'observe réellement?
L'asthénopie, les phénomènes douloureux, les obscurcissements passagers de la vue,
l'apparition d'un état névrosique pouvant aller, au dire de certains auteurs, jusqu'à la
ASTIGMATISME. 791
névrose grave, tout cela se comprend sans qu'on soit forcé de recourir à l'iiypothèse des
contractions astigmatiques du muscle ciliaire.
Les expériences faites sur des yeux avec et sans atropinisation sont du reste entachées
d'une autre cause d'erreur. Il suffisait à certains cliniciens de constater aux épreuves
visuelles une différence dans l'astigmatisme total avant et après atropinisation de l'œil
pour mettre la différence au compte du muscle ciliaire, que l'atropine paralyse; on
négligeait même souvent de mesurer la courbure cornéenne à l'ophtalmomètre. Or
l'atropine produit dans l'œil encore d'autres changements importants au point de vue
dioptrique. Elle dilate notamment la pupille et démasque ainsi, pour la lumière inci-
dente, des portions plus périphériques de la cornée et du cristallin, dont la réfraction
diffère souvent notablement de celle des parties avoisinant l'axe optique; il peut en
résulter une modification de l'acuité visuelle, qui est une fonclioii de la réfraction de
tous les rayons lumineux qui pénètrent dans l'œil.
Jackson a reconnu par l'examen skiasoopique que très souvent la réfraction d'une
partie périphérique du champ pupillaire (avec la pupille un peu dilatée) est sensible-
ment différente de celle du centre. Une partie de cette inégalité de réfraction peut reve-
nir au cristallin. Mais Sulzer a démontré récemment que la cornée y entre aussi pour
une large part. A l'aide de mensurations ophtalmométriques, cet auteur a démontré que
très souvent la cornée est loin de présenter la courbure d'un ellipsoïde de révolution,
ou même celle d'un ellipsoïde à trois axes (dans le cas d'astigmatisme) telle que nous
l'avons supposée dans ce qui précède. La cornée peut avoir une courbure à peu près
idéale, si on ne considère qu'une aire de deux millimètres autour du centre cornéen.
Mais cette régularité n'existe plus si on envisage une plus grande aire cornéenne, telle
qu'elle est utilisée dans la vision d'un œil atropine. Un méridien donné diffère beaucoup
d'une ellipse; ses deux branches, prises à partir du centre cornéen, ont ordinairement des
courbures inégales, ce qui produit de l'astigmatisme irrégulier. A notre point de vue
actuel, il importe de relever surtout les conclusions suivantes du travail de Sulzer :
i° Des cornées, ne présentant pas d'astigmatisme dans les parties centrales, sont astig-
matiques dans leurs parties périphériques. 2° Les diverses zones périphériques d'une
cornée astigmatique présentent des degrés différents d'astigmatisme, différents de celui
des parties centrales. 3° Les parties périphériques des cornées sans astigmatisme ce'ntral
présentent la plupart du temps un astigmatisme contraire à la règle. 4° Les parties
périphériques des cornées à astigmatisme central un peu fort sont plus astigmates que
les parties centrales. Il en résulte que, de par la courbure cornéenne, les yeux sans astig-
matisme subjectif, lorsque leur pupille est étroite, présentent, après atropinisation, un
faible astigmatisme subjectif contraire à la règle, l'astigmatisme subjectif d'un œil à
pupille étroite peut, après atropinisation, être diminué, corrigé, ou renversé, ou enfin
augmenté; enfin, l'axe de l'astigmatisme subjectif peut être déplacé après atropinisation.
Dès lors une conclusion s'impose. Les matériaux amassés par les cliniciens, par la
détermination de l'astigmatisme total subjectif, avec et sans l'atropinisation de l'œil, ne
prouvent rien dans la question de l'astigmatisme cristallinien, et surtout dans celle de
l'astigmatisme cristallinien dynamique résultant de contractions partielles du muscle
ciliaire. Bien qu'ils ne soient pas dépourvus de toute valeur, ils ont besoin d'une revision
critique sérieuse, qui peut-être ne pourra guère être tentée fructueusement avant que
nous disposions d'un moyen pratique pour mesurer la courbure des faces du cristallin
dans différents méridiens. La plupart du temps, les écarts constatés entre l'astigmatisme
subjectif avec et sans atropinisation sont d'une valeur telle qu'ils peuvent s'expliquer
parfaitement par la différence de courbure existant entre la périphérie et le centre cor-
néen.
En résumé donc, les faits allégués par Dobrowolsky, G. Martin, etc., ne sont pas dé-
monstratifs dans la question des contractions astigmates du muscle cUiaire. Il est prouvé
dès maintenant que dans un grand nombre de cas de l'espèce, il ne s'agissait nullement
de contractions astigmates du muscle ciliaire.
Voici encore quelques points relatifs à l'astigmatisme régulier, et qui n'ont pas trouvé
place dans ce qui précède.
Degré de Tastigmastisiue. — L'asymétrie astigmate de l'œil, mesurée par la dif-
férence de réfringence dans les deux méridiens principaux, peut être plus ou moins pro-
792 ASTIGMATISIVIE.
noiicée. De même que l'hypermétropie et la myopie, l'astigmatisme peut être repré-
senté par le verre qui corrige rasj'métrie. L'astigmatisme est évalué par le verre cylin-
drique (positif ou négatif) qui fait; disparaître l'inégalité de réfringence dans les deux
méridiens pi'incipaux. Il peut y avoir en même temps hypermétropie ou myopie totale
de l'œil, mais cela n'entre pas en ligne de compte pour l'évaluation de l'astigmatisme.
Quant à, l'évaluation du pouvoir réfringent des lentilles cylindriques, elle se fait de la
même façon que celle des lentilles sphériques (voyezà l'article Hypermétropie), au moyen
des distances focales des lentilles à comparer. Les pouvoirs réfringents de différentes
lentilles à comparer sont inversement proportionnels aux distances focales de ces mêmes
lentilles Fï' : = — ; et D/'^ — . Une lentille deux, quatre, etc., fois plus réfringente qu'une
autre a une distance focale qui n'est que la moitié, le quart, etc., de celle de la dernière.
Les ophtalmologistes comparent toutes les forces réfringentes à celle d'une lentille
ayant un mètre de distance focale. Celle-ci est donc prise comme unité; on lui donne
le nom de dioptrie. Des lentilles ayant deux, trois, etc., mètres de distance focale ont
des pouvoirs réfringents de 1/2, de un tiers, etc., de dioptrie. Ce sont là les lentilles les
plus faibles dont on tienne compte en pratique; plus faibles, elles n'influencent plus la
vision d'une manière sensible. Des lentilles de deux, trois, cinq, etc., dioptries (de 2, 3,
!j unités de force réfringente) ont des distances focales de 1/2, 1/3, I/o, etc., de
mètre. Ce qui se détermine aisément en pratique, c'est la distance focale. Celle-ci alors
sert à calculer la force réfringente en dioptries.
Les verres correcteurs de l'oculiste sont numérotés dans le système des dioptries. Le
verre correcteur qu'il trouve corriger l'astigmatisme lui donne du même coup, exprimé
en dioptries, le degré de l'astigmatisme. Supposons des astigmatismes qui sont corrigés
par des verres cylindi-iques de 1, 2, 3 dioptries. La valeur dioptrique de ces astigma-
tismes sera de 1, 2, 3 dioptries.
De môme, à l'examen skiascopique, la différence des deux verres qui corrigent les
deux méridiens principaux donne la valeur de l'astigmatisme, exprimée en dioptries.
Quand aux valeurs absolues des astigmatismes qu'on observe réellement, il est excep-
tionnel d'en rencontrer de cinq et six dioptries et même plus (corrigés par des verres de 20,
18 et de 16 centimètres de distance focale). Un astigmatisme de deux dioptries est déjà
qualifié de fort. Un œil emmétrope, muni d'un tel verre, n'a qu'une acuité visuelle qui n'est
que la moitié de la normale, quatre dioptries la réduisent à un septième. Une dioptrie
d'astigmatisme est déjà très sensible à la vision. Un astigmatisme de 1/2 et de d/4 de
dioptrie (corrigé par un verre de 2 et de 4 mètres de distance focale) ne produit pas une
diminution bien sensible de l'acuité visuelle. Mais, de même que les astigmates plus
forts, ces sortes de gens se plaignent souvent beaucoup de ce que la lecture est fatigante,
occasionne des douleurs du front, du larmoiement, etc., bref, ils accusent les symptômes
dits asthénopiques. Selon toutes les apparences, la cause des phénomènes asthénopiques
réside dans des contractions pins ou moins spasmodiques du muscle ciliaire. Nous
avons vu plus haut que l'astigmatisme, même myopique, donne lieu à des contractions
incessamment variées du muscle ciliaire, à l'effet de faire tomber ou de rapprocher
le plus possible de la rétine, tantôt l'une, tantôt l'autre ligne focale, de préférence même,
si c'est possible, la ligne verticale. Pour beaucoup d'objets, ces efforts accommoda-
teurs améliorent la vision, surtout s'ilb sont aidés du clignotement des paupières. De
même que dans l'hypermétropie, l'attention de voir quelque chose suffit bientôt pour
faire contracter le muscle ciliaire. Cette contraction permanente doit donner lieu aux
phénomènes d'asthénopie (larmoiement, douleurs, etc.), tout comme dans l'hypermé-
tropie; et les verres correcteurs les font disparaitre.il semble même que, dans l'astig-
matisme, ces contractions deviennent souvent comme spasmodiques, dépassent le but,
probablement parce que dans telles circonstances, par exemple avec une direction
déterminée des lignes de contour des objets, l'effet voulu, c'est-à-dire la vision nette,
ne saurait être obtenu par aucune contraction du muscle ciliaire dans son ensemble. Il
semblei'ait aussi que le clignotement longtemps continué peut suffire à lui seul pour
produire des sensations douloureuses.
Un faible degré d'astigmatisme régulier, de un quart de dioptrie environ (4 mètres
de distance focale), peut être décelé dans à peu près tous les yeux réputés normaux.
ASTIGMATISME. 793
Une preuve en a été déjà donnée plus haut, à l'aide des cercles concentriques. Ce faible
astigmatisme de tout œil ressort aussi de ce fait que tous les yeux voient avec une netteté
inégale des systèmes de lignes parallèles, difïéremment orientés, ou enfin des lignes
disposées en étoile. — ■ Donders donne de cet astigmatisme faible, propre à tout œil, la
preuve suivante. Pendant qu'on regarde des épreuves visuelles à distance, on tourne
autour de son axe optique un verre cylindrique très faible, de un quart de dioptrie par
exemple placé au-devant de l'œil. On remarquera que dans une orientation du cylindre
l'acuité visuelle est un peu augmentée, et diminuée dans une autre, perpendiculaire
à la première. Évidemment, si la réfraction était la même dans tous les méridiens de
l'œil, on devrait voir à peu près également bien (ou mal) avec toutes les orientations
du cylindre. Dans une position le cylindre corrige, et dans l'autre il renforce l'astig-
matisme régulier dont tout œil est affecté.
Les astigmates se plaignent souvent de polyopie (monoculaire). Avec un seul œil, ils
voient doubles, triples, des points et des lignes. L'astigmatisme régulier n'est guère
capable à lui seul de produire le phénomène. Ce dernier est une conséquence de l'astig-
matisme irrégulier dont les yeu-x de ce genre sont tous atteints. L'astigmatisme régulier
non corrigé est une circonstance favorable à la manifestation de cette polyopie (Voyez
plus bas Astigmatisme irrégulier).
L'astigmatisme régulier, même s'il est fort, est une malformation congénitale et sou-
vent héréditaire. Le vieillard est aussi astigmate qu'il l'était comme enfant. Seulement,
avec la diminution de l'accommodation résultant de l'âge, ie trouble visuel devient plus
appareiit. L'anomalie est souvent héréditaire : un enfant issu de parents fortement
astigmates a beaucoup de chance de l'être à son tour; et, si on rencontre un astigmate
dans une famille, il est plus que probable qu'il y en a encore d'autres. D'après L.vndolt,
DE 'Wecker, etc., les astigmates présenteraient souvent des asymétries notables de la
face et du crâne : la cause dernière produisant l'asymétrie oculaire devrait donc être
recherchée dans le développement embryonnaire. A ce point de vue nous avons plus
haut appelé l'attention sur l'inlluence exercée sur l'œil par la pression des paupières.
On a aussi incriminé, sans grand succès, l'influence des contractions des muscles droits
de l'œil.
Souvent les deux yeux sont astigmates à la fois; et alors ordinairement les axes de
l'astigmatisme sont symétriques.
Très souvent, malgré la correction la plus soignée, l'acuité visuelle de l'œil astigmate
reste défectueuse. Cette » amblyopie astigmatique », on l'a souvent mise sur le compte
d'une malformation congénitale, d'un développement défectueux du fond de l'œil,
spécialement des éléments rétiniens. Jusqu'à plus ample informé, il est plus rationnel
de la mettre sur le compte des anomalies concomitantes des courbures cornéennes et
cristalliniennes qui ne se laissent pas corriger par des verres cylindriques. C'est là de
l'astigmatisme irrégulier, anomalie dont chaque œil est plus ou moins atteint et qui
est particulièrement prononcée dans les yeux affectés d'astigmatisme régulier.
Dans ce qui précède, nous n'avons parlé que de l'astigmatisme régulier congénital,
qui est l'état physiologique de^ certains yeux. Une asymétrie cornéenne produisant de
l'astigmatisme régulier est très souvent la conséquence d'ulcères ou de plaies acciden-
telles ou opératoires (iridectoraie, extraction de la cataracte) de la cornée, et souvent
dans une mesure très prononcée. Cet astigmatisme acquis, qui du reste peut être souvent
corrigé avec avantage, est du domaine de la pathologie.
Signalons enfin que les yeux des mammifères, et spécialement des mammifères
domestiques, sont toujours affectés de degrés très notables d'astigmatisme cornéen
(régulier) et d'astigmatisme irrégulier ayant son siège dans le cristallin (Berlin).
Historique. — La connaissance pratique de l'astigmatisme régulier date de l'an-
née 1862, de l'apparition à peu près simultanée des travaux de Donders et de K,n.^.pp.
Mais ici se reproduit le fait bien connu : à chaque nouvelle découverte il se trouve
qu'elle a été entrevue ou môme effectuée plus ou moins par des prédécesseurs. Seule-
ment, pour des raisons très diverses, leurs démonstrations n'ont pas été assez complètes
pour s'imposera l'attention du monde savant. Les annales de la science signalent Thomas
YouNG comme un précurseur devançant de loin son siècle, en cette question comme en
beaucoup d'autres. En 1793, il décrivit [Philos. Transact., t. lxxxiii, p. 169) son propre
79i ASTIGMATISME.
astigmatisme régulier qu'il mit sur le compte du cristallin; il supposa la lentille décen-
trée. Parmi les savants qui, dans la suite, décrivirent l'astigmatisme oculaire, citons
GouLiER, officier d'artillerie à Metz, qui envoya, en 1852, à l'Académie des sciences un pli
cacheté dans lequel furent signalées la fréquence de l'astigmatisme et la manière de le
corriger à l'aide de verres cylindriques. Le contenu de ce pli fut publié en 1865. Voyez
du reste l'histoire ancienne et détaillée de l'astigmatisme dans Donders (A?iomai(es de la
réfrarMon, etc., 1866) et dans Javal [Ann. d'OcuL, 1866, p. lOo).
Un travail capital en la question fut celui du mathématicien Sturm, qui (C. R., t. xx,
pp. oo4, 767) développa la théorie mathématique de la réfraction sur des surfaces
asymétriques.
Son travail fut utilisé plus tard par Donders et Knapp et forme encore aujourd'hui la
base mathémathique de l'astigmatisme.
Ce furent donc Donders et Knapp qui firent voir à tout le monde l'importance théo-
rique et pratique de l'astigmatisme oculaire. Depuis leurs mensurations ophtalmo-
métriques on savait bien que cette anomalie a surtout son siège dans la cornée. Mais
la détermination pratique de l'astigmatisme était toujours très laborieuse, vu qu'elle
était basée à peu près exclusivement sur des procédés subjectifs. Le mérite d'avoir
inventé des procédés pratiques pour déterminer objectivement l'astigmatisme revient
à deux savants français. En 1881, Javal nous dota de son ophtalmomètre, qui permit de
résoudre une foule de questions relatives à l'astigmatisme. Mais dès 1874, Cuignet
avait publié, sous le nom de kératoacopie, son procédé, si ingénieux et si facile à mettre
en pratique. Landolt, Pare.\t, Chibret, Zieminsri et d'autres en développèrent la
théorie et fixèrent les règles pratiques de son emploi. Cuignet employa le nom de
kératoscopie. Parent préféra celui de « rétinoscopie », et Chibret celui de « skiascopie »
(de oxi'a, ombre).
En 1868, DoBROwoLSKY suscita la question des contractions astigmates du muscle. Il
convient de citer encore G. Martin, Bull, Tcherning, Sulzer, etc., comme ayant pris
une large part aux discussions qui durent toujours sur ce dernier point.
Bibliographie de l'astigmatisme régulier. — A. et R. Ahrens. Neue Yersieche
ùber anisomorphe Akkommod. (Klin. MonaMA., 1889, p. 291). — G.-J. Bull. Dm rapport de
la contraction irrégul. du muscle ciUaire avec Vast. {Ann. d'OcuL, février 1892). — Chaenley.
On the theory of the so called kératoscopie {Ophlh. Ho.sp. Rep., t. x, p. 2o7). — Ccignet.
Kératoscopie {Rec. d'Opht., 1873, p. 14; 1874, p. 316; 1877, p. 39; 1880, juin, et Soc. franc.
d'Opht., 1887, p. 23). — Chibret (Ann. d'OcuL, nov. 1882; Arch. dOpht., 1886, p. 146 et
1890). — DoBROwoLSKY. Ucber die Verdnder. des Ast., etc. (Arch. f. Opht., 1868, p. al).
— Donders. Astigm. en cylindr. glazen (in Comptes rend, de la clinique opht. d'Vtrecht,
1862). L'ensemble des recherches de Donders est consigné dans les Anomalies de la réfrac-
tion et de l'accommod., publiées en 1864 par la Sydenham Society; traduction allem.
en 1866, Vienne. — Helmholtz. Optique physioL, éd. franc. 1867, Paris. — Eow. Jackson.
Symmetr. aberrat. of the eye (Transact. of the americ. ophth. Soc, 1888, p. 141). —
Javal n'a cessé de s'occuper d'une manière prépondérante de la question de l'astig-
matisme régulier; ses nombreux travaux sont épars dans les revues et les comptes
rendus des congrès. L'ophtalmomètre de Javal et Schiôtz fut décrit sous sa forme pri-
mitive en 1882. Sous sa dernière forme, l'instrument est décrit dans les Bull. Soc. franc,
d'opht., 1889, p. 91. Voir aussi Contrib. à l'ophtalmométrie (Ann. d'OcuL, 1881, juillet 1882,
p. 213, 1883, p. 1). — L'Ophtalmométric clinique (in Livre jubilaire de EEL}iEoi.TZ, 1891). —
Knapp. Ueber die Asymétrie des Auges, etc. (Arch. f. Ophth., 1862, pp. 108, 220 et 333). —
C.-J.-A. Leroy. Théorie de l'astigm. (Arch. d'Opht., t. i, 1881). — Influence des muscles de
l'œil sur la forme normale de la cornée humaine (C. R., 1888, n° 18, et A. P., 1889, p. 14).
— Landolt. Astigmatisme (dans le Traité complet d'ophtalm. publié pai' de Wecker et
Landolt, 1883). — Mauthner. Die optischen Fehler des Aiujes, Vienne, 1872-1873, p. 706. —
MiDDELBURG (et DoNDERs). De Zitjilaats van het Astigmatisme (Compte rendu de la clinique
opht.cVTJtrecht, 1863). — Mangin. De la kératoscopie (Rec. d'Opht., avril 1873). — G. Martin.
Études sur les contractions astigmates chi muscle ciliaire (Ann. d'OcuL, 1887, pp. o, 142
et 277; 1886, p. 217). — Nouvelles études sur les contractions astigmates. Paris, 1888. —
Nagel. Astigmatisme cristallinien chez les animaux (Zeitschr. f. vergleichemie Augenheil-
kunde, 1887, p. 1). — Priestley Smith. Transient Astigmatism due to paralysis of ocular
ASTIGMATISME. 793
miiscks [Ophth. revieiv, I880, p; 334). — Pabent. De la MratoscOTpie {Rec. d'Opht., 1880,
pp. 62 et 424). — Diagnostic et délennin. de l'nstigm. Paris, 1881, p. 13. — Placido. Nouvel
instrument pour la recherche rapide des irrégularités de courbure de la cornée, etc. [Period.
di oftal. pyatica, 1880). — W. Raeder. Ueber Entstehimg des Astigmatismus {Centralbl. f.
Augenheilk., 1888, p. 138). — Sulzer. La forme de la cornée humaine et son influence sur
la vision {Soc. franc, d'opht., 6 mai 1891, et A/'c/t. d'Op/ii., déc. 1891, et janvier 1892, p. 32).
— TcHERNiNG. Une nouvelle méthode pour mesurer les rayons de courbure du cristallin
décentré {Soc. franc. cVopht., 8 mai 1890). — Notice sur un changement, etc., que subit le
cristallin pendant l'accommodation {Arch. d'ophtalm., 1892, p. 168). — Sur la position
du cristallin de l'ceil humain {Soc. franc, d'opht., 1889, p. 78). — De Wegker et Masselon.
Astigmomètre {Ann. d'Ocul., juillet 1882). — Zieminski. Détermination du degré de l'amé-
tropie par la rétinoskiascopie {Soc. franc, d'opht., 1887, p. 29).
Astigmatisme irrégulier. — Dans l'œil théoriquement normal, les rayons lumi-
neux homocentriques se réunissent, après réfraction, en un point, en un foyer punctiforme.
Dans l'œil aflecté d'astigmatisme régulier, il en est de même pour les rayons homocen-
triques réfractés dans un méridien (principal), à l'exclusion des autres; l'anomalie
astigmatique peut être supposée obtenue, dans ce cas, par l'addition d'une valeur diop-
trique cylindrique au système normal, sphérique. Enfin, l'astigmatisme régulier est tel
qu'on peut le neutraliser au moyen de verres cylindriques appropriés : il est établi
d'après certaines règles simples, d'où le nom de « régulier » qu'on lui a donné.
On pouvait prévoir que des milieux dioptriques organisés ne réaliseront guère les
conditions nécessaires pour l'obtention d'une réfraction aussi parfaite que le supposent
les yeux théoriquement normaux, ou même affectés d'astigmatisme régulier. Effective-
ment, dans tous les yeux, la réfringence de chaque méridien est telle que non seule-
ment les rayons homocentriques qui le traversent ne se réunissent plus en un foyer
punctiforme, mais encore que l'une des moitiés du méridien a une réfringence différente
de celle de l'autre. L'anomalie ne saurait être corrigée ni par des verres sphériques, ni
par des verres cylindriques. Les imperfections de ce genre, inhérentes à des degrés
divers à tous les yeux, sont réunies sous le nom générique d'astigmatisme irrégulier.
L'astigmatisme irrégulier ne comprend donc pas l'aberration de sphéricité, anoma-
lie dont tout œil est également affecté, et qui consiste en ceci : les rayons homocen-
triques qui traversent une lentille biconvexe ordinaire ne se réunissent en un foyer punc-
tiforme que s'ils passent par une petite partie centrale, autour de l'axe optique. Ceux
qui traversent des parties plus périphériques de la lentille coupent l'axe optique plus
près de la lentille. — L'image d'un point formée sur un écran par des rayons traversant
un large champ de la lentille doit être toujours diffuse, même si l'écran est placé dans
le foyer principal. — Des phénomènes de cette aberration existent dans chaque œil, si
la pupille est un peu larg:e. Ils sont moins prononcés, ou même font défaut si la pupille
est étroite. Dans un tel système, la réfraction est symétrique, par rapport à l'axe optique,
non seulement dans un seul méridien, mais dans tous; et de plus les différents méridiens
se ressemblent. Chaque zone concentrique autour du centre de la lentille a un foyer à
part, situé sur l'axe optique, d'autant plus rapproché de la lentille que la zone est plus
périphérique. Dans l'astigmatisme irrégulier, cette symétrie autour de l'axe optique
n'existe plus; différents segments des zones concentriques du système dioptrique ont des
foyers à part, et l'asymétrie ne peut plus être sensée réalisée par l'addition d'une lentille
cylindrique à un système réfringent sphérique.
D'une manière générale, l'astigmatisme irrégulier, quel qu'en soit le siège, aura pour
effet de diminuer l'acuité visuelle, puisqu'il rend les images rétiniennes plus ou moins
diffuses. Des phénomènes plus caractéristiques seront la vision double, triple, etc., d'un
point {polijopie monoculaire.) Il faut dès lors opérer avec un seul point lumineux, pour
éviter que les doubles images de points lumineux voisins ne se superposent sur la rétine,
ce qui embrouillerait les phénomènes.
Il s'agit avant tout d'examiner les apparences visuelles que revêt un point clair sur
fond obscur (ou vice versa), d'abord au delà de la distance de la vision distincte, et enfin
en deçà de cette limite, de plus en plus près de l'œil. — Pour pouvoir placer le point, ou
un petit disque lumineux au delà du punctum remotum, il faut opérer sur un œil
796
ASTIGMATISME.
myope, ou rendu mj'ope pur l'apposition d'un verre sphérique posilif. Le point lumi-
neux (sur fond noir) sera donné, par exemple, par des grains de craie grattée, soit par
un retlet lumineux quelconque punctiforme, pj-oduit par un corps brillant, une goutlelette
de mercure, par exemple, soit encore par l'image que produit une lentille positive d'une
lumière placée assez loin. Certains détails deviennent très apparents si on remplace le
point par un disque éclairé d'un centimètre de diamètre, qu'on regarde à la distance de
5 mètres avec un œil rendu faiblement myope. L'emploi d'un trou étroit percé dans
un écran opaque ne convient pas à cause des phénomènes de diffraction qui compli-
queraient les apparences visuelles.
Placé dans les limites de la vision distincte (entre le punctum remotum et le punc-
lum proximum), le point lumineux paraît à peu près sous forme de point. A peu près,
disons-nous, car, presque sans exception, on le verra allongé dans l'un ou l'autre sens, ou
même doublé, triplé selon les yeux. Cette polyopie monoculaire s'accuse lorsque le point
lumineux dépasse légèrement les limites du tei'rain d'accommodation, ou lorsque l'œil
n'est pas exactement accommodé pour la distance. Enfin, lorsque l'adaptation de l'œil
est défectueuse, les images multiples s'allongent en rayonnant à partir du centre; il eu
apparaît de nouvelles, etc. En d'autres mots, placé dans les limites du terrain d'accommo-
dation de l'œil myope, le point lumineux paraît plus ou moins sous forme de point;
mais jamais ce n'est un point mathématique; souvent il est double, triple : cela dépend
des yeux. Au delà du punctum remotum et en deçà du punctum proximum, chaque fois
enfin que l'œil n'est pas adapté pour sa distance, le point
lumineux paraît sous forme d'un cercle de diffusion, d'un
disque pâle a bord frangé, d'autant plus grand que l'adap-
tation de l'œil pour sa distance est moins exacte. Mais ce
cercle, loin d'être homogène, comme dans le cas où il est
foimé par une lentille biconvexe et reçu sur un écran,
présente en nombre plus ou moins grand des taches plus
lumineuses, dont chacune a son maximum d'intensité
vers le centre du disque et envoie des prolongements
rayonnes vers la périphérie.
La figure 69 reproduit cette apparence telle qu'elle se
FiG. 68. présente dans notre œil droit, le point lumineux étant
placé au delà du punctum remotum. Les noirs de la figure
indiquent les intensités lumineuses relatives du cercle de diffusion. L'éclairage n'y est
nulle part égal à zéro. Les points lumineux centraux ne se louchent pas; ils sont du reste
les plus clairs; l'intensité lumineuse moyenne diminue du centre vers la périphérie. Le
nombre des points lumineux périphériques augmente avec la dilatation de la pupille
obtenue en couvrant l'autre œil. On se convaincra aisément que les taches plus intenses
correspondent chacune à une des images multiples (puncti formes) qu'on voit quand
l'œil est adapté pour la distance.
Un écran qu'on avance au-devant de la pupille éteint successivement les différents
points, à commencer du même côté, si le point lumineux est placé au delà de la distance
de la vision distincte. Une petite ouverture, percée dans un écran opaque promené au-
devant de la pupille, fait apparaître tantôt l'un, tantôt l'autre point lumineux. Dans
ces expériences d'extinction partielle, il devient très apparent que les points lumineux
avec leurs rayons ont des bords colorés : le bord central est rouge, le bord périphérique
l'extrémité des rayons, est bleu violacé. — Soit dit en passant, cette expérience
démontre clairement que l'œil n'est pas achromatique. — Enfin toutes les apparences
diffèrent d'un œil à l'autre, quant au nombre et à l'arrangement des points et des
rayons.
Si le point lumineux est placé en deçà du punctum proximum, l'apparence est en
somme la même, sauf que la périphérie du cercle est relativement claire, pour les rai-
sons optiques qui font que le cercle de diffusion plus homogène, formé par une lentille
sphérique dans des circonstances analogues, est dégradé vers la périphérie, si l'écran
récepteur est en avant du foyer du point lumineux, et plus clair vers la périphérie si
l'écran récepteur est plus reculé que ce foyer. Un corps opaque (écran) qu'on avance
au-devant de la pupille éteint maintenant les points du bord opposé du disque, et alors
ASTIGMATISME.
797
aussi la chromasie des poinls devient très manifeste. Seulement, c'est maintenant le bleu
qui est vers le centre du disque, le bord péripbérique est rouge. En somme, les différents
secteurs du cercle sont de véritables spectres.
Lorsqu'on place une parcelle lumineuse très petite en deçà du terrain de la vision
distincte, les taches allongées du cercle de diffusion prennent l'apparence de rayons très
fins; l'apparence ressemble à une étoile rayonnée si le point lumineux est au delà du
punctum remotum. S'il se trouve en deçà du punctum proximum, les rayons en question
ne se dégradent pas vers la périphérie; et lorsque le point arrive dans le foyer antérieur
de l'œil (à 13 millimètres environ au-devant de la cornée), ils constituent les lignes
rayonnées intenses de la figure 70 (Donders). Cette ligure représente l'apparence entop-
tique du cristallin (voyez Vision entop-
tique); les rayons du disque sont donc
l'e.ïpression entoptique de la composi-
tion en secteurs du cristallin. Dès lors,
comme le dit Uonders, la polyopie mo-
noculaire, l'apparence rayonnée du cer-
cle de diffusion, le fait, notamment,
qu'en dehors des limites de la vision
distincte, un point peut se 'présenter
sous forme d'une étoile (rayonnée), en-
fin l'apparence entoptique de la figure 70,
tout cela repose sur une seule et même
particularité structurale de l'œil. Ainsi
que cela est démontré à l'article Vision
entoptique, la cause en réside dans la
structure particulière du cristallin, len-
tille composée de secteurs, dont cliacun
a une structure fibriUaire qui se traduit
dans la striation rayonnée plus fine de
la figure 70. Rien Je tout cela ne s'ob- p,g_ g,,
serve dans les yeux privés de cristallin
(opérés de cataracte). Les points lumineux principaux, centraux, de la flgure 68 sem-
blent correspondre aux parties centrales des grands secteurs du cristallin. Les points
périphériques plus pâles, nombreux surtout avec la pupille dilatée, semblent être pro-
duits par la réfraction dans les subdivisions (périphériques) de chaque secteur prin-
cipal.
Les images multiples sous lesquelles peut se présenter un point ont déjà été étudiées
par DE n. HiRE {1694) et Th. You.ng (1801). C'est Doxders (1846) qui en à localisé la cause
dans le cristallin. Les choses se passent, dit Donders, comme si les différents secteurs
cristallioiens avaient des distances focales différentes. Toutefois il avoue ne pouvoir don-
ner une explication satisfaisante des détails du phénomène.
Stellwag et C.4D.i.\Tont invoqué la polarisation de la lumière pour expliquer les phé-
nomènes, mais à tort, puisque l'œil muni d'un prisme de Nikol voit parfaitement ces
apparences, même si on tourne le prisme.
S. Ex.ner a essayé de serrer de plus près l'ex[)lication, dans l'hypotlièse d'une simple
inégalité de réfringence entre les différents segments du cristallin, que cette inégalité
soit produite par des courbures inégales ou par des différences dans l'indice de réfrac-
tion. 11 donne la figure 71, qui est donc explicative de l'opinion de Donders. C'est une
surface réfringente dont un segment a possède un applatissement relatif, et un segment
6 une courbure plus forte que le restant de la surface. En f, il se forme un foyer des
T'ayons qui tombent sur la surface, foyer (]ui approche plus ou moins de la forme d'un
point. Le faisceau partiel qui traverse a forme un foyer en f-, en arrière de f, et le fais-
ceau qui traverse 6 forme foyer en /'. Un écran blanc placé successivement en f, puis en
arrière et au delà, montre des cercles de diffusion qui reproduisent plus ou moins les
apparences perçues par l'œil humain. Exner rappelle à ce propos l'effet que les petites
bosselures d'un verre à vitre produisent sur la lumière solaire directe. Une surface
éclairée par la lumière, qui a passé à travers une glace non polie, montre un éclairage
ASTIGMATISME.
inégal, comme un dessin de vagues figées. Ce serait là un phénomène du même ordre
que ceux qui nous occupent.
Cependant cette conception est loin d'expliquer toutes les modalités des phénomènes
en question. Elle nous rend bien compte du fait que, d'après la situation du point lumi-
neux, un corps opaque s'avançant au-devant de la pupille éteint tantôt des parties d'un
côté du cercle de dilîusion, tantôt du côté opposé. Dans un cas, les rayons se sont entre-
croisés au-devant de la rétine : on éteint l'image rétinienne par le bord opposé ; dans un
autre cas, c'est l'inverse qui a lieu, le foyer global est reporté en arrière de la rétine.
Mais le schéma de la figure 71 n'explique pas suffi-
samment lamanière d'être des bords colorés des taches
plus claires dans le cercle de diffusion; chaque tache
devrait être bordée de la même couleur sur tout son
parcours. Enfin il n'explique pas pourquoi beaucoup
d'yeux, dont l'astigmatisme
régulier est corrigé, conti-
nuent à voir étiré dans l'une
ou l'autre direction le point
lumineux pour lequel l'œil est
adapté. Il reste surtout im-
puissant devant les yeux assez
nombreux qui voient tou-
jours multiple un point très
petit.
DoNDERS avait déjà compris que la manière dont
se comportent les bords colorés des images multiples
d'un point s'expliquent par l'existence d'une aberra-
tion de sphéricité des différents secteurs du système
dioplrique, jointe à la chromasie du même système.
Ouajit à la polyopie de certains yeux, même quant ils sont bien adaptés pour la dis-
tance du point lumineux, il avait songé à une inclinaison différente (en avant ou en ar-
rière) des différents secteurs du cristallin, à une décentration de certains de ces sec-
teurs.
Des recherches récentes de Tcherning démontrent que l'aberration sphérique du
système dioptrique peut être inégale pour les différents secteurs du système dioplrique;
que cette aberration sphérique sectorale entre pour beaucoup dans la production des
phénomènes qui nous occupent, qu'elle explique notamment pourquoi certains j'eux
voient le point lumineux toujours étiré dans un ou plusieurs sens; enfin, que la polyopie
dans l'espace de la vision distincte peut reposer sur la même aberration sectorale du
système dioptrique.
TcHER.NLNG est lui-même atteint d'un astigmatisme irrégulier, avec cette apparence
de décentration d'un secteur de son système dioptrique. D'abord le cercle de diffusion
formé par un point pour lequel son œil n'est pas adapté n'est pas un cercle, mais un
disque rétréci d'un côté. Nous avons dit plus haut que, lorsque dans des expériences on
couvre partiellement la pupille, la tache lumineuse se rétrécit du même côté si le point
lumineux est plus éloigné que ïe panctum remotum (de l'œil myope ou rendu myope), et
par le côté opposé si le point lumineux objectif est en deçà du punctum proximum. Cela
n'est pas vrai pour l'œil de Tcher.mng, lorsque le point lumineux approche du terrain
d'accommodation. Dans ces circonstances, en avançant de divers côtés l'écran opaque
au-devant de la pupille, dans un cas c'est du même côté qu'il fait disparaître un sec-
teur du disque, et dans un autre cas il éteint, ou au moins il diminue l'éclairage
d'un secteur du côté opposé.
La figure 72 représente la marche des rayons lumineux dans un méridien C de ce sys-
tème dioptrique. Les rayons passant par la moitié inférieure du système ont déjà passé
l'axe optique, alors que ceux de la moitié supérieure ne font que se rapprocher de cet
axe. Si la rétine est placée très en arrière du foyer global, en R, c'est-à-dire si le point
lumineux est beaucoup au delà de la distance delà vision distincte, le cercle de diffusion,
très grand, sera éteint du côté d'où l'on avance un écran opaque au-devant de la
ASTIGMATISME.
799
pupille'. Dans la même situation du point lumineux objectif, le cercle de diffusion sera
vu échancré d'un côté, puisque le centre de l'image rétinienne est en a. Cette même
échancrure existera si le point lumineux est plus rapproché, si la rétine est située en 1 ou
en 2. Mais, dans la position 1, l'écran qu'on avance au-devant de la pupille éteint le cercle
de diffusion, une fois du même côté, l'autre fois par son bord opposé.
La même figure 72 représente l'aberration sphérique de chaque secteur partiel du
système dioptrique. Cette aberration est plus forte pour les rayons qui passent i)ar la
partie inférieure du méridien réfringent. Il en résulte que l'image diffuse qui se forme
sur la rétine est comme échancrée en bas, dans le cas où le point lumineux est placé
au delà du terrain de la vision distincte.
Le schéma de la figure 71 ne tient aucun compte de l'aberration en question. Il devrait
de ce chef subir une correction importante. Le faisceau 6 (figure 71), outre qu'il forme
son foyer en avant des autres, devrait passer la ligne médiane en avant, et ses rayons
devraient subir une transposition résultant de l'aberration de sphéricité, conformément
au tracé de la figure 72.
TcHERNiN'G a du reste démontré de la manière suivante que son système dioptrique
est affecté d'aberration sphérique, et que les diff'érents secteurs de ce système ont une
aberration inégale. Recevons sur un écran le cercle de diffusion d'un point lumineux, à
l'aide d'une lentille convexe placée de manière à ce que le foyer conjugué par rapport
au point lumineux ne tombe pas sur l'écran. On place contre la lentille une lif;ne droite
(épingle) dont on verra l'image dilfuse dans le cercle de diffusion, sur l'écran. Cette
image ne sera droite que si la ligne passe par l'axe optique. Si l'épingle couvre une
partie périphérique de la lentille, son ombre sera courbe, avec la convexité tournée vers
le centre (si le foyer est en avant de l'écran) ; elle est tournée vers la péripbérie du cercle,
si le point lumineux est rapproché de la lentille au point que son foyer tend à se former
derrière l'écran. Ces mflexious résultent de l'aberration de sphéricité, avec cette circon-
stance que, dans la lentille, la réfraction augmente pour des rayons qui en traversent
des zones de plus en plus périphériques. Ce moyen a été employé déjà par You.ng
pour étudier l'aberration de sphéricité de l'œil. Tcherning se sert à cet effet d'une
lentille plane convexe de b2 centimètres de distance focale (pour rendre l'œil myope),
portant sur la face plane un micromètre tracé en forme de quadrillé. On regarde un
point éloigné à travers cette lentille (nommée « aberroscope »), tenue de 10 à 20 centi-
mètres de l'œil. Les traits périphériques du quadrillé ne sont vus droits (fig. 7H, A)
que si la réfraction est la même dans tout l'espace pupillaire. Si la réfraction totale
augmente vers la périphérie du champ pupillaire, les lignes s'infléchissent, avec leur
convexité vers le milieu ; si elle diminue vers la périphérie (aberration négative), elles
sont au contraire concaves vers le milieu'.
1. En tenant compte du renversement des images rétiniennes.
2. La moitié seulement des yeux exaiuiaés par ïcuerning
voient les lignes droites (a
800
ASTIGMATISME.
Dans l'œil de Tcherning les lignes (fig. 73, B) sont convexes vers le centre en bas, à droite
et à gauche, elles sont concaves en haut. La réfringence de son système dioptrique aug-
mente vers la périphérie du champ pupillaire, mais seulement en bas et sur les deux
côtés; elle diminue vers le haut (lignes concaves vers le centre). Il faudrait même faire
subir au schéma de la figure 71 une modification résultant de ce qu'en haut l'aberration
est négative, c'est-à-dire que, dans la moitié supérieure, les rayons extrêmes sont moins
réfractés que les centraux.
■ Cette aberration sphérique inégale des différents secteurs du système dioptrique pro-
duit une espèce de déviation pris-
matique inégale, telle que nous
l'avons signalée plus haut. Ellesuffit
pour mettre en évidence la polyopie
monoculaire, ou plutôt c'est grâce
à elle que la structure du cristallin
peut se manifester sous forme de
polyopie, même lorsque le point lu-
mineux est placé dans l'espace de
la vision la plus distincte. Dans l'œil
de ÏCHERNi.N'G, elle étire le point
lumineux pour lequel l'œil est
î'iG. "2. adapté. On entrevoit des conditions
dioptriquesdecegenre, notamment
une plus grande asymétrie sectorale, qui produisent de la polyopie franche. Il suffit à cet
effet que deux ou trois centres de l'image diffuse d'un point soient séparés par un éclai-
rage du fond assez faible pour qu'il disparaisse devant celui des centres eux-mêmes.
De même aussi, l'astigmatisme régulier (cornéen) non corrigé est une condition suf-
flsante pour manifester la polyopie, qui cependant, en dernière analyse, repose sur la
structure du cristallin.
A la rigueur, l'aberration sphérique sectorale (de l'œil) pourrait résider également
dans le cristallin. Il est cependant plus que probable que, dans la plupart des cas,
nous devons la rechercher (et qu'on la trouvera) dans les asymétries nombreuses de la
courbure cornéenne, asymétries si fréquentes d'après les recherches de Sulzer (voyez
plus haut : Astigmatisme régulier). La cause prochaine de la polyopie monoculaire réside donc
dans le cristallin; les asymétries cornéennes sont des circonstances favorables pour qu'elle
se manifeste dans certains yeux, même lorsque le point lumineux est placé dans les
limites de la vision distincte.
Une asymétrie cornéenne n'est guère capable de produire à elle seule de la polyopie,
à moins d'être excessive, par exemple dans le cas de facettes cornéennes résultant d'ul-
■cères mal cicatrisés ; et jamais cette polyopie ne revêt les caractères typiques décrits plus
haut. Un œil privé de son cristallin voit le cercle de diffusion d'un point sous forme d'un
cercle à peu près homogène. Et si cet œil est affecté d'astigmatisme régulier, ce qui en
somme est le cas habituel, et si la pupille est ronde, le cercle (d'après nos expériences)
devient une ellipse plus ou moins prononcée. Mais, pas plus que Donders, nous n'avons
pu y déceler des phénomènes bien manifestes de polyopie. Et cependant ces yeux pré- ,
sentent les asymétries cornéennes au môme degré que les yeux munis de cristallins.
Revenons encore un moment à l'aberration sphérique et chromatique sectorale de
l'oeil. A l'aide du sphéroscope de Tcherning, on peut démontrer que l'aberration sphé-
rique existe dans la moitié à peu près des yeux. Le même instrument sert à démontrer
que cette aberration peut différer d'un secteur k l'autre du système dioptrique; que par
■conséquent la réfraction s'y opère suivant le schéma de la figure 72.
Les bords colorés des images multiples d'un point montrent d'autre part que chaque
secteur du système dioptrique de l'œil est all'ecté de l'aberration chromatique. L'inver-
moins avec les pupilles non dilatées). Parmi les autres, la plupart voient les lignes conveses en
dedans; ils ont une aberration positive, la périphérie du système dioptrique est plus réfringente.
Quelques-uns les voient concaves eu dedans; ils ont une aberration négative; la réfringence y
■diminue vers la périphérie.
ASTIGMATISME.. 801
siou des bords colorés, selon qu'on place le point lumineux au delà ou en deçà du ter-
rain de la vision distincte, s'explique très bien dans l'hypothèse d'une aberration sphé-
rique du système dioptrique en son ensemble, et de chacun de ses secteurs pris iso-
lément. Eu ce sens, les bords colorés' des images multiples d'un point constituent même
une preuve de l'aberration sphérique de l'œil. Ils démontrent que la réfraction s'opère
d'après le schéma de la fij^ure 71, et non d'après celui de la figure 70.
lin degré plus au moins prononcé d'astigmatisme irrégulier, cornéen et cristallinien,
existe donc dans chaque œil normal. Les images rétiniennes sont de ce chef plus ou
moins diffuses, selon le degré de l'anomalie. Si elle est un peu forte, l'acuité visuelle se
trouve abaissée en dessous de la normale. Bon nombre d'yeux prétendus amblyopiques
par suite d'une anomalie congénitale de l'appareil nerveux visuel sont en réalité affectés
d'astigmatisme régulier dépassant la moyenne. L'examen du cercle de diffusion d'un
point et l'emploi de l'aberroscope de ïschebning pourront élucider la chose; le premier
procédé renseigne sur des différences de réfringence dans des secteurs plus petits que le
second.
Malheureusement, si dès maintenant nous sommes à même la plupart du temps de
diagnostiquer l'anomalie et même d'en préciser le siège, nous ne saurions y remédier
par des moyens bien pratiques.
Voici encore quelques manifestations visuelles reposant sur l'astigmatisme irrégulier.
En premier lieu, il y a l'apparence des points lumineux et surtout des étoiles, qui ne
nous apparaissent pas sous forme de points simples, mais sous celle de points à rayons
(variables d'un œil à l'autre). On a remarqué que les gens à acuité visuelle exception-
nellement bonne voient les rayons des étoiles peu développés; on cite quelques hommes
ayant vu les étoiles sous forme de points; ils avaient des acuités visuelles extraordi-
nairement bonnes.
C'est en grande partie à l'astigmatisme irrégulier qu'est dû le phénomène de la
V. goutte noire », qui gêne tant les observations astronomiques, et qu'on peut démontrer
en rapprochant jusqu'au contact le pouce et l'index tenus au-devant d'une lumière. Avant
que les doigts ne se touchent, ils semblent réunis par uue goutte noire étendue entre
eux : la goutte noire est l'expression des images multiples des doigts, dont les lignes de
contour se juxtaposent. De môme aussi une planète, par exemple, qui entre en conju-
gaison avec le soleil semble confluer avec le disque solaire avant qu'il y ait contact
réel.
Certains yeux voient la lune double et triple, au moins dans certaines circonstances.
La polyopie monoculaire se manifeste facilement pour des lignes droites isolées.
Il n'y a cependant pas que du mal à dire de l'astigmatisme irrégulier. Plus haut
nous avons mis en évidence la chromasie de l'œil en couvrant une partie de la pupille.
Cette chromasie est à l'ordinaire peu sensible, parce que les spectres d'un point lumi-
neux produits par les différents secteurs du système dioptrique se superposent. Elle
devient plus apparente si nous supprimons les spectres d'une moitié du champ pupillaire,
si nous les enlevons de l'image compliquée d'un point, c'est-à-dire si nous enlevons cer-
tains effets de l'astigmatisme irrégulier.
Nous n'avons fait intervenir la cornée qu'en tant que sa courbure peut, par son asy.
métrie, constituer une condition favorable pour la manifestation de l'astigmatisme irré-
gulier du cristallin. Il est cependant certain que, si les irrégularités de courbure de la
cornée atteignent un certain degré, elles peuvent donner lieu à des phénomènes visuels
du même ordre. Toutefois elles ne pourront guère donner lieu à l'image de diffusion si
caractéristique d'un point, décrite plus haut. Nous avons déjà dit que dans les cas de
facettes anormales de la surface cornéenne, résultant par exemple d'ulcères mal
cicatrisés, on observe de la polyopie monoculaire très prononcée, et une fort mauvaise
acuité visuelle.
Lin fait d'astigmatisme cornéen curieux est le suivant. Après avoir travaillé quelque
temps au microscope, la vision de l'œil inactif se montre brouillée pendant un quart
d'heure et plus. Cet œil voit doubles et triples les seules lignes horizontales; les verti-
cales sont vues simples. La polyopie ne disparaît pas si on- regarde à travers divers
verres sphériques ou cylindriques. Pour notre part, nous trouvons qu'en même temps
la rétraction totale de cet œil a notablement augmenté. — Le siège et la cause du
DICT. DE PHYSIOLOGIE. TOME I. 31
802 ATAVISME.
phénomène sont imparfaitement connus. Tandis que Leroy incrimine le cristallin, Bull,
avec beaucoup d'apparence de raison, en cherche la cause dans la cornée; Bull croit
avoir trouvé par la méthode entoptique que le clignotement prolongé de l'œil inactif
plisse pour quelque temps la cornée suivant son diamètre horizontal, et la transforme
en une espèce de prisme, qui doit occasionner la polyopie des lignes horizontales, mais
non des lignes verticales.
L'astigmatisme irrégulier augmente avec l'âge, parce que, chez les vieilles gens, les
inégalités de réfringence dans le cristallin se prononcent de plus en plus, ainsi que cela
ressort du fait que, chez les personnes âgées, on peut mieux voir la surface du cristallin;
on voit même chez eus l'étoile de la surface cristallinienne antérieure, résultant de la
juxtaposition des différents secteurs. Dans la cataracte commençante, caractérisée par
une inégalité très forte des différents secteurs du cristallin, les malades sont molestés
par une polyopie monoculaire très grande.
Bibliographie de rastigmatisme irrégulier. — Voir dans Donders et Helmholtz
la bibliographie plus complète. — Bull. De la diplopie monocul. asymétr. {Soc. franc,
d'opht., 1891, p. 208). — Câblât [B. B, 13 janvier 1877.) — Donders. Over entopt. Gesichts-
verschijnselen, etc. [Nederl. Lancet, 1846-47, pp. 343, 432 et 537). — Voir aussi Anomalies
de la réfr. et de l'accommod., édit. ail., 1866, p. 437. — De la Hire. Accidents de la vue
(Uém. Acad. des se. Pari.s, 1694, p. 400). — Helmholtz. Physiologie optique, 1867. — C.-l.-A.
Leroy. De la polyopie monoculaire asymétrique (Soc. franc, d'ophtalm., 1869, p. 81). —
Stellwag V. Carion. TJeber doppelte Brechung, etc. [Compt. rend. Acad. Vienne, 1833,
p. 172). — Solzer. La forme de la cornée humaine, etc. (Soc. franc, d'opht., 6 mai 1891 ;
Arch. d'Opht., déc. 1891, et janvier 1892). — Tscherning. L'aberroscope {Arch. d'Opht., 1893,
p. 613). — Th. VoUiNG. Phil. Transact., 1801, p. 43.
NUEL.
ATAVISME. ■ — A s'en tenir à l'étymologie de ce mot, atavisme signifie « héré-
dité des aptitudes caractéristiques spéciales des aïeux». Or, comme toutêti'e a pour aïeux
non pas seulement ses aïeux véritables, les parents de ses parents, mais toute la lignée
antérieure à ceu.v-ci, il en résulte que si l'on ne limite point le sens du mot aïeul en
l'attribuant exclusivement aux grands parents (ce qu'on ne fait ni en matière d'état
civil, ni en zootechnie, ni encore en horticulture), ce mot signifie forcément l'hérédité
des aptitudes ou caractéristiques de tous les individus antérieurs aux parents. On voit
par là l'extension qu'il peut prendre et qu'il prend effectivement, car à la vérité on ne
sait ofi s'arrêtent les aïeux. Les êtres vivants ont certainement commencé à un moment
quelconque de l'histoire du globe : si l'on accepte le dogme biblique, les aïeux consis-
tent en toute l'ascendance jusqu'au premier couple de l'espèce; si l'on préfère le dogme
transformiste, la limite est reculée indéfiniment. Il n'y a pas de raisons, en effet, pour
ne pas comprendre parmi les aïeux toute l'ascendance jusqu'à la première forme de vie,
à supposer les formes diversifiées actuelles comme provenant de formes antérieures
moins diversifiées, et celles-ci provenant à leur tour, par de nombreuses étapes d'ailleurs,
d'une même et unique souche ou, ce qui est moins compréhensible, d'an petit nombre
de souches différentes. Sans compliquer la question déjà ardue de l'atavisme de cette
autre question plus ardue encore de l'enchaînement des formes animales, tenons-nous-
en à l'atavisme à l'intérieur de l'espèce. Nous considérerons comme atavistiques les
formes et aptitudes héritées des aïeux à partir des grands parents. La définition est sans
doute excellente, parfaitement claire et suffisante. Le malheur est qu'on aura toutes les
peines du monde à l'appliquer. Il faudrait, en effet, pour affirmer le caractère atavique
de telle ou telle particularité morphologique, physiologique ou psychique, il faudrait
avoir connu les aïeux, et tous les aïeux. Or, nous ne les connaissons pas, naturellement,
et dans les rares cas où, pour l'homme, la collection des documents relatifs aux aïeux
est la plus complète, — je parle des familles royales — ces documents sont insuffisants,
trop peu étendus, sans compter que la naturelle « fragilité de la chair» rend très pro-
blématique toute spéculation sur la descendance, et la laissera telle tant que le nom et
la transmission légale appartiendront à l'homme et non à la femme, comme il serait natu-
rel, et plus sûr. L'histoire ne nous fournit que des documents incomplets, sur un trop
petit nombre d'individus en ligne directe, et par surcroît elle nous montre combien est
ATAVISME. 803
souvent détruite cette dernière. A. vrai dire des expériences sur des ctiiens ou sur des
cobayes seraient cent fois plas probantes, et plus assurées. Cette ignorance véritable où
nous sommes des aïeux tant soit peu reculés fait qu'il est très difficile de reconnaître si
certains caractères sont ataviques ou non. L'ancêtre qui aurait présenté le caractère
reparu chez le descendant n'est-il pas trop reculé dans le temps, aussitôt on crie à l'ata-
visme. L'ignore-t-on, et de suite on crie au sport, à la variation brusque, individuelle. Et
remarquons que ce cas se présente chaque jour, non seulement pour les formes relative-
ment compactes, s'il est permis de parler ainsi, pour les espèces bien caractérisées, mais
pour les formes les plus étroitement limitées, pour les races dont la ferme, l'écurie, la
basse-cour et le pigeonnier sont remplis. Beaucoup d'entre ces dernières ont une ori-
gine déjà reculée, et quand un caractère divergent apparaît chez un individu, nous ne
saurions, le plus souvent, décider s'il y a là un sport, ou la réapparition d'un caractère
possédé par quelque individu antérieur.
Du moment où forcément l'atavisme peut et doit sortir des limites de l'espèce, le
problème se complique plus encore. Le caractère nouveau a pu exister chez l'un des
aucètres dont tel descendant a été pour moitié dans l'origine de la race, mais nous n'en
savons naturellement rien. Et c'est sans doute cette difficulté qui a fait que l'on a appli-
qué et que l'on applique encore le mot atavisme dans des cas autrement difficiles. C'est
ainsi que certaines anomalies musculaires chez l'homme (la présence de l'abducteur du
cinquième métatarsien par exemple) sont expliquées comme étant des «souvenirs» du
singe, qu'ALBRECHT considère le développement du temporal par deux points d'ossifica-
tion comme un souvenir de la condition sauro-mammifère, et que Tesiut regarde le
muscle sternal comme un retour du présternal des ophidiens. A la vérité, tout cela
est difficile à accepter.
En effet, les explications qu'on donne de ces anomalies sont un cercle vicieux bien
caractérisé. On montre d'abord telle ou telle anomalie, et l'on affirme qu'elle est la
reproduction pure et simple de conditions qui étaient normales chez des organismes
très différents. Ensuite, ces alfirmations servent à prouver que l'espèce présentant cette
anomalie descend, par un escalier d'ailleurs très compliqué, du groupe très différent
chez qui les conditions considérées sont l'état normal. On n'a absolument rien prouvé
dans tout cela, et une hypothèse a simplement servi à en élever une autre. Nous
sommes en pleine spéculation. Remarquons aussi, en passant, qu'avec ce procédé qui con-
siste à toujo-urs trouver l'explication d'une anomalie de l'homme chez un mammifère
quelconque si on ne le trouve chez les primates, chez le reptile si le mammifère refuse
de la donner, au besoin chez le poisson, si le reptile ne peut rien fournir, on arrive à
construire à l'homme l'arbre généalogique le plus variable et le plus fantaisiste qui
puisse être. Sans doute, cet arbre est encore bien hypothétique, mais ce serait singu-
lièrement comprendre la descendance de l'homme que de lui donner pour ancêtres tout
le règne animal, alors que selon toute probabilité il est seulement une branche entre
plusieurs, et que la branche homme, au lieu d'être insérée sur la branche reptile par
exemple, tient à un même tronc, à un niveau plus élevé. Bref, chercher dans l'anatomie
du type reptilien le plus différencié, le plus récent, l'explication d'une anomalie chez
l'homme semble de la haute fantaisie. Car, s'il y a du reptile dans l'ascendance de
l'homme, ce n'est pas dans le reptile actuel et très spécialisé qu'il faut chercher les points
communs; c'est dans le type reptilien le plus vague, le plus reculé, le moins reptilien,
le plus généralisé.
Si par atavisme nous désignons tout caractère autre que ceux de nos parents, la
question de savoir où commence et où finit celui-ci, déjà fort embrouillée, s'obscurcit
davantage. Voici un être, un homme par exemple; cjue doit-il à ses ancêtres, et quoi
à ses parents ? Il possède une grande quantité de caractères anatomiques, physiologiques
et psychologiques. En doit-il plus à ses parents, ou à ses ancêtres? N'est-il pas évident
qu'il doit beaucoup plus à ceux-ci qu'à ceux-là, et que, si l'on fait une part des caractères
généraux communs à l'espèce, et une part des caractères spéciaux aux parents, la part
ancestrale chez le descendant est autrement importante que celle des parents directs?
Son anatomie, sa physiologie, sa psychologie, ce sont ses parents qui les lui ont don-
nées, mais les ont-ils inventées? Non pas ! il les tiennent de leur ascendance, et les ont
simplement transmises à leur descendance, sans grandes modifications, avec des altérations
804 ATAVISME.
de détails infinitésimales. En un mot nous sommes les flls de nos ancêtres bien plus que de
nos parents. Il ne saurait être question ici d'entrer dans la discussion du sujet des carac-
tères acquis et de leur transmission héréditaire : mais il est manifeste, atout le moins, que
les caractères acquis par une génération quelconque ne se traijsmettent guère à la géné-
ration suivante, à moins que les conditions dans lesquelles ils ont été acquis pour la
première persistent pour la seconde. Dans ces conditions, en thèse générale, la conclu-
sion qui précède prend plus de force encore.
Mais alors, l'atavisme n'est autre chose que l'hérédité tout entière, ou peu s'en faut?
C'est la suite logique de ce qui précède, et, si l'on ne limite ce terme de façon à lui
faire signifier l'hérédité des particularités des aïeux jusqu'à une génération donnée, ou
des grands parents seuls, il faut assurément y voir toute l'hérédité.
Quelques auteurs ont voulu pourtant établir une limite. B.iUDEMENT, par exemple, a fait
de l'atavisme l'expression de l'hérédité de la race. Mais qu'est-ce que la race? Une
variété constante de l'espèce, dit de Quatrefages. C'est le sens généralement accepté,
et alors l'atavisme semblerait avoir des limites fixes. Mais n'est-il pas évident que le créa-
teur de la race, que l'individu, ou le couple qui a présenté une variation sensible, et
procréé des descendants pourvus de la même variation, doit lui aussi, les 99 centièmes,
pour le moins, de ce qu'il transmet à ses descendants, à ses ascendants? Et la limitation
devient impossible. Mais aussi le mot race a d'autres significations. Sanson' rappelle un
passage de Bdffon : « L'espèce de l'aigle commun est moins pure, et la race en paraît
moins noble que celle du grand aigle. » .N'est-il pas clair que pour Boffon, race veut
dire espèce, et que la race, c'est l'espèce pro tempore et pro loco? La limitation est plus
impossible encore: mais il reste ceci, quel'atavisme est encore l'ensemble des puissances
héréditaires; c'est toute l'hérédité.
Ceci dit, il suffira de rappeler en quelques mots les principaux phénomènes de l'ata-
visme tel qu'il s'entend dans le langage courant, c'est-à-dire de la transmission des
particularités des grands parents ou arrière-grands parents, des aïeux les plus rap-
prochés. Ce sont surtout des caractères psychologiques et physiologiques dans la race
humaine, ce sont des façons d'agir, des gestes, des attitudes, ou bien des traits de carac-
tère, d'humeur, de méthode mentale, parfois des similitudes de visage ou de conforma-
tion. L'atavisme est parfois collatéral, tel est le cas quand la particularité passe de l'oncle
ou grand-oncle, au neveu ou petit-neveu (il va de soi que le cas est le même entre tante
ou grande-tante et neveu ou nièce). Dans ce cas, il faut admettre qu'il y a atavisme plus
lointain, le grand-oncle et la 'petite-nièce par exemple tenant assurément le trait com-
mun d'un ascendant commun plus reculé, et le grand-oncle n'étant pour rien dans le
phénomène.
C'est dans les hybrides et métis que l'atavisme est le plus fréquent et le plus net. Dans
ce cas, en effet, l'héritage des parents est plus hétérogène, et il est plus facile de faire
chez les descendants la part des deux héritages reçus. Chez les métis et hybrides, il y a
tendance très forte à la réversion, au retour atavique. Leur progéniture rappelle bien
vite l'un ou l'autre des grands parents, et ceci confirme encore ce qui a été dit plus haut de
notre parenté plus]profonde avec nos aïeux qu'avec nos propres parents. Chez les léporides,
par exemple, les descendants reviennent bientôt à l'un ou l'autre des types primitifs;
chez les plantes hybrides si nombreuses, on ne peut assurer la permanence de la
variété nouvelle qu'en la reconstituant sans cesse par le croisement nécessaire, sans quoi
l'un des types finit par l'emporter entièrement sur l'autre. Mais cette question sera
traitée au mot Hybridité.
Pour la théorie de l'atavisme, elle ne se distingue point de celle de l'hérédité. Nous
n'en sommes plus à admettre l'hérédité par influence en quelque sorte, la théorie qui a
pour contre-partie celle de Yaura seminalis par laquelle on expliquait la fécondation. Si
petit que soit l'œuf ou le spermatozoïde, c'est en lui, et en lui seul, c'est dans cette
petite masse de matière vivante qu'il faut chercher l'explication de l'hérédité, et celle-ci a
une base matérielle, incontestable, tout incompréhensible qu'elle soit encore. La théorie
provisoire de la pangénèse, des gemmules de Darwin, celle des pangènes de De Vries,
celle du plasma germinatif enfin de 'Weis.maxn, constituent des tentatives d'explication
1. L'hérédité normale et pathologique. Paris, Asselin et Houzeaii, 1893.
ATAXIE. 805
très imparfaites encore, mais dont l'orientation parait bonne. Comme la question de
l'atavisme se ramène à celle de l'hérédité tout entière, il sera inutile de dire ici ce qui
devra être répété à l'article Hérédité, et il suffira de renvoyer le lecteur au chapitre de
Darwin, au mémoire de De Vbies, et aux deux derniers livres de Weismann : Les essais de
l'hérédité, dont j'ai donné une traduction française, et Das Keimplasma, eine Théorie dcr
Vererbung, traduit en anglais sous le titre de The Germ plasm, a Theory of kerediiij, par
M. N. H. Pabker et M"" RôNNEFELDT (1893, Walter Scott, Londres). — Voir encore Cor-
NEViN : Traité de Zootechnie générale; H. F. Osborn : Présent Problems in Evolution and
Heredily ; Delage (Y.) : La structure du protoplasma et l'hérédité, 1895.
HENRY DE VARIGNY.
AXAXIE. (a privatif, taÇic, ordre.) — De l'ataxie en général. — Par son
étymologie, le mot ataxie signifie absence d'ordre : on lui donne comme synonyme
incoordination. L'excellent mémoire de Topinard (1864) contient un abrégé historique des
phases par lesquelles ce mot est passé avant d'acquérir sa signification définitive.
Ce mot était en effet, à son origine, un terme vague, général, puisque Hippocrate
l'appliquait inconsidérément aux désordres morbides déviant de leur évolution normale;
que, plusieurs siècles après, Galien l'employait pour signaler les inégalités du pouls, et
qu'il y a deux cents ans, Sydenham, imbu des idées de son temps, rapportait un grand
nombre d'états nerveux à l'ataxie des esprits animaux.
On sait le rôle que l'ataxie a joué ensuite dans les formes cliniques des fièvres : les
fièvres élaient ataxiques parce qu'elles étaient désordonnées.
Andral a précisé le terme du mot ataxie en lui donnant la signification de : « les
contractions anormales et irrégulières du muscle ». L'ataxie devra donc désigner la
chorée, le tremblement, les convulsions, le nystagmus, la carphologie.
BouiLLACD considérait, du reste, le bégaiement et le bredouillement comme des
ataxies partielles, et la chorée n'était à ses yeux qu'une sorte d'ataxie de l'action ner-
veuse qui préside aux mouvements. Topinard a essayé de classer ces did'érents phéno-
mènes dits ataxiques ; distinguant l'ataxie musculaire et l'ataxie locomotrice ; « l'ata.'îie mus-
culaire consiste en des mouvements brusques et désordonnés ou dans une incapacité de
marcher et de se tenir debout, paraissant liés à un défaut de coordination musculaire ».
Ataxie locomotrice. Symptômes. — Depuis que DucHENiNE, de Boulogne, en 1864,
décrivit un nouvel état morbide, caractérisé principalement par « l'abohtion progressive
de la coordination des mouvements, et la paralysie apparente, coïncidant avec l'inté-
grité de la force musculaire » et qu'il lui donna le nom d'ataxie locomotrice progressive,
le mot ataxie ne représenta plus que le syndrome si admirablement décrit par son
auteur. Il différencia l'ataxie locomotrice ainsi comprise des autres troubles du mouve-
ment; un peu plus tard, il insistait sur la différence fondamentale qui sépare l'ataxie
et les troubles nerveux d'origine cérébelleuse : « Les lésions cérébelleuses produisent
une sorte d'ivresse des mouvements et non leur incoordination » et dans un autre rapport
« il est facile de distinguer cette titubation vertigineuse produite par les affections céré-
belleuses de la titubation asynergique observée dans l'ataxie locomotrice ». Il ne faut
pas désigner la titubation cérébelleuse par le terme d'ataxie, car la titubation cérébel-
leuse, comme l'a si bien démontré Luciani, n'est pas de l'incoordination.
Il faut donc comprendre l'ataxie dans le sens que lui a donné Duchenne, c'est-à-dire
dans le sens d'incoordination.
WiNSLow avait entrevu les synergies musculaires ; et Duchenne lui emprunte cette
phrase caractéristique : « Pour mouvoir quelque partie, ou pour la tenir dans une situa-
tion déterminée, tous les muscles qui la peuvent mouvoir y coopèrent. »
La faculté coordinatrice de locomotion met en jeu deux ordres d'associations mus-
culaires : les unes impulsives, les autres antagonistes.
Les impulsives sont destinées à imprimer à une partie du corps tout mouvement
volontaire vers une situation ou une attitude quelconque.
Les associations musculaires antagonistes sont de deux ordres : modératrices et
collatérales.
Celles-là ne s'unissent aux associations impulsives que pour les modérer : celles-ci
assurent le mouvement en l'empêchant de s'écarter latéralement de sa direction
806 ATAXIE.
(enarthroses et arthrodies). C'est là l'harmonie des antagonistes. Il y a entre cette coor-
dination des mouvements volontaires des membres et les synergies musculaires, qui
sont en action dans la station verticale, une analogie frappante.
Voici les caractères de l'ataxie observée par Duchenne au cours de la maladie dite
ataxie locomotrice progressive. Pendaat la station debout, le corps est agité par des oscil-
lations, petites d'abord, et qui deviennent progressivement plus grandes, jusqu'à rendre
la station impossible; les oscillations sont causées par la désharmonie (harmonie difficile)
des muscles antagonistes, moteurs du tronc et des membres inférieurs. On constate
en effet qu'elles sont produites par des contractions musculaires irrégulières, sous l'in-
fluence des efforts que fait le malade pour se maintenir dans la ligne de gravité, i" Ces
petits spasmes sont très visibles dans la station debout sur les membres nus; 2° Pendant
la marche, l'harmonie ne régnant plus dans les associations modératrices et collatérales,
le pas n'est plus mesuré, le membre dévie en dehors ou en dedans, et, dépassant le but,
retombe lourdement et avec bruit sur le sol; 3° Aux membres supérieurs, surtout à la
main, la désharmonie des antagonistes occasionne les mouvements les plus désordonnés
et abolit rapidement l'habileté et l'usage manuels; 4° Le tronc lui-même perd l'haimonie
de ses antagonistes, et, à un moment donné, la station assise et sans appui devient
impossible. Alors le tronc est agité par des contractions brusques, irrégulières, pro-
voquées par des efforts d'équilibration qui jettent le malade hors de son siège; o" Enfm,
dans une période plus avancée de la maladie, les associations musculaires impulsives se
perdent complètement, et la station et la marche deviennent impossibles, quoique le
sujet possède la force manuelle et ses mouvements partiels.
De l'ataxie locomotrice dans quelques maladies. — Ce qui précède démontre
surabondamment que l'ataxie est un trouble fonctionnel, d'abord constaté chez
l'homme. Mais ce phénomène appartient-il exclusivement à la maladie appelée par
DucHENNE ataxie locomotrice progressive"? n'y aurait-il pas d'autres états morbides ca-
pables de l'engendrer"? n'y a-t-il pas au cours de ces états morbides des symptômes qui
puissent être dits ataxiques, c'est-à-dire se manifestant par de l'incoordination? Or
aujourd'hui il est bien démontré que l'ataxie n'est pas l'apanage exclusif de la
maladie de Duchenne : l'ataxie n'est plus synonyme de sclérose des cordons posté-
rieurs. Du reste, comme nous le verrons ultérieurement, il n'y a pas de raison sérieuse
pour faire synonymes l'ataxie locomotrice et la sclérose des cordons postérieurs.
Dejerine a montré, à l'aide d'observations cliniques suivies d'autopsie, que la plupart
des symptômes de la sclérose des cordons postérieurs pouvaient être produits par des
lésions des nerfs périphériques, et sans que la moelle épinière pût être mise en cause.
Voici donc deux maladies, différentes comme localisations anatomiques, qui ont déter-
miné l'ensemble des mêmes phénomènes.
Au cours de la paralysie générale, les phénomènes ataxiques sont fréquents, et c'est
sur le compte de l'incoordination que Magnan et Sérieux mettent les troubles moteurs
observés au cours de cette maladie; pour eux, la paralysie générale apparaît constituée
par l'association d'un état d'affaiblissement psychique généralisé avec une incoordination
motrice généralisée : la comparaison est d'autant]plus légitime que, dans les cas où l'ata-
xie est très prononcée, il existe concurremment des troubles de la sensibilité; l'autopsie
révèle une sclérose des cordons postérieurs. Il y a peut-être quelques différences cliniques
qui doivent entrer en ligne de compte, telles que la marche descendante de l'ataxie dans
la paralysie générale, et sa marche au contraire le plus souvent ascendante dans l'ata-
xie locomotrice; pour Ballet, l'incoordination de la paralysie générale ne ressemblerait
pas absolument à celle du tabès, les contractions musculaires auraient plus d'ampleur et
de brusquerie ; il y a de véritables décharges que Chambard a signalées, et qui sont repré-
sentées sur les graphiques sous forme de séries d'oscillations de grande amplitude.
D'autre part, l'embarras de la parole, le tremblement des lèvres et de la langue
(mouvements décrits par Mag.nan sous le nom de mouvements de trombonej, qui sont
constants dans la paralysie générale et relativement rares dans l'ataxie locomotrice,
peuvent être sous la dépendance d'un mécanisme analogue. Enfin, il est bon de rappe-
ler que certains auteurs, ayant découvert des lésions cérébrales dans des cas de tabès qui
n'étaient pas accompagnés de troubles psychiques, ont proposé une théorie cérébrale de
l'ataxie locomotrice. Nous reviendrons plus tard sur ce sujet. Signalons seulement
ATAXIE. 807
Jes ataxies réflexes, les ataxies verraineuses (Eise.nmann), les ataxies hystériques, un cas
d'ataxie locomotrice chez un saturnin avec puissance musculaire intacte. Nous ne trouvons
là rien qui puisse nous venir en aide pour le but que nous nous proposons.
Des causes de l'incoordination des mouvements d'après l'anatomie patho-
logique et la clinique. — L'ataxie étant l'incoordination, c'est-à-dire un trouble de la
coordination des mouvements, nous ne pouvons en discuter le mécanisme intime qu'en
connaissant l'ensemble des actes physiologiques qui président normalement à l'accom-
plissement d'un mouvement. Ce sont là, malheureusement, des données qui nous man-
quent, ou du moins qui sont très incomplètes. Nous devons au moins rechercher s'il est pos-
sible, en nous basant sur la pathologie et la physiologie expérimentale, d'éclairer la
question de l'ataxie. La pathologie nous fournit deux espèces de renseignements: cli-
niques, anatomiques. L'ataxie est le signe le plus caractéristique et le plus constant de
la maladie de Duchenne; à côté de lui se groupent d'autres symptômes également très
fréquents : c'est à ces symptômes ou à leur groupement qu'on a cru pouvoir attribuer la
production de l'ataxie.
On a incrimiué la perte des réflexes cutanés et tendineux comme la cause directe de
l'ataxie; l'arc réflexe de Marshall Hall serait interrompu, la contraction des muscles
impulsifs ne déterminant plus par réflexe la contraction des antagonistes et des syner-
giques, l'incoordination en serait la conséquence nécessaire; mais il y a de grandes
objections à faire à cette théorie : sans s'arrêter aux expériences de Burckardt, de
TscEiRiEW, de Waller, qui tendent à démontrer que le temps qui s'écoule entre le
moment où on percute le tendon et celui où la jambe se soulève, est beaucoup plus
court que le temps nécessaire à la production' d'un mouvement réflexe consécutif à une
excitation cutanée (expériences qui sont très contestables), il n'est pas prouvé que les
associations musculaires se fassent par voie réflexe, ou plutôt c'est là précisément ce
qu'il faudrait justement démontrer.
Les troubles de la sensibilité ont été plus souvent invoqués comme causes : nous ne
parlons bien entendu que des troubles objectifs divers, diminution ou abolition de la
sensibilité sous différents modes, ses modifications ou paresthésies, retard des sensations,
métamorphose des sensations, défaut de localisation, anesthésies dissociées, rappels de
sensations, tétanos sensitif, polyesthésie, épuisement des sensations, etc.
Pour que ces troubles sensitifs eussent une valeur, il faudrait qu'ils fussent constants
dans l'ataxie locomotrice; or on a relevé des cas où les modiflcations de la sensibilité
étaient peu marquées, et l'ataxie très intense- Par contre, ce serait un tort de s'appuyer
sur la rareté de l'incoordination dans l'hystérie, maladie qui s'accompagne de ^troubles
sensitifs très accentués, pour leur refuser toute valeur. En effet l'hystérie laisse intacts
les conducteurs de la sensibilité; le plus souvent, les sensations sont conduites : elles ne
sont pas perçues.
Une objection plus sérieuse est la suivante : l'anesthésie cutanée due à des lésions
organiques, telle qu'on en observe au cours de certaines névrites, n'entraîne pas forcé-
ment l'nicoordination. Aussi doit-on considérer l'anesthésie cutanée comme n'entraînant
absolument pas l'ataxie ; au contraire, l'intégrité des sensibilités profondes, de la sensi-
bilité osseuse et articulaire, la perte du sens musculaire de Ch. Bell, du sentiment
d'activité musculaire de Gerdy, sensibilité commune ou profonde d'AxENFELD, anesthésie
musculaire des auteurs allemands ; voilà ce qu'on a tour à tour considéré comme la
condition nécessaire de la coordination des mouvements. Pour DucheiNxe, de Boulogne,
toutes ces espèces ou degrés de sensibilité ne font que perfectionner l'exercice de la fa-
culté coordinalrice : « Ecrire que la coordination motrice est subordonnée en tant qu'opé-
ration volontaire à l'intégrité du sens tactile, c'est professer une hérésie physiologique. »
DucHENNE avait entrevu, toutefois, l'importance de l'intégrité de la sensibilité osseuse et
articulaire dans le fonctionnement régulier des mouvements : c'est lorsque les articulations
des membres où siège l'insensibilité musculaire sont elles-mêmes insensibles aux mou-
vements qui leur sont imprimés, que l'on voit apparaître les symptômes altribués à tort
a. la paralysie de la sensibilité musculaire. Si Diichenne a accordé si peu d'importance
aux troubles de la sensibilité, c'est qu'il n'a pas différencié les troubles sensitifs de l'hys-
térie et ceux des lésions névritiques (au point de vue de leur mécanisme).
Cette influence des troubles sensitifs devait, en effet, avoir un appoint plus sérieux ,
808 ATAXIE.
dans le nervotabes, où ils sont constants et très marqués; lorsque Dejerine fit ses pre-
mières communications sur le nervotabes, il insista sur l'influence de ces troubles de la
sensibilité sur l'incoordination ; mais il ajouta que c'était à l'inégalité de la lésion
dans les nerfs cutanés et dans les nerfs musculaires qu'il attribuait les symptômes
observés chez ses malades (marche possible, mais très incoordonnée, troubles de la sen-
sibilité, signe de Rojiberg).
DucHENN'E de Boulogne avait signalé quelques cas d'individus perdant la faculté d'exer-
cer leurs mouvements volontaires, lorsqu'on les empêche de voir, et c'est de là qu'était
née sa théorie de l'aptitude motrice indépendante de la vue ou de la conscience muscu-
laire : Ddchenne en rapporte 3 ou 4 cas : peut-être une altération de celte faculté inter-
viendrait-elle dans la production de l'ataxie"?
Cette théorie n'a pas de bases bien solides. A côté des faits cliniques, il faut placer
les renseignements fournis par l'anatomie pathologique; il ne s'agit pas de discuter sur
la lésion primitive du tabès, mais de rechercher celle qu'on observe le plus fréquemment.
La lésion des cordons postérieurs fut considérée, à l'origine des études faites sur le
tabès, comme le substratum anatomique de cette maladie : pour Pierret et Chakcot,
il y aurait des fibres commissurales reliant entre eux les centres spinaux étages à
différents niveaux dans la moelle; ces fibres commissurales seraient situées précisément
dans les cordons postérieurs. Poincarré se rattache à une théorie analogue : les cordons
postérieurs ne seraient autres que les voies commissurales de la coordination innée.
Mais il y a un parallèle remarquable entre l'intensité des lésions des cordons postérieurs
et celle des racines postérieures, de sorte que celles-là ne seraient que la conséquence
de celles-ci : c'est du moins l'opinion soutenue par Leyden, Déjerine, Schultze, Marie,
Redlich : on a objecté à ces auteurs qu'à l'autopsie de quelques cas de tabès au début,
il aurait été constaté des lésions des cordons sans lésions concomitantes des racines; ces
cas sont très rares, exceptionnels, et peut-être les racines n'ont-elles pas été soumises
à un examen très rigoureux. 11 n'est pas fréquent du reste de faire des autopsies de
tabès au début ; lorsque les altérations sont encoi-e peu prononcées, peut-être le seg-
ment périphérique des racines est-il plus touché que le segment médullaire. Nous ne
ferons que signaler les altérations des cellules des ganglions spinaux, qui sont très
légères et inconstantes.
Au cours du tabès il n'est pas rare de constater des troubles de la sensibilité qui ne
sont nullement en proportion avec les lésions radiculo-médullaires.
Dejerlne a trouvé la clef de ce phénomène dans les lésions des nerfs périphériques;
il a attiré l'attention sur leur fréquence et sur le rôle qu'elles peuvent jouer dans la
détermination des modifications de la sensiblité: Oppenheim et Simuerling se sont ral-
liés à cette opinion.
On a supposé ici des fibrc:< cuordhiatric.es descendant par les cordons postérieurs
(Woroschiloff); Erb (188oj ; mais d'abord c'est une hypothèse toute gratuite ; et ensuite il
y a, comme nous l'avons dit, dans certains cas bien authentiques, à la fois ataxie sans
lésion des cordons postérieurs, et lésions des cordons postérieurs sans ataxie. Mention-
nons aussi l'opinion de Takacz (1878) qui rattache l'mcoordination au retard de la sensi-
bilité. Chaque contraction provoque en même temps que le mouvement musculaire une
excitation centripète, qui va mettre en jeu une série de contractions musculaires nou-
velles harmonisées avec la première. S'il y a un relard dans cette transmission, la
synergie fait défaut. C'est une théorie ingénieuse, mais bien hypothétique encore.
L'ataxie ne porte pas seulement sur les mouvements volontaires; dans certains cas,
il y a des mouvements désordonnés qui sont involontaires: c'estune athétose qui coïn-
cide avec le tabès (V. Athétose). Mais on comprend qu'ici nous n'ayons pas à insister
sur les modalités cliniques qui sont innombrables.
Les lésions de l'encéphale sont moins rares qu'on ne le supposait il y a quelques
années, surtout depuis les recherches de Jendrassik, reprises par iNageotte. Mais faut-il,
avec le premier, admettre que le tabès est avant tout une maladie cérébrale, que la
lésion primitive est localisée dans les fibres tangentielles et que l'ataxie est étroitement
liée à cette lésion : que les lésions spinales ne sont que secondaires? Il est plus que
probable qu'il ne s'agit là que d'une coïncidence de deux lésions, et peut-être d'un
rapport entre deux maladies : la paralysie générale et l'ataxie. Au contraire, il faut
ATAXIE. 809
rapprocher les altérations des voies de la sensibilité d'une part, les modifications de
la sensibilité et l'incoordination d'autre part : le parallélisme de ces trois faits,
existant da;is l'ataxie locomotrice, comme dans le nervotabes, est frappant.
Enfin, DucHENNE de Boulogne s'était demandé si, dans l'ataxie locomotrice, le grand
sympathique peut offrir des altérations anatomiques, et si un travail morbide dont il
est le siège pourrait exercer une influence sur la dégénérescence atrophique des cor-
dons postérieurs de la moelle et de leurs tubes nerveux : les lésions du sympathique
ont été en effet signalées. Mais leur existence est loin encore d'être démontrée.
Rôle de la sensibilité dans la coordination du mouvement. Expériences. —
La physiologie n'a pas encore réussi à expliquer méthodiquement le mécanisme de
la coordination (et par conséquent de l'ataxie), soit en s'appuyant sur les données
cliniques et anatomo-pathologiques, soit en se basant sur des phénomènes présentant
des analogies avec l'ataxie, mais observés au cours d'expériences instituées dans un but
tout différent. De fait une explication rationnelle manque encore, pour nous faire savoir
par quel mécanisme a lieu l'ataxie des malades atteints de tabès.
Le système nerveux, depuis la terminaison seusitive jusqu'aux centres supérieurs,
jusqu'à l'écorce, a été interrogé vainement. En s'appuyant sur ce fait clinique que
l'anesthésie était fréquemment observée et presque constante au cours du tabès, cer-
tains auteurs s'étaient demandé si en provoquant cette anesthésie on ne provoquerait
pas par là même le tabès. Aussi Vierobdt et Heid, puis Rosexthal, avaient pensé pro-
voquer l'incoordination par l'anesthésie plantaire, Heid aurait obtenu des oscillations
du corps dans la station verticale, après anesthésie de la plante du pied par le chloro-
forme. Egenhrodt (d'après Topinakd) aurait également constaté une incertitude assez
grande de la marche et de la station après la section des nerfs cutanés.
Quaut au rôle des racines postérieures, il a été déterminé par les expériences clas-
siques de Van Deen, Longet, Cl. Bernard, Brown-Séquard. Van Deex avait constaté que
les grenouilles éprouvaient une difficulté dans la locomotion après la section des racines
postérieures. Pannizza le premier aurait remarqué qu'en coupant les racines postérieures
des chiens on déterminait, outre l'abolition de la sensibilité, des troubles moteurs spé-
ciaux : les mouvements conservent leur force, mais ils sont mal assurés, maladroits;
l'animal en est peu maître. C'est ce que Vulpian exprime de la manière suivante :
« L'intensité volontaire ne peut se porter avec précision sur les groupes musculaires
destinés à accomplir tel ou tel mouvement, qu'à la condition que les régions de l'en-
céphale d'oli émane cette incitation soient en possession bien nette de la notion de
la position de la partie à mouvoir, et qu'elles puissent juger de la direction prise
par cette partie, pendant que le mouvement s'exécute : ce sont là des impressions qui
font défaut ou sont affaiblies chez les ataxiques. » Cl. Bernard, à la suite d'expé-
riences faites sur la sensibilité récurrente, se demandait si « le mouvement d'une
partie privée de sensibilité peut s'effectuer aussi bien qu'auparavant ». Comme ses
expériences lui avaient démontré que les muscles recevaient, outre les filets moteurs,
des filets sensitifs, il concluait qu'il existe dans ces organes une sensibilité particulière
à laquelle on peut donner le nom de sens musculaire; sensibilité qui, permettant
d'apprécier Jusqu'à un certain point l'énergie des actions musculaires, la portée d'un
effort donné, serait nécessaire pour assurer aux mouvements d'ensemble la coordination
qui leur est indispensable.
A la suite d'expériences sur les grenouilles dont il avait insensibilisé une ou deux
pattes, il avait semblé à Cl. Bernard que les mouvements d'un membre privé de sen-
sibilité sont déterminés ou entraînés par ceux du membre opposé. Dans une autre série
d'expériences, il sectionne les racines postérieures ou lombaires, soit d'un côté seule-
ment, soit des deux côtés à la fois : dans tous les cas, il voit des troubles du mouve-
ment en rapport avec la sensibilité : mais non pas de la sensibilité cutanée, puisqu'une
grenouille dont Cl. Bernard avait écorché les quatre membres, n'avait rien perdu de
l'agilité de ses mouvements.
Ainsi, à mesure qu'on détruit la sensibilité on détruit le mouvement volontaire.
Cl. Bernard a montré le peu d'importance de la sensibihté cutanée sur la précision
du mouvement, en sectionnant les filets cutanés de la serre sur un épervier : après l'opé-
ration il ne présentait aucun trouble du mouvement.
810 ATAXIE.
De mênae, chez un chien sur lequel il avait coupé les nerfs cutanés qui se rendent
aux quatre pattes, on pouvait voir les mouvements de la marche s'exécuter parfaite-
ment.
Après la section des racines postérieures droites chez le chien, les mouvements
étaient restés les mêmes qu'antérieurement dans la patte gauche qui avait conservé sa
sensibilité, alors que la patte droite insensible était traînante : elle était agitée par des
mouvements incertains et sans but. Sur un autre chien, il sectionna les racines posté-
rieures des cinq premières paires lombaires et des paires sacrées, puis en une deuxième
fois il sectionna la racine de la sixième paire lombaire. A ce moment seulement se pro-
duisent des troubles du mouvement : ce qui prouverait, dit Cl. Bernard, que, tant qu'il
reste un peu de sensibilité, les mouvements conservent une certaine régularité qu'ils
perdent à l'instant même où cette sensibilité est enlevée. Il y a dans ces expériences la
preuve d'une influence très nette de la sensibilité générale, dont l'étude a été reprise par
ScHiFF, GoLTz et tout récemment parC. Schipiloff pour la respiration et l'absorption relie
tend à démontrer également qu'il suffit d'un très petit nombre de rameaux appartenant
à la sensibilité générale pour assurer ces fonctions.
Les expériences de Cl. Bernard démontrent d'une manière péremptoire l'influence
de la section des racines postérieures sur le mouvement, et partant, celle de la sensibilité
sur l'acte musculaire, mais s'agissait-ii bien dans ce cas d'incoordination réelle, d'ataxie?
Du reste Van Deen pense qu'après la section des racines postérieures, ce n'est pas tant la
perte du sentiment réel qui détermine les troubles locomoteurs, que celle du sentiment
de réflexion : ainsi, pendant la marche, c'est le contact du pied avec le sol qui détermine
le mouvement du côté opposé. Si par le fait d'une lésion des racines postérieures le con-
tact n'était conduit que d'une façon incomplète à la moelle, elle ne mettrait en activité
les cellules excito-motrices du côté opposé que très incomplètement. Vulpian fait remar-
quer à ce propos que certains mouvements automatiques des membres supérieurs
pendant la marche, mouvements bien étudiés par Duchenne de Boulogne, pourraient
ne pas avoir d'autre point de départ. Cl. Bernard ne précise pas suffisamment : il parle
de membres insensibles et privés de mouvements volontaires, animés de mouvements
désordonnés et sans but déterminé. Mais ce n'est pas là de l'ataxie. Du reste Leyden et
Rosenthal, qui ont répété ces expériences en en modifiant les conditions, n'ont pas
obtenu des désordres tels que ceux de l'ataxie, mais une inertie spéciale des membres.
Dans les expériences de C. Schipiloff (1891), il est bien remarquable de voir que les
grenouilles, dont toutes les racines postérieures ont été coupées, n'ont pas d'incoordina-
tion motrice; c'est l'immobilité qu'on observe et non l'ataxie : de même Héring ^,1893)
coupant à des grenouilles excérébrées toutes les racines postérieures, ne voit pas l'ataxie,
mais l'immobilité; il en conclut que l'automatisme de la moelle n'existe pas. Ces expé-
riences ne nous renseignent guère sur la nature même de l'ataxie, ou plutôt elles ten-
dent à nous faire admettre que l'ataxie est plutôt un trouble fonctionnel dans l'activité
des centres médullaires sensitifs, excito-moteurs des actions réflexes, qu'une abolition
de l'activité de ces centres. Peut-être trouverait-on quelque analogie entre ces faits
et quelques faits cliniques, dans lesquels l'incoordination, très marquée au début, s'est
peu à peu transformée en un état parétique.
Mentionnons enfln de récentes expériences faite en Angleterre, par Mon et Sher-
RiNGTON, sur des singes, et en France, sur des chiens par Chauveau, et par Tissot et
Contejean (1895). Ces expériences sembleraient prouver, comme l'avaient fait les belles
recherches de C. Schipiloff, que la section des racines postérieures détermine plutôt
la perte de mouvement et la paralysie motrice que l'ataxie et le trouble de la motilité.
La rupture de ce que Chauveau appelle le circuit sensitivo-moteur provoque des irrégu-
larités du mouvement, qui peuvent aller jusqu'à la paral3'sie complète. Chez un chien
qui avait subi l'extirpation, dans le même côté, des ganglions intervertébraux des
quatre dernières paires lombaires et des deux premières sacrées, il y eut, quand la gué-
rison de la plaie fut complète, une ataxie formidable, dans certains mouvements; mais
d'autres mouvements coordonnés persistaient dans leur intégrité.
Il y a ici lieu de noter une expérience ingénieuse de Brown-Séquard (1863). Chez les
pigeons, si l'on pique légèrement la partie inférieure de la moelle épinière (sinus rhom-
boïdal), on voit que l'animal ne peut plus se tenir en équilibre; il y a un trouble dans
ATAXIE. 8H
la locomotion tel que les chutes sont incessantes; et cet état persiste plusieurs semaines.
Toutefois il reste d'assez notables diiTérences entre ces troubles de l'incoordination et
l'ataxie véritable, de sorte que, si nous devions dire à quelles autres perturbations fonc-
tionnelles ressemblent les troubles de ces pigeons, dits ataxiques, ce serait plutôt aux per-
versions de l'équilibre, résultant des lésions du cervelet et des canaux semi-circulaires.
A ces troubles, on peut rattacher peut-être les ataxies dites réflexes, fort rares d'ail-
leurs, dans lesquelles des traumatismes ou des excitations périphériques ont déterminé
une vraie incoordination motrice.
Rôle de la tonicité musculaire. — Ou a supposé que les racines postérieures
ouent un grand rôle dans la locomotion, en exerçant une influence sur la tonicité des
muscles. Habless a montré, par des expériences myographiques, que la forme de la
secousse musculaire change lorsque les racines postérieures ont été coupées, ou lors-
qu'elles sont excitées simultanément. Cyon, et après lui Tschiriew et Anbep, avaient
démontré que, si l'on coupe les racines postérieures, toute tonicité dispai'aît dans le
muscle, aussi bien que si l'on avait coupé les racines antérieures; il aurait montré
d'autre part que, si l'on excite une racine antérieure de manière à provoquer une
secousse musculaire, la secousse est brève, dès que le nerf n'est plus en relation avec la
moelle : au contraire, si le nerf est uni à la moelle, la secousse est prolongée, comme si
l'excitation remontant vers la moelle avait déterminé par action réflexe une prolongation
de la contraction. Marcacci (1880) a vu que, si l'on excite la racine antérieure, l'exci-
tabilité de cette racine est moins grande lorsque la racine postérieure est intacte. Peut-
être y aurait-il, venant de la périphérie, des nerfs sensitifs qui provoquent un réflexe
d'arrêt de la contraction musculaire?
Défaut de synergie dans l'action musculaire. — On a objecté avec raison que
les lésions des racines, déterminées par Van Deem, Panizza, Cl. Bernard, n'avaient pas
pour résultat des phénomènes ataxiques, mais des phénomènes paralytiques: c'est à
tort aussi qu'on a fait un rapprochement entre ces expériences et l'ataxie locomotrice :
dans les premières, on supprime les racines brusquement, dans l'ataxie locomotrice,
au contraire, la suppression est lente; il serait étonnant, de prime abord, que la sup-
pression brusque de plusieurs filets nerveux amenât le même résultat que la sup-
pression lente. Pour reproduire expérimentalement l'ataxie telle qu'on l'observe dans
la clinique, il faudrait pouvoir supprimer ou plutôt altérer progressivement les voies
conductrices de la sensibilité. L'ataxique ne devient pas tel du jour au lendemain, si
bien qu'il est déjà ataxique, alors que ses proches et lui-même ne s'en sont pas encore
aperçus : c'est insensiblement qu'il devient ataxique: il ne lance pas ses jambes dès le
début, comme il le fera aune période plus avancée de la maladie, mSiis il talonne très légè-
rement, et ce sera un obstacle ou la marche dans l'obscurité qui, un jour ou l'autre,
l'avertiront qu'il ne marche plus comme autrefois. Après avoir talonnC', il lancera ses
jambes en avant; plus tard les membres supérieurs et le tronc, qui participent à l'équi-
libre pendant la marche, lui feront défaut; enfin tout mouvement deviendra impossible;
l'ataxique sera devenu impotent.
De même, pour les membres supérieurs. Au début, ce seront les mouvements très
limités qui sont troublés; le malade éprouvera de la difficulté à prendre une épingle ; plus
tard il ne pourra porter sûrement un verre à ses lèvres sans le regarder avec soin. Or,
comment évoluent les lésions? Les lésions des racines sont progressives, elles n'existent
pas au même degré sur toutes les racines, et le nombre des racines envahies augmente
aussi progressivement. 11 en résulte, physiologiquement, que les centres médullaires qui
participent à un même mouvement d'ensemble ne sont pas excités au même instant et avec
la même intensité; il s'ensuit nécessairement que la simultanéité des contractions mus-
culaires qu'exige la simultanéité des impressions n'existe plus: il y a incoordination,
ataxie.
Lorsque les cyhndres-axes sont complètement détruits, les racines atrophiées, le
mal ide devient non pas paralysé, mais impotent : il est comme l'animal auquel on a sec-
tionné toutes les racines des membres inférieurs.
Pour expliquer comment peut se faire le trouble des mouvements par l'altération de
l.=i sensibilité, il faut distinguer, parmi les mouvements que nous exécutons, ceux dont
nous avons l'habitude et ceux auxquels nous ne sommes pas exercés. Au début de
81^2 ATAXIE.
l'ataxie, ce sont les premiers qui sont touchés: c'est un barbier qui laisse échapper son
rasoir, une couturière qui ourle maladroitement, un musicien qui fait des fausses notes.
Parmi les autres, ce sont les plus délicats dont l'exécution est le plus difficile. Dans
ces deux espèces de mouvements, la volonté n'a pas une part égale: dans les premiers,
elle s'exerce surtout au début, elle n'agit ensuite, pour ainsi dire, que d'une manière
latente; la première impulsion donnée, les centres médullaires, prévenus successive-
ment par les diverses sensations, interviennent suivant le moment et l'intensité de ces
sensations : ces mouvements peuvent être considérés comme la résultante de plusieurs
actes réflexes : il n'y a rien d'étonnant, par conséquent, à ce qu'ils soient les premiers
altérés. Lorsque les mouvements sont délicats, ils s'exécutent par l'action synergique de
groupes musculaires très voisins, innervés le plus souvent par des filets nerveux dont
l'origine radiculaire est la même. Si cette racine est très altérée, il est évident que le
mouvement sera lui-même très difficile à exécuter. Dans le cas de mouvements oii la
volonté intervient pour une large part, ceux dont nous n'avons pas une grande habitude,
le cerveau peut suppléer en partie à la moelle; cette suppléance sera d'autant moins effi-
cace que la volonté agira sur un centre anatomique plus restreint.
Lorsque l'ataxie est très marquée, la volonté intervient grâce aux renseignements
que lui fournit la vue. C'est dire que, si on supprime la vue, on augmente l'ataxie. Il
semble même que la vue agisse comme provoquant par une sorte de stimulation réflexe
une synergie musculaire plus parfaite; car tel malade, qui ne peut voir ses membres
inférieurs, mais à qui on laisse les yeux ouverts, a des désordres de motilité bien moin-
dres que si on lui fait l'occlusion complète des yeux (Jaccoud).
Pour les mêmes raisons que celles exposées précédemment, les physiologistes qui
ont tenté de provoquer l'ataxie par lésions ou sections des cordons postérieurs n'ont
pas été plus heureux. Vulpian et Philippeaux avaient fait sur les faisceaux posté-
rieurs d'un chien, au milieu de la région dorsale, une section transversale qui les divi-
sait complètement. Les mouvements volontaires des membres postérieurs étaient trou-
blés, affaiblis, mais il n'y avait pas incoordination. Du reste, dans ce cas la sensibilité
n'est que très légèrement touchée : Bbown-Séquahd et Schiff ont démontré que plusieurs
sections transversales incomplètes de la moelle épinière au niveau de la région dorsale
laissent persister la sensibilité dans les membres postérieurs, pourvu que chaque section
n'ait pas divisé entièrement la substance grise. La sensibilité disparaît au contraire entiè-
rement dès que cette substance est complètement interrompue. Brown-Séqdard, à la suite
d'expériences sur les cordons postérieurs, avait établi que, dans les altérations limi-
tées aux cordons postérieurs, mais occupant toute leur épaisseur et toute leur lon-
gueur ou la totalité du renflement lombaire, il y a impossibilité de se lever et de
marcher, à cause de la perte de l'activité réflexe.
Conclusions. Résumé. — En résumé, la physiologie de l'ataxie n'est pas complè-
tement élucidée; la coïncidence de ce symptôme avec les troubles de la sensibilité et
les lésions des voies de la sensibilité, et leur parallélisme, établissent entre eux un rap-
port manifeste, sans que ce rapport puisse être considéré absolument comme un rapport
de causalité. Aucune des théories proposées n'est complètement satisfaisante. Les troubles
de la sensibilité n'expliquent pas le défaut de coordination : et d'autre part l'existence
d'un système spécial de coordination, soit cérébral, soit bulbaire, soit médullaire, est
très hypothétique.
Toutes réserves faites, il nous sera permis d'admettre, au moins provisoirement, que
l'intégrité du mouvement (au point de vue de l'harmonie et de la synergie et du relâ-
chement ou de la contraction des antagonistes) nécessite l'intégrité des segments médul-
laires (cornes antérieures, cornes postérieures, racines antérieures, racines postérieures)
qui servent à ce mouvement. S'il s'agit d'un mouvement volontaire, le cerveau y sup-
plée. S'il s'agit au contraire d'un mouvement habituel, automatique, non volontaire,
dans lequel le cerveau n'intervient pas, alors la moelle malade ne peut plus l'exécuter;
de sorte que l'ataxie est surtout un trouble dans l'automatisme coordinateur de la
moelle.
Bibliographie. — Nous n'avons à présenter ici que la bibliographie qui porte sur
la pathogénie de l'ataxie. Pour les travaux anciens, on consultera surtout Topinard
(1864) et Jaccoud (1864); pour les ti-avaux récents, Raymond (189i).
ATHETOSE. SI.-}
Voici le résumé des principaux documents utiles à la connaissance de la physiologie
pathologique' de l'ataxie:
1838. — Bkrnard (Claude). Leç. sur la jihysiol. et la path. du syst. nerveux, i, 246-
328. — DucHENNE (de Boulog-ne). De l'ataxie locomotrice progressive (Arch. gén. de méd.,
Paris, 1888, (2), 641; 1859, (1); 36; 138; 417),
1863. — Brown-Séquard. Production d'ataxie musculaire par l'irritation d'une petite
portion de la moelle épiiiière chez les oiseaux (Journ. de lap>hys. de l'h. et des unim., Paris,
VI, 701-703).
1864. — Jaccoud. Les paraplégies et l'ataxie du mouvement. 8°, Paris. — Topinard (P.).
De l'ataxie locomotrice et en particulier de la maladie appelée ataxie locomotrice progres-
sive (D. P.).
1867. — Cyon (E. dk). Ziir Lehre von der Tabcs dorsalis {A. V., xli, 333-384).
1869. — Leyden (E.). Ueber Muskelsinnund Ataxie, nebstFâllen {A. V., 1869, xlviii, 321-
331). — Arlojng. Ataxie locomotrice chez un chien {Mém. Soc. de méd. de Lyon, vrii,
103-106).
1872. — Ber-\hardt (M.). Zur Lehre vom Muskelsinn {Arch. f. Psych., Beriin, m, 618-633).
1874. — WoRoscHiLoi-i'. Der Ver l au f der motorischen iind sensiblen Bahncn durch das
Lendenmark des Katiinchen [Arb. a. d. pliysiol. Anstall, Leipzig, ix, 99-153).
1 876. — Cyon (E. de). Sur la secousse musculaire produite par l'excitation des racines de
la moelle épinière (B. B., 134). — Friedreich. Ueber statische Ataxie and ataktischen Nys-
tagmus {Arch. f. Psych. Berl., vu, 235-238).
1878. — Takags (A.). Eine neue Théorie der Ataxia locomotrix (C. W., xvi, 897).
1879. — Kahler (0.). Ueber Ataxie als Symptom von Erkrankungen des Centralnerven-
systcms {Prag. med. Woch., iv, 13, 21). — Petit (L.-H.). De l'ataxie locomotrice dans ses
rapports avec le traumatisme {Rev. mens, de méd. et de chir., Paris, m, 209-224).
1880. — Debove et Boudet. Note sur l'incoordination motrice des ataxiques (B.B., 83-86).
— Marcacci (A.). Influence des racines sensitives sur l'excitabilité des racines motrices {B.
B., 397).
1883. — Dejerine (J.). Des altérations des nerfs cutanés chez les ataxiques, de leur nature
périphérique, et du rôle joué par leurs altérations dans les productions des troubles de la
sensibilité qu'on observe chez ces malades {A. P., 72-92).
1884. — Dejeri>'e. Élude sur le nervo-tabes périphérique. {Ataxie locomotrice par névrites
périphériques, avec intégrité absolue des racines postérieures, des ganglions spinaux et de la
moelle épinière.) {A. P., 231-268).
1883. — Jendrassik. (Deutsches Arch. f. klin. Med., xliii, 343). — Raymond (F.). Art.
Tabès dorsalis {D. D., xv, (3), 288-416).
1886. — Ebb (W.). Contribution à la théorie de l'ataxie spinale (An. in Arch. de Neuro-
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1890. — Brown-Séquard. T/KÎorte des mouvements involontaires coordonnés des membres
et du tronc chez l'homme et les animaux [A. P., (3), ii, 411-424). — Goldscheider. Ueber
einen l'ail von tabischer Ataxie mit scheinbar intacter Sensibilitàt {Berl. klin. Woch., xxvii
1033-1053). — Mader. Zur Théorie der tabischen Bewegungsstôrungen {Wien. klin. Woch.,
m, 357-383). — Rumpf. Des troicbles de la sensibilité dans l'ataxie (An. in Ai'ch. de Neu-
rologie, Paris, XIX, 259-260).
1891. • — Bauuler. Présentation d'un cas d'affection chronique de la moelle avec ataxie
inhérente à des troubles très profonds de la sensibilité (An. in Arch. de NcuroL, Paris, xxi.
133). — ScHipiLOFF (Catherine). Difluence de la sensibilité générale sur quelques fonctions de
l'organisme {Arch. d. sc.phys. et natur. Genève, xxv, n° 7).
1893. — Hering (H. E.). Ueber die nach Durchschneidung der hinteren Wurzeln auftre-
tende Bewegwigslosigkeit des Riickenmarkfrosches (A. Pf., liv, 614-636).
1894. — Raymond (F.). Maladies du syst. nerveux. Scléroses systémat. de la moelle. S",
Paris, Doin, chap. xiii, 204-230.
1893. — TissoT (J.) et CoNTEJEAN (Cii.).S!()' les effets de la rupture du circuit sensitivo-
moteur des muscles dans sa portion centripète {B. B., 369-371).
THOMAS
ATHETOSE (de à privatif, T'Or,rj.'., mettre hors place). Ce phénomène, décrit
814 ATMOSPHERE — ATROPHIE.
pour la première fois, eu 1871, par Hamuond, est un trouble moteur consistant dans
des mouvements involontaires, atteignant principalement les doigts et les orteils, moins
souvent les mains et les pieds, rarement les muscles de la face, du cou, de la nuque.
Ces mouvements sont pour ainsi dire incessants et persistent ordinairement, même
pendant le sommeil : ils se produisent avec une certaine lenteur, avec un certain
rythme : ils sont fort amples et donnent lieu aux attitudes les plus variées et les plus
changeantes.
L'athétose se présente rarement comme maladie per se : le plus souvent, elle accom-
pagne une affection cérébrale, telle que l'hémiplégie infantile, ou une autre névrose.
Bibliographie. — Hammond. Traite des maladies du système nerveux; trad. française
par Labadie-Lagrave. Paris, 1890.
X. FRANCOTTE.
ATMOSPHÈRE. — Voyez Air, Barométrique (Pression) et Res-
piration.
ATROPHIE. — Définition. — Atrophie veut dire privation de nourriture,
insuffisance de la nutrition et, comme conséquence directe de cette insuftlsance, état de
dépérissement dont la première et plus évidente manifestation est la diminution de
volume de la partie, de l'organe ou de l'élément atrophié. Les mots amaigrissement,
macilence, marasme, consomption expriment à peu près la même idée, mais chacun avec
un sens plus restreint et plus spécial : beaucoup plus étendu est le sens du mot atro-
phie. Si, d'une part, en effet, ce dernier terme est souvent employé pour indiquer la
simple l'éduction quantitative de la nutrition d'un élément anatomique (ou d'un composé
d'éléments) sans altération notable de sa structure ou de sa composition chimique, on a
pris aussi l'habitude en pathologie de comprendre dans l'atrophie les conséquences
plus ou moins lointaines de cet état de dénutrition, conséquences en vertu desquelles
les principes immédiats de la cellule sont changés, son type morphologique dévié, sa
qualité histologique et chimique modifiée dans une certaine mesure. Dans ce cas, qu'il
faut envisager comme le prolongement ou l'extension du précédent, l'atrophie n'est
plus simple; elle est devenue dégénérative : c'est le groupe des dégénérescences qui
mérite une description à part et sera étudié avec les développements qu'il comporte.
Lorsqu'en effet autour d'un élément viennent à cesser ou se modifier les conditions
nécessaires à l'entretien de sa vie, il est nécessaire que la composition de cet élément
lui-même change; cela est fatal d'après tout ce que nous savons de ses réactions et de
sa physiologie intime. Mais, suivant que ce changement extérieur est brusque ou lent,
total ou partiel, et suivant aussi sa modalité particulière dans chacun des cas, l'atteinle
portée à la nutrition cellulaire présentera des caractères bien différents. Dans le cas de
suppression brusque et totale des conditions de milieu, la mort de l'élément survient
avant que des altérations bien notables de sa constitution aient eu le temps de se pro-
duire : ces altérations sont bien réelles, mais doivent rester en dehors des phénomènes
évolutifs qu'il s'agit ici de décrire. Que si, au contraire, les conditions de milieu viennent
à manquer, non plus soudainement, mais d'une façon lente et graduée, c'est-à-dire si la
nutrition de la cellule est réduite dans son ensemble, mais non supprimée, la vie alors
reste compatible avec ce nouvel état de choses; elle est devenue précaire, mais elle est
encore possible. Seulement, pour qu'elle puisse continuer de s'entretenir, son champ se
restreint; l'élément diminue de volume. Cette élasticité des conditions qui maintiennent
l'existence de l'être vivant est précisément une de ses caractéristiques principales,
comparée à la rigidité de celles imposées aux êtres non doués de vie. L'être vivant,
dans de certaines limites, s'adapte aux conditions de son milieu. Cette faculté d'adap-
tation peut être poussée très loin, et les diverses atrophies dégéiiératives en sont une
preuve. Troublée dans sa nutrition et son fonctionnement, privée peu à peu d'une ou
plusieurs des conditions qui maintiennent son existence, la cellule fait plus que réduire
sa consommation d'aliments, elle change dans .une certaine mesure le type de ses
réactions habituelles; non seulement ses réserves disparaissent, mais sa partie essen-
tielle, son protoplasme se décompose partieUement : des substances qui préalablement
ATROPHIE. 81o
n'existaient pas (ou seulement à l'état de trace), y apparaissent : parmi elles surtout la
graisse sous forme de fines particules {dégénérescence granulo-graisseme). Mais au lieu
de la graisse on peut trouver d'autres substances. La nature variable des produits
anormaux formés par la cellule ou déposés dans sou intérieur ou parfois seulement
leur apparence a même servi de base à une classification des atrophies dégénératives.
Citons, à côté de l'atrophie graisseuse, l'atrophie pigmentaire caractérisée par la pré-
sence dans les "cellules de grains foncés d'une nature chimique encore assez mal déter-
minée, la calcification qui atteint surtout la tunique moyenne des artères et qui ne va
du reste guère sans la présence de graisse accompagnant le dépôt calcaire. Citons
encoi'e la dégénérescence vitreuse des muscles qui accompagne certaines pyrexies, la
dégénérescence cireuse ou amyloide des artères et de certains parenchymes, bien qu'avec
ces derniers exemples nous nous éloignions beaucoup de l'atrophie proprement dite.
Chaque élément, chaque tissu peut, suivant les cas, présenter des altérations diverses
de sa composition; mais, à la vérité, chacun d'eux aussi a sa manière de dégénérer
plus fréquente et plus habituelle.
Tl ne peut entrer dans le cadre de cet article de décrire individuellement tous ces cas
particuliers de dégénération ou d'atrophie. Outre que cette description se trouve natu-
rellement à sa place dans les ouvrages de pathologie, nous ne pourrions, dans la plupart
des cas, la faire suivre d'une explication véritablement scientifique dans l'état actuel
de nos connaissances sur ce sujet. Seuls les cas les plus typiques seront l'objet à"un
examen, comme il a été déjà fait pour le tissu musculaire dans l'article Amyotrophie.
Nous devons au contraire envisager ici le processus de l'atrophie dans ce qu'il y a de
plus général et de plus facilement explicable d'après les données actuelles de la physio-
logie cellulaire. Même ainsi réduite, la tâche n'est pas facile.
L'atrophie peut porter sui' l'organisme entier, sur une de ses parties, sur un tissu,
sur un organe, sur un système. Elle peut résulter d'une cause accidentelle ou, en
d'autres termes, pathologique, c'est-à-dire hors des conditions normales de la vie; ou
bien être le fait de l'évolution naturelle de l'organisme, comme il arrive chez le
vieillard dont la plupart des tissus, sinon tous, s'atrophient d'une certaine façon et
dans une certaine mesure (marasme sénile). Elle s'observe non seulement comme terme
ultime de l'évolution des tissus et des organes, mais elle fait partie en quelque sorte
du développement de l'organisme, puisque ces organes et ces tissus, avant d'avoir
la forme typique et définitive que nous leur connaissons chez l'adulte, en ont revêtu
d'autres successivement depuis l'apparition des premiers tissus dans les feuillets du
blastoderme jusqu'à leur complet développement chez l'individu adulte, témoin le rein
qui succède à une première ébauche (on peut même dire à plusieurs ébauches) d'un
appareil sécréteur ou dépurateur de l'organisme ou témoin encore le thymus qui dis-
paraît après la vie embryonnaire; mais cela, sans qu'on observe à sa place un autre
organe qui le continue à proprement parler. A côté de ces processus réguliers d'atro-
phie qui rentrent dans l'évolution normale de l'individu nous en pouvons placer d'autres
qui, en supprimant certaines parties du germe, en entravant le développement de
l'embryon, sont l'origine d'atrophies d'ordre tératologique [agénésie). Cette atrophie,
par suppression des germes cellulaires ou par perte de leur faculté de reproduction,
peut s'observer jusque chez l'adulte, s'il s'agit non plus d'un tissu dont le nombre des
éléments constituants soit arrêté de bonne heure, tel que les tissus musculaires et
surtout nerveux, mais d'un tissu dont les cellules continuent de se diviser et de se
multiplier comme certaines variétés d'épithélium (aplasie).
Considérant plus particulièrement le processus atrophique ou dégénératif tel qu'il
peut résulter chez un adulte du fait de la maladie ou de nos expériences, si nous l'esa-
nunons dans un tissu ou un organe en particulier (muscle, foie, nerfs, centres ner-
veux, etc.), nous reconnaissons bientôt combien ce processus est complexe et synthétisant
de phénomènes divers et parfois opposés. C'est le fait de la complexité de ces organes
eux-mêmes dans chacun desquels, à côté de l'élément qui lui donne sa caractéristique
fonctionnelle, il en est d'autres associés synthétiquement aux premiers et sur lesquels le
trouble de la nutrition retentit à son tour nécessairement. Seulement, lorsque l'atrophie
le frappe jaarallèleraent et également, il arrive au contraire très souvent que l'atrophie
de l'élément noble coïncide avec l'hypertrophie des éléments interstitiels ou de soutien
8t6 ATROPHIE.
au point qu'une atrophie réelle d'un tissu peut se traduire par l'augmentation de volume
de l'appareil ou organe qu'il constitue essentiellement : c'est ce qu'on peut observer
d'une façon très particulière dans la surcharge graisseuse des muscles ou pseudo-hyper-
trophie musculaire. La question de savoir si la dénutrition de l'élément essentiel est
d'origine primitive ou si elle est le résultat de l'exagération nutritive du tissu conjouctif
interstitiel est le plus souvent délicate à trancher, même dans le cas de scléroses alro-
phiques les plus ordinaires.
Mécanisme. — Atrophie, avons-nous dit, signifie restriction de la nutrition avec ou
sans modification notable de son type normal et régulier. Cette définition semblerait
impliquer que nous savons ce qu'est la nutrition. Or, qu'est-ce donc exactement que la
nutrition? Il est peu de mots qui reviennent plus souvent que celui-ci dans le langage
physiologique et médical; il en est peu dont au premier abord le sens paraisse plus
banal et plus simple; il en est peu dont en réalité la signification soit plus vague, plus
équivoque, plus mal définie. Cette incertitude, ce défaut de sens précis se retrouvent
naturellement dans l'étude des processus physiologiques ou pathologiques ayant pour
base la nutrition : il faut convenir qu'il n'en peut guère être autrement, vu la com-
plexité extrême de l'ensemble de phénomènes qu'on réunit sous ce nom; à cause de
cette complexité même, il faut y distinguer un certain nombre de points de vue.
L'animal use sa substance; il doit la remplacer par les aliments qu'il prend jour-
nellement. Ces aliments digérés et absorbés forment une réserve qui s'épuise seulement
peu à peu. Mais chaque cellule est individuellement dans le même cas que l'animal
lui-même; pour remplir sa fonction propre, elle dépense une provision intérieure qu'elle
s'était constituée : c'est la création de cette réserve qui constitue l'acte nutritif propre-
ment dit. Compris de la sorte, le terme nutrition indique un acte chimique d'une nature
particulière opposé à l'acte du fonctionnement et dont il constitue comme le terme
inverse : mais ce point de vue est beaucoup trop restreint, il n'envisage d'abord que
l'individu ou la cellule complètement développés, et dans ceux-ci qu'un côté de la
question. Cette cellule, avant d'avoir acquis sa forme spéciale et définitive, en a revêtu
d'autres ; elle a été d'abord une cellule embryonnaire, susceptible de s'accroître jus-
qu'à un certain degré, à partir duquel elle se divise en cellules nouvelles qui s'accrois-
sent et se divisent à leur tour. Ces phénomènes d'accroissement et de multiplication
dans un certain ordre représentent eux aussi la nutrition, mais dans son plus haut
degré de complexité, opposés à l'exemple précédent qui la montre sous son aspect le
plus rudimentaire et le plus simple. Entre ces cas extrêmes il en est d'autres. Ainsi,
par exemple, dans la vie embryonnaire, un moment vient pour ces cellules (pour cer-
taines tout au moins) oti elles cessent de se diviser et de se multiplier, le nombre en étant
désormais compté; il leur reste alors seulement à s'organiser, à prendre la structure
intérieure et l'aptitude particulière qu'elles garderont dans la suite. Au sein de leur
protoplasme embryonnaire il s'en édifie un autre plus ou moins diflfèrencié et qui donne
sa caractéristique à la cellule. Ainsi, à titre d'exemple particulier, la fibre musculaire,
alors qu'elle commence à avoir ces disques caractéristiques qui sont l'instrument de sa
contraction et qui lui permettent déjà de se contracter, continue d'en édifier d'autres
dans son intérieur jusqu'à ce que sa croissance soit complète. Et cet acte d'accroisse-
ment de la fibre musculaire ne peut être confondu ni avec la contraction même, ni
avec la création des réserves qui lui fournissent l'énergie nécessaire à sa contraction.
La mise en place de toutes ces fines particules, l'édification de ces organes intra-cellu-
laires est encore un acte nutritif, acte moins complexe que le précédent, puisque la
multiplication y est en moins, acte qui est au fond de nature chimique, mais d'une
chimie extrêmement compliquée, et formé par l'association et l'évolution d'une série de
phénomènes chimiques d'ordres plus simples, à l'ensemble desquels on donne commu-
nément les noms divers de nutrition formative (Virchow), de synthèse morphologique
(Cl. Bernard), d'histopoiése (Ch.\.uveau).
Tant que nous ne serons pas fixés sur le mécanisme intime de ces actes nutritifs,
nous n'aurons point de base solide pour l'étude et l'explication des phénomènes atro-
phiques et dégénératifs. Un premier pas vers cette connaissance sera néanmoins fait, si
nous savons distinguer ces difïérents aspects de la nutrition. Ces deux points de vue,
que nous aide à bien distinguer et à comprendre l'exemple plus haut cité d'une cellule
ATROPHIE. 817
qui fonctionne déjà, alors ([u'elle n'a pas cessé de s'accroître, représentent deux actes
nutritifs parallèles, et jusqu'à un certain point distincts, qui persistent encore parallè-
lement, alors même que l'élément a acquis son complet développement. « La nutrition,
a dit Cl. Bernaud, est un développement continué. » L'édifice construit est en équilibre
mobile; des matériaux de remplacement s'y ajoutent continuellement pendant que
d'autres s'en détachent. Chez l'embryon et chez l'enfant il y a accroissement, parce que
l'apport excède la dépense; chez l'adulte normal il y a équilibre à quelques oscillations
près; dans l'atrophie il y a perte de volume et de substance parce que la dépense excède
l'apport nutritif. Cette atrophie, nous la voyons se réaliser d'une façon rapide, aiguë en
quelque sorte chez l'animal mis en état d'inanition. Elle frappe les divers tissus d'une
façon, il est vrai, très inégale; l'un d'eux, le tissu musculaire avec le tissu adipeux moins
important en fait presque tous les frais. Et c'est non seulement la provision de glyco-
gène musculaire qui disparaît, mais encore le protoplasme même du muscle qui se
détruit, témoin les déchets azotés qui sont éliminés par l'urine pendant tout le temps
de l'inanition sous forme d'urée, déchets qui n'augmentent pas sensiblement quand les
muscles fonctionnent et qui, pour celte raison même, paraissent indépendants de ce
fonctionnement, ce qui donne une consécration expérimentale à la distinction établie
plus haut entre l'acte nutritif qui fait face à la dépense exigée par la fonction, et celui
qui conserve sa structure à l'élément lui-même (Chauveau).
Division. — Ces considérations nous amènent à établir dans l'étude du mécanisme
et des conditions de l'atrophie une distinction importante. Indépendamment du point
de vue qui vient d'être développé, ces conditions, comme celles mêmes de la vie cellulaire,
sont doubles. En premier lieu, la vie dans la cellule s'entretient en vertu d'un méca-
nisme et de rouages intérieurs, lesquels, plus ou moins faussés ou mutilés, sont cause de
maladie ou de mort. D'autre part, chez les animaux hautement organisés que nous
avons en vue, elle dépend encore de conditions extérieures multiples, en quelque sorte
échelonnées les unes sur les autres. Il est devenu banal de dire que les éléments de notre
corps vivent dans le sang et les liquides interstitiels comme dans un milieu qui sert
d'intermédiaire entre eux-mêmes et le milieu cosmique; mais, comme la composition
du sang et de ces liquides eux-mêmes dépend des éléments anatomiques qui les créent,
les modifient et les renouvellent, il s'ensuit que les cellules jouent le rôle de milieu à
l'égard les unes des autres, sans compter que, si les matériaux de la nutrition viennent
bien à la cellule par le sang, l'excitation dont elle ne peut non plus se passer lui vient
par la voie du système nerveux dont il y a à tenir compte comme d'une condition de
premier ordre. Il nous reste à examiner rapidement la part de ces différents facteurs
dans la production des lésions atrophiques.
Atrophies primitives. — L'atteinte directe de la cellule par quelque lésion qui
dérange son mécanisme intérieur et par là même ralentit ou pervertit sa nutrition doit
se réaliser dans un grand nombre de cas par les substances toxiques, poisons absorbés
du dehors ou fabriqués par l'organe sur lui-même : malheureusement ces exemples
apportent peu d'éclaircissement à la pathogénie des atrophies à cause de l'ignorance
très grande où nous sommes encore de ces mécanismes intérieurs en vertu desquels
chaque cellule fonctionne et vit, un de ces exemples a néanmoins pour nous un intérêt
particulier, parce qu'il est le seul ou à peu près qui établisse une sorte de localisation
des influences trophiques intra-cellulaires et qu'il peut être réalisé par un véritable
traumatisme cellulaire dirigé à volonté sur telle ou telle partie de l'élément considéré,
.l'ai en vue la dégénération atrophique qui frappe la portion d'une fibre nerveuse qui a
été séparée de son germe nutritif ou centre trophique tel qu'il résulte des expériences
de Waller {Dégénération iDallérienne). En raison de son importance et de la netteté de
son déterminisme, cet exemple sera étudié à part et en détail : il suffit ici d'en montrer
la portée générale, car c'est une induction assurément légitime que celle qui étend aux
autres tissus les conséquences tirées d'une expérience que seul le tissu nerveux permet
de réaliser concurremment. La section d'un nerf sur son trajet, disons mieux, la section
de fibres nerveuses en amont ou en aval de leurs cellules d'origine (telle surtout qu'on
peut la pratiquer sur les nerfs sensitifs des racines postérieures), équivaut à partager un
élément cellulaire en deux parties dont l'une des deux conserve ses relations avec le
noyau de cellule, et l'autre pas. L'expérience a appris que, de ces deux parties, l'une
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOMIi I. S2
818 ATROPHIE.
continue à vivre et travaille à la reconstitution de la partie mutilée, tandis que l'autre
est vouée à l'atrophie et à la mort. Ainsi donc, le centre qui dans la cellule est le point
de départ des phénomènes de multiplication et de division est le même, comme il-
fallait s'y attendre, que celui qui préside à sou accroissement, témoin le bourgeonne-
ment qui s'opère à l'extrémité de la fibre coupée pour le rétablir dans sa longueur et
ses rapports primitifs ; mais ce centre, indépendamment de tout phénomène d'accroisse-
ment, est encore nécessaire à la nutrition de l'élément, témoin, la désagrégation et la
disparition progressives de la portion de fibre séparée de lui au bout de quelque temps.
Ce centre, c'est le noyau de cellule, auquel il convient d'ajouter sans doute cette portion
de protoplasme granuleux qui l'entoure directement; ce qui justifie la déduction établie
plus haut entre un protoplasme à proprement parler fonctionnel, c'est-à-dire chargé de
la fonction particulière à chaque cellule, et un protoplasme nutritif auquel incombe le
soin de maintenir cette cellule dans son intégrité, tellement que l'altération de ce dernier
compromet nécessairement l'existence du premier.
Une atrophie nerveuse, d'un mécanisme tout différent, est celle qui amène la diminu-
tion de volume des cordons nerveux et des parties correspondantes des centres, à la suite
de l'amputation d'un membre. Cette réduction de volume, qui est le signe d'une réduction
de la nutrition de ces parties, est imputée à l'inertie de ces segments nerveux qui n'ont
plus à leur disposition les organes par lesquels ils puissent manifester leur activité.
Comme l'atrophie dans ce cas n'est jamais complète, il semble bien que ces nerfs privés
de leurs muscles reçoivent encore quelques excitations, ce qu'on peut expliquer par la
synergie qui existe entre les deux moitiés de la moelle ou des autres centres; il suffit
d'admettre que ces excitations sont très réduites en nombre et eu intensité, probablement
parce que la volonté cesse de s'adresser à des muscles qui n'existent plus et supplée
aux mouvements qu'ils exécutaient par l'activité d'autres groupes musculaires, symé-
triques ou non.
Atrophies secondaires. — Nombreux sont les cas d'atrophie ou de dégénération
dans lesquels la lésion n'est pas primitive, mais résulte de la suppression plus ou moins
totale de quelque condition prochaine ou éloignée de la vie cellulaire. La privation d'ali-
ments, avons-nous dit, entraîne l'inanition; l'alimentation insuffisante entraîne l'amai-
grissement; les lésions ou obstructions du tube digestif aboutissent au même résultat;
la diète (ou prescrite ou forcée) qui accompagne les pyrexies fait de même, et avec plus
de rapidité, parce que l'élévation de la température précipite la destruction des tissus,
l'hyperthermie intervient du reste à la fois comme cause et comme etfet dans cette dénu-
trition. Ce sont là des conditions à la fois simples et générales agissant sur les premières
voies d'absorption : on y pourrait joindre toutes les altérations des organes qui ont un
rôle dans la formation et la reconstitution du liquide sanguin, et ces organes sont nom-
breux; mieux vaudrait dire que tous y contribuent, puisqu'il n'en est pas un qui ne soit
en échange de matériaux avec le sang, lui prenant ou lui cédant quelque chose.
A. Origine vascidaire. — Le S3'stème circulatoire, par ce fait qu'il distribue le sang
aux organes et aux cellules, représente une condition de premier ordre dans l'accom-
plissement des phénomènes de la nutrition. La cellule dépend de lui comme le sang
dépend des fonctions et appareils qui lui apportent du dehors les matériaux de son
renouvellement. Par les vaisseaux qui l'entourent, la cellule reçoit ses aliments. Si le rôle
du vaisseau n'est pas celui qu'on se figurait dans l'ancienne pathologie où on lui attri-
buait la fonction, non seulement de pourvoir à la nutrition, mais encore de la diriger ; si
l'on sait bien maintenant que le choix des matériaux n'est pas fait par lui, mais par les
tissus, suivant leurs aptitudes ou activités spéciales, son pouvoir sur ceux-ci n'en est pas
moins encore très grand. Si en effet il ne règle pas leur qualité, il règle leur quantité, et
ce point de vue est à lui seul très important. C'est dans ce sens qu'on peut dire que le
vaisseau est actif; car il est contractile; il peut affamer la cellule en la privant d'ali-
ment comme la sténose de l'intestin affame l'organisme; dans un cas comme dans
l'autre cette sténose, suivant qu'elle est complète ou partielle, amène la mort ou une
réduction plus ou moins considérable de la nutrition, amaigrissement dans un cas, et,
dans l'autre, atrophie locale par ischémie.
S'il est un minimum d'aliments que le système circulatoire doit assurer à la cellule,
il ne faudrait pas croire, comme cette opinion a encore quelque peu cours, même en
ATROPHIE. 819
physiologie, que l'augmentation indéfinie de leur quantité par exagération de la circu-
lation autour des cellules puisse accroître parallèlement la nutrition; ce serait retomber
par un détour dans l'erreur médicale signalée plus haut, et du reste les faits sont con-
traires à celte manière de voir. Si en effet l'ischémie entraîne l'atrophie, l'hyperémie n'a
pas pour conséquence obligatoire l'hypertrophie des cellules ou des organes. La circu-
lation dans les tissus est subordonnée à un maximum qu'elle ne doit pas dépasser sous
peine de créer à son tour des conditions défectueuses résultant des désordres qu'entraîne
cette exagération même (exsudations, œdème, compression, etc.). Le trop est préjudi-
ciable comme le trop peu, ainsi que nous avons souvent l'occasion de le voir en physio-
logie.
Entre ce maximum et ce minimum imposés à la circulation locale dans un organe ou
un tissu pris en particulier, une marge très grande est laissée aux vaisseaux pour e.xercer
leur fonction sans désordre du côté des cellules. Cette marge était nécessaire pour
laisser un champ suffisant aux oscillations de la circulation rendues elles-mêmes utiles
sinon nécessaires par les intermittences du fonctionnement et les oscillations parallèles
de la nutrition. Ces alternatives de constriction et de dilatation vasculaires qui (dans un
sens comme dans l'autre) ne deviennent dangereuses pour la nutrition qu'étant exa-
gérées, sont soumises à l'action de certains nerfs spéciaux, les vaso-moteurs. Le système
circulatoire qui dépend déjà d'autres appareils, comme ceux de l'absorption ou de l'ex-
crétion, sans lesquels sa fonction serait incomplète ou troublée, dépend à un autre point
de vue du système nerveux. Comme tout autre appareil, il est inerte par lui-même et a
besoin d'excitations qui, on le sait, lui viennent par la voie du nerf. Si donc le vaisseau
est la cause prochaine de l'ischémie qui engendre l'atrophie dans un territoire donné,
une cause plus lointaine de cette atrophie est donc le S3'stème nerveux sollicité à son
tour dans un sens ou dans l'autre par des influences qui ont retenti plus ou moins direc-
tement sur lui-même (poisons, toxines, etc.). Une atrophie de cause vasculaire peut donc
être en réalité d'origine nerveuse (vaso-motrice). Malgré cela il sera bien convenu que
nous ne devons pas la confondre avec les atrophies dites neurotiques, justement parce
que l'influence nerveuse qui la détermine est non seulement indirecte, mais lointaine;
tandis que dans l'atrophie neurotique cette influence est soupçonnée d'être directe, en
tout cas prochaine et sans la participation des vaisseaux. C'est cette action qu'il va nous
rester à examiner et à discuter. — Pour ce qui concerne le vaisseau et son rôle dans
l'atrophie, nous devons nous en tenir à ce déterminisme véritablement physiologique
pris comme type de son action sur la nutrition et laisser de côté les mécanismes ou
accidents divers par lesquels il peut s'oblitérer (artérites, scléroses, athérome, embolies,
compression extérieure ou de voisinage, etc., etc.) qui ressortissent à l'étude de la patho-
logie aussi bien que les altérations elles-mêmes, très variées, de la nutrition, qui en
résultent.
B. Origine nerveuse. — • Les nerfs influencent-ils directement la nutrition? y a-t-il
des nerfs à proprement parler trophiques? s'ils existent, comment les comprendre?
sont-ils distincts des nerfs centrifuges ordinaires, ou font-ils double emploi avec eux? —
Voilà ce qui ne cesse pas d'être discuté, et cela tient bien certainement, comme je l'ai dit
déjà à plusieurs reprises, à la façon défectueuse dont est posée la question, à l'incerti-
tude du point de départ, c'est-à-dire au vague de la définition du processus nutritif. Cela
tient aussi à la variété très grande, autant encore qu'à la complexité de ces phénomènes
que l'on appelle trophiques et qu'on examine tour à tour dans des organes dont la
physiologie nerveuse est loin d'être entièrement connue.
Les faits qui ont servi de point de départ à la discussion ont été fournis les uns par la
clinique, les autres par la physiologie. La question ne fera de progrès sérieux qu'autan
que la physiologie saura les reproduire tous à volonté pour en faire une étude métho-
dique et détaillée.
Parmi les tissus qui peuvent être frappés d'atrophie dégénérative du fait de leurs
nerfs, il faut citer en premier lieu les muscles. La lésion, la destruction des nerfs
moteurs à leur origine dans le centre ou sur leur continuité a pour conséquence l'atro-
phie des muscles, dans lesquels ils se distribuent (ainyotrophie). Quelle que soit la cause
première ou originelle qui produira la lésion nerveuse, la conséquence en est la même
pour le tissu musculaire qui reçoit le contre-coup de cette lésion (Voyez Ainyotrophie).
S-2Q ATROPHIE.
La phvsiologie sur ce point particulier est d'accord avec la clinique en ce sens que la
section espérinientale d'un nerf moteur a bien pour etfet chez l'animal comme chez
l'homme des modifications du volume et de la structure du muscle, comparables à celles
qui s'observent iVcxpiix: Erb" en clinique dans les mêmes circonstances.
La question qui nous intéresse au-dessus de toutes les autres est celle-ci : comment
le défaut d'énervation du muscle entraine-t-il son atrophie"? ou, ce qui revient au même,
comment le nerf moteur par son activité lui conserve-t-il son volume, sa structure et ses
propriétés normales. Il y a donc d'abord une explication fondée sur un rapprochement
qu'on serait tenté de faire et qu'il faut tout de suite indiquer. Le nerf altéré dans son
origine ou sur son trajet dégénère; on pourrait donc penser que la dégénération du
muscle n'est pas à vrai dire nue conséquence, mais une simple extension de celle du
nerf lui-même par propagation d'un tissu à l'autre. Cette explication a été proposée,
notamment pour l'atrophie oculaire qui suit la section du trijumeau : elle n'est admissible
ui pour ce cas particulier ni pour celui du muscle. Si la propagation était directe,
l'altération musculaire devrait suivre immédiatement la dégénération nerveuse. Or la
première est une question de jours, la seconde une question de semaines ou de mois.
Le retard de l'une sur l'autre est par trop grand. — Il y a plus, il ne serait pas absolu-
ment nécessaire que l'altération nerveuse portât sur le segment contigu au muscle lui-
même : elle pourrait résider dans quelque segment plus élevé, dans le cerveau par exem-
ple et atteindre le muscle par l'intermédiaire d'un segment sain : le nerf moteur étant
resté intact depuis la substance grise de la moelle jusqu'au muscle. C'est du moins ce qui
a été affirmé, sur la foi il est vrai d'observations qui demanderaient une confirmation
exphcite; mads, même si cet argument venait à manquer, il faudrait encore récuser l'ex-
plication d'une propagation du phénomène atrophiqne du nerf au muscle ou à tout autre
tissu qui serait sous sa dépendance fonctionnelle.
En fait l'observation clinique, au même titre que l'espérimentation physiologique,
nous montre que non seulement l'exercice de la fonction du muscle '^la contraction
musculaire- dépend du système nerveux, mais aussi la conservation de son intégrité
de composition et de structure intime. Privé des excitations qui lui viennent du nerf mo-
teur, le muscle 1" est condamné au repos; ce qu'on exprime en disant qu'il est para-
lysé; 2" il s'atrophie, c'est-à-dire que peu à peu il disparait en tant que muscle. La ten-
dance en pathologie est de considérer les deux résultats, l'un immédiat, l'antre lointain,
de la suppression de l'excitation nerveuse, comme indépendants l'un de l'autre et dépen-
dants au contraire de deux activités distinctes et parallèles situées dans le système ner-
veux. C'est presque une nécessité qu'il en soit ainsi dans une science aussi complexe que
la nôtre. Les deux points de vue d'une même fonction sont d'abord considérés comme
deux fonctions différentes autant de temps qu'on ne saisit pas exactement les rapports
qu'il y a entre eux, parce que la plus simple de nos fonctions est encore très complexe.
La question des nerfs trophiques sera discutée ailleurs dans le cours de cet ouvrage,
mais il faut sinon discuter longuement, au moins indiquer ici les raisons qui plaident con-
tre leur existence en tant qu'ils formeraient des conducteurs distincts des nerfs moteurs
ou centrifuges ordinaires.
Il y a d'abord contre «ux une fin de non-recevoir qu'il faut s'étonner de n'avoir pas
vu être élevée plus tôt. Si, en effet, reprenant la conception de Cl. Bernard en lui don-
nant une formule plus conforme au langage physiologique actuel, on fait de la nutrition
l'enseçnble des réactions endothermiques opérées dans nos tissus, il est facile de com-
prendre que le système nerveux ne peut avoir sur elle aucune action directe, par cette
raison évidente d'elle-même que le système nerveux n'apporte aucune énergie aux
organes ou cellules auxquels il commande, mais qu'agissant toujours comme un exci-
tant, il ne peut que dépenser les énergies intrinsèques qui y sont contenues. Ainsi tout
ce qui est synthèse, recréation du potentiel dépensé, lui échappe nécessairement et pour
ainsi dire par définition. Mais si. récusant cette façon de déûnir le processus nutritif, on
l'envisage comme une somme complexe de réactions à la fois endothermiques et exother-
miques, cette façon antre de définir la nutrition en y comprenant le fonctionnement ne
chanse encore rien au fond des choses, et les seules réactions que les nerfs puissent faire
apparaître dans un tissu sont celles de la seconde catégorie, celles qui dégagent
ou libèrent de l'énergie. De cette façon on comprend très bien que les nerfs prétendus
ATROPHIE. 821
trophiques rentrent dans la classe des nerfs moteurs. Toute la question est seulement de
savoir si le muscle où tout organe auquel on suppbse des nerfs de ce genre est sous la
dépendance d'une seule ou de deux ou plusieurs catégories de nerfs moteurs; si, en pre-
nant toujours le muscle comme exemple, ses fibres nerveuses motrices qui commandent
au mouvement visible de la contraction musculaire sont doublées d'autres fibres com-
mandant au mouvement évolutif intime de son protoplasme en tant seulement que ce
mouvement dépend de réactions chimiques capables de dégager de l'énergie. Celte
seconde hypothèse est théoriquement encore admissible, mais, à coup sûr, elle manque
de vraisemblance; en tout cas, il faut avouer qu'elle manque d'une base expérimentale
suffisante; il n'est point de fait d'expérience qui l'impose d'une façon catégorique.
Mais si le nerf n'a probablement aucune influence directe sur le mouvement évolutif
des tissus, il a par contre sur lui une influence indirecte très réelle et il parait presque
impossible qu'il en soit autrement. Ces deux phases inverses (très inégales du reste au
point de vue de l'énergie recréée ou libérée) qui entretiennent cet état d'oscillation con-
tinu d'où dépend la vie elle-même, ces deux ordres de réactions que nous envisageons
séparément, en réalité ne sont point isolées; mais au contraire elles s'enchaînent et
réagissent l'une sur l'autre, et c'est assez que le système nerveux ait prise sur l'une des
deux, même partiellement, pour qu'il les gouverne et les règle l'une et l'autre. L'expé-
rience du reste le prouve. L'exercice répété d'un organe, son activité et même sa surac-
tivité, tant qu'elle reste dans certaines limites, a pour conséquence son hypertrophie,
comme cela est bien prouvé pour le cceur, et sans que nous songions dans ce cas à faire
intervenir des nerfs particuliers, autres que les nerfs moteurs: pourquoi son inactivité
n'aurait-elle pas pour conséquence un effet précisément inverse, l'atrophie"? — Le sur-
menage peut, du reste, aussi avoir cette dernière conséquence pour des raisons qui
s'expliquent suffisamment d'elles-mêmes; l'atrophie survient alors par usure immo-
dérée du tissu sans possibilité d'une compensation nutritive suffisante.
Dans, le débat sur l'influence possible du système nerveux à l'égard des phénomènes
trophiques ou atrophiques, il y a par le fait l'et c'est ce qui complique beaucoup le pro-
blème) deux questions à résoudre : 1° Cette influence est-elle directe ou indirecte"? C'est
ce que nous venons de discuter; et 2° quel est le degré de généralité de cette influence?
C'est ce qui reste à examiner. — L'action du système nerveux d'abord limitée aux seuls
muscles de la vie de relation s'est peu à peu étendue à d'autres tissus, aux vaisseaux,
aux glandes. Il n'est guère probable qu'elle doive rester localisée dans ces deux classes'
d'éléments avec leurs sous-classes, les muscles et les glandes. Les progrès de l'analomie
de structure ou de nouvelles expériences peuvent a. l'avenir nous obliger d'admettre la
participation des nerfs à la fonction d'éléments avec lesquels nous ne leur connaissons
présentement aucune relation ou anatomique ou fonctionnelle. C'est un point qu'il faut
réserver. Seulement cette influence des nerfs (dont nous connaissons théoriquement la
possibilité (sur la plupart, sinon sur tous les éléments fixes de l'organisme) devra, si
notre façon de la comprendre est juste, reconnaître toujours le même mécanisme à
mesure qu'on l'établira sur de nouveaux tissus : lautrement dit, tous les nerfs centri-
fuges sont des nerfs fonctionnels, tous ne peuvent que libérer une énergie, exciter à la
dépense, et c'est par ce seul moyen qu'ils atteignent, conservent ou modifient le proces-
sus évolutif des éléments avec lesquels ils sont en contact.
C'est dans l'état actuel de notre science la seule explication qu'on puisse donner des
trophonévroses. L'exemple le plus particulier de ce genre d'atrophie est celui qui s'ob-
serve le plus habituellement à la face i hémiatrophie faciale] et dans lequel on voit la
.peau s'amincir par places en même temps que le tissu cellulaire puis la lésion envahir
les os, les cartilages, les dents et jusqu'aux régions profondes comme la langue et le
voile du palais. Les muscles participent à l'atrophie, tant ceux de la région que les
petits muscles contenus dans l'épaisseur de la peau et, avec eux, les glandes sudoripares
et surtout sébacées dont la sécrétion diminue ou disparaît; par contre, les vaisseaux
sont respectés, et l'égalité de la température des deux cotés de la face accuse une circu-
lation normale dans la région atrophiée. — La cause de l'hémiatrophie faciale ne pouvant
donc être attribuée au tissu vasculaire (c'est du moins ce que l'on suppose générale-
ment sans qu'on puisse en donner de preuve absolue, tant s'est présentée rarement l'oc-
casion de faire un examen anatomique complet de cette affection', on est porté à lâcher-
82'2 ATROPINE.
cher dans le système nerveux, on y est conduit également par les symptômes parfois
douloureux du début de l'affection (névralgie faciale) accompagnée ou non de mouve-
ments convulsifs de la région. L'affection frapperait primitivement le nerf trijumeau
dans le champ d'innervation duquel se montrent surtout nés altérations, et aussile facial,
et un peu les nerfs voisins.
Sous le nom de sclérodermie ou trophonévrose disséminée on décrit d'autre part une
variété d'atrophie de la peau ayant de grandes analogies avec la précédente et à
laquelle conviennent les mêmes remarques, les mêmes explications et aussi les mêmes
réserves.
En résumé, comme la nutrition dont elle représente un des aspects plus ou moins
réduits, l'atrophie dépend de conditions extrêmement nombreuses. Ces conditions né
sont pas simplement à énumérer les unes à la suite des autres, mais elles sont dans un
état de dépendance réciproque ou hiérarchique ; il faut faire un classement. L'atrophie
comme la nutrition a son siège primitif dans la cellule; cette cellule à laquelle nous
donnons encore souvent le nom d'élément est déjà un organisme en petit; elle est com-
posée elle-même d'organes ou rouages intérieurs de l'arrangement et des propriétés
desquels dépend sa vitalité ou possibilité de se nourrir et de fonctionner. L'atrophie
comme la nutrition dépend donc en premier lieu de conditions intra-cellulaires encore
très mal connues dont à peine nous distinguons quelques-unes. — Mais la cellule ne
peut pas vivre seulement des échanges qui se font entre ses parties constituantes, elle
doit échanger avec le monde extérieur, avec le milieu cosmique d'où tout lui vient, où
tout est rejeté par elle après modification ou transformation chez les êtres d'organisa-
tion élevée que nous avons plus particulièrement en vue ; cet échange n'est pas direct,
mais se fait par étapes, par l'intermédiaire de milieux interposés, spécialement chargés
d'assurer ces échanges : delà tout un ordre nouveau de conditions qui se commandent
entre elles et qui gouvernent la nutrition, la maintiennent en bon état si elles sont
remplies dans leur plénitude ou la laissent en souffrance s'il n'y est satisfait que partiel-
lement; ces conditions sont de deux ordres : à savoir d'une part celles qui assurent la
provision d'aliments et qui ont pour organes les vaisseaux avec tous les appareils greffés
sur le système circulatoire, et d'autre part celles qui apportent à la cellule les excitations
sans lesquelles elle resterait inerte : or ces excitations pour la plupart (tout au moins en
ce qui concerne les tissus les plus hautement différenciés) lui parviennent par la voie des
nerfs.
Chacun de ces deux groupes est susceptible de nombreuses subdivisions, ce qui
contribue à multiplier les variétés du processus atrophique.
Il convient néanmoins de faire remarquer en finissant que toutes ces conditions d'or-
ganisation ou de milieu ne sont envisagées ici qu'au point de vue du mécanisme pro-
prement dit de la nutrition, autrement dit des transformations de la matière et de
l'énergie par lesquelles elle s'entretient.
Une autre condition est nécessaire, sans laquelle toutes les précédentes seraient sans
effet, condition première de toute vie, de toute évolution, de toute nutrition normale ou
troublée, l'irritabilité de la cellule; il suffit de la signaler seulement ici, car elle sera
étudiée ailleurs dans sa généralité.
Nous renvoyons, pour la bibliographie, à l'article Amyotrophie, et aux ouvrages de
Samuel, ViBCHOvi^, Vulpian, S. Mayer, Hayem, sur les nerfs trophiques.
J. P. MORAT.
ATROPINE. — C'H^'AzO' ou C>H'. C^H'-O. CO. CH / ^^^'n^^ \ Az- CH'.
C'est une composition éthérée de la tropine (basique) avec l'acide tropique.
La tropine est peu active au point de vue physiologique. Combinée aux acides, elle
forme des sels ayant ces propriétés plus accusées. Les sels des acides aromatiques sont
les tropéines (Ladenburg); l'atropine est de ce nombre.
L'atropine est donc un tropate de tropine. Elle se trouve dans les différents organes,
notamment dans les racines, les tiges, les feuilles, ainsi que dans les baies (mûres) de la
ATROPINE. 823
belladone (Atropa Bellaclona,' L.), plante de la famille des Solanées. Dans ces diverse
parties, elle est mélangée avec son isomère, l'hyoscyaniine, également un tropate de
tropine, et qui présente à peu près les mêmes propriétés chimiques que l'atropine.
L'hyoscyamine tourne à gauclie le plan de polarisation; l'atropine n'agit pas sur le plan
de polarisation. Les propriétés physiologiques des deux isomères diffèrent un peu.
L'atropine existe également, accompagnée de l'hyoscyamine, dans les graines de stra-
nioine {Oatura Stramonium). La prétendue daturine, le principe actif de la stramoine ne
serait, d'après Ladenburg et E. Schmit, qu'un mélange d'atropine et d'hyoscyamine (ou
seulement de l'atropine d'après Schmiedeberg).
D'après les mêmes auteurs, la duboisine (extraite de ]eL Buboisia myaporoides) n'est
pas non plus un individu chimique spécial, mais tantôt de l'hyoscyamine, tantôt une
autre tropéine, ou un mélange de plusieurs.
Une tropéine souvent employée en oculistique est Vhomatropine, l'oxytoluylate de
tropine (Ladexburg).
Préparation. — Le physiologiste ne se donnera pas la peine de préparer l'atropine.
Aussi renvo3'ons-nous aux Traités de chimie et de pharmacie et au Bict. de chimie de
WuRTz (et à ses deux suppléments). La préparation est basée sur les propriétés chi-
miques générales des alcaloïdes et sur la solubilité de l'atropine dans l'alcool et le chlo-
roforme.
Propriétés. — Aiguilles cristallines soyeuses de forme prismatique; incolores et
inodores, à saveur acre et amère, fondant à 1 13°, se volatilisant à 140° en se décomposant
en partie, bleuissant fortement le tournesol rouge, solubles dans 600 parties d'eau froide,
un peu plus solubles dans l'eau bouillante, assez solubles dans l'alcool éthylique froid
(solubles dans 2 1/2 parties d'alcool froid), dans l'alcool amylique, dans le chloroforme,
solubles dans oO parties d'éther froid ou de benzine, dans f! parties d'éther bouillant, à
peine solubles dans l'essence de pétrole.
L'atropine présente les propriétés et les réactions générales des alcaloïdes. Une
solution au dix millième est encore précipitée par l'acide phosphomolybdique et l'iodure
de potassium iodurè. Ce dernier réactif produit un précipité brun rougeâtre dans les
solutions des sels d'atropine, précipité qui se transforme ultéi'ieurement en lamelles
d'un bleu verdàtre, à éclat métallique.
Lorsqu'on arrose un peu d'atropine (ou un de ses sels) avec de l'acide nitrique
fumant, que l'on évapore à sec au bain de vapeur, et que l'on ajoute au résidu refroidi
une goutte d'une solution de potasse dans l'alcool absolu, il se produit immédiatement
une coloration violette qui passe bientôt au rouge. La coloration violette est seule
caractéristique, car la strychnine donne également une belle coloration rouge. Dans
les mêmes conditions, la brucine se colore en verdàtre. Cette réaction de Vitali est à
même de déceler un centième de milligramme d'atropine (Dragendohf).
Si l'on verse une solution aqueuse de sublimé corrosif dans une solution alcoolique
d'atropine, il se forme un précipité jaune qui passe au rouge par l'ébullition.
L'atropine colore en rose la phtaléine du phénol.
L'acide sulfurique concentré dissout l'atropine sans la colorer; si l'on chauffe la
solution jusqu'à ce qu'elle commence à brunir, qu'on ajoute ensuite un égal volume
d'eau, il se produit un boursouflement de la liqueur, et, en même temps, il se dégage
une odeur d'éther salicylique; lorsqu'on ajoute à la liqueur un peu de permanganate
de potassium, il se dégage une odeur d'amandes amères. L'acide nitrique concentré
dissout l'atropine sans se colorer, et, lorsqu'on ajoute de l'eau, il se précipite de l'apoa-
tropine; C'Ml^'AzO-.
Lorsqu'on fait bouillir une solution d'atropine avec une solution d'hydrate barytique,
elle se dédouble en tropine et acide atropique.
C^B^AzO-i = C8Hi:iAzO + C0HSO2.
Atropine. Tropine. Acide atropique.
L'acide chlorliydrique fumant dédouble l'atropine en tropine et acide tropique.
CnHS-'iAzOs + H2 0 = CSHi'AzO + C9Hi«0^. ,
Atropine- Tropine. Acide tropique.
8U ATROPINE.
La tropine et l'acide tropique additionnés d'acide clilortiydrique et chauffés au bain-
marie peuvent régénérer l'atropine (synthèse partielle de l'atropine réalisée par
Ladenburg).
L'atropine forme des sels. Elle est généralement employée sous forme de sulfate.
Le sulfate d'atropine (C''H--'AzO')"-H-SO'* forme des aiguilles cristallines blanches,
solubles dans 1 partie d'eau ou d'alcool absolu et dans 3 parties d'alcool à 90° en don-
nant une solution neutre, d'une saveur amère et acre; presque insoluble dans l'éther,
le chloroforme et la benzine. Il fond à 187°.
Le sulfate d'atropine pur doit se volatiliser sans laisser de résidu; sa solution au
centième ne doit pas précipiter par addition d'ammoniaque qui indiquerait la présence
d'alcaloïdes étrangers. Il doit se dissoudre dans l'acide sulfurique en donnant un liquide
incolore, même après addition de quelques gouttes d'acide nitrique. Il dégage une
odeur agréable, lorsqu'on le traite par l'acide sulfurique et un peu d'eau. L'addition d'un
petit fragment de permanganate de potassium dégage alors l'odeur d'amandes amères.
Le valérianale et le salicylate d'atropine sont moins employés.
L'atropine n'imprime pas de rotation au plan de la lumière polarisée. L'hyoscyamine
le tourne à gauche.
Absorption. — C'est ordinairement du sulfate, très soluble dans l'eau, qu'on se
sert. Ce sel est résorbé en somme par toutes les voies, par toutes les muqueuses, par la
peau dénudée, par les plaies, par les séreuses, ou bien il est injecté dans les tissus
(voie hypodermique). On l'administre par ces différentes voies. L'excrétion s'en fait assez
rapidement par les urines. On l'y retrouve toutefois encore après trente-six heures.
Doses. — Les différents animaux révèlent une sensibilité très différente à l'action
de l'atropine. L'homme y est très sensible, le singe, le chat et le chien le sont déjà
moins; le lapin, le cobaye, le rat, la chèvre, le pigeon sont encore moins sensibles. Les
poissons ne réagissent guère. Le porc mange impunément la racine de belladone. Les
lapins, chèvres, moutons en broutent impunément l'herbe. Les limaces peuvent être
nourries sans inconvénient pendant des semaines de feuilles de belladone, alors que
deux ou trois feuilles peuvent être mortelles pour l'homme.
Chez l'homme on produit un effet sensible par des doses de 0,000.ï à 0,001 gramme
de sulfate pris par la bouche et surtout en injection hypodermique. Les doses de 0,005
à 0,008 gramme produisent des symptômes très prononcés, et il s'y joint des phéno- .
mènes cérébraux, plus difficiles à produire que les effets périphériques. 0,01 gramme
produit des phénomènes très graves pouvant se terminer par la mort. Le pigeon, le
rat, le cobaye, le lapin peuvent supporter jusqu'à 1 gramme de sulfate.
Chez le chat et le chien (de 4, S kilogrammes) 0,002 à 0,003 gramme en injection
sous-cutanée ou intra-veineuse produisent des effets sensibles. On a vu des chiens sur-
vivre à un demi-gramme et même plus, c'est-à-dire à des doses absolument mortelles
pour l'homme. Une, deux ou trois gouttes d'une solution de '6 p. 100 de sulfate d'atro-
pine, injectées dans le sac lymphatique de la grenouille, suffisent pour faire apparaître
les effets de l'atropine.
Il paraîtrait que pour l'atropine aussi il se produirait à la longue une certaine
accoutumance, c'est-à-dire que pour obtenir les mêmes effets il faudrait, après un
usage prolongé, des doses plus élevées. Si cette accoutumance existe, elle n'est certai-
nement pas aussi forte que pour d'autres narcotiques (morphine, nicotine, etc.).
L'atropine est rangée dans la classe des narcotiques. La désignation de (c narcotique »
serait cependant foncièrement erronée si elle devait tendre à identifier plus ou moins
son action avec celle de la morphine. A certains égards, l'action de l'atropine est anta-
goniste de celle de la morphine, surtout en tant qu'elle agit sur le système nerveux
central.
L'atropine agit puissamment et d'une manière élective sur diverses parties du sys-
tème nerveux. Elle sert donc dans bien des circonstances à dissocier physiologiquement
certaines fonctions nerveuses. Les éléments nerveux particulièrement influencés sont
les uns péripliéi'iques, les autres centraux. Les premiers, les périphériques, sont les
extrémités de certains nerfs centrifuges, les uns franchement moteurs, ceux qui inner-
vent des fibres musculaires lisses dans les organes les plus divers; les autres sont sécré-
teurs. D'autres enfin exercent des actions d'arrêt, d'inhibition périphérique.
ATROPINE. 825
Pour ce qui est des actions exercées sur les centres nerveux, elles aboutissent éga-
lement à la paralysie. Mais cette action paralysante est précédée d'un stade caractérisé
par des symptômes dits d'excitation violente, absolument caractéristiques. Il y a lieu de
se demander si les symptômes d'excitation cérébrale notamment ne s'expliqueront pas
plus tard également par la suppression primordiale de certaines fonctions (d'inhibition),
tout comme pour certains efl'ets périphériques, où la suppression d'une inhibition nor-
male produit une suractivité (du cœur par exemple).
Action sur l'œil. — Elle est sensible chez l'homme pour les doses dites faibles,
prises à l'intérieur. Elle est très marquée à la suite de l'instillation d'une goutte d'une
solution aqueuse de sulfate (à l p. 100) dans le sac conjonctival. Dans ce cas, l'action
est purement locale; elle est l'effet de la diffusion de l'alcaloïde à travers la cornée et
l'humeur aqueuse jusqu'aux organes intra-ooulaires. L'iris est donc atteint en premier
lieu, puis seulement le muscle ciliaire, en raison de sa situation plus profonde. Chez
les animaux moins sensibles à l'ingestion de l'atropine, les effets oculaires locaux sont
aussi moins prononcés'; énergique chez l'homme, le chien et le chat, relativement forte
chez la grenouille, cette action est très faible (et même niée) chez les oiseaux (dont les
muscles intra-oculaires sont striés); elle est nulle ou k peu près chez les poissons.
Enfin, cette action est très marquée déjà chez le fœtus humain de huit mois.
Toutes choses égales d'ailleurs, l'atropine agit plus énergiquement sur des yeux
jeunes, et ceux à cornée plus mince.
Cinq à dix minutes après l'instillation, la pupille se dilate progressivement; la
dilatation (= mydriase, d'oti le nom de mydriatiques donné aux principes qui, comme
l'atropine, dilatent la pupille) augmente peu à peu, et, surtout si on répète l'instillation,
la mydriase devient maximale. C'est à peine si on voit encore un petit bord de l'iris
derrière le limbe conjonctival opaque. La pupille reste dans cet état pendant deux,
trois, cinq jours; cela dépend de la quantité d'atropine pénétrée dans l'œil; puis elle
revient peu à peu à ses dimensions normales. Si la dilatation est complète, ou même
seulement un peu prononcée, le réflexe pupillaire sous l'intluence de la lumière ne se
produit plus. En temps normal, l'éclairement d'une rétine fait contracter les deux
pupilles.
La pupille de l'œil atropinisé ne se resserre pas non plus lors de la convergence
(ou des efforts accommodateurs), dans la vision de près. La dilatation de la pupille
produit un éblouissement pénible dû à la grande quantité de lumière qui pénètre dans
l'œil. Les objets paraissent plus clairs.
L'atropine paralyse aussi le muscle ciliaire et abolit l'accommodation. Pour être
complète, cette paralysie demande des instillations répétées.
Le punctum 'proximum recule de plus en plus, et finalement l'œil reste adapté pour
son punctum remotum. Un emmétrope atropinisé ne peut donc voir nettement qu'à
distance, et encore la vision à distance est sensiblement réduite, attendu que la dila-
tation de la pupille laisse passer des rayons lumineux à travers la périphérie du sys-
tème dioptrique, périphérie qui réfracte la lumière moins régulièrement que le centre,
et dont le pouvoir réfringent diffère sensiblement de celui du centre. Un œil hypermé-
trope atropinisé voit notablement plus mal à distance aussi; car, sans accommodation,
les objets éloignés eux-mêmes forment une image ditîuse sur la rétine. Le myope se
plaint moins de la mauvaise vision; son punctum remotum étant plus rapproché de
l'œil; l'atropinisation ne l'empêche pas même de lire, si sa myopie est un peu forte.
Un œil atropinisé voit les objets notablement plus petits. Cette micropsie est due à
la parésie et à la paralysie de l'accommodation. LeS' objets sont vus diffusément,
malgré le maximum de l'accommodation. On les suppose donc plus près qu'ils ne sont
en réalité; et comme néanmoins l'image rétinienne (ou l'angle visuel) est relativement
petit (pour la distance supposée) on conclut que les objets sont plus petits.
On obtient un effet sensible sur la pupille par l'instillation d'une goutte de solution
encore plus diluée. Les effets sont seulement plus lents à se produire ; ils sont moins
intenses et disparaissent plus vite. Donders a même pu dilater un peu la pupille en
instillant dans un œil de l'humeur aqueuse extraite, au moyen d'une ponction cor-
néenne, d'un œil préalablement atropinisé.
Il suffit donc, pour produire l'etîet pupillaire, d'instiller chez l'homme des quantités
826 ATROPINE.
extrêmement faibles d'atropine. La quantité qui, après pénétration dans la chambre
antérieure ou injectée dans l'humeur aqueuse, se révèle par cette action a été évaluée
à un 200 millième de milligTamme, et même moins! C'est de là que cette réaction pupil-
laire est devenue un des moyens principaux pour déceler l'atropine en médecine légale.
Chez la grenouille et chez les mammifères, l'atropine dilate encore la pupille si on
l'applique sur l'œil extrait du corps. 11 semble donc que la dilatation de la pupille et la
paralysie du muscle ciliaire résultant de l'ingestion de l'atropine sont elles aussi une
action locale, exercée par l'atropine que le sang amène dans l'œil.
Selon toutes les apparences, l'atropine dilate la pupille en paralysant les extrémités
périphériques des fibres nerveuses motrices du sphincter de la pupille, fibres provenant
du nerf oculomoteur commun. Si l'atropinisation n'est pas trop forte, un courant
induit passant à travers le segment antérieur de l'œil resserre encore la pupille dilatée
par l'atropine (chez le chien par exemple), alors que l'excitation directe du nerf oculo-
moteur commun n'a plus cet effet. Si l'atropinisation est très forte, la faradisation de
l'œil n'influe plus sur la pupille : les fibres lisses du sphincter finissent par être elles-
mêmes paralysées.
On a soutenu que l'atropine, outre qu'elle paralyse les fibres nerveuses motrices du
sphincter, excite le muscle dilatateur de la pupille, ou au moins les terminaisons péri-
phériques de ses fibres nerveuses motrices (provenant du grand sympathique cervical).
En effet, après section du nerf oculo-moteur commun, la dilatation de la pupille aug-
mente encore sous l'influence de l'atropine.
Mais l'existence de fibres musculaires dilatant la pupille étant très problématique,
on suppose que la section du nerf oculo-moLeur laisse persister un tonus du muscle
sphincter, qui serait aboli par l'action de l'atropine. On a notamment soutenu que
l'atropine exerce son action sur des cellules nerveuses intercalées sur la périphérie des
fibres motrices du sphincter de la pupille. L'existence môme de ces cellules est au
moins problématique.
Enfin, l'excitation du grand sympathique au cou dilate encore un peu la pupille
préalablement dilatée par l'atropine. Cela paraît tenir à une constriction maximale des
vaisseaux iridiens.
Pour ce qui regarde l'action sur le muscle ciliaire, on suppose également que l'atro-
pine paralyse les extrémités périphériques des fibres motrices (du nerf oculo-moteur
commun).
Somme toute, il s'agirait là d'une action analogue à celle exercée par le curare sur
les extrémités périphériques des neifs innervant les muscles striés ordinaires.
L'atropine est un médicament très employé dans les maladies de l'iris et de la
cornée. Dans ces cas, il faut des quantités beaucoup plus grandes, des instillations répé-
tées pour obtenir un effet pupillaire. La dilatation de la pupille éloigne l'iris du contact
avec le cristallin, et empêche ainsi la formation d'adhérences pathologiques entre les
deux organes; elle peut aussi rompi'e celles qui existent. En second lieu, l'iris retiré
vers son insertion ciliaire occupe un moindre volume; ses vaisseaux sont comprimés :
l'atropine décongestionne l'iris. Enfin l'atropinisation calme les douleurs dans les mala-
dies de l'iris et dans certaines maladies cornéennes. On admet donc souvent que l'atro-
pine anesthésie les fibres nerveuses sensibles de ces organes. Toutefois, cet effet ne s'ob-
tient que dans les cas oii l'atropine parvient à dilater la pupille, qui est resserrée dans
ces maladies. Il est donc possible que les douleurs se calment parce que l'atropine fait
cesser un tiraillement produit par l'extension de la membrane indienne.
L'atropine augmente la tension intra-oculaire dans certains cas pathologiques (glau-
come). On a soutenu que le même effet s'obtient sur l'œil normal, mais la chose est
plus que douteuse. Dans ces cas pathologiques, la paralysie des muscles intra-oculaires
met à l'élimination de l'humeur aqueuse des obstacles mécaniques imparfaitement con-
nus encore. L'humeur aqueuse est surtout éliminée dans l'extrême angle cornéo-iri-
dien, et cet angle est plus ou moins obstrué par l'iris rétracté périphériquement et
épaissi.
Action sur le cœur. — Schiff trouva, et il a été confirmé en cela par tous les expé-
rimentateurs, que l'empoisonnement par l'atropine supprime les actions cardio-inhibi-
trices exercées par le nerf pneumogastrique. Au moyen des circulations artificielles, chez
ATROPINE. 827
la grenouille notamment, on a démontré que, dans ce cas aussi, le point d'attaque de
l'atropine est périphérique, dans la paroi du cœur.
Chez les animaux (homme, chien, moins chez le chat) où la section d'un ou des deux
nerfs vagues accélère les mouvements cardiaques, où par conséquent on doit admettre
que les nerfs vagues exercent toujours un tonus d'arrêt, d'inhibition sur le cœur, l'injec-
tion de l'atropine accélère notablement les mouvements cardiaques (jusqu'au double),' et
la pression sanguine générale augmente (Schmiedeberg). Chez le lapin et surtout chez la
grenouille, l'atropine n'accélère guère ou pas du tout (grenouille) le cœur; mais aussi
chez eux la section des nerfs vagues n'a pas non plus cette action. Chez tous ces ani-
maux, l'atropine supprime l'action d'arrêt (ralentissement ou arrêt diastolique) exercée
sur le cœur par une excitation du nerf vague ou des sinus cardiaques. L'atropine fait
reparaître aussi les systoles d'un cœur de grenouille arrêté en diastole par des doses
très petites de muscarine. Pour le reste, le cœ,ur se comporte normalement, au moins
si l'empoisonnement n'est pas excessif. Pour des doses mortelles, la contractilité du
muscle cardiaque lui-même est plus ou moins atteinte.
Les nerfs accélérateurs du cœur atropinisé agissent encore parfaitement.
Portée sur le cœur, l'atropine paralyse donc le nerf vague en tant que nerf modéra-
teur du coîur. Les propriétés du muscle cardiaque (les résultats contractiles de son exci-
tation) n'étant pas modifiées dans un empoisonnement modéré par l'atropine, il faut
admettre que l'atropine paralyse les extrémités intra-cardiaques des fibres d'arrêt du
nerf vague (Schmiedeberg). Souvent on veut préciser davantage, et on admet que l'atropine
porte son action sur les ganglions intra-cardiaques moteurs, auxquels aboutiraient les
fibres du nerf vague. Bien qu'il y ait de nombreuses cellules ganglionnaires intercalées
sur le trajet intra-cardiaque du nerf vague, c'est cependant une hypothèse seulement
que de limiter à ces cellules l'action de l'atropine.
Enfin il ne manque pas d'auteurs qui essayent d'interpréter les effets cardiaques de
l'atropine par une action directe sur les fibres musculaires (Luchsinger et ses élèves,
Khf.hl et Romberg). L'action cardiaque a donc donné lieu aux mêmes discussions que
l'action oculo-pupillaire, à savoir si l'alcaloïde agit plutôt sur les terminaisons nerveuses
périphériques que sur les éléments contractiles.
La même question se présente du reste partout ori l'atropine exerce une action sur
des éléments contractiles.
Dans les vaisseaux sanguins, les doses fortes d'atropine diminuent et suppriment tout
à fait l'effet vaso-constricteur de l'excitation des nerfs vaso-moteurs. De plus, le tonus
normal des petites artères diminue et disparaît; la pression sanguine, préalablement aug-
mentée par l'effet cardiaque, baisse fortement.
Dans le tube digestif, l'action de l'atropine est très marquée. Les mouvements péristal-
tiques normaux, ceux qu'on suppose excités par les ganglions moteurs situés dans
l'épaisseur des parois intestinales, se ralentissent et disparaissent, quelquefois après une
augmentation initiale. Par contre, les contractions qui paraissent dues à l'irritation di-
recte des fibres musculaires, persistent, et peuvent même devenir tétaniques. L'excitation
directe de l'intestin les provoque encore (Schmiedeberg). La muscarine, la pilocarpine et
la nicotine restent sans effet (constricteur) sur un intestin atropinisé, tandis que l'ésé-
rine, qui semble exciter plus directement la musculature, y fait naître une péristaltique
intense. — L'atropine semble donc porter son action surtout sur certains éléments
nerveux moteurs situés dans la paroi intestinale, probablement sur les cellules ganglion-
naires. Pourtant, des doses excessives du poison suppriment également la contractibilité
directe des fibres contractiles de l'intestin.
On tend à admettre que l'innervation motrice de l'intestin est double. Le nerf vague
est moteur pour les fibres circulaires, et inhibiteur pour les libres longitudinales. Le nerf
moteur pour les fibres longitudinales (grand sympathique, nerf splanchnique) est nerf
d'arrêt pour les fibres circulaires (Ehrm.^nn, 1885). II y aurait lieu d'examiner, si à ce
point de vue l'action exercée par l'atropine sur l'intestin n'est pas comparable à son
effet cardiaque.
On a étudié également l'action de l'atropine sur les autres organes à fibres muscu-
laires lisses, notamment sur l'estomac, la rate, la vessie et l'utérus. L'effet paralysant
n'y est bien sensible que si ces organes sont le siège de contractions physiologiques ou
828 ATROPINE.
provoquées par la muscarine et la pilocarpine. L'atropine alors fait cesser ces contrac-
tions. La muscarine et la pilocarpine ne provoquent plus de contractions dans ces
organes atropinisés, tandis que l'ésérine a encore parfaitement cet effet (Schikedeberg).
En thérapeutique, l'atropine est utilisée pour faire cesser certaines constipations qui
semblent être plutôt de nature .spasniodique (colique de plomb).
Un effet anesthésique sur la périphérie des nerfs sensibles a été admis par beaucoup
d'auteurs, surtout en pathologie. Elle parait du reste ressortir d'expériences faites par
FiLEHNE. Cette action est certainement moins apparente que les précédentes. Toutefois,
la cessation de certaines douleurs oculaires sous l'influence de l'atropine s'explique par
le relâchement mécanique de l'iris (voir plus haut). De même la cessation des coliques
de plomb s'explique par la suppressiou des crampes intestinales. Une anesthésie des
fibres nerveuses sensibles du poumon a été admise par von Bezold, pour expliquer cer-
taines modifications de la respiration.
La respiration est d'abord un peu ralentie, puis précipitée et rendue plus excursive,
saccadée. Le ralentissement initial ne se produit plus, si au lieu d'injecter l'atropine sous
la peau ou dans une veine, on la pousse dans une artère carotide. Von Bezold suppose
que le poison anesthésie d'abord l'extrémité périphérique des fibres sensibles que le
nerf vague amène au poumon. Puis l'alcaloïde, arrivant au cerveau, y produit une exci-
tation générale, notamment celle des centres respiratoires.
Dans les empoisonnements graves, la respiration devient extrêmement rapide. La^
précipitation de la respiration et l'augmentation de la profondeur des mouvements
respiratoires est très prononcée si la respiration a été préalablement ralentie par l'in-
gestion de la morphine (Heubach, Vollmer).
Action sur les glandes. — Une des actions les plus curieuses de l'atropine est
celle qu'elle exerce sur la plupart des glandes. Par une action exercée directement sur
les glandes, elle en supprime totalement l'activité sécrétoire. Chez l'animal atropinisé,
les glandes salivaires cessent de sécréter dans les conditions oîi elles le font habituel-
lement. Le plus souvent on a expérimenté sur la glande sous-maxillaire du chien. L'effet
est le même, que l'on incorpore le poison dans la circulation générale, ou qu'on l'injecte
dans la seule artère de la glande, en prenant soin de l'y localiser (Heidenhain). L'action
s'exerce donc sur la glande elle-même. Ce qui est supprimé, c'est l'elfet sécrétoire de
l'excitation de la corde du tympan. L'elfet vaso-dilatateur de cette excitation continue
à se produire. Ce qui n'est pas non plus supprimé, c'estl'effetnutritif que (suivant Heiden-
hain) l'excitation du grand sympathique exerce sur les protoplasmes glandulaires. La
sécrétion sudorale cesse chez l'homme, la peau est sèche; l'excitation du nerf
sciatique, pratiquée sur de jeunes chats, ne fait plus apparaître la sueur aux pattes
(Luchsinger).
La sécrétion du lait peut être supprimée chez l'homme; chez la chèvre, la quantité
du lait diminue, et sa concentration augmente. La sécrétion de mucus diminue dans la
bouche et dans les bronches notamment, ce qui, joint à la suppression de la salive, produit
la sécheresse à la gorge. La quantité de bile diminue (Prévost); et la sécrétion du pan-
créas, préalablement augmentée par la muscarine, diminue et s'arrête (Pri5vost). Enfin,
l'hypersécrétion de toutes ces glandes produite par )a muscarine et surtout par la
pilocarpine est supprimée par l'atropine. L'administration préalable de petites doses
d'atropine laisse la muscarine et la pilocarpine sans influence sur l'activité sécrétoire des
glandes.
L'atropine supprime donc l'effet sécrétoire exercé par une excitation des nerfs sécré-
teurs les mieux caractérisés. Encore une fois, la discussion est ouverte sur le point de
savoir si l'atropine paralyse les extrémités périphériques des nerfs sécréteurs (Heidenhain,
Keuchel), ou bien si elle exerce cet elfet paralysant sur les éléments sécréteurs eux-
mêmes. La première hypothèse compte le plus d'adhérents. Des agents, tels que l'es-
sence de moutarde, qui, en application locale, provoquent la sécrétion de la peau de la
grenouille, selon toutes les apparences en agissant directement sur les protoplasmes
sécréteurs montrent encore cet effet aux endroits où la sécrétion a été préalablement
supprimée par l'atropine (Schûtz).
En ce qui regarde la glande sous-maxillaire (du chien), Heidenhain fait observer
qu'après atropinisation l'excitation du grand sympathique (au cou) produit encore sur
ATROPINE. 829
les protoplasmes glandulaires son effet nutritif spécial. Ce sont donc les extrémités
périphériques (des fibres sécrétoires) de la corde du tympan qui sont paralysés.
L'action sur les glandes est souvent utilisée en pathologie, par exemple, pour modé-
rer une hypersécrétion de salive, ou les sueurs profuses des phtisiques.
Chez l'homme, l'intoxication par l'atropine est quelquefois accompagnée d'une rou-
geur prononcée du tégument externe, surtout au cou et à la face, rougeur qui peut aller
jusqu'à l'éruption de petits boutons. En guise d'explication, on invoque l'augmentation
de la pression sanguine générale.
Action sur le système nerveux central. — L'atropine augmente d'abord l'exci-
tabilité du système nerveux central, et même provoque des excitations, en apparence
sans l'intervention d'excitants extérieurs. Cette augmentation de l'excitabilité ressort
surtout de l'observation des cas d'intoxication chez l'homme; en partie elle a pu être
établie par des expériences directes. A l'excitation initiale succède dans les cas extrêmes
une paralysie complète. L'alcaloïde produisant de préférence et d'emblée des symptômes
paralytiques, même sur certaines parties du système nerveux central, on peut se
demander si certains symptômes de l'atropinisation, interprétés dans le sens de l'exci-
tation de certaines parties du système nerveux central ne résultent pas plutôt de la
paralysie primitive d'autres portions des centres, qui normalement exercent une inhi
bition sur les premières.
D'autre part, il ne manque pas d'auteurs prétendant que, partout, le premier effet de
l'atropine est une excitation, plus ou moins passagère, et suivie bientôt d'une paralysie
durable (Alms).
Parmi les symptômes centraux provoqués par l'atropine, nous avons en premier
lieu des phénomènes d'excitation cérébrale, surtout de l'écorce cérébrale. D'abord des
vertiges, excitation psychique; il y a absence de sommeil, agitation, mouvements cho-
réiformes, besoin de se déplacer. A cela peut venir s'ajouter du délire véritable, rare-
ment tranquille, ordinairement furieux avec accès maniaques, quelquefois dès le début
avec propension au rire.
Souvent il y a des hallucinations visuelles; rarement excitation sexuelle.
Avec tout cela on a constaté de l'analgésie, et de l'anesthésie plus ou moins géné-
rale.
Par moments, ces phénomènes sont remplacés par un état comateux passager. Il peut
y avoir guérison malgré ces symptômes alarmants.
La mort arrive enfm avec un cortège de symptômes de paralysie cérébrale.
De l'action de l'atropine sur les fonctions psychiques, il faut rapprocher une augmen-
tation générale du pouvoir réflexe, sensible surtout au début de l'intoxication. Cet effet
est très marqué si préalablemeut le pouvoir réflexe a été diminué ou même aboli par
la morphine, à telles enseignes que l'atropine est recommandée comme antidote dans
l'intoxication par la morphine. — Cela est vrai surtout chez les mammifères. Chez la
grenouille, on signale que l'atropine supprime très tôt le pouvoir réflexe de la moelle
épinière.
Le centre vaso-moteur de la moelle allongée semble être paralysé dans là forte into.xi-
cation.
Des intoxications faibles s'observent assez fréquemment à la suite de l'administration
médicamenteuse de l'atropine ou de préparations pharmaceutiques de la belladone. Les
simples instillations dans l'œil (absorption par la muqueuse de l'œil, du nez, de la
gorge) produisent souvent de la sécheresse à la gorge, de la difficulté d'avaler, déglu-
tition douloureuse, vertiges. Les mêmes symptômes peuvent résulter de quelques
doses de 0,01 gramme administrées à l'intérieur. Aux symptômes signalés s'ajoutent,
dans des cas plus prononcés, la sécheresse de la peau, la congestion de la peau du
visage, de la céphalalgie. Puis surviennent les. symptômes cérébraux, qui deviennent pré-
dominants.
Un chapitre remarquable dans l'histoire de l'atropine est celui de son antagonisme
physiologique. Telle de ses actions est mitigée ou même annulée par celle d'un autre
alcaloïde, et vice versa. On s'est même servi beaucoup de ces actions antagonistes pour
localiser l'action de l'atropine dans telles ou telles parties de nos organes. Le raison-
nement est ordinairement le suivant. Un antagoniste de l'atropine semble exei'cer son
830 ATROPINE.
action sur un élément anatomique bien délimité, donc l'atropine agit sur le même élé-
ment. Ou bien, l'atropine augmente encore l'effet d'un autre alcaloïde, qui de son côté
produit un effet analogue à celui de l'atropine : il faut donc que les deux agissent sur
des éléments distincts. Dans beaucoup de ces cas, la conclusion repose sur une espèce
de pétition de principe, attendu que le point d'attaque physiologique de l'antagoniste de
l'atropine est plus ou moins sujet à discussion.
Aucun de ces corps n'est, d'ailleurs, antagoniste pour toutes les actions de l'atropine.
Ils le sont pour les unes et pas pour les autres. — La morphine l'est pour la plupart
des actions exercées par l'atropine sur le système nerveux central. — L'atropine aug-
mente encore la dilatation pupillaire obtenue par la cocaïne, comme celle-ci paraît
renforcer la mydriase atropinique : les deux auraient donc des points d'attaque diffé-
rents (la cocaïne excite le dilatateur pupillaire?). — L'ésérine (physosligmine) paraît
être antagoniste de l'atropine pour son action pupillaire. Or, tandis que la muscarine,
la pilocarpine et la nicotine (excitateurs des mouvements péristaltiques de l'intestin)
resterd; sans action sur un intestin atropinisé, l'ésérine y provoque des mouvements.
L'ésérine semble donc agir directement sur les fibres musculaires lisses (Schmiedeberg) et
non sur les extrémités périphériques de leurs fibres motrices. Harnack et Schmiedeberg
prétendent que l'ésérine agit sur le muscle sphincter de la pupille, et l'atropine sur le
nerf moteur, en se basant sur ce que l'ésérine resserre encore la pupille dans un
œil atropinisé. Le fait est que l'ésérine ne produit cet effet que si l'atropinisation
n'est pas trop forte. Si celle-ci est très prononcée, l'éséritie reste sans effet sur la pupille.
La question des doses employées ne semble pas toujours avoir été suffisamment
envisagée dans les discussions de ce genre. La muscarine et la pilocarpine paraissent
exciter les éléments périphériques (cœur, intestin, glandes) que l'atropine paralyse.
(Schmiedeberg). Mais d'un autre côté, l'an et cardiaque produit par la muscarine peut
être plus ou moins empêché par des poisons (ésérine, digitaline, camphre) etc., qui
excitent plutôt directement la musculature du cœur. Il faudrait donc conclure que, dans
le cœur, la muscarine agit plutôt (en les paralysant) sur les fibres musculaires, et non
sur l'extrémilé du nerf vague. Dans les glandes, la pilocarpine et la muscarine (efi'et
sécréteur) paraissent agir sur les extrémités périphériques des nerfs sécréteurs, tout
comme l'atropine, mais en sens opposé. L'atropine supprime leur effet sécréteur. De
même l'ésérine supprime l'effet de l'atropine (HeidEiNHain contre Rossbach), pourvu qu'on
l'administre localement (par injection dans une artère glandulaire) en quantité suffi-
sante. Encore une fois, cela dépend donc des doses. Certains agents, tels que l'essence
de moutarde, provoquent la sécrétion dans la peau de grenouille, probablement par
une action exercée directement sur les protoplasmes glandulaires; or ils la provoquent
encore sur un endroit de la peau préalablement atropinisé. On en a inféré que l'atropine
n'agit pas directement sur les protoplasmes glandulaires.
Somme toute, quelque intéressante que soit l'étude des antagonistes physiologiques
de l'atropine, elle ne permet guère de décider en dernier ressort la question du point
anatomique sur lequel l'atropine exerce exclusivement ou de préférence son action para-
lysante.
Bibliographie. — Pour la bibliographie chimique, nous renvoyons à l'article Atropine
dans le Dictionnaire de Wurtz, y compris le premier et le deuxième suppléments. Les
plus grands progrès récents ont été réalisés parLADENBURG et ses élèves.
Ladendurg {Ann. der Chemie, t. ccvi, p. 299; Chein. Berichte, t. xiii, p. 2o7 ; t. xiv,
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les maladies cardio-vasculaires (A. B. L, 1891, t. xiv, pp. 197-198). — L. Sabbatani
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B. J. Stokvis. Atropinvergiftung (A. V., 1870, t. xlix, pp. 450-453). — Suhminsky. Wir-
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l. XXXVI, pp. 205-238). ^ I. Wharton Jones. Circulation in the extrême vessds in atropine
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pia, influence on pigeons {Am. J. of med. science, 1871, t. lxi, pp. 335-345; 1873, t. lxv,
pp. 332-342).
NUEL.
ATTENTION. — I. Définition de l'attention. — Quand notre intelligence
est employée à l'étude d'un objet particulier, quand elle est dirigée vers cet objet à
l'exclusion des autres, nous constatons dans notre esprit un phénomène particulier que
l'on désigne sous le nom d'attention [ad, tendere).
Cette direction particulière de l'esprit dans un sens déterminé est certainement un
des phénomènes psychologiques et physiologiques les plus importants pour comprendre
le mécanisme de l'intelligence humaine. Depuis longtemps les philosophes ont indiqué
832 ATTENTION.
quel rôle essentiel joue l'attention dans le travail intellectuel. Helvétius (De l'esprit,
ch. m et iv) remarquait que tous les hommes n'ont pas les passions assez fortes pour
exercer et diriger l'attention malgré la fatigue, et Dugald-Stewart (Philosophie de fes-
prif /(Mmain, t. II, p. 54) ajoutait que «cette puissance de certains individus pour agir par
la volonté sur la suite de leurs pensées est une des causes les plus frappantes de la
capacité intellectuelle». L'attention joue aussi un rôle capital dans la volonté (Wu.ndt,
Psychologie 'physiologique, traduct. 1880, t. ii, p. 444) et plusieurs auteurs, comme Bastian
(Revue philosophique, i89'i, t. [, p. .337), vont jusqu'à dire que « l'attention est la facullé vrai-
ment primordiale dont la volonté ne serait qu'un développement ultérieur » (Voir Volonté).
D'une manière inverse, des modifications graves de ce phénomène caractérisent
toutes les altérations de l'esprit. « C'est par la perte de l'attention..., remarquait
Ch. RiCHET, que se caractérisent les premiers effets de l'ivresse (L'homme et l'intelligence,
1884, p. 93). >> La plupart des aliénistes ont noté la disparition de l'attention chez les
imbéciles et les idiots. « Plus ils sont faibles d'esprit, moins ils sont attentifs, disait
en résumé Sollier, plus ils sont paresseux, indisciplinables, inéducables (Psych. de
l'idiot et dé[l'imbéàle, 1891, p. 73). >> Souvent ils ont caractérisé les folies par les troubles
de l'attention. « Esquirol, disait Moreau (de Tours) qui partage en grande partie ses
idées, admettait que le trouble de l'attention était la lésion essentielle dans la folie,
incapable de s'arrêter dans la manie, affaiblie dans la démence, elle serait concentrée
dans les idées fi.\es [Le Haschiscli, p. 366). » L'importance de ce phénomène justifie le
résumé rapide que nous faisons ici des études particulièrement ph3;siologiques qui ont
été faites sur l'attention.
L'attention semble avoir été peu étudiée par l'école anglaise du début de ce siècle, et
peut-être doit-on admettre, pour expliquer cette négligence, la raison que donnait
William James (Principles of psychology, 1890, t. i, p. 402). L'attention présente, au moins
en apparence, un caractère d'activité, de spontanéité qui embarrassait les psychologues
anglais plus disposés à décrire les phénomènes passifs de l'esprit. On remarquera parmi
les premières descriptions de l'attention celles d'un philosophe allemand du début du
xviii° siècle, Wolf (Psychologia empirica). Sa définition du phénomène est fort intéres-
sante : « Facultas efficiendi ut in perceptione composita partialis una majorem clarilatem
ceteris habeat dicitur attentio. » Ce caractère essentiel de l'attention est également signalé
dans les études de Dugald-Stewart, de Reid, de Bonnet. 11 devient le point de départ des
définitions de l'attention données par les psychologues modernes. William James en
fait « une concentration de la conscience sur un seul objet avec exclusion du reste du
monde » (Principles of pisi/chology,t. i, p. 403). Wundt, Bastian, Baldwin emploient éga-
lement à ce propos le mot concentration de l'esprit, ou des expressions analogues.
James Sully (dans son Handbook of psychologij, 1892, t. i, p. 142) précise cette concep-
tion. « On peut définir l'attention, dit-il, comme une activité mentale qui amène à sa
plus grande intensité, à son achèvement, à sa définition précise, certaine sensation ou
certain fait psychologique et qui produit une diminution correspondante des autres phé-
nomènes présentés simultanément. » En un mot, on sait que les phénomènes psychologi-
ques déterminés parles impressions extérieures subissent dans notre esprit une élabora-
tion compliquée avant de se transformer en idées et en jugements; cette élaboration
des données de la conscience est très inégale: tandis que certains phénomènes restent à
l'état élémentaire, d'autres sont énormément développés par le travail de l'esprit, et c'est
cette inégalité de l'élaboration intellectuelle que l'on désigne sous le nom d'attention.
3. Les effets de l'attention. — L'attention se caractérise par les modifications des
phénomènes psychologiques sur lesquels elle porte d'une manière particulière : elle mo-
difie leur intensité, leur durée, leur rapidité, elle augmente le souvenir et l'intelligence
que nous avons de ces faits.
1° Un phénomène psychologique sur lequel porte l'attention semble être augmenté;
un bruit si faible qu'il n'était pas perçu peut être entendu si nous fécoutons avec atten-
tion ; il semble donc avoir augmenté. Quelquefois même une impression visuelle qui aura
été fixée avec attention laissera une image consécutive, tandis qu'il n'en sera pas de
même, si notre attention n'est pas fixée sur elle avec énergie. « L'attention, disait
Ch. RicHET pour résumer cette opinion, change non la nature ou la forme des images,
mais leur intensité (Essai de psychologie générale, 1887, p. 182). »
ATTENTION. 833
Cependant cet accroissement de l'intensité des pliénomènes sous l'inlluence de l'atten-
tion a été discuté et mis en doute par la plupart des observateurs contemporains. (Voir
à ce propos les discussions de Fechner, Révision der Psychophysik, xix. — G. E. iMuller.
Zur Théorie d.sinnlichen Aufmerkmmkeit. § I. — Stumpf, Tonpf.ychologic, I, 71 . — W. James,
Principles of psychology, i, 42o. — H. Munsterberg et Kozaki, L'augmentation d'intensité
produite par l'attention. Psycfiol. Review, t. i, p. 39. — J. G. Hibben, Sensory stimidation by
attention. Psycholog. Review, New- York, t. ii, 189b, p. 369-376.) Nous ferons remar-
quer que cette discussion avait déjà été commencée par un psychologue français qui
mériterait d'être plus connu. Gerdy, dans sa Psychologie physiologique des sensations,
écrivait déjà en 1846 : « Cette différence d'intensité n'est qu'une pure illusion... l'atten-
tion ne rend pas la main et les yeux plus sensibles, mais l'intelligence plus puissante
et plus juste. » Une des remarques les plus intéressantes faite à ce propos par Stumpf,
c'est que nous ne pourrions plus apprécier les différences d'intensité ni reconnaître une
intensité faible, si l'attention avait pour effet de transformer la force, le degré de la sen-
sation. Peut-être faut-il simplement conclure que cet accroissement apparent de l'inten-
sité n'est qu'un accroissement de la clarté, de l'intelligence des phénomènes. C'est là
une question à propos de laquelle peuvent être faites un grand nombre d'expériences
psychologiques.
2° Un autre effet apparent de l'attention qu'il est nécessaire d'interpréter, c'est qu'elle
parait augmenter la durée pendant laquelle un phénomène psychologique reste présent
à notre conscience ; l'attention semble être un processus de fixation, de détention des
faits dans la conscience. Des observations précises n'ont pas complètement vérifié cette
remarque populaire. Sauf des cas fort rares où le phénomène change de nature, comme
dans la catalepsie l'attention ne peut rester fixée longtemps sur le même objet. Quand on
essaye de fixer ainsi l'attention d'une manière continue sur un même fait, par exemple
sur une impression sensible uniforme, on constate qu'au bout de quelques instants la
conscience des faits diminue, puis augmente de nouveau; en un mot, l'attention subit
des oscillations.
Ce phénomène des oscillations dans l'attention, signalé pour la première fois par
WuNDT {Psych. physioL, ii, 53), a été l'objet d'un très grand nombre d'études expérimen-
tales. Munsterberg (Beitrâge z. exper. Psychol., u, p. 69) rattache ces oscillations à des
phénomènes de fatigue dans les muscles qui contribuent à l'accommodation des
organes sensoriels. Urbantschitsch {A. Pf., t. xsiv, p. o74; t. xxviir, p. 440; C. W., 1873,
p. 626) et Marbe {Die Schwankimgen der Gesichtsempfindimgen., Phit. Studien, t. vin,
p. 614-637) les expliquent aussi par des modifications de l'organe externe. Lange, au con-
traire {Phil. Stud., t. IV, p. 390) et surtout H. Eckener (Untersucli. ûber die Schivankungen
der Auffassung minimaler Sinnesreizen. Phil. Slud. t. viii, p. 343-387) les rattachent à des
phénomènes qui ont lieu dans les centres nerveux. Le dernier croit qu'un autre phé-
nomène psychologique, la persistance des images très vives, joue le rôle le plus impor-
tant dans les oscillations de l'attention.
Quoiqu'il en soit, comme le montre bien W. James (PrùicipL of Psych., t. i, p. 423), l'at-
tention ne peut se prolonger que si son objet change. Notre étude d'un même objet se
prolonge, parce que nous voyons sans cesse de nouveaux détails, parce que nous renou-
velons sans cesse les questions. C'est ainsi que l'attention prolongée enrichit l'esprit de
connaissances nombreuses.
3° Un fait dont la constatation est plus facile, c'est la rapidité que l'attention commu-
nique aux phénomènes psychologiques. On sait l'importance que l'étude du temps de
réaction a prise dans la psychologie expérimentale. Wl'ndt a été l'un des premiers à
démontrer que le temps de réaction, le temps qui s'écoule entre une impression péri-
phérique et le petit mouvement par lequel le sujet manifeste qu'il a éprouvé une sensa-
tion, diminue considérablement quand le sujet est attentif. Le temps de réaction que l'on
obtient quand on impressionne le sujet qui n'a pas été prévenu est beaucoup plus long
que celui qui est constaté quand on prévient le sujet par un signal quelques instants
avant de lui faire subir une impression. Citons comme exemple les chiffres suivants
donnés par Wundt : l'impression est auditive et assez forte, le temps de réaction pour le
sujet non prévenu est en moyenne 0"2.o3 ; il devient chez un sujet prévenu 0"070. Si le
bruit est faible, le temps de réaction est pour le sujet non prévenu 0"266, pour le sujet.
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME 1. 33
834
ATTENTION.
prévenu 0"[lo {Psychol. physiol. ,\,.ii, p. 226). WendtAI à ce propos une série remarquable
de recherches; il montra que pour une sensation prévue le temps de réaction peut des-
cendre jusqu'à 0, et, dans certains cas curieux, devenir négatif. L'attention expectante
donnait dans ce cas au sujet l'illusion de la sensation réelle. Inversement une distraction,
une impression accessoire et troublante pendant l'expérience allonge énormément le
temps de réaction.
Ces études furent reprises par un grand nombre d'auteurs. Signalons les recherches
de Vo.\ TscHiscH [Phil. Stud., t. ii, p. 621), de J\K•^!STEHBERG surtout {Beitrwjez. exp. Psycli.,
1889, t. 1, pp. 7.3-106) qui montre les modifications du temps de réaction sous l'influence de
l'attention dans une foule de circon-
stances variées, de Obersteiner {Expéri-
mental research on attention, Brain, 1879,
1. 1, p. 439). BuccoLA [La legge del tempo
nei fenomeni del pensiero. Milan, 1883)
résume ces recherches en déclarant que
l'équation personnelle peut être consi-
dérée comme le dynamomètre de l'at-
tention.
En 1886, un élève de Wundt, L.Laxge
{Phil. Stud., t. IV, p. 479) ajouta une
notion nouvelle. Il soutint que la réac-
tion est plus longue quand le sujet fixe
son attention sur la sensation qui sert de
signal, que s'il fixe son attention sur le
mouvement à exécuter. La différence de
temps entre ces deux réactions pourrait
être de 10 centièmes de secondes. Les
études récentes ont surtout porté sur
la discussion de la théorie émise par
Lange. Ces discussions sont indiquées
dans les travaux de Cattell {Mind, t. si,
p. 33 et Phil. Stud., t. viii, p. 403), de
A. Bartels [Versuche ùberdie Ablenkung
der Aufmerksamkeit, Dorpat, 1889), de
Bliss (Études sur le temps de réaction et
Vattention. Studies from the Yale psychot.
lahor., 1893, p. IS).
Parmi les études les plus intéres-
santes sur les rapports entre le temps
de réaction et l'attention, nous devons
signaler le travail de Patrizzi {La gra-
phique psychométrique de l'attention.
A.B.,i. xxn,fasc. 2). Cet auteur chercha
i'iG. 74. — Réponse à un signal, d'après Pairizz
a mscnre un grand nombre de temps de réaction en rapport avec des excitations
repétées à des intervalles constants et toujours avec la même intensité, par exemple de
deux en deux secondes. Les excitations inscrites par le signal électrique se disposent
suivant une des ordonnées du C3'lindre en E(fig. 74). Les réactions inscrites en Ries unes
au-dessous des autres sont réunies par une ligne tracée à la main; l'inscription d'un
diapason en D permet de mesurer le temps de réaction ER. Cette disposition permet
de suivre les modifications de l'attention pendant une expérience prolongée. Dans le
tracé qui se lit de bas en haut, on voit que le temps physiologique va d'abord en
s abrégeant graduellement; puis il augmente, quand l'attention, après avoir touché l'opti-
mum, commence à se ralentir et à se fatiguer. Patrizzi pense même que sa méthode
pourrait servir à l'examen psychique d'un sujet et établir une courbe individuelle de
l'attention.
Cette recherche, qui pourra rendre de si grands services dans la pathologie mentale,
mérite d'être continuée. Peut-être cependant ne faut-il pas uniquement mesurer l'atten-
ATTENTION. 835
tion par le temps de la réaction, lesmouvements peuvent facilement devenir automatiques
et ne plus être en rapport avec l'attention consciente. T)ans un grand nombre d'expé-
riences, qui ne sont pas encore publiées, j'ai constaté que des individus abouliques, sans
aucune attention réelle, peuvent cependant effectuer d'une façon automatique les mou-
vements demandés, et présentent quelquefois des temps de réaction très courts. J'ai étu-
dié à ce propos une malade bien singulière : quand on mesure le temps de réaction à des
impressions tactiles faites surla main gauche qui est sensible, on constate des temps de
réaction très longs, dépassant souvent une seconde et très irréguliers, en rapport avec
une attention très faible, très vacillante et très pénible. Mais on peut obtenir des réac-
tions tout à fait automatiques et subconscientes en rapport avec des excitations faites
sur la main droite qui est insensible (Voy. Anesthésie) : les temps de réaction sont alors
très courts et assez réguliers. Des faits du même genre ont été déjà signalés par 0.\anof
(Archives de neurologie, 1890, p. 372). Lequel de ces deux temps de réaction, laquelle de
ces deux courbes pourrait-on prendre comme mesure de l'attention chez une pareille
malade? Cette remarque nous montre combien il est nécessaire, dans ces expériences psy-
chologiques, de tenir compte de l'état mental du sujet, des phénomènes conscients qui
accompagnent les expériences. Celles-ci sont souvent plus compliquées qu'elles ne
paraissent être et sont accompagnées de sentiments variés qu'il ne faut pas oublier.
4° Une des conséquences les plus importantes de l'attention, c'est qu'elle devient le
point de départ des associations d'idées et des souvenirs.
Les anciens philosophes avaient déjcà fait souvent cette remarque. « La mémoire
dépend de l'attention », disait Locke {Essais sur l'entendement humain, i. i, ch. 10). « Le
premier effet de l'attention, disait Con'dillac, l'expérience nous l'apprend, c'est de faire
substituer dans l'esprit, en l'absence des objets, les perceptions qu'ils ont occasionnées. »
{Essai sur l'origine des connaissances humaines, 1746).
Les éludes de psychologie expérimentale sur les maladies de l'esprit permettent de
constater d'une manière précise cette relation entre l'attention et la mémoire. J'ai décrit
à plusieurs reprises des malades abouliques incapables de fixer leur attention, et j'ai
constaté dans leur mémoire des altérations bien caractéristiques: l^Les perceptions aux-
quelles le malade n'a pu faire attention, qu'il n'a pas pu comprendre, ne laissent aucun
souvenir conscient, et, quand cette absence d'attention se prolonge, elle entraîne une
amnésie de tous les événements récents à mesure qu'ils se produisent; c'est cette for-
me d'oubli continuel que j'ai étudiée sous le nom d'amnésie continue (Voy. Amnésie).
2° Quand l'attention du malade a pu être éveillée pendant un instant et fixée sur une
perception, le souvenir de cette perception persiste dans la conscience et il apparaît
isolé au milieu de l'amnésie de tout le reste. .3° Ces perceptions, qui en raison de l'ab-
sence de l'attention n'ont pas laissé de souvenirs conscients, ont cependant laissé des
traces, et celles-ci peuvent dans certaines circonstances permettre la reproduction de
souvenirs subconscients, automatiques. On voit encore par ce fait combien il est impor-
tant dans l'étude de l'attention de distinguer ce qui est conscient et ce qui est subcon-
scient (Pierre Janet. Étude sur un cas d'aboulie et d'idées fixes; Bévue philosophique, 1891
t. I, p. 383. — Amnésie continue; Revue générale des sciences, 1893, p. 175. — Stigmates
mentaux des hystériques, 1893, pp. 94, 133).
0° L'influence de l'attention sur la mémoire nous conduit à signaler son influence
prépondérante sur la perception, sur l'intelligence des choses. Ce caractère signalé par tous
les philosophes a été beaucoup moins que les précédents l'objet d'études expérimentales
précises. Il est probable cependant que l'étude de ce caractère sera la plus féconde et
contribuera à expliquer les autres. L'attention permet de distinguer un objet des autres
(Leibniz, Condillac, Euler), mais elle permet surtout de distinguer des parties, des
éléments dans cet objet qui est mis à part des autres. Elle n'est pas purement une sim-
plification de la connaissance, une réduction du nombre des idées, elle augmente et com-
plique la connaissance en rendant conscients des détails qui sans efie resteraient ina-
perçus. Mais ces détails ne restent pas isolés les uns des autres; l'attention tend toujours
vers l'unité, et les diiférents détails sont réunis, synthétisés, dans l'unité d'une même con-
science (W. James, Princ. of psych., 1. 1, p. 403). La perception des objets extérieurs, la per-
ception de notre propre personnalité, le jugement, la notion des rapports, la croyance,
la certitude disparaissent d'une façon en apparence complète quand la puissance d'atten-
836 ATTENTION.
tion s'évanouit (Pierre Janet, Étude sur un cas d'ahoulie et d'idées fixes. Revue philo-
sophique, 1891, t. I, p. 383. — Histoire d'une idée fixe. Revue philosophique, 1894, t. i,
p. 151).
Dans les laboratoires de psychologie ce caractère de l'attention a surtout été étudié à
un point de vue particulier. On a cherché à déterminer le nombre des phénomènes psy-
chologiques qui pouvaient se développer simultanément dans la conscience, et pouvaient
être réunis par un seul effort d'attention. La question posée par Hamilton' {Lectures, 14)
a été bien étudiée par Wundt, Dietze, Cattell, Bechterew, Paulhax, W. James {Prin-
ciples ofpsych., t. i, p. 40o). Ce problème sera étudié à propos du champ de la conscience
(Voyez Conscience). Je rappelle seulement ici la conclusion de W. James : il est difficile d'ap-
précier ce nombre des idées simultanées, car d'un côté chacune d'elles semble se subdi-
viser en parties nombreuses et, d'autre part, elles sont toujours réunies de manière à
former dans la pensée une unité.
6° En même temps que ces phénomènes en quelque sorte positifs, l'attention déter-
mine dans l'esprit des effets négatifs, elle supprime des faits de conscience, elle empêche
leur souvenir et leur développement intellectuel (Dugald Stewart, Philosophie de l'esprit
humain, 1. 1, p. lo9. — Bo.Ninet, de Genève, Essai ancdy tique sur les facultés de l'âme, 1775, 1. 1,
p. 91). Cette diminution de certains phénomènes psychologiques qui ne rentrent plus
dans la synthèse consciente est désignée sous le nom de distraction. Mais il existe bien
des espèces de distractions; de là des confusions et des obscurités. La distraction peut être
naturelle et primitive et se rattacher à la faiblesse cérébrale. Certains individus sont dis-
traits, en ce sens qu'ils n'ont aucune attention et ne peuvent S3'nthétiser ni comprendre
les phénomènes qui se passent dans leur esprit. Cette faiblesse de la faculté de sj'nthèse
a déjà été signalée à propos de l'anesthésie hystérique (Voyez Aneslhésie). La distraction
peut aussi être secondaire et se produire chez des esprits puissants qui accordent toute
leur attention à une idée, et ne se préoccupent plus des autres faits (Hirth, les Localisations
cérébrales en psychologie. Pourquoi sommes-nous distraits? Iraduct. L. Arréat, 189b).
Ces distractions, quelle que soit leur origine, ont une grande importance et jouent
un grand rôle dans de nombreux faits normaux et pathologiques. J'ai eu l'occasion de
montrer à plusieurs reprises qu'elles peuvent donner naissance à des amnésies, à des
anesthésies véritables. Un fait curieux de ce genre que j'ai communiqué au Congrès de
psychologie de 1889, et étudié depuis à plusieurs reprises (Stigmates mentaux des hysté-
riques, 1893, p. 76), consiste dans les modifications du champ visuel déterminées par
l'attention. Si l'attention du sujet est fortement attirée sur le point central du périmètre,
le champ visuel se rétrécit à la périphérie. Chez les individus normaux ce procédé mo-
difie peu le champ visuel, mais chez les hystériques, et en général chez les malades dont
l'attention est modifiée, on constate des rétrécissements surprenants. La puissance de
perception consciente ne peut pas, quand elle est petite, se porter sur un point sans
abandonner les autres. Enfin il serait peut-être possible de constater dans cette expé-
rience l'effort de l'attention pour synthétiser les phénomènes. C'est, semble-t-il, parce
qu'il y a plus de détails à percevoir au centre du périmètre que le champ visuel péri-
phérique diminue.
Tels sont les principaux phénomènes qui ont été signalés dans l'attention et les prin-
«îipaux problèmes soulevés par chacun d'eux.
Les variétés de l'attention. — Lorsqu'on étudie les caractères de l'attention, il faut
toujours songer au vague et à l'ambiguïté des termes du langage psychologique. Le mot
attention est employé indifféremment pour désigner des phénomènes qui ne sont pas
entièrement comparables. Il est toujours important de distinguer la variété de l'attention
que Ton examine.
Degrés de l'attention. — L'attention est évidemment plus ou moins puissante, quoique
nousn'aj'ons guère le moyen de mesurer avec précision son degré. Certains hommes ont
une attention très puissante, capable de se fixer fortement sur un objet nouveau, de l'ana-
lyser dans ses détails, de le bien comprendre, sans que l'esprit soit distrait par la repro-
duction automatique d'autres idées étrangères : « Les nouvelles heureuses ou malheu-
reuses de l'Egypte, disait Taine en parlant de Napoléon, ne sont jamais venues le dis-
traire du Code civil, ni le Code civil des combinaisons qu'exigeait la sûreté de l'Egypte;
jamais homme ne fut plus entieràce qu'il faisait» (Régime moderne, 1. 1, p.2o). Au contraire.
ATTENTION. 837
d'autres ne peuvent fixer leur attention sur rien, changent à chaque instant l'objet de
leurs pensées, sont distraits par la moindre sensation ou le moindre souvenir. On a
souvent remarqué que l'attention est faible chez l'enfant (B. Pérez, l'Enfant avant
trou ans, p. 138); chez la femme, du moins en général (Ridot, Maladies de la volonté,
p. 104) ; LoMBROso a fait la même remarque à propos des criminels {l'Homme criminel, p. 426).
Dans bien des maladies mentales l'attention est tout à fait absente ou réduite au plus
faible degré (Voyez Aboulie). Entre ces deux degrés extrêmes se placent une foule de
degrés intermédiaires, désignés par les mots, intérêt, réflexion, application, méditation
contention, contemplation.
Objets de l'attention. — L'attention varie également suivant les objets auxquels elle
s'applique. L'attention sensorielle n'est déterminée que par les phénomènes sensibles;
c'est la forme de l'attention qui se présente la première chez les animaux, chez les
enfants. Chacun de nos sens peut être modifié par l'attention, et le langage populaire
lui-même dislingue entre « toucher » et « palper «, « goûter » et « déguster », « sentir»
et « flairer », « entendre » et « écouter », « voir » et « regarder ». "L'attention intellectuelle
s'applique aux idées et particulièrement aux idées abstraites, elle est évidemment posté-
rieure à la seconde et ne se développe que chez l'homme adulte. Il serait important de
déterminer les relations de ces deux attentions qui présentent certainement des carac-
tères communs sous leurs diflerences apparentes. Ribot, dans sa Psychologie de l'atten-
tion, 1889, a fortement insisté sur ce point que l'attention sensorielle est primitive, tan-
dis que l'attention intellectuelle est, sinon toujours, au moins le plus souvent, dérivée.
D'après cet auteur les phénomènes sensibles fixeraient d'une façon immédiate l'atten-
tion par leur caractère émotionnel, les idées abstraites ne deviendraient intéressantes,
c'est-à-dire ne fixeraient l'attention que par association avec quelque phénomène
sensible.
Formes de l'attention. — La distinction de beaucoup la plus importante est celle de l'atten-
tion aîftomah'gwe et de l'attention volontaire. Dans la première, une sensation où une série
d'images s'imposent et dominent par elles-mêmes sans que la personnalité ni la volonté
jouent un rôle bien grand. Dans la seconde, au contraire, il semble que ce soit l'idée de
la personnalité, les phénomènes que nous appelons volontaires qui déterminent la direc-
tion de l'attention en des points qui ne seraient pas importants par eux-mêmes sur des
phénomènes qui ne se développeraient pas spontanément dans l'esprit. Dans la première
nous écoutons un bruit violent, une conversation agréable en elle-même, dans la seconde
nous écoutons un bruit léger, un discours peu agréable. « Toutes les formes de l'effort
attentif, disait W. James, sont réunies quand pendant un dîner un individu écoute atten-
tivement un voisin qui lui donne à voix basse un avis insipide et désagréable, pendant
que tout autour les autres convives rient haut et causent de choses intéressantes. » [Princ.
ofPsych.,t.i, p. 420.) Cette distinction est si capitale que l'on peut se demander s'il s'agit
de deux variétés d'un même phénomène ou bien de deux phénomènes distincts soumis
à des lois différentes. Quoiqu'il en soit, la seconde attention s'accompagne d'un sentiment
d'effort et de fatigue qui n'existe pas dans la première; c'est surtout dans cette forme
d'attention que se constate l'augmentation des souvenirs, le développement de l'intelli-
gence que nous avons précédemment décrits.
Lies théories de l'attention. — Nous ne signalerons dans cette étude qu'un
petit nombre d'hypothèses qui ont été proposées pour expliquer l'attention, celles qui
ont pu diriger les recherches expérimentales et qui peuvent provoquer des observations
nouvelles.
i" Le rôle des mouvements dans l'attention. — Une des remarques les plus intéres-
santes et les plus vraies, si on ne lui donne pas une trop grande généralité, c'est que
l'attention s'accompagne de mouvements corporels et que la sensation de ces mouve-
ments corporels inévitables joue un grand rôle dans la conscience de l'attention elle-
même. Dans l'attention sensible le fait est facile à constater, nous tournons la tète, nous
fermons à demi les paupières, nous dirigeons le mouvement des yeux pour voir, nous
adaptons également nos organes pour toucher ou pour entendre. M.iiNE de Biran, Gerdy
avaient déjà signalé le fait; la plupart des psychologues modernes ont insisté sur la
nécessité de cet ajustement musculaire des organes des sens. Il faut ajouter que pendant
l'attention se produisent des modifications de la respiration analogues à celles qui
838 ATTENTION.
accompagnent tout effort. Ces mouvements sont sentis d'une façon plus ou moins vague,
et c'est l'ensemble de ces modifications qui produisent notre sentiment de l'attention.
L'existence d'une attention purement intellectuelle ne constitue pas une difficulté
insoluble, car nos idées se composent d'images, et il est facile de constater que ces
images n'existent pas dans l'esprit sans qu'il se produise en même temps dans le corps
des modifications musculaires analogues à celles qui ont accompagné les sensations
elles-mêmes, et l'on peut dire avec Fechner que toujours l'attention dépend d'un méca-
nisme corporel. Parmi les auteurs qui ont le plus contribué à développer cette théorie,
nous citerons Fechner {P^ychophysik, t. ii, p. 475), Muller, Lange, Munsterberg dans les
travaux déjà cités, Th. Ribot {Psychologie de l'attention, 1889), Lehuann (Ueber Beziehung
zwischen Athmung imd Aufmerksamkeit ; Phil. Stud-, t. ix, p. 66) et N. Lange, qui dans
un ouvrage récent expose et défend cette théorie (Études psychologiques. Loi de la per-
ception et théorie de l'attention volontaire (en russe), Odessa, 1894). « Le rôle fondamental
des mouvements dans l'attention, disait en résumé Ribot, consiste à maintenir l'état
de conscience et à le renforcer... l'attention consiste en un état intellectuel exclusif et
prédominant avec adaptation spontanée ou artificielle de l'individu. »
On a opposé à cette théorie deux arguments principaux. D'abord il semble que dans
certains cas l'attention se produise sans mouvements. Helmholtz et Wundt ont insisté sur
une expérience curieuse qui consiste à fixer l'œil sur un point, puis, sans remuer l'œil, à,
diriger l'attention sur les points situés à la périphérie du champ visuel. Nos propres
observations sur les modifications du champ visuel par l'attention pourraient se rap-
procher des précédentes et contribuent à prouver qu'il existe des phénomènes d'atten-
tion dans lesquels n'entrent pas de véritables mouvements. D'autre part les modifications
organiques qui accompagnent l'attention comme tout autre phénomène psychologique sont
secondaires et résultent de la fixation de l'attention sur un objet choisi, fixation et choix
déterminés par des phénomènes psychologiques différents. Cette discussion se trouve
signalée d'une manière intéressante dans l'ouvrage de W. James, dans un article de
L. Martllier (Le Mécanisme de l'attention; Rev.pMlosoph., 1889, p. S67) à propos du livre
de Ribot et dans un travail de Bastian (L'Attention et la volonté; Uevue philosophique,
189-2, 1. 1, p. 360).
2° Mécanisme de l'attention automatique, l'idée anticipante. — Un autre groupe de
théories se préoccupe donc des phénomènes psychologiques qui accompagnent l'atten-
tion. CoNDiLLAC, comme on sait, expliquait simplement l'attention par la force de la sen-
sation : « Une sensation devient attention, soit parce qu'elle]est seule, soit parce qu'elle est
plus vive que les autres « [Traité des sensations). Quelques auteurs modernes ont repris
cette même théorie d'une façon un peu plus précise. Ce qui fait l'attention, disait Maril-
LTER dans l'article précédemment cité,_ c'est la force d'un phénomène psychologique, quelle
qu'elle soit, que cette force soit due à la vivacité de la sensation, à l'habitude, à l'émotion
ou à des idées associées. F. H. Bradley {Is there a spécial activity of attention, Mind, t. xi,
p. 303), insiste dans le même sens.
W. James semble préciser beaucoup cette théorie et montrer en quoi consiste cet état
psychologique qui prépare et produit l'attention. C'est une image anticipante de la chose à
laquelle on fait attention. L'esprit est préparé à la sensation qui va survenir parce qu'il
l'imagine déjà, et c'est cette préparation qui donne au phénomène les caractères de
l'attention {Principics of PsychoL, 1. 1, p. 441).
3° La synthèse mentale dans l'attention. — Toute attention se réduit-elle à cette atten-
tion automatique déterminée par la présence et par la force d'une idée anticipante"? On
peut se demander quelle a été l'origine de cet état, d'où vient sa force, sa prépondérance
actuelle. On peut aussi rechercher comment se fait la perception des objets nouveaux qui
ne sont pas déjà représentés dans notre esprit par des images antérieures. Ce sont là des
problèmes déjà signalés à propos des troubles de la volonté (voyez Aboulie), et qui ont
rarement été l'objet d'études expérimentales précises. D'après l'étude de certains troubles
de l'attention chez des malades capables de percevoir des objets déjà connus et inca-
pables de faire attention à des objets nouveaux, il semble qu'il y ait dans l'attention des
phénomènes plus complexes. L'attention ne se borne pas à maintenir une image présente
dans l'esprit, mais elle travaille encore à combiner cette image avec les autres, à consti-
tuer des synthèses qui deviendront plus tard le point de départ d'un nouvel automatisme.
ATTENUATION. 839
Cette interprétation se rattache à la philosophie de Herdart (Voir Stoot, On the Her-
bartian psychology, Minci, t. xiii, p. 48-i)[; elle est discutée dans les ouvrages de Lotze, de
«VoLKMANN, de Ward, dans mon étude sur l'automatisme psychologique, 1889, dans les
écrits de W. James, de J. Sully, de Baldwin, de Paulhan (Activité mentale et les éléments
de l'esprit). Il me semble que, en dehors des spéculations philosophiques, ce phénomène
de la synthèse mentale peut être étudié plus facilement chez les individus qui présentent
des troubles, des affaiblissements de l'esprit. Ce sont les phénomènes de l'aboulie et
de l'amnésie qui seront sur ce point particulièrement instructifs.
La bibliographie de cette question est déjà considérable; la plupart des travaux
importants ont été cités dans cet article. On peut consulter d'ailleurs sur ce point tous les
traités et tous les recueils de psychologie expérimentale.
PIERRE JANET.
ATTENUATION. — Tout être vivant possède une activité moyenne qui
varie suivant les périodes de son existence ; cette activité se traduit par les manifesta-
tions de chacune des fonctions, de chacune des facultés de cet être; la somme, l'ensem-
ble de ces facultés, de ces fonctions forment le taux de cette activité moyenne; chaque
fois que ce taux n'est pas atteint dans une, dans plusieurs, dans la totalité de ces
manifestations, on peut dire qu'il y a atténuation, partielle, ou générale.
Sevrez un enfant, à l'heure de la pleine croissance, des principaux aliments, des
principaux incitants qui dérivent de la lumière, du soleil; sa taille demeurera inférieure
à ce qu'elle doit être; la composition de ses humeurs, de ses tissus sera défectueuse;
cette atténuation portera sur la nutrition, sur ce phénomène qui, disséqué, analysé,
comprend trois actes : 1° l'apport de dehors en dedans; 2° l'assimilation ou utilisation;
3° les principes nuisibles ou indifférents, c'est-à-dire la désassimilation.
On peut même, à la rigueur, voir l'amoindrissement se faire sentir uniquement à
propos de l'un de ces trois actes.
Atténuation dans la nutrition et le développement. — Cette alténuation est
assurément la plus importante, attendu qu'elle frappe la vie elle-même dans ses
origines, dans son essence; on peut concevoir un être sans mouvements, sans sécrétion,
sans traduction extérieure de ses opérations intimes; on ne peut le supposer privé d'une
nutrition aussi réduite qu'on le voudra; cette nutrition, avec ses mutations d'arrivée,
d'entretien, de départ, ne saurait être supprimée, sans que, du même coup, tout sujet
ainsi traité cesse d'appartenir au monde vivant. Aussi a-t-on pu soutenir que vie et nuti'i-
tion étaient synonymes.
Atténuation dans les fonctions. Motilité. Sécrétions. — A côté des affaiblisse-
ments qui ont trait à ces mutations nutritives, il en est qui pèsent sur les actes fonc-
tionnels.
Prenez la marmotte pendant l'hiver; chez elle, le mouvement et la sensibilité sont
réduits dans leur presque totalité.
De Id nutrition, de la sensibilité, 'de la motilité, passez aux sécrétions, à d'autres
fonctions. Suivant les latitudes, les venins, principalement ceux de la vipère, le musc du
chevrotain varient; ils varient également avec l'alimentation, à l'exemple des éléments
gras de certains poissons, de certains animaux.
Du règne animal passez au monde végétal. Transplantez, dans les plaines du midi,
les ceps de la Bourgogne, ceux des clos de Chambertin; vous ne tarderez pas à obtenir
un vin qui, pendant deux ou trois années, rappellera les crus de la Côte d'Or, mais qui
promptement, malgré les levures, malgré les cultures, verra les bouquets disparaître,
s'atténuer, au point de devenir méconnaissables.
La digitale pousse superbe aux environs de Paris, dans la vallée de la Bièvre, en par-
ticulier ; cependant, elle ne livre pas des produits actifs, analogues à ceux qu'elle fournit,
quand elle croit, en Auvergne; pourtant, elle a à sa disposition de la silice dans les deux
cas; ce n'est plus, comme pour la marmotte, une question de température; ce n'est plus,
comme pour la vigne, une simple affaire de terrain; le problème ici est plus délicat, plus
complexe.
L'aconit des Alpes est riche en aconitine, alors que l'aconit de l'Ecosse en possède à
peine.
SiO ATTENUATION.
Lesexemples d'atténuation sont innombrables. On peutmêmelesemprunterau domaine
physique; on peut, par exemple, atténuer un courant électrique, une source de lumière,
de chaleur, etc., etc.; il suffit, le plus souvent, de diminuer l'élément quantitatif.
C'est également en faisant varier les doses qu'on affaiblit les virus, comme aussi en
s'adressant à la qualité. Ces exemples d'atténuation sont d'autant plus clairs, et plus
saisissants qu'ils ont pour objet des espèces plus éloignées du sommet de l'échelle, par-
ticulièrement des bactéries. Nous ne traiterons donc ici que de l'atténuation'des bactéries.
Influence des milieux sur l'atténuation. — Néanmoins, à tous les degrés de cette
échelle, on s'aperçoit bien vite que ces atténuations, quelles qu'elles soient, sont l'œuvre
des conditions ambiantes, des agents extérieurs, c'est-à-dire du milieu, lorsqu'elles ne
sont pas la conséquence de l'hérédité, et encore, même dans ce cas, celui qui remonte
aux origines retrouve ce rôle du milieu.
Quoi qu'il en soit, il est aisé de placer en lumière les fonctions d'atténuation d'une
série de facteurs choisis parmi ceux qui nous entourent, surtout si on les fait agir sur
des microbes.
Rôle des agents atmosphériques dans Tatténuation. —La pression est capable
d'atténuer les bactéries; toutefois, cette action appartient plutôt au domaine théorique.
Quand, en efîet, on soumet des cultures à cette influence, on voit qu'il est nécessaire
d'atteindre des centaines d'atmosphères pour obtenir quelques modifications. On remé-
die à ce défaut d'intervention, en établissant ces pressions sous des gaz, capables par
eux-mêmes d'affaiblir les infiniment] petits. C'est là un côté technique qui caractérise
les expériences de d'Arsonval et Charri.n; une donnée qui, dans ces expériences, prouve
clairement le peu d'influence relative, dans les limites de ces recherches, du facteur
ph3'sique pur, c'est que les résultats enregistrés ont oscillé suivant la mise en jeu de
l'acide carbonique ou de l'azote, suivant que ces pressions étaient réalisées à l'aide de
l'un ou de l'autre de ces corps, sans que le nombre des atmosphères ait changé; Paul
Bert, Regnaru ont nettement mis ces faits en évidence.
En ayant recours à ces procédés, on peut, à l'exemple de 'Chauveau, faire fléchir la
virulence delà bactéridie; il est également possible d'imposer des oscillations aux fonc-
tions de sécrétion, de multiplication des germes pathogènes; mais ce sont là des études
dont l'utilité franchit à peine les murs du laboratoire. Dans le laboratoire, il est aussi
permis de montrer que la pesanteur change la forme des cultures, intervient dans la
direction des stries que le bacille de Koch dessine sur agar en [se de'veloppant. Il sem-
ble que, dans ces dispositions,'il y ait quelque chose qui laisse soupçonner la mise enjeu
de l'influence des lignes de foi'ce de Faraday.
De fait, nous ne pensons pas que les grandes dégradations de virulence soient attri-
buables à ces agents naturels; il serait cependant téméraire de leur refuser toute action,
d'autant que, dans l'atmosphère, il est possible de rencontrer tel principe, différent de
l'air, qui, en prêtant son concours, puisse accroître la puissance de ces facteurs.
L'électricité a encore trop de progrès à réaliser pour que l'on soit autorisé à porter
sur son rôle vis-à-vis des germes, au moins dans la nature, un jugement définitif.
Plusieurs auteurs, parmi eux Prochownich, Spoeth, Eohne, Bessmer, Mendei.sohx, Spilker,
CoTTSTEiN, Gautier, Apostoli, Laquerhière, etc., ont cherché à délimiter la part mani-
feste appartenant à ce fluide. On a constaté, notion facile à prévoir, que les effets
dépendaient de l'intensité, de la durée du courant; avec 30 milli-ampères, par exemple,
on ne tue pas leS. aureus, qui, au contraire, succombe à 60 milli-ampères. D'unautre côté,
sans changer ni le voltage, ni l'intensité, on détruit les spores du charbon, lorsqu'elles
subissent, durant une heure, cette influence, tandis qu'elles conservent leur vitalité,
quand on réduit cette durée à quinze minutes. Ces effets, pour la majorité des expé-
rimentateurs, ont paru plus sensibles au pôle positif qu'au pôle négatif.
Malheureusement, dans beaucoup de ces travaux, l'action isolée de l'électricité,
agissant par elle-même, en tant que fluide spécial, se dégage péniblement. Fréquem-
ment, si on analyse ces recherches, on s'aperçoit qu'en définitive le courant a dû inter-
venir en produisant de la chaleur ou en mettant en liberlé les substances nuisibles aux
bactéries, en dégageant l'énergie sous des formes physiques ou chimiques spéciales;
on revient alors aux attributs du calorique ou des antiseptiques dont le pouvoir n'est
plus à démontrer.
ATTENUATION. SU
Grâce à la haute compétence de d'Absonval, les expériences auxquelles ce savant
m'a permis de collaborer échappent à ces critiques; les influences secondaires ont été
écartées avec soin; seul le fluide a été mis en cause dans des conditions de puissance
qui n'avaient jamais été réalisées. En le subissant, le bacille pyocyanogène perd peu à
peu la faculté de sécréter des pigments; puis la multiplication est atteinte à son tour.
Plus d'une fois nous avons affaibli dans d'énormes proportions sa vitalité; mais, en
dépit de l'usage des courants à haute ou à basse fréquence, nous n'avons pas réussi à
l'éteindre complètement. On sait que les courants de forme sinusoïdale font fléchir
la pression, provoquent de la vaso-dilatation, de la sudation, des osciUations dans les
échanges, dans l'urée, le chlore, l'acide phosphorique.
Il est juste cependant de remarquer que, dans une série de tentatives, si nous
n'avions pas eu recours à un a'gent chromogène, nous aurions nettement déclaré qu'il
ne se produisait aucune modiflcation; pourtant, en raison de la contingence de cette
propriété, les changements étaient manifestes. Ces données expliquent urte fois de plus
combien il est facile d'obtenir des résultats discordants, même en mettant en œuvre,
avec la plus entière bonne foi, une technique que l'on croit identique à celle qui a été
instituée pour poursuivre une expérience que l'on contrôle.
L'état hygrométrique, l'humidité, dans la majorité des cas, interviennent d'une
façon opposée; il suffit, pour s'en convaincre, de parcourir les études de Dempster sur
le bacille d'EsERiH, celles d'AsciiER sur les pyogènes, celles de Diatroptow sur le contenu
de la vase des puits, etc.; les grands mouvements de terrain qui aident à la diffusion
des agents conservés à l'abri de la sécheresse réveillent les épidémies.
L'ozone a une action bien inférieure à celle de l'oxygène; Christm.\s l'a reconnu; je
l'ai constaté avec d'Arsonval.
La dessiccation favorise ces résultats; de nombreux travaux, ceux de Walliczek, de
GuYON, d'ALEssi, de Momout, de Sirena, d'UrPELsiANN, de Marpm.an, entre autres, sur le
bacille du côlon, sur le germe du choléra, de la dothiénentérie, de la tuberculose, le
prouvent aussi bien que ceux qui ont eu pour objet le pneumocoque, l'agent du
tétanos, etc. Suivant les niveaux aériens, Christian! recueille des agents variables au
point de vue quantitatif ou qualitatif.
On a rencontré des microbes dans la glace, dans la grêle, dans la neige; c'est dire
que le froid, le plus souvent, les atténue, sans parvenir à les détruire. Avec d'ARSONv.AL,
nous avons dû atteindre — ■ 40», — 60°, pour supprimer toute manifestation vitale chez le
bacille du pus bleu. Aussi, contrairement à la légende, voit-on des épidémies sévir en
plein hiver. Assurément, les abaissements thermiques modèrent l'activité des infiniment
petits, mais ces abaissements, nous l'avons établi, ont également sur nos cellules un
fâcheux retentissement.
Par contre, la chaleur exerce une influence réelle. Quand l'eau et l'humidilé ne
protègent pas les germes, et même en dépit de ces protections, cette influence se
fait sentir. Voilà pourquoi, malgré certaines opinions, les journées sèches, lumineuses,
chaudes, ne sont pas spécialement à redouter.
A côté de la chaleur, et peut-être avant elle, parmi les agents atmosphériques pro-
pres à influencer la marche des virus, leur gravité ou leur bénignité, prend place la
lumière. Arloing, Roux, Strads l'ont prouvé pour la bactéridie ; Palerme pour le vibrion
cholérique; Janowski pour le bacille d'EBERTu; Ledoux-Lebard pour celui de Lùkfler;
BucHNER pour celui du côlon, pour le B. p)'odi(/iosMS ; Bordoni-Ufreouzzi pour le, pneumo-
coque; Chmielewski, Hubbert pour les pyogènes; d'ArsOiNval et Charrin pour le germe
du pus bleu; Geisler, Raspe, Kotllar, Downes et Blunt, Marschall Ward, etc., ont éga-
lement étudié le rôle du spectre.
Les courants atmosphériques, les agitations, les déplacernents, conséquences des
vents, des orages, des tempêtes, des pluies, par le fait du mouvement, et sans doute
pour d'autres raisons, telles que la participation de l'oxygène, etc., sont capables de
modérer l'activité des microbes; on a pu restreindre celte activité, en soumettant ces
microbes à l'action des appareils centrifuges, suivant une technique préconisée par
ScHEURLEN, PoEHL, Bang, ctc. ; Lezé, de son côté, a étudié la part à faire aux intempéries.
Multiplicité des agents d'atténuation. — Agents physiques ou chimiques.
Agents naturels ou artificiels. — Allonger cette liste des agents d'atténuation serait
842 ATTENUATION.
chose aisée ; à ne tenir compte que des agents de i'air, on pourrait décomposer cet air,
analyser le rôle de chacun des gaz qui entrent dans sa composition, des gaz fondamen-
taux, de ceux qui se trouvent partout, aussi bien que des principes volatils qui, par le
fait de certaines causes occasionnelles, peuvent se répandre dans l'atmosphère. On
pourrait également opposer aux facteurs naturels, physiologiques, de détérioration, l'âge,
ce vieillissement qui n'épargne personne, les facteurs artificiels tels que les poisons.
Analyse des effets de ratténuation. Atténuation totale ou partielle. — Si les
facteurs physiques sont en effet nombreux, ceux qui sont de nature chimique ne sont
pas exceptionnels ; les premiers, comme les seconds, peuvent faire porter leur influence
sur l'ensemble des fonctions, ou ne viser qu'une seule ou plusieurs de 'ces fonctions.
L'atténuation influence la morpliologie. — Il n'est pas rare, lorsque des
entraves atteignent un être vivant dans son évolution et sa vitalité, de voir des modi-
fications se produire dans la forme de cet être. — L'homme lui-même, à la suite d'une
maladie infectieuse, plus particulièrement d'une fièvre typhoïde, ne fait pas exception à
cette loi, surtout si cette maladie l'a frappé au cours de son développement; on constate
alors, dans certains cas, que la croissance s'est effectuée d'une façon exagérée; l'allon-
gement des os a été si rapide que plus d'une fois, suivant la remarque de Bouchaed, la
peau, impuissante à suivre cet allongement, a dû céder; des éraillures du derme, des
vergetures, cicatrices indélébiles de cette activité anormale, se sont réalisées. — Le défaut
d'aliments solides ou liquides, l'absence d'oxygène raccourcit la taille de l'enfant; le
manque de matières minérales cause des déformations qui font dévier la colonne verté-
brale; cet enfant, amoindri dans son taux nutritif, acquiert une morphologie défec-
tueuse, pour ainsi dire, et dans la quantité, et dans la qualité; son corps n'atteint
pas les dimensions voulues; il ne revêt pas des aspects réguliers.
Si vous privez un végétal de ses excitants naturels, de la lumière, par exemple, si
vous abaissez la ration d'entretien, vous faites fléchir ses échanges; les échanges sont
moins intenses; et la plante est moins vigoureuse; de même, la rapidité du développe-
ment, la coloration des feuilles, des tiges traduisent ces souffrances.
Pour les espèces placées au bas de l'échelle, il n'en va pas autrement; bien au con-
traire, quand une bactérie se trouve dans des conditions telles que son activité chimique,
et sa virulence sont en décroissance, l'apparence extérieure qu'elle revêt à l'état
normal est modifiée.
C'est en utilisant les antiseptiques que Guignard et Charrin sont parvenus à fournir
la vraie démonstration du polymorphisme. — Cohn, on le sait, avait classé les microbes
eu se basant sur la forme, en coques ou éléments sphériques, en bâtonnets courts, en
bacilles allongés, en spirilles. Zopf attaqua cette manière de voir, mais en se servant, à
titre de milieu de culture, de l'eau non stérilisée de la Sprée; dès lors, il était impossible
de pouvoir affirmer, dans ce milieu aussi impur, si la variation observée était la consé-
quence d'un changement apporté dans les dimensions d'une espèce donnée ou le
résultat de l'examen successif de deux êtres différents.
En faisant vivre le germe pyocyanique dans des bouillons additionnés, les uns d'acide
borique, les autres d'alcool ou de bichromate de potasse, Gdignard et Charrin ont pu
transformer cet agent, qui régulièrement est un bactérium, en filaments plus ou moins
longs, en coccus, en spirillum; ils ont pu ramener chacune de ces sortes de monstruo-
sités au point de départ, prouvant ainsi qu'ils n'avaient eu affaire qu'à un seul parasite.
Le B. prodiijiosus, après une évolution plus ou moins prolongée au contact des acides,
continue à se , reproduire en bacilles effilés. — Suivant les degrés du thermomètre de
l'étuve, le streptocoque offre des nuances multiples au point de vue de la flexuosité des
chaînettes, et au point de vue du nombre de leurs grains. — Cultivé à des températures
dysgénésiques, le bacille d'EBERTH apparaît grêle ou épais, sensiblement ovoïde, ou très
long. — En présence de 60°, le microbe héminécrobiophile d'AaLoiNG atteint 20 [i, au
lieu de 4. — Le spirobacillus Cienkowski, si on atténue sa vitalité, est tantôt ovale, tan-
tôt recourbé, tantôt rectiligne. — Le germe du lait bleu, d'après Neelse.n, mis dans un
liquide antiseptisé, gagne en largeur, tout en perdant sa mobilité. — Le pneumocoque,
dans les bouillons inertes, perd la capsule qui l'entoure au sein des humeurs de l'économie.
Sans changer d'animal, un parasite peut se montrer dans le sang autre que ce qu'il
est dans la lymphe, dans le foie; tout diffèrent de ce qu'il apparaît dans le rein;
ATTENUATION. 843
Arloing, Chantre, pour le streptocoque pyogène, Teissier, Roux, Pittiox, pour l'orga-
nisme ijui, d'après eux, engendrerait la grippe, ont signalé le fait.
Dans les cultures ordinaires, quand bien môme les entraves à l'évolution font défaut,
on enregistre parfois des variations : la biologie daB. anthracis, plus encore celle du Pro-
teus vulgaris, le démontrent.
Ces entraves apportées au développement par le fait du défaut d'aliments conduisent
certains microbes à passer à l'état de spores; aux modifications de morphologie, ils
joignent ainsi des changements dans la résistance et la pullulation.
Les atténuations morphologiques et le nombre des germes. — D'ailleurs, ce
n'est point là le seul lien qui rattache ces changements de pullulation à ces modifi-
cations de morphologie. Le plus habituellement, en effet, un bacille atténué s'allonge;
il se segmente moins promptement; ses articles sont moins courts; l'activité de repro-
duction fléchit.
Ce phénomène est loin d'être sans importance, et de se réduire à une pure curiosité
théorique, attendu que la question de nombre se relie à ces oscillations. — Les germes
qui subissent ces influences se multiplient plus lentement; de celte lenteur dans les
multiplications dérive une diminution du virus au point de vue de l'élément quantité;
or, en pareille matière, cet élément quantité, contrairement aux anciennes doctrines,
n'est pas négligeable ; les recherches de Chauveau, de Watson-Cheyne, de Bouchard, etc.,
ont mis en lumière la part qui revient à ce facteur. Si la dose fait défaut, le mal ne se
développe pas, ou bien il évolue d'une manière plus ou moins complète; un ou plusieurs
symptômes manquent; en fait de lésions, quelquefois, les processus se bornent à un
foyer local.
L'observation de pareils faits conduit à admettre que l'atténuation d'une bactérie
ne comporte pas simplement des anomalies dans son aspect extérieur; cette observation
amène le chercheur à s'enquérir des modifications qui peuvent se produire du côté des
différents attributs; or, parmi ces attributs, ceux qui concernent la fabrication des
produits solubles, en raison surtout du rôle pathogène, ou mieux du mécanisme de
Faction des germes, sont parmi les plus importants.
Atténuations dans les sécrétions. Atténuation de la fonction chromogène.
— De toutes les fonctions de sécrétion des bactéries, celle qui a trait à la production
des pigments est, en général, l'une des plus mobiles, l'une des plus contingentes; la
moindre perturbation apportée dans la vie d'un ferment figuré chromogène, l'atté-
nuation la plus légère, la plus passagère, se traduisent par des oscillations marquées
dans la fabrication des matières colorantes. Aussi, fréquemment, des modifications
imposées à l'évolution d'un microbe passeraient-elles inaperçues, si ce microbe n'ap-
partenait pas au groupe des générateurs de composés bleus, verts, rouges, etc.
Quand il s'agit, par exemple, des principes germicides, principes dont la puissance
est limitée, l'entrave apportée au fonctionnement peut passer inaperçue, si on ne
s'adresse pas à l'un de ces microbes ; Charrin et Roger ont nettement mis le fait en
lumière; ils ont obtenu des résultats analogues, en utilisant le sulfure noir de mercure,
corps insoluble, en restreignant l'arrivée de l'air ou en permettant à l'o.'sygène d'exercer
une énergique influence.
Cette donnée est, à coup sûr, des plus intéressantes; pas de pigment sans
oxygène, mais aussi, pas de pigment, si ce gaz est par trop abondant; l'élément néces-
saire, indispensable à la vie, devient un poison, s'il est en excès. Or qui ne sait que
pour la cellule animale les choses ne vont pas difl'éremment? pas de santé possible k
l'abri de ce corps vivifiant; accidents certains si rien ne tempère son action.
J'ai vu, avec GuigiNard, l'atténuation du bacille pyocyanogène traduire, au contact
du thymol, du bichromate de potasse, des antiseptiques, par le passage aux agents fila-
menteux ou spirillaires; j'ai vu aussi la coloration verdàtre des cultures disparaître
parallèlement. — Winogradsky a reconnu qu'à l'état de monades le ferment nitrique est
bien plus actif que sous forme de zooglées. — Ces faits méritent d'être rapprochés.
— Laissez vieillir dans les milieux inertes, hors de l'animal, le staphylocoque doré;
bientôt l'aspect jaune-orange des colonies sur agar ou gélatine s'effacera. — L'agent du
choléra-hog, à en croire Selandeh, celui du rouge de Kiel ne se comportent pas différem-
ment. — Ce rôle de l'âge est placé en lumière par ce fait, à savoir que, sur une même
844 ATTENUATION.
plaque, des colonies que rien ne distingue, si ce n'est l'ancienneté, offrent plus ou
moins de coloration. Alcalinisez un peu fortement les bouillons, au point d'affaiblir,
d'après Sgholl, Heim, Behr, Wasserzug, Gessard, le parasite du lait bleu ou le B. pro-
digiosus, ces bouillons ne tarderont pas à se montrer incolores. Quand le bacille de la
morve fléchit dans sa virulence, il devient chromogène; Smith, le premier, l'a observé.
Atténuations dans les fonctions de sécrétion des produits aromatiques,
fermentatifs, etc. — Ces atténuations provoquent dans les sécrétions des modifications
autres que celles qui portent sur les composés pigmentaires.
ViGNAL a prouvé que les oscillations de la richesse nutritive des cultures, en dimi-
nuant la vitalité du BaciUus mesentericus vitlgatus, abaissaient la production d'amylase
de sucrase, de présure. — PÉRÉa établi que l'absence de peptones influençait l'apparition
de l'indol qu'engendre le Bacterium coli. — Roux, Yersin ont montré que, plus l'aération
était considérable, plus la bactérie de la diftérie donnait naissance à des corps toxi-
ques. — Grotenkeld a reconnu que des inflniment petits, capables de faire fermenter la
lactose, perdaient ce pouvoir, lorsqu'on les privait de lait pendant un temps assez long.
— Le chauffage, la dessiccation, une évolution déjà ancienne, surtout en dehors des
tissus, etc., et bien d'autres conditions, restreignent les attributs de fermentation, de liqué-
faction, de coagulation; à 83", suivant Fitz, le BaciUus butyricus n'engendre plus d'acide.
En faisant varier cette série d'influences, ou se persuade promptement qu'il est mal-
aisé de séparer entre elles deux bactéries; les caractères basés sur ia formation d'acides,
sur la qualité de ces acides, sur l'apparition de l'indol, sur l'odeur des cultures, sur les
déviations polarimétriques, etc., paraissent plus que suffisants pour proclamer que le ba-
cille d'EBERTH est tout autre que celui du côlon ; toutefois, celui qui soumet successivement
ces deux bacilles à une catégorie de causes d'atfaiblissement s'aperçoit rapidement que
ces distinctions ne sont pas aussi aisées à établir qu'on pourrait le croire au premier abord.
Atténuations dans les fonctions chimiques ou physiques, et dans la repro-
duction.— En somme, on se persuade bien vite que ces différents facteurs d'atténuation
déterminent des changements dans la forme, dans la fabrication d'une foule de com-
posés solides, liquides ou gazeux, stables ou volatils, alcaloïdiques, protéiques ou nucléi-
niques, dans les propriétés chromogènes, dans les attributs fermentatifs, etc. Ces causes,
le plus souvent d'ordre dysgénésique, provoquent également des oscillations dans les
modes de développement, dans l'apparence des colonies, dans la mobilité, dans la pul-
lulation plus ou moins prompte, dans la sporulation, dans l'accoutumance aux tempé-
ratures basses ou élevées, dans la tolérance des antiseptiques; tel agent qui ne vivait
pas dans un liquide trop chaud, trop froid ou frop riche en acide borique, au bout d'un
temps plus ou moins long, supportera ces conditions insolites; sa descendance surtout
s'habitue à cette existence quelque peu anormale.
Ces données permettent de comprendre par quels procédés un microbe qui était
impuissant à envahir une espèce, ou un viscère, peut conquérir la faculté de devenir pa-
thogène pour cette espèce, peut obtenir les qualités voulues pour se multiplier dans ce
viscère, pour s'adapter à ce milieu.
Atténuation dans la formation pathogène. — De toutes les métamorphoses
imposées aux bactéries par les atténuations, les plus importantes sont celles qui ont trait
aux fonctions toxiques. Chacun sait, en effet, que les bactéries causent la maladie en
fabriquant des poisons; il n'est plus nécessaire, depuis les travaux de Pasteur sur une
septicémie des poules, de Bouchard sur le choléra indien, de Charrin sur l'infection pyo-
cyanique, de se dépenser en efforts pour établir cette donnée fondamentale entre toutes.
Eninjectant les cultures stérilisées, on fait naître, aussi bien qu'en inoculant lemicrobe,
la fièvre, l'entérite, l'albuminurie, les hémorragies, les éruptions, les accidents nerveux. Ces
phénomènes sont dus à la toxicité des produits solubles fabriqués par les ferments figurés.
Or une série de facteurs physiques ou chimiques sont propres à affaiblir la vitalité
de ces ferments figurés; dès lors, ils n'engendrent ces produits que d'une façon plus ou
moins complète.
Tous les jours, dans un laboratoire, on inocule sans résultat un bacille qui, quelque
temps auparavant, tuait promptement l'animal; ce bacille, sous l'action de l'âge, de la
lumière, de la dessiccation, du défaut d'aliments, de la présence de matières empêchantes,
a perdu une partie de sa vitalité.
ATTENUATION. Sib
Les atténuations font varier l'intensité de la virulence. — ' Ces oscillations
peuvent porter sur l'intensité de cette virulence ou sur sa modalité.
Un virus charbonneux, qui a subi les effets de l'air, du calorique, ou plus simplement
qui s'est modifié parle fait de l'ancienneté, facteur naturel, physiologique, d'atténua-
tion, va provoquer une maladie de quelques heures ou de plusieurs jours, suivant l'in-
tensité de ces effets.
11 est possible de faire varier à l'infini les caractères de bénignité du mal, quand on
possède à sa disposition la gamme entière de ces modes d'affaiblissement; il est pos-
sible de reproduire l'affection dans son ensemble ou de la réduire à un nombre de
symptômes plus ou moins considérable.
Un seul de ces symptômes, l'hyperthermie, par exemple, pourra comprendre tous les
degrés, depuis le maximum jusqu'à l'apyrexie. D'autre part, dans une infection qui nor-
malement comporte de la fièvre, de l'entérite, de l'albuminurie, des hémorragies, on
supprimera la première, ou la seconde, ou la troisième, ou la quatrième de ces mani-
festations, ou les quatre à la fois, ou trois, ou deux. En faisant varier l'élément quantité,
au lieu de s'adresser à la qualité, on aboutit à des résultats analogues; Chauveau,
Watson-Cheyne, BoncHABD l'ont établi.
Influence des atténuations sur les phénomènes morbides. — Influence des
passages, des portes d'entrée sur les atténuations. — Peut-on produire un chan-
gement tel que le micrc.be ainsi traité engendre une maladie toute différente de celle
.qu'il déterminait auparavant? Il est difficile de répondre à cette question, parce que cette
réponse dépend de la façon de concevoir le terme de maladie.
_ A coup sûr, si on définit cette expression en se basant sur les signes apparents et les
lésions, ce changement est des plus réalisables. Prenez un staphylocoque exalté;
injectez-le; une septicémie se déroule. — Soumettez cet agent à la lumière; son inocula-
tion ne causera plus qu'un abcès, qu'une détérioration locale. On arrive au même but,
en augmentant la résistance du terrain. — • Le bacille pyocyanique détermine une sorte
d'œdème circonscrit chez le lapin, soit lorsqu'on a partiellement vacciné ce lapin, soit
lorsqu'on a atténué le bacille.
En définitive, les processus sont identiques. Rendre réfractaire un sujet, c'est créer
chez lui des humeurs bactéricides, c'est-à-dire des humeurs qui, toutes proportions gar-
dées, agissent sur les infiniment petits à la façon des antiseptiques. Déposer un de ces
infiniment petits au sein de ces humeurs revient à modérer son activité par des moyens
chimiques; toutefois, dans ce cas, cette influence se réalise dans l'économie, à l'heure
de cette inoculation, au lieu de survenir in vitro, avant cette inoculation.
Ces données font comprendre pourquoi, comment, le passage dans tel ou tel être
vivant parfois atténue, parfois exalte un ferment figuré. — L'agent du rouget, suivant
qu'il se trouve chez le porc ou le pigeon, subit la première ou la seconde de ces actions.
Le rôle singulier des portes d'entrée ne s'explique pas autrement; le virus du
charbon symptoniatique, placé dans un vaisseau, conduit à l'étal réfractaire, tandis que
déposé dans le tissu cellulaire, il amène une mort rapide. — Le vibrion septique ne se
comporte pas différemment.
Ces diversités tiennent à ce que l'organisme n'est pas un milieu unique, mais bien un
ensemble de milieux distincts juxtaposés ; suivant les aptitudes, telle bactérie rencontre
dans quelques-uns de ces milieux des causes d'affaiblissement, alors que, dans d'autres,
elle trouve des facteurs jouissant de propriétés opposées.
Les atténuations font varier la modalité de la virulence. — Ce sont, en tout
cas, ces oscillations sans nombre dans les fonctions pathogènes, qui, jointes à ces inter-
ventions, elles-mêmes mobiles, du terrain, font qu'un microbe peut faire naître des affec-
tions si distinctes au point de vue du siège, des signes, des altérations; le streptocoque
engendre la fièvre puerpérale, l'érysipèle, une phlébite, une endocardite, une péritonite,
une pleurésie, une arthrite, une dermite, une lymphangite, une cystite, une néphrite, une
angiocholite, une broncho-pneumonie, une angine, une méningite, etc. Le pneumo-
coque, qui pénètre chez le fœtus par la voie sanguine, évolue dans sa circulation, tandis
que, chez l'adulte, entré par les bronches, il se cantonne le plus souvent dans le pou-
mon. — Avec le bacterium coli, la liste des affections s'étend encore.
En somme, un seul infiniment petit crée une foule d'états morbides distincts entre
8i6 ATTENUATION.
eux, états morbides qui sont, au point de vue pratique, des maladies différentes, à s'en
tenir aux ptiénomènes pliysiologiques ou anatomiques, états morbides dont l'ensemble
constitue la staphylococcie, la streplococcie, la pneumococcie, la bacillo-colie, etc., si
toutefois on exige, avant tout, que l'état pathogène soit défini par le microbe.
Ces modifications sont, ou ascendantes, ou le plus ordinairement descendantes;
quelquefois elles vont successivement dans les deux sens. Le rouget, nous l'avons rap-
pelé, voit sa virulence s'accroître chez le pigeon, alors qu'elle baisse chez le porc.
Ces grandes variations dans la modalité des fonctions pathogènes portent surtout sur
les bactéries vulgaires, mal différenciées, sur celles qui existent dans l'air, l'eau, le sol, à la
surface de nos muqueuses ; aussi la notion d'espèce est-elle dans ces cas difficile à préciser.
Pour les parasites hautement spécifiques, pour ceux du charbon, de la morve, de la
tuberculose, vraisemblablement pour ceux, que nous ne connaissons pas encore, de la
syphilis, de la rage, ces dégradations ont trait à l'intensité de ces fonctions pathogènes.
Mesure des atténuations. — Limite des oscillations. — En tout cas, partout on
décèle le rôle du milieu. — Arnaud et Charrin mesurent l'azote qui entre dans la constitu-
tion des toxines du bacille du pus bleu, lorsqu'on fournit des peptones à ce bacille; ils
mesurent également, à la balance de précision, le volume d'azote fixé, quand on supprime
ces peptones; dans ce cas, les chiffres diminuent de plus de moitié. Or, comme les para-
sites agissent en grande partie à l'aide de leurs toxines, cette expérience équivaut au
dosage, en quelque sorte, des atténuations de cette virulence. Ainsi la virulence
lléchit dans d'énormes proportions à l'occasion d'un changement dans le milieu nutritif.
— Les divers agents physiques iju chimiques sont capables d'en faire autant, bien que ces
oscillations aient des limites.
Limites des atténuations. — Ces atténuations peuvent-elles être absolues, peuvent-
elles réduire un agent pathogène au rôle de saprophyte pur et simple? Nâgeli répond
par l'aflirmative ; Chauveau par la négative, en ce sens que la propriété vaccinale, le
plus habituellement, persiste.
On sait les dégradations, les dégénérescences, les monstruosités, pour ainsi dire, que
ce savant a imposées à la bactéridie, au point de la rendre inoffensive pour la jeune souris;
même à ces limites extrêmes de l'atténuation, cette bactéridie a conservé un reste
d'action sur l'accroissement de la résistance.
Atténuation de la virulence — Vaccins. — Hérédité de l'atténuation. — En
affaiblissant divers virus, on leur donne un degré d'activité tel que ces virus inoculés
engendrent des maladies, le plus souvent légères, suivies de l'état réfractaire.
Pasteur a d'abord atténué le microbe du choléra des poules; seul, dans ce cas, le pro-
cédé de dégradation naturelle, le temps, le vieillissement, est intervenu. Pour le charbon
bactéridien, avec Toussaint, on a chauffé à oj°, avec Pasteur à 42°-43''.A ce degré, la cul-
ture se fait sans spores; cette culture sans spores exposée à l'air, à cette température dys-
génésique, s'atténue; de plus, fait capital, cette atténuation se transmet aux cultures filles.
Cette notion de l'hérédité est une des bases de la création de ces vaccins figurés;
cette hérédité distingue ces véritables atténuations des atténuations individuelles.
Chauveau a suivi plusieurs méthodes. — Il a soumis des filaments charbonneux à 42°;
il a porté à 88° des spores, en particulier des spores nées de ces filaments; il a fait vivre la
bactéridie sous l'oxygène comprimé à 3 atmosphères. Cette méthode de l'oxygène fournit
des races qui, d'abord, ne tuent plus les ruminants, qui, à la fin, sont sans danger pour
la souris; ces caractères se transmettent, même en dehors de la présence de cet oxy-
gène, dont les effets ne sont nécessaires qu'au début.
Les antiseptiques, entre les mains de Roux et de Ghamberland, la lumière, avec
Arloing, ont permis de nouveaux affaiblissements du virus du sang de rate, virus
qui se prête, par son passage dans le cobaye, à des développements ascendants.
Le virus rabique, celui du charbon symptomatique, ou du rouget, les streptocoques, les
pyogènes, le pneumocoque, etc., se dégradent également sous l'action du temps, des
antiseptiques, de la chaleur, etc.; l'électricité, d'après Smirnow, permettrait, de son côté,
de créer des vaccins.
La découverte des attributs immunisants des produits solubles a restreint l'impor-
tance de ces vaccins figurés; si, en effet, cette dégradation est trop forte, l'accroisse-
ment de la résistance est nul; si elle est insuffisante, la mort peut en résulter.
ATTENUATION. 847
On comprend donc bien maintenant le mode d'intervention des virus atténués. — Ils
provoquent une maladie légère, en fabriquant des toxines peu actives; or, la patliolo-
gie des infections, pour les fièvres éruptives, les oreillons, le typhus, pour la déter-
mination de la staphylococcie, de la streptococcie, de la pneumococcie, de la coli-ba-
cillose, etc., est riche en formes abortives.
Toutefois, ces toxines modifient la nutrition des tissus; il en résulte que ces tissus
engendrent des principes nuisibles à l'évolution des agents pathogènes, principes bac-
téricides, ou des éléments qui annulent le pouvoir offensif des sécrétions de ces agents,
éléments anti-tosiques.
D'autre part, au contact de ces composés bactériens peu énergiques, ou plus encore
de ces germes affaiblis, les propriétés défensives, phagocytaires, des cellules s'exaltent.
En somme, ce mécanisme se réduit à la suppression d'une partie des fonctions de
sécrétion chez les parasites soumis à la chaleur, à l'oxygène, à la lumière, au vieillisse-
ment, aux antiseptiques, ou encore chez les parasites introduits par des voies spéciales,
déposés dans des organismes particuliers; déjà l'étude de l'atténuation a fait connaître
ces faits.
Résumé. — Les bactéries, on le voit, subissent des atténuations sous l'influence
d'un grand nombre d'agents, agents physiques ou chimiques, naturels ou artificiels,
atmosphériques ou terrestres, agents qui consistent le plus souvent dans des modifications
du milieu ; modifications de pression, de chaleur, de lumière, de gaz, de composition, etc.,
agents le plus ordinairement extérieurs.
Ces influences, durables ou passagères, intenses ou légères, se réduisent à des con-
ditions dysgénésiques; les microbes, dans ces circonstances, sont modifiés dans leur en-
semble,ou dans quelques-unes de leurs fonctions; ces modifications descendantes sont
totales ou partielles. — Elles portent sur la nutrition, sur les sécrétions, sur la fabrica-
tion des pigments, des produits aromatiques, fermentatifs, gazeux, volatils ou stables,
alcaloïdiques, albumosiques ou nucléiniques; elles ont entre elles des rapports ou sont
indépendantes. Elles ont trait aux fonctions physiques, à la résistance à la chaleur, à
la mobilité, à la reproduction, à la façon de pousser, de former des colonies. Elles tou-
chent à la fabrication des principes toxiques, à la fonction pathogène; elles indiquent,
en général, la souffrance de ces êtres.
Cette fonction pathogène peut subir des atténuations d'intensité, de quantité, ou de
modalité, de qualité, principalement pour les bactéries non spécifiques. Ces atténuations
peuvent avoir tous les degrés possibles, toucher au saprophytisnie, au moins théorique-
ment, sinon l'éteindre, causer au cours des maladies, de grandes mobilités dans les symp-
tômes, les lésions, le pronostic. A une limite donnée, ces atténuations transforment les
germes en vaccins figurés ; ces vaccins figurés ne sont autre chose que des microbes
dépourvus du pouvoir de fabriquer des toxines actives, tout en conservant celui d'en-
gendrer des substances vaccinantes; ils font apparaître l'état réfractaire, en changeant
la nutrition, en amenant les tissus à donner naissance à des plasmas bactéricides ou an-
titoxiques, conduisant les cellules à détruire les parasites. Cet état de vaccin, cette atté-
nuation sont transmissibles.
En définitive, à l'hérédité, plus encore aux influences de milieu, se ramène le méca-
nisme de l'atténuation des bactéries.
Bibliog^raphie. — La bibliographie, si l'on voulait citer toutes les expériences dans
lesquelles l'atténuation a été observée, serait trop vaste pour être traitée ici. Nous signa-
lerons seulement parmi les ouvrages d'ensemble où la question a été traitée :
S. Arloing. Les virus, 8°, Paris, 1891. — A. Charrin. Pathol. génér. infectieuse (in Traité
de médecine de Ch.\rcot, Bouchard et Brissaud, i, 1-240, 1891. — J. Girode. JMa/adï'es micro-
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— RoDET (A.). De la variabilité dans les microbes, au point de vue morphologique et physio-
logique), 8o, Paris, J.-B. Baillière, 1894, 224 p.
Quant aux ouvrages, ou mémoires spéciaux, nous nous contenterons de donner les
plus récents et les plus importants. Avec les documents ci-joints on pourra connaître
dans son ensemble l'histoire de l'atténuation : mais il est évident que pour une étude
complète, la bibliographie résumée ici est tout à fait insuffisante.
848 ATTENUATION.
Apostoli et Laquerrièhe. De l'influence du courant continu sur les microbes et particuliè-
rement sur la bactéridie charbonneuse {Rev. intern. d'électroth., Paris, 1891, ii, 2-20). —
Arnould (E.). Influence de la lumière sur les animaux et sur les microbes; son rôle en
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D'Absonval (A.) et Charrin (A.). Action de divers agents {pression, ozone) sur les bactéries
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fréquence sur le bacille pyocyanique (B. R., 1893, 467-469). — Influence des agents atmosphé-
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virulentes, par l'action de la chaleur (C. R., 1883, xcvi, 5S3). — Faculté prolifi'que des agents
viridents atténués par' la chaleur, et ti-ansmission par génération de l'influence atténuante
d'un premier chauffage {ibid., 612). — Rôle de l'oxygène de l'air dans l'atténuation cjuasi
instantanée des cultures virulentes par l'action de la chaleur {ibid., 678). — Rôle respectif
de l'oxygène et de la chaleur dans l'atténuation du virus charbonneux par la méthode de
M. Pasteur. Théorie générale de l'atténuation par l'application de ces deux agents aux
microbes aérobies {ibid., 1471). — De l'inoculation avec les cultures charbonneuses atténuées
par la méthode des chauffages rapides {ibid., 1883, xcvii, 1242). — De l'atténuation des cul-
tures virulentes par l'oxygène comprimé {ibid., 1884, xcvin, 1232). — Applicat. à l'inocul.
préventive du sang de rate, ou fièvre splénique, de la méthode d'atténuat. des virus par
l'oxygène comprimé {ibid., 1885, ci, 45). — Nature des transformat, que subit le virus dii sang
de rate atténué par culture dans l'oxygène comprimé {ibid., 142). — Chmiliewski. Zur Frage
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deutsch. Ueberselzung, sachlichen und sprachlichen ErkUirungen u. vollstândigem Index
(en collaborât, avec Wiener) Leipzig, 1868. . j. G.
AUDITION. — Notions générales d'acoustique. — ^ Acoustique biolo-
gique. — Audition des sons simples, des voyelles, de la parole. — L'audition est
la fonction de Toreille. L'oreille est apte à recevoir, à éprouver, et à ressentir les ébran-
lements et les mouvements vibratoires de la matière ; ceux-ci lui sont transmis par l'air.
DICT. DE physiologie. — TOME ï, 54
SoO AUDITION.
Les vibrations de l'air pénètrent l'organe et l'agitent ; elle déterminent ainsi la for-
malion de mouvements identiques des parties constituantes de l'oreille et l'excitation du
nerf auditif; ainsi naît la sensation sonore. L'audition étudie cette sensation et tout ce
qui a trait à la fonction qui la procure et aux pliénomènes qui se passent dans l'oreille
quand les ondes sonores lui arrivent. du dehors.
Par contre la physique étudie les mouvements élastiques des corps qui donnent nais-
sance à des sons quand ils agissent sur l'oreille. En acoustique, on expose les propriétés
de la matière, les modes et la propagation des vibrations, de l'excitant du nerf auditif; en
acoustique biologique, ainsi que le fait remarquer Helmhùltz, c'est la transmission à l'in-
térieur de l'organe de l'ouïe, le rôle de chaque pièce dans la réception, le transport et
la communication des vibrations aux parties sensibles, que Ton analyse et que l'on
discute.
Ce sont deux faces distinctes de la question ; l'acoustique phyùque doit être séparée
de l'acoustique physiologique, bien que l'oreille soit toujours le réactif indispensable à
ces recherches, sur l'excitant, l'excitation, la perception dans l'audition.
L'audition est une sorte de loucher à distance, c'est l'air qui sert d'intermédiaire
entre le corps vibrant et l'organe chargé de percevoir l'ébranlement : c'est lui qui touche
l'oreille. Celle-ci est donc un organe aérien.
Certaines vibrations des corps qui sont insuffisantes à émouvoir l'organe de l'ouïe ne
sont pas perçues; mais elles peuvent être senties par le toucher ou manifestes pour la
vue. Une certaine amplitude des vibrations est donc nécessaire pour qu'elles soient appré-
ciables: l'influence prépondérante du milieu, la distance du corps sonore, la résonance
des parties avoisinantes, etc.^ toutes conditions étudiées en physique, peuvent accroître
ou diminuer la force du courant sonore et son action sur l'appareil de l'ouïe.
Le silence rend la finesse de l'ouïe plus grande, et l'on perçoit de nuit des sons fai-
bles, ou éloignés, tandis que de jour certains sons plus forts échappent à l'observation au
milieu du bruit ambiant. C'est par la même raison qu'en fermant une oreille on entend
mieux de l'autre.
Tout son qui ébranle l'oreille n'est pas nécessairement perçu; c'est d'abord le plus
intense qui force l'attention; mais ailleurs, grâce à celle-ci, des sons plus faibles seront
mieux entendus au milieu du bruit: avec elle l'éducation du sens se fait, la mémoire au-
ditive se développe, l'ouïe s'afflue; les aptitudes musicales apparaissent; ainsi se forment
autant de facultés musicales qui montrent combien les centres nerveux sont actifs dans
la perception et commandent en somme toute la fonction. ,
Quelle que soit la rapidité de l'impression, il faut que l'excitation ait une certaine
durée pour que le son soit perçu et apparaisse à la conscience. Ce phénomène est plus
facile à observer chez un individu dur d'oreilles; voici comment :
'Ex-périencc : Dans un premier temps on s'assure de la portée de l'ouïe à la montre;
puis dans ses limites on fait plus ou moins vite passer la montre, tenue à pleine main,
au devant de l'oreille : on s'aperçoit que, dès que le passage est quelque peu rapide, l'au-
dition devient impossible, et cependant la montre au repos, à la même distance est
très nettement perçue... En passant aussi vite le son ne fait pas une impression suffi-
sante sur l'organe : quelques secondes de plus et la sensation a lieu. Cette expérience
pratique a été disposée scientifiquement par Gellé de façon à calculer le temps néces-
saire pour qu'un son donné fasse impression.
- Voici ce dispositif (fig. 7o) :
Un diapason, la .3 (9 centimètres de long) oscille avec l'extrémité d'une lame d'acier
de 60 centimètres de longueur placée de champ, et solidement tenue à son extrémité
fixe, au dessus d'un demi-cercle gradué, dont le 0 central marque le point de repos.
En face de ce 0, une planche percée d'une fenêtre qui reçoit l'oreille du sujet et
qui l'isole partout ailleurs. En éloignant plus ou moins le bout de la lame de sa position
fixe, du zéro, on lui imprime des oscillations d'autant plus grandes qu'on l'en écarte
davantage; plus le diapason est porté loin du 0, plus le temps du passage au-devant de
l'oreille est court, puisque ces oscillations ont lieu dans le même temps l'iois du pendule).
La durée de l'impression se mesure ainsi, et l'acuité de l'ouïe de même. L'oreille qui
entend le diapason à son passage, après un grand écartement, une grande oscillation,
qui lui donne une vitesse d'autant plus grande et une durée de passage d'autant plus
AUDITION.
Soi
petite, est, on le conçoit, bien supérieure à celle qui exige pour la perception une courte et
lente oscillation de la lame vibrante, et un passage d'une durée relativement plus longue.
On obtient ainsi par un calcul simple la mesure de l'acuité auditive, basée sur celle de
la durée de l'excitation nécessaire à la perception.
La durée de l'oscillation étant d'un quart de seconde, si on écarte la lame du 0 de
10 centim.,par exemple (20 centim. d'oscillation totale), la durée du passage au 0 sera
d/80<= de seconde. Avec lo centim. d'écart (30 centim. d'oscillation), c'est une durée
d'excitation de 1 /120" de seconde. Les oreilles saines seules possèdent une sensibilité
égale: ces résultats expérimentaux peuvent être rapprochés de ceux d'HELMuoLTz. Ce
savant a pu très nettement observer les intervalles de battements de 1:J2 à la seconde;
son oreille exercée a
donc perçu un son
d'une durée de 1/132
de seconde.
C'est la limite ex-
trême pour la percep-
tion auditive distincte.
Nous avons dit que
Je son est d'abord une
impression faite sur
l'oreille par les vibra-
tions des corps, trans-
mises par le milieu,
vibrant aussi à l'unis-
son. On peut formuler
ceci :
« L'audition est un
mouvement vibratoire
propagé à l'oreille. »
Si le mouvement
vibratoire est com-
plexe, confus, irrégu-
lier, indistinct, peu
analysable, la sensa-
tion donnée est celle
du bruit.
Les caractères des
bruits se tirent de
l'impression qu'ils
nous causent et de
l'idée qu'ils éveillent
dans notre esprit; on les compare à des sons connus, bruit de vent, de choc, de pétil-
lement, etc. On les qualifie de faibles, forts, agaçants, douloureux, etc. Ils prennent
ainsi une valeur conventionnelle et deviennent alors des signes comme les gestes. .
Les sons musicaux, au contraire, naissent des vibrations périodiques, régulières, uni-
formes, qui sont plus ou moins nombreuses dans un temps donné.
Le mouvement vibratoire peut avoir une grande énergie, ou force vive ; des ondes
peuvent être plus ou moins lentes ou rapides, ou courtes ou étendues.
Le son, d'après ces allures diverses, prend des caractères que l'oreille distingue par-
faitement; l'exercice et l'éducation du sens de l'ouïe développent cette aptitude.
On reconnaît trois qualités des sons, leur hauteur ou tonalité, leur intensité et leur
timbre.
Hauteur du son. —La sensation aiguë ou grave donnég par un son est exclusive-
ment en rapport avec la durée de la vibration, c'est-à-dire avec le nombre des vibra-
tions exécutées en une seconde. Le fait est physiquement démontré depuis les travaux
de Savart (roue dentée) et les expériences d'IlELJiHOLTz au moyen de la sirène de Seebeck .
(L'idée première de la sirène est de Cagnard-Latour.)
Pjç; 75. Appareil pour mesurer la durée de l'excitation nécessaire
à Taudition.
La lame d'acier est un pendule, oscillant en un quart de seconde ; le diapa-
son ou le téléphone passent en face de l'anneau où se pose l'oreille du sujet,
d'autant plus vite que l'écart à, partir du zéro est plus grand. Par conséquent
la durée du passage est d'autant plus courte. Le demi-cercle gradué per-
met de mesurer l'étendue do l'oscillation; un simple calcul donne la du-
rée de l'excitation sonore.
852 AUDITION.
ce sont des notions classiques. Un son est à une octave d'un autre quand il est fourni par
tin nombre de vibrations double ; pour la quinte, le rapport est de 2 à 3 ; pour la quarte,
de 3 à 4 ; pour la tierce majeure, de 4 à 3.
Certains sons aigus sont particulièrement insupportables à l'oreille, celui du liège que
l'on coupe, du grattoir sur la pierre, etc. Ils semblent exciter les dents, comme un
acide. L'alliance du nerf auditif avec le nerf trijumeau se trabit ainsi. D'autres causent
dans la profondeur de l'organe la sensation d'une pointe blessante, davantage cbez les per-
sonnes névropathiques ou affaiblies.
Les affections de l'appareil auditif modifient souvent cette faculté de distinguer les
sons plus ou moins différents de tonalité : il en résulte ce qu'on nomme une oreille
fausse. D'ailleurs, des individus même sans aucune maladie des organes auditifs n'ont
pas cette faculté de distinguer nettement les sons de tonalité différente. On naît avec une
oreille juste ou fausse. L'éducation peut développer énormément la faculté de distinguer
les plus faibles variations de la tonalité.
Le nerf sensible ne perçoit bien que les sons que l'oreille moyenne lui apporte. Mais
le nerf lui-même peut être incapable de discerner ces nuances, et sans doute aussi il
faut un certain degré d'éducation pour différencier les sons à ce point de vue. Souvent
les individus n'ont qu'une sensation atone; ainsi il est imprudent en séniiotique auricu-
laire de se contenter du mot : j'entends, dit au bruit du diapason la 3, par exemple. Le
son est-il aigu ou grave? le sujet peut l'ignorer; ou bien ce qu'il perçoit est loin de ce
qui est.
Il ne faut au reste point oublier que ces analyses des qualités du son montrent en
même temps celles de l'organe auditif. Le son donné, l'oreille est le réactif.
Depuis Pyteagore, on sait que les rapports des intervalles des sons consonnants, d'une
octave « sont des nombres entiers et les plus petits de ces nombres (1, 2, 3, 4, 5,) ».
Harmonie préétablie, dit Bernstein.
Ainsi l'organisation de l'organe de l'ouïe est telle qu'elle s'adapte d'emblée à ces rap-
ports simples; c'est là un phénomène à coup sur remarquable et mystérieu.x. Inexpli-
cable aussi ce fait absolument certain : les sons dont les nombres sont dans ces rap-
ports simples donnent lieu aux sensations les plus agréables à l'oreille. La capacité de
l'oreille pour reconnaître la hauteur des sons se développe, avons-nous dit, par l'étude
«t l'exercice. Il est curieux de constater, à ce propos, que 2 sons à l'octave qui forment
la consonnance la plus parfaite, sont facilement confondus par les plus habiles, car c'est
le rapport le plus simple, 1 : 2.
Cette faculté de percevoir les tonalités diverses a une limite; à un certain point les
sons graves ou aigus ne donnent plus que la sensation peu nette, vague, d'un bruit. Tous
les physiciens s'accordent pour reconnaître que le son rendu par un tuyau d'orgue de
32 pieds ouvert est le son musical le plus grave que l'oreille puisse apprécier : ce son
a 16™,62o de longueur d'onde. ^^
On observe que tous les sons graves au-dessous de 32 vibrations (16 allemandes), ut 2
des grandes orgues, lit du piano (33 vibr.), le mi 1, de la contrebasse qui a 40 vibrations
sont très désagréables, et n'offrent rien de musical.
En effet ces sons donnent plutôt une sensation tactile, celle d'une suite de chocs. Pour
obtenir une sensation continue, il faut donc au moins 32 excitations du nerf acoustique
par seconde. Nous sommes ici à la limite de la fonction ; et l'excitation de l'organe cesse
d'être régulière; l'instrument chargé de la récolte et de la fusion des excitations ne peut
plus associer ces ondes trop lentes et qui font des secousses isolées dénuées de tonalité.
Helmholtz remarque avec intérêt que l'éducation est impuissante à modifier ce résul-
tat : c'est donc, dit-il, un phénomène dû à la conformation de l'organe.
Par contre, la faculté d'entendre les sons de tonalité élevée (vibrations de durée courte
et de rapidité extrême par seconde), est très développée.
Ainsi on peut percevoir le son du n! 6 de la pelite flûte d'orchestre, qui donne 9 304
vibrations par seconde (4730 allemandes). Despretz a pu atteindre avec ses petits diapa-
sons jusqu'auj'é 9, auquel correspondent 76032 vibrations (38 019 allemandes) ; la lon-
gueur d'onde ici est de quatre millimètres. Cependant on remarque également que
ces sons si hauts deviennent peu distincts, peu nets, et désagréables à l'oreille ; nous
avons fait tout à l'heure la même réflexion à propos des sons placés à la limite des graves.
AUDITION. 8o3
Malgré l'énorme étendue de ce clavier des sons perceptibles, on n'emploie avec avan-
tage en musique que ceux qui sont compris entre 40 vibrations et 4000 vibrations (aile»
mandes).
En somme, l'organe auditif possède un clavier de 11 octaves; c'est-à-dire qu'il est sen-
sible à cette masse d'excitations sonores de tonalités différentes étendue jusqu'à la 11°
octave. Quelle variété de sensations! et le son n'est considéré ici qu'au seul point de
vue de sa bauteur.
Le nerf acoustique est, d'après ce qui précède, assez lent à s'émouvoir; il lui faut un
certain nombre d'excitations successives rapides pour être mis en action continue; et,
intensité à part, tout son continu est un excitant supérieur; c'est la différence qui se
constate entre la montre et le diapason pris comme moyens de mesurer l'acuité audi-
tive. Au-dessus de 16 chocs ('32 vibrations) par seconde, nous n'avons pas conscience
de la succession si rapide des excitations qui donnent la sensation d'un ton élevé
continu.
Une somme de ces excitations rapides combinées dans le cerveau donne la notion du
son : un seul choc, s'il est faible, passe facilement inaperçu; on saisit l'influence de la
durée ou de la répétition des excitations. Dans l'étude des sons combinés, des sons si-
multanés de hauteurs diverses, ces synthèses se montrent plus évidentes dans les accords
de consonnances et de dissonnances et dans les sons résultants.
A'ous verrons plus loin comment l'appareil auditif peut arriver à conduire cette
foule de sons variés qu'apporte l'air ambiant, et que perçoit le nerf sensoriel.
Certaines affections de l'oreille ont pour effet de nuire à son aptitude fonctionnelle à
vibrer à l'unisson; il en résulte la sensation d'un ton qui diffère du son émis : c'est
l'oreille fausse. Le malade entend juste d'un côté, et faux par l'autre.
D'autre part l'état de sensibilité des filets nerveux de l'auditif n'influence pas moins
ce résultat, car on sait des cas de surdités partielles pour un ou plusieurs tons, et des
faits très précis d'hyperesthésies partielles.-
La capacité de l'oreille pour recevoir et distinguer une succession d'impressions
sonores si rapides, ainsi qu'HELMuoLTz l'a établi, montre aussi la rapidité avec laquelle
la sensation sonore s'éteint, disparaît, pour faire place à une nouvelle sensation.
La construction de l'appareil de transmission doit répondre à cette exigence de pou-
voir étouffer le son aussitôt perçu pour faire place aux sons suivants. L'élément nerveux
joue aussi un rôle important dans cette limitation de la durée de l'impression sonore
indispensable.
Dans certaines affections l'organe perd cette faculté ; et les sujets se plaignent de sen-
tir les sons se prolonger après que le corps sonore a cessé de vibrer; d'autres fois ce sont
d'autres sons que l'excitation première a fait naître; et quelquefois ce sont toujours les
mêmes, comme si certains filets sensitifs conservaient plus longtemps l'irritation (sons
persistants; sons consécutifs). Ces phénomènes subjectifs reconnaissent pour cause ordi-
naire surtout un trouble de l'appareil nerveux.
Les sons qui frappent l'oreille avec une grande intensité, lancés avec violence, ont
aussi pour effet de produire ces fâcheux retentissements par une sorte de commotion de
l'oreille interne.
Intensité du son. — L'intensité de la sensation est en rapport avec l'énergie du mou-
vement vibratoire du corps sonore, de l'air, et de celui qui a envahi l'oreille moyenne.
Un choc suffisant donne une certaine force vive aux ondes aériennes qui se propagent;
un air dense, un lieu clos, une voie directe, en rendent le transport plus facile : ce sont
les conditions physiques qui favorisent l'audition.
L'ampleur du mouvement ondulatoire produit l'intensité du son. On peut ainsi voir
vibrer les deux lames du diapason, les cordes et les membranes fortement ébranlées.
Le son perd en intensité comme le carré de la distance de l'oreille au corps sonore.
De toutes les qualités du son l'intensité est la plus indispensable à son audition.
Une masse d'air doit être traversée; l'appareil de conduction doit être mis en branle :
il faut des ondes sonores suffisamment énergiques pour communiquer le mouvement
jusqu'au labyrinthe et pour impressionner le nerf sensoriel.
La distance à laquelle l'oreille perçoit donne Vacuité de l'ouïe; la durée de l'excita-
tion, nous l'avons montré, est aussi un facteur de l'intensité de la sensation éprouvée.
851 AUDITION.
Comment se produisent ces transmissions des ébranlements du corps sonore à l'air
et de celui-ci à l'oreille, enfin aux filets nerveux du labyrinthe ?
Comment l'appareil transmetteur subit-il ces vibrations propagées par le milieu, et se
trouve-t-il associé au mouvement du dehors"?
L'oreille reçoit surtout les chocs des ondes aériennes; la proportion de celles que
propagent les corps solides du corps est très inférieure; nous verrons au reste qu'elles
aboutissent au même chemin.
L'organe de l'ouïe est frappé par les sons à distance; il les perçoit par l'influence du
milieu et non au contact; car c'est l'air qui conduit les ondulations jusqu'à l'entrée de
l'oreille.
Là se| fait la communication du mouvement de l'air aux tissus auriculaires, c'est-à-
dire l'action par influence, la transmission à distance de l'énergie vibratoire.
C'est là un phénomène physique général : ces propagations du mouvement vibratoire
à distance se démontrent par des expériences fort simples, mais se constatent à chaque
instant dans le milieu aérien et sur les corps qui nous entourent. C'est la vitre qui vibre
et sonne au passage d'un certain bruit; c'est le diapason qui met en mouvement sonore
un diapason semblable, c'est la corde du piano qui 'résonne sous l'influence des vibra-
tions d'une corde voisine, etc.
Chladni, Savart, pour les membranes, Helmholtz, Koenig, pour les flammes et les
gaz, ont montré par de belles expériences, classiques, les communications du mouvement
vibratoire en dehors de tout contact. Muller a montré ce qu'il perd en intensité en pas-
sant de l'air aux solides.
Il est établi que les vibrations par influence se produisent dès que les deux corps en
présence (diapason, corde, plaque ou membrane) sont susceptibles de vibrera l'unisson;
mais qu'il en lest aussi de même tant que les ondes émises sont des composantes du
son propre de l'instrument (V. plus loin, Harmoniques).
L'oreille, on le voit, peut, à distance, recevoir et éprouver les ébranlements vibratoires
que l'air lui apporte, et vibrer à l'unisson des corps sonores : ce sont ces vibrations oti-
ques que le nerf acoustique perçoit.
Nous verrons tout à l'heure comment et par quels organes se fait cette pénétration
du mouvement vibratoire dans l'oreille; il était important de rappeler qu'il y a là un
phénomène physique général, et comment le transport du son à distance jusqu'à l'oreille,
par influence, est assuré.
Timbre du son. — Les deux qualités du son que nous venons d'étudier étaient
bien connues de Galilée, de Newton, d'EuLER, de Bernouilli; il n'en est pas de même
de la troisième qualité, celle du timbre, sur lequel on a pendant longtemps émis les
hypothèses les plus vagues. C'est Helmholtz qui a élucidé ce sujet par sa théorie
physiologique (1874) de la musique, à laquelle nous emprunterons largement pour cet
article.
En 1864, Gavarret écrivait encore ceci : « Les véritables causes des variations de tim-
bre ne sont pas encore bien connues » {Acoustique. Dict. de méd., 1864, p. 623).
Un son de même intensité et de même hauteur peut-être produit par divers instru-
ments, et chacun de nous cependant sait reconnaître que l'un des sons est fourni par le
violon, l'autre par un instrument à vent, etc. Ce qui revient à dire que, suivant l'instru-
ment ou la personne qni donne un son, la sensation auditive peut être ditïérente, bien que
les deux autres qualités de ce son, l'intensité et la hauteur, soient exactement les mêmes.
On dit que ces sons diffèrent par leur timbre. A quoi tient cette nouvelle qualité du
son? On juge déjà d'après les modes divers de sa production qu'elle résulte des conditions
nouvelles qui dépendent de la nature de chaque corps vibrant, si bien que le timbre
caractérise suffisamment et nous indique la source du son (voix, flûte, violon, instru-
ment à cordes). Il a un rapport éti'oit avec la nature et l'état moléculaire du corps sonore.
Les musiciens connaissaient les sons harmoniques de tonalité élevée qui se produisent
en même temps que le son fondamental. De même les facteurs d'orgues avaient mis à
profit la remarque que l'adjonction de certains tuj'aux d'orgues au principal donne au
son du corps, de l'éclat, tout en lui conservant sa hauteur.
L'expérience classique de Sauveur, qui montre au moyen de petits chevalets de
papier posés sur la corde, la formation de nœuds et de ventres, rend bien manifeste celle
AUDITION. 853
des ébranlements partiels et multiples. Savart et Seebeck (1823) les ont démontrés
dans les niasses d'air au moyen des membranes sensibles. Magendie dit en propres
termes : « Le timbre dépend de la nature du corps sonore, ainsi que du plus ou moins
grand nombre d'harmoniques qui se produisent en même temps que le son principal. »
(Magendie. Précis de physiol., troisième édition, 1833, t. ii , p. 127.)
Raueal', au dire d'HELiiHOLiz, aurait également partagé la même idée, énoncée dans ses
études sur la voix humaine (Rameau. Éléments de musique, Lyon, 1762) ; et Monge avait
aussi fait des recherches à ce sujet.
Les travaux d'HEL.uiiOLTZ ont aujourd'hui complètement élucidé laformation du timbre.
Il est vrai qu'il se forme par l'addition au son fondamental des sons partiels, des
sons harmoniques, c'est-à-dire par l'association de vibrations secondaires, qui se con-
fondent avec le son fondamental, sans faire varier sa hauteur.
C'est ici que se montre avec le plus d'évidence la faculté que possède le sens auditif
d'associer, de fondre, d'analyser, de combiner les ondes sonores simples et d'en former
des unités nouvelles.
Au moyen de ses résonnateurs, Helmholtz a décomposé le timbre, et montré les sons
partiels qui accompagnent le son principal, et lui donnent cette qualité qui l'individualise,
qui lui ajoute le coloris, comme le dit d'Alembert. Du même coup il a démontré l'apti-
tude si remarquable de l'oreille à percevoir les vibrations simples, pendulaires; c'est-
à-dire les éléments les plus simples du son.
Fourier avait établi mathématiquement cette loi que tout mouvement vibratoire peut
être reconnu comme la somme de mouvements vibratoires simples pendulaires.
Helmholtz prouve que l'organe de l'ouïe opère cette analyse délicate; et, dans un ton,
que notre conscience nous représente comme un tout, découvre, perçoit et isole des sons
partiels, des vibrations simples, composantes, dont l'addition au ton fondamental plus
intense lui donne la qualité du timbre. Au moyen de résonnateurs accordés, le savant
physicien renforce ces sons partiels, les rend perceptibles à l'oreille et les classe : ainsi
le timbre est décomposé en ses parties constituantes et chacune d'elles est étudiée. Puis,
faisant une opération inverse, l'auteur en opère la synthèse; il ajoute expérimentalement
au ton un, puis deux, puis plusieurs de ces sons pendulaires, partiels, de ces harmoniques,
et il fait apparaître la sensation du timbre : c'est ainsi que Kœnig formera expérimenta-
lement les sons voyelles.
Il a surpris ainsi la fusion des vibrations, et trouvé les lois de cette association
curieuse, méconnue jusque-là.
Le son fondamental prédomine; c'est lui que le moi perçoit comme hauteur; les sons
harmoniques sont faibles, et d'une tonalité en général plus aiguë; ils sont plus ou moins
nombreux; on y constate des vibrations à l'octave, à la quinte, à la tierce, etc. de la
vibration primaire.
Par l'étude des vibrations partielles des cordes vibrantes on peut comprendre la for-
mation, la multiplicité et la faiblesse relative des vibrations secondaires, qui accompa-
gnent le ton propre de la corde; car [cette corde se divise en 2, en 3, en 4, en a, etc.
parties, qui toutes entrent en vibrations, dont la somme s'ajoute à la vibration générale;
ce sont là les harmoniques du son propre de la corde ; on voit par leur origine pourquoi
ils sont plus aigus que le ton fondamental. Le nombre et la force de ces harmoniques
diffèrent dans les divers instruments de musique, et produisent ainsi le timbre particulier
à chacun d'eux.
En réalité, à un moment donné, la vibration produite est la somme de toutes les
vibrations de, même sens et de sens contraire; et la multitude des vibrations du milieu
ambiant coexiste dans notre oreille sans s'altérer ni se détruire ; car celle-ci distingue les
divers modes de ces vibrations.
Cependant nous ne prenons pas d'ordinaire connaissance de cette analyse; elle se fait
à noire insu; elle résulte de l'organisation de notre oreille autant que de la nature des
vibrations des corps (Taixe, H. Spencer).
Helmholtz a isolé les sons partiels et analysé la sensation en faisant ressortir au
milieu d'un groupe de vibrations celle qu'il voulait révéler et étudier, au moyen de ses
résonnateurs accordés qui amplifiaient ce ton seul, à l'exclusion des autres.
En effet, ces vibrations existent dans le son apporté à l'oreille : elles le constituent;
856 AUDITION.
le ton fondamental domine et les harmoniques se confondent avec lui. Ces sons élémen-
taires, l'organe de l'ouïe a donc le pouvoir de les percevoir et de s'en pénétrer; car ils
peuvent toujours être ramenés à une somme de vibrations simples, pendulaires (loi de
Ohu) ; et, bien que la sensation soit une, cependant elle est due à un bouquet de vibra-
tions élémentaires (Taine, Spenceb).
Les harmoniques sont les multiples du son fondamental ; le sensorium perçoit ce seul
ton, mais l'oreille a reçu et analysé plusieurs vibrations simultanées.
Par l'étude et l'exercice, on peut arriver, sans le secours des résonnateurs, à isoler
nettenrent certains de ces sons partiels ou harmoniques.
Rameau, Thomas Young avaient reconnu ainsi quelques harmoniques (Rameau. Nouveau
système de musique théorique. Paris, 1726. — Thomas Voung. FMI. Trans. Lond. 1800, t. i,
p. 137).
D'après Helmholtz il est plus facile de reconnaître les sons partiels impairs (quarte,
tierce, septième, etc.) du son fondamental ; nous avons dit que 2 sons à l'octave se con-
fondent facilement; de même, la première harmonique est plus difficile à découvrir,
c'est l'octave du ton fondamental.
D'autre part les vibrations simples élémentaires, la vibration pendulaire, se rencon-
trent rarement; le diapason isolé donne un son simple cependant.
La plupart des instruments et des corps vibrants fournissent des tons complexes, d'oii
le timbre qui les caractérise chacun. Un diapason porté sur un corps quelconque suscep-
tible de vibrer l'associe à son mouvement tonal: le son est modifié aussitôt par l'associa-
tion des sons partiels du corps qu'il touche; il prend im tout autre caractère; et le
timbre est modifié.
Un diapason muni d'une pointe trace sur le rouleau de l'appareil enregistreur une
ligne ondulée, au-dessus et au-dessous de la ligne horizontale, à courbes parfaitement
égales de longueur et de hauteur.
Chaque courbe est l'image d'une demi-vibration pendulaire : c'est là la forme d'une
vibration élémentaire, rendue par la méthode graphique.
Ajoutons un ton harmonique, le premier, et nous voyons l'image se modifier ; sa forme
générale représente une moyenne entre les formes des deux ondes associées dans le même
temps. La courbe est changée; l'onde monte plus vite au-dessus de l'abscisse et s'abaisse
plus lentement; sa partie concave subit la même modification. La hauteur du ton est
restée la même, puisque la durée des deux tons associés estla même; mais le timbre du ton
est différent. Helmholtz en conclut que le timbre dépend de la forme de l'onde sonore;
laquelle varie suivant la qualité et le nombre des tons partiels ajoutés. C'est ainsi que la
science est parvenue à décomposer la sensation, qui nous semble un tout, une, et à, y
découvrir un ton fondamental et des tons harmoniques.
Cette analyse des aptitudes de l'organe et du sens de l'ouïe a jeté la plus vive lumière
sur le mode d'excitation du nerf acoustique.
Pour comprendre cette puissance de réception des vibrations élémentaires, réalités
objectives que ressent nettement l'oreille, il faut admettre qu'elle possède des éléments
de perception en suffisante proportion.
C'est dans le labyrinthe, nous le verrons, que sont e.'iposées aux excitations des ondes
transmises les extrémités des filets du nerf spécial. On peut admettre que chaque vibra-
tion simple touche un élément auditif spécial. Le son fondamental et les tons harmoni-
ques exciteraient chacun une fibre nerveuse particulière, et chacune de ces fibres trans-
mettrait une sensation spéciale aux centres nerveux.
C'est dans le cerveau que se fait la réunion des excitations partielles et la formation
des unités que nous sentons par l'agglomération et la fusion des sensations élémentaires
inconscientes (Taine, De l'intelligence).
De même s'explique la possibilité de recevoir dans le même temps plusieurs excita-
tions; celles-ci sont, en effet, soit simultanées, soit successives.
L'oreille est le juge suprême de ces combinaisons sonores ; et, suivant qu'elles lui sont
agréables ou désagréables, elle les classe en consonnances et dissonnances.
En général, les intervalles simples, les rapports simples des nombres de vibrations
fournissent une sensation de consonnance, tels l'octave, la quinte, la tierce, etc., qui
sont : : 2, 3, i, etc.
AUDITION. 857
Au contraire les dissonnances se produisent surtout dans les tons plus rapprochés. Hel-
MEOLTz a montré qu'elles résultent de la formation de battements alternatifs, d'autant
plus désagréables qu'ils sont plus fréquents.
Ces battements, on le sait, sont produits par la rencontre de deux ondes de vitesses
différentes, mais très rapproctiées ; ils apparaissent également quand deux ondes se
fusionnent, soit qu'elles s'ajoutent, soit quelles s'annulent, étant de sens contraire : il y
a ainsi des affaiblissements ou des augmenlations d'intensité alternatifs, qui ont une
action très mordante sur l'oreille. Je les ai employés pour l'exploration de l'acuité audi-
tive dans les fortes surdités (Gellk. Étude sur les battements, in Etudes d'otologie, t. i).
Ces associations de vibrations sont des plus diverses, les accords et les dissonnances
peuvent exister entre les tons fondamentau.\, et aussi entre leurs harmoniques; et il en
est de même des interférences. On conçoit que de là naissent des qualités très diffé-
rentes des sons au point de vue du timbre, et de l'effet qu'ils produisent sur l'oreille.
Les battements, les interférences fréquentes donnent au son un timbre criard, aigu,
ou sourd, suivant le phénomène vibratoire, et les éléments prédominants. En réalité
c'est un son complexe qui frappe l'oreille; et sa perception comme unité est un acte psy-
chique; la notion du plaisir et du déplaisir l'indique déjà; la connaissance du corps ou
de l'instrument qui fournit le son, violon, cor, flûte, etc., montre qu'il se fait en nous
une représentation ou image, que certains timbres éveillent dans notre esprit.
Avec le timbre, noire intellect prend ainsi connaissance des propriétés de la matière
par l'audition des vibrations moléculaires, qui trahissent l'état des corps; lin vase fêlé,
une lige de fer rompue, même d'une façon invisible, ne donnent plus le même son; et
l'oreille indique la fracture.
Les harmoniques, que nous avons montrés peu évidents, peuvent cependant prendre
une grande importance: c'est ainsi que nous verrons tout à l'heure, à propos de l'audi-
tion du langage articulé, queKosNiG, appliquant la théorie d'HELsiaoLTz, a pu, en fournis-
sant au son fondamental d'une voyelle l'harmonique qui le fait valoir, son « vocable »
ainsi qu'on l'appelle, reproduire clairement la voyelle voulue.
L'audition est facilitée en général par les harmoniques; car les sons simples sont
sourds ou faibles ; les harmoniques donnent de l'ampleur, de l'éclat, du corps au son
ainsi que les jeux de fourniture des grandes orgues l'avaient depuis longtemps prouvé.
Quelques vibrations non harmoniques sont signalées par Helmholtz comme utiles à
l'audition. Un diapason trop brusquement frappé résonne dans les tonalités aiguës bien
supérieures à son ton propre, et dont le son est très pénétrant. Avis au médecin qui
explore l'audition; il y a là une cause d'erreur très facile à éviter.
Dans l'émission des sons delà voix, suivant la façon dont on la produit, il se forme
de légers bruits, frôlements, râpcments qu'on remarque surtout pour 1'/, Vu, et l'ou, le
y allemand. Fou et le u' anglais (Donders). Ces bruits se perçoivent plus en parlant qu'en
chantant. Tout le monde connaît les sons de ràpements, frottements, etc., qui accompa-
gnent les attaques des instruments à cordes, à vent, à anche, etc.
L'émission des sons b, d, gu, t, p, k, en montre aussi par la façon même dont ils se
forment. Ces sons additionnels inharmoniques sont en général assez pénétrants, et facili-
tent l'audition.
Harmoniques de la voix. Expériences de Kœnig. Reproduction de la voix.
— L'audition de la voix humaine est trop importante pour que nous n'en disions pas
quelques mots, sans crainte de sortir du domaine de la biologie.
Helmholtz nous a présenté les tons simples comme'dénués de force et d'éclat; l'oîfest
un son presque simple; et on sait qu'il est sourd et éteint; les sons nasaux sont aussi
sans éclat, et ce sont les premiers qui disparaissent parl'éloignement.
Les sons à harmoniques brillent au contraire par leur netteté et leur pénétration ; or
à ce point de vue la voix humaine est véritablement privilégiée.
On sait que les cordes vocales résonnent à la façon de l'anche membraneuse; et que
dans l'anche le son est formé par l'ébranlement périodique de la colonne d'air. En
réalité c'est l'air qui vibre plus que l'anche (Helmholtz, p. 133).
La colonne d'air vibrante traverse, au sortir du lai'ynx, les cavités pharyngées, nasales
et buccales, qui jouent le rôle d'appareil de résonnance, appareil mobile dans sa forme,
dans son calibre, et dans la tension de ses parois.
8S8 AUDITION.
Or ces cavités résonnantes renforcent bien plus les harnioniques que le son fonda-
mental, et surtout certains d'entre eux.
La « vo3'elle » est ce son harmonique produit, renforcé, à l'exclusion presque du
son fondamental; et suivant la capacité, la forme des cavités et de leurs parois, c'est
tantôt un des harmoniques qui est prédominant, tantôt l'autre ; ainsi se différencient
les voyelles.
La résonnance de la bouche joue le plus grand rôle dans ces modifications, pour
l'émission et la production des sons voyelles. Nos connaissances sur ce sujet résultent de
travaux d'HELiiHOLTz, de Willis, de Seiler, de Kœnig surtout; nous leur emprunterons
quelques notions qui intéressent l'étude de l'audition.
La parole articulée. ■ — La parole articulée est une collection de phénomènes
sonores devenus des signes qui permettent de transmettre notre pensée à travers l'es.-
pace à l'oreille de nos semblables. Ces bruits associés, ces signes conventionnels
s'adressent donc aux centres nerveux; ils entrent dans le domaine psychique et leur
production compliquée met en œuvres plusieurs facultés, l'attention, la mémoire et les
centres moteurs; l'éducation les apprend; et dans l'esprit de chacun le son et l'idée ne
font qu'un. La perte de l'audition de la parole est le plus grand tourment du sourd;
étudions rapidement la formation de la voyelle, de la consonne, des syllabes, des mots
et des phrases.
Les sons consonnes, non musicaux, sont ces petits bruits associés au son laryngien
par les obstacles que l'onde rencontre en traversant les cavités bucco-pharyngées. La
consonne est aphone; elle s'entend aussi bien dans la voix chuchotée que dans la voix
forte; la sonorité laryngée n'est pas nécessaire à sa production.
DoNDERS a bien étudié ce sujet; ces petits bruits additionnés au son laryngé sont
faibles; et leur émission accompagne celle des voyelles; elle dépend de la façon dont
celles-ci sont émises; on les rencontre plus accusés dans le P, T, C, Gu, et dans quelques
voyelles i, u, ou.
Par l'affaiblissement de l'ouïe, ce sont ces bruits, ces sons consonnes, faibles, qui dis-
paraissent les premiers; l'articulation des sons n'est plus indiquée alors; et le sujet ne
perçoit plus qu'une suite de sons voyelles plus ou moins éclatants. Le mot a perdu sa
physionomie; il est méconnaissable; l'audition du langage articulé est devenue impos-
sible. Instinctivement le sourd tâche de saisir sur les lèvres de celui qui parle le travail
d'articulation qui produit à la fois la voyelle et la consonne; les yeux cherchent à
suppléer l'oreille défaillante.
Les voyelles, par contre, sont la voix même, ce sont des bruits musicaux; c'est le son
laryngé modifié par, certaines dispositions des cavités que l'air expiré traverse.
Nous avons dit que la voix est riche en harmoniques sonores; il résulte des travaux
d'HELMHOLTz, de Kœni& surtout, que le son fondamental est fourni par le larynx et que les
cavités buccales, pharyngées et nasales fournissent les harmoniques.
A certaines notes correspondent les sons harmoniques de la voix, que Jamtn a nom-
més « les vocables», parce que ces sons renforcés dans l'appareil bucco-pharyngé ren-
dent le son de la voyelle.
Helmholtz, Kœnig, nous l'avons dit, par des dispositifs plus ou moins compliqués ont
pu obtenir les sons voyelles. En faisant résonner en face de la bouche, par exemple, un
diapason choisi, accordé, tandis que la cavité est disposée comme pour prononcer ou, la
voyelle ou retentit.
L'analyse a été à ce point de vue poussée aussi loin que possible; et Kœnig donne la
liste suivante des vocables au moyen desquels on peut produire à volonté sur le vivant,
ou au moyen d'appareils, la voyelle demandée :
h'ôu répond au si i,2. 470 vibrations.
0 — si [,3 940 —
a — si l,, 1 880 _ —
e — si 1,5 3760 —
i — si [,» 7520 —
On voit qu'il existe un intervalle d'une octave entre les vocables des diverses voyelles.
AUDITION. 839
En résumé, dans la parole, les voyelles sont les parties éclatantes et [évidentes du
bruit perçu; tandis que les consonnes sont de faibles et légers bruits qui résultent de l'ar-
ticulation, c'est-à-dire du travail d'appropriation des cavités bucco-pharyngées pour
l'émission de la voyelle.
Dans la voix chuchotée, la voyelle , son laryngé, disparaît; les petits bruits de l'arti-
culation persistent seuls.
Les cavités nasales, buccales, pharyngées jouent le rôle de résonnateurs; avec un
résonnateur et un son accordés, Helmholtz a reproduit la voyelle voulue.
Dans l'émission de la parole, le courant sonore ne passe pas toujours uniquement
par le canal bucco-pbarynge': les voies nasales s'ouvrent par l'abaissement du voile,
pour la formation de certains sous vocaux, qui empruntent là un timbre spécial, par
l'addition d'harmoniques particuliers, le timbre nasal. Celui-ci caracte'rise à nouveau la
série des voyelles.
Le résonnateur nasal accroît donc et double le nombre des sons vocaux, par une
modification spéciale du timbre, très distincte.
Ce timbre est plein, mais sourd ; et l'intensité aussi varie suivant les races et les
individus.
Les affections nasales, comme celles des cavités buccales et du pharynx, altèrent pro-
fondément les sons émis, et peuvent même s'opposer à leur formation; les lésions du
voile sont à ce point de vue très nuisibles; celles du cavum rétro-nasal ne le sont pas
moins ("baba pour maman); tantôt le timbre nasal s'ajoute aux voyelles qui ne le doi-
vent pas posséder; et tantôt celles qui [le possèdent d'ordinaire perdent ce caractère
si particulier.
On voit que, grâce à cette double voie prise par le courant sonore laryngé, les sons
voyelles offrent une plus grande variété et un nombre plus élevé.
Helmholtz a le premier signalé la sensibilité remarquable de l'oreille pour certains
sons, ceux de l'indice 5, c'est-à-dire pour ceux qui se rapprochent le plus des harmo-
niques de la parole (si bs, pour lui ; et si U pour Kœnig).
Le premier îl a également noté une diff'érence entre la facilité de perception des sons
graves et des aigus : il a montré qu'un trille de dix notes par seconde donne une sen-
sation confuse dans les notes graves, et très distincte au contraire dans les aiguës : il en
a conclu que l'étouffement des notes graves, grâce à l'organisation de l'organe auditif,
est incomplet, et plus difficile que pour les sons élevés ; la cause en est inconnue. La sen-
sibilité évidemment plus étendue de l'oreille pour les sons élevés ne plaide pas en faveur
de l'opinion que les sons graves causent une impression plus vive, et plus durable.
De cette étude des sons, des harmoniques et du timbre, on conclut que l'organe
sensitif de l'oreille doit contenir autant de filets sensitifs qu'il existe de sons élémen-
taires, de vibrations simples, pendulaires, pour assurer cette perception indiscutable.
Dès lors l'explication de la formation du timbre est claire; le timbre naît de la mul-
tiplicité des fibres nerveuses spécifiques auditives qui ont été frappées par les ondes
sonores; et oelles-ci contiennent, en puissance, la somme de toutes les vibrations
simples émises par le corps sonore : c'est la conclusion des travaux de Helmholtz.
« L'énergie spécifique du nerf auditif se compose des énergies de chacune des fibres
nerveuses qui le constituent. La diversité de nos sensations acoustiques naît de la diver-
sité et de la différence des éléments nerveux excités. »
IS'ous devions commencer l'étude de la fonction de l'ouïe par cet exposé succinct des
travaux et conquêtes de Helmholtz qui éclairent toute la physiologie du sens de l'ouïe.
On a vu combien l'acoustique physiologique se confond avec l'acoustique physique;
cela deviendra de plus en plus évident à mesure que nous pénétrerons plus loin dans
cette étude de l'oreille et de sa fonction.
Nous allons suivre la vibration sonore à travers l'appareil auditif, et nous montrerons
le rôle de chaque partie, au point de vue de la récolte, de la transmission et de la per-
ception des ondes.
Nous conduirons alors l'impression au delà de l'oreille ; nous étudierons son action
sur les divers foyers nerveux, soit qu'elle cause la sensation auditive, soit qu'elle excite
860
AUDITION.
le foyer de la parole, soit qu'elle provoque les mouvements de protection ou d'accom-
modation locaux ou généraux nécessaires.
L'oreillCr — La sensation sonore est exclusivement apportée à la conscience par
le nerf acoustique.
Ce nerf possède donc une sensibilité propre, que les vibrations du dehors mettent
en éveil; mais dans l'organe auditif la partie sensible n'est pas en contact immédiat avec
le milieu extérieur; au-devant d'elle plusieurs parties de l'oreille se présentent tout d'abord
pour recevoir le choc de l'onde apportée par l'air. Le nerf auditif ne ressent que les mou-
vements vibratoires que lui communique l'appareil de transmission, constitué par l'oreille
interne et par l'oreille moyenne ou caisse du tympan. En définitive tout mouvement
FiG. 76. — Coupe transversale de l'appareil auditif.
1, Pavillon et conduit auditif externe. — 2, membrane du tj'mpan coupée pour laisser voir la caisse. —
3, fenêtre ovale. — 4, canaux semi-circulaires. — 5, limaçon et fenêtre ronde (fossette). — G. trompe
d'Eustachs. — 7, artère carotide interne dans le canal carotidien (paroi interne de la trompe osseu.se). —
8, veine jugulaire interne (paroi inférieure de la caisse). — 0, nerf pneumogastrique. — 10, nerf facial,
sortant du canal de Falt.ope. — 11, apophyse styloïde du temporal. — 12, cellules mastoïdiennes. (D'après
Debière. Traité d'anatomie.)
ondulatoire est d'abord ressenti par l'appareil transmetteur; et le nerf ne perçoit que
par l'oreille.
Avant de devenir une sensation sonore, les vibrations doivent ébranler les divers
segments de celle-ci et se propager en dernier lieu au liquide labyrinthique qui baigne
les divisions ultimes de l'acoustique.
L'organe possède donc un appareil périphérique de transmission et une partie inté-
rieure sensible : l'un mène à l'autre.
Tout obstacle capable d'arrêter le courant ondulatoire sur un point de ce trajet
intra-auriculaire nuit à l'audition, puisque le nerf est situé en dedans des parties
chargées de lui conduire les vibrations.
Toute altération des membranes et milieux traversés trouble la fonction, puisqu'elle
empêche le contact de l'onde et du filet nerveux spécial, ou en diminue le choc; mais,
si le nerf sensible est paralysé par la maladie, la fonction est supprimée absolument :
le mouvement ondulatoire n'est pas senti. Deux énergies sont en présence ; celle du moi,
et celle du courant sonore.
AUDITION. 861
En résumé, l'oreille humaine reçoit les vibrations ae'riennes par l'oreille externe;
celle-ci les communique à la caisse du tympan, ou oreille moyenne; par là, l'oreille
interne ou labyrinthiciue les e'prouve à son tour, et l'ébranlement va enfin frapper le
nerf doué de la sensibilité acoustique.
I. Pavillon de l'oreille. — L'oreille externe se compose du pavillon et du conduit
auditif externe ; c'est la portion la plus extérieure de l'appareil de transmission.
Le pavillon est la partie évasée du cornet acoustique que forme l'oreille externe
des mammifères. Très développé et très mobile chez la plupart, il manque chez les
cétacés, la taupe; car c'est un appendice aérien. Il est chez l'homme très réduit,
aplati et fixé sur l'apophyse, mastoïde. Son bord externe se détache cependant sur la
surface crânienne, et fait une saillie plus ou moins accentuée sur les côtés de la tête.
Chez l'homme, la rotation si facile delà tête remplace l'action du cornet, si mobile, des
animaux.
A ce point de vue, ne nous y trompons pas, c'est une qualité pour l'oreille humaine
que cette absence de cornet saillant et long. En effet la recherche d'un corps sonore est
absolument gênée par un long tuyau ajouté au conduit de l'oreille; cela exigerait une
rotation et des déplacements angulaires énormes.
L'expérience est simple : adaptez un tube de 10 à 20 centimètres à une oreille,
l'autre oreille étant close; vous constaterez aussitôt le temps et les mouvements perdus
à rechercher le bruit de la montre qui est placée sous vos yeux, sur la table. Un sem-
blable dispositif empêche absolument de suivre un bruit qui se déplace dans l'es-
pace.
Avec un pavillon court et la rotation facile, la tête explore vite tous les points de
l'horizon. Au reste, bien qu'à demi collé sur la région latérale de la tête, le pavillon
de l'homme ne lui est pas inutile, quoi qu'en aient dit Itard, Richeraxd, Leschevin,
Wepfer et d'autres.
La perte du pavillon laisse l'ouïe intacte, il est vrai; mais elle nuit à l'orientation.
Avec Valsalva, Duvernoy, Bartholin, Haller, Cooper, Boerhave, Savart, Lon'get,
BucHAXAx, W'eber, Duchenne, de Boulogne, Kuss, M. Duval, etc., d'accord avec Jolyet
et Beaunis, je lui accorde un rôle sérieux dans l'orientation au bruit.
Si l'on supprime par un artifice expérimental l'action des pavillons auriculaires,
l'orientation est entravée; il y a de plus une perte très appréciable éprouvée par l'audi-
tion, puisque les oreilles, comme les autres sens élevés, explorent surtout la zone de
l'espace qui nous fait face. Nous faisons en effet face à tout ce qui frappe nos sens, et
nous jugeons sur des sensations bilatérales comparées de la situation des corps par
rapport à nous.
Expériejice de Weber : Placez une montre sur la table, en face de vous; écrasez les
deux pavillons sur la tête; ell'acez leur saillie; aussitôt le son n'arrive plus aux oreilles;
laissez les organes libres se redresser, et la sensation du tic tac reparaît.
Expérience de G elle : Adaptez un tube de caoutchouc de 20 centimètres à l'un des
méats auditifs, la montre placée sur la table devant vous; vous ne la percevez plus
si l'autre oreille est obturée. C'est en vain que vous promenez le tube en tous sens, si
les yeux sont fermés et la situation du corps sonore ignorée, vous n'arrivez pas à le
découvrir, à vous orienter. .Mais adaptez au bout libre du tube une carte faisant écran,
et assez vite la montre sera perçue et sa direction trouvée.
Le rôle du pavillon est celui de cette carte, c'est un écran placé en arrière du trou de
l'oreille, qui refoule vers celui-ci les ondes sonores qui frappent sa face antérieure et
ainsi facilite leur audition. Placez autour du pavillon la paume do votre main roulée
en cornet, l'écran en est élargi, la somme des ondes rétléchies est accrue, et l'audition
devient meilleure, mais se limite aux sons venus de face.
De tout temps les sourds ont eu recours a ce moyen d'amplifier la sensation en
augmentant la récolte des vibrations sonores.
Boerhave n'a pas dédaigné de calculer l'action des courbures et des concavités du
pavillon à ce point de vue : et il a constaté qu'elles dirigent toutes vers l'orifice de
l'oreille les ondes réfléchies; Savart a montré les conditions de cette réflexion.
De même Boucheron, ayant fait du pavillon une surface réfléchissante, a re-
marqué que les rayons lumineux incidents sont tous ramenés vers le conduit auditif.
862 AUDITION.
N'a-t-on pas ainsi une explication très suffisante de l'abaissement de l'ouïe constaté
par Schneider, quand il comble avec de la cire les creux et les sillons du pavillon?
Faut-il croire que c'est la suppression de la sensation tactile ainsi produite qui donne
seule ce résultat"? Les vibrations transmises au pavillon se propagent aussitôt à l'air du
conduit : bouchez celui-ci, le son s'affaiblit.
L'expérience de Harley qui laisse le méat ouvert, le reste étant plein de cire, prouve
que l'audition est conservée, mais ne peut servir à nier l'influence du pavillon, ni
comme écran réflecteur, ni comme organe vibrant.
Weber, Savart, Longet, Voltolini admettent qu'il conduit les ondes sonores en
vibrant lui-même. Pour ma part j'ai parfaitement perçu les bruits causés par les
spasmes des muscles auriculaires, quand j'étudiais par la méthode grapbique les mou-
vements du tympan : ces bruits musculaires sont très bien transmis et renforcés par
l'air inclus dans le conduit clos. Les tracés caractéristiques obtenus au moment même
ne laissent aucun doute à cet égard. D'autre part, si l'on pose le diapason sur le pavillon,
tandis que le tube interauriculaire est ajusté aux deux méats, on obtient un son très fort
que le tube renforce encore.
De même en obturant simplement le méat avec le doigt, toujours le son passe;
même si l'on éloigne quelque peu le diapason du bord de l'organe, le son passe encore,
quelque précaution que l'on prenne de bou:her solidement le méat.
Au point de vue du rôle de la sensibilité cutanée du pavillon, on ne peut nier que
nous ne sentions les vibrations du pavillon produites par le vent, par exemple, qui
siffle aux oreilles, comme on dit; Weber et Savart ont admis cette influence, et son
rôle dans l'orientation. Peut être a-t-on tort, dans cet ordre d'idées, de ne pas tenir
compte des sensations musculaires données par les petits muscles auriculaires, chargés,
comme le veulent Dughenne, de Boulogne, Yung, Zeimse.n, de dresser le pavillon, de le
raidir; à la sensation tactile se joindrait donc une sensation musculaire. A. Cooper
avait déjà constaté combien certains sourds arrivent, par l'effort d'attention, à ampli-
fier très visiblement les mouvements d'écartement, de redressement, d'élévation de
l'oreille. Faut-il ajouter que, du moment où l'on remplit le conduit auditif de cire, toutes
ces transmissions cessent (Bernstein), bien que le pavillon reste libre?
D'autre part, Leschevin voit un rapport entre la finesse de l'ouïe et la profondeur de
la conque : je crois qu'il serait difficile de prouver le contraire; la profondeur de la
conque est certainement une excellente condition pour l'audition ; l'oreille musicale
offre le plus souvent une conque bien proportionnée et un pavillon mince et translucide.
Buchaxan' signale l'influence de l'angle d'attache du pavillon sur le crâne; il est
clair que, comme écran, le rôle du pavillon ne peut que gagner s'il fait une forte saillie
à la surface de la tête; au point de vue esthétique, c'est bien différent.
Malgré les critiques de Savart, de Kupper et Wach, il y a donc une part de vérité
dans toutes ces opinions; mais le rôle le plus utile et le plus important de cet organe,
c'est celui d'écran réflecteur des ondes sonores.
Rien de plus net comme démonstration à cet égard que l'expérience de Weber, pla-
çant la main en conque en avant du conduit et constatant qu'il en résulte une erreur
d'orientation. (L'auteur avait bien ici un autre but, celui de démontrer l'influence de la
sensibilité du pavillon dans l'orientation.) C'est le rôle admis par Kûss et M. Duval et
par Beauxis également; c'est par là que le pavillon sert à l'orientation.
Les sensations latérales différentes indiquent l'orientation droite ou gauche; mais
au moyen du pavillon on va plus loin, on peut distinguer la direction d'un son qui vient
devant ou derrière nous; voici comment :
Placé en arrière de l'orifice du conduit ,1e pavillon auriculaire réfléchit et dirige vers
celui-ci les ondes sonores qui viennent frapper sa face antérieure ; l'audition des ondes
venant dans ce sens est donc aidée par suite. A l'inverse, les ondes postérieures se trou-
vent arrêtées par l'écran, et ne pénètrent pas.
Il existe donc en arrière des deux pavillons une zone de l'espace dont les vibrations
arrivent plus difficilement dans l'oreille.
L'écran auriculaire divise ainsi la masse des ondes sonores latérales en deux parts;
les antérieures restent plus nombreuses et plus intenses; les postérieures sont écartées,
éteintes même jusqu'à un certain point; il y a là une différenciation que l'orientation utilise.
AUDITION. 863
Dans le cas de surdité les différences deviennent très sensibles; et, au lieu du simple
affaiblissement de l'audition des sons qui viennent par derrière la tête, c'est le silence
complet qui existe; c'est-à-dire que la perte de l'audition est très accentuée pour tous
les bruits qui viennent de derrière ; et c'est par là qu'elle se trahit tout d'abord.
Il sufflt de promener une montre horizontalement autour de l'oreille; en avant, puis
sur le côté, et enfin derrière la tète, pour constater que, si l'on éloigne la montre, c'est en
arrière du pavillon qu'elle cesse en premier lieu d'être perçue. Sur la ligne qui prolonge
le conduit de l'oreille en dehors, perpendiculairement à la surface de la tête (axe auditif),
l'audition reste le plus longtemps possible; la portée de l'ouïe offre là son maximum; le
minimum est en arrière de la tête.
Dans le sens de cette ligue axile les ondes pénètrent directement dans le conduit
sans subir de réflexion; elles conservent toute leur force vive; de là une impression supé-
rieure, qui dirige l'orientation : celle-ci se guide en effet sur le maximum. Quand l'oreille
éprouve le maximum de sensation, nous savons que le corps sonore se trouve situé dans
l'espace sur la direction de la ligne axile qui prolonge idéalement le conduit auditif.
Une expérience que je fais dans mes cours rend le rôle du pavillon évident dans
l'orientation (Gellé. Etude de l'audition au moyen, du tube interauricidaire).
Expérience de Gellé : Un tube de caoutchouc de '60 centimètres, armé d'embouts, est
adapté hermétiquement aux deux oreilles par ses extrémités (remarquons que dans cette
situation le rôle des pavillons est annulé) ; puis une montre est posée sur le milieu de l'anse
de ce tube, sous les yeux du sujet. La sensation sonore est médiane et une, puisqu'elle
est égale pour les deux oreilles, la distance étant la même. Ceci constaté, faites fermer
les yeux du patient; puis, passez doucement, à son insu, l'anse de caoutchouc d'abord
au-dessus de la tête, puis derrière elle; voici la montre et l'anse vers l'occiput. La sen-
sation n'a pas changé ; les rapports entre les oreilles et le corps sonore sont restés
identiques.
Demandez alors au sujet, qui a toujours les yeux fermés, où se trouve la montre
qu'il entend toujours; et invariablement, il répondra que la montre bat devant lui, sous
ses yeux, là où il l'a vue au début de l'expérience.
Gomment saurait-il qu'on l'a déplacée, puisque ses deux oreilles ont toujours perçu
le même bruit, que rien n'a été changé dans l'audition par le transport du tube, et qu'il
n'a fait lui-même aucun mouvement".' seulement le rôle des pavillons est supprimé, car
supposez le tube ôté, le son de la montre arrivée derrière la tête perd de son intensité;
et cela suffit à appeler l'attention sur le déplacement du corps sonore.
Autre expérience : La montre bat devant le sujet; on lui fait fermer les yeux; on lui
appuie les deux pavillons sur le crâne de façon a ks effacer; il peut croire aussitôt qu'on
a enlevé la montre; il ne l'entend plus.
La peau du pavillon est sèche ; on doit signaler l'existence de glandes sébacées et
sudoripares dans la conque (Coyne et Sapi'Ey).
La circulation sanguine et lymphatique du pavillon est extrêmement active; les
troubles de la respiration et les affections cardiaques lui donnent parfois une colo-
ration violacée, noirâtre.
Gratiolet a été frappé de la saillie en pointe de l'hélix qui lui rappelle l'oreille du
faune. Darwin y voit un vestige de l'oreille pointue des animaux. G. Schwalbe a bien
étudié ces analogies {Arch. fur Anat. und Phys.., 1889).
La forme du pavillon a été étudiée au point de vue esthétique (Jeux) et plus pratique-
ment comme moyen d'identification anthropométrique par Bertillon. Lombroso, Grade-
NiGO, récemment, ont cherché à classer les formes et les déformations typiques de cet
organe au point de vue de l'anthropologie criminelle. Lan.nois, Féré, Séglas ont
démontré que les déformations ne sont pas plus fréquentes chez les aliénés et les crimi-
nels que chez les gens sains d'esprit et sans casier judiciaire (Lannois. Archives de l'an-
ikrojiologie criminelle et des sciences pénales. Lyon. — Féré, Séglas. Revue d'Anthropo-
logie, p. 226, 1886. — Gradenigo. Annales d'otologie et laryngologie, 1892).
L'émotion colore le pavillon comme la face; sa transluciditè permet d'observer les
variations de la circulation.
Claude Bernard, Schut ont montré que la section du sympathique cervical et l'arra-
chement du ganglion cervical supérieur produisent l'hypèrémie, avec élévation de tem-
su AUDITION.
pérature du pavillon et des altérations de nutrition constatées par Brow.n-Séquard et par
Gellé. Au cours des recherches de M. Duval et Laborde (1877-78) sur l'origine de la
branche sensitive du trijumeau, Gellé a observé des lésions identiques ivascularisation,
hémorrhasies, etc.) des cavités cliques après les blessures de cette racine.
Le pavillon est un apprendice foliacé dont la fonction est aérienne; il fait saillie dans
l'air ambiant pour récolter les vibrations ; on ne l'observe plus chez les mammifères qui
vivent dans un milieu autre que l'air, tels que les cétacés. Il est nul chez les oiseaux
cependant; mais ils jouissent d'une telle mobilité de la tête qu'il est devenu inutile.
Il est extrêmement développé chez les chéiroptères, chez les oreillards surtout; chez
la chauve-souris, le tragus forme une sorte de valvule à l'entrée du conduit. Il n'existe
pas chez la taupe, dont la vie est souterraine.
Les muscles qui meuvent cet appendice se développent dans la série animale en
rapport avec l'étendue des mouvements utiles; et ils subissent certaines modifications
liées à l'association des deux cornets acoustiques chez certaines espèces.
Ces mouvements du cornet voulus par l'animal lui donneut la notion de la direction du
son dans l'espace. Les muscles du pavillon sont commandés par la v= paire; la destruction
de celle-ci est suivie de l'abaissement du cornet chez les lapins (Fileh.ne).
II. Conduit auditif externe. — On nomme ainsi la partie tubulaire de l'entonnoir
écrasé formé par l'oreille externe. C'est un tuyau plein d'air.
Les ondes aériennes venues directement dans le sens du cylindre (li^ne axile), celles
qui ont été rétléchies par le pavillon, celles enfin qui se propagent par les os crâniens
sont transmises aux parties situées plus profondément (oreille moyenne) par cet air
du conduit dont l'ouverture extérieure est toujours béante.
Ce tuyau, dont l'air est en communication avec celui du dehors et de densité égale,
a une résonnance particulière (Muller) et fait à son tour valoir et ressortir quelques
harmoniques dont la tonalité est élevée (3 000 vibrations, Helmholtz).
Kœnig indique le renforcement des sons de l'indice 6; or on n'a pas oublié la sen-
sibilité remarquable de l'oreille pour les sons de cet indice; il y a là une coïncidence
remarquable, signalée par divers physiciens et par Helmholtz surtout.
Bernsteix y voit l'explication du renforcement de certains tons et de la sensation
désagréable qu'ils causent (grattage du verre, sons suraigus du violon) ; il a pu adoucir
cet effet en introduisant de petits tuyaux de papier dans le conduit auditif qui amènent
l'abaissement de son ton propre.
Si l'on oblitère à demi les trous ou orifices des conduits auditifs, on obtient une
résonnance remarquable des bruits ambiants ; ce bruit, analogue au bruit de coquillage,
est heureusement moins fort que celui qu'on fait naître en couvrant les deux oreilles,
des mains arrondies en conque, en laissant un seul point libre : c'est la même expé-
rience avec une cavité artificielle plus grande.
De même, on rend manifeste la résonnance du conduit en lui ajoutant un simple'
tube de caoutchouc épais, long de quelques centimètres; de même dans les rétrécisse-
ments du conduit, le renforcement produit suffit à latéraliser de ce côté le son crânien.
Nous avons vu Helmholtz adapter à l'oreille ses résonnateurs accordés pour ren-
forcer un ton dans l'analyse du timbre et modifier ainsi cette résonnance. Les lésions
otiques ont le même effet.
D'autre part, au moyen d'une poire à air, dirigez un fort courant d'air de bas eu
haut auprès du méat, et l'oreille siffle; le vent produit le même effet : c'est le tube
auriculaire qui résonne avec sa tonalité propre.
La nature des parois n'est pas indifférente à la fonction. La douceur des sons transmis
lient à la constitution même du canal fibro-cartilagineux, élastique dans sa portion
externe, et osseux seulement à l'intérieur.
Introduisez, comme on l'ordonne si inconsidérément aux sourds, un tube de métal
dans le conduit ou bien le tuyau d'un appareil acoustique quelconque; les sons pren-
nent aussitôt un timbre aigu, métallique, cassant, aigre et offensent l'oreille.
Les sourds à cornets acoustiques en font la dure expérience; avec l'appareil tabu-
laire de caoutchouc on remarque que les sons passent ronds, pleins et adoucis au con-
traire.
Les courbures du conduit de l'oreille, tant qu'elles ne causent pas une diminution
AUDITION. 865
de son calibre, n'ont aucune action sur l'audition; chacun peut y adapter un tube de
caontchouc et donner à celui-ci toutes les courbures sans modifier la sensation perçue.
La direction générale des deux conduits et leur ouverture sur deux surfaces opposées
du corps ne doivent pas passer inaperçues; chaque oreille veille sur une partie séparée
de l'horizon et reçoit le courant sonore de points dilférents : les deux organes n'ont pas
deux actions convergentes, bien qu'ils concourent simultanément à l'audition.
L'expérience suivante montre quel degré de finesse les oreilles possèdent et quelle
faible différence entre deux sons suffit à les latéraliser à droite ou à gauche.
Un tube interauriculaire, long d'un mètre, est bien adapté aux deux méats, et son
anse est passée derrière le sujet; au milieu de celle-ci un trait est tracé; le diapason
passe-t-ii à droite ou à gauche de ce trait médian, le sujet annonce que le sou est
perçu par l'oreille droite ou par la gauche immédiatement, comme si l'on pinçait
le tube du côté opposé.
Les deux organes entendent donc le diapason; mais c'est le diapason le plus rap-
proché (et combien peu)] de l'oreille qui est le plus fortement entendu : ainsi l'orien-
tation latérale a lieu. Les champs, ou mieux les sphères, où leurs activités s'exercent
sont diamétralement opposés. Ils apporteront ainsi au moi des notions distinctes dont
la comparaison sert de base à l'orientation.
On notera aussi leur rapport avec l'axe de rotation de la tête; la ligne transversale qui
les réunit passe au-devant des surfaces articulaires de l'occipital et les touche. C'est-
à-dire que Jes trous des oreilles sont facilement et rapidement portés et tournés vers
les divers points de l'horizon.
A ce propos, j'ai montré que l'apophyse mastoïde forme l'extrémité du bras de
levier sur lequel agissent les muscles agents de la rotation de la tète dans l'orientation
au bruit (Gkllé, Études d'otologie, t. II, 1880).
Nous avons dit que, indépendamment des vibrations de l'air extérieur, l'air du
conduit est ébranlé aussi par les vibrations des solides de la tête.
C'est ainsi qu'on observe, soit en se bouchant le méat, ou le soir, la tête couchée
latéralement, les battements de ses artère^, les bruits nasaux, pharyngés et muscu-
laires, etc., qui ne sont pas ou peu perçus, l'oreille étant ouverte.
De même la montre ou le diapason étant mis au contact de la tête sont perçus par
l'auscultation au moyen d'un tube de caoutchouc (otoscope) adapté à l'orifice du
conduit; mais les vibrations se propagent mal des solides à l'air (Mullek, Schwartz), c'est
parle tympan que se fait surtout la propagation des sons de la tête à l'air inclus; et
•on le démontre clairement en tendant le tympan, par une pression soit extérieure
(poire à air, pressions centripètes de Gellé), soit intérieure, par l'expérience de Valsalva
(souffler par le nez fermé); on constate, en effet, que le son otoscopique s'abaisse
aussitôt. D'autre part, si l'on obture doucement l'oreille pendant que le diapason
vibrant touche la tête, on constate un renforcement très net du son perçu ; et si la
sensation était presque éteinte, elle renaît aussitôt par suite de la résonnance de la
cavité, et sans doute de l'arrêt de l'écoulement au dehors du courant sonore qui ébranle
l'air de ce conduit (Lucae); une pression plus vive, au contraire, ali'aiblit le son.
Il est bon de savoir que l'orifice du conduit et sa partie cartilagineuse s'évasent
dans l'abaissement de la mâchoire; la paroi antérieure suit le condyle de la mâchoire
inférieure et se porte en avant. Dans certains cas, ces mouvements causent de la dou-
leur et expliquent certains bruits dus, soit au décollement des deux parois du méat
gonflées, soit de la paroi antérieure et d'un corps étranger quelconque (bouchon de
cire, liquide, etc.) retenu dans ce canal.
Il est intéressant, au point de vue de la physiologie de l'audition, et aussi pour com-
prendre la séméiotique auriculaire, d'expliquer les causes du renforcenient du son
crânien qui se produit lorsqu'on oblitère le méat sans efl'ort; on a beaucoup discuté à
ce sujet.
LucAE attribue le phénomène à la pression légère transmise par l'air refoulé au
labyrinthe; l'air est condensé ainsi et réagit sur l'appareil de transmission qui conduit
jusqu'au labyrinthe celte pression. En ouvrant celui-ci, comme l'a fait Tovn'BEE sur le
cadavre, on constate en elfet un mouvement du liquide labyrinthique à chaque poussée
exercée sur le méat auditif.
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME 1. 33
866 AUDITION.
D'autre part, il est certain que les sons solidiens ne se propagent à l'air du conduit
que par le tympan; une membrane est nécessaire pour ce transport du solide au gaz
(lois de Muller) et nous savons que la plus légère condensation de l'air inelus agit en
tendant la membrane du tympan; or cela arrêterait aussitôt le courant sonore solidien,
mais aussi l'audition; l'occlusion n'agit donc pas comme une pression; il y a simple
fermeture de la voie extérieure.
Aussi, pour Hi.nton, est-ce l'arrêt de l'écoulement sonore vers le debors, par l'occlu-
sion du méat, qui agit surtout en ce cas pour renforcer le son solidien. À mon sens, on
peut admettre que les trois éléments signalés concourent à produire le renforcement de
la sensation sonore; la pression douce exercée sur le labyrinthe, comme le dit Lucae;
l'arrêt du courant sonore à sa sortie, ainsi que le pense Hinton; enfin, la condensation
de l'air amenant la résonnance de ces cavités closes, ce que l'expérience démontre
également; 10 centimètres de tube de caoutchouc ajoutés au méat latéralisent le son
crânien de ce côté.
L'expérience suivante prouve qu'une très légère pression suffit à produire le renfor-
cement; elle est disposée de façon à empêcher l'erreur due à un arrêt de l'écoulement
des vibrations sonores à l'extérieur.
Expérience de Gellé : Un diapason la 3 a sa tige emmanchée dans le bout d'un
tube de caoutchouc de 30 centimètres et pend librement; l'autre extrémité du tube est
adaptée à l'oreille ; le tube est tenu entre les doigts par l'observateur. Le diapason donne
un son ; on observe qu'à la. plus légère pression de la pulpe du doigt correspond tou-
jours une augmentation du son; une pression un peu accusée l'éteint ou l'atténue :
on voit qu'il n'y a ici qu'une pression graduée. — Autre ex-périence. On adapte un
tube court, mais de paroi^épaisse, à l'oreille; la montre sonne sur le côté droit du front;
dès qu'on bouche le bout du tube, le son est plus clair, mais on a la sensation nette que:
le silence relatif ainsi obtenu est certainement cause d'une sensation meilleure, l'isolement
est en effet, comme le silence, une condition d'augmentation de l'acuité auditive. — Autre,
expérience de Gellé. — Un tube de caoutchouc de 60 centimètres est adapté aux deux
oreilles; le diapason sonne à droite sur le front; à ce moment, pincez le tube interauri-
culaire à gauche et près de l'oreille gauche; et aussitôt le son que l'observateur percevait
à droite, devient gauche uniquement; il s'est déplacé.
Le pinçage du tube auprès de l'oreille gauche a arrêté l'écoulement du son par le
tube et produit un renforcement, phénomène sur lequel l'orientation se fait aussitôt.
Si l'on n'adaptait le tube qu'à une seule oreille, le résultat serait le même; mais il y
a déjà pour une oreille instruite une légère augmentation de sensation du côté où est
placé le tube qui, lui aussi, joue le rôle de résounateur; avec le tube binauriculaire on
évite cette cause d'erreur.
On remarquera dans cette dernière expérience combien vite et facilement le son passe,
de droite à gauche, par suite d'un léger renforcement; on saisit là sur le fait la rapide'
extinction du son perçu, et son remplacement par le suivant. Journellement la séméiotique
auriculaire utilise ces données expérimentales (otoscopie).
L'air contenu dans le conduit auditif vibre à l'unisson de tous les sons que l'air exté-
rieur lui apporte; et Helmholtz ajoute que la petite masse d'air qui touche le tympan
contient et résume la fouie des vibrations de l'espace aérien qui nous entoure.
C'est ainsi que s'explique leur transmission par influence aux parties profondes.
La sensibilité de la peau du conduit est exquise; des vibrisses implantées sur la face
postérieure du tragus protègent l'entrée du conduit; des glandes cérumineuses sécrètent
une cire prolectrice à demi concrète qui retient les poussières.
Les attouchements, même légers, des téguments de ce conduit provoquent chez
beaucoup de personnes des accès de toux réflexe, et, chez quelques individus prédisposés,
de l'aphonie; c'est enetïet un rameau du pneumogastrique (ou du spinal?) qui anime en
partie la peau du conduit; le nerf auriculo-temporal du trijumeau lui donne la sen-
sibilité générale. ÏSous savons, d'autre part, que le grand sympathique exerce sur la
région une action trophique et de calorification. La cinquième paire également montre
là son influence vaso-motrice (Claude Bernard).
Au point de vue de l'orientation, répétons que les conduits marquent une direction
AUDITION. 867
lalérale précise au courant sonore qui les traverse; de plus, j'ai dit que la force de
celui-ci variera suivant que les ondes seront directes ou réfléchies par le pavillon.
D'ailleurs, c'est aussi par les mouvements de rotation de la tète exécutés dans la
rec.'lierche de la source du son que nous prenons conscience de sa direction et de ses
déplacements. L'orientalion est le produit de sensations multiples associées (Béclard).
Le conduit auditif est absolument réduit chez les cétacés dont l'organe baigne dans
l'eau, chez les atnphibiens et les reptiles. Chez la taupe, il offre une adaptation curieuse
à l'audition des sons solidiens; chez cet animal, il a un orifice extérieur très petit, et
son tube se dilate en forme d'ampoule; c'est là une cavité résonnante nouvelle sura-
joutée qui facilite sûrement l'audition souterraine.
Nous parlions à l'instant des notions fournies à l'orientation, pour la recherche de la
direction du cor'ps sonore, par les sensations des mouvements ell'ectués dans un sens ou
dans l'autre. La conscience de ces mouvements et des actes moteurs sert aussi à nous
assurer de l'extériorité de la source des sons; certains bruits perçus par l'oreille ressem-
blent assez aux bruits connus de l'extérieur pour faire croire, par exemple, à la présence
de mouches, de grillons, etc., auprès de nous : l'impossibilité où nous sommes de nous
débarrasser de la sensation en déplaçant notre conduit, en tournant la tête, nous
confirme dans l'idée que c'est en nous que le bruit se produit.
III. Oreille moyenne. — Caisse du tympan. Membrane du tympan. Appareil de transmis-
sion des vibrations. Chaîne des osselets et ses moteurs.
Nous suivons le chemin parcouru par le mouvement vibratoire. L'air du conduit le
propage jusqu'au seuil de l'oreille moyenne à la membrane tympanique, seule partie
accessible aux ondes aériennes.
A. Caisse du tympan. — • Cette cavité à parois osseuses contient, au milieu de l'air
inclus, l'appareil de transmission des vibrations au labyrinthe. Cette seconde partie de
l'oreille est close. La caisse pleine d'air isole et protège les parties profondes; elle com-
mande l'accès du labyrinthe. Celui-ci se dissimule derrière l'oreille moyenne, véritable
chambre noire de l'organe auditif. Ces dispositions tutélaires, cet abord réservé, cette
situation cachée de la partie sensible, la limitation à une seule voie, celle du conduit,
de l'entrée des ondes, ont pour but d'assurer la fonction délicate de l'ouïe chargée de
l'analyse et de la différenciation des sous; elles permettent l'orientation en latéralisaut
nettement la direction du courant sonoie.
La caisse répond de plus à une autre nécessité ; la membrane du tympan doit conser-
ver une tension toujours égale sur ses deux faces, et l'air intérieur vient ainsi faire équi-
libre à la pression atmosphérique, et en annule l'effet de surtension, tant que l'aération
de la cavité est régulière.
Dans ce but, un appareil et une fonction annexes sont chargés de cette ventilation
indispensable; c'est la trompe d'EusiACHE); de plus les cellules mastoïdiennes aérées, qui
communiquent avec la caisse, augmentent cette masse d'air incluse, et diminuent ainsi
l'intluence des variations de tension du gaz intra-tympanique.
L'appareil conducteur des ondes vibratoires se compose de la cloison membraneuse
et de lachaine des osselets de l'ouïe, dont le dernier, l'étrier, est reçu dans la fenêtre
labyrinthique, au contact du liquide même de l'oreille interne.
Les vibrations se propagent de la petite colonne d'air du conduit à la membrane ; de
là elles se transmettent aux osselets, et par l'étrier au liquide du labyrinthe.
Ainsi, dans son parcours intra-auriculaire, l'onde est d'abord aérienne dans le conduit,
membraneuse sur le tympan, solidienne sur les osselets, enfin liquidienne dans la der-
nière partie de l'organe.
Chacune de ces transformations successives est intéressante à étudier; elle a un but;
et la vibration subit à chaque pas une modification particulière et nécessaire.
D'autre part, l'oreille n'est pas un instrument d'acoustique passif; elle possède des
moyens de protection plus que d'accommodation ; elle peut par l'action de ses muscles
propres modifier la conduction dès l'entrée même des ondes, en agissant sur la mem-
brane qui les reçoit et les récolte, et de plus, dans la profondeur, sur l'étrier placé au
seuil du labyrinthe; ainsi peut être influencée la transmission des vibrations avant leur
pénétration dans l'oreille interne. L'énergie vibratoire peut forcer la porte; mais l'oreille
se défend.
868 AUDITION,
Plus loin ces muscles et leur fonction seront décrits ainsi que l'action des leviers
osseux et de leurs jointures.
L'organe doit être étudié comme simple appareil acoustique, à l'état statique; puis,
pendant le Jeu des parties, à la période dynamique ou fonctionnelle.
En réalité, le, tympan est le premier anneau de la cliaine de transmission ; il fait corps
avec elle; il est soumis à son influence; mais les osselets ne vibrent que des vibrations
qu'il a éprouvées d'abord. A ce point de vue, placé à l'entrée même de l'organe, il
commande absolument la transmission; or, à l'état statique, à tout ébranlement vibra-
toire de la cloison membraneuse correspond un semblable mouvement de l'élrier.
B. Membrane du tympan. — Le tympan est mis en vibration par les ondes de
l'air extérieur; de plus, il subit les ébranlements que lui apportent les solides de la
tête, par le cadre tympanal qui la tend, et par l'air inclus dans la caisse tympanique
qui résonne : vibrations par influence d'un côte', et vibrations au contact de l'autre.
Ces dernières, dont la propagation semble inévitable, chose fâcheuse, sont heureu-
sement soumises à l'influence de l'état de conductibilité de l'étrier, comme les
aériennes. Les abords de l'oreille sont donc protégés jusqu'à un certain point de tous côtés.
La membrane ou cloison tympanique jouit, au point de vue de la conductibilité, de
toutes les propriétés des membranes minces tendues, si bien étudiées par Muller et
Savart.
Le cadre du tympan n'a pas plus d'un centimètre de diamètre; mais la membrane
qu'il supporte, grâce à sa forme conique, offreune surface plus étendue.
Son obliquité par rapport à la direction du conduit l'accroit encore.
Cette obliquité, très accusée à la naissance, diminue avec le développement de l'écaillé
du temporal et de l'apophyse mastoïde. Bon.nafont, Helmholtz, Schwartz, Lucae, pen-
sent que l'on rencontre une très faible obliquité chez les musiciens et les personnes
bien douées au point de vue des aptitudes musicales.
Il résulte des recherches de Fick. qu'un tympan plus droit conduirait mieux les ondes
sonores, et que la condition opposée nuirait à l'audition.
Enfin Lucae au moyen de sou « otoscope interfèrent » a constaté expérimentalement
que les tympans très obliques ou très concaves réfléchissent vivement au dehors les
ondes qui les frappent et en sont ainsi moins influencés.
La cloison a une très faible épaisseur (1 vingtième de millimètre) surtout dans sapor-
tion inférieure. Sur la portion supérieure le derme du conduit se prolonge, assez épais, de
sorte qu'en tirant le pavillon de l'oreille, la peau du conduit attirée tend le tympan, si la
traction est assez énergique. Si l'on en juge par la facile transmission des sons de la pa-
role par le téléphone dont la plaque est beaucoup plus épaisse que le tympan, sa minceur
ne serait pas une condition aussi indispensable qu'il semble à la fonction.
En clinique otologique ou fait jouer un assez grand rôle à l'épaississement, mais il
n'est pas limité à la cloison en général.
Malgré cette minceur, le tympan est extrêmement résistant, il est presque inexlensible;
c'est un tissu de fibres radiées tendineuses externes, épanouies en cône, que contiennent
des fibres circulaires assez élastiques plus intérieures; ces dernières donnent à la cloison
conique une courbure légère de sa surface extei-ne.
PiLCKER, à la suite de ses expériences, a formulé ceci : 1° la cloison vibre proportion-
nellement aux sons; 2° une tension exagérée accroît la perception des sons aigus;
3° les sons graves peuvent au contraire affaiblir la tension.
Nous avons vu que l'oreille jouit de la faculté de percevoir les sons de tonalités les
plus étendues, depuis 33 vibrations jusqu'à 30000, et les associations de vibrations,
timbre, accords, etc., les plus diverses; la membrane a donc cette aptitude à transmettre
une foule de vibrations, toutes celles que lui apporte le milieu ambiant; elle les subit
et les transmet intégralement.
A ce point de vue, on compare avec raison la cloison à la membrane de l'appareil
de Reiss, laquelle, au moyen d'une petite pièce solide, qui la tend, réagit parfaitement
et conduit les sons pour toute l'étendue de la voix ordinaire. Comme elle, la membrane
du tympan peut vibrer en totalité ou dans quelques-unes de ses parties seulement (vi-
brations partielles), parce qu'elle n'offre pas partout la même tension, et que cette tension
est éminemment variable.
AUDITION. 869
De plus, elle n'a pas de ton propre; elle ne cause pas de résonnance particulière, qui
nuirait à la netteté de l'audition; elle vibre à l'unisson de tous les tons quelconques,
sans en modifier aucun. Helmiioltz a bien montré que ces propriétés tiennent à la forme
en entonnoir de la cloison et à la charge qu'elle supporte par suite de sa connexion
avec la chaîne des osselets. Elles résultent aussi de sa faible tension, sur laquelle on ne
saurait trop insister, puisqu'un léger accroissement dans ce sens abaisse immédiatement
la conduction.
Nous avons dit que la membrane est déprimée en dedans vers la caisse où elle fait
une saillie conique ; elle est cependant légèrement bombée en dehors, dans son segment
inférieur surtout.
Cette disposition arquée des fibres, si évidente sur les moulages du conduit (S.\ppey,
Helmholtz, Testut, Poirier), leur donne une flexibilité particulière; il en résulte pour
le tympan une grande impressionuabilité aux vibrations de l'air; et une plus grande
conductibilité; cela permet aussi une certaine mobilité de la membrane indépendante
de celle du manche du marteau, de dehors en dedans (Helmholtz, Gellé).
Grâce à ces connexions avec la chaîne des osselets, qui la chargent, les sons consé-
cutifs sont évités, comme on l'a vu pour la membrane tendue de l'appareil de Reiss.
Ainsi, pas de résonnance, pas de sons consécutifs, une tension suffisante, mais faible au
repos, et une vibratililé extrême, telles sont les qualités du tympan; elles s'ajoutent à
toutes celles qui sont communes aux membranes élastiques si bien exposées par Savart
et MuLLER (vibrations par influence, vibrations partielles, conductions multiples, etc.).
ÎN'ous verrons tout à l'heure que, par suite aussi de cette forme conique et de l'adjonc-
iion à la portion vibrante et tendue de la membrane d'une partie supérieure molle et
flexible, la partie flaccide (ou membrane de Schrapnell), la cloison tympanique possède
une certaine mobilité, compatible, fait très remarquable, avec la tension normale ou
d'équilibre de tout l'appareil de transmission.
Cette tension moyenne de la cloison, due à la tonicité des muscles tenseurs, à laquelle
le tympan fait résistance, règle la tension de toute la chaîne, et celle du labyrinthe
également; toutes ces parties sont commandées à ce point de vue par elle; nous le redi-
sons à dessein. L'appareil de transmission est un : il oscille autour d'un axe; le moin-
dre relâchement du tympan rompt l'équilibre, car il se déplace en dedans sous l'action
persistante de l'antagoniste.
PoLiTZER a étudié les vibrations de la membrane du tympan dans l'expérience sui-
vante : une soufflerie, des tuyaux d'orgue sont en communication avec des résonna-
leurs d'HELMHOLTz, auxquels il ajoute un tube de caoutchouc aboutissant à l'oreille; le cou-
rant vibratoire est ainsi amené au tympan. La voûte de la caisse a été ouverte, et des
fils de verre, ou de fines pailles de riz, ont été collés soit aux têtes des osselets, soit à la
surface tympanique, et leurs extrémités libres inscrivent les mouvements sur un cylin-
dre enregistreur. Au moyen de ce dispositif ingénieux, Politzer a pu constater que le
tympan possède toutes les propriétés des membranes tendues, et confirmer les lois de
PiLCKER. Nous parlerons encore de ces expériences quand nous étudierons la tension active
et ses effets sur la conduction.
La tension moyenne du tympan est due à sa forme conique maintenue par le manche
du marteau attiré vers la paroi interne par un ligament élastique, gaine du tendon du
tenseur, bien décrit par Toynbee.
La section de ce tendon produit une détente brusque de la membrane saine, mais
sans changement de forme, les autres connexions étant conservées (ligaments du mar-
teau, articulations des osselets, ligament de l'étrier, tendon du stapédius); seulement,
si l'on refoule la cloison en dehors par une insufflation d'air par la trompe, on observe
qu'elle reprend très difficilement sa position normale. On voit que la tonicité du muscle
tenseur maintient également la tension normale du tympan. L'entonnoir tympanique
fait une saillie conique dans la caisse; et la pointe du cône, qui répond à l'ombilic, n'est
distante que de deux millimètres au plus de la paroi interne; cela donne déjà la mesure
du peu de mouvements en dedans dont le tympan est susceptible.
En pathologie on comprend que, par le gonflement des parties, soit par le relâchement
de la membrane, après l'otite, celle-ci et la paroi labyrinlhique arrivent facilement au
contact; ce qui éteint forcément une grande partie des vibrations aériennes.
870
AUDITION.
Au niveau de l'ombilic, partie la plus étroite du cône, les vibrations du tympan ont
moins d'amplitude; les plus étendues se produisent entre l'ombilic et le cadre tympanal.
D'après Bernstein, cette diminution d'amplitude au centre coïnciderait avec une
augmentation de la force de l'onde. La diminution de l'amplitude de l'onde est en
effet une nécessité, car la platine de l'étrier ne saurait la subir telle.
Nous verrons tout à l'heure comment la transformation de l'onde membraneuse en
solidienne résout ce délicat problème de transmission du mouvement vibratoire, sans
lui faire perdre aucune force.
Le même auteur indique que c'est sur l'ombilic que l'effort vibratoire s'accumule;
il a calculé que l'accroissement serait dans la proportion de
1 à 20 dans la force des vibrations. N'oublions pas que le
manche du marteau en entier sert à la conduction; la force
se perdrait dans cette translation aux solides. Le manche du
marteau fait corps avec la membrane du tympan, dont il est
comme un rayon; c'est le 1" osselet de la chaîne conduc-
trice; c'est sur lui que se propage le mouvement vibratoire
complexe qui agite le tympan ; de toute la surface du cône
tympanique il converge vers lui.
Toutes les vibrations de la membrane s'écoulent par cette
ligne osseuse; c'est donc par le manche du marteau que pénè-
trent les ondes dans la caisse tympanique; or, Buch a montré,
par ses expériences, que les oscillations de l'enclume sont
déjà de moitié plus faibles que celles du marteau, et celles
de l'étrier sont encore la moitié de celles de l'enclume.
Les lois de Muller nous ont appris que les membranes
conduisent sûrement et facilement les vibrations aux corps
solides, tandis que celles-ci dans leur passage de l'air aux
solides sont très affaiblies. D'autre part nous savons que les
vibrations aériennes se propagent sans amoindrissement
aucun de l'air aux membranes; là se montre le rôle du tym-
pan, et le but de son interposition entre l'air ambiant et les
leviers solides de l'appareil transmetteur. C'est un intermé
diaire indispensable à la fonction de l'ouïe.
Dans l'orientation nous latéralisons ainsi d'après l'intensité
du son et nous nous guidons sur le côté où se constate ce
maximum.
Nous nous rappelons que Savart et d'autres observateurs
pensent que la sensibilité du pavillon de l'oreille joue un rôle
dans la notion de la direction des sons: on sait que la peau
peut percevoir certains ébranlements vibratoires, j'ai de plus
ajouté un autre élément d'information, le sens musculaire, à
ces sensations tactiles.
On s'est demandé si la sensibilité cutanée de la membrane
joue un rôle dans l'orientation au bruit.
Hermax."; {Traité de phijsiologie, 1869) est de cet avis, que partagent au reste Ktiss et
M. DavAL (Traité de physiol.). Sur ce sujet j'ai lu à la Société de Biologie une observation
qui paraît probante. Il s'agit d'un malade atteint d'anesthésie générale, avec conser-
vation de l'activité des organes des sens, et sur lequel j'ai pu constater l'impossibilité
de reconnaître si le son venait de droite ou de gauche; il entendait très bien cependant;
mais il n'éprouvait aucune sensation au contact du stylet sur les tympans. Son intelli-
gence semblait suffisante; il distinguait bien avec les yeux la position des objets et
s'orientait normalement.
J'ajouterai, à propos de l'orientation, qu'il est admissible que la sensibilité musculaire
sollicitée par le passage des ondes, et lors de la tension d'accommodation, peut-être
synergique, contribue à nous faire connaître de quel côté vient l'excitation acoustique;
il y aurait donc comme guides à la fois une sensation tactile, une sensation musculaire
et une sensation acoustique.
FiG. 77. — Coupe verticale
transversale de la caisse
du tympan (schématique).
T, membrane du tympan. —
M, marteau et apophyse
grêle en avant ; son liga-
ment suspenseur en haut.
— E, enclume, branche
horizontale postérieure, et
branche verticale articulée
avec rétrier. — e, étrier
dans la fossette ovale. —
P. promontoire, saillie du
limaçon dans la caisse. —
F, canal de Fallope coupé
en travers au-dessus delà
fenêtre ovale. — 1, mus-
cle du marteau dont le
tendon traverse la caisse
pour s'insérer sur l'apo-
physe du marteau. — 2,
muscle de l'étrier, et py-
ramide en pointillé, paroi
postérieure de la caisse.
— 3, corde du tympan
coupée.
AUDITION. 871
En terminant, mentionnons la lomarque faite par Helmholtz, que la surface du
tympan est couverte d'un épithélium dont les cellules contiennent de la graisse ; peut-
être aussi est-ce l'enduit cérumineux qui fait que sur l'oreille saine l'eau coule à la
surface de la cloison sans la mouiller.
C. Chaîne des osselets. Étrier. Fenêtre ovale. Fenêtre ronde. — Le manche du
marteau a réuni et comme canalisé la multitude des ondes sonores récoltées par le
tympan, et les propage aux autres osselets jusqu'à la platine de l'étrier.
Quel est le but de cette interposition des osselets entre la membrane et le liquide'
labyrinthique, aboutissant définitif et ultime du courant vibratoire?
Comment se fait le transport de l'onde par ces solides? La chaîne osseuse est-elle la
seule voie offerte aux vibrations qui traversent la caisse? Nous allons répondre à ces
questions.
Rappelons d'abord que le marteau, l'enclume, et l'étrier, les trois osselets de l'ouïe,
sont, grâce à leurs dispositions et à la tonicité musculaire, en rapport parfait, en con-
nexion intime; c'est ainsi que la propagation des vibrations de l'un à l'autre est possible
et complète.
Si l'on ouvre, avec Toynbee, le canal demi-circulaire supérieur, plein d'exolymphe, et
qu'on repousse avec un stylet l'ombilic du tympan en dedans, vers la caisse, on voit
aussitôt le liquide inclus osciller et miroiter: le labyrinthe a reçu la pression transmise.
De plus, on peut sur la pièce fraîche recommencer l'expérience avec le même résultat,
ce qui prouve qu'après le déplacement, l'appareil entier revient à sa position première;
il y a là un mouvement en bloc évident; on dirait d'un corps unique rigide, qui se déplacé;
le va-et-vient est comme pendulaire. Par une poussée plus douce, celle de l'air con-
densé dans le conduit, on obtient le même résultat.
En elTet, l'ensemble des osselets se meut et oscille autour d'un axe fixe de rotation
formé par l'apophyse grêle antérieure du marteau en avant, et la branche horizontale de
l'enclume en arrière. C'est grâce à ces connexions intimes que le choc reçu par le tympan
ébranle du même coup la platine de l'étrier.
Mais, au moment où le son passe, l'onde a toujours une ampleur telle que la petite
masse des osselets est, suivant Weuer et Helmholtz, un point infiniment petit de l'espace
qu'elle parcourt. Ce point est franchi en un moment; il n'y a pas une suite de vibrations
longitudinales : un seul mouvement de totalité, transversal, a lieu : toute la chaîne oscille
comme un corps rigide.
Cela suffit-il pour comprendre la faible étendue des déplacements subits par l'étrier,
alors que certaines ondes aériennes ont un mètre et plus de longueur? Je ne le pense
pas. Je crois qu'il s'ajoute à la théorie proposée cette condition toute spéciale de la pro-
pagation des sons par les solides. Savart nous a appris que le passage des vibrations lon-
gitudinales dans les tiges solides, dans les verges métalliques, offre ceci de remarquable
qu'il ne se produit qu'une déformation « insignifiante » de la tige, une élongatlon d'une
étendue presque négligeable dans le sens du courant. Savart l'a mesurée dans quelques
expériences devenues classiques ; sur des tiges solides de 1 mètre et plus, il a con-
taté, des vibrations longitudinales énergiques et trouvé une extension à peine appré-
ciable (six dixièmes de millimètre).
Je persiste à croire que c'est dans le but d'éviter ces mouvements, ces changements
nuisibles de forme au niveau de la fenêtre ovale, que l'onde récoltée par la membrane du
tympan passe sur la chaîne osseuse, aux leviers si petits, avant d'arriver au labyrinthe;
c'était pour l'intégrité de la fonction une condition principale, une nécessité.
11 fallait éviter les secousses nuisibles d'oscillations d'une amplitude démesurée, la
fenêtre ovale ne pouvant exécuter des vibrations telles que celles du tympan, vingt fois
plus grand, et le labyrinthe ne pouvant les supporter.
La transmission par l'intermédiaire des osselets a résolu le problème.
Les expériences de Politzer, Buch n'ont-elles pas rendu évidentes les vibrations des
osselets? Et puis quelle difïérence trouvera-t-on entre les sons que transmet si bien
une poutre énorme, dont on ne peut dire que l'onde si grande la franchit comme un point
de l'espace et ceux que propagent au labyrinthe les osselets de l'ouïe?
Les deux voies de transmission ont ceci de commun, par contre, qu'une modification
de forme à peine appréciable des solides manifeste le passage du courant vibratoire d'ori-
872 AUDITION.
gine aérienne; avec des leviers aussi réduits que les osselets de l'ouïe, on peut admettre
que cet effet est à peu près nul. Aujourd'hui n'a-t-on pas l'expérience du phonographe?
Nous verrons plus loin que les osselets sont aussi les leviers de la tension et de la
détente, et que la nature sait obtenir double bénéfice d'une même disposition organique.
La chaîne des osselets intéresse le ph3'siologiste à d'autres points de vue encore.
Bebnstei.n calcule d'après la longueur proportionnelle des leviers que la vibration
arrive à la platine de l'étrier renforcée d'une façon prodigieuse (30 fois). Pour ma part
ce renforcement me semble très contestable; la longueur des leviers est autrement im-
portante au point de vue de la détente. Les vibrations sont réunies en un faisceau, par
leur passage sur les osselets ; on voit ainsi, à mesure qu'il avance, le courant sonore
recueilli, s'isoler, se simplifier dans sa forme et dans sa marche, pour pénétrer dans l'o-
reille interne, réduit de volume. Les éléments anatomiques si délicats du labyrinthe peu-
vent le supporter j et il est ainsi conduit au seul orifice qui lui livre accès. Comment ne
pas comparer au phonographe l'appareil conducteur otique, jusqu'à l'étrier"? la pointe de
celui-là inscrit les vibrations, comme l'extrémité de la branche de l'enclume les transmet
à la tête de l'étrier, partie libre saillante de la paroi du labyi'inthe.
La sphère aérienne où l'oreille a puisé les vibrations, est énorme, en effet; et, dans
le fond de l'organe, c'est une fenêtre de 2 à 3 millimètres au plus, qui sert d'entrée. L'ap-
pareil de transmission terminé par les osselets joue absolument, pour les ondes sonores,
le rôle du cristallin et de l'iris, pour les ondes lumineuses : isolement, concentration,
atténuation au seuil de l'organe sensible.
On conçoit par cette vue synthétique de la fonction de conduction que les osselets
soient mobiles et que l'étrier glisse dans la fenêtre ovale. Ce léger mouvement, d'après
Helmholtz, ne dépasse par 1/18 à 1/14 de millimètre en dedans; mes mensurations des
mouvements du tympan au moyen de la méthode graphique m'ont conduit à admettre
qu'il n'atteint pas plus de 1/10 de millimètre.
Cette mobilité fait de l'étrier une partie de la chaîne conductrice; car l'étrier libre
conduit le mouvement vibratoire au liquide intra-labyrinthique; soudé, sa conductibilité
est restreinte, sinon complètement, du moins en majeure partie.
D'après ce qu'on vient de lire, c'est donc par la fenêtre ovale que pénètre dans
l'oreille interne la plus grande masse des vibrations transmises, et la chaîne des osselets
est la voie la plus directe de cette propagation.
La base de l'étrier est une mince lamelle ovale qui reçoit par les deux branches de
l'osselet, insérées aux deux foyers de l'ellipse stapédienne, les vibrations propagées par
la chaîne et le tympan ; et, placée par sa face interne, vestibulaire, au contact du liquide
exolymphique, elle les lui communique aussitôt.
La vibration, de solidienne devient liquidienne, pour rayonner dans toutes les cavités
du labyrinthe; conduction nouvelle, nécessitée par des besoins différents. Dans le laby-
rinthe liquide, le faisceau des vibrations s'éparpille, se divise, se différencie à l'infini, et
chacune d'elles reprend sa liberté et son unité au contact des épithéliums terminaux des
filets nerveux sensoriels.
Cette platiné de l'étrier est encadrée mollement, mais très exactement sertie,. dans la
fenêtre ovale, le ligamentorbiculaire permet au.'; deux bords cartilagineux articulaires
concentriques de glisser d'une étendue très faible l'un sur l'autre.
Ces mouvements seront de nouveau envisagés tout à l'heure à propos de l'étude de
l'appareil de conduction en action, c'est-à-dire, cjuand nous parlerons de la tension et
delà détente du tympan, dont tous les auteurs s'occupent, et de l'immobilisation ou de
la charge de l'étrier qu'on oublie trop, et qui est, au point de vue de l'audition, tout
aussi importante à connaître.
En ce qui regarde la conduction, on sait depuis les travaux de Mdller et de Savart
qu'une plaque transmet intégralement aux liquides à son contact, et à l'air, les vibra-
tions reçues; tel est le rôle de la platine de l'étrier au point de vue de la transmission",
elle en a un autre, au point de vue de la protection de la fonction, que nous apprécierons
plus loin.
D. Rôle de la fenêtre ronde. — Le labyrinthe s'ouvre sur l'oreille moyenne par un
autre orifice fermé par une membrane, la fenêtre ronde. Le liquide intra-labyrinthique,
par la rampe tympanique du limaçon qui lui correspond, reçoit-il l'influence des vibrations
AUDITION, 873
de l'air de la caisse du tympan ? Autrement dit cette fenêtre ronde, membraneuse, sert-
elle à l'audition? Posons les conditions de ce problème. En réalité, l'élrier est une saillie
de la paroi labyrintbique.
La tète de l'étrier, par la chaîne osselétique, reçoit des vibrations au contact;
c'est un point qu'on ne saurait trop envisager ici; tandis que les sons ne peuvent émou-
voir la fenêtre ronde que par influence, à travers l'air d'une cavité close, de la caisse
tympanique.
Déjà, de ce fait, les ondes qui lui parviennent par l'air intérieur, sont plus faibles que
celles qui suivent directement le manche du marteau, instrument de récolte par excel-
lence des vibrations du tympan. Mûller a formulé son opinion très nette guidée sur
l'expérimentation, à savoir : « que des vibrations qui passent de l'air à une membrane ten-
due, de celle-ci à des parties solides, limitées, libres; et de celles-ci à l'eau, se commu-
niquent avec beaucoup plus d'intensité au liquide, que des vibrations qui passent de l'air
à une membrane, puis à l'air, et puis encore à une membrane tendue, et enfm à l'eau ".
Ce qui fait voir que le passage du courant est assuré et qu'il passe entier, par la voie des
osselels de l'ouïe, sans perte aucune au point de vue de l'intensité.
Mais l'intensité des sons au contact est toujours plus énergique, et la vitesse de pro-
pagation est également bien plus grande par les solides de la chaîne que par l'air de la
caisse. J'ai expérimentalement montré que le son du diapason vibrant en face du cor-
net d'un téléphone à ficelle, séteint à la moindre tension, tandis que le son au contact
persiste, quel que soit l'effort de tension; ne sait-on pas aussi combien une couche
d'air interposée entre deux parois amortit les vibrations sonores? Et si l'on admet
la conduction par l'air de la caisse, quel retentissement par résonnance de cette cavité!
L'expérience la plus simple montre la grande supériorité de la transmission par un
corps solide interposé à deux surfaces ou membranes; c'est l'âme du violon qui associe
les deux tables d'harmonie de cet instrument et lui donne sa grande sonorité et son
unité; c'est la poutrelle qui porte au loin le son d'un frottement d'épingle imperceptible
par voie aérienne, etc. La platine est la plaque conductrice par excellence des vibrations
solides au liquide inclus.
La vitesse des ondes, d'autre part, est tellement différente par les deux voies, qu'il y
aurait une véritable cacophonie si les sons arrivaient ainsi l'un après l'autre frapper
l'oreille. Ainsi par l'air de la caisse, par la fenêtre ronde, les ondes arrivent affaiblies en
intensité et en vitesse; il existe encore d'autres arguments en faveur de l'adoption d'une
voie unique, la voie stapédienne.
Nous ne parlerons pas de la rapidité avec laquelle on atténue le courant sonore, en
agissant sur l'étrier, parce qu'on objecte avec raison que les pressions exercées sur cet
osselet (fenêtre ovale) sont transmises à l'autre feiiêtre, par le liquide inclus, et que la
tension est ainsi produite des deux cùtés à la fois. Mais on ne peut pas n'être pas frappé
des rapports distincts des deux fenêtres avec l'organe sensible.
La platine de l'étrier et la fenêtre ovale sont en contact avec le liquide de la rampe
vestibulaire du limaçon, rampe sensorielle, celle qui contient les cellules auditives et les
plexus nerveux terminaux de l'acoustique, de plus avec les vestibulaires, l'utricule et la
saccule à peine distants, tandis que la fenêtre ronde s'ouvre sur la rampe tympanique,
dont le contenu unique est le liquide périlymphique.
Le vestibule n'est-il pas d'une importance physiologique bien autre que cette rampe
cochléenne veuve de parties sensibles, à laquelle répond la fenêtre ronde, lui qui ren-
ferme les parties fondamentales de l'appareil nerveux de l'ouïe?
On ne peut pousser plus loin l'argumentation; quelques-uns ont émis l'idée que cette
voie peut parfois remplacer l'autre; oubliant que les deux fenêtres se commandent, et
qu'une tension, immobilisation ou pression exercées sur l'une frappe immédiatement
l'autre. En définitive, ce qui abaisse la conductibilité de l'une enlève tout autant à la con-
duction de la seconde. Toutes deux jouissent des propriétés conductrices des membranes
tendues, qu'une légère tension accroît, qu'une tension forte détruit : les ondes entrent
donc dans le labyrinthe par une seule voie, par l'étrier.
E. Mobilité de la chaîne des osselets. — Muscles moteurs. — Antagonisme . —
Mouvements associds. — Mouvements de tension, de détente de l'appareil de transmission, du
tympan à l'étrier. — Nous avons étudié l'appareil de transmission des ondes sonores au
AUDITION.
point de vue de ses qualités de conduction à l'état statique, au repos; nous allons
maintenant analyser les mouvements de la chaîne osseuse, le rôle de ses moteurs et leur
action sur la propagation des sons. On sait depuis les expériences de Savart et de Mijller
qu'une membrane vibre d'autant moins qu'elle est plus tendue. Pilcker a confirmé cette
loi; PoLiTZER, LucAE, FicK, Mach l'ont rendue expérimentalement sensible sur le tympan.
Mais ce sont les sons graves qui s'éloignent surtout par le fait de la tension du tympan ;
et les sons aigus jusqu'à un certain point, par le fait même de la tension, sont rendus
plus pénétrants.
La contraction du muscle interne du marteau, pour Savart, Mijller et Wollaston,
remplit le rôle de tendre la cloison et d'abaisser l'intensité du son.
Déjà Valsalva et Duverney avaient bien interprété cette action du muscle interne du
marteau. Helmholtz, après Politzer,I^ucae, Mach, etc., a formulé des conclusions identiques ;
les ingénieuses dispositions expérimentales de Bdck (New-York) ont complété cette démons-
tration. Pour Helmholtz, l'appareil transformerait le mouvement de grande amplitude et de
faible énergie apporté par le tympan, en un mouvement de faible amplitude et de force
plus grande, servant à la propagation à la chaîne des osselets et au labyrinthe.
Le muscle du marteau, que quelques 'personnes peuvent contracter à volonté, obéit
physiologiquement à une action réflexe; celle-
ci est bien exposée dans les lignes suivantes de
.1. MiJLLER (Traité de physiologie, t. ii).
MûLLER dit : « Si l'on admet qu'à l'occasion
d'un son très intense le muscle du tympan
entre en action par l'effet d'un mouvement
réflexe, de même que font l'iris et le muscle
orbiculaire des paupières lors d'une impres-
sion de lumière très vive, attendu que l'irri-
tation est transmise par les nerfs sensoriels
au cerveau, et de celui-ci aux nerfs moteurs,
il devient évident que, quand un bruit intense
frappe l'oreille, le muscle du tympan peut as-
sourdir l'ouïe par son mouvement réflexe. »
La membrane du tympan suit le manche du
marteau dans ses déplacements en dedans et
en dehors; mais, dans les mouvements dirigés
vers la caisse, toute la chaîne des osselets
se meut complètement dans le même sens, au
même instant; et l'étrier est légèrement en-
foncé dans la fenêtre ovale, tendant ainsi simultanément le ligament orbiculaire qui
l'unit aux bords de celle-ci.
Il suffit d'une pression très légère pour obtenir ce résultat double, la tension accrue
du tympan et la fixation de l'étrier dans son cadre, grâce à l'exiguïté de la course possi-
ble de la platine de l'osselet et de la cloison elle-même (1/10 millim.).
L'expe'rience suivante de Gellé montre l'effet de ces tensions imposées au tympan
sur la conduction.
Un tube de caoutchouc est adapté à l'oreille de l'observateur; à son extrémité libre
une baudruche tendue sur un tube rigide est introduite; un second tube s'a.jouteà cette
partie, et communique avec la poire à air : le tout se tient; si la tige d'un diapason
vibrant touche le tube en dehors de la cloison de baudruche, le son passe; mais,
à la moindre pression du doigt sur la poire à air, il s'affaiblit; la tension imprimée à
la baudruche a suffi à atténuer très sensiblement le son ; s'il est faible, elle peut
l'éteindre.
Placez maintenant le diapason vibrant en dedans de la cloison de baudruche, entre
celle-ci et l'oreille de l'observateur; puis faites la pression sur la poire à air; aussitôt, et
à chaque poussée, le son perçu s'accroît. C'est que la tension accrue de la cloison de bau-
druche s'oppose à l'écoulement au dehors du son; et qu'il s'ensuit une vive résonnance
sentie par l'oreille.
On voit ainsi l'effet immédiat de légères augmentations de la tension du tympan sur
FiG. 78, — Dispositif pour montrer l'elfet des
tensions du tympan sur l'audition.
P, poire à air, dont le tube s'adapte à l'oreille.
— T, membrane de baudruche intercalée dans
le tube. — E, diapason posé vibrant en dehors
d'elle ; dès que l'on presse la poire, le tympan
artificiel tendu arrête et atténue le courant
sonore. — I, diapason posé en dedans de la
baudruche : la pression sur la poire à air tend
cette cloison ; arrête le courant sonore ; et le
son est perçu renforcé par le sujet à chaque
fois en O.
AUDITION. 875
la conduction des vibralions : elles affaiblissent la transmission, et enlèvent à celle-ci
sa conductibilité partiellement et momentanément.
Ceci acquis, enlevons la cloison de baudruche; alors le tube et la poire ù air s'a-
daptent directement à l'oreille de l'observateur, bien hermétiquement.
Posez maintenant le talon du diapason vibrant sur le tube; puis pressez d'un petit
coup, très léger, la poire à air, aussitôt le son s'atténue, passe plus sourd, semble
s'éloigner.
Le tympan artificiellement tendu ne livre plus que difficilement passage aux ondes
sonores vers l'oreille : c'est l'analogue de notre première expérience de toiità l'heure.
Autre épreuve : Placez le diapason sur votre vertex et puis exercez la délicate pression
brusque sur la poire à air adaptée à votre oreille, et écoutez le son crânien. A chaque
coup, il faiblit. Cette fois, le son ne subit donc pas l'influence de la tension imprimée au
tympan, car il devrait, comme dans l'épreuve précédente, oti le diapason sonore vibre
en dedans de la cloison de baudruche, être renforcé au contraire. Qu'arrive-t-il? C'est
que l'appareil de transmission, la chaîne des osselets, a suivi le mouvement de pression
en dedans imprimé au tympan ; l'étrier s'est porté en dedans; il s'est immobilisé dans la
fenêtre ovale, tendant aussi à chaque coup les deux membranes des fenêtres labyrin-
thiques; par suite, le courant sonore arrêté n'arrive plus qu'affaibli au labyrinthe; et
c'est ainsi que la sensation est atténuée, bien que le diapason vibre sur la tête {Pressions
centripètes, Gshht, ISSO, Études d'otologie, t. ii).
Cette expérience met en évidence le jeu et le rôle des diverses parties de l'appareil
de transmission.
F. Axe de rotation. Ligaments du marteau. — Le manche du marteau de
l'ombilic à son apophyse externe fait corps avec la membrane; du tympan à partir de
2 millimètres au-dessous du cadre tympanal, l'osselet quitte la membrane presque à
angle droit; son col se porte en dedans dans l'aire de la caisse.
Mais, au niveau de l'épine tympanique antérieure, il se détache de sa partie anté-
rieure une apophyse grêle cachée et retenue dans une rainure, au niveau de la scissure
de Glaser, par des ligaments fibreux épais (ligaments antérieurs du marteau).
Ces fibres vont s'insérer au col de cet osselet au-dessus de cette saillie osseuse anté-
rieure, et descendent jusqu'à l'apophyse externe; elles limitent donc les oscillations du
manche et de la membrane en dehors.
C'est là un des points fixes du marteau, et une attache solide à l'écaillé temporale,
au-dessus du cadre tympanal, qui permet certains déplacements. D'autres fibres (liga-
ment postérieur) unissent la face postérieure du col du marteau au temporal, dans la
direction même du ligament antérieur ; de leur association il résulte que c'est le centre
autour duquel s'accomplissent les mouvements du marteau.
Helmholtz les nomme « la bande-axe du marteau )>; ces ligaments maintiennent le
marteau en place, même isolé de ses connexions.
TI est bon de remarquer ici que les tractions énergiques sur le tendon tenseur, qui
portent le manche en dedans avec la cloison et rejettent la tête du marteau en dehors,
tirent sur le ligament qui unit le col de cet os au temporal; ainsi se trouvent limités en
dedans les déplacements du manche.
De ces attaches à la paroi tympanique externe, il résulte que la cloison peut, par suite
d'états pathologiques, devenir susceptible d'être fortement poussée en dehors ou en
dedans sans que le manche, bien retenu, ne suive ces déplacements.
Le tendon du muscle interne du marteau vient du bec de cuiller, sur la paroi interne
de la caisse, se jeter perpendiculairement sur le manche (partie antérieure), un peu
au-dessous des points fixes d'attache du col (ligaments antérieurs, externes et posté-
rieurs, bande-axe d'HELiiHOLTz), auxquels tout l'appareil est suspendu.
Toutes ces parties se meuvent, mais dans de très faibles limites, vu le petit déplacement
nécessaire à la tension du tympan. Le muscle penniforme est reçu dans sa gaine osseuse
parallèle à la trompe; et le tendon se réfléchit au niveau de la fenêtre ovale.
Cette réflexion a son importance; elle assure la précision de l'effort, et sa direction
constante; mais de plus elle a pour effet utile d'éteindre toute conduction vibratoire
de ce côté.
L'apophyse grêle du marteau maintenu par des ligaments solides qui laissent un cer-
876
AUDITION.
tain jeu, surtout dans le sens de la rotation du manche en dedans et en dehors, est le
point d'appui antérieur de Vaxe de rotation autour duquel s'exécutent les oscillations
qu'amènent la tension et la détente du tympan et de l'appareil conducteur.
L'autre partie de cet axe de rotation est constituée par la branche horizontale de
l'enclume, reçue dans une encoche de la paroi postérieure de la caisse (point fixe).
Comme les deux têtes de l'enclume et du marteau sont articulées, ainsi se trouve établi
l'axe des mouvements de l'appareil.
G. Mouvements du manche du marteau et du tympan se communiquant à,
l'enclume et, par cet osselet, à Tètrier. — Les deux têtes sont articulées par emboî-
tement réciproque, quand le tympan s'enfonce, la tète du marteau oscille et se porte en
dehors et en haut; à ce moment l'articulation malléo-incudienne est serrée ; et la saillie
osseuse qu'offre le bord inférieur de la surface articulaire du marteau repousse en dedans
la branche inférieure de l'enclume; ce qui revient à dire que le déplacement vers le
dedans du manche cause aussitôt un déplacement égal de la branche incudienne dans
le même sens, et l'enfonçure de l'élrier; le manche du marteau ne peut se porter en
dedans sans entraîner l'enclume dans la même direc-
tion.
Il n'en est pas de même dans le sens opposé: grâce
à la laxité des ligaments articulaires, et à la forme des
surfaces articulaires que le mouvement du tympan
en dehors desserre, les deux osselets ne sont associés
que dans de certa-nes limites dans la rotation en ce
sens ; Heluholtz a bien étudié ce mécanisme (Helm-
HOLTz. Le mtScanisme des osselets de l'oreille et de lamem-
brane du tympan, 1886, trad- Rattel).
11 a expérimentalement établi que les deux sur-
faces articulaires de ces osselets s'écartent l'une de
l'autre sur presque toute leur étendue, tandis que
l'enclume leste immobile, dans les déplacements très
accusés de la tète du marteau vers le dedans; le car-
tilage articulaire remplit les vides. Le ligament capsu-
laire qui unit les deux. osselets n'est pas très fort, et
céderait facilement.
Le savant physiologiste a calculé que la rotation
en dehors du manche sur l'enclume qui disjoint l'arti-
culation des deux têtes, n'atteint pas o degrés (p. 26).
Par une expérience délicate, Politzer a montré que l'axe de rotation du système a bien
ses points fixes en arrière à la branche horizontale de l'enclume, en avant au niveau de
l'apophyse grêle du marteau. Expérience : De fines tiges de verre sont attachées aux tètes
des deux osselets ; puis l'air du conduit est comprimé ; alors il a constaté nettement
que le déplacement général en dedans des parties a lieu par une oscillation autour de
ces deux points fixes ; il a observé aussi de légers mouvements au niveau de la jointure
des deux tètes osseuses.
Le ligament dit suspenseur du marteau se trouve relâché dans l'oscillation en dedans
et aussi par l'action du tenseur, à l'inverse de tous les autres ligaments malléens.
D'après cette analyse on voit que l'enclume suit l'impulsion du manche du marteau
et du tympan, s'ils s'enfoncent et basculent en dedans; et que l'extrémité arrondie de
sa branche verticale appuie alors sur la tête cupuliforme de l'étrier qu'elle pousse et
fait glisser dans la fenêtre ovale.
L'articulation incudo-stapédienne est lâche et très mobile; c'est une énarthrose
maintenue par une capsule molle qui offre beaucoup de. fibres élastiques.
H. Mouvements de l'étrier. — Les mouvements de l'étriersont extrêmement limités.
Helmholtz a réussi, au moyen de leviers amplificateurs, à mesurer la course de la platine
de l'étrier, que mouvaient, soit la raréfaction de l'air du conduit, soit sa condensation
au contraire ; et il a trouvé une moyenne de 7/18 millièmes à 1/14 millième de milli-
mètre, ainsi que nous l'avons dit déjà.
La laxité de lajointure incudo-stapédienne est telle que, dans les déplaceinentsexagérés
^IG. 79. — Osselets de louïe, articulés.
4, tête du marteau. — st, manche. —
1, apophyse antérieure, grêle. — E,
branche horizontale, fixe de l'en-
clume. — E', branche descendante
ou verticale de l'enclume. — E", s'ar-
ticulant avec la tête de l'étrier S.
AUDITION. 877
du manche du marteau en dehors, cet observateur a pu constater que l'extrémité de la
branche de l'enclume s'écarte de la surface articulaire de la lète de l'étrier; cet écar-
tement peut atteindre 1/4 de millimètre à 1/2 millimètre : ce sont là, à mon sens, des
observations de première importance. Quand le manche du marteau est refoulé en
dehors, et que la. jointure incudo-malléaire s'ouvre, ainsi que nous l'avons dit, l'ar-
ticulation de l'étrier et de l'enclume peut cependant rester serrée, les deux surfaces
articulaires au contact : nous avons expliqué plus haut le mécanisme de ces mouve-
ments de dissociation du marteau et de. l'enclume qui isolent l'étrier jusqu'à un certain
point: Cela, est d'autant plus important à, connaître que la chaîne osseuse est un appareil
chargé de la transmission des sons, bien que formée de segments.
Ces sortes de disconnexions, si elles sont possibles physiologiquement, expliquent
peut-être l'action tutélaire du stapédius ou muscle de l'étrier.
On se rappelle que le premier effet de la tension est d'appliquer toutes ces surfaces
osseuses les unes aux autres, pour transformer la chaîne brisée en un corps rigide; or,
si ces jointures peuvent être relâchées, s'il peut même y avoir disconnexion, la trans-
mission est de ce fait seul interrompue ou rendue plus difficile, et l'antagonisme du
muscle de l'étrier et du tenseur est clair et son utilité manifeste; )e mécanisme de l'in-
terruption du courant sonore consisterait dans le relâchement des contacts.
La platine de l'étrier, d'après Helmholtz, ne se meut pas en volet ni en basculant comme
l'ont admis Huschke, Lucae, Politzer; son mouvement en dedans est total, et quand on
l'observe du côté du vestibule, il se fait d'un seul bloc, c'est-à-dire que ses deux bords
supérieur et inférieur sont à la fois poussés en dedans ou en dehors. Sur un appareil
que j'ai construit pour étudier l'action des divers leviers arliculés qui composent la
chaîne des osselets, j'ai pu constater que le mouvement transmis à l'étrier est un glis-
sement, dans le sens horizontal à peu près (Celle, B. B., 1894); je me range donc à l'opi-
nion d'HELMHOLTz; au reste aucun ligament ne permet de mouvements partiels. Cepen-
dant par la contraction du stapédius, agissant seul, la base de l'étrier peut sans doute
basculer dans de faibles limites; mais sa tête décrit un aro plus sensible; le déplace-
ment est alors transmis à la branche verticale de l'enclume. J'ai constaté sur le cadavre,
après ToYNBEE, que dans ce mouvement le labyrinthe est décomprimé et sa tension inté-
rieure abaissée : là l'antagonisme des deux muscles tympaniques est visible.
Dans les mouvements en dedans du tympan, et lors des contractions du muscle
tenseur, l'étrier éprouve en défmitive un mouvement en dedans égal et simultané ; et
celui-ci ne dépasse pas 1 dixième de millimètre. A ce déplacement succède une oscilla-
tion en retour par l'élasticité des parties, dès que la cause a cessé. Politzer a montré
l'action de ces tensions tympaniques sur la conduction, par l'abaissement de la courbe
inscrite et l'affaiblissement des tracés des oscillations des osselets et du tympan quand
le tenseur agit, dans ses expériences au moyen de liges de verre adaptées aux osselets
et que le courant sonore ébranle; le muscle est excité soit directement, soit par action
réflexe sur la v= paire; et les modifications des vibrations s'inscrivent sur le cylindre
enregistreur.
Helmholtz calcule que la pression exercée par l'extrémité de la branche verticale de
l'enclume sur l'étrier, dans les mouvements du manche et du tympan vers le dedans,
est une fois et demie aussi grande que la force exercée sur le marteau même.
11 est à remarquer que la longueur de la branche verticale de l'enclume est spéciale
à l'homme : je l'ai nommée le levier de la détente; il semble qu'à ce point de vue
l'homme soit mieux armé aussi pour la protection et la détente de l'organe auditif; c'est
le stapédius ou muscle de l'étrier qui meut ce levier de la détente. L'étendue des mou-
vements du tympan et du manche en dehors peut atteindre o millimètres, grâce à la
laxité des jointures de l'étrier et de l'enclume et surtout de l'enclume et du marteau.
J'ai fait, à ce sujet, des expériences au moyen de VendotoscojJe, manomètre adapté
au conduit et calibré de telle sorte que la colonne liquide de la branche ascendante
graduée est trois fois plus étroite que l'autre : j'obtiens ainsi une amplification des
déplacements du tympan provoqués soit par l'épreuve de Valsalva, soit par celle de Po-
litzer, soit par la déglutition (Celle, Précis d'Otologie, 1876). Or, dans la propulsion du
tympan en dehors, par l'expérience de Politzer, l'ascension de la colonne liquide de l'en-
dotoscope sur l'oreille saine atteint 1 et 1/2 à 2 centimètres, répondant à 4 ou 3 milli-
878
AUDITION.
mèlres de déplacement de la cloison. D'autre part, dans mes études sur les mouve-
ments tympaniques au moyen de la méthode graphique, les tracés montrent que le
mouvement de la déglutition retentit sur la cloison et la déprime très légèrement,
voussure suivie de retour immédiat. Le crochet inscrit est plus fort, si l'on pince le nez;
c'est un brusque, mais très léger, abaissement de niveau, avec retour instantané à la nor-
male, qui l'indique. L'épreuve de Valsalva et surtout l'insulflation avec la poire de
PoLiTZER provoquent, au contraire, une élévation brusque de niveau, et la formation d'une
ligne d'ascension très élevée, dont la courbe plus étendue de descente se divise en deux
zones; l'une immédiate à descente vive, l'autre plus lente, oblique, et d'autant plus
FiG, 80. — Tracés des mouvements du tympan (très amplifit^'s) ; pendant l'épreuve de Valsalva.
éprouve de Valsalva qui refoule le tympan en dehors de a à i ; de là descente graduelle activée en c par
une déglutition. — c, c', crochets de la déglutition ; retour immédiat à la ligne d'équilibre.
longue que la trompe est moins perméable {Études d'Otologie, t. i, 1876, et Précis d'Oto-
logie, 1880). On voit ainsi sur ces tracés les différences de mobilité en dehors et en
dedans de la cloison tympanique.
Comment les pressions sur l'cirier affaiblissent-elles le courant sonore, aérien ou soli-
dien? — Les pressions sur le tympan, les tensions intra-lympaniques dues à l'aération
artificielle de la caisse (Savart, Wollaston) atténuent d'une façon sensible l'audition
aérienne. Quant à la perception crânienne, j'ai montré que le fait existe aussi bien
pour elle que pour la première ; de plus, j'en ai donné l'explication en montrant que ces
mêmes pressions refoulent l'étrier et l'immobilisent momentanément (Voyez plus haut.
Pressions centripètes), coupant alors le courant vibratoire.
C'est ainsi que le son est arrêté à l'entrée du labyrinthe. La charge apportée en
excès sur cette plaque vibrante suffit donc à alïaiblir sa conductibilité ; les plaques minces
se comportent en ce cas comme les membranes tendues.
L'étrier, dont la course est si peu étendue, en a bientôt atteint la limite; la poussée
en dedans continuant tend le ligament orbiculaire, et l'os est fixé, immobilisé; et du
même coup, ses vibrations diminuent d'amplitude; il y a arrêt de la transmission
ou affaiblissement immédiat.
Telle est l'explication des atténuations du son crânien observées dans l'expérience
des pressions centripètes. Ces modifications de la sensation sonore sont instantanées;
elles sont identiques à ce que produit l'action du muscle tenseur et disparaissent avec la
pression qui les cause sur l'oreille saine. C'est ainsi que les contractions du muscle
interne du marteau agissent sur l'intensité du son transmis.
On sait que certaines personnes jouissent du privilège de pouvoir contracter à volonté
leur muscle tenseur, un léger bruit de claquement annonce la contraction ; le triangle
lumineux du tympan s'agite au même moment. Helmholtz, Politzer, Gellé ont montré
que, dans le bâillement, le tenseur se contracte énergiquement, et assourdit l'oreille
presque complètement. J'ai observé que les sons crâniens étaient également atténués,
mais non aussi fortement (Gellé, Comptes rendus du Congrès méd. internat., 1890, Berlin).
En 1876, j'ai étudié les causes des variations de tension du tympan et leur influence
sur la conduction ,au moyen du dispositif suivant. Dans l'extrémité libre d'un otoscope
de iJO centimètres bien assujetti à l'oreille j'engage la lige d'un diapason /a 3 de 9 centi-
mètres; celui-ci est tenu suspendu par la main qui tient le tube de caoutchouc.
On peut facilement constater ainsi que le son du diapason s'éteint brusquement si
l'on serre vivement les mâchoires; la contraction énergique a toujours ce résultat; et le
son renaît dès que celle-ci a cessé. Cela s'explique bien par la communauté d'innerva-
AUDITION.
879
R
tioii des masticateurs et du tenseur auriculaire. L'effort de la mastication amène la con-
traction synergique du muscle tenseur innervé par le même nerf que les masticateurs,
ainsi que le montre l'embryologie (M. Dcval). Si l'étrier est soudé, rien n'est modifié.
Par l'expérience de Valsalva, déjà faite et étudiée à ce point de vue par Savart, le
ton s'abaisse aussi; et il en est de même par la déglutition, le nez pincé surtout. Toutes-
ces actions ont pour effet d'ac-
croître soit passivement, soit
activement, la tension de l'ap-
pareil conducteur et l'enfon-
çure de l'étrier, et finalement
agissent sur sa conductibi-
lité.
Épreuve des réflexes d'accom-
modation biimuricidaire. — J'ai
obtenu également ces atté-
nuations de l'audition des sons
aériens en agissant au moyen
des pressions centripètes sur
l'une des oreilles; le diapa-
son vibrant est présenté au-
devant de l'autre oreille,
libre. Or, à chaque pression
exercée sur la poire à air
adaptée à l'un des organes,
le son aérien baisse du côté
libre. L'audition à droite est
intluencée par les pressions
exercées sur l'oreille gauche.
Ceci s'explique si l'on rétlé-
chit que les deux oreilles
sont associées dans l'audition
binauriculaire, et que la dé-
pression tympanique expé-
rimentale de l'oreille droite
amène le travail d'adaptation
synergique du côté gauche.
Or remarquons que c'est la
contraction du tenseur qui est
ainsi provoquée dans l'organe
libre par la pression centri-
pète opposée : c'est donc le
rôle du tenseur pris sur le
vif.
Phénomènes curieux, d'a-
près Helmholtz, certains
bruits très appréciables se
produisentau moment oùl'ar-
Fie. 81. — Épreuve des pressions centripètes de Gelle, montrant
les effets sur l'audition des pressions, 1» exercées sur la mem-
brane; 2" sur l'étrier; 3« sur une oreille, le diapason vibrant en face
de l'autre.
0,0, les deux caisses tympaniques. — D^V, diapason vertex ; deux
lignes ponctuées aboutissent aux étriers : chemin des ondes so-
nores crâniennes. — DT, diapason posé sur le tube de la poire à
air, le son suit le tubo et frappe le tympan T. — P, poire à air,
en la pressant la cloison T se tend, par suite le son venu par le
tube s'afi'aiblit; et en même temps, la pression étant transmise il
l'étrier, le son crânien, DV, s'atténue aussi. — oto, si on ausculte
en même temps le son crânien avec l'otoscope placé k l'autre
oreille, on sent le ton faiblir aussi. — R, si on ôte l'otoscope, le
diapason qui vibre en face de cette autre oreille, est perçu atTaibli
en même temps que l'on presse avec la poire sur l'oreille opposée.
Le muscle tenseur du coté libre est actionné par la pression
exercée do l'autre coté avec la poire à air (Synergie d'accommo-
dation binauriculaire). — M, ligne fictive reliant le labyrinthe à la
moelle cervicale en F, où je place le foyer de l'accommodation
binotique (Gei.lé, Études d'otoloç/ie, t. II, p. 38).
ticulation incudo-malléenne
subit ses déplacements étendus, concordant avec la propulsion du tympan en dehors,
et par le retour à la normale.
I. Rôle du stapèdius ou muscle de l'étrier. — Mécanisme de la détente ; synergie-
antagonisme. — Le muscle tenseur augmente la tension normale de l'appareil du tym-
pan, le serrement des surfaces articulaires, et comprime l'étrier fixé dans la fenêtre
ovale; et tend la fenêtre ronde; tous ces eflfets de l'action du tenseur tendent à éteindre
la conduction, s'il agit seul. Une faible tension, celle sans doute que commande l'at-
tention auditive, accroît la conduction au contraire (Vals.alva. Politzer, Lucae, Mach).
Le tendon du muscle stapèdius sort de sa gaine osseuse, derrière la tête de l'étrier,.
880 AUDITION.
s'infléchit pour s'y insérer ainsi qu'à la capsule articulaire. Envisagé isolément, le
muscle attire cette tête en arrière, et un peu en dehors, ditToYNBEE; mais il tire en
arrière en même temps rextrémité inférieure du « levier de la détente », de la branche
verticale de l'enclume. Celle-ci bascule sur son point fixe; et la tête de l'enclume
appuie et pèse sur la tète du marteau; ainsi la traction en arrière du levier de la
détente aboutit à une rotation du manche du marteau en dehors avec le tympan.
Sappey a bien décrit ce mouvement comple.'ce par lequel tout d'abord la tête de
l'étrier et la branche de l'enclume étant tirées en arrière, la tète de l'enclume vient
déprimer en dedans celle du marteau, emboitée avec elle; et par suite, autour de l'axe
de rotation, fait osciller le manche du marteau et le tympan en dehors. 11 se produit
alors une détente manifeste, tout au moins un efTort dans un sens opposé à l'action du
tenseur, et à la rotation inverse : l'antagonisme apparaît évident par conséquent dans
les mouvements associés et synergiques.
Peut-être se produit-il encore quelque chose de plus, si le stapédius agit d'une
façon prédominante.
Le relâchement des parties de la chaîne va-t-il jusqu'à produire un peu de discon-
nexion"? Cela est difficile à démontrer, mais se déduit sans effort des notions anatomi-
ques si remarquables d'HELMUOLiz, que nous avons à dessein exposées en détail tout à
l'heure, mais dont l'auteur ne tire point de conclusion à ce point de vue.
On conçoit la rigidité élastique de la chaîne articulée par l'action du tenseur, et son
relâchement allant jusqu'au contact, à peine serré, résultat de celle du stapédius.
Ces deux étaj;s doivent modifier absolument et d'une façon totalement opposée la
transmission du courant vibratoire : dans le premier cas elle est augmentée, dans le
second diminuée ou éteinte.
Une expérience de mes cours rend le phénomène manifeste. Je tiens du bout du doigt
l'extrémité d'une chaîne de montre enfoncée fermement, bouchant tout, dans le trou
auditif; or la montre n'est perçue ainsi que si je tends fortement la chaîne, en tirant
sur la montre; et le son cesse de passer dès que la tension finit; les anneaux de la
chaîne ne conduisent bien que s'ils sont en contact serré. De même, placez un dia-
pason vibrant sur le menton; la bouche ouverte il passe peu de son; si les dents se fer-
ment il en passe davantage, mais le son est bien plus intense si l'on serre les dents.
Dans les mouvements en dedans du tympan, dans les contractions du tenseur le
stapédius limite les poussées en dedans de l'étrier, et fait dans une certaine mesure
équilibre au tenseur : antagonisme nécessaire. Les deux actions combinées assurent
la fonction d'accommodation et de protection de l'organe. En effet, M. Duval voit dans ces
actions musculaires sur ces leviers un but d'adaptation et d'accommodation; il pense
qu'ainsi l'oreille possède, comme l'œil, des parties chargées de l'accommoder, pour les
tons bas et aigus, et de graduer la pénétration des vibrations, comme l'iris a pour mis-
sion de graduer la pénétration des ondes lumineuses.
Nous dirons qu'il y a là surtout un appareil actif de protection du sens de l'ouïe. On
ne saurait en effet admettre que les contractions des moteurs puissent accommoder à
chaque instant la tension pour le passage des sons suivant leur tonalité; la multitude
des vibrations, la simultanéité de sons de tonalités les plus opposées, rend inadmis-
sible cette conception.
Mais il est logique de croire que, par l'eff'et de leurs contractions réflexes, les
délicats conducteurs se disposent de telle sorte que la transmission puisse être ou faci-
litée, comme dans l'attention, ou au contraire affaiblie autant que possible, comme dans
l'audition douloureuse, par exemple.
Dans les deux cas, il y a effort et fatigue, comme lors de tout acte musculaire répété.
Le rôle protecteur du stapédius est évident : pour Toynbee, il ouvre la voie que le ten-
seur ferme au contraire : leurs actions associées donnent à l'appareil une grande élas-
ticité, et évitent les mouvements brusques; leur antagonisme règle et gradue les dépla-
cements. Dans le cas d'hémiplégie faciale, le stapédius étant paralysé, l'action du ten-
seur reste sans contrepoids; or, il en résulte de l'affaiblissement de l'ouïe, de l'audition
douloureuse, par les secousses qui se produisent dans la tension brusque que provo-
quent les bruits intenses [hyperacousie) (Laindouzy).
J. Aération de l'oreille moyenne. — Nous ne pouvons ici étudier en détails cette
AUDITION. 881
fonction annexe, la ventilation de la caisse du tympan et son mécanisme. Xous en
dirons ce qui est indispensable à connaître au point de vue de l'audition.
L'air de la cavité tympanique fait équilibre à l'air atmosphérique, de sorte que les
de us faces du tympan subissent la même pression; c'est une condition de l'équilibre
statique de l'appareil conducteur, et de la constance de cet état moyen de tension du
tympan et de tout l'appareil sur lequel nous avons déjà parlé : c'est la déglutition de la
salive, intermittente, qui assure cette ventilation. Dès que l'air intra-tympanique n'est
plus renouvelé suffisamment, la pression extérieure refoule la cloison et l'étrier; ainsi
se rompt l'équilibre de la pression labyrinthique nécessaire. Mais de là, de ces tensions
des membranes tympanique et de la fenêtre ronde naissent des sensations transmises
par le plexus tympanique, et la déglutition de la salive recommence.
Un conduit spécial amène l'air du pbarynx nasal dans l'oreille moyenne et satisfait
à ce besoin d'aération : c'est la trompe d'EosTACHE. Celle-ci n'est pas constamment
béante; ses deux parois s'écartent au moment de la déglutition, les muscles qui
meuvent alors le voile étant les moteurs de la trompe, la trompe s'ouvre; l'air esté-
rieur pénètre et rétablit l'équilibre des tensions auriculaires ; une légère oscillation du
tympan, visible sur les tracés et à la vue, et manifeste sur l'endotoscope, accompagne ce
mouvement de l'air. Ainsi, un Ilot de salive s'écoule; on la déglutit; la trompe s'ouvre ;
l'air s'y introduit: le tympan qui a été aspiré en dedans reprend sa position d'équili-
bre : l'aération est faite. Telle est la série des phénomènes qui se succèdent pour assurer
la ventilation de l'organe.
Si Ton se rappelle la faible course que le tympan est susceptible de faire vers le
dedans, on comprend combien il importe que l'air arrive à temps dans la caisse pour
éviter toute tension et tout déplacement en ce sens, qui causeraient vite l'immobilité de
la platine de l'étrier dans la fenêtre ovale et par conséquent l'affaiblissement de l'audi-
tion. Voyons chez l'homme le mécanisme et les conditions de cette « ventilation)), comme
l'appelle de Trœltsch. Nous dirons plus loin comment elle s'opère chez les autres vertébrés.
La caisse est chez l'enfant ample et large ; elle n'ofîre qu'une seule cellule osseuse
comme diverticulum, c'est l'antre mastoïdien. La trompe est assez large, courte et
presque droite et bien ouverte (de Trœltsch), même au niveau de l'isthme. Le va-et-vient
de l'air du pharynx vers la caisse est bien facile à cet âge.
Chez l'adulte, le volume de celle-ci est relativement plus faible; qiaisde vastes cellules
aériennes se sont développées dans l'épaisseur de l'apophyse mastoïde ; et il y a com-
pensation.
La caisse est une cellule osseuse isolée de l'extérieur; l'étendue du réservoir d'air a
de l'importance; car elle s'oppose à sa raréfaction trop rapide.
RûDixGER cependant admet l'existence d'un petit canal aérien permanent situé dans
la partie supérieure du conduit tubaire où l'aceolement des parois serait incomplet.
Les expériences d'HARiMANN, très bien conduites, ont absolument démontré que la
trompe est toujours close à l'état de repos, ainsi que de Trœltsch, Politzer, etc., l'avaient
admis et prouvé déjà. Hartmann a expérimentalement montré qu'il faut toujours une
certaine pression de l'air pour qu'il franchisse la trompe en dehors de la déglutition. Il
évalue cette pression nécessaire à 20 et parfois jusqu'à 60 millimètres de mercure : au
moins est-ce la pression qu'on produit en exécutant l'épreuve dite de 'V'alsalva (action
de pincer le nez, en poussant l'air dans les narines comme pour se moucher).
De mon côté, je suis arrivé à peu près aux mêmes chiffres, 60 à 80 millimètres de mer-
cure dans des expériences faites dans le laboratoire de J. Béglard (Gellé, Études
d'otologie, t. r, p. .303). D'ailleurs la pression nécessaire s'accroît avec la diminution
de calibre de la voie tubaire, dans les otopathies et les rhino-pharyngites. D'autre
part Hartmann a prouvé l'occlusion de la trompe à l'état de repos en soumettant des
adultes, placés dans une chambre pneumatique, à des pressions aériennes graduellement
croissantes. Or, chez tous, la déglutition seule fit pénétrer l'air dans les cavités tympa-
niques et cesser la douleur aiguë causée par la pression poussée jusqu'à 200 milHmêtres
de mercure (Hartmann, 1879).
Ainsi, il est établi que le canal de la trompe, fermé à l'état de repos par l'aceolement
de ses deux parois, s'ouvre d'une façon intermittente sous l'influence de l'acte de la
déglutition. La salive flue dans la cavité buccale et de temps en temps, plusieurs fois
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 56
882 AUDITION.
par minute, un mouvement de déglutition l'emporte à travers l'isthme du gosier; alors
aussi le voile se redresse, et les trompes s'ouvrent.
Quels sont les agents de cette ouverture "?
Cet organe tubulé est constitué dans sa moitié interne par une gouttière solide, car-
tilagineuse, fixée à la base du crâne par son bord supérieur. Cette gouttière fait saillie
dans le haut du pharynx; elle est oblique en dedans, en bas et en avant, s'étend du
rocher à l'apophyse ptérygoïde, à 1 centimètre au-dessus du voile du palais.
La paroi externe est membraneuse et mobile.
Cette paroi externe membraneuse est doublée du muscle péristaphylin externe, ou
tenseur du voile, dont les fibres de plus en plus verticales se jettent sur un tendon infé-
rieur qui se réfléchit au-dessous du crochet de l'apophyse ptérygoïde, et va se confondre
avec le plan fibreux du voile; c'est là le point fixe des deux muscles, de sorte que quand
ils se contractent synergiquement, au moment d'avaler, le voile du palais se trouve ten-
du, et en même temps les trompes sont ouvertes. La paroi membraneuse est attirée
en bas et en dehors, et se décolle de la paroi interne fixe, et l'écartement a lieu dans
toute l'étendue du conduit, ouvert ainsi d'un bout à l'autre (Valsalva). Les muscles
tenseurs du voile du palais sont donc les agents les plus actifs de l'ouverture des
trompes.
Il y en a d'autres, moins énergiques. C'est ainsi qu'un faisceau de fibres musculaires
se porte du pharynx à la pointe du pavillon tubaire de chaque côté (pharyngo-staphylin) ;
au moment de la déglutition, leur contraction tire cette pointe cartilagineuse en arriére,
en même temps que la paroi pharyngée se porte en avant.
Le muscle péristaphylin interne, fascicule, couché le long de la gouttière cartilagineuse
au-dessous et en dehors d'elle, soulève le pavillon de la trompe au moment où les
fibres vont s'épanouir en éventail dans le voile du palais pour se fixer au raphé
médian; l'insertion fixe est à la base de crâne.
Les muscles de chaque côté se contractent synergiquement dans l'acte d'avaler; la
courbe qu'ils décrivent pour descendre de chaque côté dans l'épaisseur du voile mobile
se redresse; celui-ci se relève, le pavillon tubaire obéit à ce mouvement, en même temps
que sa pointe s'écarte en arrière; par suite le pavillon s'évase.
Les rapports fonctionnels du voile du palais et des trompes sont donc intimes; et les
tenseurs du voile sont les agents les plus actifs de l'ouverture des trompes (Valsalva).
Dans la paralysie du voile, les trompes cessent d'être perméables; et, la circulation
de l'air devenant nulle, l'audition s'en trouve bientôt altérée. Les perforations et destruc-
tions de cet organe ont la même conséquence nuisible, faute du point d'appui nécessaire
à l'action musculaire du dilatateur par excellence (tenseurdu voile).
La trompe d'Eustache est un conduit long de -ia millimètres (de Trœltsch), de 35 à
40 millimètres (Sappey, Bezold). Sa portion osseuse, tympanique, est limitée à 13 à 14 mil-
limètres au plus; sa portion cartilagineuse est close dans la plus grande partie" de son
étendue; c'est sur celle-ci que le muscle tenseur du voile agit, en écartant en dehors
brusquement la paroi extérieure nienbraneuse de la gouttière cartilagineuse et posté-
rieure dans l'action de déglutir. Les trompes s'ouvrent au moment même où le voile
relevé ferme le passage du pharynx vers les voies nasales. Par suite, au moment où les
trompes sont rendues ainsi perméables à l'air, la seule voie d'entrée de l'air extérieur
est la narine correspondante. Mais les deux surfaces de 2 centimètres presque, accolées,
qui se détachent brusquement l'une de l'autre, en produisant un léger claquement
caractéristique (otoscopie), causent par là même, ipso facto, une légère aspiration sur la
caisse; c'est ce qu'indiquent les tracés graphiques; au premier instant, un petit crochet
au-dessous de la ligne des x annonce le décollement des surfaces et parois tubaires;
c'est-à-dire que le tympan est légèrement aspiré vers le dedans dans ce premier temps.
En fermant la narine (seule voie d'entrée de l'air, au moment où l'on avale), le cro-
chet s'exagère sur le tracé, c'est-à-dire que le tympan subit une aspiration plus accusée
et se déprime fortement vers la caisse; en effet, s'il y a perforation du tympan et si on
introduit un liquide dans la cavité otique, celui-ci disparaît aussitôt, aspiré instanta-
nément (PoLiTZEH, Urbantschitsch, Gellé). L'aspiratiou du début (f" temps) est donc
accrue par l'occlusion de la narine : or c'est ce que font les alfections nasales avec sté-
nose. Nous allons voir quelle est l'importance de cette notion.
AUDITION.
883
Fia. 82. — Tracés des mouvements du tympan (amplifiés) pendant la déglutition
et l'épreuve de Valsalva.
j par l'épreuve de Valsalva, — h, pendant la déglutition
déglutition, le nez pincé. — a', par la douche d'air. — ô
l'épreuve de Valsalva.
mple. — c, pendant la
par la déglutition après
Mais voici le dégagement des deux parois accompli; la voie tubaire est libre; l'air
pénétrerait par le fait de la pression atmosphérique. Or c'est par l'efTet des difîérences
entre la pression aérienne intra-tympanique et celle du dehors que cette pénétration a
lieu vers la ca-
vité de l'oreille
moyenne. Le
bruit, causé par
l'arrivée de l'air
dans un espace
où la tension est
plus faible, est
d'autant plus in-
tense que le vide
est plus complet
(otoscopie). En
même temps que
l'air arrive dans
la caisse, le tym-
pan, qui a été, comme je l'ai dit, légèrement attiré en dedans, se porte en dehors, revient
à sa position d'équilibre par une oscillatiou en retour très nettement indiquée sur le
tracé, et qui se manifeste à l'examen de visu et par l'otoscopie (bruit de claquement
tympanique et oscillation du triangle lumineux).
Poirier {Traité ct^anat. méd. chirurgicale. l"fasc., p. 202) n'accorde pas à l'élasticité
du tympan un rôle dans cette aération de la caisse : c'est l'air qui refoule le tympan, et
non le tympan excavé qui aide à l'intro-
duction de celui-ci par son retour élastique
à sa position normale, d'où la légère aspi-
ration première l'avait écarté. Me basant
sur l'étude des tracés graphiques des mou-
vements de la cloison tympanique pen-
dant l'acte de la déglutition, de plus sur
l'inspection de la membrane et du mano-
mètre, je crois devoir maintenir mon opi-
nion, sur l'existence de l'aspiration notée
au début de la déglutition. Elle reçoit
encore une confirmation sérieuse de l'ana-
lyse de ce qui se passe dans le cas de relâ-
chement du tympan, à la suite d'atïections
otiques. En effet, en pareil cas on constate
que le tympan, son élasticité perdue, obéit
passivement à cette aspiration par laquelle
débute l'ouverture de la trompe, et reste
déprimé, excavé, enfoncé. N'est-ce pas
pour obvier à cette suite inévitable que le
médecin ordonne alors l'aération métho-
dique de la caisse tympanique par l'insuf-
flation d'air ?
L'aération de l'oreille moyenne rétablit
à chaque instant l'équilibre entre les tensions
intérieures et celle de l'atmosphère. A ce propos, il est opportun de rappeler que le
labyrinthe subit complètement l'effet de ces oscillations de pression et qu'il peut souffrir
autant de leur excès que de leur défaut. Nous avons déjà dit qu'un individu soumis dans
une chambre pneumatique à des pressions aériennes élevées, éprouve à l'oreille une dou-
leur aiguë, que l'acte d'avaler soulage aussitôt, en rétablissant l'égalité de pression au
dedans et au dehors de l'organe. La perméabilité de la trompe apparaît dès lors comme
indispensable; cependant il faut encore une autre condition : la perméabihlé des voies
nasales; leur obstruction est en effet pleine de périls pour l'audition, parce qu'ylle gêne
palai
6, sa paroi
'iG. 83. — IMusoles tubaires et du voili
(schéma).
:. coupe du cartilage de la trompe,
fibreuse, externe. — c, sa cavité, au niveau du
pavillon. — d, crochet de l'apophyse ptcrygoïde.
— E, aponévrose du voile du palais. — f, couche
glanduleuse sous-muqueuse, inférieure. — g,
couche glanduleuse supérieure. — N, orifices pos-
térieurs des fosses nasales. — i, muscle pérista-
phylin externe. — 2, muscle péristaphylin in-
terne. — 3, muscle stapiiylo-pharyngien. — 5,
muscles palato-staphylins.
AUDITION.
A
ou annule la circulation de l'air. Quelques auteurs ont observé des oscillations du tym-
pan liées aux mouvements de la respiration. Il s'agit là de cas pathologiques. Politzer
a constaté la possibilité d'entendre par la trompe, et Bing a cherché à utiliser cette
voie en otologie : il est certain qu'on perçoit bien un bruit continu; par exemple, celui
d'une cascade, les deux oreilles hermétiquement closes, dans le moment où la trompe
s'ouvre en avalant (Gellé).
La muqueuse de la trompe d'Eustache est tapissée d'une couche de cellules cylindri-
ques vibratiles, de cellules caliciformes (Cornil, Gellé) et des glandes acineuses en
grand nombre versent à la surface un mucus clair abondant, indispensable aux glisse-
ments et déplissements si répétés des parties.
Après la dilatation active de la trompe, le retour au contact des deux parois se pro-
duit aussitôt, grâce à l'élasticité du tissu, mais aussi par suite d'une disposition curieuse
du cartilage tubaire; au niveau de son bord supérieur il fait un crochet, que les coupes
transversales montrent très manifeste (Rûdinger, de Trœltsch, Zockerhandl, etc.); ce
crochet récliné reçoit l'attache de la paroi membraneuse, c'est-à-dire du muscle péri-
staphylin externe, et son élasticité assure le rappel automa-
tique de celle-ci au contact du cartilage (Urbantschitsch,
Schtv'albe).
Le pavillon tubaire est doué d'une grande sensibilité
qu'il reçoit de la v° paire.
La muqueuse de la trompe est animée par un long filet
nerveux né du nerf de Jacobson ; la portion gutturale reçoit
du ganglion sphéno-palatin (2'^ branche du trijumeau);
souvent les attouchements du pavillon et de la muqueuse
à son pourtour sont l'origine de réilexes éloignés; tels, la
raucité de la voix, l'aphonie, la douleur constante au niveau
de la corne de l'os hyoïde dans le cathétérisme, et le lar-
moiement unilatéral ; de même les efforts de déglutition,
ou de vomissement; ce sont les preuves de relations inti-
mes, par le plexus tympanique, avec la vii'= paire, le pneu-
mogastrique, le spinal, et le glossopharyngien.
Des expériences de Vulpian il résultait que le rôle attri-
bué au facial dans la paralysie du voile du palais était trop
exclusif, et que le nerf spinal devait être regardé comme
tenant jusqu'à un certain point sous sa dépendance Ja tension et l'élévation de cet
organe. Livon a étudié plus récemment la question ; et il ressort de ses expériences
que le spinal actionne réellement les deux muscles péristapliylins, l'externe, le tenseur
surtout, et que le nerf pneumogastrique animerait par contre les spharyngo-staphy-
lins et les palato-staphylins (Livon, Médecine moderne, 7 juillet 1894).
Comme la salivation commande l'acte de la déglutition, autant que celle-ci l'aération
de la cavité auriculaire, il serait très intéressant de connaître quel est le point de départ
de cette excitation sécrétoire initiale; il y a là une sécrétion, intermittente comme celle
des larmes, facilitant et amenant le phénomène du clignement. Est-ce le plexus pharyn-
gien qui transmet au sensorium la sensation de sécheresse de la muqueuse et ainsi pro-
voquerait le réflexe salivaire? Ou bien la salive coulant d'une façon continue remplit à un
moment donné la cavité buccale, et provoque, comme le bol alimentaire, le besoin de la
déglutition; en effet, le phénomène se multiplie quand la salivation se fait plus abondante.
IV. Oreille interne. — Labyrinthe. — L'oreille interne comprend une suite de
cavités osseuses contenues dans le rocher, communiquant entre elles, et remplies de
liquide. Cette situation au centre du rocher, cet isolement dans la profondeur doivent
attirer l'attention. La solidité, l'épaisseur des parois osseuses inextensibles, montrent
que là s'arrête tout mouvement, et que toute pression sera ressentie dans la cavité
close. La platine de l'étrier transmet au liquide inclus les vibrations de l'appareil
de transmission tympanique; ainsi s'accomplit la propagation à la dernière section de
l'oreille, où siège la partie sensible des ondes vibratoires venues de l'air extérieur.
A ce niveau, les vibrations, de solidiennes qu'elles sont, à leur passage par l'étrier,
deviennent liquidiennes, ainsi que nous l'avons déjà dit : or les liquides ont des pro-
FiG. 84. — Labyrinthe osseux
Fy, fenêtre ovale ou vestibu
laire. — Fc, fenêtre ronde oi
cochléaire, — • a, vestibule c
receveur vestibule. — b, ca-
naux semi-circulaires. — c
limaçon.
AUDITION.
883
priétés de conduire les vibrations particulières; ils en propagent le courant dans
tous les sens.
Le liquide répandu dans les cavités labyrinthiques, largement ouvertes les unes dans
les autres, sert de véhicule au courant vibratoire dans l'oreille interne, et transmet les
vibrations et les pressions dans toutes ses parties. Le nerf acoustique, épanoui sur les
diverses membranes du lab\Tinthe, ne peut être touché que par les vibrations qui agitent
ce liquide conducteur; ainsi toutes les excitations des filets de ce nerf spécial viennent
de lui, et naissent de ses vibrations et de ses mouvements. La mobilité et l'élasticité
des fenêtres ovale et ronde, rendent possibles ces mouvements ondulatoires de la masse
liquide intra-labyrin-
thique et pallient l'effet *
des pressions subies.
Le courant vibratoire
pénètre par la fenêtre
ovale ; il se propage
aussitôt dans le vesti-
bule, cavité centrale du
labyrinthe, qui contient
l'utricule et le saccule ;
de là il envahit le lima-
çon (la rampe senso-
rielle ou vestibulaire),
et les canaux semi-cir-
culaires ; enfin il s'é-
coule par la rampe tym-
panique de la cochlée et
sort par la fenêtre ronde;
tel est le circuit de
l'onde à travers les cavi-
tés de l'oreille interne.
Dans chacune des ca-
vités osseuses, on trouve
plusieurs appareils
membraneux ; les uns
vésiculaires, les autres
cylindriques, extrême-
ment délicats, qui bai-
gnent dans la périlym-
phe et sont remplis
d'un liquide analogue,
l'endolymphe {Bres-
chet) ; etauxquels abou-
tissent les pinceaux ner-
veux des divisions de
l'auditif.
La pluralité des cavités et des appareils inclus dans l'oreille interne, et des divisions
de l'acoustique fait supposer des fonctions particulières réservées à chacune des parties
du labyrinthe membraneux.
Nous allons étudier successivement les fonctions du vestibule, des canaux semi-circu-
laires et du limaçon.
A. Vestibule. Utricule. Saccule. — Dans cette cavité centrale sur laquelle
s'ouvre la fenêtre ovale et dont la base de l'étrier ou platine fait une partie de la
paroi, se trouvent au milieu de la périlymphe deux vésicules, l'utricule et le saccule.
Toutes deux adhèrent à l'os par un point, celui où les rameaux nerveux de l'auditif
les pénètrent; elles communiquent par un fin canal.
Chacune d'elles est remplie de liquide (endolymphe); et leur paroi présente, au
niveau du pinceau nerveux, une partie épaissie, la tache auditive. Celle-ci est constituée
FiG. 85. — Oreille iuterne ; canaux et sac endolymphatiques.
Diagramme de l'organe auditif de l'homms (d'après Debiî^re).
1, pavillon de l'oreille. — 2, conduit auditif externe. — .3, membrane du
tympan coupée verticalement. — 4, étrier; sa base, dans la fenêtre ovale,
fait paroi du vestibule, 7. — 5, portion osseuse de la trompe d'Eustache. —
6, portion cartilagineuse; et 6' pavillon tubaire ou sou orifice guttural.
— 8, canaux semi-circulaires, et utricule. — 9, promontoire. ^ 10, fenêtre
ronde; orifice tympanique du limaçon, indiqué par une flèche. — 11, caisse
du tympan. — 12, canal cochléaire uni au saccule dans le vestibule par un
canal. — 13, rampe vestibulaire. — 14, rampe tympanique aboutissant à la
fenêtre ronde. — 15, sommet du canal cochléaire, où les deux rampes
communiquent, en 15'. — 16, aqueduc du limaçon. — 17, aqueduc du ves-
tibule. — 18, sac cndolymphatique. — 19, parotide.
886 AUDITION.
par une base épaisse sur laquelle se trouve une couche de cellules, ciliées et fusiformes,
cellules auditives spécifiques qui couvrent les plexus nerveux terminaux des nerfs ves-
tibulaires. A leur niveau on remarque une poussière blanche, l'otoconie, ou sable audi-
tif, constituée par des cristaux de carbonate de chaux retenus par une trame fine con-
jonctive.
Le rôle de l'otoconie est encore discuté. D'après Helmholtz, ces cristaux prolongent la
durée de l'excitation des extrémités nerveuses saillantes sur les plateaux de cellules
ciliées; ils la renforcent, pour J. Muller et A. Siebold. Waldeyer et P. Meyer veulent
qu'ils amortissent et étouffent les vibrations.
Ranke, Béclaed, admettent cette dernière opinion.
Le courant vibratoire les secoue, tes soulève ; ainsi les cristaux agités s'éparpillent
et augmentent la surface des points excités de la tache auditive; peut-être leur petite
masse contribue-t-elle aussi à supprimer les vibrations consécutives. Leur intime rapport
avec les parties sensibles tend à leur attribuer un rôle utile sur les points où se per-
çoivent les chocs de l'onde liquide et les changements de la tension intérieure.
Quelle est dans l'audition la fonction de l'utricule, et quelle est celle du saccule? Quelle
sensation nait de l'excitation des taches auditives, à peu près identiques dans l'utricule
et le saccule?
Ces deux organes délicats, centraux, sont presque en contact avec la platine de
l'étrier, et reçoivent à travers une mince couche de liquide périlymphique les premières
impressions du courant ondulatoire.
Peut-être sont-elles ainsi le point de départ de la sensation sonore d'éveil, d'accom-
modation, de défense de l'appareil; de celle qui provoque l'attention, la recherche, etc.;
sensation vague de son indistinct, de bruit: c'est le rôle que leur attribue Helmholtz:
« L'analyse de la sensation ne serait faite qu'au moyen des autres parties qui apportent
une plus grande somme de vibrations et de sensations, d'après lesquelles nous prendrons
conscience et nous analyserons le phénomène sonore; mais du premier coup c'est le son,
la vibration d'un corps à distance et la présence de ce corps qui sont ainsi annoncés; et
c'est l'intensité surtout qui frappe. C'est là une sensation générale non analysée encore,
mais suffisante pour une sorte de : Garde à vous ! » M. Ddval expose la même opinion
(Traité de physiologie). Pour lui les nerfs vestibulaires nous fournissent la notion de l'in-
tensité des sons.
On ne sera pas étonné dès lors de voir que ces deux vésicules vestibulaires soient, de
toutes les parties de l'oreille interne, celles que l'on trouve les plus constantes dans la
série animale. C'est par une vésicule que se manifestent les premiers linéaments d'un
appareil auditif chez les méduses. Une vésicule contenant un otolithe, des cellules
ciliées, et à laquelle aboutit un filet nerveux : c'est l'oreille à sa première apparition
(Aurélia aurista, Phialidium, etc.).
Dans les dispositions générales de la structure de l'oreille interne, on voit que toutes
tendent à éviter les contacts et les pressions extérieures, excepté en un point : un seul
point de la paroi s'ouvre sur le monde extérieur. Comme toutes les parties incluses dans
la cavité osseuse labyrinthique, les organes vestibulaires doivent être influencés, être sen-
sibles aux variations de la tension intérieure de ces cavités, à la pression variable que
l'étrier exerce nécessairement, de même aussi aux accidents de la circulation sanguine et
lymphatique facilités par l'inextensibilité des parois.
J'ai dit que l'oreille interne pourrait être comparée à une sorte de manomètre de la
pression sanguine; ce n'est point là une vue théorique; la clinique nous montre, en
effet, que des troubles nerveux, dépendant du labyrinthe, naissent des pressions acciden-
tellement accrues dans les maladies qui font obstacle au courant circulatoire (Cardio-
pathies, etc.), et dans celles où la tension sanguine s'accroît démesurément (Artério-
sclérose). Les excès de pression de l'étrier agissent de même; de même, sans doute,
ceux de la tension intra-cranienne par leur extension aux voies périlymphatiques auri-
culaires (Voyez Liquide labyrinthi([ue).
Cette sensibilité de l'oreille interne à la pression 'en fait une source de notions sur
la tension vasculaire générale, dans l'effort, sur la tension intra-cranienne, sur la tension
intra-labyrinthique, fonctionnelle ou pathologique. Il est probable que, par action
réflexe, ces sensations labyrinthiques provoquent les accommodations utiles en excitant
AUDITION. 8S7
cerlains centres nerveux; le choc vibratoire est la principale de ces excitations. L'utricule
et le saccule paraissent être les parties fondamentales de l'organe sensible; les autres
segments du labyrinthe membraneux sont des appareils de perfectionnement en rapport
- avec d'autres besoins fonctionnels plus élevés. Flourens a pu détruire les filets nerveux
qui se rendent aux autres parties du labyrinthe sans anéantir l'audition, tant que les
rameaux vestibulaires du saccule et l'utricule restaient intacts.
Le limaçon peut disparaître, ainsi que l'ont observé bien des médecins otologistes
(VALSALv.i, Moos, LocAE, GuYE, etc.) sans que l'audition disparaisse. Les canaux semi-cir-
culaires membraneux ont été détruits de même sans nuire à la fonction principale.
J'ai pu, au cours de recherches sur le limaçon, le détruire par le broiement sans
provoquer la surdité des cobayes; celle-ci n'apparaissait que par suite du travail inflam-
matoire consécutif au traumatisme; et, en ce cas, je trouvais le vestibule envahi et altéré
(Gellé, Des fonctions du limaçon. Études d'otologie, t. i,1880).
Les taches auditives de l'utricule et du saccule reçoivent chacune un nerf particulier:
de sorte que, si toutes les deux sont frappées par la même excitation, vibration, ou pres-
sion du liquide inclus, il en résulte deux notions distinctes transmises à des centres
nerveux sans doute séparés.
D'ailleurs on doit aussi remarquer les rapports différents de chaque vésicule avec les
autres parties du labyrinthe membraneux. Le saccule s'abouche avec le canal spiral du
limaçon (rampe sensorielle) et l'utricule reçoit les trois canaux semi-circulaires; on peut
croire que, dès l'apparition des deux vésicules, deux sortes d'excitations et de notions
peuvent naître des impressions sonores, et d'autres qu'on peut a priori juger analogues
à celles que fournissent les ampoules des canaux semi-circulaires, c'est-à-dire qu'elles
ont rapport aux mouvements.
Au point de vue de la sensibilité générale, le labyrinthe membraneux relève de la
vi= paire et c'est elle aussi qui y manifeste son action trophique; nous verrons plus loin
combien sont étroits les rapports de l'acoustique et du trijumeau à leur origine bulbaire.
B. Limaçon; rampe sensorielle. Organe de Corti. Cellules auditives. —
Nous ne donnerons ici que l'anatomie indispensable pour comprendre les opinions
émises sur la fonction de la cochlée dans l'audition.
Le limaçon s'ouvre dans la partie antérieure du vestibule, par sa rampe sensorielle,
dite vestibulaire.
C'est un cône creux contourné en hélice autour d'un cône [solide; il est intérieure-
ment partagé en deux rampes par la lame osseuse spirale et la membrane basilaire qui la
prolonge jusqu'à la paroi externe : la rampe vestibulaire et la rampe tympanique qui
aboutit à la fenêtre ronde. La périlymphe remplit la rampe tympanique totalement et
la vestibulaire au-dessus du canal spiral. Celui-ci est une émanation du saccule, et
couvre la lame spirale et la basilaire : il contient les organes de Corti, les cellules audi-
tives spécifiques et les extrémités des plexus nerveux terminaux de l'acoustique.
Ce nerf monte dans l'intérieur du cône solide et se divise dans la lame spirale qui
conduit les filets nerveux et les vaisseaux aux cellules de la crête acoustique, portée sur
les arcs de Corti.
La partie importante de la cochlée est cette papille spirale, comme l'appelle Huschke,
organe de Corti, crête acoustique, pour les auteurs, contenue dans le canal spiral. Ce
canal membraneux, sorte de rampe moyenne située entre les deux autres, et mouillé
parla périlymphe sur les deux faces, contient de l'endolymphe au contact des éléments
cellulaires étages sur l'arcade de Corti.
On compte sur cette saillie ou crête acoustique du canal spiral quatre rangées de
cellules cylindriques ciliées, dont les plateaux se touchent comme un carrelage; à ces
cellules auditives spécifiques aboutissent les cylindres-axes de l'auditif, sortis du bord
libre de la lame spirale au-dessus de la basilaire.
L'arcade de Corti est constituée par une série de piliers élastiques formant une voûte
au-dessus de la membrane basilaire en s'arc-boutant par les sommets; on en a compté
3 000 et plus.
Ce système élève la papille au-dessus de la membrane basilaire et de la striée.
Au dessus de la crête flotte la membrane de Corti, au contact des éléments ciliés et
nerveux des plateaux de cellules auditives.
888 AUDITION.
La partie externe de la membrane basilaire, qui partage la cochlée en deux rampes,
est d'aspect strié, et formée de fibres radiées, rayonnantes, tendues et inextensibles,
unies dans une trame cellulaire. Helmholtz, dans sa Ihéorie, fait jouer un rôle principal
aux vibrations de ces fibres radiées de la basilaire dans la transmission des ébranle-
ments aux filets nerveux de l'acoustique. Leur largeur s'accroît en effet de la base au
sommet du limaçon. A un point de vue général, ce qui frappe dans cette structure
d'apparence compliquée, c'est la simplicité des éléments, identiques de forme et de con-
stitution; leurs limites bien précises, la régularité des dispositions, la saillie nette et
FiG. 86. — Organe de Corti. Coupe du limaçon.
A, rampe vestibulaire. — B, rampe tjmpanique. — C, canal cochléaire. — 1, lame' spirale. — 2, protubé-
rance de HûscHKK et dents de la première rangée; insertion de la membrane de Reisker, en haut, et de
la membrane de Corti au-de.ssous. — 3, sillon spiral interne. — 4, pilier interne, et 5, pilier externe do
l'organe de Corti (arcades, tunnel de Corti, 6). — 7, cellules ciliées internes. — 8, cellules ciliées
externes. — 8' cellules de soutien. — 9, membrane basilaire. — 10, vaisseau spiral. — 11, membrane de
Corti. — 11', vaisseaux de la zone vasculaire du ligament spiral. — 12, crête spirale. — 13, ligament
spiral. — 14, nert' cochléaire dans les canaux de la lame spirale, et 15, ganglion spiral ou de Rosenthal;
d'oii partent les filets nerveux qui se rendent aux plexus et aux cellules sensorielles étagées sur l'arcade
de Corti. — 16, lame des contours et rocher qui contient l'organe.
mobile de la crête sensorielle ainsi composée, la multiplicité des éléments sensitifs de .
type unique, l'élasticité des arcades de Corti, et le parfait isolement de l'ensemble au
milieu du liquide des deux rampes, qui communiquent au sommet du limaçon.
La disposition en hélice permet, sous un petit volume, un grand développement en
surface, où trouve place l'immense clavier spiral auquel on a comparé l'organe cochléen.
D'après cette disposition structurale, le limaçon, organe de perfectionnement, apparu
tard dans la série animale, présente à l'excitation des chocs vibratoires, que nous savons
multipliés à l'infini, une multitude d'éléments sensitifs étalés, s'offrant au contact du cou-
rant sonore, et capables de vibrations simultanées ou successives, simples ou pendulaires
ou complexes, graves ou aiguës, lentes, rapides, avec les sons fondamentaux et leurs
harmoniques, etc.
C'est un instrument chargé de la récolte, non du bruit, mais des bruits, des ondes
AUDITION.
S89
quelconques dont la réceplion est assurée, quel que soit leur nombre. C'est pourquoi on
en a fait Torgane de la musique, oubliant qu'il ne peut être qu'un instrument dont le
jeu s'apprend ailleurs. A ce point de vue le
limaçon est sans doute le point de départ
de l'analj'se des sons, de leurs associations,
de leur formation en groupes simples ; ce
n'est point l'organe qui perçoit le rythme
ni la cadence, notions d'ordre déjà plus
musculaire, si l'on peut ainsi dire.
On ne s'étonnera pas que cet organe
n'existe bien développé que chez les mam-
mifères, qu'il soit à peu près nul chez les
reptiles, chétif chez l'oiseau, même chez
les chanteurs; et nul chez les poissons.
Comment HEi.imoi.T7^ explique-t-il l'action
des vibrations sur les éléments sensitifs de la
cochlée? '
Le grand physicien pense que c'est par
les vibrations des fibres radiées (cordes de
Hensen, de iNuel) que l'ébranlement est
porté aux extrémités nerveuses. II remar-
que que ces fibres tendues peuvent vibrer
isolément; que leur grandeur va croissant
de la base du cône au sommet et qu'elles
ont un rapport étroit avec le pilier externe
des arcs de Cokti. Waldeyer a calculé qu'il
y en a 3000, et Retzius 4000; Weber et
Bernstein ont montré le nombre de tons
dont une semblable disposition permet
l'accès.
Après la découverte des arcs de Corti,
on lui avait tout d'abord attribué le rôle
principal; mais Hensen, et d'autres, ayant
observé que ces organes manquent dans
le limaçon des oiseaux, cette idée a été
abandonnée. C'est aux cordes de Nuel que
la transmission est dévolue; et Helmholtz
professe que ces fibres radiées, tendues,
inégales, vibrent chacune pour un ton
pour lequel elles sont accordées; à la suite
tout le système est ébranlé.
C'est la théorie généralement admise
aujourd'hui, grâce à l'autorité du grand
physiologiste allemand.
Dès 1888, et mêmeauparavant,dansmes
leçons de 1876 à 1882, j'ai émis une autre
opinion. Pour moi, la propagation des
vibrations se fait par le liquide inclus ;
elles circulent dans les rampes et frap-
pent les éléments cellulaires ciliés à leur
passage au-dessus de la crête acoustique
saillante.
Le choc est celui des ondes liquides; et c'est leur action directe sur les plateaux
ciliés qui donne lieu à la sensation. Les cils qui forment un champ mobile à la sur-
face de la crête, baignant dans le liquide endolymphique, en suivent le mouvement
vibratoire que les ondulations de la membrane de Corti accroissent sans doute : ainsi
se fait l'excitation, à mon avis.
FiG. 87. — Organes de Corti ; vus du côté de la
rampe vestibulaire (d'après Waldeyer).
1, zone denticulée de Corti. — 3, zone pectinée
(ToDD, Bowiun). — 3, organe de Corti. — a, por-
tion de la lame spirale. — a, ligue d'insertion de
la membrane de Reisner enlevée. — e, épithélium
de la protubérance spirale interne. — f, dents de
la première rangée, avec les sillons intermé-
diaires. — fir, g', épithélium du sillon spiral interne.
— A, cellules épithéliales intei-nes, en dedans do
l'organe de Corti. — k, zone perforée (Kulliker),
trous à travers lesquels les nerfs arrivent aux
cellules sensorielles, au-dessus de la membrane
basilaire. — i, rangée de cellules cylindriques,
ciliées internes, au- dessous on voit : — /, les piliers
internes de l'arcade de Corti. —m, leurs têtes, au
sommet de l'arcade formée par leur contact avec :
n les têtes des piliers externes, o, — p, cellules
ciliées externes, en trois rangs parallèles, sup-
portées par les piliers externes. — g, piliers ex-
ternes déplacés dans la préparation. — s, épithé-
lium qui couvre la membrane striée en dehors
des piliers, enlevé pour montrer les points d'at-
tache des cellules ciliées auditives externes.
890 AUDITION.
La comparaison des fibres radiées à des cordes (Ndel) et de l'organe de Corti à un
clavier, vient naturellement à l'esprit, et leur longueur graduellement croissante, de la
base auprès de la fenêtre ovale, au sommet du cône cochléen, semble confirmer cette
opinion. Cependant il faut voir les choses dans leurs proportions; il semble de prime
abord difficile d'admettre que ces fibres radiées, capables de vibrer pour les tons
graves ou aigus suivant leur situation, mais qui n'olTrent qu'une longueur de 1/20 de
millimètre au plus à la base de la cochlée, et au sommet 1/2 millimètre au maximum,
puissent vibrer à l'unisson des sons de longueurs d'ondes considérables.
J'ajoute que la structure même de l'appareil de Corti s'oppose à l'admission de ce
rôle pour les fibres radie'es.
En effet, il est démontré que plusieurs fibres radiées se rendent au même pilier
externe de l'arcade de Corti; de plus, on est frappé de la distance qui sépare la fibre
radiée et les plexus nerveux associés aux éléments cellulaires, terminaisons des nerfs
auditifs. Bien au contraire, le contact par le courant vibratoire liquidien est facile et
direct, la crête faisant saillie dans la rampe vestibulaire et s'ofi'rantaus cbocs des ondes.
Pour Waldeyer et P. Meyer, la fonction auditive appartiendrait aux crins des cellules
auditives ; mais n'est-il pas bien exagéré de comparer ces éléments microscopiques
criniformes, au point de vue de leur rigidité, à « des barres d'acier »? J'y vois, pour ma
part, surtout combien, délicatesse à part, les formations organiques, auditives, sont
analogues à celles des appareils du tact. Certaines autopsies, il faut le dire, ont cepen-
dant paru confirmer la théorie d'HELUHOLTZ en montrant des lésions limitées à la base
de la cochlée coïncidant avec la perte de l'audition des sons aigus (Politzer, Guye,
Schwartze, Moos). Depuis la publication de ma théorie exclusivement liquidienne du
conUlt des ondes et des organes sensibles auditifs, je l'ai vue acceptée, professée par
■E. Gley, et admise par Bonnier dans son excellente thèse {Du sens auriculaire
de l'espace, 1890). Hensen a voulu trop prouver quand il a cru voir une démonstra-
tion du rôle des fibres radiées d'après l'ébranlement des cils des Mysis par certains
courants sonores. Helmholtz et Bernsteln ont cependant utilisé l'argument dans l'intérêt
de leur théorie. Plus récemment, A. B. Waller a discuté le rôle de la membrane basi-
laire dans l'excitation auditive (auditary excitation) ; il rappelle qu'HEUioLTz a fait de cette
membrane un clavier de piano ; que Rochefort au contraire l'assimila et la compara à
une membrane de téléphone reproduisant tels quels les sons que le tympan a pi'opagés.
On voit que les idées de Hensen et Baginsky se trouvent appuyées par cet auteur, qui les
adopte. Pour lui la membrane basilaire est un tympan interne, supportant la papille de
cellules ciliées spécifiques qui se trouvent excitées par la pression qu'elles subissent de
la membrane tectoria {Proceeding o/' the }]hysiol. Society, juin 1891), analysé par Dasthe
{R. S. il/.).
On voit là une variante de la théorie d'HsLMOLTz, et une explication du rôle de la
membrane de Corti.
Au surplus, rappelons-nous qu'en définitive Helmholtz conclut qu'il y a lieu d'admettre
l'énergie spécifique de chaque fibre de l'acoustique, l'individualité de chacune d'elles; ce
qui conduit à rendre au- cerveau la formation des sensations particulières, celles des
tons comme les autres et enlève à ces a priori minutieux beaucoup de leur intérêt.
On ne s'était point encore préoccupé de la forme conique du limaçon osseux, et l'on
ne s'est pas jusqu'ici demandé le pourquoi de cette forme; cependant l'opposition si
nette qui se montre entre la cochlée et les canaux semi-circulaires indique qu'ils
répondent à des conditions différentes de l'action du courant vibratoire sur les éléments
sensoriels.
J'ai cherché à élucider ce point délicat (j'ai publié ce travail et les expériences qui
lui servent de base, dans mes Études d'otoloçjle (1881-88), et B. B. (1878). J'ai trouvé que
la forme du contenant n'est pas indifférente à la fonction; qu'il en résulte dans la
circulation du courant sonore des changements très intéressants à connaître.
La distribution des éléments sensoriels sur la membrane basilaire au milieu d'un
cône plein de liquide ajoute des propriétés nouvelles et modifie la transmission; cela
avantage Tune des cavités coniques ainsi formées aux dépens de l'autre. J'ai pu constater,
en effet, que cette forme biconique (deux cônes parallèles séparés par la lame spirale
et l'organe sensoriel) concentre les vibrations venues de la platine de l'étrier dans la
AUDITION.
891
rampe vestibulaire ou sensorielle, de telle sorte qu'elles sont moindres dans la rampe
tympaniqpe, et que la plus légère pression de l'osselet éteint le courant dans ce deuxième
cône. Quand l'étrier est repoussé en dedans, la fenêtre ronde se tend, et la rampe t3'm-
panique devient silencieuse et close.
Le limaçon, apparu tard dans la constitution des êtres, est un organe de perfection-
nement; il répond à une fonction auditive plus délicate, supérieure, en rapport avec le
développement cérébral plus parfait des organismes; il fournit des notions multiples,
complexes; il étend l'horizon des connaissances sur les propriétés du milieu et sur les
mouvements moléculaires des corps; il apporte au moi un ordre de sensations nouvelles,
voisines du toucher, mais bien plus subtiles, puisqu'on a dit que c'est un toucher à
distance.
La cochlée n'est donc pas indispensable à la perception du phénomène simple de la
sensation sonore, mais elle est l'instrument délicat de son analyse chez les êtres supé-
rieurs. On a constaté qu'elle peut disparaître ou être détruite par la maladie sans que la
surdité suive. Les observations de Lucae, Politzer, Schwahtze, Moos, etc., ne laissent
aucun doute à cet égard.
D'autre part, dans mes recherches sur les fonctions du limaçon, j'ai observé qu'à la
suite du broiement, de la dilacératiou du limaçon chez
le cobaye, où les dispositions anatomiques le montrent
bien isolé et très abordable, il ne se produit pas de
surdité immédiate; celle-ci n'apparaît que du huitième
au douzième jour de l'opération, par suite de l'envahis-
sement du vestibule par le travail inflammatoire consé-
cutif au traumatisme (Gellé, Études d'otologie, 1880, 1. 1,
p. 313 et t. II).
La sensibilité acoustique persistetant que les organes
vestibulaires fonctionnent.
Ces expériences sur le limaçon des cobayes, que je
viens de rappeler, ont établi un point de physiologie des taches et des crêtes acoustiques,
très important. On devait en effet se demander si cet i, paroi du vestibule osseux; coupe
organe ne possède que la sensibilité auditive, s'il ne
peut être le point de départ d'autres excitations di-
rectes que celles qui intéressent l'ouïe.
Je crois pouvoir conclure de mes expériences que, en
l'éalité, la cochlée n'en possède point d'autres. En effet,
elles établissent clairement que les blessures de cette
partie de l'oreille interne (isolément touchée chez le cobaye) n'entraînent à leur suite
aucun trouble de l'équilibration et ne provoquent aucune excitation motrice, et rien qui
rappelle les désordres des mouvements et de la stabilité que l'on observe à la suite des
lésions des canaux semi-circulaires. Le cobaye opéré se comporte comme tous les autres,
va, vient, mange à l'ordinaire.
Ainsi le nerf cochléen est un nerf sensoriel; par suite, une autre conclusion peut se
tirer des résultats expérimentaux précédents, c'est qu'il faut abandonner la théorie du
vertige auditif, en ce qui touche au moins l'explication des effets des lésions des canaux
semi-circulaires, les blessures de la partie sensorielle du nerf auditif ne provoquant
aucun réflexe moteur.
Le vertige auditif, né de sensations auditives, est cérébral.
C. Canaux semi-circulaires. — L'apparition précoce des canaux semi-circulaires
dans la série zoologique, bien avant que le limaçon ne soit distinct, montre l'importance
de ces organes auditifs et indique que leur fonction est d'un ordre plus général, dif-
férent, c'est-à-dire moins spécialisé. La fonction auditive est, par suite du dévelop-
pement, sortie de la fonction plus générale du toucher; sans doute les premiers appa-
reils de l'organe de l'ouïe sont déjà différenciés pour recevoir les vibrations des corps;
mais ils sont encore bien près du premier état de sensibilité à la pression, au choc,
notion d'ordre plus général et utile à tous les animaux libres de leurs mouvements.
On trouve les canaux demi-circulaires chez la lamproie, les myxines, et ils sont très
développés chez les poissons : chez ceux-ci les rapports du labyrinthe avec la vessie
FiG. 8S. — Schéma de la structure
au niveau de la tache criblée. ■
périoste icterne. — 3, paroi du ves-
tibule membraneux. — 4, membrane
basale. — 5, cellules ciliées. — 6,
cellules de soutien. — 7, filet du
nerf vestibulaire. — 8, plexus ner-
AUDITION.
natatoire sont des plus curieux au point de vue de l'appropriation de l'organe au milieu.
Les canaux semi-circulaires gardent dans toute l'échelle des vertébrés la même
disposition immuable et caractéristique, suivant trois plans qui rappellent les trois
dimensions de l'espace. Chaque oreille possède trois canaux .osseux contenant chacun
un canal membraneux qui présente une extrémité dilatée en ampoule dans laquelle se
jette le nerf ampullaire. Il y a autant de branches ampullaires que de canaux. Partout
les canaux semi-circulaires membraneux baignent dans le liquide péri-lj'mphique du
labyrinthe; et c'est de ce liquide que proviennent les excitations des extrémités ner-
veuses. Celles-ci, en eiîet, se rendent aux cellules ciliées auditives spécifiques étalées sur
les crêtes auditives saillantes dans les ampoules et mouillées par l'endolymphe.
Si les lésions expérimentales du nerf cochléen ne causent aucune réaction motrice,
il n'en est plus de même de celles que l'on fait subir aux canaux demi-circulaires.
Flourens (1828-1842) a montré qu'il en résulte au contraire une incoordination motrice
remarquable et des troubles de l'équilibre : ces
organes ont donc des fonctions bien distinctes.
On voit combien s'accentuent la différenciation des
fonctions de l'acoustique et la dualité de ses fibres
d'origine; c'est la première conclusion des tra-
vaux de Flourens. Suivant le canal semi-circulaire
blessé, le pigeon offre des mouvements dans une
direction sensiblement différente au milieu du dés-
ordre général. L'illustre physiologiste conclut que
ces organes sont doués d'une fonction modératrice
des mouvements et que l'ataxie post-opératoire
résulte des troubles apportés à cette fonction. Mais,
au point de vue de l'audition et de son orgaue,
comment a lieu l'excitation des crêtes acoustiques
des ampoules et à quoi aboutissent physiologique-
ment ces excitations et les notions qu'elles four-
nissent aux centres nerveux?
Ici se présente une foule d'interprétations et
d'explications.
Nous avons dit que l'excitant physiologique de
la crête ampullaire est la vibration du liquide
inclus dans le labyrinthe; les chocs de Fonde, les
pressions intérieures variables suivant l'état de la
circulation, et surtout suivant l'action de l'étrier et
de l'appareil moteur, sont les modes d'excitation
du nerf ampullaire; il faut, suivant quelques auteurs, ajouter l'effet des déplacements
du sable auditif, de l'otoconie.
D'après Mach, Crl'm Bbown, Brewer, ce serait le choc de l'endolymphe se déplaçant
dans le sens du mouvement de la tête qui produirait l'excitation de la crête sensible.
De là la notion des mouvements effectués et de leur direction et la station en équilibre.
Dans cette opinion, le vertige naîtrait de l'irritation des canaux semi-circulaires. Pour
Browk-Séquard et Vulpian le vertige est sensitif : ils l'ont produit en irritant le nerf
auditif.
GoLTz a insisté sur l'excitation due au déplacement de l'endolymphe et il consi-
dère les canaux semi-circulaires comme fournissant toutes les sensations de l'équilibre
et les notions nécessaires à la condition des mouvements.
PuRKi.xjE, on se le rappelle, a émis la théorie suivante : le vertige résulterait des
déplacements de la masse cérébrale dans les mouvements de la tète et du corps; de là,
des mouvements provoqués et le sentiment de vertige s'expliquent par les efforts
inconscients pour rétablir l'équilibre.
Cyon a montré en enlevant la columelle (étrier des pigeons et des grenouilles)
comme l'avait fait Flodrens, que l'on ne peut accepter l'excitation par l'endolymphe,
puisqu'elle s'écoule dans son expérience sans qu'on puisse constater aucun trouble de
l'équihbration. Disons que cet écoulement du liquide labyrinthique amène la surdité.
' j\r
i'iG. 89. — Section à travers l'ampoule
(d'après Bernstein).
^. nerf ampullaire. — Z, cellules neuro-
épithéliales. — /*, poils auditifs.
AUDITION. S93
Cyo.v (1873-1878) élargit le débat; il l'ait des cauaiix semi-circulaires « l'organe péri-
phérique du sens de l'espace ».
Par eux nous prenons connaissance de la situation de la tête et de nos mouvements.
Ils sont la source des notions qui nous permettent de juger de leur direction et de
leurs rapports; leur destruction prive l'individu de ces sensations sur lesquelles se base
l'équilibration; de là les troubles moteurs produits sur les animaux.
Chaque canal a rapport avec une des dimensions de l'espace; et c'est par la somme
des sensations inconscientes que nous leur devons que nous connaissons la situation du
corps, de notre tête et le sens de ses mouvements dans l'espace.
Nul doute que l'organe de l'ouïe, et sans doute les canaux semi-circulaires, ne nous
fournissent des notions utiles au point de vue des mouvements et de l'équilibration; ils
analysent l'espace à un point de vue particulier, celui des mouvements vibratoires,
comme l'œil apporte les notions visuelles, la peau, celles du toucher, etc., mais il y a
loin de là à faire spécialement des canaux semi-circulaires l'organe du sens de l'espace.
Nous explorons celui-ci par tous nos organes des sens et par la sensibilité générale
ils apportent chacun à la conscience des notions spéciales, et de leur réunion naît la
connaissance nécessaire à nos mouvements et à leur direction. L'oreille fournit sa part,
et non tout.
Nous verrons, de plus, que d'autres régions du système nerveux jouissent de la faculté,
de provoquer, quand on les irrite, des mouvements involontaires absolument compara-
bles à ceux que produisent les lésions des canaux.
L'opinion de Browx-Séquard et de Vulpiax admettant que le vertige est sensitif a été
combattue, et le résultat opératoire nié même par Schiff {Lehrbuch der P.hijsiol., 18.58-39,
p. 396). J'ai montré expérimentalement qu'en détruisant cette portion sensorielle de
l'acoustique dans la cochlée on n'a donné naissance à aucun trouble moteur (V. plus
haut, Limaçon, p. 891).
En 1862, LoEWENiiERG est arrivé aux conclusions suivantes qui marquent un grand
progrès dans l'étude de la question :
1° Les troubles de locomotion produits par la lésion des canaux semi-circulaires sont
dus à une excitation, et non à une paralysie;
2» L'excitation de ces canaux produit les mouvements convulsifs par voie réflexe, sans
aucune participation de la conscience;
3° La transmission de cette excitation réflexe se fait dans les couches optiques (Lœwen-
BERG. Ueber die nach Durch^chneidung de?' Bogengànge... etc., Arch. f. Augen iind Ohren-
heilkunde, t. m).
Depuis lors, cependant, Steiner, qui a repris toutes les expériences de Flourens, a donné
des conclusions inattendues; pour lui la destruction des canaux semi-circulaires ne provoque
aucun accident de déséquilibration, aucune excitation de mouvements; à cela on peut
répondre qu'un organe détruit ne réagit plus.
Delage a de nouveau refait toutes ces expériences sur les organes auditifs des
céphalopodes, et il en tire cette autre conclusion que l'appareil labyrinthique n'a point
rapport à l'orientation; il nie les déplacements de l'endolymphe, sur laquelle les précé-
dents auteurs basaient l'excitation des nerfs ampullaires, etc. (p. 23). Il résume ainsi
ses idées. « La vésicule auditive simple du vertébré primitif aurait eu pour fonc-
tion, comme l'otocyste de l'invertébré, de percevoir les bruits et de régulariser la loco-
motion Elle se serait d'abord séparée en deux parties affectées chacune à l'une de ces
fonctions, le saccule pour la première, l'utricule pour la seconde. Enfin peu à peu se
seraient développés les diverlicules de ces parties centrales, le lim-içon pour percevoir
les sons avec leurs qualités de hauteur el de timbre et non plus sous la forme de bruits ne
différant entre eux que par leur intensité; et les canaux semi-circul.iires peut-être pour
provoquer les mouvements des yeux, compensateurs de ceux de la tête, afln d'éviter les
illusions visuelles qui se produisent quand ils sont immobiles. »
Tout récemment Laborde a soumis au contrôle de l'expérimentation les diverses théo-
ries émises, et a confirmé les deux premières conclusions de Lœwenberg : l'incoordina-
tion résulte d'une excitation d'ordre réflexe.
Je dois encore faire mention des récentes expériences et des conclusions de Bœ-
KiiER et B. BagiiNsky. Ces opérateurs ayant produit un traumatisme sans limites sûres
894 AUDITION.
n'en ont pas moins cru être autorisés à conclure que les troubles moteurs reconnaissent
pour cause des lésions cérébrales. Laborde n'accorde pas de valeur à ces expériences peu
précises.
Quand il s'agit du vertige, l'opinion de Charcot ne doit pas être oubliée. Or, pour lui,
les blessures et lésions des canaux et de l'oreille qui amènent l'apparition de phéno-
mènes de déséquilibration et de l'impulsion motrice sont provoqués par des réflexes céré-
belleux : c'est le clinicien qui juge, comme on voit.
Cette opinion vient à l'appui de ceJle de Lœwenberg, et concorde avec les résultats
expérimentaux de Laborde {Bull. Soc. Anthropologie, i" déc. 1881).
D'autre part, les coupes micrographiques de M. Duval montrent : 1° que la racine
postérieure de l'acoustique, racine cochléenne, se perd dans les barbes du Calanms scri-
ptorius (origine apparente, origine sensitive) ; 2° que la racine profonde, antérieure,
née des ampoules, contourne le corps restiforme en avant, aboutit là à un noyau de cel-
lules motrices, puis se confond avec les fibres du corps restiforme, c'est-à-dire avec
les fibres du pédoncule cérébelleux inférieur (origine cérébelleuse).
Or Laborde prouve que les blessures de ce corps restiforme reproduisent parfaitement
les troubles moteurs observés après lésion des canaux semi-circulaires.
Un point connexe intéressant à noter, c'est que l'on blesse là la racine descendante
sensitive du trijumeau, et que l'œil et l'oreille présentent par la suite des lésions trophiques
remarquables. Ces rapports intimes du trijumeau et de l'acoustique ne doivent pas être
oubliés.
Ainsi les crêtes ampuUaires sont sensibles; leur excitation transmise au cervelet pro-
voque par acte réflexe, inconscient, la série des actes moteurs incoordonnés, étudiés
par Flodrens. L'opinion de Lœwenberg reçoit ainsi une confirmation entière. Toute cette
discussion aboutit à ceci : l'organe de l'ouïe possède un appareil sensitivo-moteur spécial.
La sensation de vertige naît du trouble psychique qui résulte de ce désordre de la
stabilité (vertige, hallucination, agoraphobie, inhibition, etc.).
En 1886, dans un travail lu à l'Académie de médecine, j'exposais mes idées parti-
culières sur la fonction ou les fonctions des canaux semi-circulaires. Je disais que
Charcot avait apprécié en chnicien le rôle de ces organes et avait montré l'excitation
réflexe du cervelet que lui découvrait le tableau symptomatique du vertige de j\Iénière.
J'ai de même rappelé que la clinique donne la clé du mode de production des exci-
tations anormales des crêtes ampullaires; car, si l'on accroît brusquement la pression
intra-labyrinthique (condition fréquente dans l'état morbide), on provoque le vertige
facilement dans certaines maladies otiques.
Lussana a bien prouvé que c'est l'irritation des crêtes acoustiques et non celle du
canal membraneux lui-même qui est le point de départ du réflexe.
De tout ceci, il ressort que, en plus de la sensation sonore, le nerf acoustique trans-
met des sensations tout autres, spéciales, celles du choc des ondes, sans doute aussi
celle des pressions intra-labyrinthiques, d'où naissent certains mouvements en rapport
avec l'intensité, la direction latérale ou non de l'excitation ou la force de la pression
que l'appareil de conduction transmet à l'étrier. C'est là l'origine des actes réflexes
inconscients, des mouvements tubaires, tympaniques, des mouvements de rotation de
la tête, des mouvements généraux, des attitudes d'attention, ou au contraire des gestes
de protection, puis des modifications circulatoires et sécrétoires et des actes vaso-
moteurs consécutifs à l'impression sonore. Quand l'excitation ampùllaire est patho-
logique, traumatique et sort de la normale, la réaction motrice prend d'autres allures;
les mouvements sont incoordonnés, excessifs, ou au contraire inhibés, suivant la gra-
vité de l'irritation.
Je disais dans mon étude que l'oreille possède des tutamina, et que j'attribuais
volontiers ce rôle aux réflexes physiologiques, nés de l'excitation des canaux semi-
circulaires (Gellé, Études cTotologie, t. u, p. 249); l'action tutélaire du stapédius est
sans doute sous leur influence : la transmission est ainsi soumise à l'excitation du
labyrinthe. Bien qu'il soit maintenant prouvé que l'excitation des crêtes des ampoules
n'est pas due aux chocs du liquide labyrinthique ou des cristaux d'otoconie (opinion
d'HELMHOLTz), il est admissible que la sécrétion exagérée de ce liquide dans l'oreille
interne peut, Politzer le pense, agir par une pression irritante sur ces organes et causer
AUDITION. 893
Je vertifie. Cet état d'hj'pertension pathologique ressemblerait à celui de l'œil dans le
glaucome; et je l'avais nommé aussi glaucome auriculaire (Morisset. D. P. De la préci-
sion intra-labyrinthique).
Le retentissement des lésions du labyrinthe sur la motilité persiste en dehors des
spasmes et impulsions qui caractérisent leurs effets immédiats.
R. EwALD a été conduit à conclure que le labyrinthe de l'oreille est d'une façon perma-
nente le point de départ d'excitations sensibles qui remontent vers les centres nerveux,
et dont l'action est indispensable au fonctionnement normal des muscles striés (Ewald]
Centralblait f. PhysioL, 1891). Il constate le relâchement musculaire des animaux qui
ont subi l'extirpation du labyrinthe, avec perte d'excitabilité; la sensibilité cutanée est
intacte, mais le sens musculaire est affaibli, d'une façon plus accusée sur les muscles
antérieurs du corps, et de la tête.
Je rapprocherai de ces conclusions d'EwALD les résultats que M. Verworn a obtenus
en étudiant chez les Cténophores le njle des appareils otocystiques : sa conclusion est
que ces appareils ne jouent aucun rôle acoustique; mais que ce sont des organes de
l'équilibre; et il propose de les dénommer stafocystes et statolithes, au lieu de otolithes et
otocystes. (An. par Dastre, R. S. M. 1893, t. xli.)
D'autre part, Lee {Sur le sens de l'équilibre, Centralblait. f. PhysioL vi, p. 308, 1892,
a étudié les mouvements compensateurs des yeux et des nageoires qui se produisent chez
le requin, (/(î7eî(S canis, quand on déplace son corps autour de l'axe longitudinal, vertical
ou transversal; or, de semblables mouvements se produisent quand on excite méca-
niquement les différentes ampoules des canaux semi-circulaires; ce qui s'accorde avec
l'idée que les canaux constituent des organes par lesquels l'animal apprécie le change-
ment de position de son corps dans l'espace.
Cet expérimentateur sectionne isolément chacun des différents nerfs qui se rendent
au labyrinthe, et constate que cela modifie jusqu'à un certain point les mouvements com-
pensateurs dont il a été question.
La section de tous ces nerfs les supprime, et l'animal nage en toutes positions; mais
son attitude est anormale.
R. Wlassack, dans une étude sur les organes centraux des fonctions statiques de
l'acoustique, a observé que l'extirpation unilatérale du labyrinthe chez la grenouille amène
une prédominance d'action des fléchisseurs et adducteurs d'une moitié du corps, et
des extenseurs et abducteurs de l'autre moitié. Il en résulte que l'expérience d'Ew'ALD est
confirmée. Par l'intermédiaire des centres nerveux, le labyrinthe influence le tonus mus-
culaire. Or l'ablalioii des hémisphères cérébraux, des lobes optiques et du cervelet ne
modifie pas les résultats de l'expérience de l'ablation unilatérale du labyrinthe; c'est
donc par l'intermédiaire des centres situés dans la moelle allongée, dans le voisinage
de l'acoustique, que le labyrinthe influencerait le tonus musculaire. Cet auteur a pour-
suivi sa recherche sur les voies par lesquelles cette influence labyrinthique se fait sentir
dans la moelle épinière.
Les expériences de J. Lœb sont venues montrer toute la complexité de semblables
recherches et les difficultés de leur interprétation. En effet, chez le Scyllium canicula et le
S. catulus, il constate que l'extirpation unilatérale du mésencéphale provoque du côté
opposé des mouvements de manège et une inclinaison du corps; effets analogues obtenus
par la section de la moitié de la moelle cervicale; mais, si l'on fait la section des deux nerfs
acoustiques successivement, les mouvements sont supprimés. Lœb, se basant sur ce que
l'anatomie enseigne qu'il y a continuité entre les fibres de l'acoustique et ses régions de
l'encéphale, conclut que les prétendus centres cérébraux de l'équilibre ne sont que des
dépendances du nerf acoustique.
Ces études nous montrent incidemment les voies et moyens de forientation auditive,
et de la recherche de la direction du son.
La contre-partie des expériences de Lœb et de BAGi:«sRy'a été donnée parB. Lange qui
a vu, après l'ablation totale du cervelet, la destruction du labyrinthe accroître les symp-
tômes consécutifs à la première opération (tremblement, démarche oblique, titubation,
etc.); en opérant dans l'ordre inverse, il obtient les mêmes effets plutôt exagérés. 11 en
conclut que l'on ne saurait dès lors admettre l'opinion de Baginsky et Lœb qui rapportent
aux lésions du nerf acoustique les effets des lésions du cervelet.
896 AUDITION.
L'opinion de Charcot sur la théorie du vertige de Ménière se trouve ainsi appuyée par
les vivisections.
Le travail de Kreidl éclaire certains points de cette fonction labyrinthique, et con-
firme l'influencB du labyrinthe sur l'équilibration [Physiologie du labyrinthe, d'après des
recherches sur les sourds-muets, 1892). On sait, d'après James, que les sourds-muets ne
seraient point sujets au vertige de rotation. Kreidl a examiné à ce point de vue 109 enfants
sourds-muets, en recherchant si, soumis à la rotation, ils présentent les mouvements
compensateurs de l'œil.
Dans la moitié des cas les mouvements ont fait défaut. Or, comme la surdité-mutité
coïncide avec une lésion labyrinthique, dit-il, dans la même proportion (diagnostic des
plus discutables), l'auteur en conclut que le labyrinthe est l'organe de perception pour
les mouvements de la tête et du corps : 13 sur 62 de ces enfants n'ont pas non plus senti
l'illusion causée par la rotation dans la verticale (chevaux de bois) ; et les mêmes enfants
ne pouvaient marcher ou se tenir sur une jambe, les yeux fermés (signe de Romberg).
Dans les travaux de Kraidl, M. Schiff, R. Ewald, Schrader, J. Loeb, M. Verwobn,
Y. Delage, Lange, Bagl\sky, Steiner, W. Preyer, etc., toutes les hypothèses ont été
tour à tour émises sur la fonction des canaux semi-circulaires : tantôt on en a fait un
organe d'excitation centrale, et donnant la notion du sens des mouvements (Schiff, Mach,
GoLTz, Brewer, Baginsky, etc.); tantôt on le regarde comme servant à juger de la direc-
tion du son (Preyer); ailleurs, comme source d'excitation médullaire (Steiner); puis
comme organe du sens de l'espace (Cyon). On a pu voir que le rôle de l'endolyraphe et
de l'otoconie a été également très diversement interprété par les auteurs, nié par ceux-
ci (Cyon), très précisé par ceux-là (Mach, Baginsky, etc.). H. Girard, à son tour (A. P.
5" série, t. iv, 1892 (p. 3o.3), arrive aux conclusions suivantes sur les rapports du laby-
rinthe et des fonctions d'équilibration.
Au moyen d'excitations électriques unipolaires (méthode de Schiff) faciles à graduer,
il a constaté sur les grenouilles auxquelles il avait fait la section unilatérale de l'acous-
tique et la destruction du labyrinthe, que les muscles du côté opposé à la lésion olTraient
un grand accroissement d'excitabilité. Pour cet opérateur, l'équilibration des attitudes
et la coordination des mouvements de translation sont probablement régies par des
sensations qu'il propose d'appeler symétriques; l'animal privé d'un des labyrinthes se
trouve désorienté; les deux appareils vestibulaires, apportant des sensations dilférentes,
donnent l'impression de la perte de l'équilibre, d'où les attitudes défensives, et les ten-
dances à se mouvoir du côté non opéré. Chez les mammifères, nous l'avons dit, Schiff a
montré d'autre part que, grâce sans doute à certaines suppléances, la section des nerfs
auditifs ne cause pas de trouble appréciable de la locomotion.
Brown-Séquard fait la critique du travail de Girard, et conclut qu'il n'existe pas de
centres nerveux affectés à telle ou telle fonction; et que les effets observés à la suite des
lésions des nerfs acoustiques et du labyrinthe s'expliquent par des troubles actifs, soit
des pertes de fondions (dynamogénies ou inhibitions), appartenant en réalité à des
éléments nerveux disséminés dans l'encéphale; la lésion agit à distance (A. P. avril
1892). Enfin, plus récemment, d'une série de recherches expérimentales et d'observa-
tions cliniques comparées, G. Masini conclut que les canaux semi-circulaires ne sont
pas seulement des organes présidant au sens de l'équilibre, mais qu'ils sont aussi des or-
ganes complémentaires de l'appareil auditif [SuUe vertigine auditivi. Arch. ilal. di Oto-
logia, t. iv).
D'autre part certains physiologistes n'admettent point lerôle des canaux semi-circu-
laii'es sur l'équilibration et la station.
En 1877, les expériences de Tomaszewics faites au laboratoire d'HERjiANN démontrèrent
que chez les poissons la destruction des ampoules et des canaux n'apportait aucun chan-
gement à l'équilibre du corps de ces animaux. De même à Naples, J. Steiner ne constate
en pareilles conditions aucun trouble de l'équilibre.
La fonction statique des canaux est, on le voit, encore bien discute'e et discutable
Milne-Edwahds) et l'on peut toujours rapporter à des excitations cérébelleuses, et non aux
(lésion.s mêmes des canaux semi-circulaires, les troubles des mouvements observés. Pour
être complet, j'ajouterai que Bruckner émet à propos des fonctions du labyrinthe une
opinion nouvelle et originale. Pour lui, les canaux semi-circulaires servent à transmet-
AU DITION.
807
tre les bruits; mais ils ne fonctionnent que dans le plan horizontal; dans la station
assise, c'est le canal horizontal qui est actif. Dans la position infléchie delà tète, c'est le
canai transversal ou antérieur qui devient horizontal, et agit à son tour; dans le décu-
bitus latéral, c'est au contraire le canal antéro-postérieur ou interne auquel par sa posi-
tion nouvelle est dévolue l'activité fonctionnelle. Il y aurait donc toujours un canal placé
horizontalement dans toute situation de la tète. Pour l'auteur, quand nous dirigeons les
mouvements de la tète dans la recherche du son, c'est un canal que, instinctivement, nous
portons dans la direction qui donne à l'audition le plus d'acuité (Retterer, R. S. M).
Au milieu de ces opinions contradictoires il n'est que juste de rappeler que le rôle des
canaux semi-circulai-
res nous apparaît en
efïet, anatomiquement
et embryologiquement,
lié à la fonction de
l'ouïe ; et qu'on doit en
définitive, au milieu de
ces nombreux résultats
et de ces multiples in-
terprétations de leur
valeur fonctionnelle,
étudiée expérimentale-
ment, isolée de toute
intervention d'une ex-
citation normale, vibra-
toire, acoustique, en
somme, chercher à dé-
couvrir les usages et fa-
cultés que leurs aptitu-
des spéciales confèrent
à l'organe auditif; c'est,
on ne saurait l'oublier,
ce qu'il nous importe
absolument de savoir,
dans un travail sur
l'audition.
Eh bien ! on peut,
éclairé par l'idée géné-
rale qui se dégage des
faits expérimentaux ou
pathologiques et de
leur explication, ad-
mettre que l'organe de
l'ouïe de l'homme
transmet au sensorium
commun, en plus des
sensations acoustiques, des sensations centripètes de pression, de choc, de travail eiilin,
en rapport avec l'énergie vibratoire d'où naissent les excitations centrifuges les plus
diverses. Mais, parmi celles-ci, il en est d'un ordre particulier, souvent tutélaire, d'une
importance générale et primordiale, oîi lacérébration, quelque développées que soient les
facultés, ne joue pas le premier rôle, où la volonté ni l'éducation n'interviennent pas en-
core, qui préexistent aux manifestations de la mémoire et de l'intelligence : ce sont
celles-là que l'excitation des canaux semi-circulaires provoque par action réflexe, soit pour
accommoder l'organe à la fonction, soit pour protéger l'individu, l'aider, le défendre.
EnelTetles excitations de ces canaux sont aussitôt suivies de mouvements tantôt unilaté-
raux et limités au côté opposé, tantôt bilatéraux; tantôt leur intensité cause une exagé-
ration des réllexes et la multiplicité des retentissements qui se généralisent, si bien qu'ils
-sont de vrais gestes de défense. Dans le cas de blessures ou d'affections de ces canaux,
DIOT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 37
FiG. t'O. — Oreille interne ; canaux et sac endolymphatiques.
Diagramme de l'organe auditif de l'homme (d'après Deblere).
, pavillon de l'oreille. — 2, conduit auditif externe. — 3, membrane du
tympan coupée verticalement. — 4, étrier; sa base, dans la fenêtre ovale,
fait paroi du vestibule, 7. — 5, portion osseuse de la trompe d'Eustache. —
6, portion cartilagineuse; et 6' pavillon tubaire ou son orifice guttural.
— S, canau.^ semi-circulaires, et utricule. — 9, promontoire. — 10, fenêtre
ronde; orifice tympanique du limaçon, indiqué par une flèche. — 11, caisse
du tympan. — 12, canal cochlêaire uni au saccule dans le vestibule. —
13, rampe vestibulaire. — 14. rampe tympanique aboutissant à la fenêtre
ronde. — 15, sommet du canal cochlêaire, où les deux rampe
niquent, en 15'. — 16, aqueduc du limaçon. — 17, aqueduc du vestibule
18, sac ondolymphatique. — 19, parotide.
898 AUDITION.
c'est souvent, comme après toute excitation excessive, un réflexe d'inhibition qui se pro-
duit, tantôt musculaire (tremblement, vertige, chute), tantôt respiratoire (anxiété), tantôt
circulatoire (syncope), tantôt vaso-motrice (rougeur, pâleur, sudation).
Il y a loin de là aux délicates excitations vibratoires physiologiques qui provoquent
l'adaptation de l'appareil, la vascularisation et les actes musculaires, auriculaires ou
généraux, de recherche ou de défense, en même temps que tous les départements du
système nerveux unis par l'attention dans une même direction et une même concentra-
tion fonctionnelles subissent une excitation concordante, dont le point de départ est le
choc de l'onde vibratoire transmis aux ampoules des canaux semi-circulaires et aux
nerfs de l'audition tout à la fois.
D. Liquide labyriiithique : endolymplie et périlymphe. — Aqueducs du vesti-
bide et du limaçon. — Sécrétion et cÀrculation de ce liquide. Rùlc [ihi/^iiologique. — Le liquide
aqueux qui remplit les cavjtés osseuses et membraneuses du labyrinthe est presque
de l'eau ; Valsalva, le premier, en a parlé. C'est ce liquide qui maintient une pression
égale sur toutes les parois des cavités communicantes; c'est grâce à lui que tout accrois-
sement de tension est perçu en tous sens et que les vibrations stapédiennes, transmises
à sa masse, se distribuent et circulent par toute l'oreille interne.
Les solides de la chaîne ont apporté le mouvement sonore isolé, canalisé en un
point de la paroi du labyrinthe, à l'étrier; le liquide inclus transmet les vibrations dans
toutes les directions au contact des crêtes auditives et acoustiques, dans les canaux et
les rampes; c'est l'agent de la transmission multiple, de la dispersion des ondes vers
les divers points qu'elles doivent toucher.
En eïï'et, si l'on provoque la sortie de ce liquide, comme l'ont fait Floube.ns, et après
lui E. 0E Cyon, particulièrement dans sa critique de l'opinion de Goltz; ainsi que je
l'ai fait sur les pigeons et les grenouilles par l'ablation de la columelle; et Botey,
depuis, on remarque l'assourdissement complet de l'opéré.
Assez rapidement, le liquide se reproduit; et, si l'on a remis l'étrier en place, l'au-
dition renaît (E. de Cyon, Botey, Flourens), la transmission est rétablie.
Le liquide est interposé partout à la paroi solide, excepté au niveau des taches de
l'utricule et du saccule : il baigne complètement les ampoules suspendues au pinceau
nerveux qui les relie à la paroi : c'est la périlymphe de Breschet.
Dans le limaçon, elle remplit la rampe vestibulaire (au-dessus de la membrane de
Reisner) et totalement la rampe tympanique.
Dans le vestibule la périlymphe isole la platine de l'étrier de l'utricule et du saccule;
c'est par la périlymphe (exolymphe) que les ondes se propagent.
D'autre part toutes les cavités membraneuses, vésicules, canaux semi-circulaires et
cochléaire, sont pleines d'un liquide nommé endolymphe, à peu près semblable au
premier; et toutes ces cavités communiquent entre elles et avec les aqueducs du ves-
tibule et du limaçon.
La fenêtre ronde sert de soupape de stireté: elle cède dans une certaine limite aux
poussées de l'étrier et se tend en même temps que la fenêtre ovale. Nous avons expliqué
pourquoi la voie de conduction suit la chaîne des osselets et l'étrier. Si la fenêtre ronde
perd sa mobilité, la compression du contenu labyrinthique est inévitable dans les mou-
vements en dedans de l'étrier (Toynbee, de Trœltsch, Duplay-).
Les aqueducs et les voies lymphatiques jouent un grand rôle dans le maintien de la
tension normale intra-labyrinthique.
E. Canal et sac endolymphatiques. Aqueduc du limaçon. — L'aqueduc du
limaçon fait communiquer par un canal étroit la cavité cochléaire périlymphatique avec
la cavité de l'arachnoïde, auprès du trou déchiré postérieur. Les expériences de
■V^^eber Liel (1879,) ont démontré le trajet direct entre les cavités crâniennes et la
cocblée.
D'autre part, un autre aqueduc s'étend du vestibule sous la dure-mère; il contient
un canal né des deux vésicules vestibulaires; arrivé sous la dure-mère, il se dilate en
une ampoule qui la soulève, à la surface du rocher, au-dessus du confluent de la jugu-
laire (Hasse). Le canal et le sac qui le terminent contiennent de l'endolympbe : par
suite de ces rapports du sac sous-duremérien avec la cavité crânienne, la tension laby-
rinthique se trouve dans une certaine mesure placée sous l'influence de la tension intra-
AUDITION. 899
crânienne. On peut donc affirmer que les variations de pression dans le crâne reten-
tissent fatalement dans l'oreille interne (Weber-Liel, Retzius, Key, Testut, M. Duval).
Cette subordination est moins immédiate qu'on pourrait le ci'oire, cependant, grâce
à la finesse des canaux, mais surtout grâce à l'abouchement du canal de l'aqueduc du
limaçon à la surface de l'araclinoïde. Si le sac lymphatique se trouve seul comprimé,
c'est là une voie par laquelle l'équilibre rompu peut se rétablir dans l'intérieur du
labyrinthe.
D'autres voies de communications ont encore été reconnues par les gaines lympha-
tiques du nerf acoustique et des vaisseaux (Siebemmann); ainsi que cela résulte des expé-
riences de Retzius, Schwalbe et A. Key, sur les animaux; mais Weber-Liel ne les admet
pas chez l'homme (Poirier, Testut).
La tension intérieure des cavités de l'oreille interne subit déjà l'action des fluctua-
tions de la circulation crânienne et des troubles de la circulation en retour. Or, au
moyen des canaux et des sacs lymphatiques, la tension intra-cranienne agit encore sur
elle. On voit de combien de côtés cette petite cavité close peut être atteinte, et com-
bien la pression s'y exagère facilement et doit être énergiquement perçue.
Une hémorrhagie, un exsudât, un choc, une enfonçure brusque de l'étrier, la raideur
de la fenêtre ronde (ou vice versa), la congestion, l'anémie changent brusquement ou
graduellement la tension intérieure et provoquent toute la série des troubles subjectifs
et moteurs connus sous le nom de vertige de Ménière, le premier médecin qui a su asso-
cier cette symptomatologie curieuse à la lésion des canaux semi-circulaires.
Mais ce liquide, d'où vient-il? est-il fourni par l'arachnoïde? Je ne serais pas éloigné
d'admettre qu'il est sécrété dans le canal cochléaire par la zone du ligament spiral
externe connue sous le nom de zonevasculaire. Boucheron, en 1889, a émis cette opinion
qui paraît être admise par Testut, par Poirier (1892, Traité d'anatomie) et par M. Duval
{Traité de physiologie) .
Cette partie est constituée par une couche de grosses cellules à gros noyau au milieu
desquelles et avec lesquelles entrent en contact une foule de vaisseaux capillaires san-
guins formant un réseau sous-épithélial tellement adhérent à cette couche cellulaire
solide qu'on le trouve toujours associé à elle dans les préparations par dissociation.
J'ai décrit, après Schwalbe, des houppes vasculaires sur la protubérance spirale externe
à ce niveau.
Il est nécessaire de remarquer enfin que l'augmentation autant que la diminution
du liquide labyrinthique provoquent l'irritation des organes sensibles inclus dans le
labyrinthe et causent ainsi les bruits subjectifs et le vertige.
V. Nerf auditif ou VHP paire. — C'est le nerf sensoriel destiné à transmettre aux
centres nerveux certaines excitations causées par les ébranlements rythmiques, pério-
diques ou non, de l'espace, qui donnent la sensation sonore.
Le son étant en définitive le produit des mouvements moléculaires, le nerf auditif
reçoit l'impression de ces mouvements, des ondes vibratoires de l'air qui les apporte,
et la transmet à divers foyers, sensitifs ou réflexes, du système nerveux central.
Si l'on se reporte aux chapitres où l'audition a été traitée, on pourra apprécier la
multiplicité des notions que l'auditif transmet au moi, la diversité et la nature com-
plexe des sensations qu'il procure ; on y verra aussi les nombreux rapports qui existent
entre la sensibilité sensorielle et la sensibilité générale dans le fonctionnement de
l'organe auditif.
Dans l'accommodation de l'oreille, dans l'aération de la caisse, dans les gestes de la
tête et du corps qui adaptent l'oreille et tournent le conduit dans la direction du son,
dans le phénomène complexe de la recherche du corps sonore, dans l'accommodation
binauriculaire, dans l'association des divers sens de la vue, de l'ouïe, et du toucher,
et des divers mouvements qui les unissent pour un même but sous l'influence de l'at-
tention auditive, on saisit des rapports nombreux, intimes, entre le nerf de l'audition et
un grand nombre de nerfs voisins, glosso-pharyngien, pneumogastrique, spinal, moteurs
oculaires, facial, trijumeau. On comprend de même l'association de centres nerveux
divers au foyer de l'audition, point de départ des actions conscientes ou inconscientes,
réflexes, etc., auriculaires et autres, qui concourent à la fonction auditive.
En présence d'une pareille complexité de fonctions, on voit l'intérêt qui s'attache-à
900
AUDITION.
nédian
la connaissance des origines et des rapports du nerf auditif et à sa distribution dans
l'organe périphérique.
L'étude de cette dernière partie a été faite à l'article audition; nous y renvoyons
donc pour tout ce qui regarde la distribution du nerf auditif au labyrinthe; et nous
conduirons notre description jusqu'à son entrée dans l'oreille interne.
A. Origines de l'acoustique, a. Origine apparente. — Ce nerf se détache du
bulbe par deux racines nettement distinctes, une racine antérieure et une racine
postérieure.
A. — La racine antérieure nait dans la fossette latérale du bulbe, immédiatement en
arrière de la protubérance, un peu en dehors du nerf facial et de l'intermédiaire de
Wrisbebg; elle a la forme d'un petit faisceau aplati.
B. — La racine 'postérieure, ou racine ventriculaire, nait sur le plancher du quatrième ven-
tiicule par une série de petits fila-
ments blanchâtres, appelés barbes du
calamus scriptorius. Parties de la ligne
médiane ou de son voisinage, ces radi-
cules de l'auditif, très variables par
leur nombre et par leur volume, se por-
leiit en dehors en convergeant les unes
vers les autres. Elles se ramassent ainsi,
à la limite du ventricule, en un petit
ruban nerveux qui contourne le corps
restiforme, et vient rejoindre la racine
antérieure avec laquelle elle se confond
entièrement.
|î. Origine réelle. — 1° Racine anté-
rieure. — La racine ante'rieure, appelée
encore racine principale ou grosse ra-
cine, pénètre dans le névraxe au ni-
veau de la fossette latérale du bulbe;
se portant obliquement en arrière et
en dedans, elle passe entre le corps
restiforme et la racine inférieure du'
trijumeau, et se divise alors en deux
groupes de fibres; les unes internes, les
autres externes.
Les fibres internes viennent se perdre
dans un amas de substance giise qui occupe, sur le plancher du quatrième ventricule,
la région appelée aile blanche externe.
Cet amas de substance grise, assez mal délimité, s'étend jusqu'au voisinage du
raphé médian ; il constitue le noyau interne de l'acoustique.
Les /lires externes, s'infléchissant en dehors, aboutissent à de petits amas de sub-
stance grise, irrégulièrement disséminés dans l'épaisseur du corps restiforme et de la
pyramide postérieure; leur ensemble constitue ce qu'on appelle le noyau externe de
l'acoustique.
Les fibres nerveuses qui entrent en relation avec ce noyau ne font probablement que
le traverser. D'après HuGUE^'lN elles gagneraient le cervelet en suivant le côté interne du
pédoncule cérébelleux inférieur.
2° Racine -pOôtérieure. — La racine postérieure ou ventriculaire contourne d'avant en
arrière le corps restiforme et arrive ainsi sur le plancher du quatrième ventricule. Un
certain nombre de ses fibres (fibres profondes) se terminent dans le noyau interne de
l'acoustique ci-dessus indiqué. Les autres (iibres superficielles) constituent ces filets très
déliés et divergents décrits sous le nom de barbes du calamus. Ces filets gagnent la
ligne médiane et s'y terminent (Pierret, M. Duval) dans un groupe de plusieurs noyaux
qui s'échelonnent de chaque côté du raphé, entre la colonne de l'hypoglosse et Vemi-
nentia teres. Ces petits noyaux (noyaux inuomés de Clarke) ont été considérés long-
temps comme les noyaux d'oiigine du fasciculus teres et rattaches par cela même au
FiG. 91. — Coupe transversale du bulbe raohidie
partie supérieure (d'après Mathi.vs Ddvai.)
n, substance grise du 40 ventricule. — i. raphé
du bulbe. — c, noyau du trijumeau {tête de la corne
postérieure de la moelle). — f, noyau propre du facial
(tête de la corne antérieure de la moelle). — (/. genou
du facial. — n, noyau commun au facial et à l'oculo-
moteur (base de la corne antérieure de la moelle). —
r, corps restiforme. — 1, pyramide antérieure. — 2,
cordon latéral. — 3, cordon postérieur. — 6, nerf
ocu^lo-moteur externe. — 7, nerf facial. — S. nerf
acoustique. — 8' et 8", racines internes et externes de
l'acoustique.
AUDITION. 901
facial. IIucuENiN a décrit, et M. Ddval a figuré des fibres qui du noyau auditif externe
divergent vers, le cervelet.
3° Noyau antérieur de l'auditif. Aux trois noyaux d'origine de l'acoustique que nous
venons de décrire, il convient d'en ajouter un quatrième que l'on désigne communément
sous le nom de noyau antérieur. Il est formé par une petite masse de substance grise,
qui est située sur le côté externe de la racine principale de l'acoustique, en avant du
corps restiforme.
En raison de sa situation et de ses rapports avec le nerf auditif on a comparé cet
amas ganglionnaire au^; ganglions spinaux (Onufrowicz).
La signification anatomique et les connexions du noyau antérieur de l'auditif sont
encore fort obscures. Tout ce qu'on peut dire, c'est que sa structure est très différente
(Meynert, Huguentn) suivant qu'on l'examine dans sa partie supérieure ou dans sa par-
tie inférieure. Sa partie inférieure renferme des éléments cellulaires qui rappellent par
la plupart de leurs caractères les cellules des régions motrices (point de départ du nerf
de Wrisberg, d'après Erlitzky). La partie supérieure, au contraire, présente des cellules
toutes spéciales ayant la plus grande analogie avec celles des ganglions spinaux et du
ganglion de Gasser.
« Leur forme est arrondie, vésiculeuse; elles n'ont que des prolongements rares et
très fins et possèdent une enveloppe cellulaire et délicate avec de petits noyaux. En
dedans de cette membrane, se voit un protoplasma dépourvu d'enveloppe. Les noyaux
des cellules sont arrondis, assez gros, et renferment un ou plusieurs nucléoles : ces cel-
lules mesurent de 15 à 21 jj.. » (Huguen'in.)
(Lire au sujet des origines de l'acoustique : Monakow. Rev. méd. Suisse romande, 1881.
— Bechterew. Neurol. Centralblatt, 1883, p. 145. — Edinger. Klin. Woch., Berlin, 1886. —
Baginski. a. V., t. cv, p. 28, et K/in. Woc/i., Berlin, 1889, p. 1132.)
D'après Edi.xger, la racine postérieure de l'auditif se termine non pas sur le plancher
du quatrième ventricule, mais bien dans cet amas de cellules que nous avons appelé le
noyau antérieur. Ce noyau antérieur donne naissance d'autre part à des fibres antéro-
postérieures et à des fibres transversales.
A. Les fibres antéro-posténeures sont de deux ordres :
1" Les unes, sous le nom de stries acoustiques, ou barbes du calamus, se rendent au
plancher du ventricule, en contournant le corps restiforme; les stries acoustiques ne se
jettent donc pas directement dans la racine postérieure de l'auditif;
2° Les autres se rendent au noyau interne de l'acoustique et unissent ainsi ce noyau
interne au moyen antérieur.
B. Quant aux fibres transversales, elles se dirigent en dedans et se terminent: les unes
dans l'olive supérieure du côté correspondant, les autres dans l'olive supérieure du côté
opposé. Ce système de fibres transversales est entièrement recouvert, chez l'homme, par
les faisceaux protubéranliels, mais chez les animaux oii la protubérance est relativement
peu développée, il devient libre, et forme alors au-devant du bulbe, de chaque côté des
pyramides, une espèce de nappe quadrilatère à laquelle on donne le nom de corps trapé-
zoide.
D'après Schrœder vaiN der Kolr, certaines fibres radiculaires traversent le raphé et
vont se rendre dans le noyau opposé; d'autres se rendraient au noyau du facial.
Van der Kolk explique ainsi les réflexes qui lient l'acoustique aux noyaux moteurs ;
comme lorsque, par un bruit soudain qui nous saisit d'eifroi, nous nous mettons en posi-
tion de défense instinctive et involontaire.
LuYs à son tour décrit des fibres qui, des noyaux de l'acoustique, se rendraient au
pulvinar de la couche optique, et de là par les fibres radiées dans la substance corticale
des hémisphères. D'après Bischoff, il existe éventuellement des anastomoses entre le
nerf intermédiaire et le facial et l'auditif.
Au dire de Valsalva, \enerf iiniacéen peut manquer, et le limaçon aussi, sans porte de
l'audition.
D'après un travail récentde A. Cannieu faitau laboratoire de Goyne (1894), nous pou-
vons ajouter à cette description quelques notions nouvelles très intéressantes ; l'auteur
donne des conclusions parmi lesquelles je prends les suivantes :
Le nerf auditif des mammifères est constitué par deux nerfs, s'insérant séparément
902 AUDITION.
sur les parties latérales du bulbe : le nerf vestibulaire et le nerf cocliléaire ; chez l'homme
ils forment un tronc unique par leur réunion.
Les fibres du nerf vestibulaire et celles du nerf cochléaire se partagent pour chacun
d'eux en deux faisceaux ; l'un antérieur, l'autre postérieur, morphologiquement compa-
rables aux racines ascendantes et descendantes des racines postérieures des nerfs spinaux.
Ces racines ne s'arrêtent pas dans le noyau antérieur; mais au niveau des amas de sub-
stance grise, situés sous le plancher du quatrième ventricule.
Ces racines se terminent au niveau de cet amas comme les fibres postérieures de la
moelle, c'est-à-dire que leurs cylindres-axes ne sont pas en connexion avec les prolonge-
ments de Deiters des cellules nerveuses.
Quant aux rapports de l'acoustique et du facial, Cannieu montre qu'une bande dé
cellules ganglionnaires les réunit chez la souris.
Dans une autre partie de ce travail, l'auteur démontre que chez la souris le facial se
réunit au ganglion de Scarpa. Or les recherches embryologiques de His ont établi que
chez l'embryon humain les ganglions de l'acoustique et le ganglion géniculé forment un
seul et même ganglion, se séparant dans le cours du développement (A. CA^^NIEu,
Lille, 1S94; Recherches sur le nerf auditif , ses vaisseaux, ses ganglions). Pour cet auteur, les
faisceaux nerveux qui du ganglion de Scarpa se rendent au ganglion géniculé doivent
être considérés, chez la souris, comme les équivalents morphologiques du nerf inter-
médiaire de Wrisberg, qui se séparerait entièrement de l'acoustique chez les êtres
supérieurs (chat, homme); encore chez ceux-ci existe-t-il des anastomoses entre l'in-
termédiaire et le ganglion de Scarpa.
y. Trajets et Rapports. — Le nerf auditif se poi'te en dehors, en avant et en haut. Il con-
tourne le pédoncule cérébelleux moyen, longe le côté interne du lobule du pneumogas-
trique et arrive au conduit auditif interne ; il s'y engage et le parcourt daus toute son
étendue.
Durant tout ce trajet, le nerf auditif est accompagne' par le nerf facial et le nerf
intermédiaire de Wrisberg, auxquels il forme une gouttière ouverte en haut et en avaut.
Ces trois nerfs sont reliés entre eux par un tissu cellulaire lâche, dont les faisceaux ont
souvent été pris pour des anastomoses nerveuses. Ils cheminent en outre sous une gaine
arachnoïdienne commune, qui les accompagne jusqu'au fond du conduit auditif interne.
0. Distribution. — En atteignant le fond de ce conduit, le plus souvent même avant de
l'atteindre, le nerf auditif se partage e<n deux branches principales.
A. Une branche antérieure ou coehléenne.
B. Une branche postérieure ou vestibulaire.
Ces branches terminales, analogues en celaaux nerfs olfactif et optique qui traver-
sent : le premier, la lame criblée de l'ethmoïde ; le second, la lame criblée de la sclérotique,
se tamisent, elles aussi, à travers les fossettes criblées, qui ferment en dehors le conduit
auditif interne.
Elles arrivent alors dans les différentes portions de l'oreille interne (limaçon, ves-
tibule, canaux semi-circulaires).
Y). Structure. — Le nerf auditif se compose de deux parties qui sont bien distinctes au
point de vue histologiquè.
La. partie postéro-supérieure, qui répond à la branche vestibulaire, est formée par des
fibres volumineuses, qui rappellent les fibres motrices des nerfs spinaux (Horbaczewski),
tandis que la partie antéro-inférieure qui représente la branche coehléenne, ne comprend
que les fibres relativement grêles (gaine de myéline rare).
En outre, le nerf auditif présente à sa surface ou dans son épaisseur de nombreuses
cellules nerveuses, soit éparses, soit réunies en îlots considérables. Ces amas ganglion-
naires de la branche vestibulaire sont décrits sous le nom de ganglion de Scarpa. Le
tronc cochléaire de même traverse au niveau de la lame spirale une masse ganglion-
naire, le ganglion spiral de Corti. A ce propos rappelons l'hypothèse émise par Erlitsky
[Archives de Neurologie, 1882,) que ces cellules donneraient naissance à un certain nombre
de fibres qui s'échapperaient du nerf auditif pour aller se jeter dans le nerf intermédiaire
de Wrisberg. Si une pareille hypothèse était fondée, il faudrait admettre pour le nerf
intermédiaire une double origine : une origine centrale, et une origine périphérique qui
serait située dans l'épaisseur même du nerf auditif.
AUDITION. 903
Le tronc de l'auditif, formant une gouttière où logent le nerf facial et le nerf inter-
médiaire de Wrisberg, est entouré iFune gaine que lui fournit l'arachnoïde et l'enve-
loppe dans le conduit auditif interne jusqu'à la taclie criblée où ses divisions pénètrent
vers l'oreille interne.
La branche auditive de la basilaire l'accompagne et s'engage avec elle dans l'oreille
interne: un rameau profond s'anastomose avec l'artériole mastoïdienne, suivant le facial
dans l'aqueduc de Fallope.
Nous avons dit ailleurs que ces dispositions anatomiques mettent en communication
les espaces périlymphatiques de l'oreille avec les cavités arachnoïdiennes.
B. Noyaux de l'auditif, leurs rapports avec les divers centres nerveux.— Nous
avons décrit dans l'étude anatomique des origines du nerf acoustique les noyaux bul-
baires de ce nerf où aboutissent ses deux branches fondamentales. Malgré bien des points
encore obscurs sur les rapports des fibres d'origines bulbaires de ce nerf, c'est cependant
ce que l'on en connaît le mieux jusqu'ici.
Maintenant, nous allons essayer de montrer les rapports de ces noyaux primaires
avec les diverses parties de l'encéphale; nous comprendrons mieux ensuite le rùle de
celles-ci dans l'audition.
Par le noyau antérieur, l'acoustique est mis en rapport : 1° avec le noyau interne
du même côté; 2° avec l'olive supérieure du même côté; 3° avec l'olive supérieure du
côté opposé ; 4° par le corps trapézoïde avec le tubercule quadrijumeau postérieur du
côté opposé.
Par ce dernier, des fibres le relieraient à la couche optique (Bechterew), et d'autres
au corps genouillé interne. Par ce dernier rapport l'auditif serait relié aux lobex tempo-
raux, suivant Mo.n'akow, c'est-à-dire au centre auditif cérébral.
Le noyau interne est en rapport avec le précédent (l'antérieur) ; aussi avec l'olive
supérieure du même côté; mais, de plus, avec le noyau du toit des deux côtés. Or, ces
derniers sont reliés au noyau rouge de Stilltng, et, par là, aux circonvolutions pariétales
(région psycho-motrice).
D'autre part, le noyau de Deiters communique avec le cervelet et avec les cordons
late'raux de la moelle (centres moteurs, réflexes, de coordination motrice).
Par l'olive supérieure, ces deux noyaux, l'antérieur et l'interne, sont mis en relation
avec le noyau de la vi» paire et les oculo-moteurs; mais surtout avec les tubercules
quadrijumeaux postérieurs qui conduisent vers les lobes temporaux.
Les noyaux du raphé, les noyaux innomés de Clarke émettent des fibres vers le
noyau interne du côté opposé; mais la masse se fond dans le faisceau central des cor-
dons sensitifs; et, par suite, ils sont reliés aux lobes temporaux (centre auditif).
En définitive, le nerf vestibulaire est mis en rapport : 1» avec le cervelet, par des fais-
ceaux directs, par le noyau interne, l'olive, le noyau de Deiters et le noyau de Bech-
terew (mouvements coordonnés et d'équilibration); 2° avec le cerveau : A, au niveau des
lobes temporaux (centre de la perception des sons) par l'olive supérieure, les tubercules
quadrijumeaux postérieurs et le corps genouillé interne; B, aux lobes pariétaux
(région psycho-motrice) indirectement par le cervelet et le noyau de Stilling; 3° avecles
noyaux moteurs bulbo-médullaires par l'olive supérieure et le faisceau longitudinal pos-
térieur, pour le facial et le nerf oculo-moteur, le nerf de AVrisberg, et le spinal (mouve-
ments de la tête et des membres); 4° avec le (jlosso-phanjnglen et le pmumogastrùiue, qui
ont une grande influence sur la fonction auditive pour l'aération de la caisse, entre
autres par la déglutition.
On voit ainsi que la branche vestibulaire ou excito-motrice a les rapports les plus
intimes avec le cervelet, et surtout une relation directe; et qu'il en est de même avec
le facial et les nerfs glosso-pharyngien, pneumogastrique et spinal dans le bulbe.
Le limaçon, d'autre part, est mis en relation : 1° avec le cervelet, par des fibres du
noyau interne et l'olive supérieure; 2° avec le cerveau (lobes temporaux), par les stries
acoustiques et le faisceau sensitif pédonculaire ; par le noyau antérieur et le corps
trapézoïde, et aussi l'olive supérieure; 3" auec le noyau moteur de la moelle, avec le facial,
l'oculo-moteur, par l'olive supérieure et le faisceau longitudinal postérieur; 4° arec la
région psycho-motrice, qui commande ces noyaux, par le cervelet, les noyaux internes et
celui de Deiters.
9C4 AUDITION.
La racine cochléenne est donc surtout sensitive et cérébrale.
C. Centre nerveux de l'audition. — A quelle partie du cerveau est dévolue la fonc-
tion de percevoir les sensations sonores ?
La sensation sonore est perçue au niveau du centre de l'audition (K" circonvolution
temporale, Ferrier); elle peut déterminer des mouvements conscients de recherche (lobes
pariétaux et région psycho-motrice); elle peut provoquer des actes réflexes par le cer-
velet, mais elle agit aussi sur les centres sensitifs voisins; et ceux-ci à leur tour l'in-
fluencent (V paire, glosso-pharyngien, pneumogastrique, etc.).
Il résulte de l'analyse des faits expérimentaux et cliniques que la perte de l'audition
a coïncidé avec les lésions de la surface des circonvolutions (t et 2) occipitales, du
pli courbe, de la circonvolution du coin (Luys); Roxdot y ajoute celles du pied de la
2'^ temporale adjacente; LucrANi tout le lobe temporal. Peut-être faut-il admettre un
centre double, bilatéral pour l'audition simple; et un autre unique à gauche pour la-
perception des mots.
D'autre part, les autopsies ont montré l'existence de lésions au niveau du tiers posté-
rieur de la capsule interne, dont les fibres forment la portion postérieure de la couronne<
rayonnante de Reil, qui s'étalent dans les circonvolutions sphéno -occipitales, dans les
hémiplégies avec perte de l'ouïe et dans les paralysies sensitivo-sensorielles (Char-
COT, Raymond). Luys a décrit une lésion de la circonvolution du coin. Veissière a montré
d'ailleurs que la destruction de cette partie postérieure de la capsule interne amène de
l'insensibilité dans le cùté opposé à la lésion.
On peut ajouter que l'excitation de ces régions du cerveau (sphéno-occipitales) ne
provoque jamais de phénomènes moteurs {Ferrier, Laxdois; Leçons de Charcot) (Voir
pour plus de détails Cerveau [Localisations] ).
Les expériences de Nothnagel ont montré du reste que la lésion des zones pariétales
du cerveau cause des troubles des sensibilités cutanée et musculaire, et celles de
Rechtere^' que les irritations de ces parties agissent sur l'équilibration.
D'autre part, R. Bagi.\ski, reprenant les vivisections de Ferrier et de ses successeurs,
a découvert que l'excitation de la partie tout à fait inférieure du lobe temporal du cer-
veau du chien provoquait des mouvements de l'oreille. Ainsi l'excitation électrique des
parties inférieures des -S' et 4° circonvolutions temporales (numération allemande), en
arrière de la scissure de Sylvius, produit des mouvements des yeux et des secousses dans
le pavillon de l'oreille opposée. Une lacune inexcitable sépare cette région de celle sur
laquelle a opéré Ferrier (^4. P., p, 227, 1891, sphère auditive).
A ce point de vue, l'étude du cerveau de Bertillon par Manouvrier est des plus
instructives. Le cerveau de Rehtillo.x, qui était privé de l'ouïe à gauche, offrait une
atrophie évidente de la première temporale droite et de la pariétale ascendante droite.
Cette dernière circonvolution était au contraire extrêmement développée à gauche, en
correspondance avec l'audition par l'oreille droite persistante (P. Bornier, V. Laborde).
Centre de la mémoire des mots; rentre psycho-acoustique ; amnésies 'partielles; aphasie
sensorielle. — On adresse la parole à un individu, il entend le bruit de la vois, mais il
ne peut comprendre l'idée que le mot signifie : il entend tous les sons, et la portée de
l'ouïe pour les bruits simples est conservée; mais il ne peut converser, il ne saisit plus
rien aux discours; il peut cependant souvent lire et comprendre ce qu'il lit, dans le
même temps (aphasie sensorielle). Chez lui le bruit du mot n'éveille plus l'idée : sa
signification a disparu de sa mémoire.
Des expériences de Wernicre, de Ferrier, Hitzig, Luciani et Tamburini, des études
cliniques de Charcot, Magnan (Swortskoff, D. P., 1887), etc., il résulte que la localisa-
tion du centre auditif des mots est précise. La surdité verbale se produit quand une
lésion intéresse la première circonvolution temporale.
KôHLER et PicK, d'après Urba.ntschitsch, auraient constaté, en même temps que la
surdité verbale, la surdité pour la musique, la perte de la mémoire des tons et de leurs
valeurs. Un musicien de mes malades entendait encore les tons et la parole, mais ne
pouvait plus reconnaître les accords du piano (Gellé).
D. De l'accommodation synergique des deux organes dans l'audition binau-
riculaire, du réflexe d'accommodation biotique, du foyer ou centre réflexe oto-
spinal. — Les yeux convergent dans l'acte de la vision binoculaire; au contraire, les
AUDITION. 905
deux organes de l'ouïe sont absolument séparés au point de vue des étendues de l'es-
pace dont ils reçoivent les ébranlements.
Cependant les deux oreilles sont associées dans la recherche de la direction du corps
sonore, dans l'orientation, qui se latéralisé du côté du maximum de sensation auditive :
cela implique la comparaison entre les notions fournies par chaque oreille; c'est-à-dire
deux centres de perception et un centre de jugement et d'anal3'se.
Cette synergie d'action, mise en activité par l'attention, se manifeste par le jeu des
pavillons chez les animaux, et pour nous par l'adaptation des organes au moyen des
contractions musculaires qui accomplissent la rotation de la tête, le redressement du
pavillon et les tensions utiles des appareils conducteurs des sons.
J"ai démontré espérimentalenient l'association des mouvements intra-auriculaires,
leur synergie dans l'expérience dite des réflexes auriculaires, décrite plus haut. On se
rappelle qu'un diapason sonnant à Foreille droite, les pressions centripètes étant opé-
rées sur la gauche, il en résulte une atténuation de 4a sensation sonore droite par
chaque pression. Le tenseur droit entre en action avec le tenseur gauche.
D'autre part, la participation des deux oreilles dans l'audition est rendue manifeste,
même dans le cas où la sensation étant bien latérale, on peut croire qu'elle n'existe
que pour ce seul côté; j'ai démontré cela en latéralisant le son crânien et déplaçant
alors le maximum vers le côté opposé par un aftifice expérimental sans rien changer
à la situation du corps sonore (Voir plus haut: p. 876).
J'ai essayé, de reconnaître le siège du foyer de ces associations des mouvements
réflexes de l'accommodation binauriculaire dont j'ai le premier parlé.
Pour cela, j'ai analysé les faits cliniques dans lesquels cette association synergique
faisait défaut ; c'est ainsi que j'ai pu observer la perte du réflexe d'accommodation
dans certaines aff'ections de la moelle bien nettement limitées à sa portion cervicale.
C'est sur des sujets atteints de pachyméningite cervicale (service de Charcot) que j'ai
pu constater le fait d'une façon assez fréquente pour pouvoir en induire que ce foyer
réflexe de l'accommodation binauriculaire est situé au niveau de l'union du tiers moyen
avec le tiers inférieur de la région cervicale d^e la moelle (Celle. Études d'otologie, t. n;
L'un foijer réfle.xe oto-spinal, p. 61).
Quant au point de départ de cette action réflexe, l'examen des faits pathologiques
indique que le réflexe manque dès que le labyrinthe est atteint; tandis qu'il existe très
net dans la surdité d'origine centrale, dans la surdité hystérique (hémi-anesthésie), et
dans celle qui est consécutive aux lésions cérébrales.
La surtension labyrinthique due à l'accommodation d'une oreille éveille donc celle du
côté opposé (Gellé. Valeur des pressions centripètes dans les affections nerveuses. Bulletin
Soc. d'otologie et laryngologie de Paris, t892). Le point d'origine du réflexe est le laby-
rinthe, et, dans celui-ci, les nerfs aiiipuUaires en sont sans doute les éléments centripètes.
E. De l'innervation des oreilles. Rôle de la cinquième paire, du facial, du
glosso-pharyngien, du pneumogastrique et du spinal; le plexus tympanique.
— En plus des expansions périphériques de l'acoustique, l'oreille reçoit des nerfs de
sensibilité générale, des nerfs moteurs, des rameaux du grand sympathique, des nerfs
trophiques.
La sensibilité lui est donnée par la cinquième paire, le glosso-pharyngien, le pneumo-
gastrique; deux ganglions voisins ont des rapports évidents avec la fonction auditive : le
ganglion otique et le ganglion sphéno-palatin.
Nous avons, au cours de cette étude de la fonction de l'ouïe, montré les nombreuses
influences du nerf trijumeau sur l'organe.
ÏVous avons vu que la sensibilité du pavillon aide à l'orientation, ainsi que celle de la
membrane du tympan ; celle du conduit, exquise, protège l'entrée de l'oreille. La mu-
queuse et les muscles tympaniques reçoivent une partie de leur innervation de la cin-
quième paire, et nous devons signaler son action trophique énergique.
L'audition douloureuse montre les rapports intimes de ce nerf avec l'acoustique, dès
leur origine bulbaire : les retentissements douloureux causés par certains bruits, par
certains modes d'excitation de l'auditif, qui éveillent des sensations sur les dents, sur les
yeux, à l'état normal ou pathologique, etc., tiennent à la même condition.
Nous avons vu, avec Filehne, l'action tonique des muscles du pavillon soumise à son
906 AUDITION.
influence; probablement il en est de même des muscles intra-tympaniques, car les exci-
tations anormales de la sensibilité d'une partie quelconque de l'organe provoquent aus-
sitôt des spasmes musculaires et des bruits subjectifs.
D'autre part la brandie motrice du trijumeau innerve le muscle interne du marteau.
Le rameau, détaché du ganglion otique, a bien pour origine cette branche motrice,
ainsi que le développement embryogénique l'indique au reste suffisamment (M. Duval).
PoLiTZER et LuDwiG Ont provoqué des contractions du tenseur par excitation directe du
trijumeau. D'ailleurs, Vulpian a constaté, après sa section, l'atrophie des fibres mus-
culaires du tenseur. Ce muscle fait partie du groupe des masticateurs que la cinquième
paire innerve : aussi se contracte-t-il dans la déglutition toujours précédée d'une contrac-
tion des mâchoires. Déplus, parle ganglion otique, les excitations se transmettent à ce^
petit muscle de tous les départements animés par la cinquième paire.
Le nerf facial anime les muscles du pavillon : les contractions violentes des peauciers
de la face provoquent en même temps celles de ces petits muscles, et font naître des
bruits intenses.
Simultanément le petit muscle stapédius, qui reçoit un filet du facial, entrerait aussi en
action, d'après FicKet Lucae. Cependant on n'obtient plus de bourdonnements si l'on sai-
sit avec la main le pavillon en laissant libres les deux orifices du conduit. Les bruits
sont sans doute surtout dus aux secousses du pavillon et amplifiés par la résonnance
du conduit; d'ailleurs, le son du diapason vibrant sur la tête n'est pas modifié pendant
ces contractions bruyantes des peauciers auriculaires. C'est le nerf facial qui anime
directement le muscle stapédius, l'antagoniste du muscle du marteau, du tenseur.
Dans l'hémiplégie faciale, le muscle de l'étrier est paralysé; le tenseur prédomine;
l'équilibre est rompu; la membrane tympanique est attirée en dedans et tendue en excès;
aussi le diapason posé sur le vertex est-il latéralisé du côté paralysé.
On voit c[ue les deux muscles tympaniques antagonistes sont innervés par des nerfs
différents. Au moment des efforts de l'adaptation de l'organe, dans les bruits forts sur-
tout, le muscle tenseur, sans frein, refoule spasmodiquement l'étrier; il s'ensuit des
secousses douloureuses de l'appareil, qui cessent quand l'antagonisme est rétabli; enfin
il y a de ce fait affaiblissement de l'ouïe.
Les rapports du facial avec la caisse tympanique, les cellules mastoïdes et le conduit
auditif externe osseux expliquent la coïncidence fréquente des paralysies de ce nerf dans
les affections de l'oreille.
Un rameau du facial traverse la caisse du tympan sans s'y distribuer, c'est la corde
du tympan ; irritée dans certaines affections otiques, elle cause de la salivation et parfois
un état dystrophique de la muqueuse linguale du côté lésé (Politzeb, Ubbantschitsch)
dans les cas chroniques, et l'altération du goût.
L'influence de ce petit nerf sur la salivation, les rapports de celle-ci avec la dégluti-
tion, et par suite avec l'aération de la caisse du tympan, lui donnent une certaine impor-
tance au point de vue spécial de la fonction auditive.
L'oreille reçoit un rameau du pneumogastrique qui se distribue à la paroi externe de
la caisse, au tympan, et surtout à la partie interne du conduit auditif externe, et au
canal de Fallope.
C'est ce rameau qui est l'origine des curieux retentissements observés sur le larynx
et sur la fonction pulmonaire (aphonie, toux, voix enrouée, accès d'étouffement) au
moindre contact de la peau du conduit. On sait du reste que la respiration se suspend
quand on écoute ; ce nerf auriculaire est donc un nerf d'arrêt excité au choc de l'onde
sonore.
L'acoustique a de plus par ses racines des rapports très étroits avec les noyaux du
pneumogastrique et du glosso-pharyngien. D'après les recherches récentes de G. Fano et
G. Masini, de Gènes {Intorno airapporti fonzionali tra apparecchio auditive e centra res-
piralorio, 1893), les lésions de l'appareil auditif, celles du labyrinthe surtout, amèneraient
des troubles notables de la respiration.
L'arrêt de la respiration en inspiration forcée, par exemple, a été inscrit sur les
appareils enregistreurs au moment de la dilacération des canaux semi-circulaires; ces
perturbations seraient bien moindres si on lèse le limaçon.
Les auteurs insistent sur le caractère inhibitoire de ces actions réflexes d'origine
AUDITION. 907
otique; et proposent comme moyen d'étudier la sensibilité acoustique, l'inspection des
mouvements respiratoires; ces faits se rapprochent de ce qu'a vu F. Franck. D'ailleurs
les rapports de l'audition avec la phonation et l'articulation sont, on le sait, des plus in-
times. On observe également que les lésions du larynx s'accompagnent souvent de dou-
leurs otiques symptomatiques bien remarquables; j'ai constaté en pareil cas des lésions
scléreuses trophiques de l'oreille correspondante avec surdité.
Dans deux autopsies de lapins auxquels Laborde avait sectionné ou lié les pneumo-
gastriques, j'ai trouvé les bulles comblées, remplies d'un magma muco-purulent épais
et la muqueuse pâle plissés et très épaissie. On doit rapprocher ces effets trophiques de
ceux que produisent les lésions bulbaires, celles de la v= paire, et du sympathique
(M. DuvAL et Labobde. Racine descendante du trijumeau; Trav. du lab. de physiologie, t. i).
Les trompes d'EusiACHE et les caisses tympaniques ne sont-elles pas des diverticu-
lums de l'appareil respiratoire?
Le nerf glosso-pharyngien est le nerf de la gorge, et aussi de la caisse tympanique,
par le nerf de Jacobson. Beaucoup de sujets rapportent à la gorge les sensations causées
par les attouchements de la paroi interne de l'oreille moyenne.
L'innervation de la paroi externe (tympan) est plutôt fournie par le pneumogastrique
et le trijumeau; aussi les irritations limitées au pavillon tubaire, que ce nerf anime
également, sont-elles perçues du côté de l'oreille externe et rapportées au fond du con-
duit ; le nerf de Jacobson couvre la paroi interne de ses branches (plexus tympanique).
VoLpiAN irrite la caisse et provoque l'hyperémie immédiate de la gorge et de la moi-
tié de la langue correspondante. Le nerf glosso-pharyngien préside à la déglutition, à la
salivation et au goût. La déglutition, la salivation sont indispensables à l'aération de la
caisse; l'excitation de ce nerf sert donc à l'accomplissement de cette fonction. Cette
innervation commune du pharynx et de l'oreille rend celle-ci tributaire des affections de
la gorge.
F. Le nerf de "Wrisberg. Ganglion otique. — Ce petit nerf intermédiaire que nous
avons dit s'amastomoser avec l'acoustique au niveau du ganglion de Scarpa, c'est-à-dire
avec la branche vestibulaire ou excito-motrice de ce nerf, s'unit également avec le facial,
et se rend au ganglion géniculé, d'où partent les deux nerfs pétreux, dont l'un va au
ganglion otique.
Du ganglion otique un rameau se porte en arrière dans le muscle interne du marteau.
Lo.\GET croit que les filets du nerf intermédiaire se rendent au muscle de l'étrier et
au muscle interne du marteau : aussi le nomnie-t-il le nerf moteur tympanique. Lus-
SANA le fait venir du glosso-pharyngien, M. Duval a confirmé cet a j^riori par ses coupes
du bulbe; le nerf intermédiaire naîtrait du noyau du glosso-pharyngien.
L'origine du nerf intermédiaire de Wrisberg n'est bien connue que depuis les belles
recherches de M. Duval sur le bulbe.
Cet anatomiste a démontré qu'il n'est qu'une racine ei'ratique du nerf glosso-pha-
ryngien. Il naît par deux racines : l'une, sensitive, qui part du noyau sensilif de la
IX'' paire, l'autre, sympathique, naît de l'extrémité antérieure du faisceau solitaire de
Stilling ou colonne grêle, situé sur le côté interne du corps restiforme.
Ce petit nerf est donc à la fois sensible et doué d'une action trophique.
De plus, nous avons vu que le nerf facial ofl're avec le ganglion d'ANDERSCH un rameau
anastomotique qui l'atteint au-dessous de l'origine du rameau du stapédius. J'ai toujours
pensé que le glosso-pharyngien fournissait aux muscles tympaniques un élément pour
associer leur contraction avec la déglutition.
Le spinal est le nerf moteur de l'orientation et de la rotation de la tête ; il obéit à la
sensation acoustique (réflexe) et à la volonté. Je n'ai pas à rappeler le rôle des muscles
sterno-mastoïdiens et de ceux du cou dans les mouvements de recherche du corps
sonore. C'est au niveau du bulbe que se font ces excitations de voisinage des noyaux
contigus à l'acoustique, et des faisceaux de la moelle allongée. La zone psycho-motrice au
contraire commande les mouvements volontaires et conscients; mais la sensation d'ac-
tion musculaire peut suffire à donner l'orientation.
G. Des centres trophiques de l'oreille; centres vaso-moteurs. — Centres bul-
baires. — Tout le monde connaît les belles expériences de Claude Bernard relatives aux
influences vaso-motrice et trophique sur l'oreille des sections du sympathique cervical ou
908 AUDITION.
de l'arrachement du ganglion cervical supérieur; la dilatation vasculaire, la chaleur
accrue, etc.
Les lésions du hulbe oculaire et des parties profondes de l'oreille, sur lesquelles j'ai
appelé déjà l'attention, montrent l'influence de ces rameaux du sympathique qui se
jettent dans le plexus tympanique et se distribuent avec les vaisseaux de l'oreille interne.
En second lieu nous venons de mentionner l'action trophique du nerf trijumeau.
WiETT d'autre part rapporte et flgure des lésions trophiques observées après les
traumatisnies et sections des nerfs pneura ogastriques sur le lapin. Ces faits indiqueraient
donc une action trophique réflexe évidemment par le bulbe (Wiett. D. P., 1881).
Les lésions bulbaires ont en efl'et sur l'oreille une action trophique remarquable. Au
cours de leurs recherches sur la racine descendante du trijumeau, Labohde et M. Duval
ont observé des troubles trophiques très caractérisés de l'œil, tandis que dans la bulle
et dans l'oreille interne des opérés, je constatais des héraorrhagies, des inflammations,
de la suppuration, etc., sur les cobayes ou lapins qui survivaient aux expériences: un
d'entre eux fut même atteint tardivement de vertige de Ménière, dû aux mêmes alté-
rations consécutives du labyrinthe et de la bulle (B. B).
Il n'est pas rare de rencontrer des sujets frappés à la fois de cécité et d'otorrhée uni-
latérales dès l'enfance. Le rapport de cause à effet des deux afi'ections n'est peut-être
point difficile à établir; la lésion du rocher qui cause l'otorrhée peut en effet avoir lésé
le ganglion de Gasser, si proche du tcgmen tympani, et provoqué des lésions trophiques
consécutives.
Au reste j'ai observé et constaté ces lésions consécutives de la cornée sur un cobaye
auquel j'avais dilacéré et fait suppurer la bulle dans mes recherches sur le limaçon :
l'abcès avait soulevé et envahi le isanglion de Casser (B. B.).
H. Les sensations acoustiques ; leur perception; l'attention; la mémoire,
l'imitation, l'éducation, la phonation identique. — La psychologie de la sensation
acoustique, c'est-à-dire l'analyse des états de conscience et de l'intellect qui sont provo-
qués par elle ou qui la modifient et réagissent sur sa perception forment une étude nou-
velle.
Elle a été surtout systématisée et fouillée au moyen des procédés et méthodes d'ana-
lyse scientifique actuellement usités dans ce qu'on appelle « la psychologie expéri-
mentale ».
Au cours de cette étude de l'audition j'ai montré à chaque pas les rapports intimes
qui unissent l'excitant, l'excitation et la perception. La réaction individuelle psychique,
l'action de l'éducation du sens, de l'attention, de l'excitation imprévue, ou attendue, de
la fatigue, des aptitudes personnelles, modifient absolument l'effet produit, indépen-
damment des sensations de plaisir ou de déplaisir qui accompagnent la perception des
sons. Nous ne répéterons pas tout ce qu'après Helmholtz nous avons dit à ce sujet au
chapitre de l'audition par lequel débute ce travail.
On a pu étudier l'attention auditive, l'aptitude fonctionnelle, l'eft'et de la fatigue; la
durée. de Fexcilation, sa persistance, l'association, la fusion de ces éléments simples
acoustiques au moyen des sensations auditives même; au moins tout cela a été tenté.
D'un autre côté on a cherché à étudier par la sensation la fonction psychique supé-
rieure qu'elle excite, jugement, imagination, attention, mémoire, etc. La sensation étant
connue, on peut en effet analyser et comparer ses divers modes d'action sur les centres
nerveux.
Ainsi on a démontré expérimentalement que la sensation auditive, comme la sensa-
tion tactile, offre des alternatives d'intensité et d'affaiblissement suivant que l'attention
est vive ou se fatigue; et qu'il en résulte pour elle des oscillations qui sont manifestes :
l'attention auditive s'est montrée ainsi subissant des modifications telles que la sensation
semble intermittente (V. Attention).
J'ajouterai que le phénomène est déjà évident chez les femmes, les enfants et dans
l'état pathologique, où nous constatons les intermittences très nettes dans le phénomène
sonore perçu à la limite de la perception auditive du sujet (Urbantschitsch, loc. cit. —
Gellé. Études d'otologic, 1880, t. i). — Lange, Études psi/chologiques, 'p. 178 (en russe),
Odessa, 1893). — Munsterbebg [Beitràge f. exp. Psych., t. ni, et E. Place {Phii.
Stud.). — A. Bi.NET [Introduction à la psychologie expérimentale, 1894, p. 4o). On a pu
AUDITION. 909
calculer ainsi expérimentalement la durée d'une oscillation de l'attention (lie tac de
la montre) qui serait égale à 4 secondes. Ces études intéressantes, encore à leur début,
n'ont qu'un inte'rêt relatif au point de vue de l'audition : nous ne pouvons nous y arrêter,
mais nous devions les signaler.
La mémoire auditive, celle des images auditives, a été analysée dans les études connues
de Ballet, Ribot, Sthickee, etc. Je note encore qu'on a calculé la durée du temps de réac-
tion, de l'acte réflexe consécutif à une audition. Le temps serait égal à îiO o (le a équi-
vaut à 1 millième de seconde); tandis que l'acte'volontaire, la réaction voulue, a été re-
connu se produire à un intervalle de ISO <s. (Ch. Richet. Essai de psychologie générale.
— BiNET, loc. cit. — WuNDT. Éléments de psychologie physiologique, trad. Élie Rouvier.
— Reaunis. Revue phil., xxv,p. 369, — Féré. Sensation et mouvement. — Buccola. La leggc
del tempo nei fenomeni del pensiero, 1881, p. 229. — Jastrow. The times of mental phe-
noma, New- York, 1890.)
Au point de vue de l'accommodation des oreilles, la faible durée du temps de l'exci-
tation réflexe est très importante à signaler.
A l'égard de la mémoire on a vu par l'étude récente de Cbarcot sur Inaudi qu'elle
est aidée par la mémoire de l'articulation (Charcot et Binet. Un calculateur du Jype
visuel. Bévue philos., 1893). Au moyen du microphone enregistreur de l'abbé Rousse-
lot, ces auteurs ont pu noter les essais, les tâtonnements de Jacques Inaudi avant
l'émission du chifîre qu'on lui a lu. Ces modes de rappel sont marqués sur les graphiques
d'une façon très lisible (Binet, loc. cit.). D'ailleurs Charcot a montré qu'iNAUDi est un au-
ditif, et qu'il répèle mentalement et sur les lèvres en même temps les notes et les chif-
fres qu'il retient.
On voit là combien de sensations, de mouvements, d'associations complexes senso-
rielles et psychiques se groupent autour du phénomène et de l'acte de l'audition.
La différenciation s'opère dans l'organe périphérique; l'intégration, lacoordination est
un acte cérébral; là encore, il se produit des excitations nouvelles, des éveils d'idées,
dont l'audition colorée est un exemple. On sait d'autre part l'influence de l'ouïe sur
l'éducation de la parole et du chant; une voix juste naît d'une oreille juste.
En fait d'excitations dues à celles de l'ouïe, il en est une dont je veux dire quelques
mots plutôt pour provoquer à son sujet de nouvelles recherches.
J'ai constaté que l'audilion prolongée de bruils intenses échauffe le pavillon et l'o-
reille ; souvent la température générale s'en trouve accrue. Le phénomène est plus pro-
noncé après une audition musicale (opéra), de masses instrumentales et chorales, sur-
tout après les chants bien rythmés.
Ne peut-on rapprocher ces faits des conclusions du travail de Max Ott (1889) sur les
centres thermo-génétiques cérébraux; en eft'et, cet auteur a signalé comme l'un de ces
centres la région temporo-sphénoïdale, siège du centre acoustique, on le sait. Landois
(1888), sur le chien, d'autre part, avait montré l'élévation de la température due aux
lésions expérimentales de la zone psycho-motrice.
I. Centres d'associations motrices des mouvements coordonnés de l'œil et
du pavillon auriculaire. — Je ne puis que rappeler que Ferrier ayant excité la pre-
mière circonvolulion temporale, a constaté que l'oreille du côté opposé se dresse et que
les yeux se portent dans le même sens; l'association motrice est évidente.
Ch. Richet enlève les circonvolutions temporales du lapin; celui-ci devient absolument
sourd; ses yeux seuls lui indiquent les mouvements qui se font autour de lui; on voit
son pavillon auriculaire se tourner d'avant en arrière, avec l'œil qui suit l'observateur,
montrant la synergie fonctionnelle des deux organes des sens et leur association au point
de vue de l'orientation.
J. Perception centrale. — L'influence prépondérante du système nerveux central se
manifeste dans la perception unique avec deux sensations latérales, difl'érentes d'inten-
silé, de timbre, de tonalité.
L'expérience suivante montre bien cette puissance des centres nerveux pour l'analyse
des sons jusqu'au phénomène de la vibration simple inclusivement. Nous avons exposé,
d'après Helmholtz, la décomposition des sons en leurs composants telle que le sens de
l'ouïe l'opère. Cette flnesse d'analyse apparaît de même dans l'audition des baltements.
On sait comment ils se forment; c'est un résultat d'interférence. Deux diapasons la 3
910 AUDITION.
fournissent des ondes qui évoluent dans le même temps ; mais l'un d'eus est légèrement
de'saccordé par l'addition à l'une de ses branches d'une petite masse de cire ; ces deux
diapasons la 3 sonnant en face d'une oreille donnent la sensation de ronflement du son
si les intermittences et les renforcements sont rapides, et de battements s'ils sont plus
lents. Les ondes se fusionnent dans l'air, dit la théorie, et périodiquement une onde plus
faible ou plus forte se produit qui modifle la sensation aussitôt.
L'expérience suivante de Gellé montre que les ondes n'onl pas besoin de se fusionner
dans le milieu aérien, pour que les battements apparaissent. En effet si, par un disposi-
tif simple, on fait arriver à chaque oreille isolément le son de l'un des diapasons désac-
cordés, la fusion aérienne n'a plus lieu ; et cependant la sensation du battement se pro-'
duit. Il suffit donc de deux excitations latérales, isolées, de l'espèce indiquée, c'est-à-dire
de deux sons très proches, comme ceux des deux diapasons désaccordés, pour qu'il se
forme dans le sensorium commun, l'impression de battements. J'ai réalisé ce dispositif
expérimental comme suit : On adapte à chaque conduit auditif, un tube de caoutchouc
long de quatre à cinq mètres et dont les extrémités aboutissent chacune dans une pièce
séparée et isolée; à un signal donné, les deux diapasons mis en vibration sont portés
à l'Qritîce des tubes; le phénomène du battement apparaît aussitôt. On ne peut admet-
tre qu'il y ait, ici, aucune participation du milieu ambiant à la production du phénomène.
Ainsi deux excitations, agissant isolément sur chaque organe, vont directement aux
centres qui les associent et perçoivent les variations interférentielles par le simple effet
de l'action des deux impressions l'une sur l'autre. Cette expérience met en évidence
l'unité psychique. On voit que la présence du milieu aérien n'est pas indispensable à la
genèse des battements.
On peut en conclure, de plus, que tessons arrivent dissociés en leurs éléments simples
dans le cerveau; les excitations composantes s'unissent là seulement de telle façon que
les renforcements et les affaiblissements de la sensation peuvent y naître.
Ainsi le deriiier mot appartient aux centres nerveux; c'est là que se noue ce qui a été
dénoué par les organes périphériques. Dans le cerveau, ce sont des excitations nerveuses
et non des vibrations qui s'associent; dans les battements l'excitation unifiée est périodi-
quement atténuée et renforcée.
Des appareils de l'audition dans la série animale. — Tout ce que nous con-
naissons du monde extérieur se réduit à une série d'états de conscience se déroulant
dans le temps, dont nous objectivons les causes dans Vesjmce, à l'aide des sensations, et
que nous localisons dans des organes spéciaux, les sens (H. Bouasse, 1895, Introduction
à l'étude des théories de la mécanique).
L'oreille est un instrument, celui du sens de l'ouïe. Les vibrations qui agitent le
milieu agissent mécaniquemenl sur elle, soit par pression, soit par choc; il s'y ajoute
un travail, déplacement ou ébranlement moléculaire, puis un effort d'adaptation d'où
naît la fatigue, caractéristique du travail de l'appareil sensoriel en rapport avec la force
du courant vibratoire. L'oreille est un instrument acoustique; elle éprouve et conduit
les vibrations ; son nerf les perçoit.
Nous allons étudier le développement de l'organe de l'ouïe dans la série animale et
montrer en quel point de cette série l'appareil se différencie, se spécialise des autres
organes du tact, et quelles sont les parties qui apparaissent les premières dans cette
évolution progressive qui aboutit à la constitution du labyrinthe de l'homme, coiffé de
deux appareils de transmission et de perfectionnement.
La fonction auditive est la résultante de pressions, de chocs, d'un travail intra-auri-
culaire qui leur succède et que l'acoustique ressent; certes, ce sont là les éléments de
la mécanique.
La sensation auditive naît d'une communication de mouvements.
L'appareil auditif est dérivé de l'ectoderme; cela indique assez combien l'audition
a de rapports avec le sens tactile ; mais le sens de l'ouïe apporte à la conscience la
notion d'un mouvement spécial du milieu, bien différent du contact, bien qu'on ait dit,
avec raison, que l'audition est un toucher à distance.
Il n'y a qu'un pas du choc, de la pression, à la vibration; en effet, celle-ci naît d'un
choc, mais suivi du retour élastique de la partie touchée, et dure jusqu'au retour à la
position d'équilibre.
AUDITION.
911
/"
i-
92. — Organe auditif de VUnio : for
sèment,
i nerf. — 6, la vésicule auditive. — (
Iules vibratiles. — d, l'otolithe.
Dans le toucher, l'action de celui-ci s'arrête au contact; dans l'oreille, l'e.\citation se
propage, s'étend; c'est un courant qui passe sur les éléments sensoriels. On sait que
beaucoup de sons graves impressionnent la peau d'une façon très caractéristique; sans
doute l'impression pénètre plus loin. Mais si une -pression, un choc sont les excitants
des organes tactiles et le point de départ des sensations du toucher, l'énergie vibratoire
se manifeste d'autre façon, par une transmis-
sion de mouvements, grâce à l'élasticité de la
partie influencée, laquelle se meut à son tour
et propage le courant dans le sens donné.
L'énergie vibratoire estune force spéciale ;
elle associe certains ébranlements des
corps entre eux.; et cette union dans le mou-
vement oscillatoire est une source de la con-
naissance; d'ailleurs la vibratilité est une
propriété générale des corps élastiques.
Dans les organes auditifs, elle s'affine et
prend une puissance particulière grâce aux
appareils délicats, susceptibles d'éprouver
et de transmettre aux centres nerveux les
plus légères oscillations du milieu vecteur.
Par suite, toutes les dispositions organi-
ques qu'on a découvertes chez les animaux
inférieurs et qu'on admet comme adaptées
à la fonction de l'ouïe, devront satisfaire à
certaines exigences de structure pour subir
l'énergie du courant vibratoire à son pas-
sage, et le propager.
Un appareil spécial vibratile est donc nécessaire pour éprouver les ébranlements et
pour orienter, limiter la perception, et un nerf spécifique indispensable pour constituer
un organe du sens de l'ouïe.
Cet organe d'analyse apparaît en même temps qu'un système nerveux chez les inver-
tébrés; il s'y montre dans sa plus grande sim-
plicité. C'est un début dans la différencia-
tion.
Les Cœtedtéî'és offrent les premiers vestiges
d'un système nerveux en communication
avec des cellules sensorielles de l'ectoderme,
dites neuro-épithéliales (L.ank.-vster), et d'un
organe de transmission des ébranlements.
Une vésicule, sur sa paroi interne, une cou-
che de cellules neuro-épithéliales et des
nerfs afférents; à l'intérieur une masse so-
lide, mobile, l'otolithe ; telle est la première
composition d'un organe auditif.
Chez les Méduses apparaissent les pre-
mières formations otocystiques (vésicules
auditives).
Chez Phialidium, d'aprèsO.et R. Hertwig,
une vésicule de dimensions assez grandes,
renfermant un otolithe, est en rapport intime avec un renflement de l'anneau nerveux
marginal (voir fig. 93).
Sa paroi intérieure est tapissée d'une couche de cellules auditives (cellules cylin-
driques) à plateaux ciliés (soies auditives). Entre elles se voient les pointes des cellules
fusiformes sensitives qu'elles soutiennent; celles-ci envoient au cumulus de cellules
nerveuses un prolongement variqueux qui les met en rapport direct avec l'anneau
nerveux supérieur de l'ombrelle (0. et R. Hertwig).
Il est bon de remarquer que les cellules de l'anneau nerveux inférieur, qui reçoit
épithélii
■ Organe auditif de Phialidium
(Hertm-ig).
de la surface supérieure du ve-
, épitliélium de la surface infé-
rieure. — hh. poils auditifs. — A, cellules audi-
tives. — up, coussinet nerveux. — ni\ faisceau
nervcu.\. — ?*, canal circulaire bordant le ve-
912
AUDITION.
FiG. 94. — Organe auditif de îiltopalonema. montrant
encore un petit orifice (d'après Hert\vigj.
hk. tentacule modifié. — o, organe auditif.
du supérieur de nombreuses fibrilles, fournissent aux muscles surtout. Ainsi que le
remarque Be.^unis (p. 140), il y a déjà là une différenciation du système sensitif et du
système moteur. L'action réflexe partie du neuro-épilhélium vient exciter le muscle.
Les rapports de ces vésicules, auditives multiples avec les organes des mouvements
chez les Cténophores en font, au dire de ce physiologiste, peut-être des organes de direc-
tion déterminant le sens des mouve-
ments.
La vésicule auditive est ouverte ou
close suivant les espèces.
Chez Rhopaloïiema, la concrétion
otolithique est portée sur une tige
flexible; et tout autour s'étendent de
longs poils raides qui hérissent la paroi.
Dans le pédicule s'épanouit le nerf
qui se distribue aux cellules de l'oto-
cysLe.
Telle est la disposition générale des
formations otocystiques. Disons tout de
suite que nous retrouvons constamment
ces deux cellules associées comme base
de l'appareil auditif.
De la Méduse à l'homme l'élément fondamental restera ce groupe de cellules cylin-
driques ciliées et de cellules fusiformes accolées (H.\sse, Leydig, 0. et R. Hertwig,
Paul Meyer). De plus, nous retrouverons toujours aussi ces concrétions incluses dans
les vésicules auditives; car ce sont là les parties indispensables dans la structure d'un
organe du sens de l'ouïe. L'otolilhe mobile, simple ou multiple, transmet aux extré-
mités des cellules neuro-épithéliales les oscillations reçues, el sans doute le sens du
mouvement. On comprend qu'ici ces
sensations sont d'un ordre inférieur;
mais elles diffèrent cependant de celles
du tact par la durée des ébranlements
subits en r apport avec la nature et l'in-
tensité de la force agissante : c'est
l'annonce et l'effet d'un mouvement
vibratoire extérieur.
D'après H-\sse, Waldeyek, Deiters,
Key et Retzius, Leydig, Paul Meyer,
Schdltze, Lakkaster, Beauregabd,
Chatin, CûYiNE, etc., les filaments al-
longés qui naissent des plateaux des
cellules cylindriques, les cils s'agglo-
mèrent souvent et forment alors une
saillie compacte, tantôt conique, tan-
tôt triangulaire ou en bâtonnets à
laquelle, dans son étude sur le sens
auriculaire de l'espace, Bonmeb (p. 2.^)
accorde un rôle particulier.
Verworn, analysant le rôle de l'otolithe, y voit les premiers linéaments de l'organe
du sens de Téquilibre, de la station et de la direction des mouvements.
L'étude de la vésicule auditive et de l'otolithe de Callianina bialala est très suggestive
à ce point de vue (de Varigny, L Breuer, etc.).
Les Echinodermes ont ces appareils spéciaux peu distiHcts; on trouve cependant
dans Elpidia giacialis {holothurie) des vésicules avec otolithes (Beadnis, p. 32).
Les Vers n'offrent que de rares vésicules auditives qui contiennent un otolithe : elles
siègent soit sur l'extrémité céphalique, soit sur les segments suivants. Beaunis remarque
que ces organes existent surtout chez les genres dépourvus de taches oculaires, fait
qui a été constaté aussi chez les Cœlentérés (Brehm).
FiG. 95. — Organe auditif de Ptfrotrachea Friderici
(d'après Claus).
Nrt. nerf auditif. — c, cellules centrales. — rf, plaque de
support. — 6, cercle e.xterne de cellules auditives. —
rt, cellules à cils.
AUDITION.
913
FiG. 96. — Queue de IMj'sis montraut
l'organe auditif découvert par Frey
et Leuckart.
Chez les Crustacés les organes auditifs sont constitués par des vésicules auditives
ouvertes (écrevisse), ou closes (homard) et situées dans l'article basilaire des antennules
(Milnk-Edwards, Fabre, Huxley, Beaunis, Leuckart, Claus, Beauregard, Chatin, Hensen).
He.nsen', dans une expérience restée célèbre et citée à l'appui de sa théorie par
Helmholtz, a pu constater les osciilalions des poils auditifs de la surface du corps de la
Mysis sous l'action de sons déterminés. Il a observé
aussi que l'otolithe offrait les oscillations les plus éten-
dues du côté des bâtonnets les plus longs, et vice versa.
Depuis, on a fait des observations analogues sur les
poils auditifs du Carcinus menas (Hensen, Gegejnbaur,
Huxley, Leydig).
Les organes auditifs des Arachnides sont inconnus. On
ne peut toutefois leur refuser le sens de l'ouïe qui, au
contraire, est fort développé chez l'araignée (Voyez sur
ce point les développements ingénieux donnés plus haut
par Plateau, (Art. Arachnides).
Chez les Insectes dont la masse nerveuse cérébrale
est déjà développée, on est étonné de ne point aper-
cevoir un centre ou renflement cérébral auditif, ana-
logue à celui qui existe pour l'oeil^ très différencié
déjà (LuBBOCK, Leydig, Chatin). Les fossettes décrites
sur les antennes, au fond desquelles s'insèrent des
cônes olfactifs, ont-elles rapport à l'audition? on ne sait.
D'après les expériences de Lubbocr, la sensibilité audi-
tive serait très obtuse chez les abeilles, les guêpes, les fourmis. Beaunis fait à ce propos
cette réflexion pleine de sens : les sons mêmes qu'émettent les insectes démontrent
chez eux l'exislence de l'audition (p. 123).
Cependant chez les acridiens, les locustides-gryllides, on a pu s'assurer qu'il existe
de véritables organes de l'ouïe, logés tantôt dans la partie postérieure du niétathorax,
tantôt dans les jambes antérieures.
Parfois une vésicule trachéenne cor-
respond à la membrane vibrante.
Leydig figure l'appareil auditif d'une
sauterelle. On y voit un nerf auditif
terminé par une intumescence gan-
glionnaire, touchant une membrane
vibrante enchâssée dans un cadre
corné; et à la surface de celle-ci
trois pièces chitineuses rayonnant du
ganglion nerveux, une cylindrique,
une en marteau, l'autre aiguë à son
extrémité, dont la fonction est peu
connue (Chatin, H. Faure, Nuhn et
ViTus Graber) (1881).
Les Brachiopodes sont dépourvus
d'organes sensitifs spéciaux; mais à
l'état larvaire quelques-uns possèdent
des vésicules auditives qui disparais-
sent dans le cours du développement.
Chez les Mollusques, les organes au-
ditifs sont très répandus et des mieux
connus.
L'olocyste est proche des ganglions sous-œsophagiens (escargot, paludine, limace) ;
mais, d'après de Lacaze-Duthiers, le nerf acoustique vient des ganglions cérébraux (li-
mace des champs).
Il y a en général deux otocystes; contenant tantôt unseul otolithe pédicule, ou non,
arrondi, et tantôt plusieurs (poulpe).
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. t;S
FiG. 97. — Partie externe d'une coupe de tibia de Giillus
vlridissimu.^ (d'après Graber).
A, surface postérieure de la jambe. — p, paroi de la tra-
chée. — o\V, paroi trachéale. — TN, nerf. — gz, cellules
ganglionnaires. — E. Sch, tubes terminaux des cellules
ganglionnaires contenant chacune un bâtonnet auditif.
— Ffl, filaments terminaux de ces tubes.
9U
AUDITION.
Chez les Céphalopodes la vésicule otocystique offre des saillies; elle est comme
lobulée (Sepia), et elle est enclose dans le cartilage céphalique (dibranches), condition
très importante, ainsi qu'on le verra plus loin.
Les Décapodes ont également des vésicules inégales, à dépressions et saillies.
Chez certains Céphalopodes cette fragmentation incomplète de la vésicule, par des
sillons, a déjà donné l'idée d'une ébauche de canaus J semi-circulaires (Kovalesky,
OWSJANNIKOW, ReTZIDS).
p. BoNNiER insiste sur la division de l'otolithe en plusieurs parties, sur sa multi-
plicité; malgré l'import-ance donnée par tant d'auteurs à l'otoconie, il en tire cette
conclusion que son influence est abaissée; c'est le liquide intra-vésiculaire (endolym-
phatique) dont désormais les oscillations vont jouer le premier rôle dans l'acte d'exciter
le nerf auditif en circulant dans les cavités surajoutées. Les frottements du liquide
au passage des sillons, bientôt transformés en canaux, deviendraient l'origine du sens
de la direction des courants liquidiens inlra-otocystiques. A ce propos, il faut noter
aussi que chez les Céphalopodes on
e rencontre de véritables crêtes acous-
tiques correspondant à des nerfs et
couvertes de cellules sensorielles,
comme chez les vertébrés (Ranke,
BoLL, Leydig, de Lacaze-Duthiers), au
niveau des rudiments d'ampoule.
Les Gastéropodes offrent le même
type d'otocystes, mais plus simple.
Les lamellibranches de même
(de Lacaze-Duthiers, Claparède, Wal-
DEYER, Leydig) n'ont qu'un seul oto-
lithe.
On voit le développement que
l'organe auditif prend peu à peu;
les appareils de différenciation de-
venus bilatéraux se subdivisent et se
compliquent pour répondre à des
fonctions nouvelles. Quelles que
soient les interprétations plus ou
moins hâtives et hypothétiques des
auteurs, on constate une gradation
continue dans l'évolution de la vésicule première et une complication graduelle de sa
forme et de sa structure et dans la distribution nerveuse.
Chez les Tuniciers (larves d'Ascidie par exemple) on trouverait tournée vers la cavité
cérébrale une crête acoustique surmontée d'un otolithe; parties qui disparaissent à
l'état de complet développement (Kupffer, Kowlaesky, Hœckel). Chez l'Amphioxus
(Huxley) on ne trouve aucun vestige de ces formations d'organes sensoriels.
Chez la Myxine les essais de segmentation de l'otocyste sont accomplis. Retzius
a décrit chez la. Mi/œine, dont l'appareil otocystique en anneau est inclus dans le cartilage
céphalique, l'apparition d'un canal annexe de la cavité vésiculaire en forme de cylindre
semi-circulaire, offrant une crête sensorielle au niveau de l'ampoule par laquelle une
de ses extrémités s'ouvre dans la grande vésicule centrale auditive.
Il n'y a qu'un canal chez la Myxine.
Il faut insister ici sur cette addition récente de l'enveloppement de l'appareil vési-
culaire dans une carapace solide, cartilagineuse et close.
Cette condition nouvelle apparaît chez les arthropodes. La vésicule molle primordiale
est incluse dans un réceptacle résistant; cela modifie avantageusement sa fonction; cela
exige une fenêtre ouverte sur le dehors pour l'accès du courant vibratoire; et, par suite,
l'orientation est instituée, les appareils étant doubles.
Mais il y a plus ; cette résistance, que l'enveloppe oppose au choc vibratoire, dote
ipso facto l'organe du pouvoir de percevoir les variations de la pression intérieure
(intra-vésiculaire, intra-labyrinthique); ces cavités étant remplies d'un liquide péri-vési-
FlG. 98. — Organe de l'i
cm-tilesceus) vu à
(ÎQ duue
m faible :
ïauterelle {Acr
grossissement.
:. nerf acoustique terminé par un ganglion. — 6, c, d, trois
saillies épineuses situées à la surface du tympan. — '?. sur-
face oii se trouvent les terminaisons du nerf. — /*, châssis
corné de la membrane du tympan.
AUDITION. 915
culaire; et l'on ne s'étonnera pas de ]a remarquable coïncidence de l'apparition des
canaux semi-circulaires à ce degré de l'éclielle zoologique.
Il 3' a là une disposition nouvelle ajoutée à l'otocyste primitif, et sans doute les pre-
miers indices d'une nouvelle fonction annexe de l'audition.
Il existe deux canaux chez les Pétromyzontes et les Ammocètes (Breschet).
Mais, dès lors, dans la série zoologique, en même temps que se développe et se
complique la structure des centres nerveux, tous les animaux offrent dans chaque
appareil auditif labyrinthique trois canaux semi-circulaires (poissons, amphibies, rep-
tiles, oiseaux, mammifères).
Ainsi, après la vésicule otolithique, premier indice d'un organe spécial de l'audition,
apparaissent, avec leur disposition caractéristique presque invariable, ces canaux,
annexes de la vésicule centrale, qui se montrent bien avant le limaçon; ce qui indique
qu'ils remplissent une fonction plus générale, prépondérante et commune à tous les
vertébrés, c'est-à-dire aux animaux pourvus d'une moelle et de vésicules cérébrales.
J'ai insisté sur cette simultanéité de développement des masses nerveuses (moelle,
bulbe, cerveau) et des trois canaux bilatéraux que j'ai pensé leur correspondre (Gellé,
Études d'otologie, ii, Canaux semi-circulaires, 1888).
Parallèlement, les autres parties de l'organe auditif se développent graduellement;
leur formation est surtout influencée par le milieu dans lequel vit l'animal. Un appareil
de perfectionnement intermédiaire se place entre le milieu vecteur et la partie seusi-
tive; mais l'élément principal est le bâtonnet auditif, soutenu par les cellules cylindriques
ciliéesincluses dans un labyrinthe (R.iNKE, Leydig, Huxley, Balfour, Weber, de Lacaze-Dl'-
THIERS).
La fenêtre qui fait communiquer la vésicule auditive avec le milieu extérieur est
membraneuse d'abord; puis c'est une plaque calcaire (poissons); enfin l'étrier fait
saillie, confondu avec la columelle (oiseaux), puis différencié totalement (chéloniens,
mammifères).
Chez les Poissons, l'oreille est réduite au labyrinthe, lequel se compose d'une cavité
centrale ou vestibule, dans laquelle on trouve au milieu du liquide périlymphique ou
exolymphique l'utricule; et de trois canaux semi-circulaires en général très développés;
mais il n'y a pas de limaçon.
Chez la Murène (Hasse et Nuhn), et chez la plupart des poissons, on trouve une forme
de saccule, et un vestige, rudiment probable de limaçon, indistinct; l'apparition du sac-
cule est à noter surtout, ainsi que son union par un canal avec l'utricule et avec le canal
endolymphatique (Retzius, Hasse). Les ampoules des canaux semi-circulaires offrent
des crêtes acoustiques couvertes de cellules sensorielles; l'utricule et le saccule ont tous
deux une plaque sur laquelle les éléments neuro-épithéliaux sont disposés; l'endolyniphe
remplit les cavités, et l'otoconie (ou sable auditif) retenu dans une formation cellulaire
couvre surtout les éléments ciliés criniformes et les bâtonnets sensoriels: enfin un
énorme otolithe, oblong, plat et dur, oscille dans l'utricule.
Chez les Sélaciens, ces organes offrent un degré plus perfectionné de développement,
mais restent analogues.
Ciiez les Plagiostomes, un passage ou canal (canal ascendant), aboutissant à la région
occipitale et s'y ouvrant, fait communiquer la vésicule auditive avec l'extérieur (Gefitioy,
Weber, Breschet, Duméril, Wiedershein); ainsi se transmet la pression du milieu.
Chez les Poissons, cette vésicule offre aussi dans certaines espèces des rapports
étroits avec la vessie natatoire, soit directement, soit par l'intermédiaire d'une chaîne
d'osselets (appareil de Weber) ou de diverticulums aboutissant à un réservoir basilaire
(A. Moreau). Wiedershein, Testut, Bonnier regardent les sacs endolymphatiques de
l'homme comme le vestige des canaux si remarquablement développés ici.
On doit conclure, de ces importants et curieux rapports, que l'organe auditif est
influencé par les variations de pressions et susceptible de les percevoir.
L'augmentation de volume de l'air de la vessie natatoire provoque l'ascension du
poisson, et, par suite, une diminution de la pression sur le labyrinthe. L'appareil des
osselets de Weber et ses muscles auraient pour but de protéger le labyrinthe contre
ces écarts.
Le cysticule, diverticulum du saccule, n'a pas l'importance que Deiters a voulu lui
916 AUDITION.
donner; Breschet a bien vu qu'il ne reçoit aucun filet nerveux distinct (Chatin, p. 377).
Chez les Batraciens l'endolymphe a une consistance plus visqueuse et prend un
aspect lactescent.
La trompe d'EusTACHE est large (grenouille) et s'ouvre dans la cavité pharj'ngée; les-
cils vibratiles de la muqueuse entraînent les poussières dont on couvre celle-ci du côté
du pharynx (M. Duval).
Le tympan est à fleur de peau; une columelle, tigelle mince, de forme variable, le
met en rapport avec la fenêtre ovale; l'étrier est indistinct.
Il n'y a pas d'oreille externe; mais l'oreille moyenne est pour la première fois très
évidente; c'est un diverticulum du pharynx; cependant, chez cevtaines espèces (prêtée,
bombinator, salamandre), la caisse manque; et chez beaucoup la columelle manque
aussi (axolotl).
Une remarque importante, c'est que le labyrinthe ne s'ouvre sur cette caisse tym pa-
nique que pai une seule fenêtre, fenêtre ovale qui reçoit l'extrémité de la columelle,
formant un rudiment d'étrier.
L'absence de limaçon explique-t-elle suffisamment celle de la fenêtre ronde? La
conformation de la caisse et la constitution du tympan, plan, tendu, épais, dur, et demi-
ossifié parfois, rendent sans doute inutile un second orifice de dégagement du laby-
rinthe chez ces animaux. Retzius et Hasse signalent chez la salamandre un indice de-
limaçon.
Chez les Reptiles, l'organe auditif offre des différences extrêmes de développement
suivant les espèces; dans les Crocodiliens, il rappelle les types les plus parfaits des
oiseaux, et chez les Ophidiens, il se rapproche de celui des Batraciens.
Il n'y a pas d'oreille externe; à peine un repli ou bourrelet cutané chez les Croco-
diliens.
Chez les Serpents, la peau recouvre le tympan qui est indistinct; chez eux la caisse
manque aussi, mais elle est assez développée chez les Chéloniens et Crocodiliens.
Ces derniers out des trompes d'EusiACHE souvent réunies en un seul orifice pha-
ryngien (OwEN, in Chatin, p. 370).
De plus, les cellules mastoïdiennes se montrent chez les Crocodiliens et quelques
Sauriens (Milne-Edwards).
La chaîne des osselets est représentée par une columelle souvent garnie de pointes
qui rappellent les apophyses du marteau chez les animaux supérieurs.
Chez les Sauriens, on distingue assez bien un étrier et un marteau; et un muscle
s'insère sur l'extrémité tympanique de cette tige complexe.
Chez les Serpents, la fenêtre ovale est couverte d'une plaque d'où part une tigelle
comprise et englobée dans la peau et le tissu sous-cutané.
11 faut remarquer que dans cette classe toutes les espèces ont un labyrinthe offrant
deux fenêtres constantes. Le labyrinthe est composé d'un vestibule, avec une caisse
acoustique et des otolithes, de canaux semi-circulaires comparables à ceux des oiseaux;
mais chez les Crocodiliens, de dimensions très inégales, à peine indiqué chez les Amphi-
biens. Le limaçon ici apparaît complet pour la première fois; il est extrêmement simple,
il se sépare du saccule, il a deux rampes, une vestibulaire, une tympanique; et la dis-
tribution des filets nerveux rappelle celle du limaçon des animaux supérieurs; il décrit
environ un quart de spire.
Sur le plancher du quatrième ventricule, en dehors des cordons ronds, on voit en
avant et de chaque côté un tubercule, tubercule acoustique, qui donne naissance au nerf
acoustique; on trouve même chez les crocodiles une sorte d'ébauche du lobe temporal
(BeAUiMS, loc. cit.).
L'ouïe est obtuse chez la tortue; et très fine chez le lézard et les crocodiles, égale-
ment plus intelligents.
Le système nerveux des oiseaux s'élève d'un degré encore dans l'échelle du dévelop-
pement au-dessus de celui des amphibies et des poissons; leur cervelet est très volu-
mineux.
Les organes des sens cependant, à part l'œil, n'offrent pas une différence bien grande
avec ceux des classes précédentes. Le tympan est saillant en dehors; la caisse res-
semble à celle des reptiles, et les osselets sont réduits à une columelle.
AUDITION. 917
Chez les Aigles cependant on trouve un indice de chaîne des osselets; une sorte
d'étrier, un marteau et des muscles tympaniques (MiL>iE-EDWAHDs).
Le labyrinthe offre trois canaux semi-circulaires et un limaçon, il est vrai encore
rudimentaire, court, infundibuliforme et dont l'organisation est bien différente de
celle des mammifères. Windeschmann décrit au-dessus des cellules ciliées une lame très
vasculaire qui rappelle la membrane de Reisner (Coyne).
La rampe tympanique est séparée par une cloison membraneuse qui l'isole de la
caisse (Scarpa, Breschet, Hasse). Les fenêtres labyrinthiques étroites sont à peu prés
égales (Paul Meyer).
Les liquides du labyrinthe, humeur de Valsalva (périlymphe), humeur de Scarpa
(endolymphe), présentent les mêmes caractères que chez les mammifères.
L'otoconie est constituée par de petits cristaux très abondants. On observe un vesti-
bule; puis un saccule petit avec une tache acoustique à laquelle aboutissent les pin-
ceaux nerveux; sur les crêtes et taches on retrouve les mêmes cellules ciliées, les
mêmes bâtonnets auditifs que dans les mammifères et dans les otocystes déjà décrits.
Chez les oiseaux, les canaux semi-circulaires sont très développés : ils ont chacun une
crête acoustique et une ampoule dont la structure est identique à celle des mammifères
(Leydig, ÎSuiin, Breschet, Milne-Edwards, Scarpa).
Les oiseaux chanteurs n'ofl'rent point un développement particulier du limaçon.
Le conduit auditif est à peine indiqué; large et court, il a son orifice caché sous
des plumes; chez les plongeons le conduit est si petit qu'on a peine à le trouver.
La caisse communique en général avec de vastes cellules osseuses mastoïdiennes et
occipitales par de larges voies ou sinus qui font correspondre les deux caisses au milieu
du crâne.
Certaines dispositions des plumes qui garnissent le méat auditif semblent suppléer
le pavillon absent (Chatin) (hiboux, chouettes, etc.). Seul l'effraie montre un rudiment
de conque (Milne -Edwards).
Chez les Mammifères, l'appareil de l'ouïe s'épanouit dans tout son développement,
le labyrinLhe offre un limaçon contourné s'ouvrant sur la cavité tympanique par la
fenêtre ronde et bien développé; les canaux semi-circulaires à ampoules, un utricule
et un saccule ; puis des appareils endolymphatiques.
L'oreille moyenne s'élargit, se complique d'un appareil d'aération systématique; les
cellules mastoïdiennes se développent graduellement suivant les espèces; et l'oreille
externe prend une importance particulière chez les animaux aériens.
Mais sur les crêtes acoustiques des canaux, aussi bien que sur les lâches des vésicules
vestibulaires et sur la papille sensorielle en hélice du limaçon, on retrouve toujours,
étalés et symétriquement rangés, les éléments neuro-épithéliaux que montrent les
premiers otocystes et qui sont le fondement même de l'organe auditif. Suivant les
espèces, suivant les milieux, suivant la hauteur dans l'échelle animale, les autres
parties se développent, de plus en plus compliquées, et les fonctions, remplies par une
seule cellule, par une seule vésicule tout d'abord, se répartissent peu à peu entre les
diverses formations nouvelles, de plus en plus individualisées, sans cependant sortir de
l'unité organique et de la synthèse fonclionnelle qui caractérisent l'organe et le sens
de l'ouïe. C'est toujours le milieu qui agit par chocs, pressions, vibrations et fait tra-
vailler l'organe; et celui-ci transmet à de multiples foyers nerveux l'influence de
l'énergie du courant vibratoire extérieur, propagé de tous les points de l'espace,
recherché vers tous les points de l'horizon, jugé, étudié, reconnu dans sa vitesse, son
intensité et toutes ses combinaisons, et susceptible de provoquer sans réflexion tous les
actes musculaires d'accommodation et de défense nécessaires à la protection de l'ouïe et
de l'individu lui-même. Sensation et mouvement sont toujours l'équation du phénomène.
Les Cétacés ont leur trompe d'EusiACHE ouverte dans l'évent et armée de replis val-
vulaires (Owen). Les osselets son massifs, peu mobiles, et la cavité où ils sont logés est
séparée de la caisse. On observe d'un groupe à l'autre des différences assez marquées.
Le conduit auditif externe est étroit à son entrée et plus ou moins long. Chez le dau-
phin il est soutenu par des plaques solides; le pavillon fait défaut chez ces aquatiques.
Chez les Monotrèmes les osselets sont réduits à une forte columelle où l'on distingue
deux parties osseuses réunies.
918 AUDITION.
Il en est de même chez les Marsupiaux ; chez les kangourous cependant, l'étrier
ressemble à celui des Vertébrés plus élevés. Chez les Fourmiliers, les osselets se rap-
prochent de ceux des Carnivores.
Les Édentés, les Tatous offrent une caisse considérable; un marteau en fer à cheval
dont une branche fait saillie hors la caisse.
Chez le Cheval (ongulés), le conduit osseux est très long, le pavillon très mobile et
très développé, la caisse plutôt étroite, les cellules mastoïdes sont formées de traverses
osseuses divergentes qui rayonnent autour du cadre tympanal; l'étrier est relativement
gros et le manche du marteau court.
La trompe d'EusTACHE est un conduit libro-cartilagineux qui s'étend de la cavité tymr
panique jusqu'à la partie supérieure du pharynx où elle s'ouvre dans une poche très
vaste « poche gutturale ».
Les deux poches gutturales, d'après Lavocw, remplaceraient les cellules mastoïdes
(Milne-Edwards, Chatin).
Chez les Ruminants, la caisse est plutôt étroite, la trompe courte : les osselets res-
semblent à ceux des Solipèdes.
Chez le Porc, la caisse est petite et les cellules aériennes et diploétiques abondantes;
les osselets plus finis et mieux proportionnés.
Chez les Rongeurs, la caisse tympanique se dégage de la masse osseuse du rocher
sous forme d'une huile volumineuse ; la trompe est petite, les osselets déliés. Le limaçon
s'isole et fait dans la bulle une saillie cylindrique horizontale chez le cobaye. J'ai utilisé
cette disposition pour l'étude des fonctions cochléaires (voir plus haut).
Chez quelques rongeurs l'étrier présente une disposition curieuse; entre ses branches
écartées parait passer une artère.
La caisse forme chez les Carnivores une bulle ovoïde très vaste; de plus une lamelle
osseuse la partage en deux compartiments; l'un, externe, qui renferme la chaîne des
osselets et la fenêtre ovale; l'autre, plus vaste, qui couvre la fenêtre ronde; cette lamelle
est incomplète chez les Canidés.
La bulle du lion atteint le volume de la moitié d'un œuf de poule. Celle du chat est
globuleuse et translucide, et presque aussi grosse qu'un grain de chasselas.
La trompe est courte et aplatie, le manche du marteau est long et arqué; le muscle
du marteau, pyriforme, volumineux, les osselets sont cachés dans la partie sus-tympa-
nique de la caisse, la branche descendante de l'enclume courte y est incluse (Celle,
Études d'otologie, t. \, pp. 189 et 23.5).
Chez la Taupe, le conduit auditif se dilate au fond en ampoule; puis la caisse est
longue et aplatie.
Les cellules mastoïdiennes sont étendues; les branches de l'étrier, ainsi que nous
l'avons dit, s'écartent et reçoivent un petit os spécial « le pessulus » ; les deux caisses
se touchent sous la voûte de l'apophyse basilaire.
Chez les Chéiroptères, dont l'ouïe est si fine, l'oreille externe est remarquablement dé-
veloppée, étalée, le méat est défendu en avant par une pièce saillante ; la bulle et la caisse
sont vastes, et les osselets très grands. L'appareil atteint un haut degré de perfectionne-
ment.
Partout où l'on trouve la caisse à forme bullaire les cellules mastoïdiennes font défaut.
Les Lémuriens (propithèques, maki) ont une caisse saillante sous la base du crâne,
et globuleuse.
Les Ouistitis, les plus inférieurs des singes, ont encore leurs caisses tympaniques en
forme de larges bulles allongées, couchées, visibles sous la paroi crânienne. Il en est
de même chez le Cebus, chez le macaque.
Cependant, chez les Semnopithèques, déjà une saillie se montre arrondie, en arrière
du conduit auditif; mais les bulles sont toujours distinctes à la face inférieure du crâne.
A mesure que l'on s'élève dans la série, la bulle disparaît, et peu à peu les cellules
mastoïdiennes, et souvent occipitales, se montrent comme réservoirs d'air attenant à
l'oreille.
Chez l'orang. le gorille, le chimpanzé, les saillies mastoïdes sont très nettement
accusées, sans atteindre pourtant la forme pyramidale et le volume qu'elles prennent
chez l'homme adulte.
AUDITION.
919
Pour tout le reste, l'oreille moyenne et l'interne sont à peu près disposées comme
chez l'homme.
.En définitive, des singes inférieurs aux primates, l'organe auditif se rapproche de
celui de l'iiomme, sauf les proportions et le siège de la cellule osseuse qui le contient
(bulle sous-cranienne ou cellules mastoïdiennes).
L'apparition du développement en saillie de l'apophyse mastoide est en rapport
avec la station debout des primates; cette apophyse donne attache aux muscles chargés
de la rotation de la tète et, par conséquent, de l'orientation des oreilles (Gellé,
p. 253, t. i). Par contre, le pavillon de l'oreille offre dans |ses anomalies des formes
simiesques très caractéristiques.
C'est ainsi que D.^nwiN considère le tubercule qui fait saillie sur le bord de l'hélix
(en avant si l'ourlet est formé, en arrière si le bord est plat), comme l'homologue de
la pointe aiguë qui termine le pavillon des animaux.
Anormal chez l'homme, le tubercule de Darwin existe normalement chez les cercopi-
thèques, le macaque, le cynocéphale; à ce titre, chez l'homme, c'est une anomalie
réversive.
ScHWALBE a depuis démontré que ce tubercule existe constamment chez l'embryon.
En dernier lieu, Chiarugé (188:)) a trouvé que les poils du pavillon convergent vers le
tubercule chez l'homme comme chez les singes (Testut).
En terminant, j'ajouterai que l'on est frappé du fait indéniable de la transmission
héréditaire des anomalies de cet organe (Laloy, Féré et Séglas, Lannois, His).
Du développement de l'oreille humaine, embryologie. — Nous étudierons
successivement l'origine et l'évolution de
l'oreille interne et de l'auditif, puis de l'oreille
moyenne, enfin de l'externe.
Développement de Voreille interne. — Dans
son développement chez les mammifères et
l'homme, l'oreille passe par les phases suc-
cessives que nous avons précédemment dé-
crites dans la série zoologique. C'est d'abord
un renflement épithélial, puis une vésicule à
laquelle graduellement s'ajoutent des canaux
semi-circulaires, des canaux lymphatiques et
un limaçon; puis apparaissent la trompe
d'EusTACHE, une caisse, un conduit, des cellules
mastoïdes, une membrane du tympan, etc.,
et tous les perfectionnements accomplis dans
l'oreille de l'homme adulte. C'est l'oreille in-
terne qui apparaît en premier par la formation
d'un utricule et d'un saccule.
(On peut suivre cette évolution dans Kôl-
LiKER et dans le magnifique atlas de Mathias Duval, ou dans Balfour et Forster
Élér)ients d'embryologie).
Au niveau de la première fente branchiale, auprès de l'extrémité externe du premier
arc branchial, on voit d'abord de chaque côté de l'extrémité céphalique de l'embryon,
au niveau de l'arrière cerveau (3° vésicule cérébrale), une fossette légère ou dépression
superficielle, fossette auditive (M. Duval, pi. VI, fig. 38-103, poulet, 2= jour, 36= heure ;
Balfour, loc. eit.), peu après, cette dépression s'accroît, s'invagine, s'enfonce; une vési-
cule, ouverte d'abord, puis close, se forme (M. Dvv al, Embryon du poulet, pi. XXI,
48= heure, vésicule ouverte, fig. 33, — ^"i" heure, vésicule close, pi. XXII, fig. 356).'
L'épaississement primitif de l'ectoderme est donc transformé en une capsule ecto-
dermique, noyée peu à peu dans l'épaisseur du mésoderme; un épithélium cylindrique
la constitue.
Bientôt celte vésicule offre trois divisions : une supérieure, recessus vcstibuU; puis
l'ébauche des canaux semi-circulaires; et enfin celle du limaçon sous forme d'un pro-
longement conique inférieur. Un pédicule se porte de la vésicule auditive vers les
vésicules cérébrales en arrière; il formera l'aqueduc du vestibule.
Fig. 99. — Développement de l'oreille interne ;
I premier stade, II deuxième stade.
1, ectoderme. — 2, mésoderme. — 3, corde
dorsale. — 4, canal médullaire. — 5, ébauche
de la vésicule simple^ dépression ouverte de
Tectoderme. — 6, vésicule auditive close
fermée, au milieu du mésoderme.
920 AUDITION.
En même temps, le nerf auditif, proche de l'arrière cerveau, arrive au contact de
la vésicule auditive (pi. XXIV, lig. 397, M. Duval, Atlas d'embryologie, pi. VII, flg. 3;
pi. IX, flg. 131, 133; et Kôlukeb, Balfour, 2'= jour, p. 133, flg. 34, p. 137, flg, 36;
Séjour, flg. 32, p. 1.30).
Leâ canaux semi-circulaires se développent par des bourgeonnements épithéliaux à
travers le blastème mésodermique (Bœttcheh, KuLLiKEn, Vogt), ou par segQientation
intérieur de la vésicule (Pouchet).
Un tissu cartilagineux, enveloppe toutes les cavités labyrinthiques. D'après Pouchet,
les enveloppes conjonctives périlymphatiques et cartilaginéo-osseuses proviendraient
du mésoderme et de l'ectoderme à la fois; pour KOlliker et Vogt, c'est le tissu qui enve-
loppe les canaux, d'abord gélatiniforme, qui se transforme graduellement et donne
naissance au périoste et au réticulum fibreux délicat qui rattache les canaux mem-
braneux à la paroi osseuse.
Aqueduc du vestibule (flg. 36, Balfoub, p. 137). — Il nait de la partie interne du pro-
longement qui de la vésicule se porte en haut et en arrière vers les vésicules cérébrales.
C'est d'abord une vésicule tubulée, puis courbée (conduit endolymphatique) et renflée à
son extrémité (sac endolymphatique); ce diverticulum s'ouvre dans la vésicule par un
oriflce séparé, au-dessus de celui du canal semi-circulaire (pi. XXXIII, flg. 509, olO,
M. Duval, Séjour).
Formation de l'utricule et du saccule. — En même temps apparaît un pli de la paroi
vésiculaire, qui la sépare en deux cavités secondaires: l'utricule et le saccule plus infé-
rieur. On trouve alors que l'aqueduc est divisé en deux canaux : l'un pour l'utricule,
l'autre pour le saccule, l'autre extrémité borgne de l'aqueduc du vestibule se porte au
niveau du sinus pétreux supérieur qu'il côtoie.
Le canalis reunicns (Hensen) est formé par le rétrécissement progressif de l'embou-
chure du saccule avec le canal cochléaire; cet abouchement a lieu de telle sorte qu'une
partie en cul-de-sac se trouve séparée du canal cochléaire même (cela très accusé chez
le mouton); Balfoub, p. 137, flg. 36).
Limaçon. — Nous avons vu qu'un cône épithélial se développe à la partie inférieure
de la vésicule et fait saillie en un cylindre contourné; dans la courbe de celui-ci est
logé le ganglion de l'acoustique; lequel vient aboutir à la vésicule cérébrale (Duval,
pi. XXIV, flg. 397, 399).
A mesure qu'il se développe, le canal cochléaire s'enroule en spirale.
L'épithélium cylindrique qui le constitue est, dès les premiers moments, oontigu
aux éléments nerveux (Coy.ne, p. 119; Balfoub, p. 133, flg. 3b; M. Duval, loc. cit.).
Bœttcher a constaté sur un canal long d'une spirale et demie seulement l'existence
de niets nerveux qui se rendaient des cellules ganglionnaires à l'épithélium sensoriel.
Chez l'embryon humain, à la huitième semaine, le canal fait un tour entier; à la
douzième semaine son développement est complet.
Le cône épithélial, premier élément du limaçon, est inclus dans un tissu conjonctif
embryonnaire qui plus tard se transformera en cartilage. C'est dans la capsule cartila-
gineuse limitante que le canal se contourne et que la lame spirale se forme graduel-
lement.
De même le tissu conjonctif de la périphérie du cône d'épithélium primaire se trans-
forme en os et périoste; tandis que celui qui est plus proche du cône se liquéfie autour
de lui et constitue les deux rampes tympanique et vestibulaire.
En réalité, la capsule osseuse qui enveloppe le limaçon provient du tissu conjonctif
de la capsule.
Au voisinage de la vésicule le tissu du mésoderme prend une consistance molle,
gélatineuse, et s'atrophie; des lacunes pleines de liquide s'y développent, grandissent,
et finalement tout autour de la vésicule se trouve un espace plein de liquide, espace
périlymplialique.
La portion la plus externe du mésodernie environnant se transforme en cartilage,
puis s'ossifle : c'est le labyrinthe osseux. ,
Canal cochléaire. ■ — Sur la membrane basilaire, Kôlliker a découvert deux saillies ou
bourrelets épithéliaux : un grand qui disparait, un petit qui devient l'organe de Corti,
papille spirale de Huschke, suivant Hensen (Coyne, p. 121).
AUDITION.
921
Cliaque pilier des arcades de Corti nait d'une cellule de ce bourrelet; au-dessus de
la voûte sont les cellules auditives (Bœttcher), cellules ciliées de Corti et cellules à
bâtonnet supérieur (Deiters, Lœ-wenberGiBocttcher) une rangée en dedans et trois rangées
en dehors de l'arcade; des plexus nerveux sont sous-jacents.
Chaque cellule est double; une à pédicule, insérée sur la basilaire; l'autre, plus éle-
vée, s'effile et se continue avec les filets nerveux; c'est le tableau décrit plus haut de la
structure de l'appareil de Corti.
La membrane de Corti, pour Waldeyer, Goyne, est constituée par les cils des cellules,
allongés, agglutinés et accolés en nappe.
Le ligament spiral offre un bourrelet spiral conjonctif recouvert de cellules épithé-
liales; et la bande vasculaire oii les vaisseaux sanguins abondent intimement mêlés aux
prolongements des cellules.
La lame basilaire, la zone siriée naissent de la condensation du tissu muqueux pri-
mitif de la rampe coçhléenne.
Nerf auditif. — D'après Remak et Kùllikeb, ce nerf se développe isolément entre
l'oreille interne et le cerveau (S» vésicule cérébrale) auquel il s'unit rapidement
(M. DuvAL, Embryon de poulet, pi. XXIV,
fig. 391-397).
D'après Bcettcher, la racine posté-
rieure de l'auditif se rend à la cochlée
(en bas) et l'antérieure à la vésicule (en
haut et en arrière); la première offre le
ganglion de Rosenthal au contact du li-
maçon; la deuxième, celui de Scarpa,
avant d'aboutir aux ampoules des canaux
semi-circulaires et à l'u tricule (M. Duval,
pl.XXXVl, fig. 477; pi. XXXIII, fig. 509,
S 10, et pi. XXIX, fig. 463, 464, em-
bryon de poulet au 6'^ jour, pi. XXVIII,
fig. 446). ,
Les veines cardinales côtoient le la-
byrinthe; le nerf trijumeau, le glosso-
pharyngien sont voisins; et toutes ces
parties se développent de chaque côté
de la troisième vésicule cére'brale.
L'oreille externe et l'oreille moyenne
proviennent de transformations conti-
nues de la première fente branchiale.
Les deux bords de cette fente se soudent dans la partie pharyngée profonde; il en
résulte une gouttière dont les bords externes se soudent à leur tour; d'où naît un canal
qui s'ouvre au pharynx d'un côté et à la surface du crâne d'autre part.
Graduellement le labyrinthe et le canal se trouvent accolés, l'un au devant de
l'autre; puis une cloison sépare en deux parties ce conduit : c'est la membrane tympa-
nique; en dehors d'elle sera le conduit; en dedans la caisse du tympan et la trompe.
Dans la caisse, on voit en effet au milieu du tissu muqueux se développer peu à peu
(KôLLiKER, p. 12, fig. U) le marteau, l'enclume, enfin l'étrier logé dans la paroi laby-
rinthique : ces osselets et leurs muscles sont sous-muqueux et non inclus dans la cavité
même.
Nous avons rappelé que le pharynx supérieur se prolonge en avant du labyrinthe ;
or, d'après Urbantschitch, la caisse serait formée par une invagination pharyngienne,
tandis que le conduit résulterait d'une invagination de l'ectùderme, sans que la fente
branchiale y soit pour rien.
Entre les deux dépressions se trouve la cloison qui sépare du conduit externe la
caisse aplatie et le marteau bien visible (4= mois).
Né du premier arc branchial, le muscle tenseur est innervé, comme tous les masti-
cateurs, par le trijumeau; au contraire, le stapédius, issu du deuxième arc, est innervé
par le facial (M. Duval, etc.).
Fig. 100. — Coupe transversale de la tête d'un embryon
de brebis de 16 millimètres.
1. cavité du cerveau postérieur. — 2, corde dorsale. —
3, cavité du pliarynx. — 4, ganglion spiral et nerf
acoustique. — 5, vestibule. — 6, ébauche de Taqueduc
du vestiljule. — 7 et 8, canaux serai-circulaires. —
9, ébauche du limaçon.
922 AUDITION.
Au quatrième mois, l'oreille est déjà toute développée, et ses diverses parties ressem-
blent, au volume près, à celles de l'adulte.
On voit alors très nettement que la cavité de l'oreille moyenne est virtuelle ; qu'elle
est remplie par un « bourrelet gélatiniforme » formé par la muqueuse qui couvre la
paroi interne ou labyrinthique; ce bourrelet contient la tète du marteau et la chaîne
des osselets incluse, comme je l'ai dit.
La cloison en est séparée par un épithélium pavimenteux manifeste; l'insufflation
sépare les deux surfaces contiguës, libres.
Ce tissu gélatiniforme est constitué par des cellules de tissu conjonctif embryon-
naire, des vaisseaux et contient des plexus nerveux avec des cellules bipolaires (Gellé)
(plexus tympanique).
Ce tissu muqueux englobe les osselets, la corde du tympan; comble l'attique et
couvre la paroi labyrintbique (flg. de Gellé, Tmv. du laboratoire, Laborde, t. i). La caisse
reste ainsi virtuelle jusqu'à la naissance. A ce moment, sous l'influence de la déglutition
et de la respiration, le bourrelet disparaît, lamuqueusese modèle surles saillies osseuses
qu'elle recouvre, formant les plis et replis qui sous-tendent les parties saillantes, et l'air
pénètre.
Sur les fœtus de chat, de veau, etc., on enlève le tympan; et la surface lisse, molle,
gélatiniforme, sous-jacente conserve l'empreinte du manche et fait saillie; c'est la
muqueuse, comme œdématiée, couverte de son épithélium pavimenteux.
Le marteau est très visible, très net au quatrième mois (Balfour, fig. 70, p. 270,
d'après Parker).
Plus tôt, il fait corps avec le cartilage de Meckel, dont il est l'extrémité tyrnpanique
(Kôlliker, Parker, Gegenbaur, A. Robin et Magitot).
La tête est très volumineuse et très longue relativement au manche longtemps car-
tilagineux et dépasse de beaucoup la cloison encore incomplète.
La tète de l'enclume est aussi incluse dans le magma gélatiniforme qui comble les
anfractuosités de l'oreille moyenne; l'étrier est plus profondément situé au niveau de
la dépression de la paroi labyrinthique qui répond au vestibule.
Le tendon du muscle interne du marteau se porte perpendiculairement de la paroi
interne sur l'osselet.
Au cinquième mois, on constate que la membrane de Schrappnel est constituée par
le périoste de l'écaillé temporale dont les deux couches s'accolent; du côté du conduit,
la peau recouvre cette lamelle fibreuse d'origine périostique; du coté de la caisse, c'est
le magma gélatiniforme qui est en contact immédiat avec la lame périostique interne;
par suite, on voit qu'il n'existe en ce point aucune perforation : il n'y a pas de trou de
RlVINUS.
Au moment de la résorption du bourrelet gélatiniforme, à la naissance, la mu-
queuse s'atrophie et se moule sur toutes les saillies, engaiiie tous les organes qui s'y
trouvaient englobés; tels la corde du tympan, le tendon du muscle du marteau, le
ligament suspenseur du marteau et l'ensemble des osselets et de l'étrier qui tous se
dégagent et s'isolent.
Pavillon de Voreille. — Le développement de cette partie de l'organe a été étudié
sur l'embryon humain et diversement décrit (Kôlliker, Hirtz, Grademgo, P. Poirier,
p. 203 et suiv., fig. de His; etTEsrur, p. 276, d'après Schwalbe).
On observe d'abord un bourgeonnement multiple de la partie de la première fente
branchiale qui avoisine la vésicule auditive.
Il y a six bourgeons dont l'inférieur formera le lobule. Des deux situés au-dessus;
l'un antérieur sera le tragus ; l'autre postérieur, l'antitragus; les autres forment l'hélix.
Mais, dans ses planches sur le développement du pavillon, Gradenigo montre une autre
évolution de ces parties (1888).
Pour lui les six premiers bourgeons de cette région formeraient la conque; le reste
naît de bourgeonnements secondaires successifs. Kôlliker ne donne point non plus la
même description que His (Poirier); et Schwalbe a publié des figures du pavillon, an cin-
quième et au sixième mois, dont les contours et cavités sont déjà bien indiqués ; il y
trouve, avons-nous dit ailleurs, le tubercule simiesque de Darwin.
Au cinquième mois le tragus est bien séparé, quelquefois double (tubercule supra-
AUDITION. 923
trajicum); l'incisura aiiris est bien nette, et l'ourlet de l'hélix formé, ainsi que l'anli-
tragus et le lobule ; la conque est peu ouverte.
On remarque que le méat est oblitéré par l'accolement et renchevêtrement solide
des plis cutanés dans une certaine étendue vers l'entrée du conduit. Plus loin, du côté
du tympan, les deux parois de celui-ci accolées sont libres. Les cavités otiques sont
virtuelles jusqu'à la naissance.
Alors une couche mince de cérumen sépare le tympan de la paroi inférieure du
conduit.
Le conduit tubo-tympanique membraneux est court d'abord; puis il se rétrécit et
s'allonge; il s'ouvre dans le pharynx, auprès du voile (nouveau-né), et dans l'oreille
moyenne entre le cadre tympanal et le limaçon; son épithélium est cylindrique cilié.
Il faut noter sur la région pharyngée supérieure, intertubaire, l'existence de replis,
restes de la séparation de la bouche et du pharynx (au 3= jour) et de l'hypophyse pha-
ryngée, que Resel croit être le rudiment de la tonsille pharyngée (M. Do val, pi. XXIV,
Qg. 392 et p. 70, explication).
De cette évolution embryologique on peut déduire certains rapports intéressants.
Tout d'abord, l'oreille interne estune formation ectoderraique directe, et non, comme
la rétine, une émanation des vésicules cérébrales.
L'oreille interne n'a de rapports qu'avec la troisième vésicule cérébrale.
Le nerf auditif naît isolément; cela explique qu'on l'ait trouvé absent, sans autre
lésion.
L'oreille moyenne et l'externe se développent avec l'appareil branchial; cela permet
de comprendre la coïncidence du bec de lièvre et des arrêts de développement ou mal-
formations otiques.
L'oreille moyenne et l'oreille externe naissent au niveau de la première fente bran-
chiale; mais l'oreille moyenne est d'origine mésodermique, tandis que le conduit et le
pavillon proviennent de l'ectoderrae, comme l'oreille interne.
La trompe est bien un diverticulum pharyngé; le trijumeau innerve l'oreille externe
née du premier arc branchial, et le facial, le stapédius, né du deuxième arc branchial.
La formation des fistules dites branchiales n'est pas encore totalement éclairée par
nos connaissances embryologiques; on en a signalé sur le pavillon.
Audition de l'enfant nouveau-né. — Les recherches de Siebenneuann et ses prépa-
rations du labyrinthe par corrosion lui ont permis de confirmer l'opinion, généralement
admise depuis de Trœltsch, que chez le nouveau-né le laljyrinthe a déjà des dimensions
très peu inférieures à celle qu'il aura chez l'adulte (Ber/»». klin. Woc/i., p. 10, 1891).
Poli a étudié l'audition des nouveau-nés, et il a trouvé qu'ils sont sensibles aux sons
dès le premier jour; et que l'excitation des sons un peu forts provoque de l'agitation et
des spasmes moteurs; ce sont des réactions que tous les médecins ont observées.
Cependant l'audition peut être entravée dès la naissance par des lésions datant, soit
de l'époque embryonnaire (arrêts de développement à l'époque branchiale, absence du
nerf, coloboraa, absence de conduit, etc.), soit de la période fœtale (suppuration, des-
truction de la muqueuse gélaliniforme, ostéo-périostite diathésique); enfin, au moment
de la parturition, par des hémorrhagies, des suffusions sanguines plus ou moins étendues,
de l'oreille moyenne surtout (Gellé).
Les travaux de Wexdt, Wrede.'^, Blumenstock, Rinecke, Steiner, Hirsch, de Trœltsch,
Netier, Lannois, Parrot, Renaut et Baréïy, Gellé, sur ce sujet ont montré l'extrême
fréquence des lésions de l'oreille moyenne au moment de la naissance. On conçoit que
ces altérations du tissu de la muqueuse qui comble la cavité de l'oreille moyenne
puissent nuire à la résorption normale du bourrelet gélatineux et, par suite, à l'aéra-
tion de la caisse.
Dans les planches de son étude Sur un signe nouveau de la respiration dunouveau-nè,
Gellé montre les altérations variées qu'il a observées dans un assez grand nombre
d'autopsies de fœtus et de nouveau-nés (63); et il insiste sur leurs rapports avec les
lésions de l'appareil pulmonaire (Pour le point de vue médico-légal de cette question,
lire Vibert, Lannots, Brouardel, Gellé, en France).
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nerveux visuel par la lumière, mais à la suite de l'excitation de l'appareil nerveux
acoustique par des vibrations de l'air. Il est des personnes chez lesquelles l'audition
de certains sons provoque des sensations chromatiques déterminées, et cela de ma-
nière qu'à un son donné corresponde toujours une couleur bien déterminée, mais
variable d'après le son entendu, et d'après la personne qui l'entend.
Les faits de ce genre seraient donc plus ou moins en opposition avec le principe des
énergies spécifiques des organes des sens, principe d'après lequel : a) l'excitation d'un
appareil nerveux sensoriel produit toujours la même sensation; et h) une sensation
déterminée est toujours le résultat de l'excitation du même appareil nerveux sen-
soriel.
Les premières communications relatives à l'audition colorée ont passé à peu près
inaperçues, ou bien ont suscité un mouvement très prononcé d'incrédulité. On est tenté
de mettre ces observations au compte d'une imagination excessive, ou de n'y voir
qu'une manière de s'exprimer, comme lorsque nous parlons de sons <( élevés », ou
« bas ». Cependant, il résulte des publications récentes que les observations de ce genre
sont relativement fréquentes; elles ont été faites par les personnes absolument dignes
de confiance, par des médecins, des personnes habituées à analyser leurs sensations sub-
jectives. On s'est, d'autre part, entouré de précautions suffisantes pour exclure toute
erreur volontaire de la part des sujets examinés. Tout concourt donc à faire de l'audi-
tion colorée un phénomène digne de l'attention du physiologiste.
Au cours de ces recherches, il s'est même trouvé que l'audition colorée n'est qu'un
cas spécial d'une classe de phénomènes s'étendant à tous les organes des sens. Plus
souvent qu'on ne le pense, une sensation d'un organe quelconque s'associe avec une
qualité sensorielle de l'un ou l'autre organe des sens, celle-ci étant provoquée de la
manière habituelle. C'est ainsi que des sensations visuelles peuvent évoquer des sen-
sations acoustiques; des sensations gustatives, olfactives, tactiles .peuvent susciter des
sensations visuelles, et vice versa. On a ainsi l'audition colorée, la vision auditive, la
vision gustative, taclile, la gustation tactile, etc.
Diverses sortes de ces pseudesthésies peuvent coexister chez le même individu. Ordi-
nairement cependant chaque personne n'en manifeste qu'une ou deux. Les plus connues,
les mieux étudiées, consistent dans l'association de sensations visuelles (de clarté, de
couleurs) aux sensations acoustiques produites par des sons objectifs; on donne le
nom d'audition colorée à l'ensemble de ces derniers phénomènes. Quant aux apparences
visuelles elles-mêmes, on leur donne le nom de i^hotismes (Bleuler et Lehman'm). Sensa-
tions visuelles secondaires, fausses sensations (de couleur et de lumière), pseudopho-
testhésie, pseudochromesthésie, etc., sont des désignations employées dans les mêmes
circonstances.
Pour une première orientation, donnons la relation abrégée de quelques cas publiés.
Les phénomènes se manifestent le mieux avec les sans des voyelles. Il faut aussi que
les sons aient une certaine intensité pour donner lieu à ces photismes.
Le tableau p. 933 met en regard les associations phonoptiques de trois personnes
parentes, la sœur et le frère, puis la lille de ce dernier (Observations de Suarez de Men-
doza).
La mère de ces déui personnes, décédée, associait aux différentes voyelles en somme
les mêmes teintes que sa fille, sauf pour l't qui lui paraissait jaune, et pour 1'», qui pa-
raissait rouge. Il est intéressant de constater les ressemblances entre les registres pseu-
doptiques de ces trois personnes, en vue de leur parenté, ou de leur cohabitation au
point de vue intellectuel.
AUDITION COLOREE.
933
SONS
TEINTES ASSOGIÉES
TEINTES ASSOCIÉES
TEINTES ASSOCIÉES
PAR
PAR
ÉMIS.
PAR M- B.
M. J., KRIÎRErK M»'B.
M"" J., FILLE DU PRÉCÉDENT.
a
Bleu.
Bleu.
Rouge rosé.
à
Bleu foncé.
Bleu foncé.
Rouge foncé.
(i
Gris.
Gris jaunâtre.
Bleu.
è
Gris Terdâtre.
Gris jaune.
Bleu foncé.
i
Rouge vif.
Noir.
Noir.
0
Noir.
Blanc rosé.
Rouge plus loncé que a.
au
Noir violacé.
Bleu.
u
Jaune.
Vert jaune.
Brun.
an
Bleu violacé.
Bleu violacé très foncé.
in
Bleu rosé.
Gris de fer.
un
Jaune biche.
Gris verdàtre.
eu
Gris sale.
Brun de chevreuil.
on
Idem.
RoULÇe clair.
ou
Brun.
Blanc laiteux.
Rouge brun.
Ainsi midi, est (pour M"
— respect —
— ■ enfant —
— plainte —
— Varis —
Les consonnes n'ont pas de couleur propre (pour ces trois personnes), mais elles
influencent les voj'elles accolées, en les épaississant ou en les éclaircissant.
Les mots présentent des images colorées diversement, suivant leurs voyelles com-
posantes.
B.) rouge vermillon,
gris,
bleu.
jaune citron,
bleu et rouge.
Les noms des nombres donnent une couleur correspondant aux voyelles composantes
Il en est de même des noms de notes de musique.
Les sons musicaux proférés par des instruments sont moins colorés que les voyelles
et les mots. Les sons graves, dit Suarez, paraissent sombres à M™' B.; mais à mesure
qu'ils s'élèvent vers les sons aigus, ils passent graduellement à des teintes plus claires.
Pour la même personne, chaque morceau de musique, chaque partition a sa couleur
propre ou sa teinte générale.
Ces sensations de couleurs sont liées à l'audition des sons, mais aussi à leur évo-
cation mentale, et, dans l'un et l'autre cas, aussi bien dans l'obscurité ou avec les yeux
fermés qu'à ta clarté ou avec les yeux ouverts.
M™'= B. n'extériorise guère ou pas du tout ses sensations pseudophotesthésiques.
Celles-ci ne constituent pas pour elle une gêne, mais plutôtune jouissance. Elle présente
du reste quelques autres associations sensorielles pseudesthésiques.
De l'inspection du tableau ci-dessus, il résulte certainement un certain degré de
parenté entre les sensations pseudesthésiques de ces (juatre personnes parentes. Il n'en
est plus ainsi si nous considérons d'autres sujets, n'ayant eu aucun rapport entre eus.
Passons maintenant une revue des différentes faces sous lesquelles on peut envisager
les faits d'audition colorée.
Les auteurs sont unanimes pour déclarer que de loin la plupart des sujets en
question ne présentent rien d'anormal, ni du côté des yeux, ni du côté cérébral et
psychique. Les associations sensorielles existent dès l'enfance, et les sujets les ont
toujours regardées comme naturelles. Ils sont même étonnés d'apprendre que tout le
monde ne les fait pas.
les couleurs les plus habituelleynent vues sont, dans l'ordre approximatif de leur fré-
quence décroissante, le blanc (et ses nuances grises), le rouge, le jaune, l'orangé, le
bleu, le violet et le noir. Il est tout à fait exceptionnel de voir signalé le vert. Enfin,
beaucoup de ces personnes accusent ainsi des sensations chromatiques qu'elles n'ont
jamais éprouvées autrement.
934 AUDITION COLOREE.
D'une manière générale, les photismes sont le mieux accusés pour les voyelles pro-
noncées et pour des sons complexes, surtout pour ceux caractérisés par des « timbres »
accentués. C'est donc avec ces sons compliqués que les observateurs ont opéré de pré-
férence. En vue d'une analyse physiologique fructueuse des phénomènes, on aurait dû
se tenir davantage à la distinction physiologique des sons. Au lieu de s'attacher surtout
aux sons qui donnent les résultats visuels les plus « frappants », on aurait mieux fait
de procéder du simple au composé. A l'article Audition, on a vu que le phénomène
sonore simple, au point de vue physiologique, est la sensation acoustique provoquée
par une vibration pendulaire, dont la courbe est une sinusoïde. Ce son simple, il faudrait
le faire varier d'intensité et de hauteur. Puis seulement il conviendrait de passer à des
sons composés, c'est-à-dire à des sons de timbre variable. C'est de cette manière seule-
ment qu'on arrivera à étudier l'influence exercée sur les photismes par les trois qualités
propres à chaque son : par son intensité, sa hauteur et son timbre.
Les sons simples n'ont donc guère été expérimentés à notre point de vue, parce
qu'ils produisent moins facilement des sensations visuelles que les sons compliqués.
Il serait important de savoir s'ils sont toujours inefficaces, notamment lorsqu'ils sont
très intenses et très élevés — deux qualités que les auteurs confondent même quel-
quefois.
Les sons musicaux sont tous plus ou moins compliqués, à timbres caractérisés
par des sons partiels. Moins souvent que les sons de voyelles, ils provoquent des pho-
tismes.
Il est de ces personnes qui avec une hauteur croissante du son émis par un instru-
ment de musique, c'est-à-dire avec un nombre croissant des vibrations du son fonda-
mental, accusent la succession suivante dans leurs photismes. Les sons bas produisent
un photisme sombre, brun, qui passe au rouge sombre, puis au rouge, à l'orangé, au
jaune et au blanc; chez d'autres, le jaune passe au bleu, puis au noir éclatant; rarement
en passant encore par le violet.
Cette succession semble assez générale. Elle est remarquable en ce que, somme
toute, elle reproduit la suite naturelle des couleurs du spectre solaire, arrangées suivant
leur réfrangibilité croissante.
Pour beaucoup de personnes à audition colorée, la couleur est peu prononcée darfe
les photismes des sons musicaux. Le gris, c'est-à-dire le blanc, dans ses différentes
nuances, prédomine généralement. Viennent ensuite les teintes jaunes et rouges. Le
bleu est déjà relativement rare, et le vert exceptionnel. Les sons bas sont dits sombres;
un peu plus élevés, ils sont dits gris, pour devenir franchement blancs s'ils sont très
élevés. Toutefois, ils semble que les sons musicaux sont d'autant plus colorés que leur
timbre est plus prono.ncé, en d'autres mois, qu'un ou plusieurs sons partiels y prédo-
minent davantage.
On doit se demander si la teinte d'un son musical ne résulte pas du mélange des
teintes propres à chaque son partiel, harmonique. Il est en effet de ces personnes, rares
il est vrai, qui, à l'audition de sons musicaux, perçoivent des couleurs multiples dont
chacune paraît liée à un son partiel. Nussb.\umer voit dans un seul son du piano jusqu'à
quatorze teintes différentes, tout comme il y distingue par l'ouïe jusqu'à quatorze sons
partiels. Ce sont du reste les seuls sons musicaux que cet auteur, comme nous allons
voir, résout en leurs composantes optiques. Il est de règle que chaque son musical
produise une teinte unique et générale. Mais, comme dans d'autres circonstances, les
photismes sont combinés entre eux en une teinte unique, d'après les lois du mélange
des couleurs objectives, la question posée a sa raison d'être.
L'intensité d'un son musical de hauteur constante ne paraît pas avoir d'influence sur
la teinte. Une intensité faible ne produit pas de photisme. Avec l'intensité croissante,
la teinte spéciale apparaît, d'abord sombre, puis plus claire; la teinte devient de plus
en plus lumineuse, mais aussi de moins en moins saturée, pour passer au blanc écla-
tant. Très exceptionnellement, les fortes intensités modifient la teinte, qui alors devient
de plus en plus réfraiigible, passe au jaune, puis au blanc (observations de de Rochas, et
de Bleuler et Lehm.-vnn). Chez ces sujets exceptionnels, en revanche, les changements
de hauteur des sons semblent ne modifier que la clarté des teintes pseudesthésiques.
Rest'Brait à décider si ces changements de teinte exceptionnels ne sont pas dus à ce
AUDITION COLOREE. 935
qu'avec une plus forte inlensité du son total on ne renforce pas spécialement la couleur
de l'un ou l'aulre son partiel.
Plusieurs sons énis simultanément, les accords, sont, au point de vue physiologique,
des sons musicaux dont la complication est seulement plus grande. Déjà pour les sons
musicaux simples, émis par un seul instrument, il peut se faire exceptionnellement
que les sons partiels donnent lieu chacun à un pholisme spécial. Telle semble être la
règle dans le cas présent (celui de sons émis simultanément). Il arrive cepeudant que
les photismes correspondant à des sons spéciaux se combinent entre eux, donnent une
résultante, et cela, paraît-il, plus ou moins d'après les lois réglant les mélanges des
couleurs objectives. Ce cas semble se produire de préférence pour les sons provenant du
même endroit de l'espace.
Le timbre de l'instrument musical imprime souvent aux sons musicaux une teinte
spéciale. C'est en somme le cas de plusieurs sons émis simultanément. Rarement le
timbre est dissocié dans ses composantes chromatiques. Lorsque le timbre est très
caractérisé, c'est lui qui imprime la couleur au photisme; la hauteur du son ne fait
que renforcer la clarté de la couleur.
Voilà donc déjà deux éléments du son musical compliqué qui déterminent la teinte
du pliotisme : la hauteur du son total et le timbre de l'organe phonétique. Tantôt c'est
l'influence de l'un, tantôt c'est celle de l'autre qui prédomine. Les lois qui président à
cette lutte des deux éléments ne sont guère étudiées.
Les bruits s'accompagnent de photismes, tout comme les sons musicaux. Ordinai-
rement ces couleurs sont grises nu brunes. Elles se renforcent, deviennent plus claires,
et même se teintent de jaune si le bruit se renforce. On sait que le renforcement d'un
bruit change du tout au tout l'intensité relative des sons composants; de là probable-
ment les changements de teinte.
Des sons musicaux qui se suivent dans le temps sous forme de mélodie provoquent
ordinairement une succession de teintes correspondant aux notes successives. Il arrive
cependant qu'une phrase musicale, une mélodie entière, soit caractérisée par une teinte
dominante. Il y a plus, pour tel sujet, la musique d'un compositeur est qualifiée d'une
teinte générale, celle d'un autre d'une autre teinte. On ne sait trop à quel élément
sonore correspond cette teinte. Le timbre de l'organe vocal intervient ici au moins
dans certains cas : la m.ême mélodie a une teinte et surtout une clarté différente d'après
l'instrument sur lequel elle est jouée.
Tous ces photismes naissent à l'occasion de l'évocation mentale des sons, dans le
silence le plus absolu. Toutefois, il parait y avoir sous ce rapport des diiférences indi-
viduelles sensibles.
Localisation des photismes. — Il est de règle que les photismes soient extério-
risés, projetés en dehors du sujet. Ce qu'il y a de curieux, c'est qu'ils ne sont pas loca-
lisés dans le champ visuel, mais dans le « champ auditif »; par conséquent tout autour
de l'individu. Cette particularité donne lieu à des réponses (Bleuler et Lehmanx) souvent
difficifes à interpréter. Le plus souTcnt, ils sont localisés à l'endroit, réel ou supposé,
d'où proviennent les ondes sonores. De plus, ils sont localisés suivant les trois dimen-
sions de l'espace. La « limitation » des photismes est très incertaine pour les sons
musicaux; la teinte se perd insensiblement vers la périphérie. La forme peut se rap-
procher, selon les individus, du carré, du cercle, de l'ellipse. Lors de l'émission de
sons compliqués ou de sons simultanés, les teintes peuvent être juxtaposées. Il arrive
aussi que les teintes fondamentales, plus ou moins sombres, constituent des fonds sur
lesquels se disposent les teintes plus claires. Dans le cas de consonance, les teintes
passent insensiblement l'une dans l'autre. S'il y a dissonance, la teinte de la note dis-
sonante se délimite plus nettement; elle est comme coupée à sa limite.
Pour les sons qui se suivent dans le temps, les photismes peuvent se suivre de même.
Souvent ils se juxtaposent dans l'espace. A l'audition d'un concert, la plupart des
sujets voient une succession rapide de teintes dans le temps et dans l'espace, produisant
une impression générale plus ou moins grisâtre. L'attention, en suivant le son de tel
ou de tel instrument, peut renforcer la teinte correspondante. Il en est aussi qui ne
perçoivent qu'une teinte uniforme, grisâtre, se renforçant successivement par endroits.
Lorsque les sensations visuelles sont provoquées par des tintements d'oreilles (qu'on
936 AUDITION COLOREE.
localise dans la tête), les photismes sont perçus dans la tète. De rares sujets perçoivent
tous les photismes dans la tête, « étendus depuis l'oreille vers le front » comme ils
disent habituellement.
Parole humaine. Voyelles. — Chez les individus doués de l'audition colorée, ce
sont les sons des voyelles qui 3' donnent le plus souvent lieu. Les photismes des voyelles
sont presque sans exception teintés de couleurs, et de couleurs relativement vives, com-
parées à celles des sons musicaux.
Le blanc et ses nuances grises, fréquentes pour les sons musicaux, sont plus rares pour
les voyelles.
Le noir est relativement rare aussi; néanmoins il est souvent très prononcé, « écla-
tant » en quelque sorte. Au point de vue physiologique, le noir n'est d'ailleurs pas
l'absence de sensation visuelle; c'est une sensation positive au même titre que le blanc,
le rouge, le bleu, etc.
Les consonnes sont peu actives à notre point de vue. Prononcées au courant des mots,
elles n'ont pas de son propre; elles modifient plutôt le commencement ou la fin du son
d'une voyelle. De même aussi elles obscurcissent seulement ou éclaircissent le photisme
de la voyelle accolée. Prononcées isolément, 6 par exemple sous la forme phonétique bé,
elles donnent lieu au photisme, éclairci ou rembruni, de la voyelle accolée. 11 est cepen-
dant des consonnes dont le son est prolongé, m, ?i, par exemple; elles peuvent produire
une vague sensation lumineuse.
. Le tableau de la deuxième page de cet article donne des exemples des teintes
accolées par trois personnes aux différentes voyelles. Généralement, des gens pris
au hasard attribuent aux différentes voyelles des teintes absolument différentes. Les
trois sujets du tableau en question (examinés par Suarez de Mkndoz.\) accolent à certaines
voyelles les mêmes teintes, et des observations du môme genre ont été faites par d'autres
auteurs. Généralement les voyelles à sons sourds produisent des teintes moins accusées,
sombres; les voyelles à sons plus clairs donnent des teintes plus prononcées et plus
claires. Le i est en général jaunâtre ou même blanchâtre.
En partie donc, ces différences semblent tenir à une différence de hauteur; en par-
tie à ce que différentes oreilles distinguent davantage certains sons partiels dans le son
composé de la voyelle.
Pour le même individu, ces teintes sont très constantes, au moins pour les voyelles
prononcées -par le môme organe vocal. Le timbre de l'organe vocal producteur du son
n'est pas cependant sans influence; il éclaircit notamment ou assombrit le photisme
vocal, selon que la voix est plus ou moins claire, perçante.
Certains sujets attribuent au.x photismes des voyelles des formes constantes et carac-
téristiques, de cercles, de cônes, etc.
Les diphtonguex, prononcées à la française, sont des voyelles : au a donc la teinte de
l'o, chez la même personne. Prononcées à l'allemande, c'est-à-dire chacune des deux
voyelles plus ou moins à part, elles peuvent produire un mélange (dans le temps ou dans
l'espace) des deux consonnes constituantes.
Los photismes des mots composés de plusieurs syllabes repré'sentent ordinairement
une succession des photismes des syllabes constituantes. Ces couleurs peuvent se juxta-
poser, à la manière de celles du spectre. — Chez certaines personnes, le photisme d'une
voyelle dominante (comme son) peut être prédominant au point qu'il semble colorer le
mot dans son ensemble.
Les noms de personnes, de mois et de jours, ceux des sons, etc., suivent généralement
la même règle. Les exceptions semblent cependant être assez fréquentes. Les associations
semblent souvent être ici absolument arbitraires, et dues à des circonstances plus ou
moins accidentelles. En allemand, les mois de l'année par exemple ont plusieurs noms,
absolument différents comme sons. Néanmoins, il y a des personnes qui voient de la
même couleur tous ces noms. La couleur paraît donc attachée à la chose, ou plutôt à la
représentation psychique de la chose. Une de ces personnes voit le dimanche bleu, parce
que, dit-elle, étant enfant, on l'habillait le dimanche en bleu. Le mercredi lui parait
blanc, parce que, toujours à son dire, étant enfant, elle demanda en voyage le nom du
jour; la réponse « mercredi >> lui fut faite au moment où elle fixait un mur blanc.
Des phrases entières, des discours sont le plus souvent colorés d'une teinte générale.
AUDITION COLOREE. 937
qui semble dépendre da timbre de l'organe qui les émet. D'autres fois cette teinte est
celle des voyelles prédominantes. Pour une phrase bien articulée et lentement prononcée,
il peut se faire que les photisnies desvoj'elles constituantes se succèdent avec leurs cou-
leurs propres, dans le temps et dans l'espace.
Voici encore quelques remarques générales relatives à l'audition colorée.
Nous avons dit que les personnes en question ne se souviennent généralement pas
d'un commencement de ces ptiénomènes. Elles les ont toujours remarqués, et sont même
étonnées d'entendre dire que certaines personnes ne les voient pas. Aucune maladie,
aucun état névrosique ne paraît en être la cause. Il est des familles où beaucoup
de personnes sont dans ce cas; il faut donc admetti'e une certaine influence de l'héré-
dité.
Chez la même personne, les pholismes sont absolument constants dans leur teinte.
Le même son a pour elle toujours la même teinte. Elle colore les sons, soit qu'ils soient
émis réellement, soit qu'ils soient évoqués mentalement.
Rendus attentifs à la chose, beaucoup de ces sujets ont quelque difficulté à voir ces
apparences visuelles. Ils les aperçoivent de mieux en mieu.x, à mesure qu'ils s'en occu-
pent. Il en est des photisnies sous ce rapport comme de toutes les sensations subjectives.
Il n'est guère possible d'évaluer en chiffres la proportion des personnes éprouvant
l'audition colorée. On peut bien dire que, sur 100 personnes prises au hasard, il y en a
une dizaine au moins qui éprouvent de ces sensations phonoptiques.
Il semblerait que, si toutes les personnes avaient l'expérience nécessaire pour ces
observations, la proportion serait encore plus forte.
Enfin la plupart des personnes à audition colorée sont susceptibles d'éprouver encore
d'autres sensations pseudesthésiques. 11 en est qui éprouvent des sensations acoustiques
à la vue de telle ou de telle couleur, ou de tel objet. Il en est même qui attribuent des cou-
leurs spéciales à des formes de même genre, perçues par la vue. Les sensations tactiles
« secondaires » semblent être assez fréquentes.
Théories de l'audition colorée. — Il ne saurait être question de songer à une expli-
cation satisfaisante de phénomènes sensoriels aussi peu étudiés encore. Au courant des
pages précédentes, nous avons signalé à l'attention des observateurs à venir quelques
desiderata en vue d'une théorie future de ces phénomènes.
Ces desiderata sont relatifs aux teintes perçues et aux sons qui les provoquent. Il fau-
dra surtout essayer d'opérer avec des sons simples, de hauteurs différentes, pour voir
si chez ces sujets, ou bien chez un d'eux pris isolément, il n'y a pas de relation con-
stante entre le photisme et la hauteur du son qui le produit. Puis seulement il faudra
passer à des sons complexes, sons musicaux, parole, etc., etc.
Le mécanisme, la théorie de ces phénomènes devra probablement être cherchée dans
l'une ou l'autre des deux directions suivantes; l'explication se trouvera, soit dans un
mécanisme physiologique, soit dans un mécanisme psychique.
i" Il se pourrait que chez les personnes en question chaque son simple, ou certains
sons simples, à vibration pendulaire, provoquent toujours une même sensation visuelle.
Les teintes des sons compliqués seraient le résultat du mélange des teintes de leurs sons
composants, mélange qui dans beaucoup de cas s'opère entre photisnies plus élémen-
taires, et d'après les lois ordinaires qui régissent le mélange des couleurs objectives. Une
sensation acoustique élémentaire, l'excitation d'un élément du centre psycho-acoustique
se propageraient dans l'écorce cérébrale à un centre visuel (chromatique) déterminé.
Il faudrait songer ici aux nombreuses fibres d'association qui (dans l'écorce cérébrale)
relient entre eux les divers centres psycho-sensoriels, et qu'on invoque notamment pour
expliquer la genèse de la représentation (psychique) d'un objet au moyen des qualités
sensorielles différentes qu'il produit dans nos divers organes des sens.
Plusieurs auteurs ont exprimé des opinions de ce genre. Urb.4.ntchitsch fait remarquer
à ce propos que des sensations quelconques, que nous percevons par les procédés habi-
tuels, sont souvent influencées (au moins dans leur interprétation corporelle) par
d'autres sensations coexistantes, provoquées elles aussi par la voie habituelle. Une
personne regardant une surface grise, on fait vibrer un diapason contre son oreille; la
plupart du temps, elle ne tardera pas à voir survenir des lignes ou des zones de clarté
différente dans la surface uniforme.
938 AURA.
Enfin des partisans d'une théorie plus physiologique font observer que pour décrire
les sensations d'un organe des sens, notre langage emprunte des termes appliqués habi-
tuellement aux sensations d'un autre organe des sens, l.a description d'une pièce de
musique notamment peut fourmiller de qualificatifs visuels. Ils veulent y voir l'expres-
sion de rapports sensoriels, absolument physiologiques, mais peu conscients pour notre
sens intime, et non pas le résultat de la pauvreté de la langue.
2° L'association entre les sons et les couleurs pourrait aussi être le résultat d'une
opération de l'esprit, dans le genre de celle qui associe, par exemple, une sensation
acoustique à un caractère graphique. L'association en question, de nature psychique,
acquise dans l'enfance déjà, pourrait reposer sur une disposition générale de l'esprit;
elle s'opérerait réellement sous l'influence de circonstances fortuites. Nous avons plus
haut cité deux exemples qui, tout en n'étant pas absolumentldémonslratifs, plaident du
moins en faveur de la théorie psychique. Dans cet ordre d'idées, les circonstances les
plus diverses pourraient déterminer les associations en question, et les auteurs ne man-
quent pas d'en citer des exemples suggestifs.
Tantôt le photisme, la couleur semble avoir été associée à l'idée d'un objet, parce
que le sujet regardait une surface colorée au moment où cet objet a fait sur le .sujet
une première et forte impression; puis la couleur est restée associée pour toujours à
la voyelle principale du nom de l'objet. D'autres fois, la couleur a été associée, par un
procédé analogue, du son (nom) qui éveille l'idée de l'objet, et non à l'idée elle-même,
et la couleur reste accolée à la voyelle principale de ce nom. Enfin, il parait que l'asso-
ciation psychique peut s'établir aussi directement entre la couleur et un son.
Toutefois, les souvenirs ayant rapport aux faits survenus dans l'enfance ne nous
donnent guère de renseignements à utiliser, et il conviendra d'attendre de nouvelles
observations avant de pouvoir songer à établir une théorie acceptable de l'audition
colorée et des sensations pseudesthésiques en générai.
Bibliographie. — Depuis que les faits de pseudesthésie, et surtout ceux d'audition
colorée, ont suscité un certain intérêt dans le monde physiologique, surtout à la suite
des publications de Nussbaumer, de Bleuler et Lehmann, on trouve dans la littérature
médicale et autre, relativement ancienne, des preuves démontrant que ces phénomènes
ont été observés depuis longtemps. Un travail d'ensemble, résumant les travaux parus
avec indications bibliographiques assez complètes, est celui de Suarez de Mendoza. (1890).
Nous signalerons les travaux suivants :
Bar.atoox. De l'audition colorée. Paris, 1888, (et Revue d'ophtalm., 1888, n" 3 et n° 0).
— E. Bleuler et K. Lehmann. Lichtempfindungen durch Schcdl, etc. Leipzig, 1881. —
Ch.-A.-E. Cornaz. Des abnormités congénitales des yeux, etc. Lausanne, 1848. —
Chabalier {Jown. de Méd. de Lyon, août 1864). — E. Grùber. L'audit, colorée et les phéno-
mènes similaires {Internat. Congr. of experim. psycholog. London, 1892, p. 10). — Lussana
{Giornale internaz. délie se. med., 1884, n° 9). — L.-V. Macé. Des altérations de la sensi-
bilité. Thèse, Paris, 1860. — F. A. Nussbaumer {Wiener med. Woc/ictscTm-., janvier 1873).
— Perroud {Blém. soc. méd. de Lyon, 1863). — A. de Rochas {La Nature, avril et mai
1883). —P. Raymo.nd {Gaz. des Hop., 1889, n- 74). — Suarez de Mendoza. L'audition colorée.
Paris, 1890. — URBANTScmscH (Bull, méd., 1889, n° 3).
. NUEL.
AURA. — Sensation vague remontant de la périphérie au centre, qui, dans cer-
tains cas 'd'épilepsie ou d'hystéro-épilepsie, précède l'attaque convulsive. De là cette opi-
nion que l'attaque d'épilepsie aune origine périphérique (Baudoin, D. P., 1862).
Les expériences de Brown-Séouard ont donné un appui considérable à la théorie
de l'origine périphérique de l'épilepsie. Sur des cobayes, certaines lésions des nerfs
périphériques, par exemple la section du nerf sciatique, produisent l'aptitude aux
attaques épileptiformes. Brow.n-Séqdard a mentionné un grand nombre de faits démon-
trant qu'une irritation quelconque produite sur le siège de l'aura peut guérir l'épi-
lepsie (S. B., 1870, p. 9).
Dans d'autres expériences, il a pu faire avorter une attaque d'épilepsie par la liga-
ture du membre qui semble être le siège de l'aura. Mais, suivant lui, cette ligature n'agit
pas en supprimant le courant centripète d'une excitation nerveuse, d'ailleurs hypothé-
AUSCULTATION. 939
tique. C'est en produisant une irritation qui va provoquer des phénomènes d'inliibition
dans les centres nerveux.
Pour plus de détails, voir l'article Épilepsie. Consulter aussi : Note sur les Travaux
scientifiques de Brown-Séquard. Paris, Masson, 1886.
On admettait jadis une aura vitalis (van Helmont) présidant à la vie et à l'organisation
des êtres; et ane aura seminalis, vapeur fécondante se dégageant du sperme. Spallanzani
a démontré que l'aura seminalis n'existait pas (V. Sperme).
AUSCULTATION. — L'étude de l'auscultation abeaucoup fourni àla phy-
siologie particulière de certains organes (poumon, cœur par exemple). Elle est un moyen
complémentaire d'investigation; mais, au point de vue très général où nous l'envisageons,
il n'y a que peu de chose à dire, car, en ce qui a trait à ses applications aux divers
organes, nous n'avons qu'à renvoyer le lecteur aux chapitres consacrés à chacun d'eux
séparément.
L'auscultation est l'exploration par l'oreille des différentes régions du corps, destinée
à fournir un complément de renseignements sur tel ou tel des organes qui s'y trouvent;
aussi, presque limitée par l'usage à l'examen des viscères thoraciques, a-t-elle en
réalité une extensioji bien plus considérable, puisqu'il n'est guère de région ou d'organe
qui ne puisse être soumis à l'auscultation : larynx, trachée, système vasculaire, tube
digestif, (œsophage, estomac, intestin, péritoine), muscles mêmes dont la contraction
produit un bruissement caractéristique.
Certains auteurs ont encore conseillé l'auscultation de la tête et du rachis des très
jeunes sujets, chez lesquels on peut rencontrer, en ces régions, spécialement au niveau
des fontanelles, des souffles vasculaires; enfin, on sait quels précieux renseignements
fournit l'auscultation en obstétrique.
L'auscultation ne date, à vraiment parler, que de Laennec. Avant lui, quelques
remarques d'HippocBATE, de C.elius Aurelianus, de Paul d'ÉoixE, d'AuBROisE Paré étaient
restées à l'état de faits isolés. Laënnec recueillit des faits nombreux, et en tenta l'inter-
prétation. 11 montra que l'auscultation peut être pratiquée directement en appliquant
l'oreille sur la région à examiner, c'est là l'auscultation immédiate, ou, indirectement,
par l'intermédiaire d'un cylindre de bois plein, destiné à isoler le son, ou à le renfor-
cer, — telle est l'auscultation mddiate pratiquée à l'aide du stéthoscope. — Cet instru-
ment a reçu des modifications multiples, le principe en reste le même. On a été plus
loin dans l'auscultation médiate, et l'on se sert pour certaines recherches délicates de
physiologie d'appareils de renforcement, les micrûphones.
L'auscultation, médiate ou immédiate, a surtout pour but d'explorer le poumon, le
cœur et les vaisseaux. Les détails constituent un sujet d'études médicales pour lequel
nous renvoyons aux traités spéciaux'. Contentons-nous de quelques aperçus géné-
raux :
Pour le poumon, il y a avantage à ausculter toujours immédiatement, c'est-à-dire
directement. Les points de la poitrine à choisir de préférence sont ceux où la masse
musculaire est moins puissante : région sous-claviculaire, creux axillaire ; ceux encore
où la grosse bronche est la plus rapprochée de la paroi thoracique ; gouttière vertébrale,
au niveau du quatrième espace intercostal. Si l'on ausculte aussi fréquemment les
régions supérieures du thorax, c'est que l'expérience a appris que les altérations sont
plus fréquentes au sommet du poumon.
L'auscultation différencie bien l'inspiration de l'expiration trois fois plus courte, elle
apprécie leur degré de fréquence, et toutes les variations du rythme ; elle fait encore la part
de chaque bruit isolable (larynx, trachée, bronches, alvéoles, plèvre) dont la résultante
est cet ensemble complexe dénommé murmure respiratoire ; et, à l'état pathologique,
elle saisit les modifications, en plus ou en moins, des phénomènes et leurs altérations ^.
\. Traite d'auscultation de Barth et R,oger.
2. Dans certains cas pathologiques, l'auscultation doit s'aider de procédés accessoires: telle est
la succussion signalée, dit-on, déjà par Hippocrate, et qui consiste à secouer le malade qu'on
ausculte; telle est aussi la recherche du bruit d'airain, où la percussion se pratique conjointement
à l'auscultation.
940 AUTOMATISME.
Pour le cœur, l'auscultation peut être ioimédiate, ou médiate. On ausculte le
cœur à tous les âges : chei; le fœtus, l"étude des battements cardiaques, faite avec le sté-
thoscope, peut fournir de bons renseignements sur la position de l'enfant dans ie bassin,
et faire connaître son état de santé et de souffrance.
Chez l'enfant et chez l'adulte, avec le cœur proprement dit, on ausculte les gros vais-
seaux de la base, et la révolution cardiaque complète offre à l'oreille la succession con-
nue de deux bruits, dont le second plus fort, séparés par deux intervalles ou silences.
L'auscultation phj'siologique et médicale nous apprend que ces bruits du cœur sont
mieux perçus en certains points de la région précordiale, ou lieux d'élection, qui répondent
à des maximums : le premier bruit s'entend de préférence à la pointe, et le second à la
base. A la pointe même, on constate ce qui appartient à la systole ventriculaire gauche,
en se reportant vers l'appendice xiphoïde, on détermine mieux ce qui se rapporte à la
systole ventriculaire droite. A la base, et à droite du bord sternal, on entend le claque-
ment valvulaire pulmonaire.
Pour /es vahseaux, l'auscultation est forcément médiate : le stéthoscope, simplement
appliqué sur les artères, fait entendre les deux bruits de va-et-vient de l'ondée sanguine;
appuyé plus fortement, il 'peut les supprimer; enfin, en graduant la pression, on peut
modifier les caractères du phénomène, et ce sont là des éléments dont les recherches
pathologiijues peuvent tirer 'profit.
L'auscultation des troncs veineux se fait, comme celle des artères, par l'intermédiaire
du stéthoscope.
H. TRIBOULET.
AUTOMATISME. — Définition de rautomatisme. — Le mot automa-
tisme, si on le prenait dans sou acception étymologique rigoureuse, serait un véri-
table non-sens; il est bien évident qu'il ne peut y avoir mouvement, c'est-à-dire déga-
gement de force, sans une certaine dépense d'énergie. L'automatisme véritable n'existe
donc pas plus que le mouvement perpétuel.
Cependant l'usage a donné au mot automatisme une signification un peu différente.
Ainsi, quand la tension d'un ressort d'acier fait pendant quelque temps exécuter à un
objet quelconque une série de mouvements que nulle force extérieure ne parait déter-
miner, on dit que c'est un automate. Les montres, les régulateurs sont des apppareils
qui paraissent automatiques. On peut donc excuser l'emploi de cette expression; car il
est permis de considérer une montre, par exemple, comme un tout, qui, sans aucune
force extérieure, est capable de mouvement pendant vingt-quatre heures.
C'est ainsi qu'on peut appliquer ce mot à la physiologie. Voici un cœur de grenouille
qui, sans innervation, sans excitation chimique, physique ou mécanique, fournit des con-
tractions rythmiques pendant plusieurs heures; c'est un véritable automate, quoique en
réalité ce mouvement ne s'accomplisse pas sans une certaine dépense de force vive ; mais
les substances amassées dans la fibre musculaire suffisent à cette dépense ; et, comme
l'ensemble du cœur se contracte sans le secours d'une énergie extérieure, on peut appli-
quer à ces mouvements la qualification d'automatique.
Régulation automatique. — D'autre part, si un mouvement n'est jamais vraiment
automatique, puisqu'il faut toujours dépense de force, la régulation du mouvement peut
être automatique. Cela n'exige évidemment qu'une disposition mécanique spéciale, et
non une consommation de force vive. Dans l'industrie, par exemple, il existe quantité
de régulations automatiques; et même presque tous les appareils se règlent automati-
quement^, c'est-à-dire que l'accélération d'un mouvement entraîne la mise en jeu d'un
frein qui ralentit le mouvement, jusqu'à le faire revenir à un niveau régulier. Cette régu-
lation automatique peut, dans certains instruments, comme les chronomètres, arriver à
une extrême perfection.
En physiologie la régulation automatique est constante. L'organisme, sans le secours
d'aucune force extérieure, se règle lui-même. On comprend que nous ne puissions ici
traiter les régulations automatiques ; car ce serait presque faire l'histoire de la physio-
logie entière.
Le cœur, si les battements s'accélèrent, augmente la pression artérielle; et cette aug-
mentation de pression ralentit le cœur. Inversement le ralentissement du cœur abaisse
AUTOMATISME. 941
la pression, ce qui permet au cœur de battre plus vite. Si tel ou tel sel est en excès dans
le sang, l'élimination augmente; s'il est en propoi-tion inférieure à la normale, l'élimi-
nation diminue, de sorte qufe finalement la teneur du sang en sel reste invariable. Si la
température s'élève, la sudation ou la polypnée augmentent la déperdition de calorique;
si la température s'abaisse, la constriction des vaso-moteurs et le frisson la relèvent aus-
sitôt. Les grandes inspirations provoquent l'excitation des fibres inbibitoires du nerf
vague, et les grandes expirations provoquent l'action des fibres inspiratoires du même
nerf. Par l'excitation de tel ou tel ordre de fibres, l'inspiration appelle l'expiration, et
l'expiration appelle l'inspiration. Tous les réflexes protecteurs, pour l'iris, le larynx, le
tympan, les sécrétions, sont des appareils de régulation automatique.
Bref, on peut considérer l'organisme comme une machine, d'une complication
extrême, et d'une perfection admirable, qui se règle toute seule, et par conséquent qui
se règle automatiquement, de manière à rester à peu près identique à elle-même, mal-
gré les variations incessantes du milieu extérieur.
Automatisme en physiologie. — Mais ce n'est pas le vrai sens dans lequel il faut
prendre le mot automatisme, et on doit, ce semble, lui attribuer une signification plus
restreinte, c'est-à-dire considérer non plus la régulation du mouvement (qui est évidem-
ment automatique), mais le mouvement lui-même, et chercher quels sont les mouve-
ments vraiment automatiques.
Nous dirons par définition que les mouvements automatiques sont ceux dans lesquels
nulle excitation étrangère à l'appareil moteur n'intervient comme cause de mouvement,
C'est à peu près la définition de J. Muller, qui a le premier nettement introduit la no-
tion de l'automatisme en physiologie.
Cela posé, étudions d'abord l'automatisme des cellules : nous étudierons ensuite
celui des appareils.
Automatisme cellulaire. — Existe-t-il des cellules qui se meuvent et sont activées
indépendamment de toute excitation extérieure? Pour les cellules, cela n'est pas douteux.
Les cils vibratils, les spermatozoïdes, les amibes, les bactéries, paraissent être animés de
mouvements automatiques; car il ne semble pas qu'une cause extérieure détermine
leur mouvement.
11 est vrai qu'on a invoqué les changements du milieu comme étant une cause d'ex-
citation; et de fait, il est à peu près impossible de maintenir une stabilité telle dans le
milieu ambiant, comme température, comme lumière, comme électricité, comme ten-
sion en 0 ou en CO-, comme ébranlement mécanique, qu'on puisse parler rigoureuse-
ment d'un milieu stable. Le radiomètre entre autres nous apprend combien certains
changements du milieu ambiant, imperceptibles à nos sens, peuvent atteindre d'ampli-
tude, par la sensibilité de tel ou tel appareil. Ne serait-il -pas possible que les cellules ne
fussent sensibles à ces changements du milieu ambiant, inappréciables pour nous? Cer-
taines bactéries sont capables, d'après Enoeliiax,\, d'apprécier un cent millionième de
gramme d'oxygène.
Il me paraît cependant que cette discussion est un peu subtile. Quand nous voyons,
dans un milieu qui nous paraît homogène et invariable, un mouvement régulier rythmi-
que se produire, nous n'avons guère le droit d'admettre qu'il s'est produit des variations
du milieu extérieur, inappréciables à nos instruments de mesure, pour déterminer ces
mouveme[its périodiques, admirablementréguliers. Par conséquent la vibration des cils
vibratiles, les mouvements oscillatoires des anthérozoïdes, des spermatozoïdes, des bac-
tériacées, toutes ces manifestations motrices de l'activité intra-cellulaire peuvent être
appelées automatiques, et il serait peu rationnel d'invoquer un stimulus extérieur.
Il y a cependant un stimulus; car ce serait un non-sens que d'admettre un mouve-
ment sans stimulation et sans dépense d'énergie. Mais ce stimulus est tout intérieur. Il se
fait dans le protoplasme cellulaire des décompositions et des recompositions chimiques
qui ont précisément pour ell'et ces alternatives de mouvement ou de repos. C'est un phé-
nomène qu'on a le droit d'appeler automatique, puisque aucune cause n'intervient, étran-
gère à la constitution même de la cellule. L'oxygène et les matières nutritives ambiantes
n'ont pas d'autre effet que de maintenir la cellule dans le même état chimique, de
réparer les pertes, et de compenser les combustions qui sans doute s'opèrent constam-
ment, et sont la cause même du mouvement.
94'^ AUTOMATISME.
Ainsi donc nous sommes autorisés à dire qu'il y a des cellules dont le mouvement
est automatique, dû uniquement aux forces de tension intra-cellulaires qui se
dégagent, et simultanément se reconstituent, quand les cellules sont placées dans un
milieu nutritif approprié.
Automatisme organique. — Ce que nous venons de dire de l'automatisme des
cellules nous permettra de comprendre plus facilement l'automatisme des organes.
Toutefois une difficulté se présente; c'est que dans, l'individu, les organes ne sont pas,
comme les cellules d'une plasmodie, indépendants les uns les autres. Il y a un sys-
tème nerveux qui relie les cellules diverses, qui règle et souvent commande leurs mou-
vements, de sorte que l'automatisme, dans l'individu vivant, est lié à l'indépendance des
organes du système nerveux central.
Il est assurément des cellules, comme les cils vibratiles ëpithéliaux, comme les leuco-
cytes et les spermatozoïdes, qui, chez l'animal, ont des mouvements automatiques. Le
système nerveux ne peut être mis en cause, puisque ils sont sans lien direct avec le
système nerveux.
La question devient plus complexe quand il s'agit d'appareils reliés au système ner-
veux, et soumis à son influence. On peut par exemple se demander si le cœur a un mou-
vement automatique; autrement dit si le cœur peut se mouvoir sans être stimulé au
mouvement par le système nerveux.
Cela ne paraît pas douteux, au moins pour les vertébrés inférieurs. On peut extraire
un cœur de grenouille et de tortue, et observer pendant longtemps ses contractions
rythmiques. Supposer qu'elles sont provoquées par un stimulus extérieur, ce n'est pas
admissible; puisque le cœur de grenouille peut battre dans le vide barométrique, sans
le secours d'aucune circulation artificielle. Même la circulation artificielle, qui rend beau-
coup plus prolongées les contractions du cœur, n'est pas du tout identique à un stimulus.
C'est la nutrition de l'appareil cardiaque qu'elle détermine, et on peut comparer les bat-
tements d'un cœur de tortue soumis à une circulation artificielle aux oscillations d'une
bactérie placée dans un bon milieu de culture.
Chez les animaux supérieurs, les connexions du cœur avec l'appareil nerveux central
deviennent plus nombreuses et plus compliquées; la dépendance du cœur de\*ient plus
grande. Cependant, quand on enlève de la poitrine un cœur de lapin par exemple, on le
voit battre avec force pendant quelque temps; la durée de ces mouvements automatiques
est beaucoup moins grande que dans un cœur de tortue ou de grenouille; mais le phé-
nomène n'en est pas moins manifeste et suffit à prouver l'automatisme du cœur (Voirla
figure donnée, d'après Waller et Reid, par Biederman.\, Elektrophysiologie, 1. 1, 1893, p. 80;
fig. 44). Fr. Franck a pu sur le chien enlever à peu près toutes les connexions avec l'ap-
pareil central ; et les battements du cœur n'en continuaient pas moins.
Nous n'avons pas à entrer ici dans l'explication détaillée de ces faits, ni à chercher si
la cause de cet automatisme réside dans la fibre musculaire elle-même ou dans les gan-
glions cardiaques. Il nous a suffi de montrer que, malgré la dépendance étroite établie,
au point de vue centrifuge, entre le cœur et les centres nerveux, le cœur est un appareil
automatique qui a en lui-même son stimulus.
Les cœurs lymphatiques des anoures se comportent à ce point de vue comme les cœurs
sanguins; c'est-à-dire que, quand on a détruit toute connexion avec les centres nerveux,
par exemple quand on a détruit la moelle, ils continuent à battre, et durent indéfini-
ment, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'un atîaiblissement de la nutrition générale ou locale
mette fin à la vie de l'animal (M. Schiff. Remarques sur l'inneroalion des cœurs lymp/tat.
des Batraciens anoures. Recueil des mém. phtjsiol. Lausanne, 1894, t. ii, p. 747). A ce
propos M. Schiff énonce une loi physiologique assez contestable : que la forme rythmi-
que d'un mouvement ne peut jamais être attribuée à l'activité d'un centre.
Il y a sans doute dans l'organisme bien des appareils qui se contractent par eux-
mêmes, indépendamment du système nerveux cent rai. Ranvier a montré que l'estomac peut
donner des alternatives de resserrement et de dilatation quand il a été extrait du corps.
Engelmann a vu que les mouvements des uretères se continuaient après la mort. Proba-
blement on trouverait dans les appareils excrétoires (les conduits biliaires par exemple)
des mouvements rythmiques qui ne sont pas dus à l'innervation centrale, plus qu'à des
stimulations extérieures, et qui sont des preuves manifestes de l'activité automatique.
AUTOMATISME. 943
Il me parait même probable qu'en étudiant la question de plus près, — et elle n'a
guère été jusqu'à présent examinée dans son ensemble — on trouverait, chez les ani-
maux inférieurs surtout, nombre d'organes pourvus de mouvements rythmiques et auto-
matiques, c'est-à-dire soustraits à l'intluenoe du système nerveux central.
On pourrait aussi rattacher à l'automatisme les fonctions glandulaires, et les consi-
dérer à un certain point de vue comme indépendantes du système nerveux, et de toute
excitation venue du dehors, dues seulement à l'activité spontanée des cellules sécré-
tantes. Mais cette conception de l'automatisme nous entraînerait sans doute trop loin.
D'ailleurs au fond nous revenons toujours à ce grand principe de la physiologie
générale, que toute cellule a en elle-même de quoi vivre, se mouvoir, ou sécréter, selon
sa nature: elle est automatique; le sang sert à sa nutrition, et le nerf à sa régulation.
Voilà, ce me semble, comment il faut concevoir l'activité des cellules et par conséquent
des organes, amas de cellules.
Automatisme dans le système nerveux. — Le système nerveux ne se trouve pas
dans les mêmes conditions que les autres appareils. En effet il est constamment en rap-
port avec la périphérie par l'intermédiaire des nerfs sensitifs, de sorte que la question
peut se poser ainsi. Le système nerveux est-il encore actif, alors que nulle excitation
extérieure ne vient stimuler son activité?
Si l'on répond par la négative, il s'ensuit que le système nerveux n'a pas de pouvoir
automatique; il a un pouvoir automatique au contraire, si l'on admet qu'il est par lui-
même, sans excitation périphérique stimulante, capable d'activité autonome.
On peut donner à ce même important problème de physiologie générale une autre
forme, peut-être plus facile à saisir. Les actions nerveuses sont-elles automatiques ou
réflexes"?
Qu'il y ait un grand nombre d'actions réflexes, ce n'est pas douteux. On peut même
dire que presque toutes les actions nerveuses sont réflexes. Il s'agit seulement de savoir
si (oî/tes ou seulement presgz(c toutes les actions nerveuses sont réflexes.
C'est là un problème des plus délicats; et nous allons voir qu'il n'est pas résolu.
D'abord pour la tonicité musculaire (V. Tonicité), on sait qu'elle est en grande partie
d'origine réflexe, comme le prouve l'expérience classique de Brondgeest. A vrai dire,
même lorsque on a coupé tous les nerfs sensitifs allant à la moelle lombaire (chez la
grenouille), après section aussi de la moelle au-dessus du renflement lombaire, il y a
encore une certaine tonicité qui détermine le raccourcissement du muscle, raccourcisse-
ment très faible, dû peut-être à ce que, par les racines motrices qu'on a conservées,
passent encore quelques filets sensitifs.
Mais ces faits sont encore assez mal étudiés (Landois, T. P., trad. franc., p. 723, § 364) ;
et il n'est guère qu'un seul point bien certain, c'est que la tonicité musculaire commandée
par le système nerveux est presque complètement d'origine réflexe. On remarquera que
cela ne résout pas la question posée, et qu'il ne nous est pas permis de dire qu'elle est
exclusivement d'origine réflexe, et que l'activité automatique des cellules nerveuses du
tronçon médullaire intact est devenue absolument nulle, quand toute voie sensitive a
été abolie.
Pour les ganglions du grand sympathique la même difficulté se présente. Il est cer-
tain, comme Vulpian l'a prouvé, que les ganglions exercent une action tonique sur cer-
tains muscles, l'iris, les muscles des vaisseaux, etc. Mais qui pourra dire s'il s'agit là
d'une action réflexe? Il faudrait s'assurer d'abord que toutes les connexionsdu ganglion
avec les autres nerfs oui été détruites, et ensuite que le filet moteur ne contient aucune
fibre sensitive. On conçoit la difficulté de cette double démonstration, qui n'a pas encore
été faite (V. Eckard. Allr/emeine Physiol. der Ganglienzelle , H. H., t. ii, (2), p. 19).
Ainsi l'automatisme du système nerveux n'est rien moins que prouvé. Toutefois, par
analogie, je serais tenté d'admettre que cet automatisme existe, au moins partiellement,
et que l'activité du système nerveux n'est pas exclusivement d'origine réflexe. Nous voyons
l'automatisme des cellules mobiles, des appareils tels que le cœur, l'estomac et les
uretères. Pourquoi les cellules nerveuses seraient-elles privées d'un- automatisme ana-
logue.
Il y a un centre nerveux dans lequel on a cru pouvoir trouver la preuve de l'automa-
tisme; c'est le centre nerveux respiratoire. Quoique l'étude détaillée ne puisse en être
9ii AUTOMATISME.
faite ici (V. Bulbe, Pneumogastrique, Respiration), il faut cependant nettement poser la
question, encore que nous ne puissions pas, à présent tout au moins, la résoudre com-
plètement.
Deux théories sont en présence : la théorie de Rosenthal ou de Mîjller, et la théorie de
ScHiFF, ou de Marshall Hall, que nous appellerons théorie de la respiration réflexe, et
théorie de la respiration automatique.
La théorie réflexe (Schiff, Marshall Hall) suppose qu'aucune incitation respiratoire,
mettant enjeu les inspirations, ne peut avoir lieu sans un stimulus extérieur.
La théorie automatique (MCller, Rosenthal) suppose au contraire que les incitations
respiratoires, quoique sans cesse modifiées parles réflexes, ont pour cause l'activité auto-
matique du bulbe, qu'influence la teneur du sang en 0 et en C0-. Un sang pauvre en 0
excite le bulbe, et cette excitation est suffisante pour provoquer une inspiration. C'est
donc un véritable automatisme, puisque le sang circulant dans le bulbe ne peut être
assimilé à un stimulus extérieur. C'est un stimulus intérieur, analogue à toutes les modi-
fications chimiques internes qui se passent évidemment dans les cellules animées de
mouvements automatiques. Quoique le phénomène soit de plus longue durée, il est
assurément de même ordre.
Des expériences directes ont été invoquées à l'appui de l'une et l'autre théorie.
D'après Rosknthal, si l'on fait la section du bulbe au-dessous du centre respiratoire,
puis si l'on fait une section au-dessus de ce centre, et qu'enfin on sectionne les deux
pneumogastriques, on voit persister les mouvements respiratoires. Rach (cité par Schiff,
Eii>flitss der NeiTencentra auf die Reapirafionsbeu-egungen; Rec. de mém. phystol., 1894,
t. I, p. 44) aurait fait ta même expérience (pour la bibliographie détaillée, voir Rosen-
thal, Physlol. der Athembewegiingen, H. H., 1880, t. iv, a, p. 261 et suiv.), quoique avec
des résultats différents.
Il est vrai que Rosenthal dit lui-même qu'il avait coupé non pas tous les nerfs sensi-
tifs, se rendant au tronçon de moelle allongée qui contient le centre respiratoire, mais
presque tous les nerfs sensitifs; ce qui n'est pas du tout la même chose (p. 270), de
sorte que cette belle expérience ne peut être considérée comme absolument décisive.
Cath. Schipiloff a fait, sous la direction et dans le laboratoire de M. Schiff, des
expériences très importantes, qui sembleraient prouver que le stimulus de la respira-
tion est d'origine réflexe. Sur des grenouilles, dont beaucoup de racines sensitives ont
été sectionnées, la respiration spontanée s'arrête absolument, et cela pendant des
mois entiers; la respiration cutanée suffit à entretenir la vie. Schiff, développant les
idées de C. Schipiloff, estime que c'est la preuve que la respiration est d'origine réflexe.
H me paraît pourtant qu'une pareille conclusion dépasse notablement les données expé-
rimentales; car en réalité les grenouilles ne respirent pas spontanément; mais ellas
sont capables de mouvements respiratoires énergiques, trèscomplets,'pavle fait de l'hémor-
rhagie et de rasph3'xie, de sorte que je serais tenté de déduire des expériences de M. Schiff
et C. Schipiloff une conclusion tout opposée à la leur. S'il n'y a pas de respiration spon-
tanée, c'est que la respiration cutanée suffit à déterminer une hématose du sang qui
entretient la vie, ce qui est -prouvé par le fait même de la survie des grenouilles.
Pourquoi ne pas admettre que les excitations réflexes favorisent et excitent la respi-
ration; mais que les respirations d'origine automatique ne se manifestent que si le
sang atteint un certain degré de vénosité (absence d'O), qui ne peut pas être obtenue
chez la grenouille, à cause de la respiration cutanée?
En définitive nous voyons que, si l'on est très rigoureux, ni la théorie réflexe, ni la
théorie automatique ne sont sévèrement démontrées. Pourtant, par suite des raisons
invoquées plus haut, à cause de l'expérience de Rose.nthal qui est incomplète, peut-être,
mais bien proche de la vérité complète, à cause de l'expérience de Schiff, qui prouve
qu'après section de toutes les racines postérieures, il y a encore des respirations de cause
interne, je tendrais à admettre l'automatisme du centre respiratoire, comme celui de
tous les centres nerveux ganglionnaires, bien entendu sans' méconnaître l'influence
puissante, perpétuelle, que les stimulations externes, par l'entremise des nerfs sensitifs,
exercent sur tous ces appareils automatiques.
Psychologie des mouvements automatiques. — Parmi les stimulations qui peu-
vent agir sur le système nerveux central, pour nous conformer au langage psychologique
AUTOMATISME. 943
habituel, nous ferons rentrer la volonté consciente. De sorte que pour les mouvements
d'ensemble exécutés par l'organisme, il faut mettre il part d'un côté les mouvements auto-
matiques et d'un autre côté les mouvements soit réflexes, soit volontaires, qui ne sont, ni
les uns ni les autres, automatiques.
Nous examinerons d'abord ces mouvements automatiques; et nous verrous ensuite
jusqu'à quel point la volonté consciente se rapproche des phénomènes automatiques
proprement dits.
Au premier abord, la distinction est facile à faire entre les mouvements réflexes,
automatiques et volontaires. Notons en effet que le fait d'être ou non conscient ne
modifie en rien leur caractère Les réflexes sont tantôt conscients, tantôt inconscients;
la dilatation réflexe de la pupille est inconsciente, la toux réflexe est consciente, tan-
dis que les mouvements volontaires, par définition même, sont toujours conscients.
Quant aux mouvements automaliques, ils peuvent être inconscients, comme par exemple
la déambulation dans l'état de mal épileptique, ou conscients, comme par exemple les
mouvements d'imitation que provoque la musique. En tout cas ce n'est pas le fait d'être
conscients ou inconscients qui leur donne tel ou tel caractère.
Ajoutons que la conscience existe à tous les de{»rés; qu'il y a une série d'étapes suc-
cessives entre la conscience franche, complète, d'un acte, et l'inconscience absolue
(V. surtout sur ce point spécial Pierre Janet, Automatisme psychologique, 1889, p. 237 et
suiv.). Dans le sommeil, dans le somnambulisme à tous les degrés, il y a des mouve-
ments qui sont à demi conscients, à demi inconscients, et il est presque impossible de
dire où s'arrête la conscience et où elle commence.
Au contraire, il est plus facile de savoir où s'arrête la volonté, quoique, à la limite,
ainsi que pour tous les phénomènes naturels, la distinction soit presque impossible à
faire entre un mouvement voulu et un mouvement automatique.
Nous verrons plus loin que la volonté est elle-même automatique, mais provisoirement
nous considérerons la volonté comme tout à fait différente de l'automatisme. Ainsi, par
exemple, le pianiste qui joue un air qu'il connaît bien, peut suivre une conversation, par-
ler, causer, rire, penser à tout autre chose, et cependant il continue à jouer. Dans ce cas
on ne peut pas dire qu'il accomplisse un mouvement non volontaire, puisque la première
impulsion a été manifestement donnée par la volonté ! Il en est de même des individus
qui, presque endormis, continuent à marcher, le long de la route. Il y a aussi les gestes
habituels que chacun fait plus ou moins sans presque vouloir les faire. Tous ces mou-
vements ne sont pas automatiques, puisqu'ils ne sont soustraits ni à la volonté ni à la
conscience.
J'ai proposé d'appeler machinal le mouvement qui est presque automatique, mais qui
cependant est délerniiné par la volonté. Nous aurons alors la classification suivante
qui, si elle ne répond pas absolument à toutes les variétés réelles, au moins facilite
l'étude.
a. Mouvements réflexes, déterminés par un stimulus extérieur.
fi. — automatiques, déterminés par un stimulus intérieur qui n'est pas la
volonté.
Y- ' — machinaux, déterminés par la volonté, mais qui se continuent sans que
la volonté intervienne.
3. — volontaires, déterminés par la volonté et se poursuivant par le fait de la
volonté.
En somme le mouvement automatique peut être défini ainsi : mouvement qui n'est
déterminé ni par un stimulus extérieur, ni par la volonté.
Cependant il faut que ces mouvements, qui né sont ni réflexes, ni volontaires, soient
bien déterminés par une cause quelconque; un stimulus intérieur est nécessaire. Ce n'est
pas la volonté; mais c'est cependant, de toute évidence, un stimulus psychique, lequel
doit ressembler beaucoup à la volonté, à cela près que ce stimulus n'est plus conscient.
Nous en sommes réduits aux hypothèses, mais il semble qu'une volonté accompagnée
d'une amnésie absolue expliquerait assez bien quelques-uns de ces mouvements automa-
tiques; la déambulation post-épileptique par exemple, avec l'amnésie et l'inconscience
absolues, est un phénomène nettement automatique; et, si nous supposons la volonté
persistante, mais atteinte d'amnésie immédiate, le phénomène automatique ressem-
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 60
9i6 AUTOMATISME.
blera tout à fait au phénomène volontaire, au souvenir près. Or nous savons que les
phénomènes de conscience exigent une certaine dose de mémoire; sans mémoire il n'y
a pas de conscience; on peut dire que sans mémoire il n'3' a pas davantage de volonté.
Au fond, le mouvement automatique ne diffère du mouvement volontaire que par le
défaut d'une volonté consciente, douée de mémoire et s'affîrmant elle-même. Mais, quant
à ce qui concerne la cause efficiente des mouvements; elle est probablement la même, à
peu de chose près, dans un cas comme dans l'autre, et la difficulté de l'explication est
aussi grande pour le mouvement automatique que pour le mouvement volontaire.
Les mouvements automatiques, qui ne sont ni machinaux, ni réflexes, ni volontaires,
sont lelalivement assez rares chez l'individu sain, normal. A l'étal de veille, nous n'exé-
cutons guère que des mouvements voulus; parfois machinalement nous accomplissons
tel ou tel acte; mais on ne peut pas dire qu'ils ne soient pas volontaires; c'est une
volonté moins nette que lorsqu'il s'agit d'une résolution délibérée et énergiquement exé-
cutée; ce n'en est pas moins une demi-volonté à demi consciente. Pendant le sommeil
normal, la plupart des mouvements effectués sont de vrais réflexes, quoique, dans le
sommeil d'individus parfaitement normaux, il y ait déjà de grands mouvements non
voulus, et qu'il est difficile d'expliquer par l'excitation réflexe.
Nous arrivons ici par transitions successives à l'état qu'on peut vraiment appeler
automatique, c'est-à-dire cet état presque pathologique qui caractérise le somnambu-
lisme naturel ou provoqué (V. Somnambulisme). Alors la conscience est à demi
endormie, et la volonté n'existe plus, surtout dans le somnambulisme naturel, presque
normal, au moins dans ses plus légères formes, chez les enfants. Qu'au milieu de la nuit,
une mère embrasse son enfant, il répondra : « Bonsoir, maman >> ; pourra même se
retourner, dire quelques paroles. Ce sera un vrai automatisme; car la volonté est
presque totalement absente ; et l'amne'sie sera complète. Un degré de complication de plus,
et l'enfant se lèvera, fera quelques pas dans la chambre, pour se recoucher ensuite.
Encore un degré de plus, et le somnambule exécutera toute une série d'actes, desquels
la volonté, dans le sens qu'on donne d'ordinaire à ce mot, n'interviendra en rien, et
dont le souvenir sera absolument perdu. Les somnambules qui se promènent ainsi pen-
dant la nuit peuvent être assimilés à de vrais automates; car la délibération est nulle;
les actes qu'ils exécutent sont toujours les mêmes, très simples d'ailleurs; la volonté
fait totalement défaut; et, s'il y a conscience au moment même de l'acte accompli,
cette conscience est si fragile qu'aucune trace n'en persiste dans la mémoire, si faible
qu'elle soit.
Dans le somnambulisme provoqué, l'automatisme est loin d'être aussi marqué.
D'ailleurs, il affecte des formes si variées, suivant les suggestions, les auto-suggestions,
l'éducation hypnotique, qu'il est impossible de lui assigner des caractères bien nette-
ment tranchés. Cependant, en général, l'individu hypnotisé, magnétisé ou somnam-
bulisé, ou suggestionné — peu importe l'expression qu'on adopte — conserve le pou-
voir de délibe'rer, de réfléchir sur ses actes; il témoigne souvent d'une intelligence
brillante; il a des fantaisies plus ou moins étranges; en un- mot, il n'est rien moins
qu'un automate. Certes, dans certains états hypnotiques, on peut observer un automa-
tisme complet; mais c'est affaire d'éducation pour ainsi dire; et, si la volonté est moins
marquée que dans l'état de veille, on ne peut pas dire qu'elle soit tout à fait absente.
A vrai dire — et je ne crains pas d'insister sur ce point — ces divers sujets hypnotiques
diffèrent assez entre eux pour qu'on n'ait guère le droit de poser de règle absolue.
Des formes d'automatisme se rencontrent aussi, quoique moins fréquemment, à la
suite des commotions cérébrales violentes; de tumeurs cérébrales avec compression; de
lésions du cerveau, par hémorrhagie ou pour tout autre cause. Des actes involontaires
sont exécutés, qui ne sont pas déterminés par la volonté, et qui ne semblent laisser
aucune trace dans la conscience.
Cet automatisme, avec perte de la conscience, a été étudié avec soin par les médecins
aliénisles. J'indiquerai seulement quelques-uns des derniers travaux qui ont été exécutés
à ce sujet.
Géhin. Contribution à l'étude de l'automatisme ambulatoire du vagabondage im'puUif
[T. D., Bordeaux, 1893, n° 28). — Régis (E). Un cas d'automatisme ambulatoire hysté-
rique {Journ. de méd. de Bordeaux, 1893, N"» 8 et 26). — Séglas (J). Hystérie avec automa-
AUTOMATISME. 947
Usine dans la ■période d'aura des attaques; variations spontanées de la sensibilité cl surtout
du champ visuel correspondant aux phénomènes d'automatisme [Arch. de neuroL, Paris, 1892,
t. XXIV, p. 321-32o). — Souques (A). Automatisme ambulatoire chez un dipsomane {Arch.
de neuroL, Paris, 1892, t. xxiv, p. 61-67).
On peut aussi, dans une certaine mesure, considérer comme automatiques les actes
exécutés dans le délire, l'ivresse et les intoxications cérébrales. L'individu complète-
ment ivre, qui se livre à des actes furieux et ineptes, a une volonté tellement pervertie
par le poison qu'on peut presque dire que sa volonté est anéantie. Il est devenu un
véritable automate, et, de fait, on le considère à bon droit comme irresponsable, aussi
bien que l'épileptique et le somnambule.
A ces divers mouvements automatiques, il faut en ajouter d'autres qui forment une
catégorie toute spéciale. On ne les a bien étudiés que récemment, encore qu'ils soient
connus depuis longtemps. Chevreul a le premier appelé l'attention sur ce genre de
phénomènes, d'abord en 1833, puis, plus tard, d'une manière plus méthodique, dans un
livre intitulé : De la baguette divinatoire, du pendule explorateur et des tables tournantes,
i vol. in-8, Paris, 1834.
Essentiellement, le phénomène consiste en un mouvement qui n'est ni réflexe, ni
volontaire, ni conscient, exécuté par un individu d'ailleurs parfaitement maître de lui-
même et qui ne parait pas au premier abord différer de tout autre individu normal. Ce
qui est étrange, c'est que ces actes, involontaires et inconscients, constituent quel-
quefois une série d'actes intelligents, tout comme s'ils étaient exe'cutés par une person-
nalité douée de volonté, de conscience et d'intelligence.
Ce phénomène étrange, qui a excité tant de superstitions, a été considéré comme
étant la preuve que des êtres étrangers à l'humanité, des espi'its, viennent se mêler à
notre existence pour nous faire connaître leurs idées (en général enfantines et stupides)
et leurs désirs. De là ce déluge d'ouvrages plus ou moins absurdes qu'il est inutile de
mentionner.
C'est sous deux formes principales que se manifestent ces mouvements automatiques,
et, en pratique, il n'y a guère que les tables tournantes, et l'écriture dite automatique,
qui puissent en être citées comme exemple.
J'ai pu, après une étude assez compliquée, montrer en 1884 [Rev.pjhilosoph., (2), p. 6oO)
que ces actes automatiques se ramenaient en réalité à une sorte de dédoublement de
la personnalité; d'une part, il y a la personne consciente, volontaire, qui semble rester
normale, d'autre part, il y a une autre personnalité qui se forme dans l'intelligence, et
qu'on peut à bon droit appeler automatique, puisque les actes qu'elle exécute ne sont
pas voulus et restent inconscients [Les mouvements inconscients, in Hommage à M. Che-
vreul, à l'occasion de son centenaire, i vol. in-4. Paris, Alcan, 1886, pp. 79-94). L'expli- ^
cation que j'ai donnée a été adoptée complètement par Pierre JA^'ET {loc. cit., 1889), et
par tous les auteurs qui se sont occupés de la question, entre autres par Bi.\et et FÉnÉ
(Recherches expérimentales sur la physiologie des mouvements chez les hijstéric[ues. A. P.,
1887, (3), t. X, pp. 320-373). Quant à l'écriture automatique, elle a été admirablement
étudiée par Fr. Myers {Automatic writing. Proceed. of the Soc. of Psych. Researches, 1883,
I. m, pp. 1-63).
Quoique évidemment de pareils phénomènes ne relèvent que d'une explication
rationnelle, relativement très simple, ils n'en sont pas moins intéressants à étudier.
Ce qui frappe tout d'abord dans l'écriture automatique, c'est l'inconscience presque
toujours complète de la personne qui écrit. Comme le pianiste qui peut causer et
parler tout en jouant du piano, le scripteur automatique peut suivre une conversation
difficile avec les personnes présentes, et cependant il continue à écrire. Ce qu'il écrit
lui est à peu près inconnu, et ce sont quelquefois des phrases assez compliquées; sou-
vent la phrase est mise à l'envers, et le début se fait par la dernière lettre. Quelquefois
il y a des vers; le plus souvent des coq-à-l'àne, des calembours piteux: parfois aussi
des obscénités, des injures; bien souvent des banalités misérables, vaguement teintées
de phrases philosophiques. Mais, si pauvre que soit cette intelligence automatique, ce
n'en est pas moins de l'intelligence. Dans des cas plus rares, ce sont de longues his-
toires, récits qu'on n'a pas dédaigné d'imprimer (exemple : le Pharaon Ménêphtah). En
somme, l'analyse des formes diverses de l'écriture automatique comporterait de nom-
948 AUTOMATISME.
breux détails dans lesquels nous ne pouvons entrer; car c'est de la pathologie plus que
de la physioloi^ifi, et, d'ailleurs, dans les ouvrages de Pierre Janet et de Fréd. Myers, on
trouvera des indications très suffisantes.
On sait, ainsi que Claude Bernard le répétait sans cesse, qu'un phénomène dit
pathologique n'est que le développement, l'exagération d'un phénomène normal. Il
n'est donc pas surprenant que nous trouvions, chez les individus parfaitement normaux,
à l'état rudimentaire, quelque chose d'analogue à cet automatisme pendant la veille.
Nous exécutons tous, plus ou moins, des mouvements musculaires, non voulus, en
général extrêmement faibles, et qui passent inaperçiis, mouvements qui trahissent nos
émotions intimes et qu'une analyse délicate seule peut déceler. Ce n'est pas tout à fait
identique à une longue série d'actes automatiques, paraissant témoigner, comme dans
l'écriture, d'une personnalité distincte coïncidant avec la personnalité normale; mais
c'est déjà un mouvement qui n'est pas voulu, qui n'est pas réflexe, el qu'on peut appeler
automatique, puisqu'il lui manque l'excitation volontaire, aussi bien que l'excitation
périphérique. (Voir sur ce point Ch. Richet, A propos de la mçjgestion mentale. B. B.,
1884, pp. .36a-367. — H. de Varigny, Sur la suggestion mentale, ibid., pp. 381-382. —
E. Gley. Sur /es mouvements musculaires inconscients en rapport avec les images ou repré-
sentations mentcdes, ibid., pp. 430-434.)
Nous pouvons donc, en dernière analyse, considérer les mouvements automatiques
comme existant à un degré rudimentaire chez l'homme sain et éveillé; se montrant déjà,
avec un peu plus d'intensité, chez l'homme sain et endormi; et enfin, dans certains cas,
quand, pour une cause ou une autre, la volonté et la conscience sont perverties, finissant
par acquérir une grande intensité. C'est donc en réalité surtout un phénomène patholo-
gique.
Automatisme de la moelle épinière. — C'est à un autre point de vue que les
physiologistes ont étudié l'automatisme de la moelle épinière, en lui donnant un sens
un peu dilTérenl. de ceux que nous lui avons donné tout à l'heure. Il ne s'agit plus en
efl'et de savoir s'il y a un stimulus extéi'ieur précédant la manifestation motrice, mais
bien si certaines actes, exécutés par les muscles et commandés par la moelle, ont un
caractère psychologique. Autrement dit encore, la moelle peut-elle adapter ses ordres
au but à atteindre, puisque en somme c'est cette adaption à un but déterminé qui con-
stitue le caraclèi e psychologique d'un phénomène.
Chez l'homme, malade ou normal, chez le somnambule, nous venons de constater
la persistance de phénomènes adaptés à un but, avec abolition de la conscience; mais
l'abolition de la conscience ne signifie pas l'absence d'innervation cérébrale, attendu que
bien des phénomènes cérébraux se produisent, sans qu'il y ait conscience. L'expérience
doit donc être faite in anima vili, afin de savoir si l'ablation totale du cerveau entraine
l'abolition totale du caractère psychologique des mouvements.
Sur les animaux et les mammifères supérieurs, il paraît bien que l'abolition de l'en-
céphale enlève tout caractère psychologique aux mouvements; il n'y a donc pas
d'automatisme dans la moelle. Mais il est possible que les ganglions cérébraux (corps
opto-striés, et noyaux de la protubérance) accomplissent certains mouvements d'en-
semble, ayant bien le caractère d'adaptation à un but. Goltz a longtemps observé des chiens
n'ayant plus qu'un rudiment de cerveau, et accomplissant cependant certains actes. J'ai
constaté que des chiens chloralosés, et habitués, par une progressive accoutumance,
à en supporter de fortes doses, pouvaient errer dans le laboratoire, sans spontanéité
apparente, et ayant perdu toute sensibilité optique ou auditive. Vraisemblablement
tout le cerveau était paralysé par l'intoxication, et la moelle restait , active; elle avait
pris l'hahiluderfese passer du cerveau, pour l'exécution des mouvements de déambulation.
Mais ce sont là des expériences peu précises, et qui ne nous renseignent que d'une
manière fort imparfaite sur la fonction psychologique delà moelle, encore qu'elles prouvent
bien le rôle des centres cérébraux ganglionnaires sur les fonctions motrices, à caractère
psychologique.
En toutcas, après décapitation, si l'on entretient lavie du tronc, en arrêtant l'hémor-
rhagie et en faisant la respiration artificielle, on ne voit jamais apparaître de phénomène
psychologique, et on n'observe que des mouvements réflexes, plus ou moins coordonnés.
Mais, chez les oiseaux, ces réflexes prennent un caractère de coordination plus par-
AUTOMATISME. W9
faite. Tarchanoff, opérant sur des canards décapités, a bien vu tout un ensemble de
mouvements parfaitements synergiques (progression, natation; redressement du cou,
agitation de la queue, etc.); à vrai dire ces mouvements n'ont pas de caractère psyclio-
logique; il semblent dus à l'excitation traumalique de la moelle; car ils sont réveillés
par une piqûre au lieu de la section, et on ne les observe pas si on soustrait la plaie au
contact de l'air. D'après ïarchanoff {Uber automatischo Bewegungen bel enthaupteten
Enten. A. Vf., 1884, t. ssxni, p. 619-622), ces phénomènes seraient non pas précisément
automatiques, mais dus au_traumatisrae, cause permanente d'excitation.
Les reptiles ou les batraciens, dont le cerveau a été enlevé, ou dont la tête a été
coupée, peuvent, sans respiration artificielle, vivre pendant fort longtemps. Redi a con-
servé pendant plusieurs mois des tortues décapitées. Or ces tortues privées de tête con-
tinuent à exécuter des mouvements, et des mouvements fort compliqués, qui ont été
admirablement étudiés par G. Fano (Saggio speriin. sul mecanismo clei movimenti volontari .
îîe/to testuggine palustre, Emys europaea. 4°, Firenze, Le Monnier, 1884, 01 p., 27 pi.). —
Rech. exp. sur un nouveau centre automatigue dans le tractus bulbo-spinal. A. B. t. m, 1883.
p. 36.'J-3G8).Les tortues privées de cerveau, mais ayant conservé leur bulbe, continuent à
marcher, et ont gardé, dans une certaine mesure tout au moins, le sens de léquilibre.
Ces mouvements sont-ils conscients ou inconscients? assurément il est impossible de le
savoir, puisque tout ce que nous pouvons dire sur la conscience des êtres atitres que
l'homme sera toujours hypothétique; mais ce qu'on peut affirmer, c'est que ces mou-
vements ont un certain caractère presque intelligent. Une excitation périphérique les
arrête pendant longtemps. Le seul caractère nettement différentiel entre une tortue avec
cerveau et une tortue sans cerveau, c'est qu'une tortue normale ne se meut pas conti-
nuellement, mais seulement quand elle y est stimulée par un motif quelconque, une
impulsion idéomotrice, c'est-à-dire, comme on l'exprime vulgairement en disant, quand
elle veut. Au contraire la déambulation, chez une tortue décapitée, est perpétuelle. Fano
considère alors l'état normal comme la résultante entre les hémisphères cérébraux,
qui stimulent, et les couches optiques qui inhibent le mouvement automatique propre-
ment dit, dû au bulbe et à la moelle.
Ce sont des faits du même ordre qui, observés chez la grenouille par Pflûger et par
AuERBACH, ont conduit certains physiologistes à admettre une fonction psychologique
de la moelle. Mais ce n'est pas ici que la discussion de cette difficile et importante ques-
tion peut être faite (V. OEhl. Sulla diffusione dei centri di volonta nel nddollo spinale
di alcunivertebrati inferiori. Congr. d. Ass. med. ital., 1880. Genova, 1882, t. ix, p. 369-373).
Toutefois nous devons concevoir dans la série animale le cerveau comme exerçant
une inlluence d'autant moindre qu'on descend plus bas dans l'échelle, de sorte que les
mouvements généraux de l'être dans la vie normale paraissent, à mesure qu'il est plus
inférieur, dépendre de plus en plus de son bulbe et de sa moelle. Si donc l'on donne au
mot automatisme le sens spécial que nous lui avons donné (c'est-à-dire indépendance
de l'excitation cérébrale), on voit que dans la série animale l'automatisme de la moelle
doit aller en croissant, suivant la prépondérance du cerveau. Parce que VAniphioxus
n'a pas de cerveau, dit Pplûger [Teleolog. Mcchan. der lebendigen Natur. A. Pf., 1875,
t. XV, p. 61) devons-nous en conclure qu'il n'a pas de conscience?
Nous pourrons donc admettre que l'automatisme de la moelle, qui consiste à coor-
donner des actes, et à les conformer à l'excitation périphérique, va en croissant dans la
série animale, à mesure que le rôle du cerveau va en diminuant.
Mais, à vrai dire, ces divers phénomènes médullaires, qui sont peut-être d'ordre psy-
chologique, au moins chez les animaux inférieurs, ne peuvent être dus qu'à un stimulus
quelconque. Tarchanoff estime qu'il y a une excitation traumatique comme point
de départ. Fano pense qu'il s'agit d'une sorte d'accumulation d'énergie (d'origine chi-
mique, sans doute) produisant la décharge sous forme d'impulsions rythmiques.
Il faut examiner maintenant jusqu'à quel point les phénomènes psychologiques,
de la vie encéphalique, idéation et conscience, peuvent être considérés comme auto-
matiques.
Automatisme des phénomènes intellectuels. — Dans tout ce qui précède, nous
avons considéré la volonté comme une force distincte, et nous n'avons appelé automa-
tiques que les phénomènes non volontaires; mais il faut pousser l'analyse plus loin, et
950 AUTOMATISME.
voir jusqu'à quel point les phénomènes intellectuels eux-mêmes, l'idéation et la volonté,
peuvent rentrei' dans le groupe des phénomènes automatiques. C'est pour la commodité
du langage que nous avons séparé si nettement les phénomènes automatiques et les
phénomènes volontaires; car au fond le mécanisme de production est le même.
Autrement dit, l'idéation reconnaît-elle constamment pour cause une excitation
périphérique, ou bien est-elle spontanée, automatique? Il faut admettre, bien entendu,
que, si l'idéation est déterminée par des modifications de la composition chimique du
sang Jrrigateur ou des cellules nerveuses, cela n'empêchera pas le phénomène d'être
automatique; caria production d'un phénomène psychique ou moteur exige évidem-
ment un changement d'élat. Mais il s'agit de savoir si un changement d'état, de cause .
interne, suffit à provoquer des phénomènes d'idéation ou si, au contraire, un stimulus
extérieur est nécessaire.
On conçoit que le problème soit presque impossible à résoudre par la voie expéri-
mentale. D'abord l'expérience in anima vili serait difficilement concluante. Les gre-
nouilles de C. ScniPiLOFF et de Schiff, lorsque toutes les racines sensitives ont été
coupées, sont dans un état d'inertie qui se rapproche tant de la mort qu'on est forcé,
pour savoir si ces grenouilles sont encore vivantes, d'examiner au microscope la circu-
lation périphérique des membranes interdigitales. Quant aux animaux supérieurs, la
mutilation qui produirait l'anesthésie complète ne leur permettrait pas de vivre; et les
anestliésiques qui portent d'abord leur action sur les cellules psychiques ne peuvent être
d'aucun secours pour la solution du problème. On ne peut donc guère espérer que
dans la pathologie humaine. S'il se présentait un cas d'anesthésie absolue, totale, sen-
sitive et sensorielle, ce cas serait décisif et permettrait de répondre.
Mais cette anesthésie absolue n'existe pas. Les cas célèbres de Strumpell, de G. Ballet
(voir Anesthésie) ne sont pas de vraies anesthésies; ce sont des anesthésies hystériques;
c'est-à-dire que la sensibilité paraît abolie; mais rien ne prouve qu'elle soit réellement
abolie. (Outre les faits mentionnés plus haut à Anesthésie, je signalerai Heyne, Uber
einen Fatl von allgememer cutaner iind sensorischer Anaesthesie [D. Arch. f. klin. Med., 1890,
t. xLvii, p. 73), et ZiEiissEN (Allg. eut. und sens. Anaesth., ibid., p. 89. An. in C. P., 1890,
p. 827.) Les excitations sensorielles et sensitives de la périphérie ne viennent pas jusqu'à
la conscience; mais elles arrivent jusqu'aux centres nerveux, comme le prouvent la
persistance des réilexes et le retour soudain de la sensibilité, suivant certaines sugges-
tions. Donc on ne peut comparer l'anesthésie hystérique, dans laquelle il y a persistance
des excitations centripètes, à l'anesthésie vraie, due à la section d'un nerf par exemple,
avec suppression radicale de toute transmission de la périphérie au centre.
On sait que, d'après Stbumpell et G. Ballet, il suffisait sur leurs malades de faire
l'occlusion des paupières, d'intercepter par conséquent les seules voies sensitives qui
persistaient et mettaient l'individu en relation avec le monde extérieur pour provoquer
aussitôt le sommeil et l'état aidéique. Mais il ne me paraît nullement prouvé que cet
état aidéique ainsi obtenu ne soit pas un simple phénomène d'hypnose dû à la sug-
gestion ou à toute autre cause.
La question reste donc en suspens, au moins au point de vue de l'expérimentation;
et, comme il est presque impossible de concevoir chez l'homme une anesthésie totale et
vraie (l'anesthésie hystérique étant une pseudo-anesthésie), on voit que le problème n'est
pas directement soluble; il faut recourir à des inductions et à des analogies, ce qui ne
peut guère conduire qu'à une hypothèse.
D'abord, ce qu'on ne peut méconnaître, les excitations périphériques exercejit une
très grande influence sur la puissance de l'idéation. La vue et l'ouïe étant totalement
supprimées, toute idéation deviendra difficile.
Les mouvements musculaires, exerçant la sensibilité musculaire, constituent une des
excitations périphériques les plus efficaces; et vraiment seraiL-il possible de coordonner
des idées, de comparer, de penser, si l'on était forcé d'être absolument immobile, et à
plus forte raison en demeurant dans une obscurité absolue au milieu d'un silence
absolu? L'absence de stimulus extérieur ne serait cependant pas totale ;'car les excita-
tions tactiles persisteraient encore.
Autant qu'on peut le supposer cependant, l'idéation ne serait pas absolument abolie :
tout au moins ne le serait-elle pas immédiatement. Le silence, l'obscurité et l'immobilité
AUTOMATISME. 95I
de la nuit sont des conditions évidemment favorables à la suppression de l'idéation
volontaire; elles ne me paraissent pas suffisantes pour l'entraîner nécessairement. A ce
compte il n'y aurait pas d'insomnie rebelle, Nous savons bien qu'on objectera que les
excitations tactiles persistent; que ni l'obscurité, ni le silence, ni l'immobilité ne peu-
vent être absolues; mais il y aurait tout de même, je crois, quelque exagération à pré-
tendre que, si l'idéation persiste, c'est seulement à cause de ces très faibles excitations
périphériques.
D'autre part, quoique l'absence de stimulus extérieur soit favorable au sommeil, c'est-
à-dire à l'affaiblissement de la conscience, de la volonté et de l'idéation, on ne peut dire
que ce soit une condition indispensable; car, dans bien des cas, le sommeil survient au
milieu des excitations les plus fortes. On s'endort parfaitement à l'Opéra, malgré la
lumière et le bruit; la marcbe n'empêche pas de dormir; et les cavaliers qui voyagent la
nuit s'endorment sur leur cheval; le bruit du chemin de fer, avec les sifflements de la
machine, le fracas du wagon, permet un sommeil très profond; on s'endort de même,
dans les casemates, malgré le fracas des obus qui éclatent de toutes parts, de sorte que
la théorie du sommeil par défaut de stimulus extérieur n'est vraiment pas défendable.
Si on manipule des grenouilles, de manière à les mettre dans un certain état d'hypnose
ou même de cataplexie, on ne peut prétendre expliquer leur sommeil par l'absence de
stimulus périphérique, comme E. Heubel a essayé de le faire [Abhângigkeit des wachen
Gehirnzustandes von âusseren Erregungen, A. Pf., 1877, t. xiv, pp. 138-21 8), car il serait plus
exact de dire de ces grenouilles qu'elles sont soumises à des stimulations périphériques
exagérées, au lieu de dire qu'elles sont soustraites aux excitations périphériques.
Il résulte de ce double fait : insomnie sans excitants périphériques; sommeil avec
excitants périphériques, que l'hypothèse d'une idéation nécessairement liée à des exci-
tations extérieures me paraît difficile à soutenir.
Et en effet, si nous examinons la nature des mouvements réflexes, nous voyons une
excitation déterminer un mouvement; et le plus souvent ce mouvement est simple, con-
sistant en la contraction de quelques groupes musculaires tout au plus: mais quelque-
fois ce rétlexe provoque une contraction d'ensemble; et non seulement un mouvement
général, mais encore une série de mouvements généraux qui peuvent se prolonger pen-
dant longtemps.
Ce sont toujours des réflexes; mais parfois ils sont si éloignés de l'excitation primitive
qu'on serait tenté de les considérer comme automatiques. Cela est vrai surtout dans
les cas d'actes à demi volontaires provoqués par un stimulus. Voici par exemple une gre-
nouille intacte, immobile; qu'on vienne à l'exciter fortement; elle va sauter, essayer de
fuir, se débattre, et son agitation pourra durer plusieurs minutes, un quart d'heure
même, et davantage encore.
Je veux bien que l'on regarde cette tangue série de mouvements comme phéno-
mènes réflexes; pourtant il faut avouer que la prolongation et la complication font
ressembler beaucoup ce phénomène à un phénomène de pur automatisme.
Le cerveau qui a conservé la trace de toutes les excitations antérieures est un appa-
reil d'une si prodigieuse complexité que l'apparition d'une seule idée provoquée par une
sensation périphérique en fera jaillir immédiatement une foule d'autres, puis d'autres
encore, et ainsi de suite, sans qu'on puisse presque eu prévoir la fin; tant l'évocation
d'une idée amène fatalement l'évocation d'une autre idée. C'est cette succession ininter-
rompue de phénomènes de conscience et d'idées qui constitue vraiment l'automatisme
psychique. Certes le point de départ a pu en être une excitation périphérique, et à ce
compte on peut dire qu'elle est d'origine réflexe; mais c'est un point de départ devenu
si lointain que l'idéation réflexe me semble vraiment devoir être considérée comme
une idéation automatique.
Quant à savoir jusqu'à quel point, pour continuer ces phénomènes de conscience
et d'idéation, les stimulants périphériques sont nécessaires, personne, je crois, ne saurait
le dire. Probablement les notions que nous donnent incessamment nos sens sur le monde
extérieur interviennent, sinon pour provoquer les idées, au moins pour les régler, les
indiquer, nous rappeler à la réalité. On peut supposer que le rêve, dans la période dite
hypnagogique du sommeil normal, nous fournit un exemple de ce qu'est l'idéation,
lorsque elle n'est plus réfrénée par l'influence modératrice des actions périphériques.
952 AUTOTOMIE.
Si, dans le rêve, bientôt i'idéation s'arrête, ce n'est pas parce que les stimulations
périphériques font défaut; mais parce qu'il y a une sorte de fatigue cérébrale qui em-
pêche la conscience, et la mémoire, et la volonté, de continuera rester actives.
Donc quoique la preuve rigoureuse ne puisse pas en être donnée, je dirais que l'au-
tomatisme des phénomènes intellectuels est très probable ; certes les excitations senso-
rielles et sensitives agissent puissamment, comme régulateurs et stimulants; mais, même
en supposant l'absence de pareilles excitations, l'appareil intellectuel, une fois excité,
soumis sans doute à des changements intimes de nutrition, continue pendant longtemps
à vibrer, et cela avec tant de force, et si longtemps, qu'on a le droit d'appeler automa-
tique cette série de phénomènes qui succède à une petite excitation périphérique.
Toutes ces notions sur l'automatisme du système nerveux ne sont aucunement modi-
fiées par les recherches histologiques admirables de Golgi et Ramon y Cajal. C'est en s'ap-
puyant sur ces travaux récents que récemment R. Lépine {Théorie mécanique de la paralysie
hystérique; Rev. de Méd., août 1894, p. 727 et B. B., 189S, 9 févr. p. 8o) ainsi que Mathias
DuvAL (Théorie mécanique du sommeil. B. B. 2 et 9 févr. I89i), pp. 76-86), ont développé
une théorie ingénieuse, d'après laquelle les éléments cellulaires nerveux se mettraient en
rapport les uns avec les autres au moyen de prolongements pseudopodiques analogues à
ceux des amibes. Si cette hypothèse se trouvait vérifiée, l'automatisme nerveux aurait,
même au point de vue mécanique, une analogie saisissante avec l'automatisme des êtres
inférieurs, et des cellules simples. Mais il n'est pas besoin de supposer des phénomènes
mécaniques pour admettre l'automatisme du système nerveux. Des vibrations dyna-
miques suffisent parfaitement pour autoriser à. admettre de l'automatisme.
Conclusions générales. — Nous pouvons maintenant nous faire une idée d'en-
semble de l'automatisme dans la hiérarchie cellulaire.
Tout d'abord, chez les cellules inférieures, alors que la division du travail n'existe
pas, il y a un automatisme évident. Par le seul fait de leur constitution chimique, dont
l'équilibre est sans doute instable, il se fait des mouvements rythmiques, réguliers, qui
ne sont pas provoqués par un stimulus extérieur.
Chez l'individu constitué par des cellules dissemblables que relie le système nerveux,
chaque appareil possède un certain degré d'automatisme: il y a l'automatisme du cœur;
celui des glandes, celui des appareils excréteurs, celui des vaisseaux. Mais la présence du
système nerveux rend l'automatisme moins complet; quoique le rôle du système ner-
veux soit plutôt celui d'un régulateur (pour stimuler ou pour ralentir) que d'un stimulus
nécessaire.
Dans le système nerveux, il y a aussi un certain degré d'automatisme; la volonté
consciente et les excitations périphériques ne sont pas nécessaires pour qu'il y ait pro-
duction de phénomènes nerveux, et, quoique l'excitation volontaire ou cosmique ne
fasse presque jamais défaut, on voit cependant des phénomènes nerveux purement auto-
matiques dus exclusivement aux changements chimiques intérieurs des cellules nerveuses.
Même les phénomènes intellectuels peuvent être appelés à bon droit automatiques,
puisque, quoique succédant à une excitation périphérique, ils se manifestent pendant
si longtemps, avec une telle intensité et une telle complication qu'ils relèvent tout à fait
de l'automatisme. C'est à une conclusion assez analogue que semble arriver Pfluger
{Théorie des Schlafes, A. Pf-, p. 473).
En définitive l'automatisme est uu des phénomènes les plus généraux de la vie des
cellules, des appareils, des organes. Cela revient à dire qu'il y a dans chaque cellule une
source d'énergie qui, sans le secours d'une force extérieure, est capable de se transfor-
mer en mouvement. Mais l'importance d'une force extérieure, stimulatrice, — autrement
dit la relation avec le milieu ambiant — va en grandissant, à mesure que la cellule
acquiert une individualité et une complication organique plus grandes.
CHARLES RICHET.
AUTOTOMIE (de auToç et TEfxvco, action de s'amputer soi-même). — Acte par
lequel beaucoup d'animaux(Orvets, Lézards, Crabes, Araignées, Sauterelles) échappent à
l'ennemi qui les a saisis par un membre ou par la queue, en provoquant activement, mais
d'une façon inconsciente, par voie réflexe, la rupture de l'extrémité captive.
L'autotomie a été surtout étudiée chez le Crabe. Je commencerai par résumer ce que
AUTOTOMIE. 953
nous savons sur le mécanisme physiologique de la cassure des pattes des Criislacrs, puis
je passerai en revue les dilt'érents groupes d'animaux cliez lesquels on a signale des
exemples d'autotomie.
I. Autotomie chez le Crabe. — Le fait de l'amputation spontanée des pattes chez le
crabe était connu de Réaumur : « Si on tient ime écrevisse par la patte, et de même si on
tient un crabe, l'effort que ces animaux font pour se retirer détache souvent leur jambe; ils
la laissent dans les mains de celui qui la tient, et s'en vont avec celles qui leur restent »
(Sur les diverses reproductions, etc. Mémoire Acad. des Se, 1712, cité par P. Hallez : Bidl.
se du Nord, 1887). Huxley s'exprime en ternies analogues dans son livre sur l'écrevisse.
Cette rupture des pattes, si fréquente chez les Crustacés vivants, n'est pas le résultat
d'un accident dû à la fragilité exagérée de ces appendices. L'expérience directe prouve
que, chez un crabe mort, les pattes sont fort résistantes et supportent avant de se rompre
un effort de traction représentant près de cent fuis le poids du corps entier de l'animal.
Dans l'expérience exécutée par l'auteur devant le 2' congrès de Physiologie à
Liège, en 1892, il fallut 'suspendre un poids de 4 kilogrammes pour arracher la seconde
patte sur un petit Carcinus maenas ne pesant pas 40 grammes.
Lorsqu'on arrache ainsi une patte par traction, sur l'animal mort, elle se rompt d'or-
dinaire soit entre le céphalothorax et le premier article, soit entre le premier et le
second article : la surface de rupture porte une houppe de muscles (extenseur et fléchis-
seur longs du second article, extenseur et fléchisseur du premier article) qui se sont
détachés de leurs insertions dans la loge quadrilatère de la cavité épimérienne du
corps.
Au contraire, la rupture qui se produit sur le vivant par le mécanisme spécial que
nous allons étudier, se fait toujours dans la continuité du second article, au niveau d'un
sillon préexistant. Ce sillon marque la trace de la soudure des deux pièces {basipo-
dite et ischiopodite de Huxley) dont se compose chez le Crabe le second article de la patte.
La cassure est circulaire et nette ; les tissus mous ne présentent d'autre déchirure que
celle du nerf et des vaisseaux. Un diaphragme spécial, la membrane obturatrice, tendu à
travers l'extrémité distale du basipodite, assure l'hémostase dans le moignon de la patte
autotomisèe. Le nerf mixte et les vaisseaux traversent cette membrane au niveau d'un
orifice étroit situé excentriquement.
J'ai montré que la rupture de la patte est ici provoquée par un mouvement actif. Le
Crabe rompt lui-môme sa patte à l'endroit d'élection, par une contraction musculaire
énergique.
La rupture de la patte, Vautotomie, s'obtient chaque fois que le nerf sensible de la
patte est vivement excité, soit mécaniquement, par une section transversale de la patte,
soit par l'électricité ou la chaleur, soit |]arune action chimique.
La meilleure façon de provoquer à coup sûr l'autotomie consiste à suspendre un
crabe (privé au préalable de ses pinces), en Je tenant par le milieu d'une patte ambula-
toire et à sectionner brusquement au moyen de ciseaux l'extrémité supérieure de la
patte, par exemple au niveau de l'articulation entre le 3' et le 4° article. L'autotomie se
produit chaque fois à l'endroit d'élection et l'animal tombe à terre. L'expérience peut
être répétée successivement avec le même résultat sur les dix pattes du crabe.
Il s'agit d'un acte puvement réflexe, auquel la volonté de l'animal n'a aucune part. Un
Crabe qu'on retient parla patte, sans froisser celle-ci, n'aura jamais recours à Vautotomie
pour se délivrer. 11 y a plus : si l'on coupe brusquement, au moyen de ciseaux, l'extré-
mité d'une autre patte que celle qui retient l'animal, le Crabe brisera non celte dernière
patte, ce qui le rendrait à la liberté, mais la patte mutilée, celle dont la perte ne lui est
d'aucune utilité. L'absence d'intention intelligente est manifeste ici : nous avons affaire
à un mécanisme nerveux préétabli, qui fonctionne en aveugle, à la façon des centres
réflexes des animaux supérieurs.
Ce mécanisme nerveux qui préside au réflexe d'autotomie est indépendant des (jan-
glions sus-œsophagiens, siège de l'intelligence chez les Crustacés. 11 est localisé dans la
masse nerveuse ventrale du ganglion étoile, qui est l'analogue physiologique de la moelle
épinière des Vertébrés. La destruction de ce ganglion rend l'autotomie impossible :
l'excitation électrique portée directement sur le ganglion peut provoquer la rupture des
pattes.
954
AUTOTONIIE.
L'amputation d'une paltepar voie réllexe suppose l'intervention des parties suivantes :
{0 voie nerveuse centripète : les fibres sensibles du nerf mixte de la patte. Ces fibres sem-
blent ne pas s'étendre au delà de l'extrémité de l'avant dernier article de la patte. On
peut impunément sectionner ou exciter le, dernier article, ou Fexlrémité distale de l'avant
dernier article sans risquer de provoquer l'autotomie; 2° centre nerveux réflexe : la masse
ganglionnaire ventrale chez les Crabes, la chaîne ventrale ehez les Macroures; 3" voie ner-
veuse centrifuge : les nerfs moteurs du muscle dont la contraction provoque la cassure de
la patte.
La cassure de la patte est due à la contraction d'un seul muscle, le long extenseur du
second article. On peut en effet couper (sections pratiquées au moyen d'un petit scalpel ■
dont on glisse la pointe sous la membrane articulaire) les tendons de cinq des six mus-
cles fléchisseur et extenseur du premier article (court et long fléchisseurs du second
article, court extenseur du second article) qui s'attachent à la partie non caduque de la
patte et sectionner également les muscles contpnus dans la partie caduque, sans que le
réflexe d'autotomie soit rendu plus difficile qu'avant l'opération. Au contraire, l'auto-
tomie ne se produit plus jamais après la section isolée du tendon du long extenseur
du deuxième article [l e-
fig. 101). Ce muscle
mérite donc le nom de
muscle disjoncteur ou
de muscle autotomiste.
Pour que l'autotomie
soit réalisée par la con-
traction du muscle dis-
joncteur, il faut que la
portion distale de la
patte, celle qui va tom-
ber, trouve un point
d'appui, soit contre le
doigt de l'opérateur,
soit contre les parties
dures de la carapace
de l'animal (tergum
pour la première patte; parties dures d'une patte voisine, tubercule articulaire du pre-
mier article de la patte située en avant, lorsqu'il s'agit d'une patte ambulatoire). En
effet, dès qu'on irrite le nerf sensible d'une patte, on provoque par voie réflexe uue con-
traction énergique du long extenseur du deuxième article, ce qui amène une extension
forcée de la patte (Voir fig. 102). Supposons que le troisième article soit arrêté dans ce
mouvement d'extension, en C; le long extenseur a continuant à se contracter exerce une
traction sur la partie proximale 2' (en forme d'anneau) du deuxième article et finit par
la séparer de la portion distale 2" qui se trouve retenue.
Il est facile de mesurer -l'effort nécessaire pour provoquer la cassure du deuxième
article : On arrache une patte à un crabe mort, on fixe le tendon a entre les mors d'une
petite pince à ressort à laquelle on suspend des poids. On verra que dans ces conditions,
il sufflt de 2b0 grammes en moyenne pour produire la rupture à l'endroit d'élection.
La patte qui résiste à une traction de 3 à 4 kilogrammes, dirigée suivant son axe et
se répartissant sur sa circonférence entière, cette même patte se rompt sous un effort
de traction douze ou quinze fois plus faible, quand la traction s'exerce au niveau de l'in-
sertion du tendon du long extenseur, c'est-à-dire à un point limité de sa périphérie.
(Léon Fbedericq. Arch. de Biologie, 1882, p. 233; et 1892, p. 169; Arch. zool. exp., 1883,
p. 413; Revue Scient., 13 nov. 1886, p. 613; Trav.lab.. t. ii, p. 201, 1888 et t. iv, p. 1,30 et
217 ; A. PA, t. L, p. 600, 1 89 1 . — De Varig.ny. Revue Scient., 4 sept. 1 886, p. 309. — H. Dewitz.
Biol.'Centrabl., 1" juin 1884. — J. Frenzel. A. Pf., t. L, p. 191, 1891. — Demoor. Arch.
zool. exp., 1891, p. 216, 8 suiv.)
II. Autotomie dans la série animale. — Vertébrés. — Extrémité cutanée de la
queue de Muscardinus avellanarius (J. Frenzet., A. Pf., t. l, p. 204, 1891). — Queue de
quelques oiseaux? (Parize. Revue Scient.)
Fig. 101. — Patte ambulatoire gauche de Crabe tourteau, détacliée du corps et
reposant sur son bord dorsal (Côté veatral eu haut). La face antérieure
a été enlevée au niveau des articles i. ii", in, iv, v et vr, les tendons
des muscles extenseurs e' . e-, e', e*, e'> et des muscles fliSchisseurs /^', /'■',
/! ont été conservés, le-, long extenseur du deuxième article ou muscle
autotomiste. L'autotomie se produit entre le basipodite n' et l'ischiopo -
dite II'.
AUTOTOMIE.
9oo
Queue de l'orvet, des lézards. Lorsqu'on se borne à maintenir doucement l'animal ,
ou qu'on le suspend par la queue, il ne songe pas à la briser pour s'échapper. Dès qu'on
irrite cet apendice, soit par section, soit par froissement, la queue autotomise au-des-
sous du point lésé. La rupture de la colonne vertébrale a lieu au milieu d'une vertèbre,
point restant fibro-cartilagineux chez les individus adultes.
La rupture se produit encore sur un animal décapité, c'est-à-dire privé de cer-
veau. CoNTEJEAN a montré que le centre du réflexe se trouve dans la moelle épinière au
niveau des pattes postérieures.
Pour arracher la queue par traction sur un orvet mort, il faut y suspendre un poids
représentant vingt fois celui de l'animal. La queue autotomisée repousse facilement
t'IG. 102 (demi-schématique), destinée à illustrer le mécanisme de la cassure du deuxième article de la patte
du Crabe. L'animal est placé sur le dos; la figure représente une patte de gauche, vue par sa face anté-
rieure.
1, premier article logeant le long fléchisseur b et long extenseur a du deuxième article.
2, deuxième article : la fente entre 2' et 2" indique le niveau de la rupture du deuxième article.
3, 4, troisième et quatrième articles.
C, doigt de l'expérimentateur, ou parties dures du corps de l'animal retenant la patte. La patte étant fixée,
le'muscle a continue à se contracter et sépare 2' de 2". Dans d'autres circonstances, c'est au niveau de l'i.s-
chiopodite, en A, que s'opère la fixation de la partie caduque de la patte. A vient butter contre la base de la
patte précédente.
comme on sait (Léon Feedericq, Bull. Acad. Belg., août 1882. — Conte.ie.\n. C. R.,
27 octobre 1890).
Mollusques. — Appendices dorsaux (Pliœnicurus) de la Tethijs leporina. — C. Paron.\.
Atti délia R. Universita dlGenova, 1891, et Zool. Anzeiger, 1891, n° 371). — Papilles dor-
sales d'Aeolis (Gi.wd, Revue Scient., 14 mai 1887. Frenzel, loc. cit.). Portion du man-
teau de Doris cruenta. (Quoy et G-4.iM.iRD, Voijage de l'Astrolabe, 1830, t. i, p. 261, cité par
D. Œ.. Revue Scient., 27 novembre 1886, p. 701). — Portion postérieure du pied de Harpa
ventricosa (Quoy et G.\im.4rd, loc. cit., p. 617), de plusieurs espèces d'Hélicarion (Semper,
Existenzbed. der Thiere, 1880, t. ii, p. 242), et de Stenopus (Guilding) cité par Seuper, loc.
cit.). — Pied de Hélix crassilabris, H. imperator (Guxdl.4ch), cité par D. CE., loc. cit. — Pied
de Solen margitmtus (D. CE., loc. cit.).
Crustacés. — Pinces de l'écrevisse et du homard. — Pinces et pattes de la langouste,
des galathées et des crabes. — Pinces et pattes ambulatoires des gros Pagures (Voir
plus haut). Dewitz a rapporté le cas d'écrevisses qui perdirent leurs deux pinces au
moment où il les plongea dans l'eau chaude (Dewitz, loc. cit.). Certains crustacés aban-
956 AUTOTOMIE.
donnent levirs pattes quand on les plonge dans l'alcool (communication verbale de
Ed. Van Beneden), ou dans l'essence de térébenthine (J. Demgor).
Insectes. — Pattes de plusieurs diptères (Tipules) et Lépidoptères (Giard, loc. cit.,
L. Fredehicq, loc. cit.). Pattes sauteuses des sauterelles et des grillons. « Si l'on attache
une sauterelle par une de ses pattes sauteuses, l'insecte poursuivi par une baguette de
fer rouge, ne parvient jamais à se délivrer en se débarrassant du membre entravé, tandis
que ce membre se rompt aussitôt, si la cautérisation porte sur lui. L'expérience d'auto-
tomie réussit très bien, non seulement sur un animal décapité, mais sur un métathorai
isolé. On est donc bien en présence d'un acte réflexe, ayant pour centre la troisième
paire de ganglions Ihoraciques. L'autotomie a lieu au niveau de l'articulation de la
hanche et du fémur; dans les pattes sauteuses, le -trochanter fait défaut. » (Contejean.
C. R, 27 octobre 1890. — L. Fbedericq. Revue Scient., 13 novembre 1886, p. 018. —
Frenzel, loc. cit.)
Ailes des mâles et femelles de fourmis. Aiguillon de l'abeille. Pénis des mâles
d'abeilles.
Ailes des mâles de Termites. Frenzel a constaté que l'aile des Termites porte une
strie transversale constituant un lociis minoris l'esistentiœ au niveau duquel l'aile se
déchire quand elle est saisie et que l'animal fait des efforts pour s'échapper. L'aile du
termite est comparable à une lamelle de verre, dit-il, dans laquelle on aurait fait un
léger trait en diamant. Si l'on vient à ployer la lamelle, elle se brise suivant le trait
préformé (Frenzel, A. Pf., t. l, p. 202, 1891).
Les sauterelles que l'on fait mourir en les soumettant à l'action des vapeurs de
chloroforme, d'essence de térébenthine ou d'alcool amylique, cassent leurs pattes sau-
teuses. L'autotomie ne m'a pas semblé se produire chez les mêmes espèces {(Edipa,
Thamnotrizon, Slenobothrus) soumises à l'action des vapeurs d'éther, d'alcool ou de
quelques autres substances volatiles (recherches inédites).
Arachnides. — Pattes des Phalangiwn, Epeira, Lycosa, Tegeneria, etc., P. Parize,
Revue Scient., 18 sept. 1886, p. 3/9. Léon Fbedericq, ibid., 13 nov. 1886, p. 619.
Vers et Annélides (Voir plus loin).
Echinodermes. — Bras ou pinnules des étoiles de mer. — Tube digestif ou glandes
des Holothuries. — Preyer a fait à la station zoologique de Naples des expériences d'au-
totoraie sur un assez grand nombre d'étoiles de mer.
11 suffit de saisir brusquement un rayon d'Asterias glacialia, de le blesser ou de l'exci-
ter par l'électricité pour provoquer sa rupture. Un seul rayon isolé est capable de repro-
duire l'animal entier, comme on le savait depuis longtemps. Si on place l'animal à che-
val sur une baguette tendue horizontalement à une petite distance au-dessous du niveau
de l'eau, de manière que le corps soit dans l'air et que l'extrémité des rayons plonge
seule dans l'eau, on observera fréquemment que l'astérie, au lieu de s'incliner sur le
côté pour se laisser ensuite choir dans l'eau, préférera se couper en morceaux et laisser
tomber soit un seul rayon, soit deux, l'un après l'autre.
Les mêmes expériences furent répétées avec succès sur plusieurs autres espèces,
notamment LutVZia ciKaciS. Les bras détachés de cette espèce sont eux-mêmes capables de
se subdiviser ultérieurement en deux ou trois morceaux, sous l'intluence d'une violente
excitation électrique. L'autotomie peut donc être provoquée sans l'intervention de l'an-
neau nerveux pentagonal. Il suffit que la moelle nerveuse ventrale du rayon soit intacte.
L'autotomie atteint chez les Comatules un degré de développement incroyable, dont
je me borne à citer un exemple. Une Comatule, plongée dans l'eau de mer à 37 à 38°,
exécute encore des mouvements pendant quelques secondes, se roule souvent en boule,
puis se brise en un grand nombre de morceaux, chacun des dix rayons se subdivisant
en plusieurs segments et perdant ses pinnules. Frenzel a constaté que la dénomination
de fragili^ donnée à plusieurs Ophiures ne convient qu'à l'animal vivant. Sur une
Ophiure morte, les bras sont fort résistants {Pheyéb.. Mitthcil. zool. Slat. ■zu Neapel, t. vu,
p.20.ï, 1887. Anal, dans Revue Scient if., 7 mai 1887, p. 389. Frenzel, A. Pf.,t.h, p. 197,1891).
GuRD a signalé un certain nombre de cas d'autotomie chez les Annélides, les Gépby-
riens, les Ectiiriodermes et les Cœlentérés.
11 divise les divers cas d'autotomie en deux grands groupes :
1. — Autotomie défensive.
AUTOTOMIE. 937
II. — Autoloraie reproductrice {gonophorique ou schizogoniale).
Dans cette seconde catégorie doivent trouver place, à côté de l'hectocotylisation des
bras de Céptialopodes (autotomie };onophorique), une bonne partie des cas observés par
PuEYKR, et antérieurement par Lutken et bien d'autres zoologistes chez les Echiiio-
dermes (Ophiactis, Brisinga, etc.).
Dans cette catégorie rentre également l'autotomie si nette des Ligules, et la proche
parenté de ces animaux avec les Botycépbales et les Ténias nous amène à considérer la
formation des Proglottis chez les Cestodes comme un terme extrême de cette série.
L'autotomie défensive peut à son tour se subdiviser en deux groupes :
I. — L'autotomie évasive.
II. — L'autotomie économique.
Le premier groupe renferme les cas très nombreux où l'animal s'autotomise pour
échapper a ses ennemis (Crustacés, Insectes, Balunoglos, etc.).
Le second groupe comprend les cas où l'animal réduit son volume par amputation
volontaire, parce qu'il se trouve dans des conditions défavorables au point de vue de la
nutrition, ou même au point de vue de la respiration. On l'observe généralement chez
les animaux tenus en captivité (cas de la Synapte, des Tabulaires, des Phoronix, des
Némertiens, etc.) (Giard. Revue Scient., 14 mai 1887, p. 629 et Bull, scient, du Nord,
t. XVII, p. 308).
III. Signification de l'autotomie. — Si nous nous demandons comment s'est déve-
loppé le mécanisme si remarquable qui fait à propos éclater et rompre la patte du Crabe,
nous en sommes réduits à des conjectures plus ou moins vraisemblables. Mais, hypo-
thèse pour hypothèse, celle de l'évolution semble, dans l'état actuel de nos connais-
sances, la seule qui puisse donner une explication tant soit peu satisfaisante.
Prenons, pour fixer les idées, l'exemple des Crustacés. Il est probable que les pre-
miers Crustacés qui ont pratiqué l'autotomie l'ont fait à la façon de l'oiseau que l'on
retient par quelques plumes. Ils se sont tant et si bien débattus de tout le corps qu'ils
ont fini par déchirer l'attache du membre qui les retenait captifs. Cette façon brutale
de se délivrer s'est perfectionnée dans le cours des générations. Les contractions des
muscles, primitivement désordonnées, se sont faites avec plus d'ensemble, partant avec
plus d'efficacité. Les muscles ont concentré leurs efforts sur un seul point de la patte.
La coque de celle-ci s'est modifiée en ce point, de manière à éclater facilement à un
moment donné, sans nuire cependant d'une façon générale aux usages habituels de la
patte. Ce perfectionnement anatomique s'est réalisé conformément aux lois de l'évolu-
tion que je n'ai pas à exposer ici : production de variations accidentelles utiles, trans-
mission et exagération de variations utiles par la génération sexuelle et l'hérédité,
combinée avec la survivance des plus aptes.
Les Crustacés de la nature actuelle nous présentent à l'état permanent quelques-uns
des stades de cette évolution. Aux deux extrémités' de la série se trouvent d'une part
le Homard et de l'autre le Crabe.
Le Homard, que l'on saisit par une patte autre que celles qui portent les pinces,
entre dans une véritable fureur; tout son corps est agité de. violents soubresauts. Grâce
à ces mouvements désordonnés, l'animal se libère souvent, la patte saisie s'arrachant
au niveau de la membrane qui sépare le deuxième article du troisième. C'est l'exemple
de l'autotomie primitive, brutale, provoquée par la peur et par l'instinct de la conser-
vation. Ici, les mouvements faits par l'animal pour se délivrer sont sans doute des mou-
vements volontaires.
Les choses se passent tout autrement chez le Crabe. Pincez l'une des pattes à son
extrémité : aussitôt l'animal s'arrête, soulève légèrement le membre saisi, de manière
à l'appuyer contre les parties dures voisines. On entend un léger craquement : l'éclate-
ment s'est produit au même niveau que chez le Homard, et la patte tombe. La cassure
est réalisée par la contraction d'un seul muscle, le muscle autotomiste ; elle se produit
au niveau d'un sillon circulaire préexistant, qui marque la place de la soudure du
deuxième et troisième article de la patte. Ces deux articles qui, chez le Homard, sont
séparés par une membrane, sont ici soudés en une seule pièce. Cette pièce présente
une grande résistance à la traction dans le sens de l'axe du membre; elle éclate au
contraire avec facilité sous l'influence d'un effort léger, dirigé dans le sens du tendon
958 AZOTATES.
du muscle autotomiste. Nous avons affaire à un mécanisme très spécialisé, très perfec-
tionné, bien mieux adapté à son rôle que les contractions générales dont use le Homard.
De plus, comme nous l'avons vu, le mouvement d'autotomie qui, chez le Hojnard,
paraissait sous la dépendance de la volonté de l'animal. S'est transformé, chez le
Crabe, en un mouvement réflexe.
L'aatotomie serait donc un mouvement primitivement volontaire et intentionnel,
ayant pour point de départ l'instinct de la conversation et tendant à arracher violem-
lemment le corps de l'animal à l'étreinte ennemie, quitte à sacrifier la partie saisie. Ce
mouvement se serait peu à peu perfectionné et adapté d'une façon plus parfaite au but
à atteindre : en même temps, il aurait perdu son caractère intentionnel et serait devenu
un réflexe pur.
C'est d'ailleurs une règle d'une portée générale que les mouvements volontaires fré-
quemment répétés se transforment insensiblement en mouvements réflexes, pour la
production desquels l'intervention de la volonté n'est plus nécessaire. Tout le monde
sait que l'éducation des exercices corporels chez l'homme est basée en grande partie
sur ce phénomène (L. Fredericq. Bull. Acad. Beig. 1893, p. 738).
Bibliographie générale. — Les mémoires cités plus haut de l'auteur, de Giard,
CoNTEJEAx, Fhexzel, Paro.na, etc., et l'article Autotomie de de Varigny dans la Grande
Encyclopédie. Voir aussi : Léon Fbedericq. Vautotomie ou la multiplication active dans
le lègne animal. Bull. Acad. roy. Belgique., 1893, p. 7b8, t. xxvi.
LÉON FREDERICQ.
AZOTATES. — Les azotates sont des sels presque tous solubles, produits de la
combinaison de l'aride azotique avec une base. Au point de vue phj'siologique on n'étu-
diera ici que l'action des nitrates unis à des bases peu otfensives (potassium, sodium,
calcium). De fait, on n'a guère expérimenté qu'avec les nitrates de sodium et de potas-
sium. Quoique cette étude soit faite aux mots Potassium, et Sodium, nous devons pour-
tant en dire quelques mots, ne fût-ce que pour indiquer les différences d'action entre
les nitrates, les chlorures et les sulfates de la même base.
La toxicité des nitrates de potasse et de soude a été considérée par Bouchard et
Tapret (v. plus haut I». Ph. p. 609, t. i), comme égale à 0,17 par kilogramme pour le
nitrate de potasse et 2,30 pour le nitrate de soude. Chiffres sensiblement égaux à ceux
que donnent les sels correspondants (0,18 par kilogramme pour le chlorure de potas-
sium; 3,03 pour le phosphate de soude, 2,03 pour le sulfate de soude). Ces faits sem-
blent prouver que nitrates, chlorures, sulfates ont la même puissance toxique. Ch. Richet,
eu étudiant la toxicité des différents sels de sodium sur des poissons mis dans des
solutions de titre différent (B. B., 1880, t. sxxvm, p. 486), a constaté que, pour une
même dose de sodium, le chlorure était le moins toxique, et il a dressé l'échelle sui-
vante :
DOSE TOXIQUE EX POIDS DE SODIUM PAR LITRE.
Chlorure 16 grammes.
Azotate 5,4
Sulfate 5,3
Fluorui-e 3,3
Bromure 3,3
Formiate 2,2
Azotite 1,9
Acétate 1,9
Citrate 1,6
lodure 1
Oxalate 0,8
Salicylate 0,22
On peut déduire de ces faits que les nitrates sont toxiques par leur métal plus que
par leur radical électro-positif. M.airet et Combem.ale ont déterminé {B. B., 1887,
t. XXXIX, p. o7 et p. 63) la dose toxique du nitrate de potasse, et ont trouvé une dose
de 2e"-,D par kilogramme d'animal sur le chien. Ce chiffre revient, en somme, à celui de
Bouchard; car il s'agit, dans les expériences de Mairet et Combemale, d'injections sto-
macales, et dans celles de Bouchard d'injections intra-veineuses. Or, comme l'a constaté
AZOTE. 939
Ch. RiCHET dans d'autres recherches {Travaux du laboratoire, 1893, t. n, p. 448), quand il
s'agit de sels de potasse, la dose mortelle pour l'injection inlra-veineuse est dix ou
quinze fois plus faible que pour l'injection stomacale.
D'après Mairet et Cohbemale, à dose forte, le nitrate de potasse (qui, k dose faible,
provoque de la diurèse) produit de l'anurie, de la diarrhée, l'accélération du cœur,
de la faiblesse générale, un notable abaissement de la pression artérielle, et ils expliquent
la mort par une action sur les globules du sang. Il est probable en effet que, comme
tous les sels de potasse, le nitrate agit sur les globules du sang et le myocarde. Quant
à l'hypothèse de Mairet et Combemale, que l'action diurétique du nitrate Je potasse est
due à une déshydratation des globules du sang, elle est impossible à vérifier, et n'est
d'ailleurs pas vraisemblable.
Les effets diurétiques des nitrates ont été utilisés en thérapeutique, et de nombreux
travaux ont été publiés a. ce sujet. Il est probable que leur effet diurétique n'est pas
spécifique, et que tous les sels de potasse ingérés à faible dose auraient le même effet.
En somme, si le nitrate de potasse a une action spécifique, c'est moins sur la sécrétion
urinaire que sur le sang, dont il diminue la fibrine; sur les globules, qu'il rend cré-
nelés; et sur le cœur dont il affaiblit la force.
Nitrates des eaux. — Certaines eaux minérales contiennent des quantités notables de
nitrates, celle de Prieuré Deudeville (Eure) contiennent 0,36 de nitrates alcalins par
litre (Rabuteau). L'eau de Kissingen, 0,009.
Nitrates dans les plantes. — Certaines plantes, comme, par exemple, VAmaranthus,
d'après BouTiN, contiennent jusqu'à lo p. 100 de leur poids de nitrate de potasse.
Chatin (B. B., 1874, t. xxvi, p. 101) en a trouvé de b à 8 p. 100 dans différentes plantes
sèches et jusqu'à 8 ou 9 p. 100 dans les morènes. 11 s'ensuit qu'avec nos aliments végé-
taux nous ingérons des quantités appréciables de nitrates. D'après Fh(;hling et Grouven,
il y en ajusqu'à un millième dans les jeunes légumineuses et graminées. Cette proportion
peut monter jusqu'à 3 millièmes dans les choux elles betteraves (Ko.\ig, Menschlichen
Nahrungs und Genussmittel). Ainsi rien de surprenant si dans l'urine normale il y a
élimination d'une certaine quantité de nitrates. D'après Weyl et Meyer, cette quantité
d'acide nitrique éliminé par l'urine sous forme de sel serait de 0,02o à 0,0.o0 par litre.
Weyl [A. V. 1884, t. xcvi, p. 462) a donné la bibliographie détaillée de toutes les recher-
ches relatives à la présence des nitrates dans l'urine, et lui-même a consacré plusieurs
mémoires à l'étude approfondie de cette question [A: V. 1883, t. ci, p. 175; 1886, t. f:v,
p. 187, et A. Pf., t. X.XXVI, p. 4o6).
Il s'est proposé de rechercher, d'une part, si l'ammoniaque ingérée se transformait en
acide nitrique, d'autre part, si l'acide nitrique introduit de l'économie subit des trans-
formations. La conclusion tirée de ses expériences, c'est que les résultats sont différents
suivant qu'on expérimente sur l'homme ou sur le chien. Celui-ci, après ingestion d'am-
moniaque, ne produit pas de nitrates; et non seulement il n'en produit pas après
ingestion d'ammoniaque ou de viande, mais même après ingestion d'acide nitrique ou
de nitrates. Il est alors possible, comme l'a dit Zuntz, à propos d'une communication
faite par un élève de \A'eyl, Kossel, à la Société physiologique de Berlin, qu'après inges-
tion d'ammoniaque une certaine quantité soit éliminée sous forme d'azote libre par les
voies respiratoires.
Chez l'homme, au contraire, il y a des nitrates dans l'urine, et, quand on en ajoute
dans l'alimentation, on retrouve l'acide nitri(jue produit. Des observations sur les oiseaux
ont fourni les mêmes résultats.
Il est donc prouvé que l'homme élimine de l'acide nitrique en petite quantité, et,
comme nous le disions plus haut, les nitrates éliminés proviennent très certainement
des aliments végétaux ingérés. Peut-être aussi une très petite quantité est-elle fournie
par les oxydations et transformations des sels ammoniacaux et des aliments azotés.
Pour le rôte des azotates dans la vie des plantes, nous renvoyons à l'article Azote.
CH. R.
AZOTE. — Corps simple, gazeux, formant les quatre cinquièmes de l'air
atmosphérique (P. at. = 14j. Un litre d'azote pur pèse lsr,2o6 (à 0° "X 0^,760). Sa den-
sité est égale à 0,971.
960 AZOTE.
i;air contient 79,2 p. dOO d'azote et d'argon, soit environ 7S p. 100 d'azote.
L'azote estsoluble dans cinquante fois son volume d'eau.
Il se liquéfie par le froid et la pression et bout à — 213°. L'évaporalion de l'azote
liquide amène la congélation en cristaux neigeux, volumineux, d'une partie de la masse
liquide.
L'azote à la température ordinaire ne se combine directement avec aucun corps.
Par l'étincelle électrique on peut le combiner à l'oxygène et à l'eau ; et on obtient
ainsi, suivant les conditions de l'expérience du biox3'de d'azote, de l'anbydride hypo-
azotique, de l'ammoniaque, de l'acide azotique, de l'azotate d'ammoniaque.
Le bore, le magnésium, le potassium, chauffés dans un courant d'azote, forment des
azolures. Le carbone forme avec l'azote du cyanogène, en présence des alcalis.
On prépare l'azote soit en absorbant l'oxygène de l'air (par le phosphore, par le
cuivre au rouge, par le cuivre ammoniacal), soit en dissociant l'azotite d'ammoniaque
par la chaleur, soit en décomposant l'ammoniaque ou un sel ammoniacal par le chlore
ou le brome.
On peut évaluer la quantité d'azote contenue dans l'atmosphère à environ 300 mil-
lions de milliards de tonnes (en kilogrammes). Cette quantité de l'azote atmosphérique
est si considérable que l'azote contenu dans le corps des êtres vivants et dans les diffé-
rents minerais peut être regardé comme une quantité négligeable. Cependant, d'après
ScHLŒSiNG, l'eau de mer contient 0'»'"'S'-,4 d'ammoniaque par litre; ce qui ferait par
conséquent une énorme provision d'azote dans la mer : loOOO millards de tonnes,
L'azote, malgré ses faibles affinités, est un élément essentiel de la vie des êtres,
puisqu'il entre dans la composition des matières albuminoïdes qui font partie intégrante
de la constitution des végétaux et des animaux. On peut évaluer à environ 3 p. 100 en
moyenne la proportion d'azote contenu dans le corps des êtres vivants (la proportion
d'eau étant d'environ 73 p. dOO).
Cet azole n'est pas introduit dans l'organisme par la respiration. Il n'y a pas de
fixation d'azote libre par les êtres supérieurs. On verra plus loin (voir Azote, fixation par
le sol et les végétaux) que l'azote atmosphérique est directement assimilé par les
organismes végétaux inférieurs. Les produits de cette assimilation sont des matières
azotées, des nitrates, des sels ammoniacaux qui servent à la nutrition des êtres supé-
rieurs.
L'azote assimilé est ensuite désassimilé et excrété sous forme de combinaisons azotées
multiples, variant avec la nature de l'espèce animale pu végétale. Mais il est probable
qu'une partie de cet azote excrété est rendu sous forme gazeuse; de sorte que, d'une
manière générale, on peut concevoir les êtres supérieurs comme chargés de détruire les
combinaisons azotées formées par les micro-organismes du sol et de certaines plantes
(légumineuses).
Si l'on admet que 1 kilogramme de tissu vivant contienne 30 grammes d'azote dans
ses tissus; la dénutrition azotée est pour cet animal de d kilogramme (à sang chaud),
environ 08'',3 d'azote par vingt-quatre heures. Autrement dit la destruction, et par
conséquent, la rénovation de l'azote des tissus porte sur la centième partie de ses tissus
par vingt-quatre heures.
L'azote gazeux existe en dissolution dans le sang et aussi dans toutes les humeurs. Le
sang contient environ l'''=,o de gaz azote pour iOO centimètres cubes (Voyez Sang, Respi-
ration). Les autres liquides organiques en contiennent des proportions analogues.
Quant à l'élimination d'azote gazeux par la respiration, c'est un problème très diffi-
cile, non résolu encore. On tend à admettre que nous exhalons par les poumons une
minuscule quantité d'azote libre.
Si les pressions élevées sont mortelles, c'est par l'action toxique de l'oxygène,
comme l'a montré P. Bebt. L'action chimique de l'azote est tout à fait nulle, même si
la pression est élevée.
De fait il semble que la fonction de l'azote par rapport à la nature vivante soit
d'abord de faire des combinaisons qui, par leur instabilité, se prêtent aux combinaisons
et aux dissociations protoplasmiques, et ensuite de diminuer l'intensité des oxydations,
en diluant des 4/3 l'oxygène atmosphérique.
Voir Albuminoïdes, Aliments, Air, Respiration, Nutrition, Urée.
AZOTE. . 961
AZOTE {Fixation de l'azote ijazeux par le sol et les végétaux). — La question de
l'absorption de l'azote gazeux par le sol et les végétaux est une de celles sur lequelles
les connaissances bactériologiques ont jeté dans ces dernières années la plus vive
lumière. Nous envisagerons surtout les rapports de l'azote libre avec le sol et avec les
végétaux et nous traiterons incidemment ce qui est relatif au rôle que jouent les nitrates
et les sels ammoniacaux dans la nutrition azotée des plantes.
Niée par Boussingault, défendue par G. Ville, il y a quarante ans, finalement non
acceptée de la plupart des physiologistes, bien que des observations de tous les jours
parlassent en sa faveur, la fixation de l'azote par le sol et par certaines plantes est
universellement admise aujourd'hui. C'est qu'en effet, à la suite de minutieuses recher-
ches que nous exposerons plus loin, cette question est entrée récemment dans une phase
nouvelle, dès qu'on a entrevu la part que les infiniment petits prenaient dans l'ac-
complissement du phénomène.
Nous présenterons les faits dans l'ordre suivant :
I. Recherches de Boussingault et de G. Ville.
II. Phénomènes naturels et expériences dans lesquels intervient l'azote libre.
IIL Théorie de la circulation de l'ammoniaque atmosphéric^ue, son rôle dans la nutrition
des plantes. — ■ Fixation électrique de l'azote.
IV. Fixation de l'azote sur la terre végétale avec le concours des microorganismes. Fixa-
tion de l'azote par les légumineuses.
V. Nature des tubercules radicaux des légumineuses. — Expériences d'inoculation.
VI. Premiers essais de culture des microbes fixateurs d'azote existant dans le sol; résultats
expérimentaux.
I. Recherches de Boussingault et de G. Ville. — Quelques mots d'abord sur
l'historique de la question sont nécessaires. Dès que la composition de l'air fut connue,
on se demanda quel était le rôle que jouait l'azote vis-à-vis des plantes. Priestley, puis
Ingenhousz, conclurent de leurs expériences que l'azote de l'air peut servir à la nutrition
des plantes. Priestley crut reconnaître que l'EpHobium hirsutum, placé dans un vase clos,
avait absorbé au bout d'un mois les sept huitièmes de l'air que contenait le récipient.
Inge.nhousz voulut généraliser cette observation : pour lui toutes les plantes doivent absor-
ber l'azote gazeux. Cependant Saussure, en répétant les essais de Priestley, obtient un
résultat tout différent; le célèbre physiologiste montre que les plantes ne condensent
pas l'azote gazeux et que leur nutrition azotée se fait aux dépens de l'ammoniaque
contenue dans l'atmosphère. L'azote de fair n'intervient donc pas directement et n'a
d'autre rôle que celui de tempérer les affinités trop vives de l'oxygène. « On ne peut dou-
ter, dit Saussure, de la présence des vapeurs ammoniacales dans l'atmosphère, lorsqu'on voit
que le sulfate d'alumine peut se changer, à l'air libre, en sulfate ammoniacal d'alumine. » Il
faut cependant noter que les plantes, dans le dispositif employé par Saussure, ne
pouvaient prospérer au sein d'une atmosphère confinée; celle-ci doit être renouvelée et
on ne peut conclure à la non-absorption de l'azote, puisque les conditions de cette végé-
tation étaient essentiellement anormales.
Il faut arriver aux travaux de Boussingault (.4)i)i. Chim., (2), t. lxvii, p. 5, 18.38) pour
trouver l'emploi d'une méthode rigoureuse d'investigation. Les expériences que nous
venons de rapporter étaient faites sous une cloche et, de la différence entre les composi-
tions initiale et finale des gaz enfermés, on concluait à l'absorption ou à la non-absorp-
tion de l'azote gazeux. Or de semblables essais présentent de trop grandes difficultés et
de trop grandes incertitudes pour qu'on puisse se prononcer nettement dans un sens
ou dans l'autre : il eût fallu pouvoir toujours compter sur des changements considé-
rables de volume. Aussi Boussingault emploie-t-il le procédé suivant : il compare la
composition des semences à celle des récoltes obtenues aux dépens seuls de l'eau et
de l'air. Ce mode d'expérimentation d'ailleurs a été suivi toujours depuis les mémorables
recherches que nous allons résumer brièvement. D'une part, dosage initial de l'azote
contenu dans la graine employée, le sol et même les vases mis en usage, d'autre part,
dosage final de l'azote dans les plantes, le sol et le vase. A ces données, il convient
d'ajouter l'azote, que contient l'eau d'arrosage (à moins que celle-ci n'ait été préalable-
ment privée d'ammoniaque par distillation) à l'azote apporté par l'eau de pluie (ammo-
niaque et acide nitrique) si l'expérience a été faite en plein air; on devra aussi tenir
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME l. 61
962 . AZOTE.
compte, dans ce dernier cas, de l'ammoniaque gazeuse que renferme l'atmosphère, car
nous verrons dans la suite qu'on a fait jouer longtemps à cette ammoniaque un rôle
considérable dans la nutrition azotée des végétaux tant que l'absorption directe de l'azote
a été un fait contesté. Telle est, nous le répétons, la méthode suivie dans toutes les re-
cherches de ce genre. Quant à l'azote, on dosait soit en volumes (procédé de Dumas)
soit à l'état d'ammoniaque par la chaux sodée.
Revenons aux recherches de Boussingault. Le sol dans lequel germait la graine était
un sable siliceux, tamisé d'abord, puis chauffé au rouge pour détruire toute matière
organique. Une fois humecté d'eau distillée, ce sable recevait les graines. A la fln de
l'expérience, on comparait le poids du végétal, séché à HO", avec celui de la graine au
même état de dessiccation. Les premiers essais exécutés avec le trèfle et le froment se
développant à l'air libre et à l'abri de la pluie ont fait voir que, pendant leur germina-
tion, le trèfle et le froment « ne gagnent ni ne perdent une quantité d'azote qui soit indi-
quée par l'analyse ». Nous ne retenons ici que ce qui est relatif à l'azote seul. Après avoir
végété un certain temps, le trèlle accusa un gain non douteux d'azote pris à l'atmo-
sphère, gain qui n'avait pas eu lieu pendant la germination de la graine ainsi que nous
l'avons vu. A(in d'éliminer une cause d'erreur possible dans ces expériences, à savoir la
chute sur l;i vase de culture des poussières organiques en suspension dans Fatmo-
sphère, Boussingault répéta ces mêmes essais sous une cloche traversée par un courant
d'air qui barbotait au préalable dans un vase plein d'eau : le trèfle accusa encore un
gain d'azote. Cultivé dans les mêmes conditions, le froment ne perdit ni ne gagna
d'azote. Boussingault ajoute que le froment aurait peut-être accusé un gain, ainsi que
le trèfle par une culture suffisamment prolongée, mais qu'il a bien moins supporté que
le trèfle les conditions défavorables dans lesquelles ces deux plantes étaient placées.
Dans un second mémoire {Ann. Chim., (2), t. lxxx, p. 3o3, 1838), Boussingault répète,
en partie, les expériences qu'il a déjà exécutées; il constate sur le pois ce qu'il a déjà
constaté sur le trèfle, mais, chose curieuse, le pois a, de plus, fleuri, et donné des graines
d'une maturité parfaite, bien qu'il ait été cultivé dans du sable calciné. La quantité
d'azote de la récolte est plus que le double de celle de l'azote de la. semence. Cette
remarquable expérience ne reçut pas d'explication. Ce n'est qu'à la suite de recherches
toutes récentes, ainsi que nous le verrous, qu'une interprétation rationnelle peut en être
donnée. Un autre point visé par Boussingault dans son mémoire est le suivant : Des
plantes, douées d'une organisation complète, assimilent-elles l'azote quand elles sont
transplantées et cultivées dans un sol absolument privé de matières organiques? L'expé-
rience a porté sur le trèfle qui, retiré d'un champ, fut transplanté dans du sable calciné
puis humecté et mis ensuite à l'abri des poussières de l'atmosphère; des pieds témoins
servaient à l'analyse. Après avoir été languissantes, les trois plantes employées prirent
bientôt une vigueur remarquable et donnèrent des fleurs. « Ainsi, après deux mois de
végétation aux dépens de l'air et de l'eau, le trèfle aurait, pour ainsi dire, triplé le poids
de sa matière élémentaire et l'azote se trouverait doublé. » Boussingault voulut répéter
avec le froment une expérience de transplantation, mais cette plante mourut constam-
ment. Il s'adressa alors à l'avoine qu'il plaça dans l'eau distillée : dans ces conditions,
le végétal s'allongea et, sept semaines après, les graines étaient mûres. Mais, au lieu
d'accuser un gain d'azote durant la végétation, l'analyse signala, au contraire, une
légère perte de cet élément. A la suite de ces diverses expériences, l'auteur ne se pro-
nonce pas d'une façon absolue sur l'origine de l'azote gagné par le trèfle et le pois; il
attribue ce gain, soit à l'azote gazeux, soit aux vapeurs ammoniacales contenues dans
l'atmosphère, soit au nitrate d'ammonium qui se rencontre fréquemment dans l'eau de
pluie d'orage. Telles sont les conclusions formulées par Boussingault comme conséquence
de ses premières recherches. Liebig fut plus catégorique et se prononça nettement en
faveur de l'absorption par les plantes de l'ammoniaque atmosphérique. Mulder faisait
provenir celle-ci de la combinaison de l'azote de l'air avec l'hydrogène dégagé dans la
décomposition des corps organiques privés d'azote.
Douze ans après la publication des travaux que nous venons d'analyser, Boussingault
reprit en 1831 et 1833 la question du rapport de l'azote avec la végétation : ses nouvelles
expériences le conduisent à des conclusions différentes (A?hi. Chim., (3), t. xli, p. 3; t. xlih,
p. 149 ; Agronomie, Chimie agricole et Physiologie par Boussingault ; Paris 1 860, t. I, p. d ).
AZOTE. 963
BocssiNGAULï remarque d'abord que, la proportion des substances azotées élaborées par
une plante en sol stérile étant très faible, même si la végétation est prolongée pendant
plusieurs mois, il semble peu rationnel d'admettre que l'azote gazeux intervienne, puis-
qu'il domine dans la composition de l'air. On conçoit mieux, ati contraire, dit-il, l'exiguité
de la dose d'azote assimilé dans l'hypothèse de l'intervention unique lii.s r(iii::iirs ammonia-
cales, par cette raison que l'atmosphère, ne renfermant pour ain^i ilirr ^iin- des traces de
carbonate d'ammoniaque, elle ne peut fournir qu'une quantité très lindltc d'cl&ments azotés à
une végétation accomplie sous la seule influence de l'air etde l'eau. Ce raisonnement, attaquable
par plus d'un côté, a été néanmoins accepté presque universellement pendant trente
ans et l'on peut dire que la théorie de la nutrition ammoniacale a régné sans conteste
pendant cette période de temps.
Dans ses expériences de 1851-1833, Bocsslngault ne fait plus végéter les plantes sous
cloche dans un courant d'air : en effet, ce courant devant être rapide afln que l'acide
carbonique amené par lui fût suffisant, il était à craindre que l'ammoniaque atmosphé-
rique ne fût pas retenue intégralement par les réactifs appropriés. De plus, en supposant
que cette purification fût complète, si l'on constate cependant un gain d'azote, on pourra
.seulement conclure que cet azote ne provient pas de l'ammoniaque, car, pour admettre
qu'il provienne de l'état gazeux, il faudrait pouvoir affirmer que indépendamment de
composés ammoniacaux volatils et des poussières d'origine organique, l'atmosphère ne contient
pas en proportion assez faible pour échapper aux procédés ordinaires de l'analyse, d'autres
principes capables de concourir à la formation de substances azotées dans les végétaux.
Aussi, dans les nouvelles e.xpériences, la plante végète-t-elle dans une atmosphère non
renouvelée. L'appareil consiste en une cloche de trente-cinq litres reposant sur une vaste
soucoupe pleine d'eau acidulée dans laquelle la cloche entre sur une longueur de quel-
ques centimètres. L'air est ainsi confiné, mais non d'une façon absolue, puisque son vo-
lume change par suite des variations de pression et de température et que la diflusion
s'opère, lentement sans doute, l'air pouvant pénétrer dans la cloche à travers la liqueur
acide. Cet air abandonne nécessairement l'ammoniaque et les poussières organiques qu'il
contient. Un vase de cristal plein d'eau^se trouve porté par un support de verre au
centre de la soucoupe. L'eau de ce vase sert à arroser par imbibition le sol contenu dans
le pot à expérience qui repose sur lui. Un tube deux fois coudé permet de remettre de
l'eau dans le vase, un autre tube sert à introduire de l'acide carbonique préparé et puri-
fié comme il convient. La calcination du sol est elTectuée dans un creuset percé au fond
et servant directement, sans transversement, aux expériences. Quand ce creuset est re-
froidi, on humecte son contenu avec de l'eau privée d'ammoniaque, dans laquelle sont
délayées les cendres qu'on veut faire agir sur la végétation. Les graines soumises à l'expé-
rience étaient additionnées de cendres de fumier. Ou déterminait au préalable la quan-
tité d'azote contenue dans des graines semblables, puis, à la fin de l'expérience, l'azote con-
tenu: l°dans les plantes récoltées ; 2° dans le sol qui avait porté ces plantes. Les méthodes
analytiques ainsi que les précautions prises pour leur exécution sont d'ailleurs ii'répro-
cbables : nous ne pouvons nous y arrêter davantage. Les conclusions que l'auteur tire de
cette nouvelle série d'expériences peuvent se résumer en quelques mots : il n'y a pas eu,
dans l'espace de deux à trois mois, fixation d'azote, ni dans les essais portant sur les
haricots, ni dans ceux ayant porté sur l'avoine. Dans une nouvelle suite de recherches
exécutées en 1833, Boussingault fit usage, non de cloches, mais de grands ballons de
verre de 70 à 80 litres de capacité. Le sol était composé comme précédemment; on
l'additionnait de cendres de fumier et on l'arrosait avec de l'eau exempte d'ammo-
niaque. Un ballon contenant six à sept litres de gaz carbonique était adapté de temps
en temps au-dessus de la tubulure du grand ballon. La durée de cette série d'expériences
a été moindre, en général, que la précédente; on examinait, en effet, les plantes dans
toute leur vigueur et avant la chute d'aucune feuille. La conclusion formulée par Bous-
singault ne diffère pas de la précédente : il n'y a pas de fixation d'azote en quantité
appréciable. Cependant une plante peut se développer normalement en vase clos si le
sol qui la supporte et l'atmosphère dans laquelle elle se di'esse renferment une propor-
tion suffisante de principes nécessaires à son existence. Des résultats négatifs furent
également obtenus, soit en cultivant les plantes (lupin, haricot, cresson alénois) dans de
grandes cages vitrées, traversées par un i-ourant d'air mêlé d'acide carbonique en propor-
964 AZOTE.
tionsufflsanle, soit eu les faisant végéter en plein air, à l'abri delà pluie dans le même genre
de sol, c'est-à-dire dans la ponce calcinée. Cependant, dans celte dernière série d'expé-
riences, il y eut de très faibles traces d'azote provenant, soit de l'ammoniaque atmo-
sphérique, soiL des matières organiques eu suspension dans l'atmosphère et dont la pré-
sence se révélait par l'apparition d'une substance verte couvrant parfois la partie infé-
rieure des pots, parfois aussi s'attachant à la surface du sol humide. Remarquons, en
passant, que le dispositif qui consiste à faire végéter des plantes sous une cloche dont
l'atmosphère n'est pas renouvelée a été emploj'é bien des fois par divers expérimenta-
teurs. Mai?, si cette disposition garantit la présence d'une atmosphère bien connue et
sans communication avec l'extérieur, elle ne met pas à l'abri de l'inconvénient suivant :
les plantes et la terre arable (au cas oii l'on ferait usage de celle-ci) dégagent des
principes azotés volatils qui peuvent être toxiques vis-à-vis des êtres qui les ont sé-
crétés.
De cette longue série de recherches, Boussingault conclut à la non-absorption de l'azote
gazeux. Nous avons vu cependant que les expériences de l'année 1838 donnaient cons-
tamment lieu à un gain faible, mais réel, d'azote. Boussingault pense qu'à cause des
progrès de l'analyse, des soins particuliers par lui apportés dans ces derniers essais, par
exemple, l'emploi de l'eau distillée absolument privée d'ammoniaque, il faut rejeter les
premières expériences pour n'adopter que les conclusions des secondes. Il convient de
remarquer ici qu'une plante à laquelle on ne donne aucune nourriture azotée, comme
c'est ici le cas, se développe tant que l'azote de sa graine lui suffit, mais le développe-
ment ne saurait être de longue durée. Non seulement feuilles et tissus n'ont pas les
dimensions et la couleur normales, mais la matière sèche représente, eu général, un
très petit nombre de fois seulement le poids de la graine qui lui a donné naissance. Chez
une plante, au contraire, qui a végété dans un terrain normal-, le poids de la matière
sèche peut atteindre cent et même mille fois le poids de la graine initiale. Un végétal
qui ne se nourrit qu'aux dépens de l'azote de sa graine et de l'acide carbonique de l'air
a été nommé par Boussi.ngault une plante-limite.
Continuons à suivre les travaux de Boussingault dans cette voie, et arri-vons à une série
d'expériences que le savant agronome fit, en 1838, sur « la terre végétale considérée dans
ses effets sur la végétation » {Agronomie, t. i, p. 283). Bien que sortant un peu de notre
sujet, ce nouveau travail, par certains côtés, va nous offrir des aperçus très dignes d'inté-
rêt. Ayant cultivé, soit dans de grands ballons de verre semblables à ceux que nous
avons déjà décrits, soit en plein air, des lupins, du chanvre, des haricots, plantés dans un
sol formé de 130 grammes de terre végétale très fertile (contenant 2s"',o d'azote total par
kilogramme) et de 1300 grammes de quartz, Boussingault remarque que ces divers végé-
taux, après un séjour plus ou moins prolongé dans le sol artificiel sus-indiqué, sem-
blaient souffrir d'une insuffisance de matières fertilisantes. En fait, le poids de la matière
sèche représentait à peine le triple ou le quadruple du poids de la graine employée,
comme si ces plantes avaient crû dans un sol stérile, calciné au préalable. Celles-ci
n'avaient utilisé que quelques centièmes à peine de l'azote qui leur était offert. Boussin-
gault, entre autres conclusions que lui suggèrent ces expériences, émet l'idée que, puis-
que la plus grande partie de l'azote contenu dans le sol employé n'est pas intervenue,
le petit volume de terre végétale mis en expérience en est cause : la majeure partie de
son azote n'est pas immédiatement assimilable. Dans un potager, au contraire, de sem-
blables plantes disposeraient de cent et mille fois plus de terre et pourraient assimiler
cent et mille fois plus d'azote. Voilà donc un premier résultat intéressant, puisqu'il nous
.indique qu'il ne suffit pas qu'il existe de l'azote combiné dans un sol, mais qu'il faut
encore que cet azote soit assimilable. Ces expériences nous montrent encore autre chose :
sans doute ces plantes s'étaient mal développées, cependant elles renfermaient un peuplus
d'azote que leurs graines. Cet azote vient du sol; mais celui-ci, loin de s'être appauvri, a
fait également un gain d'azote, qui s'est élevé parfois à 1 cinquième de l'azote initial :
en somme, c'est le sol qui a fixé l'azote. Dans le cas da chanvre, le sol n'a rien fixé, bien
que la plante se soit légèrement enrichie en azote. Une expérience, exécutée comme les
précédentes, mais avec de la terre non ensemencée (jachère), a montré que, à côté d'une
combustion lente du carbone, il n'y pas eu perte d'azote, mais plutôt léger gain. Ces divers
résultats furent corroborés par de nouvelles recherches faites l'année suivante {toc. cit.,.
AZOTE. 965
p. 330). L'expérience répétée avec la terre en jachère accusa de nouveau une fisation
d'azote en même temps qu'il y eut nitrification intense. Il est, de plus, une remarque
fort intéressante que fit Boussingal-lt et dont la signification physiologique ne devait
être donnée que beaucoup plus tard. « Sur les racines (d'un haricot cultivé en sol sté-
rile) d'ailleurs très saines, on apercevait -plusieurs tubercules spongieux de la grosseur d'un
grain de colza. Cette particularité s'est aussi présentée sur les racines du haricot venu dans la
terre végétale. » Cornme complément à ces expériences, Boussingault montra que pen-
dant la végétation des niycodermes et en particulier de celle du Pénicillium glaucum,
au sein d'un liquide fertile, il n'y a pas fixation d'azote (toc. ct<.,p. 340) (voir encore à
ce sujet : F. Sestini et G. delTorre, Landw- Vers. Stat. t. xix, p. 8).
Nous avons tenu à présenter avec détails les expériences de Boussingault : elles ont
en effet un intérêt considérable, tant à cause du soin avec lequel elles ont été exécutées,
indépendamment de toute idée préconçue, qu'à cause de l'iniluence qu'elles ont eue
pendant de longues années sur le développement de cette question. A peine quelques
voix discordantes s'élèvent-elles à cette époque ; la non-absorption de l'azote par les plan-
tes fut admise par la majorité des physiologistes, et cela jusqu'à ces dernières années.
Cependant, au moment où les expériences de Boussingault exécutées enl8Sl-l8o3 sem-
blaient entraîner la conviction et faire rejeter définitivement la doctrine de l'absorption
de l'azote gazeux, Georges Ville publiait une série de recherches dont nous allons
donner un rapide aperçu, et qui conduisaient à des conclusions diamétralement opposées
[Recherches expérimentales sur les végétations, Paris, 1833 ; C. fi., t. xxxi, p. o78; t. xxxv,
pp. 464, 630; t. xxxvm, pp. 703, 723). Voici le raisonnement qui est le point de départ
des expériences de G. Ville. Pour savoir si l'azote que les plantes tirent de l'air est
absorbé à l'état d'ammoniaque ou à l'état d'azote libre, il suffit de déterminer la quan-
tité d'ammoniaque contenue dans un certain volume d'air, puis de faire passer un vo-
lume d'air égal dans l'intérieur d'une cloche dans laquelle on aura enfermé des plantes
semées dans du sable calciné. Si l'ammoniaque de l'air est l'origine de l'azote absorbé
par les végétaux, les plantes ne pourront absorber plus d'azote que l'air n'en contient à
l'état d'ammoniaque. Mais, si les plantes se trouvent avoir fixé plus d'azote qu'il n'en
existe dans l'ammoniaque aérienne, il faudra chercher autre part la source de cette ab-
sorption. Pour éliminer les poussières de l'air, on pourra, dans une expérience, faire
passer cet air sur de la ponce sulfurique qui retiendra à la fois et les poussières et
l'ammoniaque. Si dans ce dernier cas les plantes absorbent encore de l'azote, celui-ci pro-
viendra nécessairement de l'azote gazeux de l'atmosphère. Aussi G. Ville s'applique-t-il
à doser d'abord l'ammoniaque contenue dans l'air, après avoir fait la critique des expé-
riences de Grager, de Kemp, de Frésemus et d'IsiuoRE Pierre sur le même sujet. Nous
n'avons pas à décrire ici cette première partie des recherches, et nous arrivons aux
expériences relatives à la fixation de l'azote. Celles-ci ont été exécutées dans de grandes
cloches traversées par un courant d'air, tantôt privé au préalable d'ammoniaque et
tantôt simplement débarrassé des poussières par passage dans un tube en U rempli
de fds de verre. Le sol employé était de la ponce calcinée dans laquelle se faisait l'ense-
mencement ou le repiquage de plantes. On mêlait au sol des cendres fournies par la
combustion des plantes identiques à celles qu'on voulait cultiver et on ajoutait arti-
ficiellement de l'acide carbonique.
Les expériences exécutées en 184,9 et 1830 sur du cresson, du lupin, du colza, du blé,
du seigle, du mais, indiquent toutes une fixation d'azote. Or la quantité d'ammoniaque
de l'air ayant passé dans les cloches était insuffisante pour rendre compte de l'azote
absorbé par les plantes. Celui-ci ne peut donc provenir que de l'azote libre de l'atmo-
sphère : la dernière de ces expériences, entre autres, montre que les plantes ont gagné
quinze fois autant d'azote qu'il y en avait dans les semences. Cependant l'ammoniaque
exerce une action heureuse sur la végétation, et des expériences, qu'il serait hors de
propos de rappeler ici, montrèrent à G. Ville qu'en petite quantité cet alcali favorise
singulièremant leur développement.
A partir des essais de 1831, l'ammoniaque de l'air n'intervient plus; on retient cet
alcali au moyen de ponce sulfurique. Or, dans une expérience exécutée avec des pieds
de soleil et de tabac, l'azote des récoltes a été trente-huit fois égal à celui des semences;
quant au poids des récoltes sèches, il excédait celui des semences d'une quantité consi-
966 AZOTE.
dérable : plus de cent quatre-vingt-dix fois dans le dernier cas. De l'ensemble de ces
faits, G. Ville tire la conclusion suivante, c'est que l'azote de l'air est absorbé par les
plantes et sert à leur nutrition. Nous sommes ici loin des chiffres et des conclusions de
BOUSSINGAULT.
Voici encore quelques données importantes que G. Ville tira de ses recherches pos-
térieures (1 800- ! 836) {Ann. Chim., (3), t. xlis, p. 168). Ayant semé du blé ou du colza dans
1 kilogramme de sable calciné additionné d'un peu de nitre, il constate que les plantes
absorbaient et s'assimilaient l'azote du nitre, mais que si le sol, ainsi que ceux précé-
demment employés, est uniquement composé de sable calciné et de cendres végétales,
il ne se produit pas spontanément de nitre aux dépens de l'azote et de l'oxygène
atmosphériques.
Voici maintenant une démonstration indirecte de la fixation de l'azote sur les plantes,
tirée par G. Ville de la nature des produits qui se forment pendant la décomposition
des fumiers {loc. cit., p. -185). Reiset a montré, en effet, que, pendant la fermentation
putride des matières organiques, une partie importante de leur azote est e'iiminée à
l'état gazeux. Vers la même époque, G. Ville constate que, pendant la décomposition
des graines de lupin, l'azote était éliminé, partiellement sous forme d'ammoniaque,
partiellement sous forme d'azote libre. Il disposa, de la façon suivante, une expérience
dont la durée fut de quatre mois. Il introduisit dans du sable calciné un certain poids
de graines de lupin contenant Oe'jSSS d'azote; le vase, renfermant le sable, fut placé
dans une cuvette pleine d'eau distillée; puis on recouvrit le tout avec une cloche laquelle
fut traversée journellement par .500 litres d'air. On recueillit ainsi 0S'',0o8 d'azote à
l'état d'ammoniaque; il ne restait plus dans le sable que Ob'',093 d'^azote. Donc,
Os^238 — 0F^15^ =0E',087 d'azote avaient disparu à l'état gazeux, soit 36 p. 100 de
l'azote initial. Qu'arrive-t-il quand la même quantité de grailles de lupin se décompose
dans du sable qui est cultivé? On disposa sept vases comme celui de l'expérience pré-
cédente, et chaque vase reçut vingt grains de blé ; engrais et semence renfermaient
OB'', 239 d'azote par vase. Après quatre mois, on analysa le contenu de cinq de ces pots;
le sable renfermait en moyenne Osi',090 d'azote, celui du vase sans végétation de l'expé-
rience citée plus haut en contenait 0B"',093 : la perte d'azote est donc indépendante de
la végétation. L'expérience destinée à faire connaître la quantité d'ammoniaque perdue
par la graine de lupin a appris que cette perte s'élevait à 0b'',0o8 : S'il est vrai que les
plantes ne peuvent s'assimiler l'azote qu'à l'état d'ammoniaque et de nitre, les récoltes des
cinq expériences rap]]ortées plus haut ne devront pas contenir plus de 0"'',0o8 d'azote, les-
quels, augmentés de 0E'',02i contenus dans la semence, font un total de 0ô'',079. Or, toutes
ces récoltes contiennent beaucoup plus d'azote que ce dernier chiffre, soit, en moyenne,
0e%0i24, ce dont l'ammoniaque de l'engrais ne peut rendre compte. Puisqu'il ne s'est
pas formé de nitrates, il ne reste donc plus qu'une absorption directe et immédiate d'azote
gazeux. L'auteur continue ainsi : A cet égard, nous remarquons même qu'une perle d'azote,
si faible qu'on la suppose, implique la nécessité d'une absorption directe; car, comment
s'y prendrait-on pour expliquer l'expérience du pot n" 5 dans laquelle l'azote fixé par la
récolte égale juste l'azote perdu par le fumier? En effet, avant l'expérience :
20 grains de blé 06"-,021 azote.
46"',015 de graine de lapiQ. . . . 0er,23S
Ot-S2o9
Après expérience :
17sr,15 de récolte 06r,l52 azote.
Restant dans le sable Ob'', 106
0Kr,2.jS
Nous avons tenu à rappeler complètement une des expérience de G. Ville. Nous
ferons remarquer en passant qu'en ce qui concerne la seconde expérience dans laquelle
on a ensemencé des grains de blé au sein d'un sable pourvu de graines de lupin, il
semble difficile d'admettre que celles-ci se soient comportées de la même façon que
dans l'expérience où elles étaient' seules dans le sable : la quantité d'ammoniaque
qu'elles ont ainsi dégagée ne saurait être la même dans le second cas que dans le
premier, et la mesure exacte de ce dégagement est impossible à apprécier.
AZOTE. 967
Les travaux de G. Ville peuvent donc se résumer en cette simple proposition : les
plantes assimilent l'azote gazeux; non seulement les expériences de laboratoire que
nous avons relatées le démontrent, mais, mieux encore, ce qui se passe dans la pratique
agricole parle dans le même sens : les plantes cultivées dans les champs tirent de l'air
un excédent d'azote. Ni la quantité d'ammoniaque contenue dans l'ea.u de pluie, en
supposant cette ammoniaque absorbée intégralement par les végétaux, ni les nitrates
formés au sein de l'atmosphère par les actions électriques ne contiennent une suffijante
quantité. d'azote pour rendre compte des excédents considérables de cet élément qu'on
trouve dans certaines récolles. Cette opinion devait triompher plus tard, sous certaines
réserves; malheureusement, à cette époque, G. Ville n'était pas maître de ses expé-
riences et ne connaissait pas les conditions exactes de cette fixation.
D'où vieiment ces divergences entre les expériences de Boussingault et celles de
G. Ville? surtout, pourquoi, dans ces dernières, ces gains énormes d'azote avec des
plantes appartenant à des familles très différentes, alors que dans les expériences de
Boussingault, quand il y a eu gain d'azote, ce gain s'est chiffré par des nombres très
petits par rapport à la dose d'azote initial contenue dans la graine'? A ces diverses
questions il est impossible de répondre d'une manière satisfaisante; c'est pourquoi
nous avons tenu à mettre sous les yeux du lecteur, aussi sommairement que possible,
mais sans rien oublier d'essentiel, les pièces du procès. 11 convient également de dire
que les expériences de G. Ville furent répétées devant une commission de l'Académie
des Sciences dont Chevreul était le rapporteur (C. R., t. xli, p. 757, 18oo) et que celui-ci
termine ainsi son rapport : L'expérience faite au Muséum par M. Ville est conforme aux
conclusions qu'il avait tirées de ses travaux antérieurs.
II. Phénomènes naturels et expériences dans lesquels intervient l'azote
libre. — Résumons ce qui précède en disant qu'à la suite des travaux de Boussingault
et de ceux de G. Ville, la question de la fixation de l'azote n'a pas fait un seul pas : on
ne trouve, en effet, dans ces travaux aucune expérience absolument démonstrative
capable d'entraîner la conviction dans un sens ou dans l'autre. Il convient de dire
immédiatement que trois savants agronomes anglais, Lawes, Gilbert et Pugh, à la suite
de patientes recherches, conclurent dans le même sens que Boussingault. L'azote
gazeux ne peut profiter aux plantes {Proc. Roy. Society, t. x, p. b44, IStil). Aussi la
majeure partie des physiologistes se rangèrent à cette dernière opinion et n'admirent
la fixation de l'azote gazeux ni par le sol ni par les plantes. Quelques-uns accordèrent
toutefois à l'azote une sorte de rôle indirect dans la nutrition des végétaux. C'est ainsi
que Harting (C. R., t. xli, p. 942) prétend que les plantes absorbent uniquement les
sels ammoniacaux et les nitrates, mais que l'azote libre sert indirectement à leur
nutrition en contribuant à la formation de ces sels dans le sol. Le phénomène intime
de la nitrifleation n'était pas connu à cette époque; Harting attribue évidemment à
l'azote libre un rôle direct dans la nitrifleation. Tout récemment encore, à la suite
d'études très longues et remplies de faits curieux, Lawes et Gilbert maintenaient leur
opinion première {Ann. agronomiques, t. ix, pp. 393, 4ol).
Et cependant un certain nombre de phénomènes naturels parlent en faveur de la
fixation de l'azote libre de l'atmosphère. Les forêts, par exemple, ne reçoivent jamais
d'engrais; leur exploitation régulière enlève à chaque coupe une quantité notable
d'azote qui ne leur est restituée sous aucune forme. Or le soi de la forêt reste indéfi-
niment fertile; il y a donc intervention certaine de l'azote atmosphérique pour réparer
ces pertes continuelles. Cette intervention est également manifeste dans les prairies
des hautes montagnes. Truchot (C. il., t. lxxxi, p. 943) a remarqué que l'azote est
d'autant plus abondant dans le sol que le carbone s'y trouve lui-même en plus grande
quantité. Les sols volcaniques de l'Auvergne donnent en abondance une herbe qui
nourrit pendant six mois de l'année des troupeaux de vaches. Ces sols fournissent donc
indéfiniment de l'azote qui ne leur est rendu que par l'atmosphère; car les déjections
des animaux ne leur restituent qu'une bien faible quantité d'azote en comparaison de
celle qu'ils contiennent. Or, ces sols étant très riches eu matières carbonées, Truchot
a émis l'opinion que ce sont les matières humiques qui fixent l'azote {voir aussi Duber-
WARD, Chem. Centralb., 1887, p. 1236). Quelques années auparavant, Dehérain (C. R.,
t. Lxxiii, p. 1332; t. Lxvi, p. 1390) avait tenté de démontrer que, pendant la combustion
968 AZOTE.
lente des matières organiques, l'azote atmosphérique entre en combinaison. Pour ce
dernier savant, toute plante qui abandonne des débris sur le soi qui l'a portée est donc
l'occasion d'une fixation d'azote plus ou moins considérable. Mais les expériences
théoriques instituées par lui et qui consistaient à faire absorber de l'azote gazeux par
des substances ternaires (glucose) en milieu alcalin ne purent être répétées par Schlœ-
siNG (C. R., t. Lxxxii, p. 1202) (Voir aussi Armsby, Ann. agron., t. n, p. 141; Bretsch-
NETDKR, même volume, p. 626; Dehérain, même volume, p. 630). Ajoutons encore que la
grande culture nous enseigne un certain nombre de faits qui parlent en faveur d'une
fixation de l'azote libre. Déterminons, comme l'a fait Boussi.ngault, d'une part la teneur
en azote des engrais distribués à une teri-e soumise à un assolement régulier et, d'autre
part, celle des récoltes, et nous verrons que celles-ci contiennent plus d'azote que les
fumures qu'on leur a fournies. Notons aussi en passant les conclusions d'un intéressant
travail de Debébain {Ann. agron. t. vm, p. 321; t. xii, pp. 17, 97; Sur les perles el les
gains que subit la terre arable) et dans lequel l'auteur constate que l'enrichissement du
sol en azote est lié à l'abondance de la matière carbonée et son appauvrissement à la
disparition de cette même matière.
IVous devons aussi mentionner les expériences de Atwater {Jahresb. f. Agrik.Chemie,
t. vji], p. 139) qui, exécutées à ia veille en quelque sorte de la solution définitive de la
question, renferment des résultats dignes d'intérêt. Cet auteur cultivait à l'air libre,
mais à l'abri de la pluie, des pois dans du sable calciné arrosé de solutions nutritives.
Les plantes, parvenues au terme de leur existence, contenaient plus d'azote que n'en
contenaient la graine et l'engrais réunis. Cet excès était faible quand- les plantes
s'étaient mal développées, il était considérable quand les plantes avaient vécu normale-
ment. Quatre expériences, conduites dans les conditions qui semblaient les plus avanta-
geuses, ont fait voir que les plantes ont emprunté à l'atmosphère le tiers et jusqu'à la
moitié de leur azote total suivant la richesse ou la pauvreté des solutions nutritives
mises à leur disposition. Atwater incline donc à croire que c'est l'azote libre qui inter-
vient dans ce phénomène, grâce à l'influence de l'électricité atmosphérique qui facilite
cette union, d'après les idées de Berthelot exposées plus loin (Consulter aussi les
expériences contradictoires de Dibtzell. Botan. Centralb., t. xx, p. 1H7 '). ■
C'est donc cette intervention évidente de l'azote libre dans la végétation qu'il fallait
mettre en lumière par des expériences précises et dirigeables à volonté. Le problème
est actuellement résolu : nous allons pénétrer le mécanisme de cette fixation dans un
instant.
III. Théorie de la circulation de rammoniaque atmosphérique, son rôle
dans la nutrition des plantes. Fixation électrique de l'azote. — Mais avant
d'arriver aux expériences récentes qui ont définitivement résolu la question de la
fixation de l'azote dans un sens positif, il nous faut, pour ne rien omettre, exposer en
quelques lignes deux théories relatives à la nutrition azotée des végétaux, théories qui
forment en quelque sorte le point de passage entre les expériences contradictoires de
Ville et de Boussingault, et les recherches récentes dans lesquelles il est démontré que
les micro-organismes jouent un rôle prépondérant dans le phénomène. Nous voulons
parler: A. De la genèse et de la circulation de rammoniaque atmosphêricjue et de son
absorption par les plantes; celle théorie est duc à Schlœsing ; B. lie la fixation électrique
de l'azote sur les corps ternaires; d'après les expériences de Berthelot.
A. Les expériences de Schlœsing relatives à l'ammoniaque atmosphérique sont
exposées dans l'opuscule intitulé : Contribution à l'élude de la chimie agricole (Encyclo-
pédie Frémy). Paris, 188S, p. 23 et suivantes. Après avoir décrit une méthode très pré-
cise de dosage de l'ammoniaque atmosphérique, l'auteur donne des tableaux du taux
des variations de cet alcali existant dans l'air pendant chaque mois de l'année et sous
l'influence des différents vents; puis il se demande si cet alcali est de quekjue secours
pour la végétation. La quantité en est très faible, puisque la moyenne générale, pour
1. Dans un mémoire intitulé : Les relations entre les plantes et l'azole de leur nourriture
(Ann. Chim., (fi), t. n, p. 322), Atwater fail remarquer que le inaïs semble s'accommoder largement
des agents minéraux et faiblement de l'azote des engrais, il possède à un très haut degré le pou-
voir de s'emparerde l'azote des sources naturelles; sous le rapport botanique, il se rapproche des
graminées; sous le rapj^ort physiologique, des le'gumineitses .
AZOTE. 969
l'année entière, est de 0i'''',00225 pour !00 nièlres cubes d'air. Des expériences précises
montrent que l'absorption de l'ammoniaque par un liquide légèrement acide exposé à
l'air est, pour vingt-quatre heures, de 0e^020 par métré superficiel pour un taux de
2 milligrammes d'ammoniaque dans 100 mètres cubes d'air. On en conclut qu'une sur-
face liquide de 1 hectare absorberait en un jour 200 grammes, et, dans une année,
73 kilogrammes d'ammoniaque. Partant de ce fait bien connu que les feuilles des
végétau.'j. renferment d'énormes quantités d'un liquide très légèrement acide, Schlœsing
assimile les feuilles à dos lamelles d'eau suspendues dans l'air, et capables, à cause de
leur grande surface, d'emprunter largement de l'ammoniaque à l'atmosphère:. Or la
surface des feuilles appartenant à des végétaux qui couvrent un hectare dépasse, et de
beaucoup, la surface du sol sous-jacent. Mais, dit Schlœsing, réduisons-la à la même
valeur et admettons que les feuilles se comportent à l'égard de l'ammoniaque comme l'eau
acidulée dans notre expérience. Les feuilles de l hectare absorbent annuellement 73 kilo-
ijrammes d'ammoniaciue, soit 61 kilogrammes d'azote, chiffre du même ordre que celai qui
représente l'azote fixé par hectare dans une récolte du foin. Les terres sèches absorbent
également cet alcali jusc/u'à une limite pour laquelle la tension de l'alcali dans la terre
correspond à sa tension dans l'air et varie dès lors dans le même sens. Nous reviendrons
plus loin sur ce point. Remarquons en passant que le dosage de l'ammoniaque dans la
terre, tel qu'il est pratiqué journellement (action de l'acide chlorhydrique dilué sur la
terre), n'offre aucune garantie de précision et qu'un mode de dosage exact de cet alcali
reste à trouver (Berthelot et AndrIî. Ann. Chim., (6), t. xi, p. 368; Sur les principes
azotés de la terre végétale). Quand la terre végétale est humide, l'absorption de l'ammo-
niaque est bien plus considérable, car, d'après Schlœsing, celle-ci y nitrifie rapidement.
Pour entrer plus avant dans la question, il fallait connaître la loi des échanges de
l'ammoniaque entre les mers, l'atmosi^hére et les continents. Schlœswg formule ainsi
le problème qu'il s'est posé : Étant données deux masses de milieux différents et une
quantité d'ammoniaque très petite, déterminer le partage de l'alcali entre les deux milieux,
partage variable suivant leur nature, leur quantité, la température, le mode de combinaison
de l'ammoniaque avec l'acide carbonique. Ce problème a été résolu pour le cas des
échanges d'ammoniaque entre l'air et l'eau : il serait trop long de résumer ici ces
travaux qui sortent de notre sujet. Voici l'application que Schlœ.sing a faite de ses expé-
riences et les idées qu'il a émises relalivement à la circulation de l'ammoniaque, à la
surface du globe.
La mer est une source importante d'ammoniaque, elle contient environ 0"""'ô'',i de
cet alcali par litre. L'ammoniaque marine peut, en vertu de sa tension, passer dans
l'air et en réparer les pertes.
Mais d'où vient l'ammoniaque de la mer? Voici, en deux mots, quelle est son origine,
d'après Schlœsing. L'ammoniaque empruntée à l'air par le sol nitrifie rapidement,
l'ammoniaque fixée par les végétaux se change en matière protéique, laquelle, après la
mort des plantes, fournit, soit de rammoniaq,ue, restituée ainsi à, l'atmosphère, soit des
nitrates. Ou bien ceux-ci sont absorbés par la racine des plantes, ou bien ils passent
dans les eaux de drainage et de là se rendent dans les fleuves, puis à la mer. La quantité
de nitrates ainsi perdue est considérable. L'eau de la mer reçoit en outre, par la pluie,
une partie de l'acide nitrique formé dans l'air par les décharges électriques. Or,
d'après Schlœsing, l'eau de la mer ne renferme que 0™'"'sr- ,2 à 0™""=''-, 3 d'acide nitrique
par litre. Celui-ci, constamment détruit, est sans doute employé par la végétation à la
formation des composés azotés destinés à la nutrition des animaux marins. La des-
truction de ces composés azotés, dans un milieu peu oxygéné, doit donner de l'ammo-
niaque, laquelle passe dans l'atmosphère pour être distribuée de nouveau aux continents
où elle nitrifie et ainsi de suite. Telle est la théorie de la circulation d'e l'ammoniaque
entre la mer, l'air et la terre. La mer, ainsi que nous l'avons vu, beaucoup plus riche
en ammoniaque que l'atmosphère, est non seulement le réservoir de cet alcali, mais
encore le régulateur de sa distribution.
Quelle est la source destinée à couvrir les pertes occasionnées par la décomposition
des principes organiques azotés après la mort des êtres auxquels ils appartiennent?
Quelle est, en un mot, l'origine de l'ammoniaque et de l'acide nitrique qu'emploient
les plantes et, par conséquent, les animaux pour fabriquer leurs éléments quater-
9"0 AZOTE.
naires"? Il résulte, en effet, de nombreuses recherches que la destruction spontanée de
la matière azotée laisse dégager, à l'état d'azote libre, l septième environ de l'azote
total que contient cette matière. Adoptant les idées émises par Boussingault à ce
sujet, ScHLŒsiNG estime qu'on peut trouver la cause réparatrice cherchée dans la pro-
duction d'acide nitrique dans l'atmosphère par combinaison directe de l'azote et de
l'oxygène sons l'influence des décharges électriques. Les calculs de ce dernier savant
sont basés sur plusieurs observations dues à divers expérimentateurs concernant la
quantité d'acide nitrique contenue annuellement dans l'eau de pluie sous diverses lati-
tudes. Or cette production d'acide nitrique suffirait, et au delà, à couvrir les pertes en
azote faites incessamment par les phénomènes de décomposition. Telles sont, succincte-
ment résumées, les idées ingénieuses émises par Schlœsing (voir aussi Berthelot et
André. Rech. sur la décomposition du bicarbonate d'ammonium par l'eau et par la diffu-
sion de ses composants à travers l'atmosphère, Ann. Chim., (6), t. xi, p. 341). Schlœsing, a
de plus constaté directement (C. R., t. lxxvui, p. 1700), que les feuilles absoi'bent les
vapeurs ammoniacales très diluées. Il s'est servi, à cet effet, d'une grande caisse con-
tenant 73 kilogrammes de terre végétale. Un bassin circulaire placé sur la caisse
laissait passer seulement la tige de la plante de façon que la partie aérienne de celle-ci
n eût aucune communication avec le sol. Cette partie était recouverte d'une grande
cloche de 250 litres. Le fond du bassin contenait une dissolution très faible de ses-
quicarbonate d'ammonium de titre connu qu'on renouvelait tous les jours; la cloche
était traversée par un courant d'air (1200 litres par jour) contenant 1 p. 100 d'acide
carbonique. Le tabac, sur lequel a porté l'expérience, renferme dans ces conditions
plus d'azote qu'un tabac témoin élevé en l'absence du sel ammoniacal. On avait offert
à la plante IS'.OQ.S d'azote à l'état ammoniacal pendant toute la durée de l'expérience
et on a trouvé que le végétal avait assimilé Os%800, soit les trois quarts environ. Les
composés azotés dérivés de l'ammoniaque assimilée ne sont pas restés en totalité dans
les feuilles, ils se sont répandus dans le végétal entier.
"Vers la même époque, A. Mayer {Landiv. Vers. Slat., t. xvu, pp. 129, 329) fit connaître
ses expériences exécutées dans des conditions semblables (séparation absolue des racines
et de la partie supérieure de la plante). Il opérait, soit en badigeonnant les plantes avec
une solution faible de carbonate d'ammonium, soit en faisant passer un courant d'air
dans une solution de ce sel. Cet auteur conclut que les végétaux supérieurs s'emparent,
dans ces conditions, par leurs parties vertes, du carbonate d'ammonium gazeux. Nous no
pouvons, sans sortir de notre sujet, nous étendre sur ce travail fort intéressant (Voir
aussi Bretschnkider. Jrt/icesfc. Agrik. Chemie, t. xiii, p. 8b). Revenons, pour un instant, à la
théorie delà circulation de l'ammoniaque de Schlœsing; on doit se demander s'il n'existe
pas d'autres sources naturelles de cet alcali. La chose n'est pas douteuse actuellement et
nous ne pouvons nous empêcher de faire ici quelques remarques relatives à laformation,
dans le sol même, d'ammoniaque et son émission dans l'atmosphère. Les expériences
faites à ce sujet sont très concluantes et les. conséquences qui en découlent naturellement
permett|ent de concevoir une circulation inverse de celle que ScpLŒSiNG a admise à la
suite de ses expériences'. D'ailleurs, et avant d'exposer ces idées nouvelles, rappelons
qu'au moment même où Schlœsing publiait ses théories, Audoynaud faisait connaître des
expériences qui l'obligeaient à conclure dans un sens tout différent. Dans un mémoire
intitulé Recherches sur l'ammoniaque contenue dans les eaux marines. {Ann. agron, t. i,
p. 397), cet agronome, voulant soumettre au contrôle de l'expérience la théorie de l'émis-
sion de l'ammoniaque par l'eau de mer, cherche à savoir: 1° si la mer intervient dans la
restitution de l'azote assimilable ; 2° dans quelles limites elle contribue à cette restitution.
A cet effet Audoynaud dose l'ammoniaque libre et combinée contenue dans les eaux
marines de Palavas (près Montpellier), en se servant de l'appareil de Boussîngault. Il fait
1. ScHLCEsiNG est reveiiu récemment sur cette question de l'absorption de l'ammoniaque atmo-
sphérique par la terre végétale (C. fi., t. ex, pp. 429, 499, 612). Pour ce savant, la fixation de
l'azote libre, ne pouvant avoir lieu par un sol nu (nous verrons tout à l'heure ce qu'il faut pen-
ser do cette assertion), tout gain d'azote réalisé par les terres mises en expérience par lui doit être
exclusivement attribué aux composés azotés de l'atmosphère (Voir pour la critique de ces expé-
riences Berthelot. C. R., t. ex, p. 558, ainsi que ce qui va suivre).
AZOTE. 971
d'abord remarquer que la distillation de l'eau de mer, soit sans addition de base, soit
avec addition de magnésie, soit avec addition de potasse, ne fournit pas les mêmes
résultats dans les trois cas. La magnésie peut donner lieu à des dosages d'ammoniaque
un peu faibles; mais la potasse en fournit de trop élevés à cause de la destruction par-
tielle des matières organiques. Or cette matière organique, très variable suivant les
lieux et les saisons, est constituée par des organismes morts et des organismes vivants,
qui, parleur décomposition, fournissent des sels ammoniacaux fixes ou volatils : il faut
donc tenir compte du temps écoulé entre la prise d'eau et l'analyse. Les expériences -
dans lesquelles on a dosé l'ammoniaque des eaux marines par simple distillation et sans
addition d'alcali montrent qu'une eau traitée peu de temps après sa récolte ne contient
pas d'ammoniaque volatile; avec le temps, il peut s'en former. De nombreux essais ont
fait voir que le transport des échantillons d'eau depuis la merjusqu'au laboratoire n'avait
aucune intluence sensible sur les résultats observés. D'où cette conclusion que l'eau de
mer, prise limpide, dans son état normal, ne contient pas de sels ammoniacaux volatils, et
n'exhale pas d' ammoniaque ; elle renferme une quantité d'ammoniaque fixe variant entre
certaines limites, dont la moyenne paraît être de 0"'™,18, par litre. L'eau des étangs et
des marais salants ne contient pas davantage de sels ammoniacaux volatils, si cette eau est
limpide, et si la végétation aquatique manque. Si l'eau est peu profonde et que des végé-
tations se développent, l'ammoniaque volatile apparaît.
Quelques mots maintenant sur l'émission de l'ammoniaque par le sol. La constata-
tion de ce fait que le sol émet de l'ammoniaque n'est d'ailleurs pas nouvelle dans la
science. Boussingaulï (Agronomie, etc., t. i, p. 292) se demande si, pendant ladessiccation à
l'air et l'exposition au soleil, un sol ne perd pas la plus grande partie de son ammonia-
que. Cet agronome avait, en effet, déjà reconnu qu'une terre humide renfermant des car-
bonates alcalins ou terreux laisse dégager, à l'état de carbonate volatil, pendant tout le
temps que dure sa dessiccation, une partie notable de l'ammoniaque des sels fixes qu'elle
renferme. Cependant Boussingaulï fit à ce sujet une expérience qui consistait à doser
l'ammoniaque avant et après dessiccation dans une étuve à 100° : il ne trouva pas de dif-
férence sensible entre les deux taux de cet alcali.
Néanmoins, ainsi que nous allons le voir, le dégagement d'ammoniaque par le sol es t
un phénomène constant et d'une observation facile. L'ammoniaque émise spontanément
par la terre végétale peut être dosée sans qu'on soit obligé d'ajouter à, la tei-re aucun
réactif (Berthelot et André. A. C, (6), t. xi, p.. 37a). Si on fait passer un courant d'air sur de
la terre contenue dans un ballon et qu'on dirige les gaz dans de l'acide sulfurique titré,
on constate que, la terre étant humide et prise à la surface du sol, celle-ci émet des
traces d'ammoniaque (0™™,012 par kilogramme de terre supposée sèche dans une
expérience). Si au même endroit, mais à une certaine profondeur, on fait au même mo-
ment une prise de terre, celle-ci, soumise à l'essai précédent, fournit encore de l'ammo-
niaque (0™™, 03o dans une expérience). En ce point, la couche superficielle a donc perdu
au contact de l'atmosphère quelque peu de l'ammoniaque libre contenue dans la terre
prise plus profondément, loin d'en avoir emprunté une dose excédante à l'atmosphère.
Pendant la conservation des terres dans des critallisoirs à fond plat, rémission de l'am-
moniaque continue. On dose celle-ci en mettant à la surface de ces terres un petit vase
contenant un volume connu d'acide sulfurique titré; on reprend le titre au bout de quel-
ques jours. L'expérience montre encore que, lorsqu'une terre n'a subi, par le fait de l'ab-
sence des pluies, aucun lavage depuis un certain temps, la quantité d'ammoniaque
émise est plus considérable que si la terre a été lavée par des pluies prolongées. De même
l'addition d'eau et de carbonate de calcium à une terre favorise l'émission d'ammo-
niaque par suite de la décomposition progressive des amides du sol : la production de
l'ammoniaque est donc attribuable à la lente décomposition des principes amidés. Cette
décomposition peut être due à la fois et à des actions purement chimiques et à des phé-
nomènes microbiens. Si maintenant on opère en plein air: 1° sur une surface gazonnée
recouverte d'un pot de grès d'une certaine circonférence afin d'isoler autant que possible
le sol sous-jacent et la végétation qu'il porte et sous lequel on dispose un petitvase con-
te,nant de l'acide sulfurique étendu; 2° en exposant simplement à ciel ouvert un pelit
yase contenant de l'acide étendu, l'expérience montre que l'ammoniaque cédée à l'acide
étendu par l'atmosphère ilhinitée varie d'une expérience à l'autre sur le même point et
972 AZOTE.
qu'il n'y a pas proportionnalité nécessaire entre la durée de contact d'une même terre
avec l'atmosphère et la dose d'ammoniaqne que celle-ci est susceptible de lui apporter.
L'ammoniaque difTusée dans l'atmosphère n'a donc pas une tension régulière et uniforme
en tout temps. Au contraire, dans le premier cas, c'est-à-dire dans le cas d'une atmo-
sphère confinée, l'émission de l'ammoniaque par une surface couverte de végétation s'est
accrue avec le temps.
Nous ne pouvons insister davantage sur ces phénomènes dont on comprend immé-
diatement toute l'importance dans les questions de végétation. Signalons en terminant un
travail récent de MuNTz et CouDON sur la F(?rme)i<o(Jon «mmontacftie delà terre {C.R., t. gxvi,
p. 395). Ces savants ont constaté que la formation d'ammoniaque a été entièrement arrêtée
dans la terre par la suppression des micro-organismes (chauffage à 120" à l'autoclavej.
Cette production ammoniacale ne serait donc qu'une conséquence de la vie microbienne
et ne proviendrait pas d'une action chimique proprement dite. En réensemençant la terre
stérilisée avec une parcelle de terreau, celle-ci redevi-ent apte à fournir de l'ammoniaque.
Les micro-organismes, origine du phénomène, sont très résistants; il ne sont détruits que
par une température de 120°. Cette fermentation ammoniacale de la terre est une fonc-
tion banale à laquelle concourent un grand nombre d'espèces (jui peuplent le sol (Voir
aussi : Hébert, Aim. Agron., t. xv, p. 3o.o).
B. Voyons maintenant en quoi consistent les recherches de Berthelot sur la fixation
de l'azote libre au moyen de l'effluve électrique (décharge silencieuse) (A. C., (.ï), t. x, p. 51 ;
t. XII, p.4o3;. A froid, la benzine en vapeurs, ou en couches très minces, l'essence de térében-
thine, le gaz des marais, l'acétylène absorbent le gaz azote pur sous l'inlluence de l'ef-
fluve électrique. Voilà pour les composés binaires. La>cellulose légèrement humectée, la
dextrine sirupeuse étalée en couches minces, absorbent le gaz azoté sous la même in-
fluence, sans qu'il y ait formation ni d'ammoniaque, ni de nitrates. De semblables réactions
sont assimilables à celles qui doivent se produire au contact des matières végétales et
de l'air électrisé : Berthelot fait alors remarquer que, dans un espace clos, les expé-
riences de BoussiNGAULT relatives à la fixation de l'azote ne devaient fournir aucun
résultat, l'électricité atmosphérique ne pouvant agir dans ces essais t'n v'itro (Nous
trouverons plus loin une autre explication). Des phénomènes analogues doivent se mani-
fester en temps d'orage, et même chaque fois que l'air est électrisé. Aussi, d'après Ber-
thelot, cette absorption d'azote doit surtout être marquée dans les montagnes et sur les
pics isolés où la tension électrique est souvent considérable : la richesse de la végétation
des hautes prairies des montagnes témoignerait de l'intensité de cette action.
Berthelot a également réussi à constater cette fixation de l'azote sous l'influence de
tensions électriques beaucoup plus faibles, telles que celles qui se produisent incessam-
ment dans l'atmosphère. Nous renvoj^ons au mémoire pour la description de l'appareil
employé. L'auteur conclut de ses recherches que, dans l'étude des causes naturelles capa-
bles d'agir sur la fertilité du sol et sur la végétation, il convient de faire désormais inter-
venir l'état électrique de l'atmosphère.
Dans une autre série d'essais, Berthelot a fait agir, pour déterminer la fixation de
l'azote sur divers composés organiques, cinq éléments Leclanché formant une pile à cir-
cuit non fermé. Sur la moitié de la surface extérieure d'un grand cylindre de verre ter-
miné par une calotte sphérique, on pose une feuille de papier Berzélius pesée à l'avance
et mouillée. L'autre moitié de celte surface extérieure a été enduite d'une solution siru-
peuse de dextrine titrée et pesée. La surface intérieure du cylindre a été recouverte d'une
feuille d'étain qui constitue l'armature interne. Posé sur une plaque de verre, le cylindre
est recouvert d'un cylindre de verre absolument semblable, laissant un espace annulaire
très petit. La surface intérieure de ce dernier est libre, mais sa surface extérieure est
recouverte d'une feuille d'étain (armature externe). L'armature interne communique avec
le pôle -\- d'une pile Leclanché de cinq éléments, l'armature externe avec le pôle — . Il
existe donc une difi'érence de potentiel constante entre les deux lames d'étain séparées
par les deux épaisseurs de verre, la lame d'air et la couche de papier ou de dextrine.
L'analyse finale des produits a montré qu'il y avait fixation d'azote sur la dextrine et sur le
papier, c'est-à-dire sur les principes immédiats non azotés des végétaux, sous l'influence
de ces faibles tensions électriques. La lumière ne joue aucun rôle dans cette fixation.
On voit que ces expériences sont tout à fait d'accord avec celles du même auteur men-
AZOTE. 973
tioiinées plus haut. Toutefois Berthelot fait remarquer que ces actions ne sauraient être
que très limitées.
Un certain nombre d'oxydations lentes s'accompagnent de fixation d'azote. Telle est
l'oxydation lente de l'éther avec production de traces d'acide nitrique, celle de l'essence
de térébenthine, laquelle contient alors des traces d'azote sous forme organique (Ben-
TiipLOT, Ann. Chim., (6), t. xvn, p. 500).
IV. Fixation de l'azote sur la terre végétale avec le concours des micro-orga-
nismes. Fixation de Tazote parles légumineuses. — Avec les expériences récentes
de Berthelot sur k la fixation de l'azote atmosphérique sur la terre végétale » {A. C., (0),
t. xni, p. o) exécutées pendant les années 1884 et 188n, l'incertitude se dissipe. On voit entrer
en jeu un nouveau facteur, négligé jusqu'alors, dont on peut à volonté provoquer,
entraver et suspendre l'action : ce sont certains micro-organismes qui pullulent dans le
sol. Les expériences suivantes méritent qu'on s'y arrête à cause de la netteté des
résultats obtenus. Les sols mis en œuvre par Berthelot sont des sols stériles, très pauvres
originairement en azote et 'ue contenant, vers la fln des expériences, que de là
3 grammes de matière organique par kilogramme. En voici la nomenclature : 1° un
sable argileux jaune, pauvre en azote et en matière organique; 2" un autre échantillon
de ce même sable, différant peu du précédent et sorti d'une fouille récente; 3° un
kaolin brut lavé, venant de la manufacture de Sèvres (contenant 4,8 p. 100 de potasse);
i° une argile blancbe de même provenance que le kaolin précédent, contenant 6 p. 100
de potasse. Cinq séries d'expériences ont été exécutées avec ces divers sols' : 1" Con-
servation dans une chambre; exclusion, par conséquent, de la pluie, des poussières
et autres matières amenées par une atmosphère illimitée et incessamment renouvelée;
2° Séjour dans une prairie sans abri; exclusion seule de la pluie; 3" Séjour au haut d'une
tour de 29 mètres sans abri; iniluence, par conséquent, de la pluie, des poussières
de l'atmosphère, de l'électrisation de l'air; 4" Séjour dans de grands llacons clos, ce qui
exclut tout apport extérieur; 5° Stérilisation destinée à détruire la vie microbienne.
1"^" série : En chambre close. — 1° Sable argileux jaune, au sortir de la fouille séchée
à l'air; état initial le 29 mai 1884 : Azote total par kilog. : Or,0709.
Après cinq mois Azote : 05\0933 (nilrifîcation peu active).
Le 30 avril 1883 — 05',0910 (le phénomène paraît se ralentir,
quand la température s'abaisse).
Le 10 juillet 1885 — OsMlOO
Octobre 188S. — OsMl"!)
L'azote nitrique ne représente que le cinquième de l'azote total fixé. D'ailleurs, la
nitrification ne pouvant porter sur l'azote libre a dû porter sur la matière azotée pré-
existante. L'azote a donc été fixé sous forme organique et vraisemblablement par l'inter-
médiaire d'êtres vivants. Un tel accroissement ne saurait être indéfini ; il est subordonné
à la dose de matière organique contenue dans le sol, laquelle est très faible dans l'échan-
tillon employé.
2° Sable argileux jaune, (2" écbantillon), au sortir de la fouille non séchée à l'air,
état initial le 30 avril ISS.'i : Azote total par kilog. sec : 0e'',1119.
Le 10 juillet 1883 Azote : Os-, 1432 (légère nitrification).
Octobre 1883 — Ûî',l(i39
Il ne s'est nitrifié que le sixième de l'azote fixé.
3° Kaolin brut, très humide au début; état initial le 16 juin 1884 : Azote total par
kilog. sec : 0e"-,0214.
Le 30 avril 1885 Azote : 0e%0210
1 . Berthelot avait effectué en 1884 une série d'expériences préliminaires dont celles de 1883
ne sont que le développement et la généralisation. Des vases contenant un kilogramme de sablo
argileux mêlé à des matières organiques (coton, amidon) disposés, les uns au haut d'une tour
de 29 mètres, les autres au pied de cette tour, ont fixé des doses notables d'azote dans l'espace
de quelqties mois.
974 AZOTE.
Le taux de l'azote a peu varié, problablement à cause de l'humidité trop grande de
la masse, qui s'est, d'ailleurs, peu à peu desséchée.
Le 16 juillet 1885 Azote : Os',0329
Le 21 octobre 1885 — 06',0407 (traces de nitrates).
4° Argile blanche.
Le 16 juin 1884. {état initial) Azote total pour 1 kilog. sec: Oe',0660
Le 10 'juillet 1885 — — — " 08^,0651
Le 4 mai 1886 — — — 06^,0706
L'état initial n'a pas changé par suite du manque de porosité de la masse, mais,
à partir de ce moment, la fixation d'azote a eu lieu.
Le 19 octobre 1886 Azote: Os',1078
Il y a donc concordance absolue entre ces diverses expériences; et l'accroissement de
l'azote qui se fait dans toute la masse n'est pas corrélatif de la nitrifîcation.
2=^ série: En prairie. — Les vases étaient disposés sous un abri, ils contenaient 1 ki-
logramme de matière que l'on a arrosée de temps en temps avec de l'eau distillée,
laquelle a apporté eu tout 0S'',0010 d'azote ammoniacal.
1° Sable argileux jaune.
Le 30 avril 1885 1 kilog. sec renferme : Azote : Os'.OOlO
Le 3 juillet 1883 — — — Os',0916
Le 10 octobre 1885 — — — 0e',U9S3
Les nitrates ont été enlevés par l'eau de pluie ayant pénétré obliquement sous l'abri,
Comme dans la série précédente, les nitrates ne sont pas l'origine de celte fixation
de l'azote.
2° Sable argileux jaune (2" échantillon).
Le 30 avril 1883 1 kilog. sec renferme : Azote : 0k',1H9
Le 3 juillet 1885 —, — — ' Ok',1164
Le 10 octobre 1883 — — — Oe',1293
Même remarque que pour l'essai précédent.
3° Kaolin brut.
Le 30 avril 1883 1 kilog. sec renferme : Azote : Ob', 0210
Le 3 juillet 1885 — — — Ob',0406
Le 10 octobre 1883 — — — Ob',0333
Ce dernier échantillon était gorgé d'eau par des lavages trop fréquents.
4° Argile blanche.
Le 30 avril 1885 1 kilog. sec renferme : Azote : Oe',1065
Le 3 juillet 1885 — — — 0eM040
Le 10 octobre 1885. . — — — 0b-',H44
3" série : Stir une tour de 29 mètres de haut. Les vases ont été fréquemment traversés
par l'eau de pluie; dans les périodes de sécheresse on a arrosé, mais la dessiccation s'est
produite rapidement à cause de l'activité de l'évaporation à cette hauteur. Les résultats
observés relativement à l'azote sont donc un minimun.
Azote total pour un kiiog. sec :
SABLE SABI.E
ARGILEUX JAUNE. 2' ÉCHANTILLON. KAOLIN BRUT. ARGILE BLANCHE.
30 avrU 1885 0b',091Û 0^,1119 Ob',0210 0^,1065
0 juillet 1885 OB', 0940 0b'.1279 Ob', 0414 Ob',1188
10 octobre 1885. . . . 'brisé par accident) Ob',1396 0e',0575 Os',1497
D'après les analyses, l'azote combiné provenant de la pluie s'est élevé à Oe^OOlO.
L'azote fixé sur les sols examinés n'a donc pas été apporté par les eaux atmosphériques;
il est même certain que la perte due au drainage a dû être supérieure au gain prove-
AZOTE. 975
nant des eaux météoriques. Sans entrer dans les détails, disons que des dosages précis
ont montré que ce gain d'azote n'était pas dû davantage à l'ammoniaque atmospliérique.
i" série : Flacons clos de 4 litres. — La dose de matière organique contenue dans
les sables étant peu considérable, l'oxygène enfermé dans le flacon n'a pas été absorbé
en totalité, ce qui aurait eu évidemment lieu si on avait opéré avec de la terre végétale
proprement dite : d'oîi changement dans les conditions d'existence des microbes qui vi-
vent dans le sol. Deux séries parallèles ont été mises en expériences, l'une à la lumière,
l'autre à l'obscurité. On a obtenu pour 1 kilogramme sec :
SABLE SABLE
ARGILEUX JAUNE. 2""^ ÉCHANTILLON. KAOLIN BRUT. ARriÎLE BLANCHE.
lumière oltscurité lumière obscurité lumière obscurité lumière obscurité
30 avril 1883. . . . Oiî',0910 Ot-,1119 Oiî',0210 UeMOSS
6 juillet 1885. . . Oe',0979 ûe',0925 Oe',1188 0e',12o9 Os',0394 Os',0348 perdu par 06',U48
10 octobre 1885 . . Ue',1289 Ob',1099 Oe',1303 QE^lSTi Oe',0494 0e'-,0433 accident. 0e'1236,
Comme dans les expériences des séries précédentes, la nitriflcation a été excessi-
vement faible, parfois nulle; elle ne joue donc aucun rôle dans le phénomène. Quant à
la fixation de l'azote, elle s'est faite progressivement dans cette série comme dans les
autres, et les nombres qu'elle a fournis sont du même ordre de grandeur que ceux obte-
nus à l'air libre.
o' Série. Stérilisation à 100°. — Dans toutes ces expériences, l'azote est resté station-
naire et même a un peu diminué (après trois mois d'observation). Cette diminution est
probablement due à quelque réaction qui s'est produite au moment de la stérilisation,
par la vapeur d'eau aux dépens de la matière azotée, avec élimination consécutive d'un
peu d'ammoniaque. La cause de la fixation de l'azote, c'est-à-dire la présence évidente
des êtres vivants dans le sol, a donc été ainsi abolie. De plus, on a trouvé que les échan-
tillons ainsi stérilisés ne reprenaient pas leur aptitude à fixer l'azote pendant la même
période de temps (trois mois), ni sous l'inlluence de l'air libre, ni par addition d'une
petite quantité de terre originelle non stérilisée.
En résumé, la faculté de fixer l'azote gazeux dépend essentiellement de la vie mi-
crobierme et ne résulte pas d'une action purement chimique. Cette aptitude est indépen-
dante de la nitriflcation, aussi bien que de la condensation de l'ammoniaque atmosphé-
rique. Elle n'a pas lieu à basse température; elle est détruite à 100", et s'exerce aussi bien en
vase clos qu'à l'air libre, moins à la lumière qu'à l'obscurité. Généralisant ensuite les consé-
quences de ses dernières expériences, Berthelot cherche dans quelle mesure les résultats
précédents peuvent être appliqués aux terres végétales proprement dites {A. C, (6), t. xiii,
p. 78). Une semblable fixation d'azote nesauraitêtre indéfinie, étant corrélative de l'accrois-
sement des êtres vivants qui accumulent l'azote dans leurs tissus. Les expériences ont été
exécutées sur de la terre végétale tamisée et renfermée dans de grands vases de grès de
oO L'ilogrammes, les uns abrités, les autres laissés à l'air libre. Il résulte de cette série
d'essais, dont nous ne pouvons donner les chiffres, que la terre végétale fixe continuelle-
ment l'azote atmosphérique en dehors de toute végétation proprement dite et que ce
gain ne peut être attribué à l'azote combiné apporté, soit par l'atmosphère, soit par les
eaux pluviales. En effet, la pluie qui, dans certaines expériences, a traversé le sol des
vases, a enlevé, sous la seule forme de nitrates, plus d'azote qu'elle n'en avait apporté, à
surface égale, sous forme d'ammoniaque, de nitrates et d'azote organique, ainsi que des
essais comparatifs l'ont montré.
Berthelot a aussi examiné, le cas d'un sol couvert de végétation, celle-ci s'exerçant à
l'air libre {loc. cit., p. 93). Les expériences ont] été disposées comme les précédentes; on
a repiqué dans les vases des pieds d'Amarante, et l'analyse a montré qu'il y avait eu fixation
d'azote et sur la terre et sur la plante. D'ailleurs des essais exécutés en 1884 avec le sable
argileux jaune n" 1 et le kaolin brut ensemencés de végétaux variés avaient déjà fourni
un résultat semblable, bien que moins caractéristique, à cause du peu de vigueur de la
végétation (p. 107). Les nombres obtenus dans cette dernière série sont de l'ordre de
grandeur de ceux que Boussingault avait observés autrefois : seulement, Boussingault
opérait avec des sols stériles; Berthelot, au contraire, ne faisait subir aucun traitement
préalable aux sols mis en œuvre par lui. Ces expériences font voir que, dans de tels sols.
A.
976 AZOTE.
et en présence d'une végétation languissante, la fixation de l'azote est faible et parfois
même incertaine, la plante consommant pour ses besoins l'azote fixé par le sol.
Tout ce qui précède autorise donc Bebthelot à formuler nettement ce principe fon-
damental : la fixation de l'azote llhre s'opère par la terre végétale. La culture intensive
épuise les réserves azotées que contient le sol plus vite que celui-ci ne récupère cet élé-
ment par le jeu des actions microbiennes dont nous venons de parler. Mais, s'agit-il, au
contraire, de végétation spontanée, la richesse du sol en azote tend à s'accroître jusqu'à
un certain état d'équilibre où les causes de fixation et celles de déperdition se compen-
sent.
C'est à partir de la publication de ces expériences que date une ère nouvelle dans
l'histoire de cette grande question du rapport de l'azote libre avec le sol et avec les
plantes. 11 n'y a désormais plus d'incertitude, et, si le mécanisme intime de cette fixation
ainsi que le ou les agents fixateurs restent encore inconnus dans leur essence, il n'en
demeure pas moins établi qu'on est maintenant en présence de faits solidement établis
et d'expériences dirigeables à volonté. Tous les travaux qui vont suivre porteront fem-
preinte d'un cachetvraiment scientifique, et tous, presque sans exception, viendront con-
firmer les notions qui précèdent et élargir le champ des investigations.
Dans ses publications ultérieures sur ce sujet, Bbrtheloï a tenté de préciser le
mécanisme de cette fixation de l'azote (A. C, (tV), t. xiv, p. 473). Celle-ci a lieu sous
forme de composés organiques complexes paraissant appartenir aux tissus de certains
microbes contenus dans le sol et non sous forme d'qmmoniaque ou d'acide nitrique. Si
on rapporte l'azote à la composition des albuminoïdes, on trouve que, dans les sables
argileux, ces derniers principes renferment le tiers ou la moitié du carbone total de» com-
posés insolubles. 11 est certaines conditions qui favorisent l'absorption de l'azole : poro-
sité de la terre permettant la circulation des gaz, présence d'une certaine dose d'eau (de
3 à 15 p. 100), présence de l'oxygène, mais non en quantité suffisante pour amener la
nitriflcalion, élévation convenable de la température (supérieure à 10°, moindre que 43").
La dose d'eau nécessaire à la fixation de l'azote est sensiblement moins élevée que celle
qui est nécessaire à la nitrification. La fixation de l'azote, nous l'avons déjà dit, est un
hénomène limité; celte action s'épuise et peut même rétrograder, sans- doute parce que
les microbes ont épuisé la transformation de la dose limitée de matière organique nutri-
tive pour eux.
Ces résultats positifs de fixation de l'azote, ainsi que d'autres dont nous aurons bien-
tôt occasion de parler, obtenus par Berthelot sur des sols non ensemencés, ont été niés
par ScHLŒSiNG. Il nous semble inutile d'entrer dans les détails de cette discussion, les
conclusions de Berthelot étant actuellement- admises par presque tous les physiologistes
(Voir ScHLŒSiNG. G. R.. t. cvi, pp. 80o, 898, 082, I I23;t. cvii, p.290;t. cxv, pp. 636, 703).
Peu de temps après la publication des expériences de Berthelot, Joulie, {Ann. agron.,
t. xii, p. 5) faisait connaître des faits du même ordre qu'il avait observés depuis plusieurs
années (1883-1883). L'auteur dispose dans une serre à toit de verre un certain nombre
de vases en verre remplis de terre végétale (loOO grammes renfermant \^','66 d'azote),
les uns sans engrais, les autres avec engrais minéral plus ou moins complet avec ou sans
azote. Tous ces vases étaient ensemencés avec du sarrasin. Celui-ci fut coupé au bout de
deux jnois et demi; on sema alors du ray-grass et du trèfle, dont on fit trois coupes, puis
on procéda à l'analyse finale. Dans tous les essais, il. y a eu gain d'azote, à la fois et par
le sol et par les plantes; l'expérience avait duré environ quatorze mois. Une autre série
d'expériences fut entreprise avec un soi non argileux consistant simplement en sable de
Fontainebleau pourvu, soit d'engrais minéral seul, soit d'engrais minéral avec azote. On
sema du sarrasin. Après quatre mois, l'analyse montra un gain d'azote réel, mais moins
important que dans l'expérience précédente à cause de la faible durée de la végétation.
L'auteur, relevant des différences considérables au point de vue de la fixation de l'azote
dans ses diverses expériences, conclut à une absorption directe de cet élément, se fixant
soit sur le sol, soit sur les plantes : Joulie attribue cette fixation par la plante aux phé-
nomènes électriques dont celle-ci est le siège. La composition du sol et des engrais
employés exerce sur le phénomène fixateur une. influence bien plus notable que le déve-
loppement de la végétation; en effet, on ne constate aucun parallélisme entre la fixation
de l'azote et l'intensité de la végétation. L'addition de chaux et de calcaire fournit au plus
AZOTE. 977
haut degi'é celle fixalion; l'absence de polasse et d'acide phosphoriqiie eiUiave la marche
du phénomène. Les conclusions de Joulie sont, dans leur ensemble, analogues à celles
que Bertiielot avait tirées de ses Lra<vaux relatifs au sol : la fixation d'azote reconnaît une
cause physiologique, mais la présence de l'argile n'est pas indispensable. Cependant,
d'après Piciiard (Ann. ugron., t. xv, p. .oO.ï ; t. xvin, p. 108), le plâtre et l'argile jouent
un rôle considérable dans la conservation de l'azote du sol, dans la fixation de l'azote
atmosphérique et dans la nitrification.
En même temps que Berthelot exécutait les recherches que nous venons de résu-
mer, la question de la fixation de l'azote par les légumineuses, plantes connues depuis
très lonf^lemps sous le nom d'améliorantes, recevait une solution remarquable; Un agro-
nome allemand, Hellhiegel, qui étudiait depuis plus de vingt ans le problème delà nutri-
tion azotée des végétaux, annonça, au mois d'aoïit 1886, à la cinquante-neuvième réunion
des naturalistes allemands assemblés à Berlin, le fait suivant très digne d'attention :
Lc!< aourccu d'ijzotc offertes par l'atmosphère suffisent à produire chez les légumineuses un
dévelopq'icment normal et même luxuriant: c'est l'azote libre qui entre ici en jeu. Les tuber-
cules que les légumineuses portent sur leurs racines sont en relation directe avec cette assimi-
lation. On peut provoquer à volonté l'éclosion des tubercules radicaux et le développement des
légumineuses dans des sols dépourvus d. azote si on ajoute à ceux-ci une petite cjiiantité d'une
infusion de terre cidtivée. Ces expériences échouent en l'absence des micro-organismes {Landiv.
vers, stat., t. xxxiii, p. 464'. Nous reviendrons plus loin sur la nature des nodosités ou
tubercules radicaux. L'auteur continuant ses recherches dans l'année 1887, fit connaître,
en d888, avec la, collaboration de H. Wilf.vhïh, toutes les conditions de la fixation de
l'azote par les légumineuses. Le mémoire très étendu publié par ces savants éclaire d'un
jour absolument nouveau, non seulement la question de la nutrition azotée des légumi-
neuses, mais celle du rôle des bactéries que renferme le sol, ainsi que ce curieux phéno-
mène de symbiose, c'est-à-dire d'association d'un végétal avec des organismes inférieurs
profitable aux deux êtres. C'est de ce remarquable mémoire que nous allons nous occu-
per maintenant. [Beilagsckrift zu der Zeitsehrift des Verein f. d. Mhenzucker industrie,
novembre 1888, p. 234. On trouvera la traduction de ce mémoire dans les Annales de la
Science agronomique française et étrangère, t. i, 1890; un résumé a paru dans les Annales
agronomiques de Dehér.^in, t. xv, p. '6.)
Hellriegel commence par rappeler que, depuis de longues années, il avait entrepris
de déterminer quel est l'effet nutritif de chaque élément donné à une plante : certains
composés sont indispensables à la nutrition végétale, chacun d'eux doit avoir un effet
nutritif proportionnel à sa quantité. Mais, au moins en ce qui concerne l'azote, les résul-
tats ne s'accordèrent pas avec celte manière de voir. Entre la croissance et la quantité
d'azote assimilable contenue dans le sol il y avait une étroite relation, surtout pour les
céréales; si on diminuait la quantité d'azote alimentaire, il y avait abaissement corres-
pondant de la récolte ; si Ton supprimait l'azote, les plantes restaient misérables. Au
contraire, dès les années 1862 et 1863, des expériences exécutées avec les légumineuses
papilionacées (trèfle, pois), cultivées dans du sable dépourvu d'azote, firent voir que
ces végétaux prospéraient très bien dans ces conditions et qu'ils pouvaient fleurir et
même porter des graines. Mais parfois, chose singulière, les mêmes plantes cultivées
dans le même milieu mouraient d'inanition. Les essais de contrôle montrèrent qu'à côté
d'une plante à développement normal pouvait s'en trouver une autre qui, sans cause de
maladie apparente, se développait mal. Il fallait donc soumettre à une étude approfondie
les facteurs nombreux et complexes qui agissent sur un végétal pendant le cours de son
existence. Dès l'année 1883, les expériences précédentes furent reprises et fournirent des
conclusions identiques à celles que nous venons de mentionner : relations étroites entre
la croissance des céréales et le taux de l'azote du sol, possibilité pour les légumineuses
de vivre dans un sol dépourvu d'azote, irrégularités inexplicables dans les résultats obte-
nus en cultivant des pois. Il était évident que les anomalies constatées dans le dévelop-
pement de ces derniers végétaux étaient purement accidentelles et qu'on ne devait en
1. Disons tout de suite, pour ne plus revenir sur cepoint et pour aller au-devaat des objections,
qu&la quantité d'azote apportée par la délayure de terre n'excède dans aucun cas / miltir/ramme,
et ne peut, par conséquent, pas rendre compte des doses énormes d'azote fixées dont nous parle-
rons plus loin.
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TO.ME I. 62
978 AZOTE.
accuser ni la nature du terrain, ni les autres conditions de l'expérience. Hellriegel et
WiLF.^RTH se demandèrent aloi-s s'il n'y avait pas lieu de chercher dans ce phénomène
l'intervention des microbes, en s'appuyant, comme ils le disent expressément, sur les
expériences que Berihelot avait publiées au mois d'octobre 188K.
Voici le dispositif adopté dans leurs expériences. Le sol de culture mis en œuvre est
un sable quartzeux renfermant un peu de chaux, de potasse, de soude, des traces d'acide
pliosphorique et d'azote. On fait usage de vases de verre de grandeur variable, contenant
de 4 à 8 kilogrammes de sable auquel on ajoutait les éléments minéraux précités dans une
proportion fixée par des essais antérieurs. Les graines soigneusement choisies sont mises
à germer dans du papier à filtre, puis plantées en nombre double de celui qu'on veut
conserver. On arrache de bonne heure lesplantules dont on veut se débarrasser aiusi que
les débris des graines. Les vases sont exposés à l'air libre, mais peuvent être rais à
l'abri dans les cas de pluie, leur arrosage s'effectue avec de l'ean distillée privée d'am-
moniaque.
Voici les résultats généraux obtenus avec les cultures des années 1883-1883 : en ce qui
concerne les graminées mises en expérience, orge et avoine, leur accroissement est lié à
la .quantité d'azote contenu dans le sol. Si les nitrates font défaut d'une façon absolue,
l'orge et l'avoine ne produisent à peu près rien, et cependant leur végétation dure aussi
longtemps que celle des plantes nourries normalement. Les graminées ne donnent le
maximum de récolte que si on leur offre une quantité suffisante et déterminée de
nitrates. Au-dessous de cette dose la récolte dimiciue proportionnellement avec la dose
de nitrate ajoutée, la même quantité de nitrates donnant toujours la même récolte, non
seulement si on compare les expériences d'une même année, mais même celles de dif-
férentes années. L'orge et l'avoine ne puisent donc leur azote que dans la graine, le sol,
et l'engrais;
Au contraire, les expériences de cultures faites dans les mêmes conditions avec des
pois conduisent à un tout autre résultat. L'accroissement de ces (liantes n'est pas en
rapport avec la quantité d'azote contenu dans le sol, car celles-ci prennent, mais non
pas toutes, un développement normal, et peuvent même acquérir une vigueur exception-
nelle dans un sol privé d'azote.
11 est une période pendant laquelle ces végétaux semblent souffrir de ce manque
d'azote, puis, subitement, l'allure générale de leur végétation change et rien ne peut les
faire distinguer des plantes venues dans des conditions normales. C'est à cette époque
de transition que les auteurs ont donné le nom de faim d'azote. Qu'on abaisse ou qu'on
augmente la quantité de nitrates ajoutée au sol, le poids de la récolte ne sera nullement
proportionnel au poids de l'engrais azoté, alors que pour les graminées cette proportion-
nalité existe clairement. On ne peut donc chercher à déterminer par des chifl'res l'in-
tluence d'une quantité quelconque d'azote sur la végétation des légumineuses. Il résulte
de ce qui vient d'être dit que les pois peuvent prendre leur azote ailleurs que dans le
sol, les engrais ou la graine : en effet, certains individus ayant végété dans un milieu
presque absolumctit dépourvu d'azote, renfermaient, au moment de la récolte, beaucoup
plus d'azote que les autres; de plus, la quantité de cet élément dépassait de beaucoup
la moyenne de l'azote que contenaient des plantes semblables venues en plein champ.
11 est donc évident que le pois, placé dans les mêmes conditions de végétation au point
de vue de l'assimilation de l'azote que l'orge ou l'avoine, se comporte d'une façon com-
plètement dilférente de celle de ces deux graminées.
Ainsi que Hellriegel et Wilfarth le font remai'quer, les dernières expériences sont en
concordance absolue avec celles qu'ils avaient exécutées antérieurement et que nous
avons rappelées plus haut. De plus, pour le pois, les mêmes irrégularités et les mêmes
contradictions frappantes s'étaient renouvelées, tantôt végétation luxuriante, égale et
supérieure même à la végétation normale, parfois, au contraire, végétation misérable
semblable à celle d'une graminée privée d'azote. Tout ceci va trouver dans un instant
son explication.
Béllriegel et Wilfarth passent donc en revue les diverses hypothèses déjà proposées
pour expliquer l'assimilation de l'azote par les légumineuses et démontrent l'insuffisance
de chacune d'elles : 1° On a supposé que les légumineuses absorbaient directement l'azote
de l'atmosphère, comme toutes les plantes vertes le font pour le gaz carbonique, i" On
AZOTE. 979
a attribué aux légumineuses la faculté exceptionnelle, grâce à leur puissant feuillage et
à leur période plus longue de végétation, d'accumuler et de s'approprier mieux que les
autres plantes les faibles traces d'azote combiné existant dans l'atmospbère. 3» On a
affirmé, d'autre part, que les légumineuses, qui possèdent des racines pénétrant très
profondément dans le sol, peuvent puiser dans le sous-sol l'azote dont elles ont besoin,
alors que les autres plantes cultivées ne peuvent le faire. 4° On a refusé aux légumineuses
une faculté spéciale d'assimilation de l'azote et on a cherché à expliquer l'enrichisse-
ment du sol en disant que ces plantes, par leur vie même, entretenaient dans la terre
certaines combinaisons azotées indépendantes d'elles et qu'elles les empêchaient de se
perdre dans le sol.
La première hypothèse qui accorde aux légumineuses un pouvoir exceptionnel d'assi-
milation ne peut plus être discutée depuis les expériences de Boussingault, Lawes, Gil-
bert et Pugh. La seconde hypothèse tombe d'elle-même devant les expériences des auteurs.
Cette source de composés azotés contenus dans l'atmosphère est trop peu abondante
pour expliquer le gain considérable réalisé dans certaines expériences et dont les grami-
nées devraient également profiter. Comment, d'ailleurs, pourrait-on comprendre qu'à
côté de certains pois d'une végétation luxuriante il fût possible d'en rencontrer d'autres
contenant des quantités d'azote plus faibles, d'autres enfin ayant un aspect misérable.
La troisième hypothèse soutenue par Lawes et Gilbert {Jahresb. Agrik. Chemie, t. viii, p. 23,
1883), n'est pas discutable, puisque, dans les vases employés dans les expériences, il
n'existe pas de sous-sol. Enfin, la quatrième hypothèse s'appuie sur ce fait bien connu
que le sol absorbe en partie l'azote combiné de l'atmosphère, que les poussières de l'air
ne sont pas dépourvues d'azote, que les eaux météoriques apportent au sol de l'ammo-
niaque et de l'acide nitrique, que l'électricité atmosphérique transforme l'azote libre en
acide nitrique et qu'enfin l'azote libre se fixe sur le sol avec le concours des micro-orga-
nismes (Besthrlot). a côté de ces causes d'enrichissement du sol en azote, existent des
causes incessantes de déperdition, telles que l'entraînement par les eaux pluviales des
nitrates formés parles organismes nitriflcateurs dans le sol, les fermentations capables
de transformer la matière azotée en protoxyde d'azote et même en azote libre. Cepen-
dant Hellriegel et Wilearth sont loin de regarder comme négligeable l'apport fait au
sol par les agents atmosphériques. Mais aucune expérience de culture de légumineuses
ne démontre que celles-ci ne peuvent s'assimiler directement l'excédent d'azote, toujours
trouvé après leur végétation, et qu'au contraire cette assimilation a lieu indirectement.
En eiîet, graminées et légumineuses se trouvaient dans les mêmes conditions de végé-
tation : celles-là restaient misérables en l'absence des nitrates, celles-ci avaient un déve-
loppement normal et même luxuriant. Si, pour expliquer ce fait, on suppose que le sol
a absorbé d'avance un peu d'ammoniaque et un peu d'acide nitrique provenant de
l'atmosphère, et que cette faible acquisition d'azote s'est accrued'unefaçonquelconque par
suite de la végétation des légumineuses, il faut admettre que le sol porteur de gra-
minées s'est enrichi également d'acide nitrique dans la même mesure : or les grami-
nées n'ont pas profité de cette faible dose d'azote que le sol aurait ainsi acquise. Quelle
sera, en un mot, celle de ces hypothèses qui rendra compte du fait suivant observé en
1885? Des poids plantés deux à deux dans seize vases ont présenté dans leur développe-
ment des anomalies inexplicables: tantôt les deux pieds d'un même vase étaient dans un
état de végétation luxuriante, tantôt, dans un vase voisin, les deux pieds étaient
misérables, tantôt, dans un troisième, un des pieds végétait normalement, tandis que
l'autre mourait d'inanition. Notons enfin ce fait curieux, que dès que certains pieds,
croissant dans un milieu dépourvu d'azote, avaient triomphé de la période d'ina-
nition, ils se développaient ensuite avec une vigueur et une rapidité parfois éton-
nantes.
Que conclure de tout ce qui précède? Aucune des théories émises jusqu'à ce jour
sur la fixatioii de l'azote par les légumineuses n'étant capable d'expliquer les phénomènes
observés par Hellriegel et Wilfarth, ces agronomes sont donc obligés de prendre
comme point de départ les deux nouvelles hypothèses suivantes: ["la source à laquelle
les légumineuses puisent leur azote doit être l'azote libre de l'atmosphère. Cette idée
peut seule s'accorder avec le gain considérable d'azote que font ces plantes dans un
aussi court espace de temps; 2° la cause fixatrice doit exister en dehors des conditions
980 AZOTE.
dans lesquellps les auteurs faisaient volontairement leurs expe'riences; le gain constaté
n'était qu'accidentel, ainsi que le démontre l'irrégularité de la teneur en azote révélée
par l'analyse des végétaux, irrégularité sur laquelle nous avons déjà insisté. Il fallait
donc entreprendre des recherches dans lesquelles on pourrait faire entrer enjeu, soit
les micro-organismes du sol fixateurs d'azote, d'après les expériences de Behthelot, relatées
plus haut (C. jR., t.ci, p. 775), soit certains champignons qui, d'après de nombreuses obser-
vations antérieures, peuvent, par attraction réciproque, avoir une existence commune
avec des plantes phanérogames plus puissamment organisées. En efïet, ainsi que Hel-
LRiEGEL et WiLFAHTH le font remarquer, les observations faites par eux ne sont pas en con-
tradiction avec celles des savants qui les ont précédés dans cette voie. On peut admet-
' tre que le sol employé était pauvre en micro-organismes et en germes mycogéniques,
mais n'en était pas absolument privé après le double lavage qu'il avait subi avant l'ex-
périence. Il est certain que ces germes, dont l'ubiquité est évidente, pouvaient, selon les
caprices du hasard, se déposer sur tel ou tel vase à l'exclusion de tel autre. Dans cet
ordre nouveau d'idées, on pouvait se guider, d'une part, sur les expériences précitées
de Berthelot, et, d'autre part, sur ce fait d'une observation très ancienne, à savoir que
les légumineuses possèdent dans les proiuhcranccs dont sont garnies leurs racines des
organes caractéristiques qui, pour certains botanistes, seraient remplis par des bactéries
et des tissus mycoiques. Nous reviendrons plus loin sur la nature de ces nodosités radi-
cales.
Les nouvelles expériences doivent donc répondre aux deux questions suivantes : l'in-
troduction, dans le sol, des micro-organismes favoi'ise-t-elle le développement des légu-
mineuses en supprimant, partiellement du moins, les inégalités d'accroissement, et, dans
ces conditions, les légumineuses ne meuieut-elles plus d'inanition, ainsi qu'il ari-ive aoix
graminées dans un sol privé d'azote et stérilisé au préalable? Voici donc comment il
conviendra d'opérer. On mélangera les micro-organismes à la solution nutritive, préala-
blement stérilisée, en délayant un peu de terre arable avec cinq fois son poids d'eau
distillée. Les vases et le sablé employés pour la culture seront stérilisés par la chaleur,
les graines seront trempées pendant deux minutes dans du sublimé à 1 millième et la
surface du sol sera recouverte d'ouate stérilisée. Quanta l'eau d'arrosage, on n'emploiera
que de l'eau bouillie.
Voici les résultats expérimentaux obtenus dans l'année 1886-1887. On prépara 42
vaseb identiques contenant même solution nutritive, mais dépourvue d'azote. Trente
d'entre eux furent abandonnés à eus-mènies, dix reçurent chacun 25 centimètres cubes
de l'infusion préparée avec o grammes de terre, deux furent stérilisés et recouverts
d'ouate stérilisée : chaque vase reçut deux graines de pois. Peu de jours après la ger-
mination, on ne constata aucune différence entre les plantes; puis, toutes commencè-
rent à jaunir par suite de l'épuisement de leurs réserves. Un mois environ après l'ense-
mencement, les plantes de la seconde série (ayant reçu de l'infusion de terre) pi'ésen-
tèrent une coloration plus verte que celles de la première série, et cette dilTérence s'accusa
de jour en jour. Cependant quelques-unes des plantes de la première série se mirent à
verdir, alors que d'autres restèrent jaunes; quant à celles de la seconde série, elles con-
tinuèrent toutes à s'accroître rapidement. Au bout d'un mois, dans les deux vases stéri-
lisés, toute trace de verdure avait disparu, et aucun organe nouveau ne s'était montré.
Jusqu'à la fm de l'expérience (durée de trois mois et demi), ces particularités que
nous venons de mentionner ont subsisté. Il est donc permis de conclure ainsi : Dans la
première série, l'irrégularité de la végétation doit être la règle, comme dans les expérien-
ces antérieures, puisque l'ensemencement est abandonné au hasard; dans la seconde
série, l'ensemencement avec les bactéries du sol ayantétéfait régulièrement, les plantes
ont présenté l'aspect que nous avons décrit, elles ont toutes fourni des graines en hori
état et le poids de la substance sèche était supérieur à trente fois le poids delà semence
alors que, dans la première série, cet excédent n'a été constaté que chez certains vases
seulement. Quant à la troisième série, elle est restée stérile.
D'un très grand nombre d'autres expériences entreprises ultérieurement, tant sur les
graminées que sur diverses espèces de légumineuses, on peut détacher les résultats qui
suivent :
A. Relativement aux graminées, les expériences faites sur l'avoine et sur l'orge pen-
AZOTE. 981
dant les années 1886-87 ont confirmé de tous points les résultats obtenus antérieurement
en 1883 et 1883 : Ces végétaux croissent proportionnellement à la quantité de nitrates
qui leur est offerte; en dehors des nitrates existant dans le sol, ces deux plantes n'ont
assimilé l'azote d'aucune autre source. Une addition de carbonate de chaux augmente
le rendement et favorise l'assimilation de l'azote, mais le gain est très petit. On a con-
staté, de plus, qu'une infusion terreuse, correspondant à 3 grammes de terre pour 4 kilo-
grammes de sable, est restée sans influence et que les nitrates du sol sont assimilés
même quand ils sont dans un grand état de dilution.
B. Relativement aux légumineuses., les expériences exécutées en 1886 ont d'abord con-
firmé les résultats obtenus précédemment et elles ont mis en lumière les faits suivants :
1° Les pois végétant dans du sable et ne recevant comme aliment qu'une solution
exempte d'azote peuvent végéter vigoureusement et assimiler l'azote en quantité appré-
ciable. Ce développement de la plante et cette faculté d'assimilation ne se montrent pas
chez tous les sujets et dépendent évidemment d'une cause accidentelle dont l'action est
irrégulière. 2° Si on stérilise les vases et le sable de culture et si on recouvre celui-ci
d'ouate stérilisée, les légumineuses qu'on ensemence se comportent comme les graminées,
leur croissance est peu appréciable ou même nulle et, dans les produits récoltés, on
trouve toujours moins d'azote que la semence et le sol n'en contenaient au début. 3° On
peut, sans ajouter de nitrates, obtenir une végétation normale avec des légumineuses, si
on incorpore au sol stérilisé une infusion de terre; rien de semblable pour les graminées.
4" Les infusions des différentes sortes de terre n'ont pas la même influence, une infusion
faite avec une terre sableuse n'ayant jamais reçu d'engrais et rarement cultivée est infé-
rieure à celle qui provient d'une terre bien cultivée. De plus, telle infusion peut profiter
à telle espèce de légumineuses et être sans action sur telle autre (nous reviendrons plus
loin sur ce point intéressant). o° L'infusion terreuse chaufl:ée assez longtemps à 100"
perd toute influence. 6° Les légumineuses absorbent et utilisent les nitrates contenus dans
le sol; si on leur fournit une dose additionnelle de nitrate de chaux, on ne remarque pas,
chez ces végétaux, ce passage à la période d'inanition après épuisement de la réserve
contenue dans la graine. 7" Dans un sol stérilisé, les légumineuses se comportent comme
les graminées vis-à-vis des nitrates : le rendement en substance sèche est proportionné
au poids de l'azote nitrique qui leur est fourni; l'analyse montre que la récolte contient
moins d'azote qu'il n'existait primitivement de cet élément dans la semence, le sol et la
solution nutritive. 8° Mais si, en même temps que les nitrates, on donne aux plantes
un peu d'infusion terreuse, celle-ci ajoute son action à celle des nitrates et le rende-
ment cesse d'être en rapport direct- avec" Iti quantité d'azote contenue dans le sol. La
teneur en azote de ,1a récolte est bien plus considérable que la teneur primitive. 0° Le
gain d'azote qu'on peut atteindre en donnant aux plantes une infusion terreuse est tou-
jours plus faible lorsqu'il y a en même temps des nitrates dans le sol que lorsqu'il n'y en
a pas. 10° Rien n'indique que les légumineuses possèdent une faculté spéciale pour décou-
vrir, mieux que les graminées, de très petites quantités d'azote assimilable incorporées
au sol ou offertes en solution très diluée. 11° Une addition de carbonate de chaux ne
change rien aux précédents résultats.
Il est évident maintenant que l'accumulation de l'azote dans les légumineuses ne peut
être due qu'à la présence des micro-organismes qui pullulent dans le sol. Hellriegel et
■WiLEAimi, faisant un pas de plus dans la question, sont amenés à penser que cette action
repose sur une symbiose des micro-organismes et des légumineusesjet qu'à chaque légu-
mineuse doit correspondre un micro-organisme spécial. Les faits découverts par Beh-
THELOT et analysés plus haut ne peuvent rendre compte, dans le cas présent, du gain
d'azote considérable réalisé par les légumineuses. En effet, pourquoi les pois, par exem-
ple, peuvent-ils utiliser les sources d'alimentation qui s'offrent ainsi à eux, tandis que,
malgré leur végétation d'une égale durée, l'orge et l'avoine ne peuvent en tirer qu'un
profit insignifiant ' ?
Résumons les faits qui prouvent la présence des micro-organismes fixateurs dans l'in-
1. On pourrait répoudre à cela que le phénomène de la fixation de l'azote par le sol est, d'une
part, trop lent à s'exercer pendant une durée de végétation aussi rapide, et que cette fixation,
ainsi que l'a fait observer 13erthei,ot, étant corrélative de la quantité de matières organiques
existant dans le sol, ne saurait être, dans le cas présent, qu'extrêmement faible.
982 AZOTE.
fusion de terre, i" Effets produits par cette infusion, même à dose très minime. 2" Alors
que les légumineuses, qui croissent dans un sol non azoté, semblent périr d'inanition
sitôt que leurs graines sont vidées, elles renaissent subitement à la vie dès que le sol a
reçu de l'infusion terreuse. 3° Cette infusion est rendue stérile par l'ébullition et même
par l'application prolongée d'une température de 70". 4" Les infusions de terre de
diverses provenances n'ont pas la même influence sur toutes les légumineuses. C'est
ainsi qu'une infusion provenant de deux terres à betteraves s'est montrée très efficace
dans le développement du pois et qu'elle est, au contraire, restée sans action sur les
autres légumineuses mises en expériences. 5° Les légumineuses peuvent se développer
normalement dans un sol stérilisé, et sans addition d'infusion terreuse, si on n'empêche
pas soigneusement l'accès des germes apportés par l'air.
Il est donc, nous le répétons, une idée qui s'impose à notre attention, c'est celle d'une
symbiose entre les légumineuses et certains micro-organismes spécifiques pour chaque
espèce de légumineuse. Hellriegel et Wilfarth conçoivent ici la symbiose comme un
rapport dans lequel deux végétaux de nature différente exercent réciproquement une
influence active sur les fonctions de leur existence. Enfin, pour répondre à cette dernière
objection que, d'après Frank, il y a fixation d'azote sur un sol dont la surface est couverte
d'algues ou de mousses, les auteurs font remarquer qu'ils ont observé plusieurs fois,
dans les vases non stérilisés et non couverte d'ouate, des végétations vertes s'étendant
souvent jusqu'au fond du vase, et que cette végétation cryptogamique n'a eu aucune
influence, dans leurs expériences, sur la fixation de l'azote (voir plus loin ce qui est relatif
à la présence des algues vertes).
Dans la dernière partie de leur mémoire, Hellriegel et Wilfarth traitent la question
de la présence des tubercules sur les racines des légumineuses, sujet dont nous parlerons
un peu plus loin avec quelques détails. Mais, pour ne pas interrompre l'exposé de leur
important travail, donnons de suite les idées émises à ce sujet })ar les deux savants. Hell-
riegel rappelle qu'à l'occasion de sa première communication il avait déjà indiqué que
les organes qu'on appelle tulérosiiés des légumineuses sont en relation directe avec l'assimila-
tion de l'azote.
La connaissance de ces tubercules est très ancienne, mais aucune explication satisfai-
sante de leur présence et de la nature de leur contenu n'a encore été donnée (ceci, bien
entendu, au moment où Hellriegel et Wilfarth publient leur mémoire : 1888).
Les peti ts corpuscules qui se rencontrent dans les cellules du parenchyme intérieur de
ces tubérosités ont été longtemps considérés comme des champignons, telle était
l'opinion de Lundstroem et celle de Marshall Ward. Mais Brunchorst, Tschirch, Frank
les ont plus tard décrits comme des coips albumineux se liant à la vie même de la plante.
Si leur nature est inconnue, leurs fonctions sont également l'objet de nombreuses dis-
cussions. Pour les uns, ce sont des formations pathologiques, pour d'autres, au contraire)
ce sont des créations normales intimement liés à l'économie de la plante ; Bru.nxhorst,
regarde les bactéroides contenus dans les tubercules comme des productions normales
du plasma cellulaire. En un mot, tandis que certains expérimentateurs considèrent ces
tubérosités comme des greniers d'abondance dans lesquels les plantes accumulent des
réserves azotées, d'autres en font des organes d'assimilation : les uns regardent les
tubérosités comme la conséquence, les autres comme la cause effective de la croissance
des plantes. Voici ce que Hellriegel et Wilfarth ont observé au sujet des relations
entre l'assimilation de Fazote et la présence des tubercules sur les racines des légumi-
neuses. Si on cultive celles-ci en milieu stérile dans un sable dépourvu d'azote, leurs
racines ne portent pas de tubercules. Dans ces conditions, les plantes ne croissent pas
et n'assimilent de l'azote qu'en quantité très minime. Dans un sol non stérilisé, mais
privé d'azote, la production de tubérosités nombreuses sur les racines des légumineuses
est chose normale : la végétation est alors active et il y a assimilation énergique d'azote.
Si les plantes se développent dans un sable stérilisé pourvu de nitrates, leurs racines
ne porteront pas de nodosités, et il n'y aura pas de gain d'azote. Enfin, dans un sol
non stérilisé et renfermant de l'azote, on observe la formation de tubercules radicaux
plus ou moins nombreux avec végétation parfaite et gain d'azote constant. La conclusion
générale de tout ce qui précède doit donc être ainsi formulée : la formation des tuber-
cules radicaux dépend de la présence, dans le sol, d'un^ferment organisé actif.
AZOTE. 983
Quelques mots maintenant sur cette période d'inanition que traversent les plantes
avant que rinl'iision terreuse manifeste son action. L'extrait de terre était toujours incor-
poré en même temps que la solution nutritive dès le début de l'expérience, mais son
iniluence ne s'est jamais révélée dès le commencement de la végétation. La période de
germination s'étant accomplie normalement, les plantes entraient dans la phase
d'inanition dès que les matériaux de réserve étaient consommés ainsi qu'il arrive
lorsqu'une plante quelconque croît dans un sol absolument stérile. Alors seulement
l'infusion terreuse fait sentir son influence : la teinte verte, qui avait momentanément
disparu, reprend sa couleur normale et la plante entre dans la période d'assimilation
proprement dite. Constatons, de plus, que, chez les végétaux placés dans de bonnes
conditions, la formation des thbérosités se produit dans la période d'inanition, c'est-
à-dire avant le commencement de l'assimilation et de la croissance. Hellkiegel et
WiLFARTH ont examiné à ce sujet de nombreux pieds de pois, de seradclle, de, lupin, et
ils ont toujours noté que, pendantia période de germination ainsi que pendant les premiers
temps de celle d'inanition, il n'existait pas de tubercules sur les racines, mais que
ceux-ci apparaissent sitôt le reverdissement accompli, ou, tout au moins, dans les
derniers temps de la période d'inanition, si celle-ci se prolongeait. 11 restait à démontrer
que c'est bien à l'azote /tire de l'atmosphère que les plantes empruntent leur azote. Pour
effectuer cette démonstration, les savants ag-ronomes employèrent, soit une grande cage
vitrée traversée par un courant d'air privé d'azote combiné, mais additionné d'une dose
suflisante de gaz carbonique, cage dans laquelle se trouvaient les vases à ensemencer,
soit, comme dans les expériences de Boussingault, un grand ballon de verre. On mit en
œuvre, ainsi que dans les expériences précédentes, le même soi stérilisé, la même solu-
tion nutritive, la même infusion terreuse : seuls les pois assimilèrent l'azote dans
une proportion considérable, tandis que l'avoine et le sarrasin . ne fixèrent cet élé-
ment qu'en minime proportion.
On a prétendu que Hellriegel et Wilfartii n'avaient pas donné de preuve péremptoire
delà fixation de l'azote libre par les légumineuses, puisqu'ils opéraient dans un courant
d'air, privé sans doute d'ammoniaque par son passage au travers de réactifs appropriés,
mais, en somme, dans une atmosphère constamment renouvelée. Or, en supposant que
quelque gaz azoté inconnu, non absorbé par les réactifs jusqu'ici employés, existât à l'état
de traces dans l'air que nous respirons, aucune analyse, si précise qu'elle puisse être, ne
saurait le faii'e découvrir : on pourrait donc penser que c'est précisément ce gaz que les
légumineuses absorbent (Remarque faite déjà par Boussingault). Mais cette dernière expé-
rience exécutée dans un ballon clos nous paraît donner la démonstration irréfutable de
l'absorption de l'azote gazeux libre. Un gaz azoté inconnu qu'assimileraient les légumi-
neuses ne pourrait être contenu qu'à l'état de trace dans ce ballon, et ne permettrait en
aucun cas d'expliquer les quantités considérables d'azote que renferment les plantes
après l'expérience.
11 restait enfin à examiner dans quelle mesure le sol s'est enrichi après la culture
des légumineuses. Les chiffres fournis par les analyses faites sur le sol après enlève-
ment de la récolte (cultures de pois de l'année 1887) suggèrent les remarques suivantes :
1° Pendant la durée des expériences, le sable quartzeux s'est enrichi en azote dans tous
les cas. 2° Cet accroissement est plus important lorsqu'il y a végétation, active que lors-
que les plantes restent chétives et ne produisent à peu près rien. 3° Le gain n'est pas
considérable, et les nombres obtenus sont plus faibles que ceux qui ont été fournis par
d'autres observateurs, lesquels opéraient sur des terres argileuses ou riches eu humus,
-i" Presque tout l'excédent d'azote accumulé se trouvait dans le sable sous forme de
combinaison organique.
Hellrtegel et Wilfarth terminent leur important mémoire par une série de conclu-
sions qui le résument en quelques propositions fondamentales. Nous croyons qu'il est
inutile de transcrire ce résumé, les points importants ayant été suffisamment mis en
lumière dans cette analyse déjà trop longue. Toutefois, voici ce qu'il convient de dire en
quelques mots : certaines variétés de légumineuses, sinon toutes, ont la faculté, avec le
concours des micro-organismes, d'utiliser l'azote libre de l'atmosphère et de l'em-
magasiner sous la forme de matières alhuminoïdes. Cette source d'azote est inépuisable;
elle peut, si les conditions sont favorables, suffire à elle seule aux exigences de ces
984 AZOTE.
plantes, lesquelles atteignent alors un développement normal et même luxuriant, ce qui
justifie celte ancienne affirmation connue de tous les praticiens : les légumineuses doi-
vent être regardées, en économie rurale, comme des plantes améliorantes.
— Un travail d'une pareille importance devait évidemment provoquer des expériences
de contrôle dont nous allons parler dans ce qui suit. Mais la plupart des recherches faites
ultérieurement ont démontré la justesse des vues de Hellriegel et Wilfarth et les ont
complétées. A peine trouve-t-on quelques idées discordantes dont il convient cependant
de faire mention, étant donnée la valeur des savants qui les ont émises.
Dans un long et intéressant mémoire intitulé : Recherches sur la nutrition azotée des
plantes [Landw. Jahrb., t. xvii, p. 421, 1888, traduction complète dans les Annales de la
science agronom., t. ii, p. 24, 1888), B. Frank fait un historique de la question de l'azote,
puis il met en évidence, d'une part, les expériences négatives de Boussingault et, d'autre
part, ce fait, d'une observation journalière, à savoir que les plantes cultivées laissent le
sol plus riche en azote après la récolte qu'avant quand on compare l'azote de l'engrais
et celui que contient la récolte. Ses propres essais l'amènent à conclure que l'azote
élémentaire provenant de l'air est fixé par les végétaux; les composés azotés du sol
augmentent, la masse végétale s'accroît. Étant données certaines conditions, les plantes
de la grande culture peuvent, sans engrais azotés, s'alimenter d'azote puisé dans l'air.
Mais ce gain d'azote se trouve constamment diminué par les pertes qui résultent d'une
série de processus contraires. L'azote, en effet, retourne partiellement à l'état gazeux
pendant la germination, la putréfraction (Reiset), la décomposition des principes azotés
du sol, la réduction des nitrates dans un sol privé d'air; il s'en perd une certaine quan-
tité à l'état combiné dans la volatilisation de l'ammoniaque des fumiers et dans l'entraî-
nement par l'eau pluviale des nitrates du sol (Voir aussi : Tacke, Landw. Jahrb., t.xvni,
p. 439, 1889). Les plantes absorbent directement l'azote, mais les racines ne jouent
aucun rôle spécial dans ce phénomène. Cette absorption atteint son maximum, ou bien
devient seulement appréciable, quand la plaiite est arrivée au stade de son plus grand
développement ou quand elle porte des graines mûres. Les différentes espèces végétales
déploient une énergie très inégale dans l'assimilation de l'azote, d'où gain inégal suivant
qu'on considère telle ou telle plante. Le résultat le plus faible appartient à la jachère
dans laquelle les petits végétaux agissent seuls; s'il s'agit de plantes supérieures, le
gain est plus considérable; les légumineuses donnant sous ce rapport le maximum d'as-
similation. L'azote combiné, acquis sous forme végétale, enrichit le sol : en effet, celui-ci
conserve les racines que lui abandonnent les végétaux supérieurs et dont la matière
azotée par une série de réactions se transforme en ammoniaque, puis eu acide nitrique.
Les cryptogames verts microscopiques meurent, puis sont remplacés par une nouvelle
génération et enrichissent ainsi le sol en azote. iNous verrons bientôt que ce sont les
recherches de Schlœsing fils et Laurent qui ont précisé le rôle des algues, mais il convient
de reconnaître que ce rôle a été néanmoins découvert d'abord par Frank {Chem. Centralb.,
1888, p. 1439). Quoiqu'il en soit, ce savant botaniste n'admet pas, comme un fait hors de
doute, l'existence dans le sol d'organismes fixateurs d'azote, et il nie que les tubercules
radicaux des légumineuses remplissent, chez les plantes, les fonctions que Hellriegel
leur a attribuées à la suite de ses expériences. Frank est revenu plusieurs fois sur le
rôle que jouent les algues dans la fixation de l'azote [Jahresb. Agï^ik. Chemie,i. xn, pp. 49,
127); d'ailleurs cette faculté semble être une propriété de tous les végétaux pourvus de
chlorophylle sans qu'il soit besoin d'admettre l'intervention d'organes particuliers. Chaque
fois qu'un sol absorbe l'azote atmosphérique et le change en azote organi(jue, c'est qu'il
est habité par des algues, tandis que seul, privé de végétation, il ne possède pas cette
aptitude. La propriété qu'ont les végétaux pourvus de chlorophylle de fixer l'azote élé-
mentaire semble être un phénomène aussi général que la décomposition du gaz carbo-
nique par leurs parties vertes (Frank) (Consulter à ce sujet les expériences de Bréal sur
le Cresson dans Annal, açiron-, t. xvin, p. 396 et celles de Pagnoul dans C. R., t. ex,
p. 910). Cependant Frank a constaté ultérieurement, conformément aux vues de Berthe-
LOT, que les micro-organismes exempts de chlorophylle enrichissent en azote les terres
pauvres, même celles qui sont maintenues sans culture.
Quel est le lieu de l'assimilation de l'azote dans les plantes vertes ordinaires? Frank
et Otto [Ber. botan. GcselL, i. vni, p. 331) ont institué à ce sujet des expériences qui
AZOTE. 985
leur ont montré que la feuille, siège de l'assimilation du carbone, est également le lien
de formation des composés azotés. Après une journée d'assimilation, les feuilles, riches
en amidon le soir, perdent pendant la nuit une certaine quantité de cet hydrate de car-
bone. De même, les feuilles vertes sont plus riches en azote le soir que le matin suivant.
Les légumineuses présentent à cet égard de difîérences considérables, différences moins
accentuées, mais ce| endant réelles, dans les. autres familles.
WiLP.\HTH a relevé dans les travaux de Frank de nombreuses inexactitudes qui
infirment en partie les conclusions de ce dernier auteur {Jahresb. Agrikidturchemie, t. xiir,
p. 118). Eu efîet, le fait de la fixation de l'azote par les légumineuses, dit Wilfarth, a été
vérifié dans toutes ses conséquences par de nombreux expérimentateurs; de plus, les
recherches de Frank ne sauraient entraîner la conviction en ce qui concerne la fixation
de l'azote par fe chanvre et le colza, les nombres fournis à cet égard étant de l'ordre des
erreurs qu'on peut commettre dans les analyses (voir encore sur le sujet les derniers
travaux de Frank dans Landw. Jahrb., t. xxi, p. 1).
Il résulte d'expériences plus anciennes entreprises par Gautier et Drouin pendant les
années 1886 et 1887 que le sol non ensemencé, mais pourvu de matières organiques, em-
prunte de l'azote à l'atmosphère et le transforme en azote organique : la perméabilité,
la division et le tassement de la masse jouent un rôle considérable dans le phénomène.
Quant à l'apport d'ammoniaque atmosphérique, il ne suffit pas à expliquer l'accumu-
lation de l'azote. Il existe donc d'autres origines de l'azote assimilé (poussières orga-
niques, azote libre). L'intervention d'un végétal double la quantité de l'azote total fixé; ■
de plus certains organismes unicellulaires aérobies, et particulièrement certaines algues,
interviennent dans le phénomène de la flxation de l'azote sur le sol, même lorsque celui-
ci est privé de toute autre végétation et dépourvu de matière organique. Mais, à aucun
moment, les auteurs ne se prononcent d'une manière catégorique en faveur de la flxa-
tion de l'azote gazeux libre (C. fi., t. cvi, pp. 7o4, 863, 944, 1098, 1174, 1232, 1603; t. cxiir,
p. 820; t. cxiv, p. 19).
Revenons maintenant sur les travaux relatifs aux légumineuses et voyoïis quelles
conséquences nouvelles peuvent en découler.
L'année même où paraissait le travail magistral de Hellriegel et Wilfarth (1888),
Berthelot, de son côté, précisait de nouveau les rapports de l'azote libre avec le sol
sans culture et-étendait ses expériences à un sol ensemencé avec des légumineuses (A. C,
(6), t. XVI, p. 433). Voici les points les plus saillants du mémoire considérable publié à cette
occasion par l'auteur précité. Les expériences ont porté sur la terre végétale disposée :
1" en vase clos; 2° exposée à l'air libre sous abri; 3° à l'air libre sans abri. Dans le
premier cas, sous cloche, à l'abri par conséquent des poussières de l'atmosphère et
des compose's azotés que celle-ci peut apporter, trois essais exécutés avec trois terres
de richesse difîérenle en azote ont donné lieu à une flxation d'azote. Ces terres étaient
des terres végétales n'ayant subi au préalable aucune manipulation telle que chauffage,
calcination, mélange avec du terreau, etc., l'azote qu'elles ont fixé était évidemment
l'azote gazeux contenu dans la cloche. Une des terres dont la teneur initiale en azote
était, par kilogramme sec, de 0S'',974, a fait, en deux mois, un gain de 8,6 p. 100 de
l'azote initial; la seconde terre, qui contenait au début ls^663 d'azote, a gagné 2,2
p. 100 d'azote dans le même espace de temps; la troisième terre, dont la teneur initiale
en azote était de ls'',744, a gagné 4,3 p. 100. Les expériences faites à l'air libre et sous
abri on donné lieu à des gains d'azote du même ordre de grandeur que les précédents.
Enfin, les expériences exécutées en plein air entraînent la même conclusion, défalcation
faite de l'azote ammoniacal qu'elles ont reçu par l'eau de pluie, le gain d'azote étant
dans tous les cas plus marqué pour la terre la plus pauvre au début. Ces mêmes terres,
mélangées avec une infusion provenant du contenu des tubercules radicaux des légu-
mineuses, ne fixent pas l'azote en quantité plus considérable qu'en l'absence d'infusion,
peut-être parce que le concours de la vie végétale proprement dite est nécessaire à
l'activité des êtres que renferment ces tubercules.
Il resterait, avant d'aller plus loin, à régler défliiitivement la question des relations de
l'ammoniaque atmosphérique avec la terre végétale, afin de savoir quelle est la quantité
d'azote que cet alcali apporte au sol dans les conditions naturelles. Berthelot [loc. cit.,
p. 484) expose une des terres précédemment étudiées à l'action de l'air sous un hangar
986 AZOTE.
librement ouvert, et l'additionne d'un peu de carbonate calcique. Au bout de six mois,
la dose d'ammoniaque libre et de sels ammoniacaux soluhles dans Veau pure ne s'était
pas accrue d'une façon sensible, ainsi que la dose d'ammoniaque qu'on peut extraire par
l'actiou d'uQ acide étendu en suivant l'ancien procédé incorrect de dosage. Une autre
expérience d'une durée de dix-huit mois a conduit au même résultat. On voit donc que
l'absorptiou de l'ammoniaque atmosphérique par la terre végétale est un phénomène
extrêmement restreint, sinon douteux et que l'apport d'azote par cette voie est presque
négligeable : ce qui infime en grande partie les conclusions qu'on avait tirées autrelbis
de l'enrichissement du sol par cet alcali et dont nous avons parlé précédemment. Il
résulte, en outre, de ce que nous venons de dire, que cette absorption de l'ammoniaque
par les sols ne peut être mesurée par la dose d'ammoniaque absorbée par une surface
donnée recouverte d'acide sulfurique étendu et exposée à l'air. En effet, l'acide absorbe
l'ammoniaque et n'en restitue pas la moindre fraction; le sol, au contraire, en émet
ainsi que nous l'avons déjà montré et, entre lui et l'air, se font des échanges continuels.
Berthelot rend compte ensuite d'une série d'expériences qu'il a faites sur la terre
avec le concours de la végétation de six espèces de légumineuses (resce, lupin, jurasse,
trèfle, luzerne, Medicago lupidina). Comme dans la série précédente, les plantes étaient :
i° sous une cloche ; 2° à l'air libre sous abri ; 3° à l'air libre sans abri.
I. L'atmosphère des plantes sous cloche a été additionnée tous les jours de quelques
centièmes de gaz carbonique; on vérifiait de temps en temps la composition de cette
atrriosphère. Sous cloche, les deux échantillons lupin et vesce ont gagné de l'azote, mais le
gain a eu lieu par la terre. La plante, en effet, n'a pas atteint le terme de son dévelop-
pement où elle commence à assimiler l'azote et le carbone des milieux extérieurs. Ce
résultat n'est pas surprenant; sous cloche, en effet, ainsi que nous l'avons déjà fait
remarquer, la saturation de l'atmosphère par la vapeur d'eau, l'émission des produits
volatils toxiques, le potentiel électrique nul, le surchaufîage possible des parois du vase
par la concentration solaire sont autant de causes qui entravent le processus végétatif.
II. Les expériences exécutées à l'air libresoiig abri transparent ai\ecla. terre dite de l'enclos
(Ob'^,974 d'azote dans un kilogramme) ensemencée avec les six espèces de légumineuses
précitées, ont constamment donné lieu à un gain d'azote malgré la diversité dans les
conditions et la durée inégale de l'évolution des plantes (de deux à cinq mois). Ce gain,
sauf pour le lupin, surpasse de beaucoup les gains observés en vase clos, soit avec les
légumineuses, soit avec la terre seule; pour la luzerne, il s'est élevé jusqu'à 37,3 centièmes.
Ce gain a porté dans tous les cas sur la terre ainsi que sur la plante, sauf dans le cas
du lupin. Dans les expériences les plus courtes, c'est la terre qui a gagné le plus; mais,
dans les expériences les plus longues, le gain de la plante en azote a surpassé le gain de
la terre. Les racines des plantes sont très abondantes, leur matière minérale forme les
86 centièmes du poids total. Berthelot émet l'idée que l'incorporation d'une si forte
dose de matières minérales de la terre aux racines répond bien à la notion d'une sorte
de rie commune où la terre et la plante entrent en participation.
Dans une autre série d'expériences exécutées avec la même terre, mais à l'air libre et
sans abri, toutes les plantes. ont gagné de l'azote, le gain est du même ordre de grandeur
que dans la série précédente, il est maximum avec la luzerne sans abri (41,3 centièmes),
comme avec celle placée sous abri (37, o centièmes).
m. Les essais exécutés avec la terre dite de la terrasse (renfermant dans un kilo)
gramme lf,6boo d'azote) donnent lieu à des remarques analogues à celles que nous
venons de faire pour la terre de Venclos. Sous cloche, les plantes ont gagné de l'azote et
le gain a eu lieu par la terre, la plante n'ayant pas atteint dans son développement la
limite à laquelle elle commence à fixer l'azote et le carbone tirés du dehors. A l'air
libre, aussi bien sous abri que sans abri, il y a eu fixation à la fois sur la terre et sur la
plante. Le lupin, comme dans les expériences précédentes, est toujours la plante qui
fixe le moins d'azote, la luzerne donne le maximum de fixation.
W. Avec la terre dite du parc (renfermant dans un kilogramme sec 1S'',744 d'azote,
des phénomènes analogues à ceux que nous venons de décrire ont été observés : les con-
clusions sont les mêmes que celles qui précèdent. On consultera avec fruit les tableaux
des pages 624 et suivantes de ce mémoire dans lesquels l'auteur a reproduit les chiffres
qu'ont donnés toutes ses expériences.
AZOTE. 987
En résumé, le gain d'azote ne porte, le plus souvent, que pour une fraction sur la
terre, une fraction plus considérable étant fixée sur la plante. Le gain de celle-ci a lieu,
en général, à peu piès également sur sa partie aérienne et sur la partie souterraine
(vesce, luzerne), quelquefois même il est prédominant dans cette dernière partie. Ainsi
apparaît nettement le rôle prépondérant que jouent les racines des légumineuses dans
la fixation de l'azote de concert avec la terre. Nous avons déjà signalé cette sorte d'union
intime et de vie commune entre la terre et les racines due à l'intervention des microbes
du sol et en vertu de laquelle l'azote fixé, grâce à ceux-ci, se transmettrait à la plante
elle-même.
L'influence de l'électricité sur la végétation a donné lieu à bien des expériences contra-
dictoires que- nous ne pouvons rappeler. Cette influence dont certains avaient pressenti
l'efficacité plutôt qu'ils ne l'avaient démontrée, a fait l'objet d'un travail de Berthelot
qui trouve ici sa place naturelle, ce travail n'étant, en effet, que le complément des expé-
riences que nous venons de rapporter. C'est en 1889 que Berthelot a étudié cette
influence de l'électricité sur la fixation de l'azote, tant en présence qu'en l'absence des végé-
taux supérieurs (A C, (6), t. xix, p. 433). La terre, seule ou plantée, a été placée dans un
champ électrique en maintenant, au moyen d'une pile, ouverte, une dilïérence de
potentiel constante entre la terre et la surface extérieure du champ électrique limitée
par des feuilles métalliques. Le vase ou l'assiette contenant la terre était posé sur un
gâteau de résine; fixées sur le rebord du vase et à distances égales, trois lames de pla-
tine plongeaient dans le sol du vase et communiquaient entre elles, puis avec le pôle
d'une pile. L'autre pôle était en relation avec un disque de toile métallique en cuivre
rouge aussi rapproché que possible de la surface de la terre que contenait le vase (Voir
les détails de ces expériences page 443 et suivantes du mémoire précité). Les expériences
ont été faites, soit sous cloche, soit à l'air libre, mais sous abri. Trois sols différents
ont été employés : 1° une terre contenant isr, 702 d'azote par kilogramme sec ; 2° une autre
renfermant fsr,'il8 d'azote; 3° un kaolin renfermant 0e"',0323 d'azote. On a opéré de la
façon suivante : un des échantillons était électrisé, l'autre ne l'était pas. Le potentiel a
été pris tantôt égal à 33 volts et tantôt à 132. Chaque expérience a été faite simultané-
ment à l'air libre sous abri et sous cloche.
Les essais exécutés avec la terre seule non plantée montrent que l'électricité joue un
rôle dans la fixation de l'azote. Cette fixation est due aussi bien aux microbes, dont la
vitalité a été exaltée, qu'à la fixation directe par voie purement électro-chimique. Remar-
quons que dans des expériences exécutées parallèlement avec des assiettes non électrisées
contenant une mince couche de terre il n'y a pas eu de fixation. Cette terre était sou-
mise à des alternatives de sécheresse et d'humidité et peut-être une oxydation exces-
sive y faisait-elle périr les microbes fixateurs.
Les expériences entreprises avec le concours de la végétation ont fourni les résultats
suivants. La uesce, soumise à l'influence électrique, a fixé plus d'azote (22,5 p. 100) que
la même plante placée dans les mêmes conditions mais non électrisée (1 p. 100). La
plante électrisée aurait fourni un gain bien plus fort si, par suite du dispositif employé,
l'appareil n'avait pas empêché en partie la lumière d'éclairer le végétal : ces résultats se
rapportent à la terre la moins riche en azote. En ce qui concerne la teiTe la plus riche,
il y a toujours eu fixation d'azote, sous cloche comme à l'air libre, mais faiblement, car la
terre était presque saturée d'azote. Dans tous les cas, sauf un, le vase électrisé a fixé
plus d'azote que l'autre (Voir loc. cit. les tableaux des pages 489, 490,- 491). La conclusion
qu'on peut tirer de ces expériences est la suivante : il est vraisemblable qu'une action
propre de l'électricité s'exerce dans le phénomène de la fixation de l'azote.
— Tels sont, résumés dans leurs grandes lignes, les travaux principaux qui ont défi-
nitivement fait entrer la question de l'azote dans une voie nouvelle; la fixation de ce
corps à l'état gazeux, tant sur le sol que sur les plantes, y apparaît avec toute la rigueur
d'une démonstration vraiment scientifique. Ajoutons que les travaux de Hellriegel et
WiLFARTH ont reçu une confirmation pleine et entière à la suite d'expériences récentes
entreprises par Lawes et Gilbert [Proc. Roy. Society, t. xlvii, p. 83, 1890). Voir également à
ce sujet les expériences confirmatives de A. Petermann [Rech. de chimie et "physiologie appli-
quées à l'agriculture, t. ii, pp. 207, 229, 26o ; Bruxelles, Liège et Paris, 1894). Il n'est même
pas fait mention du nom de M. Berthelot dans le courant des trois mémoires de l'auteur.
98S AZOTE.
11 nous reste maintenant, pour achever cette première partie de notre exposé, à
parler d'un travail dans lequel l'absorption de l'azote libre par les légumineuses est
mise hors de doute au moyen de mesures rigoureuses effectuées, avant et après
expérience, sur les gaz mis en contact avec les végétaux. Ces expériences ont été
réalisées en 1890 par Schlœsing fils et Laurent {Ann. de ritixtUitt Pafileur, t. vi, p. 65). Les
conclusions auxquelles arrivent ces auteurs sont d'ailleurs absolument conformes à
celles de Hellriegel et Wilfarth. U s'agit de faire absorber à des légumineuses bultivées
dans un vase clos une certaine quantité d'azote pur dont le volume devrait être exacte-
ment connu au début; on fera à la fin une extraction des gaz qui restent : de la com-
paiaison de ces deux volumes ou pourra conclure à l'absorption ou à la non absorption
de l'azote gazeux. Des expériences témoins dans lesquelles on fait usage de sols non
plantés permettent, en cas d'affirmative, de décider si c'est le sol ou si ce sont les
plantes qui absorbent l'azote. De plus, et comme contrôle, on a dosé par les méthodes
connues à la fin de l'expérience après démontage des appareils l'azote du sol et celui des
plantes. Dans les cas oii il y a fixation, le chiffre fourni par ce dernier dosage est
nécessairement supérieur à la terreur iniliale en azote, et l'excédent trouvé doit corres-
pondre à l'azote gazeux disparu, mesuré directement. Or, dans les expériences où ces
deux niélbodes ont été employées,- il y a eu concordance entre les deux résultats analy-
tiques dans les limites des erreurs possibles : la seconde méthode de dosage montre
qu'il y a gain d'azote au cours de la végétation, et la méthode en volume montre que le
gain provient de l'azote gazeux libre. On trouvera dans le mémoire précité la description
complète de l'appareil employé ainsi que les précautions minutieuses qui ont été prises
pour la mesure et l'introduction du g'az azote, préparé à l'état de pureté absolue, pour
son extraction ainsi que pour l'introduction de l'oxygène et de l'acide carbonique
nécessaires à la végétation. Voici la description succincte des expériences elles-mêmes.
On a cultivé' des pois dans du sable quartzeux stérilisé par la chaleur et presque com-
|)lètement dépourvu d'azote et on a ensemencé ce sable avec des microbes producteurs
de nodosités radicales. Les pois ont emprunté à l'azote libre plus de la moitié de l'azote
qu'ils contenaient finalement, leurs graines leur ayant fourni le reste. Le sot s'est égale-
ment enrichi en azote. Des pois cultivés en même temps et dans un Sol semblable au
précédent, mais non ensemencé de microbes, n'ont pas fixé d'azote.
Une seconde série de recherches {loc. cit., p. 98) entreprises l'année suivante
(1891) a eu pour but d'élucider la question de l'absorption de l'azote par les plantes de
diverses familles, et cela, en faisant usage des mêmes méthodes et des mêmes appareils
que ceux qui viennent d'être décrits. Le sol n'était plus du sable calciné, mais une terre
naturelle, peu riche en azote, pourvue des différents organismes vivants qui se ren-
contrent dans les bonnes terres. Dans la première partie de ces essais, on a mis en expé-
rience le topinambour , l'avoine, le tabac et le pois, ainsi que trois sols témoins, sans
culture, idenliqu(!S à ceux qui étaient ensemencés. Or, dans toutes ces expériences, sauf
pour les deux derniers sols témoins, il y a eu disparition d'une certaine quantité d'azote
gazeux, plus ou moins grande, suivant les cas, supérieure néanmoins aux erreurs de
mesure. Mais il faut remarquer, avant de conclure, que la surface de tous ces sols s'était
recouverte peu à peu, et à divers degrés, sauf chez les deux derniers, de plantes vertes
inférieures que le microscope montra être un mélange de mousses et de certaines algues.
Un des sols témoins s'est recouvert de cette végétation cryptogamique et a notablement
gagné de l'azote; seul, il n'aurait accusé aucun gain, ainsi que le prouvent les analyses
des deux témoins non couverts de végétation. On a isolé chez le premier témoin, recou-
vert d'une couche verte, la partie superficielle épaisse de quelques millimètres et on a
analysé la couche sous-jacente, laquelle n'avait pas fixé d'azote : tout l'azote gagné se
trouvait dans les plantes.
Il résulte de ce qui vient d'être dit que certaines plantes vertes inférieures sont
capables, ainsi que le font les légumineuses, de fixer l'azote gazeux.
Dans la deuxième partie de ces essais, on a éliminé l'influence des plantes vertes
inférieures en. recouvrant la surface des sols, après enfouissement des graines et addition
de délayure.de terre, d'une couche de sable quartzeux calciné. Aucune trace de matière
verte ne s'est montrée et, sauf pour les piois, on n'a plus observé d'absorption d'azote
libre. Les plantes mises en expérience étaient l'avoine, la moutarde, le cresson, la sper-
AZOTE. 9S9
gule. Les sols nus, c'est-à-dire ne portant pas de végétation apparente, ne fixent donc pas
l'azote, bien qu'ils soient pourvus des êtres microscopiques variés qu'on trouve dans les
bonnes terres.
ScHLŒsiNG fils et Laurent abordèrent de nouveau, en 1892, cette question, mais ils em-
ployèrent, non plus des sols très pauvres en azote, mais des sols plus riches ayant reçu
des doses d'azote nitrique assez importantes et dans lesquels le développement des végé-
taux était normal (Ann. Instit. Pasteur, t. vi, p. 824). On a retrouvé pour les plantes supé-
rieures, autres que les légumineuses, les mêmes résultats négatifs que précédemment en
ce qui concerne la fixation de l'azote. Revenant ensuite sur la fixation par les végétations
cryptogamiques, Schlœsing fils et Laurent s'efforcèrent d'avoir affaire, non plus à un
mélange de beaucoup d'espèces, mais à des cultures moins complexes et même pures.
Dans les deux premières expériences, on a fait usage de la même terre que plus haut
pourvue d'une solution nutritive de nitrates et de quelques centimètres cubes d'une
délayure provenant d'un mélange intime de cinq ou six échantillons de terre riche de
jardin avec un peu d'eau. Après six mois, la Surface du sol était couverte d'algues (du
genre Nostoc, principalement) : dans ces deux expériences, il y a eu une importante
fixation d'azote. Pour les deux essais suivants, on a pris, comme sol, du sable quartzeux
calciné, additionné d'une solution minérale et de délayure de terre, mais on n'a pas
ajouté de nitrates. Un des vases était couvert, après cinq mois, d'une culture à peu près
pure de Nostoc jninctiforine ; l'autre, bien que couvert de iV. punctiforme, coniena.it une
colonie de Phormidium papyraceum et un peu de Nostoc minutum : on a également con-
staté, dans ces deux essais, des gains d'azote notables. Dans les deux premières expé-
riences, les plantes avaient prélevé sur le sol plus d'azote qu'il n'en avait reçu d'elles, ce
sol était, en effet, pourvu d'azote primitivement; dans les deux dernières, au contraire,
le sol, dépourvu d'azote, ne pouvait iqu'en recevoir : aussi l'azote des plantes est-il
inférieur à l'azote fixé. Dans une autre expérience, le sol consistait en une terre
végétale sur laquelle on avait planlè de petites touffes de mousse : il n'y a pas eu fixation
d'azote dans ce cas. Un sol porteur d'une .'ullure à peu près pure de Micrococcus vagina-
tus s'est comporté de même. Cette dernière algue, à rencontre des précédentes, a donc
fourni un résultat négatif, peut-être, ainsi que le font remarquer les auteurs, parce que
la culture employée était dans un état de pureté beaucoup plus grande que dans le cas
des autres algues, pureté défavorable à la fixation, si celle-ci demande le concours de
plusieurs êtres. Des expériences témoins, sans ensemencement, ont également donné des
résultats négatifs.
De tout ce qui précède il résulte que certaines algues communes à la surface de la
terre végétale peuvent fixer l'azote gazeux en quantité considérable. L'entrée en combi-
naison de l'azote libre ainsi absorbé a pu tro^wer dans l'action chlorophyllienne l'énergie cpU
lui est nécessaire. Les algues peuvent-elles agir seules ? Y a-t-il quelque symbiose entre elles
et des bactéries? Celles-ci, cependant, étaient rares là où les algues étaient en pleine
vigueur. Ainsi que le font remarquer en terminant Schlœsing fils et Laurent, l'essentiel
au point de vue de la pratique, est le fait même de ia fixation de l'azote par les algues,
puisque celles-ci, universellement répandues sur les sols, doivent être regardées comme
un élément important dans l'étude de la statique de l'azote en agriculture. Rappelons
encore que c'est Frank qui, le premier, a reconnu le rôle des algues dans la fixation de
r azote.
Il ressort nettement de ce qui précède, qu'à la question de la fixation de l'azole par
le sol et les plantes, se rattache intimement, d'une part, l'étude des nodosités radicales
que portent les légumineuses et, d'autre part, celle des microbes extrêmement nombreux
qui habitent toute terre végétale. Parlons d'abord des nodosités radicales.
V. Nature des tubercules radicaux des légumineuses. — Expériences d'ino-
culation. — Dans ce chapitre, nous allons étudier la nature et le développement des
tubercules qui se fixent sur les racines des légumineuses ainsi que les phénomènes qui
se passent lorsqu'on inocule le contenu de ces tubercules dans le corps d'une racine.
Nous examinerons ensuite les relations qui existent entre l'apparition de ces nodosités
radicales et la fixation de l'azote gazeux. «
Nous serons brefs sur les détails purement histologiques; leur importance est, sans
doute, considérable, mais l'observation microscopique présente encore à cet égard bien
990 AZOTE.
des lacunes: aussi nous attacherons-nous surtout à exposer la partie pliysiologique du
sujet. La divergence des vues relativement à la structure et au rôle même des nodosités
radicales nous oblige à passer en revue, et autant que possible dans leur ordre de publi-
cation, les principaux travaux publiés sur cette question. Il est, en effet, difficile de faire
actuellement un résumé qui les comprenne tous, et qui, surtout, les rattache les uns aux
autres d'une manière satisfaisante. A propos du travail de Hellriegel et Wilfarth, nous
avons déjà sommairement parlé de ces tubercules; mais reprenons ici complètement le
sujet à son début.
Est-il besoin de dire, en commençant ce chapitre, que l'obscurité la plus profonde
règne encore sur le mécanisme intime de cette assimilation, et que nous ne pouvons
actuellement nous faire aucune idée de la façon dont les êtres microscopiques qui peu-
plent les tubercules radicaux des légumineuses (algues et, sans doute, d'autres végétaux
pourvus ou non de chlorophjdle), absorbent l'azote libre et le transforment en composés
albuminoïdes?
Nous ne saurions trop recommander la lecture de deux mémoires très importants
publiés sur les tubercules radicaux et dans lesquels, à côté d'une bibliographie et d'un
historique complets, on trouve des observations personnelles très intéressantes sur la
morphologie de ces nodosités. Ces mémoires, auxquels nous empruntons un certain nom-
bre des détails qui vont suivre, sont dus à Vuillemin {Annal, de laScience agronom., 1888,
1. 1, p. 121) et à Laurent (Ann. Instit. Pasteur, t. v, p. 103, 1891).
Les nodosités radicales, dont la présence a été constatée il y a très longtemps, se
rencontrent sur presque toutes les racines des légumineuses, tant exotiques qu'indigè-
nes; très communes surtout dans les genres Trifolium, Pisum, Vicia, Lupinus, elles sont
plus rares dans les autres et ne sont pas toujours également abondantes dans la même
espèce. Les papilionacées cultivées dans l'eau en sont souvent dépourvues. On rencon-
tre des productions semblables sur les racines des Aulnes et des Eloeaijnus ; mais, à l'état
normal, il n'existe de nodosités comparables à celles des légumineuses chez aucun végé-
tal. Une observation déjà ancienne de Kùhn et Rautenberg {Landw. Vers. Stat., t. vi, p. 358),
faite sur des cultures de fève, a conduit ces auteurs à admettre que, dans l'eau comme
dans la terre, la production des tubercules est inversement proportionnelle à la richesse
du milieu en azote'. H. de Vries, en cultivant du trèfle rouge dans des sols très riches en
principes azotés, obtenait des plantes qui, parvenues au terme normal de leur végétation,
ne portaient pas de tubercules radicaux, tandis que des individus chétifs, qui s'étaient
développés au sein d'un milieu pauvre en principes azotés, en présentaient de nombreux.
Ce résultat fut d'abord confirmé par Schindler, mais le dernier constata ultérieurement
qu'il n'y avait pas une concordance aussi absolue entre l'apparition des tubercules et la
pauvreté en azote du substratum, Schindler mit néanmoins en lumière la concordance
habituelle entre le développement des tubercules et la puissance du travail d'assimilation.
Phillieux et Frank, presque]en même temps (1879), remarquèrent que le développement
des nodosités radicales peut être provoqué si on introduit dans le milieu de culture des
racines pourvues d'organes semblables. Cette inoculation a été, dans la suite, pratiquée
avec succès par plusieurs expérimentateurs; nous y reviendrons. Mais c'est à Hellriegel
qu'on doit d'avoir démontré la relation qui existe entre l'apparition des tubercules, lors-
qu'on ajoute aux milieux de culture des germes vivants, et le développement de la plante :
nous nous sommes suffisamment étendus sur les travaux de ce savant. Ajoutons que
Schindler avait déjà émis l'idée que les champiguons que l'on rencontre dans les tuber-
cules vivent en symbiose avec les légumineuses et qu'ils transforment ou fabriquent des
aliments au profit de l'association.
La nature de ces tubercules radicaux a donné lieu aux opinions les plus variées. Ils
ont été considérés d'abord comme des galles, puis comme des excroissances produites
par des anguillules ou comme de simples excroissances des tissus de la racine, et enfin,
comme une forme particulière de racines. Actuellement, la plupart des botanistes pen-
1. Il est très important de dire ici que Kuhn et RA.UTENbER.G rappellent dans leur mémoire, daté
de l'année 1864, que Lachmann avait déjà émis l'idée que la présence des tubercules sur les raci-
nes des légumineuses pouvait bien être en relation avec l'assimilation de l'azote. (Nous ne savons
dans quelle pubUcation a paru cette remarque.)
AZOTE. 991
sent que c'est à l'action d'un cryptogame que sont dues leur forme et leur structure spé-
ciales. Ou a fait successivement de ce cryptogame une bactérie, un myxomycète et
même un oliampignon plus élevé. Pour les uns, cet être est un parasite, pour les autres
un symbiote.
C'est WoRONiN qui, le premier, en 1866, montra que dans l'intérieur des tubercules
radicaux se trouvaient des corpuscules fuis; cet auteur les décrit comme des bâtonnet-;
mobiles et les considère comme des bactéries. Nor.BE (Landw. Vers. Stat., t.x, p. 99) regarde
ces tubercules comme des organes d'emmagasinement des produits nutritifs azotés, ceux-
ci sont épuisés au moment de la période de fructilication. ScumoLEW. Jahcrsb. AgrikuUw-
Chcm., t. VIII, p. 141 ; Journal fàrLandw., t. sxsni, p. 331) pense, avec de Vries, que ces tuber-
cules sont des productions normales en mesure d'élaborer des quantités importantes de
matière azotée: c'est là que se formeraient les albuminoïdes. Prillieox rappelait réceni-
ment(C. fl. t. cxi, p. 926) que, dès l'année \ 879, il avait établi que les corpuscules découverts
par WoRONiN n'ont pas la forme de bacilles, mais sont souvent courbés, fourchus, ramifiés
en forme d'x ou d'y, et qu'ils ne possèdent que des mouvements browniens.
VuiLLEsiiN a fait de ces tubercules un examen approfondi, et de ses longues recher-
ches cet auteur conclut que « les tubercules radicaux sont des mycorhizes, c'est-à-dire, des
racines unies à un champignon vivant en symbiose avec elles ». Vuillemi.x a donné une des-
cription soignée du développement des tubercules, de leur ordre d'apparition, du tissu
qui leur donne naissance, de leur structure; nous ne pouvons le suivre dans cette partie
de son travail. Les corpuscules qui s'échappent du protoplasme cellulaire ne sont pas de
nature cryptogamique, d'après Brunchorst, mais leur composition serait celle d'une
substance albuminoïde. Ce dernier savant nomme ces corpuscules des Bactéroïdes : leur
multiplication se produit par fragmentation.
Faut-il considérer ces tubercules comme de simples réservoirs? On sait que Hellrie-
CEL, cultivant des pois dans un sol pauvre en azote, a constaté deux périodes bien dis-
tinctes dans leur végétation. Tant que dure la semence, la plante s'accroît régulièrement,
sa couleur est normale, mais lorsque la plante a vidé ses cotylédons, une phase d'inani-
tion succède à celte première période : c'est à ce moment que les tubercules grossissent
et se gorgent d'albuminoïdes. Ceux-ci ne peuvent donc être des réservoirs, car on ne conce-
vrait pas que la plante leur cédât les matériaux assimilables dont elle a elle-même si grand
besoin. Ce qu'il est permis de conclure, c'est que les substances accumulées dans les tuber-
cules radicaux sont employées à nourrir la plante, et que cet approvisionnement d'albu-
minoïdes s'y effectue après que les organes assimilateurs, feuilles et racines, ont acquis
un certain développement réalisé aux dépens des réserves de la graine. Les tubercules ne
sont donc pas de simples dépôts : ce sont des lieux de fabrication d'albuminoïdes.
TscHiRCH {Fortschritte d.Agrik. Physik. t. x, p. 230 ; Berichte botan.Gesells.,t. v, p. 38) distingue
deux types de tubercules; chez le lupin les saillies ressemblent à des épaisissements
locaux de la racine. Chez toutes les autres légumineuses, les tubercules sont fixés sur le
côté de la racine. Leurs cellules renferment des corpuscules; mais rien, d'après Tschibch,
. n'autorise à regai'der ceux-ci comme des bactéries; ils ne semblent être autre chose que
de la matière albuminoïde. Ces tubercules sont des magasins chargés d'une réserve d'albu-
minoïdes, et non pas des organes d'absorption ; il n'est pas démontré qu'ils constituent au-
tant de petits laboratoires destmés à effectuer, au moyen de matières azotées inorgani-
ques ou organiques, la synthèse des albuminoïdes, ni qu'ils puissent assimiler l'azote
libre. Pour Marshall Ward{Aîmi. agronom., t. xiv, p. 331), les tubercules radicaux se con-
duisent comme des champignons parasites dont on peut provoquer le développement
par une infection artificielle. Lorsque les tubercules meurent, les cellules du cham-
pignon se répandent dans le sol et viennent infecter d'autres racines.
Prazmowski (Ann. rtgrfOîioîîi., t.xv, p. 137; t. xvi, p. 44 ;Lanrf, Vers. Stat., t. xxxvii, p. 161 ;
t.xxxviii,p.5) a publié sur les nodosités radicales d'importants travaux dont voici les points
principaux. Ces excroissances sont des racines déformées. Elles résultent du parasitisme
d'une bactérie, ou plutôt, d'une symbiose entre la racine et le micro-organisme d'oîi pro-
viendrait, pour la légumineuse, le pouvoir d'assimiler l'azote. Les tubercules radicaux ne
sont pas des productions normales, ils ne se rencontrent sur les racines qu'à la suite
d'une infection par certains organismes qui habitent celle-ci et dont les germes se, trou-
vent également dans le sol : c'est ce que prouvent de nombreuses expériences exécutées
992 AZOTE.
à ce sujet par PnAzsiowsiîi. De plus, l'infection n'a lieu que sur de jeunes racines et au
moment du développement des poils radicaux. Si on examine la coupe de très jeunes
tubercules, on y trouve des filaments analogues à des hyphes qui traversent les poiis
radicaux de l'épiderme, puis pénètrent dans les tissus sous-épidermiques. Les tuber-
cules ne se développent qu'à l'endroit où les filaments ont pénétré dans la racine. Praz-
MowsKi décrit alors le mécanisme de l'infection et la formation du tubercule; puis il émet
les trois propositions suivantes : 1" C'est un champignon qui, pénétrant dans la racine,
occasionne la formation des tubercules radicaux, ces tubercules ne sont pas des produc-
tions normales. 2° Le tissu central ou tissu à bactérohlcs, qui constitue la partie la plus
caractéristique de ces tubercules, est en même temps la partie oîi le champignon domine,
absolument ou presque absolument, le tissu de la plante nourricière. 3° Les bacté-
roïdes qui remplissent les cellules de ce tissu ne sont ni des corpuscules albuininoïdes
de forme définie, ni des spores détachées des filaments, mais ils naissent à l'intérieur
des filaments longtemps avant la formation du tissu àbaotéroïdes. D'abord très petits, en
forme de bâtonnets simples, ils grossissent et semblent se reproduire par scissiparité
bien que leur division n'ait jamais été directement observée. Quant ils ont atteint leur'
complet développement, leur forme varie avec la plante nourricière : ou bien ils affec-
tent la forme de bâtonnets simples (haricot, lupin) ou bien ils sont fourchus ou ramifiés
(pois, vesce, luzerne). L'organisme qui habile les tubercules semble donc être un cham-
pignon voisin des myxomycètes chez lequel le plasma prend dans la jeunesse la forme
de filaments siniulant des hyphes et renferme une multitude de corpuscules en bâton-
nets : les bacléi'oidcs; ceux-ci constituent peut-être les corps reproducteurs. Les essais
d'infection directe ne prouvent rien; car, en même temps que les bactéroïdes, on a pu
inoculer aux plantes hospitalières des portions de plasma. Prazmowski se prononce nette-
ment en faveur de l'idée que les tubercules radicaux sont des productions symbio-
tiques communes à certaines bactéries du sol et à certaines parties de végétaux très élevés
en organisation et utiles à la fois aux bactéries et aux plantes supérieures. Une série
d'expériences faites en inoculant des pois ont montré à ce savant botaniste que les
végétaux fixaient l'azote, mais Prazmowsei n'affirme pas, contrairement aux conclusions
de IIelluiegel, que l'azote ainsi fixé soit plutôt l'azote libre de l'air que l'azote combiné
dont l'atmosphère contient des traces. Nous avons vu plus haut que les expériences pos-
térieures de ScHLŒSiNG fils et Laurent ont définitivement tranché la question en faveur
de l'azote libre. Vers la même époque, Beyerinck {Jalir. Agrikult. t. xi, p. li9;ForsehrUte
Agrik. Physik.,t. xn, p. lOo; Ann. agronom., t. xv, p. 90) a fait voir que les tubercules ne
prennent pas naissance dans un milieu stérilisé et que, même dans un sol cultivé, cer-
tains individus peuvent ne pas être infectés. Le Bacillus radicicola {te\ est le Inom que
Beyerinck donne au microbe générateur des tubercules) ne forme pas de spores et meurt
entre 60 et 10 degrés. Ce bacille est aérobie et, malgré les apparences diverses qu'il peut
affecter dans les différentes cultures au sein desquelles il se développe, cet être semble
appartenir à une espèce unique. Déplus, il ne provoque ni oxydation, ni réduction, ni
fermentation : ni la dessiccation, ni la congélation ne le tuent. Une culture de ce bacille
n'assimile pas l'azote libre et ne nitrifie pas les sels ammoniacaux : on peut en conclure,
ou bien que l'assimilation [de l'azote est très lente, ou bien qu'elle n'a lieu que si le
bacille vit en symbiose sur la racine d'une légumineuse. Pour Beyerinck comme pour
Prazmowski, les tubercules radicaux sont des racines métamorphosées contenant des
corpuscules particuliers : les Bactéroïdes. Ceux-ci proviennent d'un genre spécial de
bactéries, le Bacillus radicicola, lequel pénètre de l'extérieur dans la racine. Les bacté-
roïdes sont des bactéries métamorphosées, incapables de s'accroître.
Voici quelle est, à ce sujet, l'opinion un peu différente de Frank {Ber. botan. Gesclls.,
,t. VI, p. 322, 1839 ; Landiv. Jahrb., t. xix, p. rj23i. Les bactéroïdes sont produits par les légu-
mineuses sous l'influence des bactéries dont le parasitisme provoque la formation des
tubercules. L'infection peut se produire de deux façons : ou bien l'immigration aurait lieu
par l'intermédiaire d'un filament d'infection, lequel serait une production du plasma de la
plante nourricière spécialement adapté à la capture et à l'introduction des bactéries mo-
biles, ou bien, au contraire, ce filament d'infection manquerait, ce qui est le cas pour le
lupin et le liaricot. Le parasite que Frank compare;à un micrococcus reçoit de lui le nom
de Rhizobium leguminosarum. Celui-ci trouve vraisemblablement dans le sol de quoi se
AZOTE. 993
nourrir; on le rencontre,' en effet, bien qu'en proportions très inégales, dans tous les
sols. On peut observer la présence des bactéroïdes, non seulement dans les tubercules,
mais aussi dans les cellules des racines ordinaires, ainsi que l'avait déjà remarqué Beye-
niNCK. Frank les a, de plus, rencontrés dans les organes aériens, tiges et feuilles; les
fruits eux-mêmes du haricot en renfermeraient. Si on cultive en sol stérilisé des pois et
des lupins, il ne se développe pas de tubercules sur les racines et on ne trouve pas de
bactéroïdes dans les organes aériens du végétal, mais, quand il y a parasitisme, tout le
plasma de la légumineuse est infecté. Chez le haricot, on trouve des bactéroïdes dans
les cellules des cotylédons d'un embryon en voie de développement. Aussi, puisque la
plante mère infecte l'embryon, voit-on constamment, d'après Frank, les racines du
haricot se couvrir de tubercules, même quand on cultive la plante dans un sol stêriliaé.
(Nous verrons plus loin que cette observation est inexacte.) Quelques légumineuses
semblent ne retirer aucun profit, pour leur nutrition, de la présence du champignon;
celui-ci se conduit alors comme un parasite vulgaire. Si on compare une plante non
infectée avec une plante qui vit en symbiose avec le parasite, cette dernière présente,
toutes les circonstances extérieures étant égales, une énergie vitale bien plus consi-
dérable qui s'étend à tous les organes. La chlorophylle se forme eu plus gfande abon-
dance, et l'assimilation du carbone, ainsi que celle de l'azote libre, se font plus active-
ment. Or ces divers processus ont lieu d'autant mieux que le sol est plus pauvre en
matières organiques et, même, si celles-ci font défaut. La plante, au contraire, trouve-
t-elle dans le substratum les matériaux nutritifs dont elle a besoin, on voit alors le
champignon se comporter comme un parasite vulgaire.
Quoi qu'il en soit, un grand nombre d'autres plantes chez lesquelles on n'a jamais
observé de phénomènes symbiotiques assimilent l'azote gazeux; il en est de même des
algues vertes ainsi que des légumineuses non infectées. L'intensité de cette assimilation
varie avec la quantité d'humus que contient le sol : nous avons déjà parlé plus haut des
idées émises par Frank à ce sujet. Ce savant botaniste trouve donc qu'il n'y a aucune rai-
son pour regarder la fixation de l'azote gazeux comme étant liée à l'activité spécifique
d'un champignon; il n'admet pas davantage qu'à chaque espèce de légumineuse corres-
ponde un Bliizobium dilférent. Beyerinck et presque tous les auteurs sont d'un avis con-
traire (Voir aussi : Fruwirth, Ann. agron., t. xvm, p. 142).
Cultivé dans des solutions artificielles, le microbe des tubercules radicaux des légu-
mineuses s'accomrhode le mieux d'une solution à 1 p. 100 de sucre de canne et d'aspara-
gine; seule, l'asparagine paraît même suffire à son développement, tandis que le sucre
seul, malgré l'azote libre de l'air, ne fournit qu'un développement très faible, mais réel
cependant. Certains autres champignons cultivés dans un milieu non azoté assimilent
également l'azote libre de l'air avec lenteur (Frank et Otto).
Une autre question se pose maintenant à nous. Les légumineuses, ainsi que nous
l'avons vu, peuvent prendre dans l'air la totalité de leur azote; mais, si on offre à la
plante plusieurs sources d'azote à la fois, quel choix celle-ci fera-t-elle? Frank s'est alors
proposé de résoudre les problèmes suivants (Ann. agronom., t. xviir, p. 414), Si la plante
trouve dans le sol des combinaisons azotées en apparence plus accessibles pour elle,
conserve-t-elle la même énergie avec laquelle elle prend l'azote de l'air? toutes les légu-
mineuses se comportent-elles de la même façon sous ce rapport? l'azote combiné n'est-il
pas superflu, ou même nuisible, puisqu'il peut diminuer la part de l'énergie à employer
dans l'assimilation de l'azote libre? Si la plante enfin puise aux deux sources, l'efi'et d'en-
semble est-il augmenté? Les expériences ont été exécutées dans des vases remplis d'un
sable quartzeux muni des éléments minéraux non azotés nécessaires. Une partie des
vases demeurait privée d'azote, une autre recevait de l'azote en quantité égale pour cha-
que vase mais sous des formes différentes : nitrates, sels ammoniacaux, urée. Les vases
qui devaient porter des légumineuses recevaient, en outre, un peu de terre de jardin
destinée à y introduire les bactéries des tubercules radicaux. Voici les faits observés :
Si l'organisme de la symbiose manque, le lupin jaune et le pois peuvent se développer
complètement lorsque le substratum renferme un engrais azoté, mais la symbiose seule,
sans engrais azoté, agit plus efficacement que l'engrais azoté sans symbiose. L'engrais
azoté semble même nuire au lupin quand il y a symbiose, celui-ci assimile moins
d'azote ; le pois, au contraire, malgré la symbiose, profite de l'azote contenu dans l'en-
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 63
994 AZOTE.
grais et fournit alors un supplément de récolte. Dans les bonnes terres, le lupin jaune
et le pois peuvent assimiler l'azote libre directement en se passant de la symbiose, mais
cette assimilation est inférieure à celle qu'on observe dans les terres légères, pauvres
en azote, là où le gain d'azote ne doit être rapporté qu'à la symbiose. Le pois et le trèfle
assimilent l'azote libre dans une laige mesure quand ils sont dans de bonnes terres et
la symbiose exagère encore celte faculté. Insistons sur ce fait que, d'après Fran'k, les
légumineuses peuvent assimiler l'azote de l'air dans les bonnes terres sans le concours
de l'organisme des tubercules radicaux. Nous avons déjà signalé des résultats analogues
obtenus par le même savant en contradiction avec les expériences d'HELcwEGEL (pour
l'étude plus complète des phénomènes symbiotiques, voir : Frank. Jahresb. f. Agrikult
Chemie, t. xiv, p. 189).
jNous avons plusieurs fois, dans le cours' de ce chapitre, parlé de l'inoculation artifi-
cielle des racines des légumineuses. C'est à Bréal qu'o[i doit à ce sujet les premières
expériences suivies; celles-ci remontent à six années. Voici quelques détails sur les essais
auxquels s'est livré ce savant {Ann. (içjronom., t. xiv, p. 481 , 1888). Ceux-ci ont trait à la
culture et à l'ensemencement sur divers milieux du contenu des tubercules radicaux des
légumineuses et complètent fort heureusement les remarquables travaux d'HELLRiEGEL et
"WiLFARTH, bien que Bréal n'ait pas cherché à pratiquer ses inoculations avec des cultures
pures.
Bréal a observé que, si on écrase des tubercules de luzerne, il s'en échappe un liquide
blanchâtre dans lequel le microscope révèle la présence de grains arrondis très réfran-
gibles : autour de ceux-ci on trouve un très grand nombre de corps allongés bactéri-
formes. Ce sont des filaments très fins, rentlés aux extrémités, quelquefois bifurques en
Y et doués de mouvements de rotation. Bréal pense que ces corpuscules constituent des
bactéries, car on peut faire apparaître les nodosités qui les renferment par des ensemen-
cements et 'des inoculations, ainsi qu'il va être dit. Si on prépare avec des racines de
légumineuses un bouillon qu'on stérilise ensuite à 100°, on peut ensemencer le liquide
en y plongeant une fine pointe de verre préalablement trempée dans un tubercule prove-
nant de la racine; après quelques jours, le liquide est rempli de bactéries. Les tuber-
cules radicaux d'autres légumineuses possèdent également cette même forme de filaments
renflés aux deux bouts. De toutes les parties d'une légumineuse, les tubercules sont les
plus riches en azote (de 3 à 7 p. 100 de la matière sèche). On peut, d'après cela, prévoir
leur rôle de distributeurs de matière azotée dans les diverses parties de la plante. Seuls
les graines et les champignons renferment une aussi forte proportion d'azote. Voici les
résultats fournis par la culture de ces bactéries sur divers milieux. Des pois furent mis
à germer dans un liquide nourricier exempt d'azote; dans le liquide, on écrasa un
tubercule de luzerne : peu de temps après, les racines du pois se couvrirent de tubercules
et le végétal atteignit une hauteur de 70 centimètres après avoir fleuri. Les bactéries de
la luzerne se sont donc multipliées et ont formé des tubercules sur les pois. L'analyse
mit ensuite en évidence le gain notable d'azote que ceux-ci avaient réalisé. Deux graines
de lupin furent mises en même temps en germination; la racine de l'un d'eux fut piquée
avec une aiguille trempée d'abord dans un tubercule de luzerne, et les deux plantules
furent enracinées côte à côte dans du gravier. Tandis que la plante inoculée se dévelop-
pait bien, portait des fleurs et des fruits, la plante non inoculée restait cbétive. Celle-ci
ne porta pas de tubercules radicaux et ne gagna pas d'azote ; la première, au contraire,
portait des tubercules et fixait deux fois et demie la quantité d'azote contenue dans sa
graine. Même résultat, mais avec une fixation bien plus considérable, lorsqu'aprés avoir
fait germer un pois dans une terre à luzerne, on transplanta celui-ci dans un pot conte-
nant du gravier: les racines étaient garnies de tubercules. Les bactéries, en effet, s'étaient
fixées SUT les racines, tandis que celles-ci étaient en contact avec la terre à luzerne ou
bien avaient été transportées avec la terre adhérente aux racines. L'analyse montre, de
plus, que, dans ces diverses expériences, les légumineuses ont exercé une action mani-
feste sur la fixation de l'azote sur le sol : ces végétaux abandonnent au sol par la chute de
leurs feuilles et par leurs racines qui occupent le sol jusqu'à une très grande profondeur
une importante réserve d'azote combiné : d'où l'explication de ce fait qu'une terre ana-
lysée en 1879 par Dehérain et renfermant à cette époque 1,43 p. 1000 d'azote, a fourni
après huit années consécutives de culture de légumineuses, 1 ,80 p. 1 000 d'azote à l'analyse.
AZOTE. 995
Des expériences plus récentes de Bréal {Ann. agronom., t. xv, p. î)29) ont montré que
les bactéries contenues dans les tubercules radicaux de la luzerne se développent sur
les racines d'un pois; ces bactéries peuvent vivre sous l'eau; et le pois, dont les racines
portent des tubercules à la suite de cette inoculation, assimilera l'azote de l'air après
avoir traversé la période caractérisée par l'expression de faim d'azote et qui correspond
à cette époque de la vie de la plante oii les cotylédons sont vides de matière nutritive. Ces
bactéries ou au moins leurs spores (?) en suspension dans l'eau, peuvent supporter des
gelées prolongées sans périr, ainsi que nous l'avons déjà signalé.
Non seulement les légumineuses hei'bacées absorbent l'azote atmosphérique, mais,
d'après Frank [Jaliresb. Ayrik. Chemie, t. sni, p. 213), une légumineuse arborescente, le
Robinia pseudo-acacia se comporte de même. Des graines de cet arbre, semées dans un
sable siliceux calciné et additionné d'un peu de terre prise dans un endroit où pous-
saient des robiniers, ont fourni, au bout de cent vingt-cinq jours, des plantes de 23 cen-
mètres de hauteur dont les racines étaient abondamment pourvues de tubercules. L'ana-
lyse a montré que ces plantes renfermaient trente-huit fois plus d'azote que les graines
dont elles provenaient (Voir encore au sujet de l'inoculation des lupins : Salfeld, Ann.
agronom., t. xv, p. 334; t. six, p. 304; FRUTi'iRTii, Ann. agronom., t. xvni, p. 142; t. xix,
p. 305).
BsYEmNCK. {Jahresb . Agrik. Chemie, t. xiii, p. 213; 1890), inoculant des racines de fèves
avec le Bacilliis radicicola , remarqua, que la présence ou l'absence de nitrate de calcium
ou de sulfate d'ammonium sont sans influence sur la marche de l'infection. On pouvait
reconnaître, en voyant la répartition des tubercules radicaux, de quel côté du pot avait
été versé le liquide chargé de bactéries. Notons la dilîérence qui existe entre les bacté-
ries qui habitent les diverses papilionacées, différence sur laquelle nous reviendrons
plus loin. Ainsi la fève ne porte pas de tubercules radicaux alors qu'on l'inocule avec le
bacille de VOrtiithopus sativus:
Sans vouloir, ainsi que nous l'avons dit au début de ce chapitre, entrer dans le
fond de la question au point de vue histologique, signalons cependant les faits les
plus remarquables que contient le travail de Laurent (toc. cit.), un des derniers parus sur
cette matière. Nous y trouverons des expériences curieuses d'inoculation et de culture du
microbe des nodosités.
Un tubercule adulte présente deux catégories de cellules : les unes, centrales, relati-
vement] très grandes, remplies d'un contenu dense et granuleux, autour desquelles se
trouvent des couches formées de cellules plus petites et hyalines. On rencontre dans les
grandes cellules, surtout dans celles situées vers la base du tubercule, des e'iéments bac-
térifornies abondants doués du mouvement brownien. Si on écrase sur une lame de
verre un fragment de tubercule, on remarque que les bactéroîdes, qui ont environ 1 ;j.
de diamètre transversal, affectent tantôt la forme des bacilles les plus vulgaires, tantôt
celle d'un T ou d'un Y suivant les espèces végétales examinées. Frank et Beyerinck ont
déjà noté que la forme des bactéroïdes est assez constante chez une même espèce. Il
faut signaler de plus la présence de grains d'amidon dans la plupart des cellules à bac-
téroïdes, ainsi que dans celles qui, arrivées à l'état adulte, n'en contiennent pas encore.
Dans les cellules les plus jeunes du parenchyme à bactéroïdes, on observe des fila-
ments protoplasmiques non cloisonnés, irréguliers, traversant les membranes cellu-
laires et se renflant çà et là en masses ovoïdes ou sphériques. Ces filaments, très bien
colorés par une solution de violet dahlia, ont été signalés d'abord par Prillieux et par
Frank, puis décrits par Vuillemin. Marshall Ward et Beyerinck les virent pénétrer dans
les racines par les poils radicaux. Ces filaments muqueux traversent les cellules et
présentent, le plus souvent, un épaissisement local au niveau des cloisons cellulosiques
qu'ils traversent. Le violet dahlia, après quelques minutes, donne à la plupart des
masses globuleuses un aspect mamelonné, parfois hérissé; chacune présente un certain
nombre de ramifications très courtes qui constituent l'origine dés bactéroïdes. La pré-
sence de ces hyphes, constatée par plusieurs observateurs, a été niée par d'autres.
A la suite de cette description, Laurent revient .sur la nécessité d'une inoculation
pour qu'il y ait apparition de tubercules sur les racines, et il examine l'influence de la
potasse, de la chaux, de l'acide phosphorique, du fer, sur la production des nodosités.
Lorqu'une racine est piquée avec une aiguille plongée au préalable dans une nodosité
996 AZOTE.
radicale, il faut environ dix jours pour observer l'apparition des premiers tubercules
si le temps est favorable à la végétation. Ces tubercules sont disséminés sur la racine et
ne se trouvent pas limités au point contaminé. En eiîet, une partie des germes qu'apporte
l'opération se mélange au liquide de culture et même se propage de proche en proche
à l'intérieur des tissus. Si on mêle simplement la semence au liquide de culture, sans
blesser la racine, il faut quatre jours de pi us pour voir apparaître les nodosités. Remplace-
t-on, dans les piqûres, le contenu des nodosités par un peu de terre ayant porté des
légumineuses, il faut attendre plus longtemps pour constater l'éclosion des tubercules;
le microbe, se trouvant sans doute dans la terre à l'état de, repos, a besoin d'un certain
temps pour pénétrer dans la racine. On a pu inoculer au pois les microbes des
nodosités de plus de trente espèces de légumineuses, et cependant le nombre, la dimen-
sion des nodosités et l'aspect des microbes qu'on y rencontre varient avec la nature des
espèces auxquels on a emprunté la semence. Si on veut, d'après Beyerixck, que les ino-
culations soient couronnées de succès, il faut s'adresser à des tubercules portés par des
plantes dont la végétation ne soit pas trop avancée. Nous ne reviendrons pas sur les
différentes opinions qu'on a émises sur la nature du microbe des nodosités. Marshall
Ward, après avoir observé que les filaments mycéliens pénètrent par les poils radicaux
de la fève dans le parenchyme des racines et eij provoque l'hypertrophie, regarde les bac- .
téroïdes comme des bourgeons produits par ces filaments mycéliens.
Nous venons de voir que Laurent a établi que le microbe des nodosités est constitué
par des filaments qui traversent l'écorce des racines et qui, après s'être abondamment
ramifiés, produisent par bourgeonnement les bactéroïdes. A cet organisme, Laurent
conserve le nom de Rhizobium leguminosariim donné par Frank. Pour se convaincre
qu'une culture de cet organisme est pure, il faut l'inoculera de jeunes pois; les bactéries
banales ne possèdent pas, en effet, le pouvoir de former des tubercules. Le bouillon de
pois gélatinisé fournit un bon milieu de culture; or on retrouve dans de semblables
cultures les formes en Y et en T, et même des formes plus compliquées observées
dans les nodosités : ces organismes sont dépouvus de mouvements propres. L'optimum
de température pour la culture du Rhizobhim est de 22 à 26°; et il ne croit plus à 30°.
Des nodosités en voie de croissance et intactes doivent être chauffées dans l'eau à 90-
93° pendant cinq minutes pour perdre leur pouvoir infectant; une culture pure chauffée
à '6a° dans de petites ampoules de verre devient stérile. La durée pendant laquelle une
cultui'e conserve son activité paraît être assez courte. Prazmowski avait déjà ob-
servé (voir plus haut) — et Laurent confirme ce fait — que le microbe des nodosités
peut végéter dans des solutions privées d'azote et, par conséquent, qu'il semble assi-
miler l'azote gazeux de l'air, ce qui n'a pas lieu avec les bactéries banales. On peut
faire des cultures avec des milieux privés ou non d'azote. Les milieux employés à
cet effet étaient de l'eau distillée privée de combinaisons azotées et contenait du phos-
phate de potassium et de sulfate de magnésium. On obtient aussi de bonnes cultures
si, à ce liquide, on ajoute i p. fOÛO d'asparagine, 1 à 10 p. 100 de peptone; mais le
développement se fait le mieux lorsqu'on additionne ces divers mélanges d'une sub-
stance sucrée.
Le Rhizobium est un organisme aérobie; l'action de l'air semble surtout nécessaire
dans les milieux privés d'azote combiné : l'air paraît donc agir et comme source d'oxy-
gène et comme source d'azote; dans l'azote pur, le rhizobium peut continuera croître
pendant quelque temps. Le rhizobium n'est pas une bactérie proprement dite; les bacté-
roïdes naissent par bourgeonnement des filaments mycéliens et leur reproduction a
encore lieu par le même procédé. Or, les vraies bactéries se reproduisent par division
transversale. Par leur bourgeonnement les bactéroïdes se rapprochent des champignons
inférieurs du groupe des levures. Laurent réunit en un même groupe le Rhizobium et le
Pastcuria de Metchnikokf, et fait de ce groupe un état intermédiaire entre les bactéries
authentiques et les champignons filamenteux les plus inférieurs (ustilaginées, levures).
Voiei encore quelques remarques faites par le même savant sur les propriétés phy-
siologiques du rhizobium. Les pois, munis de tubercules, mais insuffisamment aérés, ne
fixent qu'une quantitéinsignifîante d'azote, et végètent mal. Dans les tubercules mal aére's,
les bactéroïdes sont rares, et il faut supposer que leur apparition coïncide avec la fixa-
tion de l'azote libre. L'amidon disparait complètement dans les nodosités qui renfer-
AZOTE. 9i)7
ment beaucoup de bactéroïdes. Cel hydrale de carbone sert à fabriquer des substances
albuminoïdes aux dépsns des produits de rassimilaliou de l'azote libre.
Quel est le sort des nodosités? Les bactéroïdes qu'elles contiennent ont une assez
courte durée, et leur digestion semble être due à une di'astase qui les transforme en pro-
duits solubles. On peut ainsi expliquer la diminution et la perte de vitalité : en elfet,
une inoculation pratiquée avec un tubercule cueilli sur un pois ou une fève en fleurs
ou en fruits réussit rarement. Lorsque les bactéroïdes sont digérés, les tubercules se
vident et entrent en putréfaction quand ils sont envahis par les micro-organismes
banaux du sol. Quant au microbe desiiodosités, il se conserve, soit par des spores nées
dans les bactéroïdes, soit par des kystes persistant après résorption des filaments
mycéliens : ses germes se mélangent à la terre lorsque les tubercules pourrissent dans
le sol.
Nouvelles expériences d'inoculation. — Voici l'exposé de quelques essais d'inoculation
récemment exécutés, lesquels démontrent, malgré les incertitudes inhérentes à la dif-
ficulté du sujet, qu'à chaque espèce de léguniineuse correspond un organisme iufectant
spécial donnant le maximun d'action au point de vue de la fixation de l'azote.
Les expériences entreprises en 1890 par Nobbe, Schmid, Hiltneh, et Hotter {Lanchu.
Vers.Stat., t. xxxix, p. 329) ont eu pour but d'inoculer aux légumineuses, soit des extraits
de terre, soit des cultures pures de bactéries provenant de nodosités radicales. Ces
auteurs ont résolu d'une manière assez satisfaisante la question de savoir si, chez toutes
les légumineuses; une seule et même bactérie produit les nodosités, ou si cette propriété
appartient à plusieurs espèces. On a mis en œuvre six espèces de légumineuses; le sol
dont les auteurs ont fait usage consistait en un mélange de sable quartzeux avec 5 p. 100
de tourbe pulvérisée additionnée de carbonate calcique. Le tout était arrosé par ime
solution nutritive étendue (chlorure de potassium, sulfate de magnésium, phosphate de
potassium). Le sol, les graines devant servir à l'ensemencement, l'eau d'arrosage, ont
été stérilisés. La terre destinée à fournir des extraits était une terre ayant porté de-
puis plusieurs années des plantes semblables à j celles sur lesquelles on voulait pra-
tiquer l'inoculation. Ces extraits de différentes provenances étudiés au point de vue
bactériologique ne contenaient pas seulement un nombre très inégal de bactéries suscep-
tibles de se développer, mais les colonies du Bacillus radicicola étaient en nombre très
variable.
Nous laisserons de côté bien des détails intéressants pour ne retenir que les résultats
, les plus saillants de cette étude. Voici, sous forme de tableau, ceux qu'a fournis le pois,
dont une graine sèche pèse Oe^lTO et contient 0sr,00S74 d'azote.
INOCULATION AVEC
i. Infusion de terre de lupin
2. Sans infusion
3. — —
4. Inoculation avec les bactéries du pois
5. Sans infusion, addition de nitrate de calcium. .
6. Infusion de terre du pois
7. Sans infusion, addition de sulfate d'ammonium.
8. Infusion de terre de Robinia
9. — — Cytisus Labumum
10. — — Gleditschia
Toutes les plantes inoculées avec succès possèdent des tubercules radicaux en grand
nombre. Parmi celles qui n'ont pas été inoculées, mais qui ont reçu des engrais azotés,
seuls les pois auxquels on a ajouté du nitrate de calcium ont présenté quelques tubercules
radicaux provenant d'une infection accidentelle.. Chez toutes les plantes qui possèdent
des tubercules, ceux-ci se trouvent presque exclusivement dans la partie supérieure du
sol.
Différence
Excès
entre l'azote
de la substance
de la récolte
sèche de la plante
et celui
sur celle
de la graine.
de la graine.
miiligr.
iniUigr.
— 2,66
+ 67
— 0,33
-1- 273
— 0,58
-1- 194
+ 3,30
-1- 643
+ 2S,26
4- 1988
-f 30,66
+ 636
+ 31,54
-1-2273
-1-42,00
-1- 2188
-1- 57,66
-(-3166
+ 62,92
-1- 3148
998 AZOTE.
Robinia. Une graine sèche pèse Os^OlGO, elle contient 0^"', 00107 d'azote.
Différence Excès
entre l'azote de la substance
INOCULATION AVEC : de la récolte sèche de la plante
et celui sur celle
de la graine. de la {]craiDe.
milligr. milligr.
1. Sans infusion. + 0,18 + BO
2. Infusion de terre de lupin + 0,93 + 163
3. — — pois + 0,93 + 156
4. Inoculation avec les bactéries du pois + 1,10 + 132
0. Sans infusion + 1,16 + 199
6. — — addition de nitrate de calcium. . . 4- 28,23 +2029
7. — — addition de sulfate d'ammonium. . + 33,21 +2933
8. Infusion de terre de Cytisus + 82,14 + 2758
9. — — GlediLschia + 108,49 +3430
10. — — Bobinla +108,69 +3700
11. Inoculation avec les bactéries du iîo6/nia +112,33 +3489
Mêmes observations que plus haut sur la présence des tubercules radicau.^; mais ceux-
ci, moins nombreux qtie chez le pois, étaient plus volumineux. On a également remarqué
l'apparition de tubercules sur des plantes non inoculées. La présence de ces tubercules
sur des plantes non inoculées, ou inoculées avec les bactéries du pois, n'a eu aucune
influence sur la croissance des végétaux qui les portaient. En ce qui concerne les deux
vases pourvus d'engrais azotés, il faut noter que, dans le même vase, les plantes présen-
tant de nombreux tubercules ont végété de la même façon que celles qui n"en possédaient
pas. Il semble donc, ainsi que l'admet Fr.vnk, que la présence des bactéries des tuber-
cules ne joue aucun rôle dans la nutrition des plantes qui végètent dans un sol conte-
nant de l'azote. Il ressort également des expériences précitées, exécutées avec le
Robinia, ce fait que l'inoculation a été plus efticace qu'une riche fumure de sels ammo-
niacaux ou de nitrates.
Voici ce qui a été observé avec le Gledisohia triacanthos : les racines ne possèdent pas
de tubercules, ainsi qu'il résulte d'observations déjà faites sur cette plante vivant en
liberté; l'inoculation est donc restée sans eflets. Or le genre Gleditschia appartient aux
groupes des Césalpiniées : des recherches ultérieures montreront si ce groupe se comporte
autrement que celui des Papilionacécs.
Les résultats qui précèdent confirment les travaux de Hellriegel; ils montrent égale-
ment que les infusions de différentes terres ont une influence très inégale sur les
diverses légumineuses étudiées, et que cette influence ne provient pas seulement, comme
l'admet Frank, du plus ou moins grand nombre de bactéries que renferme le sol. Une
papilionacée donne le maximum de récolte, lorsque l'inoculation a lieu avec une infu-
sion de terre ayant déjà porté celte papilionacée : les bactéries que contiennent les
diverses infusions terreuses diffèrent donc les unes des autres sous certains rapports :
c'est ce qui résulte clairement des expériences d'inoculation pratiquées sur le robinia
avec des cultures pures de bactéries du pois et de bactéries de robinia. Quant aux ino-
culations pratiquées avec des infusions terreuses, elles fournissent toujours des résultats
incertains, seules celles qui sont pratiquées avec des cultures pures doivent permettre de
conclure d'une façon positive.
De nouvelles recherches sur lesquelles nous ne pouvons nous étendre ont montré
que le pois, contrairement à ce qui s'était passé lors de la première expérience men-
tionnée plus haut, donne le maximum de récolte et de fixation d'azote lorsqu'il est ino-
culé avec une culture p«re de bactéries du pois. Au contraire, l'inoculation d'une culture
pure de bactéries de lupin n'a fourni qiie la moitié des chiffres précédents ; une culture
pure de robinia est restée sans effets au point de vue de l'azote fixé.
Les auteurs ont ensuite entrepris une série d'essais avec le haricot pour voir si sur les
racines de cette plante végétant dans un sol stérilisé, apparaissaient des nodosités radi-
cales, sans qu'on fit d'inoculation. Frank, ainsi que nous l'avons déjà dit, a prétendu, en
effet, que les graines du haricot renfermaient des bactéries, et que les tubercules radi-
dicaux n'étaient chez cette plante que des parasites. Voici les résultats obtenus :
AZOTE.
Haricot. 1 graine sèche pèse 0e',Z69 et contient Osr,0i2lo azote.
999
INOCULATION
Non inoculé
Culture pure de bactéries d'une terre à lupin .
— — de tubercules de lupin
Non inoculé
Infusion de terre de haricots
Culture pure de bactéries d'une terre de robinia
Non inoculé, addition de nitrate de calcium. . .
Culture pure de bactéries de tubercules du pois.
Culture pure de bactéries d'une terre à pois ... + 10,92
Différence
E.vcès
entre l'azote
de la substance
de la récolte
sèche de la planti
et celui
sur celle
de la graine.
de la graine.
milligr.
miUigr.
+ 1,50
+ S33
+ 1,84
+ 597
+ 1,97
+ 590
+ 3,09
+ 674
+ 3.92
+ 519
+ S,47
+ 674
+ 5,51
+ 704
+ 6,26
+ 736
+ 850
Les plantes des séries 2, 3, 4, 6, 7 étaient complètement exemptes de nodosités radi-
cales ; on trouvait, au contraire, de nombreux tubercules dans les séries 3, 8, 9 : les
observations de FR.iNK sont donc erronées. L.^urent était déjà arrivé à la même conclu-
sion.
Les expériences précédentes ont encore mis en lumière ce fait que les nodosités radi-
cales se rencontrent dans les couches supérieures du sol, dans le tiers supérieur environ
du corps libre de la racine; les racines profondes n'en possèdent pas. Il semble donc
que les bactéries ne jouissent que d'un faible pouvoir de diffusion. On comprend d'après
cela les insuccès d'une inoculation tardive, cette inoculation ne pouvant atteindre les
jeunes racines faciles à infecter, puisque celles-ci se développent alors à une plus grande
profondeur dans le sol. Quant à la présence des bactéries dans la partie supérieure du
sol, on peut l'expliqiter de deux façons : ou bien celles-ci ont besoin pour vivre d'une
quantité d'oxygène plus considérable que celle qu'elles rencontreraient dans les couches
profondes, ou bien elles ne peuvent pénétrer plus avant : on peut supposer alors qu'elles
résistent à l'entraînement par l'eau à cause de l'adhérence qu'elles contractent avec les
particules terreuses et les radicelles.
Les auteurs instituèrent en 1891 une série d'expériences afin de décider à laquelle de
ces deux causes était due cette répartition des bactéries {Landw. Vers. Stat. t. xli, p. 137).
Cinq pois semés le 16 mai dans un sol stérilisé et exempt d'azote furent inoculés le
26 juin à 20 centimètres de profondeur avec une émulsion d'une culture pure de bactéries
de tubercules du pois. Le 20 juillet les plantes qui auparavant présentaient la faim d'azote
caractéristique se mirent à végéter vigoureusement. La récolte eut lieu le 2 octobre : on
trouva des nodosités précisément à l'endroit où l'inoculation avait été faite, r'est-à dire sur
les racines profondes, tandis que les parties supérieures du système radiculaire n'en pos-
sédaient pas. On peut donc, à volonté, faire apparaître les tubercules à un endroit quel-
conque de la racine. Aussi longtemps qu'elles sont munies de poils radicaux, les jeunes
racines peuvent être infectées; on comprend donc pourquoi une inoculation tardive faite
à la partie supérieure échoue souvent.
L'observation montre que les bactéries qui pénètrent dans les racines se multiplient
rapidement, et qu'après leur transformation en bactéroïdes elles sont fmalement résor-
bées par la plante injectée. Cette transformation à l'intérieur des nodosités se produit
de bonne heure, et la résorption des bactéroïdes a lieu longtemps après que l'assimila-
tion de l'azote a coiumencé. Cette assimilation peut cependant n'être pas une consé-
quence de la dissolution des bactéroïdes, et d'ailleurs elle est trop considérable pour que
la quantité d'azote contenue dans la masse totale des bactéroïdes lui corresponde. Quoi
qu'il en soit, le rôle des tubercules dans l'assimilation de l'azote est encore obscur. Noble
et HiLTNER {Landw. Vers. Stat., t. xlii, p. 439) pensent que cette assimilation est en relation
avec la formation des bactéroïdes. Cette conclusion, les auteurs précités l'ont tirée de la
curieuse expérience que voici. Des pois furent inoculés avec une culture pure; mais,
par un hasard inexpliqué, ces végétaux ne se développèrent pas mieux que des individus
semblables, soumis aux mêmes conditions, mais non inoculés. Cependant leurs racines,
iOOO AZOTE.
fort peu développées d'ailleurs, portaient des tubercules nombreux et volumineux ayant
fait leur apparition de très bonne heure. On était donc en présence d'une singulière
anomalie; or, au lieu de trouver dans ces tubercules les bactéroïdes caractéristiques, on
y rencontra une quantité considérable de bactéries transformées qui remplissaient les
cellules. L'année suivante, de semblables faits, sur lesquels nous ne pouvons nous éten-
dre, furent encore observés. Il en résulte que les tubercules dans lesquels la transfor-
mation des bactéries en bactéroïdes n'a pas lieu sont plus nuisibles qu'utiles à la plante
qui les porte; ces bactéries jouent le rôle de simples parasites et ne sont pas en relation
avec l'assimilation de l'azote par laplante, observation déjà faite par Môller (Ber. Botan.
Gesells. t. x, p. ■242).Nobbe et Hiltneh ont, de plus, conclu dateurs nombreuses expériences
que, plus les bactéries sont vigoureuses, moins est prononcée leur tendance à former des
bactéroïdes, plus les plantes qui possèdent des nodosités sont vigoureuses, plus facile est
chez elles la transformation des bactéries en bactéroïdes : il semble donc bien que l'assi-
milation de l'azote commence avec la transformation des bactéroïdes. Cette dernière
proposition se trouve encore confirmée par une série de recherches et de remarques
qu'il serait trop long d'énumérer ici.
Quel est le mécanisme intime de cette assimilation de l'azote? Les bactéroïdes qui
remplissent le tissu du tubercule affectent une disposition réticulaire, ainsi qu'il résulte
des observations de Prazmowski, de Frank, de Nobbe et Hiltner. Il parait donc vraisem-
blable que, dans la fixation de l'azote par l'intermédiaire des tubercules, il se passe un
phénomène analogue à la respiration animale, et surtout à la respiration branchiale. En
effet, les bactéroïdes, en vertu de leur disposition spéciale, de leur mode particulier de
groupement offrent, au milieu contenant l'azote gazeux une surface considérable. Cette
comparaison des tubercules radicaux avec les branchies paraît d'autant plus acceptable
que Bouquet a émis l'hypothèse suivante qu'il faudrait vérifier, à savoir que l'eau ab-
sorbée par les plantes et dégagée par l'évaporation, abandonne à ces plantes l'azote
qu'elle a dissous. On sait qu'il se forme des tubercules sur les racines des légumineuses
élevées dans une solution aqueuse, surtout si celle-ci est privée d'azote; mais l'effica-
cité de ces tubercules, sous le rapport de l'accroissement des plantes; est bien moins
marquée que lorsque ceux-ci se sont développés dans un milieu solide. Dans les cultures
en milieu liquide, en effet, la circulation de l'azote a lieu avec une rapidité moindre
que dans les espaces capillaiies du sol. Aussi devra-t-on constater une absorption
d'azote par les tubercules bien plus notable si on fait circuler au travers du liquide un
courant d'air ou d'azote. C'est ce que Nobbe et Hilt.ner se proposent de vérifier '.
Sans vouloir tirer ici toutes les conséquences pratiques qui résultent, au point de vue
agricole, de la découverte de la fixation de l'azote par les légumineuses, on peut dire,
avecWiLFARTH(Boian. Centralbl., t. sxn,p. 181) que c'est surtout l'engrais vert qui permettra
de profiter de l'azote libre qu'assimilent ces végétaux. Dans les sols légers, les terres à
betteraves, préalablement inoculées avec de la terre à lupins, on cultivera le lupin; on
ensemencera dans les terres légères, pas trop sèches, la sénadelle et la vesce des sables;
la vesce ordinaire et les trèlles conviennent aux terres de meilleure qualité. On enfouira
les plantes au moment de leur richesse maxima en azote, entre la floraison et la matu-
ration des graines. 11 faut évidemment que les autres éléments minéraux nécessaires
aux légumineuses existent dans le sol; si une terre est trop pauvre en azote, on fera
bien d'y introduire un peu de nitrate d'ammonium destiné à favoriser le premier déve-
loppement de la plante lui permettant d'attendre l'apparition des tubercules radicaux.
En ce qui concerne le sol, il faut que celui-ci contienne la bactérie destinée à vivre en
symbiose avec la plante à cultiver; il doit être pauvre en azote, autrement l'efl'et ne
serait pas appréciable. On inoculera le sol lorsque la légumineuse qu'on aura semée ne
végétera qu'imparfaitement, en supposant toutefois qu'aucun aliment minéral ne fasse
1. Les légumineuses seules présentent-elles cette propriété caractéristique de tiser l'azote
atmosphérique, alors qu'elles vivent en symbiose avec les bactéries? Nobbe. Schmid, Hiltner et
HoTTEa (Land. Kecs. Stef.,t.xii,p. 138)ont planté dans un sol stérile des graines à'Eloeagims aiiç/iis-
tifolius, et, au bout de quelques semaines, ils ont inoculé les jeunes plantes arec une infusion de
terre ayant porté des Eloeagnus. Les racines de celles-ci se sont garnies de tubercules, et ces
végétaux ont assimilé l'azote libre. Les tubercules de VEloeagnits sont d'ailleurs produits par un
organisme très différent du Bacillus radickola.
AZOTE. 1001
défaut. Si les racines sont garnies de nodosités, l'inoculation sera inutile; si celjes-ci
manquent ou sont rares, on procédera à l'inoculation. Le lupin et la sénadelle ont géné-
ralement besoin d'être inoculés, les autres légumineuses réussissent bien dans les sols
incultes fraîchement défrichés. La terre qui doit servir à l'inoculation proviendra d'un
champ ayant fourni une bonne récolte de la légumineuse elle-même qu'on veut cultiver.
Cette inoculation sera faite une fois pour toutes, si les légumineuses sont cultivées sans,
interruption sur le sol.
VI. Premiers essais de culture des microbes fixateurs d'azote dans le sol.
— Résultats expérimentaux. — Nous avons principalement envisagé dans ce qui
précède la fixation de l'azote libre par les microbes vivant en symbiose avec une plante
verte. Cependant, en parlant des expériences de G-IOtier et Drouin, de Frank, de Schlœ-
siNG fils et Laure.nt, nous avons dit que certaines algues, qu'on rencontre fréquemment
à la surface du sol, étaient également capables de fixer l'azote libre. Demandons-nous
s'il n'existe pas d'autres crj-ptogames (mucédinées) qui possèdent cette propriété. Un
second problème, non moins important à résoudre, sera celui qui consistera à cultiver le
ou les organismes fixant l'azote sur le sol, indépendamment de toute végétation appa-
rente, et dont l'existence est indiscutable à la suite des recherches de Berthelot résu-
mées plus haut.
Le travail suivant de Berthelot répond à ces deux questions [Ann. Chim., (ti), t. xxx,
p. 411). Les micro-organismes mis en œuvre sont : 1° des bactéries extraites du sol et
employées soit à l'état de mélange, soit à l'état d'espèces isolées; 2° les bactéries fixées
sur les racines du lupin; 3° des semences pures d'Aspergillm niger; 4° des semences
pures à' AUcryiaria tenuis; a" un Gymnoasciis ; 6" diverses espèces de champignons.
Des bactéries extraites d'une parcelle de terre végétale par les procédés ordinaires de la
microbiologie, les unes liquéfiaient, les autres ne liquéfiaient pas la gélatine. On a ainsi
isolé sept espèces ; on s'est également servi, pour ensemencer les sols artificiels, d'un ballon
de culture qui renfermait un mélange des divers microbes contenus dans une parcelle de
terre végétale. Quant aux milieux sur lesquels devait porter la fixation de l'azote, ils
contenaient une quantité notable d'éléments hydrocarbonés et une petite dose d'azote
destinée à entretenir, au début, la vie des êtres qu'on y ensemençait. Les ballons ou
flacons mis en expériences avaient une capacité de 500 centimètres cubes à six litres; ils
renfermaient des mélanges divers, dans la constitution desquels entraient de l'acide
humique, du kaolin, de l'acide tartrique, du sucre et quelques centimètres cubes de la
liqueur de Cohn diluée. Après stérilisation à l'autoclave, ces flacons ont été ensemencés
et exposés pendant plusieurs mois à une température de 20 à 23°. A peine est-il besoin
de dire qu'on a eu soin de disposer en même temps des flacons témoins non ensemencés,
mais renfermant le même contenu que les premiers. Remarquons que les phénomènes
d'oxydation ne doivent pas être trop actifs; s'il en était ainsi, si la couche ensemencée
était trop mince, les organismes fixateurs de l'azote cesseraient d'exercer leur fonction;
aussi, dans les ballons de six litres, les résultats ont-ils été négatifs la plupart du temps,
tandis que dans les ballons de 600"=" à un litre, renfermant des mélanges identiques placés
dans les mêmes conditions, la fixation de l'azote a toujours eu lieu. Les résultats ont été
les suivants avec les bactéries du sol. Le mélange de ces bactéries cultivé sur acide
humique, a fixé S7 p. 100 de l'azote initial; sur acide humique et kaolin, 32 p. 100; sur
kaolin seul, 150 p. 100. Parmi les bactéries isolées, les unes ont fourni des gains s'éle-
vant de .37 à 80 p. 100 de l'azote initial, d'autres ont donné lieu à des résultats nuls ou
négligeables.
On a obtenu, dans les mêmes conditions de milieu, une fixation d'azote avec le
liquide des tubercules radicaux des lupins écrasés.
• La culture de ï Aspei-gillus niger sur liquide de Cohn additionné d'acide tartrique a
fourni un gain d'azote variant de 18 à 33 p. 100 de l'azote initial. Dans deux expériences
réalisées avec cette mucédinée, on a fait intervenir un champ électrique dont l'intluence
ne s'est pas fait sentir sur le développement de VAspergillus.
La culture de VAlternaria tcmdssnv kaolin, additionnéde sucreet de liqueur de Cohn,
a fourni un gain d'azote variant de 36 à 98 p. 100 de l'azote initial, le végétal s'est
d'ailleurs bien développé et la culture était pure. Un Gymnoascus développé sur un sub-
stratum analogue au précédent, à la suite d'un ensemencement par une parcelle de
1002 AZOTE.
sable argileux, a donné lieu à une fixation du même ordre de grandeur que celles que
nous avons citées un peu plus haut.
Concluons donc : le sol contient des micro-organismes dépourvus de chlorophylle,
aptes à fixer l'azote, et dont la nutrition est corrélative de la destruction de certains
principes hydrocarbonés, tels que le sucre ou l'acide tartrique. 11 semble utile que
ces micro-organismes rencontrent, au début, une petite quantité de principes azotés
afin d'acquérir la vitalité nécessaire à l'absorption de l'azote libre. Si ces principes azotés
sont trop abondants, la bactérie vivra seulement à leurs dépens.
Peu de temps après la publication des expériences de Berthelot, Winograbsky, dans
une note préliminaire, exposait des résultats du même ordre (C. R. t. cxvi, p. 1388). Cet
auteur, se proposant de chercher s'il existe dans le sol des espèces déterminées de
microbes fixateurs d'azote, fit une série de cultures méthodiques dans un milieu dépourvu
. d'azote, mais contenant des sels minéraux et du sucre. Bientôt les cultures présentèrent
des caractères constants : dégagement gazeux, production d'un acide (acide butyrique)
présence de masses zoogléiques mamelonnées. Ces masses étaient formées par un
grand bacille, bien développé, colorable par les couleurs d'aniline et contenant sou-
vent des spores. Cet organisme n'a pas encore été isolé à l'état de pureté absolue; il
est mélangé avec deux autres espèces distinctes, souvent très peu développées. Ces deux
bacilles, ensemencés à l'état de pureté dans le même milieu indiqué plus haut exempt
d'azote, n'y croissent pas, ne dégagent pas de gaz et ne produisent pas d'acides. Ces deux
derniers phénomènes ayant toujours été les symptômes sûrs de l'assimilation de l'azote,
les deux espèces dont il s'agit ne semblent donc pas pouvoir produire l'assimilation.
Quant au grand bacille décrit en premier lieu, il possède cette propriété fixatrice, et
ressemble au Bacillus butylicus ainsi qu'à plusieurs autres organismes du groupe des fer-
ments butyriques. Il fixe des quantités considérables d'azote, et peut-être existe-t-il un
rapport constant entre la quantité de sucre décomposé et celle de l'azote assimilé.
WiNOGRADSKY a d'ailleurs entrepris une série d'expériences que nous analysons plus
loin (v. p. 1003) sur l'ensemble de cette question.
Les nombreuses expériences que nous venons de rappelermontrent par quelles phases
les recherches sur la fixation de l'azote ont passé avant d'atteindre à ce degré de préci-
sion auquel elles sont arrivées aujourd'hui. Nous pensons avoir fait ressortir tout l'inté-
rêt qui s'attache à cette question de physiologie pure; celle-ci ne constitue sans doute
qu'un des chapitres de la nutrition des végétaux, mais les avantages immenses que
la pratique agricole peut en retirer n'échapperont à personne.
Appendice. — Depuis la rédaction de cet article (1894), il a paru un certain nom-
bre de mémoires intéressants sur la question qui nous occupe.
P. KossowiTCH (Botan. Zeit., 1892, 43, 47) a cherché quels étaient les organes (feuilles
ou racines) qui, chez les légumineuses, absorbaient l'azote libre, Framk ayant prétendu
que les feuilles seules étaient capables de cette fonction. Kossowitch isole, à l'aide d'un
dispositif approprié et dont chacun peut se faire une idée, l'atmosphère qui entoure la
racine, soit celle qui entoure les tiges et les feuilles des plantes soumises .a l'expé-
rience : il fait circuler dans l'espace ainsi confiné un mélange artificiel de gaz exempt
d'azote (oxygène mêlé d'hydrogène, avec addition d'acide carbonique lorsqu'il s'agit
des feuilles). Le sable qui sert de support à la plante est calciné, on y introduit des
pois garnis de tubercules. L'auteur conclut de son expérience que les légumineuses
prennent à l'air leur azote seulement par les racines : il n'y a pas eu absorption sensible
de ce gaz, lorsque, les feuilles étant plongées dans l'air ambiant, l'atmosphère des
racines ne se composait que d'un mélange d'hydrogène et d'oxygène. Il est également
vraisemblable que les racines sont le lieu où l'azote passe de l'état libre à l'état com-
biné.
Nous avons étudié la fixation de l'azote par les algues d'après les travaux de
ScHLŒsiNG fils et Laurent. Ce n'est que lorsque ces algues se développent à la lumière
que ce phénomène a lieu : à l'obscurité il n'y a pas de développement, et, partant, pas de
fixation (Koch et Kossowitch, Botan. Zeit., 1893, n" 21, p. 321).
Revenons sur cette fixation de l'azote par les algues. Les nouvelles expériences de
Kossowitch ont éclairci plus d'un point important de ce problème et marquent en
AZOTE. 1003
quelque sorte la transition entre les travaux que nous venons de mentionner, à la suite
desquels il semble que la fixation n'ait lieu sur le sol que par l'intermédiaire de cer-
taines algues, et ceux tout récents de Winogradsrv dans lesquels, conformément aux
idées de Berthelot, la fixation de l'azote n'est qu'une œuvre microbienne.
KossowiTcn (Unters. ûb. die Frage oh die Algen freien Stichstoff fixieren. Botan. Zeit.,
1894, 97) s'est d'abord attaché à faire des cultures dalgues à l'état de pureté. De même
que Beyerinck, il se sert comme substnitiim de silice gélatinisée, laquelle n'est pas liqué-
fiée par les bactéries accompagnant les algues. Celles-ci furent également cultivées sur
gélatine, et le morceau de gélatine, porteur de la culture, fut déposé sur du sable sté-
rilisé. L'espèce obtenue en culture pure est voisine des genres Cystococeus et Chlorella.
Les llacons munis de sable calciné destinés aux expériences étaient traversés par un
courant d'air filtré mêlé d'un peu d'acide carbonique. Le liquide nutritif doit contenir,
suivant les espèces {Cystococeus ou SHchococcus) tantôt du phosphate neutre, tantôt du
phosphate acide de potassium; l'addition de sucre est parfois indispensable. Si le sable
ne renferme pas d'azote, les algues ne se développent pas, ce qui signifie que les algues
ne fixent pas l'azote libre, ou, du moins, qu'elles ont également besoin d'azote combiné;
ce senties nitrates qui, sous ce rapport, réussissent le mieux. Le Stichococcus a été cul-
tivé sur sable calciné (70 grammes) mêlé d'une solution renfermant, dans 1000 grammes
d'eau, 0S',2oP0'HK^ 05^25 PO^H^K, Os',37 SO^Mg, 0e^20 NaCl avec traces de phosphate
de fer, de sulfate et de nitrate de calcium. Quelques cultures étaient additionnées dp .
i gramme de sucre de canne. Les appareils étant stérilisés après addition de liqueur
nutritive, on les a ensemencés, soit avec des cultures sur sable ou sur gélatine de
Cystococeus, soit avec ces mêmes cultures, additionnées d'une culture pure de bac-
téries du pois. L'expérience a été poursuivie pendant trois mois, bien qu'au bout de trois
semaines les cultures eussent atteint tout leur développement. Celui-ci se fait d'autant
mieux qu'il y a plus de nitrate en présence. Là où existaient les bactéries de pois, les
algues se développèrent moins bien; car ces bactéries avaient emprunté une partie de
l'azote combiné. Avant d'interrompre l'expérience, on introduisit dans deux des vases
quelques centimètres cubes d'une solution nitratée : aussitôt la couche d'algues se colora
en vert intense : ce qui déjà semble parler en faveur d'une non-fixation d'azote; le
dosage final confirme d'ailleurs cette présomption. Une culture de Cystococeus pure ou
mêlée de bactéries de pois ne fixe donc pas l'azote libre.
Dans une autre série d'expériences, on a emplo3é des cultures impures provenant,
par exemple, de l'ensemencement d'une parcelle de terre, et on a procédé, comme il
vient d'être dit, avec ou sans addition de sucre. Voici les résultats obtenus dignes d'être
mentionnés; ni le Stichococcus, ni le Cytococcus purs n'ont fixé d'azote; le Micrococcus
vaginatus des expériences de Schlœsixg fils et L.^urent fournissait le même résultat
négatif. Mais, lorsqu'il y a mélange avec les diverses bactéries du sol, on observe une
fixation, sans qu'il soit possible d'attribuer à un organisme particulier cette propriété
fixatrice. Cependant, pour Kossowitch, les algues seraient en relation avec la fixation de
l'azote, mais à la lumière seulement, en ce sens que celles-ci seraient peut-être
capables de fournir aux bactéries fixatrices les hydrates de carbone qu'elles ont elles-
mêmes élaborés à la lumière. Dans les cultures impures, la fixation est plus consi-
dérable, en présence qu'en l'absence de sucre. Jusqu'à présent on tirait une preuve de
la fixation de l'azote par les algues des expériences faites à la lumière et à l'obscurité :
dans le premier cas, il y avait fixation; dans le second, pas de fixation. Nous venons de
voir que l'explication probable de ce fait doit être cherchée dans l'impossibilité où se
trouvent les algues à l'obscurité d'assimiler le carbone, et de nourrir, par conséquent,
les bactéries. Concluons donc (.[aentre les algues et les bactéries existe une sijmbiose :
celles-ci, fixatrices d'azote, tirant leur nourriture hydrocarbonée des produits d'assimi-
lation des algues. L'opinion précédente est d'autant plus acceptable que l'on sait que les
légumineuses, [jourvues de nodosités radicales, ne fixent pas l'azote à l'obscurité. Ber-
thelot, d'ailleurs, avait déjà fait voir qu'un sol ne peut fixer l'azote que jusqu'à une cer-
taine limite qui dépend de sa richesse en matériaux hydrocarbonés. On ne peut affirmer
qu'aucune algue ne fixe l'azote; mais, dans tous les cas, un sol dépourvu de bactéries
n'en fixe pas.
F. Noble, Hilt.xer et Schmid [Landw. Vers. Stat., t. xlv,i) ont repris de nouveau la ques-
1004 AZOTE.
tion de la spécificité des bactéries qui vivent dans les tubercules des légumineuses. Ils
ont fait usage de vases parfaitement stérilisés et de cultures absolument pures des diffé-
rentes bactéries provenant des nodosités radicales dont ils ont étudié l'action sur diverses
espèces de Légumineuses. Leur intéressant travail peut se résumer ainsi : Les plantes
suivantes : Robinia pseudo-acacia, Acacia lophanta, Vicia villosa, Pisum sativum ont été
inoculées cbacune avec les bactéries de leur propre espèce, tandis que des pieds sembla-
bles recevaient des bactéries des trois autres espèces. Or l'expérience a montré
qu'en ce qui concerne la quantité d'eau évaporée, la hauteur totale du végétal, le poids
de la matière sècbe, la teneur finale en azote, les plantes inoculées avec les bactéries de
leur propre espèce l'emportent de beaucoup sous ces différents rapports sur celles ino-
culées avec des bactéries étrangères. Les bactéries d'espèces voisines peuvent se rempla-
cer dans une certaine mesure, mais elle restent inférieures comme action à celles de
l'espèce propre. Les bactéries appartenant à des espèces éloignées, ou bien sont sans
influence, ou bien produisent des tubercules incapables de fixer l'azote (page 12 du mé-
moire cité). Dans une autre série d'expériences, on inocule un certain nombre de légu-
mineuses avec des cultures pures de bactéries de Pois et de Robinia. Les sols mis en
œuvre contenaient au début un peu d'azote, afin de décider si les différences constatées
avec les sols privés d'azote de l'expérience précédente se retrouvent dans' les conditions
de la culture naturelle. Chaque plante fut inoculée avec une culture pure de Pois et une
culture pure de Robinia. Ces essais ont montré que les bactéries des pois fournissent
des tubercules avec les Viciées et les Phaséoiées, mais restent sans effet sur les Hédysarées,
les Génistées, les Trifoliées, les Galégacées; les bactéries de Robinia, outre le Robinie, n'ont
donné de résultats favorables qu'avec les Phuséolées. Ceci peut s'expliquer si on se rappelle
quelles corrélations étonnantes existent entre le développement des bactéries des tuber-
cules et celui de la plante hospitalière. Les bactéries de nodosités fournissent un excel-
lent exemple de la propriété remarquable que possèdent beaucoup d'organismes de subir
des transformations profondes lorsque changent les conditions physiques et chimiques du
milieu dans lequel ils vivent; ils s'adaptent à ce nouveau milieu, et leur action physiolo-
gique se trouve alors modifiée. Les cultures pures provenant des différents tubercules
radicaux ne représentent donc pas autant d'espèces distinctes, mais seulement des formes
distinctes.
— Dans le courant de cet article nous avons examiné à maintes reprises la question
de la fixation de l'azote par les plantes appartenant à d'autres familles que celle des
légumineuses. P. Noble et L. Hiltner (Landw. Vers. Stat., t. xlv, p. loo) cultivent dans des
pots contenant une bonne terre de jardin les quatre espèces suivantes : Pois, Chanvre,
Sarrasin, Moutarde. A la fin de l'expérience, ces quatre espèces accusent un gain d'azote ;
mais, seul, le pois a profité de ce gain, les autres plantes sont restées chétives et n'ont
pu s'assimiler l'azote dont le sol s'est enrichi. C'est qu'en effet, d'après Berthelot et
WiNoGRADSKY, le sol coutieut des bactéries capables d'assimiler l'azote libre, mais cet
azote ne profite pas aux plantes, du moins immédiatement; il demeure dans le sol, il
nitrifie et n'est utilisé que par les végétations ultérieures. Les légumineuses occupent
donc bien un rang à part au point de vue de la manière dentelles fixent et utilisent im-
médiatement l'azote libre de l'air.
Il nous reste maintenant à analyser en quelques lignes le mémoire complet de
^YI^"0GRADSKY SUC l'assimilation de l'azote libre de l'atmosphère par les microbes, mémoire
paru récemment. Mous avons gardé ce travail pour la fin, non pas qu'il soit, à notre avis,
le dernier mot de la question, mais il constitue néanmoins un pas très important fait en
avant dans la longue série de recherches que nous venons de résumer et il met en relief
la méthode à suivre pour les expériences ultérieures (Arch. Se. biol. Saint-Pétershourg ,
t. m, n° 4; 1895).
L'auteur ensemence une trace de terre sur la liqueur suivante, absolument exempte
d'azote, et dont chaque élément a été, à cet effet, soigneusement purifié : Eau
= 1000 grammes; phosphate de potassium = l gramme; MgSO''= Osr.b; NaCl,FeSO''Mn
= Ot''',01 à O6'',02. 100 centimètres cubes de cette solution reçoivent de doux à quatre
^'ranimes de glucose pur additionné ou non de carbonate de calcium; les vases sont
traversés par un courant d'air filtré. Après un certain nombre de cultures, on ne décou-
vre dans la liqueur que les trois organismes suivants : 1° un Clostridium qui prédomine;
AZOTE. 1005
2° Un très fin, bacille à longs filaments sinueux; 3° un gros bacille, large de 2 ;j., à longs
filaments se transformant en chaînettes d'articles asporogènes arrondis. La couche de
craie se dissout complètement en même temps que se déclare, dans la plupart des vases,
une fermentation butj-rique qui consomme tout ou partie du sucre présent. La marche
des expériences est souvent irrégulière : tantôt la fermentation commence au bout de
deux ou trois jours, tantùt au bout de plusieurs semaines. Les premiers dosages ont
montré que, là où lu fermentation butyrique avait eu lieu, on pouvait constater une
fixation d'azote, alors que dans les liquides n'ayant pas fermenté il n'y avait
pas eu de fixation. L'optimum de température est situé vers 20°. Ces irrégularités
dans la mise en train du phénomène disparurent lorsque, après plusieurs tâtonnements,
l'auteur ajouta au liquide de culture des quantités très faibles d'azote nitrique ou ammo-
niacal dont nous verrons bientôt la mode d'action. Ces traces d'azote combiné ne font
qu'fl7?!orcer la fermentation ; mais sont sans influence sur la fixation de l'azote libre. II
suffit également de faire traverser les cultures par un courant d'air plus lent pour ren-
dre le début de la végétation plus facile et plus régulier. Ces premières expériences ont
fait voir que la fixation de l'azote s'élève de 0S'',002o à 0=,003 pour un gramme de glucose
détruit dans des conditions de culture aérobie. Ce rapport décroît si la quantité de sucre
ajouté s'accroît. La fixation de l'azote diminue lorsqu'il y a aération insuffisante ou
lorsque la quantité d'azote combiné ajouté au début est très forte. Le rapport limite, au-
, , , ■,,.■■, , , , . ■■ , , 1 1 6 (azote combiné ajouté)
dessus duquel un gam d azote libre n est plus réalisable, est de — „„ , , ^ .
° ' 1000 (glucose)
Dans les premières expériences que nous venons de rapporter, Win-ogradsky s'est
borné à épurer le mélange des microbes, autant qu'il pouvait l'être, par la culture élec-
tive, laquelle élimine toutes les espèces incapables de vivre dans ce milieu spécial; un
chauffage ultérieur à 80° a détruit de plus toutes les espèces asporogènes; il ne reste
que trois espèces sporogènes. Winogradsky procède ensuite à la séparation des trois
espèces sus-mentionnées. Sur milieu solide, on isole le gros bacille (bacille a) et le
bacille fin (bacille [3) : le Clostridium ne se développe pas. Ces deux premières espèces,
une fois isolées, ont pu être cultivées à l'état de pureté dans des tubes à essais conte-
nant de la gélose sucrée : le bacille a est aérobie, le bacille ,3 anaérobie facultatif.
Aucune de leurs cultures ne montre de dégagement gazeux, aucune n'a l'odeur d'acide
but)-rique. Ces deux bacilles ne fixent pas l'azote libre, et leur rôle semble secondaire
dans le phénomène fixateur. Quant au Clostridium, il a pu être cultivé sur des tranches
de carotte, mais dons le vide; on l'obtient ainsi à l'état pur, les deux bacilles qui l'ac-
compagnaient n'ayant pu se développer sur ce nouveau milieu : de plus, il y a dégage-
ment gazeux. Ensemencé seul sur le liquide sucré primitif, ce Clostridium ne produit
pas de fermentation bien franche; il semble donc que le concours des deux premiers
bacilles soit indispensable à son développement. Or l'expérience montre que, si on re-
constitue dans le milieu sucré l'association des trois espèces, il y a fermentation : un
microbe strictement anaérobie (Clostridium) peut donc vivre normalement, et pendant un
nombre de générations indéfini, dans un milieu aéré, s'il est protégé de l'action de l'oxy-
gène par l'association d'espèces aérobies. L'action favorisante des deux bacilles n'a rien de
spécifique; des vases de culture contenant le Clostridium ensemencé sur une couche de
liquide peu épaisse restaient stériles aussi longtemps que la culture était pure; mais, si
on introduisait dans ces vases un Pénicillium ou un Aspergiltus, la fermentation com-
mençait bientôt. Les espèces favorisantes doivent précéder dans son développement l'es-
pèce anaérobie, ou, du moins, se développer concurremment avec elle ; mais, comme cette
dernière est seule apte à fournir l'azote combiné au milieu, puisque les aérobies en sont
incapables, la croissance de celles-ci est subordonnée à l'activité de l'espèce anaérobie.
D'où l'utilité qu'il y a à introduire au début dans la culture une faible dose d'azote com-
biné.
Il résulte de tout ceci qu'un organisme quelconque favorisera, dans ce cas spécial,
le développement du microbe anaérobie, si cet organisme est capable de vivre dans un
milieu très pauvre en azote, d'en utiliser les dernières traces, et, surtout, d'absorber éner-
giquement l'oxygène de l'air.
Des cultures pures du ferment anaérobie ensemencées dans le liquide primitif ira-
versé par un courant de gaz azote pur ont déterminé une énergique fermentation
1006 AZOTITES.
(1 gramme de sucre décomposé en moins de deux jours) et il y a eu fixation d'azote
libre. Le problème est donc résolu : on possède une espèce pure, anaérobie, isolée du
sol, capable de sj'nlhèse azotée aux dépens de l'azote de l'air, et pouvant se développer
dans un milieu rigoureusement dépourvu d'azote combiné. Ce microbe n'a pu être iden-
tifié avec aucun des ferments butyriques actuellement connus; morphologiquement il
se rapproche le plus du Clostridium butyricum de Prazmowski. AYinogradsky propose d'ap-
peler ce nouvel être : Clostridium pasleurianum.
Au sein de cultures pures, ce microbe dégénère peu à peu: il peut devenir complète-
ment asporogène, même sur un milieu, comme la carotte, éminemment propre à sa mul-
tiplication. Pour éviter cette dégénérescence, il faut faire usage d'un courant de gaz
azote suffisamment énergique pour traverser continuellement ia masse liquide; il faut
également employer une culture pure faite directement avec le microbe du soi.
Voici donc comment l'auteur opère définitivement. Une trace de terre fut introduite
dans un flacon dans lequel barbottait jour et nuit de l'azote pur; au bout de trois jours,
à la température ordinaire, apparut la fermentation : le liquide ne contenait que le
Clostridium connu. Avec cette première culture on ensemence un second flacon, puis un
troisième, et cela jusqu'à vingt flacons. Alors la fermentation débutait régulièrement au
bout de 24 heures, le microbe ne dégénérait plus et sa culture était parfaitement homo-
gène. La formation des spores coïncide avec un ensemble de conditions capables d'entraver
le développement actif du microbe : un accès d'air, pas trop brusque, au sein d'une cul-
ture anaérobie, est suivi de sporulation.
Vers la fin des cultures apparut le bacille p des cultures aérobies; lorsque la fermen-
tation était achevée, ce bacille se montrait en grande abondance, et on accélérait son
développement en laissant pénétrer l'air dans les flacons : le Clostridium mourait alors
en masse.
En résumé, le meilleur procédé pour isoler du sol le Clostridium fixateur consiste :
1° à introduire une trace de terre fraîche dans le liquide sucré exempt d'azote com-
biné; on fera passer dans ce liquide un courant d'azote pur.
2° A faire 4 à 6 passages dans le même milieu.
3° A chauffer à 80° les spores bien mûres pendant un quart d'heure pour détruire les
germes étrangers.
4° A cultiver ensuite le microbe sur plaques de pommes de terre strictement anaéro-
bies.
Le Clostridium. est un ferment butyrique vrai; après fermentation, on trouve dans les
liquides des acides butyrique et acétique dans la proportion de 4 à 1 dans une des expé-
riences, de 3 à 1 dans une autre. Il se fait en même temps une trace d'alcool supérieur
et pas d'acides fixes; les gaz de la fermentation sont l'acide carbonique et l'hydrogène
(ce dernier représente de (iO à 73 p. 100 du gaz total).
Ayant ensuite isolé du sol un certain nombre d'autres microbes, et ceux-ci n'ayant
donné lieu à aucune fixation d'azote, Winogradsky, tout en faisant des réserves formelles
sur les expériences à venir, formule cette conclusion : l'aptitude à fixer l'azote est une
fonction spécifique; seul le clostridium isolé manifeste celte propriété.
L'auteur (C. R., t. cxviu, p. 3bo) pense que ce phénomène de la fixation de l'azote
apparaît comme l'effet de la rencontre de l'azote gazeux et de l'hydrogène naissant au sein
du protoplasma vivant, et il est permis de supposer que la synthèse de l'ammoniaque pourrait
en être le résultat immédiat.
G. ANDRÉ.
AZOTITES. — Les azotites ou nitrites sont les sels de l'acide azoteux ou
nitreux, AzO-H. Ils sont en général solubles dans l'eau; cependant l'azotite d'argent n'est
que faiblement soluble. Ces sels sont décomposés au rouge. Traitée par de l'acide sulfu-
rique étendu, leur dissolution dégage du bioxyde d'azote, en même temps qu'il se forme
de l'acide azotique. Si l'on ajoute en même temps du sulfate ferreux, ce sel absorbe le
bioxyde formé et se colore en brun. Si l'on ajoute à la dissolution d'un azotite un mélange
d'iodure de potassium et d'amidon et de l'acide sulfurique étendu, il y a mise en liberté
d'iode, et formation d'iodure d'amidon bleu.
Apparition dans l'organisme. — Schonbein, et plus tard Ruhmamn, ont montréque
AZOTITES. 1007
les azotites que l'on trouve parfois dans l'urine, à côté des azotates, proviennent de la ré-
duction de ces derniers sous l'iniluence des phénomènes putréfactifs. L'urine fraîche ne
contient jamais de nitrites. Ces sels n'apparaissent que lorsque l'urine commence à
se troubler, mais leur formation n'est pas constante. Ajoutons qu'on les voit appa-
raître indifféremment dans l'urine acide ou dans celle qui est primitivement alcalme
(ScHONBEiN,/oz(ni. f.pfalil. Chcm., t. xoii, p. lo2, 1864. —F. Roemann, Z. P. C, t. v, p. 241,
1881).
C'est également une réduction des azotates en azotites qui explique, d'après Barth,
les empoisonnements observés chez les animaux de ferme, lorsqu'il y a mélange acci-
dentel, à l'eau servant de boissons, d'engrais chimiques à base de salpêtre (Babth, cité
par BiNZ, A. P. P., t. xiii, p. 133, 1881). On sait au surplus que Gayon et Dupetit ont
démontré la transformation des nitrates en nitrites sous l'influence d'un micro-organisme
anaérobie que l'on trouve dans les eaux d'égout et dont la présence dans l'intestin des
herbivores n'a rien que de très vraisemblable (Gayon et DoPEirr, C. R., t. xcv, pp. 644 et
1363, 1882).
Action physiologique. — Elle a été surtout étudiée par Gamgee (1868), RABaTEAO
(1870), GiACOSA (1874), Jolyet et Regxard (1876) et Binz (1883).
D'après Binz les sj-mptômes de l'empoisonnement par le nitrite de soude se succèdent
de la manière suivante (Bi.nz, .1. P. P., t. xm, p. 135, 1881). Les animaux deviennent
d'abord mous, somnolents; ils titubent comme s'ils étaient sous l'influence d'un narco-
tique puissant. On observe en même temps des contractions fibrillaires des muscles du
tronc ou des extrémités et, chez le chien, régulièrement des vomissements. Plus tard la
respiration devient haletante, difficile, et se ralentit peu à peu jusqu'au moment de, la
mort. Ces symptômes sont les mêmes, quelle que soit la voie d'introduction (buccale ou
cutanée) du toxique. Avec une dose de O^'',! de nitrite de soude, un lapin meurt en deux
heures. Dans une expérience de Binz, un chien de 4 ,o est mort en quatre heures et
demie après une injection sous-cutanée de 0e^,2'6 du même sel.
Le nitrite de soude agit à la fois sur le système nerveux qu'il paralyse, et sur le sang
dont il transforme la matière colorante en méthémoglobine. Il agit en outre, à la manière
de l'arsenic, comme un caustique interne (Binz).
La paralysie du système nerveux commence par le cerveau, puis descend peu à peu.
Elle paraît être, au moins chez la grenouille, indépendante de l'altération du sang et
résulter d'une action directe du toxique. Si l'on décapite la grenouille intoxiquée, on
constate que l'excitation de la section de la moelle à l'aide d'une aiguille ne produit pas
le moindre mouvement. Le nerf iscbiatiiiue ne réagit plus à l'excitation électrique, pas
plus que les niasses musculaires.
L'action sur le sang est très Iremarquable. Elle a été observée pour la première fois
par Gaugee avec divers nitrites ou avec des étliers nitreux tels que le nitrite d'amyle
(Gamgee, Transact. Roy. Soc. Edimburgh, mai 1868). Le sang prend une couleur chocolat
ou terre de sienne, dont l'apparition a été également étudiée par Rabuteau {Gazette hebd.,
1870, p. 116; Éléments de toxicologie, Paris, 1873, p. 198). La capacité respiratoire du sang
est considérablement abaissée (Jolyet et Regnard, Gazette méd. de Paris, 1876, etREGNARO,
Variât, path. des combustions respirât., D. P., 1878). Ce fait est dû à la transformation de
la matière colorante du sang en méthémoglobine, altération dont la nature exacte a
été déterminée d'abord par Giacosa (Das Amylnitril u. seine therap. Anwend. 2" éd.
Berlin, 1877).
Un phénomène directement lié, d'après Kobert, à la production de méthémoglobine
est la dilatation des vaisseaux et la congestion des organes. Du moins Kobert soutient
que tous les agents producteurs de méthémoglobine dans le sang provoquent en même
temps une telle dilatation. En même temps la pression sanguine s'abaisse (Kobert,
Lehrb. d. Intoxikationen, Stuttgart, 1893, p. 494).
Enfin Binz décrit encore, comme symptôme constant de l'intoxication parles nitrites,
la rougeur, la congestion et les taches ecchymotiques de la muqueuse de l'estomac. Tous
les organes abdominaux sont fortement congestionnés, fait déjà signalé par Rabutead.
Même injecté sous la peau, le nitrite de soude agit, de même que l'arsenic, comme un
caustique interne.
Binz explique tous ces accidents par une théorie analogue à celle qu'il propose pour
1008 AZOTURIE.
l'intoxication par l'arsenic et toute une série d'autres composés. L'acide nitreux se
transformerait en acide nitrique par la série des réactions que voici :
SAzO^H = H^O + AzOni + 2 AzO;
AzO + 0= Az02;
•3Az02 + H20 = 2Az03H + AzO.
Dans cette transformation eu azotates, déjà admise par R.\buteau, l'oxydation de
l'acide azoteux s'accompagnerait de la production d'oxygène actif (par dédoublement de
la molécule 0'-^, avec production d"oxygèue atomique, 0). Ces phénomènes se produisant
dans les tissus (tissu nerveux, muqueuse et glandes de l'estomac, etc.), les protoplasmes
cellulaires se trouvei-aient par le fait désorganisés et arrêtés dans leur fonctionnement.
On ne possède que peu d'indicationsen ce qui concerne la toxicologie des nitrites
chez l'homme. Raboteau a pu avaler 1 à 2 grammes d'azotite de sodium sans éprouver
rien de bien appréciable. A la dose d'un gramme l'azotite de potassium a produit, chez
le même expérimentateur, de l'inappétence et de là pâleur du visage.
CoLLiscHORM a décrit une intoxication par le nitrite de soude chez deux malades qui
en ingérèrent par doses successives, en tout: l'une ll,b et l'autre o,o grammes. Les
symptômes furent des selles diarrhéiques, de la cyanose, et, chez le premier patient, un
exanthème d'aspect rubéolique. Baines a observé une intoxication par de très petites
doses et qui a duré plus de trois mois (Collischorm, Deutsche Med. Woch., 1889, n"> 14. —
Baines, Pharm. Rundschau, 1884, p.4o2J.
Il est possible que les accidents de l'intoxication par les nitrates soient dus en partie
à la transformation fermentative de l'acide azotique en acide azoteux dans le tube
digestif. IvoBERT dit que la coloration rouge de la muqueuse stomacale dans l'empoison-
nement par les nitrates (voy. le cas de LviTLEioim, Edinbwcjh Med. JoMrn., août 188o,
p. 97) s'expliquerait très simplement par l'action du nitrite alcalin résultant d'une réduc-
tion partielle du nitrate (Koberï, Ibc. cit., p. 493).
Recherche. — Une solution d'iodure de potassium (ou mieux d'iodure de zinc), acidu-
lée par de l'acide sulfurique étendue et mêlée d'un peu d'empois d'amidon, est bleuie lors-
qu'on l'additionne d'une dissolution contenant des nitrites. C'est cette réaction qui a
servi à Scuoenbein pour la recherche des nitrites dans l'urine. Elle est moins sensible que
les suivantes.
On chauffe, d'après Weyl, le liquide suspect (urine) avec le quart ou le cinquième de
son volume d'acide sulfurique et on couvre le ballon dans lequel se fait l'opération avec
un papier imprégné des réactifs suivants: 1° Métaphéuylène-diamine; il se produit une
coloration jaune (triamidoazobenzène). 2" Acide sulfaniliqueet chlorhydrate d'a-naphty-
lamine; il se produit une coloration rouge (acide azobenzène-naphtylamine-sulfonique).
— D'après Rohmann, de petites quantités d'acide azoteux (0,1 milligramme dans 20 cent,
cubes) dissoutes dans l'urine ne peuvent plus être reconnues avec certitude (Weyl, A.
V., t. xcvi, p. 467, 1884. — Rohman.n', loc. cit., p. Hb).
£. LAMBLING.
AZOTURIE. — Élimination exagérée d'azote par l'urine (V. Urée).
B
BACTERIES. — On donne le nom de Bactéries à des êtres ceUulaires dont les
éléments affectent le plus soavent la forme d'un bâtonnet ((jaz-cepîa, bâton).
On attribue généralement àLEUWENHOECK,, l'un des premiers micrographes, la décou-
verte des bactéries. A l'aide des combinaisons optiques imparfaites dont il disposait, il
en a reconnu et décrit sommairement plusieurs espèces rencontrées dans les infusions
végétales, le tartre dentaire, les matières fécales où il signale leur augmentation considé
rable dans les cas de diarrhée, premier fait de pathologie microbienne.
Pour trouver un progrès sensible dans ces études, il faut attendre près d'un siècle.
La découverte du microscope composé était nécessaire pour de telles investigations. Le
naturaliste danois Otto Fheueric Muller réussit le premier à mettre un ordre relatif dans
ce monde des êtres microscopiques, que le grand LiNiNé lui-même avait totalement laissé
de côté, le considérant comme un inextricable chaos.
Muller répartit les bactéries dans les deux genres Monas et Vibrio, dénominations que
l'on reconnaît pour être encore actuellement usitées. Toutefois, à côté de bactéries vraies,
il réunit là des êtres plus élevés, des algues, des infusoires, même des anguillules.
Ces données se retrouvent intactes dans les œuvres de la plupart des naturalistes du
commencement de ce siècle qui se sont occupés des êtres microscopiques, Lamarcr, Brd-
GunÏRE, BoRY DE Saint-Vincen't, principalement.
Le grand ouvrage d'EHRENBERC, Die Infusionsthierchen als vollkommene Organismen
(1833), marque un grand progrès. Il sépare les êtres qui nous occupent de ceux bien diffé-
rents qui en avaient été rapprochés, et en forme la famille des Vibrionia qu'il caracté-
rise de la façon suivante : « Animalcules filiformes, sans intestin, nus, sans organes
externes, réunis en chaînes ou séries filiformes par l'etîet d'une division spontanée incom-
plète. » Cette famille comprenait les quatre genres suivants :
Bàcteriiim : Bâtonnets rigides à mouvements vacillants.
Vibrio : Corps filiforme, susceptible de mouvements ondulatoires comme un serpent.
SpiriUum : Corps filiforme, en hélice inflexible.
Spirochaete : Corps en hélice, formant un long cordon flexible.
DujARDiN, dans son Histoire naturelle des ZoopJujtes, adopte les données d'EHRENBERo et
donne des détails nouveau.^ et intéressants sur le développement des bactéries dans
divers milieux et sur la manière de les obtenir et de les étudier.
Les bases de l'étude des bactéries étaient dès lors posées ; les résultats obtenus à cette
époque sont restés dans la science; certains ont été bien des fois confirmés et font en-
core actuellement loi.
Pour les observateurs précédemment cités, les bactéries faisaient, sans aucun doute,
partie du règne animal. La présence de mouvements bien évidents chez certaines espèces
les éloignaient, pour eux, forcément des plantes. Les travaux de Cohn et de iNaegeli sur
les algues et les champignons inférieurs appelèrent l'attention sur les rapports intimes
qui unissent certaines de ces formes aux bactéries et en provoquèrent le rapprochement.
Jusqu'alors l'étude de ces êtres était considérée comme d'un intérêt purement spécu-
latif; leur apparition en grand nombre dans les infusions paraissait n'être qu'un simple
jeu du hasard. On observait bien en même temps des altérations très appréciables des
milieux en question, mais il n'était venu à l'idée de personne de supposer qu'il existait
entre ces deux ordres de faits des rapports très étroits. Si même on cherchait à rappro-
cher l'une de l'autre ces deux manifestations d'un même phénomène, c'était pour faire
provenir les êtres vivants de l'altération de la matière organique, comme le faisaient les
partisans de la génération spontanée en intervertissant l'ordre des facteurs.
C'est à Pasteur que revient le grand honneur d'avoir établi avec certitude les con-
nexités étroites ou les rapports de causalité qui unissent les altérations de certains liqui-
des, certaines fermentations, au développement et à la vie de bactéries dans leur masse.
DICT. DE PHYSIOLOGIE. TOME I. 64
1010 BACTERIES.
Il a posé les premières bases certaines de l'étude phj'siologique de ces êtres dans son
beau travail sur la fermentation lactique que l'on doit considérer comme le fondement
de la bactériologie actuelle (18o7).
Dès 1831, Braconxot, observant que certaines substances, telles que le chlore, l'acide
sulfureux, l'acide nitrique, employés comme destructeurs des agents, tout à fait inconnus
alors, des maladies contagieuses, possédaient aussi des propriétés antifermentescibles
énergiques, concluait au rapprochement de la contagion et de la fermentation. Guidé par
les résultats des premiers travaux de Pasteuh, Davaine, en 1863, établit que le charbon
des animaux: et de l'homme avait pour cause l'infection de l'organisme par les bactéries
en bâtonnets qu'il avait signalé, quinze ans avant, avec Rayer, sans y attacher d'impor-
tance, dans le sang des morts ou des malades, et qui avaient été retrouvés depuis, sans
qu'ils en aient pu démontrer le rôle primordial, par Pollendeh, Brauell et Delafond.
Pasteur avait créé la physiologie des bactéries; Davaine venait ainsi de fonder la patho-
logie bactérienne.
Il n'y avait plus qu'à étendre les données, à multiplier les faits, en perfectionnant les
moyens d'investigation. Pasteur a tracé la voie à suivre, en élucidant dans tous leurs
détails de terribles maladies, la ruine des éleveurs de vers à soie, la pébrine, causée par
des êtres inférieurs d'un autre groupe que les bactéries, et la pwhcrie d'origine mani-
festement bactérienne. Ce sont les premières études complètes d'une atfection contagieuse,
qui peuvent actuellement encore être prises comme exemple; on y trouve, traitées de
main de maître, ces mêmes questions de contagion, de milieu, de réceptivité, d'hérédité^
qui jouent un si grand rôle dans l'étiologie et la pathogénie des maladies infectieuses.
L'extension que prit cette science nouvelle fut rapide, grâce à ses attraits qui amenè-
rent à elle tant de travailleurs illustres de différents pays.
L'intérêt et l'éclat des données pathologiques que l'on croyait pouvoir considérer
comme certaines, firent reléguer au second plan l'étude physiologique des bactéries que
l'on considérait comme moins importante pour la médecine. Les modifications souvent
profondes que ces agents infectieux produisaient dans l'organisme atteint étaient consi"
dérées comme dues simplement à leur pullulation aux dépens du milieu intérieur. Pas-
teur avait cependant signalé, dans ses recherch es sur le chol&rades poules, la production
dans les bouillons de culture où il obtenait la multiplication de la bactérie, cause de
cette affection, d'un principe spécial, sécrété par elle, qui déterminait, indépendamment
de toute trace d'agent infectieux, certains des symptômes particuliers à cette maladie
épidémique, surtout cette tendance au sommeil si marquée chez tous les individus infec-
tés naturellement ou expérimentalement. Dans un autre ordre de faits, les travaux de
DucLAUx, de HiJppE, de Miller, de Vi gnal sur certaines fermentations bactériennes, dé-
montrèrent que les modifications produites dans le cours de ces phénomènes étaient
sous la dépendance directe de la sécrétion par ces êtres vivants de principes particuliers,
sortes de ferments solubles, auxquels on peut attribuer le nom général de diastases.
Bouchard et Charrin, Roux et Yersin, Brieger, Christman, Hânkin l'econnurent bientôt
qu'il en était de même pour plusieurs importantes espèces vivant aux dépens de l'orga-
nisme, en prouvant que la totalité ou une partie des symptômes observés pendant l'infec-
tion étaient dues à des substances solubles, sécrétées par les éléments du parasite, de
même nature que les diastases précédentes ou de constitution différente. Étendues à
d'autres espèces, ces recherches permettent de poser ce principe qu'on doit considérer
avec Bouchard comme une notion fondamentale de la pathologie bactérienne, que les
bactéries agissent sur les êtres vivants par les matières qu'elles sécrètent. L'application
la plus féconde de ces principes est sans contredit la vaccination.
On a vu que les premiers observateurs cités classaient les bactéries dans le règne
animal, se basant surtout sur la mobilité des principales espèces connues par eux.
Depuis, la découverte d'un grand nombre d'espèces absolument immobiles dans tout le
cycle de leur existence, les rapports que d'autres présentent avec des algues ou des
champignons inférieures, ont modifié cette opinion. Les uns, avec Van Tieghem, les
classent parmi le premier de ces groupes à côté des oscUlaires et des 7iostocs, en une
série parallèle caractérisée surtout par le manque de chlorophylle. Il est peut-être plus
rationnel, en se fondant sur toute une série de propriétés biologiques, avec Naegeli, de
Bary, Cohn, etc., d'en faire des champignons. La production des fermentations, les rap-
BACTERIES. 1011
proche des SaccharomijciHes ; ils s'en distinf^nent par leur mode de muUiplical.ion végé-
tative qui est la division. C'est cette dernière particularité qui les a fait dénommer
Schizomycètes par Naegeli.
Ce sont les bactéries qui forment la majeure partie du groupe des iVicrobes où l'on
réunit des levures, des moisissures, des animaux inférieurs qui n'ont d'autres rapports
entre eux que leurs conditions de vie aux dépens des milieux, vivants ou morts, où ils
se trouvent; de telle sorte que la plupart du temps les dénominations de Bactéries ou
Microbes peuvent êtres considérées comme synonymes.
■ Ces êtres sont très répandus dans la nature. Ils abondent dans l'air, l'eau, le sol;
ils pullulent sur nous ou autour de nous, se multipliant avec rapidité dès que se rencon-
trent des circonstances favorables à leur développement. Leur apparition rapide dans
des liquides nutritifs purs en apparence, conséquence de leur grande dispersion, a été
une des principales objections des partisans de la génération spontanée, affirmant qu'ils
s'y produisaient de toutes pièces aux dépens des subtances organiques en voie de décom-
position. Pasteur a mis à néant ces assertions, dans un débat mémorable, en prouvant
que le développement de ces êtres inférieurs se faisait uniquement à la suite de l'apport
de germes extrêmement ténus, en suspension dans l'air.
Dans l'histoire générale de ces êtres, nous passerons rapidement sur la morphologie,
n'en donnant que ce qui est tout à fait indispensable à connaître, pour étudier avec plus
de détails leur physiologie, qui est d'un si grand intérêt.
Forme et structure des bactéries. — Les cellules des bactéries sont tantôt disso-
ciées, tantôt unies en plus ou moins grand nombre. Leur forme varie. Elles peuvent être
rondes, plus ou moins régulièrement; ces formes sont nommées iWtcroeoccîis ou, d'un ter-
me plus général, Coccus. Ce sont des bâtonnets quand la longueur l'emporte sur la lar-
gueur; tantôt courts, des Bacteriums ; twatôl plus allongés, des Bacilles; tantôt plus allon-
gés encore, des filaments. Bâtonnets ou filaments peuvent être courbés, donnant les
formes en virgule ou Spirilles.
Ces caractères de forme ont été pris par les premiers observateurs comme base pour
la division en genres et en espèces. On est encore obligé d'agir ainsi actuellement, tout
en reconnaissant qu'il n'est pas encore possible d'établir une classification véritablement
rationnelle de ces êtres.
La structure des bactéries est des plus simples. Chaque élément possède une mem-
brane, rigide ou souple, entourant une masse protoplasmique hyaline qui a semblé pen-
dant longtemps être complètement homogène ; on lui reconnaît maintenant une fine
structure réticulaire et des granulations plus ou moins grosses qui présentent certaines
réactions des noyaux cellulaires. Dans certains cas, le protoplasme, trouble, grisâtre,
semble contenir des granulations graisseuses. D'autres fois, l'emploi de l'iode y décide
la présence de matière amylacée qu'il teint en bleu. Les Berjgiatoa, qui vivent dans les
eaux sulfureuses, renferment souvent en grande abondance de petits cristaux de soufre,
biréfringents dans la lumière polarisée, solubles dans le sulfure de carbone.
Ce protoplasraa est souvent incolore; parfois cependant il est teinté de nuances
diverses, plus ou moins vives, apparaissant souvent très nettes lorsqu'un grand nombre
d'éléments se trouvent accolés les uns aux autres, comme c'est le cas pour les cultures
dans des milieux artificiels. Nous reviendrons plus loin sur la nature et la production
de ces matières colorantes.
Les dimensions des bactéries sont toujours très petites; elles se chiffrent par quel-
ques millièmes de millimètre, ou même par des fractions de cette grandeur.
Certaines espèces sont mobiles; c'est un des caractères qui avaient le plus frappé
les anciens observateurs. Les mouvements sont très divers. Il en est qui traversent
comme des flèches le champ du microscope, il peut même être ^difficile de les examiner à
loisir. D'autres sont animées d'un mouvement de déplacement lent qu'on peut facilement
décomposer en deux, un mouvement d'oscillation autour d'un axe idéal perpendiculaire à
l'axe longitudinal de l'élément et un 'mouvement de translation le long de cet axe lon-
gitudinal. Les formes courbées ou spiralées possèdent souventjune sorte de mouvement
tourbillonnant en tire-bouchon, parfois très vif; certaines d'entre elles, qu'EHBENBERc
désignait sous le nom de Spiroehaete, présentent en outre, un mouvement d'ondulations
semblables à celles du corps d'un serpent. Bien des Micrococcus montrent un mouvement
1012 BACTÉRIES.
net, régulier, ressemblant à une sorte de trépidation, ayant beaucoup de rapports avec
le mouvement hroumien.-
Ces mouvements sont souvent produits par des cils vibratis répartis en nombre variable
sur un ou plusieurs points de l'élément. En usant de certains artifices de préparation, il
est possible de teindre ces prolongements avec diverses matières colorantes et de les
rendre facilement visibles.
11 arrive fréquemment que la coucbe externe de la membrane jouisse de la propriété
de gonfler beaucoup en absorbant de l'eau, de se gélifier. Il se forme ainsi une sorte de
gelée, plus ou moins consistante, souvent très abondante, qui réunit en une masse com-
pacte un plus ou moins grand nombre d'éléments. Ces amas, dont l'aspect et les dimen-
sions varient suivant l'espèce qui les constitue, sont nommées zooglées. Les masses géla-
tineuses, hyalines, qui se développent souvent dans les jus sucrés de betteraves et que
l'on appelle la gomme des sucreries, sont les zooglées du Leuconostoc mesenterioides. La
membrane visqueuse, plus ou moins épaisse, que l'on observe sur les liquides alcoo-
liques qui subissent la fermentation acétique, la mère de vinaigre, est la zooglée du
Bacillus (iceti; cette dernière forme de zooglée reçoit souvent le nom de voile.
Reproduction des bactéries. — L'extension d'une espèce se fait d'habitude par
deux moyens, la multiplication par division et la production de spores.
La multiplication par division est de beaucoup le mode d'extension le plus commun.
A vrai dire, on ne peut guère reconnaître qu'il se forme alors des individus nouveaux,
puisque rien d'ordinaire ne peut faire distinguer un élément producteur d'un élément
produit. Lorsqu'un élément a atteint certaines dimensions qui semblent flxes pour l'espèce,
il apparaît en son milieu une mince cloison qui le divise en deux parties égales. Les élé-
ments ainsi produits peuvent rester unis en flle longitudinale, en nombre plus ou moins
considérable, ou se séparer. Pour les Hicrococais, dans le premier cas, si les éléments
restent unis deux par deux, on a les formes dites de diplocoques ; s'ils restent unis en plus
grand nombre, ce sont les formes en chaînettes ou en strepiocoqiies. Si la bipartition s'opère
suivant deux plans perpendiculaires, les quatre éléments ainsi produits peuvent rester
unis et former des tétrades. Enfin, chez les Sarcines, le phénomène se complique encore.
Une cellule se divise successivement suivant trois directions par trois plans perpendicu-
laires. Le résultat est un petit cube de huit éléments qui se diviseront ensuite comme la
sphère primitive. On obtient ainsi, lorsque le phénomène s'est répété plusieurs fois, des
masses cubiques plus ou moins volumineuses.
Chez les bactéries en bâtonnets, les éléments qui restent unis peuvent former des
filaments atteignant parfois une grande longueur. La division ne s'opère généralement
que lorsque l'espèce trouve dans le milieu les conditions nécessaires à son existence;
elle se fait d'autant plus vite que ces conditions sont meilleures. C'est ce qui explique
l'envahissement si rapide de certains milieux par les bactéries. D'après Cohn, il faut
environ deux heures aux deux bâtonnets, issus de la division d'un bâtonnet primitif,
pour se diviser à leur tour. En calculant sur cette base, un élément qui trouverait réu-
nies de bonnes conditions de milieu et n'aurait à subir aucune influence mauvaise, arrive-
rait à en produire, au bout de trois jours, quatre mille sept cent soixante-douze billions,
D'après les évaluations de Buchner, le bacille virgule du chtdéra met, pour se diviser,
de 19 à 40 minutes; en moins de 10 heures, un seul élément pourrait en engendrer un
milliard. Heureusement pour l'homme, cette fécondité se trouve enrayée à chaque
instant, par des conditions très diverses.
La reproduction par spores s'observe surtout quand les conditions de milieu devien-
nent moins favorables à la vie de l'espèce. Pour résister à ces circonstances qui feraient
périr les éléments végétatifs ordinaires, il se forme dans les cellules, par condensation
du protoplasme, des éléments résistants, capables de traverser les périodes mauvaises
et de donner des éléments nouveaux quand la vie devient à nouveau possible, ce sont
les spores. A l'inverse des éléments végétatifs ordinaires, la spore semble avoir besoin,
pour se développer, d'arriver dans un milieu nouveau, même alors que celui où elle
s'est formée contiendrait encore en suffisance les substances nécessaires à la vie de
l'espèce. Les spores sont d'ordinaire sphériques ou ovalaires, très réfringentes, munies
d'une membrane épaisse. La partie de l'élément oîi la spore s'est formée ne se dis-
tingue pas du reste ou se renfle plus ou moins pour la contenir.
BACTÉRIES. 1013
Le caractère principal de la spore est sa résistance à des conditions de vie que les
simples cellules végétatives ne pourraient pas supporter sans périr. Beaucoup subissent
des températures supérieures à 100° sans perdre leurs facultés germinatives. La priva-
tion prolongée de nourriture, le manque d'oxygène, la dessiccation, bien des actions
cbimiques ou pbysiques, qui tuent les cellules végétatives, sont sans effet sur les spores.
On croit que cette résistance très grande est due à l'exlrême cohésion de la membrane.
Chamberlaind et Roux ont réussi à faire perdre au bacille du charbon la propriété de
produire des spores en faisant agir sur cette espèce une solution faible de bichromate
de potasse. Cette sorte de race «sporoseîie conserve cependant- toutes les autres pro-
priétés physiologiques de l'espèce.
Conditions de vie des bactéries. — Si les particularités morphologiques que
présentent les bactéries, sont curieuses à connaître et peuvent donner parfois de pré-
cieuses indications à l'observateur, leurs conditions de vie, les diverses manifestations
qui en résultent, ont un intérêt beaucoup plus grand pour le physiologiste. A un point
de vue général d'abord, il est bien des côtés communs à la vie de tous les éléments cellu-
laires, à quelque degré de complication organique qu'ils appartiennent, et bien souvent
alors il peut être plus facile d'étudier certains phénomènes vitaux chez les êtres simples
où l'élément en ^question s'isole facilement, que de s'adresser aux êtres plus élevés où
il est difficile de faire la dissociation physiologique nécessaire. L'intérêt est peut-être plus
grand encore à un point de vue tout à fait spécial, à cause de la portée pratique des
conséquences qui en découlent, et ceci surtout pour le médecin qui étudie les espèces
nuisibles à l'honime; car on peut dire que la physiologie de ces bactéries est véritable-
ment la pathologie de l'homme. Nombreux points de la pathogénie des maladies infec-
tieuses n'ont pu être élucidés que par la connaissance de la physiologie des microbes.
Les phénomènes vitaux de ces organismes ont expliqué leur manière d'être dans le
milieu extérieur, les moyens de contamination, leur mode de pénétration dans l'orga-
uisnie. Il a, dès lors, été possible d'instituer une prophylaxie et une thérapeutique ration-
nelles de ces affections.
Le rôle que jouent ces êtres dans la nature est immense. D'une façon générale, ce
sont les gi'ands destructeurs de la matière organique morte, des substances usées par la
vie des êtres plus élevés, animaux ou plantes vertes, toutes substances qui, sans eux,
seraient immobilisées dans cet état, sans possibilité de retour dans le tourbillon vital.
Les bactéries décomposent ces produits souvent complexes, en des composés plus simples
dont les principaux sont l'acide carbonique et l'ammoniaque, facilement assimilables
par les végétaux à chlorophylle; elles sont sous ce rapport les compléments obligés de
l'énergie solaire.
Nutrition des bactéries. — Au premier rang des besoins vitaux des bacléries
doivent se placer les fonctions de nutrition. Toute cellule vivante doit avoir à sa portée
de quoi fournir à l'énergie qu'elle dépense, de quoi compenser les pertes occasionnées
par les actes vitaux, autrement dit les aliments qui lui sont nécessaires. Pour tous les
êtres vivants, ces aliments doivent nécessairement renfermer les corps simples qui
entrent dans la constitution du corps cellulaire.
On ne connaît pas encore d'une façon suffisamment complète la composition chi-
mique des bactéries. La raison en est dans les difficultés que présente ce genre de
recherches, où le point le plus délicat est d'obtenir une masse assez forte de bactéries
absolument exempte d'impuretés, dépourvue particulièrement de toutes traces de
milieu nutritif. Ce que l'on en sait permet cependant d'affirmer qu'on y rencontre des
composés ternaires, des matières grasses, des substances azotées, des sels et de l'eau.
D'après les analyses de Nencri et de Briecer, l'eau se rencontrerait dans la proportion
de 8.3 à 85 p. 100. Le résidu sec serait riche surtout en matière azotée, comprenant prin-
cipalement une albumine spéciale que jNencki nomme mycuprotéine ; il en existe en
moyenne 86 p. 100. Cette mycopi'otéine se distingue des autres matières albuminoïdes
par sa faible teneur en azote. i\e se dissolvant pas complètement dans l'eau, elle préci-
pite par l'ébuUition, puis se redissout même à chaud par addition d'acide nitrique
étendu. En la traitant par le sulfate de cuivre et la lessive de soude, on obtient, déjà à
froid, la réaction du biuret.
Les matières grasses se trouvent en proportions très variables, de 2 à 8 p. 100; qlles
1014 BACTERIES.
semblent être plus abondantes lorsqu'il }' a eu formation de spores. Les composés ter-
naires n'existent généralement qu'en très petite quantité, formant probablement la
majeure partie d'un résidu de 2 à o p. 100 dont la nature est encore peu déterminée. On
a signalé chez quelques espèces de la cellulose, entrant probablement dans la constitu-
tion de la membrane; toutefois Vandevelde et Vincenzi n'ont pas rencontré de cellulose
chez le Bacillus mhtilis, où la substance de la membrane serait un corps azoté. Il existe
chez certaines espèces, Bacillus butyricus, Spirillum nigula, de la matière amylacée qui
bleuit nettement par l'iode, mais n'apparait dans les éléments qu'au moment de la for-
mation des spores. On obtient, en cendres, de .3,04 à 4,72 p. 100, du résidu sec; les sels
dominants seraient, d'après Brteger qui a opéré sur le Pneumo-bacille de Frieblander,
le pbospbate de chaux, le chlorure de sodium, le sulfate de soude et le phosphate de
magnésie. Outre l'eau et les sels, que les bactéries trouvent abondamment dans le milieu
extérieur, les éléments chimiques qui dominent sont donc le carbone, l'hj-drogène,
l'oxygène et l'azote. Ils doivent forcément se trouver dans les aliments.
A part des cas spéciaux que nous étudierons tout à l'heure, les bactéries, comme
tous les êtres vivants, ont un besoin absolu d'oxygène; elles doivent respirer. Elles
peuvent prendre ce gaz dans l'air, libre ou dissous dans les milieux où elles vivent, ou à
l'état de combinaison faible avec d'autres substances qui en sont avides, tout comme les
différentes cellules du corps de l'homme qui respirent en enlevant l'oxygène à l'oxyhé-
moglobine du sang. Duclaux le démontre par une élégante expérience. Si l'on colore du
lait en bleu, à l'aide de quelques gouttes de carmin d'indigo, et qu'on y sème des bac-
téries communes de l'air ou de l'eau, on verra le liquide se décolorer au fur et à mesure
du développement des organismes dans sa masse; le carmin d'indigo est réduit par les
bactéries qui lui prennent son oxygène. En agitant le liquide en présence de l'air, la
coloration bleue réapparaît, indice de la pénétration d'oxygène. Dans le charbon des
animaux ou de l'homme, on attribue la teinte noirâtre du sang à la réduction de l'oxyhé-
moglobine parles bactéridies.
En examinant au microscope une goutte d'une macération de substances animales ou
végétales s'opérant à l'air libre où l'on trouve d'ordinaire de nombreuses bactéries
mobiles, il est facile de se rendre compte de ce besoin d'oxygène. Dans une telle prépa-
ration, on voit, au bout de très peu de temps, toutes les bactéries mobiles se rapprocher
des bords de la lamelle et s'y accumuler. En empêchant l'accès de l'air par un lut à la
cire on à la paraffine, ces bactéries s'amassent toutes autour des bulles d'air que peut
contenir le liquide; l'oxygène manquant bientôt, toutes ces cellules, très mobiles tout à
l'heure, tombent dans un état de mort apparente, qui sera bientôt suivie d'une perte
totale de la vie si la privation d'air continue.
Dans la préparation précédente, on peut cependant rencontrer des espèces, avides
d'air, que la présence d'oxygène en grande abondance parait gêner; ce sont sur-
tout des formes spiralées. Ces spirilles se tiennent toujours assez loin des bulles d'air au
début, évitant leurs abords immédiats où la tension de losygène est trop forte pour eux;
ils ne s'en rapprochent qu'au fur et à mesure de la consommation de ce gaz par les
autres bactéries. Nous verrons plus loin qu'à une forte tension, l'oxygène est capable de
faire périr les bactéries les plus résistantes.
Les spores de toutes ces espèces peuvent supporter impunément et pendant longtemps
la privation absolue d'oxygène. Pour germer toutefois, elles ont besoin de ce gaz.
Engelmann a donné une excellente preuve de l'avidité pour l'oxygène, que possèdent
-certaines espèces. En faisant tomber un spectre microscopique à l'aide d'un appareil
spécial, son microspectral-objectif que construit Zei<s, sur un filament de ces algues
vertes quol'on trouve communément dans l'eau, on voit les bactéries en suspension dans
le liquide se masser en deux points contre le filament vert. Le plus fort amas est dans le
rouge, entres les raies B et C de Fracxhofer; on trouve un second groupement moins
considérable dans la partie la plus réfrangible au-delà de la raie F. C'est en effet à ces
deux endroits que se trouvent les bandes d'absorption du pigment chlorophyllien et où
se limite, dans le spectre, le mode d'activité de ce pigment, décomposition de l'acide
cai'bonique, fixation du carbone et dégagement de l'oxygène.
Cet oxygène sert ici, comme partout, à la production d'énergie par suite d'oxydation
de principes contenus dans le protoplasma. Le résidu de cette véritable respiration est
BACTÉRIES. 1015
de l'acide carbonique qui se dégage et dont la présence est toujours facile à constater,
et de l'eau, qui se mélange au milieu ambiant.
A côté de ces espèces qui, comme tous les êtres vivants des antres groupes, ont un
besoin absolu d'oxygène libre pour vivre, ces aérobics, comme les a nommés Pasteur, il
s'en trouve d'autres qui peuvent très bien végéter sans lui. La présence de ce gaz entrave
leur développement, l'ai-rête même complètement et va jusqu'à faire périr toutes les
cellules végétatives sur lesquelles il peut agir. Ce sont ces formes que Pasteur a appe-
lées aîia^ro&zes. Le type en est son Vibrion butyrigiie,' agent de la fermentation butyrique
type. Cette fermentation butj-rique s'observe fréquemment aux dépens des hydrocarbo-
nés. Certains sucres, la glycérine, les lactates alcalins la subissent fréquemment. Elle
ne se produit qu'en l'absence d'oxygène, obtenue soit directement par diverses méthodes
employées dans les laboratoires, soit indirectement par suite de l'absorption de la tota-
lité de ce gaz contenu dans le milieu par la vie antérieure d'espèces aérobies. On l'ob-
serve fréquemment dans le lait qui a subi la fermenlation lactique et où l'excès d'acide a
été neutralisé par addition de craie ; elle s'y produit aux dépens du lactate de chaux
formé. Tout l'oxygène du liquide a été bientôt enlevé par la vie du bacille de la fermen-
tation lactique, espèce nettement aérobie ; il ne reste plus de bactéries de cette espèce
que dans les couches surperficielles du liquide où l'oxygène a facilement accès. Dans
les couches profondes, privées d'air, se développe alors l'autre espèce, manifestement
anaérobie, dont l'action sur le milieu est entièrement différente; on observe un dégage-
ment actif de bulles de gaz, que l'analyse montre être surtout de l'hydrogène, et on
perçoit une forte odeur d'acide butyrique.
En examinant rapidement au microscope une goutte de ce liquide en fermentation
butyrique, les phénomènes observés sont inverses de ceux que nous ont présentés les
aérobies. Les grands bâtonnets très mobiles qu'on y rencontre fuient les places où ils
peuvent être atteints par l'air qui diffuse aux bords de la lamelle; en ces endroits leurs
mouvements cessent; si le contact de l'air est prolongé, ils meurent. La vitalité ne con-
tinue à se montrer qu'au centre de la préparation, où l'oxygène pénètre difficilement.
Pour les observer assez longtemps, il faut user d'un artifice de préparation, les examiner
par exemple dans la chambre à gaz de Ranvier remplie d'un gaz inerte, acide carbo-
nique ou hydrogène; on peut alors suivre facilement les diverses phases de leur évolu-
tion.
Dans le même ordre d'idées, on voit s'arrêter la fermentation dans la masse du
liquide, dès qu'on 3' fait barboter de l'air.
Si les cellules végétatives des bactéries anaérobies sont si sensibles à l'action nuisible
de l'oxygène, il n'en est pas de même de leurs spores. Lorsque celles-ci sont formées,
elles peuvent supporter, sans en souffrir, le contact même prolongé de l'oxygène; peut-
être même ce contact est-il nécessaire à leur développement ultérieur, ce qui serait un
lien entre les aérobies et les anaérobies.
Les bactéries ne sont pas les seuls êtres qui présentent ces phénomènes de vie sans
air, bien qu'ils se rencontrent chez elles dans leur épanouissement le plus complet. Cer-
taines levures, des parties de végétaux supérieurs riches en matériaux de réserve,
peuvent, dans des conditions spéciales et pour un temps limité, vivre en anaérobies. Il
se produit alors toujours des phénomènes chimiques que l'on peut considérer comme
des fermentations; on retrouve souvent, en particulier, de l'alcool dans le milieu.
Bien qu'on ne puisse pas encore donner une explication décisive de ces phénomènes
de vie sans air, il semble qu'il y ait des liens intimes entre eux et la fernaentation qui
les accompagne. L'oxygène, que la majeure partie des êtres vivants absorbe à l'état
libre par la respiration, est destiné à produire, par sa combinaison avec certains ali-
ments, particulièrement les hydrocarbonés et les graisses, la somme d'énergie néces-
saire à l'accomplissement des divers actes vitaux. Si certains êtres peuvent trouver ail-
leurs le quantum d'énergie dont ils ont besoin, ils sont affranchis de l'obligation de
respirer; c'est ce qui arrive dans les fermentations, où l'énergie en excès, produite par
la dissociation du composant en des composés moins riches en chaleur latente, peut
même être perçue sous forme de chaleur. Duclaux estime que 100 grammes de sucre, en
se transformant en alcool et acide carbonique, dégagent dix fois moins de chaleur qu'en
subissant la combustion à l'air. L'énergie manquante est destinée aux actes vitaux du
i016 BACTERIES.
ferment qui vit en anaérobie. Ce qui raltaclie toutefois le processus vital de la vie sans
air à la vie aérobie, r.'est la formation d'acide carbonique dans les deux cas, ce qui
semble démontrer que le processus fondameutal est identique.
Entre les espèces qui ont un besoin absolu d'oxygène libre et les anàérobies vrais,
ou obligés, dont la vie ne peut se manifester en présence de traces minimes de ce gaz, il
existe, faisant en quelque sorte une transition, des espèces qui présentent sous ce rap-
port une indifférence assez complète. Elles se développent, peut-être au mieux, en pré-
sence de l'air, mais croissent également dans des milieux totalement dépourvus d'ox}*-
gène. On les désigne sous le nom à'anaérohies facultatifs.
Nous verrons plus loin les effets nuisibles que peut avoir sur la vitalité des bactéries
le contact de rox3'gène, soit prolongé, soit à une forte tension.
On ne connait encore que d'une façon approximative les subtances les plus favorables
à la nutrition des bactéries; du reste, bien que beaucoup de points soient sous ce rapport
communs à plusieurs espèces, il en est qui semblent posséder des besoins particuliers. A
l'instar des cbampignons, les bactéries, dépourvues de cblorophylle, ne peuvent, comme
les plantes vertes, retirer leur carbone de l'acide carbonique de l'atmosphère ; elles sont
obligées de le prendre à des composés complexes, formés par des êtres supérieurs. La
source en est, d'ordinaire, des substances ternaires, les sucres, les matières amylacées, la
cellulose, la glycérine, l'acide lartrique, etc. La plupart de ces substances, pour devenir
assimilables, doivent subir des modiflcations importantes, sous l'influence de produits
spéciaux, sécrétés par les cellules vivantes, qui seront étudiés plus loin.
Les matières albuminoïdes sont, sans contredit, la plus importante source d'azote
pour tous les microbes, et au tout premier rang celles qui sont très solubles et facile-
ment diffusibles, les peptones par exemple. Celles-ci paraissent être assimilées directe-
ment; les autres, pour servir à la nutrition, doivent être modifiées par avance à l'aide de
ferments particuliers, sécrétés par la cellule vivante et dont la production est en rapport
tellement direct avec la fonction nutritive qu'ils ne sont formés par les éléments qu'au
moment où ils sont nécessaires. Au second rang des substances azotées assimilables pour
les bactéries, viennent les sels ammoniacaux, et tout d'abord ceux à acide organique,
lactate et tartrate d'ammoniaque surtout. L'urée est une bonne source d'azote; certaines
espèces, les ferments de l'urée, semblant même en faire leur aliment de prédilection. L'as-
paragine, la leucine, la tyrosine, en fournissent aussi. C'est même grâce à la décompo-
sition de l'urée et de ces derniers corps par les bactéries que la majeure partie de l'azote
excrété sous ces formes par les êtres vivants peut rentrer dans la circulation vitale. Les
nitrates, principalement ceux de potasse et de soude, peuvent aussi servir à la nutrition
azotée, mais il faut qu'ils soient accompagnés d'une matière organique. Il peut en être
parfois de même pour l'urée; d'après Ch. Richet, le Micrococcus urex ne produit bien sa
fermentation de l'urée que lorsqu'il trouve des matières albuminoïdes dans la solution.
C'est peut-être pourquoi il n'y a fermentation ammoniacale dans la vessie que lorsqu'il
y a, dans l'urine, de la mucine ou de l'albumine provenant de l'inflammation de cet
organe. La petite quantité de matière albuminoïde est probablement nécessaire à la
production du ferment diastasique actif.
Il paraît bien démontré à l'heure actuelle que, dans des conditions déterminées, cer-
taines bactéries peuvent assimiler l'azote gazeux de l'atmosphère. Le phénomène ne se
produirait que dans les sols d'une certaine constitution et en présence de végétaux, d'une
série donnée. (Voir plus haut Azote, pp. 990. et suiv., les développements donnés à cette
importante question.)
L'hydrogène se trouve en abondance dans tous les composés ternaires et quater-
naires.
On ne connaît rien de positif sur le rôle des matières grasses dans la nutrition des
bactéries; les altérations qui accompagnent le développement de ces organismes dans
leur masse sont probablement dues uniquement à des actions secondaires.
Les bactéries ont en outre besoin d'éléments minéraux que nous avons vu exister en
quantité très notable dans leurs cendres. Les principaux sont le soufre, le phosphore, le
potassium, le calcium, le magnésium, le chlore; accessoirement le fer et le silicium.
La raison de l'importance de ces matières minérales dans la nutrition, ici comme
ailleurs, nous échappe. Et cependant, les belles recherches de R.4ulin sur le développe-
BACTERIES. 1017
ment de VAsperyillus niger, une des moisissures les plus communes, ont jeté une vive
lumière sur cette question. Comme les bactéries présentent, sous le rapport de la nutri-
tion, de très grandes affinités avec ces champignons inférieurs, il paraît très probable
qu'on peut leur appli(juer les résultats observés chez ces derniers. Celte moisissure,
très abondamment répandue dans la nature, envahit très vite les milieux nutritifs, sucrés
ou bydrocarbonés, un peu acides, les tranches de citron, le pain mouillé d'un peu de
vinaigre, par exemple. Ral'lin est arrivé, après de nombreux tâtonnements, à constituer
un milieu purement minéral où, les conditions de temps, de lumière, de température,
d'aération étant égales, la récolte de la plante est toujours supérieure en poids à celle
que fournit un milieu quelconque des milieux habituels. Ce milieu nutritif, connu sous
le nom de liquide Raulin, a la composition suivante :
Eau ° 1300
Sucre candi 70
Acide tartrique 4
Nitrate d'ammoniaque 4
Phosphate d'ammoniaque . ^ 0.60
Carbonate de potasse 0,60
— — magnésie 0,40
Sulfate d'ammoniaque 0,23
— de zinc 0,07
— — fer 0,07
Silicate de potasse 0,07
Si l'on vient à modifier la proportion de l'une des substances de cette liste ou à la
supprimer complètement, même pour celles qui n'entrent que pour une 1res faible pro-
portion, la récolte diminue dans des limites parfois très larges. Ainsi, la suppression du
sel de zinc, qui n'entre pourtant que pour 7 centigrammes dans cette solution, donne
une récolte qui ne représente en poids que le dixième de celle du liquide normal. Dans
un liquide sans potasse, la récolte tombe au vingt-cinquième de la normale; sans ammo-
niaque, au cent cinquantième; sans acide phosphorique, au deux centième. Cet effet du
zinc fait juger de suite de l'importance des composés minéraux dans la vie cellulaire,
sans qu'on puisse toutefois expliquer le rôle qu'ils jouent dans les réactions vitales.
Les bactéries peuvent parfaitement vivre dans des solutions purement minérales, à
la condition qu'elles y trouvent, à l'état assimilable pour elles, les éléments dont elles
ont besoin; elles y prospèrent cependant moins bien que lorsqu'elles ont des albuminoï-
des à leur disposition. La liqueur de Cohn a été longtemps en faveur; sa composition est
la suivante ;
grammes.
Eau distillée 200
Tartrate d'ammoniaque 2
Phosphate de potasse 2
Sulfate de magnésie 1
Phosphate tiibasique de chaux 0,1
Il faut toutefois reconnaître que de telles solutions sont, en général, peu propices au
développement des bactéries; beaucoup d'espèces ne peuvent même pas y vivre ;les levu-
res et les moisissures s'en trouvent mieux et y prospèrent. De tels milieux nutritifs, de
composition chimique bien déterminée, peuvent cependant rendre de grands services
dans des cas particuliers, par exemple pour l'étude des produits dérivés de l'action
vitale des êtres que l'on peut y faire vivre; les recherches ne sont pas troublées par la
présence de substances de composition variable ou problématique comme celle de beau-
coup de corps organiques.
Enfin, il est des espèces dont le développement ne se fait pas, dans les milieux de
culture artificiels, en présence de matières organiques même en faibles proportions. Les
Nitromonàdes, étudiées par Winogr.adsky, qui déterminent la nitrification des produits
ammoniacaux dans le sol, sont dans ce cas. Il n'est possible de les isoler et de les culti-
ver qu'en employant des milieux de culture absolument dépourvus de substances orga-
niques.
1018 BACTERIES.
Le choix des aliments exerce une grande influence sur le développement de bien des
espèces. En général, plus un milieu est nutritif pour une espèce, plus elle y prospère, les
autres conditions étant égales. On doit même pouvoir arriver à obtenir une multiplica-
tion plus active par addition de certaines substances en proportions très minimes; le zinc
du liquide B.AVLIS en est la preuve.
Lorsqu'une espèce trouve réunies, dans le milieu où elle évolue, plusieurs substances
alimentaires qui peuvent servir à sa nutrition, elle ne s'adresse pas, au hasard, à la pre-
mière venue, mais toujours à celle qu'elle assimile le plus facilement, celle qui lui
demande le moins de travail; Ce n'est qu'alors que ce premier aliment est épuisé, qu'elle
s'attaque à un autre de digestion moins aisée. Ainsi, quand on donne au bacille de ta
fermentation butyrique à la fois du sucre et de la cellulose, il consomme d'abord tout le
sucre, et, plus tard seulement, attaque la cellulose qu'il est forcé de modifier profondé-
ment pour s'en nourrir. De même, pour la plupart des espèces, dans un mélange d'albu-
minoïdes et de matières ternaires, ce sont les premiers de ces éléments qui servent de
préférence aux autres.
Il est rare que les bactéries trouvent, dans les milieux naturels où elles vivent, leurs
aliments sous une forme directement assimilable. Elles doivent, le plus souvent, les
modifier d'une façon plus ou moins profonde. Certaines de ces substances nutritives sont
solides et insolubles, l'amidon, la cellulose, l'albumine, la fibrine. D'autres, bien qu'en
dissolution, ne peuvent être assimilées qu'après un changement d'état; le sucre de canne
par exemple a besoin d"être interverti. Ces transformations s'opèrent sous l'influence de
principes spéciaux, produits par la cellule vivante au moment du besoin, véritables fer-
ments solubles, auxquels on donne le nom général de diastases. Les conditions de nutri-
tion des bactéries sont, de ce côté, identiques à celles des êtres supérieurs.
Les bactéries qui attaquent l'amidon le saccharifient à l'aide d'une diastase spé-
ciale, Vamylase, tout comme la plante qui redissout l'amidon emmagasiné dans ses ré-
serves, l'embryon qui germe dans la graine, ou l'animal qui le digère à l'aide de son pan-
créas. Huppe a signalé l'amylase chez le bacille de la fermentation lactique; Wortmann a
pu isoler d'une culture de bactéries de putréfaction de matières amylacées un ferment
soluble sacchariflant très promptement l'amidon ; Vignal a reconnu cette propriété à
plusieurs des espèces qui vivent en commensales dans la bouche de 'l'homme et au x-
quelles on peut rapporter une partie, mais une partie seulement, l'action saccharifiante
de la salive.
Le sucre de canne et le sucre de lait ne peuvent servir directement aux échanges
nutritifs des animaux ou des plantes. Pour pouvoir les assimiler, l'animal les intervertit
à l'aide de rinversine que sécrète son intestin. Les plantes qui ont du sucre cristallisable
dans leurs réserves, la betterave, la canne à sucre par exemple, produisent, au moment
où elles doivent l'utiliser, une diastase spéciale, la sucrase, qui le transforme en sucre
interverti, mélange de glucose et de lévulose, directement assimilable. C'est ce que fait
aussi la levure de bière lorsqu'on lui donne du sucre de canne comme aliment. C'est ce
que doivent faire les nombreuses espèces de bactéries pouvant vivre de sucre cristallisa-
ble. La sécrétion de sucrase a déjà été reconnue par Huppe chez le bacille de la fermen-
tation butyrique et le bacille de la fermentation lactique ; Vigt^xi, signale plusieurs bactéries
de la bouche, entre autres le Bacillus subtilis, qui intervertissent rapidement le sucre de
canne.
La cellulose même, si réfractaire aux sécrétions digestives de la plupart des animaux
supérieurs, peut être transformée en matière sucrée, et dissoute par une diastase,
non encore isolée, que sécrètent, entre autres bactéries, le bacille butyrique et le Spiril-
lum rugula. Ce ferment soluble n'agit pas sur toutes les variétés de cellulose. Il attaque
surtout facilement la cellulose des membranes végétales jeunes; celles qui ont été dur-
cies par l'âge ou l'incrustation lui résistent, aussi bien que celle des plantes aquatiques.
Les plus intéressantes de ces modifications sont sans contredit celles qui portent sur
les substances albuminoïdes. Comme partout, pour entrer dans la nutrition des bactéries,
elles doivent subir une transformation complexe, devenir solubles et se changer, en
s'hydratant, en des produits dialysables, non coagulables par la chaleur, auxquels on
donne le nom général de pepiones. Cette transformation peut s'opérer sous l'influence
d'un seul ferment diastasique très voisin de la pepsme ou identique à elle, ou sous l'ac-
BACTERIES. 1019
tion successive de plusieurs de ces diastases, opérant les unes après les autres de telle
sorte que la précédente prépare l'action de la suivante et lui est nécessaire pour déter-
miner ces effets spéciaux. Un grand nombre de bactéries possède la propriété de
transformer les albumines en peptones. Elle existe, en particulier, très marquée chez les
espèces qui occasionnent les putréfactions des matières animales. La putréfaction, dnns
ce cas, débute toujours par une peptonisalion ; avant l'apparition des phénomènes putri-
des proprement dits, caractérisés surtout par l'apparition de gaz fétides, le milieu est
si riche en peptones que l'on peut facilement en retirer par l'ébullition et l'évaporation
après flitration. Cette peptonisalion s'accomplit bien certainement toujours sous l'in-
fluence de diastases sécrétées par les bactéries. On a pu, pour quelques espèces, isoler
ces ferments solubles qui se rapprochent de la pepsine par leur action.
La liquéfaction de la gélatine, phénomène qui a son importance dans la pratique des
cultures, est une véritable peptonisalion, Rietsch en a isolé le ferment dont il a reconnu
la présence chez toutes les espèces, liquéfiant la gélatine, qu'il a examinées; il manquait
au contraire chez les espèces ne liquéfiant pas, le bacille typhique et le bacille tuberculeux
par exemple. Il est probable qu'il existe plusieurs sortes de ferments solubles dans ce
même groupe; ils semblent se rapprocher plutôt de la trypsine du pancréas ou de
la papaïne, en ce qu'ils sont surtout actifs dans un milieu alcalin ou neutre.
Dans SCS études si complètes sur le lait, Duclaus a démontré la production par cer-
taines bactéries, agents de la fermentation de la caséine, les Tyrolhrix, comme il les
nomme, d'une diastase spéciale, lacasease. Cette caséase n'attaque que la caséine coagulée.
La précipitation se produit sous l'influence d'un autre ferment soluble, la présure, qui se
trouve sécrétée côte à côte avec la caséase par les bactéries de la fermentation de la
caséine. Quelques espèces ne produisent que de la présure, le bacille de la fermentation
lactique par exemple; la coagulation du lait se fait alors sous son iniluence; mais le
coagulum reste inattaqué, si d'autres espèces n'interviennent pas. Ces phénomènes de
la digestion de la caséine par les microbes sont, on le voit, identiques à ceux qui se
passent dans l'estomac du jeune mammifère en lactation; la caséine pour être digérée
a également besoin d'être précipitée par avance au moyen d'une présure semblable à
celle produite par les bactéries, que l'organe sécrète en abondance à ce moment.
C'est encore une diastase, sécrétée par le Micrococcus urese et d'autres bacilles de
même action bien étudiés par Miquel, qui produit la transformation de l'urée en
carbonate d'ammoniaque. Cette urase a été isolée par Musculus, et sa production par
la bactérie a été mise hors de doute par les recherches de Pasteur et Joubert.
La production de ces ferments diastasiques n'est pas obligée dans la vie du
microbe; elle ne s'opère que si les besoins nutritifs l'exigent. Si l'espèce trouve à sa
portée des matériaux directement assimilables, elle s'en sert sans sécréter le ferment
alors inutile.
Une même espèce peut, du reste, parfois produire, suivant les besoins, plusieurs
de ces diastases. D'après Fermi, le Bacillus megaterium pourrait sécréter du ferment
protcolytique, de l'amylase et du ferment inversif, suivant qu'on lui offre, comme
milieu, de l'albumine, de la matière amylacée ou du sucre de canne.
-Parmi les conditions que doit remplir un milieu pour être propice au développe-
ment des bactéries, la réaction de ce milieu a une grande importance. En général,
ces êtres ne se développent bien que dans un milieu neutre ou légèrement alcalin,
à l'inverse des moisissures qui se plaisent surtout dans les milieux acides. Il est
cependant des espèces qui végètent abondamment dans les milieux acides, par exemple
les divers ferments acétiques.
D'ordinaire, lorsque, pour une raison ou pour une autre, un milieu n'est pas très
apte au développement d'une espèce, mais lui permet quand même de végéter, ou se
trouve épuisé par elle, cette espèce y vit mal, péniblement; ses caractères habituels,
ses propriétés physiologiques mêmes se modifient, souvent profondément. Sa forme
normale change, on observe la production d'éléments tout à fait différents, par-
fois véritablement monstrueux; c'est ce qu'on appelle formes d'involution. Ces formes
variées ne jouissent d'aucune stabilité, mais font très vite retour à la forme normale
lorsque les conditions défavorables cessent d'agir.
S'il fallait s'en rapporter au hasard des circonstances, il serait bien rare et bien
1020 BACTERIES.
difficile de pouvoir se faire une idée un peu complète des conditions biologiques et
des propriétés physiologiques des espèces. L'observateur qui veut étudier une espèce,
a grand avantage à l'isoler, à la faire vivre à part, à l'abri des influences défavorables
à sa vie, en lui fournissant des aliments qui lui conviennent. Il lui est alors facile
d'obtenir des notions exactes sur les phénomènes produits, sur l'action des dilTérents
agents qu'il peut employer, assuré dès lors que les résultats ne seront pas troublés par des
inconnues de milieu ou par des interventions étrangères. On a donc cherché à faire vivre
les bactéries dans des milieux nutritifs artificiels; c'est le procédé des cultures.
En tenant compte des besoins nutritifs qui viennent d'être étudiés, ou est parvenu
à constituer un certain nombre de milieux de culture où peuvent vivre la plupart des
espèces connues. Ces milieux sont : les uns liquides, les autres solides. Les premiers'
sont une simple solution de principes nutritifs dans l'eau. Le type en est le bouillon de
viande. Les seconds sont surtout des gelées à base de gélatine ou de gélose, auxquelles
on a au préalable ajouté les aliments les plus favorables, sous forme de peptones, de
sucres, de sels minéraux. Il faut se rappeler que ces milieux doivent être neutres ou légè-
rement alcalins. A l'aide de procédés divers, mis en œuvre dans les laboratoires, il
est possible d'isoler les espèces bactériennes, qui, très souvent, se rencontrent en
mélange dans la nature, et obtenir alors des cultures pures où se manifestent, d'une
façon certaine, les caractères propres à chacune d'elles.
Autres conditions de vie. — Influence des agents chimiques. — Les conditions
d'aliment ne sont pas les seules qui aient une action directe sur la vie des bactéries;
ces organismes sont, au même titre que les autres êtres vivants, soumis à l'influence des
diverses conditions des milieux où ils vivent et peuvent voir leurs propriétés se modifier
lorsqu'ils s'y trouvent en présence de différents facteurs, composés chimiques ou agents
physiques. Il est, pour elle, des substances et des conditions favorables à l'accroisse-
ment, d'autres qui entravent leur multiplication ou suppriment même complètement la
possibilité de vivre.
Nous avons vu que l'oxygène libre était nécessaire à un grand nombre d'espèces,
les plus nombreuses probablement, les aérobies. En l'absence de ce gaz, elles ne mani-
festent aucun développement. Il paraît cependant leur nuire dans certaines conditions.
Ainsi DucLAUx a reconnu que bien souvent, quand une bactérie a épuisé son milieu
nutritif, si elle trouve de l'oxygène en abondance, elle s'affaiblit peu à'peu et périt même
toutefois au bout d'un temps très long. Par contre, si elle n'a à sa disposition qu'une
minime quantité de ce gaz, sa vitalité se conserve bien plus longtemps que dans le
premier cas.
Pendant cette diminution de vitalité, les différentes fonctions sont atteintes et baissent
successivement, entre autres la virulence, que l'on voit diminuer graduellement, s'rtfiéiu/er,
comme on dit, pour arriver à disparaître même entièrement. C'est ce que Pasteur a
observé le premier en laissant vieillir à l'air des cultures du Micrococcus du choléra des
poules, alors que d'autres cultures toutes semblables de la même bactérie, maintenues
à l'abri de l'air, conservaient indéfiniment leur virulence initiale.
Cet elfet atténuateur de l'oxygène parait n'avoir d'action que sur les éléments végé-
tatifs. Les spores résistent, et conservent la faculté de germer même après un temps
très long. C'est la raison pour laquelle, lorsqu'on veut obtenir, par l'action de l'air, des
cultures à virulence atténuée pour les vaccinations, il est nécessaire d'empêcher la pro-
duction des spores, lorsque la bactérie peut en former dans les conditions où elle se
trouve. Pasteur et ses savants collaborateurs Chamberland et Roux sont parvenus à le
faire pour le Bacille du charbon, en le cultivant dans des bouillons à une température
de 420-43''. A cette température, en efîet, le développement est encore abondant; mais
la formation de spores est arrêtée.
Ce que fait à la longue l'oxygène de l'air dans les conditions ordinaires, l'oxygène
sous pression le produit en très peu de temps. P. Bert a démontré que l'oxygène,
comprimé à 8 ou 10 atmosphères, arrêtait rapidement la fermentation et la putréfaction.
Les cellules végétatives sont tuées; mais les spores, comme l'a montré Pasteur à propos
du charbon, résistent pendant un temps très long.
ScouTETTF.N, ayant annoncé que la viande putréfiée perdait son odeur dans une atmo-
sphère ozonisée, on attribua bien vite à l'ozone un pouvoir antiseptique que n'ont pas
BACTERIES. 1021
confirmé les recherches récentes de Son.ntag el de Christmas. D'après ce dernier cepen-
dant, il est loin d'être tout à fait inactil', car il suffit de un dizièrae de volume d'ozone
pour cent dans l'air pour arrêter le développement des germes sur la surface des
objets placés dans une telle atmosphère. A cette dose l'air est très odorant et irrespirable.
Au-dessous de la proportion indiquée, on n'observe plus aucun effet. D'Arsonval et
Charkin assurent cependant que l'ozone, même très dilué, modifie la vitalité de certains
microbes, le Bacille pijocyanique, entre autres, auquel il fait perdre en grande partie
son pouvoir cbromogène.
L'hj'drogène et l'azote semblent n'avoir aucune action sur les bactéries. Aussi est-ce
à eux, au premier surtout, à cause de la facilité plus grande de sa préparation, que
l'on doit s'adresser lorsqu'on veut obtenir une atmosphère inerte, pour la culture' des
anaérobies par exemple.
D'après Kolbe, l'acide carbonique peut empêcher pendant longtemps la putréfac-
tion de la viande. On l'emploie, du reste, comme agent conservateur des viandes
fraîches. Sa présence, en proportions un peu forte, paraît nuisible au.x. aérobies. D'après
D'Arsonval, sous une forte pression, l'acide carbonique est un antiseptique puissant;
une pression de 90 atmosphères détruit tous les germes vivants. Des expériences
récentes de Sabhazés et Bazin, il ressort au contraire que des pressions d'acide carbo-
nique, égales et même supérieures à 90 atmosplières, ne détruisent ni le staphylocoque
doré ni la bactéridie charbonneuse et n'iutlueut point sur la virulence de cette der-
nière.
Il est de nombreuses bactéries qui ne manifestent aucun développement dans l'acide
carbonique; le Bacille du charbon, le Spirille du choléra sont du nombre. D'autres, qui
paraissent anaérobies facultatifs, y vivent bien, tout en se développant plus lentement;
c'est le cas du Bacille typhic/iw, du Bacille du côlon, du Bacille de Friedlànder. Nourry et
Michel, étudiant l'action de l'acide carbonique sur le lait, ont observé que ce gaz ne tue
pas les micro-organismes, mais qu'il en retarde seulement le développement. FbaiNKEL el
San Felice ont vu les spores du Vibrion scptique et du Bacille du charbon symptomatique
résister à l'acide carbonique, mais ne pas pouvoir germer en sa présence.
L'oxyde de carbone, d'après les recherches de Frankland, retarderait considérable-
ment le développement du Bacille pyocyanic^ue, du Spirille du choléra et du Spirille de
Flngkler. Le protoxyde d'azote aurait à peu prés les mêmes effets.
D'assez nombreuses bactéries peuvent vivre et prospérer dans des milieux contenant
de fortes proportions d'hydrogène sulfuré. Dans les putréfactions de matières animales,
il se trouve des espèces qui développent, aux dépens du soufre des albuminoïdes du
milieu, des quantités assez fortes de ce gaz pour le rendre très nettement perceptible à
l'odorat. Si l'on vient à ajouter à de telles cultures, celles de Proteus vulgarig par exem-
ple, de la fleur de soufre lavée, on obtient souvent des flots d'hydrogène sulfuré. Malgré
cela, le développement se poursuit très bien. Miquel a rencontré en abondance, dans les
eaux d'égout et dans certaines eaux potables, une bactérie, qu'il appelle Bacillus iulfhy-
drogemis, qui s'attaque à l'albumine insoluble, la détruit lentement et élimine la majeure
partie de son soufre à l'état d'acide sulfhydrique libre. En quarante-huit heures, dans
une culture de quatre litres d'eau bouillie additionnée de tartrate d'ammoniaque et d'un
excès de soufre, on observe la transformation d'un gramme de soufre. Lorsque l'hydro-
gène sulfuré a cependant atteint une certaine tension, il devient toxique pour la bactérie ;
en le chassant par un courant d'acide carbonique, la réaction continue. Dans tous les
milieux oti cet organisme trouve du soufre à l'état libre ou en combinaison avec des
matières plastiques, il produit de l'hydrogène sulfuré ; par contre, il ne s'attaque jamais
aux sulfates. Cette production d'hydrogène sulfuré par les espèces que nous venons de
citer, n'est du reste pas un phénomène direct ; c'est, il semble, au contraire, une réaction
secondaire provenant de l'action sur le soufre, libre ou faiblement combiné, d'hydrogène
naissant dérivant de la nutrition du microbe. Dans un milieu dépourvu de soufre, ces
espèces donnent, en effet, comme produits de dénutrition, de l'acide carbonique et de
l'hydrogène. L'hydrogène sulfuré, très toxique pour les plantes vertes, l'est bien moins
ici à cause de l'absence de chlorophylle, sur laquelle se porte surtout son action nuisible.
Le gaz ammoniaque parait plus nuisible encore. D'après Rigler, le Spirille du choléra
et le Bacille typhique, exposés aux vapeurs d'ammoniaque, sont tués après deux heures :
1022 BACTERIES.
le Bacille du charbon et ses spores après trois heures, le Bacille de la diphtérie après
quatre heures. Aussi ne doit-on pas s'étonner de voir, chez les espèces qui produiseut de
l'ammoniaque dans leurs cultures, le développement s'arrêter assez tôt si l'alcali ne se
trouve pas neutralisé ou soustrait presque à mesure de sa production.
Les anesthésiqubs, chloroforme ou éther, n'ont pas sur ces cellules d'action bien
énergique. L'activité vitale est ralentie, et, par suite, ses manifestations. Mais de hautes
doses même n'arrivent pas à la suspendre complètement. Jalan de la Croix n'a pas
réussi à rendre stériles des bouillons additionnés de fortes proportions de chloroforme.
Les substances chimiques qui entravent ou arrêtent le développement des bactéries
dans un milieu propice, inerte ou vivant, sont nombreuses. On leur donne le nom général
d'Antiseptiques (V. ce mot).
Parmi les plus notables influences auxquelles se trouvent soumises les bactéries,
dans les milieux de cultures ou les milieux naturels, se trouvent les agents atmosphé-
riques, température, lumière, électricité et magnétisme, dessiccation, pression, agitation.
L'action considérable qu'ils peuvent exercer sur le développement et les manifestations
de diverses fonctions explique le haut intérêt de leur étude spéciale. On peut tout résu-
mer en disant que dans l'air il existe de nombreuses causes qui semblent concourir à un
même but, la diminution de la vitalité des bactéries, à leur atténuation.
Influence de la température. — Parmi les causes qui agissent sur le développe-
ment, se trouve, au premier rang, la température.
Il existe pour les bactéries une limite de température inférieure, un minimum et une
supérieure, un maximum. Au-dessous de la première et au-dessus de la seconde, tout
développement s'arrête, la mort peut même survenir, beaucoup plus facilement toute-
fois dans le second cas que dans le premier.
Beaucoup de bactéries peuvent supporter sans périr un froid très intense. Pasteub
avait annoncé, en 1860, que ces germes résistaient très bien à un froid de — 30°. Frisch a
pu abaisser la température d'un liquide, où plusieurs espèces de bacilles pullulaient et
avaient formé des spores, jusqu'à — HO" sans les tuer, en prenant la précaution de ne
les faire revenir que lentement à la température ordinaire. Le degré de résistance paraît
du reste varier suivant l'espèce sur laquelle on expérimente. Ainsi Gibier a pu soumettre
des cultures de £actHe du charbon et du Vibrion scptique à un froid de — 45° pendant
cinq heures sans leur faire perdre leur virulence ; par contre, il a remarqué que le
Microcoque du choléra des poules ne résistait jamais à une température de — 35°. Les
expériences de Pictet et Yung fournissent des résultats plus précis. A l'aide de procédés
spéciaux, ils ont soumis des espèces bien déterminées, en cultures pures, à des tempé-
ratures très basses, maintenues pendant un temps assez long. Après avoir fait agir un
froid de — 70° pendant cent huit heures et un de — 130° pendant vingt heures, ils ont
observé les faits suivants. Une culture de Bactéridie charbonneuse, ne renfermant que
des spores, garde toute sa virulence ; par contre, du sang charbonneux devient tout à fait
iuofïensif. Le Bacille du charbon symptomatique conserve son pouvoir pathogène. Les cul-
tures de Bacillus subtilis et de Bacillus ulna ne perdent rien de leur vitalité. Dans des
colonies de Microccus luteus et d'un Microcoque blanc abondant dans l'air, la plupart des
éléments sont morts; quelques-uns cependant ont résisté. La lymphe vaccinale d'un veau,
soumise aux mêmes actions, a donné quand même, après inoculation, des pustules
caractéristiques. Il semble ressortir de ces expériences, qu'ibexiste une différence entre
la résistance des spores et celle de la simple cellule végétative; il se pourrait, par
exemple, que le degré de résistance d'une espèce pour ces températures extrêmes fût
en raison directe de la résistance de sa spore. On peut eu tout cas en induire que beau-
coup de bactéries résistent à des froids intenses.
On ne doit dès lors pas s'étonner de voir que la plupart des espèces supportent sans
périr les froids modérés. Ici, les expériences sont plus précises et présentent un beaucoup
plus grand intérêt pour l'hygiéniste, qui doit savoir en quoi il peut compter sur les cir-
constances naturelles pour combattre le développement de certaines espèces dangereuses
pour l'homme. Or il a été prouvé, dans ces dernières années, que des températures peu
inférieures à 0° n'avaient que très peu d'effet sur les bactéries. L'analyse bactériologique
d'échantillons de glace y a révélé la présence d'un grand nombre de bactéries, lorsque
la glace provenait d'eaux impures. La glace peut donc transmettre des germes patho-
BACTERIES. 10^23
gènes, tout comme l'eau dont elle provient. Bordoni, Budjwid, Frankel ont trouvé des
bactéries dans la f^rèle ; JanowskI, dans la neige. Maintenues longtemps à ces tempéra-
tures, certaines espèces semblent disparaître peu à peu, d'autres supporter la congé-
lation pendant un temps assez long. Mitchell a. remarqué que le Staphylocoque duré et
le Bacille typhique résistaient parfaitement à cent trois jours de congélation. Par contre,
le Micrococcus prodigiosus et le Protcus vulgaris périraient après cinq jours de congélation.
La conclusion à tirer de ces observations et des recherches de Fhankel et de Prudden
est qu'une congélation, même prolongée, ne tue pas la plupart des bactéries, et ne
fait qu'enrayer leur développement qui reprend aussitôt qu'est atteinte une tempé-
rature suffisante ; un froid prolongé peut cependant en diminuer considérablement le
nombre.
La température la plus basse à laquelle peuvent croître les bactéries, le minimum,
paraît être très variable suivant l'espèce que l'on considère. D'après Forster et Fischer,
quelques-unes pourraieut déjà végéter à zéro: une bactérie phosphorescente trouvée sur
des poissons morts de la mer du Nord serait dans ce cas. C'est, en général, à des tempéra-
tures un peu supérieures que se place le début de la végétation de la plupart des espèces.
La plupart des espèces saprophytes de l'air ou des eaux ne commencent à croître que de
3° à 10°. D'après Seitz, le développement du Bacille typhique est déjà sensible à 4°.
D'autres espèces ont leur minimum de croissance reporté beaucoup plus haut. Ce sont
d'abord des espèces pathogènes qui s'attaquent aux organismes présentant une tem-
pérature constante élevée; ainsi le Vneumocoque ne se développe guère dans les milieux
artiliciels qu'à pai'tir de 20° à 23°, le Bacille de la tuberculose ne commence à s'y cultiver
qu'à partir de 28°. Le Bacillus thermophilus, très intéressante espèce que Miquel a isolée
de l'eau, ne se développe dans les bouillons et la gélose qu'au-dessus, de 40»; c'est là un
fait absolument exceptionnel.
La limite supérieure de température, le maximum, paraît moins variable que le mini-
mum. Elle se tient, en géuéral, aux environs du degré de chaleur qui paralyse et tue
tout protoplasme vivant, vers 42°. C'est à cette température que s'arrête la végétation de
nombreuses espèces saprophytes et d'un certain nombre d'espèces pathogènes, le Pneu-
mocoque et le Bacille de la tuberculose par exemple. D'autres ont leur maximum plus bas ;
le Bacillus rosaceus métalloïdes, très belle espèce à pigment rouge carmin, ne croît plus
au-dessus de 3b°; le Bacille phosphorescent, de Forster, cité plus haut comme végétant
déjà à 0°, périt rapidement à 37°. Quelques-unes l'ont plus haut; le Bacille du charbon ne
cesse de végéter qu'à 43°; le Bacille typhique et le Bacille du coion n'arrêtent leur multi-
plication qu'à 46°. Le Bacillus thermophilus croît encore bien à 70° ; et ne périt qu'à 72° ; V.^n
TiEGHEM a observé deux espèces qu'il était encore possible de cultiver à 74° en prenant
la précaution de les faire vivre dans un milieu parfaitement neutre ou légèrement alca-
lin, la moindre trace d'acide arrêtant le développement.
Entre ces deux stades extrêmes, minimum et maximum, il est un point où la vie se
manifeste avec la plus grande énergie, où la végétation est la plus abondante, et où les
fonctions particulières aux espèces s'opèrent avec la plus grande intensité; c'est l'opti-
mum de température de l'espèce.
Cet optimum est, cela se comprend, en relations dii'ectes avec le minimum et le maxi-
mum, pluscepead.iil, avec le second dont il se rapproche toujours beaucoup, le Bacillus
rosaceus metcdloidcs a son optimum à i'â". Chez ]e Bacille typhique il se trouve entre 2o°
et 30°; chez te Pneumocoque à 3o°; chez le Bacille de la tuberculose à 38°; chez le Bacillus
thermophilus il est placé entre 6o° et 70°. Il est assez difficile de fixer d'une manière
précise ce point optimum; on ne peut, en effet, se baser, pour le faire, que sur l'inten-
sité apparente de la croissance dans les cultures, épaisseur de la culture, trouble plus
ou moins prononcé dans les bouillons. Ces rapports de température peuvent aussi
varier, quoique dans des limites restreintes, suivant le milieu pour une même espèce.
C'est ce qui semble résulter de l'intéressante remarque de Koca que le Bacille de la
tufiercM^osê a, chez les animaux à sang chaud, un minimum et un optimum de tempé-
rature plus élevés que dans les cultures.
On peut conclure de ces faits que, sauf quelques exceptions, une température de 60»
environ suffit pour tuer les cellules végétatives des bactéries.
Mais il n'en est pas de même des spores qui, comme le prouvent les expériences,
\0U BACTERIES.
résistent à une chaleur notablement plus forte. Bbëfeld a pu obtenir la germination de
spores du Bacillus subtllis qui avaient été portées à 100° pendant une heure; elles
n'étaient toutes mortes qu'après trois heures d'ébullition. A 103°, il faut quinze minutes
pour les tuer, dix à 107° et cinq à 110°. Koch a obtenu le développement de spores de
Bacillus subtilis et de Bacillus anthracis préalablement chauffées à 123° dans l'air sec.
MiQUEL a pu porter des germes à 110°, 120°, 130°, et même 14.0°, dans l'air sec, certains
ont encore rajeuni; à loO" il a toujours obtenu une stérilisation complète. Dans les liqui-
des ou la vapeur d'eau, la résistance est beaucoup moindre que dans l'air sec. Sauf des
cas très spéciaux, une température de Ho" à 120° obtenue dans l'autoclave, maintenue
pendant un court espace de temps, suffit pour faire périr les spores les plus résistantes.
La réaction du milieu influe considérablement sur la résistance à la chaleur; un très
léger de^ré d'acidité la fait baisser dans des limites notables, comme le démontrent les
observations de DucLAUx.sur les Tyrotlirix.
Les actes ply'siologiques qu'accomplissent les bactéries se ressentent, d'une manière
très nette, des variations de température. Il y a entre ces propriétés et la vitalité des
individus qui les possèdent une corrélation intime et un rapport direct; l'un de ces
termes diminuant, l'autre doit infailliblement baisser à son tour, et inversement.
Cii. RicHET a montré que l'activité de la fermentation lactique va en croissant depuis
une température assez basse jusqu'à 44°; de 44° à b3° elle reste presque constante, puis
décroit. D'après Schlœsing et Muntz, la nitrification est nulle ou très faible à 5°, elle s'éta
blit bien nettement à 12° et augmente jusqu'à 37°, où elle présente son maximum, puis
diminue de telle sorte qu'à .o0° on n'obtient plus que de très minimes quantités de
nitrates.
Entre le degré de chaleur le plus favorable à la vie d'une espèce et celui qui l'abolit
complètement, il existe un intervalle dans lequel les propriétés vitales de l'espèce, et en
particulier la virulence des espèces pathogènes, diminuent de plus en plus, au fur et
à mesure que la température se rapproche du degré mortel. La virulence, qui est à son
maximum dans une culture maintenue à son optimum de température, s'atténue gra-
duellement lorsque la température s'élève, et peut fmir par disparaître complètement si
elle atteint un degré trop élevé quoique compatible encore avec la végétation de l'es-
pèce. On peut ainsi obtenir des cultures atténuées pour les vaccinations.
Influence de la lumière. — La lumière semble ne pas être nécessaire à la vie des
bactéries. L'n grand nombre d'espèces, en effet, évoluent normalement dans des milieux
complètement à l'abri de toute radiation; nombre d'espèces pathogènes vivant au sein
des organes massifs, d'autres qui se trouvent dans les couches inférieures du sol, doivent
pouvoir s'en passer complètement sans que pour cela leur vitalité en souffre. Des cul-
tures développées dans l'obscurité ne diffèrent pas d'autres de même espèce faites dans
les mêmes conditions à la lumière diffuse du jour.
11 est cependant des espèces qui sont attirées vers les rayons lumineux. Dans un vase
contenant de l'eau de macération de plantes, qui fourmille de bactéries, et que l'on
éclaire d'un côté seulement, on reconnaît, par le trouble plus intense, que ces êtres se
massent du côté éclairé. Les divers rayons du spectre n'ont pas une égale attraction. Si
l'on fait tomber, à l'aide d&l'objectif microspectral d'ENOELM.iNN, un spectre sur une pré-
paration contenant des bactéries mobiles, on les voit affecter, au bout de quelque temps,
une disposition particulière constante. Elles s'accumulent surtout dans l'ultra-rouge; on
en trouve déjà bien moins dans le jaune; l'amas est faible dans le vert et diminue de
plus en plus dans le bleu et le violet. Il semblerait, d'après cela, que les rayons calori-
fiques sont bien plus favorables à la vie de ces êtres que les rayons chimiques. Les actions
chimiques produites parla lumière dans le milieu jouent peut-être un rôle qui n'est pas
élucidé. Engelmanx assure qu'une bactérie, qu'il dénomme Bacterium photomelricum, ne
devient mobile que sous l'influence de radiations lumineuses d'une certaine intensité.
La lumière ne paraît pas avoir d'action sur la production du pigment, chez les espèces
ehromogènes. La coloration se développe tout aussi bien à l'obscurité; elle serait plu-
tôt moins intense dans les cultures exposées aux rayons lumineux. Dcbois a remarqué que
des cultures très brillantes de bactéries phosphorescentes perdaient presque entièrement
leur luminosité, si on les laissait exposées pendant quelques jours à l'action de la lumière
directe.
BACTERIES. 1025
Les nombreuses expériences faites sur ce sujet tendent au contraire à établir que la
lumière exerce sur la vitalité de nombreuses espèces bactériennes une action nuisible
réelle, qui peut même aboutir à la mort des cellules, lorsque cet agent agit pendant'
assez longtemps ou que les radiations possèdent une intensité suffisante. Dow.nes et
Bldnt, les premiers, ont montré qu'une forte lumière était nuisible aux cultures bacté-
riennes et pouvait même être mortelle pour beaucoup d'entre elles. Duclaux, en expé-
rimentant sur des espèces définies, est arrivé aux mêmes résultats et signale la plus
forte résistance des spores. Arloog et Roux ont observé les mêmes faits pour le Bacille
du charbon; Paksini, Geisler, Santori, RAsrE, pour d'autres espèces, pathogènes ou sapro-
phytes. Trois heures d'insolation suffiraient presque pour faire périr la Bactéridie char-
bonneuse ; il en faut six pour le Bacille du rourjet du porc; les Staphylocoques 23yogénes, le
Spirille du choléra, le Spirille de Finkler, le Bacille typhique, le Pneumocoque, le Micrococcus
prodigiosus, sont à peine infiuencés après ce dernier laps de temps ; le Bacille pyocyanique
supporte les rayons solaires pendant 240 minutes et plus, sans perdre complètement
son pouvoir cbromogène, qui cède si facilement sous d'autres influences. Les spores même
périssent rapidement lorsqu'on les expose à une lumière intense, comme celle des rayons
solaires directs ; celles du Vibrion septiqiie, du charbon symptomatique meurent au bout
de douze à trente heures d'insolation, comme le prouvent les expériences de Penzo, de
TizzoOT et Cattani, de Vaillard et Vincent, de San Felice ; d'après Roux, la plus
grande résistance des spores du charbon a été de 84 heures.
La virulence des espèces pathogènes est tout aussi bien modifiée par la lumière
solaire; elle s'atténue graduellement; mais, pour le charbon au moins, ces cultures atté-
nuées n'ont pas d'action vaccinale, les cultures suivantes font récupérer la force primi-
tive.
On a recherché, sans beaucoup de résultats, l'action des différentes radiations du
spectre : Arloins en est arrivé à dire qu'on devrait incriminer la lumière complète.
Toutefois, Charrin, sur le bacille pyocyanique, a observé que c'était avec la lumière verte
qu'on obtenait la végétation la plus abondante, la moindre avec la lumière jaune ou vio-
lette. Janowski croit que les lumières colorées qui préservent le plus longtemps du
noircissement un papier sensible, sont aussi celles qui préservent le mieux de la mort le
Bacille typhique. Ce sont les rayons chimiques qui paraissent être les plus actifs.
L'action de la lumière semble, du reste, intimement liée à celle de l'oxygène. Sous
l'influence de radiations d'une force suffisante, il se produirait une très forte oxydation,
amenant une désassimilation rapide, nuisible à la vie. L'hygiéniste doit tirer de là cette
conclusion importante, que l'air et le soleil sont des barrières excellentes à opposer à
la pullulatiou des espèces à craindre.
Action de l'électricité. — On n'a encore que peu de données sur l'action de l'élec-
tricité sur les microbes. Les premiers observateurs, Coen et Mendelsohn, Apostoli et
Delaquerrière, Prochownick et Spaeth, ont signalé des effets variables qu'il faut rap-
porter, sans aucun doute, à des actions chimiques. D'Arsonval et Charrin, en expéri-
mentant sur le Bacille pyocyanique à l'aide de courants indirects de haute fréquence,
ont cependant établi d'une façon certaine l'influence de l'électricité sur son évolution;
la puissance chromogène est d'abord atteinte, plus tard la végétation pàtil.
On connaît encore moins les effets du magnétisme. Dubois a signalé l'influence de forts
aimants sur l'orientation des colonies du Micrococcus prodigiosus, sans toutefois chercher
à éviter de nombreuses causes d'erreurs. D'Arsonval a vu la fermentation alcoolique
de la Levure de bière être manifestement retardée par l'influence du champ magné-
tique. En est-il de même des fermentations bactériennes"?
Action de la pression. — P. Beht a démontré que les fermentations et les putré-
factions s'arrêtent rapidement en présence d'ox^-gène comprimé à dix atmosphères.
Mais Certes croit avoir fait agir, sur des liquides putréfiés, de l'air à une pression
de 430 à 500 atmosphères sans avoir arrêté leur putréfaction. L'oxygène serait donc,
dans les expériences de P. Bert, le principal facteur. En faisant agir l'air sous pression,
Chauveau a cependant obtenu des résultats conformes aux premiers, quoique moins
marqués. Il est parvenu, en graduant la pression, à atténuer la virulence de cultures
du Bacille du charbon de façon à pouvoir les employer en toute assurance dans la
pratique des vaccinations. D'Arsonval et Charrin, expérimentant sur le Bacille pyocya-
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME I. 65
102(3 BACTERIES.
nique, sont arrivés à le voir périr en le soumettant à une pression de 30, 40, 50 atmo-
sphères d'acide carbonique, durant deux, trois, quatre et cinq heures. En deçà de cette
pression, on n'observe qu'une atténuation variable. Ici toutefois, il faut tenir compte de
l'action de l'acide carbonique, nuisible pour cette bactérie. En se basant sur ces recher-
ches et sur d'autres précédentes, d'Arsonval s'est cru en mesure d'affirmer qu'une
pression de 90 atmosphères détruit tous les germes vivants, alors que, dans un tra-
vail tout récent, Sabrazès et Bazin assurent que des pressions égales et même supé-
rieures à 90 atmosphères, ne détruisent ni le Staphylocoque doré ni la Bactéridie
charbonneuse, et n'influent pas sur la virulence de cette dernière. On voit que le sujet
est loin d'être épuisé.
Autres influences. — L'agitation des milieux liquides où vivent les bactéries est
une condition défavorable au développement. Scheurben, Bang prétendent que la force
centrifuge affaiblit le Bacille typhique, le spirille du choléra, le Proteus vulgaris. Pôhl
assure que le mouvement tourbillonnant, déterminé par une puissante turbine, fait
baisser dans des proportions considérables le nombre des Bactéries de l'eau soumise à
son action. Ici encore, le phénomène est probablement complexe; la rapide oxydation
qui se produit, l'action de la force centrifuge sur les molécules solides en suspension,
doivent entrer en jeu.
La dessiccation absolue n'épargne pas plus les Bactéries que les autres êtres vivants;
elle les tue dans un temps qui varie sans doute suivant la difficulté qu'éprouve le proto-
plasme à perdre toute son eau. La plupart des espèces cependant supportent très bien
une dessiccation relative, surtout à l'état des spores. Une dessiccation lente, à basse
température, 3S° par exemple, semble au contraire rendre les éléments plus résistants
à l'égard d'un excès de chaleur. Il est cependant des espèces, et elles doivent être
nombreuses, qui ne supportent pas longtemps les pi-ivations d'eau ; le Bacierium terme
périrait après sept jours de dessiccation. Les spores des différentes espèces résistent
pendant un temps très long. Celles du Bacille du charbon, celles des anaérobies patho-
gènes du sol, supportent des mois entiers la dessiccation spontanée sans perdre leur
virulence ; les crachats tuberculeux, desse'chés lentement, restent aussi très longtemps
actifs.
De ces actions des agents physiques sur les Bactéries, il est possible de conclure
qu'en général ils paraissent tous concourir à un même but fmal, l'atténuation et
même la suppression complète de la vitalité de ces germes; les agents météorologiques
ont sur eux une action nuisible, même parfois mortelle.
Modifications que subissent les milieux. — En vivant aux dépens des milieux,
les bactéries font subir des modifications profondes aux principes qu'ils contiennent et
aux dépens desquels elles se nourrissent. Le protoplasraa vivant s'assimile certaines par-
ties et rejette le reste. Cette dernière portion s'accumule dans le milieu, qu'elle peut
même rendre impropre au développement ultérieur de l'espèce lorsqu'elle a atteint une
limite déterminée. Le milieu, privé des cellules vivantes, devient souvent réfractaire à
toute tentative nouvelle d'ensemencement avec la môme espèce; on dit qu'il est vacciné
contre cette espèce, et de fait cette particularité n'est pas sans jeter du jour sur le phé-
nomène de la vaccination.
Il n'est pas encore possible d'arriver à une généralisation de ces phénomènes. Ils
peuvent donner lieu à un simple dédoublement; dans la fermentation ammoniacale de
l'urée par exemple, la molécule d'urée se dédoublerait en deux molécules de carbonate
d'ammoniaque. Ils aboutissent parfois à une oxydation extrême dont les produits ultimes
sont de l'acide carbonique et de l'eau. Souvent il ne se fait qu'une oxydation partielle,
comme on le voit dans la fermentation acétique. Les phénomènes observés peuvent être
des phénomènes de réduction dus à l'action secondaire d'hydrogène naissant produit
par la bactérie; c'est ce qui se passe pour de nombreux organismes des putréfactions,
qui réduisent alors les sulfates de l'eau ou du sol en produisant un dégagement d'hydro-
gène sulfuré.
Les produits formés dans cette action des bactéries sur les milieux sont de nature
très diverse. Ils peuvent être des gaz, des produits volatils ou des substances fixes.
Parmi les gaz, le plus commun est sans contredit l'acide carbonique; puis viennent
l'hydrogène et l'hydrogène sulfuré. Au premier rang des produits volatils se trouvent
BACTERIES. 1027
l'ammoniaque et les ammoniaques composés, surtout les triméth3'lamines; puis viennent
des acides, formique, acétique, butyrique; quelquefois des alcools. Les substances fixes
peuvent être des acides, comme l'acide lactique, l'acide oxalique; des amides, comme
la leucine; des corps de la série aromatique, comme la tj'rosine, le phénol, l'indol, le
scatol; des matières colorantes, qui se répandent plus ou moins uniformément dans le
protoplasma vivant ; des peptones provenant de la transformation en excès des sub-
stances albuminoïdes du milieu, enfin, des ptomaïnes et des matières albuminoïdes spé-
ciales, qui, par leur constitution et leurs propriétés chimiques, semblent se rapprocher
des diastases, et qui, pour les bactéries pathogènes, doivent jouer un grand rôle dans
les effets produits sur les organismes attaqués. Ces dernières catégories de substances
fixes méritent une étude plus approfondie.
Matières colorantes des bactéries. — Les matières colorantes sont produites par
le protoplasma cellulaire. La plupart du temps, elle ne diffusent jamais dans le milieu
ambiant pendant la vie des cellules qui les ont formées, mais seulement après leur
mort et peut-être aussi dans ces sortes de dégénérescences désignées sous le nom de
formes d'involution. Elles existent en quantité trop minime dans chaque élément pour
lui donner une nuance perceptible, même à de très forts grossissements, et ne devien-
nent sensibles que lorsque de nombreux éléments sont réunis en amas plus ou moins
compacts. D'autres fois, au contraire, la matière colorante diffuse plus ou moins loin
dans le milieu auquel elle donne une teinte spéciale; c'est le cas des matières colorantes
du pus bleu, des Bacilles fluorescents de l'eau, du pigment brun que produisent en parti-
culier certaines Cladothrix; les colonies bactériennes restent souvent même incolores,
le pigment n'apparaissant qu'autour d'elles.
La nuance varie considérablement suivant l'espèce. Les Sarcina lutea, Micrococcus luteus
donnent des colorations jaune citron; les Bacilhis luteus, Micrococcus pijogenes aureus,
des zooglées d'un jaune orangé; le Bacillus ruber donne du rouge vif; le Micrococcus pro-
digiosus du rouge carmin; le Beygiatoa roseo-persicina du rose violet; le Micrococcus cin-
nabareus du rouge cinabre ; le Micrococcus roseus du rose chair.
Le Bacillus syncyanus, du lait bleu, produit du bleu de ciel ou du bleu grisâtre; le
Bacillus pyocyaneus, du pus bleu, du bleu vert.
Le B. violaceus possède un pigment violet noir; le B. janthinus un violet tendre.
Les bacilles fluorescents de l'eau, \e Bacille de la diarrhée verte des nourrissons, colorent
en vert plus ou moins foncé les substrats solides sur lesquels on le cultive. On est moins
fixé sur la coloration verte des Bacillus viridis et Bacillus virens de Van Tieghe.\i et du
Bacillus chlorinus d'ENOELsiANN, que ces auteurs regardent, sans grandes preuves à
l'appui, comme colorés par de la chlorophylle.
La nature de ces pigments est très peu connue. Quelques-uns sont solubles dans
l'eau; la plupart ne s'y dissolvent pas, ils sont solubles dans l'alcool absolu, l'éther ou
le chloroforme ; d'autres, insolubles dans tous ces réactifs, demandent l'emploi de pro-
cédés spéciaux pour être isolés. Leur composition chimique ir'est pas établie. Certains
semblent se rapprocher des couleurs d'aniline par les propriétés optiques de leurs solu-
tions. Les mieux étudiés sont certainement le pigment rose du Beggiatoa rosea-persicina
et le pigment bleu fourni par le Bacille du pus bleu.
La matière colorante des Beggiatoacés roses a été isolée et étudiée par Ray Lankesteb,
qui a donné à ce pigment tantôt rose rouge, tantôt couleur Heur de pêcher ou violet
intense, le nom de bactério-purpurine. Elle est insoluble dans l'eau, l'alcool, le chloro-
forme, l'ammoniaque, les acides acétique et sulfurique. L'alcool bouillant fait virer sa
teinte au brun. Elle montre, au spectroscope, des bandes d'absorption toutes spéciales :
une large bande dans le jaune près de la raie D de Fraunhofer; deux faibles dans le
vert près des raies E et b; une faible dans le bleu près de la raie F; puis, à partir de la
raie G, un assombrissement de la partie la plus réfrangible du spectre. En se basant sur
l'analyse spectrale, on devrait plutôt rapprocher la bactério-pui-purine de l'alizarine ou
de la purpurine que des rouges d'aniline, comme on l'a fait tout d'abord. La teinte varie
beaucoup suivant l'âge et l'activité de la cellule, elle passe du rose clair au pourpre
violet; elle tourne au brun après la mort de l'élément.
Le Bacille du pus bleu produit dans les milieux où. il se développe, deux matières colo-
rantes au moins, une bleue, la pyocyanine, et un autre pigment verdâtre qui commu-
1028 BACTERIES.
nique au substralum une belle fluorescence verte. La pyocyaiiine a étéisole'e par Fordos
en traitant par l'eau ammoniacale les linges de pansement bleuis par la sécrétion spé-
ciale; le liquide, agité avec du chloroforme, lui cède la pyocyanine que l'on peut obtenir
cristallisée par évaporation. Gessahd a perfectionné ce procédé et l'a appliqué aux cul-
tures, ce qui permet d'obtenir des quantités beaucoup plus grandes du produit. Il con-
seille d'opérer de la façon suivante. Les bouillons de culture où le microbe est en plein
développement sont alcalinisés avec de l'ammoniaque et agités avec du chloroforme.
Ce dernier s'empare de la pyocyanine et se colore en un beau bleu de ciel foncé. Il a
dissous en même temps des impuretés, surtout des matières grasses. Il est filtré et agité
avec de l'eau acidulée à l'acide sulfurique ou à l'acide chlorhydrique. La pyocyanine
passe dans l'eau acidulée à l'état de combinaison rouge. Le chloroforme retient les ma-
tières grasses et une matière colorante jaune qui provient d'une oxydation de la pyocya-
nine, \apyoxanthosc. La dissolution aqueuse rouge, décantée, est saturée par la potasse
ou l'ammoniaque ; elle passe au bleu. On filtre et on traite par le chloroforme qui entraîne
la pyocyanine, qu'il abandonne pa.r évaporation. C'est une masse confuse de petits cris-
taux, d'un bleu foncé, rappelant l'indigo. En reprenant par l'eau distillée et abandon-
nant à l'évaporation lente, on obtient de belles aiguilles isolées ou réunies en aigrettes
ou en étoiles, des octaèdres ou des tables rhombiques.
La pj'ocyanine est soluble dans l'eau, plus à chaud qu'à froid, dans l'alcool, le chlo-
roforme, moins dans l'éther; elle a une saveur amère. Les acides la font passer au rouge
et forment avec elle des composés crisfcallisables; on doit la considérer comme une base
et la rapprocher peut-être des ptomaïnes. L'air et toute oxydation la font passer à l'état
de pyoxanthose qui cristallise en petites aigrettes jaunes. La pyocyanine ne semble pas
toxique, même à fortes doses.
La matière colorante du Bacillus violaceus ne diffuse'pas dans le milieu comme celle
produite par le Bacille pyocijanogène, mais reste au contraire dans le protoplasme cellu-
laire ou dans la matière gélatiniforme qui réunit les cellules en zooglées. Elle est inso-
luble dans l'eau et très soluble dans l'alcool absolu en donnant une liqueur d'un beau
violet foncé, prenant la teinte d'une solution de violet d'aniline lorsque la proportion de
culture est assez forte. En solution, l'ammoniaque la fait passer au bleu puis au vert; il
se produit en peu de temps une décoloration totale; par neutralisation avec l'acide acé-
tique, il réapparaît une légère teinte violette. La potasse donne du vert, puis du jaune
orange; la couleur ne se régénère plus après neutralisation. L'acide acétique ne change
pas la nuance, même après un long contact; l'acide azotique fait virer au vert, puis au
jaune un peu verdàtre.
Les conditions de milieu ont ici une influence très variable.
La lumière ne semble pas du tout nécessaire à la production du pigment. Des cul-
tures de Micrococcus prodigiosus et de Bacillus violaceus, faites à l'obscurité et conservées à
la chambre noire, se sont montrées, après quelques semaines, tout aussi colorées que
que d'autres, faites en même temps et maintenues au grand jour. Elle exerce une
action nuisible sur beaucoup de ces pigments en solution aqueuse ou alcoolique; la
solution aqueuse de pyocyanine et la solution alcoolique de pigment de Micrococcus pro-
digiosus, exposées à la lumière difl'use, pâlissent vite, prennent une teinte jaunâtre et
arrivent à se décolorer presque complètement.
L'oxygène paraît nécessaire à la formation du pigment. Lorsque l'espèce se déve-
loppe dans un milieu confiné, elle se colore mal; quand l'air fait presque complètement
défaut, elle ne se colore pas du tout. Les bactéries à couleurs vives que l'on fait se déve-
lopper sous une petite couche d'huile donnent des colonies blanches, qui peuvent pren-
dre leur nuance spéciale, si la couche préservatrice vient à être supprimée. L'oxygène
pur serait nuisible; c'est du moins ce que prouvent les expériences de Charrin et Rogkr
sur le Bacillus pyocyaneus.
La puissance chromogène, comme, du reste toutes les autres fonctions des microbes,
est en relations intimes avec la vitalité, de telle sorte que toutes les conditions qui dimi-
nuent l'activité du développement d'une espèce font aussi décroître sa puissance chro-
mogène. En première ligne, pour beaucoup d'espèces, se trouvent les cultures succes-
sives dans les milieux artificiels ordinaires. C'est ainsi que le Bacillus violaceus, qui donne
sur gélose peptonisée, en première culture au sortir du milieu naturel d'où on l'a isolé,
BACTÉRIES. 1029
l'eau le plus souvent, des colonies colorées en violet noir, perd rapidement dans des
cultures suivantes, son pouvoir chromogène et ne donne plus que des colonies entière-
ment blanches.
Il en est de même lorsqu'on ajoute aux cultures des produits nuisibles, comme des
antiseptiques en quahté assez minime toutefois pour ne pas tuer la bactérie. Charrin et
Roger ont démontré qu'on pouvait graduer en quelque sorte la production de pyocya-
nine par le Bacille du pus bleu, en ajoutant aux cultures des proportions de plus en plus
fortes de sublimé corrosif. Tandis qu'avec des proportions de 06"',0lo à 0S'',02 de sublimé
par litre, on ne fait que retarder la production de la matière colorante, on l'arrête bien-
tôt en augmentant progressivement la dose.
La nature du milieu, la présence et les proportions de certains principes nutritifs,
jouent un très grand rôle dans la production du pigment; on ne sait encore là-dessus
que bien peu de choses. Gessard a reconnu que la fluorescence verte due aux bacilles fluo-
rescents communs dans les eaux, était intimement liée àla présence de phosphate dans le
milieu. Enfin, un changement de milieu peut modifier complètement la nature de la
matière colorante; ainsi le bacille du lait bleu, qui produit dans le lait un pigment bleu
foncé, cultivé sur gélatine ou sur gélose, colore la gelée ambiante en brun foncé, alors
que sa colonie reste blanche.
Fonction photogène. — • La fonction photogène que présentent certains microbes
très intéressants est à rapprocher de la fonction chromogène. Il est un certain nombre
d'espèces de bactéries qui possèdent la propriété de luire dans l'obscurité, tout comme
les animaux et les plantes inférieures dits pour ce laoûf phosphorescents.
Ces bactéries phosphorescentes ont été surtout observées sur les poissons de mer et
les viandes de boucheries. Elles peuvent se développer sur des plantes et des animaux
vivants qu'elles rendent phosphorescents. Giard a observé ce phénomène sur de petits
crustacés marins, les taiitres, dû à l'infestation par un microbe phosphorescent qui sem-
ble spécial et qui détermine, chez ces animaux, de véritables manifestations épidémiques.
C'est sans doute aussi à une bactérie lumineuse qu'est due la phosphorescence que pré-
sentent souvent plusieurs animaux inférieurs, en particulier, dans nos régions, les géo-
philes. D'après Patouillard, la phosphorescence de certains agarics serait aussi due à
leur envahissement par des bactéries photogènes.
La phosphorescence des viandes est le phénomène qui a le plus frappé au début et a
été le mieux étudié. La viande sur laquelle se sont développées des bactéries phosphores-
centes émet dans l'obscurité des lueurs blanches, parfois un peu verdâtres, en traùiées
mobiles, irrégulières, ressemblant aux sillons qu'une allumette phosphorique laisse sur
les objets lorsqu'on la frotte légèrement à leur surface. Cette phosphorescence est conta-
gieuse de proche en proche; Nuesch rapporte qu'en une nuit toute la viande d'une bou-
cherie a été envahie. En transportant une petite portion de la glaire phosphorescente
qu'on recueille à la surface, sur un morceau de viande fraîche, celle-ci devient rapide-
ment phosphorescente. Ces espèces végètent bien aussi sur les milieux artificiels qu'elles
rendent alors lumineux. Elles peuvent même subsister assez longtemps dans de l'eau
légèrement salée, comme l'eau de mer, en produisant à la surface leur curieuse réaction;
certains cas de phosphorescence de la mer doivent leur être rapportés.
Le temps pendant lequel le substratum reste phosphorescent est variable. Nuesch a
eu de la viande qui est restée lumineuse pendant sept semaines à une température ne
dépassant pas 10°. La putréfaction fait disparaître le phénomène, les espèces qui l'occa-
sionnent l'emportant sur les bactéries lumineuses et en déterminant la rapide disparition.
La température influe assez peu, dans de certaines limites. Ludwig a observé de la viande
de veau qui luisait encore à — 10° et même faiblement à — 14°. Cette viande mise au bain-
marie dans un tube était encore phosphorescente à .30°, mais à 47° toute lueur avait
disparu. Par contre, une bactérie lumineuse que Fischer a trouvée dans l'eau de la mer
des Indes et sur des animaux marins morts devenus lumineux ne croît plus et n'émet
pas de lueur perceptible au-dessous de 10°; la phosphorescence présente un optiumm
à 23° et disparaît à 40°.
La lumière émise est blanche et contient, par conséquent, les différentes radiations
du spectre. Avec des cultures de Microcoecus phosphoreus, Ludwig a obtenu un spectre
continu depuis la raie B de Fraunhofer jusque dans le violet.
1030 BACTERIES.
L'air est nécessaire à la production du pliénornène. Les cultures ne luisent pas en
l'absence d'oxygène; les parties profondes, où ce gaz ne pénètre pas, ne sont pas lumi-
neuses. Si l'on chasse l'air par un courant d'hydrogène ou d'acide carbonique, la phos-
phorescence disparaît.
La phosphorescence est sous la dépendance immédiate des cellules vivantes, car les
bouillons de cultures filtrés ne sont jamais phosphorescents.
La nuance de la lumière est variable suivant l'espèce de bactérie lumineuse que l'on
observe et un peu aussi suivant l'âge et la vitalité de la culture. C'est tantôt une lumière
bleuâtre avec une petite pointe de vert; tantôt une lumière d'un vert émeraude ; tantôt
d'un blanc d'argent doux.
On en est réduit à de pures hypothèses sur le mode de production de la matière pho-
togène. R. Dubois pense que les microbes lumineux produisent une diastase spéciale, la
luciférase, donnant lieu au phénomène de la phosphorescence au contact des produits
organiques phosphatés contenus dans le milieu où ils vivent.
C'est très probablement à la présence de telles bactéries qu'il faut attribuer le curieux
phénomène de la phosphorescence de liquides de l'organisme, normaux ou pathologi-
ques, le lait, l'urine, la sueur, la salive, le pus. On eu trouve mention de quelques cas
dans les anciens auteurs. Henkel rapporte l'histoire d'un fait bien net de sueurs phos-
phorescentes. Le sujet suait beaucoup, lorsqu'il se déshabillait dans l'obscurité, la sur-
face de son corps et sa chemise étaient parcourues en tous sens par des traînées lumi-
neuses semblables à des sillons d'allumettes phosphoriques. Tout disparaissait à la lumière
et on remarquait sur la peau de petites macules rouges. L'individu exhalait une odeur
spéciale urineuse, plutôt acide qu'ammoniacale, rappelant la choucroute trop fermentée.
Ce phénomène n'a du reste rien qui doive étonner et rappelle les cas de coloration de
plusieurs sécrétions normales, sueur, lait, salive par des bactéries qui les teignent en
bleu, rouge, etc.
Ptomaïnes. — Dans des décompositions qui s'opèrent sous l'influence des bactéries
et dans les cultures pures d'un certain nombre d'espèces, on a découvert des bases
azotées présentant beaucoup d'analogies avec les alcaloïdes végétaux. Selmi, qui en a
l'etiré des cadavres humains putréfiés, leur a donné le nom de ptomaïnes (;iTco[j.a, cada-
vre). Ces substances, d'un haut intérêt, devant faire l'objet d'un.article spécial, nous n'en
dirons ici que ce qui a trait plus particulièrement à la vie des bactéries.
Les unes paraissent être sans action sur l'organisme animal ou n'ont que des effets
peu marqués et passagers. D'autres, au contraire, déterminent des troubles plus ou
moins prononcés, souvent considérables, amenant rapidement la mort à doses très faibles;
elles sont en tout comparables aux poisons végétaux les plus énergiques, surtout la
morphine, l'atropine, la muscarine des champignons vénéneux. Les troubles occa-
sionnés par des ptomaïnes produites par des bactéries pathogènes peuvent ressembler,
en totalité ou en partie, à ceux des maladies infectieuses où elles se rencontrent. Dans ses
belles recherches sur le choléra des poules, Pasteur a montré que le bouillon de culture,
dépourvu, par flltration sur porcelaine, de tout élément vivant, tenait en solution une sub-
stance qui déterminait, par injection sou.s-cutanée, un des symptômes les plus frappants
de la maladie, la somnolence. Depuis, Bohchaed a retiré des urines, dans les cas de ma-
ladies infectieuses, des quantités notables de ptomaïnes qui proviennent, pour lui, du
développement dans l'organisme des bactéries pathogènes, causes de l'affection. Les re-
cherches de Lépine et Guérin, Villiers,5Pouchet, Griffith, sont venus confirmer les siennes.
Dans les premières études sur les ptomaïnes, particulièrement dans celles, si intéres-
santes de Â. Gautier, plusieurs espèces bactériennes, se développant côte à côte, mélan-
geaient leurs produits d'excrétion. En opérant sur des cultures pures, il a été possible
d'arriver à une précision plus grande. Briegeh, Christmas l'ont fait récemment pour
quelques espèces. Un très intéressant essai vient d'être fait par Tito Carbone avec des
cultures du Proteiis vidgaris, bactérie très commune dans les putréfeotions animales.
De grandes quantités de viande stérilisée, finement hachée, ont été ensemencées avec
des cultures pures de l'espèce en question. L'auteur a reconnu la présence, dans ces
cultures où ne végétait que la seule espèce en question, de dilférentes bases trouvées
dans la putréfaction de chair de poisson; en particulier la cboline, l'éthylène-diamine,
la gadinine, la trimé thylamine.
BACTERIES. 1031
Il semble que la composition du milieu ait une influence prépondérante sur la forma-
tion des ptomaïnes, de sorte que telle espèce, qui en produit lorsqu'elle vit aux dépens
d'albuminoïdes, n'en fournit plus avec des sucres comme aliment. Les recherches sont
encore peu avancées sur ce point.
Parmi les produits résultant de l'activité vitale des bactéries, nous avons signalé, en
dernier lieu, des matières albuminoïdes spéciales qui, par leur constitution et leurs pro-
priétés, se rapprochent des diastases en général et en particulier de celles que nous
avons vues produites par les microbes pour servir directement à leur nutrition. On les a
dénommées, un peu au hasard, albumoses ou, pour certaines, albumines toxiques ou to.xal-
bumines, à rause de leur action toxique à haut point. Leur histoire complète sera faite
sous cette dernière dénomination.
La plupart de ces substances ont des effets toxiques très marqués, qui, pour plusieurs
espèces pathogènes bien connues, rappellent des symptômes dominants ou des phéno-
mènes secondaires que l'on observe dans le cours des infections déterminées par elles.
Il en est qui, inoculées dans le tissu conjonctif, déterminent des phénomènes d'inflam-
mation très nets. Telle est cette diastase jMogogène qu'ARLOiNG a retirée des cultures d'un
des microbes de la péripneumonie bovine. Christsias a reconnu dans les cultures de Sta-
phylocoque doré la présence d'une diastase qui provoque, par inoculation dans la cham-
bre antérieure de l'œil, une suppuration légère. D'autres produisent de la fièvre, comme
le pyrétogénine que Roussy a retiré de la levure de bière. La toxalbumine du Bacille du
tétanos, inoculée au cobaye, lui donne un tétanos typique. L'étude plus complète de ces
substances se trouve au mot Toxalbumine.
Classification des Bactéries. — Nous avons vu que les premiers classificateurs,
Ehrenberg et Dujardin, s'en étaient teuus à la forme apparente des éléments pour établir
une classification des bactéries. Il faut reconnaître qu'aujourd'hui c'est encore la forme
qui doit servir de caractère dominant; les autres propriétés dépendant plus encore des
circonstances ambiantes. Est-ce à dire que ce caractère ait une constance absolue ou
même suffisante pour satisfaire complètement l'esprit"? Assurément non. Les conditions
de milieu agissent aussi beaucoup sur lui, comme sur toutes les autres propriétés vitales
des bactéries, mais c'est lui qu'on voit le plus souvent ramené à un type normal, ou qui
peut être considéré comme tel parce que c'est celui qu'affectent les éléments dans leurs
conditions naturelles. On est forcé d'admettre, et les partisans du polymorphisme des
bactéries le font aussi, que pour chaque espèce il est une forme normale, une sorte de
moyen terme, que revêt toujours l'espèce lorsqu'elle vit dans des conditions qu'on peut
supposer naturelles, autour duquel il peut se produire des variations en plus ou en moins
lorsqu'on fait intervenir des conditions défavorables, mais auquel l'espèce revient toujours
quand elle se retrouve dans le milieu qui lui convient. C'est, en somme, la conclusion logi-
que des expériences de Charrin et Guignard sur le polymorphisme du Bacille pyocy unique.
Prenant comme base la forme des éléments normaux, nous avons proposé la classifi-
cation suivante :
1"= famille: Coccacées. — Bactéries à éléments normalement sphériques, se reproduisant d'habi-
tude par division, quelquefois par spores. La division peut se faire suivant une ou plusieurs
directions.
Genres: 1. Micrococciis . — Éléments sphcriqucs, isolés, réunis doux à deux ou quatre à quatre,
ou disposés en chapelets.
2. Sarcina. — Éléments formant des paquets cubiques, provenant de la division qui se
fait suivant trois directions successives.
3. Ascococcus. — Éléments réunis en colonies massives entourées d'épaisses enveloppes
de gelée.
4. Leuconostoc. — Eléments disposés en chaînes entourées d'épaisses enveloppes de
gelée.
2"= famille : Bactériacées. — Éléments en bâtonnets plus ou rhoins longs, parfois en très courts
cylindres, ou en filaments. Les articles sont droits ou courbés et ne présentent aucune dis-
tinction en partie basilaire et sommet. Beaucoup ont de vraies spores endogènes.
Genres: 1. Bacillus. — Éléments en bâtonnets qui peuvent être courts et trapus, ou dont la lon-
gueur excède un certain nombre de fois l'épaisseur.
2. Spirillum. — Éléments courbés formant souvent une spire à plusieurs tours.
3. Leptothrix. — Éléments formant des filaments droits parfois très longs.
4. Cladothi ix. — Longs filaments présentant des ramifications latérales. De vraies spores.
1032 BACTERIES.
3" famUle : Beggiatoacées. — Éléments en bâtonnets ou en tilaments, où l'on distingiie une partie
basilaire, souvent fixée, et un sommet libre. Il se forme à l'intérieur des articles des corps
sphériques qui sont pi'obablement des spores.
Genres : 1. Beggiatoa. — Filaments sans gaine de gelée.
2. Crenothrix. — Filaments avec une gaine gélatineuse.
Cette dernière famille doit probablement être détachée du groupe des bacte'ries et
rapprochée de certaines algues d'eau douce, les oscillaires, dont elle ne diffère que par
l'absence de chlorophylle et du pigment spécial, la phycocyanine.
La classification exposée n'est pas donnée comme devant satisfaire toutes les exi-
gences; bien au contraire, elle doit n'être considérée que comme provisoire. Plus on
avancera dans cette étude des bactéries, plus il faudra tenir compte des affinités mises
en lumière par les recherches de chaque jour et donner une part plus large aux parti-
cularités biologiques des espèces. Toutefois les seules fonctions physiologiques ne
paraissent pas pouvoir jamais suffire, comme on l'a déjà proposé, à cause de leur contin-
gence. On a vu, en effet, que bien souvent elles pouvaient être considérées comme secon-
daires par rapport à la vie de l'espèce, soit qu'elles ne se manifestent que lorsque le mi-
crobe est mis en présence de conditions particulières, de facteurs spéciaux, ou qu'elles
puissent se voir supprimées sans que la vie proprement dite, la multiplication des élé-
ments, paraisse en souffrir. C'est ainsi que pour de nombreuses espèces pathogènes, l'ac-
tion pathogène peut s'atténuer et s'éteindre malgré une végétation qui reste luxuriante;
pour des espèces chromogènes, la sécrétion de pigment disparaît sous l'influence de con-
ditions banales. Ainsi, pour des espèces ferments, la puissance de ferment peut être
annihilée ou ne se manifeste souvent qu'en présence des corps fermentescibles; leSaci//e
de la fermentation acétique ne détermine son action spéciale qu'en présence d'alcool à
transformer, il se multiplie abondamment cependant dans le simple bouillon de peptone
en n'y laissant rien paraître de sa puissance de ferment.
Malgré ses imperfections, une telle classification rendra cependant des services incon-
testables.
Il est absolument impossible, dans les limites fixées pour ce dictionnaire, de donner
l'histoire un peu complète des espèces bactériennes connues; même en se bornant aux
seules espèces qui intéressent les physiologistes au premier chef, bactéries pathogènes
ou ferments par exemple, il faudrait, pour le faire, disposer d'une marge beaucoup plus
grande. Nous nous en tiendrons à une énumération un peu sèche, suivie de l'exposé des
caractères dominants des espèces principales, renvoyant pour leur étude complète aux
traités spéciaux ou aux mémoires qui seront indiqués dans la bibliographie.
Pour diviser les genres, parfois très riches en espèces, il es't certainement avanta-
geux, pour la seule commodité du travailleur cependant, d'adopter un mode de groupe-
ment basé sur la fonction physiologique saillante, tout en reconnaissant que des espèces
à caractère assez différent se trouvent de cette façon réunies côte à côte. Ce n'est, je le
répète, que lorsqu'on connaîtra d'une manière à peu près complète tous les caractères
morphologiques et biologiques d'un assez grand nombre d'entre elles, qu'il sera possible
d'apprécier nettement les affinités réelles et d'établir une classification véritablement
rationnelle. En attendant nous trouvons commode de former dans les grands genres des
groupes différents pour les espèces pathogènes, chromogènes, ferments à action indif-
férente ou non connue.
Nous allons passer les genres rapidement en revue dans l'ordre énoncé précédemment.
Genre Micrococcus. Espèces pathogènes. — Mic7'ococcu!< pyogenes aureus {Staphylo-
coque pyogène doré). — C'est l'espèce la plus fréquente dans le pus; son nom vient de la
couleur jaune orangée de ses cultures sur les milieux solides. Les éléments sont des coc-
cus sphériques de 0,9 à 1,2 ij. de diamètre, isolés, ou plus souvent groupés en petits amas.
Ce microbe liquéfie la gélatine, se colore facilement par les couleurs d'aniline et ne se
décolore pas par la méthode de Gbau. Lebeh a isolé des cultures une substance cristalli-
sable, soluble dans l'acool, qu'il a nommée phtoyosine, déterminant rapidement, lors-
qu'on l'injecte en faible quantité dans les tissus, une inflammation suppurative. Christ-
mas y a trouvé, de son côté, une toxalbumine occasionnant la suppuration par inoculation
dans la chambre antérieure de l'œil du lapin. Les cultures de cette espèce sont virulentes
et conservent longtemps leur activité.
BACTÉRIES. 1033
C'est le microbe pj-ogène qu'on trouve le plus communément dans les suppurations,
en particulier dans le pus des furoncles, des anthrax, de l'ostéomyélite, de beaucoup de
phlegmons, de l'empyôrne souvent; pénétrant dans le sang, il peut déterminer de l'in-
fection purulente, de l'endocardite ulcéreuse, etc.
lia été signalé dans le tartre dentaire, l'enduit lingual, sur la peau, à l'état normal;
on l'a en outre rencontré dans l'air, dans les eaux souillées, dans la terre végétale.
Micrococcus pyogenes alhus (staphylocoque pyogène blanc). Il accompagne très souvent
le précédent, dont il partage presque tous les caractères; les cultures toutefois sont tou-
jours incolores.
Micrococcus pyogenes {Streptocoque pyogéne). Il est aussi fréquent dans le pus où le
microscope le décèle facilement à cause de sa disposition en chaînettes de 5 à 10 éléments
en moyenne. 11 reste coloré par la méthode de Gram. Il se cultive facilement sur les
milieux habituels, sans liquéfier la gélatine par exemple, mais la vitalité s'éteint souvent
après trois ou quatre générations. La virulence des cultures varie dans de très larges
limites suivant leur âge et aussi suivant la source où elles ont été puisées. Leur inocula-
tion au lapin peut déterminer une inflammation très vive, produisant un véritable pheg-
mon, ou une infection purulente rapidement mortelle; ou bien on peut n'observer que
des symptômes locaux, comme la formation de petits abcès, ou même simplement des
rougeurs au point d'inoculation.
Ce microbe se rencontre dans beaucoup de suppurations, surtout dans le phlegmon
diffus, dans certaines ostéomyélites. C'est lui qui est presque toujours la cause de l'in-
fection purulente chirurgicale, de la septicémie puerpérale, de l'érysipèle. Il vient com-
pliquer par sa présence un grand nombre d'autres affections microbiennes : scarlatine,
diphtérie, pneumonie, fièvre typhoïde, produisant des infections secondaires redou-
tables.
Micrococcus cereus alhus et Micrococcus cereus flavus. Ce sont deux espèces qui accom-
pagnent souvent les précédentes dans le pus. Elles ne paraissent, toutefois, pas avoir
d'action pyogène. Leurs cultures sur gélatine, qu'elles ne liquéfient pas, ressemblent à
des gouttes de cire blanche ou jaune, d'où leur nom.
Micrococcus Pasteuri (Pneumocoque de Talamon et Frânkel). C'est l'agent essentiel de la
pneumonie; il pénètre souvent dans la circulation générale et provoque des inflamma-
tions métastatiques qui affectent surtout les grandes séreuses. 11 existe dans la bouche à
l'état normal; c'est à lui que sont dues les septicémies consécutives aux injections de
salive. On a dit l'avoir isolé de l'air ou des poussières de salles d'hôpitaux.
Il est facilement reconnaissable à la forme de ces éléments. Ce sont des coccus ovales
allongés, de 1 [j.à 1 u. .ï de long sur 1 [j. de large; en forme de grain de blé ou d'orge ou eu
forme de lancette. Ils sont rarement isolés, bien plus souvent en diplocoques ; ou en
courtes chaînes et toujours immobiles. Ils sont toujours entourés d'une zone gélati-
neuse épaisse, sorte de capsule, très visible dans les préparations de crachats ou de
l'exsudat de méningite. Cette capsule se décolore difficilement et manque très sou-
vent chez les microbes provenant de cultures. Tous restent colorés par la méthode de
Gram.
Il se cultive du reste facilement, mais ne se développe bien qu'à 24° et pas du tout à
16°. Les cultures sont très virulentes et font périr les animaux d'expérience d'une véri-
table septicémie. La virulence s'accroît par passage à travers l'organisme animal. Une
température un peu élevée, 40-42°, l'affaiblit et l'éteint même complètement.
Ces caractères le font distinguer facilement d'un court bacille que Frieolander a
décrit comme facteur de la pneumonie et qui est encore connu sous le non de Pneumo-
coque de Friedliinder. Ce dernier est un saprophyte commun dans la bouche, sur la
muqueuse des voies respiratoires, qui peut occasionner des troubles de cette muqueuse,
peut-être le rhinosclérome, et même envahir le poumon lui-même. Mais il ne joue qu'un
rôle très restreint ou même nul dans la production de la pneumonie vraie. On le recon-
naît facilement à ce qu'il se décolore par la méthode de Gram et qu'il se cultive faci-
lement à la température de 13 à 16°. Il est aussi entouré d'une capsule et est pathogène
pour certains animaux d'expérience, surtout pour les souris.
Micrococcus tetragenus. C'est encore une espèce de la salive qui se reconnaît à ce que
ses éléments forment très souvent des tétrades. Ses cultures sont virulentes pour les
1034 BACTERIES.
souris blaaches et les cobayes; les souris de champ et de maison, les lapins, les chiens
paraissent peu sensibles ou réfractaires.
Micrococcus gonorrhese [gonocoque). C'est l'agent spécifique de la blennorrhagie et des
alïeetions liées à la blennorrhagie, l'ophtalmie et l'arthrite. Ses éléments sont des coc(;us
d'un diamètre moyen de 0,'à ;j., réunis d'habitude par couples; la face tournée vers l'in-
térieur du couple est plane ou même légèrement creusée, l'élément a l'aspect rénifornie.
Ces couples existent souvent en grand nombre dans l'inlérieur des globules de pus, don-
nant au pus blennorrhagique un aspect bien spécial. Ces microbes se colorent facile-
ment avec toutes les couleurs d'aniline usitées ; traités par la méthode de Gram, ils se
décolorent toujours. Les cultures sont difficiles à obtenir et perdent très vite toute viru-
lence.
On trouve dans le pus blennorrhagique plusieurs espèces, commensales probablement,
qui ressemblent au gonocoque vrai : deux caractères semblent cependant permettre de
reconnaître ce dernier, sa présence constante à l'intérieur des globules de pus et sa
décoloration par la méthode de Gram.
Micrococcus du choléra des poules. Il a été trouvé par Pasteur dans le sang des poules
mortes ou malades de cette affection. On en obtient très facilement des cultures sur les
divers milieux. Ces cultures, très virulentes au début, s'atténuent en avançant en âge, si
on les laisse en présence d'ox3'gène. Elles peuvent ainsi constituer des séries de vaccins à
l'aide desquels il est possible d'obtenir l'immunité. Les bouillons de culture, filtrés sur
porcelaine et privés ainsi de tout élément vivant, renferment des produits solubles qui,
introduits chez les poules saines, occasionnent certains des phénomènes observés sur les
poules malades, particulièrement la somnolence si caractéristique.
Les poules ne sont pas les seuls animaux sensibles à l'action de ce microbe. Toutes
les volailles sont réceptives, beaucoup d'oiseaux sauvages également. Les lapins, les
souris, succombent aux inoculations virulentes; chez les cobayes, elles ne produisent
qu'une réaction locale, un petit abcès au point d'inoculation.
On accuse d'autres Micrococcus d'être les agents spécifiques de la scarlatine ; la
variole, la rougeole, la scarlatine, la rage; rien n'est encore certain pour ces affections
éminemment contagieuses.
Espèces chromogènes. — Micrococcus prodigiosus. C'est une espèce très commune dans
l'air et dans les eaux. Sa propriété principale est de produire un pigment rouge-carmin
de toute beauté. Elle se cultive sur tous les milieux habituels en produisant sa nuance
bien reconnaissable; elle liquéfie rapidement la gélatine. On obtient facilement la ma-
tière colorante en traitant des amas de microbes par l'alcool.
Ce microbe paraît pouvoir vivre dans l'organisme; c'est à lui probablement qu'il faut
rapporter les phénomènes de sueurs rouges, de salive rouge, de lait rouge, assez rares
chez l'homme et encore très peu étudiés.
1! existe dans l'air, les eaux, le sol, un assez grand nombre de Micrococcus chromo-
gènes, dont les colonies sont jaunes, roses, brunes, verdâtres; aucune ne présente d'in-
térêt spécial.
Espèces ferments. — Micrococcus urex. Plusieurs espèces de Micrococcus ont la pro-
priété de transformer l'urée en carbonate d'ammoniaque; leurs caractères principaux
sont décrits à l'article Ammoniacale (Fermentation) de ce Dictionnaire.
Micrococcus nitrificans. C'est le ferment nitrique, entrevu par Schlœsing et MiJNTZ,
isolé et très bien étudié par Winogradsky. Très commun dans le sol, les eaux, il a la
propriété de produire de l'acide nitrique aux dépens des sels ammoniacaux et de former
par conséquent la très grande partie des nitrates du sol, base de la nutrition azotée des
plantes. Dans le sol, l'action de cette espèce est intimement liée à celle des ferments
de l'urée, qui produisent tous de grandes quantités de carbonate d'ammoniaque qui n'est
pas assimilable pour les plantes; ce composé ne le devient que par suite de sa transfor-
mation en nitrates alcalins par les microbes de la nitriflcation, l'azote rentre ainsi dans
la circulation vitale.
Micrococcus oblongus. C'est l'agent de la fermentation glyconique trouvé par Boutrodx
dans de la bière fermentée.
Micrococcus viscosus. Pastedr a prouvé que ce microbe est la cause de l'altération
spéciale du vin et de la bière connue sous le nom de gi-aisse. Le liquide envahi prend
BACTERIES. 1035
rapidement une consistance visqueuse et peut devenir filant comme du blanc d'œuf. Les
coccus ont 1 [J. de diamètre et sont le plus souvent unis en longues chaînes flexueuses.
De nombreuses espèces de Micrococcus à action indifférente ou non connue se
trouvent dans l'air, les eaux, le sol ; une énuméralion plus longue ne pouiTait que com-
pliquer cet article.
Genre Sarcina. — Sarcina ventriculi {Sarcine de l'estomac). Cette espèce est fréquente
dans le contenu stomacal de l'homme et des animaux; elle abonde d'ordinaire quand la
fermentation des produits accumulés dans l'estomac est favorisée par leur stagnation
occasionnée par un état de souffrance de l'organe. On la reconnaît facilement à son
aspect. Les éléments, ronds ou légèrement ovales, mesurent environ 2,b [j. et sont réunis
en petites masses cubiques, à coins ronds, formées d'un nombre plus ou moins considé-
rable de cellules, toujours en multiple de 4 à cause du mode tout spécial de division,
8-16-32-64.
Ce n'est probablement pas un microbe pathogène vrai, mais plutôt un simple sapro-
phyte qui vit aux dépens du contenu stomacal lorsque l'estomac ne se protège plus
d'une manière efficace par sa sécrétion normale.
On a retrouvé d'autres sarcines dans les produits d'expectorations pathologiques, dans
la gangrène pulmonaire, dans la dilatation des bronches, dans les cavernes tubercu-
leuses; elles ne paraissent avoir aucune action pathogène, mais se trouver là en simples
saprophytes, comme beaucoup d'autres microbes du reste. Il en est dans l'air, les eaux,
qui produisent des pigments jaunes, roses, bruns. Une sarcine détermine une fermen-
tation secondaire des bières, une autre est un ferment assez énergique de l'urée.
Genre Leuconostoc. — Leuconostoc m.esenteroides. On observe fréquemment cette
espèce dans les sucreries, sur les appareils qui servent à l'obtention des jus de bette-
raves, plus rarement dans les sirops cuits. Les zooglées forment des masses gélatineuses
parfois grosses comme le poing, à surface mamelonnée, de consistance ferme et élas-
tique. Leur apparence et leur consistance leur fait donner en France le nom vulgaire
de gomme de Sucrerie et en Allemagne celui de frai de grenouille.
Les éléments, ronds, de 1 ,u. de diamètre moyen, sont réunis en chapelets très lâches,
entourés chacun d'une gaine gélatineuse épaisse de 6 à 20 |j., formant ainsi des boudins
gélatineux qui se pelotonnent en se serrant fortement.
Ce microbe intervertit le sucre à l'aide d'invertine qu'il sécrète, puis brûle com-
plètement le sucre interverti. Lorsqu'il pullule dans les sucreries, il peut de ce fait occa-
sionner rapidement de grandes perles.
Genre Ascococous. — Ascococcus Billrothii. Il a été trouvé par Billroth dans de
l'eau de viande putréfiée. Les éléments arrondis s'accolent en grand nombre pour former
des masses rondes ou ovoïdes, régulières ou mamelonnées, qui atteignent jusque 160 [j.
de diamètre et s'entourent d'une épaisse capsule transparente, de consistance dure,
cartilagineuse. On est peu fixé sur son action.
Genre Bacillus. — Espèces pathogènes. — Bacillus anthracis (Bacille du Charbon, Bactè-
ridie charbonneuse) . Il occasionne l'alfection connue chez l'homme sous le nom de charbon
ou pustule maligne, chez le cheval sous celui de fièvre charbonneuse, chez le mouton sous
celui de sang de rate, chez la vache sous le nom de maladie du sang.
Dans le sang d'un animal mort du charbon, il se trouve en bâtonnets d'une longueur
moyenne de 5 à 6 [i sur une largeur de 1 à 1,5 jj., isolés ou réunis en courtes chaînes.
En culture dans les milieux liquides, il donne au contraire de très longs filaments
onduleux, enchevêtrés, qui produisent très vite des spores dans leur intérieur.
Il se cultive facilement sur les gelées nutritives ou les bouillons habituels, avec des
caractères qui permettent de le reconnaître aisément. Toutes ces cultures possèdent une
virulence identique à celle du sang pris sur un animal charbonneux; on en a isolé plu-
sieurs toxalbumines très actives.
Sous certaines influences, la virulence des cultures du Bacille du Charbon ne se
maintient pas à son degré maximum, mais décroît peu à peu et finit même par s'éteindre,
si l'action affaiblissante agit pendant assez de temps. Pasteur a montré qu'on pou-
vait obtenir des cultures de plus en plus atténuées en exposant des bouillons viru-
lents à l'action combinée de l'air et d'une température de 43° pendant un temps de
plus en plus long. Au bout de huit jours, la virulence est perdue, bien que la végétation
1036 BACTERIES.
se fasse encore très bien; entre le premier et le huitième jour, la culture passe par
des degrés divers d'atténuation, pouvant ainsi fournir des vaccins de moins en moins
actifs.
Bacillus tubei'culosis {Bacille de la tuberculose). Tous le reconnaissent maintenant
comme la cause réelle de la tuberculose. Depuis les découvertes de Koch, il est facile
de le retrouver dans les crachats ou les produits tuberculeux, en mettant à profit ses
particularités de coloration et surtout la résistance qu'il offre à l'action des agents déco-
lorants énergiques. On y parvient facilement en usant du procédé préconisé parEuRLicn,
qui est certainement un des plus commodes à employer. Le bain colorant est formé
d'eau anilinée addilionnée de violet de gentiane ou de fuchsine; on l'emploie chaud,
vers SO". Les lamelles chargées de produits à examiner, ou les coupes de tissus, sont
laissées dans le bain jusqu'à très forte coloration, puis traitées par l'acide nitrique au
tiers jusqu'à décoloration apparente complète. Les Bacilles de la tuberculose restent
seuls colorés, s'il en existe. Aucune autre espèce bactérienne ne possède ce caractère
de grande résistance à la décoloration, sauf le Bacille de la lèpre que d'autres particula-
rités peuvent, du reste, faire distinguer aise'ment.
Le Bacille de la tuberculose se cultive aisément sur divers milieux solides; il exige,
pour se développer, une température relativement élevée, au moins 30° : Voptimum est
vers 38°. Les cullures sont très virulentes; par inoculation, elles donnent la tuberculose
aux animaux d'expérience, particulièrement au cobaye qui, très réceptif, peut être con-
sidéré comme un réactif précieux.
Les cultures dans les bouillons renferment divers produits actifs encore peu connus,
qui constituent en partie la fameuse lymphe de Koch, sur laquelle on avait fondé tant
d'espérances trop rapidement déçues. ,
Bacillus leprse {Bacille de la lèpre). Ces Bacilles se trouvent dans la peau, au niveau des
tubercules le'preux récents, enfermés souvent dans des éléments cellulaires. Ils résistent
plus encore que les Bacilles tuberculeux aux agents de décoloration; c'est un caractère
précieux pour les reconnaître. On les cultive aussi, mais plus difficilement. L'inocula-
tion de produits de cultures n'a pas encore donné de résultats satisfaisants.
Bacillus typhosus {Bacille typhique, bacille de la fièvre typhoïde). Ce sont des- bâtonnets
de 2 à 3 [j. de long sur 0,7 ^ de large, animés d'un mouvement très vif. Ils se colorent
difficilement par les couleurs d'aniline, et se décolorent à la méthode de Gram. Ce bacille
abonde dans tous les organes des typhiques, principalement dans la foie et la rate.
On en obtient facilement des cultures dans les milieux habituels; la gélatine n'est
jamais liquéfiée. Le développement est déjà sensible à 4° et présente un optimum entre
25° et 35°; il ne s'arrête qu'à 46°. La culture sur pommes de terre, incolore, souvent dif-
ficile à apercevoir, est caractéristique.
Bacillus septicus {Vibrion septique de Pasteur). Pasteur l'a isolé de la terre, où il est
très commun, et qui semble être son habitat ordinaire. Par inoculation aux animaux, il
détermine une septicémie grave, rapidement mortelle. Il se développe presque toujours
un œdème considérable au point d'inoculation, d'où le nom à'cedème malin qu'on donne
à l'infection causée par ce microbe; souvent cet œdème est accompagné de crépitation
des tissus environnants, c'est la gangrène gazeuse, encore trop fréquente chez l'homme,
mais qui diminue beaucoup depuis l'extension de la méthode antiseptique.
Les éléments de ces bacilles sont des bâtonnets de 3 ij. de long en moyenne sur 1 [a de
large, unis souvent en filaments à mouvements lents, mais bien nets, donnant facilement
des spores.
C'est un anaérobie type, aussi ne réussit-on aie cultiver qu'en l'absence totale d'oxy-
gène. Il décompose l'albumine en donnant les produits ordinaires des putréfactions. Les
cultures sont très virulentes'pour les animaux d'expérience. Roux et CnAiinERLAND sont
parvenus à vacciner complètement des cobayes en injectant dans la cavité abdominale, à
plusieurs reprises, de fortes doses de cultures achevées, sûrement privées de tout élé-
ment vivant par un chauffage de dix minutes à 10o-H0°.
Bacillus Chauvœi {Bacille du charbon symptomatique) . Il est la cause du charbon symp-
tomatique qui décime souvent la race bovine. Comme le précédent, c'est un anaérobie vrai.
Les bâtonnets mesurent de S à 8 [j. de long sur d [j. de large; ils sont animés de mouve-
ments très vifs.
BACTERIES. 1037
Bacilius inallei {Bacille de la morve). Il se rencontre dans la morve qui sévit sur les
chevaux, les ânes et les mulets, et peut, par contagion directe, se développer chez
l'homme. On trouve les bacilles dans les sécrétions pathologiques des animaux atteints,
pus et jetage surtout; ils sont nombreux dans les nodules qui s'observent souvent dans
les poumons et la rate des animaux morveux. On en obtient facilement des cultures;
celles sur pomme de terre, jaunâtres ambrées, sont caractéi'istiques.
Bacilius diphteriie [Bacille de la diphtérie). Il se trouve en abondance dans les fausses
membranes de la diphtérie, accompagné souvent d'autres microbes de la cavité bucale.
Ce sont des bâtonnets droits ou légèrement courbés, toujours immobiles, mesurant
de 2,5 à 3 [j. de long sur 0,7 |j. de large, se colorant bien à l'aide d'une solution alcaline
de bleu de méthylène. Ils se cultivent assez facilement, mais ne se développent qu'aune
température supérieure à 20° et cessent de croître à 42°. Toutes les cultures sont d'une
grande virulence. Elles contiennent une substance toxique voisine des diastases qui, dans
la diphtérie, produite par les bacilles des fausses membranes, se répand dans l'orga-
nisme et occasionne les phénomènes généraux d'intoxication si graves que l'on observe
souvent dans cette affection.
Bacille telani (Bacille du tétanos). Comme le Vibrion septique, le Bacille du tétanos est
une bactérie du sol. En inoculant à des cobayes, sous la peau, de la terre, une partie
meurt toujours de septicémie, le reste du tétanos. C'est aussi un anaérobie type; on en
obtient facilement des cultures à l'abri de l'oxygène. Le développement ne se fait pas
au-dessous de 14°; à 18°, il est encore lent; vers 38°, il est rapide.
Les bacilles du pus de la plaie d'un tétanique ou des cultures jeunes sont des bâton-
nets longs et grêles, de 3 à 5 jj., légèrement mobiles, se renflant souvent à une extrémité
par suite de la formation d'une spore.
Dans l'infection, les bacilles n'envahissent pas l'organisme ; mais, comme pour la
diphtérie, restent localisés au point d'inoculation, sécrétant des produits solubles toxi-
ques qui vont agir au loin par diffusion.
Bacilius coli communis (Coli-bacille). C'est une des espèces que l'on rencontre presque
constamment, même à l'état normal, dans l'intestin de l'homme et des animaux. Il
abonde souvent dans les maladies inflammatoires du tube digestif.
Par la plupart de ses caractères, leBacille du côlon se rapproche beaucoup du Bacille
typhique dont il peut être difficile à distinguer. Il est possible de le reconnaître à sa
culture sur pomme de terre, qui est jaunâtre, abondante, et à sa propriété de coaguler
le lait, due à la formation d'acide lactique aux dépens du sucre.
Peu virulent ou même dépourvu de toute virulence à l'état normal, il peut, sous l'in-
lluence de conditions pathologiques, acquérir une grande activité et produire des affec-
tions graves, dues à sa pénétration directe dans l'organisme ou à la résorption de
substances toxiques qu'il forme dans l'intestin.
Bien près de cette espèce se trouve le Bacilius lactis acrogenes, espèce qui habite aussi
l'intestin et qu'on trouve souvent dans les matières fécales avec la précédente. Elle
est aussi pathogène pour les animaux d'expérience et est un ferment lactique actif.
Le Bacilius enteriditis de Gartner, trouvé dans une viande dont l'ingestion avait causé
une intoxication grave, les diff'érents bacilles signalés dans les urines pathologiques,
paraissent bien voisines de ces deux espèces et doivent même probablement leur être
identifiés, en partie au moins.
Ont encore des propriétés pathogènes similaires le Bacille de la dysenterie épidémique,
trouvé par Chantemesse et Widal dans la dysenterie des pays chauds, le Bacille de la diar-
rhée verte infantile trouvé par Lesage dans la diarrhée verte bacillaire, si fréquente chez
les enfants du premier âge ; cette dernière espèce produit un pigment verdâtre spécial,
très peu connu encore.
Bacilius pyocyaneus (Bacille pyocyanique, Bacille du pus bleu). C'est une des espèces les
mieux connues, grâce surtout aux belles recherches de Charrin. On le trouve dans le
pus bleu, signalé depuis si longtemps par les chirurgiens ; il s'y rencontre, non pas comme
agent pyogène actif, mais plutôt comme commensal, venant peut-être du contenu intes-
tinal.
Ses éléments sont de courts bâtonnets, de 1 à t,S (j. de long sur 0,6 (j. de large, très
mobiles ; aérobies vrais, ils se cultivent facilement sur tous les milieux habituels.
1038 BACTERIES.
La propriété la plus intéressante de cette espèce est la sécrétion d'un pig-ment bleu,
qui donne au pus où elle se trouve, la coloration gris bleuâtre caractéristique, la.pyocya-
nine (Voir l'article Pyocyanine).
Ce microbe est pathogène pour la plupart des animaux d'expérience, le lapin surtout
oij il détermine une infection spéciale, la maladie jjijocijaniquc, qui évolue, suivant les
cas, d'une façon aiguë ou chronique. On connaît actuellement chez l'homme plusieurs
cas de celte afîection, où le développement du microbe en question constitue, non plus
un simple e'piphénoraène d'influence presque insignifiante comme dans le pus bleu, mais
une véritable infection générale grave, ressemblant à la maladie pyocj-anique expéri-
mentale du lapin.
On a cru trouver des bactéries pathogènes dans plusieurs autres maladies infectieuses
de l'homme. Ldtsgahten a décrit un Bacille de la syjMlis, qui ne paraît être qu'un
saprophyte du smegma préputial; Klebs et Tommasi-Crudeli ont cru avoir isolé un Badlle
de la malaria, qui n'a rien à voir avec cette affection, produite par un hématozoaire
découvert par Laveran; on a signalé d'autres bactéries dans la coqueluche sans apporter
rien de certain. On a décrit des Bactéries du cancer encore plus incertaines.
Espèces chromogénes. — ■ Bacilliix syncyanus {Bacille du lait bleu). C'est un saprophyte
qui envahit souvent le lait, lui donnant une teinte bleue due à un pigment qu'il sécrète.
Il peut également se développer dans le beurre et le fromage qu'il colore en bleu ou en
bleu-verdâtre.
Bacilles violets. On rencontre dans l'eau, dans les liquides de putréfaction, dans les
matières amylacées exposées à l'air, plusieurs espèces de bacilles violets, qui se distin-
guent par les caractères de leurs éléments et leur manière de se développer dans les
milieux de culture. Us produisent tous un pigment d'un violet noir intense, que l'alcool
extrait facilement.
Bacilles verts. Us sont encore très peu connus. Rien en tout cas n'autorise à dire que
le pigment qu'ils sécrètent est identique à la chlorophylle. Plusieurs, nommés bacilles
fluorescents, produisent un pigment vert dichroïque qui diffuse dans le milieu où ils se
développent; une espèce, que j'ai rencontrée plusieurs fois dans l'eau, produit, dans la
gélatine qu'elle liquéfie, de très belles macles de cristaux vert foncé.
Bacilles rouges. 11 existe plusieurs espèces qui donnent une matière colorante rouge,
plus ou moins intense. Bacillus rosaeus metalloides est un des plus beaux; il est commun
dans l'eau; ses colonies, sur milieux solides, prennent souvent une teinte rouge vermil-
lon foncé, à reflets métalliques. Il est fréquent dans l'eau.
Bacilles 6runs. On en trouve aussi fréquemment dans l'eau; ils produisent un pig-
ment brun plus ou moins foncé.
Bacilles phosphorescents. C'est plutôt des espèces chromogènes qu'on doit rapprocher
ces bacilles qui possèdent la curieuse propriété d'émettre des lueurs dans l'obscurité.
Il existe plusieurs espèces qui présentent ce caractère; on peut les distinguer à l'aspect
des éléments et aux modifications à leurs particularités de vie qu'ils font subir aux mi-
lieux de culture.
On en a signalé depuis longtemps sur les viandes de boucherie; ils sont beaucoup
plus communs sur les poissons de mer morts, ou sur certains animaux marins chez
lesquels ils déterminent de véritables infections. On en trouve aussi dans les eaux de
certaines mers ; ils semblent jouer un rôle important dans la phosphorescence de la
mer. Pour plus de détails sur le phénomène voir Phosphorescence.
Espèces ferments. — Bacillus aceli (Bacille de la fermentation acétique). On connaît
plusieurs espèces de bactéries qui transforment l'acool eu acide acétique. Voir l'article
Acétique (Fermentation). Bacillus lacticus (Bacille de la fermentation lactique). Il est très
commun dans le lait, où il produit la transformation du sucre en acide lactique. Voir
l'article Lactique (Fermentation).
Bacillus bulyvicus (Bacille de la fermentation butiryque. C'est le Vibrion buthyrique de
Pasteub. anae'robie vrai. Il produit la fermentation butyrique des hydrocarbonés. Voir
l'article Butyrique (Fermentation).
Bacillus urcx. Plusieurs espèces de bacilles déterminent la transformation de l'urée
en carbonate d'ammoniaque. Voir l'article Ammoniacale (Fermentation).
Bacillus viscosus (Bacille de la fermentation visqueuse). Plusieurs espèces de bactéries
BACTERIES. 1039
en bâtonnets produisent, dans les liquides sucrés, un composé ternaire spécial, parais-
sant assez voisin de certaines transformations de la cellulose, qui communique au milieu
une viscosité très grande, parfois telle qu'il possède une consistance gélatineuse. Quel-
ques-unes s'attaquent aux vins et aux bières qu'ils rendent filants, graisseux comme on
dit. Le lait subit aussi facilement cette altération visqueuse.
Espèces saprophytes simples à action indifférente. — On doit classer dans ce groupe de
nombreuses espèces qui s'attaquent à la matière organique morte pour la détruire,
qui vivent en véritables saprophytes. Ils se trouvent un peu partout où il y a de l'aliment à
à utiliser.. Il n'est possible ici que de citer les principales espèces sans insister sur leurs
caractères; ce sont les Bacillus subtilis, Baciltiis termo, Bacillus meseniericus, Bacillus
mycoîdes, Bacillus Zopfii, Bacillus (Proteus) vulgaris et mirabilis, parmi tant d'autres.
Genre Spirillum. -^ Spirillum Cholerax [Bacille virgule du choléra). On le considère
comme le microbe spécifique du choléra asiatique. Il abonde dans le contenu intes.
tinal des individus morts du choléra, surtout dans la couche crémeuse qui recouvre
la muqueuse de l'intestin grêle. Les éléments sont de courts bâtonnets courbés de 1,5 à
.3 [1. de long sur 0,4 à 0,6 de large ; leur courbure est souvent peu prononcée, en simple
virgule, ou atteint presque la demi-circonférence; ils présentent un mouvement vif, dû
à l'action d'un long cil vibratile qui se trouve à une extrémité.
On arrive facilement à cultiver cette espèce dans les milieux habituels. L'inoculation
ou l'ingestion des cultures produit chez le cobaye un véritable choléra expérimental.
On a signalé des espèces à caractères voisins dans les eaux, la salive, la carie den-
taire, le vieux fromage ; elles s'en distinguent par certaines particularités des cultures
et surtout l'absence de tout pouvoir pathogêne.
Spirillum Obermeieri. C'est un long spirille, onduleux, faisant de six à vingt tours de
spire, atteignant de 15 à 20 [j. de long sur 1 a de large, qui se rencontre toujours dans
le sang des malades atteints de fièvre récurrente. Du sang qui en contenait, inoculé
à des singes, leur a transmis une véritable fièvre récurrente.
Genre Leptothrix. — Leptothrix buccalis. Ce sont de longs filaments qui forment des araas
floconneux blanchâtres ou de véritables touffes blanches dans la salive, dans le tartre den-
taire, dans les cryptes des amygdales. On les trouve chez l'homme ou les carnivores,
plus rarement chez les herbivores. Leur mode de développement et leurs cultures pures
sont encore très peu connus.
Genre Cladothrix. — Cladothrix dichotoma. C'est une espèce qui abonde dans les eaux,
l'air et le sol. Elle forme de longs filaments immobiles, présentant des ramifications laté-
rales nombreuses. Arrivés à un certain âge, ces filaments se segmentent en articles courts,
carrés, ou en longues séries de corps sphériques, qui restent unis en longs chapelets.
Des espèces voisines produisent des pigments roses ou violets. Toutes semblent
n'être que de simples saprophytes.
Actinomijces bovis. C'est un parasite très voisin des Cladothrix, qui produit ['Actino-
mycose, affection fréquente chez les bovidés et chez l'homme. Chez le bœuf elle porte
surtout sur la mâchoire; chez l'homme, souvent sur l'intestin ou les organes voisins; le
tube digestif semble être sa porte d'entrée. L'Actinomyces forme le plus souvent de
petites granulations rondes constituées par la réunion, en disposition rayonnée, d'élé-
ments en massue allongée, de 13 à 30 [^ de long, se continuant, vers la partie centrale,
en filaments qui se feutrent les uns dans les autres. Cultivé dans les milieux habituels,
ce microbe donne des colonies et des formes rappelant en tout celles des Cladothrix
vrais dont il doit être rapproché (V. Actinomycose).
Technique bactériologique. — Lorsqu'on veutfaire l'étude complète d'une bactérie,
il est nécessaire de l'examiner au microscope pour connaître ses caractères de forme, de
dimensions, les particularités de sa structure et de son évolution, et de la faire se déve-
lopper, en cultures pures, dans des milieux propices à sa vie.
L'étude au microscope doit naturellement se faire à de forts grossissements à cause de
l'extrême petitesse de ces microbes. On ne peut que rarement se contenter de l'examen
à l'état naturel des bactéries vivantes à cause de la grande transparence de leur corps
cellulaire et de son peu de réfringence, ce qui rend leur distinction difficile dans les
liquides qu'on est forcé d'employer. Il est bien préférable de les soumettre à l'action
préalable de réactifs colorants qui fixent leur nuance sur leurs éléments et les rendent
1040 BACTÉRIES.
faciles à distinguer. Il est même possible de mettre à profit des méthodes spéciales de
coloration qui permettent de fixer sur les bactéries seules une matière colorante, tandis
que d'autres éléments, s'il en existe, restent indemnes ou peuvent être teints à leur tour
d'une nuance autre que la première, formant ainsi un contraste facile à saisir. C'est
ainsi que, dans un organe contenant des bactéries, ou dans un liquide riche en éléments
fiaurés, sang ou pus par exemple, on parvient aisément à colorer les bactéries d'une
nuance donnée et à donner aux autres éléments une teinte tout autre; ce qui aide puis-
samment à leur distinction et à l'étude de leurs rapports.
Avant d'user des procédés de coloration, il est nécessaire de faire intervenir la fixa-
tion qui permet de conserver la forme et les rapports des éléments divers à étudier.
Pour Jes coupes de tissu, c'est encore l'alcool qui est à préférer; pour les bactéries en
suspension dans les liquides, il faut uniquement recourir à la chaleur. Dans ce dernier
cas, l'opération doit être conduite de la façon suivante. Une goutte du liquide à exa-
miner, pur ou dilué dans de l'eau soigneusement filtrée, est déposée sur une lamelle
bien propre et étalée à sa surface avec le fil de platine flambé. La lamelle est desséchée
avec soin à une chaleur douce, puis soumise à une température élevée en la passant
à trois reprises dans la ilamme d'une lampe à alcool ou d'un bec de Bunse.n brûlant
à bleu, en ayant soin de tourner en haut la face sur laquelle se trouve la couche de des-
siccation.
La fixation ainsi obtenue, on peut soumettre les préparations à l'action des bains
colorants. Les couleurs à employer sont surtout les couleurs d'aniline basiques, princi-
palement les violets, violet de gentiane ou violet SB, la fuchsine, le bleu de méthylène.
Les couleurs acides, éosine, safranine, ont beaucoup moins d'élection et sont surtout
employées comme colorants de fond.
Il est parfois nécessaire, pour aider à la fixation de la couleur sur les bactéries,
d'ajouter aux bains colorants des substances qui jouent pour ainsi dire le rôle de mor-
dants. Ce sont surtout les alcalis, potasse, soude, eau anilinée; d'autres fois l'acide phé-
nique, le tannin, etc. Ces mordants ne doivent être ajoutés qu'en minimes proportions.
Certaines bactéries cédant plus facilement que d'autres la couleur qu'elles ont retenue
aux réactifs décolorants tels que l'alcool, les solutions acides, il devient parfois précieux
de rechercher ce caractère en faisant agir, après coloration, ces agents décolorants. On
peut employer l'alcool seul ou après action de l'iodé. Dans ce dernier cas, on a intérêt à
employer la méthode dite de Gram. Les préparations, sorties du bain colorant, sont
plongées dans la solution de Grau (iode i gramme, iodure de potassium 2 grammes,
eau distillée 300 grammes) jusqu'à noircissement complet, puis lavées à l'alcool absolu
jusqu'à décoloration. C'est une méthode employée couramment en bactériologie; il
est des espèces qui restent colorées après le traitement, d'autres au contraire qui se
décolorent.
Les acides, agents décolorants très énergiques, ne sont guère employés que pour
rechercher quelques espèces qui retiennent très énergiquement leurs colorants. Le
Bacille de la tuberculose et le Bacille de la lèpre, colorés au bain d'eau anilinée, ne se déco-
lorent pas, ou seulement après un temps assez long, lorsqu'on les soumet à l'action d'une
solution d'acide nitrique au tiers.
Les préparations gagnent à être éclaircies avec un peu d'essence de girofles et mon-
tées dans le baume.
Cultiver des bactéries, c'est les faire vivre et se multiplier dans des milieux qui con-
tiennent des substances dont elles peuvent se nourrir. Lorsque les milieux sont purs de
germes et qu'on n'y ensemence sûrement qu'une seule espèce, on obtient des cultures
pures. L'obention et l'emploi des cultures pures sont la véritable clef de la bactériologie.
Les milieux usités sont liquides ou solides.
Parmi les milieux liquides, il faut placer en première ligne les bouillons de viande,
obtenus par décoction. Les infusions végétales ou les liqueurs exclusivement minérales
sont en général moins favorables; elles peuvent cependant rendre des services.
Les milieux solides sont surtout des gelées; les unes, à base de gélatine, ont le défaut
de se liquéfier au dessus de 22°; les autres, à base de gélose, supportent même des tem-
pératures supérieures à 40°. On emploie encore fréquemment le sérum sanguin solidifié
par une température de 68° et des tranches de pommes de terre cuites. Pour priver
BACTÉRIES. 1041
ces milieux des germes qui abondent un peu partout, on use surtout de la chaleur
que l'on fait agir après avoir disposé la substance nutritive dans des vases stérilise's et
fermés avec de bons tampons d'ouate. 11 est à recommander, lorsque cela est possible,
d'employer une température de llo° environ, obtenue facilement à l'aide des auto-
claves; tous les germes périssant d'une façon sûre à ce degré de chaleur dans la vapeur
d'eau.
La stérilisation par filtration sur une bougie de porcelaine est plus délicate à mellre
en œuvre; on y a l'ecours lorque la chaleur nécessaire peut altérer le milieu.
On ensemence les milieux stérilisés en y introduisant, à l'aide d'un fil de platine préa-
lablement flambé, puis refroidi, une minime partie d'un produit ne contenant que l'es-
pèce dont on veut obtenir des cultures pures. Si on ne l'a qu'en mélange, il faut avant
tout l'isoler en employant des méthodes spéciales et particulièrement la méthode des
cultures sur plaques.
Les espèces anaérobies, ne pouvant vivre en présence d'oxygène, nécessitent l'emploi
de procédés particuliers. On les cultive dans une atmosphère d'acide carbonique, d'hy-
drogène, de gaz d'éclairage, ou dans les couches inférieures de gelées bouillies pour
chasser l'air qu'elles contiennent, puis refroidies et recouvertes aussitôt d'uue couche
d'huile stérilisée.
Enfin, pour observer les effets des bactéries sur les animaux, il est nécessaire de les
introduire dans l'organisme. Diverses voies de pénétration sont à la disposition de l'ex-
périmentateur; il peut y parvenir par injection sous-cutanée, par injection intra-vei-
neuse, par inhalation, par introduction dans l'estomac, ou d'autres moyens encore
selon la voie qu'il lui paraît préférable d'emprunter.
Répartition des bactéries dans dififérents milieux naturels. — Nous savons
déjà que les bactéries sont très répandues dans la nature ; on les rencontre, et souvent
en très grande abondance, dans l'air, l'eau, le sol, et à la surface ou dans les cavités
naturelles des êtres vivants en contact avec ces milieux. Leur ténuité leur permet d'être
transportées facilement à de grandes distances ou de pénétrer par des ouvertures
des plus réduites. Il est probable que toutes peuvent vivre, dans ces milieux, aux
dépens de matières organiques mortes, en sa-propinites, comme on dit. Si l'on n'en
a pas encore isolé certaines espèces pathogènes, c'est qu'elles ne rencontrent pas
facilement les conditions suffisantes pour pulluler, celles de température et d'alimen-
tation surtout.
La preuve que l'air tient en suspension beaucoup de bactéries s'obtient facilement,
en laissant à découvert des milieux de culture préalablement stérilisés. Si l'on s'est
servi de milieux solides, on trouve, au bout de quelques jours, réparties à leur surface,
un nombre plus ou moins considérable de petites colonies issues du développement des
germes vivants qui s'y sont déposés. Cette expérience est du reste la base de divers
procédés pratiques de numération et d'isolement des germes de l'air ; on fait passer
lentement un volume déterminé d'air à la surface de milieux solides ou dans des milieux
liquides et on recherche les germes qui s'y trouvent.
Lés travaux de Miquel, de Hesse, de Frankland, de Pëtri, de Straus ont donné de très
intéressants résultats au point de vue de la numération des germes de l'air ; leur déter-
mination est encore peu avancée.
Les patientes recherches de Miuuel ont cependant conduit à la connaissance de don-
nées particulièrement importantes. Elles ont montré que le nombre des bactéries en
suspension dans l'atmosphère variait en plus ou en moins dans des rapports directs avec
certaines circonstances climatériques et météorologiques, avec l'altitude des lieux, avec
la distance du sol au point où se fait la prise d'air, avec la présence de l'homme, et sur-
tout l'encombrement.
Dans une même journée, on observe des variations qui Se produisent régulièrement
à des heures déterminées; il y a un minimum vers deux heures du matin, et un autre
vers deux heures du soir, un maximum vers huit heures du matin et un autre vers sept
heures du soir. Dans le courant d'une année, les changements sont tout aussi accusés;
le nombre des bactéries aériennes baisse rapidement à la fin de l'automne, reste peu
élevé pendant tout l'hiver, puis s'accroît et se maintient haut pendant toute la saison
chaude.
DICT. DE PHYSIOLOGIE. — TOME 1. ti6
1042 BACTERIES.
Les crues bactériennes ont généralement lieu sous les hautes pressions ; les maxima
semblent correspondre aux périodes de sécheresse. Une pluie de quelque durée purifie
l'air en entraînant les corps en suspension. Lorsque le sol est humide, il retient fortement
les germes, le vent ne s'en charge pas facilement; lorsqu'il est sec au contraire, le vent
soulève des tourbillons de poussières riches en germes, le nombre des bactéries de l'air
augmente beaucoup.
Les couches élevées de l'atmosphère paraissent privées de germes. Pasteur a démon-
tré, il y a longtemps, que l'air pris au sommet de hautes montagnes était presque pur.
MiQUEL a reconnu qu'en plein Paris le nombre des bactéries de l'air diminuait à mesure
qu'on s'élevait, comme le prouvent les numérations suivantes, faites à des niveaux
extrêmes différant d'une centaine de mètres:
Sommet du Panthéon 28 bactéries par mètre cube.
Parc de Montsouris 45 — — —
Mairie du IV' arrondissemeul • . 462 — — —
La plupart des espèces qu'on a isolées de l'air sont des saprophytes. Quelques espèces
pathogènes y ont cependant été rencontrées, le Pneumocoque, le Streptocoque ptjogène, le
Staphylocoque doré, par exemple. Il est infiniment probable que l'air est une voie de
transmission certaine de nombreuses maladies infectieuses, rougeole, scarlatine, fièvre
typhoïde, tuberculose surtout. Il faut cependant reconnaître que ces microbes trouvent
dans l'air plus qu'ailleurs des causes d'atténuation et de destruction très actives ; nous
savons l'action nocive qu'exercent sur eux la lumière solaire, l'oxygène, la dessiccation.
L'eau est pour les bactéries un meilleur milieu que l'air; on comprend facilement
que, d'une façon générale, elle en contienne un plus grand nombre que lui. Pasteur et
JouBERT ont démontré que les bonnes eaux de source, prises avec toutes les précautions
voulues, sont pures de germes. Leur contamination se fait toutefois rapidement, au sortir de
terre, par l'air qui laisse choir des germes qu'il contient, le contact d'objets souillés, ou
le mélange de liquides riches en bactéries. Aussi une eau est-elle d'autant plus riche
en germes qu'elle a été plus exposée à ces contaminations douteuses; c'est ce que
prouve avec la dernière évidence le tableau suivant établi par Miquel.
Eau de pluie .'i3 bactéries par centimètre cube.
— de la Vanne 62 — — —
— de la Seine à Bercy 1400 — — —
— de la — à Asnières .3200 — — —
— d'égout prise à Clicliy 20 000 — — —
On a rencontré souvent dans l'eau des espèces dangereuses pour l'homme, en premier
lieu le Bacille typhique et le Bacille virgule du choléra, puis le Bacille du charbon, les Sta-
phylocoques pyog(:nes, le Bacille pyocyaniqite, le Bacille du côlon jouant tous un rôle cer-
tain dans i'étiologie des principales maladies infectieuses.
Le sol est en généi-al très riche eh bactéries, ce qui est dû surtout à la ricliesse en
matières organiques, et à un certain degré d'humidité; lorsqu'il se trouve souillé par
des infiltrations de matières fécales, d'urine, d'eaux ménagères, il peut même devenir un
excellent milieu pour leur pullulation. Aussi peut-on dire que c'est par l'intermédiaire
du sol que se font les principales contaminations de l'air et des eaux.
Ce sont surtout les couches superficielles, plus riches en oxygène et en matières orga-
niques, qui renferment un nombre très élevé de bactéries; à mesure qu'on pénètre dans
la profondeur, elles diminuent rapidement jusqu'à faire complètement défaut. Cepen-
dant, comme les recherches ont porté presque exclusivement sur les aérobies qui ne peu-
vent pas vivre là où rox3'gène ne dilfuse plus, il n'est pas encore permis de généraliser
complètement les résultats. Les espèces anaérobies, en efîet, sont communes et fréquen-
tes dans le sol; le ferment butyrique s'y trouve presque toujours, et très souvent les ger-
mes pathogènes du tétanos, du charbon symptomatique et de la septicémie de Pasteur. Mi-
quel évalue de huit cent mille à un million le nombre de microbes que contient un gram-
me de terre de l'observatoire de Montsouris.
BACTÉRIES. 1043
On peut se faire une idée de la distribution des bactéries dans le sol d'après le tableau
suivant, établi par Reiuers :
Terre delà surface d'un champ 2S64800 germes par centimètre cube.
— prise à 2 mètres de profondeur (argile) . . . 2IJ100 — — —
— _ 3 _ 1/2 — (gravier) . . 6170 — — —
— _ 4 _ _ _ (sable) . . . 1320 — — —
— - 6 - - (grès). ... 0 - - -
De tels résultats doivent varier dans de très larges limites, on le comprend aisément,
suivant la nature même du sol, sa richesse en matières nutritives, etc., etc.
Les espèces qu'on peut rencontrer dans le sol sont nombreuses. On ne connaît pas
d'action spéciale à beaucoup d'entre elles, qui sont alors considérées comme des sapro-
phytes ordinaires. Il en est qui y jouent un rôle important dans la transformation des
matières organiques; tels le Micrococcus urese et les nombreux Bacilles ferments de l'urée
qui y sont fréquents, tel le ferment de la nitrification. Enfln, un certain nombre d'espèces
pathogènes pour l'homme s'y rencontrent fréquemment; en première ligne, les trois
anaérobies pathogènes du sol, le Bacille du télanoa, ]e Bacille du charbon symptomatic/ue et
le Vibrion septique; plus rarement la Bactéridie charbonneuse, comme l'a montré Pasteur;
le Bacille typhique et lejJBaci'Hc du côlon que j'y ai signalés en 1888. Toutes ces espèces sont
bien moins exposées que dans l'air et l'eau, aux causes qui peuvent nuire à leur vitalité;
le sol peut donc être regardé comme le milieu le plus propice aux bactéries.
L'intérieur même des organismes vivants, et principalement, chez les animaux, le
milieu intérieur proprement dit, le sang, lorsqu'il est contenu dans un système abso-
lument clos, sont, à l'état normal, absolument inaccessibles aux bactéries. Il n'en
est plus de même pour les parties du corps en communication directe avec l'exté-
rieur.
Chez l'homme, en particulier, la peau est l'habitat de nombreuses espèces. La plu-
part sont des saprophytes déposés par l'air qui les tient en suspension. Certains peuvent,
en pullulant, donner lieu à des phénomènes particuliers; le Micrococcus prodigiosus,
envahissant les glandes sudoripares, donne lieu au phénomène fréquent des sueurs
rouges; le BacUlus phosphorescens, à celui très rare des sueurs phosphorescentes. D'autres,
moins nombreux, sont pathogènes; tels sont les microbes pyogènes.
Le tube digestif, dans ces différentes portions, renferme toute une collection d'es-
pèces qui y sont introduites avecles ingesta ou proviennent de l'air. La bouche en ren-
ferme beaucoup qui pullulent dans le tartre dentaire, l'enduit lingual ou les follicules des
amygdales; le Pneumocoque, les microbes pyogènes y sont fréquents. Il en est qui possè-
dent une action digeslive évidente sur différentes substances alimentaires, et jouent
probablement quelque rôle dans l'action digestive de la salive. L'estomac en montre
moins à cause de l'acidité du suc gastrique qui leur est très nuisible. Elles n'y pullulent
que dans des conditions pathologiques.
L'intestin, dont le contenu a une réaction alcaline, est un bien meilleur milieu pour
les espèces qui ont pu échapper aux effets destructeurs du suc gastrique. Elles s'y ren-
contrent en abondance et concourent certainement, par les diastases puissantes qu'elles
sécrètent, à la transformation des matières alimentaires ; il existe une véritable diges-
tion bactérienne, qui agit dans le même sens que la digestion physiologique. On dit
même que la digestion de certaines celluloses, toutes réfractaires aux ferments diasta-
siques de l'organisme, est sous la dépendance immédiate de certaines bactéries.
Le poumon, les voies génito-urinaires, en retiennent un grand nombre dont cer-
taines leur sont spéciales. Il s'y trouve des espèces véritablement pathogènes dont
l'action est entravée par l'activité des éléments épithéliaux jouant le rôle de phagocytes
fixes.
On peut penser que toutes ces espèces parasites ou commensales d'êtres plus élevés
étaient primitivement des saprophytes qui, peu à peu, se sont adaptés à des conditions
de vie parasitaire; pour quelques-unes cette adaptation est telle que la possibilité' de
vivre librement dans le milieu extérieur a disparu presque complètement, ou même com-
plètement pour certaines. Beaucoup de parasites plus élevés sont, du reste, dans les
mêmes conditions sous ce rapport.
lOii BACTERIES.
Bibliographie. — La bibliographie concernant les bactéries a une étendue bien trop
considérable, même en se bornant aux dernières années, pour pouvoir être donnée ici.
On trouvera tous les renseignements désirables à ce sujet dans un certain nombre de
traités généraux, et dans les journaux et revues spéciales à cette partie de la science,
dont nous donnons l'énumération ci-après.
CoRNiL et Babès. Les Bactéries, 2° éd., 1890. — Duclaux. Microbiologie, dans l'Encyclo-
•pédie chimique de Frémy, 1883. — Flûgge. Die Mikroorganismen, 1887. — Macé. Traité pra-
tique de Bactériologie, 2° éd., 1892. — Baumoarten'. Lehrb. der pathologischen Mykologie,
1890. — Charrin. La maladie jiyocyanique, 1890. — Boochard. Les microbes pathogènes,
1893. — Arloin'g. Les virus, 1892. — Brieger. Plomaines et maladies, 1888. — Vignal. Le
Bacillus mesentericus vulgatus, 1889. — Annales de l'Institut Pasteur, publiées depuis
1887. — Annales de micrographie, publiées depuis 1889. — Centralblatt fur Bakteriologie
und Parasitenkunde, t. i à xviii, depuis 1887. — Bauugaeten's Jahresbericht iiber die
Fortschritte in der Lehre von den pathugenen Mikroorganismen, depuis 1885. — Koch's
Jahresbericht ùber die Fortschritte in der Lehre von den Gâhrungs-Organisinen, depuis 1890.
— Ces trois dernières publications seront particulièrement utiles à consulter par suite
du grand nombre de travaux qui y sont analj'sés ou cités dans un ordre très propice
à la facilité des recherches.
MACÉ.
TABLE DES MATIÈRES
DU PREMIER VOLUME
Abasie-Astasie ....
X. Francotte .
1
Abcès. (V. Suppura-
tion)
1
Abeille
F. Plateau . .
1
9
9
9
Aboulie. .... . . . .
Pierre Janet. .
9
Absinthe (Essence d').
Ch. Livon . . .
13
Absinthe (Hygiène) . .
E. Macé . . . .
1fi
90
Absinthisme
Ch. Livon . . .
20
Absorption. . . . Henrmean et Corin.
2:{
Absorption (des gaz)
(V. Solubilité). . . .
38
Absorption (Spectre d')
(V. Spectroscopc) .
38
Acclimatation ....
H. DE Varigny .
38
Accommodation . . .
WERTHEI.\tER . .
45
Acétal
Cn. Livon . . .
83
Acétamide , . i , . .
83
Acétanilide
83
Acétates .......
_
8fi
Acétique (Acide) . . .
— . . .
86
Acétique (Fermenta-
tion) ........
E. Macé . . . .
90
Acétone
Cn. Livon . . .
92
Acctonurie
9i
Acétylène ....•.,
98
Achilléine ......
98
Acholie
98
NUEI
98
Achroodextrines . . .
102
ClI. RlCHET . . .
102
Aconelline
Cn. Livon. . . .
104
Aconitine
Hbnrijean . . .
104
Acoriuc
108
Acrodynie .... ... .
.1. HÉRICOURT . .
108
Acroléine
Cn. Livox. . . .
109
Acromcgalie
P. Blocq ....
109
Acromélalgie
— ....
110
Acroparesthésie. . . .
— ....
110
Acrosc
110
Acrosone
HO
Actinomycose ....
F. Heim
110
Acuité (visuelle) . . .
Nuel
122
Adaptation
—
136
Addison (Maladie d') .
P. Langlois. . .
136
Addition Cii. Richet . . . 143
Adénine L.Lapique. . . 151
Adonidine jtjj
Aération Ch. Richet ." ' '. 151
Aérobie jgg
Aérotonomètre . . . . L. Fredericq. . 133
Aéropléthysmographe. J. Gau 156
Agaricine B. Bourquelot . 158
Agaricique (Acide) . . — .138
Agonie Ch. Richet. . '. 139
Agraphic P. Blocq .... 162
Agueusie .... 163
Ail" .J. HÉRICOURT . . 163
Albinisme H. de Varigny . 167
Albumine (de l'œuf). . L. Fredericq. . 169
Albumine (du sérum) . — . . 172
Albuminoïdes E. Ahelous. . . m
Albuminurie — ... 207
Alcalins (Métaux et
sels) Ch. Richet . . . 210
Alcalins (Milieux) (Y.
Basiques [Milieux]) 213
Alcaloïdes G. Pouchet. . . 215
Alcaptone 234
Alcools R. Dubois ... 234
Alcools (Toxicologie gé-
nérale) Cn. Richet. . . 244
Alcoolique (Fermenta-
tion) E. Macé .... 249
Aldéhyde ■ . . . . 262
Alexie (V. Aphasie) 263
Alexine(V. Immunité) 263
Algésiinètre. 263
Algidité 263
Algues F. Hi;iM .... 263
Aliments.. . L. Lapique et Cn. Richet. 294
Allaitement (V. Lac-
tation) 382
AUantoïde E. Retterer . . 382
Alhmtoïne L. Fredericq. . 384
AUochirie P. Blocq. ... 386
AUocinésic 386
AUoxane L. Fredericq . . 386
AUoxantinc L. Fredericq. . 387
Aloès 388
Altitudes Carvallo et Pachon. 388
Aluminium Ciiassevant . . 391
Alun (V. Aluminium) 394 >
1046
TABLE DES MATIÈRES.
Pasi's.
, 394
Amétropie Nuel
Amibes et Amiboïdes
(Mouvements). ... F. Heim . . .
Ammoniacale (F ermen-
tation) E. Macé . . .
Ammoniaque E. LAiiDLnNc .
Ammoniaque et sels
ammoniacaux (toxi-
cologie) Cn. RicHET. .
Amnésie Pikrre Janet.
Amnios E. Retterer .
Amusie P. Blocq. . .
Amygdaline Ch. Ltvon . .
Amylacées E. Aeelous. .
Amylc (Dérivés de 1')
Amyle (Nitrite d'). . . P. Langlois .
Amylène
Amylène (Hydrate d')
Amyloïde (Substance) . Han.semann . .
Amyotaxiç P. Blocq . . .
Amyotrophie . .... H. Triboulet.
Anabiose (V. Revivis-
cence)
Anagyrine
Analgésie Cii. Richet. .
Anaphrodisiaque . . . P. Blocq. . .
Anatomic P. Séeileau .
Anélectrotonus (Voir
Électrotonus)
Anémie. Cu. Richet. .
Anesthésie Pierre Janet .
Anesthésiques .... Ch. Richet. .
Angélique (Essence d')
Anhalonine
Aniline Wertheimer .
Animisme ...'.. 564
Anis (Essence d') S64
Anisométropie .... Nuei 364
Anode (V. Electricité) 564
Anorchidie 565
Anorexie 565
Anosmie (V. Odorat) 565
Antagonisme J. P. Morat . . 5G3
Anthropologie .... L. Lapique . . . 579
Antidote (V. Antago-
nisme) 582
Antifébrine (V. Acé-
tanilide) 582
Antimoine A. Chassevant . 582
Antipeptone (V. Pcp-
tone). 587
Antipéristaltiquc (V.
Péristaltique) 587
Antipyrétiques (Voir
Chaleur et Fièvre) 587
Antipyrinc P. Langlois . . 587
Antisepsie et Asepsie. E.Trouessart . 592
394
414
416
421
431
436
443
443
445
463
463
468
470
470
478
478
478
480
482
491
492
506
513
350
550
550
Antiseptiques .... E. Trouessart .
Antispasmodiques (V.
Convulsions)
Antithermiques (Voir
Chaleur et Fièvic)
Antitoxines Charrin. . . .
Aperception L. Marillier. .
Aphasie E. Lahousse . .
Aphonie (V. Voix)
Aphrodisiaque. ... P. Blocq . . . .
Apnée L. I^redericq. .
Apocodéine , . . .
Apomorphine Cii. LivoN. . . .
Apraxie
Arabinose
Arachnides F. Plateau . . .
Arécaine
Arécoline
Argent A. Chassevant.
Arginine
Argon
Aristote Cn. Ricuet.. . .
Arloing . . .
Arsenic E. Wertheimer.
Arsonval (d') . .
Artémisine
Artères M. Lambert. . .
Ascite. H. Triboulet. .
Asepsie (V. Antisepsie)
Asparagine L. Fredericq. .
Asphyxie Ch. Richet. . .
Aspidosperminc. . . . Ch. Livon . . .
Assimilation. . . Henruean et Corin.
Asthme H. Triboulei . .
Astigmatisme Nuel
Atavisme. ...... H. de Varigny.
Ataxie Thomas
Athétose X. Francotte. .
Atmosphère ( V. Air)
Atrophie J. -P. Morat.. .
Atropine Nuel. . . ., . .
Attention. Pierre Janet. .
Atténuation Charrin
Aubert (Hermann) . . .
Audition Gellé
Audition (colorée). . . Nuel
Aura
Auscultation H. Triboulet. .
Automatisme Ch. Richet. . .
Autotomie L. Fredericq. .
Azotates Cn. Richet. . .
Azote — . . .
Azote (.assimilation par
les jilantes) G.André. . . .
Azotites. . . . ... Lambling., ... .
Azoturie (V. Urée) . . .
Bactéries E. Macé. . . .
PaKCS.
. 601
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CHAMEIiOT ET RENOUARD
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PARIS